Fichier
Nom du fichier
1760, 04, vol. 1-2, 05-06
Taille
35.80 Mo
Format
Nombre de pages
1007
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROI.
AVRIL. 1760 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine .
Chez
Cochin
Silus i
PalioSculp 1215
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à-vis la ComédieFrançoife
PISSOT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguitins.
CELLOT , grande Salle du Palais..
Avec
Approbation
& Privilége
du
Roi
:
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
325307
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anně,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer, francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE, Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raifon de 30 fols piéce .
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à-dire 24 livres d'avance , en s'abon- «
nant pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deſſus.
A ij
On Supplie les perfonnes des provinces
Benvoyer par la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refieront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA SOCIETE ,
Néceffaire à l'Homme de Lettres.
SE dérober à la fociété ,
Vivre tout feul , pâlir fur fon ouvrage ,
Ne converfer qu'avec l'Antiquité ;
C'eſt le moyen d'être un docte fauvage ,
Un lourd Sçavant , dont le ftyle apprêté ,
Privé de goût , de chaleur & d'image ,
Peint des fujets choifis par l'âpreté ,
1. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Pulvérisés par le mépris du Sage ,
par celui de la Poftérité . Et
Le cabinet , fans doute , eft fort utile ;
",
Je fens très-bien, qu'il faut être tranquille ,
Pour découvrir l'obſcure vérité :
Contre les Sots , on a befoin d'afyle.
Des ennuyeux , la cohorte imbécille ,
Empêcheroit d'écrire , & de penfer :
Mais quelquefois on doit fe délaffer :
La folitude , à la fin , rend ſtérile .
Le Philofophe , en parcourant la ville ,
Peut à la fois s'inftruire , & s'amufer :
En connoiffeur il y viendra puifer
Un coloris féduifant , & facile.
Il peut encor , comme un Chymifte habile ,
Suivre , faifir , extraire , analyſer
D'originaux un enfemble bizarre ;
Approfondir les efprits , & les coeurs
Du faux dévot , du fat , & de l'avare ;
Peindre chacun de fes propres couleurs ;
Soigneufement diftinguer les nuances ;
Décompofer , marquer les différences
Des fentimens , des goûts , & des humeurs.
Une retraite , éternelle , & profonde ,
Ne convient pas à l'examen des moeurs :
Un Capucin , dont le zèle les fronde ,
Adreffe mal & fes cris , & fes traits.
Pour déclamer , il fe figure un monde ,
AVRIL 1760. 7
>
Qu'il n'a pas vu , qu'il ne verra jamais.
En fréquentant la bonne compagnie ,
L'homme d'efprit modèle fes portraits
Sans s'arrêter à la fuperficie :
Il a l'oeil bon , il regarde de près.
Il va chercher ces fêtes un peu vives ,
Ces foupers fins , où règne le plaifir :
Car c'eſt alors que l'âme doit s'ouvrir ! ..
Bientôt , par coeur , il fçaura fes convives.
Témoin fenfé de leurs travers nouveaux
Il entendra des réponſes naïves ,
De plats difcours , d'infipides bons mots ;
Pour des traits fins , lâcher des invectives
Des lieux communs embellir les propos.
Vuide de fens , chargé de bénéfices,
Par intérêt , affublé d'un rabat ,
Un gros Abbé préconife les vices
Contre lesquels dépofe ſon état.
Un Auteur froid , dont les drames novices ,
Par les fillets font encor pourſuivis ,
Dit , qu'aujourd'hui contre ces injuſtices ,
Les grands talens doivent être aguerris.
Modeftement , une prude févère ,
Lorgne , en deffous, un brillant Officier :
A fes côtés , la fçavante Glycère ,
Fait d'un pédant le barbare métier ;
Et par humeur , elle fable , à plein vèrre ,
Le vin mouffeux d'un épais financier.
?
A iv
MERCURE DE FRANCE.
C'eſt Montesquieu , c'eſt Rameau , c'eſt Voltaire ,
Que fans entendre on veut apprécier.
L'obfervateur , écoute fans rien dire :
Sur ce qu'il voit , il s'empreffe d'écrire.
Sans les aigrir , mais fans les ménager ,
Contre les Sors il arme la fatyre :
Et fi le vrai ne peut les corriger ;
Aleurs dépens , du moins , il les fait rire.
VERS , à M. Fournier, Fermier général.
DEPOURVU ÉPOURVU de talens , peut- être de vertus ,
J'ofe pourtant vous rendre hommage ;
Et vous prier, en fublime langage,
De me conduire au Temple de Plutus :
Ou , pour parler fans métaphore ,
Dans un emploi de vouloir m'inftaller.
Je ne fçai rien , qu'écrire & calculer :
L'art de rimer , eft un art que j'ignore.
Je n'ai ni bien , ni rang , ni talens , ni bureau.
Cela s'appelle, en bonne profe,
Etre un zéro ! Mais un zéro ,
Quand il eft bien placé, peut valoir quelque chofe.
AVRIL. 1760. 9
Chef A M. DE CHENNEVIERES
d'un Bureau de la Guerre.
MODESTE ODESTE Favori du Dieu de l'hypocrêne ,
Toi , qui par de fublimies vers * ,
Célébras un héros qu'admire l'Univers ,
Que la France chérit , qu'adore la Lorraine ;
Le digne Pere , enfin , de notre augufte Reine !
Ton coeur & ton eſprit, ont fçu plaire à ce Roi.
Honorer le mérite, eft fa plus chère loi ;
Tout nous le prouve : il t'en donne pour gage ,
Un meuble utile , où l'art ingénieux
Offre chaque jour à tes yeux ,
D'un Monarque fi grand , la reſpectable image.
CHENNE TERes , ce beau préfent ,
Doit te flatter ; mais n'a rien qui m'étonne :
Car il honore , également ,
La main qui le reçoit , & celle qui le donne.
Qui furent inférés dans un des Mercures de l'Eté dernier .
Par M. le Ch . D. C. d'Arras .
A une Demoiselle , qui avoit envoyé
des Vers à l'Auteur.
RIVIVAALLE des neufs foeurs , adorable Zélie !
Toi , que forma l'Amour toi , qu'admira l'envie ,
Objet de mes plus tendres voecux !
Pour tes vers gracieux ,
A v
Jo MERCURE DE FRANCE.
Je te dois ce tribut de ma reconnoiffance .
Mais , hélas ! mes foibles accens ,
Diront bien peu ce que je penfe ;
Et moins encor , ce que je fens.
E. M DE CHAMBRAY . M. D. C. D. E.
ti
PORTRAIT
DE FANCHONETTE.
A Madlle D.***
O Toi , qui , par la peinture ,
Sçais retracer à nos yeux
Les objets , dont la nature
Orne la terre , & les cieux !
Peins-moi , Fanchonette abſente;
Peins des rofes & des lis :
Qu'à ces trais , ta main fçavante ,
Joigne les jeux , & les ris. -
Exprime , de Pafithée ,
La douce naïveté :
Fais , que mon âme enchantée ,
Y trouve la vérité.
Que l'amour trempe
fes armes
Dans les yeux vifs , & brillans
Et qu'à l'abri de leurs charmes
Il lance fes traits brûlans.
AVRIL. 1760,
Qu'elle ait la bouche vermeille ,
Adorable , faite au tour ;
Comme quand Pfyché fommeille ,
Entre les bras de l'Amour.
Fais , qu'une modeſte gaze ,
D'un fein qu'on doit admirer ,
Laiffe à mes yeux en extaſe ,
Moins à voir qu'à dehrer.
Peins fes bras , peins fon corfage....
Mais quels confeils fuperflus !
Va , pour accomplir l'ouvrage ,
A Paphos peindre Vénus .
Par M. le Chevalier de ***.
REPONSE de Madlle D. ***
PORTRAIT DE MON BERGER..
VOUS o us , dont l'éloquent cifeau ,
Occupe la renommée :
Vous , dont l'habile pinceau ,..
Rend une toile animée !
Artiſtes induſtrieux ,
Peignez l'objet de ma flâme.
Ah ! s'il eft loin de mes yeux,
Il est préſent à mon âme.
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
Son tein , obfcurcit les lys ;
Sa chevelure eft dorée :
Tel on figure Adonis ,
Dans les bras de Cythérée.
Peignez l'oeif d'Endymion ,
Le ris de l'amant de Flore,
L'air expreffif de Titon ,
Quand il attendrit l'Aurore.
Jadis , un moins beau Berger ,
Méritoit une Déelle.
Peut-on le voir , fans danger?
Peut-on l'aimer , fans foibleffe
Attraits , charmes , enjoûment ,
Venez embellir fes traces ;
Et pour peindre mon amant ,
Peignez l'Amour , & les Graces.
A Narbonne , C...
FANCHONETTE,
AVRIL. 1760. 13
SUITE des Lettres & Mémoires de Mlle
de Gondreville,& du Comte de S. Fargeol.
HUITIEME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
V
ous avez raifon de le prévoir, Monfieur
:j'ai été pénétrée de la joie la plus vive :
&la plus fincère , en finiffant de lire votre
lettre . Ma tante , qui m'a chargée de joindre
fes complimens aux miens , a été
transportée , comme moi , du plaifir d'apprendre
qu'on fe difpofoit à rendre juftice
à votre mérite & à votre naiſſance.
Mais je n'ai pas été plus joyeuſe que de
raifon , à la lecture de quelques autres
articles de votre lettre. Je vous ai dit ,
it eft vrai , que j'aimois affez les plaifan
teries ; mais cen'eft pas quand elles font
faires à mes dépens Tour en faifant
mine de m'obéir , it femble que vous
n'ayez ébauché le portrait de Madame la
Comteffe de S. Fargeol , que pour avoir
occafion de vous égayer fur le mien
Quelqu'envie quej'euffe de hai ceffembler,
14 MERCURE DE FRANCE.
je ne fuis ni affez vaine , ni affez fotte ,
pour m'y reconnoître. Mais , quoi qu'il
en foit ; croyez-moi , ne tendez plus de
tels piéges à ma raifon : je ne ferois peutêtre
pas toujours d'humeur à me rendre
fi exactement juftice ; & fi je venois , en
fuivant une pente qui n'eft que trop naturelle
, à m'aimer moi-même autant
que vous voudtiez me perfuader que je
mérite d'être aimée ; j'en aimerois peutêtre
moins mes amis. Et je vous affure ,
que vous y perdriez plus qu'un autre. Ce
n'eft pas pour vous faire peur , que je
vais vous apprendre que j'ai fait depuis
peu d'illuftres conquêtes. Le Prince de
M... dont le régiment eft ici en garnifon,
m'excéde depuis quelques jours , de
foins & de galanteries . Ce fera l'affaire
d'un mois , ou environ , qu'il doit paffer
ici ; à moins , que nos belles & galantes.
Strasbourgeoifes ne lui offrent des occa-:
fions plus commodes de diffiper fon ennui.
Ce n'eft pas tout : j'ai quelque chofe
de plus férieux, à vous dire. Je ne ſçais fi
vous avez vû à Saverne , & fi vous connoiffez
le jeune Marquis de la R. T... Il
eft beau , comme l'amour . Il me connoiffoit
; & me voyoit fouvent , avant l'arrivée
de fon Colonel. Ses vifies , alors ,
me paroiffoient fans conféquence. Mais
AVRIL. 1760.
15
plus
›
il s'eft avifé de devenir jaloux : il a fair
, il me l'a dit ; & cela , en me faifant,
le plus agréablement du monde, une
belle déclaration de fes fentimens pour
moi. Je me fuis moquée de lui : il l'a pris
fur le ton le plus férieux . Il s'accufe d'avoir
fait fon malheur lui-même ; & fe
déſeſpére , parce qu'en effet c'eft lui qui
a , le premier , introduit le Prince chez
ma tante. Vous voyez , Monfieur , qu'il
ne tiendroit peut- être qu'à moi de faire
une grande paffion , & d'enchaîner à mon
char le plus aimable Cavalier qui foit ici,
fans contredit. Ne trouvez-vous pas que
je fuis dans une fituation affez embarraffante
, pour une fille de mon âge ? Eh
bien , je vous avoue , que cela ne m'em-,
barraffe point du tout . Ce qui me fâche ,
c'est d'avoir été obligée de prendre mon
parti fans vous confulter. J'ai cru , de
concert avec ma tante , à qui j'ai tout
conté , qu'il étoit également dangereux
de leur interdire , à l'un ou à l'autre , la
liberté de nous voir : quant au Prince ,
cela n'étoit guères poffible ; & le congé
du Marquis feul , n'étoit pas fans danger.
Mais ma tante les a priés de vouloir bien
ne venir jamais , l'un fans l'autre ; & c'eſt
je crois , le meilleur moyen de fe défaire
bientôt de tous les deux ; & de fe mettre
16 MERCURE DE FRANCE.
་
à l'abri des propos. Qu'en pensez - vous ?
Ils ne feront déformais reçus , qu'à ces
conditions ; & je ne fuis pas embarraſlée
de me défaire du Marquis , au départ de
fon Colonel. J'aurai , d'ici à ce temps- là ,
plus de temps qu'il ne m'en faut pour lui
faire connoître que nous ne nous con
venons point ; que je ne puis prendre
pour lui les mêmes fentimens qu'il af
fecte fans doute d'avoir pour moi; &
qu'il eft fait, pour infpirer à mille autres.
Vous , qui connoiffez mon état , vous
m'accuferez apparemment d'être bien
délicate ? Cela peut être vrai , dans un
fens , qui n'est pourtant pas celui qui doit
vous venir le premier à l'efprit. Mais le
Marquis , eft trop jeune , & trop beau,
pour me faire efpérer qu'il fut auffi déli
cat lui-même que je fouhaiterois que le
fut un homme que j'aurois la foibleffe
d'aimer. Voilà mes raiſons , Monfieur
je les foumets au jugement de votre
amitié pour moi. Songez , en prononçant,
que le Marquis n'a que dix - neuf ans ; &
que j'y touche de près. Je ne cefferai
point de vous dire , que nous attendons ,
ma dance & mor, très- impatiemment,
que vous nous appreniez le départ de
Madame la Comteffe de S. Fargeol' , pour
aller occuper cette belle maifen ou vous
AVRIL. 1760. 17
vous préparez à la recevoir. Ma tante me
charge de vous prévenir , que celle que
nous avons à lui offrir , pour fe repofer
ici , ne gâtera point fon imagination fur
celle que vous lui deftinez dans votre
grande Ville. Bon foir , Monfieur... il y a
plus d'une heure que je dormirois , fi je
n'étois pas , Votre amic.
NEUVIÊME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
J'A₁
reçu ,
A reçu , Mademoiſelle , avec une
reconnoiffance infinie , les complimens
dont vous & Madame la Comtelfe votre
tante , avez daigné m'honorer. Je yous
en rends mille graces , à l'une & à Fautre.
Perfonne ne pouvoit prendre à ma fitua~
tion une part auffi flatteuse pour moi ,
que celle que vous y prenez ; puifque
c'eft à vous , que je dois le fuccès d'une
affaire auffi intéreffante pour moi ; & dont
je n'ofois efpérer une iffue fi facile & fi
prompte. Je vais donc être , par vous ,
le plus content,& le plus heureux homme
du monde ! Car enfin , j'écris , par ce
même courrier , à Madame de S. Fargeol ,
18 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle peut partir pour fe rendre ici.
Comme je l'ai déja prévenue , que mon
oncle l'attend avec prèfque la même impatience
que moi ; je fuis perfuadé que
ma lettre trouvera tout difpofé pour fon
prompt départ. Et fi j'ofe me flatter que
fon impatience réponde à la mienne ;
j'efpére , qu'avant quinze jours , à compter
de celui auquel vous recevrez ma
lettre , elle aura l'honneur de vous voir à
Strasbourg. J'aurois bien fouhaité, qu'elle
pût profiter des offres de Madame votre
tante. Mais M. le Cardinal , qui n'oublie
rien des plus petites circonftances , lorfqu'il
s'agit d'obliger , a déja donné fes
ordres pour la recevoir à l'Evêché. C'eftlà
, qu'elle fera par conféquent obligée de
defcendre , avec permiffion d'y féjourner
autant qu'elle le jugera néceffaire pour
s'y repofer. Vous ne m'accuferez point ,
de lui avoir fait précipiter fon départ : car
il faut tout vous dire : mon projet eft
d'aller la recevoir moi- même , à Strafbourg.
Je vous facrifie le plaifir que je
m'étois fait , de vous furprendre ; parces
que je ne puis contenir celui que me
donne l'espoir de vous revoir . Il n'y aura ,
je vous jure , que l'empreffement de mon
oncle , & la crainte d'abufer des bontés
de fon Eminence , qui nous forceront à
AVRIL. 1760. 19
nous éloigner de vous un peu plutôt que
je ne le defirerois . Mais , après vous avoir
mife dans mon fecret , je ne veux pas
attendre l'honneur de vous voir , pour
répondre à la confiance dont vous m'honorez
perfonne n'eft plus en état que
moi de vous informer de la naiffance &
de la fortune de votre jeune Marquis. La
terre, dont il porte le nom, eft voifine des
miennes , & en relève en partie . Sa famille
, eft de bonne & ancienne nobleffe
de la province cependant , s'il eft vrai
que vous me confultiez bien férieufement;
(ce qui flatte extrêmement mon amourpropre
! ) je vous dirai, que je ne puis que
louer le parti que vous avez pris . M. de
la R. T. eft cadet de fa maiſon : ce qui fignifie
, en bon françois , qu'il ne fera pas
fort riche. Et fi , comme bien d'autres ,
il fait un jour fortune avec la pointe de
fon épée ; il y a encore loin , à fon âge ,
d'ici aux événemens qui pourroient le rendre
digne de vous. Vous voyez , Mademoifelle
, qu'en vous parlant ainfi , je n'ai
égard qu'à la fincérité qui convient au
titre dont vous m'honorez. Si je n'avois
eu en confidération que le mérite perfonnel
du jeune homme en queftion , & que
fes bonnes qualités , ( car je fçais à n'en
point douter qu'il en a d'excellentes ) je
20 MERCURE DE FRANCE.
vous parlerois tout autrement. Et , dans
le cas où il auroit eu le bonheur de vous
plaire, j'applaudirois à votre choix : parce
que je le trouverois tout auffi raifonnable
que le fien. Au refte , comme il n'y a pas
loin d'ici au temps où je compte avoir
Phonneur de vous voir; j'aurai celui de
vous entretenir, plus en détail, de tout ce
qui peut vous intéreffer à cet égard . J'atrends
ce moment , avec trop d'impatience
, pour ne le pas avancer , s'il m'eft
poffible. Je ne compte pas que vous me
faffiez l'honneur de m'écrire , avant mon
départ : je ne pourrois peuv être pas avoir
celui de vous répondre ; parce qu'étant
obligé d'aller avec mon oncle faire quel
ques préparatifs dans fa terre en Cham
pagne , où nous devons faire féjour à
notre retour ; & devant m'arrêter encore
à la Cour de Lorraine ; je partirai d'ici
plutôt que je n'aurois dû faire , pour me
rendre en droiture à Strasbourg. Ceft
même ce qui m'empêche de vous annoncer
aujourd'hui le jour où je pourrai me
fatter de vous faire ma cour , ainfi qu'à
Madame la Comteffe votre tante , à qui
je vous prie de préfenter mes refpects
très-humbles. Je fuis , plus que jamais ,
Mademoiſelle , ce que vous m'avez permis
d'êtres
Votre ami.
AVRIL 1760. 27
ce
DIXIEME LETTRE ,
le De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
as
it
Hel
Q
de S. Fargeol,
UOIQUE je doive craindre , Moncefieur
, que cette lettre ne puiffe vous partvenir
, avant votre départ ; je ne puis me
Datefufer de vous l'écrire , quand ce ne deef
vroit être que pour m'entretenir moime
même plus mûrement du plaifir que vous
me faites , & de l'efpérance de vous revoir
plutôt que je n'aurois ofé m'en flatter . Je
tne puis vous dire affez , combien je vous
fais de gré de cette tendreffe ingénieufé
& délicate pour Madame la Comteffe de
S. Fargeol , qui vous a déterminé à venir
re la recevoir ici vous - même. Ma tante , &
ici moi , nous partageons d'avance bien fin→
ne cérement , avec elle , la joie qu'elle en
eft doit reffentir. Venez donc , Monfieur ; &
T
ne craignez point de la devancer de quel→
me ques jours. Vous trouverez, ici , des coeurs
à bien fenfibles au plaifir de vous y voir. It
qui eft bon même , que votre diligence donne
ts à votre générofité le temps de s'acquitter
s , des devoirs del'amitié , avant que ceux de
rl'amour vous abforbent entierement ;
12 MERCURE DE FRANCE.
pour
le
comme ils ne peuvent manquer de faire.
Ce n'eft point un vol de vos fentimens
, que nous prétendons faire à Madame
de S. Fargeol : je penſe , au contraire ,
que ceux de l'amitié ne peuvent que tenir
votre coeur en haleine ; & l'empêcher
peut-être de fuccomber fous la violence.
de fes premiers tranfports. Je ne fçais
s'il n'y en a point un peu trop , dans ce
que je vous dis ici : mais , pardonnez-le
à l'enthoufiafme que me caufe l'agréable
nouvelle que vous m'apprenez ! Je vais
me fervir d'un fecret infaillible
calmer; c'est-à- dire, que je vais vous parler
de M. de la R. T. & de fes prétentions.
Le parti que nous avons pris, a eu tout le
fuccès que nous avions ofé nous en promettre.
Le Prince de M...faifit , hier ,
chez M. d'Angervilliers , l'occafion de
s'expliquer avec ma tante , fur le motif
de fes vifites. Elles n'avoient eu pour but ,
que de favorifer la recherche du jeune
Marquis , qu'il paroît affectionner beaucoup.
Mais , dès que ma tante lui eut fait
fentir que fes vues ne pouvoient convenir
à nos communs intérêts ; il s'en départit
fur le champ ; & promit à ma tante , que
nous ne ferions plus fatiguées des vifites
du Marquis. Il lui demanda , cependant ,
pour lui-même , la permiffion de venir la
AVRIL 1760: 23
voir quelquefois , pendant fon féjour dans
cette Ville; en l'affurant qu'il prenoit autant
d'intérêt à ma perfonne , qu'il en
avoit pris à celle de fon Officier. Voilà ,
Monfieur , où en est une avanture ; qui ,
en penfant différemment que je ne penfe,
auroit pû fournir la matière d'un joli Roman.
La fin , en eft un peu brufque; mais ,
c'eft avec une franche vérité , que je vous
affure du contentement quej'en ai.J'ai penfé,
plus d'une fois , que née comme je le fuis,
je pourrois bien devenir un jour l'Héroïne
de douze volumes . Mais , je vous jure ,
que rien au monde ne me déplairoit tant.
Je n'ai rien de plus à vous dire , aujour¬
d'hui ; & je ne m'attends plus à recevoir
de vos nouvelles , que par vous - même.
Votre amie.
J'interromps la fuite de nos lettres, par
une réflexionque la mienne me fait faire .
Lorsque je l'écrivis , je ne prévoyois pas
qu'il me pafferoit par la tête d'être un
jour moi-même mon hiftorienne. Mais ,
depuis l'âge que j'avois alors , jufqu'à celui
que j'ai aujourd'hui , ma vie a été
remplie de tant de contrariétés , qu'il ne
doit pas paroître étonnant qu'il s'en foit
gliffe dans quelques - unes de mes façons
de penfer. Quoique je n'efpéraffe point de
recevoir de réponſe à cette Lettre ; ja
24 MERCURE DE FRANCE.
reçus , cependant , quelques jours après ;
le billet que voici.
ONZIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle
de Gondreville .
VOTRE lettre m'eft arrivée à temps ,
Mademoiſelle ; & précisément , hier, veille
de mon départ . Elle eft charmante , cetre
lettre ! & j'aurois mille chofes à vous y
répondre. Mais je remets à vous les dire
moi- même. Qu'il vous fuffife , pour au
jourd'hui , de fçavoir , que fi l'amitié ne
gâta jamais rien en amour ; chez moi ,
l'amour ne nuira jamais à l'amitié. J'ai eu,
depuis quelques jours , des nouvelles de
Madame de S. Fargeol. Elle m'apprend,
qu'elle arrivera au plus tard le 25 , à
Strasbourg. Vous la trouverez bien informée
que c'est à vous que nous devons
l'un & l'autre le confentement de mon
oncle. Elle n'ignore rien de la façon dont
vous avez contribué à notre bonheur ,
que ce qu'il eft à propos qu'elle en ignoae.
Et vous pouvez , fur cet article , n'être
pas tout-à-fait auffi franche avec elle ,
que vous avez voulu l'être avec moi:
?
d'autant ,
AVRIL. 1760. 25
que
d'autant , que vos fecrets n'étant connus
de mon oncle , & de moi ; vous devez
être bien certaine qu'ils font en fureté.
C'eft de quoi j'ai cru devoir vous
prévenir , avant fon arrivée . Je ne vous
parle point de la reconnoiffance de Madame
de S. Fargeol. Je veux lui laiffer
l'honneur de s'en exprimer elle-même.
Mon oncle , qui eft ici , & qui n'attend
pour partir , avec moi , que la clôture de
ma lettre , vient de lire lui-même la vôtre.
Il me charge de vous préfenter fes
refpects : & voici , exactement , ce qu'il
vient de me dire. » Mon cher neveu !
( s'eft il écrié , en finiffant de vous lire )
» j'ai bien peur que ton propre choix , ne
» vaille pas celui qu'on avoit fait pour
» toi ! ... Adieu, Mademoiſelle, je pars, avec
l'ardeur d'un homme qui va rejoindre
tour ce qu'il aime ; & comme amant , &
comme ami.
Les événemens , qui fuivirent la réception
de cette lettre , me font trop intéreffans
,
pour les paffer fous filence . Il eft
même à propos que le lecteur en foit inftruit
, avant de lui communiquer la fuite
de ma correfpondance avec le Marquis.
On étoit déja informé , à Strasburg ,
de l'arrivée de la Comteffe de S. Fargeol ,
-I. Vol, B
[
26 MERCURE DE FRANCE.
à
par les ordres que M. le Cardinal avoit
donnés pour l'y recevoir. Mais on igno-
Toit encore le temps de fon arrivée ; &
T'on ne fçavoit pas, que fon mari dût venir
au- devant d'elle . Ma tante fit part , à
tout le monde , des nouvelles que nous
en avions apprifes ; & les perfonnes de
marque , comme M. le Comte du Bourg ,
l'Intendant , & le Préteur Royal , fe difpoferent
, à l'envi les uns des autres ,
les fêter pendant le féjour qu'ils feroient
dans notre Ville. Le Comte , que nous
attendions le premier, arriva en effet deux
jours avant la femme : mais ce qui nous
étonna beaucoup ; ce fut , que M .le
Vicomte de T ... fon oncle , avoit voulu
venir lui-même jufqu'à Strasbourg, au-devant
de fa niéce. Ils nous vifitèrent l'un
& l'autre , en defcendant de leur voiture.
Ma furpriſe fut telle , lorfque M. de S.
Fargeol nous préfenta le Vicomte , que
la réception que je m'étois propofée de
lui faire , en fut un peu déconcertée .
Après les complimens ordinaires , que le
Vicomte avoit d'abord adreffés à ma tante;
il s'approcha de moi ; & avec cette galanterie,
qu'on dit être de la vieille Cour ,
il me dit : Mademoifelle , c'eſt à vous que
mon neveu doit le bonheur dont il va
jouir. C'est encore au defir que j'ai eu
AVRIL. 1760 . 27
de vous connoître plus particulierement ,
que ma niéce doit la démarche que je
fais aujourd'hui. Ce que j'ai vû de vous ;
ce que je vois , me fait plaindre le fort
du Comte. Il doit être trifte , pour lui ,
d'avoir peut- être trop légèrement placé
l'idée de fon bonheur dans la poffeffion
de toute autre femme que vous.
Ce compliment , étoit tout auffi embaraffant
pour M. de S. Fargeol , qu'il me
le parut à moi-même. Auffi n'y répondîmes-
nous , que par ce qu'on appelle des
lieux communs . Le Comte, en s'efforçant
de faire bonne contenance ; & moi , avec
la modeftie qui convenoit à mon âge , &
a mon fexe. Pendant les deux jours qui
précédérent l'arrivée de Madame de S.
Fargeol ; la préfence du Vicomte , qui
ne quittoit point fon neveu , gêna beau-
Coup nos entretiens particuliers . Mais
nous ne laiſsâmes pas de profiter de quelques
inftans, pour nous confirmer mutuellement
dans les fentimens d'une amitié
qui me devenoit de jour en jour plus précieufe
; & que nous nous promîmes bien
de cultiver , à l'avenir , par une confiance
réciproque , & fans bornes. Enfin ,
Madame la Comteffe de S. Fargeol arriva.
Et j'eus bientôt lieu de penfer , que rien
n'étoit fi jufte , & fi raisonnable , que l'at-
Bij
12 MERCURE DE FRANCE.
comme ils ne peuvent manquer de faire.
Ce n'est point un vol de vos fentimens
, que nous prétendons faire à Madame
de S. Fargeol : je penfe , au contraire ,
que ceux de l'amitié ne peuvent que tenir
votre coeur en haleine ; & l'empêcher
peut-être de fuccomber fous la violence
de fes premiers tranfports. Je ne fçais
s'il n'y en a point un peu trop , dans ce
que je vous dis ici : mais , pardonnez- le
à l'enthoufiafme que me caufe l'agréable.
nouvelle que vous m'apprenez ! Je vais
me fervir d'un fecret infaillible pour le
calmer; c'eſt- à- dire, que je vais vous parler
de M. de la R. T. & de fes prétentions.
Le parti que nous avons pris, a eu tout le
fuccès que nous avions ofé nous en promettre.
Le Prince de M... faifit , hier
chez M. d'Angervilliers , l'occafion de
s'expliquer avec ma tante , fur le motif.
de fes vifites . Elles n'avoient eu pour but ,
que de favorifer la recherche du jeune
Marquis , qu'il paroît affectionner beaucoup.
Mais , dès que ma tante lui eut fait
fentir que fes vues ne pouvoient convenir
à nos communs intérêts ; il s'en départit
fur le champ ; & promit à ma tante , que
nous ne ferions plus fatiguées des vifites
du Marquis. Il lui demanda , cependant
pour lui-même, la permiffion de venir la
AVRIL. 1760. 23
LIV
voir quelquefois , pendant fon féjour dans
cetteVille; en l'affurant qu'il prenoit autant
d'intérêt à ma perfonne , qu'il en
avoit pris à celle de fon Officier. Voilà ,
Monfieur , où en est une avanture , qui ,
en penfant différemment que je ne penſe,
auroit pû fournir la matière d'un joli Roman.
La fin , en eft un peu brufque; mais,
c'eft avec une franche vérité , que je vouis
affure du contentement que j'en ai.J'ai penfé,
plus d'une fois, que née comme je le fuis,
je pourrois bien devenir un jour l'Héroïne
de douze volumes . Mais , je vous jure ,
que rien au monde ne me déplairoit tant.
Je n'ai rien de plus à vous dire , aujour¬
d'hui ; & je ne m'attends plus à recevoir
de vos nouvelles , que par vous - même.
Votre amie.
J'interromps la fuite de nos lettres, par
une réflexionque la mienne me fait faire.
Lorfque je l'écrivis , je ne prévoyois pas
qu'il me pafferoit par la tête d'être un
jour moi-même mon hiftorienne. Mais ,
depuis l'âge que j'avois alors , juſqu'à celui
que j'ai aujourd'hui , ma vie a été
remplie de tant de contrariétés , qu'il ne
doit
pas paroître étonnant qu'il s'en foit
gliffe dans quelques - unes de mes façons
de penfer. Quoique je n'efpéraffe point de
recevoir de réponſe à cette Lettre ; ja
24 MERCURE DE FRANCE.
reçus , cependant , quelques jours après ;
le billet que voici.
ONZIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle
de Gondreville.
VOTRE lettre m'eft arrivée à temps ,
Mademoiſelle; & précisément, hier, veille
de mon départ. Elle eſt charmante , cette
lettre ! & j'aurois mille chofes à vous y
répondre. Mais je remets à vous les dire
moi-même. Qu'il vous fuffife , pour au
jourd'hui , de fçavoir , que fi l'amitié ne
gâta jamais rien en amour ; chez moi ,
l'amour ne nuira jamais à l'amitié. J'ai eu,
depuis quelques jours , des nouvelles de
Madame de S. Fargeol . Elle m'apprend ,
qu'elle arrivera
au plus tard le 25 , à
Strasbourg. Vous la trouverez bien informée
que c'eft à vous que nous devons
P'un & l'autre le confentement de mon
oncle. Elle n'ignore rien de la façon dont
vous avez contribué à notre bonheur
que ce qu'il eft à propos qu'elle en ignoae.
Et vous pouvez , fur cet article, n'être
pas tout-à-fait auffi franche avec elle ,
que vous avez voulu fêtre avec moi :
d'autant ,
AVRIL. 1760. 25
d'autant , que vos fecrets n'étant connus
que de mon oncle , & de moi ; vous devez
être bien certaine qu'ils font en fureté.
C'eft de quoi j'ai cru devoir vous
prévenir , avant fon arrivée. Je ne vous
parle point de la reconnoiffance de Madame
de S. Fargeol. Je veux lui laiffer
l'honneur de s'en exprimer elle- même.
Mon oncle , qui eft ici , & qui n'attend
pour partir , avec moi , que la clôture de
ma lettre , vient de lire lui- même la vôtre.
Il me charge de vous préfenter ſes
refpects : & voici , exactement , ce qu'il
vient de me dire . » Mon cher neveu !
( s'eſt il écrié , en finiſſant de vous lire )
» j'ai bien peur que ton propre choix , ne
" vaille pas celui celui qu'on avoit fait pour
» toi ! ...Adieu, Mademoiselle, je pars, avec
l'ardeur d'un homme qui va rejoindre
tour ce qu'il aime ; & comme amant , &
comme ami.
"
Les événemens , qui fuivirent la réception
de cette lettre , me font trop intéreffans
, pour les paffer fous filence. Il eft
même à propos que le lecteur en foit inf
truit , avant de lui communiquer la fuite
de ma correfpondance avec le Marquis.
On étoit déja informé , à Strasb urg ,
de l'arrivée de la Comteffe de S. Fargeol ,
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
par les ordres que M. le Cardinal avoit
donnés pour l'y recevoir. Mais on ignoroit
encore le temps de fon arrivée ; &
l'on ne fçavoit pas, que fou mari dût venir
au- devant d'elle. Ma tante fit part , à
tout le monde , des nouvelles que nous
en avions apprifes ; & les perfonnes de
marque , comme M. le Comte du Bourg ,
l'Intendant , & le Préteur Royal , fe difpoferent
, à l'envi les uns des autres , à
les fêter pendant le féjour qu'ils feroient
dans notre Ville. Le Comte , que nous
attendions le premier, arriva en effet deux
jours avant fa femme : mais ce qui nous
étonna beaucoup ; ce fut , que M .le
Vicomte de T ... fon oncle , avoit voulu
venir lui-même jufqu'à Strasbourg , au -devant
de fa niéce. Ils nous vifitèrent l'un
& l'autre , en defcendant de leur voiture.
Ma furpriſe fut telle , lorfque M. de S.
Fargeol nous préfenta le Vicomte , que
la réception que je m'étois propofée de
lui faire , en fut un peu déconcertée.
Après les complimens ordinaires , que le
Vicomte avoit d'abord adreffés à ma tante;
il s'approcha de moi ; & avec cette galanterie,
qu'on dit être de la vieille Cour ,
il me dit : Mademoifelle , c'eft à vous que
mon neveu doit le bonheur dont il va
jouir. C'est encore au defir que j'ai eu
AVRIL. 1760. 27
de vous connoître plus particulierement ,
que ma niéce doit la démarche que je
fais aujourd'hui. Ce que j'ai vû de vous ;
ce que je vois , me fait plaindre le fort
du Comte. Il doit être trifte , pour lui
d'avoir peut-être trop légèrement placé
l'idée de fon bonheur dans la poffeffion
de toute autre femme que vous.
Ce compliment , étoit tout auffi embaraffant
pour M. de S. Fargeol , qu'il me
le. parut à moi -même . Auffi n'y répondîmes
- nous , que par ce qu'on appelle des
lieux communs. Le Comte, en s'efforçant
de faire bonne contenance ; & moi, avec
la modeftie qui convenoit à mon âge , &
a mon féxe. Pendant les deux jours qui
précédérent l'arrivée de Madame de S.
Fargeol ; la préſence du Vicomte , qui
ne quittoit point fon neveu , gêna beaucoup
nos entretiens particuliers. Mais
nous ne laiſsâmes pas de profiter de quelques
inftans, pour nous confirmer mutuellement
dans les fentimens d'une amitié
qui me devenoit de jour en jour plus précicule
; & que nous nous promîmes bien
de cultiver , à l'avenir , par une confiance
réciproque , & fans bornes. Enfin ,
Madame la Comteffe de S. Fargeol arriva.
Et j'eus bientôt lieu de penfer , que rien
n'étoit fi jufte , & fi raisonnable , que l'at-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
tachement que le Comte avoit pris pour
elle. 11 me l'avoit affez bien peinte ;
mais il ne l'avoit pas flattée; & je la trou
vai fort au-deffus de l'idée qu'il m'en avoit
fait prendre. Son oncle , parut être de
mon avis , & de celui de tout le monde.
Ce ne furent que fêtes pendant les quatre
jours qu'elle féjourna à Strasbourg :
feftins , bals , comédie , vifites , dont je
n'entreprendrai ni la defcription , ni le
détail . Je dirai feulement , en deux
mots , que tout ce qui fe fit à cette occafion
, fut fait avec autant de goût que de
magnificence. Ce qu'il y eut de plus particulier
pout moi , pendant ces quatre
jours , c'eft que M. le Vicomte de T...
en paffa la plus grande partie chez ma
tante ; pendant que fon neveu & fa niéce
couroient le monde , pour faire ou rendre
des vifites ; & qu'il ne ceffoit de me
louer d'une façon, qui me devenoit même
incommode, Je ne parle point de toutes
les marques d'amitié & de reconnoiffance
que je reçus de Madame de S. Fargeol :
car, fi j'étois affez flattée des preuves de ſa
fa
tendreffe , j'étois pénétrée d'une fecrette
honte , lorfqu'elle me rappelloit tout ce
qu'elle ne croyoit devoir qu'à mes foins :
parce qu'elle ne le devoit , en effet
qu'au malheur de ma naiffance. Enfin , le
AVRIL. 1960: 29
moment de notre féparation arriva; & j'en
fus moins touchée que je n'aurois penfé
devoir l'être . Mais , puifqu'il n'eft pas en
moi de trahir la vérité ; j'avouerai que la
préſence de Madame de S. Fargeol , &
l'ardente paffion que fon mari ne ceffa de
témoigner pour elle
elle , éclairérent mon
coeur fur un fentiment que j'ignorois. En
forte , que le départ de M. de S. Fargeol
fembla me délivrer d'un poids , que fa
préfence me rendoit à charge. Jufqu'à
ce moment , ma franchiſe , & ma générofité
, m'avoient foutenue ; parce que je
croyois ne travailler que pour lui . Dès
que j'eus vû Madame de S. Fargeol , je
crus , & je me reprochai , de n'avoir travaillé
que pour elle. J'avois ignoré , jufqu'alors
, le nom de rivale : elle m'apprenoit
la premiere à le connoître ; elle étoit
aimée ; elle méritoit de l'être : Que de fujets
de douleur , & d'humiliation ! Je les
reffentis vivement ; & je les aurois fentis
longtemps , fi la raiſon , le peu d'eſpoir,
& plus encore peut-être le courage dont je
m'armai, dans une occafion auffi délicate ,
ne fuffent venus à mon fecours . Mais le
retour de ma tranquillité , ne devoit pas
être l'ouvrage d'un jour,; & j'en étois encore
loin , lorsque je me perfuadai que
c'étoit un pur mouvement de politeffe ,
Biij
Jo MERCURE DE FRANCE.
qui me portoit à écrire la lettre ſuivante
M. de S. Fargeol , en l'abfence de ma
tante !
DOUZIÉME LETTRE ,
'De Mademoiſelle de Gondreville , à M. le
Comte de S. Fargeol.
J'AI paffé dans la trifteffe , Monfieur ,
les fix jours qui fe font écoulés depuis
votre départ cependant je vous fçais
heureux & content ! Dites-moi , fi vous le
pouvez , à quoi je dois m'en prendre ? j'ał
defiré votre bonheur ; j'en ai été témoin
je n'ai point d'ailleurs à me plaindre de
ma fanté , ni de tout ce qui m'environne.
Seroit-il donc poffible , que l'éloignement
d'un ami , à la préſence duquel je n'aurois
pas d'abord dû m'attendre ; fe peut-il,
di-je , qu'un éloignement que j'avois dû
prévoir , me fit un effet auffi fenfible que
me l'a fait le vôtre? Eft il raisonnable enfin
, que l'amitié nous caufe des tourmens
que je n'ai regardés jufqu'ici , que comme
les fuites néceffaires de l'amour ? C'eſt à
vous , Monfieur , & à ce qu'il peut vous
en avoir coûté pour nous quitter , que je
madreffe pour m'en inftruire. Mais non ;
AVRIL. 1760.
ne me dites rien , je vous prie : vous n'êtes
point en état de juger cette queftion . Ce
que j'éprouve, fuffit pour mon inftruction;
ou du moins, mon ignorance m'eft moins
à charge , que ne le feroient les lumières
que votre fituation préfente vous permettroit
de me donner. Je ne dois , aujourd'hui
, vous entretenir que de Madame la
Comteffe de S. Fargeol : elle a fait ici l'admiration
de tout le monde ; & foyez affuré
que perfonne n'a mieux fenti que moi
tout ce qu'elle vaut. Qu'elle est heureuſe ,
Monfieur ! car vous le fentez mieux que
nous. Je pense que je rêve , en vous parlant
de la forte ; & je devois plutôt me
récrier fur votre bonheur , que fur le fien.
Mais je fuis fûre, que vous me pardonnerez
ce petit écart de mon imagination :
le tendre intérêt que vous prenez au
contentement de Madame la Comteffe de
S. Fargeol , doit juftifier à vos yeux la façon
dont j'en fuis affectée. Je ne vous
parle point de ce que j'aurois à vous pardonner
à mon tour , fi je n'étois bien prévenue
, comme je crois vous l'avoir déja
dir , dans une de mes précédentes , que
l'amitié ne doit pas fe flatter d'entrer en
concurrence d'égards avec l'amour. Mais ,
je fens que je me laiffe encore emporter ,
jufqu'à ne plus fçavoir ce que je dis. Au
Biv
2 MERCURE DE FRANCE.
moins , Monfieur , que ceci ne prenne
pas, vis- à - vis de vous, l'air d'une plainte :
je me fouviens de vous avoir quelquefois
entretenu d'une certaine délicateffe de
fentimens , qui m'eft propre ; mais je ne
voudrois pas que vous puffiez penſer
que je la pouffe jufques à un excès , que
je trouverois moi - même condamnable .
En vérite , c'eſt tout de bon que je ne fais
plus où j'en fuis : je n'avois mis la main
à la plume , que pour vous informer des
regrets que nous a caufés votre prompt
départ je voulois vous féliciter fur le
bonheur dont vous jouiſſez : je defirois
furtout , de vous convaincre de la part
que j'y prends ; & je ne comprends pas
comment je me fuis égarée de la route
que je m'étois propofée, pour vous écrire
une lettre qui a prèfque l'air d'une tracafferie.
Le meilleur parti que je puiffe prendre
, après m'être fi mal embarquée , c'eſt
de me taire ; & de finir , en vous affurant
que je ne fuis ni ne veux être tracaffière ;
& que je ferai toujours conftamment ,
Votre amie.
P. S. Permettez -moi , de préſenter les
affurances de mon refpectueux attachement
, à Madame de S. Fargeol ; & mille
très - humbles complimens,à M.le Vicomte
AVRIL. 1780. 33
votre encle. Je n'oublierai jamais , combien
j'ai à me louer des bontés qu'il m'a
marquées pendant fon féjour en cette
Ville : elles m'ont pénétrée de reconnoiffance
& d'attachement pour fa perfonne.
Ma tante , comme je viens de le dire ,
étoit abfente , lorfque j'écrivis cette lettre
: elle venoit de partir avec Madame
Dandelor , pour aller paffer enſemble
deux jours à une petite maiſon que le
Comte , depuis Maréchal du Bourg , avoit
fur le bord de la riviere d'Ille . J'avouai
à ma tante , à fon retour , que j'avois
profité de fon abfence pour écrire au
Comte ; mais je ne fçus comment lui faire
voir le brouillon de ce que j'avois écrit.
En effet, ma lettre ne fut pas plutôt partie,
que je me reprochai de l'avoir écrite;
mais , c'en étoit fait ; & je ne ceſſai de
m'en repentir, que lorfqu'après douze jours
d'inquiétude , je reçus la réponse du
Comte de S. Fargeol . Je lui avois adreſſé
ma lettre , par Châlons , au château du
Vicomte , fon oncle ; & , comme on va le
voir , elle y étoit arrivée avant lui.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
TREIZIÉME LETTRE.
De Monfieur le Comte de S. Fargeol , à
Mademoiſelle de Gondreville.
VOTRE OTRE lettre , que je trouve ici , Mademoiſelle
, me fait trop vivement fentir
tous les torts que j'ai avec vous , & avec
Madame la Comteffe votre tante , pour
me les pardonner jamais ; il eft vrai que
le long séjour que nous avons été forcés
de faire à Luneville , auroit dû me fuffire
pour remplir tous mes devoirs , & m'épargner
ainfi la honte , d'être prévenu par
votre généreuſe amitié. Mais fi ceci peut
nous fervir à tous d'une excuſe légitime ;
je vous dirai , que nous avons été telle
ment perfécutés d'attentions & de poli
teffes,par tout ce qui compofe la Cour de
Lorraine , qu'il eſt exactemenɛ vrai que
nous n'y avons pas eu un moment de
liberté. Cependant , Mademoife'le , n'imaginez
pas que vous y ayez été oubliée :
quand mille raiſons ne vous auroient pas
gravée dans notre mémoire , & dans
nos coeurs , nous n'avons trouvé perfonne
ici qui n'ait contribué à nous rappeller
votre fouvenir. Et j'ai vû , avec un plaifir
AVRIL. 1760 . 35
extrême , qu'on rend dans cette Cour
autant de juftice à votre mérite , que je
lui en ai rendu & vû rendre à Saverne &
à Strasbourg. Mais pourquoi chercher fi
foigneufement à me juftifier pour une
faute involontaire , que je ferois affuré
ment fâché de n'avoir pas commiſe , ſi
j'avois pu prévoir tout ce qu'elle me vaut
d'agréable Avouez- le , Mademoifelle ;
les attentions les plus marquées , de ma
part , ne m'auroient pas procuré une lettre
plus charmante ! & j'aurois été privé
des reproches les plus obligeans & les
plus ingénieux que j'aurai jamais à recevoir
de vous : car il eft bien certain , que
je ne m'y expoferai plus. Ma conduite
à l'avenir , fera telle , qu'elle vous convaincra
que les droits de l'amour ne font
pas plus facrés pour moi , que ceux de l'a
mitié ? Si vous ne vous en repofiez pas
fur moi, vous pourriez vous en repofer fur
vous-même. Ne craignez donc point que
je regarde , comme une tracafferie de
votre part , tout ce que vous me dites fi
agréablement fur ma prétendue négli
gence. Vous ne vous attendez peut- être
pas , que j'en aye une à vous faire ? ..
Ce n'eft ni de ma part , ni de celle de
mon oncle : les marques de votre fouvenir
, lui ont caufé un tranfport de joie
B vi
36 MERCURE DE FRANCE.
qu'il fe réſerve à vous exprimer lui- même
: mais c'eft de la part de Madame de
S. Fargeol. Sans la fatigue du voyage , &
des fêtes , dont il lui faut quelque temps
pour ſe remettre , je ne me chargerois
pas d'être aujourd'hui fon interprête :
mais elle fe plaint de vous ; & je trouve ,
en effet , qu'elle a quelque lieu de s'en
plaindre . Le ton de votre lettre , en tout
ce qui la regarde , n'eft point , dit elle
celui auquel elle devoit s'attendre. Le
nom de Madame , l'offenfe , dans votre
bouche ; & elle penfe , que le fentiment
de refpect , ne peut fe mêler à celui d'attachement
, fans le refroidir. Vous lui
aviez promis d'être fon amie ; elle veut
être la vôtre ; elle le mérite : & quoiqu'elle
ne foit pas plus tracaffière que
vous , vous voilà pourtant une querelle
fur les bras. Mais , comme vous ne me
trahirez pas ; je puis vous dire , en confidence
, qu'il vous fera très - facile de terminer
ce procès à l'amiable.Je joins cette
lettre , à celle que j'ai l'honneur d'écrire.
à Madame la Comteffe votre tante , pour
lui faire mes excufes & mes remercîmens .
Comme je fçais que vous n'avez rien de
caché pour elle , & que j'efpére tout de
fes bontés ; je me flatte , qu'en vous la
remettant , elle voudra bien être la cauAVRIL.
1760. 37
tion de mes fentimens auprès de vous ;
& qu'avec une telle garantie , vous ne
douterez plus que je ne fois , pour tout le
temps de ma vie , bien fincèrement ,
Votre ami.
Quelques jours après la réception de
cette lettre , j'en reçus , en l'abſence de ma
tante & pour elle & pour moi , de M.
le Vicomte de T.... & de Madame de
S. Fargcol. Je rapporterai ici , feulement,
celle du Vicomte : il m'eft trop effentiel
qu'elle paroiffe , pour la fupprimer .
QUATORZIEME LETTRE ,
De Monfieur le Vicomte de T...
à Mademoiselle de Gondreville..
MADE ADEMOISELLE ,
Mon neveu vous a écrit, en arrivant ici ;
&je fais que ma nièce doit vous écrire aujourd'hui
. Je ne les ai chargés , ni l'un ni
l'autre, de vous faire de ma part , & à Mde
votre tante , les remercîmens que nous
vous devons tous ; parce que je n'ai pas
cru leurs complimens fuffifans , pour m'acquitter
de toute l'étendue de ma recon38
MERCURE DE FRANCE.
noiffance. Il en est une preuve , que jë :
mets toute mon ambition à vous donner
& qui part d'un fentiment que j'ai intérêt
de leur cacher . Je me fouviens de vous
avoir dit , Mademoiſelle , que je plaignois
M. de S. Fargeol d'avoir pris des engagemens
, qui devoient lui faire regrerter
de ne pouvoir vous appartenir. Je lui en
avois dit autant , avant que j'euffe l'hon--
neur de vous connoître , que par une de
vos lettres. Je me fuis bien confirmé dans
cette idée , depuis que je vous ai vue , &
connue plus particulièrement. Je ne fais
ce que c'eft que fineffe & détours ; & je
vais vous parler , avec la franchiſe d'un
vieux militaire , qui n'a jamais connu l'art
des déguiſemens & des manoeuvres. C'eſt
donc à vous-même , & à vous feule , que
je m'adreſſe , pour vous avouer ingénument
, que malgré mon âge , j'ai toujours
été exempt de grandes paffions : je n'en
ai du moins éprouvé qu'une , qui ne m'a
pas été fort heureuſe. Il y a toute apparence
, que mon étoile ne m'a procuré
l'honneur de vous connoître , que dans le
deffein de m'en corriger pour toujours.
Car enfin , Mademoiselle , je n'ai pu vous
voir , fans vous adorer. Vous avez fait
naître en moi des defirs , que l'âge n'avoir
éteints qu'à demi : votre état même, par
AVRIL. 1760.
donnez-le-moi , fembloit autorifer mes
efpérances. Il eft vrai , que la préſence de
mon neveu , & plus encore, un refte d'a
mour-propre , m'ont empêché de vous
déclarer mes fentimens , quoique j'aie
été fouvent tenté de le faire , à Straf→
bourg. Mais , à vous parler franchement ;
je fus alors fi frappé du ridicule de mes :
prétentions , que je n'ofai jamais vous en
faire l'aveu . Je comptois même les étouffer,
avec le fecours de votre abfence ; &
je ne m'expoferois pas à rougir ici , en
particulier, de mon extravagance , fi je ne
craignois en quelque façon , de manquer
à ce que je vous dois , en ne m'offrant
pas à vous comme un pis-aller , dont la
fortune peut au moins réparer les torts.
qu'elle a eus avec vous. Mais , comme il
convient que je vous aide moi - même à
prendre votre parti , en connoiffance de
cauſe ; je dois vous dire le bien & le mat
de l'offre que j'ofe vous faire . Il y a qua
rante ans , que je fers le Roi : jen ai cin
quante- quatre ; & je touche peut - être au
moment d'obtenir le grade de Lieutenant
général de fes armées . Je ne vous parle
point de ma figure , puifque vous la connoiffez
; elle n'eft plus faire pour réuffir
auprès des Dames. Vingt huit mille livres
de rente , dont je puis difpofer , avec
40 MERCURE DE FRANCE .
1
quelques bienfaits du Roi , font toute ma
fortune. Si un attachement bien tendre ,
& bien fincère , & des complaifances fans
bornes , peuvent encore entrer en ligne
de compte ; je . ne vous laifferai jamais
rien à defirer fur cet article. Et j'employerai
tous mes foins , & tout ce que je pofféde
, pendant le cours de ma vie , à affurer
le bonheur de la vôtre. Après cela ,
Mademoiſelle , je n'ai plus rien à vous
dire. Je dois feulement vous avertir , que
je ne fais point part de mes deffeins à
Madame la Comteffe votre tante , dans
la lettre que j'ai l'honneur de lui écrire :
je n'ai pas cru devoir m'en ouvrir à perfonne
, fans votre aveu. M. & Madame
de S. Fargeol , ignorent auffi mes intentions
; & je me flatte que vous jugerez
vous même , qu'il eft de la prudence qu'ils
n'en foient inftruits que par moi- même.
J'attends de vous , Mademoiſelle , une
réponſe franche & libre , pour remplir
mes devoirs à ces différens égards ; & je
fuis , en l'attendant , avec tous les fentimens
les plus refpectueux , & les plus
tendres ,
Mademoiſelle , Votre , &c.
Le Vicomte de T....
AVRIL. 1760. 41
J'avois eu le temps de lire mes lettres ,
avant que ma tante fût rentrée chez elle:
je fçus bon gré auVicomte d'avoir autorisé,
par fa défenſe, le filence que j'étois réfolue
de garder fur une propofition , à laquelle
je n'avois pas dû m'attendre , & qui méritoit
de férieufes réfléxions de ma part.
Je remis donc à ma tante les lettres que
j'avois reçues pour elle ; & ne lui fis part
que de celle de Madame de S. Fargeol.
Ce n'étoient que lettres de complimens ;
auxquelles nous répondîmes, comme je l'ai
déjà dit ici , fur le même ton. Je ne parle
point ici de quelques petits combats fecrets
, que ma raiſon eut àfoutenir, contre
mon amour- propre , & mon intérêt particulier
ma fituation pourroit les rendre
excuſables. Mais enfin , ma réponſe au
Vicomte , va faire connoître le parti
auquel je m'arrêtai .
QUINZIEME LETTRE ,
De Mademoiſelle de Gondreville , à M.
le Vicomte de T...
JEE commence , Monfieur , la réponſe
que je dois à la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire, par vous affurer
42 MERCURE DE FRANCE.
que rien en ma vie ne m'a tant flattée que
de recevoir , en particulier , une fi précieufe
marque de vos attentions & de vos
bontés. Moins j'avois de raifon de m'attendre
à l'honneur & aux avantages que
vous m'offrez , plus je dois en être pénétrée
de reconnoiffance. Mais puifque vous
exigez que ma franchiſe réponde à la
vôtre ; permettez-moi de vous faire part
de mes réfléxions fur la fuite des engagemens
que vous me propofez . Je ferai
vraie, dans tout ce que je vais vous dire.
Je trouve en vous , Monfieur , plus que je
n'ai jamais eſpéré ; je dis même , tout ce
que j'ai defiré que la fortune m'offrît pour
faire mon bonheur , & fatisfaire ma vanité.
Car , je dois vous l'avouer ; quoique
j'ignore dans quel fang j'ai puifé la nobleffe
des fentimens que je trouve dans
mon âme , jamais ils ne me permettront
de rien faire qui puiffe me reprocher de
Jes avoir avilis. Et ne feroit- ce pas les
étouffer , tout - à- fait , que de préférer
mon propre bonheur , à celui de deux
perfonnes auxquelles je dois toute, mon
eftime , toute ma confiance ; en un
mot, l'amitié la plus tendre ; & qui
font fi dignes de la vôtre? vous n'avez
pas befoin , Monfieur , que je la rappelle
dans votre coeur : les vertus de Monfieur
AVRIL. 1760.
& de Madame de S. Fargeol , feront plus
éloquentes auprès de vous, que je ne pourrois
l'être. Voudriez- vous que je m'expofalle
à perdre toute leur eftime , & fans
doute la vôtre , par un défaut de géné
rofi té , qui me feroit confentir à nuire à
leur fortune ? Non Monfieur : ce font vos
propre vertus , qui me répondroient de
de ma raifon , au défaut des miennes ; &
qui me répondent de la vôtre. Je ne vous
dirai rien de plus c'eft à cette raiſon ,
dont je vous parle , à faire le refte. J'en ai
fi bonne opinion , que je ne crains pas de
la troubler , en vous affurant d'un attachement
auffi tendre que durable ; & de
la reconnoiffance éternelle , que je conferverai
de vos bontés.
Je fuis , Monfieur ,
Votre &c.
P. S. Soyez affuré d'un fecret éternel .
J'ai le même intérêt que vous , Monfieur,
à le garder inviolablement .
Après avoir fait cette lettre , en particulier
; je répondis, ainfi que je viens de le
dire ,à Madame de S. Fargeol, & enfuite
à fon mari. Cette réponse au Comte , eft
relative à la lettre cottée n° . 13. dans ce
recueil. J'écrivis ces deux lettres , de concert
avec ma tante ; & comme elle igno44
MERCURE DE FRANCE.
roit que j'en euffe reçu une particuliere du
Vicomte , elle ſe chargea de mes complimens
pour lui . Ma raifon , qui étoit encore
altérée , lorfque j'écrivis à M. de S.
Fargeol après fon départ , s'étoit un peu
remife , en recevant fa réponſe ; & fur
tout-à-fait calmée , dès que j'eus pris le
parti d'écrire à fon oncle la lettre qu'on
vient de lire. Je ne fçais fi je me trompe ;
mais je penſe qu'une action généreuſe
refte rarement iſolée ; elle répare les forces
de notre âme , la remet dans une
affiette agréable , & tranquille : en un
mot , elle la rend capable d'entendre , &
de fuivre les confeils de la raison. C'eſt
du moins ce que j'éprouvai dans cette
délicate circonftance . Mon coeur ,
écrivant la lettre qui fuit , ne croyoit pas
même avoir encore à fe reprocher d'avoir
été occupé d'un autre fentiment , que de
celui de l'amitié .
AVRIL. 1760. 45
SEIZIEME LETTRE ,
De Mile de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
VOUS ous avez pris bien férieufement ;
Monfieur , ce que je vous avois écrit , fur
vos prétendus torts avec moi ; puifque
vous m'affurez que vous ne vous les pardonnerez
jamais . Il me fembloit vous
avoir dit affez nettement , que je ne favois
ce que je difois ; que je ne voulois ni
me plaindre , ni vous paroître tracaffière ,
pour vous prouver que le pardon de ces
torts imaginaires en avoit précédé le reproche?
'N'avois-je pas vû de quoi vous en juſtifier
, quand même ils euffent été réels ?
Je ne fuis point aveugle ; & je fuis encore
moins injuſte : ainfi , je vous confeille
d'être tranquille , & de vous épar
gner des remords , dont je fens que je
n'aurois aucun compte à vous tenir : car ,
fous le nom d'autrui , vous ufez de repréfailles
, pour me faire une vraie querelle
d'Allemand. Madame la Comteffe de S.
Fargeol , dont vous avez prétendu n'être
que l'interprète , m'a traitée plus douce
ment que vous ; & vous n'avez eu de rai26
MER CURE DE FRANCE.
fon , dans la véritable tracafferie que
vous avez pris fur vous de me faire , qu
lorfque vous m'avez avoué , qu'en trai
tant avec elle-même , ma paix fe feroi
aifément à l'amiable . Auſſi , n'ai- je poin
recours à vous , pour faire fentir à Madame
la Comteffe , que fi je ne l'ai pas
traitée dans la lettre que je vous ai écrite .
comme je le fais dans celle que je lui
adreffe ; c'eft que je ne voulois pas vous
admettre , fans fon aveu , dans les petits
mystères de notre amitié . Elle eft actuellement
maîtreffe du fecret de l'intelligence
que je fouhaite bien fincérement d'entretenir
avec elle ; & vous n'en faurez que
ce qu'elle voudra bien vous en dire. Ce
n'eft pas, je crois , vous punir bien févément
de la vengeance que vous avez imaginé
d'exercer contre moi , en me rendant
reproches pour reproches. Je conviens
, & vous devez convenir avec moi ,
qu'ils ne font guéres mieux fondés les uns
que les autres. Je crois , donc , que ce
que nous avons de mieux à faire , c'eft
de terminer nos débats par une amniſtie
générale . Ce n'eft pas que je croie avoir
befoin que vous me pardonniez : j'exige
feulement de vous , que vous ne vous
oppofiez point au pardon , que j'oſe me
flatter d'obtenir de Madame de S. Fargeol :
AVRIL. 1760. 47
ne vous en mêlez point, je vous prie. Je
m'en repofe entierement fur la bonté de
fon coeur. Obtenez,s'il ſe peut, pour vousmême
, qu'elle vous pardonne de l'avoir
faite plus méchante qu'elle n'eft ; & fi
vous avez befoin de mon entremiſe, pour
obtenir grace , je vous l'offre encore , ne
defirant rien tant que de voir régner la
paix & l'union entre les perfonnes du
monde que j'aime le plus. Je ne vous
charge de rien pour M. le Vicomte, votre
très -digne oncle : ma chere tante , doit
être l'interprête de mes fentimens pour
lui , & de la fincère reconnoiffance que
je conferverai éternellement de fes bon
tés.Il mérite bien tout l'amour que vous
lui portez. Servez-vous , je vous prie , de
la tendreffe qu'il a pour vous , pour me
conferverà moi-même quelque part dans
fon amitié ; & foyez affuré que rien n'eſt
fi conftant , ni plus inaltérable, que celle
avec laquelle je fuis.
Votre Amie
1
MERCURE DE FRANCE
DIX- SEPTIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
CESTA EST avec tant d'efprit , Mademoifelle
, & même avec tant d'avantage, que
vous vous tirez d'affaire , que nous nous
garderons bien , ma femme & moi , d'en
avoir déformais avec vous . Croiriez - vous,
que vous m'en avez prèfque faite une, avec
Madame de S. Fargeol ? Comme je n'ai
rien de caché pour elle , il a fallu qu'elle
vit la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire ; & peus'en eft auffi fallu ,
qu'elle ne m'ait férieuſement grondé ;
parce que n'étant point encore au fait des
plaifanteries françoifes , elle a tout de bon
imaginé que je vous l'avois dépeinte avec
un caractère de méchanceté , qui n'eft affûrement
pas le fien. Savez -vous bien ,
Mademoiselle , que j'ai eu befoin de toute
la tendreffe que vous lui marquez , dans
la lettre que vous lui avez écrite, pour aider
mon éloquence à lui faire entendre
raifon ? Ainfi , c'est encore à vous que je
dois la paix de mon ménage . Pour vous
prouver au refte qu'elle y eft bien rétablie,
( car
AVRIL 1760. 49
(car vous ne faites rien à detni ) je vais
vous faire part d'une condition fecrette ,
qu'elle a réſolu d'ajouter à notre traité ;
pour vous prouver, m'a - t- elle dit , qu'elle
n'eft pas auffi méchante que je vous l'at
faite mais il faut prendre la chofe de
plus loin. Madame de S. Fargeol , a un
frere au fervice de l'Empereur ; ce frere ,
qui fe nomme le Baron de Wonhotten ,
lui eft extrêmement cher ; & c'eſt en effet
un jeune cavalier des plus accomplis , que
j'aie connus en Allemagne . Dès le tems ou
j'époufai fa foeur , elle conçut le deffein
de l'attirer au fervice de France ; & je lui
fis même espérer d'y réuffir avec le temps ,
lorfque j'aurois eu moi-même la permiffion
de revoir ma patrie . Ce projet , dont
elle ne m'avoit point rappellé la mémoire ,'
depuis que nous fommes ici , lui eft revenu
tout -à- coup à l'efprit , & plus vivement
quejamais , en s'imaginant que vous pouviez
y entrer pour quelque chofe.
Eh bien , Monfieur ! m'a-t-elle dit
dans fon langage , ( qui a mille graces
pour moi , mais qui n'en auroit peut-être
pas autant pour vous. )
» Vous fouvenez - vous, de ce que vous
" m'avez promis pour mon frere ? Je veux
prouver à Mademoiſelle de Gondreville ,
que je ne fuis pas fi méchante que vous
39
I. Vol. C
fo MERCURE DE FRANCE.
(
>
le dites... Il faut abfolument que je la
» marie avec ce frère que j'aime. Ce fera
un prétexte de plus , & même un prétexte
infaillible, dès qu'il connoîtra Ma-
» demoiſelle de Gondreville , pour lui faire
abandonner , fans regret, les efpérances
qu'il peut avoir dans fa pattie. Voilà ,
Mademoiselle , ce qui a paffé par la tête
de ma femme : & je puis vous affurer
que le defir de cultiver votre amitié de
plus près , a plus de part à fon projet , que
tout autre intérêt particulier. Mais quelque
flatteur que dût être pour moi le fuccès
de cette affaire , puifqu'il me procureroit
le bonheur de vivre avec vous ; je
vous avouerai avec franchiſe , que j'y vois
une difficulté , que votre propre intérêt.
me fait croire infurmontable : notre jeune
Baron, eft précisément dans le cas de M.
de la R. T. dont je vous ai parlé dans mes
précédentes lettres . Il eft affurément d'une
très-bonne maiſon , dont les preuves ont
été plus d'une fois admifes dans l'Ordre
Teutonique ; mais il eft cadet de trois.
frères ; & fi nous le dépaïfons , comme:
je l'efpere , il n'aura, en arrivant ici , que
ce qu'on appelle la cape & l'épée. Madame
de S. Fargeol , eft encore dans cet âge
où l'onfe perfuade que rien ne doit jamais.
manquer au bonheur de deux perfonnes
AVRIL 1760 . 51
qui s'aiment. Paffez-lui , je vous prie , cet
innocent préjugé , en faveur de l'amitié ,
qui feule lui a fait illufion. Vous fentez
bien que je n'ai pas ofé lui faire part des
réfléxions que je vous confie ; je les infinuerai
dans le temps, s'il en eft befoin . En
attendant, Mademoiſelle , je laiffe à votre
prudence à vous retrancher dans la réponfe
que vous voudrez bien me faire ,
fur la grande jeuneffe du Baron ; qui , en
effet , n'a tout au plus que votre âge.
Mon oncle a reçû les complimens que
je lui ai faits de votre part , avec une
fenfibilité fingulière ; il a voulu les lire
lui- même , dans votre Lettre ; & comme
nous étions feuls alors , il n'a pu s'empêcher
de s'écrier : » Non , mon cher
» neveu ! tu n'as jamais bien connu tout
» le mérite de Mademoiſelle de Gondre-
» ville : elle n'a peut-être pas fa pareille
au monde ! & il n'y a perfonne que
» j'admire , & que je refpecte autant....
Sçavez- vous bien , Mademoiſelle , qu'à la
façon dont je vois le Vicomte s'affecter
en toute occafion pour vous , je ne fçais
jufqu'où cela pourroit aller ? Plût au Ciel,
que je fuffe bon Prophète je ne vous
ferois pas faire alors autant de réfléxions
que je viens de vous en communiquer , au
fujet de mon jeune beau- frere ; & je me
Cij
12 MERCURE DE FRANCE.
contenterois de vous dire : C'est le fort,
de mon fang de s'enflamer pour vous !
Je ne fçais fi vous me pardonnerez cette
extravagance : mais je fçais que Madame
de S. Fargeol me la pardonneroit ; & tout
de bon , il n'y a rien de trop , pour quelqu'un
qui eft , comme je le fuis ,
Votre ami.
DIX HUITIEME LETTRE ,
De Mademoiselle de Gondreville , à
M. le Comte de S. Fargeol.
Vous me dites tant de chofes agréables
, Monfieur , dans la lettre que je
viens de recevoir de vous , que je ne ſçais
par où m'y prendre, pour y répondre.; ni
quel ordre je dois fuivre , dans la confufion
des idées que vous me faites naître .
Je vois , d'un côté, des actions de graces à
vous rendre , ainfi qu'à Madame la Comteffe
de S. Fargeol ; d'un autre , des railleries
, mais obligeantes à repouffer . Je
vous vois faire ici des réfléxions fenfées
tandis que vous en omettez d'effentielles :
enfin vous tendez des piéges à ma raiſon ;
& vous me dites , froidement , que vous
vous garderiez bien de me donner des
fecours pour les éviter. Je ne vous dis
AVRIL. 1760. 53
rien , de votre galante citation d'Opéra :
car je fçais , fans l'avoir vû , qu'on n'en
peut citer que des chansons . Je vais , cependant
, effayer de me tirer d'embarras ; &
il me fuffira , pour en venir à bout , de
porter toute mon attention aux bontés
de Madame la Comteffe de S. Fargeol ,
dont je fuis véritablement pénétrée . Il
eft vrai , que la jeuneffe de Monfieur fon
frere , feroit un obftacle auprès de moi ,
pour tout autre que pour lui : mais ni fon
âge , ni fa fortune , n'auroient la force de
m'arrêter dans le defir de vous apparte
nir à l'un & à l'autre , fi je ne l'étois par
une raifon plus férieufe : c'eft celle ,
Monfieur , que je vous accufe d'avoir obmife.
Il n'eft pas ici queftion du peu de
fortune que je pourrois porter à M. Wonhotten
; ce qui eft cependant un article ,
qui doit lui être fort effentiel. Voici
Monfieur , le véritable obftacle. Si votre
amitié pour moi, a pu vous le cacher ; les
égards , que vous devez à Madame de S.
Fargeol , & la connoiffance que vous avez
de mes fentimens , devoient vous le faire
appercevoir. Il n'eft pas poffible que vous
ne fâchiez , auffi bien que moi , quelle eft
la délicateffe très -raifonnable de nos Cavaliers
Allemands, en fait d'alliance . Une
naiffance équivoque , porte un coup irré-
Cij
34 MERCURE DE FRANCE.
parable fur toute leur poftérité. Quels
reproches , la fienne, & fes parens , n'au
roient-ils pas à lui faire? Quels reproches
ne me ferois-je pas à moi - même , fi j'acceptois
un honneur , auquel les malheurs
de ma naiffance ne me permettent pas
d'afpirer ? & qui leur deviendroit à tous fi
funefte ... Quoi je ne porterois en dot, à
M. Wonhotten , que la trifte exclufion de
l'entrée dans les Chapitres , dans les Or
dres , & peut-être dans toutes les Cours
d'Allemagne , pour tous ceux qui pourroient
defcendre de nous ! tandis que fes
neveux en feroient la gloire & l'orne
ment ! .Non, non; j'en partagerois trop vivement
l'humiliation , pour pouvoir jamais.
confentir d'en être la fource... Voilà, Monfieur
, ce que la confiance que vous devez
avoir dans ma façon de penfer ( puiſque.
vous êtes mon ami ) voilà même , je crois
pouvoir le dire,ce que l'amitié dont Madame
la Comteffe de Saint Fargeol m'honore,
devoit vous infpirer de lui dire , & de
m'épargner. Mais je ne veux point vous
le reprocher ; & je vous avoue , que j'aime
mieux qu'elle doive ces triftes vérités à
ma franchife , qu'à ce que vous auriez pu
regarder comme une indifcrétion de votre
part . N'en parlons donc plus : je fuis en
vérité très contente que vous ne m'ayez
point envié l'éclairciffement de ce myf
AVRIL. 1760.
re
tère : je ne me repentirai jamais de le lui
avoir révélé , s'il ne refroidit point l'amitié
qu'elle m'a jurée. Je ne vous répondrai
pas férieufement fur la plaifanterie
que vous me faites , par rapport à
l'intérêt que M. le Vicomte daigne prendre
à moi. J'en fuis plus reconnoiffante ,
que je ne puis vous le dire. Affurez - le ,
je vous prie , ce cher oncle , & Madame
la Comteffe de S. Fargeol , de tout mon
refpect & de tout mon attachement ; &
foyez perfuadé , que fi tout votre fang
s'enflame pour moi ; je le lui rends bien ,
à ma façon. Tout ce qui vous appartient ,
fera éternellement ce que j'aurai de plus
cher au monde : je n'en exclus pas même
M. votre beau - frère. Après ce que je
viens de vous dire , je le verrai ici non
feulement fans danger , mais même avec
bien du plaifir, Bon foir... Je fuis , pour
toujours ,
Votre amie.
Je reçûs , quelques jours après , deux
lettres , l'une du Comte , l'autre de fon
oncle. Comme cette dernière , m'intéreffoit
moins , je lus d'abord celle de M. de
S. Fargeol , & enfuite celle du Vicomte.
Je les range ici , dans le même ordre
pour mettre le Lecteur mieux au fait des
impreffions qu'elles ont dû me faire.
( La fuite , au Mercure prochain . )
Civ
58 MERCURE DE FRANCE.
LES ZÉPHIRS , ET LE ROSIER,
FABLE.
DEUX Zéphirs , chantoient leurs plaifirs
Si l'un , craignoit de les attendre ;
L'autre , plus délicat , plus tendre ,
Sentoit tout le prix des defirs.
Voyons , d'un amoureux délire ,
Qui de nous va jouir le mieux ?
( Dit le premier ) un doux parfum m'attire :
Ce beau Rofier flatte mes voeux ...
Il cueille ; fent ; quitte une rofe ;
En cueille une autre... Et fe repoſe.
Plus heureux , quoique moins actif ,
Le Zéphire contemplatif,"
D'une Rofe fraîche , brillante ,
Admiroit la robe éclatante.
Sans fe preffer de la cueillir.
Pourquoi , dit-il , me hâter de jouir
D'un bien , où fans ceffe j'afpire ? ..
Source de ma félicité !
Quand j'y trouve la volupté ;
Pourquoi rifquer , de la détruire ?
Par Madame D****.
AVRIL. 1760. 57
ADIEUX A
MEUDON .
EPITRE ,
A Madame la Marquise
d'Assy ...
ADIEU, DIEU , le Château de Meudon ,
Adieu, fes bofquets , leurs ombrages ,
Son parc , fes vignes , fes bocages ,
Sa terraffe , & tout le canton !
Adieu , ces vallons fi champêtres ,
La Se ne , & les bords efcarpés ,
Nos promenades fcus les hêtres ,
Nos entretiens , & nos foupés!
Adieu, fon charmant voisinage ,,
Son petit bois , peu fréquenté ,
Ses eaux , fon afpect enchanté ,
Le roffignol & fon ramage ,
Les jeunes beautés du village ,
Leurs moeurs , & leur fimplicité..
Qué je regrette cerafyle ! ...
Ne pourrai-je y vivre toujours ,.
Libre , fatisfait , & tranquille,
Loin du fracas , loin de la ville ,
Entre Bacchus & les amours ?
Lieu charmant ! féjour folitaire ,,
Où j'ai rencontré le bonheur ;
Heureux , chez toi , qui fçait ſe plaires,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Qui , dans le vuide de fon coeur ,
S'il trouve une tendre bergère ,
L'aime , l'adore fans mystère ,
Et jouit du bien enchanteur
Et d'en recevoir , & d'en faire !
Qui , rappellé dans fon jardin ,
Dès que l'aurore le réveille ,
Dans la faifon du dieu du vin ,
Choifit le mufcat fur la treille ,
Ou cueille une pêche vermeille ,
Qu'il lui préfente , de fa main !
Qui , loin d'un Cenfeur trop févère ,
Peut penfer , & vivre en ce lieu ,
Avec Montagne , la Bruyère ,
Epicure , Loke , Voltaire ,
Lucrèce , Bayle , & Montefquieu !
Que trouve-t-on , dans le grand monde ,.
Qui puiffe égaler ces plaifirs ?
Des jours fâcheux , d'ardens defirs ,
Que jamais le fort ne feconde ;
Des amis faux , des coeurs ingrats ,
Des femmes fans moeurs , & fans honte ,
Des fots , d'illuftres fcélérats ,
Dont les Grands tiennent plus de compte,
Que des fentimens délicats,
D'un honnête homme , qui fe monte
Au ton des vertus qu'ils n'ont pas ?
Comment , dans cette Ville immenfe,
Où les vices ont tant d'attraits,
AVRIL. 1760.
$9
Voir , de l'ail de l'in différence ,
Ces vils mortels , ces gens abjets ,
Qui fans mérite , & fans naiffance ,
Tarés ,noircis par mille traits ,
Se font gloire d'une
opulence ,
Qu'ils ne doivent qu'à leurs forfaits 3 '
Comment fupporter
l'impudence ,
Le ton , les airs , & les fuccès ,
De ces Nymphes fans
bienféance ,
Dont on blâme en vain les excès
Comment le faire aux petiteffes
Des gens , qu'on encenfe
aujourd'hui ?
S'humilier fous leurs careffes ,
Souffrir tout d'eux , jufqu'à l'ennui ?.
Ira- t-on , efclave infenfible ,
Aux dégoûts où l'on le foumet,
•
Sous un maintien prèſqu'impoſſibles ,
Attendre dans fon cabinet ,.
vifible ?
Un Magiftrat... un fréluquer ,
Qui , de l'emploi le moins pénible ,
Se délaffant fur fon chevet ,
Vous fait dire , par fon valer ,
Que Monfeigneur , n'eſt pas
Ira-t- on , dégradant l'honneur , ‚'
Et s'élevant par la baffeffe ,
Louer quelque plate Grandeur ;
Et pour fe faire un Protecteur ,
Lui vendre ou fa foeur ,ou fa niéce ?...
C.vj
60 MERCURE DE FRANCE
Si la fortune , eft à ce prix ;
Si c'eft ainfi , qu'on la courtife ;
Adieu , Meffieurs fes favoris :
Ainfi que vous , je la mépriſe.
Chère indolence ! calme heureux
Douce obfcurité que j'implore ;
Biens , où ſe bornent tous mes voeux
Vous êtes les Dieux que j'adore ,
Mon folcil levant , mon aurore ,
Mes vrais délices en tous lieux !
Sans foucis , fans inquiétude,
Je vois s'écouler mon printemps :
Par vous , j'aime la folitude ;
Par vous je m'adonne à l'étude ;
Et j'embellis tous mes inftans !
J'ai fçû renoncer , dès longtems
Et me fouftraire au vil uſage ,
De prodiguer un fade encens
A ceux que l'on rend infolens..
Je dors en paix , je vis en fage ;
Je ne fais point ma cour aux Grands
Ifolé , dans mon hermitage ,
J'ai des jours purs , & fans orage ,
Des plaifirs moins vifs , mais conftans ,
Dont la raiſon fait l'affemblage.
Là , je m'éfforce , à chaque inſtant ,
AVRIL 1760. 61
D'oublier toutes mes folies ;
De me garder du coeur méchant ,
De méprifer les perfidies
De ceux que j'ai cru mes amis ,
De vingt beautés que j'ai chéries ,
Et des ingrats que j'ai fervis !
De l'oeil de la Philofophie ,
Je vois mes dons , & mes bienfaits :
Les hommes , ne font point parfaits :
Il faut refpecter leur manie ,
Les plaindre , & haïr leurs forfaits .
Il vaut mieux faire , dans la vie ,
Mille ingrats , dont la langue impie
Vous lance encor cent mauvais traits ,
Que de fouffrir , dans la mifère ,
Dans l'opprobre & la pauvreté ,
Un mortel , que l'humanité
Rend votre égal , & votre frère.
Puiffent les Dieux , me préſerver
Du vice de l'ingratitude !
Puiffé-je , mettre mon étude ,
A m'en défendre , & m'en fauver !
Par une conduite auffi fage ,
Je jouirai , dans mes vieux ans ,
Du rare & fuprême avantage
D'avoir encor d'he reux momens !
Et lorsque la parque homicide ,
62 MERCURE DE FRANCE
Aura réfolu mon deſtin ;
Je verrai la mort qui là guide ,
Er fans remords , & fans chagrin ,
Moiſſonner , de ſa faulx (anglante
Ces jours de trifteffe & d'ennuis ,
Où l'âme foible, & languiffante,
Perdant fa force & fes efprits ,
Meurt , pour renaître triomphante ;
Er fort du monde , avec mépris .
ΕΝΤΟΙ.
CISTY EST Vous , Eglé , qui m'ïnſpirez ;
Et c'eſt à vous , que j'adreffe ces rimes :
Dans votre coeur , j'ai puifé ces maximes ;
Car , quoique belle , vous pensez
Auprès de vous , ce ton frivole ,
Que prend un fat présomptueux,
Pour paroître aimable à vos yeux ,
N'eft qu'un faux brillant qui s'envole ,
Avec fon babilennuyeux..
Le vrai bon lens , & la Philofophie ,
Sans amertume , & fans auſtérité,,
Font la bafe de votre vie.
Sous les accords de la gaîté ,
La Rai on , en fait l'harmonie ;
Et la Vertu , la Volupté.
Par M. DU VERGER, DE S. ETIENNE , Gentilhomme
ordinaire de S. M. le Roide Pologne,
Duc de Lorraine.
AVRIL. 1760. 65
EPITRE de M. Sabatier , à M. Dorat ;;
fur fa Tragédie , de Zulica.
POURQUquor te plaindre , ami , de tes foibles
Cenfeurs ?
Ne crois pas que ta gloire en puiffe être obfcurcie..
Tu devrois t'applaudir de leurs vaines clameurs ::
Le dépit des jaloux , eft l'encens du génie,
Momus , pour levenger desyeux qui l'ont furpris,.
Critique , en ſoupirant , les traits de Cythérée.
Par les mortels qu'elle a fouais ,
On voit la beauté cenfurée ;
Et les plus fublimes écrits ,
Dans leurs admirateurs , trouvent des ennemis.
Sans pouvoir fixer les ſuffrages ,
Souvent on règne fur le coeur :
Pour en fufpendre les hommages ,
L'efprit vient le tromper , en adroit impoſteur.
Sur les tranſports qu'éprouve l'âme ,
D'abord il cherche à réfléchir ;
Il differre , il condamne , il blâme
La caufe même du plaifir.
C'eft en vain que le beau nous féduit , nous
entraîne :
Son orgueil s'arme , il le déchaîne ,
Et veut juger la loi qui nous force à fléchir.
La gloire , pour hâter les progrès du génie ,
64 MERCURE DE FRANCE.
-
Ne lui pro ligue point de tranquilles faveurs
Et lorfque fur fes pas elle attache l'Envie ,
Il vole à de plus grands honneurs.
Attentive à flatter une ardeur inquiétte ,
Dans les coeurs des mortels , qu'elle veut attirer
Ainfi qu'une amante coquette ,
Au ſein du bonheur même , elle fait defirer.
Le talent brille en ton ouvrage ;
Melpomène , fourit à tes premiers travaux :
Si je ne ferme point mes yeux fur les défauts,
C'eſt pour exciter ton courage
A triompher de tes rivaux.
Redoute des flatteurs la voix enchantereffe ;
Elle égare , & retient le génie endormi.
Souvent , la main qui nous careffe ,
Tend les piéges d'un ennemi.
Une louange fimple , au fuccès affortie ,
Eft le mets de l'efprit , par le goût apprêté :
Elle eft la céleste ambroisie ,
Qui donne l'immortalité.
AVRIL 1760. ક
LES GNOMES EXILÉS.
Stulta eft clementia cum tot ubique
Vatibus occurras , perituræ parcere charta .
LE
Juvenal. Sat. I.
E monde eft menacé des maux les
plus affreux ! .. Les Dames ne doivent plus
attribuer la perte de leurs chiens, à la négligence
de leurs domeftiques. Que le
beau fexe n'attende qu'ennui , & que va→
peurs . Qu'un Abbé, quia laiffé , en fe couchant
, fa toilette & fes romans dans le.
meilleur ordre , n'efpere plus retrouver
cette moitié de lui - même comme il l'a
laiffée fes rabats les mieux préparés par
des mains fçavantes en cet art , ne feront
plus que de triſtes chiffons.
Quelle est donc , dites-vous , la cauſe
de ces malheurs ? à quoi les attribuer ?..A
quoi ? aux Auteurs modernes. Bon Dieu !
que nous contez- vous là ? La vérité . Je ne
vous entends point. Je le crois : à peine ,
je le conçois moi-même !
Je rêvois feul , dans mon cabinet , lorfque
j'entends des voix plaintives : ah , je
n'en puis plus ! je fuis affommé. Traitre !
que t'avois-je fait ? Je prête une oreille
66 MERCURE DE FRANCE.
attentive de nouvelles plaintes fe font
entendre. Je fuis furpris de ne rien voir :
je regarde partout ; je cherche partout
le malheureux : je ne trouve rien ; & je
m'effraye de n'avoir rien trouvé.
J'allois me remettre à rêver, en atten
dant le dénouement de cette avanture ;
Forfque le plancher s'ouvre , & laiffe voir
une foule de petits hommes ,femblables à
ceux qui vouloient attacher Hercule endormi.
A l'exemple du fils d'Alcmène ,
j'allois m'armer pour leur perte, craignant
qu'ils ne confpiraffent la mienne ; lorfque
celui qui étoit à la tête,me tendit la main ,
en figne d'amitié, avec des démonſtrations
d'un homme qui ne cherche que la paix..
Je le reçus auffi poliment que put me
permettre la furpriſe dans laquelle m'avoit
jetté cette rencontre...je lui demande
qui il eft & ce que c'eft que toute cette
multitude ?.. Mon nom , dit- il, eft Schiariel;
je fuis le chef des Gnomes infortunés , qui
ont été chaffés du centre de la terre : ce
font eux que vous voyez . Malheureux que
nous fommes ! Quels climats allons- nous
habiter , après avoir été obligés d'abandonner
un pays habité par nos ancêtres ,
depuis tant de fiécles &
Le Gnome , à ces mots , laiffa couler
quelques larmes , qu'il ne put retenir. Je
AVRIL 17.60. 69
le priai de modérer fon affliction , & de
me faire part des malheurs qui la caufoient.
Il confentit à me l'apprendre. Je
n'ai rien changé à la narration de Schiariel;
je ne fais que lui prêter ma plume.
Nos ayeux , dit le Gnome, fatigués de
n'avoir d'autre occupation dans votre
monde , que de brifer des porcelaines &
des magots, de ruiner des Petits Maîtres,
pour enrichir des Actrices , & de faire
cent autres efpiégleries qui leur avoient
donné affez mauvaiſe réputation ; cherchèrent
un endroit où ils puffent couler
leurs jours en repos . Le royaume de l'oubli
, qui étoit au centre de la terre , leur
parut propre à ce deffein. Ils y vieillirent
avec tranquillité ; & le monde , que
leur malice ne troubloit plus , ne s'en
trouva que mieux.
Plufieurs générations s'écoulèrent, avce
le même bonheur. Mais notre fituation
nous expofoit à recevoir , de temps en
temps , d'énormes maffes , appellées productions
des Auteurs , qui étoient préci
pitées & oubliées auffitôt après leur naiffance;&
qui étoient entraînées chez nous,
par leur propre poids.
Meffieurs Volfius , Baldus , Graphe
rius , & d'autres fçavans en us, affommèzent,
en tombant, une troupe de Gnomes,
68
MERCURE DE FRANCE. -
qui jouoient fans fonger à eux . On pleura
ces
infortunés ; & on rangea où l'on put,
les
monftrueux volumes qui venoient de
caufer ce malheur.
regne de
De Baif, du Bartas , Jodelle, & prèfque
tous leurs
contemporains , nous cauferent
de nouveaux fujets de larmes : il
fallut encore les ranger auprès des autres.
Les Auteurs, du régne de Louis XIII ,
& ceux du
commencement du
Louis XIV , n'étoient pas faits
confoler. Douze fois douze cens vers ,
pour nous
tombés à la fois ,
affommerent bien des
Gnomes , &
occuperent une place immenfe
! Les admirateurs d'une fi déteftable
fécondité , vinrent auffitôt leur tenir
compagnie ; & de tous les freres de la
Pucelle , aucun ne put refter en votre
monde , que l'amant infortuné de la Ducheffe
d'Irton .
Le
redoutable Boileau,
pourſuivoit alors
quiconque ofoit paroître fur les rangs ,
fans le caractère facré des enfans d'Apollon.
Peu s'en fallut, qu'il
n'exterminât
la ráce gnomique , par les Auteurs peſans
qu'il fit
trébucher dans notre
royaume.
Lui-même y laiffa tomber
l'Equivoque , &
des odes , qui nous
glacèrent..
On craignit
l'anéantiffement de notre
Nation : Molière , Racine ,
Corneille , &
AVRIL. 1760 . 69
la plupart des illuftres Auteurs du fiécle
heureux, qu'on a appellé celui d'Augufte,
nous raffurèrent : il ne tomba que peu
de choſe ; & nous reftâmes tranquilles
pendant quelque temps.
Ces jours heureux, pafferent trop vite !
Le Dieu du Pinde , irrité de ce que quelques
jeunes & étourdis de Gnomes échapés
de notre pays , avoient caffé en fe jouant
quelques cordes de fa lyre , nous accabla
de nouveau. Notre nation ,diminuoit tous
les jours les plus habiles de nos citoyens,
furent d'avis de faire un tuyau ſemblable
à un entonnoir , dont le haut répondroit
au pied du Parnaffe , & l'extrémité inférieure
à une place qu'on laifferoit vuide ;
& de fermer toute autre avenuë.
Cet expédient, empêcha notre ruine : à
mefure qu'un ouvrage tomboit, on le
portoit
dans les galleries qui étoient deftinées
à les recevoir. Bientôt, prèfque tour.
notre royaume ne fut plus qu'en galleries
: on ne fçavoit plus où rien ranger :
Romans , Piéces dramatiques , Mufique ,
Ouvrage de toutes les façons , vers, profe,
tout tomboit en foule. Les noms de ces
infortunés , ont péri avec eux. Tout étoit
rempli.
Il fallut fe ferrer, s'entaffer, pour loger
les nouveaux venus. Mais enfin , il nous
70 MERCURE DE FRANCE.
en vint tant , & de tant de façons , que
notre Royaume n'étant pas affez fpacieux
pour contenir toute cette multitude
; on fut obligé de faire fortir les
anciens habitans , pour leur faire place.
Nous fommes ces malheureux exilés ! &
c'eft là ce qui fait le fujet de nos plaintes,
& des gémiſſemens que vous venez d'entendre.
Nous avons été affommés , en
grimpant par le tuyau : j'ai les os brifés ,
au , peu s'en faut , pour avoir été, heurté au
paffage, par l'époufe de **** . Tous mes
compagnons, ne font pas moins maltraités.
Mais nous nous vengerons de notre exil &
de nos peines , fut tout ce que nous toucherons;
tout fera bouleversé, & dérangé :
un Petit- Maître , qui voudra faire l'agréable
, croyant prendre une bourſe,à la
Mahon , fe coeffera d'une cornette ; &
une Actrice , fe verra abandonnée de fes
amans , fans pouvoir en ruiner un feul.
• Le Gnome finiffoit ; lorfqu'un garçon
Libraire entra. Il ne vit point les citoyens
du centre de la terre. Il laiffa un paquet;
& s'en alla .
Les Gnomes , fort curieux de leur naturel,
ouvrirent auffitôt le paquet ... La
brochure étoit déja partie , pour l'entonnoir.
Un autre Gnome , s'empreffant de
mettre le nez dans le paquet , laiſſa
AVRIL. 1760. 71
tomber un livre fur le corps de fon voifin...
ah , je fuis mort Maudits foient
les Auteurs !
Apollon entra, dans ce moment , affez
mal fagoté. Il nous promit, qu'il n'enverroit
plus tant de monde là - bas ; & nous dit,
qu'il avoit mis la Parodie à l'entrée du
Parnaffe , qui empêcheroit tout téméraire
d'y monter fans avoir confulté les forces.
On ne put s'empêcher de lui demander ,
d'où il venoit avec un tel habillement ? De
l'Opéra-Comique , répondit- il , où j'ai été
applaudi par un Public judicieux. La fatigue
que m'a donnée la féparation des
mauvais ouvrages , d'avec ceux qui font
dignes de paffer à la Poftérité , m'a réduit
en cet équipage.
Apollon parloit encore ; lorfque les
Gnomes difparurent. Leur Chef Schiariel
me dit , qu'ils alloient faire tout le mal
qu'il leur feroit poffible dans le monde ;
& faivre leurs anciennes inclinations.
Le trou du plancher fe ferma , Apollon
diſparut. Je reftai feul à déplorer tous
les malheurs qui menacent les ruelles ,
les toilettes , le féxe , les Abbés , les Petits-
Maîtres , & tout ce qu'on appelle au
jourd'hui gens d'efprit , &du bel air.
2 MERCURE DE FRANCE.
A Mlle de B *** la cadetit, en lui renvoyant
la Comédie , où elle avoit joué
le rôle de Zénéïde.
RICEVEZ , VEZ , belle Adélaïde ,
Les fincères remercimens
D'un jeune homme , à qui Zénéïde
A fait paffer les plus jolis momens...
Que le coeur gagne à fa lecture !
Que fon Auteur eſt un eſprit charmant !
C'eſt l'organe de la Nature ,
Et le peintre du fentiment .
Mais il plaît , cent fois davantage ,
A qui connoît cette ingénuité ,
Cette aimable vivacité ,
Dont vous embéliffez encore fon ouvrage.
Vous infpirez , au ſpectateur heureux ,
Cette agitation tendre , & délicieuſe ,
Qu'expriment vos difcours , qui parle dans vos
yeux :
Ilfuit , avec tranſport , une erreur fi flatteuſe ;
Loin de craindre l'Amour , il adore fes coups :
Il foupire , il s'enflâme , il brûle ; c'est pour vous.
Que Zénéïde , après , doit être intéreflante !
Ce trait charmant , qu'on porte dans le coeur ,
Donne , à ce qu'elle dit , une grace touchante ;
Ов
AVRIL. 1760. 73
On croit entendre fon vainqueur.
On la relit vingt fois , pour combler fon bonheur:
Elle eſt toujours plus féduifante.
Par M. GELHAY .
ENIGME , EN CHANSON.
AIR: du Confiteor.
COMPAGN OMPAGNON des enfans de Mars ,
Né pour affermir leur courage ;
Comme eux , j'affronte les haſards ;
Comme eux , au péril je m'engage :
Et dans ce redoutable emploi ,
Jamais je ne connus l'éffroi .
AIR : De tous les Capucins du monde,
Aux complots d'un injufte pere,
C'est mon organe tutélaire
Qui déroba Jupin naiſſant ;
Après qu'une tremblante mère,
Eut caché le céleste enfant ,
Au fein d'un rocher folitaire .
AIR : Du Prevôt des Marchands.
Vous , dont ma voix, dans les combats,
Regle les coups , conduit les pas ;
Malgré le ferment qui nous lie ,
Fuyez-vous en d'autres climats ;
D
74 MERCURE
DE FRANCE
.
Condamnés à perdrela vie ,
C'eſt moi , qui vous mène au trépas.
AIR : Pourpaffer doucement la vie.
Mon pere eft facile à connoître ;
L'en prend communément fon nom
Quand on veut défigner un être
Qui n'a ni rime , ni raiſon.
AIR: Des folies d'Espagne.
Jadis auprès dun bufte ridicule
J'accompagnois de mes pompeux accens ,
L'hommage vain , qu'un Peuple trop crédule ;
Couroit offrir à des Dieux impuiffans
AIR : Non ,je ne ferai pas &c. "
Placé fur un terrein que le Guerrier ſoupçonne ;
Dans ce pofte douteux,fije tremble ou bourdonne,
Sauvons-nous ; , un tombeau fe creuſe ſous nos pas!
Cet oracle eft plus fûr que celui de Calchas.
Même Air,
A me perfécuter , le fort s'opiniâtre :
J'ai beau merendre utile; on fe plaît à me battre .
Le Maitre que je lers , eft un Maître inhumain ,
Qui me traite toujours le bâton à la main.
Il fervoit anciennement au culte des Idôles.
BLANDUREL DE SAINT JUST.
AVRIL 1760. 75
LE mot de la première Enigme , du
Mercure précédent , eft Oeuf. Celui de
la feconde , eft , Bourdalouë.
Le mot du premier Logogryphe , eft ,
Dauphine ; dans lequel on trouve , Pan ,
Diane , haine , Daphné , Ida , nid , Ladiane
, épi , Pin , Dauphine , Eu , han ,
Die , Dina , Dan , pain , Jude , adieu ,
pied , Eau , Pie .
Celui du fecond Logogryphe , eſt ,
Delphinus ; où l'on trouve , Jefu , Deus,
Pindus , Delphi , dolus , Delius , Nilus,
Indus , Ilus , Linus , Lepidus Edui ,
Seduni ( Sion ) Elis , Heli , Deli , Pius ,
Linus ( Papa Secondus ) Pelius.
ENIGM E.
L'HOMM
"
'HOMME , naît avec moi ; fans lui , je ne ſuis
rien .
A la Ville , à la Cour , je fuis très - néceffaire ;
Et l'on fe fert de moi dans mainte & mainte affaire,
De laquelle fouvent je fais tout le foutien.
L'Labile Magiſtrar , le fage Miniſtère ,
Le Clergé , le Public , ont tous recours à moi ;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Tour l'Univers enfin , fe range fous ma loi..
L'amant prudent , l'amant fincère ,
N'auroit pas raifon à Cythère ,
S'il ne reconnoiffoit mon immuable foi.
Par M. de V.
LOGOGRYPHE.
CHEF HEF D'OEUVRE d'Iphicrate ,& d'Epaminondas,
C'eftpar moi que Gonfalve*a marché fur leurs pas.
Si dans un autre fens quelqu'un veut me connoître;
Au Louvre , mieux qu'ailleurs , il peut me voir paroître.
Mais , Lecteur , pour venir à la déduction
Des mors que je produis , par ma diſſection ;
Cherche un Navigateur , un parent , une Ville,
Où Marcellus parut auffi brave qu'habile ;
Ce qu'Achille prenoit du célèbre Chiron ,
Et que donnoit Polybe au jeune Scipion.
Un jour très-folemnel ; ce fameux Patriarche ,
Préfervé du déluge , à la faveur de l'Arche ;
Un illuftre guerrier , & dont Artaxerxès ,
Au grand Agéfilas , oppofa les fuccès ;
Ce que , pour être femme , une fille defire . .....
C'eft affez : finiffons : il ne faut pas tout dire.
-*
Surnommé le Grand Capitaine : c'eft le Turenne
des Efpagnols.
Par M. DE LANEVERE , ancien Mousquetaire
du Roi , à Dax le …… ..
*
....
AVRIL. 1760. ブブ
AUTR E.
DEPU EPUIS longtems tu m'abandonnes ,
Cher Lecteur ! quoique , tous les jours ,
Ayec agrément tu moiffonnes
Les fruits de mon ancien fecours.
Piqué de cette létargie ,
Je cherche encor à fixer tes regards.
Prends donc mes huit membres épars
Range-les à ta fantaiſie,
Ils t'offriront un de ces jeux ,
Où le coup d'oeil & la jufteffe ,
*
Ont peut- être , au gré de tes voeux ,
Plus d'une fois couronne ton adreffe.
Tantôt , couru par la jeuneſſe .
De mes plaiſirs tumultueux ,
Je fçais lui prodiguer l'ivreſſe.
Tantôt , à peine fuis - je né ,
Que de ma voix , l'indifcrette indécence,,
Fait foudain , fuivant l'occurrence ,
Rire ou rougir tout un cercle étonné.
Ici , victime de l'Envie ,
Je fus , hélas ! affaffiné:
Là, jadis , à mon culte impie,
Je vis maint autel deſtiné .
Je tiens mon rang dans la Mufique.
Je me fuis aufi , fans façon ,
Dij
78. MERCURE DE FRANCE.
Faufilé dans l'art Héraldique.
Tantôt , je fuis petit Poiffon ;
Tantôt , je deviens grande Ville.
Je puis encor , d'un meuble utile ,
Offrir les commodes douceurs .
Enfin , tout voyageur habile
Doit , à propos , ufer de mes faveurs .
C'eft te fournir affez ample carrière ,
Pour t'amufer , ou te mettre en ſouci.
Reftons- en là , pour aujourd'hui :
Car mon but n'eft que de te plaire ;
Et je pourrois te caufer de l'ennui.
DESMARA I Ș.
ROMANCE , NOUVELLE,
Vous ous m'avez fait un tendre cur ,
Amour, je vous en remercie ;
Bien qu'il faffe tout mon malheur ,
Et le fera toute ma vie.
Ainfi Lifis , dans fon tourment ,
Difoit: admirez , je vous prie ,
L'innocence d'un tendre amant ,
Et l'injuftice de fa mie
Elle plaît , & toujours plairą ;
Ce n'eſt pas là fon injuſtice :
Amour le veut , & le voudra.
Il faudra bien qu'elle obéife.
E.
Romance.
Vous m'avésfait un tendre coeur Amourje
mp de Guitarre.
vous en remer- ci-e Bienqu'iflasse toutmon mal.
W
eur, Et le fe..
ra toute ma vi - e .
e
par par M Charpentie
née par Tournelle.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR,
LENOX AND
TILDEN
FOUNDATION8.
AVRIL 1760. 79;
Elle a tout le don de charmer :
D'oùvient c'eft qu'elle eſt mieux
Car rien qu'à l'entendre nommer ;
Voilà que vous brûlez pour elle .
que belle:
Si je lui dis , qu'un doux retour ,
D'amour tendre , eft la récompenfe 3
Malgré moi je prens un décour ,
Pour dire le mot d'espérance.
Hé , pourquoi n'ofer être amant ,
En toute fimpléife & courage?
Amour, m'a bien grondé vraîment ,
De trahir ainfi fon ouvrage !
Il m'a bien dit : Mon doux ami ,
Tu m'as tout entier dans ton âme ;
Et ne me montres qu'à demi ,
Autant bel objet de ta Aamme.
Tant de crainte d'importuner ,
Encourage mal une amante.
Quand il faut toujours deviner,
On fe fent peu reconnoiſſante.
A force de foins ingénus ,
Songe à plaire ; adore ta mie ,
Comme Anchife adora Vénus ,
Dans les bocages d'Idalie.
D iv
So MERCURE DE FRANCE
J'ai bien tous les foins ingénus ,
::" Quand je la vois , ou quand j'y penfe.
Elle a tous les traits de Vénus :
Mais là , finit , la reffemblance.
Ainfi Lifis , dans fon tourment,
Difoit : Admirez , je vous prie,
L'innocence d'un tendre Amant
Et l'injuftice de fa Mie !
AVRIL. 1760 .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAIS fur divers Sujets de Littérature
& de Morale. Par M. l'Abbé Trublet ,
de l'Académie Royale des Sciences &
Belles- Lettres de Pruffe , Archidiacre &
Chanoine de S. Malo. Tome 4° . Paris ,
Chez Briaffon. 1760.
AL'OUVERTURE de ce Livre , je fuis
tombé fur la réfléxion ſuivante : Ordinairement,
il n'y a qu'à perdre pour un hom
me qui a une certaine réputation d'esprit ,
à donner quelque chofe au Public . Il y a
bien plus à perdre pour un Auteur qui a
déja paru dans le Public avec fuccès , à
publier de nouvelles productions. Cependant
le rifque qu'il court , quelque évident
qu'il lui paroiffe , n'eft pas capable
de l'arrêter. Cela pourroit porter à croire,
que la vanité que ceux qui n'écrivent
pas reprochent à ceux qui écrivent , eft
beaucoup moins puiffante dans ceux- ci ,
que dans ceux- là. Un homme , dont l'ef-
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
prit brille aux yeux de fes amis & de fes
connoiffances ; mais qui n'a pas la confiance
de l'expofer aux yeux du Public ,
n'eſt pas fi modefte que fi modefte que celui qui ne
craint pas , en expofant le fien , de détruire
l'illufion de fes admirateurs , Quoiqu'on
en dife , ce n'eſt pas toujours pour
étendre fa gloire , qu'un Ecrivain multiplie
fes ouvrages ; & c'eft prèfque toujours
pour ne rien perdre de fa réputation ,
qu'un homme , qui paffe pour avoir beaucoup
d'efprit , ne veut rien produire au
grand jour. Je ne fçai pas s'il faut louer
la prudence de ce dernier ; mais on ne
peut blâmer le courage de l'autre. Il y a
certainement du mérite, à ne pas craindre
d'être apprécić. Or on ne fauroit fe flatter
de l'être exactement , tant quon n'a pas
fubi le jugement du Public , qui n'a jamais
ni la févérité des ennemis d'un Auteur
, ni l'indulgence de fes partiſans.
C'est une foibleffe, de préférer la crainte
de perdre l'eftime de quelques particuliers
, à l'efpérance d'acquérir la confidération
de tous . Le defir de la mériter, eſt
raifonnable & vertueux ; puifqu'il peut
tourner au profit de la fociété. Je n'écris
pas ceci , pour enhardir les mauvais écrivains
; mais pour encourager les bons ,
tels que M. l'Abbé Trublet , qui ne doit
AVRIL 1760.
* 5
1
1
er
a
ouvrages , leur pefe quelquefois autant
que celle des ouvrages d'autrui ; que s'ils
lifent
peu , c'eft qu'ils ont beaucoup lû.
Que pourroient-ils lire encore avec plaifir
? Familiarifés avec l'excellent & le bon,
dégoûtés du médiocre , il ne leur reſte
que le mauvais ; & ils ont éprouvé , qu'ik
ya moins de peine à en faire , qu'à en lire..
Il ne faut pas trop lire . Cette maxime eft
excellente ; mais elle ne l'eft , que parce
qu'on ne peut beaucoup lire , fans lire du
mauvais. Si tous les livres étoient bons ,
il faudroit changer la maxime , & dire
hardiment : on ne fauroit trop lire..
Cette penfée , qu'il y a dans les ouvrages.
d'esprit quelque chofe de plus agréable que
l'efprit , à ceux- même qui en ont le plus ,
eft très-vraie & très- folide ; mais on l'auroit
rendue plus intéreſſante , & plus inftructive,
en y joignant une notion de ce
quelque chofe plus agréable que l'efprit.
C'est à force d'Art qu'on cache l'Art.,
Peu de connoiffeurs , ( l'Auteur en diftingue
de deux fortes , ceux qui le font
lumière , & ceux qui ne le font que par
eufimple goût ) apperçoivent toute la perfection
que les fineffes de l'art mettent
dans un ouvrage : Il fe montre aux uns ,
&fe cache aux autres , à mesure qu'il eft.
plus parfait. Il n'écarte pas feulement les
ter
Das
jans
nte
CU
de
eft
2.2.2
cri.
115 ,
Bait
par
86 MERCURE DE FRANCE.
défauts , il y ajoute des beautés . Il a même
fes graces , auffi bien que la Nature.
Rien de plus ingénieux & de plus jufte,
que la comparaifon de l'efprit à une mine
qui d'abord rend beaucoup , & fans qu'il
foit befoin d'un grand travail ; les premieres
richeffes , s'offrent d'elles - mêmes ; en
creufant plus avant le travail devient
plus pénible & moins fructueux , & à la
fin la mine s'épuife .
Un Auteur doit craindre de fe faire
imprimer trop tôt : il en résulte de grands
inconvéniens , qu'il eft quelquefois impoffible
de réparer. Mélite fera toujours
tort à l'Auteur de Cinna. Les jeunes gens
dépenfent leur efprit , comme ils dépenfent
leur bien avant que d'être en état de le
dépenser à propos .
Voici une réfléxion à laquelle je ne puis
confentir : Rien de plus rare , que l'habile
Architecte , que le talent de faire un tout.
On trouvera plûtôt cent beaux efprits , capables
de produire cent belles pensées fur
un fujet , que le bon & grand efprit , qui
de toutes ces pensées , & des fiennes propres
, faura faire un beau tout. J'ai beaucoup
de peine à le croire. Je penfe qu'il
y a moins de difficultés à arranger des
idées , qu'à les produire. Rien de plus
rare que l'habile Architecte ; je l'avoue :
AVRIL. 1760. 87
mais celui qui pourroit créer les matériaux
qu'il met en oeuvre , ne feroit- il pas infi→
niment plus habile ? Le producteur de
penfées , devroit paroître , à l'égard de
celui qui les arrange , s'il étoit poffible
qu'il y eût en ceci quelque proportion ,
comme le créateur du marbre & de la
pierre paroît , à l'égard de celui qui s'en
fert pour élever un Palais . Si Montagne ,
la Bruyere , M. de la Rochefoucault , M.
de Vauvenargues , M. l'Abbé Trublet luimême,
& quelques autres , ont choisi cette
manière d'écrire , connue fous le nom
de réfléxions , de maximes , de penſées
détachées ; je ne fçaurois croire , que
c'eſt par impuiffance de les lier. Charron,
vaut - il mieux que Montagne ? Je ne
me fens pas affez de force pour réfléchir
avec autant de jufteffe , de netteté , &
d'abondance , que l'Auteur que j'analyſe :
mais je me flatte qu'il ne me feroit pas
impoffible de faire, avec fuccès , un enfemble
de fes réfléxions. L'art , quelque parfait
qu'il puiffe être , dans l'arrangement
qui embellit les matériaux dont il fe fert ,
peut-il jamais être égalé à la nature , qui
leur a donné l'être ?
Je pense qu'il n'y aura perfonne qui
ne life avec plaifir l'anecdote qui concerne
l'Abbé de S. Pierre , & les réfléxions
88 MERCURE DE FRANCE.
de l'Auteur à ce fujet , fi propres à confir
mer ce que j'ai dit d'abord ; que ce n'eft
pas toujours la vanité , qui fait écrire.
» Il y a d'excellentes chofes dans vos:
» Ouvrages , difoit -on quelquefois à M.
» l'Abbé de S. Pierre ; mais elles yfont
» trop répétées. Il demandoit qu'on lui
30
و د
en citát quelques- unes , & on n'y étoit
» pas embaraffé. Vous les avez donc rete-
» nues , ajoutoit- il ? Voilà juftement ce
» que je me propofois , en les répétant ; &
fans quoi , vous ne vous en fouviendriez
» plus aujourd'hui . Jarnais , peut - être
( qu'on me permette cet hommage à
» un homme dont je refpecte & chéris la
» mémoire ) jamais, peut-être , aucun Auteur
, même parmi les plus pieux & les
» plus humbles , n'écrivit moins pour fa
" propre gloire , que M. l'Abbé de Saint
» Pierre il n'avoit en vue que l'utilité›
"
publique. Cela fe fait fentir dans tous
» fes ouvrages , & en relève le prix. Un
» écrivain de ce caractère , n'en eft pas
» feulement plus refpectable ; fes écrits
» en font plus utiles. J'ajoute, que M. l'Ab-
» bé de S. Pierre , n'avoit pas plus de pré-
» fomption , que de vanité. Il croyoit fes .
idées auffi bonnes que fes intentions ;.
» mais fans les croire merveilleufes .
Des
ouvrages , foit d'efprit , foit de:
AVRIL. 1760.
Sciences , l'Auteur paffe aux
Ouvrages
d'agrément ; & l'on y trouve le même
goût , la même précifion , la même clarté.
Faut- il juger des Ouvrages d'efprit par
la voie du fentiment , ou par celle de la
difcuffion : on verra dans cet article des
éclairciffemens fur cette queftion. Le génie
de l'homme n'a peut- être jamais rien
produit d'une certaine étendue , où par
l'une de ces deux voies , on ne puiffe rencontrer
quelque chofe à reprendre. Il
eft difficile de dire laquelle eft la plus
fûre. Aucune des deux n'eft trompeuſe :
mais la plupart de ceux qui croyent y
marcher , ne font ni dans l'une , ni dans
l'autre.
Dans l'article, qui traite de la Morale
en général , & de l'homme en particulier ,
on examine la queftion , fi la plupart des
hommes font méchans ? On y trouve un
grand nombre de réfléxions confolantes ;
bien éloignées de celles qu'infpire une
philofophie fombre , qui femble fe plaire
à affliger le genre humain , & à le calomnier.
Il y a une manière d'écrire fur l'homme
,furla morale , plus agréable qu'utile ,
plus ingénieufe que folide , & ainfi peu
morale. Il y en a une autre , qui eft dangerufe,
& propre , en ne peignant l'homme
que comme méchant & vicieux , à le ren
90 MERCURE DE FRANCE.
dre plus méchant & plus vicieux encore
qu'il ne l'eft en effet. J'ai cherché, dans cet
ouvrage , fi je n'appercevrois pas quelques
traces de l'une ou de l'autre de ces manières
; & je n'y en ai point trouvé. Ce
n'eft pas qu'il n'y ait beaucoup de chofes
ingénieufes & agréables ; mais elles femblent
n'avoit été mifes , que pour faire
goûter le folide & l'utile .
L'efprit de fociété, eſt un morceau intéreſſant.
Toutes les réfléxions qu'il renferme
, font connoître le prix des qualités
& des vertus fociales . C'eſt un grand don ,
de favoir le faire des amis ; mais il eſt
peut- être plus utile, de poffèder l'art de ne
fe point faire d'ennemis. Le grand danger
d'avoir des ennemis , c'est que d'un
défaut , ils font un vice ; d'une faute, un
crime ; d'un acte , une habitude ; d'un foup.
çon, une certitude ; d'unefeule faute , plu➡
fieurs ; d'un feul défaut , tous ceux qui
peuvent y avoir quelque rapport. Ils étendent
, groffiffent , multiplient .
Les réfléxions de l'Auteur,font quelque
fois échauffées par la chaleur douce qu'infpire
le fentiment , & furtout par celui
dont il paroît pénétré pour les infortunés.
» Si l'on eft poli , par bon coeur , encore
plus que par intérêt ; fi l'on eft touché
» du plaifir fi flatteur d'en faire , & de
و د
AVRIL. 1760. 91
8
faire le
plus grand
de
tous
, en
voici
un
moyen
infaillible
: c'eft
de ne
point
»
diminuer
de
politeffe
; de
ne
point
changer
de
manière
avec
quelqu'un
qui
p
vient
d'éflayer un revers
; d'encourir
la
difgrace
d'un
protecteur
, de
perdre
» un
pofte
; & parmi
tous
ces
regards
, où
illit
fon
infortune , qu'il
lui
e ft doux
»
d'en
rencontrer où il lit
toujours
, non
feulement
la même
amitié
, mais
en-
» core
la
même
confidération
de
trou-
» ver
quelqu'un
,
auprès
de
qui , en
perdant
fa
fortune, il
n'a pourtant
rien
>>
perdu ;& depouvoir
en conclurre
, qu'il
en
trouvera
peut- être
quelques
autres
!
les
Poëtes , Homère
& Virgile
, la
Tragé-
Les
articles qui concernent
la Poëfie
&
die &
la
Comédie
, la Profe
& les
Vers
François
,
offrent
à la diſpute
un beau
&
ue
1
vate
champ
en
lice
quelque
écrivain
aſſez
habile
pour
où j'aimerois à voir entrer
fuivre
mais , il
combattre , & vaincre l'Aureur.
y a des fujets , qui femblent faits
pour
partager
éternellement
les
hommes
qui
paroiffent
avoir
le
plus
d'efprit
&
de
gour.
M.
l'Abbé
T.
n'aime
pas
la
rime
:
Mais comme
il dit lui - même , que n'être
repas
aimé, eft le plus
grand
obstacle
à étre
་ ་
che
eftimé
;
les
verfificateurs
font
peut
-
être
fondés à
dire
, que
la
préférence
qu'on
2 MERCURE DE FRANCE.
›
donne aux Profateurs , eft un effet d'une
prévention fecrette de l'efprit plûtôt
que des avantages de la Profe fur lesVers .
Je penfe , qu'on peut trouver dans l'a
fuite fur la converfation , des réfléxions
neuves ; quoique l'Auteur annonce que
ce qu'il écrit fur ce fujet , après tant
d'autres qui l'ont traité,pourroit bien n'avoir
rien d'abſolument nouveau pour le
fond . Il regarde le talent de la converfation,
comme un des plus defirables . Il a
pourtant fes inconvéniens & fes dangers ,
comme tous les autres. Le principal ob
jet de ce morceau , eft de les faire connoître
, avec les moyens de les éviter.
L'Article de la bonté , eft fort court. If
femble qu'il ait été meſuré fur la rareté
dont elle eft dans le monde : Il eft peu
d'hommes véritablement bons. On voudroit
ne vivre qu'avec des perfonnes , qui
fuſſent en même- temps gens d'efprit , &
bonnes gens mais où les trouver ? La
plupart des hommes font peu aimables &
peu eftimables ; & fouvent l'un & l'autre
à la fois.
Dans l'Article de l'ambition , on cite un
Miniftre qui a été heureux : c'eſt le Cardinal
de Fleuri. » M. de Fontenelle , qui l'avoit
fort connu avant fon ministère
furpris, dans une vifite qu'il lui fit quel
AVRIL. 1760. 93
ques années avant fa mort , de lui voir
» la même ſérénité & la même gaîté ,
» lui dit : Mais , Monseigneur , eft - ce que
» vous feriez encore heureux ?
» Il n'en avoit pas été de même, du Cardinal
Dubois. Devenu Cardinal , & pre-
» mier Miniftre ; il dit un jour à quelqu'un
, de qui je le tiens : Je voudrois
nêtre dans un cinquième étage , avec une
» vieille fervante , & quinze cens livres
» de rente .
» Tandis que le premier Miniftre étoit
» fi malheureux , l'Abbé Mongault l'étoit
encore plus , par l'envie qu'il lui
» toit .
por-
Les favoris de la fortune , ou de la
gloire , dit quelqu'un , malheureux à nos
yeux , ne nous détournent point de l'ambition
: peu de perſonnes , ont autant de
raiſon que M. de Fontenelle . Quelqu'un lui
parlant un jour , de la grande fortune que
l'Abbé Dubois avoit faite ; pendant que
M. F. n'en avoit fait aucune, quoique trèsaimé
auffi du Prince Régent ; cela eft vrai,
répondit le Philofophe : mais je n'ai jamais
eu befoin que le Cardinal Dubois
vint me confoler. Ce Cardinal , alloit quelquefois
dépofer les chagrins dans le fein
de Fontenelle.
Si l'on n'eft pas toujours de l'avis de
94 MERCURE DE FRANCE .
M. l'Abbé Trublet , on eſt toujours fatiffait
de fon ftyle , plein de naturel & de
clarté. Ses pensées peuvent ne pas paroître
toute vraies ; mais elles font toujours précifes
, & diftinctes. On a déjà obfervé que
l'Auteur , en difant qu'il y a des livres qui
· donnent de l'efprit , pourroit bien avoir
caractérisé fes ouvrages . On ne peut rien
ajouter à cet éloge.
LETTRE fur le Poëme intitulé : l'Art
de peindre .
V ous aimez les Arts , Monfieur ; vous
faites vos délices de la Peinture ; vous attendez
avec impatience le Poëme dans
lequel M. Watelet en a développé les
mystères je me hâte de vous envoyer
l'extrait que j'en ai fait rapidement fur
un des premiers exemplaires qui foient
fortis de fous la preffe.
Il est dédié à l'illuftre Académie , dont
l'Auteur eft membre . C'eft à la critique.
des Maîtres de l'Art , qu'il a foumis chacun
des chants de ce Poëme, qui en contient
les régles ; & de tels Juges , par leur
fuffrage , lui ont donné force de loi .
On a pu juger , par les fçavans articles
AVRIL. 1760. 95
dont M. Watelet a enrichi l'Encyclopé
die, combien il eft verfé dans l'art dont
il trace aujourd'hui les préceptes. Le dif
cours préliminaire , qui eft à la tête de
fon Poème , en expofe l'objet & le plan.
Il n'y étale , ni une confiance vaine , ni
une orgueilleufe indifférence fur le fuccès
de fon ouvrage. » Je n'ai pas , dit- il ,
» cette infenfibilité peu naturelle , & fou
» vent affectée , qui fe prétend au-deffus
» du blâme & de la louange. J'aurai la
» foiblefle d'être fenfible à l'approbation,
» ft je la mérite ; j'aurai le courage de
" tourner au profit de mon efprit & de
" ma raifon , les jugemens équitables
» qu'on portera fur mes travaux ; & fans
» demander une indulgence qu'il n'eft
pas au pouvoir du Public d'accorder ,
» je fouhaite feulement , qu'il le rappelle
» en lifant mes vers , que je ne mets au-
» cune prétention indiferette à les avoit
» faits .
On connoit deux Poëmes , fur la Peinture
; l'un du célèbre du Frefnoi , Fautre
de M. l'Abbé de Marfy. M. Wateler loue
Fun & l'autre par la qualité qui les dif
tinguent : l'un profond , nerveux , auftère
, réunit toutes les parties de l'art ;
l'autre , élégant , harmonieux, fleuri , parcourt
d'un vol léger , mais avec jufteffe ,
6 MERCURE DE FRANCE.
les préceptes de la Peinture. Mais cès
deux Poëmes font écrits en latin ; & l'une
des grandes difficultés de celui- ci , étoit
de concilier en notre langue , la jufteffe
& la précifion des préceptes avec le coloris
, l'élégance , la nobleffe du ftyle , la
mefure & l'harmonie des vers.
De tous les Poëmes , le Didactique eft
celui qui exige le plus effentiellement
d'être foutenu & embelli par le preftige
de la verfification . Des fçènes paffionnées,
de brillantes peintures , des récits véhémens,
peuvent fe paffer d'une cadence
régulière ; une profe nombreufe & poëtique
fuffit à l'oreille , quand l'imagination
eft vivement frappée , ou le coeur
fenfiblement ému. Le Poëme Epique , le
Poëme Dramatique, peuvent être encore
très intéreffans , quand même ils feroient
écrits en profe ; & en renonçant au charme
de la verification , il eft poffible d'y
fuppléer par des beautés d'un autre
genre.
Mais dans le Poëme Didactique , où nul
écart n'eft permis , où nul épiſode ne
doit interrompre la fuite & l'enchaînement
des préceptes , où l'imagination
affujettie aux loix févères de la raifon
doit la fuivre d'un pas timide , pareille à
cette
AVRIL 1760. 97
cette grace modefte , qui accompagne la
beauté.
Subfequiturque decor.
Dans ce Poëme , dis je , dont la précifion
rigoureufe , eft la premiere règle , il
eft d'une néceffité indifpenfable que l'harmonie
des vers tienne l'oreille comme
enchantée , tandis que la vérité févère
Occupe & captive l'efprit . Il y a plus ; le
premier objet qu'on fe propofe , dans un
Poëme , fait pour inftruire , c'eft que les
préceptes foient faciles à retenir ; & il eft
inutile de dire , combien la meſure du
vers eft favorable à la mémoire. On fait
par coeur mille vers de Defpréaux ; l'on
ne fait pas vingt lignes de Montagne
quoiqu'on l'ait lû avec plus de réfléxions
& autant de plaifir que Despréaux.
Les fujets que peut traiter la Pocfie Didactique
, lui font plus ou moins favorables
, & par rapport au fond des chofes
&
par rapport aux reffources plus ou
moins abondantes de la langue dans laquelle
on écrit. L'Agriculture , offroit au
génie de Virgile de magnifiques tableaux
à peindre , qui pouvoient corriger à chaque
inftant la féchereffe des détails. Ces
détails eux-mêmes , tomboient fous les fens :
ils n'exigoient point , comme ceux de la
I. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE:
Peinture , la fcrupuleuſe févérité d'une
expreffion, quelquefois unique ; & le latin
avoit dequoi les rendre. Horace & Def
préaux , en traçant les règles de la Poëfie ,
n'avoient qu'à parler le langage de la
Poëfie elle -même , & à cueillir fur leur
route les fleurs dont elle étoit naturellement
parfemée.
>
Si l'on en juge , par analogie , l'art de
peindre femble être de même un fujet de
Poëme Didactique , avantageux & facile
à traiter ; mais dès qu'on veut l'approfonfondir
; dès qu'on effaye d'exprimer en
termes clairs , précis, connus de tous les
lecteurs les règles auftères & multipliées
de ce bel art ; l'imagination ſe ſent
accablée de chaînes la ftérilité de la
langue , laiffe à chaque inftant la penſée
fans expreffion , & comme fufpendue au
bout de fa plume. La raiſon en eft, qu'une
langue ne s'enrichit que par l'ufage ;
qu'une partie fur laquelle on a négligé
d'écrire , eft comme un champ à déffricher
; & qu'en effet , jufqu'à préfent , le
langage de la Peinture n'eft guère familier
aux Artiſtes .
Cependant le Poëte, en écrivant pour
eux , n'a pu renoncer à plaire à une claffe
d'hommes cultivés , qui , fans être verfés
dans l'art , font en état de goûter un
poëme , qui en développe les principes.
AVRIL. 1760. 99
Cette difficulté de créer , fi jofe le dire ,
un nouvel idiome qui eût, pour les Artiſtes,
la précifion des termes de l'art ; & pour
le refte du monde , le coloris & la clarté
duftyle noble & poëtique : cette difficulté,
à chaque inftant renouvellée , n'a point
découragé M. Watelet . Nous verrons , dans
peu , comme il l'a fçû vaincre .
Son Poëme, eſt divifé en quatre chants.
Dans le premier , après avoir donné une
idée générale de la Peinture , il expofe
les principes du deffein. Dans le fecond ,
chant, il traite de la couleur. Dans le troifiéme
, de l'ordonnance , ou de l'invention
pittorefque. Dans le quatrième , de
l'expreffion , ou de l'invention poëtique.
Le Poëte invoque cette Vénus céleſte ,
qui prend foin d'embellir l'Univers :
Je chante l'art de peindre : ô Vénus , Uranie!
Seconde mes travaux , inſpire mon génie;
Laiffe- moi pénétrer dans le Temple des Arts .
Lumière des talents , découvre à mesregards
Ce concours de tes dons , cet accord , cet enfemble
,
Objets des goûts divers , centre qui les raſſemble ,
Immortel attribut de la Divinité ,
Dont l'effet eft l'Amour , & le nom , la Beauté.
C'eſt toi , qui la répands fur la nature entière :
Chaque jour, fur le char du Dieu de la lumière ,
835607
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
Elle embraffe les Cieux , & colore les airs ;
L'oeil étonné , l'admire , au vafte fein des mers.
Elle naît fous nos pas ; une fleur la recele :
De chaque être , elle emprunte une forme nouvelle
:
Et pour la reproduire encor fous mille traits ,
Tu veux que les mortels imitent ſes attraits.
De là,ces nobles foins , ces efforts , pour l'atteindre,
Ces talents enchanteurs , l'art des vers ,
l'art de
peindre.
11 fe plaint qu'un monftre , féduifant &
capricieux , la Mode , reçoit parmi nous
un culte , qui n'eſt dû qu'à la Déeffe de la
Beauté.
Il s'adreffe aux Artiftes ; leur montre la
carrière qu'ils ont à parcourir ; & leur
peint le caractère de celui que le Ciel a
doué du talent , d'imiter la nature .
Avec choix , il parcourt les annales des temps :
Au récit des vertus , des exploits éclatans ,
Il s'émeut , il s'enflâme ! un céleste délire ,
Réaliſe à fes yeux chaque trait qu'il admire.
Il voit tout exifter ; & nouveau créateur ,
De l'art qui le contraint , accuſe la lenteur.
Cet art confifte , à préfenter aux yeux
es formes , les couleurs , les plans , & les
effets .
AVRIL 1760. 161
Ceft l'abrégé de ce Poëme.
Le fuccès de l'Artifte , dépend d'abord
'du choix du fujet. Mais quand le fujet
eft choifi , le génie doit fe l'approprier.
Des objets bien conçus , fixer la jufte place ;
Leur donner à propos & la forme & la grace ;
Et pour les animer , s'élevant juſqu'aux Dieux ,
Ravir le feu facré , renfermé dans les Cieux .
Ce n'eft pas tout encore : l'art doit affujéttir
le génie à fes loix auftères ; &
l'invention poëtique, doit fe concilier avec
l'invention pittoresque.
Ici l'Auteur trace , en fix vers , la divifion
de fon ouvrage.
Des deux inventions dans l'ordre didactique ,
L'une eft donc pittorefque, & l'autre eft poëtique.
Pour le produire aux fens, toutes deux ont recours
A l'accord des couleurs , des ombres & des jours ;
Et le ton nuancé n'obtient ſa juſte place ,
Qu'en fuivant les contours que le deffein lui trace
Le Poëte , recommande & preſcrit l'étude
affidue , & l'exercice conftant du
deffein. En général , de la partie, au tout,
& des parties , entr'elles , il y a des rap
ports , une harmonie , un enfemble , qu'il
faut faifir. Mais le comble de l'art , eft
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
dans l'imitation de la belle Nature .
La fimplicité , régne dans les ouvrages
des Egyptiens ; mais le fentiment exquis
de la beauté , étoit un don réservé aux
Grecs . A ce fujet , M. Watelet rappelle
en peu de mots les progrès & les révolutions
de la Peinture , depuis fa naiffance
en Egypte , jufqu'à fa reftauration
en Europe. Voici comme il peint le paf
fage des arts , de la Gréce en Italie .
Les talens affervis , captivant leurs vainqueurs ,
Du Romain belliqueux , adoucirent les moeurs.
Chez un Peuple étranger , qu'avoient dompté fes
armes ,
Des plaifirs de l'efprit , il reconnut les charmes :
Voluptueux alors , pour tromper ſes loiſirs ,
11 fit fervir les arts aux foins de fes plaifirs.
Ces trois Filles des Cieux , l'utile Architecture ,
La Mufe , que je chante , unie à la Sculpture ,
Par des Artiftes Grecs , rétablis dans leurs droits
A Rome triomphante , imposèrent des loix ;
De Palais mieux ornés montrèrent des exempless
De Dieux, mieux fabriqués , repeuplèrent les temples
:
Jupiter, au vulgaire , impofa par fes traits 3.
Vénus, eut plus d'encens , lorfqu'elle eut plus d'at
traits ;
Et le Romain inftruit , riant d'un vain hommage,
Adm ra moins le Dieu , qu'il n'admira l'image.
AVRIL. 1760. 103
L'antique , eft d'un précieux fecours ,
pour les jeunes Artiftes . M. Watelet les
invite , à l'étudier fans ceffe : c'eft là qu'ils
puiferont tous les principes de leur art ;
& furtout ces juftes/rapports , qu'il étoit
fi difficile de décrire en vers ; & que M.
Watelet, a fi heureuſement rendus.
A la figure entière , il faut , dans la portée ,
De fa tète huit fois la grandeur répétée.
·
Les deux bras donneront , étendus fans efforts ,
Une largeur égale à la longueur du corps.
N'allez pas cependant , à cette éxactitude ,
Borner de l'art du trait , la difficile étude :
Par des calculs précis , l'enfemble confirmé ,
S'il n'eftpoint élégant , n'eft qu'à demi formé.
Voyez, par cent détours , dans la plaine fleurie,'
Serpenter un ruiffeau , qui baigne une prairie :
Confidérez la flamme , alors qu'un doux zéphir,
Afon fouffle la fait mollement obéir :
Du contour élégant , c'eft la fidelle image...
Grâces ! qui peut , fans vous , en acquérir l'ufage ?
L'étude de l'Anatomie, que les Artiſtes
appellent l'Ecorché , ne leur eft pas moins
effentielle. Mais comment en préfenter
les objets,dans un ſtyle élégant & noble? ...
Ceft où triomphe M. Watelet.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Le fcapel, à la main , voyons ce que renferme ,
Sous fon léger tiflu , le plus fin épiderme.
Démontons fes léviers , dont nos efprits fubtils
Règlent les mouvemens : démêlons tous ces fils ,
Que leur combinaiſon , que leur force deſtine
A faire , au gré des fens , mouvoir notre machine.
Par fon inſertion , à l'os le muſcle eft joint ;
Nos mouvemens réglés , partent tous de ce point.
Le muſcle contracté , leur donne la naiſſance :
Des efprits réunis , la mobile puiffance ,
le gonfle , & l'accourcit du tiers de ſa longueur :
Sa forme prononcée , exprime la vigueur.
Rendu moins apparent , voyez comme l'antique ,
Dans un corps délicat , le dérobe & l'indique .
Tel on voit de Vénus , le corps fouple & liant ,
Offrir le doux afpect d'un contour ondoyant ;
Tandis que du Dieu Mars , la moindre fibre exprime
Et la force , & l'audace , & le feu qui l'anime.
*
A l'étude de l'Anatomie , ſe joint celle
de la Perſpective ; & le Peintre doit fçavoir
en ménager l'illufion .
Fixer,dans un corps rond , ce qui doit être fombre ,
Ce qu'il reçoit de jour , ce qu'il portera d'ombres
En fuppofant au point , d'où vous ferez partir
Les rayons , dont l'effet , doit vous affujéttir.
Mais c'eſt au goût , à choisir l'aſpect
AVRIL 1760 . 105
Le crayon délicat , qu'un heureux choix conduit,
Dérobe fes défauts aux regards qu'il féduit .
D'un raccourci bizarre , effort de perſpective ,
Hazardez rarement l'ingrate tentative :
Un choix mal entendu , détruit l'illufion.
Le Poëte ne parle que d'un raccourci
bizarre, auquel l'imagination fe refufe, en
Peinture comme en Poëfie : le vrai doit
être vraisemblable. Le beau raccourci
n'étonne point les yeux : il eft partout ,
fans qu'on le foupçonne.
Quelqu'objet qu'on imite , il y trouve fa place :
Tout corps horizontal , raccourcit fa furface ;
Et cet aſpect trompeur , qui reſſferre les plans ,
Les unit , les confond , les rend moins apparens.
La perfpective aërienne , eft inféparable
de la perſpective géométrique : il faut
en diminuant les grandeurs ,
Exprimer auffi l'air', qui ſeul, de la diſtance
Décide , à nos regards , la diverſe apparence.
Ce préftige, eft l'effet de la couleur ; &
c'est le fujet du fecond chant. L'on voit
déjà , dans le premier , quel eft le ton &
le ftyle du Poëme ; avec quel courage le
Poëte s'y facrifie au Peintre , & fe refuſe
2
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
aux écarts brillants, auxquels la nature de
fon fujet femble l'inviter à chaque pas.
L'imagination, dans un Poëme de ce genre
, eft comme ces Nymphes , qui , dans
le Taffe , veulent attirer & féduire les
compagnons de Renaud. » Pourquoi ,
( femblent- elles dire au Poëte ) pourquoi
» t'obftiner à fuivre une route pénible ,
» à travers des précipices & des écueils ?
و ر
Vois ces riants bocages , ces prairies
» émaillées , ces ondes pures & jailliffan-
» tes ! fuis- moi, dans ces lieux enchantés;
» donne - moi ton génie à conduire : tous
» mes fentiers font femés de fleurs . Un
Poëte , amoureux de fon talent , épris de
l'éclat d'une célébrité paffagère , n'eût
pas manqué de fe livrer aux charmes de
cette enchanterelle : M. Watelet , a la fageffe
& la force de lui réfifter ; & au
lieu d'un badinage frivole, il nous a donné
un Poëme claffique.
Quoique le fond du fecond chant foit
plus riche que celui du premier
, le Poëte
n'y donne
point dans le luxe des orne- mens. Il craint d'affoiblir
l'impreffion
des préceptes
; & il ne les embellit
, qu'autant
qu'il eft néceffaire
, pour intéreffer
l'imagination
à les retenir , & à les retracer
.
L'Artifte , en colorant , doit , fur une ſurface ,
Imiter la lumière , & peindre aux yeux l'eſpace.
AVRIL 1760. 107
Chaque corps , a fa couleur ; mais cette
couleur eft brillante , ou fombre.
La lumière en auroit l'éclate & le degré :
Mais la couleur eft propre à l'objet éclairé.
Ainfi cette partie de l'art , a deux branches
; la couleur de l'objet mê me , & le
jour ou l'ombre , où il eft placé.
"
L'angle de réflection de la lumière , eft
égal à l'angle d'incidence : ce principe
fimple & connu renferme la théorie
du clair - obfcur . Deux tous , le blanc &
le noir , fuffifent pour ajouter le clair obfcur
au trait du deffein .
Des objets éloignés , confidérez la teinte :
L'ombre en eſt adoucie , & la lumière éteinte.
Vous raffemblez en vain tous vos rayons épars ;
Le buttrop indécis échappe à vos regards.
Le terme qui les fixe , a-t- il moins d'étendue ?
Chaque nuance , alors , un peu moins confondue ,
Développe à vos yeux , qui percent le lointain ,
D'un clair-obfcur plus ner l'effet moins incertain .
D'un point plus rapproché , vous diftinguez des
maffes ;
Votre ceil plus fatisfair , meſure des furfaces.
Déjà près du foyer , les ombres & les jours ,
Se foumettant au trait , décident les contours.
Enfin , plus diaphane ,en un court intervalle ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
L'air n'altère plus rien de la couleur locale..
Tel eft l'artifice des reflets de la Perf
pective aërienne !
Les paffages qu'obferve la nature, dans
le mêlange des couleurs & des tons, préfentent
au pinceau de nouvelles difficultés
à vaincre.
Le terme eft incertain , le progrès inſenſible :
Nous voyons le tiffu ; la trame eft inviſible.
•
Chaque ton de couleur, à nos regards offert ,
Dans celui qui le joint , fe confond & ſe perd.
Mais quelle eft , de ces tons , l'origine immortelle
?
C'eſt cet aftre brûlant , qui fans ceffe étincelle.
Des faiffeaux de rayons , de fon difque émanés ,
Offrent , en ſe brifant , à nos yeux étonnés
De fept tons primitifs , les couleurs afforties ,
Et de ces tons mêlés , les douces fympathies.
Voyez-les tous briller dans cet arc radieux ,
Dont l'éclat réfléchi peint la voute des Cieux.
Voyez les obéir au fçavant méchanifine
De l'immortel Newton, qui les foumit au prifmé ;
Ou plûtôt , reſpectant ces fublimes fecrets ,
Ignorez leur effence , & peignez leurs effets.
L'art du coloris , peut puifer fes trésors
AVRIL 1760 . 109
dans deux fources . Le Poëte les fait diftinguer
au Peintre.
Du régne végétal, craignez l'éclat perfide :
Le minéral , enfante un coloris folide .
L'énumération des couleurs paffagères
& des couleurs durables , étoit encore un
détail difficile : on ne s'apperçoit point ,
en le lifant , du travail qu'il a dû coûter .
Les lumières que la Peinture a reçuës
des Arts & des Sciences , par rapport au
choix des couleurs , ont hâté fes progrès
en Europe : le concours & l'émulation de
fes Ecoles , ont mis le comble à fa gloire.
Ici , M. Watelet ne peut fe refufer à un
mouvement , qui exprime le caractère de
fon âme.
Dieu des arts ! entretiens au fein de ma patrie ,
Cette louable ardeur , par la gloire nourrie ,
Qui fait de tes fujets , à la vertu foumis ,
Des rivaux généreux , jamais des ennemis.
Et vous, qu'un feu divin échauffe, anime , enflâme ;
Qu'un fouffle envenimé ne fouille point votre âme :
De ces bofquets facrés, gardés par les neuf foeurs,
Pour vous couronner tous , il naît aſſez de fleurs !
Il revient au coloris ; & développe , en
très beaux vers, la théorie du reflet.
110 MERCURE DE FRANCE.
Le ton de la nature , en un corps éclairé ,
Blefferoit les regards , s'il n'étoit tempéré ¿
L'éclat de la couleur , fans un double artifice ,
Au lieu de vous charmer , feroit votre fupplice.
Pour rendre cet éclat moins choquant & moins
dur ,
Le réflet , près de nous , s'unit au clair-obfcnr.
Arrêtez vos regards , aux bords d'une onde pures
Le faule qui l'ombrage , y répand fa verdure ,
Et reçoit à fon tour , en courbant fes rameaux ,
L'éclat d'un plus beauljour , reflété par les eaux.
Sur un rideau de pourpre , une Nymphe étendue ,
Nous offre , fur les lys , la rofe répanduë :
Ce brillant incarnat, dont tout ſon corps eft teint,
Prendroit un autre accord ,fur un fond plus éteint.
C'est ainsi que l'Artifte , au gré de fon génie ,
Peur , de fon coloris , varier l'harmonie.
L'accord eft à fon choix ; mais ce choix arrêté ,
Tel qu'un Poëte , il doit conferver l'unité.
Dans cette imitation de la nature , il
faut
que
l'art fe cache avec tant de foin ,
qu'on l'oublie.
Le fpectateur jaloux , ne veut rien qui détruife
La douce illufion , dont fon âme eft furprife.
Le fini précieux , a fa place ; la touche
AVRIL. 1760.
rapide, a la fienne: l'un, dans ce que l'oeil
voit de près ; l'autre , dans ce qu'il apperçoit
de loin. Ici , dit le Poëte ,
Trop de foin vous nuiroit , & l'air bien mieux que
vous
Des paffages moins fins, rendra les tons plus doux,
Les oppofitions donnent encore à la
Peinture , plus d'éclat & plus de vigueur.
C'eſt ainfi que , des fons , la Muſe enchantereſſe ,
Pour parler à nos coeurs , fçait oppoſer ſans ceſſe
La fière diſſonance au plus doux des accords:
Les divers mouvemens , les fons plus ou moins
forts ;
Tour aide à varier l'effet de l'harmonie ;
Tour a droit fur notre âme, & rout fert au génie.
La nature , eft le commun modèle de la
Poëfie, de la Mufique, & de la Peinture .
Cependant, c'eſt à vous, ô Peintre ftudieux !,
Qu'elle aime à prodiguer fes trésors précieux ::
Soumile à vos defirs , fans ceffe complaifante ,
Elle vous fuit partout , partout elle eft préfente.
Voyez-la s'embellir , avec l'aſtre du jour :
Suivez-le dans fa route. A peine , de retour ,
Le Soleil qui renaît , commençant la carrière ,
De la jalouſe nuir , a franchi la barrière ;
12 MERCURE DE FRANCE.
"
Qu'aux bords de l'horiſon , les coteaux font frap
pés
De l'éclat adouci , de fes feux échappés.
Des corps moins élevés , les incertaines ombres ;
Se mêlent aux vapeurs , qui les rendent plus fombres.
Quelle fource d'accords , d'effets , d'illufions ,
Offrent à vos pinceaux ces oppofitions !
Le Poëte indique des tableaux , pour
les divers inftans du jour. Le matin &
le foir , font favorables à la Peinture : le
feul éclat du midi , eft au-deffus de fes
éfforts.
Mais fi le Dieu du jour , brillant , victorieux ,
Au milieu de fon cours , reparoît dans les Cieux ;
Reſpectez un éclat , que l'art ne sçauroit rendre .
Il y a cependant un moyen de fauver
T'illufion : c'eit d'interpofer un objet , qui
femble cacher cet éclat inimitable .
Offrirez-vous Renaud , dans cet inſtant du jour ,
Mollement enchaîné dans les bras de l'amour ?
Armide aura fait naître un myrthe , dont l'ombrage
,
Sur le difque brûlant , forme un léger nuage.
Ce fecond Chant , eft plus vif , plus
coloré , plus fenfible aux yeux de l'ima
AVRIL. 1760. 113
gination que le premier : cela devoit être.
Mais l'élégance & la clarté du ftyle , l'aifance
& la correction des vers , font
partout
les mêmes .Je fuis tenté de citer, fans
ceffe ; & je ne me retiens, que pour ne pas
effleurer le plaifir que vous aurez , Monfieur
, à lire ce Poëme charmant.
( Lafuite , au prochain Mercure. )
LETTRE de M. l'Abbé TRUBLET , à M.
DE LA PLACE. i Mars 1760 .
J'AVOIS invité , Monfieur , par la voye
du Mercure , ceux qui poffèdent quelques
Lettres de M. de Fontenelle , de vouloir
bien m'en faire part mon invitation n'a
point été inutile , & on m'en a communiqué
un affez grand nombre. Je prépare
un onzième Tome des Euvres de l'illuftre
Auteur ; & elles en feront partie , de
même que celles que je pourrai recouvrer
encore , lorfqu'elles me paroîtront
dignes de l'impreffion . Quelque agréables
que foient , en général , les lettres des
grands Ecrivains ; il y a un choix à faire
entr'elles , puifqu'il y en a entre leurs
ouvrages mêmes.
1
۔ ا
114 MERCURE DE FRANCE.
Je remercie donc M. Dubois de la
Garde , de celles qu'il vous a envoyées
pour moi , & que j'ai trouvées dans le
Mercure de Février dernier. * Je vous
avouerai pourtant , que je ne les crois
pas de M. de Fontenelle , du moins en
leur entier. J'ajoute , que tous ceux à qui
je les ai fait lire , ont été de mon avis.
Les lettres , dont on laiffe prendre
copie , font fort fujettes à être altérées ;
& quelquefois au point , que le ftyle de
celui qui les a écrites , n'y eft plus reconnoiffable.
Si cela eft arrivé , comme je le
foupçonne , à celles de M. de Fontenelle à
M. Thomafin : je ferai très- obligé au jeune
& ingénieux Militaire , de m'en faire par
venir une copie exacte , avec leur datte.
On l'a oubliée dans le Mercure.
M. Dubois de la Garde, m'offre encore
un portrait de Fontenelle , par feue Mlle
le Couvreur. Je le connois , il y a longtemps
: mais il n'eft point de cette célèbre
Actrice , quoiqu'il lui ait été attribué ,
lorfqu'il parut. Il eft de Madame de Forgeville
, comme on peut le voir dans
l'éloge de M. de Fontenelle , par M. de
Fouchy, qui en a cité une grande partie.
* Elles font adreffées à M. le Chevalier de
Juilly-Thomaffin , dont on a vu pluſieurs jolies
pièces dans le Mercure.
AVRIL 1760. 115
» Madame de Forgeville , fa refpectable
» amie , dit M. de Fouchy , voulut bien
» prendre de fes dernières années le foin
» le plus affidu : & c'eſt à elle qu'il a dû
» toute la douceur qu'il y a goûtée. Plus
» à portée que perfonne de le bien connoître
, elle en avoit fait elle- même un
» portrait , dans lequel il eft fi recon-
» noiffable , que nous avons cru le devoir
>> donner ici , & c.
33
On trouve l'Eloge de M. de Fontenelle,
par M. de Fouchy, à la tête de fes oeuvres
pofthumes , imprimées en 1758 : elles en
font les Tomes IX & X.
J'ai l'honneur d'être , & c.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
ItLparoît , Monfieur , un Livre intitulé,
Piéces fugitives , pour fervir à l'Hiftoire de
France .Le Compilateur de ces Mémoires,
y a joint les jugemens fur la nobleffe de
Languedoc, par M. de Befons . Il dit , dans
ies avertiffemens qu'il a placés à la tête
de ces jugemens , qu'une des chofes les
plus utiles que Louis XIV ait faites
" pendant fon régne , a été la recherche
» de la Nobleffe , afin de faire connoître
33
116 MER CURE DE FRANCE.
» fon ancienneté &c. Il loue l'exactitude
des opérations , en ce genre, de M. de Cau
martin , Intendant de Champagne : il
improuve le peu de foin que M. de Rouf
Jeville apporta dans fes opérations, en Picardie
: il paffe enfuite à celles de M. de
Befons , qu'il compare à M. de Caumartin.
Il dit, que "» ces jugemens , qui font
"
29
des picces juridiques , affurent l'Eta
» de la nobleffe de Languedoc , de leurs
» defcendans , & la font connoître d'une
» manière qui n'eft ni douteuse , ni équi
» voque. Il feroit à fouhaiter , reprend
le Compilateur , » qu'on lui communi
» quât les jugemens des Intendans , fur la
» nobleffe des autres Provinces , afin de
» faire connoître , d'une manière fi fûre ,
» toute la nobleffe du Royaume , dont
plus de la moitié eft prèfque inconnue.
Pénétré des louables motifs , qui femblent
animer le Compilateur , je crois
devoir détruire la confiance que le Public
pourroit prendre en faveur des jugemens
de M. de Befons , fur la foi du Compilateur
: & comme mon affertion , ainfi que
celle du Compilateur , ne doit pas faire
loi ; je rapporterai ce que M. de Baville ,
Intendant de Languedoc , dit dans fes
Mémoires , à l'article de la nobleſſe de
cette Province.
AVRIL. 1760. 117
39
33
35
Les recherches qui ont été faites en
différens temps , ont fait plus de mal
» que de bien. La facilité qu'on a eu de
" donner des jugemens à ceux qui ne les
méritoient pas , a beaucoup mêlé le
» corps , qui devoit être plus pur & moins
rempli de gens à qui on connoît encore
une très- baffe extraction . Ceux qui devoient
prendre foin de l'empêcher , fe
» font relâchés fur ces mauvais principes ,
» que la taille étant réelle , il importe peu
" de faire beaucoup de nobles , puifqu'ils
la payent de même que les roturiers :
comme fi le feul intérêt de la véritable
nobleffe , ne méritoit pas que l'on ne
» ternît point l'éclat qu'elle doit avoir ,
»par un mêlange auffi impur !
33
Si le Compilateur avoit lû cet article
des Mémoires de M. de Baville , il auroit
fans doute plus refpecté les opérations
de M. de Caumartin , & n'auroit
pas terni une feconde fois l'éclat que doit
avoir la véritable nobleſſe , en faisant revivre
un ouvrage que le mépris le plus fon
dé fembloit avoir anéanti. Tout le monde
fçait , que la bonne nobleffe de Languedoc
, ne fe fert jamais du relaxe dele
M. de Befons. D'ailleurs , il y a de très-lebons
Gentilhommes , qui n'ayant pas étéɔul
fon
118 MERCURE DE FRANCE.
}
recherchés , ne font pas infcrits fur cc
prétendu catalogue des nobles .
que
Il en eft d'autres , qui n'ont produi
les preuves
de quatre générations ; &
qui remontent,par de bons actes, jufqu'e
l'an 1100 ; tels que les Varagne , Sei
gneurs de Gardouch , & non pas Baragne
Les armes de cette maifon , font d'or ,
la croix de fable ; & non d'azur , à l
croix d'or , chargée d'une croix de fable
comme l'écrit le Compilateur , au Tom
II , pages 2 & 9.
Il n'y a prèfque point de maiſon , don
les armes ne foient défigurées ; comm
celles des Villeneufve , qui font une ép
d'argent , & non une épée d'or : on a m
me attribué, à une branche de cette mat
fon , des armes différentes . On cite u
acte de partage, entre Vital de Villeneu
ve , Bernard de Villeneufve , & le R
Philippe le Rel , en 1319 , pour la terr
de la Croifille . Il y a deux fautes , dar
cette citation : 1 ° . Philippe le Bel éto
mort ; c'étoit Philippe le Long. 2 °. Vi
tal & Bernard font qualifies , Domicellu
& miles dans l'acte de partage ; &
compilateur , ne leur donne aucune qua
Ilité. Il dit que
Ramond
, peut
A pere de Jean : il étoit pere de Bernard
pere de Jean , felon les actes de cett
avoir
ét
AVRIL. 1760. 119
Maifon , qui remonte jufques en l'an
1034. M. de Baville en parle dans fes
Mémoires comme une des plus anciennes
de cette vafte Province , de même
que celle de Varagne. Le Compilateur a
auffi défiguré les armes de la maison de
la Tour S. Paulel , qui font d'azur à la
Tour d'argent , & non pas d'azur à trois
faces d'or , Tome 3. p. 2. pag. 84.
"
Il marie , de fon autorité , Jean de la
Cour , Seigneur de Juzes , avec Jeanne
de Ribet ; tandis que ce même Jean
étoit marié , par l'autorité de l'Eglife ,
avec Jeanne de Deyme la Bruyere . Un de
leurs , enfans fut reçû Chevalier de Malthe
, en 1551. Cette maifon remonte, jufques
en l'an 1124.
Toutes ces erreurs démontrent , que
le Compilateur n'a puifé fon ouvrage
que dans le Relaxe de M. de Befons ,
Or,tout le monde fçait que la plupart des
Gentilshommes fe faifoient décharger
fur le premier titre qui leur tomboit fous
la main. De là vient , que des meilleures
maifons de la Province ne remontent
qu'au premier , deuxième ou troifiéme
degré. Ainfi M. de Catellan , famille
d'une très- ancienne nobleffe de Languedoc
, fe fit décharger , comme Capitoul
de Touloufe ; & le Compilateur, dans fon
"
120 MERCURE DE FRANCE
Recueil , le met noble , comme Capitoul.
Il auroit évité toutes ces erreurs , s'il avoit
confulté les familles dont il parle.
Vous voyez , Monfieur , par tout ce
que j'ai l'honneur de vous dire , le cas
que le public doit faire des jugemens de
M. de Befons ! & furtout, des avertiſſemens
du Compilateur. J'efpere , que vous voudrez
bien inférer ma Lettre dans votre
Mercure ; afin de détruire la mauvaiſe
opinion que la nobleffe des autres Provinces
pourroit avoir , fur l'ancienneté &
fur la bonté de la véritable nobleffe de
Languedoc.
Je fuis avec un attachement &c.
A Montauban ce 12 Février 1760 .
HISTOIRE
AVRIL 1760. 121
HISTOIRE des Philofophes modernes
avec leurs Portraits , gravés dans le goût
du crayon ,d'après les Deffeins des pius
grands Peintres.
Par M. SAVERIEN.
Publiée par FRANÇOIS , Graveur des
Deffeins du Cabinet du Roi , Graveur
ordinaire du Roi de Pologne , Duc de
Lorraine & de Bar , & Penfionnaire de
L. M. rue S. Jacques , à la vieille Pofte.
Premiere Partie , contenant l'Hiftoire des
Métaphyficiens.Un volume imprimé &
gravé en deux formats in-4. ° & in- 12 .
Prix 6 liv. in- 4.° & 3 liv . in - 1 2. brochés
, 1760. A Paris , de l'Imprimerie
de Brunet , Imprimeur de l'Académie
Françoife.
ON fe feroit fait un devoir , de mettre
aujour cette premiere partie , au mois de
Juin dernier, comme on l'avoit annoncée;
on avoit été moins fenfible à l'accueil
qu'on a daigné faire au projet de cet ouvrage
. Le programme qu'on en diſtribua ,
vers le commencement de l'année 1759 ,
a procuré des connoiffances , qu'on a t ché
I. Vol. F
112 MERCURE DE FRANCE
de mettre à profit . On a voulu avoir égard
auffi aux avis , que des perfonnes diſtinguées
dans la république des Lettres , &
dans celle des Beaux Arts , ont donnés ,
pour le rendre digne de la faveur du Public.
Tout cela a demandé un temps dont
on ne regrettera point le facrifice , quel
que puiffe être le fuccès de ce premier Volume
; parce qu'on ne croit point avoir de
reproches à fe faire. Voici une idée générale
de fon exécution .
Après une préface , dans laquelle on expofe
le plan de toute l'Hiftoire des Philofophes
modernes , eft un difcours préliminaire
, qui contient une Hiftoire abrégée
de la Métaphyſique , ſon objet & ſes
avantages . On y juftifie le choix qu'on a
fait des Métaphyficiens , placés au nombre
des Philofophes modernes . Ces Métaphyficiens
font Erafme , Hobbes , Nicole,
Loke , Spinofa , Malebranche , Bayle ,
Abbadie , Clarke , & Collins .
On trouve donc ici leur hiftoire : c'eſtà-
dire , leur vie , leur caractère , leurs
moeurs , & un précis de leurs ouvrages ,
& de leurs controverfes ; fuivis de leurs
fyftêmes fur la Métaphyfique. Ces fyftêmes
, forment une espèce de cours de
Métaphyfique , qui comprend les parties
éffentielles de cette fcience , dont on
AVRIL. 1760: 723
donne les principes & les règles. On peut
réduire ces parties , à ces points principaux.
1. L'analyfe de l'homme , de fes
paffions & de fes écarts , confidéré , foit
en particulier , foit en fociété ce qui
forme un tableau de l'hurnanité , & dans
lequel font renfermés les fondemens de
toutes les loix. 2.° La nature & les facultés
de l'efprit humain ; l'origine , le progrès
, & l'étendue de fes connoiffances.
3. L'art de penfer & de raifonner , & de
diriger toutes les opérations de l'efprit.
4. L'ufage de la raifon , dans tous les
événemens de la vie . 5. ° L'art de connoître
la vérité , en évitant les illufions &
les erreurs auxquelles l'homme eft fujet ,
dans la recherche qu'il en fait. 6. ° Enfin
m la nature & les attributs du Créateur ,
& ceux des êtres en général.
་ ་
།
A l'égard des Portraits , qui entrent
dans ce Volume , ils ont été deffinés d'après
les originaux les plus authentiques ,
par MM. Vanloo ( Carle ) Pierre , Vien ,
&c. tous Membres illuftres de l'Académie
Royale de Peinture. On les a gravés dans
le goût du crayon , parce que cette
gravure rend mieux l'efprit du deffein
& celui des originaux , que la gravure
ordinaire qu'elle rend parfaitement
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
la reflemblance ; & afin qu'ils fervent en
même temps de modéles , à ceux qui veulent
apprendre à deffiner. Ces Portraits
font in-4. & in- 12 . comme les formats
des deux Editions , & traités avec le
plus grand foin. Mais les Portraits in- 4º.
doivent être préférés par ceux qui voudroient
les deffiner , ou qui feroient bien
aifes de les avoir féparément , pour les
mettre fous vèrre , afin d'en orner leur
Cabinet.
LES HYMNES DE SANTEUIL , traduites en
vers françois , par S, P. C. P. D. vol . in-
12 ; à Paris , chez J. Barbou , rue S. Jacques
, aux Cigognes. Le même Libraire
débite auffi les Hymnes de Santeuil , en
latin , en un vol . in- 12 ; ainfi que les oeuvres
du même Auteur , en 3 yolumes.
LES HÉROÏDES de M. Dorat , nouvelle
édition , in- 8. Effai fur la déclamation
tragique , par le même. On en trouve des
exemplaires , chez Cuiffart , Libraire ,
quai de Gêvres. Ces ouvrages , déja connus
, ont annoncé ce qu'on pouvoit attendre
du jeupe Auteur de Zulica.
ANECDOTES galantes , ou le Moralifte
à la mode , par M. J. Ha *** , in- 12,
AVRIL. 1760. 125
AAmfterdam, 1760 ; & fe trouve à Paris,
chez Duchesne , rue S. Jacques, au Temple
du goût , & chez Cuiffurt, quai de Gêvres ,
à l'Ange Gardien.
LE PRIX DE LA BEAUTÉ , ou les Couronnes
, Paftorale , en 3 Actes , & un Prologue
, avec des divertiffemens , fur des
air choifis & nouveaux. Cet ouvrage, enrichi
d'eftampes agréables , & des autres
ornemens typographiques dignes de les
accompagner , eft imprimé in- 4. ° , & fe
vend Paris , chez Delormel , Libraire ,
rue du Foin , à Ste Génevieve. Nous
comptons en parler plus amplement , dans
la fuite.
DISCOURS fur l'éducation , par M. Vaniere
, Brochure , in- 8.º 1760. A Paris
chez Boudet , rue S. Jacques ; chez Cailhau
, quai des Auguftins ; & chez Lambert
, rue , & à côté de la Comédie Françoiſe.
AMUSEMENS d'un Homme de Lettres ;
ou , Jugemens raifonnés , & concis , fur
tous les Livres qui ont parus tant en France
que dans les Pays étrangers , pendant
l'année 1759 ; divifés ,par femaines: 4 vol.
in- 12 ; dont le prix eft de 5 liv. brochés ,
& de 7 liv. reliés : chaque volume conte-
S
F iij
126 MERCURE DE FRANCE
nant 360 pages . A Manheim , 1760 ; &
fe trouve à Paris , chez Cailleau , Librai
re , quai des Auguftins , près le Pont Saint
Michel .
HISTOIRE des Temples des Payens ,
des Juifs , & des Chrétiens , dédiée à la
Reine ; par M. l'Abbé Ballet, ancien Curé
de Gif , & Prédicateur de S. M. Chez le
même Libraire.
OBSERVATIONS fur un ouvrage,intitulé,
Vindicia Typographica , pour fervir de
fuite au Traité de l'origine & des productions
de l'Imprimerie primitive , en Taille
de bois. Par M. Fournier le jeune. A
Paris de l'Imprimerie de J. Barbou.
In- 8.° 1760 .
›
LES SAUVAGES d'Europe . A Berlin
1760 ; & fe trouve , à Paris , chez Guef
fier , fils , Libraire , rue du Hurepoix , à
la Liberté.
LETTRE , à M. *** , fur plufieurs maladies
des yeux , caufées par l'ufage du rouge
& du blanc ; par M. Deshais Gendron,
Docteur en Médecine de l'Univerfité de:
Montpellier &c. A Paris , 1760.
DISCOURS , fur la connoiffance & l'ap
plication des talens ; Par M. l'Abbé Jac
AVRIL. 1760. 127
quin , honoraire de l'Académie d'Arras ,
de l'Académie des Sciences & Belles - Lettres
de Rouen , & de la Société de Metz .
A Paris , chez Duchesne , rue S. Jacques;
& chez Lambert , rue de la Comédie
Françoife. In-12 , 1760.
JUSTIFICATION de plufieurs articles du
Dictionnaire Encyclopédique ; ou , préjugés
légitimes contre Abraham - Jofepir
de Chaumeix. A Bruxelles ; & fe vend a ;
Lille , chez Pantkeuke , Libraire. In- 12 ,
1760 .
Avis de l'Auteur du MERCURE &
du CHOIX.
COMME
OмME je me propofe de rendre le
NOUVEAU CHOIX de Piéces tirées des anciens
Mercures & autres Journaux , le plus varié
, curieux , agréable & intéreſſant, qu'il
fera poffible ; j'ai tout lieu d'efpérer que
le nombre de mes Abonnés ne diminuera
pas au renouvellement de leur Soufcription
( qui doit fe faire au premier Juin
prochain , en recevant le Tome 44 de ce
CHOIX ; & qu'au contraire , je le verrar
s'augmenter de beaucoup. Cependant ,
pour que les perfonnes qui voudroient
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
commencer à foufcrire actuellement , &
qui n'auront pas les premiers volumes ,
en tout ou en partie , ne foient pas arrêtées
par la crainte de débourfer une fomme
affez forte pour fe procurer la collection
entiere ; on a pris des arrangemens
, pour faciliter l'acquifition de ces
premiers volumes , à ceux qui defireront
l'avoir abfolument complette ; & on les
donnera brochés , d'ici à la fin de cette
année 1760 , à un prix modique, fçavoir :
Les douze premiers volumes ,
pour
Les 16 vol . fuivans , c'est- àdire
, le 13 ° , jufques & compris
le 28e
e
, ce qui a formé la feconde
année , où le deuxième
abonnement , pour
Les 16 vol . fuivans , qui forment
la troifiéme année , commençant
par le 29 vol. & finiffant
au 44 , pour
e
13 1.4 f.
18 1.
zo l
Total , 511.4f.
Ceux qui prendront même les 44 volumes
à la fois , les auront brochés pour
48 liv.
Les volumes féparés , ne fe donneront
pas à moins de 30 fols piéce .
AVRIL, 1760. 129
Le port de chaque volume féparé , eſt
de dix fols par la Pofte . A l'égard des
collections entieres , ou d'une année feule
, on peut les recevoir en Province , à
peu de frais , par
moyen des Carolles
& Mellageries.
e
le
Le prix de l'abonnement, à Paris, pour
les 16 volumes , qui doivent commencer
par le 45 , ( ce qui formera la quatrième
du CHOIX , ) eft de 24 1. & de 32 1. pour
les recevoir en Province,francs de port ,
par la Pofte.
On fupplie les Soufcripteurs d'envoyer
exactement , & d'avance , leur argent , au
Bureau du CHOIX , chez M. Leris , quai
des Auguftins , dans la maifon de M. Rollin
, Libraire.
Fy
L
130 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences , Belles Lettres & Arts , de
VILLEFRANCHE , en Beaujollois . *
LEE
jour & fête de S. Louis , l'Académie
s'eft rendue dans l'EglifeCollégiale de
cette Ville , pour entendre le panégyrique
du Saint , prononcé par M. l'Abbé Deffertines
, l'un des Académiciens.
L'après-midi , elle à tenu fa féance
publique , dans la grand-falle de l'Hôtel
de Ville.
M. l'Abbé Humblot, Directeur en exercice
, en a fait l'ouverture , par un difcours
fur l'efprit philofophique , qu'il a
confidéré relativement aux avantages
qu'en retire l'humanité , & à l'abus que
l'on en fait , par rapport à la Religion.
Selon lui , le caractère diftinctif de
* L'Extrait de cette Séance Académique, qui eft
du 25 Août 1758 , avoit probablement été égaré
jufqu'à préfent.
AVRIL 1760. 137
l'efprit philofophique , eft une noble
indépendance des idées du vulgaire , une
liberté de penſer , une hardieffe , une ſublimité
de fentimens , qui l'affranchiffent
des entraves où l'ignorance & la fuperf
tition , voudroient retenir la raifon captive.
Le vrai Philofophe , n'eft point un
adorateur ftupide de l'antiquité , ni des
ufages confacrés par l'habitude : il brife
avec autant de courage , que de difcerne
ment , ces vieilles idôles , que le préjugé
rendoient refpectables. Difciple de la vérité
, il n'adopte que les idées claires & diftinctes
: la Nature, eft fon livre ; l'évidence,
eft fon flambeau.
Mais s'il préfere dans les doctrines humaines
, l'exemple à la prévention , la
raifon à l'autorité ; on ne le voit point fe
livrer imprudemment aux écarts des fyftêmes
, dans les matières qui font au deffus
de fon entendement , appeller à fon
tribunal , l'Etre fuprême ; lui demander
raifon de ce qu'il a fait , ou de ce qu'il
auroit pû faire. Bien loin de meſurer au
compas les opérations myftérieufes de la
Divinité ; il regarde comme un attentat ,
de prétendre foumettre à des argumens
incertains & équivoques , à des chimeres
métaphyfiques , l'exiſtence & les
attributs de celui qui lui donne la facul
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
té de raifonner , & de fentir. C'eft d'après
ce début , que l'Auteur entre en matière ;
& qu'il parcourt , d'un trait rapide , les
avantages & les écarts de l'efprit philofophique
, envisagé fous ces deux points de
vuë.
A la fuite de ce Difcours , on lut un
effai fur la recherche des foffilles , avec
des obfervations,fur quelques- uns de ceux
qui fe trouvent dans le Beaujollois, M.
Briffon , Infpecteur des Manufactures de
cette Province , Auteur de cet ouvrage ,
après avoir donné une idée générale des
différentes fubftances que l'on découvre
fur la furface , & dans le fein de la terre ,
& démontré l'utilité de cette branche de
nos connoiffeurs ; s'eft attaché , particu
lièrement , à faire voir que la Province
de Beaujollois , fournit de prèfque toutes
les espèces de foffilles connues.
Un des plus communs , eft le cryſtal de
roche , qui fe trouve aux environs de Régny
; où il y a une carrière confidérable
de Pecartz , qui eft rempli de cryftaux
héxagones. Il examine les caufes de la
cryftalifation en général ; & de cette cryftalifation
, fous la forme héxagone ; il fe
propofe de faire une collection des cryftaux
de tous les âges ; c'est -à- dire , depuis
le temps où le cryftal commence à fe
AVRIL. 1760. 133
former dans fa matrice , jufqu'à fon état
de perfection. Il parle enfuite , d'une eſpèce
de gypfe félénite , qu'on a découvert
dans la Paroiffe de Pommiers , jaune ,
tranſparente , faifant effervefcence dans
les acides , & devenant opaque dans la
calcination ; comme auffi d'une autre
pierre, trouvée dans la Paroiffe de Villyé ,
qui s'amollit au feu , jufqu'à fe liquéfier
en un inftant ; qui s'enflamme bientôt
après; & qui rend , en brûlant, une fumée
épaiffe avec une odeur bitumineufe , àpeu
près femblable à celle que l'on rencontre
à Lille- Adam , près de Beaumontfur-
Oyfe , & auprès de Laon . Sur chacun
de ces objets , l'Académicien fait des obfervations
propres à tirer parti de ces dé-
Couvertes.
Cet effai fut fuivi d'une differtation, fur
les Songes , par M. de la Vaupiere. L'Auteur
y décrit toutes les rêveries des Anciens
& des Modernes , fur la prétenduë
fcience de l'Onirocritique , ou l'art de la
divination par les fonges , qu'il réfute
en cherchant à développer leur caufe &
leur nature. Il fait voir , que s'il y a
quelquefois des fonges furnaturels &
prophétiques , tels que ceux atteftés par
P'Ecriture ; on auroit tort de s'en faire
des régles d'interprétation pour les fon134
MERCURE DE FRANCE.
ges naturels , qui ne font autre chofe que
l'effet que produit le cours irrégulier des
efprits animaux durant le ſommeil; & qui
n'offrent , pour l'ordinaire , d'autre indi
cation, quand ils font fouvent reproduits,
que le caractère , la conſtitution , la réminifcence
, les occupations , ou la qua
lité des alimens dont uſe communément
l'homme qui rêve. M. de la Vaupiere , en
prend de là occafion de tourner en ris
dicule la fourberie des Interprétes , la fu
perftition des Crédules , & la bonhommie
de ceux , d'entre les hiftoriens , qui ont
tranfmis à la poftérité , fur la foi d'une
tradition puérile , une foule de contes
miférables , qui déparent la gravité de
Phiftoire, & le difcernement de l'écrivain.
4.e
Le même Académicien , lut encore ,
un Conte en vers , dont le fujet étoit tiré
des Fabliaux des 12 , 13 & 1 fiécles.intitulé
, la bourse pleine de fens ; M. l'Abbé
Deffertines,une Ode tirée du Pfeaume 225
& un Dialogue de M. de la Louptière ,
entre Houdart de la Motte , & Nivelle de
la Chauffée.
M. Pezant , Secrétaire , termina la
féance, par une critique en vers, de l'édu
cation qu'on donne aux jeunes perſonnes
du fexe , qui entrent dans le monde ; fous
le titre de , Confeils à la jeune Iris....
AVRIL. 1760. 135
Dans les féances précédentes , on avoit
lû entr'autres ouvrages , une differtation
fur les trombes marines ; & des obſervations
météréologiques, par M. Goutard ,
Médecin ; la fuite des Mémoires hiftoriques
, fur le Beaujollois , par M. de la
Vaupiere ; l'explication d'un paffage de
l'Ecriture , tiré du Livre d'Efther , fur le
pays dont Aman , tiroit fon origine , par
M. l'Abbé Michel ; les parallèles des Poëfies
facrées de Rouffeau , & de M. Lefranc
, par M. l'Abbé Deffertines ; un Mémoire
pour fervir à quelques parties de
l'hiftoire du Beaujollois , & furtout , à
celles des Manufactures , & du Commerce
de cette Province ; & la théorie
du blanchiffage des fils & des toiles , par
M. Briffon ; une Differtation fur l'origine
de la Nobleffe Françoiſe , par M. l'Abbé
de Buffy ; un Mémoire hiftorique , fur la
nature & fur la perception des droits de
Franc-fiefs , & fur l'exécution de ces
droits, reclamés par les habitans du Beaujollois
, par M. Pejont.
136 MERCURE DE FRANCE.
REFLEXIONS fur la Médecine.
LA véritable Médecine , ne confiftera
jamais qu'en un amas, plus ou moins grand,
d'obfervations & d'expériences fûres &
précifes , qui nous apprennent quelque
chofe fur la nature des maladies , & fur
la vertu des remèdes ; & dans le jugement,
qui fçait faire de ces expériences un
ufage plus ou moins certain , & plus ou
moins étendu. Tous les efforts que les fçavans
ingénieux & fyftématiques font
pour perfectionner la phyfique du corps
humain , & avancer le progrès de la Médecine
, ne font qu'ajouter à l'incertitude
de cette fcience. Quant à la théorie
, tout eft problématique , tout eft
contreverfé : il n'eft aucun point , où
les plus célébres Auteurs, ne fe trouvent
en oppofition .
L'obfervation,apprend fouvent, en Mé-
'decine , ce que le raiſonnement ne trouveroit
jamais.
L'expérience , ne pourra jamais conduire
la Médecine à fa perfection , fans
le raiſonnement ; & le raifonnement rendra
toujours cette fcience incertaine &
problématique.
AVRIL 1760 . 137
Nous connoiffons trop peu tout ce qui
conftitue l'économie animale ; nous ne
fçavons ni la compofition des folides ,
ni celle des fluides ; nous ignorons la maniere
dont s'exécutent les principales
fonctions de notre corps ; comment ſe
forme le fang ; la nature & les propriétés
de ce liquide , & des différentes
humeurs qui en dérivent ; comment le
fait le mouvement animal ; l'influence
de l'âme fur le corps , & tous les rapde
cette influence dans les différens
états de fanté & de maladie ; l'influence
de l'air fur notre machine : encore moins
connoiffons nous toutes les altérations
vicieufes dont notre fang , & nos humeurs
font fufceptibles , & toutes les différentes
manieres dont nos fibres perdent
la difpofition qui les conftitue dans
l'état de fanté.
ports
Un Médecin, qui fçait fon art , eft ſouvent
réduit à avouer qu'il ne comprend
rien à la maladie qu'il voit ; & dans ces
occafions il eft encore très - utile , en ce
qu'il n'entreprend rien qui puiffe nuire au
malade le Médecin ignorant , croit toujours
connoître la maladie , & voir ce
qui n'eft pas dans la nature : il eft d'autant
plus dangereux , qu'il agit, avec plus
de fécurité & de hardieffe .
138 MERCURE DE FRANCE.
Un Médecin, pour travailler avec quelque
certitude & quelque fuccès , auroit
befoin de connoître tous les tempéramens
individuels : car il y une dif
férence inconcevable entre les corps ,
qui d'ailleurs fe reſſemblent tant !
Dans les maladies aignes , on doit recourir
aux remèdes : dans les maladies
chroniques , on doit s'en tenir au régime.
J'excepte celles , qui ont leurs fpécifiques.
Pour pouffer , autant qu'il eft poffible ,
les découvertes fur l'éfficacité des remé
des ; il faudroit pouvoir diftinguer les
cas où la guérifon eft abfolument due
à leur action , de ceux où elle n'eft que
l'effet des opérations de la nature. Il
faudroit encore , que l'éfficacité du reméde
, qui a produit la guériſon , ne fût
point rendue équivoque par la multipli
cité , & la différence des remédes qu'on
employe fouvent dans le même tems.
S'il y a quelque chofe qui foit capable
d'ôter la confiance que l'on pourroit
avoir en la Médecine , c'eft la différence
étrange qu'il y a entre les remédes que
les Auteurs prefcrivent pour les mêmes
maladies.
Dans les maladies , qui ne font pas
directement mortelles , la Médecine eft
très-utile , en ce qu'elle eft ordinairement
AVRIL. 1760. 159
füre de guérir , qu'elle abrége la gnérifon
, & qu'elle prévient les fuites fâcheufes.
Dans les maladies mortelles , elle
eft peut- être aufſi ſouvent nuifible que falutaire
; en ce qu'elle croife fouvent la
nature , ou qu'elle hafarde des remédes
qui la troublent , & l'offenſent.
On ne connoît guères que les maladies
qui naiffent des évacuations fupprimées
, & des différentes corruptions qui
s'engendrent dans les premieres voyes :
celles qui dépendent des affections morbifiques
des nerfs & des altérations
vicieuſes du fang , de la lymphe, & du fue
nerveux , font encore des énigmes.
Il n'y a rien de certain , ni dans les
caufes des maladies , ni dans les fymptomes
, ni dans les remédes & c .
On n'enviſage , ordinairement , que la
guérifon ou le foulagement des fymptomes
, en traitant une maladie ; tandis
qu'il faudroit fe propofer de combattre
la caufe prochaine qu'on ignore , & qui
exigeroit très - fouvent des remédes bien
oppofés à ceux qui paroiffent remplir
les indications que les fymptomes fourniffent.
On eft partagé fur la maniere de guétir
les maladies , même les plus communes.
Par exemple ; parmi les Médecins
140 MERCURE DE FRANCE.
•
les plus célèbres , il y en a autant qui
employent la faignée dans le traitement
des fiévres intermittentes , qu'il y en a
qui l'excluent.
On juge prefque toujours mal , quand on
juge de la vertu des médicamens , & des
caufes des maladies , par les effets qu'on
obferve après l'application des remédes ;
effets très fouvent équivoques. Il eft rarement
fûr , que le changement qui ſuit un
reméde, foit le produit de fon action . Plufieurs
remédes, employés en même tems ,
produisent une action combinée , qui peut
donner une idée fauffe de la nature de la
maladie, & de l'effet de chaque reméde en
particulier d'ailleurs les effets d'un remédes
font fouvent produits par un changement
phyfique , très-différent de celui
que nous imaginons être néceffairement
attaché à l'application de ce reméde.
Il feroit fouvent difficile de déterminer
fi les bons effets d'un remède , ne font
pas inférieurs aux inconvéniens dont il eft
fuivi , & au préjudice qu'il caufe dans la
fuite à l'oeconomie animale.
Dans le cas même où l'on croit avoir
des indications claires , pour preſcrire un
reméde ; eft- on fûr de ne pas ignorer des
contre-indications cachées , que la plus
grande fagacité ne peut pénétrer? Le corps
AVRIL. 1760. 141
humain eft fi compofé ! l'harmonie qui le
foûtient , tient à un fi grand nombre de
dépendances , & de mouvemens fi délicatement
& fi merveilleufement combinés
, qu'il n'eft prèfque pas poffible de
saffurer que le moindre changement
qu'ony apporte , quelque avantageux &
néceffaire qu'il puiffe paroître , ne fera
pas fuivi d'un dérangement notable.
L'action immédiate des remédes , dans
le corps humain , fera toûjours un myftère
, quelque effort que faffent les Médecins
pour l'expliquer . Cette action eſt
fi difficile à comprendre , que le même
remède , pris dans la même circonftance ,
produit fouvent des effets entiérement oppofés
dans les différens tempéramens .
Un reméde , donné pour refferrer, relâche ;
un reméde , qui doit adoucir , irrite & c .
Que de maladies , dont on ignore encore
la nature ! On ne connoit point les
virus vérolique , fcorbutique , écroüelleux,
cancereux , hydrophobique , variolique ,
&c. Eh ! peut-on traiter une maladie avec
une certitude entiere , quand on ignore
fa caufe prochaine , fon être immédiat ?
nous dirigeons la cure , en raisonnant fur
les effets éloignés de la malad e & des remédes.
A combien de méprifes , d'erreurs,
& de hazards , n'eſt pas expofée une telle
pratique ?
142 MERCURE DE FRANCE.
La mode , s'étend jufqu'à la pratiqu
médicinale. On oublie , on abandonn
des remédes excellens , parce qu'ils for
anciens; & on employe, obftinément , de
remédes que la nouveauté rend fameux
malgré le peu de bien qu'on en retir
Bien plus ; la mode nous dégoûte de
opinions très-folides , parce qu'elles
trouvent dans de vieux Auteurs , qu'o
ne lit prefque plus ; & elle nous attach
à des opinions bizarres , & qui ont
peine la plus légere vraisemblance : parc
qu'elles font nouvelles , & qu'elles paroi
fent dans des ouvrages qui ont du cours.
Si nous avons quelque chofe de fûr, e
remédes , c'eft les fpécifiques ; & nous n'a
vons de bons remédes, que ceux qui tien
nent un peu de la nature des fpécifiques.
Le peu d'analogie qu'on apperçoit, en
tre la nature des fpécifiques & celle de
maladies qu'ils guériffent , doit rendr
fufpect les raifonnemens qui nous déci
dent pour le choix des médicaments
dont l'action paroît s'ajuster à la caufe de
maladies pour lesquelles nous n'avon
point de fpécifiques. Qui eût jamais dit
fi l'expérience ne l'avoit appris , qu'un
écorce groffière , pût combattre une ébul
dition du fang , une fermentation fébrile
Qui eût jamais penfé , qu'une racine très
AVRIL. 1760! 143
âcre , eût été propre à guérir un état inflammatoire
des inteftins ? que le mercure
, incapable d'altération & ¡de changement
, étant infinué par les pôres de
la peau , pût détruire le virus vérolique
intimé avec la fubftance des os ? que le
vitriol blanc , en irritant & en picotant
avec violence , dût emporter promptement
l'inflammation des yeux , organes
fi délicats ? &c.
Dans les maladies compliquées ; quelque
judicieux qu'on puiffe être , on ne
fçauroit prendre qu'un parti très-hazardeux.
Le danger fe mefure fur l'impoffi
bilité de connoître jufqu'à quel point s'étendra
l'effet d'un remède , qui eft contraire
à certains égards ; & jufqu'à quel
point, l'excès de l'effet de ce reméde boulverfera
l'oeconomie animale . Il y a en
core un très -grand inconvénient , en ce
qu'en voulant fatisfaire à des indications
oppofées , on preſcrit des remédes dont
les effets s'entredétruifent ; ou dont l'action
, qui réfulte de leur mêlange & de
leurs opérations confondues ou alternatives
, produit de grands défordres dans
notre corps.
•
Si la médecine étoit plus parfaite , elle
feroit plus fimple & plus uniforme ; elle
feroit débarraffée de ce fatras immenſe de
#44 MERCURE DE FRANCE.
remédes & de formules : la pratique médicinale
feroit toûjours la même , & les
différences qu'elle exigeroit , par rapport
aux différens climats , aux différens tempéramens
&c. feroient également fixées.
La chofe la plus commune , feroit fouvent
le meilleur reméde ; & on guériroit , trèsfouvent
les malades , fans les obliger d'avaler
les drogues les plus révoltantes , &
dont le dégoût eft quelquefois plus difficile
à furmonter , que le mal ne l'eſt
à endurer.
La pratique médicinale , préfère aujourd'hui
les remédes fimples aux remédes
compofés. Cette méthode feroit , fans contredit
, la plus avantageufe , fi on pouvoit
toujours trouver dans une feule drogue ,
affez de vertu pour guérir. Mais comme il
eft ſouvent néceffaire d'en réunir plufieurs,
pour avoir , dans l'affemblage de toutes ,
le degré de vertu qu'il faut pour détruire
la maladie : il eft vrai auffi , que ce mêlange
de drogues , a plufieurs inconvéniens.
Le principal eft , qu'on n'eft jamais bien
fûr de l'effet qui doit réfulter d'un tout
compofé de diverfes drogues , dont l'affociation
peut changer les propriétés .
Les remédes n'agiffent , qu'en changeant
le mouvement fyftaltique des folides
; ou en altérant la conftitution des
fluides :
AVRIL. 1760 . 145
fluides or la différence infinie de la nature
des fibres , & de la qualité dans les
humeurs , dans les divers fujets , fait que
le même reméde , dans un cas femblable ,
opère un changement falutaire aux uns ,
& très-nuifible aux autres ; comme l'expérience
nous le fait voir. C'est pour- '
quoi il faudroit , fouvent , pour guérir une
maladie , un reméde tout -à- fait différent
de celui qu'indique le rapport que le raifonnement
fait appercevoir , entre la nature
de la maladie , & les effets connus ›
d'un tel remède .
Les moindres incommodités , font les
plus difficiles à expliquer , & à guérir .
Il ne faut pas moins de jugement &
de fagacité, dans l'appliquation des fpéchiques
, que dans l'ulage des autres remédes.
Il eft un grand nombre de maladies ,
qui le déclarent fi peú , fi confufément ,
& par des fignes fi obfcurs ou fi équivoques
, qu'il eft prèfqu'impoffible de
difcerner ni ce qui conftitue l'état morbifique
ni ce qu'il faut faire pour y remédier.
Qu'on doit plaindre un malade , dont
la maladie dépend d'un vice ou dérangement
organique intérieur & profondément
caché , qu'on ne peut deviaer, &
I, Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
qu'on ne foupçonne fouvent pas ! On faifit
de fauffes indications ; on eſſaye de tous
les remédes ; le malade a à fouffrir &
fọn mal , & l'uſage défagréable des remédes
qui ne font pas faits pour le guérir !
Je défapprouve, en Médecine , les méthodes
générales de guérir , que les Auteurs
tracent dans les traits des différentes
efpèces de maladies : on ne peut en faire
ufage , fans s'appercevoir bientôt qu'elles
font impraticables , très- défectueufes , &
qu'elles ont befoin d'être infiniment modifiées
. La diverfité des tempéramens ,
des climats , des âges , des faifons ; les
différens degrés de la maladie ; les différentes
difpofitions des malades , & c . dé
tournent l'application des règles générales,
& exigent un fi grand nombre d'exceptions
, que ces règles ne fubſiſtent
plus. Un Médecin ne devroit jamais avoir
pour guides , dans la pratique , que les
connoiffances générales de la nature des
maladies , & des effets des remédes ; &
adapter ces connoiffances , aux vues que
peuvent lui fournir toutes les circonftances
combinées de la maladie.
Le concours des fymptomes qui caraçtériſent
une maladie , ne défigne jamais
fûrement fa caufe prochaine. Combien
de fois , l'ouverture des cadavres a- t-elle
AVRIL. 1760. 147
montré,que la caufe d'une maladie étoit
toute autre que celle que les fymptomes
annonçoient ? On ne peut employer trop
d'attention & de fagacité , quand on veut
déduire de tous les fignes que préfente
une maladie , la connoiffance de la caufe
immédiate qui la produit.
Le reméde le plus doux , le plus fimple ,
& le moins malfaifant , peut devenir extrêmement
pernicieux & meurtrier , s'il
eft donné dans une circonftance où fes
effets foient capables de déranger quelque
opération falutaire de la nature .
Quel est le Médecin qui peut deviner ,
dans le cours d'une maladie , les mouvemens
que la nature excite pour travailler
àla guérifon, & qui interdifent l'ufage des
remédes qui paroiffent d'ailleurs trèsinnocens
& très indiqués ?
Les maladies qui embarraffent le plus
un Médecin , font celles qui ne préfentent
que les fymptomes , qui font communs à
plufieurs maladies différentes.
Il arrive ſouvent , dans la pratique médicinale
, que le reméde produit l'effet
que fe propofe le Médecin ; mais en agiffant
d'une toute autre manière qu'il n'imaginoit.
On n'eft prèfque jamais fûr , en médeecine
, que l'action d'un remédé qu'on
}
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
employe pour guérir une maladie , ne
caufera point une autre maladie auffi
grande , ou même plus grande."
Dans les maladies difficiles, le Médecin
concoit des vuës curatives , que l'imagination
lui fournit ; & qui font fouvent
très - éloignés des intentions de la Nature.
La faignée & la purgation , font deux
remédes d'un ufage très- étendu ; & c'eſt
peut être parce qu'ils touchent aux cauſes
des maladies les plus ordinaires , & les
plus fréquentes , qu'on en fait un fi grand
abus. Cet abus peut encore procéder, de
ce que leur ufage eft ordinairement fondé
fur des indications , qui ne font pas allez
fûres,
La faignée , la purgation , & les fpécifiques
, font les feuls remédes dont on voit
des effets affez évidens & peu équivoques,
pour la guérifon des maladies.
Il faut quelquefois des remédes , qu'on
appelle préparans , dans le traitement de
plufieurs maladies ; mais on fait fouvent
un trop long circuit , avant d'en venir à
ceux qui attaquent immédiatement la
caufe du mal.
Il y a deux excès уа , dans la pratique, médicinale
: l'un, confifte à n'employer jamais
que des remédes doux ; l'autre , à n'employer
que des remédes violens.
AVRIL. 1760. 149
.
Il eft des cas , où il eft prèfque impoffible
de difcerner , fi le mauvais état d'un
malade dépend de la foibleffe & de
l'épuisement qui peut réfulter d'une longue
& grande maladie ; ou s'il eft le produit
des caufes perfévérantes de cette même
maladie.
Les attentions les plus fimples , les plus
communes,& qui font fouvent les feules
néceffaires dans le traitement des maladies
, échappent quelquefois à la fagacité
des Médecins les plus habiles & les plus
expérimentés.
Ce grand principe de médecine , que
lart ne doit qu'aider la nature , n'eft ni
exact , ni affez univerfel . Il fuppofe, que
la nature fait toujours des efforts pour fe
débarraffer de ce qui lui eft contraite ; &
cela eft faux. Les mouvemens qu'elle excite
fouvent dans les maladies , loin de
tendre à l'en délivrer , font plutôt euxmêmes
des effets nuifibles du mal , ou d'autres
maux encore pires que ceux dont
ils nailent. Ainfi on doit fubftituer à ce
principe que nous réfutons , celui - ci , qui
feroit d'une plus grande généralité, & qui
feroit vrai à tous égards : que tout le but
de l'art , eft de redreffer la nature.
Il réfulte , de ces obfervations ,
médecine fera toujours bien imparfaite
que
la
G iij
so MERCURE DE FRANCE.
& qu'on devroit en interdire l'exercice à
tout homme qui n'eſt pas en état de donner
des preuves certaines d'un jugement
fain , droit , lumineux, & profond.
PROBLEME GÉNÉALOGIQUE.
M.P'Abbé de Marolles , ayant confidéré
que chaque homme a un pere & une
mere , deux grands- peres & deux grandsmeres
, & ainfi de fuite ; en forte que le
nombre de fes ancêtres fe multiplioit en
proportion géométrique , ou en raifon
double : il en a fait le calcul, pour un cer
tain nombre de degrés. Et comme il eft
bientôt parvenu à une fomme prodigieufe,
en s'y arrêtant ; il en a conclu , que quelqu'homme
que ce foit , fuppofe exiſtant ,
fort néceffairement de tous ceux qui vivoient
dans un tems donné , grands &
petits.
*
Il foutient donc , qu'il n'y a pas non
feulement de gentilhomme , mais de
laboureur , qui ne foit réellement iffu de
tous les Princes & les Rois qui vivoient
il y a fix ou fept cens ans ; comme il n'y
a pas de Rois , qui ne tirent leur origine
de tous les laboureurs du même tems.
AVRIL 1760. 151
Effectivement , en fuivant ce calcul ,
feulement jufqu'à la vingtième génération
; on trouve , que chaque homme , a
plus d'un million de peres ou de meres ;
& plus d'un million de peres , feulement
à la vingt-uniéme . Or , à la vingt- quatriéme
, on en compte plus de feize millions
: c'eft- à-dire , que chaque François
auroit , il y a environ 500 ans , plus
d'ancêtres que la France ne contenoit de
gens mariés.
Ila même fait l'application de ce principe
, à fa propre perfonne. Et en prenant
au hazard des Princes & des Rois , dont
la généalogie plus connue eft aisée à lier
avec celles dont on conferve des preuves:
il a démontré , qu'effectivement , il en
étoit iffu . La même rentative , a réuffi
pour plufieurs autres maifons .On ne peut,
avec la même facilité , remonter aux fources
roturières, qu'il reconnoît également ;
parce qu'on n'a pu prendre le même foin
dy conferver l'ordre des filiations . Mais
le principe fuppofé , ( & démontré felon
lui;) la conféquence lui en a paru évidemment
néceffaire.
I
Telle eft la folution de ce problême
fameux que donna , il y a un fiécle , će
laborieux écrivain. Tout le monde en fat
frappé ; & l'application parut répondre fi
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
heureufement au principe , qu'elle fut
adoptée par d'autres Auteurs ; & qu'on
ne penfa ni à la contredire , ni à la foumettre
à un nouvel examen .
Cet examen , négligé jusqu'ici ,m'a paru
curieux , & je l'ai fait , & il m'a démontré
la fauffeté de la folution de l'Abbé de
Marolles.
PREMIERE PREUVE. Si de la vingtiéme
génération , à laquelle nous nous fommes
arrêtés , nous paffons à la trentiéme ; la
méthode fuppofée nous donnera , pour
chaque homme , plus d'un milliard d'ancêtres
: c'eft- à-dire , plus que la terre entiere
n'en a jamais porté à la fois .
Mais fi nous fuivions ce calcul jufqu'au
temps de Noë; il en refulteroit, qu'alors ,
le nombre de ces ancêtres étoit égal , &
peut- être fupérieur à la fomme générale
de tous les hommes qui ont exifté fucceffivement
dans le cours des fiécles. Il
n'eft pas besoin de pouffer davantage ce
raifonnement ni de remonter jufqu'à
Adam , pour faire fentir l'abfurdité de la
fuppofition : puifqu'au temps de Noë ,
comme dans celui des premiers hommes ,
. ce nombre prodigieux d'ancêtres que donne
le principe , fe trouve cependant réduit,
dans le fait , à celui de deux perfonnes.
>
AVRIL. 1760 . 153
>
SECONDE PREUVE, qui indique la caufe de
l'erreur , & une autre folution au problême.
Si le mariage entre freres & foeurs avoit
continué d'être néceffaire comme au
temps d'Adam & de Noë ; ou fi l'ufage
s'en étoit confervé , comme chez les Perſes
; on voit clairement que le pere & la
mere de chacun , ayant les mêmes peres
& meres , le monde durât- il cent mille
ans , la multiplication fuppofée, n'auroit
aucun lieu ; & que , quelque degré que
ce fût , on ne compteroit jamais que
deux
ancêtres.
Ne permettons les mariages , qu'entre
coufins - germains; cette hypothèſe donne
deuxgrands
-pères & deux grands - mères
à
l'enfant
Si
les
deux conjoints
, font
cousins
gerqui
en
fort
; ou
quatre
ancêtres
.
main
d'uu
feule
côté
, ils
auront
, à la
vérité ,
fix
ancêtres
au
troifiéme
degré
,
a
lieu de huit
; mais
s'ils
étoient
coufinsgermains
des deux côtés , ils n'auroient
également que
quatre
ancêtres
à ce
degre:
parce que
les
mêmes
ancêtres
le feroient
à
plufieurs
titres
.
de
l'Abbéde
Marolles
, eft
inapplicable
, par
left
donc
évident
, que
la
fuppofition
exemple
, à
un
peuple
comme
celui
des
que
l'ufage
, &
même
la
loi
, obligeoient
à ne
point
contracter
d'ailliance
Juifs ;
Gy
154 MERCURE DE FRANCE :
étrangere ; & même à s'affujettir à la même
tribu; & , par préférence , à la même
famille.
pas
Nos loix étant différentes , nous donnent
nécefairement une plus grande diverfité
d'ancêtres. Mais ce que ne font
les loix , les ufages , & les convenances
en raprochent. On prend peu d'alliances
hors de fon Royaume , hors de fa Province
, hors de fon canton ; la diftinction
des états & des claffes , refferre encore la
fphère dans laquelle on pourroit s'étendre.
pas
En prenant donc les chofes dans l'état
où elles font par nos loix, & ne faiſant
même d'attention aux diſpenſes , quoique
fréquentes , qui permettent les mariages
aux degrés prohibés ; partons de la loi
même , & diſons,qu'on peut à la cinquième
génération, compter trente- deux ancêtres
par chaque homme . Mais ce degré paffé ,
non feulement il eft poffible , mais il eſt
ordinaire , mais il eft prèfque néceſſaire ,
que les races rentrent les unes dans les
autres , & que ces différens ancêtres remontent
par divers rameaux à des fources
communes.Il eſt donc non feulement poffible,
mais aſſez vraisemblable, qu'à la ving
tiéme génération , il y aura tels hommes
qui ne compteront pas plus de deux ou
Trois cens ancêtres , nombre qu'on leur
donneroit dès la huitième.
+
T
AVRIL 1760. Iss
Le nombre a dû même être moins
grand , à mesure qu'on a été plus attaché
à ne contracter que des alliances afforties,
& que les conditions ont été moins mêlées.
Le petit nombre des nobles, finit dans leurs
Provinces par leurs Fiefs : le peu d'ufage
des roturiers d'abandonner ou les terres
ou les villes qui les avoient vû naître
les obligeoient, de part & d'autre, à s'allier
dans leur voifinage, & dans leur état .
#
La régle que j'ai indiquée , fubfifte encore
dans le peuple qui derneure peuple ,
parceque le Colon a très--peu de moyens ,
& moins de goût pour s'expatrier, & chercher
au loin des alliances qu'il trouveroit
difficilement fans connoiffance & fans
fortune. De-là , tant de mariages dans cet
ordre, faits contre la loi, c'eft- à- dire à des
degrés prohibés , qu'on eft obligé de rehabiliter
, quand les parties viennent à
être inftruites ; & plus encore , de même
nature,qu'elles n'approfondiffent jamais.
Depuis que les méfalliances font deve
nues fréquentes , & que la finance & le
commerce ont donné tant de moyens aux
roturiers de changer de place , comme
d'état , cette régle eft moins générale
pour la Nobleffe. Mais l'origine de cette
confufion, eft très- moderne ; & il n'y a pas
deux fiécles , qu'on comptoit encore les
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
méfalliances dans - les familles nobles ,
& qu'on ne les voyoit qu'avec étonne-
.ment .
Il est donc très-apparent , que quand
l'Abbé de Marolles auroit pû recouvrer
les filiations de cinq ou x cens familles
roturieres,même des meilleures de fa
province
, depuis 5 ou 600 ans ; il n'auroit
pû remonter par la fienne, je ne dis pas à la
fouche de chacune ( comme il le prétendoit
) mais à celle d'un grand nombre ,
& peut-être d'anciennes . Si donc il a été
plus heureux , dans l'application de fa méthode
à des maiſons illuftres , c'est que la
fienne même participoit à cette illuftration
par un nombre confidérable de grandes
alliances, qui fuppofent toujours , furtour
à proportion de leur ancienneté ,
une grandeur propre à la maiſon même
qui les a contractées .
·
Il eft donc très faux qu'autant de fang
vil fe foit tranfmis dans celui des grands
Seigneurs & des Princes ; comme il eſt
impoffible que beaucoup de fang illuftre ,
ait paffé dans les veines des gens du peuple
, ou de fortune.
Par l'état actuel , mais moderne des
chofes , il n'y a peut- être point de Souverain
qui ne compte parmi les ancêtres ,
quelqu'homme nouveau ; comme on peut
AVRIL. 1760." 157
fuppofer plufieurs familles roturières , qui
remontent leur origine par quelqu'une
de leurs mères , à une ou deux tiges illuftres
: mais en général , les familles nobles ,
anciennes , & les grandes maifons , en remontant
leurs degrés , rentreront les unes
dans les autres ; & dans un efpace de
temps , même très- court , on verra les
Souverains fortir plufieurs fois du même
Prince.
Il n'en faut pas un exemple plus frappant
, que celui du Roi même ; qui felon
les tables qui en ont été dreffées par M.
l'Abbé Dangeau & par M. Chazot , eft
prouvé fortir par fept branches différentes
de Henri le Grand ; qui n'eft , cependant
, que fon quadrifayeul . Cet exemple
feul, renverfe de fond en comble tout
l'édifice de l'Abbé de Marolles , & juſtifie
pleinement la folution du problême que
j'ai fubftituée à la fienne.
On peut donc être affuré , qu'il n'y a
point de maifon vraiment grande , qui
compte beaucoup d'ancêtres anciens dans
la roture ; comme il n'y a que les grandes
maifons , qui puiffent remonter par
beaucoup de rameaux , à des origines diftinguées.
Le Pere Méneftrier , donna,d'après MM.
de Ste Marthe , un catalogue d'environ
138 MERCURE DE FRANCE
200 maiſons , qui prouvent leur defcen
- dance de celle de France ; & fur ce principe
feul , il les mettent au nombre de la
grande & de la haute Nobleffe .
:
C'eft, fans doute , une très-grande illuftration
, qu'une pareille origine : mais fi
elle n'étoit fondée que fur une feule alliance
; fi d'ailleurs , la famille qui s'en honoreroit
, ne prouvoit pas une ancienneté
de plufieurs fiécles , fans qu'on pût indiquer
fon commencement ; fi elle n'y joignoit
pas d'autres alliances , qui fans érre
égales , ne laifferoient pas d'indiquer la
confidération dont elle jouiffoit : je ne
croirois pas que ce caractère unique , dût
lui faire adjuger l'égalité avec les plus
grandes maiſons.
Mais il n'y en aura aucunes qui aient
intérêt de difputer ce titre , à celles qui
juftifiant qu'elles font alliées à grand
nombre d'entr'elles , auront encore fur
plufieurs des meilleures, l'avantage de tirer
leur fource du fang royal , ou d'autres
maifons fouveraines ; furtout fi c'eſt
par plufieurs différens côtés.
*
AVRIL 1760. 159
LETTRE de M. N. Echevin de Bolbec ,
à M. l'Abbé VOSGIEN , Chanoine de
VAUCOULEURS.
J'ai été furpris , Monfieur , en parcou- ΑΙ
rant votre Dictionnaire , de ne point y
trouver Bolbec , quoiqu'il contienne des
lieux bien moins confidérables . Il a eu
chez vous le même fort, que dans la plûpart
des Dictionnaires géographiques . A
l'exception d'un , ou de deux , je n'en
connois point qui ayent fait mention de
lui. Vous me pardonnerez , de m'intéreffer
à l'honneur de ma patrie : j'eſpère
fournir affez de chofes, pour n'être pas accufé
de partialité en fa faveur.
Bolbec on Bolabec , eſt un bourg * placé
dans une vallée fort étroite , coupée par
un grand ruiffeau , qui donne fon nom à
la bourgade. Le ruiffeau , prend fa fource
dans le lieu même , au pied d'une colline
couverte de bois , d'où lui eft venu , fans
doute , le nom de Bofc- Lebec , comme
qui diroit , le ruiffeau qui prend fa fource
dans le bois. De là , après des caſcades
* Dans le Pays de Caux , en Normandie.
160 MERCURE DE FRANCE.
très- fréquentes , qui font tourner plus de
trente moulins , tant à foulon , qu'à bled ,
dans l'étendue environ d'une lieue depuis
fa fource , il roule des eaux affez
tranquilles , jufqu'à la Seine , où il va
perdre fon nom .
L'air eft fort bon dans , cette vallée :
tous les étrangers établis dans le lieu , s'en
louent beaucoup ; & les Officiers en garnifon
aux environs , quittent leurs quartiers,
dans leur convalefcence, pour venir
refpirer l'air de Bolbec. Il n'y manque
que des eaux minérales, pour le mettre en
réputation . La grande route de Rouen
au Havre , qui , fuivant le nouveau plan ,
doit y paffer, le fera connoître. Le bourg
eft à douze lieues , environ , de cette capitale
, & à fept de ce port , à cinq lieues
de Caudebec , d'Yvetot , de Fefcamp ,
de Montivilliers , de Harfleur.
Bolbec a un marché, dont le droit appartient
à M. le Duc d'Harcour : la halle
eft ouverte , le lundi & le jeudi . La foire
releve de trois Seigneurs; elle tient le lendemain
de la S. Michel ,à moins que cette
fête ne tombe le famedi , le dimanche,ou
le lundi ; car , alors , la foire eft remife
au jour qui fuit celui du marché .
Il
y a deux hautes Juftices , qui tiennent
leurs audiences à Bolbec : celle de Lille-
7
AVRIL. 1760. 161
bonne,& celle de l'Abbaye de la Valaffe.
Mais les Officiers ne réfident point dans
le bourg : les habitans du lieu n'aiment
pas affez les procès , pour attirer chez eux
des gens de juftice. Le commerce & le
travail , occupent les Bolbecois : il n'y a
parmi nous aucun gentilhomme, perfonne
qui vive de fon bien , pas un feul oifif.
Nous avons une marque de frocs, & une
belle halle à la toile , dont la plupart
des Marchands & des Fabriquans, ne font
point du lieu. Ce qu'on y fait le plus , ce
font des mouchoirs , commerce, peu lucratif.
Mon pere , eft le premier , qui ait
commercé avec l'étranger ; & c'est peutêtre
lui qui a apporté à Bolbec,l'émulation
pour le commerce . Mais dans les petits
endroits, on travaille beaucoup fans s'enrichir
tel a été le fort de tous mes compatriotes
. Ils font fobres dans leur nourriture,
propres, mais fimples dans leurs habits
& dans leurs meubles , francs dans leur
conduite , fincères dans leurs difcours ,
fidèles dans le négoce : ils font tous fort
laborieux , & ne laiffent point oififs les
plus tendres enfans ; & cependant ils ne
font pas riches !
Les Proteftans , à- peu- près Calviniftes,
font chez nous en grand nombre les
hommes , parmi eux , fe mêlent peu de
[
162 MERCURE DE FRANCE:
:
C
religion : ce font les femmes qui font leurs
docteurs.
Ilya à Bolbec quatre bénéfices ; le
Prieuré du Val- Angrez , Chanoines réguliers,
à la nomination du Roi ; un Prieuré
relevant de l'Abbaye de Bernay , à la
nomination de l'Abbé ; la Cure, & la Chapelle
de Fontaine , à la nomination de M.
Fontaine-martel , au droit de' Madarne ,
fille & héritiere des d'Eftains.
La Manufacture d'Imprimerie , en différentes
couleurs, fur étoffe de laine , eft
la plus célèbre & la premiere , qui ait été
établie en France : le fecret fut apporté
d'Angleterre , vers 1730. D'autres Manufactures
fe vantent d'avoir le même fecret
; mais Bolbec eft für du fien. "Only
imprime encoré fur des toiles du pays . Le
choix des deffeins , le bon goût & le travail
, l'emportent fur les indiennes d'Angleterre.
Vers le penchant d'une colline, à deux
- endroits différens , à Bolbec , on trouve
des coquillages foffilles , en une quantité
prodigieufe : d'un côté , ils font dans un
fable d'un vert gris ; d'un autre côté , les
coquillages fe trouvent dans la terre
glaife , de la même couleur que le fable :
De la réforme de M. Moulin .
AVRIL. 1760. 963
tous fe fentent de la qualité de la terre
où on les trouve. Tout ce qui approche
de ce fable vert , paroît rouge ; les
hommes , leurs habits , leurs chevaux , 'y
femblent prendre une teinte claire de
laque pardeffus leur couleur propre , ou
paroiffent comme fi on les voyoit à travers
un vèrre de couleur de laque. }
On pourroit ajouter aux chofes remarquables
, l'habit fingulier que portent les
femmes du lieu ** ; il feroit difficile d'en
marquer l'origine peut- être tous ces habillemens
particuliers , ne font ils que des
anciennes modes autrefois affez générales
, & que chaque canton aura retenues
felon fon goût. Peut-être auffi , ces habits
étoient- ils propres à chaque petit peuple
de la Gaule , lefquels fefont confervés
dans le lieu de fon ancien domaine. Ce
* J'ai éprouvé les mêmes effets fur deux collines
couvertes du même fable , en baffe Normandie,
Peut-être cela vient-il de ce que la réflection
des rayons verts , eft fi forte , qu'elle ne laille
paller en plus grande partie , que les rayons
Touges & réfléchis par les objets : ces rayons ont
plus de force que les autres , pour vaincre la réfiftance.
** Cet habit, eft connu à la Cour Madame
Conftant
, qui a été appellée de Bolbec , pour
nourrir M. le Comte de Provence , l'y a porté quelque
temps
.
484 MERCURE DE FRANCE.
qui me faifoit conjecturer que celui des
femmes de Bolbec , qui eft peut- être le
plus fingulier de France , eft auffi un des
plus anciens.C'est ce grand voile,qui leur
fert de coeffure , qu'elles portent ordinai-
: rement relevé en devant fur la tête , &
qu'elles abaiffent fur leur vifage dans le
deuil. Cette conftance à retenir les anciens
ufages, pourroit bien juftifier , en paretie
les femmes , de la légèreté dont on les
accufe.
Voilà , Monfieur , bien des chofes fur
un petit endroit ; c'eft à vous à faire, avec
votre difcernement ordinaire , le jufte
choix de celles qui conviennent davantage
à un Dictionnaire abrégé , comme
le vôtre , pour la prochaine édition.
Je fuis & c .
AVRIL. 1760.
ARTICLE
IV.
BEAUX
ARTS.
ARTS UTILE
S.
LETTRE de M. DE LA CONDAMINE
à M. DANIEL BERNOULLI .
AvVANT que de vous rendre compte ,
Monfieur , du dernier & principal article !
de la troisième lettre de M. Gaullard , &'
de l'honneur qu'il me fait de me choisir ,
pour effayer für moi trois différentes ma- :
nières d'inoculer , je veux bien encore le fuivre
dans quelques digreffions, où il s'écarte
un peu de fon fujet.
Il croit , dit-il , favoir autant de géométrie,
que je fais de médecine . ( V. fa lettre
, page 14 ). Ce n'eft pas porter loin ſes !
prétenfions géométriques
: j'aurois tort
d'y mettre oppofition . Mais fans être géométre
, M. G. auroit pu favoir , qu'un fophifme
n'eft pas un problème (merc.d'août
pas befoin
1759 , p. 186 ) : comme je n'ai
d'être docteur en médecine , pour être fûr
166
MERCURE DE
FRANCE.
que des puftules fércules , qui s'affaiffent
fans
fupuration , ne font pas des boutons
de petite vérole. Il ajoute ( ibid. pag. 14 )
qu'il ne me convient pas de me mêler dans
une difpute entre des médecins Je pourrois-
lui
demander dans quelle diſpute ? carje
vois que les médecins le laiffent dire , &
ne lui difputent rien : j'aurois dû les imiter.
Mais en fuppofant , trèsgratuitement,
que M. G. fût en difpute réglée avec ceux
qu'il appelle fes confrères , je ne fuis pas
plus entré dans la querelle , que Quinte-
Curce dans celle
d'Alexandre & de Darius.
(J'efpére que la
comparaiſon ne déplaira
point à M. G. ) Je n'ai fait que le perfonnage
d'historien , ou tout au plus , celui de
rapporteur du procès . Que M.G. contredife
mon rapport ; à lui permis : mais de quel
droit
voudroit- il
m'empêcher de dire ce
que je penfe à la perfonne à qui j'écris , &
même de
foumettre au
jugement du Public
des
réflexions que je confacre à fon
utilité . En voici par
exemple une , que je
me reproche de n'avoir
pas
faite plutôt.
Il est bien
fingulier , dit M. G. qu'on
m'oppofe l'avis de quatre
médecins , qui
n'ont pas vu le malade , à moi qui l'ai vu .
Non ,
Monfieur , pouvois- je lui
répondre :
cela n'a rien
d'étonnant, & je vais vous le
prouver. Il s'agit de favoir , fi la maladie du
AVRIL. 1760. ·167
*
jeune de laTour,au mois de novemb . 1758,
étoit la petite vérole , ou ne l'étoit pas . Les
quatre docteurs n'ont point vu l'enfant
pendant fa maladie : il eft vrai ; mais ils
ont interrogé le chirurgien qui l'a vu tous
les jours , le maître & la maîtreffe de pen--
fion , qui ne l'avoient pas perdu de vue : ils .
ont appris par ces témoins oculaires , le
degré de violence , les progrès , les fymptomes
& toutes les circonftances de la maladie.
Ils opinent d'après ces témoignages ,
que ce n'étoit point la petite vérole. Leur
opinion , dites-vous , n'eft fondée que fur
le rapport d'autrui , au lieu que vous prétendez
avoir jugé par vos yeux. Non ,
Monfieur , encore une fois , vous n'en avez
pu juger par vos yeux : vous oubliez en ce
moment , que votre déciſion n'eſt fondée
que fur le raport d'autrui. Vous opiniez
que c'étoit une vraie petite vérole , fur ce
feul fondement , que l'éruption a commencé
par le viſage , & vous n'avez pas vu
le commencement
de l'éruption . La petite
vérole , dites- vous , ( merc . de février 1759
page 151 ) eft une maladie de la peau , qui
Je manifefte par des puftules ou boutons .
qui paroiffent d'abord au vifage , enf mul-
& c. & pag. 155 , en parlant daiandent de
tes efpéces de petite vérolyent auſſi naï ·
tez , le caractère diftindiqu'il n'y a qu'un
her fur cette ma-
H
168
MERCURE DE FRANCE.
toujours. Quel eft il ? Je n'en fais point
d'autre... C'eft la fortie graduée des boutons
d'abord au vifage , enfuite à la poitrine
, & c.
*
Faiſons
l'application de votre doctrine,
Vous avez trouvé l'enfant fans fiévre ,
vous en êtes convenu dans la conférence
du Palais Royal . ( rapport des quatre médecins
merc. janv. 1759 , 1 vol. p. 168. )
Peut être n'avez- vous pas alors fenti les
conféquences de cet aveu , mais il n'eft plus
tems de s'en dédire. Que
l'éruption eût
commencé la veille , comme je l'ai prouvé
dans mes deux premiéres lettres , ( merc.
de Juin 1759 , pag. 157 & 138 ) ou le
jour précédent , peu importe : vous n'en
avez pas vu le
commencement ni le
progrès
vous ne favez que par conjecture ,
où par le rapport d'autrui , qu'elle a commencé
par le vifage : vous ne décidez donc ,
comme vos confrères de la nature de la
maladie , que fur le rapport d'autrui . Il
n'eft donc pas étonnant , qu'on préfére le
fentiment uniforme de quatre médecins au
vôtre , qui renverfe les notions les plus
-communcs , d'une maladie auffi connue .
n'ont pa.petite vérole .
Non , Monfiee ne fu's pas docteur en méde-'
cela n'a rien
d'étoats point votre
définition
prouver. Il s'agit deens : je me contente de '
remarquer
•
AVRIL. 1760: 159
remarquer comme hiftorien , qu'elle eſt
neuve & finguliére , qu'elle vous appartient
en propre , & que perfonne ne vous
difpute le mérite de l'avoir imaginée . Permettez
moi cependant d'ajouter , que par
un raifonnement femblable au vôtre , je
pourrois prouver , fi j'étois médecin , que
le petit de la Tour a eu la pette. Il ne m'en
coûteroit que les frais d'une nouvelle définition
, & je dirois : J'appelle pefte toute
éruption cutanée , qui fe termine en quaire
jours ; or le quatrième jour après l'éruption
, le petit de la Tour étoit debout , &
jouoit à la toupie : donc il a eu la pefte.
Convenez, que fi je n'ai pas étudié la médecine
, je n'ai pas oublié ma logique.
Je laiffe M. G. pour un moment , & je
reviens à vous , Monfieur . Croiriez vous
que l'objection , que je ne fais pas mé lecin ,
fait une forte impreffion fur quantité de
gens ; & qu'un bonnet de docteur , fi j'avois
l'honneur d'en être décoré , donneroit
plus de poids , que l'évidence même
à mes argumens , en faveur de l'inoculation
? Nous avons depuis peu des journaliſ
tes , ( il eft vrai qu'ils fe font autant multipliés
que les comètes ) qui demandent de
quoi je me mêle , & qui croyent auffi naï ·
vement que le peuple , qu'il n'y a qu'un
médecin qui puiffe raifonner fur cette ma-
I. Vol. H
170, MERCURE DE FRANCE
1
tiére. C'eſt à vous , Monfieur , qui réunif
fez à tant de titres en tout genre , celui de
docteur en la faculté de médecine , à défabufer
le public d'un pareil préjugé. Tan- .
dis que vous porterez la lumière dans les
efprits de tous ceux qui feront en état de
fuivre vos démonftrations , ceux qui n'y
pourront atteindre , reconnoîtront votre
compétence pour juger la queſtion . Ils
vous perdront de vue comme géométre ;
mais ils vous croiront fur votre parole ,.
comme docteur en médecine , quand vous
les affurerez eux & ceux de vos confrères
qui voudroient en douter , que dans l'état
actuel des chofes , la queſtion , fi l'inoculation
eft utile &falutaire au genre hu
main , ne regarde point la médecine. Ils
n'en douteront plus , en vous voyant -traiter
cette matiere , fans faire ufage de vos
connoiffances puifées dans l'art d'Eſculape
, & quand vous leur prouverez que le
docteur en médecine , ( à ce titre ſeul ) eft
plus que capable d'embrouiller , que d'éclaircir
une queftion , qui fous le point de
vue , où je la confidere , eft un pur pro-.
blême de calcul de probabilités , problême.
fur lequel vous avez tant de droits héréditaires
& acquis. Je vous réponds d'avance ,
Monfieur, de la reconnoiffance du Public;
& que ne vous devrai - je point en mon
AVRIL. 1760. 171
particulier, de me fouftraire aux coups que
le redoutable architecte , annoncé par M.
G. étoit prêt à me porter !
Mais quel peut être le motif , qui m'a
fait prendre la caufe de l'inoculation fi fort
à coeur , & quel eft mon but ? On me fait
fouvent cette question : permettez que j'y
réponde. En 1732 j'étois à Conftantinople:
j'y vis un grand nombre de gens , qui
Le félicitoient de devoir la vie à cette méthode.
Je n'en fis mention qu'hiftoriquementdans
les obfervations de mon voyage ,
communiquées à l'académie. ( Mem. de
Facadémie des ſciences
l'année 173· 2,
pour
P. 3:16 . ) Onze ans après , & pendant mon
féjour au grand Pará , colonie portugaiſe ,
à l'embouchure de la riviére des Amazones
, j'appris qu'un carme miffionaire de
Rio-negro , voyant qu'aucun de fes Indiens
attaqués de la petite vérole n'en rechappoit
; après avoir perdu la moitié de fon
troupeau , s'avifa d'inoculer tout le refte
prefque au hazard , fur la foi d'une gazette
d'Europe , & qu'il les fauva tous . De retour
à Paris , en 1745 , je réfolus de m'inftruire
à fond fur cette matiére. Je lus tout ce
que je pus recueillir d'écrits fur l'inoculation
, publiés depuis trente ans , furtout
en Angleterre. Je me convainquis de plus
en plus , que l'ufage de cette pratique ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
rendue générale en France , conferveroit
tous les ans au moins vingt- cinq mille
fujets à l'Etat , & répareroit avec ufure
les pertes journalières , que fait parmi nous
la population par tant de cauſes réunies.
J'ai cru devoir à ma patrie de l'inſtruire de
faits , auffi connus chez nos voifins , qu'ignorés
parmi nous . J'en ai tiré les conféquences
: j'ai mieux aimé rendre palpables,
& mettre à la portée de tout le monde ,
des vérités utiles & trop peu répandues ,
que d'en chercher des nouvelles , qui pouvoient
me faire plus d'honneur. Trop longtems
détourné par d'autres occupations, je
ne pus exécuter ce projet pendant plufieurs
années . Ce ne fut le avril 1754 ,
que je lus à l'affemblée publique de l'académie
, mes premières recherches fur
l'inoculation . Plus d'un an fe paffa depuis
l'impreffion de mon mémoire , fans qu'il
fût contredit : la doctrine , dont j'expofois
les avantages , ne reçut que des applau
diffemens dans la fpéculation. Mais auffitôt
qu'un de nos médecins , qui voulut
être témoin des fuccès de cette méthode à
Londres , le fut mis en état d'en recueillir
les fruits dans la pratique à Paris , les contradictions
s'élevèrent ; & le feul de fes
confrères , qui fe fût affuré par plufieurs
expériences , de l'efficacité du préfervatif ,
que 14
AVRIL. 1760. 173
prit ce temps pour ledécrier.Il fembla n'attendre,
pour s'en déclarer l'ennemi , que le
moment , où il pouvoit encore l'employer
efficacement à la confervation des jours
d'une fille unique , qui faifoit la douceur
de fa vie , & que la petite vérole naturelle
vient de lui ravir. N'infultons point
à fa douleur.
M. G. s'eft engagé , fans prefque s'en
appercevoir, à foutenir la même caufe que
cet infortuné docteur : il fe rend comme
lui , l'apologiſte des calculs de Wagstaffe ,
qui fut , il y a plus de 40 ans , en Angle
terre , l'un des premiers, des plus déraiſonnables
& des plus ardens ennemis de la petite
vérole artificielle. Suivant la progreffion
établie par ce grand calculateur , un
feul inoculé communiqueroit en trois mois
la petite vérole , à un million fix cens
foixante & dix- neuf mille , fix cens feize
perfonnes : nombre , qui fe multipliant ,
felon lui par fix , à chaque nouvelle communication
, furpafferoit bientôt celui
des individus de l'efpéce humaine; enforte
que dans peu toute la furface de la terre
feroit infectée par la contagion . Le ridicule
de cette fuppofition fautoit aux yeux,
avant qu'elle fût reconnue fauffe dans le
fait. L'expérience ne ceffe de la contredire,
M. Gaullard fait bien que la petite
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
vérole n'eft pas devenue plus commune
à Paris , à Lyon , à Nîmes , depuis qu'on
a commencé d'y pratiquer l'infertion .
Stockolm depuis trois ou quatre ans , Gé
nève depuis dix , Londres depuis quarante ,
ne font pas plus infectées qu'auparavant.
Les épidémies ne font pas plus fréquentes
à Conftantinople depuis un fiécle . Il
en eft de même de la Grèce , de la Chine ,
de la Circaffie , d'une grande partie de
l'Afrique , où la petite vérole artificielle
eft en ufage de tems immémorial . Le progrès
de la contagion fuppofé par Wagstaffe,
quelque rabais qu'on y faffe , eft donc une
pure chimère. Cependant ces calculs abfurdes
, que je n'ai traité que des ridicules ,
font , fuivant le jugement de M. G. auffi
folides , que les miens font frivoles . J'admets
le parallèle , & je confens qu'on juge
de la frivolité de mes calculs , par la foli+
dité de ceux que le bon fens défavoue au
premier afpect , & que l'expérience de près
de quarante ans en Amérique , & de plufieurs
fiécles en Afrique ; en Afie & en
Europe , a conſtamment démenti,
Ce docteur , dit M. G. avec fa confiance
ordinaire , connoiffoit toutes les expériences
qu'on cite en faveur de l'inoculation.
Remarquez s'il vous plaît , Monfieur,
que la lettre de Wagstaffe au dr. Freind ,
AVRIL 1760, 175
victorieufement réfutée par le dr . Arbuchnou
, qui ne daigna pas la combattre fous
fon nom * , eft de 1722 , & que les expériences
d'infertion en Angleterre n'ayant
commencé qu'en 1721 par l'inoculation de
fix criminels ne montoient encore en
1722 , qu'à un petit nombre de perfonnés.
Wagstaffe connoiffoit- il alors plus de deux
cent mille expériences faites depuis ? Les
affertions de M. G. reffemblent la plufpart
à celle- ci.
Il invite fes Lecteurs à lire les doutes fur
Tinoculation feuille, volante anonyme ,
(
qui fe répandit à Paris en 1726 , la veille
de l'inoculation de Mgr . le Duc de Chartres
& de Mademoiselle. ) Il faut que M.
G. ait des raifons particulières , pour conconfeiller
de lire & de relire cette brochure,
à laquelle il prodigue les plus grands éloges.
Tout le monde fait qu'elle ne contient
rien de nouveau , ni de digne de la réputation
de l'auteur , à qui M. G. l'attribue ,
&que
les circonstances, dans lesquelles cet
écrit parut , ne permettent pas de lui attribuer
, fans lui faire injure.
* La réponſe du Dr. Arbuthnott , parut fous le
nom de Maitland, Chirurgien de Miladi Worte
ley Montagu.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Νους ous voici parvenus au cinquiéme &
dernier article de la lettre de M.G: on y
trouvé une anecdote curieuſe . Saviez - vous ,
Monfieur , que ce même wagstaffe , fuivant
lequel la contagion devoit en moins
de trois ans infecter l'univers , avoit défié
à Londres , quiconque auroit eu la pétite
vérole , foit naturelle , foit artificielle de
ſe faire inoculer par lui , ce que perfonne
n'accepta. J'avois donc accordé graruitement
ici l'honneur de l'invention à M.
G. Fidèle difciple de fon maître en calcul
, il ne fait que renouveller & reftreindre
la propofition de Wagstaffe , quand il
m'adreffe perfonnellement le défi , que celui-
ci faifoit indiftinctement à tous les compatriotes
, & quand il affure qu'il eft prefque
phyfiquement certain de me donner une
feconde petite vérole, &c . Notez que je l'ai
eue de l'efpéce confluente à l'âge de 15 ans,
& qu'elle m'a fort maltraité . C'eft de peur
que je ne l'oublie , que M. G. a foin de m'en
faire rappeller le fouvenir , par l'auteur
d'un journal , unique enfon genre , qui s'eſt
modeftement chargé d'êtte le cenfeur de la
littérature , & d'en donner toutes les femaines
les préceptes & les exemples , en
nous propofant pour modèles M.Baillet &
le pere Honoré de Sainte Marie.
La propofition de M. G. abfolument
AVRIL. 1760. 177
étrangère au fujet de notre difpute par
conféquent déplacée , & qu'un autre que
moi , trouveroit peut - être infultante ,
ne méritoit aucune réponſe de ma part.
L'inoculation de quelqu'un , que la petite
vérole naturelle n'a pas épargné , peut -elle ,
quel qu'en foit l'événement , nous apprendre
, fi cette opération met à l'abri du retour
naturel de cette maladie ? Il ne s'agiffoit
pas d'autre chofe entre M. G. & moi .
Et quant à la queſtion générale des avantages
& des prérogatives de l'inoculation
de quelle utilité peut être une expérience ,
tant de fois répétée fans aucun effet? Faut il
que je devienne le plaftron des effais arbitraires
de M. G. pour lui épargner la peine
de s'inftruire de faits publics & notoires :
tels que l'expérience faite à Londres en
1722 , fur Elifabeth Harris , la feule des
fix criminels , qui eût eu la petite vérole narelle
, & la feule qui ne la prit point par
infertion : tels que l'inoculation vainement
renouvellée fur un frère du colonel Yorck ,
fils d'un grand chancelier d'Angleterre : la
même opération inutilement tentée par le
Dr. Maty, fur lui- même , & rendue célèbre
par tous les journaux : celle de Mlle
d'Etancheau , dont les incifions renouvelées
fe fécherent fous le fil imprégné de virus :
celle de l'Officier de Gotha plus récente en-
Hv
178 MER CURE DE FRANCE.
core & tant d'autres exemples femblables ,
que M G. feul feint d'ignorer , ou de ne pas
croire: Il ne lui manquoit plus , pour éluder
la conféquence de l'un de ces deux faits , qui
s'eft paffé fous nos yeux , à Paris en 1757,
que de donner un démenti formel au témoi
gnage de Mad. de Montgomeri , & de toutes
les religieufes de la Madelaine de Tref
nel:fans qu'on puiffe concevoir quel peut
être le but de M. G. car quand il feroit vrai
que Mlle d'Etancheau , qui n'a pu prendre
la petite vérole par infertion , ne l'au-
Loit pas eue de fon enfance , ce fait aideroit-
il à perfuader , qu'après l'avoir eue
très - fort ment , je la puis reprendre par
l'inoculation ?
Il ne me refte donc qu'à me juftifier auprès
de vous, Monfieur, & devant le Public,
d'avoir répondu trop férieuſement à une
propofition , qui ne méritoit que du mé
pris , & d'avoir accepté le défi de M.
Gaullard. Enfin il me refte à faire voir
de quelle maniere il élude aujourd'hui
cettte acceptation , à laquelle il ne s'atten
doit pas.
Après avoir confidéré fon défi comme
une pure plaifanterie, ou comme une adreffe
de fa part , pour donner le change au lecteur
, j'ai répondu férieufement en faveur
de ceux qui pouvoient regarder ce même
AVRIL. 1760. 179
défi, comme un moyen propre à terminer
notre conteftation , & j'ai dit, que le motif
de perfuader de ma bonne foi le feul homme
qui paroiffe en douter , a trop peu de
poids fur moi pour m'engager à fouffrir la
plus légère incommodité ; mais que le
moindre degré d'utilité publique , fuffiroit
pour me déterminer à me faire inoculer . Je
n'ai donc pas hélité de m'offrir à l'épreuve
de l'inoculation , fi l'on pouvoit la rendre
utile au bien général. J'en ai même indiqué
divers moyens ; & ne pouvant en trouver
un qui dépendît uniquement de la volonté
de M. G , je lui ai fait l'honneur de
regarder comme utile le défiftement des
objections qu'il n'avoit formées que pour
étayer un premier jugement porté trop
à
la hate. J'ai donc accepté fa propofition ,
à condition qu'il promettroit de fe retracter,
fi fon expérience fur moi ne réuffiffoit
pas. On trouvera fans doute que
celt acheter trop cher un défaveu qui
ne doit pas me paroître fort important .
Cela fe peut ; mais enfin , à ce prix j'ai
confenti d'être inoculé : non par M. G.
dont je n'ai pas accepté les offres officieufes
; mais fous fes yeux , avec une
matière choifie par deux médecins de la
Faculté. Perfonne n'a blâmé ma reftriction.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
L'épreuve propofée par M. G. ne pouvant
fervir à décider la queftion de la
nature de la maladie du petit de la Tour,
fuppofé que ce fût encore une queſtion :
elle ne peut tout au plus être bonne qu'à
terminer notre difpute. Il eft vrai que
M. G. a tort de faire dépendre le fyftême
de l'inoculation de l'effet que cette opération
fera fur moi ; mais enfin , puifque
telle eft la prétenfion , fi l'effet de l'opération
eft nul , M. G. doit convenir que
fes argumens portent à faux . S'il refufe
cette condition , il doit avouer qu'il s'eft
joué du public , & n'a cherché qu'à lui
faire illufion par fon défi ; dans l'efpérance
affez bien fondée que je ne l'accep
terois pas.
Trois mois fe font paffés depuis mon
acceptation publiée dans le mercure du
1 feptembre. Enfin M. G. reparoît fur la
fcéne en décembre 1759 ; & loin de répondre
nettement à ma propofition , il
commence par en faire de nouvelles , plus
Lingulières les unes que les autres . Il me
propofe un pari , plus propre à donner une
haute idée de fa fortune , que de fa prudence.
Peu de gens feroient en état de
configner deux mille fix cent louis comptant
; & c'eft à quoi s'engage M. G en
offrant de parier deux cens louis contre
AVRIL. 1760. 181
moi, & autant contre chacun de douze
autres perfonnes. La bourfe du fameux
docteur Mead , qui comptoit fes guinées
par fes vifites , fuffiroit à peine aux frais
d'une pareille gageure : & M. G. m'accufe
de fanfaronade! ( p. 20. ) Sans rien rabattre
de fon mérite , il ne paffe pas pour
le médecin de Paris le plus occupé : j'en
compte environ deux cens dans cette capi-.
tale , tant de ceux qui compofent la Faculté,
que parmi les privilégiés , comme
M G. Si chacun d'eux étoit affez en fonds ,
pour configner comme lui foixante deux
mille quatre cent livres , à l'occafion d'un
fimple pari , nous aurions deux cent citoyens
qui , dans une condition moyenne ,
feuls , & fans rien prendre fur leur aifance ,
pourroient offrir au tréfor royal un fecours
de plus de douze millions. Quelle
reffource pour l'Etat , dans les conjonctures
préfentes ! Mais voyons les circonftances
de ce pari , plus extraordinaire
encore que le pari même.
*
Pour prouver qu'il y va de bonne foi ,
& qu'il ne plaifante pas , M. G. déclare
qu'il avoit dépofé 200 louis d'or chez un
notaire ... avec foumiffion pour le double
& le triple , fi M. de la C. en vouloit
dépofer autant.
C'eft par une feuille volante , que celui
181 MERCURE DE FRANCE.
contre lequel M.G. parie , n'a pu fe procurer
qu'avec beaucoup de peine , qu'il apprend
la première nouvelle de cette confignation ,
3 ou 4 mois après qu'elle eft faite ; je dis 3
ou 4 mois , car M. G. n'eft pas fort fur les
dates . Il eft vrai , qu'il étoit inutile , que
je fuffe informé de ce dépôt . Je ne me fais
point inoculer pour gagner de l'argent , &
fi j'avois deux cens louis , dont je puffe
difpofer fans m'incommoder , en acceptant
le pari contre M. G. je deſtinerois le
prix de la gageure à l'hôpital général , à
condition , que MM . les adminiſtrateurs
confentiroient à donner une lifte annuelle
du nombre & de l'âge des malades de la
petite vérole , qu'ils reçoivent dans leurs
maifons , de ceux qui guériffent & de ceux
qui meurent. La répugnance qu'ils témoignent
pour nne choſe utile , & d'une exécution
ailée , me paroît inexpliquable. Je
reviens au pari .
M. G. a fait réflexion , qu'il eft telfujet
qui n'eft pas fufceptible de l'effet du virus
variolique ( p. 16. ) Il en conclud qu'il ne
fuffit pas de m'inoculer moi feul , & qu'il
faut que je lui procure douze perſonnes ,
qui confentent à ſubir la même épreuve ,
dontfix ayent eu la petite vérole naturellement
, & fix par infertion. La plume
me tombe des mains en copiant les pro
• ..
AVRIL. 1760 : 183
pofitions de M. G. que je vous laiffe qualifier
, Monfieur. Cependant il nous affure
qu'il parle ferieufement & de bonne foi.
Laiffons à part l'extravagance ( j'ai beau
chercher un terme plus doux ) , qu'il y a
d'exiger de moi que je lui fourniffe douze
fuiets pour faire fes expériences ; mais
qu'il nous apprenne au moins ce qu'il entend
, en difant qu'il ne faut pas m'inoculer
feul , parce qu'il y a des fujets qui
ne font pas fufceptibles de virus varioli
que. Si quelqu'un , par ſa conſtitution , eft
inacceffible à ce virus , ce quelqu'un peutil
fe rencontrer ailleurs que parmi ceux
qui n'en ont jamais éprouvé l'effet ; &
peut-on foupçonner de n'en être pas fufceptible
celui qui comme moi a fait fest
preuves que fon fang n'eft que trop difpofé
à fermenter avec ce levain ? Où donc eft la
néceffité de chercher douze autres fujets ,
pour affurer l'expérience ? N'eft- ce pas
moi nommément que M. G. s'eft engagé
de donner la petite vérole ? Encore une
fois , que veut il dire ? Affurément il a
péché contre la règle fi fage de M. de Fonrenelle
, qui difoit , qu'en écrivant fur une
matière , il avoit toujours commencé par
tâcher de s'entendre lui- même.
à
Tout ce que prouve la nouvelle propofition
de M. G. c'eft qu'il commence à
1
+
184 MERCURE DE FRANCE.
fe méfier de l'efficacité de fa recette. En
m'inoculant feul , il étoit plus que moralement
fûr de me donner la petite vérole
complette , la plus étoffée. Je ne puis
trop conferver les termes de celui , qui
fait fi bien les choifir ) & à préfent , à
peine efpére- t- il la donner à quatre perfonnes
fur douze. Je ne fuis plus furpris ,
qu'il ne m'ait pas fait avertir du dépôt de
fes deux cens louis , fans doute il a craint
d'être pris au inot .
A la fin cependant il fe réfout généreuſement
à m'inoculer feul & fans pari ;
mais il y trouve une petite difficulté , c'eſt
que je ne confens pas qu'il foit l'operateur.
Il me reproche ici le terme d'exécuteur ,
dont je me fuis fervi , il me demande , fi
l'inoculation eft un fupplice , &fi je fuis
un criminel ; & voilà fans contredit la
meilleure plaifanterie de fa lettre : c'eſt
dommage qu'elle porte à faux. En adoptant
l'expreffion même de M. G. j'avois
dit que je confentois à devenir le martyr
de l'inoculation , & c'eft en continuant fa
métaphore, que j'ai ajouté que je le difpenfois
des fonctions d'exécuteur qu'il s'étoit
réfervées. Il m'accufe à cette occafion
d'une faute de grammaire ; il fe trompe :
il n'y a point ici de faute grammaticale ,
mais j'avoue que je n'ai pas employé le
AVRIL 1760. 185
terme propre. On ne dit pas l'exécuteur
d'un martyr ; ce n'eft pas là le vrai mot : je
laiffe à M. G. à le fupléer. Venons au fait.
M. G. prétend m'inoculer de trois manières
différentes , qu'il nomme à l'Angloife
, à la Chinoife , & à la Turque. La
première méthode eft , comme on fait ,
par incifion : celle de la Chine eft d'inférer
dans le nez une tente de coton chargée de
poudre de boutons defféchés de petite vérole
. Le Sujet fur lequel elle fut éprouvée à
Londres , en 1724 , fut plus malade que
tous les autres , il ent des vertiges , des
douleurs de tête , des convulfions , &c.
Quant à l'inoculation que M. G. appelle
à la Turque , l'une de celles qu'il me
deſtine ; elle confifte , felon lui , à faire
avaler des pillules purulentes , dont il fe
réferve la compofition . Vous m'avouerez ,
Monfieur , que ce ragoût n'eft pas tentant ,
même affaifonne de la main de M. G.
C'eft cependant , felon lui , la meilleure
manière , & celle qu'ibréferveroit pour fes
enfans. Je lui rends graces de fes bontés
paternelles : je n'en abuſerai point .
J'ignore s'il y a quelque exemple de
petite vérole prife en bol : je n'en ai jamais
oui parler à Conftantinople. Ce n'eft ni la
manière des Grecs , ni celle des Francs ,
encore moins celle des Turcs , qui ne prennent
pas plus de précautions contre la pe486
MERCURE DE FRANCE.
i
tite vérole que contre la pefte. Tout cela
me feroit croire que c'est une expérience
nouvelle que M. G. fe propofe de tenter
& pour laquelle il me donne la préférence
; mais une pareille tentative feroit
d'autant plus criminelle dans fes principes,
que des milliers d'expériences ne fuffifent
pas pour juftifier à fes yeux la méthode ordinaire
, qu'il traite de contraire aux loix
divines & humaines, quoiqu'il foit prouvé
par les faits , qu'il ne meurt pas plus d'inoculés
à l'hôpital de Londres , qu'il mour
roit de perfones fur un pareil nombre d
gens en fanté , pendant l'efpace d'un mois
Il y auroit à moi de la folie à me livre
aux tours de paffe - paffe qu'exige de mo
M. Gaullard , en me commandant fo
nouvel exercice à trois temps , à l'An
gloife , à la Turque , à la Chinoife. J'a
confenti , je confens encore à être ino
culé : non par lui ; mais en fa préſence
non avec les pillules ni avec fes poudres
mais de la façon ordinaire : foit par inci
fion ›
ou par une emplâtre véficatoire
Quant à la matière ; pour prévenir tout
chicane fur le choix , celle dont on le fer
vira , pour la première expérience, le prin
temps prochain , fera mife en dépôt fou
le fcellé de M. G. jufqu'à ce qu'on en a
reconnu l'efficacité , alors on l'emploier
AVRIL. 1760. 187
pour moi , fous les yeux de M. G. Que
peut- il exiger de plus ? Si je prends la petite
vérole , je publierai dans les journaux,
qu'on peut la reprendre par inoculation ,
après l'avoir ene bien complettement , &
que j'ai fait une expérience imprudente.
Si je ne la prends pas , M. G. avouera qu'il
s'eft trompé , & retractera folemnellement
les conféquences qu'il a tirées d'une fuppofition
dont il reconnoît la fauffeté.
Vous voilà , Monfieur , bien au fait de
ma querelle avec M. G. Je m'attends que
vous trouverez que je pouvois mieux employer
mon temps qu'à lui répondre ; mais
fi ma lettre a defabufé quelqu'un des fauffes
impreffions qu'il avoit reçues , je n'aurai
pas de regret à mes peines. Au refte ;
j'espère que vous ne m'accuferez pas d'avoir
peu mefuré mes expreffions. Si M. G.
avoit eu les mêmes chofes à me dire , j'ai
lieu de croire qu'il l'eût fait avec moins de
ménagement pour moi que j'en ai eu pour
lui , puifqu'il n'a pas ufé de détour pour
dire qu'il me croyoit de mauvaiſe foi . En
pareil cas , je prouverois que mon adver
faire manque de fincérité , fans le lui dire ,
& je laifferois les conféquences à tirer au
lecteur.
M. G. appelle mes calculs brillans , &
n'y répond rien. Il appelle un Architecte
à fon fecours !
188 MERCURE DE FRANCE.
Il termine fa lettre par une longue
invective contre l'inoculation , toute fondée
fur de pures fuppofitions dont il ne
prouve aucune. Cela ne mérite pas de
réponse. Je ferois cependant tenté de lui
dire : fi vous croyiez l'inoculation inutile
dangercufe , mortelle , pernicieuſe , criminelle
, vous ne diriez pas , qu'il peut fe
trouver des avantages à fe faire inoculer ;
que vous en laifferez la liberté à votre fils ,
Vous ne parleriez pas de la méthode que
vous employeriez pour vos enfans. Mais fi
vous ne croyez l'inoculation ni criminelle
ni pernicienfe , pourquoi tentez- vous de le
perfuader aux autres ?
J'attends avec impatience , Monfieur
vos réflexions , & le mémoire que vous
m'annoncez fur la même matière. Que les
pygmées feront glorieux de vous voir lever
fur eux votre maſſue !
J'ai l'honneur d'être , &c .
A Paris , le 3 Janvier 1760.
P. S. 28 février. Voici , Monfieur , l'éclairciffement
que j'ai promis à M. G. Je
viens de confulter les pièces juftificatives
du fameux livre de M. de Mongeron , fur
les miracles de M. Paris. J'y ai vû les pièces
fuivantes .
No XX . Differtation faite par M. GauAVRIL
1760. 189
lard , &c. No XXXI . Differtation faite
par M. Gaulard , &c. N° XXVI . Differtation
, en forme de lettre , faite
par M.
Gaulard , &c. Et N° XL , Lettre de M.
Gaulard en forme de differtation .
Dans ces differtations en forme de lettres
, & lettres en forme de differtations ,
M.G. n'attefte la vérité d'aucun fait; mais
feulement l'impoffibilité phyfique de la cure
de telle & telle maladies , dont la réalité
eft atteftée par d'autres certificats précédens
; & la guérifon , par d'autres certificats
fuivans.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
L'ÉCHO ,
ÉCHO
, ou
Journal
de
Mufique
Françoife
, & Italienne
, contenant
des
Airs
,
Chanfons
, Brunettes
, Duo
tendres
&
Bacchiques
, Rondes
, Vaudevilles
, Contredanfes
, &
Menuets
. Ce
Recueil
, qui
a commencé
au
premier
Janvier
1759
,
& dont
le débit
fe
continue
de
mois
en
mois
avec
fuccès
, eft
gravé
, & le
vend
à Liège
chez
B.
André
, derrière
S. Thomas.
Le
format
eft
in-4°. Il coûte
15
liv.
de France
, par
année
, & 3 liv. de
port
,
190 MERCURE DE FRANCE.
pour les douze Recueils : au moyen defquelles
, payées d'avance , on le recevra
franc & quitte, en quelque lieu du Royaume
que ce foit ; & en détail , le prix de
chaque Recueil eft de 30 f. On en trouve
des Exemplaires , chez M. Lutton , Avocat,
Greffier , Commis au recouvrement
du Mercure , rue Sainte Anne , Butte
S. Roch , à côté du Sellier du Roi.
PIÉCES DE CLAVECIN , dédiées à Mlle
Camufet, compofées par M.Wondradschek,
Opera Seconda. Prix 7 liv . 4 f. A Paris
chez Madame Vincent , pour l'Auteur ,
rue S. Jacques , près le Collège du Pleffis ;
& aux adreffes ordinaires.
SIX SONATES à violon feul , & Baffe ;
dédiées à M. le Baron de Lathan , Officier
des Gardes Françoifes , compofées
par M. Gaviniés. PREMIER OEUVRE. Prix
liv. A Paris , chez l'Auteur, rue S.Thomas
du Louvre , & aux adreffes ordinaires
de Mufique : Avec Privilége du Roi.
Les talens fupérieurs de l'Auteur ,
tant pour la compofition , que pour l'exécution
, faifoient attendre depuis longtemps
qu'il confentît à faire graver fes
OEuvres ; & nous ne doutons pas que cet
échantillon ne flatte affez agréablement
le goût du Public , pour lui faire defirer
AVRIL. 1760. 19f
de voir bientôt les autres Ouvrages de
cet habile & gracieux Artiſte.
GRAVUR E.
Le Gage de l'Amitié & la Reconnoiffance
du Berger , Eftampes nouvelles ,
grvées par M. Danzel , d'après deux Tableaux
de Bernard, A Paris , chez l'Auteur
, au coin du quai Pelletier , à la
Gréve, & chez Madame la veuve Chereau ,
tue S. Jacques , aux deux piliers d'or. -
LE SR LE MAIRE , Graveur , Auteur
des traits de l'Hiftoire Univerfelle , facrée
&profane, d'après les meilleurs Peintres,
& dont il a déjà fait paroître cent fujets ,
vient d'y en ajouter trente , qui complettent
entierement la Genèfe . Il n'eft donc
pas vrai , comme des perfonnes mal intentionnées
l'avoient répandu , qu'il aban
donne cette entrepriſe. L'Ouvrage eft
dédiée à Mgr le Duc de Bourgogne, à qui
il a eu l'honneur de le préfenter , ainfi
qu'aux autres Enfans de France qui l'ont
accueilli avec bonté. C'eft bien dequoi
redoubler le zèle & l'émulation de l'Auteur
! Auffi , conformément aux conſeils
des perfonnes éclairées qui ont vû fes
premieres Eftampes , a-t-il commencé à
792 MERCURE DE FRANCE.
charger fes figures d'ombres légères , qui
prononcent mieux le fujet de chaque
figure. I fuit cette nouvelle méthode ,
dans l'Exode , dont les 20 premiers ſujets
paroîtront inceffament. Le premier volume
, compofé de 130 Eftampes , fe vend
9 liv. 15 f. chez Michel Lambert , rue &
à côté de la Comédie Françoife ; & chez
l'Auteur , rue S. Jean de Beauvais.
Ouvrages de Fleurs.
La Dame de Laval, femme du Peintre ,
donne avis que fon mari lui a laiffé fes
Planches de Fleurs , pour l'ornement
des Sacs à ouvrage. Ainfi toutes les perfónnes
qui voudront en avoir des empreintes
fur quelque étoffe , font averties
d'envoyer chez elle , avant fon départ
qui eft fixé au 25 de ce mois. Sa demeure
eft rue S. Etienne des Grecs , près de
Sainte Geneviève , chez un Grainier.
E
*
ARTICLE
AVRIL
1760.
193
SUPPLEMENT à l'Article des Pièces
fugitives.
N. B. Ce n'eft point , parce que l'Auteur anonyine
de cette Piéce me prie , en me l'envoyant ,
de l'inférer dans le Mercure de ce mois ; quoiqu'il
pût préfumer , que la compoficion en étoit
faite : ce n'eft pas non plus , parce qu'en finiffant
fa lettre ; il me donne le bonjour, & m'affure
de fon eftime , que je place ici fon ouvrage , en
fupplément aux Piéces fugitives. C'eft , parce que
la Piéce m'a parue jolie , & que j'efpére qu'elle
pourra plaire. Et , bien plus encore , parce que la
perfonne à qui elle eft adreffée , a toujours été ,
&furtout pendant fa maladie , le digne objet
des voeux de tous ceux qui ont le bonheur de la
connoître.
A Madame la Comteffe DE LA GUICHE.
LA Déel A Déeffe de la Sageffe ,
Et la Déeffe de l'Amour , '
Minerve & Vénus , l'autre jour
Le front furchargé de triſteſſe ,
Prioient la cruelle Atropos ,
D'arrêter le coup redoutable ,
Que portent fes fatals cifeaux .
Epargnez la Mortelle aimable ,
Quifait l'ornement de ma Cour ,
Difoit la mere de l'Amour !
I. Vol. I
194
MERCURE DE FRANCE.
Si la perte étoit décidée ,
Si ce coup partoit de vos mains
De ma beauté , la juſte idće ,
Se perdroit parmi les humains .
Epargnez la fage Mortelle ,
S'écrioir Minerve à ſon tour ,
Qui joint à l'éclat de l'amour ,
De mes vertus le vrai modéle !
Le coup qui finiroit fon ſort ,
Détruiroit mon plus bel ouvrage :
L'Univers perdroit dans ſa mort ,
Ma parfaite & vivante image.
Le Deftin , qui les entendit ,
S'approcha d'elles , & leur dit :
Atropos ne fçauroit ſe rendre
A vos vifs & preffans fouhaits ;
Exécutons , fans plus attendre ,
Mes irrévocables arrêts.
Atropos fçait bien , quoiqu'on faſſe ,
Que je ne puis , & je ne dois
Accorder cette infigne grace ,
En un jour , qu'une feule fois.
Je l'ai , ce matin ,
accordée
Aux mortels qui l'ont demandée .
A ces mots , Minerve & Vénus ,
Au défefpoir d'un tel refus ,
S'écrièrent , dans leur délire :
» Queje me plains , dans ma Thémire!
و ر
AVRIL 1760 .
195
Quoi.. Thémire ! .. dit le Deftin.
C'eft Thémire , dont , ce matin ,
J'ai prolongé les deſtinées ?..
Allez , Déelle fortunće ;
Sesjours deviendroient éternels ,
Qu'elle en foit par vous aſſurée ,
Si je mefurois leur durée ,
Aux fouhaits de tous les mortels.
EN VOI.
S Avez -vous bien , fur quoi je fonde
Ce que je vous ai raconté ?
Sur la fageffe , & la beauté ,
Qui vous ont gagné tout le monde .
Par M L. D. De B.
T
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA .
LE Vendredi , 29 Février , on a donné la
premiere repréſentation de la repriſe d'Amadis ,:
Tragédie , avec fon Prologue. Cet Opéra a été
continué les Dimanches & Vendredis de chaque
femaine ; & le Samedi 22 , jour de la clôture
du Spectacle. Les Mardis , & les Jeudis , on a continué
les repréſentations des Paladins.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Le Public a revû,avec plaifir, Amadis , qui n'a
voit eu que 23 repréſentations , & dont la partie
du Spectacle a été remife telle qu'on l'avoit vue
d'abord , & avec les foins les plus attentifs de
la part des Directeurs . Mlle Chevalier a reçu
de nouveaux applaudiffemens , dans le rôle d'Ẩrcabonne
, où elle avoit déja fi parfaitement réuſſi ;
& qu'elle a rendu avec un feu & une intelligence ,
qui méritent les plus grands éloges.
Mlle Arnoud , qui encore très affoiblie de fa
derniere maladie , avoit fait un effort pour jouer
le rôle d'Oriane , le jour de la premiere repréfentation
, n'a pu le continuer . Mlle Dubois l'a
remplacée dans ce rôle , & y a reçu beaucoup
d'applaudiffemens .
Mlle Lany , qu'il fuffit de nommer , a rempli
fes entrées du troifiéme Acte , fans les quitter
jufqu'à la clôture ; & y a toujours reçu les applaudiffemens
les plus vifs , & les plus unanimes.
Mlle Veftris , a rendu l'action de l'enchantement
d'Amadis , au deuxième Acte , avec les mêmes
graces qu'elley avoit déja montrées , & a parue
y faire beaucoup de plaifir.
M. Veftris , qui n'a point non plus quitté fon
entrée du cinquiéme Acte , jufqu'à la clôture , y a
de plus en plus confirmé l'idée que le Public a
conçue de la perfection de fes talens.
Le Vendredi 21 , & le Samedi 22 , Mlle Chevalier
, s'étant trouvée indifpofée ; Mlle d'Avaux a
joué le rôle d'Arcabonne . Sa figure noble , & fa
voix impofante & fonore , ont paru convenir
infiniment à ce genre de rôles .
On fe diſpoſe à donner , pour le jour de l'ouverture
du Théâtre , la première repréſentation
de Dardanus , Tragédie , dont le Poëme eft de
feu M. de la Bruere , & la Mufique de M. Rameau
AVRIL 1760. 197
On donnera , pour la Capitation des Acteurs ,
trois Bals, précédés chacun d'un Concert, comme
on a fait l'année derniere . Le premier de ces Bals
fera donné le Mardi 15 Avril , jour de la rentrée .
COMEDIE FRANÇOISE .
LETTRE de M. SAURIN , à M. DE
LA PLACE.
M ONSIEUR ,
L'accueil favorable que le Public a fait à ma
Piéce , ne m'a point aveuglé fur les défauts de
l'ouvrage. On leur a fait grace , en faveur de
quelques beautés dont le genre plus propre à
élever l'âme qu'à l'attendrir , a paru digne d'ê
tre encouragé . Je lens tout ce que je dois à l'indulgence
des honnêtes gens , & je ne puis mieux
la reconnoître, qu'en donnant à la Piéce le degré
de perfection auquel ma médiocrité me permet
d'atteindre. C'eft dans cette vue , que j'ai cru devoir
retirer Spartacus ; & vous m'obligerez beaucoup
, Monfieur , d'attendre pour en donner un
extrait , que j'aie tâché de le rendre plus digne
de reparoître aux yeux du Public. Permettezmoi
d'ajouter un mot , fur l'honneur qu'on a fait
à ma Piéce de l'attribuer à des gens d'un génie
très-fupérieur au mien. Je ne puis , en un fens ,
qu'en être flatté ; & ce feroit à eux de s'en plaindre.
J'oferai dire , néanmoins , qu'en préfumant
fort peu de mes talens , je n'ai pas pourtant à
me reprocher la fotte vanité de vouloir me parer
de ceux d'autrui . J'ai l'honneur , & c.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Le Dimanche 9 Mars , on a remis au Théâtre
le Diffipateur , Comédie en cinq Actes , & en vers,
de feu M. Néricault-Deftouches. Cette Piéce , qui
n'avoit pas produit un grand effet , lorsqu'elle fat
jouée , il y a fix ans , en a produit beaucoup à
Cette reprife. La chaleur , les fineffes , & la fublime
intelligence que Mlle Dangeville a mifes
dans le rôle de la Soubrette , font au - delà de
toute expreffion. C'eft porter le talent ,au plus haut
degré.
LeLundi 10 , on a donné > au profit du petit
neveu de Pierre Corneille , une repréſentation de
Rodogune , l'un des chefs-d'oeuvre de ce célèbre
Auteur , fuivie des Bourgeoifes de qualité . On ne
peur trop applaudir a la façon généreufe dont les
Comédiens le font comportés en cette occafion.
Ils étoient affemblés , quelques jours auparavant
lorſqu'une lettre du defcendant de ce grand hom
me , leur fut remife. Des enfans qui apprennent ,
qu'un pere refpectable & tendrement aimé , fe
trouve dans quelque efpéce d'embarras , ne font
ni plus attendris , ni plus empreflés qu'ils le furent
à fignaler leur zéle ; & la vive unanimité de
leurs funrages , pour la repréſentation qu'on leur
demandoit , leur fera toujours le plus grand honneur.
La vénération du Public , pour la mémoire
de cet Auteur fameux , ne s'eft pas moins fignalée
, en venant en foule à ce fpectacle . Un grand
nombre de perfonnes fe font diftinguées , foit en
louant des loges , dont elles ont laillé la difpofition
aux Comédiens , foit en payant des places à
plus haut prix qu'elles ne font taxées .
Un événement auffi honorable pour le Public ,
& pour les Comédiens , prouve combien les gens
de Lettres en font encore chéris ; & ne peut
qu'exciter leur émulation.
Le Lundi , 17 , on a donné Hypermnestre 2
AVRIL 1760. 199
Tragédie de M.le Miere , qui a été fort applaudie;
& cette même Piéce a fait clôture du Théâtre.
A la rentrée , les Comédiens comptent repren
dre la Tragédie de Spartacus , dont les repréfentations
avoient été interrompues par l'incommodité
du fieur Brifard. On prétend que M. Saurin,
doit y ajouter deux Scènes nouvelles.
COMEDIE ITALIENNE.
LE 28 Février on a remis au Théâtre les
Chinois ; & la noce Chinoife , Ballet- Pantomine.
Le 6 Mars, on a donné la première repréfentation
du Quiproquo, Comédie en deux Actes , mêlée
d'Ariettes . La Muſique eft , de M. Philidor. Cette
Piéce a été redonnée , fous le titre , du Volage ;
& a eu quatre repréſentations. La Mufique a été
fort applaudie ; & l'on travaille actuellement à
raccommoder le Poëme , pour la rentrée du
Théâtre.
Le 16 , Le Sultan généreux , ou les Amans
introduits au Serrail , Ballet héroï - pantomime
du fieur Pitro , a été remis au Théâtre , avec des
corrections de M. Dehelle. Le Public en a paru
très -fatisfait . Mlle Catinon a danfé , dans ce Ballet,
les entrées du fieur Pitro , avec un applaudiffement
général.
Le 22 , jour de la clôture , le fieur le Jeune a
prononcé le Compliment ; & a été fort applaudi.
OPERA - COMIQUE.
LE 6 Mars , le jour même que les Comédiens
Italiensont repréfenté , pour la premiere fois , le
Volage , ou le Quiproque ; l'Opéra - Comique a
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
donné la premiere repréfentation des Troqueurs
dupés. Les paroles de la Piéce , ont fait tort à la
Mufique de M. Philidor , aux Italiens ; & la Mufique
a nui beaucoup aux paroles de M. Sedaine ,
a l'Opéra-Comique. Le fujet des Troqueurs dupés
, eft celui du Conte de la Fontaine , allujetti
aux moeurs & aux bienséances d'un Théâtre ,
fur lequel les Directeurs ont réfolu de ne ſouffrir
que ce qui peut avoir droit de plaire aux oreilles
les plus délicates.
Le fuccès du Maître en Droit , & les applaudiffemens
qu'ont reçus les Auteurs de cet ouvrage
, ont infpiré à M. de Marcouville le deffein
d'en faire la Parodie , fous le titre du Maître
d'Ecole. Elle fut jouée le 14 , & fut reçue avec
plaifir. La Mufique en a parue forte , variée , &
pleine de tableaux . L'Auteur , en gardant l'anonyme
, a prouvé l'excès de fa modeftie : mais le
Public ne lcuoit pas moins à voix baffe , celui qu'il
eût defiré pouvoir complimenter plus hautement .
Ramponneau , la Courtille , les gueux qui s'y
vont enyvrer , les riches qui vont jouir de ce
fpectacle , offroient l'efquiffe d'un tableau dans le
goût de Teniers : c'étoit un fujet à faifir , à
compoſer , à apprendre , & à repréfenter trèspromptement.
Deux ou trois Auteurs fe font
joints ; & la Pièce , fous le titre des Pélerins de la
Courtille , a été jouée le 22 de ce mois . Ils ont
même cru devoir profiter de l'occafion , pour
parodier en même temps les Paladins . Et quoique
négligée dans le ftyle , cette Piéce a produit
tout fon effet , fi le but des Auteurs étoit de faire
beaucoup rire.
CONCERT SPIRITUEL.
IL y a eu Concert , le Dimanche 3 Mars ,
le Mardi 25 , jour de la fête de l'Annonciation .
&
1
AVRIL 1760. 201
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES:
De PETERSBOURG , le 12 Février 1760.
LEE cartel conclu entre notre Cour , & celle
de Berlin, éprouve chaque jour de nouvelles difficultés.
Il vient de s'en élever une , au fujer des
Autrichiens & des Saxons , pris au fervice du Roi
de Pruffe , qui demande qu'ils foient compris dans
l'échange . Impératrice prétend au contraire , ne
lai rendre que les -foldats nés fous fa domination ,
ou qui ont embraffé volontairement fon fervice.
On ne fçait point encore quelle fera la fuite de
cette conteftation.
On a appris d'Archangel , que le mois dernier,
la liqueur du Thermometre , y eft defcenduë jufqu'au
deux cent dix - feptiéme degré de la divifion
du Sieur Delifle , ce qui revient prèſque au
trente -fixiéme de celle de Réaumur , au -dellous
de la congélation
.
De VIENNE , le 13 Février.
Le mariage de l'Archiduc Jofeph avec l'Infante
labelle , fille aînée de l'Infant Don Philippe , Duc
de Parme , de Plaifance & de Guastalla , eft déci
dé. Le Prince Wenceslas de Lichtenſtein , a été
nommé
pour aller faire la demande de cette Princeffe
‹ & la conduire en cette Cour. Il fait les préparatifs
néceffaires pour fon voyage. On ne croit
cependant pas que ce mariage foit célébré , avans
le mois d'Août prochain.
202 MERCURE DE FRANCE.
Le Lieutenant général Beck, ayant appris qu'un
corps de troupes Pruffiennes avoit pris pofte entre
Coldorff , Muhlberg , & Torgau , forma le projet
de le furprendre. Il fit un détachement , & chargea
le Général Zettwitz de l'exécution de cette
entreprife. Pendant la marche de ce détachement,
le Général de Simfchonn , à la tête de deux mille
hommes , longea l'Elbe en defcendant ce fleuve;
& il fe porta près de Meffein. De là il pouffa des
détachemens vers Riefa & Strehla , pour fixer de
ce côté l'attention de l'ennemi . Cette ruſe réullit.
Nos troupes , ayant paffé le Roeder , arriverent
à la portée de Cofdorf , où étoit le principal corps,
ennemi , fans qu'il eût foupçonné leur marche.
Les Pruffiens furent entièrement difperfés & culbutés.
Le Général de Zetteritz , qui les commandoit
, fut fait prifonnier , avec fix autres Officiers.
On marcha de là aux troupes Pruffiennes , qui
commençoient à fe raffembler à Blumberg. Mais
elles n'attendirent pas les nôtres . Elles fe retirerent
en défordre à Torgau & à Wittemberg.
Nos troupes ont fait , dans cette occafion , deux
cent quatre-vingt-un prifonniers . Nous ignorons
encore le nombre de Pruffiens tués . Tout le bagage
ennemi a été pris , & l'on y a trouvé les uniformes
neufs du régiment de Schmettau . On a pris
aufli cinq cens chevaux de cavalerie , de trait , ou
de bât . Notre perte confifle , en quarante - cinq
hommes tués ou bleffés .
Les Princes Albert & Clément de Saxe , feront
la campagne ; l'un , dans l'Armée Autrichienne ,
l'autre , dans l'armée Ruffe.
Sa Majesté Impériale , voulant reconnoître les
fervices de la Maifon de Hohen -lohe - Waldenbourg,
a érigé le Comté de Waldenbourg en
Principauté fouveraine de l'Empire , avec toutes
les prérogatives attachées à ce titre. Cette érecAVRIL.
1760 . 203
tion a été notifiée à l'Electeur de Mayence, comme
Archi-Chancelier de l'Empire , à la diéte de l'Empire
, & à celle du cercle de Franconie , dont le
Comté de Waldenbourg fait partie . Le Feld-
Maréchal Baron de Marshal , qui venoit de l'armée
de Saxe dans cette Ville , eft mort en chemin.
De LEIPSICK , le 15 Février.
Le Roi de Pruffe , que nous eſpérions en vain
de fléchir , a continué , jufqu'aux premiers jours.
de ce mois , de traiter cette ville avec la derniere
rigueur , pour en tirer le total des contributions
impofées tant en argent qu'en Soldats . Au défaut
des Peres de famille , qui avoient pris la fuite , on:
emprifonna leurs parens ou leurs commis , Om
n'en a pas excepté les femmes , les enfans , &
même les jeunes filles . Une partie de ces prifonniers
refta à la grande garde , manquant des
chofes les plus néceffaires a la vie , & exposée aux
infultes des Soldats Pruffiens .
Tout le reste de l'Electorat de Saxe, eft accablé
de la meme manière . f
DE ROME , le 19 Février..
Le Cardinal Orfini , Miniftre Plénipotentiaire
da Roi des deux Siciles reçut le 4 de ce mois , au
nom de ce Prince , l'inveftiture du Royaume de:
Naples.
le:
La Bulle d'inveſtiture accordée au Roi des deux
Siciles , eft entièrement femblable a celle que
Pape Clément XI , donna a l'Empereur Charless
VI. Elle porte donation du Royaume de Naples ,,
non feulement au Roi Fer hinand , mais encore:
à fes defcendans tant ma es que formelles. Il n'a
poina été queltion de la caule ultra Pharum.
I W
204 MERCURE DE FRANCE.
DE LONDRES , le Mars.
On eft ici dans un grand embarras , au fujet de
la flotte qu'on le propofoit d'envoyer dans la mer
Baltique . D'un côté , le Roi de Pruffe infifte far
cet envoi ; & il annonce que fans cela , il fongera
à faire la paix . De l'autre côté , l'on fent qu'on ne
fauroit l'effectuer fans fe brouiller avec la Ruffie.
On attend fur cela le fuccès des négociations du
fieur Keith , notre Minittre en cette Cour.
DE LA HAY E , le 7 Mars.
Les de ce mois , le mariage de la Princeffe
Caroline avec le Prince de Nallau -Weilbourg , a
été célébré à la haute Eglife. Il y a eu a ce fujet ,
beaucoup de fêtes dans cette Ville . Le Prince avoit
déjà été nommé par leurs Hautes Puntlances
Général de l'Infanterie .
FRANCE.
'Nouvelles de la Cour , de l'Armée du bas
Rhin , de Paris , &c
De VERSAILLES , le 28 Février , & jours
L
fuivans.
E fieur Bignon , Commandeur , Prevôt , &
Maître des Cérémonies des Ordres du Roi , fon
Eibliothécaire , Maître des Requêtes , de l'Académie
Françoife , & honoraire de celle des Infcriptions
, a été chargé par Sa Majefté de porter au
Prince des Afturies , & à l'Infant . Don Louis , le
Collier , & les marques des ordres du Roi.
AVRIL. 1760. 205
Le 18 Février , le Roi , la Reine , & la Famille
Royale , fignerent le contrat de mariage du Marquis
de Juigné , Colonel du Régiment de Champagne
, avec Demoiſelle Thiroux de Chammeville
, fille du feur de Chammeville , l'un des
Adminiſtrateurs généraux des Poftes.
Le 2 , le Roi tint un Chapitre extraordinaire
de l'Ordre du S. Efprit , & il nomma Chevalier
de cet Ordre , le Roi des Deux - Siciles . Le 3 , Sa
Majefté tint le Sceau .
Le Roi a nommé le fieur de Sinety. , Capitaine
dans le Régiment des Gardes Françoifes , Sous-
Gouverneur de Monfeigneur le Duc de Berry ; &
il lui a accordé une penfion de retraite de fix
mille livres. Sa Majeſté a auffi nommé le Comte
de Montault & le Vicomte de Boisgelin , Gentilshommes
de la Manche du même Prince.
Le Roi a donné le commandement de la Province
de Rouergue , & de toute l'étendue des Evêchés
de Rhodes & de Vabre , au Baron de Tullier
, Meftre-de-Camp de Dragons , Inspecteur
des Milices Garde-côtes de Guyenne , & Gouverneur
de Rhodès.
Sa Majesté a accordé au Chevalier de Crancé,
Ecuyer de main de Madame la Dauphine , le
Gouvernement de Châlons en Champagne , vadepuis
la mort du Comte d'Estaing. cant
Le Roi a nommé l'Abbé Moftuejour , Grand-
Vicaire de Chartres , Sous- Précepteur de Monfeigneur
le Duc de Berry
Le 1 ,, le Roi , la Reine , & la Famille Royale ,
fignerent le contrat de mariage du Marquis de
Rougé . Colonel du Régiment de Foix , avec N..
d'Havré , fille du Duc de ce nom ; & celui du
Comte de Parabere , avec Dile de Perigni.
Le 17 , le Prince de Condé eut l'honneur de
faire les révérences au Roi , a la Reine , & a la ›
Famille Royale. Il étoit en manteau long , ainfi
206 MERCURE DE FRANCE.
que les Gentilshommes de fa fuite. Les Princes
qui l'ont accompagné à cette cérémonie , font le
Comte de Charolois & le Comte de Clermont.
Le 18 , Sa Majesté tint le Sceau .
Le Roi a donné l'Abbaye Royale & Séculière
de S. Pierre de Metz , à la Dame de Choiſeul ,
Chanoineffe de Remiremont.
Et le Prieuré des Filles- Dieu , Diocèfe & Ville
de Rouen , à la Dame Dutot de Beaunay , Religieufe
a l'Abbaye de Fontaine- Guérard .
De l'Armée du Bas Rhin , le 24 Février.
Nous jouillons , dans nos quartiers , de toute
Ia tranquillité qu'on peut defirer. Le Maréchal.
de Broglie a envoyé à Fulde un fort détachement ,
compofé de piquets de divers Régimens , fous les
ordres du fieur du Vair. Cette difpofition a pour
objet de protéger cette Ville , contre les partis de
F'Armée alliée , qui ne ceffoient d'y commettre
des exactions .
La Régence du Comté de Hanau , ayant reçu
la-nouvelle de la mort du Landgrave de Helle-
Caffel , en informa le Maréchal Duc de Broglie ;
& tout de fuite elle demanda au Prince de Robecq
, Commandant, pour le Roi de France, dans
la Ville de Hanau , la permiffion de notifier cet
événe nent aux Peuples : mais au lieu de cette
fimple notification , elle fit une eſpèce d'acte de
prife de poffeffion du Comté de Hanau , en faveur
du Prince Guillaume de Helle Caffel , fils
aîné du nouveau Landgrave . Comme certe entreprise
fut exécutée à l'infçu du Maréchal de
Broglie , dans un Pays qui ne peut & ne doit
reconnoître d'autre autorité que celle du Roi
de France , qui en a la poffeffion actuelle , par
le droit des armes , ce Général fit arrêter le 9 de
ce mois , les quatre principaux Officiers de cette
AVRIL. 1760. 207
Régence , & il les fit conduire dans une Maiſon
fûre,pour yêtre féparément & étroitement gardés,
jufqu'a ce qu'il eût reçu les ordres du Roi fon
Maitre en conféquence defquels , il fic fubie
hier le même fort aux autres Officiers de la Régence.
En même temps , il fit publier une Ordonnance
, qui , en annullant la proclamation
faite d'autorité privée par cette Régence , comme
attentatoire aux droits que les loix de la
guerre donnent à Sa Majeſté Trés - Chrétienne , &
en fufpendant les fonctions , condamne les
Membres qui la compofent , à refter en prifon ,
jufqu'à ce qu'ils ayent payé la fomme de deux
cens mille écus , en expiation de leur rébellion.
Cette punition paroîtra ſévère , au premier coup
d'oeil ; mais elle eft douce en comparaiſon des
traitemens rigoureux , que le Roi de Prulle fait
éprouver aux Magiftrats de Leipfick & autres
Villes . D'ailleurs , elle ne peut être que juſte ,
étant inoui que les Magiftrats d'un Pays occupé
par le droit des armes , oublient jufqu'à un tel
point leur devoir à l'égard de la Puiffance qui
les a foumis.
DE PARIS , le 8 Mars.
Charlotte - Godefride - Elifabeth de Rohan - Soubife,
Princeffe de Condé , mourut, a l'Hôtel de
Condé , la nuit du Mardi au Mercredi
dernier ,
dans le vingt- uniéme jour de fa maladie , &
la vingt
- troiliéme année de fon âge. Cette Princeffe
étoit fille de Charles de Rohan , Prince de
Soubife
,
Maréchal deFrance, Pair du Royaume,
Capitaine-
Lieutenant
des Gendarmes de la garde
duRoi ,
Gouverneur
de Flandre & du Hainault;
& d'Anne-Marie Louife de la Tour d'Auvergne,
Princellede Bouillon. Elle avoit été mariée le
Mai
137532
à Louis -Jofeph de Bourbon-Condé
3
208 MERCURE DE FRANCE.
Prince du Sang , Grand- Maître de la Maiſon
du Roi , & Gouverneur de la Proviuce de Bourgogne,
Elle a eu de ce mariage , N. de Bourbon-
Condé , Duc de Bourbon , né le 13 Avril 1756 ;
Marie de Bourbon- Condé, née le 16 Février 1755,
morte le 22 Juin 1759 ; & Mademoiſelle de
Bourbon- Condé , née le ƒ Octobre 1757.
Cette Princeffe réunifloit toutes les vertus Chrétiennes
& Morales : fon caractère doux & affable ,
lui avoient gagné l'affection de toutes les perfonnes
qui avoient l'honneur de l'approcher :
elle eſt univerſellement regrettée . Les pauvres
pleurent amérement , en elle , une mere & une
amie , que leurs voeux n'ont pu leur conferver.
Le corps de cette Princefle , après avoir été
embaumé , a été expofé pendant un jour furune
eſtrade , éclairée par un grand nombre de lumieres
, & tendue de noir. Il fut porté , le
8 de ce mois , au Couvent des Carmelites du
Fauxbourg Saint Jacques , pour y être inhumé. Le
cortége du Convoi étoit compofé de cent pauvres,
couverts de drap blanc , & tenant chacun un
flambeau ; des Officiers , des Suiffes , & des Valets
de chambre de la Princeffe , à cheval ; de cent
cinquante Valets de pied ; de trois caroffes drapés
, à fix chevaux , harnachés & caparallonnés
de noir , qui étoient remplis par les Ecuyers , les
Gentilshommes , & les Femmes de chambre ; &
de trois caroffes à huit chevaux . Dans le premier,
étoit l'Archevêque de Bordeaux , portant le coeur,
le Curé de Saint-Sulpice , le Confeffeur , & les
Aumôniers de la Prince ffe. Dans le fecond , étoit
le
corps de la Princelle . Dans le troifiéme , étoit
Mademoiſelle de Sens , avec la Princeffe de Marfan,
Chanoineffe de Rémiremont ; la Dame d'honneur
de Ma lemoiſelle de Sens , & les Dam's attachées
à la Princeffe défunte. Lorsqu'on fut aur
AVRIL. 1760. 209
Carmelites , le corps fut defcendu du caroffe par
huit Valets de Chambre , & porté fous le portique
intérieur de l'Eglife , où les Religieufes , tenant
chacune un cierge à la main , étoient rangées
à droite & à gauche , avec trente Eccléfiaftiques
, le Supérieur de la Maiſon à leur tête.
L'Archevêque de Bordeaux , en camail & en
rochet , accompagné du Curé de S. Sulpice , en
étole , en préfentant le corps & le coeur de la
Princeffe aux Carmelites , leur fit un Difcours ,
auquel le Supérieur répondit : enfuite les Religieufes
commencèrent l'Office des Morts. Les
Prières finies , les huit Valets de Chambre portèrent
le corps près de la foife ; & l'y ayant
defcendu , le coeur fut pofé fur la croix du cercueil.
Mademoiſelle de Sens , qui menoit le deuil,
étoit en longue mante , dont la queue étoit portée
par fon Ecuyer. La Princeffe de Marfan ; la
Dame d'honneur de Mademoiſelle de Sens , &
les Dames de la Princefle défunte , étoient auffi
en mante.
Le 6 de ce mois , l'ouverture folemnelle de
l'Affemblée générale du Clergé de France , fe fit
dans l'Eglife des Grands-Auguftins , par la Mefle
du Saint- Elprit. L'Archevêque de Narbonne y
officia pontificalement . Le 9 , les Archevêques
de Narbonne , d'Auch & de Bordeaux , & les .
Evêques de Grenoble , d'Auxerre & du Puy , Préfidens
de l'Affemblée , avec les autres Prélats &
les Députés du fecond ordre , qui compofent cette
Affemblée allerent à Verfailles rendre leurs
respects au Roi. Ils s'affemblerent dans l'appartement
qui leur avoit été deſtiné ; & le Comte de
S. Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , étant
venu les prendre pour les préfenter à Sa Majefté
, ils furent conduits à l'Audience du Roi
avec les honneurs que reçoit le Clergé lorsqu'il
>
115 MERCURE DE FRANCE.
eft en Corps. Les Gardes du Corps étoient en
haye dans leur falle , & les deux battans des
portes étoient ouverts. L'Archevêque de Narbonne
harangua le Roi , après quoi il préfenta
les Députés à Sa Majefté. Ils eurent le même
jour audience de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin, & de Madame la Dauphine , étant préfentés
& conduits avec les mêmes honneurs .
Le 11 , le fieur Feydeau de Brou , Confeiller
d'Etat ordinaire , & au Confeil royal ; le Comte
de Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat s
le fieur Trudaine , Confeiller d'Etat ordinaire , &
au Confeil royal , & Intendant des Finances ; le
fieur d'Ormeffon d'Amboile , Confeiller d'Etat &
Intendant des Finances ; & le fieur Bertin , Confeiller
ordinaire au Confeil royal , & Contrôleur
général des Finances , vinrent , en qualité de
Commiffaires du Roi , à l'Affemblée du Clergé ,
où ils furent reçus avec les cérémonies ufitées en
pareille occafion . Le fieur Feydeau de Brou, porta
la parole.
L'Alfemblée du Clergé ayant accordé unanimement
le don gratuit de feize millions , qui lui
avoit été demandé de la part du Roi ; fur le
compte que l'Archevêque de Narbonne en a rendu
à Sa Majefté , le Roi lui en a témoigné fa fatisfaction
par une Lettre remplie de marques de
bonté & d'affection pour le Clergé.
Le 24 du mois de Janvier , la Société royale
de Londres , élut , d'une commune voix , pour
Aflociés , le fieur de la Caille , de l'Académie des
Sciences , & Profefleur de Mathématiques au
Collège Mazarin ; & le fieur Pereire , Penfionnaire
du Roi , célèbre par fon art d'enfeigner à parler
aux muets de naiffance.
Les Lettres arrivées depuis peu de divers lieux
de la Syrie , confirment la nouvelle des trem
AVRIL. 1760. 211
blemens de terre réitérés qui ont détruit la plûpart
des Villes de cette contrée. Les deux principales
fecouffes fe font fait fentir le 30 Octobre
dernier , à trois heures trois quarts du matin ,
& le 25 Novembre , à fept heures & un quart du
foir. Les autres ont été en fi grand nombre, qu'on
ne put les compter. Tripoli de Syrie , n'eft plus
qu'un monceau de ruines , de même que Saphet ,
Napoulouſe , Damas , plufieurs autres Villes , &
ane multitude de bourgs & de villages.Il s'est fait,
à ce qu'on ajoute , près de Bulbec , dans la terre ,
une fente de plufieurs toifes de largeur , & de
vingt lieues de longueur.
On apprend d'Alquin , fous Vezelay, en Bourgogne
, qu'on y a effuyé , vers le milieu du mois
dernier , un furieux ouragan. Il a déraciné ou
brifé prèfque tous les arbres d'un bois de trentefix
arpens , auffi bien que ceux des campagnes
voifines. Le tremblement de terre du 20 Janvier,
s'y eft auffi fait fentir avec une violence particu
lière ; & il y caufa une très- grande frayeur.
Les nouvelles que l'on a reçues d'Angleterre
& d'Irlande , nous apprennent que le Capitaine
Thurot débarqua le 18 du mois dernier à Karickfergus
en Irlande. Le 21 , on attaqua Karickfergus
, qui fe défendit quelque temps ; mais le
Lieutenant- Colonel Jennings , le voyant prêt à
être forcé , rendit le Château ; & la garnifon fut
prifonnière de guerre. On a eu , à cette attaque ,
17 hommes tues , dont trois Officiers du Régiment
des Gardes Françoifes , les fieurs de l'Epinay
, de Novillard , & le Chevalier de Boillac ;
& environ trente hommes bleffés , du nombre
defquels font , le fieur Villepreaux , Capitaine
des Grenadiers au Régiment de Cambis , qui a
reçu un coup de fufil dans le bras , & le fieur
Flobert , Brigadier , commandant les troupes da
212 MERCURE DE FRANCE.
débarquement , qui a auffi été bleffé d'un coup
de feu à la jambe.
On a été retenu à Karickfergus jufqu'au 27 ,
par les vents contraires ; & la nuit du 27 au 28 ,
on a remis à la voile , avec des ôtages , pour 100
mille livres fterlin de contribution . Le 28 au matin
, on a été rencontré près de l'Ifle de Mann ,
par trois frégates Angloifes , de 36 canons chacune.
Le combat a été très-vif pendant plus d'une
heure ; mais les frégates , délemparées & percées
de coups de canon , fous l'eau , ont été obli
gées d'amener. Le fieur Thurot a été tué , dans le
combat . Les talens peu communs , l'expérience ,
& le courage de cet Officier , méritent les plus
grands regrets de notre part , & lui avoient acquis
l'eftime de nos ennemis même . Le fieur
Dars , Officier au Régiment des Gardes Françoi
fes , a aufli été tué. Le fieur Cavenac , Aidemajor
du même Régiment , a été bleflé à la
rête d'un coup de feu , que l'on croit n'être pas
dangereux. Le fieur Joft , Officier au Régiment
des Gardes Suiffes , a eu un bras emporté. Les
autres Officiers bleſſés font , le fieur de Brie , Capitaine
, le fieur Mafcle , Aide -major , & le fieur
Callale , Lieutenant au Régiment d'Artois. Les
fieurs de Garcin & de Brazide , Capitaines au Régiment
de Bourgogne , & le fieur Ollery , Lieutenant
dans les Volontaires étrangers.
On a appris depuis , par une Lettre , venant de
Ife de Mann , en datte du 2 Mars , que le
combat a commencé à fept heures du matin , &
n'a fini qu'à 9 heures & demie ; que M. Thurot ,
après avoir eu affaire à la premiere frégate Angloife
l'avoit forcée de fe retirer pour fe réparer ;
les deux autres font venues la remplacer , &
l'ont mis entre deux feux ; & que M. Thurot n'a
été tué , qu'après avoir tenté un nouvel abordage
que
AVRIL. 1760. 213
contre la premiere frégate , qui revenoit à lui,
après s'être réparée . On ajoute , que M. Thurot a
été enterré dans l'Iſle de Mann , par les Anglois ,
avec tous les honneurs militaires qu'ils ont cru
devoir à un homme dont la valeur , l'expérience ,
& l'humanité , n'ont point connu de bornes.
Suivant les nouvelles apportées à l'Orient , de la
côte de Coromandel , il s'eft engagé le 10 Septembre
de l'année derniere , un combat très - vif
entre l'efcadre Françoife commandée par le fieur
Daché , & l'efcadre Angloife commandée par l'Amiral
Pocock. On n'a point encore de détail circonftancié
de cette action .
Les mêmes lettres ajoutent , qu'il y a eu le 30
Septembre , un combat entre les troupes Françoiles
& Angloifes , à Vandavachi , près d'Afcate ,
arente lieues de Pondichéri. Les Anglois étoient
20 nombre de dix - fept cens blancs , & de quatre
mille noirs . l'armée Françoiſe étoit de onze cens
blancs , commandée en l'abſence du fieur de Lalli
qui étoit à Pondichéri , par le fieur de Géoghégan
Capitaine de Grenadiers du Régiment de Lalli.
L'affaire fur très-vive , & dura cinq heures . Les
François refterent enfin maîtres du champ de ba
taille.
Les Anglois ont eu 350 hommes de tués , & un
grand nombre de bleffés. On leur a fait cinq Officiers&
56 foldats prifonniers. On leur a pris quatre
piéces de canon , & deux chariots d'artillerie.
Notre perte n'a été que de 36 hommes tués , & de78 bleffés. Du nombre des premiers
, font , les fieurs Gineftoux
& de Gouyon
, Capitaines
dans le Régiment
de Lorraine
; & les Geurs de Main- ville & Papillaut
, le premier , Commandant
du
Bataillon de l'Inde , & le fecond
, Lieutenant
dans les troupes au fervice de la Compagnie
des
Indes.
214 MERCURE DE FRANCE.
MARIAGES.
Pierre-Louis , Marquis de Treffort , Capitaine
au Régiment de Foix , fils d'Antoine Philibert ,
Marquis de Grollier ; & de Gabrielle- Claude Colbert
de Villacerf , a époufé le 20 du mois de
Février 1760 , Charlotte - Euſtache Sophie de Fuligny
, Dame , Comtelle de Reauremont , fille
de feu Henry de Fuligny- Damas - Rochechouard ,
Baron d'Aubigny ; & de Dame Marie- Gabrielle
de Pons - Praflin . La bénédiction nuptiale leur a
été donnée au Château d'Agée , près de Dijon ,
par M. l'Abbé de Damas,grand Cuftode & Comte
de Lyon , oncle de ladite Dame.
Louis - Hercule - Timoléon de Coffé , Duc de
Coffé-Briffac , Meftre-de-Camp du Régiment de
Bourgogne , Cavalerie , a époufé , le 28 du mois
dernier, Adélaide-Diane-Hortence- Delie Mancini
de Nevers , feconde fille de Louis - Jules- Barbon .
Mazarini Mancini , Duc de Nivernois , Pair de
France, Grand d'Espagne, Noble Vénitien , Baron
Romain , Chevalier des Ordres du Roi , Brigadier
de ſes Armées , l'un des Quarante de l'Académie
Françoiſe, & honoraire de celle des Infcriptions &
Belles Lettres , ci-devant Ambaffadeur extraordinaire
auprès du S. Siége ; & d'Hélene - Angélique-
Françoife Phelypeaux de Ponchartrain.La bénédic
tion nuptiale leur a été donnée par l'Archevêque de
Tours , dans la Chapelle de l'Hôtel de Nivernois.
Leurs Majeftés , & la Famille Royale , avoient
figné leur contrat de Mariage le 23. Le Duc de
Coffé eft fils de Jean - Paul - Timoléon de Collé-
Briffac , Duc de Brillac , Pair de France , Chevalier
des Ordres du Roi , Lieutenant général de
fes Armées , Gouverneur de Sârlouis , grand Pan
AVRIL. 1760. 215
netier deFrance ; & de Dame Marie-JofepheDurey
de Sauroy.
Achilles-Jofeph Robert , Marquis de Lignerac ,
grand Bailli d'epée , Lieutenant- général , &
Commandant pour le Roi , dans la haute Auvergne
, Capitaine au Régiment de la Ferronaye ,
Dragons, fils defeu Charles- Jofeph Robert, Comte
de Lignerac , Enfeigne des Gendarmes de la Garde
du Roi ; & de Marie - Françoife de Broglie ; a
époulé , le 4 de ce mois , Marie-Odette de Lévi-
Chateau Morand , fille de feu François- Charles
de Lévi- Chateau- Morand, Lieutenant général des .
Armées du Roi , & de la Province de Bourbonnois ;
& de Dame Philiberte Languet de Rochefort . La
bénédiction nuptiale leur a été donnée , dans la
Chapelle de l'Hôtel d'Ambre , par l'Evêque de
Pamiers. Leur Contrat de Mariage avoit été figné
,le 18 du mois dernier , par Leurs Majeftés ,
& par la Famille Royale.
Joachim -Charles Laure de Montagu , Vicomte
de Beaune , Lieutenant général de la Balle- Auvergne
& du pays de Combrailles , Colonel du
Régiment de Bretagne , Infanterie , fils aîné de
feu Joachim Montagu , Marquis de Bouzols ,
Maréchal - de - Camp , Lieutenant général de la
baffe-Auvergne & du pays de Combrailles ; &
de Laure-Anne Filtz-James , Dame du Palais ,
a épousé , le 3 de ce mois , Marie - Hélene - Charlotte
Caillebot de la Salle , fille de Marie- Louis
Caillebot , Marquis de la Salle , Lieutenant-général
des Armées du Roi , Gouverneur & Lieutenant
général de la Haute & Baffe Marche ,
Capitaine Sous-Lieutenant des Gendarmes de la
Garde ; & de feue Dame Marie-Françoife- Charlotte
de Benoife. La bénédiction nuptiale lear
a été donnée, dans la Chapelle de l'Hôtel de
Matignon , par l'Evêque de Soiffons , oncle du
216 MERCURE DE FRANCE.
Vicomte de Beaune Leur Contrat de mariage
avoit été figné , le premier de ce mois , par
Leurs Majeftés , & par la Famille Royale .
MORTS.
Louis-Antoine de Brancas , Duc de Villars ,
Pair de France , Chevalier des Ordres du Roi , &
de celui de Saint Janvier de Naples , ancien
Colonel du Régiment d'Orléans , Infanterie ,
mourut en cette Ville , le 29 du mois dernier ,
dans la foixante - dix - huitiéme année de fon
âge.
Claude de Rouvroy de Saint Simon , Evêque
de Metz , & en cette qualité Prince de l'Empire ,
Abbé de l'Abbaye Royale de Jumiege , Ordre de
Saint Benoît , Diocèle de Rouen , eft mort à
Metz, le 29 du même mois , âgé de foixantefept
ans.
Michel Petrowitz , Comte de Befuchef- Rumin,
Chevalier des ordres de l'Impératrice de Ruffie ,
Maréchal de la Cour de cette Princeffe , un de
fes Confeillers intimes , & fon- Ambaſſadeur
extraordinaire & plénipotentiaire auprès du Roi ,
mourut en cette Ville , le 8 , âgé de foixantequinze
ans.
Meffire Victor- Amédée de Lafond de Savines ,
'Abbé Commendataire de l'Abbaye Royale de
Bofcaudon , anciens Bénédictins , Diocèle d'Embrun
, eft mort le 29 du mois dernier , âgé de
quatre-vingt- quatorze ans.
Dame Marie - Anne - Angélique Charpentier
d'Ennery , veuve du Marquis de Breteuil , Commandeur
des Ordres du Roi , Miniftre & Secrétaire
d'Etat au département de la guerre , mou-
Tut le 17 de ce mois , dans la foixante- onzième
e fon âge.
SUITE
AVRIL. 1760. 217
SUITE de l'Etat de la Vaiffelle portée
aux Monnoies des Villes de Province.
ROUEN.
Du 17 au 22 Décembre 1759 .
Meffieurs
Landry , Receveur des Octrois.
Gaillard , Receveur général des
Fermes.
de Boifmont , Procureur général
de la Chambre des Comptes.
de Flavigny , Manufacturier.
le Marquis de Chaulieu.
le Préfident Courvaudon .
m. o. g. d.
57 3
2444 3
68 S
6
41 6 I 12
32 3 12
270 2 6
LYON.
Du 17 Décembre 1759 , au 29 Février 1760 .
Meffieurs
De Falconet , Commiffaire des
guerres , à Tournon.
le Marquis de Lemps , Commandant
à Tournon.
La Chartreuse de Pierre Châtel.
Les R. P. Céleftins .
m.
0. g.
148 7 18
135 2.21
296 12
126 1 6
l'Abbé de Maubourg,Comte de Lyon. 134 1 21
Bathéon de Vertzieu , Gouverneur
de Vienne.
I. Vol.
145
K
218 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Lyon.
L'Abbaye Royale de Sainte Claire
d'Annonay.
Le premier Monaftere de la Vifitation
de Saint Marie.
l'Evêque du Puy.
L'Eglife Paroiffiale & Collégiale de
Bourg.
Les Céleftins du Colombier.
Madame la Comteſſe de Broglie.
Girard , Tréforier de France.
le Comte de la Poype.
L'Eglife Paroiffiale de Neuville .
le Comte de Vogué , Brigadier des
armées du Roi.
le Marquis de la Tourrette , Baron
des Etats de Languedoc.
Le Monaftère de la Vifitation , Sainte
Marie de Saint Etienne.
Maindeftre , Tréforier de France.
L'Evêque de Valence.
de Saint Véran .
Les Chanoines de Saint Rambert ,
Ordre de Cluny .
Chauvet , Secrétaire du Roi à St.
Etienne.
d'Efpagnac , Brigadier des armées
du Roi , Commandant
à Bourg.
Les Miffionnaires de S. Jofeph .
Chalut , Chanoine à Belleville .
le Marquis de la Chaife , Lieut . gén.
Les Cordeliers de S. Bonaventure .
Les Religieufes de S. Benoît.
Les Cordeliers de l'Obſervance.
Mlle Bourlier.
m. 0 .
22 3
87 3
141 4 3
II 4 6
14 3
37 S 3
"
39 I 3
115
26 6
12
7653
70 5 3
217 18
32 6 18
1726 15
41 II
IS 2 18
22
.
66 3
6 18
3 6 ,
71 4
176 2 12
38 1 18
25 I 9
15 33
AVRIL. 1760 . 219
•
1
Meffieurs
Suite de Lyon.
Le tiers-ordre de S. François.
le Comte de Vaux , Lieuten. gén.
les Dominicains .
les Chanoines , Barons de S. juflt.
les Fabriciens de S. Pierre le Vieux.
les Religieufes de Sainte Catherine ,
à S. Etienne .
les Couriers de la Chapelle des
Paffementiers.
La Congrégation des Théologiens ,
au Grand Collège.
La Congrégation des Rhetoriciens ,
audit Collège.
LaCongrégation de Meffieurs , audit
Collège.
La Congrégation des jeunes Artifans ,
Caudit Collège.
1
les Dominicains de Bourg.
les Chanoines d'Ainay .
les Chanoines de S. Antoine.
les Congréganiftes du Mariage de
la Sainte Vierge.
les Chanoines réguliers de la Sainte
Trinité .
d'Origny , Receveur des Gabelles.
les Grands Auguftins .
Les R. P. Chartreux du Couvent
de Porte.
Les Religieufes de la Chartreufe
de Salette.
Les R. P. Chartreux de Lyon.
les Pénitens de la Miféricorde.
les Camerier & Chanoines du Chapitre
de S. Paul.
m
0. g.
22 4 12
49 3 10
6 45 6
30 6 12
84 7
22 7
70 2 18
31 I 6
43 3 6
127 I
3
24 4
97 18
25 3 9
59 I ୨
132 6
3
7 2 3
17 3 IS
397 3
17 I
582 15
20 4 18
108 7 3
110 4 12
Kij
220 MERCURE DE FRANCE
Meffieurs
Suite de Lyon.
m. o. g.
273 6 de Combles , Secrétaire du Roi.
les Carmes des Terreaux.
les Courriers de la Confrérie des
Plieurs de foie.
de la Valette , Chevalier d'honneur
de la Cour des Monnoies.
Chanorier , Receveur des Tailles.
les Chanoines du Chapitre de S.
Nifier.
les Pénitens de la Royale Compagnie
du Coufalon.
Les Religieufes du premier Monaſtère
de Sainte Elizabeth .
Bottu de la Balmondiere.
Hacte , Recev. gén. des Domaines .
Madame de Mélun ; Abbeffe de
l'Abbaye Royale de S. Pierre.
les Chanoines du Chapitre de Fourvière.
Bourlier d'Ailly , Tréforier de Fr.
Tabarreau , Directeur des Poftes.
les Religieufes de Beaulieu en
Roannois.
Madame de Montjouvent , Abbeffe
42 2 21
16
2852 12
so s 12
44 6 .
41 S
26 I
36 6 6
75
602 3
8.4 12
35 1 9
38 4 12
7 12
de l'Abbaye Royale de la Déferte. 32 4 Is
les Confreres de S. Nicolas de S.
Vincent. 19.2 12
Matières d'or portées à ladite Monnois .
Meffieurs
Pupil , premier Préfident de la
Cour des Monnoies.
Millanois , fils.
m . 0.
7156
AVRIL. 1760. 221
Suite de Lyon.
Me fieurs
d'Efpagnac , Brigadier des armées
du Roi.
Chalut , Chanoine à Belleville.
de Combles , Secrétaire du Roi.
m. o. g.
d.
5236
6 12
6
LA ROCHELLE.
Du 29 Décembre 1759 , au 12 Févr. 1760.
Meffieurs
le Marquis de Champagné.
de Mougon , Lieutenant des Maréchaux
de France.
L'Evêque de Saintes.
Jourdain , Prieur de l'Abbaye de
Moreille.
Seimars de Boiffizeau.
m . 0. g.
19 2 12
2 I I2
285 1 3
53 1 6
136
BORDEAUX.
Du 2 Janvier , au 23 Février 1760.
Meffieurs
Les Bernardins , de Sainte Livrande.
Les Feuillans , de Bordeaux.
de Reftais , Secrét . de l'Intendance.
Les Bernardins , de l'Abbaye de Faife.
m. o. g. ↑
27 4 12
45 4
18 1 15
57
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
TOULOUSE.
Du 2 Janvier au 1 Février 1760 .
Meffieurs
Dorbellan , Préfident au Parlement.
Lefranc , de Pompignan.
Le Chapitre de Ste. Marie ,d'Auch.
*
m . o.
32 I 22
614
10 4 18
MONTPELLIER .
Du 14 Janvier au 5 Février 1760.
Meffieurs
M. O. g
le Marquis de Gerlande , de l'Etrange. 80 1 18
le Marquis de Vogué , Lieut. gén.
le Marquis de Monteynard .
DIJON.
82 I 12
135 6
Du 8 Janvier au 29 Février 1760 .
{
Meffieurs
Les Cordeliers de Dijon.
Michelinor , de Ganet.
Meot , demeurant à Chatillon .
Les Chartreux , de Dijon.
Vaillant , demeurant à Chatillon .
le Préfident Cocuderoy .
m. o. g.
30 6
37
14 3
62 4
40 7 12
79 3 18
M. le Comte de Malartie , cité dans le dernier
Mercure , eft , M. de Malartie de Montrioux , Premier
Préfident à la Cour des Aydes de Montauban .
1
AVRIL. 1760. 223
Meffieurs
Suite de Dijon.
m. o g.
de Connigant.
l'Abbé Dufert.
le Préfident de Ruffey .
de Changey , Major de Cavalerie.
Les Bénédictins de Dijon.
Les Urfulinesde Dijon.
La Congrégation des Artifans .
de Gurgy , Chevalier de S. Louis .
La Congrégation des Ecoliers.
Dauxilly ,Tréforier de l'extraordinaire
des guerres
.
Mlles Du laurent.
de Levy.
Gautier , Confeiller au Parlement.
Petit de Breffez .
le Préſident de Lantenay.
Borde du Chatel , de Bourg en Breffe.
Liébeau , Subftitut du Procureur gen.
Seguin , Secrétaire du Roi.
Bouin , Chevalier de S. Louis.
Les Urfulines de S. Jean de l'Aunne.
Les Dames Bernardines de Dijon.
Nicaife , Maître des Comptes.
le Marquis de Villeneuve.
Liégard , Marchand Orfévre.
le Préfident de S. Seinne.
Boilot , Tréforier de France .
Greffier. Petitor ,
Mlle Motot.
Joly de la Borde .
de Mollera , Secrétaire du Roi.
Les Jéfuites de Dijon .
Robelot , Général de la Monnoie.
de Chavoify , de Chatillon.
52 3 15
60 2
20 6 21
78 4 18
71 I 6
91 5 12
24 4
17 6 6
312 18
79 7 IS
18 2 6
73 5 5
155 5 18
86 3
126 7 12
12 2
19 1
6
119 6 6
617 12
225 12
236
Is 6 la
170 7
50 2
103
6
74612
197 22
7 3 3
80521
48 7 12
98 7
4 3 18
49 6 6
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Dijon .
le Beau , Confeiller au Parlement.
l'Abbaye du Lieudieu de Beaune .
l'Evêque de Mâcon.
Le Chap . de S. Pierre de Mâcon.
le Comte de Lantagne.
Les Religieufes de la Ferté.
de Clermont-Tonnerre , Maréchal
de Camp .
m. o. g. d.
67 12
34 I I 12
112 S 21
212 1 3
74 I 12
36 5 15
110 2 18
Madame la Marquife de Maffole. 145 3 10 12
Madame la Comtelle de
Brouindon .
La Chapelle de M. Dauvillars.
Jobard , Payeur des gages du
Parlement.
Motot , un étui d'or.
de Chatoillenot .
le Préſident de Layez.
le Prieur d'Auxonne .
de Martine.
Jacob , Marchand à Dijon.
de Propiat , Direct . des Dom.
de Laraniffe , d'Auxonne.
Poitier , Commiffaire de la
Marine à Auxonne.
de Flameran , d'Auxonne.
la Comteffe de Suremin , en or.
3 on. 4 g. 6 d.
de Basfoffé , d'Auxonne.
37 2 3
14 I
584
ww
3
2 22
23 4 6
86 3 19 12
SI 12
161 6 9
17 4 21
40 6 13 12
52.6.15
43 4 3
42 6.21
14 3 15
20 3
le Maréch de Clermont-Tonnerre. 313 2
Guillemot , Orfévre , en or.
s on. 14 d. & en argent.
le Comte de Jauconn.
Boileau , Receveur du Tabac
à Châalons.
83 5
130 5 5
74 4 12
AVRIL 1760 . 225
Meffieurs
de la Chaiſe.
Suite de Dijon.
de Villediat , Conſeiller au
Parlement.
Vaillant , Maître des Comptes.
Salins, Maître des Comptes.
Le même.
Madame de Chintré .
Madame Henry.
de Locré , Directeur général des
Fermes , à Châalons.
M. M. Seguin
de Blancey , Secrétaire des Etats .
Madame de la Vernette , du Mâconnois.
de la Cerve , de Mâcon.
de Montplaifant , ancien Préſid.
au Parlement.
le Marquis le Camus , Capitaine
au Régim , des Gardes Franç.
Champion .
Vaudremont.
m. o. g. d.
18 4 18
73 IS
56 3 13 12 .
37
217 12
206 7 18
81521
SI 4 19
40 2 18
48 6 15
172 5 18
216 4 7.12 .
168 6 3
204 4 21
563 22 12
de Quincey , Conf. au Parlement. 93
Jeaunnin , ancien Confeiller .
de Valetine , Lieutenant de Roi
de Châalons .
de Charmelieu Receveur.
Baudeffon , d'Auxerre .
l'Abbé de la Cour , Chanoine.
Guillemot , Marchand Orfévre.
de Sainte Colombe , Confeiller
au Parlement.
Joly de Blaify , Conf. honor.
27 13 12
436
15
22 S
77 7
49 7
23 6
22
41 6
13 1
136 I 6
3
Kv
de Goudrecoint , de Chaumont. 80 7
226 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Dijon.
de Quintin , Procureur Général
du Parlement.
de Quency , Confeiller au Parlem .
L'Abbé de la Loge , Chanoine de
la Sainte Chapelle.
de Colmont , Commiffaire principal
des Guerres à Châlons.
Jannon.
La Vifitation des Châalons .
L'Abbaye de la Ferté.
Madame la Comteffe de
Chaminard .
de Fraffant , Ecuyer.
le Péfident de Bourbonne.
Madame la Comtelle de
Rochouard.
Madaine l'Abbeffe de Lanchard ,
à Châlons .
Borton de la Motte , à Auxonné.
de la Faye.
L'Evêque de Mâcon .
Jordier , ancien Chirurgien- Major
de la Gendarmerie.
Mademoiſelle Lamy.
Les Jacobins de Langres.
Guillemot , Marchand Orfèvre ,
m. o. g. d.
"
13 2 10 12
27 6
FI 3 3
203 18
47 7 15
17 I
HIS
18
3652
16-6-21
2734 12
25059
173 21
4 3 2 I
43 2
345 7 18
141 I 18
128 6 18-
en or , I m . 3 on.. 10 g.
Mademoiſelle Normand , un Erui
d'or 1 on. 12 8.
>
19 4 18
624 12
19 2 12
で
AVRIL 1760. 227
Meffieurs
ORLEANS.
Dus Février au 29 dudit.
Les Bénédictins de l'Abbaye de
Fériere.
Les Barnabites de Montargis.
Les Bénédictins de Vendôme .
Le Monaftere de Saint Laumer de
Blois.
Bourgmoyen , Chanoine de Blois.
Les Jésuites de Blois.
La Congrégation des Ecoliers.
de Saint Lazare de Blois .
Les Jacobins de idem,
Les Minimes idem .
Les Cordeliers , idem.
La Vifitation , idem.
Les Carmelites , idem.
Les Veroniques , idem.
L'Hôtel Dieu , idem .
La Paroiffe Saint Solenne , idem.
La Paroiffe Saint Honoré , idem.
La Paroiffe de Saint Martin , idem.
La Paroiffe de Saint Saturnin , de
Vienne.
L'Abbaye de Pont - le-Roi.
MM. Michel , freres , Négociants.
Madame la Veuve de Seurat , de
Bellerue , d'Orléans .
m. o. g.
31 3
3
38 5 6
18 7
23
7221
4212
23 15
19.3 "
18 2 12
20 18
f 1 18
5 118
14 7
2
203 12
23 212
47 18
2018
31721
80 4 21
40
21 4
$5 18
435 18
27
Decherel , ancien Officier d'Infanterie.
Boyelet , Lieutenant Criminel.
de Saint Germain.
Boyeler , Maréchal- des -Logis de la
Maiſon du Roi.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite d'Orléans .
Baguenau de la Prairie , Tréforier
de France à Rouen.
Sainſon , Avocat du Roi.
de Genne , du Portail .
Vaudeberg , Sécrétaire du Roi.
de la Toinne , & fon fils.
Madame la Veuve Laurencin.
Dautroche , Doyen des Tréforiers
de France.
Dautroche , Chevalier d'honneur.
Baguenau de Pucheſe .
Madame la Veuve de Mondreux.
Madame la Veuve Jacques Maçon .
Lambert , Maître des Eaux & Forêts
d'Orléans.
Bonvalet , Secrétaire du Roi.
Boileve Darbonne , Tréforier de
France.
m . o . g.
39 2
71 12
35 3
35 I 12
352
20 3
41 4 12
31 4 6
20
21 7
42
II 18
37.7 12
382
54
12
17 S
6
20 S
6
༡༠
1
44 I
13 3
34
22 12
Donnant , Secrétaire du Roi , Directeur
du Domaine.
Pinchinat , Négociant à Orléans.
Bouderaux, Greffier en chefau Bureau
2 des Finances.
Petineau , Négociant à Orléans.
l'Abbaye de S. Benoît.
Beaudouin , ancien Ingénieur.
La Paroiffe de S. Michel Lafferté-
Lovendal.
M. & Mlle Ducoin de Joui.
du Condré , Chanoine de Saint
Aignant.
Seurrat de la Barre , Raffineur.
Miron du Condré , Négociant,
18
13
12
1326
AVRIL. 1760. 229
Meffieurs
Suite d'Orléans.
Crignon de Bonvalet , Lieutenant
des Eaux & Forêts.
Lion du Sabon , Tréſorier des
Ponts & Chauffées.
du Boucheteault.
Dehecre , pere.
Vandeuil de Pourpoy.
Madame la veuve Sainfon Sévetreville.
d'Orléans , Capitaine de Cavalerie.
Barbeau , Greffier des Eaux & Forêts.
Curot , Lieutenant gén . d'Orléans.
Roland Pierrelegriffe.
L'Abbaye du Lieu .
m. o. g.
92
336 15
654 15
II 6
16 2
49 7
25412
N 3
34 5 6
596 ୨
42
RHEIM S.
Du 8 Janvier au 23 Février 1760.
Meffieurs
Defaulx , Chanoine.
L'Abbaye d'Elan , Ordre de Citeaux.
L'Abbaye de l'Ile en Barois , même
Ordre.
La Cathédrale de Châlons.
L'Abbaye de Vaucler , Ordre de
Citeaux.
Madame la veuve de Courtagnon.
le Large , Contrôleur du Grenier
à Sel.
L'Abbaye de S. Mefnie-lez-Châlons.
L'Abbaye de Lavalroi , Ordre de
Citeaux.
m. o. g.
30 4
8 1 64
43
34
54
50 2
88 2 12
32 6
6733
230 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Rheims.
m. o. g.
L'Eglife de Notre-Dame, de Rheims. 112 6
Deuil , Fourrier honoraire chez le
Roi.
le Comte de Romecour.
L'Abbaye de Montfay , Ordre des
Prémontrés .
De la fucceffion de M. de Macnamara.
L'Abbaye de Notre - Dame de
Soiffons.
29 I
IOS 4
7 7 18
54 12
220 4
L'Abbaye de Foigny,ordre de Cîteaux . 34 6 12
L'Abbaye de S. Medard de Soiffons.
L'Eglife Cathédrale de Soiffons.
L'Eglife Cathédrale de Laon.
24 2 12
89 2
687
La Chapelle de l'Hôtel- Dieu de Laon 12 4
NANTES.
Du Janvier au 29 Février
1760.
Meffieurs
m. o. g.
le Duc d'Aiguillon. 772 3 21
La Fabrique de Notre - Dame
d'Hennebon.
Les Chartreux d'Auray.
La Cathédrale de Vannes.
Les Carmes de Ste . Anne.
La Paroiffe de Lomariac.
15212
55
265 2 6
L'Abbaye de S. Pierre de Vannes. 49 4
87 I
II 7
La Paroiffe de Carnac,
Dugouyon des Houllieres .
du Bois de Roche , de Nantes.
La Paroiffe d'Eſdeven.
40 6
If
131 1 7
43
18
AVRIL. 1760.
231
Suite de Nantes.
Meffieurs
m. o. g.
Cakiot , Changeur à Vannes. f1 2 18
Les Dames du Pere Eternel, de Vannes. 2 12
La Paroiffe de Saint Pierre . 2612
La Paroiffe de Languidie. 24 12
La Paroiffe de Baud . 26 9.
La Paroiffe de Plumergat.
Les Peres de S. Vincent , de Vannes .
Les Carmes de Vannes.
Les Cordeliers de Vannes.
La Paroiffe de Peaul.
La Paroiffe de S. Laurent , de Nantes.
2 4 ୨
124 12
12 3
14 2
37
22 18
1
GRENOBLE.
Du 3 Janvier au 21 Février 1760.
Meffieurs
de la Pierre , Subdélegué à Gap .
Madame de la Tourvideau.
le Marquis de Valin.
de la Cofte de Maucune , Conſeiller
honoraire.
le Marquis de Chabrillant.
le Marquis de Joriac,
Madame la veuve Duclat de Montbrun.
Geoffre , Receveur des Tailles à Montlimart.
Boiffet, Receveur des Tailles au même
lieu.
m. o.
Is I
68 3. 3
2/3 18
145 5 TE
69 1 18
36 221
16 7
18 6
20 2 14
de Lavallonne , Commiff. des guerres. 38 1 9/
l'Evêque de Gap.
232 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Grenoble.
Chatellier , de Valence.
le Marquis de Bayanne , de Valence.
l'Abbaye de Saint Antoine.
La grande Chartreufe.
le Marquis de Bourchenu , Premier
Préfið . à la Chambre des Comptes.
le Chapitre de S. André , de Grenoble.
Bailly de Montcarra .
Les Jéfuites de Grenoble.
La Chartreuse de Durbon.
le Marquis de Chabrillant , Maréchal
de
camp.
Le premier Monaftere de la Vifitation
de Grenoble.
Le fecond Monaftere.
Les Jéfuites de Grenoble , de la Congrégation
des Ecoliers.
Les Jéfuites , de la même Ville .
m. og.
39.2 I9
36 3 18
50 2 18
69
60
8
31 6 18
30
26
26 I
68 3
35-2
23 1 12
235
17 12
3
18
si
24 4
865
La Congrégation des Penfionnaires.
Les Religieufes de Sainte Cécile , de
Grenoble .
Les Dominicains de Grenoble.
AIX .
Du 28 Décembre 1759 , au 7 Février 1760.
Meffieurs
du Puiq de Lamotte , ancien Conf.
au Parlement .
de Crelle de Montval , Conf. du
Roi à la Chamb. des Comptes.
m. o. g.
d.
137 S 9
II 6.
AVRIL 1760. 233
Meffieurs
Suite d'Aix.
Lagouffe, de la ville de Manofque.
de Saint-Etienne , idem .
le Baron de Latour- Daigues.
Le Chapitre de la ville d'Apt.
Les Carmes d'Apt.
Les Cordeliers d'Apt.
le Marquis de Jarente , de Marfeille.
le Duc de Crillon , d'Avignon.
Lyon de S. Ferraft , Contrôleur
de la Monnoie.
Pitton , Confeiller honoraire de
la Chambre des Comptes.
m. o. g. d.
5 6 18
57
559 5 15
20 3 16 12
I 4 19 12
47 12
92 521
2004 12
30 3 3
23 1 12
le Marquis d'Arcufia, de Marſeille. 220 2 21
de Calamand , Confeiller à la
Chambre des Comptes.
de Lane , de Marſeille.
M. Cruzé , idem.
Palteau , Subdélégué général ,
en bijoux d'or.
Gaufdry de Saint Eftere.
Le Corps de MM. les Tréforiers
de France .
Le même Corps.
Portaly , Commiſſaire Ordonnateur
à Toulon.
Les Recolets de Notre Dame,
Diocèfe de Siſteron.
La Cathédrale de Glandèves ,
d'Antreveaux.
Madame la veuve Gleire , de
Blandel.
21 5
50 5
42 I
7 12 15
83 I
191 2 3
102 3 9
23
5215
39 I 3
70
234 MERCURE DE FRANCE.
RENNE S.
Du 6 Janvier au 28 Février.
Meffieurs
L'Abbaye Royale de S. Maurice.
L'Abbaye Royale de la Joye.
Made. la veuve du Coetlofquet,
tutrice .
L'Abbaye Royale de Langonet.
L'Abbaye Royale de Begard,
Les Jéfuites.
La Congrégation des Jéfuites.
La Congrégation des Ecoliers.
L'Abbaye de S. Aubin des bois.
Nouail , Recteur d'Argentré .
Guyon des Huilliers , Avocat
général à la Chambre des
Comptes à Nantes.
L'Eglife Cathédrale de Rennes.
Les Dominicains de Rennes.
Vedier , Subdélegué général de
l'Intendance.
m. o. g . d.
20 7 18
12 2 19 12
90 3 3
37 6 19 12
38 2 15
28 5 4 12
18 3 I 12 .
17 4
597
2 4
3
3
21 I 4 IZ
22
32 1 22 12
454 19 12
MET Z.
Du 15 Décembre 1759 , au 28 Février 1760 .
Meffieurs
m. o. g. d.
le Marquis de Clermont-Tonnerre,
Lieuten. ,Colonel du Régiment
de Meftre- de- camp.
Huffon , Subdélegué à Sedan.
34 4
84 7 7.
AVRIL 1760. - 238
Meffieurs
m . 0. g. d.
Suite de Metz.
Le Liepre , Commiſſaire Ordonnatear
des guerres à Toul .
L'Abbaye de Châtillon , Ordre de
Citeaux.
de Tonnoy , Capitaine dans les
Grenadiers de France de Nancy.
Duhameau , Avocat en la Cour , à
Nancy.
le Comte de Germiny , idem.
Seriet , Confeiller d'Etat , idem .
Madame la Marquise de Sarmoife ,
idem .
le Comte de Ludres , idem.
Le T. R. P. de Menou , Directeur
des Miffions , à Nancy.
le Comte du Rozières .
le Comte du Hautoy .
le Marquis de Baffompierre.
de Turique.
le Marquis de Bergevillers.
de Montureux , Colonel.
de Niocourt , Premier Préfident
de la Chambre des Comptes.
de Rouvroy, Premier Président de
la Chambre Souveraine de Lorraine.
Vigneron , premier Préſident de la
Cour Souveraine.
Madame la Comteffe de Hoflife.
le Prélat de Boufey.
le Lorrain , Directeur des Fermes .
le Comte de Lupecourt.
la Comteffe de Curel.
de Marcolle.
34 IS
-22 2 2
643
58 3
67136
36
2155
69 2
71 12
20 3
103.7
6 36
164
4
19 23
40 3
6554
166 4
2476
106 I 36
7 3
2876
8157 36
1
42 2
106 I S
747 $ 36
157
3.6.
236 MERCURE DE FRANCE;
Meffieurs
Suite de Metz.
m. o. g.
de Brichabeau , Confeiller d'Etat.
Prevot , Receveur des Fermes gén.
la Préfidente de Meuvron ,
la Salle , pere ,
16 1 7
6966
944 S
26 2 7
la Salle , pere , demeurant à Sârlouis, 40 6 6
le Comte de Hunoſtin ,
l'Evêque de Metz ,
de Vendel , Abbé de Vernenvillier ,
Ordre de Cîteaux ,
Mangin , Lieutenant Général du Bailliage
de Nancy ,
l'Abbaye de Hauttefeille , de Nancy ,
le Comte d'Hedival , de Nancy ,
de Serre , Confeiller d'Etat ,
Cueillette de Bey ,
de Biron ,
le Fevre , Confeiller d'Etat ,
de Comte de Raigecourt ,
Mathieu , Grand- Maître des Eaux &
Forêts ,
le Comte de Breffey
le Vicomte de Thiange ,
Thibault , Lieutenant Gén . de Police ,
de Muffey , Confeiller d'Etat ,
Simon de la Treche ,
le Chevalier de la Michaudiere ,
Gallois , Sécrétaire d'Etat du Roi de
Pologne ,
167 6 S
148 7 6
883
16.6 4
34 6
33. I 2
22
35 17
20
13 17
7376
41 I
21 2 I
44 S
I
75
13 4 3
16 2 4
21 1
5573
177 S
Mad. la veuve de Gande, de Martanmeville
, Exempt des Gardes- du - Corps, 143 6.2
l'Abbé de Jalival , Ordre des Prémontrés
,
8 6.
l'Abbaye d'Ecurey , Ordre de Cîteaux , 235 2
Potier , Contrôleur des Guerres , 2756
AVRIL. 1760 . 237
STRASBOURG.
Du 31 Décembre 1759 , au 9 Janvier 1760 .
Meffieurs
da Billot , ancien Médecin de l'Hôpital
,
de Chaftel , Tréforier extraordinaire
des Guerres ,
m. o. g.
49 18
3588
LILLE.
Du 11 Décembre 1759 au 29 Février 1760.
Meffieurs
L'Evêque de Saint- Omer ,
le Comte de Blarhimghem ,
le Febvre de Lattre de Ligny ,
l'Abbaye de Marquette ,
le Comte de Souaftre , Colonel des
Grenadiers de France ,
l'Abbaye de Hafnon ,
de Vignancourt de Fletre ,
Langle , Subdélégué de la Flandre
maritime ,
de Rombie , Chanoine à Caffel ,
le Marquis du Barail , Commandant
en Flandres ,
le
Couvreur ,
m. o.g.
235 2
314 S
60 3 .
153 5
52 4 I
93 7 7
148 3
73 3
13 6
1965 S
le Comte d'Oizy , en Artois ,
l'Abbaye de Flines , près Douay ,
Potteau de Carny , Sécrét. du Roi ,
Percou d'Elbeck , à Lamberſart ,
de Frojdmont , Chanoine de S. Pierre ,
20 I 3
189 4
87 5 4
41 I 7
1967
40 75
"
238 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Lille.
de la Gibaudiere , Commandant à
Cambray ,
la veuve Denyau de Lille ,
le Prince de Croy ,,
Chevalier , Commandant du Fort
Saint-François à Aire ,
l'Abbé de Mouchy , Prévôt de S. Pierre
à Aire ,
l'Abbé de Fumalle, Prévôt de l'Eglife de
Cambray ,
Bourdon d'Haucourt , de Cambray ,
le Marquis de Nedonchelle ,
Briffon , Commiffaire des Guerres à
l'Armée ,
le Camus , Commandant de la Citadelle
à Lille ,
Jacob d'Aigremont à Lille ,
Faulconnier , Gránd- Bailly de Dunkerque
,
la Marquife de Lille ,
L'Abbaye des Prés , à Douay
le Comte de Beaufort , près S. Omer ,
le Chevalier d'Archy ,
Defliot Desrobles ,
Fabricy , Capitaine au Régiment de
Salis , Grifon ,
Jacquerie , Confeiller au Parlement
de Flandres ,
Herts , Confeiller Penfionnaire des
Etats de Lille ,
de Buiffy , Préfident à Mortier au
Parlement.
Les Hofpitalieres de Stenvoordes ,
L'Hôpital Comteffe , à Lille ,
m. o.
19 4 7
49-6-4
6316
87 4
21 2 2
58 6
S
3322
15814
64 6 4
66 53
199 3 2
5672
229 2
50 3
110 6 §
327 S
112 7.6
16 I I
12 6 4
32.63
3477
267
$7
AVRIL 1760. 239
Meffieurs
Suite de Lille.
m. o. g.
L'Abbaye de S. Amand en Flandres , 239 3 2
Dochy, Major de la ville de Cambray , 275 2
de la Châtellenie de Caſſel , 42 32
Buguatre, Prévôt de la ville de Cambray, 20 7 2
Deliot Desrobles ,
Les Chanoines de Sainte Aldegonde ,
19 3.
de Maubeuge ,
102 4 7
de Fourmeftraux, d'Holbecque, 147 3 6
le Comte de Guines , Lieutenant de
Roi d'Artois , 172 32
duMetz de Fromentel , à Valenciennes , 41 1 7
d'Haffrengues de Lannoy , premier
Confeiller des Etats ,
de Briane, Doyen de la Cathédrale de
Saint- Omer ,
33 34
41 4 4
De Latour de Sr. Quentin , de St. Omer, 58 6
le Comte & Sénéchal de Blandecque , 63 5 7
Maximilien Depont, de Wifque,
Enlart de Saint- Maurice ,
31 4
2556
Lefebvre de Halle , Secrétaire du Roi , 29 6 4
la veuve de M. Titelouze, de Balinghien, 20 75
Enlart , Sécrétaire du Roi ,
de Archies , de Drincamp ,
Pelet , Echevin de Saint- Omer ,
Cordez , ancien Directeur des Poftes
à Saint-Omer ,
Huguet du Haillier , Lieutenant- Gér
2064
3325
32 S
146 52
néral de l'Amirauté de Dunkerque , 46 1
Demadre , Bailly de Roubaix ,
L'Abbaye de Saint- Winocq ,
12 12
102 S
L'Abbaye du nouveau Cloître à Bergues, 17 7 4
Vernimen , Président à Mortier du
Parlement ,
de Polinchove , & de Franqueville d'Abancourt,
Confeillers au Parlement, 250 s
240 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Lille.
de Franqueville , de Fontaine , Confeiller
au Parlement ,
de Franqueville d'Inielle , Confeiller
au Parlement >
le Baron de la Grange , Chevalier
d'honneur ,
de la Fonteyne de Villers ,
Remy , Conſeiller au Parlement ,
Mulet, Confeiller au Parlement ,
Remy Dejardin , Conf. au Parlement ,
Baltazard , Confeiller au Parlement ,
le Comte de Villefort , Gouverneur de
la Citadelle de Valenciennes ,
Vandermeche , Conſeiller au Parlem.
Lecomte de la Chauffée , Avocat au
Parlement ,
m. 0.
g
202 I
32 IS
33 3
148 7 4
22 15
27 7
12 7 4
SI I I
81 6
18 76
1927
Eloy , Confeiller au Parlement 133 1
Dutil , Confeiller- Clerc au Parlement , 12 2 4
le Comte d'Havelin ,
de Flandres
Eloy , Confeiller au Parlement ,
de la Feuly , Prévôt de S. Pierre ,
Taffin , de Goulzen ,
?
Dirval, de Lille ,
Vernimen , Bourguemeſtre de Dunkerque
,
Taverne, Subdélégué à Dunkerque ,
Coppens , d'Honschotte ,
Dunquer , ancien Subdélégué à Dunkerque
,
Lamoral , Conſeiller au Parlement de
Flandres ,
Clément de Saint-Mare ,
de la Lande ,
102
T3 4
85 I
557
184 5
"
407 4
18 6 1
61 13
98 7 4
.
76 S
3437
48 7 4
55 45
Suite
AVRIL. 1760. 247
Meffieurs
Suite de Lille .
Brunot , Préfident à Mortier au Parlement
,
de Biré, Tréforier des Troupes, à Lille ,
Becquet de la Rofiere , à Douay ,
de Forêt , Préfident à Mortier au Parlement
de Flandres ,
Merlin d'Eftreux , Confeiller au Parlem .
Les Jéfuites, de Bergues ,
les Magiftrats de la ville de Bergues ,
les Magiftrats de Dunkerque ,
Plaifant, Greffier de Douay ,
m. o. g.
403 4
35 4
37 14
5932
2 19 2
335 3
544
2942
183
Dagemont , Prévôt Gén . du Hainaut , 84 2 I
Gramont , Doyen de Dunkerque ,
L'Abbaye de Vicogne ,
49 2 2
47 I 2
19 I 4
Heriguier , Confeiller au Parlement , 26 45
Marefcal , Confeiller au Parlement ,
Deflions de Flechin , à Saint-Omer ,
le Marquis d'Oliot , Brigadier des Armées
du Roi ,
le Pelletier , Avocat au Parlement de
Paris, pour feu M. de Roftrenem '
de Ramfault , Directeur du Génie , de
Flandres
,
Les Jéfuites de Caffel ,
de Rombies Chanoine à Caffel .
>
(fecond envoi )
39 5
37 7 2
26 5 I
2576
4I I S
2 6.7
de la Rianderie, Bailli des Etats de Lille , 78 7 5
Debonte de Becquet , à Dunkerque ,
Déguillon , Tréforier de la ville de
Douay ,
Madame du Belloy , veuve du Major
de la Citadelle de Lille ,
de Beaune , ancien Capitaine au Régiment
de Limofin
1. Vol.
2
6234
2625
1627.
11 7 4
L
242 MERCURE DE FRANCE
Suite de Lille.
Meffieurs
Pajot , Directeur des Poftes & Commiffaire
des Guerres ,
m. o. gi
40 3 6
MM. du Chap. de S. Pierre de Douay , 75
le Marquis de la Vieuville , à Stenvoorde
,
de Verghelle de Lambersart ,
Briffaur , Profeffeur Royal à Douay ,
Molin de Vagnonville ,
Hutin , Echevin de la ville de Douay ,
de Varenchant , Directeur des Fermes
à Saint-Quentin ,
de Forceville de Mericourt, à Paris ,
Serrurier fils , à Saint- Quentin ,
3617
4857
1322
2444
Mademoiſelle de Senancourt , à Saint-
Quentin ,
27
48.4
60.7 6
52 23
33 I I
Blotefiere de Grecourt , Chevalier de
S. Louis , 40 S.S
de Rondeau de le Mercerie , à Saint-
Quentin , 712-4
Muller, Procureur du Roi à St. Quentin, 62 2
Serrurier pere , à Saint- Quentin ,
Laurent de Bernouville , Commiffaire
des Guerres à Landrecy ,
d'Orchival , ancien Capitaine de la
Marine ,
Simon de Berfé , à Douay ,
Hennet , Prévôt de Maubeuge ,
Spel de Fling de Premecq2
de Calonne de Merchin
Deioldy , de Lille ,
Parrata , de Lille ,
2
de Segent , Major de Saint- Omer ,
le Page , Directeur de la Monnoye ,
161 34
128 1 4
9935
265
83
3827
6244
7412
1162
61 7
18.6
Coll , Echevin de la ville de Douay , 14 76
AVRIL. 1760. 243
Meffieurs
Suite de Lille.
m . o. g.
MM. du Chapitre de S. Pierre , à Caffel. 37 6
Les Hofpitalieres de Caffel ,
Madame la veuve Cramé. ( Second
envoi. )
155 3
1254
Cambier , Greffier au Parlement de
Douay , 13 IS
1263
255 I
64 13
42 4 3
Beaumaret , Echevin de Douay ,
Madame la veuve Sericourt ,
Vandercruiſe de Lamotte ,
L'Abbaye de Voftine ,
,
›
Dehaut , Profeffeur Royal , à Douay ,
de Varenghien , Ecuyer , à Douay ,
Cambier, Mayeur , à Valenciennes ,
Fizeau , Banquier à Valenciennes
Lehardy Daulnois
Picquet , Echevin , à Dunkerque ,
Drouillard , Confeiller de la Chambre
du Commerce , à Dunkerque ,
Huguet du Hallier , Lieutenant-général
de l'Amirauté , à Dunkerque.
( Second article. )
Lombart , Echevin , à Dunkerque ,
16 4
IS 34
so 13
108 I
68
82 17
23 4
34 4 S
34 3 4
Ravodel , Officier à Saint - Domingue , 23 27
Benoît , Lieutenant des Maréchaux de
France ,
Herrewin , Echevin , à Dunkerque ,
Ingilliard de Wattines , ( par addition. )
Mailly Mainez , de Bleghem ,
Dalhuin Dupont , Subdélégué à Aire ,
L'Abbaye du Verger , à Aire ,
Lefebvre , de Schonvelde ,
Denis de Riacourt , Subftitut du Procureur
Gén. du Parl . de Flandres ,
L'Abbaye de S. Calixte ?
22 2
764
4 3 2
31 32
14 3
25 7.
-33 3
14 4 7
52
•
Lij
244 MERCURE DE FRANCE.
Suite de Lille.
Meffieurs
Godfroy Dufart , Procureur du Roi
au Bureau des Finances .
M. Godefroy de Maillard, Directeur de
la Chambre des Comptes , à Lille.
MM. les Magiftrats de la ville de
Douay.
MM. de la Collégiale de S. Pierre ,
à Aire .
Morincq , Tréforier de la ville de
Dunkerque.
Galhault , Confeiller , à Arras.
Les Chartreux de Bourtillerie , Châ-
'tellenie de Lille.
Le College Anglois de Douay.
m. o.
734
733 7
25
119 4
"
25 5
La Dame veuve Arnaud Genty , à Dunkerque.
Betfort , négociant , à Dunkerque.
Coppens d'Herfin , Procureur du Roi ,
à Dunkerque.
L'Abbaye d'Hafnon .
L'Abbaye de Maroilles , près Landreies
.
L'Abbaye de Liefſies.
L'Abbaye d'Haumont.
37 26
7057
61 53
4622
835 S
16 3 6
127
•
126 76
126 7.6
140 7 S
49 3
Wilerval , Imprimeur du Roi, à Douay. 12 2 4
le Comte de Lagny , ancien Echevin ,
à Douay.
18 54
L'Abbaye de Phalempin, ( Second envoi. ) 12 4
L'Abbaye de S. Vaaft , d'Arras.
L'Abbaye du Mont S. Eloi- lès - Arras .
du Parlement.
25664
Corbie de Bligni , Conſeiller honoraire
64 2
L'Eglife de S. Gery , d'Arras.
I
Madame de Caffel , à Dunkerque.
2766
64.23
5242
AVRIL. 1760 245
Messieurs
Suite de Lille.
Les Bénédictins Anglois , de Douay.
La Paroiffe de Marquilies.
Les Hofpitalieres des Chariottes ,
d'Arras .
L'Abbaye de la Paix , à Douay.
Le Chapitre de S. Amé , à Douay.
L'Abbé des Camps , Prévôt du Chapitre
de Béthune .
Madame la Baronne d'Hinge en
Artois.
L'Abbaye de Beauprez , fur la Lis.
La Paroiffe de Fournes , Diocèle
d'Arras.
MM. les Magiftrats d'Arras.
L'Abbaye de Marculle , près Arras.
de Mefplau , Capitaine au Régiment
de la Marine.
m. o. g.
31
162
3672
4 7 4
116
3116
28 S z
53 I
II S
87 6 1
1572
8324
LesSupérieures Annonciades, de Douay . 27 5 $
Rafoir de Croix , Prévôt de Valenciennes.
La Congrégation des Bourgeois
d'Arras.
La Congrégation des Ecoliers d'Arras .
Les Religieufes , dites Louez - Dieu ,
d'Arras.
Les Jefuites d'Arras .
Desjardins , Chanoine de la Cathé
drale de S. Omer.
La Paroiffe de Fleurbaix , Diocèle
d'Arras.
Mazel , Tréforier des Troupes à
Arras.
Les Religieux de S. François de Salles ,
d'Armentieres. •
ZI I 2
33 I I
II S 7
7 4 3
111 7 7
18 4 S
4 I F
18 22
62
Liij
246 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Lille.
Madame la Comteffe d'Aumale
veuve du Lieutenant- Général .
D'Haifne , Chapelain de S. Pierre
à Douay.
Maffart , Commiffaire des Guerres
à Philipeville..
les Jéfuites de Valenciennes .
les Carmelites de Douay.
l'Abbaye d'Anay , près Douay.
la Paroifle d'Izel - lès- Equerchim .
l'Abbaye d'Eftrun , près Arras .
les Jéfuites de Cambrai .
m. o. g.
68 6
17 5 4
5044
172 5 2
70 I 4
54.3 5
3.22
21 5
46 44
les Jéfuites de Dunkerque. 82.3 I
les Soeurs grifes , Hofpitalieres de
Douay.
875
la Paroille de Saint- Albin de Douay. 38 2
les Chartreux de Douay .
la Paroiffe Notre- Dame, de Douay.
la Confrérie de Notre- Dame.
l'Abbaye de Vicoigne.
t
l'Abbaye de S. Crépin , près Valenciennes.
les Jéluites de Béthune.
l'Abbaye de S. Jean , à Valenciennes.
la Paroifle de Bourbourg.
l'Abbaye de Bourbourg.
la Chapelle Notre- Dame de la Treille ,
dans l'Eglife de S. Pierre , à Lille.
la Chapelle , Paroiffe de ladite Eglife.
le Choeur de ladite Eglife.
la Paroiffe d'Aubert , Diocèle d'Arras .
la Communauté du Béguinage , de
Valenciennes.
la Paroiffe de Dunkerque.
70
11 2 I
3 3
102 4 2
165 46
62 * 2
81 35
2654
22
214 4 4
62 4 4
121 6
2 I 4
12 3. I
482 6 :2
AVRIL 1760. 247
Meffieurs
Suite de Lille.
les Carmes Chauffés de Douay.
Les mêmes.
la Chapelle Notre- Dame de Bonne-
Efpérance de Valenciennes.
les Carmes- Déchaux de Valenciennes.
la Paroiffe de Beaumont , en Artois.
la Métropole de Cambrai.
l'Abbaye de Vaucelle , près Cambrai.
l'Abbaye de Premy.
m. o. g.
2352
72
656
35 4 4
745
218 4
927 I
47 3 S
l'Abbaye de S. Nicolas d'Arrouaife, près
Bapaume.
l'Abbaye de S. Aubert , à Cambrai.
l'Abbaye d'Anchin , près Douai.
de Coulonge , près Arras.
da
Marhacourt ;
à Saint-Omer,
l'Abbaye de S. Jolle-au - bois , dite
d'Ompmartin .
l'Abbaye de S André- au- bois , Diocèle
d'Amiens .
Durand , Surintendant du Mont- de
Piété , d'Arras.
le Couvent S. Julien , de Douai.
45 I S
103 7
IOIS S
40 I
I
34 x 5
25 3
3342
1832
12 I
l'Abbaye du S. Sépulchre , à Cambrai . 43 6 3
de Percheval , à S. Omer.
le Couvent de la Préfentation , à Aire.
François-Louis le Cellier , à Valenciennes.
867
21
27 5
I
21 I 2
le Couvent de la paix de Jefus , Ordre
de S. Benoît , à Arras.
Lemaire, l'aîné , Bourgeois de cette ville , 16 24
Guilleman, Seigneur de la Barre , à Lille. 2014
la Collégiale de S. Gery , à Cambrai. 34
l'Abbé de Millancourt Vicaire- Géné-
>
ral ,à Cambrai .
10 3
Liv
248 MERCURE DE FRANCE
Meffieurs
Suite de Lille.
es Bénédictines Angloifes , de Dunkerque.
le Couvent de Sainte Agnès, de Cambrai.
Lefebvre , de la Balle- Boulogne.
Bady , de Normond.
Watier , Secrétaire du Roi , à Cambrai.
les Hofpitalieres de S. Jean de Cambrai.
le Prieuré de Fives , près Lille.
les Chartreux de Valenciennes .
Waquernier , Secrétaire du Roi.
de Cregny , Chevalier de l'Ordre de
S. Louis.
Locart , de Valenciennes.
les Carmelites de Valenciennes.
m. o. g.
37 2
46 53
30.3 1
5622
24 2 I
20 7
49
5065
5374
233.1 3
28 S I
*
20 4
'Abbaye de Brigitines de Valenciennes. 14 2 3
l'Hôtel -Dieu de Valenciennes.
34 2 les Religieufes de la Congrégation de
Notre-Dame de Valenciennes.
Hennet de Baret , Subdélégué a Mau-
47 4 4
beuge .
14 2 4
les Urfulines de Valenciennes .
29 1 1 Morel , Directeur des Fermes du Roi à
Valenciennes.
19 I
108 3 S.
la Paroiffe de S. Jacques de Douai .
Corvifier, ancien Trélorier des Troupes
en Flandres. 10
MATIERES D' O R.
Meffieurs
MM . les Magiftrats de la ville d'Arras
, provenant d'une Eglife.
Lefebvre ,de la Baffe- Boulogne, ancien
Officier d'Infanterie.
m. o.
4 4
6 12
AVRIL. 1760. 249
PAU.
Du 8 Janvier au 16 Février 1760 .
Mefsieurs
Le Comte de Troifville , Gouverneur
du pays de Saulle.
le Baron d'Ulau .
l'Abbé de S. Jean , Ordre des Prémontrés.
la Communauté de Caftenau , riviere
baffe , Diocèle de Tarbes.
la Communauté de Luz , en Barege,
Diocèle de Tarbes.
la Communauté d'Arrens, valée d'Affuns
en Lavedan , de Tarbes.
le Chapelle de Notre-Dame de Poeylaun
, du lieu d'Arrens , vallée
d'Affuns.
la Paroiffe de Pontacq , Diocèle de
Tarbes.
m . 0.5.
119 3 21
13 4 21
221 6 18
45 12
346
65 15
94
TROYE S.
Du 21 Février au 28 dudit mois.
Mefsieurs
Les Religieux de Beaulieu.
grand Séminaire de Troyes.
Le Sueur , ancien Officier , à Bar-fur-
Aube.
les Religieux de Montierame.
Madame l'Abbelle du Paraclet
m. a
7 3
16
48 4 2
ΤΟ
16. J T
玉田
250 MERCURE
DE FRANCE.
#
Messieurs
Suite de Troyes.
m. o. g.
Madame l'Abbeffe aux Nonains , de
Troyes.
MM. de S. Etienne , de Troyes.
les Urfulines de Troyes.
MM. de S. Urbin , de Troyes.
MM . de S. Pierre , de Troyes .
la Congrégation de Troyes.
MM. de Foilly - lès - Troyes.
les Jacobins,de Troyes.
24 I6
36.44
19 2
12 4 I
382-1
49
32 I
387-
Messieurs
POITIERS.
Du 8 au 16 Février 1760.
De la fucceffion de M. Bouliaud , Curé
de la Paroiffe de S. Médard , de
Louars.
l'Abbaye de Chatelier , Ordre de Cîteaux
, Diocèfe de Poitiers.
le Marquis de Chataigner.
l'Abbaye de Luffon , Ordre de Fontevrault.
BOURGES.
Du 16 au 28 Février 1760.
L'Annonciade de Bourges.
m. o. g.
36 3
SI
12
59
I
25 1
m. 0. g.
753
AVRIL 1760..
251
Messieurs
Suite de Bourges .
MM. Derfane , de Coulon , & des Coteaux
.
le Séminaire , de Bourges.
m. o. g.
20 4 I
9
les Urfulines, de Bourges.
la Vifitation , de Bourges.
la Congrégation , de Bourges.
JI 2 6
21 I 2
551
AMIEN S.
Du 20 au 28 Février 1760 .
Messieurs
Les Feuillans , d'Amiens.
MM. les Chanoines du Chapitre d'Amiens.
le Chapitre Royal , de Roye.
de Saint-Quentin , Capitaine général
des Côtes.
les Filles de Sainte Génevieve , d'Amiens.
les Jéfuites , d'Amiens.
la Congrégation des Jefuites.
le Séminaire , d'Amiens.
Gerard , Infpecteur des Domaines de
Picardie .
l'Eglife de S. Firmin en Caſtillon, d'Amiens.
la Congrégation des Ecoliers du Collége
des Jéfuites.
les Auguftins , d'Amiens.
m. o. g.
10 25
316 3 7
2962
2565
12 6 3
les Adminiſtrateurs de l'Hôpital d'A-
49 4 2
11 6 5
10 2 6
543
39 I 3
225 2
26 6
miens.
267 S
I vj
252 MERCURE DE FRANCE
Suite d'Amiens.
1
Messieurs
Les Carmes , d'Amiens.
m. o. g.
18 6
les Religieufes de Moramont, d'Amiens. 22 5 4
de la Combe, Prévôt de la Maréchauf
fée de Picardie .
les Religieux de S. Pierre , de Corbie.
Cordier, Receveur particulier des Eaux
& Forêts d'Amiens.
les Religieufes de la Vifitation d'Amiens.
les Cordeliers d'Amiens.
l'Hôtel- Dieu d'Amiens.
la Confrérie de Notre-Dame de Lieſſe
de S. Pierre d'Amiens.
les Jacobins d'Amiens .
15241
86 I I
16
5542
21 7
62 27
12 23
5053
3125
•
les Urfulines d'Amiens .
les Religieufes de S. François , dires
Soeurs grifes .
la Paroifle de S. Remi d'Amiens.
la Confrérie des Cordonniers.
Nicolas Joly , Marchand à Amiens.
Lachenet , Seigneur d'Hedanvele ;
( Second envoi. )
Jean Turbert , Effeyeur en la Monnoye.
La Fabrique de S. Michel d'Amiens.
la Fabrique de la Paroiffe de S. Germain
d'Amiens.
l'Abbé Piquet , de Noyencourt , Chanoine.
la Fabrique de S. Sulpice d'Amiens.
la Fabrique de S. Firmin , à la porte
d'Amiens.
31
633
475
7 I 1
33 23
1266
33 55
3042
121 7 4
16 53
7
Gallois , Directeur des Droits , à Amiens. 194
'Hôtel- Dieu d'Abbeville.
17
AVRIL 1760. 253
Messieurs
Suite d'Amiens.
les Céleftins, d'Amiens.
les Minimes d'Amiens.
les Prémontrés d'Amiens.
la Paroiffe de S. Firmin le Confeffeur.
le Supérieur de l'Oratoire d'Amiens.
Madame la veuve Gorguelle.
Jofeph Gaugier .
les Bénédictines de l'Hôtel - Dieu de
Corbie.
la Fabrique de la Paroiffe de S. Leu d'Amiens.
Greffet , de l'Académie Françoiſe.
les Dames Religieufes de S. Julien d'Amiens
.
la Fabrique de la Paroiffe. S. Jacques
d'Amiens.
les Carmelites d'Amiens.
m. 0.
g .
1074
22.2.6
II IS
30 7 3
667
18 4
4E I
4 I
35 17
29 7 3
2564
23 44
3356
TOURS.
Du 6 Janvier au 22 Février 1760.
Messieurs
Les Religieufes de Citeaux , Ordre de
S. Bernard , de la ville de Saint-
Agnan . 1
les Religieufes de Bonlieu , Ordre de
Citeaux .
les Religieux de la Clarté , Ordre de
Cîteaux .
Lenoir , du Diocèſe d'Angers.
l'Abbaye de Fontevrault , Diocèle de
Poitiers.
m. o.
8037
*
48 2 6
43 74
54 3
1424
254 MERCURE DE FRANCE.
Messieurs
Suite de Tours
la Chartreuse du Legit , Diocèſe de
Tours.
l'Abbaye de Moncé , Ordre de Cîteaux
, Diocèle de Tours.
m. o. g.
425 I
16 3
CAEN.
Du 2 Janvier au 21 Février 1760 .
Messieurs
Derafne.
m. o. g.
113 6 1
l'Evêque de Coutence.
Madame de Tourville.
les Auguftins de Barfleur .
Lanteigne.
de Tierceville.
20 I 4
1565 3
24
# 7
34 3 2
263 les Croifiers.
les Jacobins. 33 4
6
la Cathédrale de Bayeux. 60 7
de Gouville .
la Chapelle de Délivrance .
le Mafurier.
les Nouvelles Catholiques , de Caen.
l'Eglife de S. Nicolas , de Caen.
PEglife Notre -Dame , de Caen.
31 5 6
10 4 5
485 3
427
6
24 I
les Urfulines de Bayeux. 12 6 3
AVRIL. 1760 . 255
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DE BIRON.
Vingtiéme Traitement confécutif , depuis fon
établiffement.
LE
E nommé Lefebvre , Compagnie de la Tour ,
eft entré le 4 Septembre 1759.
Le nommé Sans regret , Compagnie d'Afprele
+ Septembre. mont , 4
Le nommé Deflauriers , Compagnie d'Aſpremont
, le 11 Septembre .
Le nommé Déshau , Compagnie de le Camus,
le 4 Octobre.
Le nommé Le Tellier , Compagnie de Graffe ;
idem.
Le nommé Lariviere , Compagnie d'Hallot ,
le 18 Octobre.
Le nommé Pailleur , Compagnie de Viennay ,
idem.
Le nommé Dupré , Compagnie de Viennay ,
le 8 Novembre.
Le nommé Francifque , Compagnie de la
Vieuville , idem.
Le nommé Lavictoire , Compagnie de Coetidem.
trieu ,
Le nommé Berillon , de la Compagnie de le
Camus ,idem.
Le nommé Maffelet , de la Compagnie de le
Camus , le 22 Novembre.
Et tous font fortis parfaitement guéris.
256 MERCURE DE FRANCE:
LETTRE de M. Keyfer , à Meffieurs fes Corefpondans
, tant dans les principales Villes du Royaume,
que chez l'étranger.
MONSEIGNEUR le Maréchal de Biron , m'a
fait l'honneur , Meffieurs , de me communiquer
toutes les Lettres que vous avez bien voulu lui
écrire , en y joignant les détails des cures que
vous avez faites , & les copies des Lettres que
vous avez également adreffées à M. A... Je vous
prie d'en recevoir mes remercîmens
perfuadés que je fuis fenfible , comme je le dois,
à ces nouvelles marques de vos bontés ,
juftice que vous rendez à la vérité .
& d'être
& à la
J'ai l'honneur de vous prévenir , que j'aifaic
mettre aux Caroffes & Meffageries , à vos adreffes
, divers paquets contenant mes derniers écrits ,
fervant de réponſe aux imputations de l'Auteur
du Traité des tumeurs & ulcères ; entr'autres , une
Differtation épiftolaire , adreffée à M. le Maréchal
de Biron.
Je me flatte que tout Lecteur judicieux & partial
, qui voudra lire avec quelque attention les
raifonnemens de mon adverfaire , & ceux que
je lui expoſe , me rendra d'autant plus de juftice
, que je n'ai celé d'établir & de prouver des
faits , contre tout ce qu'on a imaginé pour me
nuire .
Je vous ferai infiniment obligé Meffieurs ,
de vouloir bien répandre , & faire lire partout ,
les exemplaires que je vous adreffe , afin de dé
fabufer le Public , prévenu mal-à - propos & injuftement
, par ce qui eft avancé dans le livre &
l'extrait du Traité des tumeurs.
AVRIL. 1760 . 257
Je finirai cette Lettre , en laiffant le Public
Juger les faits principaux que voici.
L'on a commencé à répandre dans le monde ,
que le Régiment des Gardes fe plaignoit ouvertement
de mon reméde. Il y a quatre ans que
mon Hôpital fubfifte : cinq cens hommes y ont
été jufqu'ici bien réellement & très-radicalement
gaéris , fans aucune efpéce d'accident. Les Soldats
ont été, & font fans ceffe nommés dans tous
les Mercures . On a grande attention de nommer
auffi les Compagnies. En réfléchiffant fur cette
conduite , on obfervera que tous Meffieurs les .
Capitaines envoyent fucceffivement & tour-à
tour , leurs malades à cet hôpital ; qu'ils n'ont
encore ceffé de les y faire paffer . S'ils avoient
lieu de fe plaindre , ou que leurs Soldats n'euffent
effectivement pas êté guéris , continueroient
ils à les envoyer? Que le Public juge...
L'on a attaqué , combattu , & nié vos certifi
cats , Meffieurs , quoiqu'inferés authentiquement
dans tous les Mercures , & déposés entre les mains
de Mgr le Maréchal de Biron . Vous venez de
les adreffer directement à un de mes aggreſſeurs ;
il les a vûs & lûs fans doute : que le Public juge.
L'on a avancé, fans avoir fait le plus léger examen
, qu'il entroit du fublimé corrofif dans mon
reméde. Mais ils ont reconnu enfuite, par les analyfes
qui ont été faites , que l'on s'étoit trompé ;
& l'on en a fait l'aveu.L'on convient aujourd'hui ,
qu'il n'y en a point. Que répondre à cela ?
L'on fe retourne. L'on veut prétendre que
puifqu'il n'y a plus de fublimé corrofif, le reméde
doit être infuffifant , & ne doit pas avoir plus
de vertu que les panacées ordinaires . Je cite
soo Soldats guéris . Vous faites , Meffieurs , tous
les jours , des cures qui vous étonnent ; vous convenez
prèlque généralement que mon reméde
258 MERCURE DE FRANCE.
vous a réuſſi ſur des malades ; que les frictions
n'avoient pû guérir : Eſt- ce là de l'inſuffiſance ?
Sont - ce des menfonges de votre part ? Jugeż
vous-mêmes , Meffieurs , de la valeur des imputations
de mes Adverfaires.
J'ai l'honneur d'être , &c.
KEYSER.
EFFET miraculeux , opéré par le Baume de vie de
M. LE LIEVRE , Diſtillateur ordinaire du Roi ,
à Paris.
Relation curieufe & véritable de Jeanne Pierrette ,
fille légitime d'Anatoile Michel , originaire de
Mignovillard en Montagne , Recteur d'Ecole à
Domblans ; & de Marie- Therefe Guillaume ,
fon épouse , Diocèse de Besançon , Bailliage de
Lons-le- Saunier.
Ladire Jeanne- Pierrette Michel , âgée pour lors
de quinze ans , qu'elle paffa avec fa grand- mere
maternelle . Cette derniere vint à mourir ; elle fut
fi affligée de la mort de cette grand- mere , qu'elle
fut pendant fix mois à pleurer jours & nuits : pendant
tout ce tems- là , elle ne prit aucune nourri
ture que celle que l'on auroit fait prendre à un
enfant d'un an. On la ramena chez fon pere , à
quelques lieues de là ; elle fut toujours auffi affligée
qu'auparavant ; elle perdit dès ce moment
l'ufage de la parole : elle refta dans cet état
cinq ans & demi fans prendre aucune nourriture,
toutes les fonctions du corps humain étant interdites
; l'on faifoit cependant ce que l'on pouvoit
pour lui faite avaler par force quelques gouttes de
bouillon tous les deux ou trois jours , quelquefois
quinze & même plus : & l'on s'accoutuma fi
fort à la voir dans cet état- la , que l'on n'y faifoit
prèfque plus d'attention ; le pere & la mere s'éAVRIL
1760. 259
tant ruinés pour tâcher de la tirer d'affaire , mais
inutilement. Elle étoit continuellement dans une
grande fueur , exhalant une odeur qui infectoit ,
les yeux chaffieux , & écumant par la bouche :
voilà l'état de fa maladie, pendant lefdits cinq ans
& demi.
On la mena au Saint Suaire à Besançon , auquel
on l'avoit vouée ; l'on le lui fit toucher , &
elle fe frotta les yeux avec la main gauche : voilà
uniquement le feul figne de vie qu'elle ait donné
pendant toute fa maladie.
On la tranfporta à l'Hôpital dudit Besançon ,
où elle refta quatre mois , ne prenant toujours
que quelques gouttes de bouillon.
Meffieurs les Médecins & Chirurgiens de la
Ville de Befançon & des environs , s'affemblerent
& la vifiterent , fans qu'ils puffent lui apporter le
moindre foulagement ; ce qui les détermina à
faire plufieurs épreuves pour fçavoir fi elle avoit
encore de la fenfibilité ; & pour cela , ils lui percerent
la main avec une épingle d'argent , d'outre
en outre , fans qu'ils fe foient apperçus d'aucune
émotion on fit la même opération dans une
veine du côté gauche , fans qu'il en fortît ni fang
ni aucune humidité de quelque efpéce que ce
fût, On lui fondit de la cire d'Espagne fur le
front & fur le menton ; on lui brûlà la joue avec
de la chandelle allumée , & les pieds avec des charbons
ardens,fans qu'elle parût fenfible à tout cela .
Son pere, voyant l'inutilité de la laiffer davantage à
Befançon , alla la rechercher & la ramena chez lui
à Domblans , où elle reſta dans cette fituation
encore quatre mois ; après lequel tems Madame
la révérende Dame Abbeffe de la Royale Abbaye
de Château Châlons , qui l'avoit été voir plufieurs
fois avec fes Dames , dit un jour ; j'ai bien envie
de lui envoyer une bouteille de Baume de vie
260 MERCURE DE FRANCE.
(
"
fait par M. le Lievre , à Paris ; ce qu'elle exécuta
le lendemain avec la façon de s'en fervir. On
lui en donna pour la premiere fois quelques
gouttes dans une cueillerée de bouillon ; peu après
elle fit un mouvement de la tête & des bras 5
elle rendit avec abondance une matière jaune
par la bouche , comme de la bile : l'on continua
à lui faire prendre de ce Baume de M. le Lievre
jufqu'à trois fois , un peu plus amplement. A la
feconde fois , elle s'affit fur fon lit , & à la troifiéme
fois , elle fe leva & marcha par la chambres
& regardant , d'un air fort étonné , elle commença
à fe plaindre & à parler . Sa mere lui
ayant demandé ce qu'elle regardoit , elle lui répondit
qu'elle n'en fçavoit rien , mais que l'on
lui fit venir M. Mourrau , pour lors Vicaire à
Domblans , pour ſe confeffer à lui ; ce qui s'exécuta
: & de jours en jours elle prenoit plus de
nourriture & par conféquent plus de force , au
point qu'elle partit trois heures avant le jour de
chez fon pere le lendemain de Noël dernier
iucognitò , pour aller à quatre lieues de là , dans
la maison où étoit morte fa grand - mere ; où elle
vit & travaille actuellement comme une autre .
Nota , qu'elle ne le fouvient nullement de tout
ce qui lui eft arrivé pendant tout le cours de fa
maladie , & qu'elle n'a pas ufé à beaucoup près ,
toute la bouteille de Baume de vie de M. le
Lievre , qui n'étoit pas bien grande.
du
La préfente cure eft conftatée par les certificats
pere de la malade , des Echevins & habitans
de Domblans , fignés Michel pere , le Mouillard ,
Vicaire à Domblans , Guillermet , Claude- François
Duard , & Hugues Rougnon , Echevins ;
Beaupoil , Notaire & Procureur d'Office , J.J.
Gallion , M. Pujet , J. Duard , P. Duard , C. P.
Pernet , J. Pujet , H. Ardet , J. M. Defgrès , &c.
AVRIL. 1760. 261
APPROBATION.
J'Arla, par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le premier Mercure du mois d'Avril 1760 , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 29 Mars 1760. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
L
A Société , néceſſaire à l'Homme de Lettres.
Page s
Vers à M. Fournier , Fermter genéral .
A M. de Chennevieres , Chef d'un Bureau de
la Guèrre.
A une Demoiselle , qui avoit envoyé des Vers
à l'Auteur.
Portrait de Fanchonnette , à Mlle D ***.
Réponſe de Mlle D *** , Portrait de mon
Berger.
Suite des Lettres de Mlle de Gondreville ,
& du Comte de S. Fargeol .
Les Zéphirs , & le Rofer , Fable.
Adieux à Meudon , Epître à Madame la
Marquile d'Affy...
Envoi.
Epître de M. Sabatier , à M. Dorat ; fur fa
Tragédie , de Zulica.
ibid.
ΙΟ
II
13 &fuiv.
56
57
62
63
65
A Mlle de B *** la cadette. 72
Enigme , en Chanſon. 73
Autre Enigme.
Logogryphes.
Romance , nouvelle
75
76 &77
78
Les Gnomes exilés .
262 MERCURE DE FRANCE.
81
ART . II. NOUVELLES LITTÉRAIRE ST
Effais fur divers Sujets de Littérature & de
Morale , par M. l'Abbé Trubler, & c.
Lettre, fur le Poëme intitulé : l'Art de peindre . 94
Lettre de M. l'Abbé Trubler , à M. De la Place. 113
Lettre , à l'Auteur du Mercure. 115
Hiftoire des Philofophes modernes , avec
leurs Portraits , gravés dans le goût du
crayon , d'après les Deffeins des plus
grands Peintres. Par M. Saverien .
Annonces des Livres nouveaux .
12F
124 & fuiv.
Avis de l'Auteur du Mercure & du Choix. 127
ART. III . SCIENCES ET BELLES-LETtres.
ACADEMIES.
Séance publique de l'Académie Royale des
Sciences , Belles- Lettres & Arts , de Ville-
Franche en Beaujollois.
>
Réfléxions , fur la Médecine.
Problême généalogique .
Lettre de M. N. Echevin de Bolbec & c.
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
Lettre de M. de la Condamine à M. Daniel
130
136
I fo
159
Bernoully.
Arts agréables. Muſique.
Gravure.
165
189
191
Supplément à l'Article des Piéces fugitives .
A Madame la Comteffe de la Guiche.
ART. V. SPECTACLES.
Opéra .
193
195
Comédie Françoife .
197
Comédie Italienne. 198
Opéra- Comique.
ibid.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
201
Mariages & Morts. 214 & 216
Suite de la vaiffelle portée à la Monnoie &c .
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY.
217
MERCURE
6
O
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
A U ROI.
AVRIL. 1760 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife . La Fontaine .
9
cachin
Filius ime
PupitionSeulp.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis à - vis la Comédie Françoife.
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais."
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Batte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreſſer, francs
de port , les paquets & lettres , pour remetre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE, Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour ferme volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de
port.
Celles
qui
auront
des
occafions
pour
le
faire
venir
, ou
qui
prendront
les
frais
du
port
fur
leur
compte
,
ne
payeront
comme
à
Paris
, qu'à
raifon
de
30
fols
par
volume
,
c'est
-à-dire
24
livres
d'avance
, en
s'abonnant
pour
16
volumes
.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A ij
On fupplie les perſonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ;
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , ſe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
""
1.
M
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE des Lettres & Mémoires de Mlle
de Gondreville,& du Comte de S. Fargeol.
DIX-NEUVIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle
JE
de Gondreville.
E fuis hors de moi , Mademoiselle , au
moment où je vous écris !Avez-vous donc
A iij II. Vol.
6 MERCURE DE FRANCE.
réfolu de mettre en défaut , tous les fentimens
que vous m'avez inſpirés ? J'avois
cru jufqu'ici , qu'il n'y avoit perfonne
vis- à- vis de qui le refpect , la reconnoiffance
, & l'admiration , ne duffent avoir
leur terme ; je viens d'apprendre , non à
mes dépens , mais aux vôtres , que je me
fuis trompé. Non , Mademoiſelle , puifque
vous n'en mettez point à vos vertus ,
il ne doit point y en avoir aux ſentimens
qu'elles méritent : l'excès même , qu'on
dit être condamnable en tout , puiſqu'il
eft la meſure de vos bienfaits , ne devroit
pas fuffire pour les reconnoître & pour les
fentir. Je ne vous parle point de votre
derniere lettre , Mademoiſelle . Je croyois
qu'elle ne dût avoir d'autre effet , que
de m'obliger à imiter votre franchife , en
découvrant à Madame de S. Fargeol un
mystère qu'elle ignoroit , & fur lequel
Vous auriez pû ne vous pas retrancher ,
puifque j'avois eu la précaution de vous
munir d'armes fuffifantes pout combattre
fon projet. Mais cette lettre vient de me
mettre au fait d'un autre mystère , dans
lequel je vois éclater de votre part , tant
de générofité & de difcrétion , que je
ferois le plus infenfible & le plus indigne
des mortels , fi je ne fentois pas
avec la plus vive douleur , toute l'éten
AVRIL. 1760. 7
1
tre
me
ដែរ |
due du facrifice que vous me faites , &
tout le mérite de votre diffimulation.
Vous n'avez que trop bien réuffi , Mademoiſelle
; & je me tiens le plus malheureux
de tous les hommes , d'être obligé
de vous faire le détail de vos cruels fuccès.
Je n'ai pas besoin de vous dire , que
l'article de votre lettre , que j'ai été contraint
de communiquer à Madame de S.
Fargeol , l'a pénétrée d'admiration pour
la candeur de votre âme. Si elle déſeſpére
de vous voir ferrer les noeuds d'une alliance
qu'elle avoit tant defirée , & dont
elle vous affure qu'elle fe feroit fait
honneur ; elle veut au moins , que ceci
ferve à refferrer de plus en plus ceux de
notre amitié mutuelle. Sa fanté s'eſt un
peu dérangée depuis qu'elle eft ici ; elle
fe flatte que vous voudrez bien que je
fois l'interprête de toute la tendreffe
qu'elle me charge de vous jurer pour
elle. A l'égard de mon oncle ; voici
Mademoiselle , ce qui s'eft paffé entre
nous . Comme depuis quelque temps , il
ne veut pas fe contenter de recevoir de
moi les marques de votre fouvenir , &
qu'il veut les voir écrites de votre main ;
je lui confiai votre lettre, après l'avoir luë.
Je ne fus point étonné de lui en voir dévorer
la lecture : je connois le plaiſir
,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
qu'on doit avoir à lire vos lettres ; mais
ce qui me furprit , ce fut de voir les yeux
fe couvrir de larmes . Madame de S.
Fargeol étoit préfente : elle s'apperçut
comme moi , de l'attendriffement du
Vicomte ; elle fe reprocha de n'avoir pas
été pénétrée la premiere d'un fentiment
auquel il ne lui fut plus permis de fe refufer.
Ses pleurs me toucherent au point
d'en répandre moi - même ; & mon oncle
s'appercevant enfin , que nous étions auſſi
fenfibles que lui , ceffa de contraindre fa
propre fenfibilité , pour la confondre avec
la nôtre. » Ah , mes chers enfans ! s'écria-
t-il, » vous êtes touchés comme moi ;
» & vous ignorez cependant encore juſ-
» qu'à quel point vous devez l'être. Quel
caractère,grands Dieux ! quelle maturité
» de raifon ! quelle généreufe difcrétion!
» Non ; Mlle de Gondreville , eft une
perfonne unique. Non ; ce n'eft point
» affez des larmes que je vous vois répandre
pour honorer fes vertus , il faut
و ر
"
99 que
l'aveu de ma foibleffe vous en arra-
» che de nouvelles , en achevant de vous
» faire connoître tout ce que vous lui
» devez. Mon neveu , me dit-il alors ,
en s'adreffant à moi ; » j'ai adoré Mile de
» Gondreville , dès que je l'ai connuë :
j'ai voulu l'époufer. Tenez , continuaAVRIL.
1760.
Once
dre
ave
moj
jal
Turite
tion
ne
point
15IC
Faut
arra
τους
ors,
de
t- il , en me donnant à lire la lettre qquuee
j'ignorois que vous lui euffiez écrite :
» voyez , de quelle façon cette adorable
» fille a reçû mes propofitions ! Ses re-
» fus , ne m'ont point étonné ; mon âge
» avoit fçû m'y préparer , & pouvoit me
» rendre fa générofité fufpecte. Mais enfin,
» fa prudente difcrétion me la prouve
» d'une façon qui ne peuvent être équivo-
» que , dans une perfonne de fon âge.
Nous l'avons luë , ma femme & moi ,
cette lettre , avec l'admiration & l'attendriffement
qu'elle mérite de notre part.
Nous fommes tombés , l'un & l'autre , en
pleurs , aux genoux de ce cher oncle :
nous l'avons fupplié , par les plus tendres
inftances , de joindre de nouveaux efforts
à ceux que nous voulions faire nous - mêmes
, pour vous forcer , s'il étoit poffible,
de confentir à fon bonheur. Nous l'avons
affuré , & nous vous affurons de la meilleure
foi du monde , que ce feroit faire
le nôtre. Mais , Mademoiſelle , vos cruelles
réfléxions l'avoient trop bien armé
contre nos prieres & contre nos larmes :
il s'en eft infléxiblement tenu aux réfolu .
tions que vous lui avez infpirées ; & il
s'eft féparé de nous , avec la précipitation
d'un homme qui fuit un preffant danger.
Quoique cette lettre ſoit déja bien lon-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
gue , je fens que je ne vous y dis pas la
centième partie de ce que je voudrois , &
de ce que je devrois vous dire. Je n'y
ajoute cependant plus qu'un mot : perfuadez
vous bien, je vous prie , que nous
fommes moins touchés de votre générofité
, que nous ne le ferons de votre condef
cendance ; & fi vous voulez nous prouver
que vous êtes notre amie ; fouvenez - vous,
en prenant votre parti , que nous fommes
auffi ,
1
Vos amis.
:
Je ne fçais file lecteur fuppofe l'impreffion
que me fit la lecture de cette lettre
; mais j'avouerai , ingénûment , que je
n'ai jamais rien lû qui m'ait fait autant
de plaifir. Je ne pus même réfifter à celui
de la relire , avant de céder à l'impatience
que j'avois de voir celle du Vicomte.
VINGTIEME LETTRE ,
De M. le Vicomte de T... à Mademoiselle
de Gondreville.
MA
ADEMOISELLE , EMO
Je n'aurois pas dû différer juſqu'à ce
AVRIL. 1760.
jour , à faire réponse à la lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire une
fcène des plus touchantes , qui vient de
fe paffer entre mon neveu , ma niéce ,
& moi , vient enfin de diffiper mes fcrupules,
& l'embarras où j'étois fur la façon
dont je devois vous répondre. Car il faut
tout vous dire , Mademoiſelle ; & après
vous avoir fait l'aveu des fentimens &
des prétentions que vous aviez réveillés
dans mon âme , je crois vous devoir celui
d'une défiance , pardonnable à mon âge.
Il étoit fi naturel , au vôtre , de refufer les
hommages d'un homme de 54 ans , que
j'ai pu vous fuppofer moins généreuſe
que bien avifée : ce léger foupçon , tout
injufte qu'il étoit , m'a cependant retenu
de vous écrire . J'attendois à vous l'avouer
franchement , que votre indifcrétion
me mît un peu plus à mon aife visà-
vis de vous. Il étoit fi fimple , que jeune
, & dans l'état où vous êtes, vous vouluffiez
vous faire un mérite de vos refus
auprès de ma niéce & de mon neveu
que j'efpérois trouver dans votre conduite
quelque prétexte à me détacher de vous ;
& non pas , comme il eft arrivé , de nouvelles
raifons de vous refpecter plus que
jamais . Auffi ne puis je vous dire , Mile, à
quel point je vous refpecte.Je ne fuis pas
Á vj
12 MERCURE DE FRANCE.
:
inquiet que ce fentiment vous fuffife ;
mais il ne m'acquittera jamais de tout
ce que je vous dois à mon âge , on doit
connoître le prix de la Raifon. Il n'appartenoit
qu'à vous de me la faire perdre,
& de me la rendre . Nos jeunes gens,
vous feront peut- être part de leurs vifions :
mais leur générofité , n'ayant pû me fé
duire , doit avoir encore moins de pouvoir
fur vous. Ils vouloient me faire un
facrifice ; & c'en feroit un qu'ils exigeroient
de vous. Je veux bien leur laiffer
tout le mérite d'un procédé fi louable de
leur part ; & je fuis affuré , que vous
penferez comme moi, que nous ne devons
pas les expofer à s'en repentir un jour.
Je fuis , avec un refpect , & un attachement
, qui n'auront jamais de bornes.
Mademoiſelle ,
Votre &c. de T...
La lettre du Vicomte de T... ne changea
rien aux difpofitions de mon âme.
Elle eût augmenté , s'il eût été poffible ,
le plaifir que m'avoit fait celle de fon
neveu. Mon amour- propre fe trouva fi
fatisfait de l'un & de l'autre , que je cédai
, fans doute par un mouvement de
vanité naturelle , au defir de les faire voir
à ma tante ; quoique je ne puffe le faire
AVRIL. 1760 . 13
7
$
S
"
"
fans la mettre dans la confidence de la
premiere lettre du Vicomte , & de la réponſe
que j'y avois faite. Elle voulut tout
voir & tout lire : ce qu'elle fit affez fétieufement
& fans s'interrompre. Enſuite
de quoi , voici le difcours qu'elle me tint,
& dont je me fuis toujours fouvenue. » Ma
» chere enfant , me dit-elle , je ne puis
» blâmer le généreux parti que vous avez
» pris, dans une conjoncture auffi délicate ;
>> il vous attirera fans doute beaucoup
» de confidération dans le monde : mais .
» vous êtes trop fenfée pour ne pas
» fentir que vous avez befoin , plus que
perfonne, de faire fur cela de férieufes
» réfléxions . Croyez- moi donc : ayez dé-
»formais recours à mes confeils, dans de
pareilles occafions ; je fuis incapable
" de vous en donner qui puiffent nuire à
>> l'eſtime que vous ambitionnez d'acqué-
» rir . Sâchez pourtant, qu'il y a quelque-
» fois des moyens à employer pour s'af-
»furer tout à la fois & l'honorable &
» l'utile . C'eft dans ces fortes de cas , où
» votre peu d'expérience , peut avoir be-
» foin de la mienne ; & vous ne devez
» pas douter du tendre intérêt que je
prendrai toujours à vous voir dans la
» fuite auffi heureufe qu'eftimée.
"
"
"3
Je me jettai dans les bras de ma tante ;
14 MERCURE DE FRANCE.
»
& lui propofai de me dicter fur le champ
les réponfes que je devois faire aux lettres
du Vicomte & de M. de S. Fargeol.
» Non , ma chere nićce , me ditelle
vous avez trop bien commencé ,
l'honneur " pour que je ne vous laiffe
» de couronner votre ouvrage. Je lui
» obéis ; & le lendemain je lui préfen-
» tai les deux lettres fuivantes , qu'elle
» eut la bonté d'approuver.
pas
VINGT-UNIÉME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Vicomte
JE
de T...
E dois vous l'avouer , Monfieur ; il
n'eft point de joie pareille à celle que
j'ai reffentie , en lifant la Lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire. Mais
fi vous rendez juftice à ma fincérité ,
comme vous voulez bien la rendre à
ma difcrétion ; ne penfez pas , je vous
prie , que cette joie me foit venue du
prétendu retour de votre Raifon : j'aurois
été plus flattée , que vous ne le pensez ,
d'être maîtreffe d'en difpofer ; peut- être
même de vous la faire perdre , fi je
n'en avois eu affez bonne opinion pour
AVRIL 1760.
croire que vous n'auriez pas befoin de
moi pour vous la rendre . Mais enfin ,
vous êtes content de moi ; vous devez
l'être de vous même ; & je le fuis plus
que je ne puis vous dire , de voir que
vous daigniez m'affocier à l'honneur de
penfer comme vous . Ce n'eft pas , affurément
, que je foupçonne en aucun cas
Monfieur & Madame de S. Fargeol de
pouvoir fe repentir d'une action généreufe
: leurs inftances font fi finceres &
fi réfléchies ; c'eſt de fi bonne foi qu'ils
voudroient facrifier leur propre bonheur
à ce qu'ils imaginent devoir faire le
vôtre , & à ce qui ne pourroit manquer
de faire le mien , qu'il y auroit de l'injuftice
à leur chercher d'autres fentimens
dans l'avenir. Contentons- nous , Monfieur
d'admirer , & d'imiter ceux que
nous leur connoiffons ; ils ne font point
équivoques vous leur en accordez , &
vous leur en devez le prix de mon
côté je m'en acquitterai de mon mieux ,
par la plus fenfible reconnoiffance. Celle
que je vous dois , n'eft ni moins vive ni
moins tendre. Puiffent l'eftime & l'amitié
que vous daignez me marquer , durer autant
que le fincere & refpectueux attachement
, avec lequel je ferai toute ma
vie , Monfieur ,
›
Votre & c,
16 MERCURE DE FRANCE.
VINGT-DEUXIÈME LETTRE ,
De Mile de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
PERSONNE n'eft plus en état que vous ,
Monfieur , de fentir & de faire valoir le
mérite d'une belle action. Quand on eft
auffi accoûtumé que vous l'êtes à en donner
l'exemple , on doit en connoître le
prix. Auffi , ne vous attendez pas à me
voir aujourd'hui répondre à vos éloges
par une fauffe modeftie . Avec qui feroisje
tout-à-fait fincère , fi je ne l'étois pas
avec vous ? Oui , Monfieur , je vous ai
fait un vrai facrifice : fi M. le Vicomte de
T... n'eût pas été votre oncle , il n'auroit
trouvé aucune oppofition dans mon coeur
à l'honneur qu'il vouloit me faire . Sa
perfonne m'eft chère ; l'âge n'entrera
jamais pour rien , lorfqu'il s'agira pour
moi de me livrer à un penchant que la
vertu feule a droit de m'infpirer ; & vous
n'aurez pas de peine à convenir avec
moi , qu'à ce titre feul , Monfieur votre
once mérite tout mon attachement.
Mais il y a plus ; je pense que
toutes les jeunes perfonnes me reffem-
-
AVRIL. 1760. . 17
blent elles font , je crois , du moins
doivent elles être flattées comme je le
fuis , des diſtinctions d'un homme dans
lequel elles reconnoiffent un mérite confommé.
Si vous ajoutez à cela , l'air noble,
le caractère doux , les manières infinuantes
de M. le Vicomte de T... & pour ce
qui me regarde en particulier , le généreux
oubli de ma naiſſance ; vous fentirez
peut- être mieux encore , combien la
juſtice & l'amitié , font profondément
gravées dans mon coeur. Je me férois bien
gardée de me monter fur le ton que je
prends aujourd'hui avec vous , fi je n'avois
en main de quoi repouffer les traits
de votre propre générofité. Mais apprennez
, que M. votre oncle a trouvé le
fecret de me devenir plus cher encore ,
en donnant à mes fentimens la liberté
de paroître fans aucun fcrupule de ma
part. C'est ce qu'il vient de faire , par la
lettre qu'il m'a fait l'honneur de m'écrire,
& par le parti raisonnable qu'il a pris.
Ne vous attendez pas , que je travaille
à l'en détourner ; quand même je ne
pourrois pas me flatter d'y avoir contribué
, j'aurois tout au moins le courage
d'y applaudir. Je fais mieux encore , je
vous jure j'en reffens une joie bien fincère
; & je ne puis pardonner ni à Ma18
MERCURE DE FRANCE:
dame la Comteffe de S. Fargeol, ni à vous,
d'avoir eu la penfée de m'en priver . C'est
avoir été l'un & l'autre jaloux de ma
gloire & de mon bonheur , que d'avoir
voulu vous montrer plus généreux que
moi. Mais ne difputons plus fur des avantages
que nous partageons également.
Nous avons tous rempli les devoirs de
l'amitié ; & je fens que je fuis en refte fur
ceux de la reconnoiffance . La façon dont
vous avez fenti ce que j'ai fait pour vous,
en exige autant de ma part que ce que
vous vouliez faire pour moi. J'en fuis
d'autant plus pénétrée , que j'avois tout
lieu d'efpérer que ma conduite, vis- à- vis
de Monfieur votre oncle , feroit à jamais
un mystère pour vous . Je puis donc vous
dire , avec plus de juftice que vous ne le
dites , que votre lettre m'a véritablement
mife hors de moi ; & que c'eſt à
vous feul qu'il appartient de mettre en
défaut les fentimens qu'on a pour vous.
Ce font vos procédés , qui font admirables
auffi , Monfieur , je les admire autant
que j'y fuis fenfible . Après cela, que
puis-je dire de ceux de Madame la Comteffe
de S. Fargeol : Il n'y a point de
termes qui puiffent rendre ce que je
fens ; & puifque vous avez été l'interpréte
de fes fentimens , tâchez d'être
AVRIL. 1760. 16
auffi celui des miens : toute votre éloquence
n'y fuffira qu'à peine , & pourroit
bien y échouer. Mais raffurez- moi , je
vous prie , fur l'état de fa fanté ; j'en fuis
beaucoup plus inquiette que je ne le fuis
de la vive expreffion que vous pourrez
donner à ma fenfible reconnoiffance :
une âme auffi noble que la fienne , eft
faite pour imaginer ce que vous auriez
peut-être autant que moi de peine à lui
faire fentir. Trouvez bon , que je l'affure
ici de ma reſpectueuſe tendreſſe : ce ſentiment
renferme tous ceux que je lui
dois. Si ce n'eft pas être quitte envers
elle ; je
compte au
au moins que c'eft m'acquitter
envers vous , que de vous affures
que je ferai éternellement
Votre amie.
P. S. Ma tante me charge de mille
rendres complimens pour Madame la
Comteffe, & pour vous . Elle attend, avec
autant d'impatience que moi , que vous
nous donniez des nouvelles de fa fanté.
20 MERCURE DE FRANCE.
VINGT-TROISIÈME LETTRE ,
DeM. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville .
ΜΑA tendreffe , Mademoiſelle , vient
d'être mise à de fi cruelles épreuves , que
vous me trouverez excufable d'avoir différé
fi longtems à vous répondre. Ce
n'eft pas affurément que la générofité de
vos procédés foit un inftant fortie de ma
mémoire ; je ne l'ai point oubliée , même
jufques dans les momens où j'étois réduit
à m'oublier moi-même. Hélas Mademoifelle
! lorfque je vous informai du
dérangement de la fanté de Madame de
S. Fargeol ; je m'en félicitois en fecret ,
parce qu'il étoit l'effet d'un état qui flattoit
mes efpérances. Mais elles fe font
évanouies ; & peu s'en eft fallu , que tout
mon bonheur ne fe foit éteint avec elles !
En un mot , Madame de S. Fargeol a été
conduite jufqu'aux portes de la mort ,
par les fuites d'une malheureuſe chûte
qu'elle avoit eu l'imprudence de nous
cacher. Grâces au Ciel ! le danger a ceffé
depuis quelques jours ; & l'on m'affure
AVRIL 1760. 21
qu'elle entrera bientôt en pleine convalefcence
, quoiqu'on ait encore beaucoup
de peine à lui infpirer la même confiance.
Ce n'eft pas que fon âme foit troublée ,
par la crainte : fon courage , au contraire,
eft au-deffus de toute expreffion ; & je
la trouvai fi tranquille , hier au foir , que
je crus , pour l'amufer & la diftraire ,
pouvoir hazarder de lui lire la partie de
votre Lettre , dans laquelle vous rendez
fi bien juſtice aux fentimens qu'elle a
pour vous . Je ne devrois pas vous rendre
compte des effets que produifit cette
lecture : je fens d'avance , que je ne puis
le faire fans m'attendrir encore , & fans
vous attendrir vous-même . Mais pourquoi
refufer & envier cet hommage du
coeur à une femme, qui le mérite ? Et que
doit- on craindre de dire à quelqu'un , qui
penſe comme vous ? Apprenez donc , ce
que me dit cette tendre & généreuſe
époufe je ne changerai rien à ſes par ,
roles.
» Avouez , mon cher fils , me dit-elle ;
" que perfonne n'eft autant aimable , que
» Mlle de Gondreville ? & que fi , avant
» moi , tu l'avois connue , jamais je n'au-
" rois joui du bonheur d'être à toi ? Ecou-
» te , continua - t-elle , en laiffant échap-
» per quelques larmes ; je ne veux point
22 MERCURE DE FRANCE.
» t'affliger ; mais je crains bien que les
» Médecins ne nous trompent. Si je
» meurs , mon cher mari , je ne veux pas
» mourir ingrate envers , Mlle de Gon-
» dreville. Je n'ai que toi , dans le monde :
» tu fais tout mon bien ! il n'y a que toi
» qui puiffe m'acquitter de ce que je lui
» dois. » Ses pleurs , & fa foibleffe l'ont
empêchée d'en dire davantage. Je n'ai
pû lui répondre , que par mes larmes :
j'en verfe encore , en ce moment. Hélas
! qu'aurois - je pû lui dire , finon que
je fens que fa perte entraîneroit infailliblement
la mienne ? ... Mais enfin , elle
vient de paffer une très - bonne nuit ; &
j'efpére , plus que jamais , qu'elle fera
dans quelque temps en état de vous
donner elle - même des marques de fa
reconnoiffance , & de fon amitié. En
attendant cet heureux moment , elle
vient de m'en charger encore. Mon
oncle , qui ne nous a prèfque point
quittés , m'ordonne de vous préfenter
fes refpects. J'ai grand beſoin que Mada
me de S. Fargeol fe rétabliffe ; car je fuis
très- preffé de joindre mon régiment ; &
ce feroit la mort pour moi , que
obligé de l'abandonner avant fon parfait
rétabliſſement. L'efpérance même qu'on
m'en donne , ne m'empêche pas d'envifad'être
AVRIL 1760. 20
ger notre féparation avec une extrême
douleur. Vous entrez auffi , pour beaucoup
, dans les peines que je me fais d'avance
contraint que je fuis à me rendre
inceffament à l'extrêmité du Royaume
la plus éloignée du pays que vous habitez
, je prévois que notre commerce
( la plus douce confolation de ma vie ) ne
peut manquer d'en fouffrir beaucoup.
Mais ne craignez pas que l'éloignement
caufe la moindre altération à mes fentimens
: la tendre amitié que mon coeur
vous a vouée , eſt à l'épreuve de tout. Et
fij'étois au bout du monde, vous pourriez
être affurée d'y avoir le plus fidèle , & le
plus tendre de vos amis.
P. S. Chargez- vous , je vous prie , Mademoiſelle
, de tous nos refpects pour
Madame la Comteffe , votre tante ; je
compte recevoir encore une de vos lettres
, avant mon départ ; & vous en aurez
fûrement une de moi pour vous l'annoncer
, & vous donner une adreffe certaine
pour me faire tenir celles que vous voudrez
bien m'écrire , comme je l'efpére ,
pendant mon abſence de Paris,
24 MERCURE DE FRANCE.
VINGT-QUATRIÈME LETTRE ,
De Mademoiſelle de Gondreville , à M. le
Comte de S. Fargeol.
QUELQUE UELQUE Confolante , Monfieur , que .
foit la Lettre , que je viens de recevoir
de vous vous m'y apprenez tant de
chofes triftes , auxquelles je n'étois point
préparée , que j'en fuis dans un accablement
que vous auriez peine à vous
imaginer. Non , Monfieur , fans les nouvelles
fatisfaifantes que vous me donnez
de la meilleure fanté de Madame la
Comteffe de S. Fargeol ; j'aurois , je crois,
fuccombé tout -à-fait à l'idée que je me
fuis faite de vos peines , à celle de votre
départ , & à l'attendriffement dont j'ai
été pénétrée. Par malheur , cette dangereufe
Lettre me fut hier rendue chez
Madame Baudouin , où fe tenoit l'affemblée.
Ce que vous m'aviez marqué
dans la précédente , du dérangement de
la fanté de Madame votre époufe , redoubla
l'empreffement que j'avois de la
lire . J'en demandai la permiffion , & je me
retirai dans un cabinet , pour en profiter.
Mais
AVRIL. 1760 . 25
Mais j'eus beau me contraindre , lorfqu'il
me fallut rejoindre la compagnie ;
je n'eus pas la force de lui cacher ni
le trouble dont j'étois faifie , ni la trace
des larmes que je venois de répandre .
Vous fçavez fi j'ai l'art de diffimuler ?
j'avouai , que la Lettre venoit de vous ;
& l'état où avoit été Madame de S.
Fargeol , me fauva de l'indifcrétion que
j'aurois pû commettre fur la façon dont
je fus affectée des chofes que vous m'écrivez
, & des fuites de votre prompt départ.
Mais je reviens à Madame la Comteffe
de S. Fargeol, dont l'etat m'inquiéte
encore beaucoup , malgré l'efpérance que
vous me donnez. Je crains , furtout , le
noir preffentiment qu'elle conferve de
La fituation ; & je ne puis regarder ce
difcours qu'elle vous a tenu , que comme
un vrai délire caufé par une fiévre
ardente ; ou comme un anéantiſſement
& une défaillance entiere de la nature :
j'en répands encore des larmes ; & je
ne puis vous fçavoir que mauvais gré de
m'avoir fait une fi trifte confidence .
Avouez , Monfieur , que vous auriez dû
me l'épargner. Vous n'aviez qu'un feul
moyen de vous en juftifier auprès de moi :
vous avez fçu l'employer , en m'affurant
que fa perte entraîneroit infailliblement
II, Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
la vôtre voyez à quelle extrémité votre
imprudence ( pardonnez-moi ce terme ) a
réduit mon amitié ! Je ne fçai fi le Ciel
me réſerve à d'auffi rudes épreuves que
celles qui font encore à redouter pour
votre tendreffe ; mais je penſe qu'il me
feroit impoffible d'y furvivre. Raffurezmoi
donc promptement, fur votre propre
vie ; en m'apprenant que celle de Madame
de S. Fargeol , n'eft plus en aucun
danger . Quant à votre départ , qui ,
dans toute autre circonftance , m'affligeroit
beaucoup , je puis vous dire , que
je l'attends avec impatience ; & que j'en
recevrai la nouvelle avec plaifir , puifque
c'eft actuellement la feule chofe qui
paiffe me raffurer fur le parfait rétabliſ❤
fement d'une amie , qui n'eſt auffi chere
qu'elle doit vous l'être . Partez donc ,
Monfieur : ce fera me prouver qu'il vous
refte de bonnes raifons d'aimer , & de
conferver une vie , qui m'eft auffi précieuſe
que celle de notre chere Comtelle .
A ces conditions , je vous pardonne tout...
Eh , que n'eft-on pas difpofée à pardonner,
quand on eft auffi fincerement que
je le fuis ?
Votre amie.
AVRIL. 1760 . 27
VINGT- CINQUIÈME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle de
Gondreville.
VOUS o u s me querellez , Mademoiſelle ;
& vous en avez de fi juftes raiſons , qu'il
ne m'en reste aucune de m'en plaindre.
Oui , je fuis un imprudent. Je n'ai pas
même à m'excufer fur aucun motif qui
ait dû me porter à l'être . Rejettez donc ,
je vous prie , toute idée de délire , par
rapport au difcours de Madame de Saint
Fargeol ; une pareille imputation , convient
mieux à ce que j'ai fait , qu'à ce
qu'elle a penſé. Rendez - lui tout fon bon
fens , & toute fa raiſon ; quand ce devroit
même être au dépens de la mienne. Mais
enfin , je n'ai plus rien à craindre , ni à
me juftifier d'être encore au monde : graces
au Ciel la pleine convalefcence de
Madame de Saint Fargeol , me laiſſe tout
à la fois la liberté de vivre , & celle de
profiter dans peu des ordres généreux
que vous me donnez pour mon départ .
N'allez pas imaginer , qu'il y ait de l'aigreur
dans ces termes, d'ordres généreux ?
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
Ce n'eft pointune tracafferie que je veuille
vous faire ; mais il eft permis de s'égayer
quand , après les plus vives inquiétudes,
on croit avoir de bonnes raifons d'être
plus tranquille . Non , Mademoiſelle , je
n'ai point pris en mauvaiſe part les ordres
que vous me donnez , de partir. Ils font
affaifonnés de façon , que je puis déformais
les exécuter avec autant de tranquillité
que vous aurez de plaifir en apprenant
que je fuis en état de vous obéir fans fcrupule.
Il eft cependant vrai , que la poîtrine
de Madame de Saint Fargeol , naturellement
délicate , a été fort affectée par
les fuites de fon accident. Mais on m'affure
, qu'avec le régime qu'on lui preſcrit,
fa fanté deviendra plus ferme & plus brillante
que jamais. C'eft dans cet eſpoir ,
que je compte me mettre en chemin, dans
deux jours au plus tard. Je vous ai promis,
Mademoiſelle , de vous donner une adreſſe
fûre , pour les lettres que vous voudrez
bien me faire l'honneur de m'écrire ; je
comptois , alors , que ma femme pourroit
être la dépofitaire de nos fecrets. Mais ,
voici ma peine on lui défend toute forte
d'application ; elle ne peut encore
écrire en françois , fans une grande contention
d'efprit ; & je fens qu'en lui adreffant
vos lettres pour moi , vous ne croi
AVRIL. 1760. 29
tiez pas pouvoir vous difpenfer de lui
donner quelques marques de votre fouvenir
& de votre amitié. Elle voudroit y répondre
elle- même ; & je crains , comme
les Médecins le penfent , qu'elle ne le
pût faire fans une grande altération de la
tranquillité qui lui eft néceffaire. Ainfi , je
crois devoir prendre la précaution de vous
en avertir ; & de vous prier d'adreffer vos
lettres à M. Bagneux , mon homme d'affaires
, rue St. Benoift , Fauxbourg St.
Germain. Je l'ai chargé de vous donner
des nouvelles de Madame de Saint Fargeol
, en vous faifant tenir mes lettres ,
comme il me fera tenir les vôtres . J'aurois
pris le même arrangement avec mon
oncle , s'il n'étoit pas fur le point de
partir pour fa terre. Il auroit même grande
envie d'engager ma femme à aller y
paffer le temps de mon abfence ; & celá
ne dépendra que du retour de fes forces :
car on prétend , que l'air de la campagne
conviendroit mieux à fon régime que
celui de Paris . Ce font ces confidérations,
& ces incertitudes , qui m'ont déterminé
au choix de l'adreffe que je vous donne.
Par ce moyen , notre correfpondance ſera
plus fûre , & plus exacte . Je n'ai point
ofé communiquer encore ce projet à ma
femme : elle ne manqueroit pas de s'en
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
plaindre amèrement. Mais je ne veux
point avoir à me reprocher , de lui laiffer
aucune occafion de s'oppofer ellemême
à fon parfait rétabliffement : je
n'ai déjà que trop fujet de craindre pour
elle le moment de notre féparation . Quelque
courage qu'elle s'efforce de montrer,
je fuis perfuadé qu'elle lui coûtera du
moins autant qu'à moi-même ; & je vous
avoue , qu'elle me coûtera beaucoup.
Elle m'a chargé de mille tendres compli
mens pour vous , & pour Mde. la Comteffe
votre tante. Mon oncle , qui eft ici
préfent , vous préfente fes refpects à l'une
& à l'autre. Adieu , Mademoiſelle : je
ne m'éloignerai d'ici , qu'avec une extrême
douleur : mais foyez,je vous prie, bien
affurée , que je porterai partout les fentimens
avec lefquels je fuis pour toujours,
Votre Ami.
Quoique je me cruffe alors deftinée à
vivre toujours féparée du Comte de Saint
Fargeol , j'enviſageai l'idée de fon dépatt
avec autant de douleur que j'euffe pû
faire une vraie féparation. Hors le tendre
attachement que j'avois pour ma tante
, mon coeur n'étoit occupé de rien auſſi
fenfiblement qu'il l'étoit de notre innocent
commerce ; j'en faifois mon unique
AVRIL 1760 .
plaifir ; & les longs intervalles que devoit
néceffairemeut y apporter la diftance des
lieux , me parurent mettre un vuide affreux
dans ce qui avoit fait jufqu'à ce
moment toute la douceur de ma vie.
Je ne prévoyois pas qu'elle dût être bientôt
troublée , par l'événement le plus funefte.
Mais avant d'en venir au récit d'un
malheur , qui fut la fource de tous ceux
que j'éprouvai dans la fuite ; je dois ,
puifque je m'y trouve engagée , rendre
un compte exact de tout ce qui l'a précédé.
Quelques jours après avoir reçu la
lettre de M. de Saint Fargeol , j'en reçus
une dufieur Bagneux , fon Intendant.
Il m'écrivoit ( me difoit il ) par ordre de
la Comteffe ; & me marquoit mille tendreffes
de fa part. Il m'inftruifoit enſuite ,
de ceux qu'il avoit reçus de fon Maître ;
& me donnoit , de nouveau , l'adreſſe à
laquelle je devois lui faire parvenir mes
lettres . Il m'affuroit , que malgré la trif
teſſe que Mde. de Saint Fargeol avoit eue
du départ de fon mari , fa fanté paroiffoit
fe rétablir de jour en en jour ; qu'elle
comptoit même être en état d'accompagner
le Vicomte, en Champagne ; & qu'en
ce cas , elle partiroit inceffamment avec
lui. Il y avoit , à la fin de cette lettre
quelques lignes de la main de M. le
>
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Vicomte de T .. qui avoit voulu fe char
ger de me faire lui-même fes complimens;
& qui me marquoit , entr'autres chofes ,
que rien n'auroit manqué à fon bonheur ,
en l'abfence de fon neveu , non plus qu'à
celui de fa chere niéce , s'il lui eût été
poffible de m'engager à venir contribuer
avec lui au parfait rétabliffement de fon
aimable compagne de voyage. J'adreffai ,
au keur Bagneux , la réponſe que je devois
à tant de marques d'amitié , de la
part
de l'oncle & de la niéce ; j'y joignis
une lettre pour M. de Saint Fargeol , que
je ne puis rapporter ici , parce que je
n'eus pas le temps de copier l'original
que je lui envoyai . Elle rouloit prefque
entiérement fur le fentiment que j'avois
eu , par rapport à fon départ , tel que je
viens de l'exprimer ci- deffus;& fa réponſe ,
que je rapporte ici , fera juger ailément
quel étoit l'efprit , & l'objet de ma
letrre.
AVRIL. 1760. 33
VINGT - SIXIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle de
NE
Gondreville.
" E vous flattez pas , Mademoiſelle
d'avoir été la feule qui ayez bien calculé
les inconvéniens de notre nouvelle
féparation. Tant que j'ai demeuré à Paris,
je regardois les cent lieues, qui étoient entre
nous , comme le plus grand & le plus
cruel éloignement . Mais en partant de notrebonne
Ville , je n'ai pas fait un pas qui
n'ait ajouté dans mon efprit l'idée d'immenfité,
à l'efpace qui nous fépare actuellement.
Je ne vous cacherai point , qu'en
quittant ma femme , j'ai dû me pénétrer
& je me fuis en effet pénétré de la mê--
me penſée . Mais , je dois vous l'avouer ,
ce qu'il en coûtoit à mon amour , rece
voit quelque confolation de ce qu'il en
coûtoit à mon amitié ; puifqu'en me féparant
des deux perfonnes du monde qui me
font les plus chères , c'étoit une forte d'adouciffement
à mes peines , de fentir
que j'aurois moins à me plaindre de mom
éloignement, par rapport à Mde. de Saines
B V
34 MERCURE DE FRANCE.
Fargeol, que par rapport à vous . C'est bien
là ce qu'on appelle chercher fon bonheur,
dans fon malheur même ! Mais à quoi ne
s'accroche- t- on pas , pour trouver quelque
diminution à fes peines ? Vous voyez ,
Mademoiſelle , l'extrême befoin que j'avois
encore de vous , dans cette ocafion !
car , en bonne foi , ni les affaires , ni les
fréquentes & incommodes diffipations
auxquelles je fuis contraint de me livrer
ici ; ni l'efpéce de cour , que forme autour
de moi l'affiduité polie mais fatiguante des
Officiers de mon Régiment ; rien , en un
mot , ne peut me dédommager de ce
qui me manque , ni me diftraire des inquiétudes
que l'amour & l'amitié font en
droit de me caufer. Votre Lettre , Mademoifelle
, & celle que je reçois en même
temps de Bagneux, les ont un peu calmées;
puifque l'une , m'eſt tout à la fois le garant
de votre amitié & de votre bonne
fanté ; & que l'autre , m'apprend que ma
femme fe trouve aflez bien rétablie pour
faire avec mon oncle le voyage de Champagne
. Tandis que je vous écris , on m'obféde
au point , de terminer ici ma Lettre
, en vous affurant que vous n'aurez
jamais de plus tendre ni de plus fidèle Ami.
Pendant que mes Lettres , & celle de
AVRIL. 1760 . 35
Monfieur le Comte de S. Fargeol , étoient
en chemin , il fe paffa , à Strasbourg , une
fcène,qui devoit être une des plus brillantes
que j'y euffe encore vuës; & qui fe termina
de la façon du monde la plus funefte .
Hélas ! Lorfque j'écrivis au Comte la
Lettre qui fuit , dans laquelle on en trouvera
le détail , j'ignorois que la part que
je pris en cette occafion à la douleur commune
, ne dût être , pour ainfi dire , que
le prélude des malheurs les plus touchans
que j'euffe encore éprouvés !
VINGT- SEPTIÉME LETTRE ,
De Mademoiſelle de Gondreville , à M. le
Comte de S. Fargeol.
JEE me dérobe , Monfieur , à la confternation
publique , pour répondre à la
Lettre que je viens de recevoir de vous.
Environnée de trifteffe & de deuil , je fens
combien mon efprit auroit à faire d'efforts
pour s'exercer , comme a fair le vôtre, fur
les différentes nuances de douleurs que
Vous avez éprouvées en quittant Madame
de S. Fargeol , & en ajoutant une diſtance
de plus de cent lieues , à celle qui nous
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
féparoit déja. Vous me dites , il et vrai ,
les chofes les plus obligeantes : mais elles
font fi fines , & fi délicates , que dans
l'état d'accablement où je fuis ici avec
tout le monde , il ne s'en faut rien que je
n'accufe vos jolies penfées d'appartenir
plus à l'imagination qu'au fentiment . Ce
n'eſt pas au moins que je croie avoir à
me plaindre de mon partage ; au contraire
, je fuis mieux traitée que je ne devrois
m'attendre à l'être ; & fi j'ai quelque
reproche à vous faire , c'eſt d'avoir
mis trop d'étude à me perfuader d'une
efpéce d'égalité d'influence dans vos fentimens
entre Madame la Comteffe de
S. Fargeol & moi ; & c'eft encore de
m'avoir induite à penser que mon abſence
étoit un motif propre à vous rendre
la fienne moins douloureufe. Voilà ce
que je ferois la premiere à condamner ,
fi tout votre esprit eût été capable de me
faire illufion fur votre coeur : mais je vous
rends juſtice , malgré vous , & vous me
l'auriez renduë , en me difant tout uniment
que vous étiez fâché de mettre un
nouvel éloignement entre nous ; & que
vous l'étiez d'une façon mille fois plus
douloureuſe encore , en vous féparant de
la femme du monde la plus aimable , &
AVRIL. 1760. 37
qui mérite à tant de titres que vous l'aimiez
comme vous l'aimez.
Après cette petite leçon , que je n'ai
point été fachée d'avoir occafion de vous
faire , je vais vous informer du funefte
événement qui fait régner ici dans tous
les coeurs une trifteffe d'autant plus accablante
, qu'elle nous a tous furpris dans
les premiers tranfports d'une joie publique.
Vous aviez fçu fans doute, avant votre
départ de Paris , que M. le Duc de
Bouillon s'étoit ménagé une double alliance
avec deux Princeffes Royales de
Pologne, petites- filles du grand Sobiesky ;
& que l'aînée , qui lui avoit été accordée
pour lui -même , eft morte avant de
pouvoir être à lui ? Mais je ferai , felon
toute apparence , la premiere à vous apprendre
ce qui vient de fe paffer ici , par
rapport à la cadette de ces deux Princeffes
, deftinée au jeune Prince de Tarenne.
Les Princes Henri , & Frédéric
d'Auvergne, qui étoient déja à Strasbourg,
pour la recevoir , étant informés du jour
de fon arrivée , dépêcherent un courrier
au Prince leur neveu , qui étoit alors en
chemin. Ce courrier , rencontra le Prince
de Turenne à Metz. Et ce jeune Seigneur ,
cédant à fon impatience , partit fur le
champ, en pofte , à franc étrier , pour ſe
j38
MERCURE DE FRANCE.
rendre le même jour à Strasbourg. Mais ,
hélas ! fon entrée dans cette Ville , fut
un vrai préfage du malheur qui l'y attendoit.
Son cheval , tombé fous lui , lui
fit faire à lui- même une chûte fi dangereufe
, qu'on fut obligé de le porter ,
prèfque fans connoiffance , & couvert
de playes , chez le Prince Henri , ſon oncle
, grand Prévôt de notre Eglife . On y
tint confeil , fur fon état ; & l'on crut devoir
affurer celui de la Princeffe : en forte
, qu'après quelques précautions prifes
pour le danger & les fuites de fa chûte ,
on paffa fur le champ à la célébration
de leur mariage , dans l'appartement même
du Prince Henri. Je ne vous parle
point des fêtes qu'on avoit préparées pour
ces illuftres époux : vous jugez bien qu'elles
n'ont pû être célébrées ni avec autant
d'éclat , ni avec autant de plaifir , qu'on
s'en étoit promis. Je vous dirai ſeulement
, que le troifiéme jour après cette
cérémonie , le Prince de Turenne , s'étant
trouvé mal à table , chez le Maréchal
Dubeurg , fut remené chez lui , &
mis au lit. La petite vérole , cette cruelle
maladie dont j'ai toujours eu une peur
ridicule , s'est déclarée dans les vingtquatre
heures ; & vient enfin de nous
l'enlever. Je ne puis vous dire , à quel
AVRIL 1760. 39
point j'en fuis touchée ,& même effrayée !
car , il faut que vous fachiez , que j'étois
affez près de ce Prince , lorfqu'il
tomba en foibleffe ; & que je fus des premieres
à chercher à le fecourir. Vous devez
même aux foins de ma tante , la lettre
que je vous écris aujourd'hui : elle fait
tout ce qui dépend d'elle , pour me diftraire
des idées noires dont mon pauvre
efprit fe repaît depuis ce fatal moment . *
Elle n'a point imaginé de meilleur moyen
pour y réuffir , que de m'engager à vous
écrire ; ce que , fans elle , j'aurois je
crois , différé de faire de quelques jours.
Je lui en ai une vraie obligation ; car
j'éprouve, tout de bon, que quelque trifte
que foit cette lettre , j'ai gagné beaucoup
à m'occuper de vous. Je me fens en ef-
* Voici une Epitaphe , qui fut faite dans le
temps de ce malheureux événement ; & que je
ne me rappelle pas d'avoir vue imprimée.
Cy git Turenne , mort en fa jeune faiſon ,
L'efpérance , & déjà l'honneur de fa maiſon.
A peine au fang des Rois s'unit fa deftinće ,
Que par un coup du fort , on la vit terminée.
Le Temple, encer paré, voit ouvrir fon tombeau
Le deuil vient ſe mêler aux fêtes qu'on célébre :
Et l'on vit éclairer , par le même flambeau ,
La pompe nuptiale , & ia pompe funebre !
40 MERCURE DE FRANCE.
fet plus légère , & la tête plus libre que
je ne l'ai eu depuis quelques jours ; & ,
quoique cette lettre foit déja d'une longueur
fort honnête , je ferois bien tentée
de ne la pas terminer encore . En vérité
, je le fuis auffi de croire , que le
meilleur de tous les régimes pour guérir
les maux de l'imagination , ce feroit
d'y intéreffer notre coeur. Je vais donc
éffayer de prendre , de mon chef , une
nouvelle dofe de cette recette , en vous
parlant de Madame la Comteſſe de Saint
Fargeol. J'en ai appris , par votre homme
d'affaire , les nouvelles les plus confolantes.
Et de la façon dont vous me
les confirmez vous-même , je fuis perfuadée
qu'elle jouit actuellement › en
Champagne , d'une fanté qui doit terminer
nos allarmes , & nous rendre à
l'un & à l'autre les ennuis de l'abſence
plus fupportables. Mais elle aura le bonheur
de vous voit avant moi ; & tout
l'avantage que je tirerai de votre retour
auprès d'elle , ce fera de vous fçavoir
heureux l'un & l'autre , & de me croire
un peu plus près de vous , parce que vous
ne ferez plus qu'à cent lieuës, de moi.
Cent lieuës , Monfieur ! Quel exil , s'il
doit être éternel ! Chaffons cette idée ;
elle feroit feule capable de mettre plus
AVRIL. 1760. 41
de noir dans mon imagination , que cetre
lettre n'a eu le pouvoir d'en effacer. Ne
doit- il pas fuffire à mon bonheur , de
fçavoir qu'en quelque lieu du monde que
vous foyez , vous y ferez mon ami ? comme
vous devez être affuré que , fuſſé - je
tranfportée à l'autre extrêmité de la Tèrre
, j'y ferai éternellement
Votre Amie.
P. S. Je n'ai donné , dans cette Lettre ,
qu'une légere idée de mon état, à la mort
du Prince de Turenne. Si j'avois eu la
force de ménager les inquiétudes du
Comte de S. Fargeol , je ne m'étois
pas rendue maîtreffe des miennes : une
fecrette terreur s'étoit emparée de mon
imagination. Elle étoit fans ceffe agitée ,
par les plus noires vapeurs. Le trouble
de mon coeur & de toute mon ame , ne
fut qu'un préfage trop affuré que mes
craintes n'avoient point été chimériques ;
ou plutôt , il contribua lui-même à les
juftifier. En effet , mon fang ne tarda
pas à s'allumer : deux jours après ma
Lettre écrite , je fus attaquée d'une fiévre
ardente , à laquelle fe joignit une opreffion
plus inquiétante encore. Grâces aux
foins de M. Mogue , mon Médecin , aux
tendres attentions de ma chere tante ,
42 MERCURE DE FRANCE.
>
qui ne me quitta ni jour ni nuit , &
peut-être à la bonté de mon tempérament
; la petite vérole , qui fe déclara
dans les vingt - quatre heures , ne fut
ni auffi abondante ni auffi funefte
qu'on avoit eu lieu de le craindre.
Malgré l'effroi dont je fus faifie , je ne
courus aucun danger ; & dès le onzième
jour de ma maladie , j'étois fur pied ;
avec cette confolation ( toujours précieuse
pour une femme ! ) que je n'en
refterois point marquée. Mais , hélas !
c'eût été le plus léger , & le moins fenfible
de mes malheurs ! le fort m'en réfervoit
un , mille fois plus touchant , mille
que
fois plus accablant, n'eût été la perte
de ces vains & périffables avantages ,
dont notre féxe aime tant à fe glorifier.
Ma tante , qui n'avoit jamais eu la petite
vérole , foutenue par fon courage , & par
l'amitié la plus tendre, étoit devenue pour
moi la garde la plus attentive & la plus affidue.
Elle n'avoit jamais voulu fouffrir que
je priffe rien que de fa main : en un mot ,
Elle avoit été neuf jours entiers fans
fermer l'oeil , & prèfque toujours enfermée
avec moi fous les rideaux de mon
lit. Ses foins m'avoient fauvée , fans
doute ; mais ils cauferent la perte d'une
perfonne qui devoit m'être , & qui m'étoit
en effet plus chere que ma vie même.
AVRIL. 1760. 43
Les inftans qui précéderent cette perte
cruelle , font trop intéreffans pour moi ,
& trop néceſſaires à l'intelligence de la
fuite de nos Lettres , pour les paffer fous
filence. Cependant , avant d'entrer dans
ces détails affligeans , je crois devoir placer
ici la Lettre que je reçus de M. le
Comte de S. Fargeol , en réponſe à la
mienne ; & celle que je lui écrivis moimême
, avant que la fortune eût achevé
de mettre le comble à mes malheurs .
n
VINGT- HUITIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
OUI, UI , Mademoiſelle ! c'eft par votre
Lettre , que j'apprends la trifte cataftrophe
qui vient de nous enlever le Prince
de Turenne. C'est une perte bien grande
pour fa Maiſon , pour l'Etat , & même
pour le Roi. J'ai fouvent été témoin des
diftinctions que Sa Majefté lui accordoit ;
& j'ai vu tout le monde convenir , que
c'étoit un jeune Seigneur d'une trèsgrande
efpérance. Mais , Mademoiſelle ,
ce qui acheve de me rendre ce cruel évé44
MERCURE DE FRANCE.
nement plus fenfible encore , c'eft d'ap
prendre qu'il vous ait frappée d'une espéce
de terreur , qui feule eft capable de caufer
un vrai dérangement dans votre fanté.
Qu'avez-vous donc fait de cette fermeté,
dont je vous ai fi fouvent vue nous don
ner des preuves au-deffus de votre âge ?
Et pourquoi n'ai- je point été à portée de
vous relever d'une foibleffe , qui n'eft
point faite pour une âme comme la vôtre?
Helas ! j'aurois peut-être procuré des
fecours à votre imagination , dont la
mienne auroit aujourd'hui le plus preffant
befoin : car , il faut vous l'avouer ,
votre Lettre , vient d'y jetter le trouble ;
Et toute ma conftance en eſt ébranlée.
Oui , Mademoiſelle ! je ferois accablé par
les plus cruelles inquiétudes , fi vous ne
ne m'aviez appris vous - même tout ce que
Madame la Comteffe votre tante a fait
pour vous diftraire des vôtres. Que je lui
en fçais gré ! & que j'ai à me féliciter
moi même , de ce qu'elle m'a cru digne
d'entrer pour quelque chofe dans le projet
de diffiper la noirceur de vos idées !
J'ofe donc me flatter , que cette Lettre
vous trouvera jouillante de toute votre
Raifon ; & de cette brillante fanté , qui
fied fi bien aux charmes que la nature
vous a prodigués . Permettez-moi de m'apAVRIL.
1760.
45
1
plaudir , d'avoir été choisi pour y contribuer.
Ma vanité fera bien fatisfaite de
pouvoir dire cette beauté , à laquelle tout
le monde rend hommage , me doit peutêtre
une partie de l'éclat dont elle brille !
Mais ne me laiſſez pas douter de mes fuccès
; & ne différez pas , je vous prie , de
m'en convaincre , en me donnant promptement
de vos nouvelles. Je fuis peutêtre
, en ce moment , plus foible que
vous ne l'avez été. Et c'eft maintenant à
vous , à me rendre la raifon ; fans quoi
mes craintes & mes inquiétudes pourroient
bien reprendre le deffus. Vous en
êtes aujourd'hui l'unique objet ; & grâces
au Ciel , les nouvelles que j'ai reçues de
Madame de S. Fargeol , avec votre Lettre
, ( fi elles ne font pas encore auffi
bonnes que je le defirerois ) font du moins
les plus confolantes que je puffe recevoir
, vû l'état dans lequel elle avoit été
réduite avant mon départ de Paris . Je
prends toutes les mesures qu'il m'eft permis
de prendre , pour abréger le temps de
mon exil. Ah ! s'il étoit poffible que mon
Régiment fût commandé pour en relever
quelqu'autre de la garnifon de Strasbourg
; je ne me plaindrois point d'être
obligé d'y paffer un fémeftre entier ; parce
qu'aflurément Madame de S. Fargeol l'y
1
46 MERCURE DE FRANCE.
pafferoit avec moi , & que nous aurions
tous les jours le bonheur de vous voir.
Voilà bien ce qu'on appelle bâtir des Châteaux
en Espagne ! Mais fi cette idée ,
toute chimérique qu'elle eft , rit à votre
imagination , comme elle rit à la mienne ;
je l'adopte , & me la pardonne. Réponſe
prompte , je vous prie , fi vous ne voulez
pas que je périffe ici d'inquiétude & d'ennui.
En vérité , Mademoifelle , vous devez
cette attention au plus tendre , & au
plus fidèle ami qui foit au monde.
Lorfque je reçus cette Lettre , j'étois
quitte des inquiétudes que j'avois eues fur
mes propres maux : mais je commençois
à en avoir d'auffi férieuſes fur l'état dans
lequel je voyois ma tante. Depuis près
de deux jours , un très - grand mal de
tête , une langueur , un dégoût ; tout cela
joint à une infomnie , caufée par une violente
agitation , fans altérer la tranquillité
de fon âme , avoit extrêmement allarmé
la mienne. Elle venoit de me faire
avertir de me rendre chez elle , quand
on me rendit la Lettre du Comte de
S. Fargeol. Je paffai , fur le champ , à fon
appartement , fans avoir encore décacheté
la Lettre du Comte. Je trouvai ma tante
au lit. Elle y étoit restée , parce qu'elle
AVRIL. 1760 . 47
"
avoit paffé , comme je viens de le dire ,
une mauvaiſe nuit , & qu'elle ne s'étoit
affoupie que fur le matin. Elle commença
, lorfqu'elle eut reçue les marques de
de ma tendreffe , par chercher à diffiper
mes inquiétudes , en m'affurant qu'elle
avoit trouvé le fecret de repofer quelques
heures ; & que fa tête étoit en meilleur
état. Je lui préfentai la Lettre que je ve- .
nois de recevoir : elle en entendit tranquillement
la lecture , & m'ordonna
d'aller y répondre fur le champ , » Pen-
" dant que vous écrirez , me dit- elle .
j'aurai le temps de me lever , & d'é-
>> crire moi-même un mot à mon neveu.
Je l'embraffai , & lui obéis avec une
forte de joie ; parce qu'en effet, je la trouvois
moins accablée qu'elle ne m'avoit
parue être la veille. Mais avant de placer
ici ma réponſe au Comte de S. Fargeol ;
je crois devoir prévenir le Lecteur fur ce
neveu , auquel ma tante fe difpofoit à
écrire , & dont je n'ai pas encore parlé ;
quoique je l'euffe vû quelquefois , &
que j'euffe toujours eu à me louer de fes
attentions pour moi. Il fe nommoit le
Comte de F .... il étoit fils d'une foeur
aînée de ma chere tante ; & je l'avois
toujours appellé mon coufin . Il avoit environ
neuf à dix ans plus que moi . De48
MERCURE DE FRANCE.
puis deux ans , il avoit épousé une veuve ;
de grande condition , plus âgée & plus
riche que lui. Ce n'étoit pourtant point
abſolument à ſa figure , qui n'avoit rien
d'extraordinaire , qu'il avoit dû cette
bonne fortune ; mais à quelques autres
avantages qu'on lui fuppofoit , & qui n'étoient
pas alors du reffort de mes connoiffances;
mais qui lui avoient fait une réputation
chez les femmes galantes . Après
cette légère efquiffe de fon portrait , dans
laquelle fon caractère n'entre encore
pour rien , je paffe à la répor fe que je fis
au Comte de S. Fargeol.
VINGT - NEUVIEME LETTRE ,
-
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
J'AUROIS mille chofes à vous dire Monfieur
, fur la Lettre que je reçois de vous .
Mais je ne me donnerai qu'à peine le
temps de vous en accufer la réception ;
& vous me pardonnerez fûrement de ne
vous avoir pas entretenu auffi longtemps
que je le voudrois , quand vous fçaurez
que ma chere tante eft dans un état qui
m'inquiéte
AVRIL. 1760. 49
m'inquiéte véritablement ; & d'autant
plus , que je ne puis douter qu'il ne foir
l'effet & la fuite des foins & de la fatigue
qu'elle a pris auprès de moi . Jugez vousmême
, fi je dois l'abandonner un inftant
! Contentez - vous donc d'apprendre ,
que je fuis encore au monde , malgré la
petite vérole , que je viens d'avoir ; que
j'en fuis très bien remife ; & qu'on m'affure
, que je ne m'en porterai que mieux
à l'avenir. Je ne vous dirai rien du tort
que cette vilaine maladie peut avoir fait
à de frivoles charmes , dont vous rehauffez
fi fort le prix ; & dont , en vérité , je
fais fort peu de cas. Où en ferois- je , ſi
je ne devois qu'à eux l'amitié dont vous
m'honorez ? & fi , lorfque vous ferez à
portée d'en juger vous- même , vous n'alliez
plus trouver en moi de quoi avoir
ane tendre eftime, que vous m'auriez trop
légerement accordée ? Je me flatte , pourtant
, que fi jamais vous venez paffer un
femeftre à Strasbourg, vous vous raccom
moderez avec ma figure , telle qu'elle
puiffe être alors : car on me promet , que
je ne ferai pas faite à faire peur ; & que ,
fans en rougir , vous pourrez encore m'a-
Youer pour ,
'II. Vol.
Votre amie.
C
so MERCURE DE FRANCE:
M. Bagneux , m'a mandé , comme à
vous , le meilleur état de Madame de
S. Fargeol . Je vais lui en faire mes complimens
, comme je vous en fais de très-
Anceres.
Ces Lettres étant écrites , je me hâtai
de paffer à l'appartement de ma tante ,
que je trouvai levée. Elle achevoit d'écrire
au Comte , fon neveu ; & me parut
plus changée , & plus défaite , qu'elle
ne l'étoit dans fon lit. Elle ordonna qu'on
me laiffât feule avec elle. Je me jettai
dans fes bras ; elle m'y tint quelque temps
embraffée ; & je vis fes larmes fe mêler à
celles que je n'avois pas la force de retenir.
Mais elle fufpendit bientôt notre mutuel
attendriffement , en m'ordonnant de
m'affeoir près d'elle , & de l'écouter. ~ .
» Ma chere enfant ! ( me dit- elle ) ne
»vous effrayez point des mesures qu'un
» trifte preffentiment me fait prendre ,
» pour votre propre fûreté. Je viens d'é-
» crire au Comte de F ..... , mon neveu , de
» fe rendre à Strasbourg auffitôt ma Lettre
reçue ; & de faire enforte d'y ame-
» ner fa femme. Le Comte m'a toujours
» paru prendre un véritable intérêt à votre
fort ; & s'il arrivoit que le Ciel me fé-
» patât de vous , avant que j'euffe pû vous
1
AVRIL 1760 . SI
procurer un établiffement folide ; je ne
» connois perfonne qui foit plus en état ,
» & plus diſpoſé que mon neveu l'eft en
» effet , à s'y employer efficacement , ni
qui puiffe vous offrir un afyle plus convenable
& plus honnête .
"
و ر
L'idée, dont un pareil difcours ne pouvoit
manquer de m'affecter , jetta tant de
trouble dans mon âme , que j'en demeurai
prefque auffi privée de tout fentiment ,
qu'une perfonne évanouie. La douleur
dont je fus pénétrée , ne put s'exprimer
que par des fanglots , & par une abondance
de larmes , dont je fus prèfque fuffoquće.
Ma tante me reprit alors , dans
fes bras ; & après m'avoir accablée des
plus tendres careffes , elle continua de me
parler ainfi.
"
» Les précautions que j'ai cru devoir
prendre , ma très- chere niéce , ne doi-
" vent pas vous allarmer . Confervez
» votre courage pour apprendre les
» fecrets qu'il eft temps que je vous révèle.
Ces précautions vous feront peut-
» être inutiles ; &, plaife au Ciel , qu'elles
"vous le foient en effet ! Mais fi elles ne
deviennent pas néceffaires , elles font
du moins fages ; & quoi qu'il puiffe en
»arriver , il est temps , comme je viens
»de vous le dire , que vous foyez infor-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
» mée de votre fort , & de vos malheurs .
Sans doute , la curiofité l'emporta , dans
ce moment , fur la trifteſſe de mes penfées
; puifque je ne trouvai plus difpofée.
que je n'aurois penfé le devoir être à
prêter une exacte attention au difcours de
ma tante.
39
""
Je ne fçais , continua- t- elle , fi vous
» avez jamais entendu parler de la Baronne
» de V.... Cette jeune & aimable per-
» fonne , étoit née d'un pere Catholique ,
» mais dont les ancêtres avoient prèfque
» tous été Luthériens. Une grande- mere ,
» maternelle fur - tout , l'avoit en fecret
» imbue de fes erreurs. Cependant , la
» jeune Baronne , fixée de bonne heure à
» la Cour de Lorraine , y profeffa toujours
» la religion de fon pere , & fut admiſe
dans le même Chapitre , dans lequel
» j'entrai peu de temps après . Quoiqu'elle
» eût quelques années plus que moi , un
» certain rapport d'humeur , & de carac-
» tères , forma bientôt entre nous cette
30
efpéce de fympathie , d'où naiffent les
» liaifons les plus tendres & les plus in-
»times . Telle fut l'amitié qui s'établit
» entre nous. Le doux nom de Soeur , fut
» celui que nous nous donnâmes récipro-
» quement , comme le plus convenable à
» notre mutuelle tendreffe , & à la conAVRIL
1760. 53
fance réciproque que nous nous étions
» vouée . Ma chere Baronne perdit fon
»pere , trois ans après fon entrée au Cha-
"
"
"
pitre ; & il y en avoit fix que nous vi-
» vions dans une union fi douce & fi
» chere. J'en avois vingt- deux , quand un
» Prince, de l'illuftre Maifon de S..... vint
paffer quelque temps à la Cour de Lor-
>> raine . Je vous avoue , que je fentis une
»fecrette inclination pour ce Prince , qui
» étoit fans contredit un des plus beaux
> hommes , & des mieux faits que j'cuffle
» vû. Mais comme il étoit d'une religion
» différente de la mienne ; & que je m'ap-
»perçus bientôt de la préférence qu'il
» donnoit à la Baronne de V..... , qu'il
"croyoit être ma foeur aînée ; je n'eus
» befoin , ni d'une grande générofité , ni
» de beaucoup de combats à effuyer avec
» mon coeur , pour me réfoudre à céder à
>> mon amie une conquête, pourlaquelle je
» fentois que je n'étois pas née. Que vous
dirai - je , ma chere niéce ? La Baronne
» de V..... fut plus foible que moi. Elle
» écouta l'amour d'un Prince , dont la
religion ne l'effrayoit point , parce
qu'elle en avoit malheureuſement fuçé
» les principes. Elle porta la foibleffe ,
»jufqu'à penfer qu'il lui fuffifoit, pour être
» légitimement unie avec le Prince de S ...,
>>
"
;)
"
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
"
33
"
"
39
ود
"
» d'avoir pris , fecrettement avec lui , les
» engagemens qu'elle croyoit être les plus
inviolables. Et ce fut avec autant de
" bonne foi , que de fécurité , qu'elle crut
pouvoir lui en donner des gages trop
»indifcrets. Cependant le Prince , qui
avoit paffé une partie de l'automne , &
» tout l'hyver , à la Cour de Lorraine ,
fut obligé d'en partir , pour aller rejoindre
l'Armée des Impériaux , à l'ou-
» verture de la campagne. L'état dans lequel
il étoit contraint d'abandonner ma
» chere Baronne , les mit , l'un & l'autre ,
» dans la néceffité de me confier leurs
» communes inquiétudes. Je ne pouvois
» leur être utile , qu'en mettant ma mere
» dans notre confidence. Son amitié pour
» moi , la confidération du Prince , l'efpoir
d'un établiſſement honorable pour
»la Baronne de V..... , la déterminerent à
»tout entreprendre , pour conferver , ou
» pour fauver du moins , l'honneur de la
perfonne du monde qui m'étoit la plus
chere. Elle vint elle même me chercher
» en Lorraine. Elle engagea la Baronne de
» V..... à venir avec nous à Strasbourg ; &
» de là , nous conduifit , l'une & l'autre ,
» dans cette même Terre que poffède au-
» jourd'hui mon neveu. Ce fut là , ma
» chere niéce , qu'elle reçut la cruelle nou-
"
'">
AVRIL. 1768 .
35
"
» velle , par laquelle on l'inftruifoit que
» le Prince de S.... avoit été tué à la dé-
» fenſe des lignes de Stolophen , forcées
» par le Maréchal de Villars . Ce fut ,
» pour elle , le coup de la mort : car peut-
» on compter au nombre de les jours ,
» ceux qu'elle continua de paffer dans le
défefpoir , dans les larmes , & dans
» toute l'horreur de ſa fituation : Les foins
» de ma mere , & mon amitié , ne lui
» furent que d'un foible fecours : rien ne
» fut capable de diffiper fa douleur pro-
» fonde , & la noire mélancolie qui s'é-
" toit emparée de fon ame. Enfin , que
»vous dirai -je , ma chere fille ? A la fin du
feptième mois de fa groffeffe , elle per-
» dit la vie , deux jours après vous l'avoir
>> donnée ! . . .
22
....
Un cri perçant , dont je ne fus past la
maîtreffe , interrompit le difcours de ma
chere tante. Les larmes , que mon attention
avoit fufpendues , m'inonderent de
Rouveau , & redoublerent fes tendres careffes.
Ah , Madame ! m'écriai -je , dans ma
douleur : ( car je n'ofois plus donner à la
Comteffe le nom de tante , qui m'avoit
été fi cher ) Ah , Madame ! c'eft donc à'
votre charité feule , que je dois mon exiftence
?... Mais la Comte fle étoit fi atten-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
drie elle-même , par le fouvenir de la
perte de fon amie , & par l'accablement
où fon difcours venoit de me jetter
qu'elle n'étoit point en état de me répondre.
Ses pleurs , la fituation touchante
où je me trouvois dans fes bras , auroient
entierement épuifé fes forces , fi fon courage
& fon amitié , ne lui euffent fait fentir
le befoin qu'elle avoit de les rappeller
toutes , pour achever de m'inftruire.
"
" Remettons-nous , ma chere niéce ,
» pourfuivit la Comteffe : nous devons ,
» l'une & l'autre , nous armer de plus de
conftance. Vous , pour écouter plus
» tranquillement ce qui me reste à vous
» dire ; & moi , pour pouvoir vous l'ap-
» prendre .
و د
» Votre naiffance , fut un fecret pour
»tout le monde , excepté pour le Chapelain
du Château , qui vous ondoya ;
" & pour quelques témoins néceffaires ,
»fur la difcrétion defquels nous crûmes
» alors , ma mere & moi , devoir comp-
» ter. Votre malheureufe mere , n'avoit
pour toutes preuves de l'indifcrétion ,
"( pourquoi ne dirois-je pas , de l'inno-
» cence de fa conduite ? ) que quelques
» Lettres du Prince , par lefquelles il
» convenoit bien , à la vérité , d'être
» l'auteur de fon infortune ; mais qui
AVRIL. 1760. 57
"
s'expliquent d'une maniere trop équi-
» voque , fur la façon dont il fe promet-
» toit de réparer les torts envers elle . Ma
"pauvre amie , dont l'âme étoit auffi
fimple, qu'elle étoit noble & généreufe ,
» s'en étoit rapportée à la parole , à l'hon-
» neur , & à la confcience du Prince ,
» dans les engagemens qu'elle avoit pris
>> avec lui ; fans en exiger d'autre allu
» rance , que les fermens mutuels qu'ils
» s'étoient faits de s'unir bientot par des
» liens indiffolubles . Votre mere , en
>> mourant dans les plus grands fentimens
» de pénitence & de catholicité , nous
» remit ces foibles témoignages , plus
» propres à la convaincre d'une confiance
imprudente , qu'à vous faire reconnoî-
» tre par la Maifon du Prince auquel vous
> devez le jour. Elle vous recommanda ,
» dans fes derniers inftans , aux foins de
» ma mere & à ceux de mon amitié
pour elle. Nous lui jurâmes , l'une &
» l'autre , de ne vous abandonner jamais.
» Ma mere a été fidelle à fes engagemens,
» tant qu'elle a vécu : c'eft elle , qui vous
" a fait nourrir , en fecret ; qui vous. a
"
29
>
mife , & entretenue au Couvent de
» Nanci , fous le nom de Mademoiſelle
» de Gondreville . Vous avez été , depuis
que je l'ai perdue , mon unique con
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
» folation , & le feul objet de ma ten-
» dreffe : En un mot , je vous ai adoptée ,
» ma chere fille ! .. Et c'eft à ce titre , que
» vous ferez auffi chere à ma famille
» que vous me l'êtes à moi- même , s'il
» arrive que la mort me fépare de vous.
,
» Eh , ma chere tante ! m'écriai-je ;
» pourquoi me frappez-vous par un préfage
fi noir , & mille fois plus fenfible
» à mon coeur, que tous mes malheurs en-
» femble ? ...
"
39
L'événe-
Ne nous affligeons point d'avance ,
( interrompit la Comteffe . )
» ment , ma chere niéce , peut fans dou-
» te tromper mes craintes : mais il eft
» toujours prudent de le prévenir ; &
» c'eft me procurer à moi-même une tranquillité
dont j'ai besoin , que de vous
» avoir miſe en état de le foutenir. Ecou-
» tez-moi donc , ( continua- t - elle , ) il me
» refte peu de chofe à vous apprendre :
» mais il vous eft effentiel de le fça-
» voir. Quoique ma mere regardât , com-
» me une chofe impoffible , de vous faire
»reconnoître par la famille du Prince vo-
» tre pere , pour fa fille légitime ; elle ne
» laiffa pas d'écrire au Prince régnant de
» ſa maiſon , & de le folliciter vivement
» en votre faveur. Elle lui envoya la copie
des lettres du Prince fon parent :
AVRIL. 1760. 59
" le Duc de Lorraine , du crédit duquel
»elle appuya fa recommandation , dai-
"gna certifier lui-même la fidélité des
» copies , & leur exacte conformité avec
» les lettres originales. M. le Cardinal
» de Rohan , dont ma mere implora l'af-
» fiftance , ne fe porta pas avec moins
» de chaleur & d'intérêt à vous faire du
» moins affurer un état. Maís , tout ce
» que de fi illuftres protecteurs purent
» obtenir , ce fut un froid confentement
» du Prince régnant de S ... de vous en-
" voyer dans fes Etats, pour y être élevée
» dans fa religion au moyen de quoi ,
» feulement , il vouloit bien s'engager à
"prendre foin de vous , comme de la fille
» naturelle d'un Prince de fa maifon .
»Vous jugez bien , ma chere niéce ,
» qu'une propofition fi peu convenable ,
» & fi dangereufe , ne fut point agréée
" par les deux Princes , qui s'intéreffoient
également à votre religion , & à votre
» fortune. Ils firent de nouvelles tentati-
» ves , auxquelles on ceffa bientôt de répondre.
Notre illuftre Cardinal , s'eft
» enfin flatté de nous faire obtenir une
"penfion du Roi , auffitôt que ce Prince
fera déclaré majeur. Nous touchons de
» près à cet heureux moment , ma chere
» nićce ; & je ne demande à Dieu la con-
$5
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
» ſervation de mes jours , que pour jouis
» du bonheur de voir votre fort affuré par
» les bienfaits d'un maître qui nous ek
» cher , & auprès duquel la religion que
» vous profeffez fera toujours le plus pref
» fant motif de fa royale protection .
»
» Vous êtes peut-être étonnée , ma
» chere Gondreville , de ce que je ne
» vous parle point de la famille de vo-
» tre malheureuſe mere ? .. Il vous en
refte , cependant un oncle , & des coufins
; mais ce font des barbares , que
» vous devez oublier. Ils n'ont rien épargné
, pour rendre public le malheur de
» votre naiffance ; & pour vous faire ju-
" ger incapable de réclamer le peu de
» biens qui devoient vous appartenir , ſe-
» lon les droits de la nature . Vous ne
» leur devez que du mépris. Dans cet
» état , ma chere niéce , s'il arrivoit que
» vous euffiez befoin d'un afyle , pour y
» attendre les effets de la protection de
» fon Eminence ; je n'en imagine point
» de plus convenable , que celui qui ne
» peut manquer de vous être offert dans
» le Château de mon neveu, par la Com-
» teffe fa femme. Leur amitié pour moi ,
» celle qu'ils ont toujours marquée pour
» vous , m'affurent que ma prévoyance ,
» & ma tendreffe , ne feront point trom
pées.
AVRIL 1760.
6.1
Tel fut à-peu -près le difcours de la
Comteffe : dirai-je , de ma chere tante; ou
plûtôt , de ma véritable & tendre mere ?
J'en demeurai plus interdite, que confuſe.
La reconnoiffance queje devois à fes foins
fi généreux , ne trouva de place ni dans
mon coeur, ni dans mes expreffions : je ne
pouvois être fenfible qu'au noir preffentiment
qui la déterminoit à me faire de
fi triftes confidences ; & à prendre avec
tant de courage & de bonté , des mefures
qui ne me pénétroient que de douleur
& de crainte.
Je me difpenferai de retracer ici tout
ce qu'il en coûta de larmes à notre mutuelle
tendreffe , avant que nous euffions
pû parvenir à raffeoir nos fens , & tout ce
que cette courageufe Comteffe me dit
encore, pour me raffurer contre la terreur
que devoit m'infpirer l'idée du plus cruel
de tous les événemens que je puffe éprouver
. Hélas ! elle le prévoyoit avec tant
de fermeté , qu'elle me mettoit dans le
cas de ne pouvoir l'imaginer , ni le prévoir
moi - même ! Sa force apparente ,
ranimoît les miennes , & mes efpérances.
Mais elles ne devoient pas être de longue
durée.
Qu'on me pardonne , de fufpendre ici
ma narration , avant que d'entreprendre
62 MERCURE DE FRANCE
le récit d'un malheur , dont le fouvenir
m'accable encore . On va voir , dans la 2 *
& dernière Partie de ces Mémoires , que
la cruelle maladie qui m'avoit épargnée ,
ne m'enleva en peu de jours ce que j'avois
de plus cher au monde , que pour
me livrer à de nouveaux malheurs.
Fin de la premiere Partie.
( Lafuite , au prochain Mercure. )
D.
SONG E.
EUX fois , le fombre Dieu qui préfide au
repos,
Qui des fens épuifés , répare la foibleſſe ,
Rend l'homme à fon travail , l'amant , à fa
maîtreffe ,
Avoit verfé fur moi le fuc de fes pavots :
Quand l'illufion flatteuſe ,
Du fonge le plus riant ,
Guida mon âme amoureufe
Vers l'enceinte merveilleufe
Du jardin le plus brillant.
Là c'étoient des berceaux ! ici , mille ftatues
Retraçoient à mes yeux , la fable & fes héros ;
Plus loin , l'onde preffée , en fes étroits canaux,
Par cent bouches d'airain , s'élançant juſqu'aux
nues ,
Dans de vaſtes baffins , retomboit à longs flots.
AVRIL 1760. 63
La rofe, & mille fleurs nouvelles ,
Paríumoient ce ſéjour divin :
Un doux zéphir fouloit fur elles ;
Et du bout vermeil de fes aîles ,
Agitoit tendrement leur fein.
Pomone avoit auffi , d'une main libérale ,
Enrichi de fes dons ce lieu rempli d'attraits
Et l'art , pour l'embellir , avoit uni fes traits.
Aux plus brillans trésors que la nature étale.
Tandis que mon oeil curieux ,
Parcouroit , d'un regard avide ,
Un jardin fi délicieux ;
Frappé par un éclat plus pur , plus radieux ,
Sur un char azuré , je vis le Dieu de Gnide
Fendre l'air , d'une aîle rapide ,
Et defcendre dans ces beaux lieux.
Animé par l'efpérance
De plaire à ce Dieu vanté ;
A pas redoublés , j'avance
Vers le boccage enchanté ,
Où duvainqueur que j'encenfe
Le char s'étoit arrêté.
J'arrive : mais , ô Ciel ! quelle fut ma ſurpriſe ,
Quand , au lieu de l'Amour , au fond d'un verd
bolquet ,
Sur un lit de gazon , je vous vis , belle Life ,
Des plus brillantes fleurs compofer un bouquet ! -
Les jeux , les ris , & les graces naïves ,
Autour de vous , à l'envi fe rangeoient ;
64 MERCURE DE FRANCE.
•
t
Dans vos beaux yeux , les Amours fe logeoient
Et par vos chants , attirés fur la nuë ,
Les roflignols , en foule y voltigeoient.
Enyvré du plaifir qu'infpire votre vue ,
Dieux , que de traits de feu paſsèrent dans mon
coeur!
Hé ! peut-on , fans brûler de la plus vive ardeur,
Voir les attraits piquans dont vous êtes pourvue ?
Tandis qu'entre la crainte & l'espoir partagé ,
Je n'ofois par refpect m'approcher davantage ;
Dans un doux délire plongé ,.
En vous,du tendre Amour,je contemplois l'image.
Mais bientôt , par ce Dieu, conduit à vos genoux ,
Je vous offris ainfi mes voeux & mon hommage :
» Dûffiez-vous m'accabler du plus cruel courroux,
» Life, je n'adoré que vous !
›› De vos beaux yeux , reconnoiffez l'ouvrage :
» Peut- on ſe dérober au pouvoir de leur coups ?
>> Ni craindre dans vos fers de devenir volage ?..
A ce difcours , dicté par le pur fentiment ;
-40.
Loin d'effrayer mon coeur par un regard févère ,
Je vis vos yeux fur moi ſe tourner fans colère.
Hélas ! même déjà je touchois au moment ,
Où j'avois le bonheur de plaire
A ce que la nature a fait de plus charmant ! ..
Quand un effroyable tonnerre ,
Eclate , me réveille , & plonge dans la nuit
Et mon bonheur , & le parterre.
AVRIL. 1760.
Telles font les erreurs que le fommeil produit !
Leur illufion nous féduit.
Embralé d'un amour, qui déplairoit peut-être,
S'il éclatoit aux yeux de fa jeune beauté ,
L'amant refpectueux tait , par timidité ,
Tout ce qu'il s'étudie à lui faire connoître.
Plus hardi , dans un ſonge ; avec vivacité ,
Il lui peint la tendreffe ; il s'en croit écouté.
Maistoujours le plaifir qu'un menfonge fait naître,
Eft détruit par la vérité !
Par M. FRANÇOIS , ancien
Cornette de Cavalerie .
T
EP ITR E.
01 , qui d'une grâce nouvelle ,
¡ Embellis le Pinde , & Paphos :
Toi , qui joins aux talens d'Apelle ,
L'efprit délicat des Saphos ,
Et le gofier de Philomelle !
Jeune beauté , que je chéris ,
Et que tout doit me rendre chère
Quand cet Auteur , que je révère ,
Semble honorer d'un froid mépris ,
Les ouvrages d'an téméraire ,
Qui , par un faux éclat ſurpris ,
Crut pouvoir d'une aîle légère ,
Pénétrer jufqu'au fanctuaire
66 MERCURE DE FRANCE.
De la Mufe, qui dans Paris ,
Fait fa réfidence ordinaires
Le plaifir touchant de te plaire ,
Eft à mes yeux d'un trop grand prix ,
Four que mon coeur ſe déſeſpère
De la chûte de mes écrits.
Briguer , obtenir fur la scène,
Le triomphe le plus flatteur ;
Avec une égale chaleur ,
Suivre Thalie , & Melpomène ;
Et voir le Public , à la gêne ,
Claquer toujours le même Auteur j
Pour un coeur que la gloire entraîné ,
C'eft un attrait bien féducteur !-
Mais je penfe , que le bonheur
De deux amans qu'amour enchaîne ,
Qui brûlent d'une égale ardeur ,
Ont fans caprice & fans aigreur ,
Même plaifir , & même peine ,
Eft préférable à cet honneur .
De la beauté que j'idolâtre ,
Quand je vois mes vers applaudis
Qu'importe , en effet , qu'au Théâtre ,
J'enchaîne un effain d'étourdis.
Ne fuffit-il pas à ma gloire,
Qu'Iris , cet objet fi charmant ,
Faffe vivre dans fa mémoire
Les écrits du plus tendre amant?
AVRIL. 1760 . 67
Hé de quel plus brillant ſuffrage ,
Mon coeur peut-il être flatté?
N'eſt- elle pas la vive image ,
Du Dieu puiffant & redouté ,
Aqui l'Univers rend hommage?
Et n'a-t- elle pas en partage ,
Autant d'efprit que de beauté ? ...
Jeune Iris , que d'un tel langage ,
Ton coeur ne foit point irrité ;
C'eft à l'aimable vérité
A peindre tes traits fans nuage.
Tu peux donc ici , fans rougir ,
Voir l'encens pur , qui pour toifume ;
Puifque c'eft elle qui l'allume ,
Et que l'amour la fait agir.
Tu connois à quel point je t'aime
Tu fçais que le tendre Conftant ,
Affuré d'être aimé de même ,
Préfere ce bonheur ſuprême ,
Au tréfor le plus éclatant.
Tantôt , ta belle bouche encore ,
Me diſoit, d'un ton enchanteur :
Quand je vois l'Amant que j'adore ;
Quand un aveu, plein de candeur,
Lui peint le feu qu ¡me dévore ;
Quand je lis au fond de fon coeur ;
Il me femble que la nature,
D'un nouvel éclat s'embellit ;
Que
pour moi feule Phébus luit ,
28 MERCURE DE FRANCE.
•
Et que fa lumiêre eft plus pure !
Mais auffitôt que mon amant ,
De mes yeux s'éloigne un moment ;
Je fuis comme une prifonnière ,
Aux fers condamnée en naiſſant ,
A qui dans la nature entière ,
Tout paroît trifte & languiſſant.
Heureux ! fi le mortel terrible ,
Iris , à qui tu dois le jour ,
N'eût terminé , par fon retour ,
Cet entretien doux & paisible
Où préfidoit le tendre amour.
2
Des regrets que j'en ai dans l'âme ,
Hélas ! je ne te dirai rien :
Puifque tu partages ma flâme ,
Ne les dévines - tu pas bien ?
En vain , finiffant la carrière ,
L'Aftre brillant qui nous éclaire ,
A fait place à l'obſcure nuit.
En vain le fommeil qui me fuit ,
A fait dans la nature entiere ,
Succéder le filence au bruit.
Tandis qu'aux douceurs qu'il procure ,
Tous les humains femblent livrés ;
C'est d'une volupté plus pure
Que mes efprits font enyvrés.
De ton image enchanterelle ,
AVRIL. 1760.
69
En tout lieu fans ceffe rempli ,
Je vois l'amour qui te careffe ,
Tandis qu'il me flatte fans celle ,
Du bonheur le plus accompli.
Mais me tiendra-t il fa promeffe ?
Ou bien, pour prix de ma téndreſſe ,
N'aurai-je qu'un affreux oubli ?...
Tu frémis ! ... Quel regard févere ,
Tes beaux yeux ont lancé fur moi?
Ah ! jeune Iris , tu m'eſt trop chere ,
Pour douter de ta bonne foi....
Mais hélas ! tu dépends d'un Pere ,
Qui ne pense pas comme toi.
Par le même.
A Mlle LECLERC , de la Comédie
Italienne , en lui envoyant des fleurs.
OVOUS Vous ! dont les attraits font encor au printemps
,
Les fleurs font votre image; acceptez - en l'offrande .
Pour moi , qui fuis déja dans l'hyver de mes ans ,
Eglé , ce font des feux que mon coeur vous demande.
LE BEAU DE SHO SNE , de l'Académie
royale de Nimes , & de la Société des
Sciences & des Belles-Lettres d'Auxerre.
70 MERCURE DE FRANCE.
L'AMOUR DÉSARM É.
OD E anacréontique , imitée de l'Anglois,
de PRIOR.
uxpavors du fommeil , Chloé s'étoit livrée ,
Deffous un myrthe vert .
L'Amour , qui voltigeoit fur la plage azurée ,
Vit fon fein découvert.
Il s'arrête : il admire ! & vers ce qui l'enchante ,
Reprenant fon effor ,
Il s'abat ; & s'étend fur la gorge charmante :
La careffe , & s'endort .
La Nymphe fe réveille , & conçoit mille allarmes,
Reconnoiffant l'amour.
Cependant elle fent, que dans fon coeur,fes armes,
N'ont point encor fait jour.
Pour fixer à jamais ce petit Dieu volage ,
Elle cherche un moyen ;
Et fonge à le livrer lui -même à l'esclavage ,
Pour prévenir le fien.
Son corfet, qui fe trouve en un déſordre aimable,
Seconde fon projet.
Le pauvre amour eft pris : ( l'amour fi redoutable!
Par un bout de lacet.
AVRIL. 1760 . 71
Chloé fait fes efforts , pour bien lier fa proye :
L'Amour s'éveille enfin .
Trois fois , il veut briſer cette chaîne de foye :
Mais hélas ! c'eſt en vain .
Il n'a plus que les pleurs, pour unique défenſe...
Ah ! laiffez - vous toucher ,
Dit-il , belle Chloé : Non , pour aucune offenſe ,
Je ne viens vous chercher ?
Jefuis privé des yeux : en voyageant , fans peine¿
J'ai bien pû m'égarer.
Mais furvotre beaufein , j'ai l'âme trop peu vaine,
Pour ofer demeurer .
Que mefont tes difcours ? répond la Nymphe fago:
Je fuis fûre de toi.
Bleffer quelqu'un , étoit le but de ton voyage :
Peut être étoit-ce moi ?
Chaffez de votre coeur cette crainte frivole ,
Lui repliqua l'Amour :
Rompez ces noeuds cruels ; fouffrez que je m'envole,
Ce fera fans retour.
J'y confens , dit Chloé mais livre- moi , d'avance ;
Et ton arc & tes traits.
Ces gages peuvent , feuls , m'éviter ta vengeance ;
Tu feras libre après.
レ
72 MERCURE DE FRANCE.
C'eft ainfi que l'Amour , en perdant fa puiffance ,
Reprit fa liberté .
Depuis ce jour , fes jeux font ceux de l'innocence :
Il n'eft plus redouté .
Retenu par fes traits , dont la perte le touche ,
Auprès de fon vainqueur ;
Tantôt il fe repofe , ou vole fur fa bouche ,
Et tantôt fur fon coeur.
Depuis ce jour , Chloé , de fon carquois faifie ,
Régle tous nos defirs ;
Et fa it de l'Univers , fuivant fa fantaifie ,
La peine & les plaifirs .
ParM. le Marquis de L **** , Auteur
de la fable du Caftor & du Singe.
VERS
AVRIL. 1760. 78
VERS, à l'occafion des Prix que M. de Fon .
tette , Intendant de la Généralité de
Caën , & Vice- Protecteur de l'Académie
Royale des Belles - Lettres de cette Ville,
afait propofer par la même Académie
pour les années 1759 & 1760 .
N
OUVELLE Athènes , Caën , aux Brieux ( a ) ;
aux Ségrais (b) ,
(a) L'Hôtel de Ville , où l'Académie préfente ,
vient de recevoir un logement, eft la propre maifon
de Made Brieux. Ce fut lui , qui , le premier ,
raffembla cette Société littéraire , en 1651. Il nâquit
à Caen , d'une famille noble & ancienne. Il
eft Auteur d'un Recueil de Piéces en profe & en
vers , dédié à Madame la Comteffe de Cruffol ,
imprimé à Caen , chez Jean Cavelier , Imprimeur
du Roi & de l'Univerfité , en 1660. Il étoit
lié avec MM. de Ségrais , Bochart , Mlle de Scu
dery , & plufieurs autres Gens de Lettres les plus
diftingués du XVII Siécle . Son Recueil eft compofé
d'Epîtres , de Stances , d'Epigrammes , de
Sonnets , de Madrigaux pleins de goût , de fel ,
de fentiment , & de délicateffe . On peut juger de
fon efprit & de fes vers , par les fuivans , qu'il fit
fur la mort de Scarron .
Voir les Ris tout en pleurs , eft une étrange chofe ;
Et qui furprend d'abord :
Mais qui ne furprend plus , quand on en fçait la
cauſe ,
Hélas ! leur pere eft mort.
-
(b) M. Jean Renauld de Segrais , de l'AII.
Vol D
74 MERCURE DE FRANCE.
4
Bochart (c) , Huet ( d) , Morin (e) , pour hâter
Les progrès ,
Y furent les appuis , les guides du génie ;
Le célébre Foucault (f) , d'éloquens Ecrivains
cadémie Françoiſe , né à Caën , eſt mort en cette
Ville le 25 Mars 1701. Après la mort de M.
de Brieux, il donna ſa maiſon pour ſervir d'afyle
à l'Académie des Belles Lettres de Caën ,
dont il fe faifoit honneur d'être membre , quoiqu'elle
n'eût point encore de Lettres - Patentes.
(c) M. Samuel Bochart , né à Rouen en 1599.
Ilmourut fubitement, en parlant dans une Séance
de l'Académie de Caen , le 6 Mai 1667 , à 78
ans. Il étoit de la famille de Meffieurs Bochart
de Champigny , & Bochart de Sarron. Morery ,
Bayle , & M. l'Abbé l'Advocat , difent qu'il
étoit l'homme le plus fçavant du dix-feptiéme
Siécle.
-
(d) M. Pierre - Daniel Huet , Evêque d'Avranches
, de l'Académie Françoife , admirateur &
ami de M. Bochart , qu'il accompagna en Suéde.
Il tira de fon commerce de grands avantages
pour les ouvrages , dont il a depuis enrichi la
République des Lettres. Il nâquir à Caën , en
1630 , & mourut à Paris le 26 Janvier 1721 , à
91 ans.
( e) M. Etienne Morin , fameux Miniſtre , ami
de M. Bochart. Il étoit Auteur de huit Differtations
latines , fçavantes & curieufes , fur des matières
d'antiquités , imprimées à Genève en 1683 ,
in - 8 °. On n'entend fouer , dans les ouvrages
de ce Sçavant , que ce qui a rapport à la Littérature.
(f) M. Jofeph Foucault , né à Paris le s
AVRIL 1760 . 75
Longtems en ont été les Oracles divins .
De Luynes (g ) , après eux , enrichit fes archives ,
Raffembla , ranima fes Mufes fugitives ;
Lui vanta les talens dont il étoit épris :
Mais Fontette ( k) , l'illuftre , en leur offrant des
prix.
Ce Grand Homme , infpiré des Filles de
Mémoire ,
Janvier 1643. Il étoit honoraire de l'Académie
des Infcriptions , & mourut le 7 Février 1721 , à
plus de 8 ans. On lui attribue la découverte du
fameux ouvrage de Mortibus perfecutorum . C'eſt
lui qui obtint en 1705 , des Lettres Patentes , qui
affermirent l'établiſſement de l'Académie de
Caën , dont Louis XIV le nomma Protecteur .
(g) M. Paul d'Albert de Luynes , Cardinal
& Archevêque de Sens , de l'Académie Françoiſe
, & Protecteur de l'Académie de Caën . Elle
avoit un logement dans fon Palais , lorsqu'il étoit
Evêque de Bayeux . Cette Académie , n'ayant plus
de lieu d'affemblée , depuis la mort de M. le Préfident
de Croifilles , beau-frere de M. de Ségrais .
(h) L'Académie de Caën , eft non -feulement
redevable à M. de Fontette des deux Prix qu'elle
vient de propoſer fucceffivement ; elle doit encore
l'impreffion de fes Mémoires , aux foins &
au zèle de ce Magiftrat pour le progrès des
Sciences & des Arts. Le Sujet propofé , pour le
Prix de 1760 , roule fur cette question. Quelle
eft la meilleure manière de planter & de cultiver
les Pommiers à cidre , & la meilleure méthode
de profiter de leur récolte ?
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Invite les talens à tenter la victoire ;
De lauriers immortels couronne le Vainqueur;
Et par l'Amour des Arts , met le comble à la
gloire
Que méritoient déja fon efprit & fon coeur.
Par M. l'Abbé Yg ** S. de P.
L*** de T***.
LE mot de la première Enigme du
premier volu ne d'Avril , eft , Tambour.
Celui de la feconde , eſt , le fecret.
Le mot du premier Logogryphe , eft
Colonne ; dans lequel on trouve Colon ,
Oncle, Nole , Leçon, Noël , Noë, Conon,
& Nôce. Celui du fecond Logogryphe , eft
Alphabet ; où l'on trouve Palet, Bal, Pet,
Abel , Baal , la , Pal , Able , Alep
Table , Alte.
JoxID:
ENIGM E.
OYEUX avantcoureur d'une trifte ſaiſon ,
Malgré moi , je fais place à la froide raiſon.
Je ne fçai que danſer , boire , chanter & rire.
Sans être reconnu , je puis , j'ofe tout dire ;
Je plais & je déplais ; je fuis court , je fuis long s
11 en eft qui de moi déteſtent juſqu'au nom ;
AVRIL 1760 . 77
Utile à bien des gens , amide la jeuneſſe ,
'e femble des vieillards fufpendre la triſteſſe.
Veux-tu fçavoir encor un de mes attributs ?
Au moment que je parle , hélas ! je ne fuis plus,
JE
AUTRE.
E réunis en moi le plus bel ornement
Dont un augufte Roi fit toute ſa parure :.
Avec une habile ſtructure ,
Je fuis dans des filets ; voilà mon élement.
Par le feu , par le fer , on fabrique mon être :
Un illuftre guerrier , que l'Afie a vû naître ,
Sans ce qui me compofe , eût perdu fa vigueur.
Un autre, par mon art , s'il m'avoit pû connoître,
Eût évité la mort , dont je fus prèfque auteur.
Sans employer le ſtratagême ,
Dont jadis fe fervit Æfon ,
Je rajeunis , par mon invention ,
En trompant la Nature même :
Je vieillis , dans l'occafion.
Enfin , quoiqu'aux Mortels je rende un bon fervice
,
Que mon état paroît touchant!
Tous les jours on m'attache , on me met au fupplice
;
Et toutes les nuits , on me pend.
Par L.P. MOLINE , de Montpellier.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE
LOGOGRYPHE .
JEE fuis l'amante des plaideurs .
Le coffrefort des Procureurs.
Par mes fecours divins , une amante novice ,
Cent fois à fon berger peint fes feux , fon tour
ment ;
Et le Sage , par eux , livrant la guerre au vice ,
Souvent dans le fecret fait rougir le méchant.
Faut- il encor , Lecteur , pour me faire connoître
Dans mes neuf élémens , décompofer mon être ,
J'offre, d'un nouveau né , la triſte expreſſion ;
Le fondement facré de la religion ;
Ce métal, dont l'afpect fouvent rendit perfide ;
Ce qui gêne nos pas , quand la terre eft humides
Le plus fimple des mets qu'on fert en nos repas 3
Le théâtre fanglant de mille affreux combats ;
L'élément primitif, principe de la femme ;
Un tranfport qui fouvent , opprime , abrutit l'â
me ;
3 Un enfant de l'efprit , par fois de la raiſon
Un lieu , dont la hauteur nous borne l'horifon ;
Ce qui s'offre à nos yeux ,du couchant à l'Aurore ;
Le produit des larcins , qu'un Peuple fait à Flores
Un fentiment , d'où naît un abord gracieux ;
Ce qui fert aux humains de bouffole en tous lieux
AVRIL. 1760. 79
Un mal , qui rend par fois d'humeur mélancolique
;
Et pour la rime , un ton qu'on connoît en muſique;
Un endroit, qui fouvent fe ferme avec grand foin ,
Devine , cher Lecteur : je ne vais pas plus loin.
Par M D. ***
AUTRE.
MApremiere partie, eft toujours une injure
La feconde , fouvent te fert de nourriture.
AUTRE.
LCTEUR , j'ai deux moitiés : l'une exclat
tout plaifir ;
Etre l'autre , eft toujouts l'objet de tes defirs.
AUTR E.
Apeine, deux cités chez moi peuvent tenir ;
Moi , que tout l'Univers ne fçauroit contenir !
Div
80 MERCURE DE FRANCE:
LOGO GRYPHUS.
NCOLO femper aquas; tollas caput ,incolo fylvas.
Par M. DUBEROI , Provençal.
ABSENCE.
Air tendre , à Mlle Co L....
ΑABSENT BSENT d'Iris , que je verfe de larmes !
Un Dieu jaloux , la dérobe à mes voeux.
Ah ! s'il vouloit me priver de fes charmes ,
Pourquoi , fitôt , la montrer à mes yeux ?
Petits oifeaux , fous ce charmant ombrage ,
Vous vous voyez : que vous êtes heureux !
Mais , par pitié , ceſſez votre ramage :
Un chant ſi tendre , augmente encor mes feux.
Par M. P. ***
*
AVRIL. 1760. 8&
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES:
SUITE de l'Extrait du Poëme de l'Art de
peindre , de M. WATELEṬ.
DANS le début du troifiéme Chant , le
Poëte rappelle la diftinction qu'il a faite
de l'invention pittorefque , & de l'invention
poëtique.
Celle- ci s'élançant d'un yol audacieux ,
Des régles méconnoît le joug impérieux :
Le Peintre en vain réfifte à ce qu'elle projette ;
C'eſt elle , qui commande à l'artiſte Poëte.
Mais celle dont mes chants vont diriger l'effor ,
Aux préceptes reçus doit obéir encor.
Qu'eft-ce donc , que
refque ?
› que l'invention
pitro-
C'eſt l'ordre ingénieux qui deftine , qui trace
A chaque corps un plan , à chaque objet ſa place,
Artiſtes éclairés , vous que la raiſon guide ;
Dans le plan d'un Tableau , qu'elle feule décide
Le lieu , l'inftant , le jour , & l'ordre du ſujet :
Qu'elle affigne une place au principal objet.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
L'expofition de ces préceptes eft , dans
le Pocme de M. Watelet , d'une clarté ,
d'une précifion fingulière . Une des parties
effentielles de cette compofition , eft la
pofition des figures ; & l'équilibre , en eſt
la premiere régle.
Dans un éxact aplomb, les membres bien placés ,
Sur un centre commun feront tous balancés :
L'équilibre eft la loi que prefcrit la nature ,
A tout corps en repos. S'il change de poſture ,
Il fort de fon aplomb ; mais après ce moment ,
Il reprend l'équilibre , & perd le mouvement.
L'inftinct nous donne les contraſtes qui
opérent l'équilibre du corps dans fon action
; ce même inftinct nous donne les
grâces , & le Poëte en a mis un exemple
fous nos yeux.
Galatée , an Berger qui vole fur fes pas ,
Se dérobe , en marquant qu'elle ne le fuit pas !
Sa courſe eft un moyen de l'attirer près d'elle :
Son action l'éloigne, & fon defir l'appelle.
Voyez dans leurs efforts fes membres contraſtés ,
Soumis à fon projet , dévoiler fes beautés.
Son corps fuit à la fois , efclave volontaire ,
La loi de la nature & le defir de plaire.
Quelle grace n'ont pas , dans tous leurs mouve
mens ,
1
De ce corps déployé les deux balancemens !
AVRIL. 1760. 83
M. Watelet gémit , avec raifon , des bizarreries
de la mode , qui altére en nous
la nature ; & qui , dans nos vêtemens , ne
donne à l'art rien de noble, rien d'élégant
à imiter.
Sur la beauté des corps , la mode étend les droits
Le Sage , en murmurant , obéit à ſa voix ;
La jeuneffe applaudit à fa bizarrerie ;
Et l'enfance , foumiſe à ſa folle induſtrie ,
Gênant , pour obéir , fes graces , fes attraits ,
Voit fur le goût régnant modéler tous les traits.
Si du foin de draper , la mode enchantereffe,
D'accord avec l'Artifte , occupoit fon adreſſe ;
Le Peintre , en les travaux quelquefois fatisfait ,
L'immortaliferoit au moins pour ce bienfait.
Mais de nos vêtemens , la gênante ſtructure ,
Contredit à la fois & l'Art & la Nature.
Le goût des draperies , eft ici favamment
traité. Il y a deux manières ; l'une ,
de jetter , comme au hazard , les plis
d'une étoffe ondoyante : c'est la manière
du Corrège . L'autre , de faire fentir les
beautés du nud fous une draperie moins
ample : c'eſt la manière du Pouffin . L'une
& l'autre eft bonne mais l'imitation en
eft libre ; & l'Artiste ne doit être , ni fervilement
foumis , ni obftinément rebelle à
l'exemple
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
L'un , fans guide , ſe perd par ſa témérité ;
L'autre , en imitant trop , n'eſt jamais imité .
C'eft la nature , qu'il faut avoir fans
ceffe préfente.
Elle eft riche , fans faſte , aimable fans apprêts.
Telle à nos yeux charmés , loin du luxe des
Villes ,
Brille d'un doux éclat , dans des deferts tran
quilles,
Une jeune beauté, qui fimple, ne fçait pas ,
Que la grâce & l'amour accompagnent fes pas
Elle s'ignore & plaît ; ſon air naïf enchante
Le négligé la pare , & la rend plus touchante !
(
Dans la Poëfie , l'impreffion eft fucceffive
, & l'intérêt croît par degré. Le Peintre
n'expoſe , ni ne prépare.
Il doit , tout à la fois , fe montrer & féduire ; .
Convaincre fans parler , frapper avant d'inftruire
L'émotion , eft l'effet d'un inſtant.
C'est donc de fon ſujet la jufte convenance ,
Le choix de fes détails , l'enfemble , l'ordonnance
Dont l'art & le concours doivent à l'action
Tenir lieu de récit & d'expofition .
Le fujet du maffacre des Innocens, que
AVRIL. 1760. 87
M. Watelet donne pour exemple des convenances
, dans la compofition pittoref
que , eft une des preuves de ce que j'ai
dit , que pour ne pas faire diverfion à
l'objet principal de fon Poëme , il fe refufe
les écarts les plus excufables , & les
plus attrayants pour l'imagination . Ce
tableau tèrrible , pouvoit au moins lui
donner cinquante beaux vers , fans aucun
effort : il fe contente d'en indiquer
l'ordonnance phyfique , & n'y employe
que fept ou huit vers : mais ces touches ,
font des coups de maître.
On fe perfuade que l'art de compofer,
n'eft que l'art de former des grouppes ,
des contraſtes, & des effets pyramidaux :
la nature en a des modéles ; mais elle
n'eft point affervie à cette loi , & l'art ne
doit point s'y affujettir . Le Poëte obferve
que le défefpoir, l'horreur & l'effroi, difperfent
les objets ; comme la joie & l'attendriffement
les réuniffent , & les groupent.
Pour rendre fenfible cette belle
idée , il préfente le double tableau d'Androméde
, expofée au monftre qui va la
dévorer ; & d'Androméde délivrée.
Dans ces peintures animées & touchantes
, le Poëte s'apperçoit qu'il éléve
le ton , & qu'il paffe au mode poëtique,
86 MERCURE DE FRANCE.
Cette tranſition ingénieufe le conduit au
quatriéme Chant.
Artiftes , il eft temps ! je vais monter ma Lyre :
Et pour vous exciter , plus que pour vous conduire,
Ma Mufe , interrompant d'importunes leçons ,
Va choifir des accords pour de plus nobles fons
Il demande au Dieu des Arts , d'inf
pirer , non les âmes froides & infenfibles
aux beautés de la nature ; mais ce petit
nombre de génies heureux
dignes de l'imiter .
qui font
Et toi , qui t'affervis , mon indocile verve ;
Toi , fils impérieux de la fage Minerve ,
Ordre que j'ai fuivi , ne contrains plus ma voir ;
Je chante le gênie ; il fe foumet les loix !
Tous les Arts, lorſqu'il veut enfanter des miracles,
Ne font que des moyens , il fe rit des obftacles :
De l'efprit qu'il enflamme, il étend les progrès;
Et la tardive régle , adopte fes fuccès.
Il eût été ridicule de fe paffionner
en traçant les régles méchaniques du deffein
, ou de dicter , d'un ton véhément ,
les loix auftères de la compofition pittorefque
. Auffi le Poëte n'a t- il pris dans
le premier & dans le troifiéme chant ,
que le langage tranquille d'un obſer
AVRIL. 1760. 87
vateur attentif. La partie du coloris , intéreffe
l'imagination , & l'âme en eft
doucement émue : cette émotion , cet
intérêt , ont paffé dans les vers du Poëte ;
& le fecond chant eft plus vivement
écrit que le premier, & que le troifiéme.
Le fujet du quatrième , appartient au
génie :: CC''eesstt iiccii que l'invention fe livre
à fon effor poctique.
Déeffe impatiente , elle a briſé les fers ;
Elle parcourt , anime , embellit l'univers :
Ellereprend les droits , fon fceptre , la couronne
Des favoris des Arts , la troupe l'environne :
Je les vois , de leurs dons , enrichir fes Autels ;
Ils viennent recevoir des lauriers immortels.
Le Poëte parcourt les divers genres
de peinture. Quant aux moyens , & quant
aux fujets , la frèfque , la peinture à l'huile
, la détrempe , la miniature , le paftel,
la peinture en émail , la mofaïque ; tout
eft caractérisé avec une jufteffe & une
facilité étonante. Vous pouvez en juger ,
Monfieur
par cette deſcription du
paſtel.
Là , c'eſt un moyen prompt , dont le facile uſage,
Des traits de la beauté rend la fidelle image.
Les crayons mis en poudre , imitent ces couleurs
88 MERCURE DE FRANCE.
Qui dans un teint parfait offrent l'éclat des fleurs.
Sans pinceau , le doigt feul place , & fond chaque
teinte :
Le duvet du papier , en conſerve l'empreinte ; '
Un criſtal la défend . Ainfi , de la beauté ,
Le paſtel a l'éclat & la fragilité .
Le Tableau d'Hiftoire , le Portrait , le
Payfage , n'y font pas moins heureuſement
décrits.
Il eft , dit le Poëte , un mouvement
univerſel répandu dans la nature , que le
génie feul peut imiter : c'eft ce mouvement
qui anime la toile. Sans lui, la peinture
la plus correcte ne touche point
n'intéreſſe jamais . On va fentir la jufteffe
& la fécondité de cette idée fimple
& lumineuse.
Voyez au fein des airs les mobiles nuages ,
Jouets des vents , tracer la route des orages.
L'air agité s'y peint ; votre eſprit & vos yeux ,
Sont inftruits à la fois du défordre des Cieux.
Ne mefurez -vous pas , dans fa rapide , courſe ,
Ce torrent , qu'un inftant éloigne de ſa ſource ?
Ces débris , ce ravage étalé ſur ſes bords ,
Calculent fa vîteffe , & nombrent fes efforts.
· ·
Qu'un mouvement plus vif anime la nature :
Une fource nou , elle enrichit la peinture.
AVRIL. 1760. 89
t
Dans les êtres vivants , la crainte ou le defir ,
Donne un corps à la peine & des traits au plaifir:
L'inſtinct les fait agir , aimer , defirer , craindre:
On voit,dans tous leurs corps , l'intention fe peindre;
Leurs regards s'enflammer , leurs traits s'épanouir;
On les voit s'embellir , du bonheur de jouir....
Mais un prodige bien plus étonnant
une fource plus féconde d'action & de
fentiment , fe préſente à nos yeux : c'eſt
l'homme. Le Poëte le confidére dans les
différens âges.
Par quels refforts fecrets la délicate enfance ,
Dans tous fes mouvements, peint- elle l'innocence?
Ses geftes , fon fouris , fon ingénuité ,
Tout intéreſſe en elle . Ah ! c'eſt l'humanité ,
Qui,triomphantdes coeurs, fous cette douce image,
Reçoit , fans l'exiger , un légitime hommage !
D
Cependant comme on voit , de la Reine des fleurs,
Chaque inftantd'un beau jour nuancerles couleurs ;
Ainfi dès fon printemps changeant de caractère
De moment en moment , l'enfance plus légère ,
Des fens développés éprouve les progrès ,
De la peine aux plaifirs , du defir aux regrets ,
Elle paffe : elle imite , intrépide & craintive ,
Ce qui frappe fes yeux & fon âme attentive.
Des ris & des amours , c'eſt l'agréable eſſain
90 MERCURE DE FRANCE
Qui , tandis que Vénus retient Mars dans fon fein,
Se cache fous l'armure , & dans fon badinage ,
Retrace des combats une folâtre image.
Chaque faifon différe , & chaque âge a fes traits
Le printemps a fes fleurs ; l'enfance a fes attraits
L'été, fes feux brulants ; & l'ardente jeuneſſe ,
Ses paffions , fes goûts , fa chaleur , fon yvreffe
Bouillante , impétueuſe , à peine ſes refforts
Secondent à fon gré les rapides tranſports.
Efclave des defirs , en proie à leurs caprices :
C'eſt le temps de l'excès , des vertus & des vices,
Il eft difficile , je crois , Monfieur , de
mieux écrire en vers François . Mais fuivons
la chaîne des préceptes. La diverfité
des âges combinée avec les circonftances
des moeurs , des climats , des caractères
, produit la diverfité d'action &
d'expreffion dans les perfonnages.
Achille eft au trépas condamné par la gloire
Il fçait la deftinée , & vôle à la victoire.
Ulyffe , plus prudent , des traits de la raiſon ,
Caractérife & peint la troifiéme faiſon :
Et de Neftor enfin , l'impofante fageffe ,
Enchaîne le refpect au char de la vieilleffe .
Mais , c'eft furtout au fentiment dont
chaque perfonnage eft ému ; c'eſt à la
AVRIL. 1760.
paffion dont il eft agité , à déterminer
le caractère & le degré de l'expreffion
qu'il doit avoir c'eſt l'âme que P'Artiſte
doit peindre. M. Watelet finit par ce précepte
, le plus important de tous , & le
plus difficile à remplir.
Ce que les fens émus prêtent aux paffions ,
L'âme le rend aux fens par les expreffions.
La joie & le chagrin , le plaifir & la peine ,
Font mouvoir chaque nerf, coulent dans chaque
veine.
Les defirs & l'amour , la haine & fes fureurs ,
Ont leurs traits , leurs regards , leurs geftes ,
leurs couleurs.
Le Poëme eft terminé par une espéce
de péroraifon , où l'Auteur appelle l'Hiſtoire
& la Fable au fecours de la Peinture.
Et vous , dit-il , aux Artiftes animés du
feu de la Poëfie ,
Apprenez aux mortels , empreffés fur vos traces
Le pouvoir du Génie & le charme des graces.
Je n'ai mis aucun art , Monfieur , à
vous donner de ce Poëme l'opinion que
j'en ai. Quelque foin même que j'aie pris,
de vous faire appercevoir dans l'extrait ,
l'ordre & le tiffù de l'Ouvrage ; il faut
92 MERCURE DE FRANCE.
avouer que je me reproche la féchereffe
des liaifons qu'il a fallu fubftituer aux
détails les plus agréables , aux plus heureux
développernens. Ce Poëme , je le
répéte , fera la Poëtique des Peintres. Les
Artiſtes confommés, y retrouveront leurs
principes ; les jeunes Artiſtes , y puiſeront
les leurs ; les gens de goût , y éclaireront
l'espèce d'instinct qui les décide ; & les
prétendus connoiffeurs , apprendront de
M. Watelet , à quel prix un Amateur des
Arts acquiert le droit de les juger.
Le Poëme eft fuivi de réfléxions philofophiques
, où les principes de la peinture
font développés & ap profondis . Je
compte pouvoir en donner , bientôt , une
idée.
ES SAI ,
SUR L'EMPIRE DES INCAS ;
Traduction de M. ALGAROTTI.
ENTRE les fauffes opinions , dont font
entichés ceux qui s'adonnent uniquement
AVRIL. 1760. 93
à la Littérature , on peut compter pour
une des plus confidérables celle qui les .
porte à croire , que les feules nations
dont les actions méritent d'être étudiées ,
font les Grecs & les Romains. Elle eſt
telle , que la plus grande partie des gens
de Lettres dédaignent de jetter un regard
fur des peuples qu'il leur plaît de nommer
barbares , parce qu'ils n'ont pas eu
pour Hiftoriens un Thucydide, ni un Titelive.
Ce n'eſt pas ainfi que penfent ceux qui
ne fe contentent pas de voyager dans
l'antiquité , par le fecours de quelques
écrivains; mais qui, d'un oeil curieux, parcourant
tout le globe , s'apperçoivent
que ces nations , que les Sçavans méprifent
le plus , peuvent nous fournir des
leçons & des exemples pour la vie civile;
à- peu près de la même manière , que les
matières les plus nobles employées aux
ufages des hommes , leur font fournies
par les animaux les plus vils aux yeux du
vulgaire.
L'art de confidérer politiquement le
nouveau Monde , pourroit fournir à des
efprits fpéculatifs , un vaſte champ pour
philofopher. En effet , comme on apporta
d'Amérique en Europe de nouveaux
animaux , de nouvelles plantes , de nou
94 MERCURE DE FRANCE.
veaux remédes , & de nouvelles maladies
; de même elle montra , dans le gouvernement
de fes différentes nations ,
des exemples de valeur , de prudence , &
de vertu , que nous penfions ne pouvoir
exiſter que dans la petite partie de notre
continent.
La nation des Iroquois , tient , dans
l'Amérique feptentrionale , le plus haut
rang parmi les autres nations , tant par
les conquêtes qu'elle a faites , que par
fon amour très-vif pour la liberté , une
foif infatiable de gloire , & la plus ferme
opinion d'être la plus excellente de tou
tes les nations : opinion , qui jointe à
l'activité & au courage , peut être cauf
qu'une nation devienne en effet tour
ce qu'elle croit être.
Le mépris que leurs Chefs , ou Sache
mes, font des richeſſes , n'a pas d'exemple
parmi les nations policées : ils n'ont, par
mi eux , pour récompenfe ou pour puni
tion , que l'honneur , ou le deshonneur.
Tel eft le premier mobile de toutes leurs
actions.
La prudence , dans les entrepriſes , la
promptitude dans l'exécution , leur ref
pect dans leurs traités pour la foi publique
, & l'équité , & particulièrement
la conftance qu'ils apportent à faire ou
AVRIL. 1760. 95
à fouffrir les chofes les plus difficiles ,
les égalent aux Romains , fi elles ne les
leur rendent pas fupérieurs. Et de même
que le luxe Aliatique , corrompit enfin la
vertu de ceux - ci ; de même auffi , les vices
de l'Europe qui ſe ſont introduits parmi
les Amériquains , ont déja commencé à
en affoiblir les moeurs . Mais fi les nations
que nous nommons Sauvages , dans
l'Amérique feptentrionale , auroient pû
nous fervir d'exemple ; nous pouvons dire
la même chofe des Péruviens , dans l'Amérique
méridionale > eux que nous
croyons volontiers tout au plus dignes de
fournir la matiere de quelques - uns de nos
Romans : & certainement on peut mettre
ce qui regarde les Incas , au rang des
événemens décrits avec raifon par l'Hiftoire
& digne en effet de confidération
, & de remarques.
On y voit des moyens bien pris , pour
arriver à un but de la plus grande importance
; des exemples de la politique la
plus confommée ; d'autres de piété , de
magnificence , de vertu : enfin une famille
de Princes foibles , s'élever en peu
de générations , & parvenir à la domination
du Pérou , & du Chili , Pays d'une
étenduë & d'une richeffe immenſe ; & y
96 MERCURE DE FRANCE.
fonder un Empire , qui n'a peut- être pas
d'égal en Europe.
*
Nous apprenons , par l'Hiftoire de Garcilas
de la Vega , que Manco Capac , dont
les Incas tirent leur origine , fut le Romulus
de cet Empire ; à cela près que Romulus
, les armes à la main , fe difoit fils
du Dieu Mars ; & que Manco , défarmé
& fans fuite , fe difoit , comme Orphée ,
fils du Soleil , & par lui envoyé pour retirer
les hommes de la vie brutale qu'ils
menoient , femblables à des bêtes féroces.
En leur montrant les arts qui font
les plus utiles à l'homme ; il fçut multiplier
leurs befoins , pour les affujettir ; &
fe comporta avec tant de prudence, qu'après
avoir attiré à lui une grande quantité
de Barbares , & s'en être fait le chef,
il fonda la ville de Cozco , qui devint en
peu de temps la Rome de ce vafte Empire.
1
Les fucceffeurs & les neveux de Manco
, coopérérent tous avec les plus grands
efforts , à donner la derniere main au
grand deffein qu'il n'avoit qu'ébauché ;
& l'on vit la prudence des hommes , l'occafion
& la fortune , concourir à l'envi
à une même fin.
* Il s'étendoit depuis Quito , jufques pardelà
le Chili ; & avoit 1300 lieues de longueur.
Les
AVRIL. 1760 ! 97
Les Incas, étoient une forte d'hommes ,
entre les Miffionnaires & les Conquérans :
ils prêchoient , l'épée à la main ; & combattoient,
avec le catéchisme fous le bras.
Leursdogmes étoient fimples, & en petit
nombre ; ils croyoient un Dieu invifible ,
Créateur de toutes chofes , qu'ils appelloient
Pachelamac. Ils enfeignoient, que
le Soleil enétoit l'image vifible, qui , comme
fon premier Miniftre , donnoit la vie
à tout l'Univers. Et comme nous l'avons
déjà dit , ils fe vantoient d'être fes
fils , envoyés par lui,pour retirer le genre
humain de la barbarie,& lui enfeigner les
devoirs de la vie civile , la religion , la
punition des méchans dans l'autre vie
ainfi que la récompenfe des gens de
bien. *
Tels étoient les dogmes qu'ils prêchoient
, à la tête d'une armée qui reftoit
fur la défenſive , jufqu'à ce que les Barbares
euffent reçu le catéchifme ; & qui
n'attaquoit jamais , fi elle n'y étoit provoquée
par leur obftination & leur incrédulité.
* Ils croyoient que les gens de bien jouiffoient,
après leur mort , d'une parfaite tranquillité d'efprit
, & de corps ; & que les méchans fouffroient,
fans relâche , toutes les maladies & tous les maux
de l'humanité.
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
Les prodiges qui faifoient valoir la
miffion des Incas , n'étoient autres que
la félicité des Peuples foumis à leur gouvernement
ils leur montroient l'art de
filer la laine & le coton , celui de cùltiver
& d'arrofer les terres ; ils rendoient
chaque Citoyen utile à la ſociété , & puniffoient
l'oifiveté comme un vol fait au
Public pourvoyant à la fureté d'un
chacun , & au foutien de tout , ils fe
montroient véritablement les Peres de la
Patrie ** ; & les Sauvages , témoins du
bonheur de leurs camarades , devenoient
bientôt foumis au joug , & pleins de
confiance pour la miffion & les Miffionnaires.
*
:
On divifoit , en trois parts égales , les
terres dont on faifoit la conquête la
premiere , appartenoit au Soleil , la feconde
à l'Incas , & la troifiéme aux habitans
du Pays,
D'un côté , une certaine autorité de
religion , tenoit ces Peuples dans un trèsgrand
refpect ; & d'un autre , le bien
* Les aveugles & les boiteux , avoient des tra
vaux particuliers ; & les vieillards , qui étoient
nourris aux dépens du Public , avoient la charge
de chaffe les oiſeaux des champs enfemencés.
** Dans les grands chemins , il y avoit des hôt
pitaux pour les voyageurs,
AVRIL. 1760 . 99
qu'ils en voyoient réfulter , les rendoit
pailibles & tranquilles .
Il y avoit, au Pérou, des Vierges confacrées
au fervice du Soleil , fujettes à des
loix auffi févères , & peut-être plus encore
que n'étoient celles des Veftales :
elles étoient de même enterrées vives
fi elles manquoient aux voeux qu'elles
avoient faits folemnellement.
"
que
La magnificence de tout ce qui avoit
rapport au Temple , & aux fêtes qui fe
célébroient en l'honneur du Soleil , ainfi
de celles qui étoient d'ufage pour la
Cour du Prince , maintenoit les Incas
en réputation de Divinités auprès de
ces Peuples fobres & pauvres , même
dans le fein de leur richeffe . Ils avoient
de plus la coutume de n'époufer jamais
de femmes, que de leur propre race; comme
fi c'eût été fe dégrader , que d'avoir
commerce avec d'autres. Les vifites qu'ils
faifoient de temps en temps dans les Provinces
, & la rigueur avec laquelle ils
maintenoient la juftice & les loix , les
rendoient auffi redoutables que chers ,
même aux Peuples, Ils avoient auffi joint
le Sacerdoce à l'Empire , la douceur du
gouvernement à la terreur des armes ,
la fierté des Monarques de l'Orient à là
popularité de ceux de l'Europe. En un
&
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
mot,ils poffedoient dans un degré éminent
la politique des Princes les plus adroits ,
celle de cacher fous les plus fpécieux
prétextes les deffeins de leurs paffions ;
& de venir à bout , par les moyens les
plus doux , des choſes les moins agréables
aux hommes .
On vit naître de ces principes , ce qui
devoit naturellement en réfulter , la profpérité
& l'augmentation de cet Empire
en un très court efpace de temps ; d'autant
plus , qu'il étoit entouré de nations
foibles , & fouvent en guerre les unes
contre les autres . A cette raifon générale,
il s'en joignoit plufieurs autres particulieres
le devoir de l'Incas , étoit celui
d'un Conquérant religieux ; & tout Roi
afpiroit au triomphe , comme un Conful
Romain.Manco Capac , honora du titre
d'Incas les premiers Peuples qu'il réduifit
fous fon obéiffance ; & à l'exemple des
Romains avec les Latins , il fe les affocia
auffi , bien plus afin de les avoir pour ſoutiens
dans les entrepriſes , que pour partager
avec eux fon autorité.
Quoique la Religion , par rapport aux
Incas, parût être la caufe motrice de leurs
expéditions militaires ; en fait de croyance,
ils n'étoient pas rigoureux au point de
ne pas tolérer le culte des vaincus , pourAVRIL
1760. ΙΟΙ
vu qu'il ne fût pas diametralement oppofé
à celui des vainqueurs. C'eft ce qui
arriva lorfque Viracocha , après avoir
Convoqué une eſpèce de Synode , confentit
que les habitans de Lima gardalfent
une de leurs Idoles , fameufe par fes
oracles ; & qu'ils lui offriffent même des
facrifices , pendant que les troupes adoroient
d'un autre côté le Soleil, & fe foumettoient
à fes fils.
Ils penfoient de même , & avoient le
même refpect pour les loix étrangeres :
ils laiffoient même dans les premiers
grades , les Curacas , ou Généraux des
nations foumiſes ; mais avec une autorité
fubordonnée à celle d'un Incas , qui étoit
le principal Gouverneur de la province :
& en même temps , ils prenoient auprès
d'eux leurs enfans , fous prétexte de les
honorer ; mais en effet , pour leur fervir
d'otages : & en leur donnant l'éducation
& l'air de la Cour , ils faifoient naître en
eux une façon de penfer , & des moeurs
totalement contraires à celles qu'ils auroient
adoptées , s'ils fuffent reftés dans
leur propre pays. Par là , ils venoient à
bout de changer leurs idées : femblables
en quelque façon à ces Botaniftes , qui ,
après avoir arraché des arbustes de la terre
, & les avoir replantés la tête en bas ,
E iij
02 MERCURE DE FRANCE.
forcent les branches de ces plantes à
produire des racines , & les racines à
porter des feuilles. C'eft ainfi qu'ils
étoient, fagement, aux Peuples qu'ils fubjuguoient
, l'envie de fe révolter , en leur
laiffant en même- temps une ombre de liberté
moyen qui fur , comme chacun
fçait , un des plus grands fecrets de la
politique des Romains.
Ils avoient encore une autre reffemblance
avec cette nation fi fçavante dans
l'art de gouverner les Peuples ; & cette
reffemblance n'étoit pas moins néceſſaire
qu'utile ,, pour s'affurer de leur conquête :
c'eft qu'ils envoyoient des Colonies dans
les Provinces foumiſes , y bâtiffoient des
fortereffes , & les décoroient en même
temps de temples , d'aqueducs , & de
grands chemins . Ils vouloient , furtout
que les Nations foumifes parlaffent la
langue de la Capitale : Ils fçavoient que
rien n'eft plus capable de lier les hommes
entr'eux , que de parler la même langue.
Pachacutec , un des plus grands Rois
de la race des Incas , publia un Edit , par
lequel il étoit défendu à qui que ce fût
de parler une autre langue que celle de
Cozco. Et de même que Guillaume le
Conquérant , après la conquête de l'Angleterre
, répandit des Normands dans
AVRIL. 1760. 103
tous les Monaftères de cette Ifle , & publia
en François des loix dont on voit encore
des veftiges fenfibles dans les förmules
de la Jurifprudence & de l'adminiftration
du Royaume ; de même Pachacutec
envoya dans toutes les Provinces
de l'Empire des Maîtres de Langue , qui
devoient auffi enfeigner l'écriture des
Quipos , ou de ces noeuds dont les couleurs
variées , & la différente difpofition ,
fignifioient différentes idées , même avec
leurs différentes modifications . Et fi l'Edit
de Pachacutec étoit d'une grande importance
, la peine impofée contre ceux
qui le tranfgreffoient , n'étoit pas moins
févère , puifqu'il prononçoit l'exclufion
abfolue des charges publiques , la peine
la plus grande que l'efprit inventif de
l'Empereur Julien ait pû imaginer contre
les Chrétiens qu'il vouloit tourmenter.
Mais ce qui contribua le plus à la fureté
& à l'augmentation de l'Empire , fut
la difcipline militaire : ils avoient en tous
temps de grands approvifionnemens pour
la guerre ; & toute efpéce de tranfgreffion
, dans les ordres donnés , étoit punie
avec la plus grande rigueur .
Les épreuves que devoient fubir les
jeunes Incas , avant que d'être armés Chevaliers
, étoient très -fortes & très-rudes.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
On exigeoit d'eux beaucoup de dextérité
à la lutte & au manîment des armes , de
l'agilité à courir , de la fagacité & de la
valeur dans l'attaque ou la défenſe des
Places ; & l'on eft forcé de convenir, que
leurs troupes étoient fans doute bien difciplinées
, puifque pendant le cours de
toutes leurs conquêtes , leurs armées ne
furent jamais plus fortes que de so à 60
mille hommes.
Ils avoient auffi un dénombrement
fort exact des Sujets de l'Empire : chaque
ordre de Citoyens étoit divifé en des
corps moindres ; & ceux- ci, étoient foumis
à un Chef. La paix étoit , en quelque
forte , un continuel exercice de guerre ; &
perfonne ne parvenoit au point de commander
, s'il n'avoit d'abord appris à
obéir.
Après de fi bons réglemens pour ce qui
regarde le Militaire & les autres parties
du gouvernement , fi femblables à ce que
nous avons fait de mieux en Europe , on
fera bien -aiſe , fans doute , de fçavoir
quelles précautions prirent les Incas pour
faire auffi fleurir les lettres dans leur Empire
; & on ne fera peut-être pas peu furpris
d'apprendre , que ces Princes s'appli-
:
querent au contraire en quelque façon à
empêcher que les lettres ne fe répandifAVRIL
1760. 105
fent & ne paffaffent jufqu'au Peuple.Refte
à fçavoir files Incas furent , à cet égard ,
dignes de louange ou de blâme.
Ceux qui croyent que les Lettres augmentent
le bonheur d'un Etat ; & que la
faveur que le Prince leur accorde , fait
éclore les grands génies pour honorer &
éclairer le monde , les blâmeront fans
doute . Mais cette façon de penſer ne fe
trouve pas toujours d'accord avec la vérité
, felon ceux qui confidérent les choles
avec plus d'attention ; parce que , difentils
, pour que la protection des Princes
fervit véritablement à l'avancement des
Arts & des Sciences , il faudroit que
Prince fûr lui-même fçavant ; & c'eſt à
quoi s'oppofent également , & le peu de
temps qu'il a à donner à l'étude , & les
embarras qui l'environnent fans ceffe ; ou
bien , il faudroit que le Prince fût né fi
heureux , & fi fortuné , qu'il fût toujours
gouverné par des hommes d'une grande
probité , & d'un grand fçavoir ; ce qui
feroit prèfque un continuel miracle.
le
De forte que pour un Louis XIV, &
un Frederic , on compte des Denis , des
Tibères , des Nérons , des Adriens , &
tant d'autres anciens & modernes , qui
fe font piqués de littérature ; & qui , par
Ey
106 MERCURE DE FRANCE.
leur mauvais goût , par la frivolité de
leurs occupations , ou par leur jaloufie
contre les vrais Sçavans , étoient plutôt
faits pour gâter tout dans la république
des Lettres , que pour les protéger véritablement.
Tant il eft vrai que la faveur ,
prodiguée à de mauvais ouvrages , ne préjudicie
pas moins aux progrès de l'efprit ;
que la perfécution déchaînée contre ceux
qui méritent en effet ! Et ces mêmes Prin--
ces , fi vous les fuppofez véritablement
fçavans , ou par le hafard le plus heureux
, gouvernés par des Sçavans , auront
fans doute le pouvoir de protéger les
Sciences, de leur donner la vie, & d'entretenir
un grand nombre d'Auteurs médiocres
, comme il arrive dans les Académies
qu'ils ont fondées : mais ils ne feront ja
mais naître des génies fupérieurs . Les plus
grands Maîtres , qui méritent la couronne
de la Philofophie , font antérieurs à nos
Académies.
La magnificence des Médicis , à Florence
, a pû créer un Maximilien Ficino ,
& un Agnolo Poliziano ; mais elle n'étoit
pas fuffifante pour reffufciter un
Dante , ou un Pétrarque . Et dans le ſçavant
Empire de la Chine , dans cette immenfe
Académie , dont on dit que P'EmAVRIL.
1760 . 107
pereur eft le chef, on peut obferver que
de tems immémorial , les Sciences & les
Arts exiftent , à la vérité , mais y végètent;
& rien de plus .
Les grands génies font comme les vaftes
corps qui rempliffent l'Univers , felon
Platon même ; ils ne font pas l'ouvrage
de plufieurs Dieux : mais un feul les créa ,
fans autre moyen que ſa volonté.
fit
On pourroit examiner , actuellement ,
file bien qui peut revenir à la fociété
par la culture des Lettres , peut compenfer
le mal qui arrive par la trop grande
facilité qu'ont les hommes de tirer du propour
des Extraits d'Académies , des Dictionnaires,
des Compilations , & d'autres
ouvrages femblables qui fe multiplient
néceffairement à l'excès , fuivant la protection
& la vogue où les Belles - Lettres
font dans un Etat . Ces fecours engendrent
, non pas cette multitude de Sçavans
qui honorent le genre - humain , mais
ce nombre infini de Pédans , qui en font
le fléau . J'entends , par là , ces effains de
demi Sçavans , qui non feulement inondent
le monde , mais même ( ce qui eft de
plus fâcheux encore ' ) qui le pervertiffent .
Les uns font à charge dans les compagnies
particulières , & les autres , pernicieux
£ vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pour la fociété en général : tels que ceux
qui par leur état, ont le droit de juger des
chofes importantes , & qui y font quelquefois
moins propres que des ignorans
même.
Il paroît en effet que pour juger faineme.
t, il faut ou toute la lumière des Sciences
, ou le feul flambeau de la raifon naturelle
; de même que pour voir le difque
de la Lune , il faut qu'elle foit dans fon
plein , ou entierement éclipfée . Il y a
plus , c'est que la fociété humaine n'eſt
pas plus en fureté , même vis - à - vis de
ceux qui auroient le plus pénêtré dans les
Sciences.Il arrive fouvent, que tantôt pour
une raiſon , tantôt pour une autre , ils ne
fe donnent pas la peine d'employer tout
leur fçavoir à difcuter ces matières interreffantes
fur lesquelles portent les pivots
d'un Etat. Et certainement il ne peut
Y avoir de doute , fi ce feroit une choſe
convenable ou non dans une armée , que
les foldats au lieu d'être aux ordres de
leur Capitaine , & de s'occuper à les exécuter
, vouluffent fe mêler de la poſition
du Camp , du moment de livrer bataille,
& de la Tactique.
Les difcuffions philofophiques ne doi
vent pas non plus balancer l'obéiffance
aux loix , & aux opinions établies dans
AVRIL. 1760.
109
un Etat.La vertu veut être pratiquée, & non
étudiée; & pour l'ordinaire , les hommes
ceffent d'être bons , quand les Sçavans
prennent le deffus.
En effet , il n'y a prèfque perfonne de
bon fens qui ne defirat que la plus grande
partie de nos Livres , furtout ceux qui
plus que tous autres inondent le monde ,
&
troublent
les efprits , n'éprouvaſſent
dans cette partie de l'Europe le fort
qu'Omar fit éprouver en Egypte à la Bibliothèque
d'Alexandrie ; & l'on ne pourroit
en donner de meilleures raiſons , que
celle qu'il en donna lui- même ; fans quoi
la
frénéfie
que chacun a de faire fortune
en Europe , par la littérature , pourroit
faire craindre , non fans fondement , que
l'on ne vînt à manquer des bras néceffaires
à la
culture
de la terre, & à la navigation.
Iln'y a pas longtemps , qu'en Angleterre ,
un
homme de grand fens & qui penfoit
de mê ne à cet égard , inftitua un Collége
d'enfans
, dans lequel on ne devoit
non feulement enfeigner aucune fcience,
mais pas même à lire ni à écrire. C'eft
pour cette raison , que dans le Pérou ,
l'étude étoit généralement interdite au
Peuple
, les Incas fe la réfervant pour euxmêmes
; de manière qu'ils étoient ,
quelque
forte , l'âme de l'état , au gré de
en
410 MERCURE
DE FRANCE
laquelle les membres concouroient , &
opéroient également.
Les Incas eurent encore une prévoyance
d'une conféquence non moins importante
qu'aucune autre , & d'où dépend
le bien public , ainfi que le bien particulier
c'est pour ce qui regarde l'éducation
des enfans .Il eft aifé de fentir, même
aujourd'hui , fans aller puifer dans
l'antiquité , combien l'éducation contribue
à donner à une Nation cette forme
qui convient le mieux à un Souverain ,
en accoûtumant l'homme de bonne heure
à penfer d'une ou d'autre façon . C'eſt
en vertu d'une éducation féroce , que
l'Empire du Japon ſe trouve habité par
un Peuple inébranlable dans les plus
grands malheurs de la vie ; un Peuple
de Stoïciens .
Dans l'Amérique feptentrionale , avant
l'arrivée des Européens , on pouvoit trouver
des Armées de Scevola & de Regulus;
&
par des raiſons ſemblables , les Porcies
étoient communes dans les Indes Orientales
: tant peut fur les hommes l'habitude
, dont la force s'étend jufqu'à conformer
d'une certaine manière , non -feulement
les différentes parties de nos
corps , mais les fens mêmes qui nous
ont été donnés par la Nature ! Dans les
AVRIL. 1760.
II!
Chiens de chaffe , les jarrets & les autres
muſcles des parties inférieures , ſont
plus forts & plus reffentis que dans le
commun des hommes ; & par la même
raifon d'un exercice continuel , dans les
Batteliers , ce font les bras & les parties
fupérieures qui font les plus fortes . Les
Chaffeurs & les Marins , qui par une
longue habitude , font accoûtumés a regarder
des objets éloignés , font forcés
de prendre de bonne heure des lunettes
pour voir de près ; de même ceux qui travaillent
à des chofes délicates , ou ceux
qui pâliffent fur les Livres , payent leur
adreffe , ou leur fçavoir , par un prompt
affoibliffement de leur vue la rétine
dans les uns s'accoûtume à s'approcher
trop du cryftallin, & dans les autres à s'en
tenir trop éloignée , de forte que les Oculiftes,
pour prévenir des maux provenans
ainfi de l'habitude , n'ont d'autre fecret
que de prefcrire une habitude contraire .
C'eft-à-dire, d'accoûtumer l'oeil ,de bonne
heure , à toute forte de conformation , en
regardant fouvent par toute forte de
verre ; ils penfent même, qu'un femblable
exercice ne feroit pas moins utile à la
perfection de l'oeil , que la danfe & les
armes à l'élégance & à la bonne grâce
du corps.
112 MERCURE DE FRANCE
Quoi qu'il en foit , aucun légiflateur
ne connut mieux que les Incas la force
que l'habitude a fur nous , pour former en
quelque façon notre génie , & perfectionner
la nature ; auffi firent- ils , de l'éducation,
une véritable affaire d'Etat. Ils connurent,
à merveille , cette vérité fi ſouvent
répétée par le Maître de toute fcience
François Bacon ; que les Républiques n'auroient
pas eu beſoin de faire tant de loix
pour réformer les hommes , fi elles avoient
eu , comme elles le devoient , le foin de
former de bonne heure les moeurs des énfans.
En effet , on eût dit que ces Américains
étoient de vrais difciples de Platon
, ou de Xenophon. Si un jeune
homme , par exemple , faifoit une faute ,
on l'en reprenoit légérement ; & au contraire
, on puniffoit griévement le pere ,
qui n'avoit pas fçu porter au bien les inclinations
de fon fils , en s'y prenant dès
l'âge le plus tendre , & en lui donnant
de bonnes habitudes. Enfin les Péruviens
partageront peut-être un jour , avec les
anciens Perfes , la gloire de faire paffer
l'hiftoire de leurs moeurs & de leur loix ,
pour un Roman de Philofophie.
Ceux qui ont vêcu en Amérique , &
qui ont été à portée de voir combien
les Péruviens font naturellement lourds
AVRIL 1760 .
113 .
& même pareffeux , font forcés de reconnoître
les miracles qu'a pû opérer la
légiſlation. Qui pourroit croire, par exemple
, qu'une telle Nation a pú égaler les
plus fpirituelles & les plus adonnées aux
Arts , dans la beauté , la magnificence &
la folidité des édifices , des places de
guerre , des ponts , des canaux , & de ces
chemins fi commodes & fi longs , qu'ils
traverſoient l'Empire de tous côtés ? If
refte encore des veftiges confidérables
de tous ces monumens ; & ils étonnent
encore bien davantage , lorsqu'on vient à
faire réfléxion que ce fut fans avoir la
connoiffance des Méchaniques , & fans
avoir l'ufage du fer , qu'ils firent des ouvrages
, qui pour la difficulté & la grandeur
, ne cédent en rien à ceux même de
l'Egypte. En quoi ils furpafferent de
*
* Voyez les Effais de Montaigne, Livre 3 , Ch. 6,
des Coches,
Dans la Fortereffe de Cozco , il y avoit des
pierres de plus de 40 pieds de longueur , tranſ
portées de pays fort éloignés. Ils tranſporterent
de très - grofles pierres , pour bâtir un Temple
au Soleil , de Cozco à Tumipampa , dont la diftance
eft de 400 lieuë's environ , & le pays trèsdifficile.
La Note fuivante eft écrite en François & en
lettres Italiques , & tirée de M. Bouguer.
114 MERCURE
DE FRANCE
.
beaucoup les Chinois , qui ayant des té
leſcopes depuis un temps immémorial, ne
Il faut avouer , malgré cela , que lorsqu'on
compare les uns & les autres , ( les Índiens de diverfes
contrées ) à la peinture admirable qu'en font
quelques Hiftoriens , on n'en croit pas les propres
yeux .Tout ce qu'on rapporte de leurs talens,
des différens établiffemens qu'ils avoient , de
leurs loix , de leur police , deviendroit fufpect ,
s'il étoit poffible d'aller contre le témoignage
d'un fi grand nombre d'Auteurs dignes de foi ,
& s'il ne reftoit encore plufieurs monumens qui
prouvent qu'il ne faut pas juger de l'état ancien de
ces peuples par celui où nous le voyons maintenant.
On ne peut comprendre , comment ils ont på
élever les murailles de leur Temple du Soleil , dont
on voit encore les reftes à Cuzco Ces murs font
formés de pierres qui ont is à 16 pieds de diamétre
; & qui quoique brutes , & irrégulières , s'ajuftent
toutes fi exactement les unes avec les autres
, qu'elles ne laiffent aucun vuide entr'elles.
Nous avons vu les ruines de plufieurs de ces
édifices , qu'ils nommoient Tambos ; les murail
les en font fouvent d'une eſpèce de granit , & les
pierres qui font taillées paroiffent ufées les unes
contre les autres ; tant les joints en font parfaits.
On remarque encore , dans un de ces Tambos ,
quelques mufles qui fervent d'ornement ,
les narrines qui font percées , foutiennent des
anneaux ou boucles , qui font mobiles , quoiqu'ils
foient faits de la même pierre.
dont
Tous ces édifices étoient fitués le long de ce
magnifique chemin qui conduifoit dans la Cordeliere
de Cuzco à Quito , & même en deça ,
AVRIL. 1760. TIS
fçavoient pas compofer un Almanach; qui
avec le fecret de la poudre à tirer , ignoroient
celui de fondre des canons ; qui
connoiffoient à peine la navigation , poffédant
la bouffole ; & qui apprirent enfin
de nous l'art de faire des éclufes dans ces
canaux qui , pour la commodité du commerce,
coupent de tous côtés leur Empire.
Ce qui ne doit pas moins furprendre
encore , c'eft que l'on peut dire que les
Péruviens, dès leur première origine, furpafferent,
dans l'art de gouverner, ces mêmes
Chinois chez qui , malgré toute leur
fageffe , régne encore l'Atheiſme le plus
groffier, & la fuperftition la plus ridicule ;
& chez qui , malgré toute leur politique
la multiplicité du Peuple eft à charge à
l'Etat.
Il eft vrai , que les Péruviens eurent le
bonheur d'être gouvernés par des Princes
fages , de grande fagacité , d'un jugement
ferme , & dont l'exemple étoit la plus
qui avoit près de 400 lieues de longueur , & dont
nous avons fouvent fuivi les traces.
M. Bouguer , Fig. de la Terre ; Relat. abrégée
du voyage &c. Article 5. Voyez auffi , Mémoires
de M. de la Condamine , fur quelques anciens
monumens du Pérou , du temps des Incas , dans
le Vol . de l'Académie de Berlin , 1746 .
116 MERCURE DE FRANCE.
forte de toutes leurs ordonnances. Cette
prudence & cette bonté , que le Ciel accorde
à fi peu de Princes , paroît être
une vertu commune à tous les Incas. De
treize Rois qu'eut le Pérou , le feul Athualpa
fut un Caligula , qui chercha à pervertir
le bon ordre établi par fes ancêtres ;
les douze autres furent autant de Titus
& de Trajans . Le bonheur de cet Empire
ne pouvoit être douteux , puifque la Religion
& les loix y étoient fous la protec
tion des armes ; qu'on y avoit prévu fagement
contre l'oifiveté qui énerve les
Etats , contre la variété des Sectes qui
les troublent , & contre les dangers des
guerres étrangères qui les minent & les
détruifent. Ce font en effet de ces caufes
effentielles, que l'on voit naître les défordres
dans les Etats ; ce font elles qui précédent
les changemens qui y arrivent ,
de même que fur mer les changemens des
mouffons font précédés de calme dans de
certains parages , dans d'autres de vents
variables , & dans d'autres enfin d'affreux
ouragans.
Mais , dira-t-on , comment a- t- il pû fe
faire qu'une poignée d'Efpagnols foient
venus à bout de foumettre en fi peu de
temps , un Empire fi vafte , & muni de fi
bons réglemens ? Premierement , il eft
AVRIL 1760. 117
tout naturel que ces Peuples , qui ignoroient
entierement l'art de la navigation,
aient été épouvantés de fe voir attaqués
par des gens qui venoient fondre fur
eux , comme volant fur la mer . D'un autre
côté , nos armes à feu leur parurent autant
de foudres lancés contr'eux , & les
hommes à cheval autant de monftres &
de Centaures.
Cette façon de faire la guerre , dut en
effet furprendre bien plus les Indiens, que
ne firent autrefois les retranchemens &
les machines de guerre des Romains, visà-
vis des Gaulois. L'admiration & l'étonnement
, en furent les premiers effets ; &
les feconds , leur défaite & leur foumif;
fion .
ils
Malgré tous ces avantages , les Efpagnols
n'euffent peut-être jamais réuffi à
s'emparer de l'Amérique , ou du moins
Y euffent éprouvé bien plus de difficultés
, fi la fortune ne leur en eût ouvert
le chemin. Ce fut elle , qui permit que
Cortez trouvât fut le Trône du Méxique
Montezuma, Prince lâche , & de peu d'efprit
; & que Pizarre trouvât , fur celui du
Pérou , Athualpa , le plus odieux de tous
les Princes qui aient peut-être exiftés.
118 MERCURE DE FRANCE.
A l'Auteur du Mercure , fur la véritable
époque de la Croifade de 1363 , relativement
au Tableau des anciens Ménages
, inféré dans le Mercure de Février
1760 .
MONONSIEUR ,
J'ai lu, avec tout le plaifir irnaginable ,
le Tableau des anciens ménages , tiré d'un
manufcrit du XIV fiècle , dont vous avez
orné votre dernier Mercure de Février ,
pag . 15 à 21. Sa reffemblance parfaite
avec nos préfens ménages , m'a fait d'abord
croire que c'étoit une plaifanterie ,
fruit d'un efprit ingénieux , jaloux de critiquer
fon fiécle. En effet , Monfieur , à la
date près , rien au monde de plus conforme
à l'état actuel des chofes ! Faites - moi
l'amitié de m'en croire, fur ma parole : je
fuis marié ; mes amis , mes voifins, le font
auffi : tous tant que nous fommes , nous
vous certifions, que nous jouiſſons du même
fort que ce bon Seigneur Lorrain, qui
dans fon Journal ingénu , retrace à la
postérité ( fans le fçavoir ) fes malheurs
domeftiques. J'ai fait lecture de cette
AVRIL. 1760. 119
Piéce , originale en toute façon , dans
mon ménage ; & ma tendre moitié ne
m'a répliqué autre chofe , finon : Ah ! tu
fçais , que je n'achete rien à ton infçu !
Donc le refte, eft de l'ordinaire ; donc votre
Piéce , n'eft pas abfolument un morceau
rare d'antiquité .
La critique des femmes , n'eft pas l'ob
jet de cette lettre : ainfi je paffe volontiers
à un objet plus férieux. Je vous
avouerai , Monfieur , que le ton indécis
avec lequel vous nous avez donné la date
du fiécle , m'a rendu plus avide de le découvrir.
Après avoir ouvert nombre d'Hiftoriens
, où je n'ai pas même trouvé la
mention d'une Croifade en 1363 , je me
fuis arrêté à l'Hiftoire Eccléfiaftique de
M. Fleuri ; j'ai confulté l'Hifloire de Lorraine
, par D. Calmet
; Enfin j'ai vérifié
l'Itinéraire
des Rois de France , morceau
qui fe trouve
parmi
les Piéces fugitives
qui peuvent
fervir
à l'Hiftoire
de France
3 vol. Je ne vous
diffimulerai
pas , que la
recherche
de cette époque
m'a fait découvrir
quantité
d'erreurs
de date, dans
nombre de nos Hiftoriens
. Qui eût dit ,
qu'au bout de quatre
fiécles, un petit Journal
de ménage
, dreffé par le dépit & le
chagrin entre quatre
murailles
, eût fervi
à relever
M. Fleuri , D. Calmet
, l'Itiné
110 MERCURE DE FRANCE.
faire des Rois de France, & nos plus graves
Hiftoriens ? Examinons la fuite des
faits , dans chacun des quatre Hiftoriens
en queſtion ; & commençons par le Journal
de notre bon Seigneur Lorrain.
e
1363. 1 Janvier. Monfieur reçoit les
vifites des Damoiſeaux , & les hommages
de fes Vaffaux. Madame , fait fes préfens
de l'année à fes ferviteurs. ( Obfervons
en paffant , que quoique l'ufage très- commun
fous la 3 race de nos Rois ,fût de ne
commencer l'année qu'à Pâques, le 1 Janvier
étoit néanmoins le premier jour de
l'année civile . On faifoit & l'on recevoit
des vifites , & l'on donnoit des étrennes. )
3 Janvier. On a tiré la féve . ( C'étoit
la veille des Rois . )
(
I
19 Février. Madame fe brouille avec
le Recteur , ( le Curé ) parce qu'il avoit
déclamé contre le fafte , la coquetterie &
la parure. ( Ce 19 étoit le premier Dimanche
de Carême ; & le Curé , dans fon
Prône , avoit apparemment traité de ces
matières. )
26 Février. Monfieur , va au rendezvous
pour l'arrière-ban, qui dure jufqu'au
#7 Mars.
30 Mars. Madame, paffe une partie du
jour à l'Eglife. ( C'étoit le Jeudi- Saint.
Elle faifoit peut-être fes Pâques. )
32
AVRIL. 1760. 121
31 Mars. Madame fait de longues
Morales , & vent que Monfieur porte un
chapelet , des images , & des reliques.
( C'étoit le Vendredi - Saint , jour de dévotion
; & peut- être encore , à cauſe du
voyage prémédité à la Terre-Sainte. )
6 Avril. ( Jeudi de Pâques ) Ordre de
fuivre le bon Duc à Jérufalem.
13 Avril. ( Jeudi de Quafimodo , )
Monfieur part pour Jérufalem , avec
plufieurs de fes vaffaux.
J'ai extrait ces petits détails , pour
prouver la conformité précife des jours
de la femaine & des mois , avec le calendrier
de l'an 1363 ; car du refte , c'eft
l'affaire de la Croifade qui m'occupe.
Voyons,actuellement, fi ce que D. Calmet
rapporte dans fonHiftoire deLorraine,
s'ajuste à ces époques. Nous y apprendrons
au moins le nom de ce bon Duc
de Lorraine , & la raiſon qui l'engagea
dans cette Croiſade.
Les Rois de France , de Chypre , &
de Dannemarc , étant venus faluer le Pape
Urbain V , à Avignon (a) , y reçurent de
fa main la croix , en 1362 ; & s'engagerent
à marcher, dans deux ans , à la guerre
contre les Turcs. Le Roi de France, étant
( a ) Villani, Liv. 11. Chap. 34. Froiſſarà Ṣpond.
ad ann. 1363 .
II. Vol,
F
122 MERCURE DE FRANCE.
repaflé en Angleterre en l'année 13.63 ,
& diverfes affaires l'ayant empêché d'exécuter
fa réfolution concernant la Croifade
, il pria le Duc de Lorraine de s'en
charger en fa place (b) ; & le Duc JEAN
embraffa avec joie cette occafion de fignaler
fon zèle & fa piété &c .
Du récit de D. Calmet , il réſulte deux
difficultés. La premiere , vient de ce qu'il
place en 1362 , la réception de la Croix
des mains du Pape. Mais pour répondre
à cela , il ne s'agit que de rapporter ici
l'obfervation que font les fçavans Auteurs,
de l'art de vérifier les dates. Dans la differtation
fur les dates des Chartes & des
Chroniques , p. 20 & 21 ; javertis que
je les copie mot à mot cer article eft
d'autant plus intéreffant , qu'il y eft queftion
de l'événement dont je parle.
.....
Un ufage très- commun,fous la troifiéme
race de nos Rois , étoit de ne commencer
l'année qu'à Pâques .. Parmi
une multitude d'exemples que nous pourrions
citer , nous en remarquerons un
tres remarquable , tiré de l'Avertiffement
que D. Vaillette a mis à la tête de fon
( b ) Hift. Mff. du Duc Jean. Voyez l'hiſtoire du
petit Jean de Sintré , Chambellan du Roi Jean ,
& Michoviar , hift. de Pologne ; & le P. Benoît ,
Supplément à l'hiftoire de Lorraine, p . 217. 218.
AVRIL. 1760 . 123
quatrième Tome de l'Hiftoire de Languedoc,
page 7. Nous y voyons, que pendant
le féjour que le Roi Jean fit à la
Cour Romaine , ou du Pape réfidant à
Avignon , il y donna deux Chartes , l'une
& l'autre (en) l'année 1363 , felon notre
manière de compter aujourd'hui . (La première
eft datée de Ville- neuve près d'Avignon
, le Vendredi- Saint , 31 de Mars
de l'an 1362 , felon la manière de commencer
l'année à Pâques en ces temps. )
La feconde , qui eft du jour ſuivant , de
la même année , eft datée de Ville- neuve
près d'Avignon , le Samedi- Saint de Pâques
, après la bénédiction du cierge , le
premier Avril , de l'an 1363.
La feconde difficulté , naît de ce que
D. Calmet place en 1363 le voyage du
Roi Jean en Angleterre. Mais cette
feconde difficulté pourroit fe réfoudre de
la même façon que la première : car le
voyage du Roi fe fit dans le commencement
de l'année 1364 , fuivant notre
manière de compter , & à la fin de 1363 ,
fuivant l'ancien calcul
cependant , en
confervant même pour la fin de 1363 ,
départ du Roi Jean pour l'Angleterre ,
y aura toujours erreur : car il eft conftant
, d'après le Journal du Seigneur
Lorrain , que le 13 Avril 1363 , le départ
il
4 1
le
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
pour Jerufalem s'effectua, après l'ordre du
Duc de Lorraine , fignifié le 6 defdits
mois & an. Il ne s'agiroit , alors , que de
corriger dans le texte de D. Calmet il
pria par , il avoit prié.
Difcutons , actuellement , les époques
citées par M. Fleuri. Ce celèbre Auteur
n'omet point , dans fon Hiftoire Eccléfiaf
tique , le voyage du Roi Jean à Avignon,
où fut arrêté la croifade.
D'après les Auteurs * cités en marge ,
cet Hiſtorien place ainfi les faits .
1362 .. Juin. Le Roi Jean part de
Paris , vers la S. Jean.
Septembre. Arrive à Villeneuve d'Avignon
, vers la S. Michel
Va vifiter Urbain V après fon élec
tion & ce Pape ne fut élû que le...
28 Octobre.
27 Novembre. Entre à Avignon,
Ne veut pas quitter Avignon ſans voir
le Roi de Chypre , qui devoit arriver inceffament
; & le Roi de Chypre arriva
le
29 May. ( Mercredi- Saint )
31 Mars. (Vendred-Saint ) Déclare la
réſolution qu'il a de ſe croiſer ; & prie le
* Froiffard, contin . de Nangis. Vitæ Pontifi
cum . Supplem. Vit. Pontif, Acta Rainaldi. Vile
Jani,
AVRIL 1760. 129
Pape, qui officioit, de lui donner la croix.
1 Avril. ( Samedi-Saint ) reçoit du Pape
la Bulle, pour la croifade.
12 Avril. (Mercredi de Qualimodo )
eft déclaré chef de la croifade, par le Pape,
qui prêché lui-même la croifade , & ordonne
un paffage.
Toutes ces époques, cadrent à merveil→
le , avec celles du petit Journal. Le Roi
Jean , avoir vu le Pape Urbain V , für la
fin d'Octobre, & avoit eu affez le temps
de conférer avec le Pape , & avec le Duc
de Lorraine , pour que le 26 Février ,
celui- ci convoquât l'arriere ban , donnât
erdre le 6 Avril de le fuivre à Jérufalem ,
& partit effectivement le 13 en fuivant.
Il ne nous reſte plus qu'à examiner les
époques que nous préfente l'inéraire
des Rois de France. Je me flattois d'y
trouver les plus grands éclairciffemens :
Jugez vous même, Monfieur, du cas que l'on
peut faire de cette partie de notre hiſtoire !
Voici , ce que marque cet Itinéraire.
1362. Avril. Le Roi Jean à Paris.
Aout. ... à Germigny.
16 Décembre..à Villeneuve , près
d'Avignon,
27 Décembre.. à Nifmes..
1363. 2. Février. à Paris,
F iij
126 MERCURE DE FRANCE:
.. Avril...
20 Avril. • •
à Paris.
à Villeneuve , près
d'Avignon.
Mai. à Paris.
Du 26 Décembre au zo Avril , on fait
aire au Roi deux voyages à Avignon . Ib.
ne faut que confronter la fuite des époques
précédentes , pour voir l'inexactitude
, ou plutôt le faux de ces faits. On
peut , furtout , fe convaincre que le Roi
n'étoit pas à Paris en Avril, par la charte
que nous avons citée ci- deflus , datée du
Samedi- Saint z Avril ; ou il faudroie
fuppofer que le Roi étoit à Paris ce jourlà
au matin , & étoit arrivé à Villeneuve
près d'Avignon après la bénédiction du
cierge pafchal.
Je ne puis m'empêcher de me plaindre,
en finiffant , du peu d'accord de nos Hif
toriens dans leurs dates & citations. Des
Auteurs très- refpectables avancent, à l'ar
ticle d'Urbain V , que M. Fleuri place
fon élection au 28 Septembre. Ouvrez
M. Fleuri vous verrez que c'eſt le 28
Octobre. Mais voici quelque choſe de
plus fingulier , que j'ai rencontré en parcourant
l'Hiftoire de Lorraine , par D.
Calmet.
>
Cet Auteur, met parmi fes Piéces juſtiAVRIL
1760. 127
ficatives la copie du traité d'accommodement
entre le Duc de Bar & 18 Seigeurs
; & ce traité porte la date du Lundi
onzième Mars 1363 , ou 13 64 , avant
Pâques , qui fut cette année le premier
d'Avril . Or ,
1. Les deux années les plus proches
de celle - ci , où Pâques tomba le premier
d'Avril , font les années 1358 &
1369.
2. Si ce traité eft de 1363 , Pâques
tomba en cette année le 2 Avril , & le
11 Mars fut un Samedi.
3. Si ce traité eft de 1364 , Pâques
tomba en cette année le 24 Mars , & le
11 Mars fut effectivement le Lundi de la
Paffion.
Il faudroit donc lire du Lundi 11
Mars 1363 ( ou 1364 avant Pâques
qui fut cette année le 24 Mars. ) D'ou
viennent de pareilles erreurs ? Sont- ce les
lecteurs ? font-ce les copiftes ?
J'ai l'honneur d'être &c.
Paris , ce at Mai 1760 .
N. N. N.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT d'une Paftorale , intitulée , Lr
PRIX DE LA BEAUTÉ , ou LES COURONNES
, en 3 Actes , & un Prologue ; fur
des Airs choifis , plufieurs Italiens , &
quelques -uns nouveaux: Ornée d'Eftampes
agréables. Chez Delormel , Librain ,
rue du Foin , & aux Spectacles.
LE
E Prologue annonce des Bergers qui
invoquent l'Amour fans le connoître . Ce
Dieu fe rend à leurs voeux , vient dans le
Hameau, & inftruit les Habitans des biens
qu'il peut leur procurer. Les vrais plaifirs
de la vie , dit- il , ne peuvent naître
que du fentiment : choififfez parmi vous
la plus aimable des Bergeres ; & qu'elle
choififfe un Berger , pour régner avec
elle. Il finit par leur donner quelques
leçons fur la délicateffe.
L'AMOUR , A UNE BERGERE.
AIR : Le Printemps qui vit naître mes premieres
JIUNI
ardeurs ,
EUNE & fimple bergère ,
Que je viens d'embellir
Des roſes dont ma mère
AVRIL 1760. 329
Couronne le plaifir;
En cueillant la fleurette ,
Qui naîtra fous vos pas ,
Sachez être difcrette ,
Et ne la fanez pas .
D'un amant qui foupire ,
Craignez peu les efforts ;
Obfervez fon délire ,
Retenez les tranſports.
Tel qui peint fon martyre ,
Souvent n'eft qu'un trompeur :
Dans les yeux, fâchez lire
Ce qu'il a dans le coeur.
Des charmes du bel âge,
Au printems de vos jours,
Faites un bon ufage,
·Et fongez qu'ils font courts :
Que le temps , d'un coup d'aîle ',
Détruit rapidement
Les attraits d'une belle ,
Et les feux d'un amant.
Quand la délicateffe ,
Formera votre choix ,
Aimez avec tendrelle ;
Mais n'aimez qu'une fois.
faut, quandjel'allume ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Cefeu , ce vrai defir ,
Il faut qu'il vous confume
Dans les bras du plaifir.
SUJET de la Paftorale.
{
SIlvie , jeune & belle Bergere , eſt
élue pour régner dans le hameau. Elle a
pour Amans , Daphnis & Silvandre ; ces
deux Bergers font également aimables :
tous deux depuis l'enfance par des foins
continuels , & par les témoignages de l'amour
le plus tendre & le plus conftant ,
ont droit de prétendre au coeur de la Bergere.
Aucun d'eux n'a pû connoître encore
l'avantage qu'il peut avoir fur fon
rival. La Bergere , par fon couronnement
, fe voit forcée de faire un choix .
Elle fent qu'elle va faire le malheur d'un
Berger qui l'adore ! Cette idée l'épouvante
: elle voudroit refufer la couronne
, & ne l'accepte que malgré elle .
MONOLOGUE de DAPHNIS , dans le
premier Acte .
AIR : De M. Blaife .
Ou , Dans ma cabanne obfcure.
A peine à ma paupière
Brille l'aftre du jours
AVRIL 1760 . 131
Qu'elle s'ouvre & s'éclaire
Au flambeau de l'Amour ;
Et ma foible exiſtence
Développant fes feux ,
Silvie a la puiffance
D'enchaîner tous mes voeux.
Déjà l'Amour m'inſpire ;
Il eft fur mon berceau ;
Il'm'apprend à fourire ,
Il n'a point de bandeau ;
Je le flatte... il m'amufe ,
Mon coeur veut s'exprimers
Mais ma bouche refufe
Les fons qu'il veut former .
Un jour , que ma Silvie
Dans mes yeux innocens ,
Lit... voit la douce envie
Qui careffe mes feus ,
A ton ... âge... dit- elle
Eft-ce qu'on fait aimer ,
Jeune enfant ? & la belle
Me donne un doux baifer.
J'ai paffé mon enfance ,
J'ai vu croître mes feux
Dans mon adoleſcence
Même ardeur , mêmes voeux *
F v
131 MERCURE DE FRANCE:
Ma bergère l'oublie
Peut-être fon bailer :
Il fut pourtant la vie ,
L'âmede fon berger !
:
Les Bergers ont dreffé un trône de
fleurs dans la prairie , & font la cérémonie
du couronnement de Silvie ; ce qui
produit une fête & un fpectacle agréable.
>
Au deuxième Acte, Silvie, retirée dans
un petit bois , fe livre à fes réfléxions ;
elle confulte l'écho , le chant des oifeaux ,
le murmure des eaux , fur le choix qu'elle
doit faire. Tout eft fourd à fa voix : la
Bergere défefpérée , tombe fur un gazon
& fe laiffe aller au fommeil. Une
fymphonie douce, fe fait entendre. Daphnis,
qui la cherchoit, l'apperçoit , & craint
que le foleil ne l'incommode : avec le fecours
des Bergers qu'il amène , il lui
dreffe un berceau de feuillages , & de
fleurs ; & il en fait une cou onne , qu'il
pofe fur la tête de Silvie. I chante
enfuite ces couplets.
AIR De M. Naudé. Ou , Dans ma cabane.
Imitation des paroles Languedociennes connuës.
Tant que la marguerite ,
Croîtra dans nos vallons;
AVRIL. 1760. 133
Que cette fleur petite ,
Ornera nos gazons ;
Tu feras, ma Silvie,
La reine de mon coeur ,
Le charme de ma vie ,
L'aſtre de mon bonheur,
Lematin , quand l'Auror
Viendra verfer fes plears;
Que les amans de Flore ,
Carefferont nos Aeurs;
Aux oiſeaux des boccages ,
Pendant ton dour fommeil,
Firai , fous nos feuillages ,
Annoncer ton réveil.
Le jour, dans la prairie ,
F'irai graver ton nom ;
Sur l'écorce polie,
Des hetres du canton.
Je leverras paroître,
A mes yeux chaque jour :
Maisil ne pourra croître ,
Autant que mon amour.
Le foir , quittant la plaine ,
Je dirai, tout furpris,
Le foleil me ramèney
N'eft-il donc plus de nuits ?
Mais non , c'eft qu'il différe
.
134 MER CURE DE FRANCE
De quitter les beaux yeux
De la jeune bergère
Dont je fuis amoureux.
A la fin des couplets , Daphnis voit
arriver Silvandre avec des Chaloupes ornées
de guirlandes de fleurs , & remplie
d'inftrumens. Il fuit : la Bergere s'éveille ,
& paroît étonnée de fe voir fous un berceau.
Elle tourne à l'entour , l'admire ;
& fon coeur lui dit , que c'eſt à Daphnis
qu'elle doit cette galanterie. Silvandre
vient lui préfenter des corbeilles de fruits,
des fleurs , des colombes , & des petits
agneaux : elle eft fenfible aux préfens de
ce Berger ; & pour lui en marquer fa
reconnoiffance, elle lui donne la couronne
que Daphnis , pendant fon fommeil
avoit mife fur fa tête. Silvandre , tranfporté
de joie , invite les Bergers & les
Bergeres de fa fuite , à un Divertiſſement
général ; à la fin duquel , Silvie s'embarque
avec toute la troupe , pour fe rendre
au Temple. L'idée de cette Fête , eft galante
, & doit produire encore un ſpectacle
auffi nouveau qu'intéreffant.
Au troifiéme Acte , Silvie au Temple
, eft entourée de vieux Paſteurs &
de jeunes Bergeres ; elle implore l'affifrance
de l'Amour , & voit avec la plus
AVRIL 1760. 135
grande douleur , arriver le moment où il
faut abfolument qu'elle fe décide. On
lui chante ce Couplet.
AIR: Dans nos bois s'il coule des larmes.
C'eft à cet Autel qu'on s'engage ;
C'eft ici , que l'on choifit fon vainqueur :
On n'y voit point d'amant volage ,
Parjurer l'offre qu'il fait de fon coeur.
a bergère a pour appanage ,
La fimplicité ,
La
La candeur, & la vérité.
Le berger qui lui rend hommage ,
Adore les noeuds !
Qui vont le rendre heureux.
L'on amène ces deux Amans ; on les
place aux deux côtés de l'Autel. Silvandre
eft paré de fleurs , & porté la Couronne
que Silvie lui a donnée à la fin du deuxiéme
Acte . Daphnis eft fimplement vêtu,
fans fleurs & fans couronne. La Bergere
les regarde avec tendreffe ; elle héfite à
leur parler. Mais , en appercevant que
Daphnis eft fans fleurs & fans couronne ,
elle ôte la fienne de deffus fa tête , & la
lui donne. Silvandre , qui croit avoir perdu
fa Bergere , ôte la fienne , & la lui
préfente. Silvie la reçoit , & s'en couronne.
Les Bergers embaraffés, ne fçavent
136 MERCURE DE FRANCE
fur lequel est tombé le choix de la Ber
gere , & la preffent de fe déclarer. Elle
veut fuir ; ils s'oppofent à fon paffage:
elle fuccombe enfin à fa douleur , &
tombe évanouie dans les bras de fes
deux Amans. En cet inftant , l'Amour
caché fous l'habit & les traits de Silvandre
, paroît fous la forme de la Divinité.
Il eſt enchanté de l'épreuve qu'il a faite
du coeur de la Bergere ; il admire fa délicateffe
; & l'unit à Daphnis. Cet Acte
finit par un Divertiffement que l'Amour
ordonne ; & où les Bergers en Chaffeurs ,
& les Bergeres en Nymphes , vont célébrer
les plaifirs & le bonheur dont l'Amour
les fait jouir.
DESCRIPTION DU PARNASSE FRANÇOIS',
exécuté en bronze, à la gloire de la France,
& de LOUIS- LE- GRAND , & à la mémoire
perpétuelle des illuftres Portes , & des
fameux Muficiens François ; dédié au
Roi , par M. Titon du Tillet , Maître
d'hôtel de feue Madame la Dauphine .
Mere de Sa Majesté. Premiere Partie .
1
Diverſes Piéces , en profe & en vers ,
au fujer du Parnaffe François , feconde
Partie, 1760, in-fol, dont on trouve quelques
exemplaires, chez Chaubert, Libraire,
AVRIL. 1760. 237
quai des Auguftins ; chez Duchefne , rue
S. Jacques ; & chez Lambert , rue de la
Comédie Françoiſe.
On ne fçauroit trop louer le zéle du
généreux Citoyen , qui a érigé ce monument
à la gloire des hommes célèbres
qui ont fair tant d'honneur à la Nation ;
& je me réſerve à parler plus amplement
de ce très- eftimable ouvrage.
PROSPECTUS d'un Ouvrage intitulé ,
L'ETUDE NÉCESSAIRE , ou , Réfléxions
morales , militaires , & politiques , fur les
traits les plus intéreffans de l'hiftoire de
tous les fiècles , & de la vie de tous les
hommes ; Ouvrage deftiné à l'Etude des
Princes : Raifons qui ont déterminé M.
de *** à entreprendre ce travail. A Paris
, chez Kincent , Imprimeur- Libraire
de Mgr le Duc de Bourgogne:in- 8 ° , 1760.
J'efpére donner le plan de cet. Ouvrage
intéreffant pour la Nation ; & rendre à
l'Auteur toute la juftice due à fon zéle ,
ainfi qu'à fes lumières.
PLAIDOYERS , & Memoires , contenant
des queftions intéreffantes , tant en matières
civiles , canoniques & criminelles ,
que de police & de commerce , avec les
jugemens , & leurs motifs fommaires , &
plufieurs Difcours fur différentes matières
138 MERCURE DE FRANCE
foit de droit public , foit d'hiftoire. Paf
M. Mannory , ancien Avocat au Parlement.
Tome 4. A Paris , chez Claude
Heriffant , Libraire- Imprimeur , rue Notre
- Dame , à la Croix d'or . in- 12 . 1760,
avec approbation & privilége du Roi. "
Quoiqu'un pareil Recueil foit peu dans
le cas d'un Extrait ; celui- ci mérite cependant
d'être connu , & par l'utilité
dont il peut être , & par les agrémens
que l'Auteur a fçu répandre fur des matières
qui n'en paroiffoient pas fufcepti
bles. Ces titres font plus que fuffifans
pour m'exciter à éffayer d'en donner bien
tôt une idée au Public.
HISTOIRE DES TEMPLES des Payens ,
des Juifs , & des Chrétiens , dédiée à la
Reine , par M. l'Abbé Ballet , ancien
Curé de Gif , & Prédicateur de S. M.
Vol. in- 12. A Paris , chez Cailleau , Libraire
, quai des Auguftins , à S. André ,
1760.
HISTOIRE de la Ville de CHERBOURG ,
& de fes antiquités ; qui découvre des
faits très importans fur l'hiftoire de Normandie
Par Madame Retau du Frefne ;
in 12 : A Paris , 1760. Se vend chez
Ballard, Imprimeur - Libraire, rue S. Jean
de Beauvais ; chez Michel Lambert , rue de
"
AVRIL 1760. 135
la Comédie Françoife ; & à Rouen , chez
Befogne , Libraire , cour du Palais. Le
prix eft de 30 f.
TABLEAU des maladies de LoмMIUS ;
ou deſcription exacte de toutes les maladies
qui attaquent le corps humain ; avec
leurs lignes diagnoftiques & pronoftiques :
ouvrage fervant d'introduction au MANUEL
des Dames de charité . Traduction
nouvelle , par M. l'Abbé le Mafcrier. Volume
in- 12 , à Paris 1760. Se vend chez
Debure l'aîné , quai des Auguftins , à
l'image S. Paul. L'extrait de cet Ouvrage
utile , fe trouvera à l'Article IV. du préfent
Mercure.
A
NOUVELLE PROSODIE, ou Méthode courte
& facile , pour apprendre les premiers
élémens de la Quantité , & de la Poëfie
Latine ; à l'ufage de la Jeuneffe . Brochure
in- 12 Paris, 1760 , chez Paul - Denis
Brocas , rue S. Jacques , au ChefS. Jean.
Le prix eft de 16 f. relié.
LA GNOMONIQUE-PRATIQUE , ou l'art
de tracer les Cadrans folaires , avec la
plus grande précifion, par les meilleures
méthodes mifes à la portée de tout le
monde ; dédiée à l'Académie Royale des
Sciences de Bordeaux , par Dom François
146 MERCURE DE FRANCE.
"
Bedos , Bénédictin de la Congrégation
de S. Maur , de la même Académie. A
Paris , chez Briaffon, Expilli & Hardy,
Libraires , rue S. Jacques. Vol. in 8. de
400 pages , avec 34 planches en tailledouce
, & une Carte de la France. Prix ,
7 liv. relié, & 6 1. en feuilles , même dans
les Provinces. On parlera plus amplement
de cet Ouvrage , à l'Article des Sciences
& belles Lettres. ·
L'AGRONOME , Dictionnaire portatif du
Cultivateur , contenant toutes les connoiffances
néceffaires pour gouverner les
biens de campagne , & les faire valoir
utilement ; pour foutenir fes droits , conferver
fa fanté , & rendre gracieuſe la
vie champêtre. Ce qui a pour objet ,
a . les terres à grains , la vigne , les prés,
les bois , la chaffe , la pêche , les jard
dins tant de propreté que d'utilité ; les
fleurs recherchées , les plantes ufuelles ,
les beftiaux , chevaux & autres animaux.
2º. Les principales notions qui peuvent
donner l'intelligence des affaires , julqu'au
degré fuffifant pour défendre fon
bien , tant dans les matières rurales que
civiles. 3 ° . Les remédes dans les maladies
ordinaires , & autres accidens qui arrivent
aux hommes & aux animaux. 4°. Les divers
apprêts des alimens ; & tout ce qui
AVRIL 1760... 145
peut procurer une nourriture faine &
agréable. Avec un nombre confidérable
d'autres inftructions utiles & curieufes à
tout homme qui paffe fa vie à la campa
gue. 2 vol. in-8 ° . imprimés à Paris , avec
approbation & privilége du Roi ; & qui
fe vendent chez la veuve Didot , Nyon ,
& la veuve Damonneville , Libraires ,
quai des Auguftins , chez Savoye , rue
S. Jacques , & chez Durand,rue du Foin,
près la rue S. Jacques.
PENSÉES & réfléxions morales , fur
divers fujets. Volume in 16. 4 Avignon,
1760; & le trouve, à Paris, chez Defaint
& Saillant.
ANECDOTES morales , fur la fatuité ,
fuivies de recherches , & de réfléxions
critiques fur les Petits Maîtres anciens &
modernes ; Par M. de Campigneules , des
Académies d'Angers , Caen , Villefranche
, & de la Société Littéraire- Militaire
de Befançon. Volume in 16. A Anvers ,
1760 ; & le trouve à Paris , chez Urbain
Coutelier , quai des Auguftins , & chez
Cuiffart , au milieu du quai de Gêvres.
LA LOGIQUE DE L'ESPRIT ET DU COEUR, à
l'ufage des Dames. Par M. D. *** A la
Haye , 1760 ; & le trouve à Paris , chez
Cailleau , Libraire , quai des Auguſtins.
AZ MERCURE DE FRANCE.
LE MONDE , COMME IL EST , par l'Au
teur DU NOUVEAU SPECTATEUR.Tome premier.
A Amfterdam , 1760 , in 12 ; & fe
trouve , à Paris , chez Bauche , quai des
Auguftins , Duchefne , rue S. Jacques , &
Cellot , Imprimeur - Libraire , au Palais.
Cet ouvrage fe diftribue par feuilles de
douze pages , qui paroiffent régulièrement
les Mardi , les Jeudi , & les Samedi
de toutes les femaines ; & font toujours
portées , avant deux heures après - midi ,
dans les maifons où on les fait demander.
Lorsqu'un des jours de la diftribution ſera
une fête folemnelle , les feuilles feront
portées la veille , ou le lendemain . Je
rendrai compte de cet ouvrage périodique
, qui n'eft que la fuite du nouveau
Spectateur, fous un autre titre, dans l'Extrait
que je dois bientôt donner de ce
premier & intéreffant ouvrage de M. de
Baftide.
AMUSEMENS d'un homme de Lettres ,
ou , jugemens raifonnés de tous les Livres
qui ont parus , tant en France que dans
les Pays étrangers, pendant l'année 1759,
divifés par femaines. 4 volumes in 12,
A Manheim , 1760 ; & à Paris , chez
Cailleau, quai des Auguftins , près le Pont
S. Michel.
AVRIL 1760. 143
On trouve chez le même Libraire ,
Caton à Céfar , & Annibal à Flaminius ,
Héroïdes nouvelles , par l'Auteur de Montézuma.
ETAT , OU TABLE AU de la Ville de Paris,
confidérée relativement au néceffaire , à
l'utile, à l'agréable, & à l'adminiſtration :
Hæc tantum alios , inter caput extulit urbes,
Quantum lenta folent inter viburna cupreffi.
VIRGIL. Eglog.I . '
Sur les autres Cités , cette Ville l'emporte ,
Autant
que du cyprès
les fuperbes
rameaux
S'élèvent au- deffus des foibles
arbriffeaux
.
Cet Ouvrage , dont on ne peut trop
vanter l'utilité , le plan , & l'exécution ,
a été préfenté au Roi , le 26 Mars ,
par M. Jeze , Avocat en Parlement , &
Cenfeur royal . Il eft imprimé in 4° , & fe
vend à Paris , chez Prault pere , & chez
Valat La Chapelle , quai de Gêvres ;
chez Guillyn , quai des Auguftins ; chez
Duchefne , rue S. Jacques ; & chez Lambert
, rue , & près la Comédie Françoiſe.
Le prix eft de 4 liv . 10 f. broché.
·
DICTIONNAIRE abrégé d'Antiquités ,
pour fervir à l'intelligence de l'hiftoire
ancienne , tant facrée que prophane , &
144 MERCURE DE FRANCE.
à celle des Auteurs Grecs & Latins. Par
E. J. Monchablon , Maître-ès-Arts & de
Penfion , en l'Univerfité de Paris. Vol.
in-16. A Paris , 1760 ; ſe vend chez
Defaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
, vis-à-vis le Collége. Le prix eft de
2 liv. 10 f. relié.
LES NOUVEAUX HOMMES , ou le fiècle
corrigé par M. Gaud. * A Genève , &
fe trouve à Paris chez Gueffier fils , Libraire
, rue du Hurpoix . Le prix eft de
12.f.
JOURNAL des Journaux , ou précis
des principaux Ouvrages Périodi
ques de l'Europe , par une fociété de
gens de Lettres ; dédié à Son Alteffe Séréniffime
Electorale Palatine. A Manheim,
de l'Imprimerie Electorale, 1760. Tome I.
3 parties.
N.B. La perfonne qui a apporté chez
moi ce nouvel ouvrage périodique , pour
être annoncé dans le Mercure , n'a point
dit s'il fe débitoit à Paris.
JOURNAL Encyclopédique , dédié à Son
A.S. Mgr le Duc de Bouillon , & c . & c. &c .
Janvier 1760 , premiere Partie. A Bouillon
, de l'Imprimerie du Journal . Avec
approbation & privilége.
ARTICLE
AVRIL. 1760. 145
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
ASSEMBLE'E publique de la Société des
- Sciences & Belles- Lettres d'Auxerre ,
renuë le Lundi 29 Octobre 1759 .
M. MARIE de S. Georges , Avocat , Directeur
, a ouvert la Séance par un petit
Difcours , où en relevant en peu de mots
P'utilité & la dignité des Sciences , il
conclut par exhorter fes Concitoyens à
en chérir l'étude ; & il les prémunit contre
l'idée d'oftentation qu'on pourroit at
tribuer à ces fortes d'Affemblées , en leur
difant que celle - ci n'a pas pour objet d'y
faire montre de capacité , ni de chercher
à en faire le théâtre de fes talents & de
fon fçavoir ; mais d'expofer fous leurs
yeux les progrès de la Société , & profiter
même de leurs critiques.
M. le Pere , Secrétaire perpétuel , a lû
enfuite l'Extrait de tous les Mémoires qui
ont été lus dans les différentes Séances
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
de l'année 1758 , & a tâché de fauver à
fon fujet la féchereffe dont il n'est que
trop fufceptible.
M. l'Abbé Potel , a expofé dans un
Mémoire affez court , l'histoire de l'horloge
d'Auxerre , monument de bon goût
dans le genre gothique , qui fut commencé
fur la fin du 15 " fiécle , & fini au commencement
du 16º.
& -M. Martin , Apoticaire , donna enfuite
l'analyse des Eaux communes d'Auxerre ;
& il en réfulta que cette Ville n'en a
point de malfaines : mais que la plus falubre
de toutes , eft celle de la riviere
d'Yonne , qui baigne fes murs.
M. l'Abbé Precy , ferma la Séance par
la lecture du commencement de fon Hiftoire
civile , eccléfiaftique , & politique
d'Auxerre, dont la beauté du ftyle répond
à la nobleffe du plan fur lequel il la compofe.
L'Affemblée a paru fatisfaite de ces
différens ouvrages.
AVRIL. 1760. 147
SOCIETE LITTERAIRE de Châlons ,
Sur Marne.
EN la Séance publique , tenue le 14
Mars 1759 , M. Fradet a lu une partie
des recherches qu'il a faites touchant la
vie & les écrits qui nous reftent de Manaffé
, Archevêque de Rheims . Il a fait
voir que ce Prélat , étoit de la Maifon de
Châtillon - fur - Marne ; qu'il nâquit à
Rheims vers le milieu du onzième fiécle ;
qu'il eut pour Maître S. Bruno , avec lequel
il s'unit pour faire dépofer Manaffé ,
premier Archevêque de Rheims , que fes
vices rendoient indigne de l'épifcopat ;
& qu'après avoir été ſimple Chanoine, &
enfuite Prevôt du Chapitre de Rheims , il
fut élevé fur le fiége archiepifcopal de la ,
même Eglife , au mois de Janvier 1095 .
M. l'Abbé Befchefer , a lu des remirques
critiques fur les Statuts fynodaux
ou comme on parloit alors , les Capitufaires,
donnés en 870 , par Guillebert, Evêque
de Châlons, & publiés par M. Baluze,
dans fon appendice aux Capitulaires de
nos Rois. Il a compofé ces Statuts avec
ceux d'Hincmar de Rheims , d'Ifaac de
•
G ij
148 MERCURE DE FRANCE
Langres , & de Vauthier d'Orléans , tous
contemporains de Guillebert , pour faire
connoître quel étoit l'efprit & les moeurs
du neuviéme fiécle ; enfuite il a montré
, qu'on ne pouvoit raisonnablement
attribuer les Statuts dont il s'agit à Gilebert
de Chartres , ainfi que M. Baluze
fernble l'infinuer dans fes notes fur les
Capitulaires.
-
M. Culoteau de Velye , a continué la
lecture de l'Hiftoire de la Ville , de la
Comté Pairie de Vertus , & de la fuite
des Seigneurs qui ont poffédé ce Domaine
, jufqu'à M. le Maréchal Prince DE
SOUBIZE, qui le tient aujourd'hui comme
un appanage de la Maifon de France ,
étant héritier pour cette partie de l'ancienne
Maifon de Bretagne , qui le poffédoit
à ce titre.
· Il
Il rapporte les principaux faits qui
concernent chacun de ces Seigneurs , relativement
à fon objet : il fait voir que
le Comté de Vertus , qui relevoit anciennement
de l'Eglife de Rheims , fit enfuite
partie des domaines des Comtes de Champagne
, lefquels étoient tenus d'un hommage
lige à la couronne ; que les droits
qu'ils exerçoient , & qui appartiennent à
la Souveraineté , étoient une fuite de
ceux du fief.
AVRIL. 1760 .
149
Séance publique, du 5 Septembre 1759 .
M. de Velye, a repris la fuite de l'Hiftoire
du Pays , de la Ville , & du Comté-
Pairie de Vertus ; & dans cette lecture
qui eft la troifiéme fur ce fujet , il a fixé
l'époque de la fondation de Vertus , &
celle des édifices & des établiſſemens
publics qui y fubfiftent encore.
M. Grofley , Affocié externe , lut enfuite
une Differtation critique fur le 480
vers du onzième Livre de l'Enéïde. Dans
nos éditions de Virgile, les plus foignées,
on lit ainfi ce vers :
Caufa mali tanti atque oculos dejecta decoros .
Les PP. Abram , Laruë , & Jouvency
S. Remi , Desfontaines , l'Editeur du petit
Virgile de Defaint , celui même du
Virgile de Coutelier , fe font tranfmis
cette leçon peu conforme à celle des
Manufcrits du Vatican , de ceux de la
bibliothèque Megliabelli de Florence , &
au fameux Manufcrit de Médicis.
Les Manufcrits , ainfi que les plus anciennes
éditions de Virgile , portent :
Caufa mali tanti : oculos dejecta decoros.
M. G. a examiné , fur les lieux, ces M.
dont il -cotta les numéros , ainfi
que
les
G iij
50 MERCURE DE FRANCE.
dates des premières éditions de Virgile.
Cette indication termina la difcuffion des
railons contraires ou favorables à l'atque,
M. G. avoit d'abord examiné fi l'hiatus
de l'ancienne leçon étoit une faute ;
fi cette prétendue faute , n'étoit pas une
beauté , fi , faute , ou beauté , elle étoit
de Virgile : & il avoit fait voir que tout
concouroit & fe réuniffoit en faveur de
la leçon primitive.
M. Yvemel , lut un Difcours fur l'utilité
& les inconvéniens des difputes , dans la
converfation ; M. Meunier, une Ode fur la
calomnie ; & M. Gelée , un Mémoire fur
les caufes phyfiques de la dépopulation.
Séance publique , du i7 Février 1760.
LA SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE de Châlons , a
tenu , fuivant l'ufage , fa premiere Séance
publique de la préfente année 1760 , le
Mercredi de la premiere ſemaine de Carême
27 Février.
M. Fradet , qui en eft le Directeur , à
fait lecture de la continuation de fes recherches
hiftoriques & critiques touchant
la vie & les écrits de Manaffé II. du nom ,
Archevêque de Rheims , de la maiſon de
Châtillon-fur - Marne.
M. Varnier , aſſocié externe , a lû quelques
obfervations fur la déflagration de
AVRIL 1760. 151
l'huile de térébentine , par les acides minéraux.
Il affure , que l'on ne manque jamais
cette expérience avec l'effence ou
l'huile de térébentine , lorfqu'elle eft eſt
concentrée ou déflegmée par l'évaporation.
Si on a fait avant lui cette décou
verte, il n'en fçavoit rien , d'autres l'ignorent
peut être auffi ; & il convient
que l'on en foit inftruit. Il a fait part en
même temps d'un phénomène extraor
dinaire qui lui eft arrivé , en compofant
le baume vulnéraire vanté par M. Lobbe ,
dans fon Traité de la petite vérole.
Comme c'eft un phénomène fingulier qui
a rapport à la déflagration dont il s'agit
, il eft néceffaire que ceux qui font
leur étude de la Chymie en foient informés
, afin qu'ils prennent des précautions
pour éviter les accidens funeftes qui
peuvent en résulter. Voici donc ce qui
eft arrivé à M. Varnier. On fçait qu'il
doit entrer dans la compofition du baume
vulnéraire , deux gros d'huile de térébentine
, & cinq gros d'huile de vitriol. M.
Lobbe , n'avertiffant point qu'il doive en
réfulter le moindre accident , M. Varnier
n'étoit pas fur fes gardes ; il a donc
fuivi à la lettre le procédé indiqué , & il
a manqué de fe perdre. Dans l'inftant du
mêlange des deux liqueurs prefcrites , il
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
›
s'eft fait une déflagration accompagnée
de l'exploſion la plus terrible ; la matière
enflammée s'eft élancée au plancher , &
a rempli fon laboratoire & fes habits :
l'odeur très- forte qui s'eſt exhalée a fubfifté
pendant plufieurs jours. M. Varnier
a depuis tenté à diverfes reprifes de produire
le même phénomène , après avoir
pris néanmoins les précautions convenables
pour fe mettre à couvert de tout
accident fâcheux : fes tentatives ont été
fans fuccès. Quelle peut donc avoir été la
caufe de ce phénomène ? Seroit - ce parce
que l'huile de thérébentine , dont il s'eft
fervie dans cette occafion , auroit été expofée
au feu un an auparavant pendant
quelque tems ? ou bien la chaleur de la
faifon,y auroit-elle contribuée ? C'étoit en
été ; il faifoit très- chaud : & ce qui fortifie
fa conjecture , c'eft que l'expérience de
Borrichius , avec de l'efprit de vin , ne
réuffit qu'après une demie heure d'expofition
au Soleil. Ces obfervations ont été
fuivies de la lecture ,
1º. D'un Mémoire Hiftorique de M. de
Velye , concernant le mont Aymer, près
de Vertus , où l'on trouve encore les veftiges
d'une tour , qui fe voit de fort loin.
2º. D'une Ode de M. Meunier , quia
pour titre , le Solitaire.
3 ° . De la continuation d'un ouvrage
AVRIL, 1760 . 153
de M. Gelée , fur les caufes de la dépopulation
.
4°. d'une differtation , dans laquelle
M. Soleau recherche & difcute les caufes
des tremblemens de terre , & de leur
propagation .
La Séance a été terminée par la lecture
de deux Fables de M. Ganeau , affocié
externe , l'une intitulée le Naufrage , &
l'autre les Grives.
ASTRONOMIE.-
GNOMIQUE PRATIQUE , annoncée
à la page 139 du préfent Mercure .
PLUSTEL
LUSIEURS Sçavans ont donné de bons
Traités fur cette matière ; mais il faut
être déjà verfé dans les Mathématiques
,
pour les entendre. D'autres Auteurs ont
écrit fur le même fujet , en faveur de
ceux qui n'ont aucune connoiffance
de
ces fciences ; & pour les rendre intelligibles
, ils ont été obligés de choisir des
méthodes fi défectueules & fi peu exactes
dans la politique , que par leur moyen
on trace toujours de mauvais cadrans folaires.
L'Auteur de l'Ouvrage que nous
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
annonçons au Public , a pris une route
différente. Il a tellement fimplifié les
méthodes des Sçavans , qui font les ſeules
bonnes , qu'il les a mifes à la portée de
tout le monde ; en forte qu'il n'eft pas
befoin d'avoir certaines connoiffances ,
pour les entendre. C'eft le caractère particulier
de cet ouvrage : Il n'y eft queſtion
que de la pratique.
Il commence par l'explication des termes
de cet Art ; enfuite il donne une connoillance
fuffifante de la fphère . Comme
la méthode du calcul eft la meilleure
pour la pratique des cadrans folaires , on
l'enſeigne affez au long pour la rendre
aifée à quiconque fçait déjà les deux ou
trois premières régles de l'arithmétique .
Il y a un Chapitre particulier , pour la
defcription des inftrumens néceffaires
pour faire les cadrans. Ceux qui ne feront
pas à portée de fe les procurer , y apprendront
à les fabriquer eux - mêmes au be
foin .
1º. On y décrit, affez au long, la meil
leure méthode de tracer les cadrans horifontaux.
2 °. Les verticaux , furtout les
déclinaux , qui font les plus difficiles , y
font décrits avec foin , auffi - bien que
ceux dont le centre eft hors du plan. La
manière de trouver la déclinaifon des
AVRIL. 1760 . 755
plans , & de pofer l'axe dans tous les
cadrans verticaux , qui eft une choſe fi
effentielle , y eft expliquée d'une façon
à lever toutes les difficultés. 3 °. On y
donne la defcription des cadrans inclinés,
dans quelque fituation qu'on les fuppofe.
4°. L'Auteur a étendu , plus qu'aucyn autre,
le Chapitre des Méridiennes de toute
efpéce ; celle du temps moyen & du temps
vrai, foit horisontale, foit verticale, même
fur des plans inclinés, & d'une figure irrégulière
. 5 ° . On y verra la defcription des
meilleurs cadrans portatifs. 6 ° .On y trouvera
des Obfervations utiles fur la manière
de régler les horloges , les pendules & les
montres , ce qui eft d'un ufage général
pour tout le monde. 7° . On y donne
quantité de tables , pour la commodité
du Lecteur ; elles font nouvellement calculées
, & précédées d'une explication ,
avec la manière d'en faire ufage. 8 ° . On
verra,à la fin, une table des matières , avec
des additions intéreffantes. 9° . Les 34
planches ont été gravées avec foin fous
les yeux de l'Auteur , qui les a lui - même
deffinées avec précifion : Ceci n'eft pas
ordinaire dans ces fortes d'ouvrages . On
a orné quelques- uns des cadrans qui y
font repréſentés , pour donner une idée
Govj
156 MERCURE DE FRANCE.
du goût de ce genre de décoration . Le
tout eft terminé par une Carte de la
France , autant détaillée que l'a pû permettre
fa grandeur , qui eft pourtant affez
confidérable , puifqu'elle a 15 pouces en
quarré. Elle eft des plus exactes , & gravée
avec beaucoup d'attention & d'élégance.
Il y a une inftruction curieuſe,
pour en faire ufage.
Il paroît, au refte , qu'on n'a rien épargné
non feulement pour la beauté de l'impreffion
, mais encore pour la correction
de l'ouvrage , qui eft d'une belle exécution
, orné de vignettes , & d'un frontif
pice en taille douce. Ainfi on peut croire
qu'il fera d'autant plus fatisfaifant pour
le Public , que tout le monde fera en état
d'en juger .
AVRIL. 1760. 157
GÉOMÉTRI E.
TRAITE' analytique des Sections conia
ques,fluxions & fluentes ; avec un Effai
Jur les Quadratures , & un Traité du
Mouvement. Par M. MULLER , Profeffeur
de Mathématiques , à l'Ecole
Royale de Volwich. Traduit de l'Anglois
, par l'Auteur . A Paris , chez
Jombert , Imprimeur - Libraire du Roi,
rue Dauphine. 1 Vol. in 4° de 396
pages , fans la Table & la Préface
avec des Planches en taille-douce.
·
EXTRAIT.
ON defiroit , depuis longtems , la pu-
1
blication de cet Ouvrage . Lorfqu'il parut,
en Anglois , il fut fi accueilli , que nos
Mathématiciens fouhaiterent qu'on le traduisît
en notre langue. M. Muller , en
fut inftruit ; & comme il fçait le François,
qu'il eftime même notre Nation chez
laquelle il a longtems vêcu , il fur fi
flatté de cette demande , qu'il fe chargea
lui-même de cette traduction. Elle fut
annoncée , il y a près de dix ans.On apprit,
avec joje , que l'impreffion en étoit com158
MERCURE DE FRANCE.
mencée; & quoique cet empreffement dût
la faire hâter , il caufa au contraire , chaque
jour , de nouveaux retardemens . M.
Muller , qui connoît la fagacité de nos
Géométres , craignit que fon livre ne fût
pas affez travaillé pour mériter leur fuffrage.
Quoique encouragé par le fuccès
qu'il avoit eu en Angleterre , il voulut le
rendre encore plus curieux & plus utile.
Il le remania entierement , & y joignit
le Traité du Mouvement , qui n'a point
été imprimé en Anglois.
Nous croyons que tout cela forme un
Livre très- fçavant , par conféquent digne
de l'eftime du Public. En voici une légère
notice.
De tous les Traités des Sections coniques
, celui de M.le Marquis de l'Hopital,
eft le meilleur qui ait paru. Cependant ,
quoique ce Traité foit excellent dans fon
genre , il y a bien des propriétés de ces
courbes fort remarquables , qu'il n'a pas
données. Ses définitions ne font pas même
toujours exactes ; & enfin , il traite cha
que fection conique féparément , fans
faire fentir la liaiſon & la dépendance
que ces courbes , c'eft- à -dire , l'ellipfe ,
Ja parabole , & l'hyperbole , ont Fune
avec l'autre.
Dans le Traité que nous annonçons ,
AVRIL. 1760 . 159
on a été plus attentif ; on développe plus
de propriétés on donne des définitions
exactes, & on confidere les fections coniques
toutes trois enfemble , & la même
démonftration fert pour toutes , excepté
dans quelques cas ; méthode qui eft fans
contredit plus belle , plus élégante , &
plus lumineufe que celle de M. le Marquis
de l'Hopital .
Dans le Traité des fluxions , M. Muller
confidere les courbes décrites par le mouvement
d'un point , & il détermine le
rapport des vitelles de ce point : d'où il
déduit la manière de trouver les fluxions
des quantités variables, fans rien rejetter .
On a donc ici les régles ordinaires de
maximis & de minimis , les rayons des
développées , les cauftiques par réflexion.
&c . en ne fe fervant que des lignes finies,
pour exprimer la relation entre les fluxions.
Suit après cela le troifiéme Livre ,
qui contient toute la théorie des fluentes,
c'est-à - dire , du calcul intégral , avec une
formule générale de celles qui peuvent
être exprimées par un nombre infini de
termes , & fix Tables , qui contiennent
les fluentes des cas particuliers. Il y a ici
des chofes qui doivent faire plaifir à tous
les vrais Géomètres. Les plus grandes
difficultés que les fameux MM. Coles
160 MERCURE DE FRANCE.
& de Moivre ont laiffées là-deffus dans les
excellens ouvrages de Harmonia menfura
rum , & Mifellanea analytica , font pleinement
levées. M. Muller rend leurs principes
auffi clairs , & auffi aifés qu'on pou
voit le defirer.
Le Traité du Mouvement, eft divifé en
deux parties . La premiere , a pour objet
le mouvement qui fe fait dans un milieu
fans réfiftance ; & il s'agit dans la feconde
des loix du mouvement dans un
milieu , dont la réfiftance fuit la loi des
viteffes élevées à une puiffance quelconque.
On fent bien que cette première
partie , renferme néceffairement le mouvement
des corps céleftes. Auffi y trouvet-
on une belle théorie de l'Aftronomie-
Phyfique.Notre fçavant Auteur démontre,
en grand,les principes du fyftême du Chevalier
Newton. Il traite auffi de la figure
de la Terre , & il examine les Traités
nos Géomètres François ont publiés fur
cette figure . On eft un peu fâché , en lifant
ce morceau , de rencontrer une critique
des travaux de M. Clairaut . Ce
grand Géomètre , qui jouit de la réputa
tion la plus étendue & la mieux méritée
, ne craint affurément point l'examen.
C'est ce qu'il fait bien voir dans une Lettre
adreffée à M. Saverien , ami de notre
que
AVRIL. 1760.
161
Auteur , où il fatisfait aux objections de
M. Muller. Cette Lettre , qui eft trèsfçavante
, eft imprimée à la fin du Volume
; & cette efpèce de controverſe ſur
une matière fi importante , doit piquer
la curiofité de toutes les perfonnes qui
aiment les fciences exactes , & qui les
cultivent.
MÉDECINE.
TABLEAU des maladies, de LOMMIUS.
QUOIQUE
nous
JOIQUE Ce Livre foit déja connu
& même eftimé ; comme il ne l'eft cependant
pas autant qu'il le mérite
avons cru qu'il étoit à propos , de dire
ici un mot de celui qui l'a compofé , du
deffein qu'il a eu en vue en l'écrivant ,
& de l'utilité dont il peut être.
Lommius , Médecin célèbre , qui en
eft l'auteur , vivoit il y a au moins deux
cens ans , & fleuriffoit au milieu du feiziéme
fiéclé , c'eſt- à- dire , en 1558 &
1560 , temps auquel il étoit Médecin
penfionné de la Ville de Bruxelles. Nous:
avons de lui trois Ouvrages : l'un , eft un
excellent Commentaire fur le premier
162 MERCURE DE FRANCE.
livre de Celfe ; l'autre , eft un Traité fort
inftructif , fur la cure des Fiévres continues
; le dernier enfin , eft le Livre dont
on annonce ici une nouvelle Traduction .
L'Auteur , qui à une théorie profonde ,
joignoit une très - grande pratique , s'eſt
propofé , dans cet Ouvrage , de tranſmet
tre à la postérité des obfervations fidelles
fur toutes fortes de maladies ; & c'eft
pour cette raifon qu'il lui a donné le titre
d'Obfervationes medicinales . On l'a changé
dans la traduction Françoiſe , en celui
de TABLEAUDES MALADIES , parce
que ce dernier a paru plus propre à
faire connoître la nature & le genre du
Livre. Ce n'eft en effet qu'un portrait en
racourci , fait par Lommius d'après fes
obfervations , un tableau en petit , mais
fini , de toutes les maladies auxquelles le
corps humain eft expofé , où l'on trouve
une peinture exacte , & faite de main de
maître , de leurs fignes Diagnoſtics &
Pronoftics ; c'eft- à- dire , des fymptomes
qui les accompagnent , & qui les caractérifent.
L'ouvrage eft dédié à Meffieurs du
Magiftrat de Braxelles ; & l'Epître dédicatoire
que Lommius leur adreffe à ce
fujet, eft un morceau qui à certains égards
mérite d'être lû. C'eſt ce qui nous a engagés
à donner à la tête du Livre une
AVRIL. 1760 . 163
Traduction de cette Dédicace , qui n'avoit
point encore paru en notre Langue.
Le deffein de l'Auteur a été , comme
il nous l'apprend , de renfermer dans cet
Ouvrage ce qui concerne cette partie de
Ja Médecine , laquelle comprend le Diagnoftic
des maladies , leur Pronoftic , &
les conféquences qu'on peut en tirer ; &
l'on ne peut difconvenir que ces connoiffances
ne foient très- utiles , tant pour
la cure & la guérifon des maux qui attaquent
le corps humain , que pour attirer
au Médecin l'eftime & la confiance des
malades. La connoiffance du Diagnoſtic
& du Pronostic eft , au jugement de tous
les gens de l'Art , une fcience abfolument
néceffaire , puifqu'elle eft la bafe de la
guérifon , & que fans elle on eft expofé à
des erreurs continuelles : c'eft le fondement
de toutes les autres parties qu'un
Médecin doit poffeder ; parce que le conduifant
de la connoiffance des fignes &
des effets à celle des caufes , elle le met
en état de tirer des fymptomes qui accompagnent
les maladies , des indications
juftes , au moyen desquelles il peut
décider
de leur nature , & des remédes qu'il
doit employer pour les guérir ; en quoi
confifte toute la Médecine. Or c'eft cette
Icience du Diagnoſtic & du Pronoftic , qui
164 MERCURE DE FRANCE.
depuis Hippocrate n'avoit été traitée expreffément
par perfonne ,, que Lommius
s'eft propofé d'enfeigner dans fon Livre.
Ce n'eft pas ici le lieu d'entrer dans un
plus grand détail de cet Ouvrage, encore
moins de nous arrêter à en vanter le mérite.
Nous dirons feulement , qu'au jugement
des hommes les plus verfés en
cette partie , c'eft un petit Livre d'or ,
Opufculum aureum , un Ouvrage excellent
& achevé , un Traité d'un très - grand
prix aux yeux des connoiffeurs , & dont
l'étude eft néceffaire à tous les Médecins
qui aiment véritablement leur profeffion,
& qui cherchent à s'en inftruire . Plufieurs
des plus fçavans l'ont lû dix fois ; &
quelques- uns font convenus , qu'après
quarante ans de pratique , le plus habile
homme auroit peine à y ajouter une
fyllabe.
Cependant ce Livre précieux , fi utile
& fi néceffaire , de l'aveu de toutes les
perfonnes de l'Art , connu & eftimé des
Médecins feulement , étoit ignoré du
refte des hommes , lorfqu'en 1712 il en
parut une Traduction Françoiſe faite par
feu M. le Brethon , Bachelier en Médeci
ne. S'il n'eft pas permis de dire, que cette
premiere Traduction ait eu un fort grand
fuccès , au moins ne peut-on diſconvenir
AVRIL. 1760 . 165
qu'elle ne foit recherchée encore aujourd'hui
, & même qu'elle ne fe vende affez
bien. D'un autre côté , nous fommes forcés
d'avouer qu'elle eft très-mal écrite ,
& que le ftyle en eſt ſouvent obfcur &
embaraffé ; que le Traducteur , tout Médecin
qu'il étoit , n'a pas toujours entendu
ou voulu entendre fon Auteur ; que plufieurs
fois même il a pris un fens directement
contraire au fien ; ce qui , dans
un Livre tel que celui - ci , eft de la dernière
conféquence : qu'enfin pour donner
peut- être des preuves de fa fcience dans
Art , il a pris très- fréquemment la liberté
d'amplifier , de paraphrafer Lommius
, & de fubftituer fes propres idées à
celles de cet excellent homme.
Ce font ces raifons , qui ont fait naître
la pensée de le traduire de nouveau : on
a cru que ce feroit rendre quelque fervice
au Public , de tirer Lommius des
mains des Médecins pour le faire connoître
aux perfonnes qui ne font pas
de l'Art , en le leur donnant précisément
tel qu'il eft ; & c'eft ce que l'on ofe fe
flatter d'avoir exécuté par la nouvelle
traduction que l'on annonce ici de fon
TABLEAU DES MALADIES , plus fidelle ,
plus exacte , plus claire , plus nette , &
mieux écrite que l'ancienne , telle en
166 MERCURE DE FRANCE.
un mot qu'elle puiffe être entendue de
tous ceux qui ne font pas Médecins . Nous
pouvons dire à fon avantage , qu'elle a
été jugée telle, & approuvée par plufieurs
habiles gens qui ont jetté les yeux deffus;
& même que l'Auteur du Manuel des
Dames de Charité , bon juge certainement
én cette matière , a bien voulu fe donner
la peine de la revoir toute entiere fur
Poriginal Latin , & aider le Traducteur
de fes confeils.
-
A l'égard des Remarques que l'ancien
Traducteur avoit ajoutées à la fuite de
chaque chapitre , on les a toutes fupprimées
pour trois raifons : 1 ° parce qu'elles
ne font d'aucune utilité, puifqu'elles n'apprennent
rien de curieux ni d'inftructif ,
& qu'elles ne font fouvent qu'une répétition
ennuyeufe de ce que Lommius a
très bien dit auparavant. 2 ° . Parce que
bien loin d'être utiles , elles ne font pas
même quelquefois raisonnables , comme
il est facile de le prouver. 3 ° . Enfin ,
parce qu'au lieu d'y trouver les curations
des maladies dont l'Auteur donne la def
cription , ce que l'on devoit naturellement
attendre d'un Médecin , elles n'y
font feulement effleurées. C'est pour
fuppléer à ce que le Traducteur auroit dû
faire à cet égard , & pour dédommager
pas
AVRIL 1760. 167
le Public de la fuppreffion néceffaire de
fes remarques , que l'on a jugé à propos ,
dans la nouvelle traduction ,d'y fubftituer
à la fin de chacun des articles de Lommius
, qui en ont été fufceptibles , des
renvois aux pages du Manuel des Dames
de Charité , édition de 1758 , où l'on indique
les remédes propres à la cure des
maladies dont l'Auteur Latin parle dans
fon Livre.
Il y a en effet , un rapport naturel &
immédiat entre ce Traité de Lommius
& le Manuel : ces deux ouvrages femblent
fe prêter mutuellement la main ,
pour compofer enſemble un cours complet
de Médécine fpéculative & pratique
; & c'eft pour cela que l'on a cru être
fondé à annoncer cette nouvelle traduction
, comme devant fervir d'introdution
à l'ufage qu'on peut faire du Manuel des
Dames de Charité. On trouve la théorie
dans Lommius , & la pratique dans le
Manuel : le Livre du premier , enfeigne à
connoître la nature des maladies , leurs
caufes , & l'événement qu'elles doivent
avoir ; & le fecond apprend quelle en
doit être la cure , & quels remédes on
peut y apporter pour les guérir . Si dans le
Manuel on trouve quelques defcriptions
de maladies qui fe rencontrent auffi dans
68 MERCURE DE FRANCE
l'Auteur Latin , outre qu'elles ne font paš
en grand nombre , elles font plus courtes,
plus ferrées , & plus rapprochées que
dans le dernier , qui entre dans un bien
plus grand détail ; enforte que ces deux
Ouvrages femblent s'éclairer & ſe fortifier
réciproquement , & qu'on peut
avancer avec fondement , que pour tirer
de l'un un avantage certain , il eft encore
néceffaire en quelque forte d'y joindre
l'autre. Ce que nous ofons affurer d'après
un fort habile homme , c'eft que pour
les perfonnes intelligentes qui ne font pas
de l'Art , pour celles qui fans fe piquer
d'une grande théorie , & guidées feulement
par leur zéle & leur charité , fe font
confacrées au fervice des pauvres , pour
ceux même qui par état s'occupent du
foin des Malades , ou fe deſtinent à s'en
occuper , ces deux Livres peuvent tenir
lieu d'une petite bibliothèque de Médecine.
C'est pour ces fortes de perfonnes ,
qu'on auroit fouhaité pouvoir ne ſe ſervir
dans la nouvelle traduction que de
termes connus , & qui fuffent à leur portée
; & c'est parce que la chofe n'a pas
toujours été poffible , que l'on a crû
devoir , pour leur avantage & pour leur
inftruction , donner à la tête de ce Livre
une
AVRIL 1760. 169
une explication fort détaillée de tous les
termes de Médecine & d'Anatomie qui y
font répandus. On y a joint , pour leur
commodité,une Table des Chapitres trèsample
, & une Table alphabétique de
toutes les maladies dont il eft parlé dans
cet Ouvrage. Après les foins
l'on a
pris pour le rendre utile , on ofe fe flatter
qu'il fera reçu favorablement , & que le
Public retirera de cette nouvelle traduction
tout l'avantage que l'on s'eft propofé
de lui procurer
.
que
Le Manuel des Dames de Charité, dont
il eft parlé dans cet Avis , fe vend chez
le même Libraire. On en parlera dans le
prochain Mercure...
13
II.
Vol,
H
JI.
170 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
MÉDECIN E.
Addition à la feconde Lettre de M. de
LA CONDAMINE , à M. Daniel
BERNOULLI, (Mere, d'Avril, I. Voly
A Paris , le 28 Février 1760..
Vous êtes furpris , Monfieur , qu'on
n'inocule pas à Paris les enfans trouvés.
Voici pourquoi , c'eft que le monde eft
encore bien jeune , & que nous fommes à
quelques égards plus jeunes en France
qu'ailleurs. En voulez-vous une plus forte
preuve ? Les liftes annuelles des morts &
des nailfances de nos grandes villes , ne
diftinguent ni les âges , ni les maladies ,
comme on le fait à Vienne , à Londres ,
à Berlin , &c. On difpute tous les jours
fur le nombre des habitans de Paris , &
plus encore fur celui des habitans de la
AVRIL. 1760 .
771
France ; & rien ne feroit plus aifé que de
le favoir depuis l'ordonance de 1736 , qui
prefcrit à tous les curés du royaume d'avoir
un double registre des morts & naiffances
de leur paroiffe , & d'en dépofer
un tous les ans au greffe du fiége royal le
plus voifin. *
Tout cela fe fera avec le temps ; mais
ni vous , Monfieur , ni moi , ne le verrons :
ne defefpérons pourtant de rien.
Il y a dans tous les événemens telle
combinaifon du moral avec le phylique ,
qu'il eft impoffible de prévoir. Lorsque
je lûs mon premier mémoire à l'académie,
en 1754, j'étois bien loin d'imaginer qu'en
moins de deux ans on verroit à Paris l'inoculation
autorisée par les exemples les
plus illuftres. A la vue de ces exemples &
de leurs fuccès , qui n'auroit cru que la
multitude alloit être entraînée ? Ces deux
conjectures , toutes deux vraisemblables ,
om été toutes deux démenties par l'événement.
Je fais tout ce que l'on dit fur cela
des médecins , & je comprends bien que
.
* Dans une ville comme Paris, où peu d'enfans
fontnourris, & où beaucoup d'étrangers meurent,
on ne peut guère évaluer le nombre des habitans
par les liftes mortuaires. Mais les liftes des paroiffes
de tout un royaume , villes & campagnes,
donneroient une évaluation exacte & c. & c.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
la préocupation , le défaut d'examen , l'éloignement
pour une pratique nouvelle ,
un intérêt particulier , peuvent agir fur
quelques- uns d'eux . Mais je ne puis foupçoner
le corps entier de fe conduire par
ces motifs .
La petite vérole , dit- on , eft le plus beau
fleuron de la couronne des médecins , c'eſt
leur aliment. S'ils ne s'oppofoient pas à
l'inoculation , les chirurgiens s'en empareroient
, & feroient cette nouvelle conquête
fur les droits de la Faculté. Ce raifonnement
n'eft que fpécieux . A Paris , de
dix petites véroles , neuf font traitées par
les chirurgiens, ou les apothicaires : le peuple
n'apelle un médecin que lorfque le
malade eft defefpéré. Sans doute il fe pafferoit
de médecin dans l'inoculation , puiſqu'il
s'en palle bien dans la petite vérole naturelle
; mais aucun de ceux qui ont recours
au médecin au premier accès de fièvre , ne
fe livreroit à l'inoculation que fous les
yeux d'un docteur de la Faculté . Il y a
plus je dis qu'indépendament du traitement
des inoculés , l'inoculation augmenteroit
le revenu des docteurs ; & la
preuve
de ce paradoxe , cft toute fimple. Les morts
n'ont plus befoin de médecins ; tous les
vixans font leurs tributaires . La petite
vérole détruit la quatorzième partie de
AVRIL. 1760. 171
ceux qui naiffent , & l'inoculation les con
ferveroit. Donc fi elle étoit généralement
pratiquée , le médecin qui voit 1300 malales
par an , en verroit 1400 ; & celui
qui fe fait 1 3000 liv . de rente ,
I
14000.
s'en feroit
Les hommes de tous les péis fe reffemblent.
Les médecins & les théologiens anglois
fe liguèrent d'abord contre l'inocula
tion : aujourd'hui tous font inoculer leurs
enfans. Cette pratique introduite à Londres
en 1721 , y fut accueillie , puis contredite
, enfuite négligée : elle n'a repris
faveur qu'en 1738. Il n'y a pas encore dixlept
ans que nous la connoiffons.
P. S. Paris , 22 mars 1760 .
Soyez juge , Monfieur , d'un nouveau
grief de M. G. Il fe plaint hautement que
j'aie dit que je ne lui connoiffois point de
malade. Cela eft exactement vrai je ne
connois perfonne qui fe foit vanté de l'avoir
pour médecin. Eft- ce ma faute à Mais
c'eft , dit - on , faire entendre que M. G.
n'a point de malades . Quand cela feroit ,
que pourrois je dire de plus flateur au
Dieu même de la médecine , dont la préfence
rendroit la fanté ? Plus un médecin
opère de guérifons , moins il lui refte de
malades. Je félicitois M. G. d'un avantage
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
dont peu de fes confreres jouiffent . Puifqu'il
prend mal mon compliment , je le
rétracte , & je croitai , s'il le veur , qu'il a
beaucoup de malades , & pas un feul convalefcent.
Il eft tems de parler férieufement , puiſque
M. G. n'entend pas raillerie . Je déclare
donc,que je n'ai fait ni prétendu faire
Pénumération de ceux qui le confultent
fur leur fanté. Quant à la perfonne que
j'ai dit qui étoit morte de la petite vérole
entre fes mains ; je regarde cet accident
comme un malheur , auquel tous les
médecins font expofés. M. G. , prétend
que cette perfonne eft morte d'une fauffe
couche ; je le veux croire : mais celui qui
met fur le compte de l'inoculation la mort
d'un enfant tombé de fon berceau fur la
tête , celui qui nie ce fait malgré les preuves
juridiques, celui qui fuppofe que l'inoculateur
a fuborné les témoins , & que les
parens & le cu é ont connivé , ne doit- il
pas fupporter avec patience qu'on foupçone
, qu'il a voulu s'excufer de n'avoir
pu fauver la vie à fa malade , en donnant
le nom de fauffe couche à un accident'
très ordinaire aux femmes pendant le
cours de leur petite vérole ?
-
J'apprends que M. G. ne juge pas à propos
d'attendre la réponſe de S. E. M. le
AVRIL 1760. 175
Cardinal Gualtieri pour éclaircir le fait de
ma prétendue follication du Bref, & qu'il
fait imprimer une nouvelle lettre . S'il en
vient aux invectives , j'abandonne la partie
: J'ai démafqué fes fophifmes parce.
qu'ils pouvoient induire en erreur des gens
qui cherchent la vérité ; mais les injures
ne perfuadent perfonne , & je fuis difpenfé
d'y répondre.
J'ai reçu votre Mémoire , Monfieur
& vos réflexions fur l'inoculation . J'en ai
commencé aujourd'hui la lecture à l'Académie.
C'est elle qui vous doit deformais des
remercîmens : Je ne vous parlerai plus des
miens , ils feroient confondus dans la foule ,
Paris , 5 Avril 1760 .
Je reçois en ce moment , Monfieur , une
quatrième lettre de M. G. imprimée ſous
le nom de fon fils . Je l'ai ouverte en deux
ou trois endroits , & je vous jure que je
n'en ai pas lû plus d'une demi page : mais
j'en ai affez lû pour juger du refte & pour
voir que c'est un pur fatras de reproches
& de perfonalités étrangères à l'objet de
notre difpute. Il m'accufe de n'avoir pas
répondu à M. de Haen , de ne m'être tiré
d'affaire avec feu M. Bouguer , que par
des plaifanteries , de n'être chymifte que
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE
de nom à l'Académie &c. Que tout
cela foit faux ou vrai , qu'eft-ce que cela
fait à la nature de la maladie du petit de
la Tour , & aux faits avancés par M. G ?
Au refte , j'ai répondu fommairement
à M. de Haen dans un Mémoire lû publiquement
& imprimé . M. Tiffot lui a répondu
depuis , & ne m'a rien laiffé à dire.
M. de Haen, fans répliquer un feul mot, a
fait un nouvel écrit . Tout ce qu'il y prou
ve , c'eft que plufieurs médecins ont fou
tenu qu'on pouvoit avoir deux fois la petite
vérole , & qu'ils en ont vu quelques
exemples . Je n'ai jamais nié la poffibilité
du fait j'ai feulement prouvé qu'on n'en
pouvoit rien conclurre contre l'inoculation
. Le reste du livre de M. de Haen n'a
pas beſoin de réponſe : il eft réfuté d'avance
, & le fera peut être encore en temps &
lieu .
Quant à M. Bouguer, vous favez mieux
que perfonne , Monfieur , fi ce n'eft que
par des ironies que je lui ai répondu ; & fi
en les employant , je n'ai pas pris le moyen
le plus cfficace pour le déterminer à mettre
au jour le mémoire fécrétement légalifé ,
de la date & du contenu duquel dépendoit
la décifion de notre conteftation .
Vous favez que je me fuis condamné d'ayance
, fi ce mémoire & fa date étoient
AVRIL 1760 . 177
tels que M. Bouguer les annonçoit , ou
même poftérieurs de fix mois : enfin , yous
n'ignorez pas que je l'ai fommé dans tous
mes écrits & répliques pendant plus de
trois ans de faire paroître ce mémoire :
M. Bouguer eft mort fans le produire . I ,
ne me convient pas aujourd'hui d'ajouter
rien à ce que j'ai dit de fon vivant. Je
renvoie donc ceux qui voudront s'inftruire
plus amplement, à mes écrits , au journal
de la bibliothèque raifonnée de Hollande ,
tome L , dont je ne connoiffois pas l'auteur
, & à l'ouvrage le plus récent fur la
figure de la Terre , imprimé à Rome en
1755 , dans lequel un juge éclairé aprécie
le mérite de ce que M. Bouguer regardoit
comme fa plus grande découverte ; en quoi
il le faifoit tort à lui-même. Je paffe à la
troisième objection .
# Je fuis entré adjoint à l'académie , en
1730 , par la porte chymique la feule,
qui fût alors ouverte ) en donnant un
mémoire de chymie depuis imprimé dans
le recueil académique de 1731. Je devins
affocié en 1735 , & paffai dans la claffe
de géométrie . En 1739 j'obtins pendant
mon abfence la place de penfionnaire chymifte,
fans l'avoir follicitée : j'étois alors
en Amérique . L'académie laiffe à fes membres
la liberté de s'attacher aux études
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
qui leur plaisent le plus . J'ai ufé de cette
liberté . Feu M. de Reaumur , dans la claffe
des méchaniciens , n'a jamais donné de
mémoire de méchanique. M. le Comte
de Lauragais , dans la même claſſe , n'a
donné jufqu'ici que d'excellens mémoires
de chymie. J'aurois pu demander à repaffer
dans une des trois claffes de mathé
matiques j'ai craint de faire tort aux
excellens fujets qui fe préfentoient pour
remplir ces places ; j'ai mieux aimé refter
dans celle où les circonstances m'avoient
conduit , & n'être chymifte que
dans l'almanach . Je dois des remercîmens
à M. G. de m'avoir donné l'occafion d'éclaircir
les faits précédens , fuppofé qu'ils
euffent befoin d'être éclaircis .
Par la futilité de ces trois objections ,
qui d'ailleurs n'ont rien de commun avec
le fait en queſtion , on peut juger de la
valeur des autres , que j'aime mieux ignorer..
M. G. n'ignore pas que fi je fuivois fon
exemple , en le combattant par des récriminations
totalement étrangères à notre
difpute , ou feulement en répétant une
partie de ce qui me revient
la voix pupar
blique , j'aurois fur lui trop d'avantage .
Sans doute en me provoquant il a fenti
que j'étois incapable d'employer de pareilAVRIL
1760.
179
les armes , même par repréfailles. Je lui
dois de nouvelles graces de cette marque
d'eftime: & pour ne pas courir le rifque
de perdre la bonne opinion qu'il a de moi,
j'en uferai à l'égard de fa derniere lettre
comme j'aurois dû faire à l'égard des premieres.
Je ne lui donnerai point de confiftance
en la réfutant , & je ne la lirai point.
Je fuivrai votre confeil , Monfieur , quoiqu'un
peu tard. M. G. s'eft plaint de mes
plaifanteries : je doute qu'il foit plus content
du ton férieux qu'il me fait prendre.
En perdant mon temps à lui répondre ,
j'aurois au moins dû refpecter le vôtre , &
ne pas l'ocuper à des chofes fi peu dignes
de votre attention."
Faute à corriger dans le premier volume du Mercure
d'avril.
On a oublié d'employer la correction fuivante,
qui étoit faite fur l'Epreuve.
Page 189 , ligne 10 , après ces mots telle &
telle maladie , lifez comme il fuit le refte du paragraphe
. Les témoins précédens dépofent de l'état
du malade: les fuivans atteflent fa guérifon : ces
témoignages ifólés tirent toute leur force , s'ils en
des differtations intermédiaires de M. G.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE
CHIRURGIE.
LETTRE de M. FERRAND , Maître- èsarts
en l'Univerfité de Paris , & Chirur
gien de l'Hôtel- royal des Invalides ;
à M. Vandermonde , Docteur - Régent
de la Faculté de Médecine , en la même
Univerfité , ancien Profeffeur en Chirurgie
Françoife , Cenfeur royal , & mem
bre de l'Inftitut de Bologne , & Auteur
du Journal de Médecine.
Ν ONSIEUR ,
En lifant le Journal de Médecine
( Février 1760 , pag.100 , ) j'ai été frappé
de la propofition fuivante. On fçait qu'avant
de procéder à la ligature de l'artère
( dans l'opération de l'anévryfme ) on fait
celle du nerf... Cette doctrine m'a paru
fi neuve , fi deftituée de
fi deftituée de preuves , fi dangereufe
même , que je n'ai pû réſiſter à
l'envie de vous communiquer les ré
flexions qu'elle m'a fait naître.
Je ne puis diffimuler , Monfieur ,
que je n'ai pas le mérite de connoître
les motifs qui déterminent à lier le
nerf avant l'artére . Je ne démêle pas
mieux les raifons qui pourroient juſtifier
la conduite de ceux qui les
comprenAVRIL
1760. 187
nent tous deux dans la meme ligature ,
fi ce n'eft dans le cas d'une néceffité indifpenfable
; car pourquoi liér le nerf?
C'eft , dites vous , pour le ftupéfier , &
amortir le fentiment dans la partie. Mais
à quoi bon cet anodin ? puifqu'on peut
s'en paffer. Pourquoi priver les parties
fubjacentes de l'irradiation des efprits
animaux? ils n'apportent aucun obftacle à
la curation de l'anevryfme. N'eft- ce pas
affez que l'avant bras foit fevré de la
nourriture que lui procuroit l'artère ?
faut-il encore lui ravir les dernieres reffources
, je veux dire l'influx vivifiant
des efprits que lui apporte le nerf median
? Vous conviendrez , Monfieur , que
cela eft injufte & déraisonnable.
-
$
Ce n'eft pas tout : peut-on lier impunément
un nerf confidérable ? Sa fenfibilité
eft- elle toujours muette à ce procédé
? C'est une question qu'il feroit , je
crois très important d'approfondir.
s la
Quelques faits femblent prouver que
ligature de ces parties , n'occafionne
pas de grands défordres. L'hiftoire du
Chirurgien , opéré par Valfalva , une obfervation,
de Rhuych, & les expériences
faites par M. Thierry , fur des chiens ,
paroiffent concluantes ; mais il y en a
tant d'autres qui militent contre celles
182 MERCURE DE FRANCE.
ci, qu'il feroit dangereux de leur accor
der un trop grand degré de confiance.
Combien n'a- t-on pas vû de malades en
proye à d'horribles convulfions , parce
qu'on leur avoit lié les nerfs dans les amputations
? Ce font des faits , qu'atteſte
ront les Chirurgiens d'armées , & ceux
qui font dans le cas de pratiquer ſou
vent ces fortes d'opérations. Je puis encore
étayer ce que j'avance de l'autorité
d'un des plus fçavans Chirurgiens de
l'Europe. M. le Cat a vû à Rouen le
fils d'un Orfévre , faifi d'un tétanos mor
tel , pour une ligature qui comprenoit
le nerf avec tout le paquet des vaiffeaux.
Cette hiſtoire eft effrayante , fans
doute , & doit arrêter les conclufions
qu'on voudroit tirer des expériences
où le cri des nerfs ne s'eft point fait
entendre , & dont M. Thierry fe prévaut
pour accréditer fa théfe : quelques féduifantes
qu'elles foient , l'erreur n'eft
peut- être pas loin. Ainfi on doit ſe tenir
en garde contre la fauffe lueur des faits
qui font démentis par d'autres faits . C'eſt
en réitérant les expériences , jufqu'à ce
que la nature fe foit expliquée tout-àfait,
qu'on vient à bout de s'affurer de
la vérité. Il y auroit trop de danger à
bâtir fur des obfervations mal faites. On
AVRIL. 1760. 183
en ferions - nous , par exemple , file
Docteur Whytt n'eût pas ruiné les fondemens
du fyftême de l'illuftre Baron de
Haller , en trouvant l'irritabilité & la
fenfibilité dans certaines parties , où elles
avoient femblé fe dérober aux recherches
de celui- ci ; s'il n'eût rendu à leur domaine
, toute l'organiſation de notre machine
, en confirmant à la plûpart de
nos organes des prérogatives que M. de
Haller leur difputoit ? Dans quels écarts
enfin , ne nous euffent pas jetté ces nouvelles
idées , fi le célèbre Médecin Anglois
n'eût , pour ainfi dire, reffufcité l'ancienne
harmonie fympathique , & rétabli
prèfque toutes nos maladies dans le
même fiége où les Médecins les avoient
jufqu'ici unanimement placées : Belle leçon
que donne la fameuſe diſpute de ces
deux fçavans athlétes à ce nombreux
effain de faifeurs d'expériences , qui méprifant
les découvertes des autres , ont la
fureur d'élever des fyftêmes fur des conféquences
qui n'ont fouvent aucune liaiſon
avec les faits ! Il y a longtemps qu'on l'a
dit ; l'étude de la nature eft longue & pénible.
Il eft plus difficile, qu'on ne penfe, de
lui furprendre fes fecrets : elle n'en fait
probablement préfent qu'à ceux qui ont
le mérite de la fuivre de plus près , & le
184 MERCURE DE FRANCE.
plus conftamment. Mais je reviens à
mon fujet.
La ligature du nerf ne peut être ordonnée
comme précepte , hors le cas de néceffité
; autrement elle feroit toujours au
moins inutile. Ceci n'a pas befoin de
preuves. Elle pourroit être dangereuſe :
l'obfervation de M. le Cat le démontre.
En effet , s'il eft permis de haſarder quelques
conjectures , voyons ce qui doit fe
paffer lorfqu'on lie un nerf. Les enveloppes
des petits tuyaux nerveux qui entrent
dans la compofition du grand , font intimement
rapprochées vers le centre , de
manière que leur cavité ( fi elles en ont )
eft abfolument effacée à l'endroit de leur
conftriction : de là , obftacle au paffage
des efprits ; de là, défaut de fentiment audeffous
de la ligature: au-deffus,les tuyaux
font libres ; leur tenfion , leur mouvement
vibratil , loin d'être diminués , doivent
être augmentés par le froncement :
les émiffions du fluide nerveux fe feront
donc avec impétuofité jufqu'à l'obftacle ;
mais ce fluide fraudatum optatá via , arrêté
dans fon cours , eft contraint de refluer
vers les plexus voifins , vers les
ganglions , vers le cerveau même. De là
irrégularité , inégalité dans fa diftribution
, & ces défordres donneront naif
AVRIL. 1760 . 185
fance à une foule d'accidens , aux délires,
aux fpafmes , aux convulfions & c.
C'eſt apparemment à la vuë affligeante
de tant de maux , que les Chirurgiens
de nos jours preſcrivent la féparation du
nerfdans l'opération de l'anevryfme , &
défendent fa ligature , qui , je le répéte
encore , feroit toujours au moins inutile,
fi elle n'étoit pas conftamment dangereufe.
Dionis, & fon habile Commentateur,
difent, qu'il faut difféquer l'artère , la féparer
du nerf, l'élever avec une errhyne ,
puis la lier fans le nerf. Je dirai ici en
paffant avec M. de la Faye , qu'il eft affez
ordinairement poffible de l'éviter , puifqu'on
le trouve fouvent diftant de l'artère
d'un travers de doigt , & que d'ailleurs
il eft inférieur à celle- ci. MM . Petit , le
Cat , Sharp , veulent auffi qu'on le fépare
des vaiffeaux pour la même raifon. * Purmann
& Anel , font de cet avis.
Il eft vrai , qu'on éprouve quelquefois
de grandes difficultés , dans cette opération
: l'artère fera collée au nerf, ou bien
des caillots de fang , difféminés partout ,
empêcheront le Chirurgien de le recon-
* Voyez les Inftit. de Chirurgie de Heifter,
Tom . II . Section I. Chap. XII . p. 32 , où les méthodes
d'opérer de ces deux Chirurgiens font
décrites.
186 MERCURE DE FRANCE.
noître ; c'eft dans ces fâcheufes circonf
tances feulement qu'on eft autorifé à le
comprendre dans la ligature avec les vaiffeaux
, puifqu'on ne peut faire mieux.
M. Thibaut l'a fait ainfi plufieurs fois. M.
le Dran même , & M. Molinette ; mais ils
ne fe font pas avifés de nous donner cet
te méthode , comme un précepte pour
tous les cas. Quelque refpectable que
foit leur autorité , on ne les croiroit pas
fur leur parole : leur doctrine feroit prof
crite , reprouvée , comme dénuée de raifons
, & comme pouvant entraîner des
fuites funeftes dans la pratique de la
Chirurgie.
J'efpére , Monfieur , qu'étant par état
ami de la vérité , & plein de zéle pour un
art aux progrès duquel vous coopérez
avec tant de diftinction , vous ne me
fçaurez pas mauvais gré de vous avoir
communiqué ces réfléxions , qui ne peu
vent que tourner au profit de l'humanité.
J'ai l'honneur d'être &c.:
AVRIL. 1766.
187
AVIS important au Public , touchant
plufieurs remédes particuliers.
ONN refpecte trop le Public , pour lui
parler de ces remèdes , avec l'étalage
ridicule & trompeur de lettres , de certificats
, & d'atteftations mandiées ou
achetées , qui n'ont d'autre objet que de
vanter, fans connoiffance de caufe, & par
des vues fordides d'intérêt , des médica,
mens fort fouvent incertains , mal combinés,
& conféquemment très- dangereux,
auxquels néanmoins on attribue des vertus
miraculeufes qu'ils n'ont point.
On n'aura pas non plus l'impudence
d'avancer , que ces mêmes compofitions
font capables de guérir indiftinctement
toutes les maladies qui affligent l'humanité
. Ces baffes démarches , ces difcours
téméraires , abufifs , pleins de contradictions
& d'abfurdités , conviennent à des
menteurs , à des ignorans , à des fourbes ,
aux charlatans de toute efpèce
qui inondent de jour en jour cette
capitale.
en un mot ,
Une pareille conduite eft indigne d'habiles
& de véritables Artiftes connus, foit
188 MERCURE DE FRANCE.
en Chirurgie , foit en Pharmacie , qui
après les plus rigoureuſes épreuves , cultivent
& exercent en corps leur profeſ
fion,fous la protection & l'autorité duRoi,
des Loix &des Magiftrats.C'eft à eux feuls
qu'il doit être permis d'y jetter de nou
velles richeffes , en faifant d'heureuſes
découvertes utiles au genre humain.
Tels font les remédes , que l'on annonce
aujourd'hui. C'eft le fruit des méditations
& des études profondes de feu M. ďAlibout
, grand- pere maternel du fieur Jauf
fin. Il avoit été , pendant plus de cinquante
ans, Chirurgien Major de la Gendarmerie
, & Chirurgien en chef des
Armées de Louis XIV, où il acquit la
réputation d'être un des plus fçavans
hommes de fon art. * Toutes les recettes
& toutes fes formules font parvenuës à
fon petit-fils. I ofe fe flatter , que c'eſt
rendre un fervice important au Public
de lui rappeller le fouvenir des remédes
qui depuis près d'un fiécle jouiffent dans
l'Europe d'une grande célébrité.
1. Une liqueur très-éprouvée , pour la
guérifon entiere des fleurs blanches.
2. Une autre liqueur, contre les gonor-
Voyez dans le Mercure de Juin 1736 , fon
Eloge fait par M. Morand , dans une affemblée
publique de l'Académie royale de Chirurgie.
AVRIL 1760. 189
rhées les plus invétérées, & qui les guérit
radicalement.
Ce font deux des plus précieufes découvertes
qu'ait fait M. d'Alibout , pour le bien
de l'humanité. Il ignoroit moins que perfonne
que la plupart des femmes à Paris ,
dans le Royaume, & dans les Pays étrangers
, étoient fujettes à cette première
maladie ; & que la gonorrhée étoit commune
chez une infinité d'hommes . Ces
deux remédes , qui n'afferviffent à aucun
régime , font doux , agréables, & n'échauffent
jamais .
0
3. La fameufe Eau d'Alibout , qui
porte le nom de fon auteur il y a plus de
foixante ans. On fçait combien elle eft
excellente pour toutes fortes de plaies ,
bleffures , coups d'épée , de fabre , de tous
inftrumens tranchans , contondans & c .
4. Un Baume fouverain , pour la guérifon
parfaite des fiftules au fondement.
Ce fut encore un grand reméde que M.
d'Alibout imagina ; car quoique la Chirurgie
commençât de fon tems àbeaucoup
s'illuftrer , cependant elle n'étoit pas encore
pouffée au point de perfection où
elle eft aujourd'hui ; & on n'avoit pas
alors d'auffi habiles gens qu'on en a maintenant
pour cette opération , comme
pour toutes les autres les plus difficiles.
190 MERCURE DE FRANCE.
M. d'Alibout eut principalement en vue
les gens de la campagne, qui ayant la filtule,
périffoient faute de fecours.Combien
y en a - t-il encore qui font dans ce cas
là , ou qui craignent l'appareil de cette
opération ?
5.º Une liqueur très-éprouvée & trèséfficace
, contre la retention d'urine .
6.°Une poudre purgative pour.
les pauvres
, qui coûte cinq fols le. paquet &
qui produit de bons effets.
...On trouvera ces remédes dans le laboratoire
du fieur Jauffin , où il y aura toujours
quelqu'un pour répondre au Public.
On donnera auffi des imprimés , où feront
les ufages , les propriétés , & la manière
de fe fervir de ces compofitions , avec
leur prix , qui ne révoltera perfonne.
Le laboratoire du fieur Jauffin , eſt à
préfent grande rue du Fauxbourg S. Martin
, à l'enfeigne du Jardin des Plantes ,
dans la maiſon de M. Royer , Marchand
Epicier-Droguiste , qui a juftement mérité
la confiance du Public , & furtout
celle de MM. les Médecins & de tous
ceux qui exercent quelque partie de la
Médecine , par la grande connoiffance
qu'il a des plantes , & par le foin & l'éxactitude
avec lefquels il les cultive luimême.
AVRIL 1760 . 191
"
19
LefameuxFontenelle a dit autrefois ,dans
l'Eloge de M. de Tournefort : » la Botanique
ne feroit qu'une fimple curiofité , fi
elle ne fe rapportoit à la médecine ; &
quand on veut qu'elle foit utile , c'eſt
"la botanique de fon pays qu'on doit
» le plus cultiver. » Cette fage réfléxion
peut s'appliquer à M. Royer , chez qui
on trouve en tout temps un affortiment
complet & du meilleur choix de toutes
les plantes ufuelles dont on a befoin ,
fans courir les rifques d'être jamais trompé,
ni craindre que l'on donne un fimple
pour un autre , ce qui par malheur n'arrive
que trop fouvent dans ces taudis de
vils ignorans qui ont la témérité de vendre
des plantes qu'eux-mêmes ne connoillent
pas.
fo
Le fieur Royer en ouvrira un cours
public , le premier de Mai prochain. Il
prendra fix francs la premiere année , trois
livres la feconde , & le refte de la vie
fera gratis pour ceux qui auront payé ces
deux années là . Il donnera fes leçons à
toute heure du jour. Il prie de venir ſe
faire infcrire d'avance .
792 MERCURE DE FRANCE.
-
M.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
ONSIEUR ,
J'ai cru reconnoître , dans la lettre de
l'amateur de peinture , écrite à M. Dupont,
& que vous avez inférée dans votre
Mercure de ce mois , le goût & la bienfaifance
de M. le Cardinal de Luynes.
Les confeils qu'il donne à M. Dupont.
(avec lequel j'ai été lié par conformité de
goût , pendant fon féjour à Paris ) font
d'une jufteffe d'Attifte confommé ; &
quoique je ne m'adonne qu'à la miniature
, je me propofe de les mettre à
profit.
L'étude de la Nature eft , fans contredit
, la feule qui puiffe nous former : il
eft cependant bien fâcheux , de voir que
la façon dont on fait étudier les Eléves ,
foit fi contraire ; on les fait copier , eh ,
quels tableaux !
Les Eléves , dévoués à leurs Maîtres ,fe
trouvent trop heureux qu'ils veulent bien
leur confier leurs ouvrages. Il s'enfuit , de*
là , que la vue habituée aux teintes dont
ce
AVRIL. 1760. 193
ces Maîtres fe fervent , fe perfuade , &
voit dans la Nature même , ces défauts
comme des chofes qui ne peuvent être
mieux renduës que par la manoeuvre de
leurs Maîtres ; de là , ces reproches que
l'on fait aux autres d'être gris ou jaunes
, tandis qu'on eft blaffard , ou noir.
Les atteliers ne retentiffent aujourd'hui
que de teintes dorées, & l'on donne dans
le jaune ; & ainfi des autres défauts ,
fuivant
qu'on eft habitué à voir.
Il femble que le but , ne foit pas de
rendre la Nature ; mais d'atteindre , par
le moyen de couleurs vives & brillantes ,
à la repréfenter fauffe , mais agréable ..
On ne fera point furpris de ce vice ,
quand on fçaura que la palette de ces
Peintres eft toujours la même. Ils font
des teintes idéales, même en préfence de
la Nature ; & avec un peu d'attention ,
on décompoferoit une de leurs têtes ,
( pour ne pas dire toutes ) & on remettroit
aifément les teintes à la place qu'ellés
ont quittée fur la palette , en commençant
par les clairs, & finiffant par les
ombres .
Les Flamands ne font redevables de
leur admirable couleur, qu'à l'étude unique
de la Nature : le Titien & le Corrége
, l'ont copiée fervilement avant d'en-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
treprendre les chef- d'oeuvres qu'ils nous
ont laiffés.
Le Portrait , genre auquel les Flamans
fe font adonnés , les a tirés les premiers
du goût gothique où étoit la Peinture.
Lorfque l'on trouva l'huile , la plûpart
des Éléves Flamans , furpafferent leurs.
Maîtres en peu de temps ; & je vois
qu'il ont tous commencé par cette étude,
où l'on a toujours la Nature devant les
yeux ; & qu'il faut opérer fervilement ,
pour tendre à la perfection. Aujourd'hui
nos Eléves font des efquiffes , avant que
de fçavoir déffiner.
L'on me croira, peut- être , partiſan aveugle
des Flamans ? On auroir tort : je ne
le fuis que de la vérité. Ils ont de grands
défauts, mais ce n'eft pas dans cette partie
( la couleur ) & nous ne les connoiffons
Eléves que de la Nature . Ce feroit
donc eux qu'on devroit copier , comme
ayant approché de plus près ce grand
but mais pourquoi ne pas puifer tout
de fuite à la fource ? Eft -ce qu'il n'en
reviendroit pas plus de profit , pour a
Eléve , au bout de deux ans d'après nature
, qu'il n'en trouve après avoir pafié le
même temps à copier des tableaux qui
n'en approchent que très peu Nous verrions
des jeunes gens qui , s'ils ne fai
un
AVRIL 1760. 195
foient que la charge de la Nature ( pour
mettre les choſes au pis ) vaudroient toujours
mieux que d'être la charge de leurs
Maîtres.
›
C'est donc dans le temps où les idées
commencent à creufer leurs traces dans
notre cerveau qu'il est néceffaire de
donner de bons principes , & de profiter
de ce temps où les chofes font une impreffion
qui ne s'efface jamais , pour leur
faire voir le modéle qu'il faut imiter :
mais point du tout , on ne leur en montre
que des copies défectueufes. Les Maîtres
ne trouvent de bien, que ce qui approche
de leur manière ; & l'Eléve fait
fouvent, par obéiflance, des chofes contre
fa propre fenfation ; & l'indécifion leur
fait adopter des principes faux.
Les jeunes gens que l'on fait peindre ,
devroient fçavoir le deffein & la perfpecti
ve (*) à fond , & les autres études ana-
* Il me paroît qu'elle eſt très-négligée aujourd'hui
par les Peintres , excepté ceux d'Architecture.
C'est pourtant une partie ellentielle car
tout ce que l'on voit , eft en perſpective ; & de
l'ignorance de cette partie , viennent les fautes
grollières de figures trop grandes ou trop cours
tes dans une compofition , même le défaut de
la couleur locale dans les parties fuyantes ; car
il n'entre rien dans un tableau , qui n'en ſoit fufceptible
.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
logues à leur état ; ils feroient dans le
cas de porter leur plus forte attention fur
la partie de la couleur : & un Maître qui
verroit la Nature comme il faut , les
aideroit de fes leçons , & les avanceroit
plus qu'en leur faifant copier fes ouvra
ges , quoique bons.
Craindra- t-on que les Eléves ne tombent
dans les défauts des écoles Flamande
, Allemande & Hollandoife , qui ont
rendu la nature fans choix & avec fes
défauts Le Coftume & la manière de
deffiner , que nous étudions ; les Belles-
Lettres , l'Hiftoire & la Fable , qui nous
font familières , nous doivent ôter cette
crainte. Nos moeurs & netre éducation
ne peuvent fupporter l'expreffion baſſe
de leurs caractères ; mais auffi nous ne
pous laffons pas d'admirer leur magie :
l'étude de la Nature pourroit nous y conduire
; nous prenons un chemin oppofé.
Nous fommes pourtant perfuadés que ces
teintes , ce pinceau moelleux , cette fçayante
union dans leurs couleurs , cette
intelligence du clair- obfcur , & cette
harmonie , qui font un fi bel effet dans
les bambochades , en feroient plus admirables
dans un fujet noble. Cette fimplicité
que nous voyons dans leurs tableaux
, eft une preuve de leur étude de
AVRIL 1760. 197
la Nature , & uae vive image de leurs
moeurs : il ne leur manquoit , que d'avoir
l'efprit orné. Ils nous caufent cependant
un charme fenfible ( tant la vérité a de
pouvoir fur nos fens ! ) à côté même de nos
chef d'oeuvres ; & en admirant le génie
vaſte des uns, nous ne pouvons nous empêcher
d'applaudir à la vérité des autres .
Ce feroit une injuftice de croire, que la
fordidité des Maîtres , & l'occupation
qu'ils donnent aux Eléves , fût un empêchement
à leur progrès . Tout le monde
fçait que plufieurs de ces Meffieurs ne
prennent rien pour leurs peines , & que
les Eléves ne font occupés , dans les atteliers
, que de leurs études. Puifque c'eſt
donc l'honneur , & la générofité qui les
guident ; l'amour- propre , flatté d'avoir
fait des Eléves qui les égalent , ne devroit
pas les empêcher d'en inftruire qui puffent
les furpaffer. Si vous trouvez ceci
digne d'avoir place dans votre Mercure,
Monfieur , cela pourra peut- être engager
quelques Artiftes à faire fuivre uniquement
la Nature à leurs Eléves. Ils imite
ront en cela les Sculpteurs , de qui nous
voyons , dans toutes les expofitions du
Louvre , des chef- d'oeuvres digne de l'antiquité
, & par conféquent de tous les
fuffrages.
J'ai l'honneur d'être & c.
Par M. B ***
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
» LES
ע
GRAVURE.
ES TRAITS DE L'HIST. UNIVERSELLE ,
» facrée & prophane , d'après les plus
grands Peintres & les meilleurs Ecri
vains. Ouvrage deftiné , principale-
» ment , à l'éducation des jeunes gens ,
≫ propre auffi pour l'inftruction & l'amu-
" fement des perfonnes de tout âge & de
tout fexe qui veulent avoir des notions
» de l'Hiftoire. » Par M. le Maire , Gra-
22
"
veur .
Deux raifons nous engagent à revenir
fur cet ouvrage, annoncé dans le premier
volume de ce mois.
•
1º . Il nous a paru , que quelques per
fonnes n'en avoient pas une idée affez
jufte , pour en connoître tous les avan
tages . 2 °. Nous avons appris que des gens
mal intentionnés , répandoient le bruit
que l'Auteur l'avoit abandonné.Quelques
éclairciffemens , rempliront notre objer à
ces deux égards.
L'ouvrage , en queftion , fera divifé en
quatre Parties , qui comprendront l'Hif
toire facrée , l'Hiftoire poëtique , l'Hiftoire
ancienne , & l'Hiftoire moderne.
On a commencé , comme il étoit jufte &
AVRIL 1760 . 199
naturel , par la partie la plus importante,
qui eft l'Hiftoire facrée . Cette partie , eſt
compofée des feuls textes de l'Ecriture
fainte , repréfentés en latin & en françois.
Une Eftampe , d'environ deux pouces
& demi , fur trois pouces de largeur ,
offre d'abord le trait d'Hiftoire tel qu'il
a été compofé par quelque grand Maître;
& le fujet de cette Eftampe eft enfuite
expliqué par toutes les expreffions du
texte qui en contiennent les circonftances.
C'eft la méthode qu'on a fuivie dans
le précis de la Genèfe , qui confifte en
130 Eftampes , & qu'on obfervera dans
toutes les autres parties . On conçoit que
de cette manière l'inftruction commence
par les yeux , & s'achève par la lecture.
Le fieur le Maire , avoit d'abord pris le
parti de ne graver ces Eftampes qu'au fimple
trait , & toute la Genèfe eft exécutée
de cette façon. Mais , depuis , déférant aux
avis de plufieurs perfonnes qui ont paru
defirer quelque chofe de plus , il s'eft déterminé
à jetter dans fes fujets des ombres
légères , qui font un très - bon effet ;
& il s'eft chargé avec plaifir de cette augmentation
de travail ,fans augmenter le
prix de l'ouvrage . Toute l'Exode & les
Livres fuivans feront traités uniformément
ainfi.Le volume de la Genèfe , coûte
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
9 liv. 15 f. & chacun de ceux qui fuccéderont
, fera du même prix , fans aucune
variation . Cette entrepriſe n'eft donc
rien moins qu'abandonnée ou négligée ,
puifqu'au contraire elle fe continue avec
une nouvelle ardeur , & que l'on délivre
´actuellement les vingt premiers fujets de
l'Exode. Le fieur le Maire, a même depuis
peu , de grands motifs d'encouragement :
Son ouvrage eft maintenant dédié à Monfeigneur
le Duc DE BOURGOGNE ; & ce
Prince , à qui l'Auteur a eu l'honneur de
le préfenter , ainfi qu'aux autres Enfans
de France , daigne l'accueillir avec bonté.
Quelle circonstance plus capable de ranimer
l'émulation de l'Artifte , fi elle s'étoit
ralentie ! Ce qui peut avoir contribué à
donner quelque apparence au faux bruit
de l'interruption de cet ouvrage , c'eft
la perfonne chargée du choix & de
la rédaction des textes , a jugé à propos
( on ne fait trop pourquoi) d'annoncer publiquement
à Paris lui- même , & de faire
annoncer en Province , dans les différentes
affiches , qu'il avoit ceffé de s'en mêler.
On a cru,fur ce fondement, que l'Ouvrage
étoit interrompu . Mais qui peut
ignorer qu'à Paris , qui eft la Patrie des
gens de lettres , on ne manque point de
fecours ? Ainfi , le premier coopérateur a
que
AVRIL 1760 . 201
für le champ été remplacé par un autre ;
& à moins qu'on ne veuille fuppofer que
M. l'Abbé Aubert étoit feul capable du
travail qu'il avoit entrepris , l'ouvrage
en paffant dans d'autres mains ne peut
avoir rien perdu ; & l'on ne s'appercevra
point qu'il foit continué avec moins d'intelligence
ou de foin qu'il a été commencé.
La réputation des ouvrages , eft
quelquefois attachée aux noms ; mais ce
n'eft point dans le cas dont il s'agit. Nous
ne retracerons point ici ni l'utilité , ni
tous les agrémens que le Profpectus de
l'Ouvrage fait envifager dans cette belle
entreprife. Il nous fuffira de faire obferver
aux Curieux , que les Eftampes font
copiées , ou réduites , d'après ce qu'il y a
de mieux en ce genre ; & qu'on met ici à
contribution les travaux de Raphaël , du
Titien , de Paul Veronese , de Rubens , &
des grands Maîtres de toutes les Ecoles
qui ont traité quelques parties de l'Hif
toire facrée ou prophane.
Le fieur le Maire , vient de s'abonner
avec la Pofte , pour l'envoi de fon Ou
vrage. Les perfonnes de Province qui
voudront l'avoir recevront > , par an ,
2 volumes , ou 240 Eftampes , accompagnées
des textes . Il demeure à Paris , rue
S. Jean de Beauvais.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui defireront avoir cet Ouvrage,
à Paris , le recevront régulièrement tous
les mois , chez eux , moyennant 18 liv.
& les perfonnes de Province , le recevront
également , moyennant la fomme
de 21 liv.
MUSIQUE,
LA NAISSANCE DE VÉNUS , Cantatille
pour un defus, ou une haute- contre , avec
fymphonie , dédiée à Madame la Marquife
de Villiers - l'ifle - Adam , par M.
LÉGAT DE FURCY, Organiſte de S. Germain
le Vieux , Maître de Mufique & de Clavecin.
Prix liv. 16 f. Les Paroles font de
M. de Relongue de la Louptiere , de l'Académie
des Arcades de Rome , & c. Chez
l'Auteur , rue de Longpont , près Saint
Gervais , & aux adreffes ordinaires de
Mufique , où l'on trouvera les autres oeu¬
vres de l'Auteur.
Il doit donner,inceffamment,le RÉVEIL
D'ALCIDON , Cantatille pour un deffuss.
dédiée à Mlle de Fitz,james.
AVRIL. 1763. 203
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
LE Public attend , avec impatience, la Tragédie
deDardanus , de M. Rameau , que l'on prépare
la rentrée.
pour
COMEDIE FRANÇOISE.
LE LE Compliment ordinaire , de la Clôture , a
été prononcé par M. Blainville. Voici comme il
s'eft exprimé :
MESSIEURS ,
» Nous ne rappellerons pas à votre fouvenir
ni les bontés dont vous nous avez honorés cette
année , ni les efforts que nous avons faits pour
obtenir vos fuffrages , ni les nouveautés que
>> nous avons foumiles à vos lumières. Vous nous
» avez accoûtumés depuis longtemps à votre in
» dulgence. En cherchant à vous plaire , nous
»templiffons un devoir : les piéces nouvelles &
» les talens des différens fujets admis pour comtribuer
à vos amufemens , vous les avez jugés.
» Permettez -nous feulenient , Mellieurs , de
joindre nos acclamations à celles de toute la
» France , & de vous témoigner la fenfibilité
qu'excitera toujours cer empreffement géné
reux que vous avez fait éclater en faveur d'un „
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
১১
Heveu de Pierre Corneille . Il fembloit que l'âme
de ce grand homme animât tous les coeurs ,
» échauffât tous les efprits ; que fa préfence mê-
>> me , fi j'ofe le dire , frappât tous les regards ;
» & qu'il jouit encore de ce triomphe unique , ou
tous les Spectateurs , faifis de refpect & de vé-
> nération , le levoient devant lui , lorsqu'il ve
5 noit prendre fa place au Théâtre ! L'hommage
que vous avez rendu à ſa mémoire, eft une épo-
» que immortelle , également glorieuse pour ce
>> Père de la Scéne Françoiſe , & pour notre fiécle
. Vous avez bien voulu , Meffieurs nous
» tenir compte du zéle que nous avons montré
» dans cette occafion : c'eſt la feule récompenſe
» qui pouvoit nous flatter.
>
כ כ
ود
,
» Ce feroit trop vous demander, fans doute ,
que de vous prier d'encourager nos foibles
>> talens , comme vous daignez nous fçavoir gré
» de nos fentimens ; mais fi vous mefuriez vos
» bontés fur la délicateffe de votre goût , que
>> pourrois-je espérer en particulier , moi , Mef-
>> fieurs , qui n'ai jamais rien attendu que de votre
>> bienveillance ? »
Ce difcours a été univerfellement applaudi ;
& peut
être regardé , comme un nouveau monument
à la gloire du célèbre Pierre Corneille . Le
Public fera peut être bienaife d'apprendre ,
que c'eft M. Fréron qui a infpiré , au petit neveu
de ce grand homme , l'idée de demander cette
repréſentation , à laquelle les Comédiens ſe font
prêtés de fi bonne grace..
COMEDIE ITALIENNE.
Nous ne dirons rien du Compliment de la
clôture , attendu qu'il ne nous a pas été commu-
"
AVRIL 1760: 205
niqué. L'ouverture de ce Théâtre fe fera , dit-on ,
par une Comédie en un Acte & en vers , mêlée
de chant & de danſe , & ſuivie d'un Divertiſſement
, intitulée , la Rentrée des Spectacles .
OPERA - COMIQUE.
L'Opéra - Comique
a fait la clôture
de fon
Spectacle , le 29 Mars , veille du Dimanche des
Rameaux , par le Maître en Droit , Blaise le Savetier
, la parade de Gilles , garçon Peintre , rival
defon Maître , & le départ de l'Opéra- Comique ,
avec des Couplets fur l'air de la contredanfe des
Portraits à la mode , & fur l'air de Chantons latamini
, qui ont fervi de compliment , & ont fait
beaucoup de plaifir .
Le Public , fans entrer dans les fauffes jaloufies
contre ce Théâtre , a vû avec fatisfaction les efforts
continuels que les Directeurs & les Acteurs ont
faits , pour lui plaire , dans le courant de cette
foire. On ne peut que les louer de leur zèle , &
applaudir aux talens des principaux Acteurs .
CONCERT SPIRITUEL.
Ityaa eu Concert fpirituel , pendant toute la
Semaine fainte , & les Fêtes de Pâques. ·
Dans ces Concerts , on a donné les Motets de
M. Mondonville , ſuivans ,
Cali enarrant
Nifi Dominus ,
De profundis ,
Les fureurs de Saül ,
Regina cali ,
206 MERCURE DE FRANCE.
Laudate Dominum , Mote : d'Orgue.
Venite , exultemus ,
In exitu ,
Dominus regnavit,
Tous Moters à grands choeurs; & Paratum y
petit Motet.
Dans ces Moters, MM. Gelin , Larrivée , Defintis
, l'Abbé Joly , & Muguet , Mlles Fel , Lemiere ,
& Dubois , ont chanté feuls avec beaucoup d'applaudidemens
. On a admiré , furtout , un Duo de
Miles Fel & Lemiere , dans le dernier Motet à
grands choeurs de M. Mondonville .
Madame Mingotti , célèbre Cantatrice Italienne
, a chanté plufieurs airs Italiens ; & le Stabat ,
del Signor Pergolefe , avec le Signor Potenza .
On a rendu juftice au talent extraordinaire de
Mde Mingotti ; & l'on entend toujours avec
plaifir le Signor Potenza .
Il y a eu, en Motets nouveaux , les fuivans :
La conquête de Jericho , Moret François de
M: Davefne , dont les paroles font de M. le C. D.
S. Il a paru faire grand plaifir , au début.
Une Lamentation de Jérémie , à grands choeurs,
de D. Francifco Xavier Garcia.
Mile Dubois , a chanté , le jour de Pâques , un
petit Motet , qui a plû beaucoup , ainfi que
manière dont elle l'a chanté .
la
Mile Fel, a chanté auffi Regina cali , petit Motet
nouveau de M. Blainville , où elle a été fort
applaudie.
M. Gelin,a chanté de même un petit Motet noth
veau de M. Legat , dont l'exécution a fait beaucoup
de plaifir.
Il y a eu plufieurs fymphonies de clarinettes
& cors de chaffe , très bien exécutées.
Une , entr'autres , intitulée , la tempête fuivie
du calme , qui étoit déjà connue dans des fociéAVRIL.
1760. 207
tés particulières , où elle avoit fait beaucoup de
bruit.
M. Gaviniés , a joué plufieurs Concerto de fa
compofition. On admire toujours l'étonnante facilité
avec laquelle il exécute : rien n'eft difficile
pour lui. 11 varie fon fujet à l'infini , & paroît
toujours nouveau.
M. Piffet , a joué auffi des Concerto de fa.compofition
, que l'on a écouté avec le filence qui
marque la fatisfaction & le plaifir fecret des Auditeurs
.
M. Hochbrucker , Allemand , a joué plusieurs
fois de la harpe , & exécuté des piéces de fa compofition
. L'on a reconnu en lui un grand Praticien
de cet inftrument : fon jeu a d'abord excité
la furprife & l'admiration.On a defiré,feulement,
de l'entendre fur un inftrument plus fort ; & l'on
ne doute point qu'il ne faffe fentir , dans la fuite ,
toute la force , la majefté , & le brillant d'un
inftrument qu'on eft charmé de voir revivre
après tant de fiècles , & qui peut produire un
effe : admirable dans certains accompagnemens.
L'on doit des éloges aux trois perfonnes qui
conduisent le Concert. Les talens , l'art , & l'activité
de M. de Mondonville , en font l'âme. On
ne fe laffe point d'applaudir à fes Motets. Et l'on
iroit au Concert uniquement pour les entendre ,
parce qu'ils font toujours un plaifir nouveau. Le
défintéreffement & le zèle infatigable de les deux
Affociés , tendent toujours à donner d'excellens
Concerts , & à la plus grande fatisfaction du
Iublic.
208 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De PETERSBOURG , le 28 Février 1760.
N OTRE armée , qui eft fur le point de ſe
mettre en mouvement , eft forte de cent mille
hommes. Il y aura , de plus , un corps de trente
mille hommes dans le Royaume de Pruffe.
Le S de ce mois , on célébra l'anniverſaire de la
nailfance du grand Duc , qui eſt entré dans ſa
trente- troifiéme année.
De DANTZICK , le 10 Mars.
Le Feld -Maréchal Comte de Soltikoff , avant
que de partir pour Petersbourg , a fait faire une
épreuve des nouvelles piéces d'artillerie , de l'invention
du Comte Schwaloff. Le Comte de Fermer
,& plufieurs autres Officiers généraux , y ont
affifté. Ils font convenus , unanimement , que leur
effet eft fort fupérieur à celui de l'artillerie ordinaire.
Il y a apparence que l'armée Ruffe en fera
ufage cette campagne.
Le quartier général des troupes Ruffiennes ,
eft toujours à Marienwerder. Elles font dans
le meilleur état . Le Général Tottleben , a préfentement
fon quartier à Stolpe , d'où il continue
d'exiger des contributions de la Pomeranie Pruffienne.
De VIENNE , le 10 Mars.
Entre autres priviléges accordés à l'Ordre de
Marie-Thérefe, auquel leurs Majeftés Impériales
AVRIL. 1760 . 209
viennent de mettre la derniere main , la Croix
de cet Ordre donnera la Nobleffe héréditaire ,
avec le titre de Baron.
Le Maréchal de Daun , a toujours fon quartier
général à Pyrna. Il a pourvû a la fureté de Drefde
, par de nouvelles difpofitions . Le Général
Baron de Beck , conferve toujours fa pofition audelà
de l'Elbe . Il a environ feize mille hommes
fous les ordres.
L'armée deſtinée à agir en Siléfie , fous les
ordres du Baron de Laudon , continue de ſe raffembler
en Moravie. Ce Général eft préfentement
à Groff- Herlitz . .
On célébra , le 14 de Mars , dans cette Cour ,
L'anniverfaire de la naiffance de l'Archiduc Joféph
, qui eft entré dans fa vingtiéme année. On
travaille aux préparatifs de fon Mariage avec
l'Infante , Princeffe de Parme.
Le Feld Maréchal , Baron de Marshall , n'eft
point mort , comme on l'avoit publié . Il eft arrivé
dans cette Ville , où il a été bien reçu de leurs
Majeftés Impériales , & l'Empereur lui a conféré
le titre de Comte du Saint-Empire.
De DRESDE , le 12 Mars .
Les mouvemens qui fe font dans notre armée ,
& dans celle du Roi de Prufe , annoncent qu'elles
ne tarderont pas à fortir de leur inaction. Les
difpofitions du Maréchal de Daun , font croire
qu'il a deffein de faire de cette Ville fon entrepôt
général , &fa place d'armes. Il vient d'ordonner
de nouveaux ouvrages , & il a fait conſtruire à
Ubigau une nouvelle batterie , qui rend impraticable
l'avenue de Drefde par ce côté .
Al'approche du corps de troupes commandé
par le Prince de Lowenftein , les troupes Pruffiennes
ont évacué Gorlitz , dont ce Prince a pris
poffeffion , & elles fe font retirées à Lauban .
210 MERCURE DE FRANCE.
Le Général Fouquet , eft toujours pofté entre
Lignitz & Lowenberg. Il a établi un cordon de
troupes depuis Neifs jufques dans la Balle- Luface
, pour couvrir la Silésie .
De BERLIN , le 10 Mars.
Les forces de Sa Majesté feront divifées ,
comme les années précédentes , en trois armées.
La premiere, deftinée à faire tête aux Autrichiens ,
fera compofée de foixante - quatre bataillons , dont
il y en a quinze de Grenadiers , & de cent-fix eícadrons.
Le Roi la commandera. La feconde, fera
oppofée aux Ruffes ; elle fera forte de 44 batail
lons & de 52 efcadrons. Elle doit s'affembler aux
environs de Coflin . Le Prince Henri , dont la
fanté eft prèlque entierement rétablie , en aura
le commandement .
La troifiéme , fera tête aux Suédois dans la
Pomeranie. Elle fera compofée de vingt - trois
bataillons , & de quarante- cinq efcadrons. Sa
Majefté n'en a point encore nommé le Général.
Outre ces trois Armées , il y aura quelques autres
corps,que l'on portera où il fera néceffaire. Le plus
confiderable de ces corps , fera fous les ordres du
Général Fouquet.
On a appris depuis , que le 18 de ce mois , la
Cour étoit partie pour Magdebourg , conformé
ment aux ordres du Roi. Les Miniftres des affaires
étrangeres, l'y ont fuivie. Cette précaution , qui
annonce que le Brandebourg va devenir le théâ
tre de la guerre , infpire beaucoup d'inquiétude.
DE LEIPSICK , le 6 Mars.
>
Nos malheurs augmentent tous les jours , par
les contributions que le Roi de Pruffe exige de
nous. L'Electorat de Saxe , eft taxé à dix mille
hommes de recrues. Cette Ville , ainfi que celles
AVRIL. 1760. 211
de Torgau , de Wirtenberg , & les autres que les
Prufhiens occupent encore , font pleines de gens
enrôlés forcément . On les forme aux exercices
militaires. La moitié des forces du Roi de Prufſe,
eft compofée de ces nouveaux enrôlés.
DE HAMBOURG , le 20 Mars .
Les Suédois font des difpofitions pour commencer
la campagne. Ils marchent vers Swinemunde,
dans le deffein d'y prendre pofte . La Ville
d'Olnabruck n'a pas été exempte des violences
exercées contre tant d'autres , pour procurer des
recrues aux troupes Pruffiennes ou à celles des
Alliés. On écrit , de cette Ville , que vers le milieu
de ce mois , le Général Anglois qui l'occupe ,
fit battre l'allarme & affembler la garniſon . La
curioſité fit accourir dans la place une bourgeoisie
nombreufe ; elle fur tout-à- coup enveloppée par
la garnifon , qui enleva tous les hommes en état
de lervir.
De BAMBERG , le 19 Mars.
On apprend de Ratifbonne , que le 17 de ce
mois , la Diete a procédé à l'élection de deux
Feld -Maréchaux des Armées de l'Empire. Les
fuffrages le font réunis en faveur du Prince Frédéric
des Deux -Ponts , & du Prince Charles -Augufte
de Baile Dourlach ; l'un , pour les Etats Catholiques
, l'autre , pour les Etats Proteftans . La
Diete drefla enfuite fon Conclufum,pour être notifié
au Prince de la Tour - Taxis , Principal Commiflaire
de Sa Majesté Impériale.
De MADRID , le 18 Mars.
La Cour célébra , le 15 de ce mois , l'anniverfaire
de l'infant Don Philippe , Duc de Parme ,
qui eft entré dans fa quarante-unième année .
212 MERGURE DE FRANCE.
1
On continue les préparatifs ordonnés par le
Roi , pour rendre la Monarchie Efpagnole encore
plus refpectable que par le paffé . Nos forces de
terre confiftent en plus de cent dix mille hommes.
Nous aurons , ce Printemps , quarante- neuf vaiſ
feaux de ligne , armés & prêts à mettre en mer.
On preffe l'équipement de la flotte deſtinée pour
les Indes. On forme beaucoup de conjectures fur
l'objet de ces préparatifs . Mais dans les circonf
tances préfentes , ils peuvent n'en avoir d'autre
que de fe tenir prêt à tout événement .
De ROME , le 15 Mars.
Le Cardinal Colonna di Sciarra , préconifa , le
3 , la Coadjutorerie de l'Evêché de Strasbourg ,
pour l'Abbé Louis- René- Edouard de Rohan.
De LONDRES , le 20 Mars.
Les troupes deftinées pour l'Allemagne , s'em
barquent actuellement en différens ports du
Royaume. On les fait monter à vingt-un mille
cinq cens hommes. La grande flotte qu'on deftine
à agir contre les côtes de France , eft à la rade
de Spithead , prête à mettre à la voile . Elle attend
les troupes qui doivent s'y embarquer .
L'efcadre deftinée pour la mer Baltique , n'eft
pas encore formée. On affure , que les Puiffances
du Nord ont témoigné , qu'elles ne verroient pas
avec indifférence une efcadre Angloife dans cette
mer.
Le Confeil de guerre , chargé de l'affaire du
Lord Georges Sackeville , a été occupé , depuis
le 6 jufqu'au 12 , à entendre les témoins venus
d'Allemagne , pour dépofer contre lui . Les
fieurs de Vilingerode & de Derenthal , Adjudans
généraux du Prince Ferdinand , font les deuxpincipaux.
On dit qu'ils l'ont beaucoup chargé.
AVRIL. 1760. 215
Ce Seigneur a produit , le 15 & les jours fuivans
, les témoins qui lui font favorables. La
décifion de ce Procès ne fçauroit tarder.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée du bas-
Rhin , de Paris , &c.
De VERSAILLES le
, 3
Avril.
LE Roi a donné l'Abbaye de Signy , Ordre de
Citeaux , Diocèle de Rheinis , à l'Evêque Duc de
Laon , Ambaſſadeur Extraordinaire de Sa Majesté
à Rome.
L'Abbaye de Jumieges , Ordre de S. Benoît ,
Diocèle de Rouen , à l'Abbé de Lorraine , Grand
Doyen de Strasbourg.
L'Abbaye Régulière de Choquèz , Ordre de
S. Auguftin , Diocèle de S. Omer , à Dom Chavatte
, Religieux de la même Abbaye.
Et celle de Notre- Dame des Anges , Ordre de
S. Benoît , Diocèſe & Ville de Coutances , à la
Dame de Canouville , Religieufe à l'Abbaye de
S. Sauveur à Evreux .
Le Roi a nommé le Chevalier d'Argence , cidevant
Lieutenant Colonel dans la Légion Royale
, Meſtre de Camp , commandant le Régiment
de Beaufremont.
La place de Premier Préfident du Parlement
de Grenoble , vacante par la mort du fieur de
Piolenc , a été donnée, par Sa Majefté, au fieur de
Berulle , Intendant de Moulins ; & le fieur le
Nain , Maître des Requêtes , a été nommé à l'Intendance
de Moulins.
214 MERCURE DE FRANCE.
Le 19 Mars , la Ducheffe de Coffe fut préfentée
au Roi , à la Reine , & à la Famille Royale ,
& prit le tabouret chez la Reine.
Le 26 , la Duchefle de Charoft fut auffi préfentée
au Roi , à la Reine , & à la Famille Royale
, & prit le tabouret chez la Reine.
Le 29 , le Comte de Curé prêta ferment entre
les mains du Roi , pour la charge de Maître de
la garde-robe de Sa Majeſtć.
Le 2 de ce mois , le Roi tint le fceau.
De l'Armée du Bas-Rhin.
Tout est encore tranquille , dans nos quar
tiers. Le Maréchal de Broglie n'attend que
le
moment d'agir. La foire de Francfort le tiendra
cette année comme les précédentes , le Maréchal
ayant fait publier que les Négocians qui voudront
y venir , jouiront de toute liberté , & feront
en toute fureté .
Un Caporal du Régiment de Baroniay , qui
étoit envoyé en patrouille dans les environs de
Naumbourg , a trouvé le moyen d'entrer dans
cette Ville , & d'y enlever un bas Officier & fix
Cuiraffiers Prulliens du Régiment des Gardes ,
avec leurs chevaux Ces prifonniers ont
été conduits
au Prince de Stolberg, fans que la patrouilie
ait fait la moindre perte.
De PARIS , le 5 Avril.
On fit , le 22 du mois dernier , la proceffion.
qu'on a coutume de faire tous les ans , en mé
moire de la réduction de cette Capitale fous l'obéillance
de Henri IV. Le Duc de Luynes , Gouverneur
de Paris , ainsi que le Corps de Ville , y
affifterent.
Le 28 , le Pere Geoffroy , l'un des Profeffeurs
de Rhétorique du Collège de Louis - le - Grand,
AVRIL. 1760. 215.
prononça un difcours latin ,dans lequel il examina
fi un Auteur doit fe conformer au goût de foi fiécle,
ou s'il doit écrire pour lesfiècles à venir ? Le Clergé,
en Corps, honora l'allemblée de la préſence , ainfi
que plufieurs autres Prélats , le Prévôt des Marchands
, & divers Magiftrats.
Alion de Vandavachy dans l'Inde , du 30
Septembre 1759.
7
Du nombre des tués , font MM . de Fondat
de Gineftoux , & du Gouyon , tous deux Capitaines
de Grenadiers au Régiment de Lorraine.
Ce dernier avoit reçu deux bleffures au siége
de Madras , l'une au corps , & l'autre au travers
du poignet gauche ; il étoit frere du feur
du Gouyon , Lieutenant aux Gardes Françoiles ,
du fieur du Gouyon de l'Abbaye , Capitaine au
Régiment du Colonel Général Dragons , du Chevalier
du Gouyon , Capitaine au Régiment d'Enghyen
, bleflé à Hafteimbeck , du fieur du Gouyon
Garde de la Marine , & du feu Chevalier du
Gouyon , Lieutenant au Régiment de Lorraine , "
décédé dans la traversée dudit Régiment dans
l'Inde.
De MANHEIM.
Le 2 Février , jour de la Purification , l'Electeur
Palatin tint Chapitre de l'Ordre de S. Hubert ,
dans lequel le Chancelier de l'Ordre ayant préfenté
les formalités remplies par les Chevaliers
nommés le 2 Février 1759 ; Son Alteffe Electorale
conféra le Collier au Prince Jean- Charles
de Büchenfelds , Comte Palatin du Rhin , Louis
Prince de Naffau Saarbruch, Charles Hyacinthe ,
Prince de Galléan des Idarts , Emmanuel , Prince
héréditaire de Heffe Hothenbourg , Jérôme ,
Prince de Nadzivil , Michel , Prince Sapicha , &
Staniftas , Prince Jablonouski.
216 MERCURE DE FRANCE:
MARIAGE.
Meffire Vital-Augufte de Grégoire de Nozieres
, Colonel du Régiment de Flandres , Infanterie
, a épousé , le 17 du mois dernier , Demoifelle
Françoiſe-Marie Terray de Rozieres. La bénédiction
nuptiale leur a été donnée , dans la
Chapelle de la Bibliothèque du Roi , par l'Evêque
de Comminges. Leurs Majeftés, & la Famille
Royale, avoient figné leur Contrat de mariage le
15 du même mois.
MORT S.
Charles-Henri , Marquis de Maillé , ancien
Colonel du Régiment de Condé , Infanterie ,
Brigadier des Armées du Roi , mourut le 25 du
mois dernier , dans fon château de Jalelne en
Anjou , dans la 73. année de fon âge.
>
Henri-Ignace de Brancas , Evêque de Lizieux ,
Sous-Doyen des Evêques de France , Abbé Commendataire
des Abbayes de S. Gildas des Bois ,
Ordre de S. Benoît , Diocèle de Nantes , & de
Chambrefontaines , Ordre des Prémontrés , Diocèfe
de Meaux , eft mort , dans fon Diocèſe , le
premier de ce mois , âgé de 76 ans.
SUITE
AVRIL 1760. 217
SUITE de l'état de la Vaiffelle , portée
à la Monnoie de Paris.
Meffieurs
Du 31 Janvier 1760 .
de l'Abbaye de Royaumont , Ordre
de Citeaux , diocèfe de Beauvais .
Meldames de l'Abbaye du Parc- aux-
Dames.
MM. de l'Abbaye de la Charmois.
Du Février.
Le fieur Perville , Lieutenant des
Maréchaux de France.
Notre-Dame de Melun.
L'Abbaye de Perfiegne , Ordre de
Citeaux.
Du 4 Février.
Morgan de Fricour , Négociant
d'Amiens.
Madlle le Doux,
Du 6 Février.
Le Comte de Ligny.
Madame de Chavigny , Bourgeoife.
La Paroille de Juvily.
Madame la Marquife d'Aubeterre .
M. Perinet d'Orval , intéreffé dans
les fermes des poudres.
En or. I m . 4 onc, 51 18 d.
ᏓᏆ Vol.
m. o.
K
SI 27
10 I S
12 4
St 4
2322
26 4 6
102 2
564
146 4 4
5447
II 7
22 2
218 MERCURE DE FRANCE.
Du 7 Février.
Meffieurs
Mefdames de la Congrégation de
Provins.
Didelot , Directeur des Aydes à
Châlons en Champagne.
MM. du Chapitre de S. Marcel ,
le Vicomte de Sebourg , Maréchal
de Camp.
MM. de l'Abbaye de Jouy , filiation
de Pontigny.
Du 8 Février.
La Paroiffe de Chomery , près
Fontainebleau .
Les Dames Hofpitalieres de Saint
Nicolas de Melun.
•
Du 9 Février,
Fricau , Secrétaire du Roi.
Touroude , Maître Doreur.
Du 11 Février.
le Prieur de l'Hôtel- Dieu de Paris.
les Dames Bernardines de Provins,
les Religieux Cordeliers de Provins.
la Paroiffe de Chenoife .
la Fabrique de Champreneſt.
la Fabrique deBetonbafoche , Election
de Provins .
Dupeyron , Directeur de la Monnoie
de Paris .
les Dames Religieufes de l'Abbaye
des Clerets , au Perche.
le Chapitre de S. Nicolas, de Provins.
le Chapitre de S. Guiriace , de Provins.
m. 0.
g.
21 4
30 16
18
36 4
30 4
371
3
5847
5576
12 33
275
4 14
13 7 1
476
235
722
100 4
17 -7
245
29 2
AVRIL. 1760. 219
Meffieurs
Du 12 Février.
Delpeche de Mérainville , Confeiller
au Parlement.
les Jacobins de Provins.
Du 13 Février.
l'Abbaye Royale de Saint Louis , de
Poitli .
les Chanoines Réguliers de S. Antoine.
les Jéfuites , de Sens.
m . o. g.
50 4
1275
545 I
4
47 2
7
3 20
les Religieufes de S. Antoine , de Sens . 45
l'Abbaye de S. Pierre le Vif , de Sens.
les Religieufes Urfulines , de Sens.
la Paroiffe de Chaumont.
la Paroiffe de S. Maximien , de Sens.
la Paroiffe de Villenaux , la petite ,
Diocèle de Sens.
le grand Séminaire de Sens .
la Fabrique de Saint Thibaut , de la
ville de Joigny , Diocèse de Sens .
1156
4 2 4
72
344
20 7 6
1066
les Religieufes Urfulines d'Argenteuil . 23 23
Du 14 Février.
les Chartreux de Bourgfontaine.
Dagueffeau de Frefne.
les Dames Religieufes de Colinance ,
en Valois , Ordre de Fontévrault.
Du 15 Février.
Freffend , Juré honoraire Porteur de
Sel de l'Ecole Royale Militaire.
les Bénédictins de Marmoutiers.
les Bénédictins de S. Calais.
88 5
269
3262
652
21 2 3
525 5
J
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Du 16 Février.
l'Abbaye de Royal- Lieu , Diocèfe de
Soiffons.
l'Hôtel-Dieu de S. Nicolas de Compiégne.
les Dames Carmelites , de Compiégne,
les Jéfuites de Compiègne.
les Dames Bernardines de l'Abbaye
Royale du Tréfor , Ordre de Cîteaux
.
1
la Paroiffe d'Aney , Diocèle de Sens.
Du 18 Février.
m. o. g.
79
41 7 3
33 34
so
158 4
3 5
Bernier , Marchand.
17 2 I
Du 21 dudit.
Maître , Bourgeois de Paris. 2346
1
Du 22 dudit.
Chapus , Contrôleur de la Maiſon
du Roi.
l'Abbaye de Reconfort , Ordre de
Câteaux .
Madame la veuve.de Barry.
25 4
564
356
du Tillet , Brigadier des Armées du Roi . so 6
Gançau , Receveur des Tailles à
Bar-fur-Aube.
Les Dames Religieufes de Renard ,
974
Ordre de S Benoît , Dioc. de Meaux. 23 5 3
La Paroiffe de Grand- Pui , Diocèfe
de Sens.
Ledagre de Mardreau , Ecuyer.
4 1 2
2275
8
Les Bénédictins de S.Pierre Lemoutier . 85 2
Les Dames Urfulines de Poiffy.
AVRIL. 1760.
221
Meffieurs
Poncel , Sculpteur.
Du 27. Février.
m. 0. g.
133
Du 28 dudit.
le Marquis de la Chenaye , Grand-
Ecuyer tranchant .
Boucot , Receveur de la Ville .
Mulot , Huiffier au Châtelet.
Du 29 dudit.
le Marquis de Genty , Officier aux
Gardes.
Madame Plaflier , Bourgeoife de Paris ,
à Provins.
La Paroiffe de S. Pierre , de Provins.
Lallemand de Lévignan , Intendant
d'Alençon.
Du 10 Mars.
l'Abbaye Royale de Ste . Trinité , de
Caen.
l'Abbaye de Coulombs , Congrégation
de S. Maur , Diocèle de Chartres .
Du dudit.
Le petit Séminaire de Sens , Maiſon
de Chaulmes , en Brie.
Du 13 dudit.
l'Abbaye de Frémont , ordre de Citeaux
, Diocèfe de Beauvais .
l'Abbaye de Lompont , Ordre de Cîteaux
, Diocèfe de Soiffons .
de Cormainville , Maréchal de Camp.
82 I
173 26
64
142 2 4
2954
2 2
77 4 4
835
6072
517
33 7
2542
18 1 7"
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Du 14 Mars.
Madame de Vaſſe , veuve du Doyen
des Sécretaires du Roi.
Cardon , Subftitut de M. le Procureur
général , au Grand- Confeil.
Les Minimes de Compiègne.
Les Dames de la Congrégation de
Notre-Dame de Compiègne.
Les Cordeliers de Compiègne.
Les Dames de la Vifitation de
Compiegne.
Les Bénédictins de l'Abbaye de la
Couture , au Mans.
La Cathédrale de Seez.
Du 15 dudit.
La Paroiffe de Château -Regnard ,
Election de Montargis .
La Parciffe de Baune , Election de
Némours .
La Paroiffe de Malezerbes , Election
de Pithiviers.
La Paroiffe de Chamy , Election de
Joigny.
La Paroiffe de Saint Julien de Seau ,
Election de Joigny .
La Paroiffe de Vallery , Diocèfe de
Sens.
Hauteclaire , Ingénieur des ponts &
chauffées.
Les Doyen , Chanoines , & Chapitre
de l'Eglife Métropolitaine de Sens ,
en or , 73 m 5. onc . 6 g . 18 d.
Du 27 dudit.
La Paroiffe de S. Cyr , de Vimpelle ,
Diocèle de Sens .
TR . 0.
5855
6676
17 6 3
37 3 4
37 3 4
51 2
21 2 I
2553
15 15
13 6 1
67
45 I
763
54
1556
75
AVRIL 1760. 223
Du 18 Mars .
Les Religieufes de Fontaines , près
Meaux , Ordre de Fonteveaux.
Mile Germain , Bourgeoile de Paris.
Du 19 dudit.
Les Dames de la Congrégation de
Notre-Dame de Némours, Diocèfe
m. 0.8
95 3
9152
de Sens.
2876
Du 20 dudit.
Meffieurs
m. o. g.
Dupleffis , Bourgeois de Paris.
26 42
Catholiques , de Paris. 14 7 6
La Communauté des Nouvelles-
Du 21 dudit.
L'Abbaye de S. Michel , de la Ferté-
Milon.
I
Du 22 dudit.
L'Eglife & Fabrique de Saint Clair ,
de Souppe , Diocèle de Sens.
Du 24 dudit.
Binet de la Bretonnière , Fermier du
Roi.
de Villebois , Capitaine au Régiment
d'Apchon.
Madame de Vaffe. ( Second envoi. )
Du 26 dudit.
La Paroiffe de S. Gervais , de Paris .
L'Abbaye de Vauluifant , Ordre de
Citeaux , Diocèle de Sens.
2.
15 4
953
50 2
353 I
923
97 I 3
26 1 S.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE
Du 27 Mars
Meffieurs
Les Chanoines Réguliers de Sainte
Catherine , la Culture,
La Paroiffe de S. Landry , de Paris.
La Paroiffe de S. Paul , de Paris.
La Paroiffe de S. Jean en Grêve .
Du 28 dudit.
Mlle Angrand , Bourgeoife de Paris.
Les Dames Religieufes de la Vifitation
de Mélun.
Bronod , le Jeune , Notaire.
Les Urfulines de Montdidier , Diocèle
d'Amiens.
Du 31 dudit.
MM. Hachette , Notaire , & fon fils ,
Tréforier de France.
de la Salle , Receveur des Tailles à
Montargis.
L'Abbaye de S. Jean en Vallée , de
Chartres.
La Paroiffe & Fabrique de Logny , en
Perche , Diocèfe de Chartres.
Les Dames Religieufes Carmelites ,
de Chartres .
La Paroiffe de Saint Jacques de la
Boucherie , de Paris .
MM. les Marguilliers de la Fabrique
de Saint Jacques , de la Boucherie ,
pour la Confrérie du S. Sacrement.
m. o. g.
58
192
1596 1
ΙΘΙ 7 4
3574
17
6
$1 63
12 47
122 4
3128
13 5 4
422
4 4 3
7632
?
AVRIL. 1760. 225
MONNOIE DE RIO M.
Du 17 Décembre 1759 , au 31 Mars 1760 .
Meffieurs
de la Vilatel , Lieutenant des Maréchaux
de France.
du Tour , Corefpondant de l'Académie
Royale des Sciences .
m. o. g.
57 4
255
le Marquis de Chabannes , de la Paliffe. 54 4
Desbray , Receveur des Tailles de
Gannac .
Les Religieux Bénédictins de la Chaiſe-
Dieu.
Les Bénédictins de S. Allire , près
Clermont.
l'Evêque de S. Flour.
le Marquis de Villemont .
MM. de l'Oratoire de Clermont.
Les Jéfuites de Clermont.
Les Religieux de S. Geneft , Ordre des
Prémontrés.
Les Religieux de Montpeyroux .
MM. de l'Abbaye de Bouchet.
le Curé de S. Pourcain.
Les Réligieufes de Notre - Dame
de Riom .
Les Bénédictins de S. Pourcain .
MM . les Comtes de Brioude.
Du Jouhanel , Trélorier de France,
à Riom .
Elpinaffe , Receveur des Tailles à
Clermont.
Les Chanoines de Notre- Dame de
Marthuret , de Riom,
?
1932
6
305 2
191
72 4
44 3
16 I
5-
IL 3
12 f
10 3
4 7 4
93
83 4
257
32 2
1524
KY
226 MERCURE DE FRANCE
Mefsieurs
Suite de Riom.
Les Chanoines de Saint Amable , de
Riom .
Les Cordeliers de Riom .
Les Dames Religieufes de Sainte
Marie , de Riom .
MM . de l'Oratoire , de Riom .
m. o. g.
257
36 3
94
17 I
Les Religieufes Hofpitalières , de Riom . 14 4
De Lauriat , ancien Tréforier de France
à Riom .
Les Religieufes de l'Eclache , de Clermont.
>
le Baron d'Eveaux , de Moulins.
Chamfeu Lieuten . des Maréchaux de
France , a Moulins .
Les Chanoines de la Sainte Chapelle ,
de Riom .
le Marquis de Goutes , de Moulins ,
Capitaine de Vaiffeaux .
le Curé de S. Geneft , de Clermont.
Les Dames Carmelites , de Riom .
les Chanoines de Billom .
les Religieufes de Sainte Marie , de
Billom .
les Jéfuites , de Billom .
d'Avaux , Premier Préfident au Préfidial
de Riom.
du Corail , Brigad. des armées du Roi.
Demacholles , Chevalier de S. Louis ,
& ancien Capitaine de Dragons.
MM de Chapitre de Chamaliere.
les Bénédictins d'Iffoire . *
les Religieufes d'Efteil , Ordre de Fontevraux
.
les Bénédictines , de Billom..
36.5
16 2
36 6
18 5
4
85 14
20 S
16 64
24 3 4
II 4
10.2
237
8 I
204
754
4 2
24 5
246
AVRIL. 1760. 227
Meffieurs
Suite de Riom.
m. 0. g.
les Marguilliers de Saint Amable ,
de Riom .
les Religieufes Bénédictines de Clermont.
les Religieufes de Sainte Marie de
Clermont.
les Religieufes de Notre - Dame de
Gannat.
les Chanoines de Notre- Dame du Port,
de Clermont .
les Chanoines de Notre- Dame d'Aiguepene.
les Carmes anciens , de Clermont .
les Religieufes de la Vifitation , de
Notre- Dame de Montferrand.
MM. du Chapitre de Montferrand.
les Miffionnaires de Ballene , près
Gannat.
30 7
566
106
36
18 3
17 5 4
742
3 64
742
864
la Paroille de Montaigut, en Combraille. 12 5
les Dames Religieufes de Pontralier ,
près Gannat . 434
les Dames Urfulines , de Montferrand . 10 4 4
AVIS.
NOUVELLES EAUX DE PASSY.
M.
J
LEVEILLARD , Gentilhomme fervant
ordinaire du Roi , & propriétaire des Nouvelles
eaux minérales de Pafly , ayant appris que quelques
perfonnes ou mal inftruites , ou mal intentionnées
, faifoient courir fur les eaux des bruits
228 MERCURE DE FRANCE.
défavantageux , en les accufant d'être changées
de nature , & par conféquent dépourvues des
vertus qu'on leur avoit attribuées jufqu'à préfent ,
en les taxant même de factices , a cru qu'il devoit
prendre des mefures pour détruire , par une
preuve autentique , ces faufletés , & pour confirmer
le Public dans la confiance qu'il a eue juf
qu'à préfent dans fes eaux.
Pour cet effet , il a préfenté une requête à la
Faculté de Médecine , pour qu'il lui plût de nommer
des Commiflaires qui fiffent un nouvel examen
, & une nouvelle analyte des nouvelles eaux
de Paffy. La Faculté de Médecine lui , ayant acordé
fa demande , nomma l'été dernier , fix Docteurs
, qui furent MM. Mercy , Chomel , Vieillard
, Cofnier , Latier , & Delarivière , qui fe
tranfporterent à Pally avec M. Boyer , Doyen de
la Faculté : & après avoir fait mettre à fec les
fources , & en avoir examiné les environs avec
la plus févère attention ; ils emporterent des eaux
pour en faire l'analyfe , dans le laboratoire des
écoles . L'analyſe finie , après avoir afluré que les
e aux ne pouvoient être factices , tant à caufe de
lexamen qu'ils en avoient fait , que par ce qu'ils
croyoient impoffible de les contrefaire , ils expofent
leur analyfe,par laquelle ils ons trouvé exactement
les mêmes principes que M. Bolduc , il y a
trente ans , & concluent ainfi .
Par cette analyſe,& ces expériences , nous vous
avons démontré que les nouvelles eaux de Pally
renferment en el es mêmes un vrai vitriol de
mars , du fel de glauber naturel , du fel marin',
une terre alkaline , & de la felenite ; par conféquent
, c'est avec jufte raifon que ces eaux ont été
appellées , Nouvelles Eaux minérales ferrugineufes
de Paffy que par la connoiffance que tout Médecin
doit avoir des effets que produisent ces
AVRIL 1760 . 229
différentes matières unies & combinées enfemble,
elles peuvent & doivent être très - utiles dans les
maladies chroniques & d'obftruction , toutes les
fois qu'il s'agira de lever les embarras caufés par
l'épaiffiffement des liqueurs & la diminution du
reffort des folides ; & qu'enfin ces eaux doivent
être regardées comme un remède d'autant plus
falutaire , qu'il eft donné des mains de la fimple
nature.
Mais comme la Faculté , Meffieurs , nous a
moins chargés de nous affurer de la nature des
nouvelles eaux de Paffy , des principes qui les
compofent , & des vertus qui leur font propres ,
que d'examiner avec la derniere attention , fi les
bruits qui fe font répandus de fources éteintes ,
de principes dénaturés , & dé vertus détruites ,
font fondés en raiſon ; pour remplir l'étendue de
notre Miffion , nous n'hésiterons pas à vous confirmer
, que les defcentes que nous avons faites
fur les lieux le fond des baffins , que nous avons
fait mettre à fec , & fouillé à différentes repriſes
les plus petits coins & recoins qui n'ont point
échappés à nos recherches , les eaux que nous
avons vû ruiffeler en abondance & de plufieurs
endroits , leur limpidité & leur faveur , le caractère
de la nature qui s'eft manifefté partout , &
enfin notre analyfe & nos expériences , doivent
'convaincre tout efprit raisonnable , qu'actuellement
aux nouvelles eaux minérales de Paffy , les
eaux y coulent de la même manière qu'en 1720 ,
que la Faculté s'y tranfporta pour la premiere
fois , & en quantité plus que fuffifante pour fournir
aux befoins des Citoyens ; que leur nature & la
combinaiſon de leurs différens principes n'étant
point changés , il eft impoffible que leurs vertus
médicinales foient détruites ; & que les bruits dé
Lavantageux qui fe font répandus au fujet defdites
230 MERCURE DE FRANCE.
eaux , ne peuvent partir que de la prévention ou
de l'ignorance.
Nous concluons donc , Meffieurs , en finiffant
notre rapport , que fi la Faculté n'a pas héfité
en 1720, pour le bien & l'utilité publique , de mettre
en crédit , par fon approbation, des eaux qui
n'avoient pas encore l'attache & le fceau de l'expérience
confirmée , elle doit aujourd'hui, par un
decret autentique, affermir les Citoyens dans la
confiance qui eft due aux mêmes eaux , fur l'utilité
defquelles 40 années d'ufage & d'effers falutaires,
fous les yeux des Médecins, ne permettent
pas de former aucun doute.
DECRET DE LA FACULTÉ,
La Faculté a jugé, que les nouvelles eaux minérales
de Paffy font aujourd'hui dans le même
état où elles étoient en 1720 , & qu'elles n'ont
rien perdu de leurs anciennes qualités ; que les
bruits de fources éteintes , de principes dénaturés,
& de vertus détruites , qui ont été femés dans
Paris ,font l'ouvrage de la prévention & de l'ignorance
, & que lefdites eaux ne peuvent que continuer
à être très- utiles dans les maladies d'embarras
& d'obftruction , caufées par l'épaiffiffement
des liqueurs , & la diminution du reffort des
folides.
On continuera , comme on a fait juſques à préfent
, de délivrer gratis, à Paffy , des eaux pour les
Malades qui font hors d'état de les payer, pourvû
qu'ils ayent un billet du Médecin , ou du Chirur
gien , ou du Curé de leur Paroiffe , qui conſtate la
maladie, & l'indigence de celui qui demande des
eaux,
Les eaux épurées de Paffy , qui ne font autre
choſe que celles des fources qui ont déposé leur
AVRIL. 1760 . 231
mars dans de grands vales où elles ont féjourné
longtemps , fe tranfportent partout , & fe confervent
toujours , pourvû qu'on ne les bouche pas ,
& qu'on fe contente de les couvrir d'une patte de
verre , ou d'un fimple papier.
Les eaux de la premiere & feconde fource , peuvent
aufli fe tranfporter , pourvû qu'elles ne foient
pas trop expofées au Soleil , & qu'elles foient
bien bouchées : elles fe confervent quatre à cinq
mois ; avantage que n'ont point les autres eaux
ferrugineufes dans lefquelles apparemment le
mars n'eft pas fi intimement uni avec les autres
principes qui les conftituent.
Les perfonnes qui ont befoin d'eau , font prices
de mettre par écrit de quelle forte ils en veulent ,
attendu que les Commiffionnaires fe trompent
fouvent , & prennent des eaux épurées pour des
eaux de la fource ; ou des eaux de la fource, pour
des eaux épurées.
NOUVEAU PLAN de lafeconde Loterie de la
Souveraineté DE BOUILLON ; quife tirera en un
feuljour, le 4 Juin 1760 , au Château de Bouillon
, en préfence des Commiffaires nommés par
Son Alteffe.
On trouvera des Bureaux , pour la diftribution
des Billets , dans toutes les principales Villes du
Royaume.
SCAVOIR,
A Bouillon , chez M. Barthelmy , Receveur
général des Domaines de Son Alteffe .
A Paris , M. Liégeard , à l'Hôtel de Longueville,
à la Manufacture du Tabac , rue S. Thomas
du Louvre.
A Marfeille , M. Collé , Entrepofeur du Tabac .
232 MERCURE DE FRANCE.
A Amiens , M. Dumoulin , Négociant .
A Lyon , M. Gilbaut , Entrepofeur du Tabac.
Au Havre , M. Rique , idem.
A Rouen ,M. Chartreux , dans les Ferines du Roi
A Montpellier , M. Dupuis , Entrepofeur du
Tabac.
A Dijon , M. Pecinće , idem .
A Dieppe , M. Poffe , au Bureau des Aydes.
A Bordeaux , M. Bardon , Négociant.
A Troyes , M. Noel , Entrepofeur du Tabac.
Ala Rochelle , M Jay , idem.)
A Touloufe , M. Picot , idem..
A Lille , M. Delogny , Directeur des Fermes.
A Nancy , M. Dupont , Entrepofeur du Tabac.
A Metz , M. Pafquier , idem .
A Luneville, M. Febré, au Bureau des Archives
du Roi de Pologne.
Quant aux Villes où il n'y aura point de Bu
reaux , pour la diftribution des Billets , on s'adrefà
M. Liégeard , à l'Hôtel de Longueville , à la
Manufacture du Tabac , rue S.Thomas du Louvre ,
en affranchiffant les Lettres.
Tous les lots qui échérront à Paris , feront payés
chez M. Dupré le jeune , Notaire , Receveur géné
de ladite Loterie , demeurant , rue Bar -du - Bec ,
vis-à-vis celle de Saint Avoye.
Il y a des Billets , dans ladite Loterie , à dix prix
différens: fçavoir ; à 3 , 5 , 6 , 10 , 12 , 15, 24, 30,
48 , 72 livres.
*
AVRIL. 1760. 235
LETTRE de M. MORAND , à M. FRERON ,
fur le Reméde contre la Goutte, de M. CHAVY -
DE MONGERBET , dans l'Année Littéraire de
Janvier 1760 .
JE vous avoue , Monfieur , qu'en lifant le Mémoire
de M. Chavy de Mongerbet , Médecin à
Bourg en Breffe , fur la Goutte , je nefus pas plus
perfuadé que vous : mais ce Médecin eft venu à Paris;
& plufieurs goutteux , entr'autres un très grand
Seigneur, ayant pris fes remédes ; j'ai eu des témoignages
très avantageux de leur effet , de lapart
de ces perfonnes fi intéressées à dire la vérité. Le
principal confifle en une ptifane que j'ai goûtée ,
qui n'eft point défagréable à prendre , & dont M. de
Mongerbet m'a très-honnêtement confié la compofi
tion . Je puis donc certifier, qu'il n'y a rien dans cette
ptifane qui doive en faire craindre l'ufage . Il n'y
entre aucune préparation tirée des minéraux ; elle
eft compofée dufuc de beaucoup de plantes , affezfinn
gulièrement afforties . ....
J'ai l'honneur d'être , & c . MORAnd .
Suite de la Feuille .
Après ce témoignage , il n'eft pas poffible ,
Monfieur , de douter des bons effets de la Ptifane
de M. de Mongerbet. M. Morand n'eſt pas le feul
à qui il ait donné la connoiffance de fon reméde :
ill'a auffi communiqué à M. Peſtalozzi , Médecin
de Lyon , très-célèbre & très- habile dans fon Art..
Ce procédé de M. Mongerbet , prouve qu'il agic
de bonne foi , & qu'il eft perfuadé que fa recette
procure des foulagemens réels. M. de Mongerbet
ne doit point être confondu avec les
234 MERCURE DE FRANCE.
Empyriques , qui inondent le Public de promeft
fes qui ne font éfficaces que pour eux . C'eſt un
Médecin qui a communiqué fa recette à d'habiles
perfonnes de l'Art , qui affurent qu'on peut s'en
fervir avec fruit ; ce que fes effets falutaires prouvent
encore mieux que leurs témoignages
quoiqu'ils foient d'une très-grande autorité.
>
LETTRE de M. CHAVY DE MONGERBET ,
Docteur en Médecine , à préſent à l'Hôtel de
Châtillon , rue de Tournon , à Paris, à Methieurs
les Goutteux .
MESSIEU
E SIEURS , j'ai voulu diffiper vos préju
gés , & vous être réellement utile , en confiant la
compofition de mon Reméde au célèbre M. Morand,
Chirurgien du Collège de Paris , Docteur en Méde
cine , Secrétaire perpétuel de l'Académie de Chirur
gie , Membre de l'Académie des Sciences de Paris ,
& de plufieurs autres de l'Europe ; & à M. Peſtalozzi
, Médecin de Lyon , très-diftingué , & précédemment
celui de fon Eminence Mgr le Cardinal de
Tencin , Archevêque de Lyon . Jefouhaite que vous
recherchiez , dans mon travail & mes découvertes ,
les foulagemens que vous devez en attendre , & que
mes progrès far de très-grands Seigneurs , me mettent
en droit de vous annoncer. Ceffez d'être les triftes
victimes de vos préjugés , & jouiffez des fruits que
mes foibles lumières peuvent vous procurer : en attendant
un temps plus heureux , où quelque Mé
decin beaucoup plus éclairé pourra vous propofet
une cure radicale , profitez des douceurs que vous
pourrez trouver dans l'ufage de ma Ptifane , qui
n'eft formée que de Simples , que j'envoye en pou
die , & dont chaque prife forme une bouteille , con
AVRIL. 1760 .. 235
formément à mon Ordonnance imprimée . Vous trouverez
le tout chez mes Correfpondans , qui auront
foin de l'annoncer, pour la commodité des differentes
Provinces . Ce Reméde , d'un goût agréable , n'agit
que par l'infenfible tranfpiration & les urines , routes
ordinaires de la Nature , qui n'expofe jamais à
aucun danger , & qui tend à purifier le fangpeu à
peu. Meffieurs , me fera-t-il permis d'infifierfur le
régime que je prefcris dans mon Ordonnance ? il intereffe
votre fanté ; il eft de conféquence pour les
progrès de mon Reméde ; & une conduite oppofée
deviendroit funefte à une infinité de vos Confrères ,
qui , comme vous , effuyent des tourmens affreux ,
& n'attendent que les fuccès pour y avoir recours.
Meffieurs , jufqu'à ce jour, l'on a exigé de mon Reméde
des qualités prèfque miraculeufes , & l'on a
prétendu qu'il devoit agir également fur des perfonnes
dont le tempérament ufe , & les differentes complications
de maux , paroiffoient ne les plus rendre
fufceptibles d'aucun foulagement. Je vous prends
pour mes Juges, & je me flatte que la Médecine ,
dont j'ai eu l'honneur d'être un Membre , me renira
la justice qu'elle accorde à tous ceux qui ont d'oit
de l'attendre , & qui agiſſent de bonne foi & en faveur
de l'Humanité . J'ai l'honneur d'être , &c.
CHAVY DE MONGERBET , D. M.
Le prix commun pour chaque bouteille de ma
ptifane , eft de ; liv . Les Seigneurs & autres
perfonnes à qui je donnerai mes foins particu
liers pendant l'année , proportionneront mes
honoraires à mes fervices , & c . Je laiffe au rebur
les Lettres qui ne font pas affranchies ; mes correfpondans
feront de même. J'ai oublié de dire
dans mon Ordonnance , que je reçois des Lettres
de plufieurs Goutteux qui me marquent que le
lair , ou les affoiblit, ou s'aigrit , quoiqu'il ait bien
236 MERCURE DE FRANCE.
paffé pendant plufieurs mois , &c. Je ne le regarde
point avec indifférence , & je n'en confeille
l'ufage , que quand on aura fait attention à fon
tempérament , à la qualité de l'air , & au genre
de vie que l'on obferve.
EAU des Sultanes .
Le fieur Garrot , qui poffède feul le fecret de
la véritable Eau des Sultanes de feu M. Richard
de Marolles , demeure actuellement , rue des
Deux - Ponts , Iſle S. Louis , entre un Papetier &
un Chaircuitier , au premier : fon tableau eft fur
porte.
la
Cette Eau a toutes fortes de bonnes qualités
pour fortifier & embellir la peau : Elle éclaircit le
tein , même celui des hommes , brûlé du Soleil,
Il ne faut qu'imbiber un petit linge fin ou une
éponge avec cette Eau , & s'en étuver , pour fe
trouver rafraîchi & en fentir l'effet . On l'employe
avec fuccès dans les bains de fanté & de propreté.
Elle efface les taches de rouffeur & les rougeurs de
la petite vérole . Le fieur Garrot débite auffi une
eau qui eft très -bonne pour les yeux ; il en a des
rouleaux à Is f. La bouteille eft de 6 liv. Le flacon
d'eau des Sultanes eft de 6 liv . Le demi flacon
, de 3 liv.
Il prie les perfonnes qui lui écriront , d'affran
chir leurs lettres.
SAVONNETTES.
Le fieur FERRON , Marchand à Paris , demeurant
Enclos de l'Abbaye S. Germain des Prés , en
entrant par la rue du Colombier , à l'Enfeigne de
S. Nicolas ; a l'honneur de faire part au Public
qu'il pofféde feul le fecret de faire des Savonnettes
légères de pure crême de Savon , qui durent
plus que les lourdes , & ne fe mettent point en
pouliere ou en bouillie dans le baffin. Il eft le
AVRIL. 1760 . 237
feul poffeffeur dudit fecret , de la Veuve Simon
Bailly , que l'on a fait paffer pour morte . Ceux
qui voudront s'affurer du contraire , pourront
s'adreffer à elle-même , en fa maifon , rue du
Petit- Lion, vis-à- vis la rue Françoife ; chez laquel
le ledit Ferron a travaillé longtemps pour le perfectionner
dans ledit fecret . Ledit fieur vend auffi
des pains de pâte graffe incorruptible de fines
odeurs pour les mains , d'une bonté finguliere.
Le Public étant trompé tous les jours par
des
favonnettes conrefaites , qui , loin d'être utiles &
agréables , fe mettent en pouffiere ou en bouillie
dans le baffin , & ne font que gâter & tacher le
linge ; ledit fieur , pour y remédier , continue de
mettre le nom de Bailly fur chaque favonnette,
Les prix font toujours les mêmes , & l'on trou
vera chez le fieur Ferron , les mêmes facilités
qu'avoit ladite veuve Bally.
ELIXIR de Garrus.
La réputation que le véritable Elixir 'de Garrus
s'eft acquife , en multiplie tous les jours les
contrefactions . Plufieurs Epiciers , de Paris &
d'ailleurs , & même plufieurs autres perfonnes ,
débitent , fous ce titre , des Liqueurs qui n'ont de
cominun avec ce remède , que le nom , dont ils
ont la faufleté de les honorer . Pour être , à cet
égard , à l'abri de toute furprife , il faut s'adreffer
directement au fieur Defnoues , Chirurgien ,
demeurant même appartement , depuis 32 ans
chez M. Dulion , Notaire, rue Dauphine . Lui feul
compofe & débite à préfent cet Elixir , ainfi que
le compofoit , avant lui pour Mademoiſelle Garrus
, le feu fieur Léné , dont il eft à cet égard
l'unique ceffionnaire & fucceffeur. On prie d'affranchir
les Lettres. Il donne un mémoire inf
tru&if & figné de ſa main , DESNOues.
238 MERCURE DE FRANCE.
APPROBATION.
'A1 lu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond Mercure du mois d'Avril 1760 , & jen'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris, ce 14 Avril 1760. GUIROY .
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
SUUIITTEE des Lettres & Mémoires de Mlle de
Gondreville , & du Comte de S. Fargeol .Pag.
Songe.
Epître.
& fuiv.
A Mlle Leclerc , de la Comédie Italienne, en
lui envoyant des fleurs.
L'Amour défarmé , Ode Anacréontique .
Vers à l'occaſion des Prix que M. de Fontette
Intendant de la Généralité de Caën a fait
propofer par l'Académie de cette Ville .
Enigmes,
Logogryphes.
Logogryphus.
Abfence , Air à Mlle Col ...
62
65
69
70
73
76 &77
78877
80
ibid.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Suite de l'Extrait du Poëme de l'Art depeindre
, de M. Wareler.
Effai fur l'Empire des Incas , Traduction de
M. Algarotti.
81
92
AVRIL. 1760 . 239
A l'Auteur du Mercure , fur la véritable époque
de la Croifade de 1363 , relativement
au Tableau des anciens Ménages , inféré
dans le Mercure de Février 1760 .
Extrait d'une Paftorale intitulée , Le Prix de
la Beauté , ou les Couronnes &c.
Annonce des Livres nouveaux .
110
128
136 & fuiv•
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
Affemblée publique de la Société des Sciences
& Belles - Lettres , d'Auxerre.
Société Littéraire , de Châlons fur Marne.
ASTRONOMIE.
Gnomique - pratique.
GÉOMÉTRIE .
145
147.
153
Traité analytique , des Sections coniques &c. 157
MÉDECINE.
Tableau des maladies , de Lommius .
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
Addition à la feconde Lettre de M. de la
Condamine , à M. Daniel Bernoulli.
CHIRURGIE ,
Lettre de M. Ferrand , Maître ès- Arts en
l'Univerfité de Paris &c. à M.Vandermonde
, Docteur- Régent de la Faculté de Médecine
, en la même Univerfité & c .
Avis important au Public, touchant plufieurs
remédes particuliers.
161
170
180
187
240 MERCURE DE FRANCE
ARTS AGRÉABLES.
Peinture.
Gravure .
Muſique.
ART . V. SPECTACLES.
Opéra.
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
Opéra- Comique .
Concert Spirituel.
ART. VI . Nouvelles Politiques.
Mariage & Morts .
Suite de la vaiffelle portée à la Monnoie de
Paris.
Et à la Monnoie de Riom .
'Avis.
192
198
202
203
ibid.
204
205
ibid.
208
216
217
225
227
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à- vis la Comédie Françoiſe .
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
MA I.
1760 .
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Coshin
Files inv
Pry Sculp 1715.
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
( CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Rois
AVERTISSEMENT.
LE
,
E Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement
Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer, francs
de port ,
Les paquets & lettres , pour remettre,
quant à la partie littéraire
M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abon
nant , que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou quiprendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deſſus.
A ij
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
Leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M,
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
MA I. 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
PORTRAIT de Mlle B ***
LE naturel le plus charmant ,
De la douceur, de la décence
La fineffe du fentiment ,
Les attributs de l'innocence ,
Un efprit délicat & vif ,
Une figure enchanterelle ,
Un coeur droit , fincère , & naïf ,
Tout le brillant de la jeuneffe ,
Le fon de voix le plus touchant ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
. 5.
Des vertus l'affemblage aimable ,
Le maintien le plus engageant ,
Bonne , modefte , raiſonnable :
Peut-on méconnoître , à ces traits ,
Celle que j'aime pour jamais ?
Le cortége des Grâces ,
Accompagne fes pas ,...
L'amour eft fur les traces ;
C
Vénus eût moins d'appas .
Elle abhorre la fatyre ;
Plaint autrui , fans le blâmer ;
N'écoute que pour s'inftruire ;
N'eft faite , que pour charmer.
En la voyant , on foupire ;
En l'écoutant , on l'admire :
Un regard de fes beaux yeux ,
Semble vous ouvrir les Cieux.
Oui , je l'aime , je l'adore
Oui , je fais plus encore !
J'ofe prétendre à fon coeur :
Sans elle , il n'eft pour moi ni plaifir , ni bonheur.
Par M. D. Mont... Capitaine au Régiment
de Breffe , Abonné au Mercure.
A S. Martin de Ré , le 31 Mars 1760.
རྩྭ་ འི་
MAI. 1760.
MADAMES
Je vais vous paroître le plus ridicule
de tous les hommes , quand vous fçaurez
que j'ai difpofé de vous comme d'une
maifon dont je ferois propriétaire en
un mot , je vous ai louée . Avant de vous
mettre en courroux , fâchez quels font
les hôtes que je vous ai donnés .
Ces jours paffés , dans un bois écarté ,
Où je vais quelquefois rêver à mes difgrâces ,
Je trouvai la Vertu , Miverve & les trois Grâces ,
Conduites par la Vérité .
Ce fpectacle , excita ma curioſité ;
Je volai fur leurs traces.
Infte Cial eft ca wove
THE WILL queje vois dans ces lieux?
Dis-je , en parlant à la Déeffe :
( Car nous autres , gens du Permeffe ,
Nous parlons librement aux Dieux. )
Oui, c'est moi , dit Pallas : le Souverain des Cieux,
Nous envoye à Paris infpirer la fageffe ,
Et corriger les hommes vicieux .
Dans ce projet , tu peux nous être utile :
Depuis longtemps j'ai quitté cette ville .
Je ne m'y connois plus ; je crains de m'égarer :
Indique-nous un domicile ,
Où toutes nous puifions enfemble demeurer.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'ai votre affaire en main , répondis - je fur l'heure
Vous connoiffez la charmante ***
Chez elle , croyez- moi , fixez votre demeure :
Pour vous bien recevoir , toat eſt bien diſpoſé.
Dans fon cerveau , Minerve & la Science ,
Auront un bel appartement ;
Elles y trouveront gens de leur connoiffance ,
La Mémoire & le Jugement.
De la Vertu , fon coeur fera le Temple :
C'est là que tous les Mortels ,
Animés par fon exemple ,
Viendront lui dreffer des Autels.
Pour vous , la Vérité , j'ai marqué votre place ;
Dans fon aimable bouche ; elle eft formée exprès,
Pour vous donner une nouvelle grâce ,
Et faire mieux fentir vos traits.
Les Grâces auront lieu de louer leur fortune ,
Car de la tête aux pieds elles pourront choisir
Et pour le loger à loifir ,
Elles rencontreront mille niches pour une.
La Déeffe fut fatisfaite de ce détail ;
quoique très - fuccint. Elle m'a ordonné
de paffer le bail.
Belle... j'ai fait le bail à vie ;
Et je me ſuis même engagé ,
Qu'il ne vous prendroit point envie
De leur donner fitôt congé.
MAI. 1760. 9
DAPHNÉ ET CORIDON ,
EGLO GUE.
CORIDON àDAPHNÉ , confidérant une rofe.
DAPHNE, APHNE , que cette rofe eft brillante &
vermeille !
Des autres fleurs , c'eft la merveille :
Tu vois , de tes attraits , le fidèle tableau.
Aing , parmi les beautés du hameau ,
Ma Daphné n'a point de pareille !
DAPHNÉ.
Toujours des complimens ? Ce langage nouveau ,
Je te l'ai déjà dit , offenfe mon oreille .
CORIDON.
Ne fçauroit-on , fans te fâcher ,
Vanter cette roſe naiſſante ?
Et toutes deux , vous rapprocher
Dans un éloge vrai , que tu viens m'arracher ?...
C'est le coeur feul qui loue une beauté touchante :
La fille du Matin , Daphné , t'eſt reſſemblante .
Cette rofe , avec toi , me femble partager
Ce coloris , qui n'eft point menfonger ,
Cet incarnat qui nous enchante.
C'eft la même fraîcheur : admire ce carmin ;
Comme elle s'embélit !Comme elle ouvre fon fein!
Elle feroit moins féduifante ,
A v
10 MERCURE
DE FRANCE
.
Si de fon aîle careffante ,
Zéphir ne la ranimoit pas.
A fon Amant , elle doit fes appas.
Que dis-tu ?
DAPHNÉ.
CORIDON.
Daphné , de la roſe ,
Non , tu ne fçais pas , je le vois ,
La célèbre métamorphofe...
Cette fleur étoit autrefois
Une bergère jeune , agréable , charmante ;
Ton image , en un mot , comme toi raviſſante :
Elle avoit auffi ta fierté ,
Cette hauteur indifférente
Que produit la vanité ,
Se complaifoit en fa beauté ,
De fes amans foumis , rejettoit les hommages
Zéphir , le plus fidèle , & le plus maltraité
Effuyoit d'éternels outrages.
L'Amour, juftement irrité ,
En roſe change la Bergère ; .
I
Zéphire , au même inſtant , amant tendre &
fincere ,
Dépouille de l'humanité.
La ſubſtance lourde & groffière.
Surpris de fon agilité ,
1 s'élève , & bientôt avec légéreté ,
Il déploye une aîle amoureuſe,
MA I. 1760. II
Soupire dans l'air enchanté ,
Exhale en cent parfums fa tendreffe flatteuſe ;
Et de fleur en fleur emporté ,
Vole à fa Maîtreffe orgueilleufe .
La rofe rougit , céde à fon empreffement ;
Sous les baifers de fon Amant ,
Se pare de couleurs divines...
Regarde ; qu'elle eft belle ! & quel éclat charmant!.
Cette Reine des fleurs ... On la cueille aifément ...
DAPHNE , enfe retirant avec précipitation
Tu ne parles pas des épines.
Par M. D'ARNAUD , Confeiller
Ambaffadede S. M. le Roi de Pologne..
EPITRE ,
A M. le Comte de ***
AIMABLE IMABLE imitateur du fage Anacréon,
Que j'aime la féconde ivrefle
De ton imagination ,
Qui, s'élevant du fein de la pareffe ,
Sur des fujets de toute espéce,.
Répand avec profuſion ,
Les agrémens , les fleurs , & la richeffe
De la brillante invention.
Ainfi l'amante de Titon ,
Sortant d'une langueur à l'Univers fatale ,
Remonte fur fon char , & vient fur l'horifon
Semer le rubis , l'opale. A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi , par les plaiſirs, à fes jeux ramené ,
L'Amour , le front de rofes couronné ,
S'élève du milieu des jardins de Cythère,
Où languiffoit fon charme enfeveli ;
Et planant fous le ciel , de fon vol embélli ,
Régne , étend les bienfaits fur la Nature entière.
Tous les attraits refpirent dans tes vers.
La Nymphe dont l'Ida ſe vante ,
Y vient , de fa corne abondante ,
Épancher les trésors divers.
Que l'efprit , refferré d'une chaîne trop dure ,
De la fécondité de ton effor murmure :
Libre dans tes travaux , que t'importe l'efprit ,
Le monde entier , & fa cenfure ,
Quand le fentiment t'applaudit ? ...
Mais , des fuffrages unanimes ,
Ne goûtes-tu pas les douceurs ?
Les beaux yeux d'Eglé , fur tes rimes ,
Fixent leurs regards enchanteurs .
Le Dieu du Goût , & la belle Nature ,
Rejettent ces bouquets , que d'une avare main
L'Art a cueillis avec meſure ,
Et qu'il arrange avec deffein.
Les corbeilles de fleurs,que les Grâces demandent ,
Dans les jours folemnels ,
Aux innocentes mains qui parent leurs autels ,
Sans choix, de tous côtés , s'ouvrent & fe répan
dent.
MAI. 1760. 13
Zéphire , dans fon vol léger ,
Embraffe l'empire de Flore :
Le jeune oifeau , de verger en verger,
Court célébrer le Printems & l'Aurore .
Sur fon char amoureux , voyez monter Cypris;
Sa main nonchalamment attache fa ceinture ,
Qu'elle abandonne à l'enjoument des Ris :
Elle n'a point de l'art confulté l'impoſture ,
Et d'un défordre heureux elle tient la parure .
L'or de fes blonds cheveux , tout parfemés d'en
cens ,
Cède avec grâce aux doux éfforts des vents .
De fon fein raviffant , le corail & l'albâtre ,
Loin d'être emprisonnés dans un voile envieux ,
Se laiffent entrevoir à l'oeil , qui l'idolâtre ,
Et de roles fans nombre elle enrichit les Cieux.
Suis , mon cher Comte , un fi charmant modèle ,
Et dans tes vers , exhalés de ton coeur ,
Laiffe avec toute fa candeur
Se dépofer cette âme & fi pure & fi belle ,
Pour qui l'air le plus fimple eft un fard impofteur.
Imite ce beau fleuve : il defcend des montagnes ,
Sans refferrer fon cours majestueux ;
Et dédaignant les replis tortueux ,
Serépand tout-à- coup dans les vaſtes campagnes.
D'une nappe, d'argent , les champs au loin couverts
,
Retiennent dans leurs flancs mille germes divers.
14 MERCURE DE FRANCE.
Ce ruiffeau , qu'une digue enchaîne dans fa courfe,
Roule des flots ingrats , que l'art trop inhumain
Fait bientôt expirer dans ſes priſons d'airain ,
A peine échappés de leur fource.
Des Amours , le Chantre touchant ,
Ton rival , & mon premier Maître ,
A la fille d'Augufte auroit moins plû peut-être ,
Si la main de l'Auteur , cruelle au fentiment ,
Eût retouché , de fon pinceau févère ,
Les négligences de l'Amant.
Sur les écrits du coeur , la règle doit ſe taire.
Il a feul échauffé l'Amante de Phaon :
L'efprit n'a point cueilli les lauriers de Tibulle :
Et l'avare précision ,
Ne vint point altérer les grâces de Bion ,
Et les voluptés de Catulle.
L'oeil , avide de changemens ,
Desjardins recherchés dans leursfroids ornemens,
Fuit l'infipide fymétrie :
Il aime à parcourir les fimples agrémens ,
Les tapis émaillés , dont Flore & le Printems
Ont couronné la riante prairie.
Comte , c'eft à l'humble arbriſſeau ,
C'eſt à l'ifſauvage & ſtérile ,
D'afſujéttir aux loix de l'auftère ciſeau
Son finiftre feuillage , & fa tête fervile.
Dans le myrthe , qui fert à Vénus de berceau ,
Il n'eſt point de feuille inutilé.
Par le même.
MA I. 1760. If
LETTRES
ET
MEMOIRES
DE Mlle de GON DREVILLE , &
du Comte de S. FARGEOL .
SECONDE PARTIE.
JETO 'ETOIS plus allarmée que jamais , &
dans les horreurs dont j'ai rendu compte
dans la première Partie de ces Mémoires
, lorfque le Comte de F .... arriva
chez notre chere Chanoineffe , fa tante.
La Comteffe , fa femme, s'étoit difpenfée
d'y venir avec lui , fous prétexte d'une
indifpofition ; mais , eenn eeffffeett , par la
crainte du mauvais air, comme j'eus bientôt
lieu de m'en convaincre. L'arrivée
du Comte , ne précéda que de quatre
jours la douloureufe perte que j'étois
fur le point de faire. Il n'y eut aucune
marque de bonté & d'amitié tendre ,
que je ne reçuffe de lui : fes attentions
pour moi , pafferent tout ce que je
croyois en pouvoir attendre ; & celles
16 MERCURE DE FRANCE
de ma chere tante ne furent pas même
diftraites par fa foibleffe , ni par le danger
de fa fituation . Elle ne ceffa point
de me recommander au Comte fon
neveu ; & je ne rapporterai que les dernieres
paroles que je luis entendis prononcer
en ma faveur dans un léger
intervalle de tranquillité.
Mon cher neveu , lui dit - elle : quand
les loix me permettroient de faire des
difpofitions en faveur de ma chere enfant
, Mlle de Gondreville , je ne ferois
pas en état de le faire , n'ayant d'autre
bien au monde , que la penfion que vous
me faites , & le peu de meubles & d'effets
qui fe trouvent chez moi.Je les lui donne,
dès ce moment , fous votre bon plaifir ; &
je m'en rapporte à votre amitié pour elle
& pour moi fur la jouiffance de la moitié
de ma penfion , que je vous conjure en
mourant , d'avoir la générosité de lui conferver,
du moins juſqu'à ce que M. le Car
nal l'ait mife en état de s'en paffer.
Quoique ma tendreffe me rendît attentive
aux moindres paroles de ma chere
tante , l'excès de ma douleur ne me permettoit
pas d'être auffi touchée que j'aurois
dû l'être des foins généreux que fa
prévoyante amitié lui infpiroit pour mon
avenir . Je n'y voyois que l'horreur d'une
MAI. 1760. 17
feparation prochaine , & l'anéantiffement
de toute efpéce de bonheur pour moi.
Cependant , le Comte de F.... mettoit
tout en oeuvre pour adoucir les peines de
mon âme: jamais fon amitié ne m'avoit
parue fi attentive & fi généreufe , que
dans les triftes circonftances où nous
nous trouvions l'un & l'autre . Et comme
la trifteffe attendrit naturellement les
coeurs , jamais le Comte ne m'avoit trouvée
fi fenfible que je le lui parus alors
aux marques qu'il me donnoit de fa
propre
fenfibilité. Je m'abandonnois , innocemment,
dans fes bras ; je lui prodiguois
les tendres careffes qu'il ne m'étoit pas
permis de faire à ma chere tante ; & s'il
en profitoit avec une forte de retenue ,
c'étoit cependant avec une ardeur que
je n'attribuois qu'à fon zéle , & qui ne
fervoit qu'à me pénétrer de plus en plus
de la tendre reconnoiffance que je croyois
devoir à la générofité de ſes foins & de
fes promeffes. Bientôt on ne me permit
plus d'entrer dans la chambre de ma
tante , malgré l'empreffement que j'avois
de m'y rendre ; & dès la nuit du lendemain
de cette cruelle féparation ,
quelque foin qu'on prît pour me cacher
la perte que j'avois faite , il ne me
fut plus poffible d'en douter , lorfque
18 MERCURE DE FRANCE.
Madame de Laemsbourg , une amie de
ma tante , qui ne l'avoit point quittée,
vint me prendre dans ma chambre. Je
la fuivis d'abord avec une forte de tranfport
, croyant qu'elle m'alloit conduire
à l'appartement de ma tante. Mais lorfque
je vis qu'il étoit queftion de monter
en caroffe , & de la fuivre chez elle , un
cri perçant fut prefque le feul figne de
vie que je fus en état de lui donner.
Je ne fçais plus moi-même ce que je
devins ; & je ne repris mes fens chez
cette Dame , que longtems après y être
arrivée. Ce ne fut que pour m'abandonner
à la plus vive douleur que j'euſſe
jamais éprouvée. Mais dequoi le temps ,
la raifon , & l'amitié , ne viennent-ils
pas à bout ? Comme ce n'est pas mon intention
d'alonger ces Mémoires par un
amas de réflexions , ou de récits inutiles
à mon proiet , je paffe rapidement fur
quelques circonftances de ma vie pour
revenir à mon objet , qui n'eſt autre que
l'arrangement des Lettres du Comte de
S. Fargeol & des miennes , tant qu'a
duré notre correfpondance.
J'avertirai donc fimplement le Lecteur,
que quelques jours après la mort de ma
digne tante le Comte de F....fon
neveu , vint me prendre chez Madame
>
, MA I. -1760 . 19
"
pour
de Laemsbourg , pour me conduire à fon
château de... qu'il me remit exactement
tous les bijoux & effets de ma tante; parmi
lefquels le plus précieux pour moi, fut le
portrait de ma mere. Il me remit auffi un
petit coffre , dans lequel étoient quelques
lettres du Prince mon pere , & quelques
pierreries. J'étois trop accablée par la douleur
que me caufoit la perte d'une perfonne
fi chere , pour être bien fenfible à
ces dernieres marques de fon amitié
moi. Mais j'avoue que je le fus beaucoup à
l'accueil que me fit Madame la Comteffe
de F .... Quelques taches de ma petite
vérole , quoique peu nombreufes , qui
étoient encore répandues fur mon vifage
& fur mes mains , parurent l'effrayer ; &
la firent s'éloigner , avec une forte d'horreur
, lorfque je me préfentai pour la
faluer. Je m'en trouvai d'autant plus
humiliée , que cette légère difformité
n'avoit point rebuté fon mari , ni les autres
perfonnes qui s'étoient empreffées
me faire trouver quelque confolation
dans leurs careffes . En un mot , la réception
que me fit la Comteffe , étoit accompagnée
de cet air de dignité qu'on peut
appeller hauteur , & de cette politeffe
froide , plus propre à caractériſer l'indif
férence que l'amitié. J'en fus touchée
à
26 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'aux larmes . En effet , rien n'étoit
plus capable de m'attendrir fur mon propre
fort , & de me faire fentir la grandeur
de la perte qué je venois de faire. Madame
la Comteffe ajouta encore aux agrémens
de cette réception , la néceffite de
garder une eſpèce de quarantaine dans
un pavillon féparé du château , dans lequel
on me logea avec la femme de
chambre de ma tante qui m'avoit fuivie.
En marchant fur les pas d'un domeftique
, chargé de m'y conduire , j'entendis
les reproches que la Comteffe fit à
ſon mari ſur l'indifcrétion qu'il avoit eue
de lui préfenter une figure auffi hideuſe
& auffi éffrayante que la mienne. Ces
petites difgraces me pénétrèrent de douleur
: mais la peine qu'elles me causèrent
fut bien compenfée , quand au bout de
fix femaines elle m'eut accordé l'honneur
de vivre avec elle. Les premiers jours que
je paffai dans ma chambre , ou plutôt
dans ma prifon , furent entierement confacrés
aux larmes . Le Comte de F....
n'ofoit s'y préfenter qu'à la dérobée. Il
m'y confoloit , & m'y faifoit fervir de fon
mieux. Les foins qu'il me rendoit , à
l'infçû de fa femme , & les marques d'une
amitié tendre , qui ne m'étoient point
fufpectes , foutinrent ma raifon contre
MAI. 1760. 21
les affauts de ma douleur , tant que je fus
affez aveugle pour ne les prendre que
comme les effets de l'intérêt généreux &
raisonnable qu'il prenoit à mes malheurs .
Mais , hélas ! il fe deftinoit lui - même à
les accroître , comme on le verra par la
fuite.
Après quelques jours de folitude , paffés
, comme je viens de le dire, dans les
pleurs ; le premier objet qui fe préſenta
à mon imagination , pour diffiper mes
ennuis , ce fut de relire les lettres du
Comte de S. Fargeol . J'en attendois une
de lui ; & j'étois encore fort indécife fur
la façon dont je devois lui apprendre le
cruel changement qui venoit d'arriver à
ma fortune. Je craignois également de
le chagriner , ou de le tromper fur ma
fituation préfente. Je me mis plufieurs fois
en devoir de lui écriré ; & tout autant
de fois , je brûlai ce que j'avois écrit.
Mais enfin , le Comte de F ... me remit
lui - même une lettre qui lui avoit été
renvoyée de Strasbourg, pour moi. Cette
lettre étoit du Comte de S Fargeol , fous
l'enveloppe du fieur Bagneux. Comme ce
paquet venoit de Paris , le Comte me laiffa.
appercevoir quelque inquiétude ; mais je
la diffipai bientôt, par la franchiſe avec laquelle
je ne balançai pas un instant à lui
MERCURE DE FRANCE
demander la permiffion de lire ma lettre
en fa préſence : ce que je fis à haute voix ,
n'ayant aucune raiſon de lui cacher une
correfpondance à laquelle je m'étois livrée
fans fcrupule ; & pour laquelle il
alloit me devenir néceffaire lui - même.
Voici donc la lettre de M. de S. Fargeol.
TRENTIÉME LETTRE,
De M. le Comte de S. Fargeol , à. Mlle
de Gondreville.
QUE de chofes intéreffantes , Mademoifelle
, vous m'apprenez en quatre
mots ! Les inquiétudes que j'ai éprouvées,
n'étoient donc que trop raisonnables ?
Hélas ! jufqu'à quel point n'auroient- elles
pas été portées , fi j'avois été informé de
votre maladie avant que de l'être de votre
convalefcence ? Quoi , Mademoiſelle !
tandis que je n'étois tourmenté que par
des doutes que votre propre courage m'aidoit
à écarter de mon imagination , vous
étiez dans les horreurs d'un mal qui pardonne
fi rarement à la beauté , lors même!
qu'il épargne notre vie ? En vérité , je ne
puis vous dire que votre rétabliffement
me pénétre d'autant de joie que j'en
MAI. 1760. 23
devrois reffentir : je fuis dans ce moment
comme un homme qui a couru , fans
le fçavoir , le plus grand des dangers :
on eft alors moins fenfible à l'heureux
hazard qui nous en a préfervés , qu'à
l'horreur du rifque auquel on a été expofé .
Telle eft actuellement ma fituation ; &
ce que vous me mandez de vos propres ,
inquiétudes , fur l'état de Madame la
Comteffe votre tante , ne contribue que
trop à me la rendre plus pénible & plus
douloureufe . A peine délivré de la crainte
du plus grand des malheurs que je puſſe
envifager , je frémis de ceux dont vous
êtes menacée ! Je ferois , fans doute , accablé
de mes propres idées , fi je ne
trouvois dans les vôtres dequoi relever
mon courage & ranimer ma confiance.
Vous badinez fi agréablement fur les
fuites de votre cruelle maladie , que je
ne puis croire que vous foyez auffi allarmée
que je l'ai été moi - même du commencement
de votre lettre, auquel je me
fuis peut -être un peu trop arrêté. Mais
peut- on être médiocrement ému de ce
qui vous affecte ? Pardonnez - moi donc
une terreur , que vous m'avez infpirée ;
& permettez-moi , finon de m'égayer
à mon tour , du moins de ne me pas
chagriner beaucoup des prétendus torts
24 MERCURE DE FRANCE.
que la petite vérole auroit pû faire à vos
charmes. Vous ne rendriez guères de juſtice
à ma façon de penfer , fivous imaginiez
que votre beauté feule vous eût
acquis les fentimens que je vous ai voués.
Il faut donc vous apprendre enfin par
quels degrés vous les avez fait paffer,
avant d'être devenus ceux de cette amitié
tendre & refpe &tucufe que vous m'avez
permis de vous avouer. Au premier
inftant où je vous ai vue , Mademoifelle
, quoique j'eufle le coeur prévenu
pour une autre , je n'ai pu me défendre
de vous admirer comme un des plus
beaux ouvrages de la Nature.Jufques - là ,
c'étoit pour mon âme un fentiment affez
tranquille , & propre feulement à me
rappeller quelquefois un agréable fouvenir
. Votre converfation , où je vis briller
à la fois votre efprit & la candeur de
votre âme , avec cet air de naïveté & de
franchiſe qui plaît à tout le monde , alla
plus loin que l'admiration. Elle me fit
defirer & rechercher votre préfence.
Mes yeux & mes oreilles envièrent à ma
mémoire le plaifir de fe rappeller fouvent
votre idée. Enfin , Mademoiſelle , la
nérofité , la nobleffe de vos procédés,
m'ont conduit jufqu'au point de regret er
très-lincèrement de n'avoir pas eu le bon
heur
MAI. 1760.
25
heur de vous connoître plutôt : Et comme
je veux être , & que je fuis en effet auffi
franc que vous , je vous avouerai qu'il
n'y avoit que le mérite de Madame de
Saint Fargeol qui pût me confoler de vous
avoir connue trop tard. Voilà mon âme
toute entiere. Et comme la petite vérole
n'a pû mettre de taches à la vôtre , jugez
fi les plus cruels effets feroient jamais
capables de porter la plus légère atteinte
à l'eftime tendre &
refpectueuse que j'ai
pour vous ! Je pourrois , en ce cas , vous
admirer moins , comme belle : mais il eft
certain que je vous en aimerois davantage
car vous ne fçauriez ceffer d'être
aimable. Et les reproches que votre
fexe auroit à faire au fort , tourneroient
encore au profit de l'amitié , en la rendant
plus fenfible , & par conféquent
plus tendre. Contentez- vous donc , Mademoiſelle
, de me raffurer au plutôt fur
l'indifpofition de Madame la Comteffe
votre tante ; & ne craignez pas qu'en
vous voyant , je ne trouve plus où affeoir
non feulement toute mon eftime , mais
ces mêmes fentimens qu'un mérite folide
& des grâces indépendantes de votre
jolie figure , feroient feules capables de
m'inſpirer , & avec lefquels je ferai éternellement
le plus tendre & le plus fidèle
de vos amis. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Après que le Comte de F... eut ens
tendu la lecture de cette Lettre , il me
quitta, fous prétexte de me laiffer la liberté
d'y répondre ; & me dit , feulement ,
en fortant de ma chambre :
Vous avez, Mademoiſelle , un ami bien
tendre : je n'en fuis point furpris. On ne
peut affurément vous connoître fans vous
aimer , & fans vous aimer beaucoup . Je
répondis à ce compliment , en l'affurant
que je ferois toute ma vie en forte que
l'amitié dont il m'avoit jufqu'alors honorée
, n'eût point occafion de fe démentir
par ma conduite ; & que je mettrois
tous mes foins à mériter qu'il me la
confervât toujours. Il m'en donna de
nouvelles affurances , en prenant & en
baifant ma main d'une façon timide &
refpectueufe ; ce qu'il n'avoit point fait
encore depuis que j'étois dans fa maifon.
Et j'avoue, qu'ayant plufieurs fois reçû
de lui fans fcrupule , chez ma chere tante
, des careffes plus marquées , je commençois
à craindre qu'il ne fe refroidît à
mon égard: enforte , que je fus très fenfible
à cette efpèce de faveur de fa part.
On verra bientôt , jufqu'à quel point je
m'étois trompée , & me trompois encore
fur fon compte. Mais je reviens à ma Lettre
, ou plutôt à la réponſe que je lui fit,
MA I. 1760. 27
Et l'on va voir que j'étois bien éloignée
de vouloir le chagriner par l'image de
ma fituation préfente , quoique je cruffe
en effet avoir fort à m'en plaindre , par
rapport aux hauteurs & à la fécherelle
de la Comteffe de F...
TRENTE -UNIÉME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
Tour eft changé pour moi , mon
cher Comte , depuis que je ne vous ai
écrit ! J'ai tout perdu . Je n'ai pas befoin
de vous en dire davantage , pour vous
apprendre la perte que j'ai faite , perte
qui m'a déjà coûté bien des larmes ,
qui m'en fait encore répandre de bien
amères au moment où je vous écris !
perte , que je me rappellerai dans tous
les inftans de ma vie , & que je ne puis
me rappeller , fans me pénétrer de la
douleur la plus profonde... Ma chere tante
, n'eft plus ! Que dis-je ? j'ai perdu la
plus tendre des meres ; car , par fon amitié
, par fes foins généreux , elle m'a toujours
tenu lieu de celle que le Ciel m'a-
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE.
voit donnée. Hélas ! le fort, en l'enlevant
au monde au moment où je vis le jour ,
m'avoit envié le bonheur de la connoître
& de l'aimer ; & ma chere tante m'avoit
épargné , juſqu'à fes derniers inftans , la
douleur & les regrets de l'avoir perdue.
Quel comble de malheurs , pour votre
triſte amie , mon cher Comte ! vous avez
une âme faite pour les fentir & pour
les partager je fens même combien ce
partage feroit capable d'adoucir mes
peines , fi j'étois à portée de profiter des
confolations de l'amitié . Mais que cet
adouciffement eft loin ! hélas , je fuis
peut- être condamnée à ne l'éprouver jamais.
Non , rejettons cette funefte idée ;
elle me feroit détefter une vie qui ne
tiendroit plus à rien , fi elle ne tenoit
encore aux liens de l'amitié , & je puis
dire à ceux de la reconnoiffance : car
malgré le poids des maux qui m'accablent
, je dois vous informer , mon cher
Comte , que j'ai trouvé dans le neveu
de ma chere tante , & dans Madame fa
femme , tous les fecours qu'elle avoit
exigé d'eux pour moi : leur maifon , eft
devenue mon afyle ; & il n'y a forte de
foins que le Comte de F... n'employe
pour me confoler de la perte que j'ai
faite , & me rendre la retraite qu'il m'a
MA I. 1760. 29
procurée , auffi fupportable que peut l'être
un lieu que je prévois ne pouvoir
confacrer qu'à d'éternelles larmes. Je n'ai
pas la force de vous en dire davantage ,
mon cher Comte : je fuis trop accablée
pour jouir même du plaifir de m'entretenir
avec vous : à peine je fçais fi j'exiſte ;
& je crois , fincèrement , que je n'exifterois
plus , fi je n'avois été foutenue par
la douceur de penfer que je fuis ,
Votre amie.
P. S. Ayez foin , deformais , mon cher
Comte , de m'adreffer , ou de me faire
adreffer vos Lettres au château de... par
Colmar.
Les jours que je paffai depuis cette
Lettre écrite , furent tous marqués par
les attentions & par les affiduités du
Comte de F .... L'innocente confiance
avec laquelle je recevois fes foins , l'enhardit
infenfiblement jufqu'à reprendre
avec moi les droits que les premiers
inftans de ma douleur lui avoient permis
d'ufurper. Dans ces cruels momens, où les
Careffes qu'il me prodiguoit fembloient
me tenir lieu de celles qu'il ne m'étoit
plus permis de recevoir de ma chere
tante, le défefpoir m'avoit jettée quelquefois
entre fes bras . Il profita des accès de
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
douleur dans lefquels le fouvenir de mes
pertes me replongeoit fouvent , pour me
prendre lui-même & pour me retenir dans
les fiens . J'y reftois fans défiance ; & j'a
voue , que j'y trouvois quelque foulagement
à mes peines. Rien n'adoucit tant
en effet l'amertume des âmes affligées ,
qu'une tendre fenfibilité qu'on préfume
n'avoir d'autre but que celui de prendre
une véritable part à leur douleur. Mais
que le Comte de F... étoit loin d'une façon
de penfer fi raifonnable & fi défintéreffée
!... Je m'expliquerai bientôt plus
en détail , fur cette nouvelle fource de
mes peines. Mais je ne dois pas paffer
fous filence la Lettre que je reçus du
Vicomte de T... Je me contenterai d'en
rapporter l'extrait. Le Vicomte me marquoit
en fon nom , & à celui de la Com
teffe de S. Fargeol , la part tendre & fincère
qu'ils prenoient l'un & l'autre à
la perte que je venois de faire . Et ce
qui me toucha bien vivement , ce fut
d'apprendre par cette Lettre , que la
Comteffe avoit été fi frappée de la trifte
nouvelle que je lui avois apprife , que
fa fanté s'en étoit alterée , & qu'elle étoit,
depuis ce moment , attaquée de vapeurs
convulfives qui paroiffoient inquiéter
beaucoup le Vicomte fon oncle , & qui
MAI. 1760. 31
favoient obligé d'être fon interprête. Il
me donnoit enfuite une preuve bien rare
de fon amitié , & de l'extrême confiance
qu'il avoit en moi . Voici fes propres
termes.
Je fçais , Mademoiſelle , que dans la
fituation où vous vous trouvez , privée
des fecours qui vous font enlevés , par la
perte que vous venez de faire , on a
quelquefois befoin de ceux de fes amis.
Je ferois bien honteux que vous rendiffiez
affez peu de juſtice à mes fentimens ,
pour avoir dans ce cas recours à d'autres
qu'à moi . Pardonnez - moi donc , fi
je fuis affez vain pour ofer prévenir les
effets de la confiance que vous devez
avoir en moi. J'écris , par ce même ordinaire,
à MM . de Corneman, à Strasbourg,
de vous faire toucher les fommes dont
yous aurez befoin , fur vos Gimples reconnoiffances
. Je préviens , en mêmetemps
, M. leur frere , mon Banquier à
Paris , qui ne fera nulle difficulté de leur
envoyer toutes leurs furetés . La feule grace
que j'éxige de vous , Mademoiſelle, c'eft
que vous en ufiez auffi librement que vous
devez le faire , & comme d'un bien qui
Vous appartient.
Je n'ai pas befoin de dire qu'une générofité
fi
peu commune , à laquelle la
Biy
32 MERCURE DE FRANCE
Vicomte ne mettoit ( comme on le voit
aucunes bornes , me toucha fenfiblement.
J'étois incapable d'en abufer ; & grâce
au Ciel , je n'étois pas même alors dans
le cas d'y avoir recours. C'eft de quoi
j'eus foin de l'informer , dans la réponſe
que je fis fur le champ à fa Lettre, en l'affurant
que j'aurois furement ufé de la li
berté qu'il me donnoit , fi les fecours
qu'il m'offroit m'euffent été de la plus
légère néceffité. Mais , en le remerciant
d'offres fi obligeantes & fi éffentielles , &
dont je fentois tout le mérite , je m'étendis
d'une maniere au moins auffi fenfible
fur l'article de fa Lettre , où il étoit quef
rion de la fanté de Madame fa niéce. Je
m'accufois , dans les termes les plus tou
chans , d'avoir été la caufe , quoiqu'innocente
, du dérangement qui y étoit
furvenu ; dérangement qui ajoutoit encore
à mes propres malheurs de nouveaux
degrés de peine & de fenfibilité.
MM. de Corneman ne tarde rent
pas à m'écrire pour m'informer des
ordres qu'ils avoient reçus du Vicomte ,
& pour m'inviter , de la meilleure grâce
du monde , à leur fournir l'occafion de
m'obliger. Je leur répondis , fur le même
ton , que je venois d'écrire à ce généreux
ami ; & je paffe , fans autre préam
,
'M A I. 1760. 33
bule , à des événemens plus férieux &
plus intéreffans.
On a vû , que le Comte de F... avoit
entenda la lecture de la lettre de M. de
S. Fargeol. Un excès de confiance , ou
peut- être un mouvement de vanité , me
porta à lui faire encore part de celle que
j'avois reçue du Vicomte de T.... Nous
étions feuls, lorfque je la lui donnai à lire.
Je ne fus point étonnée de le voir s'arrêter
avec furpriſe , lorfqu'il fut arrivé à
cette phrafe, tout ce que j'exige de vous ,
Mademoiselle , c'eft que vous en ufiez auffi
librement que vous devez le faire , & comme
d'un bien qui vous appartient. Qui
Vous appartient ? me dit-il , Mademoifelle
... Voilà une générofité qui s'exprime
finguliérement ; & qui n'a guères
d'exemple ! J'aurois fçu le donner moimême
, fi j'avois pû prévoir que vous
euffiez des befoins qui vous millent dans
le cas d'avoir recours à d'autres qu'à moi.
Héias , mon cher Comte ! lui dis - je ,
je fuis trop pénétrée de tout ce que je
vous dois , & trop affurée de la bonté
de votre coeur , pour avoir follicité des
fecours que votre générofité me difpenſe
d'attendre & de defirer : auffi n'ai -je poinɛ
attendu l'affurance de vos difpofitions
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
à mon égard , pour remercier le Vicomte
de T....
Je fuis ravi , Mademoiſelle , interrompit
le Comte , de pouvoir me flatter que
vous rendiez juftice à mes fentimens ..
Vous n'en connoiffez pas encore toute
l'étendue ! J'ignore quelle forte d'intérêt
peut animer le Vicomte de T... Mais
j'ofe défier toute la terre d'en prendre un
plus vif & plus tendre à votre perfonne
, ainfi qu'à tout ce qui vous touche.
Je n'en fçaurois douter , lui répondis -je,
mon cher Comte ; & la nouvelle affurance
que vous me donnez de votre
amitié , exige de ma part une confidence
que je n'ai faite à perfonne , & qui va
vous mettre au fait de la générofité fingulière
de M. le Vicomte de T...
1
Au voyage qu'il a fait à Strasbourg ,
avec le Comte de S. Fargeol , il prit affez
de goût pour moi pour me faire entendre,
qu'il étoit fâché que fon neveu eût pris
des engagemens avant de m'avoir connue.
Je regardai cette façon de s'exprimer
fur mon compte , comme un fimple
compliment ; d'autant plus , que j'étois
bien informée que le malheur de ma
naiffance l'avoit feul déterminé à approuver
le mariage que le Comte avoit contracté
fans fon aveu. Mais à peine fut- il
MA I. 1760. 35
arrivé dans fes terres , qu'il me propola ,
très -férieuſement , de partager avec lui .
fon nom & fa fortune , en m'offrant tous
les avantages qu'une perfonne auffi jeune
& plus ambitieufe que moi , eût ofé.
exiger d'un homme de fon âge. Mais ,
comme je ne pouvois les accepter , fans
faire un tort confidérable à la fortune du
Comte & de la Comteffe de S. Fargeol ,
je ne confultai que leurs intérêts dans la
réponse que je fis à leur oncle ; & je leur
facrifiai , fans héfiter , un établiſſement
qui ne pouvoit faire mon bonheur , fans
nuire beaucoup au leur. Ce procédé leur
parut à tous fi défintéreffé, qu'il m'acquit ,
& m'a confervé leur eftime & leur amitié.
C'eft dans ces fentimens , que vous.
devez chercher & trouver la caufe de
l'extrême générofité du Vicomte .
Ah , Mademoiſelle ! reprit vivement le
Comte de F... que ces fentimens d'eftime
& d'amitié , auxquels vous vous plai
fez de rapporter les généreux procédés
du Vicomte de T...font communément
froids & ftériles ! Vous êtes faite pour en
infpirer ; & vous en infpirez de plus
vifs & de plus tendres ! .. Ce que je vous
dis , Mademoiſelle , je l'éprouve , & je
ne puis plus vous le diffimuler..., Oui ,
continua-t-il , en fe jettant à mes pieds ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
l'amour que je fens pour vous , ne peut
plus fe contraindre : la jalouſie , qui vient
de s'emparer de mon coeur , le force
d'éclater. Le Vicomte ne vous eût jamais
fait des offres pareilles à celles
que je viens de lire , s'il n'eût pas fenti ,
s'il ne vous eût pas déclaré , s'il ne vous
eût pas fait approuver une ardeur pareille
à la mienne ! Eh pourquoi ne me
feroit-il pas permis d'être auffi téméraire
que lui , & de concevoir les mêmes eſ
pérances ?
L'étonnement , dont je fus faifie , fufpendit
les mouvemens de mon indignation.
Arrêtez , M. le Comte ! lui dis -je ,
en me levant , pour me débarraffer de
lui... Ne fentez-vous pas l'extrême différence
qui caractériſe les voeux que le
Vicomte pouvoit avoir formés en ma faveur,
d'avec ceux que vous ofez m'offrir? Il
étoit libre , & vous ne l'êtes plus : il
pouvoit s'établir entre lui & moi une
union légitime... Qu'auriez-vous à me
propofer , jufte- Ciel ! dont l'idée feule ne
fût pas un crime ?
Vous m'étonnez , Mademoiſelle ! me
dit le Comte avec un ton d'affurance :
Vous avez vêcu dans un monde qui n'eft
pas fait pour vous avoir infpiré de pareils
fcrupules : vous n'êtes plus un enfants
MA I. 1760. 37
& la façon dont tout le mène dans le
monde , n'a pu échapper à votre pénétration.
Vous devez fçavoir , de plus ,
qu'étant née comme vous l'êtes , vous
n'avez guères lieu d'afpirer à ces unions
légitimes dont vous me parlez. Voulez
-vous donc renoncer aux douceurs
de la vie Croyez-moi ; vous êtes faite
pour les goûter ; & j'ofe vous affurer ,
que vous ne trouverez perfonne qui s'empreffe
autant à vous en procurer tous les
agrémens & tous les plaifirs qu'un homme
qui vous aime , & qui mérite peutêtre
de vous infpirer une tendreſſe égale
à celle qu'il reffent pour vous. Faites-y
bien vos réfléxions . J'ofe me flatter ,
qu'elles ne me feront pas toujours auffi
défavorables .
Le Comte de F.... me quitta , en finiffant
ce difcours. Il eut même l'audace
de prendre & de me baiſer la main ; &
je n'eus ni le courage , ni la préſence d'efprit
de m'en défendre. J'étois en effet
dans un état à ne pouvoir me connoître
moi-même : interdite , humiliée , immobile
, je voyois naître pour moi un nouvel
ordre de chofes que je n'avois jamais
prévues , & qu'il m'eût été impoffible de
prévoir. Quel abîme s'ouvroit fous mes
pas ! quel cahos d'idées qui fe confon
38. MERCURE DE FRANCE.
doient dans mon imagination ! je ne fus
en un mot capable , que de m'attendrir
fur ma fituation. D'abondantes larmes
furent toute ma reffource dans cette occafion.
Et j'en répandois encore de bien
amères , le lendemain de cette converfation
, lorfque Madame la Comteffe de
F.... me fit dire que je pouvois enfin
paroître chez elle. Comme j'avois fort
négligé toute forte de parure & d'ajuftement
depuis plus d'un mois que j'avois
paffe fans prèfque fortir de ma chambre ,
je fus obligée d'employer un peu de
temps à me mettre en état de me préfenter
à cette Dame ; & ce fut le Comte
lui-même qui vint m'apprendre , qu'elle
étoit impatiente de me voir. Il me conduifit
au Château, & crut devoir me prévenir
, en chemin , fur le caractère de fa
femme.
Vous la trouverez , me dit-il , affez ex-.
traordinaire : elle a de la hauteur , de la
fierté ; & comme elle croit avoir fait
beaucoup pour ma fortune , en me permettant
d'avoir l'honneur de lui appar
tenir , elle eft extrêmement jaloufe de
mes moindres attentions. Ainfi je vous
exhorte à la difcrétion , fur l'entretien
que nous eumes hier enſemble. Pour peu ,
que vous y ayez réfléchi , vous devez être
AVRIL. 1760. 39
que
bien affurée s'il arrive que vous ayez
quelque chofe à fouffrir de l'humeur de
la Comteffe , vous en ferez dédommagée
avec ufure par les tendres foins que je
prendrai conftamment pour mériter de
vous plaire , & vous rendre ce féjour
agréable .
Monfieur, lui dis- je , avec plus de conftance
que je n'en avois eu la veille ; ne
craignez point d'indifcrétion de ma part ,
tant que votre amitié pour moi fe tiendra
dans les bornes que l'honneur & le
devoir lui prefcrivent. Mais croyez , je
vous prie , qu'il n'y a point d'humiliation
que je ne fouffriffe plus volontiers , que
ces vains dédommagemens dont vous me
parlez , s'ils étoient de nature à pouvoir
allarmer ma vertu.
Le Comte jugea fans doute , qu'il étoit
néceffaire de me raffurer alors fur cet article.
Et ce fut avec de pareils difcours
que nous arrivâmes à l'appartement de
la Comteffe . Mais quel fut mon étonnement
! Cette Dame , que j'avois trouvée
fi haute & fi dédaigneufe au premier
abord , & qu'on venoit de me peindre
fi fière , me reçut avec un air de bonté
auquel je ne m'étois pas attendu de fa
part ; elle me fit même des excufes de
m'avoir tenue fi longtems éloignée d'elle ;
40 MERCURE DE FRANCE.
elle m'avoua fa foibleffe , fur la crainte
qu'elle avoit toujours euë de la petite vérole
: elle mit enfin le comble à cette
agréable réception , & calma les inquiétudes
que j'avois intérieurement fur les
précautions que j'avois à craindre de la
part de fon mari , en m'affurant que nous
ne nous féparerions plus , & qu'elle m'avoit
fait préparer un appartement qui
communiquoit avec le fien. Je fus fi tranf
portée de joie, à cette heureuſe nouvelle,
que j'avois peine à trouver des termes
pour lui exprimer toute ma reconnoiffance
, & tout l'attachement dont je me
fentois pénétrée : tant le contraſte qui
fe trouvoit entre les craintes que j'avois
euës , & ce que j'éprouvois alors , renverfoit
toutes les idées que je m'étois faites
fur le compte de cette Dame , & que le
Comte lui- même m'en avoit données ! Je
pris donc le parti de marquer ma fenfibi
lité à la Comreffe, en lui préfentant quelques
ouvrages de mes mains , qui m'avoient
occupée pendant ma retraite. Elle
reçut cette petite galanterie , en fe louant
également de mon adreffe & de ma générofité.
Et , pour ne point alonger ces
Mémoires , je dirai qu'elle ne demeura
point en refte avec moi ; & que, de ce mo
ment , nous vêcumes en fi bonne intelli
MA I. 1760.
gence , que le Comte me parut être , de
nous trois , le plus embaraffé de la focié
té qui venoit de s'établir entre nous. Les
chofes étoient encore en cet état, lorfque
je reçûs la réponſe qui fuit , à la lettre
que j'avois écrite à M. de S. Fargeol.
TRENTE- DEUXIÈME LETTRE ,
De M: le Comte de S. Fargeol , à Mile de
Gondreville.
Q
UEL événement , Mademoiſelle !
ou plutôt quel coup de foudre , vient de
m'accabler à l'ouverture de votre lettre !
Et quel objet de confolation ferois-je en
état de vous propofer , lorfque je n'en
trouve point pour moi- même s'il eft
vrai que l'amitié , dans d'auffi triftes circonftances
, peut nous être d'un grand
fecours , qu'en pouvons - nous attendre
dans l'éloignement où nous fommes l'un
de l'autre Les inquiétudes , pour ce qui
nous refte , ajoutent encore à l'amertume
que nous caufe le fouvenir de nos pertes.
Et je ne trouve à vous offrir d'autre fecours
, dans vos douleurs , que celui auquel
je puis avoir recours moi-même ,
& dans lequel le commun des hommes.
42 MERCURE DE FRANCE.
trouve un terme plus prompt eu plus
lent à fes peines , fuivant qu'il eft plus
ou moins capable de les fentir. Je veux
dire , Mademoiſelle , le temps & la rai
fon : l'un & l'autre doivent vous fervir
mieux que moi , puifque les foins généreux
, & plus encore la tendre amitié
dont M. le Comte & Madame la Comteffe
de F... ont hérité pour vous , doit
у
ajouter des adouciſſemens que je ne puis
efpérer pour moi- même. J'ai bien moins
de raifon, que vous ; & ce que j'en ai , ne
me fert de rien contre la douleur que je
partage avec vous , par ce que le temps
me menace peut-être de douleurs pour
le moins auffi fenfibles. Je n'ai point reçu,
par le dernier ordinaire , de nouvelles de
ma femme, comme elle s'étoit accoûtumée
de m'en donner depuis quelque temps
par des lettres , ou du moins par quelques.
lignes écrites de fa main. Mon oncle fe
contente de me marquer , que la nouvelle
de la perte que vous venez de faire ,
l'ayant extrêmement affectée , elle étoit
retombée dans quelques accidens de fes
premieres vapeurs ; & qu'il n'avoit pas
jugé à propos de l'avertir qu'il m'écrivoit,
de peur qu'en voulant m'écrire elle- même
, fa tête n'en eût été un peu fatiguée.
Quoique dans tout ce qu'il me dit , enMA
I. 1768. 4.3
fuite , il s'efforce de me tranquilifer ; je
lui vois trop d'affectation à ménager mes
inquiétudes , pour que je ne prenne pas
des meſures pour obtenir la permiffion
de retourner bientôt à Paris . Je compte
donc , Mademoiſelle , me rejoindre bientôt
à Madame de S. Fargeol , & par conféquent
me rapprocher un peu de vous .
Que l'idée de mon départ , encore incertain
, ne vous empêche pas de m'écrire.
Ce feroit une cruelle augmentation à mes
inquiétudes , d'être trop longtemps fans
recevoir de vos lettres. En les adreffant
à Bagneux , qui fera inftruit de mes marches
, je les recevrai toujours exactement:
& c'eft prèfque le feul plaifir que
je puiffe efpérer de goûter , jufqu'au
moment où je pourrai m'affurer par moimême
de l'état de Madame de S. Fargeol
, & me flatter de rendre à notre
commerce toute la vivacité que je lui
defire , & qui n'a été que trop interrompue
par l'éloignement des lieux où je fuis
encore forcé de vivre. Celle de mes fentimens
pour vous , Mademoiſelle , n'en
a point été & n'en pouvoit être refroidie
: j'ofe me flatter de la conftance des
vôtres ; & que le nouveau partage que
vous êtes obligée de faire aujourd'hui de
votre amitié , ne nuira point à celle fur
44 MERCURE DE FRANCE.
4
laquelle vous m'avez permis de compter?
Si je ne puis pas dire , que ce foit le premier
de mes biens , c'en eft un qui m'est
fi précieux , qu'il balance dans mon âme
ce que j'ai de plus cher au monde ; &
qu'il n'eft qu'un feul titre que je crai
gniffe autant de perdre , que celui de
Votre Ami
Cette Lettre , que je reçûs , fans l'entremiſe
du Comte de F... & que je lûs
en particulier , fut la véritable époque
de ma confolation. Il eft vrai , que les attentions
de la Comteffe , & la retenue du
Comte, m'y avoient déjà diſpoſée depuis
quelques jours : en forte que mon
âme goûta , dans ce moment , les premieres
douceurs d'une tranquillité que
j'avois depuis fi longtemps perdue. Et la
lettre que j'écrivis fur le champ , devoit
fe fentir du moins par rapport à moi , &
fe fentit en effet de cette heureuſe difpofition
; d'autant que Bagneux , en m'adreffant
celle du Comte , ne me parloit
point de la fanté de Madame de S. Far
geol,& fe contentoit de me faire des complimens
de fa part & de celle du Vicomte
: Ce qui m'auroit inquiétée dans toute
autre occafion , ne fervit alors qu'à me
raffurer , comme on va le voir.
MA I. 1760.
TRENTE - TROISIÈME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
POURQUOI ne vous l'avouerois -je pas ,
mon cher Comte ? Votre Lettre vient
d'opérer un miracle que je croyois audeffus
de toutes les forces humaines ,
& que je défefpérois d'obtenir jamais ni
du temps , ni de la raiſon ! Vous remettez
mon âme dans cette affiétte tranquille ;
& peù s'en faut , que je ne dife heureufe ,
qu'elle ignoroit depuis fi longtemps . Vous
aviez tort , mon cher Comte , de vous
défier du pouvoir de votre amitié . Quoique
fes fecours me viennent de loin ,
Vous voyez qu'ils n'en font pas moins
puiffans. Je vous avoue , que je m'y étois
trompée moi- même ; & que j'avois fouvent
fait les mêmes réfléxions que vous
fur les inconvéniens de notre éloignement
, dans les cruelles circonstances où
je me fuis trouvée . Combien de fois ai-je
fenti , dans mes malheurs , le befoin que
j'aurois eu de répandre mon âme dans la
vôtre ! Et quel accroiffement n'étoit - ce
MERCURE DE FRANCE.
pas pour ma douleur , de m'en repréſen
ter l'unique foulagement dans une perf
pective fi éloignée ? Mais une amitié
comme la vôtre , eft faite fans doute pour
vaincre tous les obftacles. Vous les avez
vaincus , mon cher Comte : votre Lettre
a produit tout l'effet que j'aurois penfé
ne devoir attendre que de votre feule.
préfence ; elle a rétabli le calme dans
une âme , qui peu d'inſtans avant de l'avoir
reçue fe croyoit encore condamnée
à gémir éternellement. Je fçais que nes
regrets doivent durer autant que ma vie ;
mais c'eft prèfque les avoir effacés , que
de les avoir adoucis. Je pourrois donc
mecroire actuellement auffi heureufe que
je puis l'être deformais , puifque je retrouve
en vous ce que j'ai perdu , ce
que le Ciel nous accorde fi rarement ;
une amitié tendre , folide , & vertueuſe.
Oui , mon cher Comte ! je me croirois
parfaitement heureufe , fi je vous fçavois
auffi raffuré fur les inquiétudes que vous
donne la fanté de Madame la Comteffe
de Saint Fargeol , que je crois devoir
P'être moi-même par les complimens
que
j'ai reçûs de fa part , & de celle de M.
votre oncle. Je ne vous ai encore parlé
que très-imparfaitement de Madame la
Comteffe de F.... parce que j'ai été chez
MA I. 1760. 47
elle près de fix femaines, fans la connoître.
La crainte infurmontable qu'elle a
de la petite vérole , avoit forcé fon cara-
&ère bienfaifant à me tenir éloignée
d'elle. Mais depuis huit jours , fes tendres
attentions ne ceffent point de me dédommager
de l'efpéce d'ennui qu'avoit pû
me caufer ma longue retraite. M. fon
mari , partage avec elle ces foins généreux
; & je puis dire , que je fuis encore
plus contente du Comte , depuis que je
fuis avec fa femme , que lorsque j'étois
à portée de ne voir que lui. Ce que je
vous dis ici , mon cher Comte , devroit
vous raffurer , fi vous aviez befoin de l'être
, fur le partage de mes fentimens entre
vous & les perfonnes avec lesquelles
je vis. Ceux qui naiffent de la reconnoiffance
, quoique facrés pour une âme comme
la mienne , ne fçauroient l'emporter
fur un fentiment de choix librement
adopté par notre coeur. Cette efpéce de
crainte , que vous n'avez pas , & que
vous ne devez pas avoir , me conviendroit
bien mieux qu'à vous ; mais je fuis
contente de mon partage. Il y a même
eu des temps où je vous aurois reproché
de me mettre en balance avec ce que
vous devez à Madame de S. Fargeol : mais
je fens que nos befoins nous rendent in8
MERCURE DE FRANCE.
juftes : ainſi ne me retranchez rien , je
vous prie , de la part que vous me donnez
dans votre amitié. J'approuverai
toujours que la balance panche du côté
de notre chère Comteffe : mais je ferois
inconfolable , fi toute autre qu'elle
pouvoit enlever le côté de la balance où
vous venez de placer vous- même ,
Votre tendre & fidelle Amie.
J'accompagnai cette lettre, que j'adref
fai à M. Bagneux , d'un billet pour lui ;
dans lequel en le chargeant de mes complimens
pour le Vicomte & pour Madame
de S. Fargeol , je le priai de me donner
inceffamment des nouvelles de la fanté
de cette Dame , à laquelle je prenois
l'intérêt le plus tendre.
Quelqu'idée que j'attachaffe alors à ma
nouvelle fituation ; fi je la trouvois heureufe
, elle n'étoit pourtant pas capable
de me faire une entiere illufion fur la
différence de mon bonheur actuel avec
celui dont j'avois joui jufqu'à la cruelle
époque qui venoit de changer ma deftinée.
Des égards auxquels on fe croit
forcés de s'affujettir, ne reffemblent point
à ceux qui partent naturellement de notre
penchant. Dans ceux- ci , c'eſt la tendreffe
qui nous guide ; dans ceux- là , c'eſt le
devoir
MA I. 1760: 49
devoir qui nous entraîne . Les uns , n'affectent
en rien cette douce liberté dont
nos coeurs aiment à jouir ; les autres ,
répandent fur toutes nos actions un caractère
de dépendance qui nous gêne.
C'étoit fur ce dernier plan , que j'avois
formé celui de ma conduite vis- à - vis du
Comte de F... & de fa femme . Comme
j'avois naturellement l'âme tendre &
fenfible à la reconnoiffance, cette conduite
ne me coûtoit prèfque plus rien avec la
Comteffe , qu'elle m'étoit encore fort à
charge avec fon mari. Les prétentions
qu'il avoit eu l'audace de me laiffer entrevoir
; la crainte qu'elles ne fuffent
apperçues de la Comteffe , me tenoient
fans ceffe en garde contre les démonftrations
de fon amitié & contre les mouvemens
que mon coeur defiroit mais n'ofoit
employer, pour lui marquer ma gratitude
. Je me ferois fans doute accoûtumée
à cette espéce de contrainte , toute
fatigante qu'elle étoit pour une âme auffi
franche la mienne , fi le caractère du
Comte de F.... avoit été capable de ſe
contraindre auffi longtemps que je l'euffe
defiré. Mais j'eus bientôt lieu de m'appercevoir
qu'il n'en avoit pas changé .
que
Qu'on ne s'attende point à trouver ici
le détail des manoeuvres & des artifices
C
so MERCURE DE FRANCE.
que le Comte employa pour réuffir dans
fes vues criminelles , non plus que celui
de fes difcours féducteurs. Je n'étois
point inftruite ; & je ne fus jamais faite
au langage du crime : ma mémoire auroit
autant de honte à fe les rappeller
aujourd'hui , que je fouffrois alors à les
entendre. Qu'il fuffife au Lecteur d'apprendre
, que l'air de fécurité dans laquelle
la Comteffe fembloit être à mon
égard , ne fervit qu'à réveiller les prétentions
, & à ranimer les infâmes defirs de
fon mari . Il dreffa fes premieres batteries
contre na chere Louflet , cette femme
de chambre de ma tante qui m'avoit fuivie
, & qui m'avoit fervi de gouvernante.
Ce fut en vain qu'il tenta de la féduire ,
fous divers prétextes , pour me remettre
des lettres de fa part , ou pour lui procurer
quelques entretiens fecrets avec
moi . Elle ne voulut jamais fe prêter à
rien ; & m'avertit de tout. Cette conduite
me donna de vives allarmes , & m'engagea
à me tenir plus que jamais fur mes
gardes . Mais , quoique dès ce moment
mes inquiétudes ne m'abandonnaſſent ni
nuit ni jour ; quoique je me collaffe ,
Four ainfi dire , à la perfonne de la Comteffe
, on jugera aifément qu'étant dans
la même maifon , obligée même pour
MA I. 1760.
il
y
ma propre fureté , comme par devoir , à
profiter des mêmes promenades
avoit cent momens où le hafard m'expofoit
à me trouver
ou feule avec le
Comte , ou affez féparée du refte de la
Compagnie
, pour être forcée de l'entendre.
Il crut enfin pouvoir en profiter ,
pour me déclarer de nouveau toute la
vivacité de fes fentimens . Mon indignation
le fit bientôt paffer de la flatterie aux
menaces . Alors il me fit entendre , que
les difpofitions
de ma chere Chanoineſſe
,
fa tante , n'ayant été que verbales , &
n'étant fondées que fur fa
propre générofité
, je n'avois rien deformais à eſpérer
que de fa libéralité , & du foin que je
prendrois de lui plaire . En un mot , il
pouffa la dureté jufqu'à me faire rougir
de ma naiffance , & à me propofer pour
modèle & pour unique réffource , les foibleffes
mêmes de ma malheureufe
mere.
J'expofe ici , fous un feul point de vuë ,
les différens affauts que j'eus fucceffivement
à foutenir , & des perfécutions
qu'il
me fallut endurer de la part du Comte de
F... & je crois n'avoir pas befoin de dire ,
à quel excès de douleur & en même tems
de contrainte je me trouvai livrée . Quelle
fituation ! J'en frémis encore , lorfque j'y
penfe. Privée de tous fecours humains ,
1
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
fans confeils pour me conduire , obligée
de ménager tout à la fois la délicateffe &
les bontés de la Comteffe de F... je n'ap
percevois d'autre iffue à mes malheurs ,
que le déshonneur ou la misère : fi l'un
révoltoit ma Raifon , l'autre révoltoit la
Nature. Je me dois cette juftice ; mes fentimens
naturels , & l'éducation que j'avois
reçuë , ne me laiſſoient pas balancer
fur le choix : mais mon imagination troublée
ne me préfentoit aucun des moyens
propres à me tirer de l'état de perplexité
dans lequel je me trouvois forcée de vivre.
Le feul expédient qui me vint d'abord à
l'efprit , ce fut d'écrire au Comte de S.
Fargeol , & de lui découvrir la trifte fituation
dans laquelle je me trouvois réduite.
Mais ce que je venois de lui en
mander , étoit fi différent de ce que
j'avois à lui en apprendre , que je fus retenue
par une fecrette honte : d'ailleurs ,
me difois-je à moi-même , n'a- t - il pas
affez de fes propres inquiétudes , fans le
charger des miennes ? Je ne pus donc me
réfoudre à prendre ce parti . Mais enfin le
Ciel m'infpira fans doute celui que je devois
fuivre ; & j'avoue que je fus étonnée
de ne l'avoir pas imaginé plutôt.
J'avois eu tant de lieu de me flatter de
la protection du Cardinal de Rohan , &
MA I. 1760. 53
de me louer de l'amitié de l'Abbé de Ravanne
, que je ne doutai point qu'en m'adreffant
à ce dernier , je ne trouvaffe
bientôt grace auprès de fon généreux
Prince. Il eft vrai , que j'avois commis
une faute affez grave , en ne leur donnant
part , ni à l'un ni à l'autre , de la
perte que j'avois faite mais j'efpérai de
leur faire excufer , & rejetter cette négli
gence fur ma timidité naturelle , & fur
les douloureufes circonftances où je m'étois
trouvée. Je pris donc le parti d'écrire
, à M. l'Abbé de Ravanne , la lettre
gui fuit.
TRENTE- QUATRIÈME LETTRE ,
De Mademoiselle de Gondreville , à M.
l'Abbé de Rayanne.
MONSIEU ONSIEUR ,
Je me trouve fi humiliée des fautes
que j'ai commifes à votre égard , & des
chofes que j'ai à vous dire , que je crains
bien de n'être plus digne d'aucune attention
de votre part , ni du fouvenir d'un
Prince bienfaifant , dont la puiffante protection
m'eft cependant devenue plus
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE:
néceffaire que jamais. Vous avez , fans
doute , été informé de la perte cruelle
que j'ai faite , dans la perfonne de Madame
la Comteffe D..: J'avoue que c'eft par
moi, que vous auriez dû l'être : mais, Monfieur
, dans l'état où ce malheur m'a réduite
, n'eft- on pas excufable d'oublierjufques
aux devoirs les plus éffentiels ,
quand la douleur eft telle qu'elle nous
force à nous oublier nous- mêmes ? Je ne
vous en impofe point, Monfieur ! Je vous
expofe, dans la plus exacte vérité , la fituation
où je me fuis trouvée depuis le triſte
événement qui m'a féparée pour jamais
de ce que j'avois de plus cher au monde :
fituation à laquelle je ferois peut- être encore
abandonnée , fi quelque chofe de plus
cruel encore ne me menaçoit dans la
retraite que ma chere tante avoit regardée
comme le plus fûr afyle qu'elle pût
me procurer en mourant . C'eſt chez M.
le Comte de F... fon neveu , que fes dernieres
volontés m'ont conduite . Elle ne
s'imaginoit pas affurément , que le zèle
qu'il fit alors paroître pour moi , partît
de la corruption de fon coeur. Mais hélas
, je n'en ai déjà que trop de preuves !
C'eft en dire affez à une âme comme la
vôtre , pour la rendre fenfible aux nouMA
I. 1760. 55
veaux malheurs que je crains ; & dont
l'horrible perfpective frappe fans ceffe mes
yeux. Je ne dois pourtant pas vous cacher
un point moins redoutable pour
moi de la conduite du Comte à mon
égard : tout ce qui peut regarder ma
fortune m'eft indifférent , auprès de ce
qui intéreffe ma vertu. Je crois donc devoir
vous informer , Monfieur , que ma
chere tante étant au lit de la mort , déclara
à M. le Comte de F... qu'elle me
donnoit tous fes meubles & effets ; &
qu'elle exigea de fa générofité , de me
continuer la moitié de la penfion qu'il
étoit obligé de lui faire pendant fa vie ,
jufqu'à ce que la protection de Son Eminence
m'eût mife en état de m'en paffer.
Mais comme ces difpofitions n'ont été
que verbales , quoique le Comte les ait
alors acceptées de la meilleure grâce du
monde ; il ne feint point de me dire aujourd'hui
, que je ne dois m'attendre à
rien , qu'à des conditions fi honteufes ,
que je rougirois de les rapporter. Vous
pouvez vous les imaginer , Monfieur , ces
infâmes conditions : Il me fuffit de vous
dire , que je frémis d'y penfer. Jugez des
peines que l'avenir me prépare , & dont
il menace fans ceffe mon âme tremblante
!...Si ce tableau ne peut manquer d'ex-
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
citer votre pitié , quelqu'imparfaitement
que je fois en état de vous le rendre ;
quelle force n'aura- t- il pas dans votre
bouche , pour réveiller en ma faveur la
protection , le crédit , & peut - être les
anciennes bontés de Son Alteffe Eminentiffime
, Mgr le Cardinal de Rohan ? Je
fais qu'il n'y a rien que fa générofité ne
m'autorife à en efpérer. Mais c'eſt uniquement
un afyle que la vertu lui demande
; & il n'y a point d'état , quel
qu'il foit , que je n'embraſſe pour mettre
la mienne à couvert de la féduction , &
peut - être des piéges qu'on peut lui tendre.
Tout ce que j'ai l'honneur de vous
confier , Monfieur , eft encore un mystè
re pour Madame la Comteffe de F....
J'ai cru devoir , par prudence , lui cacher
les indignes procédés de fon mari , tant
pour lui épargner le chagrin de fe croire
méprifée , que pour éviter les défordres
domestiques qui en pourroient naî
tre. Je ne puis douter que je n'en devienne
la victime. Cependant , l'unique
parti qui me refte à prendre , fi j'ai la
douleur d'être abandonnée à mon défefpoir
, c'eft d'avertir cette Dame de la perfécution
que fon mari me fait éprouver.
Telle eft l'extrêmité de mon état , que je
ne puis prévenir mon malheur fans faire
M A I. 1760 . $ 7
C
le fien. Quelle étrange pofition , fi vous
n'avez pas pitié de moi ! Je n'ai plus
perfonne fur la terre qui s'intéreſſe à mon
fort , fi la bonté de votre coeur ne vient à
mon fecours. Je l'implore , Monfieur ; &
j'ofe tout en attendre . Que ne pouvez-
Vous être témoin des larmes que je répans
! Elles feroient plus éloquentes que
tout ce que je puis vous dire ; & vous
toucheroient plus encore que les fentimens
de confiance , de refpect & d'attachement
avec lefquels je fuis & c.
GONDREVILLE.
P. S. Oferois -je eſpérer , Monfieur ›
que vous veuilliez bien mettre aux pieds
de Son Alteffe Eminentiffime & l'image
de mes malheurs , & les affurances de
mon refpect profond ?
Cette lettre , que j'avois écrite avec
précaution , & que j'avois trouvé le fecret
de faire partir de même , mit un
peu de calme dans mon âme , par l'efpérance
que j'eus d'y recevoir une réponfe
prompte , & favorable. Elle ne
fut point trompée , comme on va le voir :
car , quoique j'euffe attendu cette réponfe
pendant plus de quinze jours , &
que pendant cet intervalle de temps
j'euffe encore beaucoup à fouffrir des in-
C▾
58 MERCURE DE FRANCE.
portunes précautions du Comte ; je reçus
des nouvelles fi confolantes de l'Abbé
de Ravanne , qu'elles euffent été capables
de me faire oublier tous mes malheurs ,
fi je n'avois reçu par le même ordinaire
une Lettre du Comte de S. Fargeol , qui
partageoit néceffairement mon âme entre
le bonheur qui m'étoit annoncé, & les
vives inquiétudes dont elle ne pouvoit
manquer de m'accabler. Je rapporte ici ,
d'abord , celle de M. l'Abbé de Ravanne ,
comme la plus intéreffante à ma propre
fituation ; & parce qu'en effet , je la lûs
la première.
TRENTE- CINQUIÈME LETTRE ,
De M. l'Abbé de Ravanne , à Mlle de
Gondreville.
VOoUuSs m'avez rendu juftice , Mademoiſelle
vous ne pouviez faire part de
vos malheurs à perſonne qui y fût plus
fenfible que moi . J'en excepte pourtant ,
notre grand Cardinal . On ne peut être
auffi touché qu'il l'a été de la perte que
vous avez faite , & de votre fouvenir ,
qu'il m'a chargé de vous affurer lui être
toujours cher. Vous en recevrez bientôt
MA I. 1760.
59
des preuves , qui ne vous laifferont point
douter de l'intérêt qu'il prend à tout ce
qui vous touche. S. A. Em . applaudit fans
doute à la générofité de M. le Comte de
F... & lui fçait gré de l'afyle qu'il vous
a fi gracieufement offert auprès d'une
perfonne auffi refpectable que Madame
fon époufe : mais fon intention n'eft pas
que vous leur foyez plus longtemps à
charge . Elle vient de donner fes ordres
pour vous affurer une retraite , qui vous
convient à tous égards : c'eft dans l'Abbaye
de Jouare , où Madame l'Abbeffe ,
niéce de ce Prince , vous attend ; & où
Madame de Frefnay , qui fe difpofe à
faire inceffamment un vovare à Paris , &
que vous avez connue à Strasbourg , eft
chargée de vous conduire . Vous recevrez
en même- temps , par une voiture de M.
le Cardinal , qui doit aller vous prendre
au château de .... l'avis du jour de fon
départ & du vôtre , pour lequel vous
n'avez point de temps à perdre. Ainfi ,
Mademoiſelle , vous devez vous y préparer
fans délai . Vous aurez foin de pren- ,
dre chez MM . de Corneman , à Strafbourg
, cent louis, qu'ils vous remettront
fans difficulté , fur le billet ci -joint . S. A.
Em. écrira elle- même à M. le Comte de
F.... pour le remercier , & lui faite part
C -vi
60 MERCURE DE FRANCE.
de l'arrangement qu'il prend pour vous.
Il ne me refte , Mademoiſelle , qu'à vous
rendre grâce , en mon particulier , de la
confiance que vous avez bien voulu prendre
en moi. Soyez affurée , je vous prie ,
qu'elle ne vous trompera jamais ; & qu'il
n'y a perfonne au monde qui ait
vous un attachement plus fincere & plus
refpectueux , que celui avec lequel je
fuis, & c.
pour
L'Abbé de Rayanne.
Je ne pus admirer affez la retenue de
l'Abbé de Ravanne , à la lecture de cette
lettre ; j'en fus auffi furpriſe & plus fatisfaite
même , que de l'extrême générofité
de fon adorable Prince , dont j'avois des
preuves fi touchantes pour l'avenir , & fi
effentielles pous mes befoins préfents, par
le billet qui étoit joint à cette lettre.
Je viens à celle du Comte de S. Fargeol.
( Lafuite, au prochain Mercure. ),
MAI. 1760.
6.r
SCENE CINQUIEME du premier Alte
du Caton , d'Adiffon .
EST- CE
JUBA , MARCIE.
JUBA.
ST- CE vous que je vois , digne objet de mes
feux ?
Que cet afpect charmant , raſſure un malheureux !
Oui... je fens que mon coeur fe calme à votre vue ;
L'efpérance renaît dans mon âme éperdue :
De vos attraits touchants , la douce majesté ,
A ces momens d'horreur , vient mêler la gaîté.
Le tyran de mon coeur , adouci par vos charmes....
MARCIE...
Ciel ! qu'entends-je ?... Et c'est moi, qui lui prête
des armes ! ....
Mes yeux , mes triftes yeux ferviroient les forfaits
?
J'aurois trop à rougir de mes foibles attraits.
Il vient à nous , Seigneur, ce tyran déteſtable :
Il- menace Caton ; & fa fille coupable ,,
Pourroit trahir ? ...
JUBA.
Pardonne à cet excès d'amour ,
Vertueufe Marcie ! hélas ! ce trifte jour ,
Va peut-être éclairer le triomphe du crime..
2
62 MERCURE DE FRANCE.
"
Sous mes pas chancelants , quand j'entrevois l'a
bîme ;
Quand je te perds peut- être , en fuivant mor
devoir ;
A mon coeur déchiré , laiſſe du moins l'efpoir:
Laiſſe-moi me flatter que tes regards ſenſibles ,
Sont attachés fur moi dans ces momens terribles:
Que tes tendres fouhaits , vont me ſuivre au combat
:
Cet eſpoir enchanteur animera mon bras ;
Et de mes traits plus fûrs , les coups inévitables,
Feront pleuvoir la mort fur ces têtes coupables.
MARCIE.
Si vous êtes l'ami de Rome & de Caton ,
Soutenez tout le poids de cet auguſte nom.
Défendez la vertu , contre la tyrannie.
C'eſt à ce prix , que font les ſouhaits de Marcie.
JUBA.
Souhaits chers à mon coeur, je cours vous mériter !
Et toi , fage morrel , Caton , viens m'inſpirer :
Allume dans mon fein cette divine flâme ,
Que la vertu romaine alluma dans ton âme.
Que ta fille , dans moi , puiffe un jour t'admirer !
Qu'un jour !...
MARCIE.
Commencez donc ici par l'imiter.
Le temps vole , Seigneur , & fon aîle rapide
Va nous montrer bientôt un Citoyen perfide.
En de pareils momens , Caton fçait moins parler
MA I. 1760. 63
JUBA.
Je m'égarois ; ta võix a fçu me ramener .
Je vole à mes Soldats : de leur valeur mourante ,
Je vole ranimer la flâme languillante ,
Inſpirer mon ardeur aux efprits abattus ,
Porter dans tous les coeurs Caton & fes vertus.
Et quand Mars paroîtra,fous cette pompe horrible
Qu'étale des combats l'apprêt ſombre & terrible ,
Tes traits, toujours préfens à ce coeur plein de toi ,
Tes traits chers & charmans,ſe montreront à moi,
Et nos tyrans verront , ſi mon bras juſtifie
L'orgueil des voeux que j'ofe adreffer à Marcie.
Par M. de Y. d. L. d.
à Lille , ce ...
MADRIGAL.
LE Dieu qui règne fur ces rives ,
Promène lentement fes ondes fugitives :
On n'entend plus les flots exciter , en roulant ,
Un agréable & doux murmure ;
Et les gazons fleuris , ne s'empreffent plus tant
De l'embellir par leur verdure.
Sa charmante Nayade , en pleurs ,
Vient foupirer fur le rivage
Son infortune , fes douleurs ,
Et l'infidélité de ſon époux volage .
64 MERCURE DE FRANCE.
Comment s'eft affoibli l'amour
De ce Dieu qui près d'elle oublioit tout le monde ?
C'eft que la belle Eglé fe miroit l'autre jour
Sur la furface de fon onde...
Par M. DEN OI.
VERS à Madame DORI... de GOL...
pour être mis au bas de fon Portrait ,
qui n'étoit pas bien reffemblant.
To
U vois , d'Iris , ce tableau peu fidèle ;
Il ne rend pas le quart de fes attraits .
Le Peintre déffinoit ; & du bout de fon áîle ,
J'ai vu l'Amour , jaloux , effacer bien des traits :
Iris eft fon plus bel ouvrage.
Ce Dieu ne veut pas aujourd'hui ,
Que l'art , partageant notre hommage,
Faffe rien d'auffi beau que lui .
Par le même.
MAI. 1760.
16
LES TALENS DE L'ESPRIT.
POEME.
PREMIER CHANT.
JE chante les Talens de l'efprit , fource
féconde de biens ou de maux , de gloire
ou de honte , fuivant l'ufage que l'on en
fait ; tréfor ineftimable dans les mains
de l'homme raifonnable & vertueux ;
poifon pernicieux ,dans les mains de ceux
qui s'éloignent de la Sageffe & de la Raifon.
Heureux, fi je pouvois infpirer à ceux
qui en abuſent , le defir de les rendre à
leurs véritables deftinations ! Heureux , fi
je pouvois louer dignement ceux qui n'en
ont jamais abufé !
Mais quel espoir féduifant , eft venu
m'engager dans une carrière fi difficile !
Ne faudroit- il pas avoir les vrais Talens ,
pour les célébrer comme il faut ? Je fens
toute la témérité de mon entrepriſe ; le
zèle feul pourra la faire excufer.
C'eft à vous , ô Mufes à la feconder ;
ou plutôt , c'est vous que j'implore , ô Sageffe
fuprême! qui rendez feule les Talens
vraiment refpectables & véritablement
66 MERCURE DE FRANCE.
précieux ne me refuſez point quelques
rayons de cette lumière éclatante , qui
préſerve les hommes de l'égarement :
mais paroiffez dans mes vers plus douce
que fincère , moins impérieufe qu'aimable
; vous n'en ferez que plus fûre de
perfuader. Minerve doit fe faire accompagner
par les Grâces , & voiler fes inftructions
fous les charmes de l'agrément ,
comme on voit , dans nos jardins, les fruits
fe cacher fous les fleurs.
Et vous , arbitres de ces Talens , que
vous honorez par vos moeurs ! vous qu'Apollon
& Minerve firent dépofitaires du
tréfor de la raifon agréable , & du goût
épuré ; daignez m'encourager par un de
vos regards , comme on vit autrefois le
Soleil guider de l'oeil & de la voix le jeune
Phaeton , parcourant les campagnes
immenfes du Firmament. Heureux , fi
trop temblable en tout à ce téméraire , je
ne fers point d'exemple aux audacieux !
LES HOMMES Connoiffoient déjà la fageffe
, que le goût leur étoit encore inconnu
; leurs moeurs réglées , mais un peu
fauvages, avoient befoin d'être adoucies ,
d'être civilifées par les Talens de l'efprit :
ils en avoient en eux le germe ; mais il
étoit queftion de le développer. Le fouverain
difpenfateur des Talens & desArts,
MAI. 1760. 67
Apollon quitte le Parnaffe , capitale de
fon Empire ; & fur un nuage d'azur &
de lumière, s'élève d'un vol rapide fur la
voute célefte , d'où le Maître des autres
Dieux contemple & juge les foibles Mortels
& les Divinités mêmes qui lui font
fubordonnées .
:3
Grand Dieu ! dit Apollon , défapprouverez-
vous les deffeins que j'ai formés
pour la gloire & le bonheur du monde ?
L'homme ignore encore les charmes &
les avantages des Talens de l'efprit , fi
capables de le diftinguer de tous les autres
êtres n'est- il pas temps de les faire
connoître à l'Univers , & de répandre fur
les mortels les dons du génie , du goût
& du fentiment ? Je brûle de les leur infpirer
, & de mêler à l'innocence de leurs
moeurs ce qui peut la rendre encore plus
touchante & plus agréable. N'eft- il pas
temps auffi, qu'à l'exemple de tant d'autres
Divinités qui régnent fur la terre ,
je manifeſte mon pouvoir à ceux qui l'habitent
, & que je leur faffe reffentir mes
bienfaits ? Ils ont appris , de Cérès , la ſcience
utile de l'agriculture ; de Mercure ,
celle du commerce & de l'induſtrie : Pomone
, fertilife leurs vergers ; Flore , embellit
leurs jardins ; Pan, a raſſemblé leurs
troupeaux ; Neptune , les conduit fur le
8 MERCURE DE FRANCE.
perfide élément qu'il gouverne ; ils ont
même reçu de Mars & de Vulcain , l'art
terrible de la guerre & des combats : ne
dois-je pas , à mon tour , leur enfeigner
des Talens plus doux , & des Arts plus
agréables ? ....
Jupiter, d'un clin d'oeil qui fait trembler
l'Olympe ébranlé par un fi majeftueux
mouvement , approuve le projet d'Apollon:
mais il defireroit que le Pere des Talens
prît avec lui Minerve pour le feconder
, & même pour lui fervir de guide.
La fierté d'Apollon reçoit à regret un
confeil qui l'expofe au partage de l'autorité.
Laiffons ( dit- il à Jupiter , ) laiffons
à Minerve le foin de former les coeurs &
de les gouverner ; je prends fur moi ſeul
l'emploi moins férieux , mais plus flatteur
peut- être , d'orner & de cultiver les ef
prits .
A ces mots , Apollon quitte l'Empire
immenfe des Cieux , pour defcendre rapidement
fur cette terre bornée , dont
notre orgueil femble vouloir étendre les
limites ; point imperceptible aux yeux
des immortels ; vafte champ pour nos
regards ; & dans lequel nous formons un
point plus imperceptible encore !
Le Dieu des Arts & des Talens, répand
fur les Mortels un fouffle enflammé, dont
MA I. 1760. 69
ils ne tardent pas à reffentir les impreffions
divines & les effets merveilleux.
Leur génie fe développe & s'étend , s'é
chauffe , éclate , & s'élance avec la même
rapidité que le falpêtre, qui n'attend pour
forcer la prifon qui le renferme, que
la
main qui doit l'enflammer. Puiffent les
étincelles d'un fi beau feu , éclairer le
monde , fans y cauſer d'embraſement !
L'infpiration d'Apollon eft une vive
lumiere , qui diffipe tout- à - coup les ténèbres
dans lesquelles l'efprit humain étoit
enveloppé. La Raifon acquiert un nouveau
degré d'intelligence & de fagacité
les connoiffances s'étendent & fe
multiplient ; les Talens naiffent , & font
naître avec eux les plaifirs délicieux de
l'imagination, dont les couleurs enchantereffes
embelliffent la vérité même , & qui
réalisent à nos yeux des chimères agréa
bles... Souvent plus cheres aux hommes
que l'effentiélle vérité ! La voix , docile
aux loix de l'efprit , l'interprête avec
grâce , & le peint avec force dans la
déclamation ; le gefte la feconde , & rend
l'efprit encore plus éloquent ; la politeffe,
qui fçait orner tout ce qu'elle touche ;
la clarté , qui rend l'efprit lumineux ; la
délicatefle , qui fait le charme des paroles
& l'allaifonnement des actions ; la ya70
MERCURE DE FRANCE.
riété , qui bannit l'ennui ; le goût enfin ,
qui fait valoir tour le refte , & qui ſçait
auffi l'apprécier , fe réuniffent pour étendre
l'Empire des Talens , pour affurer
leur régne , & le perpétuer . Une aurore
nouvelle paroît éclairer un nouvel Univers
on diroit que les hommes viennent
d'être créés , pour la premiere fois . Le
Dieu des Arts s'applaudit de fon ouvrage
; & les hommes en jouiffent.
LES
SECOND CHANT.
ténèbres que le flambeau d'Apol
lon avoit fait difparoître de deffus la terre
, étoient retombées dans les enfers ,
dont elles avoient redoublé l'horreur &
l'obfcurité . l'Envie , trifte habitante du
féjour, ténébreux , apprend , par cette
révolution , les nouveaux bienfaits que
les Dieux viennent de répandre fur les
Mortels . Elle en frémit ; & jure , par
le Styx, de mettre obftacle à leur félicité.
La naiffance des Talens allume en elle
un reffentiment , qu'elle fe hâte de faire
éclater . Elle va trouver l'Ignorance , qui
s'occupoit fur les bords du Tartare , à
fe rappeller orgueilleufement les crimes
qu'elle avoit occafionnés.
MA I. 1760. 71
Quelle eft , dit l'Envie , ton indigne
fécurité , tandis qu'Apollon s'applaudit
fur la terre des atteintes qu'il vient de
porter à ta puiffance ? Ton Empire eft attaqué....
Que dis - je ? il eft détruit , fi tu
n'en préviens pas la chûte ! Les Talens
viennent de naître ; ils ont rapidement
étendu les limites de l'efprit humain :
négligeons de les combattre , ils ne tarderont
pas à fe multiplier. Je crains ,
furtout ,( & tu dois l'appréhender autant
que moi ) je crains que lesTalens de l'efprit
ne rendent les hommes encore plus
fages , en les civilifant. Une feule chofe
me raffure ; mais elle ne fuffit point à
mon reffentiment : Apolion a refufé de
s'affocier avec Minerve ; & Minerve, à fon
tour , dédaigne de feconder les projets
d'Apollon leur défunion écarte notre
plus cruelle ennemie. Le refus d'Apollon ,
ranime mon courage ; & je ne défefpère
plus d'anéantir lesTalens qu'il a fait naître.
Que feront - ils , fans la Sageffe ? Le
vrai moyen de les détruire , eft encore en
notre difpofition c'eft de faire en forte
que les hommes en abufent. Minerve ne
accompagne pas ; ils feront fans défenfe
: les voilà perdus. L'infiant eft favorable
partons ; réuniffons nous contre
nos ennemis. Mettons dans nos intérêts
les
:
72 MERCURE
DE FRANCE.
tout ce que l'enfer a de plus redoutable
aux Talens & à la Vertu , l'Irréligion , la
Satyre , & l'Obfcénité : elles nous prêdes
armes fûres ; elles
aideront à faire détefter ces nouveaux
préfens des Dieux qui flattent l'orgueil
de l'efprit humain , & que nous ferons
tourner à fa confufion.
teront nous
Comme on a vû quelquefois , à la
honte de l'humanité , des Guerriers féroces
empoifonner les fleuves & les fontaines ,
pour donner plutôt & plus furement la
mort: à leurs ennemis: ainfi l'Ignorance &
l'Envie , déchaînées contre les Talens ,
méditent d'empoifonner les fources de nos
plaiſirs , pour nous faire trouver le défordre
& les remords dans les ouvrages ou
nous devrions ne puifer que la fageffe la
plus pure , & la plus douce félicité. Elles
invoqnent & raffemblent en un inftant
les funeftes compagnons de leurs tra
vaux , & les complices de leurs crimes.
-L'Irréligion fe dérobe , pour les venir
trouver , aux cris effroyables des Titans
gémiffans fous le poids des montagnes
dont les Dieux les ont accablés , pour cha
tier leur rébellion . L'efpoir renaît dans
leur coeur , en apprenant que les Talens
corrompus par l'Impiété , vont révolter
les Mortels contre les Dieux ; & que
déformais
MAI. 1760. 73
deformais l'efprit des hommes, infecté du
fatal poifon qui va leur être communiqué
, aura l'audace de chercher à définir
ce qu'il devroit adorer , & blafphémera
bientôt les Dieux qu'il auroit dû glorifier.
La Satyre , armée d'un trait éguifé par
la Fineffe , & empoifonné par la Malignité,
fe cache fous les traits de Momus
Dieu de la Raillerie , prèfque toujours offenfante
, & fouvent funefte à ceux qui
plaifantent le mieux .
L'Obfcénité hardie, appuyée fur l'Indé
cence , précédée de la Corruption & fuivie
des Dégoûts , emprunte les traits de
Vénus , fi capables de féduire ceux qui
n'ont pas le courage de s'en préferver par
la fuite.
*
Toutes trois , conduites par l'Envie ,
fe rendent dans un féjour chartnant , ou
l'Innocence & la joie avoient raffemblé
les Talens dans un repas champêtre
ordonné par la Sobriété , apprêté par la
Délicateffe , & fervi par l'Amitié. Bacchus
même , y fervoit une liqueur égale au
nectar des Dieux.
L'Envie , déguifée fous les traits ſéduifans
de la jeune Hébé , s'approche en
folâtrant de la coupe de Bacchus , empoifonne
la liqueur , & fait circuler parmi
les Talens le venin le plus fubtil & le.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
plus dangereux , puifqu'il eft compofé
des poifons réunis de l'Irréligion , de la
Satyre , & de l'Obſcénité.
L'Innocence s'en apperçoit : elle prend
la fuite ; la Joie difparoît. La Licence
leur fuccède , avec le Délire & l'Emportement
le Ciel s'obfcurcit ; le tonnerre
gronde ; & l'Envie confomme fon ouvra
ge , en armant les uns contre les autres
les Talens , qui renouvellent , dans leur
fatale yvrefle la cruelle hiftoire des
Centaures & des Lapithes , dont les com
bat troubla les nôces de Pirithoüs .
"
( La fuite , au Mercure prochain. )
LES AMOURS A LA MODE
VAUDEVILLE.
AIR , Des Portraits à la mode.
DIRE IRE en tremblant le fecret de fon coeur ,
De fa Maîtreffe épargner la pudeur ,
C'étoit la vieille méthode .
Defirs d'aujourd'hui font plus fortunés ,
Chacun les déclare avant qu'ils foient nés ;
Les entreprenans font feuls couronnés :
Voilà les amours à la mode !
MAL. 1760. 75
Aux pieds de fa belle , un amant difcret ,
Portoit chaque jour un tendre bouquet ;
Les Dieux feuls fçavoient où cela ſe met :
C'étoit la vieille méthode .
Si fa main encor cueille le jaſmin ,
C'eft pour le placer d'un air libertin ,
Et pour arracher le fien de fon fein :
Voilà les amours à la mode !
1
Sur le rapport des humeurs & des goûts ,
On fondoit tout le bonheur des époux ;
S'adorer , étoit le bien le plus doux :
C'étoit la vieille méthode.
L'hymen , aujourd'hui , fe traite autrement ,
L'intérêt décide le dénoûment ;
Sur la dot , on règle le fentiment :
Voilà les amours à la mode !
Par M. RELONGUE DE LA LOUPTIERE ,
Membre de l'Académie des Arcades de Rome.
VERSfur la mort de M. THUROT ,» tue
au combat naval , du 28 Fév. 1760 .
FUNTS
甲
UNISTI aveuglement , du fort qui nous
conduit !
Hélas ! dans l'éternelle nuit ,
Jeune , après mille exploits , Thurot vient de def
cendre.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Anglois, qui redoutiez fon nom, quoique nouveau ;
Vos regrets , à fon ombre , élèvent un tombeau s
Senfible à fes vertus , vous honorez fa cendre : *
C'eſt jouir, doublement , d'un Triomphe ſi beau !
Par M. *****
ÉPITRE FAMILIERE ,
A M. ***** , Curé de Saint
**
à Paris.
Toi , 01 , dont l'infatigable zéle ,
Brûle aux dépens de ta fanté ;
Qui , lorſqué le devoir , t'appelle
Au fecours de l'humanité ,
Ne prêtes plus qu'une oreille rebelle
Aux cris de ton infirmité.
Toi , qui par la Littérature ,
Enrichis cet efprit , dont le Ciel t'a dotes
Et qui , dans la fociété ,
Sans que la décence en murmure ,
Portes une aimable gaîtés
Paſteur chéri ! mon âme fatisfaite ,
De voir les Préjugés à tes pieds abattus ,
Vient applaudir à leur défaite ,
Que tu ne dois qu'à tes vertus,
Ta droiture & tes moeurs, leur impofent filence;
(
༢. ་ ་
J11
* Les Gazettes Angloiſes , qui ne peuvent être fufpec.
tes , furtout en ce cas - ci , retentillent des éloges de ce brave
Marin , & des honneurs qui ont été rendus à fà mémoire .
MA I. 1760. 77
Ta charité , qu'éclaire la Prudence ,
A triomphe de la froideur :
J
Ton Peuple , ton Clergé , vient à réfipifcence ;
Leur eftime eft déjà le prix de ta douceur ;
Tes don's vont les forcer à la reconnoiffance :
Les bienfaits nous gagnent le coeur.
*
Le Vieillard , à qui tu fuccèdes ,
Eprouva , comme toi , des contradictions ;
Mais dans fa patience , & dans fes actions ,
Il trouva de puiffans remédes
Contre l'effort des factions.
J
Par le ton de la bonhommie ,
Il fçut dans le bercail ramener le troupeau .
Ces hommes prévenus, prirent un coeur nouveau ;
Sa bonté defarma leur colère ennemie :
Le loup , pour lui , devint agneau .
Aux leçons des Vertus , il ajouta l'exemple ;
Il embétfit l'Auret , il décora le Temple ;
Il fut de l'orphelin & le Pere & l'appui :
Des coeurs qu'il fe foumit , la moiffon fat trèsample:
Mais ce qu'il fit alors , tu le fais aujourd'hui ;
Et l'on retrouve , en toi , ce qu'on perdit en lui.
Ta libérale maia , foulage l'indigence ;
Le befoin , près de toi , trouve un facile accès ;
En Chaire , tous les mois , ta voix fait le Procès
Au vice qui s'endort au fein de l'indolence.
Au Tribunal de Pénitence ,
Diij
8 MERCURE DE FRANCE.
Je vois ton zéle ardent pouffé jufqu'à l'excès :
Mêmes travaux , mêmes ſuccès :
Que ne peut point la bienfaiſance?
Partout je te vois honoré :
Aux vents des paffions , fuccède la bonace.
A ton afpect , des coeurs je vois fondre la glace :
Le Marguillier d'honneur , pour toi s'eft déclaré.
Tout revient fur fon compte , & l'on donne au
Curé ,
Ce qu'on refuſoit à ſa place.
Jouis du tranquille repos ,
Dont le Dieu que tu fers couronne tes travaux.
Lorfque fans négligence on a rempli ſa tâche,
L'efprit a befoin de relâche ;
Plus il eft fatigué , plus il faut l'amuſer :
L'arc trop tendu , riſque de ſe brifer.
A de pénibles foins , ton âme eft trop livrée : .
Pour quelques jours , Ami , quitte Paris ;
Et d'une fanté délabrée ,
Apporte-nous ici les précieux débris.
Les champêtres beautés de ce féjour tranquille ,
Les côteaux enchantés , l'air pur de Sartrouville *
Hâteront la lenteur de ton fang pareſſeux :
La Décence , en ces lieux , accompagne les Jeux;
La Sageffe , y règle le ſtyle
De quelques amis vertueux .
Que de motifs , pour toi , d'abandonner la Ville!
* Village , à quelques lieues de Paris,
MA I. 1760. 19
Ici , chacun s'amufe , & fait comme il l'entend.
On fuit fon goût , & tout le monde eft Maître ,
Hors celui qui feul devroit l'être.
Ne le fais point languir : fon amitié t'attend.
Par M. l'Abbé CLÉMENT , Chanoine
de S. Louis du Louvre.
PORTRAIT
De Mlle de B**** , fille de Mde la Marquife
de B**** , qui a donné au Public
les Bagatelles amufantes .
Sur l'air : Tout roule aujourd'hui dans le monde.
ΝNE fuis-je pas affez gentille ,
Pour trouver bientôt un époux ?
Et pourquoi donc fuis - je encor fille !
Ma foi , cela me paroît fou !
Que me manqueroit-il pour plaire ?
N'ai-je pas tous les attributs
De la Déeffe de Cythère ,
Et de Minerve les vertus?
Sans trop parer ma marchandiſe ,
Je vais de mes jeunes appas ,
Aujourd'hui faire l'analyſe ;
Bien fot qui ne ſe vante pas.
En deux mots , voici ma figure:
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
J'ai l'air jeune , brillant , & frais :
Pour toute beauté , la Nature
Des Grâces m'a donné les traits.
On dit ma taille , fans pareille ;
On admire mon pied mignon ;
Partout on prône mon oreille ;
On applaudit à mon chignon.
Si mes yeux ne font pas énormes ,
C'eft que je fuis en racourci ,
Soit pour le fond , foir pour la forme,
Le bijou le plus accompli.
En tout temps , je fuis naturelle ;
J'inſpire toujours la gaîté : pote
J'affaiſonne une bagatelle ;
Et je ris d'une pauvreté.
Je ne fuis point contredifante:
Et cependant , hors de ſaiſon
Contre ma mère j'argumente,
Quelquefois fans trop de raifon .
Je ne fçais quel démon me tente
M'agite & m'anime au combat :
Suivant le Concile de Trente ,
C'eſt le démon du Célibat.
Pour guérir cette frénéfie ,
Mariez-moi , belle maman :
Du moins , une fois dans la vie,
Nous aurons même ſentiment.
Par Madame D. DG.
MAI 1760. 81
LE mot de la première Enigme da
Ε
fccond volume d'Avril , eft Carnaval . Celui
de la feconde , eft Perruque.
Le mot du premier Logogryphe , eft
Ecritoire. Celui des autres , eft Béterave ,
Malheureux , Dieu. Celui du Latin , eft
Navis , où l'on trouve Avis.
angalE NIGME.
COMOPMPOOSSEÉ monstrueux de grandeur , de baſpra
pola felle , 10
De vices , de vertus , de fcience , d'erreur ,
D'humilité , d'orgueil , de force , de foiblelle :
l'ignore qui je fuis , je me cherche fans celſe.
Tire-moi d'embarras : qui fuis-je , ami Lecteur?
97?
... fo :
a cup. at 12.0
AUTRE ENIGME.
Avoir ma grotefque figure
La jeuneffe fe divertit
Cependant, admirez ma bifarre avanture !
Je- cours après le monde, & le monde me fuit,
A
Cette frayeur , eft affez raifonnable t
Quoiqu'aveugle , ainfi que l'amour,
l'amour
Dv
81 MERCURE DE FRANCE.
Quand j'attrape quelqu'un , fi je fuis véritable ,
Pour quelque temps il eſt privé du jour.
Jefuis quelquefois mâle , & quelquefois femelle.
A l'abri de mon nom , l'Amant qui n'eft pas fot ,
Peut dérober des faveurs à fa Belle ,
Sans qu'elle ofe lui dire mot.
LOGOGRYPHE.
POUR
OUR me trouver , Lecteur,tu travailles peutêtre
;
Mais tu n'es pas le feul qui defire m'avoir :-
Mille & mille , par moi , font nés & s'en vont
naître .
Si tu veux me connoître , exerce ton fçavoir.
Des Rois & des Bergers , je deviens le partage;
Je plais à brune , blonde , aur jeurres comme
aux vieux ;
La Raifon & l'Amour , m'invoquent en tous lieux;
De Tircis , & d'Églé , je forme le ménage ;
Mille aimables Mortels , fans moi , mourroient
de faim ;
Et fans moi , l'Univers verroit bientôt fa fin.
Sur fept pieds établi , fi l'on me décompoſe ,
On rencontre en moi l'air , utile à toute chofe;
Le nom de notre Reines ou pronom poffeffif
Ou meuble de Galère , ou celui d'un Efquif.
M A I. 1760. 83
En cherchant bien encor , tu trouveras , je gage ,
Le contraire de gras , le contraſte de doux ;
Un mot fort ufité , fynonyme d'Epoux.
Ce n'eft pas tout , Lecteur : pour m'avoir , il faut
l'âge .
Peut-être me tiens-tu ? peut- être , tu m'auras ;
Et peut- être , plutôt que tu ne le voudras.
Par M. le Chevalier de M. E. de Mad.
D. F. Chevalier de S. Louis.
AUTR E.
MON tout , n'eft qu'un monofyllabe :
Mais , malheur au Mortel dont j'habite le corps
J'y fuis pour lui , plus cruel qu'un Arabe ,
Jufqu'à ce que j'en fois dehors.
En combinant ma petite fabrique ,
L'on trouvera deux notes de muſique ,
Un arbre , un terme de dédain ,
Un titre familier parmi le genre humain ,
Que ſouvent on ne foutient guères.
Bref , le nom d'un des douze frères
Qui règnent tour- à- tour. C'eft celui , juſtement
Que l'on voit aujourd'hui régnant .
I
D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
ARIETTE.
EUN coeur, plein de feux ,
Aimez , pour être heureux..
Mais , aimez fans foiblefle
Toujours libre & conftant.
Au fein de la fagefle ,
Le bonheur vous attend.
Jeune coeur , plein de feux ,
Aimez , pour être heureux.
Par M.. D..
DA
sugi Led Lunch
Tendrem f
Jeune coeur plein de feux, Aimés
être
pour
W
ureux, Jeune coeur plein de feuxAimés
Fin. W'
ur être heureux; Mais aimés sans foibles
W
Toujours libre et constant, Mais aimés
foiblesse Toujours libre et constant. Jeune.
sein de la sa -gesse Le bonheur vous at =
d Au sein de la sa -gesse
Le bonheur
OUS at. tend...
Jeune
ANT
1
MAI. 1760. 85
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE de M. DE GRACE , à l'Auteur
Anonyme d'un Livre nouveau intitulé:
CULTE DES DIEUX FÉTICHES , ou Parallèle
de l'ancienne Religion de l'Egypte
avec la Religion actuelle de la Nigritie.
Vol. in- 12 . de 185 pages. 1760.
MONS ONSIEUR ,
L'Ouvrage que vous venez de donner
au Public, annonce une grande érudition ,
un profond fçavoir , & beaucoup d'efprit.
Les principaux points du fyftême que vous
expofez dans ce fçavant Ouvrage , fe réduifent
, fi je ne me trompe , aux articles
fuivans
.
}
1. Vous prétendez que le Fétichisme '
ལ །
* Tout le monde fçait que les habitans de la
Nigritie prennent pour Dieu tutélaire , une mod
che , un papillon , un oifeau , un lion , une montagne
, in arbre, une pierre , un poiffon, la mer
meme. Les Européens ont donné à ces fortesde
Divinités le nom de Fétiches. ités leur Lifez les Relations
des Voyageurs , fur les Côtes de Guinée.
86 MERCURE DE FRANCE.
actuél des habitans de la Nigritie , a été
la principale Religion des anciens Egyptiens,
& même de prèfque tous les Peuples.
2. Vous foutenez , que les Egyptiens
ont été des Sauvages dans leur origine ,
comme toutes les autres Nations depuis
le déluge ; qu'ainfi ils n'ont pas été capables
d'imaginer une Religion myſtérieufe
à laquelle on pût donner des interprétations
métaphyfiques & phyfiques;
& que par conféquent il eft abfurde de
vouloir y trouver du figuré , comme plufieurs
Sçavans ont ofé le penſer.
3.° Vous infinuez, que le Paganifme en
général n'a confifté que dans le culte rendu
aux Aftres , à des animaux , & trèsfouvent
à des hommes morts divinifés.
4. Vous penfez, qu'il y a du ridicule à
croire qu'on auroit inventé une Religion
qui auroit été an myftère continuel pour
le Peuple ; & vous ajoutez, que le filence
des Prêtres Egyptiens , fur leur Religion ,
ne provenoit que de ce qu'ils n'avoient
rien à dire fur un fyftême religieux , extravagant
par lui-même , & dont ils fentoient
toute la puérilité.
:: Permettez-moi , Monfieur , de vous
expofer ce que je penſe fur ces articles.
Je fens que j'ai à combattre un adverfaire
dont les forces font fupérieures aux
MAI. 1760. 87
miennes : mais fi je fuccombe , je n'aurai
point à rougir d'avoir rendu les armes à
un tel vainqueur.
Pour procéder, avec quelque méthode ,
je diviferai cette efpéce de differtation en
deux Articles tirés des précédens .
1. J'examinerai , fi les Egyptiens ont
été des Sauvages dans leur origine ; & fi
leur Religion primitive a pû être formée
fur des principes de Métaphysique & de
Phyfique .
2. Je tâcherai de faire voir , que les
premiers Egyptiens ont connu le vrai
Dieu; qu'ils n'ont point divinifé des hommes
, ni rendu un culte réel aux animaux
; & que par conféquent le Fétichifme
n'a point été la Religion primitive
des Egyptiens.
ARTICLE PREMIER.
Vous voulez , Monfieur , que toutes les
Nations ayent
été Sauvages depuis le
Déluge , à l'exception du Peuple choifi.
En examinant avec attention les Annales
du Monde, depuis le Déluge , je n'apperçois
aucune trace de cette rufticité
que vous prêtez gratuitement au genre
humain. Je vois , au contraire , des hommes
qui connoiffent & cultivent les Arts;
puifque felon l'Ecriture- Sainte , ils for
88 MERCURE DE FRANCE.
ment,l'entreprise d'élever une tour d'une
Hauteur prodigieufe, entreprife qu'ils exécurent
en partie. Dieu les force de ceffer
leur ouvrage ; & alors fe fait la difperfion
des hommes par toute la terre. Je
fuis ces mêmes hommes , & je les confidère
comme partagés en deux bandes.
L'une , bâtir des Villes , s'y enferme , fe
police , fe perfectionne dans les Arts &
les Sciences ; l'autre , au contraire , trouvant
des délices dans la vie champêtre,
parcourt les campagnes , n'ayant, pour fe
mettre à l'abri des injures de l'air que
des tentes, des chariots couverts de peaux,
ou des cabanes groffiérement conftruites,
Cette derniere bande, qui forme nos peuples
Nomades ou vagabonds , changeant
Continuellement de demeures , couvre infenfiblement
la terre de Sauvages ; parce
que ces Peuples vivant dans les deferts,
les bois , les montagnes , contractèrent
la rufticité des lieux qu'ils habitoient .
Vous voyez par- là , Monfieur , que les
habitans de la Terre n'étoient point
fauvages dans leur origine ; & je vais
Vous donner une preuve de ce que javance
:
Slave
---Dès l'ân 2125 , avant Ţ. C. l'Empire de
Ninive & celui de Babylone , paroiffent
avec une forte d'éclat dans l'Alie. On y
M A I. 1760. 89
3
voit bientôt fleurir lesArts & les Sciences,
qui adouciffent les moeurs témoins ces
fuperbes jardins de Babylone , & les
autres ouvrages conftruirs par Sémitamis
, qui monta fur le Trône , l'an 1916
avant J. C. L'Afrique ne tárda pas à être
habitée ; & la Colonie Afiatique , qui
palla en Egypte , fe diftingua , dès fon
origine , par la fageffe de fes Loix , &
fon goût pour les Arts , dont elle avoit
eu connoillance en Afie. Voici fur quelles
probabliités je fonde mon opinion.
Ces Afiatiques , auxquels je vais donner
le nom d'Egyptiens , commencerent ,
fuivant toutes les apparences , à fixer
leur demeure fur les bords da Nil! Ils
reffentirent bientôt les incommodités de
l'inondation du fleuve ; & ils furent en
conféquence , obligés de faire diverſes
obfervations fur cette inondation périodique.
Il fallut donc prendre des mefures
pour s'en garantir , & pour profiter
en même-temps de la fertilité que
le limon du Nil procuroit à la terre. Les
Egyptiens devinrent donc Aftronomes
Géomètres , & par conféquent Philofophes
, dès l'inftant qu'ils commencerent
à habiter l'Egypte .
Je fixe l'arrivée des Afiatiques , dans
l'Egypte , très - peu de temps après la fon90
MERCURE DE FRANCE.
>
dation de Ninive ; puifqu'au bout de
cent cinquante- fept ans , c'eft - à - dire ,
l'an 1968 une Colonie Egyptienne ,
conduite par Inachus, paffe dans la Grèce,
& commence à civilifer les Peuples fau
vages qu'elle y trouve. Ces monumens
hiftoriques me paroiffent démontrer
clairement que l'Egyptien n'a point été
fauvage dans fon origine. Ainfi, Monfieur,
les paffages de Diodore de Sicile , &
de quelques autres que vous alléguez ,
pour prouver la barbarie des premiers
Egyptiens , ne peuvent en aucune manière
appuyer votre opinion . Vous favez,
d'ailleurs , quel fond on doit faire fur
Diodore de Sicile , qui rapporte en même-
temps le pour & le contre , fans rien
difcuter.
Je crois avoir démontré , que les premiers
Egyptiens ont été Philoſophes :
leurs loix , leurs coutumes , leurs ufages ,
ont donc été conformes aux principes
de la Philofophie , & c'eft ce que l'Hiftoire
nous apprend. Tous les Egyptiens
n'ont pas pu s'adonner aux ſpéculations
philofophiques ; & elles ont été réſervées
pour un certain nombre d'entr'eux , dont
l'efprit étoit plus capable d'approfondir
les myftères de la Nature . Il s'eft donc
alors formé , dans l'Egypte , un corps de
MA I. 1768:
Philofophes , qui par la fuite ont été
regardés comme les Prêtres du Pays.
Dépofitaires des Sciences , ils travaillèrent
à réduire en fyftême les idées
qu'ils avoient fur la création du monde ,
fur le développement de la matière , &
fur les différentes productions de la Nature.
Guidés par ce génie oriental , qui
femble ne fe plaire que dans le figuré ,
& qui n'aime à repréfenter les chofes les
plus fimples que par des emblêmes , ils
publièrent les productions de leur efprit
d'une façon fi énigmatique , que le Peuple
groffier n'y put rien comprendre.
Pour couvrir d'un voile plus impénétrable
les chofes dont ils fe réſervoient la
connoiffance ; ils firent ufage d'une écriture
, qui fut dans la fuite regardée comme
facrée . Vous fçavez , Monfieur , que
je veux parler ici des Hieroglyphes.
Les Philofophes Egyptiens ne purent
parler de la création du monde fans
faire mention du Créateur , de fes attributs
, & des effets de fa prudence ,
fuivant les idées qu'ils avoient de toutes
ces chofes ce qui forma un compoſé de
métaphysique & de phyfique. De là tout
ce qu'ils avoient imaginé , fans deffein
d'en faire un fyftême religieux , le devint
cependant par la fuite , & fut com92
MERCURE DE FRANCE.
me la bafe de la Religion Egyptienne.
Tout fymbole fut réalifé , & divinifé par
la grofférété & l'ignorance du Peuple ,
qui fe laiffe facilement furprendre aux
moindres chofes. Les Philofophes , aules
Prêtres Egyptiens , jaloux de dominer, ne
chercherent point à détruire une fuperfti
tion qui leur donnoit tant dé crédit par
mi leurs Concitoyens. Eux-mêmes, négli
geant de fuivre avec le même zéle les
connoiffances de leurs prédéceffeurs, perdirent
de vue l'origine de leurs premiers
fyftemes,qu'ils n'étoient plus en état d'expliquer
dès le temps de Pythagore, d'Hérodote
, & de Diodore de Sicile. *
1
Il s'enfuit de tout ce raifonnement, que
les Egyptiens étoient des Peuples civilifes
, dès leur origine ; qu'ils ont eu des
Philofophes ; que les fyftêmes inventés
par ceux ci , tant fur la formation de l'U
nivers que fur le développement de la
matière & les autres effets phyfiques ,
formerent infenfiblement une efpéce de
fomme théologique , qui fut regardée
ર
* C'est une des rai ons du filence des Prêtres
Egyptiens , fur leur religion. L'autre motif de
leur filence , venoit de ce qu'ils s'étoient fait une
loi de n'expliquer lears myftères qu'à ceux qu'on
nommoit les Initiés . C'eft ce qui fe pratiquoit
chez les Grecs, dans les grands myftères d'Eleufis.
MAI. 1760.
93
comme la Religion du Pays ; qu'enfin les
Egyptiens, tombés peu- à- peu dans l'ignorance
, prirent pour objet de leur culte
des chofes qui n'avoient fervi que de fym- ,
bole . De la le culte des Fétiches que vous
leur reprochez.
Vous voyez , Monfieur , que je prends
- l'hiftoire des Egyptiens d'une façon in- ,
verſe à la vôtre , puifque vous prétendez
que le Fétichisme vint de la barbarie primitive
des Egyptiens , qui ne connurent
la Philofophie qu'en s'éloignant de leur
origine ; au lieu que je regarde ce même
Fétichisme comme moderne chez les
Egyptiens ,devenus ignorans par l'ambition
& la fourberie de leurs Prêtres . J'appuye
mon fyftême , contraire au vôtre ,
tant fur des probabilités que fur des faits
hiftoriques. En vous rapportant quelques
paffages de la Religion Egyptienne , je
vous prouverai peut être encore mieux
Monfieur , que le Fétichifme n'a pu avoir
lieu chez les premiers Egyptiens. Je ne
m'étendrai point ici fur toute leur Religion
; il faudroit écrire plus d'un volume,
& c'eſt ce que j'efpere faire dans
quelque temps.
ARTICLE 1 IT
Je crois avoir démontré, qu'une Colonje
Aliatique s'étoit établie dans L'Egypte
94 MERCURE DE FRANCE.
très-peu de temps après la fondation des
Empires de Ninive & de Babylone. Ces
Afiatiques n'étoient pas affez éloignés de
leur origine pour avoir perdu de vue leur
religion primitive : c'eft-à- dire , la connoiffance
d'un Etre fuprême , Créateur
de l'Univers . L'ancien Egyptien a donc
commencé par connoître & adorer le
vrai Dieu ; & c'est ce que je trouve
dans un fragment de la Cofmogonie
Egyptienne , que je vais rapporter.
Les Peuples de l'Egypte, croyoient que
» l'Univers fenfible étoit une production.
» éternelle de la volonté de l'Etre fuprê
» me; & que cet Univers étant compofé
» de matière , il étoit fujet,par la néceffi-
"
*
té de fa nature , à des révolutions & à
» des altérations continuélles . Les régnes
» des Dieux , dont parloit la Chronique
» facrée des Egyptiens , avoient rapport
» à la fucceffion des Mondes ; & com-
»me les régnes d'Ofiris , d'Ifis , & d'Ho-
» rus , avoient précédé immédiatement le
» commencement de la génération des
» hommes qui peuplent aujourd'hui la
» terre , il eft vifible que l'hiftoire de
» ces Divinités comprenoit une expofition
allégorique de ce que les Philofophes
» avoient imaginé pour rendre raiſon
"
33
$
* Voyez , dans la Genèſe, le voyage d'Abraham
en : Egypte.
MA I. 1760. 25
39
33
» de la deftruction de l'ancien Monde ,
» & de la reproduction du Monde actuél .
» Au-deffus de cet Univers fenfible , il
» y en avoit un autre purement intelligible
, qui eft le Monde des Eſprits , l'affemblage
d'un nombre infini de diffé-
» rens ordresd'Intelligences fubordonnées
» & liées les unes aux autres , qui for-
» moient une eſpèce de chaîne par
laquelle on pouvoit s'élever vers le
» Dieu fuprême.
"
» Ce Dieu fuprême , antérieur à tous
» les Etres produits, eft le Dieu unique, le
» Dieu UN. Rien de tout ce qui eft intelligible
, rien même d'intellectuél , ne ſe
» mêle à lui , parce qu'il ne reçoit rien
» de ce quil n'eft pas lui.
و ر
» Le fecond Dieu , étoit le Principe par
» excellence , le Dieu des Dieux , l'Unité
» fortie de l'Unité , la premiere Effence ,
» la fource & le Pere de toute Effence &
» de toute propriété , le premier Intellec-
» tuél ou la premiere Intelligence ; fupé-
» rieur même au principe intelligible.C'eſt
» le Dieu CNEPH, placé au- deffous de l'In-
» divifible & de la fuprême Unité.
"
» Au-deffous de ce premier Intelligible,
contenu dans le fein de Cneph, font
» les principes qui ont dirigé la produc-
» tions des Etres vifibles ; l'Efprit DB96
MERCURE DE FRANCE.
» MIURGIQUE , Ou Créateur , qui préside
» à la vérité & à la fagefle de ces Etres ;
» c'eſt- à-dire , qui maintient parmi eux la
» réalité & l'ordre.
Cet Efprit Demiurgique , eft AMOUN,
» lorsqu'il manifefte au dehors la force
» inconnue des crapports fecrets , par la
">
production & la génération des Etres.
» Comme principe de l'organisation , &
» de l'arrangement convenable pour ren
» dre actifs & vivans certains Etres , il
» eft nommé PHTHA , ou celui qui développe
. Ce nom marquoit qu'il agifloit
avec art , & qu'il étoit une caufe intelgente.
Comme bienfaisant, c'eft- à- dire ,
lorfqu'il eft la fource du plaifir que
» nous éprouvons , foit par la jouiffance,
» foit même par la feule confidération des
» Etres particuliers ; & par la vue de
» l'ordre convenable dans lequel ils font
difpofés , on le nomme OSIRIS & Oм-
» PHIS , felon Jamblique. Plutarque penſe,
» avec fondement , que le nom d'Ofris
fignifie proprement le principe actif de
» la production des Etres, l'Ame du Mon-
» de , ou même la forme fubftantielle de
l'univers. Qs - IRI , dans la langue Cophie,
จ fignifie leSeigneur fabricateur. A l'égard
» du mot Omphis , Plutarque le rend par
» celui de bienfaisant.
Isis
MA I. 1760 . 97
Isis eft la matière premiere.I- s1, dans
» la langue Cophte , fignifie le receptacle
» commun.
» De l'union d'Ofiris & d'Ifis , c'eft-
» à-dire, du principe producteur avec la
» matière , eft forti le monde compofé
d'efprit & de matière , qui a une âme.
» Cette âme, étant dans un mouvement
» continuel remplit tous les Etres , & les
» anime tous en fe mêlant avec eux.
ور
$
» Le Monde , ou plutôt l'Intelligence
» qui l'anime , eft le fecond Dieu , le Dieu
» vifible & fenfible : car le Principe de
» Miurgique , ou Créateur , étoit le pre-
» mier Dieu fenfible , mais invifible. Jam-
» blique donne à ce fecond Dieu , le nom
» d'HORUS ou de Roi. Il eft nommé l'i-
» mage & le fils de Demiurgos. Le fe-
» cond Dieu immortel eft toujours vi-
» vant , mais non éternel , puifqu'il eſt
» produit à chaque inftant , & qu'il eft
» dans un état perpétuel de changement
» & de paffage.
» Outre les deux principes , OSIRIS &
» Isis , il y en avoit un troifiéme nommé
» SETH , SETHON , ou SMU , que les Grecs
apellent Typhon. Ces noms Egyptiens
défignent la deftruction , la violence ,
»la corruption , la réfiftance au bien , &
à l'ordre.
و ر
"
"
E
98 MERCURE DE FRANCE.
» THYPHON époufa fa four,NEPHTE. 'Le
>> nom de celle- ci marque la fin , la mort.
» Nephté, pour furprendre Ofiris,qu'elle
» aimoit , prit la figure d'Ifis , & devint
» mere d'Anubis.
»Thyphon s'en vengea, en tuant Ofiris,
» dont il mit le corps en piéces ; & il fit
» le même traitement à Horus . Ifis raf
»fembla les membres d'Oferis ; mais
» elle ne put trouver le principe de la
génération , que les poiffons du Nil
avoient dévoré. Elle ne put alors pro
» duire qu'HARPOCRATE , un Etre monf
» trueux & à demi mort , image des pro-
» ductions informes de la Nature dans
» l'état du chaos.
و ر
"
ور
Ofiris , revenu des enfers , rendit là
» vie à Horus , & lui donna des armes
» pour combattre Typhon , qui fut vaincu
» & enchaîné, 1fis trouva moyen de lui
» rendre la liberté ; & depuis ce temps ,
כ
il s'eft caché dans l'Univers , dont il
» tâche continuellement de troublerl'ordre
& l'harmonie. Horus punit Ifis , en
» lui ôtant le diadême de Lotos , qu'elle
» avoit reçu d'ofiris ; mais Anubis ,
qu'Ifis avoit adopté , lui fit préfetit
d'un autre diadême formé d'une tête
» de boeuf. »
Je ne vois rien dans tout ceci , MoffMAI.
1760 : 99
feur , qui annonce le Fétichifme ; j'y apperçois,
au contraire , beaucoup de philofophie
, peut-être parce que je ne fuis pas
un grand Philofophe : je ne puis m'empêcher
même d'être affez ridicule pour y
trouver du figuré, & des allégories qui me
paroiffent faciles à expliquer.
Le commencement de cette Cofmogonie
me fait voir que les Egyptiens connoiffoient
le vrai Dieu, que leurs Philofophes
défignoient, dans leur métaphysique ,
par les noms de Dieu UNIQUE, de Dieu
UN. Les autres Dieux dont il eft fair
mention , ne font autre chofe que les
attributs , les opérations , & les effets de
la Providence ; ou , fi vous voulez , des
Génies tels que plufieurs Philofophes anciens
avoient imaginé , & qui étoient
comme les Miniftres du Dieu fuprême.
La matière premiere, ou Ifis , eſt créée
par l'Efprit deniurgique ou Créateur ;
mais elle a befoin d'un principe qui la
faffe agir , & ce principe eft Ofiris . On
fuppofe , hiftoriquement , l'union de ces
deux perfonnages allégoriques; & de cette
union provient Horus, ou le Monde ſenfible...
Tous les Anciens reconnoiffoient un
bon & un mauvais principe . Ce dernier
eft défigné,dans la Philofophie Egypti.n-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ne, par le nom de Typhon , qui eft regardé
comme l'auteur des bouleverfemens
qui arrivent dans l'Univers . Il étoit naturel
de lui donner , en conféquence , la
mort & la deftruction pour foeur.
La matière & le monde , font produits
comme nous venons de le voir : mais
dans l'inftant de leur création , toutes les
différentes parties qui le compofent ne
font point encore diftinctes ; c'est ce qui
forme le chaos , repréſenté par la mort
& par le démembrement d'Ofris & d'Ho-
Tus : parce qu'alors le principe actif & le
monde , paroiffent dans l'inaction & fans
forme. C'eſt le mauvais principe , qui occafionne
le bouleverſement du chaos ; &
on ne pouvoit , fuivant le fyftême phyfique
des Egyptiens , l'attribuer à un autre
Etre qu'à Typhon . L'Univers prend
senfin la forme qui lui eft prefcrite ; chaque
partie de la matière fe développe &
fe place où il convient : c'eft Ifis, qui raffemble
les membres d'Ofiris . Le principe
de la génération eft perdu , parce que
rien ne devoit plus être créé ; & la matière
ne pouvoit que changer continuellement
de forme. Le mal , règne toûjours
dans le monde ; & par cette raifon , on
feint qu'Ifis a rendu la liberté à Typhon.
Vous m'objecterez peut- être, Monfieur,
MAI. 1760. ΠΟΙ
que je prends Ifis pour la matière , tandis
qu'elle étoit regardée en Egypte comme
la Lane ; ce que vous me prouverez ,
ajouterez-vous , par différentes Statuës
d'Ifis. J'aurai l'honneur de vous répondre
, que les Philofophes voulant donner
une explication fymbolique des continuels
changemens de la matière , n'ont
pû rien trouver qui les défignât plus
naturellement que les différentes phaſes
de la Lune ; & c'eft par cette raison ,
qu'on voit fa repréſentation fur plufieurs
têtes d'Ifis , fans qu'il en faille conclure
qu'Ifis & la Lune foient le même Etre .
On pourroit , je penfe , expliquer de
même une partie des figures qui font
jointes aux ftatuës d'Iſis.
Les Anciens , comme vous fçavez ,
Monfieur , n'avoient point d'écriture :
en conféquence , ils ont été obligés , pour
expliquer ce qu'ils vouloient faire entendre
, d'employer la repréſentation des
chofes les plus connues. Telle eft l'origine
de l'écriture hieroglyphique
›
fymbolique. Les Philofophes , chargés
d'expliquer ces fymboles , ont refufé, ou
négligé dans la fuite , d'en inftruire le
Peuple. L'Egyptien , devenu ignorant
par l'orgueil de fes Prêtres , a regardé
infenfiblement tous ces fymboles comme
E iij
foz MERCURE DE FRANCE.
des divinités . Le grand nombre de figures
d'animaux & même de plantes employées
dans les hieroglyphes , a occafionné le
culte groffier que le Peuple a rendu aux
plantes & aux animaux . Chaque Ville a
pris , pour Divinité , l'animal qui lui a plû
davantage ; & de là eft venu que l'animal
en vénération dans une Ville , étoit
maltraité dans une autre . En vous accordant
, Monfieur , que les Egyptiens ont
rendu une forte de culte à ces différens
êtres , je remarquérai cependant, qu'ils ne
leur ont jamais offert de facrifices ; d'où
il eft aifé de conclure qu'ils ne regardoient
pas ces êtres comme des divinités
réelles, mais feulement comme des objets
facrés pour lesquels ils croyoient devoir
témoigner quelque refpect.
Cette efpèce de Fétichifme, fi dominant
dans toute l'Egypte , ne fut jamais la
Religion de l'homme lettré ; & je ne ſçais,
Monfieur , pourquoi vous ne voulez pas
diftinguer la Religion du Peuple d'avec
celle de l'homme inftruit. Le Peuple , eft
partout fuperftitieux , parce qu'il eft ignorant
, & femble même former une autre
efpèce d'hommes ; de là , cette inclination
qu'on lui a reconnue pour l'Idolâtrie.
L'homme lettré , n'a jamais pû être idolâtre
; & nous voyons ces hommes célè
MAI. 1760 . 103
bres de la Grèce & de Rome , en paroiffant
fuivre au dehors la Religion commune
du Pays, enfeigner, dans le fecret ,
une autre doctrine & une autre morale.
t
Pour juftifier entierement les Egyptiens
, il ne me refte plus , Monfieur ,
qu'à vous prouver qu'ils n'ont point déifié
des hommes. Leurs Prêtres déclarétent
à Hérodote , qu'il n'y avoit point
de génération des Dieux aux hommes ;
qu'ils avoient eu de grands Rois , mais
qu'ils ne les confondoient point avec les
Dieux ; & qu'aucun homme , parmi eux ,
n'avoit pas même joui des honneurs héroiques.
Ainh Ofiris , n'eſt point Séfoftris
, ou quelqu'autre célèbre Roi de
l'Egypte, comme quelques - uns l'ont prétendu
mal-à propos. D'ailleurs l'apothéofe
eft moderne, par rapport à l'Antiquité ;
& Epheftion eft le premier des Grecs à
qui on ait rendu les honneurs divins.
Elle étoit cependant déja connue chez
les Romains , puifque les Sénateurs déïferent
Romulus mais vous n'ignorez
pas qu'ils ne prirent ce parti que pour
éviter la fureur du Peuple , qui les foupçonnoit
du crime qu'ils avoient commis.
Depuis Romulus juſqu'à Jules Céfar , aucun
Romain ne fut aggrégé au rang des
Dieux; & la flatterie feule donna à Jules
E iv
904 MERCURE DE FRANCE.
Céfar une place parmi les fignes célestes.
Il faut donc diftinguer les points de Religion
cccafionnés par la flatterie , d'avec
ceux qui ont un rapport réel au fyftême
religieux . Ne m'objectez pas , Monfieur ,
que parmi les Grecs , Hercule , Caftor , &
d'aurres , étoient regardés comme des
Dieux ; car je vous ferois voir qu'on ne
leur rendoit point les honneurs divins ,
mais feulement les honneurs héroïques.
Vous êtes trop fçavant , Monfieur , pour
ignorer la différence qu'il y a entre les
uns & les autres.
L'explication finguliere que vous don
hez du mot Mythologie , fe trouve donc
entierement détruite par ces preuves.
Vous prétendez que ce mot eft formé de
Muth , qui en Egyptien fignifie la Mort,&
de adyos, mot Grec qui veut dire Difcours.
Ainfi ,felon vous , Monfieur , la Mythologie
eft le difcours des morts , ou l'hiftoire
des hommes morts qui ont été déïfiés .
Vous ne prenez pas garde , qu'il paroîtra
étonnant à tout le monde que ce mot ait
été formé d'un terme Egyptien & d'un
terme Grec. Tous nos Sçavans , jufqu'ici
l'avoient entendu bien différemment ; &
ils croyoient , comme vous ne l'ignorez
pas , que ce mot venoit de vos fabula &c.
Avant que de quitter entierement les
MA I. 1760 . 105
Egyptiens ; permettez - moi , Monfieur ,
de vous faire un petit reproche de leur
part . Ces Peuples , chez lefquels les arts
& les ſciences ont fleuri de fi bonne heure ,
& dont le célèbre M. Boffuet nous a fait
un fi beau portrait ; ces Peuples , dis - je ,
trouvent fort mauvais qu'on les mette en
parallèle avec les Peuples de la Nigritie ,
que nos Voyageurs nous repréfentent
comme des Nations groffières & prèſque
fauvages.
Les bornes qui me font prefcrites , ne
me permettent pas de prendre la défenſe
de plufieurs autres Peuples anciens , que
vous attaquez dans votre ouvrage. Pour
ce qui regarde les Grecs, je vous renvoye,
Monfieur , à la Lettre que j'ai écrite à
ce fujet , & que vous trouverez dans le
Mercure de Décembre dernier, page 104.
A l'égard du fyftême religieux des Indiens
, vous pouvez le lire dans le Tome
XVIII des Mémoires de l'Académie
Royale des Belles - Lettres, page 34 de la
partie hiftorique . A la vue de ces deux
anciennes Religions , vous appercevrez
des fyftêmes philofophiques ; & vous conviendrez
, peut- être , qu'il n'y avoit point
de Fétiches pour les lettrés. Je le répéte ,
vous n'en trouverez jamais , que parmi le
Peuple groffier & ignorant . Je pourrois
Ev
106 MER CURE DE FRANCE.
en dire autant de la Religion des anciens
Perfes , & même des anciens Scythes ;
mais je fuis obligé de terminer cette Dif
fertation, qui feroit fufceptible d'une plus
grande étendue.
Claudite jam rivos pueri , fat prata biberunt..
Je fuis, avec une reſpectueuſe eſtime &c.
DE GRACE..
EXTRAIT, de la Logique des Dames.
Vous fçavez mieux que moi , Monfieur
, que leTraité de Dialectique d'Arif
zote , eft un des ouvrages qui fait le plus
d'honneur à ce génie vafte & profond.
En effet , on ne fçauroit affez s'étonner
qu'il ait réuffi à affujettir à un petit nombre
de régles les opérations infinies de
l'entendement ; & qu'il ait montré les
voies fimples par où les Arts & les
Sciences fe font élevés , ou du moins s'éléveront
un jour au dernier période de
la perfection.
Le Prince des Philofophes fembloit
être né pour fubjuguer les efprits , comme
fon difciple pour commander aux
MAI. 1766. 107
Rois. On faifoit l'honneur à ce premier,
de penser qu'il avoit envifagé la Nature
par toutes les faces ; & qu'il en avoit
mefuré les limites.
Ainfi , jufqu'à Defcartes , un des plus
grands génies qui foit forti de la main
divine , on n'a ofé penfer que d'après
Ariftote ; & tous ceux qui ont écrit fur
les matières qu'il avoit déjà traitées, n'ont
été que fes froids admirateurs , & les ftériles
commentateurs.
Voilà fans doute pourquoi on ne nous
a donné jufqu'à préfent , fur la logique ,
que d'infipides collections . J'en excepte
toutefois, l'Art de penfer,de Port Royal ,
traité marqué au coin du bon goût ,
ainfi que tous ceux qui font fortis de certe
fçavante école.
Le fuccès de ce Livre n'a point abbattu
le courage d'un Auteur moderne , à qui
nous devons la Logique de l'Esprit & du
Coeur,à l'ufage des Dames Jufqu'apréfent,
la Philofophie s'étoit plus occupée du foin
de diriger l'entendement, que la volonté :
ila faifi les liens prèfque imperceptibles
qui uniffent ces deux facultés de l'âme , &
if a ofé leur preſcrire des régles communes.
Par là , cette brochure eft devenue ;
entre fes mains , un ouvrage de création.
Dans le premier Chapitre , on remonte
E vi
308 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'aux élémens de l'efprit , les idées ;
on en dérive avec fyftême toutes les opérations
de l'entendement , & on nous
fait remarquer les heureufes progreffions
de cette chaîne intellectuelle , chaine continue
aux yeux du Philofophe , & interrompue
en bien des endrois aux. yeux du
vulgaire ; chaîne d'or avec laquelle Jupiter
attiroit les Mortels jufqu'à lui.
On defcend enfuite , jufqu'aux germes
des paffions ; je veux dire , les fentimens.
» C'eft de la collection de quelques fen-
» timens de la même efpéce , qu'il faut
» dériver les goûts : la collection de plu-
» fieurs fentimens diffemblables , donnent
» les fantaiſies & les caprices : pour les
paffions , elles font une fuite de fenti-
» mens de même genre : lorſqu'ils n'ont
rien de bien vif & de bien empreffé ,
ils produifent les inclinations.
On envifage, dans le fecond Chapitre ,
les idées felon leur nature , leurs diffe-
Fentes ef éces , leurs qualités & leur origine.
On fuit le même ordre , par rapport
aux fentimens .
On définit les perceptions, à la manière
accoûtumée. Voici la notion qu'on nous
donne du fentiment. » Il confifte dans un
» éffort de la volonté, pour fe porter vers
» certains objets , ou pour s'en éloigner ;
ןכ
MA I. 1760: 109
"
» par lui-même , il eft une impulfion oc-
» cafionnée par les fenfations agréables
» ou défagréables : il ne différe pas peu
» des perceptions directes , qui n'offrent
» rien que de paffif ; au lieu qu'il eft
» actif. »
La fimplicité , la compofition , &l'abftraction
des idées & des fentimens , forment
des claffes fous lefquelles on les
range.
L'Auteur envifage enfuite les conceptions
& les fentimens, comme fignes des
différens caractères d'efprits & de coeurs .
Toute cette analyfe a le mérite de la
nouveauté , & ne pouvoit partir que d'un
efprit obfervateur & profond. La vérité
& la fauffeté des appréhenfions , deviennent
l'objet d'un examen éclairé , & l'on
fe décide pour leur vérité.
L'analyfe des fignes des perceptions &
des fentimens , doit fuivre celle de leurs
efpéces & de leurs qualités. On confidére
les fignes , dans leur nature ; on établit
des régles , pour guider dans la création
des termes nouveaux . On regarde les
conceptions & les fentimens comme des
principes , d'où il faut dériver la fécondité
, la ftérilité, & les variations de toutes
les langues de l'Univers. Ce morceau ,
marqué au coin de l'invention , & d'une
110 MERCURE DE FRANCE.
faine Philofophie , mérite d'être lû , &
médité avec foin.
L'enchaînement des principes conduit
naturellement l'Auteur à l'origine occafionnelle
des idées & des fentimens , qu'il
place , avec plufieurs Philofophes modernes
, dans nos fens .
Dans le premier Chapitre de cet Ouvrage
, on a envifagé les prétentions &
les fentimens , comme difperfés dans l'efprit
& le coeur de l'homme : le fecond
eft confacré à les réunir , à examiner leurs
combinaiſons infinies , à les définir , à les
comparer entre elles , à analiſer leur
caractère , ainfi que la vérité & la fauffeté
des jugemens , & les collections des fentimens
honnêtes ou déshonnêtes .
On établit d'abord , que le jugement eft
un acte de l'entendement : par ce principe
on apprécie toutes les différentes fortes
d'efprit. Ces idées me paroiffent vraies.
On examine enfuite les juftes rapports
de l'entendement & de la volonté , à
Pégard de la liaiſon des appréhenfions &
des fentimens on en déduit l'accord
du coeur avec l'efprit , & l'on s'en prend
à ce dernier des défauts du premier . Ces
vues ,font également intéreſſantes & profondes.
Pour déterminer les différentes fortes
MAI. 1760.
IIT
de propofitions , il a fallu décompofer
le jugement. On diftingue autant de collection
de fentimens,que de propofitions :
Les unes & les autres fervent à déterminer
les caractères des efprits & des coeurs .
Après avoir difcuté la vérité & la fauffeté
des jugemens , on pofe un principe pour
juger de l'union des fentimens honnêtes ,
ou déshonnêtes. » Le grand principe qui
» doit nous éclairer , c'eft de voir fi elles
» nous maintiennent dans les rapports
"que nous devons avoir avec l'Etre fu-
»
prême , avec le Gouvernement , avec
» la Patrie , & avec l'Etat où la Provi-
» dence nous a mis. » De là naît une
morale faine & fublime , qu'il faut lice
dans l'ouvrage.
Le quatrième Chapitre , enfeigne l'art
d'enchaîner les collections d'idées & de
fentimens ; il explique la nature du raifonnement
; il en fait connoître les diverfes
efpéces , & leur caractère ; il preſcrit
des régles pour juger de la vérité des argumens
; & il montre la fource de leur
vérité.
On commence par donner une idée du
raifonnement , & l'on remarque que la
théorie porte fur ce principe admis des
Géomètres Deux chofes qui conviennent
à une troifiime , conviennent entr'elles .
112 MERCURE DE FRANCE.
On fait voir que , comme on peut com
parer plufieurs propofitions , on peut de
même comparer plufieurs fentimens , ou
plufieurs paffions.
Les argumens, une fois envifagés dans
feur être métaphyfique , on les confidere
dans leur forme fyllogiftique ; on les divife
en leurs efpécos , & l'on obferve que
les enthimêmes rentrent dans la claffe
des fyllogifmes. On détermine , avec le
fecours de l'analyſe,leur caractère de foir
bleffe , de force ou de précifion , & l'on
met les Orateurs & les Écrivains en état
d'en faire ufage à propos . Voici comment
on s'exprime fur les enthimêmes. » Ils
fousentendent une , ou même plufieurs
propofitions , & laiffent bien des chofes
» à deviner. Plus il y a de diftance de
l'antécédent au conféquent , plus ces
» raifonnemens fuppofent un efprit vafte
» & profond. Les gens de génie franchif-
» fent d'un clin d'oeil une foule de con-
» clufions intermédiaires , & s'élancent à
>> la derniere : c'eft pour cette raison que
» l'Hiftoire Romaine de Tacite , les Pen-
» fées de Pafcal , celles de la Rochefou-
» caut, & l'Esprit des Loix,font des énig-
» mes qui n'ont point de mot pour des
Lecteurs fuperficiels.
"
"
"
L'Auteur , ne fe borne point là.
Il préfcrit une régle fûre pour démêMA
I. 1760.
ler la vérité ou la fauffeté des raifonnemens
Cette régle eft ce principe : la conclufion
, doit être contenue dans les prémices.
Il ne tarde pas à en faire l'application
an fentiment , pour diftinguer les
paffions honnêres, des deshonnêtes.
"
Afin de nous mieux précautionner contre
l'erreur , qui eft prifque toujours à
côté de la vérité , il découvre les fources
des erreurs. Il exhorte éloquemment les
Dames , à réfléchir férieufement fur leurs
paffions ; il fe récrie contre les talens &
les connoiffances frivoles dont les femmes
du bel air font leur unique étude ; il leur
recommande la décence & la pratique
des vertus ; & il établit une régle , pour
juger des moeurs des hommes d'une nation
: c'eft d'y approfondir le caractère des
femmes. » Que les femmes euffent des
» moeurs , les hommes en auroient bien-
» tôt auffi : le penchant continuel des
» deux fexes à fe réunir , les rapproche
» fans ceffe . Veut-on connoître le carac-
» tère des hommes d'une nation ? qu'on
» y étudie celui des femmes. Dans tous
» les fiécles , ces deux moitiés du genre
» humain ſe reffemblèrent parfaitement."
On termine ce Chapitre, en indiquant les
fources des argumens .
"
"
Le cinquième Chapitre , traite de la
114 MERCURE DE FRANCE.
méthode , & de fon & de fon application aux
paffions.
Dans la recherche de la vérité , on
compte tout autant de méthodes que de
vérités on admet des analyfes pour les
mots & pour les choſes.
La premiere , a pour fin de déterminer
le véritable fens des Ecrivains ; & pour
cela elle examine le contexte , ce qui
précéde , ce qui fuit , & le but que s'eft
propofé l'Auteur qu'elle veut expliquer.
La fin de l'autre analyfe eft , ou d'exécuter
un deffein , ou de découvrir une
vérité. Dans le premier cas , on paffe des
parties au tout ; dans le fecond , on s'é
léve des individus aux efpéces , & des
efpéces aux genres.
Il eft facile d'appliquer cette derniere
méthode au fentiment : par elle , l'Auteur
nous donne une notion générale des paffions
, & une idée de l'empire particu
Hier d'une feule paffion . Il exhorte le
Gouvernement à tourner l'étude des
Philofophes vers la morale , & à les encourager.
t
A ces différentes analyfes,fuccéde celle
des Géomètres : elle confifte à fuppofer la
vérité d'un principe , à démontrer ,
& à
en déduire des corollaires : s'ils font vrais,
on en infére la vérité du principe ; on
MA I. 1760. 215
applique , heureuſement , cette méthode
aux paffions. De l'analyſe des Géomètres,
l'on vient à celle des faits . L'Auteur établit
encore des méthodes pour guider nos
conjectures fur l'avenir ; & il obferve
qu'il y a prèfque autant d'analyfes , que
d'objets & de modes , & par conféquent
un nombre infini. Il traite enfuite de la
fynthèſe.
Pour faire connoître aux autres la
vérité , il a recours à la définition : il
diftingue des définitions de mots & de
chofes , & il définit les paffions .
La defcription eft une forte de définition
: elle a pour objet les caufes , les
effets , les modes , & la fin. C'eſt par ces
principes qu'on trace , avec toute la vérité
poffible, le caractère d'Emilie . » Qu'il
» me plaife,de peindre la vanité d'Emilie ;
»je n'ai qu'à m'exprimer ainfi . Emilie eft
» née avec une forte d'inftinet qui la fit
> toujours courir après la confidération.
» Comme elle a l'efprit borné & faux ,
» elle ne prend que des voies qui l'éloi-
" gnent de fon terme. Elle eft Marquife ,
» & perfonne ne peut lui difputer ce
» titre : A la faveur des méfalliances , elle
» l'a acheté au prix de 60000 livres de
» rente. Elle vous cite, à tout propos, des
» Comtes , des Marquis , des Barons , &
116 MERCURE DE FRANCE
des Ducs fes parens ; mais elle vous fait
grace de fes ayeux paternels.
» Si elle raconte quelque nouvelle ;
elle la tient à coup fûr de quelque Al-
» teſſe , ou tout au moins de quelque
» Miniftre Elle eft éternellement furchar
» gée de dépêches importantes ; & c'eft
» à la petite Préfidente qu'elle écrit. Elle
» fait de fréquens voyages à la Cour ;
» elle y voit tout le monde , & perfonne
» ne l'y remarque. A- t- on livré une ba-
» taille ? fon cocher la mène, rapidement,
» dans toutes les rues : elle doit , dit- elle,
» des complimens de condoléance à toute
» la terre , & elle n'arrête nulle - part :
» elle paroît auffi défolée,que fi elle étoit
"proche parente de chaque mort de dif
» tinction.
2 Comme Émilie eft naturellement
» défiante , elle met une forte d'art &
» de rafinement dans fa vanité : elle ne
dit pas qu'elle eft belle , mais elle tâ
che de vous amener adroitement à la
>>` trouver telle : elle ne dit pas qu'elle a
» du crédit , mais elle en affecte tous les
» airs , & ne parle que de places confi-
» dérables qu'elle a fait donner à cent
» lieues de la Capitale : elle ne dit pas
qu'elle a de l'efprit , mais elle étale des
» brochures fur fa toilette & fa chemi-
.33
MAI. 1760. 117
née ; elle foupe avec les gens de Lettres,
& prononce en dernier reffort
fur les meilleurs ouvrages. Que d'arrêts
» de mort ne fortent point de fa bouche !
" N'allez pas douter de l'infaillibilité de
fes oracles ? vous feriez un fot. Voilà
quelle eft Émilie. »
19
L'Auteur fait voir , comment les loix
de la defcription ont guidé le pinceau
des Théophrafte , des Labruyere , & des
Auteurs dramatiques anciens & modernes.
La divifion , fuit naturellement on
préfcrit des régles très- fages à ce sujet ;
& l'on s'en fert , pour diftinguer les paffions.
» L'amour-propre eft une paffion
» mere , d'où naiffent toutes les autres :
» il a des dénominations diverſes, fuivant
» fes différens objets : quand il s'attache
» aux richeffes , on le nomme Economie ,
» ou Avarice; s'il fe plaît à contempler des
» vertus , par où l'on penfe fe diftinguer ,
» il s'appelle Orgueil : lorfqu'il fe tour-
»ne vers les grâces & la beauté , il a
» nom Amour : fitôt qu'il nous éloigne de
» certaines perſonnes à caufe de leurs ca-
» ractères , ou de mauvais offices rendus ,
» il eft Averfion ou Haine ; il eft Vice
» ou Vertu , ( il n'eſt queſtion ici , que
» des vertus purement humaines ) ſelon
TIS MERCURE DE FRANCE.
» le genre des objets où il fe porte : rens
» fermé dans de juftes bornes , & bien
dirigé , il eft le reffort & la vie du
» monde Moral , comme le mouvement
» eſt l'âme du monde Phyſique : enfin , il
» eft une paffion immenſe, qui a fon cen
» tre partout , & fa circonférence nulle-
» part. »
Telle eft , Monfieur , la Logique des
Dames , Ouvrage qui renferme un excellent
traité de morale , & qu'on doit regarder
comme le germe d'un traité infiniment
plus confidérable. Je pense qu'il
ne fçauroit être lû avec trop de foin par
les Dames , la jeuneffe , & tous les honnêtes
gens.
Quelqu'attention qu'ait eu la modeitie
de celui qui a compofé cette brochure ,
de déguiſer fon nom ; il est aisé de reconnoître
, à la progreffion des idées , à l'en
chaînement des principes , à la netteté ,
à la précifion , aux grâces du ftyle , &
furtout à l'efprit d'invention qui règne
dans la Logique des Dames , l'ingénieux
& profond M. Blanchet.
Cette nouvelle Logique fe trouve chez
Cailleau , Libraire , quai des Auguftins ,
à l'Image Saint André.
MAI. 1760!
119
RECHERCHE CRITIQUE , fur l'origine
des MASQUES.Par un Sçavant de Province.
L'IRUDI
>
' ERUDITION n'eft pas , comme
on le croit , du goût de notre fiécle ; la
frivolité gagne infenfiblement , & le
fçavoir difparoît. Pour moi , fans me
laiffer éblouir par les jolies phrafes de
nos Romanciers, fans me rendre à la force
de raisonnement de nos bons Ecrivains .
je n'ai voulu vivre qu'avec les Anciens .
Ce n'eft pas que nos Modernes ne valent
autant & fouvent même ne valent
mieux ; mais c'eft qu'ils parlent un langage
que le Peuple entend. Que n'ont- ils
écrit en Grect je les admirerois . C'eft à un
Ouvrage , en cette langue , que je dois les
recherches que je vous offre aujourd'hui.
Morceau précieux ! puifque le manuſcrit
d'où je l'ai tiré , et à moitié rongé par ces
vils infectes qui ne vivent que des fotifes
des Auteurs.Les Antiquaires fçavent combien
eft précieux un fragment informe :
s'il étoit entier , il feroit moins eſtimable .
Celui- ci roule fur l'origine des Mafques.
Après avoir dévoré ce que les anciens
Philologues ont écrit fur ce fujet in20
MERCURE DE FRANCE.
téreſſant ; après n'avoir rien compris à
leurs longs raiſonnemens, fans cependant
ofer le dire, parce que je fçai qu'un Ancien
ne peut ni être un fot , ni avoir tort :
Je tombai par hazard fur un Poëme
dont , avec le titre , il manquoit la moitié
des vers. Je le lus par dépit ; il me
plut malgré moi ; & j'avouai que les différens
points de la Fable, traités ſi ſouvent
de bagatelles , font autant de médailles
autentiques de la Vérité : il fuffit d'avoir
des yeux pour s'en appercevoir. En Sçavant
zélé , je trouvai d'abord fort mauvais
qu'elle allât fe cacher fous de petits vers ,
plutôt que dans quelque grand volume
du fublime Ariftote : mais je ne pus en-
Luite m'empêcher de dire :
Les vers, font ce miel enchanté
Que répand une main habile
Sur la
coupe de la fanté ,
Pour cacher un reméde utile ,
Par la Vertu même apprêté.
Dupe d'un artifice aimable,
L'homme avale la Vérité ,
Croyant ne goûter qu'une Fable.
Il m'échappera encore, quelquefois, des
vers. J'espère que nos Erudits me pardonneront
de paffer quelque temps à ar
ranger
MA I. 1760. IZI
que
ranger des mots en faveur des chofes
je leur préfente : d'ailleurs c'eft un Poëme
que je traduis . Il débute ainfi :
» Il fut un temps, où la Sincérité habi-
" toit parmi les hommes; l'artifice ne leur
» avoit pas encore enfeigné le fecret fu-
» nefte de cacher lesprojets les plus noirs ,
» fous les apparences les plus belles . Ils
» n'en étoient cependant pas moins vi-
» cieux .
Le Manufcrit fe fert du mot xaxos. Je
remarque cette expreffion , pour faire voir
que l'on a tort de tant vanter les fécles
paffés. Ce n'eft que par milantropie , ou
par vanité, qu'on s'élève contre le temps
où l'on eft.
Quoique nous dife la cenfure ,
L'homme fut toujours vicieux ;
Nous fommes tels que nos ayeux :
N'a-ton pas,à préfent , leurs traits & leur figure ! ...
Pourquoi veut-on que la Nature ,
En corrompant nos moeurs , nous maltraite plus
qu'eux ?
Ce qu'ils avoient de plus que nous ,
c'eft que leurs défauts fe montroient à
découvert. » Dès qu'un mouvement déf-
» ordonné s'élevoit dans le coeur , il patoiffoit
fur le visage , qui étoit ainfi le
» miroir de l'âme . Temps heureux , où le
F
122 MERCURE DE FRANCE.
+
"
» vice ne fe cachoit pas fous le voile de
» la vertu pour nous furprendre ! Alors,
» parut parmi eux un Philofophe plein
» d'amour pour les humains , zélé pour
» leur perfection , & toujours guidé par
» la ſageſſe.
"
"
"
» Nen , cette ſageſſe ſévère ,
» De qui la morgue atrabilaire
››› Offenſe & né corrige pas ;
» Mais cette fageffe légère ,
» Qui nous reprenant ſçait nous plaire ,
›› Et dont les jeux ſuivent les pas.
» Il fe nommoit Momus. ( Ce nom feul
rappelle l'idée du plus eftimable des
Philofophes. ) Cenfeur aimable & artificieux
, il n'en corrigeoit que mieux ,
» quoique ce fût toujours en badinant.
» Dès qu'il appercevoit fur le vifage de
»fes femblables les indices de quelques
» paffions qui troubloient leur âme , il les
» en reprenoit. Entre ſes mains étoit une
petite figure , dont le nom peut fe ren-
» dre en François par celui de Marotte ;
» & fans ceffe il la préfentoit aux hom-
» mes , comme leur portrait.
"9
On me permettra de remarquer ici ,
avec un Sçavant de ce Siècle , que c'eft
là l'origine des Pantins ; invention admiMA
I. 1760. 123
table ! & dont un ouvrier moderne a voulu
s'attribuer la gloire. Voilà comment
nous déshabillons les Anciens , pour nous
revêtir & nous faire honneur de leurs
dépouilles . Mais l'artifice étoit trop groffier
: les gens de bon fens ont bien vû
que le Pantin étoit quelque chofe de
trop beau , pour n'être pas l'ouvrage de
l'Antiquité . Dans le temps où ils étoient
le plus à la mode en France , on fit ces
quatre vers , qu'on ne fera pas fâché de
retrouver ici :
Un Peuple frivole & volage ,
Du Pantin aujourd'hui fait fa divinité ::
Faut-il être furpris qu'il chériffe une image ,
Dont il eft la réalité ?
7
Après cette courte digreffion , je reviens
à mon: Auteur. » Momus conti-
»nuoit toujours fes leçons. Il n'épargnoit
» pas le ridicule ; & par des arrêts , en
Vaudeville , il le banniffoit de la fociété
» dont il eft le fléau. » Je n'en rapporte
qu'un ou deux exemples , qui fuffront
pour vous faire juger de la forme en laquelle
ils étoient conçus . Le premier , a
pour objet les Vieillards. Alors fans doute
, comme aujourd'hui , ceux- ci avoient
la fureur de fe trouver parmi les jeunes
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
gens , & de fe rendre ridicules en voulant
les imiter. On peut ainfi traduire
ce couplet , en le mettant fur un air bien
connu ,
33
» Les rides & les ans ,
» Font peur à l'allegreffe ;
Et la feule ſageſſe , ?>
» Aime les cheveux blancs ,
L'air gai ne convient pas
» Au temps de la prudence :
Un vieillard , lorſqu'il danſe ,
>>Fait toujours des faux pas.
» Le Vaudeville , fut toujours le meil
leur moyen de corriger le ridicule :
» Momus réuffit. Les vieilles furent les
premieres à s'en allarmer. Je ne fçais
» par quelle fatalité on veut encore plaire
à cet âge ; & préférer les grâces qui
fuyent , à la fageffe qui femble fe préfenter?
Elles voulurent ſe fouftraire
aux traits de la fatyre , fans ceffer de
» s'en rendre dignes. Elles cherchèrent à
fixer la jeuneffe & la beauté , ou du
» moins , à faire croire qu'elles en avoient
» trouvé le fecret : de là l'origine du fard.
» On n'y employa d'abord que le fuc d'u
» ne racine rougeâtre , qui croît encore
» dans nos jardins : le Manufcrit l'appelle
» Teuilon, & les Latins la nomment Béte
M A I. 1760.
125
De décrire quelles furent les diverfes
matières qui depuis fervirent à compofer
le fard , c'est ce qui nous meneroit trop
loin. » La fupercherie ne pouvoit durer:
» Le rouge difparut ; les rides reftèrent.
» Pour corriger ce nouveau ridicule
» Momus eut recours à l'artifice qui lui
» avoit fi bien réuffi . » Il fit chanter le
couplet fuivant. Je me fers ici de la traduction
d'un de nos anciens Poëtes , qui
avoit vû ces vers cités dans Athénée , &
qui les rend ainfi dans fon vieux langage
fur un air que l'on chante encore aujourd'hui
, avec le même refrein .
>> Ces femmes font bien fantafques ,
» Leur fard me fait rire!
5 C'eft mettre maſques fur mafques ;
» Un feul doit fuffire .
>> Qu'on me dife ceci , cela ,
» Je n'aime point ces façons-là.
"C'eft de la folie , fans doute , c'eft de la folie.
" Je le répéte ; de toutes les Satyres, le
» Vaudeville eft la plus amère: un bon mot
» chanté , ne s'oublie jamais. On ſe laſſa
» d'en être tant de fois l'objet . Quel eft
» pourtant le laid viſage qui aime à ſe regarder
fouvent au miroir ? On réfolut
" pour tromper Momus , de fe déguifer de
" manière à échaper abfolument à fa vuë.
ر د
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE:
"Que ne peut le vice , pour fe dérober à
» nos yeux ! Les mafques furent inventés,
» ( tels à - peu-près qu'ils font aujourd'hui ,
quoiqu'en difent quelques Sçavans . ) » Ce
» fut à la néomenie du mois peritios ( ce
qui répond au commencement de notre
mois de Février ( » que l'on fit ufage de
» cette belle invention. Chacun fe maf-
» qua; & chacun, fans crainte d'être recon-
» nu , ſe livra à la danſe , à la joie , &
» à la folie. Ce tems fut marqué par des
» fêtes ; & le vice , parut triompher. »
"
Que fit Momus ? Le manufcrit n'en dit
rien; c'eft ici qu'il finit . Je me garderai
bien de vouloir donner mes conjectures
là -deffus : j'ai rempli mon projet. Je laiffe
à chacun le foin de faire, fur ce fujet, les
réfléxions qu'il lui plaira. Je me borne à
remarquer que ce fut la malice & la coquetterie
qui firent inventer les mafques ,
afin de pouvoir tout ofer fous ce déguifement.
Pour être le voile du vice ,
Les Maſques furent inventés ;
C'eft pour couvrir notre malice ,
Que par nous ils font adoptés.
De plus déplorables ufages ,
N'infectèrent jamais nos moeurs :
On maſqua d'abord les viſages ,
On finit par mafquer les coeurs.
A Lyon , au mois de Janvier 1760. L. P.
MAI. 1760. 127
MÉMOIRE HISTORIQUE ,
SUR LE MERCURE DE FRANCE.
que
DE
E tous les Livres qui peuvent fervir
à l'Hiftoire de notre temps , il en eft peu
d'auffi véridique, & d'auffi intéreffant
l'Ouvrage périodique donné d'abord fous
le titre de Mercure Galant , enfuite fous
celui du Nouveau Mercure , & enfin fous
le nom du Mercure de France. Ce Livre , eft
auffi curieux qu'utile ; & , felon le précepte
d'Horace , il inftruit en amuſant.
Mais pour parvenir à ce grand art , il eft
néceffaire que l'Auteur de cet Ouvrage
ait beaucoup de talens : auffi n'a- t- il été
confié qu'à des perfonnes d'un mérite diftingué
dans la Republique des Lettres .
Nous allons en donner la lifte , depuis
fon établiſſement jufqu'à préfent.
Ce Livre a commencé à paroître , fous
le nom du Mercure Galant , le premier
Janvier 1672. JEAN BONE AU DE VIS É,
Hiftoriographe du Roi Louis XIV, en fur
premier Auteur , & l'a continué jufques
& compris le mois de Mai 1710 .
I eft mort le 8 Juillet fuivant , après
le
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
avoir compofé , pendant trente - huit années
, 483 vol . in- 12 , compris les extraordinaires
, ci.
483
CHARLES RIVIERE DU FRESNY , Valet
de chambre du même Roi , Contrôleur
de fes Jardins , & c. né en 1648 , mort
le 6 Octobre 1724 , âgé de 76 ans ,
a continué le Mercure Galant depuis le
mois de Juin 1710 , jufqu'au mois de
Décembre 1713 , qu'il céda fon Privilége
au fieur le Fevre. Il a compofé
quarante-quatre volumes du Mercure ,
ci.
44
Il a fait plufieurs autres Ouvrages en
profe & en vers. Voyez Le Parnaffe
François , par M. Titon du Tillet ,
pag. 597. Le Pere Niceron, Hiftoire des
Hommes illuftres dans la République des
Lettres , Tome 17 , pag. 129. Mercure de
France , Octobre 1724. Pag. 2265. Biblioth.
des Théâtres , par Maupoint , pag.
128. Idem , par Beauchamps , Tome 2 ,
pag.438 . Idem, par MM . Parfait.Tome 15,
pag. 155 .
Le fieur LE FEVRE , a fuivi cet Ouvrage
fous le même titre , jufques au mois
d'Octobre 1716 inclufivement, & a compofé
trente fix volumes. Il n'y a point
eu de Mercure , pendant les mois de Novembre
& Décembre 1716 , ch. 36
MAI. 1760. 129
Le premier Janvier 1717 , ce Livre a
paru fous le titre du Nouveau Mercure ,
dont le fieur François BUCHET obtint le
Privilége , par Lettres données à Paris le
19 Janvier 1717. Il a donné cinquantetrois
volumes jufqu'en 1721 qu'il eft
mort , ci. $3
ANTOINE DE LA ROQUE, Ecuyer, ancien
Gendarme de la Garde ordinaire du Roi ,
Chevalier de l'Ordre Militaire de S.Louis,
obtint par brevet du 17 Octobre 1724 ,
༡
& Lettres-Patentes données en conféquence
le Novembre fuivant , la permiffion
de compofer le Mercure de France.
Il l'avoit commencé, dès le mois de Juin
1721 , ayant traité dans ce temps - là du
privilége du Mercure ; & il l'a continué
jufques à fa mort , arrivée le 3 Octobre
1744, dans la foixante- douzième année de
fon âge. Il a compofé , pendant vingttrois
ans & quatre mois , depuis celui
de Juin 1721 , jufques & compris le mois
d'Octobre 1744 , fans aucune interrup
tion , 331 Volumes , avec la fatisfaction
de la Cour & du Public , ci. 331
Par Brevet du Roi , donné au camp
devant Fribourg , le 31 Octobre 1744 ,
S. M. a accordé le Privilége du Mercure
de France , aux feurs LovIS FUZELIER ,
& CHARLES DE LA BRUERE, qui ont don
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
né quatre- vingt-un Volumes , depuis le
mois de Novembre 1744 , jufqu'au
Juillet 1750. ci.
81
Depuis le 1 Juillet 1750, juqu'au 1 Janvier
1755 , le fieur Abbé RAYNAL a fait
feul le Mercure , & il en a compofé foixante-
trois volumes. ci. 63
LOUIS DE BOISSY, de l'Académie Françoiſe
, a obtenu le Privilége du Mercure ;
& depuis le Janvier 1755 , jufqu'au
premier Août 1758 , il en a donné einquante-
fix volumes . ci.
56
Il est mort à Paris le 19 Avril 1758 ,
& a été inhumé le 22 à S. Benoît , dans
la 64. année de fon âge , étant né à Vic
en Carladez, dans l'Auvergne, le 26 Nov.
1694. Il a compoſé pluſieurs bonnes Comédies
pour les Théâtres François & Italiens
, dont on a donné une nouvelle
Edition à Paris , en 9 vol . in- 8° . V. Mer
cure de France , Juin 1758 , page 2 10.
M. MARMONTEL , connu depuis plu
fieurs années par les ouvrages de fa compofition
, qui ont remporté les Prix de
l'Académie des Jeux Floraux, & de l'Académie
Françoife , par fes Tragédies , &
autres piéces de pocfies , obtint après la
mort de M. DE BOISSY , le Privilége
du Mercure , dont il a compofé vingtquatre
volumes , depuis le premier Août
MA I. 1760 . 131
1758 , jufqu'au 1 Février 1760 , qu'il a
été remplacé par M. DE LA PLACE ; qui a
donné , depuis le mois de Février jufqu'au
préfent mois de Mai , cinq Mercures ,
ci.
Total des Mercures , depuis ſon établiſ
fement , jufqu'au mois de Juin 1760 .
1176. vol.
COURS D'HISTOIRE , & de Géographie:
Univerſelle , convenable aux deux Séxes ,
à tous les âges , & aux différentes formes
d'éducation.
Refpicere exemplar vitæ , morumque jubebo .
Horat. Art. Poët . V. 317-
A Paris , chez Grangé , Imprimeur- Li
braire , rue de la Parcheminerie , 1760 ,
avec approbation & Privilége du Roi.
Profpectus.
L'HISTOIRE , par le récit des événemens
qui fe font paffés fur notre globe, préſen
te à l'efprit humain le tableau le plus propre
à fixer fa curiofité ; mais ce n'eft point
uniquement pour la fatisfaire qu'elle l'in
vite à le confidérer. Cette occupation
agréable , n'eft qu'un moyen de parvenir
F vj.
134 MERCURE DE FRANCE.
relever dans une apologie étendue , l'im
portance & l'utilité d'un pareil projet.
Une expofition préciſe du plan qu'on
doit fuivre , fuffira pour faire fentir au
premier coup d'oeil la fimplicité de cette
méthode , & le fuccès infaillible qu'on en
doit efpérer.
Ce Cours d'Hiftoire Univerfelle fera
divifé en deux parties , les Petits & les
Grands Elémens. Les petits élémens ſeront
compofés de tablettes féculaires , où
les événemens feront placés avec clarté
& fimplicité ; enforte que la memoire
puiffe les embraffer fans effort . On obfer
vera le même ordre pour les grands élé
mens. Dans cette feconde partie , qui fer
vira de développement à la premiere ,
les événemens dont on aura donné l'indication
générale , acquéreront la jufte
étendue dont ils font fufceptibles : ce qui
formera un corps complet de chronolo
gie raifonnée .
Ce qui regarde la géographie, occafion
neroit des digreffions qui feroient perdre
de vue l'enchaînement des faits. Pour
éviter cet inconvénient , on expofera fé
parément tout ce qui a quelque rapport
à la defcription des lieux. Cette inftruc
tion diftincte marchera d'un pas égal
avec le Cours hiftorique ; c'est-à-dire ,
MA I. 1760. 135
qu'après un certain nombre de leçons
on donnera , dans un cahier féparé , une
expofition géographique , qui répandra
tous les éclairciffemens néceffaires à l'in
telligence de l'Hiftoire .
Les différens Pays dont on aura à parler
dans chaque âge , feront décrits d'une
manière affez détaillée pour qu'il ne foit
pas néceffaire de recourir à d'autres Livres.
On n'omettra point de marquer la
fituation , la grandeur , le climat , les
divifions , le degré de fertilité , les animaux
, les végétaux , toutes les curiofités
naturelles , les villes , les montagnes , les
rivieres , les lacs des différentes régions.
On déterminera l'antiquité des habitans
qui les ont fucceffivement occupées. Oir
fera connoître leurs religions , leurs loix ,
leurs gouvernemens , leurs coûtumes ,
leurs langages, leurs fciences , leurs arts ,
leur commerce , leurs guerres , leurs traités
; en un mot , tout ce qui peut aider
au parallèle de tous les Peuples , confidérés
dans leurs rapports généraux ou
particuliers.
Ce plan d'inftruction hiftorique peur
également fervir à ceux qui n'ont aucune
teinture de cette fcience , & aux perſonnes
qui , ayant déjà fait quelque progrès
dans cette étude , retrouveront dans les
136 MERCURE DE FRANCE.
premiers élémens une récapitulation exate
& précife de leurs travaux.
Cette nouvelle méthode , convenable
aux deux fexes , à tous les âges , aux différentes
formes d'éducation , invite par
fa facilité , préfente plutôt une espéce de
Fécréation , qu'un objet d'étude pénible ,
& ne peut manquer d'obtenir un accueil
favorable du Public.
La diftribution des Leçons fe fera par
Cahiers ; on en donnera deux par ſemaine
, les Lundi & Jeudi régaliérement .
Chaque Cahier , d'une feuille , du format
& du caractère de ce Profpectus , * contiendra
trois leçons : ce qui compofera
tous les trois mois un volume , à la fin
duquel on rappellera , dans un Abrégé
fuccinct , les leçons du Trimestre.
Conditions.
Les Soufcriptions feront ouvertes depuis
le premier Janvier 1760 , jufqu'au
15 Mars , inclufivement .
Le Lundi 17 Mars & le Jeudi fuivant,
les deux premiers Cahiers ont parus , &
ainfi l'on continuera d'en donner deux
avec exactitude toutes les femaines , &
de les envoyer aux adreffes des Soufcrip
teurs , à Paris..
* En-8°. & très-bien imprimé
MA I. 1760. 137
Le prix des Soufcriptions eft de 18
liv. par an , pour Paris , & 24 liv. pour
pour la Province , remis à l'adreffe des
Soufcripteurs , franc de port.
༡ Chaque Semestre de 9 liv. pour Paris ,
de 12 liv . pour la Province , fera payé
d'avance. Ceux qui n'auront pas foufcrit
dans le temps prefcrit , payeront 24 liv .
pour Paris , & 30 liv . pour la Province.
Les quittances de Soufcription , fignées
de l'Auteur & quittancées du Libraire , fe
diftribueront à Paris , chez GRANGE ,
Imprimeur-Libraire , rue de la Parcheminerie.
Les perfonnes de Province , qui
voulant foufcrire s'adrefferont à lui , font
priées d'affranchir leurs lettres .
On donnera,à la fin de chaque volume,
une lifte de tous ceux qui auront fouſcrit
à cet Ouvrage.
Avis aux Soufcripteurs du Cours d'Hiftoire
Univerfelle.
L'introduction au Cours de Géographie
univerfelle n'ayant pû être renfermée
dans une feule feuille , nous avons
jugé à propos de ne la point préfenter
détachée , & de joindre la Feuille du Jeudi
à celle du Lundi 15 Avril. On continuera
à l'ordinaire la diſtribution la femaine
fuivante..
138 MERCURE DE FRANCE.
Le prix des Cartes que nous avons
annoncées dans nos feuilles, eft de trente
fols pour Paris , & de quarante fols pour
la Province , franches de port. Toutes
feront imprimées fur du papier grand Aigle.
Les deux premieres feront achevées
le Lundi 16 Juin, jour auquel on les fournira
à ceux de nos Soufcripteurs qui vou
dront fe les procurer. On pourra foufcrire
à cet effet chez le même Imprimeur-
Libraire , auquel on remertra le prix des
deux premieres Cartes. Ceux qui auront
foufcrit les premiers , auront les premieres
épreuves.
HISTOIRE DES DAUPHINS de Viennois ,
d'Auvergne , & de France , Ouvrage pof
thurne de feu M. le Quien de la Neufville,
Chevalier de l'Ordre de Chrift , de la
premiere Claffe , & Membre de l'Académie
des Infcriptions & Belles- Lettres de
Paris. Mis au jour par M. le Quien de la
Neufville , petit - fils de l'Auteur , Chevalier
de l'Ordre Royal - Militaire de Saint
Louis , Capitaine au Régiment étranger,
Cavalerie , de Monfeigneur le Dauphin.
Augmenté , par un homme de Let
tres , de l'Hiftoire de Louis IX du nom ,
25 Dauphin de France. Deux volumes
in- 12. A Paris , chez Desprez , Impri
MA I. 1760. 139
meur ordinaire du Roi , & du Clergé de
France , rue S. Jacques , 1760 , avec approbation
, & privilége du Roi. Le prix
eft de ‹ liv.
S
ORAISON FUNEBRE de très- haute & trèspuiſſante
Princeſſe , Madame LOUISE ELISABETH
DE FRANCE , Infante d'Espagne ,
Ducheffe de Parme & de Plaifance , & de
Guaftalle. Prononcée dans l'Eglife de Paris
, le 12 Février 1760 , par Meffire
Mathias Poncet de la Rivière , ancien
Evêque de Troyes . A Paris , chez Guillaume
Defprez , rue Saint Jacques ; & à
Troyes , chez J. B. Frang. Bouillerot
Libraire de Mgr l'Évêque , près l'Hôtel
de Ville.
PETIT DICTIONNAIRE François & Latin,
ou Vocabulaire , uniquement à l'ufage
des enfans qui commencent à faire des
thêmes , & qui peut leur fuffire depuis
l'âge de fept ans jufqu'à dix . Ouvrage qui ,
par fa précifion , a diverfes utilités pour
la Jeuneffe. Petit in - 12 , 1760. A Paris ,
chez Guillyn , Libraire , quai des Auguſ
tins , proche du Pont S. Michel , au Lys
d'or , avec approbation & privilége du
Roi. Prix 1 liv. 4 f. I
DIALOGUES , en François , & en Latin ,
140 MERCURE DE FRANCE.
pour fervir de guide à MM . les Militai--
res , & aux perſonnes qui voyagent en
Pays étrangers. On y trouvera la manière
d'exprimer en Latin la plupart des chofes
dont on peut avoir befoin , foit pour
les befoins de la vie , foit pour d'autres
queftions que les Voyageurs ont occaſion
de faire . On y a ajouté les noms des Villes
les plus célèbres de l'Europe, leur diſtance
de Paris , & ce qui s'y trouve de plus curieux
. Petit in 12. Paris , 1760. Se vend
auffi chez Guillyn. Prix , 1 liv.
/ RÉFLEXIONS CRITIQUES
, fur le fyftême
de l'attraction avec une nouvelle idée
fur la préceffion des Equinoxes , fur le
Tems , & fur la pefanteur . Par M. Maffiere .
Vol. in 12. 1759. A Nice , chez Gabriel
Floteront, Imprimeur du Gouvernement .
Avec permiffion.
ABRÉGÉ de la vie de M. LE PELLETIER ,
mort à Orléans , en odeur de fainteté.
Par Mlle d'Alès du Corbet . In 1 2. Orléans;
1760 , chez Couret de Villeneuve , Imprimeur
du Roi , & de l'Evêché. Avec permiffion.
L'ART D'AIMER , nouveau Poëme en
fix Chants.ParM ***** Nouvelle Edition
in-8°. 1760. Londres , aux dépens des
MA I. 1760. 141
Libraires affociés. L'on en trouve des
exemplaires à Paris , chez Guillyn'`,
quai des Auguftins.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Belles- Lettres de Caën , du
6 Décembre 1759 .
M. DE TOUCHET DE COURSELLES , fit
l'ouverture de l'Année Académique par
un Difcours fur l'éducation : il prouva
qu'elle ne forme pas effentiellement les
Héros , puifqu'il y a eu de grands hommes
, qui ont été privés de fon fecours.
Cetre hypothèſe le conduifit à l'éloge de
Louis XIV ; & il acquitta . l'Académie du
tribut de louanges qu'elle fe fait gloire
de lui rendre tous les ans , à fa rentrée.
M. de Clerval , Secrétaire , lut enſuite
P'Eloge hiftorique des Académiciens ' décédés
dans le cours de cette année ; &
termina la Séance par la lecture du Dif-
-
42 MERCURE DE FRANCE.
cours qui a remporté le Prix de l'année
derniere , & qui avoit pour devife ce vers
des Géorgiques de Virgile , Liv. II.
... fortunatos nimiumfuafi bona norint
Agricolas!
M. de Fontette fit , fur tous fes Difcours
, des réfléxions fçavantes & judicieuſes
; & annonça que le Sujet du Prix
qu'il veut bien donner en 1760 , ſeroit :
Quelle eft la meilleure maniere de planter
& de cultiver les pommiers à cidre ; &
la meilleure méthode de profiter de leur
récolte ?
Ce Prix eft une Médaille , de la valeur
de 300 liv. & fera donné le 4 Décembre ,
jour de la rentrée. Ceux qui voudront
concourir , font avertis d'envoyer leurs
Differtations franches de port , à l'adreffe
de M. Maffieu de Clerval , Secrétaire de
l'Académie. Elles ne feront reçues que
jufqu'au dernier jour de Juin prochain.
Chaque Auteur aura foin de mettre fa
devife en tête de fa Differtation , fuivant
l'ufage ; & les Ouvrages de ceux qui ſe
feroient fait connoître directement ou
indirectement , ne feront point admis au
concours.
MAI. 1760. 143
MATHÉMATIQUE.
EXTRAIT de la Lettre de M. THOMIN,
Ingénieur en Optique de la Reine , en
réfutation de l'Opticien , ou Lettre de
M. l'Abbé la Ville- S.-Bon.
UNE
NE critique vraie & judicieuſe , dans
les Arts , loin de nuire à leur progrès , ne
femble devoir concourir qu'à leur perfection.
Il eft jufte & naturel de relever les
fautes qui peuvent fe faire en ce genre ;
l'intérêt du Public femble l'exiger. Il n'en
eft pas des Arts , comme de la Littérature :
celle- ci, n'a en vue que l'agrément qu'elle
peut procurer , tandis que les autres ne
confidérent que l'utilité du Public. Un
Critique , jufte & impartial , ne doit regarder
, lorfqu'il entreprend d'écrire , que
le fruit que ce même Public peut retirer
de fes réfléxions : il doit par conséquent
fe dépouiller de tout motif de jalouſie ,
ou de vengeance , & ne rien avancer qui
ne foit véritable , & qu'il ne foit même
en état de prouver. M. l'Abbé la Ville ,
Auteur d'une petite Brochure intitulée ,
l'Opticien , n'a pas bien rempli toutes cas
144 MERCURE DE FRANCE.
conditions. I reproche à Madame la
veuve Thomin , dans fa lettre , une faute
qu'il a lui-même inventée à plaifir . D'ail-
Teurs il exige d'une Dame , ce que jamais
perfonne n'a exigé ; je veux dire une connoiffance
trop étendue dans la Phyfique ,
les Mathématiques , & la Médecine ,
dont il étoit abfolument néceffaire d'avoir
quelques notions , pour donner à
M. P. *** des lunettes convenables à fon
genre de vue particulier , connu fous le
nom de vue mixte. De là il paffe à une
Differtation fur les Myopes , ou vuës
courtes , & les louches ; & cette Differta
tion toute entiere , qui commence dans
fa Brochure , au bas de la page 6 , eft
copiée mot pour mot inclufivement , jul
qu'à la page 57 des Chapitres XVI. &
XXIII. d'un Livre intitulé , Traité des
Maladies des yeux , & des remédes propres
pour la guérifon , par Me Antoine Maître
Jean , Chirurgien du Roi à Mery-fur-
Seine , rue de la Harpe , à Paris , chez la
Veuve D'houry. L'on trouvera dans la
lettre de M. Thomin , imprimée chez
Barbou , rue S. Jacques , aux Cigognes ,
des endroits du Livre de Maître Jean',
qui ont été compilés , & la comparaiſon.
L'Auteur s'attache , dans le cours de fa
lettre , à prouver la fauffeté d'un reproche
intenté
MAI. 1760. 145
Intenté ſi injuſtement , & il prouve , de
l'aveu même de M. l'Abbé la Ville ;
que M. P *** étoit dans le cas de ne
pouvoir tirer aucun fecours des verres
optiques , par la foibleffe de fon organe ,
& que d'ailleurs des lunettes d'un foyer
un peu confidérable , peuvent être , pour
un temps, favorables à une vue foible , &
deviennent par la fuite préjudiciable,lorfque
cette foibleffe vient à ceffer. Il fe
propofe auffi de prouver , dans cet écrit
que l'Auteur s'eft également approprié
quelques ouvrages de Méchauifme , qui
ont paru fous fon nom , & qui , néanmoins
, fon fortis des mains de deux ouvriers
formés par feu M. Thomin . Perfuadé
de la bonté de fa caufe , M. Thomin
n'employe pas les termes piquans ,
ni les injures , dont il auroit pû fe fervir
par droit de repréfailles ; il a cru devoir
prendre , pour le défendre des moyens
plus licites , & plus honnêtes que ceux
que fon adverfaire a pris pour l'attaquer.
Une jufte modération devroit être l'âme
des critiques ; mais malheureufement on
ne voit régner chez elles que l'efprit de
partialité & de jaloufie . M. Thomin finit
fa lettre ,par une Differtation fur quelques
points de la Myopie & démontre, contre
le fentiment de quelques- uns , que ce
G
146 MERCURE DE FRANCE.
n'eft point la Myopie qui eft la cauſe
immédiate du loucher , mais que feulement
elle peut l'occafionner , lorfqu'elle
eft confidérable. Les raifons en font déduites
au long dans cette lettre ; c'eſt
pourquoi nous y renvoyons le Lecteur .
Comme les occupations de l'Auteur l'appellent
au fervice du Public , il croit devoir
avertir qu'il ne fera aucune réponſe
fion l'attaque derechef par quelqu'autre
critique de cette nature .
GÉOMÉTRI E.
DESCRIPTION DE L'ELLIPSE,
par le moyen du Cercle ; & démonftration
de cette méthode.
Par JEAN - ANTOINE GLENAT.
DANS
THÉORIM E.
le
une Ellipfe quelconque ,
quarré d'une ordonnée quelconque eft au
quarré de l'ordonnée confécutive comme le
produit des deux fegmens dans lesquels la
première ordonnée partage le diamètre , eft
au produit des deux autres fegmens dans
lefquels la feconde ordonnée partage auffi
le même diamètre.
MA I. 1760.
147
DEMONSTRATION.
Soit l'ellipfe ci - contre D Ad, où on
fuppofe que Dda ; que DEx ( en
fuppofant l'origine des abfciffes au point
D) ; que les ordonnées Ef; efy ; &
que K ^ = ; b .
L'équation de l'ellipfe étant ayy
= a px = pxx , on en tire p . a :: yx
• ax - xx. Or (y ) repréfentant fucceffivement
toutes les ordonnées Ef, ef& c.
il s'enfuit que dans tous ces cas le quarré
2
Efou ef, eft au produit des fegmens ,
dans lefquels chaque ordonnée partage
le diamètre (a) , comme le paramètre (p )
eft à ce diamètre ( a ) . Ainfi fi au lieu du
Р
rapport on fubftitue ſon égal
on
a
.
Ef
DEX EA
trouvera que confécutivement le
quarré de chaque ordonnée eft au quarré
de l'ordonnée fuivante , comme le produit
des fegmens , dans lefquels la première
partage le diamètre au produit des
autres fegmens dans lefquels la feconde
ordonnée partage le même diamètre . Ce
qu'il falloit prouver.
COROLLAIRE PREMIER.
2. On voit par là ,› que fi on décrivoit
un cercle fur le diamètre Dd , & qu'on
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
prolongeât enfuite les ordonnées Ef, ef
jufqu'aux points G , g de la circonférence,
les quarrés des ordonnées du cercle étant
égaux * , chacun aux produits des fegmens
du diamètre , dans lefquels ces ordonnées
2 -2
le partagent, les quarrés Ef, ef, feroient
- 2 2
entr'eux comme les quarrés EG , eg des
ordonnées du cercle , par les mêmes
points. Par conféquent , en prenant les
racines de ces quarrés , les ordonnées de
l'ellipfe feront entr'elles comme les ordonnées
du cercle par les mêmes points,
COROLLAIRE IĮ.
3. Une fuite de changeantes repréfen
tées par (y ) , qui feront telles , qu'étant
comparées deux à deux avec une autre
fuite de changeantes appellées ( 3 ) repréfentant
fucceffivement les ordonnées d'un
cercle quelconque , les premières ( y)
étant fuppofées moindres
que les fecondes
( 2 ) , c'est- à dire y , elles faffent
avec celles de la derniere fuite une proportion
géométrique , feront confécutivement
les ordonnées d'une ellipfe Dad,
dont Dd fera l'axe commun des deux
courbes,
* Euclyde , Propofition 13 , Liv. VI.
4
MAI. 1760. 149
COROLLAIRE III , & PROBLEME.
4. Pour avoir donc cette fuite d'ordonnées
de l'ellipfe , qui foient confécutivement
proportionnelles avec celles de
la fuite , qui contient les ordonnées du
cercle ,,
je décris fur le diamètre D d la
demie circonférence Dad, & fur le
demi diamètre conjugué , KA une autre
demie circonférence && A. Or (felon
Euclide, Propofition 4 , 8 , 13. ) les ordonnées
eg , E G &c. du cercle D 2 Ad , &
les ordonnées ry, &,, &c. du petit cercle
♪ A2 , feront moyennes proportionnelles
entre chaque fegment dans
lefquels elles partagent leur diamètre.
D'ailleurs les circonférences étant entr'elles
comme leurs diamètres , les demies
circonférences font ici ( felon la cinquième
Propofition d'Euclide , Liv. V. )
comme leurs rayons, & de plus les triangles
rectangles qui y font inferits ( par la
C
42 8 Propofition d'Euclide , Liv . VI. )
font équiangles , ont leurs côtés proportionnels
, ou bien leurs côtés font homologues.
Par confequent de la comparaifon
des côtés , homologues , on tirera les proportions
fuivantes Deeg eged ;
DE.EG :: EG . Ed ; A. ey :: εy . εK;
Anne K les rapports de ces pro-
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
看
portions étant tous égaux , on en tire
les deux fuivantes. eg . ed : " 0. K ;
& EG Edy K d'où on
De E
20
3
2A
K
ε
·
14-1570
15795
tire par proportion ordonnée eg . ed
:: EG . Ed ; ey.no :: Ed . ey ; no . K
:: ty . K ; d'où on tire les produits ſuivans
des extrêmes & des moyens egx Ed
edx EG, edxey x Ed, nox K ལྟ
= ¤
Kxey. Ces produits ou ces équations
multipliées les unes par les autres ,
donnent pour produit l'équation
eg xe KxEdx ed x ny X
0
EG XK X Edx ed x εy x no ,
qui étant divifée par Ed x edxey x 10,
devient eg xeK EGX K ; d'ou
on tire eg . EG : KK ; dans laquelle
proportion on voit qu'une ordon
née quelconque Kef eſt à fon ordonnée
confécutiveK Ef comme
MA I. 1760. FST
une ordonnée quelconque (eg ) du cercle ,
décrit fur le même diamètre Dd , à fon
ordonnée confécutive EG , ces ordonnées
prifes fur les mêmes points du diamètre.
Si on trace donc un cercle fur l'axe
Dd , & un autre fur le demi axe conjugué
KA , & qu'après avoir tiré un nombre
déterminé d'ordonnées ef , Ef du
cercle des points e , E , &c. de l'axe Dd
aux points g , G de la circonférence , on
détermine fur le demi axe congugué KA ,
les ordonnées Ko , Ke de l'ellipfe,& qu'on
tire enfuite des points e , des droites &f,
of , les points f, f, &c. où elles couperont
les ordonnées du cercle , faifant
chaque partie ef, Ef, &c . égale à chaque
ordonnée trouvée Ko, Ke &c. feront
les points de l'ellipfe cherchée. Ce qu'il
falloit trouver.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
RÉPONSE de M. C ** , à des obfervations
d'Amateurs , inférées dans l'Obfervateur
Littéraire , année 1759 , cahier 24 ,
page 243.
LAFFECTATION avec laquelle l'Obfer
vateur Littéraire appelle dans fes feuilles
des remarques d'Amateurs , inferées
dans la 24 de l'année derniere ; la perfuafion
où il paroît être , & qu'il veut
infpirer à fes Lecteurs , que je fuis accablé
par la force des argumens ; & enfin
la néceffité de tirer d'erreur ceux d'entreux
qui , faute d'examen , pourroient
croire que je n'ai pû répondre folidement
, me forcent de rompre le filence
que je m'étois impofé.
Je commence par déclarer à Meffieurs
MA I. 1760 . 153
les Amateurs, que je ne fais aucune attention
à ce qu'il y a d'offenfant dans leurs
obfervations : je veux même croire que
le bien qu'ils difent de moi , à quelques
égards , eft une compenfation fuffifante.
Mon feul but eft de démontrer , que les
endroits où l'on a voulu me trouver en
déffaut , n'étoient pas auffi fufceptibles
d'être repris qu'on voudroit le faire
' croire .
La première critique férieufe & railonnée
de ces Meffieurs,tombe fur ce que j'ai
écrit au commencement de la Lettre inférée
dans le Mercure de Juillet 1759 ,
fur
la diverfité desfentimens à l'égard des Portraits
. J'ai dit, & je le répete, que file jugement
du Publicfemble quelquefois differer
de celui des Artiſtes ,c'eft furtout à l'égard
des Portraits ; que le Public paroît regarder
la reffemblance , comme le principal
& prèfque l'unique mérite qui l'intéreffe :
au lieu que les Artiftes, par la foibleffe des
éloges qu'ils accordent aux ouvrages qui
in'ont que ce feul avantage, donnent lieu de
croire qu'à peine le placent- ils au fecond
fang : qu'ils paroiffent même excufer plus
facilement le défaut de cet agrément, que
les fautes que l'on peut commettre dans
les autres parties de l'Art ; & je finis ce
préambule, en difant que l'oppofition qui
sup (esai esi supenly Y
154 MERCURE DE FRANCE.
paroît entre ces deux fentimens , peut
n'être qu'apparente .
Jufques - là , il n'y a rien d'affirmé ;
je ne fais qu'expofer ce qu'on pourroit
penfer , en jugeant fur les premieres apparences
, & j'en remets l'examen à la
fuite du difcours. En effet je fais voir,
que les Artiftes exigent la reffemblance
avec encore plus de févérité que le
Public ; & que lorfqu'elle eft produite
par un vrai fçavoir , ils la confiderent
comme un mérite effentiel : mais que ces
prétendues reffemblances frappantes, qui
font plutôt la parodie des traits du vifage,
ne les fatisfont point , quoiqu'elles fuffifent
pour contenter beaucoup de per-
Tonnes. Je n'ai donc attaqué que le préjugé
, qui qualifie de reffemblance des
fimulachres groffiers , ( comme les
ment Meffieurs les Amateurs ) & qui leur
prodiguent des éloges fouvent refufés à
de beaux ouvrages , dont le mérite eft
moins à la portée de tout le monde. Bien
loin d'accorder qu'il y ait une différence
réelle entre le jugement du Public & celui
des Artiftes , j'ai foin de faire remarquer
que lorfque le Public juge en faifant
abftraction de l'intérêt perfonnel qui fait
defirer la
reffemblance , il n'accorde fon
cftime ( non plus que les Artiſtes ) qu'aux
nomMA
I. 1760. 155
ouvrages les plus parfaits dans toutes les
parties de l'Art. C'eft ce que l'on obfervera
toujours , lorfque l'on écoutera le
cri du Public en général , & non celui de
quelque fociété particuliere.
C'est ainsi que s'expliquent naturelle ,
ment ces opinions oppofées , & que fe
concilient ces contradictions , que Mef
fieurs les Amateurs n'euffent point trouvées
, s'ils euffent voulu bien entendre .
ou qu'ils n'euffent point eu d'intérêt à
détourner le fens : il paroît même qu'ils :
n'ont pû fe défendre de quelque fcrupule,.
puifqu'ils ont préfumé que je pourrois:
reclamer contre celui qu'ils y donnent.
J'avoue que le terme d'agrément , eft
trop foible , dans le cas où je m'en fuis
fervi : il peut pourtant trouver fon excufe
, dans le fens même de tout cer
Avant propos , où il eft évident que je
ne prétends pas encore décider fur la
maniere de juger des uns ou des autres ,
mais feulement expofer ce que l'on en
pourroit penfer , en ne s'arrêtant qu'aux
apparences. Je devois d'autant moins :
craindre que cela pût faire équivoque
que je développe enfuite affez au long
les idées que j'adopte à cet égard..
י
Si je leur difois qu'ils n'ont pas fçu
me lire , fans doute ils trouveroient cette
G vji
156. MERCURE DE FRANCE.
fuppofition injurieufe , quoiqu'ils fe la
foient permife à mon égard. Peut être ne
me fuis- je pas affez bien expliqué ; peutêtre
que ce qui m'a paru clair, ne l'étoit
pas pour eux ; peut- être auffi ces Meffreurs
doivent - ils fe défier de l'envie
qu'ils ont de me critiquer. A quelle autre
caufe, en effet, puis- je attribuer ces qualifications
de diftinctions captieuses , qu'ils
donnent à la différence que j'établis entre
une reffemblance fine, c'est - à- dire finement
exprimée , & une resemblance groffière ,
c'est- à-dire , groffièrement rendue ? Doisje
croire que des perfonnes qui écrivent
fur les Arts , n'entendent pas ces expreffrons
? Il en faudroit conclure , qu'elles
manquent des lumières les plus communes
fur ces matières.
Au refte , ils voudront bien remarquer
que contre leur intention , ils appuyent
eux mêmes le faux principe , que la ref
femblance n'eft pas effentielle dans les Por
traits , par la manière dont ils me peignent
, en me fuppofant de grandes prétentions
fur le talent d'écrire , & fort
rempli d'amour - propre . J'ofe dire , que
ceux qui me connoiffent , ne m'y retrouvent
point.
pas
Il faut croire que ces Meffieurs n'ont
lû ce que j'avois dit longtems avant
MAI. 1760. 157
eux fur les Chaires, fur l'inutilité de l'abatvoix
, & fur l'avantage d'un adoffement
moins étroit . Ce fut à- peu près dans le
même temps que M. Slodiz compofa le
projet d'une Chaire pour S. Sulpice. L'idée
que je propofois y a cependant peu
de rapport, puifque M. Slodiz a fait ufage
de l'abat - voix à la hauteur ufitée , & qu'il
n'a mis d'autre fonds derrière le Prédicateur
qu'un fiége de la largeur ordinaire.
Il pourra néanmoins paroître fingulier ,
que nos Amateurs fe foient rapportés fi
jufte avec moi : voici du moins un cas où
nous fommes d'accord ! Je les prie feulement
de remarquer que la fuppreffion
des cavités , dans l'abat -voix , ne ferviroit
à rien , vû que lui- même fert à peu de
chofe , à cauſe de fa petiteffe relativement
à l'espace vuide qui refte devant
& aux côtés de l'Orateur ; & furtout , que
l'effet de l'adoffement ne feroit point ,
comme ils le difent , de répercuter horizontalement
la voix ; mais d'empêcher la
déperdition des ondulations du fluide qui
la tranfmet , & de laiffer toute la force à
fon impulfion directe , qui produit toujours
le fon le plus plein & le plus diftinct
. D'ailleurs,des répercuffions horiſontales
(fi elles avoient lieu ) feroient en
pure perte ; puifque les Auditeurs ne font
158 MERCURE DE FRANCE.
point élevés à la hauteur néceffaire pour
être rencontrés par des lignes horisontales
partant du deffus de l'appui de la Chaire.
les principes d'acouftique qu'ils pofent, &
qu'ils veulent regarder comme plus par
ticulierement de leur reffort que du nôtre
, manquent de jufteffe ; & je ne crois
point excéder les bornes des connoiffances
qui me font permifes , en ofant les
révoquer en doute.
Lorfqu'à l'occafion du tableau de M.
Deshais , je foutiens que mal -à- propos
on veut nous faire prendre le deffein &
le coloris , à quelque degré d'excellence
qu'ils puiffent être portés , pour le Méchanifme
de la Peinture ; & qu'il n'y a
que des perfonnes peu verfées dans cet
Art qui puiffent le penfer ; je ne dis rien
dont ceux qui en ont quelque intelligence
ne conviennent ; & je n'avancerois rien
qui ne leur parût également évident ,
quand j'ajouterois que c'eft le degré d'excellence
de ces deux talens , lorfqu'il eſt
porté à une perfection capable de faire
une forte d'illufion , & de préfenter aux
yeux la vie , le mouvement , & l'expreffion
, qui fait le fublime de la Peinture :
ce qui n'empêche pas que le fublime des
idées poetiques n'en augmente l'intérêt ,
lorſque le fujet en eft fufceptible. Mais
MA I. 1760. 159
ce font deux chofes de différente nature .
Cerre diftinction paroîtra fans doute captieuſe
à nos amateurs , faute de l'entendre
, & d'avoir affez de connoiffance de
ce qui fait l'eſſence de cet Art . Ce fujet
eft affez important pour mériter d'être
traité à part ; & c'eft ce que je me propofe
de faire dans peu.
Nos Amateurs fe trompent encore, lorfqu'ils
veulent qu'un tableau foit toujours
un Poëme , ou doive toujours l'être . It
n'eft quelquefois qu'une fimple hiftoire ,
& fouvent moins encore , fans que
pour cela le Peintre foit difpenfé d'atteindre
au fublime de fon Art. Mais ce
qui paroîtra toujours certain , quelques
efforts qu'ils faffent pour foutenir une
affertion hazardée , c'eft que ce fublime
ne peut point confifter dans l'exactitude
pédantefque à s'affervir aux recherches
trop détaillées du coftume ; à moins
qu'on ne veuille auffi qu'un Auteur dramatique
manque le fublime d'une pièce
lorfqu'il ofe y changer quelques circonftances
hiftoriques .
Revenons au tableau du cadavre d'Hedor,
préfervé de la corruption par Vénus.
Si l'on ignore que ce héros eft le feul
pour qui Vénus air daigné prendre ce
foin , on devinera difficilement ce fujet ;
160 MERCURE DE FRANCE.
mais il eft quantité de femblables faits
peu connus ," ou rarement repréfentés
, qui néanmoins ne doivent point
être interdits à la Peinture ; furtout lorfqu'il
n'eft queftion que de faire preuve
de fon talent , par l'exécution des chofes
reconnues pour les plus difficiles. Le
cafque d'Achille ne feroit pas d'un grand
fecours pour faire connoître le fujet : il
ne lui eft point particulier ; & Homère
donne ce panaché de crins de cheval à
plufieurs de fes héros. L'épée , ornée de
cloux d'argent , & la cuiraffe de diverfes
couleurs , ne feroient pas un moyen plus
für : car on ne peut raifonnablement fuppofer
que le Spectateur ait préfent à l'efprit
jufqu'aux moindres détails du Poëme
d'Homère . On pourroit plutôt l'efpérer ,
s'il étoit queſtion des armes qui lui furent
enfuite données par Vulcain : le
fouvenir de celles - ci , qui font fi magnifiquement
décrites , éfface celui des autres.
La bleffure du col feroit plus impor
tante , & ne devroit point être négligée ;
cependant elle ne difpenferoit point d'ê
tre averti du fujet : Hector n'eft pas le feul
héros qui ait perdu la vie , par une bleffure
à la gorge. Ce qui peut donc le caractérifer
plus particulierement , c'eft le foin
qu'une Déeffe daigne prendre d'un cada
MA I. 1760. 161
vre : ce qui défigne que ce n'eft pas celui
d'un homme du commun , mais d'un
héros chéri des Dieux. La beauté & le
caractère nerveux de ce guerrier,doivent
contribuer à en donner une haute idée.
L'intérêt qu'y prend le fleuve , peut donner
à connoître que c'eft le défenfeur de
cette contrée. Ce qui feroit encore plus
clair , fi le Scamandre pouvoit être reconnu
à quelque attribut qui lui fût auffi particulier
, que le font au Tibre & au Nil
ceux qu'on leur donne . Au défaut de ce
fecours , les talons percés doivent faire
connoître à tout Spectateur inftruit , que
c'eft Hector. Mais il y a plus ; ces armes
d'Achille , auxquelles nos Amateurs veulent
attribuer tant de part au fublime
dont ce fujet peut être fufceptible , n'y
devroient point du tout paroître . Auffitôt
qu'Achille eut tué Hector , il l'en dépouilla
; & affurément il ne traînoit point fes
propres armes avec le corps d'Hector. Il
eft fâcheux que des chofes qui leur ont
paru fi importantes , dans ce tableau , s'y
trouvent déplacées & contre toute raifon
.... Voilà une Differtation faftueuſe ,
de l'érudition perdue !
Je prie Meffieurs les Amateurs de vouloir
bien fufpendre leur jugement fur
ce que j'ai à dire , pour déterminer juf161
MERCURE DE FRANCE.
qu'où l'on doit s'affujettir fans afferviffement
au coftume , & de ne pas imaginer
les abfurdités du piftolet entre les
mains d'Abraham , & des fufils fur l'épaule
aux Licteurs de Céfar : on ne doit
fuppofer à perfonne fi peu d'inftruction ,
quand on n'en a pas de preuves . Je ne
dirai pour le préfent autre chofe fur cè
fujet , finon que l'Artifte doit avoir à
cet égard la même liberté que le Poëte ;
& que , comme le fublime de la Poëfie
ne dépend pas de cette exactitude , de
même le fublime de la Peinture n'eft point
l'effet de ces connoiffances faciles à acquérir
, & qui n'exigent point de génie.
Je finis , en les priant auffi , lorfqu'ils
voudront me faire un compliment , de
ne point déprimer d'excellens Artiſtes ,
tels que plufieurs de nos Graveurs , en në
leur attribuant que les parties méchaniques
de leur Art , parce qu'ils ne compo
fent pas ... c'eft dire , qu'un excellent Tra
ducteur n'a que les parties méchaniques
de la Littérature. Ce trait fuffiroit pour
faire voir , combien fauffement ils qualifient
de méchanifme les opérations de
l'efprit & du goût.
MAI. 1760. ·163
ARTS UTILE S.
HORLOGERIE.
DESCRIPTION d'une Pendule à Secondes
, qui marque le temps MOYEN &
le temps v RAI , fans être expofée aux
inconvéniens qu'on a remarqués jufqu'à
préfent dans lee Pendules d'équation
. Par LEPAUTE, Horloger du Roi .
LE TEMPS VRAX , eft celui que le Soleil
marque chaque jour fur nos Méridiennes
& nos Cadrans ; c'eft celui dont la
Nature nous donne fans ceffe la meſure
pour nos occupations & nos délaffemens ;
c'eft celui que la convention générale de
tous les Peuples a adopté , & c'eſt néanmoins
le feul que les horloges & les
pendules ne donnent point.
On ne peut point , même avec la plus
excellente pendule , efpérer de fçavoir
l'heure qu'il eft , à moins qu'on n'employe
continuellement des tables d'équation
, pour avoir égard à la différence
qu'il y a entre le temps des pendules &
le temps vrai ; calcul défagréable & fatiguant
, qui nous prive communément
764 MERCURE DE FRANCE.
de la fatisfaction qu'un efprit exact trouveroit
à pouvoir mefurer fon temps avec
facilité & avec précifion .
L'on a imaginé , vers la fin du dernier
fiécle , des pendules qui , au moyen d'une
courbe taillée fuivant les inégalités du
Soleil , marquoient le temps vrai. Plufieurs
Auteurs fe font attachés à trouver
des moyens d'appliquer cette courbe
; la plupart ont employé deux éguilles
avec un feul cadran , & dès lors il falloit
une cadrature fort compliquée ; par
conféquent on avoit beaucoup de force
perdue , beaucoup de jeu dans les éguil-
-les , & beaucoup d'inégalités dans la marche
: car les inégalités fe multiplient tou
jours avec le nombre des pièces.
•
C'eft
pour cela
que
les Aftronomes
n'ont
jamais
voulu
admettre
les pendules
de temps
vrai
dans
leurs
obfervations
?
le Public
les a'auffi
rejettées
, parce
qu'el
les coûtoient
beaucoup
, qu'elles
étoient
fort
fujettes
à fe déranger
, & difficiles
à
réparer
.
L'on avoit fait auffi des pendules à
-double cadran , mais toujours par la cadrature
; en forte qu'elles étoient de la
même complication , & fujettes aux mêmes
inconvéniens : on les évite tous par
la conftruction fuivante.
MAI. 1760. 165
La grande roue ou le premier mobiled'une
Pendule Aftronomique ordinaire.
dont les nombres font calculés à cet effet
, conduit une roue annuelle qui porte
la courbe d'équation ; fur cette courbe
appuie le talon d'un rateau ; le rateau engrenne
dans un Cadran mobile fur lequel
font marquées les minutes du temps vraiz
cette partie mobile fait le milieu du
grand Cadran , & femble ne former
avec lui qu'une feule pièce ; elle tourne
fur un pont , par là elle eft indépendante
du rouage , & le poids ne fournit pas un
demi- quart d'once de fa force pour la
conduire en effet , la vitelle du Cadran
n'étant pas la centiéme partie de celle :
du poids , celui- ci n'aura pas à vaincre
la centième partie de la réfiftance du Cadran
, qui elle -même eft infenfible.
Le Cadran mobile fur lequel eft marqué
le temps vrai , vient fe placer vis-àvis
du temps moyen ; une feule équille !
indique l'un & l'autre , puifqu'elle paffe .
fur les deux Cadrans.. T
1
En faifant ainfi mener la roue annuelle:
par le premier mobile , j'ai débarraffé le
mouvement de tout le poids de la cadra - 1
ture ; je lui ai rendu toute l'exactitude ,
des Pendules Aftronomiques ; & la précifion
qui doit caractériſer celles- ci , fe
166 MERCURE DE FRANCE.
réunit avec l'agrément de fçavoir à toute
heure ce que marque le Soleil fur le
meilleur Cadran folaire. Ceux qui ont
réfléchi fur les avantages de cette réunion
, font étonnés que quelqu'un veuillé
actuellement fe contenter des Pendules
ordinaires qui n'ont point d'équation ,
puifqu'elles rempliffent fi mal l'objet de
la fociété , en s'écartant fans ceffe de la
meſure naturelle que , fournit le Soleil ,
auquel on doit cependant tout rappor
ter. Une Pendule ordinaire , parfaitement
exacte , avance néceffairement d'un quart
d'heure fur le Soleil, au milieu de Février,
& retarde de 16' & 8 " au com
mencement de Novembre .
La fimplicité de cette nouvelle conftruction
, leur affure encore l'avantage
particulier de n'être pas plus fujettes au
dérangement que les pendules les plus
fimples , de pouvoir être réparées dans
le befoin par tous les Horlogers de Province
qui n'en auroient jamais vû , avec
la même facilité que des Pendules à reffort
; à quoi il faut ajouter que toutes
perfonnes les peuvent placer , déplacer ,
remonter & remettre à l'heure fans aucune
étude , & fans aucune difficulté.
Certe Pendule à auffi la propriété de
montrer les quantiémes du mois qui font
MAI. 1760. 167
pour fur la roue annuelle , & qui fuffifent
mettre la courbe au point où elle doit
être placée , même fans faire couler le
rouage ; cet avantage eft fouvent confidérable
, lorſqu'une Pendule a été tranſportée
, qu'elle a été nétoyée , ou que
par quelque raiſon que ce foit , elle a
ceffé de marcher pendant plufieurs jours ;
on feroit obligé dans une autre Pendule
d'équation , de faire faire à l'éguille autant
de tours qu'il y auroit d'heures écou
lées depuis le temps où elle auroit été
arrêtée.
f
AGRICULTURE.
Avis fur l'Agriculture &c.
LE fieur BERGER , dès ſa jeuneſſe , fa
s'étant appliqué à l'Agriculture champêtre
ou des biens de campagne , & ayant eu
toutes fortes d'occafions de s'y exercer
longtems , a acquis la connoiffance de
les cultiver , & de les faire produire dans
plufieurs cas , beaucoup plus qu'on ne le
fait ordinairement : ce qu'il peut prouver
par des témoignages authentiques &
des expériences très -fenfibles qu'il fera à
peu de frais fur les lieux où l'on defirera
faire l'épreuve de fes talens.
par
168 MERCURE DE FRANCE.
Mais comme cette connoiffance ne fe
renferme pas toujours dans les opérations
propres à la nature de chaque héritage ,
& qu'il eft quelquefois néceffaire , pour
l'arrangement des biens de campagne ,
de faire des travaux d'une certaine conféquence
, comme les articles fuivans le
feront connoître ; il eft évident que ces
opérations toujours couteufes , exigent
une perfonne intelligente pour donner les
moyens de les faire à moins de frais qu'il
eft poffible. C'eft ce qui fe trouve réuni
dans la perfonne du fieur Berger ; &
le détail qui fuit , donnera une idée aſſez
particuliere de fa capacité.
1. Dans le nombre des terreins que
l'on croit mauvais , & que par cette raifon
on laiffe incultes , il indiquera les
moyens les plus convenables pour mettre,
foit en bled , fourage ou plants, tous ceux
où il y aura quelque poffibilité ; & dans
Le même temps , il défignera à quoi doit
être occupé chaque canton pour en tirer
le plus de profit qu'il eft poffible. Mais
comme il arrive quelquefois que ces
terreins cultivés ou non , font féparés ,
ou en partie occupés par des hayes fort
épaiffes , foffes , buiffons inutiles & c. des
mares ou fonds confidérables , & enfin
plufieurs autres obftacles à la culture ,
il
MA I. 1760. 169
il donne les moyens faciles de réunir
le tout pour le mettre en valeur ; & les
marais ou terreins aquatiques , noyés par
des fources , il les détourne dans certains
cas , & rend ces terreins en état
d'être cultivés .
2.º Les Prés , qui fe trouvent dans des
fituations peu favorables pour le produit ,
peuvent cependant par différens moyens
rapporter beaucoup plus que dans cet
état de médiocrité : C'est à l'inſpection des
lieux qu'il fera connoître ces moyens ,
& la manière d'en faire ufage dans tous
les cas où il y aura poffibilité.
3.º La culture du terrein des vignes ,
fe fait différemment dans chaque Pays ;
& chaque manière feroit également
bonne , fi dans le labour d'une profon
deur convenable , le terrein de deffous
étoit ramené en deſſus .
A l'égard de la taille , l'opération eft
également variable. Le Vigneron inf
truit , peut toujours opérer à fa manière ,
fans préjudicier au rapport ; mais une
partie de ces vignerons n'ont pas toute
l'intelligence néceffaire pour choisir la
taille propre à faire rapporter la vigne
autant que cela fe peut. On fera connoître
fur les lieux tout le travail mal fait , foit
dans le labour,foit dans la taille , de même
H
170 MERCURE DE FRANCE.
que les moyens de le porter à ſa perfection .
Il en fera de même, dans la manière de
multiplier les feps : cette opération mérité
uue férieufe attention .
4. Dans les taillis , il remplit très -faci
lement & en peu de temps , les vuides ,
ou clairières & les rend auffi épais
qu'on puiffe le defirer ; il en feroit de
même pour les vuides , dans les hayes
vives ; cette opération eft peu coûteufe :
il peut également diriger toutes fortes
de plantations , & placer dans chaque
terein l'eſpèce de plant qui y convient
le mieux.
5.º 5. Il peut fixer folidement les bords
d'une Riviere , pour empêcher quelqu'inondation
, Il conftruit toutes fortes d'Etangs
, & dirige des réfervoirs , de manière
que l'on peut facilement choifir tel
poiffon que l'on voudra , fans endommager
aucuns de ceux qui doivent refter.
6.° Il peut rendre des Rivieres navigables
, foit par la réunion de celles
qui fe trouveroient favorablement difpofées
, ou par le travail qu'il conviendroit
d'y faire dans de certains endroits ,
& qu'il abrégeroit infiniment , à l'aide
d'une Machine propre à ce fujet. Il peut
également procurer la navigation dans
les lieux les plus élevés , pourvû qu'il
MAI. 1760. 171
puiffe raffembler des fources pour entretenir
feulement un canal fitué fur la hau
teur , par lequel on auroit communication
dans deux rivieres d'une diſtance
quelconque , mais plus baffes de 20 , 30 ,
40 toifes &c. que le fond du Canal : L'on
entend communiquer réciproquement de
l'une à l'autre , à l'aide d'une machine
faite exprès , & qui fupprime l'ufage de
toute Eclufe. Par ce moyen , le Canal ne
perd point d'eau par la navigation , &
il n'en faut feulement que pour l'entretenir.
7. Pour la diftribution des eaux , il
détourne des fources , connoît celles qui
peuvent remonter , & fi elles peuvent
s'élever affez haut pour être conduites.
naturellement où on les defire ; & dans
certains cas , celles qui ne pourront
s'élever naturellement , il leur appliquera
une machine qui produira cet effet , mais
qui ne pourroit avoir lieu que lorfque
le volume d'eau raffemblé feroit plus
confidérable que celui qu'il s'agiroit de
conduire : alors le fuperflu de ce volume ,
feroit l'agent de toute l'opération. Par ce
moyen , on peut conduire des fources
en terre , & former en différens endroits
des Fontaines , des Réſervoirs , Abreu ,
voirs. & c.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Les Machines qu'il peut appliquer ,en
pareil cas , font différentes , felon les circonftances
, fort fimples & de peu de
dépenfe lorfqu'il ne s'agira d'élever les
eaux que de 10 ou 12 pieds ; & leur
entretien ne coûtera pas plus de 10 liv.
par an ; mais s'il étoit queftion d'une
grande élévation , la dépenfe augmenreroit
pour les Machines , & l'entretien
feroit à- peu - près le même que ci- deſſus.
En outre, il conftruit des Jets d'eau ordinaires
& extraordinaires , fait des nivellemens
pour les eaux , & l'enlevement
des terres , &c. invente & conftruit différentes
Machines propres à arrofer avec
affez d'abondance , Prés , Terres , Jardins
&c. pourvû toutefois que cette opération
n'exige pas plus d'élévation pour les eaux
que de trois ou quatre pieds , & qu'elles
foient tirées d'une riviere ou d'un fort
ruiffeau. Il conftruit & répare les groffes
Machines , comme Forges , Fourneaux ,
Boucambres , & Moulins ordinaires , &
fait les nivellemens que ces travaux exigent
; conftruit des Machines à fcier le
bois & la pierre , & à porter facilement
& avec une finguliere promptitude les
pots de verreries de l'arche dans le four ,
de manière que le pot ni le four ne perMA
I. 1760. 173
dront que très- très peu de leur chaleur : enfi
il conftruit plufieurs autres Machines , pou
differens ufages .
8. Pour l'embelliffement des environs
d'un Château , d'un Parc &c. Il perce
des routes dans les bois ; il dreffe en
pente & de niveau des terreins raboteux ;
& quand il fe trouve des fonds confi .
dérables , il les met en état d'y pratiquer
tel ornement que l'on juge à propos :
& dans le cas où il fe trouveroit quelque
bute fort roide à couper , il appliqueroit
au tranfport des terres , pour en
abréger infiniment le travail , une Machine
peu coûteufe qui fuprimeroit les
voitures , les brouettes , & tout autre
moyen ordinaire de transport.
De même , s'il s'agiffoit d'arrêter le
cours de quelque riviere fituée entre des
montagnes, pour lui en faire prendre un
autre avantageux à la navigation , ou
pour éviter quelqu'inondation , il apliquera
une Machine muë par l'eau , qui
fera elle feule tout le tranfport des matériaux
néceffaires à cette grande opération.
Il eft en état de faire remonter , fans
cordages , les batteaux en pleine riviere ,
paffer les Ponts fans difficulté , à l'aide
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
d'une machine fort fimple qu'il a imaginée
, & dont l'effet répond à l'intention
ci- deffus : mais pour mettre ce
moyen en uſage , il faut néceſſairement
connoître les inégalités du fond de la
riviere.
De même ,s'il fe trouvoit quelque fource
auprès d'une riviere ou d'un ruiffeau ,
l'une ou l'autre lui ferviroit d'agent pour
Pélever & la conduire où befoin feroit.
Cette opération fera toujours poffible ,
quand même la fource feroit éloignée de
1000 toifes , ou plus ; mais auffi la dépenfe
fera plus grande , à proportion de
la diftance de l'agent à la fource.
A l'égard de l'élévation des eaux , comme
au Puits de Bicêtre , & autre femblables
, où l'on emploie ordinairement des
tours ,un cable & des chevaux, il a trouvé le
moyen de fupprimer le cable , de faire rétrograder
le tour fans retourner les chevaux
, & d'éviter l'effort qu'ils font obli
gés de faire pour renverfer les fceaux :
par ce moyen , les chevaux ne s'arrêteroient
que très - peu , il gagneroit du
temps , fupprimeroit l'homme deſtiné au
renversement fufdit , & n'auroit befoin ,
pour tout aide , que du conducteur des
chevaux. Cette Machine , peut également
s'appliquer à élever toutes fortes de ma
MA I.. 1760. 175
tériaux ; & les avantages qu'elle pourroit
avoir fur celle actuellement au Puits fufdit
, feroit de coûter plus de 5000 liv.
de moins d'entretien , par an.
Il peut également élever toutes fortes
de matériaux , même d'un poids confidérable
, à l'aide d'une pendule miſe en
mouvement par un homme feulement .
Pour la conduite des eaux en terre ,
ceux qui voudront fe fervir de tuyaux de
bois , il leur donnera une méthode dont
toute perſonne pourra faire uſage , pour
les percer avec jufteffe.
Pour le défréchiffement des terres , &
arracher des buiffons , il a imaginé une
charruë qu'on peut faire mouvoir à l'ordinaire
; par là, il fupprime les Pionniers ,
& abrége beaucoup le travail.
9.
. Il eft en état de faire , aux bâtimens
de campagne , toutes fortes de réparations
; fçavoir, maçonnerie , charpente
couverture , menuiferie &c. 11 fait auffi
plufieurs toifés fuperficiels & cubiques
dreffe tous les devis & états néceffaires :
pour connoître ce que différens ouvrages
doivent coûter ; & il donne , autant que
la chofe eft poffible , les moyens d'exécuter
fes idées en fon abfence .
Nota. Ledit fieur Berger , ayant fait
ufage de fes talens dans différens endroits
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
du Royaume , a remarqué de très- grands
continens de Landes , dont une partie
pourroit cependant être miſe en bonne
valeur ; & à l'inſpection des lieux , il défignera
avec certitude toutes celles qui
pourroient avoir cette qualité : il prouvera
la poffibilité du fait , en cultivant
ces terreins à fes frais pour fon profit ,
ou pour celui des Propriétaires , moyennant
de certaines conventions . I donnera
toutes les furetés requifes , en pareil
cas.
Ceux qui auront befoin de fon miniftère
, pourront s'adreffer au fieur VIOL
LET , Ecrivain pour le Public , rue du
Jour , vis- à- vis le Portail Saint Euftache ;
ainfi que ceux qui voudront lui écrire ,
pourront fe fervir de cette adreſſe , en
affranchiffant
le port .
MUSIQUE.
RECUEIL D'AIRS CHOISIS , avec accompagnement
de guitarre & de harpe , par
M. Petilliot. Prix , 6 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue des Moineaux , chez le
Sergent - Major des Gardes Suiffes , & aux
adreffes ordinaires.
C'eft un Recueil d'Airs les mieux choifis
& les plus agréables ; & qui , probaMA
I. 1760. 177
blement , fera d'autant mieux reçu du Public
, qu'il n'y a point encore de Mufique
imprimée pour la harpe ; & que cet inftrument
méritoit bien qu'on travaillat à
le faire connoître davantage , en en facilitant
l'ufage & les leçons. L'Auteur de
ce Recueil , fe diftingue par fon goût , &
par celui qu'il infpire à fes Ecoliers .
NOUVEAU RECUEIL de Contredanſes, qui
ont été danfées au Bal de S. Cloud , & à
l'Opéra. Prix 1 liv. 4 f. A Paris , aux
adrelles ordinaires.
SIX SONATES du fieur GHABRAN, Opera
prima. Aux adreffes ordinaires.
ARIETTES, & VAUDEVILLES nouveaux, avec
accompagnement de guitarre , en mulique
, & tablature . Par M. Merchy , Maître
de guitarre . Chez l'Auteur , rue du
Rempart , aux Quinze - vingts , chez un
Tapiffier , & aux adreffes ordinaires.
N. B. Le fieur Merchy , qui a annoncé
dans l'Epître qui eft à la tête de fon Recueil
, que plufieurs des Chanfons qui le
compofent font de la perfonne à qui il le
dédie , ne les ayant pas fait graver comme
il les lui a données; l'oblige de déclater,
que toutes les Chanfons , qu'il n'a
accordées qu'aux inftances du fieur Mer-
H
478 MERCURE DE FRANCE.
chy, font entièrement défigurées , & qu'il
s'y trouve même des fautes contre la verfification
, & contre la langue.
La Chanfon , page 4 , étant la feule
où l'on n'ait pas touché , eft auffi la ſeule
qu'il reconnoiffe pour être de lui.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
LEI
OPERA.
E 15 Avril , jour de la Rentrée, l'Académie
Royale de Mufique a remis au
Théâtre l'Opéra de Dardanus , repréfenté
pour la premiere fois le 19 Novembre
1739, & repris le 21 Avril 1744
Les paroles de feu M. de la Bruere , &
la Mufique de M. Rameau.
Mufique admirable , Poëme intéreffant,
diftribution de rôles bien entenduë , décorations
, habillemens , ballets , exécution
; tout enfin a concouru au fuccès le
plus éclatant que l'on ait vû depuis longtemps
fur ce Théâtre. Mais quelque impreffion
qui m'en foit restée , on fent
que les détails dans lefquels il faudroit
MAI. 1760. 179
entrer , pour en bien rendre compte , ne
peuvent m'être affez préfens ; furtout ,
après les deux feules repréfentations auxquelles
une convaleſcence aſſez mal affermie
m'a permis d'affifter. En attendant
T'Extrait que j'en prépare , pour le Mercure
du mois prochain , je dirai feulement
, que les rôles les plus intéreſſans &
les mieux joués par nos plus célébres
Actrices , n'ont peut - être jamais caufé
d'émotion plus vive que celle qu'a fait
naître Mlle Arnoud dans l'âme des Specctateurs
même les moins fenfibles ; que les
Srs Pillot, & Larrivée , fe font également
furpaffés chacun dans leurs roles ; &
qu'on ne peut affez louer les foins qu'one
pris MM. les Directeurs, pour rendre ce
Spectacle auffi brillant & auffi fatisfai
fant qu'il pouvoit l'être.
COMEDIE FRANÇOISE.´
LE Compliment de la Rentrée a été
prononcé par M. Blainville , & a été fort
applaudi. Voici comme il s'eft exprimé.
MESSIEURS,
Ce Théâtre doit fa fplendeur au régne
mmortel de Louis XIV, & aux bienfais
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
de Louis XV. Le caractère de génie que
le premier fçut imprimer à l'Art Dra
matique , ne s'eft point effacé , Meffieurs ;
& vos lumières confervent à la Scène
Françoife la fupériorité que ce beau fiécle
lui a donnée fur tous les Théâtres des
nations anciennes & modernes.
Mais telle eft la viciffitude attachée
aux travaux des hommes , que nous craignons
toujours de ne pouvoir contribuer
à vos nobles délaffemens autant que vous
le méritez , & que nous le defirons .
Vous avez perdu , l'année derniere, un
jeune Poëte Tragique dont vous aviez
conçu les plus grandes efpérances ( a ) .
La mort vous a ravi de même un Comédien
qui , par une longue étude de vos
leçons , par la chaleur de fon âme, & par
fa gaîté vraie , étoit parvenu au bonheur
de vous plaire ( b ) . Une maladie cruelle ,
vous a privés longtemps d'un autre Acteur
Comique ( c ), que vous aimez , j'oſerois
dire , que vous adorez , & que vous
reverrez bientôt avec tranfport ( d ),
( a ) M. Guimond de la Touche..
( b ) M. de la Thorillière .
( c ) M. Préville..
(d) L'Orateur , dans cet endroit , fut interrompu
par des battemens univerfels de pieds &
de mains bien flatteurs pour M. Préville.
"
MAI. 1760. 181
Enfin , Meffieurs , une Actrice honorée
de vos fuffrages , la rivale d'un époux
dont vous admirez l'intelligence , le haturel
& la finefle dans les premiers rôles
du haut comique , vient de demander &
d'obtenir fa retraite ( e ) .
Notre Théâtre , eft véritablement , l'image
de la vie humaine : Auteurs , Spectateurs
, Acteurs , tout difparoît , tout
change , tout fe fuccède ; & malheureufement
tout ne fe remplace pas !
De jeunes Poëtes que vous avez encou
ragés par vos applaudiffemens (f) répareront
fans doute la perte de celui à qui
vous devez Iphigénie en Tauride
La révolution.qui nous amène de nouveaux
Spertateurs , ne fe rend jamais fenfible
: c'eft toujours le même efprit qui
vous infpire , le même difcernement qui
vous éclaire le même goût qui vous
guide.
Il n'y a que nous ( & je parle furtout
pour moi ) il n'y a que nous , qui n'ofons
nous flatter de vous faire oublier les talens
qui caufent vos regrets . Daignez
Meffieurs , changer en indulgence la juf-
(e )Madame Grandval .
(f) Mrs Colardeau, le Mière , Dorat.
182 MERCURE DE FRANCE.
tice que vous leur rendiez , & faire grace
à notre foibleffe en faveur du zèle qui
nous anime , & des éfforts que nous ferons
cette année , pour nous rendre dignes
de vos bontés.
On a donné , enfuite , l'Orphelin de la
Chine , & le Magnifique .
Mlle Clairon , a paru ajouter encore à
la perfection avec laquelle elle jouë ordinairement
le rôle d'Idamé. On eft
toujours étonné qu'elle puiffe chaque jour
augmenter, par des changemens inatten
dus , l'admiration qu'elle caufe. C'eſt le
fruit de fon génie, & de fes profondes
réfléxions fur le fublime de fon Art.
Le Théâtre vient de perdre , par la retraite
de Mde Grandval , une Actrice qu'il
chériffoit , & qui méritoit fes fuffrages.
On ne fe rappellera jamais fans regret ,
fon intelligence & la fineffe de fon jeu.
La Marquife , dans la Surpriſe de l'Amour
, la Baronne , dans Nanine , Madame
Patin ; enfin tous les rôles qu'elle
jouoit , en renouvelleront toujours le fouvenir
.
Le Samedi 19 , on a donné une repréfentation
de Sémiramis , Tragédie de
M. de Voltaire. Il femble , depuis le chan
MAI. 1760.
183
gement fait au Théâtre , que ce foit un
autre ouvrage , tant les bonnes choſes
ont befoin d'être vues dans tout leur jour !
La Scène du Trône , au troifiéme Acte ,
celle du Tombeau , au cinquième , font
la plus grande impreffion . Tout , en un
mot , a femblé concourir au plaifir qu'a
fait cette Tragédie. La fupériorité du jeu
de Mlle Dumesnil & du fieur le Kain ,
dans cette Piéce , font au- deffus de toute
louange : l'une étoit, vraîment, Sémiramis,
& l'autre , Ninias.
Le Lundi 21 , on a repris la Tragédie
de Spartacus , avec des changemens qui
ont été applaudis. J'en donnerai l'Extrait
dans le Mercure prochain.
On dit , que les Comédiens préparent
des nouveautés qu'ils doivent donner
inceffamment.
COMEDIE ITALIENNE.
COMPLIMENT , prononcé par M. LE
JEUNE , à l'ouverture du Théâtre
Italien.
IL paroît enfin , ce jour que nous avons
fouhaité avec tant d'impatience ! Etre
privés de votre préfence , Meffieurs ,
c'eft languir hors de notre élément.
184 MERCURE DE FRANCE.
Mais , au moins , pouvons nous nous
flatter que , pendant ces temps de defoeuvrement
, on ne nous reprochera point
d'avoir . négligé ni perdu de vue l'intérêt
de vos plaifirs . Pénétrés des malheurs
de l'année derniere , nous nous fommes
appliqués , par de nouveaux efforts , à
les réparer , s'il eft poffible , pendant
le cours de celle - ci . Au refte , le mauvais
fuccès des pièces que nous vous donnâmes
, ne fut qu'une fâcheufe destinée
que tous les autres Spectacles partagerent.
avec nous ; & nous ne nous en fommes
reffentis plus particulierement que par
l'épuisement de nos piéces de fond, incapables
de ramener, & d'entretenir l'affluen
ce à notre Théâtre . Il fembloit même
que les Auteurs , défefpérant d'y acquérir
aucune gloire , nous euffent entierement
abandonnés.
Mais cette année commence fous des
fignes plus heureux. Les Mufes reviennent
à nous ; quelques nouveautés raniment
nos espérances ; l'émulation fe réveille
parmi nos jeunes Auteurs . Eh ! notre
fort peut-il être encore bien douteux ,
lorfqu'il ne dépend plus que de vos bon
tés ? Vous avez toujours pris plaifir à les
répandre fur nous ; c'eſt par elles que
M A I. 1760. 185
nous nous fommes foutenus jufqu'ici ; &
ce n'eft que par elles , que nous espérons
de nous relever.
Puiffions-nous donc , Meffieurs , contribuer,
cette année , avec plus de gloire
& de fuccès , à vos amufemens qui , j'ofe
dire , fe renouvelleroient fans ceffe à
notre Théâtre , fi le mérite des piéces
que nous vous donnons , répondoit toujours
à l'empreffement que nous avons
de vous plaire !
Un autre Compliment , que beaucoup
de gens attendoient , & que les Comédiens
avoient rejetté tous d'une voix ,
fut peut- être caufe que celui -ci ne reçut
pas de grands applaudiffemens : mais on
convient , généralement , qu'il avoit cette
fimplicité naturelle qui caractériſe ces
fortes d'ouvrages , où les tournures brillantes
& les expreffions recherchées deviennent
étrangères , puifqu'ils doivent
toujours fembler partir de fource.
"
Ce compliment , fut fuivi de la Nou
velle Ecole des Femmes & de la premiere
repréſentation de la Rentrée des
Théâtres , Comédie nouvelle en Vers
en un Acte. Cette Piéce a paru faire plaifir
, furtout aux gens de goût . En voici
l'Extrait.
>
86 MERCURE DE FRANCE.
Le Bon-Sens, & l'Invention , Déeffe du
Génie , que l'Eſprit avoit profcrits du Parnaffe
François , font étonnés de s'y revoir.
L'état malheureux de l'Empire d'Apollon
, afflige beaucoup le Bon- Sens ; l'Invention
le confole ; & lui dit , que l'Ef
prit fe trouvant forcé de les rappeller
auprès de lui , il y a tout à efpérer de
leur réunion. L'Elprit paroît. Son clinquant
éblouit le Bon- Sens lui - même ; &
l'Eſprit eft ravi de le voir auffi pris pour
dupe. Il avouë , naturellement , qu'il eft
à bout ; & qu'il s'eft retourné de toutes
les façons. Mais il ajoute , qu'en nuifant
beaucoup , il n'a pas laiffé , de rendre
quelques fervices :
Car ( dit-il ) il n'eſt plus d'état qui n'ait ſes beaux
efprits ;
Et j'ai , de l'ignorance , affranchi tout Paris.
L'Invention lui demande des nouvelles
de Thalie , Mufe de la Cornédie , qu'elle
avoit autrefois embellie de fes plus riches
dons. L'Efprit lui répond :
Apparemment que vos dons éclatans ,
Pour l'avenir l'ont affez enrichie ;
A ne rien faire elle paffe fon tems.
Le fublime , d'ailleurs , l'a prèſque anéantie ,
Et le goût férieux ne permet plus qu'on rie.
On- la laiſſe, par grâce, ébaucher les talens. &cj
MA I. 1760. 187
Il n'y a peut-être que trop de vérité ,
dans ces vers. Le Bon-Sens dit à l'Eſprit :
Ainfi la Tragédie , a toutes vos faveurs ?
L'ESPRIT.
Elle triomphe encor , en dépit des Cenſeurs.
Elle fe fent pourtant beaucoup , de fon vieil âge:
Les ans ont bien changé fes traits & fon langage.
Mais ce n'eft plus fon tems de jouer de malheur ,
Et le Public pour elle eſt plein de politeffe.
S'avife- t -on d'abord de profcrire une Piéce ?
Le lendemain , fans faute , on demande l'Auteur ;
A le fêter , chacun s'empreſſe ;
Puis , on le laiffe , avec honneur ,
Sous un laurier fans féve enterrer fa langueur.
Ces vers ont été applaudis , dans le
premier moment. Mais le contrecoup de
cette critique femblant retomber fur le
Public , on s'eft contenté , depuis , de les
écouter en filence . Le Bon - Sens , l'Invention
, & l'Efprit , fe réuniffent.
Arrive un Auteur fatyrique , qui fe promet
de fronder déformais les ennemis du
Bon- Sens . Ce Dieu lui fait accueil , &
dit
que ,
Sans doute on a profcrit ces Journaux fatyriques,
Et ces Feuilles périodiques ,
Deſtructeurs du faux goût, vengeurs de la Raiſon ?
188 MERCURE DE FRANCE.
L'Efprit trouve alors moyen de plai-
Tanter fur le grand nombre de ces ouvrages
, dont Paris eft inondé. L'Auteur fatyrique
fe prépare à faire revivre le redoutable
Boileau ; & fe déchaîne contre la
Tragédie , par cette tirade :
"
Eh ! peut - on , fans rougir , combler de tant
d'honneurs
Tous ces colifichets , qu'au Théâtre on admire ,
Fades productions d'un ftérile délire ?
Ces vers enfilés de mots , au travail meſurés ;
Ces Drames , deffinés en traits de perſpective ,
Tableaux fans coloris , de froideurs enquadrés ;
Ce flux d'événemens , gauchement préparés ;
D'immobiles foldats , cette foule inactive ;
Ces caractères mal tiffus ,
Quelque fois annoncés , & jamais foutenus ?
Ces plats confpirateurs , à la furear oifive ;
Ces timides Héros , ftylés fur nos Romans ;
Ces Amans fans chaleur , ces Rois fans politique ,
Ces Tyrans fans efprit , vrais balourds du Tragique
;
Et ces femmes d'idée , aux beaux raiſonnemens ?
Cette tirade a eu le même fort que la
précédente , & probablement , par la
même raiſon . Ces vers font fuir l'Esprit ,
qui s'y reconnoît , & n'ofe plus fe monMA
I. 1760. 189
trer. Le Bon-Sens confeille à l'Auteur fatyrique
, de critiquer avec plus de ménagement
; mais celui - ci ne répond , que
par des menaces terribles ; & s'en va ,
en promettant de tout exterminer , même
avant que de rien voir.
".
Viennnent enfuite un Poëte lyrique &
un Muficien : ils font leur Compliment
à l'Invention , en langage d'Opéra . Mais
le Poëte s'avifant de dire à l'Invention ,
qui les prend tous deux pour Poëtes ,
que l'autre n'eft que Muficien il s'éleve
entre eux une querelle fur la préféance
,
qui a beaucoup diverti. Le
Bon- Sens les maltraite : ils ne le connoiffent
ni l'un ni l'autre ; & l'Invention leur
ayant dit qui il eft , ils l'accablent d'injures
ils fe réconcilient même tous deux
pour défier ce Dieu , qui les menace de
revenir à l'Opéra. Le Muficien ,tranfporté,
demande au Poëte de feconder fon génie.
Celui- ci fait des vers , que l'autre met fur
le champ en Mufique . Le Bon - Sens ne
peut tenir contre leur fureur ; & il s'enfuit,
de peur qu'ils ne le poignardent . Un
Maître de Ballets , fe préfente auffitôt.
Son projet eft , d'introduire les Ballets ,
jufques dans la Tragédie Françoiſe. Le
Poëte & le Muficien , font de fon avis ;
mais il fait une autre propofition , bien
190 MERCURE DE FRANCE:
outrageante pour nos deux Artiſtes. La
voici.
Tous nos Muficiens ne nous fatiguent plus
Que d'airs embrouillés, bifcornus ;
Nos grâces, avec eux, ne fauroient plus paroître.
De l'Opéra, laiffez - moi feul le Maître.
Par mes foins vigilans bientôt il renaîtra ,
Des plus beaux airs de France & d'Italie :
Le choix harmonieux , réglera mon génie :
C'est l'Orcheſte qui chantera ,
Et la Pantomime jouera.
Ainfi toujours brillant, & prodigue en merveilles ,
Je ſauverai l'ennui d'entendre , à tous momens ,
Les vers , écorcher le Bon-Sens ,
Et la Mufique , les oreilles.
Le Poëte & le Muficien , font des imprécations
contre lui : il fe rit de leurs
fureurs ; & ils le pourfuivent, en chantant
le Duo de Tancrede : Suivons la fureur
& la rage &c.
Une fymphonie , annonce le Récitatif
françois ; qui paroît, couronné de pavots.
Il fe fait reconnoître à l'Invention , par
ces vers qu'il chante :
De l'Empire ébranlé , des fons & de la rime ,
Reconnoiffez en moi le foutien magnanime !
M A I. 1760: 191
Compagnon de Morphée , on m'appelle, en deur
mots ,
Le grand Récitatif , couronné de pavots.
Il devoit chanter enfuite ces quatre
vers , que l'on a retranchés , fans qu'on
fache pourquoi .
Malgré qu'on dorme ou que l'on bâille ,
Faites renaître mes appas :
Hélas ! où voulez vous que j'aille ,
Si Paris ne me garde pas ?
Il fe plaint des grands fuccès de l'Ariette
Italienne , qui l'a prèfque détruit.
L'Invention, avant que de rien dire fur le
nouveau goût de Paris , veut connoître le
chant Italien. L'Ariette Françoife , & l'Italienne,
entrent fur la Scène, en ſe querellant
. La Françoiſe veut reprendre la
préféance fur fa rivale : celle- ci veut la
garder. L'Invention appaife la querelle ,
en demandant qu'elles chantent l'une
après l'autre. Elle permet à la Françoiſe
de chanter la premiere . Cette Ariette
les bras pendans , à la manière de nos
Actrices de l'Opéra ( tirées des Choeurs
pour chanter les airs légers ) fait , en
deux repriſes, l'énumération des vingt192
MERCURE DE FRANCE.
trois mots qui forment le brillant de
Ariette Françoife , gloire , environne
victoire couronne vole , triomphe
régne , enchaîne, enchante , lance , briller,
enflámez , badinez, folâtrez, voltigez, mur
mure , coule coule , ravage , roule , réveille ,
gronde , s'élève , rire. L'Ariette Italienne,
chante à fon tour : l'Invention lui donne
la préférence. Elle fort triomphante , &
l'autre très- piquée. Le Récitatif tremble
du Jugement que l'Invention va porter
à fon égard ; mais elle fe contente de lu i
donner de bons confeils , & il la quitte
très -fatisfait.
L'Efprit revient , non' comme l'Efprit,
mais comme Ambaffadeur des Petits-
Maîtres . Il prie l'Invention de relever
la fortune de la Troupe Italienne , qui
tombe tous les jours . Il fe plaint du tort
que les Comédiens François ont fait à
leur Elégance , en fupprimant leur Théâ
tre . Il repréfente , que celui des Italiens
leur refte encore ; mais que, par malheur ,
les Dames n'y viennent plus . Arlequin arrive
, d'un air fatisfait . Pendant la clôture,
il a été en Italie ramaffer des Acteurs, &
il en ramene une recruc. On fe moque
de lui , fur ce qu'il croit relever la Comédie
avec des Acteurs Italiens . On lui
demande
,
MA I. 1760 . 193
demande comment il veut qu'on puiſſe
les entendre. A cela il répond :
Mais ils fçauront parler , pourvû qu'on daigne
attendre ;
Et c'eft toujours un fon !, pour l'avenir.
En dix ans , ils pourront ſe faire :
Et pendant ce temps-là , comme à notre ordinaire
,
Nous jouerons pour notre plaiſir.
ap-
Cette réponſe a fait rire , & a été
plaudie . L'Invention lui dit, que l'on n'eft
curieux que de Piéces nouvelles ; & que
ce n'eft que cela qui pourra relever fa
Troupe. Il la fupplie de les aider. Elle
lui demande , s'il fçait faire valoir une
Piéce Françoife. A quoi il répond :
J'y fuis , grace aux Auteurs , affez mal à mon
aife ,
Pour qu'on ne vous en diſe rien.
Mais je plais dans l'Italien ,
Je divertis , j'amufe , & tout le monde m'aime.
Je m'y trouve toujours fort bien ,
Car je fais mes rôles moi- même.
L'Invention lui demande une Scène , à
l'impromptu . Il objecte qu'il eft feul ,
que cela devient trop difficile. Alors
il apperçoit. Mlle Camille , en habit d'Ar-
&
I
194 MERCURE DE FRANCE.
lequine. On la croit fa foeur, ou fa femme.
Il répond , qu'il n'a ni femme ni foeur.
Mlle Camille cherche à fe faire reconnoître
par fes lazzis ; & n'y parvient , que
par un rire qui lui échappe. Il s'écrie alors,
Comme une folle , elle rit : c'eſt Camille !
Elle paroît avoir envie de parler à
l'Invention ; & la Divinité la preffe, obligeamment,
de s'expliquer. Arlequin n'oublie
pas de lui dire , comme à l'oreille :
Modére-toi , fi ta langue le peut !
C'eſt par ces plaifanteries que l'Auteur
a trouvé moyen de faire écouter Mlle
Camille, dans le François; dont on s'imagine
, à tort, que la Langue lui foit encore
étrangère. Rien ne pouvoit mieux annoncer
la douceur de fon caractère , que de
permettre qu'un Auteur s'égayât en Public
à fes dépens. Quelle autre Actrice,
l'eût fouffert Auffi lui a - ton fçu bon gré
de ce petit facrifice , qu'elle a fait de fon
amour- propre. Voici fon difcours à l'Invention
, pour difpofer le Public à lui
être favorable , dans le François .
De crainte,en vous parlant,mon âme qui s'émeur,
A fon ambition , peut- être téméraire ,
Ofera-t-elle ici s'abandonner ?
Le Public , des talens , eft le Juge & le Pere ;
MA I. 1760 . 195
Tout ne reſpire,en moi, que l'ardeur de lui plaire.
Au genre Italien , j'ai peine à me borner.
Me former au François , eft la gloire où j'aſpire ;
Trop heureuſe , fi
quelquefois ,
Je voyois à mes voeux le Parterre fourire !
Daignez , aupres de lui , me prêter votre voix.
Sa clémence , toujours , nous mene à fon eftime.
Quand on s'en voit d'abord applaudir dans des
riens ,
On fent qu'à nos defirs il accorde les fiens.
La confiance alors , par degré , nous anime ; '
Et lorfque nos talens , devenus précieux ,
Ont mérité qu'il les honore ,
Il en doit mieux chérir des fruits, nés fous les yeux,
Qu'à force de bonté lui- même a fait éclorre .
Ce
Compliment , a été
généralement
applaudi.
L'Auteur n'a fait qu'y exprimer
les vrais
fentimens de l'Actrice . On s'apperçut
aisément du peu d'affurance ou
elle étoit, le premier jour qu'elle le récita;
& cette fituation n'en prévint que mieux
en fa faveur. Une jeune Beauté , qui implore
en tremblant la clémence de fes
Juges , eft prèfque toujours fûre du gain
de fa caufe.
Comment une jeune Actrice ,
remplie de charmes ,
n'intérefferoit - elle
pas le Public , avec tant d'envie de lui
plaire ? Avec le jeu le plus agréable &
1
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
l'intelligence la plus vive , il ne manque
à Mlle Camille que l'habitude pour développer
les talens dans le François.
L'Invention termine la Piéce , en fe
préparant à appaifer la colère du Bon - Sens,
que les deux Auteurs Lyriques ont fait
fuir, & Arlequin implore, pour fa Troupe,
l'indulgence du Public.
On a donné , le Mardi 15 , & le Vendredi.
18 , le Pere févère , Comédie nouvelle
Italienne , qui a fair beaucoup de
plaifir à ceux qui entendent cette langue.
Mde Bagnoli a joué , avec les fuffrages
du Public , dans la fauffe Suivante , & la
Mere confidente , Comédies de M. de Ma
rivaux , que l'on a jouées avec la Rentrée
des Théatres.
CONCERT SPIRITUEL.
O Ny a exécuté , le Vendredi & le
Dimanche de l'Octave de Pâques , le De
profundis, & le Wenite, exultemus, motets
àgrands choeurs de M. de Mondonville.
Ils font affez.connus , ainfi que la premiere:
Sonate dus même Auteur , qui a
átá jouée en fympltonie à l'ouverture du
Concert du jour de la Quafimodo , pour
MAI. 1760. 197
qu'on ne doute pas des applaudiffemens
qu'ils ont reçus .
Le Signor Cifotelli , Muficien de l'Electeur
Palatin , a joué une Sonate de
Mandoline , de fa compofition . La Mandoline,
eft une espéce de petite guitarre :
Et le Signor Cifotelli en joue avec toute
l'habileté poffible.
Mlles Lemiere & Dubois , ont chanté ,
chacune en différens jours , un petit Motet.
Le Public , quoiqu'elles n'aient pas
le même talent , fe plaît beaucoup à les
entendre l'une & l'autre. La voix de Mlle
Dubois eft forte & belle ; celle de Mile
Lemiere , eſt auſſi agréable que légère.
M. Gaviniés , a joué un Concerto defa
compofition ; & l'on fent tout le plaifir
qu'il a dû faire.
M. Damoreau , a joué , fur l'orgue ,
un Concerto compofé de fragmens , qui
a fait plaifir. M , Balbaftre , a auſſi joué
l'Ouverture des Fêtes de Polymnie , qui a
produit un bel effet ; ainfi que tout ce
qu'il a joué pendant la quinzaine de Pâques.
Le Concert, du Vendredi , a fini par
le Motet François des Ifraëlites à la Montagne
d'Oreb , qui eft toujours également
accueilli. Le Concert du Dimanche de
Quafimodo, a été terminé par le nouveau
Motet François , des Fureurs de Saül.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De PETERSBOURG , le 16 Mars 1760 .
L'ARMEME 'ARMEMENT des Anglois pour la mer Balti
que , fe confirme de plus en plus ; on prend ici
les mcfures les plus férieufes pour s'y oppofer.
On travaille en diligence dans nos ports, à équiper
des vailleaux . Nous aurons inceffament une flotte
allez puillante , pour leur difputer le paffage
du Sund. On dit que te fieur Keith , Miniftre de
Sa Majesté Britannique dans cette Cour , eft fur le
point de fe retirer.
Le plan de la campagne prochaine , eft arrêté.
Le Maréchal Comte de Soltikoff , ſe diſpoſe à
partir dans peu pour l'armée.
Il paroît ici , un état des forces de cet Empire.
Elles montent à 28284133 hommes.
De VIENNE, le 3 Avril.
Le Général Laudon avoit ouvert la campagne
vers le milieu du mois dernier , par la prife de la
Ville de Neustadt . Mais le froid & les pluies , qui
continuent dans la haure Silétie , ne lui ont pas
permis de continuer les opérations , qu'il avoit
commencées. Il a repris fon quartier général à
Jagerndorf. Un détachement de nos troupes a
enlevé , près de Leobfchutz trois cens recrues
Pruffices , qui étoient efcortées par trente
Huliards.
MA I. 1760. 199
Le Prince de Deux - Ponts , revêtu du com
mandement général de la Hongrie , eft préfentement
de retour de ce Royaume , où il avoit été
prendre connoiffance de quelques objets relatifs
à fon commandement. Il fe difpofe à partir in
ceffamment pour le mettre à la tête de l'armée
de l'Empire.
De DRESDE , le 31 Mars,
Tout annonce ici l'ouverture de la Campagne.
Le 20 de ce mois , l'armée Pruffienne fortit de fes
cantonnemens , & s'approcha de Friderichstadt .
La garnifon Autrichienne fortit aufſitôt de cette
Ville. Ce mouvement n'a cependant rien produit
d'important. Le Roi de Prulle a établi fon quartier
général à Cloffer- zell , à deux milles de Drefde .
Le Maréchal de Daun n'a point encore fait de
difpofitions offenfives. dl a fon quartier alternativement
à Pyrna & à Sonneftein . Le Comte de
Lafcy lui a remis le plan d'opérations arrêté
par la Cour de Vienne. On a pris un Eſpion
qui avoit deffein de brûler nos magazins.
De BERLIN , le 4 Avril.
La Reine & la Famille Royale arriverent heureufement
à Magdebourg , le 19 du mois dernier
après - midi.
Les Cofaques font toujours des courfes dans
la Poméranie & dans la Siléfie. Un de leurs partis
a pénétré depuis peu jufqu'à Guben . Le Général
Fouquet a formé , pour arrêter ces courſes , un
détachement qu'il a envoyé à Miltich . Le Général
Malachowsky s'eft auffi mis en marche avec fes
Hullards , & d'autres troupes , & il a pris pofte à
Meferitz en Pologne . Le Général Werner s'eft
porté de Ratibor par Leignitz & Haynau fur
Kobens
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Le Roia nommé le Prince héréditaire de Brunfwick
, Feld-Maréchal de fes armées.
On apprend que depuis que nos troupes fe multiplient
dans la Pomeranie , les troupes légères
Ruffes l'ont prefqu'entierement évacuée.
De HAMBOURG , le 30 Mars .
Malgré la rigueur du froid, qui régne encore ,
les Suédois commencent à fe mettre en mouvement.
Ils ont établi des ponts fur le Trebbel &
fur la Peene : ils harcelent tous les jours les poftes
Pruffiens . Ils furprirent , le 22 de ce mois ,
détachement pofté à deux lieues de Crine , qui fut
forcé & contraint de fe replier avec une perte
confidérable.
un
Il fe fait de grands préparatifs à Stralfund.
On y équipe un grand nombre de bâtimens pour
intercepter la navigation des ennemis dans les
bouches de l'Oder.
De LEIPSICK , le premier Avril.
Nos Magiftrats & nos principaux Négocians ,
renfermés depuis longtemps dans le Château de
Pleillembourg , ont été élargis le 29 du mois dernier
, en donnant de nouvelles lettres de change
pour les fommes aufquelles ils ont été taxés. Mais
on a déclaré aux autres habitans , de payer en
argent comptant celles qu'on leur a impofées
depuis peu.
Les Prulliens continuent d'exiger , avec la même
rigueur , les contributions & les recrues auxquelles
ils ont taxé cet Electorat.
Les effets les plus précieux de Poftdam & des
autres Maiſons Royales de Sa Majesté Pruffienne ,
ainfi que les Archives de Brandebourg ,
envoyés à Magdebourg . On dit que le Général
ont
été
M A I. 1760.
201
Fermer s'avance vers Colberg avec un Corps de
crente mille hommes , & une nombreuſe Artillerie.
De BAMBERG , le 4 Avril.
Le Lieutenant Général Lufinski remporta , le
17 du mois dernier , à Zeitz , un avantage fur les
Pruffiens. Il fit fortir , le 16 au foir , de Neuftadt
& Saalfeld , où il étoit pofté , trois détachemens
fous les ordres du Colonel Carlsbourg qui a conduit
cette expédition , Ces détachemens marcherent
toute la nuit , & arriverent par différens
chemins devant Zeitz , à fix heures du matin , &
ils formerent trois attaques différentes. Les portes
furent forcées ; & les troupes Pruffiennes , qui
confiftoient en 300 hommes de Cavalerie , furent
obligées de fe rendre à difcrétion . On fit deur
cens prifonniers. Le refte du détachement a été
tué ou s'eft échappé pendant l'action . Le Colonel
Carlsbourg , à l'approche des Pruffiens , qui venoient
l'attaquer en force , fe retira avec fes prifonniers
, fans avoir fait la moindre perte. Les
Pruffiens rentrés dans Zeitz , au nombre de fix
mille , ont impofé à cette Ville de nouvelles contributions
, en dédommagement de la perte qu'ils
y ont faite , prèfque tous les chevaux & les bagages
ayant été pris dans l'expédition du Colonel
Carlsbourg.
De MADRID , le 20 Mars.
La plupart des vaiffeaux dont l'armement a
été ordonné , font prêts à mettre à la voile. Il y
en a quarante, tant à Barcelone, qu'à Carthagene,
& à Cadix.
De LONDRES , le 8 Avril,
Sa Majefté a créé leTrince Edouard , fon Petit-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
fils , Duc d'Yorck & d'Albany, & Comte d'Ulfter,
en Irlande.
Le Jugement du Lord Sackville n'eſt pas encore
porté.
Les confeils ont été fréquens à S. James , depuis
peu de jours.
Le du mois dernier , on reçut des dépêches
envoyées de la Haye, par le Général Yorck , &
d'autres adreliées au Baron de Kniphauſen , Miniftre
de Sa Majefté Pruffienne en cette Cour.
Elles occafionnerent un Confeil extraordinaire, à
l'iffue duquel il partit un Courier chargé de dépêches
pour la Haye & pour la Saxe . On croit
ces mouvemens relatifs à la grande affaire d'une
Pacification générale , qui paroît moins éloignée
depuis l'offre que les Etats- Généraux ont faite de
la Ville de Beda , pour y tenir un Congrès.
La plupart des troupes, pour l'Allemagne ,font
parties. On compte qu'avant la fin de ce mois ,
elles feront toutes rendues à leur deftination.
Le grand Armement qu'on prépare depuis
Longtemps , pour agir contre les côtes de France,
laille entrevoir aujourd hui une autre deſtination.
De LA HAYE , le 8 Avril..
On fe fatte que la Pacification générale n'eft
pas auffi éloignée qu'on en pourroit juger , par les
grands préparatifs le guerre qui fe font partout.
Les Etats- Généraux i oublient rien pour contribuer
à la réuflite de cette Pacification. Ils ont offert
, pour la tenue d'un Congrès , la Ville de
Bre la , qui leur paroît très- convenable par les
' différens Traités qui y ont été déjà heureuſemem
négociés & conclus.
Le bruit fe répand que les Cours de Verfailles
, de Vienne , & de Pétersbourg , ne font point
éloignées d'acquiefcer au Congrès. Mais elles
M A I. 1760. 203
ont demandé que les Cours de Suéde & de Saxe ,
y foient auffi invitées par les Rois d'Angleterre &
de Pruffe.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 17 Avril
L'ITAT 'ITAT de Monfeigneur le Duc de Bourgo
gne , qui depuis quelque temps , donnoit de
grandes allarmes , & auquel il étoit furvenu une
humeur très- confidérable a la cuille droite , eſt
aujourd'hui fatisfaifant . Une opération effrayante;
& très- douloureufe , que les circonftances on
rendue indifpenfable , a manifeſté dans ce jeune
Prince , un degré de courage & de fermeté ,
infiniment au-deffus de fon âge. Les grands
fuccès qui l'ont fuivie , donnent beaucoup à eſpérer
d'une parfaite guériſon.
Le Roi a donné , au fieur Andouillé , la furvivance
du fieur de la Martiniere , premier Chirur
gien de Sa Majesté.
Le 8 de ce mois , le fieur Erizzo , Ambaffadeur
de la République de Venife , eut fon Audience publique
de congé du Roi , étant accompagné par
le Comte de Brionne , & conduit par le fieur
Dufort , Introducteur des Ambaſſadeurs , qui
étoient allés le prendre en fon hôtel, à Paris , dans
les caroffes de Sa Majesté . Il trouva , à fon arri
vée , dans l'avant-cour du château , les Compa
gnies des Gardes Françoifes & Suiffes fous les
armes , les tambours appellant ; dans la cous,
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
les Gardes de la Porte & de la Prévôté de l'Hôtel ,
auffi fous les armes à leurs poftes ordinaires ; &
fur l'escalier , les Cent- Saiffes en habits de cérémonie
, & la hallebarde à la main. Le Prince de
Beauveau , Capitaine des Gardes , le reçut à la
porte en dedans de la falle , où les Gardes du
Corps étoient en haie & fous les armes . A la fin
de l'Audience , le Roi fir Chevalier le fieur Erizzo
, felon l'ufage pratiqué à l'égard des Ambaffadeurs
de la République de Venife. Le même
jour , l'Ambaffadeur fut conduit à l'Audience de
la Reine , & à celles de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine, de Monfeigneur le Duc
de Berry , de Monfeigneur le Comte de Provence
, de Monfeigneur le Comte d'Artois , de
Madame , de Madame Adelaide , & de Mefdaines
Victoire , Sophie , & Louife ; & après avoir
été traité par les Officiers du Roi , il fut reconduit
à Paris dans les Caroffes de Leurs Majeftés ,
avec les cérémonies accoûtumées.
Le 12 , le Roi , la Reine , & la Famille Royale,
fignèrent le Contrat de mariage du Marquis de
Montefquiou , Gentilhomme de la Manche de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , & Colonel
dans les Grenadiers de France , avec la Demoifelle
Hocquart ; celui du Marquis de Livry , avec
Demoiſelle de Benouville ; & celui du Comte de
Polignac , Capitaine de Dragons , avec Demoifelle
de Saluces.
>
Le 13 , le Marquis de Paulmy , Miniftre d'Etat ,
& ci -devant Secrétaire d'Etat de la guerre , prit
congé du Roi , de la Reine & de la Famille
Royale , pour ſe rendre à la Cour de Warfovie
en qualité d'Ambafladeur de Sa Majeſté , près
le Roi & la République de Pologne.
Le 14 , le Comte de Luface partit pour le rendre
à Munich, & enfaite à l'Armée d'Allemagne.
MAI. 1766.
7205
7
De FRANCFORT , le 7 Avril.
Les Alliés ont entierement abandonné le Pays
de Fulde , qu'ils ont cruellement maltraité pendant
le féjour qu'ils ont fait . Le Prince hérédi→
taire de Brunswick a remis au Général Imhoff
le commandement du corps de troupes qu'il
avoit conduit fur les confins de la Franconie.
Ce Général s'eft replié depuis fur Ziegenhayn ,
dans la vue de protéger Marbourg . Ses Alliés
femblent auffi craindre pour Callel.
De PARIS , le 19 Avril.
Le 10 de ce mois , le Roi fit dans la plaine
des Sablons la revue du Régiment des Gardes
Françoiles , & de celui des Gardes Suilles . Ces
deux Régimens, après avoir fait l'exercice , défilerent
en préfence de Sa Majefté. Madame , &
Meldames Victoire , Sophie & Louife , affifterent
à cette revue.
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
, s'eft fait en la manière accoutumée , dans
l'Hôtel de Ville de Paris , les de ce mois. Les
nunréros fortis de la roue de fortune font , 7 , 23 ,
12 , 57 & 83. Le prochain tirage fe fera le 6 du
mois de Mai.
Le Mardis de ce mois , l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles-Lettres fit fa rentrée
publique . Le fieur le Beau , Secretaire perpétuel
ouvrit la Séance , & annonça que les piéces qui
avoient concouru au prix , n'ayant point fatisfait
l'Académie , elle avoit arrêté que le même fujet
feroit propofé pour la rentrée de Pâques 1,762 , &
que le prix feroit double. Il s'agit d'examiner
Quelle fut l'étendue de la Navigation & du Com
merces des Egyptiens , fous le régne des Ptolomées ?
Le fieur le Beau , annonça enfuite le fujet du Prïx
206 MERCURE DE FRANCE
·
que l'Académie diftribuera à la S. Martin de l'année
1761. Il confifte à examiner ; Quelsfont les
différens noms que l'Antiquité a donnés au Nil?
Quels hommages on lui a rendus ? La raifon des
attributs qui le caractérisentfur ces Monumens ? On
y joindra l'examen des mêmes queftions, fur le Dieu
Сапоре .
Dans la Séance publique de l'Académie Royale
des Sciences , du Mercredi 16 , le fieur de Fouchi
, Sécrétaire perpétuel , annonça que le prix de
cette année avoit été adjugé au fieur Eufer fils ,
de l'Académie des Sciences & Belles- Lettres de
Pruffe ; & que l'Académie propofoit pour fujet du
prix de 1762 , Si les Planétes fe meuvent dans un
milieu dont la réfiftance produife un effet fenfiblefur
leur mouvement ?
Le prix de soo liv . remis à l'Académie , pour
celui qui réuffiroit, le mieux , à déterminer les
moyens propres à porter la perfection & l'oeconomie
dans la Verrerie , a été adjugé au fieur
Bofc d'Antick , Docteur en Médecine , & Corref
pondant de l'Académie.
Quatre bataillons des Gardes- Françoiles , &
deux des Gardes - Suiffes , font partis d'ici pour
l'Armée d'Allemagne.
MARIAGES.
M. le Marquis de Citran , Capitaine de Cavaferie
dans le Régiment d'Efpinchal , a épousé , le
15 Mars , à Bordeaux , Mlle de Durfort , fille de
M. le Comte de Durfort , Ambaffadeur à Naples.
Le mariage a été célébré dans la Chapelle
de l'Archevêché , en préſence du Curé de
la Paroifle , par M. l'Evêque de Bazas , affifté
de MM. les Abbés d'Entragues & de Monville ,
MAI. 1760. 207
Chanoines & Dignitaires de l'Eglife Métropoli
taine , & Grands Vicaires ; le premier , de Bordeaux
, & l'autre de Bazas .
M. le Duc de Lorges , en qualité de parent de
la Mariée , & comme faifant les fonctions de
Commandant de la Province , pendant l'abſence
de M. le Maréchal Duc de Richelieu , a fait les
honneurs de la cérémonie , & de la Fète..
-
Guy-André- Marie-Jofeph , Comte de Laval ,
fils de Guy- André - Pierre , Duc de Laval- Montmorenci
, Lieutenant Général des Armées du Roi,
& de Dame Marie-Jacqueline - Hortence de Bulkon
, a époufé , le 14 Avril , Demoiſelle Anne-
Célefte-Françoiſe Jacquier de Vieux - Maiſons ,
fille de Melfire Philippe Guillaume Jacquier
de Vieux Maifons , Confeiller au Parlement , &
de Dame Louife- Renée- Magdeleine Hatte. La
bénédiction nuptiale leur a été donnée , par le
Curé de S. Sulpice , dans la Chapelle titulaire du
S. Efprit Leur Contrat de mariage avoit été figné
le 12 par Leurs Majeftés , & par la Famille
Royale.
>
Pierre -Emé Guiffrey de Monteynard de Marcieu,
Marquis de Bouttieres , Chevalier de l'Ordre
de S. Jean de Jérufalem , Meſtre de Camp d'un
Régiment de Cavalerie de fon nom , Brigadier
des armées du Roi , Gouverneur des Ville , Citadelle
de Grenoble & du Bailliage du Grailivodan
, fils de feu Laurent- Joſeph - Emé Guiffrey de
Monteynard de Marrieu , Marquis de Bouttières,
Seigneur du Touvet , S. Vincent de Mercuze ,
S. Michel Goncelin , Cheylas , Moreftet , S. Jean
d'Avalon , Marcieu , Savel , &c. Gouverneur pour
le Roi , des Ville , Citadelle de Grenoble , & du
Bailliage du Graifivodan ; & de Françoife Gabrielle
de Miſtral , Marquife de Montmiral ,
208 MERCURE DE FRANCE.
Baronne de Creffol , & Chandieu , Dame de la
Savalle , du Chaftellard en Trièves, de S. Egreve,
Provifien , Mont S. Martin , & c. a époulé , avec
l'agrément du Roi , le 15 Avril 1760 , à Grenoble
, Françoiſe de Prunier de Saint- André , fille
de René- Ifmidon - Nicolas de Prunier , Comte
de Saint André , Marquis de Virieu , Baron de
Beauchêne , Seigneur de la Buiffiere , Bellecombe
, & c . Lieutenant général des armées du Roi ;
& d'Alexandrine Guicharde de Chaponnay . La
bénédiction. nuptiale leur a été donnée dans la
Chapelle des Pénitens , par M. l'Abbé de Bardonnenche
, Vicaire général du Diocèle de Grenoble.
MORTS.
Le 3 Avril , mourut dans fon Abbaye, Madame
Anne-Marie , Baronne d'Eltz d'Ottange , Abbeffe
de l'Eglife Collégiale & féculière de Bouxière en
Lorraine , âgée de 9 ans. Elle étoit foeur de
M. le Baron d'Eltz , Maréchal des Camps & Armées
de Sa Majefté Très - Chrétienne , Coinmandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis . Elle fut prébendée dans ſon Cha
pitre , dès l'an 1663 , & élue Abbeffe , d'une
voiz unanime, en 17.6. La conftante férénité de
fon âme , l'égalité de fon humeur , la douceur
inaltérable de fon caractère , jointes à l'unifor
mité de fa vie , l'ont conduite à la plus heureuſe
vieilleffe ; au point , qu'exempre de toutes infirmi
tés , elle a lû & écrit fans lunettes jufqu'aux derpiers
momens d'une fi belle carrière . Ses rares
qualités de l'efprit & du coeur , lui ont mérité la
plus haute eftime , & les refpects les plus Lincères
de fon illuftre Chapitre & de tous ceux qui ont ev
l'avanage de la connoître.
MA 1. 1760. 209
Le fieur Jacques- Bénigne Winflow , de l'Académie
Royale des Sciences , de la Société Royale
de Berlin , Docteur-Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , & Profeffeur d'Anatomie & de
Chirurgie , mourut le 4 de ce mois , âgé de 91
ans. Il étoit Danois. Jacques Bénigne Bofluet ,
Evêque de Meaux , lui avoit fait abjurer le Luthéranifme
, il y a 63 ans. Les découvertes que
le fieur Winflow a faites , en Anatomie , ont
rendu fon nom célébre parmi les Sçavans de
l'Europe. Il étoit le plus ancien des Médecins
de la Faculté de Paris.
Dame Marie Gilberte de la Motte d'Apremont,
veuve de Mellire N. de S. Evremont , mourut le
7 , dans la Maiſon Abbatiale de Corneville , près
Pont-Audemer , dans la 89 ° année de ſon âge.
Le fieur Jean Lebeuf , Chanome honoraire
d'Auxerre , Penfionnaire de l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles- Lettres , eft mort le 10,
âgé de 73 ans. Il eſt Auteur d'un grand nombre
d'Ouvrages fçavans. Il a fait de grandes recherches
, fur les Antiquités Eccléfiaftiques.
Pierre-François de Chauvigny de Blot , Abbé
des Abbayes Royales de Celle- Frouin , Ordre de
S. Auguftin , & de Notre- Dame de Boras, Ordre
de Citeaux , Prieur Commendataire de Celly ,
Ordre de S. Benoît , Chanoine & Comte de Lyon ,
eft mort à Lyon dans les premiers jours d'Avril :
& le 12 du même mois , l'Abbé de Chabannes ,
Aumônier du Roi & Abbé de la Crete , Ordre de
Citeaux , Diocèfe de Langres , a été nommé par
le Chapitre , Comte de Lyon , à fa place.
Magdelaine le Danois,époufe du ficur de l'Ifle,
210 MERCURE DE FRANCE.
Aftronome- Géographe de la Marine , de l'Académie
Royale des Sciences , & Profeffeur au Col
lége Royal de France , eft morte à Paris le 22
Avril , âgée de quatre-vingt ans & quatre mois.
LA
AVIS.
A MANUFACTURE des Miroirs de Réflection ,
& des Glaces courbées , établie par Arrêt du Confeil
, vient de former fon entrepôt , pour la com
modité des Curieux , dans la rue des Prouvaires ,
la premiere porte - cochère à gauche , en entrant
par la rue S. Honoré .
Ces Miroirs font feuls tous les effets des Optiques
ordinaires , en leur repréfentant des Estampes
enluminées ou des Tableaux . Ils ont de plus , la
propriété de faire voir l'image d'un objet entre
leur furface & cet objet , enforte qu'un homme
touche avec fa main l'image de la main , voit un
bouquet ou une petite ftatue en l'air entre le miroir
& lui , voit revenir jufqu'à lui l'image de fon
épée nue , & c.
On fçait auffi que les rayons folaires réunis en
leurs foyers , donnent le feu le plus actif & le plus
violent , par le moyen duquel on peut fondre ,
calciner , analyſer tous les corps de la nature qui
rétiftent au feu commun ; enfin , en tenant, une
bougie commune à leur foyer , ils portent à plus
de , o pieds , une clarté figrande , qu'on peut lire
à cette distance pendant la nuit la plus obfcure.
On peut dans cette Manufacture faire courber
des Glaces ou Verres en toutes formes & grandeurs
, pour garnir des Croifées courbes , des Bibliothéques,
des Encoignures , &c. On peut même
les avoir étamées dans ces diverfes formes , s'il eft
néceflaire.
*
MAI. 1760.
21F
On y fait auffi des Louppes à l'eau , compofées
de deux Glaces courbées en portion de fphère,
& tellement travaillées , qu'elles tiennent l'eau
entr'elles , fans monture ni mnaſtic : elles peuvent
ainfi être fucceffivement remplies des diverfes
liqueurs dont on veut comparer la réfraction. La
poffibilité de faire ces Louppes de toutes grandeurs
, jointe à leur parfaite tranfparence , leur
donne fur celles de verre folide des avantages
qu'il feroir fuperflu de détailler.
On trouve de plus dans cette Manufacture des
Cryftaux de Pendules auffi réguliers & auffi beaux
que ceux d'Angleterre ; & comme il y en a plus
3000 tout faits , les Horlogers peuvent les
avoit fur le champ ; ce qui ne leur étoit pas poffible
avant cet établiffement ..
Enfin , les Curieux & les Artiftes font invités à
faire part de leurs idées fur les différentes applications
que l'on peut faire de cette manière de courber
& d'éta mer les Glaces : ils trouveront dans ce
nouvel établiffement toute la docilité & toutes
les facilités poffibles.
INSTRUCTION pour l'ufage d'un Emplâtre propre
à guérirles vapeurs des femmes & filles.
Comme il y a quantité de perfonnes du féxe ,
qui font fujettes à un dérangement de matrice ,
que l'on nomme vulgairement vapeurs , & que
cette maladie ne peut le traiter par la voye ordinaire
de la médecine , qu'avec un fuccès très-incertain
, & pour ainſi dire fort rare. Le Sieur Pitara
eftlefeul qui ait trouvé le fecret de les guerir
, par le moyen d'un Emplâtre qu'il diftribue
depuis environ neuf ans qu'il en a le privilége
du Roi.
Le nombre de Lettres & certificats qui lui ont
.3
212 MERCURE DE FRANCE.
été envoyés de toutes parts , prouve l'effet qu'il
produit chaque jour.
Il s'agit de faire connoître la nature de cette
maladie , occafionnée ordinairement par trois
différentes caufes.
La premiere , par un retard de Régles .
La feconde , par une peur .
La troifiéme , parun chagrin & des inquiétudes.
Les perfonnes attaquées de cette maladie ,furvenue
par une de ces trois caufes , peuvent fe fervir
dudit Emplâtre , que l'on applique fur le
nombril, lequel doit y refter juſqu'à ce qu'il tombe
de lui-même.
Quoique le premier Emplâtre puiffe opérer la
guérifon , comme il eſt arrivé très - fouvent ; il
confeille cependant de le répéter trois à quatre
fois , parce qu'il eft à préfumer que dans le cours
de trois à quatre Emplâtres , qui durent 7 à 9
mois , elles doivent être entierement guéries ,
comme l'expérience lui a fait connoître.
elt Le motif qui l'engage à le faire continuer ,
le changement qui arrive chaque mois aux femmes
& filles ; ce qui leur occafionne des révolutions.
Ledit Emplâtre peut fe conferver dix ans , &
peut s'envoyer dans une lettre .
Ledit Emplâtre a encore la vertu , en l'appli
quant au même endroit , de conferver le fruit
d'une femme enceinte qui n'a jamais pû le porter
julqu'au tems , à moins qu'il n'arrive en accident
dont elle feroit dangereufement bleſſée.
Le fieur Pittara a reçu un Certificat d'une Dame
de diftinction de Paris , qui étoit à fa quatrième
fauffe couche l'ufage dudit Emplâtre lui a confervé
le fruit de fa cinquième groffelle , & a continué
depuis à accoucher dans fon temps. Plufieurs
autres , qui ont été dans le même cas , ont
éprouvé le même effet.
MAI. 1760. 213
Il avertit que celles qui fe ferviront dudit Em
plâtre , ne pourront faire . ufage de Gaffé à l'eau ,
ni de liqueurs , & ne fe feront laigner ni purger, à
moins qu'une autre maladie les y oblige : auquel
cas , elles laifferont toujours ledit Emplâtre jufqu'à
ce qu'il tombe.
On obferve auffi que cet Emplâtre eft encore
propre pour les femmes qui doivent perdre leurs
régles ; dans lequel tems elles fouffrent beaucoup.
Et par l'expérience qui a été faite, en pareil cas, de
l'afage de ce reméde, les perfonnes ont été exemptes
des maux que la fuppreffion des régles occafionne
toujours.
En 175.1 8.1752 , le fieur Pitara a été annoncé
dans le Mercure du mois d'Octobre.
Le 24 Juillet 1752 , ika été annoncé dans les
petites affiches, avec un Certificat tout au long de
la fufdite Dame de Paris .
Le 30 Mars 1753 , dans la Gazette d'Hollande .
Le 14 Septembre , dans la Gazette d'Avignon..
Le 10 Janvier 1754 , répété dans les petites
nouvelles , avec différentes preuves de l'efficacité
de fon reméde.
Avis aux. Souferipteurs du Dictionnaire univerfel
des Sciences Eccléfiaftiques,
Le Sieur Jombert , Imprimeur- Libraire du Roi,
rue Dauphine, à Paris, commencera à délivrer les
deux premiers volumes , en feuilles , du Dictionnaire
des Sciences Eccléfiaftiques , dans les premiers:
jours du mois de Mai . Ceux des Soufcripteurs qui
jugeront à propos de fe procurer ces deux volu
mes brochés pourront les lui demanden , en lui
en payant la brochure : mais il ne fe chargera
point de les faire relier , l'impreffion étant ene
core trop fraiche .
214 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur Savoye , Valet de Chambre de M. le
Bailli de Fleury , a de la véritable Eau de fleur
d'Orange de Malthe , qu'il vend 6 liv . la bouteille
de pinte . Il demeure rue de la Ville-l'Evêque ,
Fauxbourg S. Honoré , au N° . 8,
Faute à corriger, à quelques exemplaires de
ce Volume.
Page 74 , après les deux premiers vers du
Vaudeville , ajoutez celui - ci :
Par le reſpect , témoigner fon ardeur.
J'Arla,
APPROBATION.
>
'Ai lu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le Mercure du mois de Mai 1760 & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 30 Avril 1760. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
PORTRAIT • ORTRAIT de Mlle B ***
Daphné & Coridon , Eglogue.
Epître , à M. le Comte de ***,
Pages
9
II
Lettres & Mémoires de Mlle de Gondreville
& du Comte de S. Fargeol. Seconde Partie. 15
Scène cinquiéme, du premier Acte du Caton ,
d'Adillon. 61
MA I. 1760. 215
Madrigal.
Vers , à Madame Dori... de Gol ... pour être
mis au bas de fon Portrait.
Les Talens de l'Eſprit , Poëme.
Les Amours à la mode , Vaudeville.
Vers ,fur la mort de M. Thurot.
63
64
65
74
75
76
qui a donné au
79
81
82 &83
84
Epître Familiere , à M. ***** , Curé de S. **
Portrait de Mlle de B**** , fille de Madame
la Marquife de B ****
Public les Bagatelles amufantes.
Enigmes.
Logogryphes.
Chanfon .
›
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Lettre de M. de Grace , à l'Auteur Anonyme
d'un Livre intitulé , Culte des Dieux Fétiches
&c.
Extrait , de la Logique des Dames.
Recherche critique , fur l'origine des Mafques
, Par un Sçavant de Province.
Mémoire hiftorique , fur le Mercure de
France .
Annonce des Livres nouveaux .
85
106
119
127
131 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES .
ACADÉMIE S.
Extrait de la Séance publique de l'Académie
des Belles- Lettres de Caën.
MATHÉMATIQUES .
Extrait de la lettre de M. Thomin , Ingénieur
en Optique de la Reine , &c.
141
145
216 MERCURE DE FRANCE
GÉOMÉTRIE.
Deſcription de l'Ellipfe, par le moyen du cercle
, par M. Jean-Antoine Glenat.
ART. IV. BEAUX - ARTS .
ANTS AGRÉABLES..
PEINTURE.
Réponse de M. C ** , à des obfervations d'Amateurs
, inférées dans l'Obſervateur Littéraire.
ARTS UTILES.
Deſcription d'une Pendule à Secondes , qui
marque le temps moyen & le temps vrai
146
252
& c.
163
Muſique. 176
ART. V. SPECTACLES.
Opéra. 178
Comédie Françoife..
179
Comédie Italienne.
183 &fuiv.
Concert Spirituel. 196
Mariage & Morts.
Avis.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
La Chanfon notée , doit regarder la
201
203 & fuiv.
210 &fuiv.
page 84.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
ruë & vis -à- vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUI N. 1760 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silince inv
PaykenSculp
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife.
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftias.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , in s'abonnant
, que . 24 livres pour. feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci deffus.
A ij
Un juppite les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit ,
Le prix de leur abonnement , ou de donner
Leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
referont au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
JUI N. 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMITATION DE L'ODE D'HORACE.
Vixi puellis nuper idoneus &c.
JADIS, ADIS, du tendre amour quand je fuivois les loix ,
D'un coeur avec fuccès je tentois la conquête ;
Les myrthes de Paphos embellifoient ma tête ,
Et tout retentilloit du bruit de mes exploits.
Aujourd'hui , que les ans exerçant leur empire,
Ont tari dans mon coeur la fource des plaifirs ,
Au temple de Vénus j'ai fufpenda ma lyre ,
Et mes plus doux tranfports ne font que vain
Loupirs. A iij
1
6 MERCURE DE FRANCE.
Chers amis , mettons bas ces armes ,
Ces inftrumens vainqueurs des portes,des verroux;
Laiffons dormir en paix les meres , les époux ;
Notre impuiffance , hélas ! met fin à leurs allarmes.
Mais fi ma foibleſſe eſt le prix
Des affauts répétés qu'a livré mon courage ;
Vénus ! punis l'orgueil de Chloé qui m'outrage ,
Et venge- moi de fes mépris.
Par M. DESMORTIERS de Nantes .
VERS ,fur l'Impératrice de RUSSIE.
FILLE ILLE d'an Héros, que la Grèce
Eût mis au rang des Demi - Dieux ;
ELISABETH , par fa lagèſſe ,
N'eft pas moins auguſte à nos yeux :
Conftante dans cette harmonie ,
Qui joint les voeux de la Ruffie
A ceux de THERESE & LOUIS ;
Elle fçait acquérir la gloire
D'intéreſſer à ſa mémoire
PETERSBOURG & VIENNE & PARIS.
Par M. DE LANEVERE , ancien Mousquetaire
du Roi ; à Dax , 1760.
JUIN. 1760.
LES DANGERS DE L'HYMEN ,
A Madame T. de C. qui me difoit de
me marier.
Mufette, à mettre en chant.
Où les Dieux l'ont -ils fait naître ,
L'objet qu'ils m'ont deſtiné ?
Et comment, pour le connoître ,
Serois-je affez fortuné ?
Quand d'ailleurs fur vous , Glicère ,
L'Amour eut pû le former ;
Si comme vous il fait plaire ,
Comme moi fait- il aimer
En vain l'écho nous répéte ,,
Qu'il eft doux de s'engager ;
Effayons, für ma Mufette,
D'en faire voir le danger.
Que le choix eft difficile ,
D'où dépend notre bonheur !
Pour un bon , il s'en fait mille ,
Dont s'effraye un tendre coeur.
Lorfque d'un tendre esclavage ,
Vous voulez fubir les loix ; .
Tourtereaux de ce bocage ,
A iv
$
MERCURE DE FRANCE.
Vous faites fans crainte un choix.
Vous ignorez les allarmes
Que l'hymen cauſe aux époux :
Pour vous il n'a que des charmes ,
des regrets pour nous !
Et
que
Dois-je céder à l'envie
D'imiter vos tendres feux ?
Une Compagne chérie
Manque fans doute à mes voeux.
Mais , malgré mon coeur , j'hésite
A fuivre un fi beau penchant :
Chez vous tout m'en follicite ,
Chez nous tout me le défend.
Une jeun: Tourterelle,
Remplit elle vos fouhaits s
De fon coeur toujours fidelle
Vous nevous plaignez jamais.
Les doux fruits de cette fiâme,
N'éteignent point vos ardeurs :
Hélas ! fouvent , dans notre âme
Le dégoût naît des faveurs !
Puifque je ne puis atteindre
A votre félicité ,
Je vis en paix fans me plaindre ,
Au fein de la liberté.
Dans mes chansons bocageres ,
Jerends hommige aux Amours :
JUIN. 1760 .
و
Mais j'évite les Bergeres....
Puiflé-je les fuir toujours
Par M. le Chevalier de JUILLY DETHOMASS
VERS demandés , pour mettre au bas du
Portrait de M. de VOLTAIRE.
QUIvi fçut jamais réunir tous vos dons ?
Demandoit , aux neuf Sceurs , le Dieu qui nous
éclaire.
Vois ces traits , dit Clio, qu'ont tracé nos crayons...
Phoebus fourit , & reconnut VOLTAIRS .
Par le même.
SONNET , inferit jur une Rocaille , ornée
de jets d'eau. Sur cette Rocaille , étoit
repréſenté, en relief, Apollon ordonnant
be fupplice du Saryre Marfias.
SURU R ce roc émaillé qu'arrofe l'hypocrène ,
Apollon exercoit fa lyre & fes accens :
L'Olympe, à l'écouter, fe tenoit en fufpens ;
Et Zéphire enchanté retenoit fon halei e.
Marfias y parut ; & fon audace vai é ,
Difputoit à ce Dieu la beauté de fes chants :
Mais l'imprudent Satyre apprit à fes dépens ,
Qu'un défi téméraire eft fuivi de la prines
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Voyez vous ce vainqueur , en fon jufte courroux,
Ordonner les tourmens de l'orgueilleux jaloux ;
Aux cris les plus affreux , refufant de ſe rendre ?
Sitous les faux Savans qui brillent aujourd'hui ,
Etoient pour même fait , écorchés comme lui ,
Dieux qu'il le trouveroit des peaux d'ânes à
vendre.
Par M. le Chevalier de C.
LE LYS ET LA ROSE ,
FABLE.
A Mademoiselle... qui m'en a donné
SUR la Rofe le fujeto
UR la Rofe ,
le Lys vouloit avoir le pas ;
Et du Lys , à fon tour , la Rofe
Pretendoit éclipfer les orgueilleux appas.
De fon côté , chaque fleur bien éclofe ,
Alloit créver pour trop s'épanouir.
La Rofe, petite maîtreſſe,
Difoit au Lys : ton blanc eft d'un fade à périr !
Et le Lys répondoit , en tranchant de l'Alteffe,
Ton rouge à toi , ton rouge , eft trop pâle ou
trop vif.
L'Amour , fe promenoit : il entend la querelle.
Alte- là ! cria-t- il , d'un ton impératif...
Le Lys eft beau , la Rofe eft belle ,
JUIN. 1760.
If
Et fur le tein d'Eglé , pour affurer leur paix ,
Tous deux fleuriront déformais.
Aux deffeins de l'Amour,Rofe & Lys de foufcrire ...
Mais s'en tinrent -ils au minois?
Non , ces fleurs ont plus loin , je crois ,
Etendu leur brillant empire.
Par M. GUICHARD.
EPITRE à M. l'Abbé AUBERT.
DEPE Phédre , heureux imitateur ,
Abbé , malgré l'art & l'adreffe
$53,7
De votre discours enchanteur ;
Des Mufes & de leur tendreffe ,
Je fuis très-fort le ferviteur ,
S'il faut dans un dur esclavage ,
Moins leur Amant que leur Epour ,
Et de l'hymen & du ménage
Souffrir les éternels dégoûts .
Des coeurs aimable enchantereffe ,
Donce & volage liberté,
Tu feras toujours ma maîtreffe !
Et je veux , par légereté ,
Etre conftant dans ma promeffe.
Rien n'eft tel que la nouveauté :
Elle ajoute aux grâces des Belles ;
A vj
12 MERCURE DE FRANCE
C'en eft le fard ; & chaque jour ,
Il faut des guirlandes nouvelles,
Pour parer la Mere d'Amour.
Au gré du caprice frivole ,
Je me livre au premier deſir :-
Je fuis , reviens , vole , & revole ,
Toujours guidé par le plaifir..
Des divers Tableaux de l'Hiftoire ,
Hier ,tout-à- coup enchanté ; ,
Jaloux d'en meubler ma mémoire,
Je lifois la honte & la gloire
C
Des Rois & de l'humanité..
Aujourd'hui , la Philofophie ,,
M'engage par la gravité ::
A fes ronces je facrifie
Les roles de la volupté..
Epris des charmes d'Uranie ,.
Demain , dans les Cieux tranſporté,
De Newton fuivant le génie ,.
Firar contempler l'harmonie
De cet Univers limité ;
Mais qui, dans fa grandeur finie ,,
D'un Dieu prouve l'immenfité..
Poffédé d'une autre manie ,,
Bientôt j'en ferai dégoûté ;;
Et fans autre formalité ,
JUIN. 1760 . 1;
Je reviendrai chez Terpficore ,
Prendre le goût que j'ai quitté ,
Pour le pouvoir quitter encore.
Feune , je connois peu la Cour
De la Reine & du Dieu des Belles.
Mais je fais bien que mon amour,
Dans tous les tems aura des aîles
Pour s'envoler , fr chaque jour
Je ne cueille des fleurs nouvelles..
Je laifle à nos Héros Amans
L'ennuyeufe perfévérance :
".
Mon coeur, ani de l'inconftance ,
L'exile aux pays des Romans.
Je trouve le papillon fage ,
Qui , plus libertin qu'amoureux ,.
Par l'attrait du plaifir s'engage ,
Sans fixer fon coeur & fes voeux :
Moins vif, moins fripon , moins volage ,
Sans doute il feroit moins heureux.
En un mot , je ne fuis fidéle ,.
Qu'aucant que dure le plaiur..
J'imite la fage hirondelle :
Je m'envole , avec le zéphir
14 MERCURE DE FRANCE.
SUITE , & Conclufion des Lettres &
Mémoires de Mlle de Gondreville , &
de M. le Comte de S. Fargeol.
Avertiffement de l'Editeur.
UNE lacune affez confidérable , qui ſe
e
trouve dans le Manufcrit , me force à
paffer de la 35 Lettre à la 46 ° : ce qui
nuiroit fans doute à l'intérêt dont cette
hiftoire a paru jufqu'ici fufceptible , fi
la fuite des faits interrompuë par cette
même lacune n'étoit pas clairement indiquée
dans ce qui refte à lire. On peut
en effet préfumer , par différens paffages
des Lettres fuivantes , que la Comteffe
de S. Fargeol eft morte peu de temps
après l'arrivée de Mlle de Gondreville à
l'Abbaye de Jouare ; que cette Dame ,
avant que de mourir , a defiré que fon
mari époufât Mlle de Gondreville ; que
c'est dans cette intention qu'elle a donné
, ou envoyé à cette Demoiselle , le
portrait du Comte ; & que c'eft en partant
de ces difpofitions , que Mlle de
Gondreville a écrit la Lettre fuivante.
JUIN. 1760. 15
QUARANTE- SIXIÉME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
SI quelque chofe , mon cher Comte ,
a jamais eu droit de me faire plaifir, c'eſt
affûrément de recevoir votre portrait.
Mais je fens qu'il n'eft point de biens
dans ce monde , que la douleur n'empoifonne.
J'aurois été défefpérée , dans les
circonftances préfentes , de le tenir de
vous; & quelque fenfible que je fois à l'amitié
de celle qui me le donne , c'eſt un
fentiment mêlé de tant d'horreur , que
j'aurois donné ma vie pour n'être jamais
à portée de recevoir une telle marque de
fon fouvenir & de fa tendreffe. Mais il en
eft un, qui déchirera fans ceffe mon coeur :
c'eft , mon cher Comte , d'avoir été choifie
pour percer le vôtre. Se peut- il , ô Ciel !
que Madame de S. Fargeol nous connût
fi peu , que de nous juger capables de
l'oublier jamais ... Je pardonne à M. le
Vicomte l'imprudence qu'il a faite , en
me communiquant les dernieres volontés
de fa nićce il me punit de celle que
j'ai commife , en m'en chargeant ; mais
4
16 MERCURE DE FRANCE.
je ne vous pardonnerois de ma vie d'y
avoir eu part. Oui ! je crois que je vous
mépriferois , s'il m'étoit poffible de vous
en foupçonner... Mais non , mon cher
Comte , vous ne me mettrez jamais dans
le cas de changer de fentiment pour
vous. Madame de S. Fargeol , ( je ne
crains point de vous rappeller fon fouvenir
, ) n'étoit plus en état de juger ſainement
de la folidité de votre âme. La
fienne , prête à l'abandonner , a pû penfer
que le terme de fon amour devoit ,
ou pouvoit être le terme du vôtre . Elle n'a
pas mieuxjugé de ma propre foibleffe . Elle
a cru que mes difcours, que mes confeils,
auroient le pouvoir & la force de vous
confoler de fa perte ! elle s'eft encore
trompée je fuis fi pénétrée de ma propre
douleur , que je fuis & ne ferai jamais
bonne qu'à nourrir la vôtre. Je vais,
cependant ufer du droit qu'elle me
donne ; mais ce fera pour vous exhorter
à conferver vos jours. Si vous en devez
le facrifice à la perte que vous avez faite ,
vivez ; c'eſt le moyen de rendre ce facri
fice perpétuel , & par conféquent plus
digne de celle à qui vous avez à l'offrir.
Après ce confeil , qui ne peut manquer
d'être conforme à votre façon de penfer;
j'ai , mon cher Conite , une grace à ob-
:
JUIN. 1760.
IT
tenir de vous ou plutôt un ordre à vous
donner Je conferverai chèrement votre
portrait , jufqu'à la mort ; il fera ma confolation
dans ma retraite mais oubliez
tellement tout ce qui me concerne , relativement
aux difpofitions de Madame de
S. Fargeol , que vous ne m'en parliez jamais.
Vous ne pourriez le faire , fans perdre
quelque chofe de mon eftime ; &
par conféquent , fans m'offenfer.Ne foyez
point inquiet de mon fort : ma douleur
le décide. J'avois offert à Dieu le facrifice
de ma liberté , s'il daignoit vous rendre ,
à ma priere , la feule femme qui fût digne
de vous. Mes voeux n'ont point été
exaucés ; nous l'avons perdue : ce que fa
confervation m'eût mile dans la néceffité
de faire , fa perte me le confeille. Et j'aurai
même la confolation d'agir avec toute
ma liberté , en la facrifiant à ma douleur.
Nous n'en ferons pas moins unis ,
mon cher Comte : votre amitié répondra
toujours à la mienne . Nous nous unirons
pour pleurer , vous la plus chère & la
plus eftimable des femmes , moi la plus
tendre & la plus reſpectable amie. Puiffe
ce traité , fait entre nous , vous donner
le courage de prendre foin de vos jours ,
comme il m'aflurera la douceur de vivre
& mourir , Votre Amie.
18 MERCURE DE FRANCE.
QUARANTE JARAN - SEPTIÉME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle
de Gondreville.
J
peu
' AUROIS honte de vivre ,Mademoiselle,
fi vous ne m'aviez appris à quel titre la
vie peut encore m'être fupportable ; &
eu s'en faut , que vous n'ayez trouvé
le fecret de me la rendre chère . Je ne
trahirai ni vos confeils , ni vos ordres : je
pleurerai fans ceffe ce qu'il y avoit de plus
aimable au monde , ce que j'ai uniquement
& fi tendrement aimé, ce que j'aime
encore, & que j'aimerai toujours. Hélas !
je fuis obligé d'en convenir , mes jours
ne peuvent être affez longs pour lui payer
le tribut de larmes que je lui dois ! Mais il
eft auffi une grace, que j'ofe vous deman
der. Vous avez délivré mon coeur d'un
poids énorme dont il étoit accablé ; je ne
vous le cache point : cependant je ne puis
fouffrir l'idée du facrifice de votre liberté.
Cette réfolution m'étonne : elle offenfe
même ma délicateffe . Auriez - vous crú
devoir être jamais dans la néceffité de vous
armer contre mon inconftance ? Non ,
JUIN. 1760: 19
Mademoiſelle, vous n'aurez point à m'accufer
d'avoir changé de fentiment , ou de
m'être éloigné des vôtres : je veux y ref
ter uni tant que je vivrai. Mais n'eft- ce
pas vous séparer vous - même de cette
union de larmes & de regrets que vous
me propofez , que de vous réfoudre à
ane retraite qui nous fourniroit fi rarement
les occafions de pleurer enſemble >
Non , encore une fois : ce feroit nous
trahir l'un & l'autre ! j'ai trop de confiance.
dans votre fincérité , que je connois , pour
ne le pas penfer. Enfin , Mademoiſelle ,
il est peut- être un moyen de réunir nos
douleurs ; moyen qui , fans flatter votre
délicateffe ni la mienne , fatisferoit en
quelque forte aux difpofitions de ma
chere femme , dont les moindres volontés
ont été & feront éternellement pour
moi des loix inviolables. Je compte vous
faire part , au premier jour , d'un projet
enfanté par ma douleur & par ma tendreffe.
Trop heureux ! fi ne pouvant vous
appartenir autrement , je réuffis à m'affürer
pour le refte de ma vie le titre.
de , Votre ami.
Ce qui fuit étoit au bas de cette lettre , de
la main du Vicomte.
Je n'ajoute rien , Mademoiſelle , à ce
20 MERCURE DE FRANCE.
que mon neveu vous écrit . Sa lettré
peut fervir de réponse à celle que vous
n'avez fait l'honneur de m'écrire : je fuis
de fon avis , fur le parti de la retraite.
Je ne fçais ce que vous penferez , de ſes
projets : je lui laiffe la liberté de s'en expliquer
avec vous . Nous ferons , Mardi ,
de bonne heure, à la Ferté ; & nous y cou
cherons , après avoir confacré le refte
de la journée au bonheur de vous voir
à Jouare , pour reprendre le lendemain
la route de Paris. Recevez les affurances
de mon reſpect ,
Le Vicomte de T....
Je n'eus pas befoin d'une grande faga
cité,pour deviner quel étoit le projet de M.
le Comte de S. Fargeol . J'avois fans doute
lieu d'être contente de fa façon de penfer,
par rapport à lui-même : je ne lui aurois
pas pardonné de penfer autrement . Mais
j'avoue , que j'avois quelque regret d'être
obligée de convenir qu'il penfuit auffi
fenfément & auffi convenablement , par
rapport à moi ! Cependant , il ne me
fallut qu'un moment de réfléxion fur
mon état , & fur le defir que j'aurois
eu de paffer ma vie avec un ami qui
m'étoit fi cher, pour fentir tout l'avantage
de la propofition que j'étois prèfque fûre
JUIN. 1760.
21
qu'il devoit me faire , & pour me déterminer
à l'accepter. Auffi les deux jours
entiers qui fe pafferent entre la réception
de la lettre de M. de S. Fargeol , &
fon arrivée à Jouare , ne changerent- ils
rien à ma réfolution : Mon coeur ne me
trahit point par les divers mouvemens
dont il fut agité ; je n'avois point à me
plaindre du Comte : il étoit tel que je
l'avois fouhaité. J'avois , fans doute , defiré
plus d'une fois de m'unir avec lui.
Dans le projet que je lui fuppofois , nos
âmes devoient être unies : c'étoit le feul
eſpoir qui pût m'être alors permis ; &
le feul dont je puffe être flattée . Le
Comte de S. Fargeol , & le Vicomte fon
oncle, arrivèrent à l'Abbaye , fur les deux
heures après-midi , comme ils l'avoient
projetté. Leur premier foin, fut de vifiter
Madame l'Abbeffe. Ils avoient des graces
à lui rendre ils s'en acquitterent. Et
cette Dame , après avoir reçu leurs complimens
, & leur avoir fait les fiens , ne
laiffa pas languir longtems le defir qu'ils
marquerent l'un & l'autre de me voir.
Elle me fit appeller ; & voulut que je reçûffe
leur vifite dans fon parloir . Pleine
d'égards pour tout le monde , elle fe leva
pour rentrer dans fon appartement auffitôt
que je parus à la grille : ne voulant
22 MERCURE DE FRANCE:
point , dit- elle ( avec fa politeffe ordinaire
, ) gêner notre converfation . Les premiers
inftans de cette douce & cruelle
entrevuë , furent entierement confacrés
aux larmes. Les miennes, avoient prévenu
mon arrivée au parloir :j'en étois déja toute
inondée , lorfque je parus aux yeux du
Comte de S. Fargeol . Les fiennes redoublèrent
, à ma vue ; & nous fumes longtemps
fans que nos voix pûffent s'exprimer
autrement , que par des foupirs &
des fanglots . Le Vicomte lui - même ne
put s'en défendre. Plus courageux que
nons , il tenta plus d'une fois de nous
diftraire de ce douloureux attendriffement
mais fon amitié lui en fuggéra
bientôt un moyen ingénieux . Ce fut de
rappeller à fon neveu les obligations
qu'il avoit à la Soeur Benedicte , & la
néceffité de l'en remercier. En effet , il
n'eft fouvent befoin , pour déranger le
cours des mouvemens de notre âme , que
de la fixer par une attention imprévue
fur un objet étranger. Le Comte convint
de la juſteſſe de la réfléxion de fon oncle;
& je me fentis moi-même foulagée par
l'occafion qu'il me fourniffoit de me dérober
quelques inftans à ma douleur ,
* Qui , probablement , avoit rendu des foins à
Madame de S. Fargeol , pendant fa maladie.
JUIN. 1760. 2.3
pour aller avertir cette Soeur. Peut-être
avions- nous , le Comte & moi , le même
embarras & les mêmes craintes : j'aurois
voulu pouvoir éloigner la propofition
que je fçavois qu'il avoit à me faire ; &
il n'étoit pas de fon côté fans défiance
fur la réponſe qu'il attendoit de moi .
Quoiqu'il en foit , la Soeur Benedicte arriva.
Elle reçut , & fit des remercimens ;
nous quitta bientôt après ; & nous laiſſa
tous dans une affiette plus tranquille. Ce
fut , pour nous , comme une efpèce de feconde
entrevue , qui n'avoit plus pour
aucun de nous toute l'horreur du premier
moment. Je profitai la premiere de cette
heureuſe fituation , pour faire fentir au
Comte combien j'avois été fenfible au
don de fon portrait , & à la déférence
qu'il avoit eue pour les intentions de
celle qui me l'avoit deftiné .
$
Ah Mademoiſelle ! me dit - il , fes
volontés ont toujours été la régle des
miennes , & le feront tant que je
vivrai. +
Il n'y a point de régle , lui répondisje
, qui ne fouffre quelque exception.
J'aurois été fâchée , fans doute , que
Vous n'euffiez pas approuvé cette premiere
difpofition qu'elle a daigné faire
en ma faveur mais , pour tout le refte ,
24 MERCURE DE FRANCE.
Vous fçavez quelle eft ma façon de
penfer : & je rends juflice à la vôtre . Plus
les perfonnes nous font chères > moins
en
elles ont droit de nous confeiller une
lâcheté ; & ce feroit leur manquer à
elles- mêmes , que d'y condefcendre .
J'aurois fait cette réfléxion comme
vous , Mademoiſelle , fi j'avois
beſoin de la faire ( répondit le Comte. )
mais , permettez- moi de vous le dire ,
c'eſt à vous-même que j'ai recours pour
'm'aider à prendre un parti qui ne bleffe
ni mes fentimens , ni mon honheur.
Ah mon cher Comte ! lui dis - je , rien
ne me coûtera , pour vous conferver
l'un & l'autre.
En ce cas , reprit - il , je puis donc
exécuter autant qu'il eft en moi les
dernieres volontés d'une femme fi
juſtement , & tendrement aimée.
Vous le fâvez , Mademoiſelle , mon
oncle a connu comme moi tout votre
'mérite ce que je n'étois plus en
état de faire , il l'a fait ; il s'eft offert
des à vous. Votre générosité pour
& qui objets qui n'exiftent plus
n'exifteront jamais , vous a feulement
empêché de répondre à fes voeux ;
vous avotiates vous -même alors , je m'en
fouviens , que vous trouviez dans fon
>
choix
JUIN. 1760. 25
choix tout ce qui pouvoit faire votre
bonheur & fatisfaire votre ambition ;
les fentimens font aujourd'hui les mêmes
; & fi vous n'en aviez point changé.
...
› Non Monfieur , ( lui dis - je , avec
affez de fermeté , ) fi M. le Vicomte
me fait encore l'honneur de penfer
à moi , je me tiendrai trop heureuſe
d'obtenir des perfonnes qui daignent
s'intérefler à mon fort la liberté de
répondre aux bontés que vous m'affurez
qu'il veut bien avoir pour moi ,
& de former des liens qui me feront
d'autant plus précieux que je les regarderai
comme un titre pour vous appar !
tenir en quelque forte .
20
Mademoiſelle , ( interrompit le Vicomte
, je fens tout le prix du facrifice
que vous me faites : j'en fuis pénétré
de reconnoiffance ; & je n'ai
rien tant à coeur , que de m'en rendre
digne. Je l'efpere , Mademoiſelle mais
c'eft à mes foins , & peut être au
temps à m'apprendre fi je ne
me fuis
point trop flatté. Le deuil de nos
coeurs n'eft guères compatible avec la
joie pure & fans mêlange qui doit accompagner
des liens tels que je les projette..
....
B
}
26 1 MERCURE DE FRANCE.
Vous me prévenez , Monfieur , ( in
terrompis - je à mon tour , vous êtes ›
affûrément le maître de ma deftinée ; je
ne me repentirai jamais de l'aveu que
je vous en fais mais il appartient au
temps de mettre nos fentimens en liberté
de paroître ceux dont nous fommes
tous pénétrés , font les feuls auxquels
il nous foit permis & poffible de nous
fivrer.
: Vous en adouciffez l'amertume , ( me
dit le Comte ; ) oui , Mademoiſelle , dans
le comble du malheur qui m'accable ,
vous me faites éprouver un genre de confolation
, auquel je ne puis refufer d'être
fenfible.
Je ne rapporterai que ceci , d'un entretien
qui dura plus de trois heures.
Le Comte de S. Fargeol lui - même , diftrait
autant qu'il nous fur poffible des
accès de fa douleur , y prit part avec
affez de tranquillité ; & peu s'en fallat
qu'il ne reprit quelquefois fon état naturel
, lorfqu'en fe repréfentant qu'il
faifoit le bonheur de fon oncle & te
mien , il fe flattoit que notre union re
pandroit au moins quelque douceur fur
une vie qui lui éroir à charge. J'appris
enfin de fui , dans le cours de notre
converfation , qu'il feroit inceffamment
JUIN. 1760 : 27
n voyage en Allemagne , pour y terminer
quelques affaires d'intérêt avec
les parens de fa femme , & en ramener
s'il étoit poffible le jeune Wonholten ,
fon beau-frere , que Madame de S. Fargeol
lui avoit encore recommandé en
mourant. Il me dit , que ce voyage ,
T'approchant néceffairement de la Cour
de S... dans laquelle il avoit fait quelque
féjour & pouvoit le flatter d'avoir
obtenu quelque confidération , il feroit
charmé de fe trouver à portée de m'y
rendre fes fervices. Je les acceptai ; &
j'allai , fur le champ , chercher les lettres
originales du Prince de S... à ma
mere , avec les autres papiers qui y
étoient joints , ainfi que le Comte m'en
follicita. Je les lui remis , pour en faire
fufage qu'il jugeroit à propos ; & nous
nous féparâmes enfin , non fans verfer
encore des larmes , mais avec des fentimens
de tendreffe qui les rendirent
moins amères. Le Vicomte s'arrêta feul
un moment , au parloir ; & me dit :
" Mademoiselle , j'ai trop l'honneur de
Vous connoître , pour avoir à vous
prier de vous fouvenir des
engagemens
que nous venons de prendre enfemble
; & je fuis trop fenfible au plaifir
de penfer que je puis faire un jour
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
votre bonheur › pour que vous puiffiez
douter que je m'en fouvienne.
Mais j'ai une grace à vous demander' :
Je fais qu'il feroit peu décent que vous
vous engageaffiez à rien , fans le confentement
des perfonnes qui s'intéreffent
fi juftement à votre fort : permettez
- moi de faire mon affaire de
l'obtenir. L'année du deuil de . M. de
S. Fargeol , eft un terme bien long
pour mes defirs . cependant j'ofe vous
demander ce terme , avant que perſonne
foit inftruit de nos projets.
J'affurai le Vicomte , que je ferois
fidéle à la parole que je venois de lui
donner ; & j'eus moins de peine encore
à lui promettre que je garderois cette
affaire fecrette pour tout le monde ,
jufqu'à ce qu'il m'eûr lui-même permis
de la révéler. Nous nous quittâmes ainfi ;
lui , paroiffant extrêmement content de
ma complaiſance , & moi bien plus contente
du fecret & du délai qu'il exi
geoit de moi. Mais ce qui me caufoit
une fatisfaction plus fenfible encore ,
c'étoit d'avoir vu le Comte , & de
l'avoir vu dans un état qui me faifoit
efpérer que fa douleur ne prendroir rien
déformais fur fa fanté. Je me flattai que
la diſtraction du voyage qu'il fe dif-
-
JUIN. 1760. 2f
pofoit à entreprendre acheveroit de difhiper
cette trifteffe profonde qui m'avoit
allarmée pour fa vie. Plus d'un
mois fe paffa dans le filence , de part &
d'autre , pendant lequel j'eus de fréquentes
téntations de lui écrire mais
je me trouvai toujours fi embaraffée de
favoir comment m'y prendre , qu'il me
fut impoffible d'en former la réfolution .
J'en vins même jufqu'à me perfuader
qu'après ce quil venoit de fe paffer entre
nous , il ne me convenoit plus de prévenir
le Comte , comme je l'aurois fait
en toute autre circonftance. J'amufois
ains mon impatience , fans la détruire ;
lorfque je reçûs enfin la lettre qui fuit.
QUARANTE-HUITIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle de
Gondreville.
Qu'
U'IL eft cruel , Mademoifelle , pour
une âme tendre & fenfible , d'être fans
ceffe contrariée par d'importuns devoirs
dans le fentiment d'une douleur auffi légitime
que la mienne ! Telle eft ma fituation
depuis un mois que je fuis ici. Les
vains complimens de la Cour , les affi-
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
T
duités incommodes de la Ville m'ont
obfédé jusqu'à ce moment ; & c'eft le
premier que j'aye été le maître de don
ner à mes larmes & à l'amitié. Qu'elle
m'eût été néceffaire cette amitié tendre
& compâtiffante Oui , Mademoi→
felle , je ne feins point de vous le dire ,
fi quelque chofe m'a foutenu contre
l'ennui de tant d'importunités , fi quelque
chofe me ſoutient encore contre les ac
cès de ma douleur , c'eft le fouvenir des
derniers momens que j'ai paffés près de
vous à Jouare ; ce font les feuls que
j'aye trouvés fupportables depuis que
j'ai perdu tout le bonheur de ma vie
les feuls , qui ayent eu le pouvoir de répandre
dans mon âme une apparence de
tranquillité à laquelle je croyois devoir
renorcer pour jamais , & que je ne trou
ye plus depuis que je vis éloigné de vous.
Je fçais que votre complaifance confent
à me l'affurer pour l'avenir ; & il est vrai
que l'efpérance de vivre un jour avec
vous , peut toute feule me rendre moins
à charge l'idée de vivre encore. Mais
n'eft-ce pas m'être cruelle , que de renvoyer
à un terme fi long une union qui
dès aujourd'hui pourroit me faire aimer
la vie le tendre & vif attachement de
mon oncle vous eft connu je fuis afſuré
JUIN. 1760.
de fon empreffement ; il n'aura point
d'autre volonté que la vôtre ; & je n'aurois
befoin que de votre aveu pour l'engager
à ne pas différer de fe rendre heur
reux. Si ma trifteffe & mon deuil vous
femblent un obstacle aux apprêts d'un
engagement que j'ai tant à coeur , parce
que j'imagine qu'il doit faire notre com
mune félicité ; mon départ pour l'Allemagne
vous en délivrera bientôt : &
j'emporterai du moins avec moi cette
confolation de penfer qu'à mon retour
il me fera permis de partager le bon
heur de tout ce qui me refte de cher au
monde. Il m'eft doux , Mademoiselle ,
de me flatter que mes réfléxions aurone
quelque pouvoir fur votre délicatelle. Je
fçais combien les derniers voeux d'une
amie,qui vous aima fi tendrement , doir
vent avoir de droits fur un coeur comme
le vôtre ceux que je forme aujourd'hui
ne doivent point vous déplaire. Cepen
dant , je me reprocherois de les avoir
formés fans votre aveu , fi j'étois für de
vivre aſſez longtemps pour les voir un
jour s'accomplir. Soyez donc la maîtreffe
du temps & des arrangemens à prendre
pour un engagement que vous avez cru
pouvoir faire votre bonheur ; & que j'imagine
peut- être , trop ardemment , de-
Biv
31 MERCURE DE FRANCE.
voir faire quelque jour le mien mais
laiffez-moi jouir de la douce idée de perfer
que votre coeur ne fe refufera point à
l'unique confolation à laquelle le mien
puiffe déformais être fenfible. Oui , Mademoiselle
! l'efpérance de vivre un jour
près de vous, eft déja beaucoup pour moi;
jugez quel fera votre pouvoir fur mes
douleurs , lorfqu'il m'arrivera d'y vivre
en effet ! Croirez- vous ce que je vais vous
dire ? J'ai peine à le croire moi-même, &
cependant je ne puis me le reprocher. It
eft pourtant vrai , que tout en vous écrivant
ceci , le calme s'eft gliffé dans mon
âme ; il s'y répand une certaine douceur,
que je ne puis plus rencontrer qu'en
m'entretenant avec vous.... Adieu , dange
reufe amie c'est trop me dérober au
fentiment de mes douleurs il n'appar
tient qu'à lui de régner déſormais fur le
coeur du plus malheureux , mais du plus
fidéle de vos amis.
P. S. J'oubliois de vous prévenir , Mademoiſelle
, que j'ai obtenu la permiffion
du Roi qui m'étoit néceffaire pour fortir
du Royaume , & pour aller terminer mes
affaires en Allemagne . Comme cette permiffion
s'étend juſqu'à fix mois ; & qu'il
ne m'en faut pas tant , à beaucoup près ,
JU IN. 1760: 33
pour les arrangemens que j'aurai à prendre
avec la famille de ma malheureufe
femme ; j'aurai tout le temps de paffer
chez le Prince de S.... & même à la cour,
du chef de cette augufte maifon. Soyez
allurée que je m'y employerai de mon
mieux , pour obtenir qu'on vous rende
juftice de quelque façon que ce puiffe.
être. Je ne compte partir d'ici, que dans
dix ou douze jours , ainfi je me flatte d'y
recevoir de vos nouvelles , & d'avoir encore
l'honneur Iddee vous donner des
miennes.
Recevez les affurances du refpect , &
du rendre attachement de mon oncle.
Cette Lettre termina mes inquiétudes
& mon embarras . Elle me raffuroit fur
l'état de M. de S. Fargeol , & m'ouvroit
un champ affez étendu pour lui écrire :
ce que je fis fur le champ.
QUARANTE-NEUVIÊME LETtre ,
De Mademoiselle de Gondreville , à
M. le Comte de S. Fargeol.
1.
E ne différerai pas d'un inftant , mon
cher Comte , la réponse que je dois à la
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
lettre que vous venez de m'écrire : je fuis
trop contente de vous , pour ne pas me
hâter de vous l'apprendre. J'aime votre
douleur : elle eft jufte, elle eft fincère ; mais
elle doit devenir raiſonnable. S'il étoit
vrai que j'y euffe déjà contribué , je ne
ferois donc pas une amie fi dangereufe
que vous le dites ; ou du moins je ferois
bien autorisée , je penſe , à vous faire le
même reproche , fi c'en eft un. J'ai paffe
par des épreuves que je puis dire auffi
cruelles que les vôtres ; j'ai perdu comme
vous ce que j'avois de plus cher au monde;
ce qui me l'étoit à tant de titres : quel
autre pouvoir, que celui de votre amitié ,
m'eût jamais rendu mes pertes fupporta
tables ? On dit , il eft vrai , qu'il n'y a
rien dont le temps ne vienne à bout : mais
ne feroit-il pas honteux à l'amitié de lui
céder l'empire qu'elle doit avoir fur notre
Raifon ? C'eft à vous , mon cher Comte ,
ou je fuis bien trompée , que je dois cette
réfléxion. Mais , de quelque part qu'elle
me vienne , en eft- elle moins fenfée ? Je
vous ferois & je me ferois injure à moimême
de le penfer , puifque c'eft vous
qui m'en avez fait faire l'épreuve. Ne
me regardez donc plus comme une amie
trop dangereufe : permettez, au contraire,
que je me fçache un peu de gré de vous
JUIN. 1760. 35
avoir écarté pour quelques inftans du
danger de vos propres réfléxions. Puifféje
, mon cher Comte , me flatter un jour
de n'avoir pas été moins utile à votre
confolation , que vous avez fçû l'être à la
mienne ! Vous n'avez pas besoin d'employer
tant de preffans motifs pour m'en
offrir un nouveau moyen , ni de me folliciter
avec ardeur de prendre un engagement
qui doit me rapprocher de vous
mon intérêt & mon goût , font parfaitement
d'accord fur cet article. Mais foyez
en état de goûter quelque fatisfaction ,
fi vous voulez travailler efficacement
à la mienne. Au reste , mon cher Comte
, ce n'eft point moi qui ai fufpendu
notre commun bonheur , en lui fixant
un terme de la longueur duquel vous vous
plaignez : c'eſt M. le Vicomte , votre on
cle, qui l'a exigé de moi. En cela , je vous
avouerai qu'il a prévenu mes defirs . H
ne feroit en vérité convenable ni à l'un
ni à l'autre , de fe propofer un bonheur
que vous ne feriez point en état de partager.
Votre générofité me fournit ellemême
une nouvelle raifon de combattre
votre avis , & de m'en tenir à celui de
M. le Vicomte. Cette raifon ne feroit
pas un prétexte pour moi : mais elle seft
affez effentielle pour M. votre oncle :
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
peut être, qu'à votre retour , je ferai plus
digne de lui . Quelque peu d'eſpoir que
j'aye du côté de la maiſon , à laquelle j'ai
plûtôt le malheur que l'honneur d'appartenir
; je ne puis me défendre d'en avoir
beaucoup dans votre efprit infinuant , &
dans le crédit que vous vous êtes acquis
en Allemagne pendant le féjour que vous
y avez fait. Permettez nous donc , à l'un
& à l'autre , d'en attendre les effets. Je
fçais qu'il n'y aura jamais , entre le Vicomte
de T... & moi , cette égalité de
conditions qui pourroit juftifier aux yeux
du public le choix qu'il veut bien faire
de moi : mais ce choix lui- même ne peutil
pas devenir un nouveau motif pour le
chef de la maifon de mon pere , qui l'engage
à me rapprocher au moins par quelques
diftinctions de celle que vous & M.
votre oncle voulez bien m'accorder ? Ce
grand Prince,a eu lui -même ſes foibleffes:
& fes graces répandues fur ceux qui en
font iffus , fecondées à la vérité par un
mérite éclatant , les font déja marcher
de pair en France avec la plus haute nobleffe.
Si je defire , mon cher Comte ,
qu'un rayon de fes faveurs s'étende jufqu'à
moi , n'en accufez ni ma vanité ni
mon ambition : non feulement je ne le
defirerois point , mais j'y renoncerois , fi
JUIN. 1760. རྟེ ༡
>
cette faveur ne devoit pas m'aider à
mériter l'honneur de vous appartenir , &
me procurer la douceur de vivre auprès
de vous. Je me reproche même , mon
cher Comte , de m'être laiffée aller à
ces réfléxions de détail : en vérité , elles
ne m'intérefferoient guères & ne me fe
roient point échappées , fi la gloire de
M. le Vicomte ne m'étoit encore plus
chère que la mienne , qui encore une fois
me feroit à cet égard fort indifférente
fi elle n'avoit d'autre objet que moi-même.
Prenez donc , fi vous le jugez à propos
, que je ne vous aye rien dit : affûrément
, vous n'avez pas befoin d'inftructions
, & je n'ai pas prétendu vous en donner.
Je me fuis feulement fervie de toutes
mes armes pour combattre votre empreffement
à former des noeuds , qui me paroîtroient
, comme à M. votre oncle , indécemment
précipités dans les triftes circonftances
où nous fommes tous ; & qui
n'ajouteroient rien aux fentimens de la
plus tendre eftime, avec lefquels je ne cel
ferai jamais d'être ,
Votre Amie.
P. S. J'efpere , comme vous me l'avez
promis , mon cher Comte , que vous me
38 MERCURE DE FRANCE.
donnerez encore de vos nouvelles avang
votre départ. Je ne fçais fi je me trompe,
en imaginant que la route que vous de
vez prendre , vous fera néceffairement
paffer dans le voifinage de Jouare ; &
dans ce cas , j'ofe me flatter que vous
voudrez bien me facrifier une heure de
votre temps. Je n'ai pas beſoin de vous
dire, que ce feroit une grande confolation
pour moi. Permettez moi d'affurer , ici ,
Monfieur le Vicomte de mon refpect , &
de tout mon attachement. Il ne fçauroit
me fçavoir mauvais gré d'avoir combatr
eu vos fentimens, pour adopter ceux qu'il
m'a lui-même infpirés.
CINQUANTIEME LETTRE.
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
JEE vous l'ai promis , Mademoiſelle ;
& c'eft triftement que je m'acquitte de
ma promeffe , puifque c'eft pour vous
annoncer mon départ , qui va me priver
pour longtemps du bonheur de recevoir
de vos Lettres ; & plus triftement , encore
, parce que la néceffité de prendre
JUIN. 1760. 32
,
ma route par Bruxelles , me prive auffi
de la fatisfaction que j'aurois euë de vous
voir. C'eft la feule qui m'ait été ſenſible
depuis la cruelle époque de mes malheurs
, & d'eft l'efpérance d'en jouir
qui me les rend foutenables. J'aurois
bien defiré de m'en affurer , par l'accom
pliffement de nos projets : mais il faut
bien fe foumettre à vos décifions ; car
enfin , je n'ai pas eu feulement vos
réfléxions à combattre mais encore
celles de mon oncle , & fon aveugle foumiffion
pour vos moindres volontés. Au
furplus , Mademoiselle , quoique vous
paroiffiez perfuadée que je n'ai pas be
foin d'inftruction pour traiter avec le
Prince qui peut vous affurer votre état ,
Vous m'en donnez une qui ne me
feroit pas venue à l'efprit . Je ne puis
penfer que notre alliance ne fût un motif
affez confidérable , pour le déterminer
à vous reconnoître : cependant , je m'eh
fervirai s'il en eft befoin ; & je ne lui en
parlerai que comme d'une nouvelle grace
que nous ofons efpérer de fa bonté.
Je vous fuis fincerement obligé de m'en
avoir infpiré l'idée mais je ne croirai
jamais , que notre confidération puiffe déterminer
ce grand Prince à vous rendre
juftice. Vous la méritez, à d'autres titres ;
1
:
40 MERCURE DE FRANCE.
i
& qui doivent lui être affez recommandables
pour l'engager à vous protéger
fans aucun autre motif que celui de votre
naiffance , & des vertus qui vous en rendent
fi digne. Je n'oublierai pas la condition
de Madame votre mere , dont vous
avez négligé de me faire mention : c'eſt
une confidération , qui doit influer beau-
.coupfur les graces que vous avez à eſpérer
dece Prince ; & comme je fens qu'elle doit
vous rapprocher affez de lui pour vous
mettre dans le cas de ne pouvoir , dans
la fuite , difpofer de vous fans fon aveu;
N'avons-nous point à craindre qu'il ne
nous le refuſe ?.. mais , pourquoi prévoir
notre infortune , lorſqu'il s'agit de vous
faire rendre le rang qui vous eft dû ? Il
eft vrai que fi mon oncle & moi nous
ne confultions que nos intérêts particu
liers , nous devrions , peut-être , fouhaiter
vos véritables parens inexorables :
mais ce qui vous touche nous eft trop
cher , pour n'y pas facrifier nos efpérances.
Je ne vous parle point de vos parens
maternels ; j'efpere qu'ils fe repentiront
bientôt de leurs procedés à votre égard ;
& qu'ils feront , un jour , plus de baffeffes
Four avoir l'honneur de vous appartenir,
qu'ils n'en ont faites pour vous éloigner
d'eux. J'avois imaginé , qu'il feroit peutJUIN.
1760. 41
je pars
que
être à propos que vous écriviffiez vousmême
au Prince de S... ou au chef de
fa maifon. Mais le premier , eft fi entêté
de fa religion , que ce feroit vous expofer
à un refus ; & par rapport au fecond ,
muni de telles recommandations ,
en votre faveur , que mes démarches
auprès de lui feront fuffifament étayées.
Si cependant ce fecours me paroiffoit
néceffaire , j'aurois foin de vous le mander
lorfque je ferai fur les lieux : je regarde
une lettre de vous , comme un arme victorieufe
qu'il eft à propos de réferver
pour renverfer les derniers obftacles
je ne compte pas même rencontrer
dans ma négociation . C'est avec cet ef
poir , que je pars dans deux jours pour
Bruxelles ; il adoucit la douleur que je
porte au fond de mon coeur , & qui me
fuivra partout : il me fait fupporter celle
que j'ai de m'éloigner de vous & de mon
oncle , parce que j'imagine que mon abfence
doit avancer le bonheur de tout
ce qui me refte de cher au monde. Adieu ,
Mademoiſelle. Ne m'écrivez point , que
vous n'ayez reçu de mes nouvelles : je
fuis fi incertain des lieux où je féjournerai,
que je ne puis vous donner une adreffe
fûre , jufqu'à ce que je fois arrivé chez
mon beau-pere. Mon oncle me charge
41 MERCURE DE FRANCE.
•
de vous préſenter fes refpects. Adieu ',
encore une fois , Mademoiſelle ! fouver
nez-vous quelquefois de
Votre malheureux ami.
Quoique cette Lettre me fit entrevoi
les plus flatteufes efpérances , je ne pûs
la lire fans répandre des larmes . J'aurois
peine à dire quel en étoit le véritable ob
jet. Etoit - ce l'éloignement du Comte ?
étoit ce attendriffement fur moi- même?
c'eft ce que je ne me donnai pas le foin de
démêler. Et comme j'ai déjà prévenu mes
Lecteurs, que mon intention n'eft pas d'a
longer ces Mémoires par des détails inu
tiles au but que je me propofe , & peu
intéreffans ; je ne rapporterai point ici
les Lettres remplies de tendres atten
tions que j'ai reçues de M. le Vicomte de
T... ni les réponſes pleines de fentimens
de reconnoiffance que je lui adreffai
pendant l'abſence de fon neveu . Tout ce
que j'en puis dire , c'est que je m'accou
tumai, dès- lors , à ne plus faire de brouil
lons de mes Lettres , & à me difpenfer
de les copier , à moins qu'elles ne mérit
taffent d'être méditées ; ce qui ne m'eſt ,
je penfe , arrivé qu'une fois depuis le
départ du Comte de S. Fargeol jufqu'à
JUIN. 1760.
,
fon retour. Je vais donc abréger, en rendant
un compte fort fuccine de ce qui fe
palla entre nous pendant près de fix
mois que dura en effet fon abſence.
Il m'écrivit de tous les lieux où il fit quelquelejour
; & je remarquois avec plaifir ,
dans fes Lettres , que le temps & les frér
quentes distractions remettoient fon'
Ame dans une affiette plus tranquille, II
eft vrai , qu'en arrivant chez fon beaupere
, tous les fentimens de douleur &
de tendreffe fe réveillèrent dans fon
coeur à la vue des perfonnes auxquelles
la perte de Madame de S. Fargeol devoit
être fi douloureufe : mais leurs procédés
furent fi nobles , que fon âme fur obligée
de fe partager entre l'affliction & la
reconnoiffance. Le Comte avoit fait
quelques avantages à fa femme : fes parens
y renoncèrent généreulement ; &
dans la fuite , les agréables réceptions
qu'on lui fit dans toutes les Cours aut
fon efpéce d'exil l'avoit fait connoître ,
achevèrent de le rendre tout entier à fa
Raifon. Je ne dois pas obmettre , qu'il fie
de vains efforts pour engager le jeune
Wonholten, fon beau-frere, à le fuivre en
France. Ce jeune Cavalier avoit pris le
parti de fe faire recevoir dans l'ordre Teutonique
, & avoit déjà reçu ſa deſtination
44 MERCURE DE FRANCE
pour être admis au nombre des Novices
auprès d'un des grands Commandeurs de
l'Ordre . J'appris , fucceffivement , toutes
ces chofes par les lettres que je reçûs du
Comte ; & c'est tout ce qu'elles apprendroient
aux lecteurs , fi j'avois pû me réfoudre
à les publier pour groffir ce ve
lume.
Me voici parvenuë au moment le plus
intéreffant , pour moi , du voyage de M.
Je Comte de S. Fargeol. Il étoit arrivé à
la cour de S.... il y avoit été reçu avec
beaucoup de diftinction ; & y avoit déjà
fait quelque féjour , lorfqu'il m'écrivit la
lettre fuivante.
CINQUANTE-UNIÉME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
Il y a trois femaines , Mademoiſelle
ILY
que je fuis ici au milieu d'une cour bril-
·lante ; & plus perfécuté , que diverti , de
toutes les fêtes galantes auxquelles je fuis
obligé de prendre part . Je n'oferois vous
dire qu'elles m'ont été fouvent importunes,
puifqu'elles m'ont procuré plus d'une
occafion favorable de m'employer pour
JUIN. 1760. 45
votre fervice. Il s'en faut bien que j'aye
trouvé en mon chemin toutes les difficultés
que j'avois imaginé d'y rencontrer:
le Prince qui régne ici , eft fans contredit
un des plus grands & des plus généreux
Princes du monde . S'il avoit été plutôt
& mieux informé de vos infortunes,foyez
affurée qu'il les eût prévenues : vous partagez
déjà toute fon affection avec ceux
qui comme vous font nés de fon fang
dans des circonſtances pareilles à la vôtre.
Ce Souverain , fi digne de l'être , daigne
déjà vous adopter ; & vient d'écrire , de
fa propre main , les intentions au Prince
votre grand-pere, moins pour le confulter
que pour lui impofer la loi de les fuivre.
Il attend donc inoins fa réponſe pour fe
déterminer , que pour avoir un motif de
plus de le faire. Que j ai de plaifir , Mademoiſelle
, à vous apprendre d'avance
cette heureuſe nouvelle ! ... Je me flatte
qu'une plus ample confirmation , fuivra
dans peu de jours l'avis que j'ai l'honneur
de vous donner aujourd'hui . Il fera fans'
doute néceffaire que vous écriviez à ce
Prince . Mais je crois qu'il convient autant
que vous ne le faffiez qu'après avoir
reçû fes graces. Pardonnez - moi , fi je ne
vous dis rien de plus : je fuis obligé de me
rendre à la cour, dans une heure ; & je dois
46 MERCURE DE FRANCE.
faire
part à mon
oncle
d'une
nouvelle
qui lui fera fans
doute
autant
de plaifir
,
que j'en ai moi - même
à l'en informer
. Bon
jour
, Mademoifelle
: je ferai
, je croi,
bientôt
obligé
de dire , ma chere
Comtelle..
Voudrez
-vous
bien, alors, me reconnoître
, pour
Votre
ami?
Je reçûs, quelques jours après, les com
plimens de M. le Vicomte de T... je lui
répondis fur le même con que j'avois pris
en répondant à fon neveu ; & je l'aflurai ,
que j'étois flattée des grâces qu'on me
faifoit efpérer , c'étoit la main de quije
les tenois qui me les rendoit précieufes ,
& de fentir qu'il auroic moins à rougir
en acceptant déformais la mienne. Dix
jours après , je reçûs enfin , du Comte
de S. Fargeol , la lettre qui fuit,avant qu'il
eût pû recevoir celle que je lui avois
écrite.
CINQUANTE-DEUXIÉMÈ LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
V.OTRE fort est enfin décidé , Mademorfelle
; & je n'aurois jamais cru
JUIN. 1960. 47
être fufceptible d'une auffi grande joie
que celle dont je fuis pénétré ! .. Dans ce
moment , le chef de votre maiſon vient
de me remettre un diplôme, dans la forme
la plus autentique ; par lequel, du cónfentement
& de l'avis du Prince de S ....
votre grand-pere , vous êtes reconnue &
légitimée fille du Prince de S... fon fils ,
& de Madame la Baronne de V.... & en
cette qualité, créée Comteffe de Z ... avec
une penfion de deux mille florins d'Allemagne
, & la permiffion de prendre &
de porter déformais le nom & les armes
de la Maiſon de S... Cette grâce , que les
circonftances n'ont pas permis de rendre
auffi étenduë que vous le méritez, eſt encore
fuivie d'une autre à laquelle nous
devons , mon oncle & moi , prendre plus
de part que vous , fi , comme je le penſe,
vos fentimens ne changent point à notre
égard. C'eſt un pouvoir auffi , bien autentique
, donné par le Prince de S... fous
l'autorité du chef de fa maiſon , adrefféà
M. l'Envoyé de... de confentir , en leurs
noms , à votre mariage avec tel Cavalier
François que ce Miniftre jugera digne de
leur alliance . Vous ne doutez point , Mademoiselle,
que ces faveurs telles qu'elles
font , dont je me fuis chargé de vous rendre
compte , & dont j'informe auffi mon
48 MERCURE DE FRANCE.
oncle , ne vous obligent à écrire à ces
deux Princes , pour leur marquer votre
profonde & tendre reconnoiffance . Vous
pouvez m'adreffer ici vos letties : je les y
attendrai ; me faifant un honneur bien
fenfible de les rendre moi - même . Je vous
confeille de ne point prendre encore
d'autre titre & d'autre nom que celui
que vous avez porté jufqu'ici ; à moins
que M. l'Envoyé.... ne vous eût déja
notifié la décifion des Princes fes commettans
, lorfque vous leur écrirez : ce
que je ne crois pas poffible. puifque
j'ufe de la plus grande diligence pour
être le premier à vous en informer.
Je ne resterai dans cette Cour , après
avoir exécuté vos ordres , que le
temps qui me fera préfcrit par une
forte de décence , & par les égards que
je dois à un Prince des bontés duquel
je fuis confus & comblé , mon deffein
étant de me rendre en France avant l'expiration
de mon congé. Je ne fçai lequel
m'en preffe le plus , ou de mon devoir ,
ou du plaifir que je me fais d'avance de
vous revoir , & de ferrer les noeuds qui
doivent vous affurer pour jamais de mon
refpect , & de mon tendre attachement.
Heft certain,du moins , que quelque chofe
que vous & Monfieur l'Envoyé vous en
puiffiez
y
JUIN. 1760. 49
puiffiez décider , je vivrai & mourrai
finon votre neveù , certainement
Votre tendre & fidéle ami.
+
On ne fauroit douter de la joye pure
& fenfible que j'éprouvai à la lecture de
cette lettre , non plus que de l'empreffement
que j'eus d'y répondre , & de remplir
les vues de mon cher bienfaiteur ,
en lui adreflant les actions de graces
que je devois aux deux grands Princes
qui daignoient me reconnoître pour être
de leur fang. Mais avant de rapporter
ces lettres , je pense que c'eft ici le
lieu de placer le favorable diplôme qui
a décidé de ma deftinée ; & le voici tel
que M. le Comte de S. Fargeol me le remit
à fon retour à Saverne , où j'avois
été conduite de mon couvent par fla
Princeffe de M ... que je ne quittai plus
depuis ; & avec laquelle je vis pour la
premiere fois la Ville de Paris , où je la
fuivis. Le fouvenir de fes bontés m'arrache
cette courte digreffion , après laquelle
je reviens à mon diplôme & à mes lettres
qui le fuivent....
Na. Ily a encore ici une lacune affez confidérable
dans le Manufcrit , par lafouftraction
de plufieurs feuillets qui paro.f
C
Jo MERCURE DE FRANCE,
fent en avoir été coupés . Il faut fuppofer
que Mademoiſelle de Gondreville ,
étoit alors , comme elle vient de le dire ,
chez Madame la Princeffe de M... à
Paris ; & que les affaires defon mariage
avec M. le Vicomte de T... étoient déjà
bien avancées.
Je ne puis me refufer d'avouer , ici ,
que fi pendant notre voyage à Verfailles
, ma curiofité fut bien fatisfaite de
toute la magnificence qui s'y réuniffoit
pour orner la Cour du plus jeune & da
plus aimable des Rois , ma vanité ne
le fut guères moins de la confidération
que m'attiroient les bontés de Madame
la Princeffe de M... & les géné
reufes attentions de M. le Cardinal de
Rohan. Mais ce ſecret plaifir étoit empoifonné
par le changement que je
voyois arriver de jour en jour dans l'état
& même dans l'humeur de M. le
Comte de S. Fargeol : il fembloit que
plus le terme de fon deuil approchoir ,
plus la trifteffe reprenoit de droits fur
fon âme je furpris même quelquefois
des larmes prêtes à s'échapper malgré
lui de fes yeux. J'en étois vivement
allarmée ; & j'en devenois moins fenfible
aux empreffemens de M. le Vicom-
*
JUIN. 1760 . 51
te de T... à mesure que je voyois arriver
le temps auquel je devois couronner
fa conftance . Il l'avoit indiqué luimême
; & nous y touchions. L'année
du deuil de M. le Comte de S. Fargeol ,
étant enfin expirée ; le Vicomte qui ,
comme je l'ai fçu depuis , avoit eu de
fréquens
entretiens avec M. l'Envoyé
de ... propofa de s'affembler avec lui
chez Madame la Princeffe de M... pour
figner les articles
préliminaires de notre
mariage. M. de S. Fargeol & moi , nous
étions préfens , lorfque cette propofition
fut faite par le Vicomte à Madame
la Princelle ma généreufe
protectrice.
Elle nous fit l'honneur de nous deman
der , fi nous l'approuvions ? Je lui répondis
, avec un peu d'émotion , que je
n'avois point d'autre volonté que la
fienne ; & le Comte l'affura , qu'il ne
defiroit rien tant que tout ce qui pou
voit accélérer la conclufion de cette affaire
mais qu'il croyoit devoir fe difpenfer
de fe trouver à cette aſſemblée.
Le Vicomte prit feu , & combattit toutes
les prétendues raifons de fon neveu.
Songez , lui dit - il , Monfieur , qu'en
cette occafion , c'est vous qui difpofez
de moi ; & que je ne puis tenir d'une
autre main que de la vôtre un bien
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
"
auquel je n'aurois jamais ofé prétendre ,
fans le titre que vous m'y avez donné
vous même.
Il fuffit , mon oncle , répondit le
Comte , avec la larme à l'oeil : je vous
obéirai. Vous le voyez , continua t- il ,
en fe tournant vers moi , on n'épargne
rien à ma douleur !
Je fus fi pénétrée de ce peu de mots ,
qu'il m'échappa des pleurs qu'il me fut
impoffible de cacher. Le Vicomte fembloit
s'applaudir de l'état où il venoit
de nous réduire ; & je l'accufai, en fecret ,
de trop de cruauté. Que je pénétrois
mal dans le fond de fon âme !
Le furlendemain de cette entrevue ,
étoit le jour indiqué pour l'affemblée
de parens & amis , qui devoit fixer enfin
ma deftinée . Madame la Princeffe de
M.. , avoit elle- même pris foin de ma
parure , & n'y avoit rien oublié : mais
elle n'avoit pû parvenir à me donner
une contenance bien affurée. J'en perdis
encore beaucoup , lorfqu'on introduifit
les Notaires dans la Sale où nous
étions alors . M. l'Envoyé , comme reprefentant
les Princes dont il étoit Miniftre
en cette occafion , après avoir fait leṣ
complimens ordinaires à la Princeffe &
JUIN. 1766. $3
à la compagnie , s'adreffa à M. le Comté
de S. Fargeol , & lui dit :
Monfieur , comme vous n'avez point
paru dans les diverfes conférences que
J'ai eues avec M. le Vicomte de T ...
pour la rédaction des articles qu'on va
vous lire ; je crois qu'il eft de mon devoir
de vous demander , au nom des Princes
dont j'ai le pouvoir , fi c'eft de votre
confentement que ces articles ont été
dreffés ? Si vous en avez la connoiffance ?
Et fi vous les approuvez ?
Oui , Monfieur , je les approuve ,
répondit le Comte ; & je n'ai befoin
ni de les connoître , ni de les entendre
pour les approuver: je demanderai feulement,
qu'on y ajoute l'affurance de tous
mes biens , en propriété , aux enfans à
naître du mariage projette , & la jouiffance
de ces mêmes biens à Mlle de S...
Comteffe de Z.... pendant fa vie , fi
le cas arrivoit qu'elle demeurât veuve
& fans pofterité iffue du préfent mariage.
Je connois trop , mon cher neveu ,
dit à fon tour le Vicomte , & la nobleffe
de vos fentimens & les difpofitions
de votre coeur , pour avoir rien
négligé de ce qui peut les mettre dans
tout leur jour j'exigerai cependant de
·
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
vous , que vous me promettiez , fur
votre honneur , de confentir fans aucu
ne oppofition aux avantages particuliers
que j'ai cru pouvoir ménager pour moi
même dans une affaire auffi intéreſſante
pour mon bonheur ; & j'ofe demander la
même promeffe à Mademoiſelle , conti
nua - t - il , en s'adreffant à moi. Nous
promînes tout , le Comte & moi , fans
favoir à quoi nous nous engagions : mais
j'eus bientôt lieu de m'applaudir de ma
complaifance. En effet , dès qu'on euţ
commencé la lecture des articles , un
applaudiffement général me défilla les
yeux fur la générofité du Vicomte ; &
je compris , avec moins de honte que de
plaifir , que je m'étois jufqu'alors trom
pée aux empreffemens qu'il m'avoit fait
paroître ; & que c'étoit à M. de S. Far
geol , qu'en fecret , il m'avoit toujours
deftinée. Mon premier mouvement fut
de jetter les yeux fur un ami fi rendre !
Je le vis , le vifage couvert de fes deux
mains , & dans l'attitude d'un homme
qu'un reproche déshonorant auroit.couvert
de honte. J'en fus allarmée ; le
Vicomte ne le fut pas moins : il impofa
filence au Lecteur , que l'approbation tu
multucufe de l'allemblée venoit d'inter
rompre ; & s'adreffant à fon neveu :
JUIN. 1760. 55
Mon cher Comte , lui dieil , les chofes
ne font point encore affez avancées ,
pour qu'il ne vous foit pas permis d'appeller
des promeffes que vous venez de
faire à deux grands Princes dans la perfonne
de fon Excellence , & du ferment
que j'ai reçû de vous en préſence de tant
de perfonnes refpectables.
Hélas , mon cher oncle ! que puis - je
vous dire en l'état où je fuis ? reprit
le Comte en fe précipitant à fes genoux
: vous avez mieux connu mon coeur ,
que je ne l'ai connu moi-même.
J'étois affife à côté du Vicomte. Il
me prit la main ; & me dit , en me la
ferrant :
3
Et vous , Mademoiſelle : parlez : m'eſtil
permis de ni'affurer encore fur la parole
que vous venez de ne donner ?
Vous le pouvez , Monfieur , lui dis -je ,
d'une voix tremblante : à quelque titre
que je doive vous appartenir , ne doutez
point que je n'en faffe mon bonheur &
= ma gloire : l'amitié qui diſpoſe de mɔi, ſe
partage également entre vous & M. le
Comte. Mais vous le fçavez , Monfieur ;
les fentimens que j'ai pris pour lui , ont
précédé dans mon coeur ceux que vous y
avez fait naître , & que vous me forcez
plus que jamais de prendre aujourd'hui
pour vous.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Tandis que je parlois , les yeux baillés ,
j'apperçus toujours ceux du Comte de S.
Fargeol fixés fur les miens ; mais le Vicomte,
fe levant précipitamment, lui fit prendre
fa place auprès de moi. Un nouvel
applaudiffement , plus vif encore que le
premier , fuivi des complimens de toute
l'affemblée qu'il nous fallut effuyer en
tougiffant l'un & l'autre , fervit de pré-
Jade à la reprife des articles. Le Vicomte
y difpofoit de fon bien d'une façon tout
auffi avantageule pour moi que fon ne
veu l'avoit voulu faire du fien. L'avantàge
qu'il nous avoit dit vouloir fe réferver
, n'étoit autre que celui de vivre déformais
avec nous , & de ne s'en féparer
jamais . Ces articles furent fignés de toutes
les perfonnes préfentes ; & cette fignature
fut fuivie d'un grand fouper que
la Princeffe de M. donna à toute la compagnie.
Je paffe fous filence tout ce qui
fe paffa depuis pour les arrangemens
prendre , les préparatifs à faire , les em
plettes , les préfens , jufqu'au moment
de la célébration de notre mariage : il
me fuffit de dire , que tout fe fit avec autant
de célérité que de magnificence ; &
furtout de la part des Princes de S... qui
me firent remettre par M. l'Envoyé de...
une garniture de pierreries des plus com-
-4
JUIN. 1760. $7
1
1
plettes & des plus riches . Pendant que
ce Miniftre & le Vicomte fe donnoient
tous les foins néceffaires pour achever
notre bonheur , je voyois tous les jours
le Comte avec un nouveau plaifir; & fi je
n'eus pas de peine à m'appercevoir , & à
convenir, que les premiers fentimens que
j'avois eus pour lui , lorfque je l'avois vû
pour la premiere fois à Saverne, n'avoient
point changé;le Comte fut fouvent obligé
d'avouer lui-même, qu'il avoit été trompé
par fon amitié. Ce fut dans ces entretiens ,
qu'il m'apprit deux chofes , qu'il jura
qu'il ne m'auroit jamais dites , & fon
oncle eût eu , comme il le croyoit , le
deffein de m'époufer. La premiere , que
les Princes qui avoient daigné me re
connoître , s'étoient perfuadés que c'étoit
pour lui- même qu'il follicitoit cette grace
en ma faveur ; qu'il n'avoit ofé les en
défabufer ; & qu'il avoit enfin appris , de
l'Envoyé de... que fes inftructions étoient
conformes à cette idée. La feconde , que
depuis fon retour en France , il avoit fouvent
gémi, en particulier,des engagemens
qu'il avoit forcé fon oncle de prendre
avec moi ; que la honte de me paroître
inconftant , avec un mouvement de
jaloufie dont il n'avoit pu fe défendre ,
avoient empoifonné fes jours depuis fon
C v
18 MERCURE DE FRANCE.
retour en France , & que j'avois dû m'ap
percevoir ( comme je l'avois fait en effet, )
d'un changement trop vifible dans fon
humeur & dans fon caractère . De pareils
aveux , n'étoient pas faits pour me déplaire:
auffi m'attachèrent- ils plus que jamais
à M. le Comte de S. Fargeol. Je fçavois ,
par ma propre expérience , que les plus
grandes douleurs ont leur terme ; & je ne
me fis plus un monftre de l'amour d'un
homme que j'aimois moi même , dans le
temps que je croyo's n'avoir en lui qu'un
ami Enfin le jour qui devoit mettre le
comble à mon bonheur arriva ; & la cé
rémonie fe fit, avec prèfque autant d'éclat
que fi j'euffe été ce que le fort ne m'avoit
pas permis d'être.
FIN.
O
EPITRE A CLARICE.
TO1 , qui fi ſouvent m'as engagé ta foi !
Si fouvent , m'as juré l'amour le plus durable !
Toi , qui connois la force inaltérable
Des tendres noeuds qui m'attachent à toi :
Tu ne viendras donc point , infenfible Clarice,
Confoler un ami malade & languiffant,
JUIN. 1760. $9
Qui brûlé nuit & jour par un feu dévorant ,
N'a
pour toute refſource , en ce cruel fupplice , -
Que l'ennuyeux & vain fervice
D'un domestique négligent ?
Quoi ! peux-tu fouffrir qu'il périffe ,
Sans daigner le voir un inſtant ?
Quoi depuis quatre mois , d'une douleur morselle
,
N'avoir pu feulement facrifier deux jours ,
Pour venir offrir du fecours
A qui n'en defiroit que de ta main fidelle ,
De celles de l'eftime , & des tendres Amours ?
Ciel ! devois-je m'attendre à tant d'indifférence ?
Qu'eût pû faire de plus l'implacable vengeance ?
Et que dois je penſer d'un coeur ,
Dont ni mon état , ni l'abfence.
N'ont pû réchauffer la froideur ? ..
N'eſpére pas encor me féduire
Par de vaines raiſons que je ne puis goûter :
Epargne-toi le foin de les déduire ;
Je les préviens : d'un mot , je vais les réfuter.
Quiconque par l'Amour veut fe laiffer conduire ,
Ne connoît point d'obftacle, & fait tout furmonter.
S'il eft des loix , qu'il doive reſpecter ;
Fidèle aux voeux de la Sagèlle ,
Il fçait les remplir , fans heurrer
Les droits facrés de la tendrèfle.
Mais rien ne peut t'excufer ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
D'un crime dont mon coeur a droit de t'accufer,
Moins à titre d'amour encor que de juftice;
Tu n'as fait , ingrate Clarice , -
Quels que foient tes nouveaux projets ,
Que mieux fervir mes intérêts.
Ton âme ingrate & nonchalante ,
A produit fur mon coeur l'effet le plus heureux
M'a délivré d'un mal , cent fois plus dangereux
Que la fièvre qui me tourmente...
Du penchant aveugle & honteux,
Que j'avois pour une inconſtante.
Par un Abonné au Mercure
UN VIEILLARD ,
A SES COMPATRIOTES,
SANG
HEROID E. '
ANG de la Nation , dont une Colonie
Fut jadis , fous Brennus , l'effroi de l'Aufonie ;
Er , de Rome , laiffant tous les Palais déferts ,
La châtia d'avance , & vengeoit l'Univers :
Non moins digne héritier du courage héroïque ,
Qui dérol a l'Europe aux fureurs de l'Afrique ,
Quand le Maure fuivi de fes noirs bataillons ,
Dans les plaines de Tours , tendit fes pavillons :
Nobles Concitoyens ! écoutez - moi degrâce
De mes derniers foleils , le lever me menace;
JUIN. 1760.
Agréez , prêt d'aller rejoindre vos Ayeux ,
Qu'un zèle encourageant le mêle à mes adieux.
Puiffé - je être inspiré , comme le fut Tyrthée !
Puiffe , par mes accords , la valeur excitée ,
Faire taire à jamais ces Frondeurs indécens ,
Qui, pour l'Ennemi feul, brûlent tout leur encens
FRANÇOIS, fi de tous tems la jaloufeAngleterre
Refpira contre vous les horreurs de la guèrre ;
Ce grand acharnement doit peu vous étonner.
Un renom bien acquis, fe peut - il pardonner ?
Vous flatiez -vous de voir,dans une paix profonde,
Le vôtre , impunément , voler au bout du monde?
Et qu'un Peuple orgueilleux , qui veut tout effacer ,
Tranquille en fon dépit , fe vèrroit éclipfer ?
Vous devez bien penfer que votre caractère
Enjoué , fociable , infinuant , fincère ,
Forme , approché du fien , un contraſte parfait ,
Dont il ne fent que trop l'humiliant effet.
Plus d'une autre vertu vous diftingue , & le bleſſe,
A la bravoure , aux moeurs , joignant la politeſſe ,
Victorieux fans fafte , & pleins d'humanité ,
Conftans dans les revers , jufques à la gaîté...
Bel excès , gaîté noble ; & tel ofe en médire ,
Qui , tout bas,la fouhaite , & malgré lui , l'admire ,
Comme le trait qui peint, & qui marque le mieux
La grande âme au - deffus du fort injurieux.
N'avoit pas fçû fixer le fort léger des armes ,
Eft- ce donc un fujet de trifteffe & d'allarmes ?
62 MERCURE DE FRANCE.
Vos foldats , en tombant, font morts au lit d'hon
rear.
Où la honte n'eſt point , eft-il un vrai malheur ?
Le frere envie , alors , le trépas de fon frere.
Après une défaite , à Sparte , ainfi la Mere
Remercioit le Ciel des fils qu'elle perdoit;
Et pleuroit feulement , fur ceux qu'il lui rendoit.
De quelque côté donc , qu'ait panché la victoire¿
Vous l'avez , ou gagnée , ou perdue avec gloire,
Vous manquâres , felon vos différens fuccès ,
Quelquefois , d'envieux , d'admirateurs , jamais.
Pour en convaincre, ouvrons les faſtes de nos peress
Et levons le rideau des temps les plus contraires.
De vos fameux revers , j'en rappellerai trois ,
Que par trop de courage , efluyèrent vos Rois.
Sur les bords Affriquains , LOUIS laiſſant la vie ;
JEAN , priſonnier à Londre ; & VALOIS, à Pavie.
Sur vous , le fort , alors , épuiſoit fa rigueur :
Mais pas un de les traits , éffleura- t- il l'honneur ?.
Non;votre gloire même en tire un nouveau luſtre,
L'Egypte offrit le fceptre à ſon Captif illuſtre ;
Du ſien , le.Prince Anglois, n'oſa marcher l'égal ;
Ni fortir, devant lui , du refpect d'un Vaffal.
De Valois , à Madrid , la priſon fut plus dure.
Mais libre , il en oublie & l'horreur & l'injure ;
Ou plutôt , fignalant fa franchife & fa foi,
Libre , il fçait s'en venger , & s'en venger en Roi,
A travers les Etats , CHARLE implore unpallage.
JUIN. 1760. 63
Pour l'accueillir, en Prince, il met tout en ufage ;
Comble fon Ennemi d'honneurs inespérés ,
Et l'inftruit des devoirs qu'il avoit ignorés.
C'eſt que , dans vos grands coeurs ouverts à la
clémence ,
Le même inftant voit naître & mourir la vengeance
:
Vous y volez , au cri de l'honneur offenfé ;
Et relevez foudain l'ennemi terraflé .
Que nous prouvent enfin ces coups de la Fortunes
Du Prince & des Sujets la valeur peu commune :
Que l'un s'offre aux dangers , en Roi digne de vous:
Sujets dignes de lui , que vous l'y fuivez tous.
Les BOURBONS ont paru , qui , toujours invincibles
,
Loin d'éprouver jamais de ces coups fi terribles ,
De leur Cour triomphante , ont fait plus d'une
fois ,
Le Spectacle , l'Ecole & l'afyle des Rois.
Mettez donc en oubli , d'anciennes diſgraces ,
Dont mille heureux fuccès ont éffacé les traces :
Les plus belles forêts , enferment des buiffons .
Et l'herbe croît au ſein des plus riches moiſſons.
A quelques jours de deuil,femés dans votre hiftoire
,
Oppoſez tant de jours de triomphe & de gloire.
Bovines, Marignan , Cerizoles , Rocroi ,
Les Dunes , Denain , Lens , Fleurus , & Fen
tenoi's
64 MERCURE DE FRANCE.
Théâtres renomés, Champs de Mars, où la France,
De fes rivaux jaloux rabaiffant l'infolence ,
Vit fes lauriers nombreux s'élever fur les leurs ,
Comme le Lys fuperbe entre les autres fleurs.
Et , fans vous en tenir à la vertu guèrrière ;
Ser vos Contemporains , en quel autre carrière
N'avez-vous pas encor hautement remporté
Les prix dont s'honoroit la feule Antiquité ?
N'avez-vous pas , comme elle , aux palmes de
Bellone ,
Sçû joindre , des beaux Arts l'olive & la couronne
?
En Tribune , en Lycée , .en Théâtre , en Palais
Dans Paris feul , on trouve Athène & Rome en
paix.
Marchez donc , affûrés de la faveur céleste ,
FRANÇOIS! Et loin de vous, tout préjugé funefte!
Riez de l'Afcendant qu'en armes , qu'en fçavoir,
Que fur vous , en tout genre , Albion croit avoir :
Erreur dont , parmi vous , fes lâches émiffaires
S'effor cent d'infecter quelques ames vulgaires;
Fantômes , fous vos yeux , diffipés dès longtemps;
Bucentaurés de loin , de près bâtons flottans.
Connoillez mieux l'Anglois ; & fentez qui vous
êtes.
Fier d'avoir étendu ces fortes de conquêtes ,
Qu'entreprend la valeur , moins que la foif du
gain ,
1
JUIN. 1760. 65
Il fe peint fur vos mers , le trident à la main :
La vôtre, à meilleur titre, eut la foudre en partage.
Tel fut le bras puiſſant qui renverſa Carthage :
La Fortune rioit à fa cupidité ;
Elle étoit ce que Tyr avoit jadis été ;
Des tréfors amaffés à la faveur de l'Onde ,
Lui parurent un droit à l'Empire du Monde ;
Elle arma follement , pour en dépofféder
Un Peuple belliqueux peu fait pour le céder.
Que de l'Ambition rejettant les amorces ,
Ne connutt-
elle mieux & fa fphère & fes forces ?
Habile commercante , elle accrut , s'aggrandit ;
Guerrière malhabile , elle fe détruifit .
Pourrez - vous moins que Rome, ô vous quila vainquites?
Matchez, dis je; & fèrrez Londres dans les limites.
Mais , à des chefs experts , confiez vos drapeaux :
Tous vos foldats , dès- lors , fout autant de Héros.
Sagement commandés, l'Europe aina les nomme.
MAURICE le difoit : croyons- en ce grand homme :
Qu'ai-jefait , que ne fit avec même fuccès ,
Tout autre , ainfi que moi , fuivi par des Français ?
Sans la tête en effet , fans ce premier mobile ,
Du plus robufte bras la force eft inutile .
L'Aigle que refpectoient les caprices du fort ,
Confiée à Varus , fut la fable du Nord.
Mais bientôt, déposée en des mains dignes d'elle ,
L'Aigle reprit l'éclat de fa gloire immortelle.
66 MERCURE DE FRANCE.
Il eft , pour vous venger d'Hanovre & d'Albion ,
Plus d'un Germanicus , & plus d'un Scipion :
Le fang de LUXEMBOURG , de CONDÉ , de Tu-
RENE ,
Exifte , coule encor , boût dans plus d'une veine ;.
Choififfez. Ou plutôt , avec fécurité ,
Laillez agir pour vous la pleine autorité.
Sur le front des bons Rois , la Sagèffe fuprême
Jamais ne mit en vain le facré diadême :
Repofez-vous fur elle ; & reffouvenez-vous
Des champs de Fontenoi , de Laufeld & Rocoux.
LOUIS , pour fon Second, y choififfant MAURICE
Favorifé du Ciel , vous le rendit propice ;
Et là , de fa préſence animant nos Guèrriers ,
Fit oublier Hochtet , Azincourt , & Poitiers.
Par M. P******
LES TALENS DE L'ESPRIT,
POEME.
TROISIEME CHANT.
LE BERGER qui voit périr les Brebis
qu'il cherit le plus , par le fuc d'une her
be empoisonnée ; le Laboureur qui voit
ravager par une grêle affreufe l'efpérance
JUIN. 1760. 67
d'une moiffon abondante , font moins
vivement & moins triftement pénétrés
que ne le fut Apollon , en voyant détruire
fon plus cher ouvrage par les coups
de l'Ignorance & de l'Envie. Elles s'applaudifojent
de leurs fuccès, & feflattoient
de les éternifer dans le monde , en y perpétuant
les abus qu'elles avoient trouvé
le moyen d'y répandre .... Infortunés
Mortels ! ( s'écria le Dieu des Arts , ) vous
abandonnerai- je à de fi dangereufes illufions
? Et permettrai-je, que vous en foyez
les Victimes ? ., Non ! Vous êtes moins
coupables que malheureux ; & ne fuis - je
pas , d'ailleurs , le premier auteur de votre
infortune ? J'ai dédaigné le fecours de Minerve
; & le deftin m'en a puni . La fagèfle
pouvoit feule vous garantir de la féduction
: les difpofitions du coeur , influeront
toujours fur les opérations de l'efprit.
Epurons leurs fentimens ; affermions les
dans l'amour de la vertu ; & les bonnes
moeurs mettront les Talens en fureté.
Il est plus grand de convenir de fes
erreurs , que de ne s'être jamais trompé.
Apollon , défabufé par l'expérience , ne
balance point à rechercher les fecours de
Minerve qu'il avoit d'abord dédaignés : Minerve,
à fon tour, fupprime les reproches ,
pour ne fonger qu'à bien faire : les gran
63 MERCURE DE FRANCE.
des âmes font au- deffus des petites difcuffions
; & facrifient , fans peine , au bien
public leurs reſſentimens particuliers .
Les Talens étoient plongés dans une
profonde léthargie , fuite de l'yvreffe qu'ils
avoient éprouvée : Minerve les ouche de
fon Egide, & fait ceffer à la fois leur
fommeil & leur funefte enchantement,
Elle les dégage des chaînes dont on les
avoit chargés ; & les rend à toute la no
bleffe de leur origine , à toute la pu
reté de leur véritable deftination . Renaiffez
, leur dit- elle , pour être agréable aux
Dieux , utile à la Patrie, & glorieux à vousmêmes.
A peine la Déeffe a-t- elle manifefté fa
vlonté,que les Talens reprennent auprès
d'Apollon leurs fonctions & leurs places
Toute la nature applaudit à cet heureux
changement. Le plus beau jour fit difpa
roître les ténébres dont les Talens de
PEſprit avoient été foudain enveloppés :
ils ne refpirèrent plus qu'un air pur & fe
rein , qui diffipa les vapeurs contagieufes
dont leurs ennemis les avoient environ
nés. La profpérité des Talens , fut le fupplice
de l'Envie ; & Ignorance trouva
fon châtiment dans les progrès des Scien
ces & des beaux Arts . L'Îrreligion & l'Obf.
cénité g- furent bannies fans réſerve , &
JUIN. 1760.
69
précipitées fans retour dans les gouffres du
Tartare. La Satyre obtint de refter : mais
fous la condition expreffe de changer fes
Dards pour un Flambeau ; & de n'être
plus, à l'avenir , qu'une Critique éclairée ,
judicieuſe & modérée , qui s'attacheroit
uniquement aux Talens , & non à la Perfonne
, qui refpecteroit les Auteurs , en
relevant les défauts de leurs Ouvrages ;
& qui s'appliqueroit enfin à les perfectionner
par la jufteffe de fes obfervations,
plutôt qu'à les tourner en ridicule par,
la malignité de les remarques.
Des Loix fi raifonnables donnent foudain
un nouveau luftre aux Talens réhabilités
; & les font rentrer glorieufement
dans les emplois qui leur étoient
deftinés. Tout enfin reprend fur le Par
naffe une face nouvelle , & les Talens.
deviennent la gloire & les délices de
l'Univers.
La Pocfie , déguife les oracles de la Sa-,
geffe & de la Vérité fous le voile ingénieux
de la fiction & des images agréables
; le vrai, l'accompagne toujours : mais
l'imagination l'embellit & le montre aux ,
morrels fous différentes formes qui reçoivent
toutes un nouveau prix de l'ai-,.
mable variété qui les décore. Tantôt, dans,
un Poëme héroïque , tableau d'une action
70 MERCURE DE FRANCE.
grande & inftructive ; tantôt, par la repréfentation
plus frappante encore de l'action
même renouvellée fur un Théatre
élevé par la magnificence , orné par le goût,
gardé par la pudeur & par la circonf
pection. Là , fous les traits auguftes de la
majeftueufe Metpomène ; ici , fous l'élégant
& riant badinage de Thalie. Quelquefois
auffi dans le récit ingénu d'une
Fable , où , fous les agrémens de l'Apologue
, les animaux & les plantes inftrui
fent les hommes , & les forment en badinant
aux devoirs les plus éffentielsde
la fociété.
L'Eloquence prend la défenfe de l'innocence
opprimée , & s'élève courageufement
contre le crime audacieux &
triomphant : elle ne parle plus que pour
décrier le Vice & faire l'éloge de la Ver
tu: elle harangue les morrels , les artache
, les émeut , les perfuade ; & parvient
à les rendre plus fages & plus heureux.
L'Hiftoire , qui diffipe l'Ignorance des
Nations , & qui dit fièrement aux Rois
la vérité , dégagée des lâches flatteries ,
& des odieufes partialités , ne s'occupe
plus qu'à tranfmettre à la postérité les
exemples qu'elle doit fuir , & ceux qu'elle
doit imiter.
D'autres Écrivains, interprétent & font
JUIN. 1760. 71
revivre dans la langue de leur Pays les
productions d'une langue étrangère , ou
qui n'eft plus : Art d'autant plus difficile ,
que pour rendre les mots , il faut con-
Hoître à fond les idées juftes que l'on y
attache : Talent , d'autant plus eftimable ,
qu'il faut , pour le bien fuivre , renoncer
aux enchantemens de l'Imagination .
Tout enfin fe reffent , dans l'empire
d'Apollon , de la préſence de Minerve ,
& de l'heureux changement qu'elle vient
d'opérer. Et pour réparer encore plus folemnellement
la fatalité paffagère par laquelle
les Talens avoient été divifés ,
l'Eftime & la Concorde les lient d'une
chaîne de lauriers entrelaffés de fleurs.
QUATRIÈME CHANT.
QUEE l'orgueilleufe Grandeur , le Sçayour
pédantefque , la Vertu fauvage & la
dédaigneufe Opulence , trop peu intelligentes
pour connoître le prix des productions
du Goût , de l'Efprit & de l'Imagination
; ou trop vaines , pour leur
rendre juftice , ne penfent pas que les
Dieux foient indifférens fur ce qui intéreffe
les Talens & les Beaux- Arts ! ...
Jupiter même , affis fur le trône immortel
72 MERCURE DE FRANCE..
auquel les trônes de la Terre ne fervent
que de marchepieds , ne dédaigna pas
de prendre part à la naiſſance des Talens
, à leur chûte , à leur rétablissement :
il voulut que leur régne ne fe bornât
point au fiécle qui les avoit vû naître ; &
les trouva dignes d'être perpétués & per
fectionnés pour la Poftérité.
Apollon fe chargea de leur avance
ment. L'Olympe affemblé lut , dans les
faftes de l'avenir , la gloire & les progrès
des Talens , dans Athènes , dans Rome ,
& chez les François . On les vit auffi fleurir
dans l'agréable Italie , & chez la fière
Albion , où les reffentimens de la guèrre
n'ont jamais dû nous les faire méconnoî
tre heureux ! fi les habitans de cette fle
célèbre , dignes objets de notre eftime ,
daignoient auffi le devenir de notre amitié
; & fi nous n'étions rivaux que fur les
Talens & les Beaux-Arts .
Découvrons , ( dit Apollon ) révélons
aux Mortels , qui voyent en ce moment
les Talens encore au berceau , jufques à
quel degré de perfection , de gloire &
d'aggrandiffement , s'éléveront ces objets
de leurs recherches & de leur application.
Quels Génies fublimes la Grèce offre
t - elle à mes regards ! ... Homère , dans
un Poëme dont les beautés feront toutes
JUIN. 1760 . 73
à l'Auteur , & dont les défauts ne feront
mis que fur le compte de fon fiécle , étonnera
, charmera , inftruira fes Contemporains
& leurs fucceffeurs : Efchile , Sophocle
, Euripide , dans la Tragédie ; Ménandre
, Ariftophane , ſur la Scène Comique
; Pindare , dans les Odes ; Anacréon ,
dans fes Chanfons ; Théocrite , pour les
Dialogues champêtres ; Démosthène , au
Barreau ; Thucydide & Xénophon , dans
l'Hiftoire
, partageront entr'eux les
fuffrages des fiécles à venir , après avoir
fait l'ornement & les plaifirs du leur.Tous
feront, par leurs ouvrages, l'éloge des Talens
qu'ils auront perfectionnés : d'autant
plus glorieux , fans doute , de fervir par
la fuite de modéles , qu'ils n'en auront
point trouvé chez leurs Prédéceffeurs.
Et toi , fameufe rivale de l'Attique , ô
Rome ! dont les talens & les conquêtes
étendront fi loin la gloire & les fuccès ;
tu verras briller avec complaifance Virgile
, qui ne connoîtra qu'Homère pour
égal dans l'art de l'invention ; & qui n'en
aura point dans le talent enchanteur de
la Poefie de ftyle ; tu ne vanteras pas moins,
dans une autre carrière , Horace le premier
des Poëtes Lyriques ; & vous Aụ-
teurs charmans , d'un comique aimable
& fenfé , Plaute & Térence , à qui l'in-
D
74 MERCURE DE FRANCE.
tervalle des temps épargnera la douleur
de voir un Poëte François vous furpaffer !
Ciceron fera le digne émule de Démosthè
-nes : des conteftations s'éleveront fur la
prééminence de ces deux Orateurs. Qui
des deux triomphera ? ... Tous les deux
feront couronnés : aucun ne fera déclaré
Vainqueur.
L'éloquence abondante de Titelive , &
la mâle précifion de Tacite , donneront
aux Hiftoriens qui les fuivront des modéles
bien différens , & qui n'auront entr'eux
rien de commun , que l'honneur
d'avoir également réuffi.
Mais quel nuage obfcurcit tout -à- coup
l'Empire de la Littérature & des Arts ? ..
Paffons rapidement fur ces jours de barbarie
& de calamité. Ils feront bien
abondament réparés en France , par le
-fiécle de Louis- le - Grand.... Quelle foule
de Génies inimitables , & qui n'auroient
prèfque pas eu befoin de modéles ! ...
Que de couronnes à diftribuer , dans tous
les genres ! Que d'Athlétes recommandables
fe diftinguent à la fois dans la carrière
.. Nommons feulement les Vainqueurs
; & laiffons à juger du mérite des
autres , par la gloire qu'ils auront eue de
pouvoir paroître & fe foutenir avec honneur
à côté de pareils Concurrens.
JUIN. 1760. 75
*
Le fublime Corneille , feul capable de
donnerune nouvelle élévation aux perfonnage
les plus élevées ; le tendre & l'élégant
Racine, fouvent auffi grand, quoique
moins
majestueux ; le fenfé
Defpréaux , le
modéle de la Poëfie
raiſonnable, & le fléau
des Poëtes ridicules ; l'ingénu la Fontaine,
fa
naïveté même rendra pour toujours
inimitable ; Moliere , qui ne le fera
pas moins dans tout ce qu'il n'aura fait
que d'après lui- même , & fans égard pour
la multitude ... Quels lauriers fuffiront à
leurs
triomphes ? .. Quelles louanges cé--
lébreront affez leurs Talens ? ...
que
Et vous , qui , fans avoir moins de génie
, moins d'élévation , moins de feu ,
moins d'agrémens que les plus grands
Poëtes ,
dédaignerez de captiver votre ef
prit dans les bornes de la verfification
Boffuet , Fléchier , Fénélon ! .. Vous ramenerez
les Talens de l'éloquence & de
la perfuafion , à l'ufage le plus refpectable
auquel on puiffe les employer : vous
charmerez les mortels par les grâces de
votre élocution , & vous les convaincrez
par la force de vos raifonnemens.
Siécle heureux &
vraiment digne du
Monarque qui régnera , à quoi devras-tu
ce rare affemblage des plus grands hommes?
A l'appui dont les Talens feront ho-
. Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
norés ; aux careffes , aux diſtinctions , aux
encouragemens qu'on leur accordera ; &
ces récompenfes ne fe borneront point à
la durée d'un fiècle fi floriffant : leur utilité
s'éternifera dans les fiécles à venir. Je
vois fe former de vaftes Bibliothèques ,
monumens précieux de la Littérature , aç
crus par la merveilleuſe invention de l'Imprimerie
; monumens où la richeſſe , la
variété & la multitude des reffources
recevront encore un nouveau prix , par
le goût , le favoir , l'efprit d'ordre , & la
politeffe de ceux à qui l'adminiſtration de
ces tréfors aura été confiée.
Un Miniftre fameux , un génie qui prendra
quelque chofe de tous les autres , decorera
la France d'un nouveau temple de
mémoire , où le conferveront par une fue-
Iceffion de travaux & d'émulations les
Talens les plus chers & les plus glorieux
à l'humanité.
Mais quels que puiffent être , un jour,
ceux de cette heureufe Nation ; à quelque
degré qu'elle porte les opérations de
l'efprit capables de rendre les fentimens
du coeur ; ils fuffiront à peine à ce Peu
ple pour rendre & peindre fidélement
fon amour , fon refpect & fon admiration
pour un Prince , que fes victoires mettront
à côté des plus célébres Conqué
JUIN. 1766.
"
rans ; mais que fa clémence & la bonté
de fon coeur placeront bien au-deffus des
plus fameux Monarques...Puiffe- t-il, alors,
faite fuccéder aux triomphes l'abondance
& la paix fi néceffaires aux Talens
qui le feront toujours eux-mêmes à la
gloire des héros ! ...A ces mots, Apollon
ferma le livre des Deftins ; & tous les
événemens dont il avoit avancé le ſpectacle
intéreffant , fe perdirent dans l'immenfité
des temps.
LE
E mot de la première Enigme du
Mercure de Mai , eft l'Homme. Ceui de
la feconde eft , Colin- Maillard. Celui du
premier Logogryphe eft Mariage ; dans
lequel on trouve , Air , Marie , ma , rame,
maigre , aigre , mari , age. Celui du fecond
eft , faim.
JE
ENIGM E.
E fuis un brillant affemblage ,
De quatre objets fort différens.
De la Guerre , l'un eft l'image ;
L'autre , préfente aux regardans ,
Une herbe propre au pâturage.
3
Dijj
78 MERCURE DE FRANCE.
Le troifiéme , offre du pavé.
Le quatrième , une partie ,
Dont on ne peut être privé ,
Sans perdre en même- temps la vie.
Par Madame la Préfidente du T.....
AUTRE ENIGME.
LICTEUR , je UR , je ne fuis point cachée;
Je fuis un attribut du genre mafculin .
Quoique je fois du fexe féminin ,
Aux femmes rarement l'on me voit attachée.
Je fais l'homme ; & pourtant c'eft l'homme qui
me fait.
Souvent je fais envie à la folle jeuneſſe ,
Qui , dans un âge mûr , & m'outrage & me
bleſſe ,
Pour me récompenfer de mon rare bienfait.
Souvent , l'âge me fait paffer de crife en criſes
Je fuis de diverfes couleurs.
De noire que j'étois , je deviens toute grife ;
Et le foldat me ſçait bon gré de mes faveurs,
Ah ! j'en dis trop , tu vas me reconnoître.
Tout homme fait ne m'aime pas ,
Tant je lui cauſe d'embarras.
Lecteur, c'eſt ton avis , peut- être,
Par M. GOUDEMET .
JUIN 1760. 72
LOGOGRYPHE.
CEn'eft E n'eft qu'avec effroi , Lecteur , qu'on me
voit naître.
Mes cinq pieds réunis , caufent bien du fracas ;
Mais étant divifés , il te plairont peut- être.
Les deux premiers , ont de puiffans appas :
Garde- toi , néanmoins , d'en faire trop de cas ;
Sans quoi,de bon valet, je deviens mauvais maître .
Des trois derniers , le ſort eſt varić :
Leur printemps en plaiſirs fertile ,
Aux ris , aux jeux fe voit afſocié ;
Mais leur hyver fombre & débile ,
Aux rebuts , aux ennuis , paroît facrifié .
Sous une image , encore plas frappante ,
Je vais tâcher de m'offrir à tes yeux.
Ote ma tête... alors na fureur dévorante ,
Seme la terreur en tous lieux .
Ote mon ventre, en me rendant la tête ,
Je m'offre à tes befoins de plus d'une façon .
De moi l'on fait du pain ... & certaine boiſſon ,
Entr'autres , avec moi fe compofe & s'apprête.
Lecteur , tant je me vois en train ,
Je pourrois bien m'étendre davantage.
Mais dois-je être l'objet d'un plus long badinage ,
Div
to MERCURE DE FRANCE.
Moi , qui jamais n'annonce au genre humain,
Que débris , horreurs , & ravage ?
Par M. DESMARAIS DU CHAMBON.
C'EST
AUTRE.
' EST pour un art affreux, dont le monde gémit,
Que dans l'âge de fer , me fit naître mon pere ;
Et de deux élémens , je tiens tout mon crédit.
Quan n'aille pas , d'abord , me prendre pour mon
frere:
Je lui reffemble affez , mais je fuis plus petit.
Il eft , ainfi que moi , formé pour le carnages
Des hommes,tous les deux ,nous fervons les defirs,
Lui , quelquefois , utile à leurs plaifirs ,
Moi , jamais qu'à remplir les tranſports de leur
rage:
Emploi trifte,où furtout, dans ces tems malheureux,
Eux -mêmes font forcés , contre leurs propres
voeux ,
Victimes de mes coups , de me mettre en uſage.
Mon nom , dans les dix pieds , offre ... mais, d'un
Cenfear ,
Déjà la voix fe fait entendre:
Il m'objecte , d'un air mocqueur,
Que je puis des détails lui fauver la longueur,
Tant jefuis facile à comprendre.
JUIN . 1760.
81
Mais , fans douter que tu tiennes le mot ,
Lecteur , on croit fouvent fçavoir ce qu'on ignore
Examine- le bien encore :
Tu verras que tu n'es qu'un fot.
Un for ? le mot peut ne être équivoque !
Rimailleur , tu pourrois ... cher Lecteur , je le diss
Si tu tefâches , c'eft tant pis ,
Car tu trouveras , qu'on s'en moque...
Cependant , je pourrois railler hors de faiſon:
Je le vois dans tes yeux , au feu dont tu t'animes :
Auffi , pourquoi le prendre fur ce ton ?
6
Ne fçais-tu pas , que la raison ,
Ne guide pas toujours le caprice des rimes ?
Avant de t'emporter , confidere un moment,
Qu'une Mufe fouvent , ment :
Bien loin de t'irriter , tu pourras même en rire.
Ou fi ce n'eft l'excale qu'il te faut ;
Venge- toi , j'y confens. Il t'eft permis de dire ,
Que de la Mule qui m'infpire ,
Plût à Dieu , que mentir fut le moindre déffaut !
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON,
DE M. Dela
de Ma ***
***
,
pour , Madame la Ducheffe
à l'occafion d'une très-belle Harpe ,
dont elle lui a fait préfent .
Nota. Cette excellente Harpe , eft faite par le
fieur Salomon , qui a pouffé cet Inftrument à
une perfection qui étoit encore inconnue , même
en Allemagne, où il eft très en ufage.
EST- CE ST-CE Apollon, qui me donne fa Lyre ?
Quels fons touchans , tendres , harmonieur !
Non , c'éft d'Eglé qu'est ce don précieux :
Je le connois aux tranfports qu'il m'inſpire.
Charmante Eglé ! mes voeux font fatisfaits,
C'eſt à tes dons , que je dois l'avantage
De t'exprimer un éternel hommage,
Par des accens dignes de tes bienfaits. I
JUIN. 1760 .
83
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT des Anecdotes morales ,fur la
FATUITE' , & c . par M. DE CAMPIGNEULLES
, Tréforier de France en la
Généralité de Lyon & c. annoncées dans
le fecond Mercure d'Avril 1760. p.
141 .
Il n'y a peut- être pas un homme de
L
Lettres , Monfieur , qui n'ait fenti tout
le défagrément que produifent dans nos
cercles ceux qui prétendent en être les
Héros : il ne faut quelquefois qu'un Fat ,
qui allonge joliment le petit doigt pour
faire briller une bague de prix , & qui
décide en deux ou trois mots inintelligibles
une queftion qu'il n'entend pas ,
pour réduire au filence un homme d'ef--
prit & de bon fens . La Fatuité eft un levain
contagieux qui , fi l'on n'y prend
garde , peut également corrompre nos
ufages & nos moeurs . C'eft comme un
défaut très-dangereux , comme la fource
des travers que nous nous donnons fi
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
completement aux yeux des étrangers ,
comme la caufe prochaine de bien des
vices,qu'on envifage la Fatuité dans l'Ou-*
vrage dont je me propofe de vous entretenir.
L'Auteur nous en préfente , d'abord ,
les dangers , dans l'hiftoire d'une jeune
perfonne , qu'une mauvaife éducation a
rendue coquette ; & qui n'époufe fon Tuteur
, que pour acquérir les moyens de
fe montrer fur le Théâtre du grand Monde
, & d'y jouer le rôle de la petite maîtreffe
la plus décidée. Zelime fait prendre
à fon époux le titre de Marquis ; & dans
le fafte & l'opulence , fe comporte en
Marquife de la derniere élégance. Efclave
de la mode , ce n'eft pas affez pour elle
d'avoir une maiſon , une livrée brillante ,
une cour nombreuſe & une toilette ac
créditée , il lui faut un amant en titre.
Elle en prend un. Elle écarte le feul fur
lequel elle pouvoit jetter les yeux , fans
fe déshonorer M. de Val.. eft facrifié à un
certain Comte qui jouit d'une réputa
» tion acquife & cimentée par des avan
» tures d'éclat. » L'époux de Zelime , peu
fair aux ufages , du grand Monde
peut pas fe familiarifer avec ce dernier
trait d'inconféquence. I furprend la femme
, dans une fituation qui ne lui permet
pas de douter de fa trahifon. Une chûte
י נ כ
9 ne
JUIN. 1760. 88
malheureuſe, & la révolution que lui caufe
ce fpectacle fingulier , le conduit au
tombeau. Zelime dépenfe, en fuperfluités,
les grands biens qu'il lui laiffe . Elle eft
bientôt réduite à fupporter les horreurs
de l'indigence. C'est alors qu'elle réfléchit
, qu'elle fe reproche ces égaremens
d'une fotte vanité qui font fi peu capables
de procurer de vrais plaifirs , qui n'éfleurent
que la furface de l'ame, & la laiffent
dans l'abattement & la langueur. M. de
Val ... , qui s'il eût fallu qu'elle fit un
choix , en étoit digne à tant d'égards
qui auroit pû lui ouvrir les yeux fur les
écarts de fa conduite , & profiter de fon
amitié l'arracher à l'erreur & la rapour
mener à la raison , M. de Val... fe peint
dans fon inagination , tel qu'il eft , & ce
fouvenir ne fait qu'accroître fa douleur .
Ce généreux.morrel, ne l'a point perdu de
vue : Il veut apprendre , fi le malheur l'a
changée. Il fe préfente chez elle , fous un
déguisement qui le rend abfolument méconnoiffable
; & dans l'inftant où Zelime
fe croit abandonnée de toute la terre ,
M. de Val... qui la trouve telle qu'il la
fouhaite , fe jette à fes genoux , lui jure
un attachement éternel , & fous le titre
facré d'ami , lui fait agréer des propofitions
qui lui affurent une fortune hon
86 MERCURE DE FRANCE..
nête , fans bleſſer fon amour propre , ni
la vertu qu'elle doit à fes malheurs.
Cette Hiftoire eft fuivie d'un petit
Conte , qui a pour titre : Ce n'étoit pas
cela. Il avoit déja vû le jour , ainfi que
Le petit- Maître efprit-fort , qu'on trouvé
après. Les Réfléxions ,fur les petits- Maítres,
qui terminent le volume , ont , pour là
plûpart , le mérite de la nouveauté . On
y établit que la fatuité , fous différentes
formes , à prèfque toujours régné parmi
nous ; qu'elle prend fa fource dans le
rafinement de la politeffe & du luxe ;
qu'elle n'étoit pas méconnue des Grecs
ni des Romains ; & qu'elle fe trouve com
munément chez les Nations les mieux
civilifées & les plus riches. » Je trouve ,
» dit M. de Campigneulles , des Petits-
» Maîtres à Madrid , à Londres , à Rome,
» & à Paris. L'Hiftoire m'en montre, à là
" Cour de Darius ; mais l'Hiftoire né
"montre que des hommes chez , les
» Scythes;& je chercherois vainement des
»Petits - Maîtres , en Suiffe. » L'Auteur en
vifage, de tous les côtés, les ridicules qu'il
voudroit détruire : quelquefois il prend
le ton qu'il condamne , & combat la fatuité
avec les propres armes. Il indiqué
l'origine du mot Petit - Maître , & les
nuances qui le diftinguent du Fat. H
JUIN. 1760. 87
s'éleve contre l'efprit de frivolité qui
écarte de l'utile , contre l'efprit de libertinage
qui rompt tous les liens de la
Nature & de l'humanité. Ces morceaux ,
qu'il n'eft pas poffible de faire connoître
dans un extrait , concourent à rendre l'ouvrage
eftimable ; & l'Auteur me paroît
n'avoir pour but , que le bien public. Il
rend juftice aux écrits profonds que no
tre fiécle a produits fur l'adminiftration
le commerce , l'agriculture &c. Mais il
ne croit pas qu'il foit qu'il foit plus glorieux
» d'ouvrir les canaux qui mènent à l'aifance
, que de frayer les chemins qui
» conduisent à la vertu. Cet ouvrage
fe trouve chez Couftellier , quai des Auguftins
, & chez Cuiffart , quai de Gêvres.
Le prix eft de 30 f.
LE NOUVEAU SPECTATEUR ,
Par M. DE BASTIDE.
ON n'a point encore rendu compte
t
de cet ouvrage , dans le Mercure , depuis
qu'il a commencé à paroître : il mérite
pourtant d'être annoncé ; & je vais , avec
plaifir , lui rendre la juftice dont il eſt
digne.
S8 MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage fe diftribua d'abord par
cahiers de 72 pages , qui paroiffoient tous
les dix jours. M. de Baftide étonna le
Public ,, par une exactitude qui annonçoit
la plus grande facilité : en continuant
d'être fidèle à fes engagemens , il a rendu
prèfque incroyable un fait dont il eſt
pourtant impoffible de douter.
M. de Baftide voir très-bien , & penſe
beaucoup. Il pofféède à fonds la connoiffance
du coeur , & ce dédale tortueux
a pour
lui peu de détours cachés . Cependant
en peignant les hommes , en apprenant
à les connoître , il n'apprend point
à les haïr : fa morale eft une fource fécon
de de leçons pour ceux que les vices de
P'humanité ont rendu coupables , & une
fource de confolation pour ceux qu'ils
ont rendu malheureux. Il ne répand ni
les maximes du mépris , ni les femences
de la milantropie : il dit , voilà comme
Phomme eft fait ; mais ne le croyez pas
méprifable , fi monftre qu'il paroît l'être;
la perfection ne dépend pas de lui
autant que la réfléxion : la réfléxion même
n'en dépend pas toujours. Ses vices font
fouvent la fuite d'une progreffion de caufes
affreufes & terribles : plaignez-le, en le
condamnant , & en craignant de l'imiter .
J'ofe le dire , cet ouvrage peint tout
JUIN. 1760.
89
à la fois l'homme tel qu'il eft , & l'homme
tel qu'il peut être : ce font les idées
de la raifon rendues , pour ainfi dire , par
le fentiment.
L'Auteur › parcourt tous les états ; &
montre , à nud , tous les individus qu'il
examine . Quelle variété d'objets ! il ne
fe contente pas de tracer ce qu'il a vû , &
ce qu'il voit ; il puife dans les livres qu'il
a lus , & il lit tous les jours. Son ouvrage
le prouve.
Tout ce qui a paru jufqu'à préfent de
cet ouvrage intéreffant , forme huit volumes
de 432 pages , chacun . Je vais donner
une idée des morceaux qui m'ont le
plus frappé.
Dans le premier volume , il parle d'un
homme qui avoit fait le projet infenfé ,
d'avoir toujours raifon ; & à qui il en
coûta cher pour avoir trop bien fuivi fon
deffein. » Il s'étoit fait , dit il , une fuite
» de principes clairs , & de conféquences
inconteftables... il avoit toujours rai-
» fon ; mais il ennuya. Un malin , s'apper-
» çut de fa manie , la trouva impertinen-
» te , la fit remarquer aux autres ; & dès
» le même inftant, forma une ligue épou-
» ventable contre lui. On ne le ménagea
" point : tous fes difcours & toutes fes
» actions furent critiqués & condamnés.
90 MERCURE DE FRANCE.
» Il crut que tous les hommes étoient
» devenus foux ; & il devint fou lui-mê-
» me. Il eut tort : ſa femme , qu'il avoit
» excédée , l'envoya aux petites-maifons ;
» & elle eût raifon . »-
On voit auffi l'Hiftoire du véritable
Amour : aventure remplie de paffion , &
de délicateffe. Le feul portrait de l'héroïne
, & la peinture des premiers fentimens
qu'elle infpira à ſon amant , fuffiront
pour faire juger du mérite de ce morceau .
Il fuppofe un homme de qualité, exilé en
Allemagne , pour une affaire d'honneur.
C'est lui- même qui parle ici. » Etre Prin-
» ceffe , être belle , être jeune , être char
» mante ; c'eft avoir tout , c'eft être tout
» ce qu'on peut être. La Princeffe étoit en-
» core au-deffus de tout cela : elle avoit
"
•
quelquechofe qui fe fent , qui ne peut
" fe rendre , & qu'on ne pourroit voir
» que dans l'objet qu'on doit aimer ,
quand même il pourroit être ailleurs. »
» La premiere fois que je la vis , j'eus
tout le plaifir de fa beauté. Elle commençoit
la toilette ; elle n'étoit encore
» belle , que par les propres charmes ; &
" je ne crus pas qu'elle pût l'être davan-
" tage : je ne me trompois pas ; mais elle
» eut une beauté d'une autre espéce . Je
m'imaginai voir Vénus , au milieu des
99
n
JUIN 1760.
Nymphes ( car elle prêtoit des grâces à
» les femmes ! ) J'avois été touché : je
>> fus ravi.
* 39
39
22
Je me tenois devant elle , avec un
reſpect dont je n'avois point d'idée .
J'avois été à la Cour , & chez les plus
" grandes Princeffes ; mais je n'avois rien
» fenti en leur préfence , comme je le
» fentois alors. Je n'étois point intimidé ;
» & cependant, je ne fçavois ce que je lui
» pourrois répondre , fi elle me parloit.
Lorſqu'elle me parla , ce fut pour me
dire des chofes fi obligeantes , & fi
fpirituelles , que je me ferois prèfque
» jetté à les genoux , pour lui dire que je
» l'adorois , & c. »
: ر و د
- Le Spectateur rend compte , dans un
autre endroit , de la malheureuſe aventure
d'une Demoiſelle aimable , née avec
les qualités les plus intéreffantes ; mais
trop capable de tendreffe , & de cette
confiance qui égare tôt ou tard un jeune
coeur. Elle s'eft laiffé féduire par de faux
fermens , & fon infidèle a difparu fous
des prétextes vains. Le Spectateur , qui la
connoît & l'eftime, lui arrache fon fecret:
il a eu des liaiſons avec fon perfide ; & il
efpere,qu'en lui écrivant, il fera triompher
l'amour , ou du moins l'honneur. Il lui
écrit. Mais la réponse de celui- ci fait
92 MERCURE DE FRANCE.
connoître toute l'audace , toure l'impu
dence , toute l'atrocité de la plupart de
nos jeunes gens en pareille matière. Le
Lecteur ne fera pas fâché de connoître
ce monument affreux d'infamie , d'autant ·
plus que le fait eft vrai. » La pauvre na-
» ture humaine eft bienheureufe , d'avoir
» encore un Avocat auffi éloquent que
» vous l'êtes ! mais gagnera- t - elle fon
Procès ? L'éloquence ne fuffit pas au-
» jourd'hui , que tout le monde penfe. Il
» y avoit autrefois des loix naturelles :
» il eft venu des ufages , qui ont tout ren-
» verfé J'en fuis fâché pour l'honneur des
fages , qui triomphoient à nous donner
» d'excellens confeils.Heureufement pour
» eux, iis font morts avant la chute de leur
"
Empire il n'y en a plus . Vous qui l'êtes
» encore, fçâchez, mon ami, qu'on ne doit
" pas prononcer légèrement le nom de
» devoir, dans un tems où tout le monde a
» de l'efprit. Tout devoir, doit être fondé
» fur une loi : toute loi , peut être contef
» tée. Un ufage , ne l'eft point ; par conféquent
, l'un l'eniporte fur l'autre , &
" l'on doit s'y fixer. La loi dit, que quand
» on a abufe de lafoibleffe d'une fille , on
doit l'époufer: elle a raifon, en partant
d'après les principes qu'elle établit.
Mais obfervez que ces principes éma-
»
39
JUIN . 1760 . 93
"
33
» nent d'une idée fauffe ; & qu'il n'y aura
plus de devoir pour l'homme , i l'on
" prouve qu'il n'y a point de foibleffe dans
» la fille. Or il eft prouvé , qu'il n'y en a
point. L'expérience , la phyfique , la
» connoiffance générale du fexe , nous
» apprennent &c.& cela pofé, vous voyez
" que j'ai très - peu de chofes à vous ré-
" pondre fur le fait de Mlle * * . Vous
m'apprenez qu'elle eft groffe ? j'en fuis
» fâché pour elle. Vous me demandez
» mon avis fur cette groffeffe ? mon avis
eft , qu'elle accouche .
33
Il y a , dans ce volume , d'excellentes
réfléxions fur les devoirs des peres envers
leurs enfans. M. de Baftide femble ,
ici , infpiré par la nature même. Il s'anime
furtout , & s'emporte , pour ainfi
dire , en confidérant le barbare Defpotifme
qu'exercent trop fouvent les chefs de
famille , envers les malheureux objets de
leur domination. Il examine rigoureufement
leurs droits , & les force à comprendre
que ces droits ont des limites.
Qu'est- ce qu'un pere , dit- il , à l'égard
» de fon enfant ? c'eft le maître d'un terrein
où de jeunes arbriffeaux fe trou-
» vent plantés . Quel nom méritera cet
» homme , fi pour redreffer un de ces
» arbres à peine formés , il déploye toute
94 MERCURE DE FRANCE.
la force de fon bras ? on le devine ; il
» eft inutile de le dire . Qu'arrivera-t- il de
» cette violence brutale , ou du moins ,
imprudente ? l'arbre pliera , mais pour
périr en croiffant , ou pour prendre une
forme vicieuſe qu'il confervera juſqu'au
dernier moment. Plaçons les peres &
les meres dans le même tableau : leur
caractère , leurs devoirs , leur condam-
» nation s'y trouvent : & il ne faut qu'un
» coup d'oeil ,, ppoouurr les y appercevoir. Un
"
pere qui voyant des paffions à fon fils , des
» défauts , des vices même , s'arme d'a-
» bord de toute fon autorité pour redref-
» fer ce jeune coeur , ( arbriffeau toujours
» tendre ! ) un tel pere eft un tyran':
» on entend le jeune arbre crier fous la
,, main homicide qui le martyrife , en le
» redreffant. Il peut arriver deux malheurs
, de cette violence farouche : ou
l'enfant débile périra dans la torture
qu'on lui fait éprouver , ou il fe révol
» tera ; & il ne faut pas douter , qu'en ce
» cas , il ne prenne d'autres vices . Il y
» en a de tout prêts , qui n'attendent
» que la volonté de l'homme malheureux,
ou de l'efclave perfécuté , pour s'offrir
» à lui comme une confolation , ou comme
» un moyen de vengeance. »
">
"
ود
Suit un très-bon Difcours , fur la façon
JUI N. 1760.
ق ر
"
"
impolie & groffière dont la plupart des
maîtres de maifon un peu riches reçoivent
chez eux un nouveau venu , qui n'a pas
l'honneur de l'être. » Je me trouve fou-
» vent préfent à ces fortes de réceptions ,
» dit-il , & j'avoue que mon coeur a gémi
» cent fois du fupplice qu'eft obligé d'en-
» durer celui qui en eft l'objet... Un hom-
» me qui vient vous voir pour la premiere
» fois,fi la vifite eft purement de politeffe,
» eſt une victime qui vient fe livrer à toute
» votre difcrétion. Vous êtes fur votre
terrein , & plus fort que lui , eût - il
» cent fois plus d'efprit que vous , parce
» que fes égards le rendent foible. Il eſt
» timide devant vous , parce qu'il ignore
"fi fa préfence vous fera agréable , fi fa
figure même ne vous déplaira pas : il
» craint mille offenfes. Un pareil état ob-
» tient aisément de l'attention , fi l'on eft
" poli ; mais de plus , il mérite de la pitié
» fi l'on eft humain : car, encore une fois,
» cet homme fouffre. Tout le monde ſçait
» cela , tout le monde en convient , &
» tout le monde l'oublie. Le nouveau
» venu entre ; il dit deux mots on lui
» en dit un , on lui fait figne de s'affeoir ,
» il obéit , & le voilà oublié. On conti-
" nue une partie de jeu : il eft placé au
» bout de la table ; on lui adreffe encore
"
>
96 MERCURE DE FRANCE.
99
»
la parole une fois ou deux , fans lui faire
» l'honneur de le regarder : la politeffe eft
» fi cavalière qu'il peut s'en offenſer ; &
» elle eft fi courte , qu'il n'a pas le tems
d'y répondre . On pourfuit ; & de ce
» moment , il n'est plus queſtion de lui
jufqu'à la fin de la partie : il peut rêver,
cracher, fe moucher , s'étendre dans fon
» fauteuil , mefurer la hauteur du plan-
» cher , le tour de la tapifferie : il pour
» roit mourir ; on ne prendra plus garde
» à lui : c'eſt un atome qui a difparu . Voilà
» comme onreçoit généralement . Quelle
» inhumanité ! .. Si ce n'eft une partie
de
» jeu qui en eft le prétexte , c'eft une con-
» verfation qui en eft la caufe : on a com-
» mencé à raconter l'hiftoire de la veille ,
» objet intereffant, & plus intéreffant cent
» fois qu'un honneur qu'on vient nous
» rendre , qu'une politeffe qu'on vient
» nous faire, c'eft un plaifant qui raconte ;
» il ne faut pas interrompre un parleur qui
» a tant d'efprit : quel meurtre d'inter
» rompre une narration fi vive , fi piquante
! le patient écoute , il n'entend
» que des mots qui lui font totalement
» étrangers ; c'eft une énigme : cependam ,
» il faut qu'il rie avec les autres; fans cela,
il s'appercevra qu'il eſt tout feul ; & on
le traitera comme un homme : férieux
"
"
>>
» qui
JUIN. 1760 . 97
qui a l'infapportable défaut de penfer ,.
".& de vouloir comprendre , avant que
» de rire . »
M. de Baftide finit , par cette judicieufe
réfléxion. Ce défaut général vient fans
» doute de la précipitation que l'on a de
» mettre les jeunes gens dans le monde ,.
» de la négligence à les corriger des dé- .
» fauts de leur âge , & peut - être encore.
» du peu de foin que les femmes apporttent
à fe faire refpecter. Il y a une liai-
» fon fenfible, entre le refpe & pour les fem-
» mes, & la politeffe générale ; & par conféquent
, entre les qualités contraires.
Le fecond volume unit, la même variété,
à un intérêt encore plus général , &
plus fenfible...
22
?
Dans ce volume , l'Auteur nous repréfente
le bonheur d'un homme qui a fçû
modérer fes defirs & fon ambition . Un
de fes amis , lui en fournit l'exemple le.
plus touchant. C'est un homme,né riche,
qui s'eft retiré dans une terre de dix mille .
livres de rente , après avoir fait tout le
bien qu'il pouvoit faire. L'Auteur alla le
voir; & il faut apprendre de lui , les plaifirs
qu'il goûta dans ce petit voyage. » Je
trouvai mon ami , dit- , dans fon po-
» tager , affis fous un berceau qu'il a fait .
élever exprès , pour pouvoir , en tout
E
*
2
98 MERCURE DE FRANCE.
»temps & toute heure , compter fes
» richeſſes car il mépriſe l'or , qui ne
» lu eft plus: néceffaire ; & il préfère de
"
"
belles poires & de belles pêches , à
» d'inutiles écus. Il m'embraffa, avec cet-
» te joie vive , qui fort de l'âme , & la
peint fi bien ! ... Auffi charmé que lui , je
» voulus vifiter fes vergers & fes jardins ,
» déjà chers à mon coeur par le bonheur
» de mon ami. J'y trouvai partout le goût
» & l'abondance : la main du maître ,
» cette main , que dans le monde , le tu-
» multe, & l'agitation continuelle , ne per-
» mettent d'appliquer à rien, étoit ici im-
» primée partout. Nous prîmes le chemin
» de la ferme. En m'y conduifant , il me
parla de fes moutons , de fes vaches ,
» de fa baffe- cour .Je l'écoutois : je voyois
» cette petite vanité de fentiment , qui
» manifefte fi bien le bonheur ; & je fen-
»
tois que je prenois des rapports avec
» tout ce qui l'excitoit en lui. Vous êtes
toujours content de votre fermier , lui
» demandai je ? Oh ! toujours , me ré-
» pondit-il c'eft un homme comme il
» n'y en eut jamais ; vous allez le voir :
» vous ferez charmé de le connoître. Il
» eft bon qu'un fpectateur voie les hom-
» mes dans leur état , dans leur maison ;
» celui - ci vous retracera les anciens
<
JUIN. 1760. 99
室temps , ces temps où l'on dit que l'innocence
habitoit fous le chaume : vous
jugerez fi l'on nous a conté des fables.
Pour moi je ne le crois plus , quand je
» vois mon ami Dufour . Nous arrivâmes ;
& le premier objet que nous apperçûmes
, fut juftement le fermier . Son air
vénérable , me frappa :fa façon feule d'aborder
fon maître,me fit juger du refpect
» & de l'attachement qu'il a pour lui. Eh
bien ! maître Dufour , lui dit - il , comment
vous portez-vous ? Nous venons
» vous voir.Monfieur, lui répondit- il, vous
me faites trop d'honneur ; ma lanté eft
» toujours bonne ; les gueux, ont ce privilége-
là. Ah reprit mon ami , je ferois.
» bien fâché que vous fuffiez gueux.Je ne
33
le fuis pas non plus ; reprit-il , avec un
» aimable fourire: je ne puis jamais l'être,
avec votre bonté. Nous entrâmes dans
la maiſon ; & maître Dufour nous en
fit les honneurs avec plus d'aifance,
que n'en ont bien des gentilshommes
» dans leur château à baſtions. Nous nous
safsîmes ; & le bonhomme reftoit de
»
bout. Son maître lui dit de s'affeoir ; il
» fe plaça vers la porte . Venez vous
mettre ici , reprit mon ami ; venez ,
» maître Dufour ? vous ne devez jamais
» mettre de diſtance entre vous & moi ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
fouvenez-vous que vous m'avez fauvé
la vie ; & que fans vous , je n'aurois pas
» le bonheur d'être ici. Mais, pourfuivit-il,
» je vous vois là un enfant que je ne vous
» connoiffois pas ! il eft joli ; quel âge a
t- il ? Il a cinq ans , Monfieur ; mais il
» n'eft point à moi : c'eft un petit orphe
» lin, que j'ai retiré depuis huit jours. Un
» orphelin : Vous ne m'avez pas parlé de
cela , maître Dufour. Je vous le recommande
; & je m'en fie à vous . D'où
» vous eft- il venu de la providence ,
» Monfieur. Il vient de bonne main
maître Dufour ; je ne veux pas vous en
priver : vous lui donnerez du pain ,
» moi des habits. Vous fçavez , pourtant ,
de qui il eft né ? oui , Monfieur , ma
femme l'a nourri : fon pere étoit un
pauvre Officier, qui vient d'être tué ; fa
» mere eft morte de chagrin , & l'on me
l'a apporté,penfant bien que je le rece-
肇
" vrois. C'eft que l'on connoît votre bon
» coeur. Mais vous ne me parliez pas de
tout cela : le fils d'un Officier ! maître
Dufour , je vous le recommande , je
» vais vous envoyer du linge ; il faut qu'il
ne manque de rien ; que le Maître d'Ecole
en prenne fain ; je payerai tout
» cela : j'ai encore quelques louis , au fer-
» vice des enfans des Officiers ...
1001
JUIN. 1760.
101
Suit l'aventure plaifante d'un jeune
homme de Province mal élevé , comme
l'eft le grand nombre . Il faut encore entendre
le Spectateur raconter lui - même .
J'étois l'autre jour , dit- il , chez l'aimable
Marquife de ** , la femme de Paris
» qui faifit le mieux un ridicule , en rit le
plus volontiers , & le pardonne plus aifément
. Nous nous entretenions libre-
» ment de mes feuilles , & elle me four-
» niffoit d'excellens fujets à traiter ; lorfqu'on
lui annonça M. Gauchefort . M.
» Gauchefort ! s'écria-t- elle , le plaiſant
nom : je ne connois point cela. C'eft un
Monfieur qui a une longue épée , un
long col , de longues jambes , & l'air
"fort fot , dit plaifaniment la femme de
chambre,qui annonçoit..Faites entrer,dit
» la Marquife: je ne conçois pas comment
on ofe fe faire anoncer avec de certains
» noms ! ni fe préfenter avec de certains
» viſages, lui dis je : car je vois la tournure
» de celui -ci .
"
$
» Nous allions éclater ; il fallut nous
contraindre. Gauchefort entroit ; & à
» fa premieré révérence , nous comprîmes
que nous étions obligées , en conf-
» fcience, de le ménager. Il tenoit une Lettre,
qu'il préfenta à la Marquife , avec
toute la mauvaife grâce d'un homme
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
"
"
"
50
و د
» qui n'auroit que la moitié des refforts
» qui font aller le bras & l'épaule... Lorf
» que la Marquife eut lû la Lettre , il me
» parut
qu elle vouloit lui montrer de la
» bonté. Il lui étoit ad effe ,par un ami : elle
» lui parla très- obligeamment. Il répondit
» & nous vîmes qu'il étoit encore plus fot,
» qu'il n'en avoit la mine . Il arrivoit de
province, pour fe façonner... Il fe tenoit
debour & très-éloigné d'elle : elle lui
» dit de s'approcher du feu , & le lui ré
péta ; mais mon noble gentilhomme , ne
fçavoit que reculer. La Marquife , qui
» commençoit à fouffrir , infifta fort ; &
» comme elle vit qu'il n'étoit pas diſpoſé
elle fit un pas vers à fe rendre ; lui
pour
» l'obliger à céder : mais lui , dont la ré-
» fiftance étoit notée , fit un fi terrible
écart , que d'un coup de talon il ren-
» verfa une chifonnière , quatre taffes de
» la plus belle porcelaine , une chocola
tière & tout le chocolat qu'elle renfer
» moit... La Marquife, qui a l'âme noble ,
» & qui d'ailleurs avoir plus fouffert de
»fa contrainte qu'elle ne fouffroit de
la perte de fes taffes, fit un éclat de rire ,
en lui criant de fe raffurer , car il étoit
prêt à fuir. Mais il eft queftion de le
» déterminer à s'approcher du feu ; &
» c'est qu'il eft impoffible d'obtenir. Elle.
59
»
"
ود
و د
JUIN. 1760. 103
» prie , preffe , fupplie : l'entêté femble
» frémir, au danger de fe rendre. Au moin-
» dre mouvement qu'elle fait , le flot qui
» l'apporta recule épouvanté... Enfin elle
» avance un fiége ; il faut céder : il faut fi-
» nir.Il va s'affeoir dans un fauteuil, qui eft
» contre la porte; & ne prenant point gar-
» de qu'il y a deffus une guitarre;d'un coup
» de derriere, il brife & met en piéces l'inf-
» trument chéri d'Apollon & des grâces,
» Le bruit l'épouvante ; les cris affreux
» de la victime, lui impriment la terreur ;
» il fe croit pourſuivi par des mânes terribles
: il fe fauve ; & ne prenant pas
» garde encore qu'il y a une porte , il la
heurte lourdement , & va tomber fur
» le parquet de l'antichambre. »
Je paffe fur beaucoup de morceaux ,
qui mériteroient chacun des détails
particuliers : Tels , par exemple , que
celui ou l'Auteur exprime les avan
tages de l'adverfité . Ce Difcours eft fi
rempli de vérité , de fentiment & de philofophie
, qu'une Dame a dit , qu'il prenoit
envie de devenir malheureux , en le
lifant. Je veux pourtant m'arrêter à la
defcription d'une petite maiſon , où tous
ce que l'art , l'efprit , & l'amour peuvent
infpirer , fe trouve repréfenté à chaque
moment. Les Architectes les plus célèbre
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ont applaudi à ce charmant édifice ; &
je m'imagine que quelque jour un homme
de goût , favorifé de la fortune , ſera
tenté de le faire réaliſer . A la fituation ,
& aux beautés du lieu , l'Auteur a joint
une fituation de fentiment , une intrigue
d'amour : mais quelle intrigue ! elle infpire
l'honnêteté & la vertu même. Il feint
une féinme aimable , légère , vive , fans
attachement, qui n'a jamais rien aimé, &
qui croit pouvoir n'aimer rien. Elle défie
les hommes de pouvoir la toucher; Trémicour
la défie à fon rour de venir dans fa
petite maifon : ils font une gageure , elle
y vient . Elle a bientôt lieu de s'en répentir.
Tout l'enchante , tout la féduit dans
ce lieu de délices ; mais le ton du maî
tre de la maifon , fon efprit , fon amour
fon refpect aimable , lui font furtout une
vive impreffion : elle veut s'en défendre ,
elle ne le peut pas elle fent qu'elle
رد
ne
le peut point ; à chaque inftant , c'eft un
charme nouveau. Elle veut fe retirer :
Trémicour l'arrête : » Où voulez- vous aller,
lui dit-il, en frémiflant ? Melite,j'ai
» mérité que vous m'écoutaffiez ; fongez
" combien je vous ai refpectée : affeyez-
» vous , ne craignez rien ; mon amour
» vous répond de moi... Je ne veux pas
» vous entendre , lui dit - elle : à quoi ma
>
JUIN. 1760 . 105
1
complaifance aboutiroit- elle ? Vous fça-
>vez , que je ne veux point aimer : j'ai
» réſiſté à tout... Elle fut cependant
obligée d'y fouper. Et lorfqu'on eut fini
le deffert , Trémieour par fes foupirs , par
fes chanfons , par fes tranfports , lui fit
craindre un danger fi inévitable , qu'elle
voulut encore fortir ; mais il l'arrêta
avec une douce violence. » Eh bien ,
» Monfieur, lui dit - elle, avec effroi , quel
» eft votre deffein ? que prétendez- vous
as faire?.. Vous adorer , & mourir de
douleur je vous parle fans impof-
» ture , mon état m'eft nouveau ; je fens
» qu'il me faifit ; Melite , daignez m'é-
» couter... Non , Monfieur , je ne vous
écouterai point , je veux fortir... Je
» veux que vous m'eftimiez , répondit- il;
que vous fçâchiez que mon refpect égale
» mon amour ; & vons ne fortirez pas.
Elle s'affit. Melite je ne vous tromperai
point , je fçaurai mériter un bonheur
» qui m'aura appris à penfer ; ayez pitié
de moi ! .. vous riez ? .. je vois tout ,
dit-elle ; & cet aveu renferme tout : je
ne fuis pas fotte , je ne fais pas faulle :
mais que voulez -vous de moi ? Trémicourt
, je fuis fage ; & vous êtes inconf
cant .. Oui je le fus c'eft la faute des
» femmes que j'ai aimées ; elles étoient
"
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
» fans amour elles- mêmes . Ah ! fi Melite
» m'aimoit : fi fon coeur... Elle ne répon-
» dit rien ; & il crut qu'il pourroit abu-
» fer de fon filence. Il ofa... mais il fut
» arrêté , avec plus d'amour qu'on n'en a
>>fouvent quand on céde & c. »
On peut croire que M. de Baftide a eu
deffein de critiquer tout à la fois le mauvais
goût de la plûpart des petites maiſons
que l'on vante dans Paris , & l'indécence
des femmes qui vont y perdre le peu de ré
putation que leurs intrigues leur ont laif
fé : objet vraiment digne des réfléxions
d'un Spectateur. Le refte de cette aventure
développe fon deflein , & fait autant
d'honneur à fes moeurs , qu'à fon imagi
nation . C'eft dans le livre même , qu'il
-faut le lire.
Je continuerai l'extrait de cet ouvrage ,
dans le Mercure prochain ; mais je paffe
rai tout de fuite aux deux derniers volumes
, pour ne pas m'arrêter trop long
temps fur le même objet.
Le nouveau Spectateur fe trouve chez
Duchefne , Libraire rue S. Jacques , au
Temple du Goût. Ce qui en a paru jufqu'à
préfent , forme comme je l'ai dit , huit
volumes de 432 pages chacun. Ils fe ven
dent féparément 3 liv i fou tous
enfemble 28 liv. 16 f
JUIN. 1760. 107
SECONDE LETTRE
SUR L'ART DE PEINDRE ,
EN
Poëme de M. Watelet.
N vous donnant , Monfieur, une idée
du Poëme fur l'Art de peindre , j'ai mo
déré autant qu'il m'a été poffible les
éloges que je lui devois ; la crainte de
me livrer trop à mon goût particulier ,
& de vous être fufpect , comme on l'eft
toujours quand on fe paffionne , a retenu
ma plume. Mais aujourd'hui que j'ai re
cueilli les fuffrages des connoiffeurs , foit
en Poëfie , foit en Peinture ; je puis vous
annoncer pofitivement , que cet ouvrage
les réunit tous.
A
Obfervez cependant , Monfieur , qu'un
Poëme Didactique, eft toujours une théorie
infuffifante. Les Géorgiques de Virgile
, feroient un mauvais cultivateur. Celui
qui n'auroit étudié que la Poëtique
d'Horace , ou celle de Boileau , n'auroit
qu'une idée vague & fuperficielle de la
Poëfie. L'ouvrage de Pope , fur le bien &
le mal , ne réfout point ce grand problême.
Son éffai, fur la critique, n'eft réel-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
lement qu'un éffai. J'ofe dire , que de
tous ces Poemes , celui ci eſt le plus exact,
le plus détaillé , le plus utile pour la
pratique . Mais il ne fauroit fuffite à qui
veut raifonner les régles de l'Art , & g'opérer
que par principes.
Il laiffoit donc à defizer les réfléxions
que l'Auteur y a jointes , & que vous
allez parcourir avec moi. Rien n'eft plus
clair , ni plus méthodique : c'est l'étude
la plus attentive de la belle Nature ; c'eſt
le fentiment le plus délicat , le plus ex
quis , de fes nuances & de fes variétés ;
c'eft l'enchaînement & l'accord de tou
tes les connoiffances utiles à un Artiſtes
c'eft en un mot l'ouvrage de la Philo
fophie & du goût réunis , j'oſe le dire ,
dans un degré furprenant.
f
Les Proportions & l'Ensemble , donnent
l'Equilibre & le mouvement de là
naiffent la beauté & la grâce : celles- ci deviennent
fenfibles par la Couleur & la Lu
miere,dont la combinaiſon produit le clair
obfcur, & l'harmonie de la Peinture.L'effet,
réfulte de toutes ces parties; & l'expreffion,
contribue effentiellement à l'effet. Ainfi,
l'Auteur traite des proportions , de l'en,
femble , de l'équilibre & du mouvement,
de la beauté & de la grâce, de l'harmonie
& de la couleur , de l'effer , de l'expref
fion & des paffions qu'elle doit rendre.
•
109 JUIN.1260.)
I. Avant d'indiquer la meſure des proportions
, M. Watelet nous prévient qu'on
employe rarement en Peinture les mefures
détaillées ; parce qu'elles ne peuvent
avoir lieu dans les racourcis , & qu'il n'y
a point de figure peinte dans laquelle les
racourcis ne foient en grand nombre
Tout ce qui eft vû, dans la fituation hori
zontale , diminue aux yeux, fa longueur
réelle.
Mais il n'en eft pas du Sculpteur, comme
du Peintre il doit s'appuyer continuellement
fur les mefures , & les obferver
jufques dans les détails ,
Comme l'Art du Peintre veut beaucoup
d'enthoufrafine ; l'ufage froid & leat des
mefures ne lui convient pas , dit M. Waidler
. Cependant il veut , avec raifon, que
Le Peintre en ait acquis , en commençant
à deffiner , une connoiffance réfléchie ,
pour aavoir,comme on dit, le compas dan &
P'oeil, elk ab
, C'eft fur l'Oféologie ou l'étude du
fquelete , que M. Watelet fonde la connoiffance
des proportions. Mais dans les
accroiffemens & les développemens des
parties du corps humain , il obferve que
la nature ne fe montre pas uniforme , &
non feulement dans les différens âges ,
mais dans les differens états de la vie x
&&
110 MERCURE DE FRANCE.
dans les fexes , les climats , les moeurs ,
les travaux , les exercices du corps , &c.
Il trouve les caufes de cette diverfité de
proportion , que la nature lui préfente. Sa
théorie eft appuyée fur la pratique des
plus grands Maîtres ; & l'on voit ici les
raifons qu'ils ont eues de varier les dimen
fions des parties du corps , felon les circonftances
qu'il vient d'indiquer. Par
exemple :
» Les Anciens donnent fept têtes &
» trois parties de hauteur à Vénus. Telle
» eft la ſtatuë de Vénus Médicis, & la pro-
» portion de la Déeffe Beauté. La ftatuë
# qu'on connoît , fous le nom de la Bergere
Grecque , qui peut être Diane , ou
une de fes Nymphes fortant du bain ,
> a , dans la proportion de fept têtes ,
» trois parties & fix modules , un carac-
» tère qu'elle doit fans doute à l'exercice
» de la chaffe , & aux danſes qui devoient
» rendre la taille des Nymphes fvèlte &
agile.
C'eft ainfi que M. Watelet recherche
les principes de l'Art, dans la Nature mê
me . Les demi- connoiffeurs apprendront
de lui , à ne pas précipiter leurs Jugemens
frivoles , à ne pas condamner d'un coup
d'oeil, comme un caprice de l'art , ou comme
un oubli de l'Artiſte , ce qui ſouvent
1
JUIN. 1760.
FIT
eft le fruit de l'étude la plus réfléchie , &
le réſultat des plus favantes combinaiſons.
Pour rendre fenfible aux yeux la mani
ère de mesurer les parties du corps , &
donner en même temps les modéles des
plus belles proportions ; M. Watelet a
deffiné , à la fuite de cet article , la figure
de l'Antinous , & celle de la Vénus de
Medicis , avec les divifions des parties,
& l'échelle des proportions.
II. L'Enſemble , eft ce qui préfente à la
vue l'union des parties d'un tout , dans un
tableau : la correfpondance , l'affortiffement
& l'accord des parties , s'appellent
le tout enfemble ; & M. Watelet le diftingue
de l'ensemble d'une feule figure con
fiderée en elle-même.
La beauté de l'enſemble, priſe dans le
repos , eft la même que celle des proportions
: mais la beauté de l'enfemble , confiderée
dans un corps en mouvement , eft
dans l'apparence du jeu des Muſcles ; &
& pour le rendre fidélement , M. Watelet
recommande aux jeunes Peintres l'étude
de la Myologie. » Comment , dit - il ,
» imiter avec préciſion dans tous les mou
» vemens combinés une figure mobile ,
» fans avoir une idée jufte des refforts qui
la font agir ? L'Artiste ne doit jamais
» déffiner un ensemble , qu'il ne fe rende
112 MERCURE DE FRANCE.
compte de la caufe intérieure des for-
» més qu'il trace.
Quelques Peintres ont abufé de leurs
études anatomiques ; mais de quoi n'abufe-
t-on pas? Si quelques Poetes ont fait ,
dans leurs vers , un vain étalage d'érudition
; faut-il en conclure , qu'il eft dangereux
pour un Poëte d'avoir approfondi
les connoiffances relatives à fon Art &
aux fujets fur lefquels il s'exerce ?
» Plus le Sculpteur & le Peintre ont
profondément étudié la conftruction intérieure
de la figure ; plus ils doivent
✪ avoir d'attention à ne pas fe féparer in-
» difcretement de leurs connoiffances; plus
ils doivent avoir de foin à imiter l'adreffe
que la nature employe à cacher fon mé-
≫chaniſme.
»
Proportion noble & mâle, que notre
imagination exige dans l'image des héros
; ensemble fléxible & délicat qui nous
plaît , & qui nous intéreffe dans les
» femmes ; incertitude des formes dont
les développemens imparfaits font les
agrémens de l'enfance ; caractère (vèlte
» & léger , qui dans la jeuneffe de l'un &
» de l'autre fexe , ' ' rend les articulations
» à- peu- près femblables , & produit des
» mouvemens naïfs & pleins de grâces" :
tellés font les apparences charmantes
» fous lefquelles la nature cache ces os ,
JUIN. 1760: 113
dont la feule idée femble nous rappeller
l'image de la deftruction , & ces
» muſcles dont la multitude & la com-
» plication effrayeroit la plupart de mes
» lecteurs , fije leur en faifois ici le détail.
(Il l'a fait , dans les fçavans Articles qu'il
a donnés à l'Encyclopédie , & plus expreffément
dans l'Article FIGURE. )
III. L'équilibre , & le mouvement du
corps humain , font traités fçavamment
dans ces réfléxions .
L'équililibre d'une figure eft , dit M.
Watelet , le réfultat des moyens qu'elle
» employe pour fe foutenir , foit dans le
mouvement , foit dans une attitude de
» repos..... On peut confidérer , ajoutet-
il , l'action d'une figure , comme le
» réſultat d'un nombré infini d'attitudes,
» dont chacune a eu un moment de ftabi-
» lité. Cette idée , eft jufte & lumineule ;
elle rend fenfible la faculté qu'a le Peintre
de choisir entre tous ces repos fucceffifs &
momentanés dont une action eft compo
fée , celui qui a le plus d'expreffion , de
force & de grâce.
... Parune Loi, que la nature impofe aux
corps qui fe meuvent , la figure en ac-
» tion doit paffer alternativement & con-
» tinuellement de l'équilibre , qui confi
fte dans l'égalité du poids &de fes parties
"
114 MERCURE DE FRANCE
» balancées & repofées fur un centre,à la
» ceffation de cet équilibre : c'est-à- dire ,
» à l'inégalité du balancement.
» Le mouvement naît de la rupture du
parfait équilibre ; & le repos vient du
» rétabliſſement de ce même équilibre.
»
» Le mouvement fera d'autant plus
» fort , plus prompt & plus violent , que
» la figure dont le poids eſt également
» partagé de chaque côté de la ligne qui
» la foutient , en ôtera plus d'un de ces
» côtés pour la rejetter de l'autre , &
» cela avec une plus grande précipita
» tion.
L'Auteur , pour fimplifier les régles
femble avoir tout réduit au principe du
levier. Un homme ne pourra remuer
» ou lever un fardeau , qu'il ne tire de
»foi-même un poids plus fort que celui
qu'il veut mouvoir , & qu'il ne le porte
» d'abord du côté oppofé à celui où eſt
» le fardeau qu'il veut élever. Ceci né
doit pas être pris à la lettre ; & il eft des
actions de ce genre où le reffort des par
ties a pplluuss ddee part que leur poidsabfolu.
La force d'un homme courbé en avant,
pour lever un fardeau qui eft à ſes pieds ;
ne vient pas du balancement des foli
des , mais de la tenfion , de la contrac
tion des muſcles du corps ; & cette action.
JUIN. 1760. TIS'
me femble analogue à celle d'une corde
humectée qui fe gonfle & fe raccourcit. :
De même, en parlant de l'équilibre fimple
, M. Watelet femble n'avoir confidéré
que les maffes , fans égard aux diftances :
mais quiconque , a les premieres notions
de la Statique , entendra aifément que la
prolongation du levier fuplée à la maffe
& au poids abfolu ; & qu'un bras étendu ,
par exemple , contrebalance un poids
beaucoup plus grand que le fien . C'eft ce
que le Sculpteur & le Peintre ne doivent
jamais perdre de vue. » Et c'eſt ainfi , dit
» M. Watelet , que la chaîne qui unit les
» connoiffances humaines,joint ici les loix
» du mouvement à l'Art du Deffein, comme
» elle a réuni cet Art àl'Anatomie,lorfqu'il
» s'eft agi des proportions& de l'enfemble;
» & comme elle raffemblera le Chymifte
» & le Peintre, pour l'objet phyſique des
» couleurs . »
IV. Rien n'eſt plus difficile à définir
que la beauté on ne l'apperçoit que
par fentiment ; & ce fentiment eft fuf
ceptible de toutes les altérations du préjugé
& de l'habitude. Une âme fenfible .
délicate & neuve , s'il eft permis de le dir
re , diftinguera partout la beauté fans la
définir. Mais qui peut fe flatter d'avoir
ce tact infaillible ? qui peut fe répandre
THE MERCURE DE FRANCE.
R
à foi-même de ne juger que par fentiment
? M. Watelet renvoye les Artiftes
aux modéles reconnus beaux , de l'aveu
de plufieurs fiécles. » En comparant ces
» modéles antiques , avec la nature ; en
méditant fur ces comparaiſons ; en élevant
leur efprit , j'oſe dire même en
» épurant leurs coeurs ; ils fe feront une
habitude de penfer la beauté , de la
» fentir , & de la rendre . Mais après feur
avoir indiqué le moyen le plus für de dêterminer
la beauté dans les Arts , M. Wazeler
propofe une régle pour la diftinguer
dans la nature ; ou plutôt , pour fe rendre
raifon du fentiment qu'elle excite en nous.
•
Il croit donc , que la Beauté du corps
humain confifte dans l'aptitude la plus
parfaite à remplir le deffein de la Nature
, dont l'objet principal eft notre confervation.
Il parcourt tous les mouvemens
du corps qui tendent le plus direc
rément à ce but. » Tous ces mouvemens,
dit il , feront d'autant plus faciles à
» exécuter par l'homme , que fa confor-
» mation fera plus développée & plus
parfaite... Auffi le terme de Beauté, n'atil
jamais une expreffion plus frappante
, que lorfqu'il s'applique à la jeuneffe
... Remarquez la jeuneſſe , au moment
où elle eft prête à atteindre le dernier
د ر
JUIN. 1760 .
117
32
13
39
degré de développement des proportions
, & de l'enfemble : cette jeuneffe ,
parfaitement conformée, dont les mou-
" vemens faciles font , par conféquent ,
agréables ; & dont les mouvemens
" prompts & adroits , lui font par- là plus
» utiles. Voilà ce qui renferme , vérita- ›
" blement , toutes les idées de la Beauté.
" Les Grecs ont eu ces idées plus déve
loppées, plus fenties, & par conféquent
» plus évidentes que nous ne les avons ,
" à caufe des jeux , des combats , & des
" exercices qui offroient à leurs yeux très-
» fréquemment ce rapport des proportions
" de parties , avec l'ufage de ces parties.
" Ils étoient inftruits à fentir & à juger ;
" en même temps que leurs Artiftes l'e
" toient à choisir & à imiter.
33
"
1
»V. Comme la Beauté confifte , felon
» M.Watelet 31x dans une conformation
" parfaitement relative aux mouvemens
" qui nous font propres ; la grâce confifte
» dans l'accord de ces mouvemens avec
» ceux de l'âme. Cette idée , n'eft pas
moins jufte, que la premiere. » Les mou-'
» vemens de l'âme des enfans, font fim-
» ples ; leurs membres,dociles & Touples.,
" Iréfulte,de ces qualités,une unité d'ac
tion & une franchife qui plaît. L'enfance
& la jeuneffe , font les âges des 22.
18 MERCURE DE FRANCE.
grâces ; l'âge mûr s'y refufe, & la vieil-
» leffe en eft privée .
Tout cela fuit clairement du principe
lumineux que M. Watelet vient d'établir.
On voit auffi , pourquoi les fentimens les
plus fimples & les plus doux , font ceux
qu'on exprime avec le plus de grâce ;
pourquoi les agitations compliquées , les
paffions violentes , n'en font pas fufceptibles
; » pourquoi le fexe plus fouple dans
»fes refforts , plus fenfible dans fes affec-
» tions ; dans lequel le plaifir de plaire
» eft un fentiment en quelque façon in-
» dépendant de lui , parce qu'il eft nécellaire
au fyftême de la nature ; pour-
» quoi ce fexe enfin,qui rend la beauté plus
a intéreffante, offre auffi lorſqu'il échappe
»à l'artifice & à l'affectation , les grâces
» dans l'aſpect le plus féduifant.
» Les grâces ne fuppofent pas éffentiel-
» lement la beauté ; l'enfance, qu'on peut
» regarder comme un âge où le corps eft
imparfait , n'en eft pas moins fufcep
» tible de grâces : mais la fanté eft faavorable
aux grâces , & fert de luftre
n à la beauté.
Pour rendre fenfibles les idées pleines
de délicateffe dont cet article eft compofé
, M. Watelet propoſe un tableau. Le
fujet eft fimple ; c'eft la rencontre de deux
JUIN. 1760. 119
amans : mais qu'il a fçû le rendre touchant
, dans fa naïveté ! Et que celui qui
peint avec de fi vives couleurs , eût pu
s'égarer agréablement , s'il eût voulu ,
dans un Poëme fur l'art de peindre !
.
VI. L'harmonie de la lumière & des
couleurs , eft la magie de la Peinture.
L'art d'éclairer les objets , eft bien fimple
dans fon principe : il s'agit de fixer
un centre à la lumière ; & de tirer de
ce point une infinité de lignes , ou de
rayons : toutes les parties des objets que
ces lignes toucheront , feront éclairées ,
les autres feront privés de lumière ; c'eſt
ce que les Peintres, appellent clair-obf
cur. Les points du tableau les plus voifins
du centre de lumiére , feront les plus
éclairés les plus éloignés le feront moins;
cela s'appelle dégradation . Les différentes
dégradations forment l'accord du clairobfcur.
Il y a une eſpèce de fympathie
& d'antipathie entre les couleurs ; &
chaque couleur a des nuances , qui de
la plus foible teinte, s'étendent jufqu'à la
plus foncée : c'eft un heureux choix ,
un mêlange harmonieux de ces couleurs ,
& de leurs nuances , qui fait la beauté
du coloris. La diftance d'un objet à
" l'oeil de celui qui le regarde , rend la
» couleur de cet objet plus ou moins frap120
MERCURE DE FRANCE
" pante : Voilà, dit M. Watelet, des dégra
» dations qui ne font pas précisément cel
» les qui naiffent de l'ombre & de la lu-
» mière.
Ce n'eft pas toutefois que la caufe phyfique
n'en foit la même ; car la couleur
ne paroît plus ou moins vive , que parce
que la lumière eft plus ou moins affoiblie
dans fon trajet , foit depuis le centre
de la lumière jufqu'à l'objet éclairé , foit
depuis l'objet éclairé jufqu'à l'oeil : ainfi
la dégradation n'eft jamais que la lumière
affoiblie ou dans l'incidence , ou dans la
réfléxion.
» Il fe fait encore , dit M. Watelet
» un rejailliffement des couleurs les unes
» fur les autres , & d'une petite partie de
» la lumière des objets éclairés fur ceux
qui font dans l'ombre : c'eft ce qu'on
» appelle Reflets . b, in mach an aita
4
L'harmonie des couleurs naturelles et
inimitable au degré de la vérité ; &
M. Watelet ne rend que trop évidente ?
l'impoffibilité de remplir par degré toute
l'étendue des nuances qui fe trouvent
dans la nature, depuis l'éclat de la lumière
jufqu'à ce qui approche le plus de fa privation
totale. Il et donc néceffaire
qu'un Peintre fe forme une léchelle
» moyenne : mais cette échelle qui doit «
» tenir
1
H
JUIN. 1760 : 121.
tenir un milieu jufte entre les extrémités
» pour être la meilleure qu'il eft poffi-
"ble , dépend -t - elle de la volonté de
» l'Artifte ?
Le Clair -obfcur , c'eft-à- dire , l'accord
de l'ombre & de la lumière , abſtraction
faite des couleurs , produit un effet dont
le fentiment eft commun à tous les hommes.
Il n'en eft pas de même , de la couleur
locale : les variétés qui exiftent dans
les différens organes de la vue , peuvent
influer puiffamment fur cette apparence
colorée & tranfmife à nos fens , & l'apparence
des reflets de la couleur doit varier
de même dans les différens points de
vuë. Des deux parties , d'où réfulte l'harmonie
de la Peinture , celle dont l'effet
eft le plus certain eft donc le clair- obfcur.
» Je penfe , dit M. Watelet , que
» l'harmonie colorée dépend infiniment
» des organes des Peintres ; & que l'harmonie
du clair- obſcur , dépend prèſque
» entierement de leurs obfervations , &
de leur jugement . Ceux qui pratiquent
» cette derniere partie , à un certain de-
» gré de jufteffe , doivent parvenir à pro-
❤duire une illufion générale & fatisfai
» fante : d'où il paroît conclure, que l'Artike
obligé d'en croire fes yeux pour la
couleur locale , doit donner la principale
F
122 MERCURE DE FRANCE
étude à l'harmonie du clair- obſcur.
1
N'avez-vous jamais fait , Monfieur , au
fujet du Coloris, une réfléxion qui me femble
devoir ſe préſenter à tout le monde ? '
Il eft des Peintres dont leColoris eft faux,.
non - feulement aux yeux de quelques
hommes , mais au fentiment de tous ; tel
eft celui du Pouffin . Je ne puis croire que
les organes de l'Artifte en foient la caufe;
& je penfe , qu'il ne s'éloigne de la nature
, que pour s'être fait , fans la confulter
, un fyftême de couleur arbitraire &
capricieux , tel qu'il eft dans les écoles ; "
ou pour n'avoir pas eu l'art de former ,par
le mêlange des couleurs primitives , le ton
& les nuances qu'il appercevoit dans l'objet.
Nous ne voyons pas tous , dans les
objets , la même couleur locale , mais
auffi ne voyons nous pas tous les mêmes
couleurs fur la palette du Peintre ; & ces
deux différences, exactement, compenfées"
l'une par l'autre , doivent faire choifir à
deux Peintres la même couleur, pour rendre
le même objet. En fuppofant donc ,
par exemple , que fe Pouffin vit dans la
nature des chairs livides , il devoit voir
livide auffi la couleur que Rubens avoit
employée pour imiter des chairs vermeilles
, & les employer comme lui. Par la
même raifon que tous les hommes s'ac-
(
JUIN. 1760.
123
cordent à dire que deux objets font de la
même couleur , fans varier même fur les
nuances , deux Peintres devroient rendre
de même le coloris de la nature ,
quoiqu'ils l'apperçoivent différemment ;"
& je ne puis comprendre , que le plus ou
moins de vérité qu'ils y mettent , vienne
de la différente conformation de l'organe
de la vuë : c'eft ce que j'aurois bien
voulu que M. Watelet eût approfondi .
VII . Il y a deux fortes d'effets ; les uns
font permanens , & le choix en doit être .
décidé par la beauté des objets & leur
convenance : il y a des effets paffagers.
» Pour avoir une idée de ceux - ci , confi-
» derez , dit M. Watelet , la lumière & les
paffions. La lumière varie continuellement,
les paffions n'ont jamais de fta-
»-bilité.
C'eft furtout du concours des circonf
tances & du jeu des oppofitions , que réfultent
les effets . Rien de plus commun
dans la nature , que les oppofitions ; rien
n'est plus rare, dans l'imitation , que d'en
voir de vraisemblables. Le goût du Peintre
confifte dans le choix des effets , &'
dans le talent de les placer à propos.
» J'aime à voir , dit M. Watelet , décrits
» ou repréfentés les champs d'Eden , &
» les montagnes entaffées par les géans ;"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
» le Soleil qui, prêt à defcendre dans des
nuages , embellit & éclaire le palais &
» les enchantemens d'Armide ; ou ,fur les
» bords d'une mer en fureur , la foudre
» échappée des ténébres , qui brife les
» rochers qu'elle éclaire ; enfin Plyché
» aux enfers , ou dans les bras de l'amour,
VIII. De l'expreffion , ou des paffions.
» Etre affecté lorsqu'on voit un objet d'un
» certain caractère, par lequel il nous frap-
» pe ; diftinguer dans cet objet ce qui lui
» donne ce caractère , dont nous fommes
» frappés ; faire paſſer ce caractère , dans
l'imitation : Voilà ce que c'eſt que voir,
» fentir & exprimer... L'expreffion , ajoute
M. Watelet , s'étend des objets les
plus fimples , aux objets les plus compofés
; des corps les moins fufceptibles
» d'action , à ceux qui font les plus ani-
» més ; enfin de la matière à l'efprit.
38.
و ر
28
Un Arbre qui perce les nues , un vafte
rocher qui menace de s'écrouler , la Mer
qui fe brife contre les écueils , ont un
caractère que l'expreffion doit rendre.
» Enfin l'homnie lui-même , n'affecte
» pas les mouvemens dont je m'apperçois
que fon âme eft agitée ; je remarque
>> ce que les mouvemens produisent d'apparent
fur fes membres , fur fes muf-
» cles, les attitudes , fes geftes , fa couleur
JUIN. 1768. 1v5
& fes traits ; & c'est ainsi , que par la
» faculté de fentir & de diftinguer toutes
ces chofes , je parviens à l'expreffion
des paffions qui met le comble à la
» perfection de la Peinture...
" Mais , par malheur , plus une Nation
eft civilifée , plus le caractère des mou-
» vemens de l'âme eft affoibli par cette
» gêne utile que les hommes impofent à
la plus grande partie des expreffions
39
fubites & inconfiderées , tant de l'âme
» que du corps. On réprime , dit M. Watelet
, les fignes des paffions , préférablement
aux paffions mêmes. Où trouver
» parmi nous aujourd'hui , demande- t- il ,
» non pas des hommes colères , mais des
» hommes qui permettent à la colère de
33 fe peindre d'une façon abfolument li-
» bre dans leurs attitudes , dans leurs
» geftes , dans leurs mouvemens & dans
» leurs traits Voilà ce qui s'appelle
confiderer les Arts & la Nature , avec des
yeux philofophiques !
» Plus une fociété fera nombreuſe &
» civilifée , conclut M. Watelet , plus
» la force & la varieté de l'expreffion
» doit s'affoiblir : parce que l'ordre & l'u-
» niformité , feront les principes d'où naî-
» tra ce qu'on appelle l'harmonie de la
# fociété.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
L'expreffion naturelle, fe conferve davantage
parmi le peuple ; mais c'eſt une
difficulté de plus pour les Artiftes par la
différence qu'on prétend établir auffi
entre les expreffions nobles & les expreffions
communes des paffions. » Ne
» pourroit - on pas fourire un inftant , dit
» M. Watelet , fur cette prétention des
» hommes civilifés , qui femblent afpirer
» moins à fecouer le joug pefant des paf-
» fions , qu'à le porter avec plus de grâce
» que leurs femblables ? Il fait voir la
différence qu'il y a entre la colère naturelle
& la colère qu'on appelle noble' ,
parce qu'elle eft retenue , & combien
celle- ci eft moins avantageufe à l'expreffion
de l'art.
» Fourquoi , demande- t- il , le Poëte ,
» qui fur le théâtre préfente aux yeux de
l'efprit des tableaux d'expreffion morale,
» a- t- il la liberté d'oppofer le vice à la
» vertu ; tandis que le Peintre n'ofe, par
» l'oppofition de la perfection & de la
» difformité , préfenter la beauté dans
» tout fon avantage ?
33
Il y a fans doute en cela beaucoup d'ha
birude & de préjugé . Mais comme on
n'oppoſe pas, ſur le théâtre héroïque , un
inſenſé à un homme fage , un Tèrfite à un
Ulyffe ; on peut avoir quelque raifon dé
JUIN. 1760. 127
ne pas oppofer, dans un tableau d'hiftoire ,
un certain caractère de laideur à celui dela
beauté. L'idée de nobleffe, eft une idée
factice ; mais elle fait loi dans tous les
Arts.
M. Watelet finit , par une énumération
des paffions ; & il en indique les fignes &
le caractère en obfervateur auffi clairvoyant
qu'attentif. Et quand il en vient
à l'amour :
"
و د
Je pourrois , dit - il , parcourir la timi-
» dité , l'embarras , l'agitation , la lan-
» gueur , l'admiration , le defir , l'ardeur ,
l'empreffement , l'impatience, l'éclat du
» coloris , l'épanouiffement des traits , un
» certain frémiffement , la palpitation ,
» l'action des yeux tantôt enflammés ,
» tantôt humides , le trouble , les tranf-
»ports ; & l'on reconnoîtroit l'amour.
{
Ce morceau,& beaucoup d'autres , font
voir quelles beautés de détail M.Watelet
eût pû répandre dans fon Poëme , s'il
n'eût craint d'en être prodigue. Il y a
bien peu d'Auteurs qui ayent le courage
de facrifier , comme lui , la vanité d'être
plus amufans à la gloire d'être plus utiles ,
& qui s'expofent au reproche d'avoir por
té trop loin la modeftie & la fobriété dans
l'ufage des ornemens . J'avoue qu'en lifant
ces réfléxions , j'ai été moi-même du
Civ
128 MERCURE DE FRANCE.
nombre de ceux qui ont eu l'injuftice de
reprocher à l'Auteur de n'avoir pas em
ployé dans fes vers les riches détails qu'il
a jetrés dans fa profe , comme autant de
fleurs qu'il abandonne à qui voudra les
*recueillir..
AVERTISSEMENT.
L'AUTEU
'AUTEUR du Mémoire hiftorique , für
le Mercure de France , inféré dans le
Mercure du mois dernier , a oublié de
dire , que M. Rémond de S. Albine , Auteur
de plufieurs ouvrages eftimés , a auffi
donné fes. foins à la compofition de ce
Journal , depuis le premier Juillet 1748,
jufqu'au 15 Juin 1750 ; qu'il en a , par
conféquent , publié 27 volumes ( parce
qu'alors , il ne paroiffoit que 14 Mercu
res par an ; ) & que , dans ce court in
tervalle , il en a augmenté le produit an
nuél.
RECUEIL D'ÉLOQUENCE SAINTE , Contenant
les panégyriques des Patriarches &
Fondateurs d'Ordres , avec des Difcours.
Synodaux , & des Conférences Eccléfiaf
tiques ; à l'ufage de MM . les Curés des
JUIN. 1760 . - 129
villes & de la campagne , de ceux qui le
deftinent à la Chaire , & même des fimples
Fidéles. Par le P. Hyacinthe de Montargon
, Auguftin de Notre - Dame des
Victoires , Prédicateur du Roi , Aumônier
& Prédicateur ordinaire du Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar , & Provincial
de fon Ordre.
(Laudemus viros gloriofos, in generatione fuâ.
( Ecclef. c. 44. V. 1. }'
Tome premier in- 8°. A Paris , chez Auguftin-
Martin Lettin , l'aíné , Libraire &
Imprimeur , rue S. Jacques , près S. Yves ,
au Coq.1780 , avec approbation & privi
Tége du Roi. Ce volume , dont l'Auteur
eft affez connu , par les 13 volumes qu'il
a donnés du Dictionnaire Apoftolique ,
fe vend 4 liv. ro f. en blanc , & 5 liv..
ro f. relié.
1
L'ART ORATOIRE, réduit en exemples,
ou choix de Morceaux d'Eloquence tirés
des plus célébres Orateurs du Siècle de
Lours XIV. & du Siécle de Louis XV.
dédié à Mgr. le Duc de Villars, par M.
Gérard de Benat; 4. vol. in- 12. A Amfterdam
. 1760. Et fe vend à Paris , chez
Defaint & Saillant, Libraires,rue S.Jean
de Beauvais ; & à Marseille , chez Jean
By
130 MERCURE DE FRANCE.
Moiffy , Libraire , à la Canebière . Cette
nouvelle Edition , de fragmens choiſis d'Eloquence
, eft augmentée de deux vólumes,
& a été retouchée par l'Auteur ; qui,
loin de vouloir donner une Rhétorique ,
ne s'eft proposé d'autre objet ( comme le
titre l'annonce ) que de raffembler les
traits brillans des plus célébres Orateurs
du dernier Siécle & de celui - ci ; & de
donner, pour ainfi dire , une Bibliothèque
Oratoire , qui puiffe être auffi utile qu'amufanté.
INTRODUCTION à la connoiffance des
Plantes , ou, Catalogue des Plantes uſuélles
de la France , avec les caractères diftinctifs
, fuivant le fyftême de M. de Tournefort
, les propriétés , d'après la pratique
des plus fçavans Médecins , & les
ufages qu'en fait la Pharmacopée de Paris
pour les compofitions officinales . On
y a ajouté une notice abrégée des drogues
étrangères , en fuivant la même
méthode. Par M. Gauthier , Médecin du
Roi & des Univerfités de Paris & de
Montpellier , volume in- 12 . A Avignon.
1760. Et fe trouve à Paris , chez Auguftin
Martin Lottin , rue S. Jacques , au
Coq ; & chez la veuve Robinot , quai
des Auguftins.
JUIN. 1766. 137
TRAITÉ raiſonné , de la diftillation ; ou
la diftillation réduite en principes ; avec
un Traité des odeurs . Par M. Dejean , Dif
tillateur. Seconde Edition , revue , corrigée
, & augmentée par l'Auteur . Volume
in- 12. 1760. A Paris , chez Nyonfils , &
chez Guillyn , Libraires , quai des Auguftins
, avec Approbation & Privilége
du Roi .
MÉMOIRE , fur les défrichemens , in- 1 2 .
A Paris , 1760 , chez la veuve d'Houry ,
Imp. Lib. de Mgr le Duc d'Orléans , rue
de la vieille Bouclerie , avec approbation
& Privilége du Roi. Prix , 30 f. broché.
PRATIQUE des défrichemens , même
format ; & fe vend chez la même Libraire.
RACINES de la Langue Angloife , ou
l'Art de bien entendre cette Langue , de
la parler , & de l'écrire correctement . Par
feu M. Gauthier, Me de Langue Angloife.
Paris. 1760. in- 12 . chez G. Defprez, Imprimeur
du Roi & du Clergé de France ,
rue S. Jacques , à S. Profper & aux trois
Vertus , avec approbation & privilége du
Roi. N. B. Comme on n'a tiré qu'un trèspetit
nombre de ce livre , il fe vend 50 ር
broché .
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
ÉLÉMENS de la Grammaire Françoife ,
à l'ufage des petites Ecoles , ou à l'ufage
des Enfans qui apprennent à lire. Petit
in- 16. Paris , 1760. Chez Butard , Li+
braire, rue S. Jacques , à la Vérité;& chez
la veuve Robinot , quai des Auguftins.
MÉTHODE naturelle , pour apprendre à
lire ; ou moyens d'apprendre à lire facile
ment & en peu de temps. Brochure in- 1
-12
SECONDE PARTIE ; ou application des
régles de la Méthode naturelle pour apprendre
à lire , brochure in- 16. Chez les
mêmes Libraires..
2
,
ABRÉGÉ des Principes de la Grammaire
Françoife , dédié aux Enfans de France ,
Mgr. le Duc de Berry , Mgr le Comte de
Provence , & Mgr le Comte d'Artois
Par M. Reftaut , Avocat en Parlement
& aux Confeils du Roi. Cinquiéme Edi
tion,revue , & augmentée par l'Auteur.
Vol. in- 12. Paris , 1760. Chez J. Butard,
Imp. Lib. rue S. Jacques , à la Vérité ; &
chez Defaint & Saillant , Libraires , rue
S. Jean de Beauvais , avec approbation &
privilége. La réputation de l'Auteur, & le
mérite de fes ouvrages , font l'éloge de.
celui- ci..
DISSERTATION fur les voyelles & fur:
JUDN. 1760. 1313
les confonnes. Par M. *** de la Société
Littéraire d'Arras. Brochure in- 12. im
primée à Amiens , 1760 , & fe vend à
Arras , chez Laureau , Libraire, avec permiffion
.
Duffons - nous bleffer la modeftie de
P'Auteur >
nous ne pouvons nous enipêcher
de féliciter M. Harduin , for le
mérite de ce nouvel Ouvrage , digne de
ceux qu'il nous a déja donnés dans ce
-genre..
HISTOIRE des Révolutions de l'Empire
de Ruffie , Par M. Delacombe , Avocat ,
in- 12 . Paris , 1760. Chez Jean Th. Heriffant
, rue S. Jacques , à S. Paul , & à
S. Hilaire , avec approbation & privilége
du Roi. Nous donnerons l'Extrait de cet
ouvrage intéreffant.
HISTOIRE de Raffelas , Prince d'Abiffi
nie , Par M. Johnfon, Auteur du Rambler,
& traduite de l'Anglois , par Madame
B **** . in- 12 . Amfterdam , 1760 ; & ſe
trouve à Paris , chez Prault fils , quai
des Auguftins , au coin de la rue Gît-lecoeur.
C'est un Roman Philofophique, véritablement
traduit de l'Anglois ,, trèsbien
traduit , qui a réuffi dans fon Pays ,
& qui mérite de réuffir dans le nôtre. Je
compte en parler plus au long dans le
prochain Mercure.
134 MERCURE DE FRANCE.
RECUEIL DE POESIES , de M. Sedaine ,
feconde Edition , revuë & augmentée de
Piéces faites depuis la premiere , & de
plufieurs Airs notés , 2 vol. in- 12 . Londres
, 1760 ; & fe trouve à Paris chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , au
Temple du Goût .
LE TABLEAU DE LA NATURF , brochur
re in - 8° . A Londres , 1760 ; & ſe vend
à Paris , chez Humblot , Libraire , rue
S. Jacques , vis-à- vis l'Eglife des Jéfuites.
C'eft un tableau très- agréable vivement
, & légèrement deffiné .
LA RUILLIERE , Epître à M. ***. A Paris
, chez Michel Lambert , Imprimeur
Libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoife , au Parnaffe. 1760. Ce petit
Ouvrage , aifément & fortement verfifié
, eft plein de Poëfie , & fait honneur
à fon Auteur . ·
LA RENTRÉE DES THÉATRES , OU L'IN
VENTION , Comédie en un Acte & en vers.
Par M. Brunet. A Paris , 1760 ; chez
Cailleau , Libraire , quai des Auguftins, à
S. André. Prix , 1 liv. 4 f. J'en ai donré
l'Extrait , dans le dernier Mercure.
JUIN. 1760. 135
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT du Mémoire lû par M. LE
PERE , Secrétaire perpétuel de la Société
des Sciences & Arts d'Auxerre , à
l'Affemblée publique de cette Société
tenuë le Lundi 29 Octobre 1759.
L'ACADÉMIE d'Auxerre pratique un
ufage, qui eft pareillement
établi dans plufieurs
Académies . Si quelques confidérations
empêchent
qu'il ne foit fuivi dans
toutes , au moins on ne peut pas difconvenir
de fon utilité. Quoiqu'il en foit ,
fans défapprouver
celles où il ne peut pas
être introduit , la raifon de cette utilité
fuffiroit feule pour defirer de voir étendre
cet ufage à toutes les autres Académies en
général qui peuvent l'adopter : voici cet
ufage. Après les difcours prononcés par le
Directeur , & auparavant
la lecture des
autres Piéces deftinées à remplir la féance
publique , le Secrétaire lit un Mémoire
136 MERCURE DE FRANCE.
de fa compofition , qui contient l'Extra it
raifonné, quoiqu'abrégé , desdifférens Mé
moires, Differtations ou autres ouvrages
préfentés à la Compagnie par ſes afſociés
réfidens ou étrangers , & par fes corref
pondans , & dont l'examen l'a occupée
dans fes affemblées particulières pendant
le cours de l'année précédente.
Nous avons annoncé , dans le fécond
volume du Mercure du mois d'Avril der
nier , l'ordre de la féance publique , tenue
le lundi 29Octobre de l'année paffée.
Voici la notice de l'Extrait qui y fat lû, par
le Secrétaire perpétuel. Il a eu la complaifance
de nous l'envoyer, avec celui qui
fit partie de la féance publique de l'année
1758 , & que nous donnerons dans un
autre Journal. Mais comme ce Mémoire
n'eft lui - même qu'un Extrait des piéces
dont il rend un compte fidéle , & que
leur multiplicité lui donne néceffairement
une étendue qui pafferoitles bornes
que nous nous fommes prefcrites ; nous
avons crû pouvoir prendre fur nous , fans
bleffer l'intention de l'Auteur , qui veut
bien fans doute fe prêter à notre fitua
tion , de réduire nous - mêmes.cet Extrait
à une moindre étendue..
Le premier Mémoire que M. le Pere
analyſe , eft celui dans lequel M. Rondé
1
JUIN. 1766: 137
Chevalier d'honneur au Bailliage & Préfidial
d'Auxerre , explique les différens
ornemens employés fur les cercueils , &
depuis , fur les fimples tombes , quand
elles eurent fuccédé à l'ufage des cercueils
de pierre ou de marbre , qui formoient
une maffe fi lourde & fi pefante, &
par conféquent fi difpendieufe que cela
obligea bientôt les furvivans à ménager
la dépenfe , par la facilité & l'épargne
qu'on trouvoit à fubftituer une fimple
pierre plate à ces énormes tombeaux.
M. Rondé fuit , dans ce Mémoire , l'ordre
des fiécles tant du paganifme que du
chriſtianiſme ; & c'eft en rempliffant ainfi
fon objet , qu'il explique d'où vient la
dénomination de Carreé - les - tombes près
Avalon ; qu'il parle des tombeaux de St.
Pierre - l'Etrier, près Autun ; de ceux de
marbre blanc,déposés à l'hôtel de ville de
Worms ; des tombeaux tirés du cimetiere
du Vatican , à Rome , depuis l'établiffement
du Chriftianiſme ; de ceux de St.
Audoche , à Saulieu , & de St. Jean de
Reome , à Moutiers- St. - Jean . Ce Mémoire
fut fait à l'occafion d'une tombe plate ,
trouvée dans les ruines de l'Abbaye Royale
de St. Marien, lez - Auxerre . Elle repréfence
deux figures , une d'homme , l'autre
de femme. Ces figures ne font décorées.
"
38 MERCURE
DE FRANCE .
d'aucune marque de dignité . L'Epitaphe
fort courte, ne porte que le nom de l'hom
me : elle préfente un nom diftingué ,
joint à une qualité qui n'annonce qu'une
profeffion ignoble. Ce contrafte , ayant
fait naître des doutes à M. Silveftre de
St. Abel , un des membres de la Société ,
il les communiqua à M. Chappotin de St.
Laurent , de la Bibliothèque du Roi , &
que la Société venoit de s'aggréger , en
qualité de correfpondant. Il répondit qu'il
n'étoit pas plus furprenant qu'il y eût dans
un pays , que l'on connoît pour excellent
vignoble , des tombes d'un riche Tonnelier
, qu'il l'étoit de trouver des tombes
de Laboureurs dans des Provinces fertiles
en bled , ainfi qu'il en avoit vû à
Louvres en Parifis . L'Auxerrois même
fournit actuellement une preuve que le
pays n'y fait rien , puifqu'à Chitry près
Auxerre , il exifte une pareille tombe de
Laboureur, quieft fort ancienne . M.Chappotin
avoit auffi fendu compte à la Société
, dans un Mémoite précédent , d'une
autre tombe , du commencement du quatorziéme
fiècle , découverte dans les fouilles
d'un nouveau bâtiment fait à l'ancienne
commanderie du Saulce , & fur
laquelle les marques qui caractérisent la
nobleffe de la mere d'un Commandeur de
JUIN. 1760.
139
ce lieu , femblent fervir de nouvelles
preuves que la tombe de St. Marien n'eſt
rien moins que la tombe d'un homme qualifié
, malgré l'illuſtration du nom , qui
prouve au contraire & même davantage
la baffeffe de l'extraction de ce Tonnelier ,
appellé Robins de Beaumont ; puifque fe
trouvant peut-être fans aucun nom de famille
, il paroiffoit avoir été réduit à ne
porter que ceux qu'il tiroit & de fon habillement
& du lieu où , felon toute apparence
, il étoit né. Il eft en effet revêtu
d'une longue robe ; & l'on voit que c'eft
à deffein de cacher la difformité de fon
corps , étant repréſenté d'une très- petite
ftature à côté de fa femme , dont la taille
eft ordinaire ; & pour que le mari approchât
à peu près de la hauteur de la femme,
le Graveur a imaginé de l'élever fur une
petite efcabelle à quatre pieds , deffus laquelle
il eft placé .
L'explication de ces différentes tombes,
conduifit naturellement M. le Pere à parler
de la découverte faite l'hyver précédent
dans la Paroiffe de St. Amatre , hors
la Ville d'Auxerre , de plufieurs autres
tombeaux ; ainfi que de ceux qui avoient
été trouvés , l'année précédente , à St. Julien
de la même Ville . Un feul, des 7 tombeaux
de St. Amatre , a mérité l'attention
140 MERCURE DE FRANCE.
des Sçavans : les marques extérieures de
ce rombeau , ainfi que les reftes de vêtemens
dont étoit couvert le corps qu'il
renfermoit , fembloient annoncer le cercueil
de St. Amatre même , mort le premier
Mai 418 ; fi , d'ailleurs on n'avoit
des pièces capables d'en faire douter ,
produites dans les Mémoires de feu M.
P'Abbé Lebeuf , fur l'hiftoire eccléfiafti
que , civile & politique de la ville d'Auxerre
, & dans d'autres livres.
Comme la Société d'Auxerre fe propoſe
principalement pour but , d'éclaircir tout
ce qui a rapport à l'hiftoire de cette ancienne
Ville ; M. l'Abbé Potel , Chanoine
de cette Cathédrale , expofa l'hiſtoire des
Ecoles de la même Ville ; & la conduifit
depuis la premiere race de nos Rois juf
qu'à ces derniers temps, Ce Mémoire fit
partie des lectures qui remplirent la Séance
publique de 1758. Nous donnerons,
dans un autre Journal , l'état des pièces
lues dans cette Séance publique. L'on
voit par ce Mémoire & celui du même
Auteur fur l'Horloge de cette Ville , que
nous avons annoncé en rendant compte
de la Séance publique du 29 Octobre de
l'année paffée , dans notre fecond Journal
du mois d'Avril dernier , que M. l'Abbé
Potel s'attache principalement, & fait,
JUIN. 1760: T48
pour ainfi dire, fon unique objet de l'hiftoire
particulière de la Ville d'Auxerre ,
fur laquelle il cherche à répandre une
lumière propre à l'éclairer dans tous fes
différens points.
Tout eft du reffort d'une Société Littéraire
, furtout quand elle eft pour les
Sciences & pour les Arts. La différence
des études de chacun de fes membres en
particulier , relative à la différence des
profeffions qu'ils exercent , en jettant une
agréable variété dans les matières qui
font exposées à la difcuffion des affemblées
particulieres , étend auffi l'utilité
des travaux, qui, defon centre, comme de
leur fource , réjaillit fur l'utilité publique ,
ainſi qu'un ruiſſeau qui coule en ferpentant
pour arrofer une plus grande étencue
de terrain & porter des eaux falu❤`
taires dans un plus grand nombre d'endroits.
M. Houffet , Docteur en médé
cine de la faculté de Montpellier , de la
Société Royale des fciences de cette Ville,
& Médécin des Hôpitaux de celle d'Auxerre
, après avoir préfenté un bandage
de fon invention , pour le foulagement de
ceux qui font affligés de hernies ou décentes
fit part d'une lettre fur la convulfbilité
, qu'il fe propofoit d'envoyer à M,
Haller, Cette matière tient à celle de
142 MERCURE DE FRANCE
l'irritabilité. M. le Pere , en rappellant
la fubftance des écrits de M. Houffet fur
cette derniere , c'eft-à- dire , fur l'irritabilité
, fait voir que M. Houffet place le
fiége de l'un & de l'autre effet , dans la
fibre mufculaire avec des différences effentielles
néanmoins , qui les caractériſent
affez pour qu'elles ne foient
pas confonduës
l'une avec l'autre. Les bornes que
nous fommes obligés de mettre à notre
Journal , nous empêchent d'entrer dans
un détail qui d'ailleurs peut devenir intéreffant
pour l'humanité. C'eſt par la même
raiſon , que nous allons nous contenter
d'annoncer plus brièvement encore les
différens Mémoires analyfés dans le refte
de cet Extrait général.
Celui qui fuit , eft encore un Mémoire
du même M. Houffet , fur la Coqueluche
, & fur les rémédes propres à là gué
rir. Ce Mémoire eft relatif à celui que
M. Liger , auffi Docteur Régent en Médecine
de la Faculté de Paris , & nouvel
Aſſocié réſident, avoit fait auparavant fur
la même matière : ce qui engagea M.
le Secrétaire à rendre compte de ces
deux Mémoires , conjointement. S'ils
avoient du rapport en quelques parties ,
ils s'éloignoient auffi l'un de l'autre en
d'autres points , principalement dans la
JUIN. 1760. 143
pratique de la méthode curative. Ces
différences de fentiment , dans des contendans
auffi éclairés que ces deux Docteurs
, ne vont jamais plus loin , & ne
franchiffent point les bornes où il eſt
néceffaire de fe renfermer pour l'examen
de la vérité feulement , & pour l'amour
du bien public. Auffi en réfulte t -il toujours
une matière plus approfondie ,'
mieux diſcutée , plus éclaircie : ce qui
doit être l'objet des defirs de toute Société
de gens de Lettres. Tel eft l'avantage
, dit M. le Pere , d'avoir dans une
Compagnie Littéraire plufieurs membres
qui s'occupent des mêmes études
& cultivent les mêmes connoiffances :
ils s'éclairent mutuellement. L'émulation
les faifit , les anime , travaille & corrige
leurs ouvrages . Un Eccléfiaftique, du Diocèfe
, avoit préfenté à la Société un Mémoire
qui rouloit fur une matière bien
différente : c'étoit un traité , fur l'art de
fondre les cloches. Sa méthode étoit certaine
, conforme à la théorie , & , copfirmée
par l'expérience : mais une Table,
ou Echelle linéaire que l'Auteur y
avoit jointe , étoit abfolument fauffe ,
& ne pouvoit exprimer le poids des
cloches , relativement aux dimenfions
qui étoient établies dans cette Table
144 MERCURE DE FRANCE
le .
L'examen de cet Ouvrage fut , pour
Secrétaire , une occafion de travailler fur
le même fujet. Mais fon Mémoire , appartenant
à l'année fuivante , ne peut
trouver place dans cet endroit.
Tels font , pourfuit M. le Pere , les
Ouvrages de quelque étendue , qui , pendant
l'année 1758 , ont été lus dans nos
Affemblées particulieres. Je me contenterai
d'en indiquer nombre d'autres
qui ne font pas fufceptibles d'extrait ;
comme des Fables en vers , de M. Millelot
, Affocié-Corefpondant ; des Lettres ,
des Dialogues , & autres Piéces fugitives
du P. Marrin , Minime , Lecteur &
Profeffeur en Théologie à Lyon , autre
Aflocié- Corefpondant reçû cette même
année ; diverfes obfervations de M. Lef
ferré , Maître en Chirurgie , de M. l'Abbé
Precy , & autres ; des Difcours d'inftallation
& de réception ; & un Catalogue
raifonné de Chartes antiques , fait
par M. Silveftre , qui , toujours fidèle à
fes engagemens Académiques , n'a pas
ceffé de les remplir , depuis même qu'il
a ceffé d'être notre Concitoyen : auffi ,
à
proprement parler , la Société n'a point
perdu ce membre, dont les talens & l'application
lui faifoient honneur . Toute
cette année a été acquifition pour elle.
Outre
JUIN. 1760 . 145
Outre les trois nouveaux Affociés dont
on a déja parlé , un homme auffi diftingué
par fes titres Académiques , que
par fa naiffance , a recherché avec empreffement
d'augmenter le nombre de
fes honoraires. Je veux parler de M. l'Abbé
de Serent , Docteur en Théologie ,
Préfident perpétuel de la Société Littéraire
& Militaire , établie à Besançon ,
Membre de celle des Arcades & d'autres
Académies d'Italie & d'Allemagne.
Voilà , Meffieurs , conclud le Secrétaire
, en adreflant la parole au Public ,
le Tableau raceurci des occupations de
la Société , pendant l'année derniere.
Chargé par les ordres de vous en rendre
compte , je croirai les avoir remplis , f
dans mon Extrait , les Ouvrages que j'ai
analyfés n'ont que peu ou point perdu
du mérite qui leur eft propre.
EXTRAIT de la Séance de la Société de
Lettres , Sciences & Arts de Clermont
en Auvergne , tenuë le 25 Août 1759.
"
M.DEDE FELIGONDE , Secrétaire , ou
vrit la Séance par la lecture de l'éloge
de M. Barbe , Confeiller en la Cour des
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Aydes de Clermont. Les louanges qui
ont été données à cet illuftre Affocié font
fondées furfon goût pour l'étude & le travail
, fur fon exactitude fcrupuleufe à
remplir fes devoirs , fur l'étendue de fes
lumières , la douceur & la modeftie avec
laquelle il les communiquoit.
M. Barbe eut beaucoup de part à l'établiffement
de la Société Littéraire ; il :
fut du nombre de ceux qui en jetterent
les fondemens ; & quoiqu'il fût alors.
âgé de 72 ans , il a beaucoup contribué
à la perfection de cet établiſſement ,
par fon affiduité aux affemblées , par fes
avis pleins de fageffe , & par la plus faine
critique. Les douceurs de fa vie domeftique
, les agrémens de fon commerce
particulier , ont fourni à fon caractère
les traits les plus flatteurs ; la pureté de
fes moeurs , une piété folide & le foin
qu'il a eu des Hôpitaux , en qualité d'Adminiftrateur
, ont fait l'éloge de fa religion.
M. Jalladon lut enfuite un Mémoire
fur l'opération de la cataracte , avec de
nouvelles obfervations.
M. de la Chapelle lut une Differtation
fur des armes anciennes , trouvées à
Jeanfat près de Ganna , en Auvergne ,
en fouillant une montagne.
JUIN. 1760 . 147
43
Cette lecture fut fuivie d'une Differtation
, donnée par M de Feligonde , fur
la figure d'une croix , empreinte dans
l'intérieur d'un arbre , & découverte ar
i
hazard en refendant une buche.
Cette figure , également fenfible & régulière,
a quatre pouces & cinq lignes de
Tongueur , fur deux & demi de croifillons
, & fix lignes de largeur . Elle eft ,
empreinte à deux pouces de la furface
du tronc de l'arbre , fans que l'arbre paroifle
avoir été endommagé. Le bois qui
couvroit , cette empreinte eft auffi compact
& auffi naturel que le refte de l'arbie
, à l'exception d'un noeud qui répond
exactement à cetre empreinte. La figure
marque des deux côtés de la fection de la
buche , d'une manière cependant moins
vive du côté de l'écorce que dans l'autre
plan. Elle paroît faillante environ d'une
demie ligne , au plan de l'intérieur de
l'arbre , & rentrante dans celui qui lui.
eft oppofé. La croix éft noire,fur un noud
qui approche de la couleur rouge du
bois de cerifier.
L'Auteur , après avoir rendu compte
de Tes recherches fur des effets naturels
du même genre , s'attache à examiner fi
cet événement eft contraire à la nature ,
& s'il a pû arriver fans enfreindre les
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
loix de la végétation . Il examine quelles
font ces loix ; il les déduit des fameufes
expériences de M. Duhamel , & de la
comparaifon déja faite des opinions de
MM. Greve & Malpighi.
Il lui paroît impoffible, d'après cet examen
, que cette croix ait été formée par
la feule nature, fans avoir été dirigée par
une opération humaine. Il prétend qu'elle
a pû fe former ou par l'impreffion d'un
fer chaud , ou par lá lacération de l'écorce
, ou par l'infertion d'une croix de
bois du même modéle que celle qui fe
trouve empreinte. De ces trois manières
il n'adopte que la derniere ; il réfout par
les loix de la végétation toutes les difficultés
qui s'oppofent à l'explication de
ce phénomène , & termine ainfi fa Differtation.
Des bergers , dans le loifir que leur
laiffe la garde d'un troupeau , ont formé
une croix pareille à celle dont l'emprein
te eft fous nos yeux ; ils ont fendu l'écorce
d'un arbre encore jeune , peut - être
même ont ils profité d'une ouverture faite
par hazard fur un hêtre de leurs forêts
; ils ont introduit certe croix entre
l'écorce & l'arbre ; les couches ligneules
que chaque année a produit depuis , en
ont dérobé la vuc au Public , L'arbre à
JUIN. 1760 . 149
cru , renfermant dans fon fein le phénomène
qui nous occupe aujourd'hui ; il a
enfin été découvert par le plus grand des
hazards. Tel eft le deftin des hommes de
trouver à chaque inftant des difficultés
fous leurs pas , & de prendre pour des
phénomènes merveilleux , ce qui fouvent
eft l'ouvrage de leurs mains !
La Séance fut terminée par la lecture
d'un Mémoire donné par M. Quereau ,
fur les opérations du digefteur de Papin .
L'utilité des bouillons offeux & des tablettes
faites avec ce bouillon , y eft démontrée
; la manipulation en eft exposée
avec le détail le plus circonftancié : ce
qui fait que ce Mémoire n'eft pas fufceptible
d'Extrait.
L'abondance des matières , m'oblige à
rémettre les Mémoires énoncés dans cet
Extrait , au Mercure prochain.
AVERTISSEMENT.
Les feuilles du Mercure étant limitées ,
l'on n'a pu y inférer qu'une partie du
Mémoire ci - après. Dans celui de Juillet
fuivant , on en donnera la fuite. On
avertira , en attendant , que quoique la
G iij
iro MERCURE DE FRANCE.
diftribution en foit faite dans deux volu
mes différens ; cependant il faut le confidérer
comme un feul corps d'ouvrage , dont
l'enchaînement des Propofitions ne permet
aucune interruption dans l'ordre méthodithodique
où elles doivent fe fuivre.
GEOMETRIE
Sur l'analogie qui eft entre la Logarith
mique & l'hyperbole Equilatere , & de
quelques propriétés de ces deux courbes.
Mémoire qui a été lû à l'Académie des
Sciences en 1760. Par M. Jean-
ANTOINE GLENAT.
THEOREME.
1.SI fur une droite m B M indéterminée
, on fuppofe d'un point déterminé
Ballant vers M , que dans le
même temps T que chaque partie BD,
BF, BH , &c. eft décrite par une viteffe
uniforme , chaque perpendiculaire
DE , FG , HJ &c. eft aufli décrite
par une autre viteffe qui s'accélére en
progreffion géométrique ; & que du
point B allant vers la gauche ( m ) que
dans le même tems T que chaque pars
li
a
E
J
U
GrA
Q
9 R
X
MIL
12 N
2 M
Л
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
JUIN. 1760. 151
fie Bd, Bf., Bh &c. eft décrite par la
même viteſſe uniforme, chaque perpendiculaire
de, fg & c. eft auffi décrite par
une autre viteffe qui eft retardée en
progreffion géométrique ; les longucurs
parcourues DE , FG , HJ ,
&c. allant vers la droite M , feront
une progreffion géométrique divergeante
; & allant vers la gauche ( m ) les
longueurs parcourues de , fg, hi, & c.
feront une progreffion géométrique
convergeante, en même temps que les
coupées B D, BF , & Bd , Bf, feront
uneprogreffion arithmétique divergeante
, & les extrémités i , g, e , E , G , J
des termes en progreffion géométrique
feront confécutivement les points
d'une courbe n C N.
B M eft l'axe de la courbe qu'on fuppofe
infini . Les droites fg , de , BC ,
DE , FG , &c. fuppofées en progref
fion géométrique font fes ordonnées .
BC eft prife pour l'unité & fuppofee
b1 ; les autres ordonnées qui la
fuivent vers la droite comme DE ,
FG , & c. font fuppoféesz = 1 + y :
& les autres qui font vers la gauche ,
comme de , fg , & c. font par conféquent
b b bb
le point B de
Giv
152 MERCURE DE FRANCE
l'axe eft l'origine des coupées BD ;
BF & c. qu'on fuppofex , qui font
pofitives allant vers la droite M , &
les autres comme Bd , Bf font néga
tives allant vers la gauche ( m ) ..
DEMONSTRATION.
Chaque partie infiniment petite rJ
de la courbe peut être confidérée com
me formée par le raouvement d'un
point ( r ) qui eft pouflé par deux vitef
fes ; l'une felon la direction rs ( dx ) eft
une viteffe uniforme que l'on conçoit
-
b , que l'on regarde comme conf
tante : l'autre felon la direction s J. (dz )
s'accélére en progreffion géométrique ,
& eft fuppofée égale à la changeante (z).
Or ces viteffes font entr'elles comme
les longueurs parcourues : par confé
quent b. z : dx. dy. Suppofé donc
maintenant , qu'on achève le parallelograme
dont rs , sJ font les petits côtés
angulaires, la partier Jinfiniment petite
de la courbe fera la diagonale de ce parallelogramme
. Or chaque vitcffe (b) &
(2) de ces côtés rs, & sj eft à la viteffe
J
(v) de la diagonale comme chaque côté
rs ( dx ) , & s J ( dz ) eſt à la diago
JUIN. 1760 . 153
nale r J (dv) décrite dans le même tems
T. Par conféquent on aura b.v :: rs (dx) .
FJ ( dv ) , & z. u : : s J ( d z ) . r J ( d v ) ;
& les temps étant fuppofés égaux ,
l'on a par le changement alterne
T =
dx
-
dv dz dv
-
2
&
par
continuation de changement T =
di
R
dv ..
ข
,
dx
b
où l'on voit qu'en même
temps que chaque partier J ( dv )
de la courbe cft décrite chaques côtés
angulaires rs , sJ infiniment petits font.
auffi décrits , ce qui donne pour chaque
élément r J (dv ) de la courbe l'Equation
T =
dx
6
dz
- . Or ( dx ) eft la
༢ .
différence égale dont la coupée ( x )
croît confécutivement en progreffion.
arithmétique , & fe trouve par confequent
une grandeur conftante ; & ( b )
étant fuppofée connue cft auffi conftand
x
te. Le rapport cft donc conftant ;
b
par conféquent fon égal
dz
eft néceffairement
un rapport géométrique ; d'où
ili fuit que les ordonnées ( 1 ) étant con--
GW
154 MERCURE DE FRANCE.
tinuellemént proportionnelles forment
une progreffion géométrique divergente.
Ce qu'il falloit prouver en premier ,
lieu.
2º. La deſcription de chaque particu
le rJ de la courbe donne celle du triangle
infiniment petit rs , dont l'élément
J cft un des côtés . Si l'on prolonge
ce petit côté rJ jufqu'à ce qu'il
rencontre l'axe B M en S , on aura le
triangle JSH femblable au petit triangle
rs. Or comme dans le triangle
infiniment petit Jrs , le côté r s eſt toujours
le même pour tous les points de
la courbe , tandis que l'autre sJ croît
confécutivement en progreffion géométrique
, il s'enfuit que le côté SH
du grand triangle oppofé à l'angle
SJH demeure conftant pour tous les
points de la même courbe . Ce côté SH
qui eft une foutangente de la courbe eft
fuppofé = b =1.
En mettant 1 + y à la place de ( z )
dans l'Equation trouvée ; ou bien en
comparant les côtés homologues des
triangles femblables rJs , SJH , l'on
en tire rs ( dx ) . SH ( b = 1 ) ::
s J ( d y ) . J H ( 1 + y ) , d'où on dé
duit bdy dxx I y qui cft la mê
JUIN. 1760. 155
me Equation que la précédente . Or fi
dans la formule ydx des foutangen
dy
b dy
tes , on fubftitue la valeur de
dx
1+y, qu'on fuppoſe égale à (y) de la
formule , on aura SH ( s ) = b pour va
leur de la foutangente. D'où l'on voit
que puifque S H( s ) eft la foutangente
, la droite S Jeft par conféquent tan
gente de la courbe au point J. Or l'élément
J faifant néceffairement partic
de cette tangente , il fenfuit que tous
les points C , E , G &c . des extrémités
des ordonnées 1 y font ceux de la
courbe. Ce qui reftoit à prouver en fer
cond lieu.
-
COROLLAIRE PREMIER
2. Les ordonnées 1y ,
bb
1 - y
croiffant ou diminuant en raifon géométrique
, les coupées B D, B F & c.
ou Bd, Bf &c. croîtront en rapport
arithmétique ; & feront pofitives vers la
droite , & négatives vers la gauche de
l'unité ; car ( dx ) étant une grandeur
conftante , cette grandeur fera répétée
autant de fois qu'il y aura de petits
rapports géométriques égaux d'inter
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
pofés entre l'unité , & l'ordonnée correfpondante.
Par conféquent chaque
coupée BD , B F & c . croiffant toûjours
felon une même différence ( dx ) fera
la mefùre du nombre des petits rapports
pris depuis l'unité dont chaque
ordonnée correfpondante 1+ y eft
compofée. C'eſt ce que veut dire l'expreffion
grecque agiuos xoyos , qui fignifie
mefure de rapports , d'où on a tiré
le mot logarithme , & la courbe ciaprès
donnant fucceffivement tous ces.
Fogarithmes ou mefures de rapports
en a tiré le nom de logarithmique.
COROLLADRE II.
3. En fuppofant b1 , la différence
( d ) d'un logarithme (x) d'un nombre
ou d'une grandeur quelconque(z) eft éga
le à la différence ( dz ) de ce nombre divifée
par ce nombre même. Car puif
que ( T... n. 1. ) l'Equation de la logarithmique
eft z d x = b. dz , on en
tire dx
bdz
déduit dz. z. :: dx. b ,
monftrativement que
rdz
, ou bien on
K..
où l'on voit dédz
dz
3
b:
d x.
JUIN. 1760. 157
COROLLAIRE HIL. ET PROBLEME.
4. En fuppofant * que la conftruction
trouvée foit celle de la Logarithmique ,
trouver parfon moyen celle d'une hyperbole
équilatere.
PREPARATION.
"Ayant l'axe M m de la Logarithmique
, il faut du point M prolonger vers
2 M , & tirer vers N , & vers 2 N les
droites M2 M , MN , M2 N , en forte
qu'étant perpendiculaires l'une à l'autre
, elles foient afymptotes des deux
branches des hyperboles oppofées U U
& rr. Les coupées My , My , Mq , Me
* Il faut néceffairement fuppofer que la conftruction
trouvée eft celle de la Logarithmique ,
pour pouvoir la comparer avec l'hyperbole équilatere.
Or fi la comparaison de ces deux courbes
en fait découvrir l'analogie , alors nulle difficultés
qu'on peut réciproquement conftruire l'une par
le moyen de l'autre . Il eft vrai qu'ayant encore
aucune méthode pour décrire la Logarithmique ,
dans tout autre cas que celui ci , ce feroit. incons
teftablement , felon les principes établis par les
Géomètres , & furtout par ceux de M. Deſcartes ,
un vice que, de décrire par fon moyen une autre
courbe , pour la conftruction de laquelle il y a
des méthodes certaines
158 MERCURE DE FRANCE.
& c. prifes fur M N étant égales aux or
données hi , de , DE , FG & c. de la
Logarithmique à caufe des paralléles ,
feront les premieres My , Mv & c. fup,
by
pofée b
-
I ty
; & faifant
by
, il en résultera que My , Mv &c.
b b
= baxy=
I + y
bb
ز
les fecondes
Mq , Mt & c . = 1 + y = 2 ; &
les ordonnées P T , q
, q R de l'hyperbole
feront c
RESOLUTION.
Selon le Theorême ( n . 1.) l'Equation
de la Logarithmique eft d x =
bd t
7:
bbdz
qui eft la même que bdx= རྩྭ
F'Equation différentielle de l'hyperbole
par rapport à fes afymptotes eft @ dz
- do, où mettant à la place de K
(a ) fa valeur elle devient
bb
-¿do . Or puifque
bb dz
——
.
ld
bb dz
= b d x;
néceffairement b d x d w ; ainfi
fubftituant à la place de ( b dx ) fa vafeur
( — { d´∞ ) , l'Equation de la LogaJU.
IN. 1760 . 159%
rithmique devient
bb dz
= —zda )qui
2
eft ( comme nous venons de voir ) l'équation
différentielle de l'hyperbole .
b.b.
Remettant à la place de fa valeur --
..
(a ) & tranfpofant après , l'équation devient
dz , { dw , o , dont l'intégrale
eft bb , qui eft l'équation
d'une hyoerbole équilatere par rapport
à fes afymptotes ; d'où on tire z. b :: b, w,
مت
༢.
bb
bb
de la
qui eft la même que z. b :: b. › qui
étant faite des ordonnées de la Logarithmique
, montre évidemment
que
les ordonnées
convergentes
Logarithmique
font égales aux ordonnées
( ® ) de l'hyperbole prifes depuis le
point (p ) où fe termine l'unité ; &
que les ordonnées divergentes ( 7 ) de
la même Logarithmique
font égales
aux ordonnées (a) de la même hyperbole
prifes au- deffous du point ( p) où ſe
termine l'unité ; par conféquent fi l'on
tire donc fucceffivement despoints i,g, e,
E , G , J. &c. de la Logarithmique
, les
droites i y , ev , Cp , Eq &c . paralléles
àm M, ces droites diviferont aux points
Y› V ¿P , q & c . l'afymptote M N en par
160 MERCURE DE FRANCE.
tics proportionnelles , & égales aux
› de la Logarithmique. ordonnées
bb
fi on multiplie enfuite chaque partieMp
ou M q ( z ) par chaque partie My , ou
My (bb )
(뿔) ,
, on aura ¿ ×
b b
bb
bb ,
où mettant à la place de ( ----- )fonégal
ج
( ) , l'Equation devient zbb , qui,
eft l'Equation de la courbe ; qui fait
voir qu'en faisant le Rectangle MQμ
(7 ) égal au quarré Tv Mp ( bb ) , le
point où fe rencontreront les droites
¿ Q ( w ) , μ Q ( 2 ) fera un point de
l'hyperbole . Ce qu'il falloit trouver.
COROLLAIRE 4
5. Il fuit de là , que fi fur une droite
indéterminée MN, dont l'origine eft
en M , dans le même temps T qu'une
viteffe qui s'accelere en progreffion géométrique
décrit les droites My , Mv ,
Mp, Mq & c. une autre viteffe qui eft:
retardée felon la même progreffion géométrique
décrit les perpendiculaires:
y Z , v X & c. les longueurs parcou
rues , My , M & c. feront une progreffion
géométrique divergeanté , en:
même temps que les autres Jon-t
JUIN. 1760: 161
gueurs parcourues y Z , v X & c. feront
dans le même rapport une autre progreffion
géométrique convergeante; &
les extrémités Z , X , &c. des termes
de la dernière progreffion feront les
points confécutifs d'une hyperbole équilatère
.
Ou bien en prenant l'origine au point
(P ) en même temps que la progreffion
compoféc des termes pq , pt & c. divergera
, la progreffion compofée des
termes q R, Q & c. convergera ; &
4
& allant de ( p ) vers M en même temps
que la progreffion compofée des termes
by convergera , la progreffion compo
fée des termes X , y Z & c. divergera ;
& les extrémités Q , R, &c. des termes
de l'une , & les extrémités X , Z ,
&c. des termes de l'autre . feront également
les points confécutifs de la courbe .
DEMONSTRATIO N.
Suppofé que chaque partie infiniment
petite Rp de l'hyperbole foit décrite
dans le même temps T, que les petits
côtés angulaires RA , ap du petit parallelograme
dont cette particule Rp eft
la diagonale, font décrits , l'un ( dz) felon
une viteffe (3 ) qui s'accelere en progreffion
géométrique;l'autre d∞ )felon
une vitefle( ) qui eft retardée en pro-
-
162 MERCURE DE FRANCE.
greffon géometrique , l'on aura polir
chaque particule Re de la courbe , cette
dx
où le rap Equation T
dz
w
port
étant ( felon T. premier
N.
t
W
dto
1. ) un rapport géométrique , néceffairement
fon égal eft un rapport
géométrique : or l'Equation précédente
étant la même que a dzd. ∞ = o,
on tire du premier membre l'intégrale
{ , qui étant égalée à b b donne l'Equa
tion abb d'une hyperbole équilatere
par rapport aux afymptotes , d'où
on déduit w
་
bb
`; ce qui montre évi
demment qu'en même temps que les
coupées ( ), forment une progreffion
géométrique divergente , les ordonnées
( ) font dans le même rapport une
progreffion géométrique convergente ;
& l'Equation différentielle od z = -
do fait connoître que les différences
( d ) diminuent en même temps que
les différences ( d ) augmentent dans
la même progreffion géométrique ; car
dans cette fuppofition ayant toujours
dz
L
; il s'enfüit néceffairement
JUIN . 1760. 16;
que les ordonnées ( ) convergent eu
même temps que les coupées ( 2 ) divergent
dans le même rapport géométrique.
Ce qu'il falloit prouver en premier
lieu .
3
En fecond fieu , en prenant l'origine
des coupé s au point ( p) , la viteffe
par R fera➡+ y = { , & le côté
AR du petit triangle Rap ferady :
par conféquent allant de l'origine ( p )
vers N, dans le même tems que les
coupées (y ), divergeront ,les ordonnées
( ) convergeront , ( c'eft ce que nous venons
de prouver ) ; mais allaut de l'origine
( p ) veis M. , les coupées devenant
alors y, l'Equation différentielle
adz + zd w = devient day dw
dy , dont l'intégrale eft 1 - YX ";
qui étant égalée à ( bb ) donne l'Equation
yX @ bb de l'hyperbole
par rapport aux coupées moindres que
que l'unité mettant à la place de
I
14+y
I
fon égale 1- l'Equation devient
a
a
*+
➡bb , d'où on tire ∞ = 1 y, ce qui
fait voir démonftrativement qu'en mê
me temps que les coupées 1 - y =
forment une progreffion géomé
164 MERCURE DE FRANCE.
trique convergeante, les ordonnées ∞ →→
1 -y forment une progreffion géométrique
divergeante ; & l'Equation différentielle
dy
fait connoître que
I
1 -
ce de I
dw
@
,
que les differences ( d ) augmentent
dans le même rapport géométrique que
les différences ( dy) , car les coupées
diminuent en raifon de l'aug
mentation de ( y ) ; ainfi fi l'on fuppofe
Z , & qu'on fubftitue à la pla
> fa valeur z & au lieu dė
(dy ) qu'on metted z dans l'Equation
da y dw ——o , on aura après
avoir tranfpofé z dw = w dz , qui
montre qu'ici les différences ( d ) augmentent
en même temps que les différences
( dz ) diminuent dans la
même progreffion géométrique ; car
dans cette fuppofition ayant toujours
il faut néceffairement
dw
W
- dz
Z 1
que les ordonnées ( ) divergent en
même temps que les coupées i
I Z convergent. Ce qu'ilfal-
I + Y
loit prouver en fecond lieu.
En troisiéme licu , fi dans la formule
générale
Ydx
dy
des foutangentes , on fubJUIN.
1760 .
165
dx
dz
flitue à la place de
fa valeur
d w
dy
dz
K
d co
>
w
tirée de l'Equation
& à la place de ( ) , & de
( y ) de la formule , repréſentée par ( ∞ ),
bb
fa valeur
r
tirée de l'Equation
= b.b ( 1x1 ) on aura S
9
pour valeur de la foutangente ; où fub
y
σ
ZORRETO I fa valeur
-
Iy; ce
ftituant à la place de
elle deviendra S
qui fait voir qu'en prenant du côté négatif
des coupées , c'est - à- dire vers le
point ( ) oppofe à l'origine M , la partie
a q = q M ( 1 + y ) , elle fera la
foutangente q - 1 - y ) ; d'où tirant .
la droite R , elle fera tangente de la
courbe au point R. Or l'élément R fai
fant partie de cette tangente , il s'enfuit
donc , que tous les points R , T, &c. des
extrêmités des ordonnées ( ) font ceuxde
la courbe. Ce qui reftoit à prouver en
woifiéme lieu.
COROLL A I RE Ꮴ .
6. Les quadrilataires hyperboliques>
formés fur la fuite des coupées (y )
166 MERCURE DE FRANCE.
croiffantes en progreffion géométrique,
& fur les ordonnées ( ) décroiffantes
dans la même progreffion géométrique
feront confécutivement une progrellion
arithmétique divergente.
DEMONSTRATION.
Selon le 4 Corollaire ( n . 5. )
d @
dy
I + y
; d'où on tire w d y =
I + yx - do . Or ( par le T. 1. n. 1.
& 5. ) les deux rapports
୧
dy
14y
& = doz font
géométriques
. Les
parallelogrammes
que
R ( @dy
) infiniment
petits
qui
font
les
élémens
d'un
quadrilatere
P9
RT
font
donc
tous
égaux
entr'eux
;
par
conféquent
les
quadrilateres
hyperboliques
formées
fur
les coupées
(y) ,'
& fur
les ordonnées
( » ) croiffent
confécutivement
felon
une
même
différen
ce (
dy
) . Si donc
on prend
quatre
coupées
Mq
(ƒ) , M t =
M q {ƒs)→+ q &
( X); M t ( g ) , M o =
M £ ( g ) +
c 0(Y)
qui
foient
en proportion
géométrique
,
on
trouvera
que
le quadrilataire
q
QR
fait
fur
X, qui
eft
la différen
ce
des
deux
premiers
termes
égale
-
JUIN. 1760 . 167
f
7 2
2
X X X
2.f²
3
*
3
3J
+
9 &c. le quadrilatere i PQ tait fur y qui'
eft la différence desdeux feconds termes
eſt égal à 1 ×
383
3
4
2
Y
g 2g2
y
& c. or dans
la fuppofition
que
les coupées
font
en propor- tion géométrique
, leurs
différences
font
également
en proportion
géométrique
;
car fgg
XƒgƒY
, d'où
on tire gXfYqui
devient
X
f
Y
g
j
par conféquent les termes des deux fuites
infinies étant égaux chacun à chacun ,
ces deux fuites font parfaitement égales.
Donc les quadrilateres hyperboliques
formés fur les coupées ( y ) , & fur
les ordonnées ( ) croiffent confécutivement
en progreflion arithmétique . Ce
qu'il falloit prouver.
COROLLAIRE V1.
7. Les quadrilataires hyperboliques
croiffant confécutivement felon une même
différence ( @wdy ) feront de fuite la
mefure du nombre des petits rapports
168 MERCURE DE FRANCE.
pris depuis l'unité , dont chaque cou
pée y eft compofée ; par conféquent
ils feront fucceffivement les Logarithmes
de ces coupées en progreffion
géométrique . Ce qui eft évident.
On continuera la fuite de ce Mémoire
dans le Mercure fuivant.
EXTRAIT d'un Mémoire lû à l'Acadé
mie Royale des Sciences , fur le paffage
de Vénus devant le difque du Soleil en
1761 , contenant le projet d'un voyage
en Afrique. Par M. DELALANDE.
, que
L'ON
'ON fçait depuis longtemps
l'obfervation de ce célébre phénomène
doit nous faire connoître la diftance du
foleil à la terre , que nous ne connoiffons
jufqu'ici , qu'à un cinquième près , c'eftà-
dire , avec une incertitude de 6 millions
de lieuës.
La parallaxe du foleil étant fuppofée
de dix fecondes , l'entrée de Vénus fur
le foleil , doit paroître 16 minutes de
temps plûtôt à Upfal , Berlin , Conſtantinople
, Alep , la Mecque , & à l'Ifle
de Bourbon , qu'au milieu de la mer du
Sud ,
JUI N. 1760 . 169
Sud , vers 250° de longitude & 20° de
latitude.
De même la fortie doit paroître
plûtôt au Kantfchatka , extrémité orientale
de l'Afie , qu'à l'Ile de Ste Héléne
& au Cap de Bonne - Efpérance ; c'eft
cette différence de 16' fur l'entrée , &
de 14' fur la fortie , qui fera plus grande ,
fi le foleil eft plus près de nous , & qui
doit par conféquent nous inftruire de
cette véritable diftance.
Pour s'affurer exactement de cette différence
, M. Legentil , l'un de nos Afronomes
, eft déja parti pour les Indes , &
M. l'Abbé Chappe fe prépare à partir
pour la Siberie ; mais le voyage d'Affrique
fera , furtout , de la plus grande importance.
Si l'on étoit affuré d'avoir deux obfervations
de l'entrée de Vénus fur le foleil ,
une aux environs de Conftantinople ou
de l'Iffe de Chypre , l'autre dans la mer
du Sud , nous aurions la plus grande
différence pour l'entrée ; cela n'empêcheroit
pas cependant que l'on ne dût fe
procurer de deux façons ce réfultat important.
Mais il eft encore douteux que nous
puiffions avoir un obfervateur , même de
la part de l'Espagne , dans ces Ifles dé-
H
170 MERCURE DE FRANCE:
fertes. La plupart ne font connues que
par les noms qu'ont donnés les voyageurs,
quelquefois à ce qu'ils voyoient , & quelquefois
à ce qu'ils croyoient voir.Les Illes
vuës par Quiros, en 1705 , comme l'Ifle
de Pâques , celles que Ferdinand Gallego
dit avoir apperçues en enfilade , depuis
la terre de Feu jufqu'aux Ifles de Quiros,
les Marquifes de Mendoça , l'Ile des
Chiens , les Illes Labyrinthe , les Ifles
pernicieuſes , n'ont jamais été reconnuës
depuis par perfonne , quoiqu'elles aient
été cherchées fouvent : quelques- unes ne
font habitées que par des Antropophages
, ou par des traîtres . Il eft d'ailleurs
trop tard pour les préparatifs d'un aufſi
long voyage : n'efpérons donc qu'avec
retenue des obfervations qui tiennent à
tant d'incertitudes , & pour lefquelles
nous voyons tant d'obſtacles .
Mais s'il eft difficile d'avoir , pour
l'entrée , la plus grande différence poffible,
& même la moitié , nous en pouvons
être dédommagés par la fortie.
D'un côté , la Sibérie & le Kamtfchatka ,
font les lieux où la fortie fe verra le plûtôt;
& d'un autre côté , l'Ile de Ste. Helene ,
la côte occidentale & méridionale d'Affrique
, depuis le Cap de Bonne - efpérance ,
en remontant jufqu'à S. Philippe de BenJUIN.
1760. 171
F
guela & à S. Paul de Loanda , font, parmi
tous les lieux acceffibles ceux où la
fortie fe verra le plus tard.
Nous ignorons fi l'Angleterre n'enverra
pas à l'Ile de Ste Héléne ; mais
nous affurerions la réuffite de l'entrepriſe,
en l'obſervant nous - mêmes en Affrique.
Cette obfervation fera face à toutes les
autres ; elles donnera huit minutes de différence
avec Paris , Londres & Conftantinople
, 9' avec Berlin & Pondichery , 10
avec Petersbourg , 11 ' avec Archangel ,
11 avec Tobolsk , 12 avec Jeniſeik &
Pekin , 13 avec Yakoutsk en Sibérie ,
& 14 avec le Kamtfchatka , où peutêtre
l'obfervation fera faite. Ainfi l'on
voit
que l'obfervation d'Affrique fera utile
de l'utilité même de chacune des autres;
elle les rendra toutes concluantes ; & fans
elle, nous perdrons près de deux tiers de
l'avantage car il ne refte plus que cinq
minutes entre Paris & Yakoutsk , au lieu
de 13 que nous pouvons nous procurer :
enforte que le voyage même de Sibérie
tire de celui de l'Affrique prèfque toute
fon importance. L'Académie pourroitelle
négliger une pofition auffi décifive ,
& ne faire pas des efforts pour s'y procurer
un obfervateur ? voyant parini nous
plufieurs Aftronomes empreffés à fe char-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
170000
ger de ce pénible voyage ; ne perdons pas
de yue l'importance de la chofe. La vraie
diflance du foleil à la terre , eft un des
fondemens les plus effentiels & les plus
généraux de toute la Phyfique céleste.
Une des plus belles découvertes que la
connoiffance de l'attraction ait procurée
aux Aftronomes , eft celle des denfités &
des maffes de toutes le planettes qui ont
des fatellites. Mais fi Newton trouve que
la terre eft , du foleil : il fuppofe
effentiellement fa parallaxe de ro' ;
fi on la fuppofoit plus grande , la fraction
précédente augmenteroit comme le quarré
de la parallaxe , & une feule feconde
fur la parallaxé donneroit un cinquième
de plus à la maffe de la terre. A quelle
erreur ne fommes - nous donc pas expofés
en calculant les dérangemens & les
perturbations des planettes les unes fur
les autres la véritable étendue du fyftême
folaire , la théorie des éclipfes , la
connoiffance des maffes , des volumes ,
des denfités , des diamètres , tout dépend
de la parallaxe du foleil , & par confe
quent de l'obfervation dont je parle.
Ainfi l'occafion que nous préfente ce
célébre phénomène,eft un de ces momens
précieux dont l'avantage fi nous le
laiſſons échapper , ne fçauroit être enfuite
>
JUIN. 1760. 173 .
compenfe ni par les effors du génie , ni
par la conftance des travaux , ni par la
magnificence des plus grands Rois : momentque
le fiécle paffé nous envioit;& qui
feroit,pour l'avenir,j'ofe le dire, une injure à
la mémoire de ceux qui l'auroient négligé.
+
En conféquence de ce projet , il fut dit
que les Aftronomes s'affembleroient en Comité
, le 14 Mai , pour délibérer fur les
moyens de parvenir à l'exécution .
ARTICLE IV.
BEAUX. ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
REFLEXIONS fur les avantages de l'Inoculation
, par M. DANIEL BERNOULLI
, Docteur en Médecine , Profeffeur
de Phyfique en l'Univerfité de
Bále , Affocié étranger de l'Académie
des Sciences.
Lues dans l'aflemblée publique du 16 Avril 1760.
D E tous ceux qui ont traité cette matière
, c'eft fans contredit M. de la Con-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
damine qui l'a fait avec plus de fuccès. II .
eft déjà venu à bout de perfuader la meilleure
partie du monde raifonnable de la
grande utilité de l'inoculation : quant aux
autres , il feroit inutile de vouloir employer
la raison avec eux ; puifqu'ils n'agiffent
pas par principes . Il faut les conduire
comme des enfans vers leur mieux :
c'est la coutume feule qui peut leur tendte
une main fecourable. L'inoculation
feroit bientôt adoptée en Europe , fi la
bonne politique vouloit s'affocier avec .
l'humanité : je dis même avec la charité
chrétienne ; & j'en apelle à ceux qui par
un zèle plus ardent qu'éclairé traitent cette
méthode de criminelle . Ne conviendront
ils pas que Dieu demande la confervation
& la propagation de l'espéce
qu'il a créée à ſon image ? Il ne refte qu'à
leur prouver que le moyen le plus fûr &
le plus efficace pour remplir ces vues , eft
fans contredit l'inoculation . Mais en vain
cette vérité fera reconnue de ceux qui
l'auront méditée ; en vain même quelques
particuliers en recueilleront le fruit : Il
fera perdu pour l'Etat tant que la multitude
ne fera pas convaincue. Elle ne peut
l'être que par des expériences multipliées
& faites en grand : en un mot par un établiſſement
public dans quelque hôpital tel
JUIN. 1760. 175
que
celui des enfans - trouvés où l'on inoculeroit
tous ceux qui ne donneroient pas
d'indication contraire. En conféquence
d'un pareil établiffement , je ne doute pas
que la pratique de l'inoculation ne devînt
commune en France avant qu'il fe paffàt
dix ans ; pourvû qu'on publiât tous les
ans des regiftres autentiques & en bon ordre
. Outre la confolante fatisfaction de
fauver la vie chaque année à un grand
nombre de fujets , on auroit encore l'avantage
de perfectionner bientôt la méthode
au point de la faire avec une fureté
entiere ; s'il eft vrai toutefois qu'il y ait
quelque rifque. Je fais cette reſtriction ,
parce que les obſervations ne conftatent
pas bien ce rifque. Les liftes mortuaires
prouvent que de 20000 enfans de l'âge de
4 ans il en meurt environ 700 dans le
cours d'une année , ou environ 60 par
mois. * Si donc on donne un mois au
cours de la maladie caufée par l'inoculation
, on aura foixante enfans au moins
fur 20000 qui mourront probablement
dans ce terme indépendamment de l'effet
* M. Bernoulli s'eft fervi des liſtes de Breflaw ,
où il meurt beaucoup moins d'enfans qu'ailleurs.
S'il eût employé les liftes de Londres , ou même
celles de Paris , la proportion qu'il eût trouvée
feroit beaucoup plus avantageufe à l'inoculation.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
de l'opération; c'est -à - dire 1 fur 133. Si on
vouloit reftreindre le temps critique de
l'infertion à 15 jours , ce feroit encore 1
fur 661 , nombre qui différe peu de i fur
593 , ou de celui des morts à Londres
dans l'hôpital des inoculés de tout âge
pendant le cours de quatre années fuivant
la lifte imprimée , publiée par les adminiftrateurs.
Il eft vrai que chaque âge demande
une évaluation différente : cependant
ces réſultats font affez voir qu'il
n'eft pas encore bien conftaté qu'on courre
quelque rifque tant foit peu confidérable
en fe faifant inoculer , puifqu'il n'eft
pas encore démontré que le nombre de
ceux qui meurent pendant le tems critique
de l'infection , furpaffe le nombre de ceux
qui mourroient dans le même terme ,
s'ils n'avoient point été inoculés . Il eft
donc encore permis de fuppofer que l'inoculation
n'eft accompagnée d'aucun rifque
, pourvû qu'ele foit bien adminiſtrée .
Par quel fcrupule pourroit- on donc fe refufer
aux moyens de mettre cette vérité
dans la plus grande évidence , tels qu'une
fuite d'expériences autorisées , & dont les
réſultats feroient rendus publics ?
Le feul inconvénient que je puiffe prévoir
dans l'établiffement que je propofe ,
ce feroit peut- être de voir diminuer par
JUIN. 1760. 177
la crainte de l'événement le nombre des
enfans qu'on porteroit la premiere année
à l'hôpital des enfans- trouvés . * Eft- ce là
un mal ou un bien ? Quoiqu'il en foit , la
feconde année , ou au plus tard la troifiéme
remettroit les chofes fur l'ancien pied .
Après une telle expérience eft-il un pere
de famille qui ne fuivît un exemple autorifé
par une inftitution publique ? La notoriété
des fuccès feroit bientôt taire les
timides préjugés, pour ne plus écouter que
la voix de l'amour paternel & de la charité.
Les autres nations feroient infailliblement
entraînées par l'exemple de la
nation la plus éclairée , & avec le temps
une pratique fi falutaire au bien de l'humanité
deviendroit univerfelle. **
Il ne feroit pas impoffible après cela
que la maladie attaquée dans fon principe
ne changeât de nature à la feconde ou à la
troifiéme génération , qu'elle ne perdît tout
* M. Bernoulli fuppofe que plufieurs meres
pauvres qui portent leurs enfans à l'hôpital s'en
abftiendroient par la crainte de l'inoculation.Mais
quand on fuppoferoit que la moitié des enfans
qu'on y porte font légitimes , le petit nombre
de ceux qu'on reclame ne prouve que trop le peu
d'intérêt que prenent à leur fort ceux qui les y
portent.
** Il est très vrai qu'on n'attend en Italie que
Pexemple de la France.
HY
178 MERCURE DE FRANCE.
fon venin , ou qu'elle ne ceffât d'elle- mê-
Si nous connoiffions beaucoup de
mariages entre des perfonnes inoculées &
le fort de leurs enfans , nous pourrions .
prononcer fur cette queftion définitivement.
Les deux grands motifs pour l'inoculation
font l'humanité & l'intérêt de l'Etat .
L'humanité veut qu'on affure & qu'on
conferve la vie à chaque particulier , ſoit
jeune , foit vieux : l'intérêt de l'état demande
la population du Royaume . L'augmentation
du nombre des fujets produiroit
dans les revenus du Roi un accroiffement
qu'on peut évaluer à environ 20 liv .
par tête chaque année , en fuppofant le
nombre des habitans de 18 millions &
les revenus du Roi de 360 millions . Je
ne m'attacherai pas à l'identité de la proportion
; mais quand on la réduiroit à la
moitié , le profit ne laifferoit pas de devenir
immenſe avec le tems : outre que
l'augmentation des revenus n'eft pas , à
beaucoup près pour l'état , le feul avantage
qu'il faille confidérer dans le cas préſent.
Une autre confidération importante ,
c'est que toute la jeuneffe iufqu'à l'âge de
16 ou 18 ans , eft en elle - même , non-feu
lement inutile , mais entierement à la
charge de la fociété : elle ne contribue rien,
་
JUIN. 1760. 179
ou très peu aux befoins publics . A ne confidérer
que l'intérêt de la fociété , il vaudroit
mieux pour elle que tous ceux qui
font deftinés à mourir avant l'âge de 16
ans ne fuffentjamais nés. En perdant un
enfant avant qu'il ait atteint cet âge , on
perd en un moment toutes les dépenfes
qu'on a faites pour lui pendant toute fa
vie, fans que la fociété en ait tiré le moindre
profit. Cette raifon ne fuffit- elle pas
pour donner la plus grande attention à conferver
ces enfans jufqu'à cet âge de récolte,
en les préfervant d'une maladie fi meuttriere
qui le plus fouvent n'attaque précisé
ment qu'eux ? Si la petite vérole étoit d'une
nature à n'attaquer jamais que la grande
vieilleffe , les raifons politiques cefferoient :
Mais il me femble que les raifons d'humanité
devroient encore être les mêmes.
Des confidérations générales , je paffe
à quelques réfléxions particulieres fur l'inoculation
. Un argument qu'on fait valoir
contre cette pratique, c'eft qu'un grand
nombre de perfonnes ne prennent jamais
la petite vérole. Il eft vrai qu'à l'égard
de ces perfonnes l'opération devient manifeftement
inutile : elle feroit même cruelle
, puifqu'on leur feroit fouffrir une maladie
incommode . Je dirois encore ,fi l'inoculation
étoit accompagnée d'un rifque
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
2
de vie tant foit peu confidérable , qu'elle
feroit tyrannique & impie ; mais à tout
cela je n'ai qu'un mot à répondre : c'eft
que de légères fouffrances ne fauroient être
mifes en parallèle avec le moindre rifque
de vie , & que le rifque de vie qu'on
court par l'inoculation eft nul ou comme
nul. L'objection prouve feulement qu'il
ne faudroit point pratiquer l'infertion
fur les perfonnes qui n'auroient jamais
la petite vérole , fi on pouvoit les
' diftinguer d'avec les autres , & c'est ce
que j'accorderai fans difficulté . Mais
ceux qui font fonner fi haut l'argu
ment pris de la poffibilité de n'avoir ja
mais cette maladie , ne font - ils pas en
contradiction avec eux-mêmes ; Ils accordent
l'utilité de l'inoculation pour les
perfonnes qu'on fauroit devoir bientôt
prendre la petite vérole : il y a cependant
parmi toutes ces perfonnes environ fix fur
fept qui n'en mourront point . Je demanderai
donc à ceux qui font la difficulté
précédente , pourquoi ils confentiroient à
Pinoculation de tous ceux qu'on feroit für
qui feront bientôt attaqués de la petite
vérole , puifque l'opération feroit encore
inutile à fix inoculés fur fept : A cela
peuvent - ils donner une autre réponſe.
que celle que j'ai donnée plus haut ,
JUIN. 1760 . 181
favoir qu'on ne fauroit diftinguer les uns
des autres , ni par conféquent s'empêcher
de faire indiftinctement l'opération fur
tous.
. D'ailleurs la confervation de la vie n'eft
pas le feul bien qui réfulte de l'inoculation
. On connoît les fuites fouvent fâcheufes
, quelquefois terribles de la petite
vérole naturelle , & l'on fait en même
temps qu'elles font infiniment rares après
l'artificielle , ou plutôt qu'elles n'ont jamais
lieu. Quelle proportion encore les
fouffrances de la petite vérole naturelle
tant:foit peu maligne , & celles de la même
maladie inoculée , lors même qu'elle
eft des plus mauvaiſes ? Jen attefte les
médecins , ceux mêmes qui fe déclarent
contre l'inoculation , par une trifte fatalité
que je n'ai jamais pû comprendre . Je
puis ici me donner pour témoin ocufaire
j'ai vu plufieurs malades de l'une
& l'autre claffe . Les inoculés avoient
quelquefois un grand nombre de puftules :
nés dans une famille fort maltraitée de la
petite vérole , je ne puis douter que la
maladie naturelle ne les eût enlevés : avec
tout cela leur état me paroiffoit plutôt
celui d'un malaife que celui d'une grande
fouffrance. Mais je ne faurois fans être
ému , me rappeller le trifte état auquel
182 MERCURE DE FRANCE.
j'ai vû réduits quelques-uns de ceux qui
avoient été furpris par la petite vérole naturelle.
Examinons encore de quelle manière on
doit enviſager le danger qu'on peut fuppofer
accompagner l'inoculation . Je groffirai
aujourd'hui ce danger prefque nul , &
je fuppoferai que cette opération enléve
un fur cent de ceux qui s'y foumettent.
Un tel rifque doit- il rallentir le zèle d'un
homme qui n'a eu en vue que le bien de
l'humanité ? On ne fauroit mieux faire
fentir ces vérités morales que par la méthode
dont M. de la Condamine a fait ufage
avec tant de fuccès . Elle confifte à les préfenter
fous un point de vue frapant qui
ne manque jamais d'entraîner notre conviction
; je fuivrai donc l'exemple de l'illuftre
auteur qui m'a donné occafion de
faire ces réfléxions .
Je confidere la mortalité cauſée par les
maladies de tout genre , qui détruifent peuà-
peu toute une génération. Je partagerai
cette mortalité totale en quatorze claffes
de différentes maladies , & je ſuppoſerai
pour fimplifier la chofe toutes ces
claſſes également meurtrières , quoique les
unes plus tard que les autres. Je fuppofe de
plus que toutes ces maladies foient de même
nature que la petite vérole , c'eſt- àJUIN.
1760. 184
dire qu'on puiffe prévenir le funefte effet
de chacune par un préfervatif de même
efpèce que l'Inoculation . Suppofons encore
pour rendre toutes chofes égales , que
toutes ces différentes espèces d'Inoculations
, foient accompagnées d'inconvéniens
égaux à ceux de la petite vérole inoculée.
Tout cela fupofé, il eft évident qu'il
faudra ou rejetter toutes les inoculations ,
& par conféquent celle de la petite vérole,
ou les admettre toutes : il ne s'agit donc
que d'examiner cette alternative. Si nous
rejettons toutes les Inoculations , nous demeurons
dans notre état , qu'il faut avoir
étudié pour en connoître toute la mifére.
La feule premiere année emporte fuivant
les différentes liftes , le quart , le tiers ou
plus de toute l'humanité . Mais fi l'on
adopte toutes les espèces d'Inoculations ,
fi on fe hâte de les adminiftrer toutes , pour
prévenir plus vite tous les dangers ; quand
même on voudroit fuppofer que chaque
efpéce d'infertion emporteroit la centiéme
partie de ceux qui s'y foumettent ( fuppofition
par laquelle on exagére le péril au
triple & au quadruple de la réalité ) qu'en
réfulteroit- il? Il y auroit quatre vingt - ſept
perfonnes fur cent ou les de la totalité ;
ce qui fait la quatorziéme puiffance de 22,
qui furvivroient à toutes ces opérations , &
184 MERCURE DE FRANCE.
treize fur cent qui y fuccomberoient. Ces
treize fur cent font à peine la moitié du
nombre que toutes les différentes maladies
emportent naturellement dans la feule premiere
année.Il faut donc compter pour rien
cette perte , ou plutôt il faut la compter
pour un gain réel ; puifqu'elle diminue la
moitié , de la perte ordinaire : mais ce n'eft
pas tout.
Tous les furvivans qui font les fept- huitiémes
de l'humanité , feroient enfuite
exempts de toute infirmité dans le cours de
leur vie ; ils iroient tous jufqu'au dernier
terme de la vieilleffe : ils ne feroient plus
que ceffer de vivre . Quelle différence
entre notre état préfent & celui que donne
notre fuppofition ! Qu'on choififfe maintenant
entre les deux alternatives que je
propofe ; mais qu'on fe fouvienne que c'eſt
fe déclarer pour l'inoculation de la petite
vérole , que de choisir le fecond parti : fi
la Providence ne nous a pas accordé ce
grand bien en entier , faut- il pour cela
rejetter le partie qu'elle nous offre ?
Mais peut être atteindrons- nous plus
fûrement le but que nous propofons , fi
nous ajoutons ici une évaluation du ravage
de la petite vérole naturelle , & de ce qu'on
peut gagner en la procuranr artificiellement.
Je ne prétens pas donner une évaJUIN.
1760 . 185
F
Juation abfolument exacte ; nous n'avons
pas affez d'obſervations pour cela : on peut
à la vérité fuppléer à ce défaut par des
hypothèses fort vraisemblables , & en
même temps fort approchantes du vrai ;
mais je prévois qu'on ne fçauroit le faire
fans des calculs extrêmement pénibles ;
parce qu'il faut fuivre l'effet de la petite
vérole , depuis la naiſſance juſqu'à la derniere
vieilleffe . J'entreprendrai cet ouvrage
au premier loifir qui me le permettra : je
me contenterai pour cette fois d'indiquer
comment nous devons eftimer à- peu- près
les résultats que nous demandons.
On a remarqué par une grande fuite
d'obfervations , qu'en comparant le nombre
de ceux qui fuccombent à la petite vérole
, avec le nombre de ceux qui en font
attaqués , la proportion fe trouve être
celle de 1 fur 7 ou au moins de 1 fur 8 :
la différence en eft affez petite. J'adopterai
cette derniere proportion par deux raifons
: premierement , parce qu'il eft plus
facile de fçavoirle nombre de tous ceux qui
meurent de la petite vérole , qu'il ne l'eſt
d'apprendre le nombre entier de ceux qui
en font attaqués : fecondement , je m'en
tiens à la proportion d'un fur 8 , pour éviter
tout foupçon d'accroître le péril de la
maladie. Si donc on vouloit fuppofer que
136 MERCURE DE FRANCE.
la petite vérole attaque tous les enfans dès
leur naiffance , il eft manifefte que cette
maladie emporteroit la huitième partie de
l'humanité ; puifque chaque génération
annuelle feroit diminuée en raifon de 1 à
D'un autre côté la deftruction que cauſe
la petite vérole dans l'efpèce humaine , eft
la treizième ou la quatorziéme partie de
la mortalité totale ; puiſqu'il eft encore
conftaté que fur 13 ou 14 qui meurent de
toutes fortes de maladies , un feul eft emporté
par la petite vérole. Je dois ici dire
en paffant , qu'ayant confulté plufieurs
liftes mortuaires , où l'on fait un dénombrement
des morts de la petite vérole en
différens pays , le nombre de i fur 13 m'a
paru plus conforme à la nature , que celui
de 1 fur 14. Il me paroît auffi convenir
mieux aux autres notions générales que
nous avons fur cette maladie ; pour concilier
ces deux vérités d'obfervation , on n'a
qu'à fuppofer la petite vérole d'une nature
à furprendre tous les enfans à leur entrée
dans la cinquième ou la fixième année : car
un calcul qui ne fçauroit s'éloigner fenfiblement
de la nature , m'a appris que fi tous
les enfans étoient exempts de la petite vérole
jufqu'à l'âge de 4 ou 5 ans accomplis ,
chaque génération à cet âge feroit réduite
de 13 à 8 , par toutes les autres caufes de
2
187 JUIN. 1760.
13
8
mortalité. Si tous les enfans qui compofent
ces prenoient enfuite la petite vérole
, il en mourroit la huitième partie , &
cette huitième partie feroit précisément la
treizième partie du total de la génération
entiere.
C'eft donc fous cette face qu'on peut à
cet égard confidérer le ravage de la petite
vérole , & l'avantage qu'il y auroit fi on
pouvoit s'exempter de cette deftruction :
puifqu'on peut dire que la deftruction caufée
par la petite vérole , eft à- peu - près
la même que fi cette maladie enlevoit la
8 partie de l'humanité parvenue à l'âge de
4 ou 5 ans accomplis . Mais qu'est- ce que
ce commencement de vie , & quel peut
en être le prix , foit pour les enfans euxmêmes
, foit pour leurs peres & meres ,
foit pour la fociété, quand ils font deſtinés
à périr à cet âge ? Un fi petit objet mérite-
t- il quelque confidération ? N'eft- on
pas en droit de le négliger , & de dire en
conféquence que la petite vérole détruit
la huitième partie de l'humanité totale ?
Cependant fi l'on veut tenir compte de
cette petite portion de vie , comme on
fait dans les calculs des vies moyennes ,
où l'on donne un prix égal à chaque an
née de vie , on pourra dire que la vie des
ous premieres années , faiſant environ
188 MERCURE DE FRANCE.
la feptième partie de la vie totale moyenne
, la petite vérole ne prive ceux qu'elle
enléve , que des fix-feptièmes de leur vie
moyenne , & que par conféquent cette
maladie détruit environ les fix-feptiémes
d'une huitième partie , de l'efpéce entiere ,
c'est-à-dire les trois vingt huitiémes du
total, ce qui approche beaucoup d'un neuviéme.
Je ne donne pas , je le répète ,
:
cette évaluation comme entiérement exate
j'ofe cependant affurer qu'elle ne
s'éloigne pas beaucoup de la jufte valeur.
On voit donc évidemment que la feule petite
vérole enlève plus que la dixième partie
de chaque génération annuelle, & que c'eſt
une vraie décimation , à laquelle on propofc
de fe fouftraite par le moyen de l'Inoculation
laquelle comme M. de la
Condamine le remarque avec beaucoup
de jufteffe , au lieu de décimer , ne fait
plus que millefimer ceux qui fe mettent
fous fa fauve-garde . Les de chaque genération
annuelle que cette opération préferveroit,
vaudroient environ foixante mille
ames par an à la France feule , & tout
le refte demeurant égal , une telle augmentation
pourroit doubler le nombre
des habitans du Royaume dans un fiécle :
tant par la confervation de ceux qui feroient
garantis de ce fléau , que par
la
JUIN. 1760 . 189
multiplication qu'ils produiroient,
Si ces confidérations ne font pas affez
fortes pour ramener ceux qui s'opposent
avec tant d'animofité à l'Inoculation ,
puiffent - elles , au moins , engager tous
les gens bien intentionnés à ne rien
omettre pour donner à cette méthode
toute la perfection dont elle eft fufceptible.
Ceux qui la pratiquent avec le plus de
zéle , n'ont- ils point confervé de préjugés
? La coutume de différer l'Inoculation
jufqu'à l'âge de 5 ans , eft elle fondée fur
des raifons fuffifantes ? Je fçat qu'à cet
age où le plus grand danger des maládies
de l'enfance eft paffé , on eft moins
expofé à voir le fuccès de l'opération
troublé par des caufes étrangeres & inconnues
. Mais combien d'enfans victimes
de cette crainte font moitfonnés au berceau
dans certaines épidémies ? Je fuis
tenté de croire qu'en abandonnant en
Angleterre l'ufage où l'on étoit d'inoculer
les enfans nouveaux nés : on a moins
déféré au bien général de l'humanité
qu'à l'appréhenfion de décrier cette méthode
auprès du vulgaire , qui lui imputeroit
fans examen , les accidens ordinaires
à cet âge. Un jour viendra peut - être
où l'on ne fera plus forcé à ces funeftes
changemens. Nous pourrons jouir alors
190 MERCURE DE FRANCE:
de tous les avantages que nous offre l'inoculation
; & l'on s'étonnera de les avoir
fi longtemps négligés.
Nota. Le Mémoire qu'annonce M. Bernoulli
dans ces réflexions a été envoyé à
l'Académie des Sciences de Paris , dont
M. Bernoulli eft membre. Ce Mémoire a
pour titre : Efai d'une nouvelle analyſe de
la mortalité caufée par la petite vérole ,
& des avantages de l'inoculation pour
prévenir.
la
LE
ques ,
GÉOGRAPHIE .
E fieur Lattré , Graveur , rue S. Jacà
la ville de Bordeaux , a mis en
vente une nouvelle Mappemonde , de la
compofition de feu M. le Boullanger , Ingénieur
, & d'une conftruction fingulière.
Elle est projettée fur l'horiſon de 45 degrés
de latitude , & a pour diamètre , du
Sud au Nord , le Méridien de Paris . Elle
préſente, dans l'un des deux hémisphères,
les quatre Parties du Monde terreftre ;
dans l'autre , prèſque toutes les mers réunies
: ce qui fait plus aifément diftinguer
les rapports que les différentes parties du
JUIN. 1760. 191
globe ont entr'elles . Ainfi ce planifphère
terreftre , montre la furface de la Terre
fous un nouveau point de vue très- propte
à piquer la curiofité. Cette Carte eft trèsproprement
gravée , & fes ornemens font
de bon goût.
PROVINCES Méridionales de l'Angleterre
, ou Côtes Septentrionales de la
Manche , tirées de la Carte de Browne ,
imprimées à Londres . A Paris , chez le
fieur le Rouge , Ingénieur , Géographe
du Roi , rue des Grands- Auguftins, 1760 .
Cette Carte eft divifée en deux feuilles ,
qui paroiffent très - bien exécutées.
PLAN idéal de la bataille de Maxen ,
gagnée par M. le Maréchal Daun , fur le
Général Finck , les 20 & 21 Novembre
1759. Croqué par M. le Prince de Ligne.
A la même adreffe.
LE
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
E fieur Rigaud , Graveur , vient de
joindre à fon Recueil des vues des Mai192
MERCURE DE FRANCE;
fons Royales & autres , trois nouvelles
vucs , deux de l'Hôpital Royal de Bicêtre
, & une de l'Hôpital Général . Il demeure
rue S. Jacques , vis- à- vis le Collége
du Pleffis.
VUES du Port de Fleffingue , & de l'arrivée
de Fleffingue , très - bien gravées
d'après Peters , par le fieur le Veau. Deux
autres , plus petites , l'une de Lillo , fur
l'Efcaut , l'autre du Canal d'Ypres à Furnes
, d'après Vander- neer , par le même.
Chez l'Auteur , rue Ste Géneviève , visà-
vis le Collège de Navarre . Prix des
grandes , 3 liv. 10 f. chacune , & des petites
1 liv. 10 f.
M. MOITTE , Graveur du Roi , vient de
mettre au jour une Eftampe , qui a pour
titre , Vénus fur les Eaux. Elle eft gravée
d'après l'une des plus belles & des plus riches
compofitions de l'aimable & célèbre
Peintre des Grâces , c'est- à- dire M. Boucher
, dont le génie & les productions
font fi accueillis du Public. Le Tableau ,
fait , il y a quelques années , appartient
à M. le Comte de Teffin , Miniftre du
Roi de Suéde . Cette Eftampe , qui contient
plus de vingt figures , eft renduë
avec tant d'harmonie , une fi grande pu
reté de burin , & des caracteres fi élégament
exprimés , qu'elle a mérité à M.
Moitte
JUIN . 1760. 193
Moitte l'honneur d'être agréé à l'Académie
Royale de Peinture. Elle fe vend , à
Paris , chez l'Auteur , à l'entrée de la rue
S. Victor , la premiere porte cochère à
gauche, en entrant par la Place Maubert .
Le prix eft , de 8 liv .
Le Portrait de N. S. P. le Pape Clêment
XIII , actuellement régnant , vient
d'être gravé d'après la médaille d'or que
Sa Sainteté a fait remettre à M. l'Abbé
Guyon , par le fieur Audran , Graveur ,
rue S. Jacques , à la ville de Paris . Comme
les Médailles confervent plus fidélement
la reffemblance que les Tableaux ,
il y a tout lieu de préfumer que cette
nouvelle Eftampe repréfente éxactement
le S. Pere.
Le fieur LE MAIRE , Auteur de l'Hif
toire Univerfelle , vient de mettre au
jour 20 nouveaux fujets de l'Exode , qui
commencent à la fixiéme Playe de l'Egypte
, & comprennent les événemens
postérieurs jufqu'au combat de jofué contre
les Amalécites Parmi les Peintres d'après
qui ces nouvelles Eftampes font gravées
, on voit les noms de Martin Devos ,
d'Eimmart , de Paul Véronèse , de Tempeſte
du Benedette de Raphaël , de
Carle Maratto , du Pouffin , & de Romanelli.
>
I
194 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
SIX SONATES , en duo, pour deux violons
, dédiées à M. Pagin , Confeiller du
Roi , Receveur des Tailles , & Tréforier
général de S. A. S. Mgr le Comte de Clermont
, Prince du Sang. Par M. de L.....
Euvre premier. Prix., 6 liv . A Paris , chez
le fieur Hue , Graveur , rue $. Honoré ,
attenant le Palais Royal , vis- à- vis le
Caffé de Dupuis , & aux adreffes ordinaires.
L'Auteur n'ayant pas jugé à propos
d'inftruire le Public de fon nom , ce
n'eft pas à nous à le divulguer. Nous ne
pouvons cependant nous refufer de dire
que ces Duo , dignes d'être offerts à M.
Pagin , font d'un homme de condition ,
de Montreuil - fur-mer.
LES BAGATELLES variées , Pot-pourri , à
deux violons , ou à une flute & un violon,
par l'Auteur du Coeur volage , avec des
variations. A Paris , chez Cuiffart , Libraire
, quai de Gêvres , à l'Ange- Gardien
; & aux adreffes ordinaireș. Prix ,
12 f
JUIN. 1760. 195
ARTICLE V.
·
SPECTACLE S.
CET
OPERA.
DARDA NU S.
A
ET Opéra , dont le fuccès fe foutient
conftamment , a été donné
miere fois , le 19
Novembre 1739. À la
pour la prereprife
, en Avril 1744 , il a reparu avec
des
changemens fi
confidérables , tant de
la part du Poëte que de celles du Muficien
, qu'il en a été fait une nouvelle édition
, que l'on peut regarder ( fi l'on en
excepte les deux premiers actes ) comme
un ouvrage abfolument nouveau. L'Auteur
du Mercure , n'en donna pourtant
point d'extrait alors. Il fe contenta d'annoncer
, en deux mots , cette reprife ; &
c'est avec plaifir , que je vais fuppléer à
un
manquement , que la Province , encore
plus que la Capitale, auroit fans doute
droit de me
reprocher.
Acte I. Le
Théâtre
repréfente un lieu
rempli de
Maufolées , élevés à la gloire
des plus fameux
Guerriers qui ont péri
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
dans la guerre que Dardanus , fils de Jupiter
& d'Electre , a déclaré à Teucer ,
Koi de Phrygie. Iphife , fille de Teucer ,
fe plaint de l'amour dont elle eſt épriſe
Four Dardanus , ennemi de fon pere.
Voici comme elle expofe le fujet.
Ceffe , cruel Amour , de régner fur mon âme,
Ou choifis d'autres traits pour te rendre vain
queur.
Où m'entraîne un aveugle ardeur ?
Un ennemi fatal eft l'objet de ma flamme ?
Dardanus a foumis mon coeur.
Ceile , cruel Amour & c.
Elle invoque les mânes des guerriers
dont les cendres font renfermées dans
les tombeaux qu'on voit paroître , & les
prie de la faire triompher d'un amour
qui les outrage. Teucer , fon Pere , redouble
fa douleur , en lui annonçant l'hymen
prochain qu'il a conclu pour elle
avec Antenor , Prince voifin de fes Etats ,
qui vient joindre fes armes aux fiennes
contre Dardanus. Antenor arrive , &
confirme à Iphife cette trifte nouvelle ,
par ces vers :
Princeffe , après l'efpoir dont j'ofe mefatter ,...
Je réponds des exploits que je vais entreprendre.
JUIN. 1760. 197
Je combattrai , pour vous défendre ,
Et pour vous mériter.
Iphife lui répond que , quoi qu'on ait ,
Heu d'attendre d'un héros tel que lui , fa
victoire n'eft pas fûre contre un fils de Ju-i
piter. A quoi , Antenor replique , galament
:
S'il eft protégé par les Dieux ,
Je fuis animé par vos charmes.
Alors Teucer & Antenor , pour affurer
feur union , lui prêtent le fecours d'un
ferment , auquel les Choeurs répondent.
Le fuccès , dont les Phrygiens fe fattent
, amène naturellement la fête de ce
premier Acte ; qu'Iphife termine , par ce
Monologue.
Je céde au trouble affreux qui dévore mon coeur.
De mes fens égarés puis - je guérir l'erreur ?
Confultons Ifménor ce mortel refpectable
Perce , de l'avenir , les nuages épais.
Heureufe ! s'il pouvoir , par fon Art ſecourable ,
Rappeller dans mon coeur l'innocence & la paix.
Au fecond Acte, le Théâtre repréſente
une Solitude , & un Temple dans l'enfoncement
. Ifménor , Magicien , & Prêtre
de Jupiter , annonce aux Spectateursfon
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
pouvoir & fes qualités . Dardanus , qui
le croit fon ami , a tout risqué pour le
venir confulter. Ifménor lui repréfente en
vain la grandeur du péril où il s'expoſe.
Non ! ( s'écrie Dardanus ) Non , vos conſeils font
vains.
Un intérêt trop cher auprès de vous m'entraîne.
Mon repos , mon bonheur , ma vie eſt dans vos
mains.
Ifménor lui apprend , enfin , qu'Iphife
doit bientôt venir le confulter. Dardanus
lui répond :
Je l'ai fû ; j'ai volé , j'ai devancé les pas.
Souffrez-moi dans ces lieux ; j'y verrai ſes appas
C'eſt un charme . fuprême ,
Qui fufpendra mon tourment.
Eh ! quel bien vaur , pour un amant ,
Le plaifir de voir ce qu'il aime ?
Pour mieux engager Ifménor à le fervir
, il lui fait entendre que , s'il peut
obtenir Iphife de Teucer , il Fenoncera à
tous les avantages que la victoire lui a
déjà fait obtenir ; & que fon hymen avec
la Princeffe , fera le fceau de la paix. Ifménor
fe rend ; il confulte les enfers :
ce qui forme la fête de cet Acte.Il obtient
enfin , des Divinités Infernales , la per
JUIN. 1760. 199
miffion de communiquer une partie de
fon pouvoir à Dardanus , à qui il donne
fa baguette magique. Ce don' myſtérieux
doit le faire paffer, aux yeux de tous,
pour Ifménor lui-même .Mais (ajoute - t - il) :
Si vous l'ofez quitter , n'efperez plus en moi:
Le charme ceffe , & le péril commence.
Telle eft , du fort , l'irrévocable loi
Dardanus refte feul. Antenor vient le
confulter , ou plutôt le prier de confulter
le coeur d'Iphife fur fes fentimens fecrets
a fon égard. Il ne daigne pas l'interroger
fur le fort de fes armes ; & lui dit fièrement
:
Je ne veux point prévoir le fuccès qui m'attend
Ce n'eſt pas ce defir qui près de vous me guide.
Un efprit curieux , marque une âme timide ;
Et j'apprendrai mon fort, en combattant.
A peine Antenor eft-il forti , qu'Iphife
vient confulter fon propre amant , caché
fous les traits d'Ifménor , fur l'état de
fon coeur. C'est ici , fans contredit , une
des plus belles Sçènes qu'il y ait fur aucun
Théâtre , & dans laquelle le Muficien &
le Poëte femblent avoir été inſpirés par
le même génie. Qu'on fe figure la fituatioir
d'un amant auffi tendre & auffi paf-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
fionné que Dardanus , qui ne fçait point
encore s'il eft aimé , qui a un rival redoutable
, & à qui fon amante , qui le
croit Ifmenor , va dévoiler toute fon âme.
Qu'on fe peigne celle d'une jeune & timide
Princeffe , qui brûle en fecret pour
l'ennemi de fon pere & de fa Patrie ;
qui gémit de cette flâme , qu'elle cache à
tous les yeux ; qui vient , en tremblant,
implorer le fecours des Enfers même ,
pour éteindre des feux dont fa vertu frémit
; & ce que doit lui coûter l'aveu de
fa foibleffe ! ...
DARDANUS.
Vous aimez ! .. O Ciel ! qu'ai- je entendu ? ..
IPHISE.
Si vous êtes furpris , en apprenant ma flâme ;
•
De quelle horreur ferez-vous prévenu ,
Quand vous faurez l'objet qui régne fur mon âme!
Mais , avec quel tranſport Dardanus
n'apprend-t- il pas que cet amant qu'Iphi-
Je croit devoir lui faire horreur , n'eft autre
que lui - même ? .. Quelle violence
n'eft-il pas forcé de le faire pour empêcher
que fon raviffement n'éclate , & ne
décéle fa fupercherie ? furtout lorfque la
tendre Iphife ajoute :
D'un penchant fi fatal , rien n'a pû me guérir.
JUIN. 1766.
201.
Jugez à quel excès je l'aime ,
En voyant à quel point je devrois le hair ! ...
Arrachez de mon coeur un trait qui le déchire :
Je fens que ma foibleffe augmente chaque jour.
De ma foible Raifon rétabliffez l'enipire ;
Et rendez-lui fes droits ufurpés par l'Amour.
" oublie
Le héros , emporté par le fentiment
oublie les menaces d'Ifménor
qu'il eft dans les États de fon plus mortel
ennemi , jette loin de lui fa baguette , fe
précipite aux pieds de la Princeffe , & lui .
montre à la fois l'objet de fon amour &
de fa haine. Iphife , honteuse de l'aveu ..
qu'elle vient de lui faire , le fuit : mais ,
elle lui laiffe le plaifir d'avoir appris qu'il
eft aimé. Je le répète ; cette fituation des
deux Amans , l'une des plus heureufes
& des plus intéreffantes qui foit au Théâ
tre, eft le triomphe de Mlle Arnoud ; &
jamais Actrice , fans en excepter la trèscélèbre
Mile le Maure même , n'eût pû
la rendre avec plus de pathétique , plus
de nobleffe, & plus de vérité. Darda
nus , lorfqu'Iphife eft partie , eft fi rempli
de fon bonheur , qu'il néglige de reprendre
la fatale baguette , qui pouvait
feule l'empêcher de tomber entre les
mains de fes ennemis.
·
blingib al 18 oɔtól ni ommuż gov.
R
202 MERCURE DE FRANCE.
Acte III. Le Théâtre repréſente le veftibule
du palais de Teucer. Antenor , en
fe plaignant des maux que l'amour lui
caufe , annonce que Dardanus eft captif,
mais qu'Iphife l'adore , & qu'il a furpris
ce funefte fecret. Arcas vient lui apprendre
que le Peuple tévolté demande la
mort de ce Héros. Les féditieux viennent
en effet affiéger les portes du palais de
Teucer , & demandent à grands cris leur
victime. Les portes s'ouvrent, tout- à- coup.
C'eſt le Roi lui- même, qui fort avec vivacité
, & dont la noble & fière contenance
étonne , arrête les mutins . Vous
demandez , dit- il , le fang de Dardanus ?
Si c'est un un bien fi doux pour vos coeurs fan➡
guinaires ,
Que ne l'immoliez-vous au milieu des combats ?
Quand la gloire fervoit de voile à la vengeance ,
Lâches ! pourquoi n'ofiez-vous pas
Soutenir la preſence ?
Vos coeurs , dans la haine affermis
Trouvoient- ils ces tranfports alors moins légi
times ?
Ne favez-vous qu'égorger des victimes ¿
Et n'olez-vous frapper vos ennemis ?
Ces beaux vers , débités par le S' Lar
rivée , avec toute la force & la dignité
JUIN. 1760. 203
qu'ils exigent , produifent tout leur effet.
Les Phrygiens fe retirent confus ; & Teucer
rentre dans fon Palais . Antenor , reſté
feul avec Arcas , n'eſt plus maître des
tranfports qui l'animent contre Dardanus.
Arcas promet de fervir fa fureur..
Mais ce Prince , après avoir réfléchi fur
la baffeffe de ce premier mouvement
femble annoncer un tout autre deffein .
Viens , dit- il à Arcas , ( en voyant arriver
quelqu'un . ).
י
Je veux , fans témoins , t'expliquer mes projets..
Le Palais de Teucer , s'ouvre: Plufieurs
Gadrilles de Peuples en fortent , en dan
fant , & viennent exprimer la joie qu'ils
ont de la captivité de Dardanus : ce qui
produit une fête extrêmement agréable.
Au quatriéme Acte , le Théâtre repréfente
une prifon , au fond de laquelle on
voit Dardanus accablé de l'horreur de
fa fituation. Cette prifon eft une des plus :
belles décorations que l'on ait vuës fur le
Théâtre de notre Opéra ; & prouve, qu'avec
du génie, on peut faire du grand dans:
un très- petit eſpace. On ne fauroit trop
louer M. Machi , Peintre du Roi , & de
l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture . d'avoir eu le courage de préférer
une compofition du célèbre Pirane
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
reconnue depuis longtems pour très bonne
, à celle qu'il auroit été capable d'imaginer
lui- même avec fuccès. On doit le
penfer , en voyant avec quel Art il a
ajouté , à la priſon gravée , les premiers
chaffs qui correfpondent parfaitement à
la partie copiée d'après l'Eftampe. La manière
de peindre , l'intelligence dans les
couleurs & dans les lumières , qui ne ..
font produites que par deux lampes fufpendues
à differentes hauteurs l'effet,
de toute la décoration lorſqu'elle devient
en partie maſquée par des nuages &
des enfans fi agréablement difpofés , ne
peuvent laiffer aucun doute fur les talens,
le goût , & la capacité de M. Machi. I
a dû voir , par la façon dont on a applaudi
à fon ouvrage , que l'on aime la
vérité dans le féjour même de l'illufion .
Le héros ajoute encore à l'impreffion:
que jette dans l'âme du Spectateur la
vue de cette prifon , par ce beau Monologue
, dont la Mufique eft tellement analogue
au Sujet , ( comme elle l'eft dans
tout le cours de l'Opéra ) qu'elle produiroit,
je crois, tout fon effet indépendament
des paroles.
Lieux funeftes , où tout reſpire
La honte & la douleur !
JUIN . 1760. 205
Du défefpoir , fombre & cruel Empire ,
L'horreur que votre afpect infpire ,
Eft le moindre des maux qui déchirent mon
coeur . & c .
La prifon s'éclaire par degrés , au fon
d'une Mufique mélodieufe , pendant laquelle
ménor defcend dans un char
brillant. Il confole Dardanus , en lui apprenant
que fes malheurs ne font pas
fans retour. L'Amour , dit - il , a caufé
votre offenſe : C'eft à lui de calmer la
vengeance des deſtins irrités .
J'aurois déja , pour vous , reclamé fa clémence:
Mais la voix d'un Amant , fléchira mieux l'amour.
Triftes lieux ,dépouillez votre horreur ténébreuſe !
Efprits qui me fervez , volez du haut des airs !
Parez de mille attraits , cette demeure affreuſe :
Pour implorer l'Amour , formez de doux concerts.
Les Efprits , foumis à Ifménor , volent
à fa voix ; les murs de fa prifon font en
partie cachés par des nuages brillans ,dont
elcontrafte avecl a couleur de ces mêmes !
murs, produit le plus grand effet & le plus
pittorefque. Un Choeur d'Efprits Aeriens
invoque l'Amour;d'autres danfent au fon
de la Mufique la plus douce & la plus ten206
MERCURE DE FRANCE.
dre ; & ffménor annonce, que l'Amour eft
fenfible aux tourmens de Dardanus.Tout
ce que cette fêre a d'agréable & de volup
tueux , eft au- delà de toute expreſſion.
Les Dieux ( dit Ifménor ) vont retirer le bras qui
vous opprime :
Mais en brifant vos fers , de la rigueur du fort,
Votre libérateur deviendra la victime ;
Et votre vie , eft l'arrêt de ſa mort.
Non ! s'écrie le généreux Dardanus –
Je ne fouffrirai pas qu'un innocent périſſe :
Non ! je n'accepte pas ce fecours odieux ;
Et je ferai plus jufte que les Dieux.
A quoi Ifménor répond , avec toute la
dignité de fon caractère .
Soit que le Ciel récompenſe ou puniffe ,
C'eft aux Mortels d'adorer fes decrets.
Gardons- nous d'élever des regards indifcrets
Fufqu'au trône de fa juftice.
Ifménor fort ; le Théâtre reparoît dans.
fon premier état. Dardanus , feul , croit
que le Ciel infulte à fon malheur. Il le
fupplie de fermer l'entrée de fa prifon
à celui qui doit brifer fes fers. Iphife.
fuivie d'un Garde , qui apporte une épée
nuë, fe préfente à fes yeux. Elle lui aps
JUIN . 1760. 20
prend que , cette nuit même , Antenor
doit lui donner la mort ; & qu'il peut
fuivre les pas du guide qu'elle lui amène.
Dardanus , que l'Oracle épouvante , ex--
horte Iphife en frémiflant , à fuir plutôt
elle- même. Combat de paffion & de fen--
tímens héroïques entre les deux Amans
jaloux de mourir l'un pour l'autre. Dardanus
arrache l'épée des mains du Garde,
& veut s'en frapper ; Iphife lui retient:
le bras ; un bruit d'armes fe fait entendre
: Antenor arrive , bleſſé , & foutenu
par un Soldat. Les troupes de Dardanus
font, ( dit-il ) . dans la ville . Ah ! s'écrie ce
héros :
Que ne puis- je , moi - même , animer leur cou
rage !
Arrête , lui dit Antenor.
C'eft moi feul qui brifois tes fers
C'eſt par mes foins qu'Iphife , a vû ces lieux ou
verts 3
3
Et pour percer ton coeur , on t'attend au paſſage;
Suis mes pas ; je te veux fauver de leur fureur.....
Mais , mes remords font vains... je m'affoiblis ...
Je meurs.
On emporte Antenor. Dardanus convaincu
que ce n'eft point Iphife que menaçaft
l'Oracle , s'empare de l'épée du
208 MERCURE DE FRANCE..
Garde & malgré les craintes de fon.
Anante , fort , en lui difant :
Revenez de ces frayeurs extrêmes.
Lears complots a lieux , vont tomber fur euxmêmes
:
Des traîtres, qu'on prévient , font à demi vaincus.
Pendant l'Entre- Acte , on entend le
bruit d'un combat . Le Théâtre change, &
repréfente le veftibule du Palais de Teucer.
Iphife arrive. Elle tremble pour les
jours de fon Père , & pour ceux de fon
Amant. Dardanus , vainqueur, vient la raf
furer. L'inftant après , Téucer environné
de Soldats qui lui arrachent fon épée ,”
dont il vouloit fe percer , vient reprocher
à Dardanus l'abus qu'il fait de fa
victoire, en le forçant de vivre. Dardanus
offre vainement de lui rendre fon Empire.
Non , s'écrie l'infléxible Teucer :
Non, tu crois m'éblouir ; mais je vois ton deffein:
L'Amour me fait des dons , & l'orgueil me pardonness
Ta générosité vend les biens qu'elle donne
Mais rien nechangera , ton fost, ni mon deſtin
Garde tes vains préfens ; ta main les empoiſonne ...
༔ ; :》
Iphife & Dardanus font les derniers
efforts , pour calmer la haine de Teucer.
STEGIAS 2 E SIDATO I PODLA
JUIN. 1760. 209
Il perfifte à demander que fa fille foit libre
, & qu'on lui permette la mort . Rien
ne peut vous fléchir ! lui dit Dardanus :
Votre coeur indompté
Prend la haine pour du courage ,
Et fa fureur pour de la fermeté .
Iphife eft libre , & l'a toujours été.
Pour vous , prenez ce fer ...
Il préfente fon épée à Teucer ; mais il
ne la lui abandonne , qu'au dernier vers.
Mais j'en prefcris l'uſage ;
Songez fous quelles loix il vous eft préſenté...
Frappez! votre ennemi fe livre à votre rage.
Le premier mouvement de Teucer , eft
de s'emparer de l'épée ; celui d'Iphife ,
de s'élancer fur le bras de fon pere
Ce moment eft admirable , & digne d'être
faifi par l'un de nos grands Peintres.
Teucer lui - même, en eft frappé ; & s'attendriffant
, par degrés , en laiffant tomber
fes regards fur fa fille... Ah , dit-il:
Ma fille , c'en eft trop ! il faut enfin ſe rendre...
Dardanus eft donc fait pour triompher toujours
Je rougis feulement , d'avoir pû me déffendre.
Transports de joie des deux amans ;
auxquels ajoute encore une fympho210
MERCURE DE FRANCE.
nie gracieuſe , au fon de laquelle on voit
defcendre Vénus , & les plaifirs qui l'accompagnent.
C'eft par ordre de Jupiter
qu'elle amène l'Hymen & l'Amour , pour
célébrer les nôces d'un fils qu'il aime. Les
Phrygiens & les Phrygiennes , viennent
fe joindre au cortège de Vénus , & förment
un divertiffement général qui termine
cet Opéra , compofé d'une façon
mâle , d'un très- beau chant , d'une diction
fublime , fur lequel les applaudiffemens
de la Capitale ont unanimement pro
noncé , & dont cet extrait peut mettre
la Province à portée de préfumer tout le
mérite.
A las repréſentation , Mlle Arnoud
ayant été attaquée d'un gros rhûme ,lerôle
ď'Iphiſe a été joué , avec fuccès , par Mlle
Dubois. Le fieur Pilot , dans le Rôle de
Dardanus , a continué de mériter , & paroît
travailler à mériter de plus en plus,
les fuffrages du Public. Le fieur Larrivée ,
dans ceux de Teucer & d'Ifménor , a chanté
& joué de façon à confirmer toutes les.
efpérances que l'on avoit conçues de fes
talens. Sa voix , quoique forte , eft légère,
fans voile , & fans rudeffe . L'action femble
lui donner un peu d'enroûment : mais
ce déffaut , s'il en eft un , eft ordinaire
dans ceux à qui la voix & le corps de
baffe taille fe déclarent trop tôt. Le Geur
JUIN. 1760. 211
Gelin , à qui il ne manque que de ne
pas trop exiger de la beauté de fon or
gane , a chanté le rôle d'Antenor avec
nobleffe , & a reçu les
applaudiffemens
qu'il avoit droit d'attendre.
Quant aux Ballets , il fuffit de dire
qu'ils font de la compofition de M. Lany,
pour en préfumer la beauté ; & fon admirable
foeur y a prouvé, plus que jamais,'
que fon talent eft au- deffus de tout éloge.
Les fieurs Hus & Gardel , & la Dlle
Lyonnois , au premier Acte ; le fieur Laval
, au fecond ; la Dile du Monceau , qui
a doublé Mlle Lany , au troifiéme ; le
fieur Veftris , & Mlle fa foeur , au qua
triéme , fe font furpaffé dans leurs différentes
entrées , & en ont recueilli le
fruit. A la Chaconne du cinquiéme Acte,
le fieur Veftris par la légèreté , la préci
fron , & la nobleffe de fa Danfe , a réuni
tous les fuffrages & du Public & des vrais
connoiffeurs.
22
COMEDIE FRANÇOISE.
SPARTACUS , Tragédie.
PARTACUS , fameux Gladiateur ,
» étoit natif de Thrace. Ayant été vendu
212 MERCURE DE FRANCE.
»
pour efclave , il échapa avec 78 autres
Gladiateurs , fes compagnons , de la
» fervitude de Lentulus , qui les deftinoit
aux combats. Ayant ramaffé une grande
troupe de fugitifs , il fe retira fur une
montagne de la Campanie , où étant
affiégé par Clodius , Préteur Romain ,
il le mit en déroute. Il défit enfuite Pu
» blius , Varinus , Furius , & Coffinius ,
» Capitaines Romains ; puis il fe fit dé-,
" clarer Empereur par les fiens. Il triom-
و ر
pha auffi des Confuls Cellius & Lentu-
3. Lus , qui avoient été envoyés contre,
lui ; & en dernier lieu , du Préteur
Caffius, auprès du Pô. Mais enfin, Caffius
» l'ayant enfermé dans la demi- Ifle des
Rhégiens , où il avoit fait bâtir une
muraille à cet effet, il tailla fon Armée
en piéces laquelle néanmoins
combattit avec tant de courage, que)
de 12300 hommes qui refterent fur le
champ de bataille , il ne s'en trouva
"
» que deux de bleffés par derriere
. Spartacus
périt dans ce combat ; & les ref
» tes de fon Armée furent entierement
» détruits par Pompée, qui mit fin à cette
»guerre des Gladiateurs
.
Plutarque , en la vie de Craffus.
Voyons , maintenant , de quelle façon,
JUIN. 1760. 273
M. Saurin a accommodé ce Sujet au
Théâtre.
Noricus , chef d'un corps de Gaulois
allié de Spartacus , ouvre la Scene avec
Sunnon fon confident. Celui - ci s'efforce
de ramener fon Maître au parti des Romains
, en lui peignant vivement les
dangers où- l'expofe fon union avec Spar
tacus , que la Victoire même épuife en
le favorifant , dont les fuccès avancent
perte , & que Rome écrafera enfin
du poids de fa puiffance. Noricus , déja
fécretement jaloux de Spartacus , nẹ
marche fous fes drapeaux qu'avec dépit ;
mais il hait encore plus les Romains ,
qui ont tué fon fils ; & fon coeur n'af
pire qu'après l'infant de venger cette
mert. D'ailleurs , ajoute-t- il , lorfque
la
.... De Spartacus , admirant le grand coeur ,)
J'embraffai fon parti , déja deux fois vainqueur ,
Je lui donnai ma foi ; mon honneur eſt ſon gage.
Il faut tout bien pefer , au moment qu'on s'engage
:
Mais lorsqu'en un parti , Sunnon , l'on s'eſt jetté ,
Regarder en arrière eft une lâcheté ....
Noricus pourfuit; & en juftifiant la prétendue
révolte de Spartacus contre les
214 MER CURE DE FRANCE.
Romains , il apprend au Spectareur , que
ce héros ,
· Né d'illuftres ancêtres ,
Et parmi les ayeux comptant même des Rois,
Aux Suéves, un jour , eût pû donner des loix ;
Mais que les Romains , après avoir
fondu , en brigands, fur fa patrie , ont tuč
fon Père ( Argétorix ) ont enlevé la mère
& le fils encore au berceau , & l'ont
deftiné aux combats du Cirque.
>
Tu connois, dit éloquemment Noricus,
à Sunnon .
Tu connois des Romains les paffetemps cruels ;
Ce fpectacle de fang , & ces combats atroces;
Où ce peuple vanté , repaît fes yeux féroces ,
Excite de la voix le trifte combattant ,
Le regarde tomber , l'obſerve palpitant ,
Veut qu'à lui plaire encore il mette ſon étude ,
Et garde en expirant une noble attitude &c .
C'eſt en un mot , la honte & l'indignation
de fe voir expofé à ces honteux
combats qui ont déterminé Spartacus à
foulever fes compagnons contre les Romains
, fur lefquels il a déja gagné quatre
grandes batailles , & qu'il fait actuel
lement trembler dans leurs propres mu
railles.
JUIN. 1780. 215
Sunnon fait de nouveaux efforts pour
détacher fon Maître de l'alliance de
Spartacus. Noricus lui ferme la bouche ,
en lui répétant qu'il hait encore plus les
Romains qu'il ne hait ce héros.
>
Après cette Scène d'expofition , un
peu longue mais néceffaire , Spartacus
paroît enfeveli dans le plus grand
chagrin. Il tremble pour fa mère , qui eſt
reftée en la puiffance des Romains. En
attendant le retour d'un Envoyé qui doit
lui en rapporter des nouvelles, il apprend
à Noricus , qu'à la prife de Tarente , il
trouva dans un Temple , où s'étoient réfugiées
les femmes éplorées , une jeune
Romaine qui , couchée fur l'Autel & embraffant
la Statue de Vefta , étoit près de
fe frapper d'un poignard pour fe dérober
aux outrages du vainqueur. Il lui a rendu
la vie , l'honneur & la liberté . Mais depuis
ce moment , il rencontre partout
l'image de cette aimable perfonne.
Chargé de mille foins, rien ne peut m'en diftraire :
Jufques dans les combats,l'Amour vient me chercher
:
Il pefe fur le trait que je veux arracher.
Noricus , par les craintes qu'il laiffe ici
paroître , fournit à Spartacus l'occafion
de peindre le caractère qu'il gardera dans
216 MERCURE DE FRANCE.
toute la Piéce , en le raffurant par ces
beaux vers :
- Non...je triompherai de cet Amour fatal:
Les grands coeurs ne font faits que pour aimer
gloire.
Qu'un vil mortel renonce à vivre en la mémoire ,
Pour ramper ici-bas quelques inftans de plus ;
Qu'en mourant confumé du regret fuperflus ,
Jufqu'au bout inutile au monde , à ſa patrie ,
Il perde également & fa mort & fa vie.
Si la vie , en effet , n'eft qu'un rapide inftant ;
Employons-la , du moins , à le rendre éclatant ;
Failons-en une époque utile & mémorable.
Laiffons à l'Univers un monument durable ,
Qui des fiécles futurs falſe à jamais bénir
D'un Héros bienfaiteur l'immortel fouvenir.
Tels font , ajoute- t- il , les fentimens
que lui a infpirés fa mere.
Voilà l'ambition digne d'une grande âme !
A ce noble projet facrifions ma flâme.
Ma mere, au bien public , m'apprit ਠm'immoler.
Albin paroît enfin , qui lui apprend
que fa mère s'eft percé le flanc elle - même
aux yeux des Romains, qui la menaçoient
de la rendre refponfable de la conduite
de fon fils ; & qui lui préfente le poignard
dont
JUIN. 1760 . 217
dont elle s'eft frappée , en le preffant de
fa part de venger fa mort dans le fang
de fes ennemis. Arrive , en cet inftant ,
un Tribun de l'armée de Spartacus , qui
lui annonce que la fille duConful (Craffus)
vient d'être enlevée par Sunnon , qui a
défait fon eſcorte. Noricus lui confeille
de venger fur elle la mort de fa mère...
Oui ! (dit Spartacus . )
Oui , je le veux . Oui ... la douleur m'égare...
Les Romains m'ont appris à devenir barbare.
Mais ce premier mouvement , n'eft
point durable. Il revient à lui - même ,
congédie l'affemblée , & termine l'Acte ,
en difant :
... Mon coeur
Ne peut , en ce moment , fentir que fa douleur.
fa
Emilie , fille de Craffus , & Sabine ,
confidente , ouvrent le fecond Acte. Sabine
craint tout pour fa maîtreffe , qui
la raffure en lui faifant part de fa paffion
fecrette pour ce héros , dont elle a connu
toute la générofité. Elle ignoroit encore
qu'elle étoit fille de Craffus , lorfqu'elle
a vû pour la premiere fois Spartacus au
combat des Gladiateurs ; où , fe trouvant
expofé contre un Sarmate , la beauté de
K
218 MERCURE DE FRANCE:
ce jeune homme l'intéreffa ainfi > que
tous les Spectateurs. Vainqueur du redoutable
Sarmate , & indigné de fa gloire
, il s'avança au milieu du Cirque , &
promit aux Romains de les punir de leur
inhumanité , fi jamais il devenoit libre.
Il l'eft devenu ; & ne remplit que trop
bien fa parole . C'est elle enfin que ce même
Spartacus , au faccagement de Tarente
, a fauvée , fans la connoître , dans
le Temple de Vefta , de la fureur de fes
Soldats.
Eh ! ( s'écrie-t-elle ) que pour fecourir la triſte
humanité ,
Il est beau de montrer cette intrépidité ,
De fes fiers oppreffeurs trop fouvent le partage !
C'eft ce qu'en Spartacus j'admire davantage.
Qu'a l'admirer , hélas ! n'ai-je pû me borner ?
Un grand homme , eut toujours des droits fur
notre coeur ;
Soit qu'à notre foibleffe il offre un protecteur ;
Ou foit que la conquête illuftre la victoire ;
Et qu'aimer un Héros , ce foit aimer la gloire.
·Spartacus fe préfente à elle ; & fans
la regarder , lui protefte , ( quoiqu'il ait
fa mere à venger ) que fes jours font en
fûreté dans fon Gamp. Mais à peine EmiJUIN.
1760. 219
lie a-t-elle ouvert la bouche pour lui marquer
fa reconnoiffance , que Spartacus re
connoît fon amante. Tranfports de fur
prife & de joie de la part du Héros , éton™
né cependant de voir la fille de Craffus
dans celle qu'il avoit protégée à Tarente.
Emilie lui apprend, qu'elle-même ignoroit
alors fa naiffance. Combat de paffions
très théâtrales , & fortement peint , de
la part de l'Auteur.
Vous voyez ( dit Spartacus ) le trouble de mon
âme !
Ma haine , les Romains , & ma mère , & ma
flâme ,
Combattent à la fois , & déchirent mon coeur.
que
Il apprend à Emilie , dont les fentimens
font auffi nobles les fiens , ' que
Meffala , député par Craffus , arrive pour
traiter de fa rançon , ainfi que de la Paix.
Emilie en conçoit déja les plus flatteufes
efpérances . Mais Spartacus s'écrie ?
Ma mere attend de moi le fang de fes bourreaux...
•
Non , n'en efpérez rien : non , je vous tromperais.
Non, jamais ces cruels n'auront de moi la paix a
Ils font tous dévoués au ferment qui me lie
Et ma juſte fureur n'excepte qu'Emilie.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
On vient alors apprendre à Spartacus
que toute fon armée demande , à haute
voix , que la fille de Craffus foit immolée
aux mânes de la mère de ce héros . Spar-
1acus , en frémit. Emilie le preffe d'appaifer
, par
fa mort , les cris féditieux de
fon armée. Il fort en lui difant :
Soyez füre , du moins , que tant que je reſpire ,
Contre vos jours , envain leur lâcheté confpire.
Au troifiéme Acte , Spartacus fuivi des
Chefs de fon armée , leur reproche vivement
leur fédition , & , l'indignité de
leur demande. Noricus lui dit :
Tout l'opprobre, aux Romains, en doit être imputé.
Ce n'eft qu'à leur exemple : ils l'ont trop mérité.
A quoi , Spartacus fait cette belle ré
ponſe :
Ai-je mérité , moi , de fuivre leur exemple ?:
Qué celui de vous , ajoute - t -il , qui fe
croit plus digne de commander , fe préfente.
J'abdique mon pouvoir , & je le lui réfigne.
S'il faut encor monfang ; frappez : voilà mon ſein.
Tous frémiffent : la conteftation ceffe ;
JUIN. 1760 .
221
tous fe quittent pour aller annoncer aux
Soldats l'indignation du Général , & les
difpofer au combat. Spartacus fe reproche
fa foibleffe pour Emilie , & en demande
pardon aux mânes de fa mère ,
dans un Monologue qui eft interrompu
par l'arrivée de Meffala , Envoyé de
Craffus. Spartacus lui marque fon étonnement
, de ce que Rome dépure ' un
homme de fon rang vers un Chef d'Efclaves
révoltés , dont elle a mis la tête à
prix. Meffala juftifie Rome , en répondant
que ce n'eft point elle qui l'envoie ;
que c'eft uniquement par ordre de Craf
fus qu'il vient traiter avec lui pour la
rançon d'Emilie. Spartacus , après lui
avoir reproché la mort de fa mère , rejette
avec fierté toutes les propofitions
de l'Envoyé ; & quant à la rançon d'Emilie
: Non , ( dit il froidement. )
Spartacus ne fait point, de la guèrre,un commerce.
Ce vers , dont la penfée a paru un peu
hazardée à quelques perfonnes , a toujours
été applaudi . Il congédie enfin Meffala
en lui rendant gratuitement Emilie
qu'il promet de renvoyer le jour même à
Craffus... O Ciel ! s'écrie le héros , feul :
• Que ce téffort me coûte !
Kij
222 MERCURE DE FRANCE.
Je vais m'en féparer... Et je le dois fans doute...
Oui ; puiſqu'ainſi le veut le deftin en courroax ,
Il faut , belle Emilie , être digne de vous ,
Et vous perdre.
Emilie arrive. Il lui apprend qu'elle eſt
libre , qu'il la voit pour la derniere fois ,
& qu'il va la rendre à fon Père. Cette noble
& tendre Amante eft fi pénétrée du
procédé de Spartacus , qu'elle ne croit
plus devoir rougir des fentimens qu'elle
a pour lui.
Ta magnanimité ( dit-elle )
Te donne droit , au moins , à ma fincérité ,
Spartacus ! ta vertu fi hautement éclate ;.
Je te dois tant , enfin , que je ferois ingrate ,
Si , prête à te quitter , de vains déguiſemens
Te cachoient de mon coeur les fecrets fentimens.
Reçois donc d'Emilie un généreux aveu ,
Qu'au moment de te dire un éternel adieu ,
Mon eftime te fait , & non pas ma foibleſſe...
Je t'aime , Spartacus , & ta vertu m'eſt chère :
Mais tous mes voeux feront pour Rome & pour
mon Père..
JUIN. 1769.
223
Après cette converfation , auffi intéreffante
que bien écrite , ils fe féparent en fe
regrettant ; & Spartacus termine l'Acte ,
par ces beaux vers.
...Ah rougis , Spartacus , de ta foibleſſe extrême !
Ce pouvoir de l'amour , il le tient des mortels:
La moleffe exigea fon calte & fes Autels ;
Et lui prêtant les traits dont on dit qu'il nous bleſſe ,
L'homine s'est fait un Dieu de fa propre foibleffe.
Allons ; & tout entier à mes nobles deffeins ,
Ne fongeons plus qu'à vaincre , & marchons aux
Romains:
Au quatrième Acte ,Noricus , outré de
colère contre Spartacus , en apprend la
cauſe à Sunnon. Il étoit chargé d'attaquer
une hauteur défendue par les Romains .
L'afpect d'un lieu , de fi difficile accès ,
avoit effrayé les Soldats de Noricus , qui
avoient pris la fuite. Spartacus , furvenu
dans ce moment , a arraché l'étendart
des mains de Noricus , a rallié les
fuyards , a monté fur cette hauteur ,
y a planté lui - même cet étendart , &
en a chaffé les Romains. Spartacus entre
fur la Scène , fuivi des chefs de fon armée
: il déclare qu'il doit réparer publiquement
l'outrage qu'il a fait à l'honneur
de Noricus , & reconnoître qu'il
K iv
224 MERCURE DE FRANCE:
en a agi à fon égard avec trop de vivacité.
Calmez , lui dit ce grand homme :
Calmez le fier courroux dont votre âme eſt émue;
Et fans plus me montrer un vifage ennemi ,
Touchez dans cette main , embraffez votre ami ,
Qui honteux de la faute , & non pas de l'excufe ,
Vous demande pardon , & lui-même s'accuſe.
Cet excès de générofité,touche & con
fond Noricus , mais n'éteint pas tout fon
reflentiment.... Mais voici le Conful ( dit
Spartacus ) qu'on me laiffe avec lui.
Craffus lui fait des propofitions , de la
part du Sénat. S'il veut mettre bas les
armes , fes Soldats feront faits Citoyens ,
Rome leur affignera des Terres , on fera
Chevalier le Chef qui le feconde , &
& lui- même fera Sénateur .
Du temps des Scipions , j'aurois pû l'accepter :
( dit Spartacus . )
Rome étoit digne alors , qu'on s'en fit adopter.
Il fait une comparaifon des Romains
de ce tems- là à ceux du tems de Craffus ,
qui n'eft point avantageufe à ces derniers;
& l'Auteur, eu égard aux différentes époques
, les a peints tels que l'hiftoire nous
les a tranfmis. Spartacus ajoute , que s'il
acceptoit les offres du Sénat , il trahiroit
JUIN. 1760 . 225
la caufe de l'humanité qui lui a mis les
armes à la main contre la République ,
& fe croiroit complice de ces avides oppreffeurs
de l'Univers . Craffus , pour derniere
reſſource , lui offie fa fille en mariage.
Spartacus eft ébranlé . Mais toujours
au- deffus de fon amour , qu'il regarde
comme une foiblefle , il cherche à éluder
la propofition , en difant :
Craffus abaifferoit , juſques-là, fa hauteur ?
On ne s'abaiffe point , en fauvant la patrie.
répond le Conful. }
Le plus grand , elt celui qui plus lui facrifie.
Le Héros prend droit de cette réponſe,
qu'il croit infultante , pour rejetter avec
encore plus de hauteur les offres du Conful
. Son coeur , cependant , rend juſtice
aux vertus d'Emilie :
.... Il a fait plus , ( ajoute-t- il je l'aime :
Une vertu fi haute , a trop fçû m'enflammer.
Mais je ferois , Seigneur , indigne de l'aimer ,
Si l'amour un moment balançoit dans mon âme
L'intérêt de la terre & celui de ma flâme.
"
Non... Spartacus l'adore , & la doit refufer.
Qu'exigez - vous donc dit le Conful .
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
Il n'est pour vous , Seigneur , que deux partis:
à prendre .
(répond Spartacus. )
Je le dis avec peine : ou combattre , ou fe rendre..
Le Conful fort , en acceptant le come
bat. Spartacus , feul , fent vivement l'épreuve
où fa vertu vient d'être mife : il
adore Emilie , on l'offroit à fes voeux , &
il a pû la refuſer ! Mais qu'eft- ce que le
bonheur de fa vie , près du grand intérêt
qui doit feul l'occuper ? La vangeance
qu'il doit à fa mère ,achève de le raffermir.
Il finit PActe , en difant :
Ah ! dois-je regretter le bonheur que je perds ,
Lorfque mon coeur s'immole au bien de l'Univers?
Noricus,feul, ouvre la Scène, au cinquiè
me Acte. Il eft piqué de ce que Sparta
cus a refufé les propofitions du Conful,
& furtout de n'avoir point été appellé à
cette conférence. Son âme ne fe réfond
qu'à peine à lui pardonner l'offenfe qu'il
en . a reçue : le trait eft demeuré dans le
fond de fon coeur ; & il fe fent intérieurement
dévoré d'un fentiment de jaloufie.
Spartacus vient lui dire , que tout eft
prêt pour l'attaque ; que le Soldat n'attend
plus que le figual , pour achever
JUIN. 1760 . 227
d'accabler les Romains . Allez , ( dit- il. )
Rejoignez vos Gaulois , mettez - vous à leur tête :
Attendez-y mon ordre ; il ne tardera pas.
Mais , quelle furprife pour Spartacus !
A peine eft- il refté feul , qu'il voit paroître
Emilie... Quel deffein ( s'écrie- t- il ) a
pû vous ramener dans mon camp ? ... Le
plus faint des devoirs , ( dit- elle. )
Le falut de Craffus , celui de mon Pays.
Elle employe tout ce que la Nature &
l'Amour ont de plus éloquent , pour luit
faire accepter les offres qui lui ont été
faites : c'eft la force & la fincérité des
fentimens qu'elle a pour fon amant &
pour fa Patrie, qui.l'ont contrainte à s'expofer
jufqu'à ce point.Oui! s'écrie Emilie ,
Oui! c'est toi feul qui régleras mon fort:-
Tu mevois,en ton camp, fans l'aveu de mon Pere?
J'ai cru qu'il eft des cas hors de l'ordre vulgaire,
Où le falut public eft la fuprême loi..
Mais fi tous mes efforts n'obtiennent rien de toi ,›
Si je ne puis fléchir le courroux qui t'anime ,
Spartacus ! je ferai ta premiere victime :
Tu me verras plonger un poignard dans mon
fein....
Réfous-toj ; fauve Rome... ou fois mon affallin,
K - vj
228 MERCURE DE FRANCE:
Malgré toute la vertu , malgré le fonvenir
de fa mère même , Spartacus eft
ému , Spartacus balance , & laiſſe entrevoir
quelques rayons d'efpoir à Emilie ;
lorfque Albin vient annoncer que Noricus
, fecrettement vendu aux Romains ,
fond avec fes Gaulois fur l'armée de ce
Héros , tandis que les Romains l'attaquent
de deux autres côtés. Spartacus ,
qui fe croit auffi trahi par Emilie , la traite
de perfile ; & vole , en furieux , à l'ennemi.
Emilie , feule , déplore toute l'horreur
de fa fituation . Elle s'accufe d'avoir caufé
le malheur de fon amant , en l'arrêrant
trop dans fa tente : elle éprouve
tout ce que l'inquiétude à de plus cruel ,
& ne fçait à quoi le réfoudre ; quand ,
tout- à - coup , le bruit des armes fe fait
entendre. La tente de Spartacus eft for
cée ; & Craffus , le fer à la main , fe préfente
à fa vuë. Le premier mouvement
d'Emilie , eft de chercher à excufer l'Imprudence
de fa démarche.Je la favois ,
dit le Conful vainqueur ; j'ai feint de l'ignorer
, tandis que je tâchois , de mon
côté , de gagner Noricus & les Gaulois.
J'y fuis parvenu : Spartacus eft déffait ;
on vole à fa pourfuite . Meffala annonce
au Conful , que Spartacus vient d'être
JUIN. 1760. 229
pris , au moment qu'il plongeoit fon épée
dans le fein du perfide Noricus , & qu'on
lui amène ce Héros. Douleur extrême
d'Emilie , en apprenant cette nouvelle ;
& qui redouble encore , à la vue du Héros
défarmé que Craffus apoftrophe , en
lui difant :
Je ne veux point vous faire un reproche odieux ,
Spartacus : mais votre âme infléxible & ſuperbe ,
Vouloit voir nos remparts enfevelis fous l'herbe,
De tout ce grand projet , que refte-t- il ?
SPARTACUS.
L'honneur.
Un Tribun vient les interrompre , pour
apprendre au Conful qu'un gros de l'Armée
de Spartacus , qui s'eft rallié , ſemble
menacer de nouveau les Romains.
Craffus fort , en ordonnant à fes Gardes
de veiller fur ce Héros . Sitôt qu'il eft
parti , Emilie ordonne aux Gardes de s'éloigner
, fans le perdre de vue. Elle parle
à Spartacus, qui ne daigne ni la regarder,
ni lui répondre. Elle en arrache enfin ces
mots :
En l'état où je fuis , que pourrois je vous dire ?!
Je fuis vaincu , captif , Madame.... & je refpire !
Prêt à fubir mon fort , je fouffre & je me rais
230 MERCURE DE FRANCE
Emilie, accablée , ne déguife plus rien ;
& lui dit qu'elle l'aime affez, pour partager
avec lui fon malheur.
SPARTACUS , étonné.
Quoi de la trahiſon , vous, au moins,la complice,
Vous ? ...
EMILIE.
Tu ne le crois pas : Non ! tu me rens juſtice.
SPARTACUS.
Eh bien , prouvez- le donc... Et fi je vous fuis cher....
EMILIE.
Parle qu'exiges-tú ?
SPARTACUS.
Le poifon, ou le fer.
Emilie épouvantée , frémit , & ne peut
fe réfoudre à ce qu'exige fon Amaɛt .
Vous m'abandonnez donc , lui dit - il ,
aux horreurs de mon fort ? vous voulez
done m'en laiffer fubir toute l'ignominie?..
- C'eſt là , ce qu'on appelle être barbare !
Emilie, frappée de ce reproche , & des ou
trages qu'elle prévoit que fon Amant peut
elluyer , reprend toute la nobleffe & la
fermeté de fon caractère ...Oui, je te dois ,
dit - elle :
Je te dois les moyens de mourir en hérosi
Ręçais donc ce poignard , dont je m'étois armée,
Quand pour Rome,tantôt , juſtement allarmée...
JUIN . 1760. 231
SPARTACUS.
· Donnez ... Ah ! ce préfent ne fe peut trop chérir.
EMILIE , enfe frappant.
Tiens....
Ciel!
SPARTACUS.
EMILIE.
Prens... C'eft ainfi , que j'ai dû te l'offrir.
Spartacus prend le poignard fanglant ,
fe frappe ; & les Gardes qui ont accouru,
lorfqu'ils ont vû briller le poignard
les reçoivent tous deux dans leurs bras.
Craffus , pour la feconde fois vainqueur ,
arrive à l'inſtant même où les deux
Amans font expirans dans les bras l'un
de l'autre ; & termine la Piéce , en déplorant
& leur fort , & le fien...
Mes fentimens , connus , pour le digne
Auteur de cet ouvrage , rendroient peutêtre
trop fufpect l'éloge que j'en pourrois
faire. L'extrait que j'en donne, eft fidèle ;
& c'eft au Lecteur à juger. Je dois copendant
avertir , que M. Saurin , dans une
Préface auffi modefte que fenfée , a trèsbien
répondu aux objections qui ont été
faites contre fa Piéce. Son feul objet étoit
de tracer le portrait d'un grand hommetel
qu'il en avoit conçû l'idée , d'un homme
qui joignit aux qualités les plus brillantes
des Héros , la juftice & l'humani
232 MERCURE DE FRANCE.
té ; d'un homme , en un mot , qui für
grand pour le bien des hommes , & non
pour leur malheur. Je crois l'objet trèsbien
rempli.
La Piéce imprimée , fe vend chez
Prault petit -fils , quai des Auguftins , audeffus
de la rue Gift- le coeur , à l'Immortalité.
Le Vendredi , 2 Mai , les Comédiens
François ont donné la premiere repréfentation
des Philofophes , Comédie en
trois Actes , & en vers de M. Paliot de
Montenoi. Cette Piéce a réuffi ; & vient
de paroître imprimée , chez Duchesne ,
Libraire , rue S. Jacques , au Temple du
Goût.
Le 4 Mai , le S' Teffier , Acteur de
Province , a débuté par le rôle de Frontin
, dans les Bourgeoifes à la mode , &
par celui de la Branche , dans Crispin ti
val. Il a joué depuis , les rôles de Scapin
, dans les Fourberies de Scapin , &
de Jaſmin dans l'Enfant prodigue . Il a
été fort applaudi , dans les Bourgeoiſes à
la mode . Mais la retraite de cet Acteur ,
après ces trois repréfentations , ne permet
guères de porter un jugement certain fur
fes talens.
Le 11 , le S Dauberval a débuté par
le rôle de Nereftan , dans Zaïre. Il a
JUIN. 1760. 233
joué , le 19 , le rôle de Durval , dans le
Préjugé à la mode ; & le 22 , celui d'Achille
, dans Iphigénie en Aulide. On lui
trouve de l'intelligence , une belle voix ,
le jeu un peu lent & maniéré ( déffauts
qu'il tient de la Province ) mais dont on
efpére qu'il pourra fe corriger . Il continuë
fon début.
COMEDIE ITALIENNE.
ཉ
Le Samedi , 10 du mois dernier , les E
Comédiens , obligés de faire réparer leur
Théâtre, furent occuper la falle qu'ils ont
louée fur les remparts . Ils en firent l'ouverture
par la premiere repréſentation de
la reprife des Boulevards , Ambigu , mêlé
de Scènes & de Danfes , avec quelques
Scènes nouvelles .Cette piéce fut précédée
des Talens à la mode. Le changement de
lieu leur a attiré d'abord une grande foule
de Spectateurs; & quoique cette affluence
ait diminué , il y a lieu de croire qu'ils y
feront mieux leurs affaires que s'ils étoient
reftés à leur Théâtre ordinaire.
Voici l'extrait de quelques - unes des
nouvelles Scènes ajoutées aux Boulevards.
Un Chevalier gafcon paroît, une lorgnette
234 MERCURE DE FRANCE.
à la main, en lifant l'affiche des Comédiens
qui doivent jouer fur les remparts. Il apperçoit
Mlle Catinon , qui femble étudier
'un rôle , il s'approche d'elle & luidemande
s'il eft vrai que la Troupe va s'établir
fur le Boulevard : elle lui confirme cette
intention de fes confreres. Il plaifante
beaucoup fur cela ; & l'Actrice fui récite
une fable , qui lui impofe filence . La conclufion
de cette fable , qui ne tend qu'à
ramener les Dames à leur Spectacle, avoir
déjà été vue dans la Rentrée des Théâtres.
On a ajouté , dans la fcène fuivanté ,
deux perfonnages , qui font , un Muficien
& un Poëte de nouvelle fabrique. Le premier
eft un Me Chaudronnier,qui , las de
faire des Chaudrons , veut faire des Opé
ra , par le moyen du jeu des dez harmoniques
, dont il tient le livre ; l'autre eft
un Marchand Tabletier , voifin du Chau
dronnier, qui veut auffi faire des vers ,
Paide d'un livre qu'il dit être le paroli de
celui de fon voifin . Ils font enſemble une
Ariette & un Duo. Cette fcéne paroît
encore prife de la rentrée des Théâtres ,
dont elle fait Parodie , & n'en eft pas
moins plaifante. Un Charlatan , qui veut
debiter fa marchandiſe , forme la troifième
fcène de fupplément. La quatrième
fe paffe entre un prétendu Marquis , une
JUIN. 1760 . 235
Danfeufe de l'Opéra Comique,fa mere , un
Cocher de Fiacre & un Soldat Dragon ,
qui défarme le faux Marquis. L'autre eft
une nôce. Elle eft compofée d'une danfe
& de plufieurs couplets , dont le refrein
eft , qu'il n'eft point de bonne fête fans
lendemain. Ces couplets ont été trouvés
jolis. Cette fcéne eft l'achèvement d'une
autre qui fe paffe entre un Philofophe
fpéculatif, un ancien Invalide , devenu
fabriquant d'étoffes , attablé avec fa femme
& fon enfant . Le caractére du Philofophe
, y est bien frappé : il eſt brouillé
avec toutes les fociétés ; il détefte fes enfans;
il femble indigné des attentions que
ce pere & cette mere paroiffent avoir
pour leur petite fille. Quelques enfantillages
qui fe paffent entre eux , ont l'air
d'être de trop dans la fcène : ils ont pourtant
le don de perfuader le Philofophe &
de le ramener au goût de la vie ordinaire.
On peut dire , que le contrafte de cette
fcène eft charmant. La bonhommie du
Fabriquant , les naïvetés de fa femme &
la docilité de l'enfant , rendent ces perfonnages
tout-à-fait intéreffans ; on les
voit avec plaifir fléehir la dureté du ſpéculatif,
& en faire un nouvel homme :
tant il eft vrai , que la vue des honnêtes.
gens fuffit pour confondre la fauffe mo236
MERCURE DE FRANCE 7
rale d'un Philofophe brouillé par caprice
avec tout le genre humain . En un mot, les
Boulevards font un tableau très-gai &
très varié de la vie humaine . Le ftyle
fimple de cette pièce , y devient le coloris
de la nature .
Le 18 , on donna la premiere repréfen
tation de la Fontaine de Jouvence , Comédie
nouvelle en un acte ,& en vers, que
l'on n'a redonnée que le lendemain.
Le Mercredi 21 , une jeune Actrice
nouvelle a joué, pour la troifiéme fois , le
rôle de Jeannette , dans les Enforcelés. Sa
grande jeuneffe & le peu de voix qu'elle
a , empêchent encore de prononcer fur
fes talens. Sa phyfionomie eft douce &
intéreffante; elle eft même très - jolie : mais
elle a joué le rôle innocent de Jeannette
avec une innocence un peu trop natu
relle.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert du jour de l'Aſcenſion n'a
›
pas commencé , à l'ordinaire , par une
fymphonie. On a donné d'abord le beau
Motet , à grand-Choeur , Confitemini , de
Lalande.
M. Hochbrucker , a enfuite joué de la
harpe ; & a fait , du menuet d'E.caudet
JUIN. 1760. 237
ne pièce de fa compofition. Plus on
F'entend , plus il fait de plaifir : il a été
extraordinairement applaudi.
MHe de S. Hilaire à chanté un petit
Motet , de Mouret on a reconnu fon talent
, à travers fa timidité . Il faut qu'elle
s'accoûtume à voir un Spectacle nombreux
, puifqu'elle eft faire pour y plaire.
M. Balbastre , a joué fur l'orgue , un
Concerto de fa compofition .
·
Mlle Fel, a chanté un petit Motet.
Le Concert a fini , par le très beau
Motet à grand choeur , In exitu , de M.
Mondonville.
Mlle Fel, M. Balbastre , & M. Gelin
ont eu les applaudiffemens réitérés qu'ils
ont coûtume d'avoir , & qui leur font dûs.
La marche de l'impreffion de ce Mercure
n'ayant pas permis de rendre
compte de l'exécution du Concert Spirituel
de la Pentecôte ; on annonce feulement
, qu'il a dû commencer par une
ſymphonie, ſuivi du Diligam te , Motet à
grand - choeur de Gilles , dans lequel Mlle
de S.Hilaire aura chanté ; que le S. Leoni
devoit jouer,fur la mandoline, une Sonate
de fa compofition , ainfi que M. Hochbrucker
fur la harpe. Mile Fel , & Mlle
Lemiere , ont dû chanter ; & le Concert,
finit , par Exultate jufti , Motet à grandchoeur
, de M. Mondonville.
238 MERCURE DE FRANCE :
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De PETERSBOURG , le 15 Mars 1760.
LES
E s Troupes légéres Ruffes furprirent , le zž
du mois dernier , la Ville de Schwedt , elles firent
prifonniers le Margrave de ce nom , ainfi que le
Prince & la Princelle de Wirtemberg. Le Prince
de Brunfwick - Bevern , écrivit au Commiſſaire
Pruffien qui travailloit , à Butow , à l'échange des
prifonniers , pour qu'il demandât da liberté de ces
Princes. L'Impératrice ayant été informée de cette
demande , l'a accordée fur le champ ; mais on a
appris enfuite que les mêmes Troupes qui avoient
fait ces prifonniers , les avoient relâchés peu de
temps après , & qu'on avoit feulement exigé du
Prince de Wirtemberg , une promelle par écrit
de ne point fervir qu'il n'ait été échangé.
De STOCKHOLM le Avril.
, 4
On équipe en diligence, à Carlfcroon, plufieurs
Vaiffeaux de ligne & plufieurs Frégates qui fe joindront
à l'Eſcadre Ruffe , pour interdire aux Anglois
l'entrée dans la Mer Balthique.
De COPPENHAGUE le 19 Avril.
On apprend de Drontheim , dans la Norwege ,
qu'un grand quartier de terre , d'environ mille
pas de longueur fur une largeur confidérable ,
JUIN. 1760. 239
s'eft enfoncé tout-à-coup ; les eaux de la Rivière .
d'Elwe , fur les bords de laquelle il étoit fitué
en ont reflué de telle manière, qu'elles fe font for .
mé un nouveau lit.
De WARSOVIE , le 16 Avril.
Il eſt arrivé ici trois cens cinquante Suédois ;
qui avoient été forcés de prendre parti dans les
troupes du Roi de Pruffe , & qui ont trouvé lemoyen
de s'évader. Le Baron de Hopken , Miniftre
du Roi de Suéde en çetre Cour , leur a
fait diftribuer une gratification , & les a fait partir
pour rejoindre leurs anciens Corps. Une troupe
de quarante Déferteurs Praffiens, eft auffi arrivée
ici. Ils ont rapporté que la défertion étoit grande
parmi les troupes Pruffiennes ; & qu'une foule de
foldats enrolés de force n'alpiroient qu'après l'ouverture
de la campagne,pour déferter plus facilement.
Le Chancelier de la Couronne de Pologne , a
fait remettre depuis peu , au fieur Benoit , Secrétaire
de la légation de Pruffe en cette Cour , un
nouveau mémoire concernant les griefs dont
cette Couronne fe plaint depuis longtemps , fans
avoir pu obtenir aucune fatisfaction de Sa Majesté
Pruffienne . Ce mémoire porte, entr'autres choles
» que la Cour de Berlin , fans aucun égard à l'exacte
» neutralité qu'obferve un Royaume libre , trou-
» ble , interrompt & détruit fon commerce , en
» faiſant arrêter les Voituriers , & confifquer les
» marchandiſes & effets qu'ils conduifent ; que le
» Réſident de la même Cour s'ingère dans l'éco-
>> nomie & l'adminiftration de la Juftice de la
» Ville de Dantzick , en accordant une protec
tion contraire à toutes fortes de droits , à des
Citoyens coupables , avec des menaces injurieu
240 MERCURE DE FRANCE.
» fes au droit Seigneurial , appartenant à la ſeule
» République : que cette Cour , par ce moyen
» violent & par mille autres inonde la Po-
» logne d'une monnoie de mauvais aloi , qui ne
» contient que la quatrième partie de la valeur
> intrinféque qu'elle devroit avoir , & qu'on em-
» porte en même temps de ce Royaume toutes
» les bonnes efpèces d'or & d'argent : enfin que
» les troupes Pruffiennes ont enlevé de fa maifon
>> le fieur de Sulkowsky , Véneur du grand Du-
>> ché de Lithuanie , & que la Cour de Berlin le
> retient jufqu'à préfent prifonnier dans la Forte-
2 refle de Glogau , après avoir enrôlé par force
» les gens tenus pour fa garde & pour fon ſervice
→ particulier.
On finit par demander , au nom des Miniftres
& du Sénat , les réparations convenables .
De VIENNE , le 2 Mai,
La cérémonie du mariage de l'Archiduc Jofeph
avec l'Infante Princeffe de Parme , eft , à ce qu'on
dit , fixé au mois d'Octobre prochain .
L'Impératrice-Reine , a nommé le Prince Albert
de Saxe , Lieutenant-général de fes Armées ; elle
deftine à ce Prince & au Prince Clément fon
frere , les deux premiers Régimens qui vaqueront,
Le Général de Laudon , a toujours fon quartier
à Jagerndorff ; il s'eft emparé , depuis peu , d'Ottmachau;
& le général Drafcowitz , qui commande
les poftes avancés , refferre toujours la Ville
de Neill. L'Armée du Baron de Laudon eſt préfentement
de trente mille hommes.
Les Pruffiens ont abandonné les poftes de
Tfchoppau , de Marienberg , de Gera & de Naumbourg.
Nos troupes fe font auffitôt mifes en poffef
Conde ces poftes.
Le
JUIN. 1760. 24T
Le Baron de Breteuil , qui va à Petersbourg en
qualité de Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majefté
Très- Chrétienne , eft arrivé , ici ; il s'y arrêtera
quelques jours , après lefquelles il poursuivra fa
route pour le rendre à fa deftination .
Le Comte de Choifeul- Stainville , ci - devant
Lieutenant Général au fervice de leurs Majeftés
Impériales , eft parti d'ici le 25 du mois dernier,
après avoir pris congé de leurs Majeftés , & leur
avoir remis les emplois militaires . Il patle au fervice
de France avec le même grade , & il fera
la campagne prochaine dans l'Armée commandée
par le Maréchal de Broglie.
De DRESDE , le 30 Avril.
Le Roi de Pruffe a enfin renoncé à l'entrepriſe
de reprendre cette Ville ; il a abandonné , la nuit
du 25 au 26 de ce mois , le pofte de Freyberg ,
& il s'eft rétiré dans le Camp qu'il a fait retrancher
près de Meiffen . Le Général Brentano
a pris auffitôt poffeffion de Freyberg , d'où il a déjà
poullé des détachemens en avant. La campagne
va commencer incellamment ; une partie des troupes
Autrichiennes eſt déjà campée , & toute l'Armée
doit être fous la tente , dans huit ou dix jours
au plus tard . Cette armée eft forte de quatre-vingtdix
mille hommes , fans compter les corps dérachés
& les troupes Hongroifes.
Le corps du Comte de Lafcy eft préfentement
de trente mille hommes ; il conferve encore fa
pofition dans les environs de Groffen - hayn.
De BAMBERG , le 30 Avril.
L'Armée de l'Empire vient d'entamer les opé
rations de la Campagne , par une entrepriſe qui
a heureufement réufli . Le Capitaine Froideville ,
L
242 MERCURE DE FRANCE
commandant un Corps de troupes légères Pruffiennes
, défoloit depuis longtemps une partie da
Voitgland , par les contributions réïtérées qu'il
en exigeoit. Le Maréchal Comte de Serbelloni ,
donna ordre au Prince de Stolberg , & au Comte
de Luzinfki , Lieutenans- Généraux , qui commandent
nos poftes avancés , d'épier l'occafion
d'enlever ce Partifan . Le Général de Kleefeld ,
fut chargé de l'exécution . Sur l'avis que le Capitaine
Froideville étoit aux environs de Zwickau,
il forma un détachement , compofé de Dragons ,
de Croates , & de Huffards. Il fe mit en marche
le 8 de ce mois , & il arriva à Zwickau à neuf
heures du foir : il apprit dans cette Ville que
e Partifan Pruffien étoit avec fon Corps dans
le Village de Nieder - Multzen ; il fe remit en
marche a minuit , dans le deffein de l'y furpren
dre , & il prit un chemin détourné pour éviter
fes patrouilles . Il arriva le 9 à la pointe du jour,
à la vue du Village. Cependant malgré fes précautions
, la Troupe Pruffienne avoit été avertie
une heure auparavant , & elle avoit pris hors
du Village un pofte avantageux . Le Général
Kleefeld fit auffitôt fes difpofitions pour le combat.
Son détachement , partagé en trois corps ,
attaqua à la fois les Pruffiens › par le centre
& par les flancs , avec une telle vivacité , qu'après
une foible réſiſtance , la Cavalerie fut rompue
& mife en déroute . L'Infanterie fut culbutée
bientôt après , & elle prit la fuite à travers le
Village de Vernsdorff. Les Pruffiens furent pourfuivis
jufqu'au bord de la Mulda , dans laquelle
un grand nombre de fuyards fe jetterent , pour
gagner le bord oppofé.
•
Le nombre des morts eft confidérable du côté
des Pruffiens. Le Capitaine Froideville a été pris ,
avec quatre autres Officiers. Le nombre des bas
JUIN 1760. 243
Officiers & des Soldats faits prifonniers , eſt de
cent huit . On a pris une pièce de canon & cent
foixante - dix chariots , dont la plupart étoient
chargés de fourage. Tous ces chariots avoient été
enlevés aux habitans de ce Diſtrict. On les teur
a rendus , ainfi que 688 chevaux qui leur avoient
été enlevés. Nous n'avons eu dans cette expédition
, que dix - neuf hommes bleffés .
Un autre détachement des troupes de l'Empire
fe porta , le 8 , à Smalkalde. Il emmena des
ôtages pour la fureté du payement des contributions
qu'il a exigées de cette Ville .
Les détachemens Pruffiens qui occupoient les
Villes de Zeitz & de Chemnitz , les ont évacuées
fur la nouvelle de l'échec reçu par le Capitaine Froideville
,& ils fe font repliés du côté de Léipfick . Le
Général Haddick arriva ici le 24 de ce mois , &
le Maréchal Comte de Serbelloni lui remit le
Commandement de l'Armée. Le Feld- Maréchal
Prince de Deux - Ponts , eft attendu ici le 2 du
mois prochain, & l'Armée doit ſe mettre en mouvement
après fon arrivée. Elle eſt déjà en partie
affemblée entre Bamberg & Wurtzbourg.
De BERLIN , le 30 Avril.
Le Prince Henri eft reparti pour Wittemberg
& Torgau , accompagné de fes deux Aides de
Camp. Ce Prince prendra de là inceffamment la
route de Siléfie , pour s'y mettre à la tête de l'Armée
qu'on y affemble contre les Ruffes. Le rendezvous
général des Corps qui doivent la former , eft
à Croffen .
>
L'Armée du Roi , en Saxe , eft prèſque toute
raffemblée. Elle eft préfentement entre Meillen
Ofchatz & Noffen , dans une pofition avantageufe.
On travaille à rendre cette pofition encore
plus forte , au moyen d'un Canal qui s'éten
Lij
244 MERCURE DE FRANCE .
dra depuis Ofchatz jufques vers Meiſſen , & qui
fera rempli des eaux de l'Elbe.
Maurice , Prince d'Anhalt-Deffau , Feld- Maréchal
des Armées Pruffiennes , Colonel d'un
Régiment d'Infanterie , Chevalier de l'Ordre de
l'Aigle noir , Prévôt de l'Eglife Cathédrale de
Ban lebourg , Gouverneur de Cuftrin , eft mort
à Deffau , âgé de 48 ans , après une longue maladie.
De NAPLES , le 30 Mars.
Le Comte de Durfort , Ambaſſadeur de Sa
Majefté Très - Chrétienne , arriva ici le 24 de ce
mois. Il fe rendit le lendemain à Caferte, où il ent
audience du Roi.
De ROME , le 23 Avril .
Le Chevalier Saint- Georges, a reçu l'Extrême
Onction des mains du Cardinal d'Yorck fon fils.
De GESNES , le Mai.
On a appris ici , avec étonnement l'envoi fait
par la Cour de Rome d'un Vifiteur Apoftolique
en Corfe. Cet envoi , auquel la République s'étoit
toujours oppofée , a été accompagné des circonftances
fuivantes . Il y avoit déjà plufieurs années
que la République , informée que les Eccléfiaftiques
de Corfe étoient les principaux moteurs de
la rébellion, avoit porté fes plaintes au Saint- Siége,
pour en obtenir qu'il les rappellât à leur devoir.
Et le feu Pape Benoît XIV , fenfible à ces plaintes ,
avoit projetté un bref conforme à ces vues.
La mort de ce Souverain Pontife étant furvenue,
ce brefn'eut point lieu, & le chef des rebelles,
Paſcal Paoli , s'enhardillant de plus en plus ,
par la tolérance de la Cour de Rome , faifit les
biens des Evêques & des Eccléfiaftiques qui n'éJUIN.
1760. 245
toient pas de fon parti. Il envoya à Rome des
émiffaires qui, quoique rebelles à leur Souverain ,
y trouverent allez d'appui pour déterminer le
Saint-Siége à envoyer en Corfe un Vifiteur Apoftolique
, fans le concerter avec la République.
La République fit alors piéfenter au Saint - Siége
plufieurs mémoires ; mais ils n'ébranlerent point
la Cour de Rome : fur quoi la République notifia
qu'elle ne confentoit abfolument point à l'envoi de
ce Vifiteur . Cependant, la République étoit entrée
dans une négociation propre à terminer le différend
; & elle fe flattoit de voir bientôt renaître la
bonne intelligence entre elle & la Cour de Rome ,
lorfque cette Cour a exécuté fon projet . Elle a fait
pafler en Corfe le fieur Céfare Crefcentio de Angelis
, Evêque de Segni ; & ce Prélat , pour cous
vrir fon départ, a pris la précaution de fe traveltir,
de changer de nom , & de le faire accompagner '
par un Religieux déguifé en Arménien.
Enfin ce Prélat s'eft embarqué à Civita- Vecchia
, où il a trouvé deux Frégates du Pape qui
l'attendoient . On a été depuis informé que , quand
ces Frégates ont paru à la vue de la plage
de la Brunette , les Rebelles leur ont envoyé
quatre Chaloupes qu'elles ont faluées de leur ca.
non ; & qu'ils ont rendu les mêmes honneurs avec
leurMoufquererie au fieur deAngelis, lorfqu'il a mis
pied à terre. Cette réception juftifie les foupçons
de la République , & montre le fondement de fes
reprefentations réitérées , pour que le Pape fe défiftât
d'autorifer les vues de ces rebelles par de
femblables difpofitions.
De LONDRES , le 2 Mai.
Les bruits de paix fe foutiennent toujours ici ,
malgré les immenfes préparatifs de guerre qui fe
font. La Cour reçut, le 19 du mois dernier, des dé-
L iij
246 MERCURE DE FRANCE.
êches du Comte de Briſtol , notre Ambaffadeur -
à Madrid ; & le Marquis d'Abreu , Miniſtre d'E
pagne en notre Cour , reçut en même temps de
nouvelles inftructions relatives au rétabliſſement.
de la paix . Il a conféré , ces derniers jours , avec
nos Miniftres On attend ici avec impatience le
Comte de Fuentes , Ambaffa deur extraordinaire &
Miniftre plénipotentiaire d'Efpagne ; & l'on augure
favorablement du fuccès de fa miffion.
Sa Majesté a prononcé fur l'affaire du Lord
Sackville. Elle l'a déclaré incapable de remplir
aucun emploi militaire.
Tout elt pret pour l'exécution de la Sentence
portée contre le Lord Ferrers , accufé d'avoir tué
de fang froid fon maître d'hôtel , & condamné
par les l'airs à être pendu . Le Roi a 4gné les
deux ordres néceffaires pour cette exécution , qui
doit être faite les de ce mois , fi fa famille n'obtient
point la grâce.
Ce Lord a allegué, pour fa défenſe, une maladie
de famille qui lui caufoir dans certains tems une
aliénation d'efprit En effet , plufieurs perfonnes
dépoferent,qu'il avoit commis en divers tems des
actions d'extravagance, qui ne pouvoient partir que
d'un efprit aliéné .
FRANCE.
Nouvelles de la Cour, de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 15 Mai.
LEE 9 du mois dernier , le Roi a difpofé de la
place de Lieutenant de ſes Gardes du Corps , vacante
dans la Compagnie du Maréchal de Lu
JUIN. 1760 . 247
xembourg , par la démiffion du Comte d'Eftourmel
, en faveur du Comte de Roncherolles.
Sa Majefté a accordé celle d'Enfeigne , vacante
dans la même Compagnie par la démiſſion du
Comte de Roncherolles , au Marquis de Voguć
& celle d'Exempt qu'avoit le Marquis de Vogué ;
au Chevalier de Gaalon.
Le 21 , le Roi a donné l'Abbaye de Saint Auftrebert
, Ordre de S. Benoît , Diocèle d'Amiens ,
à la Dame de la Javeliere , Religieufe de l'Abbaye
de S. Paul d'Amiens.
Et l'Abbaye d'Arciffes , Ordre de S. Benoît ,
Diocèfe de Chartres , àla Dame de Nonant , Religieufe
de la même Abbaye.
Le 22 , Sa Majefté tint le Sceau.
Le 24 , la Comteffe de Nozieres fut préfentée
à leurs Majeftés & à la Famille Royale.
Le 27 , le Duc d'Aiguillon prit congé du Roi ,
de la Reine , & de la Famille Royale , pour fe
rendre inceffamment fur les côtes de Bretagne.
Le Commandement de Lille , en Flandre , a été
donné au Chevalier de Suarez d'Aulan , Brigadier
des Armées de Sa Majeſté , & Colonel d'un
Régiment de Grenadiers Royaux.
Le Roi a accordé au Chevalier de Goyon ,
Exempt des Gardes du Corps, dans la Gompagnie
de Luxembourg , le gouvernement du Château
de la Latte en Bretagne , vacant par la mort du
Comte de Goyon de Varouault ,
Le Roi a difpofé de la place d'Exempt , dans
fes Gardes du Corps , vacante dans la Compagnie
du Prince de Beauveau , par la retraite du Chevalier
d'Angivillé , en faveur du fieur de la Saigne
, Brigadier de la même Compagnie.
Le 10 de ce mois , Sa Majefté tint le Sceau .
Le même jour , les Députés dés États d'Artois
euren t audience du Roi ils furent préfentés à Sa
>
Liv
248 MERCURE DE FRANCE.
Majefté par le Duc de Chaulnes , Gouverneur de
la Province , & par le Maréchal - Duc de Belle-
Kie, Miniftre & Secrétaire d'État , ayant le département
de cette Province ; & conduits par le Marquis
de Dreux , Grand -Maître des cérémonies , &
par le fieur Defgranges. La Députation étoit compofée
, pour le Clergé , de Dom Vigor de Briois,
Abbé de Saint Vaft d'Arras , pour la noblefle du
fieur de Belval , ancien Lieutenant - Colonel da
Régiment Royal - Italien , Brigadier des Armées.
du Roi ; & pour le Tiers- État du fieur Anfart ,
premier Confeiller Penfionnaire des Ville & Cité
d'Arras.
Le fieur Mefnard de Chouzy , Contrôleur- Gé- .
néral de la Maifon du Roi , Procureur - Général
du Confeil de la Reine , en furvivance du fieur
Mefnard , fon pere , ayant été adinis pour être
reçu Chevalier des Ordres Royaux , Militaires &
Hofpitaliers de Notre - Dame du Mont - Carmel ,
& de Saint Lazare de Jéruſalem , a prononéles
veeux le ro , en préfence de Monfeigneur le Duc
de Berry, Grand- Maître, entre les mains du Comte
de Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire d'État ,
Gérent & Adminiftrateur - Général de ces Ordres.
Le nouveau Chevalier a enfuice prêté ferment
pour la Charge & Dignité de Procureur · Général
defdits Ordres , en furvivance du fieur Mefnard ,
fon pere , & a eu l'honneur de bailer la main du
Prince , Grand- Maître , en figne d'obédience.
Le Comte de Saint Florentin reçut enfuite , en
qualité de Chevaliers- novices defdits Ordres, onze
Gentilshommes, Eléves de l'Ecole- Royale- Militaire
: fçavoir les fieurs de Beaurepaire , Acary de
la Suze , de la Borde , de Caftres de Martigny ,
d'Hebert de Baulon , de Bondoire , de la Fitre de
Courteilles , de Longueval de Maugier , l'Haillier
de la Chapelle freres, & de Ferrar de Pontmartina
1
JUIN. 1760 .
249
Ces Chevaliers novices eurent l'honneur de bailer
la main du Prince Grand - Maître . Les grands Of
ficiers & plufieurs Chevaliers defdits Ordres affifterent
à cette cérémonie , qui fe fit dans l'Appartement
de Monfeigneur le Duc de Berry , à l'iffue
de la meffe qui fut célébrée par l'Abbé Bulté ,
Chapelain ordinaire de Sa Majesté .
Le 1 , le Comte de Choiseul - Stainville eut
l'honneur d'être préſenté au Roi , à la Reine & à
la Famille - Royale.
Le mêmejour , le Comte de Fuentes , Ambaffadeur
d'Efpagne à la Cour de Londres , eut une
Audience particuliere de Sa Majesté.
Le Roi a donné l'Abbaye de Noningues , Ordre
de Cîteaux , Diocèle de Vabres , à la Dame de
Pardaillan , Religieufe Urfuline , à Condom .
Le Chevalier de Bar , ci devant Capitaine au
Régiment de Fleury Cavalerie , a été nommé par
le Grand- Maître de Malte , Général des galéres
de la Religion ; il en prendra le Commandement,
dans le mois de Janvier prochain . Il eut l'honneur
de présenter au Roi , le 13 , les faucons de préfent
que le Grand-Maître & la Religion envoyoient tous
les ans à Sa Majesté.
DE FRANCFORT , le Mai.
Il y a longtemps que la Foire de cette Ville ,
qui s'eft tenue le mois dernier , n'avoit été auffi
nombreuſe & auffi brillante. Les difpofitions du ›
Maréchal de Broglie y ont fait regner l'abondance
, le bon ordre & la fécurité .
Il y eut dans cette Ville , la nuit du 25 au 26 ,
un incendie confidérable , qui confuma huit maifons.
Le feu auroit fait plus de ravage , fans les
bons ordres du Maréchal de Broglie, & fans les
prompts fecours des Troupes Françoifes.
Les Alliés continuent de fortifier Caffel.
L v
250 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur de Vair , Commandant les Volontaires
de l'Armée , avec lesquels il occupe , depuis
quelque temps , les environs de Fulde , a furpris
dans la petite Ville de Vacha , un détachement de
quatre cens Chaffeurs , commandés par le Colonel
Freytag . Ayant été obligé de le retirer , il
ne s'eft commis aucun défordre de la part des
Troupes commandées par le fieur de Vair , ni
pendant l'action , ni pendant la retraite . Elles ont
perdu quelques hommes en fe repliant ; & on a
repris les poftes que l'on occupoit avant cette
expédition.
De PARIS , le 17 Mai.
On a appris que le 26 du mois dernier , à deux
heures du matin le tonnerre est tombé fur le clo
cher de l'Abbaye de Royaumont en Picardie , &
y a mis le feu ; la charpente , qui étoit d'un trèsbeau
bois de chataignier , à été entierement confumée
, & toutes les cloches ont été fondues. On
évalue ce dommage à plus de rocoso liv.
Le même jour , à cinq heures du matin , le tonnerre
eft aufli tombé fur le clocher de l'Abbaye
des Chanoines réguliers de Sainte Genevieve
de Ham en Picardie , & y a mis le feu ; quatre
groffes cloches font fondues , les deux clochers ,
la nef , les orgues , qui étoient fort belles , & deux
chapelles ont été confumés & le choeur a été endommagé.
Le 6 de ce mois , les Maréchaux de France fe
rendirent , en la forme ordinaire , en leur fiége
de la Connétablie du Palais.Ils y ont fait enregiſtrer
une ordonnance du Roifur la difcipline , la fubordination
& le fervice des Maréchauffées du Royaume;
ils y ont auffi reçu un Commiffaire ordinaire
des Guerres.
JUIN. 1760. 251
Le 8 , les Chevaliers de l'Ordre de Saint Michel
, tinrent un chapitre dans le grand Convent
des Religieux de l'Obfervance ; le Duc de Fleury ;
Pair de France , Chevalier des ordres du Roi , y
préfida en qualité de Commiffaire de Sa Majefté ,
il reçut Chevaliers le fieur d'Arthenay , ci-devant
chargé des affaires du Roi à Naples ; le fieur l'Englet
, Confeiller , fubdélégué général de l'Intendant
à l'Ifle en Flandre ; & le fieur Richard , Médecin
en chef de l'Armée du bas Rhin , Infpecteur
des Hôpitaux Militaires.
Le fieur de Saint- Germain ayant eu la hardieffe
de fe mêler , à la Haye , des affaires politiques
de Sa Majefé , le Comte d'Affry a préfenté un
Mémoire aux Etats généraux , par lequel il demande
, au nom du Roi , que cet Aventurier foir
arrêté & conduit à Anvers , fous bonne efcorte
pour être conduit de là en France , & y fubir la
peine due à cet attentat.
Le tirage de la Lotterie de l'Ecole Royale Militaire
, s'eft fait le 6 ; les numeros fortis de la
roue de fortune font 63 , 49 , 85 , 36 , 83 le proš
chain tirage fe fera le 6 du mois de Juin.
MARIAGES.
Meffire François - Hypolite Sanguin , Marqu
de Livry , Chef d'Efcadre des Armées Navales ,
fils de feu Melfire Louis Sanguin , Marquis de
Livry , Lieutenant général des Armées du Rồi
Chevalier de fes Ordres , Conſeiller d'Etat & premier
Maître - d'Hôtel de Sa Majefté ; & de feu
Dame Magdelaine Robert , a épousé , le 15
Avril , Demoiſelle Thérefe - Bonne Gillain , fille
de Mellfire Antoine , Marquis de Benouville ,
L vj
252 MERCURE DE FRANCE.
Meftre de Camp de Cavalerie , ci - devant fous-
Lieutenant des Gendarmes de Bretagne , & de
Dame Bonne Charlotte Hue de Langrune . La
Bénédiction Nuptiale leur a été donnée , dans la
Chapelle de l'hôtel de Saint Aignan , par l'E-.
vêque Lombez.
Anne- Pierre , Marquis de Montefquiou , Gentil-,
hommie de la Manche de Moafeigneur le Duc de
Bourgogne , & Colonel dans les Grenadiers de
France , fils de feu Pierre , Comte de Monteſquiou
, Lieutenant -Général des Armées du Roi ,´
premier Sous- Lieutenant de la premiere Compagnie
des Moulquetaires , & Gouverneur du Fort-
Louis du Rhin ; & de Dame Gertrude - Marie -
Louife Bombarde de Beaulieu , époufa , le 16
Avril , Demoiſelle Jeanne- Marie , fille du fieur
Jean Hyacinte Hocquart , & de feue Dame Marie-
Anne Gaillard de la Bouéxiére . La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée , dans l'Eglife Paroiliale
de S. Roch , par l'Ancien Evêque de Limoges.
Charles- Olivier de S George , Marquis de Vérac
, Lieutenant - Général de la Province de Poitou,
fils de feu François Olivier de S. George , Marquis
de Vérac; & de Catherine Adelaide de Riencourt
d'Orival , a épouſé , le 28 Avril , Marie - Charlotte-
Jofephine Sabine de Croy d'Havré , Chanoineſſe
de Maubeuge , fille de Louis -Ferdinand - Jofeph
de Croy , Duc d'Havré & de Croy , Lieutenant
Général des Armées du Roi ; & de Marie- Louife-
Cunegonde de Montmorency - Luxembourg . La
Bénédiction nuptiale leur a été donnée par le
Curé de S. Sulpice , dans la Chapelle particuliére
de l'Hôtel d'Havré leur contrat de mariage
avoit été figné , le 24 , par leurs Majeftés & par
la Famille Royale.
"
Mellire Sebaltien- François Ange Lenormant de
JUIN. 1760. 253.
Mery , Confeiller d'Etat , Intendant général de
la Marine & des Colonies , Veaf de Dame Elizabeth
le Coffier , a époufé , les Mai , Marie-
Louife Auguftine , fille de feu Gabriel - Jacques
de Salignac de la Motte Fénelon , Chevalier des
Ordres du Roi , Lieutenant - Général de fes Ar - `
mées , Confeiller d'Etat d'épée , Gouverneur du
Quefnoi , Ambaffadeur de Sa Majesté auprès des
Etats-Généraux des Provinces- Unies ; & de Dame'
Louife - Françoife le Peletier. La Béné liction nuptialé
leur a été donnée par l'Abbé de Fénelon ,
dans la Chapelle particuliere de l'Hôtel le Pe- .
letier.
Le Marquis de Liré , Guidon de Gendarmerie ,
à épousé , le 12 , la Comteffe Defalleurs , née
Princeffe Lubomirska , Grand-Croix de l'Ordre
de Malthe , veuve du Comte Defalieurs , Ambaffadeur
de France à la Portè Ottomane . La bénédiction
nuptiale leur a été donnée , dans l'Eglife
de S. Sulpice , par l'Evêque du Puy. Leur contrat
de mariage avoit été figné , le 10 , par leurs Majeftés
, & par la Famille Royale.
MORTS.
Meffire Victor-Pierre-François de Riquet,Comte
de Caraman , Lieutenant - Général des Armées
du Roi , mourut en cette Ville , le 21 Avril , âgé
de 62 ans.
Le Marquis de Fimarcon , Lieutenant Général
des Armées du Roi , eft mort au Pont- Saint- Elprit.
Le Marquis de Surgeres , Lieutenant- Général,
des Armées du Roi , mourut à Surgeres près la
Rochelle , le 29 Avril.
La Comteffe de la Tour , eft morte en cette
Ville le 7 de Mai , âgée de trente -quatre ans .
Le .S Avril dernier , M. Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Armées
du Roi, & premier Ecuyer de Monfeigneur
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang, mou
254 MERCURE DE FRANCE.
rut d'apoplexie en fon chateau de Roquebeau ,
âgé de 1 ans 6 mois 9 jours , étant né le 26
Septembre 1709, & fut inhumé le 7 en la Paroille
dudit Roquebeau , au Diocèle de Die. Il avoit été
marié les Mars 1738 , avec Dame Marie Olimpe
de Vauferre- des- Adrèts , veuve depuis le 12 Juin
1734 , de M. Louis- Alexandre de Saliéres de
Montlor , Brigadier des Armées du Roi ; avec lequel
elle avoit été mariée l'an 1730 , & fille de
M. Céfar de Vauferre , Baron des Adrèts , &
de Dame Marguerite Landais. Il laiſſe de la Dame
fon époufe , M. Louis de la Tour-du- Pin , Marquis
de Montauban né le premier Décembre
1739 , fait Chambellan de Monfeigneur le Duc
d'Orléans en 1752 , Guidon des Gendarmes d'Aquitaine
en 1758 , & premier Cornette des Chevaux
Légers d'Aquitaine en 1759 , après avoir
fervi fans difcontinuation depuis l'an 1747 , tant
dans la feconde Compagnie des Moufquetaires &
dans celle des Chevaux-Légers de la Garde , que
dans le Régiment du Roi. M. Louis- Apollinan
de la Tour- du - Pin de Montauban , né le 13 Janvier
1744 , & tonfuré dans la Chapelle du Palais-
Royal à Paris le 4 Mars 1758 , par M. Lucretius-
Henri-François de la Tour - de- Gouvernet de la
Chau- de-Montauban , Evêque de Riez
titulaire de l'Abbaye Royale de la noble Eglife
Séculiere & Collégiale de S. Pierre hors les portes
de Vienne en Dauphiné , fon oncle paternel à la
mode de Bretagne; & Dame Claudine - Céfarine de
la Tour- du- Pin de Montauban , née le 12 Juin
1741 , veuve , fans enfans , de M. Jean - Jacques-
Philippe Jofeph Lefmerie , Marquis d'Efchoify ,
Capitaine de Cavalerie dans le Régiment Royal-
Piémont , puis Guidon de la Compagnie des Gendarmes
Anglois , tué à la bataille de Minden le
premier Août 1759 , & avec lequel elle avoit été
Abbé
JUIN. 1760. 255
mariée dans la Chapelle du Palais - Royal le 24
Février 1756 .
La Charge de premier Ecuyer de Monſeigneur
le Duc d'Orléans , vacante par le décés de M. le ,
Comte de Montauban , a été donnée par ce
Prince à M. Marie -Jofeph de Brancas , Marquis
d'Oife , Chambellan de S. A. S. & Maréchal de
Camp des Armées du Roi , fecond fils de M.
Louis de Brancas , Duc de Villars , Pair de
France , &c. Voyez l'Hiftoire des Grands Officiers
de la Couronne , tom . V , pag. 277 & fuivantes.
Dame Marie de Borstel , épouse de Meffire
François de Grenelle , Seigneur de Pimont , Capitaine
de Cavalerie , Lieutenant Colonel au ſervi→
ce du Roi de Pologne , & un de fes Gentilshommes
, Chevalier de S. Louis , eft morte à Paris
le 18 Mai 1760 .
Elle étoit de l'illuftre Maiſon de Borſtel , une
des plus anciennes & des plus diftinguées parmi
les Princes d'Allemagne . Elle eft originaire de Zelande
, & un Seigneur de Borftel , à qui les Villes
de Fleffingue & Defwert appartenoient , épouſa
la derniere Comtefle de Hollande , & par fon
mariage il devint Souverain de cette Province ,
que le Duc de Brabant ufurpa fur lui .
Après cette ufurpation , plufieurs Seigneurs de
cette Maifon s'établirent dans la haute Saxe , où
ils bâtirent le Château de Borftel , affez remarquable
fur la Carte ; & l'on voit dans l'hiftoire
que dès le temps de l'Empereur Othon , ils y
étoient déja en très-grande diftinction , & qu'ils
avoient les premiers emplois dans le Miniſtère ,
dans la guèrre , & dans les ambaffades. Meffire
Conrad de Borftel , pere d'Adolphe V , Chevalier
Seigneur de Guften , Proftka & autres lieux ,
étoit premier Miniftre d'Etat des Princes d'An
256 MERCURE DE FRANCE.
halt , Gouverneur de cette Province . Cet Adolphe
V a eu deux neveux , dont l'un Frédéric de
Brofel , a été Capitaine des Gardes du Corps du
Roi de Suéde , Gonverneur de Gottembourg , &
Général Major des Armées de Sa Majesté Suédo
; & le fecond . Erneft-Amédée de Borftel ,
Crand Echanfon de feue fon Alteffe Electorale de
Brandebourg , Colonel du Régiment de fes Gardes
,Gouverneur du Duché de Magdebourg , lequel
gouvernement eft encore pollédé aujourd'hui
par Henri de Borſtel .
Le grand-pere de ladite Dame de Borftel de
Pimout , qui vient de mourir , fut envoyé en
France à l'âge de 18 ans en qualité d'Ambaſſadeur
, par le Roi de Bohême & les Princes de
l'Empire , auprès du Roi Louis XIII ; & lorfque
fes négociations furent heureufement terminées ,
voulant s'établir en France , le Roi lui accorda ,
des Lettres de Naturalité , & l'honora d'une charge
de Gentilhomme de fa Chambre. Il fe maria
a Dame Charlotte de Faron , d'une des bonnes
Maifons du Poitou . dont il n'eut qu'un fils , que
la fituation de fes affaires , après avoir fervi quelque
temps le Roi , a obligé de ne pas fuivre l'intention
qu'il avoit de confacrer fes jours au ſervice
de Sa Majefté ; mais s'étant marié avec une Demoitelle
Tafchereau , alliée de M. le Chancelier
de Pontchartrain , du côté des Préfidens Cortereau
, & cousine de M. le Marquis de Rafilly ,
Lieutenant Général de la Province de Touraine
& Tous-Gouverneur des Enfans de France ; il en
a eu une nombreuſe famille , dont deux fils font
morts au fervice , le premier dans la Marine fuc
tué au fameux corbat de la Hogue , à l'âge de
vingt ans , dans le grade de Lieutenant de Vailfeau
du Roi; le fecond & dernier , eft le Conte
de Burfiel , qui après avoir fervi avec grande dif
JUIN. 1760. 257
tinction dans l'Artillerie , dont il étoit premier
Lieutenant Général , fut tué à la tête de ce Corps
qu'il comandoit , à la bataille de Plaifance en
1745. Il n'a laiffé qu'une fille , qui , après avoir
été longtemps fille d'Honneur de la Reine d'Ef
pagne , s'eft faite Carmelite auprès de Madame
de Borfiel fa tante , Supérieure de ce Couvent à
Paris. Ladite Dame de Borftel de Pimont , qui
vient de mourir , jouiffoit de plus de 45000 livres
de rente. Sa fuccellion palle à Dame Magdelaine
de Borftel , fa foeur , épouse de M. de
Beau ront , l'un des anciens Fermiers Généraux
du Roi , qui n'ont point d'enfans .
Meffire François de Grenelle de Pimont , qui.
refte veuf de ladite Dau e après vingt- huit ans de
mariage, eft originaire de Paris , d'une des plus
anciennes familles de robe , qui a poffédé longtemps
le fief de Grenelle , où eft à préfent bâtie
l'Ecole Militaire. Un de fes ayeux fe retira dans
le Duché de Bourgogne du temps des troubles
d'Henry III , & y acheta plufieurs Terres & Fiefs ,
entre autres celui de Pimont , qui a reûté jufqu'à
préfent à fes defcendans qui le font alliés aux
premieres familles du Parlement de Dijon , entre
autres à François de Gergy & à Marguerite
Quarré , toutes les deux d'ancienne extraclion
dont Jean de Grenelle , mari de la derniere , devint
Confeiller d'Etat.
Le fieur de Pinout , ayant pris le parti des armès
, a conn encé par être douze ans dans les
Moufquetaires , enfuite Capitaine de Cavalerie ,
Lieutenant Colonel au fervice du Roi de Pologne
& Gentilhomme de ce Prince. Il a fair prendre le
même parti des ar nes a quatre de fes neveux
dont l'un a été tué Capitaine dans le Régiment de
Forelt , trois autres font actuellement dans celui
>
258 MERCURE DE FRANCE.
de Vatan , dont les deux premiers ſont à la tête
dudit Régiment & Chevaliers de S. Louis.
Avis des Administrateurs Généraux des Poftes .
ON avertit qu'à l'avenir , & à compter dir
mois de Juillet de la préſente année , on pourra
écrire deux fois par femaine à Madrid , Cadix ,
Séville , Malaga & Lisbonne , ainfi que dans toutes
les autres Villes d'Efpagne & de Portugal,
où l'on ne pouvoit écrire qu'une fois par femaine
:
; Sçavoir le Mardi par l'ordinaire actuellement
établi.
Les Lettres de cet ordinaire continueront de
partir de Paris le Mardi de chaque femaine , &
les réponſes à ces Lettres continueront d'arriver
à Paris le Samedi .
Le Samedi , par le nouvel ordinaire.
Les Lettres de cet ordinaire partiront de Paris
le Samedi de chaque femaine , & les réponses .
aux Lettres de ce deuxième ordinaire arriveront '
à Paris le Mercredi .
Quant à la Catalogne, dont les Lettres vont &
viennent par le Courier de Provence , elles continueront
de partir deux fois par ſemaine ; fçavoir
, le Mardi & le Samedi , & d'arriver également
deux fois par ſemaine à Paris ; ſçavoir , le
Dimanche & le Jeudi.
Les Lettres pour cette Province d'Eſpagne
pour le Royaume de Valence & pour Maïorque
ne feront plus à l'avenir , & à compter du dudit
mois de Juillet prochain , fujettes à l'affranchiffement
que l'on a exigé jnfqu'à ce jour. Ainf
elles pafferont fans difficulté de Perpignan à BarJUIN.
1760:
celone . Celles d'Eſpagne venant par cette route
259
pafferont également en France fans affranchiffement
, parce que l'office des Poftes de Madrid
doit de fon côté fupprimer celui qu'on a juſqu'à
ce jour exigé en Eſpagne fur ces Lettres.
Opiat philofophique du fieur Mutelé fils , feul
pofeffeur dudit Reméde de feu fon pere ,
Apothicaire du Roi.
>
LES progrès que ce reméde opére en tant de
différens genres de maladies ont donné affez
de preuves convaincantes de fon efficacité , pour
difpenfer l'Auteur d'en renouveller l'expofition
il fe contente de répéter que c'eft un fondant &
un purgatif fi épuré de fon terrestre , qu'il fe
glife avec douceur dans toutes les parties les
plus fecrettes du corps humain , & en expulfe
tout le vice , de quelque nature qu'il puiffe être ,
fans violence , vomiffement ni mal de coeur ,
eft lain & fénatif, & purifie la inatle du fang ,
même fcorbutique. Il eft propre pour la guérifon
des Squirres , fi anciens qu'ils foient , ainfi que
les obftructions ,
glandéoméfentaires , abfcès , généralement
toutes caufes étrangères qui portent
obſtacle à la nature . Il eſt connu auſſi pour la
guérison du lait répandu & autres fâcheufes fuites
de couches. Il n'y a pas de fièvres , de telle nature
qu'elles foient , que ledit Opiat Philofophique
ne guériffe , ainfi que les dyflenteries ; ce qui eft
d'un grand fecours pour Meffieurs les Militaires ,
foit en campagne ou ailleurs , tant par ner que
par terre. Il eft fouverain pour garantir les attaques
d'apoplexie & coups de fang ; fi l'on en
prend par précaution une ou deux prifes de fuite ,
ou à un jour d'intervalle , l'on fe mettra à l'abri
de tous ces accidens : les jauniſſes , pâles couleurs
2.
260 MERCURE DE FRANCE.
ou bile répandues ne fçauroient y réfifter.
Ce reméde s'eft fait connoître & diftinguer de
tout le vulgaire , dans le cas des guérilons des vapeurs
, telles qu'elles foient , & mal-caduc , s'il
ne vient pas de naiſſance.
Ledit Opiat eft connu propre pour
être adminiftré
aux malades , dans le cas de toutes les ma
ladies les plus dangereutes caufées par la lenteur
de la limphe , & manque de circulation du fang
& autres ; cela eft confirmé par nombre infini de
cures en différens genres de maladies déſeſpérées
qui ont été guéries, ainfi que l'Auteur eft en état
de le le faire voir & prouver , par Meffieurs les
Magiftrats & Meffieurs les Médecins & Chirur
giens de la Faculté de Paris , & autres , qui ont
vu & donné leurs applaudiflemens & approba
tions.
Afin de procurer plus promtenent la guériſon
des maladies , & pour la facilité du Public , il y
a des boetes dudit Opiat , de 3 liv . 6 liv 12 liv.
& 24.
Méthode pourfe fervir dudit Opiat Philofophique.
La petite boete de 3 liv. fait deux prifes , pour
deux jours à un jour d'intervalle ; la boëte de 6 1.
fait quatre prifes pour huit jours à un jour d'intervalle
; la boete de 12 liv. fait huit prifes pour
feize jours à un jour d'intervalle ; la boëte de 24
liv. fait feize prifes à un jour d'intervalle , ou
même plus fi on fe fent fatigué ; il faut obferver
que chaque prife dudit Opiat fait le poids d'un
gros , & pour ne fe point tromper le poids d'un
liard un peu fort ; c'eſt -à - dire , que la petite boëte
de 3 liv . ne fait que deux prifes . L'Opiat fe prend
enveloppé dans du pain-à chanter ou pommes
cuites, ou même entre deux foupes , boire parJUIN.
1760
261
deffus chaque prife un de ni-gobelet , foit bouillon
ou thé , pour le précipiter ; tous ceux qui ne
fçauroient la prendre en bols , mettront ladite
prife d'Opiat dans un demi verre de vin rouge
ou blanc , & le bien délier avec une cuillier pour
en faire la diffolution , & le prendre le matin ; &
ceux qui vou front le prendre le foir en s'allant
coucher , deux heures après avoir mangé un potage
, pourront le prendre comire deffus , fe coucher
& dormir tranquilles fans craindre & fans
ètre obligés de prendre du bouillon que le matin ,
jufqu'à l'heure dinatoire. Il faut encore obferver
que les jours que l'on fera ufage dudit Opiat ,
il faut réformer le caffé , le laitage , les fruits crus ;
& pour les enfans qui font fujets aux vers , la petite
boete fervira pour trois matins de fuite , délié dans
du vin blanc avec un peu de fucre ; il faut que
l'enfant foit quatre ou cinq heures fans rien prendre
& enfuite nn bouillon : en peu de jours les
Vers Solitaire ou Plantés feront morts ou confondus
quelque part qu'ils foient , aux grandes perfonnes
ou perites , vû la circonftance des temps ,
où les morts fubites font fi fréquentes , principalement
dans les Provinces où l'on meurt fouvent
faute de fecours & de précaution.
Le fieur Mutelé , ayant obfervé que plufieurs
perfonnes de tout fexe , qui n'ont befoin que d'u
ne purgation , foit après une faignée qu'ils prennent
feulement par précaution , pour la facilité il
y aura des prifès dudit Opiat , de trente fols & de
vingt fols pour les pauvres honteux , attendu
que les pauvres ne payeront les boëtes de 3 liv.
que 2 liv . celles de 6 liv . 4 liv. celles de 12 liv.
8 liv. & celles de 24 16 liv. ainſi qu'il a été annoncé
par tout le Royaume & chez l'Etranger , &
dans les nouvelles publiques . L'Auteur continue
de faires des envois par tout le Royaume & chez
262 MERCURE DE FRANCE.
l'Etranger , à ceux qui lui font l'honneur de lui
écrire.
Il prie d'affranchir les ports des lettres & de
l'argent qu'ils mettront par la Poſte royale, fans
quoi point de réponſes.
Le fieur Matelé donne avis qu'il a obtenu de
Meffieurs les Fermiers Généraux des Poftes , afin
de donner une aifance au Public , qu'il ne payeroit
que la moitié du port des envois des Marchandiſes
pour les Provinces.
Cet Opiat eft incorruptible , & ſe tranſporte
partout il eft auffi bon au bout de vingt ans
comme frais fait , en y ajoutant un peu de firop
de capillaire , en cas qu'il féche , & fera de bon
uſage , c'eſt le moins couteux & le plus doux de
tous les purgatifs .
Toutes femmes enceintes qui feront uſage dudit
Opiat , de deux ou trois prifes les derniers mois
avant d'accoucher , feront fures de faire d'heureuſes
couches , & fouffriront peu : le tout après
mille expériences.
Le fieur Mutelé demeure Cour des Religieux de
l'Abbaye de S. Germain des Prez , chez Madame
Lybeard, Marchande de Modes , à la Dauphine,
Fauxbourg S. Germain , vis-à-vis la grande
grille.
APPROBATION.
J'Ailu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
Te Mercure du mois de Juin 1760 , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion.
A Paris , ce 31 Mai 1760. GUIROY.
JUIN. 1760 263
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
I
ARTICLE PREMIER.
MITATION de l'Ode d'Horace. Vixi puellis
nuper idoneus &c.
Vers , fur l'Impératrice de Ruffie.
Page s
Les dangers de l'hymen , à Madame T. de
C. Mulette à mettre en chant.
Vers demandés , pour mettre au bas du Portrait
de M. de Voltaire.
Sonnet , infcrit fur une Rocaille , ornée de
jets d'eau .
Le Lys & la Rofe , Fable , à Mlle ...
Epître à M. l'Abbé Aubert.
Suite & Conclufion des Lettres & Mémoires
de Mlle de Gondreville & de M. le Comte
de S. Fargeol.
Epître à Clarice.
Un vieillard , à fes Compatriotes , Héroïde.
Les Talens de l'Elprit , Poëme.
Enigmes.
Logogryphes.
Chanfon.
7
9
ibid.
10
II
14 & fuiv.
58
60
66
77 &78
79 & 80
82
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Extrait des Anecdotes morales , fur la Fatuité
, &c. par M. de Campigneulles.
83
Le nouveau Spectateur , par M. de Baftide. 87
Seconde Lettre , fur l'Art de peindre de M.
Watelet.
Annonce des Livres nouveaux.
107
128 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES,
ACADÉMIES.
Extrait du Mémoire lû par M. le Pere , Se264
MERCURE DE FRANCE.
crétaire perpétuel de la Société des Scien-
- ces & Arts d'Auxerre .
Extrait de la Séance de la Société de Lettres
, Sciences & Arts de Clermont en Auvergne
.
GÉOMÉTRIE .
135
145
Mémoire fur l'analogie qui e entre la Logarithmique
& l'hyperbole équilatere &c . 15
ASTRONÓMIE.
Extrait d'un Mén oire lû à l'Académie
Royale des Sciences , fur le pallage de
Vénus . Par M. Delalande .
ART. IV . BEAUX - ARTS .
163
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
Réfléxions fur les avantages de l'Inoculation ,
par M. Daniel Bernoulli & c.
173 &fuiv.
Géographie. 190
ARTS AGRÉABLES .
Gravure . 191
Mufique.
194
ART. V. SPECTACLE S.
Opéra.
195
Comédie Françoife. 211 & fuiv.
Comé lie Italienne.
233 &fuiv
Concert Spirituel. 235
ART. VI . Nouvelles Politiques. 238
Mariages & Morts .
251 &fuiv.
Avis .
258 & fuiv.
La Chanfon notée , doit regarder la page 82 .
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à- vis la Comédie Françoife.
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROI.
AVRIL. 1760 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine .
Chez
Cochin
Silus i
PalioSculp 1215
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à-vis la ComédieFrançoife
PISSOT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguitins.
CELLOT , grande Salle du Palais..
Avec
Approbation
& Privilége
du
Roi
:
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
325307
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anně,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer, francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE, Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raifon de 30 fols piéce .
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à-dire 24 livres d'avance , en s'abon- «
nant pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deſſus.
A ij
On Supplie les perfonnes des provinces
Benvoyer par la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refieront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA SOCIETE ,
Néceffaire à l'Homme de Lettres.
SE dérober à la fociété ,
Vivre tout feul , pâlir fur fon ouvrage ,
Ne converfer qu'avec l'Antiquité ;
C'eſt le moyen d'être un docte fauvage ,
Un lourd Sçavant , dont le ftyle apprêté ,
Privé de goût , de chaleur & d'image ,
Peint des fujets choifis par l'âpreté ,
1. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Pulvérisés par le mépris du Sage ,
par celui de la Poftérité . Et
Le cabinet , fans doute , eft fort utile ;
",
Je fens très-bien, qu'il faut être tranquille ,
Pour découvrir l'obſcure vérité :
Contre les Sots , on a befoin d'afyle.
Des ennuyeux , la cohorte imbécille ,
Empêcheroit d'écrire , & de penfer :
Mais quelquefois on doit fe délaffer :
La folitude , à la fin , rend ſtérile .
Le Philofophe , en parcourant la ville ,
Peut à la fois s'inftruire , & s'amufer :
En connoiffeur il y viendra puifer
Un coloris féduifant , & facile.
Il peut encor , comme un Chymifte habile ,
Suivre , faifir , extraire , analyſer
D'originaux un enfemble bizarre ;
Approfondir les efprits , & les coeurs
Du faux dévot , du fat , & de l'avare ;
Peindre chacun de fes propres couleurs ;
Soigneufement diftinguer les nuances ;
Décompofer , marquer les différences
Des fentimens , des goûts , & des humeurs.
Une retraite , éternelle , & profonde ,
Ne convient pas à l'examen des moeurs :
Un Capucin , dont le zèle les fronde ,
Adreffe mal & fes cris , & fes traits.
Pour déclamer , il fe figure un monde ,
AVRIL 1760. 7
>
Qu'il n'a pas vu , qu'il ne verra jamais.
En fréquentant la bonne compagnie ,
L'homme d'efprit modèle fes portraits
Sans s'arrêter à la fuperficie :
Il a l'oeil bon , il regarde de près.
Il va chercher ces fêtes un peu vives ,
Ces foupers fins , où règne le plaifir :
Car c'eſt alors que l'âme doit s'ouvrir ! ..
Bientôt , par coeur , il fçaura fes convives.
Témoin fenfé de leurs travers nouveaux
Il entendra des réponſes naïves ,
De plats difcours , d'infipides bons mots ;
Pour des traits fins , lâcher des invectives
Des lieux communs embellir les propos.
Vuide de fens , chargé de bénéfices,
Par intérêt , affublé d'un rabat ,
Un gros Abbé préconife les vices
Contre lesquels dépofe ſon état.
Un Auteur froid , dont les drames novices ,
Par les fillets font encor pourſuivis ,
Dit , qu'aujourd'hui contre ces injuſtices ,
Les grands talens doivent être aguerris.
Modeftement , une prude févère ,
Lorgne , en deffous, un brillant Officier :
A fes côtés , la fçavante Glycère ,
Fait d'un pédant le barbare métier ;
Et par humeur , elle fable , à plein vèrre ,
Le vin mouffeux d'un épais financier.
?
A iv
MERCURE DE FRANCE.
C'eſt Montesquieu , c'eſt Rameau , c'eſt Voltaire ,
Que fans entendre on veut apprécier.
L'obfervateur , écoute fans rien dire :
Sur ce qu'il voit , il s'empreffe d'écrire.
Sans les aigrir , mais fans les ménager ,
Contre les Sors il arme la fatyre :
Et fi le vrai ne peut les corriger ;
Aleurs dépens , du moins , il les fait rire.
VERS , à M. Fournier, Fermier général.
DEPOURVU ÉPOURVU de talens , peut- être de vertus ,
J'ofe pourtant vous rendre hommage ;
Et vous prier, en fublime langage,
De me conduire au Temple de Plutus :
Ou , pour parler fans métaphore ,
Dans un emploi de vouloir m'inftaller.
Je ne fçai rien , qu'écrire & calculer :
L'art de rimer , eft un art que j'ignore.
Je n'ai ni bien , ni rang , ni talens , ni bureau.
Cela s'appelle, en bonne profe,
Etre un zéro ! Mais un zéro ,
Quand il eft bien placé, peut valoir quelque chofe.
AVRIL. 1760. 9
Chef A M. DE CHENNEVIERES
d'un Bureau de la Guerre.
MODESTE ODESTE Favori du Dieu de l'hypocrêne ,
Toi , qui par de fublimies vers * ,
Célébras un héros qu'admire l'Univers ,
Que la France chérit , qu'adore la Lorraine ;
Le digne Pere , enfin , de notre augufte Reine !
Ton coeur & ton eſprit, ont fçu plaire à ce Roi.
Honorer le mérite, eft fa plus chère loi ;
Tout nous le prouve : il t'en donne pour gage ,
Un meuble utile , où l'art ingénieux
Offre chaque jour à tes yeux ,
D'un Monarque fi grand , la reſpectable image.
CHENNE TERes , ce beau préfent ,
Doit te flatter ; mais n'a rien qui m'étonne :
Car il honore , également ,
La main qui le reçoit , & celle qui le donne.
Qui furent inférés dans un des Mercures de l'Eté dernier .
Par M. le Ch . D. C. d'Arras .
A une Demoiselle , qui avoit envoyé
des Vers à l'Auteur.
RIVIVAALLE des neufs foeurs , adorable Zélie !
Toi , que forma l'Amour toi , qu'admira l'envie ,
Objet de mes plus tendres voecux !
Pour tes vers gracieux ,
A v
Jo MERCURE DE FRANCE.
Je te dois ce tribut de ma reconnoiffance .
Mais , hélas ! mes foibles accens ,
Diront bien peu ce que je penfe ;
Et moins encor , ce que je fens.
E. M DE CHAMBRAY . M. D. C. D. E.
ti
PORTRAIT
DE FANCHONETTE.
A Madlle D.***
O Toi , qui , par la peinture ,
Sçais retracer à nos yeux
Les objets , dont la nature
Orne la terre , & les cieux !
Peins-moi , Fanchonette abſente;
Peins des rofes & des lis :
Qu'à ces trais , ta main fçavante ,
Joigne les jeux , & les ris. -
Exprime , de Pafithée ,
La douce naïveté :
Fais , que mon âme enchantée ,
Y trouve la vérité.
Que l'amour trempe
fes armes
Dans les yeux vifs , & brillans
Et qu'à l'abri de leurs charmes
Il lance fes traits brûlans.
AVRIL. 1760,
Qu'elle ait la bouche vermeille ,
Adorable , faite au tour ;
Comme quand Pfyché fommeille ,
Entre les bras de l'Amour.
Fais , qu'une modeſte gaze ,
D'un fein qu'on doit admirer ,
Laiffe à mes yeux en extaſe ,
Moins à voir qu'à dehrer.
Peins fes bras , peins fon corfage....
Mais quels confeils fuperflus !
Va , pour accomplir l'ouvrage ,
A Paphos peindre Vénus .
Par M. le Chevalier de ***.
REPONSE de Madlle D. ***
PORTRAIT DE MON BERGER..
VOUS o us , dont l'éloquent cifeau ,
Occupe la renommée :
Vous , dont l'habile pinceau ,..
Rend une toile animée !
Artiſtes induſtrieux ,
Peignez l'objet de ma flâme.
Ah ! s'il eft loin de mes yeux,
Il est préſent à mon âme.
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
Son tein , obfcurcit les lys ;
Sa chevelure eft dorée :
Tel on figure Adonis ,
Dans les bras de Cythérée.
Peignez l'oeif d'Endymion ,
Le ris de l'amant de Flore,
L'air expreffif de Titon ,
Quand il attendrit l'Aurore.
Jadis , un moins beau Berger ,
Méritoit une Déelle.
Peut-on le voir , fans danger?
Peut-on l'aimer , fans foibleffe
Attraits , charmes , enjoûment ,
Venez embellir fes traces ;
Et pour peindre mon amant ,
Peignez l'Amour , & les Graces.
A Narbonne , C...
FANCHONETTE,
AVRIL. 1760. 13
SUITE des Lettres & Mémoires de Mlle
de Gondreville,& du Comte de S. Fargeol.
HUITIEME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
V
ous avez raifon de le prévoir, Monfieur
:j'ai été pénétrée de la joie la plus vive :
&la plus fincère , en finiffant de lire votre
lettre . Ma tante , qui m'a chargée de joindre
fes complimens aux miens , a été
transportée , comme moi , du plaifir d'apprendre
qu'on fe difpofoit à rendre juftice
à votre mérite & à votre naiſſance.
Mais je n'ai pas été plus joyeuſe que de
raifon , à la lecture de quelques autres
articles de votre lettre. Je vous ai dit ,
it eft vrai , que j'aimois affez les plaifan
teries ; mais cen'eft pas quand elles font
faires à mes dépens Tour en faifant
mine de m'obéir , it femble que vous
n'ayez ébauché le portrait de Madame la
Comteffe de S. Fargeol , que pour avoir
occafion de vous égayer fur le mien
Quelqu'envie quej'euffe de hai ceffembler,
14 MERCURE DE FRANCE.
je ne fuis ni affez vaine , ni affez fotte ,
pour m'y reconnoître. Mais , quoi qu'il
en foit ; croyez-moi , ne tendez plus de
tels piéges à ma raifon : je ne ferois peutêtre
pas toujours d'humeur à me rendre
fi exactement juftice ; & fi je venois , en
fuivant une pente qui n'eft que trop naturelle
, à m'aimer moi-même autant
que vous voudtiez me perfuader que je
mérite d'être aimée ; j'en aimerois peutêtre
moins mes amis. Et je vous affure ,
que vous y perdriez plus qu'un autre. Ce
n'eft pas pour vous faire peur , que je
vais vous apprendre que j'ai fait depuis
peu d'illuftres conquêtes. Le Prince de
M... dont le régiment eft ici en garnifon,
m'excéde depuis quelques jours , de
foins & de galanteries . Ce fera l'affaire
d'un mois , ou environ , qu'il doit paffer
ici ; à moins , que nos belles & galantes.
Strasbourgeoifes ne lui offrent des occa-:
fions plus commodes de diffiper fon ennui.
Ce n'eft pas tout : j'ai quelque chofe
de plus férieux, à vous dire. Je ne ſçais fi
vous avez vû à Saverne , & fi vous connoiffez
le jeune Marquis de la R. T... Il
eft beau , comme l'amour . Il me connoiffoit
; & me voyoit fouvent , avant l'arrivée
de fon Colonel. Ses vifies , alors ,
me paroiffoient fans conféquence. Mais
AVRIL. 1760.
15
plus
›
il s'eft avifé de devenir jaloux : il a fair
, il me l'a dit ; & cela , en me faifant,
le plus agréablement du monde, une
belle déclaration de fes fentimens pour
moi. Je me fuis moquée de lui : il l'a pris
fur le ton le plus férieux . Il s'accufe d'avoir
fait fon malheur lui-même ; & fe
déſeſpére , parce qu'en effet c'eft lui qui
a , le premier , introduit le Prince chez
ma tante. Vous voyez , Monfieur , qu'il
ne tiendroit peut- être qu'à moi de faire
une grande paffion , & d'enchaîner à mon
char le plus aimable Cavalier qui foit ici,
fans contredit. Ne trouvez-vous pas que
je fuis dans une fituation affez embarraffante
, pour une fille de mon âge ? Eh
bien , je vous avoue , que cela ne m'em-,
barraffe point du tout . Ce qui me fâche ,
c'est d'avoir été obligée de prendre mon
parti fans vous confulter. J'ai cru , de
concert avec ma tante , à qui j'ai tout
conté , qu'il étoit également dangereux
de leur interdire , à l'un ou à l'autre , la
liberté de nous voir : quant au Prince ,
cela n'étoit guères poffible ; & le congé
du Marquis feul , n'étoit pas fans danger.
Mais ma tante les a priés de vouloir bien
ne venir jamais , l'un fans l'autre ; & c'eſt
je crois , le meilleur moyen de fe défaire
bientôt de tous les deux ; & de fe mettre
16 MERCURE DE FRANCE.
་
à l'abri des propos. Qu'en pensez - vous ?
Ils ne feront déformais reçus , qu'à ces
conditions ; & je ne fuis pas embarraſlée
de me défaire du Marquis , au départ de
fon Colonel. J'aurai , d'ici à ce temps- là ,
plus de temps qu'il ne m'en faut pour lui
faire connoître que nous ne nous con
venons point ; que je ne puis prendre
pour lui les mêmes fentimens qu'il af
fecte fans doute d'avoir pour moi; &
qu'il eft fait, pour infpirer à mille autres.
Vous , qui connoiffez mon état , vous
m'accuferez apparemment d'être bien
délicate ? Cela peut être vrai , dans un
fens , qui n'est pourtant pas celui qui doit
vous venir le premier à l'efprit. Mais le
Marquis , eft trop jeune , & trop beau,
pour me faire efpérer qu'il fut auffi déli
cat lui-même que je fouhaiterois que le
fut un homme que j'aurois la foibleffe
d'aimer. Voilà mes raiſons , Monfieur
je les foumets au jugement de votre
amitié pour moi. Songez , en prononçant,
que le Marquis n'a que dix - neuf ans ; &
que j'y touche de près. Je ne cefferai
point de vous dire , que nous attendons ,
ma dance & mor, très- impatiemment,
que vous nous appreniez le départ de
Madame la Comteffe de S. Fargeol' , pour
aller occuper cette belle maifen ou vous
AVRIL. 1760. 17
vous préparez à la recevoir. Ma tante me
charge de vous prévenir , que celle que
nous avons à lui offrir , pour fe repofer
ici , ne gâtera point fon imagination fur
celle que vous lui deftinez dans votre
grande Ville. Bon foir , Monfieur... il y a
plus d'une heure que je dormirois , fi je
n'étois pas , Votre amic.
NEUVIÊME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
J'A₁
reçu ,
A reçu , Mademoiſelle , avec une
reconnoiffance infinie , les complimens
dont vous & Madame la Comtelfe votre
tante , avez daigné m'honorer. Je yous
en rends mille graces , à l'une & à Fautre.
Perfonne ne pouvoit prendre à ma fitua~
tion une part auffi flatteuse pour moi ,
que celle que vous y prenez ; puifque
c'eft à vous , que je dois le fuccès d'une
affaire auffi intéreffante pour moi ; & dont
je n'ofois efpérer une iffue fi facile & fi
prompte. Je vais donc être , par vous ,
le plus content,& le plus heureux homme
du monde ! Car enfin , j'écris , par ce
même courrier , à Madame de S. Fargeol ,
18 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle peut partir pour fe rendre ici.
Comme je l'ai déja prévenue , que mon
oncle l'attend avec prèfque la même impatience
que moi ; je fuis perfuadé que
ma lettre trouvera tout difpofé pour fon
prompt départ. Et fi j'ofe me flatter que
fon impatience réponde à la mienne ;
j'efpére , qu'avant quinze jours , à compter
de celui auquel vous recevrez ma
lettre , elle aura l'honneur de vous voir à
Strasbourg. J'aurois bien fouhaité, qu'elle
pût profiter des offres de Madame votre
tante. Mais M. le Cardinal , qui n'oublie
rien des plus petites circonftances , lorfqu'il
s'agit d'obliger , a déja donné fes
ordres pour la recevoir à l'Evêché. C'eftlà
, qu'elle fera par conféquent obligée de
defcendre , avec permiffion d'y féjourner
autant qu'elle le jugera néceffaire pour
s'y repofer. Vous ne m'accuferez point ,
de lui avoir fait précipiter fon départ : car
il faut tout vous dire : mon projet eft
d'aller la recevoir moi- même , à Strafbourg.
Je vous facrifie le plaifir que je
m'étois fait , de vous furprendre ; parces
que je ne puis contenir celui que me
donne l'espoir de vous revoir . Il n'y aura ,
je vous jure , que l'empreffement de mon
oncle , & la crainte d'abufer des bontés
de fon Eminence , qui nous forceront à
AVRIL. 1760. 19
nous éloigner de vous un peu plutôt que
je ne le defirerois . Mais , après vous avoir
mife dans mon fecret , je ne veux pas
attendre l'honneur de vous voir , pour
répondre à la confiance dont vous m'honorez
perfonne n'eft plus en état que
moi de vous informer de la naiffance &
de la fortune de votre jeune Marquis. La
terre, dont il porte le nom, eft voifine des
miennes , & en relève en partie . Sa famille
, eft de bonne & ancienne nobleffe
de la province cependant , s'il eft vrai
que vous me confultiez bien férieufement;
(ce qui flatte extrêmement mon amourpropre
! ) je vous dirai, que je ne puis que
louer le parti que vous avez pris . M. de
la R. T. eft cadet de fa maiſon : ce qui fignifie
, en bon françois , qu'il ne fera pas
fort riche. Et fi , comme bien d'autres ,
il fait un jour fortune avec la pointe de
fon épée ; il y a encore loin , à fon âge ,
d'ici aux événemens qui pourroient le rendre
digne de vous. Vous voyez , Mademoifelle
, qu'en vous parlant ainfi , je n'ai
égard qu'à la fincérité qui convient au
titre dont vous m'honorez. Si je n'avois
eu en confidération que le mérite perfonnel
du jeune homme en queftion , & que
fes bonnes qualités , ( car je fçais à n'en
point douter qu'il en a d'excellentes ) je
20 MERCURE DE FRANCE.
vous parlerois tout autrement. Et , dans
le cas où il auroit eu le bonheur de vous
plaire, j'applaudirois à votre choix : parce
que je le trouverois tout auffi raifonnable
que le fien. Au refte , comme il n'y a pas
loin d'ici au temps où je compte avoir
Phonneur de vous voir; j'aurai celui de
vous entretenir, plus en détail, de tout ce
qui peut vous intéreffer à cet égard . J'atrends
ce moment , avec trop d'impatience
, pour ne le pas avancer , s'il m'eft
poffible. Je ne compte pas que vous me
faffiez l'honneur de m'écrire , avant mon
départ : je ne pourrois peuv être pas avoir
celui de vous répondre ; parce qu'étant
obligé d'aller avec mon oncle faire quel
ques préparatifs dans fa terre en Cham
pagne , où nous devons faire féjour à
notre retour ; & devant m'arrêter encore
à la Cour de Lorraine ; je partirai d'ici
plutôt que je n'aurois dû faire , pour me
rendre en droiture à Strasbourg. Ceft
même ce qui m'empêche de vous annoncer
aujourd'hui le jour où je pourrai me
fatter de vous faire ma cour , ainfi qu'à
Madame la Comteffe votre tante , à qui
je vous prie de préfenter mes refpects
très-humbles. Je fuis , plus que jamais ,
Mademoiſelle , ce que vous m'avez permis
d'êtres
Votre ami.
AVRIL 1760. 27
ce
DIXIEME LETTRE ,
le De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
as
it
Hel
Q
de S. Fargeol,
UOIQUE je doive craindre , Moncefieur
, que cette lettre ne puiffe vous partvenir
, avant votre départ ; je ne puis me
Datefufer de vous l'écrire , quand ce ne deef
vroit être que pour m'entretenir moime
même plus mûrement du plaifir que vous
me faites , & de l'efpérance de vous revoir
plutôt que je n'aurois ofé m'en flatter . Je
tne puis vous dire affez , combien je vous
fais de gré de cette tendreffe ingénieufé
& délicate pour Madame la Comteffe de
S. Fargeol , qui vous a déterminé à venir
re la recevoir ici vous - même. Ma tante , &
ici moi , nous partageons d'avance bien fin→
ne cérement , avec elle , la joie qu'elle en
eft doit reffentir. Venez donc , Monfieur ; &
T
ne craignez point de la devancer de quel→
me ques jours. Vous trouverez, ici , des coeurs
à bien fenfibles au plaifir de vous y voir. It
qui eft bon même , que votre diligence donne
ts à votre générofité le temps de s'acquitter
s , des devoirs del'amitié , avant que ceux de
rl'amour vous abforbent entierement ;
12 MERCURE DE FRANCE.
pour
le
comme ils ne peuvent manquer de faire.
Ce n'eft point un vol de vos fentimens
, que nous prétendons faire à Madame
de S. Fargeol : je penſe , au contraire ,
que ceux de l'amitié ne peuvent que tenir
votre coeur en haleine ; & l'empêcher
peut-être de fuccomber fous la violence.
de fes premiers tranfports. Je ne fçais
s'il n'y en a point un peu trop , dans ce
que je vous dis ici : mais , pardonnez-le
à l'enthoufiafme que me caufe l'agréable
nouvelle que vous m'apprenez ! Je vais
me fervir d'un fecret infaillible
calmer; c'est-à- dire, que je vais vous parler
de M. de la R. T. & de fes prétentions.
Le parti que nous avons pris, a eu tout le
fuccès que nous avions ofé nous en promettre.
Le Prince de M...faifit , hier ,
chez M. d'Angervilliers , l'occafion de
s'expliquer avec ma tante , fur le motif
de fes vifites. Elles n'avoient eu pour but ,
que de favorifer la recherche du jeune
Marquis , qu'il paroît affectionner beaucoup.
Mais , dès que ma tante lui eut fait
fentir que fes vues ne pouvoient convenir
à nos communs intérêts ; il s'en départit
fur le champ ; & promit à ma tante , que
nous ne ferions plus fatiguées des vifites
du Marquis. Il lui demanda , cependant ,
pour lui-même , la permiffion de venir la
AVRIL 1760: 23
voir quelquefois , pendant fon féjour dans
cette Ville; en l'affurant qu'il prenoit autant
d'intérêt à ma perfonne , qu'il en
avoit pris à celle de fon Officier. Voilà ,
Monfieur , où en est une avanture ; qui ,
en penfant différemment que je ne penfe,
auroit pû fournir la matière d'un joli Roman.
La fin , en eft un peu brufque; mais ,
c'eft avec une franche vérité , que je vous
affure du contentement quej'en ai.J'ai penfé,
plus d'une fois , que née comme je le fuis,
je pourrois bien devenir un jour l'Héroïne
de douze volumes . Mais , je vous jure ,
que rien au monde ne me déplairoit tant.
Je n'ai rien de plus à vous dire , aujour¬
d'hui ; & je ne m'attends plus à recevoir
de vos nouvelles , que par vous - même.
Votre amie.
J'interromps la fuite de nos lettres, par
une réflexionque la mienne me fait faire .
Lorsque je l'écrivis , je ne prévoyois pas
qu'il me pafferoit par la tête d'être un
jour moi-même mon hiftorienne. Mais ,
depuis l'âge que j'avois alors , jufqu'à celui
que j'ai aujourd'hui , ma vie a été
remplie de tant de contrariétés , qu'il ne
doit pas paroître étonnant qu'il s'en foit
gliffe dans quelques - unes de mes façons
de penfer. Quoique je n'efpéraffe point de
recevoir de réponſe à cette Lettre ; ja
24 MERCURE DE FRANCE.
reçus , cependant , quelques jours après ;
le billet que voici.
ONZIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle
de Gondreville .
VOTRE lettre m'eft arrivée à temps ,
Mademoiſelle ; & précisément , hier, veille
de mon départ . Elle eft charmante , cetre
lettre ! & j'aurois mille chofes à vous y
répondre. Mais je remets à vous les dire
moi- même. Qu'il vous fuffife , pour au
jourd'hui , de fçavoir , que fi l'amitié ne
gâta jamais rien en amour ; chez moi ,
l'amour ne nuira jamais à l'amitié. J'ai eu,
depuis quelques jours , des nouvelles de
Madame de S. Fargeol. Elle m'apprend,
qu'elle arrivera au plus tard le 25 , à
Strasbourg. Vous la trouverez bien informée
que c'est à vous que nous devons
l'un & l'autre le confentement de mon
oncle. Elle n'ignore rien de la façon dont
vous avez contribué à notre bonheur ,
que ce qu'il eft à propos qu'elle en ignoae.
Et vous pouvez , fur cet article , n'être
pas tout-à-fait auffi franche avec elle ,
que vous avez voulu l'être avec moi:
?
d'autant ,
AVRIL. 1760. 25
que
d'autant , que vos fecrets n'étant connus
de mon oncle , & de moi ; vous devez
être bien certaine qu'ils font en fureté.
C'eft de quoi j'ai cru devoir vous
prévenir , avant fon arrivée . Je ne vous
parle point de la reconnoiffance de Madame
de S. Fargeol. Je veux lui laiffer
l'honneur de s'en exprimer elle-même.
Mon oncle , qui eft ici , & qui n'attend
pour partir , avec moi , que la clôture de
ma lettre , vient de lire lui-même la vôtre.
Il me charge de vous préfenter fes
refpects : & voici , exactement , ce qu'il
vient de me dire. » Mon cher neveu !
( s'eft il écrié , en finiffant de vous lire )
» j'ai bien peur que ton propre choix , ne
» vaille pas celui qu'on avoit fait pour
» toi ! ... Adieu, Mademoiſelle, je pars, avec
l'ardeur d'un homme qui va rejoindre
tour ce qu'il aime ; & comme amant , &
comme ami.
Les événemens , qui fuivirent la réception
de cette lettre , me font trop intéreffans
,
pour les paffer fous filence . Il eft
même à propos que le lecteur en foit inftruit
, avant de lui communiquer la fuite
de ma correfpondance avec le Marquis.
On étoit déja informé , à Strasburg ,
de l'arrivée de la Comteffe de S. Fargeol ,
-I. Vol, B
[
26 MERCURE DE FRANCE.
à
par les ordres que M. le Cardinal avoit
donnés pour l'y recevoir. Mais on igno-
Toit encore le temps de fon arrivée ; &
T'on ne fçavoit pas, que fon mari dût venir
au- devant d'elle . Ma tante fit part , à
tout le monde , des nouvelles que nous
en avions apprifes ; & les perfonnes de
marque , comme M. le Comte du Bourg ,
l'Intendant , & le Préteur Royal , fe difpoferent
, à l'envi les uns des autres ,
les fêter pendant le féjour qu'ils feroient
dans notre Ville. Le Comte , que nous
attendions le premier, arriva en effet deux
jours avant la femme : mais ce qui nous
étonna beaucoup ; ce fut , que M .le
Vicomte de T ... fon oncle , avoit voulu
venir lui-même jufqu'à Strasbourg, au-devant
de fa niéce. Ils nous vifitèrent l'un
& l'autre , en defcendant de leur voiture.
Ma furpriſe fut telle , lorfque M. de S.
Fargeol nous préfenta le Vicomte , que
la réception que je m'étois propofée de
lui faire , en fut un peu déconcertée .
Après les complimens ordinaires , que le
Vicomte avoit d'abord adreffés à ma tante;
il s'approcha de moi ; & avec cette galanterie,
qu'on dit être de la vieille Cour ,
il me dit : Mademoifelle , c'eſt à vous que
mon neveu doit le bonheur dont il va
jouir. C'est encore au defir que j'ai eu
AVRIL. 1760 . 27
de vous connoître plus particulierement ,
que ma niéce doit la démarche que je
fais aujourd'hui. Ce que j'ai vû de vous ;
ce que je vois , me fait plaindre le fort
du Comte. Il doit être trifte , pour lui ,
d'avoir peut- être trop légèrement placé
l'idée de fon bonheur dans la poffeffion
de toute autre femme que vous.
Ce compliment , étoit tout auffi embaraffant
pour M. de S. Fargeol , qu'il me
le parut à moi-même. Auffi n'y répondîmes-
nous , que par ce qu'on appelle des
lieux communs . Le Comte, en s'efforçant
de faire bonne contenance ; & moi , avec
la modeftie qui convenoit à mon âge , &
a mon fexe. Pendant les deux jours qui
précédérent l'arrivée de Madame de S.
Fargeol ; la préfence du Vicomte , qui
ne quittoit point fon neveu , gêna beau-
Coup nos entretiens particuliers . Mais
nous ne laiſsâmes pas de profiter de quelques
inftans, pour nous confirmer mutuellement
dans les fentimens d'une amitié
qui me devenoit de jour en jour plus précieufe
; & que nous nous promîmes bien
de cultiver , à l'avenir , par une confiance
réciproque , & fans bornes. Enfin ,
Madame la Comteffe de S. Fargeol arriva.
Et j'eus bientôt lieu de penfer , que rien
n'étoit fi jufte , & fi raisonnable , que l'at-
Bij
12 MERCURE DE FRANCE.
comme ils ne peuvent manquer de faire.
Ce n'est point un vol de vos fentimens
, que nous prétendons faire à Madame
de S. Fargeol : je penfe , au contraire ,
que ceux de l'amitié ne peuvent que tenir
votre coeur en haleine ; & l'empêcher
peut-être de fuccomber fous la violence
de fes premiers tranfports. Je ne fçais
s'il n'y en a point un peu trop , dans ce
que je vous dis ici : mais , pardonnez- le
à l'enthoufiafme que me caufe l'agréable.
nouvelle que vous m'apprenez ! Je vais
me fervir d'un fecret infaillible pour le
calmer; c'eſt- à- dire, que je vais vous parler
de M. de la R. T. & de fes prétentions.
Le parti que nous avons pris, a eu tout le
fuccès que nous avions ofé nous en promettre.
Le Prince de M... faifit , hier
chez M. d'Angervilliers , l'occafion de
s'expliquer avec ma tante , fur le motif.
de fes vifites . Elles n'avoient eu pour but ,
que de favorifer la recherche du jeune
Marquis , qu'il paroît affectionner beaucoup.
Mais , dès que ma tante lui eut fait
fentir que fes vues ne pouvoient convenir
à nos communs intérêts ; il s'en départit
fur le champ ; & promit à ma tante , que
nous ne ferions plus fatiguées des vifites
du Marquis. Il lui demanda , cependant
pour lui-même, la permiffion de venir la
AVRIL. 1760. 23
LIV
voir quelquefois , pendant fon féjour dans
cetteVille; en l'affurant qu'il prenoit autant
d'intérêt à ma perfonne , qu'il en
avoit pris à celle de fon Officier. Voilà ,
Monfieur , où en est une avanture , qui ,
en penfant différemment que je ne penſe,
auroit pû fournir la matière d'un joli Roman.
La fin , en eft un peu brufque; mais,
c'eft avec une franche vérité , que je vouis
affure du contentement que j'en ai.J'ai penfé,
plus d'une fois, que née comme je le fuis,
je pourrois bien devenir un jour l'Héroïne
de douze volumes . Mais , je vous jure ,
que rien au monde ne me déplairoit tant.
Je n'ai rien de plus à vous dire , aujour¬
d'hui ; & je ne m'attends plus à recevoir
de vos nouvelles , que par vous - même.
Votre amie.
J'interromps la fuite de nos lettres, par
une réflexionque la mienne me fait faire.
Lorfque je l'écrivis , je ne prévoyois pas
qu'il me pafferoit par la tête d'être un
jour moi-même mon hiftorienne. Mais ,
depuis l'âge que j'avois alors , juſqu'à celui
que j'ai aujourd'hui , ma vie a été
remplie de tant de contrariétés , qu'il ne
doit
pas paroître étonnant qu'il s'en foit
gliffe dans quelques - unes de mes façons
de penfer. Quoique je n'efpéraffe point de
recevoir de réponſe à cette Lettre ; ja
24 MERCURE DE FRANCE.
reçus , cependant , quelques jours après ;
le billet que voici.
ONZIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle
de Gondreville.
VOTRE lettre m'eft arrivée à temps ,
Mademoiſelle; & précisément, hier, veille
de mon départ. Elle eſt charmante , cette
lettre ! & j'aurois mille chofes à vous y
répondre. Mais je remets à vous les dire
moi-même. Qu'il vous fuffife , pour au
jourd'hui , de fçavoir , que fi l'amitié ne
gâta jamais rien en amour ; chez moi ,
l'amour ne nuira jamais à l'amitié. J'ai eu,
depuis quelques jours , des nouvelles de
Madame de S. Fargeol . Elle m'apprend ,
qu'elle arrivera
au plus tard le 25 , à
Strasbourg. Vous la trouverez bien informée
que c'eft à vous que nous devons
P'un & l'autre le confentement de mon
oncle. Elle n'ignore rien de la façon dont
vous avez contribué à notre bonheur
que ce qu'il eft à propos qu'elle en ignoae.
Et vous pouvez , fur cet article, n'être
pas tout-à-fait auffi franche avec elle ,
que vous avez voulu fêtre avec moi :
d'autant ,
AVRIL. 1760. 25
d'autant , que vos fecrets n'étant connus
que de mon oncle , & de moi ; vous devez
être bien certaine qu'ils font en fureté.
C'eft de quoi j'ai cru devoir vous
prévenir , avant fon arrivée. Je ne vous
parle point de la reconnoiffance de Madame
de S. Fargeol. Je veux lui laiffer
l'honneur de s'en exprimer elle- même.
Mon oncle , qui eft ici , & qui n'attend
pour partir , avec moi , que la clôture de
ma lettre , vient de lire lui- même la vôtre.
Il me charge de vous préfenter ſes
refpects : & voici , exactement , ce qu'il
vient de me dire . » Mon cher neveu !
( s'eſt il écrié , en finiſſant de vous lire )
» j'ai bien peur que ton propre choix , ne
" vaille pas celui celui qu'on avoit fait pour
» toi ! ...Adieu, Mademoiselle, je pars, avec
l'ardeur d'un homme qui va rejoindre
tour ce qu'il aime ; & comme amant , &
comme ami.
"
Les événemens , qui fuivirent la réception
de cette lettre , me font trop intéreffans
, pour les paffer fous filence. Il eft
même à propos que le lecteur en foit inf
truit , avant de lui communiquer la fuite
de ma correfpondance avec le Marquis.
On étoit déja informé , à Strasb urg ,
de l'arrivée de la Comteffe de S. Fargeol ,
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
par les ordres que M. le Cardinal avoit
donnés pour l'y recevoir. Mais on ignoroit
encore le temps de fon arrivée ; &
l'on ne fçavoit pas, que fou mari dût venir
au- devant d'elle. Ma tante fit part , à
tout le monde , des nouvelles que nous
en avions apprifes ; & les perfonnes de
marque , comme M. le Comte du Bourg ,
l'Intendant , & le Préteur Royal , fe difpoferent
, à l'envi les uns des autres , à
les fêter pendant le féjour qu'ils feroient
dans notre Ville. Le Comte , que nous
attendions le premier, arriva en effet deux
jours avant fa femme : mais ce qui nous
étonna beaucoup ; ce fut , que M .le
Vicomte de T ... fon oncle , avoit voulu
venir lui-même jufqu'à Strasbourg , au -devant
de fa niéce. Ils nous vifitèrent l'un
& l'autre , en defcendant de leur voiture.
Ma furpriſe fut telle , lorfque M. de S.
Fargeol nous préfenta le Vicomte , que
la réception que je m'étois propofée de
lui faire , en fut un peu déconcertée.
Après les complimens ordinaires , que le
Vicomte avoit d'abord adreffés à ma tante;
il s'approcha de moi ; & avec cette galanterie,
qu'on dit être de la vieille Cour ,
il me dit : Mademoifelle , c'eft à vous que
mon neveu doit le bonheur dont il va
jouir. C'est encore au defir que j'ai eu
AVRIL. 1760. 27
de vous connoître plus particulierement ,
que ma niéce doit la démarche que je
fais aujourd'hui. Ce que j'ai vû de vous ;
ce que je vois , me fait plaindre le fort
du Comte. Il doit être trifte , pour lui
d'avoir peut-être trop légèrement placé
l'idée de fon bonheur dans la poffeffion
de toute autre femme que vous.
Ce compliment , étoit tout auffi embaraffant
pour M. de S. Fargeol , qu'il me
le. parut à moi -même . Auffi n'y répondîmes
- nous , que par ce qu'on appelle des
lieux communs. Le Comte, en s'efforçant
de faire bonne contenance ; & moi, avec
la modeftie qui convenoit à mon âge , &
a mon féxe. Pendant les deux jours qui
précédérent l'arrivée de Madame de S.
Fargeol ; la préſence du Vicomte , qui
ne quittoit point fon neveu , gêna beaucoup
nos entretiens particuliers. Mais
nous ne laiſsâmes pas de profiter de quelques
inftans, pour nous confirmer mutuellement
dans les fentimens d'une amitié
qui me devenoit de jour en jour plus précicule
; & que nous nous promîmes bien
de cultiver , à l'avenir , par une confiance
réciproque , & fans bornes. Enfin ,
Madame la Comteffe de S. Fargeol arriva.
Et j'eus bientôt lieu de penfer , que rien
n'étoit fi jufte , & fi raisonnable , que l'at-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
tachement que le Comte avoit pris pour
elle. 11 me l'avoit affez bien peinte ;
mais il ne l'avoit pas flattée; & je la trou
vai fort au-deffus de l'idée qu'il m'en avoit
fait prendre. Son oncle , parut être de
mon avis , & de celui de tout le monde.
Ce ne furent que fêtes pendant les quatre
jours qu'elle féjourna à Strasbourg :
feftins , bals , comédie , vifites , dont je
n'entreprendrai ni la defcription , ni le
détail . Je dirai feulement , en deux
mots , que tout ce qui fe fit à cette occafion
, fut fait avec autant de goût que de
magnificence. Ce qu'il y eut de plus particulier
pout moi , pendant ces quatre
jours , c'eft que M. le Vicomte de T...
en paffa la plus grande partie chez ma
tante ; pendant que fon neveu & fa niéce
couroient le monde , pour faire ou rendre
des vifites ; & qu'il ne ceffoit de me
louer d'une façon, qui me devenoit même
incommode, Je ne parle point de toutes
les marques d'amitié & de reconnoiffance
que je reçus de Madame de S. Fargeol :
car, fi j'étois affez flattée des preuves de ſa
fa
tendreffe , j'étois pénétrée d'une fecrette
honte , lorfqu'elle me rappelloit tout ce
qu'elle ne croyoit devoir qu'à mes foins :
parce qu'elle ne le devoit , en effet
qu'au malheur de ma naiffance. Enfin , le
AVRIL. 1960: 29
moment de notre féparation arriva; & j'en
fus moins touchée que je n'aurois penfé
devoir l'être . Mais , puifqu'il n'eft pas en
moi de trahir la vérité ; j'avouerai que la
préſence de Madame de S. Fargeol , &
l'ardente paffion que fon mari ne ceffa de
témoigner pour elle
elle , éclairérent mon
coeur fur un fentiment que j'ignorois. En
forte , que le départ de M. de S. Fargeol
fembla me délivrer d'un poids , que fa
préfence me rendoit à charge. Jufqu'à
ce moment , ma franchiſe , & ma générofité
, m'avoient foutenue ; parce que je
croyois ne travailler que pour lui . Dès
que j'eus vû Madame de S. Fargeol , je
crus , & je me reprochai , de n'avoir travaillé
que pour elle. J'avois ignoré , jufqu'alors
, le nom de rivale : elle m'apprenoit
la premiere à le connoître ; elle étoit
aimée ; elle méritoit de l'être : Que de fujets
de douleur , & d'humiliation ! Je les
reffentis vivement ; & je les aurois fentis
longtemps , fi la raiſon , le peu d'eſpoir,
& plus encore peut-être le courage dont je
m'armai, dans une occafion auffi délicate ,
ne fuffent venus à mon fecours . Mais le
retour de ma tranquillité , ne devoit pas
être l'ouvrage d'un jour,; & j'en étois encore
loin , lorsque je me perfuadai que
c'étoit un pur mouvement de politeffe ,
Biij
Jo MERCURE DE FRANCE.
qui me portoit à écrire la lettre ſuivante
M. de S. Fargeol , en l'abfence de ma
tante !
DOUZIÉME LETTRE ,
'De Mademoiſelle de Gondreville , à M. le
Comte de S. Fargeol.
J'AI paffé dans la trifteffe , Monfieur ,
les fix jours qui fe font écoulés depuis
votre départ cependant je vous fçais
heureux & content ! Dites-moi , fi vous le
pouvez , à quoi je dois m'en prendre ? j'ał
defiré votre bonheur ; j'en ai été témoin
je n'ai point d'ailleurs à me plaindre de
ma fanté , ni de tout ce qui m'environne.
Seroit-il donc poffible , que l'éloignement
d'un ami , à la préſence duquel je n'aurois
pas d'abord dû m'attendre ; fe peut-il,
di-je , qu'un éloignement que j'avois dû
prévoir , me fit un effet auffi fenfible que
me l'a fait le vôtre? Eft il raisonnable enfin
, que l'amitié nous caufe des tourmens
que je n'ai regardés jufqu'ici , que comme
les fuites néceffaires de l'amour ? C'eſt à
vous , Monfieur , & à ce qu'il peut vous
en avoir coûté pour nous quitter , que je
madreffe pour m'en inftruire. Mais non ;
AVRIL. 1760.
ne me dites rien , je vous prie : vous n'êtes
point en état de juger cette queftion . Ce
que j'éprouve, fuffit pour mon inftruction;
ou du moins, mon ignorance m'eft moins
à charge , que ne le feroient les lumières
que votre fituation préfente vous permettroit
de me donner. Je ne dois , aujourd'hui
, vous entretenir que de Madame la
Comteffe de S. Fargeol : elle a fait ici l'admiration
de tout le monde ; & foyez affuré
que perfonne n'a mieux fenti que moi
tout ce qu'elle vaut. Qu'elle est heureuſe ,
Monfieur ! car vous le fentez mieux que
nous. Je pense que je rêve , en vous parlant
de la forte ; & je devois plutôt me
récrier fur votre bonheur , que fur le fien.
Mais je fuis fûre, que vous me pardonnerez
ce petit écart de mon imagination :
le tendre intérêt que vous prenez au
contentement de Madame la Comteffe de
S. Fargeol , doit juftifier à vos yeux la façon
dont j'en fuis affectée. Je ne vous
parle point de ce que j'aurois à vous pardonner
à mon tour , fi je n'étois bien prévenue
, comme je crois vous l'avoir déja
dir , dans une de mes précédentes , que
l'amitié ne doit pas fe flatter d'entrer en
concurrence d'égards avec l'amour. Mais ,
je fens que je me laiffe encore emporter ,
jufqu'à ne plus fçavoir ce que je dis. Au
Biv
2 MERCURE DE FRANCE.
moins , Monfieur , que ceci ne prenne
pas, vis- à - vis de vous, l'air d'une plainte :
je me fouviens de vous avoir quelquefois
entretenu d'une certaine délicateffe de
fentimens , qui m'eft propre ; mais je ne
voudrois pas que vous puffiez penſer
que je la pouffe jufques à un excès , que
je trouverois moi - même condamnable .
En vérite , c'eſt tout de bon que je ne fais
plus où j'en fuis : je n'avois mis la main
à la plume , que pour vous informer des
regrets que nous a caufés votre prompt
départ je voulois vous féliciter fur le
bonheur dont vous jouiſſez : je defirois
furtout , de vous convaincre de la part
que j'y prends ; & je ne comprends pas
comment je me fuis égarée de la route
que je m'étois propofée, pour vous écrire
une lettre qui a prèfque l'air d'une tracafferie.
Le meilleur parti que je puiffe prendre
, après m'être fi mal embarquée , c'eſt
de me taire ; & de finir , en vous affurant
que je ne fuis ni ne veux être tracaffière ;
& que je ferai toujours conftamment ,
Votre amie.
P. S. Permettez -moi , de préſenter les
affurances de mon refpectueux attachement
, à Madame de S. Fargeol ; & mille
très - humbles complimens,à M.le Vicomte
AVRIL. 1780. 33
votre encle. Je n'oublierai jamais , combien
j'ai à me louer des bontés qu'il m'a
marquées pendant fon féjour en cette
Ville : elles m'ont pénétrée de reconnoiffance
& d'attachement pour fa perfonne.
Ma tante , comme je viens de le dire ,
étoit abfente , lorfque j'écrivis cette lettre
: elle venoit de partir avec Madame
Dandelor , pour aller paffer enſemble
deux jours à une petite maiſon que le
Comte , depuis Maréchal du Bourg , avoit
fur le bord de la riviere d'Ille . J'avouai
à ma tante , à fon retour , que j'avois
profité de fon abfence pour écrire au
Comte ; mais je ne fçus comment lui faire
voir le brouillon de ce que j'avois écrit.
En effet, ma lettre ne fut pas plutôt partie,
que je me reprochai de l'avoir écrite;
mais , c'en étoit fait ; & je ne ceſſai de
m'en repentir, que lorfqu'après douze jours
d'inquiétude , je reçus la réponse du
Comte de S. Fargeol . Je lui avois adreſſé
ma lettre , par Châlons , au château du
Vicomte , fon oncle ; & , comme on va le
voir , elle y étoit arrivée avant lui.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
TREIZIÉME LETTRE.
De Monfieur le Comte de S. Fargeol , à
Mademoiſelle de Gondreville.
VOTRE OTRE lettre , que je trouve ici , Mademoiſelle
, me fait trop vivement fentir
tous les torts que j'ai avec vous , & avec
Madame la Comteffe votre tante , pour
me les pardonner jamais ; il eft vrai que
le long séjour que nous avons été forcés
de faire à Luneville , auroit dû me fuffire
pour remplir tous mes devoirs , & m'épargner
ainfi la honte , d'être prévenu par
votre généreuſe amitié. Mais fi ceci peut
nous fervir à tous d'une excuſe légitime ;
je vous dirai , que nous avons été telle
ment perfécutés d'attentions & de poli
teffes,par tout ce qui compofe la Cour de
Lorraine , qu'il eſt exactemenɛ vrai que
nous n'y avons pas eu un moment de
liberté. Cependant , Mademoife'le , n'imaginez
pas que vous y ayez été oubliée :
quand mille raiſons ne vous auroient pas
gravée dans notre mémoire , & dans
nos coeurs , nous n'avons trouvé perfonne
ici qui n'ait contribué à nous rappeller
votre fouvenir. Et j'ai vû , avec un plaifir
AVRIL. 1760 . 35
extrême , qu'on rend dans cette Cour
autant de juftice à votre mérite , que je
lui en ai rendu & vû rendre à Saverne &
à Strasbourg. Mais pourquoi chercher fi
foigneufement à me juftifier pour une
faute involontaire , que je ferois affuré
ment fâché de n'avoir pas commiſe , ſi
j'avois pu prévoir tout ce qu'elle me vaut
d'agréable Avouez- le , Mademoifelle ;
les attentions les plus marquées , de ma
part , ne m'auroient pas procuré une lettre
plus charmante ! & j'aurois été privé
des reproches les plus obligeans & les
plus ingénieux que j'aurai jamais à recevoir
de vous : car il eft bien certain , que
je ne m'y expoferai plus. Ma conduite
à l'avenir , fera telle , qu'elle vous convaincra
que les droits de l'amour ne font
pas plus facrés pour moi , que ceux de l'a
mitié ? Si vous ne vous en repofiez pas
fur moi, vous pourriez vous en repofer fur
vous-même. Ne craignez donc point que
je regarde , comme une tracafferie de
votre part , tout ce que vous me dites fi
agréablement fur ma prétendue négli
gence. Vous ne vous attendez peut- être
pas , que j'en aye une à vous faire ? ..
Ce n'eft ni de ma part , ni de celle de
mon oncle : les marques de votre fouvenir
, lui ont caufé un tranfport de joie
B vi
36 MERCURE DE FRANCE.
qu'il fe réſerve à vous exprimer lui- même
: mais c'eft de la part de Madame de
S. Fargeol. Sans la fatigue du voyage , &
des fêtes , dont il lui faut quelque temps
pour ſe remettre , je ne me chargerois
pas d'être aujourd'hui fon interprête :
mais elle fe plaint de vous ; & je trouve ,
en effet , qu'elle a quelque lieu de s'en
plaindre . Le ton de votre lettre , en tout
ce qui la regarde , n'eft point , dit elle
celui auquel elle devoit s'attendre. Le
nom de Madame , l'offenfe , dans votre
bouche ; & elle penfe , que le fentiment
de refpect , ne peut fe mêler à celui d'attachement
, fans le refroidir. Vous lui
aviez promis d'être fon amie ; elle veut
être la vôtre ; elle le mérite : & quoiqu'elle
ne foit pas plus tracaffière que
vous , vous voilà pourtant une querelle
fur les bras. Mais , comme vous ne me
trahirez pas ; je puis vous dire , en confidence
, qu'il vous fera très - facile de terminer
ce procès à l'amiable.Je joins cette
lettre , à celle que j'ai l'honneur d'écrire.
à Madame la Comteffe votre tante , pour
lui faire mes excufes & mes remercîmens .
Comme je fçais que vous n'avez rien de
caché pour elle , & que j'efpére tout de
fes bontés ; je me flatte , qu'en vous la
remettant , elle voudra bien être la cauAVRIL.
1760. 37
tion de mes fentimens auprès de vous ;
& qu'avec une telle garantie , vous ne
douterez plus que je ne fois , pour tout le
temps de ma vie , bien fincèrement ,
Votre ami.
Quelques jours après la réception de
cette lettre , j'en reçus , en l'abſence de ma
tante & pour elle & pour moi , de M.
le Vicomte de T.... & de Madame de
S. Fargcol. Je rapporterai ici , feulement,
celle du Vicomte : il m'eft trop effentiel
qu'elle paroiffe , pour la fupprimer .
QUATORZIEME LETTRE ,
De Monfieur le Vicomte de T...
à Mademoiselle de Gondreville..
MADE ADEMOISELLE ,
Mon neveu vous a écrit, en arrivant ici ;
&je fais que ma nièce doit vous écrire aujourd'hui
. Je ne les ai chargés , ni l'un ni
l'autre, de vous faire de ma part , & à Mde
votre tante , les remercîmens que nous
vous devons tous ; parce que je n'ai pas
cru leurs complimens fuffifans , pour m'acquitter
de toute l'étendue de ma recon38
MERCURE DE FRANCE.
noiffance. Il en est une preuve , que jë :
mets toute mon ambition à vous donner
& qui part d'un fentiment que j'ai intérêt
de leur cacher . Je me fouviens de vous
avoir dit , Mademoiſelle , que je plaignois
M. de S. Fargeol d'avoir pris des engagemens
, qui devoient lui faire regrerter
de ne pouvoir vous appartenir. Je lui en
avois dit autant , avant que j'euffe l'hon--
neur de vous connoître , que par une de
vos lettres. Je me fuis bien confirmé dans
cette idée , depuis que je vous ai vue , &
connue plus particulièrement. Je ne fais
ce que c'eft que fineffe & détours ; & je
vais vous parler , avec la franchiſe d'un
vieux militaire , qui n'a jamais connu l'art
des déguiſemens & des manoeuvres. C'eſt
donc à vous-même , & à vous feule , que
je m'adreſſe , pour vous avouer ingénument
, que malgré mon âge , j'ai toujours
été exempt de grandes paffions : je n'en
ai du moins éprouvé qu'une , qui ne m'a
pas été fort heureuſe. Il y a toute apparence
, que mon étoile ne m'a procuré
l'honneur de vous connoître , que dans le
deffein de m'en corriger pour toujours.
Car enfin , Mademoiselle , je n'ai pu vous
voir , fans vous adorer. Vous avez fait
naître en moi des defirs , que l'âge n'avoir
éteints qu'à demi : votre état même, par
AVRIL. 1760.
donnez-le-moi , fembloit autorifer mes
efpérances. Il eft vrai , que la préſence de
mon neveu , & plus encore, un refte d'a
mour-propre , m'ont empêché de vous
déclarer mes fentimens , quoique j'aie
été fouvent tenté de le faire , à Straf→
bourg. Mais , à vous parler franchement ;
je fus alors fi frappé du ridicule de mes :
prétentions , que je n'ofai jamais vous en
faire l'aveu . Je comptois même les étouffer,
avec le fecours de votre abfence ; &
je ne m'expoferois pas à rougir ici , en
particulier, de mon extravagance , fi je ne
craignois en quelque façon , de manquer
à ce que je vous dois , en ne m'offrant
pas à vous comme un pis-aller , dont la
fortune peut au moins réparer les torts.
qu'elle a eus avec vous. Mais , comme il
convient que je vous aide moi - même à
prendre votre parti , en connoiffance de
cauſe ; je dois vous dire le bien & le mat
de l'offre que j'ofe vous faire . Il y a qua
rante ans , que je fers le Roi : jen ai cin
quante- quatre ; & je touche peut - être au
moment d'obtenir le grade de Lieutenant
général de fes armées . Je ne vous parle
point de ma figure , puifque vous la connoiffez
; elle n'eft plus faire pour réuffir
auprès des Dames. Vingt huit mille livres
de rente , dont je puis difpofer , avec
40 MERCURE DE FRANCE .
1
quelques bienfaits du Roi , font toute ma
fortune. Si un attachement bien tendre ,
& bien fincère , & des complaifances fans
bornes , peuvent encore entrer en ligne
de compte ; je . ne vous laifferai jamais
rien à defirer fur cet article. Et j'employerai
tous mes foins , & tout ce que je pofféde
, pendant le cours de ma vie , à affurer
le bonheur de la vôtre. Après cela ,
Mademoiſelle , je n'ai plus rien à vous
dire. Je dois feulement vous avertir , que
je ne fais point part de mes deffeins à
Madame la Comteffe votre tante , dans
la lettre que j'ai l'honneur de lui écrire :
je n'ai pas cru devoir m'en ouvrir à perfonne
, fans votre aveu. M. & Madame
de S. Fargeol , ignorent auffi mes intentions
; & je me flatte que vous jugerez
vous même , qu'il eft de la prudence qu'ils
n'en foient inftruits que par moi- même.
J'attends de vous , Mademoiſelle , une
réponſe franche & libre , pour remplir
mes devoirs à ces différens égards ; & je
fuis , en l'attendant , avec tous les fentimens
les plus refpectueux , & les plus
tendres ,
Mademoiſelle , Votre , &c.
Le Vicomte de T....
AVRIL. 1760. 41
J'avois eu le temps de lire mes lettres ,
avant que ma tante fût rentrée chez elle:
je fçus bon gré auVicomte d'avoir autorisé,
par fa défenſe, le filence que j'étois réfolue
de garder fur une propofition , à laquelle
je n'avois pas dû m'attendre , & qui méritoit
de férieufes réfléxions de ma part.
Je remis donc à ma tante les lettres que
j'avois reçues pour elle ; & ne lui fis part
que de celle de Madame de S. Fargeol.
Ce n'étoient que lettres de complimens ;
auxquelles nous répondîmes, comme je l'ai
déjà dit ici , fur le même ton. Je ne parle
point ici de quelques petits combats fecrets
, que ma raiſon eut àfoutenir, contre
mon amour- propre , & mon intérêt particulier
ma fituation pourroit les rendre
excuſables. Mais enfin , ma réponſe au
Vicomte , va faire connoître le parti
auquel je m'arrêtai .
QUINZIEME LETTRE ,
De Mademoiſelle de Gondreville , à M.
le Vicomte de T...
JEE commence , Monfieur , la réponſe
que je dois à la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire, par vous affurer
42 MERCURE DE FRANCE.
que rien en ma vie ne m'a tant flattée que
de recevoir , en particulier , une fi précieufe
marque de vos attentions & de vos
bontés. Moins j'avois de raifon de m'attendre
à l'honneur & aux avantages que
vous m'offrez , plus je dois en être pénétrée
de reconnoiffance. Mais puifque vous
exigez que ma franchiſe réponde à la
vôtre ; permettez-moi de vous faire part
de mes réfléxions fur la fuite des engagemens
que vous me propofez . Je ferai
vraie, dans tout ce que je vais vous dire.
Je trouve en vous , Monfieur , plus que je
n'ai jamais eſpéré ; je dis même , tout ce
que j'ai defiré que la fortune m'offrît pour
faire mon bonheur , & fatisfaire ma vanité.
Car , je dois vous l'avouer ; quoique
j'ignore dans quel fang j'ai puifé la nobleffe
des fentimens que je trouve dans
mon âme , jamais ils ne me permettront
de rien faire qui puiffe me reprocher de
Jes avoir avilis. Et ne feroit- ce pas les
étouffer , tout - à- fait , que de préférer
mon propre bonheur , à celui de deux
perfonnes auxquelles je dois toute, mon
eftime , toute ma confiance ; en un
mot, l'amitié la plus tendre ; & qui
font fi dignes de la vôtre? vous n'avez
pas befoin , Monfieur , que je la rappelle
dans votre coeur : les vertus de Monfieur
AVRIL. 1760.
& de Madame de S. Fargeol , feront plus
éloquentes auprès de vous, que je ne pourrois
l'être. Voudriez- vous que je m'expofalle
à perdre toute leur eftime , & fans
doute la vôtre , par un défaut de géné
rofi té , qui me feroit confentir à nuire à
leur fortune ? Non Monfieur : ce font vos
propre vertus , qui me répondroient de
de ma raifon , au défaut des miennes ; &
qui me répondent de la vôtre. Je ne vous
dirai rien de plus c'eft à cette raiſon ,
dont je vous parle , à faire le refte. J'en ai
fi bonne opinion , que je ne crains pas de
la troubler , en vous affurant d'un attachement
auffi tendre que durable ; & de
la reconnoiffance éternelle , que je conferverai
de vos bontés.
Je fuis , Monfieur ,
Votre &c.
P. S. Soyez affuré d'un fecret éternel .
J'ai le même intérêt que vous , Monfieur,
à le garder inviolablement .
Après avoir fait cette lettre , en particulier
; je répondis, ainfi que je viens de le
dire ,à Madame de S. Fargeol, & enfuite
à fon mari. Cette réponse au Comte , eft
relative à la lettre cottée n° . 13. dans ce
recueil. J'écrivis ces deux lettres , de concert
avec ma tante ; & comme elle igno44
MERCURE DE FRANCE.
roit que j'en euffe reçu une particuliere du
Vicomte , elle ſe chargea de mes complimens
pour lui . Ma raifon , qui étoit encore
altérée , lorfque j'écrivis à M. de S.
Fargeol après fon départ , s'étoit un peu
remife , en recevant fa réponſe ; & fur
tout-à-fait calmée , dès que j'eus pris le
parti d'écrire à fon oncle la lettre qu'on
vient de lire. Je ne fçais fi je me trompe ;
mais je penſe qu'une action généreuſe
refte rarement iſolée ; elle répare les forces
de notre âme , la remet dans une
affiette agréable , & tranquille : en un
mot , elle la rend capable d'entendre , &
de fuivre les confeils de la raison. C'eſt
du moins ce que j'éprouvai dans cette
délicate circonftance . Mon coeur ,
écrivant la lettre qui fuit , ne croyoit pas
même avoir encore à fe reprocher d'avoir
été occupé d'un autre fentiment , que de
celui de l'amitié .
AVRIL. 1760. 45
SEIZIEME LETTRE ,
De Mile de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
VOUS ous avez pris bien férieufement ;
Monfieur , ce que je vous avois écrit , fur
vos prétendus torts avec moi ; puifque
vous m'affurez que vous ne vous les pardonnerez
jamais . Il me fembloit vous
avoir dit affez nettement , que je ne favois
ce que je difois ; que je ne voulois ni
me plaindre , ni vous paroître tracaffière ,
pour vous prouver que le pardon de ces
torts imaginaires en avoit précédé le reproche?
'N'avois-je pas vû de quoi vous en juſtifier
, quand même ils euffent été réels ?
Je ne fuis point aveugle ; & je fuis encore
moins injuſte : ainfi , je vous confeille
d'être tranquille , & de vous épar
gner des remords , dont je fens que je
n'aurois aucun compte à vous tenir : car ,
fous le nom d'autrui , vous ufez de repréfailles
, pour me faire une vraie querelle
d'Allemand. Madame la Comteffe de S.
Fargeol , dont vous avez prétendu n'être
que l'interprète , m'a traitée plus douce
ment que vous ; & vous n'avez eu de rai26
MER CURE DE FRANCE.
fon , dans la véritable tracafferie que
vous avez pris fur vous de me faire , qu
lorfque vous m'avez avoué , qu'en trai
tant avec elle-même , ma paix fe feroi
aifément à l'amiable . Auſſi , n'ai- je poin
recours à vous , pour faire fentir à Madame
la Comteffe , que fi je ne l'ai pas
traitée dans la lettre que je vous ai écrite .
comme je le fais dans celle que je lui
adreffe ; c'eft que je ne voulois pas vous
admettre , fans fon aveu , dans les petits
mystères de notre amitié . Elle eft actuellement
maîtreffe du fecret de l'intelligence
que je fouhaite bien fincérement d'entretenir
avec elle ; & vous n'en faurez que
ce qu'elle voudra bien vous en dire. Ce
n'eft pas, je crois , vous punir bien févément
de la vengeance que vous avez imaginé
d'exercer contre moi , en me rendant
reproches pour reproches. Je conviens
, & vous devez convenir avec moi ,
qu'ils ne font guéres mieux fondés les uns
que les autres. Je crois , donc , que ce
que nous avons de mieux à faire , c'eft
de terminer nos débats par une amniſtie
générale . Ce n'eft pas que je croie avoir
befoin que vous me pardonniez : j'exige
feulement de vous , que vous ne vous
oppofiez point au pardon , que j'oſe me
flatter d'obtenir de Madame de S. Fargeol :
AVRIL. 1760. 47
ne vous en mêlez point, je vous prie. Je
m'en repofe entierement fur la bonté de
fon coeur. Obtenez,s'il ſe peut, pour vousmême
, qu'elle vous pardonne de l'avoir
faite plus méchante qu'elle n'eft ; & fi
vous avez befoin de mon entremiſe, pour
obtenir grace , je vous l'offre encore , ne
defirant rien tant que de voir régner la
paix & l'union entre les perfonnes du
monde que j'aime le plus. Je ne vous
charge de rien pour M. le Vicomte, votre
très -digne oncle : ma chere tante , doit
être l'interprête de mes fentimens pour
lui , & de la fincère reconnoiffance que
je conferverai éternellement de fes bon
tés.Il mérite bien tout l'amour que vous
lui portez. Servez-vous , je vous prie , de
la tendreffe qu'il a pour vous , pour me
conferverà moi-même quelque part dans
fon amitié ; & foyez affuré que rien n'eſt
fi conftant , ni plus inaltérable, que celle
avec laquelle je fuis.
Votre Amie
1
MERCURE DE FRANCE
DIX- SEPTIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
CESTA EST avec tant d'efprit , Mademoifelle
, & même avec tant d'avantage, que
vous vous tirez d'affaire , que nous nous
garderons bien , ma femme & moi , d'en
avoir déformais avec vous . Croiriez - vous,
que vous m'en avez prèfque faite une, avec
Madame de S. Fargeol ? Comme je n'ai
rien de caché pour elle , il a fallu qu'elle
vit la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire ; & peus'en eft auffi fallu ,
qu'elle ne m'ait férieuſement grondé ;
parce que n'étant point encore au fait des
plaifanteries françoifes , elle a tout de bon
imaginé que je vous l'avois dépeinte avec
un caractère de méchanceté , qui n'eft affûrement
pas le fien. Savez -vous bien ,
Mademoiselle , que j'ai eu befoin de toute
la tendreffe que vous lui marquez , dans
la lettre que vous lui avez écrite, pour aider
mon éloquence à lui faire entendre
raifon ? Ainfi , c'est encore à vous que je
dois la paix de mon ménage . Pour vous
prouver au refte qu'elle y eft bien rétablie,
( car
AVRIL 1760. 49
(car vous ne faites rien à detni ) je vais
vous faire part d'une condition fecrette ,
qu'elle a réſolu d'ajouter à notre traité ;
pour vous prouver, m'a - t- elle dit , qu'elle
n'eft pas auffi méchante que je vous l'at
faite mais il faut prendre la chofe de
plus loin. Madame de S. Fargeol , a un
frere au fervice de l'Empereur ; ce frere ,
qui fe nomme le Baron de Wonhotten ,
lui eft extrêmement cher ; & c'eſt en effet
un jeune cavalier des plus accomplis , que
j'aie connus en Allemagne . Dès le tems ou
j'époufai fa foeur , elle conçut le deffein
de l'attirer au fervice de France ; & je lui
fis même espérer d'y réuffir avec le temps ,
lorfque j'aurois eu moi-même la permiffion
de revoir ma patrie . Ce projet , dont
elle ne m'avoit point rappellé la mémoire ,'
depuis que nous fommes ici , lui eft revenu
tout -à- coup à l'efprit , & plus vivement
quejamais , en s'imaginant que vous pouviez
y entrer pour quelque chofe.
Eh bien , Monfieur ! m'a-t-elle dit
dans fon langage , ( qui a mille graces
pour moi , mais qui n'en auroit peut-être
pas autant pour vous. )
» Vous fouvenez - vous, de ce que vous
" m'avez promis pour mon frere ? Je veux
prouver à Mademoiſelle de Gondreville ,
que je ne fuis pas fi méchante que vous
39
I. Vol. C
fo MERCURE DE FRANCE.
(
>
le dites... Il faut abfolument que je la
» marie avec ce frère que j'aime. Ce fera
un prétexte de plus , & même un prétexte
infaillible, dès qu'il connoîtra Ma-
» demoiſelle de Gondreville , pour lui faire
abandonner , fans regret, les efpérances
qu'il peut avoir dans fa pattie. Voilà ,
Mademoiselle , ce qui a paffé par la tête
de ma femme : & je puis vous affurer
que le defir de cultiver votre amitié de
plus près , a plus de part à fon projet , que
tout autre intérêt particulier. Mais quelque
flatteur que dût être pour moi le fuccès
de cette affaire , puifqu'il me procureroit
le bonheur de vivre avec vous ; je
vous avouerai avec franchiſe , que j'y vois
une difficulté , que votre propre intérêt.
me fait croire infurmontable : notre jeune
Baron, eft précisément dans le cas de M.
de la R. T. dont je vous ai parlé dans mes
précédentes lettres . Il eft affurément d'une
très-bonne maiſon , dont les preuves ont
été plus d'une fois admifes dans l'Ordre
Teutonique ; mais il eft cadet de trois.
frères ; & fi nous le dépaïfons , comme:
je l'efpere , il n'aura, en arrivant ici , que
ce qu'on appelle la cape & l'épée. Madame
de S. Fargeol , eft encore dans cet âge
où l'onfe perfuade que rien ne doit jamais.
manquer au bonheur de deux perfonnes
AVRIL 1760 . 51
qui s'aiment. Paffez-lui , je vous prie , cet
innocent préjugé , en faveur de l'amitié ,
qui feule lui a fait illufion. Vous fentez
bien que je n'ai pas ofé lui faire part des
réfléxions que je vous confie ; je les infinuerai
dans le temps, s'il en eft befoin . En
attendant, Mademoiſelle , je laiffe à votre
prudence à vous retrancher dans la réponfe
que vous voudrez bien me faire ,
fur la grande jeuneffe du Baron ; qui , en
effet , n'a tout au plus que votre âge.
Mon oncle a reçû les complimens que
je lui ai faits de votre part , avec une
fenfibilité fingulière ; il a voulu les lire
lui- même , dans votre Lettre ; & comme
nous étions feuls alors , il n'a pu s'empêcher
de s'écrier : » Non , mon cher
» neveu ! tu n'as jamais bien connu tout
» le mérite de Mademoiſelle de Gondre-
» ville : elle n'a peut-être pas fa pareille
au monde ! & il n'y a perfonne que
» j'admire , & que je refpecte autant....
Sçavez- vous bien , Mademoiſelle , qu'à la
façon dont je vois le Vicomte s'affecter
en toute occafion pour vous , je ne fçais
jufqu'où cela pourroit aller ? Plût au Ciel,
que je fuffe bon Prophète je ne vous
ferois pas faire alors autant de réfléxions
que je viens de vous en communiquer , au
fujet de mon jeune beau- frere ; & je me
Cij
12 MERCURE DE FRANCE.
contenterois de vous dire : C'est le fort,
de mon fang de s'enflamer pour vous !
Je ne fçais fi vous me pardonnerez cette
extravagance : mais je fçais que Madame
de S. Fargeol me la pardonneroit ; & tout
de bon , il n'y a rien de trop , pour quelqu'un
qui eft , comme je le fuis ,
Votre ami.
DIX HUITIEME LETTRE ,
De Mademoiselle de Gondreville , à
M. le Comte de S. Fargeol.
Vous me dites tant de chofes agréables
, Monfieur , dans la lettre que je
viens de recevoir de vous , que je ne ſçais
par où m'y prendre, pour y répondre.; ni
quel ordre je dois fuivre , dans la confufion
des idées que vous me faites naître .
Je vois , d'un côté, des actions de graces à
vous rendre , ainfi qu'à Madame la Comteffe
de S. Fargeol ; d'un autre , des railleries
, mais obligeantes à repouffer . Je
vous vois faire ici des réfléxions fenfées
tandis que vous en omettez d'effentielles :
enfin vous tendez des piéges à ma raiſon ;
& vous me dites , froidement , que vous
vous garderiez bien de me donner des
fecours pour les éviter. Je ne vous dis
AVRIL. 1760. 53
rien , de votre galante citation d'Opéra :
car je fçais , fans l'avoir vû , qu'on n'en
peut citer que des chansons . Je vais , cependant
, effayer de me tirer d'embarras ; &
il me fuffira , pour en venir à bout , de
porter toute mon attention aux bontés
de Madame la Comteffe de S. Fargeol ,
dont je fuis véritablement pénétrée . Il
eft vrai , que la jeuneffe de Monfieur fon
frere , feroit un obftacle auprès de moi ,
pour tout autre que pour lui : mais ni fon
âge , ni fa fortune , n'auroient la force de
m'arrêter dans le defir de vous apparte
nir à l'un & à l'autre , fi je ne l'étois par
une raifon plus férieufe : c'eft celle ,
Monfieur , que je vous accufe d'avoir obmife.
Il n'eft pas ici queftion du peu de
fortune que je pourrois porter à M. Wonhotten
; ce qui eft cependant un article ,
qui doit lui être fort effentiel. Voici
Monfieur , le véritable obftacle. Si votre
amitié pour moi, a pu vous le cacher ; les
égards , que vous devez à Madame de S.
Fargeol , & la connoiffance que vous avez
de mes fentimens , devoient vous le faire
appercevoir. Il n'eft pas poffible que vous
ne fâchiez , auffi bien que moi , quelle eft
la délicateffe très -raifonnable de nos Cavaliers
Allemands, en fait d'alliance . Une
naiffance équivoque , porte un coup irré-
Cij
34 MERCURE DE FRANCE.
parable fur toute leur poftérité. Quels
reproches , la fienne, & fes parens , n'au
roient-ils pas à lui faire? Quels reproches
ne me ferois-je pas à moi - même , fi j'acceptois
un honneur , auquel les malheurs
de ma naiffance ne me permettent pas
d'afpirer ? & qui leur deviendroit à tous fi
funefte ... Quoi je ne porterois en dot, à
M. Wonhotten , que la trifte exclufion de
l'entrée dans les Chapitres , dans les Or
dres , & peut-être dans toutes les Cours
d'Allemagne , pour tous ceux qui pourroient
defcendre de nous ! tandis que fes
neveux en feroient la gloire & l'orne
ment ! .Non, non; j'en partagerois trop vivement
l'humiliation , pour pouvoir jamais.
confentir d'en être la fource... Voilà, Monfieur
, ce que la confiance que vous devez
avoir dans ma façon de penfer ( puiſque.
vous êtes mon ami ) voilà même , je crois
pouvoir le dire,ce que l'amitié dont Madame
la Comteffe de Saint Fargeol m'honore,
devoit vous infpirer de lui dire , & de
m'épargner. Mais je ne veux point vous
le reprocher ; & je vous avoue , que j'aime
mieux qu'elle doive ces triftes vérités à
ma franchife , qu'à ce que vous auriez pu
regarder comme une indifcrétion de votre
part . N'en parlons donc plus : je fuis en
vérité très contente que vous ne m'ayez
point envié l'éclairciffement de ce myf
AVRIL. 1760.
re
tère : je ne me repentirai jamais de le lui
avoir révélé , s'il ne refroidit point l'amitié
qu'elle m'a jurée. Je ne vous répondrai
pas férieufement fur la plaifanterie
que vous me faites , par rapport à
l'intérêt que M. le Vicomte daigne prendre
à moi. J'en fuis plus reconnoiffante ,
que je ne puis vous le dire. Affurez - le ,
je vous prie , ce cher oncle , & Madame
la Comteffe de S. Fargeol , de tout mon
refpect & de tout mon attachement ; &
foyez perfuadé , que fi tout votre fang
s'enflame pour moi ; je le lui rends bien ,
à ma façon. Tout ce qui vous appartient ,
fera éternellement ce que j'aurai de plus
cher au monde : je n'en exclus pas même
M. votre beau - frère. Après ce que je
viens de vous dire , je le verrai ici non
feulement fans danger , mais même avec
bien du plaifir, Bon foir... Je fuis , pour
toujours ,
Votre amie.
Je reçûs , quelques jours après , deux
lettres , l'une du Comte , l'autre de fon
oncle. Comme cette dernière , m'intéreffoit
moins , je lus d'abord celle de M. de
S. Fargeol , & enfuite celle du Vicomte.
Je les range ici , dans le même ordre
pour mettre le Lecteur mieux au fait des
impreffions qu'elles ont dû me faire.
( La fuite , au Mercure prochain . )
Civ
58 MERCURE DE FRANCE.
LES ZÉPHIRS , ET LE ROSIER,
FABLE.
DEUX Zéphirs , chantoient leurs plaifirs
Si l'un , craignoit de les attendre ;
L'autre , plus délicat , plus tendre ,
Sentoit tout le prix des defirs.
Voyons , d'un amoureux délire ,
Qui de nous va jouir le mieux ?
( Dit le premier ) un doux parfum m'attire :
Ce beau Rofier flatte mes voeux ...
Il cueille ; fent ; quitte une rofe ;
En cueille une autre... Et fe repoſe.
Plus heureux , quoique moins actif ,
Le Zéphire contemplatif,"
D'une Rofe fraîche , brillante ,
Admiroit la robe éclatante.
Sans fe preffer de la cueillir.
Pourquoi , dit-il , me hâter de jouir
D'un bien , où fans ceffe j'afpire ? ..
Source de ma félicité !
Quand j'y trouve la volupté ;
Pourquoi rifquer , de la détruire ?
Par Madame D****.
AVRIL. 1760. 57
ADIEUX A
MEUDON .
EPITRE ,
A Madame la Marquise
d'Assy ...
ADIEU, DIEU , le Château de Meudon ,
Adieu, fes bofquets , leurs ombrages ,
Son parc , fes vignes , fes bocages ,
Sa terraffe , & tout le canton !
Adieu , ces vallons fi champêtres ,
La Se ne , & les bords efcarpés ,
Nos promenades fcus les hêtres ,
Nos entretiens , & nos foupés!
Adieu, fon charmant voisinage ,,
Son petit bois , peu fréquenté ,
Ses eaux , fon afpect enchanté ,
Le roffignol & fon ramage ,
Les jeunes beautés du village ,
Leurs moeurs , & leur fimplicité..
Qué je regrette cerafyle ! ...
Ne pourrai-je y vivre toujours ,.
Libre , fatisfait , & tranquille,
Loin du fracas , loin de la ville ,
Entre Bacchus & les amours ?
Lieu charmant ! féjour folitaire ,,
Où j'ai rencontré le bonheur ;
Heureux , chez toi , qui fçait ſe plaires,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Qui , dans le vuide de fon coeur ,
S'il trouve une tendre bergère ,
L'aime , l'adore fans mystère ,
Et jouit du bien enchanteur
Et d'en recevoir , & d'en faire !
Qui , rappellé dans fon jardin ,
Dès que l'aurore le réveille ,
Dans la faifon du dieu du vin ,
Choifit le mufcat fur la treille ,
Ou cueille une pêche vermeille ,
Qu'il lui préfente , de fa main !
Qui , loin d'un Cenfeur trop févère ,
Peut penfer , & vivre en ce lieu ,
Avec Montagne , la Bruyère ,
Epicure , Loke , Voltaire ,
Lucrèce , Bayle , & Montefquieu !
Que trouve-t-on , dans le grand monde ,.
Qui puiffe égaler ces plaifirs ?
Des jours fâcheux , d'ardens defirs ,
Que jamais le fort ne feconde ;
Des amis faux , des coeurs ingrats ,
Des femmes fans moeurs , & fans honte ,
Des fots , d'illuftres fcélérats ,
Dont les Grands tiennent plus de compte,
Que des fentimens délicats,
D'un honnête homme , qui fe monte
Au ton des vertus qu'ils n'ont pas ?
Comment , dans cette Ville immenfe,
Où les vices ont tant d'attraits,
AVRIL. 1760.
$9
Voir , de l'ail de l'in différence ,
Ces vils mortels , ces gens abjets ,
Qui fans mérite , & fans naiffance ,
Tarés ,noircis par mille traits ,
Se font gloire d'une
opulence ,
Qu'ils ne doivent qu'à leurs forfaits 3 '
Comment fupporter
l'impudence ,
Le ton , les airs , & les fuccès ,
De ces Nymphes fans
bienféance ,
Dont on blâme en vain les excès
Comment le faire aux petiteffes
Des gens , qu'on encenfe
aujourd'hui ?
S'humilier fous leurs careffes ,
Souffrir tout d'eux , jufqu'à l'ennui ?.
Ira- t-on , efclave infenfible ,
Aux dégoûts où l'on le foumet,
•
Sous un maintien prèſqu'impoſſibles ,
Attendre dans fon cabinet ,.
vifible ?
Un Magiftrat... un fréluquer ,
Qui , de l'emploi le moins pénible ,
Se délaffant fur fon chevet ,
Vous fait dire , par fon valer ,
Que Monfeigneur , n'eſt pas
Ira-t- on , dégradant l'honneur , ‚'
Et s'élevant par la baffeffe ,
Louer quelque plate Grandeur ;
Et pour fe faire un Protecteur ,
Lui vendre ou fa foeur ,ou fa niéce ?...
C.vj
60 MERCURE DE FRANCE
Si la fortune , eft à ce prix ;
Si c'eft ainfi , qu'on la courtife ;
Adieu , Meffieurs fes favoris :
Ainfi que vous , je la mépriſe.
Chère indolence ! calme heureux
Douce obfcurité que j'implore ;
Biens , où ſe bornent tous mes voeux
Vous êtes les Dieux que j'adore ,
Mon folcil levant , mon aurore ,
Mes vrais délices en tous lieux !
Sans foucis , fans inquiétude,
Je vois s'écouler mon printemps :
Par vous , j'aime la folitude ;
Par vous je m'adonne à l'étude ;
Et j'embellis tous mes inftans !
J'ai fçû renoncer , dès longtems
Et me fouftraire au vil uſage ,
De prodiguer un fade encens
A ceux que l'on rend infolens..
Je dors en paix , je vis en fage ;
Je ne fais point ma cour aux Grands
Ifolé , dans mon hermitage ,
J'ai des jours purs , & fans orage ,
Des plaifirs moins vifs , mais conftans ,
Dont la raiſon fait l'affemblage.
Là , je m'éfforce , à chaque inſtant ,
AVRIL 1760. 61
D'oublier toutes mes folies ;
De me garder du coeur méchant ,
De méprifer les perfidies
De ceux que j'ai cru mes amis ,
De vingt beautés que j'ai chéries ,
Et des ingrats que j'ai fervis !
De l'oeil de la Philofophie ,
Je vois mes dons , & mes bienfaits :
Les hommes , ne font point parfaits :
Il faut refpecter leur manie ,
Les plaindre , & haïr leurs forfaits .
Il vaut mieux faire , dans la vie ,
Mille ingrats , dont la langue impie
Vous lance encor cent mauvais traits ,
Que de fouffrir , dans la mifère ,
Dans l'opprobre & la pauvreté ,
Un mortel , que l'humanité
Rend votre égal , & votre frère.
Puiffent les Dieux , me préſerver
Du vice de l'ingratitude !
Puiffé-je , mettre mon étude ,
A m'en défendre , & m'en fauver !
Par une conduite auffi fage ,
Je jouirai , dans mes vieux ans ,
Du rare & fuprême avantage
D'avoir encor d'he reux momens !
Et lorsque la parque homicide ,
62 MERCURE DE FRANCE
Aura réfolu mon deſtin ;
Je verrai la mort qui là guide ,
Er fans remords , & fans chagrin ,
Moiſſonner , de ſa faulx (anglante
Ces jours de trifteffe & d'ennuis ,
Où l'âme foible, & languiffante,
Perdant fa force & fes efprits ,
Meurt , pour renaître triomphante ;
Er fort du monde , avec mépris .
ΕΝΤΟΙ.
CISTY EST Vous , Eglé , qui m'ïnſpirez ;
Et c'eſt à vous , que j'adreffe ces rimes :
Dans votre coeur , j'ai puifé ces maximes ;
Car , quoique belle , vous pensez
Auprès de vous , ce ton frivole ,
Que prend un fat présomptueux,
Pour paroître aimable à vos yeux ,
N'eft qu'un faux brillant qui s'envole ,
Avec fon babilennuyeux..
Le vrai bon lens , & la Philofophie ,
Sans amertume , & fans auſtérité,,
Font la bafe de votre vie.
Sous les accords de la gaîté ,
La Rai on , en fait l'harmonie ;
Et la Vertu , la Volupté.
Par M. DU VERGER, DE S. ETIENNE , Gentilhomme
ordinaire de S. M. le Roide Pologne,
Duc de Lorraine.
AVRIL. 1760. 65
EPITRE de M. Sabatier , à M. Dorat ;;
fur fa Tragédie , de Zulica.
POURQUquor te plaindre , ami , de tes foibles
Cenfeurs ?
Ne crois pas que ta gloire en puiffe être obfcurcie..
Tu devrois t'applaudir de leurs vaines clameurs ::
Le dépit des jaloux , eft l'encens du génie,
Momus , pour levenger desyeux qui l'ont furpris,.
Critique , en ſoupirant , les traits de Cythérée.
Par les mortels qu'elle a fouais ,
On voit la beauté cenfurée ;
Et les plus fublimes écrits ,
Dans leurs admirateurs , trouvent des ennemis.
Sans pouvoir fixer les ſuffrages ,
Souvent on règne fur le coeur :
Pour en fufpendre les hommages ,
L'efprit vient le tromper , en adroit impoſteur.
Sur les tranſports qu'éprouve l'âme ,
D'abord il cherche à réfléchir ;
Il differre , il condamne , il blâme
La caufe même du plaifir.
C'eft en vain que le beau nous féduit , nous
entraîne :
Son orgueil s'arme , il le déchaîne ,
Et veut juger la loi qui nous force à fléchir.
La gloire , pour hâter les progrès du génie ,
64 MERCURE DE FRANCE.
-
Ne lui pro ligue point de tranquilles faveurs
Et lorfque fur fes pas elle attache l'Envie ,
Il vole à de plus grands honneurs.
Attentive à flatter une ardeur inquiétte ,
Dans les coeurs des mortels , qu'elle veut attirer
Ainfi qu'une amante coquette ,
Au ſein du bonheur même , elle fait defirer.
Le talent brille en ton ouvrage ;
Melpomène , fourit à tes premiers travaux :
Si je ne ferme point mes yeux fur les défauts,
C'eſt pour exciter ton courage
A triompher de tes rivaux.
Redoute des flatteurs la voix enchantereffe ;
Elle égare , & retient le génie endormi.
Souvent , la main qui nous careffe ,
Tend les piéges d'un ennemi.
Une louange fimple , au fuccès affortie ,
Eft le mets de l'efprit , par le goût apprêté :
Elle eft la céleste ambroisie ,
Qui donne l'immortalité.
AVRIL 1760. ક
LES GNOMES EXILÉS.
Stulta eft clementia cum tot ubique
Vatibus occurras , perituræ parcere charta .
LE
Juvenal. Sat. I.
E monde eft menacé des maux les
plus affreux ! .. Les Dames ne doivent plus
attribuer la perte de leurs chiens, à la négligence
de leurs domeftiques. Que le
beau fexe n'attende qu'ennui , & que va→
peurs . Qu'un Abbé, quia laiffé , en fe couchant
, fa toilette & fes romans dans le.
meilleur ordre , n'efpere plus retrouver
cette moitié de lui - même comme il l'a
laiffée fes rabats les mieux préparés par
des mains fçavantes en cet art , ne feront
plus que de triſtes chiffons.
Quelle est donc , dites-vous , la cauſe
de ces malheurs ? à quoi les attribuer ?..A
quoi ? aux Auteurs modernes. Bon Dieu !
que nous contez- vous là ? La vérité . Je ne
vous entends point. Je le crois : à peine ,
je le conçois moi-même !
Je rêvois feul , dans mon cabinet , lorfque
j'entends des voix plaintives : ah , je
n'en puis plus ! je fuis affommé. Traitre !
que t'avois-je fait ? Je prête une oreille
66 MERCURE DE FRANCE.
attentive de nouvelles plaintes fe font
entendre. Je fuis furpris de ne rien voir :
je regarde partout ; je cherche partout
le malheureux : je ne trouve rien ; & je
m'effraye de n'avoir rien trouvé.
J'allois me remettre à rêver, en atten
dant le dénouement de cette avanture ;
Forfque le plancher s'ouvre , & laiffe voir
une foule de petits hommes ,femblables à
ceux qui vouloient attacher Hercule endormi.
A l'exemple du fils d'Alcmène ,
j'allois m'armer pour leur perte, craignant
qu'ils ne confpiraffent la mienne ; lorfque
celui qui étoit à la tête,me tendit la main ,
en figne d'amitié, avec des démonſtrations
d'un homme qui ne cherche que la paix..
Je le reçus auffi poliment que put me
permettre la furpriſe dans laquelle m'avoit
jetté cette rencontre...je lui demande
qui il eft & ce que c'eft que toute cette
multitude ?.. Mon nom , dit- il, eft Schiariel;
je fuis le chef des Gnomes infortunés , qui
ont été chaffés du centre de la terre : ce
font eux que vous voyez . Malheureux que
nous fommes ! Quels climats allons- nous
habiter , après avoir été obligés d'abandonner
un pays habité par nos ancêtres ,
depuis tant de fiécles &
Le Gnome , à ces mots , laiffa couler
quelques larmes , qu'il ne put retenir. Je
AVRIL 17.60. 69
le priai de modérer fon affliction , & de
me faire part des malheurs qui la caufoient.
Il confentit à me l'apprendre. Je
n'ai rien changé à la narration de Schiariel;
je ne fais que lui prêter ma plume.
Nos ayeux , dit le Gnome, fatigués de
n'avoir d'autre occupation dans votre
monde , que de brifer des porcelaines &
des magots, de ruiner des Petits Maîtres,
pour enrichir des Actrices , & de faire
cent autres efpiégleries qui leur avoient
donné affez mauvaiſe réputation ; cherchèrent
un endroit où ils puffent couler
leurs jours en repos . Le royaume de l'oubli
, qui étoit au centre de la terre , leur
parut propre à ce deffein. Ils y vieillirent
avec tranquillité ; & le monde , que
leur malice ne troubloit plus , ne s'en
trouva que mieux.
Plufieurs générations s'écoulèrent, avce
le même bonheur. Mais notre fituation
nous expofoit à recevoir , de temps en
temps , d'énormes maffes , appellées productions
des Auteurs , qui étoient préci
pitées & oubliées auffitôt après leur naiffance;&
qui étoient entraînées chez nous,
par leur propre poids.
Meffieurs Volfius , Baldus , Graphe
rius , & d'autres fçavans en us, affommèzent,
en tombant, une troupe de Gnomes,
68
MERCURE DE FRANCE. -
qui jouoient fans fonger à eux . On pleura
ces
infortunés ; & on rangea où l'on put,
les
monftrueux volumes qui venoient de
caufer ce malheur.
regne de
De Baif, du Bartas , Jodelle, & prèfque
tous leurs
contemporains , nous cauferent
de nouveaux fujets de larmes : il
fallut encore les ranger auprès des autres.
Les Auteurs, du régne de Louis XIII ,
& ceux du
commencement du
Louis XIV , n'étoient pas faits
confoler. Douze fois douze cens vers ,
pour nous
tombés à la fois ,
affommerent bien des
Gnomes , &
occuperent une place immenfe
! Les admirateurs d'une fi déteftable
fécondité , vinrent auffitôt leur tenir
compagnie ; & de tous les freres de la
Pucelle , aucun ne put refter en votre
monde , que l'amant infortuné de la Ducheffe
d'Irton .
Le
redoutable Boileau,
pourſuivoit alors
quiconque ofoit paroître fur les rangs ,
fans le caractère facré des enfans d'Apollon.
Peu s'en fallut, qu'il
n'exterminât
la ráce gnomique , par les Auteurs peſans
qu'il fit
trébucher dans notre
royaume.
Lui-même y laiffa tomber
l'Equivoque , &
des odes , qui nous
glacèrent..
On craignit
l'anéantiffement de notre
Nation : Molière , Racine ,
Corneille , &
AVRIL. 1760 . 69
la plupart des illuftres Auteurs du fiécle
heureux, qu'on a appellé celui d'Augufte,
nous raffurèrent : il ne tomba que peu
de choſe ; & nous reftâmes tranquilles
pendant quelque temps.
Ces jours heureux, pafferent trop vite !
Le Dieu du Pinde , irrité de ce que quelques
jeunes & étourdis de Gnomes échapés
de notre pays , avoient caffé en fe jouant
quelques cordes de fa lyre , nous accabla
de nouveau. Notre nation ,diminuoit tous
les jours les plus habiles de nos citoyens,
furent d'avis de faire un tuyau ſemblable
à un entonnoir , dont le haut répondroit
au pied du Parnaffe , & l'extrémité inférieure
à une place qu'on laifferoit vuide ;
& de fermer toute autre avenuë.
Cet expédient, empêcha notre ruine : à
mefure qu'un ouvrage tomboit, on le
portoit
dans les galleries qui étoient deftinées
à les recevoir. Bientôt, prèfque tour.
notre royaume ne fut plus qu'en galleries
: on ne fçavoit plus où rien ranger :
Romans , Piéces dramatiques , Mufique ,
Ouvrage de toutes les façons , vers, profe,
tout tomboit en foule. Les noms de ces
infortunés , ont péri avec eux. Tout étoit
rempli.
Il fallut fe ferrer, s'entaffer, pour loger
les nouveaux venus. Mais enfin , il nous
70 MERCURE DE FRANCE.
en vint tant , & de tant de façons , que
notre Royaume n'étant pas affez fpacieux
pour contenir toute cette multitude
; on fut obligé de faire fortir les
anciens habitans , pour leur faire place.
Nous fommes ces malheureux exilés ! &
c'eft là ce qui fait le fujet de nos plaintes,
& des gémiſſemens que vous venez d'entendre.
Nous avons été affommés , en
grimpant par le tuyau : j'ai les os brifés ,
au , peu s'en faut , pour avoir été, heurté au
paffage, par l'époufe de **** . Tous mes
compagnons, ne font pas moins maltraités.
Mais nous nous vengerons de notre exil &
de nos peines , fut tout ce que nous toucherons;
tout fera bouleversé, & dérangé :
un Petit- Maître , qui voudra faire l'agréable
, croyant prendre une bourſe,à la
Mahon , fe coeffera d'une cornette ; &
une Actrice , fe verra abandonnée de fes
amans , fans pouvoir en ruiner un feul.
• Le Gnome finiffoit ; lorfqu'un garçon
Libraire entra. Il ne vit point les citoyens
du centre de la terre. Il laiffa un paquet;
& s'en alla .
Les Gnomes , fort curieux de leur naturel,
ouvrirent auffitôt le paquet ... La
brochure étoit déja partie , pour l'entonnoir.
Un autre Gnome , s'empreffant de
mettre le nez dans le paquet , laiſſa
AVRIL. 1760. 71
tomber un livre fur le corps de fon voifin...
ah , je fuis mort Maudits foient
les Auteurs !
Apollon entra, dans ce moment , affez
mal fagoté. Il nous promit, qu'il n'enverroit
plus tant de monde là - bas ; & nous dit,
qu'il avoit mis la Parodie à l'entrée du
Parnaffe , qui empêcheroit tout téméraire
d'y monter fans avoir confulté les forces.
On ne put s'empêcher de lui demander ,
d'où il venoit avec un tel habillement ? De
l'Opéra-Comique , répondit- il , où j'ai été
applaudi par un Public judicieux. La fatigue
que m'a donnée la féparation des
mauvais ouvrages , d'avec ceux qui font
dignes de paffer à la Poftérité , m'a réduit
en cet équipage.
Apollon parloit encore ; lorfque les
Gnomes difparurent. Leur Chef Schiariel
me dit , qu'ils alloient faire tout le mal
qu'il leur feroit poffible dans le monde ;
& faivre leurs anciennes inclinations.
Le trou du plancher fe ferma , Apollon
diſparut. Je reftai feul à déplorer tous
les malheurs qui menacent les ruelles ,
les toilettes , le féxe , les Abbés , les Petits-
Maîtres , & tout ce qu'on appelle au
jourd'hui gens d'efprit , &du bel air.
2 MERCURE DE FRANCE.
A Mlle de B *** la cadetit, en lui renvoyant
la Comédie , où elle avoit joué
le rôle de Zénéïde.
RICEVEZ , VEZ , belle Adélaïde ,
Les fincères remercimens
D'un jeune homme , à qui Zénéïde
A fait paffer les plus jolis momens...
Que le coeur gagne à fa lecture !
Que fon Auteur eſt un eſprit charmant !
C'eſt l'organe de la Nature ,
Et le peintre du fentiment .
Mais il plaît , cent fois davantage ,
A qui connoît cette ingénuité ,
Cette aimable vivacité ,
Dont vous embéliffez encore fon ouvrage.
Vous infpirez , au ſpectateur heureux ,
Cette agitation tendre , & délicieuſe ,
Qu'expriment vos difcours , qui parle dans vos
yeux :
Ilfuit , avec tranſport , une erreur fi flatteuſe ;
Loin de craindre l'Amour , il adore fes coups :
Il foupire , il s'enflâme , il brûle ; c'est pour vous.
Que Zénéïde , après , doit être intéreflante !
Ce trait charmant , qu'on porte dans le coeur ,
Donne , à ce qu'elle dit , une grace touchante ;
Ов
AVRIL. 1760. 73
On croit entendre fon vainqueur.
On la relit vingt fois , pour combler fon bonheur:
Elle eſt toujours plus féduifante.
Par M. GELHAY .
ENIGME , EN CHANSON.
AIR: du Confiteor.
COMPAGN OMPAGNON des enfans de Mars ,
Né pour affermir leur courage ;
Comme eux , j'affronte les haſards ;
Comme eux , au péril je m'engage :
Et dans ce redoutable emploi ,
Jamais je ne connus l'éffroi .
AIR : De tous les Capucins du monde,
Aux complots d'un injufte pere,
C'est mon organe tutélaire
Qui déroba Jupin naiſſant ;
Après qu'une tremblante mère,
Eut caché le céleste enfant ,
Au fein d'un rocher folitaire .
AIR : Du Prevôt des Marchands.
Vous , dont ma voix, dans les combats,
Regle les coups , conduit les pas ;
Malgré le ferment qui nous lie ,
Fuyez-vous en d'autres climats ;
D
74 MERCURE
DE FRANCE
.
Condamnés à perdrela vie ,
C'eſt moi , qui vous mène au trépas.
AIR : Pourpaffer doucement la vie.
Mon pere eft facile à connoître ;
L'en prend communément fon nom
Quand on veut défigner un être
Qui n'a ni rime , ni raiſon.
AIR: Des folies d'Espagne.
Jadis auprès dun bufte ridicule
J'accompagnois de mes pompeux accens ,
L'hommage vain , qu'un Peuple trop crédule ;
Couroit offrir à des Dieux impuiffans
AIR : Non ,je ne ferai pas &c. "
Placé fur un terrein que le Guerrier ſoupçonne ;
Dans ce pofte douteux,fije tremble ou bourdonne,
Sauvons-nous ; , un tombeau fe creuſe ſous nos pas!
Cet oracle eft plus fûr que celui de Calchas.
Même Air,
A me perfécuter , le fort s'opiniâtre :
J'ai beau merendre utile; on fe plaît à me battre .
Le Maitre que je lers , eft un Maître inhumain ,
Qui me traite toujours le bâton à la main.
Il fervoit anciennement au culte des Idôles.
BLANDUREL DE SAINT JUST.
AVRIL 1760. 75
LE mot de la première Enigme , du
Mercure précédent , eft Oeuf. Celui de
la feconde , eft , Bourdalouë.
Le mot du premier Logogryphe , eft ,
Dauphine ; dans lequel on trouve , Pan ,
Diane , haine , Daphné , Ida , nid , Ladiane
, épi , Pin , Dauphine , Eu , han ,
Die , Dina , Dan , pain , Jude , adieu ,
pied , Eau , Pie .
Celui du fecond Logogryphe , eſt ,
Delphinus ; où l'on trouve , Jefu , Deus,
Pindus , Delphi , dolus , Delius , Nilus,
Indus , Ilus , Linus , Lepidus Edui ,
Seduni ( Sion ) Elis , Heli , Deli , Pius ,
Linus ( Papa Secondus ) Pelius.
ENIGM E.
L'HOMM
"
'HOMME , naît avec moi ; fans lui , je ne ſuis
rien .
A la Ville , à la Cour , je fuis très - néceffaire ;
Et l'on fe fert de moi dans mainte & mainte affaire,
De laquelle fouvent je fais tout le foutien.
L'Labile Magiſtrar , le fage Miniſtère ,
Le Clergé , le Public , ont tous recours à moi ;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Tour l'Univers enfin , fe range fous ma loi..
L'amant prudent , l'amant fincère ,
N'auroit pas raifon à Cythère ,
S'il ne reconnoiffoit mon immuable foi.
Par M. de V.
LOGOGRYPHE.
CHEF HEF D'OEUVRE d'Iphicrate ,& d'Epaminondas,
C'eftpar moi que Gonfalve*a marché fur leurs pas.
Si dans un autre fens quelqu'un veut me connoître;
Au Louvre , mieux qu'ailleurs , il peut me voir paroître.
Mais , Lecteur , pour venir à la déduction
Des mors que je produis , par ma diſſection ;
Cherche un Navigateur , un parent , une Ville,
Où Marcellus parut auffi brave qu'habile ;
Ce qu'Achille prenoit du célèbre Chiron ,
Et que donnoit Polybe au jeune Scipion.
Un jour très-folemnel ; ce fameux Patriarche ,
Préfervé du déluge , à la faveur de l'Arche ;
Un illuftre guerrier , & dont Artaxerxès ,
Au grand Agéfilas , oppofa les fuccès ;
Ce que , pour être femme , une fille defire . .....
C'eft affez : finiffons : il ne faut pas tout dire.
-*
Surnommé le Grand Capitaine : c'eft le Turenne
des Efpagnols.
Par M. DE LANEVERE , ancien Mousquetaire
du Roi , à Dax le …… ..
*
....
AVRIL. 1760. ブブ
AUTR E.
DEPU EPUIS longtems tu m'abandonnes ,
Cher Lecteur ! quoique , tous les jours ,
Ayec agrément tu moiffonnes
Les fruits de mon ancien fecours.
Piqué de cette létargie ,
Je cherche encor à fixer tes regards.
Prends donc mes huit membres épars
Range-les à ta fantaiſie,
Ils t'offriront un de ces jeux ,
Où le coup d'oeil & la jufteffe ,
*
Ont peut- être , au gré de tes voeux ,
Plus d'une fois couronne ton adreffe.
Tantôt , couru par la jeuneſſe .
De mes plaiſirs tumultueux ,
Je fçais lui prodiguer l'ivreſſe.
Tantôt , à peine fuis - je né ,
Que de ma voix , l'indifcrette indécence,,
Fait foudain , fuivant l'occurrence ,
Rire ou rougir tout un cercle étonné.
Ici , victime de l'Envie ,
Je fus , hélas ! affaffiné:
Là, jadis , à mon culte impie,
Je vis maint autel deſtiné .
Je tiens mon rang dans la Mufique.
Je me fuis aufi , fans façon ,
Dij
78. MERCURE DE FRANCE.
Faufilé dans l'art Héraldique.
Tantôt , je fuis petit Poiffon ;
Tantôt , je deviens grande Ville.
Je puis encor , d'un meuble utile ,
Offrir les commodes douceurs .
Enfin , tout voyageur habile
Doit , à propos , ufer de mes faveurs .
C'eft te fournir affez ample carrière ,
Pour t'amufer , ou te mettre en ſouci.
Reftons- en là , pour aujourd'hui :
Car mon but n'eft que de te plaire ;
Et je pourrois te caufer de l'ennui.
DESMARA I Ș.
ROMANCE , NOUVELLE,
Vous ous m'avez fait un tendre cur ,
Amour, je vous en remercie ;
Bien qu'il faffe tout mon malheur ,
Et le fera toute ma vie.
Ainfi Lifis , dans fon tourment ,
Difoit: admirez , je vous prie ,
L'innocence d'un tendre amant ,
Et l'injuftice de fa mie
Elle plaît , & toujours plairą ;
Ce n'eſt pas là fon injuſtice :
Amour le veut , & le voudra.
Il faudra bien qu'elle obéife.
E.
Romance.
Vous m'avésfait un tendre coeur Amourje
mp de Guitarre.
vous en remer- ci-e Bienqu'iflasse toutmon mal.
W
eur, Et le fe..
ra toute ma vi - e .
e
par par M Charpentie
née par Tournelle.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR,
LENOX AND
TILDEN
FOUNDATION8.
AVRIL 1760. 79;
Elle a tout le don de charmer :
D'oùvient c'eft qu'elle eſt mieux
Car rien qu'à l'entendre nommer ;
Voilà que vous brûlez pour elle .
que belle:
Si je lui dis , qu'un doux retour ,
D'amour tendre , eft la récompenfe 3
Malgré moi je prens un décour ,
Pour dire le mot d'espérance.
Hé , pourquoi n'ofer être amant ,
En toute fimpléife & courage?
Amour, m'a bien grondé vraîment ,
De trahir ainfi fon ouvrage !
Il m'a bien dit : Mon doux ami ,
Tu m'as tout entier dans ton âme ;
Et ne me montres qu'à demi ,
Autant bel objet de ta Aamme.
Tant de crainte d'importuner ,
Encourage mal une amante.
Quand il faut toujours deviner,
On fe fent peu reconnoiſſante.
A force de foins ingénus ,
Songe à plaire ; adore ta mie ,
Comme Anchife adora Vénus ,
Dans les bocages d'Idalie.
D iv
So MERCURE DE FRANCE
J'ai bien tous les foins ingénus ,
::" Quand je la vois , ou quand j'y penfe.
Elle a tous les traits de Vénus :
Mais là , finit , la reffemblance.
Ainfi Lifis , dans fon tourment,
Difoit : Admirez , je vous prie,
L'innocence d'un tendre Amant
Et l'injuftice de fa Mie !
AVRIL. 1760 .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAIS fur divers Sujets de Littérature
& de Morale. Par M. l'Abbé Trublet ,
de l'Académie Royale des Sciences &
Belles- Lettres de Pruffe , Archidiacre &
Chanoine de S. Malo. Tome 4° . Paris ,
Chez Briaffon. 1760.
AL'OUVERTURE de ce Livre , je fuis
tombé fur la réfléxion ſuivante : Ordinairement,
il n'y a qu'à perdre pour un hom
me qui a une certaine réputation d'esprit ,
à donner quelque chofe au Public . Il y a
bien plus à perdre pour un Auteur qui a
déja paru dans le Public avec fuccès , à
publier de nouvelles productions. Cependant
le rifque qu'il court , quelque évident
qu'il lui paroiffe , n'eft pas capable
de l'arrêter. Cela pourroit porter à croire,
que la vanité que ceux qui n'écrivent
pas reprochent à ceux qui écrivent , eft
beaucoup moins puiffante dans ceux- ci ,
que dans ceux- là. Un homme , dont l'ef-
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
prit brille aux yeux de fes amis & de fes
connoiffances ; mais qui n'a pas la confiance
de l'expofer aux yeux du Public ,
n'eſt pas fi modefte que fi modefte que celui qui ne
craint pas , en expofant le fien , de détruire
l'illufion de fes admirateurs , Quoiqu'on
en dife , ce n'eſt pas toujours pour
étendre fa gloire , qu'un Ecrivain multiplie
fes ouvrages ; & c'eft prèfque toujours
pour ne rien perdre de fa réputation ,
qu'un homme , qui paffe pour avoir beaucoup
d'efprit , ne veut rien produire au
grand jour. Je ne fçai pas s'il faut louer
la prudence de ce dernier ; mais on ne
peut blâmer le courage de l'autre. Il y a
certainement du mérite, à ne pas craindre
d'être apprécić. Or on ne fauroit fe flatter
de l'être exactement , tant quon n'a pas
fubi le jugement du Public , qui n'a jamais
ni la févérité des ennemis d'un Auteur
, ni l'indulgence de fes partiſans.
C'est une foibleffe, de préférer la crainte
de perdre l'eftime de quelques particuliers
, à l'efpérance d'acquérir la confidération
de tous . Le defir de la mériter, eſt
raifonnable & vertueux ; puifqu'il peut
tourner au profit de la fociété. Je n'écris
pas ceci , pour enhardir les mauvais écrivains
; mais pour encourager les bons ,
tels que M. l'Abbé Trublet , qui ne doit
AVRIL 1760.
* 5
1
1
er
a
ouvrages , leur pefe quelquefois autant
que celle des ouvrages d'autrui ; que s'ils
lifent
peu , c'eft qu'ils ont beaucoup lû.
Que pourroient-ils lire encore avec plaifir
? Familiarifés avec l'excellent & le bon,
dégoûtés du médiocre , il ne leur reſte
que le mauvais ; & ils ont éprouvé , qu'ik
ya moins de peine à en faire , qu'à en lire..
Il ne faut pas trop lire . Cette maxime eft
excellente ; mais elle ne l'eft , que parce
qu'on ne peut beaucoup lire , fans lire du
mauvais. Si tous les livres étoient bons ,
il faudroit changer la maxime , & dire
hardiment : on ne fauroit trop lire..
Cette penfée , qu'il y a dans les ouvrages.
d'esprit quelque chofe de plus agréable que
l'efprit , à ceux- même qui en ont le plus ,
eft très-vraie & très- folide ; mais on l'auroit
rendue plus intéreſſante , & plus inftructive,
en y joignant une notion de ce
quelque chofe plus agréable que l'efprit.
C'est à force d'Art qu'on cache l'Art.,
Peu de connoiffeurs , ( l'Auteur en diftingue
de deux fortes , ceux qui le font
lumière , & ceux qui ne le font que par
eufimple goût ) apperçoivent toute la perfection
que les fineffes de l'art mettent
dans un ouvrage : Il fe montre aux uns ,
&fe cache aux autres , à mesure qu'il eft.
plus parfait. Il n'écarte pas feulement les
ter
Das
jans
nte
CU
de
eft
2.2.2
cri.
115 ,
Bait
par
86 MERCURE DE FRANCE.
défauts , il y ajoute des beautés . Il a même
fes graces , auffi bien que la Nature.
Rien de plus ingénieux & de plus jufte,
que la comparaifon de l'efprit à une mine
qui d'abord rend beaucoup , & fans qu'il
foit befoin d'un grand travail ; les premieres
richeffes , s'offrent d'elles - mêmes ; en
creufant plus avant le travail devient
plus pénible & moins fructueux , & à la
fin la mine s'épuife .
Un Auteur doit craindre de fe faire
imprimer trop tôt : il en résulte de grands
inconvéniens , qu'il eft quelquefois impoffible
de réparer. Mélite fera toujours
tort à l'Auteur de Cinna. Les jeunes gens
dépenfent leur efprit , comme ils dépenfent
leur bien avant que d'être en état de le
dépenser à propos .
Voici une réfléxion à laquelle je ne puis
confentir : Rien de plus rare , que l'habile
Architecte , que le talent de faire un tout.
On trouvera plûtôt cent beaux efprits , capables
de produire cent belles pensées fur
un fujet , que le bon & grand efprit , qui
de toutes ces pensées , & des fiennes propres
, faura faire un beau tout. J'ai beaucoup
de peine à le croire. Je penfe qu'il
y a moins de difficultés à arranger des
idées , qu'à les produire. Rien de plus
rare que l'habile Architecte ; je l'avoue :
AVRIL. 1760. 87
mais celui qui pourroit créer les matériaux
qu'il met en oeuvre , ne feroit- il pas infi→
niment plus habile ? Le producteur de
penfées , devroit paroître , à l'égard de
celui qui les arrange , s'il étoit poffible
qu'il y eût en ceci quelque proportion ,
comme le créateur du marbre & de la
pierre paroît , à l'égard de celui qui s'en
fert pour élever un Palais . Si Montagne ,
la Bruyere , M. de la Rochefoucault , M.
de Vauvenargues , M. l'Abbé Trublet luimême,
& quelques autres , ont choisi cette
manière d'écrire , connue fous le nom
de réfléxions , de maximes , de penſées
détachées ; je ne fçaurois croire , que
c'eſt par impuiffance de les lier. Charron,
vaut - il mieux que Montagne ? Je ne
me fens pas affez de force pour réfléchir
avec autant de jufteffe , de netteté , &
d'abondance , que l'Auteur que j'analyſe :
mais je me flatte qu'il ne me feroit pas
impoffible de faire, avec fuccès , un enfemble
de fes réfléxions. L'art , quelque parfait
qu'il puiffe être , dans l'arrangement
qui embellit les matériaux dont il fe fert ,
peut-il jamais être égalé à la nature , qui
leur a donné l'être ?
Je pense qu'il n'y aura perfonne qui
ne life avec plaifir l'anecdote qui concerne
l'Abbé de S. Pierre , & les réfléxions
88 MERCURE DE FRANCE.
de l'Auteur à ce fujet , fi propres à confir
mer ce que j'ai dit d'abord ; que ce n'eft
pas toujours la vanité , qui fait écrire.
» Il y a d'excellentes chofes dans vos:
» Ouvrages , difoit -on quelquefois à M.
» l'Abbé de S. Pierre ; mais elles yfont
» trop répétées. Il demandoit qu'on lui
30
و د
en citát quelques- unes , & on n'y étoit
» pas embaraffé. Vous les avez donc rete-
» nues , ajoutoit- il ? Voilà juftement ce
» que je me propofois , en les répétant ; &
fans quoi , vous ne vous en fouviendriez
» plus aujourd'hui . Jarnais , peut - être
( qu'on me permette cet hommage à
» un homme dont je refpecte & chéris la
» mémoire ) jamais, peut-être , aucun Auteur
, même parmi les plus pieux & les
» plus humbles , n'écrivit moins pour fa
" propre gloire , que M. l'Abbé de Saint
» Pierre il n'avoit en vue que l'utilité›
"
publique. Cela fe fait fentir dans tous
» fes ouvrages , & en relève le prix. Un
» écrivain de ce caractère , n'en eft pas
» feulement plus refpectable ; fes écrits
» en font plus utiles. J'ajoute, que M. l'Ab-
» bé de S. Pierre , n'avoit pas plus de pré-
» fomption , que de vanité. Il croyoit fes .
idées auffi bonnes que fes intentions ;.
» mais fans les croire merveilleufes .
Des
ouvrages , foit d'efprit , foit de:
AVRIL. 1760.
Sciences , l'Auteur paffe aux
Ouvrages
d'agrément ; & l'on y trouve le même
goût , la même précifion , la même clarté.
Faut- il juger des Ouvrages d'efprit par
la voie du fentiment , ou par celle de la
difcuffion : on verra dans cet article des
éclairciffemens fur cette queftion. Le génie
de l'homme n'a peut- être jamais rien
produit d'une certaine étendue , où par
l'une de ces deux voies , on ne puiffe rencontrer
quelque chofe à reprendre. Il
eft difficile de dire laquelle eft la plus
fûre. Aucune des deux n'eft trompeuſe :
mais la plupart de ceux qui croyent y
marcher , ne font ni dans l'une , ni dans
l'autre.
Dans l'article, qui traite de la Morale
en général , & de l'homme en particulier ,
on examine la queftion , fi la plupart des
hommes font méchans ? On y trouve un
grand nombre de réfléxions confolantes ;
bien éloignées de celles qu'infpire une
philofophie fombre , qui femble fe plaire
à affliger le genre humain , & à le calomnier.
Il y a une manière d'écrire fur l'homme
,furla morale , plus agréable qu'utile ,
plus ingénieufe que folide , & ainfi peu
morale. Il y en a une autre , qui eft dangerufe,
& propre , en ne peignant l'homme
que comme méchant & vicieux , à le ren
90 MERCURE DE FRANCE.
dre plus méchant & plus vicieux encore
qu'il ne l'eft en effet. J'ai cherché, dans cet
ouvrage , fi je n'appercevrois pas quelques
traces de l'une ou de l'autre de ces manières
; & je n'y en ai point trouvé. Ce
n'eft pas qu'il n'y ait beaucoup de chofes
ingénieufes & agréables ; mais elles femblent
n'avoit été mifes , que pour faire
goûter le folide & l'utile .
L'efprit de fociété, eſt un morceau intéreſſant.
Toutes les réfléxions qu'il renferme
, font connoître le prix des qualités
& des vertus fociales . C'eſt un grand don ,
de favoir le faire des amis ; mais il eſt
peut- être plus utile, de poffèder l'art de ne
fe point faire d'ennemis. Le grand danger
d'avoir des ennemis , c'est que d'un
défaut , ils font un vice ; d'une faute, un
crime ; d'un acte , une habitude ; d'un foup.
çon, une certitude ; d'unefeule faute , plu➡
fieurs ; d'un feul défaut , tous ceux qui
peuvent y avoir quelque rapport. Ils étendent
, groffiffent , multiplient .
Les réfléxions de l'Auteur,font quelque
fois échauffées par la chaleur douce qu'infpire
le fentiment , & furtout par celui
dont il paroît pénétré pour les infortunés.
» Si l'on eft poli , par bon coeur , encore
plus que par intérêt ; fi l'on eft touché
» du plaifir fi flatteur d'en faire , & de
و د
AVRIL. 1760. 91
8
faire le
plus grand
de
tous
, en
voici
un
moyen
infaillible
: c'eft
de ne
point
»
diminuer
de
politeffe
; de
ne
point
changer
de
manière
avec
quelqu'un
qui
p
vient
d'éflayer un revers
; d'encourir
la
difgrace
d'un
protecteur
, de
perdre
» un
pofte
; & parmi
tous
ces
regards
, où
illit
fon
infortune , qu'il
lui
e ft doux
»
d'en
rencontrer où il lit
toujours
, non
feulement
la même
amitié
, mais
en-
» core
la
même
confidération
de
trou-
» ver
quelqu'un
,
auprès
de
qui , en
perdant
fa
fortune, il
n'a pourtant
rien
>>
perdu ;& depouvoir
en conclurre
, qu'il
en
trouvera
peut- être
quelques
autres
!
les
Poëtes , Homère
& Virgile
, la
Tragé-
Les
articles qui concernent
la Poëfie
&
die &
la
Comédie
, la Profe
& les
Vers
François
,
offrent
à la diſpute
un beau
&
ue
1
vate
champ
en
lice
quelque
écrivain
aſſez
habile
pour
où j'aimerois à voir entrer
fuivre
mais , il
combattre , & vaincre l'Aureur.
y a des fujets , qui femblent faits
pour
partager
éternellement
les
hommes
qui
paroiffent
avoir
le
plus
d'efprit
&
de
gour.
M.
l'Abbé
T.
n'aime
pas
la
rime
:
Mais comme
il dit lui - même , que n'être
repas
aimé, eft le plus
grand
obstacle
à étre
་ ་
che
eftimé
;
les
verfificateurs
font
peut
-
être
fondés à
dire
, que
la
préférence
qu'on
2 MERCURE DE FRANCE.
›
donne aux Profateurs , eft un effet d'une
prévention fecrette de l'efprit plûtôt
que des avantages de la Profe fur lesVers .
Je penfe , qu'on peut trouver dans l'a
fuite fur la converfation , des réfléxions
neuves ; quoique l'Auteur annonce que
ce qu'il écrit fur ce fujet , après tant
d'autres qui l'ont traité,pourroit bien n'avoir
rien d'abſolument nouveau pour le
fond . Il regarde le talent de la converfation,
comme un des plus defirables . Il a
pourtant fes inconvéniens & fes dangers ,
comme tous les autres. Le principal ob
jet de ce morceau , eft de les faire connoître
, avec les moyens de les éviter.
L'Article de la bonté , eft fort court. If
femble qu'il ait été meſuré fur la rareté
dont elle eft dans le monde : Il eft peu
d'hommes véritablement bons. On voudroit
ne vivre qu'avec des perfonnes , qui
fuſſent en même- temps gens d'efprit , &
bonnes gens mais où les trouver ? La
plupart des hommes font peu aimables &
peu eftimables ; & fouvent l'un & l'autre
à la fois.
Dans l'Article de l'ambition , on cite un
Miniftre qui a été heureux : c'eſt le Cardinal
de Fleuri. » M. de Fontenelle , qui l'avoit
fort connu avant fon ministère
furpris, dans une vifite qu'il lui fit quel
AVRIL. 1760. 93
ques années avant fa mort , de lui voir
» la même ſérénité & la même gaîté ,
» lui dit : Mais , Monseigneur , eft - ce que
» vous feriez encore heureux ?
» Il n'en avoit pas été de même, du Cardinal
Dubois. Devenu Cardinal , & pre-
» mier Miniftre ; il dit un jour à quelqu'un
, de qui je le tiens : Je voudrois
nêtre dans un cinquième étage , avec une
» vieille fervante , & quinze cens livres
» de rente .
» Tandis que le premier Miniftre étoit
» fi malheureux , l'Abbé Mongault l'étoit
encore plus , par l'envie qu'il lui
» toit .
por-
Les favoris de la fortune , ou de la
gloire , dit quelqu'un , malheureux à nos
yeux , ne nous détournent point de l'ambition
: peu de perſonnes , ont autant de
raiſon que M. de Fontenelle . Quelqu'un lui
parlant un jour , de la grande fortune que
l'Abbé Dubois avoit faite ; pendant que
M. F. n'en avoit fait aucune, quoique trèsaimé
auffi du Prince Régent ; cela eft vrai,
répondit le Philofophe : mais je n'ai jamais
eu befoin que le Cardinal Dubois
vint me confoler. Ce Cardinal , alloit quelquefois
dépofer les chagrins dans le fein
de Fontenelle.
Si l'on n'eft pas toujours de l'avis de
94 MERCURE DE FRANCE .
M. l'Abbé Trublet , on eſt toujours fatiffait
de fon ftyle , plein de naturel & de
clarté. Ses pensées peuvent ne pas paroître
toute vraies ; mais elles font toujours précifes
, & diftinctes. On a déjà obfervé que
l'Auteur , en difant qu'il y a des livres qui
· donnent de l'efprit , pourroit bien avoir
caractérisé fes ouvrages . On ne peut rien
ajouter à cet éloge.
LETTRE fur le Poëme intitulé : l'Art
de peindre .
V ous aimez les Arts , Monfieur ; vous
faites vos délices de la Peinture ; vous attendez
avec impatience le Poëme dans
lequel M. Watelet en a développé les
mystères je me hâte de vous envoyer
l'extrait que j'en ai fait rapidement fur
un des premiers exemplaires qui foient
fortis de fous la preffe.
Il est dédié à l'illuftre Académie , dont
l'Auteur eft membre . C'eft à la critique.
des Maîtres de l'Art , qu'il a foumis chacun
des chants de ce Poëme, qui en contient
les régles ; & de tels Juges , par leur
fuffrage , lui ont donné force de loi .
On a pu juger , par les fçavans articles
AVRIL. 1760. 95
dont M. Watelet a enrichi l'Encyclopé
die, combien il eft verfé dans l'art dont
il trace aujourd'hui les préceptes. Le dif
cours préliminaire , qui eft à la tête de
fon Poème , en expofe l'objet & le plan.
Il n'y étale , ni une confiance vaine , ni
une orgueilleufe indifférence fur le fuccès
de fon ouvrage. » Je n'ai pas , dit- il ,
» cette infenfibilité peu naturelle , & fou
» vent affectée , qui fe prétend au-deffus
» du blâme & de la louange. J'aurai la
» foiblefle d'être fenfible à l'approbation,
» ft je la mérite ; j'aurai le courage de
" tourner au profit de mon efprit & de
" ma raifon , les jugemens équitables
» qu'on portera fur mes travaux ; & fans
» demander une indulgence qu'il n'eft
pas au pouvoir du Public d'accorder ,
» je fouhaite feulement , qu'il le rappelle
» en lifant mes vers , que je ne mets au-
» cune prétention indiferette à les avoit
» faits .
On connoit deux Poëmes , fur la Peinture
; l'un du célèbre du Frefnoi , Fautre
de M. l'Abbé de Marfy. M. Wateler loue
Fun & l'autre par la qualité qui les dif
tinguent : l'un profond , nerveux , auftère
, réunit toutes les parties de l'art ;
l'autre , élégant , harmonieux, fleuri , parcourt
d'un vol léger , mais avec jufteffe ,
6 MERCURE DE FRANCE.
les préceptes de la Peinture. Mais cès
deux Poëmes font écrits en latin ; & l'une
des grandes difficultés de celui- ci , étoit
de concilier en notre langue , la jufteffe
& la précifion des préceptes avec le coloris
, l'élégance , la nobleffe du ftyle , la
mefure & l'harmonie des vers.
De tous les Poëmes , le Didactique eft
celui qui exige le plus effentiellement
d'être foutenu & embelli par le preftige
de la verfification . Des fçènes paffionnées,
de brillantes peintures , des récits véhémens,
peuvent fe paffer d'une cadence
régulière ; une profe nombreufe & poëtique
fuffit à l'oreille , quand l'imagination
eft vivement frappée , ou le coeur
fenfiblement ému. Le Poëme Epique , le
Poëme Dramatique, peuvent être encore
très intéreffans , quand même ils feroient
écrits en profe ; & en renonçant au charme
de la verification , il eft poffible d'y
fuppléer par des beautés d'un autre
genre.
Mais dans le Poëme Didactique , où nul
écart n'eft permis , où nul épiſode ne
doit interrompre la fuite & l'enchaînement
des préceptes , où l'imagination
affujettie aux loix févères de la raifon
doit la fuivre d'un pas timide , pareille à
cette
AVRIL 1760. 97
cette grace modefte , qui accompagne la
beauté.
Subfequiturque decor.
Dans ce Poëme , dis je , dont la précifion
rigoureufe , eft la premiere règle , il
eft d'une néceffité indifpenfable que l'harmonie
des vers tienne l'oreille comme
enchantée , tandis que la vérité févère
Occupe & captive l'efprit . Il y a plus ; le
premier objet qu'on fe propofe , dans un
Poëme , fait pour inftruire , c'eft que les
préceptes foient faciles à retenir ; & il eft
inutile de dire , combien la meſure du
vers eft favorable à la mémoire. On fait
par coeur mille vers de Defpréaux ; l'on
ne fait pas vingt lignes de Montagne
quoiqu'on l'ait lû avec plus de réfléxions
& autant de plaifir que Despréaux.
Les fujets que peut traiter la Pocfie Didactique
, lui font plus ou moins favorables
, & par rapport au fond des chofes
&
par rapport aux reffources plus ou
moins abondantes de la langue dans laquelle
on écrit. L'Agriculture , offroit au
génie de Virgile de magnifiques tableaux
à peindre , qui pouvoient corriger à chaque
inftant la féchereffe des détails. Ces
détails eux-mêmes , tomboient fous les fens :
ils n'exigoient point , comme ceux de la
I. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE:
Peinture , la fcrupuleuſe févérité d'une
expreffion, quelquefois unique ; & le latin
avoit dequoi les rendre. Horace & Def
préaux , en traçant les règles de la Poëfie ,
n'avoient qu'à parler le langage de la
Poëfie elle -même , & à cueillir fur leur
route les fleurs dont elle étoit naturellement
parfemée.
>
Si l'on en juge , par analogie , l'art de
peindre femble être de même un fujet de
Poëme Didactique , avantageux & facile
à traiter ; mais dès qu'on veut l'approfonfondir
; dès qu'on effaye d'exprimer en
termes clairs , précis, connus de tous les
lecteurs les règles auftères & multipliées
de ce bel art ; l'imagination ſe ſent
accablée de chaînes la ftérilité de la
langue , laiffe à chaque inftant la penſée
fans expreffion , & comme fufpendue au
bout de fa plume. La raiſon en eft, qu'une
langue ne s'enrichit que par l'ufage ;
qu'une partie fur laquelle on a négligé
d'écrire , eft comme un champ à déffricher
; & qu'en effet , jufqu'à préfent , le
langage de la Peinture n'eft guère familier
aux Artiſtes .
Cependant le Poëte, en écrivant pour
eux , n'a pu renoncer à plaire à une claffe
d'hommes cultivés , qui , fans être verfés
dans l'art , font en état de goûter un
poëme , qui en développe les principes.
AVRIL. 1760. 99
Cette difficulté de créer , fi jofe le dire ,
un nouvel idiome qui eût, pour les Artiſtes,
la précifion des termes de l'art ; & pour
le refte du monde , le coloris & la clarté
duftyle noble & poëtique : cette difficulté,
à chaque inftant renouvellée , n'a point
découragé M. Watelet . Nous verrons , dans
peu , comme il l'a fçû vaincre .
Son Poëme, eſt divifé en quatre chants.
Dans le premier , après avoir donné une
idée générale de la Peinture , il expofe
les principes du deffein. Dans le fecond ,
chant, il traite de la couleur. Dans le troifiéme
, de l'ordonnance , ou de l'invention
pittorefque. Dans le quatrième , de
l'expreffion , ou de l'invention poëtique.
Le Poëte invoque cette Vénus céleſte ,
qui prend foin d'embellir l'Univers :
Je chante l'art de peindre : ô Vénus , Uranie!
Seconde mes travaux , inſpire mon génie;
Laiffe- moi pénétrer dans le Temple des Arts .
Lumière des talents , découvre à mesregards
Ce concours de tes dons , cet accord , cet enfemble
,
Objets des goûts divers , centre qui les raſſemble ,
Immortel attribut de la Divinité ,
Dont l'effet eft l'Amour , & le nom , la Beauté.
C'eſt toi , qui la répands fur la nature entière :
Chaque jour, fur le char du Dieu de la lumière ,
835607
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
Elle embraffe les Cieux , & colore les airs ;
L'oeil étonné , l'admire , au vafte fein des mers.
Elle naît fous nos pas ; une fleur la recele :
De chaque être , elle emprunte une forme nouvelle
:
Et pour la reproduire encor fous mille traits ,
Tu veux que les mortels imitent ſes attraits.
De là,ces nobles foins , ces efforts , pour l'atteindre,
Ces talents enchanteurs , l'art des vers ,
l'art de
peindre.
11 fe plaint qu'un monftre , féduifant &
capricieux , la Mode , reçoit parmi nous
un culte , qui n'eſt dû qu'à la Déeffe de la
Beauté.
Il s'adreffe aux Artiftes ; leur montre la
carrière qu'ils ont à parcourir ; & leur
peint le caractère de celui que le Ciel a
doué du talent , d'imiter la nature .
Avec choix , il parcourt les annales des temps :
Au récit des vertus , des exploits éclatans ,
Il s'émeut , il s'enflâme ! un céleste délire ,
Réaliſe à fes yeux chaque trait qu'il admire.
Il voit tout exifter ; & nouveau créateur ,
De l'art qui le contraint , accuſe la lenteur.
Cet art confifte , à préfenter aux yeux
es formes , les couleurs , les plans , & les
effets .
AVRIL 1760. 161
Ceft l'abrégé de ce Poëme.
Le fuccès de l'Artifte , dépend d'abord
'du choix du fujet. Mais quand le fujet
eft choifi , le génie doit fe l'approprier.
Des objets bien conçus , fixer la jufte place ;
Leur donner à propos & la forme & la grace ;
Et pour les animer , s'élevant juſqu'aux Dieux ,
Ravir le feu facré , renfermé dans les Cieux .
Ce n'eft pas tout encore : l'art doit affujéttir
le génie à fes loix auftères ; &
l'invention poëtique, doit fe concilier avec
l'invention pittoresque.
Ici l'Auteur trace , en fix vers , la divifion
de fon ouvrage.
Des deux inventions dans l'ordre didactique ,
L'une eft donc pittorefque, & l'autre eft poëtique.
Pour le produire aux fens, toutes deux ont recours
A l'accord des couleurs , des ombres & des jours ;
Et le ton nuancé n'obtient ſa juſte place ,
Qu'en fuivant les contours que le deffein lui trace
Le Poëte , recommande & preſcrit l'étude
affidue , & l'exercice conftant du
deffein. En général , de la partie, au tout,
& des parties , entr'elles , il y a des rap
ports , une harmonie , un enfemble , qu'il
faut faifir. Mais le comble de l'art , eft
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
dans l'imitation de la belle Nature .
La fimplicité , régne dans les ouvrages
des Egyptiens ; mais le fentiment exquis
de la beauté , étoit un don réservé aux
Grecs . A ce fujet , M. Watelet rappelle
en peu de mots les progrès & les révolutions
de la Peinture , depuis fa naiffance
en Egypte , jufqu'à fa reftauration
en Europe. Voici comme il peint le paf
fage des arts , de la Gréce en Italie .
Les talens affervis , captivant leurs vainqueurs ,
Du Romain belliqueux , adoucirent les moeurs.
Chez un Peuple étranger , qu'avoient dompté fes
armes ,
Des plaifirs de l'efprit , il reconnut les charmes :
Voluptueux alors , pour tromper ſes loiſirs ,
11 fit fervir les arts aux foins de fes plaifirs.
Ces trois Filles des Cieux , l'utile Architecture ,
La Mufe , que je chante , unie à la Sculpture ,
Par des Artiftes Grecs , rétablis dans leurs droits
A Rome triomphante , imposèrent des loix ;
De Palais mieux ornés montrèrent des exempless
De Dieux, mieux fabriqués , repeuplèrent les temples
:
Jupiter, au vulgaire , impofa par fes traits 3.
Vénus, eut plus d'encens , lorfqu'elle eut plus d'at
traits ;
Et le Romain inftruit , riant d'un vain hommage,
Adm ra moins le Dieu , qu'il n'admira l'image.
AVRIL. 1760. 103
L'antique , eft d'un précieux fecours ,
pour les jeunes Artiftes . M. Watelet les
invite , à l'étudier fans ceffe : c'eft là qu'ils
puiferont tous les principes de leur art ;
& furtout ces juftes/rapports , qu'il étoit
fi difficile de décrire en vers ; & que M.
Watelet, a fi heureuſement rendus.
A la figure entière , il faut , dans la portée ,
De fa tète huit fois la grandeur répétée.
·
Les deux bras donneront , étendus fans efforts ,
Une largeur égale à la longueur du corps.
N'allez pas cependant , à cette éxactitude ,
Borner de l'art du trait , la difficile étude :
Par des calculs précis , l'enfemble confirmé ,
S'il n'eftpoint élégant , n'eft qu'à demi formé.
Voyez, par cent détours , dans la plaine fleurie,'
Serpenter un ruiffeau , qui baigne une prairie :
Confidérez la flamme , alors qu'un doux zéphir,
Afon fouffle la fait mollement obéir :
Du contour élégant , c'eft la fidelle image...
Grâces ! qui peut , fans vous , en acquérir l'ufage ?
L'étude de l'Anatomie, que les Artiſtes
appellent l'Ecorché , ne leur eft pas moins
effentielle. Mais comment en préfenter
les objets,dans un ſtyle élégant & noble? ...
Ceft où triomphe M. Watelet.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Le fcapel, à la main , voyons ce que renferme ,
Sous fon léger tiflu , le plus fin épiderme.
Démontons fes léviers , dont nos efprits fubtils
Règlent les mouvemens : démêlons tous ces fils ,
Que leur combinaiſon , que leur force deſtine
A faire , au gré des fens , mouvoir notre machine.
Par fon inſertion , à l'os le muſcle eft joint ;
Nos mouvemens réglés , partent tous de ce point.
Le muſcle contracté , leur donne la naiſſance :
Des efprits réunis , la mobile puiffance ,
le gonfle , & l'accourcit du tiers de ſa longueur :
Sa forme prononcée , exprime la vigueur.
Rendu moins apparent , voyez comme l'antique ,
Dans un corps délicat , le dérobe & l'indique .
Tel on voit de Vénus , le corps fouple & liant ,
Offrir le doux afpect d'un contour ondoyant ;
Tandis que du Dieu Mars , la moindre fibre exprime
Et la force , & l'audace , & le feu qui l'anime.
*
A l'étude de l'Anatomie , ſe joint celle
de la Perſpective ; & le Peintre doit fçavoir
en ménager l'illufion .
Fixer,dans un corps rond , ce qui doit être fombre ,
Ce qu'il reçoit de jour , ce qu'il portera d'ombres
En fuppofant au point , d'où vous ferez partir
Les rayons , dont l'effet , doit vous affujéttir.
Mais c'eſt au goût , à choisir l'aſpect
AVRIL 1760 . 105
Le crayon délicat , qu'un heureux choix conduit,
Dérobe fes défauts aux regards qu'il féduit .
D'un raccourci bizarre , effort de perſpective ,
Hazardez rarement l'ingrate tentative :
Un choix mal entendu , détruit l'illufion.
Le Poëte ne parle que d'un raccourci
bizarre, auquel l'imagination fe refufe, en
Peinture comme en Poëfie : le vrai doit
être vraisemblable. Le beau raccourci
n'étonne point les yeux : il eft partout ,
fans qu'on le foupçonne.
Quelqu'objet qu'on imite , il y trouve fa place :
Tout corps horizontal , raccourcit fa furface ;
Et cet aſpect trompeur , qui reſſferre les plans ,
Les unit , les confond , les rend moins apparens.
La perfpective aërienne , eft inféparable
de la perſpective géométrique : il faut
en diminuant les grandeurs ,
Exprimer auffi l'air', qui ſeul, de la diſtance
Décide , à nos regards , la diverſe apparence.
Ce préftige, eft l'effet de la couleur ; &
c'est le fujet du fecond chant. L'on voit
déjà , dans le premier , quel eft le ton &
le ftyle du Poëme ; avec quel courage le
Poëte s'y facrifie au Peintre , & fe refuſe
2
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
aux écarts brillants, auxquels la nature de
fon fujet femble l'inviter à chaque pas.
L'imagination, dans un Poëme de ce genre
, eft comme ces Nymphes , qui , dans
le Taffe , veulent attirer & féduire les
compagnons de Renaud. » Pourquoi ,
( femblent- elles dire au Poëte ) pourquoi
» t'obftiner à fuivre une route pénible ,
» à travers des précipices & des écueils ?
و ر
Vois ces riants bocages , ces prairies
» émaillées , ces ondes pures & jailliffan-
» tes ! fuis- moi, dans ces lieux enchantés;
» donne - moi ton génie à conduire : tous
» mes fentiers font femés de fleurs . Un
Poëte , amoureux de fon talent , épris de
l'éclat d'une célébrité paffagère , n'eût
pas manqué de fe livrer aux charmes de
cette enchanterelle : M. Watelet , a la fageffe
& la force de lui réfifter ; & au
lieu d'un badinage frivole, il nous a donné
un Poëme claffique.
Quoique le fond du fecond chant foit
plus riche que celui du premier
, le Poëte
n'y donne
point dans le luxe des orne- mens. Il craint d'affoiblir
l'impreffion
des préceptes
; & il ne les embellit
, qu'autant
qu'il eft néceffaire
, pour intéreffer
l'imagination
à les retenir , & à les retracer
.
L'Artifte , en colorant , doit , fur une ſurface ,
Imiter la lumière , & peindre aux yeux l'eſpace.
AVRIL 1760. 107
Chaque corps , a fa couleur ; mais cette
couleur eft brillante , ou fombre.
La lumière en auroit l'éclate & le degré :
Mais la couleur eft propre à l'objet éclairé.
Ainfi cette partie de l'art , a deux branches
; la couleur de l'objet mê me , & le
jour ou l'ombre , où il eft placé.
"
L'angle de réflection de la lumière , eft
égal à l'angle d'incidence : ce principe
fimple & connu renferme la théorie
du clair - obfcur . Deux tous , le blanc &
le noir , fuffifent pour ajouter le clair obfcur
au trait du deffein .
Des objets éloignés , confidérez la teinte :
L'ombre en eſt adoucie , & la lumière éteinte.
Vous raffemblez en vain tous vos rayons épars ;
Le buttrop indécis échappe à vos regards.
Le terme qui les fixe , a-t- il moins d'étendue ?
Chaque nuance , alors , un peu moins confondue ,
Développe à vos yeux , qui percent le lointain ,
D'un clair-obfcur plus ner l'effet moins incertain .
D'un point plus rapproché , vous diftinguez des
maffes ;
Votre ceil plus fatisfair , meſure des furfaces.
Déjà près du foyer , les ombres & les jours ,
Se foumettant au trait , décident les contours.
Enfin , plus diaphane ,en un court intervalle ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
L'air n'altère plus rien de la couleur locale..
Tel eft l'artifice des reflets de la Perf
pective aërienne !
Les paffages qu'obferve la nature, dans
le mêlange des couleurs & des tons, préfentent
au pinceau de nouvelles difficultés
à vaincre.
Le terme eft incertain , le progrès inſenſible :
Nous voyons le tiffu ; la trame eft inviſible.
•
Chaque ton de couleur, à nos regards offert ,
Dans celui qui le joint , fe confond & ſe perd.
Mais quelle eft , de ces tons , l'origine immortelle
?
C'eſt cet aftre brûlant , qui fans ceffe étincelle.
Des faiffeaux de rayons , de fon difque émanés ,
Offrent , en ſe brifant , à nos yeux étonnés
De fept tons primitifs , les couleurs afforties ,
Et de ces tons mêlés , les douces fympathies.
Voyez-les tous briller dans cet arc radieux ,
Dont l'éclat réfléchi peint la voute des Cieux.
Voyez les obéir au fçavant méchanifine
De l'immortel Newton, qui les foumit au prifmé ;
Ou plûtôt , reſpectant ces fublimes fecrets ,
Ignorez leur effence , & peignez leurs effets.
L'art du coloris , peut puifer fes trésors
AVRIL 1760 . 109
dans deux fources . Le Poëte les fait diftinguer
au Peintre.
Du régne végétal, craignez l'éclat perfide :
Le minéral , enfante un coloris folide .
L'énumération des couleurs paffagères
& des couleurs durables , étoit encore un
détail difficile : on ne s'apperçoit point ,
en le lifant , du travail qu'il a dû coûter .
Les lumières que la Peinture a reçuës
des Arts & des Sciences , par rapport au
choix des couleurs , ont hâté fes progrès
en Europe : le concours & l'émulation de
fes Ecoles , ont mis le comble à fa gloire.
Ici , M. Watelet ne peut fe refufer à un
mouvement , qui exprime le caractère de
fon âme.
Dieu des arts ! entretiens au fein de ma patrie ,
Cette louable ardeur , par la gloire nourrie ,
Qui fait de tes fujets , à la vertu foumis ,
Des rivaux généreux , jamais des ennemis.
Et vous, qu'un feu divin échauffe, anime , enflâme ;
Qu'un fouffle envenimé ne fouille point votre âme :
De ces bofquets facrés, gardés par les neuf foeurs,
Pour vous couronner tous , il naît aſſez de fleurs !
Il revient au coloris ; & développe , en
très beaux vers, la théorie du reflet.
110 MERCURE DE FRANCE.
Le ton de la nature , en un corps éclairé ,
Blefferoit les regards , s'il n'étoit tempéré ¿
L'éclat de la couleur , fans un double artifice ,
Au lieu de vous charmer , feroit votre fupplice.
Pour rendre cet éclat moins choquant & moins
dur ,
Le réflet , près de nous , s'unit au clair-obfcnr.
Arrêtez vos regards , aux bords d'une onde pures
Le faule qui l'ombrage , y répand fa verdure ,
Et reçoit à fon tour , en courbant fes rameaux ,
L'éclat d'un plus beauljour , reflété par les eaux.
Sur un rideau de pourpre , une Nymphe étendue ,
Nous offre , fur les lys , la rofe répanduë :
Ce brillant incarnat, dont tout ſon corps eft teint,
Prendroit un autre accord ,fur un fond plus éteint.
C'est ainsi que l'Artifte , au gré de fon génie ,
Peur , de fon coloris , varier l'harmonie.
L'accord eft à fon choix ; mais ce choix arrêté ,
Tel qu'un Poëte , il doit conferver l'unité.
Dans cette imitation de la nature , il
faut
que
l'art fe cache avec tant de foin ,
qu'on l'oublie.
Le fpectateur jaloux , ne veut rien qui détruife
La douce illufion , dont fon âme eft furprife.
Le fini précieux , a fa place ; la touche
AVRIL. 1760.
rapide, a la fienne: l'un, dans ce que l'oeil
voit de près ; l'autre , dans ce qu'il apperçoit
de loin. Ici , dit le Poëte ,
Trop de foin vous nuiroit , & l'air bien mieux que
vous
Des paffages moins fins, rendra les tons plus doux,
Les oppofitions donnent encore à la
Peinture , plus d'éclat & plus de vigueur.
C'eſt ainfi que , des fons , la Muſe enchantereſſe ,
Pour parler à nos coeurs , fçait oppoſer ſans ceſſe
La fière diſſonance au plus doux des accords:
Les divers mouvemens , les fons plus ou moins
forts ;
Tour aide à varier l'effet de l'harmonie ;
Tour a droit fur notre âme, & rout fert au génie.
La nature , eft le commun modèle de la
Poëfie, de la Mufique, & de la Peinture .
Cependant, c'eſt à vous, ô Peintre ftudieux !,
Qu'elle aime à prodiguer fes trésors précieux ::
Soumile à vos defirs , fans ceffe complaifante ,
Elle vous fuit partout , partout elle eft préfente.
Voyez-la s'embellir , avec l'aſtre du jour :
Suivez-le dans fa route. A peine , de retour ,
Le Soleil qui renaît , commençant la carrière ,
De la jalouſe nuir , a franchi la barrière ;
12 MERCURE DE FRANCE.
"
Qu'aux bords de l'horiſon , les coteaux font frap
pés
De l'éclat adouci , de fes feux échappés.
Des corps moins élevés , les incertaines ombres ;
Se mêlent aux vapeurs , qui les rendent plus fombres.
Quelle fource d'accords , d'effets , d'illufions ,
Offrent à vos pinceaux ces oppofitions !
Le Poëte indique des tableaux , pour
les divers inftans du jour. Le matin &
le foir , font favorables à la Peinture : le
feul éclat du midi , eft au-deffus de fes
éfforts.
Mais fi le Dieu du jour , brillant , victorieux ,
Au milieu de fon cours , reparoît dans les Cieux ;
Reſpectez un éclat , que l'art ne sçauroit rendre .
Il y a cependant un moyen de fauver
T'illufion : c'eit d'interpofer un objet , qui
femble cacher cet éclat inimitable .
Offrirez-vous Renaud , dans cet inſtant du jour ,
Mollement enchaîné dans les bras de l'amour ?
Armide aura fait naître un myrthe , dont l'ombrage
,
Sur le difque brûlant , forme un léger nuage.
Ce fecond Chant , eft plus vif , plus
coloré , plus fenfible aux yeux de l'ima
AVRIL. 1760. 113
gination que le premier : cela devoit être.
Mais l'élégance & la clarté du ftyle , l'aifance
& la correction des vers , font
partout
les mêmes .Je fuis tenté de citer, fans
ceffe ; & je ne me retiens, que pour ne pas
effleurer le plaifir que vous aurez , Monfieur
, à lire ce Poëme charmant.
( Lafuite , au prochain Mercure. )
LETTRE de M. l'Abbé TRUBLET , à M.
DE LA PLACE. i Mars 1760 .
J'AVOIS invité , Monfieur , par la voye
du Mercure , ceux qui poffèdent quelques
Lettres de M. de Fontenelle , de vouloir
bien m'en faire part mon invitation n'a
point été inutile , & on m'en a communiqué
un affez grand nombre. Je prépare
un onzième Tome des Euvres de l'illuftre
Auteur ; & elles en feront partie , de
même que celles que je pourrai recouvrer
encore , lorfqu'elles me paroîtront
dignes de l'impreffion . Quelque agréables
que foient , en général , les lettres des
grands Ecrivains ; il y a un choix à faire
entr'elles , puifqu'il y en a entre leurs
ouvrages mêmes.
1
۔ ا
114 MERCURE DE FRANCE.
Je remercie donc M. Dubois de la
Garde , de celles qu'il vous a envoyées
pour moi , & que j'ai trouvées dans le
Mercure de Février dernier. * Je vous
avouerai pourtant , que je ne les crois
pas de M. de Fontenelle , du moins en
leur entier. J'ajoute , que tous ceux à qui
je les ai fait lire , ont été de mon avis.
Les lettres , dont on laiffe prendre
copie , font fort fujettes à être altérées ;
& quelquefois au point , que le ftyle de
celui qui les a écrites , n'y eft plus reconnoiffable.
Si cela eft arrivé , comme je le
foupçonne , à celles de M. de Fontenelle à
M. Thomafin : je ferai très- obligé au jeune
& ingénieux Militaire , de m'en faire par
venir une copie exacte , avec leur datte.
On l'a oubliée dans le Mercure.
M. Dubois de la Garde, m'offre encore
un portrait de Fontenelle , par feue Mlle
le Couvreur. Je le connois , il y a longtemps
: mais il n'eft point de cette célèbre
Actrice , quoiqu'il lui ait été attribué ,
lorfqu'il parut. Il eft de Madame de Forgeville
, comme on peut le voir dans
l'éloge de M. de Fontenelle , par M. de
Fouchy, qui en a cité une grande partie.
* Elles font adreffées à M. le Chevalier de
Juilly-Thomaffin , dont on a vu pluſieurs jolies
pièces dans le Mercure.
AVRIL 1760. 115
» Madame de Forgeville , fa refpectable
» amie , dit M. de Fouchy , voulut bien
» prendre de fes dernières années le foin
» le plus affidu : & c'eſt à elle qu'il a dû
» toute la douceur qu'il y a goûtée. Plus
» à portée que perfonne de le bien connoître
, elle en avoit fait elle- même un
» portrait , dans lequel il eft fi recon-
» noiffable , que nous avons cru le devoir
>> donner ici , & c.
33
On trouve l'Eloge de M. de Fontenelle,
par M. de Fouchy, à la tête de fes oeuvres
pofthumes , imprimées en 1758 : elles en
font les Tomes IX & X.
J'ai l'honneur d'être , & c.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
ItLparoît , Monfieur , un Livre intitulé,
Piéces fugitives , pour fervir à l'Hiftoire de
France .Le Compilateur de ces Mémoires,
y a joint les jugemens fur la nobleffe de
Languedoc, par M. de Befons . Il dit , dans
ies avertiffemens qu'il a placés à la tête
de ces jugemens , qu'une des chofes les
plus utiles que Louis XIV ait faites
" pendant fon régne , a été la recherche
» de la Nobleffe , afin de faire connoître
33
116 MER CURE DE FRANCE.
» fon ancienneté &c. Il loue l'exactitude
des opérations , en ce genre, de M. de Cau
martin , Intendant de Champagne : il
improuve le peu de foin que M. de Rouf
Jeville apporta dans fes opérations, en Picardie
: il paffe enfuite à celles de M. de
Befons , qu'il compare à M. de Caumartin.
Il dit, que "» ces jugemens , qui font
"
29
des picces juridiques , affurent l'Eta
» de la nobleffe de Languedoc , de leurs
» defcendans , & la font connoître d'une
» manière qui n'eft ni douteuse , ni équi
» voque. Il feroit à fouhaiter , reprend
le Compilateur , » qu'on lui communi
» quât les jugemens des Intendans , fur la
» nobleffe des autres Provinces , afin de
» faire connoître , d'une manière fi fûre ,
» toute la nobleffe du Royaume , dont
plus de la moitié eft prèfque inconnue.
Pénétré des louables motifs , qui femblent
animer le Compilateur , je crois
devoir détruire la confiance que le Public
pourroit prendre en faveur des jugemens
de M. de Befons , fur la foi du Compilateur
: & comme mon affertion , ainfi que
celle du Compilateur , ne doit pas faire
loi ; je rapporterai ce que M. de Baville ,
Intendant de Languedoc , dit dans fes
Mémoires , à l'article de la nobleſſe de
cette Province.
AVRIL. 1760. 117
39
33
35
Les recherches qui ont été faites en
différens temps , ont fait plus de mal
» que de bien. La facilité qu'on a eu de
" donner des jugemens à ceux qui ne les
méritoient pas , a beaucoup mêlé le
» corps , qui devoit être plus pur & moins
rempli de gens à qui on connoît encore
une très- baffe extraction . Ceux qui devoient
prendre foin de l'empêcher , fe
» font relâchés fur ces mauvais principes ,
» que la taille étant réelle , il importe peu
" de faire beaucoup de nobles , puifqu'ils
la payent de même que les roturiers :
comme fi le feul intérêt de la véritable
nobleffe , ne méritoit pas que l'on ne
» ternît point l'éclat qu'elle doit avoir ,
»par un mêlange auffi impur !
33
Si le Compilateur avoit lû cet article
des Mémoires de M. de Baville , il auroit
fans doute plus refpecté les opérations
de M. de Caumartin , & n'auroit
pas terni une feconde fois l'éclat que doit
avoir la véritable nobleſſe , en faisant revivre
un ouvrage que le mépris le plus fon
dé fembloit avoir anéanti. Tout le monde
fçait , que la bonne nobleffe de Languedoc
, ne fe fert jamais du relaxe dele
M. de Befons. D'ailleurs , il y a de très-lebons
Gentilhommes , qui n'ayant pas étéɔul
fon
118 MERCURE DE FRANCE.
}
recherchés , ne font pas infcrits fur cc
prétendu catalogue des nobles .
que
Il en eft d'autres , qui n'ont produi
les preuves
de quatre générations ; &
qui remontent,par de bons actes, jufqu'e
l'an 1100 ; tels que les Varagne , Sei
gneurs de Gardouch , & non pas Baragne
Les armes de cette maifon , font d'or ,
la croix de fable ; & non d'azur , à l
croix d'or , chargée d'une croix de fable
comme l'écrit le Compilateur , au Tom
II , pages 2 & 9.
Il n'y a prèfque point de maiſon , don
les armes ne foient défigurées ; comm
celles des Villeneufve , qui font une ép
d'argent , & non une épée d'or : on a m
me attribué, à une branche de cette mat
fon , des armes différentes . On cite u
acte de partage, entre Vital de Villeneu
ve , Bernard de Villeneufve , & le R
Philippe le Rel , en 1319 , pour la terr
de la Croifille . Il y a deux fautes , dar
cette citation : 1 ° . Philippe le Bel éto
mort ; c'étoit Philippe le Long. 2 °. Vi
tal & Bernard font qualifies , Domicellu
& miles dans l'acte de partage ; &
compilateur , ne leur donne aucune qua
Ilité. Il dit que
Ramond
, peut
A pere de Jean : il étoit pere de Bernard
pere de Jean , felon les actes de cett
avoir
ét
AVRIL. 1760. 119
Maifon , qui remonte jufques en l'an
1034. M. de Baville en parle dans fes
Mémoires comme une des plus anciennes
de cette vafte Province , de même
que celle de Varagne. Le Compilateur a
auffi défiguré les armes de la maison de
la Tour S. Paulel , qui font d'azur à la
Tour d'argent , & non pas d'azur à trois
faces d'or , Tome 3. p. 2. pag. 84.
"
Il marie , de fon autorité , Jean de la
Cour , Seigneur de Juzes , avec Jeanne
de Ribet ; tandis que ce même Jean
étoit marié , par l'autorité de l'Eglife ,
avec Jeanne de Deyme la Bruyere . Un de
leurs , enfans fut reçû Chevalier de Malthe
, en 1551. Cette maifon remonte, jufques
en l'an 1124.
Toutes ces erreurs démontrent , que
le Compilateur n'a puifé fon ouvrage
que dans le Relaxe de M. de Befons ,
Or,tout le monde fçait que la plupart des
Gentilshommes fe faifoient décharger
fur le premier titre qui leur tomboit fous
la main. De là vient , que des meilleures
maifons de la Province ne remontent
qu'au premier , deuxième ou troifiéme
degré. Ainfi M. de Catellan , famille
d'une très- ancienne nobleffe de Languedoc
, fe fit décharger , comme Capitoul
de Touloufe ; & le Compilateur, dans fon
"
120 MERCURE DE FRANCE
Recueil , le met noble , comme Capitoul.
Il auroit évité toutes ces erreurs , s'il avoit
confulté les familles dont il parle.
Vous voyez , Monfieur , par tout ce
que j'ai l'honneur de vous dire , le cas
que le public doit faire des jugemens de
M. de Befons ! & furtout, des avertiſſemens
du Compilateur. J'efpere , que vous voudrez
bien inférer ma Lettre dans votre
Mercure ; afin de détruire la mauvaiſe
opinion que la nobleffe des autres Provinces
pourroit avoir , fur l'ancienneté &
fur la bonté de la véritable nobleffe de
Languedoc.
Je fuis avec un attachement &c.
A Montauban ce 12 Février 1760 .
HISTOIRE
AVRIL 1760. 121
HISTOIRE des Philofophes modernes
avec leurs Portraits , gravés dans le goût
du crayon ,d'après les Deffeins des pius
grands Peintres.
Par M. SAVERIEN.
Publiée par FRANÇOIS , Graveur des
Deffeins du Cabinet du Roi , Graveur
ordinaire du Roi de Pologne , Duc de
Lorraine & de Bar , & Penfionnaire de
L. M. rue S. Jacques , à la vieille Pofte.
Premiere Partie , contenant l'Hiftoire des
Métaphyficiens.Un volume imprimé &
gravé en deux formats in-4. ° & in- 12 .
Prix 6 liv. in- 4.° & 3 liv . in - 1 2. brochés
, 1760. A Paris , de l'Imprimerie
de Brunet , Imprimeur de l'Académie
Françoife.
ON fe feroit fait un devoir , de mettre
aujour cette premiere partie , au mois de
Juin dernier, comme on l'avoit annoncée;
on avoit été moins fenfible à l'accueil
qu'on a daigné faire au projet de cet ouvrage
. Le programme qu'on en diſtribua ,
vers le commencement de l'année 1759 ,
a procuré des connoiffances , qu'on a t ché
I. Vol. F
112 MERCURE DE FRANCE
de mettre à profit . On a voulu avoir égard
auffi aux avis , que des perfonnes diſtinguées
dans la république des Lettres , &
dans celle des Beaux Arts , ont donnés ,
pour le rendre digne de la faveur du Public.
Tout cela a demandé un temps dont
on ne regrettera point le facrifice , quel
que puiffe être le fuccès de ce premier Volume
; parce qu'on ne croit point avoir de
reproches à fe faire. Voici une idée générale
de fon exécution .
Après une préface , dans laquelle on expofe
le plan de toute l'Hiftoire des Philofophes
modernes , eft un difcours préliminaire
, qui contient une Hiftoire abrégée
de la Métaphyſique , ſon objet & ſes
avantages . On y juftifie le choix qu'on a
fait des Métaphyficiens , placés au nombre
des Philofophes modernes . Ces Métaphyficiens
font Erafme , Hobbes , Nicole,
Loke , Spinofa , Malebranche , Bayle ,
Abbadie , Clarke , & Collins .
On trouve donc ici leur hiftoire : c'eſtà-
dire , leur vie , leur caractère , leurs
moeurs , & un précis de leurs ouvrages ,
& de leurs controverfes ; fuivis de leurs
fyftêmes fur la Métaphyfique. Ces fyftêmes
, forment une espèce de cours de
Métaphyfique , qui comprend les parties
éffentielles de cette fcience , dont on
AVRIL. 1760: 723
donne les principes & les règles. On peut
réduire ces parties , à ces points principaux.
1. L'analyfe de l'homme , de fes
paffions & de fes écarts , confidéré , foit
en particulier , foit en fociété ce qui
forme un tableau de l'hurnanité , & dans
lequel font renfermés les fondemens de
toutes les loix. 2.° La nature & les facultés
de l'efprit humain ; l'origine , le progrès
, & l'étendue de fes connoiffances.
3. L'art de penfer & de raifonner , & de
diriger toutes les opérations de l'efprit.
4. L'ufage de la raifon , dans tous les
événemens de la vie . 5. ° L'art de connoître
la vérité , en évitant les illufions &
les erreurs auxquelles l'homme eft fujet ,
dans la recherche qu'il en fait. 6. ° Enfin
m la nature & les attributs du Créateur ,
& ceux des êtres en général.
་ ་
།
A l'égard des Portraits , qui entrent
dans ce Volume , ils ont été deffinés d'après
les originaux les plus authentiques ,
par MM. Vanloo ( Carle ) Pierre , Vien ,
&c. tous Membres illuftres de l'Académie
Royale de Peinture. On les a gravés dans
le goût du crayon , parce que cette
gravure rend mieux l'efprit du deffein
& celui des originaux , que la gravure
ordinaire qu'elle rend parfaitement
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
la reflemblance ; & afin qu'ils fervent en
même temps de modéles , à ceux qui veulent
apprendre à deffiner. Ces Portraits
font in-4. & in- 12 . comme les formats
des deux Editions , & traités avec le
plus grand foin. Mais les Portraits in- 4º.
doivent être préférés par ceux qui voudroient
les deffiner , ou qui feroient bien
aifes de les avoir féparément , pour les
mettre fous vèrre , afin d'en orner leur
Cabinet.
LES HYMNES DE SANTEUIL , traduites en
vers françois , par S, P. C. P. D. vol . in-
12 ; à Paris , chez J. Barbou , rue S. Jacques
, aux Cigognes. Le même Libraire
débite auffi les Hymnes de Santeuil , en
latin , en un vol . in- 12 ; ainfi que les oeuvres
du même Auteur , en 3 yolumes.
LES HÉROÏDES de M. Dorat , nouvelle
édition , in- 8. Effai fur la déclamation
tragique , par le même. On en trouve des
exemplaires , chez Cuiffart , Libraire ,
quai de Gêvres. Ces ouvrages , déja connus
, ont annoncé ce qu'on pouvoit attendre
du jeupe Auteur de Zulica.
ANECDOTES galantes , ou le Moralifte
à la mode , par M. J. Ha *** , in- 12,
AVRIL. 1760. 125
AAmfterdam, 1760 ; & fe trouve à Paris,
chez Duchesne , rue S. Jacques, au Temple
du goût , & chez Cuiffurt, quai de Gêvres ,
à l'Ange Gardien.
LE PRIX DE LA BEAUTÉ , ou les Couronnes
, Paftorale , en 3 Actes , & un Prologue
, avec des divertiffemens , fur des
air choifis & nouveaux. Cet ouvrage, enrichi
d'eftampes agréables , & des autres
ornemens typographiques dignes de les
accompagner , eft imprimé in- 4. ° , & fe
vend Paris , chez Delormel , Libraire ,
rue du Foin , à Ste Génevieve. Nous
comptons en parler plus amplement , dans
la fuite.
DISCOURS fur l'éducation , par M. Vaniere
, Brochure , in- 8.º 1760. A Paris
chez Boudet , rue S. Jacques ; chez Cailhau
, quai des Auguftins ; & chez Lambert
, rue , & à côté de la Comédie Françoiſe.
AMUSEMENS d'un Homme de Lettres ;
ou , Jugemens raifonnés , & concis , fur
tous les Livres qui ont parus tant en France
que dans les Pays étrangers , pendant
l'année 1759 ; divifés ,par femaines: 4 vol.
in- 12 ; dont le prix eft de 5 liv. brochés ,
& de 7 liv. reliés : chaque volume conte-
S
F iij
126 MERCURE DE FRANCE
nant 360 pages . A Manheim , 1760 ; &
fe trouve à Paris , chez Cailleau , Librai
re , quai des Auguftins , près le Pont Saint
Michel .
HISTOIRE des Temples des Payens ,
des Juifs , & des Chrétiens , dédiée à la
Reine ; par M. l'Abbé Ballet, ancien Curé
de Gif , & Prédicateur de S. M. Chez le
même Libraire.
OBSERVATIONS fur un ouvrage,intitulé,
Vindicia Typographica , pour fervir de
fuite au Traité de l'origine & des productions
de l'Imprimerie primitive , en Taille
de bois. Par M. Fournier le jeune. A
Paris de l'Imprimerie de J. Barbou.
In- 8.° 1760 .
›
LES SAUVAGES d'Europe . A Berlin
1760 ; & fe trouve , à Paris , chez Guef
fier , fils , Libraire , rue du Hurepoix , à
la Liberté.
LETTRE , à M. *** , fur plufieurs maladies
des yeux , caufées par l'ufage du rouge
& du blanc ; par M. Deshais Gendron,
Docteur en Médecine de l'Univerfité de:
Montpellier &c. A Paris , 1760.
DISCOURS , fur la connoiffance & l'ap
plication des talens ; Par M. l'Abbé Jac
AVRIL. 1760. 127
quin , honoraire de l'Académie d'Arras ,
de l'Académie des Sciences & Belles - Lettres
de Rouen , & de la Société de Metz .
A Paris , chez Duchesne , rue S. Jacques;
& chez Lambert , rue de la Comédie
Françoife. In-12 , 1760.
JUSTIFICATION de plufieurs articles du
Dictionnaire Encyclopédique ; ou , préjugés
légitimes contre Abraham - Jofepir
de Chaumeix. A Bruxelles ; & fe vend a ;
Lille , chez Pantkeuke , Libraire. In- 12 ,
1760 .
Avis de l'Auteur du MERCURE &
du CHOIX.
COMME
OмME je me propofe de rendre le
NOUVEAU CHOIX de Piéces tirées des anciens
Mercures & autres Journaux , le plus varié
, curieux , agréable & intéreſſant, qu'il
fera poffible ; j'ai tout lieu d'efpérer que
le nombre de mes Abonnés ne diminuera
pas au renouvellement de leur Soufcription
( qui doit fe faire au premier Juin
prochain , en recevant le Tome 44 de ce
CHOIX ; & qu'au contraire , je le verrar
s'augmenter de beaucoup. Cependant ,
pour que les perfonnes qui voudroient
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
commencer à foufcrire actuellement , &
qui n'auront pas les premiers volumes ,
en tout ou en partie , ne foient pas arrêtées
par la crainte de débourfer une fomme
affez forte pour fe procurer la collection
entiere ; on a pris des arrangemens
, pour faciliter l'acquifition de ces
premiers volumes , à ceux qui defireront
l'avoir abfolument complette ; & on les
donnera brochés , d'ici à la fin de cette
année 1760 , à un prix modique, fçavoir :
Les douze premiers volumes ,
pour
Les 16 vol . fuivans , c'est- àdire
, le 13 ° , jufques & compris
le 28e
e
, ce qui a formé la feconde
année , où le deuxième
abonnement , pour
Les 16 vol . fuivans , qui forment
la troifiéme année , commençant
par le 29 vol. & finiffant
au 44 , pour
e
13 1.4 f.
18 1.
zo l
Total , 511.4f.
Ceux qui prendront même les 44 volumes
à la fois , les auront brochés pour
48 liv.
Les volumes féparés , ne fe donneront
pas à moins de 30 fols piéce .
AVRIL, 1760. 129
Le port de chaque volume féparé , eſt
de dix fols par la Pofte . A l'égard des
collections entieres , ou d'une année feule
, on peut les recevoir en Province , à
peu de frais , par
moyen des Carolles
& Mellageries.
e
le
Le prix de l'abonnement, à Paris, pour
les 16 volumes , qui doivent commencer
par le 45 , ( ce qui formera la quatrième
du CHOIX , ) eft de 24 1. & de 32 1. pour
les recevoir en Province,francs de port ,
par la Pofte.
On fupplie les Soufcripteurs d'envoyer
exactement , & d'avance , leur argent , au
Bureau du CHOIX , chez M. Leris , quai
des Auguftins , dans la maifon de M. Rollin
, Libraire.
Fy
L
130 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences , Belles Lettres & Arts , de
VILLEFRANCHE , en Beaujollois . *
LEE
jour & fête de S. Louis , l'Académie
s'eft rendue dans l'EglifeCollégiale de
cette Ville , pour entendre le panégyrique
du Saint , prononcé par M. l'Abbé Deffertines
, l'un des Académiciens.
L'après-midi , elle à tenu fa féance
publique , dans la grand-falle de l'Hôtel
de Ville.
M. l'Abbé Humblot, Directeur en exercice
, en a fait l'ouverture , par un difcours
fur l'efprit philofophique , qu'il a
confidéré relativement aux avantages
qu'en retire l'humanité , & à l'abus que
l'on en fait , par rapport à la Religion.
Selon lui , le caractère diftinctif de
* L'Extrait de cette Séance Académique, qui eft
du 25 Août 1758 , avoit probablement été égaré
jufqu'à préfent.
AVRIL 1760. 137
l'efprit philofophique , eft une noble
indépendance des idées du vulgaire , une
liberté de penſer , une hardieffe , une ſublimité
de fentimens , qui l'affranchiffent
des entraves où l'ignorance & la fuperf
tition , voudroient retenir la raifon captive.
Le vrai Philofophe , n'eft point un
adorateur ftupide de l'antiquité , ni des
ufages confacrés par l'habitude : il brife
avec autant de courage , que de difcerne
ment , ces vieilles idôles , que le préjugé
rendoient refpectables. Difciple de la vérité
, il n'adopte que les idées claires & diftinctes
: la Nature, eft fon livre ; l'évidence,
eft fon flambeau.
Mais s'il préfere dans les doctrines humaines
, l'exemple à la prévention , la
raifon à l'autorité ; on ne le voit point fe
livrer imprudemment aux écarts des fyftêmes
, dans les matières qui font au deffus
de fon entendement , appeller à fon
tribunal , l'Etre fuprême ; lui demander
raifon de ce qu'il a fait , ou de ce qu'il
auroit pû faire. Bien loin de meſurer au
compas les opérations myftérieufes de la
Divinité ; il regarde comme un attentat ,
de prétendre foumettre à des argumens
incertains & équivoques , à des chimeres
métaphyfiques , l'exiſtence & les
attributs de celui qui lui donne la facul
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
té de raifonner , & de fentir. C'eft d'après
ce début , que l'Auteur entre en matière ;
& qu'il parcourt , d'un trait rapide , les
avantages & les écarts de l'efprit philofophique
, envisagé fous ces deux points de
vuë.
A la fuite de ce Difcours , on lut un
effai fur la recherche des foffilles , avec
des obfervations,fur quelques- uns de ceux
qui fe trouvent dans le Beaujollois, M.
Briffon , Infpecteur des Manufactures de
cette Province , Auteur de cet ouvrage ,
après avoir donné une idée générale des
différentes fubftances que l'on découvre
fur la furface , & dans le fein de la terre ,
& démontré l'utilité de cette branche de
nos connoiffeurs ; s'eft attaché , particu
lièrement , à faire voir que la Province
de Beaujollois , fournit de prèfque toutes
les espèces de foffilles connues.
Un des plus communs , eft le cryſtal de
roche , qui fe trouve aux environs de Régny
; où il y a une carrière confidérable
de Pecartz , qui eft rempli de cryftaux
héxagones. Il examine les caufes de la
cryftalifation en général ; & de cette cryftalifation
, fous la forme héxagone ; il fe
propofe de faire une collection des cryftaux
de tous les âges ; c'est -à- dire , depuis
le temps où le cryftal commence à fe
AVRIL. 1760. 133
former dans fa matrice , jufqu'à fon état
de perfection. Il parle enfuite , d'une eſpèce
de gypfe félénite , qu'on a découvert
dans la Paroiffe de Pommiers , jaune ,
tranſparente , faifant effervefcence dans
les acides , & devenant opaque dans la
calcination ; comme auffi d'une autre
pierre, trouvée dans la Paroiffe de Villyé ,
qui s'amollit au feu , jufqu'à fe liquéfier
en un inftant ; qui s'enflamme bientôt
après; & qui rend , en brûlant, une fumée
épaiffe avec une odeur bitumineufe , àpeu
près femblable à celle que l'on rencontre
à Lille- Adam , près de Beaumontfur-
Oyfe , & auprès de Laon . Sur chacun
de ces objets , l'Académicien fait des obfervations
propres à tirer parti de ces dé-
Couvertes.
Cet effai fut fuivi d'une differtation, fur
les Songes , par M. de la Vaupiere. L'Auteur
y décrit toutes les rêveries des Anciens
& des Modernes , fur la prétenduë
fcience de l'Onirocritique , ou l'art de la
divination par les fonges , qu'il réfute
en cherchant à développer leur caufe &
leur nature. Il fait voir , que s'il y a
quelquefois des fonges furnaturels &
prophétiques , tels que ceux atteftés par
P'Ecriture ; on auroit tort de s'en faire
des régles d'interprétation pour les fon134
MERCURE DE FRANCE.
ges naturels , qui ne font autre chofe que
l'effet que produit le cours irrégulier des
efprits animaux durant le ſommeil; & qui
n'offrent , pour l'ordinaire , d'autre indi
cation, quand ils font fouvent reproduits,
que le caractère , la conſtitution , la réminifcence
, les occupations , ou la qua
lité des alimens dont uſe communément
l'homme qui rêve. M. de la Vaupiere , en
prend de là occafion de tourner en ris
dicule la fourberie des Interprétes , la fu
perftition des Crédules , & la bonhommie
de ceux , d'entre les hiftoriens , qui ont
tranfmis à la poftérité , fur la foi d'une
tradition puérile , une foule de contes
miférables , qui déparent la gravité de
Phiftoire, & le difcernement de l'écrivain.
4.e
Le même Académicien , lut encore ,
un Conte en vers , dont le fujet étoit tiré
des Fabliaux des 12 , 13 & 1 fiécles.intitulé
, la bourse pleine de fens ; M. l'Abbé
Deffertines,une Ode tirée du Pfeaume 225
& un Dialogue de M. de la Louptière ,
entre Houdart de la Motte , & Nivelle de
la Chauffée.
M. Pezant , Secrétaire , termina la
féance, par une critique en vers, de l'édu
cation qu'on donne aux jeunes perſonnes
du fexe , qui entrent dans le monde ; fous
le titre de , Confeils à la jeune Iris....
AVRIL. 1760. 135
Dans les féances précédentes , on avoit
lû entr'autres ouvrages , une differtation
fur les trombes marines ; & des obſervations
météréologiques, par M. Goutard ,
Médecin ; la fuite des Mémoires hiftoriques
, fur le Beaujollois , par M. de la
Vaupiere ; l'explication d'un paffage de
l'Ecriture , tiré du Livre d'Efther , fur le
pays dont Aman , tiroit fon origine , par
M. l'Abbé Michel ; les parallèles des Poëfies
facrées de Rouffeau , & de M. Lefranc
, par M. l'Abbé Deffertines ; un Mémoire
pour fervir à quelques parties de
l'hiftoire du Beaujollois , & furtout , à
celles des Manufactures , & du Commerce
de cette Province ; & la théorie
du blanchiffage des fils & des toiles , par
M. Briffon ; une Differtation fur l'origine
de la Nobleffe Françoiſe , par M. l'Abbé
de Buffy ; un Mémoire hiftorique , fur la
nature & fur la perception des droits de
Franc-fiefs , & fur l'exécution de ces
droits, reclamés par les habitans du Beaujollois
, par M. Pejont.
136 MERCURE DE FRANCE.
REFLEXIONS fur la Médecine.
LA véritable Médecine , ne confiftera
jamais qu'en un amas, plus ou moins grand,
d'obfervations & d'expériences fûres &
précifes , qui nous apprennent quelque
chofe fur la nature des maladies , & fur
la vertu des remèdes ; & dans le jugement,
qui fçait faire de ces expériences un
ufage plus ou moins certain , & plus ou
moins étendu. Tous les efforts que les fçavans
ingénieux & fyftématiques font
pour perfectionner la phyfique du corps
humain , & avancer le progrès de la Médecine
, ne font qu'ajouter à l'incertitude
de cette fcience. Quant à la théorie
, tout eft problématique , tout eft
contreverfé : il n'eft aucun point , où
les plus célébres Auteurs, ne fe trouvent
en oppofition .
L'obfervation,apprend fouvent, en Mé-
'decine , ce que le raiſonnement ne trouveroit
jamais.
L'expérience , ne pourra jamais conduire
la Médecine à fa perfection , fans
le raiſonnement ; & le raifonnement rendra
toujours cette fcience incertaine &
problématique.
AVRIL 1760 . 137
Nous connoiffons trop peu tout ce qui
conftitue l'économie animale ; nous ne
fçavons ni la compofition des folides ,
ni celle des fluides ; nous ignorons la maniere
dont s'exécutent les principales
fonctions de notre corps ; comment ſe
forme le fang ; la nature & les propriétés
de ce liquide , & des différentes
humeurs qui en dérivent ; comment le
fait le mouvement animal ; l'influence
de l'âme fur le corps , & tous les rapde
cette influence dans les différens
états de fanté & de maladie ; l'influence
de l'air fur notre machine : encore moins
connoiffons nous toutes les altérations
vicieufes dont notre fang , & nos humeurs
font fufceptibles , & toutes les différentes
manieres dont nos fibres perdent
la difpofition qui les conftitue dans
l'état de fanté.
ports
Un Médecin, qui fçait fon art , eft ſouvent
réduit à avouer qu'il ne comprend
rien à la maladie qu'il voit ; & dans ces
occafions il eft encore très - utile , en ce
qu'il n'entreprend rien qui puiffe nuire au
malade le Médecin ignorant , croit toujours
connoître la maladie , & voir ce
qui n'eft pas dans la nature : il eft d'autant
plus dangereux , qu'il agit, avec plus
de fécurité & de hardieffe .
138 MERCURE DE FRANCE.
Un Médecin, pour travailler avec quelque
certitude & quelque fuccès , auroit
befoin de connoître tous les tempéramens
individuels : car il y une dif
férence inconcevable entre les corps ,
qui d'ailleurs fe reſſemblent tant !
Dans les maladies aignes , on doit recourir
aux remèdes : dans les maladies
chroniques , on doit s'en tenir au régime.
J'excepte celles , qui ont leurs fpécifiques.
Pour pouffer , autant qu'il eft poffible ,
les découvertes fur l'éfficacité des remé
des ; il faudroit pouvoir diftinguer les
cas où la guérifon eft abfolument due
à leur action , de ceux où elle n'eft que
l'effet des opérations de la nature. Il
faudroit encore , que l'éfficacité du reméde
, qui a produit la guériſon , ne fût
point rendue équivoque par la multipli
cité , & la différence des remédes qu'on
employe fouvent dans le même tems.
S'il y a quelque chofe qui foit capable
d'ôter la confiance que l'on pourroit
avoir en la Médecine , c'eft la différence
étrange qu'il y a entre les remédes que
les Auteurs prefcrivent pour les mêmes
maladies.
Dans les maladies , qui ne font pas
directement mortelles , la Médecine eft
très-utile , en ce qu'elle eft ordinairement
AVRIL. 1760. 159
füre de guérir , qu'elle abrége la gnérifon
, & qu'elle prévient les fuites fâcheufes.
Dans les maladies mortelles , elle
eft peut- être aufſi ſouvent nuifible que falutaire
; en ce qu'elle croife fouvent la
nature , ou qu'elle hafarde des remédes
qui la troublent , & l'offenſent.
On ne connoît guères que les maladies
qui naiffent des évacuations fupprimées
, & des différentes corruptions qui
s'engendrent dans les premieres voyes :
celles qui dépendent des affections morbifiques
des nerfs & des altérations
vicieuſes du fang , de la lymphe, & du fue
nerveux , font encore des énigmes.
Il n'y a rien de certain , ni dans les
caufes des maladies , ni dans les fymptomes
, ni dans les remédes & c .
On n'enviſage , ordinairement , que la
guérifon ou le foulagement des fymptomes
, en traitant une maladie ; tandis
qu'il faudroit fe propofer de combattre
la caufe prochaine qu'on ignore , & qui
exigeroit très - fouvent des remédes bien
oppofés à ceux qui paroiffent remplir
les indications que les fymptomes fourniffent.
On eft partagé fur la maniere de guétir
les maladies , même les plus communes.
Par exemple ; parmi les Médecins
140 MERCURE DE FRANCE.
•
les plus célèbres , il y en a autant qui
employent la faignée dans le traitement
des fiévres intermittentes , qu'il y en a
qui l'excluent.
On juge prefque toujours mal , quand on
juge de la vertu des médicamens , & des
caufes des maladies , par les effets qu'on
obferve après l'application des remédes ;
effets très fouvent équivoques. Il eft rarement
fûr , que le changement qui ſuit un
reméde, foit le produit de fon action . Plufieurs
remédes, employés en même tems ,
produisent une action combinée , qui peut
donner une idée fauffe de la nature de la
maladie, & de l'effet de chaque reméde en
particulier d'ailleurs les effets d'un remédes
font fouvent produits par un changement
phyfique , très-différent de celui
que nous imaginons être néceffairement
attaché à l'application de ce reméde.
Il feroit fouvent difficile de déterminer
fi les bons effets d'un remède , ne font
pas inférieurs aux inconvéniens dont il eft
fuivi , & au préjudice qu'il caufe dans la
fuite à l'oeconomie animale.
Dans le cas même où l'on croit avoir
des indications claires , pour preſcrire un
reméde ; eft- on fûr de ne pas ignorer des
contre-indications cachées , que la plus
grande fagacité ne peut pénétrer? Le corps
AVRIL. 1760. 141
humain eft fi compofé ! l'harmonie qui le
foûtient , tient à un fi grand nombre de
dépendances , & de mouvemens fi délicatement
& fi merveilleufement combinés
, qu'il n'eft prèfque pas poffible de
saffurer que le moindre changement
qu'ony apporte , quelque avantageux &
néceffaire qu'il puiffe paroître , ne fera
pas fuivi d'un dérangement notable.
L'action immédiate des remédes , dans
le corps humain , fera toûjours un myftère
, quelque effort que faffent les Médecins
pour l'expliquer . Cette action eſt
fi difficile à comprendre , que le même
remède , pris dans la même circonftance ,
produit fouvent des effets entiérement oppofés
dans les différens tempéramens .
Un reméde , donné pour refferrer, relâche ;
un reméde , qui doit adoucir , irrite & c .
Que de maladies , dont on ignore encore
la nature ! On ne connoit point les
virus vérolique , fcorbutique , écroüelleux,
cancereux , hydrophobique , variolique ,
&c. Eh ! peut-on traiter une maladie avec
une certitude entiere , quand on ignore
fa caufe prochaine , fon être immédiat ?
nous dirigeons la cure , en raisonnant fur
les effets éloignés de la malad e & des remédes.
A combien de méprifes , d'erreurs,
& de hazards , n'eſt pas expofée une telle
pratique ?
142 MERCURE DE FRANCE.
La mode , s'étend jufqu'à la pratiqu
médicinale. On oublie , on abandonn
des remédes excellens , parce qu'ils for
anciens; & on employe, obftinément , de
remédes que la nouveauté rend fameux
malgré le peu de bien qu'on en retir
Bien plus ; la mode nous dégoûte de
opinions très-folides , parce qu'elles
trouvent dans de vieux Auteurs , qu'o
ne lit prefque plus ; & elle nous attach
à des opinions bizarres , & qui ont
peine la plus légere vraisemblance : parc
qu'elles font nouvelles , & qu'elles paroi
fent dans des ouvrages qui ont du cours.
Si nous avons quelque chofe de fûr, e
remédes , c'eft les fpécifiques ; & nous n'a
vons de bons remédes, que ceux qui tien
nent un peu de la nature des fpécifiques.
Le peu d'analogie qu'on apperçoit, en
tre la nature des fpécifiques & celle de
maladies qu'ils guériffent , doit rendr
fufpect les raifonnemens qui nous déci
dent pour le choix des médicaments
dont l'action paroît s'ajuster à la caufe de
maladies pour lesquelles nous n'avon
point de fpécifiques. Qui eût jamais dit
fi l'expérience ne l'avoit appris , qu'un
écorce groffière , pût combattre une ébul
dition du fang , une fermentation fébrile
Qui eût jamais penfé , qu'une racine très
AVRIL. 1760! 143
âcre , eût été propre à guérir un état inflammatoire
des inteftins ? que le mercure
, incapable d'altération & ¡de changement
, étant infinué par les pôres de
la peau , pût détruire le virus vérolique
intimé avec la fubftance des os ? que le
vitriol blanc , en irritant & en picotant
avec violence , dût emporter promptement
l'inflammation des yeux , organes
fi délicats ? &c.
Dans les maladies compliquées ; quelque
judicieux qu'on puiffe être , on ne
fçauroit prendre qu'un parti très-hazardeux.
Le danger fe mefure fur l'impoffi
bilité de connoître jufqu'à quel point s'étendra
l'effet d'un remède , qui eft contraire
à certains égards ; & jufqu'à quel
point, l'excès de l'effet de ce reméde boulverfera
l'oeconomie animale . Il y a en
core un très -grand inconvénient , en ce
qu'en voulant fatisfaire à des indications
oppofées , on preſcrit des remédes dont
les effets s'entredétruifent ; ou dont l'action
, qui réfulte de leur mêlange & de
leurs opérations confondues ou alternatives
, produit de grands défordres dans
notre corps.
•
Si la médecine étoit plus parfaite , elle
feroit plus fimple & plus uniforme ; elle
feroit débarraffée de ce fatras immenſe de
#44 MERCURE DE FRANCE.
remédes & de formules : la pratique médicinale
feroit toûjours la même , & les
différences qu'elle exigeroit , par rapport
aux différens climats , aux différens tempéramens
&c. feroient également fixées.
La chofe la plus commune , feroit fouvent
le meilleur reméde ; & on guériroit , trèsfouvent
les malades , fans les obliger d'avaler
les drogues les plus révoltantes , &
dont le dégoût eft quelquefois plus difficile
à furmonter , que le mal ne l'eſt
à endurer.
La pratique médicinale , préfère aujourd'hui
les remédes fimples aux remédes
compofés. Cette méthode feroit , fans contredit
, la plus avantageufe , fi on pouvoit
toujours trouver dans une feule drogue ,
affez de vertu pour guérir. Mais comme il
eft ſouvent néceffaire d'en réunir plufieurs,
pour avoir , dans l'affemblage de toutes ,
le degré de vertu qu'il faut pour détruire
la maladie : il eft vrai auffi , que ce mêlange
de drogues , a plufieurs inconvéniens.
Le principal eft , qu'on n'eft jamais bien
fûr de l'effet qui doit réfulter d'un tout
compofé de diverfes drogues , dont l'affociation
peut changer les propriétés .
Les remédes n'agiffent , qu'en changeant
le mouvement fyftaltique des folides
; ou en altérant la conftitution des
fluides :
AVRIL. 1760 . 145
fluides or la différence infinie de la nature
des fibres , & de la qualité dans les
humeurs , dans les divers fujets , fait que
le même reméde , dans un cas femblable ,
opère un changement falutaire aux uns ,
& très-nuifible aux autres ; comme l'expérience
nous le fait voir. C'est pour- '
quoi il faudroit , fouvent , pour guérir une
maladie , un reméde tout -à- fait différent
de celui qu'indique le rapport que le raifonnement
fait appercevoir , entre la nature
de la maladie , & les effets connus ›
d'un tel remède .
Les moindres incommodités , font les
plus difficiles à expliquer , & à guérir .
Il ne faut pas moins de jugement &
de fagacité, dans l'appliquation des fpéchiques
, que dans l'ulage des autres remédes.
Il eft un grand nombre de maladies ,
qui le déclarent fi peú , fi confufément ,
& par des fignes fi obfcurs ou fi équivoques
, qu'il eft prèfqu'impoffible de
difcerner ni ce qui conftitue l'état morbifique
ni ce qu'il faut faire pour y remédier.
Qu'on doit plaindre un malade , dont
la maladie dépend d'un vice ou dérangement
organique intérieur & profondément
caché , qu'on ne peut deviaer, &
I, Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
qu'on ne foupçonne fouvent pas ! On faifit
de fauffes indications ; on eſſaye de tous
les remédes ; le malade a à fouffrir &
fọn mal , & l'uſage défagréable des remédes
qui ne font pas faits pour le guérir !
Je défapprouve, en Médecine , les méthodes
générales de guérir , que les Auteurs
tracent dans les traits des différentes
efpèces de maladies : on ne peut en faire
ufage , fans s'appercevoir bientôt qu'elles
font impraticables , très- défectueufes , &
qu'elles ont befoin d'être infiniment modifiées
. La diverfité des tempéramens ,
des climats , des âges , des faifons ; les
différens degrés de la maladie ; les différentes
difpofitions des malades , & c . dé
tournent l'application des règles générales,
& exigent un fi grand nombre d'exceptions
, que ces règles ne fubſiſtent
plus. Un Médecin ne devroit jamais avoir
pour guides , dans la pratique , que les
connoiffances générales de la nature des
maladies , & des effets des remédes ; &
adapter ces connoiffances , aux vues que
peuvent lui fournir toutes les circonftances
combinées de la maladie.
Le concours des fymptomes qui caraçtériſent
une maladie , ne défigne jamais
fûrement fa caufe prochaine. Combien
de fois , l'ouverture des cadavres a- t-elle
AVRIL. 1760. 147
montré,que la caufe d'une maladie étoit
toute autre que celle que les fymptomes
annonçoient ? On ne peut employer trop
d'attention & de fagacité , quand on veut
déduire de tous les fignes que préfente
une maladie , la connoiffance de la caufe
immédiate qui la produit.
Le reméde le plus doux , le plus fimple ,
& le moins malfaifant , peut devenir extrêmement
pernicieux & meurtrier , s'il
eft donné dans une circonftance où fes
effets foient capables de déranger quelque
opération falutaire de la nature .
Quel est le Médecin qui peut deviner ,
dans le cours d'une maladie , les mouvemens
que la nature excite pour travailler
àla guérifon, & qui interdifent l'ufage des
remédes qui paroiffent d'ailleurs trèsinnocens
& très indiqués ?
Les maladies qui embarraffent le plus
un Médecin , font celles qui ne préfentent
que les fymptomes , qui font communs à
plufieurs maladies différentes.
Il arrive ſouvent , dans la pratique médicinale
, que le reméde produit l'effet
que fe propofe le Médecin ; mais en agiffant
d'une toute autre manière qu'il n'imaginoit.
On n'eft prèfque jamais fûr , en médeecine
, que l'action d'un remédé qu'on
}
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
employe pour guérir une maladie , ne
caufera point une autre maladie auffi
grande , ou même plus grande."
Dans les maladies difficiles, le Médecin
concoit des vuës curatives , que l'imagination
lui fournit ; & qui font fouvent
très - éloignés des intentions de la Nature.
La faignée & la purgation , font deux
remédes d'un ufage très- étendu ; & c'eſt
peut être parce qu'ils touchent aux cauſes
des maladies les plus ordinaires , & les
plus fréquentes , qu'on en fait un fi grand
abus. Cet abus peut encore procéder, de
ce que leur ufage eft ordinairement fondé
fur des indications , qui ne font pas allez
fûres,
La faignée , la purgation , & les fpécifiques
, font les feuls remédes dont on voit
des effets affez évidens & peu équivoques,
pour la guérifon des maladies.
Il faut quelquefois des remédes , qu'on
appelle préparans , dans le traitement de
plufieurs maladies ; mais on fait fouvent
un trop long circuit , avant d'en venir à
ceux qui attaquent immédiatement la
caufe du mal.
Il y a deux excès уа , dans la pratique, médicinale
: l'un, confifte à n'employer jamais
que des remédes doux ; l'autre , à n'employer
que des remédes violens.
AVRIL. 1760. 149
.
Il eft des cas , où il eft prèfque impoffible
de difcerner , fi le mauvais état d'un
malade dépend de la foibleffe & de
l'épuisement qui peut réfulter d'une longue
& grande maladie ; ou s'il eft le produit
des caufes perfévérantes de cette même
maladie.
Les attentions les plus fimples , les plus
communes,& qui font fouvent les feules
néceffaires dans le traitement des maladies
, échappent quelquefois à la fagacité
des Médecins les plus habiles & les plus
expérimentés.
Ce grand principe de médecine , que
lart ne doit qu'aider la nature , n'eft ni
exact , ni affez univerfel . Il fuppofe, que
la nature fait toujours des efforts pour fe
débarraffer de ce qui lui eft contraite ; &
cela eft faux. Les mouvemens qu'elle excite
fouvent dans les maladies , loin de
tendre à l'en délivrer , font plutôt euxmêmes
des effets nuifibles du mal , ou d'autres
maux encore pires que ceux dont
ils nailent. Ainfi on doit fubftituer à ce
principe que nous réfutons , celui - ci , qui
feroit d'une plus grande généralité, & qui
feroit vrai à tous égards : que tout le but
de l'art , eft de redreffer la nature.
Il réfulte , de ces obfervations ,
médecine fera toujours bien imparfaite
que
la
G iij
so MERCURE DE FRANCE.
& qu'on devroit en interdire l'exercice à
tout homme qui n'eſt pas en état de donner
des preuves certaines d'un jugement
fain , droit , lumineux, & profond.
PROBLEME GÉNÉALOGIQUE.
M.P'Abbé de Marolles , ayant confidéré
que chaque homme a un pere & une
mere , deux grands- peres & deux grandsmeres
, & ainfi de fuite ; en forte que le
nombre de fes ancêtres fe multiplioit en
proportion géométrique , ou en raifon
double : il en a fait le calcul, pour un cer
tain nombre de degrés. Et comme il eft
bientôt parvenu à une fomme prodigieufe,
en s'y arrêtant ; il en a conclu , que quelqu'homme
que ce foit , fuppofe exiſtant ,
fort néceffairement de tous ceux qui vivoient
dans un tems donné , grands &
petits.
*
Il foutient donc , qu'il n'y a pas non
feulement de gentilhomme , mais de
laboureur , qui ne foit réellement iffu de
tous les Princes & les Rois qui vivoient
il y a fix ou fept cens ans ; comme il n'y
a pas de Rois , qui ne tirent leur origine
de tous les laboureurs du même tems.
AVRIL 1760. 151
Effectivement , en fuivant ce calcul ,
feulement jufqu'à la vingtième génération
; on trouve , que chaque homme , a
plus d'un million de peres ou de meres ;
& plus d'un million de peres , feulement
à la vingt-uniéme . Or , à la vingt- quatriéme
, on en compte plus de feize millions
: c'eft- à-dire , que chaque François
auroit , il y a environ 500 ans , plus
d'ancêtres que la France ne contenoit de
gens mariés.
Ila même fait l'application de ce principe
, à fa propre perfonne. Et en prenant
au hazard des Princes & des Rois , dont
la généalogie plus connue eft aisée à lier
avec celles dont on conferve des preuves:
il a démontré , qu'effectivement , il en
étoit iffu . La même rentative , a réuffi
pour plufieurs autres maifons .On ne peut,
avec la même facilité , remonter aux fources
roturières, qu'il reconnoît également ;
parce qu'on n'a pu prendre le même foin
dy conferver l'ordre des filiations . Mais
le principe fuppofé , ( & démontré felon
lui;) la conféquence lui en a paru évidemment
néceffaire.
I
Telle eft la folution de ce problême
fameux que donna , il y a un fiécle , će
laborieux écrivain. Tout le monde en fat
frappé ; & l'application parut répondre fi
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
heureufement au principe , qu'elle fut
adoptée par d'autres Auteurs ; & qu'on
ne penfa ni à la contredire , ni à la foumettre
à un nouvel examen .
Cet examen , négligé jusqu'ici ,m'a paru
curieux , & je l'ai fait , & il m'a démontré
la fauffeté de la folution de l'Abbé de
Marolles.
PREMIERE PREUVE. Si de la vingtiéme
génération , à laquelle nous nous fommes
arrêtés , nous paffons à la trentiéme ; la
méthode fuppofée nous donnera , pour
chaque homme , plus d'un milliard d'ancêtres
: c'eft- à-dire , plus que la terre entiere
n'en a jamais porté à la fois .
Mais fi nous fuivions ce calcul jufqu'au
temps de Noë; il en refulteroit, qu'alors ,
le nombre de ces ancêtres étoit égal , &
peut- être fupérieur à la fomme générale
de tous les hommes qui ont exifté fucceffivement
dans le cours des fiécles. Il
n'eft pas besoin de pouffer davantage ce
raifonnement ni de remonter jufqu'à
Adam , pour faire fentir l'abfurdité de la
fuppofition : puifqu'au temps de Noë ,
comme dans celui des premiers hommes ,
. ce nombre prodigieux d'ancêtres que donne
le principe , fe trouve cependant réduit,
dans le fait , à celui de deux perfonnes.
>
AVRIL. 1760 . 153
>
SECONDE PREUVE, qui indique la caufe de
l'erreur , & une autre folution au problême.
Si le mariage entre freres & foeurs avoit
continué d'être néceffaire comme au
temps d'Adam & de Noë ; ou fi l'ufage
s'en étoit confervé , comme chez les Perſes
; on voit clairement que le pere & la
mere de chacun , ayant les mêmes peres
& meres , le monde durât- il cent mille
ans , la multiplication fuppofée, n'auroit
aucun lieu ; & que , quelque degré que
ce fût , on ne compteroit jamais que
deux
ancêtres.
Ne permettons les mariages , qu'entre
coufins - germains; cette hypothèſe donne
deuxgrands
-pères & deux grands - mères
à
l'enfant
Si
les
deux conjoints
, font
cousins
gerqui
en
fort
; ou
quatre
ancêtres
.
main
d'uu
feule
côté
, ils
auront
, à la
vérité ,
fix
ancêtres
au
troifiéme
degré
,
a
lieu de huit
; mais
s'ils
étoient
coufinsgermains
des deux côtés , ils n'auroient
également que
quatre
ancêtres
à ce
degre:
parce que
les
mêmes
ancêtres
le feroient
à
plufieurs
titres
.
de
l'Abbéde
Marolles
, eft
inapplicable
, par
left
donc
évident
, que
la
fuppofition
exemple
, à
un
peuple
comme
celui
des
que
l'ufage
, &
même
la
loi
, obligeoient
à ne
point
contracter
d'ailliance
Juifs ;
Gy
154 MERCURE DE FRANCE :
étrangere ; & même à s'affujettir à la même
tribu; & , par préférence , à la même
famille.
pas
Nos loix étant différentes , nous donnent
nécefairement une plus grande diverfité
d'ancêtres. Mais ce que ne font
les loix , les ufages , & les convenances
en raprochent. On prend peu d'alliances
hors de fon Royaume , hors de fa Province
, hors de fon canton ; la diftinction
des états & des claffes , refferre encore la
fphère dans laquelle on pourroit s'étendre.
pas
En prenant donc les chofes dans l'état
où elles font par nos loix, & ne faiſant
même d'attention aux diſpenſes , quoique
fréquentes , qui permettent les mariages
aux degrés prohibés ; partons de la loi
même , & diſons,qu'on peut à la cinquième
génération, compter trente- deux ancêtres
par chaque homme . Mais ce degré paffé ,
non feulement il eft poffible , mais il eſt
ordinaire , mais il eft prèfque néceſſaire ,
que les races rentrent les unes dans les
autres , & que ces différens ancêtres remontent
par divers rameaux à des fources
communes.Il eſt donc non feulement poffible,
mais aſſez vraisemblable, qu'à la ving
tiéme génération , il y aura tels hommes
qui ne compteront pas plus de deux ou
Trois cens ancêtres , nombre qu'on leur
donneroit dès la huitième.
+
T
AVRIL 1760. Iss
Le nombre a dû même être moins
grand , à mesure qu'on a été plus attaché
à ne contracter que des alliances afforties,
& que les conditions ont été moins mêlées.
Le petit nombre des nobles, finit dans leurs
Provinces par leurs Fiefs : le peu d'ufage
des roturiers d'abandonner ou les terres
ou les villes qui les avoient vû naître
les obligeoient, de part & d'autre, à s'allier
dans leur voifinage, & dans leur état .
#
La régle que j'ai indiquée , fubfifte encore
dans le peuple qui derneure peuple ,
parceque le Colon a très--peu de moyens ,
& moins de goût pour s'expatrier, & chercher
au loin des alliances qu'il trouveroit
difficilement fans connoiffance & fans
fortune. De-là , tant de mariages dans cet
ordre, faits contre la loi, c'eft- à- dire à des
degrés prohibés , qu'on eft obligé de rehabiliter
, quand les parties viennent à
être inftruites ; & plus encore , de même
nature,qu'elles n'approfondiffent jamais.
Depuis que les méfalliances font deve
nues fréquentes , & que la finance & le
commerce ont donné tant de moyens aux
roturiers de changer de place , comme
d'état , cette régle eft moins générale
pour la Nobleffe. Mais l'origine de cette
confufion, eft très- moderne ; & il n'y a pas
deux fiécles , qu'on comptoit encore les
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
méfalliances dans - les familles nobles ,
& qu'on ne les voyoit qu'avec étonne-
.ment .
Il est donc très-apparent , que quand
l'Abbé de Marolles auroit pû recouvrer
les filiations de cinq ou x cens familles
roturieres,même des meilleures de fa
province
, depuis 5 ou 600 ans ; il n'auroit
pû remonter par la fienne, je ne dis pas à la
fouche de chacune ( comme il le prétendoit
) mais à celle d'un grand nombre ,
& peut-être d'anciennes . Si donc il a été
plus heureux , dans l'application de fa méthode
à des maiſons illuftres , c'est que la
fienne même participoit à cette illuftration
par un nombre confidérable de grandes
alliances, qui fuppofent toujours , furtour
à proportion de leur ancienneté ,
une grandeur propre à la maiſon même
qui les a contractées .
·
Il eft donc très faux qu'autant de fang
vil fe foit tranfmis dans celui des grands
Seigneurs & des Princes ; comme il eſt
impoffible que beaucoup de fang illuftre ,
ait paffé dans les veines des gens du peuple
, ou de fortune.
Par l'état actuel , mais moderne des
chofes , il n'y a peut- être point de Souverain
qui ne compte parmi les ancêtres ,
quelqu'homme nouveau ; comme on peut
AVRIL. 1760." 157
fuppofer plufieurs familles roturières , qui
remontent leur origine par quelqu'une
de leurs mères , à une ou deux tiges illuftres
: mais en général , les familles nobles ,
anciennes , & les grandes maifons , en remontant
leurs degrés , rentreront les unes
dans les autres ; & dans un efpace de
temps , même très- court , on verra les
Souverains fortir plufieurs fois du même
Prince.
Il n'en faut pas un exemple plus frappant
, que celui du Roi même ; qui felon
les tables qui en ont été dreffées par M.
l'Abbé Dangeau & par M. Chazot , eft
prouvé fortir par fept branches différentes
de Henri le Grand ; qui n'eft , cependant
, que fon quadrifayeul . Cet exemple
feul, renverfe de fond en comble tout
l'édifice de l'Abbé de Marolles , & juſtifie
pleinement la folution du problême que
j'ai fubftituée à la fienne.
On peut donc être affuré , qu'il n'y a
point de maifon vraiment grande , qui
compte beaucoup d'ancêtres anciens dans
la roture ; comme il n'y a que les grandes
maifons , qui puiffent remonter par
beaucoup de rameaux , à des origines diftinguées.
Le Pere Méneftrier , donna,d'après MM.
de Ste Marthe , un catalogue d'environ
138 MERCURE DE FRANCE
200 maiſons , qui prouvent leur defcen
- dance de celle de France ; & fur ce principe
feul , il les mettent au nombre de la
grande & de la haute Nobleffe .
:
C'eft, fans doute , une très-grande illuftration
, qu'une pareille origine : mais fi
elle n'étoit fondée que fur une feule alliance
; fi d'ailleurs , la famille qui s'en honoreroit
, ne prouvoit pas une ancienneté
de plufieurs fiécles , fans qu'on pût indiquer
fon commencement ; fi elle n'y joignoit
pas d'autres alliances , qui fans érre
égales , ne laifferoient pas d'indiquer la
confidération dont elle jouiffoit : je ne
croirois pas que ce caractère unique , dût
lui faire adjuger l'égalité avec les plus
grandes maiſons.
Mais il n'y en aura aucunes qui aient
intérêt de difputer ce titre , à celles qui
juftifiant qu'elles font alliées à grand
nombre d'entr'elles , auront encore fur
plufieurs des meilleures, l'avantage de tirer
leur fource du fang royal , ou d'autres
maifons fouveraines ; furtout fi c'eſt
par plufieurs différens côtés.
*
AVRIL 1760. 159
LETTRE de M. N. Echevin de Bolbec ,
à M. l'Abbé VOSGIEN , Chanoine de
VAUCOULEURS.
J'ai été furpris , Monfieur , en parcou- ΑΙ
rant votre Dictionnaire , de ne point y
trouver Bolbec , quoiqu'il contienne des
lieux bien moins confidérables . Il a eu
chez vous le même fort, que dans la plûpart
des Dictionnaires géographiques . A
l'exception d'un , ou de deux , je n'en
connois point qui ayent fait mention de
lui. Vous me pardonnerez , de m'intéreffer
à l'honneur de ma patrie : j'eſpère
fournir affez de chofes, pour n'être pas accufé
de partialité en fa faveur.
Bolbec on Bolabec , eſt un bourg * placé
dans une vallée fort étroite , coupée par
un grand ruiffeau , qui donne fon nom à
la bourgade. Le ruiffeau , prend fa fource
dans le lieu même , au pied d'une colline
couverte de bois , d'où lui eft venu , fans
doute , le nom de Bofc- Lebec , comme
qui diroit , le ruiffeau qui prend fa fource
dans le bois. De là , après des caſcades
* Dans le Pays de Caux , en Normandie.
160 MERCURE DE FRANCE.
très- fréquentes , qui font tourner plus de
trente moulins , tant à foulon , qu'à bled ,
dans l'étendue environ d'une lieue depuis
fa fource , il roule des eaux affez
tranquilles , jufqu'à la Seine , où il va
perdre fon nom .
L'air eft fort bon dans , cette vallée :
tous les étrangers établis dans le lieu , s'en
louent beaucoup ; & les Officiers en garnifon
aux environs , quittent leurs quartiers,
dans leur convalefcence, pour venir
refpirer l'air de Bolbec. Il n'y manque
que des eaux minérales, pour le mettre en
réputation . La grande route de Rouen
au Havre , qui , fuivant le nouveau plan ,
doit y paffer, le fera connoître. Le bourg
eft à douze lieues , environ , de cette capitale
, & à fept de ce port , à cinq lieues
de Caudebec , d'Yvetot , de Fefcamp ,
de Montivilliers , de Harfleur.
Bolbec a un marché, dont le droit appartient
à M. le Duc d'Harcour : la halle
eft ouverte , le lundi & le jeudi . La foire
releve de trois Seigneurs; elle tient le lendemain
de la S. Michel ,à moins que cette
fête ne tombe le famedi , le dimanche,ou
le lundi ; car , alors , la foire eft remife
au jour qui fuit celui du marché .
Il
y a deux hautes Juftices , qui tiennent
leurs audiences à Bolbec : celle de Lille-
7
AVRIL. 1760. 161
bonne,& celle de l'Abbaye de la Valaffe.
Mais les Officiers ne réfident point dans
le bourg : les habitans du lieu n'aiment
pas affez les procès , pour attirer chez eux
des gens de juftice. Le commerce & le
travail , occupent les Bolbecois : il n'y a
parmi nous aucun gentilhomme, perfonne
qui vive de fon bien , pas un feul oifif.
Nous avons une marque de frocs, & une
belle halle à la toile , dont la plupart
des Marchands & des Fabriquans, ne font
point du lieu. Ce qu'on y fait le plus , ce
font des mouchoirs , commerce, peu lucratif.
Mon pere , eft le premier , qui ait
commercé avec l'étranger ; & c'est peutêtre
lui qui a apporté à Bolbec,l'émulation
pour le commerce . Mais dans les petits
endroits, on travaille beaucoup fans s'enrichir
tel a été le fort de tous mes compatriotes
. Ils font fobres dans leur nourriture,
propres, mais fimples dans leurs habits
& dans leurs meubles , francs dans leur
conduite , fincères dans leurs difcours ,
fidèles dans le négoce : ils font tous fort
laborieux , & ne laiffent point oififs les
plus tendres enfans ; & cependant ils ne
font pas riches !
Les Proteftans , à- peu- près Calviniftes,
font chez nous en grand nombre les
hommes , parmi eux , fe mêlent peu de
[
162 MERCURE DE FRANCE:
:
C
religion : ce font les femmes qui font leurs
docteurs.
Ilya à Bolbec quatre bénéfices ; le
Prieuré du Val- Angrez , Chanoines réguliers,
à la nomination du Roi ; un Prieuré
relevant de l'Abbaye de Bernay , à la
nomination de l'Abbé ; la Cure, & la Chapelle
de Fontaine , à la nomination de M.
Fontaine-martel , au droit de' Madarne ,
fille & héritiere des d'Eftains.
La Manufacture d'Imprimerie , en différentes
couleurs, fur étoffe de laine , eft
la plus célèbre & la premiere , qui ait été
établie en France : le fecret fut apporté
d'Angleterre , vers 1730. D'autres Manufactures
fe vantent d'avoir le même fecret
; mais Bolbec eft für du fien. "Only
imprime encoré fur des toiles du pays . Le
choix des deffeins , le bon goût & le travail
, l'emportent fur les indiennes d'Angleterre.
Vers le penchant d'une colline, à deux
- endroits différens , à Bolbec , on trouve
des coquillages foffilles , en une quantité
prodigieufe : d'un côté , ils font dans un
fable d'un vert gris ; d'un autre côté , les
coquillages fe trouvent dans la terre
glaife , de la même couleur que le fable :
De la réforme de M. Moulin .
AVRIL. 1760. 963
tous fe fentent de la qualité de la terre
où on les trouve. Tout ce qui approche
de ce fable vert , paroît rouge ; les
hommes , leurs habits , leurs chevaux , 'y
femblent prendre une teinte claire de
laque pardeffus leur couleur propre , ou
paroiffent comme fi on les voyoit à travers
un vèrre de couleur de laque. }
On pourroit ajouter aux chofes remarquables
, l'habit fingulier que portent les
femmes du lieu ** ; il feroit difficile d'en
marquer l'origine peut- être tous ces habillemens
particuliers , ne font ils que des
anciennes modes autrefois affez générales
, & que chaque canton aura retenues
felon fon goût. Peut-être auffi , ces habits
étoient- ils propres à chaque petit peuple
de la Gaule , lefquels fefont confervés
dans le lieu de fon ancien domaine. Ce
* J'ai éprouvé les mêmes effets fur deux collines
couvertes du même fable , en baffe Normandie,
Peut-être cela vient-il de ce que la réflection
des rayons verts , eft fi forte , qu'elle ne laille
paller en plus grande partie , que les rayons
Touges & réfléchis par les objets : ces rayons ont
plus de force que les autres , pour vaincre la réfiftance.
** Cet habit, eft connu à la Cour Madame
Conftant
, qui a été appellée de Bolbec , pour
nourrir M. le Comte de Provence , l'y a porté quelque
temps
.
484 MERCURE DE FRANCE.
qui me faifoit conjecturer que celui des
femmes de Bolbec , qui eft peut- être le
plus fingulier de France , eft auffi un des
plus anciens.C'est ce grand voile,qui leur
fert de coeffure , qu'elles portent ordinai-
: rement relevé en devant fur la tête , &
qu'elles abaiffent fur leur vifage dans le
deuil. Cette conftance à retenir les anciens
ufages, pourroit bien juftifier , en paretie
les femmes , de la légèreté dont on les
accufe.
Voilà , Monfieur , bien des chofes fur
un petit endroit ; c'eft à vous à faire, avec
votre difcernement ordinaire , le jufte
choix de celles qui conviennent davantage
à un Dictionnaire abrégé , comme
le vôtre , pour la prochaine édition.
Je fuis & c .
AVRIL. 1760.
ARTICLE
IV.
BEAUX
ARTS.
ARTS UTILE
S.
LETTRE de M. DE LA CONDAMINE
à M. DANIEL BERNOULLI .
AvVANT que de vous rendre compte ,
Monfieur , du dernier & principal article !
de la troisième lettre de M. Gaullard , &'
de l'honneur qu'il me fait de me choisir ,
pour effayer für moi trois différentes ma- :
nières d'inoculer , je veux bien encore le fuivre
dans quelques digreffions, où il s'écarte
un peu de fon fujet.
Il croit , dit-il , favoir autant de géométrie,
que je fais de médecine . ( V. fa lettre
, page 14 ). Ce n'eft pas porter loin ſes !
prétenfions géométriques
: j'aurois tort
d'y mettre oppofition . Mais fans être géométre
, M. G. auroit pu favoir , qu'un fophifme
n'eft pas un problème (merc.d'août
pas befoin
1759 , p. 186 ) : comme je n'ai
d'être docteur en médecine , pour être fûr
166
MERCURE DE
FRANCE.
que des puftules fércules , qui s'affaiffent
fans
fupuration , ne font pas des boutons
de petite vérole. Il ajoute ( ibid. pag. 14 )
qu'il ne me convient pas de me mêler dans
une difpute entre des médecins Je pourrois-
lui
demander dans quelle diſpute ? carje
vois que les médecins le laiffent dire , &
ne lui difputent rien : j'aurois dû les imiter.
Mais en fuppofant , trèsgratuitement,
que M. G. fût en difpute réglée avec ceux
qu'il appelle fes confrères , je ne fuis pas
plus entré dans la querelle , que Quinte-
Curce dans celle
d'Alexandre & de Darius.
(J'efpére que la
comparaiſon ne déplaira
point à M. G. ) Je n'ai fait que le perfonnage
d'historien , ou tout au plus , celui de
rapporteur du procès . Que M.G. contredife
mon rapport ; à lui permis : mais de quel
droit
voudroit- il
m'empêcher de dire ce
que je penfe à la perfonne à qui j'écris , &
même de
foumettre au
jugement du Public
des
réflexions que je confacre à fon
utilité . En voici par
exemple une , que je
me reproche de n'avoir
pas
faite plutôt.
Il est bien
fingulier , dit M. G. qu'on
m'oppofe l'avis de quatre
médecins , qui
n'ont pas vu le malade , à moi qui l'ai vu .
Non ,
Monfieur , pouvois- je lui
répondre :
cela n'a rien
d'étonnant, & je vais vous le
prouver. Il s'agit de favoir , fi la maladie du
AVRIL. 1760. ·167
*
jeune de laTour,au mois de novemb . 1758,
étoit la petite vérole , ou ne l'étoit pas . Les
quatre docteurs n'ont point vu l'enfant
pendant fa maladie : il eft vrai ; mais ils
ont interrogé le chirurgien qui l'a vu tous
les jours , le maître & la maîtreffe de pen--
fion , qui ne l'avoient pas perdu de vue : ils .
ont appris par ces témoins oculaires , le
degré de violence , les progrès , les fymptomes
& toutes les circonftances de la maladie.
Ils opinent d'après ces témoignages ,
que ce n'étoit point la petite vérole. Leur
opinion , dites-vous , n'eft fondée que fur
le rapport d'autrui , au lieu que vous prétendez
avoir jugé par vos yeux. Non ,
Monfieur , encore une fois , vous n'en avez
pu juger par vos yeux : vous oubliez en ce
moment , que votre déciſion n'eſt fondée
que fur le raport d'autrui. Vous opiniez
que c'étoit une vraie petite vérole , fur ce
feul fondement , que l'éruption a commencé
par le viſage , & vous n'avez pas vu
le commencement
de l'éruption . La petite
vérole , dites- vous , ( merc . de février 1759
page 151 ) eft une maladie de la peau , qui
Je manifefte par des puftules ou boutons .
qui paroiffent d'abord au vifage , enf mul-
& c. & pag. 155 , en parlant daiandent de
tes efpéces de petite vérolyent auſſi naï ·
tez , le caractère diftindiqu'il n'y a qu'un
her fur cette ma-
H
168
MERCURE DE FRANCE.
toujours. Quel eft il ? Je n'en fais point
d'autre... C'eft la fortie graduée des boutons
d'abord au vifage , enfuite à la poitrine
, & c.
*
Faiſons
l'application de votre doctrine,
Vous avez trouvé l'enfant fans fiévre ,
vous en êtes convenu dans la conférence
du Palais Royal . ( rapport des quatre médecins
merc. janv. 1759 , 1 vol. p. 168. )
Peut être n'avez- vous pas alors fenti les
conféquences de cet aveu , mais il n'eft plus
tems de s'en dédire. Que
l'éruption eût
commencé la veille , comme je l'ai prouvé
dans mes deux premiéres lettres , ( merc.
de Juin 1759 , pag. 157 & 138 ) ou le
jour précédent , peu importe : vous n'en
avez pas vu le
commencement ni le
progrès
vous ne favez que par conjecture ,
où par le rapport d'autrui , qu'elle a commencé
par le vifage : vous ne décidez donc ,
comme vos confrères de la nature de la
maladie , que fur le rapport d'autrui . Il
n'eft donc pas étonnant , qu'on préfére le
fentiment uniforme de quatre médecins au
vôtre , qui renverfe les notions les plus
-communcs , d'une maladie auffi connue .
n'ont pa.petite vérole .
Non , Monfiee ne fu's pas docteur en méde-'
cela n'a rien
d'étoats point votre
définition
prouver. Il s'agit deens : je me contente de '
remarquer
•
AVRIL. 1760: 159
remarquer comme hiftorien , qu'elle eſt
neuve & finguliére , qu'elle vous appartient
en propre , & que perfonne ne vous
difpute le mérite de l'avoir imaginée . Permettez
moi cependant d'ajouter , que par
un raifonnement femblable au vôtre , je
pourrois prouver , fi j'étois médecin , que
le petit de la Tour a eu la pette. Il ne m'en
coûteroit que les frais d'une nouvelle définition
, & je dirois : J'appelle pefte toute
éruption cutanée , qui fe termine en quaire
jours ; or le quatrième jour après l'éruption
, le petit de la Tour étoit debout , &
jouoit à la toupie : donc il a eu la pefte.
Convenez, que fi je n'ai pas étudié la médecine
, je n'ai pas oublié ma logique.
Je laiffe M. G. pour un moment , & je
reviens à vous , Monfieur . Croiriez vous
que l'objection , que je ne fais pas mé lecin ,
fait une forte impreffion fur quantité de
gens ; & qu'un bonnet de docteur , fi j'avois
l'honneur d'en être décoré , donneroit
plus de poids , que l'évidence même
à mes argumens , en faveur de l'inoculation
? Nous avons depuis peu des journaliſ
tes , ( il eft vrai qu'ils fe font autant multipliés
que les comètes ) qui demandent de
quoi je me mêle , & qui croyent auffi naï ·
vement que le peuple , qu'il n'y a qu'un
médecin qui puiffe raifonner fur cette ma-
I. Vol. H
170, MERCURE DE FRANCE
1
tiére. C'eſt à vous , Monfieur , qui réunif
fez à tant de titres en tout genre , celui de
docteur en la faculté de médecine , à défabufer
le public d'un pareil préjugé. Tan- .
dis que vous porterez la lumière dans les
efprits de tous ceux qui feront en état de
fuivre vos démonftrations , ceux qui n'y
pourront atteindre , reconnoîtront votre
compétence pour juger la queſtion . Ils
vous perdront de vue comme géométre ;
mais ils vous croiront fur votre parole ,.
comme docteur en médecine , quand vous
les affurerez eux & ceux de vos confrères
qui voudroient en douter , que dans l'état
actuel des chofes , la queſtion , fi l'inoculation
eft utile &falutaire au genre hu
main , ne regarde point la médecine. Ils
n'en douteront plus , en vous voyant -traiter
cette matiere , fans faire ufage de vos
connoiffances puifées dans l'art d'Eſculape
, & quand vous leur prouverez que le
docteur en médecine , ( à ce titre ſeul ) eft
plus que capable d'embrouiller , que d'éclaircir
une queftion , qui fous le point de
vue , où je la confidere , eft un pur pro-.
blême de calcul de probabilités , problême.
fur lequel vous avez tant de droits héréditaires
& acquis. Je vous réponds d'avance ,
Monfieur, de la reconnoiffance du Public;
& que ne vous devrai - je point en mon
AVRIL. 1760. 171
particulier, de me fouftraire aux coups que
le redoutable architecte , annoncé par M.
G. étoit prêt à me porter !
Mais quel peut être le motif , qui m'a
fait prendre la caufe de l'inoculation fi fort
à coeur , & quel eft mon but ? On me fait
fouvent cette question : permettez que j'y
réponde. En 1732 j'étois à Conftantinople:
j'y vis un grand nombre de gens , qui
Le félicitoient de devoir la vie à cette méthode.
Je n'en fis mention qu'hiftoriquementdans
les obfervations de mon voyage ,
communiquées à l'académie. ( Mem. de
Facadémie des ſciences
l'année 173· 2,
pour
P. 3:16 . ) Onze ans après , & pendant mon
féjour au grand Pará , colonie portugaiſe ,
à l'embouchure de la riviére des Amazones
, j'appris qu'un carme miffionaire de
Rio-negro , voyant qu'aucun de fes Indiens
attaqués de la petite vérole n'en rechappoit
; après avoir perdu la moitié de fon
troupeau , s'avifa d'inoculer tout le refte
prefque au hazard , fur la foi d'une gazette
d'Europe , & qu'il les fauva tous . De retour
à Paris , en 1745 , je réfolus de m'inftruire
à fond fur cette matiére. Je lus tout ce
que je pus recueillir d'écrits fur l'inoculation
, publiés depuis trente ans , furtout
en Angleterre. Je me convainquis de plus
en plus , que l'ufage de cette pratique ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
rendue générale en France , conferveroit
tous les ans au moins vingt- cinq mille
fujets à l'Etat , & répareroit avec ufure
les pertes journalières , que fait parmi nous
la population par tant de cauſes réunies.
J'ai cru devoir à ma patrie de l'inſtruire de
faits , auffi connus chez nos voifins , qu'ignorés
parmi nous . J'en ai tiré les conféquences
: j'ai mieux aimé rendre palpables,
& mettre à la portée de tout le monde ,
des vérités utiles & trop peu répandues ,
que d'en chercher des nouvelles , qui pouvoient
me faire plus d'honneur. Trop longtems
détourné par d'autres occupations, je
ne pus exécuter ce projet pendant plufieurs
années . Ce ne fut le avril 1754 ,
que je lus à l'affemblée publique de l'académie
, mes premières recherches fur
l'inoculation . Plus d'un an fe paffa depuis
l'impreffion de mon mémoire , fans qu'il
fût contredit : la doctrine , dont j'expofois
les avantages , ne reçut que des applau
diffemens dans la fpéculation. Mais auffitôt
qu'un de nos médecins , qui voulut
être témoin des fuccès de cette méthode à
Londres , le fut mis en état d'en recueillir
les fruits dans la pratique à Paris , les contradictions
s'élevèrent ; & le feul de fes
confrères , qui fe fût affuré par plufieurs
expériences , de l'efficacité du préfervatif ,
que 14
AVRIL. 1760. 173
prit ce temps pour ledécrier.Il fembla n'attendre,
pour s'en déclarer l'ennemi , que le
moment , où il pouvoit encore l'employer
efficacement à la confervation des jours
d'une fille unique , qui faifoit la douceur
de fa vie , & que la petite vérole naturelle
vient de lui ravir. N'infultons point
à fa douleur.
M. G. s'eft engagé , fans prefque s'en
appercevoir, à foutenir la même caufe que
cet infortuné docteur : il fe rend comme
lui , l'apologiſte des calculs de Wagstaffe ,
qui fut , il y a plus de 40 ans , en Angle
terre , l'un des premiers, des plus déraiſonnables
& des plus ardens ennemis de la petite
vérole artificielle. Suivant la progreffion
établie par ce grand calculateur , un
feul inoculé communiqueroit en trois mois
la petite vérole , à un million fix cens
foixante & dix- neuf mille , fix cens feize
perfonnes : nombre , qui fe multipliant ,
felon lui par fix , à chaque nouvelle communication
, furpafferoit bientôt celui
des individus de l'efpéce humaine; enforte
que dans peu toute la furface de la terre
feroit infectée par la contagion . Le ridicule
de cette fuppofition fautoit aux yeux,
avant qu'elle fût reconnue fauffe dans le
fait. L'expérience ne ceffe de la contredire,
M. Gaullard fait bien que la petite
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
vérole n'eft pas devenue plus commune
à Paris , à Lyon , à Nîmes , depuis qu'on
a commencé d'y pratiquer l'infertion .
Stockolm depuis trois ou quatre ans , Gé
nève depuis dix , Londres depuis quarante ,
ne font pas plus infectées qu'auparavant.
Les épidémies ne font pas plus fréquentes
à Conftantinople depuis un fiécle . Il
en eft de même de la Grèce , de la Chine ,
de la Circaffie , d'une grande partie de
l'Afrique , où la petite vérole artificielle
eft en ufage de tems immémorial . Le progrès
de la contagion fuppofé par Wagstaffe,
quelque rabais qu'on y faffe , eft donc une
pure chimère. Cependant ces calculs abfurdes
, que je n'ai traité que des ridicules ,
font , fuivant le jugement de M. G. auffi
folides , que les miens font frivoles . J'admets
le parallèle , & je confens qu'on juge
de la frivolité de mes calculs , par la foli+
dité de ceux que le bon fens défavoue au
premier afpect , & que l'expérience de près
de quarante ans en Amérique , & de plufieurs
fiécles en Afrique ; en Afie & en
Europe , a conſtamment démenti,
Ce docteur , dit M. G. avec fa confiance
ordinaire , connoiffoit toutes les expériences
qu'on cite en faveur de l'inoculation.
Remarquez s'il vous plaît , Monfieur,
que la lettre de Wagstaffe au dr. Freind ,
AVRIL 1760, 175
victorieufement réfutée par le dr . Arbuchnou
, qui ne daigna pas la combattre fous
fon nom * , eft de 1722 , & que les expériences
d'infertion en Angleterre n'ayant
commencé qu'en 1721 par l'inoculation de
fix criminels ne montoient encore en
1722 , qu'à un petit nombre de perfonnés.
Wagstaffe connoiffoit- il alors plus de deux
cent mille expériences faites depuis ? Les
affertions de M. G. reffemblent la plufpart
à celle- ci.
Il invite fes Lecteurs à lire les doutes fur
Tinoculation feuille, volante anonyme ,
(
qui fe répandit à Paris en 1726 , la veille
de l'inoculation de Mgr . le Duc de Chartres
& de Mademoiselle. ) Il faut que M.
G. ait des raifons particulières , pour conconfeiller
de lire & de relire cette brochure,
à laquelle il prodigue les plus grands éloges.
Tout le monde fait qu'elle ne contient
rien de nouveau , ni de digne de la réputation
de l'auteur , à qui M. G. l'attribue ,
&que
les circonstances, dans lesquelles cet
écrit parut , ne permettent pas de lui attribuer
, fans lui faire injure.
* La réponſe du Dr. Arbuthnott , parut fous le
nom de Maitland, Chirurgien de Miladi Worte
ley Montagu.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Νους ous voici parvenus au cinquiéme &
dernier article de la lettre de M.G: on y
trouvé une anecdote curieuſe . Saviez - vous ,
Monfieur , que ce même wagstaffe , fuivant
lequel la contagion devoit en moins
de trois ans infecter l'univers , avoit défié
à Londres , quiconque auroit eu la pétite
vérole , foit naturelle , foit artificielle de
ſe faire inoculer par lui , ce que perfonne
n'accepta. J'avois donc accordé graruitement
ici l'honneur de l'invention à M.
G. Fidèle difciple de fon maître en calcul
, il ne fait que renouveller & reftreindre
la propofition de Wagstaffe , quand il
m'adreffe perfonnellement le défi , que celui-
ci faifoit indiftinctement à tous les compatriotes
, & quand il affure qu'il eft prefque
phyfiquement certain de me donner une
feconde petite vérole, &c . Notez que je l'ai
eue de l'efpéce confluente à l'âge de 15 ans,
& qu'elle m'a fort maltraité . C'eft de peur
que je ne l'oublie , que M. G. a foin de m'en
faire rappeller le fouvenir , par l'auteur
d'un journal , unique enfon genre , qui s'eſt
modeftement chargé d'êtte le cenfeur de la
littérature , & d'en donner toutes les femaines
les préceptes & les exemples , en
nous propofant pour modèles M.Baillet &
le pere Honoré de Sainte Marie.
La propofition de M. G. abfolument
AVRIL. 1760. 177
étrangère au fujet de notre difpute par
conféquent déplacée , & qu'un autre que
moi , trouveroit peut - être infultante ,
ne méritoit aucune réponſe de ma part.
L'inoculation de quelqu'un , que la petite
vérole naturelle n'a pas épargné , peut -elle ,
quel qu'en foit l'événement , nous apprendre
, fi cette opération met à l'abri du retour
naturel de cette maladie ? Il ne s'agiffoit
pas d'autre chofe entre M. G. & moi .
Et quant à la queſtion générale des avantages
& des prérogatives de l'inoculation
de quelle utilité peut être une expérience ,
tant de fois répétée fans aucun effet? Faut il
que je devienne le plaftron des effais arbitraires
de M. G. pour lui épargner la peine
de s'inftruire de faits publics & notoires :
tels que l'expérience faite à Londres en
1722 , fur Elifabeth Harris , la feule des
fix criminels , qui eût eu la petite vérole narelle
, & la feule qui ne la prit point par
infertion : tels que l'inoculation vainement
renouvellée fur un frère du colonel Yorck ,
fils d'un grand chancelier d'Angleterre : la
même opération inutilement tentée par le
Dr. Maty, fur lui- même , & rendue célèbre
par tous les journaux : celle de Mlle
d'Etancheau , dont les incifions renouvelées
fe fécherent fous le fil imprégné de virus :
celle de l'Officier de Gotha plus récente en-
Hv
178 MER CURE DE FRANCE.
core & tant d'autres exemples femblables ,
que M G. feul feint d'ignorer , ou de ne pas
croire: Il ne lui manquoit plus , pour éluder
la conféquence de l'un de ces deux faits , qui
s'eft paffé fous nos yeux , à Paris en 1757,
que de donner un démenti formel au témoi
gnage de Mad. de Montgomeri , & de toutes
les religieufes de la Madelaine de Tref
nel:fans qu'on puiffe concevoir quel peut
être le but de M. G. car quand il feroit vrai
que Mlle d'Etancheau , qui n'a pu prendre
la petite vérole par infertion , ne l'au-
Loit pas eue de fon enfance , ce fait aideroit-
il à perfuader , qu'après l'avoir eue
très - fort ment , je la puis reprendre par
l'inoculation ?
Il ne me refte donc qu'à me juftifier auprès
de vous, Monfieur, & devant le Public,
d'avoir répondu trop férieuſement à une
propofition , qui ne méritoit que du mé
pris , & d'avoir accepté le défi de M.
Gaullard. Enfin il me refte à faire voir
de quelle maniere il élude aujourd'hui
cettte acceptation , à laquelle il ne s'atten
doit pas.
Après avoir confidéré fon défi comme
une pure plaifanterie, ou comme une adreffe
de fa part , pour donner le change au lecteur
, j'ai répondu férieufement en faveur
de ceux qui pouvoient regarder ce même
AVRIL. 1760. 179
défi, comme un moyen propre à terminer
notre conteftation , & j'ai dit, que le motif
de perfuader de ma bonne foi le feul homme
qui paroiffe en douter , a trop peu de
poids fur moi pour m'engager à fouffrir la
plus légère incommodité ; mais que le
moindre degré d'utilité publique , fuffiroit
pour me déterminer à me faire inoculer . Je
n'ai donc pas hélité de m'offrir à l'épreuve
de l'inoculation , fi l'on pouvoit la rendre
utile au bien général. J'en ai même indiqué
divers moyens ; & ne pouvant en trouver
un qui dépendît uniquement de la volonté
de M. G , je lui ai fait l'honneur de
regarder comme utile le défiftement des
objections qu'il n'avoit formées que pour
étayer un premier jugement porté trop
à
la hate. J'ai donc accepté fa propofition ,
à condition qu'il promettroit de fe retracter,
fi fon expérience fur moi ne réuffiffoit
pas. On trouvera fans doute que
celt acheter trop cher un défaveu qui
ne doit pas me paroître fort important .
Cela fe peut ; mais enfin , à ce prix j'ai
confenti d'être inoculé : non par M. G.
dont je n'ai pas accepté les offres officieufes
; mais fous fes yeux , avec une
matière choifie par deux médecins de la
Faculté. Perfonne n'a blâmé ma reftriction.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
L'épreuve propofée par M. G. ne pouvant
fervir à décider la queftion de la
nature de la maladie du petit de la Tour,
fuppofé que ce fût encore une queſtion :
elle ne peut tout au plus être bonne qu'à
terminer notre difpute. Il eft vrai que
M. G. a tort de faire dépendre le fyftême
de l'inoculation de l'effet que cette opération
fera fur moi ; mais enfin , puifque
telle eft la prétenfion , fi l'effet de l'opération
eft nul , M. G. doit convenir que
fes argumens portent à faux . S'il refufe
cette condition , il doit avouer qu'il s'eft
joué du public , & n'a cherché qu'à lui
faire illufion par fon défi ; dans l'efpérance
affez bien fondée que je ne l'accep
terois pas.
Trois mois fe font paffés depuis mon
acceptation publiée dans le mercure du
1 feptembre. Enfin M. G. reparoît fur la
fcéne en décembre 1759 ; & loin de répondre
nettement à ma propofition , il
commence par en faire de nouvelles , plus
Lingulières les unes que les autres . Il me
propofe un pari , plus propre à donner une
haute idée de fa fortune , que de fa prudence.
Peu de gens feroient en état de
configner deux mille fix cent louis comptant
; & c'eft à quoi s'engage M. G en
offrant de parier deux cens louis contre
AVRIL. 1760. 181
moi, & autant contre chacun de douze
autres perfonnes. La bourfe du fameux
docteur Mead , qui comptoit fes guinées
par fes vifites , fuffiroit à peine aux frais
d'une pareille gageure : & M. G. m'accufe
de fanfaronade! ( p. 20. ) Sans rien rabattre
de fon mérite , il ne paffe pas pour
le médecin de Paris le plus occupé : j'en
compte environ deux cens dans cette capi-.
tale , tant de ceux qui compofent la Faculté,
que parmi les privilégiés , comme
M G. Si chacun d'eux étoit affez en fonds ,
pour configner comme lui foixante deux
mille quatre cent livres , à l'occafion d'un
fimple pari , nous aurions deux cent citoyens
qui , dans une condition moyenne ,
feuls , & fans rien prendre fur leur aifance ,
pourroient offrir au tréfor royal un fecours
de plus de douze millions. Quelle
reffource pour l'Etat , dans les conjonctures
préfentes ! Mais voyons les circonftances
de ce pari , plus extraordinaire
encore que le pari même.
*
Pour prouver qu'il y va de bonne foi ,
& qu'il ne plaifante pas , M. G. déclare
qu'il avoit dépofé 200 louis d'or chez un
notaire ... avec foumiffion pour le double
& le triple , fi M. de la C. en vouloit
dépofer autant.
C'eft par une feuille volante , que celui
181 MERCURE DE FRANCE.
contre lequel M.G. parie , n'a pu fe procurer
qu'avec beaucoup de peine , qu'il apprend
la première nouvelle de cette confignation ,
3 ou 4 mois après qu'elle eft faite ; je dis 3
ou 4 mois , car M. G. n'eft pas fort fur les
dates . Il eft vrai , qu'il étoit inutile , que
je fuffe informé de ce dépôt . Je ne me fais
point inoculer pour gagner de l'argent , &
fi j'avois deux cens louis , dont je puffe
difpofer fans m'incommoder , en acceptant
le pari contre M. G. je deſtinerois le
prix de la gageure à l'hôpital général , à
condition , que MM . les adminiſtrateurs
confentiroient à donner une lifte annuelle
du nombre & de l'âge des malades de la
petite vérole , qu'ils reçoivent dans leurs
maifons , de ceux qui guériffent & de ceux
qui meurent. La répugnance qu'ils témoignent
pour nne choſe utile , & d'une exécution
ailée , me paroît inexpliquable. Je
reviens au pari .
M. G. a fait réflexion , qu'il eft telfujet
qui n'eft pas fufceptible de l'effet du virus
variolique ( p. 16. ) Il en conclud qu'il ne
fuffit pas de m'inoculer moi feul , & qu'il
faut que je lui procure douze perſonnes ,
qui confentent à ſubir la même épreuve ,
dontfix ayent eu la petite vérole naturellement
, & fix par infertion. La plume
me tombe des mains en copiant les pro
• ..
AVRIL. 1760 : 183
pofitions de M. G. que je vous laiffe qualifier
, Monfieur. Cependant il nous affure
qu'il parle ferieufement & de bonne foi.
Laiffons à part l'extravagance ( j'ai beau
chercher un terme plus doux ) , qu'il y a
d'exiger de moi que je lui fourniffe douze
fuiets pour faire fes expériences ; mais
qu'il nous apprenne au moins ce qu'il entend
, en difant qu'il ne faut pas m'inoculer
feul , parce qu'il y a des fujets qui
ne font pas fufceptibles de virus varioli
que. Si quelqu'un , par ſa conſtitution , eft
inacceffible à ce virus , ce quelqu'un peutil
fe rencontrer ailleurs que parmi ceux
qui n'en ont jamais éprouvé l'effet ; &
peut-on foupçonner de n'en être pas fufceptible
celui qui comme moi a fait fest
preuves que fon fang n'eft que trop difpofé
à fermenter avec ce levain ? Où donc eft la
néceffité de chercher douze autres fujets ,
pour affurer l'expérience ? N'eft- ce pas
moi nommément que M. G. s'eft engagé
de donner la petite vérole ? Encore une
fois , que veut il dire ? Affurément il a
péché contre la règle fi fage de M. de Fonrenelle
, qui difoit , qu'en écrivant fur une
matière , il avoit toujours commencé par
tâcher de s'entendre lui- même.
à
Tout ce que prouve la nouvelle propofition
de M. G. c'eft qu'il commence à
1
+
184 MERCURE DE FRANCE.
fe méfier de l'efficacité de fa recette. En
m'inoculant feul , il étoit plus que moralement
fûr de me donner la petite vérole
complette , la plus étoffée. Je ne puis
trop conferver les termes de celui , qui
fait fi bien les choifir ) & à préfent , à
peine efpére- t- il la donner à quatre perfonnes
fur douze. Je ne fuis plus furpris ,
qu'il ne m'ait pas fait avertir du dépôt de
fes deux cens louis , fans doute il a craint
d'être pris au inot .
A la fin cependant il fe réfout généreuſement
à m'inoculer feul & fans pari ;
mais il y trouve une petite difficulté , c'eſt
que je ne confens pas qu'il foit l'operateur.
Il me reproche ici le terme d'exécuteur ,
dont je me fuis fervi , il me demande , fi
l'inoculation eft un fupplice , &fi je fuis
un criminel ; & voilà fans contredit la
meilleure plaifanterie de fa lettre : c'eſt
dommage qu'elle porte à faux. En adoptant
l'expreffion même de M. G. j'avois
dit que je confentois à devenir le martyr
de l'inoculation , & c'eft en continuant fa
métaphore, que j'ai ajouté que je le difpenfois
des fonctions d'exécuteur qu'il s'étoit
réfervées. Il m'accufe à cette occafion
d'une faute de grammaire ; il fe trompe :
il n'y a point ici de faute grammaticale ,
mais j'avoue que je n'ai pas employé le
AVRIL 1760. 185
terme propre. On ne dit pas l'exécuteur
d'un martyr ; ce n'eft pas là le vrai mot : je
laiffe à M. G. à le fupléer. Venons au fait.
M. G. prétend m'inoculer de trois manières
différentes , qu'il nomme à l'Angloife
, à la Chinoife , & à la Turque. La
première méthode eft , comme on fait ,
par incifion : celle de la Chine eft d'inférer
dans le nez une tente de coton chargée de
poudre de boutons defféchés de petite vérole
. Le Sujet fur lequel elle fut éprouvée à
Londres , en 1724 , fut plus malade que
tous les autres , il ent des vertiges , des
douleurs de tête , des convulfions , &c.
Quant à l'inoculation que M. G. appelle
à la Turque , l'une de celles qu'il me
deſtine ; elle confifte , felon lui , à faire
avaler des pillules purulentes , dont il fe
réferve la compofition . Vous m'avouerez ,
Monfieur , que ce ragoût n'eft pas tentant ,
même affaifonne de la main de M. G.
C'eft cependant , felon lui , la meilleure
manière , & celle qu'ibréferveroit pour fes
enfans. Je lui rends graces de fes bontés
paternelles : je n'en abuſerai point .
J'ignore s'il y a quelque exemple de
petite vérole prife en bol : je n'en ai jamais
oui parler à Conftantinople. Ce n'eft ni la
manière des Grecs , ni celle des Francs ,
encore moins celle des Turcs , qui ne prennent
pas plus de précautions contre la pe486
MERCURE DE FRANCE.
i
tite vérole que contre la pefte. Tout cela
me feroit croire que c'est une expérience
nouvelle que M. G. fe propofe de tenter
& pour laquelle il me donne la préférence
; mais une pareille tentative feroit
d'autant plus criminelle dans fes principes,
que des milliers d'expériences ne fuffifent
pas pour juftifier à fes yeux la méthode ordinaire
, qu'il traite de contraire aux loix
divines & humaines, quoiqu'il foit prouvé
par les faits , qu'il ne meurt pas plus d'inoculés
à l'hôpital de Londres , qu'il mour
roit de perfones fur un pareil nombre d
gens en fanté , pendant l'efpace d'un mois
Il y auroit à moi de la folie à me livre
aux tours de paffe - paffe qu'exige de mo
M. Gaullard , en me commandant fo
nouvel exercice à trois temps , à l'An
gloife , à la Turque , à la Chinoife. J'a
confenti , je confens encore à être ino
culé : non par lui ; mais en fa préſence
non avec les pillules ni avec fes poudres
mais de la façon ordinaire : foit par inci
fion ›
ou par une emplâtre véficatoire
Quant à la matière ; pour prévenir tout
chicane fur le choix , celle dont on le fer
vira , pour la première expérience, le prin
temps prochain , fera mife en dépôt fou
le fcellé de M. G. jufqu'à ce qu'on en a
reconnu l'efficacité , alors on l'emploier
AVRIL. 1760. 187
pour moi , fous les yeux de M. G. Que
peut- il exiger de plus ? Si je prends la petite
vérole , je publierai dans les journaux,
qu'on peut la reprendre par inoculation ,
après l'avoir ene bien complettement , &
que j'ai fait une expérience imprudente.
Si je ne la prends pas , M. G. avouera qu'il
s'eft trompé , & retractera folemnellement
les conféquences qu'il a tirées d'une fuppofition
dont il reconnoît la fauffeté.
Vous voilà , Monfieur , bien au fait de
ma querelle avec M. G. Je m'attends que
vous trouverez que je pouvois mieux employer
mon temps qu'à lui répondre ; mais
fi ma lettre a defabufé quelqu'un des fauffes
impreffions qu'il avoit reçues , je n'aurai
pas de regret à mes peines. Au refte ;
j'espère que vous ne m'accuferez pas d'avoir
peu mefuré mes expreffions. Si M. G.
avoit eu les mêmes chofes à me dire , j'ai
lieu de croire qu'il l'eût fait avec moins de
ménagement pour moi que j'en ai eu pour
lui , puifqu'il n'a pas ufé de détour pour
dire qu'il me croyoit de mauvaiſe foi . En
pareil cas , je prouverois que mon adver
faire manque de fincérité , fans le lui dire ,
& je laifferois les conféquences à tirer au
lecteur.
M. G. appelle mes calculs brillans , &
n'y répond rien. Il appelle un Architecte
à fon fecours !
188 MERCURE DE FRANCE.
Il termine fa lettre par une longue
invective contre l'inoculation , toute fondée
fur de pures fuppofitions dont il ne
prouve aucune. Cela ne mérite pas de
réponse. Je ferois cependant tenté de lui
dire : fi vous croyiez l'inoculation inutile
dangercufe , mortelle , pernicieuſe , criminelle
, vous ne diriez pas , qu'il peut fe
trouver des avantages à fe faire inoculer ;
que vous en laifferez la liberté à votre fils ,
Vous ne parleriez pas de la méthode que
vous employeriez pour vos enfans. Mais fi
vous ne croyez l'inoculation ni criminelle
ni pernicienfe , pourquoi tentez- vous de le
perfuader aux autres ?
J'attends avec impatience , Monfieur
vos réflexions , & le mémoire que vous
m'annoncez fur la même matière. Que les
pygmées feront glorieux de vous voir lever
fur eux votre maſſue !
J'ai l'honneur d'être , &c .
A Paris , le 3 Janvier 1760.
P. S. 28 février. Voici , Monfieur , l'éclairciffement
que j'ai promis à M. G. Je
viens de confulter les pièces juftificatives
du fameux livre de M. de Mongeron , fur
les miracles de M. Paris. J'y ai vû les pièces
fuivantes .
No XX . Differtation faite par M. GauAVRIL
1760. 189
lard , &c. No XXXI . Differtation faite
par M. Gaulard , &c. N° XXVI . Differtation
, en forme de lettre , faite
par M.
Gaulard , &c. Et N° XL , Lettre de M.
Gaulard en forme de differtation .
Dans ces differtations en forme de lettres
, & lettres en forme de differtations ,
M.G. n'attefte la vérité d'aucun fait; mais
feulement l'impoffibilité phyfique de la cure
de telle & telle maladies , dont la réalité
eft atteftée par d'autres certificats précédens
; & la guérifon , par d'autres certificats
fuivans.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
L'ÉCHO ,
ÉCHO
, ou
Journal
de
Mufique
Françoife
, & Italienne
, contenant
des
Airs
,
Chanfons
, Brunettes
, Duo
tendres
&
Bacchiques
, Rondes
, Vaudevilles
, Contredanfes
, &
Menuets
. Ce
Recueil
, qui
a commencé
au
premier
Janvier
1759
,
& dont
le débit
fe
continue
de
mois
en
mois
avec
fuccès
, eft
gravé
, & le
vend
à Liège
chez
B.
André
, derrière
S. Thomas.
Le
format
eft
in-4°. Il coûte
15
liv.
de France
, par
année
, & 3 liv. de
port
,
190 MERCURE DE FRANCE.
pour les douze Recueils : au moyen defquelles
, payées d'avance , on le recevra
franc & quitte, en quelque lieu du Royaume
que ce foit ; & en détail , le prix de
chaque Recueil eft de 30 f. On en trouve
des Exemplaires , chez M. Lutton , Avocat,
Greffier , Commis au recouvrement
du Mercure , rue Sainte Anne , Butte
S. Roch , à côté du Sellier du Roi.
PIÉCES DE CLAVECIN , dédiées à Mlle
Camufet, compofées par M.Wondradschek,
Opera Seconda. Prix 7 liv . 4 f. A Paris
chez Madame Vincent , pour l'Auteur ,
rue S. Jacques , près le Collège du Pleffis ;
& aux adreffes ordinaires.
SIX SONATES à violon feul , & Baffe ;
dédiées à M. le Baron de Lathan , Officier
des Gardes Françoifes , compofées
par M. Gaviniés. PREMIER OEUVRE. Prix
liv. A Paris , chez l'Auteur, rue S.Thomas
du Louvre , & aux adreffes ordinaires
de Mufique : Avec Privilége du Roi.
Les talens fupérieurs de l'Auteur ,
tant pour la compofition , que pour l'exécution
, faifoient attendre depuis longtemps
qu'il confentît à faire graver fes
OEuvres ; & nous ne doutons pas que cet
échantillon ne flatte affez agréablement
le goût du Public , pour lui faire defirer
AVRIL. 1760. 19f
de voir bientôt les autres Ouvrages de
cet habile & gracieux Artiſte.
GRAVUR E.
Le Gage de l'Amitié & la Reconnoiffance
du Berger , Eftampes nouvelles ,
grvées par M. Danzel , d'après deux Tableaux
de Bernard, A Paris , chez l'Auteur
, au coin du quai Pelletier , à la
Gréve, & chez Madame la veuve Chereau ,
tue S. Jacques , aux deux piliers d'or. -
LE SR LE MAIRE , Graveur , Auteur
des traits de l'Hiftoire Univerfelle , facrée
&profane, d'après les meilleurs Peintres,
& dont il a déjà fait paroître cent fujets ,
vient d'y en ajouter trente , qui complettent
entierement la Genèfe . Il n'eft donc
pas vrai , comme des perfonnes mal intentionnées
l'avoient répandu , qu'il aban
donne cette entrepriſe. L'Ouvrage eft
dédiée à Mgr le Duc de Bourgogne, à qui
il a eu l'honneur de le préfenter , ainfi
qu'aux autres Enfans de France qui l'ont
accueilli avec bonté. C'eft bien dequoi
redoubler le zèle & l'émulation de l'Auteur
! Auffi , conformément aux conſeils
des perfonnes éclairées qui ont vû fes
premieres Eftampes , a-t-il commencé à
792 MERCURE DE FRANCE.
charger fes figures d'ombres légères , qui
prononcent mieux le fujet de chaque
figure. I fuit cette nouvelle méthode ,
dans l'Exode , dont les 20 premiers ſujets
paroîtront inceffament. Le premier volume
, compofé de 130 Eftampes , fe vend
9 liv. 15 f. chez Michel Lambert , rue &
à côté de la Comédie Françoife ; & chez
l'Auteur , rue S. Jean de Beauvais.
Ouvrages de Fleurs.
La Dame de Laval, femme du Peintre ,
donne avis que fon mari lui a laiffé fes
Planches de Fleurs , pour l'ornement
des Sacs à ouvrage. Ainfi toutes les perfónnes
qui voudront en avoir des empreintes
fur quelque étoffe , font averties
d'envoyer chez elle , avant fon départ
qui eft fixé au 25 de ce mois. Sa demeure
eft rue S. Etienne des Grecs , près de
Sainte Geneviève , chez un Grainier.
E
*
ARTICLE
AVRIL
1760.
193
SUPPLEMENT à l'Article des Pièces
fugitives.
N. B. Ce n'eft point , parce que l'Auteur anonyine
de cette Piéce me prie , en me l'envoyant ,
de l'inférer dans le Mercure de ce mois ; quoiqu'il
pût préfumer , que la compoficion en étoit
faite : ce n'eft pas non plus , parce qu'en finiffant
fa lettre ; il me donne le bonjour, & m'affure
de fon eftime , que je place ici fon ouvrage , en
fupplément aux Piéces fugitives. C'eft , parce que
la Piéce m'a parue jolie , & que j'efpére qu'elle
pourra plaire. Et , bien plus encore , parce que la
perfonne à qui elle eft adreffée , a toujours été ,
&furtout pendant fa maladie , le digne objet
des voeux de tous ceux qui ont le bonheur de la
connoître.
A Madame la Comteffe DE LA GUICHE.
LA Déel A Déeffe de la Sageffe ,
Et la Déeffe de l'Amour , '
Minerve & Vénus , l'autre jour
Le front furchargé de triſteſſe ,
Prioient la cruelle Atropos ,
D'arrêter le coup redoutable ,
Que portent fes fatals cifeaux .
Epargnez la Mortelle aimable ,
Quifait l'ornement de ma Cour ,
Difoit la mere de l'Amour !
I. Vol. I
194
MERCURE DE FRANCE.
Si la perte étoit décidée ,
Si ce coup partoit de vos mains
De ma beauté , la juſte idće ,
Se perdroit parmi les humains .
Epargnez la fage Mortelle ,
S'écrioir Minerve à ſon tour ,
Qui joint à l'éclat de l'amour ,
De mes vertus le vrai modéle !
Le coup qui finiroit fon ſort ,
Détruiroit mon plus bel ouvrage :
L'Univers perdroit dans ſa mort ,
Ma parfaite & vivante image.
Le Deftin , qui les entendit ,
S'approcha d'elles , & leur dit :
Atropos ne fçauroit ſe rendre
A vos vifs & preffans fouhaits ;
Exécutons , fans plus attendre ,
Mes irrévocables arrêts.
Atropos fçait bien , quoiqu'on faſſe ,
Que je ne puis , & je ne dois
Accorder cette infigne grace ,
En un jour , qu'une feule fois.
Je l'ai , ce matin ,
accordée
Aux mortels qui l'ont demandée .
A ces mots , Minerve & Vénus ,
Au défefpoir d'un tel refus ,
S'écrièrent , dans leur délire :
» Queje me plains , dans ma Thémire!
و ر
AVRIL 1760 .
195
Quoi.. Thémire ! .. dit le Deftin.
C'eft Thémire , dont , ce matin ,
J'ai prolongé les deſtinées ?..
Allez , Déelle fortunće ;
Sesjours deviendroient éternels ,
Qu'elle en foit par vous aſſurée ,
Si je mefurois leur durée ,
Aux fouhaits de tous les mortels.
EN VOI.
S Avez -vous bien , fur quoi je fonde
Ce que je vous ai raconté ?
Sur la fageffe , & la beauté ,
Qui vous ont gagné tout le monde .
Par M L. D. De B.
T
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA .
LE Vendredi , 29 Février , on a donné la
premiere repréſentation de la repriſe d'Amadis ,:
Tragédie , avec fon Prologue. Cet Opéra a été
continué les Dimanches & Vendredis de chaque
femaine ; & le Samedi 22 , jour de la clôture
du Spectacle. Les Mardis , & les Jeudis , on a continué
les repréſentations des Paladins.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Le Public a revû,avec plaifir, Amadis , qui n'a
voit eu que 23 repréſentations , & dont la partie
du Spectacle a été remife telle qu'on l'avoit vue
d'abord , & avec les foins les plus attentifs de
la part des Directeurs . Mlle Chevalier a reçu
de nouveaux applaudiffemens , dans le rôle d'Ẩrcabonne
, où elle avoit déja fi parfaitement réuſſi ;
& qu'elle a rendu avec un feu & une intelligence ,
qui méritent les plus grands éloges.
Mlle Arnoud , qui encore très affoiblie de fa
derniere maladie , avoit fait un effort pour jouer
le rôle d'Oriane , le jour de la premiere repréfentation
, n'a pu le continuer . Mlle Dubois l'a
remplacée dans ce rôle , & y a reçu beaucoup
d'applaudiffemens .
Mlle Lany , qu'il fuffit de nommer , a rempli
fes entrées du troifiéme Acte , fans les quitter
jufqu'à la clôture ; & y a toujours reçu les applaudiffemens
les plus vifs , & les plus unanimes.
Mlle Veftris , a rendu l'action de l'enchantement
d'Amadis , au deuxième Acte , avec les mêmes
graces qu'elley avoit déja montrées , & a parue
y faire beaucoup de plaifir.
M. Veftris , qui n'a point non plus quitté fon
entrée du cinquiéme Acte , jufqu'à la clôture , y a
de plus en plus confirmé l'idée que le Public a
conçue de la perfection de fes talens.
Le Vendredi 21 , & le Samedi 22 , Mlle Chevalier
, s'étant trouvée indifpofée ; Mlle d'Avaux a
joué le rôle d'Arcabonne . Sa figure noble , & fa
voix impofante & fonore , ont paru convenir
infiniment à ce genre de rôles .
On fe diſpoſe à donner , pour le jour de l'ouverture
du Théâtre , la première repréſentation
de Dardanus , Tragédie , dont le Poëme eft de
feu M. de la Bruere , & la Mufique de M. Rameau
AVRIL 1760. 197
On donnera , pour la Capitation des Acteurs ,
trois Bals, précédés chacun d'un Concert, comme
on a fait l'année derniere . Le premier de ces Bals
fera donné le Mardi 15 Avril , jour de la rentrée .
COMEDIE FRANÇOISE .
LETTRE de M. SAURIN , à M. DE
LA PLACE.
M ONSIEUR ,
L'accueil favorable que le Public a fait à ma
Piéce , ne m'a point aveuglé fur les défauts de
l'ouvrage. On leur a fait grace , en faveur de
quelques beautés dont le genre plus propre à
élever l'âme qu'à l'attendrir , a paru digne d'ê
tre encouragé . Je lens tout ce que je dois à l'indulgence
des honnêtes gens , & je ne puis mieux
la reconnoître, qu'en donnant à la Piéce le degré
de perfection auquel ma médiocrité me permet
d'atteindre. C'eft dans cette vue , que j'ai cru devoir
retirer Spartacus ; & vous m'obligerez beaucoup
, Monfieur , d'attendre pour en donner un
extrait , que j'aie tâché de le rendre plus digne
de reparoître aux yeux du Public. Permettezmoi
d'ajouter un mot , fur l'honneur qu'on a fait
à ma Piéce de l'attribuer à des gens d'un génie
très-fupérieur au mien. Je ne puis , en un fens ,
qu'en être flatté ; & ce feroit à eux de s'en plaindre.
J'oferai dire , néanmoins , qu'en préfumant
fort peu de mes talens , je n'ai pas pourtant à
me reprocher la fotte vanité de vouloir me parer
de ceux d'autrui . J'ai l'honneur , & c.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Le Dimanche 9 Mars , on a remis au Théâtre
le Diffipateur , Comédie en cinq Actes , & en vers,
de feu M. Néricault-Deftouches. Cette Piéce , qui
n'avoit pas produit un grand effet , lorsqu'elle fat
jouée , il y a fix ans , en a produit beaucoup à
Cette reprife. La chaleur , les fineffes , & la fublime
intelligence que Mlle Dangeville a mifes
dans le rôle de la Soubrette , font au - delà de
toute expreffion. C'eft porter le talent ,au plus haut
degré.
LeLundi 10 , on a donné > au profit du petit
neveu de Pierre Corneille , une repréſentation de
Rodogune , l'un des chefs-d'oeuvre de ce célèbre
Auteur , fuivie des Bourgeoifes de qualité . On ne
peur trop applaudir a la façon généreufe dont les
Comédiens le font comportés en cette occafion.
Ils étoient affemblés , quelques jours auparavant
lorſqu'une lettre du defcendant de ce grand hom
me , leur fut remife. Des enfans qui apprennent ,
qu'un pere refpectable & tendrement aimé , fe
trouve dans quelque efpéce d'embarras , ne font
ni plus attendris , ni plus empreflés qu'ils le furent
à fignaler leur zéle ; & la vive unanimité de
leurs funrages , pour la repréſentation qu'on leur
demandoit , leur fera toujours le plus grand honneur.
La vénération du Public , pour la mémoire
de cet Auteur fameux , ne s'eft pas moins fignalée
, en venant en foule à ce fpectacle . Un grand
nombre de perfonnes fe font diftinguées , foit en
louant des loges , dont elles ont laillé la difpofition
aux Comédiens , foit en payant des places à
plus haut prix qu'elles ne font taxées .
Un événement auffi honorable pour le Public ,
& pour les Comédiens , prouve combien les gens
de Lettres en font encore chéris ; & ne peut
qu'exciter leur émulation.
Le Lundi , 17 , on a donné Hypermnestre 2
AVRIL 1760. 199
Tragédie de M.le Miere , qui a été fort applaudie;
& cette même Piéce a fait clôture du Théâtre.
A la rentrée , les Comédiens comptent repren
dre la Tragédie de Spartacus , dont les repréfentations
avoient été interrompues par l'incommodité
du fieur Brifard. On prétend que M. Saurin,
doit y ajouter deux Scènes nouvelles.
COMEDIE ITALIENNE.
LE 28 Février on a remis au Théâtre les
Chinois ; & la noce Chinoife , Ballet- Pantomine.
Le 6 Mars, on a donné la première repréfentation
du Quiproquo, Comédie en deux Actes , mêlée
d'Ariettes . La Muſique eft , de M. Philidor. Cette
Piéce a été redonnée , fous le titre , du Volage ;
& a eu quatre repréſentations. La Mufique a été
fort applaudie ; & l'on travaille actuellement à
raccommoder le Poëme , pour la rentrée du
Théâtre.
Le 16 , Le Sultan généreux , ou les Amans
introduits au Serrail , Ballet héroï - pantomime
du fieur Pitro , a été remis au Théâtre , avec des
corrections de M. Dehelle. Le Public en a paru
très -fatisfait . Mlle Catinon a danfé , dans ce Ballet,
les entrées du fieur Pitro , avec un applaudiffement
général.
Le 22 , jour de la clôture , le fieur le Jeune a
prononcé le Compliment ; & a été fort applaudi.
OPERA - COMIQUE.
LE 6 Mars , le jour même que les Comédiens
Italiensont repréfenté , pour la premiere fois , le
Volage , ou le Quiproque ; l'Opéra - Comique a
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
donné la premiere repréfentation des Troqueurs
dupés. Les paroles de la Piéce , ont fait tort à la
Mufique de M. Philidor , aux Italiens ; & la Mufique
a nui beaucoup aux paroles de M. Sedaine ,
a l'Opéra-Comique. Le fujet des Troqueurs dupés
, eft celui du Conte de la Fontaine , allujetti
aux moeurs & aux bienséances d'un Théâtre ,
fur lequel les Directeurs ont réfolu de ne ſouffrir
que ce qui peut avoir droit de plaire aux oreilles
les plus délicates.
Le fuccès du Maître en Droit , & les applaudiffemens
qu'ont reçus les Auteurs de cet ouvrage
, ont infpiré à M. de Marcouville le deffein
d'en faire la Parodie , fous le titre du Maître
d'Ecole. Elle fut jouée le 14 , & fut reçue avec
plaifir. La Mufique en a parue forte , variée , &
pleine de tableaux . L'Auteur , en gardant l'anonyme
, a prouvé l'excès de fa modeftie : mais le
Public ne lcuoit pas moins à voix baffe , celui qu'il
eût defiré pouvoir complimenter plus hautement .
Ramponneau , la Courtille , les gueux qui s'y
vont enyvrer , les riches qui vont jouir de ce
fpectacle , offroient l'efquiffe d'un tableau dans le
goût de Teniers : c'étoit un fujet à faifir , à
compoſer , à apprendre , & à repréfenter trèspromptement.
Deux ou trois Auteurs fe font
joints ; & la Pièce , fous le titre des Pélerins de la
Courtille , a été jouée le 22 de ce mois . Ils ont
même cru devoir profiter de l'occafion , pour
parodier en même temps les Paladins . Et quoique
négligée dans le ftyle , cette Piéce a produit
tout fon effet , fi le but des Auteurs étoit de faire
beaucoup rire.
CONCERT SPIRITUEL.
IL y a eu Concert , le Dimanche 3 Mars ,
le Mardi 25 , jour de la fête de l'Annonciation .
&
1
AVRIL 1760. 201
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES:
De PETERSBOURG , le 12 Février 1760.
LEE cartel conclu entre notre Cour , & celle
de Berlin, éprouve chaque jour de nouvelles difficultés.
Il vient de s'en élever une , au fujer des
Autrichiens & des Saxons , pris au fervice du Roi
de Pruffe , qui demande qu'ils foient compris dans
l'échange . Impératrice prétend au contraire , ne
lai rendre que les -foldats nés fous fa domination ,
ou qui ont embraffé volontairement fon fervice.
On ne fçait point encore quelle fera la fuite de
cette conteftation.
On a appris d'Archangel , que le mois dernier,
la liqueur du Thermometre , y eft defcenduë jufqu'au
deux cent dix - feptiéme degré de la divifion
du Sieur Delifle , ce qui revient prèſque au
trente -fixiéme de celle de Réaumur , au -dellous
de la congélation
.
De VIENNE , le 13 Février.
Le mariage de l'Archiduc Jofeph avec l'Infante
labelle , fille aînée de l'Infant Don Philippe , Duc
de Parme , de Plaifance & de Guastalla , eft déci
dé. Le Prince Wenceslas de Lichtenſtein , a été
nommé
pour aller faire la demande de cette Princeffe
‹ & la conduire en cette Cour. Il fait les préparatifs
néceffaires pour fon voyage. On ne croit
cependant pas que ce mariage foit célébré , avans
le mois d'Août prochain.
202 MERCURE DE FRANCE.
Le Lieutenant général Beck, ayant appris qu'un
corps de troupes Pruffiennes avoit pris pofte entre
Coldorff , Muhlberg , & Torgau , forma le projet
de le furprendre. Il fit un détachement , & chargea
le Général Zettwitz de l'exécution de cette
entreprife. Pendant la marche de ce détachement,
le Général de Simfchonn , à la tête de deux mille
hommes , longea l'Elbe en defcendant ce fleuve;
& il fe porta près de Meffein. De là il pouffa des
détachemens vers Riefa & Strehla , pour fixer de
ce côté l'attention de l'ennemi . Cette ruſe réullit.
Nos troupes , ayant paffé le Roeder , arriverent
à la portée de Cofdorf , où étoit le principal corps,
ennemi , fans qu'il eût foupçonné leur marche.
Les Pruffiens furent entièrement difperfés & culbutés.
Le Général de Zetteritz , qui les commandoit
, fut fait prifonnier , avec fix autres Officiers.
On marcha de là aux troupes Pruffiennes , qui
commençoient à fe raffembler à Blumberg. Mais
elles n'attendirent pas les nôtres . Elles fe retirerent
en défordre à Torgau & à Wittemberg.
Nos troupes ont fait , dans cette occafion , deux
cent quatre-vingt-un prifonniers . Nous ignorons
encore le nombre de Pruffiens tués . Tout le bagage
ennemi a été pris , & l'on y a trouvé les uniformes
neufs du régiment de Schmettau . On a pris
aufli cinq cens chevaux de cavalerie , de trait , ou
de bât . Notre perte confifle , en quarante - cinq
hommes tués ou bleffés .
Les Princes Albert & Clément de Saxe , feront
la campagne ; l'un , dans l'Armée Autrichienne ,
l'autre , dans l'armée Ruffe.
Sa Majesté Impériale , voulant reconnoître les
fervices de la Maifon de Hohen -lohe - Waldenbourg,
a érigé le Comté de Waldenbourg en
Principauté fouveraine de l'Empire , avec toutes
les prérogatives attachées à ce titre. Cette érecAVRIL.
1760 . 203
tion a été notifiée à l'Electeur de Mayence, comme
Archi-Chancelier de l'Empire , à la diéte de l'Empire
, & à celle du cercle de Franconie , dont le
Comté de Waldenbourg fait partie . Le Feld-
Maréchal Baron de Marshal , qui venoit de l'armée
de Saxe dans cette Ville , eft mort en chemin.
De LEIPSICK , le 15 Février.
Le Roi de Pruffe , que nous eſpérions en vain
de fléchir , a continué , jufqu'aux premiers jours.
de ce mois , de traiter cette ville avec la derniere
rigueur , pour en tirer le total des contributions
impofées tant en argent qu'en Soldats . Au défaut
des Peres de famille , qui avoient pris la fuite , on:
emprifonna leurs parens ou leurs commis , Om
n'en a pas excepté les femmes , les enfans , &
même les jeunes filles . Une partie de ces prifonniers
refta à la grande garde , manquant des
chofes les plus néceffaires a la vie , & exposée aux
infultes des Soldats Pruffiens .
Tout le reste de l'Electorat de Saxe, eft accablé
de la meme manière . f
DE ROME , le 19 Février..
Le Cardinal Orfini , Miniftre Plénipotentiaire
da Roi des deux Siciles reçut le 4 de ce mois , au
nom de ce Prince , l'inveftiture du Royaume de:
Naples.
le:
La Bulle d'inveſtiture accordée au Roi des deux
Siciles , eft entièrement femblable a celle que
Pape Clément XI , donna a l'Empereur Charless
VI. Elle porte donation du Royaume de Naples ,,
non feulement au Roi Fer hinand , mais encore:
à fes defcendans tant ma es que formelles. Il n'a
poina été queltion de la caule ultra Pharum.
I W
204 MERCURE DE FRANCE.
DE LONDRES , le Mars.
On eft ici dans un grand embarras , au fujet de
la flotte qu'on le propofoit d'envoyer dans la mer
Baltique . D'un côté , le Roi de Pruffe infifte far
cet envoi ; & il annonce que fans cela , il fongera
à faire la paix . De l'autre côté , l'on fent qu'on ne
fauroit l'effectuer fans fe brouiller avec la Ruffie.
On attend fur cela le fuccès des négociations du
fieur Keith , notre Minittre en cette Cour.
DE LA HAY E , le 7 Mars.
Les de ce mois , le mariage de la Princeffe
Caroline avec le Prince de Nallau -Weilbourg , a
été célébré à la haute Eglife. Il y a eu a ce fujet ,
beaucoup de fêtes dans cette Ville . Le Prince avoit
déjà été nommé par leurs Hautes Puntlances
Général de l'Infanterie .
FRANCE.
'Nouvelles de la Cour , de l'Armée du bas
Rhin , de Paris , &c
De VERSAILLES , le 28 Février , & jours
L
fuivans.
E fieur Bignon , Commandeur , Prevôt , &
Maître des Cérémonies des Ordres du Roi , fon
Eibliothécaire , Maître des Requêtes , de l'Académie
Françoife , & honoraire de celle des Infcriptions
, a été chargé par Sa Majefté de porter au
Prince des Afturies , & à l'Infant . Don Louis , le
Collier , & les marques des ordres du Roi.
AVRIL. 1760. 205
Le 18 Février , le Roi , la Reine , & la Famille
Royale , fignerent le contrat de mariage du Marquis
de Juigné , Colonel du Régiment de Champagne
, avec Demoiſelle Thiroux de Chammeville
, fille du feur de Chammeville , l'un des
Adminiſtrateurs généraux des Poftes.
Le 2 , le Roi tint un Chapitre extraordinaire
de l'Ordre du S. Efprit , & il nomma Chevalier
de cet Ordre , le Roi des Deux - Siciles . Le 3 , Sa
Majefté tint le Sceau .
Le Roi a nommé le fieur de Sinety. , Capitaine
dans le Régiment des Gardes Françoifes , Sous-
Gouverneur de Monfeigneur le Duc de Berry ; &
il lui a accordé une penfion de retraite de fix
mille livres. Sa Majeſté a auffi nommé le Comte
de Montault & le Vicomte de Boisgelin , Gentilshommes
de la Manche du même Prince.
Le Roi a donné le commandement de la Province
de Rouergue , & de toute l'étendue des Evêchés
de Rhodes & de Vabre , au Baron de Tullier
, Meftre-de-Camp de Dragons , Inspecteur
des Milices Garde-côtes de Guyenne , & Gouverneur
de Rhodès.
Sa Majesté a accordé au Chevalier de Crancé,
Ecuyer de main de Madame la Dauphine , le
Gouvernement de Châlons en Champagne , vadepuis
la mort du Comte d'Estaing. cant
Le Roi a nommé l'Abbé Moftuejour , Grand-
Vicaire de Chartres , Sous- Précepteur de Monfeigneur
le Duc de Berry
Le 1 ,, le Roi , la Reine , & la Famille Royale ,
fignerent le contrat de mariage du Marquis de
Rougé . Colonel du Régiment de Foix , avec N..
d'Havré , fille du Duc de ce nom ; & celui du
Comte de Parabere , avec Dile de Perigni.
Le 17 , le Prince de Condé eut l'honneur de
faire les révérences au Roi , a la Reine , & a la ›
Famille Royale. Il étoit en manteau long , ainfi
206 MERCURE DE FRANCE.
que les Gentilshommes de fa fuite. Les Princes
qui l'ont accompagné à cette cérémonie , font le
Comte de Charolois & le Comte de Clermont.
Le 18 , Sa Majesté tint le Sceau .
Le Roi a donné l'Abbaye Royale & Séculière
de S. Pierre de Metz , à la Dame de Choiſeul ,
Chanoineffe de Remiremont.
Et le Prieuré des Filles- Dieu , Diocèfe & Ville
de Rouen , à la Dame Dutot de Beaunay , Religieufe
a l'Abbaye de Fontaine- Guérard .
De l'Armée du Bas Rhin , le 24 Février.
Nous jouillons , dans nos quartiers , de toute
Ia tranquillité qu'on peut defirer. Le Maréchal.
de Broglie a envoyé à Fulde un fort détachement ,
compofé de piquets de divers Régimens , fous les
ordres du fieur du Vair. Cette difpofition a pour
objet de protéger cette Ville , contre les partis de
F'Armée alliée , qui ne ceffoient d'y commettre
des exactions .
La Régence du Comté de Hanau , ayant reçu
la-nouvelle de la mort du Landgrave de Helle-
Caffel , en informa le Maréchal Duc de Broglie ;
& tout de fuite elle demanda au Prince de Robecq
, Commandant, pour le Roi de France, dans
la Ville de Hanau , la permiffion de notifier cet
événe nent aux Peuples : mais au lieu de cette
fimple notification , elle fit une eſpèce d'acte de
prife de poffeffion du Comté de Hanau , en faveur
du Prince Guillaume de Helle Caffel , fils
aîné du nouveau Landgrave . Comme certe entreprise
fut exécutée à l'infçu du Maréchal de
Broglie , dans un Pays qui ne peut & ne doit
reconnoître d'autre autorité que celle du Roi
de France , qui en a la poffeffion actuelle , par
le droit des armes , ce Général fit arrêter le 9 de
ce mois , les quatre principaux Officiers de cette
AVRIL. 1760. 207
Régence , & il les fit conduire dans une Maiſon
fûre,pour yêtre féparément & étroitement gardés,
jufqu'a ce qu'il eût reçu les ordres du Roi fon
Maitre en conféquence defquels , il fic fubie
hier le même fort aux autres Officiers de la Régence.
En même temps , il fit publier une Ordonnance
, qui , en annullant la proclamation
faite d'autorité privée par cette Régence , comme
attentatoire aux droits que les loix de la
guerre donnent à Sa Majeſté Trés - Chrétienne , &
en fufpendant les fonctions , condamne les
Membres qui la compofent , à refter en prifon ,
jufqu'à ce qu'ils ayent payé la fomme de deux
cens mille écus , en expiation de leur rébellion.
Cette punition paroîtra ſévère , au premier coup
d'oeil ; mais elle eft douce en comparaiſon des
traitemens rigoureux , que le Roi de Prulle fait
éprouver aux Magiftrats de Leipfick & autres
Villes . D'ailleurs , elle ne peut être que juſte ,
étant inoui que les Magiftrats d'un Pays occupé
par le droit des armes , oublient jufqu'à un tel
point leur devoir à l'égard de la Puiffance qui
les a foumis.
DE PARIS , le 8 Mars.
Charlotte - Godefride - Elifabeth de Rohan - Soubife,
Princeffe de Condé , mourut, a l'Hôtel de
Condé , la nuit du Mardi au Mercredi
dernier ,
dans le vingt- uniéme jour de fa maladie , &
la vingt
- troiliéme année de fon âge. Cette Princeffe
étoit fille de Charles de Rohan , Prince de
Soubife
,
Maréchal deFrance, Pair du Royaume,
Capitaine-
Lieutenant
des Gendarmes de la garde
duRoi ,
Gouverneur
de Flandre & du Hainault;
& d'Anne-Marie Louife de la Tour d'Auvergne,
Princellede Bouillon. Elle avoit été mariée le
Mai
137532
à Louis -Jofeph de Bourbon-Condé
3
208 MERCURE DE FRANCE.
Prince du Sang , Grand- Maître de la Maiſon
du Roi , & Gouverneur de la Proviuce de Bourgogne,
Elle a eu de ce mariage , N. de Bourbon-
Condé , Duc de Bourbon , né le 13 Avril 1756 ;
Marie de Bourbon- Condé, née le 16 Février 1755,
morte le 22 Juin 1759 ; & Mademoiſelle de
Bourbon- Condé , née le ƒ Octobre 1757.
Cette Princeffe réunifloit toutes les vertus Chrétiennes
& Morales : fon caractère doux & affable ,
lui avoient gagné l'affection de toutes les perfonnes
qui avoient l'honneur de l'approcher :
elle eſt univerſellement regrettée . Les pauvres
pleurent amérement , en elle , une mere & une
amie , que leurs voeux n'ont pu leur conferver.
Le corps de cette Princefle , après avoir été
embaumé , a été expofé pendant un jour furune
eſtrade , éclairée par un grand nombre de lumieres
, & tendue de noir. Il fut porté , le
8 de ce mois , au Couvent des Carmelites du
Fauxbourg Saint Jacques , pour y être inhumé. Le
cortége du Convoi étoit compofé de cent pauvres,
couverts de drap blanc , & tenant chacun un
flambeau ; des Officiers , des Suiffes , & des Valets
de chambre de la Princeffe , à cheval ; de cent
cinquante Valets de pied ; de trois caroffes drapés
, à fix chevaux , harnachés & caparallonnés
de noir , qui étoient remplis par les Ecuyers , les
Gentilshommes , & les Femmes de chambre ; &
de trois caroffes à huit chevaux . Dans le premier,
étoit l'Archevêque de Bordeaux , portant le coeur,
le Curé de Saint-Sulpice , le Confeffeur , & les
Aumôniers de la Prince ffe. Dans le fecond , étoit
le
corps de la Princelle . Dans le troifiéme , étoit
Mademoiſelle de Sens , avec la Princeffe de Marfan,
Chanoineffe de Rémiremont ; la Dame d'honneur
de Ma lemoiſelle de Sens , & les Dam's attachées
à la Princeffe défunte. Lorsqu'on fut aur
AVRIL. 1760. 209
Carmelites , le corps fut defcendu du caroffe par
huit Valets de Chambre , & porté fous le portique
intérieur de l'Eglife , où les Religieufes , tenant
chacune un cierge à la main , étoient rangées
à droite & à gauche , avec trente Eccléfiaftiques
, le Supérieur de la Maiſon à leur tête.
L'Archevêque de Bordeaux , en camail & en
rochet , accompagné du Curé de S. Sulpice , en
étole , en préfentant le corps & le coeur de la
Princeffe aux Carmelites , leur fit un Difcours ,
auquel le Supérieur répondit : enfuite les Religieufes
commencèrent l'Office des Morts. Les
Prières finies , les huit Valets de Chambre portèrent
le corps près de la foife ; & l'y ayant
defcendu , le coeur fut pofé fur la croix du cercueil.
Mademoiſelle de Sens , qui menoit le deuil,
étoit en longue mante , dont la queue étoit portée
par fon Ecuyer. La Princeffe de Marfan ; la
Dame d'honneur de Mademoiſelle de Sens , &
les Dames de la Princefle défunte , étoient auffi
en mante.
Le 6 de ce mois , l'ouverture folemnelle de
l'Affemblée générale du Clergé de France , fe fit
dans l'Eglife des Grands-Auguftins , par la Mefle
du Saint- Elprit. L'Archevêque de Narbonne y
officia pontificalement . Le 9 , les Archevêques
de Narbonne , d'Auch & de Bordeaux , & les .
Evêques de Grenoble , d'Auxerre & du Puy , Préfidens
de l'Affemblée , avec les autres Prélats &
les Députés du fecond ordre , qui compofent cette
Affemblée allerent à Verfailles rendre leurs
respects au Roi. Ils s'affemblerent dans l'appartement
qui leur avoit été deſtiné ; & le Comte de
S. Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , étant
venu les prendre pour les préfenter à Sa Majefté
, ils furent conduits à l'Audience du Roi
avec les honneurs que reçoit le Clergé lorsqu'il
>
115 MERCURE DE FRANCE.
eft en Corps. Les Gardes du Corps étoient en
haye dans leur falle , & les deux battans des
portes étoient ouverts. L'Archevêque de Narbonne
harangua le Roi , après quoi il préfenta
les Députés à Sa Majefté. Ils eurent le même
jour audience de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin, & de Madame la Dauphine , étant préfentés
& conduits avec les mêmes honneurs .
Le 11 , le fieur Feydeau de Brou , Confeiller
d'Etat ordinaire , & au Confeil royal ; le Comte
de Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat s
le fieur Trudaine , Confeiller d'Etat ordinaire , &
au Confeil royal , & Intendant des Finances ; le
fieur d'Ormeffon d'Amboile , Confeiller d'Etat &
Intendant des Finances ; & le fieur Bertin , Confeiller
ordinaire au Confeil royal , & Contrôleur
général des Finances , vinrent , en qualité de
Commiffaires du Roi , à l'Affemblée du Clergé ,
où ils furent reçus avec les cérémonies ufitées en
pareille occafion . Le fieur Feydeau de Brou, porta
la parole.
L'Alfemblée du Clergé ayant accordé unanimement
le don gratuit de feize millions , qui lui
avoit été demandé de la part du Roi ; fur le
compte que l'Archevêque de Narbonne en a rendu
à Sa Majefté , le Roi lui en a témoigné fa fatisfaction
par une Lettre remplie de marques de
bonté & d'affection pour le Clergé.
Le 24 du mois de Janvier , la Société royale
de Londres , élut , d'une commune voix , pour
Aflociés , le fieur de la Caille , de l'Académie des
Sciences , & Profefleur de Mathématiques au
Collège Mazarin ; & le fieur Pereire , Penfionnaire
du Roi , célèbre par fon art d'enfeigner à parler
aux muets de naiffance.
Les Lettres arrivées depuis peu de divers lieux
de la Syrie , confirment la nouvelle des trem
AVRIL. 1760. 211
blemens de terre réitérés qui ont détruit la plûpart
des Villes de cette contrée. Les deux principales
fecouffes fe font fait fentir le 30 Octobre
dernier , à trois heures trois quarts du matin ,
& le 25 Novembre , à fept heures & un quart du
foir. Les autres ont été en fi grand nombre, qu'on
ne put les compter. Tripoli de Syrie , n'eft plus
qu'un monceau de ruines , de même que Saphet ,
Napoulouſe , Damas , plufieurs autres Villes , &
ane multitude de bourgs & de villages.Il s'est fait,
à ce qu'on ajoute , près de Bulbec , dans la terre ,
une fente de plufieurs toifes de largeur , & de
vingt lieues de longueur.
On apprend d'Alquin , fous Vezelay, en Bourgogne
, qu'on y a effuyé , vers le milieu du mois
dernier , un furieux ouragan. Il a déraciné ou
brifé prèfque tous les arbres d'un bois de trentefix
arpens , auffi bien que ceux des campagnes
voifines. Le tremblement de terre du 20 Janvier,
s'y eft auffi fait fentir avec une violence particu
lière ; & il y caufa une très- grande frayeur.
Les nouvelles que l'on a reçues d'Angleterre
& d'Irlande , nous apprennent que le Capitaine
Thurot débarqua le 18 du mois dernier à Karickfergus
en Irlande. Le 21 , on attaqua Karickfergus
, qui fe défendit quelque temps ; mais le
Lieutenant- Colonel Jennings , le voyant prêt à
être forcé , rendit le Château ; & la garnifon fut
prifonnière de guerre. On a eu , à cette attaque ,
17 hommes tues , dont trois Officiers du Régiment
des Gardes Françoifes , les fieurs de l'Epinay
, de Novillard , & le Chevalier de Boillac ;
& environ trente hommes bleffés , du nombre
defquels font , le fieur Villepreaux , Capitaine
des Grenadiers au Régiment de Cambis , qui a
reçu un coup de fufil dans le bras , & le fieur
Flobert , Brigadier , commandant les troupes da
212 MERCURE DE FRANCE.
débarquement , qui a auffi été bleffé d'un coup
de feu à la jambe.
On a été retenu à Karickfergus jufqu'au 27 ,
par les vents contraires ; & la nuit du 27 au 28 ,
on a remis à la voile , avec des ôtages , pour 100
mille livres fterlin de contribution . Le 28 au matin
, on a été rencontré près de l'Ifle de Mann ,
par trois frégates Angloifes , de 36 canons chacune.
Le combat a été très-vif pendant plus d'une
heure ; mais les frégates , délemparées & percées
de coups de canon , fous l'eau , ont été obli
gées d'amener. Le fieur Thurot a été tué , dans le
combat . Les talens peu communs , l'expérience ,
& le courage de cet Officier , méritent les plus
grands regrets de notre part , & lui avoient acquis
l'eftime de nos ennemis même . Le fieur
Dars , Officier au Régiment des Gardes Françoi
fes , a aufli été tué. Le fieur Cavenac , Aidemajor
du même Régiment , a été bleflé à la
rête d'un coup de feu , que l'on croit n'être pas
dangereux. Le fieur Joft , Officier au Régiment
des Gardes Suiffes , a eu un bras emporté. Les
autres Officiers bleſſés font , le fieur de Brie , Capitaine
, le fieur Mafcle , Aide -major , & le fieur
Callale , Lieutenant au Régiment d'Artois. Les
fieurs de Garcin & de Brazide , Capitaines au Régiment
de Bourgogne , & le fieur Ollery , Lieutenant
dans les Volontaires étrangers.
On a appris depuis , par une Lettre , venant de
Ife de Mann , en datte du 2 Mars , que le
combat a commencé à fept heures du matin , &
n'a fini qu'à 9 heures & demie ; que M. Thurot ,
après avoir eu affaire à la premiere frégate Angloife
l'avoit forcée de fe retirer pour fe réparer ;
les deux autres font venues la remplacer , &
l'ont mis entre deux feux ; & que M. Thurot n'a
été tué , qu'après avoir tenté un nouvel abordage
que
AVRIL. 1760. 213
contre la premiere frégate , qui revenoit à lui,
après s'être réparée . On ajoute , que M. Thurot a
été enterré dans l'Iſle de Mann , par les Anglois ,
avec tous les honneurs militaires qu'ils ont cru
devoir à un homme dont la valeur , l'expérience ,
& l'humanité , n'ont point connu de bornes.
Suivant les nouvelles apportées à l'Orient , de la
côte de Coromandel , il s'eft engagé le 10 Septembre
de l'année derniere , un combat très - vif
entre l'efcadre Françoife commandée par le fieur
Daché , & l'efcadre Angloife commandée par l'Amiral
Pocock. On n'a point encore de détail circonftancié
de cette action .
Les mêmes lettres ajoutent , qu'il y a eu le 30
Septembre , un combat entre les troupes Françoiles
& Angloifes , à Vandavachi , près d'Afcate ,
arente lieues de Pondichéri. Les Anglois étoient
20 nombre de dix - fept cens blancs , & de quatre
mille noirs . l'armée Françoiſe étoit de onze cens
blancs , commandée en l'abſence du fieur de Lalli
qui étoit à Pondichéri , par le fieur de Géoghégan
Capitaine de Grenadiers du Régiment de Lalli.
L'affaire fur très-vive , & dura cinq heures . Les
François refterent enfin maîtres du champ de ba
taille.
Les Anglois ont eu 350 hommes de tués , & un
grand nombre de bleffés. On leur a fait cinq Officiers&
56 foldats prifonniers. On leur a pris quatre
piéces de canon , & deux chariots d'artillerie.
Notre perte n'a été que de 36 hommes tués , & de78 bleffés. Du nombre des premiers
, font , les fieurs Gineftoux
& de Gouyon
, Capitaines
dans le Régiment
de Lorraine
; & les Geurs de Main- ville & Papillaut
, le premier , Commandant
du
Bataillon de l'Inde , & le fecond
, Lieutenant
dans les troupes au fervice de la Compagnie
des
Indes.
214 MERCURE DE FRANCE.
MARIAGES.
Pierre-Louis , Marquis de Treffort , Capitaine
au Régiment de Foix , fils d'Antoine Philibert ,
Marquis de Grollier ; & de Gabrielle- Claude Colbert
de Villacerf , a époufé le 20 du mois de
Février 1760 , Charlotte - Euſtache Sophie de Fuligny
, Dame , Comtelle de Reauremont , fille
de feu Henry de Fuligny- Damas - Rochechouard ,
Baron d'Aubigny ; & de Dame Marie- Gabrielle
de Pons - Praflin . La bénédiction nuptiale leur a
été donnée au Château d'Agée , près de Dijon ,
par M. l'Abbé de Damas,grand Cuftode & Comte
de Lyon , oncle de ladite Dame.
Louis - Hercule - Timoléon de Coffé , Duc de
Coffé-Briffac , Meftre-de-Camp du Régiment de
Bourgogne , Cavalerie , a époufé , le 28 du mois
dernier, Adélaide-Diane-Hortence- Delie Mancini
de Nevers , feconde fille de Louis - Jules- Barbon .
Mazarini Mancini , Duc de Nivernois , Pair de
France, Grand d'Espagne, Noble Vénitien , Baron
Romain , Chevalier des Ordres du Roi , Brigadier
de ſes Armées , l'un des Quarante de l'Académie
Françoiſe, & honoraire de celle des Infcriptions &
Belles Lettres , ci-devant Ambaffadeur extraordinaire
auprès du S. Siége ; & d'Hélene - Angélique-
Françoife Phelypeaux de Ponchartrain.La bénédic
tion nuptiale leur a été donnée par l'Archevêque de
Tours , dans la Chapelle de l'Hôtel de Nivernois.
Leurs Majeftés , & la Famille Royale , avoient
figné leur contrat de Mariage le 23. Le Duc de
Coffé eft fils de Jean - Paul - Timoléon de Collé-
Briffac , Duc de Brillac , Pair de France , Chevalier
des Ordres du Roi , Lieutenant général de
fes Armées , Gouverneur de Sârlouis , grand Pan
AVRIL. 1760. 215
netier deFrance ; & de Dame Marie-JofepheDurey
de Sauroy.
Achilles-Jofeph Robert , Marquis de Lignerac ,
grand Bailli d'epée , Lieutenant- général , &
Commandant pour le Roi , dans la haute Auvergne
, Capitaine au Régiment de la Ferronaye ,
Dragons, fils defeu Charles- Jofeph Robert, Comte
de Lignerac , Enfeigne des Gendarmes de la Garde
du Roi ; & de Marie - Françoife de Broglie ; a
époulé , le 4 de ce mois , Marie-Odette de Lévi-
Chateau Morand , fille de feu François- Charles
de Lévi- Chateau- Morand, Lieutenant général des .
Armées du Roi , & de la Province de Bourbonnois ;
& de Dame Philiberte Languet de Rochefort . La
bénédiction nuptiale leur a été donnée , dans la
Chapelle de l'Hôtel d'Ambre , par l'Evêque de
Pamiers. Leur Contrat de Mariage avoit été figné
,le 18 du mois dernier , par Leurs Majeftés ,
& par la Famille Royale.
Joachim -Charles Laure de Montagu , Vicomte
de Beaune , Lieutenant général de la Balle- Auvergne
& du pays de Combrailles , Colonel du
Régiment de Bretagne , Infanterie , fils aîné de
feu Joachim Montagu , Marquis de Bouzols ,
Maréchal - de - Camp , Lieutenant général de la
baffe-Auvergne & du pays de Combrailles ; &
de Laure-Anne Filtz-James , Dame du Palais ,
a épousé , le 3 de ce mois , Marie - Hélene - Charlotte
Caillebot de la Salle , fille de Marie- Louis
Caillebot , Marquis de la Salle , Lieutenant-général
des Armées du Roi , Gouverneur & Lieutenant
général de la Haute & Baffe Marche ,
Capitaine Sous-Lieutenant des Gendarmes de la
Garde ; & de feue Dame Marie-Françoife- Charlotte
de Benoife. La bénédiction nuptiale lear
a été donnée, dans la Chapelle de l'Hôtel de
Matignon , par l'Evêque de Soiffons , oncle du
216 MERCURE DE FRANCE.
Vicomte de Beaune Leur Contrat de mariage
avoit été figné , le premier de ce mois , par
Leurs Majeftés , & par la Famille Royale .
MORTS.
Louis-Antoine de Brancas , Duc de Villars ,
Pair de France , Chevalier des Ordres du Roi , &
de celui de Saint Janvier de Naples , ancien
Colonel du Régiment d'Orléans , Infanterie ,
mourut en cette Ville , le 29 du mois dernier ,
dans la foixante - dix - huitiéme année de fon
âge.
Claude de Rouvroy de Saint Simon , Evêque
de Metz , & en cette qualité Prince de l'Empire ,
Abbé de l'Abbaye Royale de Jumiege , Ordre de
Saint Benoît , Diocèle de Rouen , eft mort à
Metz, le 29 du même mois , âgé de foixantefept
ans.
Michel Petrowitz , Comte de Befuchef- Rumin,
Chevalier des ordres de l'Impératrice de Ruffie ,
Maréchal de la Cour de cette Princeffe , un de
fes Confeillers intimes , & fon- Ambaſſadeur
extraordinaire & plénipotentiaire auprès du Roi ,
mourut en cette Ville , le 8 , âgé de foixantequinze
ans.
Meffire Victor- Amédée de Lafond de Savines ,
'Abbé Commendataire de l'Abbaye Royale de
Bofcaudon , anciens Bénédictins , Diocèle d'Embrun
, eft mort le 29 du mois dernier , âgé de
quatre-vingt- quatorze ans.
Dame Marie - Anne - Angélique Charpentier
d'Ennery , veuve du Marquis de Breteuil , Commandeur
des Ordres du Roi , Miniftre & Secrétaire
d'Etat au département de la guerre , mou-
Tut le 17 de ce mois , dans la foixante- onzième
e fon âge.
SUITE
AVRIL. 1760. 217
SUITE de l'Etat de la Vaiffelle portée
aux Monnoies des Villes de Province.
ROUEN.
Du 17 au 22 Décembre 1759 .
Meffieurs
Landry , Receveur des Octrois.
Gaillard , Receveur général des
Fermes.
de Boifmont , Procureur général
de la Chambre des Comptes.
de Flavigny , Manufacturier.
le Marquis de Chaulieu.
le Préfident Courvaudon .
m. o. g. d.
57 3
2444 3
68 S
6
41 6 I 12
32 3 12
270 2 6
LYON.
Du 17 Décembre 1759 , au 29 Février 1760 .
Meffieurs
De Falconet , Commiffaire des
guerres , à Tournon.
le Marquis de Lemps , Commandant
à Tournon.
La Chartreuse de Pierre Châtel.
Les R. P. Céleftins .
m.
0. g.
148 7 18
135 2.21
296 12
126 1 6
l'Abbé de Maubourg,Comte de Lyon. 134 1 21
Bathéon de Vertzieu , Gouverneur
de Vienne.
I. Vol.
145
K
218 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Lyon.
L'Abbaye Royale de Sainte Claire
d'Annonay.
Le premier Monaftere de la Vifitation
de Saint Marie.
l'Evêque du Puy.
L'Eglife Paroiffiale & Collégiale de
Bourg.
Les Céleftins du Colombier.
Madame la Comteſſe de Broglie.
Girard , Tréforier de France.
le Comte de la Poype.
L'Eglife Paroiffiale de Neuville .
le Comte de Vogué , Brigadier des
armées du Roi.
le Marquis de la Tourrette , Baron
des Etats de Languedoc.
Le Monaftère de la Vifitation , Sainte
Marie de Saint Etienne.
Maindeftre , Tréforier de France.
L'Evêque de Valence.
de Saint Véran .
Les Chanoines de Saint Rambert ,
Ordre de Cluny .
Chauvet , Secrétaire du Roi à St.
Etienne.
d'Efpagnac , Brigadier des armées
du Roi , Commandant
à Bourg.
Les Miffionnaires de S. Jofeph .
Chalut , Chanoine à Belleville .
le Marquis de la Chaife , Lieut . gén.
Les Cordeliers de S. Bonaventure .
Les Religieufes de S. Benoît.
Les Cordeliers de l'Obſervance.
Mlle Bourlier.
m. 0 .
22 3
87 3
141 4 3
II 4 6
14 3
37 S 3
"
39 I 3
115
26 6
12
7653
70 5 3
217 18
32 6 18
1726 15
41 II
IS 2 18
22
.
66 3
6 18
3 6 ,
71 4
176 2 12
38 1 18
25 I 9
15 33
AVRIL. 1760 . 219
•
1
Meffieurs
Suite de Lyon.
Le tiers-ordre de S. François.
le Comte de Vaux , Lieuten. gén.
les Dominicains .
les Chanoines , Barons de S. juflt.
les Fabriciens de S. Pierre le Vieux.
les Religieufes de Sainte Catherine ,
à S. Etienne .
les Couriers de la Chapelle des
Paffementiers.
La Congrégation des Théologiens ,
au Grand Collège.
La Congrégation des Rhetoriciens ,
audit Collège.
LaCongrégation de Meffieurs , audit
Collège.
La Congrégation des jeunes Artifans ,
Caudit Collège.
1
les Dominicains de Bourg.
les Chanoines d'Ainay .
les Chanoines de S. Antoine.
les Congréganiftes du Mariage de
la Sainte Vierge.
les Chanoines réguliers de la Sainte
Trinité .
d'Origny , Receveur des Gabelles.
les Grands Auguftins .
Les R. P. Chartreux du Couvent
de Porte.
Les Religieufes de la Chartreufe
de Salette.
Les R. P. Chartreux de Lyon.
les Pénitens de la Miféricorde.
les Camerier & Chanoines du Chapitre
de S. Paul.
m
0. g.
22 4 12
49 3 10
6 45 6
30 6 12
84 7
22 7
70 2 18
31 I 6
43 3 6
127 I
3
24 4
97 18
25 3 9
59 I ୨
132 6
3
7 2 3
17 3 IS
397 3
17 I
582 15
20 4 18
108 7 3
110 4 12
Kij
220 MERCURE DE FRANCE
Meffieurs
Suite de Lyon.
m. o. g.
273 6 de Combles , Secrétaire du Roi.
les Carmes des Terreaux.
les Courriers de la Confrérie des
Plieurs de foie.
de la Valette , Chevalier d'honneur
de la Cour des Monnoies.
Chanorier , Receveur des Tailles.
les Chanoines du Chapitre de S.
Nifier.
les Pénitens de la Royale Compagnie
du Coufalon.
Les Religieufes du premier Monaſtère
de Sainte Elizabeth .
Bottu de la Balmondiere.
Hacte , Recev. gén. des Domaines .
Madame de Mélun ; Abbeffe de
l'Abbaye Royale de S. Pierre.
les Chanoines du Chapitre de Fourvière.
Bourlier d'Ailly , Tréforier de Fr.
Tabarreau , Directeur des Poftes.
les Religieufes de Beaulieu en
Roannois.
Madame de Montjouvent , Abbeffe
42 2 21
16
2852 12
so s 12
44 6 .
41 S
26 I
36 6 6
75
602 3
8.4 12
35 1 9
38 4 12
7 12
de l'Abbaye Royale de la Déferte. 32 4 Is
les Confreres de S. Nicolas de S.
Vincent. 19.2 12
Matières d'or portées à ladite Monnois .
Meffieurs
Pupil , premier Préfident de la
Cour des Monnoies.
Millanois , fils.
m . 0.
7156
AVRIL. 1760. 221
Suite de Lyon.
Me fieurs
d'Efpagnac , Brigadier des armées
du Roi.
Chalut , Chanoine à Belleville.
de Combles , Secrétaire du Roi.
m. o. g.
d.
5236
6 12
6
LA ROCHELLE.
Du 29 Décembre 1759 , au 12 Févr. 1760.
Meffieurs
le Marquis de Champagné.
de Mougon , Lieutenant des Maréchaux
de France.
L'Evêque de Saintes.
Jourdain , Prieur de l'Abbaye de
Moreille.
Seimars de Boiffizeau.
m . 0. g.
19 2 12
2 I I2
285 1 3
53 1 6
136
BORDEAUX.
Du 2 Janvier , au 23 Février 1760.
Meffieurs
Les Bernardins , de Sainte Livrande.
Les Feuillans , de Bordeaux.
de Reftais , Secrét . de l'Intendance.
Les Bernardins , de l'Abbaye de Faife.
m. o. g. ↑
27 4 12
45 4
18 1 15
57
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
TOULOUSE.
Du 2 Janvier au 1 Février 1760 .
Meffieurs
Dorbellan , Préfident au Parlement.
Lefranc , de Pompignan.
Le Chapitre de Ste. Marie ,d'Auch.
*
m . o.
32 I 22
614
10 4 18
MONTPELLIER .
Du 14 Janvier au 5 Février 1760.
Meffieurs
M. O. g
le Marquis de Gerlande , de l'Etrange. 80 1 18
le Marquis de Vogué , Lieut. gén.
le Marquis de Monteynard .
DIJON.
82 I 12
135 6
Du 8 Janvier au 29 Février 1760 .
{
Meffieurs
Les Cordeliers de Dijon.
Michelinor , de Ganet.
Meot , demeurant à Chatillon .
Les Chartreux , de Dijon.
Vaillant , demeurant à Chatillon .
le Préfident Cocuderoy .
m. o. g.
30 6
37
14 3
62 4
40 7 12
79 3 18
M. le Comte de Malartie , cité dans le dernier
Mercure , eft , M. de Malartie de Montrioux , Premier
Préfident à la Cour des Aydes de Montauban .
1
AVRIL. 1760. 223
Meffieurs
Suite de Dijon.
m. o g.
de Connigant.
l'Abbé Dufert.
le Préfident de Ruffey .
de Changey , Major de Cavalerie.
Les Bénédictins de Dijon.
Les Urfulinesde Dijon.
La Congrégation des Artifans .
de Gurgy , Chevalier de S. Louis .
La Congrégation des Ecoliers.
Dauxilly ,Tréforier de l'extraordinaire
des guerres
.
Mlles Du laurent.
de Levy.
Gautier , Confeiller au Parlement.
Petit de Breffez .
le Préſident de Lantenay.
Borde du Chatel , de Bourg en Breffe.
Liébeau , Subftitut du Procureur gen.
Seguin , Secrétaire du Roi.
Bouin , Chevalier de S. Louis.
Les Urfulines de S. Jean de l'Aunne.
Les Dames Bernardines de Dijon.
Nicaife , Maître des Comptes.
le Marquis de Villeneuve.
Liégard , Marchand Orfévre.
le Préfident de S. Seinne.
Boilot , Tréforier de France .
Greffier. Petitor ,
Mlle Motot.
Joly de la Borde .
de Mollera , Secrétaire du Roi.
Les Jéfuites de Dijon .
Robelot , Général de la Monnoie.
de Chavoify , de Chatillon.
52 3 15
60 2
20 6 21
78 4 18
71 I 6
91 5 12
24 4
17 6 6
312 18
79 7 IS
18 2 6
73 5 5
155 5 18
86 3
126 7 12
12 2
19 1
6
119 6 6
617 12
225 12
236
Is 6 la
170 7
50 2
103
6
74612
197 22
7 3 3
80521
48 7 12
98 7
4 3 18
49 6 6
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Dijon .
le Beau , Confeiller au Parlement.
l'Abbaye du Lieudieu de Beaune .
l'Evêque de Mâcon.
Le Chap . de S. Pierre de Mâcon.
le Comte de Lantagne.
Les Religieufes de la Ferté.
de Clermont-Tonnerre , Maréchal
de Camp .
m. o. g. d.
67 12
34 I I 12
112 S 21
212 1 3
74 I 12
36 5 15
110 2 18
Madame la Marquife de Maffole. 145 3 10 12
Madame la Comtelle de
Brouindon .
La Chapelle de M. Dauvillars.
Jobard , Payeur des gages du
Parlement.
Motot , un étui d'or.
de Chatoillenot .
le Préſident de Layez.
le Prieur d'Auxonne .
de Martine.
Jacob , Marchand à Dijon.
de Propiat , Direct . des Dom.
de Laraniffe , d'Auxonne.
Poitier , Commiffaire de la
Marine à Auxonne.
de Flameran , d'Auxonne.
la Comteffe de Suremin , en or.
3 on. 4 g. 6 d.
de Basfoffé , d'Auxonne.
37 2 3
14 I
584
ww
3
2 22
23 4 6
86 3 19 12
SI 12
161 6 9
17 4 21
40 6 13 12
52.6.15
43 4 3
42 6.21
14 3 15
20 3
le Maréch de Clermont-Tonnerre. 313 2
Guillemot , Orfévre , en or.
s on. 14 d. & en argent.
le Comte de Jauconn.
Boileau , Receveur du Tabac
à Châalons.
83 5
130 5 5
74 4 12
AVRIL 1760 . 225
Meffieurs
de la Chaiſe.
Suite de Dijon.
de Villediat , Conſeiller au
Parlement.
Vaillant , Maître des Comptes.
Salins, Maître des Comptes.
Le même.
Madame de Chintré .
Madame Henry.
de Locré , Directeur général des
Fermes , à Châalons.
M. M. Seguin
de Blancey , Secrétaire des Etats .
Madame de la Vernette , du Mâconnois.
de la Cerve , de Mâcon.
de Montplaifant , ancien Préſid.
au Parlement.
le Marquis le Camus , Capitaine
au Régim , des Gardes Franç.
Champion .
Vaudremont.
m. o. g. d.
18 4 18
73 IS
56 3 13 12 .
37
217 12
206 7 18
81521
SI 4 19
40 2 18
48 6 15
172 5 18
216 4 7.12 .
168 6 3
204 4 21
563 22 12
de Quincey , Conf. au Parlement. 93
Jeaunnin , ancien Confeiller .
de Valetine , Lieutenant de Roi
de Châalons .
de Charmelieu Receveur.
Baudeffon , d'Auxerre .
l'Abbé de la Cour , Chanoine.
Guillemot , Marchand Orfévre.
de Sainte Colombe , Confeiller
au Parlement.
Joly de Blaify , Conf. honor.
27 13 12
436
15
22 S
77 7
49 7
23 6
22
41 6
13 1
136 I 6
3
Kv
de Goudrecoint , de Chaumont. 80 7
226 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Dijon.
de Quintin , Procureur Général
du Parlement.
de Quency , Confeiller au Parlem .
L'Abbé de la Loge , Chanoine de
la Sainte Chapelle.
de Colmont , Commiffaire principal
des Guerres à Châlons.
Jannon.
La Vifitation des Châalons .
L'Abbaye de la Ferté.
Madame la Comteffe de
Chaminard .
de Fraffant , Ecuyer.
le Péfident de Bourbonne.
Madame la Comtelle de
Rochouard.
Madaine l'Abbeffe de Lanchard ,
à Châlons .
Borton de la Motte , à Auxonné.
de la Faye.
L'Evêque de Mâcon .
Jordier , ancien Chirurgien- Major
de la Gendarmerie.
Mademoiſelle Lamy.
Les Jacobins de Langres.
Guillemot , Marchand Orfèvre ,
m. o. g. d.
"
13 2 10 12
27 6
FI 3 3
203 18
47 7 15
17 I
HIS
18
3652
16-6-21
2734 12
25059
173 21
4 3 2 I
43 2
345 7 18
141 I 18
128 6 18-
en or , I m . 3 on.. 10 g.
Mademoiſelle Normand , un Erui
d'or 1 on. 12 8.
>
19 4 18
624 12
19 2 12
で
AVRIL 1760. 227
Meffieurs
ORLEANS.
Dus Février au 29 dudit.
Les Bénédictins de l'Abbaye de
Fériere.
Les Barnabites de Montargis.
Les Bénédictins de Vendôme .
Le Monaftere de Saint Laumer de
Blois.
Bourgmoyen , Chanoine de Blois.
Les Jésuites de Blois.
La Congrégation des Ecoliers.
de Saint Lazare de Blois .
Les Jacobins de idem,
Les Minimes idem .
Les Cordeliers , idem.
La Vifitation , idem.
Les Carmelites , idem.
Les Veroniques , idem.
L'Hôtel Dieu , idem .
La Paroiffe Saint Solenne , idem.
La Paroiffe Saint Honoré , idem.
La Paroiffe de Saint Martin , idem.
La Paroiffe de Saint Saturnin , de
Vienne.
L'Abbaye de Pont - le-Roi.
MM. Michel , freres , Négociants.
Madame la Veuve de Seurat , de
Bellerue , d'Orléans .
m. o. g.
31 3
3
38 5 6
18 7
23
7221
4212
23 15
19.3 "
18 2 12
20 18
f 1 18
5 118
14 7
2
203 12
23 212
47 18
2018
31721
80 4 21
40
21 4
$5 18
435 18
27
Decherel , ancien Officier d'Infanterie.
Boyelet , Lieutenant Criminel.
de Saint Germain.
Boyeler , Maréchal- des -Logis de la
Maiſon du Roi.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite d'Orléans .
Baguenau de la Prairie , Tréforier
de France à Rouen.
Sainſon , Avocat du Roi.
de Genne , du Portail .
Vaudeberg , Sécrétaire du Roi.
de la Toinne , & fon fils.
Madame la Veuve Laurencin.
Dautroche , Doyen des Tréforiers
de France.
Dautroche , Chevalier d'honneur.
Baguenau de Pucheſe .
Madame la Veuve de Mondreux.
Madame la Veuve Jacques Maçon .
Lambert , Maître des Eaux & Forêts
d'Orléans.
Bonvalet , Secrétaire du Roi.
Boileve Darbonne , Tréforier de
France.
m . o . g.
39 2
71 12
35 3
35 I 12
352
20 3
41 4 12
31 4 6
20
21 7
42
II 18
37.7 12
382
54
12
17 S
6
20 S
6
༡༠
1
44 I
13 3
34
22 12
Donnant , Secrétaire du Roi , Directeur
du Domaine.
Pinchinat , Négociant à Orléans.
Bouderaux, Greffier en chefau Bureau
2 des Finances.
Petineau , Négociant à Orléans.
l'Abbaye de S. Benoît.
Beaudouin , ancien Ingénieur.
La Paroiffe de S. Michel Lafferté-
Lovendal.
M. & Mlle Ducoin de Joui.
du Condré , Chanoine de Saint
Aignant.
Seurrat de la Barre , Raffineur.
Miron du Condré , Négociant,
18
13
12
1326
AVRIL. 1760. 229
Meffieurs
Suite d'Orléans.
Crignon de Bonvalet , Lieutenant
des Eaux & Forêts.
Lion du Sabon , Tréſorier des
Ponts & Chauffées.
du Boucheteault.
Dehecre , pere.
Vandeuil de Pourpoy.
Madame la veuve Sainfon Sévetreville.
d'Orléans , Capitaine de Cavalerie.
Barbeau , Greffier des Eaux & Forêts.
Curot , Lieutenant gén . d'Orléans.
Roland Pierrelegriffe.
L'Abbaye du Lieu .
m. o. g.
92
336 15
654 15
II 6
16 2
49 7
25412
N 3
34 5 6
596 ୨
42
RHEIM S.
Du 8 Janvier au 23 Février 1760.
Meffieurs
Defaulx , Chanoine.
L'Abbaye d'Elan , Ordre de Citeaux.
L'Abbaye de l'Ile en Barois , même
Ordre.
La Cathédrale de Châlons.
L'Abbaye de Vaucler , Ordre de
Citeaux.
Madame la veuve de Courtagnon.
le Large , Contrôleur du Grenier
à Sel.
L'Abbaye de S. Mefnie-lez-Châlons.
L'Abbaye de Lavalroi , Ordre de
Citeaux.
m. o. g.
30 4
8 1 64
43
34
54
50 2
88 2 12
32 6
6733
230 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Rheims.
m. o. g.
L'Eglife de Notre-Dame, de Rheims. 112 6
Deuil , Fourrier honoraire chez le
Roi.
le Comte de Romecour.
L'Abbaye de Montfay , Ordre des
Prémontrés .
De la fucceffion de M. de Macnamara.
L'Abbaye de Notre - Dame de
Soiffons.
29 I
IOS 4
7 7 18
54 12
220 4
L'Abbaye de Foigny,ordre de Cîteaux . 34 6 12
L'Abbaye de S. Medard de Soiffons.
L'Eglife Cathédrale de Soiffons.
L'Eglife Cathédrale de Laon.
24 2 12
89 2
687
La Chapelle de l'Hôtel- Dieu de Laon 12 4
NANTES.
Du Janvier au 29 Février
1760.
Meffieurs
m. o. g.
le Duc d'Aiguillon. 772 3 21
La Fabrique de Notre - Dame
d'Hennebon.
Les Chartreux d'Auray.
La Cathédrale de Vannes.
Les Carmes de Ste . Anne.
La Paroiffe de Lomariac.
15212
55
265 2 6
L'Abbaye de S. Pierre de Vannes. 49 4
87 I
II 7
La Paroiffe de Carnac,
Dugouyon des Houllieres .
du Bois de Roche , de Nantes.
La Paroiffe d'Eſdeven.
40 6
If
131 1 7
43
18
AVRIL. 1760.
231
Suite de Nantes.
Meffieurs
m. o. g.
Cakiot , Changeur à Vannes. f1 2 18
Les Dames du Pere Eternel, de Vannes. 2 12
La Paroiffe de Saint Pierre . 2612
La Paroiffe de Languidie. 24 12
La Paroiffe de Baud . 26 9.
La Paroiffe de Plumergat.
Les Peres de S. Vincent , de Vannes .
Les Carmes de Vannes.
Les Cordeliers de Vannes.
La Paroiffe de Peaul.
La Paroiffe de S. Laurent , de Nantes.
2 4 ୨
124 12
12 3
14 2
37
22 18
1
GRENOBLE.
Du 3 Janvier au 21 Février 1760.
Meffieurs
de la Pierre , Subdélegué à Gap .
Madame de la Tourvideau.
le Marquis de Valin.
de la Cofte de Maucune , Conſeiller
honoraire.
le Marquis de Chabrillant.
le Marquis de Joriac,
Madame la veuve Duclat de Montbrun.
Geoffre , Receveur des Tailles à Montlimart.
Boiffet, Receveur des Tailles au même
lieu.
m. o.
Is I
68 3. 3
2/3 18
145 5 TE
69 1 18
36 221
16 7
18 6
20 2 14
de Lavallonne , Commiff. des guerres. 38 1 9/
l'Evêque de Gap.
232 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Grenoble.
Chatellier , de Valence.
le Marquis de Bayanne , de Valence.
l'Abbaye de Saint Antoine.
La grande Chartreufe.
le Marquis de Bourchenu , Premier
Préfið . à la Chambre des Comptes.
le Chapitre de S. André , de Grenoble.
Bailly de Montcarra .
Les Jéfuites de Grenoble.
La Chartreuse de Durbon.
le Marquis de Chabrillant , Maréchal
de
camp.
Le premier Monaftere de la Vifitation
de Grenoble.
Le fecond Monaftere.
Les Jéfuites de Grenoble , de la Congrégation
des Ecoliers.
Les Jéfuites , de la même Ville .
m. og.
39.2 I9
36 3 18
50 2 18
69
60
8
31 6 18
30
26
26 I
68 3
35-2
23 1 12
235
17 12
3
18
si
24 4
865
La Congrégation des Penfionnaires.
Les Religieufes de Sainte Cécile , de
Grenoble .
Les Dominicains de Grenoble.
AIX .
Du 28 Décembre 1759 , au 7 Février 1760.
Meffieurs
du Puiq de Lamotte , ancien Conf.
au Parlement .
de Crelle de Montval , Conf. du
Roi à la Chamb. des Comptes.
m. o. g.
d.
137 S 9
II 6.
AVRIL 1760. 233
Meffieurs
Suite d'Aix.
Lagouffe, de la ville de Manofque.
de Saint-Etienne , idem .
le Baron de Latour- Daigues.
Le Chapitre de la ville d'Apt.
Les Carmes d'Apt.
Les Cordeliers d'Apt.
le Marquis de Jarente , de Marfeille.
le Duc de Crillon , d'Avignon.
Lyon de S. Ferraft , Contrôleur
de la Monnoie.
Pitton , Confeiller honoraire de
la Chambre des Comptes.
m. o. g. d.
5 6 18
57
559 5 15
20 3 16 12
I 4 19 12
47 12
92 521
2004 12
30 3 3
23 1 12
le Marquis d'Arcufia, de Marſeille. 220 2 21
de Calamand , Confeiller à la
Chambre des Comptes.
de Lane , de Marſeille.
M. Cruzé , idem.
Palteau , Subdélégué général ,
en bijoux d'or.
Gaufdry de Saint Eftere.
Le Corps de MM. les Tréforiers
de France .
Le même Corps.
Portaly , Commiſſaire Ordonnateur
à Toulon.
Les Recolets de Notre Dame,
Diocèfe de Siſteron.
La Cathédrale de Glandèves ,
d'Antreveaux.
Madame la veuve Gleire , de
Blandel.
21 5
50 5
42 I
7 12 15
83 I
191 2 3
102 3 9
23
5215
39 I 3
70
234 MERCURE DE FRANCE.
RENNE S.
Du 6 Janvier au 28 Février.
Meffieurs
L'Abbaye Royale de S. Maurice.
L'Abbaye Royale de la Joye.
Made. la veuve du Coetlofquet,
tutrice .
L'Abbaye Royale de Langonet.
L'Abbaye Royale de Begard,
Les Jéfuites.
La Congrégation des Jéfuites.
La Congrégation des Ecoliers.
L'Abbaye de S. Aubin des bois.
Nouail , Recteur d'Argentré .
Guyon des Huilliers , Avocat
général à la Chambre des
Comptes à Nantes.
L'Eglife Cathédrale de Rennes.
Les Dominicains de Rennes.
Vedier , Subdélegué général de
l'Intendance.
m. o. g . d.
20 7 18
12 2 19 12
90 3 3
37 6 19 12
38 2 15
28 5 4 12
18 3 I 12 .
17 4
597
2 4
3
3
21 I 4 IZ
22
32 1 22 12
454 19 12
MET Z.
Du 15 Décembre 1759 , au 28 Février 1760 .
Meffieurs
m. o. g. d.
le Marquis de Clermont-Tonnerre,
Lieuten. ,Colonel du Régiment
de Meftre- de- camp.
Huffon , Subdélegué à Sedan.
34 4
84 7 7.
AVRIL 1760. - 238
Meffieurs
m . 0. g. d.
Suite de Metz.
Le Liepre , Commiſſaire Ordonnatear
des guerres à Toul .
L'Abbaye de Châtillon , Ordre de
Citeaux.
de Tonnoy , Capitaine dans les
Grenadiers de France de Nancy.
Duhameau , Avocat en la Cour , à
Nancy.
le Comte de Germiny , idem.
Seriet , Confeiller d'Etat , idem .
Madame la Marquise de Sarmoife ,
idem .
le Comte de Ludres , idem.
Le T. R. P. de Menou , Directeur
des Miffions , à Nancy.
le Comte du Rozières .
le Comte du Hautoy .
le Marquis de Baffompierre.
de Turique.
le Marquis de Bergevillers.
de Montureux , Colonel.
de Niocourt , Premier Préfident
de la Chambre des Comptes.
de Rouvroy, Premier Président de
la Chambre Souveraine de Lorraine.
Vigneron , premier Préſident de la
Cour Souveraine.
Madame la Comteffe de Hoflife.
le Prélat de Boufey.
le Lorrain , Directeur des Fermes .
le Comte de Lupecourt.
la Comteffe de Curel.
de Marcolle.
34 IS
-22 2 2
643
58 3
67136
36
2155
69 2
71 12
20 3
103.7
6 36
164
4
19 23
40 3
6554
166 4
2476
106 I 36
7 3
2876
8157 36
1
42 2
106 I S
747 $ 36
157
3.6.
236 MERCURE DE FRANCE;
Meffieurs
Suite de Metz.
m. o. g.
de Brichabeau , Confeiller d'Etat.
Prevot , Receveur des Fermes gén.
la Préfidente de Meuvron ,
la Salle , pere ,
16 1 7
6966
944 S
26 2 7
la Salle , pere , demeurant à Sârlouis, 40 6 6
le Comte de Hunoſtin ,
l'Evêque de Metz ,
de Vendel , Abbé de Vernenvillier ,
Ordre de Cîteaux ,
Mangin , Lieutenant Général du Bailliage
de Nancy ,
l'Abbaye de Hauttefeille , de Nancy ,
le Comte d'Hedival , de Nancy ,
de Serre , Confeiller d'Etat ,
Cueillette de Bey ,
de Biron ,
le Fevre , Confeiller d'Etat ,
de Comte de Raigecourt ,
Mathieu , Grand- Maître des Eaux &
Forêts ,
le Comte de Breffey
le Vicomte de Thiange ,
Thibault , Lieutenant Gén . de Police ,
de Muffey , Confeiller d'Etat ,
Simon de la Treche ,
le Chevalier de la Michaudiere ,
Gallois , Sécrétaire d'Etat du Roi de
Pologne ,
167 6 S
148 7 6
883
16.6 4
34 6
33. I 2
22
35 17
20
13 17
7376
41 I
21 2 I
44 S
I
75
13 4 3
16 2 4
21 1
5573
177 S
Mad. la veuve de Gande, de Martanmeville
, Exempt des Gardes- du - Corps, 143 6.2
l'Abbé de Jalival , Ordre des Prémontrés
,
8 6.
l'Abbaye d'Ecurey , Ordre de Cîteaux , 235 2
Potier , Contrôleur des Guerres , 2756
AVRIL. 1760 . 237
STRASBOURG.
Du 31 Décembre 1759 , au 9 Janvier 1760 .
Meffieurs
da Billot , ancien Médecin de l'Hôpital
,
de Chaftel , Tréforier extraordinaire
des Guerres ,
m. o. g.
49 18
3588
LILLE.
Du 11 Décembre 1759 au 29 Février 1760.
Meffieurs
L'Evêque de Saint- Omer ,
le Comte de Blarhimghem ,
le Febvre de Lattre de Ligny ,
l'Abbaye de Marquette ,
le Comte de Souaftre , Colonel des
Grenadiers de France ,
l'Abbaye de Hafnon ,
de Vignancourt de Fletre ,
Langle , Subdélégué de la Flandre
maritime ,
de Rombie , Chanoine à Caffel ,
le Marquis du Barail , Commandant
en Flandres ,
le
Couvreur ,
m. o.g.
235 2
314 S
60 3 .
153 5
52 4 I
93 7 7
148 3
73 3
13 6
1965 S
le Comte d'Oizy , en Artois ,
l'Abbaye de Flines , près Douay ,
Potteau de Carny , Sécrét. du Roi ,
Percou d'Elbeck , à Lamberſart ,
de Frojdmont , Chanoine de S. Pierre ,
20 I 3
189 4
87 5 4
41 I 7
1967
40 75
"
238 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Lille.
de la Gibaudiere , Commandant à
Cambray ,
la veuve Denyau de Lille ,
le Prince de Croy ,,
Chevalier , Commandant du Fort
Saint-François à Aire ,
l'Abbé de Mouchy , Prévôt de S. Pierre
à Aire ,
l'Abbé de Fumalle, Prévôt de l'Eglife de
Cambray ,
Bourdon d'Haucourt , de Cambray ,
le Marquis de Nedonchelle ,
Briffon , Commiffaire des Guerres à
l'Armée ,
le Camus , Commandant de la Citadelle
à Lille ,
Jacob d'Aigremont à Lille ,
Faulconnier , Gránd- Bailly de Dunkerque
,
la Marquife de Lille ,
L'Abbaye des Prés , à Douay
le Comte de Beaufort , près S. Omer ,
le Chevalier d'Archy ,
Defliot Desrobles ,
Fabricy , Capitaine au Régiment de
Salis , Grifon ,
Jacquerie , Confeiller au Parlement
de Flandres ,
Herts , Confeiller Penfionnaire des
Etats de Lille ,
de Buiffy , Préfident à Mortier au
Parlement.
Les Hofpitalieres de Stenvoordes ,
L'Hôpital Comteffe , à Lille ,
m. o.
19 4 7
49-6-4
6316
87 4
21 2 2
58 6
S
3322
15814
64 6 4
66 53
199 3 2
5672
229 2
50 3
110 6 §
327 S
112 7.6
16 I I
12 6 4
32.63
3477
267
$7
AVRIL 1760. 239
Meffieurs
Suite de Lille.
m. o. g.
L'Abbaye de S. Amand en Flandres , 239 3 2
Dochy, Major de la ville de Cambray , 275 2
de la Châtellenie de Caſſel , 42 32
Buguatre, Prévôt de la ville de Cambray, 20 7 2
Deliot Desrobles ,
Les Chanoines de Sainte Aldegonde ,
19 3.
de Maubeuge ,
102 4 7
de Fourmeftraux, d'Holbecque, 147 3 6
le Comte de Guines , Lieutenant de
Roi d'Artois , 172 32
duMetz de Fromentel , à Valenciennes , 41 1 7
d'Haffrengues de Lannoy , premier
Confeiller des Etats ,
de Briane, Doyen de la Cathédrale de
Saint- Omer ,
33 34
41 4 4
De Latour de Sr. Quentin , de St. Omer, 58 6
le Comte & Sénéchal de Blandecque , 63 5 7
Maximilien Depont, de Wifque,
Enlart de Saint- Maurice ,
31 4
2556
Lefebvre de Halle , Secrétaire du Roi , 29 6 4
la veuve de M. Titelouze, de Balinghien, 20 75
Enlart , Sécrétaire du Roi ,
de Archies , de Drincamp ,
Pelet , Echevin de Saint- Omer ,
Cordez , ancien Directeur des Poftes
à Saint-Omer ,
Huguet du Haillier , Lieutenant- Gér
2064
3325
32 S
146 52
néral de l'Amirauté de Dunkerque , 46 1
Demadre , Bailly de Roubaix ,
L'Abbaye de Saint- Winocq ,
12 12
102 S
L'Abbaye du nouveau Cloître à Bergues, 17 7 4
Vernimen , Président à Mortier du
Parlement ,
de Polinchove , & de Franqueville d'Abancourt,
Confeillers au Parlement, 250 s
240 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Lille.
de Franqueville , de Fontaine , Confeiller
au Parlement ,
de Franqueville d'Inielle , Confeiller
au Parlement >
le Baron de la Grange , Chevalier
d'honneur ,
de la Fonteyne de Villers ,
Remy , Conſeiller au Parlement ,
Mulet, Confeiller au Parlement ,
Remy Dejardin , Conf. au Parlement ,
Baltazard , Confeiller au Parlement ,
le Comte de Villefort , Gouverneur de
la Citadelle de Valenciennes ,
Vandermeche , Conſeiller au Parlem.
Lecomte de la Chauffée , Avocat au
Parlement ,
m. 0.
g
202 I
32 IS
33 3
148 7 4
22 15
27 7
12 7 4
SI I I
81 6
18 76
1927
Eloy , Confeiller au Parlement 133 1
Dutil , Confeiller- Clerc au Parlement , 12 2 4
le Comte d'Havelin ,
de Flandres
Eloy , Confeiller au Parlement ,
de la Feuly , Prévôt de S. Pierre ,
Taffin , de Goulzen ,
?
Dirval, de Lille ,
Vernimen , Bourguemeſtre de Dunkerque
,
Taverne, Subdélégué à Dunkerque ,
Coppens , d'Honschotte ,
Dunquer , ancien Subdélégué à Dunkerque
,
Lamoral , Conſeiller au Parlement de
Flandres ,
Clément de Saint-Mare ,
de la Lande ,
102
T3 4
85 I
557
184 5
"
407 4
18 6 1
61 13
98 7 4
.
76 S
3437
48 7 4
55 45
Suite
AVRIL. 1760. 247
Meffieurs
Suite de Lille .
Brunot , Préfident à Mortier au Parlement
,
de Biré, Tréforier des Troupes, à Lille ,
Becquet de la Rofiere , à Douay ,
de Forêt , Préfident à Mortier au Parlement
de Flandres ,
Merlin d'Eftreux , Confeiller au Parlem .
Les Jéfuites, de Bergues ,
les Magiftrats de la ville de Bergues ,
les Magiftrats de Dunkerque ,
Plaifant, Greffier de Douay ,
m. o. g.
403 4
35 4
37 14
5932
2 19 2
335 3
544
2942
183
Dagemont , Prévôt Gén . du Hainaut , 84 2 I
Gramont , Doyen de Dunkerque ,
L'Abbaye de Vicogne ,
49 2 2
47 I 2
19 I 4
Heriguier , Confeiller au Parlement , 26 45
Marefcal , Confeiller au Parlement ,
Deflions de Flechin , à Saint-Omer ,
le Marquis d'Oliot , Brigadier des Armées
du Roi ,
le Pelletier , Avocat au Parlement de
Paris, pour feu M. de Roftrenem '
de Ramfault , Directeur du Génie , de
Flandres
,
Les Jéfuites de Caffel ,
de Rombies Chanoine à Caffel .
>
(fecond envoi )
39 5
37 7 2
26 5 I
2576
4I I S
2 6.7
de la Rianderie, Bailli des Etats de Lille , 78 7 5
Debonte de Becquet , à Dunkerque ,
Déguillon , Tréforier de la ville de
Douay ,
Madame du Belloy , veuve du Major
de la Citadelle de Lille ,
de Beaune , ancien Capitaine au Régiment
de Limofin
1. Vol.
2
6234
2625
1627.
11 7 4
L
242 MERCURE DE FRANCE
Suite de Lille.
Meffieurs
Pajot , Directeur des Poftes & Commiffaire
des Guerres ,
m. o. gi
40 3 6
MM. du Chap. de S. Pierre de Douay , 75
le Marquis de la Vieuville , à Stenvoorde
,
de Verghelle de Lambersart ,
Briffaur , Profeffeur Royal à Douay ,
Molin de Vagnonville ,
Hutin , Echevin de la ville de Douay ,
de Varenchant , Directeur des Fermes
à Saint-Quentin ,
de Forceville de Mericourt, à Paris ,
Serrurier fils , à Saint- Quentin ,
3617
4857
1322
2444
Mademoiſelle de Senancourt , à Saint-
Quentin ,
27
48.4
60.7 6
52 23
33 I I
Blotefiere de Grecourt , Chevalier de
S. Louis , 40 S.S
de Rondeau de le Mercerie , à Saint-
Quentin , 712-4
Muller, Procureur du Roi à St. Quentin, 62 2
Serrurier pere , à Saint- Quentin ,
Laurent de Bernouville , Commiffaire
des Guerres à Landrecy ,
d'Orchival , ancien Capitaine de la
Marine ,
Simon de Berfé , à Douay ,
Hennet , Prévôt de Maubeuge ,
Spel de Fling de Premecq2
de Calonne de Merchin
Deioldy , de Lille ,
Parrata , de Lille ,
2
de Segent , Major de Saint- Omer ,
le Page , Directeur de la Monnoye ,
161 34
128 1 4
9935
265
83
3827
6244
7412
1162
61 7
18.6
Coll , Echevin de la ville de Douay , 14 76
AVRIL. 1760. 243
Meffieurs
Suite de Lille.
m . o. g.
MM. du Chapitre de S. Pierre , à Caffel. 37 6
Les Hofpitalieres de Caffel ,
Madame la veuve Cramé. ( Second
envoi. )
155 3
1254
Cambier , Greffier au Parlement de
Douay , 13 IS
1263
255 I
64 13
42 4 3
Beaumaret , Echevin de Douay ,
Madame la veuve Sericourt ,
Vandercruiſe de Lamotte ,
L'Abbaye de Voftine ,
,
›
Dehaut , Profeffeur Royal , à Douay ,
de Varenghien , Ecuyer , à Douay ,
Cambier, Mayeur , à Valenciennes ,
Fizeau , Banquier à Valenciennes
Lehardy Daulnois
Picquet , Echevin , à Dunkerque ,
Drouillard , Confeiller de la Chambre
du Commerce , à Dunkerque ,
Huguet du Hallier , Lieutenant-général
de l'Amirauté , à Dunkerque.
( Second article. )
Lombart , Echevin , à Dunkerque ,
16 4
IS 34
so 13
108 I
68
82 17
23 4
34 4 S
34 3 4
Ravodel , Officier à Saint - Domingue , 23 27
Benoît , Lieutenant des Maréchaux de
France ,
Herrewin , Echevin , à Dunkerque ,
Ingilliard de Wattines , ( par addition. )
Mailly Mainez , de Bleghem ,
Dalhuin Dupont , Subdélégué à Aire ,
L'Abbaye du Verger , à Aire ,
Lefebvre , de Schonvelde ,
Denis de Riacourt , Subftitut du Procureur
Gén. du Parl . de Flandres ,
L'Abbaye de S. Calixte ?
22 2
764
4 3 2
31 32
14 3
25 7.
-33 3
14 4 7
52
•
Lij
244 MERCURE DE FRANCE.
Suite de Lille.
Meffieurs
Godfroy Dufart , Procureur du Roi
au Bureau des Finances .
M. Godefroy de Maillard, Directeur de
la Chambre des Comptes , à Lille.
MM. les Magiftrats de la ville de
Douay.
MM. de la Collégiale de S. Pierre ,
à Aire .
Morincq , Tréforier de la ville de
Dunkerque.
Galhault , Confeiller , à Arras.
Les Chartreux de Bourtillerie , Châ-
'tellenie de Lille.
Le College Anglois de Douay.
m. o.
734
733 7
25
119 4
"
25 5
La Dame veuve Arnaud Genty , à Dunkerque.
Betfort , négociant , à Dunkerque.
Coppens d'Herfin , Procureur du Roi ,
à Dunkerque.
L'Abbaye d'Hafnon .
L'Abbaye de Maroilles , près Landreies
.
L'Abbaye de Liefſies.
L'Abbaye d'Haumont.
37 26
7057
61 53
4622
835 S
16 3 6
127
•
126 76
126 7.6
140 7 S
49 3
Wilerval , Imprimeur du Roi, à Douay. 12 2 4
le Comte de Lagny , ancien Echevin ,
à Douay.
18 54
L'Abbaye de Phalempin, ( Second envoi. ) 12 4
L'Abbaye de S. Vaaft , d'Arras.
L'Abbaye du Mont S. Eloi- lès - Arras .
du Parlement.
25664
Corbie de Bligni , Conſeiller honoraire
64 2
L'Eglife de S. Gery , d'Arras.
I
Madame de Caffel , à Dunkerque.
2766
64.23
5242
AVRIL. 1760 245
Messieurs
Suite de Lille.
Les Bénédictins Anglois , de Douay.
La Paroiffe de Marquilies.
Les Hofpitalieres des Chariottes ,
d'Arras .
L'Abbaye de la Paix , à Douay.
Le Chapitre de S. Amé , à Douay.
L'Abbé des Camps , Prévôt du Chapitre
de Béthune .
Madame la Baronne d'Hinge en
Artois.
L'Abbaye de Beauprez , fur la Lis.
La Paroiffe de Fournes , Diocèle
d'Arras.
MM. les Magiftrats d'Arras.
L'Abbaye de Marculle , près Arras.
de Mefplau , Capitaine au Régiment
de la Marine.
m. o. g.
31
162
3672
4 7 4
116
3116
28 S z
53 I
II S
87 6 1
1572
8324
LesSupérieures Annonciades, de Douay . 27 5 $
Rafoir de Croix , Prévôt de Valenciennes.
La Congrégation des Bourgeois
d'Arras.
La Congrégation des Ecoliers d'Arras .
Les Religieufes , dites Louez - Dieu ,
d'Arras.
Les Jefuites d'Arras .
Desjardins , Chanoine de la Cathé
drale de S. Omer.
La Paroiffe de Fleurbaix , Diocèle
d'Arras.
Mazel , Tréforier des Troupes à
Arras.
Les Religieux de S. François de Salles ,
d'Armentieres. •
ZI I 2
33 I I
II S 7
7 4 3
111 7 7
18 4 S
4 I F
18 22
62
Liij
246 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Suite de Lille.
Madame la Comteffe d'Aumale
veuve du Lieutenant- Général .
D'Haifne , Chapelain de S. Pierre
à Douay.
Maffart , Commiffaire des Guerres
à Philipeville..
les Jéfuites de Valenciennes .
les Carmelites de Douay.
l'Abbaye d'Anay , près Douay.
la Paroifle d'Izel - lès- Equerchim .
l'Abbaye d'Eftrun , près Arras .
les Jéfuites de Cambrai .
m. o. g.
68 6
17 5 4
5044
172 5 2
70 I 4
54.3 5
3.22
21 5
46 44
les Jéfuites de Dunkerque. 82.3 I
les Soeurs grifes , Hofpitalieres de
Douay.
875
la Paroille de Saint- Albin de Douay. 38 2
les Chartreux de Douay .
la Paroiffe Notre- Dame, de Douay.
la Confrérie de Notre- Dame.
l'Abbaye de Vicoigne.
t
l'Abbaye de S. Crépin , près Valenciennes.
les Jéluites de Béthune.
l'Abbaye de S. Jean , à Valenciennes.
la Paroifle de Bourbourg.
l'Abbaye de Bourbourg.
la Chapelle Notre- Dame de la Treille ,
dans l'Eglife de S. Pierre , à Lille.
la Chapelle , Paroiffe de ladite Eglife.
le Choeur de ladite Eglife.
la Paroiffe d'Aubert , Diocèle d'Arras .
la Communauté du Béguinage , de
Valenciennes.
la Paroiffe de Dunkerque.
70
11 2 I
3 3
102 4 2
165 46
62 * 2
81 35
2654
22
214 4 4
62 4 4
121 6
2 I 4
12 3. I
482 6 :2
AVRIL 1760. 247
Meffieurs
Suite de Lille.
les Carmes Chauffés de Douay.
Les mêmes.
la Chapelle Notre- Dame de Bonne-
Efpérance de Valenciennes.
les Carmes- Déchaux de Valenciennes.
la Paroiffe de Beaumont , en Artois.
la Métropole de Cambrai.
l'Abbaye de Vaucelle , près Cambrai.
l'Abbaye de Premy.
m. o. g.
2352
72
656
35 4 4
745
218 4
927 I
47 3 S
l'Abbaye de S. Nicolas d'Arrouaife, près
Bapaume.
l'Abbaye de S. Aubert , à Cambrai.
l'Abbaye d'Anchin , près Douai.
de Coulonge , près Arras.
da
Marhacourt ;
à Saint-Omer,
l'Abbaye de S. Jolle-au - bois , dite
d'Ompmartin .
l'Abbaye de S André- au- bois , Diocèle
d'Amiens .
Durand , Surintendant du Mont- de
Piété , d'Arras.
le Couvent S. Julien , de Douai.
45 I S
103 7
IOIS S
40 I
I
34 x 5
25 3
3342
1832
12 I
l'Abbaye du S. Sépulchre , à Cambrai . 43 6 3
de Percheval , à S. Omer.
le Couvent de la Préfentation , à Aire.
François-Louis le Cellier , à Valenciennes.
867
21
27 5
I
21 I 2
le Couvent de la paix de Jefus , Ordre
de S. Benoît , à Arras.
Lemaire, l'aîné , Bourgeois de cette ville , 16 24
Guilleman, Seigneur de la Barre , à Lille. 2014
la Collégiale de S. Gery , à Cambrai. 34
l'Abbé de Millancourt Vicaire- Géné-
>
ral ,à Cambrai .
10 3
Liv
248 MERCURE DE FRANCE
Meffieurs
Suite de Lille.
es Bénédictines Angloifes , de Dunkerque.
le Couvent de Sainte Agnès, de Cambrai.
Lefebvre , de la Balle- Boulogne.
Bady , de Normond.
Watier , Secrétaire du Roi , à Cambrai.
les Hofpitalieres de S. Jean de Cambrai.
le Prieuré de Fives , près Lille.
les Chartreux de Valenciennes .
Waquernier , Secrétaire du Roi.
de Cregny , Chevalier de l'Ordre de
S. Louis.
Locart , de Valenciennes.
les Carmelites de Valenciennes.
m. o. g.
37 2
46 53
30.3 1
5622
24 2 I
20 7
49
5065
5374
233.1 3
28 S I
*
20 4
'Abbaye de Brigitines de Valenciennes. 14 2 3
l'Hôtel -Dieu de Valenciennes.
34 2 les Religieufes de la Congrégation de
Notre-Dame de Valenciennes.
Hennet de Baret , Subdélégué a Mau-
47 4 4
beuge .
14 2 4
les Urfulines de Valenciennes .
29 1 1 Morel , Directeur des Fermes du Roi à
Valenciennes.
19 I
108 3 S.
la Paroiffe de S. Jacques de Douai .
Corvifier, ancien Trélorier des Troupes
en Flandres. 10
MATIERES D' O R.
Meffieurs
MM . les Magiftrats de la ville d'Arras
, provenant d'une Eglife.
Lefebvre ,de la Baffe- Boulogne, ancien
Officier d'Infanterie.
m. o.
4 4
6 12
AVRIL. 1760. 249
PAU.
Du 8 Janvier au 16 Février 1760 .
Mefsieurs
Le Comte de Troifville , Gouverneur
du pays de Saulle.
le Baron d'Ulau .
l'Abbé de S. Jean , Ordre des Prémontrés.
la Communauté de Caftenau , riviere
baffe , Diocèle de Tarbes.
la Communauté de Luz , en Barege,
Diocèle de Tarbes.
la Communauté d'Arrens, valée d'Affuns
en Lavedan , de Tarbes.
le Chapelle de Notre-Dame de Poeylaun
, du lieu d'Arrens , vallée
d'Affuns.
la Paroiffe de Pontacq , Diocèle de
Tarbes.
m . 0.5.
119 3 21
13 4 21
221 6 18
45 12
346
65 15
94
TROYE S.
Du 21 Février au 28 dudit mois.
Mefsieurs
Les Religieux de Beaulieu.
grand Séminaire de Troyes.
Le Sueur , ancien Officier , à Bar-fur-
Aube.
les Religieux de Montierame.
Madame l'Abbelle du Paraclet
m. a
7 3
16
48 4 2
ΤΟ
16. J T
玉田
250 MERCURE
DE FRANCE.
#
Messieurs
Suite de Troyes.
m. o. g.
Madame l'Abbeffe aux Nonains , de
Troyes.
MM. de S. Etienne , de Troyes.
les Urfulines de Troyes.
MM. de S. Urbin , de Troyes.
MM . de S. Pierre , de Troyes .
la Congrégation de Troyes.
MM. de Foilly - lès - Troyes.
les Jacobins,de Troyes.
24 I6
36.44
19 2
12 4 I
382-1
49
32 I
387-
Messieurs
POITIERS.
Du 8 au 16 Février 1760.
De la fucceffion de M. Bouliaud , Curé
de la Paroiffe de S. Médard , de
Louars.
l'Abbaye de Chatelier , Ordre de Cîteaux
, Diocèfe de Poitiers.
le Marquis de Chataigner.
l'Abbaye de Luffon , Ordre de Fontevrault.
BOURGES.
Du 16 au 28 Février 1760.
L'Annonciade de Bourges.
m. o. g.
36 3
SI
12
59
I
25 1
m. 0. g.
753
AVRIL 1760..
251
Messieurs
Suite de Bourges .
MM. Derfane , de Coulon , & des Coteaux
.
le Séminaire , de Bourges.
m. o. g.
20 4 I
9
les Urfulines, de Bourges.
la Vifitation , de Bourges.
la Congrégation , de Bourges.
JI 2 6
21 I 2
551
AMIEN S.
Du 20 au 28 Février 1760 .
Messieurs
Les Feuillans , d'Amiens.
MM. les Chanoines du Chapitre d'Amiens.
le Chapitre Royal , de Roye.
de Saint-Quentin , Capitaine général
des Côtes.
les Filles de Sainte Génevieve , d'Amiens.
les Jéfuites , d'Amiens.
la Congrégation des Jefuites.
le Séminaire , d'Amiens.
Gerard , Infpecteur des Domaines de
Picardie .
l'Eglife de S. Firmin en Caſtillon, d'Amiens.
la Congrégation des Ecoliers du Collége
des Jéfuites.
les Auguftins , d'Amiens.
m. o. g.
10 25
316 3 7
2962
2565
12 6 3
les Adminiſtrateurs de l'Hôpital d'A-
49 4 2
11 6 5
10 2 6
543
39 I 3
225 2
26 6
miens.
267 S
I vj
252 MERCURE DE FRANCE
Suite d'Amiens.
1
Messieurs
Les Carmes , d'Amiens.
m. o. g.
18 6
les Religieufes de Moramont, d'Amiens. 22 5 4
de la Combe, Prévôt de la Maréchauf
fée de Picardie .
les Religieux de S. Pierre , de Corbie.
Cordier, Receveur particulier des Eaux
& Forêts d'Amiens.
les Religieufes de la Vifitation d'Amiens.
les Cordeliers d'Amiens.
l'Hôtel- Dieu d'Amiens.
la Confrérie de Notre-Dame de Lieſſe
de S. Pierre d'Amiens.
les Jacobins d'Amiens .
15241
86 I I
16
5542
21 7
62 27
12 23
5053
3125
•
les Urfulines d'Amiens .
les Religieufes de S. François , dires
Soeurs grifes .
la Paroifle de S. Remi d'Amiens.
la Confrérie des Cordonniers.
Nicolas Joly , Marchand à Amiens.
Lachenet , Seigneur d'Hedanvele ;
( Second envoi. )
Jean Turbert , Effeyeur en la Monnoye.
La Fabrique de S. Michel d'Amiens.
la Fabrique de la Paroiffe de S. Germain
d'Amiens.
l'Abbé Piquet , de Noyencourt , Chanoine.
la Fabrique de S. Sulpice d'Amiens.
la Fabrique de S. Firmin , à la porte
d'Amiens.
31
633
475
7 I 1
33 23
1266
33 55
3042
121 7 4
16 53
7
Gallois , Directeur des Droits , à Amiens. 194
'Hôtel- Dieu d'Abbeville.
17
AVRIL 1760. 253
Messieurs
Suite d'Amiens.
les Céleftins, d'Amiens.
les Minimes d'Amiens.
les Prémontrés d'Amiens.
la Paroiffe de S. Firmin le Confeffeur.
le Supérieur de l'Oratoire d'Amiens.
Madame la veuve Gorguelle.
Jofeph Gaugier .
les Bénédictines de l'Hôtel - Dieu de
Corbie.
la Fabrique de la Paroiffe de S. Leu d'Amiens.
Greffet , de l'Académie Françoiſe.
les Dames Religieufes de S. Julien d'Amiens
.
la Fabrique de la Paroiffe. S. Jacques
d'Amiens.
les Carmelites d'Amiens.
m. 0.
g .
1074
22.2.6
II IS
30 7 3
667
18 4
4E I
4 I
35 17
29 7 3
2564
23 44
3356
TOURS.
Du 6 Janvier au 22 Février 1760.
Messieurs
Les Religieufes de Citeaux , Ordre de
S. Bernard , de la ville de Saint-
Agnan . 1
les Religieufes de Bonlieu , Ordre de
Citeaux .
les Religieux de la Clarté , Ordre de
Cîteaux .
Lenoir , du Diocèſe d'Angers.
l'Abbaye de Fontevrault , Diocèle de
Poitiers.
m. o.
8037
*
48 2 6
43 74
54 3
1424
254 MERCURE DE FRANCE.
Messieurs
Suite de Tours
la Chartreuse du Legit , Diocèſe de
Tours.
l'Abbaye de Moncé , Ordre de Cîteaux
, Diocèle de Tours.
m. o. g.
425 I
16 3
CAEN.
Du 2 Janvier au 21 Février 1760 .
Messieurs
Derafne.
m. o. g.
113 6 1
l'Evêque de Coutence.
Madame de Tourville.
les Auguftins de Barfleur .
Lanteigne.
de Tierceville.
20 I 4
1565 3
24
# 7
34 3 2
263 les Croifiers.
les Jacobins. 33 4
6
la Cathédrale de Bayeux. 60 7
de Gouville .
la Chapelle de Délivrance .
le Mafurier.
les Nouvelles Catholiques , de Caen.
l'Eglife de S. Nicolas , de Caen.
PEglife Notre -Dame , de Caen.
31 5 6
10 4 5
485 3
427
6
24 I
les Urfulines de Bayeux. 12 6 3
AVRIL. 1760 . 255
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DE BIRON.
Vingtiéme Traitement confécutif , depuis fon
établiffement.
LE
E nommé Lefebvre , Compagnie de la Tour ,
eft entré le 4 Septembre 1759.
Le nommé Sans regret , Compagnie d'Afprele
+ Septembre. mont , 4
Le nommé Deflauriers , Compagnie d'Aſpremont
, le 11 Septembre .
Le nommé Déshau , Compagnie de le Camus,
le 4 Octobre.
Le nommé Le Tellier , Compagnie de Graffe ;
idem.
Le nommé Lariviere , Compagnie d'Hallot ,
le 18 Octobre.
Le nommé Pailleur , Compagnie de Viennay ,
idem.
Le nommé Dupré , Compagnie de Viennay ,
le 8 Novembre.
Le nommé Francifque , Compagnie de la
Vieuville , idem.
Le nommé Lavictoire , Compagnie de Coetidem.
trieu ,
Le nommé Berillon , de la Compagnie de le
Camus ,idem.
Le nommé Maffelet , de la Compagnie de le
Camus , le 22 Novembre.
Et tous font fortis parfaitement guéris.
256 MERCURE DE FRANCE:
LETTRE de M. Keyfer , à Meffieurs fes Corefpondans
, tant dans les principales Villes du Royaume,
que chez l'étranger.
MONSEIGNEUR le Maréchal de Biron , m'a
fait l'honneur , Meffieurs , de me communiquer
toutes les Lettres que vous avez bien voulu lui
écrire , en y joignant les détails des cures que
vous avez faites , & les copies des Lettres que
vous avez également adreffées à M. A... Je vous
prie d'en recevoir mes remercîmens
perfuadés que je fuis fenfible , comme je le dois,
à ces nouvelles marques de vos bontés ,
juftice que vous rendez à la vérité .
& d'être
& à la
J'ai l'honneur de vous prévenir , que j'aifaic
mettre aux Caroffes & Meffageries , à vos adreffes
, divers paquets contenant mes derniers écrits ,
fervant de réponſe aux imputations de l'Auteur
du Traité des tumeurs & ulcères ; entr'autres , une
Differtation épiftolaire , adreffée à M. le Maréchal
de Biron.
Je me flatte que tout Lecteur judicieux & partial
, qui voudra lire avec quelque attention les
raifonnemens de mon adverfaire , & ceux que
je lui expoſe , me rendra d'autant plus de juftice
, que je n'ai celé d'établir & de prouver des
faits , contre tout ce qu'on a imaginé pour me
nuire .
Je vous ferai infiniment obligé Meffieurs ,
de vouloir bien répandre , & faire lire partout ,
les exemplaires que je vous adreffe , afin de dé
fabufer le Public , prévenu mal-à - propos & injuftement
, par ce qui eft avancé dans le livre &
l'extrait du Traité des tumeurs.
AVRIL. 1760 . 257
Je finirai cette Lettre , en laiffant le Public
Juger les faits principaux que voici.
L'on a commencé à répandre dans le monde ,
que le Régiment des Gardes fe plaignoit ouvertement
de mon reméde. Il y a quatre ans que
mon Hôpital fubfifte : cinq cens hommes y ont
été jufqu'ici bien réellement & très-radicalement
gaéris , fans aucune efpéce d'accident. Les Soldats
ont été, & font fans ceffe nommés dans tous
les Mercures . On a grande attention de nommer
auffi les Compagnies. En réfléchiffant fur cette
conduite , on obfervera que tous Meffieurs les .
Capitaines envoyent fucceffivement & tour-à
tour , leurs malades à cet hôpital ; qu'ils n'ont
encore ceffé de les y faire paffer . S'ils avoient
lieu de fe plaindre , ou que leurs Soldats n'euffent
effectivement pas êté guéris , continueroient
ils à les envoyer? Que le Public juge...
L'on a attaqué , combattu , & nié vos certifi
cats , Meffieurs , quoiqu'inferés authentiquement
dans tous les Mercures , & déposés entre les mains
de Mgr le Maréchal de Biron . Vous venez de
les adreffer directement à un de mes aggreſſeurs ;
il les a vûs & lûs fans doute : que le Public juge.
L'on a avancé, fans avoir fait le plus léger examen
, qu'il entroit du fublimé corrofif dans mon
reméde. Mais ils ont reconnu enfuite, par les analyfes
qui ont été faites , que l'on s'étoit trompé ;
& l'on en a fait l'aveu.L'on convient aujourd'hui ,
qu'il n'y en a point. Que répondre à cela ?
L'on fe retourne. L'on veut prétendre que
puifqu'il n'y a plus de fublimé corrofif, le reméde
doit être infuffifant , & ne doit pas avoir plus
de vertu que les panacées ordinaires . Je cite
soo Soldats guéris . Vous faites , Meffieurs , tous
les jours , des cures qui vous étonnent ; vous convenez
prèlque généralement que mon reméde
258 MERCURE DE FRANCE.
vous a réuſſi ſur des malades ; que les frictions
n'avoient pû guérir : Eſt- ce là de l'inſuffiſance ?
Sont - ce des menfonges de votre part ? Jugeż
vous-mêmes , Meffieurs , de la valeur des imputations
de mes Adverfaires.
J'ai l'honneur d'être , &c.
KEYSER.
EFFET miraculeux , opéré par le Baume de vie de
M. LE LIEVRE , Diſtillateur ordinaire du Roi ,
à Paris.
Relation curieufe & véritable de Jeanne Pierrette ,
fille légitime d'Anatoile Michel , originaire de
Mignovillard en Montagne , Recteur d'Ecole à
Domblans ; & de Marie- Therefe Guillaume ,
fon épouse , Diocèse de Besançon , Bailliage de
Lons-le- Saunier.
Ladire Jeanne- Pierrette Michel , âgée pour lors
de quinze ans , qu'elle paffa avec fa grand- mere
maternelle . Cette derniere vint à mourir ; elle fut
fi affligée de la mort de cette grand- mere , qu'elle
fut pendant fix mois à pleurer jours & nuits : pendant
tout ce tems- là , elle ne prit aucune nourri
ture que celle que l'on auroit fait prendre à un
enfant d'un an. On la ramena chez fon pere , à
quelques lieues de là ; elle fut toujours auffi affligée
qu'auparavant ; elle perdit dès ce moment
l'ufage de la parole : elle refta dans cet état
cinq ans & demi fans prendre aucune nourriture,
toutes les fonctions du corps humain étant interdites
; l'on faifoit cependant ce que l'on pouvoit
pour lui faite avaler par force quelques gouttes de
bouillon tous les deux ou trois jours , quelquefois
quinze & même plus : & l'on s'accoutuma fi
fort à la voir dans cet état- la , que l'on n'y faifoit
prèfque plus d'attention ; le pere & la mere s'éAVRIL
1760. 259
tant ruinés pour tâcher de la tirer d'affaire , mais
inutilement. Elle étoit continuellement dans une
grande fueur , exhalant une odeur qui infectoit ,
les yeux chaffieux , & écumant par la bouche :
voilà l'état de fa maladie, pendant lefdits cinq ans
& demi.
On la mena au Saint Suaire à Besançon , auquel
on l'avoit vouée ; l'on le lui fit toucher , &
elle fe frotta les yeux avec la main gauche : voilà
uniquement le feul figne de vie qu'elle ait donné
pendant toute fa maladie.
On la tranfporta à l'Hôpital dudit Besançon ,
où elle refta quatre mois , ne prenant toujours
que quelques gouttes de bouillon.
Meffieurs les Médecins & Chirurgiens de la
Ville de Befançon & des environs , s'affemblerent
& la vifiterent , fans qu'ils puffent lui apporter le
moindre foulagement ; ce qui les détermina à
faire plufieurs épreuves pour fçavoir fi elle avoit
encore de la fenfibilité ; & pour cela , ils lui percerent
la main avec une épingle d'argent , d'outre
en outre , fans qu'ils fe foient apperçus d'aucune
émotion on fit la même opération dans une
veine du côté gauche , fans qu'il en fortît ni fang
ni aucune humidité de quelque efpéce que ce
fût, On lui fondit de la cire d'Espagne fur le
front & fur le menton ; on lui brûlà la joue avec
de la chandelle allumée , & les pieds avec des charbons
ardens,fans qu'elle parût fenfible à tout cela .
Son pere, voyant l'inutilité de la laiffer davantage à
Befançon , alla la rechercher & la ramena chez lui
à Domblans , où elle reſta dans cette fituation
encore quatre mois ; après lequel tems Madame
la révérende Dame Abbeffe de la Royale Abbaye
de Château Châlons , qui l'avoit été voir plufieurs
fois avec fes Dames , dit un jour ; j'ai bien envie
de lui envoyer une bouteille de Baume de vie
260 MERCURE DE FRANCE.
(
"
fait par M. le Lievre , à Paris ; ce qu'elle exécuta
le lendemain avec la façon de s'en fervir. On
lui en donna pour la premiere fois quelques
gouttes dans une cueillerée de bouillon ; peu après
elle fit un mouvement de la tête & des bras 5
elle rendit avec abondance une matière jaune
par la bouche , comme de la bile : l'on continua
à lui faire prendre de ce Baume de M. le Lievre
jufqu'à trois fois , un peu plus amplement. A la
feconde fois , elle s'affit fur fon lit , & à la troifiéme
fois , elle fe leva & marcha par la chambres
& regardant , d'un air fort étonné , elle commença
à fe plaindre & à parler . Sa mere lui
ayant demandé ce qu'elle regardoit , elle lui répondit
qu'elle n'en fçavoit rien , mais que l'on
lui fit venir M. Mourrau , pour lors Vicaire à
Domblans , pour ſe confeffer à lui ; ce qui s'exécuta
: & de jours en jours elle prenoit plus de
nourriture & par conféquent plus de force , au
point qu'elle partit trois heures avant le jour de
chez fon pere le lendemain de Noël dernier
iucognitò , pour aller à quatre lieues de là , dans
la maison où étoit morte fa grand - mere ; où elle
vit & travaille actuellement comme une autre .
Nota , qu'elle ne le fouvient nullement de tout
ce qui lui eft arrivé pendant tout le cours de fa
maladie , & qu'elle n'a pas ufé à beaucoup près ,
toute la bouteille de Baume de vie de M. le
Lievre , qui n'étoit pas bien grande.
du
La préfente cure eft conftatée par les certificats
pere de la malade , des Echevins & habitans
de Domblans , fignés Michel pere , le Mouillard ,
Vicaire à Domblans , Guillermet , Claude- François
Duard , & Hugues Rougnon , Echevins ;
Beaupoil , Notaire & Procureur d'Office , J.J.
Gallion , M. Pujet , J. Duard , P. Duard , C. P.
Pernet , J. Pujet , H. Ardet , J. M. Defgrès , &c.
AVRIL. 1760. 261
APPROBATION.
J'Arla, par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le premier Mercure du mois d'Avril 1760 , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 29 Mars 1760. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
L
A Société , néceſſaire à l'Homme de Lettres.
Page s
Vers à M. Fournier , Fermter genéral .
A M. de Chennevieres , Chef d'un Bureau de
la Guèrre.
A une Demoiselle , qui avoit envoyé des Vers
à l'Auteur.
Portrait de Fanchonnette , à Mlle D ***.
Réponſe de Mlle D *** , Portrait de mon
Berger.
Suite des Lettres de Mlle de Gondreville ,
& du Comte de S. Fargeol .
Les Zéphirs , & le Rofer , Fable.
Adieux à Meudon , Epître à Madame la
Marquile d'Affy...
Envoi.
Epître de M. Sabatier , à M. Dorat ; fur fa
Tragédie , de Zulica.
ibid.
ΙΟ
II
13 &fuiv.
56
57
62
63
65
A Mlle de B *** la cadette. 72
Enigme , en Chanſon. 73
Autre Enigme.
Logogryphes.
Romance , nouvelle
75
76 &77
78
Les Gnomes exilés .
262 MERCURE DE FRANCE.
81
ART . II. NOUVELLES LITTÉRAIRE ST
Effais fur divers Sujets de Littérature & de
Morale , par M. l'Abbé Trubler, & c.
Lettre, fur le Poëme intitulé : l'Art de peindre . 94
Lettre de M. l'Abbé Trubler , à M. De la Place. 113
Lettre , à l'Auteur du Mercure. 115
Hiftoire des Philofophes modernes , avec
leurs Portraits , gravés dans le goût du
crayon , d'après les Deffeins des plus
grands Peintres. Par M. Saverien .
Annonces des Livres nouveaux .
12F
124 & fuiv.
Avis de l'Auteur du Mercure & du Choix. 127
ART. III . SCIENCES ET BELLES-LETtres.
ACADEMIES.
Séance publique de l'Académie Royale des
Sciences , Belles- Lettres & Arts , de Ville-
Franche en Beaujollois.
>
Réfléxions , fur la Médecine.
Problême généalogique .
Lettre de M. N. Echevin de Bolbec & c.
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
Lettre de M. de la Condamine à M. Daniel
130
136
I fo
159
Bernoully.
Arts agréables. Muſique.
Gravure.
165
189
191
Supplément à l'Article des Piéces fugitives .
A Madame la Comteffe de la Guiche.
ART. V. SPECTACLES.
Opéra .
193
195
Comédie Françoife .
197
Comédie Italienne. 198
Opéra- Comique.
ibid.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
201
Mariages & Morts. 214 & 216
Suite de la vaiffelle portée à la Monnoie &c .
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY.
217
MERCURE
6
O
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
A U ROI.
AVRIL. 1760 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife . La Fontaine .
9
cachin
Filius ime
PupitionSeulp.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis à - vis la Comédie Françoife.
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais."
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Batte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreſſer, francs
de port , les paquets & lettres , pour remetre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE, Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour ferme volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de
port.
Celles
qui
auront
des
occafions
pour
le
faire
venir
, ou
qui
prendront
les
frais
du
port
fur
leur
compte
,
ne
payeront
comme
à
Paris
, qu'à
raifon
de
30
fols
par
volume
,
c'est
-à-dire
24
livres
d'avance
, en
s'abonnant
pour
16
volumes
.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A ij
On fupplie les perſonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ;
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , ſe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
""
1.
M
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE des Lettres & Mémoires de Mlle
de Gondreville,& du Comte de S. Fargeol.
DIX-NEUVIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle
JE
de Gondreville.
E fuis hors de moi , Mademoiselle , au
moment où je vous écris !Avez-vous donc
A iij II. Vol.
6 MERCURE DE FRANCE.
réfolu de mettre en défaut , tous les fentimens
que vous m'avez inſpirés ? J'avois
cru jufqu'ici , qu'il n'y avoit perfonne
vis- à- vis de qui le refpect , la reconnoiffance
, & l'admiration , ne duffent avoir
leur terme ; je viens d'apprendre , non à
mes dépens , mais aux vôtres , que je me
fuis trompé. Non , Mademoiſelle , puifque
vous n'en mettez point à vos vertus ,
il ne doit point y en avoir aux ſentimens
qu'elles méritent : l'excès même , qu'on
dit être condamnable en tout , puiſqu'il
eft la meſure de vos bienfaits , ne devroit
pas fuffire pour les reconnoître & pour les
fentir. Je ne vous parle point de votre
derniere lettre , Mademoiſelle . Je croyois
qu'elle ne dût avoir d'autre effet , que
de m'obliger à imiter votre franchife , en
découvrant à Madame de S. Fargeol un
mystère qu'elle ignoroit , & fur lequel
Vous auriez pû ne vous pas retrancher ,
puifque j'avois eu la précaution de vous
munir d'armes fuffifantes pout combattre
fon projet. Mais cette lettre vient de me
mettre au fait d'un autre mystère , dans
lequel je vois éclater de votre part , tant
de générofité & de difcrétion , que je
ferois le plus infenfible & le plus indigne
des mortels , fi je ne fentois pas
avec la plus vive douleur , toute l'éten
AVRIL. 1760. 7
1
tre
me
ដែរ |
due du facrifice que vous me faites , &
tout le mérite de votre diffimulation.
Vous n'avez que trop bien réuffi , Mademoiſelle
; & je me tiens le plus malheureux
de tous les hommes , d'être obligé
de vous faire le détail de vos cruels fuccès.
Je n'ai pas besoin de vous dire , que
l'article de votre lettre , que j'ai été contraint
de communiquer à Madame de S.
Fargeol , l'a pénétrée d'admiration pour
la candeur de votre âme. Si elle déſeſpére
de vous voir ferrer les noeuds d'une alliance
qu'elle avoit tant defirée , & dont
elle vous affure qu'elle fe feroit fait
honneur ; elle veut au moins , que ceci
ferve à refferrer de plus en plus ceux de
notre amitié mutuelle. Sa fanté s'eſt un
peu dérangée depuis qu'elle eft ici ; elle
fe flatte que vous voudrez bien que je
fois l'interprête de toute la tendreffe
qu'elle me charge de vous jurer pour
elle. A l'égard de mon oncle ; voici
Mademoiselle , ce qui s'eft paffé entre
nous . Comme depuis quelque temps , il
ne veut pas fe contenter de recevoir de
moi les marques de votre fouvenir , &
qu'il veut les voir écrites de votre main ;
je lui confiai votre lettre, après l'avoir luë.
Je ne fus point étonné de lui en voir dévorer
la lecture : je connois le plaiſir
,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
qu'on doit avoir à lire vos lettres ; mais
ce qui me furprit , ce fut de voir les yeux
fe couvrir de larmes . Madame de S.
Fargeol étoit préfente : elle s'apperçut
comme moi , de l'attendriffement du
Vicomte ; elle fe reprocha de n'avoir pas
été pénétrée la premiere d'un fentiment
auquel il ne lui fut plus permis de fe refufer.
Ses pleurs me toucherent au point
d'en répandre moi - même ; & mon oncle
s'appercevant enfin , que nous étions auſſi
fenfibles que lui , ceffa de contraindre fa
propre fenfibilité , pour la confondre avec
la nôtre. » Ah , mes chers enfans ! s'écria-
t-il, » vous êtes touchés comme moi ;
» & vous ignorez cependant encore juſ-
» qu'à quel point vous devez l'être. Quel
caractère,grands Dieux ! quelle maturité
» de raifon ! quelle généreufe difcrétion!
» Non ; Mlle de Gondreville , eft une
perfonne unique. Non ; ce n'eft point
» affez des larmes que je vous vois répandre
pour honorer fes vertus , il faut
و ر
"
99 que
l'aveu de ma foibleffe vous en arra-
» che de nouvelles , en achevant de vous
» faire connoître tout ce que vous lui
» devez. Mon neveu , me dit-il alors ,
en s'adreffant à moi ; » j'ai adoré Mile de
» Gondreville , dès que je l'ai connuë :
j'ai voulu l'époufer. Tenez , continuaAVRIL.
1760.
Once
dre
ave
moj
jal
Turite
tion
ne
point
15IC
Faut
arra
τους
ors,
de
t- il , en me donnant à lire la lettre qquuee
j'ignorois que vous lui euffiez écrite :
» voyez , de quelle façon cette adorable
» fille a reçû mes propofitions ! Ses re-
» fus , ne m'ont point étonné ; mon âge
» avoit fçû m'y préparer , & pouvoit me
» rendre fa générofité fufpecte. Mais enfin,
» fa prudente difcrétion me la prouve
» d'une façon qui ne peuvent être équivo-
» que , dans une perfonne de fon âge.
Nous l'avons luë , ma femme & moi ,
cette lettre , avec l'admiration & l'attendriffement
qu'elle mérite de notre part.
Nous fommes tombés , l'un & l'autre , en
pleurs , aux genoux de ce cher oncle :
nous l'avons fupplié , par les plus tendres
inftances , de joindre de nouveaux efforts
à ceux que nous voulions faire nous - mêmes
, pour vous forcer , s'il étoit poffible,
de confentir à fon bonheur. Nous l'avons
affuré , & nous vous affurons de la meilleure
foi du monde , que ce feroit faire
le nôtre. Mais , Mademoiſelle , vos cruelles
réfléxions l'avoient trop bien armé
contre nos prieres & contre nos larmes :
il s'en eft infléxiblement tenu aux réfolu .
tions que vous lui avez infpirées ; & il
s'eft féparé de nous , avec la précipitation
d'un homme qui fuit un preffant danger.
Quoique cette lettre ſoit déja bien lon-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
gue , je fens que je ne vous y dis pas la
centième partie de ce que je voudrois , &
de ce que je devrois vous dire. Je n'y
ajoute cependant plus qu'un mot : perfuadez
vous bien, je vous prie , que nous
fommes moins touchés de votre générofité
, que nous ne le ferons de votre condef
cendance ; & fi vous voulez nous prouver
que vous êtes notre amie ; fouvenez - vous,
en prenant votre parti , que nous fommes
auffi ,
1
Vos amis.
:
Je ne fçais file lecteur fuppofe l'impreffion
que me fit la lecture de cette lettre
; mais j'avouerai , ingénûment , que je
n'ai jamais rien lû qui m'ait fait autant
de plaifir. Je ne pus même réfifter à celui
de la relire , avant de céder à l'impatience
que j'avois de voir celle du Vicomte.
VINGTIEME LETTRE ,
De M. le Vicomte de T... à Mademoiselle
de Gondreville.
MA
ADEMOISELLE , EMO
Je n'aurois pas dû différer juſqu'à ce
AVRIL. 1760.
jour , à faire réponse à la lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire une
fcène des plus touchantes , qui vient de
fe paffer entre mon neveu , ma niéce ,
& moi , vient enfin de diffiper mes fcrupules,
& l'embarras où j'étois fur la façon
dont je devois vous répondre. Car il faut
tout vous dire , Mademoiſelle ; & après
vous avoir fait l'aveu des fentimens &
des prétentions que vous aviez réveillés
dans mon âme , je crois vous devoir celui
d'une défiance , pardonnable à mon âge.
Il étoit fi naturel , au vôtre , de refufer les
hommages d'un homme de 54 ans , que
j'ai pu vous fuppofer moins généreuſe
que bien avifée : ce léger foupçon , tout
injufte qu'il étoit , m'a cependant retenu
de vous écrire . J'attendois à vous l'avouer
franchement , que votre indifcrétion
me mît un peu plus à mon aife visà-
vis de vous. Il étoit fi fimple , que jeune
, & dans l'état où vous êtes, vous vouluffiez
vous faire un mérite de vos refus
auprès de ma niéce & de mon neveu
que j'efpérois trouver dans votre conduite
quelque prétexte à me détacher de vous ;
& non pas , comme il eft arrivé , de nouvelles
raifons de vous refpecter plus que
jamais . Auffi ne puis je vous dire , Mile, à
quel point je vous refpecte.Je ne fuis pas
Á vj
12 MERCURE DE FRANCE.
:
inquiet que ce fentiment vous fuffife ;
mais il ne m'acquittera jamais de tout
ce que je vous dois à mon âge , on doit
connoître le prix de la Raifon. Il n'appartenoit
qu'à vous de me la faire perdre,
& de me la rendre . Nos jeunes gens,
vous feront peut- être part de leurs vifions :
mais leur générofité , n'ayant pû me fé
duire , doit avoir encore moins de pouvoir
fur vous. Ils vouloient me faire un
facrifice ; & c'en feroit un qu'ils exigeroient
de vous. Je veux bien leur laiffer
tout le mérite d'un procédé fi louable de
leur part ; & je fuis affuré , que vous
penferez comme moi, que nous ne devons
pas les expofer à s'en repentir un jour.
Je fuis , avec un refpect , & un attachement
, qui n'auront jamais de bornes.
Mademoiſelle ,
Votre &c. de T...
La lettre du Vicomte de T... ne changea
rien aux difpofitions de mon âme.
Elle eût augmenté , s'il eût été poffible ,
le plaifir que m'avoit fait celle de fon
neveu. Mon amour- propre fe trouva fi
fatisfait de l'un & de l'autre , que je cédai
, fans doute par un mouvement de
vanité naturelle , au defir de les faire voir
à ma tante ; quoique je ne puffe le faire
AVRIL. 1760 . 13
7
$
S
"
"
fans la mettre dans la confidence de la
premiere lettre du Vicomte , & de la réponſe
que j'y avois faite. Elle voulut tout
voir & tout lire : ce qu'elle fit affez fétieufement
& fans s'interrompre. Enſuite
de quoi , voici le difcours qu'elle me tint,
& dont je me fuis toujours fouvenue. » Ma
» chere enfant , me dit-elle , je ne puis
» blâmer le généreux parti que vous avez
» pris, dans une conjoncture auffi délicate ;
>> il vous attirera fans doute beaucoup
» de confidération dans le monde : mais .
» vous êtes trop fenfée pour ne pas
» fentir que vous avez befoin , plus que
perfonne, de faire fur cela de férieufes
» réfléxions . Croyez- moi donc : ayez dé-
»formais recours à mes confeils, dans de
pareilles occafions ; je fuis incapable
" de vous en donner qui puiffent nuire à
>> l'eſtime que vous ambitionnez d'acqué-
» rir . Sâchez pourtant, qu'il y a quelque-
» fois des moyens à employer pour s'af-
»furer tout à la fois & l'honorable &
» l'utile . C'eft dans ces fortes de cas , où
» votre peu d'expérience , peut avoir be-
» foin de la mienne ; & vous ne devez
» pas douter du tendre intérêt que je
prendrai toujours à vous voir dans la
» fuite auffi heureufe qu'eftimée.
"
"
"3
Je me jettai dans les bras de ma tante ;
14 MERCURE DE FRANCE.
»
& lui propofai de me dicter fur le champ
les réponfes que je devois faire aux lettres
du Vicomte & de M. de S. Fargeol.
» Non , ma chere nićce , me ditelle
vous avez trop bien commencé ,
l'honneur " pour que je ne vous laiffe
» de couronner votre ouvrage. Je lui
» obéis ; & le lendemain je lui préfen-
» tai les deux lettres fuivantes , qu'elle
» eut la bonté d'approuver.
pas
VINGT-UNIÉME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Vicomte
JE
de T...
E dois vous l'avouer , Monfieur ; il
n'eft point de joie pareille à celle que
j'ai reffentie , en lifant la Lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire. Mais
fi vous rendez juftice à ma fincérité ,
comme vous voulez bien la rendre à
ma difcrétion ; ne penfez pas , je vous
prie , que cette joie me foit venue du
prétendu retour de votre Raifon : j'aurois
été plus flattée , que vous ne le pensez ,
d'être maîtreffe d'en difpofer ; peut- être
même de vous la faire perdre , fi je
n'en avois eu affez bonne opinion pour
AVRIL 1760.
croire que vous n'auriez pas befoin de
moi pour vous la rendre . Mais enfin ,
vous êtes content de moi ; vous devez
l'être de vous même ; & je le fuis plus
que je ne puis vous dire , de voir que
vous daigniez m'affocier à l'honneur de
penfer comme vous . Ce n'eft pas , affurément
, que je foupçonne en aucun cas
Monfieur & Madame de S. Fargeol de
pouvoir fe repentir d'une action généreufe
: leurs inftances font fi finceres &
fi réfléchies ; c'eſt de fi bonne foi qu'ils
voudroient facrifier leur propre bonheur
à ce qu'ils imaginent devoir faire le
vôtre , & à ce qui ne pourroit manquer
de faire le mien , qu'il y auroit de l'injuftice
à leur chercher d'autres fentimens
dans l'avenir. Contentons- nous , Monfieur
d'admirer , & d'imiter ceux que
nous leur connoiffons ; ils ne font point
équivoques vous leur en accordez , &
vous leur en devez le prix de mon
côté je m'en acquitterai de mon mieux ,
par la plus fenfible reconnoiffance. Celle
que je vous dois , n'eft ni moins vive ni
moins tendre. Puiffent l'eftime & l'amitié
que vous daignez me marquer , durer autant
que le fincere & refpectueux attachement
, avec lequel je ferai toute ma
vie , Monfieur ,
›
Votre & c,
16 MERCURE DE FRANCE.
VINGT-DEUXIÈME LETTRE ,
De Mile de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
PERSONNE n'eft plus en état que vous ,
Monfieur , de fentir & de faire valoir le
mérite d'une belle action. Quand on eft
auffi accoûtumé que vous l'êtes à en donner
l'exemple , on doit en connoître le
prix. Auffi , ne vous attendez pas à me
voir aujourd'hui répondre à vos éloges
par une fauffe modeftie . Avec qui feroisje
tout-à-fait fincère , fi je ne l'étois pas
avec vous ? Oui , Monfieur , je vous ai
fait un vrai facrifice : fi M. le Vicomte de
T... n'eût pas été votre oncle , il n'auroit
trouvé aucune oppofition dans mon coeur
à l'honneur qu'il vouloit me faire . Sa
perfonne m'eft chère ; l'âge n'entrera
jamais pour rien , lorfqu'il s'agira pour
moi de me livrer à un penchant que la
vertu feule a droit de m'infpirer ; & vous
n'aurez pas de peine à convenir avec
moi , qu'à ce titre feul , Monfieur votre
once mérite tout mon attachement.
Mais il y a plus ; je pense que
toutes les jeunes perfonnes me reffem-
-
AVRIL. 1760. . 17
blent elles font , je crois , du moins
doivent elles être flattées comme je le
fuis , des diſtinctions d'un homme dans
lequel elles reconnoiffent un mérite confommé.
Si vous ajoutez à cela , l'air noble,
le caractère doux , les manières infinuantes
de M. le Vicomte de T... & pour ce
qui me regarde en particulier , le généreux
oubli de ma naiſſance ; vous fentirez
peut- être mieux encore , combien la
juſtice & l'amitié , font profondément
gravées dans mon coeur. Je me férois bien
gardée de me monter fur le ton que je
prends aujourd'hui avec vous , fi je n'avois
en main de quoi repouffer les traits
de votre propre générofité. Mais apprennez
, que M. votre oncle a trouvé le
fecret de me devenir plus cher encore ,
en donnant à mes fentimens la liberté
de paroître fans aucun fcrupule de ma
part. C'est ce qu'il vient de faire , par la
lettre qu'il m'a fait l'honneur de m'écrire,
& par le parti raisonnable qu'il a pris.
Ne vous attendez pas , que je travaille
à l'en détourner ; quand même je ne
pourrois pas me flatter d'y avoir contribué
, j'aurois tout au moins le courage
d'y applaudir. Je fais mieux encore , je
vous jure j'en reffens une joie bien fincère
; & je ne puis pardonner ni à Ma18
MERCURE DE FRANCE:
dame la Comteffe de S. Fargeol, ni à vous,
d'avoir eu la penfée de m'en priver . C'est
avoir été l'un & l'autre jaloux de ma
gloire & de mon bonheur , que d'avoir
voulu vous montrer plus généreux que
moi. Mais ne difputons plus fur des avantages
que nous partageons également.
Nous avons tous rempli les devoirs de
l'amitié ; & je fens que je fuis en refte fur
ceux de la reconnoiffance . La façon dont
vous avez fenti ce que j'ai fait pour vous,
en exige autant de ma part que ce que
vous vouliez faire pour moi. J'en fuis
d'autant plus pénétrée , que j'avois tout
lieu d'efpérer que ma conduite, vis- à- vis
de Monfieur votre oncle , feroit à jamais
un mystère pour vous . Je puis donc vous
dire , avec plus de juftice que vous ne le
dites , que votre lettre m'a véritablement
mife hors de moi ; & que c'eſt à
vous feul qu'il appartient de mettre en
défaut les fentimens qu'on a pour vous.
Ce font vos procédés , qui font admirables
auffi , Monfieur , je les admire autant
que j'y fuis fenfible . Après cela, que
puis-je dire de ceux de Madame la Comteffe
de S. Fargeol : Il n'y a point de
termes qui puiffent rendre ce que je
fens ; & puifque vous avez été l'interpréte
de fes fentimens , tâchez d'être
AVRIL. 1760. 16
auffi celui des miens : toute votre éloquence
n'y fuffira qu'à peine , & pourroit
bien y échouer. Mais raffurez- moi , je
vous prie , fur l'état de fa fanté ; j'en fuis
beaucoup plus inquiette que je ne le fuis
de la vive expreffion que vous pourrez
donner à ma fenfible reconnoiffance :
une âme auffi noble que la fienne , eft
faite pour imaginer ce que vous auriez
peut-être autant que moi de peine à lui
faire fentir. Trouvez bon , que je l'affure
ici de ma reſpectueuſe tendreſſe : ce ſentiment
renferme tous ceux que je lui
dois. Si ce n'eft pas être quitte envers
elle ; je
compte au
au moins que c'eft m'acquitter
envers vous , que de vous affures
que je ferai éternellement
Votre amie.
P. S. Ma tante me charge de mille
rendres complimens pour Madame la
Comteffe, & pour vous . Elle attend, avec
autant d'impatience que moi , que vous
nous donniez des nouvelles de fa fanté.
20 MERCURE DE FRANCE.
VINGT-TROISIÈME LETTRE ,
DeM. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville .
ΜΑA tendreffe , Mademoiſelle , vient
d'être mise à de fi cruelles épreuves , que
vous me trouverez excufable d'avoir différé
fi longtems à vous répondre. Ce
n'eft pas affurément que la générofité de
vos procédés foit un inftant fortie de ma
mémoire ; je ne l'ai point oubliée , même
jufques dans les momens où j'étois réduit
à m'oublier moi-même. Hélas Mademoifelle
! lorfque je vous informai du
dérangement de la fanté de Madame de
S. Fargeol ; je m'en félicitois en fecret ,
parce qu'il étoit l'effet d'un état qui flattoit
mes efpérances. Mais elles fe font
évanouies ; & peu s'en eft fallu , que tout
mon bonheur ne fe foit éteint avec elles !
En un mot , Madame de S. Fargeol a été
conduite jufqu'aux portes de la mort ,
par les fuites d'une malheureuſe chûte
qu'elle avoit eu l'imprudence de nous
cacher. Grâces au Ciel ! le danger a ceffé
depuis quelques jours ; & l'on m'affure
AVRIL 1760. 21
qu'elle entrera bientôt en pleine convalefcence
, quoiqu'on ait encore beaucoup
de peine à lui infpirer la même confiance.
Ce n'eft pas que fon âme foit troublée ,
par la crainte : fon courage , au contraire,
eft au-deffus de toute expreffion ; & je
la trouvai fi tranquille , hier au foir , que
je crus , pour l'amufer & la diftraire ,
pouvoir hazarder de lui lire la partie de
votre Lettre , dans laquelle vous rendez
fi bien juſtice aux fentimens qu'elle a
pour vous . Je ne devrois pas vous rendre
compte des effets que produifit cette
lecture : je fens d'avance , que je ne puis
le faire fans m'attendrir encore , & fans
vous attendrir vous-même . Mais pourquoi
refufer & envier cet hommage du
coeur à une femme, qui le mérite ? Et que
doit- on craindre de dire à quelqu'un , qui
penſe comme vous ? Apprenez donc , ce
que me dit cette tendre & généreuſe
époufe je ne changerai rien à ſes par ,
roles.
» Avouez , mon cher fils , me dit-elle ;
" que perfonne n'eft autant aimable , que
» Mlle de Gondreville ? & que fi , avant
» moi , tu l'avois connue , jamais je n'au-
" rois joui du bonheur d'être à toi ? Ecou-
» te , continua - t-elle , en laiffant échap-
» per quelques larmes ; je ne veux point
22 MERCURE DE FRANCE.
» t'affliger ; mais je crains bien que les
» Médecins ne nous trompent. Si je
» meurs , mon cher mari , je ne veux pas
» mourir ingrate envers , Mlle de Gon-
» dreville. Je n'ai que toi , dans le monde :
» tu fais tout mon bien ! il n'y a que toi
» qui puiffe m'acquitter de ce que je lui
» dois. » Ses pleurs , & fa foibleffe l'ont
empêchée d'en dire davantage. Je n'ai
pû lui répondre , que par mes larmes :
j'en verfe encore , en ce moment. Hélas
! qu'aurois - je pû lui dire , finon que
je fens que fa perte entraîneroit infailliblement
la mienne ? ... Mais enfin , elle
vient de paffer une très - bonne nuit ; &
j'efpére , plus que jamais , qu'elle fera
dans quelque temps en état de vous
donner elle - même des marques de fa
reconnoiffance , & de fon amitié. En
attendant cet heureux moment , elle
vient de m'en charger encore. Mon
oncle , qui ne nous a prèfque point
quittés , m'ordonne de vous préfenter
fes refpects. J'ai grand beſoin que Mada
me de S. Fargeol fe rétabliffe ; car je fuis
très- preffé de joindre mon régiment ; &
ce feroit la mort pour moi , que
obligé de l'abandonner avant fon parfait
rétabliſſement. L'efpérance même qu'on
m'en donne , ne m'empêche pas d'envifad'être
AVRIL 1760. 20
ger notre féparation avec une extrême
douleur. Vous entrez auffi , pour beaucoup
, dans les peines que je me fais d'avance
contraint que je fuis à me rendre
inceffament à l'extrêmité du Royaume
la plus éloignée du pays que vous habitez
, je prévois que notre commerce
( la plus douce confolation de ma vie ) ne
peut manquer d'en fouffrir beaucoup.
Mais ne craignez pas que l'éloignement
caufe la moindre altération à mes fentimens
: la tendre amitié que mon coeur
vous a vouée , eſt à l'épreuve de tout. Et
fij'étois au bout du monde, vous pourriez
être affurée d'y avoir le plus fidèle , & le
plus tendre de vos amis.
P. S. Chargez- vous , je vous prie , Mademoiſelle
, de tous nos refpects pour
Madame la Comteffe , votre tante ; je
compte recevoir encore une de vos lettres
, avant mon départ ; & vous en aurez
fûrement une de moi pour vous l'annoncer
, & vous donner une adreffe certaine
pour me faire tenir celles que vous voudrez
bien m'écrire , comme je l'efpére ,
pendant mon abſence de Paris,
24 MERCURE DE FRANCE.
VINGT-QUATRIÈME LETTRE ,
De Mademoiſelle de Gondreville , à M. le
Comte de S. Fargeol.
QUELQUE UELQUE Confolante , Monfieur , que .
foit la Lettre , que je viens de recevoir
de vous vous m'y apprenez tant de
chofes triftes , auxquelles je n'étois point
préparée , que j'en fuis dans un accablement
que vous auriez peine à vous
imaginer. Non , Monfieur , fans les nouvelles
fatisfaifantes que vous me donnez
de la meilleure fanté de Madame la
Comteffe de S. Fargeol ; j'aurois , je crois,
fuccombé tout -à-fait à l'idée que je me
fuis faite de vos peines , à celle de votre
départ , & à l'attendriffement dont j'ai
été pénétrée. Par malheur , cette dangereufe
Lettre me fut hier rendue chez
Madame Baudouin , où fe tenoit l'affemblée.
Ce que vous m'aviez marqué
dans la précédente , du dérangement de
la fanté de Madame votre époufe , redoubla
l'empreffement que j'avois de la
lire . J'en demandai la permiffion , & je me
retirai dans un cabinet , pour en profiter.
Mais
AVRIL. 1760 . 25
Mais j'eus beau me contraindre , lorfqu'il
me fallut rejoindre la compagnie ;
je n'eus pas la force de lui cacher ni
le trouble dont j'étois faifie , ni la trace
des larmes que je venois de répandre .
Vous fçavez fi j'ai l'art de diffimuler ?
j'avouai , que la Lettre venoit de vous ;
& l'état où avoit été Madame de S.
Fargeol , me fauva de l'indifcrétion que
j'aurois pû commettre fur la façon dont
je fus affectée des chofes que vous m'écrivez
, & des fuites de votre prompt départ.
Mais je reviens à Madame la Comteffe
de S. Fargeol, dont l'etat m'inquiéte
encore beaucoup , malgré l'efpérance que
vous me donnez. Je crains , furtout , le
noir preffentiment qu'elle conferve de
La fituation ; & je ne puis regarder ce
difcours qu'elle vous a tenu , que comme
un vrai délire caufé par une fiévre
ardente ; ou comme un anéantiſſement
& une défaillance entiere de la nature :
j'en répands encore des larmes ; & je
ne puis vous fçavoir que mauvais gré de
m'avoir fait une fi trifte confidence .
Avouez , Monfieur , que vous auriez dû
me l'épargner. Vous n'aviez qu'un feul
moyen de vous en juftifier auprès de moi :
vous avez fçu l'employer , en m'affurant
que fa perte entraîneroit infailliblement
II, Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
la vôtre voyez à quelle extrémité votre
imprudence ( pardonnez-moi ce terme ) a
réduit mon amitié ! Je ne fçai fi le Ciel
me réſerve à d'auffi rudes épreuves que
celles qui font encore à redouter pour
votre tendreffe ; mais je penſe qu'il me
feroit impoffible d'y furvivre. Raffurezmoi
donc promptement, fur votre propre
vie ; en m'apprenant que celle de Madame
de S. Fargeol , n'eft plus en aucun
danger . Quant à votre départ , qui ,
dans toute autre circonftance , m'affligeroit
beaucoup , je puis vous dire , que
je l'attends avec impatience ; & que j'en
recevrai la nouvelle avec plaifir , puifque
c'eft actuellement la feule chofe qui
paiffe me raffurer fur le parfait rétabliſ❤
fement d'une amie , qui n'eſt auffi chere
qu'elle doit vous l'être . Partez donc ,
Monfieur : ce fera me prouver qu'il vous
refte de bonnes raifons d'aimer , & de
conferver une vie , qui m'eft auffi précieuſe
que celle de notre chere Comtelle .
A ces conditions , je vous pardonne tout...
Eh , que n'eft-on pas difpofée à pardonner,
quand on eft auffi fincerement que
je le fuis ?
Votre amie.
AVRIL. 1760 . 27
VINGT- CINQUIÈME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle de
Gondreville.
VOUS o u s me querellez , Mademoiſelle ;
& vous en avez de fi juftes raiſons , qu'il
ne m'en reste aucune de m'en plaindre.
Oui , je fuis un imprudent. Je n'ai pas
même à m'excufer fur aucun motif qui
ait dû me porter à l'être . Rejettez donc ,
je vous prie , toute idée de délire , par
rapport au difcours de Madame de Saint
Fargeol ; une pareille imputation , convient
mieux à ce que j'ai fait , qu'à ce
qu'elle a penſé. Rendez - lui tout fon bon
fens , & toute fa raiſon ; quand ce devroit
même être au dépens de la mienne. Mais
enfin , je n'ai plus rien à craindre , ni à
me juftifier d'être encore au monde : graces
au Ciel la pleine convalefcence de
Madame de Saint Fargeol , me laiſſe tout
à la fois la liberté de vivre , & celle de
profiter dans peu des ordres généreux
que vous me donnez pour mon départ .
N'allez pas imaginer , qu'il y ait de l'aigreur
dans ces termes, d'ordres généreux ?
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
Ce n'eft pointune tracafferie que je veuille
vous faire ; mais il eft permis de s'égayer
quand , après les plus vives inquiétudes,
on croit avoir de bonnes raifons d'être
plus tranquille . Non , Mademoiſelle , je
n'ai point pris en mauvaiſe part les ordres
que vous me donnez , de partir. Ils font
affaifonnés de façon , que je puis déformais
les exécuter avec autant de tranquillité
que vous aurez de plaifir en apprenant
que je fuis en état de vous obéir fans fcrupule.
Il eft cependant vrai , que la poîtrine
de Madame de Saint Fargeol , naturellement
délicate , a été fort affectée par
les fuites de fon accident. Mais on m'affure
, qu'avec le régime qu'on lui preſcrit,
fa fanté deviendra plus ferme & plus brillante
que jamais. C'eft dans cet eſpoir ,
que je compte me mettre en chemin, dans
deux jours au plus tard. Je vous ai promis,
Mademoiſelle , de vous donner une adreſſe
fûre , pour les lettres que vous voudrez
bien me faire l'honneur de m'écrire ; je
comptois , alors , que ma femme pourroit
être la dépofitaire de nos fecrets. Mais ,
voici ma peine on lui défend toute forte
d'application ; elle ne peut encore
écrire en françois , fans une grande contention
d'efprit ; & je fens qu'en lui adreffant
vos lettres pour moi , vous ne croi
AVRIL. 1760. 29
tiez pas pouvoir vous difpenfer de lui
donner quelques marques de votre fouvenir
& de votre amitié. Elle voudroit y répondre
elle- même ; & je crains , comme
les Médecins le penfent , qu'elle ne le
pût faire fans une grande altération de la
tranquillité qui lui eft néceffaire. Ainfi , je
crois devoir prendre la précaution de vous
en avertir ; & de vous prier d'adreffer vos
lettres à M. Bagneux , mon homme d'affaires
, rue St. Benoift , Fauxbourg St.
Germain. Je l'ai chargé de vous donner
des nouvelles de Madame de Saint Fargeol
, en vous faifant tenir mes lettres ,
comme il me fera tenir les vôtres . J'aurois
pris le même arrangement avec mon
oncle , s'il n'étoit pas fur le point de
partir pour fa terre. Il auroit même grande
envie d'engager ma femme à aller y
paffer le temps de mon abfence ; & celá
ne dépendra que du retour de fes forces :
car on prétend , que l'air de la campagne
conviendroit mieux à fon régime que
celui de Paris . Ce font ces confidérations,
& ces incertitudes , qui m'ont déterminé
au choix de l'adreffe que je vous donne.
Par ce moyen , notre correfpondance ſera
plus fûre , & plus exacte . Je n'ai point
ofé communiquer encore ce projet à ma
femme : elle ne manqueroit pas de s'en
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
plaindre amèrement. Mais je ne veux
point avoir à me reprocher , de lui laiffer
aucune occafion de s'oppofer ellemême
à fon parfait rétabliffement : je
n'ai déjà que trop fujet de craindre pour
elle le moment de notre féparation . Quelque
courage qu'elle s'efforce de montrer,
je fuis perfuadé qu'elle lui coûtera du
moins autant qu'à moi-même ; & je vous
avoue , qu'elle me coûtera beaucoup.
Elle m'a chargé de mille tendres compli
mens pour vous , & pour Mde. la Comteffe
votre tante. Mon oncle , qui eft ici
préfent , vous préfente fes refpects à l'une
& à l'autre. Adieu , Mademoiſelle : je
ne m'éloignerai d'ici , qu'avec une extrême
douleur : mais foyez,je vous prie, bien
affurée , que je porterai partout les fentimens
avec lefquels je fuis pour toujours,
Votre Ami.
Quoique je me cruffe alors deftinée à
vivre toujours féparée du Comte de Saint
Fargeol , j'enviſageai l'idée de fon dépatt
avec autant de douleur que j'euffe pû
faire une vraie féparation. Hors le tendre
attachement que j'avois pour ma tante
, mon coeur n'étoit occupé de rien auſſi
fenfiblement qu'il l'étoit de notre innocent
commerce ; j'en faifois mon unique
AVRIL 1760 .
plaifir ; & les longs intervalles que devoit
néceffairemeut y apporter la diftance des
lieux , me parurent mettre un vuide affreux
dans ce qui avoit fait jufqu'à ce
moment toute la douceur de ma vie.
Je ne prévoyois pas qu'elle dût être bientôt
troublée , par l'événement le plus funefte.
Mais avant d'en venir au récit d'un
malheur , qui fut la fource de tous ceux
que j'éprouvai dans la fuite ; je dois ,
puifque je m'y trouve engagée , rendre
un compte exact de tout ce qui l'a précédé.
Quelques jours après avoir reçu la
lettre de M. de Saint Fargeol , j'en reçus
une dufieur Bagneux , fon Intendant.
Il m'écrivoit ( me difoit il ) par ordre de
la Comteffe ; & me marquoit mille tendreffes
de fa part. Il m'inftruifoit enſuite ,
de ceux qu'il avoit reçus de fon Maître ;
& me donnoit , de nouveau , l'adreſſe à
laquelle je devois lui faire parvenir mes
lettres . Il m'affuroit , que malgré la trif
teſſe que Mde. de Saint Fargeol avoit eue
du départ de fon mari , fa fanté paroiffoit
fe rétablir de jour en en jour ; qu'elle
comptoit même être en état d'accompagner
le Vicomte, en Champagne ; & qu'en
ce cas , elle partiroit inceffamment avec
lui. Il y avoit , à la fin de cette lettre
quelques lignes de la main de M. le
>
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Vicomte de T .. qui avoit voulu fe char
ger de me faire lui-même fes complimens;
& qui me marquoit , entr'autres chofes ,
que rien n'auroit manqué à fon bonheur ,
en l'abfence de fon neveu , non plus qu'à
celui de fa chere niéce , s'il lui eût été
poffible de m'engager à venir contribuer
avec lui au parfait rétabliffement de fon
aimable compagne de voyage. J'adreffai ,
au keur Bagneux , la réponſe que je devois
à tant de marques d'amitié , de la
part
de l'oncle & de la niéce ; j'y joignis
une lettre pour M. de Saint Fargeol , que
je ne puis rapporter ici , parce que je
n'eus pas le temps de copier l'original
que je lui envoyai . Elle rouloit prefque
entiérement fur le fentiment que j'avois
eu , par rapport à fon départ , tel que je
viens de l'exprimer ci- deffus;& fa réponſe ,
que je rapporte ici , fera juger ailément
quel étoit l'efprit , & l'objet de ma
letrre.
AVRIL. 1760. 33
VINGT - SIXIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle de
NE
Gondreville.
" E vous flattez pas , Mademoiſelle
d'avoir été la feule qui ayez bien calculé
les inconvéniens de notre nouvelle
féparation. Tant que j'ai demeuré à Paris,
je regardois les cent lieues, qui étoient entre
nous , comme le plus grand & le plus
cruel éloignement . Mais en partant de notrebonne
Ville , je n'ai pas fait un pas qui
n'ait ajouté dans mon efprit l'idée d'immenfité,
à l'efpace qui nous fépare actuellement.
Je ne vous cacherai point , qu'en
quittant ma femme , j'ai dû me pénétrer
& je me fuis en effet pénétré de la mê--
me penſée . Mais , je dois vous l'avouer ,
ce qu'il en coûtoit à mon amour , rece
voit quelque confolation de ce qu'il en
coûtoit à mon amitié ; puifqu'en me féparant
des deux perfonnes du monde qui me
font les plus chères , c'étoit une forte d'adouciffement
à mes peines , de fentir
que j'aurois moins à me plaindre de mom
éloignement, par rapport à Mde. de Saines
B V
34 MERCURE DE FRANCE.
Fargeol, que par rapport à vous . C'est bien
là ce qu'on appelle chercher fon bonheur,
dans fon malheur même ! Mais à quoi ne
s'accroche- t- on pas , pour trouver quelque
diminution à fes peines ? Vous voyez ,
Mademoiſelle , l'extrême befoin que j'avois
encore de vous , dans cette ocafion !
car , en bonne foi , ni les affaires , ni les
fréquentes & incommodes diffipations
auxquelles je fuis contraint de me livrer
ici ; ni l'efpéce de cour , que forme autour
de moi l'affiduité polie mais fatiguante des
Officiers de mon Régiment ; rien , en un
mot , ne peut me dédommager de ce
qui me manque , ni me diftraire des inquiétudes
que l'amour & l'amitié font en
droit de me caufer. Votre Lettre , Mademoifelle
, & celle que je reçois en même
temps de Bagneux, les ont un peu calmées;
puifque l'une , m'eſt tout à la fois le garant
de votre amitié & de votre bonne
fanté ; & que l'autre , m'apprend que ma
femme fe trouve aflez bien rétablie pour
faire avec mon oncle le voyage de Champagne
. Tandis que je vous écris , on m'obféde
au point , de terminer ici ma Lettre
, en vous affurant que vous n'aurez
jamais de plus tendre ni de plus fidèle Ami.
Pendant que mes Lettres , & celle de
AVRIL. 1760 . 35
Monfieur le Comte de S. Fargeol , étoient
en chemin , il fe paffa , à Strasbourg , une
fcène,qui devoit être une des plus brillantes
que j'y euffe encore vuës; & qui fe termina
de la façon du monde la plus funefte .
Hélas ! Lorfque j'écrivis au Comte la
Lettre qui fuit , dans laquelle on en trouvera
le détail , j'ignorois que la part que
je pris en cette occafion à la douleur commune
, ne dût être , pour ainfi dire , que
le prélude des malheurs les plus touchans
que j'euffe encore éprouvés !
VINGT- SEPTIÉME LETTRE ,
De Mademoiſelle de Gondreville , à M. le
Comte de S. Fargeol.
JEE me dérobe , Monfieur , à la confternation
publique , pour répondre à la
Lettre que je viens de recevoir de vous.
Environnée de trifteffe & de deuil , je fens
combien mon efprit auroit à faire d'efforts
pour s'exercer , comme a fair le vôtre, fur
les différentes nuances de douleurs que
Vous avez éprouvées en quittant Madame
de S. Fargeol , & en ajoutant une diſtance
de plus de cent lieues , à celle qui nous
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
féparoit déja. Vous me dites , il et vrai ,
les chofes les plus obligeantes : mais elles
font fi fines , & fi délicates , que dans
l'état d'accablement où je fuis ici avec
tout le monde , il ne s'en faut rien que je
n'accufe vos jolies penfées d'appartenir
plus à l'imagination qu'au fentiment . Ce
n'eſt pas au moins que je croie avoir à
me plaindre de mon partage ; au contraire
, je fuis mieux traitée que je ne devrois
m'attendre à l'être ; & fi j'ai quelque
reproche à vous faire , c'eſt d'avoir
mis trop d'étude à me perfuader d'une
efpéce d'égalité d'influence dans vos fentimens
entre Madame la Comteffe de
S. Fargeol & moi ; & c'eft encore de
m'avoir induite à penser que mon abſence
étoit un motif propre à vous rendre
la fienne moins douloureufe. Voilà ce
que je ferois la premiere à condamner ,
fi tout votre esprit eût été capable de me
faire illufion fur votre coeur : mais je vous
rends juſtice , malgré vous , & vous me
l'auriez renduë , en me difant tout uniment
que vous étiez fâché de mettre un
nouvel éloignement entre nous ; & que
vous l'étiez d'une façon mille fois plus
douloureuſe encore , en vous féparant de
la femme du monde la plus aimable , &
AVRIL. 1760. 37
qui mérite à tant de titres que vous l'aimiez
comme vous l'aimez.
Après cette petite leçon , que je n'ai
point été fachée d'avoir occafion de vous
faire , je vais vous informer du funefte
événement qui fait régner ici dans tous
les coeurs une trifteffe d'autant plus accablante
, qu'elle nous a tous furpris dans
les premiers tranfports d'une joie publique.
Vous aviez fçu fans doute, avant votre
départ de Paris , que M. le Duc de
Bouillon s'étoit ménagé une double alliance
avec deux Princeffes Royales de
Pologne, petites- filles du grand Sobiesky ;
& que l'aînée , qui lui avoit été accordée
pour lui -même , eft morte avant de
pouvoir être à lui ? Mais je ferai , felon
toute apparence , la premiere à vous apprendre
ce qui vient de fe paffer ici , par
rapport à la cadette de ces deux Princeffes
, deftinée au jeune Prince de Tarenne.
Les Princes Henri , & Frédéric
d'Auvergne, qui étoient déja à Strasbourg,
pour la recevoir , étant informés du jour
de fon arrivée , dépêcherent un courrier
au Prince leur neveu , qui étoit alors en
chemin. Ce courrier , rencontra le Prince
de Turenne à Metz. Et ce jeune Seigneur ,
cédant à fon impatience , partit fur le
champ, en pofte , à franc étrier , pour ſe
j38
MERCURE DE FRANCE.
rendre le même jour à Strasbourg. Mais ,
hélas ! fon entrée dans cette Ville , fut
un vrai préfage du malheur qui l'y attendoit.
Son cheval , tombé fous lui , lui
fit faire à lui- même une chûte fi dangereufe
, qu'on fut obligé de le porter ,
prèfque fans connoiffance , & couvert
de playes , chez le Prince Henri , ſon oncle
, grand Prévôt de notre Eglife . On y
tint confeil , fur fon état ; & l'on crut devoir
affurer celui de la Princeffe : en forte
, qu'après quelques précautions prifes
pour le danger & les fuites de fa chûte ,
on paffa fur le champ à la célébration
de leur mariage , dans l'appartement même
du Prince Henri. Je ne vous parle
point des fêtes qu'on avoit préparées pour
ces illuftres époux : vous jugez bien qu'elles
n'ont pû être célébrées ni avec autant
d'éclat , ni avec autant de plaifir , qu'on
s'en étoit promis. Je vous dirai ſeulement
, que le troifiéme jour après cette
cérémonie , le Prince de Turenne , s'étant
trouvé mal à table , chez le Maréchal
Dubeurg , fut remené chez lui , &
mis au lit. La petite vérole , cette cruelle
maladie dont j'ai toujours eu une peur
ridicule , s'est déclarée dans les vingtquatre
heures ; & vient enfin de nous
l'enlever. Je ne puis vous dire , à quel
AVRIL 1760. 39
point j'en fuis touchée ,& même effrayée !
car , il faut que vous fachiez , que j'étois
affez près de ce Prince , lorfqu'il
tomba en foibleffe ; & que je fus des premieres
à chercher à le fecourir. Vous devez
même aux foins de ma tante , la lettre
que je vous écris aujourd'hui : elle fait
tout ce qui dépend d'elle , pour me diftraire
des idées noires dont mon pauvre
efprit fe repaît depuis ce fatal moment . *
Elle n'a point imaginé de meilleur moyen
pour y réuffir , que de m'engager à vous
écrire ; ce que , fans elle , j'aurois je
crois , différé de faire de quelques jours.
Je lui en ai une vraie obligation ; car
j'éprouve, tout de bon, que quelque trifte
que foit cette lettre , j'ai gagné beaucoup
à m'occuper de vous. Je me fens en ef-
* Voici une Epitaphe , qui fut faite dans le
temps de ce malheureux événement ; & que je
ne me rappelle pas d'avoir vue imprimée.
Cy git Turenne , mort en fa jeune faiſon ,
L'efpérance , & déjà l'honneur de fa maiſon.
A peine au fang des Rois s'unit fa deftinće ,
Que par un coup du fort , on la vit terminée.
Le Temple, encer paré, voit ouvrir fon tombeau
Le deuil vient ſe mêler aux fêtes qu'on célébre :
Et l'on vit éclairer , par le même flambeau ,
La pompe nuptiale , & ia pompe funebre !
40 MERCURE DE FRANCE.
fet plus légère , & la tête plus libre que
je ne l'ai eu depuis quelques jours ; & ,
quoique cette lettre foit déja d'une longueur
fort honnête , je ferois bien tentée
de ne la pas terminer encore . En vérité
, je le fuis auffi de croire , que le
meilleur de tous les régimes pour guérir
les maux de l'imagination , ce feroit
d'y intéreffer notre coeur. Je vais donc
éffayer de prendre , de mon chef , une
nouvelle dofe de cette recette , en vous
parlant de Madame la Comteſſe de Saint
Fargeol. J'en ai appris , par votre homme
d'affaire , les nouvelles les plus confolantes.
Et de la façon dont vous me
les confirmez vous-même , je fuis perfuadée
qu'elle jouit actuellement › en
Champagne , d'une fanté qui doit terminer
nos allarmes , & nous rendre à
l'un & à l'autre les ennuis de l'abſence
plus fupportables. Mais elle aura le bonheur
de vous voit avant moi ; & tout
l'avantage que je tirerai de votre retour
auprès d'elle , ce fera de vous fçavoir
heureux l'un & l'autre , & de me croire
un peu plus près de vous , parce que vous
ne ferez plus qu'à cent lieuës, de moi.
Cent lieuës , Monfieur ! Quel exil , s'il
doit être éternel ! Chaffons cette idée ;
elle feroit feule capable de mettre plus
AVRIL. 1760. 41
de noir dans mon imagination , que cetre
lettre n'a eu le pouvoir d'en effacer. Ne
doit- il pas fuffire à mon bonheur , de
fçavoir qu'en quelque lieu du monde que
vous foyez , vous y ferez mon ami ? comme
vous devez être affuré que , fuſſé - je
tranfportée à l'autre extrêmité de la Tèrre
, j'y ferai éternellement
Votre Amie.
P. S. Je n'ai donné , dans cette Lettre ,
qu'une légere idée de mon état, à la mort
du Prince de Turenne. Si j'avois eu la
force de ménager les inquiétudes du
Comte de S. Fargeol , je ne m'étois
pas rendue maîtreffe des miennes : une
fecrette terreur s'étoit emparée de mon
imagination. Elle étoit fans ceffe agitée ,
par les plus noires vapeurs. Le trouble
de mon coeur & de toute mon ame , ne
fut qu'un préfage trop affuré que mes
craintes n'avoient point été chimériques ;
ou plutôt , il contribua lui-même à les
juftifier. En effet , mon fang ne tarda
pas à s'allumer : deux jours après ma
Lettre écrite , je fus attaquée d'une fiévre
ardente , à laquelle fe joignit une opreffion
plus inquiétante encore. Grâces aux
foins de M. Mogue , mon Médecin , aux
tendres attentions de ma chere tante ,
42 MERCURE DE FRANCE.
>
qui ne me quitta ni jour ni nuit , &
peut-être à la bonté de mon tempérament
; la petite vérole , qui fe déclara
dans les vingt - quatre heures , ne fut
ni auffi abondante ni auffi funefte
qu'on avoit eu lieu de le craindre.
Malgré l'effroi dont je fus faifie , je ne
courus aucun danger ; & dès le onzième
jour de ma maladie , j'étois fur pied ;
avec cette confolation ( toujours précieuse
pour une femme ! ) que je n'en
refterois point marquée. Mais , hélas !
c'eût été le plus léger , & le moins fenfible
de mes malheurs ! le fort m'en réfervoit
un , mille fois plus touchant , mille
que
fois plus accablant, n'eût été la perte
de ces vains & périffables avantages ,
dont notre féxe aime tant à fe glorifier.
Ma tante , qui n'avoit jamais eu la petite
vérole , foutenue par fon courage , & par
l'amitié la plus tendre, étoit devenue pour
moi la garde la plus attentive & la plus affidue.
Elle n'avoit jamais voulu fouffrir que
je priffe rien que de fa main : en un mot ,
Elle avoit été neuf jours entiers fans
fermer l'oeil , & prèfque toujours enfermée
avec moi fous les rideaux de mon
lit. Ses foins m'avoient fauvée , fans
doute ; mais ils cauferent la perte d'une
perfonne qui devoit m'être , & qui m'étoit
en effet plus chere que ma vie même.
AVRIL. 1760. 43
Les inftans qui précéderent cette perte
cruelle , font trop intéreffans pour moi ,
& trop néceſſaires à l'intelligence de la
fuite de nos Lettres , pour les paffer fous
filence. Cependant , avant d'entrer dans
ces détails affligeans , je crois devoir placer
ici la Lettre que je reçus de M. le
Comte de S. Fargeol , en réponſe à la
mienne ; & celle que je lui écrivis moimême
, avant que la fortune eût achevé
de mettre le comble à mes malheurs .
n
VINGT- HUITIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
OUI, UI , Mademoiſelle ! c'eft par votre
Lettre , que j'apprends la trifte cataftrophe
qui vient de nous enlever le Prince
de Turenne. C'est une perte bien grande
pour fa Maiſon , pour l'Etat , & même
pour le Roi. J'ai fouvent été témoin des
diftinctions que Sa Majefté lui accordoit ;
& j'ai vu tout le monde convenir , que
c'étoit un jeune Seigneur d'une trèsgrande
efpérance. Mais , Mademoiſelle ,
ce qui acheve de me rendre ce cruel évé44
MERCURE DE FRANCE.
nement plus fenfible encore , c'eft d'ap
prendre qu'il vous ait frappée d'une espéce
de terreur , qui feule eft capable de caufer
un vrai dérangement dans votre fanté.
Qu'avez-vous donc fait de cette fermeté,
dont je vous ai fi fouvent vue nous don
ner des preuves au-deffus de votre âge ?
Et pourquoi n'ai- je point été à portée de
vous relever d'une foibleffe , qui n'eft
point faite pour une âme comme la vôtre?
Helas ! j'aurois peut-être procuré des
fecours à votre imagination , dont la
mienne auroit aujourd'hui le plus preffant
befoin : car , il faut vous l'avouer ,
votre Lettre , vient d'y jetter le trouble ;
Et toute ma conftance en eſt ébranlée.
Oui , Mademoiſelle ! je ferois accablé par
les plus cruelles inquiétudes , fi vous ne
ne m'aviez appris vous - même tout ce que
Madame la Comteffe votre tante a fait
pour vous diftraire des vôtres. Que je lui
en fçais gré ! & que j'ai à me féliciter
moi même , de ce qu'elle m'a cru digne
d'entrer pour quelque chofe dans le projet
de diffiper la noirceur de vos idées !
J'ofe donc me flatter , que cette Lettre
vous trouvera jouillante de toute votre
Raifon ; & de cette brillante fanté , qui
fied fi bien aux charmes que la nature
vous a prodigués . Permettez-moi de m'apAVRIL.
1760.
45
1
plaudir , d'avoir été choisi pour y contribuer.
Ma vanité fera bien fatisfaite de
pouvoir dire cette beauté , à laquelle tout
le monde rend hommage , me doit peutêtre
une partie de l'éclat dont elle brille !
Mais ne me laiſſez pas douter de mes fuccès
; & ne différez pas , je vous prie , de
m'en convaincre , en me donnant promptement
de vos nouvelles. Je fuis peutêtre
, en ce moment , plus foible que
vous ne l'avez été. Et c'eft maintenant à
vous , à me rendre la raifon ; fans quoi
mes craintes & mes inquiétudes pourroient
bien reprendre le deffus. Vous en
êtes aujourd'hui l'unique objet ; & grâces
au Ciel , les nouvelles que j'ai reçues de
Madame de S. Fargeol , avec votre Lettre
, ( fi elles ne font pas encore auffi
bonnes que je le defirerois ) font du moins
les plus confolantes que je puffe recevoir
, vû l'état dans lequel elle avoit été
réduite avant mon départ de Paris . Je
prends toutes les mesures qu'il m'eft permis
de prendre , pour abréger le temps de
mon exil. Ah ! s'il étoit poffible que mon
Régiment fût commandé pour en relever
quelqu'autre de la garnifon de Strasbourg
; je ne me plaindrois point d'être
obligé d'y paffer un fémeftre entier ; parce
qu'aflurément Madame de S. Fargeol l'y
1
46 MERCURE DE FRANCE.
pafferoit avec moi , & que nous aurions
tous les jours le bonheur de vous voir.
Voilà bien ce qu'on appelle bâtir des Châteaux
en Espagne ! Mais fi cette idée ,
toute chimérique qu'elle eft , rit à votre
imagination , comme elle rit à la mienne ;
je l'adopte , & me la pardonne. Réponſe
prompte , je vous prie , fi vous ne voulez
pas que je périffe ici d'inquiétude & d'ennui.
En vérité , Mademoifelle , vous devez
cette attention au plus tendre , & au
plus fidèle ami qui foit au monde.
Lorfque je reçus cette Lettre , j'étois
quitte des inquiétudes que j'avois eues fur
mes propres maux : mais je commençois
à en avoir d'auffi férieuſes fur l'état dans
lequel je voyois ma tante. Depuis près
de deux jours , un très - grand mal de
tête , une langueur , un dégoût ; tout cela
joint à une infomnie , caufée par une violente
agitation , fans altérer la tranquillité
de fon âme , avoit extrêmement allarmé
la mienne. Elle venoit de me faire
avertir de me rendre chez elle , quand
on me rendit la Lettre du Comte de
S. Fargeol. Je paffai , fur le champ , à fon
appartement , fans avoir encore décacheté
la Lettre du Comte. Je trouvai ma tante
au lit. Elle y étoit restée , parce qu'elle
AVRIL. 1760 . 47
"
avoit paffé , comme je viens de le dire ,
une mauvaiſe nuit , & qu'elle ne s'étoit
affoupie que fur le matin. Elle commença
, lorfqu'elle eut reçue les marques de
de ma tendreffe , par chercher à diffiper
mes inquiétudes , en m'affurant qu'elle
avoit trouvé le fecret de repofer quelques
heures ; & que fa tête étoit en meilleur
état. Je lui préfentai la Lettre que je ve- .
nois de recevoir : elle en entendit tranquillement
la lecture , & m'ordonna
d'aller y répondre fur le champ , » Pen-
" dant que vous écrirez , me dit- elle .
j'aurai le temps de me lever , & d'é-
>> crire moi-même un mot à mon neveu.
Je l'embraffai , & lui obéis avec une
forte de joie ; parce qu'en effet, je la trouvois
moins accablée qu'elle ne m'avoit
parue être la veille. Mais avant de placer
ici ma réponſe au Comte de S. Fargeol ;
je crois devoir prévenir le Lecteur fur ce
neveu , auquel ma tante fe difpofoit à
écrire , & dont je n'ai pas encore parlé ;
quoique je l'euffe vû quelquefois , &
que j'euffe toujours eu à me louer de fes
attentions pour moi. Il fe nommoit le
Comte de F .... il étoit fils d'une foeur
aînée de ma chere tante ; & je l'avois
toujours appellé mon coufin . Il avoit environ
neuf à dix ans plus que moi . De48
MERCURE DE FRANCE.
puis deux ans , il avoit épousé une veuve ;
de grande condition , plus âgée & plus
riche que lui. Ce n'étoit pourtant point
abſolument à ſa figure , qui n'avoit rien
d'extraordinaire , qu'il avoit dû cette
bonne fortune ; mais à quelques autres
avantages qu'on lui fuppofoit , & qui n'étoient
pas alors du reffort de mes connoiffances;
mais qui lui avoient fait une réputation
chez les femmes galantes . Après
cette légère efquiffe de fon portrait , dans
laquelle fon caractère n'entre encore
pour rien , je paffe à la répor fe que je fis
au Comte de S. Fargeol.
VINGT - NEUVIEME LETTRE ,
-
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
J'AUROIS mille chofes à vous dire Monfieur
, fur la Lettre que je reçois de vous .
Mais je ne me donnerai qu'à peine le
temps de vous en accufer la réception ;
& vous me pardonnerez fûrement de ne
vous avoir pas entretenu auffi longtemps
que je le voudrois , quand vous fçaurez
que ma chere tante eft dans un état qui
m'inquiéte
AVRIL. 1760. 49
m'inquiéte véritablement ; & d'autant
plus , que je ne puis douter qu'il ne foir
l'effet & la fuite des foins & de la fatigue
qu'elle a pris auprès de moi . Jugez vousmême
, fi je dois l'abandonner un inftant
! Contentez - vous donc d'apprendre ,
que je fuis encore au monde , malgré la
petite vérole , que je viens d'avoir ; que
j'en fuis très bien remife ; & qu'on m'affure
, que je ne m'en porterai que mieux
à l'avenir. Je ne vous dirai rien du tort
que cette vilaine maladie peut avoir fait
à de frivoles charmes , dont vous rehauffez
fi fort le prix ; & dont , en vérité , je
fais fort peu de cas. Où en ferois- je , ſi
je ne devois qu'à eux l'amitié dont vous
m'honorez ? & fi , lorfque vous ferez à
portée d'en juger vous- même , vous n'alliez
plus trouver en moi de quoi avoir
ane tendre eftime, que vous m'auriez trop
légerement accordée ? Je me flatte , pourtant
, que fi jamais vous venez paffer un
femeftre à Strasbourg, vous vous raccom
moderez avec ma figure , telle qu'elle
puiffe être alors : car on me promet , que
je ne ferai pas faite à faire peur ; & que ,
fans en rougir , vous pourrez encore m'a-
Youer pour ,
'II. Vol.
Votre amie.
C
so MERCURE DE FRANCE:
M. Bagneux , m'a mandé , comme à
vous , le meilleur état de Madame de
S. Fargeol . Je vais lui en faire mes complimens
, comme je vous en fais de très-
Anceres.
Ces Lettres étant écrites , je me hâtai
de paffer à l'appartement de ma tante ,
que je trouvai levée. Elle achevoit d'écrire
au Comte , fon neveu ; & me parut
plus changée , & plus défaite , qu'elle
ne l'étoit dans fon lit. Elle ordonna qu'on
me laiffât feule avec elle. Je me jettai
dans fes bras ; elle m'y tint quelque temps
embraffée ; & je vis fes larmes fe mêler à
celles que je n'avois pas la force de retenir.
Mais elle fufpendit bientôt notre mutuel
attendriffement , en m'ordonnant de
m'affeoir près d'elle , & de l'écouter. ~ .
» Ma chere enfant ! ( me dit- elle ) ne
»vous effrayez point des mesures qu'un
» trifte preffentiment me fait prendre ,
» pour votre propre fûreté. Je viens d'é-
» crire au Comte de F ..... , mon neveu , de
» fe rendre à Strasbourg auffitôt ma Lettre
reçue ; & de faire enforte d'y ame-
» ner fa femme. Le Comte m'a toujours
» paru prendre un véritable intérêt à votre
fort ; & s'il arrivoit que le Ciel me fé-
» patât de vous , avant que j'euffe pû vous
1
AVRIL 1760 . SI
procurer un établiffement folide ; je ne
» connois perfonne qui foit plus en état ,
» & plus diſpoſé que mon neveu l'eft en
» effet , à s'y employer efficacement , ni
qui puiffe vous offrir un afyle plus convenable
& plus honnête .
"
و ر
L'idée, dont un pareil difcours ne pouvoit
manquer de m'affecter , jetta tant de
trouble dans mon âme , que j'en demeurai
prefque auffi privée de tout fentiment ,
qu'une perfonne évanouie. La douleur
dont je fus pénétrée , ne put s'exprimer
que par des fanglots , & par une abondance
de larmes , dont je fus prèfque fuffoquće.
Ma tante me reprit alors , dans
fes bras ; & après m'avoir accablée des
plus tendres careffes , elle continua de me
parler ainfi.
"
» Les précautions que j'ai cru devoir
prendre , ma très- chere niéce , ne doi-
" vent pas vous allarmer . Confervez
» votre courage pour apprendre les
» fecrets qu'il eft temps que je vous révèle.
Ces précautions vous feront peut-
» être inutiles ; &, plaife au Ciel , qu'elles
"vous le foient en effet ! Mais fi elles ne
deviennent pas néceffaires , elles font
du moins fages ; & quoi qu'il puiffe en
»arriver , il est temps , comme je viens
»de vous le dire , que vous foyez infor-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
» mée de votre fort , & de vos malheurs .
Sans doute , la curiofité l'emporta , dans
ce moment , fur la trifteſſe de mes penfées
; puifque je ne trouvai plus difpofée.
que je n'aurois penfé le devoir être à
prêter une exacte attention au difcours de
ma tante.
39
""
Je ne fçais , continua- t- elle , fi vous
» avez jamais entendu parler de la Baronne
» de V.... Cette jeune & aimable per-
» fonne , étoit née d'un pere Catholique ,
» mais dont les ancêtres avoient prèfque
» tous été Luthériens. Une grande- mere ,
» maternelle fur - tout , l'avoit en fecret
» imbue de fes erreurs. Cependant , la
» jeune Baronne , fixée de bonne heure à
» la Cour de Lorraine , y profeffa toujours
» la religion de fon pere , & fut admiſe
dans le même Chapitre , dans lequel
» j'entrai peu de temps après . Quoiqu'elle
» eût quelques années plus que moi , un
» certain rapport d'humeur , & de carac-
» tères , forma bientôt entre nous cette
30
efpéce de fympathie , d'où naiffent les
» liaifons les plus tendres & les plus in-
»times . Telle fut l'amitié qui s'établit
» entre nous. Le doux nom de Soeur , fut
» celui que nous nous donnâmes récipro-
» quement , comme le plus convenable à
» notre mutuelle tendreffe , & à la conAVRIL
1760. 53
fance réciproque que nous nous étions
» vouée . Ma chere Baronne perdit fon
»pere , trois ans après fon entrée au Cha-
"
"
"
pitre ; & il y en avoit fix que nous vi-
» vions dans une union fi douce & fi
» chere. J'en avois vingt- deux , quand un
» Prince, de l'illuftre Maifon de S..... vint
paffer quelque temps à la Cour de Lor-
>> raine . Je vous avoue , que je fentis une
»fecrette inclination pour ce Prince , qui
» étoit fans contredit un des plus beaux
> hommes , & des mieux faits que j'cuffle
» vû. Mais comme il étoit d'une religion
» différente de la mienne ; & que je m'ap-
»perçus bientôt de la préférence qu'il
» donnoit à la Baronne de V..... , qu'il
"croyoit être ma foeur aînée ; je n'eus
» befoin , ni d'une grande générofité , ni
» de beaucoup de combats à effuyer avec
» mon coeur , pour me réfoudre à céder à
>> mon amie une conquête, pourlaquelle je
» fentois que je n'étois pas née. Que vous
dirai - je , ma chere niéce ? La Baronne
» de V..... fut plus foible que moi. Elle
» écouta l'amour d'un Prince , dont la
religion ne l'effrayoit point , parce
qu'elle en avoit malheureuſement fuçé
» les principes. Elle porta la foibleffe ,
»jufqu'à penfer qu'il lui fuffifoit, pour être
» légitimement unie avec le Prince de S ...,
>>
"
;)
"
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
"
33
"
"
39
ود
"
» d'avoir pris , fecrettement avec lui , les
» engagemens qu'elle croyoit être les plus
inviolables. Et ce fut avec autant de
" bonne foi , que de fécurité , qu'elle crut
pouvoir lui en donner des gages trop
»indifcrets. Cependant le Prince , qui
avoit paffé une partie de l'automne , &
» tout l'hyver , à la Cour de Lorraine ,
fut obligé d'en partir , pour aller rejoindre
l'Armée des Impériaux , à l'ou-
» verture de la campagne. L'état dans lequel
il étoit contraint d'abandonner ma
» chere Baronne , les mit , l'un & l'autre ,
» dans la néceffité de me confier leurs
» communes inquiétudes. Je ne pouvois
» leur être utile , qu'en mettant ma mere
» dans notre confidence. Son amitié pour
» moi , la confidération du Prince , l'efpoir
d'un établiſſement honorable pour
»la Baronne de V..... , la déterminerent à
»tout entreprendre , pour conferver , ou
» pour fauver du moins , l'honneur de la
perfonne du monde qui m'étoit la plus
chere. Elle vint elle même me chercher
» en Lorraine. Elle engagea la Baronne de
» V..... à venir avec nous à Strasbourg ; &
» de là , nous conduifit , l'une & l'autre ,
» dans cette même Terre que poffède au-
» jourd'hui mon neveu. Ce fut là , ma
» chere niéce , qu'elle reçut la cruelle nou-
"
'">
AVRIL. 1768 .
35
"
» velle , par laquelle on l'inftruifoit que
» le Prince de S.... avoit été tué à la dé-
» fenſe des lignes de Stolophen , forcées
» par le Maréchal de Villars . Ce fut ,
» pour elle , le coup de la mort : car peut-
» on compter au nombre de les jours ,
» ceux qu'elle continua de paffer dans le
défefpoir , dans les larmes , & dans
» toute l'horreur de ſa fituation : Les foins
» de ma mere , & mon amitié , ne lui
» furent que d'un foible fecours : rien ne
» fut capable de diffiper fa douleur pro-
» fonde , & la noire mélancolie qui s'é-
" toit emparée de fon ame. Enfin , que
»vous dirai -je , ma chere fille ? A la fin du
feptième mois de fa groffeffe , elle per-
» dit la vie , deux jours après vous l'avoir
>> donnée ! . . .
22
....
Un cri perçant , dont je ne fus past la
maîtreffe , interrompit le difcours de ma
chere tante. Les larmes , que mon attention
avoit fufpendues , m'inonderent de
Rouveau , & redoublerent fes tendres careffes.
Ah , Madame ! m'écriai -je , dans ma
douleur : ( car je n'ofois plus donner à la
Comteffe le nom de tante , qui m'avoit
été fi cher ) Ah , Madame ! c'eft donc à'
votre charité feule , que je dois mon exiftence
?... Mais la Comte fle étoit fi atten-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
drie elle-même , par le fouvenir de la
perte de fon amie , & par l'accablement
où fon difcours venoit de me jetter
qu'elle n'étoit point en état de me répondre.
Ses pleurs , la fituation touchante
où je me trouvois dans fes bras , auroient
entierement épuifé fes forces , fi fon courage
& fon amitié , ne lui euffent fait fentir
le befoin qu'elle avoit de les rappeller
toutes , pour achever de m'inftruire.
"
" Remettons-nous , ma chere niéce ,
» pourfuivit la Comteffe : nous devons ,
» l'une & l'autre , nous armer de plus de
conftance. Vous , pour écouter plus
» tranquillement ce qui me reste à vous
» dire ; & moi , pour pouvoir vous l'ap-
» prendre .
و د
» Votre naiffance , fut un fecret pour
»tout le monde , excepté pour le Chapelain
du Château , qui vous ondoya ;
" & pour quelques témoins néceffaires ,
»fur la difcrétion defquels nous crûmes
» alors , ma mere & moi , devoir comp-
» ter. Votre malheureufe mere , n'avoit
pour toutes preuves de l'indifcrétion ,
"( pourquoi ne dirois-je pas , de l'inno-
» cence de fa conduite ? ) que quelques
» Lettres du Prince , par lefquelles il
» convenoit bien , à la vérité , d'être
» l'auteur de fon infortune ; mais qui
AVRIL. 1760. 57
"
s'expliquent d'une maniere trop équi-
» voque , fur la façon dont il fe promet-
» toit de réparer les torts envers elle . Ma
"pauvre amie , dont l'âme étoit auffi
fimple, qu'elle étoit noble & généreufe ,
» s'en étoit rapportée à la parole , à l'hon-
» neur , & à la confcience du Prince ,
» dans les engagemens qu'elle avoit pris
>> avec lui ; fans en exiger d'autre allu
» rance , que les fermens mutuels qu'ils
» s'étoient faits de s'unir bientot par des
» liens indiffolubles . Votre mere , en
>> mourant dans les plus grands fentimens
» de pénitence & de catholicité , nous
» remit ces foibles témoignages , plus
» propres à la convaincre d'une confiance
imprudente , qu'à vous faire reconnoî-
» tre par la Maifon du Prince auquel vous
> devez le jour. Elle vous recommanda ,
» dans fes derniers inftans , aux foins de
» ma mere & à ceux de mon amitié
pour elle. Nous lui jurâmes , l'une &
» l'autre , de ne vous abandonner jamais.
» Ma mere a été fidelle à fes engagemens,
» tant qu'elle a vécu : c'eft elle , qui vous
" a fait nourrir , en fecret ; qui vous. a
"
29
>
mife , & entretenue au Couvent de
» Nanci , fous le nom de Mademoiſelle
» de Gondreville . Vous avez été , depuis
que je l'ai perdue , mon unique con
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
» folation , & le feul objet de ma ten-
» dreffe : En un mot , je vous ai adoptée ,
» ma chere fille ! .. Et c'eft à ce titre , que
» vous ferez auffi chere à ma famille
» que vous me l'êtes à moi- même , s'il
» arrive que la mort me fépare de vous.
,
» Eh , ma chere tante ! m'écriai-je ;
» pourquoi me frappez-vous par un préfage
fi noir , & mille fois plus fenfible
» à mon coeur, que tous mes malheurs en-
» femble ? ...
"
39
L'événe-
Ne nous affligeons point d'avance ,
( interrompit la Comteffe . )
» ment , ma chere niéce , peut fans dou-
» te tromper mes craintes : mais il eft
» toujours prudent de le prévenir ; &
» c'eft me procurer à moi-même une tranquillité
dont j'ai besoin , que de vous
» avoir miſe en état de le foutenir. Ecou-
» tez-moi donc , ( continua- t - elle , ) il me
» refte peu de chofe à vous apprendre :
» mais il vous eft effentiel de le fça-
» voir. Quoique ma mere regardât , com-
» me une chofe impoffible , de vous faire
»reconnoître par la famille du Prince vo-
» tre pere , pour fa fille légitime ; elle ne
» laiffa pas d'écrire au Prince régnant de
» ſa maiſon , & de le folliciter vivement
» en votre faveur. Elle lui envoya la copie
des lettres du Prince fon parent :
AVRIL. 1760. 59
" le Duc de Lorraine , du crédit duquel
»elle appuya fa recommandation , dai-
"gna certifier lui-même la fidélité des
» copies , & leur exacte conformité avec
» les lettres originales. M. le Cardinal
» de Rohan , dont ma mere implora l'af-
» fiftance , ne fe porta pas avec moins
» de chaleur & d'intérêt à vous faire du
» moins affurer un état. Maís , tout ce
» que de fi illuftres protecteurs purent
» obtenir , ce fut un froid confentement
» du Prince régnant de S ... de vous en-
" voyer dans fes Etats, pour y être élevée
» dans fa religion au moyen de quoi ,
» feulement , il vouloit bien s'engager à
"prendre foin de vous , comme de la fille
» naturelle d'un Prince de fa maifon .
»Vous jugez bien , ma chere niéce ,
» qu'une propofition fi peu convenable ,
» & fi dangereufe , ne fut point agréée
" par les deux Princes , qui s'intéreffoient
également à votre religion , & à votre
» fortune. Ils firent de nouvelles tentati-
» ves , auxquelles on ceffa bientôt de répondre.
Notre illuftre Cardinal , s'eft
» enfin flatté de nous faire obtenir une
"penfion du Roi , auffitôt que ce Prince
fera déclaré majeur. Nous touchons de
» près à cet heureux moment , ma chere
» nićce ; & je ne demande à Dieu la con-
$5
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
» ſervation de mes jours , que pour jouis
» du bonheur de voir votre fort affuré par
» les bienfaits d'un maître qui nous ek
» cher , & auprès duquel la religion que
» vous profeffez fera toujours le plus pref
» fant motif de fa royale protection .
»
» Vous êtes peut-être étonnée , ma
» chere Gondreville , de ce que je ne
» vous parle point de la famille de vo-
» tre malheureuſe mere ? .. Il vous en
refte , cependant un oncle , & des coufins
; mais ce font des barbares , que
» vous devez oublier. Ils n'ont rien épargné
, pour rendre public le malheur de
» votre naiffance ; & pour vous faire ju-
" ger incapable de réclamer le peu de
» biens qui devoient vous appartenir , ſe-
» lon les droits de la nature . Vous ne
» leur devez que du mépris. Dans cet
» état , ma chere niéce , s'il arrivoit que
» vous euffiez befoin d'un afyle , pour y
» attendre les effets de la protection de
» fon Eminence ; je n'en imagine point
» de plus convenable , que celui qui ne
» peut manquer de vous être offert dans
» le Château de mon neveu, par la Com-
» teffe fa femme. Leur amitié pour moi ,
» celle qu'ils ont toujours marquée pour
» vous , m'affurent que ma prévoyance ,
» & ma tendreffe , ne feront point trom
pées.
AVRIL 1760.
6.1
Tel fut à-peu -près le difcours de la
Comteffe : dirai-je , de ma chere tante; ou
plûtôt , de ma véritable & tendre mere ?
J'en demeurai plus interdite, que confuſe.
La reconnoiffance queje devois à fes foins
fi généreux , ne trouva de place ni dans
mon coeur, ni dans mes expreffions : je ne
pouvois être fenfible qu'au noir preffentiment
qui la déterminoit à me faire de
fi triftes confidences ; & à prendre avec
tant de courage & de bonté , des mefures
qui ne me pénétroient que de douleur
& de crainte.
Je me difpenferai de retracer ici tout
ce qu'il en coûta de larmes à notre mutuelle
tendreffe , avant que nous euffions
pû parvenir à raffeoir nos fens , & tout ce
que cette courageufe Comteffe me dit
encore, pour me raffurer contre la terreur
que devoit m'infpirer l'idée du plus cruel
de tous les événemens que je puffe éprouver
. Hélas ! elle le prévoyoit avec tant
de fermeté , qu'elle me mettoit dans le
cas de ne pouvoir l'imaginer , ni le prévoir
moi - même ! Sa force apparente ,
ranimoît les miennes , & mes efpérances.
Mais elles ne devoient pas être de longue
durée.
Qu'on me pardonne , de fufpendre ici
ma narration , avant que d'entreprendre
62 MERCURE DE FRANCE
le récit d'un malheur , dont le fouvenir
m'accable encore . On va voir , dans la 2 *
& dernière Partie de ces Mémoires , que
la cruelle maladie qui m'avoit épargnée ,
ne m'enleva en peu de jours ce que j'avois
de plus cher au monde , que pour
me livrer à de nouveaux malheurs.
Fin de la premiere Partie.
( Lafuite , au prochain Mercure. )
D.
SONG E.
EUX fois , le fombre Dieu qui préfide au
repos,
Qui des fens épuifés , répare la foibleſſe ,
Rend l'homme à fon travail , l'amant , à fa
maîtreffe ,
Avoit verfé fur moi le fuc de fes pavots :
Quand l'illufion flatteuſe ,
Du fonge le plus riant ,
Guida mon âme amoureufe
Vers l'enceinte merveilleufe
Du jardin le plus brillant.
Là c'étoient des berceaux ! ici , mille ftatues
Retraçoient à mes yeux , la fable & fes héros ;
Plus loin , l'onde preffée , en fes étroits canaux,
Par cent bouches d'airain , s'élançant juſqu'aux
nues ,
Dans de vaſtes baffins , retomboit à longs flots.
AVRIL 1760. 63
La rofe, & mille fleurs nouvelles ,
Paríumoient ce ſéjour divin :
Un doux zéphir fouloit fur elles ;
Et du bout vermeil de fes aîles ,
Agitoit tendrement leur fein.
Pomone avoit auffi , d'une main libérale ,
Enrichi de fes dons ce lieu rempli d'attraits
Et l'art , pour l'embellir , avoit uni fes traits.
Aux plus brillans trésors que la nature étale.
Tandis que mon oeil curieux ,
Parcouroit , d'un regard avide ,
Un jardin fi délicieux ;
Frappé par un éclat plus pur , plus radieux ,
Sur un char azuré , je vis le Dieu de Gnide
Fendre l'air , d'une aîle rapide ,
Et defcendre dans ces beaux lieux.
Animé par l'efpérance
De plaire à ce Dieu vanté ;
A pas redoublés , j'avance
Vers le boccage enchanté ,
Où duvainqueur que j'encenfe
Le char s'étoit arrêté.
J'arrive : mais , ô Ciel ! quelle fut ma ſurpriſe ,
Quand , au lieu de l'Amour , au fond d'un verd
bolquet ,
Sur un lit de gazon , je vous vis , belle Life ,
Des plus brillantes fleurs compofer un bouquet ! -
Les jeux , les ris , & les graces naïves ,
Autour de vous , à l'envi fe rangeoient ;
64 MERCURE DE FRANCE.
•
t
Dans vos beaux yeux , les Amours fe logeoient
Et par vos chants , attirés fur la nuë ,
Les roflignols , en foule y voltigeoient.
Enyvré du plaifir qu'infpire votre vue ,
Dieux , que de traits de feu paſsèrent dans mon
coeur!
Hé ! peut-on , fans brûler de la plus vive ardeur,
Voir les attraits piquans dont vous êtes pourvue ?
Tandis qu'entre la crainte & l'espoir partagé ,
Je n'ofois par refpect m'approcher davantage ;
Dans un doux délire plongé ,.
En vous,du tendre Amour,je contemplois l'image.
Mais bientôt , par ce Dieu, conduit à vos genoux ,
Je vous offris ainfi mes voeux & mon hommage :
» Dûffiez-vous m'accabler du plus cruel courroux,
» Life, je n'adoré que vous !
›› De vos beaux yeux , reconnoiffez l'ouvrage :
» Peut- on ſe dérober au pouvoir de leur coups ?
>> Ni craindre dans vos fers de devenir volage ?..
A ce difcours , dicté par le pur fentiment ;
-40.
Loin d'effrayer mon coeur par un regard févère ,
Je vis vos yeux fur moi ſe tourner fans colère.
Hélas ! même déjà je touchois au moment ,
Où j'avois le bonheur de plaire
A ce que la nature a fait de plus charmant ! ..
Quand un effroyable tonnerre ,
Eclate , me réveille , & plonge dans la nuit
Et mon bonheur , & le parterre.
AVRIL. 1760.
Telles font les erreurs que le fommeil produit !
Leur illufion nous féduit.
Embralé d'un amour, qui déplairoit peut-être,
S'il éclatoit aux yeux de fa jeune beauté ,
L'amant refpectueux tait , par timidité ,
Tout ce qu'il s'étudie à lui faire connoître.
Plus hardi , dans un ſonge ; avec vivacité ,
Il lui peint la tendreffe ; il s'en croit écouté.
Maistoujours le plaifir qu'un menfonge fait naître,
Eft détruit par la vérité !
Par M. FRANÇOIS , ancien
Cornette de Cavalerie .
T
EP ITR E.
01 , qui d'une grâce nouvelle ,
¡ Embellis le Pinde , & Paphos :
Toi , qui joins aux talens d'Apelle ,
L'efprit délicat des Saphos ,
Et le gofier de Philomelle !
Jeune beauté , que je chéris ,
Et que tout doit me rendre chère
Quand cet Auteur , que je révère ,
Semble honorer d'un froid mépris ,
Les ouvrages d'an téméraire ,
Qui , par un faux éclat ſurpris ,
Crut pouvoir d'une aîle légère ,
Pénétrer jufqu'au fanctuaire
66 MERCURE DE FRANCE.
De la Mufe, qui dans Paris ,
Fait fa réfidence ordinaires
Le plaifir touchant de te plaire ,
Eft à mes yeux d'un trop grand prix ,
Four que mon coeur ſe déſeſpère
De la chûte de mes écrits.
Briguer , obtenir fur la scène,
Le triomphe le plus flatteur ;
Avec une égale chaleur ,
Suivre Thalie , & Melpomène ;
Et voir le Public , à la gêne ,
Claquer toujours le même Auteur j
Pour un coeur que la gloire entraîné ,
C'eft un attrait bien féducteur !-
Mais je penfe , que le bonheur
De deux amans qu'amour enchaîne ,
Qui brûlent d'une égale ardeur ,
Ont fans caprice & fans aigreur ,
Même plaifir , & même peine ,
Eft préférable à cet honneur .
De la beauté que j'idolâtre ,
Quand je vois mes vers applaudis
Qu'importe , en effet , qu'au Théâtre ,
J'enchaîne un effain d'étourdis.
Ne fuffit-il pas à ma gloire,
Qu'Iris , cet objet fi charmant ,
Faffe vivre dans fa mémoire
Les écrits du plus tendre amant?
AVRIL. 1760 . 67
Hé de quel plus brillant ſuffrage ,
Mon coeur peut-il être flatté?
N'eſt- elle pas la vive image ,
Du Dieu puiffant & redouté ,
Aqui l'Univers rend hommage?
Et n'a-t- elle pas en partage ,
Autant d'efprit que de beauté ? ...
Jeune Iris , que d'un tel langage ,
Ton coeur ne foit point irrité ;
C'eft à l'aimable vérité
A peindre tes traits fans nuage.
Tu peux donc ici , fans rougir ,
Voir l'encens pur , qui pour toifume ;
Puifque c'eft elle qui l'allume ,
Et que l'amour la fait agir.
Tu connois à quel point je t'aime
Tu fçais que le tendre Conftant ,
Affuré d'être aimé de même ,
Préfere ce bonheur ſuprême ,
Au tréfor le plus éclatant.
Tantôt , ta belle bouche encore ,
Me diſoit, d'un ton enchanteur :
Quand je vois l'Amant que j'adore ;
Quand un aveu, plein de candeur,
Lui peint le feu qu ¡me dévore ;
Quand je lis au fond de fon coeur ;
Il me femble que la nature,
D'un nouvel éclat s'embellit ;
Que
pour moi feule Phébus luit ,
28 MERCURE DE FRANCE.
•
Et que fa lumiêre eft plus pure !
Mais auffitôt que mon amant ,
De mes yeux s'éloigne un moment ;
Je fuis comme une prifonnière ,
Aux fers condamnée en naiſſant ,
A qui dans la nature entière ,
Tout paroît trifte & languiſſant.
Heureux ! fi le mortel terrible ,
Iris , à qui tu dois le jour ,
N'eût terminé , par fon retour ,
Cet entretien doux & paisible
Où préfidoit le tendre amour.
2
Des regrets que j'en ai dans l'âme ,
Hélas ! je ne te dirai rien :
Puifque tu partages ma flâme ,
Ne les dévines - tu pas bien ?
En vain , finiffant la carrière ,
L'Aftre brillant qui nous éclaire ,
A fait place à l'obſcure nuit.
En vain le fommeil qui me fuit ,
A fait dans la nature entiere ,
Succéder le filence au bruit.
Tandis qu'aux douceurs qu'il procure ,
Tous les humains femblent livrés ;
C'est d'une volupté plus pure
Que mes efprits font enyvrés.
De ton image enchanterelle ,
AVRIL. 1760.
69
En tout lieu fans ceffe rempli ,
Je vois l'amour qui te careffe ,
Tandis qu'il me flatte fans celle ,
Du bonheur le plus accompli.
Mais me tiendra-t il fa promeffe ?
Ou bien, pour prix de ma téndreſſe ,
N'aurai-je qu'un affreux oubli ?...
Tu frémis ! ... Quel regard févere ,
Tes beaux yeux ont lancé fur moi?
Ah ! jeune Iris , tu m'eſt trop chere ,
Pour douter de ta bonne foi....
Mais hélas ! tu dépends d'un Pere ,
Qui ne pense pas comme toi.
Par le même.
A Mlle LECLERC , de la Comédie
Italienne , en lui envoyant des fleurs.
OVOUS Vous ! dont les attraits font encor au printemps
,
Les fleurs font votre image; acceptez - en l'offrande .
Pour moi , qui fuis déja dans l'hyver de mes ans ,
Eglé , ce font des feux que mon coeur vous demande.
LE BEAU DE SHO SNE , de l'Académie
royale de Nimes , & de la Société des
Sciences & des Belles-Lettres d'Auxerre.
70 MERCURE DE FRANCE.
L'AMOUR DÉSARM É.
OD E anacréontique , imitée de l'Anglois,
de PRIOR.
uxpavors du fommeil , Chloé s'étoit livrée ,
Deffous un myrthe vert .
L'Amour , qui voltigeoit fur la plage azurée ,
Vit fon fein découvert.
Il s'arrête : il admire ! & vers ce qui l'enchante ,
Reprenant fon effor ,
Il s'abat ; & s'étend fur la gorge charmante :
La careffe , & s'endort .
La Nymphe fe réveille , & conçoit mille allarmes,
Reconnoiffant l'amour.
Cependant elle fent, que dans fon coeur,fes armes,
N'ont point encor fait jour.
Pour fixer à jamais ce petit Dieu volage ,
Elle cherche un moyen ;
Et fonge à le livrer lui -même à l'esclavage ,
Pour prévenir le fien.
Son corfet, qui fe trouve en un déſordre aimable,
Seconde fon projet.
Le pauvre amour eft pris : ( l'amour fi redoutable!
Par un bout de lacet.
AVRIL. 1760 . 71
Chloé fait fes efforts , pour bien lier fa proye :
L'Amour s'éveille enfin .
Trois fois , il veut briſer cette chaîne de foye :
Mais hélas ! c'eſt en vain .
Il n'a plus que les pleurs, pour unique défenſe...
Ah ! laiffez - vous toucher ,
Dit-il , belle Chloé : Non , pour aucune offenſe ,
Je ne viens vous chercher ?
Jefuis privé des yeux : en voyageant , fans peine¿
J'ai bien pû m'égarer.
Mais furvotre beaufein , j'ai l'âme trop peu vaine,
Pour ofer demeurer .
Que mefont tes difcours ? répond la Nymphe fago:
Je fuis fûre de toi.
Bleffer quelqu'un , étoit le but de ton voyage :
Peut être étoit-ce moi ?
Chaffez de votre coeur cette crainte frivole ,
Lui repliqua l'Amour :
Rompez ces noeuds cruels ; fouffrez que je m'envole,
Ce fera fans retour.
J'y confens , dit Chloé mais livre- moi , d'avance ;
Et ton arc & tes traits.
Ces gages peuvent , feuls , m'éviter ta vengeance ;
Tu feras libre après.
レ
72 MERCURE DE FRANCE.
C'eft ainfi que l'Amour , en perdant fa puiffance ,
Reprit fa liberté .
Depuis ce jour , fes jeux font ceux de l'innocence :
Il n'eft plus redouté .
Retenu par fes traits , dont la perte le touche ,
Auprès de fon vainqueur ;
Tantôt il fe repofe , ou vole fur fa bouche ,
Et tantôt fur fon coeur.
Depuis ce jour , Chloé , de fon carquois faifie ,
Régle tous nos defirs ;
Et fa it de l'Univers , fuivant fa fantaifie ,
La peine & les plaifirs .
ParM. le Marquis de L **** , Auteur
de la fable du Caftor & du Singe.
VERS
AVRIL. 1760. 78
VERS, à l'occafion des Prix que M. de Fon .
tette , Intendant de la Généralité de
Caën , & Vice- Protecteur de l'Académie
Royale des Belles - Lettres de cette Ville,
afait propofer par la même Académie
pour les années 1759 & 1760 .
N
OUVELLE Athènes , Caën , aux Brieux ( a ) ;
aux Ségrais (b) ,
(a) L'Hôtel de Ville , où l'Académie préfente ,
vient de recevoir un logement, eft la propre maifon
de Made Brieux. Ce fut lui , qui , le premier ,
raffembla cette Société littéraire , en 1651. Il nâquit
à Caen , d'une famille noble & ancienne. Il
eft Auteur d'un Recueil de Piéces en profe & en
vers , dédié à Madame la Comteffe de Cruffol ,
imprimé à Caen , chez Jean Cavelier , Imprimeur
du Roi & de l'Univerfité , en 1660. Il étoit
lié avec MM. de Ségrais , Bochart , Mlle de Scu
dery , & plufieurs autres Gens de Lettres les plus
diftingués du XVII Siécle . Son Recueil eft compofé
d'Epîtres , de Stances , d'Epigrammes , de
Sonnets , de Madrigaux pleins de goût , de fel ,
de fentiment , & de délicateffe . On peut juger de
fon efprit & de fes vers , par les fuivans , qu'il fit
fur la mort de Scarron .
Voir les Ris tout en pleurs , eft une étrange chofe ;
Et qui furprend d'abord :
Mais qui ne furprend plus , quand on en fçait la
cauſe ,
Hélas ! leur pere eft mort.
-
(b) M. Jean Renauld de Segrais , de l'AII.
Vol D
74 MERCURE DE FRANCE.
4
Bochart (c) , Huet ( d) , Morin (e) , pour hâter
Les progrès ,
Y furent les appuis , les guides du génie ;
Le célébre Foucault (f) , d'éloquens Ecrivains
cadémie Françoiſe , né à Caën , eſt mort en cette
Ville le 25 Mars 1701. Après la mort de M.
de Brieux, il donna ſa maiſon pour ſervir d'afyle
à l'Académie des Belles Lettres de Caën ,
dont il fe faifoit honneur d'être membre , quoiqu'elle
n'eût point encore de Lettres - Patentes.
(c) M. Samuel Bochart , né à Rouen en 1599.
Ilmourut fubitement, en parlant dans une Séance
de l'Académie de Caen , le 6 Mai 1667 , à 78
ans. Il étoit de la famille de Meffieurs Bochart
de Champigny , & Bochart de Sarron. Morery ,
Bayle , & M. l'Abbé l'Advocat , difent qu'il
étoit l'homme le plus fçavant du dix-feptiéme
Siécle.
-
(d) M. Pierre - Daniel Huet , Evêque d'Avranches
, de l'Académie Françoife , admirateur &
ami de M. Bochart , qu'il accompagna en Suéde.
Il tira de fon commerce de grands avantages
pour les ouvrages , dont il a depuis enrichi la
République des Lettres. Il nâquir à Caën , en
1630 , & mourut à Paris le 26 Janvier 1721 , à
91 ans.
( e) M. Etienne Morin , fameux Miniſtre , ami
de M. Bochart. Il étoit Auteur de huit Differtations
latines , fçavantes & curieufes , fur des matières
d'antiquités , imprimées à Genève en 1683 ,
in - 8 °. On n'entend fouer , dans les ouvrages
de ce Sçavant , que ce qui a rapport à la Littérature.
(f) M. Jofeph Foucault , né à Paris le s
AVRIL 1760 . 75
Longtems en ont été les Oracles divins .
De Luynes (g ) , après eux , enrichit fes archives ,
Raffembla , ranima fes Mufes fugitives ;
Lui vanta les talens dont il étoit épris :
Mais Fontette ( k) , l'illuftre , en leur offrant des
prix.
Ce Grand Homme , infpiré des Filles de
Mémoire ,
Janvier 1643. Il étoit honoraire de l'Académie
des Infcriptions , & mourut le 7 Février 1721 , à
plus de 8 ans. On lui attribue la découverte du
fameux ouvrage de Mortibus perfecutorum . C'eſt
lui qui obtint en 1705 , des Lettres Patentes , qui
affermirent l'établiſſement de l'Académie de
Caën , dont Louis XIV le nomma Protecteur .
(g) M. Paul d'Albert de Luynes , Cardinal
& Archevêque de Sens , de l'Académie Françoiſe
, & Protecteur de l'Académie de Caën . Elle
avoit un logement dans fon Palais , lorsqu'il étoit
Evêque de Bayeux . Cette Académie , n'ayant plus
de lieu d'affemblée , depuis la mort de M. le Préfident
de Croifilles , beau-frere de M. de Ségrais .
(h) L'Académie de Caën , eft non -feulement
redevable à M. de Fontette des deux Prix qu'elle
vient de propoſer fucceffivement ; elle doit encore
l'impreffion de fes Mémoires , aux foins &
au zèle de ce Magiftrat pour le progrès des
Sciences & des Arts. Le Sujet propofé , pour le
Prix de 1760 , roule fur cette question. Quelle
eft la meilleure manière de planter & de cultiver
les Pommiers à cidre , & la meilleure méthode
de profiter de leur récolte ?
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Invite les talens à tenter la victoire ;
De lauriers immortels couronne le Vainqueur;
Et par l'Amour des Arts , met le comble à la
gloire
Que méritoient déja fon efprit & fon coeur.
Par M. l'Abbé Yg ** S. de P.
L*** de T***.
LE mot de la première Enigme du
premier volu ne d'Avril , eft , Tambour.
Celui de la feconde , eſt , le fecret.
Le mot du premier Logogryphe , eft
Colonne ; dans lequel on trouve Colon ,
Oncle, Nole , Leçon, Noël , Noë, Conon,
& Nôce. Celui du fecond Logogryphe , eft
Alphabet ; où l'on trouve Palet, Bal, Pet,
Abel , Baal , la , Pal , Able , Alep
Table , Alte.
JoxID:
ENIGM E.
OYEUX avantcoureur d'une trifte ſaiſon ,
Malgré moi , je fais place à la froide raiſon.
Je ne fçai que danſer , boire , chanter & rire.
Sans être reconnu , je puis , j'ofe tout dire ;
Je plais & je déplais ; je fuis court , je fuis long s
11 en eft qui de moi déteſtent juſqu'au nom ;
AVRIL 1760 . 77
Utile à bien des gens , amide la jeuneſſe ,
'e femble des vieillards fufpendre la triſteſſe.
Veux-tu fçavoir encor un de mes attributs ?
Au moment que je parle , hélas ! je ne fuis plus,
JE
AUTRE.
E réunis en moi le plus bel ornement
Dont un augufte Roi fit toute ſa parure :.
Avec une habile ſtructure ,
Je fuis dans des filets ; voilà mon élement.
Par le feu , par le fer , on fabrique mon être :
Un illuftre guerrier , que l'Afie a vû naître ,
Sans ce qui me compofe , eût perdu fa vigueur.
Un autre, par mon art , s'il m'avoit pû connoître,
Eût évité la mort , dont je fus prèfque auteur.
Sans employer le ſtratagême ,
Dont jadis fe fervit Æfon ,
Je rajeunis , par mon invention ,
En trompant la Nature même :
Je vieillis , dans l'occafion.
Enfin , quoiqu'aux Mortels je rende un bon fervice
,
Que mon état paroît touchant!
Tous les jours on m'attache , on me met au fupplice
;
Et toutes les nuits , on me pend.
Par L.P. MOLINE , de Montpellier.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE
LOGOGRYPHE .
JEE fuis l'amante des plaideurs .
Le coffrefort des Procureurs.
Par mes fecours divins , une amante novice ,
Cent fois à fon berger peint fes feux , fon tour
ment ;
Et le Sage , par eux , livrant la guerre au vice ,
Souvent dans le fecret fait rougir le méchant.
Faut- il encor , Lecteur , pour me faire connoître
Dans mes neuf élémens , décompofer mon être ,
J'offre, d'un nouveau né , la triſte expreſſion ;
Le fondement facré de la religion ;
Ce métal, dont l'afpect fouvent rendit perfide ;
Ce qui gêne nos pas , quand la terre eft humides
Le plus fimple des mets qu'on fert en nos repas 3
Le théâtre fanglant de mille affreux combats ;
L'élément primitif, principe de la femme ;
Un tranfport qui fouvent , opprime , abrutit l'â
me ;
3 Un enfant de l'efprit , par fois de la raiſon
Un lieu , dont la hauteur nous borne l'horifon ;
Ce qui s'offre à nos yeux ,du couchant à l'Aurore ;
Le produit des larcins , qu'un Peuple fait à Flores
Un fentiment , d'où naît un abord gracieux ;
Ce qui fert aux humains de bouffole en tous lieux
AVRIL. 1760. 79
Un mal , qui rend par fois d'humeur mélancolique
;
Et pour la rime , un ton qu'on connoît en muſique;
Un endroit, qui fouvent fe ferme avec grand foin ,
Devine , cher Lecteur : je ne vais pas plus loin.
Par M D. ***
AUTRE.
MApremiere partie, eft toujours une injure
La feconde , fouvent te fert de nourriture.
AUTRE.
LCTEUR , j'ai deux moitiés : l'une exclat
tout plaifir ;
Etre l'autre , eft toujouts l'objet de tes defirs.
AUTR E.
Apeine, deux cités chez moi peuvent tenir ;
Moi , que tout l'Univers ne fçauroit contenir !
Div
80 MERCURE DE FRANCE:
LOGO GRYPHUS.
NCOLO femper aquas; tollas caput ,incolo fylvas.
Par M. DUBEROI , Provençal.
ABSENCE.
Air tendre , à Mlle Co L....
ΑABSENT BSENT d'Iris , que je verfe de larmes !
Un Dieu jaloux , la dérobe à mes voeux.
Ah ! s'il vouloit me priver de fes charmes ,
Pourquoi , fitôt , la montrer à mes yeux ?
Petits oifeaux , fous ce charmant ombrage ,
Vous vous voyez : que vous êtes heureux !
Mais , par pitié , ceſſez votre ramage :
Un chant ſi tendre , augmente encor mes feux.
Par M. P. ***
*
AVRIL. 1760. 8&
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES:
SUITE de l'Extrait du Poëme de l'Art de
peindre , de M. WATELEṬ.
DANS le début du troifiéme Chant , le
Poëte rappelle la diftinction qu'il a faite
de l'invention pittorefque , & de l'invention
poëtique.
Celle- ci s'élançant d'un yol audacieux ,
Des régles méconnoît le joug impérieux :
Le Peintre en vain réfifte à ce qu'elle projette ;
C'eſt elle , qui commande à l'artiſte Poëte.
Mais celle dont mes chants vont diriger l'effor ,
Aux préceptes reçus doit obéir encor.
Qu'eft-ce donc , que
refque ?
› que l'invention
pitro-
C'eſt l'ordre ingénieux qui deftine , qui trace
A chaque corps un plan , à chaque objet ſa place,
Artiſtes éclairés , vous que la raiſon guide ;
Dans le plan d'un Tableau , qu'elle feule décide
Le lieu , l'inftant , le jour , & l'ordre du ſujet :
Qu'elle affigne une place au principal objet.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
L'expofition de ces préceptes eft , dans
le Pocme de M. Watelet , d'une clarté ,
d'une précifion fingulière . Une des parties
effentielles de cette compofition , eft la
pofition des figures ; & l'équilibre , en eſt
la premiere régle.
Dans un éxact aplomb, les membres bien placés ,
Sur un centre commun feront tous balancés :
L'équilibre eft la loi que prefcrit la nature ,
A tout corps en repos. S'il change de poſture ,
Il fort de fon aplomb ; mais après ce moment ,
Il reprend l'équilibre , & perd le mouvement.
L'inftinct nous donne les contraſtes qui
opérent l'équilibre du corps dans fon action
; ce même inftinct nous donne les
grâces , & le Poëte en a mis un exemple
fous nos yeux.
Galatée , an Berger qui vole fur fes pas ,
Se dérobe , en marquant qu'elle ne le fuit pas !
Sa courſe eft un moyen de l'attirer près d'elle :
Son action l'éloigne, & fon defir l'appelle.
Voyez dans leurs efforts fes membres contraſtés ,
Soumis à fon projet , dévoiler fes beautés.
Son corps fuit à la fois , efclave volontaire ,
La loi de la nature & le defir de plaire.
Quelle grace n'ont pas , dans tous leurs mouve
mens ,
1
De ce corps déployé les deux balancemens !
AVRIL. 1760. 83
M. Watelet gémit , avec raifon , des bizarreries
de la mode , qui altére en nous
la nature ; & qui , dans nos vêtemens , ne
donne à l'art rien de noble, rien d'élégant
à imiter.
Sur la beauté des corps , la mode étend les droits
Le Sage , en murmurant , obéit à ſa voix ;
La jeuneffe applaudit à fa bizarrerie ;
Et l'enfance , foumiſe à ſa folle induſtrie ,
Gênant , pour obéir , fes graces , fes attraits ,
Voit fur le goût régnant modéler tous les traits.
Si du foin de draper , la mode enchantereffe,
D'accord avec l'Artifte , occupoit fon adreſſe ;
Le Peintre , en les travaux quelquefois fatisfait ,
L'immortaliferoit au moins pour ce bienfait.
Mais de nos vêtemens , la gênante ſtructure ,
Contredit à la fois & l'Art & la Nature.
Le goût des draperies , eft ici favamment
traité. Il y a deux manières ; l'une ,
de jetter , comme au hazard , les plis
d'une étoffe ondoyante : c'est la manière
du Corrège . L'autre , de faire fentir les
beautés du nud fous une draperie moins
ample : c'eſt la manière du Pouffin . L'une
& l'autre eft bonne mais l'imitation en
eft libre ; & l'Artiste ne doit être , ni fervilement
foumis , ni obftinément rebelle à
l'exemple
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
L'un , fans guide , ſe perd par ſa témérité ;
L'autre , en imitant trop , n'eſt jamais imité .
C'eft la nature , qu'il faut avoir fans
ceffe préfente.
Elle eft riche , fans faſte , aimable fans apprêts.
Telle à nos yeux charmés , loin du luxe des
Villes ,
Brille d'un doux éclat , dans des deferts tran
quilles,
Une jeune beauté, qui fimple, ne fçait pas ,
Que la grâce & l'amour accompagnent fes pas
Elle s'ignore & plaît ; ſon air naïf enchante
Le négligé la pare , & la rend plus touchante !
(
Dans la Poëfie , l'impreffion eft fucceffive
, & l'intérêt croît par degré. Le Peintre
n'expoſe , ni ne prépare.
Il doit , tout à la fois , fe montrer & féduire ; .
Convaincre fans parler , frapper avant d'inftruire
L'émotion , eft l'effet d'un inſtant.
C'est donc de fon ſujet la jufte convenance ,
Le choix de fes détails , l'enfemble , l'ordonnance
Dont l'art & le concours doivent à l'action
Tenir lieu de récit & d'expofition .
Le fujet du maffacre des Innocens, que
AVRIL. 1760. 87
M. Watelet donne pour exemple des convenances
, dans la compofition pittoref
que , eft une des preuves de ce que j'ai
dit , que pour ne pas faire diverfion à
l'objet principal de fon Poëme , il fe refufe
les écarts les plus excufables , & les
plus attrayants pour l'imagination . Ce
tableau tèrrible , pouvoit au moins lui
donner cinquante beaux vers , fans aucun
effort : il fe contente d'en indiquer
l'ordonnance phyfique , & n'y employe
que fept ou huit vers : mais ces touches ,
font des coups de maître.
On fe perfuade que l'art de compofer,
n'eft que l'art de former des grouppes ,
des contraſtes, & des effets pyramidaux :
la nature en a des modéles ; mais elle
n'eft point affervie à cette loi , & l'art ne
doit point s'y affujettir . Le Poëte obferve
que le défefpoir, l'horreur & l'effroi, difperfent
les objets ; comme la joie & l'attendriffement
les réuniffent , & les groupent.
Pour rendre fenfible cette belle
idée , il préfente le double tableau d'Androméde
, expofée au monftre qui va la
dévorer ; & d'Androméde délivrée.
Dans ces peintures animées & touchantes
, le Poëte s'apperçoit qu'il éléve
le ton , & qu'il paffe au mode poëtique,
86 MERCURE DE FRANCE.
Cette tranſition ingénieufe le conduit au
quatriéme Chant.
Artiftes , il eft temps ! je vais monter ma Lyre :
Et pour vous exciter , plus que pour vous conduire,
Ma Mufe , interrompant d'importunes leçons ,
Va choifir des accords pour de plus nobles fons
Il demande au Dieu des Arts , d'inf
pirer , non les âmes froides & infenfibles
aux beautés de la nature ; mais ce petit
nombre de génies heureux
dignes de l'imiter .
qui font
Et toi , qui t'affervis , mon indocile verve ;
Toi , fils impérieux de la fage Minerve ,
Ordre que j'ai fuivi , ne contrains plus ma voir ;
Je chante le gênie ; il fe foumet les loix !
Tous les Arts, lorſqu'il veut enfanter des miracles,
Ne font que des moyens , il fe rit des obftacles :
De l'efprit qu'il enflamme, il étend les progrès;
Et la tardive régle , adopte fes fuccès.
Il eût été ridicule de fe paffionner
en traçant les régles méchaniques du deffein
, ou de dicter , d'un ton véhément ,
les loix auftères de la compofition pittorefque
. Auffi le Poëte n'a t- il pris dans
le premier & dans le troifiéme chant ,
que le langage tranquille d'un obſer
AVRIL. 1760. 87
vateur attentif. La partie du coloris , intéreffe
l'imagination , & l'âme en eft
doucement émue : cette émotion , cet
intérêt , ont paffé dans les vers du Poëte ;
& le fecond chant eft plus vivement
écrit que le premier, & que le troifiéme.
Le fujet du quatrième , appartient au
génie :: CC''eesstt iiccii que l'invention fe livre
à fon effor poctique.
Déeffe impatiente , elle a briſé les fers ;
Elle parcourt , anime , embellit l'univers :
Ellereprend les droits , fon fceptre , la couronne
Des favoris des Arts , la troupe l'environne :
Je les vois , de leurs dons , enrichir fes Autels ;
Ils viennent recevoir des lauriers immortels.
Le Poëte parcourt les divers genres
de peinture. Quant aux moyens , & quant
aux fujets , la frèfque , la peinture à l'huile
, la détrempe , la miniature , le paftel,
la peinture en émail , la mofaïque ; tout
eft caractérisé avec une jufteffe & une
facilité étonante. Vous pouvez en juger ,
Monfieur
par cette deſcription du
paſtel.
Là , c'eſt un moyen prompt , dont le facile uſage,
Des traits de la beauté rend la fidelle image.
Les crayons mis en poudre , imitent ces couleurs
88 MERCURE DE FRANCE.
Qui dans un teint parfait offrent l'éclat des fleurs.
Sans pinceau , le doigt feul place , & fond chaque
teinte :
Le duvet du papier , en conſerve l'empreinte ; '
Un criſtal la défend . Ainfi , de la beauté ,
Le paſtel a l'éclat & la fragilité .
Le Tableau d'Hiftoire , le Portrait , le
Payfage , n'y font pas moins heureuſement
décrits.
Il eft , dit le Poëte , un mouvement
univerſel répandu dans la nature , que le
génie feul peut imiter : c'eft ce mouvement
qui anime la toile. Sans lui, la peinture
la plus correcte ne touche point
n'intéreſſe jamais . On va fentir la jufteffe
& la fécondité de cette idée fimple
& lumineuse.
Voyez au fein des airs les mobiles nuages ,
Jouets des vents , tracer la route des orages.
L'air agité s'y peint ; votre eſprit & vos yeux ,
Sont inftruits à la fois du défordre des Cieux.
Ne mefurez -vous pas , dans fa rapide , courſe ,
Ce torrent , qu'un inftant éloigne de ſa ſource ?
Ces débris , ce ravage étalé ſur ſes bords ,
Calculent fa vîteffe , & nombrent fes efforts.
· ·
Qu'un mouvement plus vif anime la nature :
Une fource nou , elle enrichit la peinture.
AVRIL. 1760. 89
t
Dans les êtres vivants , la crainte ou le defir ,
Donne un corps à la peine & des traits au plaifir:
L'inſtinct les fait agir , aimer , defirer , craindre:
On voit,dans tous leurs corps , l'intention fe peindre;
Leurs regards s'enflammer , leurs traits s'épanouir;
On les voit s'embellir , du bonheur de jouir....
Mais un prodige bien plus étonnant
une fource plus féconde d'action & de
fentiment , fe préſente à nos yeux : c'eſt
l'homme. Le Poëte le confidére dans les
différens âges.
Par quels refforts fecrets la délicate enfance ,
Dans tous fes mouvements, peint- elle l'innocence?
Ses geftes , fon fouris , fon ingénuité ,
Tout intéreſſe en elle . Ah ! c'eſt l'humanité ,
Qui,triomphantdes coeurs, fous cette douce image,
Reçoit , fans l'exiger , un légitime hommage !
D
Cependant comme on voit , de la Reine des fleurs,
Chaque inftantd'un beau jour nuancerles couleurs ;
Ainfi dès fon printemps changeant de caractère
De moment en moment , l'enfance plus légère ,
Des fens développés éprouve les progrès ,
De la peine aux plaifirs , du defir aux regrets ,
Elle paffe : elle imite , intrépide & craintive ,
Ce qui frappe fes yeux & fon âme attentive.
Des ris & des amours , c'eſt l'agréable eſſain
90 MERCURE DE FRANCE
Qui , tandis que Vénus retient Mars dans fon fein,
Se cache fous l'armure , & dans fon badinage ,
Retrace des combats une folâtre image.
Chaque faifon différe , & chaque âge a fes traits
Le printemps a fes fleurs ; l'enfance a fes attraits
L'été, fes feux brulants ; & l'ardente jeuneſſe ,
Ses paffions , fes goûts , fa chaleur , fon yvreffe
Bouillante , impétueuſe , à peine ſes refforts
Secondent à fon gré les rapides tranſports.
Efclave des defirs , en proie à leurs caprices :
C'eſt le temps de l'excès , des vertus & des vices,
Il eft difficile , je crois , Monfieur , de
mieux écrire en vers François . Mais fuivons
la chaîne des préceptes. La diverfité
des âges combinée avec les circonftances
des moeurs , des climats , des caractères
, produit la diverfité d'action &
d'expreffion dans les perfonnages.
Achille eft au trépas condamné par la gloire
Il fçait la deftinée , & vôle à la victoire.
Ulyffe , plus prudent , des traits de la raiſon ,
Caractérife & peint la troifiéme faiſon :
Et de Neftor enfin , l'impofante fageffe ,
Enchaîne le refpect au char de la vieilleffe .
Mais , c'eft furtout au fentiment dont
chaque perfonnage eft ému ; c'eſt à la
AVRIL. 1760.
paffion dont il eft agité , à déterminer
le caractère & le degré de l'expreffion
qu'il doit avoir c'eſt l'âme que P'Artiſte
doit peindre. M. Watelet finit par ce précepte
, le plus important de tous , & le
plus difficile à remplir.
Ce que les fens émus prêtent aux paffions ,
L'âme le rend aux fens par les expreffions.
La joie & le chagrin , le plaifir & la peine ,
Font mouvoir chaque nerf, coulent dans chaque
veine.
Les defirs & l'amour , la haine & fes fureurs ,
Ont leurs traits , leurs regards , leurs geftes ,
leurs couleurs.
Le Poëme eft terminé par une espéce
de péroraifon , où l'Auteur appelle l'Hiſtoire
& la Fable au fecours de la Peinture.
Et vous , dit-il , aux Artiftes animés du
feu de la Poëfie ,
Apprenez aux mortels , empreffés fur vos traces
Le pouvoir du Génie & le charme des graces.
Je n'ai mis aucun art , Monfieur , à
vous donner de ce Poëme l'opinion que
j'en ai. Quelque foin même que j'aie pris,
de vous faire appercevoir dans l'extrait ,
l'ordre & le tiffù de l'Ouvrage ; il faut
92 MERCURE DE FRANCE.
avouer que je me reproche la féchereffe
des liaifons qu'il a fallu fubftituer aux
détails les plus agréables , aux plus heureux
développernens. Ce Poëme , je le
répéte , fera la Poëtique des Peintres. Les
Artiſtes confommés, y retrouveront leurs
principes ; les jeunes Artiſtes , y puiſeront
les leurs ; les gens de goût , y éclaireront
l'espèce d'instinct qui les décide ; & les
prétendus connoiffeurs , apprendront de
M. Watelet , à quel prix un Amateur des
Arts acquiert le droit de les juger.
Le Poëme eft fuivi de réfléxions philofophiques
, où les principes de la peinture
font développés & ap profondis . Je
compte pouvoir en donner , bientôt , une
idée.
ES SAI ,
SUR L'EMPIRE DES INCAS ;
Traduction de M. ALGAROTTI.
ENTRE les fauffes opinions , dont font
entichés ceux qui s'adonnent uniquement
AVRIL. 1760. 93
à la Littérature , on peut compter pour
une des plus confidérables celle qui les .
porte à croire , que les feules nations
dont les actions méritent d'être étudiées ,
font les Grecs & les Romains. Elle eſt
telle , que la plus grande partie des gens
de Lettres dédaignent de jetter un regard
fur des peuples qu'il leur plaît de nommer
barbares , parce qu'ils n'ont pas eu
pour Hiftoriens un Thucydide, ni un Titelive.
Ce n'eſt pas ainfi que penfent ceux qui
ne fe contentent pas de voyager dans
l'antiquité , par le fecours de quelques
écrivains; mais qui, d'un oeil curieux, parcourant
tout le globe , s'apperçoivent
que ces nations , que les Sçavans méprifent
le plus , peuvent nous fournir des
leçons & des exemples pour la vie civile;
à- peu près de la même manière , que les
matières les plus nobles employées aux
ufages des hommes , leur font fournies
par les animaux les plus vils aux yeux du
vulgaire.
L'art de confidérer politiquement le
nouveau Monde , pourroit fournir à des
efprits fpéculatifs , un vaſte champ pour
philofopher. En effet , comme on apporta
d'Amérique en Europe de nouveaux
animaux , de nouvelles plantes , de nou
94 MERCURE DE FRANCE.
veaux remédes , & de nouvelles maladies
; de même elle montra , dans le gouvernement
de fes différentes nations ,
des exemples de valeur , de prudence , &
de vertu , que nous penfions ne pouvoir
exiſter que dans la petite partie de notre
continent.
La nation des Iroquois , tient , dans
l'Amérique feptentrionale , le plus haut
rang parmi les autres nations , tant par
les conquêtes qu'elle a faites , que par
fon amour très-vif pour la liberté , une
foif infatiable de gloire , & la plus ferme
opinion d'être la plus excellente de tou
tes les nations : opinion , qui jointe à
l'activité & au courage , peut être cauf
qu'une nation devienne en effet tour
ce qu'elle croit être.
Le mépris que leurs Chefs , ou Sache
mes, font des richeſſes , n'a pas d'exemple
parmi les nations policées : ils n'ont, par
mi eux , pour récompenfe ou pour puni
tion , que l'honneur , ou le deshonneur.
Tel eft le premier mobile de toutes leurs
actions.
La prudence , dans les entrepriſes , la
promptitude dans l'exécution , leur ref
pect dans leurs traités pour la foi publique
, & l'équité , & particulièrement
la conftance qu'ils apportent à faire ou
AVRIL. 1760. 95
à fouffrir les chofes les plus difficiles ,
les égalent aux Romains , fi elles ne les
leur rendent pas fupérieurs. Et de même
que le luxe Aliatique , corrompit enfin la
vertu de ceux - ci ; de même auffi , les vices
de l'Europe qui ſe ſont introduits parmi
les Amériquains , ont déja commencé à
en affoiblir les moeurs . Mais fi les nations
que nous nommons Sauvages , dans
l'Amérique feptentrionale , auroient pû
nous fervir d'exemple ; nous pouvons dire
la même chofe des Péruviens , dans l'Amérique
méridionale > eux que nous
croyons volontiers tout au plus dignes de
fournir la matiere de quelques - uns de nos
Romans : & certainement on peut mettre
ce qui regarde les Incas , au rang des
événemens décrits avec raifon par l'Hiftoire
& digne en effet de confidération
, & de remarques.
On y voit des moyens bien pris , pour
arriver à un but de la plus grande importance
; des exemples de la politique la
plus confommée ; d'autres de piété , de
magnificence , de vertu : enfin une famille
de Princes foibles , s'élever en peu
de générations , & parvenir à la domination
du Pérou , & du Chili , Pays d'une
étenduë & d'une richeffe immenſe ; & y
96 MERCURE DE FRANCE.
fonder un Empire , qui n'a peut- être pas
d'égal en Europe.
*
Nous apprenons , par l'Hiftoire de Garcilas
de la Vega , que Manco Capac , dont
les Incas tirent leur origine , fut le Romulus
de cet Empire ; à cela près que Romulus
, les armes à la main , fe difoit fils
du Dieu Mars ; & que Manco , défarmé
& fans fuite , fe difoit , comme Orphée ,
fils du Soleil , & par lui envoyé pour retirer
les hommes de la vie brutale qu'ils
menoient , femblables à des bêtes féroces.
En leur montrant les arts qui font
les plus utiles à l'homme ; il fçut multiplier
leurs befoins , pour les affujettir ; &
fe comporta avec tant de prudence, qu'après
avoir attiré à lui une grande quantité
de Barbares , & s'en être fait le chef,
il fonda la ville de Cozco , qui devint en
peu de temps la Rome de ce vafte Empire.
1
Les fucceffeurs & les neveux de Manco
, coopérérent tous avec les plus grands
efforts , à donner la derniere main au
grand deffein qu'il n'avoit qu'ébauché ;
& l'on vit la prudence des hommes , l'occafion
& la fortune , concourir à l'envi
à une même fin.
* Il s'étendoit depuis Quito , jufques pardelà
le Chili ; & avoit 1300 lieues de longueur.
Les
AVRIL. 1760 ! 97
Les Incas, étoient une forte d'hommes ,
entre les Miffionnaires & les Conquérans :
ils prêchoient , l'épée à la main ; & combattoient,
avec le catéchisme fous le bras.
Leursdogmes étoient fimples, & en petit
nombre ; ils croyoient un Dieu invifible ,
Créateur de toutes chofes , qu'ils appelloient
Pachelamac. Ils enfeignoient, que
le Soleil enétoit l'image vifible, qui , comme
fon premier Miniftre , donnoit la vie
à tout l'Univers. Et comme nous l'avons
déjà dit , ils fe vantoient d'être fes
fils , envoyés par lui,pour retirer le genre
humain de la barbarie,& lui enfeigner les
devoirs de la vie civile , la religion , la
punition des méchans dans l'autre vie
ainfi que la récompenfe des gens de
bien. *
Tels étoient les dogmes qu'ils prêchoient
, à la tête d'une armée qui reftoit
fur la défenſive , jufqu'à ce que les Barbares
euffent reçu le catéchifme ; & qui
n'attaquoit jamais , fi elle n'y étoit provoquée
par leur obftination & leur incrédulité.
* Ils croyoient que les gens de bien jouiffoient,
après leur mort , d'une parfaite tranquillité d'efprit
, & de corps ; & que les méchans fouffroient,
fans relâche , toutes les maladies & tous les maux
de l'humanité.
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
Les prodiges qui faifoient valoir la
miffion des Incas , n'étoient autres que
la félicité des Peuples foumis à leur gouvernement
ils leur montroient l'art de
filer la laine & le coton , celui de cùltiver
& d'arrofer les terres ; ils rendoient
chaque Citoyen utile à la ſociété , & puniffoient
l'oifiveté comme un vol fait au
Public pourvoyant à la fureté d'un
chacun , & au foutien de tout , ils fe
montroient véritablement les Peres de la
Patrie ** ; & les Sauvages , témoins du
bonheur de leurs camarades , devenoient
bientôt foumis au joug , & pleins de
confiance pour la miffion & les Miffionnaires.
*
:
On divifoit , en trois parts égales , les
terres dont on faifoit la conquête la
premiere , appartenoit au Soleil , la feconde
à l'Incas , & la troifiéme aux habitans
du Pays,
D'un côté , une certaine autorité de
religion , tenoit ces Peuples dans un trèsgrand
refpect ; & d'un autre , le bien
* Les aveugles & les boiteux , avoient des tra
vaux particuliers ; & les vieillards , qui étoient
nourris aux dépens du Public , avoient la charge
de chaffe les oiſeaux des champs enfemencés.
** Dans les grands chemins , il y avoit des hôt
pitaux pour les voyageurs,
AVRIL. 1760 . 99
qu'ils en voyoient réfulter , les rendoit
pailibles & tranquilles .
Il y avoit, au Pérou, des Vierges confacrées
au fervice du Soleil , fujettes à des
loix auffi févères , & peut-être plus encore
que n'étoient celles des Veftales :
elles étoient de même enterrées vives
fi elles manquoient aux voeux qu'elles
avoient faits folemnellement.
"
que
La magnificence de tout ce qui avoit
rapport au Temple , & aux fêtes qui fe
célébroient en l'honneur du Soleil , ainfi
de celles qui étoient d'ufage pour la
Cour du Prince , maintenoit les Incas
en réputation de Divinités auprès de
ces Peuples fobres & pauvres , même
dans le fein de leur richeffe . Ils avoient
de plus la coutume de n'époufer jamais
de femmes, que de leur propre race; comme
fi c'eût été fe dégrader , que d'avoir
commerce avec d'autres. Les vifites qu'ils
faifoient de temps en temps dans les Provinces
, & la rigueur avec laquelle ils
maintenoient la juftice & les loix , les
rendoient auffi redoutables que chers ,
même aux Peuples, Ils avoient auffi joint
le Sacerdoce à l'Empire , la douceur du
gouvernement à la terreur des armes ,
la fierté des Monarques de l'Orient à là
popularité de ceux de l'Europe. En un
&
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
mot,ils poffedoient dans un degré éminent
la politique des Princes les plus adroits ,
celle de cacher fous les plus fpécieux
prétextes les deffeins de leurs paffions ;
& de venir à bout , par les moyens les
plus doux , des choſes les moins agréables
aux hommes .
On vit naître de ces principes , ce qui
devoit naturellement en réfulter , la profpérité
& l'augmentation de cet Empire
en un très court efpace de temps ; d'autant
plus , qu'il étoit entouré de nations
foibles , & fouvent en guerre les unes
contre les autres . A cette raifon générale,
il s'en joignoit plufieurs autres particulieres
le devoir de l'Incas , étoit celui
d'un Conquérant religieux ; & tout Roi
afpiroit au triomphe , comme un Conful
Romain.Manco Capac , honora du titre
d'Incas les premiers Peuples qu'il réduifit
fous fon obéiffance ; & à l'exemple des
Romains avec les Latins , il fe les affocia
auffi , bien plus afin de les avoir pour ſoutiens
dans les entrepriſes , que pour partager
avec eux fon autorité.
Quoique la Religion , par rapport aux
Incas, parût être la caufe motrice de leurs
expéditions militaires ; en fait de croyance,
ils n'étoient pas rigoureux au point de
ne pas tolérer le culte des vaincus , pourAVRIL
1760. ΙΟΙ
vu qu'il ne fût pas diametralement oppofé
à celui des vainqueurs. C'eft ce qui
arriva lorfque Viracocha , après avoir
Convoqué une eſpèce de Synode , confentit
que les habitans de Lima gardalfent
une de leurs Idoles , fameufe par fes
oracles ; & qu'ils lui offriffent même des
facrifices , pendant que les troupes adoroient
d'un autre côté le Soleil, & fe foumettoient
à fes fils.
Ils penfoient de même , & avoient le
même refpect pour les loix étrangeres :
ils laiffoient même dans les premiers
grades , les Curacas , ou Généraux des
nations foumiſes ; mais avec une autorité
fubordonnée à celle d'un Incas , qui étoit
le principal Gouverneur de la province :
& en même temps , ils prenoient auprès
d'eux leurs enfans , fous prétexte de les
honorer ; mais en effet , pour leur fervir
d'otages : & en leur donnant l'éducation
& l'air de la Cour , ils faifoient naître en
eux une façon de penfer , & des moeurs
totalement contraires à celles qu'ils auroient
adoptées , s'ils fuffent reftés dans
leur propre pays. Par là , ils venoient à
bout de changer leurs idées : femblables
en quelque façon à ces Botaniftes , qui ,
après avoir arraché des arbustes de la terre
, & les avoir replantés la tête en bas ,
E iij
02 MERCURE DE FRANCE.
forcent les branches de ces plantes à
produire des racines , & les racines à
porter des feuilles. C'eft ainfi qu'ils
étoient, fagement, aux Peuples qu'ils fubjuguoient
, l'envie de fe révolter , en leur
laiffant en même- temps une ombre de liberté
moyen qui fur , comme chacun
fçait , un des plus grands fecrets de la
politique des Romains.
Ils avoient encore une autre reffemblance
avec cette nation fi fçavante dans
l'art de gouverner les Peuples ; & cette
reffemblance n'étoit pas moins néceſſaire
qu'utile ,, pour s'affurer de leur conquête :
c'eft qu'ils envoyoient des Colonies dans
les Provinces foumiſes , y bâtiffoient des
fortereffes , & les décoroient en même
temps de temples , d'aqueducs , & de
grands chemins . Ils vouloient , furtout
que les Nations foumifes parlaffent la
langue de la Capitale : Ils fçavoient que
rien n'eft plus capable de lier les hommes
entr'eux , que de parler la même langue.
Pachacutec , un des plus grands Rois
de la race des Incas , publia un Edit , par
lequel il étoit défendu à qui que ce fût
de parler une autre langue que celle de
Cozco. Et de même que Guillaume le
Conquérant , après la conquête de l'Angleterre
, répandit des Normands dans
AVRIL. 1760. 103
tous les Monaftères de cette Ifle , & publia
en François des loix dont on voit encore
des veftiges fenfibles dans les förmules
de la Jurifprudence & de l'adminiftration
du Royaume ; de même Pachacutec
envoya dans toutes les Provinces
de l'Empire des Maîtres de Langue , qui
devoient auffi enfeigner l'écriture des
Quipos , ou de ces noeuds dont les couleurs
variées , & la différente difpofition ,
fignifioient différentes idées , même avec
leurs différentes modifications . Et fi l'Edit
de Pachacutec étoit d'une grande importance
, la peine impofée contre ceux
qui le tranfgreffoient , n'étoit pas moins
févère , puifqu'il prononçoit l'exclufion
abfolue des charges publiques , la peine
la plus grande que l'efprit inventif de
l'Empereur Julien ait pû imaginer contre
les Chrétiens qu'il vouloit tourmenter.
Mais ce qui contribua le plus à la fureté
& à l'augmentation de l'Empire , fut
la difcipline militaire : ils avoient en tous
temps de grands approvifionnemens pour
la guerre ; & toute efpéce de tranfgreffion
, dans les ordres donnés , étoit punie
avec la plus grande rigueur .
Les épreuves que devoient fubir les
jeunes Incas , avant que d'être armés Chevaliers
, étoient très -fortes & très-rudes.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
On exigeoit d'eux beaucoup de dextérité
à la lutte & au manîment des armes , de
l'agilité à courir , de la fagacité & de la
valeur dans l'attaque ou la défenſe des
Places ; & l'on eft forcé de convenir, que
leurs troupes étoient fans doute bien difciplinées
, puifque pendant le cours de
toutes leurs conquêtes , leurs armées ne
furent jamais plus fortes que de so à 60
mille hommes.
Ils avoient auffi un dénombrement
fort exact des Sujets de l'Empire : chaque
ordre de Citoyens étoit divifé en des
corps moindres ; & ceux- ci, étoient foumis
à un Chef. La paix étoit , en quelque
forte , un continuel exercice de guerre ; &
perfonne ne parvenoit au point de commander
, s'il n'avoit d'abord appris à
obéir.
Après de fi bons réglemens pour ce qui
regarde le Militaire & les autres parties
du gouvernement , fi femblables à ce que
nous avons fait de mieux en Europe , on
fera bien -aiſe , fans doute , de fçavoir
quelles précautions prirent les Incas pour
faire auffi fleurir les lettres dans leur Empire
; & on ne fera peut-être pas peu furpris
d'apprendre , que ces Princes s'appli-
:
querent au contraire en quelque façon à
empêcher que les lettres ne fe répandifAVRIL
1760. 105
fent & ne paffaffent jufqu'au Peuple.Refte
à fçavoir files Incas furent , à cet égard ,
dignes de louange ou de blâme.
Ceux qui croyent que les Lettres augmentent
le bonheur d'un Etat ; & que la
faveur que le Prince leur accorde , fait
éclore les grands génies pour honorer &
éclairer le monde , les blâmeront fans
doute . Mais cette façon de penſer ne fe
trouve pas toujours d'accord avec la vérité
, felon ceux qui confidérent les choles
avec plus d'attention ; parce que , difentils
, pour que la protection des Princes
fervit véritablement à l'avancement des
Arts & des Sciences , il faudroit que
Prince fûr lui-même fçavant ; & c'eſt à
quoi s'oppofent également , & le peu de
temps qu'il a à donner à l'étude , & les
embarras qui l'environnent fans ceffe ; ou
bien , il faudroit que le Prince fût né fi
heureux , & fi fortuné , qu'il fût toujours
gouverné par des hommes d'une grande
probité , & d'un grand fçavoir ; ce qui
feroit prèfque un continuel miracle.
le
De forte que pour un Louis XIV, &
un Frederic , on compte des Denis , des
Tibères , des Nérons , des Adriens , &
tant d'autres anciens & modernes , qui
fe font piqués de littérature ; & qui , par
Ey
106 MERCURE DE FRANCE.
leur mauvais goût , par la frivolité de
leurs occupations , ou par leur jaloufie
contre les vrais Sçavans , étoient plutôt
faits pour gâter tout dans la république
des Lettres , que pour les protéger véritablement.
Tant il eft vrai que la faveur ,
prodiguée à de mauvais ouvrages , ne préjudicie
pas moins aux progrès de l'efprit ;
que la perfécution déchaînée contre ceux
qui méritent en effet ! Et ces mêmes Prin--
ces , fi vous les fuppofez véritablement
fçavans , ou par le hafard le plus heureux
, gouvernés par des Sçavans , auront
fans doute le pouvoir de protéger les
Sciences, de leur donner la vie, & d'entretenir
un grand nombre d'Auteurs médiocres
, comme il arrive dans les Académies
qu'ils ont fondées : mais ils ne feront ja
mais naître des génies fupérieurs . Les plus
grands Maîtres , qui méritent la couronne
de la Philofophie , font antérieurs à nos
Académies.
La magnificence des Médicis , à Florence
, a pû créer un Maximilien Ficino ,
& un Agnolo Poliziano ; mais elle n'étoit
pas fuffifante pour reffufciter un
Dante , ou un Pétrarque . Et dans le ſçavant
Empire de la Chine , dans cette immenfe
Académie , dont on dit que P'EmAVRIL.
1760 . 107
pereur eft le chef, on peut obferver que
de tems immémorial , les Sciences & les
Arts exiftent , à la vérité , mais y végètent;
& rien de plus .
Les grands génies font comme les vaftes
corps qui rempliffent l'Univers , felon
Platon même ; ils ne font pas l'ouvrage
de plufieurs Dieux : mais un feul les créa ,
fans autre moyen que ſa volonté.
fit
On pourroit examiner , actuellement ,
file bien qui peut revenir à la fociété
par la culture des Lettres , peut compenfer
le mal qui arrive par la trop grande
facilité qu'ont les hommes de tirer du propour
des Extraits d'Académies , des Dictionnaires,
des Compilations , & d'autres
ouvrages femblables qui fe multiplient
néceffairement à l'excès , fuivant la protection
& la vogue où les Belles - Lettres
font dans un Etat . Ces fecours engendrent
, non pas cette multitude de Sçavans
qui honorent le genre - humain , mais
ce nombre infini de Pédans , qui en font
le fléau . J'entends , par là , ces effains de
demi Sçavans , qui non feulement inondent
le monde , mais même ( ce qui eft de
plus fâcheux encore ' ) qui le pervertiffent .
Les uns font à charge dans les compagnies
particulières , & les autres , pernicieux
£ vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pour la fociété en général : tels que ceux
qui par leur état, ont le droit de juger des
chofes importantes , & qui y font quelquefois
moins propres que des ignorans
même.
Il paroît en effet que pour juger faineme.
t, il faut ou toute la lumière des Sciences
, ou le feul flambeau de la raifon naturelle
; de même que pour voir le difque
de la Lune , il faut qu'elle foit dans fon
plein , ou entierement éclipfée . Il y a
plus , c'est que la fociété humaine n'eſt
pas plus en fureté , même vis - à - vis de
ceux qui auroient le plus pénêtré dans les
Sciences.Il arrive fouvent, que tantôt pour
une raiſon , tantôt pour une autre , ils ne
fe donnent pas la peine d'employer tout
leur fçavoir à difcuter ces matières interreffantes
fur lesquelles portent les pivots
d'un Etat. Et certainement il ne peut
Y avoir de doute , fi ce feroit une choſe
convenable ou non dans une armée , que
les foldats au lieu d'être aux ordres de
leur Capitaine , & de s'occuper à les exécuter
, vouluffent fe mêler de la poſition
du Camp , du moment de livrer bataille,
& de la Tactique.
Les difcuffions philofophiques ne doi
vent pas non plus balancer l'obéiffance
aux loix , & aux opinions établies dans
AVRIL. 1760.
109
un Etat.La vertu veut être pratiquée, & non
étudiée; & pour l'ordinaire , les hommes
ceffent d'être bons , quand les Sçavans
prennent le deffus.
En effet , il n'y a prèfque perfonne de
bon fens qui ne defirat que la plus grande
partie de nos Livres , furtout ceux qui
plus que tous autres inondent le monde ,
&
troublent
les efprits , n'éprouvaſſent
dans cette partie de l'Europe le fort
qu'Omar fit éprouver en Egypte à la Bibliothèque
d'Alexandrie ; & l'on ne pourroit
en donner de meilleures raiſons , que
celle qu'il en donna lui- même ; fans quoi
la
frénéfie
que chacun a de faire fortune
en Europe , par la littérature , pourroit
faire craindre , non fans fondement , que
l'on ne vînt à manquer des bras néceffaires
à la
culture
de la terre, & à la navigation.
Iln'y a pas longtemps , qu'en Angleterre ,
un
homme de grand fens & qui penfoit
de mê ne à cet égard , inftitua un Collége
d'enfans
, dans lequel on ne devoit
non feulement enfeigner aucune fcience,
mais pas même à lire ni à écrire. C'eft
pour cette raison , que dans le Pérou ,
l'étude étoit généralement interdite au
Peuple
, les Incas fe la réfervant pour euxmêmes
; de manière qu'ils étoient ,
quelque
forte , l'âme de l'état , au gré de
en
410 MERCURE
DE FRANCE
laquelle les membres concouroient , &
opéroient également.
Les Incas eurent encore une prévoyance
d'une conféquence non moins importante
qu'aucune autre , & d'où dépend
le bien public , ainfi que le bien particulier
c'est pour ce qui regarde l'éducation
des enfans .Il eft aifé de fentir, même
aujourd'hui , fans aller puifer dans
l'antiquité , combien l'éducation contribue
à donner à une Nation cette forme
qui convient le mieux à un Souverain ,
en accoûtumant l'homme de bonne heure
à penfer d'une ou d'autre façon . C'eſt
en vertu d'une éducation féroce , que
l'Empire du Japon ſe trouve habité par
un Peuple inébranlable dans les plus
grands malheurs de la vie ; un Peuple
de Stoïciens .
Dans l'Amérique feptentrionale , avant
l'arrivée des Européens , on pouvoit trouver
des Armées de Scevola & de Regulus;
&
par des raiſons ſemblables , les Porcies
étoient communes dans les Indes Orientales
: tant peut fur les hommes l'habitude
, dont la force s'étend jufqu'à conformer
d'une certaine manière , non -feulement
les différentes parties de nos
corps , mais les fens mêmes qui nous
ont été donnés par la Nature ! Dans les
AVRIL. 1760.
II!
Chiens de chaffe , les jarrets & les autres
muſcles des parties inférieures , ſont
plus forts & plus reffentis que dans le
commun des hommes ; & par la même
raifon d'un exercice continuel , dans les
Batteliers , ce font les bras & les parties
fupérieures qui font les plus fortes . Les
Chaffeurs & les Marins , qui par une
longue habitude , font accoûtumés a regarder
des objets éloignés , font forcés
de prendre de bonne heure des lunettes
pour voir de près ; de même ceux qui travaillent
à des chofes délicates , ou ceux
qui pâliffent fur les Livres , payent leur
adreffe , ou leur fçavoir , par un prompt
affoibliffement de leur vue la rétine
dans les uns s'accoûtume à s'approcher
trop du cryftallin, & dans les autres à s'en
tenir trop éloignée , de forte que les Oculiftes,
pour prévenir des maux provenans
ainfi de l'habitude , n'ont d'autre fecret
que de prefcrire une habitude contraire .
C'eft-à-dire, d'accoûtumer l'oeil ,de bonne
heure , à toute forte de conformation , en
regardant fouvent par toute forte de
verre ; ils penfent même, qu'un femblable
exercice ne feroit pas moins utile à la
perfection de l'oeil , que la danfe & les
armes à l'élégance & à la bonne grâce
du corps.
112 MERCURE DE FRANCE
Quoi qu'il en foit , aucun légiflateur
ne connut mieux que les Incas la force
que l'habitude a fur nous , pour former en
quelque façon notre génie , & perfectionner
la nature ; auffi firent- ils , de l'éducation,
une véritable affaire d'Etat. Ils connurent,
à merveille , cette vérité fi ſouvent
répétée par le Maître de toute fcience
François Bacon ; que les Républiques n'auroient
pas eu beſoin de faire tant de loix
pour réformer les hommes , fi elles avoient
eu , comme elles le devoient , le foin de
former de bonne heure les moeurs des énfans.
En effet , on eût dit que ces Américains
étoient de vrais difciples de Platon
, ou de Xenophon. Si un jeune
homme , par exemple , faifoit une faute ,
on l'en reprenoit légérement ; & au contraire
, on puniffoit griévement le pere ,
qui n'avoit pas fçu porter au bien les inclinations
de fon fils , en s'y prenant dès
l'âge le plus tendre , & en lui donnant
de bonnes habitudes. Enfin les Péruviens
partageront peut-être un jour , avec les
anciens Perfes , la gloire de faire paffer
l'hiftoire de leurs moeurs & de leur loix ,
pour un Roman de Philofophie.
Ceux qui ont vêcu en Amérique , &
qui ont été à portée de voir combien
les Péruviens font naturellement lourds
AVRIL 1760 .
113 .
& même pareffeux , font forcés de reconnoître
les miracles qu'a pû opérer la
légiſlation. Qui pourroit croire, par exemple
, qu'une telle Nation a pú égaler les
plus fpirituelles & les plus adonnées aux
Arts , dans la beauté , la magnificence &
la folidité des édifices , des places de
guerre , des ponts , des canaux , & de ces
chemins fi commodes & fi longs , qu'ils
traverſoient l'Empire de tous côtés ? If
refte encore des veftiges confidérables
de tous ces monumens ; & ils étonnent
encore bien davantage , lorsqu'on vient à
faire réfléxion que ce fut fans avoir la
connoiffance des Méchaniques , & fans
avoir l'ufage du fer , qu'ils firent des ouvrages
, qui pour la difficulté & la grandeur
, ne cédent en rien à ceux même de
l'Egypte. En quoi ils furpafferent de
*
* Voyez les Effais de Montaigne, Livre 3 , Ch. 6,
des Coches,
Dans la Fortereffe de Cozco , il y avoit des
pierres de plus de 40 pieds de longueur , tranſ
portées de pays fort éloignés. Ils tranſporterent
de très - grofles pierres , pour bâtir un Temple
au Soleil , de Cozco à Tumipampa , dont la diftance
eft de 400 lieuë's environ , & le pays trèsdifficile.
La Note fuivante eft écrite en François & en
lettres Italiques , & tirée de M. Bouguer.
114 MERCURE
DE FRANCE
.
beaucoup les Chinois , qui ayant des té
leſcopes depuis un temps immémorial, ne
Il faut avouer , malgré cela , que lorsqu'on
compare les uns & les autres , ( les Índiens de diverfes
contrées ) à la peinture admirable qu'en font
quelques Hiftoriens , on n'en croit pas les propres
yeux .Tout ce qu'on rapporte de leurs talens,
des différens établiffemens qu'ils avoient , de
leurs loix , de leur police , deviendroit fufpect ,
s'il étoit poffible d'aller contre le témoignage
d'un fi grand nombre d'Auteurs dignes de foi ,
& s'il ne reftoit encore plufieurs monumens qui
prouvent qu'il ne faut pas juger de l'état ancien de
ces peuples par celui où nous le voyons maintenant.
On ne peut comprendre , comment ils ont på
élever les murailles de leur Temple du Soleil , dont
on voit encore les reftes à Cuzco Ces murs font
formés de pierres qui ont is à 16 pieds de diamétre
; & qui quoique brutes , & irrégulières , s'ajuftent
toutes fi exactement les unes avec les autres
, qu'elles ne laiffent aucun vuide entr'elles.
Nous avons vu les ruines de plufieurs de ces
édifices , qu'ils nommoient Tambos ; les murail
les en font fouvent d'une eſpèce de granit , & les
pierres qui font taillées paroiffent ufées les unes
contre les autres ; tant les joints en font parfaits.
On remarque encore , dans un de ces Tambos ,
quelques mufles qui fervent d'ornement ,
les narrines qui font percées , foutiennent des
anneaux ou boucles , qui font mobiles , quoiqu'ils
foient faits de la même pierre.
dont
Tous ces édifices étoient fitués le long de ce
magnifique chemin qui conduifoit dans la Cordeliere
de Cuzco à Quito , & même en deça ,
AVRIL. 1760. TIS
fçavoient pas compofer un Almanach; qui
avec le fecret de la poudre à tirer , ignoroient
celui de fondre des canons ; qui
connoiffoient à peine la navigation , poffédant
la bouffole ; & qui apprirent enfin
de nous l'art de faire des éclufes dans ces
canaux qui , pour la commodité du commerce,
coupent de tous côtés leur Empire.
Ce qui ne doit pas moins furprendre
encore , c'eft que l'on peut dire que les
Péruviens, dès leur première origine, furpafferent,
dans l'art de gouverner, ces mêmes
Chinois chez qui , malgré toute leur
fageffe , régne encore l'Atheiſme le plus
groffier, & la fuperftition la plus ridicule ;
& chez qui , malgré toute leur politique
la multiplicité du Peuple eft à charge à
l'Etat.
Il eft vrai , que les Péruviens eurent le
bonheur d'être gouvernés par des Princes
fages , de grande fagacité , d'un jugement
ferme , & dont l'exemple étoit la plus
qui avoit près de 400 lieues de longueur , & dont
nous avons fouvent fuivi les traces.
M. Bouguer , Fig. de la Terre ; Relat. abrégée
du voyage &c. Article 5. Voyez auffi , Mémoires
de M. de la Condamine , fur quelques anciens
monumens du Pérou , du temps des Incas , dans
le Vol . de l'Académie de Berlin , 1746 .
116 MERCURE DE FRANCE.
forte de toutes leurs ordonnances. Cette
prudence & cette bonté , que le Ciel accorde
à fi peu de Princes , paroît être
une vertu commune à tous les Incas. De
treize Rois qu'eut le Pérou , le feul Athualpa
fut un Caligula , qui chercha à pervertir
le bon ordre établi par fes ancêtres ;
les douze autres furent autant de Titus
& de Trajans . Le bonheur de cet Empire
ne pouvoit être douteux , puifque la Religion
& les loix y étoient fous la protec
tion des armes ; qu'on y avoit prévu fagement
contre l'oifiveté qui énerve les
Etats , contre la variété des Sectes qui
les troublent , & contre les dangers des
guerres étrangères qui les minent & les
détruifent. Ce font en effet de ces caufes
effentielles, que l'on voit naître les défordres
dans les Etats ; ce font elles qui précédent
les changemens qui y arrivent ,
de même que fur mer les changemens des
mouffons font précédés de calme dans de
certains parages , dans d'autres de vents
variables , & dans d'autres enfin d'affreux
ouragans.
Mais , dira-t-on , comment a- t- il pû fe
faire qu'une poignée d'Efpagnols foient
venus à bout de foumettre en fi peu de
temps , un Empire fi vafte , & muni de fi
bons réglemens ? Premierement , il eft
AVRIL 1760. 117
tout naturel que ces Peuples , qui ignoroient
entierement l'art de la navigation,
aient été épouvantés de fe voir attaqués
par des gens qui venoient fondre fur
eux , comme volant fur la mer . D'un autre
côté , nos armes à feu leur parurent autant
de foudres lancés contr'eux , & les
hommes à cheval autant de monftres &
de Centaures.
Cette façon de faire la guerre , dut en
effet furprendre bien plus les Indiens, que
ne firent autrefois les retranchemens &
les machines de guerre des Romains, visà-
vis des Gaulois. L'admiration & l'étonnement
, en furent les premiers effets ; &
les feconds , leur défaite & leur foumif;
fion .
ils
Malgré tous ces avantages , les Efpagnols
n'euffent peut-être jamais réuffi à
s'emparer de l'Amérique , ou du moins
Y euffent éprouvé bien plus de difficultés
, fi la fortune ne leur en eût ouvert
le chemin. Ce fut elle , qui permit que
Cortez trouvât fut le Trône du Méxique
Montezuma, Prince lâche , & de peu d'efprit
; & que Pizarre trouvât , fur celui du
Pérou , Athualpa , le plus odieux de tous
les Princes qui aient peut-être exiftés.
118 MERCURE DE FRANCE.
A l'Auteur du Mercure , fur la véritable
époque de la Croifade de 1363 , relativement
au Tableau des anciens Ménages
, inféré dans le Mercure de Février
1760 .
MONONSIEUR ,
J'ai lu, avec tout le plaifir irnaginable ,
le Tableau des anciens ménages , tiré d'un
manufcrit du XIV fiècle , dont vous avez
orné votre dernier Mercure de Février ,
pag . 15 à 21. Sa reffemblance parfaite
avec nos préfens ménages , m'a fait d'abord
croire que c'étoit une plaifanterie ,
fruit d'un efprit ingénieux , jaloux de critiquer
fon fiécle. En effet , Monfieur , à la
date près , rien au monde de plus conforme
à l'état actuel des chofes ! Faites - moi
l'amitié de m'en croire, fur ma parole : je
fuis marié ; mes amis , mes voifins, le font
auffi : tous tant que nous fommes , nous
vous certifions, que nous jouiſſons du même
fort que ce bon Seigneur Lorrain, qui
dans fon Journal ingénu , retrace à la
postérité ( fans le fçavoir ) fes malheurs
domeftiques. J'ai fait lecture de cette
AVRIL. 1760. 119
Piéce , originale en toute façon , dans
mon ménage ; & ma tendre moitié ne
m'a répliqué autre chofe , finon : Ah ! tu
fçais , que je n'achete rien à ton infçu !
Donc le refte, eft de l'ordinaire ; donc votre
Piéce , n'eft pas abfolument un morceau
rare d'antiquité .
La critique des femmes , n'eft pas l'ob
jet de cette lettre : ainfi je paffe volontiers
à un objet plus férieux. Je vous
avouerai , Monfieur , que le ton indécis
avec lequel vous nous avez donné la date
du fiécle , m'a rendu plus avide de le découvrir.
Après avoir ouvert nombre d'Hiftoriens
, où je n'ai pas même trouvé la
mention d'une Croifade en 1363 , je me
fuis arrêté à l'Hiftoire Eccléfiaftique de
M. Fleuri ; j'ai confulté l'Hifloire de Lorraine
, par D. Calmet
; Enfin j'ai vérifié
l'Itinéraire
des Rois de France , morceau
qui fe trouve
parmi
les Piéces fugitives
qui peuvent
fervir
à l'Hiftoire
de France
3 vol. Je ne vous
diffimulerai
pas , que la
recherche
de cette époque
m'a fait découvrir
quantité
d'erreurs
de date, dans
nombre de nos Hiftoriens
. Qui eût dit ,
qu'au bout de quatre
fiécles, un petit Journal
de ménage
, dreffé par le dépit & le
chagrin entre quatre
murailles
, eût fervi
à relever
M. Fleuri , D. Calmet
, l'Itiné
110 MERCURE DE FRANCE.
faire des Rois de France, & nos plus graves
Hiftoriens ? Examinons la fuite des
faits , dans chacun des quatre Hiftoriens
en queſtion ; & commençons par le Journal
de notre bon Seigneur Lorrain.
e
1363. 1 Janvier. Monfieur reçoit les
vifites des Damoiſeaux , & les hommages
de fes Vaffaux. Madame , fait fes préfens
de l'année à fes ferviteurs. ( Obfervons
en paffant , que quoique l'ufage très- commun
fous la 3 race de nos Rois ,fût de ne
commencer l'année qu'à Pâques, le 1 Janvier
étoit néanmoins le premier jour de
l'année civile . On faifoit & l'on recevoit
des vifites , & l'on donnoit des étrennes. )
3 Janvier. On a tiré la féve . ( C'étoit
la veille des Rois . )
(
I
19 Février. Madame fe brouille avec
le Recteur , ( le Curé ) parce qu'il avoit
déclamé contre le fafte , la coquetterie &
la parure. ( Ce 19 étoit le premier Dimanche
de Carême ; & le Curé , dans fon
Prône , avoit apparemment traité de ces
matières. )
26 Février. Monfieur , va au rendezvous
pour l'arrière-ban, qui dure jufqu'au
#7 Mars.
30 Mars. Madame, paffe une partie du
jour à l'Eglife. ( C'étoit le Jeudi- Saint.
Elle faifoit peut-être fes Pâques. )
32
AVRIL. 1760. 121
31 Mars. Madame fait de longues
Morales , & vent que Monfieur porte un
chapelet , des images , & des reliques.
( C'étoit le Vendredi - Saint , jour de dévotion
; & peut- être encore , à cauſe du
voyage prémédité à la Terre-Sainte. )
6 Avril. ( Jeudi de Pâques ) Ordre de
fuivre le bon Duc à Jérufalem.
13 Avril. ( Jeudi de Quafimodo , )
Monfieur part pour Jérufalem , avec
plufieurs de fes vaffaux.
J'ai extrait ces petits détails , pour
prouver la conformité précife des jours
de la femaine & des mois , avec le calendrier
de l'an 1363 ; car du refte , c'eft
l'affaire de la Croifade qui m'occupe.
Voyons,actuellement, fi ce que D. Calmet
rapporte dans fonHiftoire deLorraine,
s'ajuste à ces époques. Nous y apprendrons
au moins le nom de ce bon Duc
de Lorraine , & la raiſon qui l'engagea
dans cette Croiſade.
Les Rois de France , de Chypre , &
de Dannemarc , étant venus faluer le Pape
Urbain V , à Avignon (a) , y reçurent de
fa main la croix , en 1362 ; & s'engagerent
à marcher, dans deux ans , à la guerre
contre les Turcs. Le Roi de France, étant
( a ) Villani, Liv. 11. Chap. 34. Froiſſarà Ṣpond.
ad ann. 1363 .
II. Vol,
F
122 MERCURE DE FRANCE.
repaflé en Angleterre en l'année 13.63 ,
& diverfes affaires l'ayant empêché d'exécuter
fa réfolution concernant la Croifade
, il pria le Duc de Lorraine de s'en
charger en fa place (b) ; & le Duc JEAN
embraffa avec joie cette occafion de fignaler
fon zèle & fa piété &c .
Du récit de D. Calmet , il réſulte deux
difficultés. La premiere , vient de ce qu'il
place en 1362 , la réception de la Croix
des mains du Pape. Mais pour répondre
à cela , il ne s'agit que de rapporter ici
l'obfervation que font les fçavans Auteurs,
de l'art de vérifier les dates. Dans la differtation
fur les dates des Chartes & des
Chroniques , p. 20 & 21 ; javertis que
je les copie mot à mot cer article eft
d'autant plus intéreffant , qu'il y eft queftion
de l'événement dont je parle.
.....
Un ufage très- commun,fous la troifiéme
race de nos Rois , étoit de ne commencer
l'année qu'à Pâques .. Parmi
une multitude d'exemples que nous pourrions
citer , nous en remarquerons un
tres remarquable , tiré de l'Avertiffement
que D. Vaillette a mis à la tête de fon
( b ) Hift. Mff. du Duc Jean. Voyez l'hiſtoire du
petit Jean de Sintré , Chambellan du Roi Jean ,
& Michoviar , hift. de Pologne ; & le P. Benoît ,
Supplément à l'hiftoire de Lorraine, p . 217. 218.
AVRIL. 1760 . 123
quatrième Tome de l'Hiftoire de Languedoc,
page 7. Nous y voyons, que pendant
le féjour que le Roi Jean fit à la
Cour Romaine , ou du Pape réfidant à
Avignon , il y donna deux Chartes , l'une
& l'autre (en) l'année 1363 , felon notre
manière de compter aujourd'hui . (La première
eft datée de Ville- neuve près d'Avignon
, le Vendredi- Saint , 31 de Mars
de l'an 1362 , felon la manière de commencer
l'année à Pâques en ces temps. )
La feconde , qui eft du jour ſuivant , de
la même année , eft datée de Ville- neuve
près d'Avignon , le Samedi- Saint de Pâques
, après la bénédiction du cierge , le
premier Avril , de l'an 1363.
La feconde difficulté , naît de ce que
D. Calmet place en 1363 le voyage du
Roi Jean en Angleterre. Mais cette
feconde difficulté pourroit fe réfoudre de
la même façon que la première : car le
voyage du Roi fe fit dans le commencement
de l'année 1364 , fuivant notre
manière de compter , & à la fin de 1363 ,
fuivant l'ancien calcul
cependant , en
confervant même pour la fin de 1363 ,
départ du Roi Jean pour l'Angleterre ,
y aura toujours erreur : car il eft conftant
, d'après le Journal du Seigneur
Lorrain , que le 13 Avril 1363 , le départ
il
4 1
le
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
pour Jerufalem s'effectua, après l'ordre du
Duc de Lorraine , fignifié le 6 defdits
mois & an. Il ne s'agiroit , alors , que de
corriger dans le texte de D. Calmet il
pria par , il avoit prié.
Difcutons , actuellement , les époques
citées par M. Fleuri. Ce celèbre Auteur
n'omet point , dans fon Hiftoire Eccléfiaf
tique , le voyage du Roi Jean à Avignon,
où fut arrêté la croifade.
D'après les Auteurs * cités en marge ,
cet Hiſtorien place ainfi les faits .
1362 .. Juin. Le Roi Jean part de
Paris , vers la S. Jean.
Septembre. Arrive à Villeneuve d'Avignon
, vers la S. Michel
Va vifiter Urbain V après fon élec
tion & ce Pape ne fut élû que le...
28 Octobre.
27 Novembre. Entre à Avignon,
Ne veut pas quitter Avignon ſans voir
le Roi de Chypre , qui devoit arriver inceffament
; & le Roi de Chypre arriva
le
29 May. ( Mercredi- Saint )
31 Mars. (Vendred-Saint ) Déclare la
réſolution qu'il a de ſe croiſer ; & prie le
* Froiffard, contin . de Nangis. Vitæ Pontifi
cum . Supplem. Vit. Pontif, Acta Rainaldi. Vile
Jani,
AVRIL 1760. 129
Pape, qui officioit, de lui donner la croix.
1 Avril. ( Samedi-Saint ) reçoit du Pape
la Bulle, pour la croifade.
12 Avril. (Mercredi de Qualimodo )
eft déclaré chef de la croifade, par le Pape,
qui prêché lui-même la croifade , & ordonne
un paffage.
Toutes ces époques, cadrent à merveil→
le , avec celles du petit Journal. Le Roi
Jean , avoir vu le Pape Urbain V , für la
fin d'Octobre, & avoit eu affez le temps
de conférer avec le Pape , & avec le Duc
de Lorraine , pour que le 26 Février ,
celui- ci convoquât l'arriere ban , donnât
erdre le 6 Avril de le fuivre à Jérufalem ,
& partit effectivement le 13 en fuivant.
Il ne nous reſte plus qu'à examiner les
époques que nous préfente l'inéraire
des Rois de France. Je me flattois d'y
trouver les plus grands éclairciffemens :
Jugez vous même, Monfieur, du cas que l'on
peut faire de cette partie de notre hiſtoire !
Voici , ce que marque cet Itinéraire.
1362. Avril. Le Roi Jean à Paris.
Aout. ... à Germigny.
16 Décembre..à Villeneuve , près
d'Avignon,
27 Décembre.. à Nifmes..
1363. 2. Février. à Paris,
F iij
126 MERCURE DE FRANCE:
.. Avril...
20 Avril. • •
à Paris.
à Villeneuve , près
d'Avignon.
Mai. à Paris.
Du 26 Décembre au zo Avril , on fait
aire au Roi deux voyages à Avignon . Ib.
ne faut que confronter la fuite des époques
précédentes , pour voir l'inexactitude
, ou plutôt le faux de ces faits. On
peut , furtout , fe convaincre que le Roi
n'étoit pas à Paris en Avril, par la charte
que nous avons citée ci- deflus , datée du
Samedi- Saint z Avril ; ou il faudroie
fuppofer que le Roi étoit à Paris ce jourlà
au matin , & étoit arrivé à Villeneuve
près d'Avignon après la bénédiction du
cierge pafchal.
Je ne puis m'empêcher de me plaindre,
en finiffant , du peu d'accord de nos Hif
toriens dans leurs dates & citations. Des
Auteurs très- refpectables avancent, à l'ar
ticle d'Urbain V , que M. Fleuri place
fon élection au 28 Septembre. Ouvrez
M. Fleuri vous verrez que c'eſt le 28
Octobre. Mais voici quelque choſe de
plus fingulier , que j'ai rencontré en parcourant
l'Hiftoire de Lorraine , par D.
Calmet.
>
Cet Auteur, met parmi fes Piéces juſtiAVRIL
1760. 127
ficatives la copie du traité d'accommodement
entre le Duc de Bar & 18 Seigeurs
; & ce traité porte la date du Lundi
onzième Mars 1363 , ou 13 64 , avant
Pâques , qui fut cette année le premier
d'Avril . Or ,
1. Les deux années les plus proches
de celle - ci , où Pâques tomba le premier
d'Avril , font les années 1358 &
1369.
2. Si ce traité eft de 1363 , Pâques
tomba en cette année le 2 Avril , & le
11 Mars fut un Samedi.
3. Si ce traité eft de 1364 , Pâques
tomba en cette année le 24 Mars , & le
11 Mars fut effectivement le Lundi de la
Paffion.
Il faudroit donc lire du Lundi 11
Mars 1363 ( ou 1364 avant Pâques
qui fut cette année le 24 Mars. ) D'ou
viennent de pareilles erreurs ? Sont- ce les
lecteurs ? font-ce les copiftes ?
J'ai l'honneur d'être &c.
Paris , ce at Mai 1760 .
N. N. N.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT d'une Paftorale , intitulée , Lr
PRIX DE LA BEAUTÉ , ou LES COURONNES
, en 3 Actes , & un Prologue ; fur
des Airs choifis , plufieurs Italiens , &
quelques -uns nouveaux: Ornée d'Eftampes
agréables. Chez Delormel , Librain ,
rue du Foin , & aux Spectacles.
LE
E Prologue annonce des Bergers qui
invoquent l'Amour fans le connoître . Ce
Dieu fe rend à leurs voeux , vient dans le
Hameau, & inftruit les Habitans des biens
qu'il peut leur procurer. Les vrais plaifirs
de la vie , dit- il , ne peuvent naître
que du fentiment : choififfez parmi vous
la plus aimable des Bergeres ; & qu'elle
choififfe un Berger , pour régner avec
elle. Il finit par leur donner quelques
leçons fur la délicateffe.
L'AMOUR , A UNE BERGERE.
AIR : Le Printemps qui vit naître mes premieres
JIUNI
ardeurs ,
EUNE & fimple bergère ,
Que je viens d'embellir
Des roſes dont ma mère
AVRIL 1760. 329
Couronne le plaifir;
En cueillant la fleurette ,
Qui naîtra fous vos pas ,
Sachez être difcrette ,
Et ne la fanez pas .
D'un amant qui foupire ,
Craignez peu les efforts ;
Obfervez fon délire ,
Retenez les tranſports.
Tel qui peint fon martyre ,
Souvent n'eft qu'un trompeur :
Dans les yeux, fâchez lire
Ce qu'il a dans le coeur.
Des charmes du bel âge,
Au printems de vos jours,
Faites un bon ufage,
·Et fongez qu'ils font courts :
Que le temps , d'un coup d'aîle ',
Détruit rapidement
Les attraits d'une belle ,
Et les feux d'un amant.
Quand la délicateffe ,
Formera votre choix ,
Aimez avec tendrelle ;
Mais n'aimez qu'une fois.
faut, quandjel'allume ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Cefeu , ce vrai defir ,
Il faut qu'il vous confume
Dans les bras du plaifir.
SUJET de la Paftorale.
{
SIlvie , jeune & belle Bergere , eſt
élue pour régner dans le hameau. Elle a
pour Amans , Daphnis & Silvandre ; ces
deux Bergers font également aimables :
tous deux depuis l'enfance par des foins
continuels , & par les témoignages de l'amour
le plus tendre & le plus conftant ,
ont droit de prétendre au coeur de la Bergere.
Aucun d'eux n'a pû connoître encore
l'avantage qu'il peut avoir fur fon
rival. La Bergere , par fon couronnement
, fe voit forcée de faire un choix .
Elle fent qu'elle va faire le malheur d'un
Berger qui l'adore ! Cette idée l'épouvante
: elle voudroit refufer la couronne
, & ne l'accepte que malgré elle .
MONOLOGUE de DAPHNIS , dans le
premier Acte .
AIR : De M. Blaife .
Ou , Dans ma cabanne obfcure.
A peine à ma paupière
Brille l'aftre du jours
AVRIL 1760 . 131
Qu'elle s'ouvre & s'éclaire
Au flambeau de l'Amour ;
Et ma foible exiſtence
Développant fes feux ,
Silvie a la puiffance
D'enchaîner tous mes voeux.
Déjà l'Amour m'inſpire ;
Il eft fur mon berceau ;
Il'm'apprend à fourire ,
Il n'a point de bandeau ;
Je le flatte... il m'amufe ,
Mon coeur veut s'exprimers
Mais ma bouche refufe
Les fons qu'il veut former .
Un jour , que ma Silvie
Dans mes yeux innocens ,
Lit... voit la douce envie
Qui careffe mes feus ,
A ton ... âge... dit- elle
Eft-ce qu'on fait aimer ,
Jeune enfant ? & la belle
Me donne un doux baifer.
J'ai paffé mon enfance ,
J'ai vu croître mes feux
Dans mon adoleſcence
Même ardeur , mêmes voeux *
F v
131 MERCURE DE FRANCE:
Ma bergère l'oublie
Peut-être fon bailer :
Il fut pourtant la vie ,
L'âmede fon berger !
:
Les Bergers ont dreffé un trône de
fleurs dans la prairie , & font la cérémonie
du couronnement de Silvie ; ce qui
produit une fête & un fpectacle agréable.
>
Au deuxième Acte, Silvie, retirée dans
un petit bois , fe livre à fes réfléxions ;
elle confulte l'écho , le chant des oifeaux ,
le murmure des eaux , fur le choix qu'elle
doit faire. Tout eft fourd à fa voix : la
Bergere défefpérée , tombe fur un gazon
& fe laiffe aller au fommeil. Une
fymphonie douce, fe fait entendre. Daphnis,
qui la cherchoit, l'apperçoit , & craint
que le foleil ne l'incommode : avec le fecours
des Bergers qu'il amène , il lui
dreffe un berceau de feuillages , & de
fleurs ; & il en fait une cou onne , qu'il
pofe fur la tête de Silvie. I chante
enfuite ces couplets.
AIR De M. Naudé. Ou , Dans ma cabane.
Imitation des paroles Languedociennes connuës.
Tant que la marguerite ,
Croîtra dans nos vallons;
AVRIL. 1760. 133
Que cette fleur petite ,
Ornera nos gazons ;
Tu feras, ma Silvie,
La reine de mon coeur ,
Le charme de ma vie ,
L'aſtre de mon bonheur,
Lematin , quand l'Auror
Viendra verfer fes plears;
Que les amans de Flore ,
Carefferont nos Aeurs;
Aux oiſeaux des boccages ,
Pendant ton dour fommeil,
Firai , fous nos feuillages ,
Annoncer ton réveil.
Le jour, dans la prairie ,
F'irai graver ton nom ;
Sur l'écorce polie,
Des hetres du canton.
Je leverras paroître,
A mes yeux chaque jour :
Maisil ne pourra croître ,
Autant que mon amour.
Le foir , quittant la plaine ,
Je dirai, tout furpris,
Le foleil me ramèney
N'eft-il donc plus de nuits ?
Mais non , c'eft qu'il différe
.
134 MER CURE DE FRANCE
De quitter les beaux yeux
De la jeune bergère
Dont je fuis amoureux.
A la fin des couplets , Daphnis voit
arriver Silvandre avec des Chaloupes ornées
de guirlandes de fleurs , & remplie
d'inftrumens. Il fuit : la Bergere s'éveille ,
& paroît étonnée de fe voir fous un berceau.
Elle tourne à l'entour , l'admire ;
& fon coeur lui dit , que c'eſt à Daphnis
qu'elle doit cette galanterie. Silvandre
vient lui préfenter des corbeilles de fruits,
des fleurs , des colombes , & des petits
agneaux : elle eft fenfible aux préfens de
ce Berger ; & pour lui en marquer fa
reconnoiffance, elle lui donne la couronne
que Daphnis , pendant fon fommeil
avoit mife fur fa tête. Silvandre , tranfporté
de joie , invite les Bergers & les
Bergeres de fa fuite , à un Divertiſſement
général ; à la fin duquel , Silvie s'embarque
avec toute la troupe , pour fe rendre
au Temple. L'idée de cette Fête , eft galante
, & doit produire encore un ſpectacle
auffi nouveau qu'intéreffant.
Au troifiéme Acte , Silvie au Temple
, eft entourée de vieux Paſteurs &
de jeunes Bergeres ; elle implore l'affifrance
de l'Amour , & voit avec la plus
AVRIL 1760. 135
grande douleur , arriver le moment où il
faut abfolument qu'elle fe décide. On
lui chante ce Couplet.
AIR: Dans nos bois s'il coule des larmes.
C'eft à cet Autel qu'on s'engage ;
C'eft ici , que l'on choifit fon vainqueur :
On n'y voit point d'amant volage ,
Parjurer l'offre qu'il fait de fon coeur.
a bergère a pour appanage ,
La fimplicité ,
La
La candeur, & la vérité.
Le berger qui lui rend hommage ,
Adore les noeuds !
Qui vont le rendre heureux.
L'on amène ces deux Amans ; on les
place aux deux côtés de l'Autel. Silvandre
eft paré de fleurs , & porté la Couronne
que Silvie lui a donnée à la fin du deuxiéme
Acte . Daphnis eft fimplement vêtu,
fans fleurs & fans couronne. La Bergere
les regarde avec tendreffe ; elle héfite à
leur parler. Mais , en appercevant que
Daphnis eft fans fleurs & fans couronne ,
elle ôte la fienne de deffus fa tête , & la
lui donne. Silvandre , qui croit avoir perdu
fa Bergere , ôte la fienne , & la lui
préfente. Silvie la reçoit , & s'en couronne.
Les Bergers embaraffés, ne fçavent
136 MERCURE DE FRANCE
fur lequel est tombé le choix de la Ber
gere , & la preffent de fe déclarer. Elle
veut fuir ; ils s'oppofent à fon paffage:
elle fuccombe enfin à fa douleur , &
tombe évanouie dans les bras de fes
deux Amans. En cet inftant , l'Amour
caché fous l'habit & les traits de Silvandre
, paroît fous la forme de la Divinité.
Il eſt enchanté de l'épreuve qu'il a faite
du coeur de la Bergere ; il admire fa délicateffe
; & l'unit à Daphnis. Cet Acte
finit par un Divertiffement que l'Amour
ordonne ; & où les Bergers en Chaffeurs ,
& les Bergeres en Nymphes , vont célébrer
les plaifirs & le bonheur dont l'Amour
les fait jouir.
DESCRIPTION DU PARNASSE FRANÇOIS',
exécuté en bronze, à la gloire de la France,
& de LOUIS- LE- GRAND , & à la mémoire
perpétuelle des illuftres Portes , & des
fameux Muficiens François ; dédié au
Roi , par M. Titon du Tillet , Maître
d'hôtel de feue Madame la Dauphine .
Mere de Sa Majesté. Premiere Partie .
1
Diverſes Piéces , en profe & en vers ,
au fujer du Parnaffe François , feconde
Partie, 1760, in-fol, dont on trouve quelques
exemplaires, chez Chaubert, Libraire,
AVRIL. 1760. 237
quai des Auguftins ; chez Duchefne , rue
S. Jacques ; & chez Lambert , rue de la
Comédie Françoiſe.
On ne fçauroit trop louer le zéle du
généreux Citoyen , qui a érigé ce monument
à la gloire des hommes célèbres
qui ont fair tant d'honneur à la Nation ;
& je me réſerve à parler plus amplement
de ce très- eftimable ouvrage.
PROSPECTUS d'un Ouvrage intitulé ,
L'ETUDE NÉCESSAIRE , ou , Réfléxions
morales , militaires , & politiques , fur les
traits les plus intéreffans de l'hiftoire de
tous les fiècles , & de la vie de tous les
hommes ; Ouvrage deftiné à l'Etude des
Princes : Raifons qui ont déterminé M.
de *** à entreprendre ce travail. A Paris
, chez Kincent , Imprimeur- Libraire
de Mgr le Duc de Bourgogne:in- 8 ° , 1760.
J'efpére donner le plan de cet. Ouvrage
intéreffant pour la Nation ; & rendre à
l'Auteur toute la juftice due à fon zéle ,
ainfi qu'à fes lumières.
PLAIDOYERS , & Memoires , contenant
des queftions intéreffantes , tant en matières
civiles , canoniques & criminelles ,
que de police & de commerce , avec les
jugemens , & leurs motifs fommaires , &
plufieurs Difcours fur différentes matières
138 MERCURE DE FRANCE
foit de droit public , foit d'hiftoire. Paf
M. Mannory , ancien Avocat au Parlement.
Tome 4. A Paris , chez Claude
Heriffant , Libraire- Imprimeur , rue Notre
- Dame , à la Croix d'or . in- 12 . 1760,
avec approbation & privilége du Roi. "
Quoiqu'un pareil Recueil foit peu dans
le cas d'un Extrait ; celui- ci mérite cependant
d'être connu , & par l'utilité
dont il peut être , & par les agrémens
que l'Auteur a fçu répandre fur des matières
qui n'en paroiffoient pas fufcepti
bles. Ces titres font plus que fuffifans
pour m'exciter à éffayer d'en donner bien
tôt une idée au Public.
HISTOIRE DES TEMPLES des Payens ,
des Juifs , & des Chrétiens , dédiée à la
Reine , par M. l'Abbé Ballet , ancien
Curé de Gif , & Prédicateur de S. M.
Vol. in- 12. A Paris , chez Cailleau , Libraire
, quai des Auguftins , à S. André ,
1760.
HISTOIRE de la Ville de CHERBOURG ,
& de fes antiquités ; qui découvre des
faits très importans fur l'hiftoire de Normandie
Par Madame Retau du Frefne ;
in 12 : A Paris , 1760. Se vend chez
Ballard, Imprimeur - Libraire, rue S. Jean
de Beauvais ; chez Michel Lambert , rue de
"
AVRIL 1760. 135
la Comédie Françoife ; & à Rouen , chez
Befogne , Libraire , cour du Palais. Le
prix eft de 30 f.
TABLEAU des maladies de LoмMIUS ;
ou deſcription exacte de toutes les maladies
qui attaquent le corps humain ; avec
leurs lignes diagnoftiques & pronoftiques :
ouvrage fervant d'introduction au MANUEL
des Dames de charité . Traduction
nouvelle , par M. l'Abbé le Mafcrier. Volume
in- 12 , à Paris 1760. Se vend chez
Debure l'aîné , quai des Auguftins , à
l'image S. Paul. L'extrait de cet Ouvrage
utile , fe trouvera à l'Article IV. du préfent
Mercure.
A
NOUVELLE PROSODIE, ou Méthode courte
& facile , pour apprendre les premiers
élémens de la Quantité , & de la Poëfie
Latine ; à l'ufage de la Jeuneffe . Brochure
in- 12 Paris, 1760 , chez Paul - Denis
Brocas , rue S. Jacques , au ChefS. Jean.
Le prix eft de 16 f. relié.
LA GNOMONIQUE-PRATIQUE , ou l'art
de tracer les Cadrans folaires , avec la
plus grande précifion, par les meilleures
méthodes mifes à la portée de tout le
monde ; dédiée à l'Académie Royale des
Sciences de Bordeaux , par Dom François
146 MERCURE DE FRANCE.
"
Bedos , Bénédictin de la Congrégation
de S. Maur , de la même Académie. A
Paris , chez Briaffon, Expilli & Hardy,
Libraires , rue S. Jacques. Vol. in 8. de
400 pages , avec 34 planches en tailledouce
, & une Carte de la France. Prix ,
7 liv. relié, & 6 1. en feuilles , même dans
les Provinces. On parlera plus amplement
de cet Ouvrage , à l'Article des Sciences
& belles Lettres. ·
L'AGRONOME , Dictionnaire portatif du
Cultivateur , contenant toutes les connoiffances
néceffaires pour gouverner les
biens de campagne , & les faire valoir
utilement ; pour foutenir fes droits , conferver
fa fanté , & rendre gracieuſe la
vie champêtre. Ce qui a pour objet ,
a . les terres à grains , la vigne , les prés,
les bois , la chaffe , la pêche , les jard
dins tant de propreté que d'utilité ; les
fleurs recherchées , les plantes ufuelles ,
les beftiaux , chevaux & autres animaux.
2º. Les principales notions qui peuvent
donner l'intelligence des affaires , julqu'au
degré fuffifant pour défendre fon
bien , tant dans les matières rurales que
civiles. 3 ° . Les remédes dans les maladies
ordinaires , & autres accidens qui arrivent
aux hommes & aux animaux. 4°. Les divers
apprêts des alimens ; & tout ce qui
AVRIL 1760... 145
peut procurer une nourriture faine &
agréable. Avec un nombre confidérable
d'autres inftructions utiles & curieufes à
tout homme qui paffe fa vie à la campa
gue. 2 vol. in-8 ° . imprimés à Paris , avec
approbation & privilége du Roi ; & qui
fe vendent chez la veuve Didot , Nyon ,
& la veuve Damonneville , Libraires ,
quai des Auguftins , chez Savoye , rue
S. Jacques , & chez Durand,rue du Foin,
près la rue S. Jacques.
PENSÉES & réfléxions morales , fur
divers fujets. Volume in 16. 4 Avignon,
1760; & le trouve, à Paris, chez Defaint
& Saillant.
ANECDOTES morales , fur la fatuité ,
fuivies de recherches , & de réfléxions
critiques fur les Petits Maîtres anciens &
modernes ; Par M. de Campigneules , des
Académies d'Angers , Caen , Villefranche
, & de la Société Littéraire- Militaire
de Befançon. Volume in 16. A Anvers ,
1760 ; & le trouve à Paris , chez Urbain
Coutelier , quai des Auguftins , & chez
Cuiffart , au milieu du quai de Gêvres.
LA LOGIQUE DE L'ESPRIT ET DU COEUR, à
l'ufage des Dames. Par M. D. *** A la
Haye , 1760 ; & le trouve à Paris , chez
Cailleau , Libraire , quai des Auguſtins.
AZ MERCURE DE FRANCE.
LE MONDE , COMME IL EST , par l'Au
teur DU NOUVEAU SPECTATEUR.Tome premier.
A Amfterdam , 1760 , in 12 ; & fe
trouve , à Paris , chez Bauche , quai des
Auguftins , Duchefne , rue S. Jacques , &
Cellot , Imprimeur - Libraire , au Palais.
Cet ouvrage fe diftribue par feuilles de
douze pages , qui paroiffent régulièrement
les Mardi , les Jeudi , & les Samedi
de toutes les femaines ; & font toujours
portées , avant deux heures après - midi ,
dans les maifons où on les fait demander.
Lorsqu'un des jours de la diftribution ſera
une fête folemnelle , les feuilles feront
portées la veille , ou le lendemain . Je
rendrai compte de cet ouvrage périodique
, qui n'eft que la fuite du nouveau
Spectateur, fous un autre titre, dans l'Extrait
que je dois bientôt donner de ce
premier & intéreffant ouvrage de M. de
Baftide.
AMUSEMENS d'un homme de Lettres ,
ou , jugemens raifonnés de tous les Livres
qui ont parus , tant en France que dans
les Pays étrangers, pendant l'année 1759,
divifés par femaines. 4 volumes in 12,
A Manheim , 1760 ; & à Paris , chez
Cailleau, quai des Auguftins , près le Pont
S. Michel.
AVRIL 1760. 143
On trouve chez le même Libraire ,
Caton à Céfar , & Annibal à Flaminius ,
Héroïdes nouvelles , par l'Auteur de Montézuma.
ETAT , OU TABLE AU de la Ville de Paris,
confidérée relativement au néceffaire , à
l'utile, à l'agréable, & à l'adminiſtration :
Hæc tantum alios , inter caput extulit urbes,
Quantum lenta folent inter viburna cupreffi.
VIRGIL. Eglog.I . '
Sur les autres Cités , cette Ville l'emporte ,
Autant
que du cyprès
les fuperbes
rameaux
S'élèvent au- deffus des foibles
arbriffeaux
.
Cet Ouvrage , dont on ne peut trop
vanter l'utilité , le plan , & l'exécution ,
a été préfenté au Roi , le 26 Mars ,
par M. Jeze , Avocat en Parlement , &
Cenfeur royal . Il eft imprimé in 4° , & fe
vend à Paris , chez Prault pere , & chez
Valat La Chapelle , quai de Gêvres ;
chez Guillyn , quai des Auguftins ; chez
Duchefne , rue S. Jacques ; & chez Lambert
, rue , & près la Comédie Françoiſe.
Le prix eft de 4 liv . 10 f. broché.
·
DICTIONNAIRE abrégé d'Antiquités ,
pour fervir à l'intelligence de l'hiftoire
ancienne , tant facrée que prophane , &
144 MERCURE DE FRANCE.
à celle des Auteurs Grecs & Latins. Par
E. J. Monchablon , Maître-ès-Arts & de
Penfion , en l'Univerfité de Paris. Vol.
in-16. A Paris , 1760 ; ſe vend chez
Defaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
, vis-à-vis le Collége. Le prix eft de
2 liv. 10 f. relié.
LES NOUVEAUX HOMMES , ou le fiècle
corrigé par M. Gaud. * A Genève , &
fe trouve à Paris chez Gueffier fils , Libraire
, rue du Hurpoix . Le prix eft de
12.f.
JOURNAL des Journaux , ou précis
des principaux Ouvrages Périodi
ques de l'Europe , par une fociété de
gens de Lettres ; dédié à Son Alteffe Séréniffime
Electorale Palatine. A Manheim,
de l'Imprimerie Electorale, 1760. Tome I.
3 parties.
N.B. La perfonne qui a apporté chez
moi ce nouvel ouvrage périodique , pour
être annoncé dans le Mercure , n'a point
dit s'il fe débitoit à Paris.
JOURNAL Encyclopédique , dédié à Son
A.S. Mgr le Duc de Bouillon , & c . & c. &c .
Janvier 1760 , premiere Partie. A Bouillon
, de l'Imprimerie du Journal . Avec
approbation & privilége.
ARTICLE
AVRIL. 1760. 145
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
ASSEMBLE'E publique de la Société des
- Sciences & Belles- Lettres d'Auxerre ,
renuë le Lundi 29 Octobre 1759 .
M. MARIE de S. Georges , Avocat , Directeur
, a ouvert la Séance par un petit
Difcours , où en relevant en peu de mots
P'utilité & la dignité des Sciences , il
conclut par exhorter fes Concitoyens à
en chérir l'étude ; & il les prémunit contre
l'idée d'oftentation qu'on pourroit at
tribuer à ces fortes d'Affemblées , en leur
difant que celle - ci n'a pas pour objet d'y
faire montre de capacité , ni de chercher
à en faire le théâtre de fes talents & de
fon fçavoir ; mais d'expofer fous leurs
yeux les progrès de la Société , & profiter
même de leurs critiques.
M. le Pere , Secrétaire perpétuel , a lû
enfuite l'Extrait de tous les Mémoires qui
ont été lus dans les différentes Séances
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
de l'année 1758 , & a tâché de fauver à
fon fujet la féchereffe dont il n'est que
trop fufceptible.
M. l'Abbé Potel , a expofé dans un
Mémoire affez court , l'histoire de l'horloge
d'Auxerre , monument de bon goût
dans le genre gothique , qui fut commencé
fur la fin du 15 " fiécle , & fini au commencement
du 16º.
& -M. Martin , Apoticaire , donna enfuite
l'analyse des Eaux communes d'Auxerre ;
& il en réfulta que cette Ville n'en a
point de malfaines : mais que la plus falubre
de toutes , eft celle de la riviere
d'Yonne , qui baigne fes murs.
M. l'Abbé Precy , ferma la Séance par
la lecture du commencement de fon Hiftoire
civile , eccléfiaftique , & politique
d'Auxerre, dont la beauté du ftyle répond
à la nobleffe du plan fur lequel il la compofe.
L'Affemblée a paru fatisfaite de ces
différens ouvrages.
AVRIL. 1760. 147
SOCIETE LITTERAIRE de Châlons ,
Sur Marne.
EN la Séance publique , tenue le 14
Mars 1759 , M. Fradet a lu une partie
des recherches qu'il a faites touchant la
vie & les écrits qui nous reftent de Manaffé
, Archevêque de Rheims . Il a fait
voir que ce Prélat , étoit de la Maifon de
Châtillon - fur - Marne ; qu'il nâquit à
Rheims vers le milieu du onzième fiécle ;
qu'il eut pour Maître S. Bruno , avec lequel
il s'unit pour faire dépofer Manaffé ,
premier Archevêque de Rheims , que fes
vices rendoient indigne de l'épifcopat ;
& qu'après avoir été ſimple Chanoine, &
enfuite Prevôt du Chapitre de Rheims , il
fut élevé fur le fiége archiepifcopal de la ,
même Eglife , au mois de Janvier 1095 .
M. l'Abbé Befchefer , a lu des remirques
critiques fur les Statuts fynodaux
ou comme on parloit alors , les Capitufaires,
donnés en 870 , par Guillebert, Evêque
de Châlons, & publiés par M. Baluze,
dans fon appendice aux Capitulaires de
nos Rois. Il a compofé ces Statuts avec
ceux d'Hincmar de Rheims , d'Ifaac de
•
G ij
148 MERCURE DE FRANCE
Langres , & de Vauthier d'Orléans , tous
contemporains de Guillebert , pour faire
connoître quel étoit l'efprit & les moeurs
du neuviéme fiécle ; enfuite il a montré
, qu'on ne pouvoit raisonnablement
attribuer les Statuts dont il s'agit à Gilebert
de Chartres , ainfi que M. Baluze
fernble l'infinuer dans fes notes fur les
Capitulaires.
-
M. Culoteau de Velye , a continué la
lecture de l'Hiftoire de la Ville , de la
Comté Pairie de Vertus , & de la fuite
des Seigneurs qui ont poffédé ce Domaine
, jufqu'à M. le Maréchal Prince DE
SOUBIZE, qui le tient aujourd'hui comme
un appanage de la Maifon de France ,
étant héritier pour cette partie de l'ancienne
Maifon de Bretagne , qui le poffédoit
à ce titre.
· Il
Il rapporte les principaux faits qui
concernent chacun de ces Seigneurs , relativement
à fon objet : il fait voir que
le Comté de Vertus , qui relevoit anciennement
de l'Eglife de Rheims , fit enfuite
partie des domaines des Comtes de Champagne
, lefquels étoient tenus d'un hommage
lige à la couronne ; que les droits
qu'ils exerçoient , & qui appartiennent à
la Souveraineté , étoient une fuite de
ceux du fief.
AVRIL. 1760 .
149
Séance publique, du 5 Septembre 1759 .
M. de Velye, a repris la fuite de l'Hiftoire
du Pays , de la Ville , & du Comté-
Pairie de Vertus ; & dans cette lecture
qui eft la troifiéme fur ce fujet , il a fixé
l'époque de la fondation de Vertus , &
celle des édifices & des établiſſemens
publics qui y fubfiftent encore.
M. Grofley , Affocié externe , lut enfuite
une Differtation critique fur le 480
vers du onzième Livre de l'Enéïde. Dans
nos éditions de Virgile, les plus foignées,
on lit ainfi ce vers :
Caufa mali tanti atque oculos dejecta decoros .
Les PP. Abram , Laruë , & Jouvency
S. Remi , Desfontaines , l'Editeur du petit
Virgile de Defaint , celui même du
Virgile de Coutelier , fe font tranfmis
cette leçon peu conforme à celle des
Manufcrits du Vatican , de ceux de la
bibliothèque Megliabelli de Florence , &
au fameux Manufcrit de Médicis.
Les Manufcrits , ainfi que les plus anciennes
éditions de Virgile , portent :
Caufa mali tanti : oculos dejecta decoros.
M. G. a examiné , fur les lieux, ces M.
dont il -cotta les numéros , ainfi
que
les
G iij
50 MERCURE DE FRANCE.
dates des premières éditions de Virgile.
Cette indication termina la difcuffion des
railons contraires ou favorables à l'atque,
M. G. avoit d'abord examiné fi l'hiatus
de l'ancienne leçon étoit une faute ;
fi cette prétendue faute , n'étoit pas une
beauté , fi , faute , ou beauté , elle étoit
de Virgile : & il avoit fait voir que tout
concouroit & fe réuniffoit en faveur de
la leçon primitive.
M. Yvemel , lut un Difcours fur l'utilité
& les inconvéniens des difputes , dans la
converfation ; M. Meunier, une Ode fur la
calomnie ; & M. Gelée , un Mémoire fur
les caufes phyfiques de la dépopulation.
Séance publique , du i7 Février 1760.
LA SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE de Châlons , a
tenu , fuivant l'ufage , fa premiere Séance
publique de la préfente année 1760 , le
Mercredi de la premiere ſemaine de Carême
27 Février.
M. Fradet , qui en eft le Directeur , à
fait lecture de la continuation de fes recherches
hiftoriques & critiques touchant
la vie & les écrits de Manaffé II. du nom ,
Archevêque de Rheims , de la maiſon de
Châtillon-fur - Marne.
M. Varnier , aſſocié externe , a lû quelques
obfervations fur la déflagration de
AVRIL 1760. 151
l'huile de térébentine , par les acides minéraux.
Il affure , que l'on ne manque jamais
cette expérience avec l'effence ou
l'huile de térébentine , lorfqu'elle eft eſt
concentrée ou déflegmée par l'évaporation.
Si on a fait avant lui cette décou
verte, il n'en fçavoit rien , d'autres l'ignorent
peut être auffi ; & il convient
que l'on en foit inftruit. Il a fait part en
même temps d'un phénomène extraor
dinaire qui lui eft arrivé , en compofant
le baume vulnéraire vanté par M. Lobbe ,
dans fon Traité de la petite vérole.
Comme c'eft un phénomène fingulier qui
a rapport à la déflagration dont il s'agit
, il eft néceffaire que ceux qui font
leur étude de la Chymie en foient informés
, afin qu'ils prennent des précautions
pour éviter les accidens funeftes qui
peuvent en résulter. Voici donc ce qui
eft arrivé à M. Varnier. On fçait qu'il
doit entrer dans la compofition du baume
vulnéraire , deux gros d'huile de térébentine
, & cinq gros d'huile de vitriol. M.
Lobbe , n'avertiffant point qu'il doive en
réfulter le moindre accident , M. Varnier
n'étoit pas fur fes gardes ; il a donc
fuivi à la lettre le procédé indiqué , & il
a manqué de fe perdre. Dans l'inftant du
mêlange des deux liqueurs prefcrites , il
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
›
s'eft fait une déflagration accompagnée
de l'exploſion la plus terrible ; la matière
enflammée s'eft élancée au plancher , &
a rempli fon laboratoire & fes habits :
l'odeur très- forte qui s'eſt exhalée a fubfifté
pendant plufieurs jours. M. Varnier
a depuis tenté à diverfes reprifes de produire
le même phénomène , après avoir
pris néanmoins les précautions convenables
pour fe mettre à couvert de tout
accident fâcheux : fes tentatives ont été
fans fuccès. Quelle peut donc avoir été la
caufe de ce phénomène ? Seroit - ce parce
que l'huile de thérébentine , dont il s'eft
fervie dans cette occafion , auroit été expofée
au feu un an auparavant pendant
quelque tems ? ou bien la chaleur de la
faifon,y auroit-elle contribuée ? C'étoit en
été ; il faifoit très- chaud : & ce qui fortifie
fa conjecture , c'eft que l'expérience de
Borrichius , avec de l'efprit de vin , ne
réuffit qu'après une demie heure d'expofition
au Soleil. Ces obfervations ont été
fuivies de la lecture ,
1º. D'un Mémoire Hiftorique de M. de
Velye , concernant le mont Aymer, près
de Vertus , où l'on trouve encore les veftiges
d'une tour , qui fe voit de fort loin.
2º. D'une Ode de M. Meunier , quia
pour titre , le Solitaire.
3 ° . De la continuation d'un ouvrage
AVRIL, 1760 . 153
de M. Gelée , fur les caufes de la dépopulation
.
4°. d'une differtation , dans laquelle
M. Soleau recherche & difcute les caufes
des tremblemens de terre , & de leur
propagation .
La Séance a été terminée par la lecture
de deux Fables de M. Ganeau , affocié
externe , l'une intitulée le Naufrage , &
l'autre les Grives.
ASTRONOMIE.-
GNOMIQUE PRATIQUE , annoncée
à la page 139 du préfent Mercure .
PLUSTEL
LUSIEURS Sçavans ont donné de bons
Traités fur cette matière ; mais il faut
être déjà verfé dans les Mathématiques
,
pour les entendre. D'autres Auteurs ont
écrit fur le même fujet , en faveur de
ceux qui n'ont aucune connoiffance
de
ces fciences ; & pour les rendre intelligibles
, ils ont été obligés de choisir des
méthodes fi défectueules & fi peu exactes
dans la politique , que par leur moyen
on trace toujours de mauvais cadrans folaires.
L'Auteur de l'Ouvrage que nous
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
annonçons au Public , a pris une route
différente. Il a tellement fimplifié les
méthodes des Sçavans , qui font les ſeules
bonnes , qu'il les a mifes à la portée de
tout le monde ; en forte qu'il n'eft pas
befoin d'avoir certaines connoiffances ,
pour les entendre. C'eft le caractère particulier
de cet ouvrage : Il n'y eft queſtion
que de la pratique.
Il commence par l'explication des termes
de cet Art ; enfuite il donne une connoillance
fuffifante de la fphère . Comme
la méthode du calcul eft la meilleure
pour la pratique des cadrans folaires , on
l'enſeigne affez au long pour la rendre
aifée à quiconque fçait déjà les deux ou
trois premières régles de l'arithmétique .
Il y a un Chapitre particulier , pour la
defcription des inftrumens néceffaires
pour faire les cadrans. Ceux qui ne feront
pas à portée de fe les procurer , y apprendront
à les fabriquer eux - mêmes au be
foin .
1º. On y décrit, affez au long, la meil
leure méthode de tracer les cadrans horifontaux.
2 °. Les verticaux , furtout les
déclinaux , qui font les plus difficiles , y
font décrits avec foin , auffi - bien que
ceux dont le centre eft hors du plan. La
manière de trouver la déclinaifon des
AVRIL. 1760 . 755
plans , & de pofer l'axe dans tous les
cadrans verticaux , qui eft une choſe fi
effentielle , y eft expliquée d'une façon
à lever toutes les difficultés. 3 °. On y
donne la defcription des cadrans inclinés,
dans quelque fituation qu'on les fuppofe.
4°. L'Auteur a étendu , plus qu'aucyn autre,
le Chapitre des Méridiennes de toute
efpéce ; celle du temps moyen & du temps
vrai, foit horisontale, foit verticale, même
fur des plans inclinés, & d'une figure irrégulière
. 5 ° . On y verra la defcription des
meilleurs cadrans portatifs. 6 ° .On y trouvera
des Obfervations utiles fur la manière
de régler les horloges , les pendules & les
montres , ce qui eft d'un ufage général
pour tout le monde. 7° . On y donne
quantité de tables , pour la commodité
du Lecteur ; elles font nouvellement calculées
, & précédées d'une explication ,
avec la manière d'en faire ufage. 8 ° . On
verra,à la fin, une table des matières , avec
des additions intéreffantes. 9° . Les 34
planches ont été gravées avec foin fous
les yeux de l'Auteur , qui les a lui - même
deffinées avec précifion : Ceci n'eft pas
ordinaire dans ces fortes d'ouvrages . On
a orné quelques- uns des cadrans qui y
font repréſentés , pour donner une idée
Govj
156 MERCURE DE FRANCE.
du goût de ce genre de décoration . Le
tout eft terminé par une Carte de la
France , autant détaillée que l'a pû permettre
fa grandeur , qui eft pourtant affez
confidérable , puifqu'elle a 15 pouces en
quarré. Elle eft des plus exactes , & gravée
avec beaucoup d'attention & d'élégance.
Il y a une inftruction curieuſe,
pour en faire ufage.
Il paroît, au refte , qu'on n'a rien épargné
non feulement pour la beauté de l'impreffion
, mais encore pour la correction
de l'ouvrage , qui eft d'une belle exécution
, orné de vignettes , & d'un frontif
pice en taille douce. Ainfi on peut croire
qu'il fera d'autant plus fatisfaifant pour
le Public , que tout le monde fera en état
d'en juger .
AVRIL. 1760. 157
GÉOMÉTRI E.
TRAITE' analytique des Sections conia
ques,fluxions & fluentes ; avec un Effai
Jur les Quadratures , & un Traité du
Mouvement. Par M. MULLER , Profeffeur
de Mathématiques , à l'Ecole
Royale de Volwich. Traduit de l'Anglois
, par l'Auteur . A Paris , chez
Jombert , Imprimeur - Libraire du Roi,
rue Dauphine. 1 Vol. in 4° de 396
pages , fans la Table & la Préface
avec des Planches en taille-douce.
·
EXTRAIT.
ON defiroit , depuis longtems , la pu-
1
blication de cet Ouvrage . Lorfqu'il parut,
en Anglois , il fut fi accueilli , que nos
Mathématiciens fouhaiterent qu'on le traduisît
en notre langue. M. Muller , en
fut inftruit ; & comme il fçait le François,
qu'il eftime même notre Nation chez
laquelle il a longtems vêcu , il fur fi
flatté de cette demande , qu'il fe chargea
lui-même de cette traduction. Elle fut
annoncée , il y a près de dix ans.On apprit,
avec joje , que l'impreffion en étoit com158
MERCURE DE FRANCE.
mencée; & quoique cet empreffement dût
la faire hâter , il caufa au contraire , chaque
jour , de nouveaux retardemens . M.
Muller , qui connoît la fagacité de nos
Géométres , craignit que fon livre ne fût
pas affez travaillé pour mériter leur fuffrage.
Quoique encouragé par le fuccès
qu'il avoit eu en Angleterre , il voulut le
rendre encore plus curieux & plus utile.
Il le remania entierement , & y joignit
le Traité du Mouvement , qui n'a point
été imprimé en Anglois.
Nous croyons que tout cela forme un
Livre très- fçavant , par conféquent digne
de l'eftime du Public. En voici une légère
notice.
De tous les Traités des Sections coniques
, celui de M.le Marquis de l'Hopital,
eft le meilleur qui ait paru. Cependant ,
quoique ce Traité foit excellent dans fon
genre , il y a bien des propriétés de ces
courbes fort remarquables , qu'il n'a pas
données. Ses définitions ne font pas même
toujours exactes ; & enfin , il traite cha
que fection conique féparément , fans
faire fentir la liaiſon & la dépendance
que ces courbes , c'eft- à -dire , l'ellipfe ,
Ja parabole , & l'hyperbole , ont Fune
avec l'autre.
Dans le Traité que nous annonçons ,
AVRIL. 1760 . 159
on a été plus attentif ; on développe plus
de propriétés on donne des définitions
exactes, & on confidere les fections coniques
toutes trois enfemble , & la même
démonftration fert pour toutes , excepté
dans quelques cas ; méthode qui eft fans
contredit plus belle , plus élégante , &
plus lumineufe que celle de M. le Marquis
de l'Hopital .
Dans le Traité des fluxions , M. Muller
confidere les courbes décrites par le mouvement
d'un point , & il détermine le
rapport des vitelles de ce point : d'où il
déduit la manière de trouver les fluxions
des quantités variables, fans rien rejetter .
On a donc ici les régles ordinaires de
maximis & de minimis , les rayons des
développées , les cauftiques par réflexion.
&c . en ne fe fervant que des lignes finies,
pour exprimer la relation entre les fluxions.
Suit après cela le troifiéme Livre ,
qui contient toute la théorie des fluentes,
c'est-à - dire , du calcul intégral , avec une
formule générale de celles qui peuvent
être exprimées par un nombre infini de
termes , & fix Tables , qui contiennent
les fluentes des cas particuliers. Il y a ici
des chofes qui doivent faire plaifir à tous
les vrais Géomètres. Les plus grandes
difficultés que les fameux MM. Coles
160 MERCURE DE FRANCE.
& de Moivre ont laiffées là-deffus dans les
excellens ouvrages de Harmonia menfura
rum , & Mifellanea analytica , font pleinement
levées. M. Muller rend leurs principes
auffi clairs , & auffi aifés qu'on pou
voit le defirer.
Le Traité du Mouvement, eft divifé en
deux parties . La premiere , a pour objet
le mouvement qui fe fait dans un milieu
fans réfiftance ; & il s'agit dans la feconde
des loix du mouvement dans un
milieu , dont la réfiftance fuit la loi des
viteffes élevées à une puiffance quelconque.
On fent bien que cette première
partie , renferme néceffairement le mouvement
des corps céleftes. Auffi y trouvet-
on une belle théorie de l'Aftronomie-
Phyfique.Notre fçavant Auteur démontre,
en grand,les principes du fyftême du Chevalier
Newton. Il traite auffi de la figure
de la Terre , & il examine les Traités
nos Géomètres François ont publiés fur
cette figure . On eft un peu fâché , en lifant
ce morceau , de rencontrer une critique
des travaux de M. Clairaut . Ce
grand Géomètre , qui jouit de la réputa
tion la plus étendue & la mieux méritée
, ne craint affurément point l'examen.
C'est ce qu'il fait bien voir dans une Lettre
adreffée à M. Saverien , ami de notre
que
AVRIL. 1760.
161
Auteur , où il fatisfait aux objections de
M. Muller. Cette Lettre , qui eft trèsfçavante
, eft imprimée à la fin du Volume
; & cette efpèce de controverſe ſur
une matière fi importante , doit piquer
la curiofité de toutes les perfonnes qui
aiment les fciences exactes , & qui les
cultivent.
MÉDECINE.
TABLEAU des maladies, de LOMMIUS.
QUOIQUE
nous
JOIQUE Ce Livre foit déja connu
& même eftimé ; comme il ne l'eft cependant
pas autant qu'il le mérite
avons cru qu'il étoit à propos , de dire
ici un mot de celui qui l'a compofé , du
deffein qu'il a eu en vue en l'écrivant ,
& de l'utilité dont il peut être.
Lommius , Médecin célèbre , qui en
eft l'auteur , vivoit il y a au moins deux
cens ans , & fleuriffoit au milieu du feiziéme
fiéclé , c'eſt- à- dire , en 1558 &
1560 , temps auquel il étoit Médecin
penfionné de la Ville de Bruxelles. Nous:
avons de lui trois Ouvrages : l'un , eft un
excellent Commentaire fur le premier
162 MERCURE DE FRANCE.
livre de Celfe ; l'autre , eft un Traité fort
inftructif , fur la cure des Fiévres continues
; le dernier enfin , eft le Livre dont
on annonce ici une nouvelle Traduction .
L'Auteur , qui à une théorie profonde ,
joignoit une très - grande pratique , s'eſt
propofé , dans cet Ouvrage , de tranſmet
tre à la postérité des obfervations fidelles
fur toutes fortes de maladies ; & c'eft
pour cette raifon qu'il lui a donné le titre
d'Obfervationes medicinales . On l'a changé
dans la traduction Françoiſe , en celui
de TABLEAUDES MALADIES , parce
que ce dernier a paru plus propre à
faire connoître la nature & le genre du
Livre. Ce n'eft en effet qu'un portrait en
racourci , fait par Lommius d'après fes
obfervations , un tableau en petit , mais
fini , de toutes les maladies auxquelles le
corps humain eft expofé , où l'on trouve
une peinture exacte , & faite de main de
maître , de leurs fignes Diagnoſtics &
Pronoftics ; c'eft- à- dire , des fymptomes
qui les accompagnent , & qui les caractérifent.
L'ouvrage eft dédié à Meffieurs du
Magiftrat de Braxelles ; & l'Epître dédicatoire
que Lommius leur adreffe à ce
fujet, eft un morceau qui à certains égards
mérite d'être lû. C'eſt ce qui nous a engagés
à donner à la tête du Livre une
AVRIL. 1760 . 163
Traduction de cette Dédicace , qui n'avoit
point encore paru en notre Langue.
Le deffein de l'Auteur a été , comme
il nous l'apprend , de renfermer dans cet
Ouvrage ce qui concerne cette partie de
Ja Médecine , laquelle comprend le Diagnoftic
des maladies , leur Pronoftic , &
les conféquences qu'on peut en tirer ; &
l'on ne peut difconvenir que ces connoiffances
ne foient très- utiles , tant pour
la cure & la guérifon des maux qui attaquent
le corps humain , que pour attirer
au Médecin l'eftime & la confiance des
malades. La connoiffance du Diagnoſtic
& du Pronostic eft , au jugement de tous
les gens de l'Art , une fcience abfolument
néceffaire , puifqu'elle eft la bafe de la
guérifon , & que fans elle on eft expofé à
des erreurs continuelles : c'eft le fondement
de toutes les autres parties qu'un
Médecin doit poffeder ; parce que le conduifant
de la connoiffance des fignes &
des effets à celle des caufes , elle le met
en état de tirer des fymptomes qui accompagnent
les maladies , des indications
juftes , au moyen desquelles il peut
décider
de leur nature , & des remédes qu'il
doit employer pour les guérir ; en quoi
confifte toute la Médecine. Or c'eft cette
Icience du Diagnoſtic & du Pronoftic , qui
164 MERCURE DE FRANCE.
depuis Hippocrate n'avoit été traitée expreffément
par perfonne ,, que Lommius
s'eft propofé d'enfeigner dans fon Livre.
Ce n'eft pas ici le lieu d'entrer dans un
plus grand détail de cet Ouvrage, encore
moins de nous arrêter à en vanter le mérite.
Nous dirons feulement , qu'au jugement
des hommes les plus verfés en
cette partie , c'eft un petit Livre d'or ,
Opufculum aureum , un Ouvrage excellent
& achevé , un Traité d'un très - grand
prix aux yeux des connoiffeurs , & dont
l'étude eft néceffaire à tous les Médecins
qui aiment véritablement leur profeffion,
& qui cherchent à s'en inftruire . Plufieurs
des plus fçavans l'ont lû dix fois ; &
quelques- uns font convenus , qu'après
quarante ans de pratique , le plus habile
homme auroit peine à y ajouter une
fyllabe.
Cependant ce Livre précieux , fi utile
& fi néceffaire , de l'aveu de toutes les
perfonnes de l'Art , connu & eftimé des
Médecins feulement , étoit ignoré du
refte des hommes , lorfqu'en 1712 il en
parut une Traduction Françoiſe faite par
feu M. le Brethon , Bachelier en Médeci
ne. S'il n'eft pas permis de dire, que cette
premiere Traduction ait eu un fort grand
fuccès , au moins ne peut-on diſconvenir
AVRIL. 1760 . 165
qu'elle ne foit recherchée encore aujourd'hui
, & même qu'elle ne fe vende affez
bien. D'un autre côté , nous fommes forcés
d'avouer qu'elle eft très-mal écrite ,
& que le ftyle en eſt ſouvent obfcur &
embaraffé ; que le Traducteur , tout Médecin
qu'il étoit , n'a pas toujours entendu
ou voulu entendre fon Auteur ; que plufieurs
fois même il a pris un fens directement
contraire au fien ; ce qui , dans
un Livre tel que celui - ci , eft de la dernière
conféquence : qu'enfin pour donner
peut- être des preuves de fa fcience dans
Art , il a pris très- fréquemment la liberté
d'amplifier , de paraphrafer Lommius
, & de fubftituer fes propres idées à
celles de cet excellent homme.
Ce font ces raifons , qui ont fait naître
la pensée de le traduire de nouveau : on
a cru que ce feroit rendre quelque fervice
au Public , de tirer Lommius des
mains des Médecins pour le faire connoître
aux perfonnes qui ne font pas
de l'Art , en le leur donnant précisément
tel qu'il eft ; & c'eft ce que l'on ofe fe
flatter d'avoir exécuté par la nouvelle
traduction que l'on annonce ici de fon
TABLEAU DES MALADIES , plus fidelle ,
plus exacte , plus claire , plus nette , &
mieux écrite que l'ancienne , telle en
166 MERCURE DE FRANCE.
un mot qu'elle puiffe être entendue de
tous ceux qui ne font pas Médecins . Nous
pouvons dire à fon avantage , qu'elle a
été jugée telle, & approuvée par plufieurs
habiles gens qui ont jetté les yeux deffus;
& même que l'Auteur du Manuel des
Dames de Charité , bon juge certainement
én cette matière , a bien voulu fe donner
la peine de la revoir toute entiere fur
Poriginal Latin , & aider le Traducteur
de fes confeils.
-
A l'égard des Remarques que l'ancien
Traducteur avoit ajoutées à la fuite de
chaque chapitre , on les a toutes fupprimées
pour trois raifons : 1 ° parce qu'elles
ne font d'aucune utilité, puifqu'elles n'apprennent
rien de curieux ni d'inftructif ,
& qu'elles ne font fouvent qu'une répétition
ennuyeufe de ce que Lommius a
très bien dit auparavant. 2 ° . Parce que
bien loin d'être utiles , elles ne font pas
même quelquefois raisonnables , comme
il est facile de le prouver. 3 ° . Enfin ,
parce qu'au lieu d'y trouver les curations
des maladies dont l'Auteur donne la def
cription , ce que l'on devoit naturellement
attendre d'un Médecin , elles n'y
font feulement effleurées. C'est pour
fuppléer à ce que le Traducteur auroit dû
faire à cet égard , & pour dédommager
pas
AVRIL 1760. 167
le Public de la fuppreffion néceffaire de
fes remarques , que l'on a jugé à propos ,
dans la nouvelle traduction ,d'y fubftituer
à la fin de chacun des articles de Lommius
, qui en ont été fufceptibles , des
renvois aux pages du Manuel des Dames
de Charité , édition de 1758 , où l'on indique
les remédes propres à la cure des
maladies dont l'Auteur Latin parle dans
fon Livre.
Il y a en effet , un rapport naturel &
immédiat entre ce Traité de Lommius
& le Manuel : ces deux ouvrages femblent
fe prêter mutuellement la main ,
pour compofer enſemble un cours complet
de Médécine fpéculative & pratique
; & c'eft pour cela que l'on a cru être
fondé à annoncer cette nouvelle traduction
, comme devant fervir d'introdution
à l'ufage qu'on peut faire du Manuel des
Dames de Charité. On trouve la théorie
dans Lommius , & la pratique dans le
Manuel : le Livre du premier , enfeigne à
connoître la nature des maladies , leurs
caufes , & l'événement qu'elles doivent
avoir ; & le fecond apprend quelle en
doit être la cure , & quels remédes on
peut y apporter pour les guérir . Si dans le
Manuel on trouve quelques defcriptions
de maladies qui fe rencontrent auffi dans
68 MERCURE DE FRANCE
l'Auteur Latin , outre qu'elles ne font paš
en grand nombre , elles font plus courtes,
plus ferrées , & plus rapprochées que
dans le dernier , qui entre dans un bien
plus grand détail ; enforte que ces deux
Ouvrages femblent s'éclairer & ſe fortifier
réciproquement , & qu'on peut
avancer avec fondement , que pour tirer
de l'un un avantage certain , il eft encore
néceffaire en quelque forte d'y joindre
l'autre. Ce que nous ofons affurer d'après
un fort habile homme , c'eft que pour
les perfonnes intelligentes qui ne font pas
de l'Art , pour celles qui fans fe piquer
d'une grande théorie , & guidées feulement
par leur zéle & leur charité , fe font
confacrées au fervice des pauvres , pour
ceux même qui par état s'occupent du
foin des Malades , ou fe deſtinent à s'en
occuper , ces deux Livres peuvent tenir
lieu d'une petite bibliothèque de Médecine.
C'est pour ces fortes de perfonnes ,
qu'on auroit fouhaité pouvoir ne ſe ſervir
dans la nouvelle traduction que de
termes connus , & qui fuffent à leur portée
; & c'est parce que la chofe n'a pas
toujours été poffible , que l'on a crû
devoir , pour leur avantage & pour leur
inftruction , donner à la tête de ce Livre
une
AVRIL 1760. 169
une explication fort détaillée de tous les
termes de Médecine & d'Anatomie qui y
font répandus. On y a joint , pour leur
commodité,une Table des Chapitres trèsample
, & une Table alphabétique de
toutes les maladies dont il eft parlé dans
cet Ouvrage. Après les foins
l'on a
pris pour le rendre utile , on ofe fe flatter
qu'il fera reçu favorablement , & que le
Public retirera de cette nouvelle traduction
tout l'avantage que l'on s'eft propofé
de lui procurer
.
que
Le Manuel des Dames de Charité, dont
il eft parlé dans cet Avis , fe vend chez
le même Libraire. On en parlera dans le
prochain Mercure...
13
II.
Vol,
H
JI.
170 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
MÉDECIN E.
Addition à la feconde Lettre de M. de
LA CONDAMINE , à M. Daniel
BERNOULLI, (Mere, d'Avril, I. Voly
A Paris , le 28 Février 1760..
Vous êtes furpris , Monfieur , qu'on
n'inocule pas à Paris les enfans trouvés.
Voici pourquoi , c'eft que le monde eft
encore bien jeune , & que nous fommes à
quelques égards plus jeunes en France
qu'ailleurs. En voulez-vous une plus forte
preuve ? Les liftes annuelles des morts &
des nailfances de nos grandes villes , ne
diftinguent ni les âges , ni les maladies ,
comme on le fait à Vienne , à Londres ,
à Berlin , &c. On difpute tous les jours
fur le nombre des habitans de Paris , &
plus encore fur celui des habitans de la
AVRIL. 1760 .
771
France ; & rien ne feroit plus aifé que de
le favoir depuis l'ordonance de 1736 , qui
prefcrit à tous les curés du royaume d'avoir
un double registre des morts & naiffances
de leur paroiffe , & d'en dépofer
un tous les ans au greffe du fiége royal le
plus voifin. *
Tout cela fe fera avec le temps ; mais
ni vous , Monfieur , ni moi , ne le verrons :
ne defefpérons pourtant de rien.
Il y a dans tous les événemens telle
combinaifon du moral avec le phylique ,
qu'il eft impoffible de prévoir. Lorsque
je lûs mon premier mémoire à l'académie,
en 1754, j'étois bien loin d'imaginer qu'en
moins de deux ans on verroit à Paris l'inoculation
autorisée par les exemples les
plus illuftres. A la vue de ces exemples &
de leurs fuccès , qui n'auroit cru que la
multitude alloit être entraînée ? Ces deux
conjectures , toutes deux vraisemblables ,
om été toutes deux démenties par l'événement.
Je fais tout ce que l'on dit fur cela
des médecins , & je comprends bien que
.
* Dans une ville comme Paris, où peu d'enfans
fontnourris, & où beaucoup d'étrangers meurent,
on ne peut guère évaluer le nombre des habitans
par les liftes mortuaires. Mais les liftes des paroiffes
de tout un royaume , villes & campagnes,
donneroient une évaluation exacte & c. & c.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
la préocupation , le défaut d'examen , l'éloignement
pour une pratique nouvelle ,
un intérêt particulier , peuvent agir fur
quelques- uns d'eux . Mais je ne puis foupçoner
le corps entier de fe conduire par
ces motifs .
La petite vérole , dit- on , eft le plus beau
fleuron de la couronne des médecins , c'eſt
leur aliment. S'ils ne s'oppofoient pas à
l'inoculation , les chirurgiens s'en empareroient
, & feroient cette nouvelle conquête
fur les droits de la Faculté. Ce raifonnement
n'eft que fpécieux . A Paris , de
dix petites véroles , neuf font traitées par
les chirurgiens, ou les apothicaires : le peuple
n'apelle un médecin que lorfque le
malade eft defefpéré. Sans doute il fe pafferoit
de médecin dans l'inoculation , puiſqu'il
s'en palle bien dans la petite vérole naturelle
; mais aucun de ceux qui ont recours
au médecin au premier accès de fièvre , ne
fe livreroit à l'inoculation que fous les
yeux d'un docteur de la Faculté . Il y a
plus je dis qu'indépendament du traitement
des inoculés , l'inoculation augmenteroit
le revenu des docteurs ; & la
preuve
de ce paradoxe , cft toute fimple. Les morts
n'ont plus befoin de médecins ; tous les
vixans font leurs tributaires . La petite
vérole détruit la quatorzième partie de
AVRIL. 1760. 171
ceux qui naiffent , & l'inoculation les con
ferveroit. Donc fi elle étoit généralement
pratiquée , le médecin qui voit 1300 malales
par an , en verroit 1400 ; & celui
qui fe fait 1 3000 liv . de rente ,
I
14000.
s'en feroit
Les hommes de tous les péis fe reffemblent.
Les médecins & les théologiens anglois
fe liguèrent d'abord contre l'inocula
tion : aujourd'hui tous font inoculer leurs
enfans. Cette pratique introduite à Londres
en 1721 , y fut accueillie , puis contredite
, enfuite négligée : elle n'a repris
faveur qu'en 1738. Il n'y a pas encore dixlept
ans que nous la connoiffons.
P. S. Paris , 22 mars 1760 .
Soyez juge , Monfieur , d'un nouveau
grief de M. G. Il fe plaint hautement que
j'aie dit que je ne lui connoiffois point de
malade. Cela eft exactement vrai je ne
connois perfonne qui fe foit vanté de l'avoir
pour médecin. Eft- ce ma faute à Mais
c'eft , dit - on , faire entendre que M. G.
n'a point de malades . Quand cela feroit ,
que pourrois je dire de plus flateur au
Dieu même de la médecine , dont la préfence
rendroit la fanté ? Plus un médecin
opère de guérifons , moins il lui refte de
malades. Je félicitois M. G. d'un avantage
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
dont peu de fes confreres jouiffent . Puifqu'il
prend mal mon compliment , je le
rétracte , & je croitai , s'il le veur , qu'il a
beaucoup de malades , & pas un feul convalefcent.
Il eft tems de parler férieufement , puiſque
M. G. n'entend pas raillerie . Je déclare
donc,que je n'ai fait ni prétendu faire
Pénumération de ceux qui le confultent
fur leur fanté. Quant à la perfonne que
j'ai dit qui étoit morte de la petite vérole
entre fes mains ; je regarde cet accident
comme un malheur , auquel tous les
médecins font expofés. M. G. , prétend
que cette perfonne eft morte d'une fauffe
couche ; je le veux croire : mais celui qui
met fur le compte de l'inoculation la mort
d'un enfant tombé de fon berceau fur la
tête , celui qui nie ce fait malgré les preuves
juridiques, celui qui fuppofe que l'inoculateur
a fuborné les témoins , & que les
parens & le cu é ont connivé , ne doit- il
pas fupporter avec patience qu'on foupçone
, qu'il a voulu s'excufer de n'avoir
pu fauver la vie à fa malade , en donnant
le nom de fauffe couche à un accident'
très ordinaire aux femmes pendant le
cours de leur petite vérole ?
-
J'apprends que M. G. ne juge pas à propos
d'attendre la réponſe de S. E. M. le
AVRIL 1760. 175
Cardinal Gualtieri pour éclaircir le fait de
ma prétendue follication du Bref, & qu'il
fait imprimer une nouvelle lettre . S'il en
vient aux invectives , j'abandonne la partie
: J'ai démafqué fes fophifmes parce.
qu'ils pouvoient induire en erreur des gens
qui cherchent la vérité ; mais les injures
ne perfuadent perfonne , & je fuis difpenfé
d'y répondre.
J'ai reçu votre Mémoire , Monfieur
& vos réflexions fur l'inoculation . J'en ai
commencé aujourd'hui la lecture à l'Académie.
C'est elle qui vous doit deformais des
remercîmens : Je ne vous parlerai plus des
miens , ils feroient confondus dans la foule ,
Paris , 5 Avril 1760 .
Je reçois en ce moment , Monfieur , une
quatrième lettre de M. G. imprimée ſous
le nom de fon fils . Je l'ai ouverte en deux
ou trois endroits , & je vous jure que je
n'en ai pas lû plus d'une demi page : mais
j'en ai affez lû pour juger du refte & pour
voir que c'est un pur fatras de reproches
& de perfonalités étrangères à l'objet de
notre difpute. Il m'accufe de n'avoir pas
répondu à M. de Haen , de ne m'être tiré
d'affaire avec feu M. Bouguer , que par
des plaifanteries , de n'être chymifte que
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE
de nom à l'Académie &c. Que tout
cela foit faux ou vrai , qu'eft-ce que cela
fait à la nature de la maladie du petit de
la Tour , & aux faits avancés par M. G ?
Au refte , j'ai répondu fommairement
à M. de Haen dans un Mémoire lû publiquement
& imprimé . M. Tiffot lui a répondu
depuis , & ne m'a rien laiffé à dire.
M. de Haen, fans répliquer un feul mot, a
fait un nouvel écrit . Tout ce qu'il y prou
ve , c'eft que plufieurs médecins ont fou
tenu qu'on pouvoit avoir deux fois la petite
vérole , & qu'ils en ont vu quelques
exemples . Je n'ai jamais nié la poffibilité
du fait j'ai feulement prouvé qu'on n'en
pouvoit rien conclurre contre l'inoculation
. Le reste du livre de M. de Haen n'a
pas beſoin de réponſe : il eft réfuté d'avance
, & le fera peut être encore en temps &
lieu .
Quant à M. Bouguer, vous favez mieux
que perfonne , Monfieur , fi ce n'eft que
par des ironies que je lui ai répondu ; & fi
en les employant , je n'ai pas pris le moyen
le plus cfficace pour le déterminer à mettre
au jour le mémoire fécrétement légalifé ,
de la date & du contenu duquel dépendoit
la décifion de notre conteftation .
Vous favez que je me fuis condamné d'ayance
, fi ce mémoire & fa date étoient
AVRIL 1760 . 177
tels que M. Bouguer les annonçoit , ou
même poftérieurs de fix mois : enfin , yous
n'ignorez pas que je l'ai fommé dans tous
mes écrits & répliques pendant plus de
trois ans de faire paroître ce mémoire :
M. Bouguer eft mort fans le produire . I ,
ne me convient pas aujourd'hui d'ajouter
rien à ce que j'ai dit de fon vivant. Je
renvoie donc ceux qui voudront s'inftruire
plus amplement, à mes écrits , au journal
de la bibliothèque raifonnée de Hollande ,
tome L , dont je ne connoiffois pas l'auteur
, & à l'ouvrage le plus récent fur la
figure de la Terre , imprimé à Rome en
1755 , dans lequel un juge éclairé aprécie
le mérite de ce que M. Bouguer regardoit
comme fa plus grande découverte ; en quoi
il le faifoit tort à lui-même. Je paffe à la
troisième objection .
# Je fuis entré adjoint à l'académie , en
1730 , par la porte chymique la feule,
qui fût alors ouverte ) en donnant un
mémoire de chymie depuis imprimé dans
le recueil académique de 1731. Je devins
affocié en 1735 , & paffai dans la claffe
de géométrie . En 1739 j'obtins pendant
mon abfence la place de penfionnaire chymifte,
fans l'avoir follicitée : j'étois alors
en Amérique . L'académie laiffe à fes membres
la liberté de s'attacher aux études
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
qui leur plaisent le plus . J'ai ufé de cette
liberté . Feu M. de Reaumur , dans la claffe
des méchaniciens , n'a jamais donné de
mémoire de méchanique. M. le Comte
de Lauragais , dans la même claſſe , n'a
donné jufqu'ici que d'excellens mémoires
de chymie. J'aurois pu demander à repaffer
dans une des trois claffes de mathé
matiques j'ai craint de faire tort aux
excellens fujets qui fe préfentoient pour
remplir ces places ; j'ai mieux aimé refter
dans celle où les circonstances m'avoient
conduit , & n'être chymifte que
dans l'almanach . Je dois des remercîmens
à M. G. de m'avoir donné l'occafion d'éclaircir
les faits précédens , fuppofé qu'ils
euffent befoin d'être éclaircis .
Par la futilité de ces trois objections ,
qui d'ailleurs n'ont rien de commun avec
le fait en queſtion , on peut juger de la
valeur des autres , que j'aime mieux ignorer..
M. G. n'ignore pas que fi je fuivois fon
exemple , en le combattant par des récriminations
totalement étrangères à notre
difpute , ou feulement en répétant une
partie de ce qui me revient
la voix pupar
blique , j'aurois fur lui trop d'avantage .
Sans doute en me provoquant il a fenti
que j'étois incapable d'employer de pareilAVRIL
1760.
179
les armes , même par repréfailles. Je lui
dois de nouvelles graces de cette marque
d'eftime: & pour ne pas courir le rifque
de perdre la bonne opinion qu'il a de moi,
j'en uferai à l'égard de fa derniere lettre
comme j'aurois dû faire à l'égard des premieres.
Je ne lui donnerai point de confiftance
en la réfutant , & je ne la lirai point.
Je fuivrai votre confeil , Monfieur , quoiqu'un
peu tard. M. G. s'eft plaint de mes
plaifanteries : je doute qu'il foit plus content
du ton férieux qu'il me fait prendre.
En perdant mon temps à lui répondre ,
j'aurois au moins dû refpecter le vôtre , &
ne pas l'ocuper à des chofes fi peu dignes
de votre attention."
Faute à corriger dans le premier volume du Mercure
d'avril.
On a oublié d'employer la correction fuivante,
qui étoit faite fur l'Epreuve.
Page 189 , ligne 10 , après ces mots telle &
telle maladie , lifez comme il fuit le refte du paragraphe
. Les témoins précédens dépofent de l'état
du malade: les fuivans atteflent fa guérifon : ces
témoignages ifólés tirent toute leur force , s'ils en
des differtations intermédiaires de M. G.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE
CHIRURGIE.
LETTRE de M. FERRAND , Maître- èsarts
en l'Univerfité de Paris , & Chirur
gien de l'Hôtel- royal des Invalides ;
à M. Vandermonde , Docteur - Régent
de la Faculté de Médecine , en la même
Univerfité , ancien Profeffeur en Chirurgie
Françoife , Cenfeur royal , & mem
bre de l'Inftitut de Bologne , & Auteur
du Journal de Médecine.
Ν ONSIEUR ,
En lifant le Journal de Médecine
( Février 1760 , pag.100 , ) j'ai été frappé
de la propofition fuivante. On fçait qu'avant
de procéder à la ligature de l'artère
( dans l'opération de l'anévryfme ) on fait
celle du nerf... Cette doctrine m'a paru
fi neuve , fi deftituée de
fi deftituée de preuves , fi dangereufe
même , que je n'ai pû réſiſter à
l'envie de vous communiquer les ré
flexions qu'elle m'a fait naître.
Je ne puis diffimuler , Monfieur ,
que je n'ai pas le mérite de connoître
les motifs qui déterminent à lier le
nerf avant l'artére . Je ne démêle pas
mieux les raifons qui pourroient juſtifier
la conduite de ceux qui les
comprenAVRIL
1760. 187
nent tous deux dans la meme ligature ,
fi ce n'eft dans le cas d'une néceffité indifpenfable
; car pourquoi liér le nerf?
C'eft , dites vous , pour le ftupéfier , &
amortir le fentiment dans la partie. Mais
à quoi bon cet anodin ? puifqu'on peut
s'en paffer. Pourquoi priver les parties
fubjacentes de l'irradiation des efprits
animaux? ils n'apportent aucun obftacle à
la curation de l'anevryfme. N'eft- ce pas
affez que l'avant bras foit fevré de la
nourriture que lui procuroit l'artère ?
faut-il encore lui ravir les dernieres reffources
, je veux dire l'influx vivifiant
des efprits que lui apporte le nerf median
? Vous conviendrez , Monfieur , que
cela eft injufte & déraisonnable.
-
$
Ce n'eft pas tout : peut-on lier impunément
un nerf confidérable ? Sa fenfibilité
eft- elle toujours muette à ce procédé
? C'est une question qu'il feroit , je
crois très important d'approfondir.
s la
Quelques faits femblent prouver que
ligature de ces parties , n'occafionne
pas de grands défordres. L'hiftoire du
Chirurgien , opéré par Valfalva , une obfervation,
de Rhuych, & les expériences
faites par M. Thierry , fur des chiens ,
paroiffent concluantes ; mais il y en a
tant d'autres qui militent contre celles
182 MERCURE DE FRANCE.
ci, qu'il feroit dangereux de leur accor
der un trop grand degré de confiance.
Combien n'a- t-on pas vû de malades en
proye à d'horribles convulfions , parce
qu'on leur avoit lié les nerfs dans les amputations
? Ce font des faits , qu'atteſte
ront les Chirurgiens d'armées , & ceux
qui font dans le cas de pratiquer ſou
vent ces fortes d'opérations. Je puis encore
étayer ce que j'avance de l'autorité
d'un des plus fçavans Chirurgiens de
l'Europe. M. le Cat a vû à Rouen le
fils d'un Orfévre , faifi d'un tétanos mor
tel , pour une ligature qui comprenoit
le nerf avec tout le paquet des vaiffeaux.
Cette hiſtoire eft effrayante , fans
doute , & doit arrêter les conclufions
qu'on voudroit tirer des expériences
où le cri des nerfs ne s'eft point fait
entendre , & dont M. Thierry fe prévaut
pour accréditer fa théfe : quelques féduifantes
qu'elles foient , l'erreur n'eft
peut- être pas loin. Ainfi on doit ſe tenir
en garde contre la fauffe lueur des faits
qui font démentis par d'autres faits . C'eſt
en réitérant les expériences , jufqu'à ce
que la nature fe foit expliquée tout-àfait,
qu'on vient à bout de s'affurer de
la vérité. Il y auroit trop de danger à
bâtir fur des obfervations mal faites. On
AVRIL. 1760. 183
en ferions - nous , par exemple , file
Docteur Whytt n'eût pas ruiné les fondemens
du fyftême de l'illuftre Baron de
Haller , en trouvant l'irritabilité & la
fenfibilité dans certaines parties , où elles
avoient femblé fe dérober aux recherches
de celui- ci ; s'il n'eût rendu à leur domaine
, toute l'organiſation de notre machine
, en confirmant à la plûpart de
nos organes des prérogatives que M. de
Haller leur difputoit ? Dans quels écarts
enfin , ne nous euffent pas jetté ces nouvelles
idées , fi le célèbre Médecin Anglois
n'eût , pour ainfi dire, reffufcité l'ancienne
harmonie fympathique , & rétabli
prèfque toutes nos maladies dans le
même fiége où les Médecins les avoient
jufqu'ici unanimement placées : Belle leçon
que donne la fameuſe diſpute de ces
deux fçavans athlétes à ce nombreux
effain de faifeurs d'expériences , qui méprifant
les découvertes des autres , ont la
fureur d'élever des fyftêmes fur des conféquences
qui n'ont fouvent aucune liaiſon
avec les faits ! Il y a longtemps qu'on l'a
dit ; l'étude de la nature eft longue & pénible.
Il eft plus difficile, qu'on ne penfe, de
lui furprendre fes fecrets : elle n'en fait
probablement préfent qu'à ceux qui ont
le mérite de la fuivre de plus près , & le
184 MERCURE DE FRANCE.
plus conftamment. Mais je reviens à
mon fujet.
La ligature du nerf ne peut être ordonnée
comme précepte , hors le cas de néceffité
; autrement elle feroit toujours au
moins inutile. Ceci n'a pas befoin de
preuves. Elle pourroit être dangereuſe :
l'obfervation de M. le Cat le démontre.
En effet , s'il eft permis de haſarder quelques
conjectures , voyons ce qui doit fe
paffer lorfqu'on lie un nerf. Les enveloppes
des petits tuyaux nerveux qui entrent
dans la compofition du grand , font intimement
rapprochées vers le centre , de
manière que leur cavité ( fi elles en ont )
eft abfolument effacée à l'endroit de leur
conftriction : de là , obftacle au paffage
des efprits ; de là, défaut de fentiment audeffous
de la ligature: au-deffus,les tuyaux
font libres ; leur tenfion , leur mouvement
vibratil , loin d'être diminués , doivent
être augmentés par le froncement :
les émiffions du fluide nerveux fe feront
donc avec impétuofité jufqu'à l'obftacle ;
mais ce fluide fraudatum optatá via , arrêté
dans fon cours , eft contraint de refluer
vers les plexus voifins , vers les
ganglions , vers le cerveau même. De là
irrégularité , inégalité dans fa diftribution
, & ces défordres donneront naif
AVRIL. 1760 . 185
fance à une foule d'accidens , aux délires,
aux fpafmes , aux convulfions & c.
C'eſt apparemment à la vuë affligeante
de tant de maux , que les Chirurgiens
de nos jours preſcrivent la féparation du
nerfdans l'opération de l'anevryfme , &
défendent fa ligature , qui , je le répéte
encore , feroit toujours au moins inutile,
fi elle n'étoit pas conftamment dangereufe.
Dionis, & fon habile Commentateur,
difent, qu'il faut difféquer l'artère , la féparer
du nerf, l'élever avec une errhyne ,
puis la lier fans le nerf. Je dirai ici en
paffant avec M. de la Faye , qu'il eft affez
ordinairement poffible de l'éviter , puifqu'on
le trouve fouvent diftant de l'artère
d'un travers de doigt , & que d'ailleurs
il eft inférieur à celle- ci. MM . Petit , le
Cat , Sharp , veulent auffi qu'on le fépare
des vaiffeaux pour la même raifon. * Purmann
& Anel , font de cet avis.
Il eft vrai , qu'on éprouve quelquefois
de grandes difficultés , dans cette opération
: l'artère fera collée au nerf, ou bien
des caillots de fang , difféminés partout ,
empêcheront le Chirurgien de le recon-
* Voyez les Inftit. de Chirurgie de Heifter,
Tom . II . Section I. Chap. XII . p. 32 , où les méthodes
d'opérer de ces deux Chirurgiens font
décrites.
186 MERCURE DE FRANCE.
noître ; c'eft dans ces fâcheufes circonf
tances feulement qu'on eft autorifé à le
comprendre dans la ligature avec les vaiffeaux
, puifqu'on ne peut faire mieux.
M. Thibaut l'a fait ainfi plufieurs fois. M.
le Dran même , & M. Molinette ; mais ils
ne fe font pas avifés de nous donner cet
te méthode , comme un précepte pour
tous les cas. Quelque refpectable que
foit leur autorité , on ne les croiroit pas
fur leur parole : leur doctrine feroit prof
crite , reprouvée , comme dénuée de raifons
, & comme pouvant entraîner des
fuites funeftes dans la pratique de la
Chirurgie.
J'efpére , Monfieur , qu'étant par état
ami de la vérité , & plein de zéle pour un
art aux progrès duquel vous coopérez
avec tant de diftinction , vous ne me
fçaurez pas mauvais gré de vous avoir
communiqué ces réfléxions , qui ne peu
vent que tourner au profit de l'humanité.
J'ai l'honneur d'être &c.:
AVRIL. 1766.
187
AVIS important au Public , touchant
plufieurs remédes particuliers.
ONN refpecte trop le Public , pour lui
parler de ces remèdes , avec l'étalage
ridicule & trompeur de lettres , de certificats
, & d'atteftations mandiées ou
achetées , qui n'ont d'autre objet que de
vanter, fans connoiffance de caufe, & par
des vues fordides d'intérêt , des médica,
mens fort fouvent incertains , mal combinés,
& conféquemment très- dangereux,
auxquels néanmoins on attribue des vertus
miraculeufes qu'ils n'ont point.
On n'aura pas non plus l'impudence
d'avancer , que ces mêmes compofitions
font capables de guérir indiftinctement
toutes les maladies qui affligent l'humanité
. Ces baffes démarches , ces difcours
téméraires , abufifs , pleins de contradictions
& d'abfurdités , conviennent à des
menteurs , à des ignorans , à des fourbes ,
aux charlatans de toute efpèce
qui inondent de jour en jour cette
capitale.
en un mot ,
Une pareille conduite eft indigne d'habiles
& de véritables Artiftes connus, foit
188 MERCURE DE FRANCE.
en Chirurgie , foit en Pharmacie , qui
après les plus rigoureuſes épreuves , cultivent
& exercent en corps leur profeſ
fion,fous la protection & l'autorité duRoi,
des Loix &des Magiftrats.C'eft à eux feuls
qu'il doit être permis d'y jetter de nou
velles richeffes , en faifant d'heureuſes
découvertes utiles au genre humain.
Tels font les remédes , que l'on annonce
aujourd'hui. C'eft le fruit des méditations
& des études profondes de feu M. ďAlibout
, grand- pere maternel du fieur Jauf
fin. Il avoit été , pendant plus de cinquante
ans, Chirurgien Major de la Gendarmerie
, & Chirurgien en chef des
Armées de Louis XIV, où il acquit la
réputation d'être un des plus fçavans
hommes de fon art. * Toutes les recettes
& toutes fes formules font parvenuës à
fon petit-fils. I ofe fe flatter , que c'eſt
rendre un fervice important au Public
de lui rappeller le fouvenir des remédes
qui depuis près d'un fiécle jouiffent dans
l'Europe d'une grande célébrité.
1. Une liqueur très-éprouvée , pour la
guérifon entiere des fleurs blanches.
2. Une autre liqueur, contre les gonor-
Voyez dans le Mercure de Juin 1736 , fon
Eloge fait par M. Morand , dans une affemblée
publique de l'Académie royale de Chirurgie.
AVRIL 1760. 189
rhées les plus invétérées, & qui les guérit
radicalement.
Ce font deux des plus précieufes découvertes
qu'ait fait M. d'Alibout , pour le bien
de l'humanité. Il ignoroit moins que perfonne
que la plupart des femmes à Paris ,
dans le Royaume, & dans les Pays étrangers
, étoient fujettes à cette première
maladie ; & que la gonorrhée étoit commune
chez une infinité d'hommes . Ces
deux remédes , qui n'afferviffent à aucun
régime , font doux , agréables, & n'échauffent
jamais .
0
3. La fameufe Eau d'Alibout , qui
porte le nom de fon auteur il y a plus de
foixante ans. On fçait combien elle eft
excellente pour toutes fortes de plaies ,
bleffures , coups d'épée , de fabre , de tous
inftrumens tranchans , contondans & c .
4. Un Baume fouverain , pour la guérifon
parfaite des fiftules au fondement.
Ce fut encore un grand reméde que M.
d'Alibout imagina ; car quoique la Chirurgie
commençât de fon tems àbeaucoup
s'illuftrer , cependant elle n'étoit pas encore
pouffée au point de perfection où
elle eft aujourd'hui ; & on n'avoit pas
alors d'auffi habiles gens qu'on en a maintenant
pour cette opération , comme
pour toutes les autres les plus difficiles.
190 MERCURE DE FRANCE.
M. d'Alibout eut principalement en vue
les gens de la campagne, qui ayant la filtule,
périffoient faute de fecours.Combien
y en a - t-il encore qui font dans ce cas
là , ou qui craignent l'appareil de cette
opération ?
5.º Une liqueur très-éprouvée & trèséfficace
, contre la retention d'urine .
6.°Une poudre purgative pour.
les pauvres
, qui coûte cinq fols le. paquet &
qui produit de bons effets.
...On trouvera ces remédes dans le laboratoire
du fieur Jauffin , où il y aura toujours
quelqu'un pour répondre au Public.
On donnera auffi des imprimés , où feront
les ufages , les propriétés , & la manière
de fe fervir de ces compofitions , avec
leur prix , qui ne révoltera perfonne.
Le laboratoire du fieur Jauffin , eſt à
préfent grande rue du Fauxbourg S. Martin
, à l'enfeigne du Jardin des Plantes ,
dans la maiſon de M. Royer , Marchand
Epicier-Droguiste , qui a juftement mérité
la confiance du Public , & furtout
celle de MM. les Médecins & de tous
ceux qui exercent quelque partie de la
Médecine , par la grande connoiffance
qu'il a des plantes , & par le foin & l'éxactitude
avec lefquels il les cultive luimême.
AVRIL 1760 . 191
"
19
LefameuxFontenelle a dit autrefois ,dans
l'Eloge de M. de Tournefort : » la Botanique
ne feroit qu'une fimple curiofité , fi
elle ne fe rapportoit à la médecine ; &
quand on veut qu'elle foit utile , c'eſt
"la botanique de fon pays qu'on doit
» le plus cultiver. » Cette fage réfléxion
peut s'appliquer à M. Royer , chez qui
on trouve en tout temps un affortiment
complet & du meilleur choix de toutes
les plantes ufuelles dont on a befoin ,
fans courir les rifques d'être jamais trompé,
ni craindre que l'on donne un fimple
pour un autre , ce qui par malheur n'arrive
que trop fouvent dans ces taudis de
vils ignorans qui ont la témérité de vendre
des plantes qu'eux-mêmes ne connoillent
pas.
fo
Le fieur Royer en ouvrira un cours
public , le premier de Mai prochain. Il
prendra fix francs la premiere année , trois
livres la feconde , & le refte de la vie
fera gratis pour ceux qui auront payé ces
deux années là . Il donnera fes leçons à
toute heure du jour. Il prie de venir ſe
faire infcrire d'avance .
792 MERCURE DE FRANCE.
-
M.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
ONSIEUR ,
J'ai cru reconnoître , dans la lettre de
l'amateur de peinture , écrite à M. Dupont,
& que vous avez inférée dans votre
Mercure de ce mois , le goût & la bienfaifance
de M. le Cardinal de Luynes.
Les confeils qu'il donne à M. Dupont.
(avec lequel j'ai été lié par conformité de
goût , pendant fon féjour à Paris ) font
d'une jufteffe d'Attifte confommé ; &
quoique je ne m'adonne qu'à la miniature
, je me propofe de les mettre à
profit.
L'étude de la Nature eft , fans contredit
, la feule qui puiffe nous former : il
eft cependant bien fâcheux , de voir que
la façon dont on fait étudier les Eléves ,
foit fi contraire ; on les fait copier , eh ,
quels tableaux !
Les Eléves , dévoués à leurs Maîtres ,fe
trouvent trop heureux qu'ils veulent bien
leur confier leurs ouvrages. Il s'enfuit , de*
là , que la vue habituée aux teintes dont
ce
AVRIL. 1760. 193
ces Maîtres fe fervent , fe perfuade , &
voit dans la Nature même , ces défauts
comme des chofes qui ne peuvent être
mieux renduës que par la manoeuvre de
leurs Maîtres ; de là , ces reproches que
l'on fait aux autres d'être gris ou jaunes
, tandis qu'on eft blaffard , ou noir.
Les atteliers ne retentiffent aujourd'hui
que de teintes dorées, & l'on donne dans
le jaune ; & ainfi des autres défauts ,
fuivant
qu'on eft habitué à voir.
Il femble que le but , ne foit pas de
rendre la Nature ; mais d'atteindre , par
le moyen de couleurs vives & brillantes ,
à la repréfenter fauffe , mais agréable ..
On ne fera point furpris de ce vice ,
quand on fçaura que la palette de ces
Peintres eft toujours la même. Ils font
des teintes idéales, même en préfence de
la Nature ; & avec un peu d'attention ,
on décompoferoit une de leurs têtes ,
( pour ne pas dire toutes ) & on remettroit
aifément les teintes à la place qu'ellés
ont quittée fur la palette , en commençant
par les clairs, & finiffant par les
ombres .
Les Flamands ne font redevables de
leur admirable couleur, qu'à l'étude unique
de la Nature : le Titien & le Corrége
, l'ont copiée fervilement avant d'en-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
treprendre les chef- d'oeuvres qu'ils nous
ont laiffés.
Le Portrait , genre auquel les Flamans
fe font adonnés , les a tirés les premiers
du goût gothique où étoit la Peinture.
Lorfque l'on trouva l'huile , la plûpart
des Éléves Flamans , furpafferent leurs.
Maîtres en peu de temps ; & je vois
qu'il ont tous commencé par cette étude,
où l'on a toujours la Nature devant les
yeux ; & qu'il faut opérer fervilement ,
pour tendre à la perfection. Aujourd'hui
nos Eléves font des efquiffes , avant que
de fçavoir déffiner.
L'on me croira, peut- être , partiſan aveugle
des Flamans ? On auroir tort : je ne
le fuis que de la vérité. Ils ont de grands
défauts, mais ce n'eft pas dans cette partie
( la couleur ) & nous ne les connoiffons
Eléves que de la Nature . Ce feroit
donc eux qu'on devroit copier , comme
ayant approché de plus près ce grand
but mais pourquoi ne pas puifer tout
de fuite à la fource ? Eft -ce qu'il n'en
reviendroit pas plus de profit , pour a
Eléve , au bout de deux ans d'après nature
, qu'il n'en trouve après avoir pafié le
même temps à copier des tableaux qui
n'en approchent que très peu Nous verrions
des jeunes gens qui , s'ils ne fai
un
AVRIL 1760. 195
foient que la charge de la Nature ( pour
mettre les choſes au pis ) vaudroient toujours
mieux que d'être la charge de leurs
Maîtres.
›
C'est donc dans le temps où les idées
commencent à creufer leurs traces dans
notre cerveau qu'il est néceffaire de
donner de bons principes , & de profiter
de ce temps où les chofes font une impreffion
qui ne s'efface jamais , pour leur
faire voir le modéle qu'il faut imiter :
mais point du tout , on ne leur en montre
que des copies défectueufes. Les Maîtres
ne trouvent de bien, que ce qui approche
de leur manière ; & l'Eléve fait
fouvent, par obéiflance, des chofes contre
fa propre fenfation ; & l'indécifion leur
fait adopter des principes faux.
Les jeunes gens que l'on fait peindre ,
devroient fçavoir le deffein & la perfpecti
ve (*) à fond , & les autres études ana-
* Il me paroît qu'elle eſt très-négligée aujourd'hui
par les Peintres , excepté ceux d'Architecture.
C'est pourtant une partie ellentielle car
tout ce que l'on voit , eft en perſpective ; & de
l'ignorance de cette partie , viennent les fautes
grollières de figures trop grandes ou trop cours
tes dans une compofition , même le défaut de
la couleur locale dans les parties fuyantes ; car
il n'entre rien dans un tableau , qui n'en ſoit fufceptible
.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
logues à leur état ; ils feroient dans le
cas de porter leur plus forte attention fur
la partie de la couleur : & un Maître qui
verroit la Nature comme il faut , les
aideroit de fes leçons , & les avanceroit
plus qu'en leur faifant copier fes ouvra
ges , quoique bons.
Craindra- t-on que les Eléves ne tombent
dans les défauts des écoles Flamande
, Allemande & Hollandoife , qui ont
rendu la nature fans choix & avec fes
défauts Le Coftume & la manière de
deffiner , que nous étudions ; les Belles-
Lettres , l'Hiftoire & la Fable , qui nous
font familières , nous doivent ôter cette
crainte. Nos moeurs & netre éducation
ne peuvent fupporter l'expreffion baſſe
de leurs caractères ; mais auffi nous ne
pous laffons pas d'admirer leur magie :
l'étude de la Nature pourroit nous y conduire
; nous prenons un chemin oppofé.
Nous fommes pourtant perfuadés que ces
teintes , ce pinceau moelleux , cette fçayante
union dans leurs couleurs , cette
intelligence du clair- obfcur , & cette
harmonie , qui font un fi bel effet dans
les bambochades , en feroient plus admirables
dans un fujet noble. Cette fimplicité
que nous voyons dans leurs tableaux
, eft une preuve de leur étude de
AVRIL 1760. 197
la Nature , & uae vive image de leurs
moeurs : il ne leur manquoit , que d'avoir
l'efprit orné. Ils nous caufent cependant
un charme fenfible ( tant la vérité a de
pouvoir fur nos fens ! ) à côté même de nos
chef d'oeuvres ; & en admirant le génie
vaſte des uns, nous ne pouvons nous empêcher
d'applaudir à la vérité des autres .
Ce feroit une injuftice de croire, que la
fordidité des Maîtres , & l'occupation
qu'ils donnent aux Eléves , fût un empêchement
à leur progrès . Tout le monde
fçait que plufieurs de ces Meffieurs ne
prennent rien pour leurs peines , & que
les Eléves ne font occupés , dans les atteliers
, que de leurs études. Puifque c'eſt
donc l'honneur , & la générofité qui les
guident ; l'amour- propre , flatté d'avoir
fait des Eléves qui les égalent , ne devroit
pas les empêcher d'en inftruire qui puffent
les furpaffer. Si vous trouvez ceci
digne d'avoir place dans votre Mercure,
Monfieur , cela pourra peut- être engager
quelques Artiftes à faire fuivre uniquement
la Nature à leurs Eléves. Ils imite
ront en cela les Sculpteurs , de qui nous
voyons , dans toutes les expofitions du
Louvre , des chef- d'oeuvres digne de l'antiquité
, & par conféquent de tous les
fuffrages.
J'ai l'honneur d'être & c.
Par M. B ***
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
» LES
ע
GRAVURE.
ES TRAITS DE L'HIST. UNIVERSELLE ,
» facrée & prophane , d'après les plus
grands Peintres & les meilleurs Ecri
vains. Ouvrage deftiné , principale-
» ment , à l'éducation des jeunes gens ,
≫ propre auffi pour l'inftruction & l'amu-
" fement des perfonnes de tout âge & de
tout fexe qui veulent avoir des notions
» de l'Hiftoire. » Par M. le Maire , Gra-
22
"
veur .
Deux raifons nous engagent à revenir
fur cet ouvrage, annoncé dans le premier
volume de ce mois.
•
1º . Il nous a paru , que quelques per
fonnes n'en avoient pas une idée affez
jufte , pour en connoître tous les avan
tages . 2 °. Nous avons appris que des gens
mal intentionnés , répandoient le bruit
que l'Auteur l'avoit abandonné.Quelques
éclairciffemens , rempliront notre objer à
ces deux égards.
L'ouvrage , en queftion , fera divifé en
quatre Parties , qui comprendront l'Hif
toire facrée , l'Hiftoire poëtique , l'Hiftoire
ancienne , & l'Hiftoire moderne.
On a commencé , comme il étoit jufte &
AVRIL 1760 . 199
naturel , par la partie la plus importante,
qui eft l'Hiftoire facrée . Cette partie , eſt
compofée des feuls textes de l'Ecriture
fainte , repréfentés en latin & en françois.
Une Eftampe , d'environ deux pouces
& demi , fur trois pouces de largeur ,
offre d'abord le trait d'Hiftoire tel qu'il
a été compofé par quelque grand Maître;
& le fujet de cette Eftampe eft enfuite
expliqué par toutes les expreffions du
texte qui en contiennent les circonftances.
C'eft la méthode qu'on a fuivie dans
le précis de la Genèfe , qui confifte en
130 Eftampes , & qu'on obfervera dans
toutes les autres parties . On conçoit que
de cette manière l'inftruction commence
par les yeux , & s'achève par la lecture.
Le fieur le Maire , avoit d'abord pris le
parti de ne graver ces Eftampes qu'au fimple
trait , & toute la Genèfe eft exécutée
de cette façon. Mais , depuis , déférant aux
avis de plufieurs perfonnes qui ont paru
defirer quelque chofe de plus , il s'eft déterminé
à jetter dans fes fujets des ombres
légères , qui font un très - bon effet ;
& il s'eft chargé avec plaifir de cette augmentation
de travail ,fans augmenter le
prix de l'ouvrage . Toute l'Exode & les
Livres fuivans feront traités uniformément
ainfi.Le volume de la Genèfe , coûte
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
9 liv. 15 f. & chacun de ceux qui fuccéderont
, fera du même prix , fans aucune
variation . Cette entrepriſe n'eft donc
rien moins qu'abandonnée ou négligée ,
puifqu'au contraire elle fe continue avec
une nouvelle ardeur , & que l'on délivre
´actuellement les vingt premiers fujets de
l'Exode. Le fieur le Maire, a même depuis
peu , de grands motifs d'encouragement :
Son ouvrage eft maintenant dédié à Monfeigneur
le Duc DE BOURGOGNE ; & ce
Prince , à qui l'Auteur a eu l'honneur de
le préfenter , ainfi qu'aux autres Enfans
de France , daigne l'accueillir avec bonté.
Quelle circonstance plus capable de ranimer
l'émulation de l'Artifte , fi elle s'étoit
ralentie ! Ce qui peut avoir contribué à
donner quelque apparence au faux bruit
de l'interruption de cet ouvrage , c'eft
la perfonne chargée du choix & de
la rédaction des textes , a jugé à propos
( on ne fait trop pourquoi) d'annoncer publiquement
à Paris lui- même , & de faire
annoncer en Province , dans les différentes
affiches , qu'il avoit ceffé de s'en mêler.
On a cru,fur ce fondement, que l'Ouvrage
étoit interrompu . Mais qui peut
ignorer qu'à Paris , qui eft la Patrie des
gens de lettres , on ne manque point de
fecours ? Ainfi , le premier coopérateur a
que
AVRIL 1760 . 201
für le champ été remplacé par un autre ;
& à moins qu'on ne veuille fuppofer que
M. l'Abbé Aubert étoit feul capable du
travail qu'il avoit entrepris , l'ouvrage
en paffant dans d'autres mains ne peut
avoir rien perdu ; & l'on ne s'appercevra
point qu'il foit continué avec moins d'intelligence
ou de foin qu'il a été commencé.
La réputation des ouvrages , eft
quelquefois attachée aux noms ; mais ce
n'eft point dans le cas dont il s'agit. Nous
ne retracerons point ici ni l'utilité , ni
tous les agrémens que le Profpectus de
l'Ouvrage fait envifager dans cette belle
entreprife. Il nous fuffira de faire obferver
aux Curieux , que les Eftampes font
copiées , ou réduites , d'après ce qu'il y a
de mieux en ce genre ; & qu'on met ici à
contribution les travaux de Raphaël , du
Titien , de Paul Veronese , de Rubens , &
des grands Maîtres de toutes les Ecoles
qui ont traité quelques parties de l'Hif
toire facrée ou prophane.
Le fieur le Maire , vient de s'abonner
avec la Pofte , pour l'envoi de fon Ou
vrage. Les perfonnes de Province qui
voudront l'avoir recevront > , par an ,
2 volumes , ou 240 Eftampes , accompagnées
des textes . Il demeure à Paris , rue
S. Jean de Beauvais.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui defireront avoir cet Ouvrage,
à Paris , le recevront régulièrement tous
les mois , chez eux , moyennant 18 liv.
& les perfonnes de Province , le recevront
également , moyennant la fomme
de 21 liv.
MUSIQUE,
LA NAISSANCE DE VÉNUS , Cantatille
pour un defus, ou une haute- contre , avec
fymphonie , dédiée à Madame la Marquife
de Villiers - l'ifle - Adam , par M.
LÉGAT DE FURCY, Organiſte de S. Germain
le Vieux , Maître de Mufique & de Clavecin.
Prix liv. 16 f. Les Paroles font de
M. de Relongue de la Louptiere , de l'Académie
des Arcades de Rome , & c. Chez
l'Auteur , rue de Longpont , près Saint
Gervais , & aux adreffes ordinaires de
Mufique , où l'on trouvera les autres oeu¬
vres de l'Auteur.
Il doit donner,inceffamment,le RÉVEIL
D'ALCIDON , Cantatille pour un deffuss.
dédiée à Mlle de Fitz,james.
AVRIL. 1763. 203
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
LE Public attend , avec impatience, la Tragédie
deDardanus , de M. Rameau , que l'on prépare
la rentrée.
pour
COMEDIE FRANÇOISE.
LE LE Compliment ordinaire , de la Clôture , a
été prononcé par M. Blainville. Voici comme il
s'eft exprimé :
MESSIEURS ,
» Nous ne rappellerons pas à votre fouvenir
ni les bontés dont vous nous avez honorés cette
année , ni les efforts que nous avons faits pour
obtenir vos fuffrages , ni les nouveautés que
>> nous avons foumiles à vos lumières. Vous nous
» avez accoûtumés depuis longtemps à votre in
» dulgence. En cherchant à vous plaire , nous
»templiffons un devoir : les piéces nouvelles &
» les talens des différens fujets admis pour comtribuer
à vos amufemens , vous les avez jugés.
» Permettez -nous feulenient , Mellieurs , de
joindre nos acclamations à celles de toute la
» France , & de vous témoigner la fenfibilité
qu'excitera toujours cer empreffement géné
reux que vous avez fait éclater en faveur d'un „
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
১১
Heveu de Pierre Corneille . Il fembloit que l'âme
de ce grand homme animât tous les coeurs ,
» échauffât tous les efprits ; que fa préfence mê-
>> me , fi j'ofe le dire , frappât tous les regards ;
» & qu'il jouit encore de ce triomphe unique , ou
tous les Spectateurs , faifis de refpect & de vé-
> nération , le levoient devant lui , lorsqu'il ve
5 noit prendre fa place au Théâtre ! L'hommage
que vous avez rendu à ſa mémoire, eft une épo-
» que immortelle , également glorieuse pour ce
>> Père de la Scéne Françoiſe , & pour notre fiécle
. Vous avez bien voulu , Meffieurs nous
» tenir compte du zéle que nous avons montré
» dans cette occafion : c'eſt la feule récompenſe
» qui pouvoit nous flatter.
>
כ כ
ود
,
» Ce feroit trop vous demander, fans doute ,
que de vous prier d'encourager nos foibles
>> talens , comme vous daignez nous fçavoir gré
» de nos fentimens ; mais fi vous mefuriez vos
» bontés fur la délicateffe de votre goût , que
>> pourrois-je espérer en particulier , moi , Mef-
>> fieurs , qui n'ai jamais rien attendu que de votre
>> bienveillance ? »
Ce difcours a été univerfellement applaudi ;
& peut
être regardé , comme un nouveau monument
à la gloire du célèbre Pierre Corneille . Le
Public fera peut être bienaife d'apprendre ,
que c'eft M. Fréron qui a infpiré , au petit neveu
de ce grand homme , l'idée de demander cette
repréſentation , à laquelle les Comédiens ſe font
prêtés de fi bonne grace..
COMEDIE ITALIENNE.
Nous ne dirons rien du Compliment de la
clôture , attendu qu'il ne nous a pas été commu-
"
AVRIL 1760: 205
niqué. L'ouverture de ce Théâtre fe fera , dit-on ,
par une Comédie en un Acte & en vers , mêlée
de chant & de danſe , & ſuivie d'un Divertiſſement
, intitulée , la Rentrée des Spectacles .
OPERA - COMIQUE.
L'Opéra - Comique
a fait la clôture
de fon
Spectacle , le 29 Mars , veille du Dimanche des
Rameaux , par le Maître en Droit , Blaise le Savetier
, la parade de Gilles , garçon Peintre , rival
defon Maître , & le départ de l'Opéra- Comique ,
avec des Couplets fur l'air de la contredanfe des
Portraits à la mode , & fur l'air de Chantons latamini
, qui ont fervi de compliment , & ont fait
beaucoup de plaifir .
Le Public , fans entrer dans les fauffes jaloufies
contre ce Théâtre , a vû avec fatisfaction les efforts
continuels que les Directeurs & les Acteurs ont
faits , pour lui plaire , dans le courant de cette
foire. On ne peut que les louer de leur zèle , &
applaudir aux talens des principaux Acteurs .
CONCERT SPIRITUEL.
Ityaa eu Concert fpirituel , pendant toute la
Semaine fainte , & les Fêtes de Pâques. ·
Dans ces Concerts , on a donné les Motets de
M. Mondonville , ſuivans ,
Cali enarrant
Nifi Dominus ,
De profundis ,
Les fureurs de Saül ,
Regina cali ,
206 MERCURE DE FRANCE.
Laudate Dominum , Mote : d'Orgue.
Venite , exultemus ,
In exitu ,
Dominus regnavit,
Tous Moters à grands choeurs; & Paratum y
petit Motet.
Dans ces Moters, MM. Gelin , Larrivée , Defintis
, l'Abbé Joly , & Muguet , Mlles Fel , Lemiere ,
& Dubois , ont chanté feuls avec beaucoup d'applaudidemens
. On a admiré , furtout , un Duo de
Miles Fel & Lemiere , dans le dernier Motet à
grands choeurs de M. Mondonville .
Madame Mingotti , célèbre Cantatrice Italienne
, a chanté plufieurs airs Italiens ; & le Stabat ,
del Signor Pergolefe , avec le Signor Potenza .
On a rendu juftice au talent extraordinaire de
Mde Mingotti ; & l'on entend toujours avec
plaifir le Signor Potenza .
Il y a eu, en Motets nouveaux , les fuivans :
La conquête de Jericho , Moret François de
M: Davefne , dont les paroles font de M. le C. D.
S. Il a paru faire grand plaifir , au début.
Une Lamentation de Jérémie , à grands choeurs,
de D. Francifco Xavier Garcia.
Mile Dubois , a chanté , le jour de Pâques , un
petit Motet , qui a plû beaucoup , ainfi que
manière dont elle l'a chanté .
la
Mile Fel, a chanté auffi Regina cali , petit Motet
nouveau de M. Blainville , où elle a été fort
applaudie.
M. Gelin,a chanté de même un petit Motet noth
veau de M. Legat , dont l'exécution a fait beaucoup
de plaifir.
Il y a eu plufieurs fymphonies de clarinettes
& cors de chaffe , très bien exécutées.
Une , entr'autres , intitulée , la tempête fuivie
du calme , qui étoit déjà connue dans des fociéAVRIL.
1760. 207
tés particulières , où elle avoit fait beaucoup de
bruit.
M. Gaviniés , a joué plufieurs Concerto de fa
compofition. On admire toujours l'étonnante facilité
avec laquelle il exécute : rien n'eft difficile
pour lui. 11 varie fon fujet à l'infini , & paroît
toujours nouveau.
M. Piffet , a joué auffi des Concerto de fa.compofition
, que l'on a écouté avec le filence qui
marque la fatisfaction & le plaifir fecret des Auditeurs
.
M. Hochbrucker , Allemand , a joué plusieurs
fois de la harpe , & exécuté des piéces de fa compofition
. L'on a reconnu en lui un grand Praticien
de cet inftrument : fon jeu a d'abord excité
la furprife & l'admiration.On a defiré,feulement,
de l'entendre fur un inftrument plus fort ; & l'on
ne doute point qu'il ne faffe fentir , dans la fuite ,
toute la force , la majefté , & le brillant d'un
inftrument qu'on eft charmé de voir revivre
après tant de fiècles , & qui peut produire un
effe : admirable dans certains accompagnemens.
L'on doit des éloges aux trois perfonnes qui
conduisent le Concert. Les talens , l'art , & l'activité
de M. de Mondonville , en font l'âme. On
ne fe laffe point d'applaudir à fes Motets. Et l'on
iroit au Concert uniquement pour les entendre ,
parce qu'ils font toujours un plaifir nouveau. Le
défintéreffement & le zèle infatigable de les deux
Affociés , tendent toujours à donner d'excellens
Concerts , & à la plus grande fatisfaction du
Iublic.
208 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De PETERSBOURG , le 28 Février 1760.
N OTRE armée , qui eft fur le point de ſe
mettre en mouvement , eft forte de cent mille
hommes. Il y aura , de plus , un corps de trente
mille hommes dans le Royaume de Pruffe.
Le S de ce mois , on célébra l'anniverſaire de la
nailfance du grand Duc , qui eſt entré dans ſa
trente- troifiéme année.
De DANTZICK , le 10 Mars.
Le Feld -Maréchal Comte de Soltikoff , avant
que de partir pour Petersbourg , a fait faire une
épreuve des nouvelles piéces d'artillerie , de l'invention
du Comte Schwaloff. Le Comte de Fermer
,& plufieurs autres Officiers généraux , y ont
affifté. Ils font convenus , unanimement , que leur
effet eft fort fupérieur à celui de l'artillerie ordinaire.
Il y a apparence que l'armée Ruffe en fera
ufage cette campagne.
Le quartier général des troupes Ruffiennes ,
eft toujours à Marienwerder. Elles font dans
le meilleur état . Le Général Tottleben , a préfentement
fon quartier à Stolpe , d'où il continue
d'exiger des contributions de la Pomeranie Pruffienne.
De VIENNE , le 10 Mars.
Entre autres priviléges accordés à l'Ordre de
Marie-Thérefe, auquel leurs Majeftés Impériales
AVRIL. 1760 . 209
viennent de mettre la derniere main , la Croix
de cet Ordre donnera la Nobleffe héréditaire ,
avec le titre de Baron.
Le Maréchal de Daun , a toujours fon quartier
général à Pyrna. Il a pourvû a la fureté de Drefde
, par de nouvelles difpofitions . Le Général
Baron de Beck , conferve toujours fa pofition audelà
de l'Elbe . Il a environ feize mille hommes
fous les ordres.
L'armée deſtinée à agir en Siléfie , fous les
ordres du Baron de Laudon , continue de ſe raffembler
en Moravie. Ce Général eft préfentement
à Groff- Herlitz . .
On célébra , le 14 de Mars , dans cette Cour ,
L'anniverfaire de la naiffance de l'Archiduc Joféph
, qui eft entré dans fa vingtiéme année. On
travaille aux préparatifs de fon Mariage avec
l'Infante , Princeffe de Parme.
Le Feld Maréchal , Baron de Marshall , n'eft
point mort , comme on l'avoit publié . Il eft arrivé
dans cette Ville , où il a été bien reçu de leurs
Majeftés Impériales , & l'Empereur lui a conféré
le titre de Comte du Saint-Empire.
De DRESDE , le 12 Mars .
Les mouvemens qui fe font dans notre armée ,
& dans celle du Roi de Prufe , annoncent qu'elles
ne tarderont pas à fortir de leur inaction. Les
difpofitions du Maréchal de Daun , font croire
qu'il a deffein de faire de cette Ville fon entrepôt
général , &fa place d'armes. Il vient d'ordonner
de nouveaux ouvrages , & il a fait conſtruire à
Ubigau une nouvelle batterie , qui rend impraticable
l'avenue de Drefde par ce côté .
Al'approche du corps de troupes commandé
par le Prince de Lowenftein , les troupes Pruffiennes
ont évacué Gorlitz , dont ce Prince a pris
poffeffion , & elles fe font retirées à Lauban .
210 MERCURE DE FRANCE.
Le Général Fouquet , eft toujours pofté entre
Lignitz & Lowenberg. Il a établi un cordon de
troupes depuis Neifs jufques dans la Balle- Luface
, pour couvrir la Silésie .
De BERLIN , le 10 Mars.
Les forces de Sa Majesté feront divifées ,
comme les années précédentes , en trois armées.
La premiere, deftinée à faire tête aux Autrichiens ,
fera compofée de foixante - quatre bataillons , dont
il y en a quinze de Grenadiers , & de cent-fix eícadrons.
Le Roi la commandera. La feconde, fera
oppofée aux Ruffes ; elle fera forte de 44 batail
lons & de 52 efcadrons. Elle doit s'affembler aux
environs de Coflin . Le Prince Henri , dont la
fanté eft prèlque entierement rétablie , en aura
le commandement .
La troifiéme , fera tête aux Suédois dans la
Pomeranie. Elle fera compofée de vingt - trois
bataillons , & de quarante- cinq efcadrons. Sa
Majefté n'en a point encore nommé le Général.
Outre ces trois Armées , il y aura quelques autres
corps,que l'on portera où il fera néceffaire. Le plus
confiderable de ces corps , fera fous les ordres du
Général Fouquet.
On a appris depuis , que le 18 de ce mois , la
Cour étoit partie pour Magdebourg , conformé
ment aux ordres du Roi. Les Miniftres des affaires
étrangeres, l'y ont fuivie. Cette précaution , qui
annonce que le Brandebourg va devenir le théâ
tre de la guerre , infpire beaucoup d'inquiétude.
DE LEIPSICK , le 6 Mars.
>
Nos malheurs augmentent tous les jours , par
les contributions que le Roi de Pruffe exige de
nous. L'Electorat de Saxe , eft taxé à dix mille
hommes de recrues. Cette Ville , ainfi que celles
AVRIL. 1760. 211
de Torgau , de Wirtenberg , & les autres que les
Prufhiens occupent encore , font pleines de gens
enrôlés forcément . On les forme aux exercices
militaires. La moitié des forces du Roi de Prufſe,
eft compofée de ces nouveaux enrôlés.
DE HAMBOURG , le 20 Mars .
Les Suédois font des difpofitions pour commencer
la campagne. Ils marchent vers Swinemunde,
dans le deffein d'y prendre pofte . La Ville
d'Olnabruck n'a pas été exempte des violences
exercées contre tant d'autres , pour procurer des
recrues aux troupes Pruffiennes ou à celles des
Alliés. On écrit , de cette Ville , que vers le milieu
de ce mois , le Général Anglois qui l'occupe ,
fit battre l'allarme & affembler la garniſon . La
curioſité fit accourir dans la place une bourgeoisie
nombreufe ; elle fur tout-à- coup enveloppée par
la garnifon , qui enleva tous les hommes en état
de lervir.
De BAMBERG , le 19 Mars.
On apprend de Ratifbonne , que le 17 de ce
mois , la Diete a procédé à l'élection de deux
Feld -Maréchaux des Armées de l'Empire. Les
fuffrages le font réunis en faveur du Prince Frédéric
des Deux -Ponts , & du Prince Charles -Augufte
de Baile Dourlach ; l'un , pour les Etats Catholiques
, l'autre , pour les Etats Proteftans . La
Diete drefla enfuite fon Conclufum,pour être notifié
au Prince de la Tour - Taxis , Principal Commiflaire
de Sa Majesté Impériale.
De MADRID , le 18 Mars.
La Cour célébra , le 15 de ce mois , l'anniverfaire
de l'infant Don Philippe , Duc de Parme ,
qui eft entré dans fa quarante-unième année .
212 MERGURE DE FRANCE.
1
On continue les préparatifs ordonnés par le
Roi , pour rendre la Monarchie Efpagnole encore
plus refpectable que par le paffé . Nos forces de
terre confiftent en plus de cent dix mille hommes.
Nous aurons , ce Printemps , quarante- neuf vaiſ
feaux de ligne , armés & prêts à mettre en mer.
On preffe l'équipement de la flotte deſtinée pour
les Indes. On forme beaucoup de conjectures fur
l'objet de ces préparatifs . Mais dans les circonf
tances préfentes , ils peuvent n'en avoir d'autre
que de fe tenir prêt à tout événement .
De ROME , le 15 Mars.
Le Cardinal Colonna di Sciarra , préconifa , le
3 , la Coadjutorerie de l'Evêché de Strasbourg ,
pour l'Abbé Louis- René- Edouard de Rohan.
De LONDRES , le 20 Mars.
Les troupes deftinées pour l'Allemagne , s'em
barquent actuellement en différens ports du
Royaume. On les fait monter à vingt-un mille
cinq cens hommes. La grande flotte qu'on deftine
à agir contre les côtes de France , eft à la rade
de Spithead , prête à mettre à la voile . Elle attend
les troupes qui doivent s'y embarquer .
L'efcadre deftinée pour la mer Baltique , n'eft
pas encore formée. On affure , que les Puiffances
du Nord ont témoigné , qu'elles ne verroient pas
avec indifférence une efcadre Angloife dans cette
mer.
Le Confeil de guerre , chargé de l'affaire du
Lord Georges Sackeville , a été occupé , depuis
le 6 jufqu'au 12 , à entendre les témoins venus
d'Allemagne , pour dépofer contre lui . Les
fieurs de Vilingerode & de Derenthal , Adjudans
généraux du Prince Ferdinand , font les deuxpincipaux.
On dit qu'ils l'ont beaucoup chargé.
AVRIL. 1760. 215
Ce Seigneur a produit , le 15 & les jours fuivans
, les témoins qui lui font favorables. La
décifion de ce Procès ne fçauroit tarder.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée du bas-
Rhin , de Paris , &c.
De VERSAILLES le
, 3
Avril.
LE Roi a donné l'Abbaye de Signy , Ordre de
Citeaux , Diocèle de Rheinis , à l'Evêque Duc de
Laon , Ambaſſadeur Extraordinaire de Sa Majesté
à Rome.
L'Abbaye de Jumieges , Ordre de S. Benoît ,
Diocèle de Rouen , à l'Abbé de Lorraine , Grand
Doyen de Strasbourg.
L'Abbaye Régulière de Choquèz , Ordre de
S. Auguftin , Diocèle de S. Omer , à Dom Chavatte
, Religieux de la même Abbaye.
Et celle de Notre- Dame des Anges , Ordre de
S. Benoît , Diocèſe & Ville de Coutances , à la
Dame de Canouville , Religieufe à l'Abbaye de
S. Sauveur à Evreux .
Le Roi a nommé le Chevalier d'Argence , cidevant
Lieutenant Colonel dans la Légion Royale
, Meſtre de Camp , commandant le Régiment
de Beaufremont.
La place de Premier Préfident du Parlement
de Grenoble , vacante par la mort du fieur de
Piolenc , a été donnée, par Sa Majefté, au fieur de
Berulle , Intendant de Moulins ; & le fieur le
Nain , Maître des Requêtes , a été nommé à l'Intendance
de Moulins.
214 MERCURE DE FRANCE.
Le 19 Mars , la Ducheffe de Coffe fut préfentée
au Roi , à la Reine , & à la Famille Royale ,
& prit le tabouret chez la Reine.
Le 26 , la Duchefle de Charoft fut auffi préfentée
au Roi , à la Reine , & à la Famille Royale
, & prit le tabouret chez la Reine.
Le 29 , le Comte de Curé prêta ferment entre
les mains du Roi , pour la charge de Maître de
la garde-robe de Sa Majeſtć.
Le 2 de ce mois , le Roi tint le fceau.
De l'Armée du Bas-Rhin.
Tout est encore tranquille , dans nos quar
tiers. Le Maréchal de Broglie n'attend que
le
moment d'agir. La foire de Francfort le tiendra
cette année comme les précédentes , le Maréchal
ayant fait publier que les Négocians qui voudront
y venir , jouiront de toute liberté , & feront
en toute fureté .
Un Caporal du Régiment de Baroniay , qui
étoit envoyé en patrouille dans les environs de
Naumbourg , a trouvé le moyen d'entrer dans
cette Ville , & d'y enlever un bas Officier & fix
Cuiraffiers Prulliens du Régiment des Gardes ,
avec leurs chevaux Ces prifonniers ont
été conduits
au Prince de Stolberg, fans que la patrouilie
ait fait la moindre perte.
De PARIS , le 5 Avril.
On fit , le 22 du mois dernier , la proceffion.
qu'on a coutume de faire tous les ans , en mé
moire de la réduction de cette Capitale fous l'obéillance
de Henri IV. Le Duc de Luynes , Gouverneur
de Paris , ainsi que le Corps de Ville , y
affifterent.
Le 28 , le Pere Geoffroy , l'un des Profeffeurs
de Rhétorique du Collège de Louis - le - Grand,
AVRIL. 1760. 215.
prononça un difcours latin ,dans lequel il examina
fi un Auteur doit fe conformer au goût de foi fiécle,
ou s'il doit écrire pour lesfiècles à venir ? Le Clergé,
en Corps, honora l'allemblée de la préſence , ainfi
que plufieurs autres Prélats , le Prévôt des Marchands
, & divers Magiftrats.
Alion de Vandavachy dans l'Inde , du 30
Septembre 1759.
7
Du nombre des tués , font MM . de Fondat
de Gineftoux , & du Gouyon , tous deux Capitaines
de Grenadiers au Régiment de Lorraine.
Ce dernier avoit reçu deux bleffures au siége
de Madras , l'une au corps , & l'autre au travers
du poignet gauche ; il étoit frere du feur
du Gouyon , Lieutenant aux Gardes Françoiles ,
du fieur du Gouyon de l'Abbaye , Capitaine au
Régiment du Colonel Général Dragons , du Chevalier
du Gouyon , Capitaine au Régiment d'Enghyen
, bleflé à Hafteimbeck , du fieur du Gouyon
Garde de la Marine , & du feu Chevalier du
Gouyon , Lieutenant au Régiment de Lorraine , "
décédé dans la traversée dudit Régiment dans
l'Inde.
De MANHEIM.
Le 2 Février , jour de la Purification , l'Electeur
Palatin tint Chapitre de l'Ordre de S. Hubert ,
dans lequel le Chancelier de l'Ordre ayant préfenté
les formalités remplies par les Chevaliers
nommés le 2 Février 1759 ; Son Alteffe Electorale
conféra le Collier au Prince Jean- Charles
de Büchenfelds , Comte Palatin du Rhin , Louis
Prince de Naffau Saarbruch, Charles Hyacinthe ,
Prince de Galléan des Idarts , Emmanuel , Prince
héréditaire de Heffe Hothenbourg , Jérôme ,
Prince de Nadzivil , Michel , Prince Sapicha , &
Staniftas , Prince Jablonouski.
216 MERCURE DE FRANCE:
MARIAGE.
Meffire Vital-Augufte de Grégoire de Nozieres
, Colonel du Régiment de Flandres , Infanterie
, a épousé , le 17 du mois dernier , Demoifelle
Françoiſe-Marie Terray de Rozieres. La bénédiction
nuptiale leur a été donnée , dans la
Chapelle de la Bibliothèque du Roi , par l'Evêque
de Comminges. Leurs Majeftés, & la Famille
Royale, avoient figné leur Contrat de mariage le
15 du même mois.
MORT S.
Charles-Henri , Marquis de Maillé , ancien
Colonel du Régiment de Condé , Infanterie ,
Brigadier des Armées du Roi , mourut le 25 du
mois dernier , dans fon château de Jalelne en
Anjou , dans la 73. année de fon âge.
>
Henri-Ignace de Brancas , Evêque de Lizieux ,
Sous-Doyen des Evêques de France , Abbé Commendataire
des Abbayes de S. Gildas des Bois ,
Ordre de S. Benoît , Diocèle de Nantes , & de
Chambrefontaines , Ordre des Prémontrés , Diocèfe
de Meaux , eft mort , dans fon Diocèſe , le
premier de ce mois , âgé de 76 ans.
SUITE
AVRIL 1760. 217
SUITE de l'état de la Vaiffelle , portée
à la Monnoie de Paris.
Meffieurs
Du 31 Janvier 1760 .
de l'Abbaye de Royaumont , Ordre
de Citeaux , diocèfe de Beauvais .
Meldames de l'Abbaye du Parc- aux-
Dames.
MM. de l'Abbaye de la Charmois.
Du Février.
Le fieur Perville , Lieutenant des
Maréchaux de France.
Notre-Dame de Melun.
L'Abbaye de Perfiegne , Ordre de
Citeaux.
Du 4 Février.
Morgan de Fricour , Négociant
d'Amiens.
Madlle le Doux,
Du 6 Février.
Le Comte de Ligny.
Madame de Chavigny , Bourgeoife.
La Paroille de Juvily.
Madame la Marquife d'Aubeterre .
M. Perinet d'Orval , intéreffé dans
les fermes des poudres.
En or. I m . 4 onc, 51 18 d.
ᏓᏆ Vol.
m. o.
K
SI 27
10 I S
12 4
St 4
2322
26 4 6
102 2
564
146 4 4
5447
II 7
22 2
218 MERCURE DE FRANCE.
Du 7 Février.
Meffieurs
Mefdames de la Congrégation de
Provins.
Didelot , Directeur des Aydes à
Châlons en Champagne.
MM. du Chapitre de S. Marcel ,
le Vicomte de Sebourg , Maréchal
de Camp.
MM. de l'Abbaye de Jouy , filiation
de Pontigny.
Du 8 Février.
La Paroiffe de Chomery , près
Fontainebleau .
Les Dames Hofpitalieres de Saint
Nicolas de Melun.
•
Du 9 Février,
Fricau , Secrétaire du Roi.
Touroude , Maître Doreur.
Du 11 Février.
le Prieur de l'Hôtel- Dieu de Paris.
les Dames Bernardines de Provins,
les Religieux Cordeliers de Provins.
la Paroiffe de Chenoife .
la Fabrique de Champreneſt.
la Fabrique deBetonbafoche , Election
de Provins .
Dupeyron , Directeur de la Monnoie
de Paris .
les Dames Religieufes de l'Abbaye
des Clerets , au Perche.
le Chapitre de S. Nicolas, de Provins.
le Chapitre de S. Guiriace , de Provins.
m. 0.
g.
21 4
30 16
18
36 4
30 4
371
3
5847
5576
12 33
275
4 14
13 7 1
476
235
722
100 4
17 -7
245
29 2
AVRIL. 1760. 219
Meffieurs
Du 12 Février.
Delpeche de Mérainville , Confeiller
au Parlement.
les Jacobins de Provins.
Du 13 Février.
l'Abbaye Royale de Saint Louis , de
Poitli .
les Chanoines Réguliers de S. Antoine.
les Jéfuites , de Sens.
m . o. g.
50 4
1275
545 I
4
47 2
7
3 20
les Religieufes de S. Antoine , de Sens . 45
l'Abbaye de S. Pierre le Vif , de Sens.
les Religieufes Urfulines , de Sens.
la Paroiffe de Chaumont.
la Paroiffe de S. Maximien , de Sens.
la Paroiffe de Villenaux , la petite ,
Diocèle de Sens.
le grand Séminaire de Sens .
la Fabrique de Saint Thibaut , de la
ville de Joigny , Diocèse de Sens .
1156
4 2 4
72
344
20 7 6
1066
les Religieufes Urfulines d'Argenteuil . 23 23
Du 14 Février.
les Chartreux de Bourgfontaine.
Dagueffeau de Frefne.
les Dames Religieufes de Colinance ,
en Valois , Ordre de Fontévrault.
Du 15 Février.
Freffend , Juré honoraire Porteur de
Sel de l'Ecole Royale Militaire.
les Bénédictins de Marmoutiers.
les Bénédictins de S. Calais.
88 5
269
3262
652
21 2 3
525 5
J
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Du 16 Février.
l'Abbaye de Royal- Lieu , Diocèfe de
Soiffons.
l'Hôtel-Dieu de S. Nicolas de Compiégne.
les Dames Carmelites , de Compiégne,
les Jéfuites de Compiègne.
les Dames Bernardines de l'Abbaye
Royale du Tréfor , Ordre de Cîteaux
.
1
la Paroiffe d'Aney , Diocèle de Sens.
Du 18 Février.
m. o. g.
79
41 7 3
33 34
so
158 4
3 5
Bernier , Marchand.
17 2 I
Du 21 dudit.
Maître , Bourgeois de Paris. 2346
1
Du 22 dudit.
Chapus , Contrôleur de la Maiſon
du Roi.
l'Abbaye de Reconfort , Ordre de
Câteaux .
Madame la veuve.de Barry.
25 4
564
356
du Tillet , Brigadier des Armées du Roi . so 6
Gançau , Receveur des Tailles à
Bar-fur-Aube.
Les Dames Religieufes de Renard ,
974
Ordre de S Benoît , Dioc. de Meaux. 23 5 3
La Paroiffe de Grand- Pui , Diocèfe
de Sens.
Ledagre de Mardreau , Ecuyer.
4 1 2
2275
8
Les Bénédictins de S.Pierre Lemoutier . 85 2
Les Dames Urfulines de Poiffy.
AVRIL. 1760.
221
Meffieurs
Poncel , Sculpteur.
Du 27. Février.
m. 0. g.
133
Du 28 dudit.
le Marquis de la Chenaye , Grand-
Ecuyer tranchant .
Boucot , Receveur de la Ville .
Mulot , Huiffier au Châtelet.
Du 29 dudit.
le Marquis de Genty , Officier aux
Gardes.
Madame Plaflier , Bourgeoife de Paris ,
à Provins.
La Paroiffe de S. Pierre , de Provins.
Lallemand de Lévignan , Intendant
d'Alençon.
Du 10 Mars.
l'Abbaye Royale de Ste . Trinité , de
Caen.
l'Abbaye de Coulombs , Congrégation
de S. Maur , Diocèle de Chartres .
Du dudit.
Le petit Séminaire de Sens , Maiſon
de Chaulmes , en Brie.
Du 13 dudit.
l'Abbaye de Frémont , ordre de Citeaux
, Diocèfe de Beauvais .
l'Abbaye de Lompont , Ordre de Cîteaux
, Diocèfe de Soiffons .
de Cormainville , Maréchal de Camp.
82 I
173 26
64
142 2 4
2954
2 2
77 4 4
835
6072
517
33 7
2542
18 1 7"
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs
Du 14 Mars.
Madame de Vaſſe , veuve du Doyen
des Sécretaires du Roi.
Cardon , Subftitut de M. le Procureur
général , au Grand- Confeil.
Les Minimes de Compiègne.
Les Dames de la Congrégation de
Notre-Dame de Compiègne.
Les Cordeliers de Compiègne.
Les Dames de la Vifitation de
Compiegne.
Les Bénédictins de l'Abbaye de la
Couture , au Mans.
La Cathédrale de Seez.
Du 15 dudit.
La Paroiffe de Château -Regnard ,
Election de Montargis .
La Parciffe de Baune , Election de
Némours .
La Paroiffe de Malezerbes , Election
de Pithiviers.
La Paroiffe de Chamy , Election de
Joigny.
La Paroiffe de Saint Julien de Seau ,
Election de Joigny .
La Paroiffe de Vallery , Diocèfe de
Sens.
Hauteclaire , Ingénieur des ponts &
chauffées.
Les Doyen , Chanoines , & Chapitre
de l'Eglife Métropolitaine de Sens ,
en or , 73 m 5. onc . 6 g . 18 d.
Du 27 dudit.
La Paroiffe de S. Cyr , de Vimpelle ,
Diocèle de Sens .
TR . 0.
5855
6676
17 6 3
37 3 4
37 3 4
51 2
21 2 I
2553
15 15
13 6 1
67
45 I
763
54
1556
75
AVRIL 1760. 223
Du 18 Mars .
Les Religieufes de Fontaines , près
Meaux , Ordre de Fonteveaux.
Mile Germain , Bourgeoile de Paris.
Du 19 dudit.
Les Dames de la Congrégation de
Notre-Dame de Némours, Diocèfe
m. 0.8
95 3
9152
de Sens.
2876
Du 20 dudit.
Meffieurs
m. o. g.
Dupleffis , Bourgeois de Paris.
26 42
Catholiques , de Paris. 14 7 6
La Communauté des Nouvelles-
Du 21 dudit.
L'Abbaye de S. Michel , de la Ferté-
Milon.
I
Du 22 dudit.
L'Eglife & Fabrique de Saint Clair ,
de Souppe , Diocèle de Sens.
Du 24 dudit.
Binet de la Bretonnière , Fermier du
Roi.
de Villebois , Capitaine au Régiment
d'Apchon.
Madame de Vaffe. ( Second envoi. )
Du 26 dudit.
La Paroiffe de S. Gervais , de Paris .
L'Abbaye de Vauluifant , Ordre de
Citeaux , Diocèle de Sens.
2.
15 4
953
50 2
353 I
923
97 I 3
26 1 S.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE
Du 27 Mars
Meffieurs
Les Chanoines Réguliers de Sainte
Catherine , la Culture,
La Paroiffe de S. Landry , de Paris.
La Paroiffe de S. Paul , de Paris.
La Paroiffe de S. Jean en Grêve .
Du 28 dudit.
Mlle Angrand , Bourgeoife de Paris.
Les Dames Religieufes de la Vifitation
de Mélun.
Bronod , le Jeune , Notaire.
Les Urfulines de Montdidier , Diocèle
d'Amiens.
Du 31 dudit.
MM. Hachette , Notaire , & fon fils ,
Tréforier de France.
de la Salle , Receveur des Tailles à
Montargis.
L'Abbaye de S. Jean en Vallée , de
Chartres.
La Paroiffe & Fabrique de Logny , en
Perche , Diocèfe de Chartres.
Les Dames Religieufes Carmelites ,
de Chartres .
La Paroiffe de Saint Jacques de la
Boucherie , de Paris .
MM. les Marguilliers de la Fabrique
de Saint Jacques , de la Boucherie ,
pour la Confrérie du S. Sacrement.
m. o. g.
58
192
1596 1
ΙΘΙ 7 4
3574
17
6
$1 63
12 47
122 4
3128
13 5 4
422
4 4 3
7632
?
AVRIL. 1760. 225
MONNOIE DE RIO M.
Du 17 Décembre 1759 , au 31 Mars 1760 .
Meffieurs
de la Vilatel , Lieutenant des Maréchaux
de France.
du Tour , Corefpondant de l'Académie
Royale des Sciences .
m. o. g.
57 4
255
le Marquis de Chabannes , de la Paliffe. 54 4
Desbray , Receveur des Tailles de
Gannac .
Les Religieux Bénédictins de la Chaiſe-
Dieu.
Les Bénédictins de S. Allire , près
Clermont.
l'Evêque de S. Flour.
le Marquis de Villemont .
MM. de l'Oratoire de Clermont.
Les Jéfuites de Clermont.
Les Religieux de S. Geneft , Ordre des
Prémontrés.
Les Religieux de Montpeyroux .
MM. de l'Abbaye de Bouchet.
le Curé de S. Pourcain.
Les Réligieufes de Notre - Dame
de Riom .
Les Bénédictins de S. Pourcain .
MM . les Comtes de Brioude.
Du Jouhanel , Trélorier de France,
à Riom .
Elpinaffe , Receveur des Tailles à
Clermont.
Les Chanoines de Notre- Dame de
Marthuret , de Riom,
?
1932
6
305 2
191
72 4
44 3
16 I
5-
IL 3
12 f
10 3
4 7 4
93
83 4
257
32 2
1524
KY
226 MERCURE DE FRANCE
Mefsieurs
Suite de Riom.
Les Chanoines de Saint Amable , de
Riom .
Les Cordeliers de Riom .
Les Dames Religieufes de Sainte
Marie , de Riom .
MM . de l'Oratoire , de Riom .
m. o. g.
257
36 3
94
17 I
Les Religieufes Hofpitalières , de Riom . 14 4
De Lauriat , ancien Tréforier de France
à Riom .
Les Religieufes de l'Eclache , de Clermont.
>
le Baron d'Eveaux , de Moulins.
Chamfeu Lieuten . des Maréchaux de
France , a Moulins .
Les Chanoines de la Sainte Chapelle ,
de Riom .
le Marquis de Goutes , de Moulins ,
Capitaine de Vaiffeaux .
le Curé de S. Geneft , de Clermont.
Les Dames Carmelites , de Riom .
les Chanoines de Billom .
les Religieufes de Sainte Marie , de
Billom .
les Jéfuites , de Billom .
d'Avaux , Premier Préfident au Préfidial
de Riom.
du Corail , Brigad. des armées du Roi.
Demacholles , Chevalier de S. Louis ,
& ancien Capitaine de Dragons.
MM de Chapitre de Chamaliere.
les Bénédictins d'Iffoire . *
les Religieufes d'Efteil , Ordre de Fontevraux
.
les Bénédictines , de Billom..
36.5
16 2
36 6
18 5
4
85 14
20 S
16 64
24 3 4
II 4
10.2
237
8 I
204
754
4 2
24 5
246
AVRIL. 1760. 227
Meffieurs
Suite de Riom.
m. 0. g.
les Marguilliers de Saint Amable ,
de Riom .
les Religieufes Bénédictines de Clermont.
les Religieufes de Sainte Marie de
Clermont.
les Religieufes de Notre - Dame de
Gannat.
les Chanoines de Notre- Dame du Port,
de Clermont .
les Chanoines de Notre- Dame d'Aiguepene.
les Carmes anciens , de Clermont .
les Religieufes de la Vifitation , de
Notre- Dame de Montferrand.
MM. du Chapitre de Montferrand.
les Miffionnaires de Ballene , près
Gannat.
30 7
566
106
36
18 3
17 5 4
742
3 64
742
864
la Paroille de Montaigut, en Combraille. 12 5
les Dames Religieufes de Pontralier ,
près Gannat . 434
les Dames Urfulines , de Montferrand . 10 4 4
AVIS.
NOUVELLES EAUX DE PASSY.
M.
J
LEVEILLARD , Gentilhomme fervant
ordinaire du Roi , & propriétaire des Nouvelles
eaux minérales de Pafly , ayant appris que quelques
perfonnes ou mal inftruites , ou mal intentionnées
, faifoient courir fur les eaux des bruits
228 MERCURE DE FRANCE.
défavantageux , en les accufant d'être changées
de nature , & par conféquent dépourvues des
vertus qu'on leur avoit attribuées jufqu'à préfent ,
en les taxant même de factices , a cru qu'il devoit
prendre des mefures pour détruire , par une
preuve autentique , ces faufletés , & pour confirmer
le Public dans la confiance qu'il a eue juf
qu'à préfent dans fes eaux.
Pour cet effet , il a préfenté une requête à la
Faculté de Médecine , pour qu'il lui plût de nommer
des Commiflaires qui fiffent un nouvel examen
, & une nouvelle analyte des nouvelles eaux
de Paffy. La Faculté de Médecine lui , ayant acordé
fa demande , nomma l'été dernier , fix Docteurs
, qui furent MM. Mercy , Chomel , Vieillard
, Cofnier , Latier , & Delarivière , qui fe
tranfporterent à Pally avec M. Boyer , Doyen de
la Faculté : & après avoir fait mettre à fec les
fources , & en avoir examiné les environs avec
la plus févère attention ; ils emporterent des eaux
pour en faire l'analyfe , dans le laboratoire des
écoles . L'analyſe finie , après avoir afluré que les
e aux ne pouvoient être factices , tant à caufe de
lexamen qu'ils en avoient fait , que par ce qu'ils
croyoient impoffible de les contrefaire , ils expofent
leur analyfe,par laquelle ils ons trouvé exactement
les mêmes principes que M. Bolduc , il y a
trente ans , & concluent ainfi .
Par cette analyſe,& ces expériences , nous vous
avons démontré que les nouvelles eaux de Pally
renferment en el es mêmes un vrai vitriol de
mars , du fel de glauber naturel , du fel marin',
une terre alkaline , & de la felenite ; par conféquent
, c'est avec jufte raifon que ces eaux ont été
appellées , Nouvelles Eaux minérales ferrugineufes
de Paffy que par la connoiffance que tout Médecin
doit avoir des effets que produisent ces
AVRIL 1760 . 229
différentes matières unies & combinées enfemble,
elles peuvent & doivent être très - utiles dans les
maladies chroniques & d'obftruction , toutes les
fois qu'il s'agira de lever les embarras caufés par
l'épaiffiffement des liqueurs & la diminution du
reffort des folides ; & qu'enfin ces eaux doivent
être regardées comme un remède d'autant plus
falutaire , qu'il eft donné des mains de la fimple
nature.
Mais comme la Faculté , Meffieurs , nous a
moins chargés de nous affurer de la nature des
nouvelles eaux de Paffy , des principes qui les
compofent , & des vertus qui leur font propres ,
que d'examiner avec la derniere attention , fi les
bruits qui fe font répandus de fources éteintes ,
de principes dénaturés , & dé vertus détruites ,
font fondés en raiſon ; pour remplir l'étendue de
notre Miffion , nous n'hésiterons pas à vous confirmer
, que les defcentes que nous avons faites
fur les lieux le fond des baffins , que nous avons
fait mettre à fec , & fouillé à différentes repriſes
les plus petits coins & recoins qui n'ont point
échappés à nos recherches , les eaux que nous
avons vû ruiffeler en abondance & de plufieurs
endroits , leur limpidité & leur faveur , le caractère
de la nature qui s'eft manifefté partout , &
enfin notre analyfe & nos expériences , doivent
'convaincre tout efprit raisonnable , qu'actuellement
aux nouvelles eaux minérales de Paffy , les
eaux y coulent de la même manière qu'en 1720 ,
que la Faculté s'y tranfporta pour la premiere
fois , & en quantité plus que fuffifante pour fournir
aux befoins des Citoyens ; que leur nature & la
combinaiſon de leurs différens principes n'étant
point changés , il eft impoffible que leurs vertus
médicinales foient détruites ; & que les bruits dé
Lavantageux qui fe font répandus au fujet defdites
230 MERCURE DE FRANCE.
eaux , ne peuvent partir que de la prévention ou
de l'ignorance.
Nous concluons donc , Meffieurs , en finiffant
notre rapport , que fi la Faculté n'a pas héfité
en 1720, pour le bien & l'utilité publique , de mettre
en crédit , par fon approbation, des eaux qui
n'avoient pas encore l'attache & le fceau de l'expérience
confirmée , elle doit aujourd'hui, par un
decret autentique, affermir les Citoyens dans la
confiance qui eft due aux mêmes eaux , fur l'utilité
defquelles 40 années d'ufage & d'effers falutaires,
fous les yeux des Médecins, ne permettent
pas de former aucun doute.
DECRET DE LA FACULTÉ,
La Faculté a jugé, que les nouvelles eaux minérales
de Paffy font aujourd'hui dans le même
état où elles étoient en 1720 , & qu'elles n'ont
rien perdu de leurs anciennes qualités ; que les
bruits de fources éteintes , de principes dénaturés,
& de vertus détruites , qui ont été femés dans
Paris ,font l'ouvrage de la prévention & de l'ignorance
, & que lefdites eaux ne peuvent que continuer
à être très- utiles dans les maladies d'embarras
& d'obftruction , caufées par l'épaiffiffement
des liqueurs , & la diminution du reffort des
folides.
On continuera , comme on a fait juſques à préfent
, de délivrer gratis, à Paffy , des eaux pour les
Malades qui font hors d'état de les payer, pourvû
qu'ils ayent un billet du Médecin , ou du Chirur
gien , ou du Curé de leur Paroiffe , qui conſtate la
maladie, & l'indigence de celui qui demande des
eaux,
Les eaux épurées de Paffy , qui ne font autre
choſe que celles des fources qui ont déposé leur
AVRIL. 1760 . 231
mars dans de grands vales où elles ont féjourné
longtemps , fe tranfportent partout , & fe confervent
toujours , pourvû qu'on ne les bouche pas ,
& qu'on fe contente de les couvrir d'une patte de
verre , ou d'un fimple papier.
Les eaux de la premiere & feconde fource , peuvent
aufli fe tranfporter , pourvû qu'elles ne foient
pas trop expofées au Soleil , & qu'elles foient
bien bouchées : elles fe confervent quatre à cinq
mois ; avantage que n'ont point les autres eaux
ferrugineufes dans lefquelles apparemment le
mars n'eft pas fi intimement uni avec les autres
principes qui les conftituent.
Les perfonnes qui ont befoin d'eau , font prices
de mettre par écrit de quelle forte ils en veulent ,
attendu que les Commiffionnaires fe trompent
fouvent , & prennent des eaux épurées pour des
eaux de la fource ; ou des eaux de la fource, pour
des eaux épurées.
NOUVEAU PLAN de lafeconde Loterie de la
Souveraineté DE BOUILLON ; quife tirera en un
feuljour, le 4 Juin 1760 , au Château de Bouillon
, en préfence des Commiffaires nommés par
Son Alteffe.
On trouvera des Bureaux , pour la diftribution
des Billets , dans toutes les principales Villes du
Royaume.
SCAVOIR,
A Bouillon , chez M. Barthelmy , Receveur
général des Domaines de Son Alteffe .
A Paris , M. Liégeard , à l'Hôtel de Longueville,
à la Manufacture du Tabac , rue S. Thomas
du Louvre.
A Marfeille , M. Collé , Entrepofeur du Tabac .
232 MERCURE DE FRANCE.
A Amiens , M. Dumoulin , Négociant .
A Lyon , M. Gilbaut , Entrepofeur du Tabac.
Au Havre , M. Rique , idem.
A Rouen ,M. Chartreux , dans les Ferines du Roi
A Montpellier , M. Dupuis , Entrepofeur du
Tabac.
A Dijon , M. Pecinće , idem .
A Dieppe , M. Poffe , au Bureau des Aydes.
A Bordeaux , M. Bardon , Négociant.
A Troyes , M. Noel , Entrepofeur du Tabac.
Ala Rochelle , M Jay , idem.)
A Touloufe , M. Picot , idem..
A Lille , M. Delogny , Directeur des Fermes.
A Nancy , M. Dupont , Entrepofeur du Tabac.
A Metz , M. Pafquier , idem .
A Luneville, M. Febré, au Bureau des Archives
du Roi de Pologne.
Quant aux Villes où il n'y aura point de Bu
reaux , pour la diftribution des Billets , on s'adrefà
M. Liégeard , à l'Hôtel de Longueville , à la
Manufacture du Tabac , rue S.Thomas du Louvre ,
en affranchiffant les Lettres.
Tous les lots qui échérront à Paris , feront payés
chez M. Dupré le jeune , Notaire , Receveur géné
de ladite Loterie , demeurant , rue Bar -du - Bec ,
vis-à-vis celle de Saint Avoye.
Il y a des Billets , dans ladite Loterie , à dix prix
différens: fçavoir ; à 3 , 5 , 6 , 10 , 12 , 15, 24, 30,
48 , 72 livres.
*
AVRIL. 1760. 235
LETTRE de M. MORAND , à M. FRERON ,
fur le Reméde contre la Goutte, de M. CHAVY -
DE MONGERBET , dans l'Année Littéraire de
Janvier 1760 .
JE vous avoue , Monfieur , qu'en lifant le Mémoire
de M. Chavy de Mongerbet , Médecin à
Bourg en Breffe , fur la Goutte , je nefus pas plus
perfuadé que vous : mais ce Médecin eft venu à Paris;
& plufieurs goutteux , entr'autres un très grand
Seigneur, ayant pris fes remédes ; j'ai eu des témoignages
très avantageux de leur effet , de lapart
de ces perfonnes fi intéressées à dire la vérité. Le
principal confifle en une ptifane que j'ai goûtée ,
qui n'eft point défagréable à prendre , & dont M. de
Mongerbet m'a très-honnêtement confié la compofi
tion . Je puis donc certifier, qu'il n'y a rien dans cette
ptifane qui doive en faire craindre l'ufage . Il n'y
entre aucune préparation tirée des minéraux ; elle
eft compofée dufuc de beaucoup de plantes , affezfinn
gulièrement afforties . ....
J'ai l'honneur d'être , & c . MORAnd .
Suite de la Feuille .
Après ce témoignage , il n'eft pas poffible ,
Monfieur , de douter des bons effets de la Ptifane
de M. de Mongerbet. M. Morand n'eſt pas le feul
à qui il ait donné la connoiffance de fon reméde :
ill'a auffi communiqué à M. Peſtalozzi , Médecin
de Lyon , très-célèbre & très- habile dans fon Art..
Ce procédé de M. Mongerbet , prouve qu'il agic
de bonne foi , & qu'il eft perfuadé que fa recette
procure des foulagemens réels. M. de Mongerbet
ne doit point être confondu avec les
234 MERCURE DE FRANCE.
Empyriques , qui inondent le Public de promeft
fes qui ne font éfficaces que pour eux . C'eſt un
Médecin qui a communiqué fa recette à d'habiles
perfonnes de l'Art , qui affurent qu'on peut s'en
fervir avec fruit ; ce que fes effets falutaires prouvent
encore mieux que leurs témoignages
quoiqu'ils foient d'une très-grande autorité.
>
LETTRE de M. CHAVY DE MONGERBET ,
Docteur en Médecine , à préſent à l'Hôtel de
Châtillon , rue de Tournon , à Paris, à Methieurs
les Goutteux .
MESSIEU
E SIEURS , j'ai voulu diffiper vos préju
gés , & vous être réellement utile , en confiant la
compofition de mon Reméde au célèbre M. Morand,
Chirurgien du Collège de Paris , Docteur en Méde
cine , Secrétaire perpétuel de l'Académie de Chirur
gie , Membre de l'Académie des Sciences de Paris ,
& de plufieurs autres de l'Europe ; & à M. Peſtalozzi
, Médecin de Lyon , très-diftingué , & précédemment
celui de fon Eminence Mgr le Cardinal de
Tencin , Archevêque de Lyon . Jefouhaite que vous
recherchiez , dans mon travail & mes découvertes ,
les foulagemens que vous devez en attendre , & que
mes progrès far de très-grands Seigneurs , me mettent
en droit de vous annoncer. Ceffez d'être les triftes
victimes de vos préjugés , & jouiffez des fruits que
mes foibles lumières peuvent vous procurer : en attendant
un temps plus heureux , où quelque Mé
decin beaucoup plus éclairé pourra vous propofet
une cure radicale , profitez des douceurs que vous
pourrez trouver dans l'ufage de ma Ptifane , qui
n'eft formée que de Simples , que j'envoye en pou
die , & dont chaque prife forme une bouteille , con
AVRIL. 1760 .. 235
formément à mon Ordonnance imprimée . Vous trouverez
le tout chez mes Correfpondans , qui auront
foin de l'annoncer, pour la commodité des differentes
Provinces . Ce Reméde , d'un goût agréable , n'agit
que par l'infenfible tranfpiration & les urines , routes
ordinaires de la Nature , qui n'expofe jamais à
aucun danger , & qui tend à purifier le fangpeu à
peu. Meffieurs , me fera-t-il permis d'infifierfur le
régime que je prefcris dans mon Ordonnance ? il intereffe
votre fanté ; il eft de conféquence pour les
progrès de mon Reméde ; & une conduite oppofée
deviendroit funefte à une infinité de vos Confrères ,
qui , comme vous , effuyent des tourmens affreux ,
& n'attendent que les fuccès pour y avoir recours.
Meffieurs , jufqu'à ce jour, l'on a exigé de mon Reméde
des qualités prèfque miraculeufes , & l'on a
prétendu qu'il devoit agir également fur des perfonnes
dont le tempérament ufe , & les differentes complications
de maux , paroiffoient ne les plus rendre
fufceptibles d'aucun foulagement. Je vous prends
pour mes Juges, & je me flatte que la Médecine ,
dont j'ai eu l'honneur d'être un Membre , me renira
la justice qu'elle accorde à tous ceux qui ont d'oit
de l'attendre , & qui agiſſent de bonne foi & en faveur
de l'Humanité . J'ai l'honneur d'être , &c.
CHAVY DE MONGERBET , D. M.
Le prix commun pour chaque bouteille de ma
ptifane , eft de ; liv . Les Seigneurs & autres
perfonnes à qui je donnerai mes foins particu
liers pendant l'année , proportionneront mes
honoraires à mes fervices , & c . Je laiffe au rebur
les Lettres qui ne font pas affranchies ; mes correfpondans
feront de même. J'ai oublié de dire
dans mon Ordonnance , que je reçois des Lettres
de plufieurs Goutteux qui me marquent que le
lair , ou les affoiblit, ou s'aigrit , quoiqu'il ait bien
236 MERCURE DE FRANCE.
paffé pendant plufieurs mois , &c. Je ne le regarde
point avec indifférence , & je n'en confeille
l'ufage , que quand on aura fait attention à fon
tempérament , à la qualité de l'air , & au genre
de vie que l'on obferve.
EAU des Sultanes .
Le fieur Garrot , qui poffède feul le fecret de
la véritable Eau des Sultanes de feu M. Richard
de Marolles , demeure actuellement , rue des
Deux - Ponts , Iſle S. Louis , entre un Papetier &
un Chaircuitier , au premier : fon tableau eft fur
porte.
la
Cette Eau a toutes fortes de bonnes qualités
pour fortifier & embellir la peau : Elle éclaircit le
tein , même celui des hommes , brûlé du Soleil,
Il ne faut qu'imbiber un petit linge fin ou une
éponge avec cette Eau , & s'en étuver , pour fe
trouver rafraîchi & en fentir l'effet . On l'employe
avec fuccès dans les bains de fanté & de propreté.
Elle efface les taches de rouffeur & les rougeurs de
la petite vérole . Le fieur Garrot débite auffi une
eau qui eft très -bonne pour les yeux ; il en a des
rouleaux à Is f. La bouteille eft de 6 liv. Le flacon
d'eau des Sultanes eft de 6 liv . Le demi flacon
, de 3 liv.
Il prie les perfonnes qui lui écriront , d'affran
chir leurs lettres.
SAVONNETTES.
Le fieur FERRON , Marchand à Paris , demeurant
Enclos de l'Abbaye S. Germain des Prés , en
entrant par la rue du Colombier , à l'Enfeigne de
S. Nicolas ; a l'honneur de faire part au Public
qu'il pofféde feul le fecret de faire des Savonnettes
légères de pure crême de Savon , qui durent
plus que les lourdes , & ne fe mettent point en
pouliere ou en bouillie dans le baffin. Il eft le
AVRIL. 1760 . 237
feul poffeffeur dudit fecret , de la Veuve Simon
Bailly , que l'on a fait paffer pour morte . Ceux
qui voudront s'affurer du contraire , pourront
s'adreffer à elle-même , en fa maifon , rue du
Petit- Lion, vis-à- vis la rue Françoife ; chez laquel
le ledit Ferron a travaillé longtemps pour le perfectionner
dans ledit fecret . Ledit fieur vend auffi
des pains de pâte graffe incorruptible de fines
odeurs pour les mains , d'une bonté finguliere.
Le Public étant trompé tous les jours par
des
favonnettes conrefaites , qui , loin d'être utiles &
agréables , fe mettent en pouffiere ou en bouillie
dans le baffin , & ne font que gâter & tacher le
linge ; ledit fieur , pour y remédier , continue de
mettre le nom de Bailly fur chaque favonnette,
Les prix font toujours les mêmes , & l'on trou
vera chez le fieur Ferron , les mêmes facilités
qu'avoit ladite veuve Bally.
ELIXIR de Garrus.
La réputation que le véritable Elixir 'de Garrus
s'eft acquife , en multiplie tous les jours les
contrefactions . Plufieurs Epiciers , de Paris &
d'ailleurs , & même plufieurs autres perfonnes ,
débitent , fous ce titre , des Liqueurs qui n'ont de
cominun avec ce remède , que le nom , dont ils
ont la faufleté de les honorer . Pour être , à cet
égard , à l'abri de toute furprife , il faut s'adreffer
directement au fieur Defnoues , Chirurgien ,
demeurant même appartement , depuis 32 ans
chez M. Dulion , Notaire, rue Dauphine . Lui feul
compofe & débite à préfent cet Elixir , ainfi que
le compofoit , avant lui pour Mademoiſelle Garrus
, le feu fieur Léné , dont il eft à cet égard
l'unique ceffionnaire & fucceffeur. On prie d'affranchir
les Lettres. Il donne un mémoire inf
tru&if & figné de ſa main , DESNOues.
238 MERCURE DE FRANCE.
APPROBATION.
'A1 lu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond Mercure du mois d'Avril 1760 , & jen'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris, ce 14 Avril 1760. GUIROY .
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
SUUIITTEE des Lettres & Mémoires de Mlle de
Gondreville , & du Comte de S. Fargeol .Pag.
Songe.
Epître.
& fuiv.
A Mlle Leclerc , de la Comédie Italienne, en
lui envoyant des fleurs.
L'Amour défarmé , Ode Anacréontique .
Vers à l'occaſion des Prix que M. de Fontette
Intendant de la Généralité de Caën a fait
propofer par l'Académie de cette Ville .
Enigmes,
Logogryphes.
Logogryphus.
Abfence , Air à Mlle Col ...
62
65
69
70
73
76 &77
78877
80
ibid.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Suite de l'Extrait du Poëme de l'Art depeindre
, de M. Wareler.
Effai fur l'Empire des Incas , Traduction de
M. Algarotti.
81
92
AVRIL. 1760 . 239
A l'Auteur du Mercure , fur la véritable époque
de la Croifade de 1363 , relativement
au Tableau des anciens Ménages , inféré
dans le Mercure de Février 1760 .
Extrait d'une Paftorale intitulée , Le Prix de
la Beauté , ou les Couronnes &c.
Annonce des Livres nouveaux .
110
128
136 & fuiv•
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
Affemblée publique de la Société des Sciences
& Belles - Lettres , d'Auxerre.
Société Littéraire , de Châlons fur Marne.
ASTRONOMIE.
Gnomique - pratique.
GÉOMÉTRIE .
145
147.
153
Traité analytique , des Sections coniques &c. 157
MÉDECINE.
Tableau des maladies , de Lommius .
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
Addition à la feconde Lettre de M. de la
Condamine , à M. Daniel Bernoulli.
CHIRURGIE ,
Lettre de M. Ferrand , Maître ès- Arts en
l'Univerfité de Paris &c. à M.Vandermonde
, Docteur- Régent de la Faculté de Médecine
, en la même Univerfité & c .
Avis important au Public, touchant plufieurs
remédes particuliers.
161
170
180
187
240 MERCURE DE FRANCE
ARTS AGRÉABLES.
Peinture.
Gravure .
Muſique.
ART . V. SPECTACLES.
Opéra.
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
Opéra- Comique .
Concert Spirituel.
ART. VI . Nouvelles Politiques.
Mariage & Morts .
Suite de la vaiffelle portée à la Monnoie de
Paris.
Et à la Monnoie de Riom .
'Avis.
192
198
202
203
ibid.
204
205
ibid.
208
216
217
225
227
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à- vis la Comédie Françoiſe .
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
MA I.
1760 .
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Coshin
Files inv
Pry Sculp 1715.
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
( CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Rois
AVERTISSEMENT.
LE
,
E Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement
Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer, francs
de port ,
Les paquets & lettres , pour remettre,
quant à la partie littéraire
M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abon
nant , que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou quiprendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deſſus.
A ij
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
Leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M,
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
MA I. 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
PORTRAIT de Mlle B ***
LE naturel le plus charmant ,
De la douceur, de la décence
La fineffe du fentiment ,
Les attributs de l'innocence ,
Un efprit délicat & vif ,
Une figure enchanterelle ,
Un coeur droit , fincère , & naïf ,
Tout le brillant de la jeuneffe ,
Le fon de voix le plus touchant ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
. 5.
Des vertus l'affemblage aimable ,
Le maintien le plus engageant ,
Bonne , modefte , raiſonnable :
Peut-on méconnoître , à ces traits ,
Celle que j'aime pour jamais ?
Le cortége des Grâces ,
Accompagne fes pas ,...
L'amour eft fur les traces ;
C
Vénus eût moins d'appas .
Elle abhorre la fatyre ;
Plaint autrui , fans le blâmer ;
N'écoute que pour s'inftruire ;
N'eft faite , que pour charmer.
En la voyant , on foupire ;
En l'écoutant , on l'admire :
Un regard de fes beaux yeux ,
Semble vous ouvrir les Cieux.
Oui , je l'aime , je l'adore
Oui , je fais plus encore !
J'ofe prétendre à fon coeur :
Sans elle , il n'eft pour moi ni plaifir , ni bonheur.
Par M. D. Mont... Capitaine au Régiment
de Breffe , Abonné au Mercure.
A S. Martin de Ré , le 31 Mars 1760.
རྩྭ་ འི་
MAI. 1760.
MADAMES
Je vais vous paroître le plus ridicule
de tous les hommes , quand vous fçaurez
que j'ai difpofé de vous comme d'une
maifon dont je ferois propriétaire en
un mot , je vous ai louée . Avant de vous
mettre en courroux , fâchez quels font
les hôtes que je vous ai donnés .
Ces jours paffés , dans un bois écarté ,
Où je vais quelquefois rêver à mes difgrâces ,
Je trouvai la Vertu , Miverve & les trois Grâces ,
Conduites par la Vérité .
Ce fpectacle , excita ma curioſité ;
Je volai fur leurs traces.
Infte Cial eft ca wove
THE WILL queje vois dans ces lieux?
Dis-je , en parlant à la Déeffe :
( Car nous autres , gens du Permeffe ,
Nous parlons librement aux Dieux. )
Oui, c'est moi , dit Pallas : le Souverain des Cieux,
Nous envoye à Paris infpirer la fageffe ,
Et corriger les hommes vicieux .
Dans ce projet , tu peux nous être utile :
Depuis longtemps j'ai quitté cette ville .
Je ne m'y connois plus ; je crains de m'égarer :
Indique-nous un domicile ,
Où toutes nous puifions enfemble demeurer.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'ai votre affaire en main , répondis - je fur l'heure
Vous connoiffez la charmante ***
Chez elle , croyez- moi , fixez votre demeure :
Pour vous bien recevoir , toat eſt bien diſpoſé.
Dans fon cerveau , Minerve & la Science ,
Auront un bel appartement ;
Elles y trouveront gens de leur connoiffance ,
La Mémoire & le Jugement.
De la Vertu , fon coeur fera le Temple :
C'est là que tous les Mortels ,
Animés par fon exemple ,
Viendront lui dreffer des Autels.
Pour vous , la Vérité , j'ai marqué votre place ;
Dans fon aimable bouche ; elle eft formée exprès,
Pour vous donner une nouvelle grâce ,
Et faire mieux fentir vos traits.
Les Grâces auront lieu de louer leur fortune ,
Car de la tête aux pieds elles pourront choisir
Et pour le loger à loifir ,
Elles rencontreront mille niches pour une.
La Déeffe fut fatisfaite de ce détail ;
quoique très - fuccint. Elle m'a ordonné
de paffer le bail.
Belle... j'ai fait le bail à vie ;
Et je me ſuis même engagé ,
Qu'il ne vous prendroit point envie
De leur donner fitôt congé.
MAI. 1760. 9
DAPHNÉ ET CORIDON ,
EGLO GUE.
CORIDON àDAPHNÉ , confidérant une rofe.
DAPHNE, APHNE , que cette rofe eft brillante &
vermeille !
Des autres fleurs , c'eft la merveille :
Tu vois , de tes attraits , le fidèle tableau.
Aing , parmi les beautés du hameau ,
Ma Daphné n'a point de pareille !
DAPHNÉ.
Toujours des complimens ? Ce langage nouveau ,
Je te l'ai déjà dit , offenfe mon oreille .
CORIDON.
Ne fçauroit-on , fans te fâcher ,
Vanter cette roſe naiſſante ?
Et toutes deux , vous rapprocher
Dans un éloge vrai , que tu viens m'arracher ?...
C'est le coeur feul qui loue une beauté touchante :
La fille du Matin , Daphné , t'eſt reſſemblante .
Cette rofe , avec toi , me femble partager
Ce coloris , qui n'eft point menfonger ,
Cet incarnat qui nous enchante.
C'eft la même fraîcheur : admire ce carmin ;
Comme elle s'embélit !Comme elle ouvre fon fein!
Elle feroit moins féduifante ,
A v
10 MERCURE
DE FRANCE
.
Si de fon aîle careffante ,
Zéphir ne la ranimoit pas.
A fon Amant , elle doit fes appas.
Que dis-tu ?
DAPHNÉ.
CORIDON.
Daphné , de la roſe ,
Non , tu ne fçais pas , je le vois ,
La célèbre métamorphofe...
Cette fleur étoit autrefois
Une bergère jeune , agréable , charmante ;
Ton image , en un mot , comme toi raviſſante :
Elle avoit auffi ta fierté ,
Cette hauteur indifférente
Que produit la vanité ,
Se complaifoit en fa beauté ,
De fes amans foumis , rejettoit les hommages
Zéphir , le plus fidèle , & le plus maltraité
Effuyoit d'éternels outrages.
L'Amour, juftement irrité ,
En roſe change la Bergère ; .
I
Zéphire , au même inſtant , amant tendre &
fincere ,
Dépouille de l'humanité.
La ſubſtance lourde & groffière.
Surpris de fon agilité ,
1 s'élève , & bientôt avec légéreté ,
Il déploye une aîle amoureuſe,
MA I. 1760. II
Soupire dans l'air enchanté ,
Exhale en cent parfums fa tendreffe flatteuſe ;
Et de fleur en fleur emporté ,
Vole à fa Maîtreffe orgueilleufe .
La rofe rougit , céde à fon empreffement ;
Sous les baifers de fon Amant ,
Se pare de couleurs divines...
Regarde ; qu'elle eft belle ! & quel éclat charmant!.
Cette Reine des fleurs ... On la cueille aifément ...
DAPHNE , enfe retirant avec précipitation
Tu ne parles pas des épines.
Par M. D'ARNAUD , Confeiller
Ambaffadede S. M. le Roi de Pologne..
EPITRE ,
A M. le Comte de ***
AIMABLE IMABLE imitateur du fage Anacréon,
Que j'aime la féconde ivrefle
De ton imagination ,
Qui, s'élevant du fein de la pareffe ,
Sur des fujets de toute espéce,.
Répand avec profuſion ,
Les agrémens , les fleurs , & la richeffe
De la brillante invention.
Ainfi l'amante de Titon ,
Sortant d'une langueur à l'Univers fatale ,
Remonte fur fon char , & vient fur l'horifon
Semer le rubis , l'opale. A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi , par les plaiſirs, à fes jeux ramené ,
L'Amour , le front de rofes couronné ,
S'élève du milieu des jardins de Cythère,
Où languiffoit fon charme enfeveli ;
Et planant fous le ciel , de fon vol embélli ,
Régne , étend les bienfaits fur la Nature entière.
Tous les attraits refpirent dans tes vers.
La Nymphe dont l'Ida ſe vante ,
Y vient , de fa corne abondante ,
Épancher les trésors divers.
Que l'efprit , refferré d'une chaîne trop dure ,
De la fécondité de ton effor murmure :
Libre dans tes travaux , que t'importe l'efprit ,
Le monde entier , & fa cenfure ,
Quand le fentiment t'applaudit ? ...
Mais , des fuffrages unanimes ,
Ne goûtes-tu pas les douceurs ?
Les beaux yeux d'Eglé , fur tes rimes ,
Fixent leurs regards enchanteurs .
Le Dieu du Goût , & la belle Nature ,
Rejettent ces bouquets , que d'une avare main
L'Art a cueillis avec meſure ,
Et qu'il arrange avec deffein.
Les corbeilles de fleurs,que les Grâces demandent ,
Dans les jours folemnels ,
Aux innocentes mains qui parent leurs autels ,
Sans choix, de tous côtés , s'ouvrent & fe répan
dent.
MAI. 1760. 13
Zéphire , dans fon vol léger ,
Embraffe l'empire de Flore :
Le jeune oifeau , de verger en verger,
Court célébrer le Printems & l'Aurore .
Sur fon char amoureux , voyez monter Cypris;
Sa main nonchalamment attache fa ceinture ,
Qu'elle abandonne à l'enjoument des Ris :
Elle n'a point de l'art confulté l'impoſture ,
Et d'un défordre heureux elle tient la parure .
L'or de fes blonds cheveux , tout parfemés d'en
cens ,
Cède avec grâce aux doux éfforts des vents .
De fon fein raviffant , le corail & l'albâtre ,
Loin d'être emprisonnés dans un voile envieux ,
Se laiffent entrevoir à l'oeil , qui l'idolâtre ,
Et de roles fans nombre elle enrichit les Cieux.
Suis , mon cher Comte , un fi charmant modèle ,
Et dans tes vers , exhalés de ton coeur ,
Laiffe avec toute fa candeur
Se dépofer cette âme & fi pure & fi belle ,
Pour qui l'air le plus fimple eft un fard impofteur.
Imite ce beau fleuve : il defcend des montagnes ,
Sans refferrer fon cours majestueux ;
Et dédaignant les replis tortueux ,
Serépand tout-à- coup dans les vaſtes campagnes.
D'une nappe, d'argent , les champs au loin couverts
,
Retiennent dans leurs flancs mille germes divers.
14 MERCURE DE FRANCE.
Ce ruiffeau , qu'une digue enchaîne dans fa courfe,
Roule des flots ingrats , que l'art trop inhumain
Fait bientôt expirer dans ſes priſons d'airain ,
A peine échappés de leur fource.
Des Amours , le Chantre touchant ,
Ton rival , & mon premier Maître ,
A la fille d'Augufte auroit moins plû peut-être ,
Si la main de l'Auteur , cruelle au fentiment ,
Eût retouché , de fon pinceau févère ,
Les négligences de l'Amant.
Sur les écrits du coeur , la règle doit ſe taire.
Il a feul échauffé l'Amante de Phaon :
L'efprit n'a point cueilli les lauriers de Tibulle :
Et l'avare précision ,
Ne vint point altérer les grâces de Bion ,
Et les voluptés de Catulle.
L'oeil , avide de changemens ,
Desjardins recherchés dans leursfroids ornemens,
Fuit l'infipide fymétrie :
Il aime à parcourir les fimples agrémens ,
Les tapis émaillés , dont Flore & le Printems
Ont couronné la riante prairie.
Comte , c'eft à l'humble arbriſſeau ,
C'eſt à l'ifſauvage & ſtérile ,
D'afſujéttir aux loix de l'auftère ciſeau
Son finiftre feuillage , & fa tête fervile.
Dans le myrthe , qui fert à Vénus de berceau ,
Il n'eſt point de feuille inutilé.
Par le même.
MA I. 1760. If
LETTRES
ET
MEMOIRES
DE Mlle de GON DREVILLE , &
du Comte de S. FARGEOL .
SECONDE PARTIE.
JETO 'ETOIS plus allarmée que jamais , &
dans les horreurs dont j'ai rendu compte
dans la première Partie de ces Mémoires
, lorfque le Comte de F .... arriva
chez notre chere Chanoineffe , fa tante.
La Comteffe , fa femme, s'étoit difpenfée
d'y venir avec lui , fous prétexte d'une
indifpofition ; mais , eenn eeffffeett , par la
crainte du mauvais air, comme j'eus bientôt
lieu de m'en convaincre. L'arrivée
du Comte , ne précéda que de quatre
jours la douloureufe perte que j'étois
fur le point de faire. Il n'y eut aucune
marque de bonté & d'amitié tendre ,
que je ne reçuffe de lui : fes attentions
pour moi , pafferent tout ce que je
croyois en pouvoir attendre ; & celles
16 MERCURE DE FRANCE
de ma chere tante ne furent pas même
diftraites par fa foibleffe , ni par le danger
de fa fituation . Elle ne ceffa point
de me recommander au Comte fon
neveu ; & je ne rapporterai que les dernieres
paroles que je luis entendis prononcer
en ma faveur dans un léger
intervalle de tranquillité.
Mon cher neveu , lui dit - elle : quand
les loix me permettroient de faire des
difpofitions en faveur de ma chere enfant
, Mlle de Gondreville , je ne ferois
pas en état de le faire , n'ayant d'autre
bien au monde , que la penfion que vous
me faites , & le peu de meubles & d'effets
qui fe trouvent chez moi.Je les lui donne,
dès ce moment , fous votre bon plaifir ; &
je m'en rapporte à votre amitié pour elle
& pour moi fur la jouiffance de la moitié
de ma penfion , que je vous conjure en
mourant , d'avoir la générosité de lui conferver,
du moins juſqu'à ce que M. le Car
nal l'ait mife en état de s'en paffer.
Quoique ma tendreffe me rendît attentive
aux moindres paroles de ma chere
tante , l'excès de ma douleur ne me permettoit
pas d'être auffi touchée que j'aurois
dû l'être des foins généreux que fa
prévoyante amitié lui infpiroit pour mon
avenir . Je n'y voyois que l'horreur d'une
MAI. 1760. 17
feparation prochaine , & l'anéantiffement
de toute efpéce de bonheur pour moi.
Cependant , le Comte de F.... mettoit
tout en oeuvre pour adoucir les peines de
mon âme: jamais fon amitié ne m'avoit
parue fi attentive & fi généreufe , que
dans les triftes circonftances où nous
nous trouvions l'un & l'autre . Et comme
la trifteffe attendrit naturellement les
coeurs , jamais le Comte ne m'avoit trouvée
fi fenfible que je le lui parus alors
aux marques qu'il me donnoit de fa
propre
fenfibilité. Je m'abandonnois , innocemment,
dans fes bras ; je lui prodiguois
les tendres careffes qu'il ne m'étoit pas
permis de faire à ma chere tante ; & s'il
en profitoit avec une forte de retenue ,
c'étoit cependant avec une ardeur que
je n'attribuois qu'à fon zéle , & qui ne
fervoit qu'à me pénétrer de plus en plus
de la tendre reconnoiffance que je croyois
devoir à la générofité de ſes foins & de
fes promeffes. Bientôt on ne me permit
plus d'entrer dans la chambre de ma
tante , malgré l'empreffement que j'avois
de m'y rendre ; & dès la nuit du lendemain
de cette cruelle féparation ,
quelque foin qu'on prît pour me cacher
la perte que j'avois faite , il ne me
fut plus poffible d'en douter , lorfque
18 MERCURE DE FRANCE.
Madame de Laemsbourg , une amie de
ma tante , qui ne l'avoit point quittée,
vint me prendre dans ma chambre. Je
la fuivis d'abord avec une forte de tranfport
, croyant qu'elle m'alloit conduire
à l'appartement de ma tante. Mais lorfque
je vis qu'il étoit queftion de monter
en caroffe , & de la fuivre chez elle , un
cri perçant fut prefque le feul figne de
vie que je fus en état de lui donner.
Je ne fçais plus moi-même ce que je
devins ; & je ne repris mes fens chez
cette Dame , que longtems après y être
arrivée. Ce ne fut que pour m'abandonner
à la plus vive douleur que j'euſſe
jamais éprouvée. Mais dequoi le temps ,
la raifon , & l'amitié , ne viennent-ils
pas à bout ? Comme ce n'est pas mon intention
d'alonger ces Mémoires par un
amas de réflexions , ou de récits inutiles
à mon proiet , je paffe rapidement fur
quelques circonftances de ma vie pour
revenir à mon objet , qui n'eſt autre que
l'arrangement des Lettres du Comte de
S. Fargeol & des miennes , tant qu'a
duré notre correfpondance.
J'avertirai donc fimplement le Lecteur,
que quelques jours après la mort de ma
digne tante le Comte de F....fon
neveu , vint me prendre chez Madame
>
, MA I. -1760 . 19
"
pour
de Laemsbourg , pour me conduire à fon
château de... qu'il me remit exactement
tous les bijoux & effets de ma tante; parmi
lefquels le plus précieux pour moi, fut le
portrait de ma mere. Il me remit auffi un
petit coffre , dans lequel étoient quelques
lettres du Prince mon pere , & quelques
pierreries. J'étois trop accablée par la douleur
que me caufoit la perte d'une perfonne
fi chere , pour être bien fenfible à
ces dernieres marques de fon amitié
moi. Mais j'avoue que je le fus beaucoup à
l'accueil que me fit Madame la Comteffe
de F .... Quelques taches de ma petite
vérole , quoique peu nombreufes , qui
étoient encore répandues fur mon vifage
& fur mes mains , parurent l'effrayer ; &
la firent s'éloigner , avec une forte d'horreur
, lorfque je me préfentai pour la
faluer. Je m'en trouvai d'autant plus
humiliée , que cette légère difformité
n'avoit point rebuté fon mari , ni les autres
perfonnes qui s'étoient empreffées
me faire trouver quelque confolation
dans leurs careffes . En un mot , la réception
que me fit la Comteffe , étoit accompagnée
de cet air de dignité qu'on peut
appeller hauteur , & de cette politeffe
froide , plus propre à caractériſer l'indif
férence que l'amitié. J'en fus touchée
à
26 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'aux larmes . En effet , rien n'étoit
plus capable de m'attendrir fur mon propre
fort , & de me faire fentir la grandeur
de la perte qué je venois de faire. Madame
la Comteffe ajouta encore aux agrémens
de cette réception , la néceffite de
garder une eſpèce de quarantaine dans
un pavillon féparé du château , dans lequel
on me logea avec la femme de
chambre de ma tante qui m'avoit fuivie.
En marchant fur les pas d'un domeftique
, chargé de m'y conduire , j'entendis
les reproches que la Comteffe fit à
ſon mari ſur l'indifcrétion qu'il avoit eue
de lui préfenter une figure auffi hideuſe
& auffi éffrayante que la mienne. Ces
petites difgraces me pénétrèrent de douleur
: mais la peine qu'elles me causèrent
fut bien compenfée , quand au bout de
fix femaines elle m'eut accordé l'honneur
de vivre avec elle. Les premiers jours que
je paffai dans ma chambre , ou plutôt
dans ma prifon , furent entierement confacrés
aux larmes . Le Comte de F....
n'ofoit s'y préfenter qu'à la dérobée. Il
m'y confoloit , & m'y faifoit fervir de fon
mieux. Les foins qu'il me rendoit , à
l'infçû de fa femme , & les marques d'une
amitié tendre , qui ne m'étoient point
fufpectes , foutinrent ma raifon contre
MAI. 1760. 21
les affauts de ma douleur , tant que je fus
affez aveugle pour ne les prendre que
comme les effets de l'intérêt généreux &
raisonnable qu'il prenoit à mes malheurs .
Mais , hélas ! il fe deftinoit lui - même à
les accroître , comme on le verra par la
fuite.
Après quelques jours de folitude , paffés
, comme je viens de le dire, dans les
pleurs ; le premier objet qui fe préſenta
à mon imagination , pour diffiper mes
ennuis , ce fut de relire les lettres du
Comte de S. Fargeol . J'en attendois une
de lui ; & j'étois encore fort indécife fur
la façon dont je devois lui apprendre le
cruel changement qui venoit d'arriver à
ma fortune. Je craignois également de
le chagriner , ou de le tromper fur ma
fituation préfente. Je me mis plufieurs fois
en devoir de lui écriré ; & tout autant
de fois , je brûlai ce que j'avois écrit.
Mais enfin , le Comte de F ... me remit
lui - même une lettre qui lui avoit été
renvoyée de Strasbourg, pour moi. Cette
lettre étoit du Comte de S Fargeol , fous
l'enveloppe du fieur Bagneux. Comme ce
paquet venoit de Paris , le Comte me laiffa.
appercevoir quelque inquiétude ; mais je
la diffipai bientôt, par la franchiſe avec laquelle
je ne balançai pas un instant à lui
MERCURE DE FRANCE
demander la permiffion de lire ma lettre
en fa préſence : ce que je fis à haute voix ,
n'ayant aucune raiſon de lui cacher une
correfpondance à laquelle je m'étois livrée
fans fcrupule ; & pour laquelle il
alloit me devenir néceffaire lui - même.
Voici donc la lettre de M. de S. Fargeol.
TRENTIÉME LETTRE,
De M. le Comte de S. Fargeol , à. Mlle
de Gondreville.
QUE de chofes intéreffantes , Mademoifelle
, vous m'apprenez en quatre
mots ! Les inquiétudes que j'ai éprouvées,
n'étoient donc que trop raisonnables ?
Hélas ! jufqu'à quel point n'auroient- elles
pas été portées , fi j'avois été informé de
votre maladie avant que de l'être de votre
convalefcence ? Quoi , Mademoiſelle !
tandis que je n'étois tourmenté que par
des doutes que votre propre courage m'aidoit
à écarter de mon imagination , vous
étiez dans les horreurs d'un mal qui pardonne
fi rarement à la beauté , lors même!
qu'il épargne notre vie ? En vérité , je ne
puis vous dire que votre rétabliffement
me pénétre d'autant de joie que j'en
MAI. 1760. 23
devrois reffentir : je fuis dans ce moment
comme un homme qui a couru , fans
le fçavoir , le plus grand des dangers :
on eft alors moins fenfible à l'heureux
hazard qui nous en a préfervés , qu'à
l'horreur du rifque auquel on a été expofé .
Telle eft actuellement ma fituation ; &
ce que vous me mandez de vos propres ,
inquiétudes , fur l'état de Madame la
Comteffe votre tante , ne contribue que
trop à me la rendre plus pénible & plus
douloureufe . A peine délivré de la crainte
du plus grand des malheurs que je puſſe
envifager , je frémis de ceux dont vous
êtes menacée ! Je ferois , fans doute , accablé
de mes propres idées , fi je ne
trouvois dans les vôtres dequoi relever
mon courage & ranimer ma confiance.
Vous badinez fi agréablement fur les
fuites de votre cruelle maladie , que je
ne puis croire que vous foyez auffi allarmée
que je l'ai été moi - même du commencement
de votre lettre, auquel je me
fuis peut -être un peu trop arrêté. Mais
peut- on être médiocrement ému de ce
qui vous affecte ? Pardonnez - moi donc
une terreur , que vous m'avez infpirée ;
& permettez-moi , finon de m'égayer
à mon tour , du moins de ne me pas
chagriner beaucoup des prétendus torts
24 MERCURE DE FRANCE.
que la petite vérole auroit pû faire à vos
charmes. Vous ne rendriez guères de juſtice
à ma façon de penfer , fivous imaginiez
que votre beauté feule vous eût
acquis les fentimens que je vous ai voués.
Il faut donc vous apprendre enfin par
quels degrés vous les avez fait paffer,
avant d'être devenus ceux de cette amitié
tendre & refpe &tucufe que vous m'avez
permis de vous avouer. Au premier
inftant où je vous ai vue , Mademoifelle
, quoique j'eufle le coeur prévenu
pour une autre , je n'ai pu me défendre
de vous admirer comme un des plus
beaux ouvrages de la Nature.Jufques - là ,
c'étoit pour mon âme un fentiment affez
tranquille , & propre feulement à me
rappeller quelquefois un agréable fouvenir
. Votre converfation , où je vis briller
à la fois votre efprit & la candeur de
votre âme , avec cet air de naïveté & de
franchiſe qui plaît à tout le monde , alla
plus loin que l'admiration. Elle me fit
defirer & rechercher votre préfence.
Mes yeux & mes oreilles envièrent à ma
mémoire le plaifir de fe rappeller fouvent
votre idée. Enfin , Mademoiſelle , la
nérofité , la nobleffe de vos procédés,
m'ont conduit jufqu'au point de regret er
très-lincèrement de n'avoir pas eu le bon
heur
MAI. 1760.
25
heur de vous connoître plutôt : Et comme
je veux être , & que je fuis en effet auffi
franc que vous , je vous avouerai qu'il
n'y avoit que le mérite de Madame de
Saint Fargeol qui pût me confoler de vous
avoir connue trop tard. Voilà mon âme
toute entiere. Et comme la petite vérole
n'a pû mettre de taches à la vôtre , jugez
fi les plus cruels effets feroient jamais
capables de porter la plus légère atteinte
à l'eftime tendre &
refpectueuse que j'ai
pour vous ! Je pourrois , en ce cas , vous
admirer moins , comme belle : mais il eft
certain que je vous en aimerois davantage
car vous ne fçauriez ceffer d'être
aimable. Et les reproches que votre
fexe auroit à faire au fort , tourneroient
encore au profit de l'amitié , en la rendant
plus fenfible , & par conféquent
plus tendre. Contentez- vous donc , Mademoiſelle
, de me raffurer au plutôt fur
l'indifpofition de Madame la Comteffe
votre tante ; & ne craignez pas qu'en
vous voyant , je ne trouve plus où affeoir
non feulement toute mon eftime , mais
ces mêmes fentimens qu'un mérite folide
& des grâces indépendantes de votre
jolie figure , feroient feules capables de
m'inſpirer , & avec lefquels je ferai éternellement
le plus tendre & le plus fidèle
de vos amis. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Après que le Comte de F... eut ens
tendu la lecture de cette Lettre , il me
quitta, fous prétexte de me laiffer la liberté
d'y répondre ; & me dit , feulement ,
en fortant de ma chambre :
Vous avez, Mademoiſelle , un ami bien
tendre : je n'en fuis point furpris. On ne
peut affurément vous connoître fans vous
aimer , & fans vous aimer beaucoup . Je
répondis à ce compliment , en l'affurant
que je ferois toute ma vie en forte que
l'amitié dont il m'avoit jufqu'alors honorée
, n'eût point occafion de fe démentir
par ma conduite ; & que je mettrois
tous mes foins à mériter qu'il me la
confervât toujours. Il m'en donna de
nouvelles affurances , en prenant & en
baifant ma main d'une façon timide &
refpectueufe ; ce qu'il n'avoit point fait
encore depuis que j'étois dans fa maifon.
Et j'avoue, qu'ayant plufieurs fois reçû
de lui fans fcrupule , chez ma chere tante
, des careffes plus marquées , je commençois
à craindre qu'il ne fe refroidît à
mon égard: enforte , que je fus très fenfible
à cette efpèce de faveur de fa part.
On verra bientôt , jufqu'à quel point je
m'étois trompée , & me trompois encore
fur fon compte. Mais je reviens à ma Lettre
, ou plutôt à la réponſe que je lui fit,
MA I. 1760. 27
Et l'on va voir que j'étois bien éloignée
de vouloir le chagriner par l'image de
ma fituation préfente , quoique je cruffe
en effet avoir fort à m'en plaindre , par
rapport aux hauteurs & à la fécherelle
de la Comteffe de F...
TRENTE -UNIÉME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
Tour eft changé pour moi , mon
cher Comte , depuis que je ne vous ai
écrit ! J'ai tout perdu . Je n'ai pas befoin
de vous en dire davantage , pour vous
apprendre la perte que j'ai faite , perte
qui m'a déjà coûté bien des larmes ,
qui m'en fait encore répandre de bien
amères au moment où je vous écris !
perte , que je me rappellerai dans tous
les inftans de ma vie , & que je ne puis
me rappeller , fans me pénétrer de la
douleur la plus profonde... Ma chere tante
, n'eft plus ! Que dis-je ? j'ai perdu la
plus tendre des meres ; car , par fon amitié
, par fes foins généreux , elle m'a toujours
tenu lieu de celle que le Ciel m'a-
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE.
voit donnée. Hélas ! le fort, en l'enlevant
au monde au moment où je vis le jour ,
m'avoit envié le bonheur de la connoître
& de l'aimer ; & ma chere tante m'avoit
épargné , juſqu'à fes derniers inftans , la
douleur & les regrets de l'avoir perdue.
Quel comble de malheurs , pour votre
triſte amie , mon cher Comte ! vous avez
une âme faite pour les fentir & pour
les partager je fens même combien ce
partage feroit capable d'adoucir mes
peines , fi j'étois à portée de profiter des
confolations de l'amitié . Mais que cet
adouciffement eft loin ! hélas , je fuis
peut- être condamnée à ne l'éprouver jamais.
Non , rejettons cette funefte idée ;
elle me feroit détefter une vie qui ne
tiendroit plus à rien , fi elle ne tenoit
encore aux liens de l'amitié , & je puis
dire à ceux de la reconnoiffance : car
malgré le poids des maux qui m'accablent
, je dois vous informer , mon cher
Comte , que j'ai trouvé dans le neveu
de ma chere tante , & dans Madame fa
femme , tous les fecours qu'elle avoit
exigé d'eux pour moi : leur maifon , eft
devenue mon afyle ; & il n'y a forte de
foins que le Comte de F... n'employe
pour me confoler de la perte que j'ai
faite , & me rendre la retraite qu'il m'a
MA I. 1760. 29
procurée , auffi fupportable que peut l'être
un lieu que je prévois ne pouvoir
confacrer qu'à d'éternelles larmes. Je n'ai
pas la force de vous en dire davantage ,
mon cher Comte : je fuis trop accablée
pour jouir même du plaifir de m'entretenir
avec vous : à peine je fçais fi j'exiſte ;
& je crois , fincèrement , que je n'exifterois
plus , fi je n'avois été foutenue par
la douceur de penfer que je fuis ,
Votre amie.
P. S. Ayez foin , deformais , mon cher
Comte , de m'adreffer , ou de me faire
adreffer vos Lettres au château de... par
Colmar.
Les jours que je paffai depuis cette
Lettre écrite , furent tous marqués par
les attentions & par les affiduités du
Comte de F .... L'innocente confiance
avec laquelle je recevois fes foins , l'enhardit
infenfiblement jufqu'à reprendre
avec moi les droits que les premiers
inftans de ma douleur lui avoient permis
d'ufurper. Dans ces cruels momens, où les
Careffes qu'il me prodiguoit fembloient
me tenir lieu de celles qu'il ne m'étoit
plus permis de recevoir de ma chere
tante, le défefpoir m'avoit jettée quelquefois
entre fes bras . Il profita des accès de
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
douleur dans lefquels le fouvenir de mes
pertes me replongeoit fouvent , pour me
prendre lui-même & pour me retenir dans
les fiens . J'y reftois fans défiance ; & j'a
voue , que j'y trouvois quelque foulagement
à mes peines. Rien n'adoucit tant
en effet l'amertume des âmes affligées ,
qu'une tendre fenfibilité qu'on préfume
n'avoir d'autre but que celui de prendre
une véritable part à leur douleur. Mais
que le Comte de F... étoit loin d'une façon
de penfer fi raifonnable & fi défintéreffée
!... Je m'expliquerai bientôt plus
en détail , fur cette nouvelle fource de
mes peines. Mais je ne dois pas paffer
fous filence la Lettre que je reçus du
Vicomte de T... Je me contenterai d'en
rapporter l'extrait. Le Vicomte me marquoit
en fon nom , & à celui de la Com
teffe de S. Fargeol , la part tendre & fincère
qu'ils prenoient l'un & l'autre à
la perte que je venois de faire . Et ce
qui me toucha bien vivement , ce fut
d'apprendre par cette Lettre , que la
Comteffe avoit été fi frappée de la trifte
nouvelle que je lui avois apprife , que
fa fanté s'en étoit alterée , & qu'elle étoit,
depuis ce moment , attaquée de vapeurs
convulfives qui paroiffoient inquiéter
beaucoup le Vicomte fon oncle , & qui
MAI. 1760. 31
favoient obligé d'être fon interprête. Il
me donnoit enfuite une preuve bien rare
de fon amitié , & de l'extrême confiance
qu'il avoit en moi . Voici fes propres
termes.
Je fçais , Mademoiſelle , que dans la
fituation où vous vous trouvez , privée
des fecours qui vous font enlevés , par la
perte que vous venez de faire , on a
quelquefois befoin de ceux de fes amis.
Je ferois bien honteux que vous rendiffiez
affez peu de juſtice à mes fentimens ,
pour avoir dans ce cas recours à d'autres
qu'à moi . Pardonnez - moi donc , fi
je fuis affez vain pour ofer prévenir les
effets de la confiance que vous devez
avoir en moi. J'écris , par ce même ordinaire,
à MM . de Corneman, à Strasbourg,
de vous faire toucher les fommes dont
yous aurez befoin , fur vos Gimples reconnoiffances
. Je préviens , en mêmetemps
, M. leur frere , mon Banquier à
Paris , qui ne fera nulle difficulté de leur
envoyer toutes leurs furetés . La feule grace
que j'éxige de vous , Mademoiſelle, c'eft
que vous en ufiez auffi librement que vous
devez le faire , & comme d'un bien qui
Vous appartient.
Je n'ai pas befoin de dire qu'une générofité
fi
peu commune , à laquelle la
Biy
32 MERCURE DE FRANCE
Vicomte ne mettoit ( comme on le voit
aucunes bornes , me toucha fenfiblement.
J'étois incapable d'en abufer ; & grâce
au Ciel , je n'étois pas même alors dans
le cas d'y avoir recours. C'eft de quoi
j'eus foin de l'informer , dans la réponſe
que je fis fur le champ à fa Lettre, en l'affurant
que j'aurois furement ufé de la li
berté qu'il me donnoit , fi les fecours
qu'il m'offroit m'euffent été de la plus
légère néceffité. Mais , en le remerciant
d'offres fi obligeantes & fi éffentielles , &
dont je fentois tout le mérite , je m'étendis
d'une maniere au moins auffi fenfible
fur l'article de fa Lettre , où il étoit quef
rion de la fanté de Madame fa niéce. Je
m'accufois , dans les termes les plus tou
chans , d'avoir été la caufe , quoiqu'innocente
, du dérangement qui y étoit
furvenu ; dérangement qui ajoutoit encore
à mes propres malheurs de nouveaux
degrés de peine & de fenfibilité.
MM. de Corneman ne tarde rent
pas à m'écrire pour m'informer des
ordres qu'ils avoient reçus du Vicomte ,
& pour m'inviter , de la meilleure grâce
du monde , à leur fournir l'occafion de
m'obliger. Je leur répondis , fur le même
ton , que je venois d'écrire à ce généreux
ami ; & je paffe , fans autre préam
,
'M A I. 1760. 33
bule , à des événemens plus férieux &
plus intéreffans.
On a vû , que le Comte de F... avoit
entenda la lecture de la lettre de M. de
S. Fargeol. Un excès de confiance , ou
peut- être un mouvement de vanité , me
porta à lui faire encore part de celle que
j'avois reçue du Vicomte de T.... Nous
étions feuls, lorfque je la lui donnai à lire.
Je ne fus point étonnée de le voir s'arrêter
avec furpriſe , lorfqu'il fut arrivé à
cette phrafe, tout ce que j'exige de vous ,
Mademoiselle , c'eft que vous en ufiez auffi
librement que vous devez le faire , & comme
d'un bien qui vous appartient. Qui
Vous appartient ? me dit-il , Mademoifelle
... Voilà une générofité qui s'exprime
finguliérement ; & qui n'a guères
d'exemple ! J'aurois fçu le donner moimême
, fi j'avois pû prévoir que vous
euffiez des befoins qui vous millent dans
le cas d'avoir recours à d'autres qu'à moi.
Héias , mon cher Comte ! lui dis - je ,
je fuis trop pénétrée de tout ce que je
vous dois , & trop affurée de la bonté
de votre coeur , pour avoir follicité des
fecours que votre générofité me difpenſe
d'attendre & de defirer : auffi n'ai -je poinɛ
attendu l'affurance de vos difpofitions
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
à mon égard , pour remercier le Vicomte
de T....
Je fuis ravi , Mademoiſelle , interrompit
le Comte , de pouvoir me flatter que
vous rendiez juftice à mes fentimens ..
Vous n'en connoiffez pas encore toute
l'étendue ! J'ignore quelle forte d'intérêt
peut animer le Vicomte de T... Mais
j'ofe défier toute la terre d'en prendre un
plus vif & plus tendre à votre perfonne
, ainfi qu'à tout ce qui vous touche.
Je n'en fçaurois douter , lui répondis -je,
mon cher Comte ; & la nouvelle affurance
que vous me donnez de votre
amitié , exige de ma part une confidence
que je n'ai faite à perfonne , & qui va
vous mettre au fait de la générofité fingulière
de M. le Vicomte de T...
1
Au voyage qu'il a fait à Strasbourg ,
avec le Comte de S. Fargeol , il prit affez
de goût pour moi pour me faire entendre,
qu'il étoit fâché que fon neveu eût pris
des engagemens avant de m'avoir connue.
Je regardai cette façon de s'exprimer
fur mon compte , comme un fimple
compliment ; d'autant plus , que j'étois
bien informée que le malheur de ma
naiffance l'avoit feul déterminé à approuver
le mariage que le Comte avoit contracté
fans fon aveu. Mais à peine fut- il
MA I. 1760. 35
arrivé dans fes terres , qu'il me propola ,
très -férieuſement , de partager avec lui .
fon nom & fa fortune , en m'offrant tous
les avantages qu'une perfonne auffi jeune
& plus ambitieufe que moi , eût ofé.
exiger d'un homme de fon âge. Mais ,
comme je ne pouvois les accepter , fans
faire un tort confidérable à la fortune du
Comte & de la Comteffe de S. Fargeol ,
je ne confultai que leurs intérêts dans la
réponse que je fis à leur oncle ; & je leur
facrifiai , fans héfiter , un établiſſement
qui ne pouvoit faire mon bonheur , fans
nuire beaucoup au leur. Ce procédé leur
parut à tous fi défintéreffé, qu'il m'acquit ,
& m'a confervé leur eftime & leur amitié.
C'eft dans ces fentimens , que vous.
devez chercher & trouver la caufe de
l'extrême générofité du Vicomte .
Ah , Mademoiſelle ! reprit vivement le
Comte de F... que ces fentimens d'eftime
& d'amitié , auxquels vous vous plai
fez de rapporter les généreux procédés
du Vicomte de T...font communément
froids & ftériles ! Vous êtes faite pour en
infpirer ; & vous en infpirez de plus
vifs & de plus tendres ! .. Ce que je vous
dis , Mademoiſelle , je l'éprouve , & je
ne puis plus vous le diffimuler..., Oui ,
continua-t-il , en fe jettant à mes pieds ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
l'amour que je fens pour vous , ne peut
plus fe contraindre : la jalouſie , qui vient
de s'emparer de mon coeur , le force
d'éclater. Le Vicomte ne vous eût jamais
fait des offres pareilles à celles
que je viens de lire , s'il n'eût pas fenti ,
s'il ne vous eût pas déclaré , s'il ne vous
eût pas fait approuver une ardeur pareille
à la mienne ! Eh pourquoi ne me
feroit-il pas permis d'être auffi téméraire
que lui , & de concevoir les mêmes eſ
pérances ?
L'étonnement , dont je fus faifie , fufpendit
les mouvemens de mon indignation.
Arrêtez , M. le Comte ! lui dis -je ,
en me levant , pour me débarraffer de
lui... Ne fentez-vous pas l'extrême différence
qui caractériſe les voeux que le
Vicomte pouvoit avoir formés en ma faveur,
d'avec ceux que vous ofez m'offrir? Il
étoit libre , & vous ne l'êtes plus : il
pouvoit s'établir entre lui & moi une
union légitime... Qu'auriez-vous à me
propofer , jufte- Ciel ! dont l'idée feule ne
fût pas un crime ?
Vous m'étonnez , Mademoiſelle ! me
dit le Comte avec un ton d'affurance :
Vous avez vêcu dans un monde qui n'eft
pas fait pour vous avoir infpiré de pareils
fcrupules : vous n'êtes plus un enfants
MA I. 1760. 37
& la façon dont tout le mène dans le
monde , n'a pu échapper à votre pénétration.
Vous devez fçavoir , de plus ,
qu'étant née comme vous l'êtes , vous
n'avez guères lieu d'afpirer à ces unions
légitimes dont vous me parlez. Voulez
-vous donc renoncer aux douceurs
de la vie Croyez-moi ; vous êtes faite
pour les goûter ; & j'ofe vous affurer ,
que vous ne trouverez perfonne qui s'empreffe
autant à vous en procurer tous les
agrémens & tous les plaifirs qu'un homme
qui vous aime , & qui mérite peutêtre
de vous infpirer une tendreſſe égale
à celle qu'il reffent pour vous. Faites-y
bien vos réfléxions . J'ofe me flatter ,
qu'elles ne me feront pas toujours auffi
défavorables .
Le Comte de F.... me quitta , en finiffant
ce difcours. Il eut même l'audace
de prendre & de me baiſer la main ; &
je n'eus ni le courage , ni la préſence d'efprit
de m'en défendre. J'étois en effet
dans un état à ne pouvoir me connoître
moi-même : interdite , humiliée , immobile
, je voyois naître pour moi un nouvel
ordre de chofes que je n'avois jamais
prévues , & qu'il m'eût été impoffible de
prévoir. Quel abîme s'ouvroit fous mes
pas ! quel cahos d'idées qui fe confon
38. MERCURE DE FRANCE.
doient dans mon imagination ! je ne fus
en un mot capable , que de m'attendrir
fur ma fituation. D'abondantes larmes
furent toute ma reffource dans cette occafion.
Et j'en répandois encore de bien
amères , le lendemain de cette converfation
, lorfque Madame la Comteffe de
F.... me fit dire que je pouvois enfin
paroître chez elle. Comme j'avois fort
négligé toute forte de parure & d'ajuftement
depuis plus d'un mois que j'avois
paffe fans prèfque fortir de ma chambre ,
je fus obligée d'employer un peu de
temps à me mettre en état de me préfenter
à cette Dame ; & ce fut le Comte
lui-même qui vint m'apprendre , qu'elle
étoit impatiente de me voir. Il me conduifit
au Château, & crut devoir me prévenir
, en chemin , fur le caractère de fa
femme.
Vous la trouverez , me dit-il , affez ex-.
traordinaire : elle a de la hauteur , de la
fierté ; & comme elle croit avoir fait
beaucoup pour ma fortune , en me permettant
d'avoir l'honneur de lui appar
tenir , elle eft extrêmement jaloufe de
mes moindres attentions. Ainfi je vous
exhorte à la difcrétion , fur l'entretien
que nous eumes hier enſemble. Pour peu ,
que vous y ayez réfléchi , vous devez être
AVRIL. 1760. 39
que
bien affurée s'il arrive que vous ayez
quelque chofe à fouffrir de l'humeur de
la Comteffe , vous en ferez dédommagée
avec ufure par les tendres foins que je
prendrai conftamment pour mériter de
vous plaire , & vous rendre ce féjour
agréable .
Monfieur, lui dis- je , avec plus de conftance
que je n'en avois eu la veille ; ne
craignez point d'indifcrétion de ma part ,
tant que votre amitié pour moi fe tiendra
dans les bornes que l'honneur & le
devoir lui prefcrivent. Mais croyez , je
vous prie , qu'il n'y a point d'humiliation
que je ne fouffriffe plus volontiers , que
ces vains dédommagemens dont vous me
parlez , s'ils étoient de nature à pouvoir
allarmer ma vertu.
Le Comte jugea fans doute , qu'il étoit
néceffaire de me raffurer alors fur cet article.
Et ce fut avec de pareils difcours
que nous arrivâmes à l'appartement de
la Comteffe . Mais quel fut mon étonnement
! Cette Dame , que j'avois trouvée
fi haute & fi dédaigneufe au premier
abord , & qu'on venoit de me peindre
fi fière , me reçut avec un air de bonté
auquel je ne m'étois pas attendu de fa
part ; elle me fit même des excufes de
m'avoir tenue fi longtems éloignée d'elle ;
40 MERCURE DE FRANCE.
elle m'avoua fa foibleffe , fur la crainte
qu'elle avoit toujours euë de la petite vérole
: elle mit enfin le comble à cette
agréable réception , & calma les inquiétudes
que j'avois intérieurement fur les
précautions que j'avois à craindre de la
part de fon mari , en m'affurant que nous
ne nous féparerions plus , & qu'elle m'avoit
fait préparer un appartement qui
communiquoit avec le fien. Je fus fi tranf
portée de joie, à cette heureuſe nouvelle,
que j'avois peine à trouver des termes
pour lui exprimer toute ma reconnoiffance
, & tout l'attachement dont je me
fentois pénétrée : tant le contraſte qui
fe trouvoit entre les craintes que j'avois
euës , & ce que j'éprouvois alors , renverfoit
toutes les idées que je m'étois faites
fur le compte de cette Dame , & que le
Comte lui- même m'en avoit données ! Je
pris donc le parti de marquer ma fenfibi
lité à la Comreffe, en lui préfentant quelques
ouvrages de mes mains , qui m'avoient
occupée pendant ma retraite. Elle
reçut cette petite galanterie , en fe louant
également de mon adreffe & de ma générofité.
Et , pour ne point alonger ces
Mémoires , je dirai qu'elle ne demeura
point en refte avec moi ; & que, de ce mo
ment , nous vêcumes en fi bonne intelli
MA I. 1760.
gence , que le Comte me parut être , de
nous trois , le plus embaraffé de la focié
té qui venoit de s'établir entre nous. Les
chofes étoient encore en cet état, lorfque
je reçûs la réponſe qui fuit , à la lettre
que j'avois écrite à M. de S. Fargeol.
TRENTE- DEUXIÈME LETTRE ,
De M: le Comte de S. Fargeol , à Mile de
Gondreville.
Q
UEL événement , Mademoiſelle !
ou plutôt quel coup de foudre , vient de
m'accabler à l'ouverture de votre lettre !
Et quel objet de confolation ferois-je en
état de vous propofer , lorfque je n'en
trouve point pour moi- même s'il eft
vrai que l'amitié , dans d'auffi triftes circonftances
, peut nous être d'un grand
fecours , qu'en pouvons - nous attendre
dans l'éloignement où nous fommes l'un
de l'autre Les inquiétudes , pour ce qui
nous refte , ajoutent encore à l'amertume
que nous caufe le fouvenir de nos pertes.
Et je ne trouve à vous offrir d'autre fecours
, dans vos douleurs , que celui auquel
je puis avoir recours moi-même ,
& dans lequel le commun des hommes.
42 MERCURE DE FRANCE.
trouve un terme plus prompt eu plus
lent à fes peines , fuivant qu'il eft plus
ou moins capable de les fentir. Je veux
dire , Mademoiſelle , le temps & la rai
fon : l'un & l'autre doivent vous fervir
mieux que moi , puifque les foins généreux
, & plus encore la tendre amitié
dont M. le Comte & Madame la Comteffe
de F... ont hérité pour vous , doit
у
ajouter des adouciſſemens que je ne puis
efpérer pour moi- même. J'ai bien moins
de raifon, que vous ; & ce que j'en ai , ne
me fert de rien contre la douleur que je
partage avec vous , par ce que le temps
me menace peut-être de douleurs pour
le moins auffi fenfibles. Je n'ai point reçu,
par le dernier ordinaire , de nouvelles de
ma femme, comme elle s'étoit accoûtumée
de m'en donner depuis quelque temps
par des lettres , ou du moins par quelques.
lignes écrites de fa main. Mon oncle fe
contente de me marquer , que la nouvelle
de la perte que vous venez de faire ,
l'ayant extrêmement affectée , elle étoit
retombée dans quelques accidens de fes
premieres vapeurs ; & qu'il n'avoit pas
jugé à propos de l'avertir qu'il m'écrivoit,
de peur qu'en voulant m'écrire elle- même
, fa tête n'en eût été un peu fatiguée.
Quoique dans tout ce qu'il me dit , enMA
I. 1768. 4.3
fuite , il s'efforce de me tranquilifer ; je
lui vois trop d'affectation à ménager mes
inquiétudes , pour que je ne prenne pas
des meſures pour obtenir la permiffion
de retourner bientôt à Paris . Je compte
donc , Mademoiſelle , me rejoindre bientôt
à Madame de S. Fargeol , & par conféquent
me rapprocher un peu de vous .
Que l'idée de mon départ , encore incertain
, ne vous empêche pas de m'écrire.
Ce feroit une cruelle augmentation à mes
inquiétudes , d'être trop longtemps fans
recevoir de vos lettres. En les adreffant
à Bagneux , qui fera inftruit de mes marches
, je les recevrai toujours exactement:
& c'eft prèfque le feul plaifir que
je puiffe efpérer de goûter , jufqu'au
moment où je pourrai m'affurer par moimême
de l'état de Madame de S. Fargeol
, & me flatter de rendre à notre
commerce toute la vivacité que je lui
defire , & qui n'a été que trop interrompue
par l'éloignement des lieux où je fuis
encore forcé de vivre. Celle de mes fentimens
pour vous , Mademoiſelle , n'en
a point été & n'en pouvoit être refroidie
: j'ofe me flatter de la conftance des
vôtres ; & que le nouveau partage que
vous êtes obligée de faire aujourd'hui de
votre amitié , ne nuira point à celle fur
44 MERCURE DE FRANCE.
4
laquelle vous m'avez permis de compter?
Si je ne puis pas dire , que ce foit le premier
de mes biens , c'en eft un qui m'est
fi précieux , qu'il balance dans mon âme
ce que j'ai de plus cher au monde ; &
qu'il n'eft qu'un feul titre que je crai
gniffe autant de perdre , que celui de
Votre Ami
Cette Lettre , que je reçûs , fans l'entremiſe
du Comte de F... & que je lûs
en particulier , fut la véritable époque
de ma confolation. Il eft vrai , que les attentions
de la Comteffe , & la retenue du
Comte, m'y avoient déjà diſpoſée depuis
quelques jours : en forte que mon
âme goûta , dans ce moment , les premieres
douceurs d'une tranquillité que
j'avois depuis fi longtemps perdue. Et la
lettre que j'écrivis fur le champ , devoit
fe fentir du moins par rapport à moi , &
fe fentit en effet de cette heureuſe difpofition
; d'autant que Bagneux , en m'adreffant
celle du Comte , ne me parloit
point de la fanté de Madame de S. Far
geol,& fe contentoit de me faire des complimens
de fa part & de celle du Vicomte
: Ce qui m'auroit inquiétée dans toute
autre occafion , ne fervit alors qu'à me
raffurer , comme on va le voir.
MA I. 1760.
TRENTE - TROISIÈME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
POURQUOI ne vous l'avouerois -je pas ,
mon cher Comte ? Votre Lettre vient
d'opérer un miracle que je croyois audeffus
de toutes les forces humaines ,
& que je défefpérois d'obtenir jamais ni
du temps , ni de la raiſon ! Vous remettez
mon âme dans cette affiétte tranquille ;
& peù s'en faut , que je ne dife heureufe ,
qu'elle ignoroit depuis fi longtemps . Vous
aviez tort , mon cher Comte , de vous
défier du pouvoir de votre amitié . Quoique
fes fecours me viennent de loin ,
Vous voyez qu'ils n'en font pas moins
puiffans. Je vous avoue , que je m'y étois
trompée moi- même ; & que j'avois fouvent
fait les mêmes réfléxions que vous
fur les inconvéniens de notre éloignement
, dans les cruelles circonstances où
je me fuis trouvée . Combien de fois ai-je
fenti , dans mes malheurs , le befoin que
j'aurois eu de répandre mon âme dans la
vôtre ! Et quel accroiffement n'étoit - ce
MERCURE DE FRANCE.
pas pour ma douleur , de m'en repréſen
ter l'unique foulagement dans une perf
pective fi éloignée ? Mais une amitié
comme la vôtre , eft faite fans doute pour
vaincre tous les obftacles. Vous les avez
vaincus , mon cher Comte : votre Lettre
a produit tout l'effet que j'aurois penfé
ne devoir attendre que de votre feule.
préfence ; elle a rétabli le calme dans
une âme , qui peu d'inſtans avant de l'avoir
reçue fe croyoit encore condamnée
à gémir éternellement. Je fçais que nes
regrets doivent durer autant que ma vie ;
mais c'eft prèfque les avoir effacés , que
de les avoir adoucis. Je pourrois donc
mecroire actuellement auffi heureufe que
je puis l'être deformais , puifque je retrouve
en vous ce que j'ai perdu , ce
que le Ciel nous accorde fi rarement ;
une amitié tendre , folide , & vertueuſe.
Oui , mon cher Comte ! je me croirois
parfaitement heureufe , fi je vous fçavois
auffi raffuré fur les inquiétudes que vous
donne la fanté de Madame la Comteffe
de Saint Fargeol , que je crois devoir
P'être moi-même par les complimens
que
j'ai reçûs de fa part , & de celle de M.
votre oncle. Je ne vous ai encore parlé
que très-imparfaitement de Madame la
Comteffe de F.... parce que j'ai été chez
MA I. 1760. 47
elle près de fix femaines, fans la connoître.
La crainte infurmontable qu'elle a
de la petite vérole , avoit forcé fon cara-
&ère bienfaifant à me tenir éloignée
d'elle. Mais depuis huit jours , fes tendres
attentions ne ceffent point de me dédommager
de l'efpéce d'ennui qu'avoit pû
me caufer ma longue retraite. M. fon
mari , partage avec elle ces foins généreux
; & je puis dire , que je fuis encore
plus contente du Comte , depuis que je
fuis avec fa femme , que lorsque j'étois
à portée de ne voir que lui. Ce que je
vous dis ici , mon cher Comte , devroit
vous raffurer , fi vous aviez befoin de l'être
, fur le partage de mes fentimens entre
vous & les perfonnes avec lesquelles
je vis. Ceux qui naiffent de la reconnoiffance
, quoique facrés pour une âme comme
la mienne , ne fçauroient l'emporter
fur un fentiment de choix librement
adopté par notre coeur. Cette efpéce de
crainte , que vous n'avez pas , & que
vous ne devez pas avoir , me conviendroit
bien mieux qu'à vous ; mais je fuis
contente de mon partage. Il y a même
eu des temps où je vous aurois reproché
de me mettre en balance avec ce que
vous devez à Madame de S. Fargeol : mais
je fens que nos befoins nous rendent in8
MERCURE DE FRANCE.
juftes : ainſi ne me retranchez rien , je
vous prie , de la part que vous me donnez
dans votre amitié. J'approuverai
toujours que la balance panche du côté
de notre chère Comteffe : mais je ferois
inconfolable , fi toute autre qu'elle
pouvoit enlever le côté de la balance où
vous venez de placer vous- même ,
Votre tendre & fidelle Amie.
J'accompagnai cette lettre, que j'adref
fai à M. Bagneux , d'un billet pour lui ;
dans lequel en le chargeant de mes complimens
pour le Vicomte & pour Madame
de S. Fargeol , je le priai de me donner
inceffamment des nouvelles de la fanté
de cette Dame , à laquelle je prenois
l'intérêt le plus tendre.
Quelqu'idée que j'attachaffe alors à ma
nouvelle fituation ; fi je la trouvois heureufe
, elle n'étoit pourtant pas capable
de me faire une entiere illufion fur la
différence de mon bonheur actuel avec
celui dont j'avois joui jufqu'à la cruelle
époque qui venoit de changer ma deftinée.
Des égards auxquels on fe croit
forcés de s'affujettir, ne reffemblent point
à ceux qui partent naturellement de notre
penchant. Dans ceux- ci , c'eſt la tendreffe
qui nous guide ; dans ceux- là , c'eſt le
devoir
MA I. 1760: 49
devoir qui nous entraîne . Les uns , n'affectent
en rien cette douce liberté dont
nos coeurs aiment à jouir ; les autres ,
répandent fur toutes nos actions un caractère
de dépendance qui nous gêne.
C'étoit fur ce dernier plan , que j'avois
formé celui de ma conduite vis- à - vis du
Comte de F... & de fa femme . Comme
j'avois naturellement l'âme tendre &
fenfible à la reconnoiffance, cette conduite
ne me coûtoit prèfque plus rien avec la
Comteffe , qu'elle m'étoit encore fort à
charge avec fon mari. Les prétentions
qu'il avoit eu l'audace de me laiffer entrevoir
; la crainte qu'elles ne fuffent
apperçues de la Comteffe , me tenoient
fans ceffe en garde contre les démonftrations
de fon amitié & contre les mouvemens
que mon coeur defiroit mais n'ofoit
employer, pour lui marquer ma gratitude
. Je me ferois fans doute accoûtumée
à cette espéce de contrainte , toute
fatigante qu'elle étoit pour une âme auffi
franche la mienne , fi le caractère du
Comte de F.... avoit été capable de ſe
contraindre auffi longtemps que je l'euffe
defiré. Mais j'eus bientôt lieu de m'appercevoir
qu'il n'en avoit pas changé .
que
Qu'on ne s'attende point à trouver ici
le détail des manoeuvres & des artifices
C
so MERCURE DE FRANCE.
que le Comte employa pour réuffir dans
fes vues criminelles , non plus que celui
de fes difcours féducteurs. Je n'étois
point inftruite ; & je ne fus jamais faite
au langage du crime : ma mémoire auroit
autant de honte à fe les rappeller
aujourd'hui , que je fouffrois alors à les
entendre. Qu'il fuffife au Lecteur d'apprendre
, que l'air de fécurité dans laquelle
la Comteffe fembloit être à mon
égard , ne fervit qu'à réveiller les prétentions
, & à ranimer les infâmes defirs de
fon mari . Il dreffa fes premieres batteries
contre na chere Louflet , cette femme
de chambre de ma tante qui m'avoit fuivie
, & qui m'avoit fervi de gouvernante.
Ce fut en vain qu'il tenta de la féduire ,
fous divers prétextes , pour me remettre
des lettres de fa part , ou pour lui procurer
quelques entretiens fecrets avec
moi . Elle ne voulut jamais fe prêter à
rien ; & m'avertit de tout. Cette conduite
me donna de vives allarmes , & m'engagea
à me tenir plus que jamais fur mes
gardes . Mais , quoique dès ce moment
mes inquiétudes ne m'abandonnaſſent ni
nuit ni jour ; quoique je me collaffe ,
Four ainfi dire , à la perfonne de la Comteffe
, on jugera aifément qu'étant dans
la même maifon , obligée même pour
MA I. 1760.
il
y
ma propre fureté , comme par devoir , à
profiter des mêmes promenades
avoit cent momens où le hafard m'expofoit
à me trouver
ou feule avec le
Comte , ou affez féparée du refte de la
Compagnie
, pour être forcée de l'entendre.
Il crut enfin pouvoir en profiter ,
pour me déclarer de nouveau toute la
vivacité de fes fentimens . Mon indignation
le fit bientôt paffer de la flatterie aux
menaces . Alors il me fit entendre , que
les difpofitions
de ma chere Chanoineſſe
,
fa tante , n'ayant été que verbales , &
n'étant fondées que fur fa
propre générofité
, je n'avois rien deformais à eſpérer
que de fa libéralité , & du foin que je
prendrois de lui plaire . En un mot , il
pouffa la dureté jufqu'à me faire rougir
de ma naiffance , & à me propofer pour
modèle & pour unique réffource , les foibleffes
mêmes de ma malheureufe
mere.
J'expofe ici , fous un feul point de vuë ,
les différens affauts que j'eus fucceffivement
à foutenir , & des perfécutions
qu'il
me fallut endurer de la part du Comte de
F... & je crois n'avoir pas befoin de dire ,
à quel excès de douleur & en même tems
de contrainte je me trouvai livrée . Quelle
fituation ! J'en frémis encore , lorfque j'y
penfe. Privée de tous fecours humains ,
1
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
fans confeils pour me conduire , obligée
de ménager tout à la fois la délicateffe &
les bontés de la Comteffe de F... je n'ap
percevois d'autre iffue à mes malheurs ,
que le déshonneur ou la misère : fi l'un
révoltoit ma Raifon , l'autre révoltoit la
Nature. Je me dois cette juftice ; mes fentimens
naturels , & l'éducation que j'avois
reçuë , ne me laiſſoient pas balancer
fur le choix : mais mon imagination troublée
ne me préfentoit aucun des moyens
propres à me tirer de l'état de perplexité
dans lequel je me trouvois forcée de vivre.
Le feul expédient qui me vint d'abord à
l'efprit , ce fut d'écrire au Comte de S.
Fargeol , & de lui découvrir la trifte fituation
dans laquelle je me trouvois réduite.
Mais ce que je venois de lui en
mander , étoit fi différent de ce que
j'avois à lui en apprendre , que je fus retenue
par une fecrette honte : d'ailleurs ,
me difois-je à moi-même , n'a- t - il pas
affez de fes propres inquiétudes , fans le
charger des miennes ? Je ne pus donc me
réfoudre à prendre ce parti . Mais enfin le
Ciel m'infpira fans doute celui que je devois
fuivre ; & j'avoue que je fus étonnée
de ne l'avoir pas imaginé plutôt.
J'avois eu tant de lieu de me flatter de
la protection du Cardinal de Rohan , &
MA I. 1760. 53
de me louer de l'amitié de l'Abbé de Ravanne
, que je ne doutai point qu'en m'adreffant
à ce dernier , je ne trouvaffe
bientôt grace auprès de fon généreux
Prince. Il eft vrai , que j'avois commis
une faute affez grave , en ne leur donnant
part , ni à l'un ni à l'autre , de la
perte que j'avois faite mais j'efpérai de
leur faire excufer , & rejetter cette négli
gence fur ma timidité naturelle , & fur
les douloureufes circonftances où je m'étois
trouvée. Je pris donc le parti d'écrire
, à M. l'Abbé de Ravanne , la lettre
gui fuit.
TRENTE- QUATRIÈME LETTRE ,
De Mademoiselle de Gondreville , à M.
l'Abbé de Rayanne.
MONSIEU ONSIEUR ,
Je me trouve fi humiliée des fautes
que j'ai commifes à votre égard , & des
chofes que j'ai à vous dire , que je crains
bien de n'être plus digne d'aucune attention
de votre part , ni du fouvenir d'un
Prince bienfaifant , dont la puiffante protection
m'eft cependant devenue plus
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE:
néceffaire que jamais. Vous avez , fans
doute , été informé de la perte cruelle
que j'ai faite , dans la perfonne de Madame
la Comteffe D..: J'avoue que c'eft par
moi, que vous auriez dû l'être : mais, Monfieur
, dans l'état où ce malheur m'a réduite
, n'eft- on pas excufable d'oublierjufques
aux devoirs les plus éffentiels ,
quand la douleur eft telle qu'elle nous
force à nous oublier nous- mêmes ? Je ne
vous en impofe point, Monfieur ! Je vous
expofe, dans la plus exacte vérité , la fituation
où je me fuis trouvée depuis le triſte
événement qui m'a féparée pour jamais
de ce que j'avois de plus cher au monde :
fituation à laquelle je ferois peut- être encore
abandonnée , fi quelque chofe de plus
cruel encore ne me menaçoit dans la
retraite que ma chere tante avoit regardée
comme le plus fûr afyle qu'elle pût
me procurer en mourant . C'eſt chez M.
le Comte de F... fon neveu , que fes dernieres
volontés m'ont conduite . Elle ne
s'imaginoit pas affurément , que le zèle
qu'il fit alors paroître pour moi , partît
de la corruption de fon coeur. Mais hélas
, je n'en ai déjà que trop de preuves !
C'eft en dire affez à une âme comme la
vôtre , pour la rendre fenfible aux nouMA
I. 1760. 55
veaux malheurs que je crains ; & dont
l'horrible perfpective frappe fans ceffe mes
yeux. Je ne dois pourtant pas vous cacher
un point moins redoutable pour
moi de la conduite du Comte à mon
égard : tout ce qui peut regarder ma
fortune m'eft indifférent , auprès de ce
qui intéreffe ma vertu. Je crois donc devoir
vous informer , Monfieur , que ma
chere tante étant au lit de la mort , déclara
à M. le Comte de F... qu'elle me
donnoit tous fes meubles & effets ; &
qu'elle exigea de fa générofité , de me
continuer la moitié de la penfion qu'il
étoit obligé de lui faire pendant fa vie ,
jufqu'à ce que la protection de Son Eminence
m'eût mife en état de m'en paffer.
Mais comme ces difpofitions n'ont été
que verbales , quoique le Comte les ait
alors acceptées de la meilleure grâce du
monde ; il ne feint point de me dire aujourd'hui
, que je ne dois m'attendre à
rien , qu'à des conditions fi honteufes ,
que je rougirois de les rapporter. Vous
pouvez vous les imaginer , Monfieur , ces
infâmes conditions : Il me fuffit de vous
dire , que je frémis d'y penfer. Jugez des
peines que l'avenir me prépare , & dont
il menace fans ceffe mon âme tremblante
!...Si ce tableau ne peut manquer d'ex-
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
citer votre pitié , quelqu'imparfaitement
que je fois en état de vous le rendre ;
quelle force n'aura- t- il pas dans votre
bouche , pour réveiller en ma faveur la
protection , le crédit , & peut - être les
anciennes bontés de Son Alteffe Eminentiffime
, Mgr le Cardinal de Rohan ? Je
fais qu'il n'y a rien que fa générofité ne
m'autorife à en efpérer. Mais c'eſt uniquement
un afyle que la vertu lui demande
; & il n'y a point d'état , quel
qu'il foit , que je n'embraſſe pour mettre
la mienne à couvert de la féduction , &
peut - être des piéges qu'on peut lui tendre.
Tout ce que j'ai l'honneur de vous
confier , Monfieur , eft encore un mystè
re pour Madame la Comteffe de F....
J'ai cru devoir , par prudence , lui cacher
les indignes procédés de fon mari , tant
pour lui épargner le chagrin de fe croire
méprifée , que pour éviter les défordres
domestiques qui en pourroient naî
tre. Je ne puis douter que je n'en devienne
la victime. Cependant , l'unique
parti qui me refte à prendre , fi j'ai la
douleur d'être abandonnée à mon défefpoir
, c'eft d'avertir cette Dame de la perfécution
que fon mari me fait éprouver.
Telle eft l'extrêmité de mon état , que je
ne puis prévenir mon malheur fans faire
M A I. 1760 . $ 7
C
le fien. Quelle étrange pofition , fi vous
n'avez pas pitié de moi ! Je n'ai plus
perfonne fur la terre qui s'intéreſſe à mon
fort , fi la bonté de votre coeur ne vient à
mon fecours. Je l'implore , Monfieur ; &
j'ofe tout en attendre . Que ne pouvez-
Vous être témoin des larmes que je répans
! Elles feroient plus éloquentes que
tout ce que je puis vous dire ; & vous
toucheroient plus encore que les fentimens
de confiance , de refpect & d'attachement
avec lefquels je fuis & c.
GONDREVILLE.
P. S. Oferois -je eſpérer , Monfieur ›
que vous veuilliez bien mettre aux pieds
de Son Alteffe Eminentiffime & l'image
de mes malheurs , & les affurances de
mon refpect profond ?
Cette lettre , que j'avois écrite avec
précaution , & que j'avois trouvé le fecret
de faire partir de même , mit un
peu de calme dans mon âme , par l'efpérance
que j'eus d'y recevoir une réponfe
prompte , & favorable. Elle ne
fut point trompée , comme on va le voir :
car , quoique j'euffe attendu cette réponfe
pendant plus de quinze jours , &
que pendant cet intervalle de temps
j'euffe encore beaucoup à fouffrir des in-
C▾
58 MERCURE DE FRANCE.
portunes précautions du Comte ; je reçus
des nouvelles fi confolantes de l'Abbé
de Ravanne , qu'elles euffent été capables
de me faire oublier tous mes malheurs ,
fi je n'avois reçu par le même ordinaire
une Lettre du Comte de S. Fargeol , qui
partageoit néceffairement mon âme entre
le bonheur qui m'étoit annoncé, & les
vives inquiétudes dont elle ne pouvoit
manquer de m'accabler. Je rapporte ici ,
d'abord , celle de M. l'Abbé de Ravanne ,
comme la plus intéreffante à ma propre
fituation ; & parce qu'en effet , je la lûs
la première.
TRENTE- CINQUIÈME LETTRE ,
De M. l'Abbé de Ravanne , à Mlle de
Gondreville.
VOoUuSs m'avez rendu juftice , Mademoiſelle
vous ne pouviez faire part de
vos malheurs à perſonne qui y fût plus
fenfible que moi . J'en excepte pourtant ,
notre grand Cardinal . On ne peut être
auffi touché qu'il l'a été de la perte que
vous avez faite , & de votre fouvenir ,
qu'il m'a chargé de vous affurer lui être
toujours cher. Vous en recevrez bientôt
MA I. 1760.
59
des preuves , qui ne vous laifferont point
douter de l'intérêt qu'il prend à tout ce
qui vous touche. S. A. Em . applaudit fans
doute à la générofité de M. le Comte de
F... & lui fçait gré de l'afyle qu'il vous
a fi gracieufement offert auprès d'une
perfonne auffi refpectable que Madame
fon époufe : mais fon intention n'eft pas
que vous leur foyez plus longtemps à
charge . Elle vient de donner fes ordres
pour vous affurer une retraite , qui vous
convient à tous égards : c'eft dans l'Abbaye
de Jouare , où Madame l'Abbeffe ,
niéce de ce Prince , vous attend ; & où
Madame de Frefnay , qui fe difpofe à
faire inceffamment un vovare à Paris , &
que vous avez connue à Strasbourg , eft
chargée de vous conduire . Vous recevrez
en même- temps , par une voiture de M.
le Cardinal , qui doit aller vous prendre
au château de .... l'avis du jour de fon
départ & du vôtre , pour lequel vous
n'avez point de temps à perdre. Ainfi ,
Mademoiſelle , vous devez vous y préparer
fans délai . Vous aurez foin de pren- ,
dre chez MM . de Corneman , à Strafbourg
, cent louis, qu'ils vous remettront
fans difficulté , fur le billet ci -joint . S. A.
Em. écrira elle- même à M. le Comte de
F.... pour le remercier , & lui faite part
C -vi
60 MERCURE DE FRANCE.
de l'arrangement qu'il prend pour vous.
Il ne me refte , Mademoiſelle , qu'à vous
rendre grâce , en mon particulier , de la
confiance que vous avez bien voulu prendre
en moi. Soyez affurée , je vous prie ,
qu'elle ne vous trompera jamais ; & qu'il
n'y a perfonne au monde qui ait
vous un attachement plus fincere & plus
refpectueux , que celui avec lequel je
fuis, & c.
pour
L'Abbé de Rayanne.
Je ne pus admirer affez la retenue de
l'Abbé de Ravanne , à la lecture de cette
lettre ; j'en fus auffi furpriſe & plus fatisfaite
même , que de l'extrême générofité
de fon adorable Prince , dont j'avois des
preuves fi touchantes pour l'avenir , & fi
effentielles pous mes befoins préfents, par
le billet qui étoit joint à cette lettre.
Je viens à celle du Comte de S. Fargeol.
( Lafuite, au prochain Mercure. ),
MAI. 1760.
6.r
SCENE CINQUIEME du premier Alte
du Caton , d'Adiffon .
EST- CE
JUBA , MARCIE.
JUBA.
ST- CE vous que je vois , digne objet de mes
feux ?
Que cet afpect charmant , raſſure un malheureux !
Oui... je fens que mon coeur fe calme à votre vue ;
L'efpérance renaît dans mon âme éperdue :
De vos attraits touchants , la douce majesté ,
A ces momens d'horreur , vient mêler la gaîté.
Le tyran de mon coeur , adouci par vos charmes....
MARCIE...
Ciel ! qu'entends-je ?... Et c'est moi, qui lui prête
des armes ! ....
Mes yeux , mes triftes yeux ferviroient les forfaits
?
J'aurois trop à rougir de mes foibles attraits.
Il vient à nous , Seigneur, ce tyran déteſtable :
Il- menace Caton ; & fa fille coupable ,,
Pourroit trahir ? ...
JUBA.
Pardonne à cet excès d'amour ,
Vertueufe Marcie ! hélas ! ce trifte jour ,
Va peut-être éclairer le triomphe du crime..
2
62 MERCURE DE FRANCE.
"
Sous mes pas chancelants , quand j'entrevois l'a
bîme ;
Quand je te perds peut- être , en fuivant mor
devoir ;
A mon coeur déchiré , laiſſe du moins l'efpoir:
Laiſſe-moi me flatter que tes regards ſenſibles ,
Sont attachés fur moi dans ces momens terribles:
Que tes tendres fouhaits , vont me ſuivre au combat
:
Cet eſpoir enchanteur animera mon bras ;
Et de mes traits plus fûrs , les coups inévitables,
Feront pleuvoir la mort fur ces têtes coupables.
MARCIE.
Si vous êtes l'ami de Rome & de Caton ,
Soutenez tout le poids de cet auguſte nom.
Défendez la vertu , contre la tyrannie.
C'eſt à ce prix , que font les ſouhaits de Marcie.
JUBA.
Souhaits chers à mon coeur, je cours vous mériter !
Et toi , fage morrel , Caton , viens m'inſpirer :
Allume dans mon fein cette divine flâme ,
Que la vertu romaine alluma dans ton âme.
Que ta fille , dans moi , puiffe un jour t'admirer !
Qu'un jour !...
MARCIE.
Commencez donc ici par l'imiter.
Le temps vole , Seigneur , & fon aîle rapide
Va nous montrer bientôt un Citoyen perfide.
En de pareils momens , Caton fçait moins parler
MA I. 1760. 63
JUBA.
Je m'égarois ; ta võix a fçu me ramener .
Je vole à mes Soldats : de leur valeur mourante ,
Je vole ranimer la flâme languillante ,
Inſpirer mon ardeur aux efprits abattus ,
Porter dans tous les coeurs Caton & fes vertus.
Et quand Mars paroîtra,fous cette pompe horrible
Qu'étale des combats l'apprêt ſombre & terrible ,
Tes traits, toujours préfens à ce coeur plein de toi ,
Tes traits chers & charmans,ſe montreront à moi,
Et nos tyrans verront , ſi mon bras juſtifie
L'orgueil des voeux que j'ofe adreffer à Marcie.
Par M. de Y. d. L. d.
à Lille , ce ...
MADRIGAL.
LE Dieu qui règne fur ces rives ,
Promène lentement fes ondes fugitives :
On n'entend plus les flots exciter , en roulant ,
Un agréable & doux murmure ;
Et les gazons fleuris , ne s'empreffent plus tant
De l'embellir par leur verdure.
Sa charmante Nayade , en pleurs ,
Vient foupirer fur le rivage
Son infortune , fes douleurs ,
Et l'infidélité de ſon époux volage .
64 MERCURE DE FRANCE.
Comment s'eft affoibli l'amour
De ce Dieu qui près d'elle oublioit tout le monde ?
C'eft que la belle Eglé fe miroit l'autre jour
Sur la furface de fon onde...
Par M. DEN OI.
VERS à Madame DORI... de GOL...
pour être mis au bas de fon Portrait ,
qui n'étoit pas bien reffemblant.
To
U vois , d'Iris , ce tableau peu fidèle ;
Il ne rend pas le quart de fes attraits .
Le Peintre déffinoit ; & du bout de fon áîle ,
J'ai vu l'Amour , jaloux , effacer bien des traits :
Iris eft fon plus bel ouvrage.
Ce Dieu ne veut pas aujourd'hui ,
Que l'art , partageant notre hommage,
Faffe rien d'auffi beau que lui .
Par le même.
MAI. 1760.
16
LES TALENS DE L'ESPRIT.
POEME.
PREMIER CHANT.
JE chante les Talens de l'efprit , fource
féconde de biens ou de maux , de gloire
ou de honte , fuivant l'ufage que l'on en
fait ; tréfor ineftimable dans les mains
de l'homme raifonnable & vertueux ;
poifon pernicieux ,dans les mains de ceux
qui s'éloignent de la Sageffe & de la Raifon.
Heureux, fi je pouvois infpirer à ceux
qui en abuſent , le defir de les rendre à
leurs véritables deftinations ! Heureux , fi
je pouvois louer dignement ceux qui n'en
ont jamais abufé !
Mais quel espoir féduifant , eft venu
m'engager dans une carrière fi difficile !
Ne faudroit- il pas avoir les vrais Talens ,
pour les célébrer comme il faut ? Je fens
toute la témérité de mon entrepriſe ; le
zèle feul pourra la faire excufer.
C'eft à vous , ô Mufes à la feconder ;
ou plutôt , c'est vous que j'implore , ô Sageffe
fuprême! qui rendez feule les Talens
vraiment refpectables & véritablement
66 MERCURE DE FRANCE.
précieux ne me refuſez point quelques
rayons de cette lumière éclatante , qui
préſerve les hommes de l'égarement :
mais paroiffez dans mes vers plus douce
que fincère , moins impérieufe qu'aimable
; vous n'en ferez que plus fûre de
perfuader. Minerve doit fe faire accompagner
par les Grâces , & voiler fes inftructions
fous les charmes de l'agrément ,
comme on voit , dans nos jardins, les fruits
fe cacher fous les fleurs.
Et vous , arbitres de ces Talens , que
vous honorez par vos moeurs ! vous qu'Apollon
& Minerve firent dépofitaires du
tréfor de la raifon agréable , & du goût
épuré ; daignez m'encourager par un de
vos regards , comme on vit autrefois le
Soleil guider de l'oeil & de la voix le jeune
Phaeton , parcourant les campagnes
immenfes du Firmament. Heureux , fi
trop temblable en tout à ce téméraire , je
ne fers point d'exemple aux audacieux !
LES HOMMES Connoiffoient déjà la fageffe
, que le goût leur étoit encore inconnu
; leurs moeurs réglées , mais un peu
fauvages, avoient befoin d'être adoucies ,
d'être civilifées par les Talens de l'efprit :
ils en avoient en eux le germe ; mais il
étoit queftion de le développer. Le fouverain
difpenfateur des Talens & desArts,
MAI. 1760. 67
Apollon quitte le Parnaffe , capitale de
fon Empire ; & fur un nuage d'azur &
de lumière, s'élève d'un vol rapide fur la
voute célefte , d'où le Maître des autres
Dieux contemple & juge les foibles Mortels
& les Divinités mêmes qui lui font
fubordonnées .
:3
Grand Dieu ! dit Apollon , défapprouverez-
vous les deffeins que j'ai formés
pour la gloire & le bonheur du monde ?
L'homme ignore encore les charmes &
les avantages des Talens de l'efprit , fi
capables de le diftinguer de tous les autres
êtres n'est- il pas temps de les faire
connoître à l'Univers , & de répandre fur
les mortels les dons du génie , du goût
& du fentiment ? Je brûle de les leur infpirer
, & de mêler à l'innocence de leurs
moeurs ce qui peut la rendre encore plus
touchante & plus agréable. N'eft- il pas
temps auffi, qu'à l'exemple de tant d'autres
Divinités qui régnent fur la terre ,
je manifeſte mon pouvoir à ceux qui l'habitent
, & que je leur faffe reffentir mes
bienfaits ? Ils ont appris , de Cérès , la ſcience
utile de l'agriculture ; de Mercure ,
celle du commerce & de l'induſtrie : Pomone
, fertilife leurs vergers ; Flore , embellit
leurs jardins ; Pan, a raſſemblé leurs
troupeaux ; Neptune , les conduit fur le
8 MERCURE DE FRANCE.
perfide élément qu'il gouverne ; ils ont
même reçu de Mars & de Vulcain , l'art
terrible de la guerre & des combats : ne
dois-je pas , à mon tour , leur enfeigner
des Talens plus doux , & des Arts plus
agréables ? ....
Jupiter, d'un clin d'oeil qui fait trembler
l'Olympe ébranlé par un fi majeftueux
mouvement , approuve le projet d'Apollon:
mais il defireroit que le Pere des Talens
prît avec lui Minerve pour le feconder
, & même pour lui fervir de guide.
La fierté d'Apollon reçoit à regret un
confeil qui l'expofe au partage de l'autorité.
Laiffons ( dit- il à Jupiter , ) laiffons
à Minerve le foin de former les coeurs &
de les gouverner ; je prends fur moi ſeul
l'emploi moins férieux , mais plus flatteur
peut- être , d'orner & de cultiver les ef
prits .
A ces mots , Apollon quitte l'Empire
immenfe des Cieux , pour defcendre rapidement
fur cette terre bornée , dont
notre orgueil femble vouloir étendre les
limites ; point imperceptible aux yeux
des immortels ; vafte champ pour nos
regards ; & dans lequel nous formons un
point plus imperceptible encore !
Le Dieu des Arts & des Talens, répand
fur les Mortels un fouffle enflammé, dont
MA I. 1760. 69
ils ne tardent pas à reffentir les impreffions
divines & les effets merveilleux.
Leur génie fe développe & s'étend , s'é
chauffe , éclate , & s'élance avec la même
rapidité que le falpêtre, qui n'attend pour
forcer la prifon qui le renferme, que
la
main qui doit l'enflammer. Puiffent les
étincelles d'un fi beau feu , éclairer le
monde , fans y cauſer d'embraſement !
L'infpiration d'Apollon eft une vive
lumiere , qui diffipe tout- à - coup les ténèbres
dans lesquelles l'efprit humain étoit
enveloppé. La Raifon acquiert un nouveau
degré d'intelligence & de fagacité
les connoiffances s'étendent & fe
multiplient ; les Talens naiffent , & font
naître avec eux les plaifirs délicieux de
l'imagination, dont les couleurs enchantereffes
embelliffent la vérité même , & qui
réalisent à nos yeux des chimères agréa
bles... Souvent plus cheres aux hommes
que l'effentiélle vérité ! La voix , docile
aux loix de l'efprit , l'interprête avec
grâce , & le peint avec force dans la
déclamation ; le gefte la feconde , & rend
l'efprit encore plus éloquent ; la politeffe,
qui fçait orner tout ce qu'elle touche ;
la clarté , qui rend l'efprit lumineux ; la
délicatefle , qui fait le charme des paroles
& l'allaifonnement des actions ; la ya70
MERCURE DE FRANCE.
riété , qui bannit l'ennui ; le goût enfin ,
qui fait valoir tour le refte , & qui ſçait
auffi l'apprécier , fe réuniffent pour étendre
l'Empire des Talens , pour affurer
leur régne , & le perpétuer . Une aurore
nouvelle paroît éclairer un nouvel Univers
on diroit que les hommes viennent
d'être créés , pour la premiere fois . Le
Dieu des Arts s'applaudit de fon ouvrage
; & les hommes en jouiffent.
LES
SECOND CHANT.
ténèbres que le flambeau d'Apol
lon avoit fait difparoître de deffus la terre
, étoient retombées dans les enfers ,
dont elles avoient redoublé l'horreur &
l'obfcurité . l'Envie , trifte habitante du
féjour, ténébreux , apprend , par cette
révolution , les nouveaux bienfaits que
les Dieux viennent de répandre fur les
Mortels . Elle en frémit ; & jure , par
le Styx, de mettre obftacle à leur félicité.
La naiffance des Talens allume en elle
un reffentiment , qu'elle fe hâte de faire
éclater . Elle va trouver l'Ignorance , qui
s'occupoit fur les bords du Tartare , à
fe rappeller orgueilleufement les crimes
qu'elle avoit occafionnés.
MA I. 1760. 71
Quelle eft , dit l'Envie , ton indigne
fécurité , tandis qu'Apollon s'applaudit
fur la terre des atteintes qu'il vient de
porter à ta puiffance ? Ton Empire eft attaqué....
Que dis - je ? il eft détruit , fi tu
n'en préviens pas la chûte ! Les Talens
viennent de naître ; ils ont rapidement
étendu les limites de l'efprit humain :
négligeons de les combattre , ils ne tarderont
pas à fe multiplier. Je crains ,
furtout ,( & tu dois l'appréhender autant
que moi ) je crains que lesTalens de l'efprit
ne rendent les hommes encore plus
fages , en les civilifant. Une feule chofe
me raffure ; mais elle ne fuffit point à
mon reffentiment : Apolion a refufé de
s'affocier avec Minerve ; & Minerve, à fon
tour , dédaigne de feconder les projets
d'Apollon leur défunion écarte notre
plus cruelle ennemie. Le refus d'Apollon ,
ranime mon courage ; & je ne défefpère
plus d'anéantir lesTalens qu'il a fait naître.
Que feront - ils , fans la Sageffe ? Le
vrai moyen de les détruire , eft encore en
notre difpofition c'eft de faire en forte
que les hommes en abufent. Minerve ne
accompagne pas ; ils feront fans défenfe
: les voilà perdus. L'infiant eft favorable
partons ; réuniffons nous contre
nos ennemis. Mettons dans nos intérêts
les
:
72 MERCURE
DE FRANCE.
tout ce que l'enfer a de plus redoutable
aux Talens & à la Vertu , l'Irréligion , la
Satyre , & l'Obfcénité : elles nous prêdes
armes fûres ; elles
aideront à faire détefter ces nouveaux
préfens des Dieux qui flattent l'orgueil
de l'efprit humain , & que nous ferons
tourner à fa confufion.
teront nous
Comme on a vû quelquefois , à la
honte de l'humanité , des Guerriers féroces
empoifonner les fleuves & les fontaines ,
pour donner plutôt & plus furement la
mort: à leurs ennemis: ainfi l'Ignorance &
l'Envie , déchaînées contre les Talens ,
méditent d'empoifonner les fources de nos
plaiſirs , pour nous faire trouver le défordre
& les remords dans les ouvrages ou
nous devrions ne puifer que la fageffe la
plus pure , & la plus douce félicité. Elles
invoqnent & raffemblent en un inftant
les funeftes compagnons de leurs tra
vaux , & les complices de leurs crimes.
-L'Irréligion fe dérobe , pour les venir
trouver , aux cris effroyables des Titans
gémiffans fous le poids des montagnes
dont les Dieux les ont accablés , pour cha
tier leur rébellion . L'efpoir renaît dans
leur coeur , en apprenant que les Talens
corrompus par l'Impiété , vont révolter
les Mortels contre les Dieux ; & que
déformais
MAI. 1760. 73
deformais l'efprit des hommes, infecté du
fatal poifon qui va leur être communiqué
, aura l'audace de chercher à définir
ce qu'il devroit adorer , & blafphémera
bientôt les Dieux qu'il auroit dû glorifier.
La Satyre , armée d'un trait éguifé par
la Fineffe , & empoifonné par la Malignité,
fe cache fous les traits de Momus
Dieu de la Raillerie , prèfque toujours offenfante
, & fouvent funefte à ceux qui
plaifantent le mieux .
L'Obfcénité hardie, appuyée fur l'Indé
cence , précédée de la Corruption & fuivie
des Dégoûts , emprunte les traits de
Vénus , fi capables de féduire ceux qui
n'ont pas le courage de s'en préferver par
la fuite.
*
Toutes trois , conduites par l'Envie ,
fe rendent dans un féjour chartnant , ou
l'Innocence & la joie avoient raffemblé
les Talens dans un repas champêtre
ordonné par la Sobriété , apprêté par la
Délicateffe , & fervi par l'Amitié. Bacchus
même , y fervoit une liqueur égale au
nectar des Dieux.
L'Envie , déguifée fous les traits ſéduifans
de la jeune Hébé , s'approche en
folâtrant de la coupe de Bacchus , empoifonne
la liqueur , & fait circuler parmi
les Talens le venin le plus fubtil & le.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
plus dangereux , puifqu'il eft compofé
des poifons réunis de l'Irréligion , de la
Satyre , & de l'Obſcénité.
L'Innocence s'en apperçoit : elle prend
la fuite ; la Joie difparoît. La Licence
leur fuccède , avec le Délire & l'Emportement
le Ciel s'obfcurcit ; le tonnerre
gronde ; & l'Envie confomme fon ouvra
ge , en armant les uns contre les autres
les Talens , qui renouvellent , dans leur
fatale yvrefle la cruelle hiftoire des
Centaures & des Lapithes , dont les com
bat troubla les nôces de Pirithoüs .
"
( La fuite , au Mercure prochain. )
LES AMOURS A LA MODE
VAUDEVILLE.
AIR , Des Portraits à la mode.
DIRE IRE en tremblant le fecret de fon coeur ,
De fa Maîtreffe épargner la pudeur ,
C'étoit la vieille méthode .
Defirs d'aujourd'hui font plus fortunés ,
Chacun les déclare avant qu'ils foient nés ;
Les entreprenans font feuls couronnés :
Voilà les amours à la mode !
MAL. 1760. 75
Aux pieds de fa belle , un amant difcret ,
Portoit chaque jour un tendre bouquet ;
Les Dieux feuls fçavoient où cela ſe met :
C'étoit la vieille méthode .
Si fa main encor cueille le jaſmin ,
C'eft pour le placer d'un air libertin ,
Et pour arracher le fien de fon fein :
Voilà les amours à la mode !
1
Sur le rapport des humeurs & des goûts ,
On fondoit tout le bonheur des époux ;
S'adorer , étoit le bien le plus doux :
C'étoit la vieille méthode.
L'hymen , aujourd'hui , fe traite autrement ,
L'intérêt décide le dénoûment ;
Sur la dot , on règle le fentiment :
Voilà les amours à la mode !
Par M. RELONGUE DE LA LOUPTIERE ,
Membre de l'Académie des Arcades de Rome.
VERSfur la mort de M. THUROT ,» tue
au combat naval , du 28 Fév. 1760 .
FUNTS
甲
UNISTI aveuglement , du fort qui nous
conduit !
Hélas ! dans l'éternelle nuit ,
Jeune , après mille exploits , Thurot vient de def
cendre.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Anglois, qui redoutiez fon nom, quoique nouveau ;
Vos regrets , à fon ombre , élèvent un tombeau s
Senfible à fes vertus , vous honorez fa cendre : *
C'eſt jouir, doublement , d'un Triomphe ſi beau !
Par M. *****
ÉPITRE FAMILIERE ,
A M. ***** , Curé de Saint
**
à Paris.
Toi , 01 , dont l'infatigable zéle ,
Brûle aux dépens de ta fanté ;
Qui , lorſqué le devoir , t'appelle
Au fecours de l'humanité ,
Ne prêtes plus qu'une oreille rebelle
Aux cris de ton infirmité.
Toi , qui par la Littérature ,
Enrichis cet efprit , dont le Ciel t'a dotes
Et qui , dans la fociété ,
Sans que la décence en murmure ,
Portes une aimable gaîtés
Paſteur chéri ! mon âme fatisfaite ,
De voir les Préjugés à tes pieds abattus ,
Vient applaudir à leur défaite ,
Que tu ne dois qu'à tes vertus,
Ta droiture & tes moeurs, leur impofent filence;
(
༢. ་ ་
J11
* Les Gazettes Angloiſes , qui ne peuvent être fufpec.
tes , furtout en ce cas - ci , retentillent des éloges de ce brave
Marin , & des honneurs qui ont été rendus à fà mémoire .
MA I. 1760. 77
Ta charité , qu'éclaire la Prudence ,
A triomphe de la froideur :
J
Ton Peuple , ton Clergé , vient à réfipifcence ;
Leur eftime eft déjà le prix de ta douceur ;
Tes don's vont les forcer à la reconnoiffance :
Les bienfaits nous gagnent le coeur.
*
Le Vieillard , à qui tu fuccèdes ,
Eprouva , comme toi , des contradictions ;
Mais dans fa patience , & dans fes actions ,
Il trouva de puiffans remédes
Contre l'effort des factions.
J
Par le ton de la bonhommie ,
Il fçut dans le bercail ramener le troupeau .
Ces hommes prévenus, prirent un coeur nouveau ;
Sa bonté defarma leur colère ennemie :
Le loup , pour lui , devint agneau .
Aux leçons des Vertus , il ajouta l'exemple ;
Il embétfit l'Auret , il décora le Temple ;
Il fut de l'orphelin & le Pere & l'appui :
Des coeurs qu'il fe foumit , la moiffon fat trèsample:
Mais ce qu'il fit alors , tu le fais aujourd'hui ;
Et l'on retrouve , en toi , ce qu'on perdit en lui.
Ta libérale maia , foulage l'indigence ;
Le befoin , près de toi , trouve un facile accès ;
En Chaire , tous les mois , ta voix fait le Procès
Au vice qui s'endort au fein de l'indolence.
Au Tribunal de Pénitence ,
Diij
8 MERCURE DE FRANCE.
Je vois ton zéle ardent pouffé jufqu'à l'excès :
Mêmes travaux , mêmes ſuccès :
Que ne peut point la bienfaiſance?
Partout je te vois honoré :
Aux vents des paffions , fuccède la bonace.
A ton afpect , des coeurs je vois fondre la glace :
Le Marguillier d'honneur , pour toi s'eft déclaré.
Tout revient fur fon compte , & l'on donne au
Curé ,
Ce qu'on refuſoit à ſa place.
Jouis du tranquille repos ,
Dont le Dieu que tu fers couronne tes travaux.
Lorfque fans négligence on a rempli ſa tâche,
L'efprit a befoin de relâche ;
Plus il eft fatigué , plus il faut l'amuſer :
L'arc trop tendu , riſque de ſe brifer.
A de pénibles foins , ton âme eft trop livrée : .
Pour quelques jours , Ami , quitte Paris ;
Et d'une fanté délabrée ,
Apporte-nous ici les précieux débris.
Les champêtres beautés de ce féjour tranquille ,
Les côteaux enchantés , l'air pur de Sartrouville *
Hâteront la lenteur de ton fang pareſſeux :
La Décence , en ces lieux , accompagne les Jeux;
La Sageffe , y règle le ſtyle
De quelques amis vertueux .
Que de motifs , pour toi , d'abandonner la Ville!
* Village , à quelques lieues de Paris,
MA I. 1760. 19
Ici , chacun s'amufe , & fait comme il l'entend.
On fuit fon goût , & tout le monde eft Maître ,
Hors celui qui feul devroit l'être.
Ne le fais point languir : fon amitié t'attend.
Par M. l'Abbé CLÉMENT , Chanoine
de S. Louis du Louvre.
PORTRAIT
De Mlle de B**** , fille de Mde la Marquife
de B**** , qui a donné au Public
les Bagatelles amufantes .
Sur l'air : Tout roule aujourd'hui dans le monde.
ΝNE fuis-je pas affez gentille ,
Pour trouver bientôt un époux ?
Et pourquoi donc fuis - je encor fille !
Ma foi , cela me paroît fou !
Que me manqueroit-il pour plaire ?
N'ai-je pas tous les attributs
De la Déeffe de Cythère ,
Et de Minerve les vertus?
Sans trop parer ma marchandiſe ,
Je vais de mes jeunes appas ,
Aujourd'hui faire l'analyſe ;
Bien fot qui ne ſe vante pas.
En deux mots , voici ma figure:
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
J'ai l'air jeune , brillant , & frais :
Pour toute beauté , la Nature
Des Grâces m'a donné les traits.
On dit ma taille , fans pareille ;
On admire mon pied mignon ;
Partout on prône mon oreille ;
On applaudit à mon chignon.
Si mes yeux ne font pas énormes ,
C'eft que je fuis en racourci ,
Soit pour le fond , foir pour la forme,
Le bijou le plus accompli.
En tout temps , je fuis naturelle ;
J'inſpire toujours la gaîté : pote
J'affaiſonne une bagatelle ;
Et je ris d'une pauvreté.
Je ne fuis point contredifante:
Et cependant , hors de ſaiſon
Contre ma mère j'argumente,
Quelquefois fans trop de raifon .
Je ne fçais quel démon me tente
M'agite & m'anime au combat :
Suivant le Concile de Trente ,
C'eſt le démon du Célibat.
Pour guérir cette frénéfie ,
Mariez-moi , belle maman :
Du moins , une fois dans la vie,
Nous aurons même ſentiment.
Par Madame D. DG.
MAI 1760. 81
LE mot de la première Enigme da
Ε
fccond volume d'Avril , eft Carnaval . Celui
de la feconde , eft Perruque.
Le mot du premier Logogryphe , eft
Ecritoire. Celui des autres , eft Béterave ,
Malheureux , Dieu. Celui du Latin , eft
Navis , où l'on trouve Avis.
angalE NIGME.
COMOPMPOOSSEÉ monstrueux de grandeur , de baſpra
pola felle , 10
De vices , de vertus , de fcience , d'erreur ,
D'humilité , d'orgueil , de force , de foiblelle :
l'ignore qui je fuis , je me cherche fans celſe.
Tire-moi d'embarras : qui fuis-je , ami Lecteur?
97?
... fo :
a cup. at 12.0
AUTRE ENIGME.
Avoir ma grotefque figure
La jeuneffe fe divertit
Cependant, admirez ma bifarre avanture !
Je- cours après le monde, & le monde me fuit,
A
Cette frayeur , eft affez raifonnable t
Quoiqu'aveugle , ainfi que l'amour,
l'amour
Dv
81 MERCURE DE FRANCE.
Quand j'attrape quelqu'un , fi je fuis véritable ,
Pour quelque temps il eſt privé du jour.
Jefuis quelquefois mâle , & quelquefois femelle.
A l'abri de mon nom , l'Amant qui n'eft pas fot ,
Peut dérober des faveurs à fa Belle ,
Sans qu'elle ofe lui dire mot.
LOGOGRYPHE.
POUR
OUR me trouver , Lecteur,tu travailles peutêtre
;
Mais tu n'es pas le feul qui defire m'avoir :-
Mille & mille , par moi , font nés & s'en vont
naître .
Si tu veux me connoître , exerce ton fçavoir.
Des Rois & des Bergers , je deviens le partage;
Je plais à brune , blonde , aur jeurres comme
aux vieux ;
La Raifon & l'Amour , m'invoquent en tous lieux;
De Tircis , & d'Églé , je forme le ménage ;
Mille aimables Mortels , fans moi , mourroient
de faim ;
Et fans moi , l'Univers verroit bientôt fa fin.
Sur fept pieds établi , fi l'on me décompoſe ,
On rencontre en moi l'air , utile à toute chofe;
Le nom de notre Reines ou pronom poffeffif
Ou meuble de Galère , ou celui d'un Efquif.
M A I. 1760. 83
En cherchant bien encor , tu trouveras , je gage ,
Le contraire de gras , le contraſte de doux ;
Un mot fort ufité , fynonyme d'Epoux.
Ce n'eft pas tout , Lecteur : pour m'avoir , il faut
l'âge .
Peut-être me tiens-tu ? peut- être , tu m'auras ;
Et peut- être , plutôt que tu ne le voudras.
Par M. le Chevalier de M. E. de Mad.
D. F. Chevalier de S. Louis.
AUTR E.
MON tout , n'eft qu'un monofyllabe :
Mais , malheur au Mortel dont j'habite le corps
J'y fuis pour lui , plus cruel qu'un Arabe ,
Jufqu'à ce que j'en fois dehors.
En combinant ma petite fabrique ,
L'on trouvera deux notes de muſique ,
Un arbre , un terme de dédain ,
Un titre familier parmi le genre humain ,
Que ſouvent on ne foutient guères.
Bref , le nom d'un des douze frères
Qui règnent tour- à- tour. C'eft celui , juſtement
Que l'on voit aujourd'hui régnant .
I
D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
ARIETTE.
EUN coeur, plein de feux ,
Aimez , pour être heureux..
Mais , aimez fans foiblefle
Toujours libre & conftant.
Au fein de la fagefle ,
Le bonheur vous attend.
Jeune coeur , plein de feux ,
Aimez , pour être heureux.
Par M.. D..
DA
sugi Led Lunch
Tendrem f
Jeune coeur plein de feux, Aimés
être
pour
W
ureux, Jeune coeur plein de feuxAimés
Fin. W'
ur être heureux; Mais aimés sans foibles
W
Toujours libre et constant, Mais aimés
foiblesse Toujours libre et constant. Jeune.
sein de la sa -gesse Le bonheur vous at =
d Au sein de la sa -gesse
Le bonheur
OUS at. tend...
Jeune
ANT
1
MAI. 1760. 85
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE de M. DE GRACE , à l'Auteur
Anonyme d'un Livre nouveau intitulé:
CULTE DES DIEUX FÉTICHES , ou Parallèle
de l'ancienne Religion de l'Egypte
avec la Religion actuelle de la Nigritie.
Vol. in- 12 . de 185 pages. 1760.
MONS ONSIEUR ,
L'Ouvrage que vous venez de donner
au Public, annonce une grande érudition ,
un profond fçavoir , & beaucoup d'efprit.
Les principaux points du fyftême que vous
expofez dans ce fçavant Ouvrage , fe réduifent
, fi je ne me trompe , aux articles
fuivans
.
}
1. Vous prétendez que le Fétichisme '
ལ །
* Tout le monde fçait que les habitans de la
Nigritie prennent pour Dieu tutélaire , une mod
che , un papillon , un oifeau , un lion , une montagne
, in arbre, une pierre , un poiffon, la mer
meme. Les Européens ont donné à ces fortesde
Divinités le nom de Fétiches. ités leur Lifez les Relations
des Voyageurs , fur les Côtes de Guinée.
86 MERCURE DE FRANCE.
actuél des habitans de la Nigritie , a été
la principale Religion des anciens Egyptiens,
& même de prèfque tous les Peuples.
2. Vous foutenez , que les Egyptiens
ont été des Sauvages dans leur origine ,
comme toutes les autres Nations depuis
le déluge ; qu'ainfi ils n'ont pas été capables
d'imaginer une Religion myſtérieufe
à laquelle on pût donner des interprétations
métaphyfiques & phyfiques;
& que par conféquent il eft abfurde de
vouloir y trouver du figuré , comme plufieurs
Sçavans ont ofé le penſer.
3.° Vous infinuez, que le Paganifme en
général n'a confifté que dans le culte rendu
aux Aftres , à des animaux , & trèsfouvent
à des hommes morts divinifés.
4. Vous penfez, qu'il y a du ridicule à
croire qu'on auroit inventé une Religion
qui auroit été an myftère continuel pour
le Peuple ; & vous ajoutez, que le filence
des Prêtres Egyptiens , fur leur Religion ,
ne provenoit que de ce qu'ils n'avoient
rien à dire fur un fyftême religieux , extravagant
par lui-même , & dont ils fentoient
toute la puérilité.
:: Permettez-moi , Monfieur , de vous
expofer ce que je penſe fur ces articles.
Je fens que j'ai à combattre un adverfaire
dont les forces font fupérieures aux
MAI. 1760. 87
miennes : mais fi je fuccombe , je n'aurai
point à rougir d'avoir rendu les armes à
un tel vainqueur.
Pour procéder, avec quelque méthode ,
je diviferai cette efpéce de differtation en
deux Articles tirés des précédens .
1. J'examinerai , fi les Egyptiens ont
été des Sauvages dans leur origine ; & fi
leur Religion primitive a pû être formée
fur des principes de Métaphysique & de
Phyfique .
2. Je tâcherai de faire voir , que les
premiers Egyptiens ont connu le vrai
Dieu; qu'ils n'ont point divinifé des hommes
, ni rendu un culte réel aux animaux
; & que par conféquent le Fétichifme
n'a point été la Religion primitive
des Egyptiens.
ARTICLE PREMIER.
Vous voulez , Monfieur , que toutes les
Nations ayent
été Sauvages depuis le
Déluge , à l'exception du Peuple choifi.
En examinant avec attention les Annales
du Monde, depuis le Déluge , je n'apperçois
aucune trace de cette rufticité
que vous prêtez gratuitement au genre
humain. Je vois , au contraire , des hommes
qui connoiffent & cultivent les Arts;
puifque felon l'Ecriture- Sainte , ils for
88 MERCURE DE FRANCE.
ment,l'entreprise d'élever une tour d'une
Hauteur prodigieufe, entreprife qu'ils exécurent
en partie. Dieu les force de ceffer
leur ouvrage ; & alors fe fait la difperfion
des hommes par toute la terre. Je
fuis ces mêmes hommes , & je les confidère
comme partagés en deux bandes.
L'une , bâtir des Villes , s'y enferme , fe
police , fe perfectionne dans les Arts &
les Sciences ; l'autre , au contraire , trouvant
des délices dans la vie champêtre,
parcourt les campagnes , n'ayant, pour fe
mettre à l'abri des injures de l'air que
des tentes, des chariots couverts de peaux,
ou des cabanes groffiérement conftruites,
Cette derniere bande, qui forme nos peuples
Nomades ou vagabonds , changeant
Continuellement de demeures , couvre infenfiblement
la terre de Sauvages ; parce
que ces Peuples vivant dans les deferts,
les bois , les montagnes , contractèrent
la rufticité des lieux qu'ils habitoient .
Vous voyez par- là , Monfieur , que les
habitans de la Terre n'étoient point
fauvages dans leur origine ; & je vais
Vous donner une preuve de ce que javance
:
Slave
---Dès l'ân 2125 , avant Ţ. C. l'Empire de
Ninive & celui de Babylone , paroiffent
avec une forte d'éclat dans l'Alie. On y
M A I. 1760. 89
3
voit bientôt fleurir lesArts & les Sciences,
qui adouciffent les moeurs témoins ces
fuperbes jardins de Babylone , & les
autres ouvrages conftruirs par Sémitamis
, qui monta fur le Trône , l'an 1916
avant J. C. L'Afrique ne tárda pas à être
habitée ; & la Colonie Afiatique , qui
palla en Egypte , fe diftingua , dès fon
origine , par la fageffe de fes Loix , &
fon goût pour les Arts , dont elle avoit
eu connoillance en Afie. Voici fur quelles
probabliités je fonde mon opinion.
Ces Afiatiques , auxquels je vais donner
le nom d'Egyptiens , commencerent ,
fuivant toutes les apparences , à fixer
leur demeure fur les bords da Nil! Ils
reffentirent bientôt les incommodités de
l'inondation du fleuve ; & ils furent en
conféquence , obligés de faire diverſes
obfervations fur cette inondation périodique.
Il fallut donc prendre des mefures
pour s'en garantir , & pour profiter
en même-temps de la fertilité que
le limon du Nil procuroit à la terre. Les
Egyptiens devinrent donc Aftronomes
Géomètres , & par conféquent Philofophes
, dès l'inftant qu'ils commencerent
à habiter l'Egypte .
Je fixe l'arrivée des Afiatiques , dans
l'Egypte , très - peu de temps après la fon90
MERCURE DE FRANCE.
>
dation de Ninive ; puifqu'au bout de
cent cinquante- fept ans , c'eft - à - dire ,
l'an 1968 une Colonie Egyptienne ,
conduite par Inachus, paffe dans la Grèce,
& commence à civilifer les Peuples fau
vages qu'elle y trouve. Ces monumens
hiftoriques me paroiffent démontrer
clairement que l'Egyptien n'a point été
fauvage dans fon origine. Ainfi, Monfieur,
les paffages de Diodore de Sicile , &
de quelques autres que vous alléguez ,
pour prouver la barbarie des premiers
Egyptiens , ne peuvent en aucune manière
appuyer votre opinion . Vous favez,
d'ailleurs , quel fond on doit faire fur
Diodore de Sicile , qui rapporte en même-
temps le pour & le contre , fans rien
difcuter.
Je crois avoir démontré , que les premiers
Egyptiens ont été Philoſophes :
leurs loix , leurs coutumes , leurs ufages ,
ont donc été conformes aux principes
de la Philofophie , & c'eft ce que l'Hiftoire
nous apprend. Tous les Egyptiens
n'ont pas pu s'adonner aux ſpéculations
philofophiques ; & elles ont été réſervées
pour un certain nombre d'entr'eux , dont
l'efprit étoit plus capable d'approfondir
les myftères de la Nature . Il s'eft donc
alors formé , dans l'Egypte , un corps de
MA I. 1768:
Philofophes , qui par la fuite ont été
regardés comme les Prêtres du Pays.
Dépofitaires des Sciences , ils travaillèrent
à réduire en fyftême les idées
qu'ils avoient fur la création du monde ,
fur le développement de la matière , &
fur les différentes productions de la Nature.
Guidés par ce génie oriental , qui
femble ne fe plaire que dans le figuré ,
& qui n'aime à repréfenter les chofes les
plus fimples que par des emblêmes , ils
publièrent les productions de leur efprit
d'une façon fi énigmatique , que le Peuple
groffier n'y put rien comprendre.
Pour couvrir d'un voile plus impénétrable
les chofes dont ils fe réſervoient la
connoiffance ; ils firent ufage d'une écriture
, qui fut dans la fuite regardée comme
facrée . Vous fçavez , Monfieur , que
je veux parler ici des Hieroglyphes.
Les Philofophes Egyptiens ne purent
parler de la création du monde fans
faire mention du Créateur , de fes attributs
, & des effets de fa prudence ,
fuivant les idées qu'ils avoient de toutes
ces chofes ce qui forma un compoſé de
métaphysique & de phyfique. De là tout
ce qu'ils avoient imaginé , fans deffein
d'en faire un fyftême religieux , le devint
cependant par la fuite , & fut com92
MERCURE DE FRANCE.
me la bafe de la Religion Egyptienne.
Tout fymbole fut réalifé , & divinifé par
la grofférété & l'ignorance du Peuple ,
qui fe laiffe facilement furprendre aux
moindres chofes. Les Philofophes , aules
Prêtres Egyptiens , jaloux de dominer, ne
chercherent point à détruire une fuperfti
tion qui leur donnoit tant dé crédit par
mi leurs Concitoyens. Eux-mêmes, négli
geant de fuivre avec le même zéle les
connoiffances de leurs prédéceffeurs, perdirent
de vue l'origine de leurs premiers
fyftemes,qu'ils n'étoient plus en état d'expliquer
dès le temps de Pythagore, d'Hérodote
, & de Diodore de Sicile. *
1
Il s'enfuit de tout ce raifonnement, que
les Egyptiens étoient des Peuples civilifes
, dès leur origine ; qu'ils ont eu des
Philofophes ; que les fyftêmes inventés
par ceux ci , tant fur la formation de l'U
nivers que fur le développement de la
matière & les autres effets phyfiques ,
formerent infenfiblement une efpéce de
fomme théologique , qui fut regardée
ર
* C'est une des rai ons du filence des Prêtres
Egyptiens , fur leur religion. L'autre motif de
leur filence , venoit de ce qu'ils s'étoient fait une
loi de n'expliquer lears myftères qu'à ceux qu'on
nommoit les Initiés . C'eft ce qui fe pratiquoit
chez les Grecs, dans les grands myftères d'Eleufis.
MAI. 1760.
93
comme la Religion du Pays ; qu'enfin les
Egyptiens, tombés peu- à- peu dans l'ignorance
, prirent pour objet de leur culte
des chofes qui n'avoient fervi que de fym- ,
bole . De la le culte des Fétiches que vous
leur reprochez.
Vous voyez , Monfieur , que je prends
- l'hiftoire des Egyptiens d'une façon in- ,
verſe à la vôtre , puifque vous prétendez
que le Fétichisme vint de la barbarie primitive
des Egyptiens , qui ne connurent
la Philofophie qu'en s'éloignant de leur
origine ; au lieu que je regarde ce même
Fétichisme comme moderne chez les
Egyptiens ,devenus ignorans par l'ambition
& la fourberie de leurs Prêtres . J'appuye
mon fyftême , contraire au vôtre ,
tant fur des probabilités que fur des faits
hiftoriques. En vous rapportant quelques
paffages de la Religion Egyptienne , je
vous prouverai peut être encore mieux
Monfieur , que le Fétichifme n'a pu avoir
lieu chez les premiers Egyptiens. Je ne
m'étendrai point ici fur toute leur Religion
; il faudroit écrire plus d'un volume,
& c'eſt ce que j'efpere faire dans
quelque temps.
ARTICLE 1 IT
Je crois avoir démontré, qu'une Colonje
Aliatique s'étoit établie dans L'Egypte
94 MERCURE DE FRANCE.
très-peu de temps après la fondation des
Empires de Ninive & de Babylone. Ces
Afiatiques n'étoient pas affez éloignés de
leur origine pour avoir perdu de vue leur
religion primitive : c'eft-à- dire , la connoiffance
d'un Etre fuprême , Créateur
de l'Univers . L'ancien Egyptien a donc
commencé par connoître & adorer le
vrai Dieu ; & c'est ce que je trouve
dans un fragment de la Cofmogonie
Egyptienne , que je vais rapporter.
Les Peuples de l'Egypte, croyoient que
» l'Univers fenfible étoit une production.
» éternelle de la volonté de l'Etre fuprê
» me; & que cet Univers étant compofé
» de matière , il étoit fujet,par la néceffi-
"
*
té de fa nature , à des révolutions & à
» des altérations continuélles . Les régnes
» des Dieux , dont parloit la Chronique
» facrée des Egyptiens , avoient rapport
» à la fucceffion des Mondes ; & com-
»me les régnes d'Ofiris , d'Ifis , & d'Ho-
» rus , avoient précédé immédiatement le
» commencement de la génération des
» hommes qui peuplent aujourd'hui la
» terre , il eft vifible que l'hiftoire de
» ces Divinités comprenoit une expofition
allégorique de ce que les Philofophes
» avoient imaginé pour rendre raiſon
"
33
$
* Voyez , dans la Genèſe, le voyage d'Abraham
en : Egypte.
MA I. 1760. 25
39
33
» de la deftruction de l'ancien Monde ,
» & de la reproduction du Monde actuél .
» Au-deffus de cet Univers fenfible , il
» y en avoit un autre purement intelligible
, qui eft le Monde des Eſprits , l'affemblage
d'un nombre infini de diffé-
» rens ordresd'Intelligences fubordonnées
» & liées les unes aux autres , qui for-
» moient une eſpèce de chaîne par
laquelle on pouvoit s'élever vers le
» Dieu fuprême.
"
» Ce Dieu fuprême , antérieur à tous
» les Etres produits, eft le Dieu unique, le
» Dieu UN. Rien de tout ce qui eft intelligible
, rien même d'intellectuél , ne ſe
» mêle à lui , parce qu'il ne reçoit rien
» de ce quil n'eft pas lui.
و ر
» Le fecond Dieu , étoit le Principe par
» excellence , le Dieu des Dieux , l'Unité
» fortie de l'Unité , la premiere Effence ,
» la fource & le Pere de toute Effence &
» de toute propriété , le premier Intellec-
» tuél ou la premiere Intelligence ; fupé-
» rieur même au principe intelligible.C'eſt
» le Dieu CNEPH, placé au- deffous de l'In-
» divifible & de la fuprême Unité.
"
» Au-deffous de ce premier Intelligible,
contenu dans le fein de Cneph, font
» les principes qui ont dirigé la produc-
» tions des Etres vifibles ; l'Efprit DB96
MERCURE DE FRANCE.
» MIURGIQUE , Ou Créateur , qui préside
» à la vérité & à la fagefle de ces Etres ;
» c'eſt- à-dire , qui maintient parmi eux la
» réalité & l'ordre.
Cet Efprit Demiurgique , eft AMOUN,
» lorsqu'il manifefte au dehors la force
» inconnue des crapports fecrets , par la
">
production & la génération des Etres.
» Comme principe de l'organisation , &
» de l'arrangement convenable pour ren
» dre actifs & vivans certains Etres , il
» eft nommé PHTHA , ou celui qui développe
. Ce nom marquoit qu'il agifloit
avec art , & qu'il étoit une caufe intelgente.
Comme bienfaisant, c'eft- à- dire ,
lorfqu'il eft la fource du plaifir que
» nous éprouvons , foit par la jouiffance,
» foit même par la feule confidération des
» Etres particuliers ; & par la vue de
» l'ordre convenable dans lequel ils font
difpofés , on le nomme OSIRIS & Oм-
» PHIS , felon Jamblique. Plutarque penſe,
» avec fondement , que le nom d'Ofris
fignifie proprement le principe actif de
» la production des Etres, l'Ame du Mon-
» de , ou même la forme fubftantielle de
l'univers. Qs - IRI , dans la langue Cophie,
จ fignifie leSeigneur fabricateur. A l'égard
» du mot Omphis , Plutarque le rend par
» celui de bienfaisant.
Isis
MA I. 1760 . 97
Isis eft la matière premiere.I- s1, dans
» la langue Cophte , fignifie le receptacle
» commun.
» De l'union d'Ofiris & d'Ifis , c'eft-
» à-dire, du principe producteur avec la
» matière , eft forti le monde compofé
d'efprit & de matière , qui a une âme.
» Cette âme, étant dans un mouvement
» continuel remplit tous les Etres , & les
» anime tous en fe mêlant avec eux.
ور
$
» Le Monde , ou plutôt l'Intelligence
» qui l'anime , eft le fecond Dieu , le Dieu
» vifible & fenfible : car le Principe de
» Miurgique , ou Créateur , étoit le pre-
» mier Dieu fenfible , mais invifible. Jam-
» blique donne à ce fecond Dieu , le nom
» d'HORUS ou de Roi. Il eft nommé l'i-
» mage & le fils de Demiurgos. Le fe-
» cond Dieu immortel eft toujours vi-
» vant , mais non éternel , puifqu'il eſt
» produit à chaque inftant , & qu'il eft
» dans un état perpétuel de changement
» & de paffage.
» Outre les deux principes , OSIRIS &
» Isis , il y en avoit un troifiéme nommé
» SETH , SETHON , ou SMU , que les Grecs
apellent Typhon. Ces noms Egyptiens
défignent la deftruction , la violence ,
»la corruption , la réfiftance au bien , &
à l'ordre.
و ر
"
"
E
98 MERCURE DE FRANCE.
» THYPHON époufa fa four,NEPHTE. 'Le
>> nom de celle- ci marque la fin , la mort.
» Nephté, pour furprendre Ofiris,qu'elle
» aimoit , prit la figure d'Ifis , & devint
» mere d'Anubis.
»Thyphon s'en vengea, en tuant Ofiris,
» dont il mit le corps en piéces ; & il fit
» le même traitement à Horus . Ifis raf
»fembla les membres d'Oferis ; mais
» elle ne put trouver le principe de la
génération , que les poiffons du Nil
avoient dévoré. Elle ne put alors pro
» duire qu'HARPOCRATE , un Etre monf
» trueux & à demi mort , image des pro-
» ductions informes de la Nature dans
» l'état du chaos.
و ر
"
ور
Ofiris , revenu des enfers , rendit là
» vie à Horus , & lui donna des armes
» pour combattre Typhon , qui fut vaincu
» & enchaîné, 1fis trouva moyen de lui
» rendre la liberté ; & depuis ce temps ,
כ
il s'eft caché dans l'Univers , dont il
» tâche continuellement de troublerl'ordre
& l'harmonie. Horus punit Ifis , en
» lui ôtant le diadême de Lotos , qu'elle
» avoit reçu d'ofiris ; mais Anubis ,
qu'Ifis avoit adopté , lui fit préfetit
d'un autre diadême formé d'une tête
» de boeuf. »
Je ne vois rien dans tout ceci , MoffMAI.
1760 : 99
feur , qui annonce le Fétichifme ; j'y apperçois,
au contraire , beaucoup de philofophie
, peut-être parce que je ne fuis pas
un grand Philofophe : je ne puis m'empêcher
même d'être affez ridicule pour y
trouver du figuré, & des allégories qui me
paroiffent faciles à expliquer.
Le commencement de cette Cofmogonie
me fait voir que les Egyptiens connoiffoient
le vrai Dieu, que leurs Philofophes
défignoient, dans leur métaphysique ,
par les noms de Dieu UNIQUE, de Dieu
UN. Les autres Dieux dont il eft fair
mention , ne font autre chofe que les
attributs , les opérations , & les effets de
la Providence ; ou , fi vous voulez , des
Génies tels que plufieurs Philofophes anciens
avoient imaginé , & qui étoient
comme les Miniftres du Dieu fuprême.
La matière premiere, ou Ifis , eſt créée
par l'Efprit deniurgique ou Créateur ;
mais elle a befoin d'un principe qui la
faffe agir , & ce principe eft Ofiris . On
fuppofe , hiftoriquement , l'union de ces
deux perfonnages allégoriques; & de cette
union provient Horus, ou le Monde ſenfible...
Tous les Anciens reconnoiffoient un
bon & un mauvais principe . Ce dernier
eft défigné,dans la Philofophie Egypti.n-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ne, par le nom de Typhon , qui eft regardé
comme l'auteur des bouleverfemens
qui arrivent dans l'Univers . Il étoit naturel
de lui donner , en conféquence , la
mort & la deftruction pour foeur.
La matière & le monde , font produits
comme nous venons de le voir : mais
dans l'inftant de leur création , toutes les
différentes parties qui le compofent ne
font point encore diftinctes ; c'est ce qui
forme le chaos , repréſenté par la mort
& par le démembrement d'Ofris & d'Ho-
Tus : parce qu'alors le principe actif & le
monde , paroiffent dans l'inaction & fans
forme. C'eſt le mauvais principe , qui occafionne
le bouleverſement du chaos ; &
on ne pouvoit , fuivant le fyftême phyfique
des Egyptiens , l'attribuer à un autre
Etre qu'à Typhon . L'Univers prend
senfin la forme qui lui eft prefcrite ; chaque
partie de la matière fe développe &
fe place où il convient : c'eft Ifis, qui raffemble
les membres d'Ofiris . Le principe
de la génération eft perdu , parce que
rien ne devoit plus être créé ; & la matière
ne pouvoit que changer continuellement
de forme. Le mal , règne toûjours
dans le monde ; & par cette raifon , on
feint qu'Ifis a rendu la liberté à Typhon.
Vous m'objecterez peut- être, Monfieur,
MAI. 1760. ΠΟΙ
que je prends Ifis pour la matière , tandis
qu'elle étoit regardée en Egypte comme
la Lane ; ce que vous me prouverez ,
ajouterez-vous , par différentes Statuës
d'Ifis. J'aurai l'honneur de vous répondre
, que les Philofophes voulant donner
une explication fymbolique des continuels
changemens de la matière , n'ont
pû rien trouver qui les défignât plus
naturellement que les différentes phaſes
de la Lune ; & c'eft par cette raison ,
qu'on voit fa repréſentation fur plufieurs
têtes d'Ifis , fans qu'il en faille conclure
qu'Ifis & la Lune foient le même Etre .
On pourroit , je penfe , expliquer de
même une partie des figures qui font
jointes aux ftatuës d'Iſis.
Les Anciens , comme vous fçavez ,
Monfieur , n'avoient point d'écriture :
en conféquence , ils ont été obligés , pour
expliquer ce qu'ils vouloient faire entendre
, d'employer la repréſentation des
chofes les plus connues. Telle eft l'origine
de l'écriture hieroglyphique
›
fymbolique. Les Philofophes , chargés
d'expliquer ces fymboles , ont refufé, ou
négligé dans la fuite , d'en inftruire le
Peuple. L'Egyptien , devenu ignorant
par l'orgueil de fes Prêtres , a regardé
infenfiblement tous ces fymboles comme
E iij
foz MERCURE DE FRANCE.
des divinités . Le grand nombre de figures
d'animaux & même de plantes employées
dans les hieroglyphes , a occafionné le
culte groffier que le Peuple a rendu aux
plantes & aux animaux . Chaque Ville a
pris , pour Divinité , l'animal qui lui a plû
davantage ; & de là eft venu que l'animal
en vénération dans une Ville , étoit
maltraité dans une autre . En vous accordant
, Monfieur , que les Egyptiens ont
rendu une forte de culte à ces différens
êtres , je remarquérai cependant, qu'ils ne
leur ont jamais offert de facrifices ; d'où
il eft aifé de conclure qu'ils ne regardoient
pas ces êtres comme des divinités
réelles, mais feulement comme des objets
facrés pour lesquels ils croyoient devoir
témoigner quelque refpect.
Cette efpèce de Fétichifme, fi dominant
dans toute l'Egypte , ne fut jamais la
Religion de l'homme lettré ; & je ne ſçais,
Monfieur , pourquoi vous ne voulez pas
diftinguer la Religion du Peuple d'avec
celle de l'homme inftruit. Le Peuple , eft
partout fuperftitieux , parce qu'il eft ignorant
, & femble même former une autre
efpèce d'hommes ; de là , cette inclination
qu'on lui a reconnue pour l'Idolâtrie.
L'homme lettré , n'a jamais pû être idolâtre
; & nous voyons ces hommes célè
MAI. 1760 . 103
bres de la Grèce & de Rome , en paroiffant
fuivre au dehors la Religion commune
du Pays, enfeigner, dans le fecret ,
une autre doctrine & une autre morale.
t
Pour juftifier entierement les Egyptiens
, il ne me refte plus , Monfieur ,
qu'à vous prouver qu'ils n'ont point déifié
des hommes. Leurs Prêtres déclarétent
à Hérodote , qu'il n'y avoit point
de génération des Dieux aux hommes ;
qu'ils avoient eu de grands Rois , mais
qu'ils ne les confondoient point avec les
Dieux ; & qu'aucun homme , parmi eux ,
n'avoit pas même joui des honneurs héroiques.
Ainh Ofiris , n'eſt point Séfoftris
, ou quelqu'autre célèbre Roi de
l'Egypte, comme quelques - uns l'ont prétendu
mal-à propos. D'ailleurs l'apothéofe
eft moderne, par rapport à l'Antiquité ;
& Epheftion eft le premier des Grecs à
qui on ait rendu les honneurs divins.
Elle étoit cependant déja connue chez
les Romains , puifque les Sénateurs déïferent
Romulus mais vous n'ignorez
pas qu'ils ne prirent ce parti que pour
éviter la fureur du Peuple , qui les foupçonnoit
du crime qu'ils avoient commis.
Depuis Romulus juſqu'à Jules Céfar , aucun
Romain ne fut aggrégé au rang des
Dieux; & la flatterie feule donna à Jules
E iv
904 MERCURE DE FRANCE.
Céfar une place parmi les fignes célestes.
Il faut donc diftinguer les points de Religion
cccafionnés par la flatterie , d'avec
ceux qui ont un rapport réel au fyftême
religieux . Ne m'objectez pas , Monfieur ,
que parmi les Grecs , Hercule , Caftor , &
d'aurres , étoient regardés comme des
Dieux ; car je vous ferois voir qu'on ne
leur rendoit point les honneurs divins ,
mais feulement les honneurs héroïques.
Vous êtes trop fçavant , Monfieur , pour
ignorer la différence qu'il y a entre les
uns & les autres.
L'explication finguliere que vous don
hez du mot Mythologie , fe trouve donc
entierement détruite par ces preuves.
Vous prétendez que ce mot eft formé de
Muth , qui en Egyptien fignifie la Mort,&
de adyos, mot Grec qui veut dire Difcours.
Ainfi ,felon vous , Monfieur , la Mythologie
eft le difcours des morts , ou l'hiftoire
des hommes morts qui ont été déïfiés .
Vous ne prenez pas garde , qu'il paroîtra
étonnant à tout le monde que ce mot ait
été formé d'un terme Egyptien & d'un
terme Grec. Tous nos Sçavans , jufqu'ici
l'avoient entendu bien différemment ; &
ils croyoient , comme vous ne l'ignorez
pas , que ce mot venoit de vos fabula &c.
Avant que de quitter entierement les
MA I. 1760 . 105
Egyptiens ; permettez - moi , Monfieur ,
de vous faire un petit reproche de leur
part . Ces Peuples , chez lefquels les arts
& les ſciences ont fleuri de fi bonne heure ,
& dont le célèbre M. Boffuet nous a fait
un fi beau portrait ; ces Peuples , dis - je ,
trouvent fort mauvais qu'on les mette en
parallèle avec les Peuples de la Nigritie ,
que nos Voyageurs nous repréfentent
comme des Nations groffières & prèſque
fauvages.
Les bornes qui me font prefcrites , ne
me permettent pas de prendre la défenſe
de plufieurs autres Peuples anciens , que
vous attaquez dans votre ouvrage. Pour
ce qui regarde les Grecs, je vous renvoye,
Monfieur , à la Lettre que j'ai écrite à
ce fujet , & que vous trouverez dans le
Mercure de Décembre dernier, page 104.
A l'égard du fyftême religieux des Indiens
, vous pouvez le lire dans le Tome
XVIII des Mémoires de l'Académie
Royale des Belles - Lettres, page 34 de la
partie hiftorique . A la vue de ces deux
anciennes Religions , vous appercevrez
des fyftêmes philofophiques ; & vous conviendrez
, peut- être , qu'il n'y avoit point
de Fétiches pour les lettrés. Je le répéte ,
vous n'en trouverez jamais , que parmi le
Peuple groffier & ignorant . Je pourrois
Ev
106 MER CURE DE FRANCE.
en dire autant de la Religion des anciens
Perfes , & même des anciens Scythes ;
mais je fuis obligé de terminer cette Dif
fertation, qui feroit fufceptible d'une plus
grande étendue.
Claudite jam rivos pueri , fat prata biberunt..
Je fuis, avec une reſpectueuſe eſtime &c.
DE GRACE..
EXTRAIT, de la Logique des Dames.
Vous fçavez mieux que moi , Monfieur
, que leTraité de Dialectique d'Arif
zote , eft un des ouvrages qui fait le plus
d'honneur à ce génie vafte & profond.
En effet , on ne fçauroit affez s'étonner
qu'il ait réuffi à affujettir à un petit nombre
de régles les opérations infinies de
l'entendement ; & qu'il ait montré les
voies fimples par où les Arts & les
Sciences fe font élevés , ou du moins s'éléveront
un jour au dernier période de
la perfection.
Le Prince des Philofophes fembloit
être né pour fubjuguer les efprits , comme
fon difciple pour commander aux
MAI. 1766. 107
Rois. On faifoit l'honneur à ce premier,
de penser qu'il avoit envifagé la Nature
par toutes les faces ; & qu'il en avoit
mefuré les limites.
Ainfi , jufqu'à Defcartes , un des plus
grands génies qui foit forti de la main
divine , on n'a ofé penfer que d'après
Ariftote ; & tous ceux qui ont écrit fur
les matières qu'il avoit déjà traitées, n'ont
été que fes froids admirateurs , & les ftériles
commentateurs.
Voilà fans doute pourquoi on ne nous
a donné jufqu'à préfent , fur la logique ,
que d'infipides collections . J'en excepte
toutefois, l'Art de penfer,de Port Royal ,
traité marqué au coin du bon goût ,
ainfi que tous ceux qui font fortis de certe
fçavante école.
Le fuccès de ce Livre n'a point abbattu
le courage d'un Auteur moderne , à qui
nous devons la Logique de l'Esprit & du
Coeur,à l'ufage des Dames Jufqu'apréfent,
la Philofophie s'étoit plus occupée du foin
de diriger l'entendement, que la volonté :
ila faifi les liens prèfque imperceptibles
qui uniffent ces deux facultés de l'âme , &
if a ofé leur preſcrire des régles communes.
Par là , cette brochure eft devenue ;
entre fes mains , un ouvrage de création.
Dans le premier Chapitre , on remonte
E vi
308 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'aux élémens de l'efprit , les idées ;
on en dérive avec fyftême toutes les opérations
de l'entendement , & on nous
fait remarquer les heureufes progreffions
de cette chaîne intellectuelle , chaine continue
aux yeux du Philofophe , & interrompue
en bien des endrois aux. yeux du
vulgaire ; chaîne d'or avec laquelle Jupiter
attiroit les Mortels jufqu'à lui.
On defcend enfuite , jufqu'aux germes
des paffions ; je veux dire , les fentimens.
» C'eft de la collection de quelques fen-
» timens de la même efpéce , qu'il faut
» dériver les goûts : la collection de plu-
» fieurs fentimens diffemblables , donnent
» les fantaiſies & les caprices : pour les
paffions , elles font une fuite de fenti-
» mens de même genre : lorſqu'ils n'ont
rien de bien vif & de bien empreffé ,
ils produifent les inclinations.
On envifage, dans le fecond Chapitre ,
les idées felon leur nature , leurs diffe-
Fentes ef éces , leurs qualités & leur origine.
On fuit le même ordre , par rapport
aux fentimens .
On définit les perceptions, à la manière
accoûtumée. Voici la notion qu'on nous
donne du fentiment. » Il confifte dans un
» éffort de la volonté, pour fe porter vers
» certains objets , ou pour s'en éloigner ;
ןכ
MA I. 1760: 109
"
» par lui-même , il eft une impulfion oc-
» cafionnée par les fenfations agréables
» ou défagréables : il ne différe pas peu
» des perceptions directes , qui n'offrent
» rien que de paffif ; au lieu qu'il eft
» actif. »
La fimplicité , la compofition , &l'abftraction
des idées & des fentimens , forment
des claffes fous lefquelles on les
range.
L'Auteur envifage enfuite les conceptions
& les fentimens, comme fignes des
différens caractères d'efprits & de coeurs .
Toute cette analyfe a le mérite de la
nouveauté , & ne pouvoit partir que d'un
efprit obfervateur & profond. La vérité
& la fauffeté des appréhenfions , deviennent
l'objet d'un examen éclairé , & l'on
fe décide pour leur vérité.
L'analyfe des fignes des perceptions &
des fentimens , doit fuivre celle de leurs
efpéces & de leurs qualités. On confidére
les fignes , dans leur nature ; on établit
des régles , pour guider dans la création
des termes nouveaux . On regarde les
conceptions & les fentimens comme des
principes , d'où il faut dériver la fécondité
, la ftérilité, & les variations de toutes
les langues de l'Univers. Ce morceau ,
marqué au coin de l'invention , & d'une
110 MERCURE DE FRANCE.
faine Philofophie , mérite d'être lû , &
médité avec foin.
L'enchaînement des principes conduit
naturellement l'Auteur à l'origine occafionnelle
des idées & des fentimens , qu'il
place , avec plufieurs Philofophes modernes
, dans nos fens .
Dans le premier Chapitre de cet Ouvrage
, on a envifagé les prétentions &
les fentimens , comme difperfés dans l'efprit
& le coeur de l'homme : le fecond
eft confacré à les réunir , à examiner leurs
combinaiſons infinies , à les définir , à les
comparer entre elles , à analiſer leur
caractère , ainfi que la vérité & la fauffeté
des jugemens , & les collections des fentimens
honnêtes ou déshonnêtes .
On établit d'abord , que le jugement eft
un acte de l'entendement : par ce principe
on apprécie toutes les différentes fortes
d'efprit. Ces idées me paroiffent vraies.
On examine enfuite les juftes rapports
de l'entendement & de la volonté , à
Pégard de la liaiſon des appréhenfions &
des fentimens on en déduit l'accord
du coeur avec l'efprit , & l'on s'en prend
à ce dernier des défauts du premier . Ces
vues ,font également intéreſſantes & profondes.
Pour déterminer les différentes fortes
MAI. 1760.
IIT
de propofitions , il a fallu décompofer
le jugement. On diftingue autant de collection
de fentimens,que de propofitions :
Les unes & les autres fervent à déterminer
les caractères des efprits & des coeurs .
Après avoir difcuté la vérité & la fauffeté
des jugemens , on pofe un principe pour
juger de l'union des fentimens honnêtes ,
ou déshonnêtes. » Le grand principe qui
» doit nous éclairer , c'eft de voir fi elles
» nous maintiennent dans les rapports
"que nous devons avoir avec l'Etre fu-
»
prême , avec le Gouvernement , avec
» la Patrie , & avec l'Etat où la Provi-
» dence nous a mis. » De là naît une
morale faine & fublime , qu'il faut lice
dans l'ouvrage.
Le quatrième Chapitre , enfeigne l'art
d'enchaîner les collections d'idées & de
fentimens ; il explique la nature du raifonnement
; il en fait connoître les diverfes
efpéces , & leur caractère ; il preſcrit
des régles pour juger de la vérité des argumens
; & il montre la fource de leur
vérité.
On commence par donner une idée du
raifonnement , & l'on remarque que la
théorie porte fur ce principe admis des
Géomètres Deux chofes qui conviennent
à une troifiime , conviennent entr'elles .
112 MERCURE DE FRANCE.
On fait voir que , comme on peut com
parer plufieurs propofitions , on peut de
même comparer plufieurs fentimens , ou
plufieurs paffions.
Les argumens, une fois envifagés dans
feur être métaphyfique , on les confidere
dans leur forme fyllogiftique ; on les divife
en leurs efpécos , & l'on obferve que
les enthimêmes rentrent dans la claffe
des fyllogifmes. On détermine , avec le
fecours de l'analyſe,leur caractère de foir
bleffe , de force ou de précifion , & l'on
met les Orateurs & les Écrivains en état
d'en faire ufage à propos . Voici comment
on s'exprime fur les enthimêmes. » Ils
fousentendent une , ou même plufieurs
propofitions , & laiffent bien des chofes
» à deviner. Plus il y a de diftance de
l'antécédent au conféquent , plus ces
» raifonnemens fuppofent un efprit vafte
» & profond. Les gens de génie franchif-
» fent d'un clin d'oeil une foule de con-
» clufions intermédiaires , & s'élancent à
>> la derniere : c'eft pour cette raison que
» l'Hiftoire Romaine de Tacite , les Pen-
» fées de Pafcal , celles de la Rochefou-
» caut, & l'Esprit des Loix,font des énig-
» mes qui n'ont point de mot pour des
Lecteurs fuperficiels.
"
"
"
L'Auteur , ne fe borne point là.
Il préfcrit une régle fûre pour démêMA
I. 1760.
ler la vérité ou la fauffeté des raifonnemens
Cette régle eft ce principe : la conclufion
, doit être contenue dans les prémices.
Il ne tarde pas à en faire l'application
an fentiment , pour diftinguer les
paffions honnêres, des deshonnêtes.
"
Afin de nous mieux précautionner contre
l'erreur , qui eft prifque toujours à
côté de la vérité , il découvre les fources
des erreurs. Il exhorte éloquemment les
Dames , à réfléchir férieufement fur leurs
paffions ; il fe récrie contre les talens &
les connoiffances frivoles dont les femmes
du bel air font leur unique étude ; il leur
recommande la décence & la pratique
des vertus ; & il établit une régle , pour
juger des moeurs des hommes d'une nation
: c'eft d'y approfondir le caractère des
femmes. » Que les femmes euffent des
» moeurs , les hommes en auroient bien-
» tôt auffi : le penchant continuel des
» deux fexes à fe réunir , les rapproche
» fans ceffe . Veut-on connoître le carac-
» tère des hommes d'une nation ? qu'on
» y étudie celui des femmes. Dans tous
» les fiécles , ces deux moitiés du genre
» humain ſe reffemblèrent parfaitement."
On termine ce Chapitre, en indiquant les
fources des argumens .
"
"
Le cinquième Chapitre , traite de la
114 MERCURE DE FRANCE.
méthode , & de fon & de fon application aux
paffions.
Dans la recherche de la vérité , on
compte tout autant de méthodes que de
vérités on admet des analyfes pour les
mots & pour les choſes.
La premiere , a pour fin de déterminer
le véritable fens des Ecrivains ; & pour
cela elle examine le contexte , ce qui
précéde , ce qui fuit , & le but que s'eft
propofé l'Auteur qu'elle veut expliquer.
La fin de l'autre analyfe eft , ou d'exécuter
un deffein , ou de découvrir une
vérité. Dans le premier cas , on paffe des
parties au tout ; dans le fecond , on s'é
léve des individus aux efpéces , & des
efpéces aux genres.
Il eft facile d'appliquer cette derniere
méthode au fentiment : par elle , l'Auteur
nous donne une notion générale des paffions
, & une idée de l'empire particu
Hier d'une feule paffion . Il exhorte le
Gouvernement à tourner l'étude des
Philofophes vers la morale , & à les encourager.
t
A ces différentes analyfes,fuccéde celle
des Géomètres : elle confifte à fuppofer la
vérité d'un principe , à démontrer ,
& à
en déduire des corollaires : s'ils font vrais,
on en infére la vérité du principe ; on
MA I. 1760. 215
applique , heureuſement , cette méthode
aux paffions. De l'analyſe des Géomètres,
l'on vient à celle des faits . L'Auteur établit
encore des méthodes pour guider nos
conjectures fur l'avenir ; & il obferve
qu'il y a prèfque autant d'analyfes , que
d'objets & de modes , & par conféquent
un nombre infini. Il traite enfuite de la
fynthèſe.
Pour faire connoître aux autres la
vérité , il a recours à la définition : il
diftingue des définitions de mots & de
chofes , & il définit les paffions .
La defcription eft une forte de définition
: elle a pour objet les caufes , les
effets , les modes , & la fin. C'eſt par ces
principes qu'on trace , avec toute la vérité
poffible, le caractère d'Emilie . » Qu'il
» me plaife,de peindre la vanité d'Emilie ;
»je n'ai qu'à m'exprimer ainfi . Emilie eft
» née avec une forte d'inftinet qui la fit
> toujours courir après la confidération.
» Comme elle a l'efprit borné & faux ,
» elle ne prend que des voies qui l'éloi-
" gnent de fon terme. Elle eft Marquife ,
» & perfonne ne peut lui difputer ce
» titre : A la faveur des méfalliances , elle
» l'a acheté au prix de 60000 livres de
» rente. Elle vous cite, à tout propos, des
» Comtes , des Marquis , des Barons , &
116 MERCURE DE FRANCE
des Ducs fes parens ; mais elle vous fait
grace de fes ayeux paternels.
» Si elle raconte quelque nouvelle ;
elle la tient à coup fûr de quelque Al-
» teſſe , ou tout au moins de quelque
» Miniftre Elle eft éternellement furchar
» gée de dépêches importantes ; & c'eft
» à la petite Préfidente qu'elle écrit. Elle
» fait de fréquens voyages à la Cour ;
» elle y voit tout le monde , & perfonne
» ne l'y remarque. A- t- on livré une ba-
» taille ? fon cocher la mène, rapidement,
» dans toutes les rues : elle doit , dit- elle,
» des complimens de condoléance à toute
» la terre , & elle n'arrête nulle - part :
» elle paroît auffi défolée,que fi elle étoit
"proche parente de chaque mort de dif
» tinction.
2 Comme Émilie eft naturellement
» défiante , elle met une forte d'art &
» de rafinement dans fa vanité : elle ne
dit pas qu'elle eft belle , mais elle tâ
che de vous amener adroitement à la
>>` trouver telle : elle ne dit pas qu'elle a
» du crédit , mais elle en affecte tous les
» airs , & ne parle que de places confi-
» dérables qu'elle a fait donner à cent
» lieues de la Capitale : elle ne dit pas
qu'elle a de l'efprit , mais elle étale des
» brochures fur fa toilette & fa chemi-
.33
MAI. 1760. 117
née ; elle foupe avec les gens de Lettres,
& prononce en dernier reffort
fur les meilleurs ouvrages. Que d'arrêts
» de mort ne fortent point de fa bouche !
" N'allez pas douter de l'infaillibilité de
fes oracles ? vous feriez un fot. Voilà
quelle eft Émilie. »
19
L'Auteur fait voir , comment les loix
de la defcription ont guidé le pinceau
des Théophrafte , des Labruyere , & des
Auteurs dramatiques anciens & modernes.
La divifion , fuit naturellement on
préfcrit des régles très- fages à ce sujet ;
& l'on s'en fert , pour diftinguer les paffions.
» L'amour-propre eft une paffion
» mere , d'où naiffent toutes les autres :
» il a des dénominations diverſes, fuivant
» fes différens objets : quand il s'attache
» aux richeffes , on le nomme Economie ,
» ou Avarice; s'il fe plaît à contempler des
» vertus , par où l'on penfe fe diftinguer ,
» il s'appelle Orgueil : lorfqu'il fe tour-
»ne vers les grâces & la beauté , il a
» nom Amour : fitôt qu'il nous éloigne de
» certaines perſonnes à caufe de leurs ca-
» ractères , ou de mauvais offices rendus ,
» il eft Averfion ou Haine ; il eft Vice
» ou Vertu , ( il n'eſt queſtion ici , que
» des vertus purement humaines ) ſelon
TIS MERCURE DE FRANCE.
» le genre des objets où il fe porte : rens
» fermé dans de juftes bornes , & bien
dirigé , il eft le reffort & la vie du
» monde Moral , comme le mouvement
» eſt l'âme du monde Phyſique : enfin , il
» eft une paffion immenſe, qui a fon cen
» tre partout , & fa circonférence nulle-
» part. »
Telle eft , Monfieur , la Logique des
Dames , Ouvrage qui renferme un excellent
traité de morale , & qu'on doit regarder
comme le germe d'un traité infiniment
plus confidérable. Je pense qu'il
ne fçauroit être lû avec trop de foin par
les Dames , la jeuneffe , & tous les honnêtes
gens.
Quelqu'attention qu'ait eu la modeitie
de celui qui a compofé cette brochure ,
de déguiſer fon nom ; il est aisé de reconnoître
, à la progreffion des idées , à l'en
chaînement des principes , à la netteté ,
à la précifion , aux grâces du ftyle , &
furtout à l'efprit d'invention qui règne
dans la Logique des Dames , l'ingénieux
& profond M. Blanchet.
Cette nouvelle Logique fe trouve chez
Cailleau , Libraire , quai des Auguftins ,
à l'Image Saint André.
MAI. 1760!
119
RECHERCHE CRITIQUE , fur l'origine
des MASQUES.Par un Sçavant de Province.
L'IRUDI
>
' ERUDITION n'eft pas , comme
on le croit , du goût de notre fiécle ; la
frivolité gagne infenfiblement , & le
fçavoir difparoît. Pour moi , fans me
laiffer éblouir par les jolies phrafes de
nos Romanciers, fans me rendre à la force
de raisonnement de nos bons Ecrivains .
je n'ai voulu vivre qu'avec les Anciens .
Ce n'eft pas que nos Modernes ne valent
autant & fouvent même ne valent
mieux ; mais c'eft qu'ils parlent un langage
que le Peuple entend. Que n'ont- ils
écrit en Grect je les admirerois . C'eft à un
Ouvrage , en cette langue , que je dois les
recherches que je vous offre aujourd'hui.
Morceau précieux ! puifque le manuſcrit
d'où je l'ai tiré , et à moitié rongé par ces
vils infectes qui ne vivent que des fotifes
des Auteurs.Les Antiquaires fçavent combien
eft précieux un fragment informe :
s'il étoit entier , il feroit moins eſtimable .
Celui- ci roule fur l'origine des Mafques.
Après avoir dévoré ce que les anciens
Philologues ont écrit fur ce fujet in20
MERCURE DE FRANCE.
téreſſant ; après n'avoir rien compris à
leurs longs raiſonnemens, fans cependant
ofer le dire, parce que je fçai qu'un Ancien
ne peut ni être un fot , ni avoir tort :
Je tombai par hazard fur un Poëme
dont , avec le titre , il manquoit la moitié
des vers. Je le lus par dépit ; il me
plut malgré moi ; & j'avouai que les différens
points de la Fable, traités ſi ſouvent
de bagatelles , font autant de médailles
autentiques de la Vérité : il fuffit d'avoir
des yeux pour s'en appercevoir. En Sçavant
zélé , je trouvai d'abord fort mauvais
qu'elle allât fe cacher fous de petits vers ,
plutôt que dans quelque grand volume
du fublime Ariftote : mais je ne pus en-
Luite m'empêcher de dire :
Les vers, font ce miel enchanté
Que répand une main habile
Sur la
coupe de la fanté ,
Pour cacher un reméde utile ,
Par la Vertu même apprêté.
Dupe d'un artifice aimable,
L'homme avale la Vérité ,
Croyant ne goûter qu'une Fable.
Il m'échappera encore, quelquefois, des
vers. J'espère que nos Erudits me pardonneront
de paffer quelque temps à ar
ranger
MA I. 1760. IZI
que
ranger des mots en faveur des chofes
je leur préfente : d'ailleurs c'eft un Poëme
que je traduis . Il débute ainfi :
» Il fut un temps, où la Sincérité habi-
" toit parmi les hommes; l'artifice ne leur
» avoit pas encore enfeigné le fecret fu-
» nefte de cacher lesprojets les plus noirs ,
» fous les apparences les plus belles . Ils
» n'en étoient cependant pas moins vi-
» cieux .
Le Manufcrit fe fert du mot xaxos. Je
remarque cette expreffion , pour faire voir
que l'on a tort de tant vanter les fécles
paffés. Ce n'eft que par milantropie , ou
par vanité, qu'on s'élève contre le temps
où l'on eft.
Quoique nous dife la cenfure ,
L'homme fut toujours vicieux ;
Nous fommes tels que nos ayeux :
N'a-ton pas,à préfent , leurs traits & leur figure ! ...
Pourquoi veut-on que la Nature ,
En corrompant nos moeurs , nous maltraite plus
qu'eux ?
Ce qu'ils avoient de plus que nous ,
c'eft que leurs défauts fe montroient à
découvert. » Dès qu'un mouvement déf-
» ordonné s'élevoit dans le coeur , il patoiffoit
fur le visage , qui étoit ainfi le
» miroir de l'âme . Temps heureux , où le
F
122 MERCURE DE FRANCE.
+
"
» vice ne fe cachoit pas fous le voile de
» la vertu pour nous furprendre ! Alors,
» parut parmi eux un Philofophe plein
» d'amour pour les humains , zélé pour
» leur perfection , & toujours guidé par
» la ſageſſe.
"
"
"
» Nen , cette ſageſſe ſévère ,
» De qui la morgue atrabilaire
››› Offenſe & né corrige pas ;
» Mais cette fageffe légère ,
» Qui nous reprenant ſçait nous plaire ,
›› Et dont les jeux ſuivent les pas.
» Il fe nommoit Momus. ( Ce nom feul
rappelle l'idée du plus eftimable des
Philofophes. ) Cenfeur aimable & artificieux
, il n'en corrigeoit que mieux ,
» quoique ce fût toujours en badinant.
» Dès qu'il appercevoit fur le vifage de
»fes femblables les indices de quelques
» paffions qui troubloient leur âme , il les
» en reprenoit. Entre ſes mains étoit une
petite figure , dont le nom peut fe ren-
» dre en François par celui de Marotte ;
» & fans ceffe il la préfentoit aux hom-
» mes , comme leur portrait.
"9
On me permettra de remarquer ici ,
avec un Sçavant de ce Siècle , que c'eft
là l'origine des Pantins ; invention admiMA
I. 1760. 123
table ! & dont un ouvrier moderne a voulu
s'attribuer la gloire. Voilà comment
nous déshabillons les Anciens , pour nous
revêtir & nous faire honneur de leurs
dépouilles . Mais l'artifice étoit trop groffier
: les gens de bon fens ont bien vû
que le Pantin étoit quelque chofe de
trop beau , pour n'être pas l'ouvrage de
l'Antiquité . Dans le temps où ils étoient
le plus à la mode en France , on fit ces
quatre vers , qu'on ne fera pas fâché de
retrouver ici :
Un Peuple frivole & volage ,
Du Pantin aujourd'hui fait fa divinité ::
Faut-il être furpris qu'il chériffe une image ,
Dont il eft la réalité ?
7
Après cette courte digreffion , je reviens
à mon: Auteur. » Momus conti-
»nuoit toujours fes leçons. Il n'épargnoit
» pas le ridicule ; & par des arrêts , en
Vaudeville , il le banniffoit de la fociété
» dont il eft le fléau. » Je n'en rapporte
qu'un ou deux exemples , qui fuffront
pour vous faire juger de la forme en laquelle
ils étoient conçus . Le premier , a
pour objet les Vieillards. Alors fans doute
, comme aujourd'hui , ceux- ci avoient
la fureur de fe trouver parmi les jeunes
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
gens , & de fe rendre ridicules en voulant
les imiter. On peut ainfi traduire
ce couplet , en le mettant fur un air bien
connu ,
33
» Les rides & les ans ,
» Font peur à l'allegreffe ;
Et la feule ſageſſe , ?>
» Aime les cheveux blancs ,
L'air gai ne convient pas
» Au temps de la prudence :
Un vieillard , lorſqu'il danſe ,
>>Fait toujours des faux pas.
» Le Vaudeville , fut toujours le meil
leur moyen de corriger le ridicule :
» Momus réuffit. Les vieilles furent les
premieres à s'en allarmer. Je ne fçais
» par quelle fatalité on veut encore plaire
à cet âge ; & préférer les grâces qui
fuyent , à la fageffe qui femble fe préfenter?
Elles voulurent ſe fouftraire
aux traits de la fatyre , fans ceffer de
» s'en rendre dignes. Elles cherchèrent à
fixer la jeuneffe & la beauté , ou du
» moins , à faire croire qu'elles en avoient
» trouvé le fecret : de là l'origine du fard.
» On n'y employa d'abord que le fuc d'u
» ne racine rougeâtre , qui croît encore
» dans nos jardins : le Manufcrit l'appelle
» Teuilon, & les Latins la nomment Béte
M A I. 1760.
125
De décrire quelles furent les diverfes
matières qui depuis fervirent à compofer
le fard , c'est ce qui nous meneroit trop
loin. » La fupercherie ne pouvoit durer:
» Le rouge difparut ; les rides reftèrent.
» Pour corriger ce nouveau ridicule
» Momus eut recours à l'artifice qui lui
» avoit fi bien réuffi . » Il fit chanter le
couplet fuivant. Je me fers ici de la traduction
d'un de nos anciens Poëtes , qui
avoit vû ces vers cités dans Athénée , &
qui les rend ainfi dans fon vieux langage
fur un air que l'on chante encore aujourd'hui
, avec le même refrein .
>> Ces femmes font bien fantafques ,
» Leur fard me fait rire!
5 C'eft mettre maſques fur mafques ;
» Un feul doit fuffire .
>> Qu'on me dife ceci , cela ,
» Je n'aime point ces façons-là.
"C'eft de la folie , fans doute , c'eft de la folie.
" Je le répéte ; de toutes les Satyres, le
» Vaudeville eft la plus amère: un bon mot
» chanté , ne s'oublie jamais. On ſe laſſa
» d'en être tant de fois l'objet . Quel eft
» pourtant le laid viſage qui aime à ſe regarder
fouvent au miroir ? On réfolut
" pour tromper Momus , de fe déguifer de
" manière à échaper abfolument à fa vuë.
ر د
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE:
"Que ne peut le vice , pour fe dérober à
» nos yeux ! Les mafques furent inventés,
» ( tels à - peu-près qu'ils font aujourd'hui ,
quoiqu'en difent quelques Sçavans . ) » Ce
» fut à la néomenie du mois peritios ( ce
qui répond au commencement de notre
mois de Février ( » que l'on fit ufage de
» cette belle invention. Chacun fe maf-
» qua; & chacun, fans crainte d'être recon-
» nu , ſe livra à la danſe , à la joie , &
» à la folie. Ce tems fut marqué par des
» fêtes ; & le vice , parut triompher. »
"
Que fit Momus ? Le manufcrit n'en dit
rien; c'eft ici qu'il finit . Je me garderai
bien de vouloir donner mes conjectures
là -deffus : j'ai rempli mon projet. Je laiffe
à chacun le foin de faire, fur ce fujet, les
réfléxions qu'il lui plaira. Je me borne à
remarquer que ce fut la malice & la coquetterie
qui firent inventer les mafques ,
afin de pouvoir tout ofer fous ce déguifement.
Pour être le voile du vice ,
Les Maſques furent inventés ;
C'eft pour couvrir notre malice ,
Que par nous ils font adoptés.
De plus déplorables ufages ,
N'infectèrent jamais nos moeurs :
On maſqua d'abord les viſages ,
On finit par mafquer les coeurs.
A Lyon , au mois de Janvier 1760. L. P.
MAI. 1760. 127
MÉMOIRE HISTORIQUE ,
SUR LE MERCURE DE FRANCE.
que
DE
E tous les Livres qui peuvent fervir
à l'Hiftoire de notre temps , il en eft peu
d'auffi véridique, & d'auffi intéreffant
l'Ouvrage périodique donné d'abord fous
le titre de Mercure Galant , enfuite fous
celui du Nouveau Mercure , & enfin fous
le nom du Mercure de France. Ce Livre , eft
auffi curieux qu'utile ; & , felon le précepte
d'Horace , il inftruit en amuſant.
Mais pour parvenir à ce grand art , il eft
néceffaire que l'Auteur de cet Ouvrage
ait beaucoup de talens : auffi n'a- t- il été
confié qu'à des perfonnes d'un mérite diftingué
dans la Republique des Lettres .
Nous allons en donner la lifte , depuis
fon établiſſement jufqu'à préfent.
Ce Livre a commencé à paroître , fous
le nom du Mercure Galant , le premier
Janvier 1672. JEAN BONE AU DE VIS É,
Hiftoriographe du Roi Louis XIV, en fur
premier Auteur , & l'a continué jufques
& compris le mois de Mai 1710 .
I eft mort le 8 Juillet fuivant , après
le
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
avoir compofé , pendant trente - huit années
, 483 vol . in- 12 , compris les extraordinaires
, ci.
483
CHARLES RIVIERE DU FRESNY , Valet
de chambre du même Roi , Contrôleur
de fes Jardins , & c. né en 1648 , mort
le 6 Octobre 1724 , âgé de 76 ans ,
a continué le Mercure Galant depuis le
mois de Juin 1710 , jufqu'au mois de
Décembre 1713 , qu'il céda fon Privilége
au fieur le Fevre. Il a compofé
quarante-quatre volumes du Mercure ,
ci.
44
Il a fait plufieurs autres Ouvrages en
profe & en vers. Voyez Le Parnaffe
François , par M. Titon du Tillet ,
pag. 597. Le Pere Niceron, Hiftoire des
Hommes illuftres dans la République des
Lettres , Tome 17 , pag. 129. Mercure de
France , Octobre 1724. Pag. 2265. Biblioth.
des Théâtres , par Maupoint , pag.
128. Idem , par Beauchamps , Tome 2 ,
pag.438 . Idem, par MM . Parfait.Tome 15,
pag. 155 .
Le fieur LE FEVRE , a fuivi cet Ouvrage
fous le même titre , jufques au mois
d'Octobre 1716 inclufivement, & a compofé
trente fix volumes. Il n'y a point
eu de Mercure , pendant les mois de Novembre
& Décembre 1716 , ch. 36
MAI. 1760. 129
Le premier Janvier 1717 , ce Livre a
paru fous le titre du Nouveau Mercure ,
dont le fieur François BUCHET obtint le
Privilége , par Lettres données à Paris le
19 Janvier 1717. Il a donné cinquantetrois
volumes jufqu'en 1721 qu'il eft
mort , ci. $3
ANTOINE DE LA ROQUE, Ecuyer, ancien
Gendarme de la Garde ordinaire du Roi ,
Chevalier de l'Ordre Militaire de S.Louis,
obtint par brevet du 17 Octobre 1724 ,
༡
& Lettres-Patentes données en conféquence
le Novembre fuivant , la permiffion
de compofer le Mercure de France.
Il l'avoit commencé, dès le mois de Juin
1721 , ayant traité dans ce temps - là du
privilége du Mercure ; & il l'a continué
jufques à fa mort , arrivée le 3 Octobre
1744, dans la foixante- douzième année de
fon âge. Il a compofé , pendant vingttrois
ans & quatre mois , depuis celui
de Juin 1721 , jufques & compris le mois
d'Octobre 1744 , fans aucune interrup
tion , 331 Volumes , avec la fatisfaction
de la Cour & du Public , ci. 331
Par Brevet du Roi , donné au camp
devant Fribourg , le 31 Octobre 1744 ,
S. M. a accordé le Privilége du Mercure
de France , aux feurs LovIS FUZELIER ,
& CHARLES DE LA BRUERE, qui ont don
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
né quatre- vingt-un Volumes , depuis le
mois de Novembre 1744 , jufqu'au
Juillet 1750. ci.
81
Depuis le 1 Juillet 1750, juqu'au 1 Janvier
1755 , le fieur Abbé RAYNAL a fait
feul le Mercure , & il en a compofé foixante-
trois volumes. ci. 63
LOUIS DE BOISSY, de l'Académie Françoiſe
, a obtenu le Privilége du Mercure ;
& depuis le Janvier 1755 , jufqu'au
premier Août 1758 , il en a donné einquante-
fix volumes . ci.
56
Il est mort à Paris le 19 Avril 1758 ,
& a été inhumé le 22 à S. Benoît , dans
la 64. année de fon âge , étant né à Vic
en Carladez, dans l'Auvergne, le 26 Nov.
1694. Il a compoſé pluſieurs bonnes Comédies
pour les Théâtres François & Italiens
, dont on a donné une nouvelle
Edition à Paris , en 9 vol . in- 8° . V. Mer
cure de France , Juin 1758 , page 2 10.
M. MARMONTEL , connu depuis plu
fieurs années par les ouvrages de fa compofition
, qui ont remporté les Prix de
l'Académie des Jeux Floraux, & de l'Académie
Françoife , par fes Tragédies , &
autres piéces de pocfies , obtint après la
mort de M. DE BOISSY , le Privilége
du Mercure , dont il a compofé vingtquatre
volumes , depuis le premier Août
MA I. 1760 . 131
1758 , jufqu'au 1 Février 1760 , qu'il a
été remplacé par M. DE LA PLACE ; qui a
donné , depuis le mois de Février jufqu'au
préfent mois de Mai , cinq Mercures ,
ci.
Total des Mercures , depuis ſon établiſ
fement , jufqu'au mois de Juin 1760 .
1176. vol.
COURS D'HISTOIRE , & de Géographie:
Univerſelle , convenable aux deux Séxes ,
à tous les âges , & aux différentes formes
d'éducation.
Refpicere exemplar vitæ , morumque jubebo .
Horat. Art. Poët . V. 317-
A Paris , chez Grangé , Imprimeur- Li
braire , rue de la Parcheminerie , 1760 ,
avec approbation & Privilége du Roi.
Profpectus.
L'HISTOIRE , par le récit des événemens
qui fe font paffés fur notre globe, préſen
te à l'efprit humain le tableau le plus propre
à fixer fa curiofité ; mais ce n'eft point
uniquement pour la fatisfaire qu'elle l'in
vite à le confidérer. Cette occupation
agréable , n'eft qu'un moyen de parvenir
F vj.
134 MERCURE DE FRANCE.
relever dans une apologie étendue , l'im
portance & l'utilité d'un pareil projet.
Une expofition préciſe du plan qu'on
doit fuivre , fuffira pour faire fentir au
premier coup d'oeil la fimplicité de cette
méthode , & le fuccès infaillible qu'on en
doit efpérer.
Ce Cours d'Hiftoire Univerfelle fera
divifé en deux parties , les Petits & les
Grands Elémens. Les petits élémens ſeront
compofés de tablettes féculaires , où
les événemens feront placés avec clarté
& fimplicité ; enforte que la memoire
puiffe les embraffer fans effort . On obfer
vera le même ordre pour les grands élé
mens. Dans cette feconde partie , qui fer
vira de développement à la premiere ,
les événemens dont on aura donné l'indication
générale , acquéreront la jufte
étendue dont ils font fufceptibles : ce qui
formera un corps complet de chronolo
gie raifonnée .
Ce qui regarde la géographie, occafion
neroit des digreffions qui feroient perdre
de vue l'enchaînement des faits. Pour
éviter cet inconvénient , on expofera fé
parément tout ce qui a quelque rapport
à la defcription des lieux. Cette inftruc
tion diftincte marchera d'un pas égal
avec le Cours hiftorique ; c'est-à-dire ,
MA I. 1760. 135
qu'après un certain nombre de leçons
on donnera , dans un cahier féparé , une
expofition géographique , qui répandra
tous les éclairciffemens néceffaires à l'in
telligence de l'Hiftoire .
Les différens Pays dont on aura à parler
dans chaque âge , feront décrits d'une
manière affez détaillée pour qu'il ne foit
pas néceffaire de recourir à d'autres Livres.
On n'omettra point de marquer la
fituation , la grandeur , le climat , les
divifions , le degré de fertilité , les animaux
, les végétaux , toutes les curiofités
naturelles , les villes , les montagnes , les
rivieres , les lacs des différentes régions.
On déterminera l'antiquité des habitans
qui les ont fucceffivement occupées. Oir
fera connoître leurs religions , leurs loix ,
leurs gouvernemens , leurs coûtumes ,
leurs langages, leurs fciences , leurs arts ,
leur commerce , leurs guerres , leurs traités
; en un mot , tout ce qui peut aider
au parallèle de tous les Peuples , confidérés
dans leurs rapports généraux ou
particuliers.
Ce plan d'inftruction hiftorique peur
également fervir à ceux qui n'ont aucune
teinture de cette fcience , & aux perſonnes
qui , ayant déjà fait quelque progrès
dans cette étude , retrouveront dans les
136 MERCURE DE FRANCE.
premiers élémens une récapitulation exate
& précife de leurs travaux.
Cette nouvelle méthode , convenable
aux deux fexes , à tous les âges , aux différentes
formes d'éducation , invite par
fa facilité , préfente plutôt une espéce de
Fécréation , qu'un objet d'étude pénible ,
& ne peut manquer d'obtenir un accueil
favorable du Public.
La diftribution des Leçons fe fera par
Cahiers ; on en donnera deux par ſemaine
, les Lundi & Jeudi régaliérement .
Chaque Cahier , d'une feuille , du format
& du caractère de ce Profpectus , * contiendra
trois leçons : ce qui compofera
tous les trois mois un volume , à la fin
duquel on rappellera , dans un Abrégé
fuccinct , les leçons du Trimestre.
Conditions.
Les Soufcriptions feront ouvertes depuis
le premier Janvier 1760 , jufqu'au
15 Mars , inclufivement .
Le Lundi 17 Mars & le Jeudi fuivant,
les deux premiers Cahiers ont parus , &
ainfi l'on continuera d'en donner deux
avec exactitude toutes les femaines , &
de les envoyer aux adreffes des Soufcrip
teurs , à Paris..
* En-8°. & très-bien imprimé
MA I. 1760. 137
Le prix des Soufcriptions eft de 18
liv. par an , pour Paris , & 24 liv. pour
pour la Province , remis à l'adreffe des
Soufcripteurs , franc de port.
༡ Chaque Semestre de 9 liv. pour Paris ,
de 12 liv . pour la Province , fera payé
d'avance. Ceux qui n'auront pas foufcrit
dans le temps prefcrit , payeront 24 liv .
pour Paris , & 30 liv . pour la Province.
Les quittances de Soufcription , fignées
de l'Auteur & quittancées du Libraire , fe
diftribueront à Paris , chez GRANGE ,
Imprimeur-Libraire , rue de la Parcheminerie.
Les perfonnes de Province , qui
voulant foufcrire s'adrefferont à lui , font
priées d'affranchir leurs lettres .
On donnera,à la fin de chaque volume,
une lifte de tous ceux qui auront fouſcrit
à cet Ouvrage.
Avis aux Soufcripteurs du Cours d'Hiftoire
Univerfelle.
L'introduction au Cours de Géographie
univerfelle n'ayant pû être renfermée
dans une feule feuille , nous avons
jugé à propos de ne la point préfenter
détachée , & de joindre la Feuille du Jeudi
à celle du Lundi 15 Avril. On continuera
à l'ordinaire la diſtribution la femaine
fuivante..
138 MERCURE DE FRANCE.
Le prix des Cartes que nous avons
annoncées dans nos feuilles, eft de trente
fols pour Paris , & de quarante fols pour
la Province , franches de port. Toutes
feront imprimées fur du papier grand Aigle.
Les deux premieres feront achevées
le Lundi 16 Juin, jour auquel on les fournira
à ceux de nos Soufcripteurs qui vou
dront fe les procurer. On pourra foufcrire
à cet effet chez le même Imprimeur-
Libraire , auquel on remertra le prix des
deux premieres Cartes. Ceux qui auront
foufcrit les premiers , auront les premieres
épreuves.
HISTOIRE DES DAUPHINS de Viennois ,
d'Auvergne , & de France , Ouvrage pof
thurne de feu M. le Quien de la Neufville,
Chevalier de l'Ordre de Chrift , de la
premiere Claffe , & Membre de l'Académie
des Infcriptions & Belles- Lettres de
Paris. Mis au jour par M. le Quien de la
Neufville , petit - fils de l'Auteur , Chevalier
de l'Ordre Royal - Militaire de Saint
Louis , Capitaine au Régiment étranger,
Cavalerie , de Monfeigneur le Dauphin.
Augmenté , par un homme de Let
tres , de l'Hiftoire de Louis IX du nom ,
25 Dauphin de France. Deux volumes
in- 12. A Paris , chez Desprez , Impri
MA I. 1760. 139
meur ordinaire du Roi , & du Clergé de
France , rue S. Jacques , 1760 , avec approbation
, & privilége du Roi. Le prix
eft de ‹ liv.
S
ORAISON FUNEBRE de très- haute & trèspuiſſante
Princeſſe , Madame LOUISE ELISABETH
DE FRANCE , Infante d'Espagne ,
Ducheffe de Parme & de Plaifance , & de
Guaftalle. Prononcée dans l'Eglife de Paris
, le 12 Février 1760 , par Meffire
Mathias Poncet de la Rivière , ancien
Evêque de Troyes . A Paris , chez Guillaume
Defprez , rue Saint Jacques ; & à
Troyes , chez J. B. Frang. Bouillerot
Libraire de Mgr l'Évêque , près l'Hôtel
de Ville.
PETIT DICTIONNAIRE François & Latin,
ou Vocabulaire , uniquement à l'ufage
des enfans qui commencent à faire des
thêmes , & qui peut leur fuffire depuis
l'âge de fept ans jufqu'à dix . Ouvrage qui ,
par fa précifion , a diverfes utilités pour
la Jeuneffe. Petit in - 12 , 1760. A Paris ,
chez Guillyn , Libraire , quai des Auguſ
tins , proche du Pont S. Michel , au Lys
d'or , avec approbation & privilége du
Roi. Prix 1 liv. 4 f. I
DIALOGUES , en François , & en Latin ,
140 MERCURE DE FRANCE.
pour fervir de guide à MM . les Militai--
res , & aux perſonnes qui voyagent en
Pays étrangers. On y trouvera la manière
d'exprimer en Latin la plupart des chofes
dont on peut avoir befoin , foit pour
les befoins de la vie , foit pour d'autres
queftions que les Voyageurs ont occaſion
de faire . On y a ajouté les noms des Villes
les plus célèbres de l'Europe, leur diſtance
de Paris , & ce qui s'y trouve de plus curieux
. Petit in 12. Paris , 1760. Se vend
auffi chez Guillyn. Prix , 1 liv.
/ RÉFLEXIONS CRITIQUES
, fur le fyftême
de l'attraction avec une nouvelle idée
fur la préceffion des Equinoxes , fur le
Tems , & fur la pefanteur . Par M. Maffiere .
Vol. in 12. 1759. A Nice , chez Gabriel
Floteront, Imprimeur du Gouvernement .
Avec permiffion.
ABRÉGÉ de la vie de M. LE PELLETIER ,
mort à Orléans , en odeur de fainteté.
Par Mlle d'Alès du Corbet . In 1 2. Orléans;
1760 , chez Couret de Villeneuve , Imprimeur
du Roi , & de l'Evêché. Avec permiffion.
L'ART D'AIMER , nouveau Poëme en
fix Chants.ParM ***** Nouvelle Edition
in-8°. 1760. Londres , aux dépens des
MA I. 1760. 141
Libraires affociés. L'on en trouve des
exemplaires à Paris , chez Guillyn'`,
quai des Auguftins.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Belles- Lettres de Caën , du
6 Décembre 1759 .
M. DE TOUCHET DE COURSELLES , fit
l'ouverture de l'Année Académique par
un Difcours fur l'éducation : il prouva
qu'elle ne forme pas effentiellement les
Héros , puifqu'il y a eu de grands hommes
, qui ont été privés de fon fecours.
Cetre hypothèſe le conduifit à l'éloge de
Louis XIV ; & il acquitta . l'Académie du
tribut de louanges qu'elle fe fait gloire
de lui rendre tous les ans , à fa rentrée.
M. de Clerval , Secrétaire , lut enſuite
P'Eloge hiftorique des Académiciens ' décédés
dans le cours de cette année ; &
termina la Séance par la lecture du Dif-
-
42 MERCURE DE FRANCE.
cours qui a remporté le Prix de l'année
derniere , & qui avoit pour devife ce vers
des Géorgiques de Virgile , Liv. II.
... fortunatos nimiumfuafi bona norint
Agricolas!
M. de Fontette fit , fur tous fes Difcours
, des réfléxions fçavantes & judicieuſes
; & annonça que le Sujet du Prix
qu'il veut bien donner en 1760 , ſeroit :
Quelle eft la meilleure maniere de planter
& de cultiver les pommiers à cidre ; &
la meilleure méthode de profiter de leur
récolte ?
Ce Prix eft une Médaille , de la valeur
de 300 liv. & fera donné le 4 Décembre ,
jour de la rentrée. Ceux qui voudront
concourir , font avertis d'envoyer leurs
Differtations franches de port , à l'adreffe
de M. Maffieu de Clerval , Secrétaire de
l'Académie. Elles ne feront reçues que
jufqu'au dernier jour de Juin prochain.
Chaque Auteur aura foin de mettre fa
devife en tête de fa Differtation , fuivant
l'ufage ; & les Ouvrages de ceux qui ſe
feroient fait connoître directement ou
indirectement , ne feront point admis au
concours.
MAI. 1760. 143
MATHÉMATIQUE.
EXTRAIT de la Lettre de M. THOMIN,
Ingénieur en Optique de la Reine , en
réfutation de l'Opticien , ou Lettre de
M. l'Abbé la Ville- S.-Bon.
UNE
NE critique vraie & judicieuſe , dans
les Arts , loin de nuire à leur progrès , ne
femble devoir concourir qu'à leur perfection.
Il eft jufte & naturel de relever les
fautes qui peuvent fe faire en ce genre ;
l'intérêt du Public femble l'exiger. Il n'en
eft pas des Arts , comme de la Littérature :
celle- ci, n'a en vue que l'agrément qu'elle
peut procurer , tandis que les autres ne
confidérent que l'utilité du Public. Un
Critique , jufte & impartial , ne doit regarder
, lorfqu'il entreprend d'écrire , que
le fruit que ce même Public peut retirer
de fes réfléxions : il doit par conséquent
fe dépouiller de tout motif de jalouſie ,
ou de vengeance , & ne rien avancer qui
ne foit véritable , & qu'il ne foit même
en état de prouver. M. l'Abbé la Ville ,
Auteur d'une petite Brochure intitulée ,
l'Opticien , n'a pas bien rempli toutes cas
144 MERCURE DE FRANCE.
conditions. I reproche à Madame la
veuve Thomin , dans fa lettre , une faute
qu'il a lui-même inventée à plaifir . D'ail-
Teurs il exige d'une Dame , ce que jamais
perfonne n'a exigé ; je veux dire une connoiffance
trop étendue dans la Phyfique ,
les Mathématiques , & la Médecine ,
dont il étoit abfolument néceffaire d'avoir
quelques notions , pour donner à
M. P. *** des lunettes convenables à fon
genre de vue particulier , connu fous le
nom de vue mixte. De là il paffe à une
Differtation fur les Myopes , ou vuës
courtes , & les louches ; & cette Differta
tion toute entiere , qui commence dans
fa Brochure , au bas de la page 6 , eft
copiée mot pour mot inclufivement , jul
qu'à la page 57 des Chapitres XVI. &
XXIII. d'un Livre intitulé , Traité des
Maladies des yeux , & des remédes propres
pour la guérifon , par Me Antoine Maître
Jean , Chirurgien du Roi à Mery-fur-
Seine , rue de la Harpe , à Paris , chez la
Veuve D'houry. L'on trouvera dans la
lettre de M. Thomin , imprimée chez
Barbou , rue S. Jacques , aux Cigognes ,
des endroits du Livre de Maître Jean',
qui ont été compilés , & la comparaiſon.
L'Auteur s'attache , dans le cours de fa
lettre , à prouver la fauffeté d'un reproche
intenté
MAI. 1760. 145
Intenté ſi injuſtement , & il prouve , de
l'aveu même de M. l'Abbé la Ville ;
que M. P *** étoit dans le cas de ne
pouvoir tirer aucun fecours des verres
optiques , par la foibleffe de fon organe ,
& que d'ailleurs des lunettes d'un foyer
un peu confidérable , peuvent être , pour
un temps, favorables à une vue foible , &
deviennent par la fuite préjudiciable,lorfque
cette foibleffe vient à ceffer. Il fe
propofe auffi de prouver , dans cet écrit
que l'Auteur s'eft également approprié
quelques ouvrages de Méchauifme , qui
ont paru fous fon nom , & qui , néanmoins
, fon fortis des mains de deux ouvriers
formés par feu M. Thomin . Perfuadé
de la bonté de fa caufe , M. Thomin
n'employe pas les termes piquans ,
ni les injures , dont il auroit pû fe fervir
par droit de repréfailles ; il a cru devoir
prendre , pour le défendre des moyens
plus licites , & plus honnêtes que ceux
que fon adverfaire a pris pour l'attaquer.
Une jufte modération devroit être l'âme
des critiques ; mais malheureufement on
ne voit régner chez elles que l'efprit de
partialité & de jaloufie . M. Thomin finit
fa lettre ,par une Differtation fur quelques
points de la Myopie & démontre, contre
le fentiment de quelques- uns , que ce
G
146 MERCURE DE FRANCE.
n'eft point la Myopie qui eft la cauſe
immédiate du loucher , mais que feulement
elle peut l'occafionner , lorfqu'elle
eft confidérable. Les raifons en font déduites
au long dans cette lettre ; c'eſt
pourquoi nous y renvoyons le Lecteur .
Comme les occupations de l'Auteur l'appellent
au fervice du Public , il croit devoir
avertir qu'il ne fera aucune réponſe
fion l'attaque derechef par quelqu'autre
critique de cette nature .
GÉOMÉTRI E.
DESCRIPTION DE L'ELLIPSE,
par le moyen du Cercle ; & démonftration
de cette méthode.
Par JEAN - ANTOINE GLENAT.
DANS
THÉORIM E.
le
une Ellipfe quelconque ,
quarré d'une ordonnée quelconque eft au
quarré de l'ordonnée confécutive comme le
produit des deux fegmens dans lesquels la
première ordonnée partage le diamètre , eft
au produit des deux autres fegmens dans
lefquels la feconde ordonnée partage auffi
le même diamètre.
MA I. 1760.
147
DEMONSTRATION.
Soit l'ellipfe ci - contre D Ad, où on
fuppofe que Dda ; que DEx ( en
fuppofant l'origine des abfciffes au point
D) ; que les ordonnées Ef; efy ; &
que K ^ = ; b .
L'équation de l'ellipfe étant ayy
= a px = pxx , on en tire p . a :: yx
• ax - xx. Or (y ) repréfentant fucceffivement
toutes les ordonnées Ef, ef& c.
il s'enfuit que dans tous ces cas le quarré
2
Efou ef, eft au produit des fegmens ,
dans lefquels chaque ordonnée partage
le diamètre (a) , comme le paramètre (p )
eft à ce diamètre ( a ) . Ainfi fi au lieu du
Р
rapport on fubftitue ſon égal
on
a
.
Ef
DEX EA
trouvera que confécutivement le
quarré de chaque ordonnée eft au quarré
de l'ordonnée fuivante , comme le produit
des fegmens , dans lefquels la première
partage le diamètre au produit des
autres fegmens dans lefquels la feconde
ordonnée partage le même diamètre . Ce
qu'il falloit prouver.
COROLLAIRE PREMIER.
2. On voit par là ,› que fi on décrivoit
un cercle fur le diamètre Dd , & qu'on
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
prolongeât enfuite les ordonnées Ef, ef
jufqu'aux points G , g de la circonférence,
les quarrés des ordonnées du cercle étant
égaux * , chacun aux produits des fegmens
du diamètre , dans lefquels ces ordonnées
2 -2
le partagent, les quarrés Ef, ef, feroient
- 2 2
entr'eux comme les quarrés EG , eg des
ordonnées du cercle , par les mêmes
points. Par conféquent , en prenant les
racines de ces quarrés , les ordonnées de
l'ellipfe feront entr'elles comme les ordonnées
du cercle par les mêmes points,
COROLLAIRE IĮ.
3. Une fuite de changeantes repréfen
tées par (y ) , qui feront telles , qu'étant
comparées deux à deux avec une autre
fuite de changeantes appellées ( 3 ) repréfentant
fucceffivement les ordonnées d'un
cercle quelconque , les premières ( y)
étant fuppofées moindres
que les fecondes
( 2 ) , c'est- à dire y , elles faffent
avec celles de la derniere fuite une proportion
géométrique , feront confécutivement
les ordonnées d'une ellipfe Dad,
dont Dd fera l'axe commun des deux
courbes,
* Euclyde , Propofition 13 , Liv. VI.
4
MAI. 1760. 149
COROLLAIRE III , & PROBLEME.
4. Pour avoir donc cette fuite d'ordonnées
de l'ellipfe , qui foient confécutivement
proportionnelles avec celles de
la fuite , qui contient les ordonnées du
cercle ,,
je décris fur le diamètre D d la
demie circonférence Dad, & fur le
demi diamètre conjugué , KA une autre
demie circonférence && A. Or (felon
Euclide, Propofition 4 , 8 , 13. ) les ordonnées
eg , E G &c. du cercle D 2 Ad , &
les ordonnées ry, &,, &c. du petit cercle
♪ A2 , feront moyennes proportionnelles
entre chaque fegment dans
lefquels elles partagent leur diamètre.
D'ailleurs les circonférences étant entr'elles
comme leurs diamètres , les demies
circonférences font ici ( felon la cinquième
Propofition d'Euclide , Liv. V. )
comme leurs rayons, & de plus les triangles
rectangles qui y font inferits ( par la
C
42 8 Propofition d'Euclide , Liv . VI. )
font équiangles , ont leurs côtés proportionnels
, ou bien leurs côtés font homologues.
Par confequent de la comparaifon
des côtés , homologues , on tirera les proportions
fuivantes Deeg eged ;
DE.EG :: EG . Ed ; A. ey :: εy . εK;
Anne K les rapports de ces pro-
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
看
portions étant tous égaux , on en tire
les deux fuivantes. eg . ed : " 0. K ;
& EG Edy K d'où on
De E
20
3
2A
K
ε
·
14-1570
15795
tire par proportion ordonnée eg . ed
:: EG . Ed ; ey.no :: Ed . ey ; no . K
:: ty . K ; d'où on tire les produits ſuivans
des extrêmes & des moyens egx Ed
edx EG, edxey x Ed, nox K ལྟ
= ¤
Kxey. Ces produits ou ces équations
multipliées les unes par les autres ,
donnent pour produit l'équation
eg xe KxEdx ed x ny X
0
EG XK X Edx ed x εy x no ,
qui étant divifée par Ed x edxey x 10,
devient eg xeK EGX K ; d'ou
on tire eg . EG : KK ; dans laquelle
proportion on voit qu'une ordon
née quelconque Kef eſt à fon ordonnée
confécutiveK Ef comme
MA I. 1760. FST
une ordonnée quelconque (eg ) du cercle ,
décrit fur le même diamètre Dd , à fon
ordonnée confécutive EG , ces ordonnées
prifes fur les mêmes points du diamètre.
Si on trace donc un cercle fur l'axe
Dd , & un autre fur le demi axe conjugué
KA , & qu'après avoir tiré un nombre
déterminé d'ordonnées ef , Ef du
cercle des points e , E , &c. de l'axe Dd
aux points g , G de la circonférence , on
détermine fur le demi axe congugué KA ,
les ordonnées Ko , Ke de l'ellipfe,& qu'on
tire enfuite des points e , des droites &f,
of , les points f, f, &c. où elles couperont
les ordonnées du cercle , faifant
chaque partie ef, Ef, &c . égale à chaque
ordonnée trouvée Ko, Ke &c. feront
les points de l'ellipfe cherchée. Ce qu'il
falloit trouver.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
RÉPONSE de M. C ** , à des obfervations
d'Amateurs , inférées dans l'Obfervateur
Littéraire , année 1759 , cahier 24 ,
page 243.
LAFFECTATION avec laquelle l'Obfer
vateur Littéraire appelle dans fes feuilles
des remarques d'Amateurs , inferées
dans la 24 de l'année derniere ; la perfuafion
où il paroît être , & qu'il veut
infpirer à fes Lecteurs , que je fuis accablé
par la force des argumens ; & enfin
la néceffité de tirer d'erreur ceux d'entreux
qui , faute d'examen , pourroient
croire que je n'ai pû répondre folidement
, me forcent de rompre le filence
que je m'étois impofé.
Je commence par déclarer à Meffieurs
MA I. 1760 . 153
les Amateurs, que je ne fais aucune attention
à ce qu'il y a d'offenfant dans leurs
obfervations : je veux même croire que
le bien qu'ils difent de moi , à quelques
égards , eft une compenfation fuffifante.
Mon feul but eft de démontrer , que les
endroits où l'on a voulu me trouver en
déffaut , n'étoient pas auffi fufceptibles
d'être repris qu'on voudroit le faire
' croire .
La première critique férieufe & railonnée
de ces Meffieurs,tombe fur ce que j'ai
écrit au commencement de la Lettre inférée
dans le Mercure de Juillet 1759 ,
fur
la diverfité desfentimens à l'égard des Portraits
. J'ai dit, & je le répete, que file jugement
du Publicfemble quelquefois differer
de celui des Artiſtes ,c'eft furtout à l'égard
des Portraits ; que le Public paroît regarder
la reffemblance , comme le principal
& prèfque l'unique mérite qui l'intéreffe :
au lieu que les Artiftes, par la foibleffe des
éloges qu'ils accordent aux ouvrages qui
in'ont que ce feul avantage, donnent lieu de
croire qu'à peine le placent- ils au fecond
fang : qu'ils paroiffent même excufer plus
facilement le défaut de cet agrément, que
les fautes que l'on peut commettre dans
les autres parties de l'Art ; & je finis ce
préambule, en difant que l'oppofition qui
sup (esai esi supenly Y
154 MERCURE DE FRANCE.
paroît entre ces deux fentimens , peut
n'être qu'apparente .
Jufques - là , il n'y a rien d'affirmé ;
je ne fais qu'expofer ce qu'on pourroit
penfer , en jugeant fur les premieres apparences
, & j'en remets l'examen à la
fuite du difcours. En effet je fais voir,
que les Artiftes exigent la reffemblance
avec encore plus de févérité que le
Public ; & que lorfqu'elle eft produite
par un vrai fçavoir , ils la confiderent
comme un mérite effentiel : mais que ces
prétendues reffemblances frappantes, qui
font plutôt la parodie des traits du vifage,
ne les fatisfont point , quoiqu'elles fuffifent
pour contenter beaucoup de per-
Tonnes. Je n'ai donc attaqué que le préjugé
, qui qualifie de reffemblance des
fimulachres groffiers , ( comme les
ment Meffieurs les Amateurs ) & qui leur
prodiguent des éloges fouvent refufés à
de beaux ouvrages , dont le mérite eft
moins à la portée de tout le monde. Bien
loin d'accorder qu'il y ait une différence
réelle entre le jugement du Public & celui
des Artiftes , j'ai foin de faire remarquer
que lorfque le Public juge en faifant
abftraction de l'intérêt perfonnel qui fait
defirer la
reffemblance , il n'accorde fon
cftime ( non plus que les Artiſtes ) qu'aux
nomMA
I. 1760. 155
ouvrages les plus parfaits dans toutes les
parties de l'Art. C'eft ce que l'on obfervera
toujours , lorfque l'on écoutera le
cri du Public en général , & non celui de
quelque fociété particuliere.
C'est ainsi que s'expliquent naturelle ,
ment ces opinions oppofées , & que fe
concilient ces contradictions , que Mef
fieurs les Amateurs n'euffent point trouvées
, s'ils euffent voulu bien entendre .
ou qu'ils n'euffent point eu d'intérêt à
détourner le fens : il paroît même qu'ils :
n'ont pû fe défendre de quelque fcrupule,.
puifqu'ils ont préfumé que je pourrois:
reclamer contre celui qu'ils y donnent.
J'avoue que le terme d'agrément , eft
trop foible , dans le cas où je m'en fuis
fervi : il peut pourtant trouver fon excufe
, dans le fens même de tout cer
Avant propos , où il eft évident que je
ne prétends pas encore décider fur la
maniere de juger des uns ou des autres ,
mais feulement expofer ce que l'on en
pourroit penfer , en ne s'arrêtant qu'aux
apparences. Je devois d'autant moins :
craindre que cela pût faire équivoque
que je développe enfuite affez au long
les idées que j'adopte à cet égard..
י
Si je leur difois qu'ils n'ont pas fçu
me lire , fans doute ils trouveroient cette
G vji
156. MERCURE DE FRANCE.
fuppofition injurieufe , quoiqu'ils fe la
foient permife à mon égard. Peut être ne
me fuis- je pas affez bien expliqué ; peutêtre
que ce qui m'a paru clair, ne l'étoit
pas pour eux ; peut- être auffi ces Meffreurs
doivent - ils fe défier de l'envie
qu'ils ont de me critiquer. A quelle autre
caufe, en effet, puis- je attribuer ces qualifications
de diftinctions captieuses , qu'ils
donnent à la différence que j'établis entre
une reffemblance fine, c'est - à- dire finement
exprimée , & une resemblance groffière ,
c'est- à-dire , groffièrement rendue ? Doisje
croire que des perfonnes qui écrivent
fur les Arts , n'entendent pas ces expreffrons
? Il en faudroit conclure , qu'elles
manquent des lumières les plus communes
fur ces matières.
Au refte , ils voudront bien remarquer
que contre leur intention , ils appuyent
eux mêmes le faux principe , que la ref
femblance n'eft pas effentielle dans les Por
traits , par la manière dont ils me peignent
, en me fuppofant de grandes prétentions
fur le talent d'écrire , & fort
rempli d'amour - propre . J'ofe dire , que
ceux qui me connoiffent , ne m'y retrouvent
point.
pas
Il faut croire que ces Meffieurs n'ont
lû ce que j'avois dit longtems avant
MAI. 1760. 157
eux fur les Chaires, fur l'inutilité de l'abatvoix
, & fur l'avantage d'un adoffement
moins étroit . Ce fut à- peu près dans le
même temps que M. Slodiz compofa le
projet d'une Chaire pour S. Sulpice. L'idée
que je propofois y a cependant peu
de rapport, puifque M. Slodiz a fait ufage
de l'abat - voix à la hauteur ufitée , & qu'il
n'a mis d'autre fonds derrière le Prédicateur
qu'un fiége de la largeur ordinaire.
Il pourra néanmoins paroître fingulier ,
que nos Amateurs fe foient rapportés fi
jufte avec moi : voici du moins un cas où
nous fommes d'accord ! Je les prie feulement
de remarquer que la fuppreffion
des cavités , dans l'abat -voix , ne ferviroit
à rien , vû que lui- même fert à peu de
chofe , à cauſe de fa petiteffe relativement
à l'espace vuide qui refte devant
& aux côtés de l'Orateur ; & furtout , que
l'effet de l'adoffement ne feroit point ,
comme ils le difent , de répercuter horizontalement
la voix ; mais d'empêcher la
déperdition des ondulations du fluide qui
la tranfmet , & de laiffer toute la force à
fon impulfion directe , qui produit toujours
le fon le plus plein & le plus diftinct
. D'ailleurs,des répercuffions horiſontales
(fi elles avoient lieu ) feroient en
pure perte ; puifque les Auditeurs ne font
158 MERCURE DE FRANCE.
point élevés à la hauteur néceffaire pour
être rencontrés par des lignes horisontales
partant du deffus de l'appui de la Chaire.
les principes d'acouftique qu'ils pofent, &
qu'ils veulent regarder comme plus par
ticulierement de leur reffort que du nôtre
, manquent de jufteffe ; & je ne crois
point excéder les bornes des connoiffances
qui me font permifes , en ofant les
révoquer en doute.
Lorfqu'à l'occafion du tableau de M.
Deshais , je foutiens que mal -à- propos
on veut nous faire prendre le deffein &
le coloris , à quelque degré d'excellence
qu'ils puiffent être portés , pour le Méchanifme
de la Peinture ; & qu'il n'y a
que des perfonnes peu verfées dans cet
Art qui puiffent le penfer ; je ne dis rien
dont ceux qui en ont quelque intelligence
ne conviennent ; & je n'avancerois rien
qui ne leur parût également évident ,
quand j'ajouterois que c'eft le degré d'excellence
de ces deux talens , lorfqu'il eſt
porté à une perfection capable de faire
une forte d'illufion , & de préfenter aux
yeux la vie , le mouvement , & l'expreffion
, qui fait le fublime de la Peinture :
ce qui n'empêche pas que le fublime des
idées poetiques n'en augmente l'intérêt ,
lorſque le fujet en eft fufceptible. Mais
MA I. 1760. 159
ce font deux chofes de différente nature .
Cerre diftinction paroîtra fans doute captieuſe
à nos amateurs , faute de l'entendre
, & d'avoir affez de connoiffance de
ce qui fait l'eſſence de cet Art . Ce fujet
eft affez important pour mériter d'être
traité à part ; & c'eft ce que je me propofe
de faire dans peu.
Nos Amateurs fe trompent encore, lorfqu'ils
veulent qu'un tableau foit toujours
un Poëme , ou doive toujours l'être . It
n'eft quelquefois qu'une fimple hiftoire ,
& fouvent moins encore , fans que
pour cela le Peintre foit difpenfé d'atteindre
au fublime de fon Art. Mais ce
qui paroîtra toujours certain , quelques
efforts qu'ils faffent pour foutenir une
affertion hazardée , c'eft que ce fublime
ne peut point confifter dans l'exactitude
pédantefque à s'affervir aux recherches
trop détaillées du coftume ; à moins
qu'on ne veuille auffi qu'un Auteur dramatique
manque le fublime d'une pièce
lorfqu'il ofe y changer quelques circonftances
hiftoriques .
Revenons au tableau du cadavre d'Hedor,
préfervé de la corruption par Vénus.
Si l'on ignore que ce héros eft le feul
pour qui Vénus air daigné prendre ce
foin , on devinera difficilement ce fujet ;
160 MERCURE DE FRANCE.
mais il eft quantité de femblables faits
peu connus ," ou rarement repréfentés
, qui néanmoins ne doivent point
être interdits à la Peinture ; furtout lorfqu'il
n'eft queftion que de faire preuve
de fon talent , par l'exécution des chofes
reconnues pour les plus difficiles. Le
cafque d'Achille ne feroit pas d'un grand
fecours pour faire connoître le fujet : il
ne lui eft point particulier ; & Homère
donne ce panaché de crins de cheval à
plufieurs de fes héros. L'épée , ornée de
cloux d'argent , & la cuiraffe de diverfes
couleurs , ne feroient pas un moyen plus
für : car on ne peut raifonnablement fuppofer
que le Spectateur ait préfent à l'efprit
jufqu'aux moindres détails du Poëme
d'Homère . On pourroit plutôt l'efpérer ,
s'il étoit queſtion des armes qui lui furent
enfuite données par Vulcain : le
fouvenir de celles - ci , qui font fi magnifiquement
décrites , éfface celui des autres.
La bleffure du col feroit plus impor
tante , & ne devroit point être négligée ;
cependant elle ne difpenferoit point d'ê
tre averti du fujet : Hector n'eft pas le feul
héros qui ait perdu la vie , par une bleffure
à la gorge. Ce qui peut donc le caractérifer
plus particulierement , c'eft le foin
qu'une Déeffe daigne prendre d'un cada
MA I. 1760. 161
vre : ce qui défigne que ce n'eft pas celui
d'un homme du commun , mais d'un
héros chéri des Dieux. La beauté & le
caractère nerveux de ce guerrier,doivent
contribuer à en donner une haute idée.
L'intérêt qu'y prend le fleuve , peut donner
à connoître que c'eft le défenfeur de
cette contrée. Ce qui feroit encore plus
clair , fi le Scamandre pouvoit être reconnu
à quelque attribut qui lui fût auffi particulier
, que le font au Tibre & au Nil
ceux qu'on leur donne . Au défaut de ce
fecours , les talons percés doivent faire
connoître à tout Spectateur inftruit , que
c'eft Hector. Mais il y a plus ; ces armes
d'Achille , auxquelles nos Amateurs veulent
attribuer tant de part au fublime
dont ce fujet peut être fufceptible , n'y
devroient point du tout paroître . Auffitôt
qu'Achille eut tué Hector , il l'en dépouilla
; & affurément il ne traînoit point fes
propres armes avec le corps d'Hector. Il
eft fâcheux que des chofes qui leur ont
paru fi importantes , dans ce tableau , s'y
trouvent déplacées & contre toute raifon
.... Voilà une Differtation faftueuſe ,
de l'érudition perdue !
Je prie Meffieurs les Amateurs de vouloir
bien fufpendre leur jugement fur
ce que j'ai à dire , pour déterminer juf161
MERCURE DE FRANCE.
qu'où l'on doit s'affujettir fans afferviffement
au coftume , & de ne pas imaginer
les abfurdités du piftolet entre les
mains d'Abraham , & des fufils fur l'épaule
aux Licteurs de Céfar : on ne doit
fuppofer à perfonne fi peu d'inftruction ,
quand on n'en a pas de preuves . Je ne
dirai pour le préfent autre chofe fur cè
fujet , finon que l'Artifte doit avoir à
cet égard la même liberté que le Poëte ;
& que , comme le fublime de la Poëfie
ne dépend pas de cette exactitude , de
même le fublime de la Peinture n'eft point
l'effet de ces connoiffances faciles à acquérir
, & qui n'exigent point de génie.
Je finis , en les priant auffi , lorfqu'ils
voudront me faire un compliment , de
ne point déprimer d'excellens Artiſtes ,
tels que plufieurs de nos Graveurs , en në
leur attribuant que les parties méchaniques
de leur Art , parce qu'ils ne compo
fent pas ... c'eft dire , qu'un excellent Tra
ducteur n'a que les parties méchaniques
de la Littérature. Ce trait fuffiroit pour
faire voir , combien fauffement ils qualifient
de méchanifme les opérations de
l'efprit & du goût.
MAI. 1760. ·163
ARTS UTILE S.
HORLOGERIE.
DESCRIPTION d'une Pendule à Secondes
, qui marque le temps MOYEN &
le temps v RAI , fans être expofée aux
inconvéniens qu'on a remarqués jufqu'à
préfent dans lee Pendules d'équation
. Par LEPAUTE, Horloger du Roi .
LE TEMPS VRAX , eft celui que le Soleil
marque chaque jour fur nos Méridiennes
& nos Cadrans ; c'eft celui dont la
Nature nous donne fans ceffe la meſure
pour nos occupations & nos délaffemens ;
c'eft celui que la convention générale de
tous les Peuples a adopté , & c'eſt néanmoins
le feul que les horloges & les
pendules ne donnent point.
On ne peut point , même avec la plus
excellente pendule , efpérer de fçavoir
l'heure qu'il eft , à moins qu'on n'employe
continuellement des tables d'équation
, pour avoir égard à la différence
qu'il y a entre le temps des pendules &
le temps vrai ; calcul défagréable & fatiguant
, qui nous prive communément
764 MERCURE DE FRANCE.
de la fatisfaction qu'un efprit exact trouveroit
à pouvoir mefurer fon temps avec
facilité & avec précifion .
L'on a imaginé , vers la fin du dernier
fiécle , des pendules qui , au moyen d'une
courbe taillée fuivant les inégalités du
Soleil , marquoient le temps vrai. Plufieurs
Auteurs fe font attachés à trouver
des moyens d'appliquer cette courbe
; la plupart ont employé deux éguilles
avec un feul cadran , & dès lors il falloit
une cadrature fort compliquée ; par
conféquent on avoit beaucoup de force
perdue , beaucoup de jeu dans les éguil-
-les , & beaucoup d'inégalités dans la marche
: car les inégalités fe multiplient tou
jours avec le nombre des pièces.
•
C'eft
pour cela
que
les Aftronomes
n'ont
jamais
voulu
admettre
les pendules
de temps
vrai
dans
leurs
obfervations
?
le Public
les a'auffi
rejettées
, parce
qu'el
les coûtoient
beaucoup
, qu'elles
étoient
fort
fujettes
à fe déranger
, & difficiles
à
réparer
.
L'on avoit fait auffi des pendules à
-double cadran , mais toujours par la cadrature
; en forte qu'elles étoient de la
même complication , & fujettes aux mêmes
inconvéniens : on les évite tous par
la conftruction fuivante.
MAI. 1760. 165
La grande roue ou le premier mobiled'une
Pendule Aftronomique ordinaire.
dont les nombres font calculés à cet effet
, conduit une roue annuelle qui porte
la courbe d'équation ; fur cette courbe
appuie le talon d'un rateau ; le rateau engrenne
dans un Cadran mobile fur lequel
font marquées les minutes du temps vraiz
cette partie mobile fait le milieu du
grand Cadran , & femble ne former
avec lui qu'une feule pièce ; elle tourne
fur un pont , par là elle eft indépendante
du rouage , & le poids ne fournit pas un
demi- quart d'once de fa force pour la
conduire en effet , la vitelle du Cadran
n'étant pas la centiéme partie de celle :
du poids , celui- ci n'aura pas à vaincre
la centième partie de la réfiftance du Cadran
, qui elle -même eft infenfible.
Le Cadran mobile fur lequel eft marqué
le temps vrai , vient fe placer vis-àvis
du temps moyen ; une feule équille !
indique l'un & l'autre , puifqu'elle paffe .
fur les deux Cadrans.. T
1
En faifant ainfi mener la roue annuelle:
par le premier mobile , j'ai débarraffé le
mouvement de tout le poids de la cadra - 1
ture ; je lui ai rendu toute l'exactitude ,
des Pendules Aftronomiques ; & la précifion
qui doit caractériſer celles- ci , fe
166 MERCURE DE FRANCE.
réunit avec l'agrément de fçavoir à toute
heure ce que marque le Soleil fur le
meilleur Cadran folaire. Ceux qui ont
réfléchi fur les avantages de cette réunion
, font étonnés que quelqu'un veuillé
actuellement fe contenter des Pendules
ordinaires qui n'ont point d'équation ,
puifqu'elles rempliffent fi mal l'objet de
la fociété , en s'écartant fans ceffe de la
meſure naturelle que , fournit le Soleil ,
auquel on doit cependant tout rappor
ter. Une Pendule ordinaire , parfaitement
exacte , avance néceffairement d'un quart
d'heure fur le Soleil, au milieu de Février,
& retarde de 16' & 8 " au com
mencement de Novembre .
La fimplicité de cette nouvelle conftruction
, leur affure encore l'avantage
particulier de n'être pas plus fujettes au
dérangement que les pendules les plus
fimples , de pouvoir être réparées dans
le befoin par tous les Horlogers de Province
qui n'en auroient jamais vû , avec
la même facilité que des Pendules à reffort
; à quoi il faut ajouter que toutes
perfonnes les peuvent placer , déplacer ,
remonter & remettre à l'heure fans aucune
étude , & fans aucune difficulté.
Certe Pendule à auffi la propriété de
montrer les quantiémes du mois qui font
MAI. 1760. 167
pour fur la roue annuelle , & qui fuffifent
mettre la courbe au point où elle doit
être placée , même fans faire couler le
rouage ; cet avantage eft fouvent confidérable
, lorſqu'une Pendule a été tranſportée
, qu'elle a été nétoyée , ou que
par quelque raiſon que ce foit , elle a
ceffé de marcher pendant plufieurs jours ;
on feroit obligé dans une autre Pendule
d'équation , de faire faire à l'éguille autant
de tours qu'il y auroit d'heures écou
lées depuis le temps où elle auroit été
arrêtée.
f
AGRICULTURE.
Avis fur l'Agriculture &c.
LE fieur BERGER , dès ſa jeuneſſe , fa
s'étant appliqué à l'Agriculture champêtre
ou des biens de campagne , & ayant eu
toutes fortes d'occafions de s'y exercer
longtems , a acquis la connoiffance de
les cultiver , & de les faire produire dans
plufieurs cas , beaucoup plus qu'on ne le
fait ordinairement : ce qu'il peut prouver
par des témoignages authentiques &
des expériences très -fenfibles qu'il fera à
peu de frais fur les lieux où l'on defirera
faire l'épreuve de fes talens.
par
168 MERCURE DE FRANCE.
Mais comme cette connoiffance ne fe
renferme pas toujours dans les opérations
propres à la nature de chaque héritage ,
& qu'il eft quelquefois néceffaire , pour
l'arrangement des biens de campagne ,
de faire des travaux d'une certaine conféquence
, comme les articles fuivans le
feront connoître ; il eft évident que ces
opérations toujours couteufes , exigent
une perfonne intelligente pour donner les
moyens de les faire à moins de frais qu'il
eft poffible. C'eft ce qui fe trouve réuni
dans la perfonne du fieur Berger ; &
le détail qui fuit , donnera une idée aſſez
particuliere de fa capacité.
1. Dans le nombre des terreins que
l'on croit mauvais , & que par cette raifon
on laiffe incultes , il indiquera les
moyens les plus convenables pour mettre,
foit en bled , fourage ou plants, tous ceux
où il y aura quelque poffibilité ; & dans
Le même temps , il défignera à quoi doit
être occupé chaque canton pour en tirer
le plus de profit qu'il eft poffible. Mais
comme il arrive quelquefois que ces
terreins cultivés ou non , font féparés ,
ou en partie occupés par des hayes fort
épaiffes , foffes , buiffons inutiles & c. des
mares ou fonds confidérables , & enfin
plufieurs autres obftacles à la culture ,
il
MA I. 1760. 169
il donne les moyens faciles de réunir
le tout pour le mettre en valeur ; & les
marais ou terreins aquatiques , noyés par
des fources , il les détourne dans certains
cas , & rend ces terreins en état
d'être cultivés .
2.º Les Prés , qui fe trouvent dans des
fituations peu favorables pour le produit ,
peuvent cependant par différens moyens
rapporter beaucoup plus que dans cet
état de médiocrité : C'est à l'inſpection des
lieux qu'il fera connoître ces moyens ,
& la manière d'en faire ufage dans tous
les cas où il y aura poffibilité.
3.º La culture du terrein des vignes ,
fe fait différemment dans chaque Pays ;
& chaque manière feroit également
bonne , fi dans le labour d'une profon
deur convenable , le terrein de deffous
étoit ramené en deſſus .
A l'égard de la taille , l'opération eft
également variable. Le Vigneron inf
truit , peut toujours opérer à fa manière ,
fans préjudicier au rapport ; mais une
partie de ces vignerons n'ont pas toute
l'intelligence néceffaire pour choisir la
taille propre à faire rapporter la vigne
autant que cela fe peut. On fera connoître
fur les lieux tout le travail mal fait , foit
dans le labour,foit dans la taille , de même
H
170 MERCURE DE FRANCE.
que les moyens de le porter à ſa perfection .
Il en fera de même, dans la manière de
multiplier les feps : cette opération mérité
uue férieufe attention .
4. Dans les taillis , il remplit très -faci
lement & en peu de temps , les vuides ,
ou clairières & les rend auffi épais
qu'on puiffe le defirer ; il en feroit de
même pour les vuides , dans les hayes
vives ; cette opération eft peu coûteufe :
il peut également diriger toutes fortes
de plantations , & placer dans chaque
terein l'eſpèce de plant qui y convient
le mieux.
5.º 5. Il peut fixer folidement les bords
d'une Riviere , pour empêcher quelqu'inondation
, Il conftruit toutes fortes d'Etangs
, & dirige des réfervoirs , de manière
que l'on peut facilement choifir tel
poiffon que l'on voudra , fans endommager
aucuns de ceux qui doivent refter.
6.° Il peut rendre des Rivieres navigables
, foit par la réunion de celles
qui fe trouveroient favorablement difpofées
, ou par le travail qu'il conviendroit
d'y faire dans de certains endroits ,
& qu'il abrégeroit infiniment , à l'aide
d'une Machine propre à ce fujet. Il peut
également procurer la navigation dans
les lieux les plus élevés , pourvû qu'il
MAI. 1760. 171
puiffe raffembler des fources pour entretenir
feulement un canal fitué fur la hau
teur , par lequel on auroit communication
dans deux rivieres d'une diſtance
quelconque , mais plus baffes de 20 , 30 ,
40 toifes &c. que le fond du Canal : L'on
entend communiquer réciproquement de
l'une à l'autre , à l'aide d'une machine
faite exprès , & qui fupprime l'ufage de
toute Eclufe. Par ce moyen , le Canal ne
perd point d'eau par la navigation , &
il n'en faut feulement que pour l'entretenir.
7. Pour la diftribution des eaux , il
détourne des fources , connoît celles qui
peuvent remonter , & fi elles peuvent
s'élever affez haut pour être conduites.
naturellement où on les defire ; & dans
certains cas , celles qui ne pourront
s'élever naturellement , il leur appliquera
une machine qui produira cet effet , mais
qui ne pourroit avoir lieu que lorfque
le volume d'eau raffemblé feroit plus
confidérable que celui qu'il s'agiroit de
conduire : alors le fuperflu de ce volume ,
feroit l'agent de toute l'opération. Par ce
moyen , on peut conduire des fources
en terre , & former en différens endroits
des Fontaines , des Réſervoirs , Abreu ,
voirs. & c.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Les Machines qu'il peut appliquer ,en
pareil cas , font différentes , felon les circonftances
, fort fimples & de peu de
dépenfe lorfqu'il ne s'agira d'élever les
eaux que de 10 ou 12 pieds ; & leur
entretien ne coûtera pas plus de 10 liv.
par an ; mais s'il étoit queftion d'une
grande élévation , la dépenfe augmenreroit
pour les Machines , & l'entretien
feroit à- peu - près le même que ci- deſſus.
En outre, il conftruit des Jets d'eau ordinaires
& extraordinaires , fait des nivellemens
pour les eaux , & l'enlevement
des terres , &c. invente & conftruit différentes
Machines propres à arrofer avec
affez d'abondance , Prés , Terres , Jardins
&c. pourvû toutefois que cette opération
n'exige pas plus d'élévation pour les eaux
que de trois ou quatre pieds , & qu'elles
foient tirées d'une riviere ou d'un fort
ruiffeau. Il conftruit & répare les groffes
Machines , comme Forges , Fourneaux ,
Boucambres , & Moulins ordinaires , &
fait les nivellemens que ces travaux exigent
; conftruit des Machines à fcier le
bois & la pierre , & à porter facilement
& avec une finguliere promptitude les
pots de verreries de l'arche dans le four ,
de manière que le pot ni le four ne perMA
I. 1760. 173
dront que très- très peu de leur chaleur : enfi
il conftruit plufieurs autres Machines , pou
differens ufages .
8. Pour l'embelliffement des environs
d'un Château , d'un Parc &c. Il perce
des routes dans les bois ; il dreffe en
pente & de niveau des terreins raboteux ;
& quand il fe trouve des fonds confi .
dérables , il les met en état d'y pratiquer
tel ornement que l'on juge à propos :
& dans le cas où il fe trouveroit quelque
bute fort roide à couper , il appliqueroit
au tranfport des terres , pour en
abréger infiniment le travail , une Machine
peu coûteufe qui fuprimeroit les
voitures , les brouettes , & tout autre
moyen ordinaire de transport.
De même , s'il s'agiffoit d'arrêter le
cours de quelque riviere fituée entre des
montagnes, pour lui en faire prendre un
autre avantageux à la navigation , ou
pour éviter quelqu'inondation , il apliquera
une Machine muë par l'eau , qui
fera elle feule tout le tranfport des matériaux
néceffaires à cette grande opération.
Il eft en état de faire remonter , fans
cordages , les batteaux en pleine riviere ,
paffer les Ponts fans difficulté , à l'aide
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
d'une machine fort fimple qu'il a imaginée
, & dont l'effet répond à l'intention
ci- deffus : mais pour mettre ce
moyen en uſage , il faut néceſſairement
connoître les inégalités du fond de la
riviere.
De même ,s'il fe trouvoit quelque fource
auprès d'une riviere ou d'un ruiffeau ,
l'une ou l'autre lui ferviroit d'agent pour
Pélever & la conduire où befoin feroit.
Cette opération fera toujours poffible ,
quand même la fource feroit éloignée de
1000 toifes , ou plus ; mais auffi la dépenfe
fera plus grande , à proportion de
la diftance de l'agent à la fource.
A l'égard de l'élévation des eaux , comme
au Puits de Bicêtre , & autre femblables
, où l'on emploie ordinairement des
tours ,un cable & des chevaux, il a trouvé le
moyen de fupprimer le cable , de faire rétrograder
le tour fans retourner les chevaux
, & d'éviter l'effort qu'ils font obli
gés de faire pour renverfer les fceaux :
par ce moyen , les chevaux ne s'arrêteroient
que très - peu , il gagneroit du
temps , fupprimeroit l'homme deſtiné au
renversement fufdit , & n'auroit befoin ,
pour tout aide , que du conducteur des
chevaux. Cette Machine , peut également
s'appliquer à élever toutes fortes de ma
MA I.. 1760. 175
tériaux ; & les avantages qu'elle pourroit
avoir fur celle actuellement au Puits fufdit
, feroit de coûter plus de 5000 liv.
de moins d'entretien , par an.
Il peut également élever toutes fortes
de matériaux , même d'un poids confidérable
, à l'aide d'une pendule miſe en
mouvement par un homme feulement .
Pour la conduite des eaux en terre ,
ceux qui voudront fe fervir de tuyaux de
bois , il leur donnera une méthode dont
toute perſonne pourra faire uſage , pour
les percer avec jufteffe.
Pour le défréchiffement des terres , &
arracher des buiffons , il a imaginé une
charruë qu'on peut faire mouvoir à l'ordinaire
; par là, il fupprime les Pionniers ,
& abrége beaucoup le travail.
9.
. Il eft en état de faire , aux bâtimens
de campagne , toutes fortes de réparations
; fçavoir, maçonnerie , charpente
couverture , menuiferie &c. 11 fait auffi
plufieurs toifés fuperficiels & cubiques
dreffe tous les devis & états néceffaires :
pour connoître ce que différens ouvrages
doivent coûter ; & il donne , autant que
la chofe eft poffible , les moyens d'exécuter
fes idées en fon abfence .
Nota. Ledit fieur Berger , ayant fait
ufage de fes talens dans différens endroits
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
du Royaume , a remarqué de très- grands
continens de Landes , dont une partie
pourroit cependant être miſe en bonne
valeur ; & à l'inſpection des lieux , il défignera
avec certitude toutes celles qui
pourroient avoir cette qualité : il prouvera
la poffibilité du fait , en cultivant
ces terreins à fes frais pour fon profit ,
ou pour celui des Propriétaires , moyennant
de certaines conventions . I donnera
toutes les furetés requifes , en pareil
cas.
Ceux qui auront befoin de fon miniftère
, pourront s'adreffer au fieur VIOL
LET , Ecrivain pour le Public , rue du
Jour , vis- à- vis le Portail Saint Euftache ;
ainfi que ceux qui voudront lui écrire ,
pourront fe fervir de cette adreſſe , en
affranchiffant
le port .
MUSIQUE.
RECUEIL D'AIRS CHOISIS , avec accompagnement
de guitarre & de harpe , par
M. Petilliot. Prix , 6 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue des Moineaux , chez le
Sergent - Major des Gardes Suiffes , & aux
adreffes ordinaires.
C'eft un Recueil d'Airs les mieux choifis
& les plus agréables ; & qui , probaMA
I. 1760. 177
blement , fera d'autant mieux reçu du Public
, qu'il n'y a point encore de Mufique
imprimée pour la harpe ; & que cet inftrument
méritoit bien qu'on travaillat à
le faire connoître davantage , en en facilitant
l'ufage & les leçons. L'Auteur de
ce Recueil , fe diftingue par fon goût , &
par celui qu'il infpire à fes Ecoliers .
NOUVEAU RECUEIL de Contredanſes, qui
ont été danfées au Bal de S. Cloud , & à
l'Opéra. Prix 1 liv. 4 f. A Paris , aux
adrelles ordinaires.
SIX SONATES du fieur GHABRAN, Opera
prima. Aux adreffes ordinaires.
ARIETTES, & VAUDEVILLES nouveaux, avec
accompagnement de guitarre , en mulique
, & tablature . Par M. Merchy , Maître
de guitarre . Chez l'Auteur , rue du
Rempart , aux Quinze - vingts , chez un
Tapiffier , & aux adreffes ordinaires.
N. B. Le fieur Merchy , qui a annoncé
dans l'Epître qui eft à la tête de fon Recueil
, que plufieurs des Chanfons qui le
compofent font de la perfonne à qui il le
dédie , ne les ayant pas fait graver comme
il les lui a données; l'oblige de déclater,
que toutes les Chanfons , qu'il n'a
accordées qu'aux inftances du fieur Mer-
H
478 MERCURE DE FRANCE.
chy, font entièrement défigurées , & qu'il
s'y trouve même des fautes contre la verfification
, & contre la langue.
La Chanfon , page 4 , étant la feule
où l'on n'ait pas touché , eft auffi la ſeule
qu'il reconnoiffe pour être de lui.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
LEI
OPERA.
E 15 Avril , jour de la Rentrée, l'Académie
Royale de Mufique a remis au
Théâtre l'Opéra de Dardanus , repréfenté
pour la premiere fois le 19 Novembre
1739, & repris le 21 Avril 1744
Les paroles de feu M. de la Bruere , &
la Mufique de M. Rameau.
Mufique admirable , Poëme intéreffant,
diftribution de rôles bien entenduë , décorations
, habillemens , ballets , exécution
; tout enfin a concouru au fuccès le
plus éclatant que l'on ait vû depuis longtemps
fur ce Théâtre. Mais quelque impreffion
qui m'en foit restée , on fent
que les détails dans lefquels il faudroit
MAI. 1760. 179
entrer , pour en bien rendre compte , ne
peuvent m'être affez préfens ; furtout ,
après les deux feules repréfentations auxquelles
une convaleſcence aſſez mal affermie
m'a permis d'affifter. En attendant
T'Extrait que j'en prépare , pour le Mercure
du mois prochain , je dirai feulement
, que les rôles les plus intéreſſans &
les mieux joués par nos plus célébres
Actrices , n'ont peut - être jamais caufé
d'émotion plus vive que celle qu'a fait
naître Mlle Arnoud dans l'âme des Specctateurs
même les moins fenfibles ; que les
Srs Pillot, & Larrivée , fe font également
furpaffés chacun dans leurs roles ; &
qu'on ne peut affez louer les foins qu'one
pris MM. les Directeurs, pour rendre ce
Spectacle auffi brillant & auffi fatisfai
fant qu'il pouvoit l'être.
COMEDIE FRANÇOISE.´
LE Compliment de la Rentrée a été
prononcé par M. Blainville , & a été fort
applaudi. Voici comme il s'eft exprimé.
MESSIEURS,
Ce Théâtre doit fa fplendeur au régne
mmortel de Louis XIV, & aux bienfais
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
de Louis XV. Le caractère de génie que
le premier fçut imprimer à l'Art Dra
matique , ne s'eft point effacé , Meffieurs ;
& vos lumières confervent à la Scène
Françoife la fupériorité que ce beau fiécle
lui a donnée fur tous les Théâtres des
nations anciennes & modernes.
Mais telle eft la viciffitude attachée
aux travaux des hommes , que nous craignons
toujours de ne pouvoir contribuer
à vos nobles délaffemens autant que vous
le méritez , & que nous le defirons .
Vous avez perdu , l'année derniere, un
jeune Poëte Tragique dont vous aviez
conçu les plus grandes efpérances ( a ) .
La mort vous a ravi de même un Comédien
qui , par une longue étude de vos
leçons , par la chaleur de fon âme, & par
fa gaîté vraie , étoit parvenu au bonheur
de vous plaire ( b ) . Une maladie cruelle ,
vous a privés longtemps d'un autre Acteur
Comique ( c ), que vous aimez , j'oſerois
dire , que vous adorez , & que vous
reverrez bientôt avec tranfport ( d ),
( a ) M. Guimond de la Touche..
( b ) M. de la Thorillière .
( c ) M. Préville..
(d) L'Orateur , dans cet endroit , fut interrompu
par des battemens univerfels de pieds &
de mains bien flatteurs pour M. Préville.
"
MAI. 1760. 181
Enfin , Meffieurs , une Actrice honorée
de vos fuffrages , la rivale d'un époux
dont vous admirez l'intelligence , le haturel
& la finefle dans les premiers rôles
du haut comique , vient de demander &
d'obtenir fa retraite ( e ) .
Notre Théâtre , eft véritablement , l'image
de la vie humaine : Auteurs , Spectateurs
, Acteurs , tout difparoît , tout
change , tout fe fuccède ; & malheureufement
tout ne fe remplace pas !
De jeunes Poëtes que vous avez encou
ragés par vos applaudiffemens (f) répareront
fans doute la perte de celui à qui
vous devez Iphigénie en Tauride
La révolution.qui nous amène de nouveaux
Spertateurs , ne fe rend jamais fenfible
: c'eft toujours le même efprit qui
vous infpire , le même difcernement qui
vous éclaire le même goût qui vous
guide.
Il n'y a que nous ( & je parle furtout
pour moi ) il n'y a que nous , qui n'ofons
nous flatter de vous faire oublier les talens
qui caufent vos regrets . Daignez
Meffieurs , changer en indulgence la juf-
(e )Madame Grandval .
(f) Mrs Colardeau, le Mière , Dorat.
182 MERCURE DE FRANCE.
tice que vous leur rendiez , & faire grace
à notre foibleffe en faveur du zèle qui
nous anime , & des éfforts que nous ferons
cette année , pour nous rendre dignes
de vos bontés.
On a donné , enfuite , l'Orphelin de la
Chine , & le Magnifique .
Mlle Clairon , a paru ajouter encore à
la perfection avec laquelle elle jouë ordinairement
le rôle d'Idamé. On eft
toujours étonné qu'elle puiffe chaque jour
augmenter, par des changemens inatten
dus , l'admiration qu'elle caufe. C'eſt le
fruit de fon génie, & de fes profondes
réfléxions fur le fublime de fon Art.
Le Théâtre vient de perdre , par la retraite
de Mde Grandval , une Actrice qu'il
chériffoit , & qui méritoit fes fuffrages.
On ne fe rappellera jamais fans regret ,
fon intelligence & la fineffe de fon jeu.
La Marquife , dans la Surpriſe de l'Amour
, la Baronne , dans Nanine , Madame
Patin ; enfin tous les rôles qu'elle
jouoit , en renouvelleront toujours le fouvenir
.
Le Samedi 19 , on a donné une repréfentation
de Sémiramis , Tragédie de
M. de Voltaire. Il femble , depuis le chan
MAI. 1760.
183
gement fait au Théâtre , que ce foit un
autre ouvrage , tant les bonnes choſes
ont befoin d'être vues dans tout leur jour !
La Scène du Trône , au troifiéme Acte ,
celle du Tombeau , au cinquième , font
la plus grande impreffion . Tout , en un
mot , a femblé concourir au plaifir qu'a
fait cette Tragédie. La fupériorité du jeu
de Mlle Dumesnil & du fieur le Kain ,
dans cette Piéce , font au- deffus de toute
louange : l'une étoit, vraîment, Sémiramis,
& l'autre , Ninias.
Le Lundi 21 , on a repris la Tragédie
de Spartacus , avec des changemens qui
ont été applaudis. J'en donnerai l'Extrait
dans le Mercure prochain.
On dit , que les Comédiens préparent
des nouveautés qu'ils doivent donner
inceffamment.
COMEDIE ITALIENNE.
COMPLIMENT , prononcé par M. LE
JEUNE , à l'ouverture du Théâtre
Italien.
IL paroît enfin , ce jour que nous avons
fouhaité avec tant d'impatience ! Etre
privés de votre préfence , Meffieurs ,
c'eft languir hors de notre élément.
184 MERCURE DE FRANCE.
Mais , au moins , pouvons nous nous
flatter que , pendant ces temps de defoeuvrement
, on ne nous reprochera point
d'avoir . négligé ni perdu de vue l'intérêt
de vos plaifirs . Pénétrés des malheurs
de l'année derniere , nous nous fommes
appliqués , par de nouveaux efforts , à
les réparer , s'il eft poffible , pendant
le cours de celle - ci . Au refte , le mauvais
fuccès des pièces que nous vous donnâmes
, ne fut qu'une fâcheufe destinée
que tous les autres Spectacles partagerent.
avec nous ; & nous ne nous en fommes
reffentis plus particulierement que par
l'épuisement de nos piéces de fond, incapables
de ramener, & d'entretenir l'affluen
ce à notre Théâtre . Il fembloit même
que les Auteurs , défefpérant d'y acquérir
aucune gloire , nous euffent entierement
abandonnés.
Mais cette année commence fous des
fignes plus heureux. Les Mufes reviennent
à nous ; quelques nouveautés raniment
nos espérances ; l'émulation fe réveille
parmi nos jeunes Auteurs . Eh ! notre
fort peut-il être encore bien douteux ,
lorfqu'il ne dépend plus que de vos bon
tés ? Vous avez toujours pris plaifir à les
répandre fur nous ; c'eſt par elles que
M A I. 1760. 185
nous nous fommes foutenus jufqu'ici ; &
ce n'eft que par elles , que nous espérons
de nous relever.
Puiffions-nous donc , Meffieurs , contribuer,
cette année , avec plus de gloire
& de fuccès , à vos amufemens qui , j'ofe
dire , fe renouvelleroient fans ceffe à
notre Théâtre , fi le mérite des piéces
que nous vous donnons , répondoit toujours
à l'empreffement que nous avons
de vous plaire !
Un autre Compliment , que beaucoup
de gens attendoient , & que les Comédiens
avoient rejetté tous d'une voix ,
fut peut- être caufe que celui -ci ne reçut
pas de grands applaudiffemens : mais on
convient , généralement , qu'il avoit cette
fimplicité naturelle qui caractériſe ces
fortes d'ouvrages , où les tournures brillantes
& les expreffions recherchées deviennent
étrangères , puifqu'ils doivent
toujours fembler partir de fource.
"
Ce compliment , fut fuivi de la Nou
velle Ecole des Femmes & de la premiere
repréſentation de la Rentrée des
Théâtres , Comédie nouvelle en Vers
en un Acte. Cette Piéce a paru faire plaifir
, furtout aux gens de goût . En voici
l'Extrait.
>
86 MERCURE DE FRANCE.
Le Bon-Sens, & l'Invention , Déeffe du
Génie , que l'Eſprit avoit profcrits du Parnaffe
François , font étonnés de s'y revoir.
L'état malheureux de l'Empire d'Apollon
, afflige beaucoup le Bon- Sens ; l'Invention
le confole ; & lui dit , que l'Ef
prit fe trouvant forcé de les rappeller
auprès de lui , il y a tout à efpérer de
leur réunion. L'Elprit paroît. Son clinquant
éblouit le Bon- Sens lui - même ; &
l'Eſprit eft ravi de le voir auffi pris pour
dupe. Il avouë , naturellement , qu'il eft
à bout ; & qu'il s'eft retourné de toutes
les façons. Mais il ajoute , qu'en nuifant
beaucoup , il n'a pas laiffé , de rendre
quelques fervices :
Car ( dit-il ) il n'eſt plus d'état qui n'ait ſes beaux
efprits ;
Et j'ai , de l'ignorance , affranchi tout Paris.
L'Invention lui demande des nouvelles
de Thalie , Mufe de la Cornédie , qu'elle
avoit autrefois embellie de fes plus riches
dons. L'Efprit lui répond :
Apparemment que vos dons éclatans ,
Pour l'avenir l'ont affez enrichie ;
A ne rien faire elle paffe fon tems.
Le fublime , d'ailleurs , l'a prèſque anéantie ,
Et le goût férieux ne permet plus qu'on rie.
On- la laiſſe, par grâce, ébaucher les talens. &cj
MA I. 1760. 187
Il n'y a peut-être que trop de vérité ,
dans ces vers. Le Bon-Sens dit à l'Eſprit :
Ainfi la Tragédie , a toutes vos faveurs ?
L'ESPRIT.
Elle triomphe encor , en dépit des Cenſeurs.
Elle fe fent pourtant beaucoup , de fon vieil âge:
Les ans ont bien changé fes traits & fon langage.
Mais ce n'eft plus fon tems de jouer de malheur ,
Et le Public pour elle eſt plein de politeffe.
S'avife- t -on d'abord de profcrire une Piéce ?
Le lendemain , fans faute , on demande l'Auteur ;
A le fêter , chacun s'empreſſe ;
Puis , on le laiffe , avec honneur ,
Sous un laurier fans féve enterrer fa langueur.
Ces vers ont été applaudis , dans le
premier moment. Mais le contrecoup de
cette critique femblant retomber fur le
Public , on s'eft contenté , depuis , de les
écouter en filence . Le Bon - Sens , l'Invention
, & l'Efprit , fe réuniffent.
Arrive un Auteur fatyrique , qui fe promet
de fronder déformais les ennemis du
Bon- Sens . Ce Dieu lui fait accueil , &
dit
que ,
Sans doute on a profcrit ces Journaux fatyriques,
Et ces Feuilles périodiques ,
Deſtructeurs du faux goût, vengeurs de la Raiſon ?
188 MERCURE DE FRANCE.
L'Efprit trouve alors moyen de plai-
Tanter fur le grand nombre de ces ouvrages
, dont Paris eft inondé. L'Auteur fatyrique
fe prépare à faire revivre le redoutable
Boileau ; & fe déchaîne contre la
Tragédie , par cette tirade :
"
Eh ! peut - on , fans rougir , combler de tant
d'honneurs
Tous ces colifichets , qu'au Théâtre on admire ,
Fades productions d'un ftérile délire ?
Ces vers enfilés de mots , au travail meſurés ;
Ces Drames , deffinés en traits de perſpective ,
Tableaux fans coloris , de froideurs enquadrés ;
Ce flux d'événemens , gauchement préparés ;
D'immobiles foldats , cette foule inactive ;
Ces caractères mal tiffus ,
Quelque fois annoncés , & jamais foutenus ?
Ces plats confpirateurs , à la furear oifive ;
Ces timides Héros , ftylés fur nos Romans ;
Ces Amans fans chaleur , ces Rois fans politique ,
Ces Tyrans fans efprit , vrais balourds du Tragique
;
Et ces femmes d'idée , aux beaux raiſonnemens ?
Cette tirade a eu le même fort que la
précédente , & probablement , par la
même raiſon . Ces vers font fuir l'Esprit ,
qui s'y reconnoît , & n'ofe plus fe monMA
I. 1760. 189
trer. Le Bon-Sens confeille à l'Auteur fatyrique
, de critiquer avec plus de ménagement
; mais celui - ci ne répond , que
par des menaces terribles ; & s'en va ,
en promettant de tout exterminer , même
avant que de rien voir.
".
Viennnent enfuite un Poëte lyrique &
un Muficien : ils font leur Compliment
à l'Invention , en langage d'Opéra . Mais
le Poëte s'avifant de dire à l'Invention ,
qui les prend tous deux pour Poëtes ,
que l'autre n'eft que Muficien il s'éleve
entre eux une querelle fur la préféance
,
qui a beaucoup diverti. Le
Bon- Sens les maltraite : ils ne le connoiffent
ni l'un ni l'autre ; & l'Invention leur
ayant dit qui il eft , ils l'accablent d'injures
ils fe réconcilient même tous deux
pour défier ce Dieu , qui les menace de
revenir à l'Opéra. Le Muficien ,tranfporté,
demande au Poëte de feconder fon génie.
Celui- ci fait des vers , que l'autre met fur
le champ en Mufique . Le Bon - Sens ne
peut tenir contre leur fureur ; & il s'enfuit,
de peur qu'ils ne le poignardent . Un
Maître de Ballets , fe préfente auffitôt.
Son projet eft , d'introduire les Ballets ,
jufques dans la Tragédie Françoiſe. Le
Poëte & le Muficien , font de fon avis ;
mais il fait une autre propofition , bien
190 MERCURE DE FRANCE:
outrageante pour nos deux Artiſtes. La
voici.
Tous nos Muficiens ne nous fatiguent plus
Que d'airs embrouillés, bifcornus ;
Nos grâces, avec eux, ne fauroient plus paroître.
De l'Opéra, laiffez - moi feul le Maître.
Par mes foins vigilans bientôt il renaîtra ,
Des plus beaux airs de France & d'Italie :
Le choix harmonieux , réglera mon génie :
C'est l'Orcheſte qui chantera ,
Et la Pantomime jouera.
Ainfi toujours brillant, & prodigue en merveilles ,
Je ſauverai l'ennui d'entendre , à tous momens ,
Les vers , écorcher le Bon-Sens ,
Et la Mufique , les oreilles.
Le Poëte & le Muficien , font des imprécations
contre lui : il fe rit de leurs
fureurs ; & ils le pourfuivent, en chantant
le Duo de Tancrede : Suivons la fureur
& la rage &c.
Une fymphonie , annonce le Récitatif
françois ; qui paroît, couronné de pavots.
Il fe fait reconnoître à l'Invention , par
ces vers qu'il chante :
De l'Empire ébranlé , des fons & de la rime ,
Reconnoiffez en moi le foutien magnanime !
M A I. 1760: 191
Compagnon de Morphée , on m'appelle, en deur
mots ,
Le grand Récitatif , couronné de pavots.
Il devoit chanter enfuite ces quatre
vers , que l'on a retranchés , fans qu'on
fache pourquoi .
Malgré qu'on dorme ou que l'on bâille ,
Faites renaître mes appas :
Hélas ! où voulez vous que j'aille ,
Si Paris ne me garde pas ?
Il fe plaint des grands fuccès de l'Ariette
Italienne , qui l'a prèfque détruit.
L'Invention, avant que de rien dire fur le
nouveau goût de Paris , veut connoître le
chant Italien. L'Ariette Françoife , & l'Italienne,
entrent fur la Scène, en ſe querellant
. La Françoiſe veut reprendre la
préféance fur fa rivale : celle- ci veut la
garder. L'Invention appaife la querelle ,
en demandant qu'elles chantent l'une
après l'autre. Elle permet à la Françoiſe
de chanter la premiere . Cette Ariette
les bras pendans , à la manière de nos
Actrices de l'Opéra ( tirées des Choeurs
pour chanter les airs légers ) fait , en
deux repriſes, l'énumération des vingt192
MERCURE DE FRANCE.
trois mots qui forment le brillant de
Ariette Françoife , gloire , environne
victoire couronne vole , triomphe
régne , enchaîne, enchante , lance , briller,
enflámez , badinez, folâtrez, voltigez, mur
mure , coule coule , ravage , roule , réveille ,
gronde , s'élève , rire. L'Ariette Italienne,
chante à fon tour : l'Invention lui donne
la préférence. Elle fort triomphante , &
l'autre très- piquée. Le Récitatif tremble
du Jugement que l'Invention va porter
à fon égard ; mais elle fe contente de lu i
donner de bons confeils , & il la quitte
très -fatisfait.
L'Efprit revient , non' comme l'Efprit,
mais comme Ambaffadeur des Petits-
Maîtres . Il prie l'Invention de relever
la fortune de la Troupe Italienne , qui
tombe tous les jours . Il fe plaint du tort
que les Comédiens François ont fait à
leur Elégance , en fupprimant leur Théâ
tre . Il repréfente , que celui des Italiens
leur refte encore ; mais que, par malheur ,
les Dames n'y viennent plus . Arlequin arrive
, d'un air fatisfait . Pendant la clôture,
il a été en Italie ramaffer des Acteurs, &
il en ramene une recruc. On fe moque
de lui , fur ce qu'il croit relever la Comédie
avec des Acteurs Italiens . On lui
demande
,
MA I. 1760 . 193
demande comment il veut qu'on puiſſe
les entendre. A cela il répond :
Mais ils fçauront parler , pourvû qu'on daigne
attendre ;
Et c'eft toujours un fon !, pour l'avenir.
En dix ans , ils pourront ſe faire :
Et pendant ce temps-là , comme à notre ordinaire
,
Nous jouerons pour notre plaiſir.
ap-
Cette réponſe a fait rire , & a été
plaudie . L'Invention lui dit, que l'on n'eft
curieux que de Piéces nouvelles ; & que
ce n'eft que cela qui pourra relever fa
Troupe. Il la fupplie de les aider. Elle
lui demande , s'il fçait faire valoir une
Piéce Françoife. A quoi il répond :
J'y fuis , grace aux Auteurs , affez mal à mon
aife ,
Pour qu'on ne vous en diſe rien.
Mais je plais dans l'Italien ,
Je divertis , j'amufe , & tout le monde m'aime.
Je m'y trouve toujours fort bien ,
Car je fais mes rôles moi- même.
L'Invention lui demande une Scène , à
l'impromptu . Il objecte qu'il eft feul ,
que cela devient trop difficile. Alors
il apperçoit. Mlle Camille , en habit d'Ar-
&
I
194 MERCURE DE FRANCE.
lequine. On la croit fa foeur, ou fa femme.
Il répond , qu'il n'a ni femme ni foeur.
Mlle Camille cherche à fe faire reconnoître
par fes lazzis ; & n'y parvient , que
par un rire qui lui échappe. Il s'écrie alors,
Comme une folle , elle rit : c'eſt Camille !
Elle paroît avoir envie de parler à
l'Invention ; & la Divinité la preffe, obligeamment,
de s'expliquer. Arlequin n'oublie
pas de lui dire , comme à l'oreille :
Modére-toi , fi ta langue le peut !
C'eſt par ces plaifanteries que l'Auteur
a trouvé moyen de faire écouter Mlle
Camille, dans le François; dont on s'imagine
, à tort, que la Langue lui foit encore
étrangère. Rien ne pouvoit mieux annoncer
la douceur de fon caractère , que de
permettre qu'un Auteur s'égayât en Public
à fes dépens. Quelle autre Actrice,
l'eût fouffert Auffi lui a - ton fçu bon gré
de ce petit facrifice , qu'elle a fait de fon
amour- propre. Voici fon difcours à l'Invention
, pour difpofer le Public à lui
être favorable , dans le François .
De crainte,en vous parlant,mon âme qui s'émeur,
A fon ambition , peut- être téméraire ,
Ofera-t-elle ici s'abandonner ?
Le Public , des talens , eft le Juge & le Pere ;
MA I. 1760 . 195
Tout ne reſpire,en moi, que l'ardeur de lui plaire.
Au genre Italien , j'ai peine à me borner.
Me former au François , eft la gloire où j'aſpire ;
Trop heureuſe , fi
quelquefois ,
Je voyois à mes voeux le Parterre fourire !
Daignez , aupres de lui , me prêter votre voix.
Sa clémence , toujours , nous mene à fon eftime.
Quand on s'en voit d'abord applaudir dans des
riens ,
On fent qu'à nos defirs il accorde les fiens.
La confiance alors , par degré , nous anime ; '
Et lorfque nos talens , devenus précieux ,
Ont mérité qu'il les honore ,
Il en doit mieux chérir des fruits, nés fous les yeux,
Qu'à force de bonté lui- même a fait éclorre .
Ce
Compliment , a été
généralement
applaudi.
L'Auteur n'a fait qu'y exprimer
les vrais
fentimens de l'Actrice . On s'apperçut
aisément du peu d'affurance ou
elle étoit, le premier jour qu'elle le récita;
& cette fituation n'en prévint que mieux
en fa faveur. Une jeune Beauté , qui implore
en tremblant la clémence de fes
Juges , eft prèfque toujours fûre du gain
de fa caufe.
Comment une jeune Actrice ,
remplie de charmes ,
n'intérefferoit - elle
pas le Public , avec tant d'envie de lui
plaire ? Avec le jeu le plus agréable &
1
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
l'intelligence la plus vive , il ne manque
à Mlle Camille que l'habitude pour développer
les talens dans le François.
L'Invention termine la Piéce , en fe
préparant à appaifer la colère du Bon - Sens,
que les deux Auteurs Lyriques ont fait
fuir, & Arlequin implore, pour fa Troupe,
l'indulgence du Public.
On a donné , le Mardi 15 , & le Vendredi.
18 , le Pere févère , Comédie nouvelle
Italienne , qui a fair beaucoup de
plaifir à ceux qui entendent cette langue.
Mde Bagnoli a joué , avec les fuffrages
du Public , dans la fauffe Suivante , & la
Mere confidente , Comédies de M. de Ma
rivaux , que l'on a jouées avec la Rentrée
des Théatres.
CONCERT SPIRITUEL.
O Ny a exécuté , le Vendredi & le
Dimanche de l'Octave de Pâques , le De
profundis, & le Wenite, exultemus, motets
àgrands choeurs de M. de Mondonville.
Ils font affez.connus , ainfi que la premiere:
Sonate dus même Auteur , qui a
átá jouée en fympltonie à l'ouverture du
Concert du jour de la Quafimodo , pour
MAI. 1760. 197
qu'on ne doute pas des applaudiffemens
qu'ils ont reçus .
Le Signor Cifotelli , Muficien de l'Electeur
Palatin , a joué une Sonate de
Mandoline , de fa compofition . La Mandoline,
eft une espéce de petite guitarre :
Et le Signor Cifotelli en joue avec toute
l'habileté poffible.
Mlles Lemiere & Dubois , ont chanté ,
chacune en différens jours , un petit Motet.
Le Public , quoiqu'elles n'aient pas
le même talent , fe plaît beaucoup à les
entendre l'une & l'autre. La voix de Mlle
Dubois eft forte & belle ; celle de Mile
Lemiere , eſt auſſi agréable que légère.
M. Gaviniés , a joué un Concerto defa
compofition ; & l'on fent tout le plaifir
qu'il a dû faire.
M. Damoreau , a joué , fur l'orgue ,
un Concerto compofé de fragmens , qui
a fait plaifir. M , Balbaftre , a auſſi joué
l'Ouverture des Fêtes de Polymnie , qui a
produit un bel effet ; ainfi que tout ce
qu'il a joué pendant la quinzaine de Pâques.
Le Concert, du Vendredi , a fini par
le Motet François des Ifraëlites à la Montagne
d'Oreb , qui eft toujours également
accueilli. Le Concert du Dimanche de
Quafimodo, a été terminé par le nouveau
Motet François , des Fureurs de Saül.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De PETERSBOURG , le 16 Mars 1760 .
L'ARMEME 'ARMEMENT des Anglois pour la mer Balti
que , fe confirme de plus en plus ; on prend ici
les mcfures les plus férieufes pour s'y oppofer.
On travaille en diligence dans nos ports, à équiper
des vailleaux . Nous aurons inceffament une flotte
allez puillante , pour leur difputer le paffage
du Sund. On dit que te fieur Keith , Miniftre de
Sa Majesté Britannique dans cette Cour , eft fur le
point de fe retirer.
Le plan de la campagne prochaine , eft arrêté.
Le Maréchal Comte de Soltikoff , ſe diſpoſe à
partir dans peu pour l'armée.
Il paroît ici , un état des forces de cet Empire.
Elles montent à 28284133 hommes.
De VIENNE, le 3 Avril.
Le Général Laudon avoit ouvert la campagne
vers le milieu du mois dernier , par la prife de la
Ville de Neustadt . Mais le froid & les pluies , qui
continuent dans la haure Silétie , ne lui ont pas
permis de continuer les opérations , qu'il avoit
commencées. Il a repris fon quartier général à
Jagerndorf. Un détachement de nos troupes a
enlevé , près de Leobfchutz trois cens recrues
Pruffices , qui étoient efcortées par trente
Huliards.
MA I. 1760. 199
Le Prince de Deux - Ponts , revêtu du com
mandement général de la Hongrie , eft préfentement
de retour de ce Royaume , où il avoit été
prendre connoiffance de quelques objets relatifs
à fon commandement. Il fe difpofe à partir in
ceffamment pour le mettre à la tête de l'armée
de l'Empire.
De DRESDE , le 31 Mars,
Tout annonce ici l'ouverture de la Campagne.
Le 20 de ce mois , l'armée Pruffienne fortit de fes
cantonnemens , & s'approcha de Friderichstadt .
La garnifon Autrichienne fortit aufſitôt de cette
Ville. Ce mouvement n'a cependant rien produit
d'important. Le Roi de Prulle a établi fon quartier
général à Cloffer- zell , à deux milles de Drefde .
Le Maréchal de Daun n'a point encore fait de
difpofitions offenfives. dl a fon quartier alternativement
à Pyrna & à Sonneftein . Le Comte de
Lafcy lui a remis le plan d'opérations arrêté
par la Cour de Vienne. On a pris un Eſpion
qui avoit deffein de brûler nos magazins.
De BERLIN , le 4 Avril.
La Reine & la Famille Royale arriverent heureufement
à Magdebourg , le 19 du mois dernier
après - midi.
Les Cofaques font toujours des courfes dans
la Poméranie & dans la Siléfie. Un de leurs partis
a pénétré depuis peu jufqu'à Guben . Le Général
Fouquet a formé , pour arrêter ces courſes , un
détachement qu'il a envoyé à Miltich . Le Général
Malachowsky s'eft auffi mis en marche avec fes
Hullards , & d'autres troupes , & il a pris pofte à
Meferitz en Pologne . Le Général Werner s'eft
porté de Ratibor par Leignitz & Haynau fur
Kobens
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Le Roia nommé le Prince héréditaire de Brunfwick
, Feld-Maréchal de fes armées.
On apprend que depuis que nos troupes fe multiplient
dans la Pomeranie , les troupes légères
Ruffes l'ont prefqu'entierement évacuée.
De HAMBOURG , le 30 Mars .
Malgré la rigueur du froid, qui régne encore ,
les Suédois commencent à fe mettre en mouvement.
Ils ont établi des ponts fur le Trebbel &
fur la Peene : ils harcelent tous les jours les poftes
Pruffiens . Ils furprirent , le 22 de ce mois ,
détachement pofté à deux lieues de Crine , qui fut
forcé & contraint de fe replier avec une perte
confidérable.
un
Il fe fait de grands préparatifs à Stralfund.
On y équipe un grand nombre de bâtimens pour
intercepter la navigation des ennemis dans les
bouches de l'Oder.
De LEIPSICK , le premier Avril.
Nos Magiftrats & nos principaux Négocians ,
renfermés depuis longtemps dans le Château de
Pleillembourg , ont été élargis le 29 du mois dernier
, en donnant de nouvelles lettres de change
pour les fommes aufquelles ils ont été taxés. Mais
on a déclaré aux autres habitans , de payer en
argent comptant celles qu'on leur a impofées
depuis peu.
Les Prulliens continuent d'exiger , avec la même
rigueur , les contributions & les recrues auxquelles
ils ont taxé cet Electorat.
Les effets les plus précieux de Poftdam & des
autres Maiſons Royales de Sa Majesté Pruffienne ,
ainfi que les Archives de Brandebourg ,
envoyés à Magdebourg . On dit que le Général
ont
été
M A I. 1760.
201
Fermer s'avance vers Colberg avec un Corps de
crente mille hommes , & une nombreuſe Artillerie.
De BAMBERG , le 4 Avril.
Le Lieutenant Général Lufinski remporta , le
17 du mois dernier , à Zeitz , un avantage fur les
Pruffiens. Il fit fortir , le 16 au foir , de Neuftadt
& Saalfeld , où il étoit pofté , trois détachemens
fous les ordres du Colonel Carlsbourg qui a conduit
cette expédition , Ces détachemens marcherent
toute la nuit , & arriverent par différens
chemins devant Zeitz , à fix heures du matin , &
ils formerent trois attaques différentes. Les portes
furent forcées ; & les troupes Pruffiennes , qui
confiftoient en 300 hommes de Cavalerie , furent
obligées de fe rendre à difcrétion . On fit deur
cens prifonniers. Le refte du détachement a été
tué ou s'eft échappé pendant l'action . Le Colonel
Carlsbourg , à l'approche des Pruffiens , qui venoient
l'attaquer en force , fe retira avec fes prifonniers
, fans avoir fait la moindre perte. Les
Pruffiens rentrés dans Zeitz , au nombre de fix
mille , ont impofé à cette Ville de nouvelles contributions
, en dédommagement de la perte qu'ils
y ont faite , prèfque tous les chevaux & les bagages
ayant été pris dans l'expédition du Colonel
Carlsbourg.
De MADRID , le 20 Mars.
La plupart des vaiffeaux dont l'armement a
été ordonné , font prêts à mettre à la voile. Il y
en a quarante, tant à Barcelone, qu'à Carthagene,
& à Cadix.
De LONDRES , le 8 Avril,
Sa Majefté a créé leTrince Edouard , fon Petit-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
fils , Duc d'Yorck & d'Albany, & Comte d'Ulfter,
en Irlande.
Le Jugement du Lord Sackville n'eſt pas encore
porté.
Les confeils ont été fréquens à S. James , depuis
peu de jours.
Le du mois dernier , on reçut des dépêches
envoyées de la Haye, par le Général Yorck , &
d'autres adreliées au Baron de Kniphauſen , Miniftre
de Sa Majefté Pruffienne en cette Cour.
Elles occafionnerent un Confeil extraordinaire, à
l'iffue duquel il partit un Courier chargé de dépêches
pour la Haye & pour la Saxe . On croit
ces mouvemens relatifs à la grande affaire d'une
Pacification générale , qui paroît moins éloignée
depuis l'offre que les Etats- Généraux ont faite de
la Ville de Beda , pour y tenir un Congrès.
La plupart des troupes, pour l'Allemagne ,font
parties. On compte qu'avant la fin de ce mois ,
elles feront toutes rendues à leur deftination.
Le grand Armement qu'on prépare depuis
Longtemps , pour agir contre les côtes de France,
laille entrevoir aujourd hui une autre deſtination.
De LA HAYE , le 8 Avril..
On fe fatte que la Pacification générale n'eft
pas auffi éloignée qu'on en pourroit juger , par les
grands préparatifs le guerre qui fe font partout.
Les Etats- Généraux i oublient rien pour contribuer
à la réuflite de cette Pacification. Ils ont offert
, pour la tenue d'un Congrès , la Ville de
Bre la , qui leur paroît très- convenable par les
' différens Traités qui y ont été déjà heureuſemem
négociés & conclus.
Le bruit fe répand que les Cours de Verfailles
, de Vienne , & de Pétersbourg , ne font point
éloignées d'acquiefcer au Congrès. Mais elles
M A I. 1760. 203
ont demandé que les Cours de Suéde & de Saxe ,
y foient auffi invitées par les Rois d'Angleterre &
de Pruffe.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 17 Avril
L'ITAT 'ITAT de Monfeigneur le Duc de Bourgo
gne , qui depuis quelque temps , donnoit de
grandes allarmes , & auquel il étoit furvenu une
humeur très- confidérable a la cuille droite , eſt
aujourd'hui fatisfaifant . Une opération effrayante;
& très- douloureufe , que les circonftances on
rendue indifpenfable , a manifeſté dans ce jeune
Prince , un degré de courage & de fermeté ,
infiniment au-deffus de fon âge. Les grands
fuccès qui l'ont fuivie , donnent beaucoup à eſpérer
d'une parfaite guériſon.
Le Roi a donné , au fieur Andouillé , la furvivance
du fieur de la Martiniere , premier Chirur
gien de Sa Majesté.
Le 8 de ce mois , le fieur Erizzo , Ambaffadeur
de la République de Venife , eut fon Audience publique
de congé du Roi , étant accompagné par
le Comte de Brionne , & conduit par le fieur
Dufort , Introducteur des Ambaſſadeurs , qui
étoient allés le prendre en fon hôtel, à Paris , dans
les caroffes de Sa Majesté . Il trouva , à fon arri
vée , dans l'avant-cour du château , les Compa
gnies des Gardes Françoifes & Suiffes fous les
armes , les tambours appellant ; dans la cous,
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
les Gardes de la Porte & de la Prévôté de l'Hôtel ,
auffi fous les armes à leurs poftes ordinaires ; &
fur l'escalier , les Cent- Saiffes en habits de cérémonie
, & la hallebarde à la main. Le Prince de
Beauveau , Capitaine des Gardes , le reçut à la
porte en dedans de la falle , où les Gardes du
Corps étoient en haie & fous les armes . A la fin
de l'Audience , le Roi fir Chevalier le fieur Erizzo
, felon l'ufage pratiqué à l'égard des Ambaffadeurs
de la République de Venife. Le même
jour , l'Ambaffadeur fut conduit à l'Audience de
la Reine , & à celles de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine, de Monfeigneur le Duc
de Berry , de Monfeigneur le Comte de Provence
, de Monfeigneur le Comte d'Artois , de
Madame , de Madame Adelaide , & de Mefdaines
Victoire , Sophie , & Louife ; & après avoir
été traité par les Officiers du Roi , il fut reconduit
à Paris dans les Caroffes de Leurs Majeftés ,
avec les cérémonies accoûtumées.
Le 12 , le Roi , la Reine , & la Famille Royale,
fignèrent le Contrat de mariage du Marquis de
Montefquiou , Gentilhomme de la Manche de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , & Colonel
dans les Grenadiers de France , avec la Demoifelle
Hocquart ; celui du Marquis de Livry , avec
Demoiſelle de Benouville ; & celui du Comte de
Polignac , Capitaine de Dragons , avec Demoifelle
de Saluces.
>
Le 13 , le Marquis de Paulmy , Miniftre d'Etat ,
& ci -devant Secrétaire d'Etat de la guerre , prit
congé du Roi , de la Reine & de la Famille
Royale , pour ſe rendre à la Cour de Warfovie
en qualité d'Ambafladeur de Sa Majeſté , près
le Roi & la République de Pologne.
Le 14 , le Comte de Luface partit pour le rendre
à Munich, & enfaite à l'Armée d'Allemagne.
MAI. 1766.
7205
7
De FRANCFORT , le 7 Avril.
Les Alliés ont entierement abandonné le Pays
de Fulde , qu'ils ont cruellement maltraité pendant
le féjour qu'ils ont fait . Le Prince hérédi→
taire de Brunswick a remis au Général Imhoff
le commandement du corps de troupes qu'il
avoit conduit fur les confins de la Franconie.
Ce Général s'eft replié depuis fur Ziegenhayn ,
dans la vue de protéger Marbourg . Ses Alliés
femblent auffi craindre pour Callel.
De PARIS , le 19 Avril.
Le 10 de ce mois , le Roi fit dans la plaine
des Sablons la revue du Régiment des Gardes
Françoiles , & de celui des Gardes Suilles . Ces
deux Régimens, après avoir fait l'exercice , défilerent
en préfence de Sa Majefté. Madame , &
Meldames Victoire , Sophie & Louife , affifterent
à cette revue.
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
, s'eft fait en la manière accoutumée , dans
l'Hôtel de Ville de Paris , les de ce mois. Les
nunréros fortis de la roue de fortune font , 7 , 23 ,
12 , 57 & 83. Le prochain tirage fe fera le 6 du
mois de Mai.
Le Mardis de ce mois , l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles-Lettres fit fa rentrée
publique . Le fieur le Beau , Secretaire perpétuel
ouvrit la Séance , & annonça que les piéces qui
avoient concouru au prix , n'ayant point fatisfait
l'Académie , elle avoit arrêté que le même fujet
feroit propofé pour la rentrée de Pâques 1,762 , &
que le prix feroit double. Il s'agit d'examiner
Quelle fut l'étendue de la Navigation & du Com
merces des Egyptiens , fous le régne des Ptolomées ?
Le fieur le Beau , annonça enfuite le fujet du Prïx
206 MERCURE DE FRANCE
·
que l'Académie diftribuera à la S. Martin de l'année
1761. Il confifte à examiner ; Quelsfont les
différens noms que l'Antiquité a donnés au Nil?
Quels hommages on lui a rendus ? La raifon des
attributs qui le caractérisentfur ces Monumens ? On
y joindra l'examen des mêmes queftions, fur le Dieu
Сапоре .
Dans la Séance publique de l'Académie Royale
des Sciences , du Mercredi 16 , le fieur de Fouchi
, Sécrétaire perpétuel , annonça que le prix de
cette année avoit été adjugé au fieur Eufer fils ,
de l'Académie des Sciences & Belles- Lettres de
Pruffe ; & que l'Académie propofoit pour fujet du
prix de 1762 , Si les Planétes fe meuvent dans un
milieu dont la réfiftance produife un effet fenfiblefur
leur mouvement ?
Le prix de soo liv . remis à l'Académie , pour
celui qui réuffiroit, le mieux , à déterminer les
moyens propres à porter la perfection & l'oeconomie
dans la Verrerie , a été adjugé au fieur
Bofc d'Antick , Docteur en Médecine , & Corref
pondant de l'Académie.
Quatre bataillons des Gardes- Françoiles , &
deux des Gardes - Suiffes , font partis d'ici pour
l'Armée d'Allemagne.
MARIAGES.
M. le Marquis de Citran , Capitaine de Cavaferie
dans le Régiment d'Efpinchal , a épousé , le
15 Mars , à Bordeaux , Mlle de Durfort , fille de
M. le Comte de Durfort , Ambaffadeur à Naples.
Le mariage a été célébré dans la Chapelle
de l'Archevêché , en préſence du Curé de
la Paroifle , par M. l'Evêque de Bazas , affifté
de MM. les Abbés d'Entragues & de Monville ,
MAI. 1760. 207
Chanoines & Dignitaires de l'Eglife Métropoli
taine , & Grands Vicaires ; le premier , de Bordeaux
, & l'autre de Bazas .
M. le Duc de Lorges , en qualité de parent de
la Mariée , & comme faifant les fonctions de
Commandant de la Province , pendant l'abſence
de M. le Maréchal Duc de Richelieu , a fait les
honneurs de la cérémonie , & de la Fète..
-
Guy-André- Marie-Jofeph , Comte de Laval ,
fils de Guy- André - Pierre , Duc de Laval- Montmorenci
, Lieutenant Général des Armées du Roi,
& de Dame Marie-Jacqueline - Hortence de Bulkon
, a époufé , le 14 Avril , Demoiſelle Anne-
Célefte-Françoiſe Jacquier de Vieux - Maiſons ,
fille de Melfire Philippe Guillaume Jacquier
de Vieux Maifons , Confeiller au Parlement , &
de Dame Louife- Renée- Magdeleine Hatte. La
bénédiction nuptiale leur a été donnée , par le
Curé de S. Sulpice , dans la Chapelle titulaire du
S. Efprit Leur Contrat de mariage avoit été figné
le 12 par Leurs Majeftés , & par la Famille
Royale.
>
Pierre -Emé Guiffrey de Monteynard de Marcieu,
Marquis de Bouttieres , Chevalier de l'Ordre
de S. Jean de Jérufalem , Meſtre de Camp d'un
Régiment de Cavalerie de fon nom , Brigadier
des armées du Roi , Gouverneur des Ville , Citadelle
de Grenoble & du Bailliage du Grailivodan
, fils de feu Laurent- Joſeph - Emé Guiffrey de
Monteynard de Marrieu , Marquis de Bouttières,
Seigneur du Touvet , S. Vincent de Mercuze ,
S. Michel Goncelin , Cheylas , Moreftet , S. Jean
d'Avalon , Marcieu , Savel , &c. Gouverneur pour
le Roi , des Ville , Citadelle de Grenoble , & du
Bailliage du Graifivodan ; & de Françoife Gabrielle
de Miſtral , Marquife de Montmiral ,
208 MERCURE DE FRANCE.
Baronne de Creffol , & Chandieu , Dame de la
Savalle , du Chaftellard en Trièves, de S. Egreve,
Provifien , Mont S. Martin , & c. a époulé , avec
l'agrément du Roi , le 15 Avril 1760 , à Grenoble
, Françoiſe de Prunier de Saint- André , fille
de René- Ifmidon - Nicolas de Prunier , Comte
de Saint André , Marquis de Virieu , Baron de
Beauchêne , Seigneur de la Buiffiere , Bellecombe
, & c . Lieutenant général des armées du Roi ;
& d'Alexandrine Guicharde de Chaponnay . La
bénédiction. nuptiale leur a été donnée dans la
Chapelle des Pénitens , par M. l'Abbé de Bardonnenche
, Vicaire général du Diocèle de Grenoble.
MORTS.
Le 3 Avril , mourut dans fon Abbaye, Madame
Anne-Marie , Baronne d'Eltz d'Ottange , Abbeffe
de l'Eglife Collégiale & féculière de Bouxière en
Lorraine , âgée de 9 ans. Elle étoit foeur de
M. le Baron d'Eltz , Maréchal des Camps & Armées
de Sa Majefté Très - Chrétienne , Coinmandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis . Elle fut prébendée dans ſon Cha
pitre , dès l'an 1663 , & élue Abbeffe , d'une
voiz unanime, en 17.6. La conftante férénité de
fon âme , l'égalité de fon humeur , la douceur
inaltérable de fon caractère , jointes à l'unifor
mité de fa vie , l'ont conduite à la plus heureuſe
vieilleffe ; au point , qu'exempre de toutes infirmi
tés , elle a lû & écrit fans lunettes jufqu'aux derpiers
momens d'une fi belle carrière . Ses rares
qualités de l'efprit & du coeur , lui ont mérité la
plus haute eftime , & les refpects les plus Lincères
de fon illuftre Chapitre & de tous ceux qui ont ev
l'avanage de la connoître.
MA 1. 1760. 209
Le fieur Jacques- Bénigne Winflow , de l'Académie
Royale des Sciences , de la Société Royale
de Berlin , Docteur-Régent de la Faculté de Médecine
de Paris , & Profeffeur d'Anatomie & de
Chirurgie , mourut le 4 de ce mois , âgé de 91
ans. Il étoit Danois. Jacques Bénigne Bofluet ,
Evêque de Meaux , lui avoit fait abjurer le Luthéranifme
, il y a 63 ans. Les découvertes que
le fieur Winflow a faites , en Anatomie , ont
rendu fon nom célébre parmi les Sçavans de
l'Europe. Il étoit le plus ancien des Médecins
de la Faculté de Paris.
Dame Marie Gilberte de la Motte d'Apremont,
veuve de Mellire N. de S. Evremont , mourut le
7 , dans la Maiſon Abbatiale de Corneville , près
Pont-Audemer , dans la 89 ° année de ſon âge.
Le fieur Jean Lebeuf , Chanome honoraire
d'Auxerre , Penfionnaire de l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles- Lettres , eft mort le 10,
âgé de 73 ans. Il eſt Auteur d'un grand nombre
d'Ouvrages fçavans. Il a fait de grandes recherches
, fur les Antiquités Eccléfiaftiques.
Pierre-François de Chauvigny de Blot , Abbé
des Abbayes Royales de Celle- Frouin , Ordre de
S. Auguftin , & de Notre- Dame de Boras, Ordre
de Citeaux , Prieur Commendataire de Celly ,
Ordre de S. Benoît , Chanoine & Comte de Lyon ,
eft mort à Lyon dans les premiers jours d'Avril :
& le 12 du même mois , l'Abbé de Chabannes ,
Aumônier du Roi & Abbé de la Crete , Ordre de
Citeaux , Diocèfe de Langres , a été nommé par
le Chapitre , Comte de Lyon , à fa place.
Magdelaine le Danois,époufe du ficur de l'Ifle,
210 MERCURE DE FRANCE.
Aftronome- Géographe de la Marine , de l'Académie
Royale des Sciences , & Profeffeur au Col
lége Royal de France , eft morte à Paris le 22
Avril , âgée de quatre-vingt ans & quatre mois.
LA
AVIS.
A MANUFACTURE des Miroirs de Réflection ,
& des Glaces courbées , établie par Arrêt du Confeil
, vient de former fon entrepôt , pour la com
modité des Curieux , dans la rue des Prouvaires ,
la premiere porte - cochère à gauche , en entrant
par la rue S. Honoré .
Ces Miroirs font feuls tous les effets des Optiques
ordinaires , en leur repréfentant des Estampes
enluminées ou des Tableaux . Ils ont de plus , la
propriété de faire voir l'image d'un objet entre
leur furface & cet objet , enforte qu'un homme
touche avec fa main l'image de la main , voit un
bouquet ou une petite ftatue en l'air entre le miroir
& lui , voit revenir jufqu'à lui l'image de fon
épée nue , & c.
On fçait auffi que les rayons folaires réunis en
leurs foyers , donnent le feu le plus actif & le plus
violent , par le moyen duquel on peut fondre ,
calciner , analyſer tous les corps de la nature qui
rétiftent au feu commun ; enfin , en tenant, une
bougie commune à leur foyer , ils portent à plus
de , o pieds , une clarté figrande , qu'on peut lire
à cette distance pendant la nuit la plus obfcure.
On peut dans cette Manufacture faire courber
des Glaces ou Verres en toutes formes & grandeurs
, pour garnir des Croifées courbes , des Bibliothéques,
des Encoignures , &c. On peut même
les avoir étamées dans ces diverfes formes , s'il eft
néceflaire.
*
MAI. 1760.
21F
On y fait auffi des Louppes à l'eau , compofées
de deux Glaces courbées en portion de fphère,
& tellement travaillées , qu'elles tiennent l'eau
entr'elles , fans monture ni mnaſtic : elles peuvent
ainfi être fucceffivement remplies des diverfes
liqueurs dont on veut comparer la réfraction. La
poffibilité de faire ces Louppes de toutes grandeurs
, jointe à leur parfaite tranfparence , leur
donne fur celles de verre folide des avantages
qu'il feroir fuperflu de détailler.
On trouve de plus dans cette Manufacture des
Cryftaux de Pendules auffi réguliers & auffi beaux
que ceux d'Angleterre ; & comme il y en a plus
3000 tout faits , les Horlogers peuvent les
avoit fur le champ ; ce qui ne leur étoit pas poffible
avant cet établiffement ..
Enfin , les Curieux & les Artiftes font invités à
faire part de leurs idées fur les différentes applications
que l'on peut faire de cette manière de courber
& d'éta mer les Glaces : ils trouveront dans ce
nouvel établiffement toute la docilité & toutes
les facilités poffibles.
INSTRUCTION pour l'ufage d'un Emplâtre propre
à guérirles vapeurs des femmes & filles.
Comme il y a quantité de perfonnes du féxe ,
qui font fujettes à un dérangement de matrice ,
que l'on nomme vulgairement vapeurs , & que
cette maladie ne peut le traiter par la voye ordinaire
de la médecine , qu'avec un fuccès très-incertain
, & pour ainſi dire fort rare. Le Sieur Pitara
eftlefeul qui ait trouvé le fecret de les guerir
, par le moyen d'un Emplâtre qu'il diftribue
depuis environ neuf ans qu'il en a le privilége
du Roi.
Le nombre de Lettres & certificats qui lui ont
.3
212 MERCURE DE FRANCE.
été envoyés de toutes parts , prouve l'effet qu'il
produit chaque jour.
Il s'agit de faire connoître la nature de cette
maladie , occafionnée ordinairement par trois
différentes caufes.
La premiere , par un retard de Régles .
La feconde , par une peur .
La troifiéme , parun chagrin & des inquiétudes.
Les perfonnes attaquées de cette maladie ,furvenue
par une de ces trois caufes , peuvent fe fervir
dudit Emplâtre , que l'on applique fur le
nombril, lequel doit y refter juſqu'à ce qu'il tombe
de lui-même.
Quoique le premier Emplâtre puiffe opérer la
guérifon , comme il eſt arrivé très - fouvent ; il
confeille cependant de le répéter trois à quatre
fois , parce qu'il eft à préfumer que dans le cours
de trois à quatre Emplâtres , qui durent 7 à 9
mois , elles doivent être entierement guéries ,
comme l'expérience lui a fait connoître.
elt Le motif qui l'engage à le faire continuer ,
le changement qui arrive chaque mois aux femmes
& filles ; ce qui leur occafionne des révolutions.
Ledit Emplâtre peut fe conferver dix ans , &
peut s'envoyer dans une lettre .
Ledit Emplâtre a encore la vertu , en l'appli
quant au même endroit , de conferver le fruit
d'une femme enceinte qui n'a jamais pû le porter
julqu'au tems , à moins qu'il n'arrive en accident
dont elle feroit dangereufement bleſſée.
Le fieur Pittara a reçu un Certificat d'une Dame
de diftinction de Paris , qui étoit à fa quatrième
fauffe couche l'ufage dudit Emplâtre lui a confervé
le fruit de fa cinquième groffelle , & a continué
depuis à accoucher dans fon temps. Plufieurs
autres , qui ont été dans le même cas , ont
éprouvé le même effet.
MAI. 1760. 213
Il avertit que celles qui fe ferviront dudit Em
plâtre , ne pourront faire . ufage de Gaffé à l'eau ,
ni de liqueurs , & ne fe feront laigner ni purger, à
moins qu'une autre maladie les y oblige : auquel
cas , elles laifferont toujours ledit Emplâtre jufqu'à
ce qu'il tombe.
On obferve auffi que cet Emplâtre eft encore
propre pour les femmes qui doivent perdre leurs
régles ; dans lequel tems elles fouffrent beaucoup.
Et par l'expérience qui a été faite, en pareil cas, de
l'afage de ce reméde, les perfonnes ont été exemptes
des maux que la fuppreffion des régles occafionne
toujours.
En 175.1 8.1752 , le fieur Pitara a été annoncé
dans le Mercure du mois d'Octobre.
Le 24 Juillet 1752 , ika été annoncé dans les
petites affiches, avec un Certificat tout au long de
la fufdite Dame de Paris .
Le 30 Mars 1753 , dans la Gazette d'Hollande .
Le 14 Septembre , dans la Gazette d'Avignon..
Le 10 Janvier 1754 , répété dans les petites
nouvelles , avec différentes preuves de l'efficacité
de fon reméde.
Avis aux. Souferipteurs du Dictionnaire univerfel
des Sciences Eccléfiaftiques,
Le Sieur Jombert , Imprimeur- Libraire du Roi,
rue Dauphine, à Paris, commencera à délivrer les
deux premiers volumes , en feuilles , du Dictionnaire
des Sciences Eccléfiaftiques , dans les premiers:
jours du mois de Mai . Ceux des Soufcripteurs qui
jugeront à propos de fe procurer ces deux volu
mes brochés pourront les lui demanden , en lui
en payant la brochure : mais il ne fe chargera
point de les faire relier , l'impreffion étant ene
core trop fraiche .
214 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur Savoye , Valet de Chambre de M. le
Bailli de Fleury , a de la véritable Eau de fleur
d'Orange de Malthe , qu'il vend 6 liv . la bouteille
de pinte . Il demeure rue de la Ville-l'Evêque ,
Fauxbourg S. Honoré , au N° . 8,
Faute à corriger, à quelques exemplaires de
ce Volume.
Page 74 , après les deux premiers vers du
Vaudeville , ajoutez celui - ci :
Par le reſpect , témoigner fon ardeur.
J'Arla,
APPROBATION.
>
'Ai lu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le Mercure du mois de Mai 1760 & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 30 Avril 1760. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
PORTRAIT • ORTRAIT de Mlle B ***
Daphné & Coridon , Eglogue.
Epître , à M. le Comte de ***,
Pages
9
II
Lettres & Mémoires de Mlle de Gondreville
& du Comte de S. Fargeol. Seconde Partie. 15
Scène cinquiéme, du premier Acte du Caton ,
d'Adillon. 61
MA I. 1760. 215
Madrigal.
Vers , à Madame Dori... de Gol ... pour être
mis au bas de fon Portrait.
Les Talens de l'Eſprit , Poëme.
Les Amours à la mode , Vaudeville.
Vers ,fur la mort de M. Thurot.
63
64
65
74
75
76
qui a donné au
79
81
82 &83
84
Epître Familiere , à M. ***** , Curé de S. **
Portrait de Mlle de B**** , fille de Madame
la Marquife de B ****
Public les Bagatelles amufantes.
Enigmes.
Logogryphes.
Chanfon .
›
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Lettre de M. de Grace , à l'Auteur Anonyme
d'un Livre intitulé , Culte des Dieux Fétiches
&c.
Extrait , de la Logique des Dames.
Recherche critique , fur l'origine des Mafques
, Par un Sçavant de Province.
Mémoire hiftorique , fur le Mercure de
France .
Annonce des Livres nouveaux .
85
106
119
127
131 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES .
ACADÉMIE S.
Extrait de la Séance publique de l'Académie
des Belles- Lettres de Caën.
MATHÉMATIQUES .
Extrait de la lettre de M. Thomin , Ingénieur
en Optique de la Reine , &c.
141
145
216 MERCURE DE FRANCE
GÉOMÉTRIE.
Deſcription de l'Ellipfe, par le moyen du cercle
, par M. Jean-Antoine Glenat.
ART. IV. BEAUX - ARTS .
ANTS AGRÉABLES..
PEINTURE.
Réponse de M. C ** , à des obfervations d'Amateurs
, inférées dans l'Obſervateur Littéraire.
ARTS UTILES.
Deſcription d'une Pendule à Secondes , qui
marque le temps moyen & le temps vrai
146
252
& c.
163
Muſique. 176
ART. V. SPECTACLES.
Opéra. 178
Comédie Françoife..
179
Comédie Italienne.
183 &fuiv.
Concert Spirituel. 196
Mariage & Morts.
Avis.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
La Chanfon notée , doit regarder la
201
203 & fuiv.
210 &fuiv.
page 84.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
ruë & vis -à- vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUI N. 1760 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silince inv
PaykenSculp
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife.
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftias.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , in s'abonnant
, que . 24 livres pour. feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci deffus.
A ij
Un juppite les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit ,
Le prix de leur abonnement , ou de donner
Leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
referont au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
JUI N. 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMITATION DE L'ODE D'HORACE.
Vixi puellis nuper idoneus &c.
JADIS, ADIS, du tendre amour quand je fuivois les loix ,
D'un coeur avec fuccès je tentois la conquête ;
Les myrthes de Paphos embellifoient ma tête ,
Et tout retentilloit du bruit de mes exploits.
Aujourd'hui , que les ans exerçant leur empire,
Ont tari dans mon coeur la fource des plaifirs ,
Au temple de Vénus j'ai fufpenda ma lyre ,
Et mes plus doux tranfports ne font que vain
Loupirs. A iij
1
6 MERCURE DE FRANCE.
Chers amis , mettons bas ces armes ,
Ces inftrumens vainqueurs des portes,des verroux;
Laiffons dormir en paix les meres , les époux ;
Notre impuiffance , hélas ! met fin à leurs allarmes.
Mais fi ma foibleſſe eſt le prix
Des affauts répétés qu'a livré mon courage ;
Vénus ! punis l'orgueil de Chloé qui m'outrage ,
Et venge- moi de fes mépris.
Par M. DESMORTIERS de Nantes .
VERS ,fur l'Impératrice de RUSSIE.
FILLE ILLE d'an Héros, que la Grèce
Eût mis au rang des Demi - Dieux ;
ELISABETH , par fa lagèſſe ,
N'eft pas moins auguſte à nos yeux :
Conftante dans cette harmonie ,
Qui joint les voeux de la Ruffie
A ceux de THERESE & LOUIS ;
Elle fçait acquérir la gloire
D'intéreſſer à ſa mémoire
PETERSBOURG & VIENNE & PARIS.
Par M. DE LANEVERE , ancien Mousquetaire
du Roi ; à Dax , 1760.
JUIN. 1760.
LES DANGERS DE L'HYMEN ,
A Madame T. de C. qui me difoit de
me marier.
Mufette, à mettre en chant.
Où les Dieux l'ont -ils fait naître ,
L'objet qu'ils m'ont deſtiné ?
Et comment, pour le connoître ,
Serois-je affez fortuné ?
Quand d'ailleurs fur vous , Glicère ,
L'Amour eut pû le former ;
Si comme vous il fait plaire ,
Comme moi fait- il aimer
En vain l'écho nous répéte ,,
Qu'il eft doux de s'engager ;
Effayons, für ma Mufette,
D'en faire voir le danger.
Que le choix eft difficile ,
D'où dépend notre bonheur !
Pour un bon , il s'en fait mille ,
Dont s'effraye un tendre coeur.
Lorfque d'un tendre esclavage ,
Vous voulez fubir les loix ; .
Tourtereaux de ce bocage ,
A iv
$
MERCURE DE FRANCE.
Vous faites fans crainte un choix.
Vous ignorez les allarmes
Que l'hymen cauſe aux époux :
Pour vous il n'a que des charmes ,
des regrets pour nous !
Et
que
Dois-je céder à l'envie
D'imiter vos tendres feux ?
Une Compagne chérie
Manque fans doute à mes voeux.
Mais , malgré mon coeur , j'hésite
A fuivre un fi beau penchant :
Chez vous tout m'en follicite ,
Chez nous tout me le défend.
Une jeun: Tourterelle,
Remplit elle vos fouhaits s
De fon coeur toujours fidelle
Vous nevous plaignez jamais.
Les doux fruits de cette fiâme,
N'éteignent point vos ardeurs :
Hélas ! fouvent , dans notre âme
Le dégoût naît des faveurs !
Puifque je ne puis atteindre
A votre félicité ,
Je vis en paix fans me plaindre ,
Au fein de la liberté.
Dans mes chansons bocageres ,
Jerends hommige aux Amours :
JUIN. 1760 .
و
Mais j'évite les Bergeres....
Puiflé-je les fuir toujours
Par M. le Chevalier de JUILLY DETHOMASS
VERS demandés , pour mettre au bas du
Portrait de M. de VOLTAIRE.
QUIvi fçut jamais réunir tous vos dons ?
Demandoit , aux neuf Sceurs , le Dieu qui nous
éclaire.
Vois ces traits , dit Clio, qu'ont tracé nos crayons...
Phoebus fourit , & reconnut VOLTAIRS .
Par le même.
SONNET , inferit jur une Rocaille , ornée
de jets d'eau. Sur cette Rocaille , étoit
repréſenté, en relief, Apollon ordonnant
be fupplice du Saryre Marfias.
SURU R ce roc émaillé qu'arrofe l'hypocrène ,
Apollon exercoit fa lyre & fes accens :
L'Olympe, à l'écouter, fe tenoit en fufpens ;
Et Zéphire enchanté retenoit fon halei e.
Marfias y parut ; & fon audace vai é ,
Difputoit à ce Dieu la beauté de fes chants :
Mais l'imprudent Satyre apprit à fes dépens ,
Qu'un défi téméraire eft fuivi de la prines
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Voyez vous ce vainqueur , en fon jufte courroux,
Ordonner les tourmens de l'orgueilleux jaloux ;
Aux cris les plus affreux , refufant de ſe rendre ?
Sitous les faux Savans qui brillent aujourd'hui ,
Etoient pour même fait , écorchés comme lui ,
Dieux qu'il le trouveroit des peaux d'ânes à
vendre.
Par M. le Chevalier de C.
LE LYS ET LA ROSE ,
FABLE.
A Mademoiselle... qui m'en a donné
SUR la Rofe le fujeto
UR la Rofe ,
le Lys vouloit avoir le pas ;
Et du Lys , à fon tour , la Rofe
Pretendoit éclipfer les orgueilleux appas.
De fon côté , chaque fleur bien éclofe ,
Alloit créver pour trop s'épanouir.
La Rofe, petite maîtreſſe,
Difoit au Lys : ton blanc eft d'un fade à périr !
Et le Lys répondoit , en tranchant de l'Alteffe,
Ton rouge à toi , ton rouge , eft trop pâle ou
trop vif.
L'Amour , fe promenoit : il entend la querelle.
Alte- là ! cria-t- il , d'un ton impératif...
Le Lys eft beau , la Rofe eft belle ,
JUIN. 1760.
If
Et fur le tein d'Eglé , pour affurer leur paix ,
Tous deux fleuriront déformais.
Aux deffeins de l'Amour,Rofe & Lys de foufcrire ...
Mais s'en tinrent -ils au minois?
Non , ces fleurs ont plus loin , je crois ,
Etendu leur brillant empire.
Par M. GUICHARD.
EPITRE à M. l'Abbé AUBERT.
DEPE Phédre , heureux imitateur ,
Abbé , malgré l'art & l'adreffe
$53,7
De votre discours enchanteur ;
Des Mufes & de leur tendreffe ,
Je fuis très-fort le ferviteur ,
S'il faut dans un dur esclavage ,
Moins leur Amant que leur Epour ,
Et de l'hymen & du ménage
Souffrir les éternels dégoûts .
Des coeurs aimable enchantereffe ,
Donce & volage liberté,
Tu feras toujours ma maîtreffe !
Et je veux , par légereté ,
Etre conftant dans ma promeffe.
Rien n'eft tel que la nouveauté :
Elle ajoute aux grâces des Belles ;
A vj
12 MERCURE DE FRANCE
C'en eft le fard ; & chaque jour ,
Il faut des guirlandes nouvelles,
Pour parer la Mere d'Amour.
Au gré du caprice frivole ,
Je me livre au premier deſir :-
Je fuis , reviens , vole , & revole ,
Toujours guidé par le plaifir..
Des divers Tableaux de l'Hiftoire ,
Hier ,tout-à- coup enchanté ; ,
Jaloux d'en meubler ma mémoire,
Je lifois la honte & la gloire
C
Des Rois & de l'humanité..
Aujourd'hui , la Philofophie ,,
M'engage par la gravité ::
A fes ronces je facrifie
Les roles de la volupté..
Epris des charmes d'Uranie ,.
Demain , dans les Cieux tranſporté,
De Newton fuivant le génie ,.
Firar contempler l'harmonie
De cet Univers limité ;
Mais qui, dans fa grandeur finie ,,
D'un Dieu prouve l'immenfité..
Poffédé d'une autre manie ,,
Bientôt j'en ferai dégoûté ;;
Et fans autre formalité ,
JUIN. 1760 . 1;
Je reviendrai chez Terpficore ,
Prendre le goût que j'ai quitté ,
Pour le pouvoir quitter encore.
Feune , je connois peu la Cour
De la Reine & du Dieu des Belles.
Mais je fais bien que mon amour,
Dans tous les tems aura des aîles
Pour s'envoler , fr chaque jour
Je ne cueille des fleurs nouvelles..
Je laifle à nos Héros Amans
L'ennuyeufe perfévérance :
".
Mon coeur, ani de l'inconftance ,
L'exile aux pays des Romans.
Je trouve le papillon fage ,
Qui , plus libertin qu'amoureux ,.
Par l'attrait du plaifir s'engage ,
Sans fixer fon coeur & fes voeux :
Moins vif, moins fripon , moins volage ,
Sans doute il feroit moins heureux.
En un mot , je ne fuis fidéle ,.
Qu'aucant que dure le plaiur..
J'imite la fage hirondelle :
Je m'envole , avec le zéphir
14 MERCURE DE FRANCE.
SUITE , & Conclufion des Lettres &
Mémoires de Mlle de Gondreville , &
de M. le Comte de S. Fargeol.
Avertiffement de l'Editeur.
UNE lacune affez confidérable , qui ſe
e
trouve dans le Manufcrit , me force à
paffer de la 35 Lettre à la 46 ° : ce qui
nuiroit fans doute à l'intérêt dont cette
hiftoire a paru jufqu'ici fufceptible , fi
la fuite des faits interrompuë par cette
même lacune n'étoit pas clairement indiquée
dans ce qui refte à lire. On peut
en effet préfumer , par différens paffages
des Lettres fuivantes , que la Comteffe
de S. Fargeol eft morte peu de temps
après l'arrivée de Mlle de Gondreville à
l'Abbaye de Jouare ; que cette Dame ,
avant que de mourir , a defiré que fon
mari époufât Mlle de Gondreville ; que
c'est dans cette intention qu'elle a donné
, ou envoyé à cette Demoiselle , le
portrait du Comte ; & que c'eft en partant
de ces difpofitions , que Mlle de
Gondreville a écrit la Lettre fuivante.
JUIN. 1760. 15
QUARANTE- SIXIÉME LETTRE ,
De Mlle de Gondreville , à M. le Comte
de S. Fargeol.
SI quelque chofe , mon cher Comte ,
a jamais eu droit de me faire plaifir, c'eſt
affûrément de recevoir votre portrait.
Mais je fens qu'il n'eft point de biens
dans ce monde , que la douleur n'empoifonne.
J'aurois été défefpérée , dans les
circonftances préfentes , de le tenir de
vous; & quelque fenfible que je fois à l'amitié
de celle qui me le donne , c'eſt un
fentiment mêlé de tant d'horreur , que
j'aurois donné ma vie pour n'être jamais
à portée de recevoir une telle marque de
fon fouvenir & de fa tendreffe. Mais il en
eft un, qui déchirera fans ceffe mon coeur :
c'eft , mon cher Comte , d'avoir été choifie
pour percer le vôtre. Se peut- il , ô Ciel !
que Madame de S. Fargeol nous connût
fi peu , que de nous juger capables de
l'oublier jamais ... Je pardonne à M. le
Vicomte l'imprudence qu'il a faite , en
me communiquant les dernieres volontés
de fa nićce il me punit de celle que
j'ai commife , en m'en chargeant ; mais
4
16 MERCURE DE FRANCE.
je ne vous pardonnerois de ma vie d'y
avoir eu part. Oui ! je crois que je vous
mépriferois , s'il m'étoit poffible de vous
en foupçonner... Mais non , mon cher
Comte , vous ne me mettrez jamais dans
le cas de changer de fentiment pour
vous. Madame de S. Fargeol , ( je ne
crains point de vous rappeller fon fouvenir
, ) n'étoit plus en état de juger ſainement
de la folidité de votre âme. La
fienne , prête à l'abandonner , a pû penfer
que le terme de fon amour devoit ,
ou pouvoit être le terme du vôtre . Elle n'a
pas mieuxjugé de ma propre foibleffe . Elle
a cru que mes difcours, que mes confeils,
auroient le pouvoir & la force de vous
confoler de fa perte ! elle s'eft encore
trompée je fuis fi pénétrée de ma propre
douleur , que je fuis & ne ferai jamais
bonne qu'à nourrir la vôtre. Je vais,
cependant ufer du droit qu'elle me
donne ; mais ce fera pour vous exhorter
à conferver vos jours. Si vous en devez
le facrifice à la perte que vous avez faite ,
vivez ; c'eſt le moyen de rendre ce facri
fice perpétuel , & par conféquent plus
digne de celle à qui vous avez à l'offrir.
Après ce confeil , qui ne peut manquer
d'être conforme à votre façon de penfer;
j'ai , mon cher Conite , une grace à ob-
:
JUIN. 1760.
IT
tenir de vous ou plutôt un ordre à vous
donner Je conferverai chèrement votre
portrait , jufqu'à la mort ; il fera ma confolation
dans ma retraite mais oubliez
tellement tout ce qui me concerne , relativement
aux difpofitions de Madame de
S. Fargeol , que vous ne m'en parliez jamais.
Vous ne pourriez le faire , fans perdre
quelque chofe de mon eftime ; &
par conféquent , fans m'offenfer.Ne foyez
point inquiet de mon fort : ma douleur
le décide. J'avois offert à Dieu le facrifice
de ma liberté , s'il daignoit vous rendre ,
à ma priere , la feule femme qui fût digne
de vous. Mes voeux n'ont point été
exaucés ; nous l'avons perdue : ce que fa
confervation m'eût mile dans la néceffité
de faire , fa perte me le confeille. Et j'aurai
même la confolation d'agir avec toute
ma liberté , en la facrifiant à ma douleur.
Nous n'en ferons pas moins unis ,
mon cher Comte : votre amitié répondra
toujours à la mienne . Nous nous unirons
pour pleurer , vous la plus chère & la
plus eftimable des femmes , moi la plus
tendre & la plus reſpectable amie. Puiffe
ce traité , fait entre nous , vous donner
le courage de prendre foin de vos jours ,
comme il m'aflurera la douceur de vivre
& mourir , Votre Amie.
18 MERCURE DE FRANCE.
QUARANTE JARAN - SEPTIÉME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle
de Gondreville.
J
peu
' AUROIS honte de vivre ,Mademoiselle,
fi vous ne m'aviez appris à quel titre la
vie peut encore m'être fupportable ; &
eu s'en faut , que vous n'ayez trouvé
le fecret de me la rendre chère . Je ne
trahirai ni vos confeils , ni vos ordres : je
pleurerai fans ceffe ce qu'il y avoit de plus
aimable au monde , ce que j'ai uniquement
& fi tendrement aimé, ce que j'aime
encore, & que j'aimerai toujours. Hélas !
je fuis obligé d'en convenir , mes jours
ne peuvent être affez longs pour lui payer
le tribut de larmes que je lui dois ! Mais il
eft auffi une grace, que j'ofe vous deman
der. Vous avez délivré mon coeur d'un
poids énorme dont il étoit accablé ; je ne
vous le cache point : cependant je ne puis
fouffrir l'idée du facrifice de votre liberté.
Cette réfolution m'étonne : elle offenfe
même ma délicateffe . Auriez - vous crú
devoir être jamais dans la néceffité de vous
armer contre mon inconftance ? Non ,
JUIN. 1760: 19
Mademoiſelle, vous n'aurez point à m'accufer
d'avoir changé de fentiment , ou de
m'être éloigné des vôtres : je veux y ref
ter uni tant que je vivrai. Mais n'eft- ce
pas vous séparer vous - même de cette
union de larmes & de regrets que vous
me propofez , que de vous réfoudre à
ane retraite qui nous fourniroit fi rarement
les occafions de pleurer enſemble >
Non , encore une fois : ce feroit nous
trahir l'un & l'autre ! j'ai trop de confiance.
dans votre fincérité , que je connois , pour
ne le pas penfer. Enfin , Mademoiſelle ,
il est peut- être un moyen de réunir nos
douleurs ; moyen qui , fans flatter votre
délicateffe ni la mienne , fatisferoit en
quelque forte aux difpofitions de ma
chere femme , dont les moindres volontés
ont été & feront éternellement pour
moi des loix inviolables. Je compte vous
faire part , au premier jour , d'un projet
enfanté par ma douleur & par ma tendreffe.
Trop heureux ! fi ne pouvant vous
appartenir autrement , je réuffis à m'affürer
pour le refte de ma vie le titre.
de , Votre ami.
Ce qui fuit étoit au bas de cette lettre , de
la main du Vicomte.
Je n'ajoute rien , Mademoiſelle , à ce
20 MERCURE DE FRANCE.
que mon neveu vous écrit . Sa lettré
peut fervir de réponse à celle que vous
n'avez fait l'honneur de m'écrire : je fuis
de fon avis , fur le parti de la retraite.
Je ne fçais ce que vous penferez , de ſes
projets : je lui laiffe la liberté de s'en expliquer
avec vous . Nous ferons , Mardi ,
de bonne heure, à la Ferté ; & nous y cou
cherons , après avoir confacré le refte
de la journée au bonheur de vous voir
à Jouare , pour reprendre le lendemain
la route de Paris. Recevez les affurances
de mon reſpect ,
Le Vicomte de T....
Je n'eus pas befoin d'une grande faga
cité,pour deviner quel étoit le projet de M.
le Comte de S. Fargeol . J'avois fans doute
lieu d'être contente de fa façon de penfer,
par rapport à lui-même : je ne lui aurois
pas pardonné de penfer autrement . Mais
j'avoue , que j'avois quelque regret d'être
obligée de convenir qu'il penfuit auffi
fenfément & auffi convenablement , par
rapport à moi ! Cependant , il ne me
fallut qu'un moment de réfléxion fur
mon état , & fur le defir que j'aurois
eu de paffer ma vie avec un ami qui
m'étoit fi cher, pour fentir tout l'avantage
de la propofition que j'étois prèfque fûre
JUIN. 1760.
21
qu'il devoit me faire , & pour me déterminer
à l'accepter. Auffi les deux jours
entiers qui fe pafferent entre la réception
de la lettre de M. de S. Fargeol , &
fon arrivée à Jouare , ne changerent- ils
rien à ma réfolution : Mon coeur ne me
trahit point par les divers mouvemens
dont il fut agité ; je n'avois point à me
plaindre du Comte : il étoit tel que je
l'avois fouhaité. J'avois , fans doute , defiré
plus d'une fois de m'unir avec lui.
Dans le projet que je lui fuppofois , nos
âmes devoient être unies : c'étoit le feul
eſpoir qui pût m'être alors permis ; &
le feul dont je puffe être flattée . Le
Comte de S. Fargeol , & le Vicomte fon
oncle, arrivèrent à l'Abbaye , fur les deux
heures après-midi , comme ils l'avoient
projetté. Leur premier foin, fut de vifiter
Madame l'Abbeffe. Ils avoient des graces
à lui rendre ils s'en acquitterent. Et
cette Dame , après avoir reçu leurs complimens
, & leur avoir fait les fiens , ne
laiffa pas languir longtems le defir qu'ils
marquerent l'un & l'autre de me voir.
Elle me fit appeller ; & voulut que je reçûffe
leur vifite dans fon parloir . Pleine
d'égards pour tout le monde , elle fe leva
pour rentrer dans fon appartement auffitôt
que je parus à la grille : ne voulant
22 MERCURE DE FRANCE:
point , dit- elle ( avec fa politeffe ordinaire
, ) gêner notre converfation . Les premiers
inftans de cette douce & cruelle
entrevuë , furent entierement confacrés
aux larmes. Les miennes, avoient prévenu
mon arrivée au parloir :j'en étois déja toute
inondée , lorfque je parus aux yeux du
Comte de S. Fargeol . Les fiennes redoublèrent
, à ma vue ; & nous fumes longtemps
fans que nos voix pûffent s'exprimer
autrement , que par des foupirs &
des fanglots . Le Vicomte lui - même ne
put s'en défendre. Plus courageux que
nons , il tenta plus d'une fois de nous
diftraire de ce douloureux attendriffement
mais fon amitié lui en fuggéra
bientôt un moyen ingénieux . Ce fut de
rappeller à fon neveu les obligations
qu'il avoit à la Soeur Benedicte , & la
néceffité de l'en remercier. En effet , il
n'eft fouvent befoin , pour déranger le
cours des mouvemens de notre âme , que
de la fixer par une attention imprévue
fur un objet étranger. Le Comte convint
de la juſteſſe de la réfléxion de fon oncle;
& je me fentis moi-même foulagée par
l'occafion qu'il me fourniffoit de me dérober
quelques inftans à ma douleur ,
* Qui , probablement , avoit rendu des foins à
Madame de S. Fargeol , pendant fa maladie.
JUIN. 1760. 2.3
pour aller avertir cette Soeur. Peut-être
avions- nous , le Comte & moi , le même
embarras & les mêmes craintes : j'aurois
voulu pouvoir éloigner la propofition
que je fçavois qu'il avoit à me faire ; &
il n'étoit pas de fon côté fans défiance
fur la réponſe qu'il attendoit de moi .
Quoiqu'il en foit , la Soeur Benedicte arriva.
Elle reçut , & fit des remercimens ;
nous quitta bientôt après ; & nous laiſſa
tous dans une affiette plus tranquille. Ce
fut , pour nous , comme une efpèce de feconde
entrevue , qui n'avoit plus pour
aucun de nous toute l'horreur du premier
moment. Je profitai la premiere de cette
heureuſe fituation , pour faire fentir au
Comte combien j'avois été fenfible au
don de fon portrait , & à la déférence
qu'il avoit eue pour les intentions de
celle qui me l'avoit deftiné .
$
Ah Mademoiſelle ! me dit - il , fes
volontés ont toujours été la régle des
miennes , & le feront tant que je
vivrai. +
Il n'y a point de régle , lui répondisje
, qui ne fouffre quelque exception.
J'aurois été fâchée , fans doute , que
Vous n'euffiez pas approuvé cette premiere
difpofition qu'elle a daigné faire
en ma faveur mais , pour tout le refte ,
24 MERCURE DE FRANCE.
Vous fçavez quelle eft ma façon de
penfer : & je rends juflice à la vôtre . Plus
les perfonnes nous font chères > moins
en
elles ont droit de nous confeiller une
lâcheté ; & ce feroit leur manquer à
elles- mêmes , que d'y condefcendre .
J'aurois fait cette réfléxion comme
vous , Mademoiſelle , fi j'avois
beſoin de la faire ( répondit le Comte. )
mais , permettez- moi de vous le dire ,
c'eſt à vous-même que j'ai recours pour
'm'aider à prendre un parti qui ne bleffe
ni mes fentimens , ni mon honheur.
Ah mon cher Comte ! lui dis - je , rien
ne me coûtera , pour vous conferver
l'un & l'autre.
En ce cas , reprit - il , je puis donc
exécuter autant qu'il eft en moi les
dernieres volontés d'une femme fi
juſtement , & tendrement aimée.
Vous le fâvez , Mademoiſelle , mon
oncle a connu comme moi tout votre
'mérite ce que je n'étois plus en
état de faire , il l'a fait ; il s'eft offert
des à vous. Votre générosité pour
& qui objets qui n'exiftent plus
n'exifteront jamais , vous a feulement
empêché de répondre à fes voeux ;
vous avotiates vous -même alors , je m'en
fouviens , que vous trouviez dans fon
>
choix
JUIN. 1760. 25
choix tout ce qui pouvoit faire votre
bonheur & fatisfaire votre ambition ;
les fentimens font aujourd'hui les mêmes
; & fi vous n'en aviez point changé.
...
› Non Monfieur , ( lui dis - je , avec
affez de fermeté , ) fi M. le Vicomte
me fait encore l'honneur de penfer
à moi , je me tiendrai trop heureuſe
d'obtenir des perfonnes qui daignent
s'intérefler à mon fort la liberté de
répondre aux bontés que vous m'affurez
qu'il veut bien avoir pour moi ,
& de former des liens qui me feront
d'autant plus précieux que je les regarderai
comme un titre pour vous appar !
tenir en quelque forte .
20
Mademoiſelle , ( interrompit le Vicomte
, je fens tout le prix du facrifice
que vous me faites : j'en fuis pénétré
de reconnoiffance ; & je n'ai
rien tant à coeur , que de m'en rendre
digne. Je l'efpere , Mademoiſelle mais
c'eft à mes foins , & peut être au
temps à m'apprendre fi je ne
me fuis
point trop flatté. Le deuil de nos
coeurs n'eft guères compatible avec la
joie pure & fans mêlange qui doit accompagner
des liens tels que je les projette..
....
B
}
26 1 MERCURE DE FRANCE.
Vous me prévenez , Monfieur , ( in
terrompis - je à mon tour , vous êtes ›
affûrément le maître de ma deftinée ; je
ne me repentirai jamais de l'aveu que
je vous en fais mais il appartient au
temps de mettre nos fentimens en liberté
de paroître ceux dont nous fommes
tous pénétrés , font les feuls auxquels
il nous foit permis & poffible de nous
fivrer.
: Vous en adouciffez l'amertume , ( me
dit le Comte ; ) oui , Mademoiſelle , dans
le comble du malheur qui m'accable ,
vous me faites éprouver un genre de confolation
, auquel je ne puis refufer d'être
fenfible.
Je ne rapporterai que ceci , d'un entretien
qui dura plus de trois heures.
Le Comte de S. Fargeol lui - même , diftrait
autant qu'il nous fur poffible des
accès de fa douleur , y prit part avec
affez de tranquillité ; & peu s'en fallat
qu'il ne reprit quelquefois fon état naturel
, lorfqu'en fe repréfentant qu'il
faifoit le bonheur de fon oncle & te
mien , il fe flattoit que notre union re
pandroit au moins quelque douceur fur
une vie qui lui éroir à charge. J'appris
enfin de fui , dans le cours de notre
converfation , qu'il feroit inceffamment
JUIN. 1760 : 27
n voyage en Allemagne , pour y terminer
quelques affaires d'intérêt avec
les parens de fa femme , & en ramener
s'il étoit poffible le jeune Wonholten ,
fon beau-frere , que Madame de S. Fargeol
lui avoit encore recommandé en
mourant. Il me dit , que ce voyage ,
T'approchant néceffairement de la Cour
de S... dans laquelle il avoit fait quelque
féjour & pouvoit le flatter d'avoir
obtenu quelque confidération , il feroit
charmé de fe trouver à portée de m'y
rendre fes fervices. Je les acceptai ; &
j'allai , fur le champ , chercher les lettres
originales du Prince de S... à ma
mere , avec les autres papiers qui y
étoient joints , ainfi que le Comte m'en
follicita. Je les lui remis , pour en faire
fufage qu'il jugeroit à propos ; & nous
nous féparâmes enfin , non fans verfer
encore des larmes , mais avec des fentimens
de tendreffe qui les rendirent
moins amères. Le Vicomte s'arrêta feul
un moment , au parloir ; & me dit :
" Mademoiselle , j'ai trop l'honneur de
Vous connoître , pour avoir à vous
prier de vous fouvenir des
engagemens
que nous venons de prendre enfemble
; & je fuis trop fenfible au plaifir
de penfer que je puis faire un jour
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
votre bonheur › pour que vous puiffiez
douter que je m'en fouvienne.
Mais j'ai une grace à vous demander' :
Je fais qu'il feroit peu décent que vous
vous engageaffiez à rien , fans le confentement
des perfonnes qui s'intéreffent
fi juftement à votre fort : permettez
- moi de faire mon affaire de
l'obtenir. L'année du deuil de . M. de
S. Fargeol , eft un terme bien long
pour mes defirs . cependant j'ofe vous
demander ce terme , avant que perſonne
foit inftruit de nos projets.
J'affurai le Vicomte , que je ferois
fidéle à la parole que je venois de lui
donner ; & j'eus moins de peine encore
à lui promettre que je garderois cette
affaire fecrette pour tout le monde ,
jufqu'à ce qu'il m'eûr lui-même permis
de la révéler. Nous nous quittâmes ainfi ;
lui , paroiffant extrêmement content de
ma complaiſance , & moi bien plus contente
du fecret & du délai qu'il exi
geoit de moi. Mais ce qui me caufoit
une fatisfaction plus fenfible encore ,
c'étoit d'avoir vu le Comte , & de
l'avoir vu dans un état qui me faifoit
efpérer que fa douleur ne prendroir rien
déformais fur fa fanté. Je me flattai que
la diſtraction du voyage qu'il fe dif-
-
JUIN. 1760. 2f
pofoit à entreprendre acheveroit de difhiper
cette trifteffe profonde qui m'avoit
allarmée pour fa vie. Plus d'un
mois fe paffa dans le filence , de part &
d'autre , pendant lequel j'eus de fréquentes
téntations de lui écrire mais
je me trouvai toujours fi embaraffée de
favoir comment m'y prendre , qu'il me
fut impoffible d'en former la réfolution .
J'en vins même jufqu'à me perfuader
qu'après ce quil venoit de fe paffer entre
nous , il ne me convenoit plus de prévenir
le Comte , comme je l'aurois fait
en toute autre circonftance. J'amufois
ains mon impatience , fans la détruire ;
lorfque je reçûs enfin la lettre qui fuit.
QUARANTE-HUITIEME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mlle de
Gondreville.
Qu'
U'IL eft cruel , Mademoifelle , pour
une âme tendre & fenfible , d'être fans
ceffe contrariée par d'importuns devoirs
dans le fentiment d'une douleur auffi légitime
que la mienne ! Telle eft ma fituation
depuis un mois que je fuis ici. Les
vains complimens de la Cour , les affi-
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
T
duités incommodes de la Ville m'ont
obfédé jusqu'à ce moment ; & c'eft le
premier que j'aye été le maître de don
ner à mes larmes & à l'amitié. Qu'elle
m'eût été néceffaire cette amitié tendre
& compâtiffante Oui , Mademoi→
felle , je ne feins point de vous le dire ,
fi quelque chofe m'a foutenu contre
l'ennui de tant d'importunités , fi quelque
chofe me ſoutient encore contre les ac
cès de ma douleur , c'eft le fouvenir des
derniers momens que j'ai paffés près de
vous à Jouare ; ce font les feuls que
j'aye trouvés fupportables depuis que
j'ai perdu tout le bonheur de ma vie
les feuls , qui ayent eu le pouvoir de répandre
dans mon âme une apparence de
tranquillité à laquelle je croyois devoir
renorcer pour jamais , & que je ne trou
ye plus depuis que je vis éloigné de vous.
Je fçais que votre complaifance confent
à me l'affurer pour l'avenir ; & il est vrai
que l'efpérance de vivre un jour avec
vous , peut toute feule me rendre moins
à charge l'idée de vivre encore. Mais
n'eft-ce pas m'être cruelle , que de renvoyer
à un terme fi long une union qui
dès aujourd'hui pourroit me faire aimer
la vie le tendre & vif attachement de
mon oncle vous eft connu je fuis afſuré
JUIN. 1760.
de fon empreffement ; il n'aura point
d'autre volonté que la vôtre ; & je n'aurois
befoin que de votre aveu pour l'engager
à ne pas différer de fe rendre heur
reux. Si ma trifteffe & mon deuil vous
femblent un obstacle aux apprêts d'un
engagement que j'ai tant à coeur , parce
que j'imagine qu'il doit faire notre com
mune félicité ; mon départ pour l'Allemagne
vous en délivrera bientôt : &
j'emporterai du moins avec moi cette
confolation de penfer qu'à mon retour
il me fera permis de partager le bon
heur de tout ce qui me refte de cher au
monde. Il m'eft doux , Mademoiselle ,
de me flatter que mes réfléxions aurone
quelque pouvoir fur votre délicatelle. Je
fçais combien les derniers voeux d'une
amie,qui vous aima fi tendrement , doir
vent avoir de droits fur un coeur comme
le vôtre ceux que je forme aujourd'hui
ne doivent point vous déplaire. Cepen
dant , je me reprocherois de les avoir
formés fans votre aveu , fi j'étois für de
vivre aſſez longtemps pour les voir un
jour s'accomplir. Soyez donc la maîtreffe
du temps & des arrangemens à prendre
pour un engagement que vous avez cru
pouvoir faire votre bonheur ; & que j'imagine
peut- être , trop ardemment , de-
Biv
31 MERCURE DE FRANCE.
voir faire quelque jour le mien mais
laiffez-moi jouir de la douce idée de perfer
que votre coeur ne fe refufera point à
l'unique confolation à laquelle le mien
puiffe déformais être fenfible. Oui , Mademoiselle
! l'efpérance de vivre un jour
près de vous, eft déja beaucoup pour moi;
jugez quel fera votre pouvoir fur mes
douleurs , lorfqu'il m'arrivera d'y vivre
en effet ! Croirez- vous ce que je vais vous
dire ? J'ai peine à le croire moi-même, &
cependant je ne puis me le reprocher. It
eft pourtant vrai , que tout en vous écrivant
ceci , le calme s'eft gliffé dans mon
âme ; il s'y répand une certaine douceur,
que je ne puis plus rencontrer qu'en
m'entretenant avec vous.... Adieu , dange
reufe amie c'est trop me dérober au
fentiment de mes douleurs il n'appar
tient qu'à lui de régner déſormais fur le
coeur du plus malheureux , mais du plus
fidéle de vos amis.
P. S. J'oubliois de vous prévenir , Mademoiſelle
, que j'ai obtenu la permiffion
du Roi qui m'étoit néceffaire pour fortir
du Royaume , & pour aller terminer mes
affaires en Allemagne . Comme cette permiffion
s'étend juſqu'à fix mois ; & qu'il
ne m'en faut pas tant , à beaucoup près ,
JU IN. 1760: 33
pour les arrangemens que j'aurai à prendre
avec la famille de ma malheureufe
femme ; j'aurai tout le temps de paffer
chez le Prince de S.... & même à la cour,
du chef de cette augufte maifon. Soyez
allurée que je m'y employerai de mon
mieux , pour obtenir qu'on vous rende
juftice de quelque façon que ce puiffe.
être. Je ne compte partir d'ici, que dans
dix ou douze jours , ainfi je me flatte d'y
recevoir de vos nouvelles , & d'avoir encore
l'honneur Iddee vous donner des
miennes.
Recevez les affurances du refpect , &
du rendre attachement de mon oncle.
Cette Lettre termina mes inquiétudes
& mon embarras . Elle me raffuroit fur
l'état de M. de S. Fargeol , & m'ouvroit
un champ affez étendu pour lui écrire :
ce que je fis fur le champ.
QUARANTE-NEUVIÊME LETtre ,
De Mademoiselle de Gondreville , à
M. le Comte de S. Fargeol.
1.
E ne différerai pas d'un inftant , mon
cher Comte , la réponse que je dois à la
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
lettre que vous venez de m'écrire : je fuis
trop contente de vous , pour ne pas me
hâter de vous l'apprendre. J'aime votre
douleur : elle eft jufte, elle eft fincère ; mais
elle doit devenir raiſonnable. S'il étoit
vrai que j'y euffe déjà contribué , je ne
ferois donc pas une amie fi dangereufe
que vous le dites ; ou du moins je ferois
bien autorisée , je penſe , à vous faire le
même reproche , fi c'en eft un. J'ai paffe
par des épreuves que je puis dire auffi
cruelles que les vôtres ; j'ai perdu comme
vous ce que j'avois de plus cher au monde;
ce qui me l'étoit à tant de titres : quel
autre pouvoir, que celui de votre amitié ,
m'eût jamais rendu mes pertes fupporta
tables ? On dit , il eft vrai , qu'il n'y a
rien dont le temps ne vienne à bout : mais
ne feroit-il pas honteux à l'amitié de lui
céder l'empire qu'elle doit avoir fur notre
Raifon ? C'eft à vous , mon cher Comte ,
ou je fuis bien trompée , que je dois cette
réfléxion. Mais , de quelque part qu'elle
me vienne , en eft- elle moins fenfée ? Je
vous ferois & je me ferois injure à moimême
de le penfer , puifque c'eft vous
qui m'en avez fait faire l'épreuve. Ne
me regardez donc plus comme une amie
trop dangereufe : permettez, au contraire,
que je me fçache un peu de gré de vous
JUIN. 1760. 35
avoir écarté pour quelques inftans du
danger de vos propres réfléxions. Puifféje
, mon cher Comte , me flatter un jour
de n'avoir pas été moins utile à votre
confolation , que vous avez fçû l'être à la
mienne ! Vous n'avez pas besoin d'employer
tant de preffans motifs pour m'en
offrir un nouveau moyen , ni de me folliciter
avec ardeur de prendre un engagement
qui doit me rapprocher de vous
mon intérêt & mon goût , font parfaitement
d'accord fur cet article. Mais foyez
en état de goûter quelque fatisfaction ,
fi vous voulez travailler efficacement
à la mienne. Au reste , mon cher Comte
, ce n'eft point moi qui ai fufpendu
notre commun bonheur , en lui fixant
un terme de la longueur duquel vous vous
plaignez : c'eſt M. le Vicomte , votre on
cle, qui l'a exigé de moi. En cela , je vous
avouerai qu'il a prévenu mes defirs . H
ne feroit en vérité convenable ni à l'un
ni à l'autre , de fe propofer un bonheur
que vous ne feriez point en état de partager.
Votre générofité me fournit ellemême
une nouvelle raifon de combattre
votre avis , & de m'en tenir à celui de
M. le Vicomte. Cette raifon ne feroit
pas un prétexte pour moi : mais elle seft
affez effentielle pour M. votre oncle :
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
peut être, qu'à votre retour , je ferai plus
digne de lui . Quelque peu d'eſpoir que
j'aye du côté de la maiſon , à laquelle j'ai
plûtôt le malheur que l'honneur d'appartenir
; je ne puis me défendre d'en avoir
beaucoup dans votre efprit infinuant , &
dans le crédit que vous vous êtes acquis
en Allemagne pendant le féjour que vous
y avez fait. Permettez nous donc , à l'un
& à l'autre , d'en attendre les effets. Je
fçais qu'il n'y aura jamais , entre le Vicomte
de T... & moi , cette égalité de
conditions qui pourroit juftifier aux yeux
du public le choix qu'il veut bien faire
de moi : mais ce choix lui- même ne peutil
pas devenir un nouveau motif pour le
chef de la maifon de mon pere , qui l'engage
à me rapprocher au moins par quelques
diftinctions de celle que vous & M.
votre oncle voulez bien m'accorder ? Ce
grand Prince,a eu lui -même ſes foibleffes:
& fes graces répandues fur ceux qui en
font iffus , fecondées à la vérité par un
mérite éclatant , les font déja marcher
de pair en France avec la plus haute nobleffe.
Si je defire , mon cher Comte ,
qu'un rayon de fes faveurs s'étende jufqu'à
moi , n'en accufez ni ma vanité ni
mon ambition : non feulement je ne le
defirerois point , mais j'y renoncerois , fi
JUIN. 1760. རྟེ ༡
>
cette faveur ne devoit pas m'aider à
mériter l'honneur de vous appartenir , &
me procurer la douceur de vivre auprès
de vous. Je me reproche même , mon
cher Comte , de m'être laiffée aller à
ces réfléxions de détail : en vérité , elles
ne m'intérefferoient guères & ne me fe
roient point échappées , fi la gloire de
M. le Vicomte ne m'étoit encore plus
chère que la mienne , qui encore une fois
me feroit à cet égard fort indifférente
fi elle n'avoit d'autre objet que moi-même.
Prenez donc , fi vous le jugez à propos
, que je ne vous aye rien dit : affûrément
, vous n'avez pas befoin d'inftructions
, & je n'ai pas prétendu vous en donner.
Je me fuis feulement fervie de toutes
mes armes pour combattre votre empreffement
à former des noeuds , qui me paroîtroient
, comme à M. votre oncle , indécemment
précipités dans les triftes circonftances
où nous fommes tous ; & qui
n'ajouteroient rien aux fentimens de la
plus tendre eftime, avec lefquels je ne cel
ferai jamais d'être ,
Votre Amie.
P. S. J'efpere , comme vous me l'avez
promis , mon cher Comte , que vous me
38 MERCURE DE FRANCE.
donnerez encore de vos nouvelles avang
votre départ. Je ne fçais fi je me trompe,
en imaginant que la route que vous de
vez prendre , vous fera néceffairement
paffer dans le voifinage de Jouare ; &
dans ce cas , j'ofe me flatter que vous
voudrez bien me facrifier une heure de
votre temps. Je n'ai pas beſoin de vous
dire, que ce feroit une grande confolation
pour moi. Permettez moi d'affurer , ici ,
Monfieur le Vicomte de mon refpect , &
de tout mon attachement. Il ne fçauroit
me fçavoir mauvais gré d'avoir combatr
eu vos fentimens, pour adopter ceux qu'il
m'a lui-même infpirés.
CINQUANTIEME LETTRE.
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
JEE vous l'ai promis , Mademoiſelle ;
& c'eft triftement que je m'acquitte de
ma promeffe , puifque c'eft pour vous
annoncer mon départ , qui va me priver
pour longtemps du bonheur de recevoir
de vos Lettres ; & plus triftement , encore
, parce que la néceffité de prendre
JUIN. 1760. 32
,
ma route par Bruxelles , me prive auffi
de la fatisfaction que j'aurois euë de vous
voir. C'eft la feule qui m'ait été ſenſible
depuis la cruelle époque de mes malheurs
, & d'eft l'efpérance d'en jouir
qui me les rend foutenables. J'aurois
bien defiré de m'en affurer , par l'accom
pliffement de nos projets : mais il faut
bien fe foumettre à vos décifions ; car
enfin , je n'ai pas eu feulement vos
réfléxions à combattre mais encore
celles de mon oncle , & fon aveugle foumiffion
pour vos moindres volontés. Au
furplus , Mademoiselle , quoique vous
paroiffiez perfuadée que je n'ai pas be
foin d'inftruction pour traiter avec le
Prince qui peut vous affurer votre état ,
Vous m'en donnez une qui ne me
feroit pas venue à l'efprit . Je ne puis
penfer que notre alliance ne fût un motif
affez confidérable , pour le déterminer
à vous reconnoître : cependant , je m'eh
fervirai s'il en eft befoin ; & je ne lui en
parlerai que comme d'une nouvelle grace
que nous ofons efpérer de fa bonté.
Je vous fuis fincerement obligé de m'en
avoir infpiré l'idée mais je ne croirai
jamais , que notre confidération puiffe déterminer
ce grand Prince à vous rendre
juftice. Vous la méritez, à d'autres titres ;
1
:
40 MERCURE DE FRANCE.
i
& qui doivent lui être affez recommandables
pour l'engager à vous protéger
fans aucun autre motif que celui de votre
naiffance , & des vertus qui vous en rendent
fi digne. Je n'oublierai pas la condition
de Madame votre mere , dont vous
avez négligé de me faire mention : c'eſt
une confidération , qui doit influer beau-
.coupfur les graces que vous avez à eſpérer
dece Prince ; & comme je fens qu'elle doit
vous rapprocher affez de lui pour vous
mettre dans le cas de ne pouvoir , dans
la fuite , difpofer de vous fans fon aveu;
N'avons-nous point à craindre qu'il ne
nous le refuſe ?.. mais , pourquoi prévoir
notre infortune , lorſqu'il s'agit de vous
faire rendre le rang qui vous eft dû ? Il
eft vrai que fi mon oncle & moi nous
ne confultions que nos intérêts particu
liers , nous devrions , peut-être , fouhaiter
vos véritables parens inexorables :
mais ce qui vous touche nous eft trop
cher , pour n'y pas facrifier nos efpérances.
Je ne vous parle point de vos parens
maternels ; j'efpere qu'ils fe repentiront
bientôt de leurs procedés à votre égard ;
& qu'ils feront , un jour , plus de baffeffes
Four avoir l'honneur de vous appartenir,
qu'ils n'en ont faites pour vous éloigner
d'eux. J'avois imaginé , qu'il feroit peutJUIN.
1760. 41
je pars
que
être à propos que vous écriviffiez vousmême
au Prince de S... ou au chef de
fa maifon. Mais le premier , eft fi entêté
de fa religion , que ce feroit vous expofer
à un refus ; & par rapport au fecond ,
muni de telles recommandations ,
en votre faveur , que mes démarches
auprès de lui feront fuffifament étayées.
Si cependant ce fecours me paroiffoit
néceffaire , j'aurois foin de vous le mander
lorfque je ferai fur les lieux : je regarde
une lettre de vous , comme un arme victorieufe
qu'il eft à propos de réferver
pour renverfer les derniers obftacles
je ne compte pas même rencontrer
dans ma négociation . C'est avec cet ef
poir , que je pars dans deux jours pour
Bruxelles ; il adoucit la douleur que je
porte au fond de mon coeur , & qui me
fuivra partout : il me fait fupporter celle
que j'ai de m'éloigner de vous & de mon
oncle , parce que j'imagine que mon abfence
doit avancer le bonheur de tout
ce qui me refte de cher au monde. Adieu ,
Mademoiſelle. Ne m'écrivez point , que
vous n'ayez reçu de mes nouvelles : je
fuis fi incertain des lieux où je féjournerai,
que je ne puis vous donner une adreffe
fûre , jufqu'à ce que je fois arrivé chez
mon beau-pere. Mon oncle me charge
41 MERCURE DE FRANCE.
•
de vous préſenter fes refpects. Adieu ',
encore une fois , Mademoiſelle ! fouver
nez-vous quelquefois de
Votre malheureux ami.
Quoique cette Lettre me fit entrevoi
les plus flatteufes efpérances , je ne pûs
la lire fans répandre des larmes . J'aurois
peine à dire quel en étoit le véritable ob
jet. Etoit - ce l'éloignement du Comte ?
étoit ce attendriffement fur moi- même?
c'eft ce que je ne me donnai pas le foin de
démêler. Et comme j'ai déjà prévenu mes
Lecteurs, que mon intention n'eft pas d'a
longer ces Mémoires par des détails inu
tiles au but que je me propofe , & peu
intéreffans ; je ne rapporterai point ici
les Lettres remplies de tendres atten
tions que j'ai reçues de M. le Vicomte de
T... ni les réponſes pleines de fentimens
de reconnoiffance que je lui adreffai
pendant l'abſence de fon neveu . Tout ce
que j'en puis dire , c'est que je m'accou
tumai, dès- lors , à ne plus faire de brouil
lons de mes Lettres , & à me difpenfer
de les copier , à moins qu'elles ne mérit
taffent d'être méditées ; ce qui ne m'eſt ,
je penfe , arrivé qu'une fois depuis le
départ du Comte de S. Fargeol jufqu'à
JUIN. 1760.
,
fon retour. Je vais donc abréger, en rendant
un compte fort fuccine de ce qui fe
palla entre nous pendant près de fix
mois que dura en effet fon abſence.
Il m'écrivit de tous les lieux où il fit quelquelejour
; & je remarquois avec plaifir ,
dans fes Lettres , que le temps & les frér
quentes distractions remettoient fon'
Ame dans une affiette plus tranquille, II
eft vrai , qu'en arrivant chez fon beaupere
, tous les fentimens de douleur &
de tendreffe fe réveillèrent dans fon
coeur à la vue des perfonnes auxquelles
la perte de Madame de S. Fargeol devoit
être fi douloureufe : mais leurs procédés
furent fi nobles , que fon âme fur obligée
de fe partager entre l'affliction & la
reconnoiffance. Le Comte avoit fait
quelques avantages à fa femme : fes parens
y renoncèrent généreulement ; &
dans la fuite , les agréables réceptions
qu'on lui fit dans toutes les Cours aut
fon efpéce d'exil l'avoit fait connoître ,
achevèrent de le rendre tout entier à fa
Raifon. Je ne dois pas obmettre , qu'il fie
de vains efforts pour engager le jeune
Wonholten, fon beau-frere, à le fuivre en
France. Ce jeune Cavalier avoit pris le
parti de fe faire recevoir dans l'ordre Teutonique
, & avoit déjà reçu ſa deſtination
44 MERCURE DE FRANCE
pour être admis au nombre des Novices
auprès d'un des grands Commandeurs de
l'Ordre . J'appris , fucceffivement , toutes
ces chofes par les lettres que je reçûs du
Comte ; & c'est tout ce qu'elles apprendroient
aux lecteurs , fi j'avois pû me réfoudre
à les publier pour groffir ce ve
lume.
Me voici parvenuë au moment le plus
intéreffant , pour moi , du voyage de M.
Je Comte de S. Fargeol. Il étoit arrivé à
la cour de S.... il y avoit été reçu avec
beaucoup de diftinction ; & y avoit déjà
fait quelque féjour , lorfqu'il m'écrivit la
lettre fuivante.
CINQUANTE-UNIÉME LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
Il y a trois femaines , Mademoiſelle
ILY
que je fuis ici au milieu d'une cour bril-
·lante ; & plus perfécuté , que diverti , de
toutes les fêtes galantes auxquelles je fuis
obligé de prendre part . Je n'oferois vous
dire qu'elles m'ont été fouvent importunes,
puifqu'elles m'ont procuré plus d'une
occafion favorable de m'employer pour
JUIN. 1760. 45
votre fervice. Il s'en faut bien que j'aye
trouvé en mon chemin toutes les difficultés
que j'avois imaginé d'y rencontrer:
le Prince qui régne ici , eft fans contredit
un des plus grands & des plus généreux
Princes du monde . S'il avoit été plutôt
& mieux informé de vos infortunes,foyez
affurée qu'il les eût prévenues : vous partagez
déjà toute fon affection avec ceux
qui comme vous font nés de fon fang
dans des circonſtances pareilles à la vôtre.
Ce Souverain , fi digne de l'être , daigne
déjà vous adopter ; & vient d'écrire , de
fa propre main , les intentions au Prince
votre grand-pere, moins pour le confulter
que pour lui impofer la loi de les fuivre.
Il attend donc inoins fa réponſe pour fe
déterminer , que pour avoir un motif de
plus de le faire. Que j ai de plaifir , Mademoiſelle
, à vous apprendre d'avance
cette heureuſe nouvelle ! ... Je me flatte
qu'une plus ample confirmation , fuivra
dans peu de jours l'avis que j'ai l'honneur
de vous donner aujourd'hui . Il fera fans'
doute néceffaire que vous écriviez à ce
Prince . Mais je crois qu'il convient autant
que vous ne le faffiez qu'après avoir
reçû fes graces. Pardonnez - moi , fi je ne
vous dis rien de plus : je fuis obligé de me
rendre à la cour, dans une heure ; & je dois
46 MERCURE DE FRANCE.
faire
part à mon
oncle
d'une
nouvelle
qui lui fera fans
doute
autant
de plaifir
,
que j'en ai moi - même
à l'en informer
. Bon
jour
, Mademoifelle
: je ferai
, je croi,
bientôt
obligé
de dire , ma chere
Comtelle..
Voudrez
-vous
bien, alors, me reconnoître
, pour
Votre
ami?
Je reçûs, quelques jours après, les com
plimens de M. le Vicomte de T... je lui
répondis fur le même con que j'avois pris
en répondant à fon neveu ; & je l'aflurai ,
que j'étois flattée des grâces qu'on me
faifoit efpérer , c'étoit la main de quije
les tenois qui me les rendoit précieufes ,
& de fentir qu'il auroic moins à rougir
en acceptant déformais la mienne. Dix
jours après , je reçûs enfin , du Comte
de S. Fargeol , la lettre qui fuit,avant qu'il
eût pû recevoir celle que je lui avois
écrite.
CINQUANTE-DEUXIÉMÈ LETTRE ,
De M. le Comte de S. Fargeol , à Mile
de Gondreville.
V.OTRE fort est enfin décidé , Mademorfelle
; & je n'aurois jamais cru
JUIN. 1960. 47
être fufceptible d'une auffi grande joie
que celle dont je fuis pénétré ! .. Dans ce
moment , le chef de votre maiſon vient
de me remettre un diplôme, dans la forme
la plus autentique ; par lequel, du cónfentement
& de l'avis du Prince de S ....
votre grand-pere , vous êtes reconnue &
légitimée fille du Prince de S... fon fils ,
& de Madame la Baronne de V.... & en
cette qualité, créée Comteffe de Z ... avec
une penfion de deux mille florins d'Allemagne
, & la permiffion de prendre &
de porter déformais le nom & les armes
de la Maiſon de S... Cette grâce , que les
circonftances n'ont pas permis de rendre
auffi étenduë que vous le méritez, eſt encore
fuivie d'une autre à laquelle nous
devons , mon oncle & moi , prendre plus
de part que vous , fi , comme je le penſe,
vos fentimens ne changent point à notre
égard. C'eſt un pouvoir auffi , bien autentique
, donné par le Prince de S... fous
l'autorité du chef de fa maiſon , adrefféà
M. l'Envoyé de... de confentir , en leurs
noms , à votre mariage avec tel Cavalier
François que ce Miniftre jugera digne de
leur alliance . Vous ne doutez point , Mademoiselle,
que ces faveurs telles qu'elles
font , dont je me fuis chargé de vous rendre
compte , & dont j'informe auffi mon
48 MERCURE DE FRANCE.
oncle , ne vous obligent à écrire à ces
deux Princes , pour leur marquer votre
profonde & tendre reconnoiffance . Vous
pouvez m'adreffer ici vos letties : je les y
attendrai ; me faifant un honneur bien
fenfible de les rendre moi - même . Je vous
confeille de ne point prendre encore
d'autre titre & d'autre nom que celui
que vous avez porté jufqu'ici ; à moins
que M. l'Envoyé.... ne vous eût déja
notifié la décifion des Princes fes commettans
, lorfque vous leur écrirez : ce
que je ne crois pas poffible. puifque
j'ufe de la plus grande diligence pour
être le premier à vous en informer.
Je ne resterai dans cette Cour , après
avoir exécuté vos ordres , que le
temps qui me fera préfcrit par une
forte de décence , & par les égards que
je dois à un Prince des bontés duquel
je fuis confus & comblé , mon deffein
étant de me rendre en France avant l'expiration
de mon congé. Je ne fçai lequel
m'en preffe le plus , ou de mon devoir ,
ou du plaifir que je me fais d'avance de
vous revoir , & de ferrer les noeuds qui
doivent vous affurer pour jamais de mon
refpect , & de mon tendre attachement.
Heft certain,du moins , que quelque chofe
que vous & Monfieur l'Envoyé vous en
puiffiez
y
JUIN. 1760. 49
puiffiez décider , je vivrai & mourrai
finon votre neveù , certainement
Votre tendre & fidéle ami.
+
On ne fauroit douter de la joye pure
& fenfible que j'éprouvai à la lecture de
cette lettre , non plus que de l'empreffement
que j'eus d'y répondre , & de remplir
les vues de mon cher bienfaiteur ,
en lui adreflant les actions de graces
que je devois aux deux grands Princes
qui daignoient me reconnoître pour être
de leur fang. Mais avant de rapporter
ces lettres , je pense que c'eft ici le
lieu de placer le favorable diplôme qui
a décidé de ma deftinée ; & le voici tel
que M. le Comte de S. Fargeol me le remit
à fon retour à Saverne , où j'avois
été conduite de mon couvent par fla
Princeffe de M ... que je ne quittai plus
depuis ; & avec laquelle je vis pour la
premiere fois la Ville de Paris , où je la
fuivis. Le fouvenir de fes bontés m'arrache
cette courte digreffion , après laquelle
je reviens à mon diplôme & à mes lettres
qui le fuivent....
Na. Ily a encore ici une lacune affez confidérable
dans le Manufcrit , par lafouftraction
de plufieurs feuillets qui paro.f
C
Jo MERCURE DE FRANCE,
fent en avoir été coupés . Il faut fuppofer
que Mademoiſelle de Gondreville ,
étoit alors , comme elle vient de le dire ,
chez Madame la Princeffe de M... à
Paris ; & que les affaires defon mariage
avec M. le Vicomte de T... étoient déjà
bien avancées.
Je ne puis me refufer d'avouer , ici ,
que fi pendant notre voyage à Verfailles
, ma curiofité fut bien fatisfaite de
toute la magnificence qui s'y réuniffoit
pour orner la Cour du plus jeune & da
plus aimable des Rois , ma vanité ne
le fut guères moins de la confidération
que m'attiroient les bontés de Madame
la Princeffe de M... & les géné
reufes attentions de M. le Cardinal de
Rohan. Mais ce ſecret plaifir étoit empoifonné
par le changement que je
voyois arriver de jour en jour dans l'état
& même dans l'humeur de M. le
Comte de S. Fargeol : il fembloit que
plus le terme de fon deuil approchoir ,
plus la trifteffe reprenoit de droits fur
fon âme je furpris même quelquefois
des larmes prêtes à s'échapper malgré
lui de fes yeux. J'en étois vivement
allarmée ; & j'en devenois moins fenfible
aux empreffemens de M. le Vicom-
*
JUIN. 1760 . 51
te de T... à mesure que je voyois arriver
le temps auquel je devois couronner
fa conftance . Il l'avoit indiqué luimême
; & nous y touchions. L'année
du deuil de M. le Comte de S. Fargeol ,
étant enfin expirée ; le Vicomte qui ,
comme je l'ai fçu depuis , avoit eu de
fréquens
entretiens avec M. l'Envoyé
de ... propofa de s'affembler avec lui
chez Madame la Princeffe de M... pour
figner les articles
préliminaires de notre
mariage. M. de S. Fargeol & moi , nous
étions préfens , lorfque cette propofition
fut faite par le Vicomte à Madame
la Princelle ma généreufe
protectrice.
Elle nous fit l'honneur de nous deman
der , fi nous l'approuvions ? Je lui répondis
, avec un peu d'émotion , que je
n'avois point d'autre volonté que la
fienne ; & le Comte l'affura , qu'il ne
defiroit rien tant que tout ce qui pou
voit accélérer la conclufion de cette affaire
mais qu'il croyoit devoir fe difpenfer
de fe trouver à cette aſſemblée.
Le Vicomte prit feu , & combattit toutes
les prétendues raifons de fon neveu.
Songez , lui dit - il , Monfieur , qu'en
cette occafion , c'est vous qui difpofez
de moi ; & que je ne puis tenir d'une
autre main que de la vôtre un bien
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
"
auquel je n'aurois jamais ofé prétendre ,
fans le titre que vous m'y avez donné
vous même.
Il fuffit , mon oncle , répondit le
Comte , avec la larme à l'oeil : je vous
obéirai. Vous le voyez , continua t- il ,
en fe tournant vers moi , on n'épargne
rien à ma douleur !
Je fus fi pénétrée de ce peu de mots ,
qu'il m'échappa des pleurs qu'il me fut
impoffible de cacher. Le Vicomte fembloit
s'applaudir de l'état où il venoit
de nous réduire ; & je l'accufai, en fecret ,
de trop de cruauté. Que je pénétrois
mal dans le fond de fon âme !
Le furlendemain de cette entrevue ,
étoit le jour indiqué pour l'affemblée
de parens & amis , qui devoit fixer enfin
ma deftinée . Madame la Princeffe de
M.. , avoit elle- même pris foin de ma
parure , & n'y avoit rien oublié : mais
elle n'avoit pû parvenir à me donner
une contenance bien affurée. J'en perdis
encore beaucoup , lorfqu'on introduifit
les Notaires dans la Sale où nous
étions alors . M. l'Envoyé , comme reprefentant
les Princes dont il étoit Miniftre
en cette occafion , après avoir fait leṣ
complimens ordinaires à la Princeffe &
JUIN. 1766. $3
à la compagnie , s'adreffa à M. le Comté
de S. Fargeol , & lui dit :
Monfieur , comme vous n'avez point
paru dans les diverfes conférences que
J'ai eues avec M. le Vicomte de T ...
pour la rédaction des articles qu'on va
vous lire ; je crois qu'il eft de mon devoir
de vous demander , au nom des Princes
dont j'ai le pouvoir , fi c'eft de votre
confentement que ces articles ont été
dreffés ? Si vous en avez la connoiffance ?
Et fi vous les approuvez ?
Oui , Monfieur , je les approuve ,
répondit le Comte ; & je n'ai befoin
ni de les connoître , ni de les entendre
pour les approuver: je demanderai feulement,
qu'on y ajoute l'affurance de tous
mes biens , en propriété , aux enfans à
naître du mariage projette , & la jouiffance
de ces mêmes biens à Mlle de S...
Comteffe de Z.... pendant fa vie , fi
le cas arrivoit qu'elle demeurât veuve
& fans pofterité iffue du préfent mariage.
Je connois trop , mon cher neveu ,
dit à fon tour le Vicomte , & la nobleffe
de vos fentimens & les difpofitions
de votre coeur , pour avoir rien
négligé de ce qui peut les mettre dans
tout leur jour j'exigerai cependant de
·
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
vous , que vous me promettiez , fur
votre honneur , de confentir fans aucu
ne oppofition aux avantages particuliers
que j'ai cru pouvoir ménager pour moi
même dans une affaire auffi intéreſſante
pour mon bonheur ; & j'ofe demander la
même promeffe à Mademoiſelle , conti
nua - t - il , en s'adreffant à moi. Nous
promînes tout , le Comte & moi , fans
favoir à quoi nous nous engagions : mais
j'eus bientôt lieu de m'applaudir de ma
complaifance. En effet , dès qu'on euţ
commencé la lecture des articles , un
applaudiffement général me défilla les
yeux fur la générofité du Vicomte ; &
je compris , avec moins de honte que de
plaifir , que je m'étois jufqu'alors trom
pée aux empreffemens qu'il m'avoit fait
paroître ; & que c'étoit à M. de S. Far
geol , qu'en fecret , il m'avoit toujours
deftinée. Mon premier mouvement fut
de jetter les yeux fur un ami fi rendre !
Je le vis , le vifage couvert de fes deux
mains , & dans l'attitude d'un homme
qu'un reproche déshonorant auroit.couvert
de honte. J'en fus allarmée ; le
Vicomte ne le fut pas moins : il impofa
filence au Lecteur , que l'approbation tu
multucufe de l'allemblée venoit d'inter
rompre ; & s'adreffant à fon neveu :
JUIN. 1760. 55
Mon cher Comte , lui dieil , les chofes
ne font point encore affez avancées ,
pour qu'il ne vous foit pas permis d'appeller
des promeffes que vous venez de
faire à deux grands Princes dans la perfonne
de fon Excellence , & du ferment
que j'ai reçû de vous en préſence de tant
de perfonnes refpectables.
Hélas , mon cher oncle ! que puis - je
vous dire en l'état où je fuis ? reprit
le Comte en fe précipitant à fes genoux
: vous avez mieux connu mon coeur ,
que je ne l'ai connu moi-même.
J'étois affife à côté du Vicomte. Il
me prit la main ; & me dit , en me la
ferrant :
3
Et vous , Mademoiſelle : parlez : m'eſtil
permis de ni'affurer encore fur la parole
que vous venez de ne donner ?
Vous le pouvez , Monfieur , lui dis -je ,
d'une voix tremblante : à quelque titre
que je doive vous appartenir , ne doutez
point que je n'en faffe mon bonheur &
= ma gloire : l'amitié qui diſpoſe de mɔi, ſe
partage également entre vous & M. le
Comte. Mais vous le fçavez , Monfieur ;
les fentimens que j'ai pris pour lui , ont
précédé dans mon coeur ceux que vous y
avez fait naître , & que vous me forcez
plus que jamais de prendre aujourd'hui
pour vous.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Tandis que je parlois , les yeux baillés ,
j'apperçus toujours ceux du Comte de S.
Fargeol fixés fur les miens ; mais le Vicomte,
fe levant précipitamment, lui fit prendre
fa place auprès de moi. Un nouvel
applaudiffement , plus vif encore que le
premier , fuivi des complimens de toute
l'affemblée qu'il nous fallut effuyer en
tougiffant l'un & l'autre , fervit de pré-
Jade à la reprife des articles. Le Vicomte
y difpofoit de fon bien d'une façon tout
auffi avantageule pour moi que fon ne
veu l'avoit voulu faire du fien. L'avantàge
qu'il nous avoit dit vouloir fe réferver
, n'étoit autre que celui de vivre déformais
avec nous , & de ne s'en féparer
jamais . Ces articles furent fignés de toutes
les perfonnes préfentes ; & cette fignature
fut fuivie d'un grand fouper que
la Princeffe de M. donna à toute la compagnie.
Je paffe fous filence tout ce qui
fe paffa depuis pour les arrangemens
prendre , les préparatifs à faire , les em
plettes , les préfens , jufqu'au moment
de la célébration de notre mariage : il
me fuffit de dire , que tout fe fit avec autant
de célérité que de magnificence ; &
furtout de la part des Princes de S... qui
me firent remettre par M. l'Envoyé de...
une garniture de pierreries des plus com-
-4
JUIN. 1760. $7
1
1
plettes & des plus riches . Pendant que
ce Miniftre & le Vicomte fe donnoient
tous les foins néceffaires pour achever
notre bonheur , je voyois tous les jours
le Comte avec un nouveau plaifir; & fi je
n'eus pas de peine à m'appercevoir , & à
convenir, que les premiers fentimens que
j'avois eus pour lui , lorfque je l'avois vû
pour la premiere fois à Saverne, n'avoient
point changé;le Comte fut fouvent obligé
d'avouer lui-même, qu'il avoit été trompé
par fon amitié. Ce fut dans ces entretiens ,
qu'il m'apprit deux chofes , qu'il jura
qu'il ne m'auroit jamais dites , & fon
oncle eût eu , comme il le croyoit , le
deffein de m'époufer. La premiere , que
les Princes qui avoient daigné me re
connoître , s'étoient perfuadés que c'étoit
pour lui- même qu'il follicitoit cette grace
en ma faveur ; qu'il n'avoit ofé les en
défabufer ; & qu'il avoit enfin appris , de
l'Envoyé de... que fes inftructions étoient
conformes à cette idée. La feconde , que
depuis fon retour en France , il avoit fouvent
gémi, en particulier,des engagemens
qu'il avoit forcé fon oncle de prendre
avec moi ; que la honte de me paroître
inconftant , avec un mouvement de
jaloufie dont il n'avoit pu fe défendre ,
avoient empoifonné fes jours depuis fon
C v
18 MERCURE DE FRANCE.
retour en France , & que j'avois dû m'ap
percevoir ( comme je l'avois fait en effet, )
d'un changement trop vifible dans fon
humeur & dans fon caractère . De pareils
aveux , n'étoient pas faits pour me déplaire:
auffi m'attachèrent- ils plus que jamais
à M. le Comte de S. Fargeol. Je fçavois ,
par ma propre expérience , que les plus
grandes douleurs ont leur terme ; & je ne
me fis plus un monftre de l'amour d'un
homme que j'aimois moi même , dans le
temps que je croyo's n'avoir en lui qu'un
ami Enfin le jour qui devoit mettre le
comble à mon bonheur arriva ; & la cé
rémonie fe fit, avec prèfque autant d'éclat
que fi j'euffe été ce que le fort ne m'avoit
pas permis d'être.
FIN.
O
EPITRE A CLARICE.
TO1 , qui fi ſouvent m'as engagé ta foi !
Si fouvent , m'as juré l'amour le plus durable !
Toi , qui connois la force inaltérable
Des tendres noeuds qui m'attachent à toi :
Tu ne viendras donc point , infenfible Clarice,
Confoler un ami malade & languiffant,
JUIN. 1760. $9
Qui brûlé nuit & jour par un feu dévorant ,
N'a
pour toute refſource , en ce cruel fupplice , -
Que l'ennuyeux & vain fervice
D'un domestique négligent ?
Quoi ! peux-tu fouffrir qu'il périffe ,
Sans daigner le voir un inſtant ?
Quoi depuis quatre mois , d'une douleur morselle
,
N'avoir pu feulement facrifier deux jours ,
Pour venir offrir du fecours
A qui n'en defiroit que de ta main fidelle ,
De celles de l'eftime , & des tendres Amours ?
Ciel ! devois-je m'attendre à tant d'indifférence ?
Qu'eût pû faire de plus l'implacable vengeance ?
Et que dois je penſer d'un coeur ,
Dont ni mon état , ni l'abfence.
N'ont pû réchauffer la froideur ? ..
N'eſpére pas encor me féduire
Par de vaines raiſons que je ne puis goûter :
Epargne-toi le foin de les déduire ;
Je les préviens : d'un mot , je vais les réfuter.
Quiconque par l'Amour veut fe laiffer conduire ,
Ne connoît point d'obftacle, & fait tout furmonter.
S'il eft des loix , qu'il doive reſpecter ;
Fidèle aux voeux de la Sagèlle ,
Il fçait les remplir , fans heurrer
Les droits facrés de la tendrèfle.
Mais rien ne peut t'excufer ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
D'un crime dont mon coeur a droit de t'accufer,
Moins à titre d'amour encor que de juftice;
Tu n'as fait , ingrate Clarice , -
Quels que foient tes nouveaux projets ,
Que mieux fervir mes intérêts.
Ton âme ingrate & nonchalante ,
A produit fur mon coeur l'effet le plus heureux
M'a délivré d'un mal , cent fois plus dangereux
Que la fièvre qui me tourmente...
Du penchant aveugle & honteux,
Que j'avois pour une inconſtante.
Par un Abonné au Mercure
UN VIEILLARD ,
A SES COMPATRIOTES,
SANG
HEROID E. '
ANG de la Nation , dont une Colonie
Fut jadis , fous Brennus , l'effroi de l'Aufonie ;
Er , de Rome , laiffant tous les Palais déferts ,
La châtia d'avance , & vengeoit l'Univers :
Non moins digne héritier du courage héroïque ,
Qui dérol a l'Europe aux fureurs de l'Afrique ,
Quand le Maure fuivi de fes noirs bataillons ,
Dans les plaines de Tours , tendit fes pavillons :
Nobles Concitoyens ! écoutez - moi degrâce
De mes derniers foleils , le lever me menace;
JUIN. 1760.
Agréez , prêt d'aller rejoindre vos Ayeux ,
Qu'un zèle encourageant le mêle à mes adieux.
Puiffé - je être inspiré , comme le fut Tyrthée !
Puiffe , par mes accords , la valeur excitée ,
Faire taire à jamais ces Frondeurs indécens ,
Qui, pour l'Ennemi feul, brûlent tout leur encens
FRANÇOIS, fi de tous tems la jaloufeAngleterre
Refpira contre vous les horreurs de la guèrre ;
Ce grand acharnement doit peu vous étonner.
Un renom bien acquis, fe peut - il pardonner ?
Vous flatiez -vous de voir,dans une paix profonde,
Le vôtre , impunément , voler au bout du monde?
Et qu'un Peuple orgueilleux , qui veut tout effacer ,
Tranquille en fon dépit , fe vèrroit éclipfer ?
Vous devez bien penfer que votre caractère
Enjoué , fociable , infinuant , fincère ,
Forme , approché du fien , un contraſte parfait ,
Dont il ne fent que trop l'humiliant effet.
Plus d'une autre vertu vous diftingue , & le bleſſe,
A la bravoure , aux moeurs , joignant la politeſſe ,
Victorieux fans fafte , & pleins d'humanité ,
Conftans dans les revers , jufques à la gaîté...
Bel excès , gaîté noble ; & tel ofe en médire ,
Qui , tout bas,la fouhaite , & malgré lui , l'admire ,
Comme le trait qui peint, & qui marque le mieux
La grande âme au - deffus du fort injurieux.
N'avoit pas fçû fixer le fort léger des armes ,
Eft- ce donc un fujet de trifteffe & d'allarmes ?
62 MERCURE DE FRANCE.
Vos foldats , en tombant, font morts au lit d'hon
rear.
Où la honte n'eſt point , eft-il un vrai malheur ?
Le frere envie , alors , le trépas de fon frere.
Après une défaite , à Sparte , ainfi la Mere
Remercioit le Ciel des fils qu'elle perdoit;
Et pleuroit feulement , fur ceux qu'il lui rendoit.
De quelque côté donc , qu'ait panché la victoire¿
Vous l'avez , ou gagnée , ou perdue avec gloire,
Vous manquâres , felon vos différens fuccès ,
Quelquefois , d'envieux , d'admirateurs , jamais.
Pour en convaincre, ouvrons les faſtes de nos peress
Et levons le rideau des temps les plus contraires.
De vos fameux revers , j'en rappellerai trois ,
Que par trop de courage , efluyèrent vos Rois.
Sur les bords Affriquains , LOUIS laiſſant la vie ;
JEAN , priſonnier à Londre ; & VALOIS, à Pavie.
Sur vous , le fort , alors , épuiſoit fa rigueur :
Mais pas un de les traits , éffleura- t- il l'honneur ?.
Non;votre gloire même en tire un nouveau luſtre,
L'Egypte offrit le fceptre à ſon Captif illuſtre ;
Du ſien , le.Prince Anglois, n'oſa marcher l'égal ;
Ni fortir, devant lui , du refpect d'un Vaffal.
De Valois , à Madrid , la priſon fut plus dure.
Mais libre , il en oublie & l'horreur & l'injure ;
Ou plutôt , fignalant fa franchife & fa foi,
Libre , il fçait s'en venger , & s'en venger en Roi,
A travers les Etats , CHARLE implore unpallage.
JUIN. 1760. 63
Pour l'accueillir, en Prince, il met tout en ufage ;
Comble fon Ennemi d'honneurs inespérés ,
Et l'inftruit des devoirs qu'il avoit ignorés.
C'eſt que , dans vos grands coeurs ouverts à la
clémence ,
Le même inftant voit naître & mourir la vengeance
:
Vous y volez , au cri de l'honneur offenfé ;
Et relevez foudain l'ennemi terraflé .
Que nous prouvent enfin ces coups de la Fortunes
Du Prince & des Sujets la valeur peu commune :
Que l'un s'offre aux dangers , en Roi digne de vous:
Sujets dignes de lui , que vous l'y fuivez tous.
Les BOURBONS ont paru , qui , toujours invincibles
,
Loin d'éprouver jamais de ces coups fi terribles ,
De leur Cour triomphante , ont fait plus d'une
fois ,
Le Spectacle , l'Ecole & l'afyle des Rois.
Mettez donc en oubli , d'anciennes diſgraces ,
Dont mille heureux fuccès ont éffacé les traces :
Les plus belles forêts , enferment des buiffons .
Et l'herbe croît au ſein des plus riches moiſſons.
A quelques jours de deuil,femés dans votre hiftoire
,
Oppoſez tant de jours de triomphe & de gloire.
Bovines, Marignan , Cerizoles , Rocroi ,
Les Dunes , Denain , Lens , Fleurus , & Fen
tenoi's
64 MERCURE DE FRANCE.
Théâtres renomés, Champs de Mars, où la France,
De fes rivaux jaloux rabaiffant l'infolence ,
Vit fes lauriers nombreux s'élever fur les leurs ,
Comme le Lys fuperbe entre les autres fleurs.
Et , fans vous en tenir à la vertu guèrrière ;
Ser vos Contemporains , en quel autre carrière
N'avez-vous pas encor hautement remporté
Les prix dont s'honoroit la feule Antiquité ?
N'avez-vous pas , comme elle , aux palmes de
Bellone ,
Sçû joindre , des beaux Arts l'olive & la couronne
?
En Tribune , en Lycée , .en Théâtre , en Palais
Dans Paris feul , on trouve Athène & Rome en
paix.
Marchez donc , affûrés de la faveur céleste ,
FRANÇOIS! Et loin de vous, tout préjugé funefte!
Riez de l'Afcendant qu'en armes , qu'en fçavoir,
Que fur vous , en tout genre , Albion croit avoir :
Erreur dont , parmi vous , fes lâches émiffaires
S'effor cent d'infecter quelques ames vulgaires;
Fantômes , fous vos yeux , diffipés dès longtemps;
Bucentaurés de loin , de près bâtons flottans.
Connoillez mieux l'Anglois ; & fentez qui vous
êtes.
Fier d'avoir étendu ces fortes de conquêtes ,
Qu'entreprend la valeur , moins que la foif du
gain ,
1
JUIN. 1760. 65
Il fe peint fur vos mers , le trident à la main :
La vôtre, à meilleur titre, eut la foudre en partage.
Tel fut le bras puiſſant qui renverſa Carthage :
La Fortune rioit à fa cupidité ;
Elle étoit ce que Tyr avoit jadis été ;
Des tréfors amaffés à la faveur de l'Onde ,
Lui parurent un droit à l'Empire du Monde ;
Elle arma follement , pour en dépofféder
Un Peuple belliqueux peu fait pour le céder.
Que de l'Ambition rejettant les amorces ,
Ne connutt-
elle mieux & fa fphère & fes forces ?
Habile commercante , elle accrut , s'aggrandit ;
Guerrière malhabile , elle fe détruifit .
Pourrez - vous moins que Rome, ô vous quila vainquites?
Matchez, dis je; & fèrrez Londres dans les limites.
Mais , à des chefs experts , confiez vos drapeaux :
Tous vos foldats , dès- lors , fout autant de Héros.
Sagement commandés, l'Europe aina les nomme.
MAURICE le difoit : croyons- en ce grand homme :
Qu'ai-jefait , que ne fit avec même fuccès ,
Tout autre , ainfi que moi , fuivi par des Français ?
Sans la tête en effet , fans ce premier mobile ,
Du plus robufte bras la force eft inutile .
L'Aigle que refpectoient les caprices du fort ,
Confiée à Varus , fut la fable du Nord.
Mais bientôt, déposée en des mains dignes d'elle ,
L'Aigle reprit l'éclat de fa gloire immortelle.
66 MERCURE DE FRANCE.
Il eft , pour vous venger d'Hanovre & d'Albion ,
Plus d'un Germanicus , & plus d'un Scipion :
Le fang de LUXEMBOURG , de CONDÉ , de Tu-
RENE ,
Exifte , coule encor , boût dans plus d'une veine ;.
Choififfez. Ou plutôt , avec fécurité ,
Laillez agir pour vous la pleine autorité.
Sur le front des bons Rois , la Sagèffe fuprême
Jamais ne mit en vain le facré diadême :
Repofez-vous fur elle ; & reffouvenez-vous
Des champs de Fontenoi , de Laufeld & Rocoux.
LOUIS , pour fon Second, y choififfant MAURICE
Favorifé du Ciel , vous le rendit propice ;
Et là , de fa préſence animant nos Guèrriers ,
Fit oublier Hochtet , Azincourt , & Poitiers.
Par M. P******
LES TALENS DE L'ESPRIT,
POEME.
TROISIEME CHANT.
LE BERGER qui voit périr les Brebis
qu'il cherit le plus , par le fuc d'une her
be empoisonnée ; le Laboureur qui voit
ravager par une grêle affreufe l'efpérance
JUIN. 1760. 67
d'une moiffon abondante , font moins
vivement & moins triftement pénétrés
que ne le fut Apollon , en voyant détruire
fon plus cher ouvrage par les coups
de l'Ignorance & de l'Envie. Elles s'applaudifojent
de leurs fuccès, & feflattoient
de les éternifer dans le monde , en y perpétuant
les abus qu'elles avoient trouvé
le moyen d'y répandre .... Infortunés
Mortels ! ( s'écria le Dieu des Arts , ) vous
abandonnerai- je à de fi dangereufes illufions
? Et permettrai-je, que vous en foyez
les Victimes ? ., Non ! Vous êtes moins
coupables que malheureux ; & ne fuis - je
pas , d'ailleurs , le premier auteur de votre
infortune ? J'ai dédaigné le fecours de Minerve
; & le deftin m'en a puni . La fagèfle
pouvoit feule vous garantir de la féduction
: les difpofitions du coeur , influeront
toujours fur les opérations de l'efprit.
Epurons leurs fentimens ; affermions les
dans l'amour de la vertu ; & les bonnes
moeurs mettront les Talens en fureté.
Il est plus grand de convenir de fes
erreurs , que de ne s'être jamais trompé.
Apollon , défabufé par l'expérience , ne
balance point à rechercher les fecours de
Minerve qu'il avoit d'abord dédaignés : Minerve,
à fon tour, fupprime les reproches ,
pour ne fonger qu'à bien faire : les gran
63 MERCURE DE FRANCE.
des âmes font au- deffus des petites difcuffions
; & facrifient , fans peine , au bien
public leurs reſſentimens particuliers .
Les Talens étoient plongés dans une
profonde léthargie , fuite de l'yvreffe qu'ils
avoient éprouvée : Minerve les ouche de
fon Egide, & fait ceffer à la fois leur
fommeil & leur funefte enchantement,
Elle les dégage des chaînes dont on les
avoit chargés ; & les rend à toute la no
bleffe de leur origine , à toute la pu
reté de leur véritable deftination . Renaiffez
, leur dit- elle , pour être agréable aux
Dieux , utile à la Patrie, & glorieux à vousmêmes.
A peine la Déeffe a-t- elle manifefté fa
vlonté,que les Talens reprennent auprès
d'Apollon leurs fonctions & leurs places
Toute la nature applaudit à cet heureux
changement. Le plus beau jour fit difpa
roître les ténébres dont les Talens de
PEſprit avoient été foudain enveloppés :
ils ne refpirèrent plus qu'un air pur & fe
rein , qui diffipa les vapeurs contagieufes
dont leurs ennemis les avoient environ
nés. La profpérité des Talens , fut le fupplice
de l'Envie ; & Ignorance trouva
fon châtiment dans les progrès des Scien
ces & des beaux Arts . L'Îrreligion & l'Obf.
cénité g- furent bannies fans réſerve , &
JUIN. 1760.
69
précipitées fans retour dans les gouffres du
Tartare. La Satyre obtint de refter : mais
fous la condition expreffe de changer fes
Dards pour un Flambeau ; & de n'être
plus, à l'avenir , qu'une Critique éclairée ,
judicieuſe & modérée , qui s'attacheroit
uniquement aux Talens , & non à la Perfonne
, qui refpecteroit les Auteurs , en
relevant les défauts de leurs Ouvrages ;
& qui s'appliqueroit enfin à les perfectionner
par la jufteffe de fes obfervations,
plutôt qu'à les tourner en ridicule par,
la malignité de les remarques.
Des Loix fi raifonnables donnent foudain
un nouveau luftre aux Talens réhabilités
; & les font rentrer glorieufement
dans les emplois qui leur étoient
deftinés. Tout enfin reprend fur le Par
naffe une face nouvelle , & les Talens.
deviennent la gloire & les délices de
l'Univers.
La Pocfie , déguife les oracles de la Sa-,
geffe & de la Vérité fous le voile ingénieux
de la fiction & des images agréables
; le vrai, l'accompagne toujours : mais
l'imagination l'embellit & le montre aux ,
morrels fous différentes formes qui reçoivent
toutes un nouveau prix de l'ai-,.
mable variété qui les décore. Tantôt, dans,
un Poëme héroïque , tableau d'une action
70 MERCURE DE FRANCE.
grande & inftructive ; tantôt, par la repréfentation
plus frappante encore de l'action
même renouvellée fur un Théatre
élevé par la magnificence , orné par le goût,
gardé par la pudeur & par la circonf
pection. Là , fous les traits auguftes de la
majeftueufe Metpomène ; ici , fous l'élégant
& riant badinage de Thalie. Quelquefois
auffi dans le récit ingénu d'une
Fable , où , fous les agrémens de l'Apologue
, les animaux & les plantes inftrui
fent les hommes , & les forment en badinant
aux devoirs les plus éffentielsde
la fociété.
L'Eloquence prend la défenfe de l'innocence
opprimée , & s'élève courageufement
contre le crime audacieux &
triomphant : elle ne parle plus que pour
décrier le Vice & faire l'éloge de la Ver
tu: elle harangue les morrels , les artache
, les émeut , les perfuade ; & parvient
à les rendre plus fages & plus heureux.
L'Hiftoire , qui diffipe l'Ignorance des
Nations , & qui dit fièrement aux Rois
la vérité , dégagée des lâches flatteries ,
& des odieufes partialités , ne s'occupe
plus qu'à tranfmettre à la postérité les
exemples qu'elle doit fuir , & ceux qu'elle
doit imiter.
D'autres Écrivains, interprétent & font
JUIN. 1760. 71
revivre dans la langue de leur Pays les
productions d'une langue étrangère , ou
qui n'eft plus : Art d'autant plus difficile ,
que pour rendre les mots , il faut con-
Hoître à fond les idées juftes que l'on y
attache : Talent , d'autant plus eftimable ,
qu'il faut , pour le bien fuivre , renoncer
aux enchantemens de l'Imagination .
Tout enfin fe reffent , dans l'empire
d'Apollon , de la préſence de Minerve ,
& de l'heureux changement qu'elle vient
d'opérer. Et pour réparer encore plus folemnellement
la fatalité paffagère par laquelle
les Talens avoient été divifés ,
l'Eftime & la Concorde les lient d'une
chaîne de lauriers entrelaffés de fleurs.
QUATRIÈME CHANT.
QUEE l'orgueilleufe Grandeur , le Sçayour
pédantefque , la Vertu fauvage & la
dédaigneufe Opulence , trop peu intelligentes
pour connoître le prix des productions
du Goût , de l'Efprit & de l'Imagination
; ou trop vaines , pour leur
rendre juftice , ne penfent pas que les
Dieux foient indifférens fur ce qui intéreffe
les Talens & les Beaux- Arts ! ...
Jupiter même , affis fur le trône immortel
72 MERCURE DE FRANCE..
auquel les trônes de la Terre ne fervent
que de marchepieds , ne dédaigna pas
de prendre part à la naiſſance des Talens
, à leur chûte , à leur rétablissement :
il voulut que leur régne ne fe bornât
point au fiécle qui les avoit vû naître ; &
les trouva dignes d'être perpétués & per
fectionnés pour la Poftérité.
Apollon fe chargea de leur avance
ment. L'Olympe affemblé lut , dans les
faftes de l'avenir , la gloire & les progrès
des Talens , dans Athènes , dans Rome ,
& chez les François . On les vit auffi fleurir
dans l'agréable Italie , & chez la fière
Albion , où les reffentimens de la guèrre
n'ont jamais dû nous les faire méconnoî
tre heureux ! fi les habitans de cette fle
célèbre , dignes objets de notre eftime ,
daignoient auffi le devenir de notre amitié
; & fi nous n'étions rivaux que fur les
Talens & les Beaux-Arts .
Découvrons , ( dit Apollon ) révélons
aux Mortels , qui voyent en ce moment
les Talens encore au berceau , jufques à
quel degré de perfection , de gloire &
d'aggrandiffement , s'éléveront ces objets
de leurs recherches & de leur application.
Quels Génies fublimes la Grèce offre
t - elle à mes regards ! ... Homère , dans
un Poëme dont les beautés feront toutes
JUIN. 1760 . 73
à l'Auteur , & dont les défauts ne feront
mis que fur le compte de fon fiécle , étonnera
, charmera , inftruira fes Contemporains
& leurs fucceffeurs : Efchile , Sophocle
, Euripide , dans la Tragédie ; Ménandre
, Ariftophane , ſur la Scène Comique
; Pindare , dans les Odes ; Anacréon ,
dans fes Chanfons ; Théocrite , pour les
Dialogues champêtres ; Démosthène , au
Barreau ; Thucydide & Xénophon , dans
l'Hiftoire
, partageront entr'eux les
fuffrages des fiécles à venir , après avoir
fait l'ornement & les plaifirs du leur.Tous
feront, par leurs ouvrages, l'éloge des Talens
qu'ils auront perfectionnés : d'autant
plus glorieux , fans doute , de fervir par
la fuite de modéles , qu'ils n'en auront
point trouvé chez leurs Prédéceffeurs.
Et toi , fameufe rivale de l'Attique , ô
Rome ! dont les talens & les conquêtes
étendront fi loin la gloire & les fuccès ;
tu verras briller avec complaifance Virgile
, qui ne connoîtra qu'Homère pour
égal dans l'art de l'invention ; & qui n'en
aura point dans le talent enchanteur de
la Poefie de ftyle ; tu ne vanteras pas moins,
dans une autre carrière , Horace le premier
des Poëtes Lyriques ; & vous Aụ-
teurs charmans , d'un comique aimable
& fenfé , Plaute & Térence , à qui l'in-
D
74 MERCURE DE FRANCE.
tervalle des temps épargnera la douleur
de voir un Poëte François vous furpaffer !
Ciceron fera le digne émule de Démosthè
-nes : des conteftations s'éleveront fur la
prééminence de ces deux Orateurs. Qui
des deux triomphera ? ... Tous les deux
feront couronnés : aucun ne fera déclaré
Vainqueur.
L'éloquence abondante de Titelive , &
la mâle précifion de Tacite , donneront
aux Hiftoriens qui les fuivront des modéles
bien différens , & qui n'auront entr'eux
rien de commun , que l'honneur
d'avoir également réuffi.
Mais quel nuage obfcurcit tout -à- coup
l'Empire de la Littérature & des Arts ? ..
Paffons rapidement fur ces jours de barbarie
& de calamité. Ils feront bien
abondament réparés en France , par le
-fiécle de Louis- le - Grand.... Quelle foule
de Génies inimitables , & qui n'auroient
prèfque pas eu befoin de modéles ! ...
Que de couronnes à diftribuer , dans tous
les genres ! Que d'Athlétes recommandables
fe diftinguent à la fois dans la carrière
.. Nommons feulement les Vainqueurs
; & laiffons à juger du mérite des
autres , par la gloire qu'ils auront eue de
pouvoir paroître & fe foutenir avec honneur
à côté de pareils Concurrens.
JUIN. 1760. 75
*
Le fublime Corneille , feul capable de
donnerune nouvelle élévation aux perfonnage
les plus élevées ; le tendre & l'élégant
Racine, fouvent auffi grand, quoique
moins
majestueux ; le fenfé
Defpréaux , le
modéle de la Poëfie
raiſonnable, & le fléau
des Poëtes ridicules ; l'ingénu la Fontaine,
fa
naïveté même rendra pour toujours
inimitable ; Moliere , qui ne le fera
pas moins dans tout ce qu'il n'aura fait
que d'après lui- même , & fans égard pour
la multitude ... Quels lauriers fuffiront à
leurs
triomphes ? .. Quelles louanges cé--
lébreront affez leurs Talens ? ...
que
Et vous , qui , fans avoir moins de génie
, moins d'élévation , moins de feu ,
moins d'agrémens que les plus grands
Poëtes ,
dédaignerez de captiver votre ef
prit dans les bornes de la verfification
Boffuet , Fléchier , Fénélon ! .. Vous ramenerez
les Talens de l'éloquence & de
la perfuafion , à l'ufage le plus refpectable
auquel on puiffe les employer : vous
charmerez les mortels par les grâces de
votre élocution , & vous les convaincrez
par la force de vos raifonnemens.
Siécle heureux &
vraiment digne du
Monarque qui régnera , à quoi devras-tu
ce rare affemblage des plus grands hommes?
A l'appui dont les Talens feront ho-
. Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
norés ; aux careffes , aux diſtinctions , aux
encouragemens qu'on leur accordera ; &
ces récompenfes ne fe borneront point à
la durée d'un fiècle fi floriffant : leur utilité
s'éternifera dans les fiécles à venir. Je
vois fe former de vaftes Bibliothèques ,
monumens précieux de la Littérature , aç
crus par la merveilleuſe invention de l'Imprimerie
; monumens où la richeſſe , la
variété & la multitude des reffources
recevront encore un nouveau prix , par
le goût , le favoir , l'efprit d'ordre , & la
politeffe de ceux à qui l'adminiſtration de
ces tréfors aura été confiée.
Un Miniftre fameux , un génie qui prendra
quelque chofe de tous les autres , decorera
la France d'un nouveau temple de
mémoire , où le conferveront par une fue-
Iceffion de travaux & d'émulations les
Talens les plus chers & les plus glorieux
à l'humanité.
Mais quels que puiffent être , un jour,
ceux de cette heureufe Nation ; à quelque
degré qu'elle porte les opérations de
l'efprit capables de rendre les fentimens
du coeur ; ils fuffiront à peine à ce Peu
ple pour rendre & peindre fidélement
fon amour , fon refpect & fon admiration
pour un Prince , que fes victoires mettront
à côté des plus célébres Conqué
JUIN. 1766.
"
rans ; mais que fa clémence & la bonté
de fon coeur placeront bien au-deffus des
plus fameux Monarques...Puiffe- t-il, alors,
faite fuccéder aux triomphes l'abondance
& la paix fi néceffaires aux Talens
qui le feront toujours eux-mêmes à la
gloire des héros ! ...A ces mots, Apollon
ferma le livre des Deftins ; & tous les
événemens dont il avoit avancé le ſpectacle
intéreffant , fe perdirent dans l'immenfité
des temps.
LE
E mot de la première Enigme du
Mercure de Mai , eft l'Homme. Ceui de
la feconde eft , Colin- Maillard. Celui du
premier Logogryphe eft Mariage ; dans
lequel on trouve , Air , Marie , ma , rame,
maigre , aigre , mari , age. Celui du fecond
eft , faim.
JE
ENIGM E.
E fuis un brillant affemblage ,
De quatre objets fort différens.
De la Guerre , l'un eft l'image ;
L'autre , préfente aux regardans ,
Une herbe propre au pâturage.
3
Dijj
78 MERCURE DE FRANCE.
Le troifiéme , offre du pavé.
Le quatrième , une partie ,
Dont on ne peut être privé ,
Sans perdre en même- temps la vie.
Par Madame la Préfidente du T.....
AUTRE ENIGME.
LICTEUR , je UR , je ne fuis point cachée;
Je fuis un attribut du genre mafculin .
Quoique je fois du fexe féminin ,
Aux femmes rarement l'on me voit attachée.
Je fais l'homme ; & pourtant c'eft l'homme qui
me fait.
Souvent je fais envie à la folle jeuneſſe ,
Qui , dans un âge mûr , & m'outrage & me
bleſſe ,
Pour me récompenfer de mon rare bienfait.
Souvent , l'âge me fait paffer de crife en criſes
Je fuis de diverfes couleurs.
De noire que j'étois , je deviens toute grife ;
Et le foldat me ſçait bon gré de mes faveurs,
Ah ! j'en dis trop , tu vas me reconnoître.
Tout homme fait ne m'aime pas ,
Tant je lui cauſe d'embarras.
Lecteur, c'eſt ton avis , peut- être,
Par M. GOUDEMET .
JUIN 1760. 72
LOGOGRYPHE.
CEn'eft E n'eft qu'avec effroi , Lecteur , qu'on me
voit naître.
Mes cinq pieds réunis , caufent bien du fracas ;
Mais étant divifés , il te plairont peut- être.
Les deux premiers , ont de puiffans appas :
Garde- toi , néanmoins , d'en faire trop de cas ;
Sans quoi,de bon valet, je deviens mauvais maître .
Des trois derniers , le ſort eſt varić :
Leur printemps en plaiſirs fertile ,
Aux ris , aux jeux fe voit afſocié ;
Mais leur hyver fombre & débile ,
Aux rebuts , aux ennuis , paroît facrifié .
Sous une image , encore plas frappante ,
Je vais tâcher de m'offrir à tes yeux.
Ote ma tête... alors na fureur dévorante ,
Seme la terreur en tous lieux .
Ote mon ventre, en me rendant la tête ,
Je m'offre à tes befoins de plus d'une façon .
De moi l'on fait du pain ... & certaine boiſſon ,
Entr'autres , avec moi fe compofe & s'apprête.
Lecteur , tant je me vois en train ,
Je pourrois bien m'étendre davantage.
Mais dois-je être l'objet d'un plus long badinage ,
Div
to MERCURE DE FRANCE.
Moi , qui jamais n'annonce au genre humain,
Que débris , horreurs , & ravage ?
Par M. DESMARAIS DU CHAMBON.
C'EST
AUTRE.
' EST pour un art affreux, dont le monde gémit,
Que dans l'âge de fer , me fit naître mon pere ;
Et de deux élémens , je tiens tout mon crédit.
Quan n'aille pas , d'abord , me prendre pour mon
frere:
Je lui reffemble affez , mais je fuis plus petit.
Il eft , ainfi que moi , formé pour le carnages
Des hommes,tous les deux ,nous fervons les defirs,
Lui , quelquefois , utile à leurs plaifirs ,
Moi , jamais qu'à remplir les tranſports de leur
rage:
Emploi trifte,où furtout, dans ces tems malheureux,
Eux -mêmes font forcés , contre leurs propres
voeux ,
Victimes de mes coups , de me mettre en uſage.
Mon nom , dans les dix pieds , offre ... mais, d'un
Cenfear ,
Déjà la voix fe fait entendre:
Il m'objecte , d'un air mocqueur,
Que je puis des détails lui fauver la longueur,
Tant jefuis facile à comprendre.
JUIN . 1760.
81
Mais , fans douter que tu tiennes le mot ,
Lecteur , on croit fouvent fçavoir ce qu'on ignore
Examine- le bien encore :
Tu verras que tu n'es qu'un fot.
Un for ? le mot peut ne être équivoque !
Rimailleur , tu pourrois ... cher Lecteur , je le diss
Si tu tefâches , c'eft tant pis ,
Car tu trouveras , qu'on s'en moque...
Cependant , je pourrois railler hors de faiſon:
Je le vois dans tes yeux , au feu dont tu t'animes :
Auffi , pourquoi le prendre fur ce ton ?
6
Ne fçais-tu pas , que la raison ,
Ne guide pas toujours le caprice des rimes ?
Avant de t'emporter , confidere un moment,
Qu'une Mufe fouvent , ment :
Bien loin de t'irriter , tu pourras même en rire.
Ou fi ce n'eft l'excale qu'il te faut ;
Venge- toi , j'y confens. Il t'eft permis de dire ,
Que de la Mule qui m'infpire ,
Plût à Dieu , que mentir fut le moindre déffaut !
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON,
DE M. Dela
de Ma ***
***
,
pour , Madame la Ducheffe
à l'occafion d'une très-belle Harpe ,
dont elle lui a fait préfent .
Nota. Cette excellente Harpe , eft faite par le
fieur Salomon , qui a pouffé cet Inftrument à
une perfection qui étoit encore inconnue , même
en Allemagne, où il eft très en ufage.
EST- CE ST-CE Apollon, qui me donne fa Lyre ?
Quels fons touchans , tendres , harmonieur !
Non , c'éft d'Eglé qu'est ce don précieux :
Je le connois aux tranfports qu'il m'inſpire.
Charmante Eglé ! mes voeux font fatisfaits,
C'eſt à tes dons , que je dois l'avantage
De t'exprimer un éternel hommage,
Par des accens dignes de tes bienfaits. I
JUIN. 1760 .
83
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT des Anecdotes morales ,fur la
FATUITE' , & c . par M. DE CAMPIGNEULLES
, Tréforier de France en la
Généralité de Lyon & c. annoncées dans
le fecond Mercure d'Avril 1760. p.
141 .
Il n'y a peut- être pas un homme de
L
Lettres , Monfieur , qui n'ait fenti tout
le défagrément que produifent dans nos
cercles ceux qui prétendent en être les
Héros : il ne faut quelquefois qu'un Fat ,
qui allonge joliment le petit doigt pour
faire briller une bague de prix , & qui
décide en deux ou trois mots inintelligibles
une queftion qu'il n'entend pas ,
pour réduire au filence un homme d'ef--
prit & de bon fens . La Fatuité eft un levain
contagieux qui , fi l'on n'y prend
garde , peut également corrompre nos
ufages & nos moeurs . C'eft comme un
défaut très-dangereux , comme la fource
des travers que nous nous donnons fi
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
completement aux yeux des étrangers ,
comme la caufe prochaine de bien des
vices,qu'on envifage la Fatuité dans l'Ou-*
vrage dont je me propofe de vous entretenir.
L'Auteur nous en préfente , d'abord ,
les dangers , dans l'hiftoire d'une jeune
perfonne , qu'une mauvaife éducation a
rendue coquette ; & qui n'époufe fon Tuteur
, que pour acquérir les moyens de
fe montrer fur le Théâtre du grand Monde
, & d'y jouer le rôle de la petite maîtreffe
la plus décidée. Zelime fait prendre
à fon époux le titre de Marquis ; & dans
le fafte & l'opulence , fe comporte en
Marquife de la derniere élégance. Efclave
de la mode , ce n'eft pas affez pour elle
d'avoir une maiſon , une livrée brillante ,
une cour nombreuſe & une toilette ac
créditée , il lui faut un amant en titre.
Elle en prend un. Elle écarte le feul fur
lequel elle pouvoit jetter les yeux , fans
fe déshonorer M. de Val.. eft facrifié à un
certain Comte qui jouit d'une réputa
» tion acquife & cimentée par des avan
» tures d'éclat. » L'époux de Zelime , peu
fair aux ufages , du grand Monde
peut pas fe familiarifer avec ce dernier
trait d'inconféquence. I furprend la femme
, dans une fituation qui ne lui permet
pas de douter de fa trahifon. Une chûte
י נ כ
9 ne
JUIN. 1760. 88
malheureuſe, & la révolution que lui caufe
ce fpectacle fingulier , le conduit au
tombeau. Zelime dépenfe, en fuperfluités,
les grands biens qu'il lui laiffe . Elle eft
bientôt réduite à fupporter les horreurs
de l'indigence. C'est alors qu'elle réfléchit
, qu'elle fe reproche ces égaremens
d'une fotte vanité qui font fi peu capables
de procurer de vrais plaifirs , qui n'éfleurent
que la furface de l'ame, & la laiffent
dans l'abattement & la langueur. M. de
Val ... , qui s'il eût fallu qu'elle fit un
choix , en étoit digne à tant d'égards
qui auroit pû lui ouvrir les yeux fur les
écarts de fa conduite , & profiter de fon
amitié l'arracher à l'erreur & la rapour
mener à la raison , M. de Val... fe peint
dans fon inagination , tel qu'il eft , & ce
fouvenir ne fait qu'accroître fa douleur .
Ce généreux.morrel, ne l'a point perdu de
vue : Il veut apprendre , fi le malheur l'a
changée. Il fe préfente chez elle , fous un
déguisement qui le rend abfolument méconnoiffable
; & dans l'inftant où Zelime
fe croit abandonnée de toute la terre ,
M. de Val... qui la trouve telle qu'il la
fouhaite , fe jette à fes genoux , lui jure
un attachement éternel , & fous le titre
facré d'ami , lui fait agréer des propofitions
qui lui affurent une fortune hon
86 MERCURE DE FRANCE..
nête , fans bleſſer fon amour propre , ni
la vertu qu'elle doit à fes malheurs.
Cette Hiftoire eft fuivie d'un petit
Conte , qui a pour titre : Ce n'étoit pas
cela. Il avoit déja vû le jour , ainfi que
Le petit- Maître efprit-fort , qu'on trouvé
après. Les Réfléxions ,fur les petits- Maítres,
qui terminent le volume , ont , pour là
plûpart , le mérite de la nouveauté . On
y établit que la fatuité , fous différentes
formes , à prèfque toujours régné parmi
nous ; qu'elle prend fa fource dans le
rafinement de la politeffe & du luxe ;
qu'elle n'étoit pas méconnue des Grecs
ni des Romains ; & qu'elle fe trouve com
munément chez les Nations les mieux
civilifées & les plus riches. » Je trouve ,
» dit M. de Campigneulles , des Petits-
» Maîtres à Madrid , à Londres , à Rome,
» & à Paris. L'Hiftoire m'en montre, à là
" Cour de Darius ; mais l'Hiftoire né
"montre que des hommes chez , les
» Scythes;& je chercherois vainement des
»Petits - Maîtres , en Suiffe. » L'Auteur en
vifage, de tous les côtés, les ridicules qu'il
voudroit détruire : quelquefois il prend
le ton qu'il condamne , & combat la fatuité
avec les propres armes. Il indiqué
l'origine du mot Petit - Maître , & les
nuances qui le diftinguent du Fat. H
JUIN. 1760. 87
s'éleve contre l'efprit de frivolité qui
écarte de l'utile , contre l'efprit de libertinage
qui rompt tous les liens de la
Nature & de l'humanité. Ces morceaux ,
qu'il n'eft pas poffible de faire connoître
dans un extrait , concourent à rendre l'ouvrage
eftimable ; & l'Auteur me paroît
n'avoir pour but , que le bien public. Il
rend juftice aux écrits profonds que no
tre fiécle a produits fur l'adminiftration
le commerce , l'agriculture &c. Mais il
ne croit pas qu'il foit qu'il foit plus glorieux
» d'ouvrir les canaux qui mènent à l'aifance
, que de frayer les chemins qui
» conduisent à la vertu. Cet ouvrage
fe trouve chez Couftellier , quai des Auguftins
, & chez Cuiffart , quai de Gêvres.
Le prix eft de 30 f.
LE NOUVEAU SPECTATEUR ,
Par M. DE BASTIDE.
ON n'a point encore rendu compte
t
de cet ouvrage , dans le Mercure , depuis
qu'il a commencé à paroître : il mérite
pourtant d'être annoncé ; & je vais , avec
plaifir , lui rendre la juftice dont il eſt
digne.
S8 MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage fe diftribua d'abord par
cahiers de 72 pages , qui paroiffoient tous
les dix jours. M. de Baftide étonna le
Public ,, par une exactitude qui annonçoit
la plus grande facilité : en continuant
d'être fidèle à fes engagemens , il a rendu
prèfque incroyable un fait dont il eſt
pourtant impoffible de douter.
M. de Baftide voir très-bien , & penſe
beaucoup. Il pofféède à fonds la connoiffance
du coeur , & ce dédale tortueux
a pour
lui peu de détours cachés . Cependant
en peignant les hommes , en apprenant
à les connoître , il n'apprend point
à les haïr : fa morale eft une fource fécon
de de leçons pour ceux que les vices de
P'humanité ont rendu coupables , & une
fource de confolation pour ceux qu'ils
ont rendu malheureux. Il ne répand ni
les maximes du mépris , ni les femences
de la milantropie : il dit , voilà comme
Phomme eft fait ; mais ne le croyez pas
méprifable , fi monftre qu'il paroît l'être;
la perfection ne dépend pas de lui
autant que la réfléxion : la réfléxion même
n'en dépend pas toujours. Ses vices font
fouvent la fuite d'une progreffion de caufes
affreufes & terribles : plaignez-le, en le
condamnant , & en craignant de l'imiter .
J'ofe le dire , cet ouvrage peint tout
JUIN. 1760.
89
à la fois l'homme tel qu'il eft , & l'homme
tel qu'il peut être : ce font les idées
de la raifon rendues , pour ainfi dire , par
le fentiment.
L'Auteur › parcourt tous les états ; &
montre , à nud , tous les individus qu'il
examine . Quelle variété d'objets ! il ne
fe contente pas de tracer ce qu'il a vû , &
ce qu'il voit ; il puife dans les livres qu'il
a lus , & il lit tous les jours. Son ouvrage
le prouve.
Tout ce qui a paru jufqu'à préfent de
cet ouvrage intéreffant , forme huit volumes
de 432 pages , chacun . Je vais donner
une idée des morceaux qui m'ont le
plus frappé.
Dans le premier volume , il parle d'un
homme qui avoit fait le projet infenfé ,
d'avoir toujours raifon ; & à qui il en
coûta cher pour avoir trop bien fuivi fon
deffein. » Il s'étoit fait , dit il , une fuite
» de principes clairs , & de conféquences
inconteftables... il avoit toujours rai-
» fon ; mais il ennuya. Un malin , s'apper-
» çut de fa manie , la trouva impertinen-
» te , la fit remarquer aux autres ; & dès
» le même inftant, forma une ligue épou-
» ventable contre lui. On ne le ménagea
" point : tous fes difcours & toutes fes
» actions furent critiqués & condamnés.
90 MERCURE DE FRANCE.
» Il crut que tous les hommes étoient
» devenus foux ; & il devint fou lui-mê-
» me. Il eut tort : ſa femme , qu'il avoit
» excédée , l'envoya aux petites-maifons ;
» & elle eût raifon . »-
On voit auffi l'Hiftoire du véritable
Amour : aventure remplie de paffion , &
de délicateffe. Le feul portrait de l'héroïne
, & la peinture des premiers fentimens
qu'elle infpira à ſon amant , fuffiront
pour faire juger du mérite de ce morceau .
Il fuppofe un homme de qualité, exilé en
Allemagne , pour une affaire d'honneur.
C'est lui- même qui parle ici. » Etre Prin-
» ceffe , être belle , être jeune , être char
» mante ; c'eft avoir tout , c'eft être tout
» ce qu'on peut être. La Princeffe étoit en-
» core au-deffus de tout cela : elle avoit
"
•
quelquechofe qui fe fent , qui ne peut
" fe rendre , & qu'on ne pourroit voir
» que dans l'objet qu'on doit aimer ,
quand même il pourroit être ailleurs. »
» La premiere fois que je la vis , j'eus
tout le plaifir de fa beauté. Elle commençoit
la toilette ; elle n'étoit encore
» belle , que par les propres charmes ; &
" je ne crus pas qu'elle pût l'être davan-
" tage : je ne me trompois pas ; mais elle
» eut une beauté d'une autre espéce . Je
m'imaginai voir Vénus , au milieu des
99
n
JUIN 1760.
Nymphes ( car elle prêtoit des grâces à
» les femmes ! ) J'avois été touché : je
>> fus ravi.
* 39
39
22
Je me tenois devant elle , avec un
reſpect dont je n'avois point d'idée .
J'avois été à la Cour , & chez les plus
" grandes Princeffes ; mais je n'avois rien
» fenti en leur préfence , comme je le
» fentois alors. Je n'étois point intimidé ;
» & cependant, je ne fçavois ce que je lui
» pourrois répondre , fi elle me parloit.
Lorſqu'elle me parla , ce fut pour me
dire des chofes fi obligeantes , & fi
fpirituelles , que je me ferois prèfque
» jetté à les genoux , pour lui dire que je
» l'adorois , & c. »
: ر و د
- Le Spectateur rend compte , dans un
autre endroit , de la malheureuſe aventure
d'une Demoiſelle aimable , née avec
les qualités les plus intéreffantes ; mais
trop capable de tendreffe , & de cette
confiance qui égare tôt ou tard un jeune
coeur. Elle s'eft laiffé féduire par de faux
fermens , & fon infidèle a difparu fous
des prétextes vains. Le Spectateur , qui la
connoît & l'eftime, lui arrache fon fecret:
il a eu des liaiſons avec fon perfide ; & il
efpere,qu'en lui écrivant, il fera triompher
l'amour , ou du moins l'honneur. Il lui
écrit. Mais la réponse de celui- ci fait
92 MERCURE DE FRANCE.
connoître toute l'audace , toure l'impu
dence , toute l'atrocité de la plupart de
nos jeunes gens en pareille matière. Le
Lecteur ne fera pas fâché de connoître
ce monument affreux d'infamie , d'autant ·
plus que le fait eft vrai. » La pauvre na-
» ture humaine eft bienheureufe , d'avoir
» encore un Avocat auffi éloquent que
» vous l'êtes ! mais gagnera- t - elle fon
Procès ? L'éloquence ne fuffit pas au-
» jourd'hui , que tout le monde penfe. Il
» y avoit autrefois des loix naturelles :
» il eft venu des ufages , qui ont tout ren-
» verfé J'en fuis fâché pour l'honneur des
fages , qui triomphoient à nous donner
» d'excellens confeils.Heureufement pour
» eux, iis font morts avant la chute de leur
"
Empire il n'y en a plus . Vous qui l'êtes
» encore, fçâchez, mon ami, qu'on ne doit
" pas prononcer légèrement le nom de
» devoir, dans un tems où tout le monde a
» de l'efprit. Tout devoir, doit être fondé
» fur une loi : toute loi , peut être contef
» tée. Un ufage , ne l'eft point ; par conféquent
, l'un l'eniporte fur l'autre , &
" l'on doit s'y fixer. La loi dit, que quand
» on a abufe de lafoibleffe d'une fille , on
doit l'époufer: elle a raifon, en partant
d'après les principes qu'elle établit.
Mais obfervez que ces principes éma-
»
39
JUIN . 1760 . 93
"
33
» nent d'une idée fauffe ; & qu'il n'y aura
plus de devoir pour l'homme , i l'on
" prouve qu'il n'y a point de foibleffe dans
» la fille. Or il eft prouvé , qu'il n'y en a
point. L'expérience , la phyfique , la
» connoiffance générale du fexe , nous
» apprennent &c.& cela pofé, vous voyez
" que j'ai très - peu de chofes à vous ré-
" pondre fur le fait de Mlle * * . Vous
m'apprenez qu'elle eft groffe ? j'en fuis
» fâché pour elle. Vous me demandez
» mon avis fur cette groffeffe ? mon avis
eft , qu'elle accouche .
33
Il y a , dans ce volume , d'excellentes
réfléxions fur les devoirs des peres envers
leurs enfans. M. de Baftide femble ,
ici , infpiré par la nature même. Il s'anime
furtout , & s'emporte , pour ainfi
dire , en confidérant le barbare Defpotifme
qu'exercent trop fouvent les chefs de
famille , envers les malheureux objets de
leur domination. Il examine rigoureufement
leurs droits , & les force à comprendre
que ces droits ont des limites.
Qu'est- ce qu'un pere , dit- il , à l'égard
» de fon enfant ? c'eft le maître d'un terrein
où de jeunes arbriffeaux fe trou-
» vent plantés . Quel nom méritera cet
» homme , fi pour redreffer un de ces
» arbres à peine formés , il déploye toute
94 MERCURE DE FRANCE.
la force de fon bras ? on le devine ; il
» eft inutile de le dire . Qu'arrivera-t- il de
» cette violence brutale , ou du moins ,
imprudente ? l'arbre pliera , mais pour
périr en croiffant , ou pour prendre une
forme vicieuſe qu'il confervera juſqu'au
dernier moment. Plaçons les peres &
les meres dans le même tableau : leur
caractère , leurs devoirs , leur condam-
» nation s'y trouvent : & il ne faut qu'un
» coup d'oeil ,, ppoouurr les y appercevoir. Un
"
pere qui voyant des paffions à fon fils , des
» défauts , des vices même , s'arme d'a-
» bord de toute fon autorité pour redref-
» fer ce jeune coeur , ( arbriffeau toujours
» tendre ! ) un tel pere eft un tyran':
» on entend le jeune arbre crier fous la
,, main homicide qui le martyrife , en le
» redreffant. Il peut arriver deux malheurs
, de cette violence farouche : ou
l'enfant débile périra dans la torture
qu'on lui fait éprouver , ou il fe révol
» tera ; & il ne faut pas douter , qu'en ce
» cas , il ne prenne d'autres vices . Il y
» en a de tout prêts , qui n'attendent
» que la volonté de l'homme malheureux,
ou de l'efclave perfécuté , pour s'offrir
» à lui comme une confolation , ou comme
» un moyen de vengeance. »
">
"
ود
Suit un très-bon Difcours , fur la façon
JUI N. 1760.
ق ر
"
"
impolie & groffière dont la plupart des
maîtres de maifon un peu riches reçoivent
chez eux un nouveau venu , qui n'a pas
l'honneur de l'être. » Je me trouve fou-
» vent préfent à ces fortes de réceptions ,
» dit-il , & j'avoue que mon coeur a gémi
» cent fois du fupplice qu'eft obligé d'en-
» durer celui qui en eft l'objet... Un hom-
» me qui vient vous voir pour la premiere
» fois,fi la vifite eft purement de politeffe,
» eſt une victime qui vient fe livrer à toute
» votre difcrétion. Vous êtes fur votre
terrein , & plus fort que lui , eût - il
» cent fois plus d'efprit que vous , parce
» que fes égards le rendent foible. Il eſt
» timide devant vous , parce qu'il ignore
"fi fa préfence vous fera agréable , fi fa
figure même ne vous déplaira pas : il
» craint mille offenfes. Un pareil état ob-
» tient aisément de l'attention , fi l'on eft
" poli ; mais de plus , il mérite de la pitié
» fi l'on eft humain : car, encore une fois,
» cet homme fouffre. Tout le monde ſçait
» cela , tout le monde en convient , &
» tout le monde l'oublie. Le nouveau
» venu entre ; il dit deux mots on lui
» en dit un , on lui fait figne de s'affeoir ,
» il obéit , & le voilà oublié. On conti-
" nue une partie de jeu : il eft placé au
» bout de la table ; on lui adreffe encore
"
>
96 MERCURE DE FRANCE.
99
»
la parole une fois ou deux , fans lui faire
» l'honneur de le regarder : la politeffe eft
» fi cavalière qu'il peut s'en offenſer ; &
» elle eft fi courte , qu'il n'a pas le tems
d'y répondre . On pourfuit ; & de ce
» moment , il n'est plus queſtion de lui
jufqu'à la fin de la partie : il peut rêver,
cracher, fe moucher , s'étendre dans fon
» fauteuil , mefurer la hauteur du plan-
» cher , le tour de la tapifferie : il pour
» roit mourir ; on ne prendra plus garde
» à lui : c'eſt un atome qui a difparu . Voilà
» comme onreçoit généralement . Quelle
» inhumanité ! .. Si ce n'eft une partie
de
» jeu qui en eft le prétexte , c'eft une con-
» verfation qui en eft la caufe : on a com-
» mencé à raconter l'hiftoire de la veille ,
» objet intereffant, & plus intéreffant cent
» fois qu'un honneur qu'on vient nous
» rendre , qu'une politeffe qu'on vient
» nous faire, c'eft un plaifant qui raconte ;
» il ne faut pas interrompre un parleur qui
» a tant d'efprit : quel meurtre d'inter
» rompre une narration fi vive , fi piquante
! le patient écoute , il n'entend
» que des mots qui lui font totalement
» étrangers ; c'eft une énigme : cependam ,
» il faut qu'il rie avec les autres; fans cela,
il s'appercevra qu'il eſt tout feul ; & on
le traitera comme un homme : férieux
"
"
>>
» qui
JUIN. 1760 . 97
qui a l'infapportable défaut de penfer ,.
".& de vouloir comprendre , avant que
» de rire . »
M. de Baftide finit , par cette judicieufe
réfléxion. Ce défaut général vient fans
» doute de la précipitation que l'on a de
» mettre les jeunes gens dans le monde ,.
» de la négligence à les corriger des dé- .
» fauts de leur âge , & peut - être encore.
» du peu de foin que les femmes apporttent
à fe faire refpecter. Il y a une liai-
» fon fenfible, entre le refpe & pour les fem-
» mes, & la politeffe générale ; & par conféquent
, entre les qualités contraires.
Le fecond volume unit, la même variété,
à un intérêt encore plus général , &
plus fenfible...
22
?
Dans ce volume , l'Auteur nous repréfente
le bonheur d'un homme qui a fçû
modérer fes defirs & fon ambition . Un
de fes amis , lui en fournit l'exemple le.
plus touchant. C'est un homme,né riche,
qui s'eft retiré dans une terre de dix mille .
livres de rente , après avoir fait tout le
bien qu'il pouvoit faire. L'Auteur alla le
voir; & il faut apprendre de lui , les plaifirs
qu'il goûta dans ce petit voyage. » Je
trouvai mon ami , dit- , dans fon po-
» tager , affis fous un berceau qu'il a fait .
élever exprès , pour pouvoir , en tout
E
*
2
98 MERCURE DE FRANCE.
»temps & toute heure , compter fes
» richeſſes car il mépriſe l'or , qui ne
» lu eft plus: néceffaire ; & il préfère de
"
"
belles poires & de belles pêches , à
» d'inutiles écus. Il m'embraffa, avec cet-
» te joie vive , qui fort de l'âme , & la
peint fi bien ! ... Auffi charmé que lui , je
» voulus vifiter fes vergers & fes jardins ,
» déjà chers à mon coeur par le bonheur
» de mon ami. J'y trouvai partout le goût
» & l'abondance : la main du maître ,
» cette main , que dans le monde , le tu-
» multe, & l'agitation continuelle , ne per-
» mettent d'appliquer à rien, étoit ici im-
» primée partout. Nous prîmes le chemin
» de la ferme. En m'y conduifant , il me
parla de fes moutons , de fes vaches ,
» de fa baffe- cour .Je l'écoutois : je voyois
» cette petite vanité de fentiment , qui
» manifefte fi bien le bonheur ; & je fen-
»
tois que je prenois des rapports avec
» tout ce qui l'excitoit en lui. Vous êtes
toujours content de votre fermier , lui
» demandai je ? Oh ! toujours , me ré-
» pondit-il c'eft un homme comme il
» n'y en eut jamais ; vous allez le voir :
» vous ferez charmé de le connoître. Il
» eft bon qu'un fpectateur voie les hom-
» mes dans leur état , dans leur maison ;
» celui - ci vous retracera les anciens
<
JUIN. 1760. 99
室temps , ces temps où l'on dit que l'innocence
habitoit fous le chaume : vous
jugerez fi l'on nous a conté des fables.
Pour moi je ne le crois plus , quand je
» vois mon ami Dufour . Nous arrivâmes ;
& le premier objet que nous apperçûmes
, fut juftement le fermier . Son air
vénérable , me frappa :fa façon feule d'aborder
fon maître,me fit juger du refpect
» & de l'attachement qu'il a pour lui. Eh
bien ! maître Dufour , lui dit - il , comment
vous portez-vous ? Nous venons
» vous voir.Monfieur, lui répondit- il, vous
me faites trop d'honneur ; ma lanté eft
» toujours bonne ; les gueux, ont ce privilége-
là. Ah reprit mon ami , je ferois.
» bien fâché que vous fuffiez gueux.Je ne
33
le fuis pas non plus ; reprit-il , avec un
» aimable fourire: je ne puis jamais l'être,
avec votre bonté. Nous entrâmes dans
la maiſon ; & maître Dufour nous en
fit les honneurs avec plus d'aifance,
que n'en ont bien des gentilshommes
» dans leur château à baſtions. Nous nous
safsîmes ; & le bonhomme reftoit de
»
bout. Son maître lui dit de s'affeoir ; il
» fe plaça vers la porte . Venez vous
mettre ici , reprit mon ami ; venez ,
» maître Dufour ? vous ne devez jamais
» mettre de diſtance entre vous & moi ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
fouvenez-vous que vous m'avez fauvé
la vie ; & que fans vous , je n'aurois pas
» le bonheur d'être ici. Mais, pourfuivit-il,
» je vous vois là un enfant que je ne vous
» connoiffois pas ! il eft joli ; quel âge a
t- il ? Il a cinq ans , Monfieur ; mais il
» n'eft point à moi : c'eft un petit orphe
» lin, que j'ai retiré depuis huit jours. Un
» orphelin : Vous ne m'avez pas parlé de
cela , maître Dufour. Je vous le recommande
; & je m'en fie à vous . D'où
» vous eft- il venu de la providence ,
» Monfieur. Il vient de bonne main
maître Dufour ; je ne veux pas vous en
priver : vous lui donnerez du pain ,
» moi des habits. Vous fçavez , pourtant ,
de qui il eft né ? oui , Monfieur , ma
femme l'a nourri : fon pere étoit un
pauvre Officier, qui vient d'être tué ; fa
» mere eft morte de chagrin , & l'on me
l'a apporté,penfant bien que je le rece-
肇
" vrois. C'eft que l'on connoît votre bon
» coeur. Mais vous ne me parliez pas de
tout cela : le fils d'un Officier ! maître
Dufour , je vous le recommande , je
» vais vous envoyer du linge ; il faut qu'il
ne manque de rien ; que le Maître d'Ecole
en prenne fain ; je payerai tout
» cela : j'ai encore quelques louis , au fer-
» vice des enfans des Officiers ...
1001
JUIN. 1760.
101
Suit l'aventure plaifante d'un jeune
homme de Province mal élevé , comme
l'eft le grand nombre . Il faut encore entendre
le Spectateur raconter lui - même .
J'étois l'autre jour , dit- il , chez l'aimable
Marquife de ** , la femme de Paris
» qui faifit le mieux un ridicule , en rit le
plus volontiers , & le pardonne plus aifément
. Nous nous entretenions libre-
» ment de mes feuilles , & elle me four-
» niffoit d'excellens fujets à traiter ; lorfqu'on
lui annonça M. Gauchefort . M.
» Gauchefort ! s'écria-t- elle , le plaiſant
nom : je ne connois point cela. C'eft un
Monfieur qui a une longue épée , un
long col , de longues jambes , & l'air
"fort fot , dit plaifaniment la femme de
chambre,qui annonçoit..Faites entrer,dit
» la Marquife: je ne conçois pas comment
on ofe fe faire anoncer avec de certains
» noms ! ni fe préfenter avec de certains
» viſages, lui dis je : car je vois la tournure
» de celui -ci .
"
$
» Nous allions éclater ; il fallut nous
contraindre. Gauchefort entroit ; & à
» fa premieré révérence , nous comprîmes
que nous étions obligées , en conf-
» fcience, de le ménager. Il tenoit une Lettre,
qu'il préfenta à la Marquife , avec
toute la mauvaife grâce d'un homme
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
"
"
"
50
و د
» qui n'auroit que la moitié des refforts
» qui font aller le bras & l'épaule... Lorf
» que la Marquife eut lû la Lettre , il me
» parut
qu elle vouloit lui montrer de la
» bonté. Il lui étoit ad effe ,par un ami : elle
» lui parla très- obligeamment. Il répondit
» & nous vîmes qu'il étoit encore plus fot,
» qu'il n'en avoit la mine . Il arrivoit de
province, pour fe façonner... Il fe tenoit
debour & très-éloigné d'elle : elle lui
» dit de s'approcher du feu , & le lui ré
péta ; mais mon noble gentilhomme , ne
fçavoit que reculer. La Marquife , qui
» commençoit à fouffrir , infifta fort ; &
» comme elle vit qu'il n'étoit pas diſpoſé
elle fit un pas vers à fe rendre ; lui
pour
» l'obliger à céder : mais lui , dont la ré-
» fiftance étoit notée , fit un fi terrible
écart , que d'un coup de talon il ren-
» verfa une chifonnière , quatre taffes de
» la plus belle porcelaine , une chocola
tière & tout le chocolat qu'elle renfer
» moit... La Marquife, qui a l'âme noble ,
» & qui d'ailleurs avoir plus fouffert de
»fa contrainte qu'elle ne fouffroit de
la perte de fes taffes, fit un éclat de rire ,
en lui criant de fe raffurer , car il étoit
prêt à fuir. Mais il eft queftion de le
» déterminer à s'approcher du feu ; &
» c'est qu'il eft impoffible d'obtenir. Elle.
59
»
"
ود
و د
JUIN. 1760. 103
» prie , preffe , fupplie : l'entêté femble
» frémir, au danger de fe rendre. Au moin-
» dre mouvement qu'elle fait , le flot qui
» l'apporta recule épouvanté... Enfin elle
» avance un fiége ; il faut céder : il faut fi-
» nir.Il va s'affeoir dans un fauteuil, qui eft
» contre la porte; & ne prenant point gar-
» de qu'il y a deffus une guitarre;d'un coup
» de derriere, il brife & met en piéces l'inf-
» trument chéri d'Apollon & des grâces,
» Le bruit l'épouvante ; les cris affreux
» de la victime, lui impriment la terreur ;
» il fe croit pourſuivi par des mânes terribles
: il fe fauve ; & ne prenant pas
» garde encore qu'il y a une porte , il la
heurte lourdement , & va tomber fur
» le parquet de l'antichambre. »
Je paffe fur beaucoup de morceaux ,
qui mériteroient chacun des détails
particuliers : Tels , par exemple , que
celui ou l'Auteur exprime les avan
tages de l'adverfité . Ce Difcours eft fi
rempli de vérité , de fentiment & de philofophie
, qu'une Dame a dit , qu'il prenoit
envie de devenir malheureux , en le
lifant. Je veux pourtant m'arrêter à la
defcription d'une petite maiſon , où tous
ce que l'art , l'efprit , & l'amour peuvent
infpirer , fe trouve repréfenté à chaque
moment. Les Architectes les plus célèbre
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ont applaudi à ce charmant édifice ; &
je m'imagine que quelque jour un homme
de goût , favorifé de la fortune , ſera
tenté de le faire réaliſer . A la fituation ,
& aux beautés du lieu , l'Auteur a joint
une fituation de fentiment , une intrigue
d'amour : mais quelle intrigue ! elle infpire
l'honnêteté & la vertu même. Il feint
une féinme aimable , légère , vive , fans
attachement, qui n'a jamais rien aimé, &
qui croit pouvoir n'aimer rien. Elle défie
les hommes de pouvoir la toucher; Trémicour
la défie à fon rour de venir dans fa
petite maifon : ils font une gageure , elle
y vient . Elle a bientôt lieu de s'en répentir.
Tout l'enchante , tout la féduit dans
ce lieu de délices ; mais le ton du maî
tre de la maifon , fon efprit , fon amour
fon refpect aimable , lui font furtout une
vive impreffion : elle veut s'en défendre ,
elle ne le peut pas elle fent qu'elle
رد
ne
le peut point ; à chaque inftant , c'eft un
charme nouveau. Elle veut fe retirer :
Trémicour l'arrête : » Où voulez- vous aller,
lui dit-il, en frémiflant ? Melite,j'ai
» mérité que vous m'écoutaffiez ; fongez
" combien je vous ai refpectée : affeyez-
» vous , ne craignez rien ; mon amour
» vous répond de moi... Je ne veux pas
» vous entendre , lui dit - elle : à quoi ma
>
JUIN. 1760 . 105
1
complaifance aboutiroit- elle ? Vous fça-
>vez , que je ne veux point aimer : j'ai
» réſiſté à tout... Elle fut cependant
obligée d'y fouper. Et lorfqu'on eut fini
le deffert , Trémieour par fes foupirs , par
fes chanfons , par fes tranfports , lui fit
craindre un danger fi inévitable , qu'elle
voulut encore fortir ; mais il l'arrêta
avec une douce violence. » Eh bien ,
» Monfieur, lui dit - elle, avec effroi , quel
» eft votre deffein ? que prétendez- vous
as faire?.. Vous adorer , & mourir de
douleur je vous parle fans impof-
» ture , mon état m'eft nouveau ; je fens
» qu'il me faifit ; Melite , daignez m'é-
» couter... Non , Monfieur , je ne vous
écouterai point , je veux fortir... Je
» veux que vous m'eftimiez , répondit- il;
que vous fçâchiez que mon refpect égale
» mon amour ; & vons ne fortirez pas.
Elle s'affit. Melite je ne vous tromperai
point , je fçaurai mériter un bonheur
» qui m'aura appris à penfer ; ayez pitié
de moi ! .. vous riez ? .. je vois tout ,
dit-elle ; & cet aveu renferme tout : je
ne fuis pas fotte , je ne fais pas faulle :
mais que voulez -vous de moi ? Trémicourt
, je fuis fage ; & vous êtes inconf
cant .. Oui je le fus c'eft la faute des
» femmes que j'ai aimées ; elles étoient
"
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
» fans amour elles- mêmes . Ah ! fi Melite
» m'aimoit : fi fon coeur... Elle ne répon-
» dit rien ; & il crut qu'il pourroit abu-
» fer de fon filence. Il ofa... mais il fut
» arrêté , avec plus d'amour qu'on n'en a
>>fouvent quand on céde & c. »
On peut croire que M. de Baftide a eu
deffein de critiquer tout à la fois le mauvais
goût de la plûpart des petites maiſons
que l'on vante dans Paris , & l'indécence
des femmes qui vont y perdre le peu de ré
putation que leurs intrigues leur ont laif
fé : objet vraiment digne des réfléxions
d'un Spectateur. Le refte de cette aventure
développe fon deflein , & fait autant
d'honneur à fes moeurs , qu'à fon imagi
nation . C'eft dans le livre même , qu'il
-faut le lire.
Je continuerai l'extrait de cet ouvrage ,
dans le Mercure prochain ; mais je paffe
rai tout de fuite aux deux derniers volumes
, pour ne pas m'arrêter trop long
temps fur le même objet.
Le nouveau Spectateur fe trouve chez
Duchefne , Libraire rue S. Jacques , au
Temple du Goût. Ce qui en a paru jufqu'à
préfent , forme comme je l'ai dit , huit
volumes de 432 pages chacun. Ils fe ven
dent féparément 3 liv i fou tous
enfemble 28 liv. 16 f
JUIN. 1760. 107
SECONDE LETTRE
SUR L'ART DE PEINDRE ,
EN
Poëme de M. Watelet.
N vous donnant , Monfieur, une idée
du Poëme fur l'Art de peindre , j'ai mo
déré autant qu'il m'a été poffible les
éloges que je lui devois ; la crainte de
me livrer trop à mon goût particulier ,
& de vous être fufpect , comme on l'eft
toujours quand on fe paffionne , a retenu
ma plume. Mais aujourd'hui que j'ai re
cueilli les fuffrages des connoiffeurs , foit
en Poëfie , foit en Peinture ; je puis vous
annoncer pofitivement , que cet ouvrage
les réunit tous.
A
Obfervez cependant , Monfieur , qu'un
Poëme Didactique, eft toujours une théorie
infuffifante. Les Géorgiques de Virgile
, feroient un mauvais cultivateur. Celui
qui n'auroit étudié que la Poëtique
d'Horace , ou celle de Boileau , n'auroit
qu'une idée vague & fuperficielle de la
Poëfie. L'ouvrage de Pope , fur le bien &
le mal , ne réfout point ce grand problême.
Son éffai, fur la critique, n'eft réel-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
lement qu'un éffai. J'ofe dire , que de
tous ces Poemes , celui ci eſt le plus exact,
le plus détaillé , le plus utile pour la
pratique . Mais il ne fauroit fuffite à qui
veut raifonner les régles de l'Art , & g'opérer
que par principes.
Il laiffoit donc à defizer les réfléxions
que l'Auteur y a jointes , & que vous
allez parcourir avec moi. Rien n'eft plus
clair , ni plus méthodique : c'est l'étude
la plus attentive de la belle Nature ; c'eſt
le fentiment le plus délicat , le plus ex
quis , de fes nuances & de fes variétés ;
c'eft l'enchaînement & l'accord de tou
tes les connoiffances utiles à un Artiſtes
c'eft en un mot l'ouvrage de la Philo
fophie & du goût réunis , j'oſe le dire ,
dans un degré furprenant.
f
Les Proportions & l'Ensemble , donnent
l'Equilibre & le mouvement de là
naiffent la beauté & la grâce : celles- ci deviennent
fenfibles par la Couleur & la Lu
miere,dont la combinaiſon produit le clair
obfcur, & l'harmonie de la Peinture.L'effet,
réfulte de toutes ces parties; & l'expreffion,
contribue effentiellement à l'effet. Ainfi,
l'Auteur traite des proportions , de l'en,
femble , de l'équilibre & du mouvement,
de la beauté & de la grâce, de l'harmonie
& de la couleur , de l'effer , de l'expref
fion & des paffions qu'elle doit rendre.
•
109 JUIN.1260.)
I. Avant d'indiquer la meſure des proportions
, M. Watelet nous prévient qu'on
employe rarement en Peinture les mefures
détaillées ; parce qu'elles ne peuvent
avoir lieu dans les racourcis , & qu'il n'y
a point de figure peinte dans laquelle les
racourcis ne foient en grand nombre
Tout ce qui eft vû, dans la fituation hori
zontale , diminue aux yeux, fa longueur
réelle.
Mais il n'en eft pas du Sculpteur, comme
du Peintre il doit s'appuyer continuellement
fur les mefures , & les obferver
jufques dans les détails ,
Comme l'Art du Peintre veut beaucoup
d'enthoufrafine ; l'ufage froid & leat des
mefures ne lui convient pas , dit M. Waidler
. Cependant il veut , avec raifon, que
Le Peintre en ait acquis , en commençant
à deffiner , une connoiffance réfléchie ,
pour aavoir,comme on dit, le compas dan &
P'oeil, elk ab
, C'eft fur l'Oféologie ou l'étude du
fquelete , que M. Watelet fonde la connoiffance
des proportions. Mais dans les
accroiffemens & les développemens des
parties du corps humain , il obferve que
la nature ne fe montre pas uniforme , &
non feulement dans les différens âges ,
mais dans les differens états de la vie x
&&
110 MERCURE DE FRANCE.
dans les fexes , les climats , les moeurs ,
les travaux , les exercices du corps , &c.
Il trouve les caufes de cette diverfité de
proportion , que la nature lui préfente. Sa
théorie eft appuyée fur la pratique des
plus grands Maîtres ; & l'on voit ici les
raifons qu'ils ont eues de varier les dimen
fions des parties du corps , felon les circonftances
qu'il vient d'indiquer. Par
exemple :
» Les Anciens donnent fept têtes &
» trois parties de hauteur à Vénus. Telle
» eft la ſtatuë de Vénus Médicis, & la pro-
» portion de la Déeffe Beauté. La ftatuë
# qu'on connoît , fous le nom de la Bergere
Grecque , qui peut être Diane , ou
une de fes Nymphes fortant du bain ,
> a , dans la proportion de fept têtes ,
» trois parties & fix modules , un carac-
» tère qu'elle doit fans doute à l'exercice
» de la chaffe , & aux danſes qui devoient
» rendre la taille des Nymphes fvèlte &
agile.
C'eft ainfi que M. Watelet recherche
les principes de l'Art, dans la Nature mê
me . Les demi- connoiffeurs apprendront
de lui , à ne pas précipiter leurs Jugemens
frivoles , à ne pas condamner d'un coup
d'oeil, comme un caprice de l'art , ou comme
un oubli de l'Artiſte , ce qui ſouvent
1
JUIN. 1760.
FIT
eft le fruit de l'étude la plus réfléchie , &
le réſultat des plus favantes combinaiſons.
Pour rendre fenfible aux yeux la mani
ère de mesurer les parties du corps , &
donner en même temps les modéles des
plus belles proportions ; M. Watelet a
deffiné , à la fuite de cet article , la figure
de l'Antinous , & celle de la Vénus de
Medicis , avec les divifions des parties,
& l'échelle des proportions.
II. L'Enſemble , eft ce qui préfente à la
vue l'union des parties d'un tout , dans un
tableau : la correfpondance , l'affortiffement
& l'accord des parties , s'appellent
le tout enfemble ; & M. Watelet le diftingue
de l'ensemble d'une feule figure con
fiderée en elle-même.
La beauté de l'enſemble, priſe dans le
repos , eft la même que celle des proportions
: mais la beauté de l'enfemble , confiderée
dans un corps en mouvement , eft
dans l'apparence du jeu des Muſcles ; &
& pour le rendre fidélement , M. Watelet
recommande aux jeunes Peintres l'étude
de la Myologie. » Comment , dit - il ,
» imiter avec préciſion dans tous les mou
» vemens combinés une figure mobile ,
» fans avoir une idée jufte des refforts qui
la font agir ? L'Artiste ne doit jamais
» déffiner un ensemble , qu'il ne fe rende
112 MERCURE DE FRANCE.
compte de la caufe intérieure des for-
» més qu'il trace.
Quelques Peintres ont abufé de leurs
études anatomiques ; mais de quoi n'abufe-
t-on pas? Si quelques Poetes ont fait ,
dans leurs vers , un vain étalage d'érudition
; faut-il en conclure , qu'il eft dangereux
pour un Poëte d'avoir approfondi
les connoiffances relatives à fon Art &
aux fujets fur lefquels il s'exerce ?
» Plus le Sculpteur & le Peintre ont
profondément étudié la conftruction intérieure
de la figure ; plus ils doivent
✪ avoir d'attention à ne pas fe féparer in-
» difcretement de leurs connoiffances; plus
ils doivent avoir de foin à imiter l'adreffe
que la nature employe à cacher fon mé-
≫chaniſme.
»
Proportion noble & mâle, que notre
imagination exige dans l'image des héros
; ensemble fléxible & délicat qui nous
plaît , & qui nous intéreffe dans les
» femmes ; incertitude des formes dont
les développemens imparfaits font les
agrémens de l'enfance ; caractère (vèlte
» & léger , qui dans la jeuneffe de l'un &
» de l'autre fexe , ' ' rend les articulations
» à- peu- près femblables , & produit des
» mouvemens naïfs & pleins de grâces" :
tellés font les apparences charmantes
» fous lefquelles la nature cache ces os ,
JUIN. 1760: 113
dont la feule idée femble nous rappeller
l'image de la deftruction , & ces
» muſcles dont la multitude & la com-
» plication effrayeroit la plupart de mes
» lecteurs , fije leur en faifois ici le détail.
(Il l'a fait , dans les fçavans Articles qu'il
a donnés à l'Encyclopédie , & plus expreffément
dans l'Article FIGURE. )
III. L'équilibre , & le mouvement du
corps humain , font traités fçavamment
dans ces réfléxions .
L'équililibre d'une figure eft , dit M.
Watelet , le réfultat des moyens qu'elle
» employe pour fe foutenir , foit dans le
mouvement , foit dans une attitude de
» repos..... On peut confidérer , ajoutet-
il , l'action d'une figure , comme le
» réſultat d'un nombré infini d'attitudes,
» dont chacune a eu un moment de ftabi-
» lité. Cette idée , eft jufte & lumineule ;
elle rend fenfible la faculté qu'a le Peintre
de choisir entre tous ces repos fucceffifs &
momentanés dont une action eft compo
fée , celui qui a le plus d'expreffion , de
force & de grâce.
... Parune Loi, que la nature impofe aux
corps qui fe meuvent , la figure en ac-
» tion doit paffer alternativement & con-
» tinuellement de l'équilibre , qui confi
fte dans l'égalité du poids &de fes parties
"
114 MERCURE DE FRANCE
» balancées & repofées fur un centre,à la
» ceffation de cet équilibre : c'est-à- dire ,
» à l'inégalité du balancement.
» Le mouvement naît de la rupture du
parfait équilibre ; & le repos vient du
» rétabliſſement de ce même équilibre.
»
» Le mouvement fera d'autant plus
» fort , plus prompt & plus violent , que
» la figure dont le poids eſt également
» partagé de chaque côté de la ligne qui
» la foutient , en ôtera plus d'un de ces
» côtés pour la rejetter de l'autre , &
» cela avec une plus grande précipita
» tion.
L'Auteur , pour fimplifier les régles
femble avoir tout réduit au principe du
levier. Un homme ne pourra remuer
» ou lever un fardeau , qu'il ne tire de
»foi-même un poids plus fort que celui
qu'il veut mouvoir , & qu'il ne le porte
» d'abord du côté oppofé à celui où eſt
» le fardeau qu'il veut élever. Ceci né
doit pas être pris à la lettre ; & il eft des
actions de ce genre où le reffort des par
ties a pplluuss ddee part que leur poidsabfolu.
La force d'un homme courbé en avant,
pour lever un fardeau qui eft à ſes pieds ;
ne vient pas du balancement des foli
des , mais de la tenfion , de la contrac
tion des muſcles du corps ; & cette action.
JUIN. 1760. TIS'
me femble analogue à celle d'une corde
humectée qui fe gonfle & fe raccourcit. :
De même, en parlant de l'équilibre fimple
, M. Watelet femble n'avoir confidéré
que les maffes , fans égard aux diftances :
mais quiconque , a les premieres notions
de la Statique , entendra aifément que la
prolongation du levier fuplée à la maffe
& au poids abfolu ; & qu'un bras étendu ,
par exemple , contrebalance un poids
beaucoup plus grand que le fien . C'eft ce
que le Sculpteur & le Peintre ne doivent
jamais perdre de vue. » Et c'eſt ainfi , dit
» M. Watelet , que la chaîne qui unit les
» connoiffances humaines,joint ici les loix
» du mouvement à l'Art du Deffein, comme
» elle a réuni cet Art àl'Anatomie,lorfqu'il
» s'eft agi des proportions& de l'enfemble;
» & comme elle raffemblera le Chymifte
» & le Peintre, pour l'objet phyſique des
» couleurs . »
IV. Rien n'eſt plus difficile à définir
que la beauté on ne l'apperçoit que
par fentiment ; & ce fentiment eft fuf
ceptible de toutes les altérations du préjugé
& de l'habitude. Une âme fenfible .
délicate & neuve , s'il eft permis de le dir
re , diftinguera partout la beauté fans la
définir. Mais qui peut fe flatter d'avoir
ce tact infaillible ? qui peut fe répandre
THE MERCURE DE FRANCE.
R
à foi-même de ne juger que par fentiment
? M. Watelet renvoye les Artiftes
aux modéles reconnus beaux , de l'aveu
de plufieurs fiécles. » En comparant ces
» modéles antiques , avec la nature ; en
méditant fur ces comparaiſons ; en élevant
leur efprit , j'oſe dire même en
» épurant leurs coeurs ; ils fe feront une
habitude de penfer la beauté , de la
» fentir , & de la rendre . Mais après feur
avoir indiqué le moyen le plus für de dêterminer
la beauté dans les Arts , M. Wazeler
propofe une régle pour la diftinguer
dans la nature ; ou plutôt , pour fe rendre
raifon du fentiment qu'elle excite en nous.
•
Il croit donc , que la Beauté du corps
humain confifte dans l'aptitude la plus
parfaite à remplir le deffein de la Nature
, dont l'objet principal eft notre confervation.
Il parcourt tous les mouvemens
du corps qui tendent le plus direc
rément à ce but. » Tous ces mouvemens,
dit il , feront d'autant plus faciles à
» exécuter par l'homme , que fa confor-
» mation fera plus développée & plus
parfaite... Auffi le terme de Beauté, n'atil
jamais une expreffion plus frappante
, que lorfqu'il s'applique à la jeuneffe
... Remarquez la jeuneſſe , au moment
où elle eft prête à atteindre le dernier
د ر
JUIN. 1760 .
117
32
13
39
degré de développement des proportions
, & de l'enfemble : cette jeuneffe ,
parfaitement conformée, dont les mou-
" vemens faciles font , par conféquent ,
agréables ; & dont les mouvemens
" prompts & adroits , lui font par- là plus
» utiles. Voilà ce qui renferme , vérita- ›
" blement , toutes les idées de la Beauté.
" Les Grecs ont eu ces idées plus déve
loppées, plus fenties, & par conféquent
» plus évidentes que nous ne les avons ,
" à caufe des jeux , des combats , & des
" exercices qui offroient à leurs yeux très-
» fréquemment ce rapport des proportions
" de parties , avec l'ufage de ces parties.
" Ils étoient inftruits à fentir & à juger ;
" en même temps que leurs Artiftes l'e
" toient à choisir & à imiter.
33
"
1
»V. Comme la Beauté confifte , felon
» M.Watelet 31x dans une conformation
" parfaitement relative aux mouvemens
" qui nous font propres ; la grâce confifte
» dans l'accord de ces mouvemens avec
» ceux de l'âme. Cette idée , n'eft pas
moins jufte, que la premiere. » Les mou-'
» vemens de l'âme des enfans, font fim-
» ples ; leurs membres,dociles & Touples.,
" Iréfulte,de ces qualités,une unité d'ac
tion & une franchife qui plaît. L'enfance
& la jeuneffe , font les âges des 22.
18 MERCURE DE FRANCE.
grâces ; l'âge mûr s'y refufe, & la vieil-
» leffe en eft privée .
Tout cela fuit clairement du principe
lumineux que M. Watelet vient d'établir.
On voit auffi , pourquoi les fentimens les
plus fimples & les plus doux , font ceux
qu'on exprime avec le plus de grâce ;
pourquoi les agitations compliquées , les
paffions violentes , n'en font pas fufceptibles
; » pourquoi le fexe plus fouple dans
»fes refforts , plus fenfible dans fes affec-
» tions ; dans lequel le plaifir de plaire
» eft un fentiment en quelque façon in-
» dépendant de lui , parce qu'il eft nécellaire
au fyftême de la nature ; pour-
» quoi ce fexe enfin,qui rend la beauté plus
a intéreffante, offre auffi lorſqu'il échappe
»à l'artifice & à l'affectation , les grâces
» dans l'aſpect le plus féduifant.
» Les grâces ne fuppofent pas éffentiel-
» lement la beauté ; l'enfance, qu'on peut
» regarder comme un âge où le corps eft
imparfait , n'en eft pas moins fufcep
» tible de grâces : mais la fanté eft faavorable
aux grâces , & fert de luftre
n à la beauté.
Pour rendre fenfibles les idées pleines
de délicateffe dont cet article eft compofé
, M. Watelet propoſe un tableau. Le
fujet eft fimple ; c'eft la rencontre de deux
JUIN. 1760. 119
amans : mais qu'il a fçû le rendre touchant
, dans fa naïveté ! Et que celui qui
peint avec de fi vives couleurs , eût pu
s'égarer agréablement , s'il eût voulu ,
dans un Poëme fur l'art de peindre !
.
VI. L'harmonie de la lumière & des
couleurs , eft la magie de la Peinture.
L'art d'éclairer les objets , eft bien fimple
dans fon principe : il s'agit de fixer
un centre à la lumière ; & de tirer de
ce point une infinité de lignes , ou de
rayons : toutes les parties des objets que
ces lignes toucheront , feront éclairées ,
les autres feront privés de lumière ; c'eſt
ce que les Peintres, appellent clair-obf
cur. Les points du tableau les plus voifins
du centre de lumiére , feront les plus
éclairés les plus éloignés le feront moins;
cela s'appelle dégradation . Les différentes
dégradations forment l'accord du clairobfcur.
Il y a une eſpèce de fympathie
& d'antipathie entre les couleurs ; &
chaque couleur a des nuances , qui de
la plus foible teinte, s'étendent jufqu'à la
plus foncée : c'eft un heureux choix ,
un mêlange harmonieux de ces couleurs ,
& de leurs nuances , qui fait la beauté
du coloris. La diftance d'un objet à
" l'oeil de celui qui le regarde , rend la
» couleur de cet objet plus ou moins frap120
MERCURE DE FRANCE
" pante : Voilà, dit M. Watelet, des dégra
» dations qui ne font pas précisément cel
» les qui naiffent de l'ombre & de la lu-
» mière.
Ce n'eft pas toutefois que la caufe phyfique
n'en foit la même ; car la couleur
ne paroît plus ou moins vive , que parce
que la lumière eft plus ou moins affoiblie
dans fon trajet , foit depuis le centre
de la lumière jufqu'à l'objet éclairé , foit
depuis l'objet éclairé jufqu'à l'oeil : ainfi
la dégradation n'eft jamais que la lumière
affoiblie ou dans l'incidence , ou dans la
réfléxion.
» Il fe fait encore , dit M. Watelet
» un rejailliffement des couleurs les unes
» fur les autres , & d'une petite partie de
» la lumière des objets éclairés fur ceux
qui font dans l'ombre : c'eft ce qu'on
» appelle Reflets . b, in mach an aita
4
L'harmonie des couleurs naturelles et
inimitable au degré de la vérité ; &
M. Watelet ne rend que trop évidente ?
l'impoffibilité de remplir par degré toute
l'étendue des nuances qui fe trouvent
dans la nature, depuis l'éclat de la lumière
jufqu'à ce qui approche le plus de fa privation
totale. Il et donc néceffaire
qu'un Peintre fe forme une léchelle
» moyenne : mais cette échelle qui doit «
» tenir
1
H
JUIN. 1760 : 121.
tenir un milieu jufte entre les extrémités
» pour être la meilleure qu'il eft poffi-
"ble , dépend -t - elle de la volonté de
» l'Artifte ?
Le Clair -obfcur , c'eft-à- dire , l'accord
de l'ombre & de la lumière , abſtraction
faite des couleurs , produit un effet dont
le fentiment eft commun à tous les hommes.
Il n'en eft pas de même , de la couleur
locale : les variétés qui exiftent dans
les différens organes de la vue , peuvent
influer puiffamment fur cette apparence
colorée & tranfmife à nos fens , & l'apparence
des reflets de la couleur doit varier
de même dans les différens points de
vuë. Des deux parties , d'où réfulte l'harmonie
de la Peinture , celle dont l'effet
eft le plus certain eft donc le clair- obfcur.
» Je penfe , dit M. Watelet , que
» l'harmonie colorée dépend infiniment
» des organes des Peintres ; & que l'harmonie
du clair- obſcur , dépend prèſque
» entierement de leurs obfervations , &
de leur jugement . Ceux qui pratiquent
» cette derniere partie , à un certain de-
» gré de jufteffe , doivent parvenir à pro-
❤duire une illufion générale & fatisfai
» fante : d'où il paroît conclure, que l'Artike
obligé d'en croire fes yeux pour la
couleur locale , doit donner la principale
F
122 MERCURE DE FRANCE
étude à l'harmonie du clair- obſcur.
1
N'avez-vous jamais fait , Monfieur , au
fujet du Coloris, une réfléxion qui me femble
devoir ſe préſenter à tout le monde ? '
Il eft des Peintres dont leColoris eft faux,.
non - feulement aux yeux de quelques
hommes , mais au fentiment de tous ; tel
eft celui du Pouffin . Je ne puis croire que
les organes de l'Artifte en foient la caufe;
& je penfe , qu'il ne s'éloigne de la nature
, que pour s'être fait , fans la confulter
, un fyftême de couleur arbitraire &
capricieux , tel qu'il eft dans les écoles ; "
ou pour n'avoir pas eu l'art de former ,par
le mêlange des couleurs primitives , le ton
& les nuances qu'il appercevoit dans l'objet.
Nous ne voyons pas tous , dans les
objets , la même couleur locale , mais
auffi ne voyons nous pas tous les mêmes
couleurs fur la palette du Peintre ; & ces
deux différences, exactement, compenfées"
l'une par l'autre , doivent faire choifir à
deux Peintres la même couleur, pour rendre
le même objet. En fuppofant donc ,
par exemple , que fe Pouffin vit dans la
nature des chairs livides , il devoit voir
livide auffi la couleur que Rubens avoit
employée pour imiter des chairs vermeilles
, & les employer comme lui. Par la
même raifon que tous les hommes s'ac-
(
JUIN. 1760.
123
cordent à dire que deux objets font de la
même couleur , fans varier même fur les
nuances , deux Peintres devroient rendre
de même le coloris de la nature ,
quoiqu'ils l'apperçoivent différemment ;"
& je ne puis comprendre , que le plus ou
moins de vérité qu'ils y mettent , vienne
de la différente conformation de l'organe
de la vuë : c'eft ce que j'aurois bien
voulu que M. Watelet eût approfondi .
VII . Il y a deux fortes d'effets ; les uns
font permanens , & le choix en doit être .
décidé par la beauté des objets & leur
convenance : il y a des effets paffagers.
» Pour avoir une idée de ceux - ci , confi-
» derez , dit M. Watelet , la lumière & les
paffions. La lumière varie continuellement,
les paffions n'ont jamais de fta-
»-bilité.
C'eft furtout du concours des circonf
tances & du jeu des oppofitions , que réfultent
les effets . Rien de plus commun
dans la nature , que les oppofitions ; rien
n'est plus rare, dans l'imitation , que d'en
voir de vraisemblables. Le goût du Peintre
confifte dans le choix des effets , &'
dans le talent de les placer à propos.
» J'aime à voir , dit M. Watelet , décrits
» ou repréfentés les champs d'Eden , &
» les montagnes entaffées par les géans ;"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
» le Soleil qui, prêt à defcendre dans des
nuages , embellit & éclaire le palais &
» les enchantemens d'Armide ; ou ,fur les
» bords d'une mer en fureur , la foudre
» échappée des ténébres , qui brife les
» rochers qu'elle éclaire ; enfin Plyché
» aux enfers , ou dans les bras de l'amour,
VIII. De l'expreffion , ou des paffions.
» Etre affecté lorsqu'on voit un objet d'un
» certain caractère, par lequel il nous frap-
» pe ; diftinguer dans cet objet ce qui lui
» donne ce caractère , dont nous fommes
» frappés ; faire paſſer ce caractère , dans
l'imitation : Voilà ce que c'eſt que voir,
» fentir & exprimer... L'expreffion , ajoute
M. Watelet , s'étend des objets les
plus fimples , aux objets les plus compofés
; des corps les moins fufceptibles
» d'action , à ceux qui font les plus ani-
» més ; enfin de la matière à l'efprit.
38.
و ر
28
Un Arbre qui perce les nues , un vafte
rocher qui menace de s'écrouler , la Mer
qui fe brife contre les écueils , ont un
caractère que l'expreffion doit rendre.
» Enfin l'homnie lui-même , n'affecte
» pas les mouvemens dont je m'apperçois
que fon âme eft agitée ; je remarque
>> ce que les mouvemens produisent d'apparent
fur fes membres , fur fes muf-
» cles, les attitudes , fes geftes , fa couleur
JUIN. 1768. 1v5
& fes traits ; & c'est ainsi , que par la
» faculté de fentir & de diftinguer toutes
ces chofes , je parviens à l'expreffion
des paffions qui met le comble à la
» perfection de la Peinture...
" Mais , par malheur , plus une Nation
eft civilifée , plus le caractère des mou-
» vemens de l'âme eft affoibli par cette
» gêne utile que les hommes impofent à
la plus grande partie des expreffions
39
fubites & inconfiderées , tant de l'âme
» que du corps. On réprime , dit M. Watelet
, les fignes des paffions , préférablement
aux paffions mêmes. Où trouver
» parmi nous aujourd'hui , demande- t- il ,
» non pas des hommes colères , mais des
» hommes qui permettent à la colère de
33 fe peindre d'une façon abfolument li-
» bre dans leurs attitudes , dans leurs
» geftes , dans leurs mouvemens & dans
» leurs traits Voilà ce qui s'appelle
confiderer les Arts & la Nature , avec des
yeux philofophiques !
» Plus une fociété fera nombreuſe &
» civilifée , conclut M. Watelet , plus
» la force & la varieté de l'expreffion
» doit s'affoiblir : parce que l'ordre & l'u-
» niformité , feront les principes d'où naî-
» tra ce qu'on appelle l'harmonie de la
# fociété.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
L'expreffion naturelle, fe conferve davantage
parmi le peuple ; mais c'eſt une
difficulté de plus pour les Artiftes par la
différence qu'on prétend établir auffi
entre les expreffions nobles & les expreffions
communes des paffions. » Ne
» pourroit - on pas fourire un inftant , dit
» M. Watelet , fur cette prétention des
» hommes civilifés , qui femblent afpirer
» moins à fecouer le joug pefant des paf-
» fions , qu'à le porter avec plus de grâce
» que leurs femblables ? Il fait voir la
différence qu'il y a entre la colère naturelle
& la colère qu'on appelle noble' ,
parce qu'elle eft retenue , & combien
celle- ci eft moins avantageufe à l'expreffion
de l'art.
» Fourquoi , demande- t- il , le Poëte ,
» qui fur le théâtre préfente aux yeux de
l'efprit des tableaux d'expreffion morale,
» a- t- il la liberté d'oppofer le vice à la
» vertu ; tandis que le Peintre n'ofe, par
» l'oppofition de la perfection & de la
» difformité , préfenter la beauté dans
» tout fon avantage ?
33
Il y a fans doute en cela beaucoup d'ha
birude & de préjugé . Mais comme on
n'oppoſe pas, ſur le théâtre héroïque , un
inſenſé à un homme fage , un Tèrfite à un
Ulyffe ; on peut avoir quelque raifon dé
JUIN. 1760. 127
ne pas oppofer, dans un tableau d'hiftoire ,
un certain caractère de laideur à celui dela
beauté. L'idée de nobleffe, eft une idée
factice ; mais elle fait loi dans tous les
Arts.
M. Watelet finit , par une énumération
des paffions ; & il en indique les fignes &
le caractère en obfervateur auffi clairvoyant
qu'attentif. Et quand il en vient
à l'amour :
"
و د
Je pourrois , dit - il , parcourir la timi-
» dité , l'embarras , l'agitation , la lan-
» gueur , l'admiration , le defir , l'ardeur ,
l'empreffement , l'impatience, l'éclat du
» coloris , l'épanouiffement des traits , un
» certain frémiffement , la palpitation ,
» l'action des yeux tantôt enflammés ,
» tantôt humides , le trouble , les tranf-
»ports ; & l'on reconnoîtroit l'amour.
{
Ce morceau,& beaucoup d'autres , font
voir quelles beautés de détail M.Watelet
eût pû répandre dans fon Poëme , s'il
n'eût craint d'en être prodigue. Il y a
bien peu d'Auteurs qui ayent le courage
de facrifier , comme lui , la vanité d'être
plus amufans à la gloire d'être plus utiles ,
& qui s'expofent au reproche d'avoir por
té trop loin la modeftie & la fobriété dans
l'ufage des ornemens . J'avoue qu'en lifant
ces réfléxions , j'ai été moi-même du
Civ
128 MERCURE DE FRANCE.
nombre de ceux qui ont eu l'injuftice de
reprocher à l'Auteur de n'avoir pas em
ployé dans fes vers les riches détails qu'il
a jetrés dans fa profe , comme autant de
fleurs qu'il abandonne à qui voudra les
*recueillir..
AVERTISSEMENT.
L'AUTEU
'AUTEUR du Mémoire hiftorique , für
le Mercure de France , inféré dans le
Mercure du mois dernier , a oublié de
dire , que M. Rémond de S. Albine , Auteur
de plufieurs ouvrages eftimés , a auffi
donné fes. foins à la compofition de ce
Journal , depuis le premier Juillet 1748,
jufqu'au 15 Juin 1750 ; qu'il en a , par
conféquent , publié 27 volumes ( parce
qu'alors , il ne paroiffoit que 14 Mercu
res par an ; ) & que , dans ce court in
tervalle , il en a augmenté le produit an
nuél.
RECUEIL D'ÉLOQUENCE SAINTE , Contenant
les panégyriques des Patriarches &
Fondateurs d'Ordres , avec des Difcours.
Synodaux , & des Conférences Eccléfiaf
tiques ; à l'ufage de MM . les Curés des
JUIN. 1760 . - 129
villes & de la campagne , de ceux qui le
deftinent à la Chaire , & même des fimples
Fidéles. Par le P. Hyacinthe de Montargon
, Auguftin de Notre - Dame des
Victoires , Prédicateur du Roi , Aumônier
& Prédicateur ordinaire du Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar , & Provincial
de fon Ordre.
(Laudemus viros gloriofos, in generatione fuâ.
( Ecclef. c. 44. V. 1. }'
Tome premier in- 8°. A Paris , chez Auguftin-
Martin Lettin , l'aíné , Libraire &
Imprimeur , rue S. Jacques , près S. Yves ,
au Coq.1780 , avec approbation & privi
Tége du Roi. Ce volume , dont l'Auteur
eft affez connu , par les 13 volumes qu'il
a donnés du Dictionnaire Apoftolique ,
fe vend 4 liv. ro f. en blanc , & 5 liv..
ro f. relié.
1
L'ART ORATOIRE, réduit en exemples,
ou choix de Morceaux d'Eloquence tirés
des plus célébres Orateurs du Siècle de
Lours XIV. & du Siécle de Louis XV.
dédié à Mgr. le Duc de Villars, par M.
Gérard de Benat; 4. vol. in- 12. A Amfterdam
. 1760. Et fe vend à Paris , chez
Defaint & Saillant, Libraires,rue S.Jean
de Beauvais ; & à Marseille , chez Jean
By
130 MERCURE DE FRANCE.
Moiffy , Libraire , à la Canebière . Cette
nouvelle Edition , de fragmens choiſis d'Eloquence
, eft augmentée de deux vólumes,
& a été retouchée par l'Auteur ; qui,
loin de vouloir donner une Rhétorique ,
ne s'eft proposé d'autre objet ( comme le
titre l'annonce ) que de raffembler les
traits brillans des plus célébres Orateurs
du dernier Siécle & de celui - ci ; & de
donner, pour ainfi dire , une Bibliothèque
Oratoire , qui puiffe être auffi utile qu'amufanté.
INTRODUCTION à la connoiffance des
Plantes , ou, Catalogue des Plantes uſuélles
de la France , avec les caractères diftinctifs
, fuivant le fyftême de M. de Tournefort
, les propriétés , d'après la pratique
des plus fçavans Médecins , & les
ufages qu'en fait la Pharmacopée de Paris
pour les compofitions officinales . On
y a ajouté une notice abrégée des drogues
étrangères , en fuivant la même
méthode. Par M. Gauthier , Médecin du
Roi & des Univerfités de Paris & de
Montpellier , volume in- 12 . A Avignon.
1760. Et fe trouve à Paris , chez Auguftin
Martin Lottin , rue S. Jacques , au
Coq ; & chez la veuve Robinot , quai
des Auguftins.
JUIN. 1766. 137
TRAITÉ raiſonné , de la diftillation ; ou
la diftillation réduite en principes ; avec
un Traité des odeurs . Par M. Dejean , Dif
tillateur. Seconde Edition , revue , corrigée
, & augmentée par l'Auteur . Volume
in- 12. 1760. A Paris , chez Nyonfils , &
chez Guillyn , Libraires , quai des Auguftins
, avec Approbation & Privilége
du Roi .
MÉMOIRE , fur les défrichemens , in- 1 2 .
A Paris , 1760 , chez la veuve d'Houry ,
Imp. Lib. de Mgr le Duc d'Orléans , rue
de la vieille Bouclerie , avec approbation
& Privilége du Roi. Prix , 30 f. broché.
PRATIQUE des défrichemens , même
format ; & fe vend chez la même Libraire.
RACINES de la Langue Angloife , ou
l'Art de bien entendre cette Langue , de
la parler , & de l'écrire correctement . Par
feu M. Gauthier, Me de Langue Angloife.
Paris. 1760. in- 12 . chez G. Defprez, Imprimeur
du Roi & du Clergé de France ,
rue S. Jacques , à S. Profper & aux trois
Vertus , avec approbation & privilége du
Roi. N. B. Comme on n'a tiré qu'un trèspetit
nombre de ce livre , il fe vend 50 ር
broché .
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
ÉLÉMENS de la Grammaire Françoife ,
à l'ufage des petites Ecoles , ou à l'ufage
des Enfans qui apprennent à lire. Petit
in- 16. Paris , 1760. Chez Butard , Li+
braire, rue S. Jacques , à la Vérité;& chez
la veuve Robinot , quai des Auguftins.
MÉTHODE naturelle , pour apprendre à
lire ; ou moyens d'apprendre à lire facile
ment & en peu de temps. Brochure in- 1
-12
SECONDE PARTIE ; ou application des
régles de la Méthode naturelle pour apprendre
à lire , brochure in- 16. Chez les
mêmes Libraires..
2
,
ABRÉGÉ des Principes de la Grammaire
Françoife , dédié aux Enfans de France ,
Mgr. le Duc de Berry , Mgr le Comte de
Provence , & Mgr le Comte d'Artois
Par M. Reftaut , Avocat en Parlement
& aux Confeils du Roi. Cinquiéme Edi
tion,revue , & augmentée par l'Auteur.
Vol. in- 12. Paris , 1760. Chez J. Butard,
Imp. Lib. rue S. Jacques , à la Vérité ; &
chez Defaint & Saillant , Libraires , rue
S. Jean de Beauvais , avec approbation &
privilége. La réputation de l'Auteur, & le
mérite de fes ouvrages , font l'éloge de.
celui- ci..
DISSERTATION fur les voyelles & fur:
JUDN. 1760. 1313
les confonnes. Par M. *** de la Société
Littéraire d'Arras. Brochure in- 12. im
primée à Amiens , 1760 , & fe vend à
Arras , chez Laureau , Libraire, avec permiffion
.
Duffons - nous bleffer la modeftie de
P'Auteur >
nous ne pouvons nous enipêcher
de féliciter M. Harduin , for le
mérite de ce nouvel Ouvrage , digne de
ceux qu'il nous a déja donnés dans ce
-genre..
HISTOIRE des Révolutions de l'Empire
de Ruffie , Par M. Delacombe , Avocat ,
in- 12 . Paris , 1760. Chez Jean Th. Heriffant
, rue S. Jacques , à S. Paul , & à
S. Hilaire , avec approbation & privilége
du Roi. Nous donnerons l'Extrait de cet
ouvrage intéreffant.
HISTOIRE de Raffelas , Prince d'Abiffi
nie , Par M. Johnfon, Auteur du Rambler,
& traduite de l'Anglois , par Madame
B **** . in- 12 . Amfterdam , 1760 ; & ſe
trouve à Paris , chez Prault fils , quai
des Auguftins , au coin de la rue Gît-lecoeur.
C'est un Roman Philofophique, véritablement
traduit de l'Anglois ,, trèsbien
traduit , qui a réuffi dans fon Pays ,
& qui mérite de réuffir dans le nôtre. Je
compte en parler plus au long dans le
prochain Mercure.
134 MERCURE DE FRANCE.
RECUEIL DE POESIES , de M. Sedaine ,
feconde Edition , revuë & augmentée de
Piéces faites depuis la premiere , & de
plufieurs Airs notés , 2 vol. in- 12 . Londres
, 1760 ; & fe trouve à Paris chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , au
Temple du Goût .
LE TABLEAU DE LA NATURF , brochur
re in - 8° . A Londres , 1760 ; & ſe vend
à Paris , chez Humblot , Libraire , rue
S. Jacques , vis-à- vis l'Eglife des Jéfuites.
C'eft un tableau très- agréable vivement
, & légèrement deffiné .
LA RUILLIERE , Epître à M. ***. A Paris
, chez Michel Lambert , Imprimeur
Libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoife , au Parnaffe. 1760. Ce petit
Ouvrage , aifément & fortement verfifié
, eft plein de Poëfie , & fait honneur
à fon Auteur . ·
LA RENTRÉE DES THÉATRES , OU L'IN
VENTION , Comédie en un Acte & en vers.
Par M. Brunet. A Paris , 1760 ; chez
Cailleau , Libraire , quai des Auguftins, à
S. André. Prix , 1 liv. 4 f. J'en ai donré
l'Extrait , dans le dernier Mercure.
JUIN. 1760. 135
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT du Mémoire lû par M. LE
PERE , Secrétaire perpétuel de la Société
des Sciences & Arts d'Auxerre , à
l'Affemblée publique de cette Société
tenuë le Lundi 29 Octobre 1759.
L'ACADÉMIE d'Auxerre pratique un
ufage, qui eft pareillement
établi dans plufieurs
Académies . Si quelques confidérations
empêchent
qu'il ne foit fuivi dans
toutes , au moins on ne peut pas difconvenir
de fon utilité. Quoiqu'il en foit ,
fans défapprouver
celles où il ne peut pas
être introduit , la raifon de cette utilité
fuffiroit feule pour defirer de voir étendre
cet ufage à toutes les autres Académies en
général qui peuvent l'adopter : voici cet
ufage. Après les difcours prononcés par le
Directeur , & auparavant
la lecture des
autres Piéces deftinées à remplir la féance
publique , le Secrétaire lit un Mémoire
136 MERCURE DE FRANCE.
de fa compofition , qui contient l'Extra it
raifonné, quoiqu'abrégé , desdifférens Mé
moires, Differtations ou autres ouvrages
préfentés à la Compagnie par ſes afſociés
réfidens ou étrangers , & par fes corref
pondans , & dont l'examen l'a occupée
dans fes affemblées particulières pendant
le cours de l'année précédente.
Nous avons annoncé , dans le fécond
volume du Mercure du mois d'Avril der
nier , l'ordre de la féance publique , tenue
le lundi 29Octobre de l'année paffée.
Voici la notice de l'Extrait qui y fat lû, par
le Secrétaire perpétuel. Il a eu la complaifance
de nous l'envoyer, avec celui qui
fit partie de la féance publique de l'année
1758 , & que nous donnerons dans un
autre Journal. Mais comme ce Mémoire
n'eft lui - même qu'un Extrait des piéces
dont il rend un compte fidéle , & que
leur multiplicité lui donne néceffairement
une étendue qui pafferoitles bornes
que nous nous fommes prefcrites ; nous
avons crû pouvoir prendre fur nous , fans
bleffer l'intention de l'Auteur , qui veut
bien fans doute fe prêter à notre fitua
tion , de réduire nous - mêmes.cet Extrait
à une moindre étendue..
Le premier Mémoire que M. le Pere
analyſe , eft celui dans lequel M. Rondé
1
JUIN. 1766: 137
Chevalier d'honneur au Bailliage & Préfidial
d'Auxerre , explique les différens
ornemens employés fur les cercueils , &
depuis , fur les fimples tombes , quand
elles eurent fuccédé à l'ufage des cercueils
de pierre ou de marbre , qui formoient
une maffe fi lourde & fi pefante, &
par conféquent fi difpendieufe que cela
obligea bientôt les furvivans à ménager
la dépenfe , par la facilité & l'épargne
qu'on trouvoit à fubftituer une fimple
pierre plate à ces énormes tombeaux.
M. Rondé fuit , dans ce Mémoire , l'ordre
des fiécles tant du paganifme que du
chriſtianiſme ; & c'eft en rempliffant ainfi
fon objet , qu'il explique d'où vient la
dénomination de Carreé - les - tombes près
Avalon ; qu'il parle des tombeaux de St.
Pierre - l'Etrier, près Autun ; de ceux de
marbre blanc,déposés à l'hôtel de ville de
Worms ; des tombeaux tirés du cimetiere
du Vatican , à Rome , depuis l'établiffement
du Chriftianiſme ; de ceux de St.
Audoche , à Saulieu , & de St. Jean de
Reome , à Moutiers- St. - Jean . Ce Mémoire
fut fait à l'occafion d'une tombe plate ,
trouvée dans les ruines de l'Abbaye Royale
de St. Marien, lez - Auxerre . Elle repréfence
deux figures , une d'homme , l'autre
de femme. Ces figures ne font décorées.
"
38 MERCURE
DE FRANCE .
d'aucune marque de dignité . L'Epitaphe
fort courte, ne porte que le nom de l'hom
me : elle préfente un nom diftingué ,
joint à une qualité qui n'annonce qu'une
profeffion ignoble. Ce contrafte , ayant
fait naître des doutes à M. Silveftre de
St. Abel , un des membres de la Société ,
il les communiqua à M. Chappotin de St.
Laurent , de la Bibliothèque du Roi , &
que la Société venoit de s'aggréger , en
qualité de correfpondant. Il répondit qu'il
n'étoit pas plus furprenant qu'il y eût dans
un pays , que l'on connoît pour excellent
vignoble , des tombes d'un riche Tonnelier
, qu'il l'étoit de trouver des tombes
de Laboureurs dans des Provinces fertiles
en bled , ainfi qu'il en avoit vû à
Louvres en Parifis . L'Auxerrois même
fournit actuellement une preuve que le
pays n'y fait rien , puifqu'à Chitry près
Auxerre , il exifte une pareille tombe de
Laboureur, quieft fort ancienne . M.Chappotin
avoit auffi fendu compte à la Société
, dans un Mémoite précédent , d'une
autre tombe , du commencement du quatorziéme
fiècle , découverte dans les fouilles
d'un nouveau bâtiment fait à l'ancienne
commanderie du Saulce , & fur
laquelle les marques qui caractérisent la
nobleffe de la mere d'un Commandeur de
JUIN. 1760.
139
ce lieu , femblent fervir de nouvelles
preuves que la tombe de St. Marien n'eſt
rien moins que la tombe d'un homme qualifié
, malgré l'illuſtration du nom , qui
prouve au contraire & même davantage
la baffeffe de l'extraction de ce Tonnelier ,
appellé Robins de Beaumont ; puifque fe
trouvant peut-être fans aucun nom de famille
, il paroiffoit avoir été réduit à ne
porter que ceux qu'il tiroit & de fon habillement
& du lieu où , felon toute apparence
, il étoit né. Il eft en effet revêtu
d'une longue robe ; & l'on voit que c'eft
à deffein de cacher la difformité de fon
corps , étant repréſenté d'une très- petite
ftature à côté de fa femme , dont la taille
eft ordinaire ; & pour que le mari approchât
à peu près de la hauteur de la femme,
le Graveur a imaginé de l'élever fur une
petite efcabelle à quatre pieds , deffus laquelle
il eft placé .
L'explication de ces différentes tombes,
conduifit naturellement M. le Pere à parler
de la découverte faite l'hyver précédent
dans la Paroiffe de St. Amatre , hors
la Ville d'Auxerre , de plufieurs autres
tombeaux ; ainfi que de ceux qui avoient
été trouvés , l'année précédente , à St. Julien
de la même Ville . Un feul, des 7 tombeaux
de St. Amatre , a mérité l'attention
140 MERCURE DE FRANCE.
des Sçavans : les marques extérieures de
ce rombeau , ainfi que les reftes de vêtemens
dont étoit couvert le corps qu'il
renfermoit , fembloient annoncer le cercueil
de St. Amatre même , mort le premier
Mai 418 ; fi , d'ailleurs on n'avoit
des pièces capables d'en faire douter ,
produites dans les Mémoires de feu M.
P'Abbé Lebeuf , fur l'hiftoire eccléfiafti
que , civile & politique de la ville d'Auxerre
, & dans d'autres livres.
Comme la Société d'Auxerre fe propoſe
principalement pour but , d'éclaircir tout
ce qui a rapport à l'hiftoire de cette ancienne
Ville ; M. l'Abbé Potel , Chanoine
de cette Cathédrale , expofa l'hiſtoire des
Ecoles de la même Ville ; & la conduifit
depuis la premiere race de nos Rois juf
qu'à ces derniers temps, Ce Mémoire fit
partie des lectures qui remplirent la Séance
publique de 1758. Nous donnerons,
dans un autre Journal , l'état des pièces
lues dans cette Séance publique. L'on
voit par ce Mémoire & celui du même
Auteur fur l'Horloge de cette Ville , que
nous avons annoncé en rendant compte
de la Séance publique du 29 Octobre de
l'année paffée , dans notre fecond Journal
du mois d'Avril dernier , que M. l'Abbé
Potel s'attache principalement, & fait,
JUIN. 1760: T48
pour ainfi dire, fon unique objet de l'hiftoire
particulière de la Ville d'Auxerre ,
fur laquelle il cherche à répandre une
lumière propre à l'éclairer dans tous fes
différens points.
Tout eft du reffort d'une Société Littéraire
, furtout quand elle eft pour les
Sciences & pour les Arts. La différence
des études de chacun de fes membres en
particulier , relative à la différence des
profeffions qu'ils exercent , en jettant une
agréable variété dans les matières qui
font exposées à la difcuffion des affemblées
particulieres , étend auffi l'utilité
des travaux, qui, defon centre, comme de
leur fource , réjaillit fur l'utilité publique ,
ainſi qu'un ruiſſeau qui coule en ferpentant
pour arrofer une plus grande étencue
de terrain & porter des eaux falu❤`
taires dans un plus grand nombre d'endroits.
M. Houffet , Docteur en médé
cine de la faculté de Montpellier , de la
Société Royale des fciences de cette Ville,
& Médécin des Hôpitaux de celle d'Auxerre
, après avoir préfenté un bandage
de fon invention , pour le foulagement de
ceux qui font affligés de hernies ou décentes
fit part d'une lettre fur la convulfbilité
, qu'il fe propofoit d'envoyer à M,
Haller, Cette matière tient à celle de
142 MERCURE DE FRANCE
l'irritabilité. M. le Pere , en rappellant
la fubftance des écrits de M. Houffet fur
cette derniere , c'eft-à- dire , fur l'irritabilité
, fait voir que M. Houffet place le
fiége de l'un & de l'autre effet , dans la
fibre mufculaire avec des différences effentielles
néanmoins , qui les caractériſent
affez pour qu'elles ne foient
pas confonduës
l'une avec l'autre. Les bornes que
nous fommes obligés de mettre à notre
Journal , nous empêchent d'entrer dans
un détail qui d'ailleurs peut devenir intéreffant
pour l'humanité. C'eſt par la même
raiſon , que nous allons nous contenter
d'annoncer plus brièvement encore les
différens Mémoires analyfés dans le refte
de cet Extrait général.
Celui qui fuit , eft encore un Mémoire
du même M. Houffet , fur la Coqueluche
, & fur les rémédes propres à là gué
rir. Ce Mémoire eft relatif à celui que
M. Liger , auffi Docteur Régent en Médecine
de la Faculté de Paris , & nouvel
Aſſocié réſident, avoit fait auparavant fur
la même matière : ce qui engagea M.
le Secrétaire à rendre compte de ces
deux Mémoires , conjointement. S'ils
avoient du rapport en quelques parties ,
ils s'éloignoient auffi l'un de l'autre en
d'autres points , principalement dans la
JUIN. 1760. 143
pratique de la méthode curative. Ces
différences de fentiment , dans des contendans
auffi éclairés que ces deux Docteurs
, ne vont jamais plus loin , & ne
franchiffent point les bornes où il eſt
néceffaire de fe renfermer pour l'examen
de la vérité feulement , & pour l'amour
du bien public. Auffi en réfulte t -il toujours
une matière plus approfondie ,'
mieux diſcutée , plus éclaircie : ce qui
doit être l'objet des defirs de toute Société
de gens de Lettres. Tel eft l'avantage
, dit M. le Pere , d'avoir dans une
Compagnie Littéraire plufieurs membres
qui s'occupent des mêmes études
& cultivent les mêmes connoiffances :
ils s'éclairent mutuellement. L'émulation
les faifit , les anime , travaille & corrige
leurs ouvrages . Un Eccléfiaftique, du Diocèfe
, avoit préfenté à la Société un Mémoire
qui rouloit fur une matière bien
différente : c'étoit un traité , fur l'art de
fondre les cloches. Sa méthode étoit certaine
, conforme à la théorie , & , copfirmée
par l'expérience : mais une Table,
ou Echelle linéaire que l'Auteur y
avoit jointe , étoit abfolument fauffe ,
& ne pouvoit exprimer le poids des
cloches , relativement aux dimenfions
qui étoient établies dans cette Table
144 MERCURE DE FRANCE
le .
L'examen de cet Ouvrage fut , pour
Secrétaire , une occafion de travailler fur
le même fujet. Mais fon Mémoire , appartenant
à l'année fuivante , ne peut
trouver place dans cet endroit.
Tels font , pourfuit M. le Pere , les
Ouvrages de quelque étendue , qui , pendant
l'année 1758 , ont été lus dans nos
Affemblées particulieres. Je me contenterai
d'en indiquer nombre d'autres
qui ne font pas fufceptibles d'extrait ;
comme des Fables en vers , de M. Millelot
, Affocié-Corefpondant ; des Lettres ,
des Dialogues , & autres Piéces fugitives
du P. Marrin , Minime , Lecteur &
Profeffeur en Théologie à Lyon , autre
Aflocié- Corefpondant reçû cette même
année ; diverfes obfervations de M. Lef
ferré , Maître en Chirurgie , de M. l'Abbé
Precy , & autres ; des Difcours d'inftallation
& de réception ; & un Catalogue
raifonné de Chartes antiques , fait
par M. Silveftre , qui , toujours fidèle à
fes engagemens Académiques , n'a pas
ceffé de les remplir , depuis même qu'il
a ceffé d'être notre Concitoyen : auffi ,
à
proprement parler , la Société n'a point
perdu ce membre, dont les talens & l'application
lui faifoient honneur . Toute
cette année a été acquifition pour elle.
Outre
JUIN. 1760 . 145
Outre les trois nouveaux Affociés dont
on a déja parlé , un homme auffi diftingué
par fes titres Académiques , que
par fa naiffance , a recherché avec empreffement
d'augmenter le nombre de
fes honoraires. Je veux parler de M. l'Abbé
de Serent , Docteur en Théologie ,
Préfident perpétuel de la Société Littéraire
& Militaire , établie à Besançon ,
Membre de celle des Arcades & d'autres
Académies d'Italie & d'Allemagne.
Voilà , Meffieurs , conclud le Secrétaire
, en adreflant la parole au Public ,
le Tableau raceurci des occupations de
la Société , pendant l'année derniere.
Chargé par les ordres de vous en rendre
compte , je croirai les avoir remplis , f
dans mon Extrait , les Ouvrages que j'ai
analyfés n'ont que peu ou point perdu
du mérite qui leur eft propre.
EXTRAIT de la Séance de la Société de
Lettres , Sciences & Arts de Clermont
en Auvergne , tenuë le 25 Août 1759.
"
M.DEDE FELIGONDE , Secrétaire , ou
vrit la Séance par la lecture de l'éloge
de M. Barbe , Confeiller en la Cour des
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Aydes de Clermont. Les louanges qui
ont été données à cet illuftre Affocié font
fondées furfon goût pour l'étude & le travail
, fur fon exactitude fcrupuleufe à
remplir fes devoirs , fur l'étendue de fes
lumières , la douceur & la modeftie avec
laquelle il les communiquoit.
M. Barbe eut beaucoup de part à l'établiffement
de la Société Littéraire ; il :
fut du nombre de ceux qui en jetterent
les fondemens ; & quoiqu'il fût alors.
âgé de 72 ans , il a beaucoup contribué
à la perfection de cet établiſſement ,
par fon affiduité aux affemblées , par fes
avis pleins de fageffe , & par la plus faine
critique. Les douceurs de fa vie domeftique
, les agrémens de fon commerce
particulier , ont fourni à fon caractère
les traits les plus flatteurs ; la pureté de
fes moeurs , une piété folide & le foin
qu'il a eu des Hôpitaux , en qualité d'Adminiftrateur
, ont fait l'éloge de fa religion.
M. Jalladon lut enfuite un Mémoire
fur l'opération de la cataracte , avec de
nouvelles obfervations.
M. de la Chapelle lut une Differtation
fur des armes anciennes , trouvées à
Jeanfat près de Ganna , en Auvergne ,
en fouillant une montagne.
JUIN. 1760 . 147
43
Cette lecture fut fuivie d'une Differtation
, donnée par M de Feligonde , fur
la figure d'une croix , empreinte dans
l'intérieur d'un arbre , & découverte ar
i
hazard en refendant une buche.
Cette figure , également fenfible & régulière,
a quatre pouces & cinq lignes de
Tongueur , fur deux & demi de croifillons
, & fix lignes de largeur . Elle eft ,
empreinte à deux pouces de la furface
du tronc de l'arbre , fans que l'arbre paroifle
avoir été endommagé. Le bois qui
couvroit , cette empreinte eft auffi compact
& auffi naturel que le refte de l'arbie
, à l'exception d'un noeud qui répond
exactement à cetre empreinte. La figure
marque des deux côtés de la fection de la
buche , d'une manière cependant moins
vive du côté de l'écorce que dans l'autre
plan. Elle paroît faillante environ d'une
demie ligne , au plan de l'intérieur de
l'arbre , & rentrante dans celui qui lui.
eft oppofé. La croix éft noire,fur un noud
qui approche de la couleur rouge du
bois de cerifier.
L'Auteur , après avoir rendu compte
de Tes recherches fur des effets naturels
du même genre , s'attache à examiner fi
cet événement eft contraire à la nature ,
& s'il a pû arriver fans enfreindre les
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
loix de la végétation . Il examine quelles
font ces loix ; il les déduit des fameufes
expériences de M. Duhamel , & de la
comparaifon déja faite des opinions de
MM. Greve & Malpighi.
Il lui paroît impoffible, d'après cet examen
, que cette croix ait été formée par
la feule nature, fans avoir été dirigée par
une opération humaine. Il prétend qu'elle
a pû fe former ou par l'impreffion d'un
fer chaud , ou par lá lacération de l'écorce
, ou par l'infertion d'une croix de
bois du même modéle que celle qui fe
trouve empreinte. De ces trois manières
il n'adopte que la derniere ; il réfout par
les loix de la végétation toutes les difficultés
qui s'oppofent à l'explication de
ce phénomène , & termine ainfi fa Differtation.
Des bergers , dans le loifir que leur
laiffe la garde d'un troupeau , ont formé
une croix pareille à celle dont l'emprein
te eft fous nos yeux ; ils ont fendu l'écorce
d'un arbre encore jeune , peut - être
même ont ils profité d'une ouverture faite
par hazard fur un hêtre de leurs forêts
; ils ont introduit certe croix entre
l'écorce & l'arbre ; les couches ligneules
que chaque année a produit depuis , en
ont dérobé la vuc au Public , L'arbre à
JUIN. 1760 . 149
cru , renfermant dans fon fein le phénomène
qui nous occupe aujourd'hui ; il a
enfin été découvert par le plus grand des
hazards. Tel eft le deftin des hommes de
trouver à chaque inftant des difficultés
fous leurs pas , & de prendre pour des
phénomènes merveilleux , ce qui fouvent
eft l'ouvrage de leurs mains !
La Séance fut terminée par la lecture
d'un Mémoire donné par M. Quereau ,
fur les opérations du digefteur de Papin .
L'utilité des bouillons offeux & des tablettes
faites avec ce bouillon , y eft démontrée
; la manipulation en eft exposée
avec le détail le plus circonftancié : ce
qui fait que ce Mémoire n'eft pas fufceptible
d'Extrait.
L'abondance des matières , m'oblige à
rémettre les Mémoires énoncés dans cet
Extrait , au Mercure prochain.
AVERTISSEMENT.
Les feuilles du Mercure étant limitées ,
l'on n'a pu y inférer qu'une partie du
Mémoire ci - après. Dans celui de Juillet
fuivant , on en donnera la fuite. On
avertira , en attendant , que quoique la
G iij
iro MERCURE DE FRANCE.
diftribution en foit faite dans deux volu
mes différens ; cependant il faut le confidérer
comme un feul corps d'ouvrage , dont
l'enchaînement des Propofitions ne permet
aucune interruption dans l'ordre méthodithodique
où elles doivent fe fuivre.
GEOMETRIE
Sur l'analogie qui eft entre la Logarith
mique & l'hyperbole Equilatere , & de
quelques propriétés de ces deux courbes.
Mémoire qui a été lû à l'Académie des
Sciences en 1760. Par M. Jean-
ANTOINE GLENAT.
THEOREME.
1.SI fur une droite m B M indéterminée
, on fuppofe d'un point déterminé
Ballant vers M , que dans le
même temps T que chaque partie BD,
BF, BH , &c. eft décrite par une viteffe
uniforme , chaque perpendiculaire
DE , FG , HJ &c. eft aufli décrite
par une autre viteffe qui s'accélére en
progreffion géométrique ; & que du
point B allant vers la gauche ( m ) que
dans le même tems T que chaque pars
li
a
E
J
U
GrA
Q
9 R
X
MIL
12 N
2 M
Л
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
JUIN. 1760. 151
fie Bd, Bf., Bh &c. eft décrite par la
même viteſſe uniforme, chaque perpendiculaire
de, fg & c. eft auffi décrite par
une autre viteffe qui eft retardée en
progreffion géométrique ; les longucurs
parcourues DE , FG , HJ ,
&c. allant vers la droite M , feront
une progreffion géométrique divergeante
; & allant vers la gauche ( m ) les
longueurs parcourues de , fg, hi, & c.
feront une progreffion géométrique
convergeante, en même temps que les
coupées B D, BF , & Bd , Bf, feront
uneprogreffion arithmétique divergeante
, & les extrémités i , g, e , E , G , J
des termes en progreffion géométrique
feront confécutivement les points
d'une courbe n C N.
B M eft l'axe de la courbe qu'on fuppofe
infini . Les droites fg , de , BC ,
DE , FG , &c. fuppofées en progref
fion géométrique font fes ordonnées .
BC eft prife pour l'unité & fuppofee
b1 ; les autres ordonnées qui la
fuivent vers la droite comme DE ,
FG , & c. font fuppoféesz = 1 + y :
& les autres qui font vers la gauche ,
comme de , fg , & c. font par conféquent
b b bb
le point B de
Giv
152 MERCURE DE FRANCE
l'axe eft l'origine des coupées BD ;
BF & c. qu'on fuppofex , qui font
pofitives allant vers la droite M , &
les autres comme Bd , Bf font néga
tives allant vers la gauche ( m ) ..
DEMONSTRATION.
Chaque partie infiniment petite rJ
de la courbe peut être confidérée com
me formée par le raouvement d'un
point ( r ) qui eft pouflé par deux vitef
fes ; l'une felon la direction rs ( dx ) eft
une viteffe uniforme que l'on conçoit
-
b , que l'on regarde comme conf
tante : l'autre felon la direction s J. (dz )
s'accélére en progreffion géométrique ,
& eft fuppofée égale à la changeante (z).
Or ces viteffes font entr'elles comme
les longueurs parcourues : par confé
quent b. z : dx. dy. Suppofé donc
maintenant , qu'on achève le parallelograme
dont rs , sJ font les petits côtés
angulaires, la partier Jinfiniment petite
de la courbe fera la diagonale de ce parallelogramme
. Or chaque vitcffe (b) &
(2) de ces côtés rs, & sj eft à la viteffe
J
(v) de la diagonale comme chaque côté
rs ( dx ) , & s J ( dz ) eſt à la diago
JUIN. 1760 . 153
nale r J (dv) décrite dans le même tems
T. Par conféquent on aura b.v :: rs (dx) .
FJ ( dv ) , & z. u : : s J ( d z ) . r J ( d v ) ;
& les temps étant fuppofés égaux ,
l'on a par le changement alterne
T =
dx
-
dv dz dv
-
2
&
par
continuation de changement T =
di
R
dv ..
ข
,
dx
b
où l'on voit qu'en même
temps que chaque partier J ( dv )
de la courbe cft décrite chaques côtés
angulaires rs , sJ infiniment petits font.
auffi décrits , ce qui donne pour chaque
élément r J (dv ) de la courbe l'Equation
T =
dx
6
dz
- . Or ( dx ) eft la
༢ .
différence égale dont la coupée ( x )
croît confécutivement en progreffion.
arithmétique , & fe trouve par confequent
une grandeur conftante ; & ( b )
étant fuppofée connue cft auffi conftand
x
te. Le rapport cft donc conftant ;
b
par conféquent fon égal
dz
eft néceffairement
un rapport géométrique ; d'où
ili fuit que les ordonnées ( 1 ) étant con--
GW
154 MERCURE DE FRANCE.
tinuellemént proportionnelles forment
une progreffion géométrique divergente.
Ce qu'il falloit prouver en premier ,
lieu.
2º. La deſcription de chaque particu
le rJ de la courbe donne celle du triangle
infiniment petit rs , dont l'élément
J cft un des côtés . Si l'on prolonge
ce petit côté rJ jufqu'à ce qu'il
rencontre l'axe B M en S , on aura le
triangle JSH femblable au petit triangle
rs. Or comme dans le triangle
infiniment petit Jrs , le côté r s eſt toujours
le même pour tous les points de
la courbe , tandis que l'autre sJ croît
confécutivement en progreffion géométrique
, il s'enfuit que le côté SH
du grand triangle oppofé à l'angle
SJH demeure conftant pour tous les
points de la même courbe . Ce côté SH
qui eft une foutangente de la courbe eft
fuppofé = b =1.
En mettant 1 + y à la place de ( z )
dans l'Equation trouvée ; ou bien en
comparant les côtés homologues des
triangles femblables rJs , SJH , l'on
en tire rs ( dx ) . SH ( b = 1 ) ::
s J ( d y ) . J H ( 1 + y ) , d'où on dé
duit bdy dxx I y qui cft la mê
JUIN. 1760. 155
me Equation que la précédente . Or fi
dans la formule ydx des foutangen
dy
b dy
tes , on fubftitue la valeur de
dx
1+y, qu'on fuppoſe égale à (y) de la
formule , on aura SH ( s ) = b pour va
leur de la foutangente. D'où l'on voit
que puifque S H( s ) eft la foutangente
, la droite S Jeft par conféquent tan
gente de la courbe au point J. Or l'élément
J faifant néceffairement partic
de cette tangente , il fenfuit que tous
les points C , E , G &c . des extrémités
des ordonnées 1 y font ceux de la
courbe. Ce qui reftoit à prouver en fer
cond lieu.
-
COROLLAIRE PREMIER
2. Les ordonnées 1y ,
bb
1 - y
croiffant ou diminuant en raifon géométrique
, les coupées B D, B F & c.
ou Bd, Bf &c. croîtront en rapport
arithmétique ; & feront pofitives vers la
droite , & négatives vers la gauche de
l'unité ; car ( dx ) étant une grandeur
conftante , cette grandeur fera répétée
autant de fois qu'il y aura de petits
rapports géométriques égaux d'inter
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
pofés entre l'unité , & l'ordonnée correfpondante.
Par conféquent chaque
coupée BD , B F & c . croiffant toûjours
felon une même différence ( dx ) fera
la mefùre du nombre des petits rapports
pris depuis l'unité dont chaque
ordonnée correfpondante 1+ y eft
compofée. C'eſt ce que veut dire l'expreffion
grecque agiuos xoyos , qui fignifie
mefure de rapports , d'où on a tiré
le mot logarithme , & la courbe ciaprès
donnant fucceffivement tous ces.
Fogarithmes ou mefures de rapports
en a tiré le nom de logarithmique.
COROLLADRE II.
3. En fuppofant b1 , la différence
( d ) d'un logarithme (x) d'un nombre
ou d'une grandeur quelconque(z) eft éga
le à la différence ( dz ) de ce nombre divifée
par ce nombre même. Car puif
que ( T... n. 1. ) l'Equation de la logarithmique
eft z d x = b. dz , on en
tire dx
bdz
déduit dz. z. :: dx. b ,
monftrativement que
rdz
, ou bien on
K..
où l'on voit dédz
dz
3
b:
d x.
JUIN. 1760. 157
COROLLAIRE HIL. ET PROBLEME.
4. En fuppofant * que la conftruction
trouvée foit celle de la Logarithmique ,
trouver parfon moyen celle d'une hyperbole
équilatere.
PREPARATION.
"Ayant l'axe M m de la Logarithmique
, il faut du point M prolonger vers
2 M , & tirer vers N , & vers 2 N les
droites M2 M , MN , M2 N , en forte
qu'étant perpendiculaires l'une à l'autre
, elles foient afymptotes des deux
branches des hyperboles oppofées U U
& rr. Les coupées My , My , Mq , Me
* Il faut néceffairement fuppofer que la conftruction
trouvée eft celle de la Logarithmique ,
pour pouvoir la comparer avec l'hyperbole équilatere.
Or fi la comparaison de ces deux courbes
en fait découvrir l'analogie , alors nulle difficultés
qu'on peut réciproquement conftruire l'une par
le moyen de l'autre . Il eft vrai qu'ayant encore
aucune méthode pour décrire la Logarithmique ,
dans tout autre cas que celui ci , ce feroit. incons
teftablement , felon les principes établis par les
Géomètres , & furtout par ceux de M. Deſcartes ,
un vice que, de décrire par fon moyen une autre
courbe , pour la conftruction de laquelle il y a
des méthodes certaines
158 MERCURE DE FRANCE.
& c. prifes fur M N étant égales aux or
données hi , de , DE , FG & c. de la
Logarithmique à caufe des paralléles ,
feront les premieres My , Mv & c. fup,
by
pofée b
-
I ty
; & faifant
by
, il en résultera que My , Mv &c.
b b
= baxy=
I + y
bb
ز
les fecondes
Mq , Mt & c . = 1 + y = 2 ; &
les ordonnées P T , q
, q R de l'hyperbole
feront c
RESOLUTION.
Selon le Theorême ( n . 1.) l'Equation
de la Logarithmique eft d x =
bd t
7:
bbdz
qui eft la même que bdx= རྩྭ
F'Equation différentielle de l'hyperbole
par rapport à fes afymptotes eft @ dz
- do, où mettant à la place de K
(a ) fa valeur elle devient
bb
-¿do . Or puifque
bb dz
——
.
ld
bb dz
= b d x;
néceffairement b d x d w ; ainfi
fubftituant à la place de ( b dx ) fa vafeur
( — { d´∞ ) , l'Equation de la LogaJU.
IN. 1760 . 159%
rithmique devient
bb dz
= —zda )qui
2
eft ( comme nous venons de voir ) l'équation
différentielle de l'hyperbole .
b.b.
Remettant à la place de fa valeur --
..
(a ) & tranfpofant après , l'équation devient
dz , { dw , o , dont l'intégrale
eft bb , qui eft l'équation
d'une hyoerbole équilatere par rapport
à fes afymptotes ; d'où on tire z. b :: b, w,
مت
༢.
bb
bb
de la
qui eft la même que z. b :: b. › qui
étant faite des ordonnées de la Logarithmique
, montre évidemment
que
les ordonnées
convergentes
Logarithmique
font égales aux ordonnées
( ® ) de l'hyperbole prifes depuis le
point (p ) où fe termine l'unité ; &
que les ordonnées divergentes ( 7 ) de
la même Logarithmique
font égales
aux ordonnées (a) de la même hyperbole
prifes au- deffous du point ( p) où ſe
termine l'unité ; par conféquent fi l'on
tire donc fucceffivement despoints i,g, e,
E , G , J. &c. de la Logarithmique
, les
droites i y , ev , Cp , Eq &c . paralléles
àm M, ces droites diviferont aux points
Y› V ¿P , q & c . l'afymptote M N en par
160 MERCURE DE FRANCE.
tics proportionnelles , & égales aux
› de la Logarithmique. ordonnées
bb
fi on multiplie enfuite chaque partieMp
ou M q ( z ) par chaque partie My , ou
My (bb )
(뿔) ,
, on aura ¿ ×
b b
bb
bb ,
où mettant à la place de ( ----- )fonégal
ج
( ) , l'Equation devient zbb , qui,
eft l'Equation de la courbe ; qui fait
voir qu'en faisant le Rectangle MQμ
(7 ) égal au quarré Tv Mp ( bb ) , le
point où fe rencontreront les droites
¿ Q ( w ) , μ Q ( 2 ) fera un point de
l'hyperbole . Ce qu'il falloit trouver.
COROLLAIRE 4
5. Il fuit de là , que fi fur une droite
indéterminée MN, dont l'origine eft
en M , dans le même temps T qu'une
viteffe qui s'accelere en progreffion géométrique
décrit les droites My , Mv ,
Mp, Mq & c. une autre viteffe qui eft:
retardée felon la même progreffion géométrique
décrit les perpendiculaires:
y Z , v X & c. les longueurs parcou
rues , My , M & c. feront une progreffion
géométrique divergeanté , en:
même temps que les autres Jon-t
JUIN. 1760: 161
gueurs parcourues y Z , v X & c. feront
dans le même rapport une autre progreffion
géométrique convergeante; &
les extrémités Z , X , &c. des termes
de la dernière progreffion feront les
points confécutifs d'une hyperbole équilatère
.
Ou bien en prenant l'origine au point
(P ) en même temps que la progreffion
compoféc des termes pq , pt & c. divergera
, la progreffion compofée des
termes q R, Q & c. convergera ; &
4
& allant de ( p ) vers M en même temps
que la progreffion compofée des termes
by convergera , la progreffion compo
fée des termes X , y Z & c. divergera ;
& les extrémités Q , R, &c. des termes
de l'une , & les extrémités X , Z ,
&c. des termes de l'autre . feront également
les points confécutifs de la courbe .
DEMONSTRATIO N.
Suppofé que chaque partie infiniment
petite Rp de l'hyperbole foit décrite
dans le même temps T, que les petits
côtés angulaires RA , ap du petit parallelograme
dont cette particule Rp eft
la diagonale, font décrits , l'un ( dz) felon
une viteffe (3 ) qui s'accelere en progreffion
géométrique;l'autre d∞ )felon
une vitefle( ) qui eft retardée en pro-
-
162 MERCURE DE FRANCE.
greffon géometrique , l'on aura polir
chaque particule Re de la courbe , cette
dx
où le rap Equation T
dz
w
port
étant ( felon T. premier
N.
t
W
dto
1. ) un rapport géométrique , néceffairement
fon égal eft un rapport
géométrique : or l'Equation précédente
étant la même que a dzd. ∞ = o,
on tire du premier membre l'intégrale
{ , qui étant égalée à b b donne l'Equa
tion abb d'une hyperbole équilatere
par rapport aux afymptotes , d'où
on déduit w
་
bb
`; ce qui montre évi
demment qu'en même temps que les
coupées ( ), forment une progreffion
géométrique divergente , les ordonnées
( ) font dans le même rapport une
progreffion géométrique convergente ;
& l'Equation différentielle od z = -
do fait connoître que les différences
( d ) diminuent en même temps que
les différences ( d ) augmentent dans
la même progreffion géométrique ; car
dans cette fuppofition ayant toujours
dz
L
; il s'enfüit néceffairement
JUIN . 1760. 16;
que les ordonnées ( ) convergent eu
même temps que les coupées ( 2 ) divergent
dans le même rapport géométrique.
Ce qu'il falloit prouver en premier
lieu .
3
En fecond fieu , en prenant l'origine
des coupé s au point ( p) , la viteffe
par R fera➡+ y = { , & le côté
AR du petit triangle Rap ferady :
par conféquent allant de l'origine ( p )
vers N, dans le même tems que les
coupées (y ), divergeront ,les ordonnées
( ) convergeront , ( c'eft ce que nous venons
de prouver ) ; mais allaut de l'origine
( p ) veis M. , les coupées devenant
alors y, l'Equation différentielle
adz + zd w = devient day dw
dy , dont l'intégrale eft 1 - YX ";
qui étant égalée à ( bb ) donne l'Equation
yX @ bb de l'hyperbole
par rapport aux coupées moindres que
que l'unité mettant à la place de
I
14+y
I
fon égale 1- l'Equation devient
a
a
*+
➡bb , d'où on tire ∞ = 1 y, ce qui
fait voir démonftrativement qu'en mê
me temps que les coupées 1 - y =
forment une progreffion géomé
164 MERCURE DE FRANCE.
trique convergeante, les ordonnées ∞ →→
1 -y forment une progreffion géométrique
divergeante ; & l'Equation différentielle
dy
fait connoître que
I
1 -
ce de I
dw
@
,
que les differences ( d ) augmentent
dans le même rapport géométrique que
les différences ( dy) , car les coupées
diminuent en raifon de l'aug
mentation de ( y ) ; ainfi fi l'on fuppofe
Z , & qu'on fubftitue à la pla
> fa valeur z & au lieu dė
(dy ) qu'on metted z dans l'Equation
da y dw ——o , on aura après
avoir tranfpofé z dw = w dz , qui
montre qu'ici les différences ( d ) augmentent
en même temps que les différences
( dz ) diminuent dans la
même progreffion géométrique ; car
dans cette fuppofition ayant toujours
il faut néceffairement
dw
W
- dz
Z 1
que les ordonnées ( ) divergent en
même temps que les coupées i
I Z convergent. Ce qu'ilfal-
I + Y
loit prouver en fecond lieu.
En troisiéme licu , fi dans la formule
générale
Ydx
dy
des foutangentes , on fubJUIN.
1760 .
165
dx
dz
flitue à la place de
fa valeur
d w
dy
dz
K
d co
>
w
tirée de l'Equation
& à la place de ( ) , & de
( y ) de la formule , repréſentée par ( ∞ ),
bb
fa valeur
r
tirée de l'Equation
= b.b ( 1x1 ) on aura S
9
pour valeur de la foutangente ; où fub
y
σ
ZORRETO I fa valeur
-
Iy; ce
ftituant à la place de
elle deviendra S
qui fait voir qu'en prenant du côté négatif
des coupées , c'est - à- dire vers le
point ( ) oppofe à l'origine M , la partie
a q = q M ( 1 + y ) , elle fera la
foutangente q - 1 - y ) ; d'où tirant .
la droite R , elle fera tangente de la
courbe au point R. Or l'élément R fai
fant partie de cette tangente , il s'enfuit
donc , que tous les points R , T, &c. des
extrêmités des ordonnées ( ) font ceuxde
la courbe. Ce qui reftoit à prouver en
woifiéme lieu.
COROLL A I RE Ꮴ .
6. Les quadrilataires hyperboliques>
formés fur la fuite des coupées (y )
166 MERCURE DE FRANCE.
croiffantes en progreffion géométrique,
& fur les ordonnées ( ) décroiffantes
dans la même progreffion géométrique
feront confécutivement une progrellion
arithmétique divergente.
DEMONSTRATION.
Selon le 4 Corollaire ( n . 5. )
d @
dy
I + y
; d'où on tire w d y =
I + yx - do . Or ( par le T. 1. n. 1.
& 5. ) les deux rapports
୧
dy
14y
& = doz font
géométriques
. Les
parallelogrammes
que
R ( @dy
) infiniment
petits
qui
font
les
élémens
d'un
quadrilatere
P9
RT
font
donc
tous
égaux
entr'eux
;
par
conféquent
les
quadrilateres
hyperboliques
formées
fur
les coupées
(y) ,'
& fur
les ordonnées
( » ) croiffent
confécutivement
felon
une
même
différen
ce (
dy
) . Si donc
on prend
quatre
coupées
Mq
(ƒ) , M t =
M q {ƒs)→+ q &
( X); M t ( g ) , M o =
M £ ( g ) +
c 0(Y)
qui
foient
en proportion
géométrique
,
on
trouvera
que
le quadrilataire
q
QR
fait
fur
X, qui
eft
la différen
ce
des
deux
premiers
termes
égale
-
JUIN. 1760 . 167
f
7 2
2
X X X
2.f²
3
*
3
3J
+
9 &c. le quadrilatere i PQ tait fur y qui'
eft la différence desdeux feconds termes
eſt égal à 1 ×
383
3
4
2
Y
g 2g2
y
& c. or dans
la fuppofition
que
les coupées
font
en propor- tion géométrique
, leurs
différences
font
également
en proportion
géométrique
;
car fgg
XƒgƒY
, d'où
on tire gXfYqui
devient
X
f
Y
g
j
par conféquent les termes des deux fuites
infinies étant égaux chacun à chacun ,
ces deux fuites font parfaitement égales.
Donc les quadrilateres hyperboliques
formés fur les coupées ( y ) , & fur
les ordonnées ( ) croiffent confécutivement
en progreflion arithmétique . Ce
qu'il falloit prouver.
COROLLAIRE V1.
7. Les quadrilataires hyperboliques
croiffant confécutivement felon une même
différence ( @wdy ) feront de fuite la
mefure du nombre des petits rapports
168 MERCURE DE FRANCE.
pris depuis l'unité , dont chaque cou
pée y eft compofée ; par conféquent
ils feront fucceffivement les Logarithmes
de ces coupées en progreffion
géométrique . Ce qui eft évident.
On continuera la fuite de ce Mémoire
dans le Mercure fuivant.
EXTRAIT d'un Mémoire lû à l'Acadé
mie Royale des Sciences , fur le paffage
de Vénus devant le difque du Soleil en
1761 , contenant le projet d'un voyage
en Afrique. Par M. DELALANDE.
, que
L'ON
'ON fçait depuis longtemps
l'obfervation de ce célébre phénomène
doit nous faire connoître la diftance du
foleil à la terre , que nous ne connoiffons
jufqu'ici , qu'à un cinquième près , c'eftà-
dire , avec une incertitude de 6 millions
de lieuës.
La parallaxe du foleil étant fuppofée
de dix fecondes , l'entrée de Vénus fur
le foleil , doit paroître 16 minutes de
temps plûtôt à Upfal , Berlin , Conſtantinople
, Alep , la Mecque , & à l'Ifle
de Bourbon , qu'au milieu de la mer du
Sud ,
JUI N. 1760 . 169
Sud , vers 250° de longitude & 20° de
latitude.
De même la fortie doit paroître
plûtôt au Kantfchatka , extrémité orientale
de l'Afie , qu'à l'Ile de Ste Héléne
& au Cap de Bonne - Efpérance ; c'eft
cette différence de 16' fur l'entrée , &
de 14' fur la fortie , qui fera plus grande ,
fi le foleil eft plus près de nous , & qui
doit par conféquent nous inftruire de
cette véritable diftance.
Pour s'affurer exactement de cette différence
, M. Legentil , l'un de nos Afronomes
, eft déja parti pour les Indes , &
M. l'Abbé Chappe fe prépare à partir
pour la Siberie ; mais le voyage d'Affrique
fera , furtout , de la plus grande importance.
Si l'on étoit affuré d'avoir deux obfervations
de l'entrée de Vénus fur le foleil ,
une aux environs de Conftantinople ou
de l'Iffe de Chypre , l'autre dans la mer
du Sud , nous aurions la plus grande
différence pour l'entrée ; cela n'empêcheroit
pas cependant que l'on ne dût fe
procurer de deux façons ce réfultat important.
Mais il eft encore douteux que nous
puiffions avoir un obfervateur , même de
la part de l'Espagne , dans ces Ifles dé-
H
170 MERCURE DE FRANCE:
fertes. La plupart ne font connues que
par les noms qu'ont donnés les voyageurs,
quelquefois à ce qu'ils voyoient , & quelquefois
à ce qu'ils croyoient voir.Les Illes
vuës par Quiros, en 1705 , comme l'Ifle
de Pâques , celles que Ferdinand Gallego
dit avoir apperçues en enfilade , depuis
la terre de Feu jufqu'aux Ifles de Quiros,
les Marquifes de Mendoça , l'Ile des
Chiens , les Illes Labyrinthe , les Ifles
pernicieuſes , n'ont jamais été reconnuës
depuis par perfonne , quoiqu'elles aient
été cherchées fouvent : quelques- unes ne
font habitées que par des Antropophages
, ou par des traîtres . Il eft d'ailleurs
trop tard pour les préparatifs d'un aufſi
long voyage : n'efpérons donc qu'avec
retenue des obfervations qui tiennent à
tant d'incertitudes , & pour lefquelles
nous voyons tant d'obſtacles .
Mais s'il eft difficile d'avoir , pour
l'entrée , la plus grande différence poffible,
& même la moitié , nous en pouvons
être dédommagés par la fortie.
D'un côté , la Sibérie & le Kamtfchatka ,
font les lieux où la fortie fe verra le plûtôt;
& d'un autre côté , l'Ile de Ste. Helene ,
la côte occidentale & méridionale d'Affrique
, depuis le Cap de Bonne - efpérance ,
en remontant jufqu'à S. Philippe de BenJUIN.
1760. 171
F
guela & à S. Paul de Loanda , font, parmi
tous les lieux acceffibles ceux où la
fortie fe verra le plus tard.
Nous ignorons fi l'Angleterre n'enverra
pas à l'Ile de Ste Héléne ; mais
nous affurerions la réuffite de l'entrepriſe,
en l'obſervant nous - mêmes en Affrique.
Cette obfervation fera face à toutes les
autres ; elles donnera huit minutes de différence
avec Paris , Londres & Conftantinople
, 9' avec Berlin & Pondichery , 10
avec Petersbourg , 11 ' avec Archangel ,
11 avec Tobolsk , 12 avec Jeniſeik &
Pekin , 13 avec Yakoutsk en Sibérie ,
& 14 avec le Kamtfchatka , où peutêtre
l'obfervation fera faite. Ainfi l'on
voit
que l'obfervation d'Affrique fera utile
de l'utilité même de chacune des autres;
elle les rendra toutes concluantes ; & fans
elle, nous perdrons près de deux tiers de
l'avantage car il ne refte plus que cinq
minutes entre Paris & Yakoutsk , au lieu
de 13 que nous pouvons nous procurer :
enforte que le voyage même de Sibérie
tire de celui de l'Affrique prèfque toute
fon importance. L'Académie pourroitelle
négliger une pofition auffi décifive ,
& ne faire pas des efforts pour s'y procurer
un obfervateur ? voyant parini nous
plufieurs Aftronomes empreffés à fe char-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
170000
ger de ce pénible voyage ; ne perdons pas
de yue l'importance de la chofe. La vraie
diflance du foleil à la terre , eft un des
fondemens les plus effentiels & les plus
généraux de toute la Phyfique céleste.
Une des plus belles découvertes que la
connoiffance de l'attraction ait procurée
aux Aftronomes , eft celle des denfités &
des maffes de toutes le planettes qui ont
des fatellites. Mais fi Newton trouve que
la terre eft , du foleil : il fuppofe
effentiellement fa parallaxe de ro' ;
fi on la fuppofoit plus grande , la fraction
précédente augmenteroit comme le quarré
de la parallaxe , & une feule feconde
fur la parallaxé donneroit un cinquième
de plus à la maffe de la terre. A quelle
erreur ne fommes - nous donc pas expofés
en calculant les dérangemens & les
perturbations des planettes les unes fur
les autres la véritable étendue du fyftême
folaire , la théorie des éclipfes , la
connoiffance des maffes , des volumes ,
des denfités , des diamètres , tout dépend
de la parallaxe du foleil , & par confe
quent de l'obfervation dont je parle.
Ainfi l'occafion que nous préfente ce
célébre phénomène,eft un de ces momens
précieux dont l'avantage fi nous le
laiſſons échapper , ne fçauroit être enfuite
>
JUIN. 1760. 173 .
compenfe ni par les effors du génie , ni
par la conftance des travaux , ni par la
magnificence des plus grands Rois : momentque
le fiécle paffé nous envioit;& qui
feroit,pour l'avenir,j'ofe le dire, une injure à
la mémoire de ceux qui l'auroient négligé.
+
En conféquence de ce projet , il fut dit
que les Aftronomes s'affembleroient en Comité
, le 14 Mai , pour délibérer fur les
moyens de parvenir à l'exécution .
ARTICLE IV.
BEAUX. ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
REFLEXIONS fur les avantages de l'Inoculation
, par M. DANIEL BERNOULLI
, Docteur en Médecine , Profeffeur
de Phyfique en l'Univerfité de
Bále , Affocié étranger de l'Académie
des Sciences.
Lues dans l'aflemblée publique du 16 Avril 1760.
D E tous ceux qui ont traité cette matière
, c'eft fans contredit M. de la Con-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
damine qui l'a fait avec plus de fuccès. II .
eft déjà venu à bout de perfuader la meilleure
partie du monde raifonnable de la
grande utilité de l'inoculation : quant aux
autres , il feroit inutile de vouloir employer
la raison avec eux ; puifqu'ils n'agiffent
pas par principes . Il faut les conduire
comme des enfans vers leur mieux :
c'est la coutume feule qui peut leur tendte
une main fecourable. L'inoculation
feroit bientôt adoptée en Europe , fi la
bonne politique vouloit s'affocier avec .
l'humanité : je dis même avec la charité
chrétienne ; & j'en apelle à ceux qui par
un zèle plus ardent qu'éclairé traitent cette
méthode de criminelle . Ne conviendront
ils pas que Dieu demande la confervation
& la propagation de l'espéce
qu'il a créée à ſon image ? Il ne refte qu'à
leur prouver que le moyen le plus fûr &
le plus efficace pour remplir ces vues , eft
fans contredit l'inoculation . Mais en vain
cette vérité fera reconnue de ceux qui
l'auront méditée ; en vain même quelques
particuliers en recueilleront le fruit : Il
fera perdu pour l'Etat tant que la multitude
ne fera pas convaincue. Elle ne peut
l'être que par des expériences multipliées
& faites en grand : en un mot par un établiſſement
public dans quelque hôpital tel
JUIN. 1760. 175
que
celui des enfans - trouvés où l'on inoculeroit
tous ceux qui ne donneroient pas
d'indication contraire. En conféquence
d'un pareil établiffement , je ne doute pas
que la pratique de l'inoculation ne devînt
commune en France avant qu'il fe paffàt
dix ans ; pourvû qu'on publiât tous les
ans des regiftres autentiques & en bon ordre
. Outre la confolante fatisfaction de
fauver la vie chaque année à un grand
nombre de fujets , on auroit encore l'avantage
de perfectionner bientôt la méthode
au point de la faire avec une fureté
entiere ; s'il eft vrai toutefois qu'il y ait
quelque rifque. Je fais cette reſtriction ,
parce que les obſervations ne conftatent
pas bien ce rifque. Les liftes mortuaires
prouvent que de 20000 enfans de l'âge de
4 ans il en meurt environ 700 dans le
cours d'une année , ou environ 60 par
mois. * Si donc on donne un mois au
cours de la maladie caufée par l'inoculation
, on aura foixante enfans au moins
fur 20000 qui mourront probablement
dans ce terme indépendamment de l'effet
* M. Bernoulli s'eft fervi des liſtes de Breflaw ,
où il meurt beaucoup moins d'enfans qu'ailleurs.
S'il eût employé les liftes de Londres , ou même
celles de Paris , la proportion qu'il eût trouvée
feroit beaucoup plus avantageufe à l'inoculation.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
de l'opération; c'est -à - dire 1 fur 133. Si on
vouloit reftreindre le temps critique de
l'infertion à 15 jours , ce feroit encore 1
fur 661 , nombre qui différe peu de i fur
593 , ou de celui des morts à Londres
dans l'hôpital des inoculés de tout âge
pendant le cours de quatre années fuivant
la lifte imprimée , publiée par les adminiftrateurs.
Il eft vrai que chaque âge demande
une évaluation différente : cependant
ces réſultats font affez voir qu'il
n'eft pas encore bien conftaté qu'on courre
quelque rifque tant foit peu confidérable
en fe faifant inoculer , puifqu'il n'eft
pas encore démontré que le nombre de
ceux qui meurent pendant le tems critique
de l'infection , furpaffe le nombre de ceux
qui mourroient dans le même terme ,
s'ils n'avoient point été inoculés . Il eft
donc encore permis de fuppofer que l'inoculation
n'eft accompagnée d'aucun rifque
, pourvû qu'ele foit bien adminiſtrée .
Par quel fcrupule pourroit- on donc fe refufer
aux moyens de mettre cette vérité
dans la plus grande évidence , tels qu'une
fuite d'expériences autorisées , & dont les
réſultats feroient rendus publics ?
Le feul inconvénient que je puiffe prévoir
dans l'établiffement que je propofe ,
ce feroit peut- être de voir diminuer par
JUIN. 1760. 177
la crainte de l'événement le nombre des
enfans qu'on porteroit la premiere année
à l'hôpital des enfans- trouvés . * Eft- ce là
un mal ou un bien ? Quoiqu'il en foit , la
feconde année , ou au plus tard la troifiéme
remettroit les chofes fur l'ancien pied .
Après une telle expérience eft-il un pere
de famille qui ne fuivît un exemple autorifé
par une inftitution publique ? La notoriété
des fuccès feroit bientôt taire les
timides préjugés, pour ne plus écouter que
la voix de l'amour paternel & de la charité.
Les autres nations feroient infailliblement
entraînées par l'exemple de la
nation la plus éclairée , & avec le temps
une pratique fi falutaire au bien de l'humanité
deviendroit univerfelle. **
Il ne feroit pas impoffible après cela
que la maladie attaquée dans fon principe
ne changeât de nature à la feconde ou à la
troifiéme génération , qu'elle ne perdît tout
* M. Bernoulli fuppofe que plufieurs meres
pauvres qui portent leurs enfans à l'hôpital s'en
abftiendroient par la crainte de l'inoculation.Mais
quand on fuppoferoit que la moitié des enfans
qu'on y porte font légitimes , le petit nombre
de ceux qu'on reclame ne prouve que trop le peu
d'intérêt que prenent à leur fort ceux qui les y
portent.
** Il est très vrai qu'on n'attend en Italie que
Pexemple de la France.
HY
178 MERCURE DE FRANCE.
fon venin , ou qu'elle ne ceffât d'elle- mê-
Si nous connoiffions beaucoup de
mariages entre des perfonnes inoculées &
le fort de leurs enfans , nous pourrions .
prononcer fur cette queftion définitivement.
Les deux grands motifs pour l'inoculation
font l'humanité & l'intérêt de l'Etat .
L'humanité veut qu'on affure & qu'on
conferve la vie à chaque particulier , ſoit
jeune , foit vieux : l'intérêt de l'état demande
la population du Royaume . L'augmentation
du nombre des fujets produiroit
dans les revenus du Roi un accroiffement
qu'on peut évaluer à environ 20 liv .
par tête chaque année , en fuppofant le
nombre des habitans de 18 millions &
les revenus du Roi de 360 millions . Je
ne m'attacherai pas à l'identité de la proportion
; mais quand on la réduiroit à la
moitié , le profit ne laifferoit pas de devenir
immenſe avec le tems : outre que
l'augmentation des revenus n'eft pas , à
beaucoup près pour l'état , le feul avantage
qu'il faille confidérer dans le cas préſent.
Une autre confidération importante ,
c'est que toute la jeuneffe iufqu'à l'âge de
16 ou 18 ans , eft en elle - même , non-feu
lement inutile , mais entierement à la
charge de la fociété : elle ne contribue rien,
་
JUIN. 1760. 179
ou très peu aux befoins publics . A ne confidérer
que l'intérêt de la fociété , il vaudroit
mieux pour elle que tous ceux qui
font deftinés à mourir avant l'âge de 16
ans ne fuffentjamais nés. En perdant un
enfant avant qu'il ait atteint cet âge , on
perd en un moment toutes les dépenfes
qu'on a faites pour lui pendant toute fa
vie, fans que la fociété en ait tiré le moindre
profit. Cette raifon ne fuffit- elle pas
pour donner la plus grande attention à conferver
ces enfans jufqu'à cet âge de récolte,
en les préfervant d'une maladie fi meuttriere
qui le plus fouvent n'attaque précisé
ment qu'eux ? Si la petite vérole étoit d'une
nature à n'attaquer jamais que la grande
vieilleffe , les raifons politiques cefferoient :
Mais il me femble que les raifons d'humanité
devroient encore être les mêmes.
Des confidérations générales , je paffe
à quelques réfléxions particulieres fur l'inoculation
. Un argument qu'on fait valoir
contre cette pratique, c'eft qu'un grand
nombre de perfonnes ne prennent jamais
la petite vérole. Il eft vrai qu'à l'égard
de ces perfonnes l'opération devient manifeftement
inutile : elle feroit même cruelle
, puifqu'on leur feroit fouffrir une maladie
incommode . Je dirois encore ,fi l'inoculation
étoit accompagnée d'un rifque
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
2
de vie tant foit peu confidérable , qu'elle
feroit tyrannique & impie ; mais à tout
cela je n'ai qu'un mot à répondre : c'eft
que de légères fouffrances ne fauroient être
mifes en parallèle avec le moindre rifque
de vie , & que le rifque de vie qu'on
court par l'inoculation eft nul ou comme
nul. L'objection prouve feulement qu'il
ne faudroit point pratiquer l'infertion
fur les perfonnes qui n'auroient jamais
la petite vérole , fi on pouvoit les
' diftinguer d'avec les autres , & c'est ce
que j'accorderai fans difficulté . Mais
ceux qui font fonner fi haut l'argu
ment pris de la poffibilité de n'avoir ja
mais cette maladie , ne font - ils pas en
contradiction avec eux-mêmes ; Ils accordent
l'utilité de l'inoculation pour les
perfonnes qu'on fauroit devoir bientôt
prendre la petite vérole : il y a cependant
parmi toutes ces perfonnes environ fix fur
fept qui n'en mourront point . Je demanderai
donc à ceux qui font la difficulté
précédente , pourquoi ils confentiroient à
Pinoculation de tous ceux qu'on feroit für
qui feront bientôt attaqués de la petite
vérole , puifque l'opération feroit encore
inutile à fix inoculés fur fept : A cela
peuvent - ils donner une autre réponſe.
que celle que j'ai donnée plus haut ,
JUIN. 1760 . 181
favoir qu'on ne fauroit diftinguer les uns
des autres , ni par conféquent s'empêcher
de faire indiftinctement l'opération fur
tous.
. D'ailleurs la confervation de la vie n'eft
pas le feul bien qui réfulte de l'inoculation
. On connoît les fuites fouvent fâcheufes
, quelquefois terribles de la petite
vérole naturelle , & l'on fait en même
temps qu'elles font infiniment rares après
l'artificielle , ou plutôt qu'elles n'ont jamais
lieu. Quelle proportion encore les
fouffrances de la petite vérole naturelle
tant:foit peu maligne , & celles de la même
maladie inoculée , lors même qu'elle
eft des plus mauvaiſes ? Jen attefte les
médecins , ceux mêmes qui fe déclarent
contre l'inoculation , par une trifte fatalité
que je n'ai jamais pû comprendre . Je
puis ici me donner pour témoin ocufaire
j'ai vu plufieurs malades de l'une
& l'autre claffe . Les inoculés avoient
quelquefois un grand nombre de puftules :
nés dans une famille fort maltraitée de la
petite vérole , je ne puis douter que la
maladie naturelle ne les eût enlevés : avec
tout cela leur état me paroiffoit plutôt
celui d'un malaife que celui d'une grande
fouffrance. Mais je ne faurois fans être
ému , me rappeller le trifte état auquel
182 MERCURE DE FRANCE.
j'ai vû réduits quelques-uns de ceux qui
avoient été furpris par la petite vérole naturelle.
Examinons encore de quelle manière on
doit enviſager le danger qu'on peut fuppofer
accompagner l'inoculation . Je groffirai
aujourd'hui ce danger prefque nul , &
je fuppoferai que cette opération enléve
un fur cent de ceux qui s'y foumettent.
Un tel rifque doit- il rallentir le zèle d'un
homme qui n'a eu en vue que le bien de
l'humanité ? On ne fauroit mieux faire
fentir ces vérités morales que par la méthode
dont M. de la Condamine a fait ufage
avec tant de fuccès . Elle confifte à les préfenter
fous un point de vue frapant qui
ne manque jamais d'entraîner notre conviction
; je fuivrai donc l'exemple de l'illuftre
auteur qui m'a donné occafion de
faire ces réfléxions .
Je confidere la mortalité cauſée par les
maladies de tout genre , qui détruifent peuà-
peu toute une génération. Je partagerai
cette mortalité totale en quatorze claffes
de différentes maladies , & je ſuppoſerai
pour fimplifier la chofe toutes ces
claſſes également meurtrières , quoique les
unes plus tard que les autres. Je fuppofe de
plus que toutes ces maladies foient de même
nature que la petite vérole , c'eſt- àJUIN.
1760. 184
dire qu'on puiffe prévenir le funefte effet
de chacune par un préfervatif de même
efpèce que l'Inoculation . Suppofons encore
pour rendre toutes chofes égales , que
toutes ces différentes espèces d'Inoculations
, foient accompagnées d'inconvéniens
égaux à ceux de la petite vérole inoculée.
Tout cela fupofé, il eft évident qu'il
faudra ou rejetter toutes les inoculations ,
& par conféquent celle de la petite vérole,
ou les admettre toutes : il ne s'agit donc
que d'examiner cette alternative. Si nous
rejettons toutes les Inoculations , nous demeurons
dans notre état , qu'il faut avoir
étudié pour en connoître toute la mifére.
La feule premiere année emporte fuivant
les différentes liftes , le quart , le tiers ou
plus de toute l'humanité . Mais fi l'on
adopte toutes les espèces d'Inoculations ,
fi on fe hâte de les adminiftrer toutes , pour
prévenir plus vite tous les dangers ; quand
même on voudroit fuppofer que chaque
efpéce d'infertion emporteroit la centiéme
partie de ceux qui s'y foumettent ( fuppofition
par laquelle on exagére le péril au
triple & au quadruple de la réalité ) qu'en
réfulteroit- il? Il y auroit quatre vingt - ſept
perfonnes fur cent ou les de la totalité ;
ce qui fait la quatorziéme puiffance de 22,
qui furvivroient à toutes ces opérations , &
184 MERCURE DE FRANCE.
treize fur cent qui y fuccomberoient. Ces
treize fur cent font à peine la moitié du
nombre que toutes les différentes maladies
emportent naturellement dans la feule premiere
année.Il faut donc compter pour rien
cette perte , ou plutôt il faut la compter
pour un gain réel ; puifqu'elle diminue la
moitié , de la perte ordinaire : mais ce n'eft
pas tout.
Tous les furvivans qui font les fept- huitiémes
de l'humanité , feroient enfuite
exempts de toute infirmité dans le cours de
leur vie ; ils iroient tous jufqu'au dernier
terme de la vieilleffe : ils ne feroient plus
que ceffer de vivre . Quelle différence
entre notre état préfent & celui que donne
notre fuppofition ! Qu'on choififfe maintenant
entre les deux alternatives que je
propofe ; mais qu'on fe fouvienne que c'eſt
fe déclarer pour l'inoculation de la petite
vérole , que de choisir le fecond parti : fi
la Providence ne nous a pas accordé ce
grand bien en entier , faut- il pour cela
rejetter le partie qu'elle nous offre ?
Mais peut être atteindrons- nous plus
fûrement le but que nous propofons , fi
nous ajoutons ici une évaluation du ravage
de la petite vérole naturelle , & de ce qu'on
peut gagner en la procuranr artificiellement.
Je ne prétens pas donner une évaJUIN.
1760 . 185
F
Juation abfolument exacte ; nous n'avons
pas affez d'obſervations pour cela : on peut
à la vérité fuppléer à ce défaut par des
hypothèses fort vraisemblables , & en
même temps fort approchantes du vrai ;
mais je prévois qu'on ne fçauroit le faire
fans des calculs extrêmement pénibles ;
parce qu'il faut fuivre l'effet de la petite
vérole , depuis la naiſſance juſqu'à la derniere
vieilleffe . J'entreprendrai cet ouvrage
au premier loifir qui me le permettra : je
me contenterai pour cette fois d'indiquer
comment nous devons eftimer à- peu- près
les résultats que nous demandons.
On a remarqué par une grande fuite
d'obfervations , qu'en comparant le nombre
de ceux qui fuccombent à la petite vérole
, avec le nombre de ceux qui en font
attaqués , la proportion fe trouve être
celle de 1 fur 7 ou au moins de 1 fur 8 :
la différence en eft affez petite. J'adopterai
cette derniere proportion par deux raifons
: premierement , parce qu'il eft plus
facile de fçavoirle nombre de tous ceux qui
meurent de la petite vérole , qu'il ne l'eſt
d'apprendre le nombre entier de ceux qui
en font attaqués : fecondement , je m'en
tiens à la proportion d'un fur 8 , pour éviter
tout foupçon d'accroître le péril de la
maladie. Si donc on vouloit fuppofer que
136 MERCURE DE FRANCE.
la petite vérole attaque tous les enfans dès
leur naiffance , il eft manifefte que cette
maladie emporteroit la huitième partie de
l'humanité ; puifque chaque génération
annuelle feroit diminuée en raifon de 1 à
D'un autre côté la deftruction que cauſe
la petite vérole dans l'efpèce humaine , eft
la treizième ou la quatorziéme partie de
la mortalité totale ; puiſqu'il eft encore
conftaté que fur 13 ou 14 qui meurent de
toutes fortes de maladies , un feul eft emporté
par la petite vérole. Je dois ici dire
en paffant , qu'ayant confulté plufieurs
liftes mortuaires , où l'on fait un dénombrement
des morts de la petite vérole en
différens pays , le nombre de i fur 13 m'a
paru plus conforme à la nature , que celui
de 1 fur 14. Il me paroît auffi convenir
mieux aux autres notions générales que
nous avons fur cette maladie ; pour concilier
ces deux vérités d'obfervation , on n'a
qu'à fuppofer la petite vérole d'une nature
à furprendre tous les enfans à leur entrée
dans la cinquième ou la fixième année : car
un calcul qui ne fçauroit s'éloigner fenfiblement
de la nature , m'a appris que fi tous
les enfans étoient exempts de la petite vérole
jufqu'à l'âge de 4 ou 5 ans accomplis ,
chaque génération à cet âge feroit réduite
de 13 à 8 , par toutes les autres caufes de
2
187 JUIN. 1760.
13
8
mortalité. Si tous les enfans qui compofent
ces prenoient enfuite la petite vérole
, il en mourroit la huitième partie , &
cette huitième partie feroit précisément la
treizième partie du total de la génération
entiere.
C'eft donc fous cette face qu'on peut à
cet égard confidérer le ravage de la petite
vérole , & l'avantage qu'il y auroit fi on
pouvoit s'exempter de cette deftruction :
puifqu'on peut dire que la deftruction caufée
par la petite vérole , eft à- peu - près
la même que fi cette maladie enlevoit la
8 partie de l'humanité parvenue à l'âge de
4 ou 5 ans accomplis . Mais qu'est- ce que
ce commencement de vie , & quel peut
en être le prix , foit pour les enfans euxmêmes
, foit pour leurs peres & meres ,
foit pour la fociété, quand ils font deſtinés
à périr à cet âge ? Un fi petit objet mérite-
t- il quelque confidération ? N'eft- on
pas en droit de le négliger , & de dire en
conféquence que la petite vérole détruit
la huitième partie de l'humanité totale ?
Cependant fi l'on veut tenir compte de
cette petite portion de vie , comme on
fait dans les calculs des vies moyennes ,
où l'on donne un prix égal à chaque an
née de vie , on pourra dire que la vie des
ous premieres années , faiſant environ
188 MERCURE DE FRANCE.
la feptième partie de la vie totale moyenne
, la petite vérole ne prive ceux qu'elle
enléve , que des fix-feptièmes de leur vie
moyenne , & que par conféquent cette
maladie détruit environ les fix-feptiémes
d'une huitième partie , de l'efpéce entiere ,
c'est-à-dire les trois vingt huitiémes du
total, ce qui approche beaucoup d'un neuviéme.
Je ne donne pas , je le répète ,
:
cette évaluation comme entiérement exate
j'ofe cependant affurer qu'elle ne
s'éloigne pas beaucoup de la jufte valeur.
On voit donc évidemment que la feule petite
vérole enlève plus que la dixième partie
de chaque génération annuelle, & que c'eſt
une vraie décimation , à laquelle on propofc
de fe fouftraite par le moyen de l'Inoculation
laquelle comme M. de la
Condamine le remarque avec beaucoup
de jufteffe , au lieu de décimer , ne fait
plus que millefimer ceux qui fe mettent
fous fa fauve-garde . Les de chaque genération
annuelle que cette opération préferveroit,
vaudroient environ foixante mille
ames par an à la France feule , & tout
le refte demeurant égal , une telle augmentation
pourroit doubler le nombre
des habitans du Royaume dans un fiécle :
tant par la confervation de ceux qui feroient
garantis de ce fléau , que par
la
JUIN. 1760 . 189
multiplication qu'ils produiroient,
Si ces confidérations ne font pas affez
fortes pour ramener ceux qui s'opposent
avec tant d'animofité à l'Inoculation ,
puiffent - elles , au moins , engager tous
les gens bien intentionnés à ne rien
omettre pour donner à cette méthode
toute la perfection dont elle eft fufceptible.
Ceux qui la pratiquent avec le plus de
zéle , n'ont- ils point confervé de préjugés
? La coutume de différer l'Inoculation
jufqu'à l'âge de 5 ans , eft elle fondée fur
des raifons fuffifantes ? Je fçat qu'à cet
age où le plus grand danger des maládies
de l'enfance eft paffé , on eft moins
expofé à voir le fuccès de l'opération
troublé par des caufes étrangeres & inconnues
. Mais combien d'enfans victimes
de cette crainte font moitfonnés au berceau
dans certaines épidémies ? Je fuis
tenté de croire qu'en abandonnant en
Angleterre l'ufage où l'on étoit d'inoculer
les enfans nouveaux nés : on a moins
déféré au bien général de l'humanité
qu'à l'appréhenfion de décrier cette méthode
auprès du vulgaire , qui lui imputeroit
fans examen , les accidens ordinaires
à cet âge. Un jour viendra peut - être
où l'on ne fera plus forcé à ces funeftes
changemens. Nous pourrons jouir alors
190 MERCURE DE FRANCE:
de tous les avantages que nous offre l'inoculation
; & l'on s'étonnera de les avoir
fi longtemps négligés.
Nota. Le Mémoire qu'annonce M. Bernoulli
dans ces réflexions a été envoyé à
l'Académie des Sciences de Paris , dont
M. Bernoulli eft membre. Ce Mémoire a
pour titre : Efai d'une nouvelle analyſe de
la mortalité caufée par la petite vérole ,
& des avantages de l'inoculation pour
prévenir.
la
LE
ques ,
GÉOGRAPHIE .
E fieur Lattré , Graveur , rue S. Jacà
la ville de Bordeaux , a mis en
vente une nouvelle Mappemonde , de la
compofition de feu M. le Boullanger , Ingénieur
, & d'une conftruction fingulière.
Elle est projettée fur l'horiſon de 45 degrés
de latitude , & a pour diamètre , du
Sud au Nord , le Méridien de Paris . Elle
préſente, dans l'un des deux hémisphères,
les quatre Parties du Monde terreftre ;
dans l'autre , prèſque toutes les mers réunies
: ce qui fait plus aifément diftinguer
les rapports que les différentes parties du
JUIN. 1760. 191
globe ont entr'elles . Ainfi ce planifphère
terreftre , montre la furface de la Terre
fous un nouveau point de vue très- propte
à piquer la curiofité. Cette Carte eft trèsproprement
gravée , & fes ornemens font
de bon goût.
PROVINCES Méridionales de l'Angleterre
, ou Côtes Septentrionales de la
Manche , tirées de la Carte de Browne ,
imprimées à Londres . A Paris , chez le
fieur le Rouge , Ingénieur , Géographe
du Roi , rue des Grands- Auguftins, 1760 .
Cette Carte eft divifée en deux feuilles ,
qui paroiffent très - bien exécutées.
PLAN idéal de la bataille de Maxen ,
gagnée par M. le Maréchal Daun , fur le
Général Finck , les 20 & 21 Novembre
1759. Croqué par M. le Prince de Ligne.
A la même adreffe.
LE
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
E fieur Rigaud , Graveur , vient de
joindre à fon Recueil des vues des Mai192
MERCURE DE FRANCE;
fons Royales & autres , trois nouvelles
vucs , deux de l'Hôpital Royal de Bicêtre
, & une de l'Hôpital Général . Il demeure
rue S. Jacques , vis- à- vis le Collége
du Pleffis.
VUES du Port de Fleffingue , & de l'arrivée
de Fleffingue , très - bien gravées
d'après Peters , par le fieur le Veau. Deux
autres , plus petites , l'une de Lillo , fur
l'Efcaut , l'autre du Canal d'Ypres à Furnes
, d'après Vander- neer , par le même.
Chez l'Auteur , rue Ste Géneviève , visà-
vis le Collège de Navarre . Prix des
grandes , 3 liv. 10 f. chacune , & des petites
1 liv. 10 f.
M. MOITTE , Graveur du Roi , vient de
mettre au jour une Eftampe , qui a pour
titre , Vénus fur les Eaux. Elle eft gravée
d'après l'une des plus belles & des plus riches
compofitions de l'aimable & célèbre
Peintre des Grâces , c'est- à- dire M. Boucher
, dont le génie & les productions
font fi accueillis du Public. Le Tableau ,
fait , il y a quelques années , appartient
à M. le Comte de Teffin , Miniftre du
Roi de Suéde . Cette Eftampe , qui contient
plus de vingt figures , eft renduë
avec tant d'harmonie , une fi grande pu
reté de burin , & des caracteres fi élégament
exprimés , qu'elle a mérité à M.
Moitte
JUIN . 1760. 193
Moitte l'honneur d'être agréé à l'Académie
Royale de Peinture. Elle fe vend , à
Paris , chez l'Auteur , à l'entrée de la rue
S. Victor , la premiere porte cochère à
gauche, en entrant par la Place Maubert .
Le prix eft , de 8 liv .
Le Portrait de N. S. P. le Pape Clêment
XIII , actuellement régnant , vient
d'être gravé d'après la médaille d'or que
Sa Sainteté a fait remettre à M. l'Abbé
Guyon , par le fieur Audran , Graveur ,
rue S. Jacques , à la ville de Paris . Comme
les Médailles confervent plus fidélement
la reffemblance que les Tableaux ,
il y a tout lieu de préfumer que cette
nouvelle Eftampe repréfente éxactement
le S. Pere.
Le fieur LE MAIRE , Auteur de l'Hif
toire Univerfelle , vient de mettre au
jour 20 nouveaux fujets de l'Exode , qui
commencent à la fixiéme Playe de l'Egypte
, & comprennent les événemens
postérieurs jufqu'au combat de jofué contre
les Amalécites Parmi les Peintres d'après
qui ces nouvelles Eftampes font gravées
, on voit les noms de Martin Devos ,
d'Eimmart , de Paul Véronèse , de Tempeſte
du Benedette de Raphaël , de
Carle Maratto , du Pouffin , & de Romanelli.
>
I
194 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
SIX SONATES , en duo, pour deux violons
, dédiées à M. Pagin , Confeiller du
Roi , Receveur des Tailles , & Tréforier
général de S. A. S. Mgr le Comte de Clermont
, Prince du Sang. Par M. de L.....
Euvre premier. Prix., 6 liv . A Paris , chez
le fieur Hue , Graveur , rue $. Honoré ,
attenant le Palais Royal , vis- à- vis le
Caffé de Dupuis , & aux adreffes ordinaires.
L'Auteur n'ayant pas jugé à propos
d'inftruire le Public de fon nom , ce
n'eft pas à nous à le divulguer. Nous ne
pouvons cependant nous refufer de dire
que ces Duo , dignes d'être offerts à M.
Pagin , font d'un homme de condition ,
de Montreuil - fur-mer.
LES BAGATELLES variées , Pot-pourri , à
deux violons , ou à une flute & un violon,
par l'Auteur du Coeur volage , avec des
variations. A Paris , chez Cuiffart , Libraire
, quai de Gêvres , à l'Ange- Gardien
; & aux adreffes ordinaireș. Prix ,
12 f
JUIN. 1760. 195
ARTICLE V.
·
SPECTACLE S.
CET
OPERA.
DARDA NU S.
A
ET Opéra , dont le fuccès fe foutient
conftamment , a été donné
miere fois , le 19
Novembre 1739. À la
pour la prereprife
, en Avril 1744 , il a reparu avec
des
changemens fi
confidérables , tant de
la part du Poëte que de celles du Muficien
, qu'il en a été fait une nouvelle édition
, que l'on peut regarder ( fi l'on en
excepte les deux premiers actes ) comme
un ouvrage abfolument nouveau. L'Auteur
du Mercure , n'en donna pourtant
point d'extrait alors. Il fe contenta d'annoncer
, en deux mots , cette reprife ; &
c'est avec plaifir , que je vais fuppléer à
un
manquement , que la Province , encore
plus que la Capitale, auroit fans doute
droit de me
reprocher.
Acte I. Le
Théâtre
repréfente un lieu
rempli de
Maufolées , élevés à la gloire
des plus fameux
Guerriers qui ont péri
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
dans la guerre que Dardanus , fils de Jupiter
& d'Electre , a déclaré à Teucer ,
Koi de Phrygie. Iphife , fille de Teucer ,
fe plaint de l'amour dont elle eſt épriſe
Four Dardanus , ennemi de fon pere.
Voici comme elle expofe le fujet.
Ceffe , cruel Amour , de régner fur mon âme,
Ou choifis d'autres traits pour te rendre vain
queur.
Où m'entraîne un aveugle ardeur ?
Un ennemi fatal eft l'objet de ma flamme ?
Dardanus a foumis mon coeur.
Ceile , cruel Amour & c.
Elle invoque les mânes des guerriers
dont les cendres font renfermées dans
les tombeaux qu'on voit paroître , & les
prie de la faire triompher d'un amour
qui les outrage. Teucer , fon Pere , redouble
fa douleur , en lui annonçant l'hymen
prochain qu'il a conclu pour elle
avec Antenor , Prince voifin de fes Etats ,
qui vient joindre fes armes aux fiennes
contre Dardanus. Antenor arrive , &
confirme à Iphife cette trifte nouvelle ,
par ces vers :
Princeffe , après l'efpoir dont j'ofe mefatter ,...
Je réponds des exploits que je vais entreprendre.
JUIN. 1760. 197
Je combattrai , pour vous défendre ,
Et pour vous mériter.
Iphife lui répond que , quoi qu'on ait ,
Heu d'attendre d'un héros tel que lui , fa
victoire n'eft pas fûre contre un fils de Ju-i
piter. A quoi , Antenor replique , galament
:
S'il eft protégé par les Dieux ,
Je fuis animé par vos charmes.
Alors Teucer & Antenor , pour affurer
feur union , lui prêtent le fecours d'un
ferment , auquel les Choeurs répondent.
Le fuccès , dont les Phrygiens fe fattent
, amène naturellement la fête de ce
premier Acte ; qu'Iphife termine , par ce
Monologue.
Je céde au trouble affreux qui dévore mon coeur.
De mes fens égarés puis - je guérir l'erreur ?
Confultons Ifménor ce mortel refpectable
Perce , de l'avenir , les nuages épais.
Heureufe ! s'il pouvoir , par fon Art ſecourable ,
Rappeller dans mon coeur l'innocence & la paix.
Au fecond Acte, le Théâtre repréſente
une Solitude , & un Temple dans l'enfoncement
. Ifménor , Magicien , & Prêtre
de Jupiter , annonce aux Spectateursfon
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
pouvoir & fes qualités . Dardanus , qui
le croit fon ami , a tout risqué pour le
venir confulter. Ifménor lui repréfente en
vain la grandeur du péril où il s'expoſe.
Non ! ( s'écrie Dardanus ) Non , vos conſeils font
vains.
Un intérêt trop cher auprès de vous m'entraîne.
Mon repos , mon bonheur , ma vie eſt dans vos
mains.
Ifménor lui apprend , enfin , qu'Iphife
doit bientôt venir le confulter. Dardanus
lui répond :
Je l'ai fû ; j'ai volé , j'ai devancé les pas.
Souffrez-moi dans ces lieux ; j'y verrai ſes appas
C'eſt un charme . fuprême ,
Qui fufpendra mon tourment.
Eh ! quel bien vaur , pour un amant ,
Le plaifir de voir ce qu'il aime ?
Pour mieux engager Ifménor à le fervir
, il lui fait entendre que , s'il peut
obtenir Iphife de Teucer , il Fenoncera à
tous les avantages que la victoire lui a
déjà fait obtenir ; & que fon hymen avec
la Princeffe , fera le fceau de la paix. Ifménor
fe rend ; il confulte les enfers :
ce qui forme la fête de cet Acte.Il obtient
enfin , des Divinités Infernales , la per
JUIN. 1760. 199
miffion de communiquer une partie de
fon pouvoir à Dardanus , à qui il donne
fa baguette magique. Ce don' myſtérieux
doit le faire paffer, aux yeux de tous,
pour Ifménor lui-même .Mais (ajoute - t - il) :
Si vous l'ofez quitter , n'efperez plus en moi:
Le charme ceffe , & le péril commence.
Telle eft , du fort , l'irrévocable loi
Dardanus refte feul. Antenor vient le
confulter , ou plutôt le prier de confulter
le coeur d'Iphife fur fes fentimens fecrets
a fon égard. Il ne daigne pas l'interroger
fur le fort de fes armes ; & lui dit fièrement
:
Je ne veux point prévoir le fuccès qui m'attend
Ce n'eſt pas ce defir qui près de vous me guide.
Un efprit curieux , marque une âme timide ;
Et j'apprendrai mon fort, en combattant.
A peine Antenor eft-il forti , qu'Iphife
vient confulter fon propre amant , caché
fous les traits d'Ifménor , fur l'état de
fon coeur. C'est ici , fans contredit , une
des plus belles Sçènes qu'il y ait fur aucun
Théâtre , & dans laquelle le Muficien &
le Poëte femblent avoir été inſpirés par
le même génie. Qu'on fe figure la fituatioir
d'un amant auffi tendre & auffi paf-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
fionné que Dardanus , qui ne fçait point
encore s'il eft aimé , qui a un rival redoutable
, & à qui fon amante , qui le
croit Ifmenor , va dévoiler toute fon âme.
Qu'on fe peigne celle d'une jeune & timide
Princeffe , qui brûle en fecret pour
l'ennemi de fon pere & de fa Patrie ;
qui gémit de cette flâme , qu'elle cache à
tous les yeux ; qui vient , en tremblant,
implorer le fecours des Enfers même ,
pour éteindre des feux dont fa vertu frémit
; & ce que doit lui coûter l'aveu de
fa foibleffe ! ...
DARDANUS.
Vous aimez ! .. O Ciel ! qu'ai- je entendu ? ..
IPHISE.
Si vous êtes furpris , en apprenant ma flâme ;
•
De quelle horreur ferez-vous prévenu ,
Quand vous faurez l'objet qui régne fur mon âme!
Mais , avec quel tranſport Dardanus
n'apprend-t- il pas que cet amant qu'Iphi-
Je croit devoir lui faire horreur , n'eft autre
que lui - même ? .. Quelle violence
n'eft-il pas forcé de le faire pour empêcher
que fon raviffement n'éclate , & ne
décéle fa fupercherie ? furtout lorfque la
tendre Iphife ajoute :
D'un penchant fi fatal , rien n'a pû me guérir.
JUIN. 1766.
201.
Jugez à quel excès je l'aime ,
En voyant à quel point je devrois le hair ! ...
Arrachez de mon coeur un trait qui le déchire :
Je fens que ma foibleffe augmente chaque jour.
De ma foible Raifon rétabliffez l'enipire ;
Et rendez-lui fes droits ufurpés par l'Amour.
" oublie
Le héros , emporté par le fentiment
oublie les menaces d'Ifménor
qu'il eft dans les États de fon plus mortel
ennemi , jette loin de lui fa baguette , fe
précipite aux pieds de la Princeffe , & lui .
montre à la fois l'objet de fon amour &
de fa haine. Iphife , honteuse de l'aveu ..
qu'elle vient de lui faire , le fuit : mais ,
elle lui laiffe le plaifir d'avoir appris qu'il
eft aimé. Je le répète ; cette fituation des
deux Amans , l'une des plus heureufes
& des plus intéreffantes qui foit au Théâ
tre, eft le triomphe de Mlle Arnoud ; &
jamais Actrice , fans en excepter la trèscélèbre
Mile le Maure même , n'eût pû
la rendre avec plus de pathétique , plus
de nobleffe, & plus de vérité. Darda
nus , lorfqu'Iphife eft partie , eft fi rempli
de fon bonheur , qu'il néglige de reprendre
la fatale baguette , qui pouvait
feule l'empêcher de tomber entre les
mains de fes ennemis.
·
blingib al 18 oɔtól ni ommuż gov.
R
202 MERCURE DE FRANCE.
Acte III. Le Théâtre repréſente le veftibule
du palais de Teucer. Antenor , en
fe plaignant des maux que l'amour lui
caufe , annonce que Dardanus eft captif,
mais qu'Iphife l'adore , & qu'il a furpris
ce funefte fecret. Arcas vient lui apprendre
que le Peuple tévolté demande la
mort de ce Héros. Les féditieux viennent
en effet affiéger les portes du palais de
Teucer , & demandent à grands cris leur
victime. Les portes s'ouvrent, tout- à- coup.
C'eſt le Roi lui- même, qui fort avec vivacité
, & dont la noble & fière contenance
étonne , arrête les mutins . Vous
demandez , dit- il , le fang de Dardanus ?
Si c'est un un bien fi doux pour vos coeurs fan➡
guinaires ,
Que ne l'immoliez-vous au milieu des combats ?
Quand la gloire fervoit de voile à la vengeance ,
Lâches ! pourquoi n'ofiez-vous pas
Soutenir la preſence ?
Vos coeurs , dans la haine affermis
Trouvoient- ils ces tranfports alors moins légi
times ?
Ne favez-vous qu'égorger des victimes ¿
Et n'olez-vous frapper vos ennemis ?
Ces beaux vers , débités par le S' Lar
rivée , avec toute la force & la dignité
JUIN. 1760. 203
qu'ils exigent , produifent tout leur effet.
Les Phrygiens fe retirent confus ; & Teucer
rentre dans fon Palais . Antenor , reſté
feul avec Arcas , n'eſt plus maître des
tranfports qui l'animent contre Dardanus.
Arcas promet de fervir fa fureur..
Mais ce Prince , après avoir réfléchi fur
la baffeffe de ce premier mouvement
femble annoncer un tout autre deffein .
Viens , dit- il à Arcas , ( en voyant arriver
quelqu'un . ).
י
Je veux , fans témoins , t'expliquer mes projets..
Le Palais de Teucer , s'ouvre: Plufieurs
Gadrilles de Peuples en fortent , en dan
fant , & viennent exprimer la joie qu'ils
ont de la captivité de Dardanus : ce qui
produit une fête extrêmement agréable.
Au quatriéme Acte , le Théâtre repréfente
une prifon , au fond de laquelle on
voit Dardanus accablé de l'horreur de
fa fituation. Cette prifon eft une des plus :
belles décorations que l'on ait vuës fur le
Théâtre de notre Opéra ; & prouve, qu'avec
du génie, on peut faire du grand dans:
un très- petit eſpace. On ne fauroit trop
louer M. Machi , Peintre du Roi , & de
l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture . d'avoir eu le courage de préférer
une compofition du célèbre Pirane
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
reconnue depuis longtems pour très bonne
, à celle qu'il auroit été capable d'imaginer
lui- même avec fuccès. On doit le
penfer , en voyant avec quel Art il a
ajouté , à la priſon gravée , les premiers
chaffs qui correfpondent parfaitement à
la partie copiée d'après l'Eftampe. La manière
de peindre , l'intelligence dans les
couleurs & dans les lumières , qui ne ..
font produites que par deux lampes fufpendues
à differentes hauteurs l'effet,
de toute la décoration lorſqu'elle devient
en partie maſquée par des nuages &
des enfans fi agréablement difpofés , ne
peuvent laiffer aucun doute fur les talens,
le goût , & la capacité de M. Machi. I
a dû voir , par la façon dont on a applaudi
à fon ouvrage , que l'on aime la
vérité dans le féjour même de l'illufion .
Le héros ajoute encore à l'impreffion:
que jette dans l'âme du Spectateur la
vue de cette prifon , par ce beau Monologue
, dont la Mufique eft tellement analogue
au Sujet , ( comme elle l'eft dans
tout le cours de l'Opéra ) qu'elle produiroit,
je crois, tout fon effet indépendament
des paroles.
Lieux funeftes , où tout reſpire
La honte & la douleur !
JUIN . 1760. 205
Du défefpoir , fombre & cruel Empire ,
L'horreur que votre afpect infpire ,
Eft le moindre des maux qui déchirent mon
coeur . & c .
La prifon s'éclaire par degrés , au fon
d'une Mufique mélodieufe , pendant laquelle
ménor defcend dans un char
brillant. Il confole Dardanus , en lui apprenant
que fes malheurs ne font pas
fans retour. L'Amour , dit - il , a caufé
votre offenſe : C'eft à lui de calmer la
vengeance des deſtins irrités .
J'aurois déja , pour vous , reclamé fa clémence:
Mais la voix d'un Amant , fléchira mieux l'amour.
Triftes lieux ,dépouillez votre horreur ténébreuſe !
Efprits qui me fervez , volez du haut des airs !
Parez de mille attraits , cette demeure affreuſe :
Pour implorer l'Amour , formez de doux concerts.
Les Efprits , foumis à Ifménor , volent
à fa voix ; les murs de fa prifon font en
partie cachés par des nuages brillans ,dont
elcontrafte avecl a couleur de ces mêmes !
murs, produit le plus grand effet & le plus
pittorefque. Un Choeur d'Efprits Aeriens
invoque l'Amour;d'autres danfent au fon
de la Mufique la plus douce & la plus ten206
MERCURE DE FRANCE.
dre ; & ffménor annonce, que l'Amour eft
fenfible aux tourmens de Dardanus.Tout
ce que cette fêre a d'agréable & de volup
tueux , eft au- delà de toute expreſſion.
Les Dieux ( dit Ifménor ) vont retirer le bras qui
vous opprime :
Mais en brifant vos fers , de la rigueur du fort,
Votre libérateur deviendra la victime ;
Et votre vie , eft l'arrêt de ſa mort.
Non ! s'écrie le généreux Dardanus –
Je ne fouffrirai pas qu'un innocent périſſe :
Non ! je n'accepte pas ce fecours odieux ;
Et je ferai plus jufte que les Dieux.
A quoi Ifménor répond , avec toute la
dignité de fon caractère .
Soit que le Ciel récompenſe ou puniffe ,
C'eft aux Mortels d'adorer fes decrets.
Gardons- nous d'élever des regards indifcrets
Fufqu'au trône de fa juftice.
Ifménor fort ; le Théâtre reparoît dans.
fon premier état. Dardanus , feul , croit
que le Ciel infulte à fon malheur. Il le
fupplie de fermer l'entrée de fa prifon
à celui qui doit brifer fes fers. Iphife.
fuivie d'un Garde , qui apporte une épée
nuë, fe préfente à fes yeux. Elle lui aps
JUIN . 1760. 20
prend que , cette nuit même , Antenor
doit lui donner la mort ; & qu'il peut
fuivre les pas du guide qu'elle lui amène.
Dardanus , que l'Oracle épouvante , ex--
horte Iphife en frémiflant , à fuir plutôt
elle- même. Combat de paffion & de fen--
tímens héroïques entre les deux Amans
jaloux de mourir l'un pour l'autre. Dardanus
arrache l'épée des mains du Garde,
& veut s'en frapper ; Iphife lui retient:
le bras ; un bruit d'armes fe fait entendre
: Antenor arrive , bleſſé , & foutenu
par un Soldat. Les troupes de Dardanus
font, ( dit-il ) . dans la ville . Ah ! s'écrie ce
héros :
Que ne puis- je , moi - même , animer leur cou
rage !
Arrête , lui dit Antenor.
C'eft moi feul qui brifois tes fers
C'eſt par mes foins qu'Iphife , a vû ces lieux ou
verts 3
3
Et pour percer ton coeur , on t'attend au paſſage;
Suis mes pas ; je te veux fauver de leur fureur.....
Mais , mes remords font vains... je m'affoiblis ...
Je meurs.
On emporte Antenor. Dardanus convaincu
que ce n'eft point Iphife que menaçaft
l'Oracle , s'empare de l'épée du
208 MERCURE DE FRANCE..
Garde & malgré les craintes de fon.
Anante , fort , en lui difant :
Revenez de ces frayeurs extrêmes.
Lears complots a lieux , vont tomber fur euxmêmes
:
Des traîtres, qu'on prévient , font à demi vaincus.
Pendant l'Entre- Acte , on entend le
bruit d'un combat . Le Théâtre change, &
repréfente le veftibule du Palais de Teucer.
Iphife arrive. Elle tremble pour les
jours de fon Père , & pour ceux de fon
Amant. Dardanus , vainqueur, vient la raf
furer. L'inftant après , Téucer environné
de Soldats qui lui arrachent fon épée ,”
dont il vouloit fe percer , vient reprocher
à Dardanus l'abus qu'il fait de fa
victoire, en le forçant de vivre. Dardanus
offre vainement de lui rendre fon Empire.
Non , s'écrie l'infléxible Teucer :
Non, tu crois m'éblouir ; mais je vois ton deffein:
L'Amour me fait des dons , & l'orgueil me pardonness
Ta générosité vend les biens qu'elle donne
Mais rien nechangera , ton fost, ni mon deſtin
Garde tes vains préfens ; ta main les empoiſonne ...
༔ ; :》
Iphife & Dardanus font les derniers
efforts , pour calmer la haine de Teucer.
STEGIAS 2 E SIDATO I PODLA
JUIN. 1760. 209
Il perfifte à demander que fa fille foit libre
, & qu'on lui permette la mort . Rien
ne peut vous fléchir ! lui dit Dardanus :
Votre coeur indompté
Prend la haine pour du courage ,
Et fa fureur pour de la fermeté .
Iphife eft libre , & l'a toujours été.
Pour vous , prenez ce fer ...
Il préfente fon épée à Teucer ; mais il
ne la lui abandonne , qu'au dernier vers.
Mais j'en prefcris l'uſage ;
Songez fous quelles loix il vous eft préſenté...
Frappez! votre ennemi fe livre à votre rage.
Le premier mouvement de Teucer , eft
de s'emparer de l'épée ; celui d'Iphife ,
de s'élancer fur le bras de fon pere
Ce moment eft admirable , & digne d'être
faifi par l'un de nos grands Peintres.
Teucer lui - même, en eft frappé ; & s'attendriffant
, par degrés , en laiffant tomber
fes regards fur fa fille... Ah , dit-il:
Ma fille , c'en eft trop ! il faut enfin ſe rendre...
Dardanus eft donc fait pour triompher toujours
Je rougis feulement , d'avoir pû me déffendre.
Transports de joie des deux amans ;
auxquels ajoute encore une fympho210
MERCURE DE FRANCE.
nie gracieuſe , au fon de laquelle on voit
defcendre Vénus , & les plaifirs qui l'accompagnent.
C'eft par ordre de Jupiter
qu'elle amène l'Hymen & l'Amour , pour
célébrer les nôces d'un fils qu'il aime. Les
Phrygiens & les Phrygiennes , viennent
fe joindre au cortège de Vénus , & förment
un divertiffement général qui termine
cet Opéra , compofé d'une façon
mâle , d'un très- beau chant , d'une diction
fublime , fur lequel les applaudiffemens
de la Capitale ont unanimement pro
noncé , & dont cet extrait peut mettre
la Province à portée de préfumer tout le
mérite.
A las repréſentation , Mlle Arnoud
ayant été attaquée d'un gros rhûme ,lerôle
ď'Iphiſe a été joué , avec fuccès , par Mlle
Dubois. Le fieur Pilot , dans le Rôle de
Dardanus , a continué de mériter , & paroît
travailler à mériter de plus en plus,
les fuffrages du Public. Le fieur Larrivée ,
dans ceux de Teucer & d'Ifménor , a chanté
& joué de façon à confirmer toutes les.
efpérances que l'on avoit conçues de fes
talens. Sa voix , quoique forte , eft légère,
fans voile , & fans rudeffe . L'action femble
lui donner un peu d'enroûment : mais
ce déffaut , s'il en eft un , eft ordinaire
dans ceux à qui la voix & le corps de
baffe taille fe déclarent trop tôt. Le Geur
JUIN. 1760. 211
Gelin , à qui il ne manque que de ne
pas trop exiger de la beauté de fon or
gane , a chanté le rôle d'Antenor avec
nobleffe , & a reçu les
applaudiffemens
qu'il avoit droit d'attendre.
Quant aux Ballets , il fuffit de dire
qu'ils font de la compofition de M. Lany,
pour en préfumer la beauté ; & fon admirable
foeur y a prouvé, plus que jamais,'
que fon talent eft au- deffus de tout éloge.
Les fieurs Hus & Gardel , & la Dlle
Lyonnois , au premier Acte ; le fieur Laval
, au fecond ; la Dile du Monceau , qui
a doublé Mlle Lany , au troifiéme ; le
fieur Veftris , & Mlle fa foeur , au qua
triéme , fe font furpaffé dans leurs différentes
entrées , & en ont recueilli le
fruit. A la Chaconne du cinquiéme Acte,
le fieur Veftris par la légèreté , la préci
fron , & la nobleffe de fa Danfe , a réuni
tous les fuffrages & du Public & des vrais
connoiffeurs.
22
COMEDIE FRANÇOISE.
SPARTACUS , Tragédie.
PARTACUS , fameux Gladiateur ,
» étoit natif de Thrace. Ayant été vendu
212 MERCURE DE FRANCE.
»
pour efclave , il échapa avec 78 autres
Gladiateurs , fes compagnons , de la
» fervitude de Lentulus , qui les deftinoit
aux combats. Ayant ramaffé une grande
troupe de fugitifs , il fe retira fur une
montagne de la Campanie , où étant
affiégé par Clodius , Préteur Romain ,
il le mit en déroute. Il défit enfuite Pu
» blius , Varinus , Furius , & Coffinius ,
» Capitaines Romains ; puis il fe fit dé-,
" clarer Empereur par les fiens. Il triom-
و ر
pha auffi des Confuls Cellius & Lentu-
3. Lus , qui avoient été envoyés contre,
lui ; & en dernier lieu , du Préteur
Caffius, auprès du Pô. Mais enfin, Caffius
» l'ayant enfermé dans la demi- Ifle des
Rhégiens , où il avoit fait bâtir une
muraille à cet effet, il tailla fon Armée
en piéces laquelle néanmoins
combattit avec tant de courage, que)
de 12300 hommes qui refterent fur le
champ de bataille , il ne s'en trouva
"
» que deux de bleffés par derriere
. Spartacus
périt dans ce combat ; & les ref
» tes de fon Armée furent entierement
» détruits par Pompée, qui mit fin à cette
»guerre des Gladiateurs
.
Plutarque , en la vie de Craffus.
Voyons , maintenant , de quelle façon,
JUIN. 1760. 273
M. Saurin a accommodé ce Sujet au
Théâtre.
Noricus , chef d'un corps de Gaulois
allié de Spartacus , ouvre la Scene avec
Sunnon fon confident. Celui - ci s'efforce
de ramener fon Maître au parti des Romains
, en lui peignant vivement les
dangers où- l'expofe fon union avec Spar
tacus , que la Victoire même épuife en
le favorifant , dont les fuccès avancent
perte , & que Rome écrafera enfin
du poids de fa puiffance. Noricus , déja
fécretement jaloux de Spartacus , nẹ
marche fous fes drapeaux qu'avec dépit ;
mais il hait encore plus les Romains ,
qui ont tué fon fils ; & fon coeur n'af
pire qu'après l'infant de venger cette
mert. D'ailleurs , ajoute-t- il , lorfque
la
.... De Spartacus , admirant le grand coeur ,)
J'embraffai fon parti , déja deux fois vainqueur ,
Je lui donnai ma foi ; mon honneur eſt ſon gage.
Il faut tout bien pefer , au moment qu'on s'engage
:
Mais lorsqu'en un parti , Sunnon , l'on s'eſt jetté ,
Regarder en arrière eft une lâcheté ....
Noricus pourfuit; & en juftifiant la prétendue
révolte de Spartacus contre les
214 MER CURE DE FRANCE.
Romains , il apprend au Spectareur , que
ce héros ,
· Né d'illuftres ancêtres ,
Et parmi les ayeux comptant même des Rois,
Aux Suéves, un jour , eût pû donner des loix ;
Mais que les Romains , après avoir
fondu , en brigands, fur fa patrie , ont tuč
fon Père ( Argétorix ) ont enlevé la mère
& le fils encore au berceau , & l'ont
deftiné aux combats du Cirque.
>
Tu connois, dit éloquemment Noricus,
à Sunnon .
Tu connois des Romains les paffetemps cruels ;
Ce fpectacle de fang , & ces combats atroces;
Où ce peuple vanté , repaît fes yeux féroces ,
Excite de la voix le trifte combattant ,
Le regarde tomber , l'obſerve palpitant ,
Veut qu'à lui plaire encore il mette ſon étude ,
Et garde en expirant une noble attitude &c .
C'eſt en un mot , la honte & l'indignation
de fe voir expofé à ces honteux
combats qui ont déterminé Spartacus à
foulever fes compagnons contre les Romains
, fur lefquels il a déja gagné quatre
grandes batailles , & qu'il fait actuel
lement trembler dans leurs propres mu
railles.
JUIN. 1780. 215
Sunnon fait de nouveaux efforts pour
détacher fon Maître de l'alliance de
Spartacus. Noricus lui ferme la bouche ,
en lui répétant qu'il hait encore plus les
Romains qu'il ne hait ce héros.
>
Après cette Scène d'expofition , un
peu longue mais néceffaire , Spartacus
paroît enfeveli dans le plus grand
chagrin. Il tremble pour fa mère , qui eſt
reftée en la puiffance des Romains. En
attendant le retour d'un Envoyé qui doit
lui en rapporter des nouvelles, il apprend
à Noricus , qu'à la prife de Tarente , il
trouva dans un Temple , où s'étoient réfugiées
les femmes éplorées , une jeune
Romaine qui , couchée fur l'Autel & embraffant
la Statue de Vefta , étoit près de
fe frapper d'un poignard pour fe dérober
aux outrages du vainqueur. Il lui a rendu
la vie , l'honneur & la liberté . Mais depuis
ce moment , il rencontre partout
l'image de cette aimable perfonne.
Chargé de mille foins, rien ne peut m'en diftraire :
Jufques dans les combats,l'Amour vient me chercher
:
Il pefe fur le trait que je veux arracher.
Noricus , par les craintes qu'il laiffe ici
paroître , fournit à Spartacus l'occafion
de peindre le caractère qu'il gardera dans
216 MERCURE DE FRANCE.
toute la Piéce , en le raffurant par ces
beaux vers :
- Non...je triompherai de cet Amour fatal:
Les grands coeurs ne font faits que pour aimer
gloire.
Qu'un vil mortel renonce à vivre en la mémoire ,
Pour ramper ici-bas quelques inftans de plus ;
Qu'en mourant confumé du regret fuperflus ,
Jufqu'au bout inutile au monde , à ſa patrie ,
Il perde également & fa mort & fa vie.
Si la vie , en effet , n'eft qu'un rapide inftant ;
Employons-la , du moins , à le rendre éclatant ;
Failons-en une époque utile & mémorable.
Laiffons à l'Univers un monument durable ,
Qui des fiécles futurs falſe à jamais bénir
D'un Héros bienfaiteur l'immortel fouvenir.
Tels font , ajoute- t- il , les fentimens
que lui a infpirés fa mere.
Voilà l'ambition digne d'une grande âme !
A ce noble projet facrifions ma flâme.
Ma mere, au bien public , m'apprit ਠm'immoler.
Albin paroît enfin , qui lui apprend
que fa mère s'eft percé le flanc elle - même
aux yeux des Romains, qui la menaçoient
de la rendre refponfable de la conduite
de fon fils ; & qui lui préfente le poignard
dont
JUIN. 1760 . 217
dont elle s'eft frappée , en le preffant de
fa part de venger fa mort dans le fang
de fes ennemis. Arrive , en cet inftant ,
un Tribun de l'armée de Spartacus , qui
lui annonce que la fille duConful (Craffus)
vient d'être enlevée par Sunnon , qui a
défait fon eſcorte. Noricus lui confeille
de venger fur elle la mort de fa mère...
Oui ! (dit Spartacus . )
Oui , je le veux . Oui ... la douleur m'égare...
Les Romains m'ont appris à devenir barbare.
Mais ce premier mouvement , n'eft
point durable. Il revient à lui - même ,
congédie l'affemblée , & termine l'Acte ,
en difant :
... Mon coeur
Ne peut , en ce moment , fentir que fa douleur.
fa
Emilie , fille de Craffus , & Sabine ,
confidente , ouvrent le fecond Acte. Sabine
craint tout pour fa maîtreffe , qui
la raffure en lui faifant part de fa paffion
fecrette pour ce héros , dont elle a connu
toute la générofité. Elle ignoroit encore
qu'elle étoit fille de Craffus , lorfqu'elle
a vû pour la premiere fois Spartacus au
combat des Gladiateurs ; où , fe trouvant
expofé contre un Sarmate , la beauté de
K
218 MERCURE DE FRANCE:
ce jeune homme l'intéreffa ainfi > que
tous les Spectateurs. Vainqueur du redoutable
Sarmate , & indigné de fa gloire
, il s'avança au milieu du Cirque , &
promit aux Romains de les punir de leur
inhumanité , fi jamais il devenoit libre.
Il l'eft devenu ; & ne remplit que trop
bien fa parole . C'est elle enfin que ce même
Spartacus , au faccagement de Tarente
, a fauvée , fans la connoître , dans
le Temple de Vefta , de la fureur de fes
Soldats.
Eh ! ( s'écrie-t-elle ) que pour fecourir la triſte
humanité ,
Il est beau de montrer cette intrépidité ,
De fes fiers oppreffeurs trop fouvent le partage !
C'eft ce qu'en Spartacus j'admire davantage.
Qu'a l'admirer , hélas ! n'ai-je pû me borner ?
Un grand homme , eut toujours des droits fur
notre coeur ;
Soit qu'à notre foibleffe il offre un protecteur ;
Ou foit que la conquête illuftre la victoire ;
Et qu'aimer un Héros , ce foit aimer la gloire.
·Spartacus fe préfente à elle ; & fans
la regarder , lui protefte , ( quoiqu'il ait
fa mere à venger ) que fes jours font en
fûreté dans fon Gamp. Mais à peine EmiJUIN.
1760. 219
lie a-t-elle ouvert la bouche pour lui marquer
fa reconnoiffance , que Spartacus re
connoît fon amante. Tranfports de fur
prife & de joie de la part du Héros , éton™
né cependant de voir la fille de Craffus
dans celle qu'il avoit protégée à Tarente.
Emilie lui apprend, qu'elle-même ignoroit
alors fa naiffance. Combat de paffions
très théâtrales , & fortement peint , de
la part de l'Auteur.
Vous voyez ( dit Spartacus ) le trouble de mon
âme !
Ma haine , les Romains , & ma mère , & ma
flâme ,
Combattent à la fois , & déchirent mon coeur.
que
Il apprend à Emilie , dont les fentimens
font auffi nobles les fiens , ' que
Meffala , député par Craffus , arrive pour
traiter de fa rançon , ainfi que de la Paix.
Emilie en conçoit déja les plus flatteufes
efpérances . Mais Spartacus s'écrie ?
Ma mere attend de moi le fang de fes bourreaux...
•
Non , n'en efpérez rien : non , je vous tromperais.
Non, jamais ces cruels n'auront de moi la paix a
Ils font tous dévoués au ferment qui me lie
Et ma juſte fureur n'excepte qu'Emilie.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
On vient alors apprendre à Spartacus
que toute fon armée demande , à haute
voix , que la fille de Craffus foit immolée
aux mânes de la mère de ce héros . Spar-
1acus , en frémit. Emilie le preffe d'appaifer
, par
fa mort , les cris féditieux de
fon armée. Il fort en lui difant :
Soyez füre , du moins , que tant que je reſpire ,
Contre vos jours , envain leur lâcheté confpire.
Au troifiéme Acte , Spartacus fuivi des
Chefs de fon armée , leur reproche vivement
leur fédition , & , l'indignité de
leur demande. Noricus lui dit :
Tout l'opprobre, aux Romains, en doit être imputé.
Ce n'eft qu'à leur exemple : ils l'ont trop mérité.
A quoi , Spartacus fait cette belle ré
ponſe :
Ai-je mérité , moi , de fuivre leur exemple ?:
Qué celui de vous , ajoute - t -il , qui fe
croit plus digne de commander , fe préfente.
J'abdique mon pouvoir , & je le lui réfigne.
S'il faut encor monfang ; frappez : voilà mon ſein.
Tous frémiffent : la conteftation ceffe ;
JUIN. 1760 .
221
tous fe quittent pour aller annoncer aux
Soldats l'indignation du Général , & les
difpofer au combat. Spartacus fe reproche
fa foibleffe pour Emilie , & en demande
pardon aux mânes de fa mère ,
dans un Monologue qui eft interrompu
par l'arrivée de Meffala , Envoyé de
Craffus. Spartacus lui marque fon étonnement
, de ce que Rome dépure ' un
homme de fon rang vers un Chef d'Efclaves
révoltés , dont elle a mis la tête à
prix. Meffala juftifie Rome , en répondant
que ce n'eft point elle qui l'envoie ;
que c'eft uniquement par ordre de Craf
fus qu'il vient traiter avec lui pour la
rançon d'Emilie. Spartacus , après lui
avoir reproché la mort de fa mère , rejette
avec fierté toutes les propofitions
de l'Envoyé ; & quant à la rançon d'Emilie
: Non , ( dit il froidement. )
Spartacus ne fait point, de la guèrre,un commerce.
Ce vers , dont la penfée a paru un peu
hazardée à quelques perfonnes , a toujours
été applaudi . Il congédie enfin Meffala
en lui rendant gratuitement Emilie
qu'il promet de renvoyer le jour même à
Craffus... O Ciel ! s'écrie le héros , feul :
• Que ce téffort me coûte !
Kij
222 MERCURE DE FRANCE.
Je vais m'en féparer... Et je le dois fans doute...
Oui ; puiſqu'ainſi le veut le deftin en courroax ,
Il faut , belle Emilie , être digne de vous ,
Et vous perdre.
Emilie arrive. Il lui apprend qu'elle eſt
libre , qu'il la voit pour la derniere fois ,
& qu'il va la rendre à fon Père. Cette noble
& tendre Amante eft fi pénétrée du
procédé de Spartacus , qu'elle ne croit
plus devoir rougir des fentimens qu'elle
a pour lui.
Ta magnanimité ( dit-elle )
Te donne droit , au moins , à ma fincérité ,
Spartacus ! ta vertu fi hautement éclate ;.
Je te dois tant , enfin , que je ferois ingrate ,
Si , prête à te quitter , de vains déguiſemens
Te cachoient de mon coeur les fecrets fentimens.
Reçois donc d'Emilie un généreux aveu ,
Qu'au moment de te dire un éternel adieu ,
Mon eftime te fait , & non pas ma foibleſſe...
Je t'aime , Spartacus , & ta vertu m'eſt chère :
Mais tous mes voeux feront pour Rome & pour
mon Père..
JUIN. 1769.
223
Après cette converfation , auffi intéreffante
que bien écrite , ils fe féparent en fe
regrettant ; & Spartacus termine l'Acte ,
par ces beaux vers.
...Ah rougis , Spartacus , de ta foibleſſe extrême !
Ce pouvoir de l'amour , il le tient des mortels:
La moleffe exigea fon calte & fes Autels ;
Et lui prêtant les traits dont on dit qu'il nous bleſſe ,
L'homine s'est fait un Dieu de fa propre foibleffe.
Allons ; & tout entier à mes nobles deffeins ,
Ne fongeons plus qu'à vaincre , & marchons aux
Romains:
Au quatrième Acte ,Noricus , outré de
colère contre Spartacus , en apprend la
cauſe à Sunnon. Il étoit chargé d'attaquer
une hauteur défendue par les Romains .
L'afpect d'un lieu , de fi difficile accès ,
avoit effrayé les Soldats de Noricus , qui
avoient pris la fuite. Spartacus , furvenu
dans ce moment , a arraché l'étendart
des mains de Noricus , a rallié les
fuyards , a monté fur cette hauteur ,
y a planté lui - même cet étendart , &
en a chaffé les Romains. Spartacus entre
fur la Scène , fuivi des chefs de fon armée
: il déclare qu'il doit réparer publiquement
l'outrage qu'il a fait à l'honneur
de Noricus , & reconnoître qu'il
K iv
224 MERCURE DE FRANCE:
en a agi à fon égard avec trop de vivacité.
Calmez , lui dit ce grand homme :
Calmez le fier courroux dont votre âme eſt émue;
Et fans plus me montrer un vifage ennemi ,
Touchez dans cette main , embraffez votre ami ,
Qui honteux de la faute , & non pas de l'excufe ,
Vous demande pardon , & lui-même s'accuſe.
Cet excès de générofité,touche & con
fond Noricus , mais n'éteint pas tout fon
reflentiment.... Mais voici le Conful ( dit
Spartacus ) qu'on me laiffe avec lui.
Craffus lui fait des propofitions , de la
part du Sénat. S'il veut mettre bas les
armes , fes Soldats feront faits Citoyens ,
Rome leur affignera des Terres , on fera
Chevalier le Chef qui le feconde , &
& lui- même fera Sénateur .
Du temps des Scipions , j'aurois pû l'accepter :
( dit Spartacus . )
Rome étoit digne alors , qu'on s'en fit adopter.
Il fait une comparaifon des Romains
de ce tems- là à ceux du tems de Craffus ,
qui n'eft point avantageufe à ces derniers;
& l'Auteur, eu égard aux différentes époques
, les a peints tels que l'hiftoire nous
les a tranfmis. Spartacus ajoute , que s'il
acceptoit les offres du Sénat , il trahiroit
JUIN. 1760 . 225
la caufe de l'humanité qui lui a mis les
armes à la main contre la République ,
& fe croiroit complice de ces avides oppreffeurs
de l'Univers . Craffus , pour derniere
reſſource , lui offie fa fille en mariage.
Spartacus eft ébranlé . Mais toujours
au- deffus de fon amour , qu'il regarde
comme une foiblefle , il cherche à éluder
la propofition , en difant :
Craffus abaifferoit , juſques-là, fa hauteur ?
On ne s'abaiffe point , en fauvant la patrie.
répond le Conful. }
Le plus grand , elt celui qui plus lui facrifie.
Le Héros prend droit de cette réponſe,
qu'il croit infultante , pour rejetter avec
encore plus de hauteur les offres du Conful
. Son coeur , cependant , rend juſtice
aux vertus d'Emilie :
.... Il a fait plus , ( ajoute-t- il je l'aime :
Une vertu fi haute , a trop fçû m'enflammer.
Mais je ferois , Seigneur , indigne de l'aimer ,
Si l'amour un moment balançoit dans mon âme
L'intérêt de la terre & celui de ma flâme.
"
Non... Spartacus l'adore , & la doit refufer.
Qu'exigez - vous donc dit le Conful .
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
Il n'est pour vous , Seigneur , que deux partis:
à prendre .
(répond Spartacus. )
Je le dis avec peine : ou combattre , ou fe rendre..
Le Conful fort , en acceptant le come
bat. Spartacus , feul , fent vivement l'épreuve
où fa vertu vient d'être mife : il
adore Emilie , on l'offroit à fes voeux , &
il a pû la refuſer ! Mais qu'eft- ce que le
bonheur de fa vie , près du grand intérêt
qui doit feul l'occuper ? La vangeance
qu'il doit à fa mère ,achève de le raffermir.
Il finit PActe , en difant :
Ah ! dois-je regretter le bonheur que je perds ,
Lorfque mon coeur s'immole au bien de l'Univers?
Noricus,feul, ouvre la Scène, au cinquiè
me Acte. Il eft piqué de ce que Sparta
cus a refufé les propofitions du Conful,
& furtout de n'avoir point été appellé à
cette conférence. Son âme ne fe réfond
qu'à peine à lui pardonner l'offenfe qu'il
en . a reçue : le trait eft demeuré dans le
fond de fon coeur ; & il fe fent intérieurement
dévoré d'un fentiment de jaloufie.
Spartacus vient lui dire , que tout eft
prêt pour l'attaque ; que le Soldat n'attend
plus que le figual , pour achever
JUIN. 1760 . 227
d'accabler les Romains . Allez , ( dit- il. )
Rejoignez vos Gaulois , mettez - vous à leur tête :
Attendez-y mon ordre ; il ne tardera pas.
Mais , quelle furprife pour Spartacus !
A peine eft- il refté feul , qu'il voit paroître
Emilie... Quel deffein ( s'écrie- t- il ) a
pû vous ramener dans mon camp ? ... Le
plus faint des devoirs , ( dit- elle. )
Le falut de Craffus , celui de mon Pays.
Elle employe tout ce que la Nature &
l'Amour ont de plus éloquent , pour luit
faire accepter les offres qui lui ont été
faites : c'eft la force & la fincérité des
fentimens qu'elle a pour fon amant &
pour fa Patrie, qui.l'ont contrainte à s'expofer
jufqu'à ce point.Oui! s'écrie Emilie ,
Oui! c'est toi feul qui régleras mon fort:-
Tu mevois,en ton camp, fans l'aveu de mon Pere?
J'ai cru qu'il eft des cas hors de l'ordre vulgaire,
Où le falut public eft la fuprême loi..
Mais fi tous mes efforts n'obtiennent rien de toi ,›
Si je ne puis fléchir le courroux qui t'anime ,
Spartacus ! je ferai ta premiere victime :
Tu me verras plonger un poignard dans mon
fein....
Réfous-toj ; fauve Rome... ou fois mon affallin,
K - vj
228 MERCURE DE FRANCE:
Malgré toute la vertu , malgré le fonvenir
de fa mère même , Spartacus eft
ému , Spartacus balance , & laiſſe entrevoir
quelques rayons d'efpoir à Emilie ;
lorfque Albin vient annoncer que Noricus
, fecrettement vendu aux Romains ,
fond avec fes Gaulois fur l'armée de ce
Héros , tandis que les Romains l'attaquent
de deux autres côtés. Spartacus ,
qui fe croit auffi trahi par Emilie , la traite
de perfile ; & vole , en furieux , à l'ennemi.
Emilie , feule , déplore toute l'horreur
de fa fituation . Elle s'accufe d'avoir caufé
le malheur de fon amant , en l'arrêrant
trop dans fa tente : elle éprouve
tout ce que l'inquiétude à de plus cruel ,
& ne fçait à quoi le réfoudre ; quand ,
tout- à - coup , le bruit des armes fe fait
entendre. La tente de Spartacus eft for
cée ; & Craffus , le fer à la main , fe préfente
à fa vuë. Le premier mouvement
d'Emilie , eft de chercher à excufer l'Imprudence
de fa démarche.Je la favois ,
dit le Conful vainqueur ; j'ai feint de l'ignorer
, tandis que je tâchois , de mon
côté , de gagner Noricus & les Gaulois.
J'y fuis parvenu : Spartacus eft déffait ;
on vole à fa pourfuite . Meffala annonce
au Conful , que Spartacus vient d'être
JUIN. 1760. 229
pris , au moment qu'il plongeoit fon épée
dans le fein du perfide Noricus , & qu'on
lui amène ce Héros. Douleur extrême
d'Emilie , en apprenant cette nouvelle ;
& qui redouble encore , à la vue du Héros
défarmé que Craffus apoftrophe , en
lui difant :
Je ne veux point vous faire un reproche odieux ,
Spartacus : mais votre âme infléxible & ſuperbe ,
Vouloit voir nos remparts enfevelis fous l'herbe,
De tout ce grand projet , que refte-t- il ?
SPARTACUS.
L'honneur.
Un Tribun vient les interrompre , pour
apprendre au Conful qu'un gros de l'Armée
de Spartacus , qui s'eft rallié , ſemble
menacer de nouveau les Romains.
Craffus fort , en ordonnant à fes Gardes
de veiller fur ce Héros . Sitôt qu'il eft
parti , Emilie ordonne aux Gardes de s'éloigner
, fans le perdre de vue. Elle parle
à Spartacus, qui ne daigne ni la regarder,
ni lui répondre. Elle en arrache enfin ces
mots :
En l'état où je fuis , que pourrois je vous dire ?!
Je fuis vaincu , captif , Madame.... & je refpire !
Prêt à fubir mon fort , je fouffre & je me rais
230 MERCURE DE FRANCE
Emilie, accablée , ne déguife plus rien ;
& lui dit qu'elle l'aime affez, pour partager
avec lui fon malheur.
SPARTACUS , étonné.
Quoi de la trahiſon , vous, au moins,la complice,
Vous ? ...
EMILIE.
Tu ne le crois pas : Non ! tu me rens juſtice.
SPARTACUS.
Eh bien , prouvez- le donc... Et fi je vous fuis cher....
EMILIE.
Parle qu'exiges-tú ?
SPARTACUS.
Le poifon, ou le fer.
Emilie épouvantée , frémit , & ne peut
fe réfoudre à ce qu'exige fon Amaɛt .
Vous m'abandonnez donc , lui dit - il ,
aux horreurs de mon fort ? vous voulez
done m'en laiffer fubir toute l'ignominie?..
- C'eſt là , ce qu'on appelle être barbare !
Emilie, frappée de ce reproche , & des ou
trages qu'elle prévoit que fon Amant peut
elluyer , reprend toute la nobleffe & la
fermeté de fon caractère ...Oui, je te dois ,
dit - elle :
Je te dois les moyens de mourir en hérosi
Ręçais donc ce poignard , dont je m'étois armée,
Quand pour Rome,tantôt , juſtement allarmée...
JUIN . 1760. 231
SPARTACUS.
· Donnez ... Ah ! ce préfent ne fe peut trop chérir.
EMILIE , enfe frappant.
Tiens....
Ciel!
SPARTACUS.
EMILIE.
Prens... C'eft ainfi , que j'ai dû te l'offrir.
Spartacus prend le poignard fanglant ,
fe frappe ; & les Gardes qui ont accouru,
lorfqu'ils ont vû briller le poignard
les reçoivent tous deux dans leurs bras.
Craffus , pour la feconde fois vainqueur ,
arrive à l'inſtant même où les deux
Amans font expirans dans les bras l'un
de l'autre ; & termine la Piéce , en déplorant
& leur fort , & le fien...
Mes fentimens , connus , pour le digne
Auteur de cet ouvrage , rendroient peutêtre
trop fufpect l'éloge que j'en pourrois
faire. L'extrait que j'en donne, eft fidèle ;
& c'eft au Lecteur à juger. Je dois copendant
avertir , que M. Saurin , dans une
Préface auffi modefte que fenfée , a trèsbien
répondu aux objections qui ont été
faites contre fa Piéce. Son feul objet étoit
de tracer le portrait d'un grand hommetel
qu'il en avoit conçû l'idée , d'un homme
qui joignit aux qualités les plus brillantes
des Héros , la juftice & l'humani
232 MERCURE DE FRANCE.
té ; d'un homme , en un mot , qui für
grand pour le bien des hommes , & non
pour leur malheur. Je crois l'objet trèsbien
rempli.
La Piéce imprimée , fe vend chez
Prault petit -fils , quai des Auguftins , audeffus
de la rue Gift- le coeur , à l'Immortalité.
Le Vendredi , 2 Mai , les Comédiens
François ont donné la premiere repréfentation
des Philofophes , Comédie en
trois Actes , & en vers de M. Paliot de
Montenoi. Cette Piéce a réuffi ; & vient
de paroître imprimée , chez Duchesne ,
Libraire , rue S. Jacques , au Temple du
Goût.
Le 4 Mai , le S' Teffier , Acteur de
Province , a débuté par le rôle de Frontin
, dans les Bourgeoifes à la mode , &
par celui de la Branche , dans Crispin ti
val. Il a joué depuis , les rôles de Scapin
, dans les Fourberies de Scapin , &
de Jaſmin dans l'Enfant prodigue . Il a
été fort applaudi , dans les Bourgeoiſes à
la mode . Mais la retraite de cet Acteur ,
après ces trois repréfentations , ne permet
guères de porter un jugement certain fur
fes talens.
Le 11 , le S Dauberval a débuté par
le rôle de Nereftan , dans Zaïre. Il a
JUIN. 1760. 233
joué , le 19 , le rôle de Durval , dans le
Préjugé à la mode ; & le 22 , celui d'Achille
, dans Iphigénie en Aulide. On lui
trouve de l'intelligence , une belle voix ,
le jeu un peu lent & maniéré ( déffauts
qu'il tient de la Province ) mais dont on
efpére qu'il pourra fe corriger . Il continuë
fon début.
COMEDIE ITALIENNE.
ཉ
Le Samedi , 10 du mois dernier , les E
Comédiens , obligés de faire réparer leur
Théâtre, furent occuper la falle qu'ils ont
louée fur les remparts . Ils en firent l'ouverture
par la premiere repréſentation de
la reprife des Boulevards , Ambigu , mêlé
de Scènes & de Danfes , avec quelques
Scènes nouvelles .Cette piéce fut précédée
des Talens à la mode. Le changement de
lieu leur a attiré d'abord une grande foule
de Spectateurs; & quoique cette affluence
ait diminué , il y a lieu de croire qu'ils y
feront mieux leurs affaires que s'ils étoient
reftés à leur Théâtre ordinaire.
Voici l'extrait de quelques - unes des
nouvelles Scènes ajoutées aux Boulevards.
Un Chevalier gafcon paroît, une lorgnette
234 MERCURE DE FRANCE.
à la main, en lifant l'affiche des Comédiens
qui doivent jouer fur les remparts. Il apperçoit
Mlle Catinon , qui femble étudier
'un rôle , il s'approche d'elle & luidemande
s'il eft vrai que la Troupe va s'établir
fur le Boulevard : elle lui confirme cette
intention de fes confreres. Il plaifante
beaucoup fur cela ; & l'Actrice fui récite
une fable , qui lui impofe filence . La conclufion
de cette fable , qui ne tend qu'à
ramener les Dames à leur Spectacle, avoir
déjà été vue dans la Rentrée des Théâtres.
On a ajouté , dans la fcène fuivanté ,
deux perfonnages , qui font , un Muficien
& un Poëte de nouvelle fabrique. Le premier
eft un Me Chaudronnier,qui , las de
faire des Chaudrons , veut faire des Opé
ra , par le moyen du jeu des dez harmoniques
, dont il tient le livre ; l'autre eft
un Marchand Tabletier , voifin du Chau
dronnier, qui veut auffi faire des vers ,
Paide d'un livre qu'il dit être le paroli de
celui de fon voifin . Ils font enſemble une
Ariette & un Duo. Cette fcéne paroît
encore prife de la rentrée des Théâtres ,
dont elle fait Parodie , & n'en eft pas
moins plaifante. Un Charlatan , qui veut
debiter fa marchandiſe , forme la troifième
fcène de fupplément. La quatrième
fe paffe entre un prétendu Marquis , une
JUIN. 1760 . 235
Danfeufe de l'Opéra Comique,fa mere , un
Cocher de Fiacre & un Soldat Dragon ,
qui défarme le faux Marquis. L'autre eft
une nôce. Elle eft compofée d'une danfe
& de plufieurs couplets , dont le refrein
eft , qu'il n'eft point de bonne fête fans
lendemain. Ces couplets ont été trouvés
jolis. Cette fcéne eft l'achèvement d'une
autre qui fe paffe entre un Philofophe
fpéculatif, un ancien Invalide , devenu
fabriquant d'étoffes , attablé avec fa femme
& fon enfant . Le caractére du Philofophe
, y est bien frappé : il eſt brouillé
avec toutes les fociétés ; il détefte fes enfans;
il femble indigné des attentions que
ce pere & cette mere paroiffent avoir
pour leur petite fille. Quelques enfantillages
qui fe paffent entre eux , ont l'air
d'être de trop dans la fcène : ils ont pourtant
le don de perfuader le Philofophe &
de le ramener au goût de la vie ordinaire.
On peut dire , que le contrafte de cette
fcène eft charmant. La bonhommie du
Fabriquant , les naïvetés de fa femme &
la docilité de l'enfant , rendent ces perfonnages
tout-à-fait intéreffans ; on les
voit avec plaifir fléehir la dureté du ſpéculatif,
& en faire un nouvel homme :
tant il eft vrai , que la vue des honnêtes.
gens fuffit pour confondre la fauffe mo236
MERCURE DE FRANCE 7
rale d'un Philofophe brouillé par caprice
avec tout le genre humain . En un mot, les
Boulevards font un tableau très-gai &
très varié de la vie humaine . Le ftyle
fimple de cette pièce , y devient le coloris
de la nature .
Le 18 , on donna la premiere repréfen
tation de la Fontaine de Jouvence , Comédie
nouvelle en un acte ,& en vers, que
l'on n'a redonnée que le lendemain.
Le Mercredi 21 , une jeune Actrice
nouvelle a joué, pour la troifiéme fois , le
rôle de Jeannette , dans les Enforcelés. Sa
grande jeuneffe & le peu de voix qu'elle
a , empêchent encore de prononcer fur
fes talens. Sa phyfionomie eft douce &
intéreffante; elle eft même très - jolie : mais
elle a joué le rôle innocent de Jeannette
avec une innocence un peu trop natu
relle.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert du jour de l'Aſcenſion n'a
›
pas commencé , à l'ordinaire , par une
fymphonie. On a donné d'abord le beau
Motet , à grand-Choeur , Confitemini , de
Lalande.
M. Hochbrucker , a enfuite joué de la
harpe ; & a fait , du menuet d'E.caudet
JUIN. 1760. 237
ne pièce de fa compofition. Plus on
F'entend , plus il fait de plaifir : il a été
extraordinairement applaudi.
MHe de S. Hilaire à chanté un petit
Motet , de Mouret on a reconnu fon talent
, à travers fa timidité . Il faut qu'elle
s'accoûtume à voir un Spectacle nombreux
, puifqu'elle eft faire pour y plaire.
M. Balbastre , a joué fur l'orgue , un
Concerto de fa compofition .
·
Mlle Fel, a chanté un petit Motet.
Le Concert a fini , par le très beau
Motet à grand choeur , In exitu , de M.
Mondonville.
Mlle Fel, M. Balbastre , & M. Gelin
ont eu les applaudiffemens réitérés qu'ils
ont coûtume d'avoir , & qui leur font dûs.
La marche de l'impreffion de ce Mercure
n'ayant pas permis de rendre
compte de l'exécution du Concert Spirituel
de la Pentecôte ; on annonce feulement
, qu'il a dû commencer par une
ſymphonie, ſuivi du Diligam te , Motet à
grand - choeur de Gilles , dans lequel Mlle
de S.Hilaire aura chanté ; que le S. Leoni
devoit jouer,fur la mandoline, une Sonate
de fa compofition , ainfi que M. Hochbrucker
fur la harpe. Mile Fel , & Mlle
Lemiere , ont dû chanter ; & le Concert,
finit , par Exultate jufti , Motet à grandchoeur
, de M. Mondonville.
238 MERCURE DE FRANCE :
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De PETERSBOURG , le 15 Mars 1760.
LES
E s Troupes légéres Ruffes furprirent , le zž
du mois dernier , la Ville de Schwedt , elles firent
prifonniers le Margrave de ce nom , ainfi que le
Prince & la Princelle de Wirtemberg. Le Prince
de Brunfwick - Bevern , écrivit au Commiſſaire
Pruffien qui travailloit , à Butow , à l'échange des
prifonniers , pour qu'il demandât da liberté de ces
Princes. L'Impératrice ayant été informée de cette
demande , l'a accordée fur le champ ; mais on a
appris enfuite que les mêmes Troupes qui avoient
fait ces prifonniers , les avoient relâchés peu de
temps après , & qu'on avoit feulement exigé du
Prince de Wirtemberg , une promelle par écrit
de ne point fervir qu'il n'ait été échangé.
De STOCKHOLM le Avril.
, 4
On équipe en diligence, à Carlfcroon, plufieurs
Vaiffeaux de ligne & plufieurs Frégates qui fe joindront
à l'Eſcadre Ruffe , pour interdire aux Anglois
l'entrée dans la Mer Balthique.
De COPPENHAGUE le 19 Avril.
On apprend de Drontheim , dans la Norwege ,
qu'un grand quartier de terre , d'environ mille
pas de longueur fur une largeur confidérable ,
JUIN. 1760. 239
s'eft enfoncé tout-à-coup ; les eaux de la Rivière .
d'Elwe , fur les bords de laquelle il étoit fitué
en ont reflué de telle manière, qu'elles fe font for .
mé un nouveau lit.
De WARSOVIE , le 16 Avril.
Il eſt arrivé ici trois cens cinquante Suédois ;
qui avoient été forcés de prendre parti dans les
troupes du Roi de Pruffe , & qui ont trouvé lemoyen
de s'évader. Le Baron de Hopken , Miniftre
du Roi de Suéde en çetre Cour , leur a
fait diftribuer une gratification , & les a fait partir
pour rejoindre leurs anciens Corps. Une troupe
de quarante Déferteurs Praffiens, eft auffi arrivée
ici. Ils ont rapporté que la défertion étoit grande
parmi les troupes Pruffiennes ; & qu'une foule de
foldats enrolés de force n'alpiroient qu'après l'ouverture
de la campagne,pour déferter plus facilement.
Le Chancelier de la Couronne de Pologne , a
fait remettre depuis peu , au fieur Benoit , Secrétaire
de la légation de Pruffe en cette Cour , un
nouveau mémoire concernant les griefs dont
cette Couronne fe plaint depuis longtemps , fans
avoir pu obtenir aucune fatisfaction de Sa Majesté
Pruffienne . Ce mémoire porte, entr'autres choles
» que la Cour de Berlin , fans aucun égard à l'exacte
» neutralité qu'obferve un Royaume libre , trou-
» ble , interrompt & détruit fon commerce , en
» faiſant arrêter les Voituriers , & confifquer les
» marchandiſes & effets qu'ils conduifent ; que le
» Réſident de la même Cour s'ingère dans l'éco-
>> nomie & l'adminiftration de la Juftice de la
» Ville de Dantzick , en accordant une protec
tion contraire à toutes fortes de droits , à des
Citoyens coupables , avec des menaces injurieu
240 MERCURE DE FRANCE.
» fes au droit Seigneurial , appartenant à la ſeule
» République : que cette Cour , par ce moyen
» violent & par mille autres inonde la Po-
» logne d'une monnoie de mauvais aloi , qui ne
» contient que la quatrième partie de la valeur
> intrinféque qu'elle devroit avoir , & qu'on em-
» porte en même temps de ce Royaume toutes
» les bonnes efpèces d'or & d'argent : enfin que
» les troupes Pruffiennes ont enlevé de fa maifon
>> le fieur de Sulkowsky , Véneur du grand Du-
>> ché de Lithuanie , & que la Cour de Berlin le
> retient jufqu'à préfent prifonnier dans la Forte-
2 refle de Glogau , après avoir enrôlé par force
» les gens tenus pour fa garde & pour fon ſervice
→ particulier.
On finit par demander , au nom des Miniftres
& du Sénat , les réparations convenables .
De VIENNE , le 2 Mai,
La cérémonie du mariage de l'Archiduc Jofeph
avec l'Infante Princeffe de Parme , eft , à ce qu'on
dit , fixé au mois d'Octobre prochain .
L'Impératrice-Reine , a nommé le Prince Albert
de Saxe , Lieutenant-général de fes Armées ; elle
deftine à ce Prince & au Prince Clément fon
frere , les deux premiers Régimens qui vaqueront,
Le Général de Laudon , a toujours fon quartier
à Jagerndorff ; il s'eft emparé , depuis peu , d'Ottmachau;
& le général Drafcowitz , qui commande
les poftes avancés , refferre toujours la Ville
de Neill. L'Armée du Baron de Laudon eſt préfentement
de trente mille hommes.
Les Pruffiens ont abandonné les poftes de
Tfchoppau , de Marienberg , de Gera & de Naumbourg.
Nos troupes fe font auffitôt mifes en poffef
Conde ces poftes.
Le
JUIN. 1760. 24T
Le Baron de Breteuil , qui va à Petersbourg en
qualité de Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majefté
Très- Chrétienne , eft arrivé , ici ; il s'y arrêtera
quelques jours , après lefquelles il poursuivra fa
route pour le rendre à fa deftination .
Le Comte de Choifeul- Stainville , ci - devant
Lieutenant Général au fervice de leurs Majeftés
Impériales , eft parti d'ici le 25 du mois dernier,
après avoir pris congé de leurs Majeftés , & leur
avoir remis les emplois militaires . Il patle au fervice
de France avec le même grade , & il fera
la campagne prochaine dans l'Armée commandée
par le Maréchal de Broglie.
De DRESDE , le 30 Avril.
Le Roi de Pruffe a enfin renoncé à l'entrepriſe
de reprendre cette Ville ; il a abandonné , la nuit
du 25 au 26 de ce mois , le pofte de Freyberg ,
& il s'eft rétiré dans le Camp qu'il a fait retrancher
près de Meiffen . Le Général Brentano
a pris auffitôt poffeffion de Freyberg , d'où il a déjà
poullé des détachemens en avant. La campagne
va commencer incellamment ; une partie des troupes
Autrichiennes eſt déjà campée , & toute l'Armée
doit être fous la tente , dans huit ou dix jours
au plus tard . Cette armée eft forte de quatre-vingtdix
mille hommes , fans compter les corps dérachés
& les troupes Hongroifes.
Le corps du Comte de Lafcy eft préfentement
de trente mille hommes ; il conferve encore fa
pofition dans les environs de Groffen - hayn.
De BAMBERG , le 30 Avril.
L'Armée de l'Empire vient d'entamer les opé
rations de la Campagne , par une entrepriſe qui
a heureufement réufli . Le Capitaine Froideville ,
L
242 MERCURE DE FRANCE
commandant un Corps de troupes légères Pruffiennes
, défoloit depuis longtemps une partie da
Voitgland , par les contributions réïtérées qu'il
en exigeoit. Le Maréchal Comte de Serbelloni ,
donna ordre au Prince de Stolberg , & au Comte
de Luzinfki , Lieutenans- Généraux , qui commandent
nos poftes avancés , d'épier l'occafion
d'enlever ce Partifan . Le Général de Kleefeld ,
fut chargé de l'exécution . Sur l'avis que le Capitaine
Froideville étoit aux environs de Zwickau,
il forma un détachement , compofé de Dragons ,
de Croates , & de Huffards. Il fe mit en marche
le 8 de ce mois , & il arriva à Zwickau à neuf
heures du foir : il apprit dans cette Ville que
e Partifan Pruffien étoit avec fon Corps dans
le Village de Nieder - Multzen ; il fe remit en
marche a minuit , dans le deffein de l'y furpren
dre , & il prit un chemin détourné pour éviter
fes patrouilles . Il arriva le 9 à la pointe du jour,
à la vue du Village. Cependant malgré fes précautions
, la Troupe Pruffienne avoit été avertie
une heure auparavant , & elle avoit pris hors
du Village un pofte avantageux . Le Général
Kleefeld fit auffitôt fes difpofitions pour le combat.
Son détachement , partagé en trois corps ,
attaqua à la fois les Pruffiens › par le centre
& par les flancs , avec une telle vivacité , qu'après
une foible réſiſtance , la Cavalerie fut rompue
& mife en déroute . L'Infanterie fut culbutée
bientôt après , & elle prit la fuite à travers le
Village de Vernsdorff. Les Pruffiens furent pourfuivis
jufqu'au bord de la Mulda , dans laquelle
un grand nombre de fuyards fe jetterent , pour
gagner le bord oppofé.
•
Le nombre des morts eft confidérable du côté
des Pruffiens. Le Capitaine Froideville a été pris ,
avec quatre autres Officiers. Le nombre des bas
JUIN 1760. 243
Officiers & des Soldats faits prifonniers , eſt de
cent huit . On a pris une pièce de canon & cent
foixante - dix chariots , dont la plupart étoient
chargés de fourage. Tous ces chariots avoient été
enlevés aux habitans de ce Diſtrict. On les teur
a rendus , ainfi que 688 chevaux qui leur avoient
été enlevés. Nous n'avons eu dans cette expédition
, que dix - neuf hommes bleffés .
Un autre détachement des troupes de l'Empire
fe porta , le 8 , à Smalkalde. Il emmena des
ôtages pour la fureté du payement des contributions
qu'il a exigées de cette Ville .
Les détachemens Pruffiens qui occupoient les
Villes de Zeitz & de Chemnitz , les ont évacuées
fur la nouvelle de l'échec reçu par le Capitaine Froideville
,& ils fe font repliés du côté de Léipfick . Le
Général Haddick arriva ici le 24 de ce mois , &
le Maréchal Comte de Serbelloni lui remit le
Commandement de l'Armée. Le Feld- Maréchal
Prince de Deux - Ponts , eft attendu ici le 2 du
mois prochain, & l'Armée doit ſe mettre en mouvement
après fon arrivée. Elle eſt déjà en partie
affemblée entre Bamberg & Wurtzbourg.
De BERLIN , le 30 Avril.
Le Prince Henri eft reparti pour Wittemberg
& Torgau , accompagné de fes deux Aides de
Camp. Ce Prince prendra de là inceffamment la
route de Siléfie , pour s'y mettre à la tête de l'Armée
qu'on y affemble contre les Ruffes. Le rendezvous
général des Corps qui doivent la former , eft
à Croffen .
>
L'Armée du Roi , en Saxe , eft prèſque toute
raffemblée. Elle eft préfentement entre Meillen
Ofchatz & Noffen , dans une pofition avantageufe.
On travaille à rendre cette pofition encore
plus forte , au moyen d'un Canal qui s'éten
Lij
244 MERCURE DE FRANCE .
dra depuis Ofchatz jufques vers Meiſſen , & qui
fera rempli des eaux de l'Elbe.
Maurice , Prince d'Anhalt-Deffau , Feld- Maréchal
des Armées Pruffiennes , Colonel d'un
Régiment d'Infanterie , Chevalier de l'Ordre de
l'Aigle noir , Prévôt de l'Eglife Cathédrale de
Ban lebourg , Gouverneur de Cuftrin , eft mort
à Deffau , âgé de 48 ans , après une longue maladie.
De NAPLES , le 30 Mars.
Le Comte de Durfort , Ambaſſadeur de Sa
Majefté Très - Chrétienne , arriva ici le 24 de ce
mois. Il fe rendit le lendemain à Caferte, où il ent
audience du Roi.
De ROME , le 23 Avril .
Le Chevalier Saint- Georges, a reçu l'Extrême
Onction des mains du Cardinal d'Yorck fon fils.
De GESNES , le Mai.
On a appris ici , avec étonnement l'envoi fait
par la Cour de Rome d'un Vifiteur Apoftolique
en Corfe. Cet envoi , auquel la République s'étoit
toujours oppofée , a été accompagné des circonftances
fuivantes . Il y avoit déjà plufieurs années
que la République , informée que les Eccléfiaftiques
de Corfe étoient les principaux moteurs de
la rébellion, avoit porté fes plaintes au Saint- Siége,
pour en obtenir qu'il les rappellât à leur devoir.
Et le feu Pape Benoît XIV , fenfible à ces plaintes ,
avoit projetté un bref conforme à ces vues.
La mort de ce Souverain Pontife étant furvenue,
ce brefn'eut point lieu, & le chef des rebelles,
Paſcal Paoli , s'enhardillant de plus en plus ,
par la tolérance de la Cour de Rome , faifit les
biens des Evêques & des Eccléfiaftiques qui n'éJUIN.
1760. 245
toient pas de fon parti. Il envoya à Rome des
émiffaires qui, quoique rebelles à leur Souverain ,
y trouverent allez d'appui pour déterminer le
Saint-Siége à envoyer en Corfe un Vifiteur Apoftolique
, fans le concerter avec la République.
La République fit alors piéfenter au Saint - Siége
plufieurs mémoires ; mais ils n'ébranlerent point
la Cour de Rome : fur quoi la République notifia
qu'elle ne confentoit abfolument point à l'envoi de
ce Vifiteur . Cependant, la République étoit entrée
dans une négociation propre à terminer le différend
; & elle fe flattoit de voir bientôt renaître la
bonne intelligence entre elle & la Cour de Rome ,
lorfque cette Cour a exécuté fon projet . Elle a fait
pafler en Corfe le fieur Céfare Crefcentio de Angelis
, Evêque de Segni ; & ce Prélat , pour cous
vrir fon départ, a pris la précaution de fe traveltir,
de changer de nom , & de le faire accompagner '
par un Religieux déguifé en Arménien.
Enfin ce Prélat s'eft embarqué à Civita- Vecchia
, où il a trouvé deux Frégates du Pape qui
l'attendoient . On a été depuis informé que , quand
ces Frégates ont paru à la vue de la plage
de la Brunette , les Rebelles leur ont envoyé
quatre Chaloupes qu'elles ont faluées de leur ca.
non ; & qu'ils ont rendu les mêmes honneurs avec
leurMoufquererie au fieur deAngelis, lorfqu'il a mis
pied à terre. Cette réception juftifie les foupçons
de la République , & montre le fondement de fes
reprefentations réitérées , pour que le Pape fe défiftât
d'autorifer les vues de ces rebelles par de
femblables difpofitions.
De LONDRES , le 2 Mai.
Les bruits de paix fe foutiennent toujours ici ,
malgré les immenfes préparatifs de guerre qui fe
font. La Cour reçut, le 19 du mois dernier, des dé-
L iij
246 MERCURE DE FRANCE.
êches du Comte de Briſtol , notre Ambaffadeur -
à Madrid ; & le Marquis d'Abreu , Miniſtre d'E
pagne en notre Cour , reçut en même temps de
nouvelles inftructions relatives au rétabliſſement.
de la paix . Il a conféré , ces derniers jours , avec
nos Miniftres On attend ici avec impatience le
Comte de Fuentes , Ambaffa deur extraordinaire &
Miniftre plénipotentiaire d'Efpagne ; & l'on augure
favorablement du fuccès de fa miffion.
Sa Majesté a prononcé fur l'affaire du Lord
Sackville. Elle l'a déclaré incapable de remplir
aucun emploi militaire.
Tout elt pret pour l'exécution de la Sentence
portée contre le Lord Ferrers , accufé d'avoir tué
de fang froid fon maître d'hôtel , & condamné
par les l'airs à être pendu . Le Roi a 4gné les
deux ordres néceffaires pour cette exécution , qui
doit être faite les de ce mois , fi fa famille n'obtient
point la grâce.
Ce Lord a allegué, pour fa défenſe, une maladie
de famille qui lui caufoir dans certains tems une
aliénation d'efprit En effet , plufieurs perfonnes
dépoferent,qu'il avoit commis en divers tems des
actions d'extravagance, qui ne pouvoient partir que
d'un efprit aliéné .
FRANCE.
Nouvelles de la Cour, de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 15 Mai.
LEE 9 du mois dernier , le Roi a difpofé de la
place de Lieutenant de ſes Gardes du Corps , vacante
dans la Compagnie du Maréchal de Lu
JUIN. 1760 . 247
xembourg , par la démiffion du Comte d'Eftourmel
, en faveur du Comte de Roncherolles.
Sa Majefté a accordé celle d'Enfeigne , vacante
dans la même Compagnie par la démiſſion du
Comte de Roncherolles , au Marquis de Voguć
& celle d'Exempt qu'avoit le Marquis de Vogué ;
au Chevalier de Gaalon.
Le 21 , le Roi a donné l'Abbaye de Saint Auftrebert
, Ordre de S. Benoît , Diocèle d'Amiens ,
à la Dame de la Javeliere , Religieufe de l'Abbaye
de S. Paul d'Amiens.
Et l'Abbaye d'Arciffes , Ordre de S. Benoît ,
Diocèfe de Chartres , àla Dame de Nonant , Religieufe
de la même Abbaye.
Le 22 , Sa Majefté tint le Sceau.
Le 24 , la Comteffe de Nozieres fut préfentée
à leurs Majeftés & à la Famille Royale.
Le 27 , le Duc d'Aiguillon prit congé du Roi ,
de la Reine , & de la Famille Royale , pour fe
rendre inceffamment fur les côtes de Bretagne.
Le Commandement de Lille , en Flandre , a été
donné au Chevalier de Suarez d'Aulan , Brigadier
des Armées de Sa Majeſté , & Colonel d'un
Régiment de Grenadiers Royaux.
Le Roi a accordé au Chevalier de Goyon ,
Exempt des Gardes du Corps, dans la Gompagnie
de Luxembourg , le gouvernement du Château
de la Latte en Bretagne , vacant par la mort du
Comte de Goyon de Varouault ,
Le Roi a difpofé de la place d'Exempt , dans
fes Gardes du Corps , vacante dans la Compagnie
du Prince de Beauveau , par la retraite du Chevalier
d'Angivillé , en faveur du fieur de la Saigne
, Brigadier de la même Compagnie.
Le 10 de ce mois , Sa Majefté tint le Sceau .
Le même jour , les Députés dés États d'Artois
euren t audience du Roi ils furent préfentés à Sa
>
Liv
248 MERCURE DE FRANCE.
Majefté par le Duc de Chaulnes , Gouverneur de
la Province , & par le Maréchal - Duc de Belle-
Kie, Miniftre & Secrétaire d'État , ayant le département
de cette Province ; & conduits par le Marquis
de Dreux , Grand -Maître des cérémonies , &
par le fieur Defgranges. La Députation étoit compofée
, pour le Clergé , de Dom Vigor de Briois,
Abbé de Saint Vaft d'Arras , pour la noblefle du
fieur de Belval , ancien Lieutenant - Colonel da
Régiment Royal - Italien , Brigadier des Armées.
du Roi ; & pour le Tiers- État du fieur Anfart ,
premier Confeiller Penfionnaire des Ville & Cité
d'Arras.
Le fieur Mefnard de Chouzy , Contrôleur- Gé- .
néral de la Maifon du Roi , Procureur - Général
du Confeil de la Reine , en furvivance du fieur
Mefnard , fon pere , ayant été adinis pour être
reçu Chevalier des Ordres Royaux , Militaires &
Hofpitaliers de Notre - Dame du Mont - Carmel ,
& de Saint Lazare de Jéruſalem , a prononéles
veeux le ro , en préfence de Monfeigneur le Duc
de Berry, Grand- Maître, entre les mains du Comte
de Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire d'État ,
Gérent & Adminiftrateur - Général de ces Ordres.
Le nouveau Chevalier a enfuice prêté ferment
pour la Charge & Dignité de Procureur · Général
defdits Ordres , en furvivance du fieur Mefnard ,
fon pere , & a eu l'honneur de bailer la main du
Prince , Grand- Maître , en figne d'obédience.
Le Comte de Saint Florentin reçut enfuite , en
qualité de Chevaliers- novices defdits Ordres, onze
Gentilshommes, Eléves de l'Ecole- Royale- Militaire
: fçavoir les fieurs de Beaurepaire , Acary de
la Suze , de la Borde , de Caftres de Martigny ,
d'Hebert de Baulon , de Bondoire , de la Fitre de
Courteilles , de Longueval de Maugier , l'Haillier
de la Chapelle freres, & de Ferrar de Pontmartina
1
JUIN. 1760 .
249
Ces Chevaliers novices eurent l'honneur de bailer
la main du Prince Grand - Maître . Les grands Of
ficiers & plufieurs Chevaliers defdits Ordres affifterent
à cette cérémonie , qui fe fit dans l'Appartement
de Monfeigneur le Duc de Berry , à l'iffue
de la meffe qui fut célébrée par l'Abbé Bulté ,
Chapelain ordinaire de Sa Majesté .
Le 1 , le Comte de Choiseul - Stainville eut
l'honneur d'être préſenté au Roi , à la Reine & à
la Famille - Royale.
Le mêmejour , le Comte de Fuentes , Ambaffadeur
d'Efpagne à la Cour de Londres , eut une
Audience particuliere de Sa Majesté.
Le Roi a donné l'Abbaye de Noningues , Ordre
de Cîteaux , Diocèle de Vabres , à la Dame de
Pardaillan , Religieufe Urfuline , à Condom .
Le Chevalier de Bar , ci devant Capitaine au
Régiment de Fleury Cavalerie , a été nommé par
le Grand- Maître de Malte , Général des galéres
de la Religion ; il en prendra le Commandement,
dans le mois de Janvier prochain . Il eut l'honneur
de présenter au Roi , le 13 , les faucons de préfent
que le Grand-Maître & la Religion envoyoient tous
les ans à Sa Majesté.
DE FRANCFORT , le Mai.
Il y a longtemps que la Foire de cette Ville ,
qui s'eft tenue le mois dernier , n'avoit été auffi
nombreuſe & auffi brillante. Les difpofitions du ›
Maréchal de Broglie y ont fait regner l'abondance
, le bon ordre & la fécurité .
Il y eut dans cette Ville , la nuit du 25 au 26 ,
un incendie confidérable , qui confuma huit maifons.
Le feu auroit fait plus de ravage , fans les
bons ordres du Maréchal de Broglie, & fans les
prompts fecours des Troupes Françoifes.
Les Alliés continuent de fortifier Caffel.
L v
250 MERCURE DE FRANCE.
Le fieur de Vair , Commandant les Volontaires
de l'Armée , avec lesquels il occupe , depuis
quelque temps , les environs de Fulde , a furpris
dans la petite Ville de Vacha , un détachement de
quatre cens Chaffeurs , commandés par le Colonel
Freytag . Ayant été obligé de le retirer , il
ne s'eft commis aucun défordre de la part des
Troupes commandées par le fieur de Vair , ni
pendant l'action , ni pendant la retraite . Elles ont
perdu quelques hommes en fe repliant ; & on a
repris les poftes que l'on occupoit avant cette
expédition.
De PARIS , le 17 Mai.
On a appris que le 26 du mois dernier , à deux
heures du matin le tonnerre est tombé fur le clo
cher de l'Abbaye de Royaumont en Picardie , &
y a mis le feu ; la charpente , qui étoit d'un trèsbeau
bois de chataignier , à été entierement confumée
, & toutes les cloches ont été fondues. On
évalue ce dommage à plus de rocoso liv.
Le même jour , à cinq heures du matin , le tonnerre
eft aufli tombé fur le clocher de l'Abbaye
des Chanoines réguliers de Sainte Genevieve
de Ham en Picardie , & y a mis le feu ; quatre
groffes cloches font fondues , les deux clochers ,
la nef , les orgues , qui étoient fort belles , & deux
chapelles ont été confumés & le choeur a été endommagé.
Le 6 de ce mois , les Maréchaux de France fe
rendirent , en la forme ordinaire , en leur fiége
de la Connétablie du Palais.Ils y ont fait enregiſtrer
une ordonnance du Roifur la difcipline , la fubordination
& le fervice des Maréchauffées du Royaume;
ils y ont auffi reçu un Commiffaire ordinaire
des Guerres.
JUIN. 1760. 251
Le 8 , les Chevaliers de l'Ordre de Saint Michel
, tinrent un chapitre dans le grand Convent
des Religieux de l'Obfervance ; le Duc de Fleury ;
Pair de France , Chevalier des ordres du Roi , y
préfida en qualité de Commiffaire de Sa Majefté ,
il reçut Chevaliers le fieur d'Arthenay , ci-devant
chargé des affaires du Roi à Naples ; le fieur l'Englet
, Confeiller , fubdélégué général de l'Intendant
à l'Ifle en Flandre ; & le fieur Richard , Médecin
en chef de l'Armée du bas Rhin , Infpecteur
des Hôpitaux Militaires.
Le fieur de Saint- Germain ayant eu la hardieffe
de fe mêler , à la Haye , des affaires politiques
de Sa Majefé , le Comte d'Affry a préfenté un
Mémoire aux Etats généraux , par lequel il demande
, au nom du Roi , que cet Aventurier foir
arrêté & conduit à Anvers , fous bonne efcorte
pour être conduit de là en France , & y fubir la
peine due à cet attentat.
Le tirage de la Lotterie de l'Ecole Royale Militaire
, s'eft fait le 6 ; les numeros fortis de la
roue de fortune font 63 , 49 , 85 , 36 , 83 le proš
chain tirage fe fera le 6 du mois de Juin.
MARIAGES.
Meffire François - Hypolite Sanguin , Marqu
de Livry , Chef d'Efcadre des Armées Navales ,
fils de feu Melfire Louis Sanguin , Marquis de
Livry , Lieutenant général des Armées du Rồi
Chevalier de fes Ordres , Conſeiller d'Etat & premier
Maître - d'Hôtel de Sa Majefté ; & de feu
Dame Magdelaine Robert , a épousé , le 15
Avril , Demoiſelle Thérefe - Bonne Gillain , fille
de Mellfire Antoine , Marquis de Benouville ,
L vj
252 MERCURE DE FRANCE.
Meftre de Camp de Cavalerie , ci - devant fous-
Lieutenant des Gendarmes de Bretagne , & de
Dame Bonne Charlotte Hue de Langrune . La
Bénédiction Nuptiale leur a été donnée , dans la
Chapelle de l'hôtel de Saint Aignan , par l'E-.
vêque Lombez.
Anne- Pierre , Marquis de Montefquiou , Gentil-,
hommie de la Manche de Moafeigneur le Duc de
Bourgogne , & Colonel dans les Grenadiers de
France , fils de feu Pierre , Comte de Monteſquiou
, Lieutenant -Général des Armées du Roi ,´
premier Sous- Lieutenant de la premiere Compagnie
des Moulquetaires , & Gouverneur du Fort-
Louis du Rhin ; & de Dame Gertrude - Marie -
Louife Bombarde de Beaulieu , époufa , le 16
Avril , Demoiſelle Jeanne- Marie , fille du fieur
Jean Hyacinte Hocquart , & de feue Dame Marie-
Anne Gaillard de la Bouéxiére . La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée , dans l'Eglife Paroiliale
de S. Roch , par l'Ancien Evêque de Limoges.
Charles- Olivier de S George , Marquis de Vérac
, Lieutenant - Général de la Province de Poitou,
fils de feu François Olivier de S. George , Marquis
de Vérac; & de Catherine Adelaide de Riencourt
d'Orival , a épouſé , le 28 Avril , Marie - Charlotte-
Jofephine Sabine de Croy d'Havré , Chanoineſſe
de Maubeuge , fille de Louis -Ferdinand - Jofeph
de Croy , Duc d'Havré & de Croy , Lieutenant
Général des Armées du Roi ; & de Marie- Louife-
Cunegonde de Montmorency - Luxembourg . La
Bénédiction nuptiale leur a été donnée par le
Curé de S. Sulpice , dans la Chapelle particuliére
de l'Hôtel d'Havré leur contrat de mariage
avoit été figné , le 24 , par leurs Majeftés & par
la Famille Royale.
"
Mellire Sebaltien- François Ange Lenormant de
JUIN. 1760. 253.
Mery , Confeiller d'Etat , Intendant général de
la Marine & des Colonies , Veaf de Dame Elizabeth
le Coffier , a époufé , les Mai , Marie-
Louife Auguftine , fille de feu Gabriel - Jacques
de Salignac de la Motte Fénelon , Chevalier des
Ordres du Roi , Lieutenant - Général de fes Ar - `
mées , Confeiller d'Etat d'épée , Gouverneur du
Quefnoi , Ambaffadeur de Sa Majesté auprès des
Etats-Généraux des Provinces- Unies ; & de Dame'
Louife - Françoife le Peletier. La Béné liction nuptialé
leur a été donnée par l'Abbé de Fénelon ,
dans la Chapelle particuliere de l'Hôtel le Pe- .
letier.
Le Marquis de Liré , Guidon de Gendarmerie ,
à épousé , le 12 , la Comteffe Defalleurs , née
Princeffe Lubomirska , Grand-Croix de l'Ordre
de Malthe , veuve du Comte Defalieurs , Ambaffadeur
de France à la Portè Ottomane . La bénédiction
nuptiale leur a été donnée , dans l'Eglife
de S. Sulpice , par l'Evêque du Puy. Leur contrat
de mariage avoit été figné , le 10 , par leurs Majeftés
, & par la Famille Royale.
MORTS.
Meffire Victor-Pierre-François de Riquet,Comte
de Caraman , Lieutenant - Général des Armées
du Roi , mourut en cette Ville , le 21 Avril , âgé
de 62 ans.
Le Marquis de Fimarcon , Lieutenant Général
des Armées du Roi , eft mort au Pont- Saint- Elprit.
Le Marquis de Surgeres , Lieutenant- Général,
des Armées du Roi , mourut à Surgeres près la
Rochelle , le 29 Avril.
La Comteffe de la Tour , eft morte en cette
Ville le 7 de Mai , âgée de trente -quatre ans .
Le .S Avril dernier , M. Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Armées
du Roi, & premier Ecuyer de Monfeigneur
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang, mou
254 MERCURE DE FRANCE.
rut d'apoplexie en fon chateau de Roquebeau ,
âgé de 1 ans 6 mois 9 jours , étant né le 26
Septembre 1709, & fut inhumé le 7 en la Paroille
dudit Roquebeau , au Diocèle de Die. Il avoit été
marié les Mars 1738 , avec Dame Marie Olimpe
de Vauferre- des- Adrèts , veuve depuis le 12 Juin
1734 , de M. Louis- Alexandre de Saliéres de
Montlor , Brigadier des Armées du Roi ; avec lequel
elle avoit été mariée l'an 1730 , & fille de
M. Céfar de Vauferre , Baron des Adrèts , &
de Dame Marguerite Landais. Il laiſſe de la Dame
fon époufe , M. Louis de la Tour-du- Pin , Marquis
de Montauban né le premier Décembre
1739 , fait Chambellan de Monfeigneur le Duc
d'Orléans en 1752 , Guidon des Gendarmes d'Aquitaine
en 1758 , & premier Cornette des Chevaux
Légers d'Aquitaine en 1759 , après avoir
fervi fans difcontinuation depuis l'an 1747 , tant
dans la feconde Compagnie des Moufquetaires &
dans celle des Chevaux-Légers de la Garde , que
dans le Régiment du Roi. M. Louis- Apollinan
de la Tour- du - Pin de Montauban , né le 13 Janvier
1744 , & tonfuré dans la Chapelle du Palais-
Royal à Paris le 4 Mars 1758 , par M. Lucretius-
Henri-François de la Tour - de- Gouvernet de la
Chau- de-Montauban , Evêque de Riez
titulaire de l'Abbaye Royale de la noble Eglife
Séculiere & Collégiale de S. Pierre hors les portes
de Vienne en Dauphiné , fon oncle paternel à la
mode de Bretagne; & Dame Claudine - Céfarine de
la Tour- du- Pin de Montauban , née le 12 Juin
1741 , veuve , fans enfans , de M. Jean - Jacques-
Philippe Jofeph Lefmerie , Marquis d'Efchoify ,
Capitaine de Cavalerie dans le Régiment Royal-
Piémont , puis Guidon de la Compagnie des Gendarmes
Anglois , tué à la bataille de Minden le
premier Août 1759 , & avec lequel elle avoit été
Abbé
JUIN. 1760. 255
mariée dans la Chapelle du Palais - Royal le 24
Février 1756 .
La Charge de premier Ecuyer de Monſeigneur
le Duc d'Orléans , vacante par le décés de M. le ,
Comte de Montauban , a été donnée par ce
Prince à M. Marie -Jofeph de Brancas , Marquis
d'Oife , Chambellan de S. A. S. & Maréchal de
Camp des Armées du Roi , fecond fils de M.
Louis de Brancas , Duc de Villars , Pair de
France , &c. Voyez l'Hiftoire des Grands Officiers
de la Couronne , tom . V , pag. 277 & fuivantes.
Dame Marie de Borstel , épouse de Meffire
François de Grenelle , Seigneur de Pimont , Capitaine
de Cavalerie , Lieutenant Colonel au ſervi→
ce du Roi de Pologne , & un de fes Gentilshommes
, Chevalier de S. Louis , eft morte à Paris
le 18 Mai 1760 .
Elle étoit de l'illuftre Maiſon de Borſtel , une
des plus anciennes & des plus diftinguées parmi
les Princes d'Allemagne . Elle eft originaire de Zelande
, & un Seigneur de Borftel , à qui les Villes
de Fleffingue & Defwert appartenoient , épouſa
la derniere Comtefle de Hollande , & par fon
mariage il devint Souverain de cette Province ,
que le Duc de Brabant ufurpa fur lui .
Après cette ufurpation , plufieurs Seigneurs de
cette Maifon s'établirent dans la haute Saxe , où
ils bâtirent le Château de Borftel , affez remarquable
fur la Carte ; & l'on voit dans l'hiftoire
que dès le temps de l'Empereur Othon , ils y
étoient déja en très-grande diftinction , & qu'ils
avoient les premiers emplois dans le Miniſtère ,
dans la guèrre , & dans les ambaffades. Meffire
Conrad de Borftel , pere d'Adolphe V , Chevalier
Seigneur de Guften , Proftka & autres lieux ,
étoit premier Miniftre d'Etat des Princes d'An
256 MERCURE DE FRANCE.
halt , Gouverneur de cette Province . Cet Adolphe
V a eu deux neveux , dont l'un Frédéric de
Brofel , a été Capitaine des Gardes du Corps du
Roi de Suéde , Gonverneur de Gottembourg , &
Général Major des Armées de Sa Majesté Suédo
; & le fecond . Erneft-Amédée de Borftel ,
Crand Echanfon de feue fon Alteffe Electorale de
Brandebourg , Colonel du Régiment de fes Gardes
,Gouverneur du Duché de Magdebourg , lequel
gouvernement eft encore pollédé aujourd'hui
par Henri de Borſtel .
Le grand-pere de ladite Dame de Borftel de
Pimout , qui vient de mourir , fut envoyé en
France à l'âge de 18 ans en qualité d'Ambaſſadeur
, par le Roi de Bohême & les Princes de
l'Empire , auprès du Roi Louis XIII ; & lorfque
fes négociations furent heureufement terminées ,
voulant s'établir en France , le Roi lui accorda ,
des Lettres de Naturalité , & l'honora d'une charge
de Gentilhomme de fa Chambre. Il fe maria
a Dame Charlotte de Faron , d'une des bonnes
Maifons du Poitou . dont il n'eut qu'un fils , que
la fituation de fes affaires , après avoir fervi quelque
temps le Roi , a obligé de ne pas fuivre l'intention
qu'il avoit de confacrer fes jours au ſervice
de Sa Majefté ; mais s'étant marié avec une Demoitelle
Tafchereau , alliée de M. le Chancelier
de Pontchartrain , du côté des Préfidens Cortereau
, & cousine de M. le Marquis de Rafilly ,
Lieutenant Général de la Province de Touraine
& Tous-Gouverneur des Enfans de France ; il en
a eu une nombreuſe famille , dont deux fils font
morts au fervice , le premier dans la Marine fuc
tué au fameux corbat de la Hogue , à l'âge de
vingt ans , dans le grade de Lieutenant de Vailfeau
du Roi; le fecond & dernier , eft le Conte
de Burfiel , qui après avoir fervi avec grande dif
JUIN. 1760. 257
tinction dans l'Artillerie , dont il étoit premier
Lieutenant Général , fut tué à la tête de ce Corps
qu'il comandoit , à la bataille de Plaifance en
1745. Il n'a laiffé qu'une fille , qui , après avoir
été longtemps fille d'Honneur de la Reine d'Ef
pagne , s'eft faite Carmelite auprès de Madame
de Borfiel fa tante , Supérieure de ce Couvent à
Paris. Ladite Dame de Borftel de Pimont , qui
vient de mourir , jouiffoit de plus de 45000 livres
de rente. Sa fuccellion palle à Dame Magdelaine
de Borftel , fa foeur , épouse de M. de
Beau ront , l'un des anciens Fermiers Généraux
du Roi , qui n'ont point d'enfans .
Meffire François de Grenelle de Pimont , qui.
refte veuf de ladite Dau e après vingt- huit ans de
mariage, eft originaire de Paris , d'une des plus
anciennes familles de robe , qui a poffédé longtemps
le fief de Grenelle , où eft à préfent bâtie
l'Ecole Militaire. Un de fes ayeux fe retira dans
le Duché de Bourgogne du temps des troubles
d'Henry III , & y acheta plufieurs Terres & Fiefs ,
entre autres celui de Pimont , qui a reûté jufqu'à
préfent à fes defcendans qui le font alliés aux
premieres familles du Parlement de Dijon , entre
autres à François de Gergy & à Marguerite
Quarré , toutes les deux d'ancienne extraclion
dont Jean de Grenelle , mari de la derniere , devint
Confeiller d'Etat.
Le fieur de Pinout , ayant pris le parti des armès
, a conn encé par être douze ans dans les
Moufquetaires , enfuite Capitaine de Cavalerie ,
Lieutenant Colonel au fervice du Roi de Pologne
& Gentilhomme de ce Prince. Il a fair prendre le
même parti des ar nes a quatre de fes neveux
dont l'un a été tué Capitaine dans le Régiment de
Forelt , trois autres font actuellement dans celui
>
258 MERCURE DE FRANCE.
de Vatan , dont les deux premiers ſont à la tête
dudit Régiment & Chevaliers de S. Louis.
Avis des Administrateurs Généraux des Poftes .
ON avertit qu'à l'avenir , & à compter dir
mois de Juillet de la préſente année , on pourra
écrire deux fois par femaine à Madrid , Cadix ,
Séville , Malaga & Lisbonne , ainfi que dans toutes
les autres Villes d'Efpagne & de Portugal,
où l'on ne pouvoit écrire qu'une fois par femaine
:
; Sçavoir le Mardi par l'ordinaire actuellement
établi.
Les Lettres de cet ordinaire continueront de
partir de Paris le Mardi de chaque femaine , &
les réponſes à ces Lettres continueront d'arriver
à Paris le Samedi .
Le Samedi , par le nouvel ordinaire.
Les Lettres de cet ordinaire partiront de Paris
le Samedi de chaque femaine , & les réponses .
aux Lettres de ce deuxième ordinaire arriveront '
à Paris le Mercredi .
Quant à la Catalogne, dont les Lettres vont &
viennent par le Courier de Provence , elles continueront
de partir deux fois par ſemaine ; fçavoir
, le Mardi & le Samedi , & d'arriver également
deux fois par ſemaine à Paris ; ſçavoir , le
Dimanche & le Jeudi.
Les Lettres pour cette Province d'Eſpagne
pour le Royaume de Valence & pour Maïorque
ne feront plus à l'avenir , & à compter du dudit
mois de Juillet prochain , fujettes à l'affranchiffement
que l'on a exigé jnfqu'à ce jour. Ainf
elles pafferont fans difficulté de Perpignan à BarJUIN.
1760:
celone . Celles d'Eſpagne venant par cette route
259
pafferont également en France fans affranchiffement
, parce que l'office des Poftes de Madrid
doit de fon côté fupprimer celui qu'on a juſqu'à
ce jour exigé en Eſpagne fur ces Lettres.
Opiat philofophique du fieur Mutelé fils , feul
pofeffeur dudit Reméde de feu fon pere ,
Apothicaire du Roi.
>
LES progrès que ce reméde opére en tant de
différens genres de maladies ont donné affez
de preuves convaincantes de fon efficacité , pour
difpenfer l'Auteur d'en renouveller l'expofition
il fe contente de répéter que c'eft un fondant &
un purgatif fi épuré de fon terrestre , qu'il fe
glife avec douceur dans toutes les parties les
plus fecrettes du corps humain , & en expulfe
tout le vice , de quelque nature qu'il puiffe être ,
fans violence , vomiffement ni mal de coeur ,
eft lain & fénatif, & purifie la inatle du fang ,
même fcorbutique. Il eft propre pour la guérifon
des Squirres , fi anciens qu'ils foient , ainfi que
les obftructions ,
glandéoméfentaires , abfcès , généralement
toutes caufes étrangères qui portent
obſtacle à la nature . Il eſt connu auſſi pour la
guérison du lait répandu & autres fâcheufes fuites
de couches. Il n'y a pas de fièvres , de telle nature
qu'elles foient , que ledit Opiat Philofophique
ne guériffe , ainfi que les dyflenteries ; ce qui eft
d'un grand fecours pour Meffieurs les Militaires ,
foit en campagne ou ailleurs , tant par ner que
par terre. Il eft fouverain pour garantir les attaques
d'apoplexie & coups de fang ; fi l'on en
prend par précaution une ou deux prifes de fuite ,
ou à un jour d'intervalle , l'on fe mettra à l'abri
de tous ces accidens : les jauniſſes , pâles couleurs
2.
260 MERCURE DE FRANCE.
ou bile répandues ne fçauroient y réfifter.
Ce reméde s'eft fait connoître & diftinguer de
tout le vulgaire , dans le cas des guérilons des vapeurs
, telles qu'elles foient , & mal-caduc , s'il
ne vient pas de naiſſance.
Ledit Opiat eft connu propre pour
être adminiftré
aux malades , dans le cas de toutes les ma
ladies les plus dangereutes caufées par la lenteur
de la limphe , & manque de circulation du fang
& autres ; cela eft confirmé par nombre infini de
cures en différens genres de maladies déſeſpérées
qui ont été guéries, ainfi que l'Auteur eft en état
de le le faire voir & prouver , par Meffieurs les
Magiftrats & Meffieurs les Médecins & Chirur
giens de la Faculté de Paris , & autres , qui ont
vu & donné leurs applaudiflemens & approba
tions.
Afin de procurer plus promtenent la guériſon
des maladies , & pour la facilité du Public , il y
a des boetes dudit Opiat , de 3 liv . 6 liv 12 liv.
& 24.
Méthode pourfe fervir dudit Opiat Philofophique.
La petite boete de 3 liv. fait deux prifes , pour
deux jours à un jour d'intervalle ; la boëte de 6 1.
fait quatre prifes pour huit jours à un jour d'intervalle
; la boete de 12 liv. fait huit prifes pour
feize jours à un jour d'intervalle ; la boëte de 24
liv. fait feize prifes à un jour d'intervalle , ou
même plus fi on fe fent fatigué ; il faut obferver
que chaque prife dudit Opiat fait le poids d'un
gros , & pour ne fe point tromper le poids d'un
liard un peu fort ; c'eſt -à - dire , que la petite boëte
de 3 liv . ne fait que deux prifes . L'Opiat fe prend
enveloppé dans du pain-à chanter ou pommes
cuites, ou même entre deux foupes , boire parJUIN.
1760
261
deffus chaque prife un de ni-gobelet , foit bouillon
ou thé , pour le précipiter ; tous ceux qui ne
fçauroient la prendre en bols , mettront ladite
prife d'Opiat dans un demi verre de vin rouge
ou blanc , & le bien délier avec une cuillier pour
en faire la diffolution , & le prendre le matin ; &
ceux qui vou front le prendre le foir en s'allant
coucher , deux heures après avoir mangé un potage
, pourront le prendre comire deffus , fe coucher
& dormir tranquilles fans craindre & fans
ètre obligés de prendre du bouillon que le matin ,
jufqu'à l'heure dinatoire. Il faut encore obferver
que les jours que l'on fera ufage dudit Opiat ,
il faut réformer le caffé , le laitage , les fruits crus ;
& pour les enfans qui font fujets aux vers , la petite
boete fervira pour trois matins de fuite , délié dans
du vin blanc avec un peu de fucre ; il faut que
l'enfant foit quatre ou cinq heures fans rien prendre
& enfuite nn bouillon : en peu de jours les
Vers Solitaire ou Plantés feront morts ou confondus
quelque part qu'ils foient , aux grandes perfonnes
ou perites , vû la circonftance des temps ,
où les morts fubites font fi fréquentes , principalement
dans les Provinces où l'on meurt fouvent
faute de fecours & de précaution.
Le fieur Mutelé , ayant obfervé que plufieurs
perfonnes de tout fexe , qui n'ont befoin que d'u
ne purgation , foit après une faignée qu'ils prennent
feulement par précaution , pour la facilité il
y aura des prifès dudit Opiat , de trente fols & de
vingt fols pour les pauvres honteux , attendu
que les pauvres ne payeront les boëtes de 3 liv.
que 2 liv . celles de 6 liv . 4 liv. celles de 12 liv.
8 liv. & celles de 24 16 liv. ainſi qu'il a été annoncé
par tout le Royaume & chez l'Etranger , &
dans les nouvelles publiques . L'Auteur continue
de faires des envois par tout le Royaume & chez
262 MERCURE DE FRANCE.
l'Etranger , à ceux qui lui font l'honneur de lui
écrire.
Il prie d'affranchir les ports des lettres & de
l'argent qu'ils mettront par la Poſte royale, fans
quoi point de réponſes.
Le fieur Matelé donne avis qu'il a obtenu de
Meffieurs les Fermiers Généraux des Poftes , afin
de donner une aifance au Public , qu'il ne payeroit
que la moitié du port des envois des Marchandiſes
pour les Provinces.
Cet Opiat eft incorruptible , & ſe tranſporte
partout il eft auffi bon au bout de vingt ans
comme frais fait , en y ajoutant un peu de firop
de capillaire , en cas qu'il féche , & fera de bon
uſage , c'eſt le moins couteux & le plus doux de
tous les purgatifs .
Toutes femmes enceintes qui feront uſage dudit
Opiat , de deux ou trois prifes les derniers mois
avant d'accoucher , feront fures de faire d'heureuſes
couches , & fouffriront peu : le tout après
mille expériences.
Le fieur Mutelé demeure Cour des Religieux de
l'Abbaye de S. Germain des Prez , chez Madame
Lybeard, Marchande de Modes , à la Dauphine,
Fauxbourg S. Germain , vis-à-vis la grande
grille.
APPROBATION.
J'Ailu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
Te Mercure du mois de Juin 1760 , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion.
A Paris , ce 31 Mai 1760. GUIROY.
JUIN. 1760 263
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
I
ARTICLE PREMIER.
MITATION de l'Ode d'Horace. Vixi puellis
nuper idoneus &c.
Vers , fur l'Impératrice de Ruffie.
Page s
Les dangers de l'hymen , à Madame T. de
C. Mulette à mettre en chant.
Vers demandés , pour mettre au bas du Portrait
de M. de Voltaire.
Sonnet , infcrit fur une Rocaille , ornée de
jets d'eau .
Le Lys & la Rofe , Fable , à Mlle ...
Epître à M. l'Abbé Aubert.
Suite & Conclufion des Lettres & Mémoires
de Mlle de Gondreville & de M. le Comte
de S. Fargeol.
Epître à Clarice.
Un vieillard , à fes Compatriotes , Héroïde.
Les Talens de l'Elprit , Poëme.
Enigmes.
Logogryphes.
Chanfon.
7
9
ibid.
10
II
14 & fuiv.
58
60
66
77 &78
79 & 80
82
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Extrait des Anecdotes morales , fur la Fatuité
, &c. par M. de Campigneulles.
83
Le nouveau Spectateur , par M. de Baftide. 87
Seconde Lettre , fur l'Art de peindre de M.
Watelet.
Annonce des Livres nouveaux.
107
128 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES,
ACADÉMIES.
Extrait du Mémoire lû par M. le Pere , Se264
MERCURE DE FRANCE.
crétaire perpétuel de la Société des Scien-
- ces & Arts d'Auxerre .
Extrait de la Séance de la Société de Lettres
, Sciences & Arts de Clermont en Auvergne
.
GÉOMÉTRIE .
135
145
Mémoire fur l'analogie qui e entre la Logarithmique
& l'hyperbole équilatere &c . 15
ASTRONÓMIE.
Extrait d'un Mén oire lû à l'Académie
Royale des Sciences , fur le pallage de
Vénus . Par M. Delalande .
ART. IV . BEAUX - ARTS .
163
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
Réfléxions fur les avantages de l'Inoculation ,
par M. Daniel Bernoulli & c.
173 &fuiv.
Géographie. 190
ARTS AGRÉABLES .
Gravure . 191
Mufique.
194
ART. V. SPECTACLE S.
Opéra.
195
Comédie Françoife. 211 & fuiv.
Comé lie Italienne.
233 &fuiv
Concert Spirituel. 235
ART. VI . Nouvelles Politiques. 238
Mariages & Morts .
251 &fuiv.
Avis .
258 & fuiv.
La Chanfon notée , doit regarder la page 82 .
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à- vis la Comédie Françoife.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères