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1758, 10, vol. 2
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE. 1758 .
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Sains inve
PapilionScrip. 17381
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
ROLLIN , quai des Auguftins.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
MELIOTHECA,
REGIA
MONACENSIS.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ;
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. MARMONTEL
, Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour.
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
A ij
Onfupplie lesperfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi , Mercredi
Jeudi de chaque femaine , après- midi.
On prie les perfonnes qui envoient des Li
vres , Eftampes & Mufique à annoncer ;
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
Le Nouveau Choix fe trouve auffi au
Bureau du Mercure . Le format , le nombre
de volumes , & les conditions font
les mêmes pour une année,
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1758.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Sur la Mort de M. le Comte de Broglie.
UNIQUE efpoir d'une famille illuſtre ,
Toi , qu'on vit fi matin de lauriers couronné ,
Avant d'avoir atteint ton quatrieme luftre ;
Tu meurs, jeune Guerrier, dans ta fleur moiffonné.
Du myrthe préparé le cyprès prend la place :
L'Amour baigné de pleurs, en vain demande grace,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
L'inéxorable mort eft fourde à fes clameurs ,
Et la nature inconfolable ,
Sur une perte irréparable ,
Gémit , en rappellant ta fageffe & tes moeurs.
L'AMOUR , LA BEAUTÉ
ET LA LAIDEUR,
L'AMOUR
FABLE.
'AMOUR fit un voyage avec Dame Beauté ,
La Laideur fut de la partie
( De Beauté Laideur eft amie ).
I's cheminoient enfemble , & l'Amour tranfporté,,
Toujours , comme on peut croire , adreffoit la
parole
A la Reine des coeurs , au beau viſage enfin ;
Autant valoit parler à quelque Idole..
L'autre les regardoit tous les deux d'un air fin.
L'entretien , qui ne brilloit guere ,
Eût eu fûrement de quoi plaire ,
Si l'Amour , modérant fon feu ,
Eût fait l'honneur à la laide compagne
De l'interroger tant ſoit peù ,
Ne fût- ce que fur la campagne ,
Sur les prés , fur les fleurs , puifqu'il ne pouvoit
pas
Vanter les yeux , fon fein , ou femblables appas
Mais l'Amour ne fçait point le faire violence,
OCTOBRE. 1758 . 7
Tant que dure le jour , dure auffi le filence .
La ſtérile Beauté ne lâchoit tout au plus
Que quelques mots vagues & découfus.
Le foleil fuit , la nuit arrive ;
Amour , prenez votre flambeau ....
Il l'avoit oublié ; dans l'ardeur la plus vive
Un tel oubli n'eft pas nouveau.
Auprès de l'objet que l'on aime
On ne fonge qu'à lui , l'on s'oublieroit foi- même;
Notre Beauté prend un autre chemin ,
On ne fçait pas comment ; elle s'égare enfin.
L'Enfant aîlé , qui de rien ne fe doute ,
Tranquillement pourſuit fa route ;
Et croyant lui parler , il parle à la Laideur.
Ce qu'il a dit cent fois , il le répete encore :
Pour tant d'attraits il a trop peu
Cette flamme qui le dévore ,
d'un coeur
Il voudroit bien qu'elle la reffentît ;
Bref des Amans fa bouche épuife le langage.
Rejettant toujours fon hommage ,
A chaque chofe qu'il lui dit
La Laideur comme il faut réplique :
De la mépriſe elle fait fon profit ;
A divertir l'Amour , voilà qu'elle s'applique.
Il n'eft plus queftion d'attraits ,
De belle bouche , de beaux traits ;
Au petit étourdi l'efprit commence à plaire.
Que d'efprit , s'écrioit l'Amour !
Que vous avez tort de vous taire
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
Eloquente Beauté ! ... Són erreur ceffe au jour
Oh ! oh ! dit-il , d'être un fot je m'accufe.
La Beauté m'ennuyoit , & la Laideur m'amuſe ;
Dorénavant je lui ferai ma cour.
EN VOI
De la Fable précédente à une jolie Femme
qui me l'avoit demandée.
Jx fuis de gloire un peu jaloux :
Ne montrez ma Fable à perfonne ;
Car en la lifant devant vous ,
On ne la trouveroit pas bonne.
Par l'Anonyme de Chartrait près Melun
HÉROÏDE ,
Canacé , fille d'Eole , Roi des vents , à fon
frere Macarée.
Imitation d'Ovide.
Da la jeune fille d'Eole ,
Tendre frere , reçois les funeftes adieux.
Ils ne feront pas longs , la colere des Dieux
Va punir nos amours & m'ôter la parole.
Déja par un cruel deffein ,
Cette main qui t'écrit d'un poignard eft armée.
OCTOBRE. 1758 .
f
D'une main tremblante , alarmée ,
Pourras-tu connoître le fein.
Cet écrit tout fouillé de fang & de carnage ;
Témoin de mon trépas , ne t'inftruira de rien :
Mais ce fer , don fatal d'un pere & de fa rage ,
Ne te l'apprendra que trop bien.
Ah ! fi mes forfaits font horribles ,
Les jours de fes enfans lui ſemblent bien abjets ,
Et ce Roi qui commande aux aquilons terribles ,
Eft plus cruel que fes fujets.
Implacable ennemi de tout ce qui refpire ,
Infenfible aux foupirs des pâles matelots ,
Hexerce fur nous un plus cruel empire ,
Que dans les airs & fur les flots.
J'ai , dit- on , pour ayeul le maître du tonnerre.
Mon deſtin en eſt- il plus beau ?
Je n'en quitte pas moins le féjour de la terre ,
Et cette main novice aux fureurs de la guerre ,
En vain , au lieu d'un fer , reclame fon fuſeau.
Mes crimes ont des Dieux allumé la colere :
L'amour eft indigné du fang dont nous fortons ;
La nature frémit d'une ardeur téméraire ;
Je n'ofe t'appeller mon amant , ni mon frere :
Je pâlis à ces triſtes noms ;
Et ces titres fi chers , font pour nous des affronts
De mes égaremens la fource étoit bien pure t
A v
ro MERCURE DE FRANCE.
Je pouvois bien t'aimer ! le ſang me l'ordonnoit ;
Et lorfque l'amour m'entraînoit",
Je croyois écouter la voix de la nature.
Jouet des Dieux cruels , ils devoient la pitié
A mes criminelles folies :
Ce n'est qu'à ma pâleur & qu'à mes infomnies ,
Qu'on eût connu l'amour caché fous l'amitié..
.
*
Ma pudeur & mon innocence
Entretenoient ma douce erreur :
Si j'euffe mieux connu l'amoureuſe ſcience ,
J'aurois redouté mon vainqueur.
Ma nourrice fut la premiere
Qui me dit , en pleurant : Princeffe , vous aimez
Elle glaça d'effroi mes efprits alarmés ,
En offrant à mes yeux cette trifte lumiere..
L'on me vit , au pied des Autels ,
Offrir victime fur victime.
J'ai recours aux Dieux feuls , pour qu'ils cachent
mon crime ,
Et non aux breuvages mortels..
Ah ! mes cris réveilloient la colere divine :
Que j'ai payé bien cher de coupables amours !
Excepté la chafte Lufcine ,.
Tout me refufa fon fecours.
Mon pere inftruit de la naiffance
D'un fils , par fa mere adoré ,
OCTOBRE. 1758.
Au plus vif courroux s'eſt livré ,
Et fa barbarie a juré
De verfer un fang qui l'offenfe.
Déja fon fattellite eft venu de fa part ,
M'ordonner de mourir , & m'offrir un poignard.
Cruel tyran de fa famille ,
C'eſt le premier préſent qu'il étale à mes yeux ;
C'eft la dot qu'il donne à fa fille ,
En l'uniffant à fes ayeux.
Vers l'antre d'un rocher fauvage ,
A des loups affamés l'on va livrer mon fils :
Ses larmes naiffantes , fes cris
Loin de fléchir mon pere , ont irrité ſa
L'on oſe exécuter cet horrible deſſein
Avant ma premiere carefſe ;
On le ravit à ma tendreffe ,
rage.
Un homicide bras me l'arrache du fein.
'Arrêtéz , ah , cruels ! quel crime a pu commettre
Un enfant à peine encor né
Et quelle injure faite à fon barbare maître ,
Depuis le peu d'inftant qu'il a commencé d'être ,
Irrite fon ayeul à le perdre obftiné
Les loups dévorent donc cet enfant né du crime,
Né d'un inceftueux lien !
Je ne l'aimois pas moins , cette trifte victimez
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
C'eft doublement mon fang , c'eft doublement le
tien.
Loin de moi , loin d'ici le flambeau d'Hyménée ,
Qu'il ne luife jamais fur un coupable amour.
Venez , filles d'enfer ; Princeffe infortunée ,
Dans ces derniers momens je ne veux d'autre cour
Mon pere , mes forfaits , les Dieux m'ont condamnée
: "
C'eſt à vous d'allumer mon bucher en ce jour.
Et , toi , malheureux Prince , ô toi ! plus que mon
frere ,
Ramaffe de ton fils les membres difperfés.
Du moins dans mon tombeau rends un fils
mere :
Que les loups ne foient pas fa tombe , c'eft affez .
Uniffant ainfi notre cendre ,
Tes mains la couvriront de gazon & de fleurs.
Je jouis d'avance des pleurs
Que tant de fang verfé va te faire répandre..
Dois- je gémir fur des malheurs
Accompagnés d'un prix fi tendre ?
En creuſant mon cercueil , tu frémiras d'y voir
Mon ombre défolée & de mon fang fumante.
Ah ! rends - moi fans horreur ce funefte devoir :
Embraffe fans effroi l'ombre de ton Amante.
Je m'en repofe fur ta foi :
fa
OCTOBRE . 1758 . 12
Que mes ordres derniers foient une loi ſuprême.
Je t'en donne l'exemple même
En exécutant ceux du Roi.
Ellefe tue.
Cette heureuſe imitation d'une des plus
belles Héroïdes d'Ovide , eft de M. le Baron
de Rouville , Confeiller au Parlement
de Toulouſe.
L'AMOUR ET LES OISELEURS.
AMOUR, Amour, jamais tu ne repoſes
Et rien n'échappe à tes pieges flatteurs .
Un jour ( c'étoit dans la faifon des rofes )
Climene & moi , novices Oifeleurs ›
Nous préparions des pieges fur les fleurs.
Le doux printemps , un Dieu plus doux encore
Nous raffembloit au réveil de l'aurore .
Tous deux affis fur la mouffe & le thim ,
Nous refpirions l'espoir & le butin ;
Et près de nous les réſeaux & 1) cage
Du peuple aîlé méditoient l'efclavage;
Le miroir brille ; alors un jeune Oiſeau
Se détacha des fommets du bocage :
Il balançoit fon vol fur le réfeau ;
Puis en jouant l'effleuroit d'un coup d'afles
Puis careffoit le miroir infidele ;
C.
14 MERCURE DE FRANCE
Auffi léger que l'éclat voltigeant ,
Que réfléchit la glace au front d'argent.
L'azur des cieux coloroit fon plumage.
Nos coeurs fembloient répéter fon ramage ;
Le voir , le prendre eft un même defir ;
Nous nous taifons , nous palpitons de joie ,
Le piege court envelopper fa proie ,
Le filet tombe ; en vain l'Oiſeau veut fuir :
Il fe débat ; je fouris , & Climene ,
Sous le filet que je fouleve à peine ,
Etend déja fa main pour le faifir ;
Elle y touchoit ... Soudain l'oiſeau rapide
( C'étoit l'amour ) s'envole avec nos cris ;
It du filet difperfant les débris ,
Il tient encor dans le réſeau perfide
Les Oifeleurs qu'il avoit pris.
Par M. le Brun , Secrétaire des Commandemens
de S. A. S. Monseigneur
le Prince de Conty.
BOUT ADE
SUR LA FAUSSE FÉLICITÉ.
J le foutiens pour être heureux ,,
E
Il faudroit s'en tenir aux voeux.
Les doux fouhaits & l'efpérance ,
Une fatteufe illufion
OCTOBRE. 1758
I'S
Ce bien , ſi mince en apparence ,
Vaut fouvent la poffeffion.
Le dégoût fuit la jouiffance
En épuifant la paffion.
De ce pofte qu'on follicite
Avec tant de vivacité ,
Une pénible réuffite
Prouve enfin la futilité ;
Et bientôt l'ardeur qu'il excite
Tombe dans la fatiété.
Le droit de la propriété ,
Soit de l'or , foit du rang fuprême ;,
Par la longue uniformité ,
Languit dans la prospérité
D'un bien-être toujours le même.
Après les périls , les travaux ,
( Au moins la perte du repos ) .
Que fur fes pas la gloire entraîne ,
Quelques faveurs qu'on en obtienne ,.
Ee plein fuccès de nos defirs
Se fait moins fentir que la peine
Des plus frivoles déplaifirs.
Par M. DE BERNOY , Secretaire perpétuel
de l'Académie des Belles - Leures
de Montauban,
16 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE A M.... ( 1 )
I fuis fi perfuadé , Monfieur , qu'une
bonne éducation eft de tous les moyens
celui qui contribue le plus au bien de
l'humanité, que je ne puis qu'admirer celle
que vous donnez à Monfieur votre fils.
Loin de lui fouhaiter , felon l'uſage d'à
préfent , plus de brillant que de jufteſſe ,
des manières plutôt que des fentimens ;
loin d'aguerrir fa pudeur & fon innocence,
plutôt que de lui infpirer de la modeſtie
& de la vertu , vous vous efforcez de le
rendre auffi parfait que les loix même de
la nature l'exigent.
Je dis les loix de la nature ; car s'il étoit
vrai ce qu'un Auteur de nos jours , plus
bel - efprit que philofophe , n'a pas craint
d'avancer que la nature ne nous a fait
que pour vivre féparés les uns des autres ,
je conviendrois de l'inutilité de vos foins :
dans cette hypotefe affreufe , le feul inftinct
pourroit nous fuffire ; & nous ferions
d'autant plus heureux , que , fans égards
( 1 ) Cette Lettre a été lué dans la derniere
féance de l'Académie de Nanci ; elle eft digne de
l'ame & du génie de fon Auteur , & c'eft le plus
grand de tous les éloges.
OCTOBRE. 1758. $17
1
7
pour nos femblables , nous aurions moins
d'attention pour eux & plus d'amour pour
nous mêmes ; mais alors êtres oififs & malfaifans
, nous péſerions plus à la terre que
les brutes même les plus féroces , & notre.
ftupide exiftence feroit auffi funefte à
nos femblables , que la leur nous le feroit
par un pareil excès d'orgueil & de brutalité.
Non , non , deftinés à vivre en fociété ,
je veux dire , à mettre en commun nos
forces & nos talens , réduits à emprunter
les fecours qui nous manquent , obligés ,
pour notre propre intérêt , à rendre ceux
que nous avons reçus , créatures , en un
mot , néceffairement dépendantes les unes
des autres , il nous faut des fentimens qui
nous lient ; & ces fentimens que la nature
ordonne , la bonne éducation les fait
éclorre , les épure & les nourrit.
L'efprit & le fçavoir y peuvent être également
utiles : de- là , les foins que vous
prenez pour former dans votre fils un
jugement fain , qui , fans nuire à la vivacité
de fon imagination , l'accoutume à
faifir d'un coup d'oeil les vrais principes.
des chofes , & à les enchaîner avec un
ordre qui les rendant plus lumineux , femble
les rendre plus folides : mais avoir de
Fefprit , eft ce autre choſe qu'avoir de
·
18 MERCURE DE FRANCE.
bons yeux ? C'eſt par l'efprit que l'ame difcerne
les objets inacceffibles aux fens ,
comme par les yeux du corps elle apperçoit
les objets que les fens lui préfentent ;
& felon cette idée , y auroit- il plus de mérite
à avoir de l'efprit , qu'à avoir une vue
forte & perçante , fi notre efprit ne nous
perfuadoit l'amour de l'ordre & des loix ,
s'il ne nous infpiroit de la douceur & de
la complaifance , de l'eftime & de l'amitié
pour nos femblables , s'il ne nous rendoit
enfin honnêtes gens & bons citoyens ?
Telle feroit auffi l'inutilité des fciences ,
fr elles ne fervoient , comme il n'est que
trop ordinaire , qu'à nous infpirer de la
présomption & de la vanité , & fi elles net
nous montroient les devoirs de la fociété ,
que pour nous porter à nous en affranchir,
ou pour nous apprendre à nous juftifier
d'avoir négligé de nous y foumettre.
Il n'y a que le bon ufage de l'efprit &
du fçavoir qui puiffe compenfer les peines
& les tourmens d'une jeuneſſe appliquée
à s'inftruire ; & en vérité il nous importeroit
peu d'avoir acquis des connoiffances
au deffus du refte des humains , fr nous
n'avions appris l'art de vivre avec eux ;
par des fervices mutuels , de nous attirer
leur amour & leur eftime.
&
L'éducation eft d'autant plus néceffaire
OCTOBRE. 1758. Ig
pour arriver à ce bonheur , qu'avec fes
fecours mêmes , rien n'eft fi rare que d'y
parvenir. Quelle en effet a toujours été la
fociété parmi les hommes , & quelle eftelle
encore au moment que nous en parlons
? Jettons un coup d'oeil fur les jaloufies
, les haines , les injuftices , les calomnies
, les fraudes , les vengeances , les
trahifons , fur tous les vices que l'intérêt
fait naître ne font- ce pas autant d'obſtacles
à l'union des coeurs ? & comment eſtil
poffible que nous ayons encore quelque
habitude entre nous , parmi tant d'efforts
que nous faifons fans ceffe pour rompre
les liens qui nous raffemblent ?
La feule apparence de ces liens fubfifte ;
& c'eft peut - être elle feule qui a toujours
fait & qui fait encore que les hommes ne
font point des êtres entiérement ifolés.
C'est donc à dire que notre liaifon n'eſt
qu'une feinte ; & comment ne le feroitelle
pas ? Prefque tous tant que nous fommes
, moins coupables , à la vérité , par
méchanceté que par foibleffe , nous avons
dès l'enfance étouffé dans nos coeurs les
germes naiffans d'une nature heureuſe , &
nous affectons une liberté fauvage , qui
nous fait tout prétendre & tout conteſter .
Ainfi dans un amas confus d'intérêts
particuliers , fi diverfement embarraffés les
20 MERCURE DE FRANCE .
uns dans les autres , on ne prend confeil
que de fon orgueil ou de fes befoins ; &
quoiqu'il foit difficile de diffimuler avec
ceux que l'on méprife , on cache des deffeins
pervers fous des manieres douces ; la
haine prend le mafque de l'amitié
fourberie fe couvre d'une apparence de
franchiſe , la diffimulation paffe pour ha
bileté , la rufe pour prudence , l'artifice
affecte les dehors les plus féduifans de la
bonne-foi.
la
Cependant la Religion qui doit redreffer
nos penchans , nous prêche l'amour
de nos femblables , & tout ainfi que l'humanité
, elle ne tend qu'à nous réunir.
Remarquons cependant que ce n'eſt pas
fimplement une ombre , un phantême de
fociété que l'une & l'autre exigent.
La Religion va même plus loin , &
dans la feule égalité qu'elle met entre les
intérêts de notre prochain & nos intérêts
propres , enforte qu'à l'un & l'autre égard ,
nous n'ayons qu'une même meſure d'affection
& de zele , je trouve la preuve la
plus convaincante de la grandeur , de la
nobleffe , de la divinité de cette Religion.
Qu'on l'appuie tant qu'on voudra par tant
d'autres caracteres qui lui font propres , il
n'en eft point , à mon gré , qui lui donne
une conviction plus certaine & plus folide
OCTOBRE . 1758 . 21
que cet amour de nos femblables , qu'elle
exige auffi clairvoyant , auffi attentif, auſſi
tendre , auffi parfait que celui qu'il nous
eft permis d'avoir pour nous - mêmes .
Ôn diroit qu'en cela la nature & la Religion
ont confulté nos intérêts. Je foutiens
en effet que c'eft nous aimer autant
qu'il eft poffible , que d'aimer fincérement
tous ceux avec qui nous vivons.
Le bonheur dont nous fommes le plus
jaloux , n'est - ce pas l'eftime & l'amitié
des autres hommes ? & ce bonheur fi précieux
furtout aux ames bien nées , qui
pouvant confentir à être privées de la
gloire , ne fçauroient fe réfoudre à être
privées de l'honneur , ce bonheur eft - il
l'effet du tempérament , l'ouvrage de la
raifon , l'appanage des dignités , un des
avantages de la richeffe ? non , c'eſt en
vain qu'on le chercheroit en nous , il eft
dans les mains de nos femblables ; c'eft
d'eux qu'il nous le faut attendre , nous ne
pouvons faire autre chofe que le mériter.
Mais quel autre moyen de le mériter ,
que par des prévenances fans baffeffe , par
des politeffes fans fauffeté , par des égards
fans contrainte , par autant de marques
d'eftime que nous defirons en recevoir?
Si cela eft , c'eft donc nous aimer véritablement
, que d'aimer les hommes , les
12 MERCURE DE FRANCE.
feuls appréciateurs de nos talens & de nos
vertus , les feuls dont l'approbation récompenfe
& foutient le mérite , les feuls auteurs
du bonheur qui nous flatte davantage
& que nous ambitionnons le plus.
Je demande en effet ce qu'il en feroit
de nos qualités les plus eftimables , s'il
n'étoit perfonne qui daignât les eftimer ?
Concentrées dans nos coeurs , ou elles feroient
pour nous un objet de complaifance
, & dès-lors elles perdroient tout leur
prix , ou un objet d'indifférence , & rien
ne nous porteroit à les entretenir . Dans le
premier cas , notre orgueil , s'il étoit connu
, ne nous attireroit que de la haine :
dans le fecond , notre indolente froideur
ne mériteroit que du mépris ; dans ces
deux cas , tout mérite feroit bientôt
anéanti.
Auffi , quel que foit notre amour- propre
, nous avons un penchant fecret à rechercher
de la confidération & de l'eftime ,
& c'est peut- être ce même amour qui fert
à nous infpirer ce penchant . La raifon des
autres étant réellement un Juge moins
aifé à féduire que notre propre raiſon ,
nous la croyons conféquemment plus capable
de nous faire honneur par fes fuffrages
; nous aimons à être vus hors de nous ,
tels à peu près que nous nous voyons en
OCTOBRE. 1758. 23
nous - mêmes ; nous voulons que notre
image fe retrace dans tous ceux qui nous
connoiffent , ainfi que dans un miroir ; &
comme elle s'y reproduit , s'y étend , s'y
multiplie , nous nous efforçons de l'embellir
à mesure que nous fentons qu'elle
a eu le bonheur de plaire , c'eft- à- dire que
dès-lors nous avons plus d'attention fur
nos vertus & fur nos défauts ; que dèslors
notre efprit s'épure , notre coeur s'éleve
& s'agrandit en quelque forte ; que
nos devoirs nous deviennent plus chers &
moins pénibles , & que par une vanité
louable , plus féveres à notre égard , nous
nous montrons , par un jufte retour , plus
indulgens à l'égard des autres.
Il eft donc vrai que nous devons à
ceux dont nous defirons l'eftime , ce qui
contribue le plus à notre perfection ; &
de- là j'infere qu'on ne fçauroit trop tôt
en infpirer le goût aux jeunes gens. Elle
eft réellement le bonheur le moins frivole
& le plus flatteur , & la rechercher , c'eſt
une espece de néceffité que le bien de
l'humanité , que la nature même nous
impofent.
İl eft certain en effet que ce defir excite
jufqu'aux moindres talens , & qu'il enrichit
la fociété de toutes les efpeces de
mérites qui auroient été perdus pour elle ,
24 MERCURE DE FRANCE.
foit qu'une lâche pareffe les eût enfouis ,
foit qu'une perfide timidité n'eût ofé les
produire , foit qu'une ridicule modeſtie les
eût fait avorter.
Ce defir eft même d'autant plus utile aux
jeunes gens , qu'en effayant de donner à
leur caractere la foupleffe & le liant qui
gagne les
coeurs , en leur apprenant à rompre
leur humeur pour s'accommoder à celles
des autres , en les tenant dans la dépendance
des jugemens de tout homme qui
peut s'ériger en arbitre de leurs actions
on leur fait contracter l'heureuſe habitude
de commander à leurs coeurs & de maîtrifer
des paffions qui , dans leurs commencemens
, aifées à vaincre , font dans leurs
moindres progrès fi difficiles à contenter.
que
Mais fi cette ardeur pour l'eftime ,
l'on doit regarder comme la fource , ou
du moins comme l'appui de nos vertus , eft
en effet fi utile , qu'il faille l'infpirer de
bonne heure au commun des hommes , je
veux dire à cette foule de mortels qui ,
dans les conditions fubordonnées de la vie ,
ont néceffairement des fupérieurs à craindre
& des égaux à ménager , combien plus
eft- il important de l'infpirer aux jeunes
Princes , tout Princes qu'ils font ?
Il eft vrai que cette ambition qui nous
porte fi puiffamment à tout ce qui peut relever
OCTOBRE. 1758. 25
> lever la dignité de notre nature ne fait
d'ordinaire que de foibles impreflions fur
des hommes nés dans l'abondance de tous
les biens , & qui , n'ayant point de voeux à
faire , & pouvant à leur gré réaliſer ou
rendre infructueux tous ceux qu'on forme
dans leur empire , n'attendent du refte des
hommes que de la foumiffion & du refpect.
Je dis néanmoins que ces hommes fi
puiffans tiennent aux autres hommes par
une infinité de devoirs , & que fi la fortune
n'a rien à leur offrir qu'ils n'ayent reçu
de leur naiffance , il leur refte à défirer
quelque chofe de plus grand & de plus
heureux , je veux dire , l'amour des peuples
, & particuliérement cette forte d'amour
que le mérite fait naître , & qui devient
plus fort que le devoir.
Quelle eft à plaindre malgré tous fes
brillans dehors , la condition de ces Maîtres
de la terre ! Elevés dans le centre des
paffions , il leur eft prefqu'impoffible de
' en défendre , & on leur laiffe fentir à peile
danger de celles auxquelles ils ont
le malheur de fe livrer. Jamais inquiétées
par des reproches , ou même par des confeils
, jamais réprimées par aucun obſtacle
elles font eftimées auffi fouveraines qu'eux,
& quelles qu'elles foient , on les refpecte ,
II.Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
on y applaudit , peu s'en faut qu'on ne les
juſtifie.
Combien de courtifans qui , ne pouvant
exiſter que par les foibleffes de leur maître
, craignent fes vertus comme une difgrace
, & qui fans ceffe appliqués à nourrir
dans fon coeur des penchans malheureux
qu'ils y font naître , trafiquent de fa
gloire , & s'enrichiffent de fon indifférence
à la foutenir ?
Il n'eft que le defir d'être aimé qui puiffe
garantir un Prince des malheureux piéges
dont il eft affiégé . C'eft auffi à lui faire
fentir le prix de cet amour , que doivent
tendre tous les foins de l'éducation qu'on
lui donne. Et qui peut ignorer que cet
amour eft infiniment plus flatteur , qu'une
obéiffance forcée , qui trop fouvent déſefpere
celui qui la rend , & qui toujours
accufe celui qui fe la fait rendre.
Ce n'eft d'ordinaire ni la foif de l'or ,
ni la paffion pour les honneurs qui rendent
les Souverains indifférens aux fentimens
de ceux que le fort a foumis à leur empire.
Nés dans la gloire & dans l'opulence , ils
en jouiffent prefque jufqu'au raffafiement.
Ce qui me paroît leur infpirer moins d'ardeur
à captiver les coeurs des autres hommes
, c'eft le goût des plaifirs , écueil ordinaire
de leur repos & de leur gloire ;
OCTOBRE. •
1
ལ་
1758. 27
mais que les plaifirs en général font frivo
les ! qu'ils font infipides en comparaiſon de
l'émotion agréable qu'excite dans l'ame
d'un Prince le tendre retour d'un peuple
chéri & quels peuvent être des plaifirs
que l'on n'a pas la peine de fouhaiter , que
l'excès rend languiffans, d'où naît fans ceffe
le befoin d'autres plaifirs , & de plus grands
plaifirs encore , & qui , ufés par l'habitude,
reffemblent aux parfums qui perdent de
leur vertu par un trop fréquent ufage ?
Il n'eft pour les Souverains de contentement
véritable & folide , que celui que
leur donne une réciprocité de tendreſſe
toujours conftamment établie entr'eux &
leurs fujets . Il en eft de ce rapport mutuel ,
comme de celui qui fubfifte dans toutes
les chofes de la nature , & fans lequel
l'univers feroit bientôt anéanti. En effet ,
fi les Etats périffent, parce qu'il y a de mauvais
Souverains , il n'eft pas moins vrai
qu'ils périffent auffi , & peut- être même
encore plutôt , parce qu'il y a peu de Citoyens
fincérement attachés à leurs Princes.
C'eft cette harmonie du Chef avec les
membres , qui rend un Souverain d'autant
plus heureux , qu'il fent par l'amour de
fes fujets , qu'au défaut de la naiſſance qui
l'a mis fur le trône , ce même amour l'y
auroit placé. Mais comment jouiroit - il
Bij
28 MERCURE DE FRANCE,
d'une fatisfaction fi parfaite & qui dépend
d'une foule de fentimens mal- aifés à réunir ,.
s'il ne fe l'étoit ménagé par un accès toujours
libre , qui donne de la confiance fans
rien ôter à la majefté , par une douceur
qui tempere la puiffance fans l'affoiblir ,
par une bonté qui n'autorife point le défordre
, & ne donne aucune efpérance
d'impunité , par une affabilité qui paroiffant
fufpendre les droits de la fouveraineté
, lui attire plus d'hommages , par une li
béralité de difcernement , & non de prévention
ou de caprice , par des égards ré
fléchis pour les libertés & pour les préjugés
même des peuples , & par un efprit
de fageffe & de précaution qui apprend à
dominer avec réferve , & , felon les occafions
, à plier avec dignité.
Que de devoirs fe trouvent renfermés
dans ce peu de mots, qui viennent d'échap
per à ma plume ! Si j'avois le temps de les
parcourir en détail , je dirois qu'un Prince
doit fçavoir allier la clémence à la justice ,
adoucir l'amertume des reproches par les
expreffions , diftinguer un foible d'un vice ,
fubftituer la pitié à l'indignation , s'attacher
plutôt à ramener qu'à punir ceux qui
ont le malheur de lui déplaire ; & comme
le ciel fi fouvent irrité par toutes fortes
de crimes , avoir plus de tonnerres pour
OCTOBRE. 1758 . છે
épouvanter , que de foudres pour détruire.
Ajouterai-je ici que l'ambition , trop
ordinaire aux Souverains , de fe diftinguer
par les armes , doit les flatter beaucoup
moins , toute noble qu'elle eft , que le plaifir
d'être aimés de leurs fujets ? Qu'un
Prince prenne les armes ; il le doit fans
doute , furtout lorfqu'il s'agit d'enchaîner
l'audace de fes Voifins , & de garantir fes
Etats de leurs infultes ; qu'alors Général &
Soldat , il joigne à la vivacité du courage ,
ce qui feul fait les vrais Héros , une juftice
fans emportement,, un reffentiment fan's
vengeance qu'il calcule le prix du fang
pour le ménager ; qu'il tienne un jufte milieu
entre la précipitation téméraire & la
timide lenteur , qu'il craigne furtout de
groffir la tempête en voulant la conjurer ;
rien n'eft plus grand ni plus louable aux
yeux de l'univers étonné.
Mais fi dans le temps même que ce
Prince fe montre auffi hardi que s'il ne
pouvoit manquer d'être heureux , il épie
l'occafion de frayer un chemin à la paix ,
& qu'il immole fes fuccès au befoin de fes
fujets prêts à céder aux efforts de leur
zele , la gloire qu'il acquiert alors , quoique
moins brillante , & peut- être moins
eftimée n'eft-elle pas plus folide parce
qu'elle eft plus indépendante des hazards ,
>
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
& plus propre à faire honneur à l'huma
nité , parce qu'elle eft plus digne des éloges
d'une raifon éclairée ?
"
Les regnes les plus illuftres nous offrent
à la vérité peu d'exemples d'une fi ſage &
fi utile modération ; mais prefque de tout
temps , la valeur feule autorifa les Princes
provoquer celle de leurs Voifins. Il leur
fuffifoit d'être rivaux pour être ennemis ,
& ils brûloient de s'effayer les uns contre
des autres .
Il n'étoit donné qu'à notre fiecle de voir
le Chef d'une nation qui ne trouve rien
d'impoffible quand on n'exige d'elle que
de la valeur , éviter néanmoins la guerre ,
fans la redouter , ne l'entreprendre qu'à regret
, quoiqu'avec raifon , & n'en redoubler
la chaleur que pour parvenir plutôt à
l'éteindre .
Ainfi que ces grands fleuves qui ne font
jamais tant de bien que lorfque , foulevés
par la fureur des vents , ils fe courroucent
& fe débordent ; on diroit que ce Monar-
<que , irrité
irrité par l'injuftice de fes Voifins ,
ne porte la terreur dans leurs campagnes
que pour y faire renaître la confiance &
l'amitié , on diroit qu'il cherche plutôt à
combattre leur jaloufie , qu'à fe venger de
leurs hoftilités ; & que par une fiere &
intrépide clémence , toujours prêt à re
OCTOBRE . 1758 .
noncer à fes fuccès , il n'en attend d'autre
avantage que les offres d'une paix durable
, qu'il ne craint pas de devancer luimême
par fes defirs.
Faut-il donc s'étonner què fes peuples
lui ayent déféré le titre de bien aimé , titré
plus glorieux qu'aucun de ceux que les
meilleurs Empereurs de l'ancienne Rome
ayent jamais reçus , & qui doit être d'autant
plus cher à la nation qui l'a donné
qu'en lai faifant réellement autant d'honneur
qu'au Souverain qu'elle en a jugé digne
, il ne peut manquer d'exciter un jour
la plus noble émulation dans l'augufte poftérité
de ce Prince , dès qu'elle fçaura qu'il
eft des Héros de plus d'une forte , & que
celui qui fait fa principale étude de rendre
les hommes bons & heureux , n'a rien à céder
au Héros qui ne cherche à s'illuftrer
que par fes triomphes.
Heureux donc le Souverain qui , pour
s'attirer l'amour de fes peuples , ne néglige
rien de tout ce qui peut le lui méri
ter , & qui , dans ce deffein , s'attache à
ménager fes finances avec oeconomie , &
les répand à propos fans regret ; qui fe
plaît à careffer le mérite , & à le récompenfer
, & qui , forcé quelquefois de refufer
, fçait du moins obliger dans fes refus
même ; qui, s'appliquant à raccourcir l'in-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
tervalle qui le fépare du refte des mortels ,
les éleve jufqu'à lui pour mieux entendre
leurs plaintes , ou daigne defcendre jufqu'à
eux pour mieux connoître leurs befoins , &
qui enfin , par une autorité fans orgueil ,
& par une bonté fans foibleffe , obtient ce
que fa dignité même n'eft pas en droit
d'exiger , un amour d'eftime & de confiance
, qui , ne devant rien à la crainte ,
devient dans les coeurs où il s'eft formé ,
une espece de paffion d'autant plus forte ,
qu'elle eft approuvée par la raifon , animée
par la reconnoiffance , foutenue par l'inté
rêt , enflammée par le bien général de la
patrie.
C'eft cet amour qu'un bon Souverain a
le bonheur de voir paffer durant la vie ,
des peres aux enfans , & qui , devenant
dans ceux- ci comme un fentiment naturel ,
fe perpetue à jamais d'un fiecle à l'autre :
ainfi nous aimons encore les Trajan , les
Marc- Aurele , les Antonins ; la tendreffe
de leurs fujets , empreinte , pour ainsi dire ,
dans notre nature , eft venue jufqu'à nous
à travers les débris d'une foule de trônes
occupés par des Princes haïs ou mépriſés :
elle nous a été tranfmife avec la vie , &
ceux qui nous doivent l'être , la configneront
de même à leurs defcendans .
Il faut donc avouer que de tous lesbiens
OCTOBRE. 1758. 33
que poffedent les Princes , l'amour de leurs
fujets eft le plus digne de leurs recherches ,
& le plus capable de fatisfaire leur ambition
. Il est toujours temps fans doute de
leur en faire fentir les avantages ; mais c'eſt
particuliérement dans leur tendre enfance
qu'il faut leur en infpirer le defir. Semblable
à ces caracteres tracés fur l'écorce d'un
jeune hêtre , qui croiffent , s'étendent & fe
développent avec lui , ce defir dans le bas
âge , fe grave plus aifément dans leurs
coeurs , s'y déploye avec plus de force , & ,
fe mêlant à leur inftinct , devient avec le
temps comme une partie d'eux -mêmes.
Cette vérité établie , & à laquelle mon
fujet m'a conduit fans deffein , je reviens
à préfent fur mes pas , & je dis que, s'il importe
aux Princes mêmes de fe faire aimer
de leurs fujets , il eft encore plus indifpenfable
au commun des hommes de fe ménager
l'eftime & l'amitié de leurs femblables ,
& que ce doit être l'un des premiers principes
de leur éducation , parce qu'en effet
il n'en eft point de plus propre à les rendre
heureux , de plus capable d'entretenir l'ordre
& la paix dans le monde , & de faire
comme une feule famille de tous les citoyens
d'un Etat .
Bv
34 MERCURE DE FRANCE
LA BIENFAISANCE,
ODE à M. le Comte de Saint Florentin ;
Miniftre & Secretaire d'Etat , le jour de
Saint Louis , fa Fête.
REVEVEILLE-toi , lyre touchante ;
Unis tes accords à ma voix.
Que mon coeur parle fous mes doigts ::
C'eſt SAINT-FLORENTIN que je chante .
Vices , qu'on érige en vertus ,
Crimes de fplendeur revêtus ,
Non , ce n'eft pas vous que j'encenſe :-
Organe de la vérité ,
L'objet de ma reconnoiffance
Eft l'amour de l'humanité .
Toi , qui de la haute fortune
Fais l'honneur, le charme & le prix ; >
Toi , qui feul appaiſes les cris
De l'envieux qu'elle importune ;:
Délices des coeurs généreux ,
Noble foutien des malheureux ,
BIENFAISANCE , vertu féconde ,
Ton regne eft le feul immortel :
Du cahos tu tiras le monde ;
fut ton temple & ton autel.
OCTOBRE. 1758. 35
Devant toi marche l'Espérance
'Au doux regard , au front ſerein ;
Comme le feu diffout l'airain ,
Tu fçais vaincre l'indifférence.
L'orgueil lui- même eft fubjugé ;
Le mérite humble & diftingué ,
Te doit l'éclat qui l'environne ;
Pour toi tous les coeurs font ouverts
Les fleurs qui forment ta couronne
Sont les tributs de l'univers.
Au milieu des plaines fertiles ,
Tel un fleuve majeſtueux
Promene à replis tortueux
Ses ondes pures & tranquilles.
Couverts de riantes cités
Ses rivages font habités
Par l'induftrie & l'Hyménée ;
Près du travail on voit affis
Le calme & la paix fortunée ,
Dans la cabane de Baucis.
Ou tel ce globe de lumiere ; ab al
Reftaurateur de l'univers ,
De fes feux lancés dans les airs
Anime la nature entiere ;
Soit que fon foyer radieux ;
Immobile au centre des cieux ;
Attire & balance les fpheres ;
Soit que dans fon rapide cours
log
36 MERCURE DE FRANCE.
Il difpenfe aux deux émiſpheres
Les ans , les faifons & les jours.
Que dis-je ? ô puiffante Déeffe !
Ces eaux , ces rayons bienfaifans
Sont d'intariffables préfens
Que tes mains répandent fans ceffe :
Mere du tranquille repos ,
La douce vapeur des pavots
Eft un baume que tu diftilles ;
Tu nous infpires les defirs ,
Et par toi les befoins utiles
Donnent la naiffance aux plaifirs.
Dans l'univers rien ne profpere,
Que par tes foins , & fous ta loi .
Non , l'homme n'adore que toi
Dans les Dieux dont il eft le pere
Tes prodiges multipliés ,
Et fous mille noms publiés ,'
Reçoivent partout nos hommages .
La crainte a fes Dieux menaçans
Mais c'eft aux pieds de tes images
Que l'amour allume l'encens .
Devant le terrible Abramane
Je vois le Mage profterné ,
Implorer d'un oeil confterné
Le Dieu qu'en fecret il condamne.
Tandis que fa tremblante main
Par un facrifice inhumain
2
OCTOBRE. 1758. 137
Veut défarmer ce Dieu farouche ,
Saifi d'épouvante & d'horreur ,
L'humble priere eft fur la bouche ,
Le blafphême au fonds de fon coeur.
C'eft en vain qu'un peuple à la gêne
Baiſe la main qui l'a dompté ;
L'efclave eft bientôt révolté ,
Dès qu'il peut fortir de fa chaîne
Tout mortel , foible fans fecours ,
N'eft puiffant que par le concours :
Des foibles mortels qu'il s'attache ;
Lui -même il fert en commandant ,
Et le plus fier tyran nous cache
Un esclave humble & dépendant.
Silla , Tibere , Néron même
Eft forcé d'être bienfaisant
Du peuple lâche complaifant
Du Sénat arbitre fuprême :
Son empire injufte & cruel
N'eft que le pacte mutuel.
Qu'il a fait avec les complices.
Fléau des Romains abattus ,
Il eſt tributaire des vices
Pour être tyran des vertus.
Ainfi toute puiffance émane
Du droit qu'ont fur nous les bienfaits :
Soit que deftinés aux forfaits ,
Une indigne main les profane ;
8 MERCURE DE FRANCE
Soit qu'à la vertu confacrés ,
Hs la conduisent par degrés
Sur les pas d'un guide équitable ;
Le même afcendant leur eft dû
C'eſt la chaîne d'or de la fable ,
Qui meut l'univers fufpendu.
Quel eft donc cet orgueil ftupide
Qui joint la gloire à la fureur ,
Et veut qu'en' tous lieux la terreur
De l'autorité foit l'égide ?
Oppreffeurs de l'humanité ,
Le vent de la proſpérité
Vous fait voguer fur un abîme:
La forcé eft un fragile appui :-
Le fort change, & demain j'opprimer
Celui qui m'accable aujourd'hui..
Si jamais la race future
De la nature entend la voix ,
Si l'homme rentre fous les loix
De l'aimable & fimple nature
Poftérité , que diras-tu,
De voir fous le nom de vertu
Adorer un vain fimulacre ,
Et qu'en nos faftes odieux',
Le brigandage & le maffacre:
Elevoient l'homme au rang des Dieux ?
Du livre éternel de l'hiftoire "
Alors le verront effacés.
()
OCTOBRE. 1758. 3.9
Les noms de ces fiers infenfés
Bannis du temple de mémoire.
Mais toi , nom célebre à jamais ,
Nom confacré par des bienfaits
Dignes d'un éternel hommage ;
LOUIS , fymbole des vertus ,
Tu feras tranfmis d'âge en âge
Avec MARC- AURELE & TITUS.
On dira Sous ce nom propice
Les lys fleuriffoient autrefois !
Sous ce nom , la France eut des Rois
Qui faifoient régner la juftice.
L'un , de fes vertus décoré
D'un peuple fidele entouré,
Jugeoit fous l'ormeau de Vincennes 3×
L'autre , éblouiffant de fplendeur ,
Donnoit aux beaux Arts des Mécenes
Et leur imprimoit fa grandeur.
Celui-ci , glorieux fans fafte ,
Modefte au milieu des fuccès ,
Bannit de fon coeur les excès
D'une ambition folle & vafte ,
Bon Roi , bon pere , bon ami ,
Son trône n'étoit affermi
Que fur l'amour & la clémence ::
Tous les coeurs voloient à fa voix,
Etfur eux fon pouvoir immenfe.I
N'eut pour limites que fes loix.
40 MERCURE DE FRANCE,
Sous ce Roi fi digne de l'être ,
Dira-t'on , la France admira
Un Miniftre qui n'afpira
Qu'à fe rendre utile à fon Maître.
Du vrai courageux partifan ,
Il dédaigna d'un courtisan
L'art , les foupleffes & l'intrigue ;
L'équité régla fon pouvoir ,
Et fourd à la voix de la brigue ,
Il n'écouta que fon devoir.
On vit fa fageffe éclatante
Calme au milieu des factions ,
Comme le nid des alcions
Flotter fur la mer inconftante.
Sans orgueil , fans timidité ,
Il ne prit point pour dignité
Une hauteur froide & barbare ?
D'accorder il eut le talent ,
Et le talent encor plus rare
De rendre un refus confolant.
Ainfi fleurira la mémoire
Du nom immortel de Louis
De nos beaux jours évanouis
Ce nom rappellera la gloire.
Puiffe avec lui , dans l'avenir
Paffer le tendre fouvenir
Du zele qui pour toi m'infpire !
Puiffe , en publiant tes bienfaits ,
OCTOBRE. 1758. 41
La reconnoiffance m'infcrire
Parmi les heureux que tu fais.
MARMONTEL.
RÉPONSE à cette Question : Lequel eft
le plus fatisfaifant de fupplanter un Rival
aimé , ou de foumettre un coeur tout neuf.
Par Madame ***.
Je le fens , je le crois : il eft un bien fuprême
Qui naît de la douceur d'être aimé comme on
aime.
L'homme cherche bien loin le ſolide bonheur
Sans peine il l'eût trouvé dans le fonds de fom
coeur.
A l'ombre vaine & fugitive
Qu'il prend pour la félicité ,
L'imagination active
A feule donné l'être & la réalité ,
Et du mal & du bien la feule perſpective ,
Suffit pour éveiller fa fenfibilité.
Laiffons lui fon erreur : aux mains de l'efpérance .
Qui veut toujours livrer fon bien ,
Perd le doux fruit de fa perfévérance ,
Et rifque tout pour n'avoir rien.
C'eft pure illufion , chimere ...
Venons au fait dans l'art de plaire
Chacun penſe différemment ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Chacun agit conféquemment.
D'un esclavage volontaire
Si l'Amour eût laiffe le choix aux tendres coeurs ,
Du nombre des Amans vainqueurs
On eût retranché le volage ,
Qui d'un éclat trompeur tire ſa vanité ,
' De la féduction fe fait un badinage ,
Et peu touché du prix des Beautés qu'il engage ›
N'en connoît que la quantité ;
Mais on ne choifit pas : notre coeur rend les armes ,
Il eft frappé fans le prévoir.
Et foumis tout d'un coup , il adore des charmes
Que la veille il ne crut pas voir.
De ce je ne fçais quoi c'eſt le fatal ouvrage :
Ces traits plus fars que ceux de la beauté ,
Raviffent au plus fier courage
Jufqu'à l'espoir de liberté :
Heureux qui peut dans l'objet qu'il adore ,
Trouver un coeur neuf & tout fimple encore !
Heureux qui peut voir infenfiblement
Tout près du préjugé germer le ſentiment ;
Qui des avares mains de la pudeur rébelle ,
Arrachè une faveur , & voit rougir la belle !
Inftruit par les regards d'un Amant empreffé ,
Un jeune coeur apprend à fe connoître :
Si des tranfports naïfs qu'un moment
naître ,
11 fe fent tout à coup ému ,
Ce n'eft point par art qu'il s'obferve
a vu
OCTOBRE . 43 1758.
Et malgré lui trop long- temps retenu ,
Ce coeur fe livre fans réferve
Au charme d'un penchant jufqu'alors inconnu.
On n'a pas le plaifir d'inftruire
Un coeur par un autre enflammé ,
Et lorfque l'on cherche à détruire
Le bonheur d'un rival aimé ,
On ne réfléchit pas qu'une premiere flamme
Laiffe du moins au fonds de l'ame
Le fouvenir de fes tendres progrès ,
Et que l'on expoſe aux regrets
La délicateffe bleffée.
Très-fouvent pour un rien une Belle offenſée ,
Du préfent au paflé fait la comparaifon :
Dès ce moment vous ceffez d'être aimable ;
Un tiers lui plaît : la croira- t'on blâmable
De vous quitter ? Non , la Belle a raiſon.
Suppofons que votre tendreffe
Obtienne un fidele retour ;
Plaintes , larmes , dépit employés tour à tour ,
Exprimeront moins d'amour que d'adreffe.
Et cependant vous vous croyez heureux ;;
Vous prétendez jouir d'un bonheur véritable.
Pour avoir fçu chaffer un Rival redoutable !
Songez bien qu'avant vous il alluma ces feux
Qui font votre rare avantage.
Et quel est donc ce glorieux partage ,
Quelles font ces douceurs que vous nous vanter
tant a
44, MERCURE DE FRANCE.
Les reftes peu flatteurs d'un amour inconſtant.
Amans , Amans , fi vous voulez m'en croire ,
A des coeurs ignorans confacrez vos defirs :
Supplanter un Rival , peut donner plus de gloire ;
Inftruire un coeur tout neuf donne plus de plaifirs.
PORTRAIT
De l'Auteur des Vers précédens.
DANS ANS Paris eft une Circé
Qui ne reffemble point à cette Enchantereſſe
Dont le poifon fut renversé
Par les mains d'un Héros que guidoit la Sageffe :
Son art ne force point les aftres pâliffans
A quitter leur brillante route
Jamais les magiques accens
N'ont percé l'infernale voûte.
Ses enchanteméns font fes yeux
Sa grace , toute fa perfonne ,
Un efprit émané des Cieux ,
Efprit qui badine ou raiſonne ,
Et toujours à propos plaifant ou sérieux
Efprit fin , fans fonger à l'être ,
Et qui le montre d'autant mieux ,
Qu'il ne cherche point à paroître
OCTOBRE. 1758
CARACTERES diftinctifs de l'Esprit
& de l'Imagination, par M. N. P. F. de L.
'IMAGINATION , phyfiquement parlant ,
confifte dans un affemblage heureux des
organes du cerveau , dans une difpofition
naturelle du fang à une vive & prompte
fermentation , dans une ébullition , dans
un mouvement violent & convulfif des efprits
abondans qui donnent du reffort &
de l'activité à tous les fens.
Les organes font émus , le fang échauf
fé ; les efprits fe précipitent , un feu fecret
fe répand dans les veines , la fureur s'empare
du coeur , une divinité l'agite & l'embrafe,
i
Eft Deus in nobis ; agitante calefcimus illo :
Impetus hic facra femina mentis habet.
Des prodiges nouveaux font produits ;
la peinture , la fculpture , la mufique , la
poélie vont renaître , tout , en un mot , va
s'embellir dans la nature , &
Des arts la magique impofture
Fait éclorre un autre univers,
Tels font les effets de l'imagination
46 MERCURE DE FRANCE.
tels font les traits auxquels on ne peut la
méconnoître.
Mais n'allons pas confondre cet enthoufiafme
, ce délire , cette ivreffe , mere du
génie , qui enfante les grands tableaux &
les fameuſes productions du Pinde , avec
cette autre qualité de l'ame qu'on appelle
efprit.
Celle - ci eft plus douce & plus tranquille
; fes mouvemens font moins impétueux ;
la route qu'elle trace fut toujours celle de
la raifon. La frénéfie du poëte feroit une
démence véritable ; l'ivreffe des Muſes ne
différéroit pas de celle de Bacchus , fi l'efprit
ne tempéroit fes accès , & n'oppofoit
des barrieres à fes fougues & à fes caprices.
Rapprochons les nuances , peut- être les
caracteres feront plus faciles à faifir . Etre
frappé vivement par les images des chofes
fenfibles ; avoir le coup d'oeil rapide fur
les détails des objets qui nous environnent ;
être pénétré profondément par les impreffions
qu'ils occafionnent : voilà ce que j'ap
pelle avoir de l'imagination . Sçavoir s'élever
au-deffus des illufions des objets qui
nous touchent ; éprouver le plaifir qu'on a
d'être ému avec circonfpection & défiance ;
concevoir le danger de céder impétueuſement
à ces extafes fi féduifantes , & fçaOCTOBRE
. 1758. 47
voir l'éviter à propos : voilà ce que j'appelle
avoir de l'efprit.
S'agit- il de repréfenter le fentiment , de
le faire paffer dans l'ame de ceux qui nous
écoutent ; l'homme d'imagination eft fécond
en deſcriptions animées , en peintures
faillantes , en comparaifons heureufes
L'homme d'efprit , fans négliger l'ornement
& les fleurs qu'exige fon fujet , marche
d'un pas égal , écarte les difcuffions
inutiles , fe fert des expreffions les plus
précifes , les plus nettes , & qui conduisent
par le chemin le plus court au bur qu'il fe
propofe. L'un eft fertile en expédient ;
fouvent un beau défordre fait tout le mérite
de ce qu'il produit ; la mémoire qu'il a
fort vive , les paffions très- ardentes don
nent de fortes fecouffes à fon ame , & l'entraînent
ordinairement dans des écarts,
L'autre fçait fe pofféder , prend fon parti
à propos , & procede avec plus d'ordre &
de fuite. Le premier trouve plus de reffources
pour arriver à une fin ; le fecond
les fçait mieux choifir , & apporte toujours
plus de fermeté dans le choix qu'il en a ſçu
faire.
Dans le commerce de la vie civile , celui
qui fçait fe prêter au goût , aux paffions
, aux foibleffes de ceux qu'il entretient
; qui tantôt amuſe par des propos
48 MERCURE DE FRANCE:
rians , tantôt ravit par de vives faillies ;
qui fçait mettre dans tout ce qu'il dit de
la légèreté , de la délicateffe & de l'agrément
, a en partage les talens d'un homme
d'imagination ; celui qui , fans avoir égard
à la maniere de penfer & au caractere de
ceux qu'il a à inftruire , fe foutient dans le
vrai ; qui , toujours guidé par le flambeau
d'une jufte raiſon , ne fçauroit s'écarter du
vrai ; qui , toujours grand par lui -même ,
vit de fon propre mérite , & laiffe l'eftime
du vulgaire à la vanité , & les hommages
forcés de la fervitude , aux petits tyrans de
l'univers , c'eft celui que j'appelle un hom
me d'efprit.
Quand je diftingue l'homme d'efprit de
l'homme d'imagination , ce n'eſt pas que
je prétende le premier dépourvu d'imagination
, ni le fecond fans efprit ; ces qualités
fe trouvent prefque toujours réunies ;
mais je veux que l'imagination foit fubordonnée
à l'efprit ; qu'elle reçoive fes ordres
; qu'elle fe taife lorfque l'efprit lui impofe
filence. Souvent l'ame eft tranfportée
dans une région inacceffible aux fens la
raifon feule a droit d'y parler & d'entendre
: il n'eft plus alors queftion d'intéreffer
le coeur par des defcriptions , d'attacher les
fens par des peintures agréables.
Réflexions , images , fentimens , c'eft à
l'imagination
OCTOBRE.
1758 .
49
› par
l'imagination à les créer ; mais fans l'efprit
ce feroit un tumultueux affemblage de
mouvemens , de paffions & d'objets confus.
C'eft à l'efprit à diftribuer les chofes
dans leur ordre , & à en former l'affortiment.
Un édifice , dont les parties font
liées entr'elles , attire & fixe nos regards
par
l'enſemble de fes
proportions
l'harmonie des beautés qui y font répandues.
Tel eft dans tous les genres , & plus
particuliérement dans le
le mérite & l'effet d'une
ordonnance régu- genre littéraire ,
liere. Ce font les lumieres de l'efprit , &
non les tranfports d'une fougueufe imagination
qui la
commandent , la
conduifent
& la
perfectionnent.
EXTRAIT d'une Lettre d'un Gentilhomme
Anglois , ci -devant an ſervice de
France , à un de fes Amis à Paris .
Vous
paroiffez furpris ,
Monfieur , que
quelques fujets du Roi
d'Angleterre ayent
quitté le fervice de Sa Majefté Très -Chrétienne
; mais votre
furpriſe
ceffera dès
que vous fçaurez la caufe de leur démarche.
Le
Parlement de la
Grande-
Bretagne
a fait un Edit le
premier Mai 1756 , qui
11. Vol.
50 MERCURE DE FRANCE.
porte que tous les fujets Anglois qui ferviront
la France , ou toute autre Puiffance
étrangere , fans une permiffion expreffe de
jeur Roi , feront déclarés , depuis le 29
Septembre 1757 , coupables de haute trahifon
, & comme tels , punis de mort , s'ils
retournent jamais dans leur patrie. Il falloit
un motif auffi puiffant pour m'arracher
à une Nation qui conferve toute mon
eſtime ; mais c'eft de la mienne que je tirois
mes reffources. Le ciel nous redonne
bientôt la paix , & me mette par- là à portée
de vous rendre une vifite , & de vous renouveller
de bouche les fentimens tendres
avec lefquels j'ai l'honneur d'être , & c.
VERS.
ALLEZ mourir fur le ſein de Sylvie ;
Fragiles , mais heureuſes fleurs !
Un autre enviroir vos couleurs ,
Une fi douce mort eft tout ce que j'envie .. ;.
Quoi ! vous partez , chere ame de ma vie !
Vous partez , vous allez charmer d'autres climats !
Ce petit Dieu cruel qui s'attache à vos pas ,
Va , volant avec vous de conquête en conquête,
Par de nouveaux exploits fignaler votre fête ;
( Trifte fête ! où mes yeux ne contempleront pas
Vos céleftes appas ! )
:)
OCTOBRE . 1758.
52
Tous les Amours ſuivront vos traces ;
Vos yeux partout feront vainqueurs :
Vous poffédez toutes les graces ,
Vous
enchanterez tous les coeurs.
Cher objet ! vous fçavez fi le mien vous adore.
Joüiffez d'un bonheur charmant
Dans ces bois , ces jardins , le triomphe de Flore ,
Où les plaifirs pour vous & par vous vont éclorre.
Mais ne pourriez-vous donc , hélas ! un ſeul mo◄
ment ,
Songer avec quelque tendreffe
Au plus fidele des Amans ,
Dont le coeur alarmé s'occupera fans ceffe
Des bontés , des rigueurs , des yeux , des fenti
mens
De la plus belle des Déeffes ,
De la plus fiere des Maîtreffes ,
De la plus douce des Mamans ?
GAILLARD.
VERS par le même.
REINE des efprits & des coeurs ,
Mere des Amours & des Graces ,
Cet enfant vif& doux qui vole fur vos traces
Qui prend dans vos beauxyeux des traits toujours
vainqueurs ,
Ce Dieu que vous fuyez & qui vous fuit fans
ceffe ,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE:
Ce Tyran dangereux ... je l'invoque aujourd'hui.
Lui feul peut m'inſpirer , adorable Déeffe ,
Des vers dignes de vous , de moi- même & de
lui.
Dans des temps plus heureux Apollon moins févere
,
Efcorté des jeux & des ris ,
A daigné quelquefois fur mes foibles écrits
Verfer l'heureux don de vous plaire ;
Depuis que j'ai quitté Paris ,
Ces Dieux dont j'étois tant épris ,
M'abandonnent à ma mifere.
Ils m'ont ôté l'art de rimer ,
L'art de penfer & l'art d'écrire ,
Je ne fçais plus que vous aimer ,
Je ne fçais pas même le dire.
Et vous auffi , Madame , vous m'abandonnez
. Quoi ! pas un feul petit mot de
nouvelles , tandis que vous avez la cruauté
de m'avouer que tout Paris en fourmille ;
vous m'en envoyez généreufement quand
je ne vous en demande pas , & lorfque
vous voyez que j'en ai befoin , lorſque je
me jette à vos genoux pour en avoir...
Oh ! c'est une friponnerie inexcufable .
Quoi qu'il en foit , il paroît qu'on a la
Bonté de me retenir ici captif ; car aujourd'hui
que je comptois retourner à MontarOCTOBRE.
1758.
53
gis , on a eu la précaution d'envoyer le
Cocher de très - grand matin à Chamberjot
chercher je ne fçais quoi ; en fçais quoi ; en forte que ,
bon gré malgré , me voilà enchaîné au
château de Courtoifie , puifqu'il vous plaît
de l'appeller ainfi . Mais , que fais- je le
jour & la nuit ?
Je dors. Les deux flambeaux du monde
Sont témoins de ma paix profonde ;
Ils ont vu ( Dieu fçait de quel oeil )
Au lit , ou dans un grand fauteuil ,.
Végéter mon ame imbécille ,
Au monde , à foi-même inutile.
L'éternelle nuit du cercueil
Eft plus noire , mais moins tranquille .
Ce paffe-temps me plairoit fort :
J'honore & chéris la pareffe.
En vain aux fources du Permeſſe
Mon génie affaiffé s'élance avec effort ,
Et veut au moins par quelque ivreffe
Diftinguer la vie & la mort ;
Le grand jour l'irrite & le bleffe :
Sous le joug charmant qui l'oppreffe ,
Bientôt il fuccombe , il s'endort
Au fein de la douce molleffe.
Cependant je bénis le fort ,
Qui pour vous dans mon coeur nourrit une tendreffe
,
Que vos amans , que vos amis
C iij
44 MERCURE DE FRANCE.
N'égaleront jamais , & qui joindra fans ceffe
Les tranfports de l'amour aux fentimens d'un fils.
Recevez ce ferment pour le bonbon promis ;
J'adore avec reſpect , ô ma chere Déeffe ,
Votre efprit enchanteur , vos graces , vos attraits ,
Vos beautés fans défaut , vos vertus fans foibleffe :
Les chante qui pourra , je les fens , je me tais .
VERS
A Mile Pouponne de Molac , de TES
tival.
MA main vous offre une chanſon ,
Et mon coeur , le plus tendre hommage.
Ne craignez rien de ce langage.
Quoi ! vous rougiffez au feul nom
De l'hommage qu'on vous adreffe !
Gardez pour une autre faifon
Cette rougeur enchantereffe.
Vous redoutez de la tendreffe
Le traître & dangereux poifon :
Hélas ! que vous avez raiſon !
Belle Molac , un coeur fincere
Se donne fans réflexion .
Vos yeux n'ont que trop l'art de plaire ;
Mais la plus belle paſſion
N'eft qu'une étincelle légere ,
Qui brille * & s'éteint en un jour
OCTOBRE. 1758. 55
Si l'on pouvoit fixer l'amour ,
Qui , mieux que vous , le fçauroit faire a
La nature peu ménagere ,
Vous combla de mille agrémens ;
Une blancheur éblouiffante ,
Un port , des yeux , une bouche charmante
Un fouris enchanteur , mille appas féduifans.
Par ces beautés un coeur fe laiffe prendre :
On n'en eft pas féduit long - temps ;
Ce feu s'éteint , ou ceffe d'être tendre ' ;
Voilà l'ufage des Amans .
Je mets à plus haut prix un plus fidele hommage,
Mon eftime & mes fentimens.
C'eft cet efprit orné , ce font mille talens ;
Ce caractere heureux , vif , fans être volage ,
Ce coeur né vertueux , c'eft ce coeur qui m'engage.
Par le Montagnard des Pyrénées .
Cet ingénieux Anonyme m'a envoyé un
Conte dont il fçait bien que je ne puis
faire ufage ; je l'invite à m'en donner que
tout le monde puiffe lire.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Mademoiselle de J...
M. P*** mefit préfent du Recueil defes Fables,
pria Mademoiſelle de J. de me le remettre ;
c'est l'à-propos de ces Vers.
.
ENNUYE des productions ,
Qu'avec tant de pompe on érale ,
Sous le titre de fictions ,
Ou fous celui de traités de morale ,
J'allai tout droit au Dieu du goût.
Naïvement je lui contai ma peine ;
Il m'écouta de l'un à l'autre bout ,
Et ma plainte në fut pas vaine.
Tu cherches , me dit- il , les fleurs
Du fentiment & du génie ,
La grace à la leçon unie ,
Le fçavoir , l'enjouement , le refpect pour les
moeurs ,
Un jugement exquis , le feu de la faillie ?
Tu ne fçais où trouver cette heureuſe harmonie ?
De P *** lis les vers enchanteurs ,
Et vois fouvent la charmante Emilie.
Le Chev. de M. L. au R. de C..
OCTOBRE . 1758. 57'
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE
MONSIEUR , ONSIEUR , Comme votre Mercure embraffe
toutes fortes d'objets , vous jugerez
fi la Piece que je prends la liberté de vous
adreffer, eft digne d'y tenir une place : elle
le mériteroit à ne la confidérer que du côté
du coeur ; mais je fçais qu'il y a auffi une
autre façon d'apprécier les Ouvrages , &
c'eft ce qui autorife mon doute. Je le foumets
à votre décifion.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A. ANNEIX DE SOUVENEL , ancien
Bâtonnier des Avocats , au Parlement :
de Bretagne.
A Rennes , ce 15 Avril 1758 .
Mes yeux étoient couverts des ombres de la mort
Et mon coeur palpitant , ne refpiroit encore
Que pour céder bientôt au plus léger effort,
J'avois offert au Dieu que l'univers adore ,
L'inftant qui pour jamais alloit fixer mon fort ;
Je l'attendois fans crainte , & laiffois les allarmes
A la famille en pleurs , à l'ami confterné .
De quel fecours pouvoient m'être leurs larmes ??
Cheres, mais impuiffantes armes ,
Cy
58 MERCURE DE FRANCE .
Pour défendre un mortel au trépas condamné .
Mais tandis que je touche à mon heure derniere ,
Quelle main vient r'ouvrir ma mourante paupiere
,
Et prodigue de foins tempérés avec art ,
Sçait quitter au befoin la route du vulgaire ,
Pour ne rien donner au hazard ? ( 1 )
Quelle main à mon pouls jour & nuit attentive ,
Ne ceffe d'obſerver fes divers mouvemens ,
Et fçait mettre à profit les moindres changemens
?
C'est ainsi que rappelle une ame fugitive
Le Médecin qui cherche & faifit les momens :
Mais ce talent , cette prudence ,
Sont , grand Dieu des bienfaits de votre Provi
dence ,
Et lorfque cette heureuſe main ,
Par les efforts d'une humaine ſcience ,
Arrache la mort de mon fein ,
Je reconnois l'inviſible puiffance
Qui conduit l'Art du Médecin.
ن م
(1 ) M. Chevy, Chirurgien Penfionnaire des
Etats de Bretagne ( Eleve de feu M. Petit ) ,
Docteur-Médecin de la Faculté de Pont-à- Mouffon:
OCTOBRE. 1758. 59.
3
LE VOYAGE MANQUÉ ,
Conte par une Penfionnaire de Brest.
Zoź porta dans le monde ce début , qui
peint avec tant d'énergie une ame novice ,
qui dévore les objets , favoure les fenſations
, & s'ouvre avec fureur à tous les
goûts. Son maintien étoit l'image de la
plus ardente coquetterie ; le ramage étincelant
de cette fecte bizarre , qu'on appelle
les agréables , fembloit faire couler dans
fes veines un pétillement délicieux ; toute
fa perfonne enfin étoit l'expreffion du cahos
le plus tumultueux . Bientôt Zoë fit
honneur à l'aurore brillante qui l'avoit annoncée
aux êtres frivoles qui paroiffoient
l'avoir attendue pour s'agiter : il faut que
toutes les notions entrent à côté de tous les
penchans dans les ames comme celle de
Zoë ; car les leçons entortillées de fes maîtres
, ou , fi l'on veut , de fes eſclaves déguifés
, énigmes éternelles propofées au
menfonge de l'efprit par le menfonge du
fentiment , trouverent en elles cette docilité
lumineuse qui épargne les préceptes.
Zoë fautilla pendant quelque temps dans
le cercle étroit des plaifirs & des reffources
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE.
de Province ; elle l'épuifa. Le théâtre bril
lant de la capitale avoit toujours excité fon
ambition ; elle auroit voulu y porter fa
perfonne avec autant de rapidité que fes
defirs . Quelques- unes des difficultés , inventées
par le méfaife pour le fupplice de
la prétention , vinrent irriter fes projets :
cette Zoë qui paroiffoit avoir dans fa tête.
feule tout le feu volatile de Prométhée ,'
tomba dans une langueur qui la rendoit
méconnoiffable à elle - même ; le voyage
chéri qui confumoit fon ame , remua tous
les refforts de fon imagination , & l'exerça
vivement fur les expédiens. Zoë en trouva
un fort fingulier , qu'elle regarda comme
un miracle de la fineffe , & qui n'étoit cependant
que l'effet commun du pouvoir de
l'effronterie fur la bonté : elle s'extafia devant
la fubtilité de fa découverte , & porta.:
dans la capitale fes defirs , fes étourderies ,
fes efpérances & les tourmens de la prétention.
Quelques foupers faits dans une
de ces maifons équivoques , qui s'intitulent
gravement bonne compagnie , & qui
font le premier pas & l'afyle de la mauvaife
; autant de courfes aux Spectacles ,
champs de bataille ordinaires des lorgnetres
, des diftractions affectées & des lazzis
infipides ; deux vifites à un de ces phantomes
de la grandeur , qui ne font que la
OCTOBRE. 1758
réalité de l'indécence ; cet enfemble ridi
cule enivra Zoë , fut fon école & lui perfuada
bonnement qu'elle poffédoit tous les
tréfors du maintien , des gentilleffes & des
minauderies du bel air cette proviſion
brillante lui parut le plus élegant phénomene
à porter en Province . Son inquiétude
naturelle d'un côté , & la multiplicité
des rivales de l'autre , opéra fon retour
: il en eft des ridicules comme des talens
, ils fe nuifent dans la foule , & s'y
perdent. L'étalage le plus comique annonça
Zoë ; des fingeries rifibles , copiées avec
exagération , éblouirent les fots , & firent
des profélytes parmi les bégueules . Damon,
un de ces hommes qui , par une trempe :
d'efprit affez utile dans la fociété , font ,
pour ainfi dire , les Dom Guichotes du bon
ton , & le fléau du travers , fut impatienté
des progrès de la mauffaderie pétulante de
Zoë , & réfolut de lui faire perdre ſa vo--
gue ; il la pourfuivit & la démafqua , en
répandant fur elle ce perfifflage délié
doucereux & dulcipiquant , qui corrige
fi bien la fottife , en faifant femblant de
l'encenfer , & prouva à Zoë qu'il n'y en a
point de plus humiliante pour une femme
à prétentions qu'un voyage manqué.
Na.Jerends grace à l'aimable penfionnaire
de ce qu'elle m'a écrit d'obligeant en m'en62
MERCURE DE FRANCE.
voyant ce petit conte. Je fouhaiterois pou
voir lui donner des confeils qu'elle méri
te , en échange des éloges que je ne mérite
pas.
DE LA FORCE de la Nouveauté & de celle
de la coutume , par M. le M... is de Ga
à Béthune.
COMMUNEMENT la nouveauté plaît . C'eſt
l'effet de l'inconftance , de la légéreté , de
la foibleffe de l'homme , ou la marque de
fa grandeur & de fon élévation au deffus
de tous les êtres vifibles.
Le coeur humain eft fi grand , que rien
dans le monde ne peut le fatisfaire ; il n'y
a que le fouverain bien qui en puiffe remplir
la vafte capacité. Comme ce coeur ne
le poffede point fur la terre , il eft toujours
dans l'inquiétude , dans l'agitation , & ne
fait que voltiger d'objet en objet , fans en
trouver aucun qui le fixe & qui le contente
de-là vient qu'on eft avide & infa-
* tiable de nouveaux plaifirs , qu'on ne goûte
prefque plus ceux auxquels on eft accoutu
mé , ou qu'on y cherche des raffinemens de
délicateffe qui leur donnent le goût de la
nouveauté de-là vient que les plus bril- ;
OCTOBRE. 1758 . 63
lantes fortunes n'ont rien de fi charmant
pour ceux qui en jouiffent , à moins qu'elles
ne foient relevées par quelque nouvel
éclat , & que les perfonnes que l'on jugeroit
les plus heureuſes , afpirent à un plus
grand bonheur.
La légéreté , l'inconftance eft la fource
de cette étonnante variété de modes , dont
les anciennes ont paffé fi aisément , pour
faire place à de nouvelles , qui pafferont
de même dès qu'elles auront perdu l'agrément
de la nouveauté , & que d'autres fe
préfenteront fous cet appas : du même principe
eft venu la prodigieufe facilité qu'ont
eu de tous temps lesNovateurs à s'accréditer
parmi le peuple volage . Ils ont trouvé le
funefte fecret de plaire & de s'infinuer dans
les efprits par la nouveauté , même des erreurs
qu'ils débitoient . C'eft encore de - là
que font fortis les révoltes & les troubles ,
fi fréquens dans les empires les plus floriffans
; les peuples , par un effet de leur inconftance
, las de l'ancien gouvernement ,
cherchoient à fecouer le joug , & afpiroient
à la nouveauté. Dès que l'occafion fe trouvoit
favorable , un homme accrédité , hardi
& entreprenant , les faifoit paffer fans
peine à une nouvelle domination , dont
ils fe laffoient dès qu'elle ceffoit d'être
nouvelle.
64 MERCURE DE FRANCE.
9.
De tout ceci l'on pourroit conclure qu'or
dinairement il eft plus facile de faire paffer
les hommes de la coutume à la nouveauté ,
que de la nouveauté à la coutume : cependant
il y a de certaines coutumes qui
s'introduiſent fi aifément , & qui s'aboliſfent
fi difficilement , qu'on ne peut guere
décider en général , fi l'un eft plus facile
que l'autre.
?
Telle fut la coutume où étoient , dans
les premiers temps , les Eglifes d'Afie , de
célébrer la pâque le quatorzieme de la lune
de Mars , & celle des Eglifes d'Afrique ,
de rebaptifer tous les hérétiques qui fe
convertiffoient : ces ufages s'étoient établis
fans difficulté ; mais quelle peine n'eut-on
pas à les détruire que de difputes s'éleverent
à ce fujet , que de chaleur de part &
d'autre ! chacun s'imaginoit devoir foutenir
avec zele la poffeffion où il fe trouvoit
établi des Saints , même les plus illuftres
dans l'Eglife , des Evêques les plus diftingués
par leurs lumieres & leur éminente
vertu , fe tenoient fermes fur ce point ; le
fchifme étoit prêt à éclater , fi le parti le
plus jufte n'eût ufé d'une charitable condefcendance
, & d'une prudente modération
, en attendant qu'on pût calmer les efprits.
Ce ne fut qu'à force de temporifer
& de patienter qu'on vint enfin à bout d'a--
bolir peu à peu ces coutumes, auxquelles less
:
聊
OCTOBRE. 1758. 65
Aliatiques & les Africains étoient fi fort
attachés ; & pour les foumettre il ne fallut
pas moins que toute l'autorité de l'Eglife.
Quelles plaintes , quels murmures n'excita
pas encore contre lui S. Auguftin ,
lorfqu'il entreprit d'empêcher à Hypponne
les réjouiffances & les feftins nommés
Agapes, qu'on avoit coutume de faire dans
l'Eglife les jours de Fêtes , & qui dégénéroient
en débauche ? Il eut bien de la peine
, avec toute la force de fon zele & de
fon éloquence , tempérés par la douceur de
fa charité , à gagner les efprits , les ramener
à la raifon , & leur perfuader enfin
d'abandonner un ufage , qui tenoit plus de
la diffolution du Paganifme , que des vénérables
cérémonies de
l'EglifeChrétienne.
L'Hiftoire , tant facrée que profane ,
fournit quantité d'autres exemples qui
prouvent l'extrême difficulté d'abolir les
coutumes , lorfqu'elles font une fois bien
enracinées , furtout parmi le peuple groffier
, ignorant , fuperftitieux ; d'ailleurs ,
une trifte expérience ne montre que trop
combien on a de peine à renoncer aux habitudes
de jeuneffe , les plus mauvaiſes
c'est tout ce que peut faire la raifon de la
Religion que de les corriger. Les coutu →
mes qu'on a comme fucées avec le lait
forment une feconde nature ; de- là vient
66 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft difficile de les extirper.
Que réfoudre donc fur la queftion propofée
? Il paroît facile d'une part de charmer
l'homme par la nouveauté , & trèsdifficile
de fixer fon inconftance . De l'au
tre part , ce même homme femble fi fortement
attaché à la coutume qu'il eſt trèsdifficile
de l'en détourner pour le mener
dans une nouvelle route : le moyen de concilier
une telle contradiction ?
Le coeur de l'homme eft un abyfme impénétrable
; fes inclinations & fes paffions femblent
fouvent fe combattre , & rien n'eft
plus irrégulier que fes mouvemens . Effayons
, autant qu'il eft poffible , de débrouiller
ce cahos . Pour le faire nettement
& avec précifion , jé réduis à plufieurs propofitions
ce qu'il me paroît qu'on peut
dire fur cette matiere , & ces propofitions
peuvent fervir de regle de conduite pour
des occafions importantes .
Lorfque l'homme eft prévenu en faveur
d'une coutume , quelque peu raifonnable
qu'elle foit , il eſt difficile de le faire paffer
de cette coutume à la nouveauté ; l'homme
fe laiffe ainfi prévenir , foit par les préjugés
de l'enfance , foit par le torrent du monde
qui l'entraîne , foit par le refpect & la vénération
qu'il a conçus pour ceux dont il
tient la coutume , foit enfin par les charOCTOBRE.
1758. 67
mes des paffions qu'elle favorife . On fçait
la force de la prévention fur la plupart des
efprits , de quelque côté qu'elle vienne ; &
comme il y a peu de perfonnes qui n'y
foient fujettes , il y en a peu auffi qui ne
s'entêtent pour certains ufages , certaines
coutumes , dont on ne pourroit peut -être
jamais les diffuader.
Lorfqu'une coutume eft à charge ou indifférente
, & qu'on n'y tient que par de
foibles confidérations , on l'abandonne volontiers
pour paffer à la nouveauté , qui ,
pour lors , ne manque pas de plaire . Si l'on
fouffre d'une coutume , on cherche pour
l'ordinaire à s'en débarraffer ; & dès que
l'occafion s'en préfente , on ne la manque
pas , à moins que le refpect humain , la
crainte , ou quelqu'autre obftacle ne s'y oppofent.
Dans l'indifférence , on ſe laiffe emporter
à tout vent : pour fixer l'homme
autant qu'il peut être fixe , il faut l'intéreffer
par quelqu'endroit .
Les mauvaiſes coutumes font ordinairement
les plus difficiles à extirper : la raiſon
en eft, qu'elles favorisent le penchant naturel
au mal , qu'on ne manque guere de trouver
des prétextes fpécieux pour les colorer ,
& qu'on veut , à quelque prix que ce foit ,
les juftifier & les foutenir . La prudence
eft alors néceffaire , pour ne pas révolter
68 MERCURE DE FRANCE.
,
les efprits ; la douceur , pour les gagner
la force & le courage , pour les dompter.
Il n'eft pas moins difficile de changer les
coutumes qui , par le temps , ont pris force
de loix dans les corps , les Communautés
les Villes , les Provinces , les Etats : fi quelques
particuliers y confentent le plus
grand nombre s'y oppofe , & c'eſt ordinairement
une fource de divifions & de défordres.
Ces coutumes font , ou bonnes ,
ou indifférentes , ou abufives . Quand elles
font bonnes , il faut bien fe donner de garde
d'y toucher , fût - ce même pour en établir
de meilleures , à moins qu'on ne voie les
efprits bien difpofés à les recevoir ; autrement
le zele ne feroit pas felon la fcience ;
& , dans l'intention de procurer un plus
grand bien , onferoit un très - grand mal en
irritant les efprits & allumant le feu de la
divifion,où fe trouvoient le calme & la paix .
Il en faut ufer de même , & par les mêmes
raifons , à l'égard des coutumes indifférentes
la grande difficulté eft lorfqu'elles
font abufives ; pour lors il faut examiner fi
les abus font tolérables , ou intolérables ;
ils font tolérables lorfqu'ils ne vont pas
la ruine de la difcipline & du bon ordre
ou du moins à un grand dérangement : fi
l'on juge qu'en voulant fupprimer de telles
coutumes , on trouveroit trop d'obfta
à
OCTOBRE . 1758. 69
cles , & qu'il en arriveroit plus de mal que.
de bien ( ce qui fe rencontre fouvent ) , la
prudence dicte qu'il vaut mieux les tolérer :
quand les coutumes font tellement abufives
, qu'elles font intolérables , il faut encore
ne rien précipiter ( trop de chaleur &
de vivacité gâte tout ) , mais tenter d'abord
toutes les voies de douceur , pour gagner
les efprits par la perfuafion , & n'ufer de
rigueur qu'à la derniere extrêmité .
pure
Les coutumes qui ne font que de civilités
, de politeffes , de bienséance , varient
aifément , parce qu'elles font d'ellesmêmes
affez indifférentes ; elles ont à peu
près le même fort que les modes où l'on
aime la nouveauté.
La nouveauté qui a été reçue aifément
paffe auffi aifément en coutume , à moins
qu'il ne furvienne bientôt une autre nouveauté
qui plaife encore davantage : les
hommes infatués de la nouveauté , s'y attachant
, l'habitude fe forme , & ils ne la
quittent point qu'ils n'en foient dégoûtés
par quelques nouvelles fantaisies qui les
charment.
La nouveauté , qui s'introduit difficilement
, paffe auffi difficilement en coutume ;
la même peine que les hommes ont eue à
recevoir une nouveauté , empêche qu'ils
ne s'y accoutument ; il faut bien du
temps
70 MERCURE DE FRANCE.
pour furmonter leur répugnance , & leur
faire prendre l'habitude de ce qui leur a
déplu d'abord.
Toute nouveauté , en matiere de religion
, eft odieufe , ou au moins fufpecte
aux perfonnes qui y font véritablement
attachés ; c'eft avec grande raifon qu'ils ne
veulent point donner dans ces dangereufes
nouveautés : ce qui a été cru dès le commencement
, doit être cru dans tous les
fecles fans changement & fans innovation.
La regle des moeurs eft invariable ; elle ne
fouffre ni altération , ni diminution , ni
inflection.
Les efprits foibles , volages & inconftans,
& les prétendus efprits forts, font faciles
à paffer aux nouveautés les plus abfurdes
dans les dogmes & dans la morale ; les
uns & les autres n'ont rien qui les fixe. Les
premiers font prêts à tout croire ; les feconds
doutent de tout , & font les jouets
du caprice & de la bizarrerie.
L'homme paffe aifément à la nouveauté
dans la difcipline , & de la nouveauté à la
coutume , lorfque l'une & l'autre favorifent
le relâchement ; mais il eft très - difficile
de le faire paffer au renouvellement &
à la réformation des moeurs , parce que
cette réformation le gêne & le contraint ;
au lieu qu'il aime le relâchement qui le
OCTOBRE. 1758. 7 ፤
laiffe dans une pernicieuſe liberté.
-La plupart des hommes courent après la
nouveauté , & l'embraffent , quelque rebutante
qu'elle foit en elle- même , lorf
qu'elle fe pare d'un extérieur de zele ,
d'austérité , de réforme qui la fpiritualiſe
& la divinife en quelque forte à leurs yeux,
Quand de nouveaux ufages , de nouvelles
maximes ont une fois pris pied , & que
chacun s'en accommode , il est très- difficile
de ramener les hommes aux anciennes
coutumes qui font alors décréditées dans
leurs efprits ; c'eft pourquoi il eft d'une extrême
conféquence d'arrêter dès le commencement
toute nouveauté dangereufe ;
fi on lui laiffe le temps de s'établir & de
fe fortifier , le mal deviendra prefqu'incurable.
Le mot de l'Enigme du premier volume
du Mercure d'Octobre eft les Cabriolets,
Celui du Logogryphe eft Démangeaison ,
dans lequel on trouve dé , Ange , démon
Agnès , fein , neige , Manon , Gonin , Adam,
amande , amende , peine , égide , geai , âne
anon , fon , fonge , Agis , menfonge , maiſon ,
nid , Ganimede , mignon , nazon , Jaſon
Efon , nain , fang , gain , fiege , manege ,
image , agonie , genie , demain , ami & amic,
72 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
DANS moi mieux que dans un miroir ;
Même fans yeux on peut tout voir.
Défiez-vous pourtant de ma glace infidelle ;
Car fi , pour m'aimer trop , vous ne confultez
qu'elle ,
Rarement vous verrez ce que les autres font ,
Plus rarement ce que vous êtes.
Je fais de tout plaifir & de toutes les fêtes.
Les Arts dans leur naiffance & dans tout ce qu'ils
font ,
Me découvrent à tous , quoique toujours cachée :
Leur gloire est à mon fort, à ma gloire attachée .
Des grands crimes fouvent je fuis l'occaſion.
Plus d'un mortel me doit fa réputation.
Le bonheur des humains dépend de mes caprices.
Mais admirez comment je fçais les rendre heureux
?
Ils rencontrent dans moi la fource des délices ,
Sans qu'il m'en coûte rien que de me jouer d'eux. ,
Bien plus , je leur ravis les plaifirs qu'ils poffedent :
Ils ne murmurent point d'un fort fi rigoureux ;
Pour des illufions de bon coeur ils les cedent.
Que l'on eft malheureux quand on vit fous ma
loi !
Plus malheureux encor qui peut vivre fans moi!
Toutefois
OCTOBRE . 1758. 73
Toutefois de mes foeurs brez-moi la plus fage ,
Vous ceffez de fouffrir fans changer d'esclavage.
Afin qu'à mes enfans je puiffe faire un nom ,
Quelque temps à la gêne , il faut que je les laiffe.
La nuit comme le jour , je travaille fans ceffe :
Le jour , à ce qu'on veut ; la nuit dans ma priſon ,
Je fuis de mon deftin entiérement maîtreffe.
Pour me trouver , Lecteur , redouble tes efforts.
Je fuis toujours errante , & jamais je ne fors.
LOGOGRYPHE.
Tour Général me place au rang de fes vertus :
Je fervis à Céfar auſſi- bien qu'à Pyrrhus.
Dans mon nom , cher Lecteur , ( & la chofe eft
aifée )
Tu peux trouver celui du Vainqueur de Pompée ;
Une Ville d'Afie , où montra fa valeur
Ce François ( 1 ) , d'un lion généreux bienfaiteur ;
Ce que verfoit aux Dieux le jeune Ganymede ;
Ce vieillard qu'honoroient Achille & Diomede ,
Le pere de Jacob , le pere de Memnon ,
Ville dont triompha le grand Agamemnon ,
Deux Philofophes Grecs , un Guerrier dont fa
France
(1 ) Geoffroy de la Tour , fameux par son avenzure
avec un lion , qu'il délivra d'un effroyable
ferpent.
II.Vol. D
14 MERCURE DE FRANCE.
Eftima le courage autant que la prudence ;
Du monde une partie qu'illuftrerent jadis
Les talens des Cyrus & des Sémiramis';
Un célebre Orateur ; une belle Françoife ,
Trop brillante d'appas , Lecteur , pour qu'on les
taiſe ;
Cette Ville où naquit le fameux Tamerlan ;
Un Héros , la terreur de l'Empire Ottoman ;
L'émule & digne fils du brave Miltiade ;
Reine que fçut charmer le bel Alcibiade
Pour tout dire en deux mots , Lecteur , je fuis un
Art
...
Mis dans le plus beau jour par Maurice ( 1 ) &
Folard .
Par M. DE LANEVERE , ancien Monfquetaire
du Roi.
A Dax , le 5 Août 1758.
S
(1) Lefeu Maréchal- Comte de Saxe.
OCTOBRE. 1758. 75
POT- POURRI
Sur l'Expédition des Anglois en Bretagne ,
Sur des Airs connus.
ALLONS , dit le fier Anglois ,
Nous enivrer en Bretagne :
On y boit à peu de frais
Le Bourgogne & le Champagne.
Nous y voilà ; débarquons :
Les François font en campagne.
Nous y voilà ; débarquons
De loin nous nous en moquons.
MES chers Voifins
Dit le Breton leur Hôte ,
Jamais raisins
N'ont meuri fur la côte ;
Mais
La marée eft affez haute ,
L'eau ne nous manque jamais.
A BOIRE , à boire , à boire ,
Nous quitterez -vous fans boire ?
Nous quitterez - vous fans boire un coup ?
Nous quitterez-vous fans boire ?
Nota. J'ai reçu plufieurs Ouvrages fur le
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
même fujet , mais trop tard pour les in
férer dans ce volume .
CHANSON
Sur l'Air , Babet , que tu es gentille !
Portrait de Madame de **.
LA Rofe du matin
Qui ne fait que d'éclorre ,
Moins fraîche que fon tein ,
A moins d'éclat encore ;
Jeuneffe & candeur ,
Fineffe & douceur ,
Elprit , fans y prétendre :
Elle eft belle fans le fçavoir
Séduifante fans le vouloir ,
Egale du matin au ſoir :
Que n'a- t'elle un coeur tendre !
"Que n'a-t'elle un coeur tendre !
OCTOBRE. 1758. 77
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite de l'Extrait du Voyage d'Italie , par
M. Cochin ( 1) .
BOLOGNE. La famenfe Ecole de Bologne ,
connue fous le nom de l'Ecole Lombarde ,
la rendra célebre à jamais. En effet , c'eft
par elle que la Peinture eft arrivée au plus
haut degré de perfection . L'Ecole Romaine
avoit déja donné les exemples de la grande
maniere & de la fublimité du deffein ;
mais tout le fecours qu'on en tiroit , fe
bornoit à l'imitation de Raphaël , qui ,
quoique le plus grand homme qu'il y ait
eu dans la Peinture , fi l'on confidere l'enfance
d'où il l'a tirée , n'eft cependant pas ,
fi on ofe le dire , le plus grand Peintre qui
ait exifté. Ses Eleves , quoique plufieurs
d'entr'eux foient du premier ordre , trop
affujettis à fa maniere , ne tentoient aucun
(1 ) Je ne crains pas que l'on trouve trop long
cet excellent cours d'étude en peinture. Que n'aije
fouvent dans tous les Arts de pareilles leçons à
donner aux Amateurs & aux Eleves !
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
des chemins qu'il ne leur avoit point en
feignés , & ne connoiffoient d'autres beautés
dans la peinture , que celles qu'il avoit
eues en partage. C'eft aux Carraches & à
leurs dignes Eleves , qu'on doit l'art de la
Peinture complet dans toutes fes parties.
Raphaël avoit fans doute porté au plus haut
degré la pureté du deffein , la nobleffe des
idées , la beauté des caracteres de têtes ,
la fimplicité & l'élégance des formes , le
choix des figures , celui des draperies , &
la compofition particuliere des grouppes ;
mais il n'avoit point connu les grands
effets que peuvent produire le clair obfcur
& l'intelligence du jeu de la lumiere . On
ne voit prefque point en lui cet art d'agencer
une grande compofition , de maniere
qu'on n'en puiffe rien extraire fans
la décompofer , & qu'elle produife un enchaînement
de lumieres & d'ombres qui y
laiffe de grands repos. L'amour du grand
l'avoit prefque toujours entraîné à fupprimer
ces beaux détails de vérité , qui font
retrouver la nature connue quoiqu'embellie.
Enfin , fi l'on ofe le dire , il avoit ignoré
l'art de faire des tableaux , dont le tout
enfemble fît le même plaifir que chacune
des parties prifes à part. Son Ecole , en
confervant fa grande maniere , n'auroit
connu que l'art du deffein , & feroit déOCTOBRE.
1758. 79
générée dans la repréfentation d'un beau
idéal , qui n'auroit prefque en rien tenu
à la nature , & le vrai charme de la peinture
qui eft le coloris , l'harmonie & l'accord
général du tableau , feroit peut- être
encore à trouver . Les Carraches , après
avoir étudié l'antique & les plus grands
maîtres du temps , comprirent que la nature
étoit le véritable objet d'imitation ,
& que les fuppofitions d'un beau qui lui
feroit fupérieur , étoient en Serai chimériques
. Ce font ces principes qu'ils ont
donnés à leurs Eleves , par le fecours defquels
ils ont furpaffé leurs maîtres , & d'ou
l'on a vu fortir les chef- d'oeuvres de Peinture
, qui font aujourd'hui l'objet de notre
admiration & de notre imitation . On voit
dans les principaux Maîtres de cette Ecole ,
une vérité qui fait croire que c'eft la nature
telle qu'on la connoît , quoiqu'il foit
vrai qu'on n'en trouve prefque point
d'auffi parfaite. Annibal , dans fes plus
beaux ouvrages , ne peut- être furpaffé
pour le deffein & le caractere grand &
reffenti qu'il y a fçu donner ; perfonne
n'a traité les raccourcis avec plus d'art
lui . On y trouve cette fermeté & cette
franchiſe de pinceau , qui , fi l'on en
excepte le Correge , étoit affez inconnue
avant lui : on peignoit avec foin ou par
que
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
hachures ou fondu , mais il ſemble qu'on
ne fçavoit point y laiffer cet air de négligence
, qui eft une des plus agréables
féductions de l'art , lorfque la jufteffe de
l'exécution n'en fouffre pas. Il ne dédaignoit
point de profiter de ces détails de
la nature la plus commune , qu'auparavant
on croyoit devoir fupprimer , & qui
font fi beaux , lorfqu'ils font traités d'une
maniere grande & facile. Les mêmes
beautés fe trouvent dans Louis Carrache ,
quoiqu'à la vérité , déparées par une
couleur beaucoup plus trifte , & par une
maniere plus appefantie : mais perfonne
ne l'a furpaffé pour la belle maniere de
draper & le beau choix des plis. On
trouve des tableaux d'Auguftin , qui font
pareillement remplis de beautés , mais
ce qui met le comble à la gloire de ces
grands hommes , ce font les Eleves qu'ils
ont formés.
Le Dominicain , fi admirable pour la
fcience & la pureté du deffein , pour la
fimplicité & la beauté des caracteres de
têtes & des ajuftemens , & pour le naturel
des attitudes.
On admire en lui cette perfection de
fini qu'il a mis dans la peinture des grands
fujets , que trop fouvent on croit devoir
être traitée avec trop de négligence. Dans
OCTOBRE. 1758 .
ceux de ſes tableaux qui font les plus eftimés
, on peut remarquer des têtes auffi
.finies que des portraits
, fans cependant
qu'il y ait rien de mefquin par l'art
avec lequel ces détails font fubordonnés
aux grandes maffes. Difons- le en paſſant ,
il paroît que c'eft l'opinion erronée où
l'on a été , que la peinture d'hiftoire n'admet
point les détails de la nature , qui a
amené en France la diftinction des ta-
Lens de cette peinture , d'avec celle en
portrait ; divifion que les grands Maîtres
n'ont point connue. De- là s'eft enfuivi ,
que , d'une
part , l'on a exigé dans le por
trait un fini trop fervile , qui fouvent le
rend mefquin , & qu'on a trop laiffé aux
Peintres d'hiftoire , la licence de ne produire
que des à peu près fans détail , &
fouvent fans fcience de la nature. Ce qui
fait le fini d'un tableau , n'eft point le
fini du pinceau , c'eft plutôt le compre
rendu avec exactitude , quoique ſouvent
avec une négligence apparente de toutes
les formes & les furfaces de la nature ;
il y a des tableaux que les gens fans
connoiffance appellent finis , où il rmanque
prefque tout ce qu'un Peintre qui connoît
bien la nature & le fonds de fon
art , auroit mis dans une fimple ébauche .
Le Dominicain peche fouvent par la fé-
4
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
chereffe de fon exécution , & par la foibleffe
de fon coloris : quelquefois les
objets manquent de rondeur. Cependant
il y a des tableaux de lui où ces défauts
ne s'apperçoivent prefque point , & il eft
difficile de colorer d'un ton plus vrai ,
& de mieux peindre que le font les
principales parties , & particuliérement
les têtes du Martyre de Sainte Agnès , à
Bologne , & de celui de Sainte Cécile ,
à Roine. Il est vrai que les ouvrages de
ce maître , portés à ce haut degré d'excellence
, font en petit nombre , mais auffi
ce font des chef- d'oeuvres .
Le Guide a réuni toutes les parties
de la Peinture , & l'on peut dire que
fes principaux tableaux font plus tableaux
, s'il eft permis de fe fervir de
cette expreffion , & plus complets en tout ,
qu'aucun de ces Peintres qui ont exifté
avant & peut- être depuis lui. On y trouve
un deffein correct , plein de graces &
de fineffes ; les plus belles têtes qu'on
puifle imaginer , particuliérement celles
des femmes & des jeunes hommes , &
perfonne n'a pu le furpaffer , ni peut- être
même l'égaler , dans la jufteffe , la nobleffe
& la naïveté qu'il a fçu y donner. Son
coloris eft d'une fraîcheur & d'une beauté
admirables, furtout dans fon meilleur tems,
OCTOBRE. 1753. $ 3
2
quoiqu'il ait eu depuis , le défaut de faire
les ombres trop verdâtres. Ses demiteintes
font toujours admirables . S'il manque
de caractere dans les figures d'hommes,
combien ce défaut n'eft-il pas réparé
par la fatisfaction que donnent les graces
qu'il fçait répandre fur tout ! Peu de
Maîtres lui peuvent être comparés pour
la beauté du pinceau. Sa touche eſt toujours
fpirituelle , facile & cependant exacte,
Nul n'a traité les draperies mieux que
lui ni d'un pinceau plus net , & d'une
exécution auffi détaillée fans fervitude .
Tout y eft formé avec jufteffe , & du plus
beau choix . L'accord général du tableau
& une harmonie douce , font un des
caracteres diftinctifs de cet excellent Peintre.
Cette partie de l'art a fans doute été
portée depuis par d'autres Maîtres à la
même perfection ; on pourroit dire même
à un plus haut degré mais elle ne s'eft
point trouvée jointe à un fi bel affemblage
des parties effentielles de la Peinture
qu'il a réunies. Il feroit difficile
de citer un tableau auffi parfait en tout ,
que celui qu'on voit de lui à Bologne ,
dans le Palais Sampieri , & dont nous
avons parlé , qui repréfente S. Pierre pleurant
: il ne laiffe rien à défirer.
༄་ ་ ་
3
$
Pour achever l'éloge de ce Maître , on
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
peut ajouter que , quoique Raphaël l'ait
furpaffé pour la fublimité des caracteres
de têtes & la grandeur des idées ; qu'Annibal
& le Dominicain aient quelque chofe
de plus grand dans leur maniere de deffiner
; que le Correge , le Titiano , Vandick.
& Rubens , foient plus grands coloriſtes ,
néanmoins , il eft peu d'Artiftes à qui fi ,
par fuppofition , on donnoit le choix des
talens qu'ils défireroient pofféder , fans
leur permettre de réunir ceux qui font
difperfés en différens Maîtres ; il en eft
peu qui , fe rappellant bien le plaifir que
leur ont donné les ouvrages du Guide ,
ne préféraffent les fiens.
Quelle fierté de caractere , quelle force
& quel moelleux de pinceau , quelle vigueur
de coloris , & quelle hardieffe de
tons ne préfente pas le Guercino ? Quels:
beaux caracteres de tête ne voit- on pas
dans fes tableaux ? Elles ne tiennent d'aucuns
des Maîtres qui l'ont précédé , ni de
fes contemporains . Ce qu'il a lui eft propre
, c'eft la beauté mâle & toute la force
de la peinture. Combien ne voit- on pas
de belles chofes de lui à Bologne ? Mais
furtout quel prodigieux tableau que celui
de Sainte Pétronille à Rome ? & que peuton
lui comparer ? Perfonne n'a traité la
frefque avec un coloris fi fier & fi beat ,
OCTOBRE. 1758.
& il n'eft point de peinture de ce genre
qui approche de celles qu'on voit du Guercino
à la Villa Ludovici , à Rome & à Plaifance.
Sur quoi il eft à remarquer que les
Peintres à qui l'on peut reprocher d'être
un peu noirs à l'huile , font ceux qui
peignent le mieux la frefque , qui , par
elle- même , manque ordinairement de force
& d'harmonie.
L'Albani moins ingénieux & fouvent
même froid dans la compofition , moins
colorifte & prefque fans fraîcheur dans les
demi-teintes , moins caractériſé & moins
fçavant dans fon deffein , a cependant été
mis par la poftérité au même rang que ces
Maîtres par un talent qui lui eft propre ,
tant il eft vrai qu'une feule partie effentielle
de l'art portée au plus haut degré de
fublimité , fuffit pour acquérir la plus
grande gloire. La pureté & les graces du
deffein furtout dans les belles têtes qui
lui font particulieres , feront toujours un
objet d'admiration . Si le guide ne laiffe
rien à défirer pour les graces fines , naïves
& délicates , Albani fe diftingue par les
graces nobles , fages , régulieres. C'eft la
vraie beauté dont le modele n'eft point
connu dans la nature , quoiqu'elle en préfente
plufieurs approximations. -
C'eft à Bologne qu'on peut voir les plas
哥86 MERCURE DE FRANCE.
༢
beaux ouvrages de ce grand Maître : ceux
qu'on trouve de lui ailleurs ne font pour
la plupart que des tableaux de chevalet.
Les mêmes beautés s'y découvrent , mais
elles font bien plus fatisfaifantes lorfqu'on
les voit déployées dans des figures de grandeur
naturelle.
Cette ville n'eft pas moins curieufe
pour les Amateurs de la peinture que celle
de Rome , & quoique cette derniere contienne
une plus grande quantité de tableaux
, & qu'on y voye des ouvrages de
tous les grands Peintres d'Italie , néanmoins
celle de Bologne avec fa fenle école
, & les chef- d'oeuvres qui en font fortis ,
peut fe comparer à elle , & même l'emporter
à quelques égards . Non feulement
c'eft dans fon fein que fe font élevés les
Maîtres les plus célebres de l'Italie , mais
encore les ouvrages qu'elle conferve d'eux
font ce qu'ils ont produit de plus parfait ;
d'ailleurs combien de morceaux n'y voitpas
de
de répur
Maîtres
qu'à la vérité la grande
réputation de ces premiers a en quelque
façon laiffés dans l'oubli , mais qui
néanmoins font du premier ordre : Tels
font le Cavedone , Tiarini , & tant d'autres
dont les ouvrages font cités dans ce
livre avec éloge. On ne craint point d'avancer
qu'un long séjour dans cette ville
OCTOBRE. 1758. $7
pourroit être auffi utile à former un Peintre
, que celui de Rome. On peut confier
fon inſtruction aux Carraches , lorfqu'on
voit quels Eleves ils ont formés , & combien
ces Eleves font différens les uns des
autres , & nullement efclaves des manieres
de leurs Maîtres. C'eft fans doute une
des chofes qui étonnent le plus que cette
diverfité de belles manieres venant de la
même fource . Elle fait bien l'éloge de la
fçavante maniere d'enfeigner l'art qu'ont
employé ces trois grands Maîtres : ils ont
donné la nature pour exemple , & ont fçu
prévenir leurs Eleves contre tout préjugé
en faveur de leur maniere de la voir : on
en concevra d'autant plus la rareté , qu'on
fera d'attention aux autres célebres écoles
d'Italie. L'école de Raphaël a fuivi fi exactement
la route du Maître , qu'on trouve
en Europe plus de tableaux qu'on peut
donner fous fon nom avec vraisemblance ,
qu'il n'en auroit pu faire quand il auroit
joui de la plus longue vie . L'école Vénitienne
préfente prefque partout la même
couleur , & en beaucoup de chofes le même
caractere de deffein. Il en eft de même
de l'école Flamande , furtout en ce qui
concerne les Peintres en grand , qui femblent
tenir tout de Rubens : mais l'école
de Lombardie offre la réunion des plus
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
grandes parties de l'art , & les manieres
les plus belles & les plus variées .
VENISE. L'école Vénitienne eft célebre
dans la peinture par la beauté du coloris.
Les grands Maîtres dont elle fe glorifie ,
font vraiment les Peintres de l'Italie les
moins affujettis à la correction du deffein ;
mais plus remplis d'enthoufiafme dans
leurs compofitions , plus fçavans dans ce
qui concerne l'intelligence de la lumiere ,
& plus hardi dans les oppofitions , ils ont
employés fans crainte les plus vives conleurs
de la nature , & les plus beaux tons ,
c'est- à- dire , les charmes les plus féduifans
que la peinture puiffe offrir. Le Tifiano , le
Peintre le plus fameux de cette école , eft
certainementle plus grand colorifte qui ait
exifté. Quoiqu'on puiffe , à bien des égards,
lui comparer Rubens , on peut dire néanmoins
que la magie de fa couleur eft encore
plus admirable & plus vraie . Il n'a
pas toujours été égal , & l'on trouve en
Italie plufieurs tableaux de lui , qui , quoique
remplis de beautés , préfentent cependant
quelque féchereffe mais c'eft à Venife
que l'on voit le plus grand nombre
de fes ouvrages & de fon meilleur temps.
Là il eft d'une largeur de pinceau admirable
& du plus parfait coloris. On peut
encore admirer en lui la vérité , la jufteffe
་
:
OCTOBRE . 1758. 80
& le caractere de fon deffein , qualité fort
rare chez les Coloristes.
Il n'y a point de Maître plus étonnant
que le Tintoretto. L'enthoufiafme de fon
génie & la fureur de fon pinceau font au
deffus de toute comparaifon , il paffe toutes
les bornes de la raifon , & cépendant
l'on ne peut fe refufer aux fentimens d'admiration
qu'il excite : on ne le connoît
véritablement qu'à Venife , & ce que l'on
voit ailleurs de lui femble ne donner que
l'idée de fes défauts ; car il n'eft véritablement
grand que dans les grandes chofes
qu'il a exécutées avec tout fon feu. L'on
y trouve , avec le faire le plus étonnant, la
plus belle intelligence de lumiere , & les
tons de coloris les plus beaux & les plus
hardis .
La fureur de fon génie & de fon imagination
n'a point de pareille , & il n'y a
point de Peintre qui l'égale dans cette
partie : il l'a portée même quelquefois au
plus grand excès , & il fort de la vraifemblance
par le trop de mouvement qu'il
donne à fes figures même dans les actions
les plus fimples. C'eft ainfi que dans la
Cêne plufieurs Apôtres font affis fur des
bancs renverfés , & fe jettent de côté &
d'autre fans néceffité. Il étoit tellement
plein d'enthoufiafme qu'il n'a pu fe con90
MERCURE DE FRANCE.
+
tenir dans les bornes de la raifon : mais
ces écarts font dignes d'admiration . Son
intelligence de lumieres eft des plus hardies
, & produits des effets vrais . Peu de
Maîtres auroient pu les hazarder avec un
pareil fuccès , tel eft l'effet de lumiere de
la Cene. Le fujet fe paffe dans l'ombre ,
& la plus vive lumiere du tableau eſt dans
le fonds : cependant le fujet fe débrouille
très- bien , & toutes les figures en font diftinctes.
Cet effet eft vrai , & l'intérieur d'une
chambre eſt toujours plus obfcur que ce
qui eft expofé au grand jour. Autant P.
Véronefe aime à mettre l'horizon de fes tableaux
bas , autant le Tintoretto le met communément
haut dans les fiens , qui ne
font pas deftinés à être des plafonds ; car
alors on ne peut être plus hardi qu'il l'eft
dans les raccourcis vus en deffous . Dans la
plûpart de fes tableaux ce font des raccourcis
vus en deffus ; ce choix d'horizon eft
cependant moins agréable que l'horizon
bas de P. Véronefe ; il réfulte de celui - ci
que le fujet eft moins embarraffé & que
les figures paroiffent avoir plus de grandeur
& de majefté : il est vrai que
l'autre
donne des fonds riches , mais ils caufent
une diſtraction au principal fujet qu'il
femble qu'on eft obligé de chercher. La
perfpective du Tintoretto eft jufte : ceOCTOBRE.
1758. 91
pendant elle eft d'un choix défectueux ; le
point de diftance n'eft pas affez éloigné ,
c'eft la perfpective telle qu'on la voit en
deflinant d'après nature de trop près. Il
artive de-là que le feul efpace d'une table
où fix perfonnes peuvent être affifes de chaque
côté , produit une diminution de figures
de plus de moitié . C'eft ce qu'on
voit dans beaucoup de tableaux de ce Peintre
où les figures de devant font des coloffes,
& le refte eft fort petit. La figure du
Chrift, qui eft fouvent au bout de la table,
eft extrêmement petite . Sa maniere de draper
n'eft point bonne ; fes draperies colent
trop le nu , & fes plis font des filets
étroits , clairs , fur des fonds bruns & plutôt
des coups de pinceau que des plis , fans
forme , fans naiffance , fans liaiſon & fans
fin déterminée ; ils femblent faits au hazard
. Généralement la maniere de definer
de ce Maître femble de quelqu'un qui n'a
pas dans l'efprit une idée nette de ce qu'il
veut faire , qui jette des traits au hazard ,
& à la fin y trouve la forme qu'il cherche .
Cette façon barboteufe de faire les chofes,
comme par hazard , eft dans un homme
médiocre l'incertitude d'en fçavoir les contours
& les formes. Dans ce grand Maître
il paroît que c'eft l'excès de feu & d'imagination
qui ne permet pas la réflexion
92 MERCURE DE FRANCE.
néceffaire pour mettre fon trait jufte à fa
place , & qui offre tant d'idées à la fois ,
qu'elle ne peut les repréfenter bien nettes ,
qu'après en avoir fixé quelques-unes fur
fa toile , qui décident celles que l'on fui-
-vra. Perfonne ne l'a furpaffé dans l'art de
groupper fes figures enfemble ; à la vérité
c'eft en leur donnant toutes les attitudes
quelques outrées qu'elles foient , qui lui
font néceffaires pour cet effet ; delà ces
grandes maffes de lumieres & d'ombres &
par conféquent les plus grands effets . L'enchaînement
de tous ces grands grouppes
eft encore une beauté que peu de Maîtres
ont pouffée auffi loin qu'il l'a fait dans
plufieurs tableaux. P. Véronefe a cette
même beauté dans !u!n! genre de compofition
tout-à- fait différent . Ce grand feu
fait qu'en général le Tintoretto eft moins
admirable quand il eft plus fini , fon imagination
fe refroidit pendant le temps
de
l'exécution , & comme il n'a pas la correction
du deffein , & le fçavoir de détail,
qui eft la perfection de l'exécution finie ;
il lui refte peu de beauté . Sa couleur eft
affez fouvent fale. Dans cette façon de
faire prompte & furieufe , fi les tons ne
réuffiffent pas d'abord tels qu'on les veut ,
on les fatigue pour les chercher : c'eft
pourquoi il s'y trouve quelquefois des
OCTOBRE . 1758. 93
chofes du plus beau ton & de la plus grande
fraîcheur , & plus fouvent des chofes
fales & barboteuſes .
у
Le plus riche & le plus beau génie ,
pour la compofition raifonnée d'un ta
bleau , eſt le fameux P. Véronefe ; perfonne
n'a furpaffé la belle ordonnance de ſes tableaux
, l'enchaînement ingénieux de fes
grouppes , la maniere dont la lumiere
eft répandue , & l'intelligence fupérieure
de fes reflets. Son coloris eft fier , vrai &
précieux. Quoiqu'on puiffe lui reprocher
un ton général un peu violâtre dans les
ombres , néanmoins il eft digne d'admiration,
& préfente les demi - teintes les plus
belles & les plus fraîches. La facilité, &
( fi l'on peut s'exprimer ainfi ) la fleur de
fon pinceau offrent ce que la peinture a
de plus féducteur. La magnificence des
étoffes dont il habille fes figures , répand
dans fes ouvrages un agrément inexprimable
, peu connu avant lui . On lui reproche
d'avoir violé les loix du coftume
des anciens : mais combien cette heureuſe
licence n'a t'elle pas produit de beautés ,
dont nous ferions privés , s'il s'y fût affujetti
. En abandonnant quelques circonftances
de la vérité d'un coftume , fouvent
peu agréable , connu d'un très- petit nombre
de perfonnes , & encore fort inéga
94 MERCURE DE FRANCE.
lement , il s'eft enrichi d'un grand nombre
de vérités fenfibles à tous les yeux. Cette
perte , affez peu intéreffante , n'eft- t'elle
pas plus que fuffifamment compenſée ? S'il
a repréfenté les fujets les plus anciens avec
la plupart des vêtemens , en ufage de fon
temps , il s'en eft fuivi non feulement une
richeffe & une variété charmante d'objets ,
máis encore une apparence de vérité qu'on
voit rarement dans les autres Maîtres . Par
ce moyen il s'eft mis à portée de ne rien
faire que la nature devant les yeux : avantage
auquel il eft peut- être impoffible que
la force de l'imagination puiffe fuppléer . Il
ne s'eft point foumis à la févérité du choix
des caracteres de têtes antiques : mais s'il
a ofé faire entrer dans fes tableaux les
portraits de fes amis , ou du moins les caracteres
de têtes connus de fès concitoyens ,
il en résulte une apparence de vérité trèsfatisfaifante
on croit voir des hommes
véritables & que l'on connoît. Cependant
quoiqu'en quelque façon fes têtes foient
autant de portraits , elles font traitées
d'une manière fi belle & fi large , qu'elles
ne préfentent aucune idée de fervitude.
S'il eft permis de hazarder un fentiment
particulier , peut- être , en y réfléchiffant
trouveroit-on que cette nature connue eft
plus propre à la peinture que ce beau idéal
}
>
OCTOBRE. 175S. 95
qu'on cherche avec tant de peine , qu'on
trouve fi rarement , & qu'il eft fi difficile
d'allier avec la vérité. Ne feroit- ce pas
plutôt l'effentiel de la fculpture , qui ayant
moins de parties à réunir , & moins de
reffources pour plaire , ne peut s'en diſpenfer
fans manquer fon but , au lieu que
celui de la peinture eft premiérement l'illufion
. Quoi qu'il en foit, on peut compter
Paul Véronefe au rang des plus grands
Peintres qu'il y ait eu en Italie , & c'est
un de ceux qui à réuni le plus de parties
de la peinture.
Le Giorgione , le Palma , le Padouani
no, les Baffans , le Ricci , & quantité d'autres
Maîtres augmentent encore la gloire
de cette fameufe école. Prefque tous les
Peintres de Venife ont été Coloriftes ; cè
qui femble provenir non feulement de ce
que naturellement on imite ce dont on
eft environné , mais encore de la maniere
d'étudier. On dit que l'ufage de l'école
Vénitienne eft de mettre le pinceau à la
main de leurs Eleves prefque en commençant
leurs études. Ce qui femble plus le
confirmer , c'eft la rareté des Sculpteurs
fortis de cette école. De l'étude du deffein ,
fuivie par le maniement du pinceau , avec
le fecours de la couleur , il réfulte une
maniere de deffiner large , mais incertai96
MERCURE DE FRANCE.
ne , & telle que l'on la tâte dans l'empâtement
des couleurs où l'on évite les contours
trop décidés. Cette maniere n'eft
point propre à former des Sculpteurs , en
qui le mérite effentiel eft le beau choix
des formes , & la pureté des contours.
Mais c'eft de cette maniere que fe forment
les Coloriftes : c'eft de l'habitude de ne
jamais envifager la nature qu'avec fes effets
de couleur , de rondeur & de lumiere
directe ou refletée, que naiffent le beau coloris
, ou l'intelligence du clair- obfcur,
C'eft de cette pratique du mêlange des
couleurs , que l'on fait longtemps par approximation
, qu'enfin réfulte la facilité
de faire obéir ce méchanifme inexplicable
au fentiment dont nous fommes affectés
en voyant la nature. L'art eft d'une telle
étendue que nul ne peut en embraffer toutes
les parties. Tout le temps que l'on
donne à l'étude des formes de la nature ,
en faifant abftraction de fa couleur & de
fes effets , eft en quelque maniere pris fur
celui qui auroit été néceffaire à acquérir
la connoiffance de ces parties importantes,
& à s'en rendre la pratique facile ; & fi
l'on fe livre aux charmes qu'elle expofe à
ces deux égards , il faut de néceffité relâcher
de la févérité du choix & de l'exactitude
des formes. Ajoutons encore une réflexion
.
OCTOBRE. 1758. 97
flexion. La nature elle - même femble s'être
partagée dans les objets qu'elle a formés.
En général lorfqu'elle eft la plus belle
pour les formes , elle l'eft moins pour le
coloris. La belle couleur femble n'exifter
dans tout fon luftre que dans les perfonnes
dont l'embonpoint a un peu changé les formes
, & au contraire l'élégance & la pureté
des contours fe rencontrent rarement
avec ce brillant que cherchent les Peintres
Coloriſtes .
Il eft certain que l'étude des Maîtres de
l'école Vénitienne est très - profitable aux
Peintres . Elle peut échauffer les génies
froids , & former ceux que leur goût naturel
entraîne vers la couleur. Elle a fes
dangers comme toutes les manieres : mais
ceux qui auront d'abord étudié les écoles
Romaine & Lombarde , feront fuffifamment
prémunis.
Venife peut encore fe glorifier de pofféder
les plus habiles Peintres qu'il y ait
dans toute l'Italie , & tels qu'ils peuvent
aller de pair avec les meilleurs qu'on puiffe
citer dans toute l'Europe . Ceux dont on
voit le plus grand nombre d'ouvrages ,
font Tiepolo & Piazzetta. Le plus beau
génie & la couleur la plus agréable , la
plus grande facilité & le pinceau le plus
Batteur forment le caractere du premier.
II. Vol.
y
E
98 MERCURE DE FRANCE.
A peu près le même mérite fait celui du
fecond , à l'exception de la couleur qui eft
moins belle , mais qui eft compenfée par
une maniere plus large. Si l'on peut leur
reprocher quelques defauts , ainfi qu'il a
été remarqué dans l'examen de leurs ouvrages
, ils font bien rachetés par les beau
tés .
Nous ne devons pas oublier , en parlant:
des grands Peintres de cette ville , la De-.
moifelle Rofalba Carriera , la gloire de fon
fexe. Plufieurs Dames s'étoient déja rendues
célebres dans les arts , mais on peut
dire , qu'à l'exception d'Elifabeth Sirani ,
de Bologne , Fadmiration qu'on leur accordoit
étoit accompagnée de quelque indulgence
, & fondée plutôt fur la rareté
de leurs fuccès que fur l'excellence de leurs
talens. Privées de ta liberté d'étudier la.
niture nue , comme le font les hommes
on n'eft point en droit d'exiger d'elles un
fçavoir auffi étendu dans des arts où cette
étude eft d'une néceffité indifpenfable.
Mademoiſelle Rofalba s'étant attachée
aux talens du pastel & de la miniature ,
les a portés à un haut degré de mérite ,
que non feulement les hommes les plus
célebres dans ces genres ne l'ont point.
furpaffée , mais même qu'il en eft bien peu
qui puiffent lui être comparés. L'extrême
OCTOBRE. 1758. 99
correction & la fcience profonde du def
fein n'étant pas auffi abfolument effentielles
dans ces genres que dans celui de l'Hif
toire , elle a atteint le but qu'on peut s'y
propofer par la beauté de fa couleur. La
pureté & la fraîcheur des tons qu'elle a
fçu employer dans fon coloris font admirables
, & la belle facilité , auffi bien que
la largeur de fa maniere , l'ont égalée
aux plus grands Maîtres.
SUITE de l' Ami des Hommes , quatrieme
Partie. Réponse aux objections contre lo
Mémoire fur les Etats Provinciaux.
*
PAR le précis que j'ai donné de ce Mémoire
dans le Mercure précédent , on a vu
que l'Auteur , prévenu de la bonté de fa
caufe , l'avoit d'abord expofée fimplement
avec la confiance de la vérité , qui croit
n'avoir qu'à paroître pour diffiper les
nuages du préjugé , & les phantômes de la
défiance. Mais il eft des efprits qu'il faut
convaincre ; la perfuafion n'y peut rien .
Le livre du Financier Citoyen , c'eſt- ddire
, d'un homme qui , verfé dans les
opérations de Finance , y cherche l'avan
tage public (car c'eft dans ce fens que
peuvent très bien fe concilier ces deux ter
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
mes , dont l'Ami des Hommes, regarde l'af
femblage comme nouveau dans notre langue)
, ce Livre, dis- je , attaque le projet propofé
dans le Mémoire fur les Etats Provinciaux.
L'Ami des Hommes s'y croit défigné
, parmi ces Auteurs fyftématiques , qui
n'ont vu les chofes que d'un côté. Il a déja
bien prouvé qu'il les a vues fous toutes
les faces ; mais il revient à fon objet.
Il fe plaint d'abord qué fon agreffeur ait
mis fur la même ligne ceux qui propofent
d'établir dans tout le Royaume
Fadminiftration des pays d'Etats , & ceux
qui veulent qu'on dépouille les pays
d'Etats
de leurs priviléges , &qu'on les réduiſe
à la condition des autres provinces . « Depuis
le combat de S. Michel & de Sa+
tan , il ne fe vit jamais , dit- ii , des ri-.
» vaux moins faits pour être mis en ba-
» lance. "
Le Financier Citoyen , dans le parallele
qu'il fait des deux fyftêmes , ne parle du bonheur
des peuples, dans les pays d'Etats , que
comme d'une apparence de bonheur. L'Ami
desHommes s'infcrit en faux contre ces termes
, & il en appelle au témoignage des
peuples. ( Il eft vrai que les Députés , les
Agents , les Notables des pays d'Etats ,
fe louent beaucoup de cette forme d'adminiftration
; mais partout le peuple ſe
OCTOBRE. 1758 . 100
plaint , & prefque partout , malheureuſement
, il a quelque raifon de fe plaindre. )
Cependant l'Ami des Hommes demande
qu'on l'attaque , preuves en main .
La véritable façon de raïfonner contre
le projet des Etats provinciaux , feroit ,
dit- il , d'expofer à découvert l'adminiftration
d'une province d'élection de montrer
que la taille perfonnelle eft plus équitable
& moins , fujette aux non valeurs
que la taille réelle ; qué les répartitions
faites par des élus , font bien plus fures
que le cadaftre ; qu'une province voifine
d'un pays d'Etats rapporte plus , &
la perception y coûte moins , & c .
que
Ce plan d'attaque femble décider lui
feul de quel côté feroit l'avantage . Il faut
avouer cependant qu'à certains égards s
l'Auteur demande l'impoffible : par exemple
, il fçait bien que , pour comparer les
contributions proportionnelles de deux
provinces , il faut avoir égard à leurs facultés
de toute efpece , à la nature du fol , à
fon étendue, à fes productions, aux moyens
d'exportation & de commerce , à la fituation
de l'une & de l'autre , à la population ,
& c. & que des combinaifons fi compliquées
laifferont toujours quelque chofe de
problématique dans les calculs.
Le Financier Citoyen va plus loin ail
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
regarde le projet de mettre toutes les provinces
en pays d'élection , comme plus
conforme aux principes du gouvernement
monarchique. L'Ami des Hommes à déja
fait voir que l'adminiftration qu'il propofe
, eft la plus avantageuſe à l'autorité
royale : Il s'éleve ici avec plus de chaleur
encore contre le préjugé qu'il a combattu .
+
« Il s'enfuit de vos principes , dit- il , à
» fes adverfaires , que depuis que les
» monarchiesexiftent, ce n'eft au fonds que
la loi du plus fort civilifée que les
» peuples ne fongent qu'à éluder ou à
reftreindre cette loi , & que les Rois
» ne doivent penfer qu'à l'étendre. Quand
Dieu refufoit des Rois à fon peuple ,
» il prévoyoit dans leurs cours des politi
» ques tels que vous, »
-Ici il approfondit la nature de la monarchie
, dérivée même du droit de conquête
,de plus abfolu de tous ; & il conclur
queda monarchie , de quelque façon qu'etle
fe foit établie , eft un gouvernement
tempéré que l'autorité y eft mixte &
compoféé de celle du Général d'armée &
de celle du Magiftrat , réunis dans la per+
fonne du Souverain ; ( c'est-à- dire , du
glaive & de la balance , de la force &
de l'équité. ) De ces deux branches , il fait
partir tous les ramaux de l'autorité graOCTOBRE.
1758. 103
duée , mais là , il me femble qu'il s'écarte
de fon objet , & qu'il perd de vue fes
principes , lorfqu'il dit de la féodalité ,
qu'elle est la plus admirable police d'Etat.
Qu'entend l'Ami des Hommes par la féodalité
? C'étoit autrefois la dépendence
graduelle , la foumiffion immédiate des ordres
de l'état , fubordonnés l'une à l'autre .
Eft - ce là ce qu'il nous donne pour
la plus admirable police ? Pourquoi
donc , au lieu de cerre police , nous propofer
la diftribution de l'autorité confiée
aux trois ordres de l'état , comme un
moyen d'y établir & d'y conferver l'équilibre
rien n'eft plus oppofé , ce me
femble , à la féodalité , que cet équilibre
de pouvoirs , qui fe limitent , qui fe
contiennent , qui fe balancent mutuelle
ment. Il a demandé. que le commandement
abfolu foit confié dans certains casà
la Nobleffe . Mais il fçait ce qui s'en eft
fuivi , & que « fous l'adminiſtration féodale
, la fpoliation du Souverain , & le
» démembrement de l'Etat devinrent le
crime univerfel. »
ر و د
Que tel autre politique ait voula
nous ramener à une conftitution de
chofes expofée par fa nature à de pareils
défordres ; je le conçois , je fçais
qu'il n'eft rien que l'efprit de fyftême n'i
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
magine , & que la prévention ne faffe
adopter. Mais fe peut -il que l'Ami des
Hommes fe livre à une opinion diamétralement
oppofée à fes principes , & au plan
qu'il vient de tracer lui -même ? Il faut que
je ne l'aie pas entendu , & qu'il attache
à la féodalité une idée qui n'eft pas la
mienne.
J'avoue que ce n'eft point aux pouvoirs
intermédaires que l'on doit attribuer
les démembrements de l'ancien empire
François ; mais je penfe que le défaut
d'équilibre , entre ces pouvoirs , en a été
la principale caufe, & je conclus , avec
l'Ami des Hommes , que les fonctions
du Monarque , foit en qualité de Géné
fal foit en qualité de Magiftrat , confiftent
à tenir la balance entre fes prépofés
dont il eft de droit & de fait , le modé
rateur & le juge .
J'ai donc bien mal faifi le principe de
l'Auteur, puifque même en le combattant ,
je me trouve d'accord avec lui dans les
conféquences.
Reprenons les difficultés qu'il fe fait à
lui - même pour les réfoudre . Il ne diffimule
aucun des prétendus inconvéniens des affemblées
des Etats par rapport à l'autorité ,
mais il réfulte de fes réponſes , que ces inconvéniens
font eux- mêmes autant d'avan
OCTOBRE . 1758 . 105
tages pour l'autorité légitime ; qu'un Roi
jufte doit les chérir , & qu'un tyran feul
peut les craindre. Il nous peint les Etats de
Bretagne préfentés au Rois d'un côté l'amour
& le refpect , de l'autre , la douceur
la majefté & la confiance . ·
C'est en ce moment , pourfuit- il , &
au milieu de tout cet appareil de tendreffe
& d'hommage , qu'eft préfenté le
cahier des griefs. La réponſe en eft donnée
fix mois après , telle qu'il plaît au
Roi de l'accorder ; & les Députés retournent
dans leur parrie , raconter aux peuples
la bonté paternelle du Monarque. Le
Roi connoît fes peuples , le peuple ap
prend à connoître fon Roi tout y gagne
& rien n'y perd , fi ce n'eft ce genre
d'hommes le plus pernicieux de la terre ,
à fçavoir ceux qui voudroient entrete
tenir la méfiance dans l'efprit des Princes
, & qui tiennent pour principe de
leur politique , cette maxime des tyrans ,
oderint dum metuant. Qu'ils nous haïffent ,
pourou qu'ils nous craignent."
Cependant on s'attache à la forme des
contributions des pays d'Etats , & l'on s'éleve
contre ce terme de don gratuit , appliqué
à ce que le maître exige comme droic
& comme devoir.
L'Ami des hommes prend dans fon
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
t
ame & dans le coeur des peuples , less
traits véhémens dont il accable les ennemis
des pays d'Etats & les déclamateurs
contre le don gratuit. Mais qu'il me permettre
une réflexion qui ne porte aucune
atteinte à fes fentiments : je les refpecte
& je les partage. Je reconnois avec lui ,
qu'il eft plus doux pour un peuple fidelę ,
de contribuer à titre de don gratuit ,
qu'à titre de droit & de devoir , & que
ce n'eft pas la peine d'affliger ce peuple .
dévoué à fon Prince , pour ne changer
qu'un mot dans la maniere de l'impofer.
Mais il n'en eft pas moins conftant que ce
mot doit renfermer l'idée de la fubvention
indifpenfable d'une partie de l'Etat, aux
befoins réels de l'adininiſtration générale
& de la défenfe commune ; & que la
plus grande marque de confiance qu'un
Roi puiffe donner à fes peuples , c'eſt de
laiffer à leur obéiffance , ce caractere honorable
d'inclination & de liberté..
A ce propos , la diftinction que fair
l'Ami des Hommes de l'amour & de la
crainte , de la crainte & de la terreur ,
développé une morale fublime. Les plus
légitimes & les meilleurs des Rois ,
» commandent à un grand nombre de
méchants , qui ne peuvent être contenus
que par la terreur. Mais ce fentiment ,
997
OCTOBRE. 1758. 107
alors , n'a point fon principe dans le
» gouvernement ; il eft tout entier dans
» la confcience du coupable. La jufte
» crainte que doit infpirer l'autorité , eft
» celle qui dérive de l'amour & du refpect.
» Le langage de l'amour pour les bons ,
» eft celui de la crainte pour les mé-
>> chants ; tous l'entendent felon l'écho de
» leur confcience. Adam, ubi es ? fit cacher
» notre premier pere ; un jour plutôt
» ces mots l'euffent fait accourir . » Quel
trait ! Quel rayon de lumiere ! ( Ces deux
mots m'ont fait treffaillir de furpriſe &
d'amiration . )
و د
De ces principes l'Auteur conclut en
faveur du dongratuit , avec fon éloquence
pathétique Cette forme de don que
» vous enviez aux pays d'Etats , comme
privilége , eft un droit ineffaçable de
tout fujet vis- à-vis de fon maître légi-
» time : oui , nous voulons lui donner ce
qu'il nous demande , & lui offrir le
refte ». Je le répete , rien n'eft plus
glorieux pour le Souverain , rien n'eft
plus confolant pour le peuple que cette:
façon de contribuer : c'eft l'hommage de
la volonté , c'eft le tribut de l'amour
même , pourvu toutefois qu'on foir
irrévocablement d'accord fur la valeur des
termes , & que celui de gratuit , ne ren
Evjj
108 MERCURE DE FRANCE.
ferme pas , comme quelques - uns le pré
tendent , le droit tacite du refus .
Les privileges tiennent à la hiérarchie, &
l'Ami des Hommes infifte de nouveau fur
ce point mais nous y reviendrons encore ,
paffons aux objections du Fin . Cit .
و د
:
Celui-ci traite d'eftimation imaginaire
les calculs des impôts levés fur les pays
d'état . L'Ami des Hommes ne lui répond
qu'en répétant les calculs qu'il a faits des
produits de la Provence , & il ajoute : « ce
n'eft pas précisément en ce que je fuis per-
» fuadé que le Roi retireroit plus de fes Pro-
» vinces, fi on y établiffoit les Etats , que je
confeille cet établiffement ; c'eft après
"avoir prouvé que tout ce qui feroit impofé
fur les peuples , feroit au profit du
Prince & de l'Etat ; que le peuple feroit
plus heureux , & c. »
و د
و د
»
"
Sans renoncer à la diftinction des Pays
d'Etats & des Provinces du Royaume ,
l'Ami des Hommes foufcrit à l'égalité d'impofition.
Mais il fait voir que cette égalité
ne peut être conftatée & maintenue que
par le moyen des affemblées & de l'adminiftration
qu'il propoſe. On lui objecte
qu'il y a des abus , il répond qu'il y en a
partout ; mais il reprend ces abus par ar
ticles.
OCTOBRE . 1758. 109
Privileges de certains Ordres de Citoyens.
Tout eft privilege ici- bas , dit l'Ami des
Hommes ; & après avoir réduit la prétention
de fes adverfaires aux termes de la raifon
& de l'équité ; il répond 1 ° . que les
immunités du Clergé , & fon bien être
confiftent en l'épargne des frais & la difpenſe
des exactions. Qu'au refte cet ordre
contribue autant & plus que le refte de la
nation . ( Si le fait eft prouvé , tout eft dit. )
2°. Que les privileges de la Nobleffe fe
bornent à une ombre d'exemption fur les
tailles . Il n'eft que trop vrai que fa
condition à cet égard ne doit pas exciter .
l'envie . Quant aux décharges que les peuples
des Pays d'Etats peuvent accorder à la
Nobleffe , elles font légitimes dès qu'elles
font volontaires ; & dans ces fortes de dé- ,
Libérations , perfonne ne peut exiger d'autre,
formalité que le concours des voix , & la
pleine liberté des fuffrages. )
Excès dans les dépenfes.
L'Auteur les juftifie , en faisant voir que
les unes font obligées , & les autres autorifées.
Il me femble que ce n'eft pas affez .
On defireroit ici un mot , qui trancheroit
toute difficulté , & feroit la fomme totale
FIO MERCURE DE FRANCE.
des frais d'affemblée , de gratifications , de
régie dans les Pays d'Etats , comparée à la
fomme totale de régie & de levée dans les
Provinces d'Election , & l'une & l'autre
balancées avec la fomme des impofitions de
chaque Province. Mais , au défaut de ce
calcul , il termine ainfi la difpute : le Roine
nous demande que tant : s'il fe trouve
que l'impofition ordonnée pour y faire
face, produife davantage , diminuons l'impofition.
Cette réponſe eft fans replique
& les deux Auteurs , oppofés dans le fait ,
font enfin d'accord fur le droit ; fçavoir ,
qu'il feroit à fouhaiter que les Provinces
d'Etats fuffent régies plus exactement fous
la forme qu'elles ont adoptée. Dès lors il
n'y a plus de bors fonds , & à cet égard
toute conteftation devient fuperflue ..
Le Fin. Cit. appelle hors fonds l'excédent
de l'impofition au- delà de la demande , & ,
en fuppofant que le Roi retînt la moitié de
cet excédent pour lui , cela feroit plus avanrageux
, dit - il , que de le laiffer diffiper
dans la Province. Point du tout , répond
plaifamment l'Ami des Hommes. Les fripons
font nos coufins , & notre tour viendra
peut- être d'avoir part au gâteau . Il - auroit
pu s'en tenir à la même réponſe par
rapport à l'abus de l'autorité des Officiers
Municipaux dans quelques - uns des Pays
OCTOBRE. 1758. JI
d'Etats. Mais quand viendra le tour du
peuple ? T
Je paffe fous filence une excurfion vio
lente contre les Financiers , qui prouve ce
que perfonne ne révoque en doute ; fçavoir
, que la fable d'Atalante eft l'hiftoire
de l'humanité.
A l'égard de la Ferme & de la levée de
certains droits dans les Provinces d'Etats , je
ne fçais pourquoi l'Ami des Hommes s'en
met en peine . Dans fon plan , fi je l'ai bien
compris , il n'y a que la taille réelle pour
les campagnes , & les droits d'entrées pour
les villes ; or en affermant ceux - ci , rien
n'eft plus facile que d'en donner un tarif
exact , précis & clair , qui foit dans, les
mains de tout le monde, & qui,levant toute
équivoque , lie les mains à la véxation .
Quand je dis , rien n'eft plus facile , j'entends
fous les yeux d'une adminiſtration
roujours préfente , telle que l'Auteur la
fuppofe lui- même , & qui , fur les premieres
plaintes , peut s'élever contre les abus.
Quant à l'exactitude rigoureufe de la perception
, je la crois de toute juftice ; c'est
dans l'impofition que doivent être la modération
& l'indulgence impofer des
droits , les affermer , & demander au Fer--
mier qu'il les modere , ou qu'il les néglige
c'eſt donner & retenir ; c'eft ne pas connoî-
?
112 MERCURE DE FRANCE.
tre les hommes . Les péages font la preuve
que perfonne ne fe relâche des droits qui
lui font accordés ; & tel fe plaint de la rigueur
de la perception des impôts dans fes
terres , qui lui-même y exerce tiranniquement
le droit exclufif de tuer un fanglier
qui ravage les moiffons.
A la propofition de réunir toutes les Fermes
de l'Artois en une , l'Ami des Hommes
répond par des comparaifons dont je
ne fens pas la jufteffe. Il eft certain que la
multiplicité des Fermiers augmente les frais
de régie , & que ces frais font à la charge
de l'Etat . A l'égard de l'injuftice , il n'y en
a aucune à n'enrichir que dix hommes au
lieu de cent , lorfque c'eft aux dépens du
peuple ; car il ne faut pas fe perfuader que
le profit de dix intéreffés fuffife à la cupidité
de cent.
Le Fin. Cit. croit voir un avantage
prendre à Paris les Fermiers des Provinces.
Il a été facile d'en faire fentir l'illufion
& je ne conçois pas comment un homme
inftruit a pu propofer cette idée . Que chacun
demeure chez foi , dit l'Ami des Hommes
, qu'il y feme , qu'il y recueille ; perfonne
n'aura à fe plaindre , fi ce n'eft lè
Juif errant. Ne difcutons pas cette plaifanterie
, l'Auteur fçait bien qu'un François
n'eft pas étranger en France , & que , de
OCTOBRE. 1758. 1J3
Province à Province , il n'y a pas de chez
foi réellement diſtinct .
Je glifferai far l'article des Abbayesį
par la raison qquuee jjee nnee puis ni combattre
ni adopter dans toute leur étendue les principes
de l'Auteur. J'obferverai feulement
que je n'entends point ce qu'il veut dire
par une fervitude éternelle , réſultante du droit
de don , & que je conçois des obligations
qui ne font point une fervitude ; que je
n'entends pas mieux quel fens il donne à
cet axiome › que plutôt tout l'Etat périſſe, que
fi la main facrée d'un Souverain fignoit la
plus petite injuftice : axiome qu'il met en
oppofition avec celui- ci , falus reipublica
fuprema lex efto : car je regarde cette loi - ci
comme le centre des loix , & le point d'appui
de la Société ; je crois que l'objet de toute
inftitution politique a dû être le bonheur ,
& , à plus forte raifon , le falut commun ;.
qu'il n'y a d'injuftice que dans la violation
du droit , & que le premier droit eft celui
de la nation entiere ; qu'en un mot , l'extrême
injuftice eft de facrifier le bien
public au bien particulier. Ce n'est donc
pas la maxime falus reipublica fuprema lex
efto , qui perfuadera aux Princes . que tout ce
qui eft poffible , eft permis : elle doit leur ар-
prendre au contraire que tout ce qui eſt évidemment
oppofe au bien public , eft injufte , &
114 MERCURE DE FRANCE.
c'eft là furtout l'injuftice qu'ils ne doivent
jamais figner.
Le Financier Citoyen a eu le malheur
de dire , de quelques - unes des Provinces
conquifes , que fi elles avoient été travaillees
en Finance , l'efprit François y feroit
bien plus généralement répandu ; il faut
avouer que cette propofition peut donner
prife au ridicule ; mais il faut avouer auffi
qu'il eft terrible de tomber entre les mains
de l'Ami des Hommes. Travailler en Finance
lui paroît un barbariſme effroyable ,
& après l'avoir tourné & retourné en tous
fens , il n'y trouve que l'idée du brafier de
Guatimofen. Mais fi le Financier Citoyen
a'a entendu par - là que percevoir les droits
impofés , fuivant la regle établie dans l'intérieur
du Royaume , & prefcrite par de
fages loix , il n'y aura plus d'effrayant que
le terme. T
A ce propos , me fera- t'il permis de relever
à mon tour une expreffion , qui m'a
d'autant plus étonné qu'elle eft dans le livre
de l'Ami des Hommes . Il eft queſtion
des privileges du Clergé & de la Nobleſſe ;
L'Auteur s'éleve contre ce principe , que
chacun doit être impofé en raison des biens
qu'il poffede. Il veut cependant que les privileges
ne foient point à la charge du peuple
, & je pourrois lui demander comment
OCTOBRE. 1758 . 115
ane exemption d'impôts peut n'être pas པེ
la charge de celui qui paye , pour celui qui
ne paye pas mais venons au mot qui m'a
tant furpris. La mife proportionnelle ,
& autres axiomes modernes des Herauty
des Saturnales , font les délires de l'efprit
d'Anarchie. Eft- ce bien l'Ami des Hom
mes qui , dans la prétention d'un peuple
libre à l'égalité dans les contributions
eroit voirdes efclaves qui prennent la place
des Maîtres bilo rom
!
"
J
•
Pour moi, j'avoue que je fuis l'un des par
tifans , l'un des Hérauts , fi l'on vent, de l'égalité
dans les impôts , fans croire l'être des
Saturnales. Je refpecte la Hiérarchie, mais
je ne reconnois qu'un Maître , auquel nous
fommes tous directement , immédiatement
, exclufivement , également foumis
je regarde les diftinctions & les honneurs
accordés aux premiers ordres de l'Etat ,
comme effentiellement liés à la Conftitution
Monarchique ; mais je tiens que dans
un Royaume où tous les ordres font mili
taires , & tous réciproquement défenfeurs
& protégés , les exemptions , les immuniz
tés ne font plus fondées que fur le titre de
conceffion . Telle eft mon opinion fur la
mife proportionnelle, & je fuis bien loin
de la regarder comme le délire de l'A
narchie..
116 MERCURE DE FRANCE.
L'Ami des Hommes eft trop l'ami de la
vérité, pour ne pas vouloir que l'on difcute
fes principes.java
Je n'ai pris la liberté d'imiter fa franchife
, que, dans la confiance , où je fuis
qu'il la croit bonne à imiter ; mais en me
refufant à quelques unes de fes idées , je
ne puis m'empêcher de le reconnoître pour
un des plus beaux génies , pour un des
meilleurs citoyens , & pour un des hommes
les plus éloquens de notre fiecle.
ORAISON FUNEBRE de M. le Comte de
Gifors , prononcée le 9 Août dans l'Eglife
Cathédrale de Metz , par le P. Charles
de la Compagnie de Jefus.
C'eft peut être ici la premiere Oraifon
funebre où l'éloquence n'ait eu rien à diffimuler
Fléchier lui même a été obligé
d'accufer le malheur des temps & la fatalité
des circonftances dans l'éloge du nouveau
Macchabée. Le Pere Charles n'a éu , ni
dans la vie publique , ni dans la vie privée
de fon Héros , que des vertus fans éclipfe ,
que des moeurs fans tache , que des intentions
purės , que des actions louables à cé
lébrer. Le Panégyrifte a parlé le langage
de l'Hiftorien ; & la mémoire du Comte
de Gifors , tel qu'il eft peint dans ce difcours
, n'eft que l'image de fa vie. J'ofe
OCTOBRE. 1758. 117
dire plus : fa vie , quoiqué fidélement retracée
, ne frappera jamais auffi vivement
la postérité qu'elle nous a frappés nousmêmes.
Cet enchaînement de détails qui
développent un caractere fimple , honnête
& bienfaifant ; cette vertu de tous les inftans
& de toutes les fituations , cette unité
de principes , cette harmonie de conduite ,
en un mot ce que je ne puis même exprimer
en notre Langue , Æqualitas ac tenor
vita per omnia conftans fibi , c'est ce que
nous avons vu & ce que l'Orateur n'a pu
peindre. Un Philofophe a dit , Nul homme
n'eft grand aux yeux de fon Valet de chambre.
C'eft furtout dans cet intérieur que le .
Comte de Gifors a été grand , c'est- à - dire
au deffus des foibleffes & des paffions de
T'humanité , fupérieur à fon âge par fa
fageffe , & à fon rang par la modeftie & la
fimplicité de fes moeurs. Nous l'avons
perdu , & la feule confolation qui nous
refte , eft d'en rappeller le fouvenir dans
l'amertume de nos regrets . Heureux fi les
pleurs répandus fur fa cendre , fi le concert
de louanges qui retentit autour de
fon tombeau , peut infpirer à la jeuneſſe
de fon état la volonté courageufe d'imiter
un fi beau modele !
Il mérita dans fa jeuneſſe . l'eftime des
fages & les applaudiffemens de la multi118
MERCURE DE FRANCE.
tude , fuivant les paroles que l'Orateur a
prifes pour texte au Livre de la Sageſſe į
cb. 8 , & d'où il tire fa divifion.
Premiere Partie. I mérita l'eftime des
fages par une jeunetfe exempte des défauts
de cet âge , & ornée des vertus des
âges les plus avancés. « Cette unique & fi
eftimable portion de fa vie fe préfente à
» nous dans fon luftre ... & nous permet
de publier avec confiance ce qu'il a été ,
fans nous réduire à la ftérile reffource de
conjecturer ce qu'il promertoir , & de
» préfager ce qu'il feroit un jour..»
L'Orateur le fuit dans toutes les épreuves
qu'il a foutenues , & il voit partoutune
jeuneffe docile & appliquée , une jeuneffe
judicieufe & circonfpecte , une jeuneffe
fage & irréprochable . I remonte d'abord
à la fource de tant de vertus. Quel
pere pour former un fils ! quelle mere
pour lui infpirer des fentimens & des
maurs! L'éloge de l'un & de l'autre eft
auffi bien placé qu'il eft jufte. Et quels
parens ont eu jamais des droits mieux acquis
au partage de la gloire de leur enfant!
L'éducation du Comte de Giſors a été un
modele malheureufement unique. L'Orateur
la caractériſe en deux mots. Son éducation
, dit- il , fur tour à la fois douce &
auftere. Heureux , ajoute-r'il , les enfans
OCTOBRE. 1758. 719
que des peres affez zélés élevent pour
Phonneur de leur maifon , que des peres
affez citoyens élevent pour l'avantage de
la patrie , que des peres affez Chrétiens
élevent pour la gloire de la Religion !
Il vient aux épreuves qui ont fait
éclorre les fruits de cette premiere inftitution.
Ecueils de la naiffance. C'eſt le malheur
de bien des hommes d'être nés
dans un rang élevé ils ne font pendant
toute leur vie que ce que la nailfance les
a faits. Gifors fçait qu'avec un grand nom ,
il contracte de grands engagemens , & ce
ne fera que par les actions & par fes vertus
qu'il fera connoître la diftinction de fon
Lang & de fa naiſſance.
Ecueil du monde . Gifors , en garde
contre fon coeur , ne forme de liaiſons
que celles qu'avoue la vertu ; ne connoît
de plaifirs que ceux qu'adopte la raifon ;
ne reçoit de confeils que ceux qu'approuve
la fagetfe ; ne craint de ridicule
que celui
d'imiter le vice.
Ecueil de la cour. La candeur , la droi
rure , la vérité , la vertu s'y montrerent
avec lui .. en un mot , il fut un exemple à
la cous , où c'eft beaucoup de n'être pas um
candale.
Ecueil des armes. Le vit-on jamais con120
MERCURE DE FRANCE .
fondre l'émulation avec l'envie , la rivalité
avec la haine.. & fi fon courage fe fignala
toujours contre les ennemis du Roi & de
l'Etat , fa valeur fut- elle jamais obfcurcie
par des querelles particulieres qui font tant
de plaies cruelles à la patrie , & qui font
l'opprobre de la raifon & de l'humanité ?
Il n'eut pas la réputation de les craindre :
mais ce qui lui eft infiniment plus glorieux ,
il eut la fageffe de les prévenir.
: Ecueil des voyages . Par la décence de
La conduite & par la réferve de fes difcours
, il a vangé fon âge & fa Nation de
la frivolité qu'on leur reproche.
Quel empire avoit- il pris fur fes paffions
? .. Il en eut une , & ce fut la feule ;
celle de réunir tous les genres de mérite ,
& de pofféder toutes les vertus.
Digne fils , il fut toujours l'enfant de la
confolation , & jamais celui de la douleur.
( Son refpectable pere a bien pu dire à fa
mort , comme un grand Roi à la mort de
fon épouse : C'est le premier chagrin qu'il
m'ait caufé ! ) Gifors eft à Copenhague : il
apprend la maladie de fa mere ; il part , il
paffe le Belt à travers des montagnes de
glace accumulées ; une petite barque & un
nautonier auquel il infpire fon courage ,
lui fuffifent ; & laiffant fur le bord les
gens de fa fuite: « Mes amis , leur dit-il ,
» il
OCTOBRE. 1758. 121
199
»il eft inutile de vous expofer ; pour moi,
l'état de ma mere & la douleur de mon
pere me rappellent. » ( Je vois fur cette
barque le coeur de Céfar ; mais animé par
le fentiment le plus vertueux & le plus
tendre de la nature. )
Digne époux , fa deftinée étoit liée à
celle de la perfonne la plus capable d'en
faire le bonheur & d'en augmenter la
gloire.
Digne ami , qui connut mieux que lui
la douce fatisfaction de gagner les coeurs ,
& qui fçut mieux l'art de fe les attacher ?
Digne maître , par une douce autorité
qui n'humilie point la dépendence , il fçut
fe faire refpecter , fe faire obéir , fe faire
aimer.
Digne citoyen , il s'eft dévoué , prefqu'en
naiffant , au fervice de fa patrie ; il
a vécu , & il eft mort pour elle.
Un portrait fi accompli femble être
l'ouvrage de l'imagination , & tout en eft
vrai à la lettre. C'eft par- là que le jeune
Giſors a mérité l'eftime des fages. Honorem
apud feniores.
Ses talens & fes vertus militaires lui ont
attiré les applaudiffemens de la multitude ,
claritatem ad turbas.
L'Orateur le fuit dans fes premieres
campagnes , fous les aufpices & fous les
11.Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
ordres d'un Général que l'autorité du com
mandement rend fon premier Chef, que
les vertus militaires rendent fon premier
modele , que l'affection paternelle rend
fon premier guide.. Si le Comte de Gifors
trouve partout de grandes leçons , il donne
partout de grands exemples. Là , il fe plaint
de fon pere , & à fon pere lui - même , de
n'avoir pas eu la préférence pour l'attaque
& pour le danger . Pourquoi , dit-il les
larmes aux yeux ( & ce font les larmes
d'Achille ) , pourquoi faire marcher au
combat d'autres Régimens avant celui que
j'ai l'honneur de commander ? Ici découvrant
la nuit l'armée ennemie à la lueur
des feux Quand les verrons- nous de plus
près , demande-t'il avec impatience ? On
lui répond que ce fera aux premiers rayons
du foleil. Ah ! s'écrie- t'il en levant les
yeux au ciel , faites donc , grand Dieu !
que le foleil luiſe bientôt ! ( C'eſt la priere
de Diomede dans le vrai point de l'héroïsme
. )
Modefte avec dignité , ferme avec dou
ceur , bienfaifant avec délicateffe , ami de
l'Officier , compagnon du foldat , il ne
fembloit craindre le danger que pour eux ,
qui ne le craignoient que pour lui.
L'Orateur parcourt rapidement , & avec
beaucoup de fageffe , les caufes & les évés
OCTOBRE. 1758. 123
nemens de la guerre préfente , où fon Héros
s'eft fignalé. Mais on gémit de ne l'y voir
qu'à la tête d'un Régiment , & le coeur faigue
à tout bon François en jettant les yeux
fur l'avenir dont la jeuneffe de ce Guerrier
n'étoit encore que le préfage. Que de talens
, que de vertus , que de gloire fous
cette tombe ! La perte d'un vaillant homme
eft facile à réparer. Mais la perte d'un
homme accompli eft un malheur à jamais
déplorable . Je finis par un trait qui eft
échappé à l'homme éloquent , qui vient de
lui rendre ce jufte tribut de louanges.
M. le Comte de Gifors , en partant de
la cour pour
aller fe mettre à la tête des
Carabiniers : Je crains , dit - il , d'arriver
trop tard. Mais s'il y a eu quelque action
où les Carabiniers ayent donné , je demande
ma démiffion fur le champ. Celui
qui les aura conduit mérite de les commander.
Hélas ! plût au ciel qu'il eût manqué
à ce devoir dont il étoit fi jaloux . Le
voeu fuperflu que je fais eft celui de la
France entiere , qui compte la mort de ce
vertueux jeune homme au nombre des calamités
.
Sans prétendre examiner un Difcours
de la nature de celui - ci avec les yeux de la
critique , je ne puis m'empêcher de remar-
Fij
224 MERCURE DE FRANCE.
quer un tour d'expreffion trop ufité depuis
quelque temps , furtout dans le ftyle oratoire;
je parle de cette fymmétrie de mots
qui fait jouer enſemble tous les membres
d'une période. Quoique cet excès d'art fe
laiffe appercevoir dans plufieurs endroits:
de ce Difcours , je n'en citerai qu'un.
exemple.
f
L'éclat en eft plus attrayant , dit l'Orateur
en parlant de la cour , parce qu'il eſt
plus éblouiffant ; les pieges y font plus dangereux
, parce qu'ils font mieux déguifés ;
la faveur y eft moins fûre , parce qu'elle eft
plus enviée ; la difgrace plus amere , parce
qu'elle eft plus remarquable , & fi la vertu
y eft plus pure , parce qu'elle eft plus éprouvée
, le vice y eft plus contagieux , parce
qu'il eft plus féduifant . C'est là qu'on s'intoduit
par vanité , qu'on fe contraint par
ambition , qu'on n'aime , qu'on ne hait
que par intérêt ; là , qu'on intrigue avec
art , qu'on fupplante avec adreffe , qu'on
féduit , qu'on trompe , qu'on trahit même
avec tous les dehors de la politeffe , du
zele , de la bonne foi , & c. Cet arrangement
de paroles peut être brillant au débit ;
mais il eft fatigant à la lecture . Il en eft
d'un ftyle trop compofé comme d'une déclamation
trop étudiée ; ni l'un ni l'autre
n'eft dans la vérité : or la vérité eft l'ame
OCTOBRE . 1758. 125
•
de l'éloquence , elle feule perfuade &
touche >
& le pathétique eft de tous
les genres celui où l'art doit le plus ſe
cacher.
EXTRAIT des recherches fur les moyens
de refroidir les liqueurs. L'objet de ces
recherches eft un des premiers befoins de
l'homme , furtout dans les climats du midi.
Les peuples de l'Afie , les Chinois , les
Indiens , les Perfans , les Egyptiens , font
dans l'ufage de mettre les liqueurs que l'on
veut boire, mais principalement l'eau, dans
des vaiffeaux faits exprès d'une terre forc
poreufe , & de les expofer dans le paffage
de quelque vent chaud pour les rafraîchir ;
fouvent même on enveloppe le vafe de
quelque étoffe qu'on a foin d'humecter de
temps en temps . Plus le vent eft chaud ,
dit Chardin , plus l'eau qui y eft exposée ſe
rafraîchit , comme au contraire le vent
froid l'échauffe . Les Caravanes au lieu des
vafes de terres , fe fervent d'outres parfumées
que l'on pend fous le ventre des chevaux.
Cet ufage remonte à l'antiquité la
plus reculée:
Les gens qui veulent boire frais & délicieufement
, dit ce Voyageur, ne fe fervent
du même vafe que cinq ou fix jours tout au
plus ... Un quart de l'eau tranfpire en fix
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
heures de temps la premiere fois , puis
moins de jour en jour , jufqu'à ce que les
pores fe bouchent.
Bernier explique ce phénomene en difant
, que le drap mouillé qui enveloppe
le vafe, arrête au paffage les corpufcules de
feu , qui font dans l'air , en même temps
qu'elle donne paffage aux efprits de nitre ,
qui caufent le froid à peu près comme le
verre intercepte l'air & tranfmet la lumiere.
Il ajoute qu'on employe le nitre ou le
falpêtre au même ufage , en remuant le
flacon plein de la liqueur que l'on veut
rafraîchir dans de l'eau , où l'on a jetté
quelques poignées de falpêtre : ce moyen
eft très- commun dans les Indes. Mais le
nitre n'a pas feul la propriété de produire
ou d'augmenter le froid.
L'Auteur parcourt à ce fujet les expériences
des Phyficiens depuis Bacon juf
qu'à nous . Boile dans fon Hiftoire du Froid,
imprimée en 1665 , regarde le mêlange de
fel & de neige comme le plus efficace de
tous pour produire de la glace. Au lieu du
fel , il a obfervé que le nitre , l'alun , le
vitriol , le fel ammoniac , & même le fucre
mêlé avec la neige , faifoient auffi de la
glace , ce que la neige feule ne peut
opérer. Il a effayé les acides tirés des fels
neutres , & tous ont produit par leur inOCTOBRE
1758 . 127
fufion fur de la neige dont une bouteille
étoit remplie , une condenfation plus ou
moins fenfible des vapeurs de l'air fur la
bouteille ; le plus grand nombre , jufqu'au
degré de la glace . Les mêlanges qui hâtoient
le plus la fonte de la neige , étoient
réguliérement ceux qui en augmentoient
le plus le froid.
Boile remarque , & Bacon l'avoit découvert
avant lui , que la glace pilée peut
être fubftituée à la neige & produire le
même effet. Mais une expérience qui appartient
à Boile , eft celle du degré de froid
que donne le fel ammoniac diffous dans
reau. Lorsque le temps eft bien difpofé ,
le froid qu'on produit par ce moyen va
quelquefois au deffous du terme de laglace ."
ود
"Tels font , dit l'Auteur de ces recherches
, les travaux du pere de la phyfique
expérimentale , j'ofe dire qu'on n'a pref-
» que rien ajouté à fes expériences .
ود
و د
En effet toutes celles qu'il cite ne nous
indiquent aucun nouveau moyen ; mais il
y en a de très- curieufes , & la plus furprenante
eft celle de Farenheit rapportée par
Boerhaave. Farenheit , par une infufion
d'efprit de nitre fur la glace , fit defcendre
le thermometre à 40 degrés au deffous
2
de zero , c'est-à- dire 72 degrés au deffous
du terme de la glace.
Fiv
123 MERCURE DE FRANCE.
M. de Réaumur a examiné quels feroient
les moyens de faire les glaces à meilleur
marché. Nous voulons que les glaces
foient en neige. Les fels les plus propres à
cet effet font , dit- il , ceux qui produifent
un froid moindre , mais plus durable : il
propofe donc préférablement au fel marin ,
les foudes même les plus mauvaiſes , celles
qu'on a pour 2 fols la livre. La cendre
de bois neuf , fi l'on n'eft pas preffé ,
mais fi l'on n'a pas le temps d'attendre , la
potaffe qui coûte moins que le fel marin ,
produit un froid de deux degrés plus confidérable
.
Tous les phénomenes dont cet Ouvrage
eft une collection , & furtout les expériences
de M. Cullen , prouvent que le refroi
diffement des liqueurs vient de leur évaporation
.
ود
Ainfi 1 °. tous liquides en évaporation
» font capables de refroidir les corps de
deffus lefquels ils s'évaporent ; 2 ° . la
diffolution des fels neutres dans l'eau eft
accompagnée d'un refroidiffement d'au-
» tant plus confidérable que la diffolution
» eft plus prompte ; 3 ° . tout ce qui eft capable
de diffoudre la glace & de fe mê-
» ler à l'eau qui réfulte de la diffolution ,
augmente l'énergie de la propriété qu'elle
»a de refroidir les corps auxquels elle eft
32
92
OCTOBRE. 1758. 129
99
appliquée ; 4. l'application de certains
» acides à quelques fels neutres , furtout
» au fel ammoniac & aux alkalis volatils ,
» cauſe un froid fenfible . De ces différens
» moyens , il y en a trois qu'on peut employer
pour rafraîchir les boiffons pen-
» dant les chaleurs de l'été. Le plus prompt
» & le plus efficace eft d'entourer de glace
» les vafes qui les contiennent ; mais
» comme on n'eft pas toujours à portée
» d'avoir de la glace , on peut lui fubfti-
» tuer les fels , furtout le fel ammoniac
" dont on diffoudra une certaine quantité
» dans l'eau , dans laquelle on plongera cest
vaiffeaux. La cherté dé ce fel fera fans
» doute de
que peu gens y auront recours ;
» en ce cas , l'on pourra s'en tenir à la méthode
des Indiens' , & pourvu qu'on ait
foin de placer les bouteilles ou les autres
vaiffeaux qui contiendront les liqueurs
dans un lieu où il y ait un courant d'air ,
» de les envelopper d'un linge qu'on aura
> foin de tenir toujours humecté , fans cependant
que l'eau en découle , on fe
» procurera des boiffons affez fraîches
pour tempérer les chaleurs les plus fortes
» que nous éprouvions dans ces climats. »
Nota. On fe plaint avec raifon du peu
de ménagement avec lequel l'Auteur a
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
parlé de quelques Sçavans recommanda
bles , & que devroit refpecter plus que
perfonne un Arifte qui n'a ici d'autre
mérite que de recueillir ce qu'on a découvert
avant lui.
DISCOURS qui a remporté le prix d'Eloquence
de l'Académie Françoife en l'année
1758 , par M..Soret , Avocat .
Le fujer propofé étoit , qu'il n'y a point
de paix pour les méchans : non eft pax impiis
, Ifaie ch . 57. V. 2 .
*
M. Soret a entrepris de prouver qu'il
n'y a point de paix pour les méchans
1º. avec eux-mêmes ; 2 °. avec les autres.
Avec eux- mêmes , parce qu'ils réfiftent aux
idées de rectitude que l'Auteur de la raifon
a gravées dans tous les efprits , & parce
qu'ils fe livrent à des paffions , dont let
propre eft de jetter le trouble & l'amertu
me dans tous les coeurs Avec les autres
parce qu'ils choquent ces mêmes idées , &
qu'ils bleffent l'intérêt de ces mêmes paſfions
dans le refte des hommes..
3 .
Dans la premiere partie , il en appelle à
tous les fcélérats de l'univers.: ».En eft- il
un feul qui ne fcache ce qu'il en coûte
»pour devenir vicieux ? Quelle que foit la
trempe du caractere , & fon inclinatione
au mal , l'empire du vice ne s'établit pas
29
OCTOBRE. 1758. 131
#
* fans réſiſtance. La nature eft le premier
» bourreau qui l'outrage : elle a des droits
qu'elle préfente vivement à l'efprit ,
"
و د
qu'elle défend avec force contre les éga-
» remens du coeur. Lors même que les paf
» fions triomphent , la raifon , en fuccom
» bant , jette un cri qui reclame contre l'ufurpation
de fes tirans. Le premier pas
» vers le crime eft un tourment , & de
> nouveaux excès ne font qu'un accroiffe-
» ment de malheurs
"
Il examine enfuite fi le vice ne donne
pas enfin le repos qu'il promer. Et là il interroge
la confcience des impies , des fcé
lérats & des brigands.
ود
» Il eft poffible aux méchans de s'étourdir;
» & non de fe convaincre. La léthargie de
» l'ame n'en eft pas le repos. « Il prouve ,par
la morale des anciens , que la nature étoit
plus forte que la fuperftition elle- même.
33°
On peut lui oppofer » que les idées des
devoirs moraux , que les remords inféparables
de la tranfgreffion des Loix font
» les fruits de l'éducation . « Il répond que
» fi ce font des préjugés , ce font les préjugés
de l'univers ; « ( ni la difficulté ,
ni la folution ne me paroît préfentée dans
Toute fa force. ).
"
Il palle au trouble des paffions & aux
tourmens qu'elles caufent. Le bonheur 27-
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
» confifte dans le repos , & les méchans le
cherchent dans l'agitation ; il n'y a donc
"3
point de bonheur pour eux... Le vice eft
» la maladie de l'ame : dans cet état de fer-
» mentation & de violence , elle effaye de
» toutes les fituations , fans en trouver une
" feule où elle puiffe fe fixer & fe repofer...
" Pour bien peindre , dit- il , la fituation
des méchans , il faudroit l'être ..» ( Il me
femble au contraire qu'il faut ne l'être.
pas. ) (1)
»
92
وو
Il pofe pour principe dans la feconde
partie , qu'à quelque excès de perverfité
qu'on foit parvenu , on ne s'en
croit pas moins digne d'égards & de ref-
» pect . Les fléaux du genre humain , ditil,
n'en veulent pas être le rebut ... I
" faut donc que les méchans foient conti
nuellement occupés du foin pénible
d'envelopper leurs ames pour en cacher
» la noirceur . « N'y a t'il pas ici une efpece
de contradiction ? Celui qui fe croir
digne de refpect , croit - il avoir befoin d'envelopper
fon ame ? Il eft plus vrai de dire
que les méchans ont , au fond de leur ame ,
un tribunal qui les condamne.
??
L'Auteur le reconnoît lui-même. S'ils
» font jugés & condamnés , dit- il , au tri-
» bunal de leur propre raifon , comment
( 1 ) C'eft une queftion que je prends la liberté de propofer
à réfoudre.
OCTOBRE. 1758. FF3
échapperont- ils aux regards féveres d'un
» Public , qui n'a nul intérêt de juſtifier
leurs défordres , ou de les diffimuler ? » 22
» Ce cri ( de la cenfure ) plus fort que
la voix de l'adulation , franchit même
» les barrieres qui défendent les Grands
» contre les approches de la vérité. Il humilie
les Conquérans à la tête de leurs
» armées victorieuſes , parce qu'il eft bien
plus aifé d'enlever aux hommes leur poffeffion
que leurs fuffrages ; & que l'empire
des nations n'eft pas celui des coeurs.
"
Mais quand les méchans auroient ce
» courage infolent , qui fe croit au -deffus
» de l'honneur , & qui eft affez indigne de
» l'eftime publique pour la méprifer...
"
30
pourront- ils fe promettre des jours fe-
» reins ? Non , fans doute. L'amour- pro-
» pre , deftructif du bonheur public , eeflt.
» néceffairement repouffé par l'amour- pro-
» pre des particuliers intéreffés à fe défen
dre... Ils s'affoibliffent de tous les coups
qu'ils portent , femblables à la foudre qui
» fe confume & s'éteint par éclats. »• S'il
m'eft permis de le dire , cette image obfcurcit
l'idée , au lieu de la rendre fenfible ,
La foibleffe des méchans ne vient point de
l'épuisement de leurs forces ; mais de la
réunion des forces oppofées.
ל כ
M. Soret s'adreffe enfin aux oppreffeurs
134 MERCURE DE FRANCE.
de la Société , & leur préfente l'effrayant
tableau des vengeances du Ciel & de la
terre , appéfanties fur Jefabel , Athalie ,
Joas & Catilina. Qu'il me foit permis de
témoigner la furpriſe que cet affemblage
m'a caufée .
Le fuffrage de l'Académie Françoife femble
devoir impofer filence à la critique
mais obfervons , pour la gloire de l'Académie
elle- même , qu'elle prétend couronner
un ouvrage eſtimable , & non pas
un ouvrage parfait ; & il eft d'autant plus
utile d'en relever les défauts , que l'exemple
peut en être plus contagieux , vu l'autorité
que leur donne le prix accordé à
l'ouvrage.
Celui - ci donc me femble ne développer
de fon fujet que la partie la moins importante.
Je m'explique :
L'Académie , en propofant de rendre
cette vérité fenfible , il n'y a point de paix
pour les méchans , ne demandoit pas que
T'on prît la peine de prouver qu'il n'y a
point de paix pour les affaffins & les incendiaires
, pour les Cartouches & les Nérons
: c'est de l'éloquence perdue. Les tirans
, les fcélérats , qui foulent aux pieds
toutes les loix de la Société & de la nature,
qui s'engraiffent de rapine , & qui fe bair
gnent dans le fang ; ces fléaux de l'huma
OCTOBRE . 1758. Fry
nité font des méchans , & les plus déteſtables
fans doute. Mais il eft de toute évidence
que ces méchans ne fçauroient vivre
en paix. Le point effentiel étoit de faire
voir qu'il n'y a point de paix pour une
claffe de méchans , plus fouvent impunis ,
& plus tranquiles en apparence , pour ces
méchans que la Société tolere & nourric
dans fon fein , pour le calomniateur , pour
l'envieux , pour l'ami perfide , pour l'amant
féducteur , pour le Juge corrompu , pour
le pere dénaturé , pour le dépofitaire infidéle
, pour l'homme qui , fans être armé
du poignard ou du poifon , facrifie en fecret
à fa cupidité , à fon ambition , à fon
reffentiment , à lui- même enfin , tout ce
que les hommes fe doivent mutuellement ,
& tout ce qu'ils doivent à la Société. C'étoit
en pénétrant dans le cabinet du tuteur
enrichi de la dépouille du pupile , dans le
lit du corrupteur effréné , dans la retraite
du calomniateur hypocrite , dans la confcience
du méchant livré à fes réflexions , à
fes craintes , à fes remords , que Fon eûs
trouvé des tableaux à peindre. Quel état ,
par exemple , que celui de l'homme de
Cour qui vient de noircir ou rendre fufpect
un concurrent vertueux , & qui eft
perdu lui- même fi la vérité perce ! Quel
état que celui de l'exacteur tyrannique ,
136 MERCURE DE FRANCE.
dont le fupplice eſt préparé , fi le cri dư
peuple eft entendu !
Voilà , je crois , quels étoient les méchans
que défignoit l'Académie , & dont
elle vouloit qu'on mît au grand jour l'agitation
& les tortures fecrettes , en levant le
rideau qui femble annoncer le fommeil de
la confcience , & le filence des remords..
Ce qui frappe tous les yeux , ne laiſſe
rien de neuf à dire : ce n'eſt qu'en approfondiffant
la nature , en remontant des effers
aux cauſes , en fe pénétrant de fon objet
, conçu dans toute fon étendue , qu'on
s'éleve au-deffus de foi-même & des autres
, qu'on s'éclaire & qu'on les inftruit .
L'Ode qui a remporté le prix de Poésie ,
au volume prochain.
PRINCIPES difcutés pour faciliter l'intelligence
des Livres Prophétiques , & fpécialement
des Pleaumes , relativement à la
langue originale. A Paris , chez P. G.
Simon , rue de la Harpe , à l'Hercule , &
chez Heriſſant , rue Neuve- Notre- Dame.
Les quatre premiers volumes de ce bel Ou
vrage ont paru en 1755 ; mais fon importance
exige que j'en donne une idée complette.
Je me propoſe donc de commencer
par ces premiers volumes dans les Extraits
que j'en ferai. Je crois pouvoir annonces
OCTOBRE . 1758 . 137″
qu'on fera furpris de la clarté que ce travail
immenfe de M. l'Abbé de Vilefroi ,
& des fçavans Religieux qui le fecondent ,
a répandu fur les Ecrits des Prophetes.
HISTOIRE de la vie de Jules Céfar , fui→
vie d'une Differtation fur la Liberté , où
l'on montre les avantages du Gouvernement
Monarchique fur le Républicain ; dédiée
à Madame la Marquife de Pompadour
, par M. de Bury , 2 vol. in- 12 .
(l'Extrait au Mercure prochain. )
-
LA NOBLESSE telle qu'elle doit être , ou
Moyen de l'employer utilement pour ellemême
, & pour la patrie. A Amfterdam ,
& fe trouve à Paris , chez Auguftin . Martin
Lottin , l'aîné , rue S. Jacques , près S.
Yves , au Coq.
MÉMOIRE fur l'utilité , la nature & l'exportation
du Charbon Minéral , par M. de
Tilly. A Paris , chez le même.
TRAITÉ des corps folides , & des fluides
du corps humain ; ou Examen du mouvement
des liqueurs animales dans leurs vaiffeaux
, par M. Malouin , Docteur en la Faculté
de Médecine de l'Univerfité de Caën .
Nouvelle Edition , augmentée d'un Traité
des Langues vivantes dans les Sciences ,
138 MERCURE DE FRANCE.
particuliérement de la Françoiſe en Médecine.
A Paris , chez la veuve de Ch.
Maur. d'Houry , rue de la Vieille Bouclerie
.
L'Extrait du Traité des Langues vivantes
c. dans l'un des volumes fuivans.
MERCURE de Vittorio Siri , contenant
Hiftoire Générale de l'Europe , depuis
1640 jufqu'en 1655 , traduit de l'Italien ,
par M. Requier , tome onzieme. A Paris ,
chez Durand , rue du Foin , 1758. vol.
in-12.
L'HISTOIRE d'Hercule le Thébain , tirée
de différens Auteurs , à laquelle on a joint
la Deſcription des Tableaux qu'elle peut
fournir. Par l'Auteur des Tableaux tirés
d'Homere & de Virgile , avec des Obfervations
fur le Coſtume , &c. I vol in 8°.
A Paris , chez Tillard , quai des Auguf
tins , 1758.
Je rendrai compte de cet Ouvrage dans le
Mercure de Novembre.
TABLE alphabétique des Dictionnaires ,
en toutes fortes de Langues , & fur toutes
fortes de Sciences & d'Arts. Brochure in-12
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des Auguftins , & Hériſſant , rue Notre-
Dame , 175,8%
OCTOBRE . 1758. 139
Chez les mêmes Libraires fe vend la
Differtation fur les Bibliotheques avec
une Table alphabétique , tant des Ouvrages
publiés fous le titre de Bibliotheques ,
que des Catalogues imprimés de plufieurs
cabinets de France & des pays étrangers.-
Brochure in- 12.
MICHAELIS Maieri Cantilena intellectua
les de Phanice Redivivo , ou Chanfons intellectuelles
fur la réfurrection du Phénix ,
par Michel Maier , &c. traduites en François
fur l'original Latin , par M. L. L. M.
vol. in- 12 . A Paris , chez Debure , l'aîné
quai des Auguftins , 1758. Le prix eft de
3 liv. relié.
2
Je donnerai dans la fuite une idée de cer
Ouvrage fingulier.
SYSTEME de la fplendeur des Empires
en forme de ſpectacle. Salus populi fuprema
lex efto. Cic. de Log. lib. 3. A Amfterdam ,
chez Arkftée & Merkus , in- 12 , 1758 .
LE GUIDE du Voyageur , ou Dialogues
en François & en Latin , à l'ufage des
Militaires & des perfonnes qui voyagent
dans les pays étrangers , avec un Vocabu
laire des mots les plus ufités , foit pour les
befoins de la vie , foit pour la converfa
140 MERCURE DE FRANCE.
1
tion. On y a ajouté le nom des Villes les
plus célebres de l'Europe , leur distance de
Paris , & l'indication de ce qu'il y a de
plus curieux. A Paris , chez Guillyn , quai
des Auguftins , in- 12 . 1758 .
L'OPTICIEN ou Lettre de M. l'Abbé de
là Ville-Saint- Bon , à M. l'Abbé de ***,
fur les Myopes ou vues courtes , & les
louches. Brochure in- 12 de 20 pages. A
Paris , chez Vincent , rue S. Severin , &
chez l'Auteur , rue de la Verrerie , vis- àvis
celle des Billettes , chez M. de Graville
L'ART d'enſeigner à lire , &c. A Pont à
Mouffon, chez Martin Thierry. Brochure
in- 12.
DISSERTATION fur l'utilité & la néceffité
du Rudiment François , à l'ufage des
deux fexes , & c.
OBSERVATIONS fur une nouvelle conftruction
de Pendule très - commode , &
bien plus folide que toutes celles qui ont
paru jufqu'ici. Par le fieur Ridrot , fils ,
Maître Horloger , à Paris.
LETTRE du Prince de Praffe mourant ,
au Roi fon frere , 1758. Se trouve à Pas
, chez Giffart , rue S. Jacques.
OCTOBRE. 1758. 141
QUESTIONS Catékétiques , ou ifagogiques
& préparatoires aux vérités du Catéchifme.
A Paris , chez Boudet , rue S.
Jacques.
EPHRAIM juftifié. Mémoire hiftorique
& raifonné fur l'état paffé , préfent &
futur des finances de Saxe , avec le parallele
de l'économie Pruffienne & de l'économie
Saxonne , & c. A Erlang, 1758 , &
fe trouve à Paris , chez Giffart.
DELPHINIE . A Paris , chez Cuiffart
quai de Gêvres , 1758.
DISSERTATION en forme de Lettre , fur
l'effet des Topiques dans les maladies
internes , & particuliérement fur celui
du fieur Arnoult contre l'apoplexie , &c.
A Paris , chez la veuve Delormel , rue du
Foin , 1758.
HISTOIRE des Mathématiques , dans
laquelle on rend compte de leur progrès ,
depuis leur origine jufqu'à nos jours , ou
l'on expofe le tableau & le développement
des principales découvertes , les conteftations
qu'elles ont fait naître , & les principaux
traits de la vie des Mathématiciens
les plus célebres ; par M. Montucla , de
142 MERCURE DE FRANCE .
l'Académie Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Pruffe , 2 vol. in 4 °. avec Planches.
A Paris , chez Jombert , Imprimeur-
Libraire , rue Dauphine. Prix 27 liv. brochés
, & 30 liv. reliés.
& 30
Je donnerai le plutôt qu'il me fera poffible
Textrait de cet excellent Ouvrage.
ELÉMENS de l'Architecture Navale , ou
Traité Pratique de la Conftruction des
Vaiffeaux ; par M. Duhamel - du Monceau ,
de l'Académie Royale des Sciences , de la
Société Royale de Londres , Honoraire de
la Société d'Edimbourg , & de l'Académie
de Marine . Seconde édition , revue &
augmentée par l'Auteur , 1 vol . in -4° . avec
des Planches en taille - douce. Prix 15 liv.
relié. Chez le même Libraire.
HYPERMNESTRE, Tragédie, vue & jugée
par un Suiffe, à la premiere repréſentation,
à laquelle on a joint une comparaiſon de
cette Tragédie avec plufieurs qui ont paru
fur le même fujet. Broch , in 12 de 56 pp.
Chez le même Libraire.
. DISSERTATION fur l'effet de la Lumiere
dans les ombres , relativement à la Peinture ;
avec une Planche gravée en taille - douce.
Par M. C ***** . Broch. in- 12 de 32 pp.
Chez le même Libraire.
OCTOBRE . 1758. 143
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES. -
GRAMMAIRE,
PROSPECTUS d'une Nouvelle Mér
thode d'enfeigner le Latin ; par M. l'Abbé
Légeron.
Il
n'y a
que
trois
voies
pour
apprendre
les
Langues
, qui
font
l'ufage
, la compofition
& la lecture
des
bons
Auteurs
. La premiere
de ces
voies
eft
fans
doute
la meilleure
&
la
plus
facile
, puifqu'elle
eft
celle
que
la
nature
infpire
: mais
il eft
prefqu'impoffible
de la mettre
en
pratique
pour
le Latin
,
n'y
ayant
plus
perfonne
qui
puiffe
parler
purement
cette
Langue
, ou
qui
veuille
s'affujettir
à parler
habituellement
une
Lan
gue
qui
lui eft étrangere
. M.
le Fevre
, de
Saumur
, & M.
Pluche
, ont
clairement
démontré
l'abus
de
compofer
dans
ung
Langue
inconnue
.
Il ne nous refte donc qu'un feul moyen
pour apprendre le Latin , qui eft la lecture
144 MERCURE DE FRANCE.
des bons Auteurs. C'est ce que l'Univerfité
de Paris a reconnu dans fes Statuts.
Mais comment lire les Auteurs ? Faut-il
faire la conftruction , & rendre raifon des
regles. Voilà fur quoi roule toute la difficulté
. Quoique M. Pluche ait fuffisamment
prouvé que cette prétendue conftruction
eft une deftruction du Latin , je donnerai
les réflexions que j'ai faites fur cet ufage.
Les Langues étant pour exprimer les penfées
, les chofes doivent être entendues de
la façon qu'elles font dites : par conféquent
, comme l'ordre des mots dans le
difcours doit fuivre celui des idées ; l'ordre
des idées dans la lecture doit fuivre celui
des mots de cette forte ; Darium vicit Alexander.
Il faut d'abord fe repréfenter Darius
, enfuite l'action de vaincre , & enfin
Alexandre. Cette façon d'entendre le Latin
eft fans doute la meilleure , puifqu'elle eft
celle des Romains , qui ne connoiffoient
pas plus d'inverfion dans leur Langue , que
nous n'en connoiffons dans la nôtre ; puifqu'ils
apprenoient le Latin par ufage , comme
nous apprenons le François ; ce qu'ils
n'auroient pu faire s'ils y avoient.connu
une inverfion : car , outre la compagnie de
ceux qui parloient bien , il auroit encore
fallu des Maîtres pour inftruire de cette inverfion
. D'ailleurs , il auroit été bien difficile
OCTOBRE. 1758. 145
cile pour eux d'être toujours obligé de fe
repréſenter les chofes différemment qu'elles
font dites . Si l'on objecte que les idées ,
repréſentées
par la conftruction du Latin
ne font pas felon le génie , ou plutôt felon
la forme de la Langue Françoiſe , on aura
raifon car il faut entendre chaque Langue
felon le tour qui lui eft propre. Un
exemple nous en convaincra. Si un Anglois
, pour entendre notre Langue , en rengeoit
les mots felon le tour de la fienne , il
diroit : J'ai vu des bien taillées, allées ; j'ai
bu de bon blanc vin. Tout François connoît
le ridicule de ce renverfement ; celui
du Latin n'eft pas moins infupportable ;
car on ne doit point avoir befoin de déranger
un difcours déja clair pour l'entendre.
On objecte qu'il arrive fouvent qu'on
fçait la fignification de chaque mot d'une
phrafe , fans en pouvoir comprendre le
fens , faute de pouvoir faire la conſtruction.
Bien loin que cette objection favorife
l'ufage de faire le renversement du Latin
, elle est une preuve qu'il faut s'accoutumer
à entendre le Latin , comme il fe
trouve dans les Auteurs ; parce que l'homme
qui écrit bien , eft ſenſé donner à ſes
idées l'ordre le plus avantageux. La Langue
Latine n'étant pas toujours aftreinte à la
même marche , comme les Langues mo-
11. Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
dernes , lorfqu'on change d'Auteurs , on
trouve une nouvelle marche ; ce qui coûte
de nouvelles peines. Ainfi fe paffent plufieurs
années , & à la fin on n'eft guere
plus avancé , fi l'on ne travaille à rectifier
fon oreille : car pour entendre les Auteurs ,
lorfqu'on a appris le Latin par le moyen de
la conftruction , il faut fe repréfenter les
objets felon le tour du François , ce qui ne
fe fait pas fans peine , & ce qui altere infailliblement
la beauté de l'original . On
prend plaifir à lire , ou entendre lire les livres
François , mais peu de perfonnes s'amuſent
à entendre lire la bonne latinité ,
farre qu'on ne peut en fuivre la marche fans
beaucoup de réflexion , & une grande contention
d'efprit , étant obligé de prendre les
choſes différemment qu'elles font données.
Si au contraire on apprenoit le Latin par
uſage , c'eſt- à- dire , par la lecture des Auteurs
, fans faire d'inverfion ; auffi - tôt
qu'on auroit lu ou entendu lire une phraſe
Latine , on l'entendroit fans réflexion . Les
difcours les plus éloquens feroient le plus
de plaifir ; comme il arrivoit à la populace
de Rome , qui marquoit , par fes acclamations,
fa joie, lorfque Cicéron s'étoit appliqué
à faire un difcours plus fleuri qu'à
fon ordinaire : ce qui a fait dire à cet
Orateur qu'il ne croyoit pas qu'on pût être
OCTOBRE. 1758 . 147
homme , & ne pas entendre le Latin.
Il reste à examiner s'il faut apprendre les
déclinaifons , les conjugaifons & les regles,
avant que de lire les Auteurs. L'expérience
de toutes les nations prouve qu'on peut fe
paffer de ce faftidieux amas de préceptes.
En quelque pays que ce foit on apprend à
parler fans regles. Les Grammaires n'y font
employées que pour la perfection des Langues
, & non pour le commencement. Pour
nous convaincre que la lecture des Auteurs
peut apprendre le Latin fans regles , faifons
réflexion comment nous avons appris le
François. Chacun fçait qu'il ne l'a pas commencé
par regles. L'ufage feul nous a introduits
à la connoiffance de notre Langue ,
le même ufage doit nous introduire à la
connoiffance du Latin : car la langue Latine
ne renferme pas plus de difficultés que
la langue Françoife. On diftingue dans
Pune & l'autre les huit parties du difcours ;
les différens nombres , genres , cas , temps ,
modes , dégrés de comparaifon , &c. Il eft
des perfonnes qui croient que la Langue
Françoiſe n'a point de cas , & que par conféquent
elle eft plus aifée à appr ndre fans
regles que la Langue de Rome : mais mal
propos croient-ils que les noms François
n'ont point de cas : car comme , pour exprimer
en Latin l'animal raifonnable , l'on
1
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
,
dit , felon qu'il eft employé dans la phrafe ,
home , hominis , homini , hominem , &c. de
même en François l'on dit , l'homme , de
l'homme , à l'homme , ô homme , &c. Il
eft vrai que les déclinaifons Françoiſes different
des Latines , en ce qu'en François on
met au commencement du nom ce que les
Latins mettent à la fin , c'est -à- dire , que
les noms François , au lieu de changer de
terminaiſons changent de commencement
, par le moyen des articles que l'on
place devant. On pourroit objecter que ce
qu'on appelle cafus en latin eft un changement
de terminaiſon , & non de commencement
: qu'importe le nom , pourvu que
les mots fe trouvent équivalens ; la connoiffance
de ces articles n'eft pas moins néceffaire
pour la langue Françoife , que la
connoiffance des différentes terminaifons
des noms Latins ; car il feroit aufli ridicule
de dire Louis , de Roi France , que de dire
Ludovicus , Regis Gallia . L'ufage apprend
auffi facilement toutes les déclinaifons latines
, qu'il apprend les articles définis , indéfinis
, partitifs , &c. & les pluriels en
aux , als , ails , &c.
Si d'un côté la langue Latine a quelque
chofe de plus difficile que la langue Françoife
, comme font les dégrés de comparaifon
; les conjugaifons Françoifes en reven
OCTOBRE . 1758. 149
che font bien plus difficiles que les conjugaifons
Latines. On n'ajoute en Latin aux
trois temps naturels , que l'imparfait & le
plufqueparfait ; mais en François on y
en ajoute huit. Il y a bien des perfonnes
qui parlent très- bien notre langue , fans
avoir jamais étudié , dans des Grammaires ,
ces différens temps ; la pratique feule les
leur a mieux appris que n'auroient pu
faire les regles. Il en fera de même du Laein
,fi on l'apprend par ufage , on ne dira
pas plus , Deus bona , heri cenabo , cras cenavi
, amo Dei , Petrus Joanni falutavit
qu'on dit Dieu bonne , je fouperai hier ,
je foupai demain , j'aime de Dieu , Pierre
a falué à Jean ; l'oreille feule fera un guide
infaillible pour les deux Langues.
>
Je fçais les objections triviales qu'on
fait pour foutenir la méthode ordinaire.
Apprendre une Langue fans regles , c'eft
l'apprendre par routine ; langage qui s'oublie
d'abord. Pour faire un bon édifice , il
faut jetter de bons fondemens ; par conféquent
, pour bien fçavoir une Langue , il
faut bien en étudier les principes ; à l'exemple
des Romains , qui avoient un trèsgrand
foin de donner à leurs enfans des
Grammaires , tant pour la langue Latine
que pour la Grecque. Voilà ce qui fait illufion
, & ce qui rend tant d'études infruc-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
tueufes . En quelque pays que l'homme
naiffe , commence - t'il à parler par principes
? la Langue qu'il apprend s'oubliet'elle
? Il eft vrai que , pour faire un bon
édifice , il faut jetter de bons fondemens ;
mais il faut , auparavant que de commencer
à bâtir , avoir fait une bonne proviſion
de matériaux , & connoître l'ufage qu'on
en doit faire. Si l'on veut donc fuivre
exactement cette comparaifon , on doit
d'abord connoître quantité de mots , &
leur fignification propre , avant que de lire
les Grammaires ; c'eft ce qu'elles fuppofent
, car leurs regles finiffent fouvent en
difant : Selon le fens , felon l'oreille , qui
feule peut être juge dans ces fortes d'occafions.
Quant à l'exemple des Romains , tant
s'en faut qu'il favorife la coutume qu'on a
d'embrouiller l'efprit des commençans par
des regles de pure logique ; que tout au
contraire il eft une preuve évidente qu'il
faut commencer à apprendre le Latin fans
principes , comme ils faifoient : car quand
commençoient- ils à étudier les Grammaires
de leur Langue a ce ne pouvoit être que
lorfqu'ils parloient & entendoient le Latin.
Ils ne pouvoient les étudier que par
le moyen des livres écrits en Latin , ce qui
fuppofe qu'ils pouvoient déja lire , & enOCTOBRE
. 1758. 151
tendoient ce qu'ils lifoient . Ils obfervoient
la même méthode pour la langue d'Athenes
: ils mettoient auprès de leurs enfans
des efclaves Grecs de nation , qui , fans
être chargés de rien apprendre à ces enfans
, devenoient de très- bons maîtres pour
eux. Si nous voulons donc imiter les Romains
, il faut entendre & parler Latin premiérement
, & enfuite étudier les regles
pour le perfectionner . Voilà le vrai chemin
d'apprendre une Langue , tout autre
eft trompeur. Ceci eft bon , direz vous ,
pour les Langues vivantes , nous pouvons
les apprendre naturellement , fans regles ,
parce que nous trouvons autant de Maîtres
que de perfonnes à qui nous adreffons la
parole ; mais il n'en eft pas de même
des Langues mortes , on ne peut plus faire
la converfation avec les morts. Les Auteurs
ne font point à la vérité muets , ils
parlent très-bien mais ils font fourds
on ne peut point leur adreffer la parole ni
leur faire de queftions , ce qui oblige
d'avoir recours aux regles pour les entendre.
Voilà ce que l'on fait , & c'eſt ce
qu'il ne faudroit point faire. Si les Auteurs
qu'on lit font fourds , le Maître qui
les fait lire ne doit pas l'être. Les Ecoliers
peuvent lui adreffer la parole , & il doit
répondre & faire remarquer la fignifica-
:
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
tion des mots , en employant , s'il eft néceffaire
, les fignes , ou d'autres termes.
équivalens plus connus. En un mot , le
Maître qui enfeigne le Latin , doit imiter,
autant qu'il peut , un Romain . Avec ce
fecours , on doit apprendre le Latin en
lifant les livres , comme fi on entendoit
parler de vive- voix ceux qui les ont compofés
: car enfin que manque- t'il à ceux
qui veulent étudier cette Langue ? ils ont
de beaux difcours en toutes fortes de
genres , & des perfonnes pour les leur faire
entendre ; il n'y avoit rien de plus à Rome
du temps d'Augufte. Si. Ciceron vivoit
encore, & qu'il voulût enfeigner le Latin
à quelqu'un , il ne prendroit , fans doute ,
pas d'autre tour que celui qu'il avoit fait
prendre à fon fils pour la Langue d'Athenes.
M. l'Abbé Legeron a eu l'honneur de
préfenter ce Profpectus à M. l'Evêque de
Limoge , Précepteur de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne. Ce Prélat refpectable
a eu la bonté de le lire , & il a permis à
F'Auteur de dire qu'il trouvoit cette méthode
très-bonne , & que c'étoit celle qu'il
obfervoit pour Monfeigneur le Duc de.
Bourgogne.
OCTOBRE. 1758. 153
MEDECINE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
Vous avez inféré , Monfieur , dans
votre dernier Mercure , pag. 172 , une
lettre écrite delt Blaye , le 22 du mois de
- Novembre dernier , fignée Devilliers ; on
vous a prié de la rendre publique , à
deffein fans doute , d'implorer le fecours
des : Maîtres dans l'art de guérir , pour
une maladie affez extraordinaire. Com→
me la date de cette lettre eft déja furannée
( 1 ) , il y a apparence , ou que le ma
lade eft guéri , ou qu'il a défefpéré de
fa guérifon ; quoi qu'il en foit , je vous
prie de faire paffer à M. Devilliers , par
la voie du Mercure , les conjectures fui
vantes ; mais avant que de les hazarder ,
je répete le cas en deux mots.
Dans le mois de Mai 1757 , à cinq
heures du matin , la partie gauche du
vifage devint enflée depuis l'oeil jufqu'au
menton , & la moitié des deux levres
du même côté ; depuis ce temps -là , l'en
( 1 ) Ce n'eſt pas ma faute , fi elle a paru fis
yard.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE:
flure erre ou fe promene , felon les ter
mes du malade , fur toutes les parties du
vifage , fans jamais revenir deux fois de
fuite dans le même endroit ; elle commence
le matin & difparoît le foir , elle
eft dans tous les temps fans douleur :
cette enflure commence par un picottement
à la partie où furvient l'accident ,
& le gonflement s'éleve juſqu'à l'épaiffeur
des deux pouces , comme il paroît par les
termes de la lettre .
Ces gonflemens périodiques , fi fouvent
& fi long- temps répétés , ont leur
principe dans les folides. Les liquides
n'y font intéreffés qu'autant que leur diftribution
eft gênée par l'irrégularité des
fibres qui forment le vice local..
Ce vice local dépend du tiffu cellulaire
; les vaiffeaux de la lymphe n'y font
compris que d'une maniere paffive , de
même que ceux du fang : fi le gonflement
provenoit d'un engorgement des
uns ou des autres , il ne fe diffiperoit
pas fi aifément ; d'ailleurs , s'il provenoit
des vaiffeaux fanguins , il paroîtroit à la
partie gonflée quelque marque de phlogofe
, où il y auroit quelque fenfibilité
ce qui n'a jamais lieu.
Le tiffu cellulaire péche par le reffort
de fes fibres elles n'ont pas affez de
:
OCTOBRE. 1758. 155
ton , leur élasticité ne fe foutient pas
dans le vifage d'une maniere égale : les
mufcles de cette partie n'ont pas de point,
d'appui qui foit ferme , le tiffu cellulaire
eft comme le ciment qui unit les fibres
les unes aux autres & qui en foutient
la denfité il prend fa principale force.
des muſcles ; pour peu que ceux-ci déclinent
de leur proportion naturelle , le
tiffu cellulaire fe relâche dans la même
proportion.
,
Les liquides , qui font contenus dans
le tiffu cellulaire , ne circulent pas comme
ceux des vaiffeaux : ils paffent de
cellule en cellule par infiltration & par
une pente comme paffive ; pour peu que
les fibres de ce tiffu foient relâchées en
quelque partie , il s'y forme des congeftions
des liquides & des engorgemens ,
qui fe communiquent de cellule en cellule
, gênent la circulation & forment un
gonflement , une tumeur qui fait des progrès
, jufqu'à ce que ceux - ci foient bornés
par quelque réfiftance fupérieure à
l'action qui les produit.
Les réfiftances qui s'oppofent aux progrès
de ces tumeurs , font formées par le
corps des mufcles , par les tendons , par
les cartilages , & c. qui fe trouvent au
vifage de diſtance en diftance . Ces gonfle
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
mens doivent prendre différentes formes ,
felon les réfiftances qui les bornent &
qui en forment , pour ainfi dire , le dia--
metre..
Ces accidens ont toujours lieu le marin
, parce que des corps qui tendent au
relâchement , font plus relâchés pendant
le repos : c'eft ce qui arrive au tiflu cellulaire
où fe forment les engorgemens.
Ces engorgemens fe diffipent bien -tôt
pendant le jour , parce que les fibres relâchées
par le fommeil , font ranimées par
la veille , par l'exercice , par l'action des
muſcles , de la langue , des mâchoires
du cou , par l'action de l'efprit , & par
l'énergie des mouvemens du corps qui
répondent à fon action ..
Le gonflement ne revient pas deux
fois de fuite au même endroit , c'eft
parce que les efforts qui s'étoient faits
la veillé à l'endroit du vice local , tant
par les matieres , qui en féjournant avoient
irrité les fibres , que par la nature qui
avoit follicité leur élafticité , pour diffiper
& difperfer les liquides qui formoient
la tumeur , ont augmenté pour un temps
le reffort des membranes cellulaires qui
étoient affectées , mais qui , reprenant enfuite
leur ton ordinaire , redeviennent
fajettes aux mêmes accidens..
"
OCTOBRE. 1758. **
Si ces gonflemens avoient leur principa
les caufes dans les liquides , il ne s'en feroit
pas des délitefcences fi fouvent réitérées
& fi parfaites ; il en auroit refté des mar--
ques dans quelques parties d'ailleurs ,
ces matieres étrangeres, fuppofons- les pour
un instant , étant fi fouvent reforbées dans
les liquides , en auroient dérangé le tiffu
ou produit la cacochimie ; ce qui paroît
ne pas avoir lieu , puifque le malade
jouit d'ailleurs d'une bonne fanté.
On ne peut pas affigner la caufe dus
défaut d'élafticité du tilfu cellulaire dans
le vifage du malade , il n'a pas donné
dans fa lettre , des notions fuffifantes pour
fe décider fur cet objet ; d'ailleurs , il pent
furvenir des dérangemens dans chaque
partie du corps , dont on ne fçauroit affi
gner de caufe fenfible ; il fuffic , pour les
guérir , d'en connoître la nature.
Le Traité des affections vaporeufes du
Sexe , que je viens de lire , m'a fourni
Fidée de ces réflexions ; la nature du vrai
méchaniſme , eft tellement dévoilée dans
cet ouvrage , qu'on ne peut , d'après les
principes qu'il éclaircit , que s'appercevoir
de ce qui trouble les fonctions de
nos corps & des accidens qui s'enfuivent.
Les Médecins qui font à portée du malade
, trouveront dans la lecture de ce Trai
158 MERCURE DE FRANCE .
té , des reffources pour le délivrer de fes
accidens & pour en prévenir le retour.
J'ai l'honneur d'être , &c .
DELEAU.
A Paris , ce 6 Septembre 1758 .
SÉANCE PUBLIQUE
3
De l'Académie des Sciences , Belles- Lettres
& Arts d'Amiens.
CETTE Séance tenue le 25 Août 1758 ,
a été ouverte par M. Petyft , qui a fait un
Difcours fur l'Utilité & le danger des lectures.
M. Baron , Secretaire perpétuel , a fait
l'éloge de M. le Boulanger , Académicien
honoraire , & de M. l'Abbé d'Hangeſt
Académicien réfident , morts pendant le
cours de cette année .
M. d'Efmery a lu un Difcours phyfique
pour prouver que nous naiffons ce que
nous devons être.
M. le Blanc- des Meillarts a lu des Obfervations
économiques fur le chanvre.
M. l'Abbé du Quef a lu une Differtation
fur les bonnes & mauvaiſes qualités attribuées
aux Picards.
Le Prix de l'Ecole de Botanique , donné
OCTOBRE. 1758. 159 .
par M. d'Efmery , Profeffeur , a été remporté
concurremment par MM. Canis & du
Meige. L'Eleve qui en a le plus approché
eft M. Loque.
L'Académie n'ayant reçu fur les fujets
propofés pour les prix , qu'un petit nombre
de Pieces qui ne lui ont point paru remplir
fes vues , annonce que pour les Prix de
l'année 1759 , qui font deux Médailles
d'or , valans chacune 300 liv. elle propofe
les fujets fuivans : Les moyens de naviger
dans les mers du Nord avec les mêmes avantages
que les autres peuples voifins , e par
là d'y augmenter le commerce.
Combien une faine critique contribue au
progrès des talens , & combien la fatyre y est
contraire .
Les Ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
premier Juin exclufivement ; ils feront
affranchis de port , & adreffés à M.
Baron , Secretaire perpétuel de l'Académie
à Amiens .
160 MERCURE DE FRANCE .
ASSEMBLÉE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de Montauban.
LE 25 Août , l'Académie a célébré la
Fête de S. Louis , felon fon ufage. Elle a
affifté le matin à une Meffe fuivie de
1
Exandiat pour le Roi , & au Panégyrique
du Saint prononcé par le R. P. Martin,
Carme ; & elle a tenu , après -midi , une
Affemblée publique dans la falle de l'Hôtelde-
Ville.
M. de Scorbiac- de Luftrac , Directeur
de quartier , a ouvert la féance par un Diſcours
où , après avoir montré les divers
avantages qu'on retire de l'étude des belles-
Lettres , il a prouvé qu'on a tort de leur
imputer les écarts qu'on reproche quelquefois
à ceux qui les cultivent.
M. de Saint-Hubert a lu enfuite des
Vers où , en fervant d'interprete aux Dames
, il a demandé à l'Académie un Ouvrage
qui puiffe particuliérement les intéreffer
dans une Affemblée publique.
M. l'Abbé Béllet a lu des Obfervations
fur Boileau , où il s'eft attaché à découvrir.
& à montrer le degré de fentiment que ce
Poëte a mis dans fes différens Ouvrages.
OCTOBRE. 1758. 161
Cette lecture a été fuivie de celle d'un
Difcours en vers , où M. Bernoy a fait fentir
la différence qu'il y a entre la critiques
& la raillerie ; & combien il importe aux
Auteurs d'employer par préférence dans
leurs écrits les beautés fimples & naturelles.
M. Carrere , fils , a continué la lecture
de fon Ouvrage fur l'union de l'efprit des:
Lettres avec l'efprit du Gouvernement ; il a
prouvé dans le plus grand détail que les
connoiffances les plus néceſſaires à l'homme
d'Etat font renfermées dans les trésors de la
Littérature.
M. Bernoy a lu encore une piece de
Vers ayant pour titre , Avis aux Dames.
Il les a invitées à profiter des reffources:
que les Lettres offrent à tout le monde.
M. l'Abbé de Verthamont a lu un Difcours
, où il a montré que les Lettres ont
de quoi nourrir & fatisfaire la curiofité qui
eft fi naturelle à l'homme..
M. de Saint- Hubert , pour venger la
rime du reproche qu'on lui fait d'être difficile
& affujettiffante , a lu une piece de
Vers , où n'employant à deffein que la:
même rime , il a prouvé qu'il ne lui en
coûte rien de la trouver , & que chez
lui elle eſt toujours d'accord avec la
raifon.
162 MERCURE DE FRANCE.
La féance a été terminée par la lecture
du Programme fuivant.
M. l'Evêque de Montauban ayant
deftiné
la fomme de deux cens cinquante livres,
pour donner un prix de pareille valeur à
celui qui , au jugement de l'Académie des
Belles Lettres de cette Ville , ſe trouvera
avoir fait le meilleur Difcours fur un fujet
relatif à quelque point de morale tiré des
Livres faints , l'Académie diftribuera ce
Prix le 25 Août prochain , fête de S. Louis,
Roi de France.
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1759 , Combien un esprit trop fubtil ref
femble à un efprit faux , conformément à
ces paroles de l'Ecriture fainte : Neque
plus fapias quam neceffe eft , ne obftupefcas
Eccl. vII , 17.
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propofé , d'éviter le ton de décla
mateur , de ne point s'écarter de leur plan,
& d'en remplir toutes les parties avec jufteffe
& avec préciſion.
Les Difcours ne feront tout au plus que
de demi -heure , & finiront toujours par
une courte priere à Jésus- Chrift .
On n'en recevra aucun qui n'ait une
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
OCTOBRE. 1758. 163
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais feulement
une marque ou paraphe, avec un paffage de
l'Ecriture fainte ou d'un Pere de l'Eglife ,
qu'on écrira auffi fur le regiftre du Secrecretaire
de l'Académie .
L'Académie a un Prix réfervé qu'elle
deftine à une Ode ou à un Poëe dont le
fujet fera pour l'année 1759 , Le luxe fut
la premiere caufe de la décadence de Rome.
Il y aura ainfi deux Prix à diftribuer ,
l'année 1759 , un Prix d'éloquence & un
Prix de poéfie.
Les Auteurs feront remettre leurs Ouvrages
pendant tout le mois de Mai prochain
, entre les mains de M. de Bernoy ,
Secretaire perpétuel de l'Académie , en fa
maiſon rue Montmurat , ou en fon abfence
, à M. l'Abbé Bellet , en fa maiſon
rue Cour- de- Toulouſe.
Le Prix ne fera délivré à aucun qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préſente en
perfonne , ou par procureur , pour le recevoir
& pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secretaire trois copies bien lifibles de leurs
Ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte. Sans ces deux
conditions les Ouvrages ne feront point
admis au concours.
164 MERCURE DE FRANCE .
Le Prix de cette année a été adjugé au
Difcours qui a pour fentence , Quiafuper
pauca fuifti fidelis, fuper multa te conftituam.
S. Matth. ch. 25 .
M. Defclairons , Ingénieur du Roi , à
Calais , s'eft déclaré l'Auteur de ce Difcours.
OCTOBRE. 1758. 165
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
DESSEIN , & c.
RÉPONSE de M. l'Abbé Pernetti à
une Lettre anonyme qui lui eft adreffée
dans le fecond volume du Mercure du
mais d'Avril de cette année.
ONN croiroit , Monfieur , au ton affirmatif
de votre lettre , que vous êtes effectivement
inftruit fur tout ce que vous dites
, & l'on fe tromperoit. Comment fe
peut- il que vous fuffiez à Lyon , lors de
l'établiſſement dont vous parlez & que
vous ne foyez pas mieux informé de fes
objets , de fa forme , de fa dénomination
même des noms de fes fondateurs , qui
font auffi défigurés dans votre lifte que
leurs qualités & leur état ? Je vous prie ,
Monfieur , de trouver bon , puifque vous
166 MERCURE
DE FRANCE
.
vous adreffez à moi , que je faffe connoître
la vérité pour empêcher le public de tomber
dans des erreurs où il femble qu'on
cherche à le jetter.
Il y a plus de dix ans qu'il s'étoit formé
dans cette ville , chez M. Nonotte ,
une Ecole de deffein que M. l'Abbé de la
Croix , Obéancier
de Saint Juft , encourageoit
par des prix qu'il y diftribuoit
à fes
frais ; les fuccès dont elle fut fuivie , fient
fentir combien feroit utile un établitlement
plus étendu , dont l'objet embrafferoit
tous
les arts néceffaires
à la perfection
des Ouvriers
& Artifans dans tous les genres. Le même M. l'Abbé de la Croix , ſe donna
des foins pour réunir un certain nombre
d'amateurs
& en former une Société qui
pût fournir aux jeunes gens du peuple les
moyens d'acquérir
gratis , les principes généraux
de la Géométrie
pratique , de l'Architecture
, du Deffein , des Méchaniques
& c. Ce plan fut concerté & arrêté chez
une perfonne
auffi diftinguée
par la place
qu'elle occupoit
alors à Lyon , que par
un penchant
décidé pour tout ce qui pouvoit
être avantageux
au public : cette Eco- le en a déja reffenti les ffers . On demanda
la protection
de M. le Duc de Villeroi ,
Gouverneur
de Lyon , qui voulut bien
l'accordér
dans les termes les plus flatteurs.
OCTOBRE. 1758. 167
?
M. le Marquis de Marigny , promit de
même la fienne ; enfin les Magiftrats , tous
les Ordres de la ville applaudirent , & plu- .
fieurs Artistes d'un mérite connu , dont le
défintéreffement mérite bien d'être rendu
public , s'engagerent à donner leurs foins ,
gratis , dans cette nouvelle Ecole ; l'ouverture
s'en fit dans les premiers jours de
1757 , par la partie du Deffein , parce
qu'elle fe trouva prête la premiere .
M. Frontier , Peintre du Roi , adjoint
à Profeffeur , dans fon Académie de Peinture
& Sculpture ; M. Nonotte , auffi Peintre
du Roi , dans la même Académie
membre de la Société Royale de cette
ville , & M. Perrache , Sculpteur , membre
de la même Société Royale & de
l'Académie de Florence , voulurent bien
fe charger de diriger , chacun à leur tour ,
de mois en mois , le travail des Eleves.
Peu de temps après , M. de Gournay , Architecte
& Mathématicien , Eleve & Adjoint
des Ecoles de M. de Trudaine , commença
les leçons de la Géométrie pratique.
On vit auffitôt les Menuifiers , Charpentiers
, Maçons, Tailleurs de pierre, &c ,
accourir avec tant d'empreffement , que
l'appartement fe trouvant trop refferré , on
eut recours à M. le Prévôt des Marchands ,
qui ena accordé un proportionné à la mul168
MERCURE DE FRANCE.
titude des Eleves . Les progrès de la partie
du Deffein n'ayant pas été moins rapides ,
la Société fut obligée de nommer , pour
aide à MM Frontier , Nonotte & Perrache
, M. Vilione . Cette Société nommera
de même d'autres Profeffeurs , Adjoints,
Aides , & c. dans chaque genre , autant
qu'elle jugera à propos , & fera tous les
changemens qu'elle croira convenables ,
mefure que ce plan acquerra l'étendue que
l'on fe propofe de lui donner dans la fuite .
à
Voilà , Monfieur , les véritables vues &
l'état actuel de l'établiffement dont vous
parlez . Ses fondateurs affurés des protections
qui leur font néceffaires , n'en recherchent
aucune autre , & ne connoiffent
point d'autres fupérieurs que ceux auxquels
ils ont communiqué leur projet général
: l'amour du bien public , le goût des
arts , l'indépendance & l'égalité ont été le
fondement de l'établiffement ; la générofité
des amateurs & l'habileté des Artiſtes
le foutiennent. Ils craignent fi fort la diftinction
des rangs entr'eux , qu'ils n'ont
pas même voulu s'élire un chef pour les
préfider. On pourroit appeller leur établiſ
fement, l'Ecole des Arts, s'ils vouloient lui
donner un nom ; mais fans prétendre à
aucun titre , ils veulent feulement faire du
bien trop contens pourvu , qu'ils réuffiffent
!
OCTOBRE. 1758. 169
fent ! En évitant de les nommer dans mon
Ouvrage , je me fuis conformé à leurs intentions.
Ils font fi connus qu'ils n'y perdent
rien , & la reconnoiffance de leurs
Concitoyens les flatte plus que les louanges
: j'ai cru cependant ne pouvoir me difpenfer
de parler de celui qui a donné lieu
à cet établiffement & de nommer les Artiftes
par la néceffité de fçavoir à qui s'adreffer
quand on a befoin de leurs leçons ;
mais fans prétendre décider de la fupério
rité de leurs talens auxquels perfonne ne
rend plus de juftice que moi , je dois encore
vous avertir , Monfieur , que cette
Société défavoue formellement tous les
articles inférés à ſon ſujet juſqu'à préfent ,
dans les livres & écrits périodiques , de
même que tout ce qu'on pourroit y inférer
à l'avenir , bien décidée à n'y faire
aucune réponſe.
Lorfque vous aurez des avis à me donner
, que ce foit , Monfieur , je vous en
conjure , avec un peu plus de connoiffance
de caufe , afin que je puiffe en profiter . Je
fuis très- parfaitement , Monfieur , & c .
L'Abbé PERNetti.
II.Vol. H
170 MERCURE
DE FRANCE
.
GRAVURE
.
LES Ruines de Balbec , autrement dit Héliopolis,
dans la Cælofyrie . Londres , 17 57.
L'ACCUEIL favorable que le public a fait
aux Ruines de Palmyre , publiées en 1754,
a été pour les Auteurs , une invitation à
en donner la continuation
; c'eft ce qu'ils
viennent d'exécuter , en publiant avec la
relation du voyage en Calofyrie , les Ruines
de Balbec , anciennement
appellées
Héliopolis , ou ville du Soleil , pour fervir
de fecond volume à celles de Palmyre.
Cet ouvrage qui eft très-bien traité ,
contient 46 planches , grand in -folio. Pour
la fatisfaction
des curieux de tous les pays,
les Editeurs Anglois ont fait imprimer en
ainfi que
françois, la relation du voyage,
les explications
des figures qui en repréfentent
les vues & la magnifique
architecture
de cette célebre ville .
On trouvera des exemplaires de cet
ouvrage , chez Boudet , Imprimeur du
Roi , rue Saint Jacques , au prix de 96
liv. en feuilles .
OCTOBRE. 1758. 171
JE
ARTS UTILES.
PHARMACIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
E vous prie , Monfieur , d'inférer dans
le prochain Mercure , la lettre que j'ai
l'honneur de vous adreffer ; tout ce qui
tend à la confervation de la fanté & de
la vie des hommes, ne peut être trop foigneufement
difcuté.
A mon arrivée dans cette ville , j'ai lu
dans le Mercure de mai de cette année ,
une obfervation fur les effets mortels de
la poudre d'Ailhaut , dont j'ai été extrêmement
frappé. J'en fais ufage depuis quinze
ans , ainfi que Monfieur de Chabrié , &
quantité d'officiers du corps , je vous
avouerai même , que nous n'avions jamais
-foupçonné jufqu'ici qu'elle pût être nuifible
, encore moins intéreffer la confcience
, comme l'a fçavamment démontré M.
Thiery ; j'avois même la ftupidité de croire
que je lui devois la vie & la fanté dont
je jouis ; j'avois pouffé la fuperftition jufqu'à
m'imaginer qu'il n'y avoit point de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
remede plus efficace pour détruire les obftructions
& mauvais levains , qui font la
caufe premiere de toutes les maladies . Ce
que je lui ai vu opérer fous mes yeux ,
fervoit encore à me confirmer dans mon
erreur ; mais aujourd'hui mes yeux , que
la prévention avoit entiérement couverts ,
commencent à s'ouvrir à la lumiere. Il ne
me refte qu'un petit fcrupule que j'efpere
que M. Thiery achevera bientôt de diffiper
; c'eft dans la vue de m'inftruire que
je propofe mes doutes , & non dans le
deffein de réfuter. Conviendroit- il à un
Militaire , qui n'a point de principes &
qui n'a que le fentiment pour guide , d'ofer
entrer en lice avec un Docteur-Régent
de la faculté de Paris.
Si l'amour de la vérité , fi l'envie de préferver
fes concitoyens d'une erreur que
l'on croit nuifible, eft le feul motif qui détermine
M. Thiery , à rendre publique la
relation publiée dans le Mercure , de la
mort de M. Bocanne , on doit convenir
que fon deffein eft bien louable ; mais on
peut errer avec les plus faines intentions ;
& M. Thiery me fçaura , fans doute gré ,
de lui expofer mes doutes.
Il me femble que les conféquences qu'il
a tirées des qualités malfaifantes des poudres
par l'inſpection des parties viciées ,
OCTOBRE . 1758. 173
gangrénées du cadavre dont on a fait
l'ouverture , ne font pas entiérement juftes.
Je fuis trop perfuadé de la probité de
M. Thiery , pour révoquer en doute qu'il
a cru de bonne foi que le deffechement
des parties intérieures , que la friabilité
& la noirceur du foie & du poumon
étoient une fuite des qualités corrofives
de ce remede ; mais s'il eût voulu faire aɛtention
que nombre de perfonnes , qui
n'en ont jamais ufé , ont péri du même
mal , que l'appauvriffement du fang ou fa
coagulation peut feule , fans aucun fecours
étranger , produire cet effet , il ne fe feroit
pas preffé de prononcer l'arrêt qui
en profcrit l'ufage .
Suppofons que M. Thiery eft appellé
par un malade attaqué d'un mal de tête ,
d'une débilité d'eftomac , même fi l'on
veut , de la fievre ; il prefcrit à ce malade
des remedes , la fiftule furvient , il en
meurt donc ce font les remedes de M.
Thiery , qui ont occafionné la fiftule ,
donc, &c. Cette façon d'argumenter feroitelle
adoptée par M. Thiery ? Tirons des
conféquences.
L'ouverture du cadavre démontre qu'il
eft mort , les parties gangrénées: : donc ce
font les poudres qui ont opéré ce mal.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Or , felon M. Thiery , les parties ne fe
gangrennent- elles jamais par un vice naturel
? Mais ces poudres que M. Thiery
fuppofe produire des effets fi funeftes ,
font le remede ordinaire de quantité de
gens qui s'en louent , qu'elles ont tirés des
portes du trépas . Ces gens-là font- ils donc ,
ainfi que Mitridate , familiarifés avec le
poifon Mais au moins faut- il convenir
que quand ils en ont fait les premiers
effais , quand elles ont opéré les premiers
effets , ils ne l'étoient point encore : quelle
cauſe favorable les a préfervés d'un cauftique
auffi mordant ? comment fe peut -il
que depuis quinze ans que j'en fais ufage ,
que j'en ai pris plus de trois cens prifes ,
pour une maladie que j'eus en 1746 , dont
on trouvera le détail dans une de mes Lettres
, inférée dans le Livre de M. Ailhaut ,
imprimée en 1748 , comment , dis - je , fe
peut-il,en ayant pris affez confécutivement,
& dans l'année 1746 près de deux cens
prifes , que je ne fois pas entiérement calciné
? C'eſt un phénomene qui mériteroit
bien d'être expliqué.
Comment fe peut- il que le Pere Félix ,
Auguftin de la Place des Victoires , qui ,
depuis plus de vingt ans , fait ufage de ce
remede , exifte encore ?
Pour en conftater la malignité , il feroit
OCTOBRE. 1758. 175
effentiel de l'anatomifer , & je fuis perfuadé
qu'il fe prêteroit pour le bien de
l'humanité à cette petite opération , qui
ne pourroit tourner qu'à l'avantage du Public
; je fuis d'ailleurs convaincu que M.
Thiery préfideroit volontiers à cette diffection.
Au reste , M. Thiery qui a pris la peine
d'analyfer ces poudres , devroit bien nous
inftruire fi c'est un poiſon vif ou lent qui
en fait la bafe , ou qui y domine ; nous apprendre
s'il eft des fibres affez fortes , des
inteftins affez cuiraffés pour réfifter feulement
pendant le cours d'un fiecle à lear
effet malfaifant ? Il eft cependant à préfumer
qu'il le confidere comme un poifon
lent , puifque , felon lui , M. Bocanne en
fait ufage depuis douze ans. Cette affertion
venant d'un homme d'honneur , me
raffure , fans quoi je me ferois cru un peu
complice de la mort de ce bon Prêtre .
Au mois de Septembre 1756 , je reçus
une Lettre de lui , par laquelle il me prioit
de l'inftruire , fi la Lettre écrite de Metz en
1747 , imprimée dans le Livre de M. Ailhaut
en 1748 , étoit réellement de moi ; que
plufieurs perfonnes l'affuroient que toutes
ces Lettres étoient controuvées & fabriquées
par l'Auteur, pour donner cours à
fon remede.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Il me faifoit enfuite un petit détail de
fa maladie , rebelle jufqu'alors aux remedes
qu'on lui avoit adminiftrés : je ne
m'en rappelle pas entièrement le détail ;
mais il me fouvient qu'il fe plaignoit d'un
grand feu dans les inteftins , & me marquoit
qu'il paroiffoit par intervalle fur ſa
peau de petites taches noires , ou livides :
il finiffoit par me demander , fi je lui
confeillois d'ufer du remede de M. Ailhaut.
Je n'en foupçonnois pas dans ce tems- là
les funeftes effets que M. Thiery a pris tant
de peine à démontrer ; j'ignorois que le
eonfeil que j'allois donner intérefferoit ma
confcience; je comptois que l'expérience
heureuſe que j'en avois faire moi- même, &
les guérifons furprenantes que j'avois vu
opérer fous mes yeux fur quantité de perfonnes
, fuffifoient pour m'autorifer à les
lui confeiller je le fis , ce dont j'efpere le
pardon de la Faculté pour avoir ofé ufurper
fes droits ; mais l'aveu authentique
que je fais de ma faute doit me donner
quelque droit fur fon indulgence.
Depuis ce temps , je n'avois plus entendus
parler de M. Bocanne , jufqu'au moment
où la relation de fa mort , & des circonftances
dont M. Thiery fait l'examen
eft tombée entre mes mains ; le cas eft déliOCTOBRE
1758. 177
cat , & fi je m'en rapporte à l'Obfervateur ,
je me trouve coupable de l'homicide d'un
homme que je n'ai jamais vu ni connu ; ce
qui peut me raffurer , c'eft que je n'ai péché
en tout ceci que par ignorance & par
prévention.
De quoi s'avifoit auffi M. Bocanne , de
s'adreffer à moi . Pourquoi ne faifoit- il pas
appeller M. Thiery ? il eft probable qu'il
l'eût tout de fuite tiré d'affaire.
que
G L'on peut conclure de tout ceci
les poudres de M. Ailhaut , ne font point
un poiſon , elles doivent l'être , par les
raifonnemens fçavans que M. Thiery a
fait
pour le prouver
; la nouvelle
analyfe
qu'il
nous
promet
, & qui , fuivant
fa lettre
doit
avoir
été perfectionnée
ce printemps
, au moment
fixe , où les fimples
font
dans
toute
leur
force
, achevera
de
convaincre
les plus
incrédules
. Je fuis cependant
furpris
qu'il
n'ait
pas
découvert
,
dès la pemiere
décompofition
que
le fublimé
corrofif
étoit
la bafe
de cette
poudre
,
comme
l'affura
de bonne
foi , l'année
derniere
, à un Colonel
du corps
, un docte
Médecin
de Besançon
,
Il ne me refte plus qu'à prier M. Thiery »
de donner fes confeils falutaires , pour préferver
des fuites funeftes d'an remede auffä
dangereux , ceux qui antérieurement à
Hv
178 MERCURE
DE FRANCE.
I'
fçavante , differtation ont eu l'imprudence
de s'y livrer ; la bonne fanté , dont je jouis
me raffure à peine , je tremble pour les
fuites dont il menace , & je commence à
être difpofé à conclure des mauvais effets
de cette poudre maudite , par les guérifons
furprenantes qu'elle opere contradictoirement
aux aphorifines admis par la faculté;
je tremble qu'il n'y ait de la diablerie làdeffous
; je vais confulter quelque Théologien
pour fçavoir s'il n'y auroit pas
un peu de pacte pour produire toutes ces
merveilles .
4
Eft il poffible qu'un homme que j'ai
toujours regardé comme un honnête homme
& plein d'humanité , qui même dans
fa derniere lettre , que j'ai reçue à Wefel ,
en date du 21 avril dernier , m'offre de
m'envoyer gratis , de fes poudres , pour
des foldats & des pauvres qui n'ont
pas le moyen de fe procurer ce remede ;
eft - il poffible , dis - je , que fon objet
foit de détruire l'humanité ? cela doit- il
paroître probable ? Cette façon de penſér ,
noble & généreufe n'eft - elle que pour féduire
& voiler le deffein odieux d'empoifonner
fon monde , en epaiffiffant la langue
, & conduire au tombeau avec les entrailles
calcinées ?
Les guérifons que j'ai vu opérer fur un
OCTOBRE. 1758 . 179
nombre infini de perfonnes attaquées , les
unes de maladies aiguës , les autres de
chroniques , ne font- elles donc que fantaftiques
? Seroit- ce encore une illufion que
celle d'un foldat, dont le bataillon a été témoin
dans le mois dernier , qui par le
moyen de huit prifes de ces poudres , a été
guéri tout en faifant route , d'une pleuréfie
, point- de- côté , fluxion de poitrine ,
& crachement de fang , accompagnés de
fievre ardente ? Je m'y perds . Il faut convenir
que fi M. Ailhaut n'eft pas un bon
Médecin , il doit être regardé comme un
grand magicien .
Au refte , le certificat de M. le Curé ,
eft moins une preuve du venin cauftique
& mortel des poudres , que de la foi aveugle
qu'il a , ainfi que moi , aux rares connoiffances
& à l'exacte probité de M.
Thiery. J'ai l'honneur d'être , &c.
RUSSY , Lieut. Colon . du Corps royal de
l'Artillerie , Bataillon de Chabric .
AValenciennes , ce 10 Juillet 175.8.
Nota. Je ne dois pas diffimuler que j'ai
reçu prefque en même temps ( non pas d'un
Médecin comme je l'avois dans l'idée ) ,
mais d'un Apothi caire de Limoux appellé
Rouch, une lettre dans laquelle il fe déclare
contre l'ufage de la poudre de M. Ailhaut,
H⋅vj
180 MERCURE DE FRANCE.
avec autant de chaleur , que M. de Ruffi en
met à louer ce remede. Cette poudre n'eft
autre chofe , felon M. Rouch , que la tithymale
féchée & mife en poudre ; il obferve
que la tithymale eft âcre , corrofive , ulcérative
, qu'elle excite des vomiffemens &
des cours de ventre , & que c'eſt- là purement
l'effet que produit la poudre d'Ailhault
; qu'un grand nombre de perfonnes
ayant péri par l'ufage d'un purgatif fi violent
, M. Ailhaut prit le parti de le tempérer
en expofant la tithymale pulvérisée à
un petit feu qui lui donne la couleur brune
, & en y mêlant un tiers du meilleur
chocolat. « Je n'ajouterai pas , dit- il , que
j'ai vu expirer prefque fubitement dans
» mes bras des malades , qui dans le cours
» de leurs maladies ayant été perfuadés d'a-
» voir recours à cette poudre , & l'ayant
prife à l'infçu des Médecins , ont été les
" triftes victimes de leur crédulité . Ainfi
" on ne fçauroit trop rejetter un remede:
qui mérite plutôt le nom de poifon.
99
وو
r
33
C'est au Public à fe décider entre ces té--
moignages. Le mercure prend dès ce moment
à ce fujet le parti du filence : s'il falloit
tenir registre de tous les morts & de
toutes les guérifons qu'on attribue à tel &
à tel remede , les Journaux n'y fuffiroient
pas..
OCTOBRE . 1758. 181
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
LE 10 de ce mois , on remit à ce Théâ
tre les Surprifes de l'Amour , Ballet dont la
mufique eft de M. Rameau , & les paroles
de l'Ovide de notre fiecle. Le fuccès de
l'acte d'Adonis & de celui d'Anacréon étoit
décidé dès la nouveauté : de ces deux actes
ingénieux , on fçait que l'un roule fur une
alternative femblable à la fituation d'Heraclius.
Devine , fi tu peux , & choifis , fi tu l'ofes :
Mais dans un fujet auffi galant que
celui d'Héraclius eft terrible : l'autre préfente
en action cette Ode d'Anacréon , que
la Fontaine a imitée , & qu'on a mile depuis
en chanfon .
J'étois dans mon lit tranquille , & c.,
Je ne connois rien dans le genre gra
cieux de mieux fait que la fcene d'Ana
anéon & de l'Amour.
182 MERCURE DE FRANCE.
Deux tableaux auffi riants ne peuvent
ceffer de plaire , & le fuccès en eft d'autant
mieux mérité , que la mufique femble le
difputer en coloris à la poéfie.
L'acte de la Lyre enchantée avoit paru
foible auprès des deux autres ; M. Rameau
l'a enrichi d'un morceau d'harmonie qui
peint l'enchantement de la Lyre , & qui
me femble digne de la jeuneffe de fon.
Auteur. Il y a joint auffi des airs de danfe ,
fur lefquels les Mufes & les Syrenes ſe
difputent le prix. Mefdemoiſelles Lany &
Puvigné , l'une dans le léger , l'autre dans
le gracieux , balancent le fuffrage d'Apollon
, qui les couronne l'une & l'autre.
COMEDIE FRANÇOISE.
Extrait de la Tragédie d'Hypermnestre.
EGYPTUS , après avoir banni Danaüs ſon
frere du trône d'Egypte , & de l'Egypte
même , l'a pourfuivi jufques fur le trône
d'Argos , parce qu'il a refufé de donner fes
filles aux fils de fon perfécuteur. Voilà donc
Ja haine & la vengeance de Danaüs bien
fondées. Forcé , pour obtenir la paix , de
confentir à cette alliance , il exige de fes
filles que la nuit de leurs nôces elles affafOCTOBRE.
1758. 183
finent leurs époux . Toutes ont promis d'obéir
; il ne reste plus qu'Hypermnestre , la
tendre épouſe de Lincée .
Danaüs vient la trouver au fortir de
l'Autel , & lui ordonne le même crime ;
mais , pour en adoucir l'horreur , il fuppofe
qu'un Oracle lui a prédit qu'il périroit luimême
de la main d'un de fes gendres . Sa
vertueuse fille traite cet Oracle de fourbe
& d'impofteur ; quoi qu'il ait prédit , elle
répond de Lincée.
Il eft fûr de fon coeur , l'avenir eft à lui.
Le fond de cette fcene femble ufé , mais les
détails la rendent neuve ; elle est bien
écrite , bien dialoguée , & Mademoifelle
Clairon y eft fublime . Danaüs , irrité des
refus d'Hypermneftre , fort , en lui difant :
Tu as mon fecret ; mais tremble , j'ai les
yeux fur toi, & tu te perds , fi tu me trahis .
Allons , dit- elle dans un Monologue ,
hazardons tout pour fauver Lincée .
Si je tarde un moment , c'est moi qui l'affaffine.
Au milieu de la nuit , Lincée , inquiet
de ne pas voir paroître fon épouse , frappé
du filence qui regne dans le Palais , & furpris
qu'on arrête fes pas , foupçonne quelque
complot : il craint fur- tout qu'on ne
lui enleve Hypermnestre . Il apprend tourà-
coup la mort de fes freres , affaffinés par
184 MERCURE DE FRANCE.
les foeurs de fa femme. Ce récit a paru d'un
détail trop étudié : c'est là qu'un beau défordre
eft un effet de l'art. Voyez Corneille
dans Cinna , comme il peint à grandes touches
les horreurs des
proferiptions : il ne
dit pas quel a été le gefte ou le langage des
profcrits , en recevant le coup mortel : chaque
partie du tableau n'a qu'un vers ; l'imagination
fait le refte.
Les uns affaffinés dans les places publiques ,
Les autres dans le fein de leurs Dieux domefti→
ques ;
Le méchant par le prix au crime encouragé ,
Le mari par fa femme en fon lit égorgé ,
Le fils tout dégoûtant du meurtre de ſon pere ,
Et fa tête à la main demandant fon falaire.
Je fens mieux que perfonne combien il
eft difficile d'imiter de fi beaux modeles ;
mais il eft bon de les fuivre , même de
foin ; & cet exemple fait du moins fentir
que des images grandes & fortes par ellesmêmes
, doivent être préfentées en maffe ::
les détailler , c'eft les affoiblir.
que
la
Lincée , faifi d'horreur , & ne refpirant
vengeance , voit approcher fon
époufe , tenant une lampe d'une main , &
un poignard de l'autre cette lampe eft ennoblie
par la fituation , & plus encore par
Le jeu de l'Actrice. Hypermneftre errante
OCTOBRE. 1758. 189
:
:
cherche Lincée. Eft ce pour m'affaffiner ,
dit-il Frappe voilà mon coeur . A cette
voix le fer lui tombe de la main. Elle embraffe
Lincée , & lui dit je viens te fauver &
Danaës veut ta mort ; j'ai tout promis pour
flatter ſa fureur ; éloignes - toi . Lincée veut
venger fes freres ; il veur fe baigner dans
le fang de Danaüs. La fituation d'Hyperm
neftre devient affreuſe.
Je ne me connois plus . Quoi ! craindre en ma
mifere
Le pere pour l'époux & l'époux pour le pere !
Je meurs , fi tu péris par un pere inhumain ;
Mais je renonce à toi , s'il périt par ta main :
Si tu ne pars.
Elle fe jette à fes pieds , & cette action ,
toute fimple , eft rendue avec une nobleffe
& un pathétique admirable.
Lincée fe réfour enfin à s'éloigner . Mais
s'il eft découvert ; fi on l'arrête ! ... A cette
image Hypermneftre fe trouble & s'égare
elle croit voir tout ce qu'elle craint. Il faut
l'avouer cependant , fon délire n'eft point
amené , & je le crois au moins fuperflu.
Pourquoi forcer la nature dans un moment
où elle eft fi belle ?
Danais trouve Hypermnestre évanouie
il commence à croire que le crime eft confommé.
Elle ouvre les yeux , elle voit le
186 MERCURE DE FRANCE.
tyran qui lui demande s'il eft obéi , ſi Lincée
eft mort. Ici le mouvement , l'expreffion
de Mademoiſelle Clairon ne peut fe
peindre. Hypermnestre répond à fon pere
par ces mots entre- coupés :
Je me fuis féparée ... avez -vous pu vouloir ? ...
J'ai perdu mon époux : je fuis au déſeſpoir.
Danaüs n'en demande pas davantage : il fe
retire , en difant :
Allons voir ma victime."
L'Auteur a pu remarquer que la fin de
cet acte laiffoit le fpectateur affez froid ;
il feroit facile , je crois , de la rendre plus
vive. Il a voulu éviter le menfonge formel.
Je penfe qu'il falloit le rifquer. Le tyran
eût applaudi au crime de fa fille , & l'on
eût vu Hypermneftre , ftillonnant d'horreur
, dans les bras de fon pere transporté
de joie. Dans ce moment même on auroit
annoncé au tyran l'évaſion de Lincée ; &
Danaüs , fortant éperdu , auroit dit à fa
fille : Tremble, malheureuſe. Je fuis trahi ;
mais je ferai vengé. Cette nouvelle révolution
eût terminé la fcene plus vivement ,
& noué l'intrigue d'un acte à l'autre , par
cette gradation de péril qui fufpend l'ame
des fpectateurs ; au lieu qu'après la réponſe
d'Hypermnestre , il a fallu hâter la fortie de
OCTOBRE . 1758. 187
Danaüs , mutiler la fituation , & avoir recours
, pour foutenir l'intérêt , au moyen
d'aller voir fa victime.
Je ne donne ici que des conjectures , &
l'Aureur doit me fçavoir gré de preffentir ,
à mes périls , le goût du public fur ce qui
me femble pouvoir contribuer à la perfection
de fa piece.
Tandis qu'on eft à la pourfuite de Lincée
, Danaus reproche à fa fille de l'avoir
trompé & de l'avoir trahi . Elle fe juftifie
fans peine. Ici le rôle du tyran eft foible
& il ne tient qu'à l'Auteur de le rendre
plus fort. Lincée eft implacable , au moins
Danaus doit le croire . Dérober Lincée à
la mort , c'est donc l'y expofer lui- même ,
& c'est l'image du péril où elle l'a plongé ,
qu'il doit lui peindre dans fes reproches :
fe repréfenter dans les fers , & au pouvoir
de fon ennemi ; la nature fe révolteroit
dans le coeur d'Hypermneftre au tableau de
fon pere égorgé par fon époux. Si je m'arrache
, diroit Danaüs , aux tourmens qu'il
me prépare , tu n'en es pas moins coupable
de m'y avoir livré. Tu affaffines ton
pere , autant qu'il eft en toi. Le parricide
eft confommé dans ton ame. Voilà , fi je
ne me trompe, quel devoit être le fonds de
la ſcene .
On ramene Lincée enchaîné . C'eft le
comble du défefpoir pour Hypermnestre.
188 MERCURE DE FRANCE.
Lincée brave le tyran , fa fille lui demande
grace. Danaus demeure inflexible , fait
traîner Lincée dans les prifons , & ordonne
que l'on prépare fon fupplice ; il
ik permer
imprudemment à Hypermnestre de fuivre
fon époux , & de fe préfenter au peuple. A
la vérité il ordonne en même temps que
l'on répande le bruit que Lincée & les freres
ont voulu attenter à fa vie ; mais cette
politique lui réuffit mal , & il devoir s'y at
rendre.
Il apprend au cinquieme acte que le
peuple commence à s'émouvoir , & fe difpofe
à la révolte. Alors , changeant de réfolution
, Danaus rappelle Hypermnestre ,
& ordonne qu'on faſſe mourir Lincée dans
la prifon. Hypermneftre croyant que fon
pere fe laiffe fléchir , vient fe jetter à fes
genoux ; mais elle le trouve plus altéré que
jamais du fang de l'époux qu'elle adore.
Tout- à - coup paroît Lincée à la tête du peuple.
Dans fa fureur , il veut immoler Danaus.
Hypermnestre le précipite au-devant
du coup qui menace fon pere. Lincée , atrendri
, confent à faire grace au tyran ,
pourvu qu'il lui rende fon époufe. Danaus
veut la retenir en ôtage. Lincée , avec le
peuple , eft prêt à fondre fur la garde qui
environne le tyran ; celui - ci fe faifit d'Hypermnestre
, & , le poignard levé fur elle ,
OCTOBRE . 1758. 189
il menace de la frapper. Ce tableau eft un
des plus tragiques qui foient au théâtre ,
Calprenede , dans fon Roman de Caffandre
, l'Auteur des Mémoires d'un Homme
de Qualité , M. Pirron , dans Guſtave ,
l'ont employé , mais en récit, L'action
pouvoit feule en faire fentir toute la
force , & je dois dire , à la louange
de M. Lemiere , qu'il s'eft élevé au - deffus
de ces modeles , par un mouvement
naturel , qui ajoute au pathétique du
fableau. Le feul Métaftafe l'avoit mis en
action , & d'une maniere encore plus
terrible. Tandis que le fpectateur frémit de
voir Hypermnestre fous le couteau de fon
barbare pere , dans une attitude , & avec
une expreffion de vifage qui enflamme le
génie de nos plus grands Peintres , & les
tranfporte d'admirarion ; dans ce moment ,
dis je , le peuple , indigné , fait un mouvement
pour fe jetter fur la garde de Da
naüs. Lincée frémit lui-même , il arrête le
peuple : ( & M, Lekain a très - bien rendu
cet effroi . )
Un moment mes amis.
Je crains votre fecours : mon fort vous eft commis
:
N'avancez pas. Voyez mon déſeſpoir extrême :
Regardez ce poignard levé fur ce que j'aime ;
•
190 MERCURE DE FRANCE.
Ah ! tout mon fang ſe glace à cet affreux danger :
O Dieux ! je tiens ce fer , & ne puis me venger !
Ah ! barbare.
Alors arrive un ami du tyran qui lui dit :
Seigneur , cette porte eft forcée ,
Vous n'avez que la fuite , on couronne Lincée.
Danaus à ces mots quitte fa fituation
menaçante , & Lincée faifit l'inſtant de fe
jetter entre fa fille & lui : Echappe à ton
tyran , lui dit- il . En même temps le peuple
, le glaive à la main , entoure Danaüs ,
qui , dans fon déſeſpoir , ſe tue lui - même.
Tel eft à peu près le plan de cette piece ,
plus terrible que touchante , & dont les tableaux
ont fait le fuccès. La verfification
en eft foible , & le ftyle négligé. Les fentimens
peuvent en être plus développés
plus approfondis ; la progreffion furtout
n'en eft pas affez ménagée. En un mot , il
y a peu de fcenes qui ne demandent à être
revues , & l'Auteur , en les travaillant , reconnoîtra
pourquoi une action , fi pathétique
par elle- même , a fi peu fait verfer
de larmes . Mais les grands traits font jettés
, la réflexion fera le reſte . La premiere
qualité d'une tragédie eft d'être théâtrale
& celle- ci l'eft au plus haut dégré.
Je ne dois pas diffimuler qu'on a trouvé
OCTOBRE. 1758. 191
l'incident qui délivre Hypermnestre peu digne
du tableau qui le précede. Quelqu'un
propofoit de ne faire paroître la garde de
Danaus qu'au dernier moment , & de lui
faire abandonner fa victime , pour ſe mettre
à la tête de fes gardes , & fe défendre
l'épée à la main . L'Auteur avouera que
cela feroit plus noble. Mais ce dénouetel
qu'il eft , a produit un fi grand
effet , qu'il feroit bien excufable de ne pas
ofer y toucher .
ment ,
Voilà donc trois nouveaux Poëtes tragiques
qui donnent les plus belles efpérances.
L'Auteur d'Iphigénie , par fa maniere
fage & fimple de ménager , de graduer
l'intérêt & le fentiment , & par des morceaux
de véhémence dignes des plus grands
Maîtres ; l'Auteur d'Aftarbé , par une poéfie
animée , par une verfification pleine &
harmonieufe , & par le deffein fier & hardi
d'un caractere auquel il n'a manqué , pour
le mettre en action , que des contraftes dignes
de lui : enfin l'Auteur d'Hypermneſtre
, par des tableaux de la plus grande
force . C'eft au public à les protéger , à les
encourager , à les confoler des fureurs de
l'envie . Les arts ont befoin du flambeau de
la critique , & de l'aiguillon de la gloire .
Ce n'eft point au Cid perfécuté , mais au
Cid triomphant que Cinna doit fa naif192
MERCURE DE FRANCE.
fance. Les encouragemens n'infpirent la
négligence ou la préfomption qu'aux petits
efprits ; pour les ames élevées , pour les
imaginations vives , pour les grands talens
en un mot , l'ivreffe du fuccès devient l'ivreffe
du génie. Il n'y a pour eux qu'un
poifon à craindre , c'eft celui qui les refroidit.
Cette piece a été retirée à la treizieme
repréſentation , pour être repriſe
l'hyver prochain ; le fuccès s'en eft foutenu
juſqu'à la fin avec éclat . )
COMÉDIE ITALIENNE.
Extrait de Mélezinde , piece en trois actes en
vers , représentée au Théâtre Italien le 7
Août 1758.
MELEZINDE , fille de Sélime , un des
principaux de la cour du Mogol ayant préféré
un jeune Seigneur , nommé Zarès ,
l'Empereur lui-même dont elle étoit aimée ,
l'Empereur irrité de cette préférence, exila
fon mari , & éloigna Sélime de la cour , en
lui donnant le gouvernement d'une des
Ifles de fon Empire . Mélezinde y fuivit
fon pere , malgré tous les artifices
qui furent
employés pour la retenir.
Zurès au fond de fon exil , apprit la
retraite
OCTOBRE. 1758. 193
!
retraite de fon épouſe ; mais fa jaloufie ne
put lui permettre de vivre éloigné d'elle.
La place de grand- Prêtre vint à vacquer
dans l'ifle où réfidoit Mélezinde , Zarès
faifit cette occafion pour éprouver par luimême
ſa fidélité . Il fe déguife , fe rend
dans cette Ifle, & s'y fait élire grand- Prêtre.
Selime qui ne le croyoit pas fi près de
lui , avoit follicité fa grace, & l'avoit obte
nue ; mais il le faifoit chercher inutilement.
On n'avoit trouvé que Zima , fon
efclave , époux de Zémire , &
compagnon
de Zarès dans fa fuite. Encore cet efclave
accablé de maux , & prêt à rendre les derniers
foupirs , n'avoit- il pu donner aucune
nouvelle de fon maître. C'eft dans ces circonftances
que commence l'action.
Zarès ordonne à Orofmin , ſon confident,
de publier qu'il eft mort dans fon exil , &
que fon trépas a fuivi de près celui de
Zima que l'on vient d'apprendre.
Le deffein de Zarès eft d'éprouver fi
Mélezinde le croyant mort , voudra fe livret
aux flammes fuivant une coutume
établie dans le pays , dont cependant l'ufage
commence à s'abolir.
Auffi -tôt que Mélezinde apprend la
mort de fon mari , elle fe détermine à ce
facrifice .
Sélime , fon pere , employe tout ce que
II. Vol.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
la raifon & la nature peuvent lui infpirer
pour la détourner de cette réſolution : elle
eft inébranlable.
Il va trouver le grand-Prêtre , le conjure
d'y employer fon autorité. Tout ce
que Sélime peut obtenir , c'eft que le grand-
Prêtre fufpendra le dévouement de fa fille ;
mais fi elle perfifte , il ne s'y oppofera
point.
Mélezinde, toujours déterminée à moufir
, demande une entrevue avec le grand-
Prêtre ; le preffe de lui permettre de faire
à fon époux le facrifice de fa vie. Zarès ,
enchanté des fentimens de fa femme , eft
fur le point de fe découvrir ; mais il s'arrête
, & pour achever de fonder le fond de
fon coeur , il lui tient un difcours artifi
cieux , dont le but apparent eft , de la détourner
de fon deffein , en l'affurant qu'elle
perdra tout le fruit de fon action , fi la
vaine gloire , plutôt que la tendreffe , eft
le motifqui l'y engage . Il lui fait une peinture
des douceurs de la vie , & lui donne
des louanges flatteufes fur fes charmes . Mélezinde
eft dans la plus étrange furpriſe
d'entendre un grand- Prêtre . lui confeiller.
fon deshonneur. Zarès lui répond qu'il
youdroit la combler de gloire. Vous fçavez,
lui dit-il , que lorfqu'une veuve s'arrache
à la rigoureufe loi du bûcher , pour épouOCTOBRE,
1758.1 193
39
38
fer un Miniftre des Autels , bien loin de
perdre fa réputation , elle eft au contraire
généralement révérée. Je brûle depuis
long- temps en fecret pour vous . Accor-
>>> dez-moi votre main , & ne me livrez
point à l'horreur de conduire à la mort
» celle pour qui je voudrois donner ma
vic."
Cette artificieufe déclaration d'amour
jette Mélezinde dans le plus grand embarras.
Elle fçait que d'un côté fon pere s'oppofera
à fon facrifice ; & de l'autre , elle
craint que le grand- Prêtre n'emploie mille
moyens pour l'empêcher.
Pour remplir fon devoir , & fe délivrer
de fes craintes , elle fe détermine à feindre.
Elle répond au grand- Prêtre que
quoiqu'elle fente bien qu'en éloignant l'inf- :
tant de fon trépas , elle s'expofe à ne ja-,
mais l'accomplir. Cependant elle eft trop
fenfible à l'honneur qu'il daigne lui faire
pour ne point lui accorder du moins cette
foible marque de condefcendance. Elle fe
retire après ces paroles.
Par cette réponſe , Zarès , qui la croyoit
déja plus qu'à demi - vaincue , entre dans
les tranfports d'une jaloufie qui parvient
à fon comble , lorfqu'il reçoit un billet ,
figné du nom de Zemire , efclave de Mélezinde
, & veuve de Zima , par lequel elle
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
lui apprend que Melezinde , féduite par
les off es qu'il lui avoit faites , renonçoit à
la réfolution de mourir que pour elle ,
loin d'imiter fa Maîtreffe , elle fe détermi
noir à fe factifier pour Zima fon époux.
La lecture de cette lettre remplir le
grand- Prêtre de fureur contre Mélizinde ,
& d'admiration pour Zemire . Il donne l'or
dre pour le facrifice de cette efclave ; :: ^)
11
Tous les Miniftres du Temple formenti
une marche au fon des inftrumens , & amenent
la victime couverte d'un voile ; on la
couronne de fleurs. Le grand - Prêtre lui
fait un difcours , & fe difpofe à la conduire
au bûcher , quand Selime , pere de Mile-
Linde , paroît avec un poignard à la main
arrête le bras du grand Prêtre , l'accufe de
manquer à la parole qu'il lui avoit donnée
d'éloigner le facrifice de fa fille ; & lui reproche
de l'avoir cachée fous un voile pour.
la lui ravir avec plus de fûreté. Le grand-
Prêtre paroît furpris Selime arrache le
voile , qui , au lieu de Zémire , fait voir!
Mélezinde vêtue en efclave. I accable de
reproches le grand Prêtre qui fe juftifie
fur fon erreur , & fe fait reconnoître
pour
Zares , en ôtant la thiare & la fauffe barbe
qui le déguifoient. Il fe jetre aux pieds de
fon époufe , dont il reçoit les plus vives
marques de tendreffe ; Sélime l'embraffe ,
4
OCTOBRE. 178. 197
& lui apprend que c'eft à l'efclave Zémire
qu'ils ont obligation de leur réunion , puifque
c'est elle qui eft venue l'avertir du péril
de fa Maîtreffe.ne
- Ce dénouement , qu'il faudroit voir exécuter
ou fire dans l'ouvrage même , a produit
tout fon effet.
Il y a dans le cours de la piece diverfes
fcenes d'Arlequin mais elles font comme
épifodiques. ask Jes
L'Auteur a été forcé de fe conformer
aux loix du Théâtre Italien , qui exigeoient
que ce perfonnage fût lié à l'action .
Cette piece , favorablement accueillie
du Public , a été rétirée pour être repriſe
l'hyver prochain.
OPERA COMIQUE.
Extrait de Nina & Lindor.
NINA , fille d'un Berger d'Italie , avoit
, été élevée dès l'enfance avec Philinte , fon
petit coufin , auquel elle étoit deftinée . Le
jour de l'hymen arrive : Nina , qui n'aime
point Philinte , fe dérobe par la fuité à l'autorité
de fes parens. Elle fe trouve dans un
bois peu éloigné , où la crainte la faifit.
Après avoir déploré fon fort , fatiguée de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
fa courſe , elle fe repofe fous un feuillage
Une voix touchante s'y fait entendre. C'eft
an amant qui fe plaint de l'infidélité de
fa maîtreffe. Cet amant eft Lindor , jeune
Seigneur de Florence . Pendant qu'il s'éloigne
, fon valet Zerbin vient , fans apper
cevoir Nina , déployer fa gaieté fur la
fcene ; il fe fent ému à la vue de la jeune
Bergere ; lui fait des questions, & répond
aux fiennes , qui font remplies de naïveté
Nina eft faific de frayeur en fe croyant aus
milieu d'une troupe de brigands :
Ah ! fans effroi ,
Je ne puis vous entendre:
Ils vont me prendre ;
Le peu que j'ai ſur moi ;
Ce n'eft qu'un rien ,
Mais c'est tout mon bien.. ༩༩
Zerbin la raffure , & lui dit que les gens
qui l'accompagnent ne refpirent que la
joie , & qu'ils ont entrepris de guérir la
mélancolie de celui dont elle a entendu les
plaintes. Une troupe de Bohémiens entoure
Nina, & la flatte par des chanfons. La
troupe fe retire à l'arrivée de Linder , habillé
en vieux Bohémien. Il eft ravi de la
beauté de la Bergere , elle lui conte fon
aventure ; Lindor l'engage à demeurer dans
cet afyle. Nina s'éloigne un moment. Lix-
་
OCTOBRE. 1758. 199
dor penfe à fon infidelle , & comme il fent
naître dans fon coeur un nouveau pena
chant , il demande à l'amour qu'il répare
fes injuftices.
Zerbin arrive au fecond acte , dans l'efpérance
d'obtenir la main de Nina. Elle reçoit
fa déclaration en badinant . Lindor eſt
furpris de la voir fe dérober fi matin au
fommeil , il lui dit :
Le
repos
Regne encore dans ces bocages
Des oiſeaux
A peine on entend les
ramages :
Pourquoi prévenir
La naiffante aurore ?
Venez-vous ravir
A la jeune Flore
L'amour du Zéphyr.
Пlui fait l'aveu du fien , elle y répond ingénuement.
La Bohémienne le trouve aux
genoux de Nina , & le tourne en ridicule .
Elle offre à Nina un autre époux , jeune ,
enjoué , charmant , dit- elle , & ordonne à
Lindor de fe retirer. Il fort en fouriant à la
Bohémienne. Celle - ci met inutilement
tout en uſage pour détacher Nina de Lindor.
Elle feint même d'avoir recours à fa
magie . La fimple Bergere , dans fa frayeur ,
rombe fur le gazon prefqu'évanouie ; elle
L
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
implore le fecours de Lindor : Viens défen
dre mes jours , s'écrie- t'elle, Il paroît à fes
pieds vêtu galamment , & lui dit :
Ah c'eft vous, qui des miens êtes la Souveraine .
La plus agréable furprife fuccede à la
frayeur dont Nina étoit faifre . Elle craint
encore que ce ne foit un preftige , mais il
la raffure en fe faifant connoître. Son rang
donne des fcrupules à la modefte Nina ,
qui ne veut pas qu'il fe méfallie. Elle eft
réfolue à s'en aller. Il eft au défefpoir. La
Bohémienne les met d'accord. Zerbin veut
époufer la Bohémienne , qui le refufe , &
un quatuor termine la piece.
Extrait du Médecin de l'Amour.
I
LE fujet de ce petit Opéra eft , comme on
va le voir , la parodie d'un trait d'hiftoire
affez tragique . Un vieux Bailli va époufer
une jeune fille de village , dont Léandre
fon fils , eft amoureux , Celui- ci , n'ofant fe
déclarer le rival de fon pere , languit & fe
meurt , fans qu'on ait pu fçavoir la caufe
de fon mal. Un Médecin , à demi- inftruit
par le valet de Léandre , raffure le pere , &
lui répond de la guérifon de fon fils . Il fait
affembler la jeuneffe du canton , & , penOCTOBRE.
1758.
201
dant la danſe , il obferve les yeux de Léandre.
Les regards du jeune homme , attachés
fur Laure , le trahiffent . Le Médecin or -...
donne qu'on les laiffe feuls. Léandre &
Laure s'expliquent. Le Médecin les furprend
, & les confole . Le Bailli vient retrouver
le Docteur , qui , pour l'amener à
fon but , fe fert d'un moyen vraîment comique.
Le mal de votre fils , lui dit - il , eft
fans remede. Il eft amoureux ., & de qui ? ..
De qui ? de ma maîtreffe : pour le guérir , il
faudroit la lui céder . Vous voyez bien qu'il
n'eft pas poffible. Le pere le conjure de lui
faire ce facrifice , s'y prend de toutes les
manieres pour l'obtenir , & , ne pouvant
l'y réfoudre , lui fait les plus fenfibles reproches.
Comme il l'accufe d'être fans pitié
: C'eſt vous , lui dit le Médecin , c'eft
vous , qui êtes cruel . Moi ! Vous , qui alleż
époufer celle que votre fils adore. Le Bailli
refte confondu , & , cédant enfin à fa tendreffe
pour Léandre , lui cede l'objet de fon
amour. Cette fcene ne laiffe rien à defirer ;
la fituation en eft neuve ; le dialogue vif,
naturel & rapide. La piece en général eft
écrite du vrai ſtyle de la Comédie : j'y ai
peu de négligence , & beaucoup
cru voir
de facilité.
Le cours de ce fpectacle a fini , felon l'ufage,
le 10 de ce mois . Je donnerai dans le
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
prochain volume le compliment de la clô
ture.
de
Nota. Depuis le Concert Spirituel du
huitieme Septembre , j'ai eu le temps
recueillir les voix fur le début de Mlle:
Faure dans le moret Ufquequò de M. Mouret
. Les Maîtres de l'Art dont la fçavantet
maniere d'approuver & de louers n'eft :
qu'un développement exact des qualités de
la voix qu'ils entendent , ont remarqué
dans celle de Mlle Faure une grande éga
lité avec beaucoup de rondeur dans les
fons , une adreffe & une légéreté très- rares
dans les grands volumes de voix , & tout
cela joint à un timbre très - agréable &
une cadence extrêmement brillante. Le
Public qui a auffi fa maniere d'apprécier
le mérite d'une voix qui le touche , a confirmé
le jugement des Maîtres de l'Art pan
les applaudiffemens les plus expreffifs ...
OCTOBRE. 1758. 203
ARTICLE VI.
2
NOUVELLES ETRANGERES.
ALLEMAGNES
Du Quartier général de l'Armée Impériale
en Saxe , le 12 Septembre,
E
Le Maréchal Daun a reçu la confirmation de la
victoire remportée par les Ruffes le 25 du mois
Août. Un Officier envoyé par fes ordres à l'armée
de Ruffie , & qui a trouvé le fecret de donner
lé changé aux Pruffiens , lui en a apporté le détail.
Il affure que la journée du 25 eft entiérement au
défavantage du Roi de Pruffe , puifqu'à la fin de
l'action l'armée du Comte de Fermer , qui avoit
d'abord perdu du terrein , fe retrouva dans fa
premiere pofition ; après avoir chaffé l'ennemi
qui fe croyoit vainqueur. Le 26 , les Ruffes chanterent
le Te Deum . Le Roi de Pruffe en parut fi
irrité , qu'il fit marcher fur le champ fon armée
contr'eux ; mais ayant voulu les attaquer , il fut
repouffe par deux fois . Il eft refté ving - cinq mille
morts fur le champ de bataille , & les Ruffes ont
fait deux mille Pruffiens prifonniers . Dans le mo
ment où le Roi de Pruffe fépara les deux afles det
l'armée des Ruffes , en faifant fondre fur eux toute
fa Cavalerie à bride abattue , ils perdirent vingtune
pieces de canon ; mais bientôt après ayant
repris de l'avantage , ils enleverent aux Pruffiens
3
Lovj
204 MERCURE DE FRANCE.
vingt-fix canons & huit étendards . Le 27 & le 28 ,
les Ruffes n'ont ceffé de prier le Comte de Fermer
de les remener contre les Pruffiens.
Les dernieres lettres du Marquis de Ville nous
ont appris un avantage remporté par un de fes détachemens
à Kunſtadt en Siléfie. Il avoit fait marcher
vers Creutzbourg un parti de trente-fix Uhlans
, pour y lever des contributions . Deux cers
Pruffiens accoururent de Brellau & de Brieg , &
trouvant les Uhlans divifés en petits poſtes de quatre
à cinq hommes , ils en difperferent & enleverent
quelques - uns . Le refte ſe ſauva dans les bois ;
mais un ' renfort de cent hommes que nos Uhlans
reçurent , les détermina à marcher à l'ennemi . Ils
le rencontrerent près de Kunfftadt , & l'attaquerent
avec tant de vivacité , qu'ils tuerent à coups
de pique la plus grande partie du détachement
Pruffien ; ils lui prirent un Cornette & quarantehuit
hommes ; le refte fut difperfé . Nos Uhlans
n'ont perdu qu'un Trompette & neuf hommes.
Les Pruffiens , en levant leur camp de Zedlitz ,
firent leur retraite avec tant de précautions , qu'il
n'a pas été poffible au Général Vihazy , détaché .
à leur pourfuite , d'entamer leur arriere -garde.
Depuis la prife du Fort de Sonneftein , nous ,
avons reçu le détail fuivant des opérations du fiége.
La ranchée ayant été ouverte le deux de Septembre
, vis- à - vis du jardin du Bureau des Poftes ,
les trois jours fuivans furent employés à établir des
batteries , pour battre la Place de trois côtés, Les
travaux furent pouffés avec beaucoup de vivacité ,
malgré le feu des ennemis , qui tiroient fur nos
Troupes fans relâche, La réferve eut ordre de couvrir
les Travailleurs , & le Général Maquire eut la
direction de l'attaque . Le cinq à la pointe du jour ,
le feu de nos batteries commença à foudroyer la
OCTOBRE. 1758. 205
6
&
Place , & il continua jufqu'au foir fans fe ralen
tir. La Garnifon y répondit toute la journée par
un feu très- vif & très - foutenu . Un peu avant la
nuit , le Commandant fit battre la chamade ,
& demanda permiffion de dépêcher un Officier au
Prince Henry , pour avoir de nouveaux ordres.
Sur le refus qu'on lui en fit , il demanda à capitu
ler. Il efpéroit d'obtenir les honneurs de la guerre
; mais le Général Maquire fur conftant à exiger
que la Garnifon arrivée fur le glacis , metroit
armes bas , & fe rendroit prifonniere de guerre.
Cette condition fut acceptée par le Commandant
Pruffien. Le 6 au matin , la Garnifon , au hombre
de quatorze cens quarante-deux hommes
fortit de la Place Tambours batttans & Enfeignes
déployées. Arrivée fur le glacis , elle mit bas les
armes, & fut faite prifonniere. Le Comte de Gatſruck
prit poffeffion de Sonneftein avec le Régiment
de Nagel , tandis qu'un Bataillon de Saxe-
Gotha , détaché de l'armée du Maréchal Daun ,
occupoit la ville de Pyrna.
On a trouvé dans la Place vingt- neuf pieces de
canon de bronze , neuf de fer & fept mortiers. On
a pris dix Drapeaux des Troupes qui compofoient
la Garnifon. Les prifonniers confiftent en deux
Colonels , un Lieutenant - Colonel , un Major , i
neuf Capitaines , dix - huit Lieutenans , dix Enfei
gnes , cent quatre bas Officiers , & douze cens
quatre- vingt- dix- fept Soldats.
DE
VIENNE , le 13 Septembre.
Le Confeil Aulique vient de faire fignifier au
Duc de Saxe- Gotha un Reſcrit , en date du 21 du
mois d'Août , par lequel ce Prince eft fommé de
retirer les Troupes qu'il ajointes à l'armée Hano
266 MERCURE DE FRANCE.
vrienne , de fournir fon contingent à celle de
l'Empire , & de payer fa quote part des mois Ro
mains , fous peine d'être traité comme perturba
teur de la paix , & de fubir les rigueurs prononcées
contre ceux qui violent les Loix Impériales.
On affure que le même Confeil a fait expédier un
Mandement au Roi de Dannemarck , en fa qualité
de Duc de Holftein , par lequel ce Prince eft
chargé de maintenir le Duc de Mecklembourg "
contre toute entrepriſe de la part des Pruffiens ,
de procurer la reftitution des recrues & des contributions
, enlevées de fon pays avec violence ,
& d'informer l'Empereur dans deux mois de l'exécution
de ce Mandement.
(On vient d'être informé de l'action déteftable
dun Officier Pruffien envers le Comte de Browne
, l'un des Généraux de l'armée de Ruffie . Le
cheval du Comte de Browne ayant été bleffé pen--
dant l'action du 25 Août , un Officier Pruffien du
Régiment de Schorlemmer , Dragons , courut à ce
Général , & le fit prifonnier. Il fe bâta de l'em
mener ; mais comme le Comte de Browne ne
pouvoit pas marcher auffi vite qu'il l'auroit vou
lu, ce barbare Officier lui déchargea douze coups
de fabre fur la tête , & l'abandonna baigné dans
fon fang. Le Comte de Browne a été transporté
à Landfberg , où il eft fort mal de fes bleffares.
De l'Armée du Prince de Soubife , près de
Caffel , le 28 Septembre.
M. le Prince de Soubife ayant pouffé des détachemens
jufqu'à . Hanovre pour en exiger des
contributions , a fait enlever des otages , ainfi
qu'on l'a déja marqué dans plufieurs autres Prin ---
sipautés & Seigneuries de cet Electorat Après
OCTOBRE. 1758 207
cette opération , il avoit fait replier fon armée :
fur Northeim & Gottingen , lorfqu'il fut informé
que le Général Oberg , qui ayant été renforcé de
plufieurs Régimens , avoit feint de diriger fa marche
de Paderborn fur Brakel , comme pour aller
au de-là du Wefer joindre le Prince d'Ifembourg ,
fe-portoit au contraire fur Caffel , où apparam →
ment il comptoit furprendre le petit corps ques
M. le Prince de Soubife y avoit laiffé avec tous
les gros équipages , les magafins & les hôpitaux ::
mais M. le Prince de Soubife , par la diligence
qu'il a faite , y eft arrivé à temps le 26 Deux heures
plus tard, une grande partie du corps du Général
Oberg repouffoit les troupes laiffées aux
ordres du Comte de Waldner. M. le Prince de
Soubife , qui étoit à la tête des gardes & des campemens
; & qui avoit avec lui la brigade de Bentheim
, occupa fur le champ les hauteurs , & fig
attaquer vigoureufement l'ennemi, Le Général,
Hanovrien voyant nos troupes s'étendre , fans em
pouvoir connoître la profondeur , fit faire halte ,
pour attendre le reste de fon armée , & la journée ,
fe paffa en efcarmouches. Les ennemis camperent.
le foir fur le terrein qu'ils occupoient , leur droite
environ à une demi-lieue de notre gauche. Toute
notre armée a joint le 27. Le Prince d'Ifembourg,
a auffi joint de fon côté le Général Oberg le même
jour , & fa droite eft appuyée à la gauche des
troupes Hanovriennes. On eftime que ces deux
corps réunis peuvent monter à vingt - quatre mille
hommes ; mais puifqu'ils ne nous ont point atta
qués hier ; ils le feront encore moins aujourd'hui
ou demain ; car M. le Prince de Soubiſe qui avoit
déja bien reconnu le pofte que nous occupons , a
fait faire plufieurs redoutes qu'ils n'emporteront
pas aifément. Le front de l'armée ennemic, a une
208 MERCURE DE FRANCE .
lieue & demie d'étendue . Il regne beaucoup de
volonté dans la nôtre ; elle eft d'ailleurs en trèsbon
état, & nous n'y manquons de rien . Il y a tout
lieu de croire que M. le Maréchal de Contades.
n'a pas manqué de faire marcher des troupes qui
pourront bien embarraffer les deux Généraux
Hanovriens , s'ils reftent encore long- temps devant
nous.
FRANCE .
Nouvelles de la Cour de Paris , & c.
SAA Majefté a écrit aux Archevêques & Evêques
de fon Royaume , pour faire chanter le Te Deum ,
en actions de graces de la victoire remportée en
Amérique par M. le Marquis de Montcalm , ou
quatre mille François ont combattu & vaincu
vingt- deux mille hommes ; & de la défaite totale
des Anglois , à Saint- Caft en Bretagne , par M. le
Duc d'Aiguillon , qui a donné dans cette journée
les preuves les plus éclatantes de fon habileté &
de fa valeur.
MARIAGE ET MORTS..
cal flor the pisten allia plang aftur
LUIS
7 DEC
7s premier Septembre 1758 , le très- haut &
très -puiffant Seigneur Charles-Hyacinthe -Antoine
Galeano- Galieni , des Seigneurs de ce nom en
Lombardie , Duc de Galean , Prince du Saint-
Siege , Sire & Marquis de Salernes , Baron des
OCTOBRE . 1758. 200
Iffarts , Seigneur du Caftellet- Courtines , lez - Angles
& autres lieux , Colonel d'Infanterie dans le
Corps des Grenadiers de France , Chevalier d'honneur
de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem , de la
Religion, de celui de Saints Maurice & Lazare , & c .
&c , &c , époufa à Lile , dans le Comtat d'Avignon,
Mademoiſelle Marie Françoife - Henriette de
Montpezat , fille de très haut & très puiffant Seigneur
Jean-Jofeph- Paul- Antoine de Trémoletty-
Montpezat , Duc & Marquis de Montpezat , Prince
du Saint- Siege , l'un des quatre premiers Ba
rons de la Province de Dauphine , Baron de
Montmaur , Piegon & Rochebrune , Seigneur
de Laval , Argilliers , &c. Lieutenant pour
Roi en Languedoc , & de très -haute & très- puiffante
Dame Madame Marie - Juftine - Efpérance
d'Agoult , Ducheffe de Montpezat . La bénédiction
nuptiale fut donnée par M. l'Evêque de Cavaillon.
le
La maifon de Galeano - Galieni eft affez connue
pour qu'on le contente d'en placer ici feulement
un extrait. Il fuffira donc de dire que depuis quatre
fiecles qu'elle s'eft féparée des branches aînées
demeurées en Italie , elle a toujours tenu un rang
confidérable dans l'état d'Avignon où elle a fixe
fa demeure. Elle exifte dans deux branches ; celle
du Duc de Guadagne , qui eft la premiere , a
donné le fameux Duc de Gadagne , Capitaine
Général des Armées en France , Gouverneur de la
Rochelle , Lieutenant Général de la Province du
Berry , mert Généraliffime des Armées de Rome
& de Venife, & celle du Duc de Galean des Iffarts,
dont il eft queftion . Ce dernier eft unique fils de
feu le Marquis des Iffarts , Chevalier de l'Ordre
de l'Aigle blanc en Pologne , Confeiller d'Etat ,
d'Epée , & Ambaffadeur extraordinaire & Pléni
Tro MERCURE DE FRANCE.
potentiaire de S. M. T. C. aux cours de Warfovie
& de Turin , mort à Avignon en 1754 , âgé de
37 ans, & de feu très-haute & très- puiffante Dame
Charlotte Yolande-de Forbin , dès Séignéurs de
la Barben & de Pont-à-Mouffon, décédée en 1742
âgée de vingt-fix ans .
Quant à la maifon de Trémoletti-Montpezat ,
elle eft comptée dès la fin du douzieme fiecle au
nombre des meilleures Maiſons & de la plus ancienne
Chevalerie du pays de Foix , d'où elle tire'
fon origine ; ce qui eft conftaté par des actes ori-'
ginaux de ce temps , ou les Seigneurs de cette
maifon prennent toujours les titres de Nobilis
miles ou Domicellus , qui fignifié Chevalier &
Damoifeau : ceux de cette race ont toujours tenu
dans les armées les premiers emplois. Nous '
remarquerons entr'autres féu le Marquis de'
Montpezat , grand- oncle paternel du Dúc de'
Montpezat d'aujourd'hui , qui mourut Lieutenant
Général des Armées du Roi & Gouverneur d'Arras
, à la veille d'être décoré du bâton de Maté
chal de France dont le feu Roi vouloit récompen
fer fa bravoure & fès importans fervices.
Les maifons de Galean & de Montpezat ont
fourni grand nombre de Chevaliers à l'Ordre de '
Saint Jean de Jérufalem , dont plufieurs ont eu
l'avantage de répandre leur fang au fervice de la
Religion.
La maifon de Galean porté d'argent à la bande
de fable remplie d'or , & aux deux'rofes de gueules
cimier , un lion iffant d'or avec ces mots , ab
obice favior ibit , cri de guerre , femper magis ; fup
ports , deux Anges cotemaillés de rofes.
Celles de Montpezat font d'azur , au Cigne'
d'argent pofé fur une riviere , de même furmonté
de trois molettes d'or , bordé d'azur & parfemé.de
OCTOBRE. 1758. 211
tys d'argent pour fupport , deux Anges cottes
maillés de lys d'argent , avec des Bannieres de
même ; pour cimier un Cigne furmonté d'une
molette d'or avec la devife en latin : Cignus aut
victoria ludit in undas
Meffire Antoine- François de Monlezun- de Bufca
, Abbé de l'Abbaye royale de Longvilliers , Ordre
de Câteaux, Diocefe de Boulogne, mourut dans
fon Abbaye le 11 Septembre , âgé de quatrevingt-
cinq ans.
Meffire Louis- François , Marquis de l'Aubef
pine , eft mort en Beauce dans fes terres le 22 ,
dans la quatre-vingt - treizieme année de fon âge .
Meffire Urbain Robinet , Chanoine de l'Eglife
de Paris , l'un des Vicaires Généraux de M. l'Arclievêque
, Abbé de l'Abbaye de Bellozane , Ordre
de Prémontré , Dioceſe de Rouen , eft mort en
cette Ville le 29 du mois dernier, dans fa foixantequinzieme
année.
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
ΑΙ
LETTRE A M. KEYSER.
J'AI P'honneur de vous adreffer , Monfieur , un
état de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, que j'ai traités avec vos dragées & fuivant.
votre méthode de les adminiftrer : vous verrez
que le fuccès ne pouvoit en être plus complet , ni
les atteftations plus authentiques. Il n'y a cependant
rien d'exagéré , ni qui ne foit conforme à la
plus exacte vérité. Je ne vous diffimulerai pas .
212 MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , que j'avois befoin de ces preuves pour
croire : accoutumé depuis un très- long- temps à
employer le mercure, par les frictions , je ne
croyois pas que toute autre maniere de le donner
pût produire de fi bon effets que celle- là ; mais
je fuis défabufé , & il eft juste que j'en fafle l'aveu.
Une circonfiance qui me plaît encore,& à laquelle
on doit faire attention , c'eft que la cure de cette
maladie par vos dragées eft beaucoup plus courte
que par les frictions , & qu'elle eft pour le moins
auf fure. J'ai l'honneur d'être , & c. Leriche,
Chirurgien Major de l'hôpital Militaire de Strafe
bourg.
A Strasbourg , le 28 Mai 1758.
M
ཨ། ཊྛཾ་
ETAT de cinq malade's attaqués de la maladie
vénérienne , qui ont été traités à l'Hôpital Militaire
de Strasbourg avec les dragées de M. Keyfer
& fuivant fa méthode , par les foins de M. te
Riche , Chirurgien - Major dudit Hôpital , &
avec la permiffion de M. le Baron de Luce , Intendant
de la Province d'Alface.. 2
LsE nommé Antoine Buiron , dit Saint- Flours ,
Grenadier au Régiment de la Roche - Aymond ,
Compagnie de Saint - Fal . Il entra à l'hôpital le 7
Avril , & fon traitement n'a commencé que le 23
dudit mois . Il en eft forti le 18 de Mai parfaite
ment guéri , & fes forces rétablies.
Le nommé Jean- Baptifte-Joſeph Robelor , dit
Jofeph, Cavalier au Régiment de Gramond, Compagnie
de Toulle , eft entré à l'hôpital le 23 du
mois de Mars. Son traitement a commencé le to
d'Avril , & a fini le 12 Mai.
Le nommé Nicolas la Forge , dit la Forge ,
Cavalier au Régiment de Bezons , Compagnie de
OCTOBRE. 1758. 213
Ponty , eft entré à l'hôpital le 23 Mars. Son traitement
a commencé le 10 d'Avril , & a fini le 14
Main &
Le nommé Gabriel - Pierre , dit Darras , Sapeur
au Régiment du Corps royal d'Artillerie , Compagnie
de Clincl amps , eft entré à l'hôpital le 21
Mars . Son traitement a commencé le 10 du mois
d'Avril , & a fini le 14 Mai.
Le nommé Vidal Eſtreman , dit la Jeuneffe ,
Soldat au Régiment Infanterie de Beauvoifis , de
la Compagnie de Laftour. Son traitement a commencé
le 10 du mois d'Avril , & a fini le 20 de
Mail eft parfaitement guéri. E
Certificat de Meffieurs les Médecins , Chirurgiens-
Majors, Chirurgiens Aide-Majors de l'lzòpital "
Militaire de Strasbourg.
Nous , Médecins , Chirurgiens- Majors, & Aides
de l'Hôpital Militaire de Strasbourg , fouffignés
certifions & atteftons que nous avons vifité trèsfcrupuleufement
les malades dénommes au préfent
état , & que nous avons trouvés qu'ils avoient
chacun les fymptômes propres & particuliers de
la maladie vénérienne ; que nous nous fommes
transportés plufieurs fois dans la falle où ils ont
été traités par l'invitation de M. Leriche , Chirur
gien Major chargé de ce traitement , pour voir
de quelle maniere les dragées antivénériennes ont
agi fur eux , que nous avons appris & obfervés en
interrogeant lefdits malades que ce remede produifoit
des évacuations fûres , douces & ailées ,
tant par les felles , que par les fueurs , les urines
& la falivation , & que la guérifon de ces malades
ayant été une fuire de l'adminiftration des dragées
, nous eftimons qu'elles peuvent être employées
avec les meilleurs fuccès pour la guérifon
de cette maladie. Fait à Strasbourg , le 25 du mois
214 MERCURE DE FRANCE.
de Mai 1758.Guérin & Paris , Médecins-Docteurs.
Leriche , Chirurgien-Major ; Bomergue , Chirur
gien- Major en fecond ; Leriche & Barbezant
Chirurgiens: Aide- Majors.
LE
AVIS.
E changement de demeure du fieur Garrot, qui
poffede feul le fecret de l'Eau des Sultanes , eſt une
raifon de l'annoncer de nouveau. Il demeure actuellement
rue des Deux-Ponts , Ile Saint-Louis ,
entre un Marchand Paperier & un Chaircutier , au
premier étage. Il prie les perfonnes qui lui écri
ront d'affranchir leurs lettres . On ne répétera point
toutes les bonnes qualités de cette Eau ; la principale
eft de rafraîchir , de raffermir & d'embellir
la peau. Le prix du flacon eft de 6 liv. & celui du
demi-flacon 3 liv.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier;
le fecond Mercure du mois d'Octobre , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 16 Octobre 1758. GUIROY
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSI.
VERS fur la mort de M. le Comte de Broglie ,
page s
L'Amour , la Beauté & la Laideur, Fable , 6 &
Héroïde. Canacée , fille d'Eole , roi des vents à
21-5
fon frere Macarée . Imitation d'Ovide , ibid.
L'Amour & les Oifeleurs , 13
Boutade,fur la fauffe félicité , 14
Lettre à M...、.16
La Bienfaiſance , Ode à M. le Comte de Saint Florentin
, Miniftre & Secretaire d'Etat , le jour de
S. Louis fa fête , 34
Réponse à cette Question : Lequel est le plus fatisfaifant
defupplanter un Rival aimé , ou de fou
mettre un coeur tout neuf. Par Madame *** , 41
Portrait de l'auteur des vers précédens ,
Caracteres diftinctifs de l'Efprit & de l'imagination
, par M. N. P. F. de I.
44
45
Extrait d'une lettre d'an Gentilhomme Anglois ,
ci -devant au ſervice de France , à un de fes amis
à Paris ,
I
Vers par M. Gaillard ,
49
505.1
Vers à Mlle Pouponne de Molac de l'Eftival , par
le Montagnard des Pyrénées ,
Vers à Mademoiſelle de J.
54
5.6
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Vers par M. Anneix
de Souvenel ,
Le
57
59
voyage manqué , Conte par une Penfionnaire
de Breft ,
6.2
De la force de la nouveauté & de celle de la coutume
, par M. le M..is de G. à Béthune ,
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier volume du Mercure d'Octobre ,
Enigme ,
Logogryphe ,
Pot-pourry,
Chanfon ,
? 71
72
73
75
76
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite de l'Extrait du Voyage d'Italie , par M. Co-
77 chin ,
Suite de l'ami des Hommes , quatrieme partie.
216
Réponses aux objections contre les Mémoires
fur les Etats provinciaux ,
Oraifon funebre de M. le Comte de Gifors ,
99
116
125
Extrait des recherches fur les moyens de refroidir
les liqueurs ,
Difcours qui a remporté le prix d'Eloquence de
l'Académie Françoife , en l'année 1758 , par
M. Soret , Avocat , 130
Autres indications de Livres nouveaux ; 136 &
fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Grammaire. Profpectus d'une nouvelle Méthode
d'enfeigner le Latin , par M. l'Abbé Legeron ,
143
Médecine. Lettre à l'Auteur du Mercure , 153
Séance publique de l'Académie des Sciences &
Belles- Lettres de Montauban ,
Affemblé publique de l'Acad. des Belles -Lettres
de Montauban ,
ART. IV . BEAUX-ARTS.
Pharmacie. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Deffein &c.
Gravure &c.
ART. V. SPECTACLES.
Opera ,
Comédie Françoife ,
Comédie Italienne ,
Opera Comique ,
ARTICLE VI.
158
160
165
170
171
181
182
192
197
Nouvelles étrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c ,
Mariage & Morts,
Avis ,
De l'Imprimerie de Ch . Ant. Jombert .
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE. 1758 .
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Sains inve
PapilionScrip. 17381
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
ROLLIN , quai des Auguftins.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
MELIOTHECA,
REGIA
MONACENSIS.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ;
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. MARMONTEL
, Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour.
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
A ij
Onfupplie lesperfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi , Mercredi
Jeudi de chaque femaine , après- midi.
On prie les perfonnes qui envoient des Li
vres , Eftampes & Mufique à annoncer ;
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
Le Nouveau Choix fe trouve auffi au
Bureau du Mercure . Le format , le nombre
de volumes , & les conditions font
les mêmes pour une année,
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1758.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Sur la Mort de M. le Comte de Broglie.
UNIQUE efpoir d'une famille illuſtre ,
Toi , qu'on vit fi matin de lauriers couronné ,
Avant d'avoir atteint ton quatrieme luftre ;
Tu meurs, jeune Guerrier, dans ta fleur moiffonné.
Du myrthe préparé le cyprès prend la place :
L'Amour baigné de pleurs, en vain demande grace,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
L'inéxorable mort eft fourde à fes clameurs ,
Et la nature inconfolable ,
Sur une perte irréparable ,
Gémit , en rappellant ta fageffe & tes moeurs.
L'AMOUR , LA BEAUTÉ
ET LA LAIDEUR,
L'AMOUR
FABLE.
'AMOUR fit un voyage avec Dame Beauté ,
La Laideur fut de la partie
( De Beauté Laideur eft amie ).
I's cheminoient enfemble , & l'Amour tranfporté,,
Toujours , comme on peut croire , adreffoit la
parole
A la Reine des coeurs , au beau viſage enfin ;
Autant valoit parler à quelque Idole..
L'autre les regardoit tous les deux d'un air fin.
L'entretien , qui ne brilloit guere ,
Eût eu fûrement de quoi plaire ,
Si l'Amour , modérant fon feu ,
Eût fait l'honneur à la laide compagne
De l'interroger tant ſoit peù ,
Ne fût- ce que fur la campagne ,
Sur les prés , fur les fleurs , puifqu'il ne pouvoit
pas
Vanter les yeux , fon fein , ou femblables appas
Mais l'Amour ne fçait point le faire violence,
OCTOBRE. 1758 . 7
Tant que dure le jour , dure auffi le filence .
La ſtérile Beauté ne lâchoit tout au plus
Que quelques mots vagues & découfus.
Le foleil fuit , la nuit arrive ;
Amour , prenez votre flambeau ....
Il l'avoit oublié ; dans l'ardeur la plus vive
Un tel oubli n'eft pas nouveau.
Auprès de l'objet que l'on aime
On ne fonge qu'à lui , l'on s'oublieroit foi- même;
Notre Beauté prend un autre chemin ,
On ne fçait pas comment ; elle s'égare enfin.
L'Enfant aîlé , qui de rien ne fe doute ,
Tranquillement pourſuit fa route ;
Et croyant lui parler , il parle à la Laideur.
Ce qu'il a dit cent fois , il le répete encore :
Pour tant d'attraits il a trop peu
Cette flamme qui le dévore ,
d'un coeur
Il voudroit bien qu'elle la reffentît ;
Bref des Amans fa bouche épuife le langage.
Rejettant toujours fon hommage ,
A chaque chofe qu'il lui dit
La Laideur comme il faut réplique :
De la mépriſe elle fait fon profit ;
A divertir l'Amour , voilà qu'elle s'applique.
Il n'eft plus queftion d'attraits ,
De belle bouche , de beaux traits ;
Au petit étourdi l'efprit commence à plaire.
Que d'efprit , s'écrioit l'Amour !
Que vous avez tort de vous taire
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
Eloquente Beauté ! ... Són erreur ceffe au jour
Oh ! oh ! dit-il , d'être un fot je m'accufe.
La Beauté m'ennuyoit , & la Laideur m'amuſe ;
Dorénavant je lui ferai ma cour.
EN VOI
De la Fable précédente à une jolie Femme
qui me l'avoit demandée.
Jx fuis de gloire un peu jaloux :
Ne montrez ma Fable à perfonne ;
Car en la lifant devant vous ,
On ne la trouveroit pas bonne.
Par l'Anonyme de Chartrait près Melun
HÉROÏDE ,
Canacé , fille d'Eole , Roi des vents , à fon
frere Macarée.
Imitation d'Ovide.
Da la jeune fille d'Eole ,
Tendre frere , reçois les funeftes adieux.
Ils ne feront pas longs , la colere des Dieux
Va punir nos amours & m'ôter la parole.
Déja par un cruel deffein ,
Cette main qui t'écrit d'un poignard eft armée.
OCTOBRE. 1758 .
f
D'une main tremblante , alarmée ,
Pourras-tu connoître le fein.
Cet écrit tout fouillé de fang & de carnage ;
Témoin de mon trépas , ne t'inftruira de rien :
Mais ce fer , don fatal d'un pere & de fa rage ,
Ne te l'apprendra que trop bien.
Ah ! fi mes forfaits font horribles ,
Les jours de fes enfans lui ſemblent bien abjets ,
Et ce Roi qui commande aux aquilons terribles ,
Eft plus cruel que fes fujets.
Implacable ennemi de tout ce qui refpire ,
Infenfible aux foupirs des pâles matelots ,
Hexerce fur nous un plus cruel empire ,
Que dans les airs & fur les flots.
J'ai , dit- on , pour ayeul le maître du tonnerre.
Mon deſtin en eſt- il plus beau ?
Je n'en quitte pas moins le féjour de la terre ,
Et cette main novice aux fureurs de la guerre ,
En vain , au lieu d'un fer , reclame fon fuſeau.
Mes crimes ont des Dieux allumé la colere :
L'amour eft indigné du fang dont nous fortons ;
La nature frémit d'une ardeur téméraire ;
Je n'ofe t'appeller mon amant , ni mon frere :
Je pâlis à ces triſtes noms ;
Et ces titres fi chers , font pour nous des affronts
De mes égaremens la fource étoit bien pure t
A v
ro MERCURE DE FRANCE.
Je pouvois bien t'aimer ! le ſang me l'ordonnoit ;
Et lorfque l'amour m'entraînoit",
Je croyois écouter la voix de la nature.
Jouet des Dieux cruels , ils devoient la pitié
A mes criminelles folies :
Ce n'est qu'à ma pâleur & qu'à mes infomnies ,
Qu'on eût connu l'amour caché fous l'amitié..
.
*
Ma pudeur & mon innocence
Entretenoient ma douce erreur :
Si j'euffe mieux connu l'amoureuſe ſcience ,
J'aurois redouté mon vainqueur.
Ma nourrice fut la premiere
Qui me dit , en pleurant : Princeffe , vous aimez
Elle glaça d'effroi mes efprits alarmés ,
En offrant à mes yeux cette trifte lumiere..
L'on me vit , au pied des Autels ,
Offrir victime fur victime.
J'ai recours aux Dieux feuls , pour qu'ils cachent
mon crime ,
Et non aux breuvages mortels..
Ah ! mes cris réveilloient la colere divine :
Que j'ai payé bien cher de coupables amours !
Excepté la chafte Lufcine ,.
Tout me refufa fon fecours.
Mon pere inftruit de la naiffance
D'un fils , par fa mere adoré ,
OCTOBRE. 1758.
Au plus vif courroux s'eſt livré ,
Et fa barbarie a juré
De verfer un fang qui l'offenfe.
Déja fon fattellite eft venu de fa part ,
M'ordonner de mourir , & m'offrir un poignard.
Cruel tyran de fa famille ,
C'eſt le premier préſent qu'il étale à mes yeux ;
C'eft la dot qu'il donne à fa fille ,
En l'uniffant à fes ayeux.
Vers l'antre d'un rocher fauvage ,
A des loups affamés l'on va livrer mon fils :
Ses larmes naiffantes , fes cris
Loin de fléchir mon pere , ont irrité ſa
L'on oſe exécuter cet horrible deſſein
Avant ma premiere carefſe ;
On le ravit à ma tendreffe ,
rage.
Un homicide bras me l'arrache du fein.
'Arrêtéz , ah , cruels ! quel crime a pu commettre
Un enfant à peine encor né
Et quelle injure faite à fon barbare maître ,
Depuis le peu d'inftant qu'il a commencé d'être ,
Irrite fon ayeul à le perdre obftiné
Les loups dévorent donc cet enfant né du crime,
Né d'un inceftueux lien !
Je ne l'aimois pas moins , cette trifte victimez
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
C'eft doublement mon fang , c'eft doublement le
tien.
Loin de moi , loin d'ici le flambeau d'Hyménée ,
Qu'il ne luife jamais fur un coupable amour.
Venez , filles d'enfer ; Princeffe infortunée ,
Dans ces derniers momens je ne veux d'autre cour
Mon pere , mes forfaits , les Dieux m'ont condamnée
: "
C'eſt à vous d'allumer mon bucher en ce jour.
Et , toi , malheureux Prince , ô toi ! plus que mon
frere ,
Ramaffe de ton fils les membres difperfés.
Du moins dans mon tombeau rends un fils
mere :
Que les loups ne foient pas fa tombe , c'eft affez .
Uniffant ainfi notre cendre ,
Tes mains la couvriront de gazon & de fleurs.
Je jouis d'avance des pleurs
Que tant de fang verfé va te faire répandre..
Dois- je gémir fur des malheurs
Accompagnés d'un prix fi tendre ?
En creuſant mon cercueil , tu frémiras d'y voir
Mon ombre défolée & de mon fang fumante.
Ah ! rends - moi fans horreur ce funefte devoir :
Embraffe fans effroi l'ombre de ton Amante.
Je m'en repofe fur ta foi :
fa
OCTOBRE . 1758 . 12
Que mes ordres derniers foient une loi ſuprême.
Je t'en donne l'exemple même
En exécutant ceux du Roi.
Ellefe tue.
Cette heureuſe imitation d'une des plus
belles Héroïdes d'Ovide , eft de M. le Baron
de Rouville , Confeiller au Parlement
de Toulouſe.
L'AMOUR ET LES OISELEURS.
AMOUR, Amour, jamais tu ne repoſes
Et rien n'échappe à tes pieges flatteurs .
Un jour ( c'étoit dans la faifon des rofes )
Climene & moi , novices Oifeleurs ›
Nous préparions des pieges fur les fleurs.
Le doux printemps , un Dieu plus doux encore
Nous raffembloit au réveil de l'aurore .
Tous deux affis fur la mouffe & le thim ,
Nous refpirions l'espoir & le butin ;
Et près de nous les réſeaux & 1) cage
Du peuple aîlé méditoient l'efclavage;
Le miroir brille ; alors un jeune Oiſeau
Se détacha des fommets du bocage :
Il balançoit fon vol fur le réfeau ;
Puis en jouant l'effleuroit d'un coup d'afles
Puis careffoit le miroir infidele ;
C.
14 MERCURE DE FRANCE
Auffi léger que l'éclat voltigeant ,
Que réfléchit la glace au front d'argent.
L'azur des cieux coloroit fon plumage.
Nos coeurs fembloient répéter fon ramage ;
Le voir , le prendre eft un même defir ;
Nous nous taifons , nous palpitons de joie ,
Le piege court envelopper fa proie ,
Le filet tombe ; en vain l'Oiſeau veut fuir :
Il fe débat ; je fouris , & Climene ,
Sous le filet que je fouleve à peine ,
Etend déja fa main pour le faifir ;
Elle y touchoit ... Soudain l'oiſeau rapide
( C'étoit l'amour ) s'envole avec nos cris ;
It du filet difperfant les débris ,
Il tient encor dans le réſeau perfide
Les Oifeleurs qu'il avoit pris.
Par M. le Brun , Secrétaire des Commandemens
de S. A. S. Monseigneur
le Prince de Conty.
BOUT ADE
SUR LA FAUSSE FÉLICITÉ.
J le foutiens pour être heureux ,,
E
Il faudroit s'en tenir aux voeux.
Les doux fouhaits & l'efpérance ,
Une fatteufe illufion
OCTOBRE. 1758
I'S
Ce bien , ſi mince en apparence ,
Vaut fouvent la poffeffion.
Le dégoût fuit la jouiffance
En épuifant la paffion.
De ce pofte qu'on follicite
Avec tant de vivacité ,
Une pénible réuffite
Prouve enfin la futilité ;
Et bientôt l'ardeur qu'il excite
Tombe dans la fatiété.
Le droit de la propriété ,
Soit de l'or , foit du rang fuprême ;,
Par la longue uniformité ,
Languit dans la prospérité
D'un bien-être toujours le même.
Après les périls , les travaux ,
( Au moins la perte du repos ) .
Que fur fes pas la gloire entraîne ,
Quelques faveurs qu'on en obtienne ,.
Ee plein fuccès de nos defirs
Se fait moins fentir que la peine
Des plus frivoles déplaifirs.
Par M. DE BERNOY , Secretaire perpétuel
de l'Académie des Belles - Leures
de Montauban,
16 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE A M.... ( 1 )
I fuis fi perfuadé , Monfieur , qu'une
bonne éducation eft de tous les moyens
celui qui contribue le plus au bien de
l'humanité, que je ne puis qu'admirer celle
que vous donnez à Monfieur votre fils.
Loin de lui fouhaiter , felon l'uſage d'à
préfent , plus de brillant que de jufteſſe ,
des manières plutôt que des fentimens ;
loin d'aguerrir fa pudeur & fon innocence,
plutôt que de lui infpirer de la modeſtie
& de la vertu , vous vous efforcez de le
rendre auffi parfait que les loix même de
la nature l'exigent.
Je dis les loix de la nature ; car s'il étoit
vrai ce qu'un Auteur de nos jours , plus
bel - efprit que philofophe , n'a pas craint
d'avancer que la nature ne nous a fait
que pour vivre féparés les uns des autres ,
je conviendrois de l'inutilité de vos foins :
dans cette hypotefe affreufe , le feul inftinct
pourroit nous fuffire ; & nous ferions
d'autant plus heureux , que , fans égards
( 1 ) Cette Lettre a été lué dans la derniere
féance de l'Académie de Nanci ; elle eft digne de
l'ame & du génie de fon Auteur , & c'eft le plus
grand de tous les éloges.
OCTOBRE. 1758. $17
1
7
pour nos femblables , nous aurions moins
d'attention pour eux & plus d'amour pour
nous mêmes ; mais alors êtres oififs & malfaifans
, nous péſerions plus à la terre que
les brutes même les plus féroces , & notre.
ftupide exiftence feroit auffi funefte à
nos femblables , que la leur nous le feroit
par un pareil excès d'orgueil & de brutalité.
Non , non , deftinés à vivre en fociété ,
je veux dire , à mettre en commun nos
forces & nos talens , réduits à emprunter
les fecours qui nous manquent , obligés ,
pour notre propre intérêt , à rendre ceux
que nous avons reçus , créatures , en un
mot , néceffairement dépendantes les unes
des autres , il nous faut des fentimens qui
nous lient ; & ces fentimens que la nature
ordonne , la bonne éducation les fait
éclorre , les épure & les nourrit.
L'efprit & le fçavoir y peuvent être également
utiles : de- là , les foins que vous
prenez pour former dans votre fils un
jugement fain , qui , fans nuire à la vivacité
de fon imagination , l'accoutume à
faifir d'un coup d'oeil les vrais principes.
des chofes , & à les enchaîner avec un
ordre qui les rendant plus lumineux , femble
les rendre plus folides : mais avoir de
Fefprit , eft ce autre choſe qu'avoir de
·
18 MERCURE DE FRANCE.
bons yeux ? C'eſt par l'efprit que l'ame difcerne
les objets inacceffibles aux fens ,
comme par les yeux du corps elle apperçoit
les objets que les fens lui préfentent ;
& felon cette idée , y auroit- il plus de mérite
à avoir de l'efprit , qu'à avoir une vue
forte & perçante , fi notre efprit ne nous
perfuadoit l'amour de l'ordre & des loix ,
s'il ne nous infpiroit de la douceur & de
la complaifance , de l'eftime & de l'amitié
pour nos femblables , s'il ne nous rendoit
enfin honnêtes gens & bons citoyens ?
Telle feroit auffi l'inutilité des fciences ,
fr elles ne fervoient , comme il n'est que
trop ordinaire , qu'à nous infpirer de la
présomption & de la vanité , & fi elles net
nous montroient les devoirs de la fociété ,
que pour nous porter à nous en affranchir,
ou pour nous apprendre à nous juftifier
d'avoir négligé de nous y foumettre.
Il n'y a que le bon ufage de l'efprit &
du fçavoir qui puiffe compenfer les peines
& les tourmens d'une jeuneſſe appliquée
à s'inftruire ; & en vérité il nous importeroit
peu d'avoir acquis des connoiffances
au deffus du refte des humains , fr nous
n'avions appris l'art de vivre avec eux ;
par des fervices mutuels , de nous attirer
leur amour & leur eftime.
&
L'éducation eft d'autant plus néceffaire
OCTOBRE. 1758. Ig
pour arriver à ce bonheur , qu'avec fes
fecours mêmes , rien n'eft fi rare que d'y
parvenir. Quelle en effet a toujours été la
fociété parmi les hommes , & quelle eftelle
encore au moment que nous en parlons
? Jettons un coup d'oeil fur les jaloufies
, les haines , les injuftices , les calomnies
, les fraudes , les vengeances , les
trahifons , fur tous les vices que l'intérêt
fait naître ne font- ce pas autant d'obſtacles
à l'union des coeurs ? & comment eſtil
poffible que nous ayons encore quelque
habitude entre nous , parmi tant d'efforts
que nous faifons fans ceffe pour rompre
les liens qui nous raffemblent ?
La feule apparence de ces liens fubfifte ;
& c'eft peut - être elle feule qui a toujours
fait & qui fait encore que les hommes ne
font point des êtres entiérement ifolés.
C'est donc à dire que notre liaifon n'eſt
qu'une feinte ; & comment ne le feroitelle
pas ? Prefque tous tant que nous fommes
, moins coupables , à la vérité , par
méchanceté que par foibleffe , nous avons
dès l'enfance étouffé dans nos coeurs les
germes naiffans d'une nature heureuſe , &
nous affectons une liberté fauvage , qui
nous fait tout prétendre & tout conteſter .
Ainfi dans un amas confus d'intérêts
particuliers , fi diverfement embarraffés les
20 MERCURE DE FRANCE .
uns dans les autres , on ne prend confeil
que de fon orgueil ou de fes befoins ; &
quoiqu'il foit difficile de diffimuler avec
ceux que l'on méprife , on cache des deffeins
pervers fous des manieres douces ; la
haine prend le mafque de l'amitié
fourberie fe couvre d'une apparence de
franchiſe , la diffimulation paffe pour ha
bileté , la rufe pour prudence , l'artifice
affecte les dehors les plus féduifans de la
bonne-foi.
la
Cependant la Religion qui doit redreffer
nos penchans , nous prêche l'amour
de nos femblables , & tout ainfi que l'humanité
, elle ne tend qu'à nous réunir.
Remarquons cependant que ce n'eſt pas
fimplement une ombre , un phantême de
fociété que l'une & l'autre exigent.
La Religion va même plus loin , &
dans la feule égalité qu'elle met entre les
intérêts de notre prochain & nos intérêts
propres , enforte qu'à l'un & l'autre égard ,
nous n'ayons qu'une même meſure d'affection
& de zele , je trouve la preuve la
plus convaincante de la grandeur , de la
nobleffe , de la divinité de cette Religion.
Qu'on l'appuie tant qu'on voudra par tant
d'autres caracteres qui lui font propres , il
n'en eft point , à mon gré , qui lui donne
une conviction plus certaine & plus folide
OCTOBRE . 1758 . 21
que cet amour de nos femblables , qu'elle
exige auffi clairvoyant , auffi attentif, auſſi
tendre , auffi parfait que celui qu'il nous
eft permis d'avoir pour nous - mêmes .
Ôn diroit qu'en cela la nature & la Religion
ont confulté nos intérêts. Je foutiens
en effet que c'eft nous aimer autant
qu'il eft poffible , que d'aimer fincérement
tous ceux avec qui nous vivons.
Le bonheur dont nous fommes le plus
jaloux , n'est - ce pas l'eftime & l'amitié
des autres hommes ? & ce bonheur fi précieux
furtout aux ames bien nées , qui
pouvant confentir à être privées de la
gloire , ne fçauroient fe réfoudre à être
privées de l'honneur , ce bonheur eft - il
l'effet du tempérament , l'ouvrage de la
raifon , l'appanage des dignités , un des
avantages de la richeffe ? non , c'eſt en
vain qu'on le chercheroit en nous , il eft
dans les mains de nos femblables ; c'eft
d'eux qu'il nous le faut attendre , nous ne
pouvons faire autre chofe que le mériter.
Mais quel autre moyen de le mériter ,
que par des prévenances fans baffeffe , par
des politeffes fans fauffeté , par des égards
fans contrainte , par autant de marques
d'eftime que nous defirons en recevoir?
Si cela eft , c'eft donc nous aimer véritablement
, que d'aimer les hommes , les
12 MERCURE DE FRANCE.
feuls appréciateurs de nos talens & de nos
vertus , les feuls dont l'approbation récompenfe
& foutient le mérite , les feuls auteurs
du bonheur qui nous flatte davantage
& que nous ambitionnons le plus.
Je demande en effet ce qu'il en feroit
de nos qualités les plus eftimables , s'il
n'étoit perfonne qui daignât les eftimer ?
Concentrées dans nos coeurs , ou elles feroient
pour nous un objet de complaifance
, & dès-lors elles perdroient tout leur
prix , ou un objet d'indifférence , & rien
ne nous porteroit à les entretenir . Dans le
premier cas , notre orgueil , s'il étoit connu
, ne nous attireroit que de la haine :
dans le fecond , notre indolente froideur
ne mériteroit que du mépris ; dans ces
deux cas , tout mérite feroit bientôt
anéanti.
Auffi , quel que foit notre amour- propre
, nous avons un penchant fecret à rechercher
de la confidération & de l'eftime ,
& c'est peut- être ce même amour qui fert
à nous infpirer ce penchant . La raifon des
autres étant réellement un Juge moins
aifé à féduire que notre propre raiſon ,
nous la croyons conféquemment plus capable
de nous faire honneur par fes fuffrages
; nous aimons à être vus hors de nous ,
tels à peu près que nous nous voyons en
OCTOBRE. 1758. 23
nous - mêmes ; nous voulons que notre
image fe retrace dans tous ceux qui nous
connoiffent , ainfi que dans un miroir ; &
comme elle s'y reproduit , s'y étend , s'y
multiplie , nous nous efforçons de l'embellir
à mesure que nous fentons qu'elle
a eu le bonheur de plaire , c'eft- à- dire que
dès-lors nous avons plus d'attention fur
nos vertus & fur nos défauts ; que dèslors
notre efprit s'épure , notre coeur s'éleve
& s'agrandit en quelque forte ; que
nos devoirs nous deviennent plus chers &
moins pénibles , & que par une vanité
louable , plus féveres à notre égard , nous
nous montrons , par un jufte retour , plus
indulgens à l'égard des autres.
Il eft donc vrai que nous devons à
ceux dont nous defirons l'eftime , ce qui
contribue le plus à notre perfection ; &
de- là j'infere qu'on ne fçauroit trop tôt
en infpirer le goût aux jeunes gens. Elle
eft réellement le bonheur le moins frivole
& le plus flatteur , & la rechercher , c'eſt
une espece de néceffité que le bien de
l'humanité , que la nature même nous
impofent.
İl eft certain en effet que ce defir excite
jufqu'aux moindres talens , & qu'il enrichit
la fociété de toutes les efpeces de
mérites qui auroient été perdus pour elle ,
24 MERCURE DE FRANCE.
foit qu'une lâche pareffe les eût enfouis ,
foit qu'une perfide timidité n'eût ofé les
produire , foit qu'une ridicule modeſtie les
eût fait avorter.
Ce defir eft même d'autant plus utile aux
jeunes gens , qu'en effayant de donner à
leur caractere la foupleffe & le liant qui
gagne les
coeurs , en leur apprenant à rompre
leur humeur pour s'accommoder à celles
des autres , en les tenant dans la dépendance
des jugemens de tout homme qui
peut s'ériger en arbitre de leurs actions
on leur fait contracter l'heureuſe habitude
de commander à leurs coeurs & de maîtrifer
des paffions qui , dans leurs commencemens
, aifées à vaincre , font dans leurs
moindres progrès fi difficiles à contenter.
que
Mais fi cette ardeur pour l'eftime ,
l'on doit regarder comme la fource , ou
du moins comme l'appui de nos vertus , eft
en effet fi utile , qu'il faille l'infpirer de
bonne heure au commun des hommes , je
veux dire à cette foule de mortels qui ,
dans les conditions fubordonnées de la vie ,
ont néceffairement des fupérieurs à craindre
& des égaux à ménager , combien plus
eft- il important de l'infpirer aux jeunes
Princes , tout Princes qu'ils font ?
Il eft vrai que cette ambition qui nous
porte fi puiffamment à tout ce qui peut relever
OCTOBRE. 1758. 25
> lever la dignité de notre nature ne fait
d'ordinaire que de foibles impreflions fur
des hommes nés dans l'abondance de tous
les biens , & qui , n'ayant point de voeux à
faire , & pouvant à leur gré réaliſer ou
rendre infructueux tous ceux qu'on forme
dans leur empire , n'attendent du refte des
hommes que de la foumiffion & du refpect.
Je dis néanmoins que ces hommes fi
puiffans tiennent aux autres hommes par
une infinité de devoirs , & que fi la fortune
n'a rien à leur offrir qu'ils n'ayent reçu
de leur naiffance , il leur refte à défirer
quelque chofe de plus grand & de plus
heureux , je veux dire , l'amour des peuples
, & particuliérement cette forte d'amour
que le mérite fait naître , & qui devient
plus fort que le devoir.
Quelle eft à plaindre malgré tous fes
brillans dehors , la condition de ces Maîtres
de la terre ! Elevés dans le centre des
paffions , il leur eft prefqu'impoffible de
' en défendre , & on leur laiffe fentir à peile
danger de celles auxquelles ils ont
le malheur de fe livrer. Jamais inquiétées
par des reproches , ou même par des confeils
, jamais réprimées par aucun obſtacle
elles font eftimées auffi fouveraines qu'eux,
& quelles qu'elles foient , on les refpecte ,
II.Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
on y applaudit , peu s'en faut qu'on ne les
juſtifie.
Combien de courtifans qui , ne pouvant
exiſter que par les foibleffes de leur maître
, craignent fes vertus comme une difgrace
, & qui fans ceffe appliqués à nourrir
dans fon coeur des penchans malheureux
qu'ils y font naître , trafiquent de fa
gloire , & s'enrichiffent de fon indifférence
à la foutenir ?
Il n'eft que le defir d'être aimé qui puiffe
garantir un Prince des malheureux piéges
dont il eft affiégé . C'eft auffi à lui faire
fentir le prix de cet amour , que doivent
tendre tous les foins de l'éducation qu'on
lui donne. Et qui peut ignorer que cet
amour eft infiniment plus flatteur , qu'une
obéiffance forcée , qui trop fouvent déſefpere
celui qui la rend , & qui toujours
accufe celui qui fe la fait rendre.
Ce n'eft d'ordinaire ni la foif de l'or ,
ni la paffion pour les honneurs qui rendent
les Souverains indifférens aux fentimens
de ceux que le fort a foumis à leur empire.
Nés dans la gloire & dans l'opulence , ils
en jouiffent prefque jufqu'au raffafiement.
Ce qui me paroît leur infpirer moins d'ardeur
à captiver les coeurs des autres hommes
, c'eft le goût des plaifirs , écueil ordinaire
de leur repos & de leur gloire ;
OCTOBRE. •
1
ལ་
1758. 27
mais que les plaifirs en général font frivo
les ! qu'ils font infipides en comparaiſon de
l'émotion agréable qu'excite dans l'ame
d'un Prince le tendre retour d'un peuple
chéri & quels peuvent être des plaifirs
que l'on n'a pas la peine de fouhaiter , que
l'excès rend languiffans, d'où naît fans ceffe
le befoin d'autres plaifirs , & de plus grands
plaifirs encore , & qui , ufés par l'habitude,
reffemblent aux parfums qui perdent de
leur vertu par un trop fréquent ufage ?
Il n'eft pour les Souverains de contentement
véritable & folide , que celui que
leur donne une réciprocité de tendreſſe
toujours conftamment établie entr'eux &
leurs fujets . Il en eft de ce rapport mutuel ,
comme de celui qui fubfifte dans toutes
les chofes de la nature , & fans lequel
l'univers feroit bientôt anéanti. En effet ,
fi les Etats périffent, parce qu'il y a de mauvais
Souverains , il n'eft pas moins vrai
qu'ils périffent auffi , & peut- être même
encore plutôt , parce qu'il y a peu de Citoyens
fincérement attachés à leurs Princes.
C'eft cette harmonie du Chef avec les
membres , qui rend un Souverain d'autant
plus heureux , qu'il fent par l'amour de
fes fujets , qu'au défaut de la naiſſance qui
l'a mis fur le trône , ce même amour l'y
auroit placé. Mais comment jouiroit - il
Bij
28 MERCURE DE FRANCE,
d'une fatisfaction fi parfaite & qui dépend
d'une foule de fentimens mal- aifés à réunir ,.
s'il ne fe l'étoit ménagé par un accès toujours
libre , qui donne de la confiance fans
rien ôter à la majefté , par une douceur
qui tempere la puiffance fans l'affoiblir ,
par une bonté qui n'autorife point le défordre
, & ne donne aucune efpérance
d'impunité , par une affabilité qui paroiffant
fufpendre les droits de la fouveraineté
, lui attire plus d'hommages , par une li
béralité de difcernement , & non de prévention
ou de caprice , par des égards ré
fléchis pour les libertés & pour les préjugés
même des peuples , & par un efprit
de fageffe & de précaution qui apprend à
dominer avec réferve , & , felon les occafions
, à plier avec dignité.
Que de devoirs fe trouvent renfermés
dans ce peu de mots, qui viennent d'échap
per à ma plume ! Si j'avois le temps de les
parcourir en détail , je dirois qu'un Prince
doit fçavoir allier la clémence à la justice ,
adoucir l'amertume des reproches par les
expreffions , diftinguer un foible d'un vice ,
fubftituer la pitié à l'indignation , s'attacher
plutôt à ramener qu'à punir ceux qui
ont le malheur de lui déplaire ; & comme
le ciel fi fouvent irrité par toutes fortes
de crimes , avoir plus de tonnerres pour
OCTOBRE. 1758 . છે
épouvanter , que de foudres pour détruire.
Ajouterai-je ici que l'ambition , trop
ordinaire aux Souverains , de fe diftinguer
par les armes , doit les flatter beaucoup
moins , toute noble qu'elle eft , que le plaifir
d'être aimés de leurs fujets ? Qu'un
Prince prenne les armes ; il le doit fans
doute , furtout lorfqu'il s'agit d'enchaîner
l'audace de fes Voifins , & de garantir fes
Etats de leurs infultes ; qu'alors Général &
Soldat , il joigne à la vivacité du courage ,
ce qui feul fait les vrais Héros , une juftice
fans emportement,, un reffentiment fan's
vengeance qu'il calcule le prix du fang
pour le ménager ; qu'il tienne un jufte milieu
entre la précipitation téméraire & la
timide lenteur , qu'il craigne furtout de
groffir la tempête en voulant la conjurer ;
rien n'eft plus grand ni plus louable aux
yeux de l'univers étonné.
Mais fi dans le temps même que ce
Prince fe montre auffi hardi que s'il ne
pouvoit manquer d'être heureux , il épie
l'occafion de frayer un chemin à la paix ,
& qu'il immole fes fuccès au befoin de fes
fujets prêts à céder aux efforts de leur
zele , la gloire qu'il acquiert alors , quoique
moins brillante , & peut- être moins
eftimée n'eft-elle pas plus folide parce
qu'elle eft plus indépendante des hazards ,
>
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
& plus propre à faire honneur à l'huma
nité , parce qu'elle eft plus digne des éloges
d'une raifon éclairée ?
"
Les regnes les plus illuftres nous offrent
à la vérité peu d'exemples d'une fi ſage &
fi utile modération ; mais prefque de tout
temps , la valeur feule autorifa les Princes
provoquer celle de leurs Voifins. Il leur
fuffifoit d'être rivaux pour être ennemis ,
& ils brûloient de s'effayer les uns contre
des autres .
Il n'étoit donné qu'à notre fiecle de voir
le Chef d'une nation qui ne trouve rien
d'impoffible quand on n'exige d'elle que
de la valeur , éviter néanmoins la guerre ,
fans la redouter , ne l'entreprendre qu'à regret
, quoiqu'avec raifon , & n'en redoubler
la chaleur que pour parvenir plutôt à
l'éteindre .
Ainfi que ces grands fleuves qui ne font
jamais tant de bien que lorfque , foulevés
par la fureur des vents , ils fe courroucent
& fe débordent ; on diroit que ce Monar-
<que , irrité
irrité par l'injuftice de fes Voifins ,
ne porte la terreur dans leurs campagnes
que pour y faire renaître la confiance &
l'amitié , on diroit qu'il cherche plutôt à
combattre leur jaloufie , qu'à fe venger de
leurs hoftilités ; & que par une fiere &
intrépide clémence , toujours prêt à re
OCTOBRE . 1758 .
noncer à fes fuccès , il n'en attend d'autre
avantage que les offres d'une paix durable
, qu'il ne craint pas de devancer luimême
par fes defirs.
Faut-il donc s'étonner què fes peuples
lui ayent déféré le titre de bien aimé , titré
plus glorieux qu'aucun de ceux que les
meilleurs Empereurs de l'ancienne Rome
ayent jamais reçus , & qui doit être d'autant
plus cher à la nation qui l'a donné
qu'en lai faifant réellement autant d'honneur
qu'au Souverain qu'elle en a jugé digne
, il ne peut manquer d'exciter un jour
la plus noble émulation dans l'augufte poftérité
de ce Prince , dès qu'elle fçaura qu'il
eft des Héros de plus d'une forte , & que
celui qui fait fa principale étude de rendre
les hommes bons & heureux , n'a rien à céder
au Héros qui ne cherche à s'illuftrer
que par fes triomphes.
Heureux donc le Souverain qui , pour
s'attirer l'amour de fes peuples , ne néglige
rien de tout ce qui peut le lui méri
ter , & qui , dans ce deffein , s'attache à
ménager fes finances avec oeconomie , &
les répand à propos fans regret ; qui fe
plaît à careffer le mérite , & à le récompenfer
, & qui , forcé quelquefois de refufer
, fçait du moins obliger dans fes refus
même ; qui, s'appliquant à raccourcir l'in-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
tervalle qui le fépare du refte des mortels ,
les éleve jufqu'à lui pour mieux entendre
leurs plaintes , ou daigne defcendre jufqu'à
eux pour mieux connoître leurs befoins , &
qui enfin , par une autorité fans orgueil ,
& par une bonté fans foibleffe , obtient ce
que fa dignité même n'eft pas en droit
d'exiger , un amour d'eftime & de confiance
, qui , ne devant rien à la crainte ,
devient dans les coeurs où il s'eft formé ,
une espece de paffion d'autant plus forte ,
qu'elle eft approuvée par la raifon , animée
par la reconnoiffance , foutenue par l'inté
rêt , enflammée par le bien général de la
patrie.
C'eft cet amour qu'un bon Souverain a
le bonheur de voir paffer durant la vie ,
des peres aux enfans , & qui , devenant
dans ceux- ci comme un fentiment naturel ,
fe perpetue à jamais d'un fiecle à l'autre :
ainfi nous aimons encore les Trajan , les
Marc- Aurele , les Antonins ; la tendreffe
de leurs fujets , empreinte , pour ainsi dire ,
dans notre nature , eft venue jufqu'à nous
à travers les débris d'une foule de trônes
occupés par des Princes haïs ou mépriſés :
elle nous a été tranfmife avec la vie , &
ceux qui nous doivent l'être , la configneront
de même à leurs defcendans .
Il faut donc avouer que de tous lesbiens
OCTOBRE. 1758. 33
que poffedent les Princes , l'amour de leurs
fujets eft le plus digne de leurs recherches ,
& le plus capable de fatisfaire leur ambition
. Il est toujours temps fans doute de
leur en faire fentir les avantages ; mais c'eſt
particuliérement dans leur tendre enfance
qu'il faut leur en infpirer le defir. Semblable
à ces caracteres tracés fur l'écorce d'un
jeune hêtre , qui croiffent , s'étendent & fe
développent avec lui , ce defir dans le bas
âge , fe grave plus aifément dans leurs
coeurs , s'y déploye avec plus de force , & ,
fe mêlant à leur inftinct , devient avec le
temps comme une partie d'eux -mêmes.
Cette vérité établie , & à laquelle mon
fujet m'a conduit fans deffein , je reviens
à préfent fur mes pas , & je dis que, s'il importe
aux Princes mêmes de fe faire aimer
de leurs fujets , il eft encore plus indifpenfable
au commun des hommes de fe ménager
l'eftime & l'amitié de leurs femblables ,
& que ce doit être l'un des premiers principes
de leur éducation , parce qu'en effet
il n'en eft point de plus propre à les rendre
heureux , de plus capable d'entretenir l'ordre
& la paix dans le monde , & de faire
comme une feule famille de tous les citoyens
d'un Etat .
Bv
34 MERCURE DE FRANCE
LA BIENFAISANCE,
ODE à M. le Comte de Saint Florentin ;
Miniftre & Secretaire d'Etat , le jour de
Saint Louis , fa Fête.
REVEVEILLE-toi , lyre touchante ;
Unis tes accords à ma voix.
Que mon coeur parle fous mes doigts ::
C'eſt SAINT-FLORENTIN que je chante .
Vices , qu'on érige en vertus ,
Crimes de fplendeur revêtus ,
Non , ce n'eft pas vous que j'encenſe :-
Organe de la vérité ,
L'objet de ma reconnoiffance
Eft l'amour de l'humanité .
Toi , qui de la haute fortune
Fais l'honneur, le charme & le prix ; >
Toi , qui feul appaiſes les cris
De l'envieux qu'elle importune ;:
Délices des coeurs généreux ,
Noble foutien des malheureux ,
BIENFAISANCE , vertu féconde ,
Ton regne eft le feul immortel :
Du cahos tu tiras le monde ;
fut ton temple & ton autel.
OCTOBRE. 1758. 35
Devant toi marche l'Espérance
'Au doux regard , au front ſerein ;
Comme le feu diffout l'airain ,
Tu fçais vaincre l'indifférence.
L'orgueil lui- même eft fubjugé ;
Le mérite humble & diftingué ,
Te doit l'éclat qui l'environne ;
Pour toi tous les coeurs font ouverts
Les fleurs qui forment ta couronne
Sont les tributs de l'univers.
Au milieu des plaines fertiles ,
Tel un fleuve majeſtueux
Promene à replis tortueux
Ses ondes pures & tranquilles.
Couverts de riantes cités
Ses rivages font habités
Par l'induftrie & l'Hyménée ;
Près du travail on voit affis
Le calme & la paix fortunée ,
Dans la cabane de Baucis.
Ou tel ce globe de lumiere ; ab al
Reftaurateur de l'univers ,
De fes feux lancés dans les airs
Anime la nature entiere ;
Soit que fon foyer radieux ;
Immobile au centre des cieux ;
Attire & balance les fpheres ;
Soit que dans fon rapide cours
log
36 MERCURE DE FRANCE.
Il difpenfe aux deux émiſpheres
Les ans , les faifons & les jours.
Que dis-je ? ô puiffante Déeffe !
Ces eaux , ces rayons bienfaifans
Sont d'intariffables préfens
Que tes mains répandent fans ceffe :
Mere du tranquille repos ,
La douce vapeur des pavots
Eft un baume que tu diftilles ;
Tu nous infpires les defirs ,
Et par toi les befoins utiles
Donnent la naiffance aux plaifirs.
Dans l'univers rien ne profpere,
Que par tes foins , & fous ta loi .
Non , l'homme n'adore que toi
Dans les Dieux dont il eft le pere
Tes prodiges multipliés ,
Et fous mille noms publiés ,'
Reçoivent partout nos hommages .
La crainte a fes Dieux menaçans
Mais c'eft aux pieds de tes images
Que l'amour allume l'encens .
Devant le terrible Abramane
Je vois le Mage profterné ,
Implorer d'un oeil confterné
Le Dieu qu'en fecret il condamne.
Tandis que fa tremblante main
Par un facrifice inhumain
2
OCTOBRE. 1758. 137
Veut défarmer ce Dieu farouche ,
Saifi d'épouvante & d'horreur ,
L'humble priere eft fur la bouche ,
Le blafphême au fonds de fon coeur.
C'eft en vain qu'un peuple à la gêne
Baiſe la main qui l'a dompté ;
L'efclave eft bientôt révolté ,
Dès qu'il peut fortir de fa chaîne
Tout mortel , foible fans fecours ,
N'eft puiffant que par le concours :
Des foibles mortels qu'il s'attache ;
Lui -même il fert en commandant ,
Et le plus fier tyran nous cache
Un esclave humble & dépendant.
Silla , Tibere , Néron même
Eft forcé d'être bienfaisant
Du peuple lâche complaifant
Du Sénat arbitre fuprême :
Son empire injufte & cruel
N'eft que le pacte mutuel.
Qu'il a fait avec les complices.
Fléau des Romains abattus ,
Il eſt tributaire des vices
Pour être tyran des vertus.
Ainfi toute puiffance émane
Du droit qu'ont fur nous les bienfaits :
Soit que deftinés aux forfaits ,
Une indigne main les profane ;
8 MERCURE DE FRANCE
Soit qu'à la vertu confacrés ,
Hs la conduisent par degrés
Sur les pas d'un guide équitable ;
Le même afcendant leur eft dû
C'eſt la chaîne d'or de la fable ,
Qui meut l'univers fufpendu.
Quel eft donc cet orgueil ftupide
Qui joint la gloire à la fureur ,
Et veut qu'en' tous lieux la terreur
De l'autorité foit l'égide ?
Oppreffeurs de l'humanité ,
Le vent de la proſpérité
Vous fait voguer fur un abîme:
La forcé eft un fragile appui :-
Le fort change, & demain j'opprimer
Celui qui m'accable aujourd'hui..
Si jamais la race future
De la nature entend la voix ,
Si l'homme rentre fous les loix
De l'aimable & fimple nature
Poftérité , que diras-tu,
De voir fous le nom de vertu
Adorer un vain fimulacre ,
Et qu'en nos faftes odieux',
Le brigandage & le maffacre:
Elevoient l'homme au rang des Dieux ?
Du livre éternel de l'hiftoire "
Alors le verront effacés.
()
OCTOBRE. 1758. 3.9
Les noms de ces fiers infenfés
Bannis du temple de mémoire.
Mais toi , nom célebre à jamais ,
Nom confacré par des bienfaits
Dignes d'un éternel hommage ;
LOUIS , fymbole des vertus ,
Tu feras tranfmis d'âge en âge
Avec MARC- AURELE & TITUS.
On dira Sous ce nom propice
Les lys fleuriffoient autrefois !
Sous ce nom , la France eut des Rois
Qui faifoient régner la juftice.
L'un , de fes vertus décoré
D'un peuple fidele entouré,
Jugeoit fous l'ormeau de Vincennes 3×
L'autre , éblouiffant de fplendeur ,
Donnoit aux beaux Arts des Mécenes
Et leur imprimoit fa grandeur.
Celui-ci , glorieux fans fafte ,
Modefte au milieu des fuccès ,
Bannit de fon coeur les excès
D'une ambition folle & vafte ,
Bon Roi , bon pere , bon ami ,
Son trône n'étoit affermi
Que fur l'amour & la clémence ::
Tous les coeurs voloient à fa voix,
Etfur eux fon pouvoir immenfe.I
N'eut pour limites que fes loix.
40 MERCURE DE FRANCE,
Sous ce Roi fi digne de l'être ,
Dira-t'on , la France admira
Un Miniftre qui n'afpira
Qu'à fe rendre utile à fon Maître.
Du vrai courageux partifan ,
Il dédaigna d'un courtisan
L'art , les foupleffes & l'intrigue ;
L'équité régla fon pouvoir ,
Et fourd à la voix de la brigue ,
Il n'écouta que fon devoir.
On vit fa fageffe éclatante
Calme au milieu des factions ,
Comme le nid des alcions
Flotter fur la mer inconftante.
Sans orgueil , fans timidité ,
Il ne prit point pour dignité
Une hauteur froide & barbare ?
D'accorder il eut le talent ,
Et le talent encor plus rare
De rendre un refus confolant.
Ainfi fleurira la mémoire
Du nom immortel de Louis
De nos beaux jours évanouis
Ce nom rappellera la gloire.
Puiffe avec lui , dans l'avenir
Paffer le tendre fouvenir
Du zele qui pour toi m'infpire !
Puiffe , en publiant tes bienfaits ,
OCTOBRE. 1758. 41
La reconnoiffance m'infcrire
Parmi les heureux que tu fais.
MARMONTEL.
RÉPONSE à cette Question : Lequel eft
le plus fatisfaifant de fupplanter un Rival
aimé , ou de foumettre un coeur tout neuf.
Par Madame ***.
Je le fens , je le crois : il eft un bien fuprême
Qui naît de la douceur d'être aimé comme on
aime.
L'homme cherche bien loin le ſolide bonheur
Sans peine il l'eût trouvé dans le fonds de fom
coeur.
A l'ombre vaine & fugitive
Qu'il prend pour la félicité ,
L'imagination active
A feule donné l'être & la réalité ,
Et du mal & du bien la feule perſpective ,
Suffit pour éveiller fa fenfibilité.
Laiffons lui fon erreur : aux mains de l'efpérance .
Qui veut toujours livrer fon bien ,
Perd le doux fruit de fa perfévérance ,
Et rifque tout pour n'avoir rien.
C'eft pure illufion , chimere ...
Venons au fait dans l'art de plaire
Chacun penſe différemment ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Chacun agit conféquemment.
D'un esclavage volontaire
Si l'Amour eût laiffe le choix aux tendres coeurs ,
Du nombre des Amans vainqueurs
On eût retranché le volage ,
Qui d'un éclat trompeur tire ſa vanité ,
' De la féduction fe fait un badinage ,
Et peu touché du prix des Beautés qu'il engage ›
N'en connoît que la quantité ;
Mais on ne choifit pas : notre coeur rend les armes ,
Il eft frappé fans le prévoir.
Et foumis tout d'un coup , il adore des charmes
Que la veille il ne crut pas voir.
De ce je ne fçais quoi c'eſt le fatal ouvrage :
Ces traits plus fars que ceux de la beauté ,
Raviffent au plus fier courage
Jufqu'à l'espoir de liberté :
Heureux qui peut dans l'objet qu'il adore ,
Trouver un coeur neuf & tout fimple encore !
Heureux qui peut voir infenfiblement
Tout près du préjugé germer le ſentiment ;
Qui des avares mains de la pudeur rébelle ,
Arrachè une faveur , & voit rougir la belle !
Inftruit par les regards d'un Amant empreffé ,
Un jeune coeur apprend à fe connoître :
Si des tranfports naïfs qu'un moment
naître ,
11 fe fent tout à coup ému ,
Ce n'eft point par art qu'il s'obferve
a vu
OCTOBRE . 43 1758.
Et malgré lui trop long- temps retenu ,
Ce coeur fe livre fans réferve
Au charme d'un penchant jufqu'alors inconnu.
On n'a pas le plaifir d'inftruire
Un coeur par un autre enflammé ,
Et lorfque l'on cherche à détruire
Le bonheur d'un rival aimé ,
On ne réfléchit pas qu'une premiere flamme
Laiffe du moins au fonds de l'ame
Le fouvenir de fes tendres progrès ,
Et que l'on expoſe aux regrets
La délicateffe bleffée.
Très-fouvent pour un rien une Belle offenſée ,
Du préfent au paflé fait la comparaifon :
Dès ce moment vous ceffez d'être aimable ;
Un tiers lui plaît : la croira- t'on blâmable
De vous quitter ? Non , la Belle a raiſon.
Suppofons que votre tendreffe
Obtienne un fidele retour ;
Plaintes , larmes , dépit employés tour à tour ,
Exprimeront moins d'amour que d'adreffe.
Et cependant vous vous croyez heureux ;;
Vous prétendez jouir d'un bonheur véritable.
Pour avoir fçu chaffer un Rival redoutable !
Songez bien qu'avant vous il alluma ces feux
Qui font votre rare avantage.
Et quel est donc ce glorieux partage ,
Quelles font ces douceurs que vous nous vanter
tant a
44, MERCURE DE FRANCE.
Les reftes peu flatteurs d'un amour inconſtant.
Amans , Amans , fi vous voulez m'en croire ,
A des coeurs ignorans confacrez vos defirs :
Supplanter un Rival , peut donner plus de gloire ;
Inftruire un coeur tout neuf donne plus de plaifirs.
PORTRAIT
De l'Auteur des Vers précédens.
DANS ANS Paris eft une Circé
Qui ne reffemble point à cette Enchantereſſe
Dont le poifon fut renversé
Par les mains d'un Héros que guidoit la Sageffe :
Son art ne force point les aftres pâliffans
A quitter leur brillante route
Jamais les magiques accens
N'ont percé l'infernale voûte.
Ses enchanteméns font fes yeux
Sa grace , toute fa perfonne ,
Un efprit émané des Cieux ,
Efprit qui badine ou raiſonne ,
Et toujours à propos plaifant ou sérieux
Efprit fin , fans fonger à l'être ,
Et qui le montre d'autant mieux ,
Qu'il ne cherche point à paroître
OCTOBRE. 1758
CARACTERES diftinctifs de l'Esprit
& de l'Imagination, par M. N. P. F. de L.
'IMAGINATION , phyfiquement parlant ,
confifte dans un affemblage heureux des
organes du cerveau , dans une difpofition
naturelle du fang à une vive & prompte
fermentation , dans une ébullition , dans
un mouvement violent & convulfif des efprits
abondans qui donnent du reffort &
de l'activité à tous les fens.
Les organes font émus , le fang échauf
fé ; les efprits fe précipitent , un feu fecret
fe répand dans les veines , la fureur s'empare
du coeur , une divinité l'agite & l'embrafe,
i
Eft Deus in nobis ; agitante calefcimus illo :
Impetus hic facra femina mentis habet.
Des prodiges nouveaux font produits ;
la peinture , la fculpture , la mufique , la
poélie vont renaître , tout , en un mot , va
s'embellir dans la nature , &
Des arts la magique impofture
Fait éclorre un autre univers,
Tels font les effets de l'imagination
46 MERCURE DE FRANCE.
tels font les traits auxquels on ne peut la
méconnoître.
Mais n'allons pas confondre cet enthoufiafme
, ce délire , cette ivreffe , mere du
génie , qui enfante les grands tableaux &
les fameuſes productions du Pinde , avec
cette autre qualité de l'ame qu'on appelle
efprit.
Celle - ci eft plus douce & plus tranquille
; fes mouvemens font moins impétueux ;
la route qu'elle trace fut toujours celle de
la raifon. La frénéfie du poëte feroit une
démence véritable ; l'ivreffe des Muſes ne
différéroit pas de celle de Bacchus , fi l'efprit
ne tempéroit fes accès , & n'oppofoit
des barrieres à fes fougues & à fes caprices.
Rapprochons les nuances , peut- être les
caracteres feront plus faciles à faifir . Etre
frappé vivement par les images des chofes
fenfibles ; avoir le coup d'oeil rapide fur
les détails des objets qui nous environnent ;
être pénétré profondément par les impreffions
qu'ils occafionnent : voilà ce que j'ap
pelle avoir de l'imagination . Sçavoir s'élever
au-deffus des illufions des objets qui
nous touchent ; éprouver le plaifir qu'on a
d'être ému avec circonfpection & défiance ;
concevoir le danger de céder impétueuſement
à ces extafes fi féduifantes , & fçaOCTOBRE
. 1758. 47
voir l'éviter à propos : voilà ce que j'appelle
avoir de l'efprit.
S'agit- il de repréfenter le fentiment , de
le faire paffer dans l'ame de ceux qui nous
écoutent ; l'homme d'imagination eft fécond
en deſcriptions animées , en peintures
faillantes , en comparaifons heureufes
L'homme d'efprit , fans négliger l'ornement
& les fleurs qu'exige fon fujet , marche
d'un pas égal , écarte les difcuffions
inutiles , fe fert des expreffions les plus
précifes , les plus nettes , & qui conduisent
par le chemin le plus court au bur qu'il fe
propofe. L'un eft fertile en expédient ;
fouvent un beau défordre fait tout le mérite
de ce qu'il produit ; la mémoire qu'il a
fort vive , les paffions très- ardentes don
nent de fortes fecouffes à fon ame , & l'entraînent
ordinairement dans des écarts,
L'autre fçait fe pofféder , prend fon parti
à propos , & procede avec plus d'ordre &
de fuite. Le premier trouve plus de reffources
pour arriver à une fin ; le fecond
les fçait mieux choifir , & apporte toujours
plus de fermeté dans le choix qu'il en a ſçu
faire.
Dans le commerce de la vie civile , celui
qui fçait fe prêter au goût , aux paffions
, aux foibleffes de ceux qu'il entretient
; qui tantôt amuſe par des propos
48 MERCURE DE FRANCE:
rians , tantôt ravit par de vives faillies ;
qui fçait mettre dans tout ce qu'il dit de
la légèreté , de la délicateffe & de l'agrément
, a en partage les talens d'un homme
d'imagination ; celui qui , fans avoir égard
à la maniere de penfer & au caractere de
ceux qu'il a à inftruire , fe foutient dans le
vrai ; qui , toujours guidé par le flambeau
d'une jufte raiſon , ne fçauroit s'écarter du
vrai ; qui , toujours grand par lui -même ,
vit de fon propre mérite , & laiffe l'eftime
du vulgaire à la vanité , & les hommages
forcés de la fervitude , aux petits tyrans de
l'univers , c'eft celui que j'appelle un hom
me d'efprit.
Quand je diftingue l'homme d'efprit de
l'homme d'imagination , ce n'eſt pas que
je prétende le premier dépourvu d'imagination
, ni le fecond fans efprit ; ces qualités
fe trouvent prefque toujours réunies ;
mais je veux que l'imagination foit fubordonnée
à l'efprit ; qu'elle reçoive fes ordres
; qu'elle fe taife lorfque l'efprit lui impofe
filence. Souvent l'ame eft tranfportée
dans une région inacceffible aux fens la
raifon feule a droit d'y parler & d'entendre
: il n'eft plus alors queftion d'intéreffer
le coeur par des defcriptions , d'attacher les
fens par des peintures agréables.
Réflexions , images , fentimens , c'eft à
l'imagination
OCTOBRE.
1758 .
49
› par
l'imagination à les créer ; mais fans l'efprit
ce feroit un tumultueux affemblage de
mouvemens , de paffions & d'objets confus.
C'eft à l'efprit à diftribuer les chofes
dans leur ordre , & à en former l'affortiment.
Un édifice , dont les parties font
liées entr'elles , attire & fixe nos regards
par
l'enſemble de fes
proportions
l'harmonie des beautés qui y font répandues.
Tel eft dans tous les genres , & plus
particuliérement dans le
le mérite & l'effet d'une
ordonnance régu- genre littéraire ,
liere. Ce font les lumieres de l'efprit , &
non les tranfports d'une fougueufe imagination
qui la
commandent , la
conduifent
& la
perfectionnent.
EXTRAIT d'une Lettre d'un Gentilhomme
Anglois , ci -devant an ſervice de
France , à un de fes Amis à Paris .
Vous
paroiffez furpris ,
Monfieur , que
quelques fujets du Roi
d'Angleterre ayent
quitté le fervice de Sa Majefté Très -Chrétienne
; mais votre
furpriſe
ceffera dès
que vous fçaurez la caufe de leur démarche.
Le
Parlement de la
Grande-
Bretagne
a fait un Edit le
premier Mai 1756 , qui
11. Vol.
50 MERCURE DE FRANCE.
porte que tous les fujets Anglois qui ferviront
la France , ou toute autre Puiffance
étrangere , fans une permiffion expreffe de
jeur Roi , feront déclarés , depuis le 29
Septembre 1757 , coupables de haute trahifon
, & comme tels , punis de mort , s'ils
retournent jamais dans leur patrie. Il falloit
un motif auffi puiffant pour m'arracher
à une Nation qui conferve toute mon
eſtime ; mais c'eft de la mienne que je tirois
mes reffources. Le ciel nous redonne
bientôt la paix , & me mette par- là à portée
de vous rendre une vifite , & de vous renouveller
de bouche les fentimens tendres
avec lefquels j'ai l'honneur d'être , & c.
VERS.
ALLEZ mourir fur le ſein de Sylvie ;
Fragiles , mais heureuſes fleurs !
Un autre enviroir vos couleurs ,
Une fi douce mort eft tout ce que j'envie .. ;.
Quoi ! vous partez , chere ame de ma vie !
Vous partez , vous allez charmer d'autres climats !
Ce petit Dieu cruel qui s'attache à vos pas ,
Va , volant avec vous de conquête en conquête,
Par de nouveaux exploits fignaler votre fête ;
( Trifte fête ! où mes yeux ne contempleront pas
Vos céleftes appas ! )
:)
OCTOBRE . 1758.
52
Tous les Amours ſuivront vos traces ;
Vos yeux partout feront vainqueurs :
Vous poffédez toutes les graces ,
Vous
enchanterez tous les coeurs.
Cher objet ! vous fçavez fi le mien vous adore.
Joüiffez d'un bonheur charmant
Dans ces bois , ces jardins , le triomphe de Flore ,
Où les plaifirs pour vous & par vous vont éclorre.
Mais ne pourriez-vous donc , hélas ! un ſeul mo◄
ment ,
Songer avec quelque tendreffe
Au plus fidele des Amans ,
Dont le coeur alarmé s'occupera fans ceffe
Des bontés , des rigueurs , des yeux , des fenti
mens
De la plus belle des Déeffes ,
De la plus fiere des Maîtreffes ,
De la plus douce des Mamans ?
GAILLARD.
VERS par le même.
REINE des efprits & des coeurs ,
Mere des Amours & des Graces ,
Cet enfant vif& doux qui vole fur vos traces
Qui prend dans vos beauxyeux des traits toujours
vainqueurs ,
Ce Dieu que vous fuyez & qui vous fuit fans
ceffe ,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE:
Ce Tyran dangereux ... je l'invoque aujourd'hui.
Lui feul peut m'inſpirer , adorable Déeffe ,
Des vers dignes de vous , de moi- même & de
lui.
Dans des temps plus heureux Apollon moins févere
,
Efcorté des jeux & des ris ,
A daigné quelquefois fur mes foibles écrits
Verfer l'heureux don de vous plaire ;
Depuis que j'ai quitté Paris ,
Ces Dieux dont j'étois tant épris ,
M'abandonnent à ma mifere.
Ils m'ont ôté l'art de rimer ,
L'art de penfer & l'art d'écrire ,
Je ne fçais plus que vous aimer ,
Je ne fçais pas même le dire.
Et vous auffi , Madame , vous m'abandonnez
. Quoi ! pas un feul petit mot de
nouvelles , tandis que vous avez la cruauté
de m'avouer que tout Paris en fourmille ;
vous m'en envoyez généreufement quand
je ne vous en demande pas , & lorfque
vous voyez que j'en ai befoin , lorſque je
me jette à vos genoux pour en avoir...
Oh ! c'est une friponnerie inexcufable .
Quoi qu'il en foit , il paroît qu'on a la
Bonté de me retenir ici captif ; car aujourd'hui
que je comptois retourner à MontarOCTOBRE.
1758.
53
gis , on a eu la précaution d'envoyer le
Cocher de très - grand matin à Chamberjot
chercher je ne fçais quoi ; en fçais quoi ; en forte que ,
bon gré malgré , me voilà enchaîné au
château de Courtoifie , puifqu'il vous plaît
de l'appeller ainfi . Mais , que fais- je le
jour & la nuit ?
Je dors. Les deux flambeaux du monde
Sont témoins de ma paix profonde ;
Ils ont vu ( Dieu fçait de quel oeil )
Au lit , ou dans un grand fauteuil ,.
Végéter mon ame imbécille ,
Au monde , à foi-même inutile.
L'éternelle nuit du cercueil
Eft plus noire , mais moins tranquille .
Ce paffe-temps me plairoit fort :
J'honore & chéris la pareffe.
En vain aux fources du Permeſſe
Mon génie affaiffé s'élance avec effort ,
Et veut au moins par quelque ivreffe
Diftinguer la vie & la mort ;
Le grand jour l'irrite & le bleffe :
Sous le joug charmant qui l'oppreffe ,
Bientôt il fuccombe , il s'endort
Au fein de la douce molleffe.
Cependant je bénis le fort ,
Qui pour vous dans mon coeur nourrit une tendreffe
,
Que vos amans , que vos amis
C iij
44 MERCURE DE FRANCE.
N'égaleront jamais , & qui joindra fans ceffe
Les tranfports de l'amour aux fentimens d'un fils.
Recevez ce ferment pour le bonbon promis ;
J'adore avec reſpect , ô ma chere Déeffe ,
Votre efprit enchanteur , vos graces , vos attraits ,
Vos beautés fans défaut , vos vertus fans foibleffe :
Les chante qui pourra , je les fens , je me tais .
VERS
A Mile Pouponne de Molac , de TES
tival.
MA main vous offre une chanſon ,
Et mon coeur , le plus tendre hommage.
Ne craignez rien de ce langage.
Quoi ! vous rougiffez au feul nom
De l'hommage qu'on vous adreffe !
Gardez pour une autre faifon
Cette rougeur enchantereffe.
Vous redoutez de la tendreffe
Le traître & dangereux poifon :
Hélas ! que vous avez raiſon !
Belle Molac , un coeur fincere
Se donne fans réflexion .
Vos yeux n'ont que trop l'art de plaire ;
Mais la plus belle paſſion
N'eft qu'une étincelle légere ,
Qui brille * & s'éteint en un jour
OCTOBRE. 1758. 55
Si l'on pouvoit fixer l'amour ,
Qui , mieux que vous , le fçauroit faire a
La nature peu ménagere ,
Vous combla de mille agrémens ;
Une blancheur éblouiffante ,
Un port , des yeux , une bouche charmante
Un fouris enchanteur , mille appas féduifans.
Par ces beautés un coeur fe laiffe prendre :
On n'en eft pas féduit long - temps ;
Ce feu s'éteint , ou ceffe d'être tendre ' ;
Voilà l'ufage des Amans .
Je mets à plus haut prix un plus fidele hommage,
Mon eftime & mes fentimens.
C'eft cet efprit orné , ce font mille talens ;
Ce caractere heureux , vif , fans être volage ,
Ce coeur né vertueux , c'eft ce coeur qui m'engage.
Par le Montagnard des Pyrénées .
Cet ingénieux Anonyme m'a envoyé un
Conte dont il fçait bien que je ne puis
faire ufage ; je l'invite à m'en donner que
tout le monde puiffe lire.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Mademoiselle de J...
M. P*** mefit préfent du Recueil defes Fables,
pria Mademoiſelle de J. de me le remettre ;
c'est l'à-propos de ces Vers.
.
ENNUYE des productions ,
Qu'avec tant de pompe on érale ,
Sous le titre de fictions ,
Ou fous celui de traités de morale ,
J'allai tout droit au Dieu du goût.
Naïvement je lui contai ma peine ;
Il m'écouta de l'un à l'autre bout ,
Et ma plainte në fut pas vaine.
Tu cherches , me dit- il , les fleurs
Du fentiment & du génie ,
La grace à la leçon unie ,
Le fçavoir , l'enjouement , le refpect pour les
moeurs ,
Un jugement exquis , le feu de la faillie ?
Tu ne fçais où trouver cette heureuſe harmonie ?
De P *** lis les vers enchanteurs ,
Et vois fouvent la charmante Emilie.
Le Chev. de M. L. au R. de C..
OCTOBRE . 1758. 57'
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE
MONSIEUR , ONSIEUR , Comme votre Mercure embraffe
toutes fortes d'objets , vous jugerez
fi la Piece que je prends la liberté de vous
adreffer, eft digne d'y tenir une place : elle
le mériteroit à ne la confidérer que du côté
du coeur ; mais je fçais qu'il y a auffi une
autre façon d'apprécier les Ouvrages , &
c'eft ce qui autorife mon doute. Je le foumets
à votre décifion.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A. ANNEIX DE SOUVENEL , ancien
Bâtonnier des Avocats , au Parlement :
de Bretagne.
A Rennes , ce 15 Avril 1758 .
Mes yeux étoient couverts des ombres de la mort
Et mon coeur palpitant , ne refpiroit encore
Que pour céder bientôt au plus léger effort,
J'avois offert au Dieu que l'univers adore ,
L'inftant qui pour jamais alloit fixer mon fort ;
Je l'attendois fans crainte , & laiffois les allarmes
A la famille en pleurs , à l'ami confterné .
De quel fecours pouvoient m'être leurs larmes ??
Cheres, mais impuiffantes armes ,
Cy
58 MERCURE DE FRANCE .
Pour défendre un mortel au trépas condamné .
Mais tandis que je touche à mon heure derniere ,
Quelle main vient r'ouvrir ma mourante paupiere
,
Et prodigue de foins tempérés avec art ,
Sçait quitter au befoin la route du vulgaire ,
Pour ne rien donner au hazard ? ( 1 )
Quelle main à mon pouls jour & nuit attentive ,
Ne ceffe d'obſerver fes divers mouvemens ,
Et fçait mettre à profit les moindres changemens
?
C'est ainsi que rappelle une ame fugitive
Le Médecin qui cherche & faifit les momens :
Mais ce talent , cette prudence ,
Sont , grand Dieu des bienfaits de votre Provi
dence ,
Et lorfque cette heureuſe main ,
Par les efforts d'une humaine ſcience ,
Arrache la mort de mon fein ,
Je reconnois l'inviſible puiffance
Qui conduit l'Art du Médecin.
ن م
(1 ) M. Chevy, Chirurgien Penfionnaire des
Etats de Bretagne ( Eleve de feu M. Petit ) ,
Docteur-Médecin de la Faculté de Pont-à- Mouffon:
OCTOBRE. 1758. 59.
3
LE VOYAGE MANQUÉ ,
Conte par une Penfionnaire de Brest.
Zoź porta dans le monde ce début , qui
peint avec tant d'énergie une ame novice ,
qui dévore les objets , favoure les fenſations
, & s'ouvre avec fureur à tous les
goûts. Son maintien étoit l'image de la
plus ardente coquetterie ; le ramage étincelant
de cette fecte bizarre , qu'on appelle
les agréables , fembloit faire couler dans
fes veines un pétillement délicieux ; toute
fa perfonne enfin étoit l'expreffion du cahos
le plus tumultueux . Bientôt Zoë fit
honneur à l'aurore brillante qui l'avoit annoncée
aux êtres frivoles qui paroiffoient
l'avoir attendue pour s'agiter : il faut que
toutes les notions entrent à côté de tous les
penchans dans les ames comme celle de
Zoë ; car les leçons entortillées de fes maîtres
, ou , fi l'on veut , de fes eſclaves déguifés
, énigmes éternelles propofées au
menfonge de l'efprit par le menfonge du
fentiment , trouverent en elles cette docilité
lumineuse qui épargne les préceptes.
Zoë fautilla pendant quelque temps dans
le cercle étroit des plaifirs & des reffources
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE.
de Province ; elle l'épuifa. Le théâtre bril
lant de la capitale avoit toujours excité fon
ambition ; elle auroit voulu y porter fa
perfonne avec autant de rapidité que fes
defirs . Quelques- unes des difficultés , inventées
par le méfaife pour le fupplice de
la prétention , vinrent irriter fes projets :
cette Zoë qui paroiffoit avoir dans fa tête.
feule tout le feu volatile de Prométhée ,'
tomba dans une langueur qui la rendoit
méconnoiffable à elle - même ; le voyage
chéri qui confumoit fon ame , remua tous
les refforts de fon imagination , & l'exerça
vivement fur les expédiens. Zoë en trouva
un fort fingulier , qu'elle regarda comme
un miracle de la fineffe , & qui n'étoit cependant
que l'effet commun du pouvoir de
l'effronterie fur la bonté : elle s'extafia devant
la fubtilité de fa découverte , & porta.:
dans la capitale fes defirs , fes étourderies ,
fes efpérances & les tourmens de la prétention.
Quelques foupers faits dans une
de ces maifons équivoques , qui s'intitulent
gravement bonne compagnie , & qui
font le premier pas & l'afyle de la mauvaife
; autant de courfes aux Spectacles ,
champs de bataille ordinaires des lorgnetres
, des diftractions affectées & des lazzis
infipides ; deux vifites à un de ces phantomes
de la grandeur , qui ne font que la
OCTOBRE. 1758
réalité de l'indécence ; cet enfemble ridi
cule enivra Zoë , fut fon école & lui perfuada
bonnement qu'elle poffédoit tous les
tréfors du maintien , des gentilleffes & des
minauderies du bel air cette proviſion
brillante lui parut le plus élegant phénomene
à porter en Province . Son inquiétude
naturelle d'un côté , & la multiplicité
des rivales de l'autre , opéra fon retour
: il en eft des ridicules comme des talens
, ils fe nuifent dans la foule , & s'y
perdent. L'étalage le plus comique annonça
Zoë ; des fingeries rifibles , copiées avec
exagération , éblouirent les fots , & firent
des profélytes parmi les bégueules . Damon,
un de ces hommes qui , par une trempe :
d'efprit affez utile dans la fociété , font ,
pour ainfi dire , les Dom Guichotes du bon
ton , & le fléau du travers , fut impatienté
des progrès de la mauffaderie pétulante de
Zoë , & réfolut de lui faire perdre ſa vo--
gue ; il la pourfuivit & la démafqua , en
répandant fur elle ce perfifflage délié
doucereux & dulcipiquant , qui corrige
fi bien la fottife , en faifant femblant de
l'encenfer , & prouva à Zoë qu'il n'y en a
point de plus humiliante pour une femme
à prétentions qu'un voyage manqué.
Na.Jerends grace à l'aimable penfionnaire
de ce qu'elle m'a écrit d'obligeant en m'en62
MERCURE DE FRANCE.
voyant ce petit conte. Je fouhaiterois pou
voir lui donner des confeils qu'elle méri
te , en échange des éloges que je ne mérite
pas.
DE LA FORCE de la Nouveauté & de celle
de la coutume , par M. le M... is de Ga
à Béthune.
COMMUNEMENT la nouveauté plaît . C'eſt
l'effet de l'inconftance , de la légéreté , de
la foibleffe de l'homme , ou la marque de
fa grandeur & de fon élévation au deffus
de tous les êtres vifibles.
Le coeur humain eft fi grand , que rien
dans le monde ne peut le fatisfaire ; il n'y
a que le fouverain bien qui en puiffe remplir
la vafte capacité. Comme ce coeur ne
le poffede point fur la terre , il eft toujours
dans l'inquiétude , dans l'agitation , & ne
fait que voltiger d'objet en objet , fans en
trouver aucun qui le fixe & qui le contente
de-là vient qu'on eft avide & infa-
* tiable de nouveaux plaifirs , qu'on ne goûte
prefque plus ceux auxquels on eft accoutu
mé , ou qu'on y cherche des raffinemens de
délicateffe qui leur donnent le goût de la
nouveauté de-là vient que les plus bril- ;
OCTOBRE. 1758 . 63
lantes fortunes n'ont rien de fi charmant
pour ceux qui en jouiffent , à moins qu'elles
ne foient relevées par quelque nouvel
éclat , & que les perfonnes que l'on jugeroit
les plus heureuſes , afpirent à un plus
grand bonheur.
La légéreté , l'inconftance eft la fource
de cette étonnante variété de modes , dont
les anciennes ont paffé fi aisément , pour
faire place à de nouvelles , qui pafferont
de même dès qu'elles auront perdu l'agrément
de la nouveauté , & que d'autres fe
préfenteront fous cet appas : du même principe
eft venu la prodigieufe facilité qu'ont
eu de tous temps lesNovateurs à s'accréditer
parmi le peuple volage . Ils ont trouvé le
funefte fecret de plaire & de s'infinuer dans
les efprits par la nouveauté , même des erreurs
qu'ils débitoient . C'eft encore de - là
que font fortis les révoltes & les troubles ,
fi fréquens dans les empires les plus floriffans
; les peuples , par un effet de leur inconftance
, las de l'ancien gouvernement ,
cherchoient à fecouer le joug , & afpiroient
à la nouveauté. Dès que l'occafion fe trouvoit
favorable , un homme accrédité , hardi
& entreprenant , les faifoit paffer fans
peine à une nouvelle domination , dont
ils fe laffoient dès qu'elle ceffoit d'être
nouvelle.
64 MERCURE DE FRANCE.
9.
De tout ceci l'on pourroit conclure qu'or
dinairement il eft plus facile de faire paffer
les hommes de la coutume à la nouveauté ,
que de la nouveauté à la coutume : cependant
il y a de certaines coutumes qui
s'introduiſent fi aifément , & qui s'aboliſfent
fi difficilement , qu'on ne peut guere
décider en général , fi l'un eft plus facile
que l'autre.
?
Telle fut la coutume où étoient , dans
les premiers temps , les Eglifes d'Afie , de
célébrer la pâque le quatorzieme de la lune
de Mars , & celle des Eglifes d'Afrique ,
de rebaptifer tous les hérétiques qui fe
convertiffoient : ces ufages s'étoient établis
fans difficulté ; mais quelle peine n'eut-on
pas à les détruire que de difputes s'éleverent
à ce fujet , que de chaleur de part &
d'autre ! chacun s'imaginoit devoir foutenir
avec zele la poffeffion où il fe trouvoit
établi des Saints , même les plus illuftres
dans l'Eglife , des Evêques les plus diftingués
par leurs lumieres & leur éminente
vertu , fe tenoient fermes fur ce point ; le
fchifme étoit prêt à éclater , fi le parti le
plus jufte n'eût ufé d'une charitable condefcendance
, & d'une prudente modération
, en attendant qu'on pût calmer les efprits.
Ce ne fut qu'à force de temporifer
& de patienter qu'on vint enfin à bout d'a--
bolir peu à peu ces coutumes, auxquelles less
:
聊
OCTOBRE. 1758. 65
Aliatiques & les Africains étoient fi fort
attachés ; & pour les foumettre il ne fallut
pas moins que toute l'autorité de l'Eglife.
Quelles plaintes , quels murmures n'excita
pas encore contre lui S. Auguftin ,
lorfqu'il entreprit d'empêcher à Hypponne
les réjouiffances & les feftins nommés
Agapes, qu'on avoit coutume de faire dans
l'Eglife les jours de Fêtes , & qui dégénéroient
en débauche ? Il eut bien de la peine
, avec toute la force de fon zele & de
fon éloquence , tempérés par la douceur de
fa charité , à gagner les efprits , les ramener
à la raifon , & leur perfuader enfin
d'abandonner un ufage , qui tenoit plus de
la diffolution du Paganifme , que des vénérables
cérémonies de
l'EglifeChrétienne.
L'Hiftoire , tant facrée que profane ,
fournit quantité d'autres exemples qui
prouvent l'extrême difficulté d'abolir les
coutumes , lorfqu'elles font une fois bien
enracinées , furtout parmi le peuple groffier
, ignorant , fuperftitieux ; d'ailleurs ,
une trifte expérience ne montre que trop
combien on a de peine à renoncer aux habitudes
de jeuneffe , les plus mauvaiſes
c'est tout ce que peut faire la raifon de la
Religion que de les corriger. Les coutu →
mes qu'on a comme fucées avec le lait
forment une feconde nature ; de- là vient
66 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft difficile de les extirper.
Que réfoudre donc fur la queftion propofée
? Il paroît facile d'une part de charmer
l'homme par la nouveauté , & trèsdifficile
de fixer fon inconftance . De l'au
tre part , ce même homme femble fi fortement
attaché à la coutume qu'il eſt trèsdifficile
de l'en détourner pour le mener
dans une nouvelle route : le moyen de concilier
une telle contradiction ?
Le coeur de l'homme eft un abyfme impénétrable
; fes inclinations & fes paffions femblent
fouvent fe combattre , & rien n'eft
plus irrégulier que fes mouvemens . Effayons
, autant qu'il eft poffible , de débrouiller
ce cahos . Pour le faire nettement
& avec précifion , jé réduis à plufieurs propofitions
ce qu'il me paroît qu'on peut
dire fur cette matiere , & ces propofitions
peuvent fervir de regle de conduite pour
des occafions importantes .
Lorfque l'homme eft prévenu en faveur
d'une coutume , quelque peu raifonnable
qu'elle foit , il eſt difficile de le faire paffer
de cette coutume à la nouveauté ; l'homme
fe laiffe ainfi prévenir , foit par les préjugés
de l'enfance , foit par le torrent du monde
qui l'entraîne , foit par le refpect & la vénération
qu'il a conçus pour ceux dont il
tient la coutume , foit enfin par les charOCTOBRE.
1758. 67
mes des paffions qu'elle favorife . On fçait
la force de la prévention fur la plupart des
efprits , de quelque côté qu'elle vienne ; &
comme il y a peu de perfonnes qui n'y
foient fujettes , il y en a peu auffi qui ne
s'entêtent pour certains ufages , certaines
coutumes , dont on ne pourroit peut -être
jamais les diffuader.
Lorfqu'une coutume eft à charge ou indifférente
, & qu'on n'y tient que par de
foibles confidérations , on l'abandonne volontiers
pour paffer à la nouveauté , qui ,
pour lors , ne manque pas de plaire . Si l'on
fouffre d'une coutume , on cherche pour
l'ordinaire à s'en débarraffer ; & dès que
l'occafion s'en préfente , on ne la manque
pas , à moins que le refpect humain , la
crainte , ou quelqu'autre obftacle ne s'y oppofent.
Dans l'indifférence , on ſe laiffe emporter
à tout vent : pour fixer l'homme
autant qu'il peut être fixe , il faut l'intéreffer
par quelqu'endroit .
Les mauvaiſes coutumes font ordinairement
les plus difficiles à extirper : la raiſon
en eft, qu'elles favorisent le penchant naturel
au mal , qu'on ne manque guere de trouver
des prétextes fpécieux pour les colorer ,
& qu'on veut , à quelque prix que ce foit ,
les juftifier & les foutenir . La prudence
eft alors néceffaire , pour ne pas révolter
68 MERCURE DE FRANCE.
,
les efprits ; la douceur , pour les gagner
la force & le courage , pour les dompter.
Il n'eft pas moins difficile de changer les
coutumes qui , par le temps , ont pris force
de loix dans les corps , les Communautés
les Villes , les Provinces , les Etats : fi quelques
particuliers y confentent le plus
grand nombre s'y oppofe , & c'eſt ordinairement
une fource de divifions & de défordres.
Ces coutumes font , ou bonnes ,
ou indifférentes , ou abufives . Quand elles
font bonnes , il faut bien fe donner de garde
d'y toucher , fût - ce même pour en établir
de meilleures , à moins qu'on ne voie les
efprits bien difpofés à les recevoir ; autrement
le zele ne feroit pas felon la fcience ;
& , dans l'intention de procurer un plus
grand bien , onferoit un très - grand mal en
irritant les efprits & allumant le feu de la
divifion,où fe trouvoient le calme & la paix .
Il en faut ufer de même , & par les mêmes
raifons , à l'égard des coutumes indifférentes
la grande difficulté eft lorfqu'elles
font abufives ; pour lors il faut examiner fi
les abus font tolérables , ou intolérables ;
ils font tolérables lorfqu'ils ne vont pas
la ruine de la difcipline & du bon ordre
ou du moins à un grand dérangement : fi
l'on juge qu'en voulant fupprimer de telles
coutumes , on trouveroit trop d'obfta
à
OCTOBRE . 1758. 69
cles , & qu'il en arriveroit plus de mal que.
de bien ( ce qui fe rencontre fouvent ) , la
prudence dicte qu'il vaut mieux les tolérer :
quand les coutumes font tellement abufives
, qu'elles font intolérables , il faut encore
ne rien précipiter ( trop de chaleur &
de vivacité gâte tout ) , mais tenter d'abord
toutes les voies de douceur , pour gagner
les efprits par la perfuafion , & n'ufer de
rigueur qu'à la derniere extrêmité .
pure
Les coutumes qui ne font que de civilités
, de politeffes , de bienséance , varient
aifément , parce qu'elles font d'ellesmêmes
affez indifférentes ; elles ont à peu
près le même fort que les modes où l'on
aime la nouveauté.
La nouveauté qui a été reçue aifément
paffe auffi aifément en coutume , à moins
qu'il ne furvienne bientôt une autre nouveauté
qui plaife encore davantage : les
hommes infatués de la nouveauté , s'y attachant
, l'habitude fe forme , & ils ne la
quittent point qu'ils n'en foient dégoûtés
par quelques nouvelles fantaisies qui les
charment.
La nouveauté , qui s'introduit difficilement
, paffe auffi difficilement en coutume ;
la même peine que les hommes ont eue à
recevoir une nouveauté , empêche qu'ils
ne s'y accoutument ; il faut bien du
temps
70 MERCURE DE FRANCE.
pour furmonter leur répugnance , & leur
faire prendre l'habitude de ce qui leur a
déplu d'abord.
Toute nouveauté , en matiere de religion
, eft odieufe , ou au moins fufpecte
aux perfonnes qui y font véritablement
attachés ; c'eft avec grande raifon qu'ils ne
veulent point donner dans ces dangereufes
nouveautés : ce qui a été cru dès le commencement
, doit être cru dans tous les
fecles fans changement & fans innovation.
La regle des moeurs eft invariable ; elle ne
fouffre ni altération , ni diminution , ni
inflection.
Les efprits foibles , volages & inconftans,
& les prétendus efprits forts, font faciles
à paffer aux nouveautés les plus abfurdes
dans les dogmes & dans la morale ; les
uns & les autres n'ont rien qui les fixe. Les
premiers font prêts à tout croire ; les feconds
doutent de tout , & font les jouets
du caprice & de la bizarrerie.
L'homme paffe aifément à la nouveauté
dans la difcipline , & de la nouveauté à la
coutume , lorfque l'une & l'autre favorifent
le relâchement ; mais il eft très - difficile
de le faire paffer au renouvellement &
à la réformation des moeurs , parce que
cette réformation le gêne & le contraint ;
au lieu qu'il aime le relâchement qui le
OCTOBRE. 1758. 7 ፤
laiffe dans une pernicieuſe liberté.
-La plupart des hommes courent après la
nouveauté , & l'embraffent , quelque rebutante
qu'elle foit en elle- même , lorf
qu'elle fe pare d'un extérieur de zele ,
d'austérité , de réforme qui la fpiritualiſe
& la divinife en quelque forte à leurs yeux,
Quand de nouveaux ufages , de nouvelles
maximes ont une fois pris pied , & que
chacun s'en accommode , il est très- difficile
de ramener les hommes aux anciennes
coutumes qui font alors décréditées dans
leurs efprits ; c'eft pourquoi il eft d'une extrême
conféquence d'arrêter dès le commencement
toute nouveauté dangereufe ;
fi on lui laiffe le temps de s'établir & de
fe fortifier , le mal deviendra prefqu'incurable.
Le mot de l'Enigme du premier volume
du Mercure d'Octobre eft les Cabriolets,
Celui du Logogryphe eft Démangeaison ,
dans lequel on trouve dé , Ange , démon
Agnès , fein , neige , Manon , Gonin , Adam,
amande , amende , peine , égide , geai , âne
anon , fon , fonge , Agis , menfonge , maiſon ,
nid , Ganimede , mignon , nazon , Jaſon
Efon , nain , fang , gain , fiege , manege ,
image , agonie , genie , demain , ami & amic,
72 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
DANS moi mieux que dans un miroir ;
Même fans yeux on peut tout voir.
Défiez-vous pourtant de ma glace infidelle ;
Car fi , pour m'aimer trop , vous ne confultez
qu'elle ,
Rarement vous verrez ce que les autres font ,
Plus rarement ce que vous êtes.
Je fais de tout plaifir & de toutes les fêtes.
Les Arts dans leur naiffance & dans tout ce qu'ils
font ,
Me découvrent à tous , quoique toujours cachée :
Leur gloire est à mon fort, à ma gloire attachée .
Des grands crimes fouvent je fuis l'occaſion.
Plus d'un mortel me doit fa réputation.
Le bonheur des humains dépend de mes caprices.
Mais admirez comment je fçais les rendre heureux
?
Ils rencontrent dans moi la fource des délices ,
Sans qu'il m'en coûte rien que de me jouer d'eux. ,
Bien plus , je leur ravis les plaifirs qu'ils poffedent :
Ils ne murmurent point d'un fort fi rigoureux ;
Pour des illufions de bon coeur ils les cedent.
Que l'on eft malheureux quand on vit fous ma
loi !
Plus malheureux encor qui peut vivre fans moi!
Toutefois
OCTOBRE . 1758. 73
Toutefois de mes foeurs brez-moi la plus fage ,
Vous ceffez de fouffrir fans changer d'esclavage.
Afin qu'à mes enfans je puiffe faire un nom ,
Quelque temps à la gêne , il faut que je les laiffe.
La nuit comme le jour , je travaille fans ceffe :
Le jour , à ce qu'on veut ; la nuit dans ma priſon ,
Je fuis de mon deftin entiérement maîtreffe.
Pour me trouver , Lecteur , redouble tes efforts.
Je fuis toujours errante , & jamais je ne fors.
LOGOGRYPHE.
Tour Général me place au rang de fes vertus :
Je fervis à Céfar auſſi- bien qu'à Pyrrhus.
Dans mon nom , cher Lecteur , ( & la chofe eft
aifée )
Tu peux trouver celui du Vainqueur de Pompée ;
Une Ville d'Afie , où montra fa valeur
Ce François ( 1 ) , d'un lion généreux bienfaiteur ;
Ce que verfoit aux Dieux le jeune Ganymede ;
Ce vieillard qu'honoroient Achille & Diomede ,
Le pere de Jacob , le pere de Memnon ,
Ville dont triompha le grand Agamemnon ,
Deux Philofophes Grecs , un Guerrier dont fa
France
(1 ) Geoffroy de la Tour , fameux par son avenzure
avec un lion , qu'il délivra d'un effroyable
ferpent.
II.Vol. D
14 MERCURE DE FRANCE.
Eftima le courage autant que la prudence ;
Du monde une partie qu'illuftrerent jadis
Les talens des Cyrus & des Sémiramis';
Un célebre Orateur ; une belle Françoife ,
Trop brillante d'appas , Lecteur , pour qu'on les
taiſe ;
Cette Ville où naquit le fameux Tamerlan ;
Un Héros , la terreur de l'Empire Ottoman ;
L'émule & digne fils du brave Miltiade ;
Reine que fçut charmer le bel Alcibiade
Pour tout dire en deux mots , Lecteur , je fuis un
Art
...
Mis dans le plus beau jour par Maurice ( 1 ) &
Folard .
Par M. DE LANEVERE , ancien Monfquetaire
du Roi.
A Dax , le 5 Août 1758.
S
(1) Lefeu Maréchal- Comte de Saxe.
OCTOBRE. 1758. 75
POT- POURRI
Sur l'Expédition des Anglois en Bretagne ,
Sur des Airs connus.
ALLONS , dit le fier Anglois ,
Nous enivrer en Bretagne :
On y boit à peu de frais
Le Bourgogne & le Champagne.
Nous y voilà ; débarquons :
Les François font en campagne.
Nous y voilà ; débarquons
De loin nous nous en moquons.
MES chers Voifins
Dit le Breton leur Hôte ,
Jamais raisins
N'ont meuri fur la côte ;
Mais
La marée eft affez haute ,
L'eau ne nous manque jamais.
A BOIRE , à boire , à boire ,
Nous quitterez -vous fans boire ?
Nous quitterez - vous fans boire un coup ?
Nous quitterez-vous fans boire ?
Nota. J'ai reçu plufieurs Ouvrages fur le
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
même fujet , mais trop tard pour les in
férer dans ce volume .
CHANSON
Sur l'Air , Babet , que tu es gentille !
Portrait de Madame de **.
LA Rofe du matin
Qui ne fait que d'éclorre ,
Moins fraîche que fon tein ,
A moins d'éclat encore ;
Jeuneffe & candeur ,
Fineffe & douceur ,
Elprit , fans y prétendre :
Elle eft belle fans le fçavoir
Séduifante fans le vouloir ,
Egale du matin au ſoir :
Que n'a- t'elle un coeur tendre !
"Que n'a-t'elle un coeur tendre !
OCTOBRE. 1758. 77
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite de l'Extrait du Voyage d'Italie , par
M. Cochin ( 1) .
BOLOGNE. La famenfe Ecole de Bologne ,
connue fous le nom de l'Ecole Lombarde ,
la rendra célebre à jamais. En effet , c'eft
par elle que la Peinture eft arrivée au plus
haut degré de perfection . L'Ecole Romaine
avoit déja donné les exemples de la grande
maniere & de la fublimité du deffein ;
mais tout le fecours qu'on en tiroit , fe
bornoit à l'imitation de Raphaël , qui ,
quoique le plus grand homme qu'il y ait
eu dans la Peinture , fi l'on confidere l'enfance
d'où il l'a tirée , n'eft cependant pas ,
fi on ofe le dire , le plus grand Peintre qui
ait exifté. Ses Eleves , quoique plufieurs
d'entr'eux foient du premier ordre , trop
affujettis à fa maniere , ne tentoient aucun
(1 ) Je ne crains pas que l'on trouve trop long
cet excellent cours d'étude en peinture. Que n'aije
fouvent dans tous les Arts de pareilles leçons à
donner aux Amateurs & aux Eleves !
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
des chemins qu'il ne leur avoit point en
feignés , & ne connoiffoient d'autres beautés
dans la peinture , que celles qu'il avoit
eues en partage. C'eft aux Carraches & à
leurs dignes Eleves , qu'on doit l'art de la
Peinture complet dans toutes fes parties.
Raphaël avoit fans doute porté au plus haut
degré la pureté du deffein , la nobleffe des
idées , la beauté des caracteres de têtes ,
la fimplicité & l'élégance des formes , le
choix des figures , celui des draperies , &
la compofition particuliere des grouppes ;
mais il n'avoit point connu les grands
effets que peuvent produire le clair obfcur
& l'intelligence du jeu de la lumiere . On
ne voit prefque point en lui cet art d'agencer
une grande compofition , de maniere
qu'on n'en puiffe rien extraire fans
la décompofer , & qu'elle produife un enchaînement
de lumieres & d'ombres qui y
laiffe de grands repos. L'amour du grand
l'avoit prefque toujours entraîné à fupprimer
ces beaux détails de vérité , qui font
retrouver la nature connue quoiqu'embellie.
Enfin , fi l'on ofe le dire , il avoit ignoré
l'art de faire des tableaux , dont le tout
enfemble fît le même plaifir que chacune
des parties prifes à part. Son Ecole , en
confervant fa grande maniere , n'auroit
connu que l'art du deffein , & feroit déOCTOBRE.
1758. 79
générée dans la repréfentation d'un beau
idéal , qui n'auroit prefque en rien tenu
à la nature , & le vrai charme de la peinture
qui eft le coloris , l'harmonie & l'accord
général du tableau , feroit peut- être
encore à trouver . Les Carraches , après
avoir étudié l'antique & les plus grands
maîtres du temps , comprirent que la nature
étoit le véritable objet d'imitation ,
& que les fuppofitions d'un beau qui lui
feroit fupérieur , étoient en Serai chimériques
. Ce font ces principes qu'ils ont
donnés à leurs Eleves , par le fecours defquels
ils ont furpaffé leurs maîtres , & d'ou
l'on a vu fortir les chef- d'oeuvres de Peinture
, qui font aujourd'hui l'objet de notre
admiration & de notre imitation . On voit
dans les principaux Maîtres de cette Ecole ,
une vérité qui fait croire que c'eft la nature
telle qu'on la connoît , quoiqu'il foit
vrai qu'on n'en trouve prefque point
d'auffi parfaite. Annibal , dans fes plus
beaux ouvrages , ne peut- être furpaffé
pour le deffein & le caractere grand &
reffenti qu'il y a fçu donner ; perfonne
n'a traité les raccourcis avec plus d'art
lui . On y trouve cette fermeté & cette
franchiſe de pinceau , qui , fi l'on en
excepte le Correge , étoit affez inconnue
avant lui : on peignoit avec foin ou par
que
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
hachures ou fondu , mais il ſemble qu'on
ne fçavoit point y laiffer cet air de négligence
, qui eft une des plus agréables
féductions de l'art , lorfque la jufteffe de
l'exécution n'en fouffre pas. Il ne dédaignoit
point de profiter de ces détails de
la nature la plus commune , qu'auparavant
on croyoit devoir fupprimer , & qui
font fi beaux , lorfqu'ils font traités d'une
maniere grande & facile. Les mêmes
beautés fe trouvent dans Louis Carrache ,
quoiqu'à la vérité , déparées par une
couleur beaucoup plus trifte , & par une
maniere plus appefantie : mais perfonne
ne l'a furpaffé pour la belle maniere de
draper & le beau choix des plis. On
trouve des tableaux d'Auguftin , qui font
pareillement remplis de beautés , mais
ce qui met le comble à la gloire de ces
grands hommes , ce font les Eleves qu'ils
ont formés.
Le Dominicain , fi admirable pour la
fcience & la pureté du deffein , pour la
fimplicité & la beauté des caracteres de
têtes & des ajuftemens , & pour le naturel
des attitudes.
On admire en lui cette perfection de
fini qu'il a mis dans la peinture des grands
fujets , que trop fouvent on croit devoir
être traitée avec trop de négligence. Dans
OCTOBRE. 1758 .
ceux de ſes tableaux qui font les plus eftimés
, on peut remarquer des têtes auffi
.finies que des portraits
, fans cependant
qu'il y ait rien de mefquin par l'art
avec lequel ces détails font fubordonnés
aux grandes maffes. Difons- le en paſſant ,
il paroît que c'eft l'opinion erronée où
l'on a été , que la peinture d'hiftoire n'admet
point les détails de la nature , qui a
amené en France la diftinction des ta-
Lens de cette peinture , d'avec celle en
portrait ; divifion que les grands Maîtres
n'ont point connue. De- là s'eft enfuivi ,
que , d'une
part , l'on a exigé dans le por
trait un fini trop fervile , qui fouvent le
rend mefquin , & qu'on a trop laiffé aux
Peintres d'hiftoire , la licence de ne produire
que des à peu près fans détail , &
fouvent fans fcience de la nature. Ce qui
fait le fini d'un tableau , n'eft point le
fini du pinceau , c'eft plutôt le compre
rendu avec exactitude , quoique ſouvent
avec une négligence apparente de toutes
les formes & les furfaces de la nature ;
il y a des tableaux que les gens fans
connoiffance appellent finis , où il rmanque
prefque tout ce qu'un Peintre qui connoît
bien la nature & le fonds de fon
art , auroit mis dans une fimple ébauche .
Le Dominicain peche fouvent par la fé-
4
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
chereffe de fon exécution , & par la foibleffe
de fon coloris : quelquefois les
objets manquent de rondeur. Cependant
il y a des tableaux de lui où ces défauts
ne s'apperçoivent prefque point , & il eft
difficile de colorer d'un ton plus vrai ,
& de mieux peindre que le font les
principales parties , & particuliérement
les têtes du Martyre de Sainte Agnès , à
Bologne , & de celui de Sainte Cécile ,
à Roine. Il est vrai que les ouvrages de
ce maître , portés à ce haut degré d'excellence
, font en petit nombre , mais auffi
ce font des chef- d'oeuvres .
Le Guide a réuni toutes les parties
de la Peinture , & l'on peut dire que
fes principaux tableaux font plus tableaux
, s'il eft permis de fe fervir de
cette expreffion , & plus complets en tout ,
qu'aucun de ces Peintres qui ont exifté
avant & peut- être depuis lui. On y trouve
un deffein correct , plein de graces &
de fineffes ; les plus belles têtes qu'on
puifle imaginer , particuliérement celles
des femmes & des jeunes hommes , &
perfonne n'a pu le furpaffer , ni peut- être
même l'égaler , dans la jufteffe , la nobleffe
& la naïveté qu'il a fçu y donner. Son
coloris eft d'une fraîcheur & d'une beauté
admirables, furtout dans fon meilleur tems,
OCTOBRE. 1753. $ 3
2
quoiqu'il ait eu depuis , le défaut de faire
les ombres trop verdâtres. Ses demiteintes
font toujours admirables . S'il manque
de caractere dans les figures d'hommes,
combien ce défaut n'eft-il pas réparé
par la fatisfaction que donnent les graces
qu'il fçait répandre fur tout ! Peu de
Maîtres lui peuvent être comparés pour
la beauté du pinceau. Sa touche eſt toujours
fpirituelle , facile & cependant exacte,
Nul n'a traité les draperies mieux que
lui ni d'un pinceau plus net , & d'une
exécution auffi détaillée fans fervitude .
Tout y eft formé avec jufteffe , & du plus
beau choix . L'accord général du tableau
& une harmonie douce , font un des
caracteres diftinctifs de cet excellent Peintre.
Cette partie de l'art a fans doute été
portée depuis par d'autres Maîtres à la
même perfection ; on pourroit dire même
à un plus haut degré mais elle ne s'eft
point trouvée jointe à un fi bel affemblage
des parties effentielles de la Peinture
qu'il a réunies. Il feroit difficile
de citer un tableau auffi parfait en tout ,
que celui qu'on voit de lui à Bologne ,
dans le Palais Sampieri , & dont nous
avons parlé , qui repréfente S. Pierre pleurant
: il ne laiffe rien à défirer.
༄་ ་ ་
3
$
Pour achever l'éloge de ce Maître , on
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
peut ajouter que , quoique Raphaël l'ait
furpaffé pour la fublimité des caracteres
de têtes & la grandeur des idées ; qu'Annibal
& le Dominicain aient quelque chofe
de plus grand dans leur maniere de deffiner
; que le Correge , le Titiano , Vandick.
& Rubens , foient plus grands coloriſtes ,
néanmoins , il eft peu d'Artiftes à qui fi ,
par fuppofition , on donnoit le choix des
talens qu'ils défireroient pofféder , fans
leur permettre de réunir ceux qui font
difperfés en différens Maîtres ; il en eft
peu qui , fe rappellant bien le plaifir que
leur ont donné les ouvrages du Guide ,
ne préféraffent les fiens.
Quelle fierté de caractere , quelle force
& quel moelleux de pinceau , quelle vigueur
de coloris , & quelle hardieffe de
tons ne préfente pas le Guercino ? Quels:
beaux caracteres de tête ne voit- on pas
dans fes tableaux ? Elles ne tiennent d'aucuns
des Maîtres qui l'ont précédé , ni de
fes contemporains . Ce qu'il a lui eft propre
, c'eft la beauté mâle & toute la force
de la peinture. Combien ne voit- on pas
de belles chofes de lui à Bologne ? Mais
furtout quel prodigieux tableau que celui
de Sainte Pétronille à Rome ? & que peuton
lui comparer ? Perfonne n'a traité la
frefque avec un coloris fi fier & fi beat ,
OCTOBRE. 1758.
& il n'eft point de peinture de ce genre
qui approche de celles qu'on voit du Guercino
à la Villa Ludovici , à Rome & à Plaifance.
Sur quoi il eft à remarquer que les
Peintres à qui l'on peut reprocher d'être
un peu noirs à l'huile , font ceux qui
peignent le mieux la frefque , qui , par
elle- même , manque ordinairement de force
& d'harmonie.
L'Albani moins ingénieux & fouvent
même froid dans la compofition , moins
colorifte & prefque fans fraîcheur dans les
demi-teintes , moins caractériſé & moins
fçavant dans fon deffein , a cependant été
mis par la poftérité au même rang que ces
Maîtres par un talent qui lui eft propre ,
tant il eft vrai qu'une feule partie effentielle
de l'art portée au plus haut degré de
fublimité , fuffit pour acquérir la plus
grande gloire. La pureté & les graces du
deffein furtout dans les belles têtes qui
lui font particulieres , feront toujours un
objet d'admiration . Si le guide ne laiffe
rien à défirer pour les graces fines , naïves
& délicates , Albani fe diftingue par les
graces nobles , fages , régulieres. C'eft la
vraie beauté dont le modele n'eft point
connu dans la nature , quoiqu'elle en préfente
plufieurs approximations. -
C'eft à Bologne qu'on peut voir les plas
哥86 MERCURE DE FRANCE.
༢
beaux ouvrages de ce grand Maître : ceux
qu'on trouve de lui ailleurs ne font pour
la plupart que des tableaux de chevalet.
Les mêmes beautés s'y découvrent , mais
elles font bien plus fatisfaifantes lorfqu'on
les voit déployées dans des figures de grandeur
naturelle.
Cette ville n'eft pas moins curieufe
pour les Amateurs de la peinture que celle
de Rome , & quoique cette derniere contienne
une plus grande quantité de tableaux
, & qu'on y voye des ouvrages de
tous les grands Peintres d'Italie , néanmoins
celle de Bologne avec fa fenle école
, & les chef- d'oeuvres qui en font fortis ,
peut fe comparer à elle , & même l'emporter
à quelques égards . Non feulement
c'eft dans fon fein que fe font élevés les
Maîtres les plus célebres de l'Italie , mais
encore les ouvrages qu'elle conferve d'eux
font ce qu'ils ont produit de plus parfait ;
d'ailleurs combien de morceaux n'y voitpas
de
de répur
Maîtres
qu'à la vérité la grande
réputation de ces premiers a en quelque
façon laiffés dans l'oubli , mais qui
néanmoins font du premier ordre : Tels
font le Cavedone , Tiarini , & tant d'autres
dont les ouvrages font cités dans ce
livre avec éloge. On ne craint point d'avancer
qu'un long séjour dans cette ville
OCTOBRE. 1758. $7
pourroit être auffi utile à former un Peintre
, que celui de Rome. On peut confier
fon inſtruction aux Carraches , lorfqu'on
voit quels Eleves ils ont formés , & combien
ces Eleves font différens les uns des
autres , & nullement efclaves des manieres
de leurs Maîtres. C'eft fans doute une
des chofes qui étonnent le plus que cette
diverfité de belles manieres venant de la
même fource . Elle fait bien l'éloge de la
fçavante maniere d'enfeigner l'art qu'ont
employé ces trois grands Maîtres : ils ont
donné la nature pour exemple , & ont fçu
prévenir leurs Eleves contre tout préjugé
en faveur de leur maniere de la voir : on
en concevra d'autant plus la rareté , qu'on
fera d'attention aux autres célebres écoles
d'Italie. L'école de Raphaël a fuivi fi exactement
la route du Maître , qu'on trouve
en Europe plus de tableaux qu'on peut
donner fous fon nom avec vraisemblance ,
qu'il n'en auroit pu faire quand il auroit
joui de la plus longue vie . L'école Vénitienne
préfente prefque partout la même
couleur , & en beaucoup de chofes le même
caractere de deffein. Il en eft de même
de l'école Flamande , furtout en ce qui
concerne les Peintres en grand , qui femblent
tenir tout de Rubens : mais l'école
de Lombardie offre la réunion des plus
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
grandes parties de l'art , & les manieres
les plus belles & les plus variées .
VENISE. L'école Vénitienne eft célebre
dans la peinture par la beauté du coloris.
Les grands Maîtres dont elle fe glorifie ,
font vraiment les Peintres de l'Italie les
moins affujettis à la correction du deffein ;
mais plus remplis d'enthoufiafme dans
leurs compofitions , plus fçavans dans ce
qui concerne l'intelligence de la lumiere ,
& plus hardi dans les oppofitions , ils ont
employés fans crainte les plus vives conleurs
de la nature , & les plus beaux tons ,
c'est- à- dire , les charmes les plus féduifans
que la peinture puiffe offrir. Le Tifiano , le
Peintre le plus fameux de cette école , eft
certainementle plus grand colorifte qui ait
exifté. Quoiqu'on puiffe , à bien des égards,
lui comparer Rubens , on peut dire néanmoins
que la magie de fa couleur eft encore
plus admirable & plus vraie . Il n'a
pas toujours été égal , & l'on trouve en
Italie plufieurs tableaux de lui , qui , quoique
remplis de beautés , préfentent cependant
quelque féchereffe mais c'eft à Venife
que l'on voit le plus grand nombre
de fes ouvrages & de fon meilleur temps.
Là il eft d'une largeur de pinceau admirable
& du plus parfait coloris. On peut
encore admirer en lui la vérité , la jufteffe
་
:
OCTOBRE . 1758. 80
& le caractere de fon deffein , qualité fort
rare chez les Coloristes.
Il n'y a point de Maître plus étonnant
que le Tintoretto. L'enthoufiafme de fon
génie & la fureur de fon pinceau font au
deffus de toute comparaifon , il paffe toutes
les bornes de la raifon , & cépendant
l'on ne peut fe refufer aux fentimens d'admiration
qu'il excite : on ne le connoît
véritablement qu'à Venife , & ce que l'on
voit ailleurs de lui femble ne donner que
l'idée de fes défauts ; car il n'eft véritablement
grand que dans les grandes chofes
qu'il a exécutées avec tout fon feu. L'on
y trouve , avec le faire le plus étonnant, la
plus belle intelligence de lumiere , & les
tons de coloris les plus beaux & les plus
hardis .
La fureur de fon génie & de fon imagination
n'a point de pareille , & il n'y a
point de Peintre qui l'égale dans cette
partie : il l'a portée même quelquefois au
plus grand excès , & il fort de la vraifemblance
par le trop de mouvement qu'il
donne à fes figures même dans les actions
les plus fimples. C'eft ainfi que dans la
Cêne plufieurs Apôtres font affis fur des
bancs renverfés , & fe jettent de côté &
d'autre fans néceffité. Il étoit tellement
plein d'enthoufiafme qu'il n'a pu fe con90
MERCURE DE FRANCE.
+
tenir dans les bornes de la raifon : mais
ces écarts font dignes d'admiration . Son
intelligence de lumieres eft des plus hardies
, & produits des effets vrais . Peu de
Maîtres auroient pu les hazarder avec un
pareil fuccès , tel eft l'effet de lumiere de
la Cene. Le fujet fe paffe dans l'ombre ,
& la plus vive lumiere du tableau eſt dans
le fonds : cependant le fujet fe débrouille
très- bien , & toutes les figures en font diftinctes.
Cet effet eft vrai , & l'intérieur d'une
chambre eſt toujours plus obfcur que ce
qui eft expofé au grand jour. Autant P.
Véronefe aime à mettre l'horizon de fes tableaux
bas , autant le Tintoretto le met communément
haut dans les fiens , qui ne
font pas deftinés à être des plafonds ; car
alors on ne peut être plus hardi qu'il l'eft
dans les raccourcis vus en deffous . Dans la
plûpart de fes tableaux ce font des raccourcis
vus en deffus ; ce choix d'horizon eft
cependant moins agréable que l'horizon
bas de P. Véronefe ; il réfulte de celui - ci
que le fujet eft moins embarraffé & que
les figures paroiffent avoir plus de grandeur
& de majefté : il est vrai que
l'autre
donne des fonds riches , mais ils caufent
une diſtraction au principal fujet qu'il
femble qu'on eft obligé de chercher. La
perfpective du Tintoretto eft jufte : ceOCTOBRE.
1758. 91
pendant elle eft d'un choix défectueux ; le
point de diftance n'eft pas affez éloigné ,
c'eft la perfpective telle qu'on la voit en
deflinant d'après nature de trop près. Il
artive de-là que le feul efpace d'une table
où fix perfonnes peuvent être affifes de chaque
côté , produit une diminution de figures
de plus de moitié . C'eft ce qu'on
voit dans beaucoup de tableaux de ce Peintre
où les figures de devant font des coloffes,
& le refte eft fort petit. La figure du
Chrift, qui eft fouvent au bout de la table,
eft extrêmement petite . Sa maniere de draper
n'eft point bonne ; fes draperies colent
trop le nu , & fes plis font des filets
étroits , clairs , fur des fonds bruns & plutôt
des coups de pinceau que des plis , fans
forme , fans naiffance , fans liaiſon & fans
fin déterminée ; ils femblent faits au hazard
. Généralement la maniere de definer
de ce Maître femble de quelqu'un qui n'a
pas dans l'efprit une idée nette de ce qu'il
veut faire , qui jette des traits au hazard ,
& à la fin y trouve la forme qu'il cherche .
Cette façon barboteufe de faire les chofes,
comme par hazard , eft dans un homme
médiocre l'incertitude d'en fçavoir les contours
& les formes. Dans ce grand Maître
il paroît que c'eft l'excès de feu & d'imagination
qui ne permet pas la réflexion
92 MERCURE DE FRANCE.
néceffaire pour mettre fon trait jufte à fa
place , & qui offre tant d'idées à la fois ,
qu'elle ne peut les repréfenter bien nettes ,
qu'après en avoir fixé quelques-unes fur
fa toile , qui décident celles que l'on fui-
-vra. Perfonne ne l'a furpaffé dans l'art de
groupper fes figures enfemble ; à la vérité
c'eft en leur donnant toutes les attitudes
quelques outrées qu'elles foient , qui lui
font néceffaires pour cet effet ; delà ces
grandes maffes de lumieres & d'ombres &
par conféquent les plus grands effets . L'enchaînement
de tous ces grands grouppes
eft encore une beauté que peu de Maîtres
ont pouffée auffi loin qu'il l'a fait dans
plufieurs tableaux. P. Véronefe a cette
même beauté dans !u!n! genre de compofition
tout-à- fait différent . Ce grand feu
fait qu'en général le Tintoretto eft moins
admirable quand il eft plus fini , fon imagination
fe refroidit pendant le temps
de
l'exécution , & comme il n'a pas la correction
du deffein , & le fçavoir de détail,
qui eft la perfection de l'exécution finie ;
il lui refte peu de beauté . Sa couleur eft
affez fouvent fale. Dans cette façon de
faire prompte & furieufe , fi les tons ne
réuffiffent pas d'abord tels qu'on les veut ,
on les fatigue pour les chercher : c'eft
pourquoi il s'y trouve quelquefois des
OCTOBRE . 1758. 93
chofes du plus beau ton & de la plus grande
fraîcheur , & plus fouvent des chofes
fales & barboteuſes .
у
Le plus riche & le plus beau génie ,
pour la compofition raifonnée d'un ta
bleau , eſt le fameux P. Véronefe ; perfonne
n'a furpaffé la belle ordonnance de ſes tableaux
, l'enchaînement ingénieux de fes
grouppes , la maniere dont la lumiere
eft répandue , & l'intelligence fupérieure
de fes reflets. Son coloris eft fier , vrai &
précieux. Quoiqu'on puiffe lui reprocher
un ton général un peu violâtre dans les
ombres , néanmoins il eft digne d'admiration,
& préfente les demi - teintes les plus
belles & les plus fraîches. La facilité, &
( fi l'on peut s'exprimer ainfi ) la fleur de
fon pinceau offrent ce que la peinture a
de plus féducteur. La magnificence des
étoffes dont il habille fes figures , répand
dans fes ouvrages un agrément inexprimable
, peu connu avant lui . On lui reproche
d'avoir violé les loix du coftume
des anciens : mais combien cette heureuſe
licence n'a t'elle pas produit de beautés ,
dont nous ferions privés , s'il s'y fût affujetti
. En abandonnant quelques circonftances
de la vérité d'un coftume , fouvent
peu agréable , connu d'un très- petit nombre
de perfonnes , & encore fort inéga
94 MERCURE DE FRANCE.
lement , il s'eft enrichi d'un grand nombre
de vérités fenfibles à tous les yeux. Cette
perte , affez peu intéreffante , n'eft- t'elle
pas plus que fuffifamment compenſée ? S'il
a repréfenté les fujets les plus anciens avec
la plupart des vêtemens , en ufage de fon
temps , il s'en eft fuivi non feulement une
richeffe & une variété charmante d'objets ,
máis encore une apparence de vérité qu'on
voit rarement dans les autres Maîtres . Par
ce moyen il s'eft mis à portée de ne rien
faire que la nature devant les yeux : avantage
auquel il eft peut- être impoffible que
la force de l'imagination puiffe fuppléer . Il
ne s'eft point foumis à la févérité du choix
des caracteres de têtes antiques : mais s'il
a ofé faire entrer dans fes tableaux les
portraits de fes amis , ou du moins les caracteres
de têtes connus de fès concitoyens ,
il en résulte une apparence de vérité trèsfatisfaifante
on croit voir des hommes
véritables & que l'on connoît. Cependant
quoiqu'en quelque façon fes têtes foient
autant de portraits , elles font traitées
d'une manière fi belle & fi large , qu'elles
ne préfentent aucune idée de fervitude.
S'il eft permis de hazarder un fentiment
particulier , peut- être , en y réfléchiffant
trouveroit-on que cette nature connue eft
plus propre à la peinture que ce beau idéal
}
>
OCTOBRE. 175S. 95
qu'on cherche avec tant de peine , qu'on
trouve fi rarement , & qu'il eft fi difficile
d'allier avec la vérité. Ne feroit- ce pas
plutôt l'effentiel de la fculpture , qui ayant
moins de parties à réunir , & moins de
reffources pour plaire , ne peut s'en diſpenfer
fans manquer fon but , au lieu que
celui de la peinture eft premiérement l'illufion
. Quoi qu'il en foit, on peut compter
Paul Véronefe au rang des plus grands
Peintres qu'il y ait eu en Italie , & c'est
un de ceux qui à réuni le plus de parties
de la peinture.
Le Giorgione , le Palma , le Padouani
no, les Baffans , le Ricci , & quantité d'autres
Maîtres augmentent encore la gloire
de cette fameufe école. Prefque tous les
Peintres de Venife ont été Coloriftes ; cè
qui femble provenir non feulement de ce
que naturellement on imite ce dont on
eft environné , mais encore de la maniere
d'étudier. On dit que l'ufage de l'école
Vénitienne eft de mettre le pinceau à la
main de leurs Eleves prefque en commençant
leurs études. Ce qui femble plus le
confirmer , c'eft la rareté des Sculpteurs
fortis de cette école. De l'étude du deffein ,
fuivie par le maniement du pinceau , avec
le fecours de la couleur , il réfulte une
maniere de deffiner large , mais incertai96
MERCURE DE FRANCE.
ne , & telle que l'on la tâte dans l'empâtement
des couleurs où l'on évite les contours
trop décidés. Cette maniere n'eft
point propre à former des Sculpteurs , en
qui le mérite effentiel eft le beau choix
des formes , & la pureté des contours.
Mais c'eft de cette maniere que fe forment
les Coloriftes : c'eft de l'habitude de ne
jamais envifager la nature qu'avec fes effets
de couleur , de rondeur & de lumiere
directe ou refletée, que naiffent le beau coloris
, ou l'intelligence du clair- obfcur,
C'eft de cette pratique du mêlange des
couleurs , que l'on fait longtemps par approximation
, qu'enfin réfulte la facilité
de faire obéir ce méchanifme inexplicable
au fentiment dont nous fommes affectés
en voyant la nature. L'art eft d'une telle
étendue que nul ne peut en embraffer toutes
les parties. Tout le temps que l'on
donne à l'étude des formes de la nature ,
en faifant abftraction de fa couleur & de
fes effets , eft en quelque maniere pris fur
celui qui auroit été néceffaire à acquérir
la connoiffance de ces parties importantes,
& à s'en rendre la pratique facile ; & fi
l'on fe livre aux charmes qu'elle expofe à
ces deux égards , il faut de néceffité relâcher
de la févérité du choix & de l'exactitude
des formes. Ajoutons encore une réflexion
.
OCTOBRE. 1758. 97
flexion. La nature elle - même femble s'être
partagée dans les objets qu'elle a formés.
En général lorfqu'elle eft la plus belle
pour les formes , elle l'eft moins pour le
coloris. La belle couleur femble n'exifter
dans tout fon luftre que dans les perfonnes
dont l'embonpoint a un peu changé les formes
, & au contraire l'élégance & la pureté
des contours fe rencontrent rarement
avec ce brillant que cherchent les Peintres
Coloriſtes .
Il eft certain que l'étude des Maîtres de
l'école Vénitienne est très - profitable aux
Peintres . Elle peut échauffer les génies
froids , & former ceux que leur goût naturel
entraîne vers la couleur. Elle a fes
dangers comme toutes les manieres : mais
ceux qui auront d'abord étudié les écoles
Romaine & Lombarde , feront fuffifamment
prémunis.
Venife peut encore fe glorifier de pofféder
les plus habiles Peintres qu'il y ait
dans toute l'Italie , & tels qu'ils peuvent
aller de pair avec les meilleurs qu'on puiffe
citer dans toute l'Europe . Ceux dont on
voit le plus grand nombre d'ouvrages ,
font Tiepolo & Piazzetta. Le plus beau
génie & la couleur la plus agréable , la
plus grande facilité & le pinceau le plus
Batteur forment le caractere du premier.
II. Vol.
y
E
98 MERCURE DE FRANCE.
A peu près le même mérite fait celui du
fecond , à l'exception de la couleur qui eft
moins belle , mais qui eft compenfée par
une maniere plus large. Si l'on peut leur
reprocher quelques defauts , ainfi qu'il a
été remarqué dans l'examen de leurs ouvrages
, ils font bien rachetés par les beau
tés .
Nous ne devons pas oublier , en parlant:
des grands Peintres de cette ville , la De-.
moifelle Rofalba Carriera , la gloire de fon
fexe. Plufieurs Dames s'étoient déja rendues
célebres dans les arts , mais on peut
dire , qu'à l'exception d'Elifabeth Sirani ,
de Bologne , Fadmiration qu'on leur accordoit
étoit accompagnée de quelque indulgence
, & fondée plutôt fur la rareté
de leurs fuccès que fur l'excellence de leurs
talens. Privées de ta liberté d'étudier la.
niture nue , comme le font les hommes
on n'eft point en droit d'exiger d'elles un
fçavoir auffi étendu dans des arts où cette
étude eft d'une néceffité indifpenfable.
Mademoiſelle Rofalba s'étant attachée
aux talens du pastel & de la miniature ,
les a portés à un haut degré de mérite ,
que non feulement les hommes les plus
célebres dans ces genres ne l'ont point.
furpaffée , mais même qu'il en eft bien peu
qui puiffent lui être comparés. L'extrême
OCTOBRE. 1758. 99
correction & la fcience profonde du def
fein n'étant pas auffi abfolument effentielles
dans ces genres que dans celui de l'Hif
toire , elle a atteint le but qu'on peut s'y
propofer par la beauté de fa couleur. La
pureté & la fraîcheur des tons qu'elle a
fçu employer dans fon coloris font admirables
, & la belle facilité , auffi bien que
la largeur de fa maniere , l'ont égalée
aux plus grands Maîtres.
SUITE de l' Ami des Hommes , quatrieme
Partie. Réponse aux objections contre lo
Mémoire fur les Etats Provinciaux.
*
PAR le précis que j'ai donné de ce Mémoire
dans le Mercure précédent , on a vu
que l'Auteur , prévenu de la bonté de fa
caufe , l'avoit d'abord expofée fimplement
avec la confiance de la vérité , qui croit
n'avoir qu'à paroître pour diffiper les
nuages du préjugé , & les phantômes de la
défiance. Mais il eft des efprits qu'il faut
convaincre ; la perfuafion n'y peut rien .
Le livre du Financier Citoyen , c'eſt- ddire
, d'un homme qui , verfé dans les
opérations de Finance , y cherche l'avan
tage public (car c'eft dans ce fens que
peuvent très bien fe concilier ces deux ter
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
mes , dont l'Ami des Hommes, regarde l'af
femblage comme nouveau dans notre langue)
, ce Livre, dis- je , attaque le projet propofé
dans le Mémoire fur les Etats Provinciaux.
L'Ami des Hommes s'y croit défigné
, parmi ces Auteurs fyftématiques , qui
n'ont vu les chofes que d'un côté. Il a déja
bien prouvé qu'il les a vues fous toutes
les faces ; mais il revient à fon objet.
Il fe plaint d'abord qué fon agreffeur ait
mis fur la même ligne ceux qui propofent
d'établir dans tout le Royaume
Fadminiftration des pays d'Etats , & ceux
qui veulent qu'on dépouille les pays
d'Etats
de leurs priviléges , &qu'on les réduiſe
à la condition des autres provinces . « Depuis
le combat de S. Michel & de Sa+
tan , il ne fe vit jamais , dit- ii , des ri-.
» vaux moins faits pour être mis en ba-
» lance. "
Le Financier Citoyen , dans le parallele
qu'il fait des deux fyftêmes , ne parle du bonheur
des peuples, dans les pays d'Etats , que
comme d'une apparence de bonheur. L'Ami
desHommes s'infcrit en faux contre ces termes
, & il en appelle au témoignage des
peuples. ( Il eft vrai que les Députés , les
Agents , les Notables des pays d'Etats ,
fe louent beaucoup de cette forme d'adminiftration
; mais partout le peuple ſe
OCTOBRE. 1758 . 100
plaint , & prefque partout , malheureuſement
, il a quelque raifon de fe plaindre. )
Cependant l'Ami des Hommes demande
qu'on l'attaque , preuves en main .
La véritable façon de raïfonner contre
le projet des Etats provinciaux , feroit ,
dit- il , d'expofer à découvert l'adminiftration
d'une province d'élection de montrer
que la taille perfonnelle eft plus équitable
& moins , fujette aux non valeurs
que la taille réelle ; qué les répartitions
faites par des élus , font bien plus fures
que le cadaftre ; qu'une province voifine
d'un pays d'Etats rapporte plus , &
la perception y coûte moins , & c .
que
Ce plan d'attaque femble décider lui
feul de quel côté feroit l'avantage . Il faut
avouer cependant qu'à certains égards s
l'Auteur demande l'impoffible : par exemple
, il fçait bien que , pour comparer les
contributions proportionnelles de deux
provinces , il faut avoir égard à leurs facultés
de toute efpece , à la nature du fol , à
fon étendue, à fes productions, aux moyens
d'exportation & de commerce , à la fituation
de l'une & de l'autre , à la population ,
& c. & que des combinaifons fi compliquées
laifferont toujours quelque chofe de
problématique dans les calculs.
Le Financier Citoyen va plus loin ail
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
regarde le projet de mettre toutes les provinces
en pays d'élection , comme plus
conforme aux principes du gouvernement
monarchique. L'Ami des Hommes à déja
fait voir que l'adminiftration qu'il propofe
, eft la plus avantageuſe à l'autorité
royale : Il s'éleve ici avec plus de chaleur
encore contre le préjugé qu'il a combattu .
+
« Il s'enfuit de vos principes , dit- il , à
» fes adverfaires , que depuis que les
» monarchiesexiftent, ce n'eft au fonds que
la loi du plus fort civilifée que les
» peuples ne fongent qu'à éluder ou à
reftreindre cette loi , & que les Rois
» ne doivent penfer qu'à l'étendre. Quand
Dieu refufoit des Rois à fon peuple ,
» il prévoyoit dans leurs cours des politi
» ques tels que vous, »
-Ici il approfondit la nature de la monarchie
, dérivée même du droit de conquête
,de plus abfolu de tous ; & il conclur
queda monarchie , de quelque façon qu'etle
fe foit établie , eft un gouvernement
tempéré que l'autorité y eft mixte &
compoféé de celle du Général d'armée &
de celle du Magiftrat , réunis dans la per+
fonne du Souverain ; ( c'est-à- dire , du
glaive & de la balance , de la force &
de l'équité. ) De ces deux branches , il fait
partir tous les ramaux de l'autorité graOCTOBRE.
1758. 103
duée , mais là , il me femble qu'il s'écarte
de fon objet , & qu'il perd de vue fes
principes , lorfqu'il dit de la féodalité ,
qu'elle est la plus admirable police d'Etat.
Qu'entend l'Ami des Hommes par la féodalité
? C'étoit autrefois la dépendence
graduelle , la foumiffion immédiate des ordres
de l'état , fubordonnés l'une à l'autre .
Eft - ce là ce qu'il nous donne pour
la plus admirable police ? Pourquoi
donc , au lieu de cerre police , nous propofer
la diftribution de l'autorité confiée
aux trois ordres de l'état , comme un
moyen d'y établir & d'y conferver l'équilibre
rien n'eft plus oppofé , ce me
femble , à la féodalité , que cet équilibre
de pouvoirs , qui fe limitent , qui fe
contiennent , qui fe balancent mutuelle
ment. Il a demandé. que le commandement
abfolu foit confié dans certains casà
la Nobleffe . Mais il fçait ce qui s'en eft
fuivi , & que « fous l'adminiſtration féodale
, la fpoliation du Souverain , & le
» démembrement de l'Etat devinrent le
crime univerfel. »
ر و د
Que tel autre politique ait voula
nous ramener à une conftitution de
chofes expofée par fa nature à de pareils
défordres ; je le conçois , je fçais
qu'il n'eft rien que l'efprit de fyftême n'i
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
magine , & que la prévention ne faffe
adopter. Mais fe peut -il que l'Ami des
Hommes fe livre à une opinion diamétralement
oppofée à fes principes , & au plan
qu'il vient de tracer lui -même ? Il faut que
je ne l'aie pas entendu , & qu'il attache
à la féodalité une idée qui n'eft pas la
mienne.
J'avoue que ce n'eft point aux pouvoirs
intermédaires que l'on doit attribuer
les démembrements de l'ancien empire
François ; mais je penfe que le défaut
d'équilibre , entre ces pouvoirs , en a été
la principale caufe, & je conclus , avec
l'Ami des Hommes , que les fonctions
du Monarque , foit en qualité de Géné
fal foit en qualité de Magiftrat , confiftent
à tenir la balance entre fes prépofés
dont il eft de droit & de fait , le modé
rateur & le juge .
J'ai donc bien mal faifi le principe de
l'Auteur, puifque même en le combattant ,
je me trouve d'accord avec lui dans les
conféquences.
Reprenons les difficultés qu'il fe fait à
lui - même pour les réfoudre . Il ne diffimule
aucun des prétendus inconvéniens des affemblées
des Etats par rapport à l'autorité ,
mais il réfulte de fes réponſes , que ces inconvéniens
font eux- mêmes autant d'avan
OCTOBRE . 1758 . 105
tages pour l'autorité légitime ; qu'un Roi
jufte doit les chérir , & qu'un tyran feul
peut les craindre. Il nous peint les Etats de
Bretagne préfentés au Rois d'un côté l'amour
& le refpect , de l'autre , la douceur
la majefté & la confiance . ·
C'est en ce moment , pourfuit- il , &
au milieu de tout cet appareil de tendreffe
& d'hommage , qu'eft préfenté le
cahier des griefs. La réponſe en eft donnée
fix mois après , telle qu'il plaît au
Roi de l'accorder ; & les Députés retournent
dans leur parrie , raconter aux peuples
la bonté paternelle du Monarque. Le
Roi connoît fes peuples , le peuple ap
prend à connoître fon Roi tout y gagne
& rien n'y perd , fi ce n'eft ce genre
d'hommes le plus pernicieux de la terre ,
à fçavoir ceux qui voudroient entrete
tenir la méfiance dans l'efprit des Princes
, & qui tiennent pour principe de
leur politique , cette maxime des tyrans ,
oderint dum metuant. Qu'ils nous haïffent ,
pourou qu'ils nous craignent."
Cependant on s'attache à la forme des
contributions des pays d'Etats , & l'on s'éleve
contre ce terme de don gratuit , appliqué
à ce que le maître exige comme droic
& comme devoir.
L'Ami des hommes prend dans fon
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
t
ame & dans le coeur des peuples , less
traits véhémens dont il accable les ennemis
des pays d'Etats & les déclamateurs
contre le don gratuit. Mais qu'il me permettre
une réflexion qui ne porte aucune
atteinte à fes fentiments : je les refpecte
& je les partage. Je reconnois avec lui ,
qu'il eft plus doux pour un peuple fidelę ,
de contribuer à titre de don gratuit ,
qu'à titre de droit & de devoir , & que
ce n'eft pas la peine d'affliger ce peuple .
dévoué à fon Prince , pour ne changer
qu'un mot dans la maniere de l'impofer.
Mais il n'en eft pas moins conftant que ce
mot doit renfermer l'idée de la fubvention
indifpenfable d'une partie de l'Etat, aux
befoins réels de l'adininiſtration générale
& de la défenfe commune ; & que la
plus grande marque de confiance qu'un
Roi puiffe donner à fes peuples , c'eſt de
laiffer à leur obéiffance , ce caractere honorable
d'inclination & de liberté..
A ce propos , la diftinction que fair
l'Ami des Hommes de l'amour & de la
crainte , de la crainte & de la terreur ,
développé une morale fublime. Les plus
légitimes & les meilleurs des Rois ,
» commandent à un grand nombre de
méchants , qui ne peuvent être contenus
que par la terreur. Mais ce fentiment ,
997
OCTOBRE. 1758. 107
alors , n'a point fon principe dans le
» gouvernement ; il eft tout entier dans
» la confcience du coupable. La jufte
» crainte que doit infpirer l'autorité , eft
» celle qui dérive de l'amour & du refpect.
» Le langage de l'amour pour les bons ,
» eft celui de la crainte pour les mé-
>> chants ; tous l'entendent felon l'écho de
» leur confcience. Adam, ubi es ? fit cacher
» notre premier pere ; un jour plutôt
» ces mots l'euffent fait accourir . » Quel
trait ! Quel rayon de lumiere ! ( Ces deux
mots m'ont fait treffaillir de furpriſe &
d'amiration . )
و د
De ces principes l'Auteur conclut en
faveur du dongratuit , avec fon éloquence
pathétique Cette forme de don que
» vous enviez aux pays d'Etats , comme
privilége , eft un droit ineffaçable de
tout fujet vis- à-vis de fon maître légi-
» time : oui , nous voulons lui donner ce
qu'il nous demande , & lui offrir le
refte ». Je le répete , rien n'eft plus
glorieux pour le Souverain , rien n'eft
plus confolant pour le peuple que cette:
façon de contribuer : c'eft l'hommage de
la volonté , c'eft le tribut de l'amour
même , pourvu toutefois qu'on foir
irrévocablement d'accord fur la valeur des
termes , & que celui de gratuit , ne ren
Evjj
108 MERCURE DE FRANCE.
ferme pas , comme quelques - uns le pré
tendent , le droit tacite du refus .
Les privileges tiennent à la hiérarchie, &
l'Ami des Hommes infifte de nouveau fur
ce point mais nous y reviendrons encore ,
paffons aux objections du Fin . Cit .
و د
:
Celui-ci traite d'eftimation imaginaire
les calculs des impôts levés fur les pays
d'état . L'Ami des Hommes ne lui répond
qu'en répétant les calculs qu'il a faits des
produits de la Provence , & il ajoute : « ce
n'eft pas précisément en ce que je fuis per-
» fuadé que le Roi retireroit plus de fes Pro-
» vinces, fi on y établiffoit les Etats , que je
confeille cet établiffement ; c'eft après
"avoir prouvé que tout ce qui feroit impofé
fur les peuples , feroit au profit du
Prince & de l'Etat ; que le peuple feroit
plus heureux , & c. »
و د
و د
»
"
Sans renoncer à la diftinction des Pays
d'Etats & des Provinces du Royaume ,
l'Ami des Hommes foufcrit à l'égalité d'impofition.
Mais il fait voir que cette égalité
ne peut être conftatée & maintenue que
par le moyen des affemblées & de l'adminiftration
qu'il propoſe. On lui objecte
qu'il y a des abus , il répond qu'il y en a
partout ; mais il reprend ces abus par ar
ticles.
OCTOBRE . 1758. 109
Privileges de certains Ordres de Citoyens.
Tout eft privilege ici- bas , dit l'Ami des
Hommes ; & après avoir réduit la prétention
de fes adverfaires aux termes de la raifon
& de l'équité ; il répond 1 ° . que les
immunités du Clergé , & fon bien être
confiftent en l'épargne des frais & la difpenſe
des exactions. Qu'au refte cet ordre
contribue autant & plus que le refte de la
nation . ( Si le fait eft prouvé , tout eft dit. )
2°. Que les privileges de la Nobleffe fe
bornent à une ombre d'exemption fur les
tailles . Il n'eft que trop vrai que fa
condition à cet égard ne doit pas exciter .
l'envie . Quant aux décharges que les peuples
des Pays d'Etats peuvent accorder à la
Nobleffe , elles font légitimes dès qu'elles
font volontaires ; & dans ces fortes de dé- ,
Libérations , perfonne ne peut exiger d'autre,
formalité que le concours des voix , & la
pleine liberté des fuffrages. )
Excès dans les dépenfes.
L'Auteur les juftifie , en faisant voir que
les unes font obligées , & les autres autorifées.
Il me femble que ce n'eft pas affez .
On defireroit ici un mot , qui trancheroit
toute difficulté , & feroit la fomme totale
FIO MERCURE DE FRANCE.
des frais d'affemblée , de gratifications , de
régie dans les Pays d'Etats , comparée à la
fomme totale de régie & de levée dans les
Provinces d'Election , & l'une & l'autre
balancées avec la fomme des impofitions de
chaque Province. Mais , au défaut de ce
calcul , il termine ainfi la difpute : le Roine
nous demande que tant : s'il fe trouve
que l'impofition ordonnée pour y faire
face, produife davantage , diminuons l'impofition.
Cette réponſe eft fans replique
& les deux Auteurs , oppofés dans le fait ,
font enfin d'accord fur le droit ; fçavoir ,
qu'il feroit à fouhaiter que les Provinces
d'Etats fuffent régies plus exactement fous
la forme qu'elles ont adoptée. Dès lors il
n'y a plus de bors fonds , & à cet égard
toute conteftation devient fuperflue ..
Le Fin. Cit. appelle hors fonds l'excédent
de l'impofition au- delà de la demande , & ,
en fuppofant que le Roi retînt la moitié de
cet excédent pour lui , cela feroit plus avanrageux
, dit - il , que de le laiffer diffiper
dans la Province. Point du tout , répond
plaifamment l'Ami des Hommes. Les fripons
font nos coufins , & notre tour viendra
peut- être d'avoir part au gâteau . Il - auroit
pu s'en tenir à la même réponſe par
rapport à l'abus de l'autorité des Officiers
Municipaux dans quelques - uns des Pays
OCTOBRE. 1758. JI
d'Etats. Mais quand viendra le tour du
peuple ? T
Je paffe fous filence une excurfion vio
lente contre les Financiers , qui prouve ce
que perfonne ne révoque en doute ; fçavoir
, que la fable d'Atalante eft l'hiftoire
de l'humanité.
A l'égard de la Ferme & de la levée de
certains droits dans les Provinces d'Etats , je
ne fçais pourquoi l'Ami des Hommes s'en
met en peine . Dans fon plan , fi je l'ai bien
compris , il n'y a que la taille réelle pour
les campagnes , & les droits d'entrées pour
les villes ; or en affermant ceux - ci , rien
n'eft plus facile que d'en donner un tarif
exact , précis & clair , qui foit dans, les
mains de tout le monde, & qui,levant toute
équivoque , lie les mains à la véxation .
Quand je dis , rien n'eft plus facile , j'entends
fous les yeux d'une adminiſtration
roujours préfente , telle que l'Auteur la
fuppofe lui- même , & qui , fur les premieres
plaintes , peut s'élever contre les abus.
Quant à l'exactitude rigoureufe de la perception
, je la crois de toute juftice ; c'est
dans l'impofition que doivent être la modération
& l'indulgence impofer des
droits , les affermer , & demander au Fer--
mier qu'il les modere , ou qu'il les néglige
c'eſt donner & retenir ; c'eft ne pas connoî-
?
112 MERCURE DE FRANCE.
tre les hommes . Les péages font la preuve
que perfonne ne fe relâche des droits qui
lui font accordés ; & tel fe plaint de la rigueur
de la perception des impôts dans fes
terres , qui lui-même y exerce tiranniquement
le droit exclufif de tuer un fanglier
qui ravage les moiffons.
A la propofition de réunir toutes les Fermes
de l'Artois en une , l'Ami des Hommes
répond par des comparaifons dont je
ne fens pas la jufteffe. Il eft certain que la
multiplicité des Fermiers augmente les frais
de régie , & que ces frais font à la charge
de l'Etat . A l'égard de l'injuftice , il n'y en
a aucune à n'enrichir que dix hommes au
lieu de cent , lorfque c'eft aux dépens du
peuple ; car il ne faut pas fe perfuader que
le profit de dix intéreffés fuffife à la cupidité
de cent.
Le Fin. Cit. croit voir un avantage
prendre à Paris les Fermiers des Provinces.
Il a été facile d'en faire fentir l'illufion
& je ne conçois pas comment un homme
inftruit a pu propofer cette idée . Que chacun
demeure chez foi , dit l'Ami des Hommes
, qu'il y feme , qu'il y recueille ; perfonne
n'aura à fe plaindre , fi ce n'eft lè
Juif errant. Ne difcutons pas cette plaifanterie
, l'Auteur fçait bien qu'un François
n'eft pas étranger en France , & que , de
OCTOBRE. 1758. 1J3
Province à Province , il n'y a pas de chez
foi réellement diſtinct .
Je glifferai far l'article des Abbayesį
par la raison qquuee jjee nnee puis ni combattre
ni adopter dans toute leur étendue les principes
de l'Auteur. J'obferverai feulement
que je n'entends point ce qu'il veut dire
par une fervitude éternelle , réſultante du droit
de don , & que je conçois des obligations
qui ne font point une fervitude ; que je
n'entends pas mieux quel fens il donne à
cet axiome › que plutôt tout l'Etat périſſe, que
fi la main facrée d'un Souverain fignoit la
plus petite injuftice : axiome qu'il met en
oppofition avec celui- ci , falus reipublica
fuprema lex efto : car je regarde cette loi - ci
comme le centre des loix , & le point d'appui
de la Société ; je crois que l'objet de toute
inftitution politique a dû être le bonheur ,
& , à plus forte raifon , le falut commun ;.
qu'il n'y a d'injuftice que dans la violation
du droit , & que le premier droit eft celui
de la nation entiere ; qu'en un mot , l'extrême
injuftice eft de facrifier le bien
public au bien particulier. Ce n'est donc
pas la maxime falus reipublica fuprema lex
efto , qui perfuadera aux Princes . que tout ce
qui eft poffible , eft permis : elle doit leur ар-
prendre au contraire que tout ce qui eſt évidemment
oppofe au bien public , eft injufte , &
114 MERCURE DE FRANCE.
c'eft là furtout l'injuftice qu'ils ne doivent
jamais figner.
Le Financier Citoyen a eu le malheur
de dire , de quelques - unes des Provinces
conquifes , que fi elles avoient été travaillees
en Finance , l'efprit François y feroit
bien plus généralement répandu ; il faut
avouer que cette propofition peut donner
prife au ridicule ; mais il faut avouer auffi
qu'il eft terrible de tomber entre les mains
de l'Ami des Hommes. Travailler en Finance
lui paroît un barbariſme effroyable ,
& après l'avoir tourné & retourné en tous
fens , il n'y trouve que l'idée du brafier de
Guatimofen. Mais fi le Financier Citoyen
a'a entendu par - là que percevoir les droits
impofés , fuivant la regle établie dans l'intérieur
du Royaume , & prefcrite par de
fages loix , il n'y aura plus d'effrayant que
le terme. T
A ce propos , me fera- t'il permis de relever
à mon tour une expreffion , qui m'a
d'autant plus étonné qu'elle eft dans le livre
de l'Ami des Hommes . Il eft queſtion
des privileges du Clergé & de la Nobleſſe ;
L'Auteur s'éleve contre ce principe , que
chacun doit être impofé en raison des biens
qu'il poffede. Il veut cependant que les privileges
ne foient point à la charge du peuple
, & je pourrois lui demander comment
OCTOBRE. 1758 . 115
ane exemption d'impôts peut n'être pas པེ
la charge de celui qui paye , pour celui qui
ne paye pas mais venons au mot qui m'a
tant furpris. La mife proportionnelle ,
& autres axiomes modernes des Herauty
des Saturnales , font les délires de l'efprit
d'Anarchie. Eft- ce bien l'Ami des Hom
mes qui , dans la prétention d'un peuple
libre à l'égalité dans les contributions
eroit voirdes efclaves qui prennent la place
des Maîtres bilo rom
!
"
J
•
Pour moi, j'avoue que je fuis l'un des par
tifans , l'un des Hérauts , fi l'on vent, de l'égalité
dans les impôts , fans croire l'être des
Saturnales. Je refpecte la Hiérarchie, mais
je ne reconnois qu'un Maître , auquel nous
fommes tous directement , immédiatement
, exclufivement , également foumis
je regarde les diftinctions & les honneurs
accordés aux premiers ordres de l'Etat ,
comme effentiellement liés à la Conftitution
Monarchique ; mais je tiens que dans
un Royaume où tous les ordres font mili
taires , & tous réciproquement défenfeurs
& protégés , les exemptions , les immuniz
tés ne font plus fondées que fur le titre de
conceffion . Telle eft mon opinion fur la
mife proportionnelle, & je fuis bien loin
de la regarder comme le délire de l'A
narchie..
116 MERCURE DE FRANCE.
L'Ami des Hommes eft trop l'ami de la
vérité, pour ne pas vouloir que l'on difcute
fes principes.java
Je n'ai pris la liberté d'imiter fa franchife
, que, dans la confiance , où je fuis
qu'il la croit bonne à imiter ; mais en me
refufant à quelques unes de fes idées , je
ne puis m'empêcher de le reconnoître pour
un des plus beaux génies , pour un des
meilleurs citoyens , & pour un des hommes
les plus éloquens de notre fiecle.
ORAISON FUNEBRE de M. le Comte de
Gifors , prononcée le 9 Août dans l'Eglife
Cathédrale de Metz , par le P. Charles
de la Compagnie de Jefus.
C'eft peut être ici la premiere Oraifon
funebre où l'éloquence n'ait eu rien à diffimuler
Fléchier lui même a été obligé
d'accufer le malheur des temps & la fatalité
des circonftances dans l'éloge du nouveau
Macchabée. Le Pere Charles n'a éu , ni
dans la vie publique , ni dans la vie privée
de fon Héros , que des vertus fans éclipfe ,
que des moeurs fans tache , que des intentions
purės , que des actions louables à cé
lébrer. Le Panégyrifte a parlé le langage
de l'Hiftorien ; & la mémoire du Comte
de Gifors , tel qu'il eft peint dans ce difcours
, n'eft que l'image de fa vie. J'ofe
OCTOBRE. 1758. 117
dire plus : fa vie , quoiqué fidélement retracée
, ne frappera jamais auffi vivement
la postérité qu'elle nous a frappés nousmêmes.
Cet enchaînement de détails qui
développent un caractere fimple , honnête
& bienfaifant ; cette vertu de tous les inftans
& de toutes les fituations , cette unité
de principes , cette harmonie de conduite ,
en un mot ce que je ne puis même exprimer
en notre Langue , Æqualitas ac tenor
vita per omnia conftans fibi , c'est ce que
nous avons vu & ce que l'Orateur n'a pu
peindre. Un Philofophe a dit , Nul homme
n'eft grand aux yeux de fon Valet de chambre.
C'eft furtout dans cet intérieur que le .
Comte de Gifors a été grand , c'est- à - dire
au deffus des foibleffes & des paffions de
T'humanité , fupérieur à fon âge par fa
fageffe , & à fon rang par la modeftie & la
fimplicité de fes moeurs. Nous l'avons
perdu , & la feule confolation qui nous
refte , eft d'en rappeller le fouvenir dans
l'amertume de nos regrets . Heureux fi les
pleurs répandus fur fa cendre , fi le concert
de louanges qui retentit autour de
fon tombeau , peut infpirer à la jeuneſſe
de fon état la volonté courageufe d'imiter
un fi beau modele !
Il mérita dans fa jeuneſſe . l'eftime des
fages & les applaudiffemens de la multi118
MERCURE DE FRANCE.
tude , fuivant les paroles que l'Orateur a
prifes pour texte au Livre de la Sageſſe į
cb. 8 , & d'où il tire fa divifion.
Premiere Partie. I mérita l'eftime des
fages par une jeunetfe exempte des défauts
de cet âge , & ornée des vertus des
âges les plus avancés. « Cette unique & fi
eftimable portion de fa vie fe préfente à
» nous dans fon luftre ... & nous permet
de publier avec confiance ce qu'il a été ,
fans nous réduire à la ftérile reffource de
conjecturer ce qu'il promertoir , & de
» préfager ce qu'il feroit un jour..»
L'Orateur le fuit dans toutes les épreuves
qu'il a foutenues , & il voit partoutune
jeuneffe docile & appliquée , une jeuneffe
judicieufe & circonfpecte , une jeuneffe
fage & irréprochable . I remonte d'abord
à la fource de tant de vertus. Quel
pere pour former un fils ! quelle mere
pour lui infpirer des fentimens & des
maurs! L'éloge de l'un & de l'autre eft
auffi bien placé qu'il eft jufte. Et quels
parens ont eu jamais des droits mieux acquis
au partage de la gloire de leur enfant!
L'éducation du Comte de Giſors a été un
modele malheureufement unique. L'Orateur
la caractériſe en deux mots. Son éducation
, dit- il , fur tour à la fois douce &
auftere. Heureux , ajoute-r'il , les enfans
OCTOBRE. 1758. 719
que des peres affez zélés élevent pour
Phonneur de leur maifon , que des peres
affez citoyens élevent pour l'avantage de
la patrie , que des peres affez Chrétiens
élevent pour la gloire de la Religion !
Il vient aux épreuves qui ont fait
éclorre les fruits de cette premiere inftitution.
Ecueils de la naiffance. C'eſt le malheur
de bien des hommes d'être nés
dans un rang élevé ils ne font pendant
toute leur vie que ce que la nailfance les
a faits. Gifors fçait qu'avec un grand nom ,
il contracte de grands engagemens , & ce
ne fera que par les actions & par fes vertus
qu'il fera connoître la diftinction de fon
Lang & de fa naiſſance.
Ecueil du monde . Gifors , en garde
contre fon coeur , ne forme de liaiſons
que celles qu'avoue la vertu ; ne connoît
de plaifirs que ceux qu'adopte la raifon ;
ne reçoit de confeils que ceux qu'approuve
la fagetfe ; ne craint de ridicule
que celui
d'imiter le vice.
Ecueil de la cour. La candeur , la droi
rure , la vérité , la vertu s'y montrerent
avec lui .. en un mot , il fut un exemple à
la cous , où c'eft beaucoup de n'être pas um
candale.
Ecueil des armes. Le vit-on jamais con120
MERCURE DE FRANCE .
fondre l'émulation avec l'envie , la rivalité
avec la haine.. & fi fon courage fe fignala
toujours contre les ennemis du Roi & de
l'Etat , fa valeur fut- elle jamais obfcurcie
par des querelles particulieres qui font tant
de plaies cruelles à la patrie , & qui font
l'opprobre de la raifon & de l'humanité ?
Il n'eut pas la réputation de les craindre :
mais ce qui lui eft infiniment plus glorieux ,
il eut la fageffe de les prévenir.
: Ecueil des voyages . Par la décence de
La conduite & par la réferve de fes difcours
, il a vangé fon âge & fa Nation de
la frivolité qu'on leur reproche.
Quel empire avoit- il pris fur fes paffions
? .. Il en eut une , & ce fut la feule ;
celle de réunir tous les genres de mérite ,
& de pofféder toutes les vertus.
Digne fils , il fut toujours l'enfant de la
confolation , & jamais celui de la douleur.
( Son refpectable pere a bien pu dire à fa
mort , comme un grand Roi à la mort de
fon épouse : C'est le premier chagrin qu'il
m'ait caufé ! ) Gifors eft à Copenhague : il
apprend la maladie de fa mere ; il part , il
paffe le Belt à travers des montagnes de
glace accumulées ; une petite barque & un
nautonier auquel il infpire fon courage ,
lui fuffifent ; & laiffant fur le bord les
gens de fa fuite: « Mes amis , leur dit-il ,
» il
OCTOBRE. 1758. 121
199
»il eft inutile de vous expofer ; pour moi,
l'état de ma mere & la douleur de mon
pere me rappellent. » ( Je vois fur cette
barque le coeur de Céfar ; mais animé par
le fentiment le plus vertueux & le plus
tendre de la nature. )
Digne époux , fa deftinée étoit liée à
celle de la perfonne la plus capable d'en
faire le bonheur & d'en augmenter la
gloire.
Digne ami , qui connut mieux que lui
la douce fatisfaction de gagner les coeurs ,
& qui fçut mieux l'art de fe les attacher ?
Digne maître , par une douce autorité
qui n'humilie point la dépendence , il fçut
fe faire refpecter , fe faire obéir , fe faire
aimer.
Digne citoyen , il s'eft dévoué , prefqu'en
naiffant , au fervice de fa patrie ; il
a vécu , & il eft mort pour elle.
Un portrait fi accompli femble être
l'ouvrage de l'imagination , & tout en eft
vrai à la lettre. C'eft par- là que le jeune
Giſors a mérité l'eftime des fages. Honorem
apud feniores.
Ses talens & fes vertus militaires lui ont
attiré les applaudiffemens de la multitude ,
claritatem ad turbas.
L'Orateur le fuit dans fes premieres
campagnes , fous les aufpices & fous les
11.Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
ordres d'un Général que l'autorité du com
mandement rend fon premier Chef, que
les vertus militaires rendent fon premier
modele , que l'affection paternelle rend
fon premier guide.. Si le Comte de Gifors
trouve partout de grandes leçons , il donne
partout de grands exemples. Là , il fe plaint
de fon pere , & à fon pere lui - même , de
n'avoir pas eu la préférence pour l'attaque
& pour le danger . Pourquoi , dit-il les
larmes aux yeux ( & ce font les larmes
d'Achille ) , pourquoi faire marcher au
combat d'autres Régimens avant celui que
j'ai l'honneur de commander ? Ici découvrant
la nuit l'armée ennemie à la lueur
des feux Quand les verrons- nous de plus
près , demande-t'il avec impatience ? On
lui répond que ce fera aux premiers rayons
du foleil. Ah ! s'écrie- t'il en levant les
yeux au ciel , faites donc , grand Dieu !
que le foleil luiſe bientôt ! ( C'eſt la priere
de Diomede dans le vrai point de l'héroïsme
. )
Modefte avec dignité , ferme avec dou
ceur , bienfaifant avec délicateffe , ami de
l'Officier , compagnon du foldat , il ne
fembloit craindre le danger que pour eux ,
qui ne le craignoient que pour lui.
L'Orateur parcourt rapidement , & avec
beaucoup de fageffe , les caufes & les évés
OCTOBRE. 1758. 123
nemens de la guerre préfente , où fon Héros
s'eft fignalé. Mais on gémit de ne l'y voir
qu'à la tête d'un Régiment , & le coeur faigue
à tout bon François en jettant les yeux
fur l'avenir dont la jeuneffe de ce Guerrier
n'étoit encore que le préfage. Que de talens
, que de vertus , que de gloire fous
cette tombe ! La perte d'un vaillant homme
eft facile à réparer. Mais la perte d'un
homme accompli eft un malheur à jamais
déplorable . Je finis par un trait qui eft
échappé à l'homme éloquent , qui vient de
lui rendre ce jufte tribut de louanges.
M. le Comte de Gifors , en partant de
la cour pour
aller fe mettre à la tête des
Carabiniers : Je crains , dit - il , d'arriver
trop tard. Mais s'il y a eu quelque action
où les Carabiniers ayent donné , je demande
ma démiffion fur le champ. Celui
qui les aura conduit mérite de les commander.
Hélas ! plût au ciel qu'il eût manqué
à ce devoir dont il étoit fi jaloux . Le
voeu fuperflu que je fais eft celui de la
France entiere , qui compte la mort de ce
vertueux jeune homme au nombre des calamités
.
Sans prétendre examiner un Difcours
de la nature de celui - ci avec les yeux de la
critique , je ne puis m'empêcher de remar-
Fij
224 MERCURE DE FRANCE.
quer un tour d'expreffion trop ufité depuis
quelque temps , furtout dans le ftyle oratoire;
je parle de cette fymmétrie de mots
qui fait jouer enſemble tous les membres
d'une période. Quoique cet excès d'art fe
laiffe appercevoir dans plufieurs endroits:
de ce Difcours , je n'en citerai qu'un.
exemple.
f
L'éclat en eft plus attrayant , dit l'Orateur
en parlant de la cour , parce qu'il eſt
plus éblouiffant ; les pieges y font plus dangereux
, parce qu'ils font mieux déguifés ;
la faveur y eft moins fûre , parce qu'elle eft
plus enviée ; la difgrace plus amere , parce
qu'elle eft plus remarquable , & fi la vertu
y eft plus pure , parce qu'elle eft plus éprouvée
, le vice y eft plus contagieux , parce
qu'il eft plus féduifant . C'est là qu'on s'intoduit
par vanité , qu'on fe contraint par
ambition , qu'on n'aime , qu'on ne hait
que par intérêt ; là , qu'on intrigue avec
art , qu'on fupplante avec adreffe , qu'on
féduit , qu'on trompe , qu'on trahit même
avec tous les dehors de la politeffe , du
zele , de la bonne foi , & c. Cet arrangement
de paroles peut être brillant au débit ;
mais il eft fatigant à la lecture . Il en eft
d'un ftyle trop compofé comme d'une déclamation
trop étudiée ; ni l'un ni l'autre
n'eft dans la vérité : or la vérité eft l'ame
OCTOBRE . 1758. 125
•
de l'éloquence , elle feule perfuade &
touche >
& le pathétique eft de tous
les genres celui où l'art doit le plus ſe
cacher.
EXTRAIT des recherches fur les moyens
de refroidir les liqueurs. L'objet de ces
recherches eft un des premiers befoins de
l'homme , furtout dans les climats du midi.
Les peuples de l'Afie , les Chinois , les
Indiens , les Perfans , les Egyptiens , font
dans l'ufage de mettre les liqueurs que l'on
veut boire, mais principalement l'eau, dans
des vaiffeaux faits exprès d'une terre forc
poreufe , & de les expofer dans le paffage
de quelque vent chaud pour les rafraîchir ;
fouvent même on enveloppe le vafe de
quelque étoffe qu'on a foin d'humecter de
temps en temps . Plus le vent eft chaud ,
dit Chardin , plus l'eau qui y eft exposée ſe
rafraîchit , comme au contraire le vent
froid l'échauffe . Les Caravanes au lieu des
vafes de terres , fe fervent d'outres parfumées
que l'on pend fous le ventre des chevaux.
Cet ufage remonte à l'antiquité la
plus reculée:
Les gens qui veulent boire frais & délicieufement
, dit ce Voyageur, ne fe fervent
du même vafe que cinq ou fix jours tout au
plus ... Un quart de l'eau tranfpire en fix
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
heures de temps la premiere fois , puis
moins de jour en jour , jufqu'à ce que les
pores fe bouchent.
Bernier explique ce phénomene en difant
, que le drap mouillé qui enveloppe
le vafe, arrête au paffage les corpufcules de
feu , qui font dans l'air , en même temps
qu'elle donne paffage aux efprits de nitre ,
qui caufent le froid à peu près comme le
verre intercepte l'air & tranfmet la lumiere.
Il ajoute qu'on employe le nitre ou le
falpêtre au même ufage , en remuant le
flacon plein de la liqueur que l'on veut
rafraîchir dans de l'eau , où l'on a jetté
quelques poignées de falpêtre : ce moyen
eft très- commun dans les Indes. Mais le
nitre n'a pas feul la propriété de produire
ou d'augmenter le froid.
L'Auteur parcourt à ce fujet les expériences
des Phyficiens depuis Bacon juf
qu'à nous . Boile dans fon Hiftoire du Froid,
imprimée en 1665 , regarde le mêlange de
fel & de neige comme le plus efficace de
tous pour produire de la glace. Au lieu du
fel , il a obfervé que le nitre , l'alun , le
vitriol , le fel ammoniac , & même le fucre
mêlé avec la neige , faifoient auffi de la
glace , ce que la neige feule ne peut
opérer. Il a effayé les acides tirés des fels
neutres , & tous ont produit par leur inOCTOBRE
1758 . 127
fufion fur de la neige dont une bouteille
étoit remplie , une condenfation plus ou
moins fenfible des vapeurs de l'air fur la
bouteille ; le plus grand nombre , jufqu'au
degré de la glace . Les mêlanges qui hâtoient
le plus la fonte de la neige , étoient
réguliérement ceux qui en augmentoient
le plus le froid.
Boile remarque , & Bacon l'avoit découvert
avant lui , que la glace pilée peut
être fubftituée à la neige & produire le
même effet. Mais une expérience qui appartient
à Boile , eft celle du degré de froid
que donne le fel ammoniac diffous dans
reau. Lorsque le temps eft bien difpofé ,
le froid qu'on produit par ce moyen va
quelquefois au deffous du terme de laglace ."
ود
"Tels font , dit l'Auteur de ces recherches
, les travaux du pere de la phyfique
expérimentale , j'ofe dire qu'on n'a pref-
» que rien ajouté à fes expériences .
ود
و د
En effet toutes celles qu'il cite ne nous
indiquent aucun nouveau moyen ; mais il
y en a de très- curieufes , & la plus furprenante
eft celle de Farenheit rapportée par
Boerhaave. Farenheit , par une infufion
d'efprit de nitre fur la glace , fit defcendre
le thermometre à 40 degrés au deffous
2
de zero , c'est-à- dire 72 degrés au deffous
du terme de la glace.
Fiv
123 MERCURE DE FRANCE.
M. de Réaumur a examiné quels feroient
les moyens de faire les glaces à meilleur
marché. Nous voulons que les glaces
foient en neige. Les fels les plus propres à
cet effet font , dit- il , ceux qui produifent
un froid moindre , mais plus durable : il
propofe donc préférablement au fel marin ,
les foudes même les plus mauvaiſes , celles
qu'on a pour 2 fols la livre. La cendre
de bois neuf , fi l'on n'eft pas preffé ,
mais fi l'on n'a pas le temps d'attendre , la
potaffe qui coûte moins que le fel marin ,
produit un froid de deux degrés plus confidérable
.
Tous les phénomenes dont cet Ouvrage
eft une collection , & furtout les expériences
de M. Cullen , prouvent que le refroi
diffement des liqueurs vient de leur évaporation
.
ود
Ainfi 1 °. tous liquides en évaporation
» font capables de refroidir les corps de
deffus lefquels ils s'évaporent ; 2 ° . la
diffolution des fels neutres dans l'eau eft
accompagnée d'un refroidiffement d'au-
» tant plus confidérable que la diffolution
» eft plus prompte ; 3 ° . tout ce qui eft capable
de diffoudre la glace & de fe mê-
» ler à l'eau qui réfulte de la diffolution ,
augmente l'énergie de la propriété qu'elle
»a de refroidir les corps auxquels elle eft
32
92
OCTOBRE. 1758. 129
99
appliquée ; 4. l'application de certains
» acides à quelques fels neutres , furtout
» au fel ammoniac & aux alkalis volatils ,
» cauſe un froid fenfible . De ces différens
» moyens , il y en a trois qu'on peut employer
pour rafraîchir les boiffons pen-
» dant les chaleurs de l'été. Le plus prompt
» & le plus efficace eft d'entourer de glace
» les vafes qui les contiennent ; mais
» comme on n'eft pas toujours à portée
» d'avoir de la glace , on peut lui fubfti-
» tuer les fels , furtout le fel ammoniac
" dont on diffoudra une certaine quantité
» dans l'eau , dans laquelle on plongera cest
vaiffeaux. La cherté dé ce fel fera fans
» doute de
que peu gens y auront recours ;
» en ce cas , l'on pourra s'en tenir à la méthode
des Indiens' , & pourvu qu'on ait
foin de placer les bouteilles ou les autres
vaiffeaux qui contiendront les liqueurs
dans un lieu où il y ait un courant d'air ,
» de les envelopper d'un linge qu'on aura
> foin de tenir toujours humecté , fans cependant
que l'eau en découle , on fe
» procurera des boiffons affez fraîches
pour tempérer les chaleurs les plus fortes
» que nous éprouvions dans ces climats. »
Nota. On fe plaint avec raifon du peu
de ménagement avec lequel l'Auteur a
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
parlé de quelques Sçavans recommanda
bles , & que devroit refpecter plus que
perfonne un Arifte qui n'a ici d'autre
mérite que de recueillir ce qu'on a découvert
avant lui.
DISCOURS qui a remporté le prix d'Eloquence
de l'Académie Françoife en l'année
1758 , par M..Soret , Avocat .
Le fujer propofé étoit , qu'il n'y a point
de paix pour les méchans : non eft pax impiis
, Ifaie ch . 57. V. 2 .
*
M. Soret a entrepris de prouver qu'il
n'y a point de paix pour les méchans
1º. avec eux-mêmes ; 2 °. avec les autres.
Avec eux- mêmes , parce qu'ils réfiftent aux
idées de rectitude que l'Auteur de la raifon
a gravées dans tous les efprits , & parce
qu'ils fe livrent à des paffions , dont let
propre eft de jetter le trouble & l'amertu
me dans tous les coeurs Avec les autres
parce qu'ils choquent ces mêmes idées , &
qu'ils bleffent l'intérêt de ces mêmes paſfions
dans le refte des hommes..
3 .
Dans la premiere partie , il en appelle à
tous les fcélérats de l'univers.: ».En eft- il
un feul qui ne fcache ce qu'il en coûte
»pour devenir vicieux ? Quelle que foit la
trempe du caractere , & fon inclinatione
au mal , l'empire du vice ne s'établit pas
29
OCTOBRE. 1758. 131
#
* fans réſiſtance. La nature eft le premier
» bourreau qui l'outrage : elle a des droits
qu'elle préfente vivement à l'efprit ,
"
و د
qu'elle défend avec force contre les éga-
» remens du coeur. Lors même que les paf
» fions triomphent , la raifon , en fuccom
» bant , jette un cri qui reclame contre l'ufurpation
de fes tirans. Le premier pas
» vers le crime eft un tourment , & de
> nouveaux excès ne font qu'un accroiffe-
» ment de malheurs
"
Il examine enfuite fi le vice ne donne
pas enfin le repos qu'il promer. Et là il interroge
la confcience des impies , des fcé
lérats & des brigands.
ود
» Il eft poffible aux méchans de s'étourdir;
» & non de fe convaincre. La léthargie de
» l'ame n'en eft pas le repos. « Il prouve ,par
la morale des anciens , que la nature étoit
plus forte que la fuperftition elle- même.
33°
On peut lui oppofer » que les idées des
devoirs moraux , que les remords inféparables
de la tranfgreffion des Loix font
» les fruits de l'éducation . « Il répond que
» fi ce font des préjugés , ce font les préjugés
de l'univers ; « ( ni la difficulté ,
ni la folution ne me paroît préfentée dans
Toute fa force. ).
"
Il palle au trouble des paffions & aux
tourmens qu'elles caufent. Le bonheur 27-
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
» confifte dans le repos , & les méchans le
cherchent dans l'agitation ; il n'y a donc
"3
point de bonheur pour eux... Le vice eft
» la maladie de l'ame : dans cet état de fer-
» mentation & de violence , elle effaye de
» toutes les fituations , fans en trouver une
" feule où elle puiffe fe fixer & fe repofer...
" Pour bien peindre , dit- il , la fituation
des méchans , il faudroit l'être ..» ( Il me
femble au contraire qu'il faut ne l'être.
pas. ) (1)
»
92
وو
Il pofe pour principe dans la feconde
partie , qu'à quelque excès de perverfité
qu'on foit parvenu , on ne s'en
croit pas moins digne d'égards & de ref-
» pect . Les fléaux du genre humain , ditil,
n'en veulent pas être le rebut ... I
" faut donc que les méchans foient conti
nuellement occupés du foin pénible
d'envelopper leurs ames pour en cacher
» la noirceur . « N'y a t'il pas ici une efpece
de contradiction ? Celui qui fe croir
digne de refpect , croit - il avoir befoin d'envelopper
fon ame ? Il eft plus vrai de dire
que les méchans ont , au fond de leur ame ,
un tribunal qui les condamne.
??
L'Auteur le reconnoît lui-même. S'ils
» font jugés & condamnés , dit- il , au tri-
» bunal de leur propre raifon , comment
( 1 ) C'eft une queftion que je prends la liberté de propofer
à réfoudre.
OCTOBRE. 1758. FF3
échapperont- ils aux regards féveres d'un
» Public , qui n'a nul intérêt de juſtifier
leurs défordres , ou de les diffimuler ? » 22
» Ce cri ( de la cenfure ) plus fort que
la voix de l'adulation , franchit même
» les barrieres qui défendent les Grands
» contre les approches de la vérité. Il humilie
les Conquérans à la tête de leurs
» armées victorieuſes , parce qu'il eft bien
plus aifé d'enlever aux hommes leur poffeffion
que leurs fuffrages ; & que l'empire
des nations n'eft pas celui des coeurs.
"
Mais quand les méchans auroient ce
» courage infolent , qui fe croit au -deffus
» de l'honneur , & qui eft affez indigne de
» l'eftime publique pour la méprifer...
"
30
pourront- ils fe promettre des jours fe-
» reins ? Non , fans doute. L'amour- pro-
» pre , deftructif du bonheur public , eeflt.
» néceffairement repouffé par l'amour- pro-
» pre des particuliers intéreffés à fe défen
dre... Ils s'affoibliffent de tous les coups
qu'ils portent , femblables à la foudre qui
» fe confume & s'éteint par éclats. »• S'il
m'eft permis de le dire , cette image obfcurcit
l'idée , au lieu de la rendre fenfible ,
La foibleffe des méchans ne vient point de
l'épuisement de leurs forces ; mais de la
réunion des forces oppofées.
ל כ
M. Soret s'adreffe enfin aux oppreffeurs
134 MERCURE DE FRANCE.
de la Société , & leur préfente l'effrayant
tableau des vengeances du Ciel & de la
terre , appéfanties fur Jefabel , Athalie ,
Joas & Catilina. Qu'il me foit permis de
témoigner la furpriſe que cet affemblage
m'a caufée .
Le fuffrage de l'Académie Françoife femble
devoir impofer filence à la critique
mais obfervons , pour la gloire de l'Académie
elle- même , qu'elle prétend couronner
un ouvrage eſtimable , & non pas
un ouvrage parfait ; & il eft d'autant plus
utile d'en relever les défauts , que l'exemple
peut en être plus contagieux , vu l'autorité
que leur donne le prix accordé à
l'ouvrage.
Celui - ci donc me femble ne développer
de fon fujet que la partie la moins importante.
Je m'explique :
L'Académie , en propofant de rendre
cette vérité fenfible , il n'y a point de paix
pour les méchans , ne demandoit pas que
T'on prît la peine de prouver qu'il n'y a
point de paix pour les affaffins & les incendiaires
, pour les Cartouches & les Nérons
: c'est de l'éloquence perdue. Les tirans
, les fcélérats , qui foulent aux pieds
toutes les loix de la Société & de la nature,
qui s'engraiffent de rapine , & qui fe bair
gnent dans le fang ; ces fléaux de l'huma
OCTOBRE . 1758. Fry
nité font des méchans , & les plus déteſtables
fans doute. Mais il eft de toute évidence
que ces méchans ne fçauroient vivre
en paix. Le point effentiel étoit de faire
voir qu'il n'y a point de paix pour une
claffe de méchans , plus fouvent impunis ,
& plus tranquiles en apparence , pour ces
méchans que la Société tolere & nourric
dans fon fein , pour le calomniateur , pour
l'envieux , pour l'ami perfide , pour l'amant
féducteur , pour le Juge corrompu , pour
le pere dénaturé , pour le dépofitaire infidéle
, pour l'homme qui , fans être armé
du poignard ou du poifon , facrifie en fecret
à fa cupidité , à fon ambition , à fon
reffentiment , à lui- même enfin , tout ce
que les hommes fe doivent mutuellement ,
& tout ce qu'ils doivent à la Société. C'étoit
en pénétrant dans le cabinet du tuteur
enrichi de la dépouille du pupile , dans le
lit du corrupteur effréné , dans la retraite
du calomniateur hypocrite , dans la confcience
du méchant livré à fes réflexions , à
fes craintes , à fes remords , que Fon eûs
trouvé des tableaux à peindre. Quel état ,
par exemple , que celui de l'homme de
Cour qui vient de noircir ou rendre fufpect
un concurrent vertueux , & qui eft
perdu lui- même fi la vérité perce ! Quel
état que celui de l'exacteur tyrannique ,
136 MERCURE DE FRANCE.
dont le fupplice eſt préparé , fi le cri dư
peuple eft entendu !
Voilà , je crois , quels étoient les méchans
que défignoit l'Académie , & dont
elle vouloit qu'on mît au grand jour l'agitation
& les tortures fecrettes , en levant le
rideau qui femble annoncer le fommeil de
la confcience , & le filence des remords..
Ce qui frappe tous les yeux , ne laiſſe
rien de neuf à dire : ce n'eſt qu'en approfondiffant
la nature , en remontant des effers
aux cauſes , en fe pénétrant de fon objet
, conçu dans toute fon étendue , qu'on
s'éleve au-deffus de foi-même & des autres
, qu'on s'éclaire & qu'on les inftruit .
L'Ode qui a remporté le prix de Poésie ,
au volume prochain.
PRINCIPES difcutés pour faciliter l'intelligence
des Livres Prophétiques , & fpécialement
des Pleaumes , relativement à la
langue originale. A Paris , chez P. G.
Simon , rue de la Harpe , à l'Hercule , &
chez Heriſſant , rue Neuve- Notre- Dame.
Les quatre premiers volumes de ce bel Ou
vrage ont paru en 1755 ; mais fon importance
exige que j'en donne une idée complette.
Je me propoſe donc de commencer
par ces premiers volumes dans les Extraits
que j'en ferai. Je crois pouvoir annonces
OCTOBRE . 1758 . 137″
qu'on fera furpris de la clarté que ce travail
immenfe de M. l'Abbé de Vilefroi ,
& des fçavans Religieux qui le fecondent ,
a répandu fur les Ecrits des Prophetes.
HISTOIRE de la vie de Jules Céfar , fui→
vie d'une Differtation fur la Liberté , où
l'on montre les avantages du Gouvernement
Monarchique fur le Républicain ; dédiée
à Madame la Marquife de Pompadour
, par M. de Bury , 2 vol. in- 12 .
(l'Extrait au Mercure prochain. )
-
LA NOBLESSE telle qu'elle doit être , ou
Moyen de l'employer utilement pour ellemême
, & pour la patrie. A Amfterdam ,
& fe trouve à Paris , chez Auguftin . Martin
Lottin , l'aîné , rue S. Jacques , près S.
Yves , au Coq.
MÉMOIRE fur l'utilité , la nature & l'exportation
du Charbon Minéral , par M. de
Tilly. A Paris , chez le même.
TRAITÉ des corps folides , & des fluides
du corps humain ; ou Examen du mouvement
des liqueurs animales dans leurs vaiffeaux
, par M. Malouin , Docteur en la Faculté
de Médecine de l'Univerfité de Caën .
Nouvelle Edition , augmentée d'un Traité
des Langues vivantes dans les Sciences ,
138 MERCURE DE FRANCE.
particuliérement de la Françoiſe en Médecine.
A Paris , chez la veuve de Ch.
Maur. d'Houry , rue de la Vieille Bouclerie
.
L'Extrait du Traité des Langues vivantes
c. dans l'un des volumes fuivans.
MERCURE de Vittorio Siri , contenant
Hiftoire Générale de l'Europe , depuis
1640 jufqu'en 1655 , traduit de l'Italien ,
par M. Requier , tome onzieme. A Paris ,
chez Durand , rue du Foin , 1758. vol.
in-12.
L'HISTOIRE d'Hercule le Thébain , tirée
de différens Auteurs , à laquelle on a joint
la Deſcription des Tableaux qu'elle peut
fournir. Par l'Auteur des Tableaux tirés
d'Homere & de Virgile , avec des Obfervations
fur le Coſtume , &c. I vol in 8°.
A Paris , chez Tillard , quai des Auguf
tins , 1758.
Je rendrai compte de cet Ouvrage dans le
Mercure de Novembre.
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en toutes fortes de Langues , & fur toutes
fortes de Sciences & d'Arts. Brochure in-12
de go pages. A Paris , chez Chaubert, quai
des Auguftins , & Hériſſant , rue Notre-
Dame , 175,8%
OCTOBRE . 1758. 139
Chez les mêmes Libraires fe vend la
Differtation fur les Bibliotheques avec
une Table alphabétique , tant des Ouvrages
publiés fous le titre de Bibliotheques ,
que des Catalogues imprimés de plufieurs
cabinets de France & des pays étrangers.-
Brochure in- 12.
MICHAELIS Maieri Cantilena intellectua
les de Phanice Redivivo , ou Chanfons intellectuelles
fur la réfurrection du Phénix ,
par Michel Maier , &c. traduites en François
fur l'original Latin , par M. L. L. M.
vol. in- 12 . A Paris , chez Debure , l'aîné
quai des Auguftins , 1758. Le prix eft de
3 liv. relié.
2
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Ouvrage fingulier.
SYSTEME de la fplendeur des Empires
en forme de ſpectacle. Salus populi fuprema
lex efto. Cic. de Log. lib. 3. A Amfterdam ,
chez Arkftée & Merkus , in- 12 , 1758 .
LE GUIDE du Voyageur , ou Dialogues
en François & en Latin , à l'ufage des
Militaires & des perfonnes qui voyagent
dans les pays étrangers , avec un Vocabu
laire des mots les plus ufités , foit pour les
befoins de la vie , foit pour la converfa
140 MERCURE DE FRANCE.
1
tion. On y a ajouté le nom des Villes les
plus célebres de l'Europe , leur distance de
Paris , & l'indication de ce qu'il y a de
plus curieux. A Paris , chez Guillyn , quai
des Auguftins , in- 12 . 1758 .
L'OPTICIEN ou Lettre de M. l'Abbé de
là Ville-Saint- Bon , à M. l'Abbé de ***,
fur les Myopes ou vues courtes , & les
louches. Brochure in- 12 de 20 pages. A
Paris , chez Vincent , rue S. Severin , &
chez l'Auteur , rue de la Verrerie , vis- àvis
celle des Billettes , chez M. de Graville
L'ART d'enſeigner à lire , &c. A Pont à
Mouffon, chez Martin Thierry. Brochure
in- 12.
DISSERTATION fur l'utilité & la néceffité
du Rudiment François , à l'ufage des
deux fexes , & c.
OBSERVATIONS fur une nouvelle conftruction
de Pendule très - commode , &
bien plus folide que toutes celles qui ont
paru jufqu'ici. Par le fieur Ridrot , fils ,
Maître Horloger , à Paris.
LETTRE du Prince de Praffe mourant ,
au Roi fon frere , 1758. Se trouve à Pas
, chez Giffart , rue S. Jacques.
OCTOBRE. 1758. 141
QUESTIONS Catékétiques , ou ifagogiques
& préparatoires aux vérités du Catéchifme.
A Paris , chez Boudet , rue S.
Jacques.
EPHRAIM juftifié. Mémoire hiftorique
& raifonné fur l'état paffé , préfent &
futur des finances de Saxe , avec le parallele
de l'économie Pruffienne & de l'économie
Saxonne , & c. A Erlang, 1758 , &
fe trouve à Paris , chez Giffart.
DELPHINIE . A Paris , chez Cuiffart
quai de Gêvres , 1758.
DISSERTATION en forme de Lettre , fur
l'effet des Topiques dans les maladies
internes , & particuliérement fur celui
du fieur Arnoult contre l'apoplexie , &c.
A Paris , chez la veuve Delormel , rue du
Foin , 1758.
HISTOIRE des Mathématiques , dans
laquelle on rend compte de leur progrès ,
depuis leur origine jufqu'à nos jours , ou
l'on expofe le tableau & le développement
des principales découvertes , les conteftations
qu'elles ont fait naître , & les principaux
traits de la vie des Mathématiciens
les plus célebres ; par M. Montucla , de
142 MERCURE DE FRANCE .
l'Académie Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Pruffe , 2 vol. in 4 °. avec Planches.
A Paris , chez Jombert , Imprimeur-
Libraire , rue Dauphine. Prix 27 liv. brochés
, & 30 liv. reliés.
& 30
Je donnerai le plutôt qu'il me fera poffible
Textrait de cet excellent Ouvrage.
ELÉMENS de l'Architecture Navale , ou
Traité Pratique de la Conftruction des
Vaiffeaux ; par M. Duhamel - du Monceau ,
de l'Académie Royale des Sciences , de la
Société Royale de Londres , Honoraire de
la Société d'Edimbourg , & de l'Académie
de Marine . Seconde édition , revue &
augmentée par l'Auteur , 1 vol . in -4° . avec
des Planches en taille - douce. Prix 15 liv.
relié. Chez le même Libraire.
HYPERMNESTRE, Tragédie, vue & jugée
par un Suiffe, à la premiere repréſentation,
à laquelle on a joint une comparaiſon de
cette Tragédie avec plufieurs qui ont paru
fur le même fujet. Broch , in 12 de 56 pp.
Chez le même Libraire.
. DISSERTATION fur l'effet de la Lumiere
dans les ombres , relativement à la Peinture ;
avec une Planche gravée en taille - douce.
Par M. C ***** . Broch. in- 12 de 32 pp.
Chez le même Libraire.
OCTOBRE . 1758. 143
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES. -
GRAMMAIRE,
PROSPECTUS d'une Nouvelle Mér
thode d'enfeigner le Latin ; par M. l'Abbé
Légeron.
Il
n'y a
que
trois
voies
pour
apprendre
les
Langues
, qui
font
l'ufage
, la compofition
& la lecture
des
bons
Auteurs
. La premiere
de ces
voies
eft
fans
doute
la meilleure
&
la
plus
facile
, puifqu'elle
eft
celle
que
la
nature
infpire
: mais
il eft
prefqu'impoffible
de la mettre
en
pratique
pour
le Latin
,
n'y
ayant
plus
perfonne
qui
puiffe
parler
purement
cette
Langue
, ou
qui
veuille
s'affujettir
à parler
habituellement
une
Lan
gue
qui
lui eft étrangere
. M.
le Fevre
, de
Saumur
, & M.
Pluche
, ont
clairement
démontré
l'abus
de
compofer
dans
ung
Langue
inconnue
.
Il ne nous refte donc qu'un feul moyen
pour apprendre le Latin , qui eft la lecture
144 MERCURE DE FRANCE.
des bons Auteurs. C'est ce que l'Univerfité
de Paris a reconnu dans fes Statuts.
Mais comment lire les Auteurs ? Faut-il
faire la conftruction , & rendre raifon des
regles. Voilà fur quoi roule toute la difficulté
. Quoique M. Pluche ait fuffisamment
prouvé que cette prétendue conftruction
eft une deftruction du Latin , je donnerai
les réflexions que j'ai faites fur cet ufage.
Les Langues étant pour exprimer les penfées
, les chofes doivent être entendues de
la façon qu'elles font dites : par conféquent
, comme l'ordre des mots dans le
difcours doit fuivre celui des idées ; l'ordre
des idées dans la lecture doit fuivre celui
des mots de cette forte ; Darium vicit Alexander.
Il faut d'abord fe repréfenter Darius
, enfuite l'action de vaincre , & enfin
Alexandre. Cette façon d'entendre le Latin
eft fans doute la meilleure , puifqu'elle eft
celle des Romains , qui ne connoiffoient
pas plus d'inverfion dans leur Langue , que
nous n'en connoiffons dans la nôtre ; puifqu'ils
apprenoient le Latin par ufage , comme
nous apprenons le François ; ce qu'ils
n'auroient pu faire s'ils y avoient.connu
une inverfion : car , outre la compagnie de
ceux qui parloient bien , il auroit encore
fallu des Maîtres pour inftruire de cette inverfion
. D'ailleurs , il auroit été bien difficile
OCTOBRE. 1758. 145
cile pour eux d'être toujours obligé de fe
repréſenter les chofes différemment qu'elles
font dites . Si l'on objecte que les idées ,
repréſentées
par la conftruction du Latin
ne font pas felon le génie , ou plutôt felon
la forme de la Langue Françoiſe , on aura
raifon car il faut entendre chaque Langue
felon le tour qui lui eft propre. Un
exemple nous en convaincra. Si un Anglois
, pour entendre notre Langue , en rengeoit
les mots felon le tour de la fienne , il
diroit : J'ai vu des bien taillées, allées ; j'ai
bu de bon blanc vin. Tout François connoît
le ridicule de ce renverfement ; celui
du Latin n'eft pas moins infupportable ;
car on ne doit point avoir befoin de déranger
un difcours déja clair pour l'entendre.
On objecte qu'il arrive fouvent qu'on
fçait la fignification de chaque mot d'une
phrafe , fans en pouvoir comprendre le
fens , faute de pouvoir faire la conſtruction.
Bien loin que cette objection favorife
l'ufage de faire le renversement du Latin
, elle est une preuve qu'il faut s'accoutumer
à entendre le Latin , comme il fe
trouve dans les Auteurs ; parce que l'homme
qui écrit bien , eft ſenſé donner à ſes
idées l'ordre le plus avantageux. La Langue
Latine n'étant pas toujours aftreinte à la
même marche , comme les Langues mo-
11. Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
dernes , lorfqu'on change d'Auteurs , on
trouve une nouvelle marche ; ce qui coûte
de nouvelles peines. Ainfi fe paffent plufieurs
années , & à la fin on n'eft guere
plus avancé , fi l'on ne travaille à rectifier
fon oreille : car pour entendre les Auteurs ,
lorfqu'on a appris le Latin par le moyen de
la conftruction , il faut fe repréfenter les
objets felon le tour du François , ce qui ne
fe fait pas fans peine , & ce qui altere infailliblement
la beauté de l'original . On
prend plaifir à lire , ou entendre lire les livres
François , mais peu de perfonnes s'amuſent
à entendre lire la bonne latinité ,
farre qu'on ne peut en fuivre la marche fans
beaucoup de réflexion , & une grande contention
d'efprit , étant obligé de prendre les
choſes différemment qu'elles font données.
Si au contraire on apprenoit le Latin par
uſage , c'eſt- à- dire , par la lecture des Auteurs
, fans faire d'inverfion ; auffi - tôt
qu'on auroit lu ou entendu lire une phraſe
Latine , on l'entendroit fans réflexion . Les
difcours les plus éloquens feroient le plus
de plaifir ; comme il arrivoit à la populace
de Rome , qui marquoit , par fes acclamations,
fa joie, lorfque Cicéron s'étoit appliqué
à faire un difcours plus fleuri qu'à
fon ordinaire : ce qui a fait dire à cet
Orateur qu'il ne croyoit pas qu'on pût être
OCTOBRE. 1758 . 147
homme , & ne pas entendre le Latin.
Il reste à examiner s'il faut apprendre les
déclinaifons , les conjugaifons & les regles,
avant que de lire les Auteurs. L'expérience
de toutes les nations prouve qu'on peut fe
paffer de ce faftidieux amas de préceptes.
En quelque pays que ce foit on apprend à
parler fans regles. Les Grammaires n'y font
employées que pour la perfection des Langues
, & non pour le commencement. Pour
nous convaincre que la lecture des Auteurs
peut apprendre le Latin fans regles , faifons
réflexion comment nous avons appris le
François. Chacun fçait qu'il ne l'a pas commencé
par regles. L'ufage feul nous a introduits
à la connoiffance de notre Langue ,
le même ufage doit nous introduire à la
connoiffance du Latin : car la langue Latine
ne renferme pas plus de difficultés que
la langue Françoife. On diftingue dans
Pune & l'autre les huit parties du difcours ;
les différens nombres , genres , cas , temps ,
modes , dégrés de comparaifon , &c. Il eft
des perfonnes qui croient que la Langue
Françoiſe n'a point de cas , & que par conféquent
elle eft plus aifée à appr ndre fans
regles que la Langue de Rome : mais mal
propos croient-ils que les noms François
n'ont point de cas : car comme , pour exprimer
en Latin l'animal raifonnable , l'on
1
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
,
dit , felon qu'il eft employé dans la phrafe ,
home , hominis , homini , hominem , &c. de
même en François l'on dit , l'homme , de
l'homme , à l'homme , ô homme , &c. Il
eft vrai que les déclinaifons Françoiſes different
des Latines , en ce qu'en François on
met au commencement du nom ce que les
Latins mettent à la fin , c'est -à- dire , que
les noms François , au lieu de changer de
terminaiſons changent de commencement
, par le moyen des articles que l'on
place devant. On pourroit objecter que ce
qu'on appelle cafus en latin eft un changement
de terminaiſon , & non de commencement
: qu'importe le nom , pourvu que
les mots fe trouvent équivalens ; la connoiffance
de ces articles n'eft pas moins néceffaire
pour la langue Françoife , que la
connoiffance des différentes terminaifons
des noms Latins ; car il feroit aufli ridicule
de dire Louis , de Roi France , que de dire
Ludovicus , Regis Gallia . L'ufage apprend
auffi facilement toutes les déclinaifons latines
, qu'il apprend les articles définis , indéfinis
, partitifs , &c. & les pluriels en
aux , als , ails , &c.
Si d'un côté la langue Latine a quelque
chofe de plus difficile que la langue Françoife
, comme font les dégrés de comparaifon
; les conjugaifons Françoifes en reven
OCTOBRE . 1758. 149
che font bien plus difficiles que les conjugaifons
Latines. On n'ajoute en Latin aux
trois temps naturels , que l'imparfait & le
plufqueparfait ; mais en François on y
en ajoute huit. Il y a bien des perfonnes
qui parlent très- bien notre langue , fans
avoir jamais étudié , dans des Grammaires ,
ces différens temps ; la pratique feule les
leur a mieux appris que n'auroient pu
faire les regles. Il en fera de même du Laein
,fi on l'apprend par ufage , on ne dira
pas plus , Deus bona , heri cenabo , cras cenavi
, amo Dei , Petrus Joanni falutavit
qu'on dit Dieu bonne , je fouperai hier ,
je foupai demain , j'aime de Dieu , Pierre
a falué à Jean ; l'oreille feule fera un guide
infaillible pour les deux Langues.
>
Je fçais les objections triviales qu'on
fait pour foutenir la méthode ordinaire.
Apprendre une Langue fans regles , c'eft
l'apprendre par routine ; langage qui s'oublie
d'abord. Pour faire un bon édifice , il
faut jetter de bons fondemens ; par conféquent
, pour bien fçavoir une Langue , il
faut bien en étudier les principes ; à l'exemple
des Romains , qui avoient un trèsgrand
foin de donner à leurs enfans des
Grammaires , tant pour la langue Latine
que pour la Grecque. Voilà ce qui fait illufion
, & ce qui rend tant d'études infruc-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
tueufes . En quelque pays que l'homme
naiffe , commence - t'il à parler par principes
? la Langue qu'il apprend s'oubliet'elle
? Il eft vrai que , pour faire un bon
édifice , il faut jetter de bons fondemens ;
mais il faut , auparavant que de commencer
à bâtir , avoir fait une bonne proviſion
de matériaux , & connoître l'ufage qu'on
en doit faire. Si l'on veut donc fuivre
exactement cette comparaifon , on doit
d'abord connoître quantité de mots , &
leur fignification propre , avant que de lire
les Grammaires ; c'eft ce qu'elles fuppofent
, car leurs regles finiffent fouvent en
difant : Selon le fens , felon l'oreille , qui
feule peut être juge dans ces fortes d'occafions.
Quant à l'exemple des Romains , tant
s'en faut qu'il favorife la coutume qu'on a
d'embrouiller l'efprit des commençans par
des regles de pure logique ; que tout au
contraire il eft une preuve évidente qu'il
faut commencer à apprendre le Latin fans
principes , comme ils faifoient : car quand
commençoient- ils à étudier les Grammaires
de leur Langue a ce ne pouvoit être que
lorfqu'ils parloient & entendoient le Latin.
Ils ne pouvoient les étudier que par
le moyen des livres écrits en Latin , ce qui
fuppofe qu'ils pouvoient déja lire , & enOCTOBRE
. 1758. 151
tendoient ce qu'ils lifoient . Ils obfervoient
la même méthode pour la langue d'Athenes
: ils mettoient auprès de leurs enfans
des efclaves Grecs de nation , qui , fans
être chargés de rien apprendre à ces enfans
, devenoient de très- bons maîtres pour
eux. Si nous voulons donc imiter les Romains
, il faut entendre & parler Latin premiérement
, & enfuite étudier les regles
pour le perfectionner . Voilà le vrai chemin
d'apprendre une Langue , tout autre
eft trompeur. Ceci eft bon , direz vous ,
pour les Langues vivantes , nous pouvons
les apprendre naturellement , fans regles ,
parce que nous trouvons autant de Maîtres
que de perfonnes à qui nous adreffons la
parole ; mais il n'en eft pas de même
des Langues mortes , on ne peut plus faire
la converfation avec les morts. Les Auteurs
ne font point à la vérité muets , ils
parlent très-bien mais ils font fourds
on ne peut point leur adreffer la parole ni
leur faire de queftions , ce qui oblige
d'avoir recours aux regles pour les entendre.
Voilà ce que l'on fait , & c'eſt ce
qu'il ne faudroit point faire. Si les Auteurs
qu'on lit font fourds , le Maître qui
les fait lire ne doit pas l'être. Les Ecoliers
peuvent lui adreffer la parole , & il doit
répondre & faire remarquer la fignifica-
:
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
tion des mots , en employant , s'il eft néceffaire
, les fignes , ou d'autres termes.
équivalens plus connus. En un mot , le
Maître qui enfeigne le Latin , doit imiter,
autant qu'il peut , un Romain . Avec ce
fecours , on doit apprendre le Latin en
lifant les livres , comme fi on entendoit
parler de vive- voix ceux qui les ont compofés
: car enfin que manque- t'il à ceux
qui veulent étudier cette Langue ? ils ont
de beaux difcours en toutes fortes de
genres , & des perfonnes pour les leur faire
entendre ; il n'y avoit rien de plus à Rome
du temps d'Augufte. Si. Ciceron vivoit
encore, & qu'il voulût enfeigner le Latin
à quelqu'un , il ne prendroit , fans doute ,
pas d'autre tour que celui qu'il avoit fait
prendre à fon fils pour la Langue d'Athenes.
M. l'Abbé Legeron a eu l'honneur de
préfenter ce Profpectus à M. l'Evêque de
Limoge , Précepteur de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne. Ce Prélat refpectable
a eu la bonté de le lire , & il a permis à
F'Auteur de dire qu'il trouvoit cette méthode
très-bonne , & que c'étoit celle qu'il
obfervoit pour Monfeigneur le Duc de.
Bourgogne.
OCTOBRE. 1758. 153
MEDECINE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
Vous avez inféré , Monfieur , dans
votre dernier Mercure , pag. 172 , une
lettre écrite delt Blaye , le 22 du mois de
- Novembre dernier , fignée Devilliers ; on
vous a prié de la rendre publique , à
deffein fans doute , d'implorer le fecours
des : Maîtres dans l'art de guérir , pour
une maladie affez extraordinaire. Com→
me la date de cette lettre eft déja furannée
( 1 ) , il y a apparence , ou que le ma
lade eft guéri , ou qu'il a défefpéré de
fa guérifon ; quoi qu'il en foit , je vous
prie de faire paffer à M. Devilliers , par
la voie du Mercure , les conjectures fui
vantes ; mais avant que de les hazarder ,
je répete le cas en deux mots.
Dans le mois de Mai 1757 , à cinq
heures du matin , la partie gauche du
vifage devint enflée depuis l'oeil jufqu'au
menton , & la moitié des deux levres
du même côté ; depuis ce temps -là , l'en
( 1 ) Ce n'eſt pas ma faute , fi elle a paru fis
yard.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE:
flure erre ou fe promene , felon les ter
mes du malade , fur toutes les parties du
vifage , fans jamais revenir deux fois de
fuite dans le même endroit ; elle commence
le matin & difparoît le foir , elle
eft dans tous les temps fans douleur :
cette enflure commence par un picottement
à la partie où furvient l'accident ,
& le gonflement s'éleve juſqu'à l'épaiffeur
des deux pouces , comme il paroît par les
termes de la lettre .
Ces gonflemens périodiques , fi fouvent
& fi long- temps répétés , ont leur
principe dans les folides. Les liquides
n'y font intéreffés qu'autant que leur diftribution
eft gênée par l'irrégularité des
fibres qui forment le vice local..
Ce vice local dépend du tiffu cellulaire
; les vaiffeaux de la lymphe n'y font
compris que d'une maniere paffive , de
même que ceux du fang : fi le gonflement
provenoit d'un engorgement des
uns ou des autres , il ne fe diffiperoit
pas fi aifément ; d'ailleurs , s'il provenoit
des vaiffeaux fanguins , il paroîtroit à la
partie gonflée quelque marque de phlogofe
, où il y auroit quelque fenfibilité
ce qui n'a jamais lieu.
Le tiffu cellulaire péche par le reffort
de fes fibres elles n'ont pas affez de
:
OCTOBRE. 1758. 155
ton , leur élasticité ne fe foutient pas
dans le vifage d'une maniere égale : les
mufcles de cette partie n'ont pas de point,
d'appui qui foit ferme , le tiffu cellulaire
eft comme le ciment qui unit les fibres
les unes aux autres & qui en foutient
la denfité il prend fa principale force.
des muſcles ; pour peu que ceux-ci déclinent
de leur proportion naturelle , le
tiffu cellulaire fe relâche dans la même
proportion.
,
Les liquides , qui font contenus dans
le tiffu cellulaire , ne circulent pas comme
ceux des vaiffeaux : ils paffent de
cellule en cellule par infiltration & par
une pente comme paffive ; pour peu que
les fibres de ce tiffu foient relâchées en
quelque partie , il s'y forme des congeftions
des liquides & des engorgemens ,
qui fe communiquent de cellule en cellule
, gênent la circulation & forment un
gonflement , une tumeur qui fait des progrès
, jufqu'à ce que ceux - ci foient bornés
par quelque réfiftance fupérieure à
l'action qui les produit.
Les réfiftances qui s'oppofent aux progrès
de ces tumeurs , font formées par le
corps des mufcles , par les tendons , par
les cartilages , & c. qui fe trouvent au
vifage de diſtance en diftance . Ces gonfle
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
mens doivent prendre différentes formes ,
felon les réfiftances qui les bornent &
qui en forment , pour ainfi dire , le dia--
metre..
Ces accidens ont toujours lieu le marin
, parce que des corps qui tendent au
relâchement , font plus relâchés pendant
le repos : c'eft ce qui arrive au tiflu cellulaire
où fe forment les engorgemens.
Ces engorgemens fe diffipent bien -tôt
pendant le jour , parce que les fibres relâchées
par le fommeil , font ranimées par
la veille , par l'exercice , par l'action des
muſcles , de la langue , des mâchoires
du cou , par l'action de l'efprit , & par
l'énergie des mouvemens du corps qui
répondent à fon action ..
Le gonflement ne revient pas deux
fois de fuite au même endroit , c'eft
parce que les efforts qui s'étoient faits
la veillé à l'endroit du vice local , tant
par les matieres , qui en féjournant avoient
irrité les fibres , que par la nature qui
avoit follicité leur élafticité , pour diffiper
& difperfer les liquides qui formoient
la tumeur , ont augmenté pour un temps
le reffort des membranes cellulaires qui
étoient affectées , mais qui , reprenant enfuite
leur ton ordinaire , redeviennent
fajettes aux mêmes accidens..
"
OCTOBRE. 1758. **
Si ces gonflemens avoient leur principa
les caufes dans les liquides , il ne s'en feroit
pas des délitefcences fi fouvent réitérées
& fi parfaites ; il en auroit refté des mar--
ques dans quelques parties d'ailleurs ,
ces matieres étrangeres, fuppofons- les pour
un instant , étant fi fouvent reforbées dans
les liquides , en auroient dérangé le tiffu
ou produit la cacochimie ; ce qui paroît
ne pas avoir lieu , puifque le malade
jouit d'ailleurs d'une bonne fanté.
On ne peut pas affigner la caufe dus
défaut d'élafticité du tilfu cellulaire dans
le vifage du malade , il n'a pas donné
dans fa lettre , des notions fuffifantes pour
fe décider fur cet objet ; d'ailleurs , il pent
furvenir des dérangemens dans chaque
partie du corps , dont on ne fçauroit affi
gner de caufe fenfible ; il fuffic , pour les
guérir , d'en connoître la nature.
Le Traité des affections vaporeufes du
Sexe , que je viens de lire , m'a fourni
Fidée de ces réflexions ; la nature du vrai
méchaniſme , eft tellement dévoilée dans
cet ouvrage , qu'on ne peut , d'après les
principes qu'il éclaircit , que s'appercevoir
de ce qui trouble les fonctions de
nos corps & des accidens qui s'enfuivent.
Les Médecins qui font à portée du malade
, trouveront dans la lecture de ce Trai
158 MERCURE DE FRANCE .
té , des reffources pour le délivrer de fes
accidens & pour en prévenir le retour.
J'ai l'honneur d'être , &c .
DELEAU.
A Paris , ce 6 Septembre 1758 .
SÉANCE PUBLIQUE
3
De l'Académie des Sciences , Belles- Lettres
& Arts d'Amiens.
CETTE Séance tenue le 25 Août 1758 ,
a été ouverte par M. Petyft , qui a fait un
Difcours fur l'Utilité & le danger des lectures.
M. Baron , Secretaire perpétuel , a fait
l'éloge de M. le Boulanger , Académicien
honoraire , & de M. l'Abbé d'Hangeſt
Académicien réfident , morts pendant le
cours de cette année .
M. d'Efmery a lu un Difcours phyfique
pour prouver que nous naiffons ce que
nous devons être.
M. le Blanc- des Meillarts a lu des Obfervations
économiques fur le chanvre.
M. l'Abbé du Quef a lu une Differtation
fur les bonnes & mauvaiſes qualités attribuées
aux Picards.
Le Prix de l'Ecole de Botanique , donné
OCTOBRE. 1758. 159 .
par M. d'Efmery , Profeffeur , a été remporté
concurremment par MM. Canis & du
Meige. L'Eleve qui en a le plus approché
eft M. Loque.
L'Académie n'ayant reçu fur les fujets
propofés pour les prix , qu'un petit nombre
de Pieces qui ne lui ont point paru remplir
fes vues , annonce que pour les Prix de
l'année 1759 , qui font deux Médailles
d'or , valans chacune 300 liv. elle propofe
les fujets fuivans : Les moyens de naviger
dans les mers du Nord avec les mêmes avantages
que les autres peuples voifins , e par
là d'y augmenter le commerce.
Combien une faine critique contribue au
progrès des talens , & combien la fatyre y est
contraire .
Les Ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
premier Juin exclufivement ; ils feront
affranchis de port , & adreffés à M.
Baron , Secretaire perpétuel de l'Académie
à Amiens .
160 MERCURE DE FRANCE .
ASSEMBLÉE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de Montauban.
LE 25 Août , l'Académie a célébré la
Fête de S. Louis , felon fon ufage. Elle a
affifté le matin à une Meffe fuivie de
1
Exandiat pour le Roi , & au Panégyrique
du Saint prononcé par le R. P. Martin,
Carme ; & elle a tenu , après -midi , une
Affemblée publique dans la falle de l'Hôtelde-
Ville.
M. de Scorbiac- de Luftrac , Directeur
de quartier , a ouvert la féance par un Diſcours
où , après avoir montré les divers
avantages qu'on retire de l'étude des belles-
Lettres , il a prouvé qu'on a tort de leur
imputer les écarts qu'on reproche quelquefois
à ceux qui les cultivent.
M. de Saint-Hubert a lu enfuite des
Vers où , en fervant d'interprete aux Dames
, il a demandé à l'Académie un Ouvrage
qui puiffe particuliérement les intéreffer
dans une Affemblée publique.
M. l'Abbé Béllet a lu des Obfervations
fur Boileau , où il s'eft attaché à découvrir.
& à montrer le degré de fentiment que ce
Poëte a mis dans fes différens Ouvrages.
OCTOBRE. 1758. 161
Cette lecture a été fuivie de celle d'un
Difcours en vers , où M. Bernoy a fait fentir
la différence qu'il y a entre la critiques
& la raillerie ; & combien il importe aux
Auteurs d'employer par préférence dans
leurs écrits les beautés fimples & naturelles.
M. Carrere , fils , a continué la lecture
de fon Ouvrage fur l'union de l'efprit des:
Lettres avec l'efprit du Gouvernement ; il a
prouvé dans le plus grand détail que les
connoiffances les plus néceſſaires à l'homme
d'Etat font renfermées dans les trésors de la
Littérature.
M. Bernoy a lu encore une piece de
Vers ayant pour titre , Avis aux Dames.
Il les a invitées à profiter des reffources:
que les Lettres offrent à tout le monde.
M. l'Abbé de Verthamont a lu un Difcours
, où il a montré que les Lettres ont
de quoi nourrir & fatisfaire la curiofité qui
eft fi naturelle à l'homme..
M. de Saint- Hubert , pour venger la
rime du reproche qu'on lui fait d'être difficile
& affujettiffante , a lu une piece de
Vers , où n'employant à deffein que la:
même rime , il a prouvé qu'il ne lui en
coûte rien de la trouver , & que chez
lui elle eſt toujours d'accord avec la
raifon.
162 MERCURE DE FRANCE.
La féance a été terminée par la lecture
du Programme fuivant.
M. l'Evêque de Montauban ayant
deftiné
la fomme de deux cens cinquante livres,
pour donner un prix de pareille valeur à
celui qui , au jugement de l'Académie des
Belles Lettres de cette Ville , ſe trouvera
avoir fait le meilleur Difcours fur un fujet
relatif à quelque point de morale tiré des
Livres faints , l'Académie diftribuera ce
Prix le 25 Août prochain , fête de S. Louis,
Roi de France.
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1759 , Combien un esprit trop fubtil ref
femble à un efprit faux , conformément à
ces paroles de l'Ecriture fainte : Neque
plus fapias quam neceffe eft , ne obftupefcas
Eccl. vII , 17.
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propofé , d'éviter le ton de décla
mateur , de ne point s'écarter de leur plan,
& d'en remplir toutes les parties avec jufteffe
& avec préciſion.
Les Difcours ne feront tout au plus que
de demi -heure , & finiront toujours par
une courte priere à Jésus- Chrift .
On n'en recevra aucun qui n'ait une
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
OCTOBRE. 1758. 163
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais feulement
une marque ou paraphe, avec un paffage de
l'Ecriture fainte ou d'un Pere de l'Eglife ,
qu'on écrira auffi fur le regiftre du Secrecretaire
de l'Académie .
L'Académie a un Prix réfervé qu'elle
deftine à une Ode ou à un Poëe dont le
fujet fera pour l'année 1759 , Le luxe fut
la premiere caufe de la décadence de Rome.
Il y aura ainfi deux Prix à diftribuer ,
l'année 1759 , un Prix d'éloquence & un
Prix de poéfie.
Les Auteurs feront remettre leurs Ouvrages
pendant tout le mois de Mai prochain
, entre les mains de M. de Bernoy ,
Secretaire perpétuel de l'Académie , en fa
maiſon rue Montmurat , ou en fon abfence
, à M. l'Abbé Bellet , en fa maiſon
rue Cour- de- Toulouſe.
Le Prix ne fera délivré à aucun qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préſente en
perfonne , ou par procureur , pour le recevoir
& pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secretaire trois copies bien lifibles de leurs
Ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte. Sans ces deux
conditions les Ouvrages ne feront point
admis au concours.
164 MERCURE DE FRANCE .
Le Prix de cette année a été adjugé au
Difcours qui a pour fentence , Quiafuper
pauca fuifti fidelis, fuper multa te conftituam.
S. Matth. ch. 25 .
M. Defclairons , Ingénieur du Roi , à
Calais , s'eft déclaré l'Auteur de ce Difcours.
OCTOBRE. 1758. 165
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
DESSEIN , & c.
RÉPONSE de M. l'Abbé Pernetti à
une Lettre anonyme qui lui eft adreffée
dans le fecond volume du Mercure du
mais d'Avril de cette année.
ONN croiroit , Monfieur , au ton affirmatif
de votre lettre , que vous êtes effectivement
inftruit fur tout ce que vous dites
, & l'on fe tromperoit. Comment fe
peut- il que vous fuffiez à Lyon , lors de
l'établiſſement dont vous parlez & que
vous ne foyez pas mieux informé de fes
objets , de fa forme , de fa dénomination
même des noms de fes fondateurs , qui
font auffi défigurés dans votre lifte que
leurs qualités & leur état ? Je vous prie ,
Monfieur , de trouver bon , puifque vous
166 MERCURE
DE FRANCE
.
vous adreffez à moi , que je faffe connoître
la vérité pour empêcher le public de tomber
dans des erreurs où il femble qu'on
cherche à le jetter.
Il y a plus de dix ans qu'il s'étoit formé
dans cette ville , chez M. Nonotte ,
une Ecole de deffein que M. l'Abbé de la
Croix , Obéancier
de Saint Juft , encourageoit
par des prix qu'il y diftribuoit
à fes
frais ; les fuccès dont elle fut fuivie , fient
fentir combien feroit utile un établitlement
plus étendu , dont l'objet embrafferoit
tous
les arts néceffaires
à la perfection
des Ouvriers
& Artifans dans tous les genres. Le même M. l'Abbé de la Croix , ſe donna
des foins pour réunir un certain nombre
d'amateurs
& en former une Société qui
pût fournir aux jeunes gens du peuple les
moyens d'acquérir
gratis , les principes généraux
de la Géométrie
pratique , de l'Architecture
, du Deffein , des Méchaniques
& c. Ce plan fut concerté & arrêté chez
une perfonne
auffi diftinguée
par la place
qu'elle occupoit
alors à Lyon , que par
un penchant
décidé pour tout ce qui pouvoit
être avantageux
au public : cette Eco- le en a déja reffenti les ffers . On demanda
la protection
de M. le Duc de Villeroi ,
Gouverneur
de Lyon , qui voulut bien
l'accordér
dans les termes les plus flatteurs.
OCTOBRE. 1758. 167
?
M. le Marquis de Marigny , promit de
même la fienne ; enfin les Magiftrats , tous
les Ordres de la ville applaudirent , & plu- .
fieurs Artistes d'un mérite connu , dont le
défintéreffement mérite bien d'être rendu
public , s'engagerent à donner leurs foins ,
gratis , dans cette nouvelle Ecole ; l'ouverture
s'en fit dans les premiers jours de
1757 , par la partie du Deffein , parce
qu'elle fe trouva prête la premiere .
M. Frontier , Peintre du Roi , adjoint
à Profeffeur , dans fon Académie de Peinture
& Sculpture ; M. Nonotte , auffi Peintre
du Roi , dans la même Académie
membre de la Société Royale de cette
ville , & M. Perrache , Sculpteur , membre
de la même Société Royale & de
l'Académie de Florence , voulurent bien
fe charger de diriger , chacun à leur tour ,
de mois en mois , le travail des Eleves.
Peu de temps après , M. de Gournay , Architecte
& Mathématicien , Eleve & Adjoint
des Ecoles de M. de Trudaine , commença
les leçons de la Géométrie pratique.
On vit auffitôt les Menuifiers , Charpentiers
, Maçons, Tailleurs de pierre, &c ,
accourir avec tant d'empreffement , que
l'appartement fe trouvant trop refferré , on
eut recours à M. le Prévôt des Marchands ,
qui ena accordé un proportionné à la mul168
MERCURE DE FRANCE.
titude des Eleves . Les progrès de la partie
du Deffein n'ayant pas été moins rapides ,
la Société fut obligée de nommer , pour
aide à MM Frontier , Nonotte & Perrache
, M. Vilione . Cette Société nommera
de même d'autres Profeffeurs , Adjoints,
Aides , & c. dans chaque genre , autant
qu'elle jugera à propos , & fera tous les
changemens qu'elle croira convenables ,
mefure que ce plan acquerra l'étendue que
l'on fe propofe de lui donner dans la fuite .
à
Voilà , Monfieur , les véritables vues &
l'état actuel de l'établiffement dont vous
parlez . Ses fondateurs affurés des protections
qui leur font néceffaires , n'en recherchent
aucune autre , & ne connoiffent
point d'autres fupérieurs que ceux auxquels
ils ont communiqué leur projet général
: l'amour du bien public , le goût des
arts , l'indépendance & l'égalité ont été le
fondement de l'établiffement ; la générofité
des amateurs & l'habileté des Artiſtes
le foutiennent. Ils craignent fi fort la diftinction
des rangs entr'eux , qu'ils n'ont
pas même voulu s'élire un chef pour les
préfider. On pourroit appeller leur établiſ
fement, l'Ecole des Arts, s'ils vouloient lui
donner un nom ; mais fans prétendre à
aucun titre , ils veulent feulement faire du
bien trop contens pourvu , qu'ils réuffiffent
!
OCTOBRE. 1758. 169
fent ! En évitant de les nommer dans mon
Ouvrage , je me fuis conformé à leurs intentions.
Ils font fi connus qu'ils n'y perdent
rien , & la reconnoiffance de leurs
Concitoyens les flatte plus que les louanges
: j'ai cru cependant ne pouvoir me difpenfer
de parler de celui qui a donné lieu
à cet établiffement & de nommer les Artiftes
par la néceffité de fçavoir à qui s'adreffer
quand on a befoin de leurs leçons ;
mais fans prétendre décider de la fupério
rité de leurs talens auxquels perfonne ne
rend plus de juftice que moi , je dois encore
vous avertir , Monfieur , que cette
Société défavoue formellement tous les
articles inférés à ſon ſujet juſqu'à préfent ,
dans les livres & écrits périodiques , de
même que tout ce qu'on pourroit y inférer
à l'avenir , bien décidée à n'y faire
aucune réponſe.
Lorfque vous aurez des avis à me donner
, que ce foit , Monfieur , je vous en
conjure , avec un peu plus de connoiffance
de caufe , afin que je puiffe en profiter . Je
fuis très- parfaitement , Monfieur , & c .
L'Abbé PERNetti.
II.Vol. H
170 MERCURE
DE FRANCE
.
GRAVURE
.
LES Ruines de Balbec , autrement dit Héliopolis,
dans la Cælofyrie . Londres , 17 57.
L'ACCUEIL favorable que le public a fait
aux Ruines de Palmyre , publiées en 1754,
a été pour les Auteurs , une invitation à
en donner la continuation
; c'eft ce qu'ils
viennent d'exécuter , en publiant avec la
relation du voyage en Calofyrie , les Ruines
de Balbec , anciennement
appellées
Héliopolis , ou ville du Soleil , pour fervir
de fecond volume à celles de Palmyre.
Cet ouvrage qui eft très-bien traité ,
contient 46 planches , grand in -folio. Pour
la fatisfaction
des curieux de tous les pays,
les Editeurs Anglois ont fait imprimer en
ainfi que
françois, la relation du voyage,
les explications
des figures qui en repréfentent
les vues & la magnifique
architecture
de cette célebre ville .
On trouvera des exemplaires de cet
ouvrage , chez Boudet , Imprimeur du
Roi , rue Saint Jacques , au prix de 96
liv. en feuilles .
OCTOBRE. 1758. 171
JE
ARTS UTILES.
PHARMACIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
E vous prie , Monfieur , d'inférer dans
le prochain Mercure , la lettre que j'ai
l'honneur de vous adreffer ; tout ce qui
tend à la confervation de la fanté & de
la vie des hommes, ne peut être trop foigneufement
difcuté.
A mon arrivée dans cette ville , j'ai lu
dans le Mercure de mai de cette année ,
une obfervation fur les effets mortels de
la poudre d'Ailhaut , dont j'ai été extrêmement
frappé. J'en fais ufage depuis quinze
ans , ainfi que Monfieur de Chabrié , &
quantité d'officiers du corps , je vous
avouerai même , que nous n'avions jamais
-foupçonné jufqu'ici qu'elle pût être nuifible
, encore moins intéreffer la confcience
, comme l'a fçavamment démontré M.
Thiery ; j'avois même la ftupidité de croire
que je lui devois la vie & la fanté dont
je jouis ; j'avois pouffé la fuperftition jufqu'à
m'imaginer qu'il n'y avoit point de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
remede plus efficace pour détruire les obftructions
& mauvais levains , qui font la
caufe premiere de toutes les maladies . Ce
que je lui ai vu opérer fous mes yeux ,
fervoit encore à me confirmer dans mon
erreur ; mais aujourd'hui mes yeux , que
la prévention avoit entiérement couverts ,
commencent à s'ouvrir à la lumiere. Il ne
me refte qu'un petit fcrupule que j'efpere
que M. Thiery achevera bientôt de diffiper
; c'eft dans la vue de m'inftruire que
je propofe mes doutes , & non dans le
deffein de réfuter. Conviendroit- il à un
Militaire , qui n'a point de principes &
qui n'a que le fentiment pour guide , d'ofer
entrer en lice avec un Docteur-Régent
de la faculté de Paris.
Si l'amour de la vérité , fi l'envie de préferver
fes concitoyens d'une erreur que
l'on croit nuifible, eft le feul motif qui détermine
M. Thiery , à rendre publique la
relation publiée dans le Mercure , de la
mort de M. Bocanne , on doit convenir
que fon deffein eft bien louable ; mais on
peut errer avec les plus faines intentions ;
& M. Thiery me fçaura , fans doute gré ,
de lui expofer mes doutes.
Il me femble que les conféquences qu'il
a tirées des qualités malfaifantes des poudres
par l'inſpection des parties viciées ,
OCTOBRE . 1758. 173
gangrénées du cadavre dont on a fait
l'ouverture , ne font pas entiérement juftes.
Je fuis trop perfuadé de la probité de
M. Thiery , pour révoquer en doute qu'il
a cru de bonne foi que le deffechement
des parties intérieures , que la friabilité
& la noirceur du foie & du poumon
étoient une fuite des qualités corrofives
de ce remede ; mais s'il eût voulu faire aɛtention
que nombre de perfonnes , qui
n'en ont jamais ufé , ont péri du même
mal , que l'appauvriffement du fang ou fa
coagulation peut feule , fans aucun fecours
étranger , produire cet effet , il ne fe feroit
pas preffé de prononcer l'arrêt qui
en profcrit l'ufage .
Suppofons que M. Thiery eft appellé
par un malade attaqué d'un mal de tête ,
d'une débilité d'eftomac , même fi l'on
veut , de la fievre ; il prefcrit à ce malade
des remedes , la fiftule furvient , il en
meurt donc ce font les remedes de M.
Thiery , qui ont occafionné la fiftule ,
donc, &c. Cette façon d'argumenter feroitelle
adoptée par M. Thiery ? Tirons des
conféquences.
L'ouverture du cadavre démontre qu'il
eft mort , les parties gangrénées: : donc ce
font les poudres qui ont opéré ce mal.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Or , felon M. Thiery , les parties ne fe
gangrennent- elles jamais par un vice naturel
? Mais ces poudres que M. Thiery
fuppofe produire des effets fi funeftes ,
font le remede ordinaire de quantité de
gens qui s'en louent , qu'elles ont tirés des
portes du trépas . Ces gens-là font- ils donc ,
ainfi que Mitridate , familiarifés avec le
poifon Mais au moins faut- il convenir
que quand ils en ont fait les premiers
effais , quand elles ont opéré les premiers
effets , ils ne l'étoient point encore : quelle
cauſe favorable les a préfervés d'un cauftique
auffi mordant ? comment fe peut -il
que depuis quinze ans que j'en fais ufage ,
que j'en ai pris plus de trois cens prifes ,
pour une maladie que j'eus en 1746 , dont
on trouvera le détail dans une de mes Lettres
, inférée dans le Livre de M. Ailhaut ,
imprimée en 1748 , comment , dis - je , fe
peut-il,en ayant pris affez confécutivement,
& dans l'année 1746 près de deux cens
prifes , que je ne fois pas entiérement calciné
? C'eſt un phénomene qui mériteroit
bien d'être expliqué.
Comment fe peut- il que le Pere Félix ,
Auguftin de la Place des Victoires , qui ,
depuis plus de vingt ans , fait ufage de ce
remede , exifte encore ?
Pour en conftater la malignité , il feroit
OCTOBRE. 1758. 175
effentiel de l'anatomifer , & je fuis perfuadé
qu'il fe prêteroit pour le bien de
l'humanité à cette petite opération , qui
ne pourroit tourner qu'à l'avantage du Public
; je fuis d'ailleurs convaincu que M.
Thiery préfideroit volontiers à cette diffection.
Au reste , M. Thiery qui a pris la peine
d'analyfer ces poudres , devroit bien nous
inftruire fi c'est un poiſon vif ou lent qui
en fait la bafe , ou qui y domine ; nous apprendre
s'il eft des fibres affez fortes , des
inteftins affez cuiraffés pour réfifter feulement
pendant le cours d'un fiecle à lear
effet malfaifant ? Il eft cependant à préfumer
qu'il le confidere comme un poifon
lent , puifque , felon lui , M. Bocanne en
fait ufage depuis douze ans. Cette affertion
venant d'un homme d'honneur , me
raffure , fans quoi je me ferois cru un peu
complice de la mort de ce bon Prêtre .
Au mois de Septembre 1756 , je reçus
une Lettre de lui , par laquelle il me prioit
de l'inftruire , fi la Lettre écrite de Metz en
1747 , imprimée dans le Livre de M. Ailhaut
en 1748 , étoit réellement de moi ; que
plufieurs perfonnes l'affuroient que toutes
ces Lettres étoient controuvées & fabriquées
par l'Auteur, pour donner cours à
fon remede.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Il me faifoit enfuite un petit détail de
fa maladie , rebelle jufqu'alors aux remedes
qu'on lui avoit adminiftrés : je ne
m'en rappelle pas entièrement le détail ;
mais il me fouvient qu'il fe plaignoit d'un
grand feu dans les inteftins , & me marquoit
qu'il paroiffoit par intervalle fur ſa
peau de petites taches noires , ou livides :
il finiffoit par me demander , fi je lui
confeillois d'ufer du remede de M. Ailhaut.
Je n'en foupçonnois pas dans ce tems- là
les funeftes effets que M. Thiery a pris tant
de peine à démontrer ; j'ignorois que le
eonfeil que j'allois donner intérefferoit ma
confcience; je comptois que l'expérience
heureuſe que j'en avois faire moi- même, &
les guérifons furprenantes que j'avois vu
opérer fous mes yeux fur quantité de perfonnes
, fuffifoient pour m'autorifer à les
lui confeiller je le fis , ce dont j'efpere le
pardon de la Faculté pour avoir ofé ufurper
fes droits ; mais l'aveu authentique
que je fais de ma faute doit me donner
quelque droit fur fon indulgence.
Depuis ce temps , je n'avois plus entendus
parler de M. Bocanne , jufqu'au moment
où la relation de fa mort , & des circonftances
dont M. Thiery fait l'examen
eft tombée entre mes mains ; le cas eft déliOCTOBRE
1758. 177
cat , & fi je m'en rapporte à l'Obfervateur ,
je me trouve coupable de l'homicide d'un
homme que je n'ai jamais vu ni connu ; ce
qui peut me raffurer , c'eft que je n'ai péché
en tout ceci que par ignorance & par
prévention.
De quoi s'avifoit auffi M. Bocanne , de
s'adreffer à moi . Pourquoi ne faifoit- il pas
appeller M. Thiery ? il eft probable qu'il
l'eût tout de fuite tiré d'affaire.
que
G L'on peut conclure de tout ceci
les poudres de M. Ailhaut , ne font point
un poiſon , elles doivent l'être , par les
raifonnemens fçavans que M. Thiery a
fait
pour le prouver
; la nouvelle
analyfe
qu'il
nous
promet
, & qui , fuivant
fa lettre
doit
avoir
été perfectionnée
ce printemps
, au moment
fixe , où les fimples
font
dans
toute
leur
force
, achevera
de
convaincre
les plus
incrédules
. Je fuis cependant
furpris
qu'il
n'ait
pas
découvert
,
dès la pemiere
décompofition
que
le fublimé
corrofif
étoit
la bafe
de cette
poudre
,
comme
l'affura
de bonne
foi , l'année
derniere
, à un Colonel
du corps
, un docte
Médecin
de Besançon
,
Il ne me refte plus qu'à prier M. Thiery »
de donner fes confeils falutaires , pour préferver
des fuites funeftes d'an remede auffä
dangereux , ceux qui antérieurement à
Hv
178 MERCURE
DE FRANCE.
I'
fçavante , differtation ont eu l'imprudence
de s'y livrer ; la bonne fanté , dont je jouis
me raffure à peine , je tremble pour les
fuites dont il menace , & je commence à
être difpofé à conclure des mauvais effets
de cette poudre maudite , par les guérifons
furprenantes qu'elle opere contradictoirement
aux aphorifines admis par la faculté;
je tremble qu'il n'y ait de la diablerie làdeffous
; je vais confulter quelque Théologien
pour fçavoir s'il n'y auroit pas
un peu de pacte pour produire toutes ces
merveilles .
4
Eft il poffible qu'un homme que j'ai
toujours regardé comme un honnête homme
& plein d'humanité , qui même dans
fa derniere lettre , que j'ai reçue à Wefel ,
en date du 21 avril dernier , m'offre de
m'envoyer gratis , de fes poudres , pour
des foldats & des pauvres qui n'ont
pas le moyen de fe procurer ce remede ;
eft - il poffible , dis - je , que fon objet
foit de détruire l'humanité ? cela doit- il
paroître probable ? Cette façon de penſér ,
noble & généreufe n'eft - elle que pour féduire
& voiler le deffein odieux d'empoifonner
fon monde , en epaiffiffant la langue
, & conduire au tombeau avec les entrailles
calcinées ?
Les guérifons que j'ai vu opérer fur un
OCTOBRE. 1758 . 179
nombre infini de perfonnes attaquées , les
unes de maladies aiguës , les autres de
chroniques , ne font- elles donc que fantaftiques
? Seroit- ce encore une illufion que
celle d'un foldat, dont le bataillon a été témoin
dans le mois dernier , qui par le
moyen de huit prifes de ces poudres , a été
guéri tout en faifant route , d'une pleuréfie
, point- de- côté , fluxion de poitrine ,
& crachement de fang , accompagnés de
fievre ardente ? Je m'y perds . Il faut convenir
que fi M. Ailhaut n'eft pas un bon
Médecin , il doit être regardé comme un
grand magicien .
Au refte , le certificat de M. le Curé ,
eft moins une preuve du venin cauftique
& mortel des poudres , que de la foi aveugle
qu'il a , ainfi que moi , aux rares connoiffances
& à l'exacte probité de M.
Thiery. J'ai l'honneur d'être , &c.
RUSSY , Lieut. Colon . du Corps royal de
l'Artillerie , Bataillon de Chabric .
AValenciennes , ce 10 Juillet 175.8.
Nota. Je ne dois pas diffimuler que j'ai
reçu prefque en même temps ( non pas d'un
Médecin comme je l'avois dans l'idée ) ,
mais d'un Apothi caire de Limoux appellé
Rouch, une lettre dans laquelle il fe déclare
contre l'ufage de la poudre de M. Ailhaut,
H⋅vj
180 MERCURE DE FRANCE.
avec autant de chaleur , que M. de Ruffi en
met à louer ce remede. Cette poudre n'eft
autre chofe , felon M. Rouch , que la tithymale
féchée & mife en poudre ; il obferve
que la tithymale eft âcre , corrofive , ulcérative
, qu'elle excite des vomiffemens &
des cours de ventre , & que c'eſt- là purement
l'effet que produit la poudre d'Ailhault
; qu'un grand nombre de perfonnes
ayant péri par l'ufage d'un purgatif fi violent
, M. Ailhaut prit le parti de le tempérer
en expofant la tithymale pulvérisée à
un petit feu qui lui donne la couleur brune
, & en y mêlant un tiers du meilleur
chocolat. « Je n'ajouterai pas , dit- il , que
j'ai vu expirer prefque fubitement dans
» mes bras des malades , qui dans le cours
» de leurs maladies ayant été perfuadés d'a-
» voir recours à cette poudre , & l'ayant
prife à l'infçu des Médecins , ont été les
" triftes victimes de leur crédulité . Ainfi
" on ne fçauroit trop rejetter un remede:
qui mérite plutôt le nom de poifon.
99
وو
r
33
C'est au Public à fe décider entre ces té--
moignages. Le mercure prend dès ce moment
à ce fujet le parti du filence : s'il falloit
tenir registre de tous les morts & de
toutes les guérifons qu'on attribue à tel &
à tel remede , les Journaux n'y fuffiroient
pas..
OCTOBRE . 1758. 181
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
LE 10 de ce mois , on remit à ce Théâ
tre les Surprifes de l'Amour , Ballet dont la
mufique eft de M. Rameau , & les paroles
de l'Ovide de notre fiecle. Le fuccès de
l'acte d'Adonis & de celui d'Anacréon étoit
décidé dès la nouveauté : de ces deux actes
ingénieux , on fçait que l'un roule fur une
alternative femblable à la fituation d'Heraclius.
Devine , fi tu peux , & choifis , fi tu l'ofes :
Mais dans un fujet auffi galant que
celui d'Héraclius eft terrible : l'autre préfente
en action cette Ode d'Anacréon , que
la Fontaine a imitée , & qu'on a mile depuis
en chanfon .
J'étois dans mon lit tranquille , & c.,
Je ne connois rien dans le genre gra
cieux de mieux fait que la fcene d'Ana
anéon & de l'Amour.
182 MERCURE DE FRANCE.
Deux tableaux auffi riants ne peuvent
ceffer de plaire , & le fuccès en eft d'autant
mieux mérité , que la mufique femble le
difputer en coloris à la poéfie.
L'acte de la Lyre enchantée avoit paru
foible auprès des deux autres ; M. Rameau
l'a enrichi d'un morceau d'harmonie qui
peint l'enchantement de la Lyre , & qui
me femble digne de la jeuneffe de fon.
Auteur. Il y a joint auffi des airs de danfe ,
fur lefquels les Mufes & les Syrenes ſe
difputent le prix. Mefdemoiſelles Lany &
Puvigné , l'une dans le léger , l'autre dans
le gracieux , balancent le fuffrage d'Apollon
, qui les couronne l'une & l'autre.
COMEDIE FRANÇOISE.
Extrait de la Tragédie d'Hypermnestre.
EGYPTUS , après avoir banni Danaüs ſon
frere du trône d'Egypte , & de l'Egypte
même , l'a pourfuivi jufques fur le trône
d'Argos , parce qu'il a refufé de donner fes
filles aux fils de fon perfécuteur. Voilà donc
Ja haine & la vengeance de Danaüs bien
fondées. Forcé , pour obtenir la paix , de
confentir à cette alliance , il exige de fes
filles que la nuit de leurs nôces elles affafOCTOBRE.
1758. 183
finent leurs époux . Toutes ont promis d'obéir
; il ne reste plus qu'Hypermnestre , la
tendre épouſe de Lincée .
Danaüs vient la trouver au fortir de
l'Autel , & lui ordonne le même crime ;
mais , pour en adoucir l'horreur , il fuppofe
qu'un Oracle lui a prédit qu'il périroit luimême
de la main d'un de fes gendres . Sa
vertueuse fille traite cet Oracle de fourbe
& d'impofteur ; quoi qu'il ait prédit , elle
répond de Lincée.
Il eft fûr de fon coeur , l'avenir eft à lui.
Le fond de cette fcene femble ufé , mais les
détails la rendent neuve ; elle est bien
écrite , bien dialoguée , & Mademoifelle
Clairon y eft fublime . Danaüs , irrité des
refus d'Hypermneftre , fort , en lui difant :
Tu as mon fecret ; mais tremble , j'ai les
yeux fur toi, & tu te perds , fi tu me trahis .
Allons , dit- elle dans un Monologue ,
hazardons tout pour fauver Lincée .
Si je tarde un moment , c'est moi qui l'affaffine.
Au milieu de la nuit , Lincée , inquiet
de ne pas voir paroître fon épouse , frappé
du filence qui regne dans le Palais , & furpris
qu'on arrête fes pas , foupçonne quelque
complot : il craint fur- tout qu'on ne
lui enleve Hypermnestre . Il apprend tourà-
coup la mort de fes freres , affaffinés par
184 MERCURE DE FRANCE.
les foeurs de fa femme. Ce récit a paru d'un
détail trop étudié : c'est là qu'un beau défordre
eft un effet de l'art. Voyez Corneille
dans Cinna , comme il peint à grandes touches
les horreurs des
proferiptions : il ne
dit pas quel a été le gefte ou le langage des
profcrits , en recevant le coup mortel : chaque
partie du tableau n'a qu'un vers ; l'imagination
fait le refte.
Les uns affaffinés dans les places publiques ,
Les autres dans le fein de leurs Dieux domefti→
ques ;
Le méchant par le prix au crime encouragé ,
Le mari par fa femme en fon lit égorgé ,
Le fils tout dégoûtant du meurtre de ſon pere ,
Et fa tête à la main demandant fon falaire.
Je fens mieux que perfonne combien il
eft difficile d'imiter de fi beaux modeles ;
mais il eft bon de les fuivre , même de
foin ; & cet exemple fait du moins fentir
que des images grandes & fortes par ellesmêmes
, doivent être préfentées en maffe ::
les détailler , c'eft les affoiblir.
que
la
Lincée , faifi d'horreur , & ne refpirant
vengeance , voit approcher fon
époufe , tenant une lampe d'une main , &
un poignard de l'autre cette lampe eft ennoblie
par la fituation , & plus encore par
Le jeu de l'Actrice. Hypermneftre errante
OCTOBRE. 1758. 189
:
:
cherche Lincée. Eft ce pour m'affaffiner ,
dit-il Frappe voilà mon coeur . A cette
voix le fer lui tombe de la main. Elle embraffe
Lincée , & lui dit je viens te fauver &
Danaës veut ta mort ; j'ai tout promis pour
flatter ſa fureur ; éloignes - toi . Lincée veut
venger fes freres ; il veur fe baigner dans
le fang de Danaüs. La fituation d'Hyperm
neftre devient affreuſe.
Je ne me connois plus . Quoi ! craindre en ma
mifere
Le pere pour l'époux & l'époux pour le pere !
Je meurs , fi tu péris par un pere inhumain ;
Mais je renonce à toi , s'il périt par ta main :
Si tu ne pars.
Elle fe jette à fes pieds , & cette action ,
toute fimple , eft rendue avec une nobleffe
& un pathétique admirable.
Lincée fe réfour enfin à s'éloigner . Mais
s'il eft découvert ; fi on l'arrête ! ... A cette
image Hypermneftre fe trouble & s'égare
elle croit voir tout ce qu'elle craint. Il faut
l'avouer cependant , fon délire n'eft point
amené , & je le crois au moins fuperflu.
Pourquoi forcer la nature dans un moment
où elle eft fi belle ?
Danais trouve Hypermnestre évanouie
il commence à croire que le crime eft confommé.
Elle ouvre les yeux , elle voit le
186 MERCURE DE FRANCE.
tyran qui lui demande s'il eft obéi , ſi Lincée
eft mort. Ici le mouvement , l'expreffion
de Mademoiſelle Clairon ne peut fe
peindre. Hypermnestre répond à fon pere
par ces mots entre- coupés :
Je me fuis féparée ... avez -vous pu vouloir ? ...
J'ai perdu mon époux : je fuis au déſeſpoir.
Danaüs n'en demande pas davantage : il fe
retire , en difant :
Allons voir ma victime."
L'Auteur a pu remarquer que la fin de
cet acte laiffoit le fpectateur affez froid ;
il feroit facile , je crois , de la rendre plus
vive. Il a voulu éviter le menfonge formel.
Je penfe qu'il falloit le rifquer. Le tyran
eût applaudi au crime de fa fille , & l'on
eût vu Hypermneftre , ftillonnant d'horreur
, dans les bras de fon pere transporté
de joie. Dans ce moment même on auroit
annoncé au tyran l'évaſion de Lincée ; &
Danaüs , fortant éperdu , auroit dit à fa
fille : Tremble, malheureuſe. Je fuis trahi ;
mais je ferai vengé. Cette nouvelle révolution
eût terminé la fcene plus vivement ,
& noué l'intrigue d'un acte à l'autre , par
cette gradation de péril qui fufpend l'ame
des fpectateurs ; au lieu qu'après la réponſe
d'Hypermnestre , il a fallu hâter la fortie de
OCTOBRE . 1758. 187
Danaüs , mutiler la fituation , & avoir recours
, pour foutenir l'intérêt , au moyen
d'aller voir fa victime.
Je ne donne ici que des conjectures , &
l'Aureur doit me fçavoir gré de preffentir ,
à mes périls , le goût du public fur ce qui
me femble pouvoir contribuer à la perfection
de fa piece.
Tandis qu'on eft à la pourfuite de Lincée
, Danaus reproche à fa fille de l'avoir
trompé & de l'avoir trahi . Elle fe juftifie
fans peine. Ici le rôle du tyran eft foible
& il ne tient qu'à l'Auteur de le rendre
plus fort. Lincée eft implacable , au moins
Danaus doit le croire . Dérober Lincée à
la mort , c'est donc l'y expofer lui- même ,
& c'est l'image du péril où elle l'a plongé ,
qu'il doit lui peindre dans fes reproches :
fe repréfenter dans les fers , & au pouvoir
de fon ennemi ; la nature fe révolteroit
dans le coeur d'Hypermneftre au tableau de
fon pere égorgé par fon époux. Si je m'arrache
, diroit Danaüs , aux tourmens qu'il
me prépare , tu n'en es pas moins coupable
de m'y avoir livré. Tu affaffines ton
pere , autant qu'il eft en toi. Le parricide
eft confommé dans ton ame. Voilà , fi je
ne me trompe, quel devoit être le fonds de
la ſcene .
On ramene Lincée enchaîné . C'eft le
comble du défefpoir pour Hypermnestre.
188 MERCURE DE FRANCE.
Lincée brave le tyran , fa fille lui demande
grace. Danaus demeure inflexible , fait
traîner Lincée dans les prifons , & ordonne
que l'on prépare fon fupplice ; il
ik permer
imprudemment à Hypermnestre de fuivre
fon époux , & de fe préfenter au peuple. A
la vérité il ordonne en même temps que
l'on répande le bruit que Lincée & les freres
ont voulu attenter à fa vie ; mais cette
politique lui réuffit mal , & il devoir s'y at
rendre.
Il apprend au cinquieme acte que le
peuple commence à s'émouvoir , & fe difpofe
à la révolte. Alors , changeant de réfolution
, Danaus rappelle Hypermnestre ,
& ordonne qu'on faſſe mourir Lincée dans
la prifon. Hypermneftre croyant que fon
pere fe laiffe fléchir , vient fe jetter à fes
genoux ; mais elle le trouve plus altéré que
jamais du fang de l'époux qu'elle adore.
Tout- à - coup paroît Lincée à la tête du peuple.
Dans fa fureur , il veut immoler Danaus.
Hypermnestre le précipite au-devant
du coup qui menace fon pere. Lincée , atrendri
, confent à faire grace au tyran ,
pourvu qu'il lui rende fon époufe. Danaus
veut la retenir en ôtage. Lincée , avec le
peuple , eft prêt à fondre fur la garde qui
environne le tyran ; celui - ci fe faifit d'Hypermnestre
, & , le poignard levé fur elle ,
OCTOBRE . 1758. 189
il menace de la frapper. Ce tableau eft un
des plus tragiques qui foient au théâtre ,
Calprenede , dans fon Roman de Caffandre
, l'Auteur des Mémoires d'un Homme
de Qualité , M. Pirron , dans Guſtave ,
l'ont employé , mais en récit, L'action
pouvoit feule en faire fentir toute la
force , & je dois dire , à la louange
de M. Lemiere , qu'il s'eft élevé au - deffus
de ces modeles , par un mouvement
naturel , qui ajoute au pathétique du
fableau. Le feul Métaftafe l'avoit mis en
action , & d'une maniere encore plus
terrible. Tandis que le fpectateur frémit de
voir Hypermnestre fous le couteau de fon
barbare pere , dans une attitude , & avec
une expreffion de vifage qui enflamme le
génie de nos plus grands Peintres , & les
tranfporte d'admirarion ; dans ce moment ,
dis je , le peuple , indigné , fait un mouvement
pour fe jetter fur la garde de Da
naüs. Lincée frémit lui-même , il arrête le
peuple : ( & M, Lekain a très - bien rendu
cet effroi . )
Un moment mes amis.
Je crains votre fecours : mon fort vous eft commis
:
N'avancez pas. Voyez mon déſeſpoir extrême :
Regardez ce poignard levé fur ce que j'aime ;
•
190 MERCURE DE FRANCE.
Ah ! tout mon fang ſe glace à cet affreux danger :
O Dieux ! je tiens ce fer , & ne puis me venger !
Ah ! barbare.
Alors arrive un ami du tyran qui lui dit :
Seigneur , cette porte eft forcée ,
Vous n'avez que la fuite , on couronne Lincée.
Danaus à ces mots quitte fa fituation
menaçante , & Lincée faifit l'inſtant de fe
jetter entre fa fille & lui : Echappe à ton
tyran , lui dit- il . En même temps le peuple
, le glaive à la main , entoure Danaüs ,
qui , dans fon déſeſpoir , ſe tue lui - même.
Tel eft à peu près le plan de cette piece ,
plus terrible que touchante , & dont les tableaux
ont fait le fuccès. La verfification
en eft foible , & le ftyle négligé. Les fentimens
peuvent en être plus développés
plus approfondis ; la progreffion furtout
n'en eft pas affez ménagée. En un mot , il
y a peu de fcenes qui ne demandent à être
revues , & l'Auteur , en les travaillant , reconnoîtra
pourquoi une action , fi pathétique
par elle- même , a fi peu fait verfer
de larmes . Mais les grands traits font jettés
, la réflexion fera le reſte . La premiere
qualité d'une tragédie eft d'être théâtrale
& celle- ci l'eft au plus haut dégré.
Je ne dois pas diffimuler qu'on a trouvé
OCTOBRE. 1758. 191
l'incident qui délivre Hypermnestre peu digne
du tableau qui le précede. Quelqu'un
propofoit de ne faire paroître la garde de
Danaus qu'au dernier moment , & de lui
faire abandonner fa victime , pour ſe mettre
à la tête de fes gardes , & fe défendre
l'épée à la main . L'Auteur avouera que
cela feroit plus noble. Mais ce dénouetel
qu'il eft , a produit un fi grand
effet , qu'il feroit bien excufable de ne pas
ofer y toucher .
ment ,
Voilà donc trois nouveaux Poëtes tragiques
qui donnent les plus belles efpérances.
L'Auteur d'Iphigénie , par fa maniere
fage & fimple de ménager , de graduer
l'intérêt & le fentiment , & par des morceaux
de véhémence dignes des plus grands
Maîtres ; l'Auteur d'Aftarbé , par une poéfie
animée , par une verfification pleine &
harmonieufe , & par le deffein fier & hardi
d'un caractere auquel il n'a manqué , pour
le mettre en action , que des contraftes dignes
de lui : enfin l'Auteur d'Hypermneſtre
, par des tableaux de la plus grande
force . C'eft au public à les protéger , à les
encourager , à les confoler des fureurs de
l'envie . Les arts ont befoin du flambeau de
la critique , & de l'aiguillon de la gloire .
Ce n'eft point au Cid perfécuté , mais au
Cid triomphant que Cinna doit fa naif192
MERCURE DE FRANCE.
fance. Les encouragemens n'infpirent la
négligence ou la préfomption qu'aux petits
efprits ; pour les ames élevées , pour les
imaginations vives , pour les grands talens
en un mot , l'ivreffe du fuccès devient l'ivreffe
du génie. Il n'y a pour eux qu'un
poifon à craindre , c'eft celui qui les refroidit.
Cette piece a été retirée à la treizieme
repréſentation , pour être repriſe
l'hyver prochain ; le fuccès s'en eft foutenu
juſqu'à la fin avec éclat . )
COMÉDIE ITALIENNE.
Extrait de Mélezinde , piece en trois actes en
vers , représentée au Théâtre Italien le 7
Août 1758.
MELEZINDE , fille de Sélime , un des
principaux de la cour du Mogol ayant préféré
un jeune Seigneur , nommé Zarès ,
l'Empereur lui-même dont elle étoit aimée ,
l'Empereur irrité de cette préférence, exila
fon mari , & éloigna Sélime de la cour , en
lui donnant le gouvernement d'une des
Ifles de fon Empire . Mélezinde y fuivit
fon pere , malgré tous les artifices
qui furent
employés pour la retenir.
Zurès au fond de fon exil , apprit la
retraite
OCTOBRE. 1758. 193
!
retraite de fon épouſe ; mais fa jaloufie ne
put lui permettre de vivre éloigné d'elle.
La place de grand- Prêtre vint à vacquer
dans l'ifle où réfidoit Mélezinde , Zarès
faifit cette occafion pour éprouver par luimême
ſa fidélité . Il fe déguife , fe rend
dans cette Ifle, & s'y fait élire grand- Prêtre.
Selime qui ne le croyoit pas fi près de
lui , avoit follicité fa grace, & l'avoit obte
nue ; mais il le faifoit chercher inutilement.
On n'avoit trouvé que Zima , fon
efclave , époux de Zémire , &
compagnon
de Zarès dans fa fuite. Encore cet efclave
accablé de maux , & prêt à rendre les derniers
foupirs , n'avoit- il pu donner aucune
nouvelle de fon maître. C'eft dans ces circonftances
que commence l'action.
Zarès ordonne à Orofmin , ſon confident,
de publier qu'il eft mort dans fon exil , &
que fon trépas a fuivi de près celui de
Zima que l'on vient d'apprendre.
Le deffein de Zarès eft d'éprouver fi
Mélezinde le croyant mort , voudra fe livret
aux flammes fuivant une coutume
établie dans le pays , dont cependant l'ufage
commence à s'abolir.
Auffi -tôt que Mélezinde apprend la
mort de fon mari , elle fe détermine à ce
facrifice .
Sélime , fon pere , employe tout ce que
II. Vol.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
la raifon & la nature peuvent lui infpirer
pour la détourner de cette réſolution : elle
eft inébranlable.
Il va trouver le grand-Prêtre , le conjure
d'y employer fon autorité. Tout ce
que Sélime peut obtenir , c'eft que le grand-
Prêtre fufpendra le dévouement de fa fille ;
mais fi elle perfifte , il ne s'y oppofera
point.
Mélezinde, toujours déterminée à moufir
, demande une entrevue avec le grand-
Prêtre ; le preffe de lui permettre de faire
à fon époux le facrifice de fa vie. Zarès ,
enchanté des fentimens de fa femme , eft
fur le point de fe découvrir ; mais il s'arrête
, & pour achever de fonder le fond de
fon coeur , il lui tient un difcours artifi
cieux , dont le but apparent eft , de la détourner
de fon deffein , en l'affurant qu'elle
perdra tout le fruit de fon action , fi la
vaine gloire , plutôt que la tendreffe , eft
le motifqui l'y engage . Il lui fait une peinture
des douceurs de la vie , & lui donne
des louanges flatteufes fur fes charmes . Mélezinde
eft dans la plus étrange furpriſe
d'entendre un grand- Prêtre . lui confeiller.
fon deshonneur. Zarès lui répond qu'il
youdroit la combler de gloire. Vous fçavez,
lui dit-il , que lorfqu'une veuve s'arrache
à la rigoureufe loi du bûcher , pour épouOCTOBRE,
1758.1 193
39
38
fer un Miniftre des Autels , bien loin de
perdre fa réputation , elle eft au contraire
généralement révérée. Je brûle depuis
long- temps en fecret pour vous . Accor-
>>> dez-moi votre main , & ne me livrez
point à l'horreur de conduire à la mort
» celle pour qui je voudrois donner ma
vic."
Cette artificieufe déclaration d'amour
jette Mélezinde dans le plus grand embarras.
Elle fçait que d'un côté fon pere s'oppofera
à fon facrifice ; & de l'autre , elle
craint que le grand- Prêtre n'emploie mille
moyens pour l'empêcher.
Pour remplir fon devoir , & fe délivrer
de fes craintes , elle fe détermine à feindre.
Elle répond au grand- Prêtre que
quoiqu'elle fente bien qu'en éloignant l'inf- :
tant de fon trépas , elle s'expofe à ne ja-,
mais l'accomplir. Cependant elle eft trop
fenfible à l'honneur qu'il daigne lui faire
pour ne point lui accorder du moins cette
foible marque de condefcendance. Elle fe
retire après ces paroles.
Par cette réponſe , Zarès , qui la croyoit
déja plus qu'à demi - vaincue , entre dans
les tranfports d'une jaloufie qui parvient
à fon comble , lorfqu'il reçoit un billet ,
figné du nom de Zemire , efclave de Mélezinde
, & veuve de Zima , par lequel elle
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
lui apprend que Melezinde , féduite par
les off es qu'il lui avoit faites , renonçoit à
la réfolution de mourir que pour elle ,
loin d'imiter fa Maîtreffe , elle fe détermi
noir à fe factifier pour Zima fon époux.
La lecture de cette lettre remplir le
grand- Prêtre de fureur contre Mélizinde ,
& d'admiration pour Zemire . Il donne l'or
dre pour le facrifice de cette efclave ; :: ^)
11
Tous les Miniftres du Temple formenti
une marche au fon des inftrumens , & amenent
la victime couverte d'un voile ; on la
couronne de fleurs. Le grand - Prêtre lui
fait un difcours , & fe difpofe à la conduire
au bûcher , quand Selime , pere de Mile-
Linde , paroît avec un poignard à la main
arrête le bras du grand Prêtre , l'accufe de
manquer à la parole qu'il lui avoit donnée
d'éloigner le facrifice de fa fille ; & lui reproche
de l'avoir cachée fous un voile pour.
la lui ravir avec plus de fûreté. Le grand-
Prêtre paroît furpris Selime arrache le
voile , qui , au lieu de Zémire , fait voir!
Mélezinde vêtue en efclave. I accable de
reproches le grand Prêtre qui fe juftifie
fur fon erreur , & fe fait reconnoître
pour
Zares , en ôtant la thiare & la fauffe barbe
qui le déguifoient. Il fe jetre aux pieds de
fon époufe , dont il reçoit les plus vives
marques de tendreffe ; Sélime l'embraffe ,
4
OCTOBRE. 178. 197
& lui apprend que c'eft à l'efclave Zémire
qu'ils ont obligation de leur réunion , puifque
c'est elle qui eft venue l'avertir du péril
de fa Maîtreffe.ne
- Ce dénouement , qu'il faudroit voir exécuter
ou fire dans l'ouvrage même , a produit
tout fon effet.
Il y a dans le cours de la piece diverfes
fcenes d'Arlequin mais elles font comme
épifodiques. ask Jes
L'Auteur a été forcé de fe conformer
aux loix du Théâtre Italien , qui exigeoient
que ce perfonnage fût lié à l'action .
Cette piece , favorablement accueillie
du Public , a été rétirée pour être repriſe
l'hyver prochain.
OPERA COMIQUE.
Extrait de Nina & Lindor.
NINA , fille d'un Berger d'Italie , avoit
, été élevée dès l'enfance avec Philinte , fon
petit coufin , auquel elle étoit deftinée . Le
jour de l'hymen arrive : Nina , qui n'aime
point Philinte , fe dérobe par la fuité à l'autorité
de fes parens. Elle fe trouve dans un
bois peu éloigné , où la crainte la faifit.
Après avoir déploré fon fort , fatiguée de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
fa courſe , elle fe repofe fous un feuillage
Une voix touchante s'y fait entendre. C'eft
an amant qui fe plaint de l'infidélité de
fa maîtreffe. Cet amant eft Lindor , jeune
Seigneur de Florence . Pendant qu'il s'éloigne
, fon valet Zerbin vient , fans apper
cevoir Nina , déployer fa gaieté fur la
fcene ; il fe fent ému à la vue de la jeune
Bergere ; lui fait des questions, & répond
aux fiennes , qui font remplies de naïveté
Nina eft faific de frayeur en fe croyant aus
milieu d'une troupe de brigands :
Ah ! fans effroi ,
Je ne puis vous entendre:
Ils vont me prendre ;
Le peu que j'ai ſur moi ;
Ce n'eft qu'un rien ,
Mais c'est tout mon bien.. ༩༩
Zerbin la raffure , & lui dit que les gens
qui l'accompagnent ne refpirent que la
joie , & qu'ils ont entrepris de guérir la
mélancolie de celui dont elle a entendu les
plaintes. Une troupe de Bohémiens entoure
Nina, & la flatte par des chanfons. La
troupe fe retire à l'arrivée de Linder , habillé
en vieux Bohémien. Il eft ravi de la
beauté de la Bergere , elle lui conte fon
aventure ; Lindor l'engage à demeurer dans
cet afyle. Nina s'éloigne un moment. Lix-
་
OCTOBRE. 1758. 199
dor penfe à fon infidelle , & comme il fent
naître dans fon coeur un nouveau pena
chant , il demande à l'amour qu'il répare
fes injuftices.
Zerbin arrive au fecond acte , dans l'efpérance
d'obtenir la main de Nina. Elle reçoit
fa déclaration en badinant . Lindor eſt
furpris de la voir fe dérober fi matin au
fommeil , il lui dit :
Le
repos
Regne encore dans ces bocages
Des oiſeaux
A peine on entend les
ramages :
Pourquoi prévenir
La naiffante aurore ?
Venez-vous ravir
A la jeune Flore
L'amour du Zéphyr.
Пlui fait l'aveu du fien , elle y répond ingénuement.
La Bohémienne le trouve aux
genoux de Nina , & le tourne en ridicule .
Elle offre à Nina un autre époux , jeune ,
enjoué , charmant , dit- elle , & ordonne à
Lindor de fe retirer. Il fort en fouriant à la
Bohémienne. Celle - ci met inutilement
tout en uſage pour détacher Nina de Lindor.
Elle feint même d'avoir recours à fa
magie . La fimple Bergere , dans fa frayeur ,
rombe fur le gazon prefqu'évanouie ; elle
L
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
implore le fecours de Lindor : Viens défen
dre mes jours , s'écrie- t'elle, Il paroît à fes
pieds vêtu galamment , & lui dit :
Ah c'eft vous, qui des miens êtes la Souveraine .
La plus agréable furprife fuccede à la
frayeur dont Nina étoit faifre . Elle craint
encore que ce ne foit un preftige , mais il
la raffure en fe faifant connoître. Son rang
donne des fcrupules à la modefte Nina ,
qui ne veut pas qu'il fe méfallie. Elle eft
réfolue à s'en aller. Il eft au défefpoir. La
Bohémienne les met d'accord. Zerbin veut
époufer la Bohémienne , qui le refufe , &
un quatuor termine la piece.
Extrait du Médecin de l'Amour.
I
LE fujet de ce petit Opéra eft , comme on
va le voir , la parodie d'un trait d'hiftoire
affez tragique . Un vieux Bailli va époufer
une jeune fille de village , dont Léandre
fon fils , eft amoureux , Celui- ci , n'ofant fe
déclarer le rival de fon pere , languit & fe
meurt , fans qu'on ait pu fçavoir la caufe
de fon mal. Un Médecin , à demi- inftruit
par le valet de Léandre , raffure le pere , &
lui répond de la guérifon de fon fils . Il fait
affembler la jeuneffe du canton , & , penOCTOBRE.
1758.
201
dant la danſe , il obferve les yeux de Léandre.
Les regards du jeune homme , attachés
fur Laure , le trahiffent . Le Médecin or -...
donne qu'on les laiffe feuls. Léandre &
Laure s'expliquent. Le Médecin les furprend
, & les confole . Le Bailli vient retrouver
le Docteur , qui , pour l'amener à
fon but , fe fert d'un moyen vraîment comique.
Le mal de votre fils , lui dit - il , eft
fans remede. Il eft amoureux ., & de qui ? ..
De qui ? de ma maîtreffe : pour le guérir , il
faudroit la lui céder . Vous voyez bien qu'il
n'eft pas poffible. Le pere le conjure de lui
faire ce facrifice , s'y prend de toutes les
manieres pour l'obtenir , & , ne pouvant
l'y réfoudre , lui fait les plus fenfibles reproches.
Comme il l'accufe d'être fans pitié
: C'eſt vous , lui dit le Médecin , c'eft
vous , qui êtes cruel . Moi ! Vous , qui alleż
époufer celle que votre fils adore. Le Bailli
refte confondu , & , cédant enfin à fa tendreffe
pour Léandre , lui cede l'objet de fon
amour. Cette fcene ne laiffe rien à defirer ;
la fituation en eft neuve ; le dialogue vif,
naturel & rapide. La piece en général eft
écrite du vrai ſtyle de la Comédie : j'y ai
peu de négligence , & beaucoup
cru voir
de facilité.
Le cours de ce fpectacle a fini , felon l'ufage,
le 10 de ce mois . Je donnerai dans le
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
prochain volume le compliment de la clô
ture.
de
Nota. Depuis le Concert Spirituel du
huitieme Septembre , j'ai eu le temps
recueillir les voix fur le début de Mlle:
Faure dans le moret Ufquequò de M. Mouret
. Les Maîtres de l'Art dont la fçavantet
maniere d'approuver & de louers n'eft :
qu'un développement exact des qualités de
la voix qu'ils entendent , ont remarqué
dans celle de Mlle Faure une grande éga
lité avec beaucoup de rondeur dans les
fons , une adreffe & une légéreté très- rares
dans les grands volumes de voix , & tout
cela joint à un timbre très - agréable &
une cadence extrêmement brillante. Le
Public qui a auffi fa maniere d'apprécier
le mérite d'une voix qui le touche , a confirmé
le jugement des Maîtres de l'Art pan
les applaudiffemens les plus expreffifs ...
OCTOBRE. 1758. 203
ARTICLE VI.
2
NOUVELLES ETRANGERES.
ALLEMAGNES
Du Quartier général de l'Armée Impériale
en Saxe , le 12 Septembre,
E
Le Maréchal Daun a reçu la confirmation de la
victoire remportée par les Ruffes le 25 du mois
Août. Un Officier envoyé par fes ordres à l'armée
de Ruffie , & qui a trouvé le fecret de donner
lé changé aux Pruffiens , lui en a apporté le détail.
Il affure que la journée du 25 eft entiérement au
défavantage du Roi de Pruffe , puifqu'à la fin de
l'action l'armée du Comte de Fermer , qui avoit
d'abord perdu du terrein , fe retrouva dans fa
premiere pofition ; après avoir chaffé l'ennemi
qui fe croyoit vainqueur. Le 26 , les Ruffes chanterent
le Te Deum . Le Roi de Pruffe en parut fi
irrité , qu'il fit marcher fur le champ fon armée
contr'eux ; mais ayant voulu les attaquer , il fut
repouffe par deux fois . Il eft refté ving - cinq mille
morts fur le champ de bataille , & les Ruffes ont
fait deux mille Pruffiens prifonniers . Dans le mo
ment où le Roi de Pruffe fépara les deux afles det
l'armée des Ruffes , en faifant fondre fur eux toute
fa Cavalerie à bride abattue , ils perdirent vingtune
pieces de canon ; mais bientôt après ayant
repris de l'avantage , ils enleverent aux Pruffiens
3
Lovj
204 MERCURE DE FRANCE.
vingt-fix canons & huit étendards . Le 27 & le 28 ,
les Ruffes n'ont ceffé de prier le Comte de Fermer
de les remener contre les Pruffiens.
Les dernieres lettres du Marquis de Ville nous
ont appris un avantage remporté par un de fes détachemens
à Kunſtadt en Siléfie. Il avoit fait marcher
vers Creutzbourg un parti de trente-fix Uhlans
, pour y lever des contributions . Deux cers
Pruffiens accoururent de Brellau & de Brieg , &
trouvant les Uhlans divifés en petits poſtes de quatre
à cinq hommes , ils en difperferent & enleverent
quelques - uns . Le refte ſe ſauva dans les bois ;
mais un ' renfort de cent hommes que nos Uhlans
reçurent , les détermina à marcher à l'ennemi . Ils
le rencontrerent près de Kunfftadt , & l'attaquerent
avec tant de vivacité , qu'ils tuerent à coups
de pique la plus grande partie du détachement
Pruffien ; ils lui prirent un Cornette & quarantehuit
hommes ; le refte fut difperfé . Nos Uhlans
n'ont perdu qu'un Trompette & neuf hommes.
Les Pruffiens , en levant leur camp de Zedlitz ,
firent leur retraite avec tant de précautions , qu'il
n'a pas été poffible au Général Vihazy , détaché .
à leur pourfuite , d'entamer leur arriere -garde.
Depuis la prife du Fort de Sonneftein , nous ,
avons reçu le détail fuivant des opérations du fiége.
La ranchée ayant été ouverte le deux de Septembre
, vis- à - vis du jardin du Bureau des Poftes ,
les trois jours fuivans furent employés à établir des
batteries , pour battre la Place de trois côtés, Les
travaux furent pouffés avec beaucoup de vivacité ,
malgré le feu des ennemis , qui tiroient fur nos
Troupes fans relâche, La réferve eut ordre de couvrir
les Travailleurs , & le Général Maquire eut la
direction de l'attaque . Le cinq à la pointe du jour ,
le feu de nos batteries commença à foudroyer la
OCTOBRE. 1758. 205
6
&
Place , & il continua jufqu'au foir fans fe ralen
tir. La Garnifon y répondit toute la journée par
un feu très- vif & très - foutenu . Un peu avant la
nuit , le Commandant fit battre la chamade ,
& demanda permiffion de dépêcher un Officier au
Prince Henry , pour avoir de nouveaux ordres.
Sur le refus qu'on lui en fit , il demanda à capitu
ler. Il efpéroit d'obtenir les honneurs de la guerre
; mais le Général Maquire fur conftant à exiger
que la Garnifon arrivée fur le glacis , metroit
armes bas , & fe rendroit prifonniere de guerre.
Cette condition fut acceptée par le Commandant
Pruffien. Le 6 au matin , la Garnifon , au hombre
de quatorze cens quarante-deux hommes
fortit de la Place Tambours batttans & Enfeignes
déployées. Arrivée fur le glacis , elle mit bas les
armes, & fut faite prifonniere. Le Comte de Gatſruck
prit poffeffion de Sonneftein avec le Régiment
de Nagel , tandis qu'un Bataillon de Saxe-
Gotha , détaché de l'armée du Maréchal Daun ,
occupoit la ville de Pyrna.
On a trouvé dans la Place vingt- neuf pieces de
canon de bronze , neuf de fer & fept mortiers. On
a pris dix Drapeaux des Troupes qui compofoient
la Garnifon. Les prifonniers confiftent en deux
Colonels , un Lieutenant - Colonel , un Major , i
neuf Capitaines , dix - huit Lieutenans , dix Enfei
gnes , cent quatre bas Officiers , & douze cens
quatre- vingt- dix- fept Soldats.
DE
VIENNE , le 13 Septembre.
Le Confeil Aulique vient de faire fignifier au
Duc de Saxe- Gotha un Reſcrit , en date du 21 du
mois d'Août , par lequel ce Prince eft fommé de
retirer les Troupes qu'il ajointes à l'armée Hano
266 MERCURE DE FRANCE.
vrienne , de fournir fon contingent à celle de
l'Empire , & de payer fa quote part des mois Ro
mains , fous peine d'être traité comme perturba
teur de la paix , & de fubir les rigueurs prononcées
contre ceux qui violent les Loix Impériales.
On affure que le même Confeil a fait expédier un
Mandement au Roi de Dannemarck , en fa qualité
de Duc de Holftein , par lequel ce Prince eft
chargé de maintenir le Duc de Mecklembourg "
contre toute entrepriſe de la part des Pruffiens ,
de procurer la reftitution des recrues & des contributions
, enlevées de fon pays avec violence ,
& d'informer l'Empereur dans deux mois de l'exécution
de ce Mandement.
(On vient d'être informé de l'action déteftable
dun Officier Pruffien envers le Comte de Browne
, l'un des Généraux de l'armée de Ruffie . Le
cheval du Comte de Browne ayant été bleffé pen--
dant l'action du 25 Août , un Officier Pruffien du
Régiment de Schorlemmer , Dragons , courut à ce
Général , & le fit prifonnier. Il fe bâta de l'em
mener ; mais comme le Comte de Browne ne
pouvoit pas marcher auffi vite qu'il l'auroit vou
lu, ce barbare Officier lui déchargea douze coups
de fabre fur la tête , & l'abandonna baigné dans
fon fang. Le Comte de Browne a été transporté
à Landfberg , où il eft fort mal de fes bleffares.
De l'Armée du Prince de Soubife , près de
Caffel , le 28 Septembre.
M. le Prince de Soubife ayant pouffé des détachemens
jufqu'à . Hanovre pour en exiger des
contributions , a fait enlever des otages , ainfi
qu'on l'a déja marqué dans plufieurs autres Prin ---
sipautés & Seigneuries de cet Electorat Après
OCTOBRE. 1758 207
cette opération , il avoit fait replier fon armée :
fur Northeim & Gottingen , lorfqu'il fut informé
que le Général Oberg , qui ayant été renforcé de
plufieurs Régimens , avoit feint de diriger fa marche
de Paderborn fur Brakel , comme pour aller
au de-là du Wefer joindre le Prince d'Ifembourg ,
fe-portoit au contraire fur Caffel , où apparam →
ment il comptoit furprendre le petit corps ques
M. le Prince de Soubife y avoit laiffé avec tous
les gros équipages , les magafins & les hôpitaux ::
mais M. le Prince de Soubife , par la diligence
qu'il a faite , y eft arrivé à temps le 26 Deux heures
plus tard, une grande partie du corps du Général
Oberg repouffoit les troupes laiffées aux
ordres du Comte de Waldner. M. le Prince de
Soubife , qui étoit à la tête des gardes & des campemens
; & qui avoit avec lui la brigade de Bentheim
, occupa fur le champ les hauteurs , & fig
attaquer vigoureufement l'ennemi, Le Général,
Hanovrien voyant nos troupes s'étendre , fans em
pouvoir connoître la profondeur , fit faire halte ,
pour attendre le reste de fon armée , & la journée ,
fe paffa en efcarmouches. Les ennemis camperent.
le foir fur le terrein qu'ils occupoient , leur droite
environ à une demi-lieue de notre gauche. Toute
notre armée a joint le 27. Le Prince d'Ifembourg,
a auffi joint de fon côté le Général Oberg le même
jour , & fa droite eft appuyée à la gauche des
troupes Hanovriennes. On eftime que ces deux
corps réunis peuvent monter à vingt - quatre mille
hommes ; mais puifqu'ils ne nous ont point atta
qués hier ; ils le feront encore moins aujourd'hui
ou demain ; car M. le Prince de Soubiſe qui avoit
déja bien reconnu le pofte que nous occupons , a
fait faire plufieurs redoutes qu'ils n'emporteront
pas aifément. Le front de l'armée ennemic, a une
208 MERCURE DE FRANCE .
lieue & demie d'étendue . Il regne beaucoup de
volonté dans la nôtre ; elle eft d'ailleurs en trèsbon
état, & nous n'y manquons de rien . Il y a tout
lieu de croire que M. le Maréchal de Contades.
n'a pas manqué de faire marcher des troupes qui
pourront bien embarraffer les deux Généraux
Hanovriens , s'ils reftent encore long- temps devant
nous.
FRANCE .
Nouvelles de la Cour de Paris , & c.
SAA Majefté a écrit aux Archevêques & Evêques
de fon Royaume , pour faire chanter le Te Deum ,
en actions de graces de la victoire remportée en
Amérique par M. le Marquis de Montcalm , ou
quatre mille François ont combattu & vaincu
vingt- deux mille hommes ; & de la défaite totale
des Anglois , à Saint- Caft en Bretagne , par M. le
Duc d'Aiguillon , qui a donné dans cette journée
les preuves les plus éclatantes de fon habileté &
de fa valeur.
MARIAGE ET MORTS..
cal flor the pisten allia plang aftur
LUIS
7 DEC
7s premier Septembre 1758 , le très- haut &
très -puiffant Seigneur Charles-Hyacinthe -Antoine
Galeano- Galieni , des Seigneurs de ce nom en
Lombardie , Duc de Galean , Prince du Saint-
Siege , Sire & Marquis de Salernes , Baron des
OCTOBRE . 1758. 200
Iffarts , Seigneur du Caftellet- Courtines , lez - Angles
& autres lieux , Colonel d'Infanterie dans le
Corps des Grenadiers de France , Chevalier d'honneur
de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem , de la
Religion, de celui de Saints Maurice & Lazare , & c .
&c , &c , époufa à Lile , dans le Comtat d'Avignon,
Mademoiſelle Marie Françoife - Henriette de
Montpezat , fille de très haut & très puiffant Seigneur
Jean-Jofeph- Paul- Antoine de Trémoletty-
Montpezat , Duc & Marquis de Montpezat , Prince
du Saint- Siege , l'un des quatre premiers Ba
rons de la Province de Dauphine , Baron de
Montmaur , Piegon & Rochebrune , Seigneur
de Laval , Argilliers , &c. Lieutenant pour
Roi en Languedoc , & de très -haute & très- puiffante
Dame Madame Marie - Juftine - Efpérance
d'Agoult , Ducheffe de Montpezat . La bénédiction
nuptiale fut donnée par M. l'Evêque de Cavaillon.
le
La maifon de Galeano - Galieni eft affez connue
pour qu'on le contente d'en placer ici feulement
un extrait. Il fuffira donc de dire que depuis quatre
fiecles qu'elle s'eft féparée des branches aînées
demeurées en Italie , elle a toujours tenu un rang
confidérable dans l'état d'Avignon où elle a fixe
fa demeure. Elle exifte dans deux branches ; celle
du Duc de Guadagne , qui eft la premiere , a
donné le fameux Duc de Gadagne , Capitaine
Général des Armées en France , Gouverneur de la
Rochelle , Lieutenant Général de la Province du
Berry , mert Généraliffime des Armées de Rome
& de Venife, & celle du Duc de Galean des Iffarts,
dont il eft queftion . Ce dernier eft unique fils de
feu le Marquis des Iffarts , Chevalier de l'Ordre
de l'Aigle blanc en Pologne , Confeiller d'Etat ,
d'Epée , & Ambaffadeur extraordinaire & Pléni
Tro MERCURE DE FRANCE.
potentiaire de S. M. T. C. aux cours de Warfovie
& de Turin , mort à Avignon en 1754 , âgé de
37 ans, & de feu très-haute & très- puiffante Dame
Charlotte Yolande-de Forbin , dès Séignéurs de
la Barben & de Pont-à-Mouffon, décédée en 1742
âgée de vingt-fix ans .
Quant à la maifon de Trémoletti-Montpezat ,
elle eft comptée dès la fin du douzieme fiecle au
nombre des meilleures Maiſons & de la plus ancienne
Chevalerie du pays de Foix , d'où elle tire'
fon origine ; ce qui eft conftaté par des actes ori-'
ginaux de ce temps , ou les Seigneurs de cette
maifon prennent toujours les titres de Nobilis
miles ou Domicellus , qui fignifié Chevalier &
Damoifeau : ceux de cette race ont toujours tenu
dans les armées les premiers emplois. Nous '
remarquerons entr'autres féu le Marquis de'
Montpezat , grand- oncle paternel du Dúc de'
Montpezat d'aujourd'hui , qui mourut Lieutenant
Général des Armées du Roi & Gouverneur d'Arras
, à la veille d'être décoré du bâton de Maté
chal de France dont le feu Roi vouloit récompen
fer fa bravoure & fès importans fervices.
Les maifons de Galean & de Montpezat ont
fourni grand nombre de Chevaliers à l'Ordre de '
Saint Jean de Jérufalem , dont plufieurs ont eu
l'avantage de répandre leur fang au fervice de la
Religion.
La maifon de Galean porté d'argent à la bande
de fable remplie d'or , & aux deux'rofes de gueules
cimier , un lion iffant d'or avec ces mots , ab
obice favior ibit , cri de guerre , femper magis ; fup
ports , deux Anges cotemaillés de rofes.
Celles de Montpezat font d'azur , au Cigne'
d'argent pofé fur une riviere , de même furmonté
de trois molettes d'or , bordé d'azur & parfemé.de
OCTOBRE. 1758. 211
tys d'argent pour fupport , deux Anges cottes
maillés de lys d'argent , avec des Bannieres de
même ; pour cimier un Cigne furmonté d'une
molette d'or avec la devife en latin : Cignus aut
victoria ludit in undas
Meffire Antoine- François de Monlezun- de Bufca
, Abbé de l'Abbaye royale de Longvilliers , Ordre
de Câteaux, Diocefe de Boulogne, mourut dans
fon Abbaye le 11 Septembre , âgé de quatrevingt-
cinq ans.
Meffire Louis- François , Marquis de l'Aubef
pine , eft mort en Beauce dans fes terres le 22 ,
dans la quatre-vingt - treizieme année de fon âge .
Meffire Urbain Robinet , Chanoine de l'Eglife
de Paris , l'un des Vicaires Généraux de M. l'Arclievêque
, Abbé de l'Abbaye de Bellozane , Ordre
de Prémontré , Dioceſe de Rouen , eft mort en
cette Ville le 29 du mois dernier, dans fa foixantequinzieme
année.
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
ΑΙ
LETTRE A M. KEYSER.
J'AI P'honneur de vous adreffer , Monfieur , un
état de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, que j'ai traités avec vos dragées & fuivant.
votre méthode de les adminiftrer : vous verrez
que le fuccès ne pouvoit en être plus complet , ni
les atteftations plus authentiques. Il n'y a cependant
rien d'exagéré , ni qui ne foit conforme à la
plus exacte vérité. Je ne vous diffimulerai pas .
212 MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , que j'avois befoin de ces preuves pour
croire : accoutumé depuis un très- long- temps à
employer le mercure, par les frictions , je ne
croyois pas que toute autre maniere de le donner
pût produire de fi bon effets que celle- là ; mais
je fuis défabufé , & il eft juste que j'en fafle l'aveu.
Une circonfiance qui me plaît encore,& à laquelle
on doit faire attention , c'eft que la cure de cette
maladie par vos dragées eft beaucoup plus courte
que par les frictions , & qu'elle eft pour le moins
auf fure. J'ai l'honneur d'être , & c. Leriche,
Chirurgien Major de l'hôpital Militaire de Strafe
bourg.
A Strasbourg , le 28 Mai 1758.
M
ཨ། ཊྛཾ་
ETAT de cinq malade's attaqués de la maladie
vénérienne , qui ont été traités à l'Hôpital Militaire
de Strasbourg avec les dragées de M. Keyfer
& fuivant fa méthode , par les foins de M. te
Riche , Chirurgien - Major dudit Hôpital , &
avec la permiffion de M. le Baron de Luce , Intendant
de la Province d'Alface.. 2
LsE nommé Antoine Buiron , dit Saint- Flours ,
Grenadier au Régiment de la Roche - Aymond ,
Compagnie de Saint - Fal . Il entra à l'hôpital le 7
Avril , & fon traitement n'a commencé que le 23
dudit mois . Il en eft forti le 18 de Mai parfaite
ment guéri , & fes forces rétablies.
Le nommé Jean- Baptifte-Joſeph Robelor , dit
Jofeph, Cavalier au Régiment de Gramond, Compagnie
de Toulle , eft entré à l'hôpital le 23 du
mois de Mars. Son traitement a commencé le to
d'Avril , & a fini le 12 Mai.
Le nommé Nicolas la Forge , dit la Forge ,
Cavalier au Régiment de Bezons , Compagnie de
OCTOBRE. 1758. 213
Ponty , eft entré à l'hôpital le 23 Mars. Son traitement
a commencé le 10 d'Avril , & a fini le 14
Main &
Le nommé Gabriel - Pierre , dit Darras , Sapeur
au Régiment du Corps royal d'Artillerie , Compagnie
de Clincl amps , eft entré à l'hôpital le 21
Mars . Son traitement a commencé le 10 du mois
d'Avril , & a fini le 14 Mai.
Le nommé Vidal Eſtreman , dit la Jeuneffe ,
Soldat au Régiment Infanterie de Beauvoifis , de
la Compagnie de Laftour. Son traitement a commencé
le 10 du mois d'Avril , & a fini le 20 de
Mail eft parfaitement guéri. E
Certificat de Meffieurs les Médecins , Chirurgiens-
Majors, Chirurgiens Aide-Majors de l'lzòpital "
Militaire de Strasbourg.
Nous , Médecins , Chirurgiens- Majors, & Aides
de l'Hôpital Militaire de Strasbourg , fouffignés
certifions & atteftons que nous avons vifité trèsfcrupuleufement
les malades dénommes au préfent
état , & que nous avons trouvés qu'ils avoient
chacun les fymptômes propres & particuliers de
la maladie vénérienne ; que nous nous fommes
transportés plufieurs fois dans la falle où ils ont
été traités par l'invitation de M. Leriche , Chirur
gien Major chargé de ce traitement , pour voir
de quelle maniere les dragées antivénériennes ont
agi fur eux , que nous avons appris & obfervés en
interrogeant lefdits malades que ce remede produifoit
des évacuations fûres , douces & ailées ,
tant par les felles , que par les fueurs , les urines
& la falivation , & que la guérifon de ces malades
ayant été une fuire de l'adminiftration des dragées
, nous eftimons qu'elles peuvent être employées
avec les meilleurs fuccès pour la guérifon
de cette maladie. Fait à Strasbourg , le 25 du mois
214 MERCURE DE FRANCE.
de Mai 1758.Guérin & Paris , Médecins-Docteurs.
Leriche , Chirurgien-Major ; Bomergue , Chirur
gien- Major en fecond ; Leriche & Barbezant
Chirurgiens: Aide- Majors.
LE
AVIS.
E changement de demeure du fieur Garrot, qui
poffede feul le fecret de l'Eau des Sultanes , eſt une
raifon de l'annoncer de nouveau. Il demeure actuellement
rue des Deux-Ponts , Ile Saint-Louis ,
entre un Marchand Paperier & un Chaircutier , au
premier étage. Il prie les perfonnes qui lui écri
ront d'affranchir leurs lettres . On ne répétera point
toutes les bonnes qualités de cette Eau ; la principale
eft de rafraîchir , de raffermir & d'embellir
la peau. Le prix du flacon eft de 6 liv. & celui du
demi-flacon 3 liv.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier;
le fecond Mercure du mois d'Octobre , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 16 Octobre 1758. GUIROY
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSI.
VERS fur la mort de M. le Comte de Broglie ,
page s
L'Amour , la Beauté & la Laideur, Fable , 6 &
Héroïde. Canacée , fille d'Eole , roi des vents à
21-5
fon frere Macarée . Imitation d'Ovide , ibid.
L'Amour & les Oifeleurs , 13
Boutade,fur la fauffe félicité , 14
Lettre à M...、.16
La Bienfaiſance , Ode à M. le Comte de Saint Florentin
, Miniftre & Secretaire d'Etat , le jour de
S. Louis fa fête , 34
Réponse à cette Question : Lequel est le plus fatisfaifant
defupplanter un Rival aimé , ou de fou
mettre un coeur tout neuf. Par Madame *** , 41
Portrait de l'auteur des vers précédens ,
Caracteres diftinctifs de l'Efprit & de l'imagination
, par M. N. P. F. de I.
44
45
Extrait d'une lettre d'an Gentilhomme Anglois ,
ci -devant au ſervice de France , à un de fes amis
à Paris ,
I
Vers par M. Gaillard ,
49
505.1
Vers à Mlle Pouponne de Molac de l'Eftival , par
le Montagnard des Pyrénées ,
Vers à Mademoiſelle de J.
54
5.6
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Vers par M. Anneix
de Souvenel ,
Le
57
59
voyage manqué , Conte par une Penfionnaire
de Breft ,
6.2
De la force de la nouveauté & de celle de la coutume
, par M. le M..is de G. à Béthune ,
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier volume du Mercure d'Octobre ,
Enigme ,
Logogryphe ,
Pot-pourry,
Chanfon ,
? 71
72
73
75
76
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite de l'Extrait du Voyage d'Italie , par M. Co-
77 chin ,
Suite de l'ami des Hommes , quatrieme partie.
216
Réponses aux objections contre les Mémoires
fur les Etats provinciaux ,
Oraifon funebre de M. le Comte de Gifors ,
99
116
125
Extrait des recherches fur les moyens de refroidir
les liqueurs ,
Difcours qui a remporté le prix d'Eloquence de
l'Académie Françoife , en l'année 1758 , par
M. Soret , Avocat , 130
Autres indications de Livres nouveaux ; 136 &
fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Grammaire. Profpectus d'une nouvelle Méthode
d'enfeigner le Latin , par M. l'Abbé Legeron ,
143
Médecine. Lettre à l'Auteur du Mercure , 153
Séance publique de l'Académie des Sciences &
Belles- Lettres de Montauban ,
Affemblé publique de l'Acad. des Belles -Lettres
de Montauban ,
ART. IV . BEAUX-ARTS.
Pharmacie. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Deffein &c.
Gravure &c.
ART. V. SPECTACLES.
Opera ,
Comédie Françoife ,
Comédie Italienne ,
Opera Comique ,
ARTICLE VI.
158
160
165
170
171
181
182
192
197
Nouvelles étrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c ,
Mariage & Morts,
Avis ,
De l'Imprimerie de Ch . Ant. Jombert .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères