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MERCURE.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET. 1758.
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Chez
Cashin
Filiusine
PupillenSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty .
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
MBL
EGIA
CENSIS .
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du
Mercure eft chex M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
Tecouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avume , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fals piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payerons
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs deport .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
IG volumes .
Les Libraires des
provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
sure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi , Mercredi
Jeudi de chaque semaine , après- midi.
#
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Estampes & Mufique à annoncer ¦
d'en marquer le prix.
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Li
vres , Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
་
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1758 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE CHEVAL
ET LES DEUX ASNES ,
Αν
FABLE.
Au temps du gentil la Fontaine ,
Temps , où les animaux parloient ,
Difcouroient entr'eux , raifonnoient ,
Mieux qu'aujourd'hui ne fait l'efpece humaine ,
Un cheval affez bien inftruit ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et furtout verfé dans l'hiftoire ,
Pour amufer les fiens , & le faire avec fruit ;
N'avoit recours qu'à fa mémoire.
Un jour qu'il les entretenoit
Des malheurs de la pauvre Troye ,
Avec chaleur il leur peignoit
Cette Ville aux flammes en proye ;
Contre Sinon fe gendarmoit ,
Le traitoit de chien d'hypocrite ;
Et pardeffus tout il blầmoit
Des crédules Troyens l'imbécile conduite.
Un Baudet par des cris affreux ,
Vint interrompre là l'hiſtoire ; ·
Lance à l'Hiftorien un regard furieux ,
Lâche quelques gros mots , & quitte l'auditoire.
On eft furpris de voir tel animal
Paroître en bonne compagnie ,
S'échauffer & ruer , faire un bruit infernal ;
A propos de quoi je vous prie ?
Cet Afne étoit un Afne reſpecté ,
Etant de ceux qui portent des Reliques ;
Et dont la fotte vanité
Se voit dans les fabuleufes chroniques :
Il faut fçavoir auffi qu'un des ancêtres fiens
Etoit dans la ville de Troye ,
Quand Meffieurs les Grecs , aux Troyens ,
Vinrent donner du rabat-joie
Et que dans cette émotion ,
Il avoit à l'Etat rendu très- bon office ,
JUILLET. 1758.
En fe chargeant de la portion ,
La plus utile à fon fervice.
Du bon Priam , c'étoit le Cuifinier ;
Lequel , cherchant fon falut dans la fuite 7
Chemin faifant , rencontre món Courfier ,
Saute deffus , & fait tane qu'il évite
De tomber en barbares mains.
Grace au galop de notre bête afinė ;
Notre homme demeure aux Latins ,
Et n'ira point aux Grecs révéler leur cuisine?
Falloit-il s'étonner fi Monfieur ſon parent
Avoit pris feu dans notre affaire ?
Ce fervice aux Troyens qui l'attache hautemens
Peut-il être ignoré de quelqu'un fur la terre ?
Ainfi le Bauder , à bon droit ,
Regardoit comme impertinence ;
Ce qui devant lui fe difoit
Contre cette Troyenne engeance.
Le Cheval pourtant l'ignoroit ,
Soit faute de mémoire ,
Soit qu'un Ecrivain maladroit.
L'eût oublié dans fon hiftoire .
Cependant notre Afne ombrageux
Ne refpiroit que la vengeance ,
Ne pouvant par état paroître courageux ,
En quelles mains remettre cette offenſe !
Il avoit un cadet , brave comme un Céfar ;
A la guerre il avoit porté maint équipage ,
Il avoit couru maint hazard ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Et fon frere difoit qu'il aimoit le tapage.
De la commiffion ce dernier trop jaloux ,
Menace le Cheval , l'attend en un paffage ,
Le voit: Monfieur , tôt battons-nous ,
Ou je fais Afne à faire rage :
Le Cheval d'un regard auroit pu l'atterrer;
Mais il aimoit la raillerie ,
Et loin de l'affommer , il voulut terminer
Par une petite ironie.
Vous , Monfeigneur , vous battre ! en vérité
Ce feroit trop vous compromettre ;
Le nom que vous portez eft partout refpecté ;
Vous vous tirez de tout en maître ,
Et ce n'eft vis-à-vis des gens de mon eſpece
Qu'il faut expofer votre Alteffe.
L'Afne le crut ; on s'en eft bien douté :
Eft- ce bétife , ou vanité ?
>
LA CONSTANCE COURONNÉE ,
Anecdote
Par
Madame de St *** .
ARAMINTE avoit eu en partage les dons
les plus précieux ; l'efprit , les graces , la
beauté. Avec tant de charmes , & un million
de bien , pouvoit - elle manquer de
plaire? Sa cour fut bientôt nombreufe . Les
petits Maîtres , les beaux efprits , les gens
à prétention ; tous ceux qui fe croyoient
JUILLET. 1758 . 9
aimables ( le nombre en eft grand ) , vinrent
en foule lui rendre leurs hommages.
Les minauderies des uns , les propos étu
diés des autres , les manieres de tous , leurs
déclarations, leur manege l'amufoient , comment
auroient-ils pu la toucher ? Au caractere
le plus folide , elle joignoit le coeur
le plus tendre : il auroit fallu lui reffembler
pour lui plaire , & des fiecles entiers
ne produifent pas un coeur de la trempe du
fien . Elle crut cependant l'avoir trouvé
chez Erafte. Il joignoit à beaucoup d'efprit
une figure charmante. Depuis longtemps
en poffeffion de fubjuguer toutes les
femmes , il crut que la conquête d'Araminte
manquoit à fa gloire. Il lui rendit
des foins ; il foupira , il parla amour. Il
étoit fi féduifant , il difoit les chofes d'un
air fi perfuafif, qu'elle faillit s'y méprendre
; mais bientôt rendu à elle- même , elle
démêla le motif qui le faifoit agir. Non ,
Eraſte , lui dit - elle , vous ne me ferez point
illufion. La vanité eft le mobile de toutes
vos actions ; vous n'avez jamais connu
l'amour , il peut feul me toucher. Erafte
fe retira ; le perfonnage qu'il jouoit commençoit
à lui être à charge.
Peu de jours après Damon arriva de
Paris. Il venoit de finir fes exercices. Dans
un âge où l'on ne refpire que le plaifir ,
Αν
To MERCURE DE FRANCE:
Damon ne s'occupoit que de l'étude des
belles - lettres. Diftingué par fa naiffance
héritier d'un bien confidérable , fait à
peindre , de la plus jolie figure du monde ,
on étoit étonné de lui voir un éloignement
marqué pour tout ce qui fait la paffion des
jeunes gens. Ce n'eft pas que fa philofophie
eût rien de fingulier , rien de fauvage.
Il étoit toujours vêtu très -galamment ,
il voyoit le monde , il difoit même des
douceurs aux femmes ; l'ufage le vouloit ,
il fçavoit s'y conformer.
Quoiqu'il fe fût fouvent expliqué fur
la réfolution où il étoit de ne jamais s'engager,
il fentoit bien qu'une femme , telle
que fon coeur la defiroit , le feroit aisément
changer ; mais il défefpéroit de la trouver.
Une femme jolie & tendre dans le fiecle
où nous fommes , difoit - il , eft un être
de raifon. Son erreur ne dura pas longtemps.
Il vit Araminte. Tant d'attraits lui
firent éprouver des fentimens qui avoient
pour lui les charmes de la nouveauté. It
voulut fe diffimuler que c'étoit de l'amour.
Je l'eftime , je l'admire , dit - il à un de ſes
amis ; je vous avouerai même que fi elle a
le coeur auffi tendre que fa phyfionomie &
fes manieres paroiffent le promettre , je
bornerai tout mon bonheur à lui plaire.
Mais fur quoi m'en affurer les apparences
JUILLET. 1738. I I
font fi trompeufes on ne facrifie plus
qu'à la coquetterie... Quelques entretiens
lui dévoilerent l'intérieur d'Araminte. Il y
vit des fentimens fi délicats , une répugnance
fi forte pour les bagatelles , tant de
folidité , tant de vertu , qu'il en devint
bientôt éperduement amoureux .
On peut prendre le change fur les autres
fentimens , mais jamais fur le vrai amour ;
les traits qui le caractérifent font trop remarquables.
Araminte fut fenfible à la
douceur d'être aimée ; la tendreffe de Damon
triompha de fon indifférence , elle
aima.
¡ Oui , Damon , lui dit - elle un jour , vous
avez fçu me perfuader , vous avez fçu me
plaire pourquoi rougirois - je de vous
l'avouer Mais pour ma fatisfaction , pour
mon repos , pour le bonheur de mes jours ,
partez , éloignez vous pendant deux ans :
fi au bout de ce temps- là vous n'êtes point
changé , le don de ma main eft le prix que
je réſerve à votre conftance . Damon murmura
contre un arrêt auffi cruel il mig
tout en ufage pour le faire révoquer , il ſe
plaignit d'un excès de délicateſſe qui alloit
le rendre le plus malheureux des hommes . ,
Vouloir éprouver mon amour , c'eft douter
de fa fincérité , dit-il à Araminte .. C'eſt
chercher à affurer le bonheur de mes jours
AVI.
12 MERCURE DE FRANCE.
J'aime trop pour ne vouloir pas être aimée
de même. Mon mari fera mon Amant , &
je veux dans mon Amant autant de conftance
que de délicateffe. Damon repliqua ,
mais il ne put rien gagner ; Araminte perfifta
dans fa réfolution , il partit.
Araminte avoit placé auprès de Damon
un Valet de chambre , qui étoit entiérement
dans fes intérêts : il devoit l'informer
de tout ce que feroit fon maître.
Rendu à la ville qu'il avoit choifie pour
fon féjour , Damon fe renferma chez lui :
s'il en fortoit quelquefois , c'étoit pour
aller fe promener ; les endroits les plus
déferts , les plus écartés étoient ceux qui
lui plaifoient le plus. Point d'ami , nulle
efpece de liaiſon avec perfonne : on auroit
dit qu'il avoit rompu avec le genre humain.
Des livres , les lettres d'Araminte
faifoient tous fes plaifirs. Il en recevoit
fouvent le fentiment les avoit dictées.
Que dans fon malheur il fe trouvoit heureux
d'être aimé auffi délicatement !
Cette jeune perfonne inftruite de la
conduite de fon Amant , ne ceffoit de fe
louer du choix qu'elle avoit fait. Dans un
fiecle où l'amour n'eft regardé que comme
un jeu , difoit - elle quelquefois à une de
fes amies , où la frivolité eft devenue l'apanage
des deux fexes , où l'on ne facrifie
JUILLET. 1758 . 13
qu'à la vanité, à l'intérêt & à la débauche :
ne fuis- je pas heureuſe d'avoir trouvé un
coeur comme celui de Damon ? Il fçait feul
aimer . Que les jours que nous coulerens
enſemble feront purs & fereins ! Que les
plaifirs qui fuivront notre union feront
vifs ! Ils prendront leur fource dans une
tendreffe réciproque : l'amour comblera
tous nos defirs.
La fin de l'exil de Damon approchoit
il touchoit au moment fi defiré , lorfqu'on
lui remit une lettre d'Araminte conçue en
ces termes :
و ر
→
«Je n'étois pas née pour être heureufe ;
» je viens de l'éprouver . De l'état le plus
» brillant , je tombe tout- à- coup dans la
plus affreufe indigence . Un malheur
auffi foudain qu'imprévu m'enleve tou-
» tes mes richeffes . Ce n'eft pas elles que
» je regrette , vous devez en être perfuadé
: mais ne dois- je pas me plaindré
» contre le deftin qui me ravit un Amant
fi tendrement aimé ? Car de croire
que
» votre amour foit à l'épreuve d'un pareil
» coup , ce feroit trop fe flatter . Cette dé-
» licateffe de fentimens n'eft plus connue
» il y auroit de l'injuftice à l'exiger. Foible
» reffource que les attraits quand on n'a
plus de bien ! Il me refte encore de quoi
» aller me jetter dans un cloître. Dans le
و د
"
ود
14 MERCURE DE FRANCE.
"
"
déplorable état où eft ma fortune , c'eft
l'unique parti que j'aie à prendre. J'y
pleurerai mes malheurs , j'y pleurerai
» mon Amant. Heureuſe , fi je puis parve-
» nir à recouvrer un repos qui va être
» déformais l'objet de mes defirs ! »
"
Que je fuis heureux , s'écria Damon !
Chere Araminte , je ne vous trouvois
d'autre défaut que celui d'être trop riche.
Le croiriez-vous , vos richeffes vous rendoient
moins aimable à mes yeux. Mille
fois , oui , mille fois j'ai fouhaité que Vous
fuffiez née dans le fein de la pauvreté.
J'aurai donc ce plaifir fi doux pour les
coeurs fenfibles , de combler de bienfaits ,
d'honorer , de rendre heureux ce que j'aime.
Partons , courons , volons ; l'amour
vous vangera des injuftices de la fortune.
Il part animé de l'efpoir fi flatteur de
revoir le cher objet de toute fa tendreffe.
Inftruite de fon départ , Araminte prend
les plus juftes mefures pour aider au ftratagême
qu'elle avoit fi heureuſement ima
giné. Il la trouve occupée à préparer de
fes mains délicates un repas frugal . Une
chambre obfcure lui fervoit de domicile ;
un mauvais lit , quelques chaifes en faifoient
tout l'ornement. Quelle occupation !
quel féjour Araminte , s'écrie-t'il ! Chere
Araminte , quel changement de fortune !
JUILLET. 1758.
f
dans quel abaiffement le fort vous a t'il
réduite ! Mais non , il ne fçauroit vous
abaiffer. Peut-on ne pas admirer tant de
modération , tant de fermeté , dans un revers
auffi cruel & auffi fubit La gran
deur de votre ame paroît avec un éclat
auprès duquel difparoît le faux brillant des
grandeurs humaines. Vous m'avez cru ca,
pable de vous facrifier à un vil intérêt :
ah! Araminte , rendiez - vous juftice à mes
fentimens Ces yeux , ces beaux yeux
dont la douceur charme , enchante , ravit ,
ces traits dont l'enſemble eft fi touchant ;
cet air , ce port , cette taille , ces graces ,
cet efprit , ce coeur furtout qui eft au deffus
de tous les éloges ; voilà les feules richeffes
dont je fais cas. Non , je ne me
plaindrai point des rigueurs de la fortune ,
repliqua Araminte ; je n'ai au contraire
qu'à m'en louer. Qu'il m'eft doux d'être
aimée avec tant de délicateffe ! que vos
fentimens flattent agréablement les miens ,
cher Damon ! Nos coeurs font faits l'un
pour l'autre il n'y a que leur réunion qui
puiffe nous rendre heureux ; & fans l'évé
nement , dirai je cruel ou heureux , qui
m'a enlevé toutes mes richeffes , aurois- je
jamais fenti le plaifir fi pur , fi parfait que
je goûte dans cet inftant ! Trop délicate. ,
trop paffionnée , pour ne pas me faire des
16 MERCURE DE FRANCE.
peines imaginaires, j'aurois peut- être attri
bué votre amour à un motif d'intérêt
grace à la fortune , mes alarmes font diffipées
, & mon bonheur affuré ; j'ofe au
moins m'en flatter.
Que ne fit point Damon pour prouver
à Araminte combien il étoit fenfible à tout
ce qu'elle lui avoit dit de tendre & de
flatteur ! Il tomba à fes genoux ; fes foupirs
, quelques larmes , fon filence parlerent
pour lui . Dans une fituation pareille
à celle de Damon , on ne fçait que garder
le filence.
Rien ne s'oppofoit au bonheur de nos
deux Amans ils crurent y devoir mettre
le fceau. Le jour fut fixé pour la célébration
de leur mariage. Avec quel plaifir
Damon ne vit - il pas arriver ce jour fi
defiré !
Tout étoit prêt pour la cérémonie ,
lorfqu'Araminte eut quelques éblouiffe
mens qui eurent les fuítes les plus fâcheufes.
La petite-vérole fe déclara avec les
fymptômes les plus terribles : deux jours
de maladie la réduifirent à la derniere extrêmité.
On annonce à Damon le danger
d'Araminte ; il vole à fon appartement ,
malgré la défenfe qu'elle lui avoit faite d'y
paroître. Dans quel état la trouve - t'il !
Une pâleur livide , des yeux éteints , une
JUILLET. 1758. 17
refpiration embarraffée , tout fembloit annoncer
une mort prochaine. Quel fpectacle
pour un Amant ! Ah ! Damon , dit-elle
d'une voix mourante , qu'avez - vous fait ?
pourquoi aller contre mes ordres ? pourquoi
venir troubler mes derniers momens ?
Votre tendreffe redouble mes maux , en
augmentant l'amour de la vie , fi naturel à
l'homme. Qu'il m'en coûte pour me réfigner
aux ordres du ciel ! Cher Amant , cher
époux , vous feul m'occupez dans des momens
qu'un foin bien différent devroit
remplir. Je ne vous verrai plus. Que cette
idée eft cruelle ! Trop affligé pour fe plain
dre , Damon ne répondit rien ; un air
abattu , des regards languiffans , des yeux
mouillés de larmes , fes fréquens foupirs
parloient affez pour lui.
Le ciel eut pitié de fes maux. Après
quelques jours d'alarmes , Araminte donna
tout à espérer. Sa jeuneffe & la bonté de
fon tempérament la tirerent d'affaire.
Quelle joie pour Damon ! Avec quels
tranfports n'apprit- il pas la nouvelle de fa
convalefcence. Il faut l'avouer , le propre
des peines eft de rendre les plaifirs plus
piquans. Plus la crainte de perdre Araminte
avoit été grande , plus le plaifir de
la pofféder paroiffoit doux à Damon.
Cette jeune perfonne n'étoit pas tout-à48
MERCURE DE FRANCE
,
fait auffi contente : elle appréhendoit pour
fa beauté. Ce n'eft pas que , femblable à la
plupart des femmes , elle donnât rous fes
foins , toute fa complaifance , toute ſa tendreffe
à un auffi frivole avantage : non
fans doute ; Araminte penfoit trop folide
ment pour faire cas d'un bien fragile ,
d'une fleur que le moindre fouffle peut
ternit mais cette beauté lui affuroit le
coeur d'un Amant tendrement aimé ; elle
fe l'imaginoit au moins pouvoit- elle ne
pas en redouter la perte !
A peine fut- elle hors de danger , que ne
voulant point paroître aux yeux de Damon
dans l'état où elle étoit , elle le fit prier
de laiffer paffer quelque temps fans venir
chez elle ; Damon murmura , mais il
aimoit ; il ne fçut qu'obéir. Araminte confultoit
tous les jours fon miroir ; il lut apprenoit
ce qu'elle devoit efpérer ou crain
dre bientôt elle ne flotta plus entre la
crainte & l'efpérance ; le mafque qui défiguroit
fes trais tomba : cet agrément , cette
délicateffe qui les rendoient fi touchans ,
reparurent ; fon teint reprit fon premier
éclat ; elle n'avoit jamais été fi belle .
Il me vient une idée , dit- elle un jour
à une de fes amies , pour qui elle n'avoit
rien de caché ; vous la trouverez folle ,
yous la trouverez extravagante : je veux
JUILLET. 1758. ます
pourtant me fatisfaire à quelque prix que
ce foit. Damon m'aime , je ne puis en
douter ; mais fi cet amour n'eft fondé que
fur mon peu de beauté , dois-je m'atten
dre à conferver long- temps fon coeur ? C'eft
à la poffeffion de ce coeur qu'eft attaché
tout le bonheur de mes jours ; puis-je prendre
trop de précautions pour me l'afsûrer ?
Je ne veux point d'un bonheur paffager
je ferois trop fenfible au changement de
mon fort. L'abfence , la perte imaginaire
de toutes mes richeffes n'ont pu changer.
Damon. Voyons fi fon amour tiendra contre
la perte de ma beauté. Ce fut en vain
qu'on repréfenta à Araminte que l'épreu
ve étoit trop forte ; qu'en voulant élever
trop haut l'édifice de fon bonheur , elle
couroit rifque de le voir renverfer de
fond- en- comble ; qu'on s'accoutumoit à la
figure , & que les changemens qui y arrivoient
n'étoient ni affez confidérables
ni affez fubits pour produire un effet fenfible
; qu'à fon âge on voyoit ces changemens
dans un avenir fi éloigné , qu'il y
avoit de la folie à s'en inquiéter ; que
Damon d'ailleurs découvrant chaque jour
en elle mille qualités charmantes , ne s'appercevroit
feulement pas de la diminution
de fa beauté. Tout fut inutile. Inébranlable
dans fa réfolution , elle écrivit à
Damon la lettre fuivante :
20 MERCURE DE FRANCE.
« C'eſt pour le coup qu'il n'y a plus de
» remede à mes maux . La fortune a enfin
épuifé fur moi les derniers traits de fa
و و
malignité . Cette beauté , dont les fem-
» mes font tant de cas , cette beauté , qui
» ne m'étoit chere que parce que je croyois
» lui devoir toute votre tendreffe , je l'ai
و د
perdué , & avec elle l'efpoir d'être à
" Damon. Que cette idée eft accablante !
» Doutez-vous de ce que je vous dis ? Ve-
» nez vous en afsûrer . Dois-je compter
» encore fur votre coeur ? Je n'ai que de
» l'amour à vous offrir ; fera-ce affez pour
» Damon ? Ç'en feroit affez pour la ten-
» dre & malheureufe Araminte. 3
Ç'en fera bien affez pour moi , s'écria
Damon avec tranfport ! Votre tendreffe
peut feule combler tous mes défirs . Il
vole chez Araminte ; elle s'attendoit à fa
vifite ; une drogue préparée avec foin &
appliquée fur le vifage , lui changeoit entiérement
la phyfionomie. Damon ne la
reconnut qu'à l'émotion qu'il éprouva.
Quel moment pour Araminte ! Son fort
alloit être décidée ; elle aimoit éperduement
, pouvoit- elle être tranquille ? Non ,
Araminte , dit Damon , quelqu'étonnant ,
quelque prodigieux que foit le changement
, il ne produira aucun effet fur moi ,
je fuis toujours le même . Quelqu'adJUILLET.
1758. 21
mirable
que fût votre beauté , ce n'étoit
pas elle qui m'avoit charmé. Les graces
de votre efprit , la douceur de votre caractere
, ce coeur furtout , qui feul vous
difpenferoit de tout autre mérite ; voilà
les qualités que j'aime en vous , voilà
ce qui m'a infpiré une paffion qui ne finira
qu'avec ma vie. Ne vous oppafez
donc plus à mon bonheur. Que cer
inftant couronne mes feux ! Ç'en eſt trop ,
cher amant , répondit Araminte , vous ferez
heureux , & vous méritez de l'être.
Votre coeur eft tel que le mien le défire ;
rien ne troublera déformais notre félicité.
Ce que j'ai fait n'a été que pour vous
éprouver : vous allez juger par vous- même
fi je fuis encore digne de vous plaire.
En finiffant ces mots elle ôta l'efpece de
mafque qui la défiguroit ; jamais elle n'avoit
été fi belle. Que vois - je , s'écria
Damon furpris & tranfporté ! Sçaviezvous
que ma délicateffe ne s'accommode
nullement de la fupercherie que vous m'a
vez faite : vous doutiez donc de la fincérité
& de la durée de mon amour ? .. Je
n'en doutois point , Damon , mais je craignois
de perdre votre coeur en perdant
ma beauté. Me voilà raffurée , me voilà
heureuſe ; je vous dirai même plus , le
renversement de ma fortune n'a été ima1
MERCURE DE FRANCE.
giné que pour éprouver votre tendreffe ;
je poffede toujours les mêmes richeſſes ...
Quoi continuellement des nouveaux
fujets de plainte ? Vous avez pu me croire
capable de n'agir que par un motif d'intérêt
Ah ! Araminte , méritai- je de pareils
Loupçons !
L'amour prit lui-même la défenfe d'Araminte
: on ne pouvoit lui reprocher que
trop de délicateffe ; elle fut bientôt juftifiée
dans l'efprit de Damon : il tomba à
fes genoux ; il la fupplia de ne plus mettre
d'obftacle à fa félicité.... İls furent
mariés le même jour. Moins époux qu'amans
, leur union fut pour eux une fource
intariffable de plaifirs. Dans un fiecle où
l'on croiroit fe faire tort en aimant fa
femme , la tendreffe de Damon fut d'abord
tournée en ridicule ; elle lui attira
mille froides plaifanteries ; il tint bon,, une
eftime générale fucceda à la raillerie : c'eft
l'effet ordinaire de la vertu . Damon fut
toujours regardé depuis comme le modele
des amans & des maris,
+
JUILLET. 1758.
23
ODE
ANACRÉONTIQUE ,
A Madame G... de P.. ,
ENFIN cede , cede , Sylvie ,
A l'hommage ardent de mes feux ;
La Reine aimable de ma vie
Eft toujours rébelle à mes voeux,
Un Dieu charmant veut dans ton ame
S'élever un brillant Autel ;
Laiffes-y pénétrer fa flamme ,
Et rends fon triomphe immortel,
Reçois la couronne galante
D'un Souverain voluptueux ;
Il étend fa main bienfaifante ;
Et l'Amour te préfere aux Dieux,
*
Que fous tes pas naiffe la rofe ,
Goûte les charmes du défir :
Ah ! la feule loi qu'il impofe,
C'eft de fe foumettre au plaifir,
Que d'épines chargent ma chaîne !
Quand marcherai-je fur les fleurs ?
Au moins dans le fein de la peine
Scais-je me forger des douceurs
14.
MERCURE
DE FRANCE
.
Une illufion fécourable "
Enchante mon tendre tourment.
Je crois voir l'ingrate adorable
Qui dédaigne & fuit fon Amant.
Je te regarde , je t'admire ,
Mes yeux te peignent mon ardeur
Et je te parle fans rien dire :
Le foupir eft la voix du coeur.
Ce n'eft plus Sylvie infléxible
Qui s'honore d'un dur mépris :
C'eft une maîtreffe fenfible ...
L'amour de l'amour est le prix.
Un trouble inconnu la colore ,
Soudain je vole entre fes bras :
Timide , elle réfifte encore ;
Mais qu'un tel obftacle a d'appash
Quelles délices dans un fonge!
Que j'en chéris la fauffeté !
Hélas ! Sylvie , à ce menfonge
Fais fuccéder la vérité.
Jaloufe d'une folle gloire.,
De l'Amour ne crains point le trait ;
Si je remporte la victoire .
Ton Vainqueur fera ton fujet. G. M. A...
LETTRE
JUILLET. 1758. 25
LETTRE de Madame de St ... M...
à Mademoiselle de N...
Je viens de paffer quelques jours à la
campagne chez la Comteffe de C.... Vous
la connoiffez , elle a beaucoup d'efprit ,
& il eft difficile de l'avoir plus orné &
plus amufant . Un cabinet de livres choifis
eft le lieu de fon château où elle fe plaît
le plus ; nous y étions fouvent. Parmi une
foule de brochures qui y font , j'ai lu avec
plaifir celle dont vous m'avez parlé quelquefois
, & qui a pour titre , Réflexions fur
le Comique-larmoyant , par un Accadémicien
de la Rochelle . Quelqu'agréable qu'en foit
le ftyle , quelque pure qu'en foit la diction
, cet ouvrage ne m'a pas perfuadé.
Dans un fiecle philofophe comme le nôtre,
l'efprit ne prévaudra point fur la raifon,
& quelqu'efforts que l'on faffe pour
faire tomber le nouveau genre qui s'eft
emparé de la ſcene , je doute qu'on y réuffiffe
; mais voyons fi les raifons fur lefquelles
fe fonde l'Académicien de la Rochelle ,
font auffi folides que brillantes.
« Ce n'eft pas chez les anciens , dit- il
» d'abord , que les Auteurs du nouveau
genre ont puifé la maniere plaintive , &
II.Vol B
26 MERCURE DE FRANCE.
?
» la victoire ne feroit pas long-temps in-
» certaine , fi elle dépendoit de leurs exemples
, ou même de ceux des Poëtes François
, qui ont brillé fur le théâtre jufqu'au
commencement de ce fiecle. Le
» concours de tant d'autorités pourroit
» fans doute former une démonſtration
" victorieufe . »
J'avoue que l'on ne trouve pas chez les
anciens des exemples de ce nouveau genre,
qu'on appelle Comique- larmoyant : mais
combien de beautés dans tous les genres
de littérature , inconnues aux anciens ,
qui font l'ornement de nos ouvrages modernes
! combien de chofes ont échappé à
ceux que nous regardons comme nos maî-
& qui n'ont peut - être pardeffus
nous que l'avantage de nous avoir précé
dés ! « Dans ce nouveau genre , dit- il ailleurs
, les incidens ne naiffent que pour
faire couler les larmes , & l'on fort en-
» fin d'un fpectacle comique le coeur auffi
>> ferré de douleur que fi l'on venoit de
» voir repréſenter Médée ou Thyefte .
tres ,
"2
23
Eft- ce connoître le coeur humain , que
de croire qu'un fpectacle qui nous attendrit
, jette l'ame dans une fituation pénible
& douloureuſe J'en appelle à l'expérience
d'un chacun ; les larmes que nous
verfons à la repréſentation de Phedre
JUILLET. 1758. 27
n'ont-elles pas une douceur , un charme
inexprimable.
Quant au changement de fituation , à
ce paffage rapide d'une reconnoiffance
tendre & paffionnée au badinage d'une
foubrette & d'un petit maître , peut - il ne
pas produire un effet agréable ? On ne
veut pas toujours pleurer le tendre ,
le touchant a quelquefois befoin d'être
égayé par quelques traits plaifans & badins.
Que l'ode , le poëme épique , l'éloquence
& l'hiftoire foient parvenus à leur perfection
, c'est ce qu'on pourroit conteſter.
Je veux bien pourtant l'accorder. Qu'Homere,
Virgile, Pindare, Horace, Thucidide ,
Tite- Live , Tacite , foient des modeles excellens
à fuivre , c'eft ce dont perfonne ne
doute mais il n'en eft pas moins vrai
que dans certains genres , plufieurs modernes
fe font ouvert des carrieres nouvelles
, qu'ils ont fournies avec tout le
fuccès poffible.
:
J'avoue avec notre Académicien , que
tout ce qui anéantit l'effet principal d'un
ouvrage , eft un défaut effentiel ; mais
quel eft le but , quel eft l'objet d'un poëme
dramatique ? C'eft fans doute de plaire
: on ne peut donc pas dire du nouveau
genre , depuis long - temps en poffeffion
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
de produire cet effet , qu'il anéantifle celui
de la Comédie.
Encore une fois , peut- on croire que les
Situations triftes & extraordinaires , peintes
avec les couleurs les plus vives , amenées
avec art , puiffent faire fur nous des
impreffions douloureufes ? Elles nous font
verfer des larmes ; mais je l'ai déja dit ,
ce font des larmes douces , qui prennent
leur fource dans un fentiment agréable .
On veut que les moeurs n'ayent retiré
aucun profit de cette nouvelle efpece de
Comédie. En ont- elles retiré des Comédies
de Moliere ? Y a t'il moins d'avares ,
moins de petits maîtres , moins de faux
beaux efprits , moins d'hypocrites ? &c.
Mais , continue-t'on , tout eft confondu
, plus de bornes qui féparent le cothurne
du brodequin .
Peut-on ignorer que le rare , le pitoyable
, le tendre font du reffort de l'un &
de l'autre ? Pourquoi des perfonnages communs
ne feroient- ils pas fufceptibles des
mêmes fentimens , des mêmes paffions ,
que les perfonnages les plus relevés ? Un
homme de condition ne peut-il pas aimer
auffi tendrement , avec autant de délicateffe
qu'un Prince ? Non , les bornes ne
feront pas confondues , tant que la Comédie
ne s'élevera pas jufqu'au terrible qui
JUILLET. 1758.1 20
tiendra toujours dans la tragédie une place
qu'il ne peut avoir ailleurs.
Je pourrois encore ajouter , que plus
le coeur eft remué à un fpectacle , plus les
plaifirs qu'il nous procure font vifs. Qu'on
ne contefte donc pas au nouveau genre
l'avantage de plaire ; il plaît depuis trop
long-temps , & a des gens trop éclairés.
EPITRE
SUR L'AGE D'OR ,
A l'Anonyme de Chartrait , près Melun.
CONSOLE-TÓI , cher Ami , d'être né ,
Pendant ce temps qu'on croit peu fortuné ,
Où l'on prétend que la vertu fommeille ,
Lorfque toujours dans ton ame elle veille.
Fades Cenfeurs , croyez qu'il dure encor
Dans nos climats cet heureux fiecle d'or ,
Age de Rhée où l'on dit que les hommes
Etoient meilleurs qu'à préfent nous ne ſom
mes.
Tout eft encor ce qu'il fut autrefois :
On n'a changé de vertus ni de loix.
Rien de nouveau , je le tiens de deux Sages ,
Rien de nouveau que les noms , les uſages..
Que fert d'outrer nos crimes , nos malheurs ?
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Eft - ce en grondant qu'on veut fécher nes
pleurs ?
Ce jeune enfant qu'un bobo déſeſpere ,
Eft appaifé , foulagé par ſa mere :
On ne va point irriter fon dépit ;
On le confole , on le flatte , il guérit.
L'humaine espece a l'humeur enfantine ;
Plus vous criez , plus elle ſe mutine.
Sufpendez- les ces cris injurieux ,
De nos erreurs critiques ennuyeux.
De la raiſon fanatiques Apôtres ,
Par vos chagrins vous aigriffez les nôtress
A vous entendre , aujourd'hui plus pervers,
L'homme a groffi les maux de l'Univers ;
Il ne fuit plus ni vertu , ni juſtice ,
Il dort en paix au bord d'un précipice :
Il dort , cruels , & pendant fon fommeil ,
Vous l'accablez ! Quel fera fon réveil !
Eh ! malheureux ! laiffe la réprimande :
Un prompt fecours , voilà ce qu'on demande.
Tous nos défauts par tes foins rédigés ,
Sont bien connus ; mais font-ils corrigés à
Que fervira ton regrêt emphatique
Sur les plaifirs d'un fiecle chimérique ?
Virgile , Ovide , avant toi l'ont décrit.
Mais en crois-tu des contes pleins d'eſprit è
Non , car penfer que l'humaine nature
Ait tout un fiecle été fans impofture ,
Ait ignoré ce que c'eſt que le mal ,
JUILLET. 1758.
Se figurer que ce fier animal ,
Ce Roi fougueux de la Numide plage ;
Durant cent ans ait paffé pour un fage ,
Que le ferpent n'ait point eu de venin ,
Et que le loup ait épargné Robin ,
"
Ce merveilleux très - foiblement me touche ;
Erreur , abus le lion fut farouche ,
Le loup cruel , l'homme foible & méchant 7
Tout en un mot fuit fon premier penchant.
Ces noirs torrens de fouffre & de bitume
Qu'un choc rapide échauffe , irrite , allume ,
Par le foleil attirés dans les airs ,
Furent toujours l'effroi de l'Univers ;
: Dans tous les temps la mer fut orageuſe ,
Le paon ſuperbe , & telle eau vénimeufe.
Mais fuppofons que , vrais dans leurs difcours,
Nos bons Ayeux ayent connu ces beaux jours ,
Et que d'eux feuls la nature idolâtre ,
Soit plus avare , & nous traite en marâtre ,
Qu'elle ait pour nous réfervé les poifons
Les noirs chagrins , le fiel des trahifons ,
De l'intérêt la foif & les intrigues ,
Et de l'orgueil les dédains & les brigues ,
Qu'enfin pour nous tous les maux deſtinés
Soient notre lot , même avant d'être nés ;
Nous croirons-nous de vertus incapables ,
N'aurons-nous donc que des plaisirs coupa
bles ,
Et n'eft-il point de ce bon fiecle d'or
Biv
32 MERCURE DE FRANCE!
"
Quelque bienfait dont on jouiffe encor
Parmi les biens que la terre nous donne ,
Parmi ces fleurs dont Eglé fe couronne
Quel doux objet confole ma raifon !
La rofe croît à côté du chardon .
La rofe étoit , je crois , du temps de Rhée ;
Elle lui fut , m'a- t'on dit , confacrée :
S'il eft ainfi , quelque eſpoir m'eft rendu ,
Nous n'avons pas , comme on voit tou
perdu .
>
"
Au fonds des bois le Tourtereau fidele ,
Des vrais Amans eft encor le modele ,
Comme autrefois le Pigeon eft fans fiel ,
L'Abeille encor pour nous pêtrit ſon miel :
Dans fon tombeau que lentement il file
Le Ver-à-foie en mourapt eft utile .
Voyez bondir au milieu du troupeau
Cette Brebis fiere de fon fardeau.
Ses bêlemens femblent dire à Glicere :
Careffez-moi , je ferai bientôt mere.
Cette autre accourt , & fe laiffe ravir
Une toifon qu'elle fçait nous fervir ,
A pas tardifs ces Chevres effoufflées
Traînent vers nous leurs mammelles gonflées ,
Fut-on plus riche aux jours de nos Ayeux ?
Le Roffignol enfin chanta- t'il mieux ?
N'eft- ce donc rien que cet air de décence ,
Qui de Céphile annonce l'innocence ?
Belle fans art , douce fans le fçavoir
JUILLET. 1758. 33
Dans l'âge d'or pouvoit- on plus avoir
Car, je le fçais , ce n'eft point par contrainte
Qu'à la candeur Céphife s'eft reftrainte :
Libre d'agir ou de penfer du moins,
Elle pouvoit par de perfides foins ,
Sous les dehors d'une vertu plâtrée ,
Cacher le coeur de Mégere ou d'Atrée.
Mais non , Céphiſe au feul amour du bien ,
Par goût , par choix voue aujourd'hui le fiem
Ne penſe pas , Cenfeur atrabilaire ,
Que Peintre adroit d'un Etre imaginaire ,
D'un faux éclat je fouille ce tableau ;
D'autres portraits s'offrent à mon pinceau.
Porte les yeux dans l'eſpace du monde ,
Vois près du Nil cette terre féconde :
Tout y retrace à l'efprit enchanté
Les jours fereins du fiecle tant vanté' ;
La bonne Aftrée y daigne reparoître ,
L'Américain l'aime fans la connoître :
Parmi les feux , la foudre , les volcans
De l'Africain elle reçoit l'encens .
Mais fans courir l'un & l'autre tropique ,
Sans attefter les vertus d'un Cacique ,
Pour te convaincre , il eſt dans nos climats ,,
Il eft des fleurs qu'épargnent les frimats :
Oui , du printemps trop courte eft la durée ;
Mais fa couleur n'eſt pas défigurée.
Sur les humains trop lents. au repentir ,
La main des Dieux a pu s'appelantin
સર
34 MERCURE DE FRANCE.
!
Ce fut juſtice , & non accès de rage :
Elle n'a point déchiré ſon ouvrage ;
Ses traits facrés fur le front des profcrits
Brillent toujours ... Mais d'où naiffent ces
cris ?
A la clarté des flambeaux funéraires
Ne vois-tu pas couler des pleurs finceres ?
Qui les répand ? C'eſt une époufe en deuil..è
Suivons les pas , marchons vers ce cercueil.
O reftes chers de l'humaine conftance !
De fes foupirs la muette éloquence
Ont dans mon fein fait paſſer fa douleur ;
Non , de l'orgueil cet enfant impofteur ,
Qui par accès fanglotant d'heure en heure ,
Semble crier : Regardez-moi , je pleure ;
Non , ces foupirs avec art concertés ,
Bientôt moins grands, s'ils font moins écoutés
Mais ces regrets , ces larmes précieuſes ,
Epanchement des ames généreufes ,
Que la vertu fait couler de nos yeux,
Telle douleur eft un don précieux.
Heft , dit-on , des ingrats fur la terre ,
Monftres que doit écraser le tonnerre
Race cruelle , & que rien ne fléchit ,
Toujours rongeant le fein qui l'enrichit ,
Qu'à l'amitié rien ne porte , n'excite ;
Sans foi , fans loi , partant race maudite :
Eh bien d'accord . Je conviens avec vous:
Que nous cachons des ferpens parmi nous ,
พ
JUILLET. 1758. 35
Serpens humains pleins de fiel & d'adreffe ;
Mais qu'en conclure enfin contre l'efpece ?
Que tout mortel par ce crime emporté ,
A fait divorce avec l'humanité ,
Et que le Ciel qui gouverne le monde ,
Ne voit qu'ingrats fous la machine ronde:
Très-mal conclu. Certes , toutes les fleurs
N'ethalent point d'agréables odeurs :
Le beau pavot dont la couleur impofe ,
Ne répand point le parfum de la rofe.
Le même fol toutefois les nourrit ,
Egalement leur éclat nous rávit :
Mais devons- nous dans nos fureurs malignes
Par le feul gland juger le fruit des vignes :
Toi , dont l'ingtat irrité les dédains ,
Ceffe à fon poids de pefer les humains ,
1
Et réponds-moi : Ce monftre indigne d'être
Du,bienfait feul a dû tirer fon être :
Au moins faut-il qu'un jufte fon appui ,
Dans fes malheurs ait eu pitié de lui ,
Ait adouci , foulagé fa mifere ,
L'ait en un mot regardé comme un frère.
Ou je me trompe , ou bien tu vois encor
Dans ce mortel , l'homme du fiecle d'or.
Chez les humains dont tu juges la caufe ,
A chaque vice une vertu s'oppoſe.
Que dirois-tu d'un efprit entêté ,
Qui , de la nuit blåmant l'obfcurité ,
Blafphêmeroit les Dieux qui l'ont dû faire ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
2
Sans réfléchir qu'il tient d'eux la lumiere ?
Te verroit- on à fes cris infenfés
Haïr les Dieux qu'il auroit offenfés
Pour nos Ayeux ton eftime eft profonde ;
Mais dans quel temps , dans quel âge due
monde
>' Voudrois - tu mettre un Rei , nouveau Titus „
Qui nombreroit les jours par fes vertus ,
Qui , chériffant un peuple qui l'adore ,
Verroit fon nom célébré chaque aurore ,,
Qui combleroit de biens fes ennemis
Et quoique Roi compteroit des amis ?
Qui dépofant l'orgueil du diadême.
Daigneroit dire à fon fujet : Je t'aime ,
Qui près de lui faiſant affeoir la paix ,
A fa valeur ne permettroit jamais
De fe livrer aux horreurs de la guerre ,.
Que pour hâter le repos de la terre ;
Et qui des arts appuis de fa grandeur ,
Au plus haut point porteroit la fplendeur ,
Dédaigneroit l'éclat qui l'environne ,
Et feroit homme en portant la couronne ?
Tu penferois que ce Roi bienfaifant ,
L'honneur du monde , humain , compatiffant ,
N'a dû régner qu'en ce temps d'innocence
Que vit Aftrée,, & que ta bouche encenſe ;
Qu'enfin ce Roi , rival de Saturnus
*
A partagé le trône de Janus..
Tuvoudrois bien , nous prouvant ton ſyſtème
JUILLET. 1758. 37
Contre nos jours lancer tel anathême ;
Si tes regards du portrait éblouis ,
En l'admirant n'euffent nommé Louis.
Puis vante-nous le vieil époux de Rhée ,
Le bon Janus , & ta févere Aftrée,
Qui fans raifon quitta notre féjour.
Les Dieux benins en me donnant le jour ,
Pour mon bonheur m'ont daigné faire naître,.
Tandis que regne un fi paifible Maître.
Trois fois heureux eft le fiecle où je vis :
Siecle de fer ! âge que je chéris !
Où l'homme n'eft plus méchant ni moins
Lage ,
Qu'il ne le fut fans doute au premier âge.!
Trop cher Ami , te défoleras-tu „
2
Pour ne plus voir , fi jamais on l'a vu ,
Le Loup content de fes moeurs innocentes,
Paître à côté des Brebis bondiffantes ,
L'Aigle dans l'air refpecter les Vautours ,
L'Homme fans bruit vivre parmi les Ours ,
Et l'Etre enfin , de nos Dieux le chef- d'oeuvre ,
Impunément marcher für la Couleuvre
Dormir en paix avec le Sanglier,
Et fe loger fous quelque peuplier ?
De ne plus voir leur fade nourriture
Couvrir la terre & mûrir fans culture
Ah ! fur ce point adoucis tes regrets ,
En contemplant nos granges , nos guéres..
Pour nos Ayeux la terre étoit fertile..
38 MERCURE DE FRANCE.
Pareil miracle à croire eft très- facile ;
Il ne faut pas prendre des foins fort grands ,
Quand on veut bien fe contenter de glands.
Tant qu'on voudra qu'on admire nos peres ,
Tel mêts à moi ne me conviendroit gueres ;
J'aime bien mieux labourer mon jardin ,
Enter la pêche , étayer lè raiſin ,
Qu'attendant tout de ma mere nature ,
A des fruits verds borner ma nourriture.
Je concluds donc enfin de tout ceci
Que l'Age d'Or fe trouve encor ici ,
Que comme alors nos plaifirs font peu ftables
Mais auffi purs ; les humains fupportables :
Que comme alors tous ne font point parfaits ,
Mais qu'on les peut aimer comme ils font
faits.
DE MONZAL.
RÉPONSE
De Anonyme de Chartrait.
ON amitié feule égale ton ftyle.
Je fuis tout confolé : crois- moi ,
Avec un Ami tel que toi ,
De s'affliger il feroit difficile.
Te voir eft mon plaifir , t'aimer eft mon tréfor:
L'âge où tu vis , Monzal , eft pour moi l'Age
JUILLET. 1758. 39
RÉFLEXIONS.
QuUAND l'homme ne trouve point jour
à parler de lui , il faifit l'occafion de parder
de ceux qu'il veut déprimer : fi ce qu'il
dit des autres n'a pas trait avec lui- même
il cherche à intéreffer l'amour- propre de
ceux qu'il veut s'attacher.
Ce n'eft dans la vie qu'un combat de
jeux & de défis où chacun affigne un prix
à l'efprit.
?
L'homme eft incompréhenfible & tient
cela de naiffance. Le mênie enfant pleure
de ce qu'on ne lui donne point , & dans
le même inftant il refufe en pleurant ce
qu'il avoit demandé.
Comme on eft parvenu à la connoiffance
de tout ce qui nous environne , à la
honte même de ceux qui avoient donné à
la nature quelques qualités occultes , quel
eft le fort ingrat qui ne nous donne pas le
bien de nous connoître ?
Un homme qui a de l'acquit dans le
monde , que l'on ne voit point recherché
fur lui même , & qui cherche à plaire à fes
amis , voilà ce qu'on demande , & ce défir
eft fi actuel , qu'on ne pense pas devoir être
le même.
40 MERGURE DE FRANCE.
Il me femble qu'il en eft à peu près de
notre politeffe comme il en eft de nos habits
de goût , où il entre beaucoup plus
d'art & de fineffe que de naturel.
Tel ne fçait varier le ton , felon les différentes
finuofités d'un efprit diffimulé ,
bifarre , pour ne plus agir que felon le
mouvement d'un naturel doux & bienfaifant
, qui fe trouve en proie tôt ou tard à
la fatyre & aux brocards de fes propres
concitoyens.
Silene eft obligeant par toutes les quali-
τές que l'on peut dire être nées du coeur ;
mais elles font quelquefois fubordonnées
aux fumées du vin ; il vous commence un
compliment par vous louer , & le finit par
vous railler .
Il ne faudroit prefque plus , dans le
fiecle où nous vivons , ni bonté , ni candeur
, ni bonne foi , tant il y a peu de fincérité
parmi les hommes. La plupart fe déguifent
, & fe tiennent fur la réferve pour
minuter ce qu'ils veulent dire , afin de
ne point donner de prife à l'homme , qu'ils
regardent comme leur ennemi né, & ils ne
font jamais en défaut vis-à- vis de leur
pre fûreté.
pro--
Toutes nos démarches ne font qu'intri
gues & menées , ou , pour mieux dire , la
vie n'eft qu'un jeu d'application ; l'un enJUILLET.
1758. 41
leve une piece de l'échiquier , un autre une
autre , & il arrive après tout cela que l'un
ou l'autre est toujours mâté.
Il eft affez ordinaire , que quand l'on eft
retiré chez ſoi , la modeftie regle nos penfées
, nos difcours & nos façons vis - à - vis
de notre ami mais en compagnie la fatuité
nous porte à changer de ton , & pour y
paroître , on plaifante aux dépens d'un
ami , que l'on avoit fagement loué en particulier.
D'ordinaire fi le confeil eft bon , la preu
ve s'en tire de l'obftination de celui qui
n'a point voulu en faire ufage .
Obliger un homme de ne point donner
dans le fpécieux , un homme qui argumente
, de nous fauver de la diftinction
c'eft prendre un homme à fon ferment.
*
La vie de l'homme n'eft qu'un jour varié
par la fumiere & l'obfcurité ( ce que
les Lapons éprouvent mieux que nous ) ;
on fe leve , on mange , on fe couche , on
marche , on agit & l'on parle : ce font autant
d'opinions momentanées qui reglent
ce grand jour. Les mois , les jours , les années
ne font que des marques fpécifiques
pour en défigner les inftans , fans quoi l'on
ne pourroit ftatuer fur ce qui auroit fuivi
ou précédé.Ainfi l'on peut bien dire : Nous
nous coucherons , nous nous leverons , &
42 MERCURE DE FRANCE:
nous payerons ce qu'il vous eft dû tantôt
nous mangerons , nous boirons , & nous
mourrons tantôt .
Toutes nos maladies font de notre état ,
& de la mauvaiſe difpofition de nos affaires
une ame accablée de chagrins fe partage
avec le corps.
La Chymie ne connoît point de remedes
naturels >
& le public n'en connoît
point d'autres que des décompofitions chimiques.
Pour fe promettre une vie longue , il
faudroit prendre le remede avant la maladie.
C'eft à force de mettre de l'imagination
à nos penfées , que nous venons à outrer
la droite raifon , & nos raifonnemens ,
comme ils peuvent être faux , nous portent
à des démarches qu'un fentiment
intime peut défapprouver.
L'homme par un mauvais raffinement ,
corrompt fa raifon , & la rend inférieure à
l'inftinct des bêtes. Buvez , dit quelqu'un ,
parce qu'il faut boire : on le fait fans befoin
, & l'on fe tue le corps : les animaux
fe laiffent conduire par la foif.
Malgré l'art des Médecins , ( dit- on ,
qui nous affaffinent ) , il me femble que le
monde eft affez peuplé , & l'on tient de
la place. Si le même art pouvoit immortalifer
, l'on feroit ferré.
JUILLET. 1758 45
Ce n'eft point la nature du mal qui nous
fait plaindre nos femblables , c'eft le bien
que l'on veut aux perfonnes qui ne fçauroient
nous, porter envie on ne plaint
point un financier à qui l'on a fait un gros
vol : on s'étonne feulement qu'il fe foit
laiffé duper.
On ne fe fait point aux traits d'un envieux
qui nous relance à mefure que nous
avançons notre fortune , & l'on devient
d'autant plus irréconciliable , que l'un ne
renonce jamais à l'avantage du mérite , &
l'autre au déplaifir que lui caufe l'avancement
de fon prochain .
L'amour est un bien indiqué par l'indifférence
& la haine , & l'on fe dédommage
par la haine de la perte de l'amour.
Les confidences ont plus de part à l'envie
de parler , que les propos minutieux :
les Etrangers nous accufent d'inconftance
& de légèreté , & ils rient de nos modes.
Ce qu'il y a de plaifant , c'eft que prefque
tous nos marchands en font autant.
Un homme qui fçauroit tout ce que
tant d'autres ont écrit , feroit ce que l'on
appelle fçavant : mais parmi tant de fyftêmes
développés , parmi tant d'objections
& de critiques , parmi tant d'oppofitions
dans les fentimens , fçauroit- il à quoi s'en
tenir ?
44 MERCURE DE FRANCE.
D'ordinaire on n'étudie point fa lan
gue , on l'apprend à la longue. Nous goûttons
en paffant quelques traits de morale ,
& l'on ne fe fait point un capital de la
fcience des moeurs.
On pourroit dreffer des tablettes littéraires
pour fervir de regle dans le jugement
que l'on doit faire des Auteurs anciens
& modernes. Chaque penfée a fon
prix , & il feroit aifé de relever chaque
page.
La mémoire eft la faculté qui demeure
le plus fidélement attachée à l'âme. Elle fe
trouve dans les gens du premier âge , fe
reproduit chez les adultes . Elle eft prefque
la feule qui rette à la vieilleffe. Plus un
vieillard perd du côté du bonfens , plus il
femble gagner de ce côté- là ; il eft vrai
que les chofes préfentes lui échappent' ,
mais il a les anciennes à fa difpofition qui
lui tiennent lieu de raifonnement : la mémoire
chez lui n'eft plus qu'un fens dénaturé.
Il n'y a pas de plus grand défordre que
dans la morale. Il eft affez rare en relevant
tout ce qu'elle a dit , d'y voir affez de méthode
, pour ne point dire que les fciences
qui paroiffent aur deffus de la condition de
l'homme, ne foient mieux traitées.
Il y a un nombre prodigieux de livres
JUILLET. 1758. 45
imprimés qui pourroient fe réduire à fix
volumes. Il eft plus d'un Curieux qui , pour
une penſée , a eu celle de mettre un livre
au jour,
VERS
A Mademoiselle Arnoud , fur fon rôle de
Pfyché.
IMMORTELLE MMORTELLE Pfyché , recevez mon hommage;
De vos talens il eft l'ouvrage .
Vos charmes , votre efprit , votre jeu , vos accens
Enchantent tous les coeurs , & captivent nos fens,
Vous méritez qu'un Statuaire
Dans le Temple des Arts repréſente vos traits ;
Jugez vous- même des effets
Que chez les mortels a pu faire
L'affemblage de vos attraits ,
Puifqu'à l'Amour vous fçavez plaire,
Des fêtes de Paphos l'Auteur ingénieux
yous fait par Terpfichore offrir une couronne ;
Il prévient nos defirs , il enchante nos yeux ,
Et chaque fpectateur , comme lui , vous la donne,
A Mile Lemiere , fur fon rôle de l'Amour,
Ja craignois le Dieu des Amans ;
Je l'avois vu perfide , inhumain & volage ;
46 MERCURE DE FRANCE.
... Mais quand il tient votre langage ,
C'eſt un Dieu plein de fentimens .
Si l'Amour est charmant , adorable Lemiere ,
Vous êtes mille fois plus charmante que lui ,
Puifqu'en ce jour , pour mieux nous plaire ,
Il a befoin de votre appui.
A Mademoiselle Lany , fur fa danfe dans le
Ballet de l'Inconftance .
IMABLE mufe de la danſe ,
J'avois juré de n'être plus Amant ;
Je ne crains point qu'Amour s'offenfe ,
Si pour vous je romps mon ferment :
Croiroit-on que votre inconftance
M'eût fait changer de fentiment ?
A Mademoiselle Puvigné , fur fa danfe dans
le pas de deux.
Aussi belle qu'Iris , que Flore & que Pomone ,
USSI
Vous enchantez mon coeur ,
De vos pas la légèreté
aimable Puvigné ;
Attire , émeut , féduit , étonne.
Quelle riante nouveauté ?
Vous formez un tableau que le goût affaiſonne ;
Aux charmes de la volupté ,
Il faut enfin qu'on s'abandonne.
Lorfque vous couronnez Pfyché ,
Le Public auffi vous couronne ,
JUILLET. 1758 . 47
TRADUCTION de la neuvieme Ode
du troifieme Livre d'Horace. Donec
gratus , &c, Stances irrégulieres.
HORACE , THÉMIRE ( 1 ) .
QUA
Et
Horace.
UAND tu m'aimois , trop ingrate Thémire ;
que ton coeur n'étoit fait que pour
Plus fortuné qu'un Roi ,
moi;
Je paffois d'heureux jours fous ton aimable empire.
Thémire .
Quand tu m'aimois , & que nulle rivale
Ne troubloit les tranſports de nos tendres amours ;
A celle d'Ilia ma gloire étoit égale :
Heureufe , ainfi que toi , je paffois d'heureux
jours.
Horace.
J'adore Iris : Iris dont le doux chant ,
Joint aux fans de fon luth , tient mon ame
affervie.
(1 ) Le texte porte Lydie ; mais j'ai cru pouvoir
yfubftituer le nom de Thémire. Dans la traduction
des OEuvres d'Horace qui vient de paroître
M. le Préfident Bouhier met Sylvie au lieu de
Chloé , Philene au lieu de Calais,
48 MERCURE DE FRANCE.
Pour elle , je mourrois content ,
Si le ciel à ce prix lui confervoit la vie.
Thémire.
Le beau Lydas me ravit & m'enchante ,
Il me fait fans ceffe la cour :
Oui , je mourrois deux fois contente ,
Si le ciel à ce prix lui confervoit le jour.
Horace.
Mais fi , quittant ma nouvelle maîtreſſe ,
Vers un plus cher objet je fixois mon ardeur ;
Si par un prompt retour que dicte la tendreffe ,
J'offrois à Thémire mon coeur.
Thémire.
Quoique le beau Lydas m'ait engagé fa foi ,
Et que tu fois inconftant & volage ;
De mon fincere amour , pour te donner un gage ;
Je voudrois vivre & mourir avec toi.
LE TRIOMPHE
DE LA RAISON ,
DANS
ALLEGORIE.
ANS le premier âge du monde , la
vertu & la raison régnoient fur les hommes
. Elles les rendoient heureux mais
Lous le regne de Nembrod , les paffions
jufqu'alors
JUILLET. 1758 . 49
jufqu'alors inconnues , commencerent à
paroître fous celui de Sémiramis ; elles
devinrent fi puiffantes , qu'elles entreprirent
de chaffer la vertu & la raiſon. Cellesci
abandonnées des humains , & trop foibles
pour réfifter à leurs cruels ennemis ,
abandonnerent l'Empire que Jupiter leur
avoit donné fur les hommes ; & fous le
nom d'Uteris & de Norafs , elles furent
chercher dans les déferts un afyle affuré.
Ceux qu'elles avoient rendus heureux , les
abandonnerent. Mélanie , & Céphale fon
épouſe , eurent feuls le courage de les fuivre.
Couple heureux ! pourquoi n'a-t'on
pas celui de vous imiter !
Elles fixerent leur féjour dans une
grotte que la nature avoit pris foin d'embellir
. Elle étoit tapiffée de coquillages de
différentes couleurs ; leurs nuances n'étoient
point afforties avec art ; elles ne formoient
point de ces compartimens réguliers
qui ne préfentent jamais aux yeux que le
même objet , & dont l'uniformité nous
laffe. L'irrégularité avec laquelle elles
étoient placées , offroit toujours quelque
choſe de nouveau à la vue . Elle étoit pavée
d'un gazon en tout temps émaillé de
Aeurs ; une prairie charmante l'entouroit ;
fa fraîcheur étoit entretenue par un ruif-
Leau qui faifoit mille détours , & dont lea
11, Pol C
;
50%
MERCURE DE FRANCE.
eaux plus claires que le cryftal , rouloient
lentement fur un fable argenté. Son doux
murmure mêlé avec le gazouillement de
mille oifeaux , formoit un concert délicieux.
Affez près de -là, on voyoit une forêt
impénétrable aux rayons du foleil . Les
chaînes auffi vieux que les temps élevoient,
à l'envi, leurs têtes orgueilleufes; le jafmin
& le chevre-feuille , quoique foibles arbuftes
, n'avoient pas voulu leur laiffer la gloire.
d'embellir feul cette aimable féjour . Ils
s'étoient entrelaffés dans leurs rameaux ,
& la terre étoit couverte des fleurs qu'ils
laiffoient tomber.
Peu de jours après fon arrivée dans ces
beaux lieux , Mélanie mit au jour un fils.
Elle l'élevoit avec grand foin , elle l'aimoit
tendrement , fa vie étoit douce & tranquille
; mais le Deftin jaloux de fon bonheur
, lui enleva fon époux. Que feroitelle
devenue à ce funefte coup fans laVertų
& laRaifon ! Elles ne l'abandonnerent point
à fes peines. Pleurez , lui dirent-elles : votre
douleur eft jufte , mais elle doit avoir des
bornes : vos larmes deviendroient enfin cri
minelles , & vous devez refpecter les ordres
du deftin .
· Mélanie toujours docile à leurs raiſons ,
effuya bientôt fes larmes. Les Dieux touchés
de fa foumiffion , réfolurent de
JUILLET. 1758.
réunir à fon époux . Les Parques obéiffent
à l'inftant , & vont trancher le fil de fes
jours. Elle fent avec tranquillité approcher
la fin de fa vie; & ce moment fi terrible
pour ceux qu'afferviffent les paffions , fut
pour elle rempli de charmes. Elle prend
fon fils , l'embraffe tendrement ; & le remettant
dans les bras d'Utéris & de Noraïs :
N'abandonnez pas ce cher enfant , leur ditelle
; qu'il foit élevé par vous ; dites- moi
que vous lui ferez à jamais éviter les paffions
, & je defcendrai fans regret fur les
fombres bords.
Ce que vous demandez ne dépend pas
de nous , répondit Utéris .Votre fils éprou
vera leur tyranie ; ainfi l'ordonne le deftin.
A ces mots Mélanie parut accablée du chagrin
le plus vif. Tranquillifez- vous , reprit
Norais votre fils , il eft vrai , ne fuivra
pas toujours la vertu : une bouillante jeuneffe
le livrera aux paffions ; mais je fçaur
rai le retirer d'une efclavage honteux , &
le ramener à la vertu .
Mélanie fatisfaite voulut lui marquer fa
reconnoiffance ; mais elle expira . Son ame
alla habiter les champs Elifées .
Iphis (c'étoit le nom de cet enfant chéri )
ne connut donc plus d'autre mere qu'Utéris
& Norais. Il paffoit près d'elles la vie la
plus heureufe. Une partie du jour étoit
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
employée à l'étude & aux exercices qui
convenoient à fon âge ; le refte à des amuſemens
innocens : la vertu & la raifon ne
les condamnent pas. La chaffe , la pêche ,
la promenade lui fourniffoient tous les
jours des plaifirs nouveaux. Heureux s'il
eût toujours vécu ainfi ! Mais le temps
prefcrit par le deftin approchoit ; il avoit
atteint fa quinzieme année , lorfqu'Utéris
lui fit ce difcours.
Je vais , mon cher Iphis , quitter cet
aimable féjour. Une partie de mes fujets
me rappelle. Oubliant leur ingratitude ,
je vole à leur fecours . Avez - vous le courage
de me fuivre ? Ce doute m'humilie &
m'afflige , répondit Iphis , le vifage couvert
d'une rougeur modefte. Quoi ! aimable
Utéris , avez -vous pu penfer que je
yous abandonnerois n'eft- ce pas vous, qui
faites tout le bonheur de ma vie n'ai - je
pas toujours fait gloire de vous fuivre ?
Il eft vrai , reprit Utéris ; mais dans ces
déferts , éloigné des paffions , vous n'aviez
pas d'obftacle à furmonter. Je ne veux
point vous en impofer pour faivre mes
pas : il vous faudra livrer tous les jours de
nouveaux combats ; l'amour , l'ambition
la prodigalité , l'avarice , chercheront à
vous féduire : pour peu que vous prêtiez
l'oreille à leur voix enchantereffe , vous
yous égarerez,
JUILLET. 1758.
Non , reprit Iphis avec vivacité ; rien
n'eft capable de me féparer de vous. J'ai
merois mieux fubir la mort la plus cruelle ;
je fuivrai vos traces , j'en fuis fûr ; Noraïs
fera mon guide.
Je vois avec chagrin , reprit celle- ci ,
que la préfomption a déja infecté votre
coeur. Quoi fans me confulter vous comptez
fur moi ! Voilà l'aveuglement des foibles
mortels , s'écria t'elle ! Efclaves des
paffions , ils croyent encore que je leur fers
de guide ; & lorfque touchée de leurs
maux , je viens à leurs fecours , ils font an
défefpoir de me reconnoître , & m'accablent
d'injures. Je fuis foible , hantaine ,
ennemie des plaifirs . Loin de contribuer à
leur bonheur , je les rends malheureux .
C'eft ainfi que vous penferez dans peu ,
pourfuivit - elle en fe tournant du côté
d'Iphis ; mais apprenez , jeune homme
que j'abandonne aux paffions ceux qui
comptent trop fur moi , & ce n'eft que par
la crainte de me perdre qu'on peut me
conferver. Mais c'eft employer trop de
temps en difcours inutiles ; allons , chere
Utéris , au fecours de ceux qui nous appellent
, nous trouverons encore des fujets
fideles.
Iphis peu fait aux reproches de Noraïs ,
en fut accablé ; & tombant à fes genoux :
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Abandonnerez - vous , lui dit- il , le fils de
Mélanie ? avez- vous oublié qu'il fut confié
à vos foins ?
Je vous aime toujours , dit- elle en l'embraffant
tendrement ; & malgré votre préſomption
, je veux bien éclairer vos pas.
Mais pour ne vous point égarer , veillez
toujours fur vous-même , & ne me perdez
jamais de vue. Il promit de fuivre exactement
fon avis : elles continuerent leur
route.
Les Paffions inftruites de la réfolution
qu'elle avoit prife de fe montrer à l'Uni
vers , en furent effrayées . Elles fçavoient
bien que la vertu & la raifon , quoique
peu fuivies des hommes, en étoient toujours
reſpectées ; leurs noms même étoient facrés
parmi eux : ils fe rappelloient avec plaifir
la douceur de leur regne ; & plufieurs
laffés enfin de la tyrannie de leurs ennemis
, les cherchoient déja avec empreffement.
Il parut donc néceffaire aux Paffions
de s'oppofer aux progrès qu'elles pourroient
faire . Elles s'affemblent en tumulte ;
elles tiennent un confeil , où préfident la
Colere , l'Envie & la Vengeance . Chacune
dit fon avis : elles fe difputent , fe querellent
. Ce ne font plus ces Paffions qui ,
pour féduire les mortels , affectent tant de
douceur. Elles avoient quitté le voile qui
JUILLET. 1758.
les couvre : la fureur les anime ; elles en
viennent aux mains les unes avec les
autres.
Arrêtez , leur cria l'Illufion . Avez - vous
oublié que je puis feule empêcher les hu
mains de retourner à la vertu ? Vous le
fçavez , une feule voie conduit à elle. Je
me placerai à l'entrée ; je gagnerai ceux
qui s'y préfenteront : je les ramenerai fûrement
à vous ; & s'ils la retrouvent un jour ,
je jure par le ftyx , que ce ne fera que
lorfqu'ils auront cet âge qui les rend inca
pables de vous fuivre.
A ces mots une joie folle s'empare d'elles :
elles croyent déja voir la vertu & la raifon
abandonnées des hommes , elles fe font
encore le barbare plaifir de leur enlever le
jeune Iphis. Elles confient ce foin à la plus
cruelle des paffions . Elle cachoit fa malice
fous un air tendre & enfantin. Pour mieux
féduire les hommes , elle fe faifoit précéder
par les jeux & les ris : mais bientôt ils
s'envolent ; & on voit en leur place les
foupçons , l'inquiétude , la noiresalonfie ,
la haine , la fureur , & quelquefois les
meurtres les plus affreux. Malgré tant
d'horreurs
, elle avoit trouvé le fecret
de fe faire déifier ; & fous le beau nom
d'amour , elle régnoit furtout l'Univers :
les Poëtes mêmes aveuglés par elle , chan-
Civ
46 MERCURE DE FRANCE.
toient la douceur de fon empire. Depuis
long temps , elle étoit jaloufe du bonheur
d'Iphis ; elle ne négligea rien pour le féduire.
Elle prend les traits d'un bel enfant ,
charge fes épaules d'un carquois ; & tenant
à la main le flambeau fatal dont elle enflamme
les coeurs , précédée par l'Illufion ,
les Jeux & les Ris , elle vole au devant
d'Iphis. Dès qu'elle paroît , elle répand fes
preſtiges fur la terre. Il la voit à l'inſtant
changer de face. Les prairies font plus
belles ; les fleurs ornées de couleurs plus
vives ; elles exhalent des parfums exquis ;
l'oranger & le myrthe fe tiennent enfemble
, & forment des réduits charmans ; les
tendres oiſeaux femblent par leurs chants
appeller l'Amour ; un concert voluptueux
fe fait entendre , & les échos répetent
mille fois le nom de plaifir. L'Amour , les
Jeux & les Ris entourent Iphis. Il ne peut
réfifter à tant de charmes , bientôt il perd
fa tranquillité une joie folâtre s'empare
de fon coeur ; il ne raifonne plus , & les
fuit à Babylone.
Sémiramis régnoit dans cette fuperbe
Ville. Cette grande Reine , que fon courage
élevoit au deffus de fon fiecle , fut
tour-à-tour la victime de l'ambition & .de
l'amour. Pour fatisfaire la premiere , elle
JUILLET. 1758. 57
avoit rélégué dans une Province éloignée
le jeune Ninias , fon fils : elle craignoit
qu'il ne prît un jour les rênes de l'Empire ,
que fon pere lui avoit laiffé . Pour fe raffurer
contre cette crainte , elle voulut le
rendre incapable de régner , en le faiſant
élever dans les bras de la Molleffe . Mais le
Dieu de Cythere, toujours ennemi de l'ambition
, enleva le jeune Prince ', le conduifit
à Babylone , & remplit le coeur de Sé
miramis de l'amour le plus tendre pour ce
fils qu'elle ne connoiffoit pas. Oubliant
l'ambition , elle fe livra fans réſerve à fa
derniere paffion . Elle n'étoit plus occupée
que du foin de plaire à Ninias , quoiqu'elle
ne fût plus dans la premiere jeuneffe . Sa
cour devint le centre des plaifirs : les réflexions
furent bannies de ce féjour malheureux
on ne s'occupoit : que de bal , de
fpectacle & de feftins , dont la licence faifoit
horreur à la raifon & àla vertu ; enfin
de ces plaifirs bruyans qui , en ébranlant
l'ame , la rendent incapable de goûter les
plaifirs doux & innocens.
Iphis trouva bientôt languiffans ceux
qu'il avoit goûtés dans la folitude , & fe
livra fans referve à ceux que la molleffe
lui préfenta. Mais de tels plaifirs font- ils
faits pour remplir le coeur de l'homme ? Il
trouve du vuide dans le fien : il porte par-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
tout une inquiétude dont il ne veut pas
connoître la caufe ; & pour s'en affranchir,
il ſe livre inutilement à de nouveaux plaifirs.
La Raifon crut avoir trouvé le moment
favorable pour le ramener à la vertu. Elleparoît
, mais il tourne fes regards d'un
autre côté.
Eft- ce Iphis , dit-elle , qui fuit ma vue ?
Iphis , à qui dès fon enfance j'ai prodigué
les plus tendres foins ? Qu'ai-je donc qui
puiffe vous effrayer ? Vous êtes trop févere
, lui dit - il ; vous condamnez tous les
plaifirs.
Je ne condamne , repliqua-t'elle , que
ceux que procurent les paffions , parce
qu'ils font faux & trompeurs , & qu'ils
êtent à l'ame la tranquillité qui doit
faire fon bonheur . Mais raifonnons un
peu , fi toutefois on peut raifonner quand
on eft fous le joug des paffions ,
>. Raifonner ha vraiment , répartit
Iphis , vous me propofez- là un bel amufement
! Raifonner à mon âge ! c'en feroit
affez pour me perdre de réputation parmi
tous les jeunes gens de Babylone . Allez
donc raifonner avec quelques- uns de ces
vieillards que vous tenez fous votre empire
; & lorfque l'âge m'aura rendu , comme
eux , incapable de fuivre ces plaifirs
JUILLET 1758. 59
j'écouterai vos leçons. A ces mots la Raifon
difparut , & attendit un moment plus favorable
pour le tirer de fes égaremens.
Iphis charmé de s'en être débarraffé , ne
penfa plus qu'à remplir le vuide de fon
coeur par de nouveaux plaifirs . Sémiramis
donnoit un bal. Il ne négligea rien pour y
paroître avec avantage. Sa parure fut aufli
recherchée que celle d'une coquette. Satis
fait de fa figure , il fe rend au palais . A
peine eft- il entré , qu'il jette un regard
dédaigneux fur toutes les beautés qui compofoient
cette brillante affemblée. Sa vanité
lui perfuada qu'elle fe feroit une
gloire de lui plaire. Il en devint plus impertinent
; il ofa même parler avec mépris
de ce fexe aimable : c'étoit l'ufage des pe
tits- maîtres de ce temps- là ; & cet ufage ,
quoique très contraire à la politeffe , n'en
eft pas moins venu jufqu'à nous. Enfin il
alloit s'attirer la haine de toutes les femmes
& le mépris des hommes fenfés , lorfque
la jeune Elvire parut. C'étoit une brune
piquante , vive , étourdie , coquette à l'excès
; la nature l'avoit douée de toutes les
graces qui font d'ordinaire naître une viofente
paffion , & l'Amour lui avoit donné
tous les défauts qui peuvent défefpérer un
Amant. Tel étoit l'objet qu'il avoit choifi
pour rendre Iphis malheureux ; car ce Diew
Cvj
To MERCURE DE FRANCE:
cruel , qui ne fe plaît que dans les larmes
& le défefpoir , ne bleffe jamais du même
trait deux coeurs : il ne peut fouffrir des
heureux , & le vrai bonheur eft pour jamais
banni de fon empire. Choififfant
donc de fon carquois la fleche la plus aigue
, il la décoche : elle part , & va au
coeur d'Iphis faire une profonde bleffure.
L'Amour rit des maux qu'il va caufer ; &
prenant une fleche émouffée , il ne fait au
coeur d'Elvire qu'une légere égratignure.
L'infortuné Iphis fixe dans le moment
fes regards fur Elvire. Il fent en la voyant
une douce émotion : il fe place près d'elle ,
n'eft plus occupé que du foin de lui plaire.
Flattée de la préférence qu'il lui donne ,
elle lui en marqua fa reconnoiffance par
un regard des plus tendres. Il enflamma
Iphis de nouveaux feux ; & fon amour
étant trop violent pour garder le filence ,
il réfolut d'en faire l'aveu . Mais en ayant
trouvé l'occafion , il devient timide. Il ou
blie fon amour- propre , & craint de n'être
pas écouté. Qu'il connoiffoit peu les coquettes
! Elles reçoivent toujours avec
plaifir une déclaration d'amour : leur vanité
en eſt flattée : elles fe font une gloire
de l'emporter fur les autres belles : elles
croyent aimer ceux qui leur procurent ce
foible avantage ; mais dans le fonds elles
n'aiment rien.
JUILLET. 1758. 62
Elvire étoit trop pénétrante pour ne pas
s'appercevoir de fon triomphe , & du trouble
d'Iphis. Elle travailla à le raffurer : elle
y parvint.
Vos charmes , lui dit - il , ont fait fug
mon coeur une impreffion qui ne s'effacera
jamais . Je vous adore , belle Elvire : je
fais mon bonheur de vous plaire. Puis- je
efpérer qu'une paffion auffi tendre & auffi
délicate que la mienne, trouvera chez vous
de retour ?
un peu
J'admire , reprit - elle avec un fouris en
chanteur , les effets de la fympathie. Vous
avez fait fur mon coeur la même impreffion
, & je fens malgré moi que je vous
aime. Une autre , continua - t'elle , vous
auroit fait acheter par plufieurs jours de
foins un pareil aveu : mais je fuis née fincere
, & ne fçais point diffimuler mes fen
timens .
Iphis fe crut alors le plus fortuné des
mortels. Il ne trouve point de terme affez
fort pour exprimer fa joie & fon amour,
Elvire voit fon embarras avec plaifir . Ils fe
jurent mille fois une tendreffe éternelle
& l'Amour rit de leurs fermens .
La nuit cependant alloit finir fon cours ,
lorfque Morphée répandit fes pavots fur
Sémiramis & toute fa cour. Bientôt ils
fentent leurs yeux appefantis. On fort , &
6 MERCURE DE FRANCE.
thacun va fe délaffer dans les bras du fom
meil des fatigues du bal . Tout dort. Iphis
feul veut en vain fe livrer au repos : il fe
rappelle les charmes d'Elvire , le tendre
aveu qu'elle lui a fait ; & plein des tranfports
les plus vifs , il s'écrie : Amour ,
Amour! toi feul, tu peux merendre heureux,
& je veux toujours vivre fous ton empire.
Content de la réfolution qu'il vient de
prendre , il court chez Elvire. L'Inquié
tude , fous les traits d'une vieille , en gardoit
la porte. Arrêtez , lui dit- elle d'une
voix enrouée Elvire eft revenue du bal
avec une migraine horrible , elle n'eft
point vifible.
A ces mots , il fent un froid mortel :
fon fang s'arrête dans fes veines ; & bientôt
reprenant un cours trop rapide , il va
donner à fon coeur un mouvement impétueux.
Son imagination ne lui préfente que
des objets affreux. Il voit Elvire mourante
: elle tourne fur lui fes yeux languiffans
; & d'une voix prefqu'éteinte , elle
l'affure encore de fa tendreffe . Cette idée
l'attendrit. Il verfe des larmes : il croit
être féparé d'elle pour toujours. L'Efpérance
vient à fon fecours : mais elle n'eft
point affez forte pour chaffer tant d'idées
cruelles. L'Inquiétude s'étoit emparée de
Lui : elle le promene dans les lieux les plus
JUILLET. 1758
63
fombres ; elle le ramene chez lui fi fatigué ,
qu'à peine peut- il fe tenir. Il paffe la nuit
dans une agitation continuelle. Il croit que
l'aurore fe leve plus tard qu'à l'ordinaire.
Dès qu'elle paroît , il court chez Elvire :
on lui dit qu'elle fe porte mieux . Il paffe
de l'inquiétude à la joie la plus vive ; il
attend avec impatience le moment où il
lui fera permis de paroître à fes yeux.
Il arrive enfin ce moment fi fouhaité. Il
vole à fon appartement , fe jette à fes ge
noux , prend une de ces belles mains , la
baife avec tranfport , lui raconte ce qu'il a
fouffert , & l'affure de fon amour dans les
termes les plus tendres.
Elvire alloit répondre , on annonce Florinde.
Elle entre. Que devint Iphis à fa
vue ! Il peut à peine cacher le dépit qui
l'anime : il foupire , regarde tendrement
Elvire , & garde le filence. Que les momens
lui paroiffent longs ! Il attend avec
impatience le départ de Florinde ; mais
elle annonce qu'elle dînera chez Elvire . Ce
difcours l'accable : il demeure pâle , interdit
; & bientôt l'inquiétude , compagne fi
delle des paffions , vint encore le tourmenter.
Pour la cacher , il fort ; & enfeveli
dans la plus profonde rêverie , il defcend
Fefcalier. Un Prêtre d'Apollon le montoit..
Accablé par les années , fes pas étoit chan64
MERCURE DE FRANCE.
celans. Iphis , fans refpect pour le Minif
tre de ce Dieu , paffe brufquement près de
lui , le renverfe ; & fans daigner le relever
, il continue fa route.
&
que
L'Amour voit fon inquiétude , & ne le
trouve point encore affez malheureux
Venez , dit - il , Déeffe qu'enfanta l'enfer
dans fa colere ; venez , noire Jaloufie :
que la haine & la fureur vous fuivent.
Allez infecter de votre poifon le coeur d'Iphis.
Que le défefpoir arme fon bras ; qu'il
fe trace lui- même une route aux enfers
le récit de fes malheurs faffe trem
bler les ombres que les Parques ont déro
bées à ma puiffance. Il dit , & Iphis fene
un trouble qu'il ne connoît pas. Les foupçons
l'accompagnent : il doute pour la
premiere fois de la fincérité d'Elvire. Il
craint qu'un autre ne poffede fon coeur . It
cherche l'objet de fa jaloufie. Aveuglé par
elle , il le trouve dans le Prêtre qu'il vient
de renverfer. Quel eft cet homme , dit- il
Pourquoi vient-il chez Elvire feroit - il
fon Amant l'aimeroit - elle ? Non , je lui
fais une injure. Elle m'a dit qu'elle m'aimoit
: elle eft trop fincere pour me tromper.
Mais pourquoi recevoir Florinde , &
la recevoir dans le moment où je lui jurois
une tendreffe éternelle , la recevoir fans
chagrin ? Que dis-je ! Elle l'a reçue aveo
?
JUILLET. 1758.
joie : Ne feroit- elle point la confidente
d'un nouvel amour ?
Agité par mille incertitudes , il coure
chez Dorimon : c'étoit fon ami & le confident
de fes feux . Ah ! mon cher Dorimon ,
dit- il en l'embraffant , je fuis le plus malheureux
des hommes , Elvire eft une perfide
; elle me trompoit , lorfqu'elle m'affu
roit de fa tendreffe : un autre poffede fon
coeur. Quelle preuve en avez- vous , répondit
cet ami ? De très certaines , repar
tit Iphis : en fortant de fon appartement ,
j'ai rencontré un jeune homme ; il rêvoic
trop profondément pour n'être pas fon
amant. Il eſt beau , bien fait & vêtu magnifiquement.
Que de raifons pour plaire
l'ingrate !
Au portrait que vous me faites , lui dit
Dorimon , je reconnois Atis ; mais depuis
plufieurs jours ils avoient rompu enfemble.
Auroient -ils renoué ? Que m'apprenez-
vous , reprit Iphis avec vivacité ? Atis
a foupiré pour Elvire ? Elle l'aimoit ? Que
je fuis malheureux ! C'eft lui fans doute ,
qui alloit l'affurer de l'amour dont il brûle
pour elle. Dans ce moment peut-être , il
eft à fes genoux : elle lui dit qu'elle l'aime .
Ah ! je vais me venger de fa perfidie , s'écria-
t'il en fureur , en immolant à fes yeux
cet amant trop chéri . Qu'allez- vous faire ,
66 MERCURE DE FRANCE:
repliqua fon ami ? Atis eft- il refponfable
des perfidies d'Elvire ? Penfez qu'elle feule
mérite votre courroux . Hé-bien , je vais
chez elle l'accabler d'injures , & mourir
à fes pieds.
la
En vain Dorimon veut le retenir , il lai
échappe ; il court chez Elvire ; elle étoit
feule dans fon appartement : il entre ,
regarde , & déja il la trouve moins coupable.
Quoi , vous êtes ici , dit - elle en
riant ? Votre brufqué départ m'avoit fait
penfer que je ne vous reverrois plus. Et
vous le fouhaitiez peut - être , répondit
Iphis d'un ton affligé. Ah ! cruelle , pourquoi
me tromper ? Pourquoi feindre
moi une tendreffe que vous ne reffentiez
pas ? Atis feul poffede votre coeur , & je
fuis le plus malheureux des mortels.
pour
Elvire ne fut point déconcertée ; fes pareilles
fçavent diffimuler. Atis , dit- elle :
vous m'étonnez ; c'eft de tous les hommes
celui qui me plairoit le moins : prévenu
en fa faveur , il croit pofféder le coeur de
routes les belles ; cette chimere paffe chez
fui pour réalité , & il fe fait une gloire
des bonnes fortunes , dont il n'a point
joui. Cet homme , qui ne fçauroit vous
plaire , & dont vous me faites un portrait
indigne , vous l'avez cependant reçu ce
raatin. Ah ! pour le coup , la tête vous a
JUILLET. 1758. 67
tourné , reprit Elvire. Quoi , vous avez
pris pour Atis le prêtre d'Apollon ? Un
vifage décharné , un front chauve , une
longue barbe blanche , & l'habit fingulier
des miniftres de ce Dieu , n'ont pu vous
détramper.
Qu'on s'en laiffe facilement impofer par
ce qu'on aime ! Iphis perfuadé qu'Elvire
n'avoit point aimé Atis , eft honteux d'avoir
pris pour lui un vieillard décrépit ,
tombant à fes genoux ; il lui demande pardon
dans les termes les plus foumis , & lui
fait les plus tendres proteftations de l'amour
qu'il fent pour elle ; Elvire lui donne
les plus fortes affurances du fien , & il
fort rempli de la joie la plus vive.
Mais l'idée d'Atis vint bientôt le troubler
: il eſt tourmenté par mille foupçons ,
il les oublie près de l'objet aimé : en eft- il
féparé , ils reviennent avec plus de violence.
N'étant pas le maître de les chaffer ,
il cherche à les éclaircir ; il ne dort plus ;
il ne fçauroit prendre un moment de repos.
Sous des déguifemens différens , il la
fuit en tous lieux ; la nuit même il ne peut
fe réfoudre à quitter fa porte .
Il y étoit
en fentinelle , lorfqu'une vieille le prenant
dans l'obfcurité pour un autre , lui
remit un billet de la part d'Elviré . Il le
prend en tremblant ; il peut à peine refpi68
MERCURE DE FRANCE.
rer prêt à avoir l'écairciffement de fes
foupçons , il n'ofe ouvrir ce fatal billet , il
craint de trouver la maîtreffe coupable ; if
détefte fa jalousie , & ne peut s'empêcher
de lui céder : il l'ouvre donc , & lit ces
mots :
""
Vous avez tort , mon cher Damon ,
» de penfer que j'aime Iphis ; c'eſt un jeu-
» ne étourdi , qui peut amufer , mais qui
» ne fçauroit attacher : vous feul poffédez
» mon coeur , & c'eft me faire une injure
- que d'en douter. Venez donc me deman-
» der pardon , & foyez perfuadé que je
n'aimerai que vous.
Que devint Iphis à cette lecture : la
honte , le dépit , le défefpoir s'emparent
de fon coeur il fent pour lors les malheurs
inféparables de l'amour : il hait là
vie , il fouhaite la mort. Il alloit fe la donner,
lorfque la Raiſon arrêta ſon bras. Ah !
cruelle , lui dit- il , pourquoi vous préſenter
à mes yeux ? Et puifque vous n'avez
point eu affez de force pour me garantir
des paffions, laiffez- moi me fouftraire à leur
joug, en terminant une mal heureuſe vie.
Čeffer de vivre pour une maîtreffe ,
beau projet , s'écria Noraïs , & bien digne
de la paffion qui vous l'infpire ! Je
fçais ce qu'elle vous fait fouffrir , continua-
t'elle , & j'en fais touchée. Mais ,
JUILLET. 1758. 69
Iphis , c'eft dans les grands malheurs qu'il
faut montrer le plus de fermeté . Je ne
-vous dirai point qu'il faut combattre votre
ennemie , elle a pris trop d'empire fur
votre coeur pour que vous puiffiez la vain,
cre mais il faut la fuir , il faut avoir le
courage de me fuivre , & je vous réponds
de la victoire,
Oui , reprit Iphis , après un moment de
filence , oui , je vous fuivrai , trop aimable
Raifon : mais avant que de partir , je
vais chez Elvire l'accabler de reproches ,
& lui montrer tout le mépris que je fens
pour elle.
Vous voulez donc encore être le jouer
de fa coquetterie ? Et bien , allez à fes
pieds lui jurer une tendreffe éternelle ;
elle fçaura vous perfuader qu'elle n'eft pas
coupable , & .... Ah ! plût aux Dieux
qu'elle fût innocente , interrompit Iphis !
Mais peut-être l'eft-elle , peut-être lui fais
je tort d'en douter. Elle avoit l'air fi fincere
, lorfqu'elle m'affuroit de fa tendreffe.
Et ce billet que vous avez reçu , reparrit
la Raifon , à qui s'adreffoit- il ? Ah !
cruelle , pourquoi me rappeller fa perfidie
? Je voulois l'oublier , mais peut- être
reviendroit-elle à moi . Ne vous en flattez
pas , reprit encore Noraïs; mais quand elle
reviendroit , n'avez-vous pas éprouv
70 MERCURE DE FRANCE.
les peines de l'amour ? Ne fentez - vous
pas qu'il ne fçauroit rendre heureux
Faut- il , pour vous en convaincre , retracer
à vos yeux les cruautés de cette paffion
? Faut- il vous dire le fpectacle fanglant
qu'elle vient de donner à Babylone
Vous fçavez la tendreffe que Sémiramis
reffentoit pour Ninias depuis long-temps :
cette grande Reine étoit dévorée par la`jaloufie
; elle a fçu que Ninias & fon amante
devoient fe rendre au milieu de la nuit ,
au tombeau de Ninus. Sans refpecter les
manes de fon époux , elle y eft accourue
pour immoler fa rivale aux yeux de fon
amant. Le glaive étoit déja levé , lorfque
Ninias l'a prévenue , en enfonçant le fien
dans le coeur de celle qui lui avoit donné
le jour. Sémiramis apprend en expirant ,
que fon meurtrier eft fon amant & fon
fils. Ninias pénétré des horreurs que l'amour
vient de lui faire commettre , court
au fond de fon Palais cacher à jamais fa
honte aux yeux de l'Univers , qu'il vient
d'effrayer par fon crime. Elle dit, & voyant
qu'Iphis balançoit , elle l'entraîna malgré
lui.
Il la fuivoit , trifte & rêveur : les foupirs
qui lui échappoient , prouvoient affez que
fon coeur n'étoit point tranquille . Vous
Coupirez , lui dit Noraïs , vous ne me fuiJUILLET.
1753,1m . 71
vez qu'à regret . Voilà l'effet des paffions :
vous ne trouverez plus avec moi cette tranquillité
que vous y avez goutée. Tel eft le
fort des humains ; font- ils une fois fortis ,
de cet état d'innocence qui fait le vrai
bonheur , ils ne retrouvent plus une parfaite
tranquillité : l'inquiétude & les remords
font la punition des foibleffes auxquelles
ils fe font abandonnés ; je puis diminuer
leurs peines , je puis même les ramener
à la vertu ; mais ils ne fçauroient
parvenir à être parfaitement heureux jufqu'à
ce que la mort ait effacé les traces
que les paffions ont laiffées dans leurs
coeurs.
Iphis écoutoit attentivement ce difcours,
lorfqu'il crut reconnoître la voix d'Elvire.
A cettte voix , pour lui fi pleine de charmes
, il s'arrêta , & vit affez près de lui
une femme qui lui parut d'une beauté raviffante.
Où fuyez-vous , lui dit-elle ? Faut- il
pour une maîtreffe infidelle renoncer à
tous les plaifirs , & vous aller confiner
dans un défert. Le fils de Cypris eft- il
donc le feul Dieu qui puiffe vous rendre
heureux , lui , dont les plaifirs effémi
nés énervent le courage , & rabaiffent l'ame
la plus élevée . Hercule l'éprouva : mil.
le actions éclatantes l'avoient placé au rang
7
72 MERCURE DE FRANCE.
des demi- Dieux , l'amour vint effacer fa
gloire , & les mortels indignés ne le virent
qu'avec mépris filer aux pieds d'Omphale.
Imitez les vertus de ce Héros , mais
fuyez-en les foibleffes. La gloire doit feule
vous attacher , & c'est moi qui la donne.
Mon nom eft l'ambition , ma puiffance
eft fans bornes . J'éleve & renverſe les
thrônes à mon gré : prefque tous les Rois
font mes esclaves , & je regne fur tout
l'Univers.
A ces mots un nuage d'or & d'azur la
dérobe aux yeux d'Iphis ; il la prend pour
une Divinité , & quoiqu'il ne la voye plus ,
elle eft toujours préfente à fon idée. Il oublie
la perfide Elvire , & retourne à Babylone
l'efprit rempli de mille projets ambitieux.
A peine eſt- il arrivé , que , fans fe donner
un moment de repos , il court chez
tous ceux qu'il croit néceffaires à fon élévation.
Que de peines ne lui en coûte- t'il
pas pour obtenir un moment d'audience !
Que de mépris ne lui fait-on point effuyer !
Rien ne le rebute : il leur fait affiduement
fa cour , & oublie la fincérité , toujours
compagne de l'innocence. Il loue , flatte ,
& paroît admirer ceux , que dans le fond
du coeur il méprife : il ne rougit pas même
de fe rendre pour leur plaire , l'agent
des
1
JUILLET. 1758. 73
des plus indignes plaifirs. Après bien des
peines , il obtint enfin un emploi à la cour ;
mais fes defirs ne font pas fatisfaits . Il
veut un gouvernement. Pour l'obtenir
que de politique , que de refforts ne fautil
pas faire jouer ! Il en eſt tout occupé : il
paffe la nuit à former des projets. Le jour,
il affiege la porte des Miniftres , & on accorda
à fes importunités bien plus qu'à
fon mérite , ce qu'il demandoit. Il devoit
être content : mais l'ambition fe bornet'elle
jamais ?
Quoi ! lui dit- elle , capable de tenir les
rênes d'un Empire , vous vous contentez
du vain titre de Satrape. Ignorez- vous que
le foible Ninias languit dans les bras de la
molleffe , & que les Babyloniens , peuple
belliqueux , veulent un Roi qui les mene
aux combats & à la gloire. Déja les Gouverneurs
des Provinces , las d'obéir à un
Prince efféminé , n'attendent qu'une occafion
pour
fecouer un joug qui leur paroît
honteux. Obéiffans à ma voix , ils veulent
fe rendre indépendans . Profitez de ces conjonctures
: liez- vous avec eux : allez enfemble
renverfer le trône d'un Prince indigne
de régner , & lavez dans fon fang ,
la honte d'avoir fervi un tel maître.
Ha ! que me propofez vous , répondit
Iphis ? Quoi ! je trahirai ma patrie , mon
II. Vol. Ꭰ
74 MERCURE DE FRANCE.
Roi & mon bienfaicteur Parjure à mes
ferment , j'irois d'une main facrilege enfoncer
dans fon fein le fer dont il arma
mon bras pour le défendre ! Me préferve
A jamais les Dieux de commettre de pareils
forfaits,
Vain fcrupule , reprit l'Ambition , &
bon pour le vulgaire mais ils font indignes
de vous. Apprenez que mes favoris
font au deffus des loix les plus facrées. Ils
doivent , pour me plaire , facrifier pere , enfans
, amis , bienfaicteurs , & ne connurent
jamais les fentimens de la nature &
de la reconnoiffance.
Ce difcours pénétra Iphis d'horreur. Son
coeur n'étoit point encore tout- à- fait.corrompu
, & pour le féduire , il falloit lui
déguifer le crime. L'ambition prit donc un
autre tour. Je fuis charmée , dit elle , des
fentimens que vous faites paroître. Comme
vous , j'aime la vertu ; & lorfque j'ai
parlé différemment, je voulois vous éprouver.
Je fçais ce qu'on doit à fes Rois , &
je ne veux point vous faire trahir votre
devoir. Mais Iphis , rappellez - vous que
Vous êtes né le fujet de Sémiramis. En
cette qualité vous deviez , tant qu'elle a
vécu, défendre fon trône & fa vie : aujour
d'hui vous devez la venger. Ninias fut
fon meurtrier : il doit périr. Son crime
JUILLET. 1758. 75
en outrageant la nature , en a brifé les liens.
Il n'est plus le fils de Sémiramis : vous
devez l'immoler aux manes de votre Reine
, & donner aux Babyloniens un Roi
digne de les commander. Elle dit , & fûre
d'avoir perfuadé , elle alla ailleurs faire des
malheureux ,
Iphis féduit par les apparences de la
vertu , chercha à fe lier avec les Gouverneurs
révoltés , & ils travaillerent tous enfemble
aux moyens d'exécuter leur deffein.
Ninias bientôt inftruit de leur révolte ,
ordonne aux troupes qui lui étoient reſtées
fidelles , de marcher contre les rebelles .
Ceux- ci effrayés de voir avant le temps
leurs complots découverts , ne cherchent
leur falut que dans la fuite. Iphis au milieu
de la nuit fort feul de fon palais il va
chercher un afyle dans la plus fombre forêt.
Il y eft à peine arrivé , qu'il fe laiffe
tomber de douleur & de laffitude au pied
d'un arbre. C'eft- là que réfléchiffant au
bonheur dont il avoit joui avec la vertu ,
il ne peut retenir fes larmes. Ha ! funefte
Ambition , s'écria-t'il , vous m'avez féduit
malgré la Raifon vous m'avez plongé
dans le crime ! j'ai trahi la vertu , mon
Roi & ma patrie ! j'ai perdu mon innocence
, & ma tranquillité ! Devenu le mépris
de l'Univers , je me fais horreur à
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
moi-même. Indigne de paroître fur la terre
, je voudrois cacher dans fon ſein ma
honte & mes forfaits. Accablé de douleur,
il n'en peut dire davantage.
La Raifon qui , fans être apperçue ,
veilloit toujours fur le fils de Mélanie ,
eut pitié de fa fituation . Eft- ce Iphis , ditelle
, que je vois , en s'approchant de lui ?
& comment élevé dans le fein de la Vertu
a-t'il pu ſe donner au crime ?
Il reconnut la voix de Noraïs , & ramaffant
le peu de force qui lui reftoit , il
fe jetta à fes pieds . Je fuis indigne , dit- il ,
de paroître devant vous , & je fens toute
l'horreur de mon crime. Mais , aimable
Noraïs , me refuferez - vous votre ſecours ?
me laifferez -vous fous le joug des paffions ?
Ha! s'il en eft ainfi , je ne veux plus
vivre.
La Raifon toujours fenfible aux maux
des malheureux , le regarda avec bonté.
Je vous aime encore , dit- elle , & je vous
' en donne une preuve convainquante en
venant vous fecourir. Mais je ne puis
m'empêcher de vous reprocher le crime.
ffreux qui vient de vous noircir. Pouranci
avez-vous fuivi l'Ambition ? & comant
a t'elle pu vous perfuader de trahir
e devoirs les plus facrés ? Elle m'a féduit ,
Iphis : elle me promettoit de la gloire
shonneurs,
}
77
JUILLET. 1758.
2
Hé ! ne fçavez-vous pas , repartit Noraïs
, qu'il n'eft de vrai gloire que celle ,
que la vertu donne ? Apprenez auffi que
les honneurs ne font flatteurs que lorfqu'ils
font accordés au mérite . Travaillez à vous
en rendre digne ; & fi le deftin vous les
refufe , penfez qu'il eft toujours beau de
les avoir mérités. N'employez donc plus
pour les obtenir de voies indignes de l'honnête
homme. Que la fincérité accompagne
tous vos difcours : croyez que tout flatteur
ſe rend méprifable , même aux yeux de
celui qu'il flatte : gardez le filence fur le
vice , ne louez que la vertu : elle feule à
droit à vos éloges qu'elle regle toujours.
votre conduite ; qu'elle foit la bafe de vos
projets. Vous ferez pour lors votre cour ;
mais vous la ferez fans baffeffe à ceux qui
peuvent vous ouvrir la route de la gloire
& des honneurs.
Elle alloit continuer , lorfqu'Iphis l'interrompit.
Fuyons , dit- il , fuyons ce funefte
lieu : il me rappelle trop vivement
mes crimes. Eloigné d'ici , je ferai plus.
tranquille, & j'écouterai mieux vos leçons.
Hélas ! il ignoroit que les remords fuivent
partout.
Noraïs voulut bien céder à fes defirs.
Mais à peine étoient- ils hors de la forêt ,
qu'ils apperçurent un nuage brillant qui
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
s'ouvrant tout à coup , laiffa voir une femme
dont les habits nuancés des plus belles
couleurs , & parfemés de pierreries , jettoient
un éclat fi vif, qu'Iphis la prit pour
la Meffagere des Dieux.
Il la voit cependant traverfer les airs ,
& d'un pas léger s'étant approchée de lui
elle lui dit : Je fuis fille de la Vertu , mon
nom eft la Générofité : mais les adorateurs
de Plutus jaloux de ma gloire , me nomment
Prodigalité . Je répands à pleines
mains les tréfors de ce Dieu , & je me
plais à faire des heureux . Touchée de vos
malheurs , continua - t'elle , je viens d'enlever
de votre palais les tréfors que vous
Y aviez laiffés. Oubliez l'ambition , & ne
les répandez plus que pour les plaifirs. Ils
font faits pour l'homme jouiffez -en :: fatisfaites
tous vos goûts : devenez enfin par
votre magnificence l'admiration de vos
citoyens.
En falloit-il tant pour féduire un jeune
homme. Iphis prefque vaincu , la regarde
avec complaifance. Incertain , it hélite : la
Raifon a pour lui des charmes : il la voit
encore : elle l'appelle , mais inutilement :
les paffions , à la honte de l'humanité , ne
l'emportent-elles pas prefque toujours furt
elle Il fe livra donc à la Prodigalité.
Charmée de l'avoir féduit , elle le couvrit
JUILLET. 1758. 79
>
du nuage dont elle s'étoit enveloppée , &
elle le tranſporta à Thebes .
La magnificence & les richeffes de cette
grande ville l'avoient rendue le féjour
ordinaire du luxe & de la molleffe. La
Médiocrité n'ofoit y paroître , & la Vertu
& la Raifon y faifoient peu de féjour.
Iphis ne les y vit point , & s'abandonna
fans réferve à la paffion qui le tyrannifoit.
Les murs de fon palais furent revêtus de
marbre la plus rare architecture en rele
voit l'éclat. Ses appartemens étoient ornés
des tableaux les plus parfaits en leur genre.
Il donna tous les jours les fêtes les plus
galantes. Sa table étoit fervie avec autant
de fomptuofité , que le furent depuis celles
de Lucullus & de Vitellius. Elle étoit tou
jours entourée de flatteurs , qui louoient
tour jufqu'à fes vices. Flatté par leurs applaudiffemens
, il fe fit une gloire de l'emporter
par fa magnificence fur tous les habitans
de Thebes : aveuglé par la vanité &
l'orgueil, il oublia que l'homme ne doit s'élever
au deffus des autres que par la vertu.
Mais fes dépenfes exceffives eurent
bientôt épuisé fes tréfors . La Prodigalité
difparut , & la Mifere fe préparoit à la
venir remplacer, lorfqu'Iphis , pour l'éviter,
eut recours à fes amis .En trouva- t'on jamais
parmi les flatteurs ! Le fils de Mélanie l'é-
Div
So MERCURE DE FRANCE.
prouva . Ceux qui l'avoient flatté pour
partager fes plaifirs & fes richeffes , inftruits
de fon malheur , ne voulurent plus
le voir. Perfides amis , s'écria- t'il avec douleur
! il n'en étoit pas ainfi lorfque j'étois
favorifé de la fortune ! Mais voyons , continua-
t'il , fi Prothée pour qui je n'ai jamais
eu rien de caché, Prothée que j'aimois
fi fincérement , fera auffi un ingrat .
A cet mots , il court chez cet ami. On le
laiffe entrer. Plein d'efpérance , il monte à
fon appartement. Mais quel fut fon éton→
ment ! Prothée n'avoit plus cet air engageant
& flatteur : ce n'étoit plus cet ami
qui venoit l'embraffer avec empreffement :
à peine fe leve-t'il de fon fiege . Je fçais vos
malheurs , lui dit-il d'un air orgueilleux
& vain ; mais vous vous les êtes attirés.
Puiffent tous les jeunes gens apprendre ,
ainfi que vous , à devenir fages à leurs dépens
! Sortez , continua-t'il : ne m'importunez
plus , & allez en d'autres lieux traîner
votre mifere.
Le feu couvrit à l'inftant le vifage d'Iphis
; la colere étincelle dans fes yeux. Peu
fait aux injures , il s'avance pour fe venger
d'un indigne ami : mais s'étant apperçu
que Prothée étoit fans défenſe , il s'arrêta.
Je pourrois , dit-il , vous punir à l'inſtant
de votre perfidie & de l'affront que vous
JUILLET. 1758 .
81
me faites : mais je fuis trop généreux pour
attaquer un ennemi défarmé. Il parle , &
déja Prothée ne l'entend plus . La frayeur
s'étant emparée de fes fens , il avoit pris
la fuite. Iphis étonné de fa lâcheté le voit
avec mépris , & fort accablé de douleur.
La Raiſon vient bientôt à fon fecours.
Ah ! voilà donc , dit - il en l'appercevant ,
voilà donc où la Générofité , cette fille de
la Vertu , m'a conduit !
Avant que de lui faire des reproches
,
apprenez
à la connoître
, reprit Noraïs
, &
ne la confondez
plus avec la Prodigalité
.
Celle-ci facrifie
tout aux plaifirs , & fait
toujours
des malheureux
. L'autre
met toute
fa gloire à faire des heureux
. Que votre
conduite
a été jufqu'ici
éloignée
de la fienne,
pourſuivit
- elle Car quel eft l'indigent
dont vous avez foulagé
la mifere
?
quel eft l'ami qui a trouvé
chez vous un
fecours
dans fes malheurs
? quels font enfin
les fervices
que vous avez noblement
récompenfés
? Ce n'eft qu'à ces traits que
je reconnois
la Générofité
.
Ah ! reprit Iphis , puifque les paffions
prennent le voile de la vertu pour me féduire
, fuyons , cher Noraïs , fuyons dans
les déferts les plus affreux je n'y ſerai
peut-être plus expofé aux coups qu'elles
veulent me porter. Je fuirai les hommes ,
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
ces hommes que je détefte , & qui font
incapables de reconnoiffance & d'amitié.
Faites un peu grace aux malheureux humains
, repartit la Raifon, & fongez qu'en
les condamnant , vous vous condamnez
auffi . Combien de fois les paffions vous
ont- elles féduit ! plaignez donc ceux qu'elles
tyrannifent , & ne les haiffez pas ..
Croyez qu'il eft encore des hommes vertueux
& de vrais amis : mais ne croyez pas
trouver l'amitié où regnent les paffions.
A ces mots , elle conduifit Iphis dans
un hameau charmant , fitué fur le penchant
d'une colline . Il dominoit fur une
vafte prairie un ruiffeau l'arrofoit ; fes
bords couverts de foffés , étoient la retraite
de mille oifeaux .
C'est ici , lui dit Noraïs , que j'ai placé
les tréfors que vous avoit laiffés Mélanie .
Cette tendre mere m'en fit la dépofitaire .
Je vous les remets : mais fouvenez- vous
que s'il eft honteux de les répandre mal à
propos , on fe rend encore plus méprifable:
en les augmentant aux dépens de la pro-
Bité & de la générofité , & vous devez
méprifer les préfens de la Fortune , s'ils ne
vous font offerts des mains de la Vertu .
Je vous laiffe , continua- t'elle, paffer quelque
temps dans ce féjour.. Sous ce toit
muftique cultivez la philofophie ; elle ren
JUILLET . 1758. 83
"
"
dra à votre ame la tranquillité que les
paffions en ont bannie ; elle vous donnera
des armes pour les vaincre , & ... Quoi !
vous m'abandonneriez, interrompit Iphis !
vous me livreriez à la philofophie , cette
philofophie qui nous égare toujours quand
elle n'eft pas guidée par vous ! Non
non , je ne vous quitterai plus ; je fuivrai
partout vos pas . Mais , aimable Noraïs ,
demeurons dans ce féjour ; vous y trouverez
un fujet fidele ; je vous préférerai aux
tréfors , aux honneurs : content de vivre
avec vous , je ne veux plus m'occuper que
du foin de vous plaire.
Ce zele eft outré , reprit la Raifon , &
je ne fçaurois l'approuver. Vous n'êtes pas
fait pour vivre dans l'obfcurité ; le deſtin
vous fit naître pour fervir votre patrie &
votre Rois vous devez leur facrifier vos
goûts , vos plaifirs & votre fang: voilà la
vraie gloire , & la feule qu'il vous eft permis
d'ambitionner. Allez , par d'illuftres
exploits , prouver à l'univers ce que peut
celui qui fe laiffe conduire par la Verru
& la Raifon. Je cede cependant à vos defirs
, continua-t'elle ; je demeurerai avec
vous le temps que vous pafferez dans ce
Heu ; je vous inftruirai moi-même de la
philofophie , non de celle qui , trop anda
Lieufe , veut pénétrer les fecrers que le
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
Souverain des Dieux a voulu cacher aux
mortels, mais de celle qui vous apprendra
à furmonter les paffions , à connoître le
coeur de l'homme , & à vous connoître
vous-même : c'est la plus néceſſaire & la
moins cultivée.
Iphis impatient d'écouter les leçons de
Norais , lui propofa d'aller faire un tour
dans la forêt. Ils s'y rendirent ; & s'étant
affis dans l'endroit le plus champêtre , elle
lui tint ce difcours.
Les Dieux , mon cher Iphis , donnerent
à l'homme le defir d'être heureux . Ce defir
devoit le conduire à la vertu , qui feule
peut faire fon bonheur. Les paffions étoient
alors foumifes à mes loix ; je les tenois enchaînées
, & l'homme , par mon fecours ,
les traitoit en efclaves. Mais Typhon ,
principe du mal , ayant été par fon orgueil
chaffé de l'Olympe , defcendit fur la terre .
11 parut , & les paffions briferent leurs
chaînes. Comme un torrent impétueux ,
elles inonderent l'univers. En vain je les
rappelle rébelles à mes ordres , elles ne
connoiffent plus ma voix , & fuivent leur
penchant déréglé. Depuis ce jour malheureux
il n'eft point de mortels qui n'éprouvent
leur tyrannie , & le fage eft
celui qui , docile à mes leçons , fçait les
combattre & les vaincre. Mais qu'il en
JUILLET. 1758.
eft peu ! Le plus grand nombre leur cede ,
fans daigner même leur réfifter. Aveuglés
par elles , ils croient fe rendre heureux
en les fatisfaifant . Pour y parvenir , ils
facrifient la probité , l'honneur , la bonne
foi & la reconnoiffance : l'amitié même
eft un fentiment qui les affecte peu , &
qui eft fubordonné à leur intérêt. Malgré
leur aveuglement ils connoiffent encore
la vertu : mais ils la trouvent trop févere.
Ils la refpectent , mais ils ne l'aiment pas:
elle les fait rougir. Pour étouffer les remords
dont ils font accablés, ils voudroient
l'anéantir. Ils voient avec peine qu'elle
trouve encore des fujets fideles . Animés
par l'envie , ils travaillent à les féduire ,
& ils n'y réuffiffent que trop. Un jeune
homme vertueux entre- t'il dans le monde ,
il s'attire bientôt la jaloufie de ceux de
fon âge qui vivent d'une maniere corrompue.
Sa vertu eft tournée par eux en ridicule
; fa modeftie paffe pour timidité ; fa
fageffe pour la marque d'un efprit foible.
Tels qui dans le fond du coeur rougiffent
de leurs vices , ofent à fes yeux en faire
le portrait le plus féduifant. Ils font au
défefpoir de fentir qu'il mérite l'eftime
du public , & ils voudroient le rendre.
méprifable comme eux. Vous devez être
convaincu de la vérité de ce difcours
86 MERCURE DE FRANCE.
poutfuivit- elle , & vous en avez fait la
funefte expérience lorfqu'à Babylone.....
Ah ! ne renouvellez point un fouvenir qui
me couvre de honte , interrompit Iphis !
Je fçais que j'ai oublié la vertu , & que je
ne voulus point fuivre vos confeils : mais
revenu de mes égaremens , je me tiendrai
mieux fur mes gardes ; je ne me lierai à
Favenir qu'avec des hommes dont l'âge
avancé m'affurera qu'ils font exempts de
paffions.
Autre erreur , reprit Noraïs , & plus
dangereufe que la premiere. La confiance
que vous auriez pour ceux qui ont beaucoup
vécu , aideroit à vous féduire. Détrompez
vous donc, mon cher Iphis; l'âge,
loin de détruire les paffions , les rend fouvent
plus vives , & nous voyons tous
les jours des vieillards prêts à defcendre
dans le tombeau , s'attirer encore par leurs
vices le mépris du Public ; ear , ne vous y
trompez pas , ce Public , quoique trèscorrompu
, mépriſe le vice , & refpecte la
vertu.
Défiez- vous encore , pourfuivit - elle ,
de ces prétendus fages qui , fans me connoître,
parlent toujours de moi, & croient
que je regle leur conduite. Efclaves de
Pamour- propre , & pêtris de vanité , ils
voudroient être les feuls eftimables,
JUILLET. 1758 87
avent en impofer au vulgaire par un
extérieur grave & férieux : mais dans le
fond du coeur , dévorés par l'envie , ils ne
voient qu'avec peine les vertus qui brillent
dans les autres. Pour les obfcurcir,
ils relevent leurs défauts , & poffedent
Fart déteftable de leur prêter ceux qu'ils
n'ont pas ils ont même la baffeffe de
chercher à les féduire. Ils voudroient les
rendre efclaves des paffions pour fe donner
enfuite le barbare plaifir de les méprifer.
:
Quelles horreurs me dévoilez- vous ,
s'écria Iphis ! Ah ! puifque les hommes,
font tous pervers , je dois donc les déteſter
& les fuir.
Voilà , reprit la Raifon , l'erreur où
tombent ceux qui ne me fuivent pas . Sontils
féduits , trompés ou trahis , ils méprifent
les hommes , & les croient tous maî
rifés par les paffions. Gardez- vous de pen
fer ainfi. Il eft , & je vous le répete encore
des hommes vertueux , & de vrais
amis : mais pour les connoître , il faut me
confulter. La conduite d'un honnête homme
s'accorde toujours avec fes difcours ;
it compâtit à la foibleffe des hommes ;
loin de groffir leurs défauts , il cherche à
les diminuer ; enfin il ne hait que le vice ,
& plaint les vicieux ..
Comme elle alloit continuer , le ciel
98 MERCURE DE FRANCE:
s'obfcurcit ; les éclairs & les éclats de la
foudre fe mêlerent aux vents en furie ,
qui remplirent l'air de tourbillons de pouf
fiere , & la grele & la pluie , qui tomberent
en abondance , les forcerent de chercher
un afyle.
Iphis ayant apperçu affez près de lui
une petite chaumiere, propofa à Noraïs de
s'y mettre à couvert.
Cette retraite pourroit être dangereufe
répondit- elle , & quel danger plus à crain
dre , reprit- il , que la foudre qui gronde
fur nos têtes ? Il parloit encore lorsqu'un
coup de tonnerre redoubla fa frayeur , &
lui fit précipitamment porter fes pas du
côté de la chaumiere. If entre & cherche
un endroit où il puiffe fe garantir de l'orage
, mais inutilement ; le temps & les
injures de l'air en avoient emporté le toit.
Il alloit fe retirer lorfque l'orage ayant
ceffé tout à coup , lui donna le temps
d'examiner le lieu où il étoit . Il crut d'abord
qu'il ne pouvoit être habité : mais
un mauvais lit , une armoire à demi-pourrie
, & une chaife prefque brifée , l'affure
rent du contraire. Il réfléchiffoit au malheureux
état de ceux à qui cette méchante
chaumiere fervoit de demeure , lorfque
l'Avarice , qui y faifoit fon féjour , parut
à fes yeux. Elle avoit caché fes horribles
JUILLET. 1758 . &
pas
traits fous ceux de Noraïs , qu'elle avoit
empruntés. Il la prit pour elle . Quel eft
votre aveuglément , dit- elle ? Quoi , mon
cher Iphis ? vous me prenez pour Noraïs ?
pour cette perfide qui , déguifée fous mes
traits , en impofe au malheureux mortels ?
Ils la prennent pour la Raifon , & ce nom
facré n'eft dû qu'à moi . Elle affecte ma
douceur ; elle eft, dit- elle, l'amie de la Vertu
mais dans le fond du coeur , efclave
du luxe & de la molleffe , elle ne connoît
le vrai bonheur. Mes favoris ont feuls
cet avantage . Pour le devenir il faut être
fobre , économe , laborieux ; il faut avoir
la noble ambition d'amaffer des richeffes
immenfes, les tranfmettre à fes defcendans ,
afin qu'ils puiffent dans les fiecles à venir
foutenir leurs noms , élever leur maiſon ,
& envahir , s'il fe peut , tout l'univers.
C'eft par de tels progrès , pourſuivit- elle
qu'on fe rend heureux. Si vous voulez le
devenir , que la foif de l'or vous domine
uniquement. Pour en acquérir , expoſezvous
aux plus grands dangers ; facrifiez
tout pour le conferver ; mourez plutôt
que de rien perdre de ce que vous aurez
amaffé. Il faut auffi cacher vos tréfors avec
foin , être continuellement fur vos gardes ,
vous défier de tous les hommes , croire
qu'ils font vos ennemis , & toujours prêts
go MERCURE DE FRANCE.
à vous enlever le fruit de vos travaux .
Que les hommes font foibles ! Iphis fe
laiffa féduire par l'Avarice , la pria de ne le
plus quitter , & prit avec elle le chemin
de fon hameau. Il la conduifit dans l'appartement
que Norais lui avoit préparé :
les meubles en étoient proprès , mais fimples
; ils confiftoient dans un lit , quelques
chaifes , une table & une bibliotheque ;
l'Avarice les trouva magnifiques. Voilà ,
s'écria- t'elle , les effets du luxe ! Ce lit eft
compofé par les mains de la Molleffe : le
vernis de cette table doit avoir couté beaucoup
d'argent cette bibliotheque eft inurile.
A quoi fervent tous ces livres qui ne
produifent rien ? En ferez-vous plus riche ,
quand vous fçaurez l'Hiſtoire , la Philofophie
& la Morale ? Il faut toujours tendre
à l'utile , pourfuivit- elle. Défaites- vous
de tous ces livres ; ne gardez qu'un traité
d'Economie & un in- folio fur le Commerce
, il vous apprendra comment il faut doubler
& tripler votre argent mais comme
le commerce eft quelquefois dangereux ,
je crois qu'il eft plus prudent d'enterrer
vos tréfors & de travailler à les augmenter
, en fouffrant la faim, la foif & les injures
de l'air. Renvoyez vos domeftiques ,
c'eft d'ordinaire nos plus cruels ennemis.
Mais vous voilà immobile , & peut-être
JUILLET. 1758.
dans ce moment on enleve vos tréfors. Allez
, courez les enterrer dans votre ca
veau. Elle dit , & Iphis execute fes ordres :
mais bientôt tyrannifé par l'inquietude ,
zoujours compagne de l'avarice , il ne dort
plus ; fes yeux s'enfoncent ; fon teint fe
flétrit , fon embonpoint diminue ; enfin il
alloit mourir de faim au milieu des richeffes
, fi Noraïs n'étoit venue à fon fecours.
trant ,
Elle le trouva dans fon caveau , occupé
à compter fes tréfors à la lueur d'une
petite lampe. Au bruit qu'elle fit en enif
tourna la tête , ne la reconnut
point , & la prit pour quelque perfonne
indigente , qui venoit le prier de foulager
fa mifere. Vous vous adreffez mal ,
Madame , lui cria- t'il , en éteignant fa lampe
, & en cachant précipitamment fes tréfors
! vous vous adreffez mal ! Je n'ai pas
un fol , & je fuis fi pauvre , qu'à peine
puis-je fubfifter.
Quoi ! répondit la Raifon , nourri dans
mon ſein , vous ne reconnoiffez plus Noraïs
? Eft- ce donc là le prix que vous réſerviez
à mes bienfaits ? Je ne vous dois que
du mépris , repliqua-t'il. Je vous prenois
pour la Raifon ; vous avez profité de monerreur
pour me féduire & me livrer à la
molleffe ; vous alliez me réduire à la mifere
la plus affreufe , lorfqu'elle eft venue
2 MERCURE DE FRANCE.
à mon fecours . Ah ! que ne l'ai- je connue
plutôt , pourfuivit- il je n'aurois pas été
la dupe des hommes , j'aurois fçu qu'ils
étoient fourbes , intéreffés ; ils ne m'auroient
point trompé ; ils ne m'auroient
point ruiné : car quels tréfors ne m'ont - ils.
pas enlevés ? Je ne les recouvrerai jamais..
Mais ces tréfors , qui vous font fi chers
à quoi vous fervent - ils ? Ils font mon bonheur
, reprit- il. Quel plaifir n'ai- je pas à
les voir , à les augmenter ! . Et comment
les augmentez - vous , interrompit Noraïs ?
aux dépens de l'honneur , de la probité ,
de l'humanité , & de toutes les vertus . Revenez
à vous , mon cher Iphis , fongez
que rien ne rend plus méprifable que l'avarice.
Voilà , repliqua -t'il , par quels difcours
vous faites illufion aux hommes. Efton
prudent , fobre , économe , on eſt avare
: pour vous plaire , il faudroit fe réduire
à la derniere mifere .
Et quelle mifere plus à craindre que
celle où vous êtes , repartit la Raiſon ?
Vous manquez de tout , vous vous refufez
la nourriture la plus fimple. Sans fecours
, fans amis , détefté de tous les hommes
, pouvez - vous encore vous croire
heureux ?
Elle en auroit dit davantage ; mais elle
n'ignoroit pas que les difcours les plus fenJUILLET.
1758. 93
fés ne fçauroient détromper un avare . Elle
eut donc recours au miroir de vérité : cette
glace admirable avoit le don de faire paroître
les paffions telles qu'elles étoient :
elle la préfenta à l'Avarice : le voile qui
couvroit fes véritables traits tombe à l'inftant
, & en laiffe voir toute la difformité..
Iphis en eft effrayé : il veut fuir ce monftre
, & il fent trembler fes genoux fous
lui il fe jette enfin aux pieds de Noraïs ;
il les embraffe , il les arrofe de fes larmes.
Je fuis coupable , dit- il d'une voix entrecoupée
de fanglots ; je fuis le plus indigne
des hommes ; je ne cherche point à
m'excufer ; je pourrois alléguer cependant
que , faifi par la crainte d'une mort que
je croyois affurée... La crainte ne ſe trouve
point dans un coeur vertueux , interrompit
Noraïs, Le fage nnee rreeddoouuttee que les
paffions ; il regarde la mort avec indifférence
; il fçait la braver quand l'honneur
& le devoir l'exigent , & lorfque le deſtin
l'ordonne , il la reçoit avec fermeté. Voilà
quels devoient être vos fentimens ; mais
trop long-temps le jouet des paffions ,
vous avez manqué du courage que donne
la vertu . Et comment celui qui croupit
dans le vice ne craindroit-il pas la mort ?
Mais je ne veux plus vous faire de reptoches
, continua- t'elle : j'oublie vos égare
94 MERCURE DE FRANCE.
mens , & je veux , malgré les paffions ,
vous ramener à la vertu . Pour y réuflir
je remets entre vos mains ce miroir précieux
, & par malheur trop peu connu ,
malgré l'amour- propre. Ne le perdez jamais
de vue : il vous découvrira vos défauts
tels qu'ils font ; & peut- on les connoître
fans avoir envie de s'en corriger !
Travaillez donc à les effacer , & n'en laiffez
pas la moindre trace. Iphis y travailla
avec tant de zele , qu'il eut bientôt retrouvé
la vertu. Qu'elle lui parut belle ! Qu'il
l'embraffa avec ardeur ! Non , je ne vous
quitterai plus , lui difoit- il dans le tranfport
de fa joie , non je ne vous quitterai
plus , aimable Uteris , & je ferai tout mon
bonheur de vous plaire. La vertu le reçut
avec bonté.
J'avois toujours cru , dit-elle , que vous
reviendriez de vos égaremens. Ceux qui
ont été nourris dans mon fein , peuvent
bien fe laiffer entraîner aux charmes apparens
des paffions ; mais ils fe rappellent
bientôt la douceur de mon empire , & reviennent
à moi. L'ingratitude que vous
m'avez témoignée , pourſuivit -elle , m'a
touchée ; mais perfuadée qu'elle ne dureroit
pas , je n'en ai pas moins travaillé à
votre bonheur. Je vous ai choifi pour
époufe Eléonore, fille de Faris. Cette union
JUILLET. 1758. 95
vous rendra heureux ; car les noeuds que
je forme font exempts des chagrins que
caufent les paffions : point de jalousie .
d'inquiétude ou de foupçons. Au deſſus
de l'indigne préjugé qui conduit les hommes
vulgaires , vous estimerez Eléonore
vous lui parlerez en ami , & jamais en
maître vous ferez perfuadé qu'elle fçait
penfer & réfléchir : vous la croirez digne
de votre amitié & de votre confiance. Par
ces fentimens vous obtiendrez la fienne, &
vous lui ferez éviter par des confeils donnés
avec douceur , les dangers où la jeuneffe
& fon peu d'expérience pourroient
l'engager.
Allons trouver Faris , continua- t'elle :
c'eft un de mes plus fideles fujets. A peine
fa fille vit- elle le jour , qu'il la confia à
mes foins. Dès ce moment je vous deſtinai
l'un pour l'autre. Vos égaremens ont retardé
votre bonheur. Faris ne les a pas
ignorés mais perfuadé par moi qu'ils ne
dureroient pas , il vous a toujours regardé
comme fon fils. Premier Miniftre & favori
de fon Roi , il en poffede toute la confiance.
Ce fut lui qui , chargé de marcher
contre les rebelles , vous donna le temps
de fuir : il fit plus , il obtint votre grace.
Par fes foins , vous êtes rentré dans tous
les honneurs dont vous vous étiez rendu
96 MERCURE DE FRANCE.
indigne. Venez donc lui marquer votre
reconnoiffance , & foyez fûr d'obtenir fa
fille. Elle dit , & ils fe trouverent dans
l'appartement de Faris.
Iphis s'approcha de fon bienfaicteur
avec cet air noble & modefte qui fait le
caractere de la vertu. Il voulut exprimer
fa reconnoiffance ; mais fon coeur en étoit
fi pénétré , qu'il lui fut impoffible de parler.
Son filence & fon maintien prouverent
mieux fes fentimens , que le diſcours
le plus éloquent . Faris charmé de le revoir,
l'embraffoit tendrement , lorfqu'Eléonore
parut. Elle venoit demander à fon pere la
permiffion de faire un facrifice à Diane.
Son port étoit doux & majeſtueux : ſes
traits n'étoient point réguliers , mais remplis
de grace : fa parure étoit propre &
modefte : une noble pudeur régnoit fur
fonfront. Iphis en fut enchanté. Il l'admira ;
elle rougit, & il ne la trouva que plus belle .
Il ne fentoit point cependant , en la voyant,
l'émotion qu'infpire l'amour. Son coeur
étoit tranquille , & fe livroit fans crainte
à la plus douce joie . Il eftime , il refpecte
Eléonore : il fent avec plaifir qu'elle fait
naître dans fon coeur l'amitié la plus tendre
& la plus fincere. Voilà votre épouſe ,
lui dit Faris en lui préfentant la main de
La fille. Allons aux pieds des Autels célébrer
JUILLET. 1758. 97
brer ces noeuds facrés , & toujours heureux
, quand c'eft la vertu qui les forme.
A ces mots l'Hymen parut , non tel que
le peignent les Efclaves des Paffions , brufque
, chagrin , infidele ; mais tel qu'il eft
lorfqu'il unit deux coeurs vertueux . Sa
phyfionomie étoit douce & gaie. L'Eftime ,
l'Amitié , la Complaifance , la Fidélité , les
Petits- Soins & la Politeffe formoient fon
cortege . Ils marchent au temple de Juron ;
la Vertu les fuit , appuyée fur la Modeſtie
; la Raifon & la Décence marchent à
fes côtés , & les Plaifirs innocens voltigent
autour d'elle .
Iphis conduit Eléonore au pied de l'Autel
. L'Hymen allume fon flambeau ; il
brille de mille feux. L'augufte Junon du
haut des cieux reçoit les fermens des deux
époux. Conduits par la Raifon , chéris de
la Vertu , protégés des Dieux , ils furent
toujours heureux,
A Libourne , ce 21 Mars 1758 .
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE,
LE
mot de l'Enigme du premier Mercure
de Juillet eft Mercure . Celui du Logogryphe
eft Mouffeline , dans lequel on trouve
Lin , Mouffe , mouſſe , fel , lo , mi , fi , fein ,
moule & Nil.
ENIGM E.
DANS un petit réduit , Lecteur , je prends naiffance
,
Et dois aux fleurs mon exiſtence .
Le grand air me convient & m'eft avantageux ,
Il me rend agréable aux yeux.
Ma couleur a beſoin de la rofée ,
Et je fuis mieux quand j'en fuis arrofée.
D'un imprudent ( 1 ) mes innocens appas
Ont caufé le trépas.
Chez les Riches je fuis admife
Plus que partout ailleurs ,
Et je fuis encore de miſe
Chez tous les Grands Seigneurs.
Je devrois être un enfant de Prothée ;.
En partage j'ai la docilité
Enfin , Lecteur , avec facilité
De moi l'on fait ce qui vient à l'idée,
(1 ) Icare.
JUILLET. 1758. $9
J
LOGOGRYPH E.
E regne de tout temps , fille de l'Indigence :
En tout lieu , cher Lecteur , je répands l'abondance.
Je fleuriffois furtout quand Rome en fon prin
temps ,
D'un pouvoir abfolu jettoit les fondemens ;
De les naiffans Héros alors l'unique étude ,
De leurs nobles emplois j'étois l'heureux prélude.
On ignoroit les loix de l'inégalité ,
Et tous vivoient en paix dans la fimplicité .
Hélas ! ce temps n'eft plus . Maintenant avilie
Je vois à mes dépens la molleffe annoblie.
Ainfi vous m'élevez , trop aveugles mortels ,
Et de la même main renverfez mes autels .
Onze pieds font mon nom. Si tu brouilles les
cartes ,
›
Tu trouveras d'abord l'élément que Deſcartes
Dans les livres en vain a long-temps agité :
Ce qu'on expofe en duel par pure vanité.
Le commun réſervoir du doux jus de la treille.
Un poiſon , un combat , l'ouvrage de l'abeille .
Le noir Dieu des foyers , le bord qu'un clair
ruiffeau ,
Coulant à bonds légers , arroſe de ſon eau.
Des habitans des airs la priſon incommode ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Un inftrument guerrier qui n'eft plus à la mode
Une tendre racine , en ville un grand chemin ,
Ce qu'on relie en veau ou bien en parchemin.
De Raminagrobis la gent antipathique ,
L'extrêmité du dos , deux notes de mufique.
Ce qui flatte ambition
D'un Prêtre intéreffé : l'inftrument d'Amphion,
Ce qui prévient fouvent notre raiſon tardive ,
Ce que tend l'Oifeleur pour furprendre la grive.
Le mets que Theftylis prépare aux Moiffonneurs ,
L'arbre dont les rameaux couronnent les Vainqueurs.
De mes pauvres ſujets l'aliment ordinaire ,
Plus un métal peu rare , un acte fanguinaire :
Un infecte rampant , l'excrément d'un tonneau ;
Un mal , un fac à vin , les rames de l'oiſeau
Le cri commun qu'on fait pour écarter la foule ;
Si par quelque accident un bâtiment s'écroule ,
Une ville en Afrique , un fleuve en Portugal ,
Une bête féroce , un péché capital.
RENAUD , Bédaud à la Cathédrale de
Vannes,
JUILLET. 1758 . 101
COUPLETS
Chantés fur le Théâtre de la Comédie Italienne
dans le Ballet de la fête du Moulin.
AVANT que d'époufer Colin ,
D'un tendre Amant j'ai vu l'image ,
Les jeux , les ris habitant ce moulin ,
Voloient fans ceffe à mon paffage :
On n'a plus , en donnant fa main ,
Qu'un mari jaloux & volage . "
*
En fecret il grende foudain ,
Si de trop près on m'enviſage ;
Mais je voudrois pénétrer le deffein
Qui le fait courir au bocage :
On n'a plus , en donnant fa main ,
Qu'un mari jaloux & volage.
N'infulte plus à mon deſtin ,
Petit Oifeau , par ton ramage ;
Libre & conftant tu n'as point de chagrin ,
Que n'eft- on de même en ménage !
On n'a plus , en donnant fa main ,
Qu'un mari jaloux & volage.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE
Infidele , je m'attends bien
D'entendre encor ton doux langage ;
Mais de ton coeur je voulois tout ou rien ,
Je le laiffe à qui le partage :
On n'a plus , en donnant ſa main ,
Qu'un mari jaloux & volage,
JUILLET. 1758: 103
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Le Droit des Gens , ou Principe de la Loi
Naturelle , appliqués à la conduite & aux
affaires des Nations & des Souverains ,
par M. Vattel , en deux volumes in- 4° ,
dont le premier a 541 pages , & le fecond,
375, fans compter la préface & les tables
des livres & chapitres , &c. Cet Ouvrage
fe trouve à Paris, chez Guérin & Delatour .
rue S. Jacques , & chez Jombert , rue Dauphine.
On peut envifager le Traité que nous
annonçons comme une production auffi
nouvelle en fon genre qu'importante par
fon objet. C'est le jugement qu'il aura été
facile d'en porter d'après la lecture du Programme
de cet Ouvrage , que nous avons
inféré dans les Nouvelles littéraires du
mois de feptembre , pag. So, & où l'on a
développé avec beaucoup de clarté & de
précifion , le plan fur lequel le Traité dont
il s'agit , vient d'être exécuté. La courte
analyfe qu'il contient des principes difcutés
par notre Auteur d'une maniere éga-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
lement profonde & inftructive , fuffit pout
e prendre une idée nette & diftinéte.
I ne nous refte d'autre parti que celui
d'y renvoyer nos Lecteurs. Nous euffions
fouhaité d'en donner l'extrait en forme
mais nous fommes réduits à indiquer fimplement
les Livres nouveaux. Nous nous
contenterons donc de dire que les vérités
que cet Ouvrage expofe fous nos yeux,
font expliquées avec beaucoup de netteté
& furtout déterminées d'une maniere qui
écarte les difficultés que des propofitions
vagues font naître dans l'efprit d'un Lecteur.
Cela donne à l'Auteur la facilité d'établir
ces vérités fur des fondemens folides,
d autant plus que pour cet effet il les a rangées
dans une liaiſon naturelle , dans un
ordre où elles fe prêtent du jour les unes
aux autres. Ce bel ordre charme tout bon
efprit , parce qu'il l'éclaire mieux en le
faifant toujours marcher dans une route
lumineufe , & qu'il foulage en même
temps la mémoire. Pour juger de toute
l'étendue du fyftême de notre Auteur , il
fuffit de parcourir la table des livres , des
chapitres & paragraphes , qui eft à la tête
de chaque volume. On y verra un ample
détail des questions qui fe rapportent aux
devoirs d'une nation envers elle même , &
envers les autres , & dans le Livre même
JUILLET. 1758. 105
on trouvera de très- bons éclairciffemens à
ce fujet. Ce Traité eft écrit avec beaucoup
de clarté. Le ftyle nous paroît de
plus recommandable par une noble & élégante
fimplicité , tel que doit être le langage
de la vérité quand elle parle aux
Rois & à leurs Miniftres. Il eft d'ailleurs
vif , animé dans l'occafion , tel que le langage
d'un homme qui voit des vérités importantes
, & qui les voit bien dans ce
qu'elles ont d'intéreffant pour le bonheur
& la gloire des nations & de leurs conducteurs.
L'Ouvrage eft parfemé d'exemples
heureuſement choifis , qui y répandent
une agréable variété , qui ramenent le
Lecteur fur la fcene du monde , & lui
préfentent les vérités dans le point de vue
le plus propre à fixer fon attention . Au
refte l'Auteur , en confervant toujours
'l'effence de la méthode fyftématique , fi
néceffaire pour procéder avec ordre dans
ces fortes de matieres , a fçu allier avec
la févérité qu'elle exige , des ornemens
capables de captiver les fuffrages du Public,
& à procurer à fon Livre un accès favorable
dans les cabinets de ceux que leur état
engage à pratiquer les grandes & falutaires
maximes du Droit des Gens. M. Vattel a
effayé les forces long- temps avant que de
publier un Ouvrage de cette nature. Ses
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
talens s'annoncerent de bonne heure dans
la République des Lettres par divers Ecrits
de fa façon , où il regne autant de juſteſſe
que de folidité , & dont l'efprit philofophique
releve encore le mérite. C'eft particuliérement
là le caractere qu'il foutient
dans le Traité du Droit des Gens , qui doit
faire honneur à l'Auteur & à fa patrie. Il
feroit à defirer que le développement des
principes qui lui fervent de baſe , contribuât
à épurer & à étendre de plus en
plus la pratique de ces maximes importantes
, qui tendent à affurer le bonheur:
commun des nations. Cet Ouvrage eft
très-bien exécuté quant à la partie typographique
; l'édition nous paroît correcte;
le papier & les caracteres en font beaux.
Elle porte Londres au titre : mais nous fçavons
qu'elle a été faite à Neufchatel , fous
les yeux de l'Auteur. Elle fera la feule
édition étrangere qui aura accès dans le
Royaume , où la contrefaction annoncée:
en Hollande , & que l'Auteur défavoue ,
ne fera point admife .
REFUTATION d'un Libelle imprimé &
diftribué au mois de Mars dernier , intirulé
, Avis au Public , avec la fignature:
du fieur le Grau , Major du Guet , en 3,0
pages in 8° .
JUILLET. 1758 . 107
Les adverfaires de M. Keyfer ont affecté
de répandre dans tout Paris un Ecrit où
il est fort maltraité , & qu'il n'a pu ſe diſpenfer
de réfuter dans celui que nous annonçons.
C'eſt un Imprimé figné par M. le
Grau , Aide-Major du Guet , à la follicitation
de M. Menage , Chirurgien de cette
troupe , qui s'eft diftribué dans l'Ecole de
Chirurgie. Comme les imputations auffi
atroces qu'odieufes , auxquelles on s'eft
livré dans cet Ecrit publié fous le titre
d'Avis au Public , & réimprimé avec de
malignes augmentations , font abfolument
deftituées de fondement , il ne nous paroît
mériter d'autre qualification que celle de
Libelle : on y pourroit même ajouter l'épithete
de fcandaleux . Quoi qu'il en foit ,
M. Keyfer repouffe avec force les traitsinjurieux
dont la calomnie s'eft armée
pour donner atteinte à fa réputation , qui
eft trop folidement établie pour avoir quelque
chofe à craindre des coups qu'elle veut
lui porter. Il regne un fi grand air de candeur
& de vérité dans l'expofition des faits
qui concernent fa juftification , qu'il eft.
difficile de fe refufer à l'indignation qu'excite
l'injuftice du procédé de fes ennemis..
I fe flatte qu'ils fuffiront pour détruire entiérement
les impreffions défavantageufes
qu'on a voulu faire naître fur fon compte..
Evjj
108 MERCURE DE FRANCE
C'eft alfurément l'effet qu'ils doivent produire
fur l'efprit de quiconque lira fans
prévention ou partialité cette Réfutation .
Les fuccès conftans & fuivis du remede
que M. Keyfer emploie pour la cure des
maladies vénériennes , font les feules armes
qu'il oppofe à toutes les impoftures & les
fupercheries auxquelles on a recours pour
le décréditer. C'eft la meilleure façon de
confondre la médifance . S'il n'a pas répondu
à tous les Ecrits multipliés que fes
adverfaires ont publiés contre lui , ce n'eft.
rien moins qu'impuiffance de fa part.
La multitude feule de fes occupations
ne lui a pas toujours permis de le faire.
Dailleurs ils ont agi avec trop de mauvaiſe
foi dans la maniere dont ils s'y font pris .
en combattant fa méthode , pour avoir
pu le réduire au filence . M. Keyfer dir
que c'eft à tort qu'on l'accufe d'avoir cherché
à féduire le Public en arrivant à Paris.
Il a fimplement propofé de faire des épreuves
devant des juges éclairés , & des témoins
non fufpects .
Les fuccès de fes premieres expériences,
conftatées par plufieurs examens rigides ,
non feulement immédiatement après le
traitement des malades , mais un an , &
même deux ans après , ont donné lieu à
l'établiſſement d'un Hôpital , où fa més
JUILLET. 1758. Tog
thode eft uniquement pratiquée . Il y fait
actuellement fon douzieme traitement
& chaque traitement a été de douze à dixhuit
malades à la fois . Ils ont tous été faits
fous les yeux des plus habiles gens de
l'art ; & pour conftater les guérifons , on
a fait de nouveaux examens avec la même
rigidité que les précédens , & toujours renouvellés
un an après que les malades
ont été fortis de l'hôpital. On n'a jamais
manqué de les rendre publics , & il n'eft
pas moins conſtant & moins notoire que ,
depuis ces traitemens , aucun de ces malades
n'a éprouvé le moindre accident qui
puiffe faire fufpecter l'efficacité du remede.
M. Keyfer n'a point borné fes expériences
à cette Capitale , il en a faites dans les
principales villes du royaume , qui ont eu
les mêmes fuccès . Il lui en vient de toutes
parts les certificats les plus authentiques
qu'on peut voir dans les différens volumes
de norre Mercure , depuis 1756 , où il les
a fait inférer. Il s'engage de plus à en
montrer les originaux à quiconque pourroit
avoir quelque doute là - deffus .
Il eft fâcheux qu'après tant d'expériences
réitérées & foutenues depuis fi longtemps
, M. Keyfer fe trouve obligé de réfuter
un Libelle tel que celui de M. Menage
, & dont la malignité eft d'autant
>
fro MERCURE DE FRANCE.
plus dangereuse que la fignature de M. le
Grau pourroit en impofer. Pour mettre la
fauffeté des faits qu'il contient dans tout
leur jour , M. Keyfer pria M. de Roquemont
, Commandant du Guet , dont l'équité
lui étoit connue , de vouloir bien
prendre la peine de les éclaircir.
M. de Roquemont fit venir chez lui MM.
le Grau & Menage , & les interrogea en préfence
de MM.Keyfer & Guérin , Chirurgien
Major des Moufquetaires. Ce dernier s'y
trouva à l'invitation de M. le Maréchal de
Biron , qui n'ayant jamais entendu dire
que des accidens femblables à ceux dont le
Libelle fait mention , fuffent arrivés dans
fon hôpital , avoit fouhaité qu'un Maître
de l'art pût vérifier ces faits par lui-même ,
& l'informer de la vérité. A cette occafion
on fait un précis de tout ce qui s'eft
paffé à l'interrogatoire de MM . le Grau &
Menage , chez M. de Roquemont , en préfence
de MM. Guérin & Keyfer. Nous ne
nous engagerons point ici dans les détails
que comporte toute cette procédure , qui
eft trop longue pour pouvoir la rapporter
ici. D'ailleurs nous nous preffons de finir
cet article , qui commence à excéder les
bornes dans lesquelles nous avons coutume
de nous renfermer. Nous aimons mieux
renvoyer à la Réfutation même , où l'on
JUILLET. 1758.
fera plus à portée de s'inftruire à fonds de
toutes les chofes dont il s'agit. Nous ne
fçaurions en trop recommander la lecture
aux perfonnes qui font intéreffées à ne pas
laiffer furprendre leur bonne foi
par les
imputations atroces dont on a rempli le
Libelle qui en eft l'objet . On a produit à
la fuite de cette Réfutation une lifte des
villes où il s'eft fait des épreuves fous les
yeux les plus éclairés , & où le remede
de M. Keyfer a parfaitement réuffi . Elle
eft accompagnée de certificats authentiques
, qui en atteſtent la vertu d'une maniere
non équivoque. Ils ont été délivrés
par plufieurs Maîtres de l'art , & autres
perfonnes illuftres , qui ont été témoins
des guérifons opérées par ce remede . Ce
font là autant de preuves de faits qui dépofent
en faveur de fa bonté , & qui lui
donnent tous les caracteres d'approbation
que l'on peut defirer. Il eft aifé de s'appercevoir
que l'acharnement avec lequel
on s'efforce de le diffamer , vient moins
de l'amour de la vérité , que du chagrin
que l'on reffent de le voir accrédité avec
d'autant plus de juftice , qu'il eft abfolument
efficace pour la cure des maladies
auxquelles il eft propre. Ce chagrin pourroit
bien avoir pour fondement la diminu
tion du lucre que l'on étoit dans le cas de
IIZ MERCURE DE FRANCE.
tirer , en les traitant par la voie beaucoup
plus douteufe des frictions mercurielles.
Les adverfaires de M. Keyfer ont beau tâcher
de couvrir d'une apparence de zele
pour les progrès de l'art les violentes déclamations
auxquelles ils s'abandonnent
contre lui , ils laiffent percer l'étrange
paffion qui les domine . Nous croyons que
c'eft là tout le fujet de leur mauvaife humeur.
Quand il n'y auroit que cette raison,
elle fuffiroir pour décider le procès à l'avantage
de M. Keyfer.
TABLETTES Hiftoriques. A Paris , chez
Heriffant , rue Notre- Dame , 1758 , petit
in-12 de 150 pages.
L'Auteur des Tablettes que nous annonçons
les a dédiées à M. le Prince de
Lambefc. Il nous dit dans une courte Préface
qui eft à la tête , que le goût dominant
du fiecle où nous vivons , eft de s'inftruire
à de frais . La lecture des gros.
peu
volumes rebute prefque tout le monde :
c'eft ce qui l'a engagé à en donner un ,
dont la groffeur ne produira pas pas affuré
ment cet effet : il ne fera pas même befoin
d'application pour l'entendre . Notre Auteur
a cru devoir le proportionner à la légéreté
de fes compatriotes : les plus paref
feux y trouveront leur compte , puifqu'il
JUILLET. 1758. 113
voulu leur faciliter les moyens d'acquérir
les notions indifpenfables de l'Hiftoire
de la maniere la plus fuccincte , & en même-
temps la plus prompte. C'eft ce qu'il a
exécuté dans les Tablettes qu'il vient de
mettre au jour : il a pris foin d'y marquer
tous les événemens mémorables qui fe font
fuccédés depuis la création du monde jufqu'à
notre temps , en les rangeant par ordre
chronologique , felon les dates auxquelles
ils fe rapportent. Il difpenfe les
Sçavans de profeffion d'y recourir , parce
qu'ils n'ont pas befoin des foibles fecours
que l'on en peut tirer : il les a uniquement
deftinées à l'ufage de ceux à qui leurs affaires
, ou d'autres foins , ne permettent pas
de fe livrer à une étude fuivie , & furtout
des Dames qui , pen faites pour s'appefantir
fur des difcuffions chronologiques ,
feront bien- aife de retrouver un tableau
raccourci de l'Hiftoire , après s'être amufées
des détails . Quand je ne ferois , dit- il ,
utile qu'à cette belle partie de la fociété ,
je ne croirois point avoir perdu mes peines.
La déférence de l'Auteur pour les perfonnes
du fexe mérite bien qu'elles faffent
un accueil favorable à fon livre. C'eſt
ce que nous pouvons lui fouhaiter de
mieux , puifqu'il afpire principalement à
leur plaire , en prenant à tâche de travail114
MERCURE DE FRANCE:
ler pour leur inftruction . Cependant nous
confeillerons à l'Auteur de ne pas négliger
la voie qui peut contribuer à leur amufement
; nous la croyons beaucoup plus
sûre pour obtenir leurs bonnes graces.
It paroît actuellement un feptieme vofume
in-4° . de la Collection Académique
qui fait le cinquieme tome de la Partie
Etrangere. Comme les faits d'Hiftoire naturelle
fe trouvent en petit nombre dans
les trois premiers volumes de cette Collection
, on a voulu fuppléer à ce qui manquoit
pour cette partie , en publiant de
fuite deux tomes , qui y font uniquement
relatifs . Celui qu'on donne aujourd'hui
contient , comme on l'avoit promis , la traduction
des deux volumes infolio du célebre
Ouvrage de Jean Swammerdam , intitulé
, Biblia Natura , qui renferme un
corps d'obfervations fur les infectes , dont
il forme par-là une hiftoire affez complette.
C'eſt cette raifon qui a engagé à rédiger
les deux tomes , afin de les réunir en
un feul. Il faut fçavoir que cet Ouvrage
de Swammerdam paroît traduit en notre
langue pour la premiere fois. Ceux qui
ont entrepris de l'enrichir d'une producrion
auffi curieufe , acquierent des droits
Bien fondés à la reconnoiffance de toutes.
JUILLET. 1758. 115
perfonnes qui s'occupent de l'étude de la
nature , & particuliérement de celles qui
jouiffent d'une fortune trop médiocre pour
pouvoir fe procurer , fans s'incommoder
beaucoup , un livre de cette valeur. C'eſt
leur rendre un fervice effentiel , que de
leur faciliter ainfi la connoiffance de cette
Bible de la Nature , qui eft extrêmement
chere par rapport à fa rareté : cela feul fuffit
pour détourner de l'acheter . Le Libraire
qui eft chargé de l'impreffion de l'Ouvrage
dont il s'agit , ayant égard au motif
que nous venons d'alléguer , offre de
vendre féparément ce cinquieme volume à
ceux qui n'ont pas jugé à propos de foufcrire.
Mais comme ce nouveau tome a occafionné
une plus grande dépenfe que les
quatre premiers , par le nombre confidérable
de gravures dont il eft orné , par la
quantité d'additions & de notes qui ont
été ajoutées au texte de l'Auteur Hollandois
, & par fa groffeur , il eft forcé d'en
fixer le prix à quinze livres en feuilles , pápier
ordinaire . Il eft certain que tout cela
ne contribue pas peu à relever le mérite du
volume que nous annonçons : nous le
croyons à cet égard , fupérieur à celui des
autres qui l'ont précédé , quoique la partie
Typographique foit également bien
exécutée. On avertit de plus que les Souf11
MERCURE DE FRANCE:
cripteurs , & en général les perfonnes qui
prendront le corps entier de la Collection
Académique , ou feulement les cinq tomes
de la partie Etrangere , payeront ce volume
au même prix que tous les tomes de cet
Ouvrage , qui leur ont déja été délivrés.
On propofe le même avantage à ceux qui
demanderont à foufcrire , en faisant l'acquifition
de ce feptieme volume , & pour
la rendre encore plus facile , le Libraire
s'engage à prolonger le terme de la foufcription
jufqu'à la fin du mois d'Août prochain
, aux conditions énoncées dans le
Profpectus , qui a été publié pour cet Ouvrage
depuis le mois d'Avril 1757.
"
La traduction de cette Bible de la nature,
compofée par le Naturaliſte Hollandois
eft précédée d'un Avertiffement de la façon
de M. Gueneau , Editeur des quatre volumes
de cette Collection . Il équivaut par fa
longueur à une Préface dans les formes.
M. Gueneau après avoir fait connoître fuccinctement
ce que renferme de particulier
cette traduction , & les différences qui fe
trouvent entr'elle & le texte original , met
fous les yeux de fes Lecteurs un abrégé de
la vie de Swammerdam , qu'il a tiré pour
le fonds de celle que Boerhaave a mifè à la
tête de l'édition Hollandoife & Latine du
Biblia natura..
JUILLET. 1758. 117
à
M. Gueneau entre enfuite dans un détail
fort curieux fur les opérations microfcopiques
& anatomiques à la faveur defquelles
notre Naturaliſte étoit parvenu
découvrir la ftructure & l'économie des
infectes , & particuliérement leurs tranfformations
. Cet Avertiffement eft terminé
par une difcuffion approfondie d'une des
opinions que Swammerdam s'étoit efforcé
d'établir ; c'eft celle de l'impoffibilité prétendue
de la génération fpontanée .
Tout ce morceau où M. Gueneau déploie
beaucoup de fagacité & de force de
raiſonnement , eft marqué à un coin vraiment
philofophique. Il fert à confirmer
l'opinion avantageufe qu'on a dû concevoir
du talent que l'Auteur a d'exprimer
fes idées avec autant d'énergie que de netteté
, par la lecture de fon Difcours préliminaire
qui eft à la tête du premier volume
de la Partie étrangere donnée en 1755.
Nous en avons rendu compte alors , &
nous croyons pouvoir le rappeller ici avec
l'éloge qu'il nous paroît mériter. A l'égard
de l'ouvrage de Swammerdam , dont on
préfente aujourd'hui la Traduction en notre
Langue , nous allons indiquer fuccinctement
fon objet.
Il eft divifé en quatre parties , dont la
premiere traite de l'état de Nymphe con118
MERCURE DE FRANCE.
fidéré comme le fondement de toutes les
transformations , de toutes les métamorphofes
, ou plutôt de tous les développemens
fucceffifs de l'infecte.
Notre Naturalifte écarte dans la feconde
partie les nuages que le préjugé & l'erreur
avoient répandus fur cette matiere. Il
établit dans la troifieme quatre ordres de
développemens , auxquels fe rapportent
d'elles- mêmes toutes les variétés qui s'obfervent
dans les prétendues transformations
des infectes ; transformations qui ,
felon lui , ont toutes leur principe & leur
origine dans l'état de Nymphe. Il apporte
dans la quatrieme des exemples particuliers
de ces quatre ordres de développement
, dont il facilite l'intelligence , en
joignant partout où il a été néceſſaire des
figures gravées aux defcriptions le plus
exactement circonftanciées. On ne doit
pas être étonné de voir les deux volumes
in folio , que comporte cette Bible de la nature
, réduits à un feul in quarto dans la
Traduction Françoife . Il faut fçavoir que
l'édition Latine donnée par Boerhaave eft
accompagnée du texte Hollandois qui la
groffit de moitié. C'eft la Langue dans laquelle
l'Auteur a originairement écrit.
Comme il a d'ailleurs chargé fon Ouvrage
de beaucoup de réflexions en partie chaJUILLET
. 1758. 119
grines , en partie dévotes , qui fe reffentoient
de fon commerce avec la Bourignon ,
de raiſonnemens diffus fur les fins de la
nature, de longues digreffions fur la mifere
de l'homme , les Traducteurs ont jugé à
propos de retrancher , ou d'abréger toutes
ces chofes qui étoient affez étrangeres au
plan & au but de l'Ouvrage. Ils ont égale,
ment omis les réfutations devenues inutiles
par le difcrédit actuel des opinions
réfutées , & les perfonnalités auxquelles il
a eu la foibleffe de fe livrer contre des
détracteurs aveuglés par l'ignorance ou
l'envie , à qui il ne devoit que le plus profond
mépris. Ils ont auffi diminué le nombre
des planches en preffant les figures plus
qu'elles ne le font dans l'original , & fupprimant
celles qui leur ont paru fuperflues.
Telles font les figures qui ne difent aux
yeux rien de plus que ce que les defcriptions
de l'Auteur difent à l'efprit , & encore
celles qui étant groffies à un fort microſcope
, ne font voir aucune partie qui
ne foit affez diftincte dans les figures de
grandeur naturelle. Ils nous affurent n'avoir
rien négligé de tout ce qui a dépendu
de leurs foins , pour que celles qu'ils ont
confervées , fuffent copiées avec la plus
grande fidélité & la derniere exactitude.
Ils n'ont pas cru devoir fe borner à de
120 MERCURE DE FRANCE:
fimples retranchemens , pour donner plus
de perfection à l'Ouvrage de Swammerdam
; ils le font propofés d'en rendre l'utilité
plus générale , en ajoutant tout ce qui
pouvoit contribuer à compléter les découvertes
de l'Auteur Hollandois. Ils ont puifé
dans les meilleures fources ces additions
qu'ils ont mifes en notes.Ils nous difent que
pour peu qu'on veuille prendre la peine
de les rapprocher des Ouvrages d'où elles
font tirées , on trouvera fouvent réduit à
quelques lignes tout ce que de longs difcours
peuvent renfermer de nouveau .
Cette comparaifon perpétuelle que l'Editeur
& fes Collegues ont été par- là à portée
de faire des obfervations de Swammerdam
avec celles des autres Naturaliftes , les a
mis en état de rendre cette Traduction
auffi exacte qu'on peut le défirer , quoiqu'elle
ne foit pas faire immédiatement
d'après l'original Hollandois , mais d'après
la Traduction Latine dont on eft redevable
au Docteur Gaubius. Partout où ils ont été
arrêtés par des difficultés , ils ont confulté
la nature ou ceux qui l'avoient obſervée ,
& cette refſource leur a infiniment plus
fervi que la connoiffance parfaite de la
Langue Hollandoife. Outre les additions.
dont nous venons de parler , les notes contiennent
encore des éclairciffemens fur
la
JUILLET. 1758 . 12t
la concordance des noms des infectes , des
remarques critiques fur quelques opinions
de Swammerdam , ou fur les cenfures injuftes
qu'il a effuyées . Quelquefois ils ont
indiqué leur penfée dans le texte même
par de petites parenthefes italiques , qui ,
fans interrompre la lecture , précautionnent
le Lecteur contre ce qui leur paroît
s'éloigner de la vérité. Dans tout cela ils
ont eu pour but de la défendre , de combattre
l'erreur , & d'affigner à chaque opi
nión douteuſe fon jufte degré de probabilité.
Si les Traducteurs ont parfaitement
rempli la tâche qu'ils fe font impofée ,
c'eſt une décifion dont nous laiffons le
foin au Public éclairé & équitable , qui'
fçaura , beaucoup mieux que nous , apprécier
le mérite de leur travail.
On nous fait efpérer pour la fin du
mois de Janvier prochain un tome fuivant
, qui fera le buitieme de la Collection
entiere , & le fixieme de la Partie étrangee.
Il formera le premier volume de la Phyfique
Expérimentale séparée ; il fera compofé
de l'Extrait des Recueils des Académies
, & des Ouvrages périodiques , quant
à la phyfique expérimentale & à la chymie.
CORPUS Juris Civilis & Romani , cum
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Notis integris Dionyfii Gothofredi , Modii ;
Vanleuwen , & aliorum ; additi quoque locis
convenientibus Indices Titulorum ac Legum
emendatiffimi : præmiſſa eſt Hiſtoria & ChronologiaJuris
Civilis Romani quafingulari methodo
Legum latarum tempus defignat. Cart
magnâ, in fol, 2vol , AParis, chez Saugrain,
fils aîné , Libraire , Grand'Salle du Palais ,
au fixieme Pilier, vis- à- vis l'Escalier de la
Cour des Aides , à la Bonne Foy couronnée.
On nous affure que cette Edition mérite
la préférence fur toutes celles qui l'ont précédée.
Elle a été corrigée très- exactement
par un habile Jurifconfulte qui a rectifié
toutes les fauffes citations , & a remédié à
toutes les autres inexactitudes qui s'étoient
gliffées dans les Editions précédentes.
Les Lettres qu'on a miſes en uſage pour
renvoyer du Texte aux Notes , embarraffoient
le Lecteur ; l'on s'eft fervi de chif
fres pour ces renvois , & l'on ſe flatte
que l'on fentira l'utilité de ce changement.
L'on a employé du papier plus grand
que celui des précédentes Editions , afin
de pouvoir fe fervir d'un caractere plus
gros pour le Texte & pour les Notes , &
pour ménager la vue du Lecteur .
L'on avertit que ces deux volumes fe
JUILLET. 1758: 123
vendront reliés 42 1. jufqu'au premier Octobre
de la préfente année 1758. paffé lequel
temps , il vaudront 60. 1.
LA Vie de M. Lautour du Châtel ,
Avocat au Parlement de Normandie , contenant
une notice de fes Ouvrages , &
quelques particularités fur la vie de M. de
Mézerai , Hiftoriographe de France , par
M. Lautour , Lieutenant général des Eaux
& Forêts de France , en la Table de Marbre
du Palais à Rouen. A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Jombert , rue Dauphine
, 1758 , petite Brochure de 60
pages.
Comme M. Lautour du Châtel a été un
de ces hommes de lettres dont la célébrité
n'eft pas proportionnée au mérite de leurs
travaux , à caufe du peu d'empreffement
qu'ils ont de les rendre publics , on doit
fçavoir gré à l'Auteur de ce petit Ouvrage,
qui fe fait lire avec plaifir , du foin qu'il
a pris d'écrire fa vie , dont nous allons
dire deux mots.
M. Lautour du Châtel naquit en 1676
à Argentan , ville de Normandie , de Jean
Lautour , Confeiller du Roi , Subftitut au
Bailliage de la même ville . Il étudia dans
la célebre Univerfité de Caen , & il s'y
diftingua par différens prix qu'il remporta .
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Son mérite le fit connoître des perfonnes
de la premiere diftinction , & les éloges
qu'il en reçut , l'animerent à cultiver de
plus en plus fes talens . Son goût fe déclara
principalement pour ce genre d'étude
, qui tient à des recherches utiles &
curieufes fur divers fujets. Il fournit un
grand nombre d'additions au Dictionnaire
de Trévoux , de l'édition de 1721 ; mais
on oublia le témoignage de reconnoiffance
qu'on lui devoit ; ce qui occafionna une
difpute littéraire , dont les Journaux ont
fait mention dans le temps , & dont l'Auteur
de cette vie rend compte avec beaucoup
de modération & de fageffe.. « Je
» n'aime pas , dit- il , ce qui eft polémique,
» parce que je fçais que toutes les contro-
» verfes font pleines d'un fiel qui dépare
» les chofes ingénieufes ou inftructives
qu'on y trouve. Auffi avouerai- je ingé-
» nuement que ç'a été pour moi un détail
pénible de rendre compte de cette
» altercation que M. Lautour a eue. Je
» l'euffe fupprimée de bon coeur, fi la tâche
» que je me fuis impofée d'en écrire la
» vie , ne m'en eût fait une loi. Je me bor-
» nerai donc à dire que les 2800 articles
» ont été employés dans le Dictionnaire
» de Trévoux , & je fuis trop Alatté que
» fes travaux foient utiles au Public , pour
99
»
ور
و د
و د
JUILLET. 1758 . 125
ne pas oublier le filence qu'on a encore
»jugé à propos de garder à fon égard dans
la préface du Supplément " .
Les affaires les plus fâcheufes produiſent
quelquefois des avantages. Celle dont nous
venons de parler , fut de ce nombre. Elle
lui procura la connoiffance du P. le Long,
de MM . l'Abbé d'Olivet , Gouget , le Préfident
Hénault, & de quelques autres gens
de lettres , avec qui il entretint jufqu'à fa
mort un commerce de lettres.
Quoique confiné dans le fond d'une
province , la réputation de fes talens avoit
affez percé dans le monde littéraire pour
engager diverfes perfonnes à le confulter
fur des matieres de pure critique ou d'érudition
. Il donnoit à cet égard toutes les
fatisfactions qu'on devoit naturellement
attendre de fon efprit , & de fon humeur
officieufe , qui le rendoit fort communicatif.
Auffi voit - on dans plufieurs livres
publiés en ce temps - là ,le nom de M. Lautour
du Châtel cité avec éloge . Il détrompa
furtout le P. le Long de quelques idées
peu exactes fur le compte de M. de Mézerai,
qu'il avoit adoptées trop légérement
d'après la lecture de la Vie de cet Hiftoriographe,
compofée par M. Larroque , qu'on
accufe, avec beaucoup de fondement , d'infidélité
dans la plupart des circonftances
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle contient. C'eft ici qu'on trouve les
particularités qui concernent M. de Mézerai
, annoncées dans le titre de cette
Brochure , dont l'Auteur faifit l'occafion
de repouffer avec force quelques traits injurieux
tout à la fois à fa perfonne & à fa
mémoire , que M. Larroque a affecté de
rapporter pour fléttir la gloire que cet
Hiftoriographe s'eft acquife par fes Ouvrages.
Les bornes dans lefquelles nous
fommes obligés de nous renfermer , ne
nous permettent pas d'entrer dans aucun
détail à ce fujet. Nous invitons ceux qui
s'intéreffent à l'hiftoire des Gens de lettres
à lire ce Morceau , qui pourra fatisfaire
leur curiofité. Difons feulement que M.
Lautour , le Lieutenant général , eft neveu
de celui dont il nous donne la vie , &
petit neveu de M. de Mézerai , du côté des
femmes. Il eft naturel qu'en cette derniere
qualité il prenne un intérêt très- vif à la
réputation de cet Ecrivain , qui honore
affurément la France , & qu'il fe faſſe un
devoir de la défendre contre ceux qui
l'ont injuſtement attaquée. Nous finirons
par dire qu'on trouve après cette Vie de
M. Lautour un catalogue des Ouvrages
qu'il a laiffés manufcrits , en affez grand
nombre , dans l'ordre qui fuit . Nous ne
fçaurions mieux faire que d'inviter M. for
JUILLET . 1758. 127
Neveu , qui en eft poffeffeur , de procurer
au Public ceux qu'il juge propres à fervir
à fon inftruction .
Dialogue entre Efope & Platon. Traité du
Blafon . Anecdotas curieufes. Obfervations
diverfes fur la Grammaire Françoise . Obfer
vations fur le Dictionnaire de Moréri . Traité
Sur les preferiptions . Les Auteurs mafqués
reconnus. Tableau des Poëtes François ,
par ordre alphabétique & chronologique . Catalogue
alphabétique des Auteurs Grecs &
Latins , qui ont été traduits en François
'avec l'année des traductions. Difcours fur la
Peinture. Difcours fur la Sculpture. Hiftoire
chronologique de tous les Ordres militai
res & de chevalerie , &c.
COMMENTAIRES fur la Cavalerie , par
M. de Bouffanelle , Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , Capitaine
au Régiment de Cavalerie de S. Aignan
Membre de l'Académie des Sciences &
beaux Arts de la Ville de Beziers . A Paris ,
chez Guillyn , Quai des Auguſtins , du côté
du Pont S. Michel , au Lys d'Or . 1758.
in-12 de 400 pages.
PLAN de réforme pour le Miffel , contenant
une nouvelle diftribution des Evangiles
, dit Propre du Temps , Ouvrage uti-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE:
le aux Perfonnes chargées de travailler {
de nouveaux Miffels ,
› par M. l'Abbé * * *
Chanoine de l'Eglife de Verdun . A Paris ,
chez Auguftin Martin Lottin , l'aîné , Imprimeur-
Libraire , rue S. Jacques , près S.
Yves , au Coq. 1758. in- 12 . de 111 pages
fans la Préface .'
L'Auteur nous dit dans fa Préface , que
depuis plufieurs années on a publié en
France de nouveaux Miffels à l'ufage de
différens Diocefes. Il avoue que les chan
gemens qu'on y a faits les rendent fupérieurs
aux anciens ; cependant ils ne fuffifent
pas encore , à fon avis , pour donner
au Miffel le degré de perfection dont il eft
fufceptible. Voici à quoi fe réduifent ces
changemens.
On a réformé dans ces nouveaux Miffels
, les introits , les Graduels , les Alleluia,
les Traits , les Offertoires , les Communions.
Ce font autant de paffages de
l'Ecriture Sainte , dont le choix paroît trèsjudicieux
au Chanoine de Verdun . On y
a mis auffi de nouvelles Oraifons & de
nouvelles Préfaces. Notre Auteur est étonné
de ce qu'on n'a pas étendu cette réforme
fur les Epitres & les Evangiles , dont
on a confervé l'ancienne diftribution : il
n'approuve pas le fcrupule qu'on femble
s'être fait d'y toucher : il trouve que cette
JUILLET. 1758. 129
་
déférence qu'on a eue pour cette partie du
Miffel eft mal fondée , puifqu'elle a felon
lui , autant befoin pour le moins d'être rectifiée
les autres . Dans tous les Mifque
fels les Meffes font partagées en trois claffes
, le Propre du Temps , le Propre des
Saints , & le Commun des Saints . La Réforme
, qu'il juge néceffaire , n'a pour objet
que le Propre du Temps : les Evangi
les du Propre du Temps font le récit des
principaux myfteres de notre religion , &
des principales actions de Jéfus- Chrift :
enforte que le Propre du temps forme une
efpece de narration hiftorique de la vie de
Jésus -Chrift , qu'on met devant les yeux
des Fideles , pour leur faire connoître les
merveilles que cet homme Dieu a opérées
pour leur rédemption.
L'Auteur croit que cette narration approchera
d'autant plus de la perfection ,
qu'il y aura plus d'ordre dans les fujets
qui y font rapportés ; & c'eft cet ordre
qu'il dit avoir été fort négligé dans tous
les Miffels qui ont paru jufqu'à préfent.
Pour donner une pleine conviction de ce
qu'il avance , il fait des remarques fuivies
fur tous les Evangiles du Propre du temps,
& il y a ajouté les changemens qui lui ont
paru néceffaires , pour les ranger dans un
ordre plus convenable. C'eft la tâche qu'il
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
s'eft propofé de remplir dans ce petit Ou
vrage, dont nous allons indiquer le deffein.
Il divife l'Année eccléfiaftique en fix parties
, fçavoir , 1°. l'Avent , 2 °. le temps
depuis Noël jufqu'à la Septuagéfime , 3 ° .
le temps depuis la Septuagéfime jufqu'au
Carême , 4° . le Carême , 5° . le temps pafchal
, 6°. le temps depuis la Trinité jufqu'à
la fin de l'Année eccléfiaftique. Après
cette divifion de l'Année, voici la maniere
dont notre Auteur fait l'application des
Sujets. En Avent , il rapporte ce qui a
précédé la naiffance de Jésus- Chriſt. Depuis
Noël jufqu'à la Septuagefime , il rapporte
la naiffance de Jésus- Chrift , & ce
qui l'a fuivi de plus près. Depuis la Septua
géfime jufqu'au Carême , il rapporte la prédication
de Saint Jean dans le défert. En
Carême, il rapporte la prédication de Jéfus-
Chrift pendant les trois dernieres années
de fa vie , fa paffion & fa mort. Au temps
pafchal, il rapporte la réfurrection de Jéfus-
Chrift , toutes fes apparitions , les inftructions
qu'il donna à fesDifciples avant que
de les quitter , fon afcenfion , enfin la
defcente du Saint Efprit. Depuis la Trinité
jufqu'à la fin de l'Année eccléfiaftique , il
rapporte les fujets d'Evangiles qui n'ont
pas un rapport effentiel avec les autres
temps de l'année , & que l'on n'a pu lire
plutôt.
JUILLET . 1758. 131
LETTRE de Monfieur ** à Monfieur ***
de l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles - Lettres , fur quelques Monumens
d'antiquité , avec figures . A Paris , chez
Barrois , quai des Auguftins , & Duchesne,
rue Saint Jacques , au Temple du goût
in. 12 de 21 pages , fans les planches.
>
L'Auteur de cette Lettre nous apprend
qu'ayant été mené , il y a quelque temps ,
chez un Curieux de monumens antiques ,
plufieurs morceaux précieux , tant en Hiftoire
Naturelle , qu'en Antiquités , s'offrirent
à fa vue. Le premier qui fixa fon attention
, étoit un Mercure de bronze ,
que ce Curieux lui dit avoir été trouvé
dans le Gatinois , par des ouvriers qui
fouilloient la terre . Ce Mercure eft nu ;
il porte fur la tête deux bouts d'aîles tronqués.
Il tient dans fa main droite une
bourfe arrondie , & de fa gauche, une portion
de caducée , qui a été détruit par vétufté
, comme le font auffi les extrêmités
de fes pieds : mais ce qu'il y a de vraiment
fingulier , eft une bande large , qu'il porte
en maniere de baudrier. Cette bande eft
plus étroite vers fon extrêmité fupérieure ,
qui fe termine en pointe. Elle prend ſon
origine un peu au deffus de l'omoplate
droite , d'où elle remonte fur l'épaule du
même côté , & defcend obliquement le
F vj
132 MERCURE DE FRANCE:
long de la poitrine & du ventre , pour fe
terminer , en s'arrondiffant , à la partie
moyenne latérale de la cuiffe gauche , laiffant
cependant une portion de fon extrêmité
inférieure libre & flottante . Cette
bande a d'ailleurs un fillon remarquable,
qui la tranche d'un bout à l'autre dans
fon milieu, tandis que le nombre de petits
fillons la traverſent obliquement dans toute
fa longueur. Ce Mercure porte trois pouces
huit lignes de haut , & à juger , felon
notre Auteur , de ce morceau , par le goût
du deffein , on le croiroit volontiers un
Mercure Gaulois. Il fit inutilement diverfes
queſtions à l'Amateur fur la fingularité
de ce Monument. Celui - ci ne put fatisfaire
fa curiofité , ni lui donner les éclairciffemens
qu'il auroit voulu en tirer à ce
fujet. Il ajoute que toutes les recherches
qu'il a faites depuis à ce fujet , dans différens
cabinets , ne lui ont rien offert qui y
reffemblât . Il prétend avoir encore moins
trouvé de lumieres dans les Collections.
d'antiquités qu'on a gravées & publiées
jufqu'à préfent . En un mot ce Monument
lui paroît unique , & digne d'exercer la
critique des Sçavans . Il croit que ç'eût été
une négligence impardonnable de ne le
point publier. Il fe trouva encore dans le
nombre des raretés qui appartiennent à
JUILLET. 1758. 133
匾
ce même Curieux , un double Vafe de
bronze , fur lequel fes regards fe porterent
attentivement. Ce Vafe repréfente deux
corps fphériques , ayant chacun une trèsgrande
ouverture. Ils font joints l'un à
l'autre par le ventre , & ils le font par
leurs orifices , au moyen d'un jet qui traverfe
d'un bord à l'autre. Ils n'ont d'ailleurs
aucune communication par leurs cavités
, qui ont chacune quatre pouces huit
lignes dans leur plus grand diametre tranfverfal.
Chacun de ces Vafes eft ceint vers
fon milieu d'un cordon entre deux baguettes
rondes. Leur hauteur porte fix pouces
quatre lignes , en y comprenant leurs
pieds , qui font au nombre de trois , pour
le foutien de ces deux capacités fphériques.
Chaque pied eft terminé par un maſque
de figure humaine. Les deux bélieres qui
devoient recevoir l'anfe , font oppofées
entr'elles , & ont la même direction que
le jet. Elles préfentent auffi dans leur angle
faillant un mafque de figure humaine.
Ils contiennent chacun une pinte de liqueur
, mefure de París . Notre Auteur
'n'ofe pas plus hazarder fes conjectures fur
cette piece rare & curieufe , que fur la précédente
, dans la crainte où il eft de ne
pouvoir pas rencontrer jufte. Il s'autorife
de l'exemple de M. le Comte de Caylus
134 MERCURE DE FRANCE .
qui a gardé le filence fur ce double Vaſe :
cependant cet illuftre Académicien s'en
étoit procuré la connoiffance long - temps
avant que de publier fon fecond Volume
d'Antiquités , où il a recueilli les monumens
& fragmens épars dans différens cabinets.
Le fuccès avec lequel il cultive ce
genre de littérature, juftifie pleinement les
éloges qu'on lui donne par occafion dans
cette Brochure. L'Auteur de cette Lettre
s'engage à continuer d'employer la même
voie pour entretenir la perfonne à qui il
écrit , de la fuite de fes découvertes chez
le Curieux dont il a été fi gracieuſement
accueilli , & de quelques autres qu'il a faites
ailleurs. Il a jugé à propos de terminer,
pour cette premiere fois , le récit de ſes
obfervations par deux fingularités de la
même nature. Ce font deux Pierres , dont
l'une eft hématite, & l'autre de jafpe , d'un
verd bleuâtre foncé. L'une & l'autre font
gravées en creux des deux côtés , & paroiffent
à l'Auteur des Talifmans Egyptiens.
On en peut voir dans la Brochure
qui n'eft pas longue , une defcription auſſi
détaillée que les deux autres Monumens
dont nous venons de parler.
L'auteur montre autant de réſerve que
de modeftie dans la maniere dont il propoſe
ſon ſentiment fur ces deux Pierres ,
JUILLET. 1759. 135
& il uſe de l'honnête liberté qui doit régner
parmi les Gens de Lettres , en s'écartant de
celui de M. le Comte de Caylus , qui ,
dans fon Recueil d'Antiquités , tom. z,
pag. 14, n. 3 , décrit une figure femblable
à celles- ci . Cet Académicien la donne pour
un Vaſe Egyptien : mais notre Auteur eft
plus porté à croire qu'elle repréfente un
inftrument de mufique. Il eft à propos de
ne point laiffer ignorer le nom du Curieux
qui eft poffeffeur de ce Cabinet d'Antiquités
& d'Hiftoire Naturelle. C'eft M. Picard,
qui demeure à Paris , rue Saint Martin
près Saint Merry . Les Amateurs de ces
fortes de raretés , font fûrs de trouver chez
lui un libre accès : c'eft ce dont l'Editeur
fe rend garant, par l'accueil qu'il en a reçu
lui- même .
"
L'ART de la Cavalerie , on la maniere
de devenir bon Ecuyer , & de dreffer les
chevaux pour le manege , la guerre , la
promenade , l'attelage , la courfe , le tournois
ou le carroufel , &c. avec des remarques
curieufes fur les harras ; une idée générale
des maladies des chevaux ; l'explication
de toutes les pieces qui compofent
les différentes fortes d'équipages , & des
obſervations fur tout ce qui peut bleffer
ou gêner les chevaux ; par M. Gafpard
136 MERCURE DE FRANCE:
Saunier , in-fol: A Paris , chez Jombert
Imprimeur- Libraire du Roi , pour l'Artillerie
& le Génie , rue Dauphine , à l'Image
Notre- Dame , 20 liv .
Le Gentilhomme Maréchal , tiré de l'Anglois
de Jean Bartlet , in- 12 avec fig. 1755 .
Chez le même Libraire , 3 liv.
Suite du même Ouvrage , contenant les
moyens de conferver la fanté des chevaux,
tant en route que dans l'écurie , de les
élever , &c. Chez le même Libraire ,
2 liv . 10 fols .
OEuvres Anatomiques de M. du Verney ,
de l'Académie royale des Sciences , 2 vol.
in-4° , avec fig. fous preffe . Chez le même
Libraire .
Traité de l'Arpentage & du Toifé , ou
Méthode facile pour arpenter & meſurer
toutes fortes de fuperficies ; contenant l'Arithmétique
, la Géométrie théorique &
pratique , la Trigonométrie rectiligne ,
l'Arpentage , le Nivellement , le Toife des
folides & de la maçonnerie , le Toifé des
bois de charpente , fuivant la Coutume de
Paris ; avec un nouveau Tarif pour la réduction
des bois quarrés , & un Traité de
Géodéfie ou de la féparation des terres ; par
M. Ozanam , de l'Académie des Sciences .
Nouvelle édition confidérablement augmentée
, avec fig. Chez le même Libraire.
JUILLET. 1758 . 137
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GRAMMAIRE.
LETTRE de M. G **, à M. F ** , ſur
l'Inftruction de la Jeuneſſe.
JEne Ene contefte plus, Monfieur, far les réformes
qu'il y auroit à faire dans le cours
ordinaire des études de la jeuneffe . Je
penſe préfentement , comme vous , qu'on
peut commencer fon inftruction plutôt , &
d'une maniere plus aifée qu'on n'a coutu
me de la faire. Un habile Didacticien vient
de m'ouvrir les yeux fur les défauts des
méthodes vulgaires , qu'on fuit toujours
aveuglément par refpect pour fes maîtres ,
qui enfeignent comme ils ont été enfeignés.
C'eft un fçavant qui a négligé plufieurs fois
fa fortune par amour pour les ſciences
exactes , dont l'étude à toujours fait fa
principale occupation . Mais comme il a
auffi toujours eu à coeur de rendre fes connoiffances
utiles aux autres hommes , il
38 MERCURE DE FRANCE.
s'eft propofé en même temps de leur facili
ter l'étude des Langues , & les élémens
de l'Hiſtoire , de la Philoſophie & des Mathématiques.
Le hazard me l'a fait rencontrer , ily a
environ un mois , dans une maiſon où notre
ami N ** m'avoit conduit . A peine étionsnous
entrés , qu'il fortit , & chacun fe mit
auffi-tôt à vanter fa nouvelle méthode d'enfeigner
, comme opérant des prodiges ; ce
que j'étois bien éloigné de croire. Je ne
diffimulai pas même le fentiment contraire
que j'avois pris contre toute nouveauté en
général , fur quoi quelqu'un fe fit fort
de me convaincre de la vérité qu'on avoit
avancée , fi je voulois me rendre dans le
même lieu aux heures que l'on me marqua,
auxquelles le Méthodiſte avoit coutume
de fe trouver. J'acceptai le défi , bien perfuadé
qu'on ne me feroit pas revenir de la
bonne opinion que j'avois conçue pour
mes Maîtres , fur la parole defquels j'étois
bien réfolu de jurer toujours.
Mais que le nouveau Maître m'a bien
vîte fait changer d'opinion ! en me démontrant
de combien d'erreurs l'efprit de
l'homme eft farci , erreurs dont il n'a pas
le moindre foupçon . Vous ne fçauriez
croire , Monfieur , dans quel étonnement
je fuis tombé, lorfqu'il m'a fait voir , avec
JUILLET. 1758 : 139
la derniere évidence , le faux de la plûpart
des principes dont nous fommes imbas
dès l'enfance , & que delà naiffent ces
difficultés rebutantes , qu'on éprouve dans
tout le cours des études. Mais je ne puis
encore digérer cette penfée affligeante ,
qu'entre tant de Maîtres dans les Sciences,
qui doivent faire la bafe d'une éducation
folide , il y en ait à peine un fur cent qui
foit capable d'un emploi fi important , on
qui veuille s'en acquitter foigneufement.
Vous jugerez de la fituation d'efprit où
j'ai dû me trouver par l'expofé que je vais
effayer de vous faire de få maniere d'inftruire
: c'eft du moins ce que j'ai pu recueillir
des conférences particulieres que
j'ai eues avec lui fur les premiers élémens
des connoiffances humaines.
Le Méthodifte en queſtion a travaillé
plus de trente années , tant à la recherche
des caufes qui retardent les progrès des
études , qu'aux moyens de les rendre plus
faciles & plus agréables. Pour proportionner
aux facultés intellectuelles les nouvelles
méthodes qu'il a imaginées , il a
imité la nature , qui , dans fes opérations ,
procede toujours par les voies les plus fimples.
La maniere dont il inculque les principes
dans l'efprit , eft agréable , ne charge
point la mémoire, & ne force aucunement
140 MERCURE DE FRANCE.
la contention des fibres du cerveau. Il
rend tout fenfible d'abord , commençant
par les idées les plus fimples , qui ne fuppofent
rien qui ne foit connu d'avance ,
& il paffe peu à peu à ce qui eft plus compofé
, ou qui fait moins d'impreffion fur
les fens .
Il n'y a perfonne qui ne connoiffe la
peine & le dégoût qu'éprouvent tous les
enfans en apprenant à lire , & le temps
confidérable qu'ils y doivent employer
avant qu'ils puiffent foutenir une lecture
tant foit peu exacte . Mais peu de gens en
ont découvert la caufe dans la défectuofité
de l'alphabet , & dans la fauffe dénomination
des lettres qui le compofent. Au
moins on n'a point encore tenté d'en publier
un complet fur aucune Langue particuliere
, & qui fût compofé d'autant de
caracteres différens , qu'il y a de fens &
d'articulations fimples .
Voilà le premier objet que l'Auteur s'eft
proposé pour faciliter la lecture & l'ortographe
aux jeunes gens de la nation , &
aux Etrangers . A cet effet il a refondu l'ancien
Abécé François dans un nouveau ,
qu'il a compofé de quarante -fix caracteres
différens , dont dix peuvent paffer pour
furnuméraires Auffi démontre-t'il qu'il
n'en faudroit à la rigueur que trente - fix ,
JUILLET. 1758. 141
dont quatorze voyelles & vingt- deux confonnes
, fuivant la jufte quantité de fons.
de voix & d'articulations fimples , dont
toute la Langue Françoife eft compofée :
mais il accorde toute la déférence qu'on
doit à l'ufage.
Par le moyen de ce nouvel Abécé François
, il a prouvé plus d'une fois qu'il n'y
a point d'enfans , depuis l'âge de trois ans.
& au deffus , qui , avec un peu de docilité,
ne foit capable , au bout de fix mois , de
lire imperturbablement quelque difcours
françois ou latin que ce foit , & d'en exprimer
exactement à l'oreille l'ortographe
naturelle. Il n'y a point même de perfonne
avancée en âge qui , ne fçachant ni A , ni
B, ne puiffe en apprendre autant dans
foixante leçons d'une heure chacune . Cette
derniere propofition ne doit point paroître
hyperbolique : l'Auteur m'a affuré qu'il en
fera l'épreuve à forfait quand on voudra.
La dénomination particuliere , qu'il a donnée
à chaque lettre , a un fi jufte rapport
avec le fon ou l'articulation dont cette
lettre eft le figne , que c'eft en cela principalement
que confifte le fûr & prompt effet
de fa méthode.
Tous ceux qui ont fréquenté les colleges
, conviennent auffi que la jeuneffe y
paffe bien défagréablement fept ou huit
42 MERCURE
DE FRANCE
:
années pour apprendre un peu de Latin ,
qui tourne fouvent en pure perte, ou dont
on retire bien peu d'utilité dans le cours
de la vie. Auffi plufieurs ayant fait quelques
réflexions férieufes fur l'ennui & le
dégoût qu'ils avoient effuyé durant tant
d'années , pour acquérir un fçavoir auffi
médiocre , ont bien fenti que le défaut
étoit dans la méthode , & qu'on pourroit ,
par une autre voie , en apprendre davantage
, ou du moins autant , plus vîte &
plus agréablement. Quelques - uns même
ayant tenté , dans des éducations particulieres
, d'applanir la route difficile & commune
, qu'on fait tenir aux jeunes gens
pour les conduire au Latin , ont eu le plai
fir de voir les effets de leurs foins furpaffer
leurs efpérances
.
C'eſt un autre objet que notre Didacticien
s'eft encore propofé. A force de méditer
fur la nature des Langues en général ,
il eft parvenu à former une Grammaire
raifonnée , dont les principes conviennent
à toutes fortes de Langues mortes ou vivantes
, fçavantes ou vulgaires ; & par fes
obfervations fur les caufes du Latin & du
François , il a fait une Méthode qui procure
de ces deux Langues une intelligence
beaucoup plus parfaite & plus prompte
que par toute autre voie qu'on ait fuivie
jufqu'ici .
JUILLET. 1758 143
Il a auffi traité dans le même goût la
maniere d'enſeigner les élémens des autres
Sciences utiles , tels que font ceux de
l'Hiftoire , de la Philofophie & des Mathématiques.
On ne fçauroit croire , fans
l'avoir vu , avec quel plaifir les jeunes gens
s'appliquent, par fa Méthode, à l'Arithmé
tique démontrée fur tous les objets qui en
font fufceptibles , à la Géographie , à la
Chronologie hiftorique , ainfi qu'aux Elémens
d'Algebre & de Géométrie , & avec
quelle ardeur ils fe livrent à l'étude des
parties de la Philofophie , qui peuvent
contribuer à la jufteffe de l'efprit , & à l'é
tendue de fes connoiffances.
Tous ces objets , utiles aux différens
états de la fociété , font diftribués avec ordre
dans de petits compartimens nommés
Tablettes Académiques , qui deviennent
un jeu auffi inftructif qu'amufant pour les
enfans. Les deux fexes en ont fait l'épreu
ve , & ont également démontré l'un &
l'autre que cette nouvelle Méthode , non
feulement donne du goût pour l'étude des
Sciences, mais encore qu'elle épargne plus.
des 2 du temps & de la peine qu'exigent les
Méthodes vulgaires.
Mais il faut auffi vous dire , Monfieur ,
que l'effet le plus certain de cette Didactique
dépend bien moins de l'ordre & de la
144 MERCURE DE FRANCE.
diftribution des matieres , que du talent
fingulier avec lequel l'Auteur s'en fert.
L'enjouement dont il affaiſonne fes difcours
, qu'il fait fubitement varier fuivant
la portée des différens efprits ; fa patience
à laiffer à une idée le temps de naître & de
fe former avant que de paffer à une autre ;
fa douceur , fa politeffe , fes encouragemens
à la moindre réuffite , font comme
l'ame de cette Méthode nouvelle , qui d'ailleurs
eft fondée fur des principes très - bien
raifonnés . Ce feroit un tréfor qu'un tel
Informateur pour des gens opulens , qui
voudroient procurer à leurs enfans une
belle & folide, éducation.
Si vous êtes curieux de converfer avec
cet homme rare , quand vous ferez arrivé
à Paris , notre ami N ** vous en procu
rera la connoiffance . Je pars demain pour
Rome. Adieu .
P. S. Ceux qui voudront connoître
celui qui propofe ce nouveau fyftême ,
lui écriront , en adreffant leur lettre dans
le Mercure.
MONNOIE.
JUILLET. 1758. 145
MONNO IES.
CONJECTURES fur quelques difficultés
touchant la valeur des Monnoies des
VIII , IX, XII , XIII & XIVe fiecles
& les Evaluations Coutumieres , adreffées
à M. *** , par P. A. M. L. A..
J'AI
و
A1 déja eu l'honneur de vous en prévenir
, Monfieur ; je ne me flatte pas de fatisfaire
un efprit auffi jufte & auffi pénétrant
que le vôtre , en répondant aux queftions
que vous me propofez . Vous voulez
fçavoir premiérement ce que vaudroit aujourd'hui
une rente conftituée fous le regne
de Charlemagne. Secondement , quelle eft
la valeur actuelle de cing fous du douzieme
fiecle , temps où nous voyons qu'un vol
de l'équivalent de cette fomme étoit puni
de mort en Allemagne ; comme nous fçavons
qu'à peu près pour le même objet ,
on accordoit dans le même temps le combat
judiciaire en France . Vous demandez
enfin , Monfieur , fi nos Evaluations Coutu
mieres , par rapport à certaines redevances
féodales , ont été faites avec équité , & fi
cette équité fubfifte encore aujourd'hui .
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
+
les
Voilà vos queſtions ; je n'oublierai pas
exemples auxquels vous les appliquez.
Permettez-moi feulement de vous avertir
que ce que vous allez lire exigera quelqu'attention
. Après cela , vous déciderez fi
j'ai fait le modefte en vous annonçant peu
de certitude & beaucoup de conjectures.
Les autorités que je ne manquerai pas de
citer , vous feront voir que je n'ai rien
négligé de ce qui a dépendu de moi pour
réuffir . Avec plus de temps , j'aurois peutêtre
formé plus de doutes , & de nouvelles
conjectures euffent prouvé à tout autre que
vous ,
Monfieur
, que le Philofophe n'eſt
pas le feul à qui l'on puiffe appliquer le
mot de Lucain :
... Vidit , quantâ fub nocte jaceret
Noftra dies,
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , le 7 de Juillet 1757.
Premiere
Question.
A livre numéraire du temps de
Charlemagne étoit du poids de la livre
Romaine , & pefoit douze onces d'argent,
Elle fe divifoit , comme aujourd'hui , en
vingt parties égales appellées fous, & le fou
en douze deniers. Ainfi le denier étoit
JUILLET. 1758. 147
alors , comme à préfent , la 240 ° partie de
la livre. Suppofez que notie marc d'argent,
qui pefe huit onces , foit du prix de 49 liv.
10 fols ; il s'enfuit que la livre de Charlemagne
vaudroit aujourd'hui poids pour ( 1 )
poids , titre pour titre , 74 liv. s fols ; que le
fou de cette livre feroit égal à 3 liv. 14 ር
deniers , & le denier à 6 fols 2 den . de
44
notre monnoie.
3
S
Sous le regne de ce Prince , & même
deux ( 2 ) fiecles après , vingt fous pefoient
donc effectivement une livre ou 12 onces
d'argent ; mais il y avoit un dixieme d'aliage
, qui n'étoit pourtant pas tout entier
au profit du Souverain ; car les particuliers
recevoient vingt & un fous , en portant le
poids d'une livre d'argent à la monnoie.
Pour juger de la rareté de l'argent dans
ce temps-là , & parconféquent de fa valeur
dans le commerce ; il n'y a qu'à confulter
les Capitulaires , on y trouvera le prix
commun de plufieurs fortes de denrées.
(1 ) Voyez l'excellent Ouvrage intitulé , Les
Origines , ou l'Ancien Gouvernement de la France ,
&c. C'eft de- là qu'on a tiré prefque tout ce qui
regarde les monnoies & les denrées du regne de
Charlemagne. T. 2 , liv. 7 , ch. 5 & 6 , & ch . 9 ,
5.8.
T.
(2) Effai fur l'Hiftoire générale depuis Charlemagne.
I ch. " XI , pp . 100 & 101. Edition in-
8° , 1756 .
4
Ġ ij
148 MERCURE DE FRANCE.
En voici quelques exemples. Je commence
par les bleds qui font la denrée de la premiere
néceffité. En 754 , Charlemagne en
fixa le prix par le ( 1 ) tarif fuivant .
Un boiffeau de froment ..
Un boiffeau de feigle
Un boiffeau d'orge
Un boiffeau d'avoine
4 ...
... 3
den .
Notre marc d'argent fuppofé à 49 liv .
10 f. , ces 4 deniers , prix d'un boiffeau de
froment , font aujourd'hui poids pour poids,
titre pour titre 1 liv.
I 4 fol. fol. den.
୨
Les 3 deniers, prix d'un boiffeau de feigle ,
font aujourd'hui de même 18 f. 6 d. 3.
Les 2 deniers , prix du boiffeau d'orge ,
font aujourd'hui de même 12 fols 4 d. 1.
Un denier pour le boiffeau d'avoine , fait
aujourd'hui de même 6 f. 2 d .
Remarquez que le boiffeau de ce Prince
contenant le poids ( 2 ) de vingt de ſes livres
, ne contiendroit que quinze des nôtres.
Par la même loi , Charlemagne fixe à
un denier le plus ( 3 ) haut prix de douze
(1) Les Origines , &c. ibid. ch. 9 , §. 8.
2) Dictionnaire Univerfel , dit de Trévoux , au
Commencement du premier mot Boiffeau . Edit. de
Paris , 1732 .
(3 ) Les Origines , &c. ibid. ch, s , p. 320 , &
ch. 9 , §. 8,
JUILLET. 1758 .
149
pains de froment pefant enfemble vingtquatre
de fes livres . Ainfi le prix d'une livre
de ce pain, laquelle pefoit douze onces,
coûtoit alors un peu plus de trois de nos
deniers ; & le plus haut prix de la même
livre de ce pain feroit aujourd'hui de 36
de nos deniers ou de trois de nos fous.
On obfervera en paffant que 32 ans après
la mort de cet Empereur ( en 846 ) un
minot ( 1 ) de froment , un minot d'orge ,
une mefure de vin & un agneau , étoient
appréciés en total deux fous 12 f. 4 d . 1.
Al'égard de la viande de la boucherie , on
voit qu'un boeuf de qualité à être ( 2 ) ſervi
fur la table du Roi , étoit eftimé 2 f. — 7 l.
8 f. 6 den. & une vache un fou = 3 liv.
f. 3 den. de notre monnoie . ༣ 14
Que l'on compare le prix ancien de ce
boeuf à ce qu'il coûteroit à préfent , on
connoîtra le changement qui eft arrivé
dans la proportion des denrées avec l'argent.
Ainfi fuppofé qu'un boeuf de la même
qualité coûte aujourd'hui 250 liv . &
cette fuppofition n'a rien d'outré , vous
trouverez que 7 liv . 8 f. 6 den. ( faifant
poids pour poids , titre pour titre les deux
fous , ancien prix de ce boeuf ) ne repré-
(1 ) Abrégé chronol. de l'Hift . de France, I. Patti
p. 80 , ad an. 840. Edit. de Paris , 1756.
(2) Les Origines , &c . ib. ch. 5 , PP . 318,319
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
fenteroient guere que la trente- troifieme
partie du prix actuel de cet animal . Ce qui
établit ici la proportion de 1 à 33.
Nous avons vu le plus haut prix de douze
onces de pain de froment fixé à l'équivalent
de trois de nos deniers ; & il eft
conftant que le même poids de ce pain
coûteroit au plus haut prix actuel 36 de nos
deniers = 3 fous. La proportion feroit
donc à cet égard de 3 d . à 36 ou d'environ
1 à 12. Or 12 & 33 font 45. La moitié
de 45 , c'eft 22. Difons donc
que la proportion
( 1 ) moyenne eft d'environ 1 à
22. Ainfi quoique cinq fous du temps de
Charlemagne fuffent prefqu'égaux poids
poids , titrepour titre , à trois de nos écus
de fix francs , plus onze fous trois deniers ;
cependant , fuivant la proportion de 1 à
22 , ces cinq fous anciens reviendroient
réellement aujourd'hui à la fomme de
quatre cens dit-fept livres treize fous un
denier & demi ; puifque ces cinq fous
procuroient autant de denrée que 417 liv .
13 f. 1 d. , en repréfentent dans le temps
où nous fommes .
(1) La proportion moyenne de l'Auteur des
Origines eft de 1 à 39 , à la p . 320 , du ch. 5 , déja
cité mais aux pp. 318 , 319 du même chapitre
fa proportion eft de 1 à 25 ; ce qui eft à peu près
notre proportion moyenne.
JUILLET. 1758 . ISI
Ainfi 417 liv . 13 f. 1 d. balanceroient
aujourd'hui le produit annuel d'une rente
de cinq fous conftituée fous le regne de
Charlemagne. Paffons à la feconde Queftion
.
Seconde Question.
Si quis quinque folidos valens aut plus
fueritfuratus , laqueo ſuſpendatur : fi minus ,
fcopis & forcipe excoriatur & tundatur.
C'eft ainfi que s'exprime l'Empereur Fréderic
I dans ( 1 ) fa Conftitution . Voyons la
Charte de Louis VII , dit le Jeune ; elle
eft datée de Paris , l'an 1168.
Pro debiti titulo (2 ) citra quinque folidorum
dationem , inter aliquos non judicetur
Duellum . Voici l'ancienne traduction de
ce texte. Por dete de cinq fols & de mains
elle ( 3 ) ert nice ne foit bataille ja entre
deux gens.
Si l'original de cette (4) Charte eft La-
(1 ) Elle eft intitulée , De Pace tenendâ & ejus
Violatoribus . (Feudor. Lib. 2 , tit . 27 , §. ult. in pr. )
(2) Voyez cette Charte publiée dans les deux
Langues, par M. de Lauriere , au premier Volume
des Ordonn. des Rois de France de la troifieme Race.
Dans la Préf. à la p. 34 , nomb. 185 , & à la p . 16
de l'Ouvrage même , au nomb. ( 3 ) .
(3 ) Ert , pour fera , eft de la Langue Roman
ce. C'eſt une contraction d'erit , Latin.
(4) Ce qui doit faire douter ici , c'eft que dès
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
tin , cette traduction eft fort infidele : mais
il eſt vraiſemblable que la Charte a été
écrite en Langue ( 1 ) vulgaire. Rapportons
ce que M. de Montefquieu (2 ) dit fur cette
Piece.
Le combat judiciaire , ce font fes termes ,
étoit en ufage à Orléans dans toutes les demandes
de dettes. Louis le Jeune déclara que
cette Coutume n'auroit lieu que lorsque la
demande excédereit cinq fous. Selon le Latin
, il eût fallu dire que le combat ne feroit
point permis quand l'objet de la demande
feroit au deffous de cinq fous . Cette
Ordonnance , continue t'il , étoit une loi
locale ; car temps de S. Louis , il fuffifoit
que la valeur fût de plus de douze deniers.
Il faut d'abord obferver fur la premiere
de ces Loix faite par Fréderic I , dit Barberouffe
, que la Conftitution , d'où elle eſt
tirée , regarde uniquement la police inté
rieure de fes Etats. Cet Empereur avoit
pour objet d'affurer la tranquillité publidu
le VIII fiecle , le peuple n'entendoit plus le Latin.
Voyez là deffus les recherches de M. l'Abbé le
Beufdans le Journal des Sçavans , P. 494 , Juillet,
1753.
(1 ) M. le Prés. Hénault a penſé de même auffibien
que M. de Montesquieu . ( Abr . chr. de l'Hift.
de France , ad an. 1167 & 1168.
(2 ) De l'Esprit des Loix , t . 3 , liv . 28 , ch . 19,
P. 319. Edit. de 1757.
JUILLET. 1758. 153
que , en confirmant ce qu'on appelloit
alors la Tréve ( 1 ) de Dieu. Il prend dans
cette Ordonnance les mefures néceffaires
pour arrêter le brigandage des guerres privées
; excès fi commun dans ces temps-là.
Il restraint le port- d'armes & l'ufage du
duel il impofe des peines pécuniaires ſelon
la qualité des délits : il détermine la
maniere dont on doit procéder au tarif
annuel des vivres , &c. Après un regne de
plus de 38 ans , ce Prince ( 2 ) mourut en
1190 .
A l'égard de la Charte , il faut fe rappeller
que Louis VII , qui en eft l'Auteur ,
régna plus de 43 ans , & mourut en 1180 .
Quant à Louis IX , après avoir gouverné
le Royaume environ 44 ans , il mourut
l'an 1270.
Paffons à la difcuffion la plus difficile ;
elle regarde la valeur actuelle de ces anciennes
monnoies. Reconnoiffons d'abord
qu'on ne peut fçavoir ( 3 ) exactement ,
( 1 ) On l'appelloit auffi Pax Faidoſi , c'eſt-à-
'dire Paix accordée à l'Ennemi.
(2) Sur ces trois dates , voyez l'Art de vérifier
les Dates , dans la Lifte Chronologique & Hiftorique
des Souverains.
(3 ) Voyez l'Avertiffement de M. du Pré- de S.
Maur , pp. 3 & 4, & la feconde page des Notions
préliminaires au devant de fon Eſſai fur les Monnoies,
Gv
154
MERCURE DE FRANCE.
ni le prix actuel des cinq fols dont il s'agit
dans les deux Ordonnances du douzieme
fiecle , m la valeur préſente des douze
deniers du fiecle fuivant . Nous avons des
Tables de la valeur de l'or & de l'argent
données par M. de Lauriere , & publiées
( 1 ) par M. Secouffe ; mais elles ne remontent
pas au-delà de 1339. De plus , le titre
de l'argent n'y est marqué pour la premiere
fois qu'en 13,0 au douzieme d'Avril.
M. de Lauriere obferve , que fous le regne
de Philippe VI , dit de Valois , avant
le 20 Janvier 1346 , le marc d'argent étoit
eftimé 4 liv. 10 fols Tournois ;
appréciation
qui fubfiftoit encore le 17 Juillet de
la même année , comme M. le Blanc l'a
marqué dans les Tables ( 2 ).
Si l'on fe fixe un moment à ce prix , on
dira que cinq fols , vers le milieu du
torzieme fiecle , étoient le dix - huitieme dequala
valeur du marc d'argent. Or le marc
d'argent fin monnoyé vaut à préfent (3 ):
( 1 ) Voyez le fecond tome des Ordonnances déja
citées.
(2) Voyez la premiere & la feconde colonne de
la page 405 , aux Tables de l'Argent , à la fin de
fon Traité Hiftorique des Monnoies de France , in-
4. Paris , 1690 , & non pas 1703 comme porte
fauffement le titre de mon Exemplaire.
(3 ) Eſſai fur les Monnoies , p. 220, col. premiere
& feconde.
JUILLET. 1758 . 155
fomme dont
en France 541. 6 f. 6 d.
le dix-huitieme fait foixante de nos fols
quatre deniers quatre onzieme : ainfi dans
cette eftimation des cinq fols du douzieme
fiecle fur le pié des cinq fols da quatorzieme
, ces cinq fols vaudroient à préſent
( 1757) 60 f. 4 d. 4 , le titre de l'argent
fuppofé le même dans les XII , XIII , XIV ,
& XVIII fiecles .... 31. of. 4 d .
Et conféquemment les 12 d.
ou le fol de Louis IX feroient
aujourd'hui . • • ·
3
12 f.od.
2 Mais
cette eftimation
, qui met de niveau
les XII , XIII , & xiv . fiecles
étant évidem- ment
inadmiffible
, elle doit être aban- donnée
.
Quant aux cinq fols du regne de Fréderic
I , il eft extrêmement difficile d'en
indiquer feulement la valeur , fans le fecours
des Auteurs qui ont écrit fur les monnoies
d'Allemagne du xır . fiecle . Réduifons-
nous donc aux conjectures ; elles feront
du moins juger que cette fomme , qui
femble aujourd'hui fi petite , devoit être
alors confidérable.
Dans l'ancienne Loi ( 1 ) des Allemands ,
(1 ) Cette foi [ Lex Alamannorum ] ou plutốt
certe Coutume , fait partie de ce qu'on appelle les
Loix des Barbares. La loi des Allemands d'abord
écrite dans le vie fiecle par l'ordre de Thierri ,
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
cinq fols repréfentoient en poids plus de
trois de nos marcs d'argent. Or eftimant
avec l'Auteur , qui nous fournit cette (1 )
évaluation , le marc d'argent fin reçu aux
monnoies comme matiere, à 5r 1. 3 f. 3 d. ,
ces cinq fols , qui étoient d'or , vaudroient
à préfent plus de 193 1.9 f. 9 d. , & chacun
des anciens fols Allemands feroit à
peu près la fomme de 30 l . 14 f. de notre
monnoie. Le même Ecrivain fait voir que
ces cinq fols exprimoient foixante ( 2 ) pieces
d'or , c'est- à- dire , foixante deniers d'or ;
ainfi chacun de ces deniers vaudroit aujourd'hui
z 1. 11 f. 2 d.
Suppofons que depuis l'an 1014 , deux.
fiecles après la mort de Charlemagne , lequel
a fait rédiger par écrit la plupart des
Loix ( 3 ) barbares jufqu'au commencement
du regne de Fréderic I ( en 1152 ) , l'or &
l'argent foient devenus fi rares , que les
fils de Clovis , fut corrigé l'an 630 par Dagobert I.
Ce peuple continua de fuivre cette ancienne Loi
jufqu'au regne de l'Empereur Conrad II , c'est-àdirejufqu'à
l'an 1024. Heineccius , de Orig. & prog.
Jur. German. cap. 1 , §§. 21 , 23 , & notâ (a).
(1 ) Ibid. pp. 89 de l'Avertiſſement , & p. 95
du Rapport entre l'Argent & les Denrées . Voyez
auffi la page 220.
(2) Ibid. page 95.
(3 ) Vers l'an 804 , ce Prince fit rédiger par
écrit les Loix de tous les peuples foumis à fon em
pire. Eginhard , apud Heinec, Ibid . §. 22,
JUILLET. 1758. 157
cinq fous d'or de la Loi des Allemands ayent
été réduits au douzieme ( 1 ) de la valeur
déja fpécifiée , ( déchet prodigieux dans le
(2 ) cours de 118 ans ) : les cinq fous de
Fréderic I vaudroient encore un peu plus
de 12 1. 15 f. 9 d. de notre monnoie , &
cinq fols en 1202 , procuroient en France
près d'un (3 ) fetier de bled mefure de Paris.
Au refte en fuppofant contre la vraiſemblance
, que cinq fols procuraffent moins
de denrée en Allemagne du temps de cet
Empereur comme la préfomption doit
être ici en faveur de la Loi , on pourroit
dire , dans ce cas- là , que le Prince s'eſt vu
forcé ,, par la crife où fe trouvoit l'Empire
, à faire une ordonnance très- févere. Et
fi vous lifez fa Conftitution , vous ferez
convaincu que la licence des guerres privées
avoit prefque entiérement corrompu
( 1) C'eft comme fi les fous d'or étoient devenus
d'argent , parce qu'on eftime communément
pour ces temps- là la proportion de l'or à l'argent
de 1 à 12. Une once d'or eft réputée égale en valeur
à douze onces d'argent .
I
(2) Ce déchet fuppofé feroit d'autant plus éton
nant , que les Monnoies fe foutinrent 200 ans
après la mort de Charlemagne fur le pied où ce
Prince les avoit mifes , c'eft-à- dire jufque vers
l'an 1014 ; & le regne de Fréderic I commence
en 1152.
(3 ) Effaifur les Monnoies , à la feconde page des
Variations dans les prix , au huitieme mot Setier,
158 MERCURE DE FRANCE.
les moeurs publiques : mais cette fuppoft
tion tombe dès que l'on fe donne la peine
de comparer & de réfléchir. En effet puifque
le duel étoit en ufage à Orléans dans
le même fiecle pour environ cinq fols , &
que quarante- fix ans après on le voit permis
dans toute la France pour un peu plus
d'un fol ; on ne fçauroit douter que cette
fomme ne fût alors confidérable dans le
Royaume , & par conféquent dans l'Empire.
Auffi n'eft- il pas queftion de fçavoir fi
cinq fols étoient alors un objet important
dans le Commerce ; mais il s'agiroit de déterminer
ce que repréfentoit cette fomme
dans les Etats de Fréderic I , & ce qu'elle
vaudroit à préfent par rapport à nous.
Je paffe à l'examen de la valeur préfente
des cinq fols de la Charte de Louis VII .
& des douze deniers de Louis IX . Il y a
deux moyens de l'indiquer.
Premiere Indication tirée de l'augmentation
du prix des Denrées , depuis 1202.
Un Auteur Citoyen , dont l'Ouvrage fair
l'éloge , penfe que depuis 1202 la plûpart
(1 ) des chofes font enchéries de 1 à 40 , ou
environ. Il en donne plufieurs ( 2 ) preuves
inconteftables .
(1 ) Ibid. p. 1 , des Variations , &c. au fecond
alin ea de la note ( ).
(2) Ibid. p. 1 , & fuiv, des Variations , &c.
JUILLET. 1758.
Le filence des Auteurs , ajoute- t'il dans
un autre (1 ) endroit , nous fair croire que
les monnoies n'ont pas beaucoup changé jufqu'au
regne de S. Louis . En effet , on n'a
guere de connoiffance de leur valeur ( 2 ):
avant Philippe IV vers 1300 , parce qu'au
paravant on n'avoit pas le foin de les décrire
dans les Regîtres publics : ainfi faute
de notions précifes , nous nous fervirons
ici de la proportion de 1 à 40.
Sur ce pié- là les cinq fols de Louis VII,
qui mourut à la vérité vingt- deux ans avant
12oz , étoient égaux à 10 liv . de notre
monaoie.
Suivant la même propofition , le fol
de Louis IX eft égal à ·
10 l.
2
Seconde indication tirée du prix commun du
Marc d'argent dans les x11 & X111 fiecles.
L'autre moyen d'indiquer la valeur actuelle
des cinq fols dont il s'agit , c'eſt de
fixer un prix unique & commun au marc
d'argent des x11 & xi fiecles. Après
cette opération on comparera les cinq fols
au prix commun de cet ancien marc : enfuite
on verra ce que les cinq fols font aut
prix de notre marc , c'eft - à-dire , à la fom-
(1 ) Ibid. p. 78 , du Rapport entre l'Argent, &c .
(2 ) Dict. de Trévoux , au premier mot Mon
noie , au bas de la col. 2088 .
160 MERCURE DE FRANCE:
I I
me de 54 1. 6 f. 6 d. car on néglige ici
les du denier. Dans ce qu'on va rappor
ter des Tables de M. ( 1 ) le Blanc , il fe
trouve une lacune de cent trente- trois années
; mais nous fommes obligés de nous
fervir de fes Tables , parce que c'eft tout ce
que nous avons pour ce temps - là.
VI Années des XII Prix du Mare d'Argent dans
& XIIIefiecles. chacune de ces VI années.
1144
1158
1207
• 2 liv.. of.. od.
· 2 • · 13
· • 4
2 •
1222 • •
1226 ·
• · ΙΟ ·
2 · • 10 · ·
• • • 14 • · 7 •
· • · • • 14
· ·
1283 (2 )
•
Total des différens prix
du Mare d'Argent pour
ces 6 années . 15. liv. 1 f. 11 d.
Ajoutez un denier à ce total , & fuppofez-
le de 15 l . 2 f. le fixieme de cette fom-
Is
me- ci fera précisément 2 1. 10 f. 4 d. prix
moyen du marc d'argent pour les fix années.
Que l'on réduife ceen deniers , il
donnera fix cens quatre deniers anciens
contenant huit parties égales , répondant
( 1 ) Voyez ci -deffus la note ( 2 ) , p. 154.
(2 ) L'an 1285 le marc d'argent a été à 55 fous
fix deniers Tournois. V. l'Abr. chr. de l'hift. de
France , ad an. 1285 , p. 250 , en marge.
JUILLET. 1758. 161
hax huit onces du marc , & chaque huitieme
partie fera de 75 d . 1 = 6 f. 3 d ½
monnoie ancienne.
//
Réduifez de même en deniers modernes
la fomme de 54 1. 6 f. 6 d. prix actuel du
marc d'argent elle contient 13038 deniers
, dont le huitieme eft 1629 d. 2
:
୭
43.
61. 15 f. 9 d. de notre monnoie. Ainfi le
huitieme de la valeur ancienne du marc ,
fçavoir , fix fols trois deniers & demi ,
équivaudroit au huitieme de la valeur de
notre marc , c'est- à- dire , à 6 l . 15 f. 9 d . 3 .
La proportion du prix ancien du marc d'argent
, à fon prix moderne , eft donc de
1 à plus de 21 , ou de 2 à plus de
Ainfi les cinq fols de Louis
VII 60 deniers anciens ,
vaudroient à préfent un peu
plus de , ci
Par conféquent les douze
deniers de Louis IX feroient
égaux aujourd'hui à un peu
plus de , ci .
·
•
s l . 7 f. 11 d.
I I 7
Le Teftament du pere de ce Roi-ci peut
répandre quelque jour fur la valeur actuelle
de ces anciennes monnoies . Louis VIII
mourut l'an 1226. En ce temps-là , dit M.
l'Abbé de ( 1 ) Saint - Pierre , le marc d'ar-
(1 ) Ouvrages Politiques , tom. 9 , pag. 161 des
Obfervations politiques fur le Gouvernement des
162 MERCURE DE FRANCE .
gent valoit cinquante fols , au lieu qu'il vaut
préfentement cinquante francs : fur ce piedlà
, ajoute-t'il , cent fols valoient cent francs
d'aujourdhui , & vingt-mille livres valoient
quatre cent mille livres . Si on fuppofe donc
qu'il ne foit furvenu aucune variation dans
les monnoies , fous le regne du fucceffeur
de Louis VIII , les douze deniers dont il
s'agit , vaudroient à préfent ( notre marc
d'argent monnoyé étant à 54 1. 6 f. 6 d . )
11 fols 8 deniers + , ci l. 1 f. 8 d..
Les cinq fols du temps de
Louis VII , qui , dans ce fyltême
, font le dixieme du
prix ancien du marc d'argent
, répondroient par la
même raifon au dixieme de
la valeur actuelle du marc ,
c'est-à-dire, à cent-huit fois
fept deniers de notre monnoie
, ci
Remarquez que M. l'Abbé de S. Pierre
a donné un prix moyen au marc d'argent
dans le 13 fiecle , quand il en a fixé le
prix à so fous. En effet , tirez d'abord le
total des cinq premieres ( 1 ) années des x11
e
· ·
S
8 7 詈
Rois de France , in- 12 . Rotterdam , chez Béman ,
1734.
(1) Voyez ci -deffus à la feconde indication , ces
JUILLET . 1758.
163
& x11 fiecles déja rapportées ; & vous
trouverez que le cinquieme de ce total eft
49 f. 7 d. anciens ; ce qui fait le prix moyen
ou commun du mare d'argent pour ces
cinq années. Ainfi l'évaluation de cet Auteur
ne differe du prix moyen que donnent
les Tables dont on vient de voir l'extrait ,
que de cinq deniers anciens qu'il ajoute
pour la facilité du calcul .
On n'a cherché dans cette feconde indication
que la valeur numéraire actuelle du
prix ancien du marc d'argent , & celle des
fous qui faifoient une partie confidérable
de ce prix. Le mare d'argent valant donc
dans les XII & XIII ° fiecles so fous quatre
deniers , ces 50 ſ. 4 d . répondent numériquement
à 54 1.6 f. 6 d. , prix actuel du
marc d'argent monnoyé. Telle est donc la
valeur numéraire actuelle de 2 1. 10 f. 4 d.
Monnoie ancienne.
Mais d'un autre côté , comme en 1202 ,
le cheval qui coûtoit , on le ( 1 ) fuppofe ,
2 l. 10 f. 4 d. vaudroit aujourd'hui 100 l .;
ces 2 l . 10 f. 4 d. repréfentent donc réellecinq
premieres années dans l'extrait des Tables de
M. le Blanc.
( 1 ) En 1202 , un cheval , dit Rouffin , ne valoit
que so fous. On a ajouté 4 den . à ce prix pour le
rendre égal à la valeur du marc d'argent du même
temps . Voyez dans l'Effai fur les Monnoies , le titre
Variations, p . 1 , note (a) , & P. 3.
164 MERCURE DE FRANCE.
ment 100 de nos livres ; & telle eft à préfent
la valeur réelle des 2 1. 10 f. 4 d. monnoie
ancienne. En conféquence les cinq
fous anciens vaudroient réellement aujourd'hui
dix francs. On voit par- là que la
premiere indication donne la valeur réelle
du fou & des cinq fous anciens.
Je vais examiner la derniere Queftion ;
& quoiqu'elle ait pour objet les évaluations
coutumieres en général , je m'attacherai
en particulier à l'eftimation de la Coutume
de Blois relativement au rouffin de
Service , parce que c'eſt l'exemple propoſé.
Troisieme Question.
On diftinguoit autrefois trois fortes de
chevaux par trois noms , qui ne fe trouvent
que dans les vieilles Hiftoires & dans quel-.
ques anciens Romans ; les Deftriers , ou
chevaux de bataille ; les Palefrois , ou chevaux
de pas pour les voyages ; enfin les
Rouffins , qui fervoient à porter le bagage
comme nos mulets & nos chevaux de
charge ( 1 ) .
M. Bruffel (2 ) expofe , felon d'anciens
( 1 ) Voyez le Manuel Léxique aux mots Paléfroi
& Rouffin.
, P. 207:
(2 ) Dans fon Traité des Fiefs , t . 2
Cette citation-ci eft tirée de l'Eſſai ſur les MonJUILLET.
1758. 165
comptes de dépenſe écrits en Latin , que le
Rouffin [ Roncinus ] valoit au commencement
du x111 fiecle 50 & 60 fous , & le
Paléfroi [ Palefridus ] 60 fous. On remarquera
en paffant que dans le même temps
[ en 1202 ] le cheval , qui eft fimplement
appellé Equus , valoit tantôt dix francs ,
tantôt 27 I. & 30 1. Quatre chevaux donnés
par le Roi font apréciés 136 1. c'eſt - àdire
, que chacun de ces chevaux peut être
eftimé 34 liv . Or il eft probable que le
cheval de 27 1. à 34 liv. étoit ce qu'on appelloit
alors Deftrier ou Equus par excellence.
Ces faits , & la citation qui les prouve
, font rapportés dans ( 1 ) l'Effai fur les
Monnoies. C'eft fur ce pied , dit M. du Pré
( 2 ) de Saint - Maur , que plufieurs de nos
Coutumes ont évalué à foixante ſous un Rouffin
de fervice , qui coûtoit réellement 60 fous
en 1202. Voyez , continue- t'il , la Coutume
de Blois , c. 7 , art. 93 .
Remarquez que dans le x111 fiecle le
prix commun du marc d'argent a été de
3 l. 3 f. 1 1 d. 2. On le prouve en tirant
le douzieme du total de chacun des prix
particuliers du març pour chacune des
noies , au titre Variations , à la marge de la p . 1 ,
& à la P. 3 , note (b) , col. I.
(1 ) Dans les Variations , p. 3.
(3) Ibid. Variations , p. 3 , note (b) , col. x .
166 MERCURE DE FRANCE.
12
1/2.
douze différentes années de ce fiecle rapportées
( 1 ) par M. le Blanc . Ses Tables qui
commencent à l'an 1207 , vont juſqu'en
1299 qu'elles marquent deux fois . Le total
du prix du marc d'argent pour ces
douze années monte à 38 liv. 7 f. 1 d . ; & .;
le douzieme de cette fomme donne , comme
on l'a dit 3 liv . 3 f. 11 d.
Ces 3 liv. 3f 11 d. ( pour lefquels
on fuppofera ici 3 l . 4 f. , afin de faciliter
le calcul ) forment donc le prix moyen &
commun du marc d'argent pendant la durée
du xi fiecle . Le marc une fois fixé à
3 l. 4 f. , il s'enfuit que le Rouffin , vendu
2 l . 10 f. dans le même fiecle , valoit fur
ce pied & du marc d'argent ( ce qui
fait fix onces deux gros d'argent ) , & que
ce Rouffin , vendu foixante fous , valoit
du marc qui font foixante gros , ou
fept onces & quatre gros . On voit par- là
le fou du xi fiecle étoit de la valeur
du gros d'argent ou de du marc. Or ce
gros vaut à préfent [ 1757 ] environ ſeize
de nos fous , le marc d'argent fin reçu aux
Monnoies comme matiere ( 2 ) étant apprécié
environ SII liv. f.
que
4
(1 ) Voyez ces Tables à la fin de fon Traité
Hiftorique des Monnoies de France . Il n'y a que
onze années ; mais il fe trouve deux évaluationS
en 1299.
(2) Effaifur les Monnoies , p. 220.
JUILLET. 1758. 167
La Coutume de Blois a été rédigée ( 1 )
en 1523. Depuis 1496 juſqu'en 1539 , le
prix commun du marc d'argent a été de
12 liv. 3 f. 4 d . Ainfi , dans le XVI fiecle,
la valeur du marc d'argent étoit à peu prés
numériquement quadruple de ce qu'elle
étoit dans le XIII . Ainfi le même cheval ,
qui fur le pied de 60 f. valoit un marc
d'argent ou environ en 1202 , ne valoit
plus en 1500 , fur le pied de 60 f. que
quart ou environ 2 onces d'argent (2 ),
Voyons pourtant quelle étoit la valeur
réelle du rouffin dans le XVIe fiecle , ou ,
ce qui eft la même chofe , combien il ſe
vendoit alors dans les foires.
le
Les Regiftres de l'Abbaye de Preuilly en
Brie ( 3 ) , nous offrent en 1536 l'éclairciffement
que nous cherchons : voici mot à
mot ce qu'on y lit. Pour l'achat d'un cheval
(1 ) Voyez le Procès-verbal de la Rédaction de
cette Coutume à la fin du Commentaire Latin de
Pontanus.
(2 ) Si on demande d'où naît cette grande différence
, on répondra qu'elle vient de la difproportion
du fou de 1202 comparé à celui de 1500 .
Le fou de 1202 étoit la foixantieme partie d'un
marc d'argent ; au lieu que le fou de 1500 n'étoit
pas tout- à- fait la 243e partie du même marc d'argent.
(3 ) Voyez l'Eſſai fur les Monnoies , p . 89 des
Variations,
168 MERCURE DE FRANCE.
pour porter notre malle , avec deux mors de
bride , 95 liv. tournois . A ces termes , pour
porter , c. on voit que c'eft précisément
ce qu'on appelloit autrefois un Rouffin.
Comparons à préfent la valeur réelle du
rouffin , dans le XVI fiecle , à celle qu'on
lui donnoit dans le XIII , & retranchons
d'abord de ces 95 liv. la fomme de cinq
liv. pour l'achat des deux mors ; il refte
quatre-vingt- dix liv . pour le prix du che
val . Or le prix commun du marc d'argent ,
depuis 1496 jufqu'en 1539, étant, comme
on l'a dit, de 12 liv . 3 f. 4 d . il s'enfuit que
le rouffin acheté 90 liv. en 1536 , valoit
alors réellement 7 marcs & un tiers d'argent
: au lieu que dans le XIII fiecle , ce
même cheval vendu 60 f. felon laCoutume ,
ne repréſentoit précisément que fept onces
quatre gros d'argent , différence remarquable
entre deux valeurs réelles. Mais on ne
doit pas en être furpris , fi d'un côté l'on
confidere que les guerres de François I devoient
avoir rendu l'efpece des chevaux
très - rare , & que d'un autre côté les mines
du nouveau Monde avoient verfé une
quantité ( 1 ) confidérable d'argent en Europe.
( 1 ) Voyez dans l'Encyclopédie le fecond mot
Argent .
Cependant ,
JUILLET. 1758.
169
Cependant , fi on croit que la valeur
réelle du rouffin , portée à goliv. foit exceffive
en 1536 , on peut adopter l'eſtimation
qu'en fit faire François I , en fixant
dans l'Ordonnance du 20 Avril 1542 les
droits qui lui appartenoient fur différentes
denrées. Le prix du cheval y eft ( 1 ) à 45
liv. tournois . Obfervez que fi cette Ordonnance
eft poftérieure à 1536 , du moins
l'eftimation qu'on y trouve eft- elle fort au
deffous de la valeur rapportée dans les regiftres
de l'Abbaye de Preuilly. Mais il
faut auffi remarquer que le cheval apprécié
45 liv. eft fans qualification ; ce qui pouvoit
être indifférent pour les Receveurs des
droits du Prince ; au lieu que dans notre
efpece il s'agit d'un cheval entier , fort &
d'épaiffe (2 ) encolure, en un mot d'un bon
cheval de charge.
Quoi qu'il en foit , ce cheval eftimé 45
liv. en 1542 , valoit alors ( 3 ) environ
trois marcs d'argent ; & fi c'étoit un cheval,
(1 ) Effai fur les Monnoies , p. 91 des Variations.
(2) Voyez le mot Rouffin , dans le Manuel
Léxique.
(3 ) Cette année 1 542 ne fe trouve ni dans les
Tables de M. le Blanc , ni dans celles de M. du
Pré-de Saint-Maur : mais , felon les années anté◄
rieures & fubféquentes , le marc d'argent a été en
1542 à 15 liv. ou environ.
II. Vol, H
$ 70 MERCURE DE FRANCE;
fans qualité qui le diftinguât des chevaux
communs , on pourroit porter ici cette valeur
réelle à 60 liv . ( 1 ) au moins , puif
qu'il s'agit du prix d'un bon cheval de bagage
or 60 liv. en 1542 , repréfentoient
près de quatre marcs d'argent . Donc celui
qui recevoit alors 60 f. pour le prix d'un
rouffin de fervice , ne touchoit effectivement
que le cinquieme d'un marc , au lieu
de quatre marcs d'argent , c'eft-à- dire ,
le vingtieme de la valeur réelle & actuelle.
Mais i un bon cheval de bagage vaut aujourdui
[ 1757 ] cent cinquante de nos livres
, & l'on ne croit pas cette eftimation
trop forte , l'évaluation de la Coutume ſe
trouve réduite à la cinquantieme partie de
la valeur réelle & actuelle de cet animal.
Il eft furprenant que les Seigneurs communément
fi actifs en matiere d'intérêt
fe foient laiffé réduire à trois de nos livres,
tandis que fur le pied de 60 f. du XIIIª
qui repréfentoient alors le marc d'argent ;
il leur feroit dû aujourd'hui au moins feize
fois davantage , c'est-à- dire , 48 de nos livres.
En effet ils pourroient exiger le triple
( 1) Cette eſtimation n'eft certainement pas ou
trée. On a vu qu'en 1536 le rouffin valoit environ
90 liv. en 1542 , il étoit eftimé 45 liv. & en
581 , foixante francs . Le total de ces trois fom
mes eft 200 liv. dont le tiers excede 60 liv,
JUILLET. 1758. 171
de cette derniere fomme , fi on ſuppoſe
qu'ils fuffent reftés maîtres de prendre le
rouffin ou fa valeur . C'eft ainfi que les
Seigneurs qui ont eu jadis affez peu de
prévoyance pour ftipuler leurs redevances
en argent , au lieu de les ftipuler payables
én nature , ont fait perdre à leurs defcendans
au moins les neuf dixiemes de leur
fortune. Finiffons , en rapportant ce que
M. du Pré-de Saint-Maur ( 1 ) penfe fur
les Evaluations Coutumieres.
<< Les Coutumes , dit - il , dont nous
» avons parlé , en eftimant les différentes
chofes qui entrent dans les redevances ,
afin de prévenir les conteftations , ont
» moins eu égard au prix courant des den-
» rées dans le temps de leur rédaction
"
"
qu'à ce que ces mêmes chofes produi-
» foient en argent , par rapport à la valeur
» des monnoies , lors de l'inféodation de
plufieurs de ces devoirs . Sans remonter
» trop haut , & fans ſe fixer tout- à- fait au
préfent , elles ont cherché un milieu .
» Pour cela elles fe font arrêtées au temps
» où le marc d'argent fin monnoyé auroit
» valu huit livres ; ce qui peut remonter à
"
(1) Effaifur les Monnoies , à la p.75 du Rappors
entre les monnoies & les denrées.
Hij
171 MERCURE DE FRANCE:
"
Philippe de Valois , en 1339 ( 1 ) , & elles
» ont eftimé fur ce pied le prix des grains
qui compofent les principales redevances.
A l'égard des autres denrées , les
prix en font restés dans les Coutumes
» tels qu'ils avoient été fixés par des eftimations
plus anciennes , parce que ces
parties étoient d'une moindre impor-
?
tance "?.
(1 ) Voyez l'Abr. Chr. de l'Hift. de France .
la marge de la p. 250 , ad an. 1285.
JUILLET. 1758. 173'
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
Le
MUSIQUE.
E fieur Bordier , Maître de Mufique de
l'églife des Saints Innocens, à Paris, vient
de faire graver douze Meffes de fa compofition
, à l'ufage des métropoles , cathédrales
, collégiales & autres églifes où il y
a mufique. Les talens de cet Auteur font
généralement reconnus, & le Public a toujours
reçu avec bonté fes productions . Ces
Meffes font gravées en grand & en beau
papier. On a joint à chacune d'elles une
élévation , avec le Domine , falvum , &c.
Elles ne font pas plus longues que toutes
celles dont on s'eft fervi jufqu'ici : il y en
a cependant quatre dans lefquelles il s'eft
un peu plus livré à fes idées , & qui peuvent
fervir les jours de fêtes où il n'y a
point de mufique écrite à la main .
Les douze Meffes enfemble fe vendent
---
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
100 liv. Ceux qui voudront les avoir
s'adrefferont à l'Auteur, qui en fera l'envoi
auffi-tôt après la réception de leurs lettres ,
dont on les prie d'affranchir le port.
JOURNAL de Mufique , pour le mois de
Juillet de cette année, par M. de la Garde,
Maître de Mufique , en furvivance , des
Enfans de France. Se vend à Paris , au
Bureau du Mercure , chez l'Auteur , rue
de Richelieu , vis - à- vis la rue Villedot , &
chez Prault , Duchefne & Lambert , Libraires.
L'AMOU
GRAVURE .
Eftampes nouvelles.
'AMOUR porté par les Graces
Vénus & l'Amour.
Vénus & les Graces au bain.
La Bergere endormie.
Le Berger Napolitain.
Le Rafraîchiffement des Voyageufes ,
d'après les deffeins & tableaux de M. Boucher.
L'Ecole champêtre , d'après M. Lenain .
La Surpriſe du vin , d'après le même
Peintre.
JUILLET. 1758. 175
Le Serrail du Doguin, d'après le tableau
d'Oudry , du cabinet de M. Dammery ,
Officier aux Gardes Françoifes.
Toutes ces Eftampes font gravées par
M. Daullé , Graveur du Roi & de l'Académie
Impériale d'Aufbourg. On les trouve
chez lui , rue du Plâtre Saint Jacques ,
à côté du college du Cornouaille .
LETTRE de François Gando le jeune ,
Graveur & Fondeur de Caracteres d'Imprimerie
, à Paris.
Iz paroît depuis quelque temps une Brochure
intitulée , Differtation fur l'origine
le progrès de l'art de graver en bois ,
pour éclaircir quelques traits de l'hiftoire
de l'Imprimerie , & prouver que Guttemberg
n'en eft pas l'Inventeur , par M. Fournier
le jeune , Graveur & Fondeur de caracteres
d'Imprimerie. A Paris , de l'Imprimerie
de Barbou , 1758.
Que le fieur Fournier le jeune foit effec
tivement l'Auteur de cette Brochure qui a
été publiée fous fon nom , ou qu'un homme
de lettres lui ait prêté fa plume pour
fervir fon animofité contre quelques - uns
de fes Confreres , c'eft ce que je veux bien
ne point rechercher ici. Je me donnerai
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
(
bien de garde de me mettre fur les rangs
pour relever les erreurs dont cette Piece
fourmille. Je laiffe à une main plus habile
le foin d'apprendre à l'Auteur , quel qu'il,
foit , qu'il faut un talent bien décidé pour
exercer la critique en matière d'hiftoire ; que
d'ailleurs elle doit être exempte de vanité
& de perfonnalités . En effet , entreprendre
de tourner en ridicule les Mallinckrot,
les Mettaire , les Naudé , les Chevillier ,
les Mentel , les la Caille & les Profper
Marchand , fans avoir fait bonne provifion
de preuves démonftratives , & fans
autre fecours que l'expofition d'un ſyſtème
enfanté par des idées chimériques , ce, fe
roit ( 1 ) choquer les opinions les plus
généralement reçues : l'entrepriſe feroit
» hardie , & pourroit même paffer pour
téméraire.
30
s
Je laiffe donc le fieur Fournier donner
(2) ou ôter alternativement à Guttemberg
la gloire d'être l'Inventeur de l'art de l'Im
primerie. Je le laiffe infulter gratuitement
un Corps refpectable , dont il a voulu devenir
membre , en qualité d'Imprimeur.
Je l'abandonne encore à la mortification &
à la honte de fe trouver prefque toujours
( 1 ) Page 4 de la brochure.
(2) Dans la préface ou l'avertiffement qui eft à
la tête de les épreuves de caracteres,
JUILLET. 1758. 177
"
en contradiction avec lui-même , & de
confondre les caracteres de fonte avec des
planches de bois . Je ne releverai pas la
note ( 1 ) dans laquelle il avance que « pour
qui fçait graver & fondre les caracteres,
l'impreffion n'eft point difficile , & que
» ce n'eft pas le titre qui fait la fcience , ni
le bonnet le Docteur ». C'eft aux fages
fupérieurs, c'eſt au miniftere public à punir
les écarts indécens d'une imagination ſi vagabonde.
"
23
Pour moi , je penfe qu'il me fera permis
de me plaindre d'un Avis particulier de
l'Auteur , inféré à la fin de fa Differtation,
d'une maniere fi affectée , qu'il y a tout
lieu de croire qu'il n'a jamais été compris
fous l'approbation d'un Cenfeur refpectable
, qui vraisemblablement ne l'a point lu.
Le fait feroit aifé à éclaircir. Le manufcrit
a-t'il été paraphé felon les regles ?
L'Imprimeur eft- il en état de le repréfenter
? Si je prétendois intenter un procès
au fieur Fournier, je me flatte que le Confeil
décideroit en ma faveur. Mais je ne
vais pas fi loin ; il me fuffit de répondre
fommairement aux allégations de mon antagoniſte.
Selon le fieur Fournier , plufieurs Gra
( 1) Page 6 de la Differtation .
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
veurs & Fondeurs ( 1 ) « fe font appliqués ,
contre le droit des gens , à contrefaire
» fes caracteres ». Il feroit curieux de
fçavoir ce qu'entend le prétendu Auteur
de la Differtation , par fes caracteres . Les
caracteres appartiennent- ils exclufivement
au fieur Fournier ? Eft-il défendu à un
artifte de s'exercer dans une carriere pu
blique ? Et fi c'eft un crime à un Graveur
de copier le freur Fournier , n'en feroit- ce
pas un pour lui d'avoir copié tant
bien que mal , les caracteres du Louvre ..
" Un de ceux-là , dit- il ( en parlant des
» Graveurs ) , que la médiocrité de ſes ta-
99%
36
,
lens avoit rélégué dans une ville de
» Flandres , s'eft mis fur les rangs pour
» cette contrefaction , non feulement par
rapport à mes italiques , mais auffi pour
» mes nouveaux ornemens de fonte , lettres
≫ ornées , &c. ... Il s'en vint à Paris avec
»fon tréfor de contrebande. Il s'eft pré-
» fenté chez tous les Imprimeurs , avec les
» nouveaux fruits de fon travail.... Il a
fait inférer dans le Mercure une Lettre
remplie d'idées fi abfurdes , qu'elles
» n'ont donné à perfonne l'envie de les re-
" lever.... Il s'offre encore de donner fes
» caracteres à bon marché à ceux qui en
>> voudront » .
(1 ) Pages 87 & 88 de la Differtation
JUILLET. 1758. 179
Il est étonnant que le ftyle du fieur
Fournier l'abandonne fi mal à propos dans
fon libelle qui paroît effectivement de
lui , & qu'à l'exception du voyage de Flandres
, on puiffe lui reprocher exactement
tout ce qu'il reproche aux autres.
1° . Le fieur Fournier a copié groffiérement
les italiques de l'Imprimerie Roya
le. 2 °. Le fieur Luce eft en état de reconnoître
tous les jolis deffeins de vignettes
dans celles de celui qui s'en dit hardiment
l'Inventeur. 3°. Le premier & le plus habile
Fondeur a offert fon caractere de
finance ( 1 ) à tous les Imprimeurs de Paris
& des provinces , au prix de quarante fols.
Il est vrai que j'ai offert le même pour
rente-fix (2). Quel crime !
«
L'épreuve de l'italique de faint Auguftin ,
que j'ai portée chez les Imprimeurs de
Paris » , paroît tenir bien au coeur de notre
Auteur fatyrique. Seroit- ce parce qu'il la
Houve groffiere & informe > ou parce
que j'ai mis une note au bas de cette
épreuve ?
Je conviens que le fieur Fournier a raifon
de fe plaindre. Mon italique groffiere
(1) Avis du fieur Fournier , en 17520
(2) Mon Avis eft de 1758.
H.vj.
180 MERCURE DE FRANCE.
& informe, a d'autant plus lieu de le révolter
, qu'elle approche davantage de la
fienne . Ici je ne fuis qu'un copiſte . Pour
ma note , je m'y fers des mêmes termes de
M. Fréron , qui , l'on ne fçait pas par
quelle raifon , prodigue à notre prétendu
Inventeur , les épithetes flatteufes de fçavant
& d'excellent Artiſte ( 1 ) .
Mais tout ceci n'eft rien , voici ce qui
choque mon Confrere. On a fait compo-.
fer dans une Imprimerie de Paris ( 2 ) une
petite Piece de vers de vingt- quatre lignes,
fur le caractere de petit Romain italique ,
qui imite affez bien celui dont il eſt l'Inventeur
d'après les autres. Il faut ici rendre
juftice à la vérité. Le petit Romain n'eſt
pas du jeune Fournier , mais de l'aîné.
J'ai mis en parallele mon effai , pour faire
voir au Public qu'il n'eft pas impoffible à
plufieurs Artiſtes de fournir la même carriere
, en s'imitant l'un l'autre .
Que s'enfuit-il de ces trois modeles ?
(1 ) Trente- quatrieme feuille Littéraire.
( 2 ) Je n'ai pu faire cette épreuve chez moi ,"
n'ayant pas la facilité d'avoir une preffe ; grace
que je n'aurois jamais demandée à mes fupérieurs,
parce qu'elle eft diamétralement oppofée aux Réglemens
de la Librairie , & qu'elle peut occafionner
mille inconvéniens , qu'il eft de la prudence
de prévenir,
JUILLET. 1758. 181
finon que le fieur Fournier cadet a fait une
italique de petit Romain , l'aîné une autre,
& moi la troifieme. On apperçoit dans
toute cette chicane , fondée ſeulement fur
la différence de la qualité de cadet à celle
d'aîné , que le cader cherche à dénigrer
fon aîné , fes Confreres & les Imprimeurs
mêmes , qui ne fe déclarent pas hautement
pour lui. Il faudroit effectivement , pour
fatisfaire l'ambition démefurée de ce cadet,
que tous fes Confreres s'avouaffent fes inférieurs
, qu'il ne fe fît aucune impreffion
que fur fes caracteres , & que tout le mond
lui décernât la gloire d'être le premier
homme en fon genre.
Il réfulte donc de cette petite difpute ,
que le fieur Fournier le jeune a tort de fe
plaindre d'avoir des émules . Il lui fera toujours
glorieux d'être imité , de même qu'il
ne fera jamais humiliant pour d'habiles
Imprimeurs , d'avoir fait d'auffi belles impreffions
que les Etiennes , les Elzevirs &
les Plantins . Le nombre des Artiſtes augmente
l'émulation . La différence des caracteres
gravés par plufieurs mains , produira
une variété gracieufe dans les différentes
éditions , & le Public inftruit & judicieux ,
fçaura bien donner la palme à celui qui
aura le mieux réuff .
182 MERCURE DE FRANCE.
Pour moi , je vais redoubler mes efforts
pour atteindre à la perfection que je me
propofe. Je ne promets cependant point
T'emporter fur le fameux projet de Mufique
deLéipfick : mais, quoi qu'il en foit , je me
donnerai bien de garde de m'annoncer pour
Inventeur , & d'antidater mes épreuves.-
A Paris , ce 12 Mai 1758.
JUILLET. 1758. 183
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
DESCRIPTION du Manfolée de Philippe V“,
Roi d'Espagne.
PHIHLILIIPPPPEE Vavoit ordonné , par fon tef
tament , que fon corps fût mis dans une
chapelle qu'il avoit fait conftruire dans
l'églife collégiale de Saint Ildefonce . Ferdinand
VI , pour remplir l'intention du
Roi fon pere , vient de faire élever dans
cette chapelle un magnifique Mauſolée . Il
a choifi pour cela un deffein entre plu--
plufieurs que
les plus habiles Maîtres confultés
par fon ordre , avoient envoyés , &
il l'a fait exécuter fous la direction de Dom
Diego Ramo y Velafco , Contrôleur de la
maifon de la Reine Douairiere.
La chapelle a trente deux pieds de lon
gueur , quatorze de largeur , & trentetrois
de hauteur. On y a fait une voûte de:
ftuc , partagée en deux parties ornées de
dorure & de peinture à frefque . Chaque
partie offre une médaille . L'une des deux:
médailles repréfente la Juftice , la Pruden184
MERCURE DE FRANCE.
ce , la Force & la Clémence ; l'autre , la
Foi , l'Efpérance , la Religion & la Chaf
teté.
Les carreaux de la chapelle font de marbre
jafpé de différentes couleurs. Elle eft
environnée d'un lambris haut de fix pieds
& de marbre jonquille. Elle a quatre por
tes quarrées , à deux battans faits de différens
bois , & fur lefquels on a fculpté en
relief les armes d'Efpagne & de France .
Les cinteaux , les feuils & les côtés font
ornés du même marbre que le lambris.
Par l'une de ces portes on va à l'églife ;
par l'autre , à la facriftie : les deux autres
ne font que des fauffes portes. Il y a de
même quatre croifées de cryftal , deux
vraies & deux fauffes. Le deffous de la
corniche de la voûte , & le deffus des portes
, font couverts de trophées d'armes en
ftuc , & dorés .
L'autel eft de marbre de différentes couleurs
. On voit au deffus notre Seigneur
tenant fa croix , & environné d'Anges ,
dont les deux plus grands tiennent chacun
un faifceau de palmes. Ces figures font en
relief. Les reliques font entre ces figures
& l'autel.
Vis- à- vis l'autel eft le Maufolée compoſé
d'un piédeftal , d'une urne & d'une pyra
mide dont la baſe eft cachée par l'urne.
JUILLET. 1758 187
Le piédeſtal eft de trois efpeces de marbre
, de marbre verd d'Egypte , de marbre
fanguin , & de marbre jaune. Au milieu ,
vers le devant , eft un oreiller fur lequel
on apperçoit le fceptre , la main de juſtice ,
& la couronne.
L'urne eft de marbre fanguin ; elle porte
les médailles du Roi & de la Reine : elle
eft enveloppée du manteau royal. On voit
à côté la Charité & la Douleur , & au
deffus , la Renommée.
La pyramide eft terminée par une caffo
lette , au deffus de laquelle font les armes
du Roi , fupportées par deux Anges .
Toutes les figures & les deux médailles
du Maufolée font d'un beau marbre blanc
de Grenade . La trompette de la Renommée
, la caffolette , les armes & tous les
filets du piédeſtal & de la pyramide , font
de bronze doré d'or moulu.
Ce fuperbe Monument coûte au moins
deux millions de livres ; il répond parfaitement
à la grandeur du Monarque qui l'a
ordonné , & au zele de celui qui en a di
rigé l'exécution.
LE fieur Louchet , Architecte , Profef
feur dans l'art du trait , donne des leçons
fur la coupe des pierres , tous les jours depuis
huit heures du matin jufqu'à fix heu
186 MERCURE DE FRANCE.
4
res du foir. Le but de fes lecons eft de conduire
de la théorie à la pratique par des
moyens faciles à faifir . Les perfonnes qui
ne voudront point couper de plâtre , trouveront
chez lui des développemens en carton
qui repréfente parfaitement l'exécu
tion. Il entreprend des modeles de quelque
nature qu'ils foient ; il en a fait un
grand nombre pour des Seigneurs étrangers
, qui ont été admirés de plufieurs habiles
Architectes de Paris. On peut en
voir plufieurs chez M. Blondel , célebre
Profeffeur d'Architecture , & Architecte
du Roi , & un à Sainte Géneviève , exécuté
d'après les deffeins de M. Soufflot ,
Architecte du Roi & de cette églife . Il donne
auffi des leçons en ville. Sa demeure
eft rue de la Harpe , vis- à- vis le pallage
des Jacobins.
JUILLET. 1758. 187
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique continue
de repréſenter les Fêtes de Paphos.
Nous nous fommes bornés dans le premier
volume du Mercure de ce mois , à indiquer
le fujet des trois actes dont ce Ballet héroïque
eft compofé . Nous y avons donné au
Muficien les éloges qu'il nous a paru mériter.
Nous allons faire connoître ici d'une
maniere un peu plus détaillée le plan & la
marche de chaque acte de ce Ballet.
L'objet du premier eft l'hiftoire des
Amours, de Vénus & Adonis . Mars tranfporté
de rage & de jaloufie , ouvre la ſcene.
Il entre environné de guerriers , à qui il
ordonne de fe retirer. I refte feul fur la
fcene , & déclare fes projets dans un monologue.
Il annonce que Diane lui a promis
de faire périr Adonis fous les coups.
d'un monftre qui ravage la forêt que le
théâtre repréfente. Adonis , accompagné
188 MERCURE DE FRANCE.
:
com d'une troupe de chaffeurs, vient pour
battre le monftre. Vénus inquiete & allarmée
pour les jours de fon amant , veut le
retenir mais la gloire l'emporte fur l'Amour.
Adonis s'enfonce dans la forêt ; un
moment après on entend des cris qui glacent
Vénus d'effroi . Adonis bleffé , fe
préfente à fes yeux , & meurt entre fes
bras. La Déeffe défefpérée de la perte de
fon amant , le change en une anemone ,
qui s'éleve du milieu d'un tombeau foutenu
fur des guirlandes. Des Génies couron
nent avec des fleurs ce trifte monument de
la tendreffe de la mere des Amours. Mars
fatisfait de fa vengeance , vient infulter
aux larmes deVénus. Cette Déeffe lui mon
tre l'anemone formée du fang de l'Amant
qui regne toujours fur fon coeur . A cet
afpect la rage de Mars fe ranime ; il veut
arracher la fleur. Vénus implore Jupiter ;
le tonnerre gronde ; Mars, furieux , brave
le maître des cieux , & arrache l'anemone :
mais une lumiere fubite fuccédant à l'obfcurité
, on apperçoit Adonis , à qui Jupiter
a rendu la vie. Vénus eft tranfportée de
joie; Mars , trompé dans fon efpérance ,
devient furieux , & jure dans fa colere de
tout mettre à feu & à fang fur la terre .
Adonis & Vénus chantent leur bonheur ;
les jeux & les plaifirs terminent la fête.
JUILLET. 1758 . 189
>
Il y a quelques beautés dans ce Poëme
mais la verfification nous paroît en bien
des endroits trop négligée. Il feroit à
Louhaiter que les événemens en fuffent un
peu moins précipités , & que Mars y fûr
repréſenté fous des traits plus convenables
& plus dignes de lui. On voit avec quelque
peine que le Dieu de la valeur & des
combats, a recours à Diane pour fufciter un
monftre qui attaque fon rival , qui aprè
tout , n'eft que le plus beau des mortels.
Dans le fecond acte Bacchus vainqueur
, touche le coeur d'Erigone. Cette
Nymphe ouvre la fcene par un monolague
, où elle exprime fa tendreffe & la
crainte qu'elle a de ne pouvoir foumettre
le Héros qu'elle aime. Mercure la raffure ,
& lui dit que Jupiter veut favorifer fes
feux. Bacchus arrive fur un char de triomphe
; il eft accompagné de Comus , Dieu
de la bonne chere , à qui il avoue que ,
malgré toute la félicité dont il jouit , & la
gloire qui l'environne , fon coeur reffent
encore de l'inquiétude .
Je languis , dit- il , dans le fein de la gloire
Elle fait mes plaifirs , fans faire mon bonheur.
Å
Mercure & Comus lui difent que c'eſt
l'Amour qui fe venge de fon infenfibilité ,
qu'il eft dans ces lieux une Nympha
yo MERCURE DE FRANCE.
qui pourroit lui procurer ce bonheur . On
voit arriver alors Erigone , dont la beauté
eft relevée par l'éclat de la parure. Des
Nymphes compofent fa cour , & un choeur
de fuivantes chante fes louanges. Bacchus
eft ébloui de fes charmes , & en devient
épris . Il inftruit cette Nymphe des mouvemens
que la préfence vient de faire naître
dans fon coeur. Erigone ravie de le
ouver fenfible , laiffe percer la tendreffe
qu'elle a pour ce Héros , & lui explique
les effets de l'Amour , à quoi Bacchus répond
:
Mais vous, objet divin , vous, dont la voix fi tendre
Sur les fecrets d'amour a daigné m'éclairer ;
Votre coeur veut-il ignorer
Ce que vos yeux ont fçu m'apprendre.
Erigone.
L'Amour , par un charmant lien ,
Sçut m'enchaîner en vous voyant paroîtres
Et fi mon coeur fut votre maître ,
L'Amour lui-même fut le mien .
Bacchus tranfporté du plaifir qu'il a
d'apprendre qu'Erigone répond à l'amour
dont il brûle pour elle , lui peint toute la
vivacité de fes fentimens. Il invite les Menades
& les Sylvains à venir prendre part
Afon bonheur . Ils célebrent l'union de ces
JUILLET. 1758 . 191
deux amans , & forment par leurs danfes
& leurs chants une fête qui termine cet
acte . Les vers en font fupérieurs à ceux du
premier. Tout y eft gracieux & marqué
au coin de la délicateffe & du fentiment.
La fcene du dialogue entre Erigone &
Bacchus , eft un des plus beaux morceaux
qu'il y ait dans le genre lyrique.
Nous voici arrivés au troifieme acte.
C'eſt celui qui a le plus réuffi ; il eſt auffi
le mieux fait & le plus intéreffant. Au goût
de tous les connoiffeurs , il eft rendu avec
autant de force & d'agrément de la part.
du Muficien , que du côté du Poëte. Le
jeu des Acteurs ajoute encore à fon mérite.
Les amours de Pfyché & du fils de Vénus
en font le fujet . Vénus indignée contre Pfyché
, dont les attraits femblent lui difputer
le prix de la beauté , attache Tifyphone
à fa fuite , pour la tourmenter . Cette Furie
invente tous les moyens qui peuvent fervir
à défefpérer Pfyché . Elle veut d'abord
lui faire croire que l'Amour n'eft plus fenfible
pour elle ; & pour l'en convaincre ,
elle fait paroître à fes yeux de jeunes beautés
que l'Inconftance conduit . Pfyché n'en
conçoit point de jaloufie , & s'en rappor
toujours aux fermens de l'Amo
lude agréable fe fair
ne appercev
192 MERCURE DE FRANCE
ché au milieu de la mer , fur un vaiffeau.
Une tempête s'éleve ; le vaiffeau fe brife ;
Plyché fe fauve fur un rocher ; Tifyphone
la fuit ; l'Amour vient pour arracher fon
amante au péril qui menace fes jours ; fa
préfence ranime le courage de Pſyché ;
l'Amour veut l'enlever à Tifyphone , qui
la précipite dans la mer. Le théâtre change;
on apperçoit l'Enfer , où Pfyché tâche en
vain de fléchir , par fes prieres & par fes
larmes , une foule de Démons qui l'obfe
dent. Elle appelle l'Amour à fon fecours ;
mais Tifyphone lui dit :
Cet objet que ton coeur adore ,
Sera bientôt ton plus cruel tourment ;
Ton ame , en le voyant , d'horreur fera faifie
Connois toute ma cruauté ;
Tu fouffrirois trop peu fi je t'ôtois la vie ;
Je fais bien plus , je détruis ta beauté .
Pleure , gémis , fois affreuſe & fenfible ;
C'eſt le tourment le plus horrible
Que l'on ait encore inventé.
Pfyché déplore la perte de fes attraits ;
qui vont lui faire perdre auffi le coeur de
fon amant. L'Amour arrive ; Pfyché le dérobe
à fa vue. L'Amour la fuit , la regarde
<ri d'étonnement ; Pfyché &
Chere
『,
193
JUILLET. 1753.
Chere amante ( dit l'Amour ), vivez calmez vos
douleurs.
Vénus , en détruiſant vos charmes ?>
N'a pas détruit ma fenfibilité ;
Vos foupirs , vos plaintes , vos larmes
Vous donnent un pouvoir plus grand que la beauté,
A ces mots le théâtre change & repréfente
le Palais de Vénus qui , touchée de la
tendreffe de ces deux amans , rend à Pfyché
fes attraits , & lui annonce que Jupiter l'éleve
au rang des Immortelles. Cet acte
finit par une fête que la fuite de Vénus célebre
en honneur de l'Amour.
Mlle Sixte a joué le rôle de Vénus dans
le premier acte. Mlle Riviere a joué celui
de Pfyché dans le dernier. Elle s'en eft fi
bien acquitée , qu'elle a été généralement
applaudie, malgré la prévention du Public,
juſtement fondée en faveur de l'aimable
Acttice qui l'avoit repréſenté en premier
lieu : plufieurs perfonnes même ont été embass
fur la préférence .
194 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE FRANÇOIS E.
E Le fieur Prefac a continué fon début. La
maniere dont il a rempli les différens rôles
qu'il a joués , fait affez bien augurer de fes
difpofitions pour le théâtre.
Les Comédiens François ont repréſenté
le Mercredi 8 Juin , pour la premiere
fois , l'Amant déguife , Piece en deux actes
& en profe , de M. la Morliere. Le Public
ne l'a pas accueillie favorablement.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné Mercredi
21 Juin , la premiere repréfentation
d'un Ballet orné de chants , intitulé , la Fête
au moulin. Il a fait beaucoup de plaifir. Les
paroles & la mufique font d'une perſonne
qui n'a pas jugé à propos de fe nommer.
La danse en eft extrêmement galante , 3e
du deffein le plus gracieux .
On a repréſenté fur le même théâtre
le Vendredi 23 Juin , pour la premiere fois,
le Fils retrouvé, Piece Italienne. Elle a été
un peu plus goûtée que n'ont coutume de
l'être ces fortes de Drames , dont le caneJUILLET.
1758. 195
vas monſtrueux & abfurde n'offre prefque
toujours aux yeux des fpectateurs qu'un
tiffa de fcenes mal afforties , & encore
plus mal dialoguées Ils ne fe foutiennent
guere au théâtre que par le jeu comique
d'Arlequin & de Scapin : ce font en effet les
feuls Acteurs qui y figurent.
OPERA
COMIQUE.
L'OUVERTURE 'OUVERTURE de ce Théâtre s'eft faite le
Mercredi 28 Juin , par la Fauffe Aveniuriere
, Piece en deux actes , mêlée d'ariettes
, de MM . Anfeaume & Marcouville
& remife au théâtre , où elle avoit paru en
1757 à la foire Saint- Germain.
Le fieur Saint- Aubert s'y eft diftingué
dans le rôle d'amoureux. On doit rendre
juſtice à la netteté & à l'agrément de fa voix.
Quand il aura joint la connoiffauce du
théâtre aux talens qu'il poffede déja , il nẹ
faut point douter qu'il n'ait beaucoup de
fuccès. Pour la premiere fois qu'il paroît
en public , il a fait tout ce qu'on pouvoit
attendre de lui. On a donné à la fuite de
cette Piece le Magafin des Modernes , donť
M. Panard eft Auteur. M. Bourette y a
joué le rôle du Poëte d'une maniere auffi
I ij
196 MERCURE
DE FRANCE
.
comique
qu'originale
. On a repréfenté
depuis les Troqueurs
. Les Ballets ont été particuliérement
applaudis
. Ils font de la compofition
de M. Billioni , qui en avoit
déja donné de très-agréables
à la Comédie
Italienne
.
JUILLET. 1758 197
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De l'Armée Impériale en Moravie , le 2
Juillet.
SUR l'avis qu'avoit depuis quelques jours le
Maréchal Comte de Daun , qu'un convoi confidérable
chargé de vivres & de munitions de guerre
, étoit en route pour arriver à l'armée du Roi
de Pruffe , ce Général envoya le Comte de Lau
don & le Baron de Ziskowitz avec de forts Détachemens
, pour tâcher de l'intercepter. Le 28 du
mois de Juin , le Général Laudon attaqua ce convoi
près de Gunderfdorff ; mais le retard du Baron
de Ziskowitz , qui n'étoit pas encore à portée ,
l'obligea de fe retirer pour l'attendre. Pendant ce
court délai , l'ennemi reçut du renfort , & l'escorte
du convoi fe trouva de plus de quinze mille hommes.
Le lendemain , les deux Généraux de Laudon
& de Ziskowitz le trouvant rapprochés , concerterent
leur opération , & l'exécuterent le 30. A
dix heures & demie du matin , pendant que l'ennemi
étoit occupé à faire défiler les charriots
derriere lefquels il s'étoit retranché près de Neudorffel
, le Baron de Ziskowitz attaqua. Les Pruf
fiens qui avoient gagné des hauteurs , & qui manoeuvroient
avec toute l'habileté poffible , firent
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
la plus belle défenfe ; leur cavalerie fort fupérieure
à la nôtre , fe rallia jufqu'à quatre fois , mais enfin
elle fut défaite & mife en déroute. Leur infanterie
tint beaucoup plus long-temps , & fut de même
entiérement culbutée . Le convoi ennemi dont
s'empara le Général Laudon , confiftoit en plus de
trois mille charriots chargés de vivres , de munitions
de guerre , & d'habillemens pour les troupes.
Comme le feu du canon avoit tué la plus grande
partie des chevaux & des conducteurs , on fut
obligé de faire fauter la poudre , les bombes &
les grenades chargées , & de brûler la farine &
tous les charriots. Ceux qui étoient chargés d'argent
échapperent avec l'avant - garde Pruffienne ;
mais dans la premiere attaque du 28 , l'ennemi
perdit à Gundersdorff près d'un million de florins,
qui fut pillé en partie par nos troupes légeres &
par les payfans , en partie par les Pruffiens mêmes.
Nos troupes ont pris fur le champ de bataille fix
pieces de canon , un Major général , deux Majors ,
beaucoup d'Officiers & près de fept cens foldats.
La perte des enne nis en morts monte à mille out
douze cens hommes , & la nôtre à près de cinq
cens.
Le Baron de Ziskowitz de fon côté enleva fix
pieces de canon & mille charriots qu'il fit aufh
fauter. I fit de plus prifonniers un Major , vingthuit
Officiers , & deux bataillons de Grenadiers.
Plus de cinq cens Pruffiens ont resté fur le champ
de bataille , & fa perte ne va guere à plus de cent
homes.
L'action a duré depuis midi jufqu'à quatre heu
res , avec une bravoure & une opiniâtreté égales
des deux parts. Le feu du canon & de la moufquc➡
terie ne s'eft pas ralenti un inftant. Tous les Offi.
ciers Généraux & les Commandans des Corps le
JUILLET. 1758 . 199
font extrêmement diftingués ; & entr'autres le
Comte de Caramelly , Commandant du Régiment
de Deux-Ponts ; le fieur Rouvoy , Capitaine d'Artillerie
, qui a fi bien fait fervir le canon , que
prefque chaque coup a porté ; le fieur de Brantano,
Colonel des Waradins ; le Comte de Nafely , Colonel
de Collowrath ; le fieur de Stampach , Lieutenant-
Colonel du même Régiment ; le fieur de
Riefe , Lieutenant- Colonel des Waradins ; le fieur
de Grimau , Major de Stharemberg ; le fieur de
Caldevel , Capitaine de Grenadiers de Vieux Wol
fenbuttel ; le fieur Grifoni , Capitaine de Grenadiers
de Konigseg , & le premier Lieutenant de
Ruft , Aide de Camp du Général Laudon. Les
Régimens de Nadafty , de Deux - Ponts , de Collowrath
, infanterie ; les Grenadiers , & en général
tous les Corps ont fuppléé par leur intrépidité à
l'inégalité du nombre. Trois mille Croates &
foixante Huffards , aux ordres du Major Hamiluſe
, ont été détachés vers Neyff , pour tâcher d'enlever
huit cens charriots de remonte , qui font près
de cette Ville .
Le même jour 30 Juin , le Comte de Daun fit
attaquer par fes troupes légeres les poftes avancés
de l'ennemi . Le Roi de Pruffe croyant qu'il vouloit
en venir à un engagement général , retira
précipitamment tous fes poftes ; mais notre Général
leva fon camp à dix heures du foir , & n'ayant
laiffé repofer fon armée que deux heures , il paffa
le lendemain la Morave , fit une marche de cinq à
fix lieues d'Allemagne , & s'approcha des portes
d'Olmutz. Ainfi par cette pofition , l'armée Impériale
fe trouvoit non feulement à portée de fe
courir de toutes façons la Place affiégée , mais de
fournir encore des détachemens néceffaires pour
faire, conjointement avec la garnifon , une fortie,
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
moyennant laquelle on auroit culbuté fans rel
fource le Corps ennemi qui formoit le fiege , enlevé
toute fon artillerie , & rendu la retraite des
Pruffiens en Siléfie extrêmement difficile . Le Roi
de Pruffe
ayant connu le danger , cette confidération
jointe au manque de vivres & de munitions
de guerre , l'obligea de lever le fiege ; ce qu'il fit
le 2 à trois heures du matin , après avoir fait faire
pendant toute la nuit un feu continuel pour cou
vrir fon deffein . L'ennemi a abandonné dans fes
retranchemens un feul canon de batterie , cinq
mortiers , & une grande quantité de bombes &
de grenades. H eft poursuivi dans fa retraite par
les Généraux de Laudon , de Ziskowitz , de Saint-
Ignon , de Bucow & de Ville , dont les détachemens
forment enſemble un Corps d'environ vingtquatre
mille hommes.
DE RATISBONNE , le 19 Juins
Plufieurs lettres de Berlin marquent , qu'un
Corps de Huffards , de Croates & de Pandoures a
pénétré par la Luface dans le Brandebourg , fans
que les Pruffiens ayent eu aucun avis de fa marche.
Elles ajoutent que ce Corps a tiré des contributions
confidérables , qu'il a enlevé beaucoup
de bétail , & qu'il a pris un détachement de cent
Fufiliers , & de vingt Huffards Pruffiens qu'on
avoit envoyés contre lui .
Les mêmes lettres affurent encore , que le Général
Haddick a auffi pénétré dans le Brandebourg
avec un Corps de huit mille hommes , &
qu'il s'eft réuni avec un gros Corps de Ruffiens
aux environs de Cuftrin & de Landſberg.
1
JUILLET. 175.8 . 201
PAYS - BAS.
DE LIEGE, le S Juillet.
Suivant les derniers avis que nous avons reçus
Fes Hanovriens ont abandonné la ville de Ruremonde
, & le Quartier général de leur armée eft
à Saint-Nicolas. Celui de l'armée du Roi a été
transféré de Nippes à Cafter fur la riviere d'Erft .
Les François ont fait paffer le Rhin au deffus
de Cologne à un Corps de quinze à ſeize mille
hommes. On affure que ce Corps doit marcher
fur la rive droite du fleuve vers Vezel , pour couper
la retraite aux ennemis.
La garnifon de Ruremonde avec divers détachemens
qu'on y a joints , forme un camp fur la
hauteur de Saint - Gilles à une demi -lieue de cette
Ville . Ces difpofitions , & la marche d'un Corps
d'environ dix mille hommes qui nous viennent
des Pays- bas , ont obligé les ennemis de fe replier.
E
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LeRoi , la Reine, & la Famille Royale , figne:
rent le 11 Juin le Contrat de mariage de M. le
Marquis d'Efparbès , avec Mademoiſelle Thoinard
de Jouy , & celui de M. le Comte de Guitaut
avec Mademoiſelle Durey de Meinieres.
Le IS le Prince Xavier de Saxe partit de Ver
failles vers les dix heures du foir pour fe rendre à
Parmée du Roi.
Iw
201 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majesté a tenu le Sceau pour la trente-unies
me & trente- deuxieme fois.
Madame la Ducheffe de Rohan-Chabot fut préfentée
le 18 au Roi & à la Reine , & elle prit le tabouret.
Le 19 , M. de Chevert , Lieutenant- Général
des Armées du Roi , arriva ici fur les fept heures
du foir. Il eut une conférence avec M. le Maréchal
Duc de Belle -Ifte , & il partit la nuit même pour
fe rendre à l'Armée de M. le Comte de Clermont.
Toutes les lettres qu'on reçoit de Bretagne confirment
que les Anglois fe font rembarqués les 1 1 ,
12 & 13 de Juin avec effroi & précipitation . Ils
n'ont point jugé à propos d'attendre l'arrivée des
Troupes que M. le Duc d'Aiguillon avoit fait venir
de divers endroits de la Province , ni celles
que M. le Duc d'Harcourt amenoit de Normandie.
Tout le dommage qu'ils ont caufé s'eft borné
à Saint- Servan , Fauxbourg de Saint - Malo ; ils
n'ont rien ofé entreprendre contre la Vile , ou
l'on avoit fait entrer deux mille hommes de Trou
pes , foutenus par trois mil e Bourgeois bien ar❤
més & d'une grande réfolution . Cette Ville étoit
d'ailleurs bien pourvue de munitions de toute efpece
, & par conféquent en état de faire une vigoureufe
défenfe. Les Troupes ont marqué beaucoup
d'ardeur pour marcher à l'ennemi , & les
Bretons le plus grand zele pour la défenſe de leur
Province. La Nobleffe , plufieurs Préfidens & Con
feillers du Parlement de Rennes faifoient armer
leurs Vaffaux , & les Ecoliers de Droit ne demandoient
des Officiers
que
les conduire contre
pour
les Anglois. L'Amiral Anfon avoit fait fortir le 15
fa flotte de la Baye de Cancale ; mais les vents
contraires l'ont obligé d'y rentrer , & elle y étoit
encore le Dimanche 18. Partout où fe porteront
les Anglois , ils trouveront nos côtes garnies & en
JUILLET. 1758. 203
état de faire échouer toutes leurs entrepriſes.
Une lettre du camp de Granville , en Baffe - Nor
mandie , datée du ro Juin , contient le détail fuivant.
« Le z de Juin vers les neuf heures du ma-
» tin , la Flotte Angloiſe párut à la Folle de Mon
» ville , & le même jour elle entra vers les fix heu
» res du foir dans l'Anfe de Vauville . Au premier
» avis qu'en reçut M. le Comte de Raymond , Ma.
» réchal de Camp , qui commande à Vallogne
>>> cet Officier Général fit marcher les Grenadiers
» du Régiment de Guyenne , avec un Piquet , &
#il envoya des ordres pour raffembler toutes les
» Troupes de ce quartier . Ces difpofitions devin→
rent inutiles par le départ de la flotte , qu'on re-
» vit le à trois heures du matin à la hauteur du
>> Cap Frehel & cette Flotte mouilla le même
» jour à neuf heures du matin fous Cancale. M.
>> le Com e de Coetlogon , Lieutenant- Général ,
» qui commande à Coutances , fit partir les Gre
>> nidiers de Saint - Chamond ; il donna en même-
>> temps des ordres pour faire marcher les Trou-
» pes de la Généralité , & pour les raffembler à
» Granville , où il arriva le lendemain 6 avec le
» Régiment de Saint - Chamond. Il trouva les ha
» bitans de cette Ville , qui étoient ratfurés par la
>>prefence & par les bonnes difpofitions de M. le
» Prince de Robec , dans la plus grande fécurité .
» Le même jour , ce Général alla reconnoître &
» marquer un camp , où toutes les Troupes fe
>> read rent avec la plus grande diligence. Le Sub-
» dé égué de l'Election de Coutances , que ce Gé
néral avoit char é de faire les approvifionne
» mens néc flaires , avoit pr's des metures fi exac-
> res , que le Régiment de Lorraine fut campé le
» 8 & le reste de l'armée le 9. Ce camp formé en
» quatre jours dans le canton le plus ingrat de la
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Normandie , fut abondamment pourvu de tou
tes chofes , & le bois de campement , ainfi que
le bois de chauffage ,fut fourni fi à propos , que
» le Soldat ne fit pas le moindre défordre . La vian-
» de pour le Soldat , eft ici taxée à trois fols , & le
pain le plus blanc à un fol fix deniers . >>
M. le Marquis de Villeroi a prêté ferment le 25
Juin , entre les mains du Roi , pour la furvivance
de la place de Capitaine des Gardes du Corps ,
dont M. le Duc de Villerei , fon oncle , eft titu→
laire. Il en a fait les fonctions le même jour.
Le Roi a nommé Protecteur des affaires de
France , à Rome , M. le Cardinal Profper Colonna
de Sciarra.
M. le Marquis de Cambis , Colonel d'un Régiment
d'Infanterie , à qui le Roi avoit donné celui
de Nice , vacant par la mort de M. le Comte dela
Queille , ayant défiré de garder le fien , Sa<
Majefté a difpofé de celui de Nice , en faveur
de M. le Vicomte de la Tournelle , Capitaine de
Grenadiers dans le Régiment de Cambis.
Par une nouvelle Ordonnance rendue le premier
Juin dernier , le Roi a accordé une augmentation
de traitement aux Troupes d'Infante
rie Françoife , pour l'entretien du linge & de la
chauffure defdites Troupes.
Le 29. Juin , M. Rouillé , ci- devant Miniftre des
affaires étrangeres , M. le Marquis de Paulmy &
M. de Moras , eurent l'agrément du Roi , pour fe
retirer du Confeil.
Le 30 Juin , M. le Maréchal Duc de Belle- Me
à l'occafion de la mort de M. le Comte de Giſors ,
fon fils , eut l'honneur d'être vifité par le Roi ,
la Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame
Infante & Madame Adelaide. Madame la Dauphine
& Mesdames Victoire, Sophie & Louife
JUILLET. 1758. 201
firent le lendemain premier Juillet , le même honce
Maréchal. neur à
Le 2 Juillet , Sa Majefté admit au Confeil M.
le Maréchal d'Eftrées , & M. de Berryer , qui
étoit déja du Confeil des dépêches . M. le Marquis
de Puyfieulx y reprit auffi féance.
Le même jour , M. le Duc de Trefmes prêta
ferment entre les mains du Roi , pour le Gouver
nement de l'Ile de France .
Le 3 Juillet , le Roi donna les entrées de la
Chambre à M. le Duc de Broglie , Lieutenant-
Général de fes Armées.
Le Roi a difpofé de la charge de Meftre de
Camp-Lieutenant du Régiment des Carabiniers
de Monſeigneur le Comte de Provence , en fa-*
veur de M. le Marquis de Poyanne , Lieutenant-
Général , Infpecteur Général des Troupes de
Cavalerie & de Dragons.
De la Brigade vacante dans le même Régiment
, par la mort de M. de la Tour , en faveur
de M. de Saint - André , Lieutenant- Colonel
de celle de Bovet , avec rang de Meſtre de
Camp.
Et de la Brigade vacante par la retraite de
M. de Maifons , en faveur de M. Poiffon de
Malvoifin , Meftre de Camp de Cavalerie..
Le 28, Juin , M. le Duc de Trefmes fut reçu
au Parlement , Pair de France,
Le 26 Juin , M. de la Curne de Sainte- Palaye ,
élu par l'Académie Françoife , pour remplir la
place vacante par la mort de M. Boiffy , prit
féance dans cette Compagnie , & prononça fon
difcours de remerciment auquel M. l'Abbé Alaric
répondit.
La Tartane que commandoit M. Calais d'Arles
, & dont un Ĉorfaire Anglois s'étoit emparé ,
106 MERCURE DE FRANCE.
a été réprife le premier de Jain , par le Navire
le Saint- Antoine, fur les côtes de Catalogue , &
ramenée dans ce Port.
BÉNÉFICES DONNÉS.
A Majefté a donné l'Abbaye de Bonnefaigne
Ordre de Saint Benoît , Diocefe de Limoges , à la
Dame d'Uffel -de Chateauvert , Abbeffe des Allois ;
celle des Allois , même Ordre & même Dioceſe ,
à la Dame de Lentilhac , Religieufe du Monaftere
de la Regle , à Limoges ; & l'Abbaye de Buffiere.
Ordre de Citeaux , Dioceſe & ville de Bourges ,
la Dame de Bry d'Arcy , Religieufe de l'Abbaye
aux Bois , à Paris.
MORT
MESSIRE Louis-Marie de Foucquet , Comte de
Gifors , Prince de l'Empire , Gouverneur de Merz
& du Pays Meffin , Lieutenant général au Gouvernement
de Lorraine & du Barro's , Brigadier
des Armées du Roi , Meftre de Camp Lieutenant
du Régiment Royal des Carabiniers , mourut à
Nuys le 26 Juin dernier , dans la vingt -ſeptieme
année de fon âge , de la bleffure qu'il avoit reçue
an combat de Crewelt , où il s'étoit fort diftingué.
Il étoit fils aniqué du Maréchal Duc de Belle- Iffe.
Le Comte de Gifors enlevé à la fleur de fon âge
eft univerfellement regretté. Par les grandes qua
lités qu'il réuniffoit , il s'étoit acquis l'amour &
Feftime de toute la N tion , ainfi que des Cours
étrangeres où il avoit voyagé.
JUILLET. 1758. 207
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Hôpital de M. le Maréchal Duc de Biron.
Douzieme traitement depuis fon établiſſement.
LAHAYE , Compagnie de Rafilly , eft entre
I.
le 2 Février , & eft forti le 15 M parfaitement
guéri ; il étoit dans un état bien fâcheux , & avoir
des douleurs aigues dans tous les doigts du pid.
2. Defrance , Compagnie de Bragelongne , eft
entré le z Février , & eft forti le 15 Mais parfai
tement guéri .
3. Ladouceur , Compagnie de Rochegude , eft
entré le 2 Février , & eft forti le- Mars parfai
tement guéri . Outre les fimptômes vénér ens ,
avoit de grandes douleurs dans les jambes .
4. Saint Médard Compagnie de Guer , eft entré
le 9 Février , & eft forti le 9 Avril parfaitement
guér .
5. Davefne , Compagnie de Bouville , eft entré
le 10 Février , & eft forti le 28 Mars parfa tement
gué: Outre des puftules confidérables , il avoit
des douleurs dans tous les membres , de violens
maux de tête , & un ulcere très profond dans la
gorge.
T
6. Briant , compagnie de Pronleroi , eft entré
le 16 Février , & eft forti le 29 Mars parfaitement
guéri .
7. Drapier , Compagnie de la Colonelle , eft
entré le 17 Février , & eft forti le 28 Mars parfai
tement guéri. l'étoit dans un état cruel , & avoiť
inutilement paffé les grands remedes à Montpellier
& ailleurs.
208 MERCURE DE FRANCE.
8. Digon , Compagnie de Chevalier , eft entré
le 16 Mars , & eft forti le 3 Mai parfaitement
guéri. Outre les fimptômes ordinaires , il avoit
des douleurs partout le corps.
eft
9. Saint André , Compagnie de la Ferriere ,
entré le 30 Mars , & eft forti le 9 Mai parfaitement
guéri. Il avoit les plus violens maux de tête ,
une furdité confidérable , une ophtalmie à l'oeil
gauche , & un ulcere , avec inflammation à la
gorge.
10. La Pierre , Compagnie de Chevalier , eft entré
le 30 Mars , & eft forti le 2 Mai parfaitement
guéri .
11. Verly , Compagnie de Chevalier , eft entré
le 13 Avril, & eft forti le 23 Mai parfaitement
guéri . Il étoit dans l'état le plus fâcheux , & outre
les fimptômes les plus graves , il avoit une furdité
à l'oreille gauche avec un engorgement aux glandes
inguinaires.
12. Coeur-de- Roi , Compagnie de Mathan , eft
entré le 4 Mai , & eft forti le 13 Juin parfaitement
guéri.
Expériences qui viennent d'être faites dans l'Hopital
Militaire de Strasbourg ,fous le bon plaifir
de M. l'Intendant d'Alface , & fous les yeux de
Meffieurs les Médecins & Chirurgiens dudit Hô◄
pital.
Lettre de M. le Riche , Chirurgien-Major de l'Hôpital
Militaire de Strasbourg , à M. Keyfer , en
datte du 28 Mai 1758.
J'ai l'honneur de vous adreffer , Monfieur , un
'état de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, que j'ai traités avec vos dragées , & fuivant
votre méthode de les adminiftrer. Vous ver
rez que le fuccès ne pouvoit en être plus complet ,
JULLET. 1758. 200
ni les atteftations plus authentiques. Il n'y a cependant
rien d'exagéré , ni qui ne foit conforme
à la plus exacte vérité . Je ne vous diffimulerai pas ,
Monfieur , que j'avois befoin de ces preuves pour
croire. Accoutumé depuis très - long- temps à employer
le mercure par les frictions , je ne croyois
pas que toute autre maniere de le donner pût pro
duire de fi bons effets que votre découverte ; mais
je ſuis défabulé , & il eft jufte que j'en faffe l'a
veu. Une circonstance qui me plaît encore , & à
laquelle on doit faire attention , c'eft que la cure
de cette maladie par vos dragées , eft beaucoup
plus courte que par les frictions , plus commode ,
& qu'elle eft pour le moins auffi sûre.
J'ai l'honneur d'être , & c. Le Riche , Chirur
gien Major de l'Hôpital Militaire de Strasbourg .
Etat de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, qui ont été traités à l'Hôpital Militaire .
de Strasbourg avec les dragées de M. Keyfer ,
fuivantfa méthode , par les foins de M. le Riche,
Chirurgien Major dudit Hôpital , avecla permiffion
de M. le Baron de Lucé , Intendant de la
Province d'Alface.
Le nommé Antoine Buiron , dit Saint Flours ,
Grenadier au Régiment de la Roche -Aymond ,
Compagnie de Saint Fal , eft entré à l'Hôpital le
7 d'Avril , a commencé à être traité le 23 , & en
eft forti le 18 Mai parfaitement guéri , & les forces
rétablies. Les fimptômes de fa maladie étoient
entr'autres des puftules ulcérées.
Le nommé Jean -Baptifte - Jofeph Robelot , Cavalier
au Régiment de Grammont , Compagnie
de Toulle , eft entré à l'hôpital le 23 Mars , fon
traitement a commencé le 10 Avril , & a fini le 12
Mai. Il avoit des puftules ulcérées & des excroiffances.
Il a été parfaitement guéri des unes & des
autres.
210 MERCURE DERANCE!
Le nommé Nicolas la Forge , Cavalier au Rés
giment de Bezons , Compagnie de Ponti , eft entré
à l'hôpital le 23 Mars. Son traitement a commencé
le 10 Avril & a fini le 14 Mai . Il avoit
pour fymptômes des puftules ulcérées , & des
douleurs aux extrêmités fupérieures & inférieures ,
-particulièrement au bras gauche dont il pouvoit
à peine faire ufage. Les puftules font effacées & les
douleurs ont difparues.
Le nommé Gabriel- Pierre , dit d'Arras, Sappeur
au Régiment du Corps royal d'Artillerie , Compagnie
de Clinchamp , eft entré à l'hôpital le 21
Mars . Son traitement a commencé le 10 du mois
`d'Avril , & a fini le 14 Mai. Il avoit pour ſymptômes
un ulcere aux côtés de la luette , lequel lui
étoit furvenu après d'autres maladies vénériennes
bien caractérisées , & il en eft parfaitement guéri.
Le nommé Vidal Eftreman , dit la Jeuneffe ,
foldat au Régiment de Bauvoifis , Compagnie de
la Tour , eft entré à l'hôpital les Avril , ayant un
bubon à laine droite , qui a été ouvert , & autres
fymptômes. Son traitement a commencé le 20
Avril , & a fini le 20 Mai. Il eſt parfaitement guéri .
Certificat de Meffieurs les Médecins & Chirurgiens
qui ont fuivi ces traitemens.
Nous , Médecins , Chirurgiens-Majors & Aides
de l'Hôpital Militaire de Strasbourg , fouffignés
eertifions & atteftons que nous avons vifité trèsfcrupuleufement
les malades dénommés au préfent
état , & que nous avons trouvé qu'ils avoient
chacun les fymptômes propres & particuliers de
la maladie vénérienne dont il eft fait mention à
chaque article féparé. Que nous nous fommes
tranfportés plufieurs fois dans la falle où ils ont
été traités par l'invitation de M. le Riche , Chiturgien-
Major chargé de ce traitement , pour voir
JUI LET. 1758. 211
de quelle maniere le ragées antivénériennes ont
agi fur eux. Que nous avons appris & obfervés en
interrogeant lefdits malades , que ce remede produifoit
des évacuations fûres , douces & aifées ,
tant par les felles , que par les urines & légere
falivation ; & que la guérifon de ces malades
ayant été une fuite de l'adminiftration des dragées
, nous eftimons qu'elles peuvent être employées
avec les meilleurs fuccès pour la guérifon
de cette maladie. Fait à Strasbourg , le 25 du mois
de Mai 1798. Guérin , Docteur en Médecine ;
Paris , Docteur en Médecine ; le Riche , Chirurgien-
Major ; Domergue , Chirurgien - Major en
fecond ; le Riche , Chirurgien Aide- Major ; Barbezant
, Chirurgien Aide- Major.
Cure particuliere && de remarque .
Le fieur Keyfer entreprit l'an paffé M. de ***,
dans l'état du monde le plus cruel & fans reffource
, ayant été manqué plufieurs fois , & les frictions
ne pouvant plus lui procurer aucun foulagement.
Avant de l'entreprendre , M Keyfer pria
ce malade de faire faire des confultations authentiques
, lefquelles furent faites par les plus habiles
perfonnes de l'Art en Médecine & en Chirurgie.
M. Keyfer ne pouvant s'étendre plus particuliérement
là- deffus , laiffe ces Meffieurs , qui font extrêmement
au fait , maîtres de juger, en fe rappellant
ce dont il eft queftion . Il entreprit donc ce
malade après leurs confultations , le guérit , &
pria de nouveau fon malade de rappeller après la
guérifon les mêmes perfonnes qui avoient affifté
à la premiere confultation ; ce qui fut exécuté ,
& où plufieurs d'entr'eux marquerent un grand
étonnement. Or comme cette cure a fait tenir
beaucoup de propos , & que les ennemis du ficut
Keyfer , toujours plus animés & plus jaloux que
212 MERCURE DE FRANCE:
jamais , ont ofé répandre danse Public , que non
feulement il l'avoit manque , ais même que ce
malade avoit été obligé de repaffer par les remedes
depuis le traitement du fieur Keyſer ; pour
prouver la nouvelle fauffeté de ces imputations ,
toujours démenties avec autant de vérité que d'authenticité,
le fieur Keyfer va rapporter une Lettre
d'un Maître en Chirurgie de Paris , écrite à fon
malade actuellement à l'armée du Roi , & la Réponſe
dudit malade à ladite Lettre ; ces deux pieces
lui ayant été envoyées par le malade lui -même ,
homme de confidération , & qui s'eft fait un plaifir
d'avertir dans la minute le fieur Keyfer des
queftions qu'on avoit ofé lui faire fur fon état.
Lettre d'un Maître en Chirurgie de Paris , à M.
de *** , à l'Armée de Clermont , en date du 12
Mai 1758.
Monfieur , pour des raifons de la derniere conféquence
, je vous prie en grace de m'écrire let
plutôt que vous pourrez l'état au jufte de votre
fanté , & s'il eft vrai que depuis le traitement que
vous a fait M. Keyler , vous avez été obligé de
paffer par les grands remedes ; c'eft une chofe
très-intéreffante à fçavoir pour moi , voulant fçavoir
au jufte l'état des malades après un temps de
traitement écoulé. Je me flatte que vous ne me
refuferez pas la grace que je vous demande , & j'ai
l'honneur d'être , &c. A Paris , le 12 Mai 1758.
Réponse de M. *** , au Maître en Chirurgie , Auteur
de la Lettre ci deffus.
Monfieur , rien ne m'eft plus aifé que de fatisfaire
à ce que vous paroiffez defirer de moi . L'on
vous en a très-fort impofé , lorfque l'on vous a
que j'avois été obligé de paffer par les remedesdepuis
que j'ai forti des mains de M. Keyfer. Bien
Koin de-là , ma ſanté a toujours été de mieux en
dit
JUI LET . 1758. 213
mieux , malgré l ue d'un long voyage que
j'ai été obligé de à cheval pour joindre mon
Corps. Depuis mon arrivée ici , j'aurai l'honneur
de vous dire, Monfieur, que je ne me fuis gêné en
rien. Je chaffe , je bois , je mange , & je fais mon
ſervice comme fi je n'avois jamais éte incommodé,
Voilà , Monfieur , la vérité pure , & je puis vous
certifier que je dirai à toute la terre que je dois la
vie à M. Keyfer , & non à d'autres , ayant été
manqué par plufieurs. J'ai l'honneur d'être , &c.
A l'Armée de Clermont , Mars 1758. ƉE ***¿
M. Keyfer ne chercheroit affurément pas
s'appuyer de faits fi authentiques ni à en triompher
, fi la malice des propos que l'on invente
chaque jour ne l'y forçoit ; il en eft encore aux➡
quels il croit devoir donner ici un démenti public
Ces propos font qu'il donne des frictions à fes
malades , & que c'eft précisément ce moyen qui lui
fait opérer les cures qu'il cite. A cela M. Keyfer
répond encore comme à la derniere reffource de
fes Adverfaires , que c'eft une fauffeté d'autant
plus grande , qu'il n'en a jamais donné une feule s
qu'il en eft bien éloigné , & qu'il leur défie de
lui citer qui que ce foit qui ofe dire qu'il lui en
ait donné. Ce font là des faits , & ces Meffieurs
peuvent actuellement chercher s'ils en trouveront
Il leur ajoutera encore que ces fortes d'imputa
tions font d'autant plus maladroites , qu'actuel
lement il eft aifé de fçavoir par la multiplicité de
fes Correfpondans , fi le remede a befoin de fric
tions pour guérir , &fi quelqu'un dans la Province
les a employées avec fes dragées. D'autres pour
effrayer le Public , & l'éloigner de ce remede , font
courir le bruit qu'il lui eft mort plufieurs malades
entre les mains. Fauffeté d'autant plus grande
qu'il ne lui en eft pas mort encore un feul , & il
214 MERCURE DE FRANCE.
les défie pareillement de l
foit , riche , pauvre , ou fol
malheureux fort par fes remedes.
AVIS.
mer qui que ce
ui ait éprouvé ce
LEE
Public eft averti qu'il n'y a que le fieur
Garrot qui poffede le fecret & la compofition de
la véritable Eau des Sultanes du feu fieur Richard
de Marolle , dont les vertus & propriétés font incomparables
pour l'embelliffement de la peau. On
peut s'en fervir le matin & le foir. Elle rafermit la
peau , la fortifie & l'adoucit confidérablement en
la blanchiffant : elle a auffi la vertu de rafraîchir :
elle convient , non-feulement au beau Sexe , mais
encore aux hommes qui ont le vifage brulé du
foleil en courant la pofte ou la chaffe. Il ne faut
qu'imbiber un petit linge fin ou une éponge avec
cette Eau , & s'en étuver pour fe trouver promptement
foulagé. Cette eau eft très -convenable dans
les bains de fanté & de propreté ; on la peut mêler
avec l'eau du bain à volonté ; lorſqu'on fera
forti du bain , on peut l'employer toute pure ; on
peut auffi , après s'être bien lavé les mains & les
avoir effuyées , fe les frotter de ladite Eau pure ,
puis la laiffer fécher fans les effuyer que très -légérement.
Cette eau eft aufſi très- bonne pour les taches
de rouffeurs & les rougeurs de la petite vérole
; elle les efface entiérement. Plufieurs Seigneurs
& Dames s'en fervent actuellement . Cette Eau fe
débite en différentes Provinces. Le prix du flacon
eft de fix livres , & le demi - flacon eft de trois livres
. Il demeure actuellement rue des deux Ponts ,
Ifle S. Louis , entre un Papetier & un Chaircuitier,
au premier étage. Son Tableau eft fur la porte.
Les perfonnes de Province auront la bonté d'affranchir
les Lettres qu'elles lui écriront.
215
AP OBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond volume du Mercure du mois de Juillet
, & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 19 Juillet 1758.
GUIROY,
TABLE DES ARTICLES.
"ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
LE Cheval & les deux Afnes , Fable ,
page s
La Conftance couronnée , Anecdote par Madame
de S *** , 8
Ode Anacréontique , à Madame G... de P ... 23
Lettre de Madame de St... M.. , à Mademoiſelle
de N... 25
Epître fur l'Age d'Or , à l'Anonyme de Chartrait ,
près Melun ,
Réflexions ,
29
39
Vers à Mademoiſelle Arnould , fur fon rôle de
Pfyché ,
t
45
Vers à Mademoiſelle Lemiere , fur fon rôle de
l'Amour , ibid.
46
Vers à Mademoiſelle Lany , fur fa danfe dans le
Ballet de l'Inconſtance ,
Vers à Mademoiſelle Puvigné , fur fa danſe dans
le Pas de Deux ibid.
Traduction de la neuvieme Ode du troifieme Livre
d'Horace ,
Le Triomphe de la Raifon , Allégorie ,
47
48
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
216
premier Mercure da moj
let ;
ibid.
୨୨
Enigme ,
Logogryphe ,
Couplets chantés fur le Théâtre de la Comédie Italienne
dans le Ballet de la Fête du Moulin , 101
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES:
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux;
103
137
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Grammaire. Lettre de M. G *** , à M. F ***, fur
l'Inftruction de la Jeuneſſe ,
Monnoies. Conjectures fur quelques difficultés touchant
la valeur des Monnoies des VIII , IX , XII
& XIVe fiecles , & les Evaluations Coutumieres,
Mufique,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
145,
179
174
175
Gravure ,
Lettre de M. Gando , le jeune ,
Architecture. Defcription du Maufolée de Philippe
V, Roi d'Eſpagne ,
ART. V. SPECTACLES.
Opera ,
183
187
Comédie Françoife ,
194
Comédie Italienne ,
ibid
Орска Comique , 195
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 197
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c,, 201
Mort ,
Bénéfices donnés ,
Supplément à l'Article Chirurgie ,
誓Avis ,
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert .
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET. 1758.
SECOND VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Chez
Cashin
Filiusine
PupillenSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty .
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
MBL
EGIA
CENSIS .
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du
Mercure eft chex M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
Tecouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avume , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fals piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payerons
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs deport .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
IG volumes .
Les Libraires des
provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
sure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi , Mercredi
Jeudi de chaque semaine , après- midi.
#
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Estampes & Mufique à annoncer ¦
d'en marquer le prix.
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Li
vres , Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
་
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1758 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE CHEVAL
ET LES DEUX ASNES ,
Αν
FABLE.
Au temps du gentil la Fontaine ,
Temps , où les animaux parloient ,
Difcouroient entr'eux , raifonnoient ,
Mieux qu'aujourd'hui ne fait l'efpece humaine ,
Un cheval affez bien inftruit ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et furtout verfé dans l'hiftoire ,
Pour amufer les fiens , & le faire avec fruit ;
N'avoit recours qu'à fa mémoire.
Un jour qu'il les entretenoit
Des malheurs de la pauvre Troye ,
Avec chaleur il leur peignoit
Cette Ville aux flammes en proye ;
Contre Sinon fe gendarmoit ,
Le traitoit de chien d'hypocrite ;
Et pardeffus tout il blầmoit
Des crédules Troyens l'imbécile conduite.
Un Baudet par des cris affreux ,
Vint interrompre là l'hiſtoire ; ·
Lance à l'Hiftorien un regard furieux ,
Lâche quelques gros mots , & quitte l'auditoire.
On eft furpris de voir tel animal
Paroître en bonne compagnie ,
S'échauffer & ruer , faire un bruit infernal ;
A propos de quoi je vous prie ?
Cet Afne étoit un Afne reſpecté ,
Etant de ceux qui portent des Reliques ;
Et dont la fotte vanité
Se voit dans les fabuleufes chroniques :
Il faut fçavoir auffi qu'un des ancêtres fiens
Etoit dans la ville de Troye ,
Quand Meffieurs les Grecs , aux Troyens ,
Vinrent donner du rabat-joie
Et que dans cette émotion ,
Il avoit à l'Etat rendu très- bon office ,
JUILLET. 1758.
En fe chargeant de la portion ,
La plus utile à fon fervice.
Du bon Priam , c'étoit le Cuifinier ;
Lequel , cherchant fon falut dans la fuite 7
Chemin faifant , rencontre món Courfier ,
Saute deffus , & fait tane qu'il évite
De tomber en barbares mains.
Grace au galop de notre bête afinė ;
Notre homme demeure aux Latins ,
Et n'ira point aux Grecs révéler leur cuisine?
Falloit-il s'étonner fi Monfieur ſon parent
Avoit pris feu dans notre affaire ?
Ce fervice aux Troyens qui l'attache hautemens
Peut-il être ignoré de quelqu'un fur la terre ?
Ainfi le Bauder , à bon droit ,
Regardoit comme impertinence ;
Ce qui devant lui fe difoit
Contre cette Troyenne engeance.
Le Cheval pourtant l'ignoroit ,
Soit faute de mémoire ,
Soit qu'un Ecrivain maladroit.
L'eût oublié dans fon hiftoire .
Cependant notre Afne ombrageux
Ne refpiroit que la vengeance ,
Ne pouvant par état paroître courageux ,
En quelles mains remettre cette offenſe !
Il avoit un cadet , brave comme un Céfar ;
A la guerre il avoit porté maint équipage ,
Il avoit couru maint hazard ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Et fon frere difoit qu'il aimoit le tapage.
De la commiffion ce dernier trop jaloux ,
Menace le Cheval , l'attend en un paffage ,
Le voit: Monfieur , tôt battons-nous ,
Ou je fais Afne à faire rage :
Le Cheval d'un regard auroit pu l'atterrer;
Mais il aimoit la raillerie ,
Et loin de l'affommer , il voulut terminer
Par une petite ironie.
Vous , Monfeigneur , vous battre ! en vérité
Ce feroit trop vous compromettre ;
Le nom que vous portez eft partout refpecté ;
Vous vous tirez de tout en maître ,
Et ce n'eft vis-à-vis des gens de mon eſpece
Qu'il faut expofer votre Alteffe.
L'Afne le crut ; on s'en eft bien douté :
Eft- ce bétife , ou vanité ?
>
LA CONSTANCE COURONNÉE ,
Anecdote
Par
Madame de St *** .
ARAMINTE avoit eu en partage les dons
les plus précieux ; l'efprit , les graces , la
beauté. Avec tant de charmes , & un million
de bien , pouvoit - elle manquer de
plaire? Sa cour fut bientôt nombreufe . Les
petits Maîtres , les beaux efprits , les gens
à prétention ; tous ceux qui fe croyoient
JUILLET. 1758 . 9
aimables ( le nombre en eft grand ) , vinrent
en foule lui rendre leurs hommages.
Les minauderies des uns , les propos étu
diés des autres , les manieres de tous , leurs
déclarations, leur manege l'amufoient , comment
auroient-ils pu la toucher ? Au caractere
le plus folide , elle joignoit le coeur
le plus tendre : il auroit fallu lui reffembler
pour lui plaire , & des fiecles entiers
ne produifent pas un coeur de la trempe du
fien . Elle crut cependant l'avoir trouvé
chez Erafte. Il joignoit à beaucoup d'efprit
une figure charmante. Depuis longtemps
en poffeffion de fubjuguer toutes les
femmes , il crut que la conquête d'Araminte
manquoit à fa gloire. Il lui rendit
des foins ; il foupira , il parla amour. Il
étoit fi féduifant , il difoit les chofes d'un
air fi perfuafif, qu'elle faillit s'y méprendre
; mais bientôt rendu à elle- même , elle
démêla le motif qui le faifoit agir. Non ,
Eraſte , lui dit - elle , vous ne me ferez point
illufion. La vanité eft le mobile de toutes
vos actions ; vous n'avez jamais connu
l'amour , il peut feul me toucher. Erafte
fe retira ; le perfonnage qu'il jouoit commençoit
à lui être à charge.
Peu de jours après Damon arriva de
Paris. Il venoit de finir fes exercices. Dans
un âge où l'on ne refpire que le plaifir ,
Αν
To MERCURE DE FRANCE:
Damon ne s'occupoit que de l'étude des
belles - lettres. Diftingué par fa naiffance
héritier d'un bien confidérable , fait à
peindre , de la plus jolie figure du monde ,
on étoit étonné de lui voir un éloignement
marqué pour tout ce qui fait la paffion des
jeunes gens. Ce n'eft pas que fa philofophie
eût rien de fingulier , rien de fauvage.
Il étoit toujours vêtu très -galamment ,
il voyoit le monde , il difoit même des
douceurs aux femmes ; l'ufage le vouloit ,
il fçavoit s'y conformer.
Quoiqu'il fe fût fouvent expliqué fur
la réfolution où il étoit de ne jamais s'engager,
il fentoit bien qu'une femme , telle
que fon coeur la defiroit , le feroit aisément
changer ; mais il défefpéroit de la trouver.
Une femme jolie & tendre dans le fiecle
où nous fommes , difoit - il , eft un être
de raifon. Son erreur ne dura pas longtemps.
Il vit Araminte. Tant d'attraits lui
firent éprouver des fentimens qui avoient
pour lui les charmes de la nouveauté. It
voulut fe diffimuler que c'étoit de l'amour.
Je l'eftime , je l'admire , dit - il à un de ſes
amis ; je vous avouerai même que fi elle a
le coeur auffi tendre que fa phyfionomie &
fes manieres paroiffent le promettre , je
bornerai tout mon bonheur à lui plaire.
Mais fur quoi m'en affurer les apparences
JUILLET. 1738. I I
font fi trompeufes on ne facrifie plus
qu'à la coquetterie... Quelques entretiens
lui dévoilerent l'intérieur d'Araminte. Il y
vit des fentimens fi délicats , une répugnance
fi forte pour les bagatelles , tant de
folidité , tant de vertu , qu'il en devint
bientôt éperduement amoureux .
On peut prendre le change fur les autres
fentimens , mais jamais fur le vrai amour ;
les traits qui le caractérifent font trop remarquables.
Araminte fut fenfible à la
douceur d'être aimée ; la tendreffe de Damon
triompha de fon indifférence , elle
aima.
¡ Oui , Damon , lui dit - elle un jour , vous
avez fçu me perfuader , vous avez fçu me
plaire pourquoi rougirois - je de vous
l'avouer Mais pour ma fatisfaction , pour
mon repos , pour le bonheur de mes jours ,
partez , éloignez vous pendant deux ans :
fi au bout de ce temps- là vous n'êtes point
changé , le don de ma main eft le prix que
je réſerve à votre conftance . Damon murmura
contre un arrêt auffi cruel il mig
tout en ufage pour le faire révoquer , il ſe
plaignit d'un excès de délicateſſe qui alloit
le rendre le plus malheureux des hommes . ,
Vouloir éprouver mon amour , c'eft douter
de fa fincérité , dit-il à Araminte .. C'eſt
chercher à affurer le bonheur de mes jours
AVI.
12 MERCURE DE FRANCE.
J'aime trop pour ne vouloir pas être aimée
de même. Mon mari fera mon Amant , &
je veux dans mon Amant autant de conftance
que de délicateffe. Damon repliqua ,
mais il ne put rien gagner ; Araminte perfifta
dans fa réfolution , il partit.
Araminte avoit placé auprès de Damon
un Valet de chambre , qui étoit entiérement
dans fes intérêts : il devoit l'informer
de tout ce que feroit fon maître.
Rendu à la ville qu'il avoit choifie pour
fon féjour , Damon fe renferma chez lui :
s'il en fortoit quelquefois , c'étoit pour
aller fe promener ; les endroits les plus
déferts , les plus écartés étoient ceux qui
lui plaifoient le plus. Point d'ami , nulle
efpece de liaiſon avec perfonne : on auroit
dit qu'il avoit rompu avec le genre humain.
Des livres , les lettres d'Araminte
faifoient tous fes plaifirs. Il en recevoit
fouvent le fentiment les avoit dictées.
Que dans fon malheur il fe trouvoit heureux
d'être aimé auffi délicatement !
Cette jeune perfonne inftruite de la
conduite de fon Amant , ne ceffoit de fe
louer du choix qu'elle avoit fait. Dans un
fiecle où l'amour n'eft regardé que comme
un jeu , difoit - elle quelquefois à une de
fes amies , où la frivolité eft devenue l'apanage
des deux fexes , où l'on ne facrifie
JUILLET. 1758 . 13
qu'à la vanité, à l'intérêt & à la débauche :
ne fuis- je pas heureuſe d'avoir trouvé un
coeur comme celui de Damon ? Il fçait feul
aimer . Que les jours que nous coulerens
enſemble feront purs & fereins ! Que les
plaifirs qui fuivront notre union feront
vifs ! Ils prendront leur fource dans une
tendreffe réciproque : l'amour comblera
tous nos defirs.
La fin de l'exil de Damon approchoit
il touchoit au moment fi defiré , lorfqu'on
lui remit une lettre d'Araminte conçue en
ces termes :
و ر
→
«Je n'étois pas née pour être heureufe ;
» je viens de l'éprouver . De l'état le plus
» brillant , je tombe tout- à- coup dans la
plus affreufe indigence . Un malheur
auffi foudain qu'imprévu m'enleve tou-
» tes mes richeffes . Ce n'eft pas elles que
» je regrette , vous devez en être perfuadé
: mais ne dois- je pas me plaindré
» contre le deftin qui me ravit un Amant
fi tendrement aimé ? Car de croire
que
» votre amour foit à l'épreuve d'un pareil
» coup , ce feroit trop fe flatter . Cette dé-
» licateffe de fentimens n'eft plus connue
» il y auroit de l'injuftice à l'exiger. Foible
» reffource que les attraits quand on n'a
plus de bien ! Il me refte encore de quoi
» aller me jetter dans un cloître. Dans le
و د
"
ود
14 MERCURE DE FRANCE.
"
"
déplorable état où eft ma fortune , c'eft
l'unique parti que j'aie à prendre. J'y
pleurerai mes malheurs , j'y pleurerai
» mon Amant. Heureuſe , fi je puis parve-
» nir à recouvrer un repos qui va être
» déformais l'objet de mes defirs ! »
"
Que je fuis heureux , s'écria Damon !
Chere Araminte , je ne vous trouvois
d'autre défaut que celui d'être trop riche.
Le croiriez-vous , vos richeffes vous rendoient
moins aimable à mes yeux. Mille
fois , oui , mille fois j'ai fouhaité que Vous
fuffiez née dans le fein de la pauvreté.
J'aurai donc ce plaifir fi doux pour les
coeurs fenfibles , de combler de bienfaits ,
d'honorer , de rendre heureux ce que j'aime.
Partons , courons , volons ; l'amour
vous vangera des injuftices de la fortune.
Il part animé de l'efpoir fi flatteur de
revoir le cher objet de toute fa tendreffe.
Inftruite de fon départ , Araminte prend
les plus juftes mefures pour aider au ftratagême
qu'elle avoit fi heureuſement ima
giné. Il la trouve occupée à préparer de
fes mains délicates un repas frugal . Une
chambre obfcure lui fervoit de domicile ;
un mauvais lit , quelques chaifes en faifoient
tout l'ornement. Quelle occupation !
quel féjour Araminte , s'écrie-t'il ! Chere
Araminte , quel changement de fortune !
JUILLET. 1758.
f
dans quel abaiffement le fort vous a t'il
réduite ! Mais non , il ne fçauroit vous
abaiffer. Peut-on ne pas admirer tant de
modération , tant de fermeté , dans un revers
auffi cruel & auffi fubit La gran
deur de votre ame paroît avec un éclat
auprès duquel difparoît le faux brillant des
grandeurs humaines. Vous m'avez cru ca,
pable de vous facrifier à un vil intérêt :
ah! Araminte , rendiez - vous juftice à mes
fentimens Ces yeux , ces beaux yeux
dont la douceur charme , enchante , ravit ,
ces traits dont l'enſemble eft fi touchant ;
cet air , ce port , cette taille , ces graces ,
cet efprit , ce coeur furtout qui eft au deffus
de tous les éloges ; voilà les feules richeffes
dont je fais cas. Non , je ne me
plaindrai point des rigueurs de la fortune ,
repliqua Araminte ; je n'ai au contraire
qu'à m'en louer. Qu'il m'eft doux d'être
aimée avec tant de délicateffe ! que vos
fentimens flattent agréablement les miens ,
cher Damon ! Nos coeurs font faits l'un
pour l'autre il n'y a que leur réunion qui
puiffe nous rendre heureux ; & fans l'évé
nement , dirai je cruel ou heureux , qui
m'a enlevé toutes mes richeffes , aurois- je
jamais fenti le plaifir fi pur , fi parfait que
je goûte dans cet inftant ! Trop délicate. ,
trop paffionnée , pour ne pas me faire des
16 MERCURE DE FRANCE.
peines imaginaires, j'aurois peut- être attri
bué votre amour à un motif d'intérêt
grace à la fortune , mes alarmes font diffipées
, & mon bonheur affuré ; j'ofe au
moins m'en flatter.
Que ne fit point Damon pour prouver
à Araminte combien il étoit fenfible à tout
ce qu'elle lui avoit dit de tendre & de
flatteur ! Il tomba à fes genoux ; fes foupirs
, quelques larmes , fon filence parlerent
pour lui . Dans une fituation pareille
à celle de Damon , on ne fçait que garder
le filence.
Rien ne s'oppofoit au bonheur de nos
deux Amans ils crurent y devoir mettre
le fceau. Le jour fut fixé pour la célébration
de leur mariage. Avec quel plaifir
Damon ne vit - il pas arriver ce jour fi
defiré !
Tout étoit prêt pour la cérémonie ,
lorfqu'Araminte eut quelques éblouiffe
mens qui eurent les fuítes les plus fâcheufes.
La petite-vérole fe déclara avec les
fymptômes les plus terribles : deux jours
de maladie la réduifirent à la derniere extrêmité.
On annonce à Damon le danger
d'Araminte ; il vole à fon appartement ,
malgré la défenfe qu'elle lui avoit faite d'y
paroître. Dans quel état la trouve - t'il !
Une pâleur livide , des yeux éteints , une
JUILLET. 1758. 17
refpiration embarraffée , tout fembloit annoncer
une mort prochaine. Quel fpectacle
pour un Amant ! Ah ! Damon , dit-elle
d'une voix mourante , qu'avez - vous fait ?
pourquoi aller contre mes ordres ? pourquoi
venir troubler mes derniers momens ?
Votre tendreffe redouble mes maux , en
augmentant l'amour de la vie , fi naturel à
l'homme. Qu'il m'en coûte pour me réfigner
aux ordres du ciel ! Cher Amant , cher
époux , vous feul m'occupez dans des momens
qu'un foin bien différent devroit
remplir. Je ne vous verrai plus. Que cette
idée eft cruelle ! Trop affligé pour fe plain
dre , Damon ne répondit rien ; un air
abattu , des regards languiffans , des yeux
mouillés de larmes , fes fréquens foupirs
parloient affez pour lui.
Le ciel eut pitié de fes maux. Après
quelques jours d'alarmes , Araminte donna
tout à espérer. Sa jeuneffe & la bonté de
fon tempérament la tirerent d'affaire.
Quelle joie pour Damon ! Avec quels
tranfports n'apprit- il pas la nouvelle de fa
convalefcence. Il faut l'avouer , le propre
des peines eft de rendre les plaifirs plus
piquans. Plus la crainte de perdre Araminte
avoit été grande , plus le plaifir de
la pofféder paroiffoit doux à Damon.
Cette jeune perfonne n'étoit pas tout-à48
MERCURE DE FRANCE
,
fait auffi contente : elle appréhendoit pour
fa beauté. Ce n'eft pas que , femblable à la
plupart des femmes , elle donnât rous fes
foins , toute fa complaifance , toute ſa tendreffe
à un auffi frivole avantage : non
fans doute ; Araminte penfoit trop folide
ment pour faire cas d'un bien fragile ,
d'une fleur que le moindre fouffle peut
ternit mais cette beauté lui affuroit le
coeur d'un Amant tendrement aimé ; elle
fe l'imaginoit au moins pouvoit- elle ne
pas en redouter la perte !
A peine fut- elle hors de danger , que ne
voulant point paroître aux yeux de Damon
dans l'état où elle étoit , elle le fit prier
de laiffer paffer quelque temps fans venir
chez elle ; Damon murmura , mais il
aimoit ; il ne fçut qu'obéir. Araminte confultoit
tous les jours fon miroir ; il lut apprenoit
ce qu'elle devoit efpérer ou crain
dre bientôt elle ne flotta plus entre la
crainte & l'efpérance ; le mafque qui défiguroit
fes trais tomba : cet agrément , cette
délicateffe qui les rendoient fi touchans ,
reparurent ; fon teint reprit fon premier
éclat ; elle n'avoit jamais été fi belle .
Il me vient une idée , dit- elle un jour
à une de fes amies , pour qui elle n'avoit
rien de caché ; vous la trouverez folle ,
yous la trouverez extravagante : je veux
JUILLET. 1758. ます
pourtant me fatisfaire à quelque prix que
ce foit. Damon m'aime , je ne puis en
douter ; mais fi cet amour n'eft fondé que
fur mon peu de beauté , dois-je m'atten
dre à conferver long- temps fon coeur ? C'eft
à la poffeffion de ce coeur qu'eft attaché
tout le bonheur de mes jours ; puis-je prendre
trop de précautions pour me l'afsûrer ?
Je ne veux point d'un bonheur paffager
je ferois trop fenfible au changement de
mon fort. L'abfence , la perte imaginaire
de toutes mes richeffes n'ont pu changer.
Damon. Voyons fi fon amour tiendra contre
la perte de ma beauté. Ce fut en vain
qu'on repréfenta à Araminte que l'épreu
ve étoit trop forte ; qu'en voulant élever
trop haut l'édifice de fon bonheur , elle
couroit rifque de le voir renverfer de
fond- en- comble ; qu'on s'accoutumoit à la
figure , & que les changemens qui y arrivoient
n'étoient ni affez confidérables
ni affez fubits pour produire un effet fenfible
; qu'à fon âge on voyoit ces changemens
dans un avenir fi éloigné , qu'il y
avoit de la folie à s'en inquiéter ; que
Damon d'ailleurs découvrant chaque jour
en elle mille qualités charmantes , ne s'appercevroit
feulement pas de la diminution
de fa beauté. Tout fut inutile. Inébranlable
dans fa réfolution , elle écrivit à
Damon la lettre fuivante :
20 MERCURE DE FRANCE.
« C'eſt pour le coup qu'il n'y a plus de
» remede à mes maux . La fortune a enfin
épuifé fur moi les derniers traits de fa
و و
malignité . Cette beauté , dont les fem-
» mes font tant de cas , cette beauté , qui
» ne m'étoit chere que parce que je croyois
» lui devoir toute votre tendreffe , je l'ai
و د
perdué , & avec elle l'efpoir d'être à
" Damon. Que cette idée eft accablante !
» Doutez-vous de ce que je vous dis ? Ve-
» nez vous en afsûrer . Dois-je compter
» encore fur votre coeur ? Je n'ai que de
» l'amour à vous offrir ; fera-ce affez pour
» Damon ? Ç'en feroit affez pour la ten-
» dre & malheureufe Araminte. 3
Ç'en fera bien affez pour moi , s'écria
Damon avec tranfport ! Votre tendreffe
peut feule combler tous mes défirs . Il
vole chez Araminte ; elle s'attendoit à fa
vifite ; une drogue préparée avec foin &
appliquée fur le vifage , lui changeoit entiérement
la phyfionomie. Damon ne la
reconnut qu'à l'émotion qu'il éprouva.
Quel moment pour Araminte ! Son fort
alloit être décidée ; elle aimoit éperduement
, pouvoit- elle être tranquille ? Non ,
Araminte , dit Damon , quelqu'étonnant ,
quelque prodigieux que foit le changement
, il ne produira aucun effet fur moi ,
je fuis toujours le même . Quelqu'adJUILLET.
1758. 21
mirable
que fût votre beauté , ce n'étoit
pas elle qui m'avoit charmé. Les graces
de votre efprit , la douceur de votre caractere
, ce coeur furtout , qui feul vous
difpenferoit de tout autre mérite ; voilà
les qualités que j'aime en vous , voilà
ce qui m'a infpiré une paffion qui ne finira
qu'avec ma vie. Ne vous oppafez
donc plus à mon bonheur. Que cer
inftant couronne mes feux ! Ç'en eſt trop ,
cher amant , répondit Araminte , vous ferez
heureux , & vous méritez de l'être.
Votre coeur eft tel que le mien le défire ;
rien ne troublera déformais notre félicité.
Ce que j'ai fait n'a été que pour vous
éprouver : vous allez juger par vous- même
fi je fuis encore digne de vous plaire.
En finiffant ces mots elle ôta l'efpece de
mafque qui la défiguroit ; jamais elle n'avoit
été fi belle. Que vois - je , s'écria
Damon furpris & tranfporté ! Sçaviezvous
que ma délicateffe ne s'accommode
nullement de la fupercherie que vous m'a
vez faite : vous doutiez donc de la fincérité
& de la durée de mon amour ? .. Je
n'en doutois point , Damon , mais je craignois
de perdre votre coeur en perdant
ma beauté. Me voilà raffurée , me voilà
heureuſe ; je vous dirai même plus , le
renversement de ma fortune n'a été ima1
MERCURE DE FRANCE.
giné que pour éprouver votre tendreffe ;
je poffede toujours les mêmes richeſſes ...
Quoi continuellement des nouveaux
fujets de plainte ? Vous avez pu me croire
capable de n'agir que par un motif d'intérêt
Ah ! Araminte , méritai- je de pareils
Loupçons !
L'amour prit lui-même la défenfe d'Araminte
: on ne pouvoit lui reprocher que
trop de délicateffe ; elle fut bientôt juftifiée
dans l'efprit de Damon : il tomba à
fes genoux ; il la fupplia de ne plus mettre
d'obftacle à fa félicité.... İls furent
mariés le même jour. Moins époux qu'amans
, leur union fut pour eux une fource
intariffable de plaifirs. Dans un fiecle où
l'on croiroit fe faire tort en aimant fa
femme , la tendreffe de Damon fut d'abord
tournée en ridicule ; elle lui attira
mille froides plaifanteries ; il tint bon,, une
eftime générale fucceda à la raillerie : c'eft
l'effet ordinaire de la vertu . Damon fut
toujours regardé depuis comme le modele
des amans & des maris,
+
JUILLET. 1758.
23
ODE
ANACRÉONTIQUE ,
A Madame G... de P.. ,
ENFIN cede , cede , Sylvie ,
A l'hommage ardent de mes feux ;
La Reine aimable de ma vie
Eft toujours rébelle à mes voeux,
Un Dieu charmant veut dans ton ame
S'élever un brillant Autel ;
Laiffes-y pénétrer fa flamme ,
Et rends fon triomphe immortel,
Reçois la couronne galante
D'un Souverain voluptueux ;
Il étend fa main bienfaifante ;
Et l'Amour te préfere aux Dieux,
*
Que fous tes pas naiffe la rofe ,
Goûte les charmes du défir :
Ah ! la feule loi qu'il impofe,
C'eft de fe foumettre au plaifir,
Que d'épines chargent ma chaîne !
Quand marcherai-je fur les fleurs ?
Au moins dans le fein de la peine
Scais-je me forger des douceurs
14.
MERCURE
DE FRANCE
.
Une illufion fécourable "
Enchante mon tendre tourment.
Je crois voir l'ingrate adorable
Qui dédaigne & fuit fon Amant.
Je te regarde , je t'admire ,
Mes yeux te peignent mon ardeur
Et je te parle fans rien dire :
Le foupir eft la voix du coeur.
Ce n'eft plus Sylvie infléxible
Qui s'honore d'un dur mépris :
C'eft une maîtreffe fenfible ...
L'amour de l'amour est le prix.
Un trouble inconnu la colore ,
Soudain je vole entre fes bras :
Timide , elle réfifte encore ;
Mais qu'un tel obftacle a d'appash
Quelles délices dans un fonge!
Que j'en chéris la fauffeté !
Hélas ! Sylvie , à ce menfonge
Fais fuccéder la vérité.
Jaloufe d'une folle gloire.,
De l'Amour ne crains point le trait ;
Si je remporte la victoire .
Ton Vainqueur fera ton fujet. G. M. A...
LETTRE
JUILLET. 1758. 25
LETTRE de Madame de St ... M...
à Mademoiselle de N...
Je viens de paffer quelques jours à la
campagne chez la Comteffe de C.... Vous
la connoiffez , elle a beaucoup d'efprit ,
& il eft difficile de l'avoir plus orné &
plus amufant . Un cabinet de livres choifis
eft le lieu de fon château où elle fe plaît
le plus ; nous y étions fouvent. Parmi une
foule de brochures qui y font , j'ai lu avec
plaifir celle dont vous m'avez parlé quelquefois
, & qui a pour titre , Réflexions fur
le Comique-larmoyant , par un Accadémicien
de la Rochelle . Quelqu'agréable qu'en foit
le ftyle , quelque pure qu'en foit la diction
, cet ouvrage ne m'a pas perfuadé.
Dans un fiecle philofophe comme le nôtre,
l'efprit ne prévaudra point fur la raifon,
& quelqu'efforts que l'on faffe pour
faire tomber le nouveau genre qui s'eft
emparé de la ſcene , je doute qu'on y réuffiffe
; mais voyons fi les raifons fur lefquelles
fe fonde l'Académicien de la Rochelle ,
font auffi folides que brillantes.
« Ce n'eft pas chez les anciens , dit- il
» d'abord , que les Auteurs du nouveau
genre ont puifé la maniere plaintive , &
II.Vol B
26 MERCURE DE FRANCE.
?
» la victoire ne feroit pas long-temps in-
» certaine , fi elle dépendoit de leurs exemples
, ou même de ceux des Poëtes François
, qui ont brillé fur le théâtre jufqu'au
commencement de ce fiecle. Le
» concours de tant d'autorités pourroit
» fans doute former une démonſtration
" victorieufe . »
J'avoue que l'on ne trouve pas chez les
anciens des exemples de ce nouveau genre,
qu'on appelle Comique- larmoyant : mais
combien de beautés dans tous les genres
de littérature , inconnues aux anciens ,
qui font l'ornement de nos ouvrages modernes
! combien de chofes ont échappé à
ceux que nous regardons comme nos maî-
& qui n'ont peut - être pardeffus
nous que l'avantage de nous avoir précé
dés ! « Dans ce nouveau genre , dit- il ailleurs
, les incidens ne naiffent que pour
faire couler les larmes , & l'on fort en-
» fin d'un fpectacle comique le coeur auffi
>> ferré de douleur que fi l'on venoit de
» voir repréſenter Médée ou Thyefte .
tres ,
"2
23
Eft- ce connoître le coeur humain , que
de croire qu'un fpectacle qui nous attendrit
, jette l'ame dans une fituation pénible
& douloureuſe J'en appelle à l'expérience
d'un chacun ; les larmes que nous
verfons à la repréſentation de Phedre
JUILLET. 1758. 27
n'ont-elles pas une douceur , un charme
inexprimable.
Quant au changement de fituation , à
ce paffage rapide d'une reconnoiffance
tendre & paffionnée au badinage d'une
foubrette & d'un petit maître , peut - il ne
pas produire un effet agréable ? On ne
veut pas toujours pleurer le tendre ,
le touchant a quelquefois befoin d'être
égayé par quelques traits plaifans & badins.
Que l'ode , le poëme épique , l'éloquence
& l'hiftoire foient parvenus à leur perfection
, c'est ce qu'on pourroit conteſter.
Je veux bien pourtant l'accorder. Qu'Homere,
Virgile, Pindare, Horace, Thucidide ,
Tite- Live , Tacite , foient des modeles excellens
à fuivre , c'eft ce dont perfonne ne
doute mais il n'en eft pas moins vrai
que dans certains genres , plufieurs modernes
fe font ouvert des carrieres nouvelles
, qu'ils ont fournies avec tout le
fuccès poffible.
:
J'avoue avec notre Académicien , que
tout ce qui anéantit l'effet principal d'un
ouvrage , eft un défaut effentiel ; mais
quel eft le but , quel eft l'objet d'un poëme
dramatique ? C'eft fans doute de plaire
: on ne peut donc pas dire du nouveau
genre , depuis long - temps en poffeffion
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
de produire cet effet , qu'il anéantifle celui
de la Comédie.
Encore une fois , peut- on croire que les
Situations triftes & extraordinaires , peintes
avec les couleurs les plus vives , amenées
avec art , puiffent faire fur nous des
impreffions douloureufes ? Elles nous font
verfer des larmes ; mais je l'ai déja dit ,
ce font des larmes douces , qui prennent
leur fource dans un fentiment agréable .
On veut que les moeurs n'ayent retiré
aucun profit de cette nouvelle efpece de
Comédie. En ont- elles retiré des Comédies
de Moliere ? Y a t'il moins d'avares ,
moins de petits maîtres , moins de faux
beaux efprits , moins d'hypocrites ? &c.
Mais , continue-t'on , tout eft confondu
, plus de bornes qui féparent le cothurne
du brodequin .
Peut-on ignorer que le rare , le pitoyable
, le tendre font du reffort de l'un &
de l'autre ? Pourquoi des perfonnages communs
ne feroient- ils pas fufceptibles des
mêmes fentimens , des mêmes paffions ,
que les perfonnages les plus relevés ? Un
homme de condition ne peut-il pas aimer
auffi tendrement , avec autant de délicateffe
qu'un Prince ? Non , les bornes ne
feront pas confondues , tant que la Comédie
ne s'élevera pas jufqu'au terrible qui
JUILLET. 1758.1 20
tiendra toujours dans la tragédie une place
qu'il ne peut avoir ailleurs.
Je pourrois encore ajouter , que plus
le coeur eft remué à un fpectacle , plus les
plaifirs qu'il nous procure font vifs. Qu'on
ne contefte donc pas au nouveau genre
l'avantage de plaire ; il plaît depuis trop
long-temps , & a des gens trop éclairés.
EPITRE
SUR L'AGE D'OR ,
A l'Anonyme de Chartrait , près Melun.
CONSOLE-TÓI , cher Ami , d'être né ,
Pendant ce temps qu'on croit peu fortuné ,
Où l'on prétend que la vertu fommeille ,
Lorfque toujours dans ton ame elle veille.
Fades Cenfeurs , croyez qu'il dure encor
Dans nos climats cet heureux fiecle d'or ,
Age de Rhée où l'on dit que les hommes
Etoient meilleurs qu'à préfent nous ne ſom
mes.
Tout eft encor ce qu'il fut autrefois :
On n'a changé de vertus ni de loix.
Rien de nouveau , je le tiens de deux Sages ,
Rien de nouveau que les noms , les uſages..
Que fert d'outrer nos crimes , nos malheurs ?
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Eft - ce en grondant qu'on veut fécher nes
pleurs ?
Ce jeune enfant qu'un bobo déſeſpere ,
Eft appaifé , foulagé par ſa mere :
On ne va point irriter fon dépit ;
On le confole , on le flatte , il guérit.
L'humaine espece a l'humeur enfantine ;
Plus vous criez , plus elle ſe mutine.
Sufpendez- les ces cris injurieux ,
De nos erreurs critiques ennuyeux.
De la raiſon fanatiques Apôtres ,
Par vos chagrins vous aigriffez les nôtress
A vous entendre , aujourd'hui plus pervers,
L'homme a groffi les maux de l'Univers ;
Il ne fuit plus ni vertu , ni juſtice ,
Il dort en paix au bord d'un précipice :
Il dort , cruels , & pendant fon fommeil ,
Vous l'accablez ! Quel fera fon réveil !
Eh ! malheureux ! laiffe la réprimande :
Un prompt fecours , voilà ce qu'on demande.
Tous nos défauts par tes foins rédigés ,
Sont bien connus ; mais font-ils corrigés à
Que fervira ton regrêt emphatique
Sur les plaifirs d'un fiecle chimérique ?
Virgile , Ovide , avant toi l'ont décrit.
Mais en crois-tu des contes pleins d'eſprit è
Non , car penfer que l'humaine nature
Ait tout un fiecle été fans impofture ,
Ait ignoré ce que c'eſt que le mal ,
JUILLET. 1758.
Se figurer que ce fier animal ,
Ce Roi fougueux de la Numide plage ;
Durant cent ans ait paffé pour un fage ,
Que le ferpent n'ait point eu de venin ,
Et que le loup ait épargné Robin ,
"
Ce merveilleux très - foiblement me touche ;
Erreur , abus le lion fut farouche ,
Le loup cruel , l'homme foible & méchant 7
Tout en un mot fuit fon premier penchant.
Ces noirs torrens de fouffre & de bitume
Qu'un choc rapide échauffe , irrite , allume ,
Par le foleil attirés dans les airs ,
Furent toujours l'effroi de l'Univers ;
: Dans tous les temps la mer fut orageuſe ,
Le paon ſuperbe , & telle eau vénimeufe.
Mais fuppofons que , vrais dans leurs difcours,
Nos bons Ayeux ayent connu ces beaux jours ,
Et que d'eux feuls la nature idolâtre ,
Soit plus avare , & nous traite en marâtre ,
Qu'elle ait pour nous réfervé les poifons
Les noirs chagrins , le fiel des trahifons ,
De l'intérêt la foif & les intrigues ,
Et de l'orgueil les dédains & les brigues ,
Qu'enfin pour nous tous les maux deſtinés
Soient notre lot , même avant d'être nés ;
Nous croirons-nous de vertus incapables ,
N'aurons-nous donc que des plaisirs coupa
bles ,
Et n'eft-il point de ce bon fiecle d'or
Biv
32 MERCURE DE FRANCE!
"
Quelque bienfait dont on jouiffe encor
Parmi les biens que la terre nous donne ,
Parmi ces fleurs dont Eglé fe couronne
Quel doux objet confole ma raifon !
La rofe croît à côté du chardon .
La rofe étoit , je crois , du temps de Rhée ;
Elle lui fut , m'a- t'on dit , confacrée :
S'il eft ainfi , quelque eſpoir m'eft rendu ,
Nous n'avons pas , comme on voit tou
perdu .
>
"
Au fonds des bois le Tourtereau fidele ,
Des vrais Amans eft encor le modele ,
Comme autrefois le Pigeon eft fans fiel ,
L'Abeille encor pour nous pêtrit ſon miel :
Dans fon tombeau que lentement il file
Le Ver-à-foie en mourapt eft utile .
Voyez bondir au milieu du troupeau
Cette Brebis fiere de fon fardeau.
Ses bêlemens femblent dire à Glicere :
Careffez-moi , je ferai bientôt mere.
Cette autre accourt , & fe laiffe ravir
Une toifon qu'elle fçait nous fervir ,
A pas tardifs ces Chevres effoufflées
Traînent vers nous leurs mammelles gonflées ,
Fut-on plus riche aux jours de nos Ayeux ?
Le Roffignol enfin chanta- t'il mieux ?
N'eft- ce donc rien que cet air de décence ,
Qui de Céphile annonce l'innocence ?
Belle fans art , douce fans le fçavoir
JUILLET. 1758. 33
Dans l'âge d'or pouvoit- on plus avoir
Car, je le fçais , ce n'eft point par contrainte
Qu'à la candeur Céphife s'eft reftrainte :
Libre d'agir ou de penfer du moins,
Elle pouvoit par de perfides foins ,
Sous les dehors d'une vertu plâtrée ,
Cacher le coeur de Mégere ou d'Atrée.
Mais non , Céphiſe au feul amour du bien ,
Par goût , par choix voue aujourd'hui le fiem
Ne penſe pas , Cenfeur atrabilaire ,
Que Peintre adroit d'un Etre imaginaire ,
D'un faux éclat je fouille ce tableau ;
D'autres portraits s'offrent à mon pinceau.
Porte les yeux dans l'eſpace du monde ,
Vois près du Nil cette terre féconde :
Tout y retrace à l'efprit enchanté
Les jours fereins du fiecle tant vanté' ;
La bonne Aftrée y daigne reparoître ,
L'Américain l'aime fans la connoître :
Parmi les feux , la foudre , les volcans
De l'Africain elle reçoit l'encens .
Mais fans courir l'un & l'autre tropique ,
Sans attefter les vertus d'un Cacique ,
Pour te convaincre , il eſt dans nos climats ,,
Il eft des fleurs qu'épargnent les frimats :
Oui , du printemps trop courte eft la durée ;
Mais fa couleur n'eſt pas défigurée.
Sur les humains trop lents. au repentir ,
La main des Dieux a pu s'appelantin
સર
34 MERCURE DE FRANCE.
!
Ce fut juſtice , & non accès de rage :
Elle n'a point déchiré ſon ouvrage ;
Ses traits facrés fur le front des profcrits
Brillent toujours ... Mais d'où naiffent ces
cris ?
A la clarté des flambeaux funéraires
Ne vois-tu pas couler des pleurs finceres ?
Qui les répand ? C'eſt une époufe en deuil..è
Suivons les pas , marchons vers ce cercueil.
O reftes chers de l'humaine conftance !
De fes foupirs la muette éloquence
Ont dans mon fein fait paſſer fa douleur ;
Non , de l'orgueil cet enfant impofteur ,
Qui par accès fanglotant d'heure en heure ,
Semble crier : Regardez-moi , je pleure ;
Non , ces foupirs avec art concertés ,
Bientôt moins grands, s'ils font moins écoutés
Mais ces regrets , ces larmes précieuſes ,
Epanchement des ames généreufes ,
Que la vertu fait couler de nos yeux,
Telle douleur eft un don précieux.
Heft , dit-on , des ingrats fur la terre ,
Monftres que doit écraser le tonnerre
Race cruelle , & que rien ne fléchit ,
Toujours rongeant le fein qui l'enrichit ,
Qu'à l'amitié rien ne porte , n'excite ;
Sans foi , fans loi , partant race maudite :
Eh bien d'accord . Je conviens avec vous:
Que nous cachons des ferpens parmi nous ,
พ
JUILLET. 1758. 35
Serpens humains pleins de fiel & d'adreffe ;
Mais qu'en conclure enfin contre l'efpece ?
Que tout mortel par ce crime emporté ,
A fait divorce avec l'humanité ,
Et que le Ciel qui gouverne le monde ,
Ne voit qu'ingrats fous la machine ronde:
Très-mal conclu. Certes , toutes les fleurs
N'ethalent point d'agréables odeurs :
Le beau pavot dont la couleur impofe ,
Ne répand point le parfum de la rofe.
Le même fol toutefois les nourrit ,
Egalement leur éclat nous rávit :
Mais devons- nous dans nos fureurs malignes
Par le feul gland juger le fruit des vignes :
Toi , dont l'ingtat irrité les dédains ,
Ceffe à fon poids de pefer les humains ,
1
Et réponds-moi : Ce monftre indigne d'être
Du,bienfait feul a dû tirer fon être :
Au moins faut-il qu'un jufte fon appui ,
Dans fes malheurs ait eu pitié de lui ,
Ait adouci , foulagé fa mifere ,
L'ait en un mot regardé comme un frère.
Ou je me trompe , ou bien tu vois encor
Dans ce mortel , l'homme du fiecle d'or.
Chez les humains dont tu juges la caufe ,
A chaque vice une vertu s'oppoſe.
Que dirois-tu d'un efprit entêté ,
Qui , de la nuit blåmant l'obfcurité ,
Blafphêmeroit les Dieux qui l'ont dû faire ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
2
Sans réfléchir qu'il tient d'eux la lumiere ?
Te verroit- on à fes cris infenfés
Haïr les Dieux qu'il auroit offenfés
Pour nos Ayeux ton eftime eft profonde ;
Mais dans quel temps , dans quel âge due
monde
>' Voudrois - tu mettre un Rei , nouveau Titus „
Qui nombreroit les jours par fes vertus ,
Qui , chériffant un peuple qui l'adore ,
Verroit fon nom célébré chaque aurore ,,
Qui combleroit de biens fes ennemis
Et quoique Roi compteroit des amis ?
Qui dépofant l'orgueil du diadême.
Daigneroit dire à fon fujet : Je t'aime ,
Qui près de lui faiſant affeoir la paix ,
A fa valeur ne permettroit jamais
De fe livrer aux horreurs de la guerre ,.
Que pour hâter le repos de la terre ;
Et qui des arts appuis de fa grandeur ,
Au plus haut point porteroit la fplendeur ,
Dédaigneroit l'éclat qui l'environne ,
Et feroit homme en portant la couronne ?
Tu penferois que ce Roi bienfaifant ,
L'honneur du monde , humain , compatiffant ,
N'a dû régner qu'en ce temps d'innocence
Que vit Aftrée,, & que ta bouche encenſe ;
Qu'enfin ce Roi , rival de Saturnus
*
A partagé le trône de Janus..
Tuvoudrois bien , nous prouvant ton ſyſtème
JUILLET. 1758. 37
Contre nos jours lancer tel anathême ;
Si tes regards du portrait éblouis ,
En l'admirant n'euffent nommé Louis.
Puis vante-nous le vieil époux de Rhée ,
Le bon Janus , & ta févere Aftrée,
Qui fans raifon quitta notre féjour.
Les Dieux benins en me donnant le jour ,
Pour mon bonheur m'ont daigné faire naître,.
Tandis que regne un fi paifible Maître.
Trois fois heureux eft le fiecle où je vis :
Siecle de fer ! âge que je chéris !
Où l'homme n'eft plus méchant ni moins
Lage ,
Qu'il ne le fut fans doute au premier âge.!
Trop cher Ami , te défoleras-tu „
2
Pour ne plus voir , fi jamais on l'a vu ,
Le Loup content de fes moeurs innocentes,
Paître à côté des Brebis bondiffantes ,
L'Aigle dans l'air refpecter les Vautours ,
L'Homme fans bruit vivre parmi les Ours ,
Et l'Etre enfin , de nos Dieux le chef- d'oeuvre ,
Impunément marcher für la Couleuvre
Dormir en paix avec le Sanglier,
Et fe loger fous quelque peuplier ?
De ne plus voir leur fade nourriture
Couvrir la terre & mûrir fans culture
Ah ! fur ce point adoucis tes regrets ,
En contemplant nos granges , nos guéres..
Pour nos Ayeux la terre étoit fertile..
38 MERCURE DE FRANCE.
Pareil miracle à croire eft très- facile ;
Il ne faut pas prendre des foins fort grands ,
Quand on veut bien fe contenter de glands.
Tant qu'on voudra qu'on admire nos peres ,
Tel mêts à moi ne me conviendroit gueres ;
J'aime bien mieux labourer mon jardin ,
Enter la pêche , étayer lè raiſin ,
Qu'attendant tout de ma mere nature ,
A des fruits verds borner ma nourriture.
Je concluds donc enfin de tout ceci
Que l'Age d'Or fe trouve encor ici ,
Que comme alors nos plaifirs font peu ftables
Mais auffi purs ; les humains fupportables :
Que comme alors tous ne font point parfaits ,
Mais qu'on les peut aimer comme ils font
faits.
DE MONZAL.
RÉPONSE
De Anonyme de Chartrait.
ON amitié feule égale ton ftyle.
Je fuis tout confolé : crois- moi ,
Avec un Ami tel que toi ,
De s'affliger il feroit difficile.
Te voir eft mon plaifir , t'aimer eft mon tréfor:
L'âge où tu vis , Monzal , eft pour moi l'Age
JUILLET. 1758. 39
RÉFLEXIONS.
QuUAND l'homme ne trouve point jour
à parler de lui , il faifit l'occafion de parder
de ceux qu'il veut déprimer : fi ce qu'il
dit des autres n'a pas trait avec lui- même
il cherche à intéreffer l'amour- propre de
ceux qu'il veut s'attacher.
Ce n'eft dans la vie qu'un combat de
jeux & de défis où chacun affigne un prix
à l'efprit.
?
L'homme eft incompréhenfible & tient
cela de naiffance. Le mênie enfant pleure
de ce qu'on ne lui donne point , & dans
le même inftant il refufe en pleurant ce
qu'il avoit demandé.
Comme on eft parvenu à la connoiffance
de tout ce qui nous environne , à la
honte même de ceux qui avoient donné à
la nature quelques qualités occultes , quel
eft le fort ingrat qui ne nous donne pas le
bien de nous connoître ?
Un homme qui a de l'acquit dans le
monde , que l'on ne voit point recherché
fur lui même , & qui cherche à plaire à fes
amis , voilà ce qu'on demande , & ce défir
eft fi actuel , qu'on ne pense pas devoir être
le même.
40 MERGURE DE FRANCE.
Il me femble qu'il en eft à peu près de
notre politeffe comme il en eft de nos habits
de goût , où il entre beaucoup plus
d'art & de fineffe que de naturel.
Tel ne fçait varier le ton , felon les différentes
finuofités d'un efprit diffimulé ,
bifarre , pour ne plus agir que felon le
mouvement d'un naturel doux & bienfaifant
, qui fe trouve en proie tôt ou tard à
la fatyre & aux brocards de fes propres
concitoyens.
Silene eft obligeant par toutes les quali-
τές que l'on peut dire être nées du coeur ;
mais elles font quelquefois fubordonnées
aux fumées du vin ; il vous commence un
compliment par vous louer , & le finit par
vous railler .
Il ne faudroit prefque plus , dans le
fiecle où nous vivons , ni bonté , ni candeur
, ni bonne foi , tant il y a peu de fincérité
parmi les hommes. La plupart fe déguifent
, & fe tiennent fur la réferve pour
minuter ce qu'ils veulent dire , afin de
ne point donner de prife à l'homme , qu'ils
regardent comme leur ennemi né, & ils ne
font jamais en défaut vis-à- vis de leur
pre fûreté.
pro--
Toutes nos démarches ne font qu'intri
gues & menées , ou , pour mieux dire , la
vie n'eft qu'un jeu d'application ; l'un enJUILLET.
1758. 41
leve une piece de l'échiquier , un autre une
autre , & il arrive après tout cela que l'un
ou l'autre est toujours mâté.
Il eft affez ordinaire , que quand l'on eft
retiré chez ſoi , la modeftie regle nos penfées
, nos difcours & nos façons vis - à - vis
de notre ami mais en compagnie la fatuité
nous porte à changer de ton , & pour y
paroître , on plaifante aux dépens d'un
ami , que l'on avoit fagement loué en particulier.
D'ordinaire fi le confeil eft bon , la preu
ve s'en tire de l'obftination de celui qui
n'a point voulu en faire ufage .
Obliger un homme de ne point donner
dans le fpécieux , un homme qui argumente
, de nous fauver de la diftinction
c'eft prendre un homme à fon ferment.
*
La vie de l'homme n'eft qu'un jour varié
par la fumiere & l'obfcurité ( ce que
les Lapons éprouvent mieux que nous ) ;
on fe leve , on mange , on fe couche , on
marche , on agit & l'on parle : ce font autant
d'opinions momentanées qui reglent
ce grand jour. Les mois , les jours , les années
ne font que des marques fpécifiques
pour en défigner les inftans , fans quoi l'on
ne pourroit ftatuer fur ce qui auroit fuivi
ou précédé.Ainfi l'on peut bien dire : Nous
nous coucherons , nous nous leverons , &
42 MERCURE DE FRANCE:
nous payerons ce qu'il vous eft dû tantôt
nous mangerons , nous boirons , & nous
mourrons tantôt .
Toutes nos maladies font de notre état ,
& de la mauvaiſe difpofition de nos affaires
une ame accablée de chagrins fe partage
avec le corps.
La Chymie ne connoît point de remedes
naturels >
& le public n'en connoît
point d'autres que des décompofitions chimiques.
Pour fe promettre une vie longue , il
faudroit prendre le remede avant la maladie.
C'eft à force de mettre de l'imagination
à nos penfées , que nous venons à outrer
la droite raifon , & nos raifonnemens ,
comme ils peuvent être faux , nous portent
à des démarches qu'un fentiment
intime peut défapprouver.
L'homme par un mauvais raffinement ,
corrompt fa raifon , & la rend inférieure à
l'inftinct des bêtes. Buvez , dit quelqu'un ,
parce qu'il faut boire : on le fait fans befoin
, & l'on fe tue le corps : les animaux
fe laiffent conduire par la foif.
Malgré l'art des Médecins , ( dit- on ,
qui nous affaffinent ) , il me femble que le
monde eft affez peuplé , & l'on tient de
la place. Si le même art pouvoit immortalifer
, l'on feroit ferré.
JUILLET. 1758 45
Ce n'eft point la nature du mal qui nous
fait plaindre nos femblables , c'eft le bien
que l'on veut aux perfonnes qui ne fçauroient
nous, porter envie on ne plaint
point un financier à qui l'on a fait un gros
vol : on s'étonne feulement qu'il fe foit
laiffé duper.
On ne fe fait point aux traits d'un envieux
qui nous relance à mefure que nous
avançons notre fortune , & l'on devient
d'autant plus irréconciliable , que l'un ne
renonce jamais à l'avantage du mérite , &
l'autre au déplaifir que lui caufe l'avancement
de fon prochain .
L'amour est un bien indiqué par l'indifférence
& la haine , & l'on fe dédommage
par la haine de la perte de l'amour.
Les confidences ont plus de part à l'envie
de parler , que les propos minutieux :
les Etrangers nous accufent d'inconftance
& de légèreté , & ils rient de nos modes.
Ce qu'il y a de plaifant , c'eft que prefque
tous nos marchands en font autant.
Un homme qui fçauroit tout ce que
tant d'autres ont écrit , feroit ce que l'on
appelle fçavant : mais parmi tant de fyftêmes
développés , parmi tant d'objections
& de critiques , parmi tant d'oppofitions
dans les fentimens , fçauroit- il à quoi s'en
tenir ?
44 MERCURE DE FRANCE.
D'ordinaire on n'étudie point fa lan
gue , on l'apprend à la longue. Nous goûttons
en paffant quelques traits de morale ,
& l'on ne fe fait point un capital de la
fcience des moeurs.
On pourroit dreffer des tablettes littéraires
pour fervir de regle dans le jugement
que l'on doit faire des Auteurs anciens
& modernes. Chaque penfée a fon
prix , & il feroit aifé de relever chaque
page.
La mémoire eft la faculté qui demeure
le plus fidélement attachée à l'âme. Elle fe
trouve dans les gens du premier âge , fe
reproduit chez les adultes . Elle eft prefque
la feule qui rette à la vieilleffe. Plus un
vieillard perd du côté du bonfens , plus il
femble gagner de ce côté- là ; il eft vrai
que les chofes préfentes lui échappent' ,
mais il a les anciennes à fa difpofition qui
lui tiennent lieu de raifonnement : la mémoire
chez lui n'eft plus qu'un fens dénaturé.
Il n'y a pas de plus grand défordre que
dans la morale. Il eft affez rare en relevant
tout ce qu'elle a dit , d'y voir affez de méthode
, pour ne point dire que les fciences
qui paroiffent aur deffus de la condition de
l'homme, ne foient mieux traitées.
Il y a un nombre prodigieux de livres
JUILLET. 1758. 45
imprimés qui pourroient fe réduire à fix
volumes. Il eft plus d'un Curieux qui , pour
une penſée , a eu celle de mettre un livre
au jour,
VERS
A Mademoiselle Arnoud , fur fon rôle de
Pfyché.
IMMORTELLE MMORTELLE Pfyché , recevez mon hommage;
De vos talens il eft l'ouvrage .
Vos charmes , votre efprit , votre jeu , vos accens
Enchantent tous les coeurs , & captivent nos fens,
Vous méritez qu'un Statuaire
Dans le Temple des Arts repréſente vos traits ;
Jugez vous- même des effets
Que chez les mortels a pu faire
L'affemblage de vos attraits ,
Puifqu'à l'Amour vous fçavez plaire,
Des fêtes de Paphos l'Auteur ingénieux
yous fait par Terpfichore offrir une couronne ;
Il prévient nos defirs , il enchante nos yeux ,
Et chaque fpectateur , comme lui , vous la donne,
A Mile Lemiere , fur fon rôle de l'Amour,
Ja craignois le Dieu des Amans ;
Je l'avois vu perfide , inhumain & volage ;
46 MERCURE DE FRANCE.
... Mais quand il tient votre langage ,
C'eſt un Dieu plein de fentimens .
Si l'Amour est charmant , adorable Lemiere ,
Vous êtes mille fois plus charmante que lui ,
Puifqu'en ce jour , pour mieux nous plaire ,
Il a befoin de votre appui.
A Mademoiselle Lany , fur fa danfe dans le
Ballet de l'Inconftance .
IMABLE mufe de la danſe ,
J'avois juré de n'être plus Amant ;
Je ne crains point qu'Amour s'offenfe ,
Si pour vous je romps mon ferment :
Croiroit-on que votre inconftance
M'eût fait changer de fentiment ?
A Mademoiselle Puvigné , fur fa danfe dans
le pas de deux.
Aussi belle qu'Iris , que Flore & que Pomone ,
USSI
Vous enchantez mon coeur ,
De vos pas la légèreté
aimable Puvigné ;
Attire , émeut , féduit , étonne.
Quelle riante nouveauté ?
Vous formez un tableau que le goût affaiſonne ;
Aux charmes de la volupté ,
Il faut enfin qu'on s'abandonne.
Lorfque vous couronnez Pfyché ,
Le Public auffi vous couronne ,
JUILLET. 1758 . 47
TRADUCTION de la neuvieme Ode
du troifieme Livre d'Horace. Donec
gratus , &c, Stances irrégulieres.
HORACE , THÉMIRE ( 1 ) .
QUA
Et
Horace.
UAND tu m'aimois , trop ingrate Thémire ;
que ton coeur n'étoit fait que pour
Plus fortuné qu'un Roi ,
moi;
Je paffois d'heureux jours fous ton aimable empire.
Thémire .
Quand tu m'aimois , & que nulle rivale
Ne troubloit les tranſports de nos tendres amours ;
A celle d'Ilia ma gloire étoit égale :
Heureufe , ainfi que toi , je paffois d'heureux
jours.
Horace.
J'adore Iris : Iris dont le doux chant ,
Joint aux fans de fon luth , tient mon ame
affervie.
(1 ) Le texte porte Lydie ; mais j'ai cru pouvoir
yfubftituer le nom de Thémire. Dans la traduction
des OEuvres d'Horace qui vient de paroître
M. le Préfident Bouhier met Sylvie au lieu de
Chloé , Philene au lieu de Calais,
48 MERCURE DE FRANCE.
Pour elle , je mourrois content ,
Si le ciel à ce prix lui confervoit la vie.
Thémire.
Le beau Lydas me ravit & m'enchante ,
Il me fait fans ceffe la cour :
Oui , je mourrois deux fois contente ,
Si le ciel à ce prix lui confervoit le jour.
Horace.
Mais fi , quittant ma nouvelle maîtreſſe ,
Vers un plus cher objet je fixois mon ardeur ;
Si par un prompt retour que dicte la tendreffe ,
J'offrois à Thémire mon coeur.
Thémire.
Quoique le beau Lydas m'ait engagé fa foi ,
Et que tu fois inconftant & volage ;
De mon fincere amour , pour te donner un gage ;
Je voudrois vivre & mourir avec toi.
LE TRIOMPHE
DE LA RAISON ,
DANS
ALLEGORIE.
ANS le premier âge du monde , la
vertu & la raison régnoient fur les hommes
. Elles les rendoient heureux mais
Lous le regne de Nembrod , les paffions
jufqu'alors
JUILLET. 1758 . 49
jufqu'alors inconnues , commencerent à
paroître fous celui de Sémiramis ; elles
devinrent fi puiffantes , qu'elles entreprirent
de chaffer la vertu & la raiſon. Cellesci
abandonnées des humains , & trop foibles
pour réfifter à leurs cruels ennemis ,
abandonnerent l'Empire que Jupiter leur
avoit donné fur les hommes ; & fous le
nom d'Uteris & de Norafs , elles furent
chercher dans les déferts un afyle affuré.
Ceux qu'elles avoient rendus heureux , les
abandonnerent. Mélanie , & Céphale fon
épouſe , eurent feuls le courage de les fuivre.
Couple heureux ! pourquoi n'a-t'on
pas celui de vous imiter !
Elles fixerent leur féjour dans une
grotte que la nature avoit pris foin d'embellir
. Elle étoit tapiffée de coquillages de
différentes couleurs ; leurs nuances n'étoient
point afforties avec art ; elles ne formoient
point de ces compartimens réguliers
qui ne préfentent jamais aux yeux que le
même objet , & dont l'uniformité nous
laffe. L'irrégularité avec laquelle elles
étoient placées , offroit toujours quelque
choſe de nouveau à la vue . Elle étoit pavée
d'un gazon en tout temps émaillé de
Aeurs ; une prairie charmante l'entouroit ;
fa fraîcheur étoit entretenue par un ruif-
Leau qui faifoit mille détours , & dont lea
11, Pol C
;
50%
MERCURE DE FRANCE.
eaux plus claires que le cryftal , rouloient
lentement fur un fable argenté. Son doux
murmure mêlé avec le gazouillement de
mille oifeaux , formoit un concert délicieux.
Affez près de -là, on voyoit une forêt
impénétrable aux rayons du foleil . Les
chaînes auffi vieux que les temps élevoient,
à l'envi, leurs têtes orgueilleufes; le jafmin
& le chevre-feuille , quoique foibles arbuftes
, n'avoient pas voulu leur laiffer la gloire.
d'embellir feul cette aimable féjour . Ils
s'étoient entrelaffés dans leurs rameaux ,
& la terre étoit couverte des fleurs qu'ils
laiffoient tomber.
Peu de jours après fon arrivée dans ces
beaux lieux , Mélanie mit au jour un fils.
Elle l'élevoit avec grand foin , elle l'aimoit
tendrement , fa vie étoit douce & tranquille
; mais le Deftin jaloux de fon bonheur
, lui enleva fon époux. Que feroitelle
devenue à ce funefte coup fans laVertų
& laRaifon ! Elles ne l'abandonnerent point
à fes peines. Pleurez , lui dirent-elles : votre
douleur eft jufte , mais elle doit avoir des
bornes : vos larmes deviendroient enfin cri
minelles , & vous devez refpecter les ordres
du deftin .
· Mélanie toujours docile à leurs raiſons ,
effuya bientôt fes larmes. Les Dieux touchés
de fa foumiffion , réfolurent de
JUILLET. 1758.
réunir à fon époux . Les Parques obéiffent
à l'inftant , & vont trancher le fil de fes
jours. Elle fent avec tranquillité approcher
la fin de fa vie; & ce moment fi terrible
pour ceux qu'afferviffent les paffions , fut
pour elle rempli de charmes. Elle prend
fon fils , l'embraffe tendrement ; & le remettant
dans les bras d'Utéris & de Noraïs :
N'abandonnez pas ce cher enfant , leur ditelle
; qu'il foit élevé par vous ; dites- moi
que vous lui ferez à jamais éviter les paffions
, & je defcendrai fans regret fur les
fombres bords.
Ce que vous demandez ne dépend pas
de nous , répondit Utéris .Votre fils éprou
vera leur tyranie ; ainfi l'ordonne le deftin.
A ces mots Mélanie parut accablée du chagrin
le plus vif. Tranquillifez- vous , reprit
Norais votre fils , il eft vrai , ne fuivra
pas toujours la vertu : une bouillante jeuneffe
le livrera aux paffions ; mais je fçaur
rai le retirer d'une efclavage honteux , &
le ramener à la vertu .
Mélanie fatisfaite voulut lui marquer fa
reconnoiffance ; mais elle expira . Son ame
alla habiter les champs Elifées .
Iphis (c'étoit le nom de cet enfant chéri )
ne connut donc plus d'autre mere qu'Utéris
& Norais. Il paffoit près d'elles la vie la
plus heureufe. Une partie du jour étoit
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
employée à l'étude & aux exercices qui
convenoient à fon âge ; le refte à des amuſemens
innocens : la vertu & la raifon ne
les condamnent pas. La chaffe , la pêche ,
la promenade lui fourniffoient tous les
jours des plaifirs nouveaux. Heureux s'il
eût toujours vécu ainfi ! Mais le temps
prefcrit par le deftin approchoit ; il avoit
atteint fa quinzieme année , lorfqu'Utéris
lui fit ce difcours.
Je vais , mon cher Iphis , quitter cet
aimable féjour. Une partie de mes fujets
me rappelle. Oubliant leur ingratitude ,
je vole à leur fecours . Avez - vous le courage
de me fuivre ? Ce doute m'humilie &
m'afflige , répondit Iphis , le vifage couvert
d'une rougeur modefte. Quoi ! aimable
Utéris , avez -vous pu penfer que je
yous abandonnerois n'eft- ce pas vous, qui
faites tout le bonheur de ma vie n'ai - je
pas toujours fait gloire de vous fuivre ?
Il eft vrai , reprit Utéris ; mais dans ces
déferts , éloigné des paffions , vous n'aviez
pas d'obftacle à furmonter. Je ne veux
point vous en impofer pour faivre mes
pas : il vous faudra livrer tous les jours de
nouveaux combats ; l'amour , l'ambition
la prodigalité , l'avarice , chercheront à
vous féduire : pour peu que vous prêtiez
l'oreille à leur voix enchantereffe , vous
yous égarerez,
JUILLET. 1758.
Non , reprit Iphis avec vivacité ; rien
n'eft capable de me féparer de vous. J'ai
merois mieux fubir la mort la plus cruelle ;
je fuivrai vos traces , j'en fuis fûr ; Noraïs
fera mon guide.
Je vois avec chagrin , reprit celle- ci ,
que la préfomption a déja infecté votre
coeur. Quoi fans me confulter vous comptez
fur moi ! Voilà l'aveuglement des foibles
mortels , s'écria t'elle ! Efclaves des
paffions , ils croyent encore que je leur fers
de guide ; & lorfque touchée de leurs
maux , je viens à leurs fecours , ils font an
défefpoir de me reconnoître , & m'accablent
d'injures. Je fuis foible , hantaine ,
ennemie des plaifirs . Loin de contribuer à
leur bonheur , je les rends malheureux .
C'eft ainfi que vous penferez dans peu ,
pourfuivit - elle en fe tournant du côté
d'Iphis ; mais apprenez , jeune homme
que j'abandonne aux paffions ceux qui
comptent trop fur moi , & ce n'eft que par
la crainte de me perdre qu'on peut me
conferver. Mais c'eft employer trop de
temps en difcours inutiles ; allons , chere
Utéris , au fecours de ceux qui nous appellent
, nous trouverons encore des fujets
fideles.
Iphis peu fait aux reproches de Noraïs ,
en fut accablé ; & tombant à fes genoux :
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Abandonnerez - vous , lui dit- il , le fils de
Mélanie ? avez- vous oublié qu'il fut confié
à vos foins ?
Je vous aime toujours , dit- elle en l'embraffant
tendrement ; & malgré votre préſomption
, je veux bien éclairer vos pas.
Mais pour ne vous point égarer , veillez
toujours fur vous-même , & ne me perdez
jamais de vue. Il promit de fuivre exactement
fon avis : elles continuerent leur
route.
Les Paffions inftruites de la réfolution
qu'elle avoit prife de fe montrer à l'Uni
vers , en furent effrayées . Elles fçavoient
bien que la vertu & la raifon , quoique
peu fuivies des hommes, en étoient toujours
reſpectées ; leurs noms même étoient facrés
parmi eux : ils fe rappelloient avec plaifir
la douceur de leur regne ; & plufieurs
laffés enfin de la tyrannie de leurs ennemis
, les cherchoient déja avec empreffement.
Il parut donc néceffaire aux Paffions
de s'oppofer aux progrès qu'elles pourroient
faire . Elles s'affemblent en tumulte ;
elles tiennent un confeil , où préfident la
Colere , l'Envie & la Vengeance . Chacune
dit fon avis : elles fe difputent , fe querellent
. Ce ne font plus ces Paffions qui ,
pour féduire les mortels , affectent tant de
douceur. Elles avoient quitté le voile qui
JUILLET. 1758.
les couvre : la fureur les anime ; elles en
viennent aux mains les unes avec les
autres.
Arrêtez , leur cria l'Illufion . Avez - vous
oublié que je puis feule empêcher les hu
mains de retourner à la vertu ? Vous le
fçavez , une feule voie conduit à elle. Je
me placerai à l'entrée ; je gagnerai ceux
qui s'y préfenteront : je les ramenerai fûrement
à vous ; & s'ils la retrouvent un jour ,
je jure par le ftyx , que ce ne fera que
lorfqu'ils auront cet âge qui les rend inca
pables de vous fuivre.
A ces mots une joie folle s'empare d'elles :
elles croyent déja voir la vertu & la raifon
abandonnées des hommes , elles fe font
encore le barbare plaifir de leur enlever le
jeune Iphis. Elles confient ce foin à la plus
cruelle des paffions . Elle cachoit fa malice
fous un air tendre & enfantin. Pour mieux
féduire les hommes , elle fe faifoit précéder
par les jeux & les ris : mais bientôt ils
s'envolent ; & on voit en leur place les
foupçons , l'inquiétude , la noiresalonfie ,
la haine , la fureur , & quelquefois les
meurtres les plus affreux. Malgré tant
d'horreurs
, elle avoit trouvé le fecret
de fe faire déifier ; & fous le beau nom
d'amour , elle régnoit furtout l'Univers :
les Poëtes mêmes aveuglés par elle , chan-
Civ
46 MERCURE DE FRANCE.
toient la douceur de fon empire. Depuis
long temps , elle étoit jaloufe du bonheur
d'Iphis ; elle ne négligea rien pour le féduire.
Elle prend les traits d'un bel enfant ,
charge fes épaules d'un carquois ; & tenant
à la main le flambeau fatal dont elle enflamme
les coeurs , précédée par l'Illufion ,
les Jeux & les Ris , elle vole au devant
d'Iphis. Dès qu'elle paroît , elle répand fes
preſtiges fur la terre. Il la voit à l'inſtant
changer de face. Les prairies font plus
belles ; les fleurs ornées de couleurs plus
vives ; elles exhalent des parfums exquis ;
l'oranger & le myrthe fe tiennent enfemble
, & forment des réduits charmans ; les
tendres oiſeaux femblent par leurs chants
appeller l'Amour ; un concert voluptueux
fe fait entendre , & les échos répetent
mille fois le nom de plaifir. L'Amour , les
Jeux & les Ris entourent Iphis. Il ne peut
réfifter à tant de charmes , bientôt il perd
fa tranquillité une joie folâtre s'empare
de fon coeur ; il ne raifonne plus , & les
fuit à Babylone.
Sémiramis régnoit dans cette fuperbe
Ville. Cette grande Reine , que fon courage
élevoit au deffus de fon fiecle , fut
tour-à-tour la victime de l'ambition & .de
l'amour. Pour fatisfaire la premiere , elle
JUILLET. 1758. 57
avoit rélégué dans une Province éloignée
le jeune Ninias , fon fils : elle craignoit
qu'il ne prît un jour les rênes de l'Empire ,
que fon pere lui avoit laiffé . Pour fe raffurer
contre cette crainte , elle voulut le
rendre incapable de régner , en le faiſant
élever dans les bras de la Molleffe . Mais le
Dieu de Cythere, toujours ennemi de l'ambition
, enleva le jeune Prince ', le conduifit
à Babylone , & remplit le coeur de Sé
miramis de l'amour le plus tendre pour ce
fils qu'elle ne connoiffoit pas. Oubliant
l'ambition , elle fe livra fans réſerve à fa
derniere paffion . Elle n'étoit plus occupée
que du foin de plaire à Ninias , quoiqu'elle
ne fût plus dans la premiere jeuneffe . Sa
cour devint le centre des plaifirs : les réflexions
furent bannies de ce féjour malheureux
on ne s'occupoit : que de bal , de
fpectacle & de feftins , dont la licence faifoit
horreur à la raifon & àla vertu ; enfin
de ces plaifirs bruyans qui , en ébranlant
l'ame , la rendent incapable de goûter les
plaifirs doux & innocens.
Iphis trouva bientôt languiffans ceux
qu'il avoit goûtés dans la folitude , & fe
livra fans referve à ceux que la molleffe
lui préfenta. Mais de tels plaifirs font- ils
faits pour remplir le coeur de l'homme ? Il
trouve du vuide dans le fien : il porte par-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
tout une inquiétude dont il ne veut pas
connoître la caufe ; & pour s'en affranchir,
il ſe livre inutilement à de nouveaux plaifirs.
La Raifon crut avoir trouvé le moment
favorable pour le ramener à la vertu. Elleparoît
, mais il tourne fes regards d'un
autre côté.
Eft- ce Iphis , dit-elle , qui fuit ma vue ?
Iphis , à qui dès fon enfance j'ai prodigué
les plus tendres foins ? Qu'ai-je donc qui
puiffe vous effrayer ? Vous êtes trop févere
, lui dit - il ; vous condamnez tous les
plaifirs.
Je ne condamne , repliqua-t'elle , que
ceux que procurent les paffions , parce
qu'ils font faux & trompeurs , & qu'ils
êtent à l'ame la tranquillité qui doit
faire fon bonheur . Mais raifonnons un
peu , fi toutefois on peut raifonner quand
on eft fous le joug des paffions ,
>. Raifonner ha vraiment , répartit
Iphis , vous me propofez- là un bel amufement
! Raifonner à mon âge ! c'en feroit
affez pour me perdre de réputation parmi
tous les jeunes gens de Babylone . Allez
donc raifonner avec quelques- uns de ces
vieillards que vous tenez fous votre empire
; & lorfque l'âge m'aura rendu , comme
eux , incapable de fuivre ces plaifirs
JUILLET 1758. 59
j'écouterai vos leçons. A ces mots la Raifon
difparut , & attendit un moment plus favorable
pour le tirer de fes égaremens.
Iphis charmé de s'en être débarraffé , ne
penfa plus qu'à remplir le vuide de fon
coeur par de nouveaux plaifirs . Sémiramis
donnoit un bal. Il ne négligea rien pour y
paroître avec avantage. Sa parure fut aufli
recherchée que celle d'une coquette. Satis
fait de fa figure , il fe rend au palais . A
peine eft- il entré , qu'il jette un regard
dédaigneux fur toutes les beautés qui compofoient
cette brillante affemblée. Sa vanité
lui perfuada qu'elle fe feroit une
gloire de lui plaire. Il en devint plus impertinent
; il ofa même parler avec mépris
de ce fexe aimable : c'étoit l'ufage des pe
tits- maîtres de ce temps- là ; & cet ufage ,
quoique très contraire à la politeffe , n'en
eft pas moins venu jufqu'à nous. Enfin il
alloit s'attirer la haine de toutes les femmes
& le mépris des hommes fenfés , lorfque
la jeune Elvire parut. C'étoit une brune
piquante , vive , étourdie , coquette à l'excès
; la nature l'avoit douée de toutes les
graces qui font d'ordinaire naître une viofente
paffion , & l'Amour lui avoit donné
tous les défauts qui peuvent défefpérer un
Amant. Tel étoit l'objet qu'il avoit choifi
pour rendre Iphis malheureux ; car ce Diew
Cvj
To MERCURE DE FRANCE:
cruel , qui ne fe plaît que dans les larmes
& le défefpoir , ne bleffe jamais du même
trait deux coeurs : il ne peut fouffrir des
heureux , & le vrai bonheur eft pour jamais
banni de fon empire. Choififfant
donc de fon carquois la fleche la plus aigue
, il la décoche : elle part , & va au
coeur d'Iphis faire une profonde bleffure.
L'Amour rit des maux qu'il va caufer ; &
prenant une fleche émouffée , il ne fait au
coeur d'Elvire qu'une légere égratignure.
L'infortuné Iphis fixe dans le moment
fes regards fur Elvire. Il fent en la voyant
une douce émotion : il fe place près d'elle ,
n'eft plus occupé que du foin de lui plaire.
Flattée de la préférence qu'il lui donne ,
elle lui en marqua fa reconnoiffance par
un regard des plus tendres. Il enflamma
Iphis de nouveaux feux ; & fon amour
étant trop violent pour garder le filence ,
il réfolut d'en faire l'aveu . Mais en ayant
trouvé l'occafion , il devient timide. Il ou
blie fon amour- propre , & craint de n'être
pas écouté. Qu'il connoiffoit peu les coquettes
! Elles reçoivent toujours avec
plaifir une déclaration d'amour : leur vanité
en eſt flattée : elles fe font une gloire
de l'emporter fur les autres belles : elles
croyent aimer ceux qui leur procurent ce
foible avantage ; mais dans le fonds elles
n'aiment rien.
JUILLET. 1758. 62
Elvire étoit trop pénétrante pour ne pas
s'appercevoir de fon triomphe , & du trouble
d'Iphis. Elle travailla à le raffurer : elle
y parvint.
Vos charmes , lui dit - il , ont fait fug
mon coeur une impreffion qui ne s'effacera
jamais . Je vous adore , belle Elvire : je
fais mon bonheur de vous plaire. Puis- je
efpérer qu'une paffion auffi tendre & auffi
délicate que la mienne, trouvera chez vous
de retour ?
un peu
J'admire , reprit - elle avec un fouris en
chanteur , les effets de la fympathie. Vous
avez fait fur mon coeur la même impreffion
, & je fens malgré moi que je vous
aime. Une autre , continua - t'elle , vous
auroit fait acheter par plufieurs jours de
foins un pareil aveu : mais je fuis née fincere
, & ne fçais point diffimuler mes fen
timens .
Iphis fe crut alors le plus fortuné des
mortels. Il ne trouve point de terme affez
fort pour exprimer fa joie & fon amour,
Elvire voit fon embarras avec plaifir . Ils fe
jurent mille fois une tendreffe éternelle
& l'Amour rit de leurs fermens .
La nuit cependant alloit finir fon cours ,
lorfque Morphée répandit fes pavots fur
Sémiramis & toute fa cour. Bientôt ils
fentent leurs yeux appefantis. On fort , &
6 MERCURE DE FRANCE.
thacun va fe délaffer dans les bras du fom
meil des fatigues du bal . Tout dort. Iphis
feul veut en vain fe livrer au repos : il fe
rappelle les charmes d'Elvire , le tendre
aveu qu'elle lui a fait ; & plein des tranfports
les plus vifs , il s'écrie : Amour ,
Amour! toi feul, tu peux merendre heureux,
& je veux toujours vivre fous ton empire.
Content de la réfolution qu'il vient de
prendre , il court chez Elvire. L'Inquié
tude , fous les traits d'une vieille , en gardoit
la porte. Arrêtez , lui dit- elle d'une
voix enrouée Elvire eft revenue du bal
avec une migraine horrible , elle n'eft
point vifible.
A ces mots , il fent un froid mortel :
fon fang s'arrête dans fes veines ; & bientôt
reprenant un cours trop rapide , il va
donner à fon coeur un mouvement impétueux.
Son imagination ne lui préfente que
des objets affreux. Il voit Elvire mourante
: elle tourne fur lui fes yeux languiffans
; & d'une voix prefqu'éteinte , elle
l'affure encore de fa tendreffe . Cette idée
l'attendrit. Il verfe des larmes : il croit
être féparé d'elle pour toujours. L'Efpérance
vient à fon fecours : mais elle n'eft
point affez forte pour chaffer tant d'idées
cruelles. L'Inquiétude s'étoit emparée de
Lui : elle le promene dans les lieux les plus
JUILLET. 1758
63
fombres ; elle le ramene chez lui fi fatigué ,
qu'à peine peut- il fe tenir. Il paffe la nuit
dans une agitation continuelle. Il croit que
l'aurore fe leve plus tard qu'à l'ordinaire.
Dès qu'elle paroît , il court chez Elvire :
on lui dit qu'elle fe porte mieux . Il paffe
de l'inquiétude à la joie la plus vive ; il
attend avec impatience le moment où il
lui fera permis de paroître à fes yeux.
Il arrive enfin ce moment fi fouhaité. Il
vole à fon appartement , fe jette à fes ge
noux , prend une de ces belles mains , la
baife avec tranfport , lui raconte ce qu'il a
fouffert , & l'affure de fon amour dans les
termes les plus tendres.
Elvire alloit répondre , on annonce Florinde.
Elle entre. Que devint Iphis à fa
vue ! Il peut à peine cacher le dépit qui
l'anime : il foupire , regarde tendrement
Elvire , & garde le filence. Que les momens
lui paroiffent longs ! Il attend avec
impatience le départ de Florinde ; mais
elle annonce qu'elle dînera chez Elvire . Ce
difcours l'accable : il demeure pâle , interdit
; & bientôt l'inquiétude , compagne fi
delle des paffions , vint encore le tourmenter.
Pour la cacher , il fort ; & enfeveli
dans la plus profonde rêverie , il defcend
Fefcalier. Un Prêtre d'Apollon le montoit..
Accablé par les années , fes pas étoit chan64
MERCURE DE FRANCE.
celans. Iphis , fans refpect pour le Minif
tre de ce Dieu , paffe brufquement près de
lui , le renverfe ; & fans daigner le relever
, il continue fa route.
&
que
L'Amour voit fon inquiétude , & ne le
trouve point encore affez malheureux
Venez , dit - il , Déeffe qu'enfanta l'enfer
dans fa colere ; venez , noire Jaloufie :
que la haine & la fureur vous fuivent.
Allez infecter de votre poifon le coeur d'Iphis.
Que le défefpoir arme fon bras ; qu'il
fe trace lui- même une route aux enfers
le récit de fes malheurs faffe trem
bler les ombres que les Parques ont déro
bées à ma puiffance. Il dit , & Iphis fene
un trouble qu'il ne connoît pas. Les foupçons
l'accompagnent : il doute pour la
premiere fois de la fincérité d'Elvire. Il
craint qu'un autre ne poffede fon coeur . It
cherche l'objet de fa jaloufie. Aveuglé par
elle , il le trouve dans le Prêtre qu'il vient
de renverfer. Quel eft cet homme , dit- il
Pourquoi vient-il chez Elvire feroit - il
fon Amant l'aimeroit - elle ? Non , je lui
fais une injure. Elle m'a dit qu'elle m'aimoit
: elle eft trop fincere pour me tromper.
Mais pourquoi recevoir Florinde , &
la recevoir dans le moment où je lui jurois
une tendreffe éternelle , la recevoir fans
chagrin ? Que dis-je ! Elle l'a reçue aveo
?
JUILLET. 1758.
joie : Ne feroit- elle point la confidente
d'un nouvel amour ?
Agité par mille incertitudes , il coure
chez Dorimon : c'étoit fon ami & le confident
de fes feux . Ah ! mon cher Dorimon ,
dit- il en l'embraffant , je fuis le plus malheureux
des hommes , Elvire eft une perfide
; elle me trompoit , lorfqu'elle m'affu
roit de fa tendreffe : un autre poffede fon
coeur. Quelle preuve en avez- vous , répondit
cet ami ? De très certaines , repar
tit Iphis : en fortant de fon appartement ,
j'ai rencontré un jeune homme ; il rêvoic
trop profondément pour n'être pas fon
amant. Il eſt beau , bien fait & vêtu magnifiquement.
Que de raifons pour plaire
l'ingrate !
Au portrait que vous me faites , lui dit
Dorimon , je reconnois Atis ; mais depuis
plufieurs jours ils avoient rompu enfemble.
Auroient -ils renoué ? Que m'apprenez-
vous , reprit Iphis avec vivacité ? Atis
a foupiré pour Elvire ? Elle l'aimoit ? Que
je fuis malheureux ! C'eft lui fans doute ,
qui alloit l'affurer de l'amour dont il brûle
pour elle. Dans ce moment peut-être , il
eft à fes genoux : elle lui dit qu'elle l'aime .
Ah ! je vais me venger de fa perfidie , s'écria-
t'il en fureur , en immolant à fes yeux
cet amant trop chéri . Qu'allez- vous faire ,
66 MERCURE DE FRANCE:
repliqua fon ami ? Atis eft- il refponfable
des perfidies d'Elvire ? Penfez qu'elle feule
mérite votre courroux . Hé-bien , je vais
chez elle l'accabler d'injures , & mourir
à fes pieds.
la
En vain Dorimon veut le retenir , il lai
échappe ; il court chez Elvire ; elle étoit
feule dans fon appartement : il entre ,
regarde , & déja il la trouve moins coupable.
Quoi , vous êtes ici , dit - elle en
riant ? Votre brufqué départ m'avoit fait
penfer que je ne vous reverrois plus. Et
vous le fouhaitiez peut - être , répondit
Iphis d'un ton affligé. Ah ! cruelle , pourquoi
me tromper ? Pourquoi feindre
moi une tendreffe que vous ne reffentiez
pas ? Atis feul poffede votre coeur , & je
fuis le plus malheureux des mortels.
pour
Elvire ne fut point déconcertée ; fes pareilles
fçavent diffimuler. Atis , dit- elle :
vous m'étonnez ; c'eft de tous les hommes
celui qui me plairoit le moins : prévenu
en fa faveur , il croit pofféder le coeur de
routes les belles ; cette chimere paffe chez
fui pour réalité , & il fe fait une gloire
des bonnes fortunes , dont il n'a point
joui. Cet homme , qui ne fçauroit vous
plaire , & dont vous me faites un portrait
indigne , vous l'avez cependant reçu ce
raatin. Ah ! pour le coup , la tête vous a
JUILLET. 1758. 67
tourné , reprit Elvire. Quoi , vous avez
pris pour Atis le prêtre d'Apollon ? Un
vifage décharné , un front chauve , une
longue barbe blanche , & l'habit fingulier
des miniftres de ce Dieu , n'ont pu vous
détramper.
Qu'on s'en laiffe facilement impofer par
ce qu'on aime ! Iphis perfuadé qu'Elvire
n'avoit point aimé Atis , eft honteux d'avoir
pris pour lui un vieillard décrépit ,
tombant à fes genoux ; il lui demande pardon
dans les termes les plus foumis , & lui
fait les plus tendres proteftations de l'amour
qu'il fent pour elle ; Elvire lui donne
les plus fortes affurances du fien , & il
fort rempli de la joie la plus vive.
Mais l'idée d'Atis vint bientôt le troubler
: il eſt tourmenté par mille foupçons ,
il les oublie près de l'objet aimé : en eft- il
féparé , ils reviennent avec plus de violence.
N'étant pas le maître de les chaffer ,
il cherche à les éclaircir ; il ne dort plus ;
il ne fçauroit prendre un moment de repos.
Sous des déguifemens différens , il la
fuit en tous lieux ; la nuit même il ne peut
fe réfoudre à quitter fa porte .
Il y étoit
en fentinelle , lorfqu'une vieille le prenant
dans l'obfcurité pour un autre , lui
remit un billet de la part d'Elviré . Il le
prend en tremblant ; il peut à peine refpi68
MERCURE DE FRANCE.
rer prêt à avoir l'écairciffement de fes
foupçons , il n'ofe ouvrir ce fatal billet , il
craint de trouver la maîtreffe coupable ; if
détefte fa jalousie , & ne peut s'empêcher
de lui céder : il l'ouvre donc , & lit ces
mots :
""
Vous avez tort , mon cher Damon ,
» de penfer que j'aime Iphis ; c'eſt un jeu-
» ne étourdi , qui peut amufer , mais qui
» ne fçauroit attacher : vous feul poffédez
» mon coeur , & c'eft me faire une injure
- que d'en douter. Venez donc me deman-
» der pardon , & foyez perfuadé que je
n'aimerai que vous.
Que devint Iphis à cette lecture : la
honte , le dépit , le défefpoir s'emparent
de fon coeur il fent pour lors les malheurs
inféparables de l'amour : il hait là
vie , il fouhaite la mort. Il alloit fe la donner,
lorfque la Raiſon arrêta ſon bras. Ah !
cruelle , lui dit- il , pourquoi vous préſenter
à mes yeux ? Et puifque vous n'avez
point eu affez de force pour me garantir
des paffions, laiffez- moi me fouftraire à leur
joug, en terminant une mal heureuſe vie.
Čeffer de vivre pour une maîtreffe ,
beau projet , s'écria Noraïs , & bien digne
de la paffion qui vous l'infpire ! Je
fçais ce qu'elle vous fait fouffrir , continua-
t'elle , & j'en fais touchée. Mais ,
JUILLET. 1758. 69
Iphis , c'eft dans les grands malheurs qu'il
faut montrer le plus de fermeté . Je ne
-vous dirai point qu'il faut combattre votre
ennemie , elle a pris trop d'empire fur
votre coeur pour que vous puiffiez la vain,
cre mais il faut la fuir , il faut avoir le
courage de me fuivre , & je vous réponds
de la victoire,
Oui , reprit Iphis , après un moment de
filence , oui , je vous fuivrai , trop aimable
Raifon : mais avant que de partir , je
vais chez Elvire l'accabler de reproches ,
& lui montrer tout le mépris que je fens
pour elle.
Vous voulez donc encore être le jouer
de fa coquetterie ? Et bien , allez à fes
pieds lui jurer une tendreffe éternelle ;
elle fçaura vous perfuader qu'elle n'eft pas
coupable , & .... Ah ! plût aux Dieux
qu'elle fût innocente , interrompit Iphis !
Mais peut-être l'eft-elle , peut-être lui fais
je tort d'en douter. Elle avoit l'air fi fincere
, lorfqu'elle m'affuroit de fa tendreffe.
Et ce billet que vous avez reçu , reparrit
la Raifon , à qui s'adreffoit- il ? Ah !
cruelle , pourquoi me rappeller fa perfidie
? Je voulois l'oublier , mais peut- être
reviendroit-elle à moi . Ne vous en flattez
pas , reprit encore Noraïs; mais quand elle
reviendroit , n'avez-vous pas éprouv
70 MERCURE DE FRANCE.
les peines de l'amour ? Ne fentez - vous
pas qu'il ne fçauroit rendre heureux
Faut- il , pour vous en convaincre , retracer
à vos yeux les cruautés de cette paffion
? Faut- il vous dire le fpectacle fanglant
qu'elle vient de donner à Babylone
Vous fçavez la tendreffe que Sémiramis
reffentoit pour Ninias depuis long-temps :
cette grande Reine étoit dévorée par la`jaloufie
; elle a fçu que Ninias & fon amante
devoient fe rendre au milieu de la nuit ,
au tombeau de Ninus. Sans refpecter les
manes de fon époux , elle y eft accourue
pour immoler fa rivale aux yeux de fon
amant. Le glaive étoit déja levé , lorfque
Ninias l'a prévenue , en enfonçant le fien
dans le coeur de celle qui lui avoit donné
le jour. Sémiramis apprend en expirant ,
que fon meurtrier eft fon amant & fon
fils. Ninias pénétré des horreurs que l'amour
vient de lui faire commettre , court
au fond de fon Palais cacher à jamais fa
honte aux yeux de l'Univers , qu'il vient
d'effrayer par fon crime. Elle dit, & voyant
qu'Iphis balançoit , elle l'entraîna malgré
lui.
Il la fuivoit , trifte & rêveur : les foupirs
qui lui échappoient , prouvoient affez que
fon coeur n'étoit point tranquille . Vous
Coupirez , lui dit Noraïs , vous ne me fuiJUILLET.
1753,1m . 71
vez qu'à regret . Voilà l'effet des paffions :
vous ne trouverez plus avec moi cette tranquillité
que vous y avez goutée. Tel eft le
fort des humains ; font- ils une fois fortis ,
de cet état d'innocence qui fait le vrai
bonheur , ils ne retrouvent plus une parfaite
tranquillité : l'inquiétude & les remords
font la punition des foibleffes auxquelles
ils fe font abandonnés ; je puis diminuer
leurs peines , je puis même les ramener
à la vertu ; mais ils ne fçauroient
parvenir à être parfaitement heureux jufqu'à
ce que la mort ait effacé les traces
que les paffions ont laiffées dans leurs
coeurs.
Iphis écoutoit attentivement ce difcours,
lorfqu'il crut reconnoître la voix d'Elvire.
A cettte voix , pour lui fi pleine de charmes
, il s'arrêta , & vit affez près de lui
une femme qui lui parut d'une beauté raviffante.
Où fuyez-vous , lui dit-elle ? Faut- il
pour une maîtreffe infidelle renoncer à
tous les plaifirs , & vous aller confiner
dans un défert. Le fils de Cypris eft- il
donc le feul Dieu qui puiffe vous rendre
heureux , lui , dont les plaifirs effémi
nés énervent le courage , & rabaiffent l'ame
la plus élevée . Hercule l'éprouva : mil.
le actions éclatantes l'avoient placé au rang
7
72 MERCURE DE FRANCE.
des demi- Dieux , l'amour vint effacer fa
gloire , & les mortels indignés ne le virent
qu'avec mépris filer aux pieds d'Omphale.
Imitez les vertus de ce Héros , mais
fuyez-en les foibleffes. La gloire doit feule
vous attacher , & c'est moi qui la donne.
Mon nom eft l'ambition , ma puiffance
eft fans bornes . J'éleve & renverſe les
thrônes à mon gré : prefque tous les Rois
font mes esclaves , & je regne fur tout
l'Univers.
A ces mots un nuage d'or & d'azur la
dérobe aux yeux d'Iphis ; il la prend pour
une Divinité , & quoiqu'il ne la voye plus ,
elle eft toujours préfente à fon idée. Il oublie
la perfide Elvire , & retourne à Babylone
l'efprit rempli de mille projets ambitieux.
A peine eſt- il arrivé , que , fans fe donner
un moment de repos , il court chez
tous ceux qu'il croit néceffaires à fon élévation.
Que de peines ne lui en coûte- t'il
pas pour obtenir un moment d'audience !
Que de mépris ne lui fait-on point effuyer !
Rien ne le rebute : il leur fait affiduement
fa cour , & oublie la fincérité , toujours
compagne de l'innocence. Il loue , flatte ,
& paroît admirer ceux , que dans le fond
du coeur il méprife : il ne rougit pas même
de fe rendre pour leur plaire , l'agent
des
1
JUILLET. 1758. 73
des plus indignes plaifirs. Après bien des
peines , il obtint enfin un emploi à la cour ;
mais fes defirs ne font pas fatisfaits . Il
veut un gouvernement. Pour l'obtenir
que de politique , que de refforts ne fautil
pas faire jouer ! Il en eſt tout occupé : il
paffe la nuit à former des projets. Le jour,
il affiege la porte des Miniftres , & on accorda
à fes importunités bien plus qu'à
fon mérite , ce qu'il demandoit. Il devoit
être content : mais l'ambition fe bornet'elle
jamais ?
Quoi ! lui dit- elle , capable de tenir les
rênes d'un Empire , vous vous contentez
du vain titre de Satrape. Ignorez- vous que
le foible Ninias languit dans les bras de la
molleffe , & que les Babyloniens , peuple
belliqueux , veulent un Roi qui les mene
aux combats & à la gloire. Déja les Gouverneurs
des Provinces , las d'obéir à un
Prince efféminé , n'attendent qu'une occafion
pour
fecouer un joug qui leur paroît
honteux. Obéiffans à ma voix , ils veulent
fe rendre indépendans . Profitez de ces conjonctures
: liez- vous avec eux : allez enfemble
renverfer le trône d'un Prince indigne
de régner , & lavez dans fon fang ,
la honte d'avoir fervi un tel maître.
Ha ! que me propofez vous , répondit
Iphis ? Quoi ! je trahirai ma patrie , mon
II. Vol. Ꭰ
74 MERCURE DE FRANCE.
Roi & mon bienfaicteur Parjure à mes
ferment , j'irois d'une main facrilege enfoncer
dans fon fein le fer dont il arma
mon bras pour le défendre ! Me préferve
A jamais les Dieux de commettre de pareils
forfaits,
Vain fcrupule , reprit l'Ambition , &
bon pour le vulgaire mais ils font indignes
de vous. Apprenez que mes favoris
font au deffus des loix les plus facrées. Ils
doivent , pour me plaire , facrifier pere , enfans
, amis , bienfaicteurs , & ne connurent
jamais les fentimens de la nature &
de la reconnoiffance.
Ce difcours pénétra Iphis d'horreur. Son
coeur n'étoit point encore tout- à- fait.corrompu
, & pour le féduire , il falloit lui
déguifer le crime. L'ambition prit donc un
autre tour. Je fuis charmée , dit elle , des
fentimens que vous faites paroître. Comme
vous , j'aime la vertu ; & lorfque j'ai
parlé différemment, je voulois vous éprouver.
Je fçais ce qu'on doit à fes Rois , &
je ne veux point vous faire trahir votre
devoir. Mais Iphis , rappellez - vous que
Vous êtes né le fujet de Sémiramis. En
cette qualité vous deviez , tant qu'elle a
vécu, défendre fon trône & fa vie : aujour
d'hui vous devez la venger. Ninias fut
fon meurtrier : il doit périr. Son crime
JUILLET. 1758. 75
en outrageant la nature , en a brifé les liens.
Il n'est plus le fils de Sémiramis : vous
devez l'immoler aux manes de votre Reine
, & donner aux Babyloniens un Roi
digne de les commander. Elle dit , & fûre
d'avoir perfuadé , elle alla ailleurs faire des
malheureux ,
Iphis féduit par les apparences de la
vertu , chercha à fe lier avec les Gouverneurs
révoltés , & ils travaillerent tous enfemble
aux moyens d'exécuter leur deffein.
Ninias bientôt inftruit de leur révolte ,
ordonne aux troupes qui lui étoient reſtées
fidelles , de marcher contre les rebelles .
Ceux- ci effrayés de voir avant le temps
leurs complots découverts , ne cherchent
leur falut que dans la fuite. Iphis au milieu
de la nuit fort feul de fon palais il va
chercher un afyle dans la plus fombre forêt.
Il y eft à peine arrivé , qu'il fe laiffe
tomber de douleur & de laffitude au pied
d'un arbre. C'eft- là que réfléchiffant au
bonheur dont il avoit joui avec la vertu ,
il ne peut retenir fes larmes. Ha ! funefte
Ambition , s'écria-t'il , vous m'avez féduit
malgré la Raifon vous m'avez plongé
dans le crime ! j'ai trahi la vertu , mon
Roi & ma patrie ! j'ai perdu mon innocence
, & ma tranquillité ! Devenu le mépris
de l'Univers , je me fais horreur à
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
moi-même. Indigne de paroître fur la terre
, je voudrois cacher dans fon ſein ma
honte & mes forfaits. Accablé de douleur,
il n'en peut dire davantage.
La Raifon qui , fans être apperçue ,
veilloit toujours fur le fils de Mélanie ,
eut pitié de fa fituation . Eft- ce Iphis , ditelle
, que je vois , en s'approchant de lui ?
& comment élevé dans le fein de la Vertu
a-t'il pu ſe donner au crime ?
Il reconnut la voix de Noraïs , & ramaffant
le peu de force qui lui reftoit , il
fe jetta à fes pieds . Je fuis indigne , dit- il ,
de paroître devant vous , & je fens toute
l'horreur de mon crime. Mais , aimable
Noraïs , me refuferez - vous votre ſecours ?
me laifferez -vous fous le joug des paffions ?
Ha! s'il en eft ainfi , je ne veux plus
vivre.
La Raifon toujours fenfible aux maux
des malheureux , le regarda avec bonté.
Je vous aime encore , dit- elle , & je vous
' en donne une preuve convainquante en
venant vous fecourir. Mais je ne puis
m'empêcher de vous reprocher le crime.
ffreux qui vient de vous noircir. Pouranci
avez-vous fuivi l'Ambition ? & comant
a t'elle pu vous perfuader de trahir
e devoirs les plus facrés ? Elle m'a féduit ,
Iphis : elle me promettoit de la gloire
shonneurs,
}
77
JUILLET. 1758.
2
Hé ! ne fçavez-vous pas , repartit Noraïs
, qu'il n'eft de vrai gloire que celle ,
que la vertu donne ? Apprenez auffi que
les honneurs ne font flatteurs que lorfqu'ils
font accordés au mérite . Travaillez à vous
en rendre digne ; & fi le deftin vous les
refufe , penfez qu'il eft toujours beau de
les avoir mérités. N'employez donc plus
pour les obtenir de voies indignes de l'honnête
homme. Que la fincérité accompagne
tous vos difcours : croyez que tout flatteur
ſe rend méprifable , même aux yeux de
celui qu'il flatte : gardez le filence fur le
vice , ne louez que la vertu : elle feule à
droit à vos éloges qu'elle regle toujours.
votre conduite ; qu'elle foit la bafe de vos
projets. Vous ferez pour lors votre cour ;
mais vous la ferez fans baffeffe à ceux qui
peuvent vous ouvrir la route de la gloire
& des honneurs.
Elle alloit continuer , lorfqu'Iphis l'interrompit.
Fuyons , dit- il , fuyons ce funefte
lieu : il me rappelle trop vivement
mes crimes. Eloigné d'ici , je ferai plus.
tranquille, & j'écouterai mieux vos leçons.
Hélas ! il ignoroit que les remords fuivent
partout.
Noraïs voulut bien céder à fes defirs.
Mais à peine étoient- ils hors de la forêt ,
qu'ils apperçurent un nuage brillant qui
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
s'ouvrant tout à coup , laiffa voir une femme
dont les habits nuancés des plus belles
couleurs , & parfemés de pierreries , jettoient
un éclat fi vif, qu'Iphis la prit pour
la Meffagere des Dieux.
Il la voit cependant traverfer les airs ,
& d'un pas léger s'étant approchée de lui
elle lui dit : Je fuis fille de la Vertu , mon
nom eft la Générofité : mais les adorateurs
de Plutus jaloux de ma gloire , me nomment
Prodigalité . Je répands à pleines
mains les tréfors de ce Dieu , & je me
plais à faire des heureux . Touchée de vos
malheurs , continua - t'elle , je viens d'enlever
de votre palais les tréfors que vous
Y aviez laiffés. Oubliez l'ambition , & ne
les répandez plus que pour les plaifirs. Ils
font faits pour l'homme jouiffez -en :: fatisfaites
tous vos goûts : devenez enfin par
votre magnificence l'admiration de vos
citoyens.
En falloit-il tant pour féduire un jeune
homme. Iphis prefque vaincu , la regarde
avec complaifance. Incertain , it hélite : la
Raifon a pour lui des charmes : il la voit
encore : elle l'appelle , mais inutilement :
les paffions , à la honte de l'humanité , ne
l'emportent-elles pas prefque toujours furt
elle Il fe livra donc à la Prodigalité.
Charmée de l'avoir féduit , elle le couvrit
JUILLET. 1758. 79
>
du nuage dont elle s'étoit enveloppée , &
elle le tranſporta à Thebes .
La magnificence & les richeffes de cette
grande ville l'avoient rendue le féjour
ordinaire du luxe & de la molleffe. La
Médiocrité n'ofoit y paroître , & la Vertu
& la Raifon y faifoient peu de féjour.
Iphis ne les y vit point , & s'abandonna
fans réferve à la paffion qui le tyrannifoit.
Les murs de fon palais furent revêtus de
marbre la plus rare architecture en rele
voit l'éclat. Ses appartemens étoient ornés
des tableaux les plus parfaits en leur genre.
Il donna tous les jours les fêtes les plus
galantes. Sa table étoit fervie avec autant
de fomptuofité , que le furent depuis celles
de Lucullus & de Vitellius. Elle étoit tou
jours entourée de flatteurs , qui louoient
tour jufqu'à fes vices. Flatté par leurs applaudiffemens
, il fe fit une gloire de l'emporter
par fa magnificence fur tous les habitans
de Thebes : aveuglé par la vanité &
l'orgueil, il oublia que l'homme ne doit s'élever
au deffus des autres que par la vertu.
Mais fes dépenfes exceffives eurent
bientôt épuisé fes tréfors . La Prodigalité
difparut , & la Mifere fe préparoit à la
venir remplacer, lorfqu'Iphis , pour l'éviter,
eut recours à fes amis .En trouva- t'on jamais
parmi les flatteurs ! Le fils de Mélanie l'é-
Div
So MERCURE DE FRANCE.
prouva . Ceux qui l'avoient flatté pour
partager fes plaifirs & fes richeffes , inftruits
de fon malheur , ne voulurent plus
le voir. Perfides amis , s'écria- t'il avec douleur
! il n'en étoit pas ainfi lorfque j'étois
favorifé de la fortune ! Mais voyons , continua-
t'il , fi Prothée pour qui je n'ai jamais
eu rien de caché, Prothée que j'aimois
fi fincérement , fera auffi un ingrat .
A cet mots , il court chez cet ami. On le
laiffe entrer. Plein d'efpérance , il monte à
fon appartement. Mais quel fut fon éton→
ment ! Prothée n'avoit plus cet air engageant
& flatteur : ce n'étoit plus cet ami
qui venoit l'embraffer avec empreffement :
à peine fe leve-t'il de fon fiege . Je fçais vos
malheurs , lui dit-il d'un air orgueilleux
& vain ; mais vous vous les êtes attirés.
Puiffent tous les jeunes gens apprendre ,
ainfi que vous , à devenir fages à leurs dépens
! Sortez , continua-t'il : ne m'importunez
plus , & allez en d'autres lieux traîner
votre mifere.
Le feu couvrit à l'inftant le vifage d'Iphis
; la colere étincelle dans fes yeux. Peu
fait aux injures , il s'avance pour fe venger
d'un indigne ami : mais s'étant apperçu
que Prothée étoit fans défenſe , il s'arrêta.
Je pourrois , dit-il , vous punir à l'inſtant
de votre perfidie & de l'affront que vous
JUILLET. 1758 .
81
me faites : mais je fuis trop généreux pour
attaquer un ennemi défarmé. Il parle , &
déja Prothée ne l'entend plus . La frayeur
s'étant emparée de fes fens , il avoit pris
la fuite. Iphis étonné de fa lâcheté le voit
avec mépris , & fort accablé de douleur.
La Raiſon vient bientôt à fon fecours.
Ah ! voilà donc , dit - il en l'appercevant ,
voilà donc où la Générofité , cette fille de
la Vertu , m'a conduit !
Avant que de lui faire des reproches
,
apprenez
à la connoître
, reprit Noraïs
, &
ne la confondez
plus avec la Prodigalité
.
Celle-ci facrifie
tout aux plaifirs , & fait
toujours
des malheureux
. L'autre
met toute
fa gloire à faire des heureux
. Que votre
conduite
a été jufqu'ici
éloignée
de la fienne,
pourſuivit
- elle Car quel eft l'indigent
dont vous avez foulagé
la mifere
?
quel eft l'ami qui a trouvé
chez vous un
fecours
dans fes malheurs
? quels font enfin
les fervices
que vous avez noblement
récompenfés
? Ce n'eft qu'à ces traits que
je reconnois
la Générofité
.
Ah ! reprit Iphis , puifque les paffions
prennent le voile de la vertu pour me féduire
, fuyons , cher Noraïs , fuyons dans
les déferts les plus affreux je n'y ſerai
peut-être plus expofé aux coups qu'elles
veulent me porter. Je fuirai les hommes ,
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
ces hommes que je détefte , & qui font
incapables de reconnoiffance & d'amitié.
Faites un peu grace aux malheureux humains
, repartit la Raifon, & fongez qu'en
les condamnant , vous vous condamnez
auffi . Combien de fois les paffions vous
ont- elles féduit ! plaignez donc ceux qu'elles
tyrannifent , & ne les haiffez pas ..
Croyez qu'il eft encore des hommes vertueux
& de vrais amis : mais ne croyez pas
trouver l'amitié où regnent les paffions.
A ces mots , elle conduifit Iphis dans
un hameau charmant , fitué fur le penchant
d'une colline . Il dominoit fur une
vafte prairie un ruiffeau l'arrofoit ; fes
bords couverts de foffés , étoient la retraite
de mille oifeaux .
C'est ici , lui dit Noraïs , que j'ai placé
les tréfors que vous avoit laiffés Mélanie .
Cette tendre mere m'en fit la dépofitaire .
Je vous les remets : mais fouvenez- vous
que s'il eft honteux de les répandre mal à
propos , on fe rend encore plus méprifable:
en les augmentant aux dépens de la pro-
Bité & de la générofité , & vous devez
méprifer les préfens de la Fortune , s'ils ne
vous font offerts des mains de la Vertu .
Je vous laiffe , continua- t'elle, paffer quelque
temps dans ce féjour.. Sous ce toit
muftique cultivez la philofophie ; elle ren
JUILLET . 1758. 83
"
"
dra à votre ame la tranquillité que les
paffions en ont bannie ; elle vous donnera
des armes pour les vaincre , & ... Quoi !
vous m'abandonneriez, interrompit Iphis !
vous me livreriez à la philofophie , cette
philofophie qui nous égare toujours quand
elle n'eft pas guidée par vous ! Non
non , je ne vous quitterai plus ; je fuivrai
partout vos pas . Mais , aimable Noraïs ,
demeurons dans ce féjour ; vous y trouverez
un fujet fidele ; je vous préférerai aux
tréfors , aux honneurs : content de vivre
avec vous , je ne veux plus m'occuper que
du foin de vous plaire.
Ce zele eft outré , reprit la Raifon , &
je ne fçaurois l'approuver. Vous n'êtes pas
fait pour vivre dans l'obfcurité ; le deſtin
vous fit naître pour fervir votre patrie &
votre Rois vous devez leur facrifier vos
goûts , vos plaifirs & votre fang: voilà la
vraie gloire , & la feule qu'il vous eft permis
d'ambitionner. Allez , par d'illuftres
exploits , prouver à l'univers ce que peut
celui qui fe laiffe conduire par la Verru
& la Raifon. Je cede cependant à vos defirs
, continua-t'elle ; je demeurerai avec
vous le temps que vous pafferez dans ce
Heu ; je vous inftruirai moi-même de la
philofophie , non de celle qui , trop anda
Lieufe , veut pénétrer les fecrers que le
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
Souverain des Dieux a voulu cacher aux
mortels, mais de celle qui vous apprendra
à furmonter les paffions , à connoître le
coeur de l'homme , & à vous connoître
vous-même : c'est la plus néceſſaire & la
moins cultivée.
Iphis impatient d'écouter les leçons de
Norais , lui propofa d'aller faire un tour
dans la forêt. Ils s'y rendirent ; & s'étant
affis dans l'endroit le plus champêtre , elle
lui tint ce difcours.
Les Dieux , mon cher Iphis , donnerent
à l'homme le defir d'être heureux . Ce defir
devoit le conduire à la vertu , qui feule
peut faire fon bonheur. Les paffions étoient
alors foumifes à mes loix ; je les tenois enchaînées
, & l'homme , par mon fecours ,
les traitoit en efclaves. Mais Typhon ,
principe du mal , ayant été par fon orgueil
chaffé de l'Olympe , defcendit fur la terre .
11 parut , & les paffions briferent leurs
chaînes. Comme un torrent impétueux ,
elles inonderent l'univers. En vain je les
rappelle rébelles à mes ordres , elles ne
connoiffent plus ma voix , & fuivent leur
penchant déréglé. Depuis ce jour malheureux
il n'eft point de mortels qui n'éprouvent
leur tyrannie , & le fage eft
celui qui , docile à mes leçons , fçait les
combattre & les vaincre. Mais qu'il en
JUILLET. 1758.
eft peu ! Le plus grand nombre leur cede ,
fans daigner même leur réfifter. Aveuglés
par elles , ils croient fe rendre heureux
en les fatisfaifant . Pour y parvenir , ils
facrifient la probité , l'honneur , la bonne
foi & la reconnoiffance : l'amitié même
eft un fentiment qui les affecte peu , &
qui eft fubordonné à leur intérêt. Malgré
leur aveuglement ils connoiffent encore
la vertu : mais ils la trouvent trop févere.
Ils la refpectent , mais ils ne l'aiment pas:
elle les fait rougir. Pour étouffer les remords
dont ils font accablés, ils voudroient
l'anéantir. Ils voient avec peine qu'elle
trouve encore des fujets fideles . Animés
par l'envie , ils travaillent à les féduire ,
& ils n'y réuffiffent que trop. Un jeune
homme vertueux entre- t'il dans le monde ,
il s'attire bientôt la jaloufie de ceux de
fon âge qui vivent d'une maniere corrompue.
Sa vertu eft tournée par eux en ridicule
; fa modeftie paffe pour timidité ; fa
fageffe pour la marque d'un efprit foible.
Tels qui dans le fond du coeur rougiffent
de leurs vices , ofent à fes yeux en faire
le portrait le plus féduifant. Ils font au
défefpoir de fentir qu'il mérite l'eftime
du public , & ils voudroient le rendre.
méprifable comme eux. Vous devez être
convaincu de la vérité de ce difcours
86 MERCURE DE FRANCE.
poutfuivit- elle , & vous en avez fait la
funefte expérience lorfqu'à Babylone.....
Ah ! ne renouvellez point un fouvenir qui
me couvre de honte , interrompit Iphis !
Je fçais que j'ai oublié la vertu , & que je
ne voulus point fuivre vos confeils : mais
revenu de mes égaremens , je me tiendrai
mieux fur mes gardes ; je ne me lierai à
Favenir qu'avec des hommes dont l'âge
avancé m'affurera qu'ils font exempts de
paffions.
Autre erreur , reprit Noraïs , & plus
dangereufe que la premiere. La confiance
que vous auriez pour ceux qui ont beaucoup
vécu , aideroit à vous féduire. Détrompez
vous donc, mon cher Iphis; l'âge,
loin de détruire les paffions , les rend fouvent
plus vives , & nous voyons tous
les jours des vieillards prêts à defcendre
dans le tombeau , s'attirer encore par leurs
vices le mépris du Public ; ear , ne vous y
trompez pas , ce Public , quoique trèscorrompu
, mépriſe le vice , & refpecte la
vertu.
Défiez- vous encore , pourfuivit - elle ,
de ces prétendus fages qui , fans me connoître,
parlent toujours de moi, & croient
que je regle leur conduite. Efclaves de
Pamour- propre , & pêtris de vanité , ils
voudroient être les feuls eftimables,
JUILLET. 1758 87
avent en impofer au vulgaire par un
extérieur grave & férieux : mais dans le
fond du coeur , dévorés par l'envie , ils ne
voient qu'avec peine les vertus qui brillent
dans les autres. Pour les obfcurcir,
ils relevent leurs défauts , & poffedent
Fart déteftable de leur prêter ceux qu'ils
n'ont pas ils ont même la baffeffe de
chercher à les féduire. Ils voudroient les
rendre efclaves des paffions pour fe donner
enfuite le barbare plaifir de les méprifer.
:
Quelles horreurs me dévoilez- vous ,
s'écria Iphis ! Ah ! puifque les hommes,
font tous pervers , je dois donc les déteſter
& les fuir.
Voilà , reprit la Raifon , l'erreur où
tombent ceux qui ne me fuivent pas . Sontils
féduits , trompés ou trahis , ils méprifent
les hommes , & les croient tous maî
rifés par les paffions. Gardez- vous de pen
fer ainfi. Il eft , & je vous le répete encore
des hommes vertueux , & de vrais
amis : mais pour les connoître , il faut me
confulter. La conduite d'un honnête homme
s'accorde toujours avec fes difcours ;
it compâtit à la foibleffe des hommes ;
loin de groffir leurs défauts , il cherche à
les diminuer ; enfin il ne hait que le vice ,
& plaint les vicieux ..
Comme elle alloit continuer , le ciel
98 MERCURE DE FRANCE:
s'obfcurcit ; les éclairs & les éclats de la
foudre fe mêlerent aux vents en furie ,
qui remplirent l'air de tourbillons de pouf
fiere , & la grele & la pluie , qui tomberent
en abondance , les forcerent de chercher
un afyle.
Iphis ayant apperçu affez près de lui
une petite chaumiere, propofa à Noraïs de
s'y mettre à couvert.
Cette retraite pourroit être dangereufe
répondit- elle , & quel danger plus à crain
dre , reprit- il , que la foudre qui gronde
fur nos têtes ? Il parloit encore lorsqu'un
coup de tonnerre redoubla fa frayeur , &
lui fit précipitamment porter fes pas du
côté de la chaumiere. If entre & cherche
un endroit où il puiffe fe garantir de l'orage
, mais inutilement ; le temps & les
injures de l'air en avoient emporté le toit.
Il alloit fe retirer lorfque l'orage ayant
ceffé tout à coup , lui donna le temps
d'examiner le lieu où il étoit . Il crut d'abord
qu'il ne pouvoit être habité : mais
un mauvais lit , une armoire à demi-pourrie
, & une chaife prefque brifée , l'affure
rent du contraire. Il réfléchiffoit au malheureux
état de ceux à qui cette méchante
chaumiere fervoit de demeure , lorfque
l'Avarice , qui y faifoit fon féjour , parut
à fes yeux. Elle avoit caché fes horribles
JUILLET. 1758 . &
pas
traits fous ceux de Noraïs , qu'elle avoit
empruntés. Il la prit pour elle . Quel eft
votre aveuglément , dit- elle ? Quoi , mon
cher Iphis ? vous me prenez pour Noraïs ?
pour cette perfide qui , déguifée fous mes
traits , en impofe au malheureux mortels ?
Ils la prennent pour la Raifon , & ce nom
facré n'eft dû qu'à moi . Elle affecte ma
douceur ; elle eft, dit- elle, l'amie de la Vertu
mais dans le fond du coeur , efclave
du luxe & de la molleffe , elle ne connoît
le vrai bonheur. Mes favoris ont feuls
cet avantage . Pour le devenir il faut être
fobre , économe , laborieux ; il faut avoir
la noble ambition d'amaffer des richeffes
immenfes, les tranfmettre à fes defcendans ,
afin qu'ils puiffent dans les fiecles à venir
foutenir leurs noms , élever leur maiſon ,
& envahir , s'il fe peut , tout l'univers.
C'eft par de tels progrès , pourſuivit- elle
qu'on fe rend heureux. Si vous voulez le
devenir , que la foif de l'or vous domine
uniquement. Pour en acquérir , expoſezvous
aux plus grands dangers ; facrifiez
tout pour le conferver ; mourez plutôt
que de rien perdre de ce que vous aurez
amaffé. Il faut auffi cacher vos tréfors avec
foin , être continuellement fur vos gardes ,
vous défier de tous les hommes , croire
qu'ils font vos ennemis , & toujours prêts
go MERCURE DE FRANCE.
à vous enlever le fruit de vos travaux .
Que les hommes font foibles ! Iphis fe
laiffa féduire par l'Avarice , la pria de ne le
plus quitter , & prit avec elle le chemin
de fon hameau. Il la conduifit dans l'appartement
que Norais lui avoit préparé :
les meubles en étoient proprès , mais fimples
; ils confiftoient dans un lit , quelques
chaifes , une table & une bibliotheque ;
l'Avarice les trouva magnifiques. Voilà ,
s'écria- t'elle , les effets du luxe ! Ce lit eft
compofé par les mains de la Molleffe : le
vernis de cette table doit avoir couté beaucoup
d'argent cette bibliotheque eft inurile.
A quoi fervent tous ces livres qui ne
produifent rien ? En ferez-vous plus riche ,
quand vous fçaurez l'Hiſtoire , la Philofophie
& la Morale ? Il faut toujours tendre
à l'utile , pourfuivit- elle. Défaites- vous
de tous ces livres ; ne gardez qu'un traité
d'Economie & un in- folio fur le Commerce
, il vous apprendra comment il faut doubler
& tripler votre argent mais comme
le commerce eft quelquefois dangereux ,
je crois qu'il eft plus prudent d'enterrer
vos tréfors & de travailler à les augmenter
, en fouffrant la faim, la foif & les injures
de l'air. Renvoyez vos domeftiques ,
c'eft d'ordinaire nos plus cruels ennemis.
Mais vous voilà immobile , & peut-être
JUILLET. 1758.
dans ce moment on enleve vos tréfors. Allez
, courez les enterrer dans votre ca
veau. Elle dit , & Iphis execute fes ordres :
mais bientôt tyrannifé par l'inquietude ,
zoujours compagne de l'avarice , il ne dort
plus ; fes yeux s'enfoncent ; fon teint fe
flétrit , fon embonpoint diminue ; enfin il
alloit mourir de faim au milieu des richeffes
, fi Noraïs n'étoit venue à fon fecours.
trant ,
Elle le trouva dans fon caveau , occupé
à compter fes tréfors à la lueur d'une
petite lampe. Au bruit qu'elle fit en enif
tourna la tête , ne la reconnut
point , & la prit pour quelque perfonne
indigente , qui venoit le prier de foulager
fa mifere. Vous vous adreffez mal ,
Madame , lui cria- t'il , en éteignant fa lampe
, & en cachant précipitamment fes tréfors
! vous vous adreffez mal ! Je n'ai pas
un fol , & je fuis fi pauvre , qu'à peine
puis-je fubfifter.
Quoi ! répondit la Raifon , nourri dans
mon ſein , vous ne reconnoiffez plus Noraïs
? Eft- ce donc là le prix que vous réſerviez
à mes bienfaits ? Je ne vous dois que
du mépris , repliqua-t'il. Je vous prenois
pour la Raifon ; vous avez profité de monerreur
pour me féduire & me livrer à la
molleffe ; vous alliez me réduire à la mifere
la plus affreufe , lorfqu'elle eft venue
2 MERCURE DE FRANCE.
à mon fecours . Ah ! que ne l'ai- je connue
plutôt , pourfuivit- il je n'aurois pas été
la dupe des hommes , j'aurois fçu qu'ils
étoient fourbes , intéreffés ; ils ne m'auroient
point trompé ; ils ne m'auroient
point ruiné : car quels tréfors ne m'ont - ils.
pas enlevés ? Je ne les recouvrerai jamais..
Mais ces tréfors , qui vous font fi chers
à quoi vous fervent - ils ? Ils font mon bonheur
, reprit- il. Quel plaifir n'ai- je pas à
les voir , à les augmenter ! . Et comment
les augmentez - vous , interrompit Noraïs ?
aux dépens de l'honneur , de la probité ,
de l'humanité , & de toutes les vertus . Revenez
à vous , mon cher Iphis , fongez
que rien ne rend plus méprifable que l'avarice.
Voilà , repliqua -t'il , par quels difcours
vous faites illufion aux hommes. Efton
prudent , fobre , économe , on eſt avare
: pour vous plaire , il faudroit fe réduire
à la derniere mifere .
Et quelle mifere plus à craindre que
celle où vous êtes , repartit la Raiſon ?
Vous manquez de tout , vous vous refufez
la nourriture la plus fimple. Sans fecours
, fans amis , détefté de tous les hommes
, pouvez - vous encore vous croire
heureux ?
Elle en auroit dit davantage ; mais elle
n'ignoroit pas que les difcours les plus fenJUILLET.
1758. 93
fés ne fçauroient détromper un avare . Elle
eut donc recours au miroir de vérité : cette
glace admirable avoit le don de faire paroître
les paffions telles qu'elles étoient :
elle la préfenta à l'Avarice : le voile qui
couvroit fes véritables traits tombe à l'inftant
, & en laiffe voir toute la difformité..
Iphis en eft effrayé : il veut fuir ce monftre
, & il fent trembler fes genoux fous
lui il fe jette enfin aux pieds de Noraïs ;
il les embraffe , il les arrofe de fes larmes.
Je fuis coupable , dit- il d'une voix entrecoupée
de fanglots ; je fuis le plus indigne
des hommes ; je ne cherche point à
m'excufer ; je pourrois alléguer cependant
que , faifi par la crainte d'une mort que
je croyois affurée... La crainte ne ſe trouve
point dans un coeur vertueux , interrompit
Noraïs, Le fage nnee rreeddoouuttee que les
paffions ; il regarde la mort avec indifférence
; il fçait la braver quand l'honneur
& le devoir l'exigent , & lorfque le deſtin
l'ordonne , il la reçoit avec fermeté. Voilà
quels devoient être vos fentimens ; mais
trop long-temps le jouet des paffions ,
vous avez manqué du courage que donne
la vertu . Et comment celui qui croupit
dans le vice ne craindroit-il pas la mort ?
Mais je ne veux plus vous faire de reptoches
, continua- t'elle : j'oublie vos égare
94 MERCURE DE FRANCE.
mens , & je veux , malgré les paffions ,
vous ramener à la vertu . Pour y réuflir
je remets entre vos mains ce miroir précieux
, & par malheur trop peu connu ,
malgré l'amour- propre. Ne le perdez jamais
de vue : il vous découvrira vos défauts
tels qu'ils font ; & peut- on les connoître
fans avoir envie de s'en corriger !
Travaillez donc à les effacer , & n'en laiffez
pas la moindre trace. Iphis y travailla
avec tant de zele , qu'il eut bientôt retrouvé
la vertu. Qu'elle lui parut belle ! Qu'il
l'embraffa avec ardeur ! Non , je ne vous
quitterai plus , lui difoit- il dans le tranfport
de fa joie , non je ne vous quitterai
plus , aimable Uteris , & je ferai tout mon
bonheur de vous plaire. La vertu le reçut
avec bonté.
J'avois toujours cru , dit-elle , que vous
reviendriez de vos égaremens. Ceux qui
ont été nourris dans mon fein , peuvent
bien fe laiffer entraîner aux charmes apparens
des paffions ; mais ils fe rappellent
bientôt la douceur de mon empire , & reviennent
à moi. L'ingratitude que vous
m'avez témoignée , pourſuivit -elle , m'a
touchée ; mais perfuadée qu'elle ne dureroit
pas , je n'en ai pas moins travaillé à
votre bonheur. Je vous ai choifi pour
époufe Eléonore, fille de Faris. Cette union
JUILLET. 1758. 95
vous rendra heureux ; car les noeuds que
je forme font exempts des chagrins que
caufent les paffions : point de jalousie .
d'inquiétude ou de foupçons. Au deſſus
de l'indigne préjugé qui conduit les hommes
vulgaires , vous estimerez Eléonore
vous lui parlerez en ami , & jamais en
maître vous ferez perfuadé qu'elle fçait
penfer & réfléchir : vous la croirez digne
de votre amitié & de votre confiance. Par
ces fentimens vous obtiendrez la fienne, &
vous lui ferez éviter par des confeils donnés
avec douceur , les dangers où la jeuneffe
& fon peu d'expérience pourroient
l'engager.
Allons trouver Faris , continua- t'elle :
c'eft un de mes plus fideles fujets. A peine
fa fille vit- elle le jour , qu'il la confia à
mes foins. Dès ce moment je vous deſtinai
l'un pour l'autre. Vos égaremens ont retardé
votre bonheur. Faris ne les a pas
ignorés mais perfuadé par moi qu'ils ne
dureroient pas , il vous a toujours regardé
comme fon fils. Premier Miniftre & favori
de fon Roi , il en poffede toute la confiance.
Ce fut lui qui , chargé de marcher
contre les rebelles , vous donna le temps
de fuir : il fit plus , il obtint votre grace.
Par fes foins , vous êtes rentré dans tous
les honneurs dont vous vous étiez rendu
96 MERCURE DE FRANCE.
indigne. Venez donc lui marquer votre
reconnoiffance , & foyez fûr d'obtenir fa
fille. Elle dit , & ils fe trouverent dans
l'appartement de Faris.
Iphis s'approcha de fon bienfaicteur
avec cet air noble & modefte qui fait le
caractere de la vertu. Il voulut exprimer
fa reconnoiffance ; mais fon coeur en étoit
fi pénétré , qu'il lui fut impoffible de parler.
Son filence & fon maintien prouverent
mieux fes fentimens , que le diſcours
le plus éloquent . Faris charmé de le revoir,
l'embraffoit tendrement , lorfqu'Eléonore
parut. Elle venoit demander à fon pere la
permiffion de faire un facrifice à Diane.
Son port étoit doux & majeſtueux : ſes
traits n'étoient point réguliers , mais remplis
de grace : fa parure étoit propre &
modefte : une noble pudeur régnoit fur
fonfront. Iphis en fut enchanté. Il l'admira ;
elle rougit, & il ne la trouva que plus belle .
Il ne fentoit point cependant , en la voyant,
l'émotion qu'infpire l'amour. Son coeur
étoit tranquille , & fe livroit fans crainte
à la plus douce joie . Il eftime , il refpecte
Eléonore : il fent avec plaifir qu'elle fait
naître dans fon coeur l'amitié la plus tendre
& la plus fincere. Voilà votre épouſe ,
lui dit Faris en lui préfentant la main de
La fille. Allons aux pieds des Autels célébrer
JUILLET. 1758. 97
brer ces noeuds facrés , & toujours heureux
, quand c'eft la vertu qui les forme.
A ces mots l'Hymen parut , non tel que
le peignent les Efclaves des Paffions , brufque
, chagrin , infidele ; mais tel qu'il eft
lorfqu'il unit deux coeurs vertueux . Sa
phyfionomie étoit douce & gaie. L'Eftime ,
l'Amitié , la Complaifance , la Fidélité , les
Petits- Soins & la Politeffe formoient fon
cortege . Ils marchent au temple de Juron ;
la Vertu les fuit , appuyée fur la Modeſtie
; la Raifon & la Décence marchent à
fes côtés , & les Plaifirs innocens voltigent
autour d'elle .
Iphis conduit Eléonore au pied de l'Autel
. L'Hymen allume fon flambeau ; il
brille de mille feux. L'augufte Junon du
haut des cieux reçoit les fermens des deux
époux. Conduits par la Raifon , chéris de
la Vertu , protégés des Dieux , ils furent
toujours heureux,
A Libourne , ce 21 Mars 1758 .
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE,
LE
mot de l'Enigme du premier Mercure
de Juillet eft Mercure . Celui du Logogryphe
eft Mouffeline , dans lequel on trouve
Lin , Mouffe , mouſſe , fel , lo , mi , fi , fein ,
moule & Nil.
ENIGM E.
DANS un petit réduit , Lecteur , je prends naiffance
,
Et dois aux fleurs mon exiſtence .
Le grand air me convient & m'eft avantageux ,
Il me rend agréable aux yeux.
Ma couleur a beſoin de la rofée ,
Et je fuis mieux quand j'en fuis arrofée.
D'un imprudent ( 1 ) mes innocens appas
Ont caufé le trépas.
Chez les Riches je fuis admife
Plus que partout ailleurs ,
Et je fuis encore de miſe
Chez tous les Grands Seigneurs.
Je devrois être un enfant de Prothée ;.
En partage j'ai la docilité
Enfin , Lecteur , avec facilité
De moi l'on fait ce qui vient à l'idée,
(1 ) Icare.
JUILLET. 1758. $9
J
LOGOGRYPH E.
E regne de tout temps , fille de l'Indigence :
En tout lieu , cher Lecteur , je répands l'abondance.
Je fleuriffois furtout quand Rome en fon prin
temps ,
D'un pouvoir abfolu jettoit les fondemens ;
De les naiffans Héros alors l'unique étude ,
De leurs nobles emplois j'étois l'heureux prélude.
On ignoroit les loix de l'inégalité ,
Et tous vivoient en paix dans la fimplicité .
Hélas ! ce temps n'eft plus . Maintenant avilie
Je vois à mes dépens la molleffe annoblie.
Ainfi vous m'élevez , trop aveugles mortels ,
Et de la même main renverfez mes autels .
Onze pieds font mon nom. Si tu brouilles les
cartes ,
›
Tu trouveras d'abord l'élément que Deſcartes
Dans les livres en vain a long-temps agité :
Ce qu'on expofe en duel par pure vanité.
Le commun réſervoir du doux jus de la treille.
Un poiſon , un combat , l'ouvrage de l'abeille .
Le noir Dieu des foyers , le bord qu'un clair
ruiffeau ,
Coulant à bonds légers , arroſe de ſon eau.
Des habitans des airs la priſon incommode ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Un inftrument guerrier qui n'eft plus à la mode
Une tendre racine , en ville un grand chemin ,
Ce qu'on relie en veau ou bien en parchemin.
De Raminagrobis la gent antipathique ,
L'extrêmité du dos , deux notes de mufique.
Ce qui flatte ambition
D'un Prêtre intéreffé : l'inftrument d'Amphion,
Ce qui prévient fouvent notre raiſon tardive ,
Ce que tend l'Oifeleur pour furprendre la grive.
Le mets que Theftylis prépare aux Moiffonneurs ,
L'arbre dont les rameaux couronnent les Vainqueurs.
De mes pauvres ſujets l'aliment ordinaire ,
Plus un métal peu rare , un acte fanguinaire :
Un infecte rampant , l'excrément d'un tonneau ;
Un mal , un fac à vin , les rames de l'oiſeau
Le cri commun qu'on fait pour écarter la foule ;
Si par quelque accident un bâtiment s'écroule ,
Une ville en Afrique , un fleuve en Portugal ,
Une bête féroce , un péché capital.
RENAUD , Bédaud à la Cathédrale de
Vannes,
JUILLET. 1758 . 101
COUPLETS
Chantés fur le Théâtre de la Comédie Italienne
dans le Ballet de la fête du Moulin.
AVANT que d'époufer Colin ,
D'un tendre Amant j'ai vu l'image ,
Les jeux , les ris habitant ce moulin ,
Voloient fans ceffe à mon paffage :
On n'a plus , en donnant fa main ,
Qu'un mari jaloux & volage . "
*
En fecret il grende foudain ,
Si de trop près on m'enviſage ;
Mais je voudrois pénétrer le deffein
Qui le fait courir au bocage :
On n'a plus , en donnant fa main ,
Qu'un mari jaloux & volage.
N'infulte plus à mon deſtin ,
Petit Oifeau , par ton ramage ;
Libre & conftant tu n'as point de chagrin ,
Que n'eft- on de même en ménage !
On n'a plus , en donnant fa main ,
Qu'un mari jaloux & volage.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE
Infidele , je m'attends bien
D'entendre encor ton doux langage ;
Mais de ton coeur je voulois tout ou rien ,
Je le laiffe à qui le partage :
On n'a plus , en donnant ſa main ,
Qu'un mari jaloux & volage,
JUILLET. 1758: 103
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Le Droit des Gens , ou Principe de la Loi
Naturelle , appliqués à la conduite & aux
affaires des Nations & des Souverains ,
par M. Vattel , en deux volumes in- 4° ,
dont le premier a 541 pages , & le fecond,
375, fans compter la préface & les tables
des livres & chapitres , &c. Cet Ouvrage
fe trouve à Paris, chez Guérin & Delatour .
rue S. Jacques , & chez Jombert , rue Dauphine.
On peut envifager le Traité que nous
annonçons comme une production auffi
nouvelle en fon genre qu'importante par
fon objet. C'est le jugement qu'il aura été
facile d'en porter d'après la lecture du Programme
de cet Ouvrage , que nous avons
inféré dans les Nouvelles littéraires du
mois de feptembre , pag. So, & où l'on a
développé avec beaucoup de clarté & de
précifion , le plan fur lequel le Traité dont
il s'agit , vient d'être exécuté. La courte
analyfe qu'il contient des principes difcutés
par notre Auteur d'une maniere éga-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
lement profonde & inftructive , fuffit pout
e prendre une idée nette & diftinéte.
I ne nous refte d'autre parti que celui
d'y renvoyer nos Lecteurs. Nous euffions
fouhaité d'en donner l'extrait en forme
mais nous fommes réduits à indiquer fimplement
les Livres nouveaux. Nous nous
contenterons donc de dire que les vérités
que cet Ouvrage expofe fous nos yeux,
font expliquées avec beaucoup de netteté
& furtout déterminées d'une maniere qui
écarte les difficultés que des propofitions
vagues font naître dans l'efprit d'un Lecteur.
Cela donne à l'Auteur la facilité d'établir
ces vérités fur des fondemens folides,
d autant plus que pour cet effet il les a rangées
dans une liaiſon naturelle , dans un
ordre où elles fe prêtent du jour les unes
aux autres. Ce bel ordre charme tout bon
efprit , parce qu'il l'éclaire mieux en le
faifant toujours marcher dans une route
lumineufe , & qu'il foulage en même
temps la mémoire. Pour juger de toute
l'étendue du fyftême de notre Auteur , il
fuffit de parcourir la table des livres , des
chapitres & paragraphes , qui eft à la tête
de chaque volume. On y verra un ample
détail des questions qui fe rapportent aux
devoirs d'une nation envers elle même , &
envers les autres , & dans le Livre même
JUILLET. 1758. 105
on trouvera de très- bons éclairciffemens à
ce fujet. Ce Traité eft écrit avec beaucoup
de clarté. Le ftyle nous paroît de
plus recommandable par une noble & élégante
fimplicité , tel que doit être le langage
de la vérité quand elle parle aux
Rois & à leurs Miniftres. Il eft d'ailleurs
vif , animé dans l'occafion , tel que le langage
d'un homme qui voit des vérités importantes
, & qui les voit bien dans ce
qu'elles ont d'intéreffant pour le bonheur
& la gloire des nations & de leurs conducteurs.
L'Ouvrage eft parfemé d'exemples
heureuſement choifis , qui y répandent
une agréable variété , qui ramenent le
Lecteur fur la fcene du monde , & lui
préfentent les vérités dans le point de vue
le plus propre à fixer fon attention . Au
refte l'Auteur , en confervant toujours
'l'effence de la méthode fyftématique , fi
néceffaire pour procéder avec ordre dans
ces fortes de matieres , a fçu allier avec
la févérité qu'elle exige , des ornemens
capables de captiver les fuffrages du Public,
& à procurer à fon Livre un accès favorable
dans les cabinets de ceux que leur état
engage à pratiquer les grandes & falutaires
maximes du Droit des Gens. M. Vattel a
effayé les forces long- temps avant que de
publier un Ouvrage de cette nature. Ses
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
talens s'annoncerent de bonne heure dans
la République des Lettres par divers Ecrits
de fa façon , où il regne autant de juſteſſe
que de folidité , & dont l'efprit philofophique
releve encore le mérite. C'eft particuliérement
là le caractere qu'il foutient
dans le Traité du Droit des Gens , qui doit
faire honneur à l'Auteur & à fa patrie. Il
feroit à defirer que le développement des
principes qui lui fervent de baſe , contribuât
à épurer & à étendre de plus en
plus la pratique de ces maximes importantes
, qui tendent à affurer le bonheur:
commun des nations. Cet Ouvrage eft
très-bien exécuté quant à la partie typographique
; l'édition nous paroît correcte;
le papier & les caracteres en font beaux.
Elle porte Londres au titre : mais nous fçavons
qu'elle a été faite à Neufchatel , fous
les yeux de l'Auteur. Elle fera la feule
édition étrangere qui aura accès dans le
Royaume , où la contrefaction annoncée:
en Hollande , & que l'Auteur défavoue ,
ne fera point admife .
REFUTATION d'un Libelle imprimé &
diftribué au mois de Mars dernier , intirulé
, Avis au Public , avec la fignature:
du fieur le Grau , Major du Guet , en 3,0
pages in 8° .
JUILLET. 1758 . 107
Les adverfaires de M. Keyfer ont affecté
de répandre dans tout Paris un Ecrit où
il est fort maltraité , & qu'il n'a pu ſe diſpenfer
de réfuter dans celui que nous annonçons.
C'eſt un Imprimé figné par M. le
Grau , Aide-Major du Guet , à la follicitation
de M. Menage , Chirurgien de cette
troupe , qui s'eft diftribué dans l'Ecole de
Chirurgie. Comme les imputations auffi
atroces qu'odieufes , auxquelles on s'eft
livré dans cet Ecrit publié fous le titre
d'Avis au Public , & réimprimé avec de
malignes augmentations , font abfolument
deftituées de fondement , il ne nous paroît
mériter d'autre qualification que celle de
Libelle : on y pourroit même ajouter l'épithete
de fcandaleux . Quoi qu'il en foit ,
M. Keyfer repouffe avec force les traitsinjurieux
dont la calomnie s'eft armée
pour donner atteinte à fa réputation , qui
eft trop folidement établie pour avoir quelque
chofe à craindre des coups qu'elle veut
lui porter. Il regne un fi grand air de candeur
& de vérité dans l'expofition des faits
qui concernent fa juftification , qu'il eft.
difficile de fe refufer à l'indignation qu'excite
l'injuftice du procédé de fes ennemis..
I fe flatte qu'ils fuffiront pour détruire entiérement
les impreffions défavantageufes
qu'on a voulu faire naître fur fon compte..
Evjj
108 MERCURE DE FRANCE
C'eft alfurément l'effet qu'ils doivent produire
fur l'efprit de quiconque lira fans
prévention ou partialité cette Réfutation .
Les fuccès conftans & fuivis du remede
que M. Keyfer emploie pour la cure des
maladies vénériennes , font les feules armes
qu'il oppofe à toutes les impoftures & les
fupercheries auxquelles on a recours pour
le décréditer. C'eft la meilleure façon de
confondre la médifance . S'il n'a pas répondu
à tous les Ecrits multipliés que fes
adverfaires ont publiés contre lui , ce n'eft.
rien moins qu'impuiffance de fa part.
La multitude feule de fes occupations
ne lui a pas toujours permis de le faire.
Dailleurs ils ont agi avec trop de mauvaiſe
foi dans la maniere dont ils s'y font pris .
en combattant fa méthode , pour avoir
pu le réduire au filence . M. Keyfer dir
que c'eft à tort qu'on l'accufe d'avoir cherché
à féduire le Public en arrivant à Paris.
Il a fimplement propofé de faire des épreuves
devant des juges éclairés , & des témoins
non fufpects .
Les fuccès de fes premieres expériences,
conftatées par plufieurs examens rigides ,
non feulement immédiatement après le
traitement des malades , mais un an , &
même deux ans après , ont donné lieu à
l'établiſſement d'un Hôpital , où fa més
JUILLET. 1758. Tog
thode eft uniquement pratiquée . Il y fait
actuellement fon douzieme traitement
& chaque traitement a été de douze à dixhuit
malades à la fois . Ils ont tous été faits
fous les yeux des plus habiles gens de
l'art ; & pour conftater les guérifons , on
a fait de nouveaux examens avec la même
rigidité que les précédens , & toujours renouvellés
un an après que les malades
ont été fortis de l'hôpital. On n'a jamais
manqué de les rendre publics , & il n'eft
pas moins conſtant & moins notoire que ,
depuis ces traitemens , aucun de ces malades
n'a éprouvé le moindre accident qui
puiffe faire fufpecter l'efficacité du remede.
M. Keyfer n'a point borné fes expériences
à cette Capitale , il en a faites dans les
principales villes du royaume , qui ont eu
les mêmes fuccès . Il lui en vient de toutes
parts les certificats les plus authentiques
qu'on peut voir dans les différens volumes
de norre Mercure , depuis 1756 , où il les
a fait inférer. Il s'engage de plus à en
montrer les originaux à quiconque pourroit
avoir quelque doute là - deffus .
Il eft fâcheux qu'après tant d'expériences
réitérées & foutenues depuis fi longtemps
, M. Keyfer fe trouve obligé de réfuter
un Libelle tel que celui de M. Menage
, & dont la malignité eft d'autant
>
fro MERCURE DE FRANCE.
plus dangereuse que la fignature de M. le
Grau pourroit en impofer. Pour mettre la
fauffeté des faits qu'il contient dans tout
leur jour , M. Keyfer pria M. de Roquemont
, Commandant du Guet , dont l'équité
lui étoit connue , de vouloir bien
prendre la peine de les éclaircir.
M. de Roquemont fit venir chez lui MM.
le Grau & Menage , & les interrogea en préfence
de MM.Keyfer & Guérin , Chirurgien
Major des Moufquetaires. Ce dernier s'y
trouva à l'invitation de M. le Maréchal de
Biron , qui n'ayant jamais entendu dire
que des accidens femblables à ceux dont le
Libelle fait mention , fuffent arrivés dans
fon hôpital , avoit fouhaité qu'un Maître
de l'art pût vérifier ces faits par lui-même ,
& l'informer de la vérité. A cette occafion
on fait un précis de tout ce qui s'eft
paffé à l'interrogatoire de MM . le Grau &
Menage , chez M. de Roquemont , en préfence
de MM. Guérin & Keyfer. Nous ne
nous engagerons point ici dans les détails
que comporte toute cette procédure , qui
eft trop longue pour pouvoir la rapporter
ici. D'ailleurs nous nous preffons de finir
cet article , qui commence à excéder les
bornes dans lesquelles nous avons coutume
de nous renfermer. Nous aimons mieux
renvoyer à la Réfutation même , où l'on
JUILLET. 1758.
fera plus à portée de s'inftruire à fonds de
toutes les chofes dont il s'agit. Nous ne
fçaurions en trop recommander la lecture
aux perfonnes qui font intéreffées à ne pas
laiffer furprendre leur bonne foi
par les
imputations atroces dont on a rempli le
Libelle qui en eft l'objet . On a produit à
la fuite de cette Réfutation une lifte des
villes où il s'eft fait des épreuves fous les
yeux les plus éclairés , & où le remede
de M. Keyfer a parfaitement réuffi . Elle
eft accompagnée de certificats authentiques
, qui en atteſtent la vertu d'une maniere
non équivoque. Ils ont été délivrés
par plufieurs Maîtres de l'art , & autres
perfonnes illuftres , qui ont été témoins
des guérifons opérées par ce remede . Ce
font là autant de preuves de faits qui dépofent
en faveur de fa bonté , & qui lui
donnent tous les caracteres d'approbation
que l'on peut defirer. Il eft aifé de s'appercevoir
que l'acharnement avec lequel
on s'efforce de le diffamer , vient moins
de l'amour de la vérité , que du chagrin
que l'on reffent de le voir accrédité avec
d'autant plus de juftice , qu'il eft abfolument
efficace pour la cure des maladies
auxquelles il eft propre. Ce chagrin pourroit
bien avoir pour fondement la diminu
tion du lucre que l'on étoit dans le cas de
IIZ MERCURE DE FRANCE.
tirer , en les traitant par la voie beaucoup
plus douteufe des frictions mercurielles.
Les adverfaires de M. Keyfer ont beau tâcher
de couvrir d'une apparence de zele
pour les progrès de l'art les violentes déclamations
auxquelles ils s'abandonnent
contre lui , ils laiffent percer l'étrange
paffion qui les domine . Nous croyons que
c'eft là tout le fujet de leur mauvaife humeur.
Quand il n'y auroit que cette raison,
elle fuffiroir pour décider le procès à l'avantage
de M. Keyfer.
TABLETTES Hiftoriques. A Paris , chez
Heriffant , rue Notre- Dame , 1758 , petit
in-12 de 150 pages.
L'Auteur des Tablettes que nous annonçons
les a dédiées à M. le Prince de
Lambefc. Il nous dit dans une courte Préface
qui eft à la tête , que le goût dominant
du fiecle où nous vivons , eft de s'inftruire
à de frais . La lecture des gros.
peu
volumes rebute prefque tout le monde :
c'eft ce qui l'a engagé à en donner un ,
dont la groffeur ne produira pas pas affuré
ment cet effet : il ne fera pas même befoin
d'application pour l'entendre . Notre Auteur
a cru devoir le proportionner à la légéreté
de fes compatriotes : les plus paref
feux y trouveront leur compte , puifqu'il
JUILLET. 1758. 113
voulu leur faciliter les moyens d'acquérir
les notions indifpenfables de l'Hiftoire
de la maniere la plus fuccincte , & en même-
temps la plus prompte. C'eft ce qu'il a
exécuté dans les Tablettes qu'il vient de
mettre au jour : il a pris foin d'y marquer
tous les événemens mémorables qui fe font
fuccédés depuis la création du monde jufqu'à
notre temps , en les rangeant par ordre
chronologique , felon les dates auxquelles
ils fe rapportent. Il difpenfe les
Sçavans de profeffion d'y recourir , parce
qu'ils n'ont pas befoin des foibles fecours
que l'on en peut tirer : il les a uniquement
deftinées à l'ufage de ceux à qui leurs affaires
, ou d'autres foins , ne permettent pas
de fe livrer à une étude fuivie , & furtout
des Dames qui , pen faites pour s'appefantir
fur des difcuffions chronologiques ,
feront bien- aife de retrouver un tableau
raccourci de l'Hiftoire , après s'être amufées
des détails . Quand je ne ferois , dit- il ,
utile qu'à cette belle partie de la fociété ,
je ne croirois point avoir perdu mes peines.
La déférence de l'Auteur pour les perfonnes
du fexe mérite bien qu'elles faffent
un accueil favorable à fon livre. C'eſt
ce que nous pouvons lui fouhaiter de
mieux , puifqu'il afpire principalement à
leur plaire , en prenant à tâche de travail114
MERCURE DE FRANCE:
ler pour leur inftruction . Cependant nous
confeillerons à l'Auteur de ne pas négliger
la voie qui peut contribuer à leur amufement
; nous la croyons beaucoup plus
sûre pour obtenir leurs bonnes graces.
It paroît actuellement un feptieme vofume
in-4° . de la Collection Académique
qui fait le cinquieme tome de la Partie
Etrangere. Comme les faits d'Hiftoire naturelle
fe trouvent en petit nombre dans
les trois premiers volumes de cette Collection
, on a voulu fuppléer à ce qui manquoit
pour cette partie , en publiant de
fuite deux tomes , qui y font uniquement
relatifs . Celui qu'on donne aujourd'hui
contient , comme on l'avoit promis , la traduction
des deux volumes infolio du célebre
Ouvrage de Jean Swammerdam , intitulé
, Biblia Natura , qui renferme un
corps d'obfervations fur les infectes , dont
il forme par-là une hiftoire affez complette.
C'eſt cette raifon qui a engagé à rédiger
les deux tomes , afin de les réunir en
un feul. Il faut fçavoir que cet Ouvrage
de Swammerdam paroît traduit en notre
langue pour la premiere fois. Ceux qui
ont entrepris de l'enrichir d'une producrion
auffi curieufe , acquierent des droits
Bien fondés à la reconnoiffance de toutes.
JUILLET. 1758. 115
perfonnes qui s'occupent de l'étude de la
nature , & particuliérement de celles qui
jouiffent d'une fortune trop médiocre pour
pouvoir fe procurer , fans s'incommoder
beaucoup , un livre de cette valeur. C'eſt
leur rendre un fervice effentiel , que de
leur faciliter ainfi la connoiffance de cette
Bible de la Nature , qui eft extrêmement
chere par rapport à fa rareté : cela feul fuffit
pour détourner de l'acheter . Le Libraire
qui eft chargé de l'impreffion de l'Ouvrage
dont il s'agit , ayant égard au motif
que nous venons d'alléguer , offre de
vendre féparément ce cinquieme volume à
ceux qui n'ont pas jugé à propos de foufcrire.
Mais comme ce nouveau tome a occafionné
une plus grande dépenfe que les
quatre premiers , par le nombre confidérable
de gravures dont il eft orné , par la
quantité d'additions & de notes qui ont
été ajoutées au texte de l'Auteur Hollandois
, & par fa groffeur , il eft forcé d'en
fixer le prix à quinze livres en feuilles , pápier
ordinaire . Il eft certain que tout cela
ne contribue pas peu à relever le mérite du
volume que nous annonçons : nous le
croyons à cet égard , fupérieur à celui des
autres qui l'ont précédé , quoique la partie
Typographique foit également bien
exécutée. On avertit de plus que les Souf11
MERCURE DE FRANCE:
cripteurs , & en général les perfonnes qui
prendront le corps entier de la Collection
Académique , ou feulement les cinq tomes
de la partie Etrangere , payeront ce volume
au même prix que tous les tomes de cet
Ouvrage , qui leur ont déja été délivrés.
On propofe le même avantage à ceux qui
demanderont à foufcrire , en faisant l'acquifition
de ce feptieme volume , & pour
la rendre encore plus facile , le Libraire
s'engage à prolonger le terme de la foufcription
jufqu'à la fin du mois d'Août prochain
, aux conditions énoncées dans le
Profpectus , qui a été publié pour cet Ouvrage
depuis le mois d'Avril 1757.
"
La traduction de cette Bible de la nature,
compofée par le Naturaliſte Hollandois
eft précédée d'un Avertiffement de la façon
de M. Gueneau , Editeur des quatre volumes
de cette Collection . Il équivaut par fa
longueur à une Préface dans les formes.
M. Gueneau après avoir fait connoître fuccinctement
ce que renferme de particulier
cette traduction , & les différences qui fe
trouvent entr'elle & le texte original , met
fous les yeux de fes Lecteurs un abrégé de
la vie de Swammerdam , qu'il a tiré pour
le fonds de celle que Boerhaave a mifè à la
tête de l'édition Hollandoife & Latine du
Biblia natura..
JUILLET. 1758. 117
à
M. Gueneau entre enfuite dans un détail
fort curieux fur les opérations microfcopiques
& anatomiques à la faveur defquelles
notre Naturaliſte étoit parvenu
découvrir la ftructure & l'économie des
infectes , & particuliérement leurs tranfformations
. Cet Avertiffement eft terminé
par une difcuffion approfondie d'une des
opinions que Swammerdam s'étoit efforcé
d'établir ; c'eft celle de l'impoffibilité prétendue
de la génération fpontanée .
Tout ce morceau où M. Gueneau déploie
beaucoup de fagacité & de force de
raiſonnement , eft marqué à un coin vraiment
philofophique. Il fert à confirmer
l'opinion avantageufe qu'on a dû concevoir
du talent que l'Auteur a d'exprimer
fes idées avec autant d'énergie que de netteté
, par la lecture de fon Difcours préliminaire
qui eft à la tête du premier volume
de la Partie étrangere donnée en 1755.
Nous en avons rendu compte alors , &
nous croyons pouvoir le rappeller ici avec
l'éloge qu'il nous paroît mériter. A l'égard
de l'ouvrage de Swammerdam , dont on
préfente aujourd'hui la Traduction en notre
Langue , nous allons indiquer fuccinctement
fon objet.
Il eft divifé en quatre parties , dont la
premiere traite de l'état de Nymphe con118
MERCURE DE FRANCE.
fidéré comme le fondement de toutes les
transformations , de toutes les métamorphofes
, ou plutôt de tous les développemens
fucceffifs de l'infecte.
Notre Naturalifte écarte dans la feconde
partie les nuages que le préjugé & l'erreur
avoient répandus fur cette matiere. Il
établit dans la troifieme quatre ordres de
développemens , auxquels fe rapportent
d'elles- mêmes toutes les variétés qui s'obfervent
dans les prétendues transformations
des infectes ; transformations qui ,
felon lui , ont toutes leur principe & leur
origine dans l'état de Nymphe. Il apporte
dans la quatrieme des exemples particuliers
de ces quatre ordres de développement
, dont il facilite l'intelligence , en
joignant partout où il a été néceſſaire des
figures gravées aux defcriptions le plus
exactement circonftanciées. On ne doit
pas être étonné de voir les deux volumes
in folio , que comporte cette Bible de la nature
, réduits à un feul in quarto dans la
Traduction Françoife . Il faut fçavoir que
l'édition Latine donnée par Boerhaave eft
accompagnée du texte Hollandois qui la
groffit de moitié. C'eft la Langue dans laquelle
l'Auteur a originairement écrit.
Comme il a d'ailleurs chargé fon Ouvrage
de beaucoup de réflexions en partie chaJUILLET
. 1758. 119
grines , en partie dévotes , qui fe reffentoient
de fon commerce avec la Bourignon ,
de raiſonnemens diffus fur les fins de la
nature, de longues digreffions fur la mifere
de l'homme , les Traducteurs ont jugé à
propos de retrancher , ou d'abréger toutes
ces chofes qui étoient affez étrangeres au
plan & au but de l'Ouvrage. Ils ont égale,
ment omis les réfutations devenues inutiles
par le difcrédit actuel des opinions
réfutées , & les perfonnalités auxquelles il
a eu la foibleffe de fe livrer contre des
détracteurs aveuglés par l'ignorance ou
l'envie , à qui il ne devoit que le plus profond
mépris. Ils ont auffi diminué le nombre
des planches en preffant les figures plus
qu'elles ne le font dans l'original , & fupprimant
celles qui leur ont paru fuperflues.
Telles font les figures qui ne difent aux
yeux rien de plus que ce que les defcriptions
de l'Auteur difent à l'efprit , & encore
celles qui étant groffies à un fort microſcope
, ne font voir aucune partie qui
ne foit affez diftincte dans les figures de
grandeur naturelle. Ils nous affurent n'avoir
rien négligé de tout ce qui a dépendu
de leurs foins , pour que celles qu'ils ont
confervées , fuffent copiées avec la plus
grande fidélité & la derniere exactitude.
Ils n'ont pas cru devoir fe borner à de
120 MERCURE DE FRANCE:
fimples retranchemens , pour donner plus
de perfection à l'Ouvrage de Swammerdam
; ils le font propofés d'en rendre l'utilité
plus générale , en ajoutant tout ce qui
pouvoit contribuer à compléter les découvertes
de l'Auteur Hollandois. Ils ont puifé
dans les meilleures fources ces additions
qu'ils ont mifes en notes.Ils nous difent que
pour peu qu'on veuille prendre la peine
de les rapprocher des Ouvrages d'où elles
font tirées , on trouvera fouvent réduit à
quelques lignes tout ce que de longs difcours
peuvent renfermer de nouveau .
Cette comparaifon perpétuelle que l'Editeur
& fes Collegues ont été par- là à portée
de faire des obfervations de Swammerdam
avec celles des autres Naturaliftes , les a
mis en état de rendre cette Traduction
auffi exacte qu'on peut le défirer , quoiqu'elle
ne foit pas faire immédiatement
d'après l'original Hollandois , mais d'après
la Traduction Latine dont on eft redevable
au Docteur Gaubius. Partout où ils ont été
arrêtés par des difficultés , ils ont confulté
la nature ou ceux qui l'avoient obſervée ,
& cette refſource leur a infiniment plus
fervi que la connoiffance parfaite de la
Langue Hollandoife. Outre les additions.
dont nous venons de parler , les notes contiennent
encore des éclairciffemens fur
la
JUILLET. 1758 . 12t
la concordance des noms des infectes , des
remarques critiques fur quelques opinions
de Swammerdam , ou fur les cenfures injuftes
qu'il a effuyées . Quelquefois ils ont
indiqué leur penfée dans le texte même
par de petites parenthefes italiques , qui ,
fans interrompre la lecture , précautionnent
le Lecteur contre ce qui leur paroît
s'éloigner de la vérité. Dans tout cela ils
ont eu pour but de la défendre , de combattre
l'erreur , & d'affigner à chaque opi
nión douteuſe fon jufte degré de probabilité.
Si les Traducteurs ont parfaitement
rempli la tâche qu'ils fe font impofée ,
c'eſt une décifion dont nous laiffons le
foin au Public éclairé & équitable , qui'
fçaura , beaucoup mieux que nous , apprécier
le mérite de leur travail.
On nous fait efpérer pour la fin du
mois de Janvier prochain un tome fuivant
, qui fera le buitieme de la Collection
entiere , & le fixieme de la Partie étrangee.
Il formera le premier volume de la Phyfique
Expérimentale séparée ; il fera compofé
de l'Extrait des Recueils des Académies
, & des Ouvrages périodiques , quant
à la phyfique expérimentale & à la chymie.
CORPUS Juris Civilis & Romani , cum
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Notis integris Dionyfii Gothofredi , Modii ;
Vanleuwen , & aliorum ; additi quoque locis
convenientibus Indices Titulorum ac Legum
emendatiffimi : præmiſſa eſt Hiſtoria & ChronologiaJuris
Civilis Romani quafingulari methodo
Legum latarum tempus defignat. Cart
magnâ, in fol, 2vol , AParis, chez Saugrain,
fils aîné , Libraire , Grand'Salle du Palais ,
au fixieme Pilier, vis- à- vis l'Escalier de la
Cour des Aides , à la Bonne Foy couronnée.
On nous affure que cette Edition mérite
la préférence fur toutes celles qui l'ont précédée.
Elle a été corrigée très- exactement
par un habile Jurifconfulte qui a rectifié
toutes les fauffes citations , & a remédié à
toutes les autres inexactitudes qui s'étoient
gliffées dans les Editions précédentes.
Les Lettres qu'on a miſes en uſage pour
renvoyer du Texte aux Notes , embarraffoient
le Lecteur ; l'on s'eft fervi de chif
fres pour ces renvois , & l'on ſe flatte
que l'on fentira l'utilité de ce changement.
L'on a employé du papier plus grand
que celui des précédentes Editions , afin
de pouvoir fe fervir d'un caractere plus
gros pour le Texte & pour les Notes , &
pour ménager la vue du Lecteur .
L'on avertit que ces deux volumes fe
JUILLET. 1758: 123
vendront reliés 42 1. jufqu'au premier Octobre
de la préfente année 1758. paffé lequel
temps , il vaudront 60. 1.
LA Vie de M. Lautour du Châtel ,
Avocat au Parlement de Normandie , contenant
une notice de fes Ouvrages , &
quelques particularités fur la vie de M. de
Mézerai , Hiftoriographe de France , par
M. Lautour , Lieutenant général des Eaux
& Forêts de France , en la Table de Marbre
du Palais à Rouen. A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Jombert , rue Dauphine
, 1758 , petite Brochure de 60
pages.
Comme M. Lautour du Châtel a été un
de ces hommes de lettres dont la célébrité
n'eft pas proportionnée au mérite de leurs
travaux , à caufe du peu d'empreffement
qu'ils ont de les rendre publics , on doit
fçavoir gré à l'Auteur de ce petit Ouvrage,
qui fe fait lire avec plaifir , du foin qu'il
a pris d'écrire fa vie , dont nous allons
dire deux mots.
M. Lautour du Châtel naquit en 1676
à Argentan , ville de Normandie , de Jean
Lautour , Confeiller du Roi , Subftitut au
Bailliage de la même ville . Il étudia dans
la célebre Univerfité de Caen , & il s'y
diftingua par différens prix qu'il remporta .
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Son mérite le fit connoître des perfonnes
de la premiere diftinction , & les éloges
qu'il en reçut , l'animerent à cultiver de
plus en plus fes talens . Son goût fe déclara
principalement pour ce genre d'étude
, qui tient à des recherches utiles &
curieufes fur divers fujets. Il fournit un
grand nombre d'additions au Dictionnaire
de Trévoux , de l'édition de 1721 ; mais
on oublia le témoignage de reconnoiffance
qu'on lui devoit ; ce qui occafionna une
difpute littéraire , dont les Journaux ont
fait mention dans le temps , & dont l'Auteur
de cette vie rend compte avec beaucoup
de modération & de fageffe.. « Je
» n'aime pas , dit- il , ce qui eft polémique,
» parce que je fçais que toutes les contro-
» verfes font pleines d'un fiel qui dépare
» les chofes ingénieufes ou inftructives
qu'on y trouve. Auffi avouerai- je ingé-
» nuement que ç'a été pour moi un détail
pénible de rendre compte de cette
» altercation que M. Lautour a eue. Je
» l'euffe fupprimée de bon coeur, fi la tâche
» que je me fuis impofée d'en écrire la
» vie , ne m'en eût fait une loi. Je me bor-
» nerai donc à dire que les 2800 articles
» ont été employés dans le Dictionnaire
» de Trévoux , & je fuis trop Alatté que
» fes travaux foient utiles au Public , pour
99
»
ور
و د
و د
JUILLET. 1758 . 125
ne pas oublier le filence qu'on a encore
»jugé à propos de garder à fon égard dans
la préface du Supplément " .
Les affaires les plus fâcheufes produiſent
quelquefois des avantages. Celle dont nous
venons de parler , fut de ce nombre. Elle
lui procura la connoiffance du P. le Long,
de MM . l'Abbé d'Olivet , Gouget , le Préfident
Hénault, & de quelques autres gens
de lettres , avec qui il entretint jufqu'à fa
mort un commerce de lettres.
Quoique confiné dans le fond d'une
province , la réputation de fes talens avoit
affez percé dans le monde littéraire pour
engager diverfes perfonnes à le confulter
fur des matieres de pure critique ou d'érudition
. Il donnoit à cet égard toutes les
fatisfactions qu'on devoit naturellement
attendre de fon efprit , & de fon humeur
officieufe , qui le rendoit fort communicatif.
Auffi voit - on dans plufieurs livres
publiés en ce temps - là ,le nom de M. Lautour
du Châtel cité avec éloge . Il détrompa
furtout le P. le Long de quelques idées
peu exactes fur le compte de M. de Mézerai,
qu'il avoit adoptées trop légérement
d'après la lecture de la Vie de cet Hiftoriographe,
compofée par M. Larroque , qu'on
accufe, avec beaucoup de fondement , d'infidélité
dans la plupart des circonftances
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle contient. C'eft ici qu'on trouve les
particularités qui concernent M. de Mézerai
, annoncées dans le titre de cette
Brochure , dont l'Auteur faifit l'occafion
de repouffer avec force quelques traits injurieux
tout à la fois à fa perfonne & à fa
mémoire , que M. Larroque a affecté de
rapporter pour fléttir la gloire que cet
Hiftoriographe s'eft acquife par fes Ouvrages.
Les bornes dans lefquelles nous
fommes obligés de nous renfermer , ne
nous permettent pas d'entrer dans aucun
détail à ce fujet. Nous invitons ceux qui
s'intéreffent à l'hiftoire des Gens de lettres
à lire ce Morceau , qui pourra fatisfaire
leur curiofité. Difons feulement que M.
Lautour , le Lieutenant général , eft neveu
de celui dont il nous donne la vie , &
petit neveu de M. de Mézerai , du côté des
femmes. Il eft naturel qu'en cette derniere
qualité il prenne un intérêt très- vif à la
réputation de cet Ecrivain , qui honore
affurément la France , & qu'il fe faſſe un
devoir de la défendre contre ceux qui
l'ont injuſtement attaquée. Nous finirons
par dire qu'on trouve après cette Vie de
M. Lautour un catalogue des Ouvrages
qu'il a laiffés manufcrits , en affez grand
nombre , dans l'ordre qui fuit . Nous ne
fçaurions mieux faire que d'inviter M. for
JUILLET . 1758. 127
Neveu , qui en eft poffeffeur , de procurer
au Public ceux qu'il juge propres à fervir
à fon inftruction .
Dialogue entre Efope & Platon. Traité du
Blafon . Anecdotas curieufes. Obfervations
diverfes fur la Grammaire Françoise . Obfer
vations fur le Dictionnaire de Moréri . Traité
Sur les preferiptions . Les Auteurs mafqués
reconnus. Tableau des Poëtes François ,
par ordre alphabétique & chronologique . Catalogue
alphabétique des Auteurs Grecs &
Latins , qui ont été traduits en François
'avec l'année des traductions. Difcours fur la
Peinture. Difcours fur la Sculpture. Hiftoire
chronologique de tous les Ordres militai
res & de chevalerie , &c.
COMMENTAIRES fur la Cavalerie , par
M. de Bouffanelle , Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , Capitaine
au Régiment de Cavalerie de S. Aignan
Membre de l'Académie des Sciences &
beaux Arts de la Ville de Beziers . A Paris ,
chez Guillyn , Quai des Auguſtins , du côté
du Pont S. Michel , au Lys d'Or . 1758.
in-12 de 400 pages.
PLAN de réforme pour le Miffel , contenant
une nouvelle diftribution des Evangiles
, dit Propre du Temps , Ouvrage uti-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE:
le aux Perfonnes chargées de travailler {
de nouveaux Miffels ,
› par M. l'Abbé * * *
Chanoine de l'Eglife de Verdun . A Paris ,
chez Auguftin Martin Lottin , l'aîné , Imprimeur-
Libraire , rue S. Jacques , près S.
Yves , au Coq. 1758. in- 12 . de 111 pages
fans la Préface .'
L'Auteur nous dit dans fa Préface , que
depuis plufieurs années on a publié en
France de nouveaux Miffels à l'ufage de
différens Diocefes. Il avoue que les chan
gemens qu'on y a faits les rendent fupérieurs
aux anciens ; cependant ils ne fuffifent
pas encore , à fon avis , pour donner
au Miffel le degré de perfection dont il eft
fufceptible. Voici à quoi fe réduifent ces
changemens.
On a réformé dans ces nouveaux Miffels
, les introits , les Graduels , les Alleluia,
les Traits , les Offertoires , les Communions.
Ce font autant de paffages de
l'Ecriture Sainte , dont le choix paroît trèsjudicieux
au Chanoine de Verdun . On y
a mis auffi de nouvelles Oraifons & de
nouvelles Préfaces. Notre Auteur est étonné
de ce qu'on n'a pas étendu cette réforme
fur les Epitres & les Evangiles , dont
on a confervé l'ancienne diftribution : il
n'approuve pas le fcrupule qu'on femble
s'être fait d'y toucher : il trouve que cette
JUILLET. 1758. 129
་
déférence qu'on a eue pour cette partie du
Miffel eft mal fondée , puifqu'elle a felon
lui , autant befoin pour le moins d'être rectifiée
les autres . Dans tous les Mifque
fels les Meffes font partagées en trois claffes
, le Propre du Temps , le Propre des
Saints , & le Commun des Saints . La Réforme
, qu'il juge néceffaire , n'a pour objet
que le Propre du Temps : les Evangi
les du Propre du Temps font le récit des
principaux myfteres de notre religion , &
des principales actions de Jéfus- Chrift :
enforte que le Propre du temps forme une
efpece de narration hiftorique de la vie de
Jésus -Chrift , qu'on met devant les yeux
des Fideles , pour leur faire connoître les
merveilles que cet homme Dieu a opérées
pour leur rédemption.
L'Auteur croit que cette narration approchera
d'autant plus de la perfection ,
qu'il y aura plus d'ordre dans les fujets
qui y font rapportés ; & c'eft cet ordre
qu'il dit avoir été fort négligé dans tous
les Miffels qui ont paru jufqu'à préfent.
Pour donner une pleine conviction de ce
qu'il avance , il fait des remarques fuivies
fur tous les Evangiles du Propre du temps,
& il y a ajouté les changemens qui lui ont
paru néceffaires , pour les ranger dans un
ordre plus convenable. C'eft la tâche qu'il
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
s'eft propofé de remplir dans ce petit Ou
vrage, dont nous allons indiquer le deffein.
Il divife l'Année eccléfiaftique en fix parties
, fçavoir , 1°. l'Avent , 2 °. le temps
depuis Noël jufqu'à la Septuagéfime , 3 ° .
le temps depuis la Septuagéfime jufqu'au
Carême , 4° . le Carême , 5° . le temps pafchal
, 6°. le temps depuis la Trinité jufqu'à
la fin de l'Année eccléfiaftique. Après
cette divifion de l'Année, voici la maniere
dont notre Auteur fait l'application des
Sujets. En Avent , il rapporte ce qui a
précédé la naiffance de Jésus- Chriſt. Depuis
Noël jufqu'à la Septuagefime , il rapporte
la naiffance de Jésus- Chrift , & ce
qui l'a fuivi de plus près. Depuis la Septua
géfime jufqu'au Carême , il rapporte la prédication
de Saint Jean dans le défert. En
Carême, il rapporte la prédication de Jéfus-
Chrift pendant les trois dernieres années
de fa vie , fa paffion & fa mort. Au temps
pafchal, il rapporte la réfurrection de Jéfus-
Chrift , toutes fes apparitions , les inftructions
qu'il donna à fesDifciples avant que
de les quitter , fon afcenfion , enfin la
defcente du Saint Efprit. Depuis la Trinité
jufqu'à la fin de l'Année eccléfiaftique , il
rapporte les fujets d'Evangiles qui n'ont
pas un rapport effentiel avec les autres
temps de l'année , & que l'on n'a pu lire
plutôt.
JUILLET . 1758. 131
LETTRE de Monfieur ** à Monfieur ***
de l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles - Lettres , fur quelques Monumens
d'antiquité , avec figures . A Paris , chez
Barrois , quai des Auguftins , & Duchesne,
rue Saint Jacques , au Temple du goût
in. 12 de 21 pages , fans les planches.
>
L'Auteur de cette Lettre nous apprend
qu'ayant été mené , il y a quelque temps ,
chez un Curieux de monumens antiques ,
plufieurs morceaux précieux , tant en Hiftoire
Naturelle , qu'en Antiquités , s'offrirent
à fa vue. Le premier qui fixa fon attention
, étoit un Mercure de bronze ,
que ce Curieux lui dit avoir été trouvé
dans le Gatinois , par des ouvriers qui
fouilloient la terre . Ce Mercure eft nu ;
il porte fur la tête deux bouts d'aîles tronqués.
Il tient dans fa main droite une
bourfe arrondie , & de fa gauche, une portion
de caducée , qui a été détruit par vétufté
, comme le font auffi les extrêmités
de fes pieds : mais ce qu'il y a de vraiment
fingulier , eft une bande large , qu'il porte
en maniere de baudrier. Cette bande eft
plus étroite vers fon extrêmité fupérieure ,
qui fe termine en pointe. Elle prend ſon
origine un peu au deffus de l'omoplate
droite , d'où elle remonte fur l'épaule du
même côté , & defcend obliquement le
F vj
132 MERCURE DE FRANCE:
long de la poitrine & du ventre , pour fe
terminer , en s'arrondiffant , à la partie
moyenne latérale de la cuiffe gauche , laiffant
cependant une portion de fon extrêmité
inférieure libre & flottante . Cette
bande a d'ailleurs un fillon remarquable,
qui la tranche d'un bout à l'autre dans
fon milieu, tandis que le nombre de petits
fillons la traverſent obliquement dans toute
fa longueur. Ce Mercure porte trois pouces
huit lignes de haut , & à juger , felon
notre Auteur , de ce morceau , par le goût
du deffein , on le croiroit volontiers un
Mercure Gaulois. Il fit inutilement diverfes
queſtions à l'Amateur fur la fingularité
de ce Monument. Celui - ci ne put fatisfaire
fa curiofité , ni lui donner les éclairciffemens
qu'il auroit voulu en tirer à ce
fujet. Il ajoute que toutes les recherches
qu'il a faites depuis à ce fujet , dans différens
cabinets , ne lui ont rien offert qui y
reffemblât . Il prétend avoir encore moins
trouvé de lumieres dans les Collections.
d'antiquités qu'on a gravées & publiées
jufqu'à préfent . En un mot ce Monument
lui paroît unique , & digne d'exercer la
critique des Sçavans . Il croit que ç'eût été
une négligence impardonnable de ne le
point publier. Il fe trouva encore dans le
nombre des raretés qui appartiennent à
JUILLET. 1758. 133
匾
ce même Curieux , un double Vafe de
bronze , fur lequel fes regards fe porterent
attentivement. Ce Vafe repréfente deux
corps fphériques , ayant chacun une trèsgrande
ouverture. Ils font joints l'un à
l'autre par le ventre , & ils le font par
leurs orifices , au moyen d'un jet qui traverfe
d'un bord à l'autre. Ils n'ont d'ailleurs
aucune communication par leurs cavités
, qui ont chacune quatre pouces huit
lignes dans leur plus grand diametre tranfverfal.
Chacun de ces Vafes eft ceint vers
fon milieu d'un cordon entre deux baguettes
rondes. Leur hauteur porte fix pouces
quatre lignes , en y comprenant leurs
pieds , qui font au nombre de trois , pour
le foutien de ces deux capacités fphériques.
Chaque pied eft terminé par un maſque
de figure humaine. Les deux bélieres qui
devoient recevoir l'anfe , font oppofées
entr'elles , & ont la même direction que
le jet. Elles préfentent auffi dans leur angle
faillant un mafque de figure humaine.
Ils contiennent chacun une pinte de liqueur
, mefure de París . Notre Auteur
'n'ofe pas plus hazarder fes conjectures fur
cette piece rare & curieufe , que fur la précédente
, dans la crainte où il eft de ne
pouvoir pas rencontrer jufte. Il s'autorife
de l'exemple de M. le Comte de Caylus
134 MERCURE DE FRANCE .
qui a gardé le filence fur ce double Vaſe :
cependant cet illuftre Académicien s'en
étoit procuré la connoiffance long - temps
avant que de publier fon fecond Volume
d'Antiquités , où il a recueilli les monumens
& fragmens épars dans différens cabinets.
Le fuccès avec lequel il cultive ce
genre de littérature, juftifie pleinement les
éloges qu'on lui donne par occafion dans
cette Brochure. L'Auteur de cette Lettre
s'engage à continuer d'employer la même
voie pour entretenir la perfonne à qui il
écrit , de la fuite de fes découvertes chez
le Curieux dont il a été fi gracieuſement
accueilli , & de quelques autres qu'il a faites
ailleurs. Il a jugé à propos de terminer,
pour cette premiere fois , le récit de ſes
obfervations par deux fingularités de la
même nature. Ce font deux Pierres , dont
l'une eft hématite, & l'autre de jafpe , d'un
verd bleuâtre foncé. L'une & l'autre font
gravées en creux des deux côtés , & paroiffent
à l'Auteur des Talifmans Egyptiens.
On en peut voir dans la Brochure
qui n'eft pas longue , une defcription auſſi
détaillée que les deux autres Monumens
dont nous venons de parler.
L'auteur montre autant de réſerve que
de modeftie dans la maniere dont il propoſe
ſon ſentiment fur ces deux Pierres ,
JUILLET. 1759. 135
& il uſe de l'honnête liberté qui doit régner
parmi les Gens de Lettres , en s'écartant de
celui de M. le Comte de Caylus , qui ,
dans fon Recueil d'Antiquités , tom. z,
pag. 14, n. 3 , décrit une figure femblable
à celles- ci . Cet Académicien la donne pour
un Vaſe Egyptien : mais notre Auteur eft
plus porté à croire qu'elle repréfente un
inftrument de mufique. Il eft à propos de
ne point laiffer ignorer le nom du Curieux
qui eft poffeffeur de ce Cabinet d'Antiquités
& d'Hiftoire Naturelle. C'eft M. Picard,
qui demeure à Paris , rue Saint Martin
près Saint Merry . Les Amateurs de ces
fortes de raretés , font fûrs de trouver chez
lui un libre accès : c'eft ce dont l'Editeur
fe rend garant, par l'accueil qu'il en a reçu
lui- même .
"
L'ART de la Cavalerie , on la maniere
de devenir bon Ecuyer , & de dreffer les
chevaux pour le manege , la guerre , la
promenade , l'attelage , la courfe , le tournois
ou le carroufel , &c. avec des remarques
curieufes fur les harras ; une idée générale
des maladies des chevaux ; l'explication
de toutes les pieces qui compofent
les différentes fortes d'équipages , & des
obſervations fur tout ce qui peut bleffer
ou gêner les chevaux ; par M. Gafpard
136 MERCURE DE FRANCE:
Saunier , in-fol: A Paris , chez Jombert
Imprimeur- Libraire du Roi , pour l'Artillerie
& le Génie , rue Dauphine , à l'Image
Notre- Dame , 20 liv .
Le Gentilhomme Maréchal , tiré de l'Anglois
de Jean Bartlet , in- 12 avec fig. 1755 .
Chez le même Libraire , 3 liv.
Suite du même Ouvrage , contenant les
moyens de conferver la fanté des chevaux,
tant en route que dans l'écurie , de les
élever , &c. Chez le même Libraire ,
2 liv . 10 fols .
OEuvres Anatomiques de M. du Verney ,
de l'Académie royale des Sciences , 2 vol.
in-4° , avec fig. fous preffe . Chez le même
Libraire .
Traité de l'Arpentage & du Toifé , ou
Méthode facile pour arpenter & meſurer
toutes fortes de fuperficies ; contenant l'Arithmétique
, la Géométrie théorique &
pratique , la Trigonométrie rectiligne ,
l'Arpentage , le Nivellement , le Toife des
folides & de la maçonnerie , le Toifé des
bois de charpente , fuivant la Coutume de
Paris ; avec un nouveau Tarif pour la réduction
des bois quarrés , & un Traité de
Géodéfie ou de la féparation des terres ; par
M. Ozanam , de l'Académie des Sciences .
Nouvelle édition confidérablement augmentée
, avec fig. Chez le même Libraire.
JUILLET. 1758 . 137
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GRAMMAIRE.
LETTRE de M. G **, à M. F ** , ſur
l'Inftruction de la Jeuneſſe.
JEne Ene contefte plus, Monfieur, far les réformes
qu'il y auroit à faire dans le cours
ordinaire des études de la jeuneffe . Je
penſe préfentement , comme vous , qu'on
peut commencer fon inftruction plutôt , &
d'une maniere plus aifée qu'on n'a coutu
me de la faire. Un habile Didacticien vient
de m'ouvrir les yeux fur les défauts des
méthodes vulgaires , qu'on fuit toujours
aveuglément par refpect pour fes maîtres ,
qui enfeignent comme ils ont été enfeignés.
C'eft un fçavant qui a négligé plufieurs fois
fa fortune par amour pour les ſciences
exactes , dont l'étude à toujours fait fa
principale occupation . Mais comme il a
auffi toujours eu à coeur de rendre fes connoiffances
utiles aux autres hommes , il
38 MERCURE DE FRANCE.
s'eft propofé en même temps de leur facili
ter l'étude des Langues , & les élémens
de l'Hiſtoire , de la Philoſophie & des Mathématiques.
Le hazard me l'a fait rencontrer , ily a
environ un mois , dans une maiſon où notre
ami N ** m'avoit conduit . A peine étionsnous
entrés , qu'il fortit , & chacun fe mit
auffi-tôt à vanter fa nouvelle méthode d'enfeigner
, comme opérant des prodiges ; ce
que j'étois bien éloigné de croire. Je ne
diffimulai pas même le fentiment contraire
que j'avois pris contre toute nouveauté en
général , fur quoi quelqu'un fe fit fort
de me convaincre de la vérité qu'on avoit
avancée , fi je voulois me rendre dans le
même lieu aux heures que l'on me marqua,
auxquelles le Méthodiſte avoit coutume
de fe trouver. J'acceptai le défi , bien perfuadé
qu'on ne me feroit pas revenir de la
bonne opinion que j'avois conçue pour
mes Maîtres , fur la parole defquels j'étois
bien réfolu de jurer toujours.
Mais que le nouveau Maître m'a bien
vîte fait changer d'opinion ! en me démontrant
de combien d'erreurs l'efprit de
l'homme eft farci , erreurs dont il n'a pas
le moindre foupçon . Vous ne fçauriez
croire , Monfieur , dans quel étonnement
je fuis tombé, lorfqu'il m'a fait voir , avec
JUILLET. 1758 : 139
la derniere évidence , le faux de la plûpart
des principes dont nous fommes imbas
dès l'enfance , & que delà naiffent ces
difficultés rebutantes , qu'on éprouve dans
tout le cours des études. Mais je ne puis
encore digérer cette penfée affligeante ,
qu'entre tant de Maîtres dans les Sciences,
qui doivent faire la bafe d'une éducation
folide , il y en ait à peine un fur cent qui
foit capable d'un emploi fi important , on
qui veuille s'en acquitter foigneufement.
Vous jugerez de la fituation d'efprit où
j'ai dû me trouver par l'expofé que je vais
effayer de vous faire de få maniere d'inftruire
: c'eft du moins ce que j'ai pu recueillir
des conférences particulieres que
j'ai eues avec lui fur les premiers élémens
des connoiffances humaines.
Le Méthodifte en queſtion a travaillé
plus de trente années , tant à la recherche
des caufes qui retardent les progrès des
études , qu'aux moyens de les rendre plus
faciles & plus agréables. Pour proportionner
aux facultés intellectuelles les nouvelles
méthodes qu'il a imaginées , il a
imité la nature , qui , dans fes opérations ,
procede toujours par les voies les plus fimples.
La maniere dont il inculque les principes
dans l'efprit , eft agréable , ne charge
point la mémoire, & ne force aucunement
140 MERCURE DE FRANCE.
la contention des fibres du cerveau. Il
rend tout fenfible d'abord , commençant
par les idées les plus fimples , qui ne fuppofent
rien qui ne foit connu d'avance ,
& il paffe peu à peu à ce qui eft plus compofé
, ou qui fait moins d'impreffion fur
les fens .
Il n'y a perfonne qui ne connoiffe la
peine & le dégoût qu'éprouvent tous les
enfans en apprenant à lire , & le temps
confidérable qu'ils y doivent employer
avant qu'ils puiffent foutenir une lecture
tant foit peu exacte . Mais peu de gens en
ont découvert la caufe dans la défectuofité
de l'alphabet , & dans la fauffe dénomination
des lettres qui le compofent. Au
moins on n'a point encore tenté d'en publier
un complet fur aucune Langue particuliere
, & qui fût compofé d'autant de
caracteres différens , qu'il y a de fens &
d'articulations fimples .
Voilà le premier objet que l'Auteur s'eft
proposé pour faciliter la lecture & l'ortographe
aux jeunes gens de la nation , &
aux Etrangers . A cet effet il a refondu l'ancien
Abécé François dans un nouveau ,
qu'il a compofé de quarante -fix caracteres
différens , dont dix peuvent paffer pour
furnuméraires Auffi démontre-t'il qu'il
n'en faudroit à la rigueur que trente - fix ,
JUILLET. 1758. 141
dont quatorze voyelles & vingt- deux confonnes
, fuivant la jufte quantité de fons.
de voix & d'articulations fimples , dont
toute la Langue Françoife eft compofée :
mais il accorde toute la déférence qu'on
doit à l'ufage.
Par le moyen de ce nouvel Abécé François
, il a prouvé plus d'une fois qu'il n'y
a point d'enfans , depuis l'âge de trois ans.
& au deffus , qui , avec un peu de docilité,
ne foit capable , au bout de fix mois , de
lire imperturbablement quelque difcours
françois ou latin que ce foit , & d'en exprimer
exactement à l'oreille l'ortographe
naturelle. Il n'y a point même de perfonne
avancée en âge qui , ne fçachant ni A , ni
B, ne puiffe en apprendre autant dans
foixante leçons d'une heure chacune . Cette
derniere propofition ne doit point paroître
hyperbolique : l'Auteur m'a affuré qu'il en
fera l'épreuve à forfait quand on voudra.
La dénomination particuliere , qu'il a donnée
à chaque lettre , a un fi jufte rapport
avec le fon ou l'articulation dont cette
lettre eft le figne , que c'eft en cela principalement
que confifte le fûr & prompt effet
de fa méthode.
Tous ceux qui ont fréquenté les colleges
, conviennent auffi que la jeuneffe y
paffe bien défagréablement fept ou huit
42 MERCURE
DE FRANCE
:
années pour apprendre un peu de Latin ,
qui tourne fouvent en pure perte, ou dont
on retire bien peu d'utilité dans le cours
de la vie. Auffi plufieurs ayant fait quelques
réflexions férieufes fur l'ennui & le
dégoût qu'ils avoient effuyé durant tant
d'années , pour acquérir un fçavoir auffi
médiocre , ont bien fenti que le défaut
étoit dans la méthode , & qu'on pourroit ,
par une autre voie , en apprendre davantage
, ou du moins autant , plus vîte &
plus agréablement. Quelques - uns même
ayant tenté , dans des éducations particulieres
, d'applanir la route difficile & commune
, qu'on fait tenir aux jeunes gens
pour les conduire au Latin , ont eu le plai
fir de voir les effets de leurs foins furpaffer
leurs efpérances
.
C'eſt un autre objet que notre Didacticien
s'eft encore propofé. A force de méditer
fur la nature des Langues en général ,
il eft parvenu à former une Grammaire
raifonnée , dont les principes conviennent
à toutes fortes de Langues mortes ou vivantes
, fçavantes ou vulgaires ; & par fes
obfervations fur les caufes du Latin & du
François , il a fait une Méthode qui procure
de ces deux Langues une intelligence
beaucoup plus parfaite & plus prompte
que par toute autre voie qu'on ait fuivie
jufqu'ici .
JUILLET. 1758 143
Il a auffi traité dans le même goût la
maniere d'enſeigner les élémens des autres
Sciences utiles , tels que font ceux de
l'Hiftoire , de la Philofophie & des Mathématiques.
On ne fçauroit croire , fans
l'avoir vu , avec quel plaifir les jeunes gens
s'appliquent, par fa Méthode, à l'Arithmé
tique démontrée fur tous les objets qui en
font fufceptibles , à la Géographie , à la
Chronologie hiftorique , ainfi qu'aux Elémens
d'Algebre & de Géométrie , & avec
quelle ardeur ils fe livrent à l'étude des
parties de la Philofophie , qui peuvent
contribuer à la jufteffe de l'efprit , & à l'é
tendue de fes connoiffances.
Tous ces objets , utiles aux différens
états de la fociété , font diftribués avec ordre
dans de petits compartimens nommés
Tablettes Académiques , qui deviennent
un jeu auffi inftructif qu'amufant pour les
enfans. Les deux fexes en ont fait l'épreu
ve , & ont également démontré l'un &
l'autre que cette nouvelle Méthode , non
feulement donne du goût pour l'étude des
Sciences, mais encore qu'elle épargne plus.
des 2 du temps & de la peine qu'exigent les
Méthodes vulgaires.
Mais il faut auffi vous dire , Monfieur ,
que l'effet le plus certain de cette Didactique
dépend bien moins de l'ordre & de la
144 MERCURE DE FRANCE.
diftribution des matieres , que du talent
fingulier avec lequel l'Auteur s'en fert.
L'enjouement dont il affaiſonne fes difcours
, qu'il fait fubitement varier fuivant
la portée des différens efprits ; fa patience
à laiffer à une idée le temps de naître & de
fe former avant que de paffer à une autre ;
fa douceur , fa politeffe , fes encouragemens
à la moindre réuffite , font comme
l'ame de cette Méthode nouvelle , qui d'ailleurs
eft fondée fur des principes très - bien
raifonnés . Ce feroit un tréfor qu'un tel
Informateur pour des gens opulens , qui
voudroient procurer à leurs enfans une
belle & folide, éducation.
Si vous êtes curieux de converfer avec
cet homme rare , quand vous ferez arrivé
à Paris , notre ami N ** vous en procu
rera la connoiffance . Je pars demain pour
Rome. Adieu .
P. S. Ceux qui voudront connoître
celui qui propofe ce nouveau fyftême ,
lui écriront , en adreffant leur lettre dans
le Mercure.
MONNOIE.
JUILLET. 1758. 145
MONNO IES.
CONJECTURES fur quelques difficultés
touchant la valeur des Monnoies des
VIII , IX, XII , XIII & XIVe fiecles
& les Evaluations Coutumieres , adreffées
à M. *** , par P. A. M. L. A..
J'AI
و
A1 déja eu l'honneur de vous en prévenir
, Monfieur ; je ne me flatte pas de fatisfaire
un efprit auffi jufte & auffi pénétrant
que le vôtre , en répondant aux queftions
que vous me propofez . Vous voulez
fçavoir premiérement ce que vaudroit aujourd'hui
une rente conftituée fous le regne
de Charlemagne. Secondement , quelle eft
la valeur actuelle de cing fous du douzieme
fiecle , temps où nous voyons qu'un vol
de l'équivalent de cette fomme étoit puni
de mort en Allemagne ; comme nous fçavons
qu'à peu près pour le même objet ,
on accordoit dans le même temps le combat
judiciaire en France . Vous demandez
enfin , Monfieur , fi nos Evaluations Coutu
mieres , par rapport à certaines redevances
féodales , ont été faites avec équité , & fi
cette équité fubfifte encore aujourd'hui .
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
+
les
Voilà vos queſtions ; je n'oublierai pas
exemples auxquels vous les appliquez.
Permettez-moi feulement de vous avertir
que ce que vous allez lire exigera quelqu'attention
. Après cela , vous déciderez fi
j'ai fait le modefte en vous annonçant peu
de certitude & beaucoup de conjectures.
Les autorités que je ne manquerai pas de
citer , vous feront voir que je n'ai rien
négligé de ce qui a dépendu de moi pour
réuffir . Avec plus de temps , j'aurois peutêtre
formé plus de doutes , & de nouvelles
conjectures euffent prouvé à tout autre que
vous ,
Monfieur
, que le Philofophe n'eſt
pas le feul à qui l'on puiffe appliquer le
mot de Lucain :
... Vidit , quantâ fub nocte jaceret
Noftra dies,
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , le 7 de Juillet 1757.
Premiere
Question.
A livre numéraire du temps de
Charlemagne étoit du poids de la livre
Romaine , & pefoit douze onces d'argent,
Elle fe divifoit , comme aujourd'hui , en
vingt parties égales appellées fous, & le fou
en douze deniers. Ainfi le denier étoit
JUILLET. 1758. 147
alors , comme à préfent , la 240 ° partie de
la livre. Suppofez que notie marc d'argent,
qui pefe huit onces , foit du prix de 49 liv.
10 fols ; il s'enfuit que la livre de Charlemagne
vaudroit aujourd'hui poids pour ( 1 )
poids , titre pour titre , 74 liv. s fols ; que le
fou de cette livre feroit égal à 3 liv. 14 ር
deniers , & le denier à 6 fols 2 den . de
44
notre monnoie.
3
S
Sous le regne de ce Prince , & même
deux ( 2 ) fiecles après , vingt fous pefoient
donc effectivement une livre ou 12 onces
d'argent ; mais il y avoit un dixieme d'aliage
, qui n'étoit pourtant pas tout entier
au profit du Souverain ; car les particuliers
recevoient vingt & un fous , en portant le
poids d'une livre d'argent à la monnoie.
Pour juger de la rareté de l'argent dans
ce temps-là , & parconféquent de fa valeur
dans le commerce ; il n'y a qu'à confulter
les Capitulaires , on y trouvera le prix
commun de plufieurs fortes de denrées.
(1 ) Voyez l'excellent Ouvrage intitulé , Les
Origines , ou l'Ancien Gouvernement de la France ,
&c. C'eft de- là qu'on a tiré prefque tout ce qui
regarde les monnoies & les denrées du regne de
Charlemagne. T. 2 , liv. 7 , ch. 5 & 6 , & ch . 9 ,
5.8.
T.
(2) Effai fur l'Hiftoire générale depuis Charlemagne.
I ch. " XI , pp . 100 & 101. Edition in-
8° , 1756 .
4
Ġ ij
148 MERCURE DE FRANCE.
En voici quelques exemples. Je commence
par les bleds qui font la denrée de la premiere
néceffité. En 754 , Charlemagne en
fixa le prix par le ( 1 ) tarif fuivant .
Un boiffeau de froment ..
Un boiffeau de feigle
Un boiffeau d'orge
Un boiffeau d'avoine
4 ...
... 3
den .
Notre marc d'argent fuppofé à 49 liv .
10 f. , ces 4 deniers , prix d'un boiffeau de
froment , font aujourd'hui poids pour poids,
titre pour titre 1 liv.
I 4 fol. fol. den.
୨
Les 3 deniers, prix d'un boiffeau de feigle ,
font aujourd'hui de même 18 f. 6 d. 3.
Les 2 deniers , prix du boiffeau d'orge ,
font aujourd'hui de même 12 fols 4 d. 1.
Un denier pour le boiffeau d'avoine , fait
aujourd'hui de même 6 f. 2 d .
Remarquez que le boiffeau de ce Prince
contenant le poids ( 2 ) de vingt de ſes livres
, ne contiendroit que quinze des nôtres.
Par la même loi , Charlemagne fixe à
un denier le plus ( 3 ) haut prix de douze
(1) Les Origines , &c. ibid. ch. 9 , §. 8.
2) Dictionnaire Univerfel , dit de Trévoux , au
Commencement du premier mot Boiffeau . Edit. de
Paris , 1732 .
(3 ) Les Origines , &c. ibid. ch, s , p. 320 , &
ch. 9 , §. 8,
JUILLET. 1758 .
149
pains de froment pefant enfemble vingtquatre
de fes livres . Ainfi le prix d'une livre
de ce pain, laquelle pefoit douze onces,
coûtoit alors un peu plus de trois de nos
deniers ; & le plus haut prix de la même
livre de ce pain feroit aujourd'hui de 36
de nos deniers ou de trois de nos fous.
On obfervera en paffant que 32 ans après
la mort de cet Empereur ( en 846 ) un
minot ( 1 ) de froment , un minot d'orge ,
une mefure de vin & un agneau , étoient
appréciés en total deux fous 12 f. 4 d . 1.
Al'égard de la viande de la boucherie , on
voit qu'un boeuf de qualité à être ( 2 ) ſervi
fur la table du Roi , étoit eftimé 2 f. — 7 l.
8 f. 6 den. & une vache un fou = 3 liv.
f. 3 den. de notre monnoie . ༣ 14
Que l'on compare le prix ancien de ce
boeuf à ce qu'il coûteroit à préfent , on
connoîtra le changement qui eft arrivé
dans la proportion des denrées avec l'argent.
Ainfi fuppofé qu'un boeuf de la même
qualité coûte aujourd'hui 250 liv . &
cette fuppofition n'a rien d'outré , vous
trouverez que 7 liv . 8 f. 6 den. ( faifant
poids pour poids , titre pour titre les deux
fous , ancien prix de ce boeuf ) ne repré-
(1 ) Abrégé chronol. de l'Hift . de France, I. Patti
p. 80 , ad an. 840. Edit. de Paris , 1756.
(2) Les Origines , &c . ib. ch. 5 , PP . 318,319
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
fenteroient guere que la trente- troifieme
partie du prix actuel de cet animal . Ce qui
établit ici la proportion de 1 à 33.
Nous avons vu le plus haut prix de douze
onces de pain de froment fixé à l'équivalent
de trois de nos deniers ; & il eft
conftant que le même poids de ce pain
coûteroit au plus haut prix actuel 36 de nos
deniers = 3 fous. La proportion feroit
donc à cet égard de 3 d . à 36 ou d'environ
1 à 12. Or 12 & 33 font 45. La moitié
de 45 , c'eft 22. Difons donc
que la proportion
( 1 ) moyenne eft d'environ 1 à
22. Ainfi quoique cinq fous du temps de
Charlemagne fuffent prefqu'égaux poids
poids , titrepour titre , à trois de nos écus
de fix francs , plus onze fous trois deniers ;
cependant , fuivant la proportion de 1 à
22 , ces cinq fous anciens reviendroient
réellement aujourd'hui à la fomme de
quatre cens dit-fept livres treize fous un
denier & demi ; puifque ces cinq fous
procuroient autant de denrée que 417 liv .
13 f. 1 d. , en repréfentent dans le temps
où nous fommes .
(1) La proportion moyenne de l'Auteur des
Origines eft de 1 à 39 , à la p . 320 , du ch. 5 , déja
cité mais aux pp. 318 , 319 du même chapitre
fa proportion eft de 1 à 25 ; ce qui eft à peu près
notre proportion moyenne.
JUILLET. 1758 . ISI
Ainfi 417 liv . 13 f. 1 d. balanceroient
aujourd'hui le produit annuel d'une rente
de cinq fous conftituée fous le regne de
Charlemagne. Paffons à la feconde Queftion
.
Seconde Question.
Si quis quinque folidos valens aut plus
fueritfuratus , laqueo ſuſpendatur : fi minus ,
fcopis & forcipe excoriatur & tundatur.
C'eft ainfi que s'exprime l'Empereur Fréderic
I dans ( 1 ) fa Conftitution . Voyons la
Charte de Louis VII , dit le Jeune ; elle
eft datée de Paris , l'an 1168.
Pro debiti titulo (2 ) citra quinque folidorum
dationem , inter aliquos non judicetur
Duellum . Voici l'ancienne traduction de
ce texte. Por dete de cinq fols & de mains
elle ( 3 ) ert nice ne foit bataille ja entre
deux gens.
Si l'original de cette (4) Charte eft La-
(1 ) Elle eft intitulée , De Pace tenendâ & ejus
Violatoribus . (Feudor. Lib. 2 , tit . 27 , §. ult. in pr. )
(2) Voyez cette Charte publiée dans les deux
Langues, par M. de Lauriere , au premier Volume
des Ordonn. des Rois de France de la troifieme Race.
Dans la Préf. à la p. 34 , nomb. 185 , & à la p . 16
de l'Ouvrage même , au nomb. ( 3 ) .
(3 ) Ert , pour fera , eft de la Langue Roman
ce. C'eſt une contraction d'erit , Latin.
(4) Ce qui doit faire douter ici , c'eft que dès
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
tin , cette traduction eft fort infidele : mais
il eſt vraiſemblable que la Charte a été
écrite en Langue ( 1 ) vulgaire. Rapportons
ce que M. de Montefquieu (2 ) dit fur cette
Piece.
Le combat judiciaire , ce font fes termes ,
étoit en ufage à Orléans dans toutes les demandes
de dettes. Louis le Jeune déclara que
cette Coutume n'auroit lieu que lorsque la
demande excédereit cinq fous. Selon le Latin
, il eût fallu dire que le combat ne feroit
point permis quand l'objet de la demande
feroit au deffous de cinq fous . Cette
Ordonnance , continue t'il , étoit une loi
locale ; car temps de S. Louis , il fuffifoit
que la valeur fût de plus de douze deniers.
Il faut d'abord obferver fur la premiere
de ces Loix faite par Fréderic I , dit Barberouffe
, que la Conftitution , d'où elle eſt
tirée , regarde uniquement la police inté
rieure de fes Etats. Cet Empereur avoit
pour objet d'affurer la tranquillité publidu
le VIII fiecle , le peuple n'entendoit plus le Latin.
Voyez là deffus les recherches de M. l'Abbé le
Beufdans le Journal des Sçavans , P. 494 , Juillet,
1753.
(1 ) M. le Prés. Hénault a penſé de même auffibien
que M. de Montesquieu . ( Abr . chr. de l'Hift.
de France , ad an. 1167 & 1168.
(2 ) De l'Esprit des Loix , t . 3 , liv . 28 , ch . 19,
P. 319. Edit. de 1757.
JUILLET. 1758. 153
que , en confirmant ce qu'on appelloit
alors la Tréve ( 1 ) de Dieu. Il prend dans
cette Ordonnance les mefures néceffaires
pour arrêter le brigandage des guerres privées
; excès fi commun dans ces temps-là.
Il restraint le port- d'armes & l'ufage du
duel il impofe des peines pécuniaires ſelon
la qualité des délits : il détermine la
maniere dont on doit procéder au tarif
annuel des vivres , &c. Après un regne de
plus de 38 ans , ce Prince ( 2 ) mourut en
1190 .
A l'égard de la Charte , il faut fe rappeller
que Louis VII , qui en eft l'Auteur ,
régna plus de 43 ans , & mourut en 1180 .
Quant à Louis IX , après avoir gouverné
le Royaume environ 44 ans , il mourut
l'an 1270.
Paffons à la difcuffion la plus difficile ;
elle regarde la valeur actuelle de ces anciennes
monnoies. Reconnoiffons d'abord
qu'on ne peut fçavoir ( 3 ) exactement ,
( 1 ) On l'appelloit auffi Pax Faidoſi , c'eſt-à-
'dire Paix accordée à l'Ennemi.
(2) Sur ces trois dates , voyez l'Art de vérifier
les Dates , dans la Lifte Chronologique & Hiftorique
des Souverains.
(3 ) Voyez l'Avertiffement de M. du Pré- de S.
Maur , pp. 3 & 4, & la feconde page des Notions
préliminaires au devant de fon Eſſai fur les Monnoies,
Gv
154
MERCURE DE FRANCE.
ni le prix actuel des cinq fols dont il s'agit
dans les deux Ordonnances du douzieme
fiecle , m la valeur préſente des douze
deniers du fiecle fuivant . Nous avons des
Tables de la valeur de l'or & de l'argent
données par M. de Lauriere , & publiées
( 1 ) par M. Secouffe ; mais elles ne remontent
pas au-delà de 1339. De plus , le titre
de l'argent n'y est marqué pour la premiere
fois qu'en 13,0 au douzieme d'Avril.
M. de Lauriere obferve , que fous le regne
de Philippe VI , dit de Valois , avant
le 20 Janvier 1346 , le marc d'argent étoit
eftimé 4 liv. 10 fols Tournois ;
appréciation
qui fubfiftoit encore le 17 Juillet de
la même année , comme M. le Blanc l'a
marqué dans les Tables ( 2 ).
Si l'on fe fixe un moment à ce prix , on
dira que cinq fols , vers le milieu du
torzieme fiecle , étoient le dix - huitieme dequala
valeur du marc d'argent. Or le marc
d'argent fin monnoyé vaut à préfent (3 ):
( 1 ) Voyez le fecond tome des Ordonnances déja
citées.
(2) Voyez la premiere & la feconde colonne de
la page 405 , aux Tables de l'Argent , à la fin de
fon Traité Hiftorique des Monnoies de France , in-
4. Paris , 1690 , & non pas 1703 comme porte
fauffement le titre de mon Exemplaire.
(3 ) Eſſai fur les Monnoies , p. 220, col. premiere
& feconde.
JUILLET. 1758 . 155
fomme dont
en France 541. 6 f. 6 d.
le dix-huitieme fait foixante de nos fols
quatre deniers quatre onzieme : ainfi dans
cette eftimation des cinq fols du douzieme
fiecle fur le pié des cinq fols da quatorzieme
, ces cinq fols vaudroient à préſent
( 1757) 60 f. 4 d. 4 , le titre de l'argent
fuppofé le même dans les XII , XIII , XIV ,
& XVIII fiecles .... 31. of. 4 d .
Et conféquemment les 12 d.
ou le fol de Louis IX feroient
aujourd'hui . • • ·
3
12 f.od.
2 Mais
cette eftimation
, qui met de niveau
les XII , XIII , & xiv . fiecles
étant évidem- ment
inadmiffible
, elle doit être aban- donnée
.
Quant aux cinq fols du regne de Fréderic
I , il eft extrêmement difficile d'en
indiquer feulement la valeur , fans le fecours
des Auteurs qui ont écrit fur les monnoies
d'Allemagne du xır . fiecle . Réduifons-
nous donc aux conjectures ; elles feront
du moins juger que cette fomme , qui
femble aujourd'hui fi petite , devoit être
alors confidérable.
Dans l'ancienne Loi ( 1 ) des Allemands ,
(1 ) Cette foi [ Lex Alamannorum ] ou plutốt
certe Coutume , fait partie de ce qu'on appelle les
Loix des Barbares. La loi des Allemands d'abord
écrite dans le vie fiecle par l'ordre de Thierri ,
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
cinq fols repréfentoient en poids plus de
trois de nos marcs d'argent. Or eftimant
avec l'Auteur , qui nous fournit cette (1 )
évaluation , le marc d'argent fin reçu aux
monnoies comme matiere, à 5r 1. 3 f. 3 d. ,
ces cinq fols , qui étoient d'or , vaudroient
à préfent plus de 193 1.9 f. 9 d. , & chacun
des anciens fols Allemands feroit à
peu près la fomme de 30 l . 14 f. de notre
monnoie. Le même Ecrivain fait voir que
ces cinq fols exprimoient foixante ( 2 ) pieces
d'or , c'est- à- dire , foixante deniers d'or ;
ainfi chacun de ces deniers vaudroit aujourd'hui
z 1. 11 f. 2 d.
Suppofons que depuis l'an 1014 , deux.
fiecles après la mort de Charlemagne , lequel
a fait rédiger par écrit la plupart des
Loix ( 3 ) barbares jufqu'au commencement
du regne de Fréderic I ( en 1152 ) , l'or &
l'argent foient devenus fi rares , que les
fils de Clovis , fut corrigé l'an 630 par Dagobert I.
Ce peuple continua de fuivre cette ancienne Loi
jufqu'au regne de l'Empereur Conrad II , c'est-àdirejufqu'à
l'an 1024. Heineccius , de Orig. & prog.
Jur. German. cap. 1 , §§. 21 , 23 , & notâ (a).
(1 ) Ibid. pp. 89 de l'Avertiſſement , & p. 95
du Rapport entre l'Argent & les Denrées . Voyez
auffi la page 220.
(2) Ibid. page 95.
(3 ) Vers l'an 804 , ce Prince fit rédiger par
écrit les Loix de tous les peuples foumis à fon em
pire. Eginhard , apud Heinec, Ibid . §. 22,
JUILLET. 1758. 157
cinq fous d'or de la Loi des Allemands ayent
été réduits au douzieme ( 1 ) de la valeur
déja fpécifiée , ( déchet prodigieux dans le
(2 ) cours de 118 ans ) : les cinq fous de
Fréderic I vaudroient encore un peu plus
de 12 1. 15 f. 9 d. de notre monnoie , &
cinq fols en 1202 , procuroient en France
près d'un (3 ) fetier de bled mefure de Paris.
Au refte en fuppofant contre la vraiſemblance
, que cinq fols procuraffent moins
de denrée en Allemagne du temps de cet
Empereur comme la préfomption doit
être ici en faveur de la Loi , on pourroit
dire , dans ce cas- là , que le Prince s'eſt vu
forcé ,, par la crife où fe trouvoit l'Empire
, à faire une ordonnance très- févere. Et
fi vous lifez fa Conftitution , vous ferez
convaincu que la licence des guerres privées
avoit prefque entiérement corrompu
( 1) C'eft comme fi les fous d'or étoient devenus
d'argent , parce qu'on eftime communément
pour ces temps- là la proportion de l'or à l'argent
de 1 à 12. Une once d'or eft réputée égale en valeur
à douze onces d'argent .
I
(2) Ce déchet fuppofé feroit d'autant plus éton
nant , que les Monnoies fe foutinrent 200 ans
après la mort de Charlemagne fur le pied où ce
Prince les avoit mifes , c'eft-à- dire jufque vers
l'an 1014 ; & le regne de Fréderic I commence
en 1152.
(3 ) Effaifur les Monnoies , à la feconde page des
Variations dans les prix , au huitieme mot Setier,
158 MERCURE DE FRANCE.
les moeurs publiques : mais cette fuppoft
tion tombe dès que l'on fe donne la peine
de comparer & de réfléchir. En effet puifque
le duel étoit en ufage à Orléans dans
le même fiecle pour environ cinq fols , &
que quarante- fix ans après on le voit permis
dans toute la France pour un peu plus
d'un fol ; on ne fçauroit douter que cette
fomme ne fût alors confidérable dans le
Royaume , & par conféquent dans l'Empire.
Auffi n'eft- il pas queftion de fçavoir fi
cinq fols étoient alors un objet important
dans le Commerce ; mais il s'agiroit de déterminer
ce que repréfentoit cette fomme
dans les Etats de Fréderic I , & ce qu'elle
vaudroit à préfent par rapport à nous.
Je paffe à l'examen de la valeur préfente
des cinq fols de la Charte de Louis VII .
& des douze deniers de Louis IX . Il y a
deux moyens de l'indiquer.
Premiere Indication tirée de l'augmentation
du prix des Denrées , depuis 1202.
Un Auteur Citoyen , dont l'Ouvrage fair
l'éloge , penfe que depuis 1202 la plûpart
(1 ) des chofes font enchéries de 1 à 40 , ou
environ. Il en donne plufieurs ( 2 ) preuves
inconteftables .
(1 ) Ibid. p. 1 , des Variations , &c. au fecond
alin ea de la note ( ).
(2) Ibid. p. 1 , & fuiv, des Variations , &c.
JUILLET. 1758.
Le filence des Auteurs , ajoute- t'il dans
un autre (1 ) endroit , nous fair croire que
les monnoies n'ont pas beaucoup changé jufqu'au
regne de S. Louis . En effet , on n'a
guere de connoiffance de leur valeur ( 2 ):
avant Philippe IV vers 1300 , parce qu'au
paravant on n'avoit pas le foin de les décrire
dans les Regîtres publics : ainfi faute
de notions précifes , nous nous fervirons
ici de la proportion de 1 à 40.
Sur ce pié- là les cinq fols de Louis VII,
qui mourut à la vérité vingt- deux ans avant
12oz , étoient égaux à 10 liv . de notre
monaoie.
Suivant la même propofition , le fol
de Louis IX eft égal à ·
10 l.
2
Seconde indication tirée du prix commun du
Marc d'argent dans les x11 & X111 fiecles.
L'autre moyen d'indiquer la valeur actuelle
des cinq fols dont il s'agit , c'eſt de
fixer un prix unique & commun au marc
d'argent des x11 & xi fiecles. Après
cette opération on comparera les cinq fols
au prix commun de cet ancien marc : enfuite
on verra ce que les cinq fols font aut
prix de notre marc , c'eft - à-dire , à la fom-
(1 ) Ibid. p. 78 , du Rapport entre l'Argent, &c .
(2 ) Dict. de Trévoux , au premier mot Mon
noie , au bas de la col. 2088 .
160 MERCURE DE FRANCE:
I I
me de 54 1. 6 f. 6 d. car on néglige ici
les du denier. Dans ce qu'on va rappor
ter des Tables de M. ( 1 ) le Blanc , il fe
trouve une lacune de cent trente- trois années
; mais nous fommes obligés de nous
fervir de fes Tables , parce que c'eft tout ce
que nous avons pour ce temps - là.
VI Années des XII Prix du Mare d'Argent dans
& XIIIefiecles. chacune de ces VI années.
1144
1158
1207
• 2 liv.. of.. od.
· 2 • · 13
· • 4
2 •
1222 • •
1226 ·
• · ΙΟ ·
2 · • 10 · ·
• • • 14 • · 7 •
· • · • • 14
· ·
1283 (2 )
•
Total des différens prix
du Mare d'Argent pour
ces 6 années . 15. liv. 1 f. 11 d.
Ajoutez un denier à ce total , & fuppofez-
le de 15 l . 2 f. le fixieme de cette fom-
Is
me- ci fera précisément 2 1. 10 f. 4 d. prix
moyen du marc d'argent pour les fix années.
Que l'on réduife ceen deniers , il
donnera fix cens quatre deniers anciens
contenant huit parties égales , répondant
( 1 ) Voyez ci -deffus la note ( 2 ) , p. 154.
(2 ) L'an 1285 le marc d'argent a été à 55 fous
fix deniers Tournois. V. l'Abr. chr. de l'hift. de
France , ad an. 1285 , p. 250 , en marge.
JUILLET. 1758. 161
hax huit onces du marc , & chaque huitieme
partie fera de 75 d . 1 = 6 f. 3 d ½
monnoie ancienne.
//
Réduifez de même en deniers modernes
la fomme de 54 1. 6 f. 6 d. prix actuel du
marc d'argent elle contient 13038 deniers
, dont le huitieme eft 1629 d. 2
:
୭
43.
61. 15 f. 9 d. de notre monnoie. Ainfi le
huitieme de la valeur ancienne du marc ,
fçavoir , fix fols trois deniers & demi ,
équivaudroit au huitieme de la valeur de
notre marc , c'est- à- dire , à 6 l . 15 f. 9 d . 3 .
La proportion du prix ancien du marc d'argent
, à fon prix moderne , eft donc de
1 à plus de 21 , ou de 2 à plus de
Ainfi les cinq fols de Louis
VII 60 deniers anciens ,
vaudroient à préfent un peu
plus de , ci
Par conféquent les douze
deniers de Louis IX feroient
égaux aujourd'hui à un peu
plus de , ci .
·
•
s l . 7 f. 11 d.
I I 7
Le Teftament du pere de ce Roi-ci peut
répandre quelque jour fur la valeur actuelle
de ces anciennes monnoies . Louis VIII
mourut l'an 1226. En ce temps-là , dit M.
l'Abbé de ( 1 ) Saint - Pierre , le marc d'ar-
(1 ) Ouvrages Politiques , tom. 9 , pag. 161 des
Obfervations politiques fur le Gouvernement des
162 MERCURE DE FRANCE .
gent valoit cinquante fols , au lieu qu'il vaut
préfentement cinquante francs : fur ce piedlà
, ajoute-t'il , cent fols valoient cent francs
d'aujourdhui , & vingt-mille livres valoient
quatre cent mille livres . Si on fuppofe donc
qu'il ne foit furvenu aucune variation dans
les monnoies , fous le regne du fucceffeur
de Louis VIII , les douze deniers dont il
s'agit , vaudroient à préfent ( notre marc
d'argent monnoyé étant à 54 1. 6 f. 6 d . )
11 fols 8 deniers + , ci l. 1 f. 8 d..
Les cinq fols du temps de
Louis VII , qui , dans ce fyltême
, font le dixieme du
prix ancien du marc d'argent
, répondroient par la
même raifon au dixieme de
la valeur actuelle du marc ,
c'est-à-dire, à cent-huit fois
fept deniers de notre monnoie
, ci
Remarquez que M. l'Abbé de S. Pierre
a donné un prix moyen au marc d'argent
dans le 13 fiecle , quand il en a fixé le
prix à so fous. En effet , tirez d'abord le
total des cinq premieres ( 1 ) années des x11
e
· ·
S
8 7 詈
Rois de France , in- 12 . Rotterdam , chez Béman ,
1734.
(1) Voyez ci -deffus à la feconde indication , ces
JUILLET . 1758.
163
& x11 fiecles déja rapportées ; & vous
trouverez que le cinquieme de ce total eft
49 f. 7 d. anciens ; ce qui fait le prix moyen
ou commun du mare d'argent pour ces
cinq années. Ainfi l'évaluation de cet Auteur
ne differe du prix moyen que donnent
les Tables dont on vient de voir l'extrait ,
que de cinq deniers anciens qu'il ajoute
pour la facilité du calcul .
On n'a cherché dans cette feconde indication
que la valeur numéraire actuelle du
prix ancien du marc d'argent , & celle des
fous qui faifoient une partie confidérable
de ce prix. Le mare d'argent valant donc
dans les XII & XIII ° fiecles so fous quatre
deniers , ces 50 ſ. 4 d . répondent numériquement
à 54 1.6 f. 6 d. , prix actuel du
marc d'argent monnoyé. Telle est donc la
valeur numéraire actuelle de 2 1. 10 f. 4 d.
Monnoie ancienne.
Mais d'un autre côté , comme en 1202 ,
le cheval qui coûtoit , on le ( 1 ) fuppofe ,
2 l. 10 f. 4 d. vaudroit aujourd'hui 100 l .;
ces 2 l . 10 f. 4 d. repréfentent donc réellecinq
premieres années dans l'extrait des Tables de
M. le Blanc.
( 1 ) En 1202 , un cheval , dit Rouffin , ne valoit
que so fous. On a ajouté 4 den . à ce prix pour le
rendre égal à la valeur du marc d'argent du même
temps . Voyez dans l'Effai fur les Monnoies , le titre
Variations, p . 1 , note (a) , & P. 3.
164 MERCURE DE FRANCE.
ment 100 de nos livres ; & telle eft à préfent
la valeur réelle des 2 1. 10 f. 4 d. monnoie
ancienne. En conféquence les cinq
fous anciens vaudroient réellement aujourd'hui
dix francs. On voit par- là que la
premiere indication donne la valeur réelle
du fou & des cinq fous anciens.
Je vais examiner la derniere Queftion ;
& quoiqu'elle ait pour objet les évaluations
coutumieres en général , je m'attacherai
en particulier à l'eftimation de la Coutume
de Blois relativement au rouffin de
Service , parce que c'eſt l'exemple propoſé.
Troisieme Question.
On diftinguoit autrefois trois fortes de
chevaux par trois noms , qui ne fe trouvent
que dans les vieilles Hiftoires & dans quel-.
ques anciens Romans ; les Deftriers , ou
chevaux de bataille ; les Palefrois , ou chevaux
de pas pour les voyages ; enfin les
Rouffins , qui fervoient à porter le bagage
comme nos mulets & nos chevaux de
charge ( 1 ) .
M. Bruffel (2 ) expofe , felon d'anciens
( 1 ) Voyez le Manuel Léxique aux mots Paléfroi
& Rouffin.
, P. 207:
(2 ) Dans fon Traité des Fiefs , t . 2
Cette citation-ci eft tirée de l'Eſſai ſur les MonJUILLET.
1758. 165
comptes de dépenſe écrits en Latin , que le
Rouffin [ Roncinus ] valoit au commencement
du x111 fiecle 50 & 60 fous , & le
Paléfroi [ Palefridus ] 60 fous. On remarquera
en paffant que dans le même temps
[ en 1202 ] le cheval , qui eft fimplement
appellé Equus , valoit tantôt dix francs ,
tantôt 27 I. & 30 1. Quatre chevaux donnés
par le Roi font apréciés 136 1. c'eſt - àdire
, que chacun de ces chevaux peut être
eftimé 34 liv . Or il eft probable que le
cheval de 27 1. à 34 liv. étoit ce qu'on appelloit
alors Deftrier ou Equus par excellence.
Ces faits , & la citation qui les prouve
, font rapportés dans ( 1 ) l'Effai fur les
Monnoies. C'eft fur ce pied , dit M. du Pré
( 2 ) de Saint - Maur , que plufieurs de nos
Coutumes ont évalué à foixante ſous un Rouffin
de fervice , qui coûtoit réellement 60 fous
en 1202. Voyez , continue- t'il , la Coutume
de Blois , c. 7 , art. 93 .
Remarquez que dans le x111 fiecle le
prix commun du marc d'argent a été de
3 l. 3 f. 1 1 d. 2. On le prouve en tirant
le douzieme du total de chacun des prix
particuliers du març pour chacune des
noies , au titre Variations , à la marge de la p . 1 ,
& à la P. 3 , note (b) , col. I.
(1 ) Dans les Variations , p. 3.
(3) Ibid. Variations , p. 3 , note (b) , col. x .
166 MERCURE DE FRANCE.
12
1/2.
douze différentes années de ce fiecle rapportées
( 1 ) par M. le Blanc . Ses Tables qui
commencent à l'an 1207 , vont juſqu'en
1299 qu'elles marquent deux fois . Le total
du prix du marc d'argent pour ces
douze années monte à 38 liv. 7 f. 1 d . ; & .;
le douzieme de cette fomme donne , comme
on l'a dit 3 liv . 3 f. 11 d.
Ces 3 liv. 3f 11 d. ( pour lefquels
on fuppofera ici 3 l . 4 f. , afin de faciliter
le calcul ) forment donc le prix moyen &
commun du marc d'argent pendant la durée
du xi fiecle . Le marc une fois fixé à
3 l. 4 f. , il s'enfuit que le Rouffin , vendu
2 l . 10 f. dans le même fiecle , valoit fur
ce pied & du marc d'argent ( ce qui
fait fix onces deux gros d'argent ) , & que
ce Rouffin , vendu foixante fous , valoit
du marc qui font foixante gros , ou
fept onces & quatre gros . On voit par- là
le fou du xi fiecle étoit de la valeur
du gros d'argent ou de du marc. Or ce
gros vaut à préfent [ 1757 ] environ ſeize
de nos fous , le marc d'argent fin reçu aux
Monnoies comme matiere ( 2 ) étant apprécié
environ SII liv. f.
que
4
(1 ) Voyez ces Tables à la fin de fon Traité
Hiftorique des Monnoies de France . Il n'y a que
onze années ; mais il fe trouve deux évaluationS
en 1299.
(2) Effaifur les Monnoies , p. 220.
JUILLET. 1758. 167
La Coutume de Blois a été rédigée ( 1 )
en 1523. Depuis 1496 juſqu'en 1539 , le
prix commun du marc d'argent a été de
12 liv. 3 f. 4 d . Ainfi , dans le XVI fiecle,
la valeur du marc d'argent étoit à peu prés
numériquement quadruple de ce qu'elle
étoit dans le XIII . Ainfi le même cheval ,
qui fur le pied de 60 f. valoit un marc
d'argent ou environ en 1202 , ne valoit
plus en 1500 , fur le pied de 60 f. que
quart ou environ 2 onces d'argent (2 ),
Voyons pourtant quelle étoit la valeur
réelle du rouffin dans le XVIe fiecle , ou ,
ce qui eft la même chofe , combien il ſe
vendoit alors dans les foires.
le
Les Regiftres de l'Abbaye de Preuilly en
Brie ( 3 ) , nous offrent en 1536 l'éclairciffement
que nous cherchons : voici mot à
mot ce qu'on y lit. Pour l'achat d'un cheval
(1 ) Voyez le Procès-verbal de la Rédaction de
cette Coutume à la fin du Commentaire Latin de
Pontanus.
(2 ) Si on demande d'où naît cette grande différence
, on répondra qu'elle vient de la difproportion
du fou de 1202 comparé à celui de 1500 .
Le fou de 1202 étoit la foixantieme partie d'un
marc d'argent ; au lieu que le fou de 1500 n'étoit
pas tout- à- fait la 243e partie du même marc d'argent.
(3 ) Voyez l'Eſſai fur les Monnoies , p . 89 des
Variations,
168 MERCURE DE FRANCE.
pour porter notre malle , avec deux mors de
bride , 95 liv. tournois . A ces termes , pour
porter , c. on voit que c'eft précisément
ce qu'on appelloit autrefois un Rouffin.
Comparons à préfent la valeur réelle du
rouffin , dans le XVI fiecle , à celle qu'on
lui donnoit dans le XIII , & retranchons
d'abord de ces 95 liv. la fomme de cinq
liv. pour l'achat des deux mors ; il refte
quatre-vingt- dix liv . pour le prix du che
val . Or le prix commun du marc d'argent ,
depuis 1496 jufqu'en 1539, étant, comme
on l'a dit, de 12 liv . 3 f. 4 d . il s'enfuit que
le rouffin acheté 90 liv. en 1536 , valoit
alors réellement 7 marcs & un tiers d'argent
: au lieu que dans le XIII fiecle , ce
même cheval vendu 60 f. felon laCoutume ,
ne repréſentoit précisément que fept onces
quatre gros d'argent , différence remarquable
entre deux valeurs réelles. Mais on ne
doit pas en être furpris , fi d'un côté l'on
confidere que les guerres de François I devoient
avoir rendu l'efpece des chevaux
très - rare , & que d'un autre côté les mines
du nouveau Monde avoient verfé une
quantité ( 1 ) confidérable d'argent en Europe.
( 1 ) Voyez dans l'Encyclopédie le fecond mot
Argent .
Cependant ,
JUILLET. 1758.
169
Cependant , fi on croit que la valeur
réelle du rouffin , portée à goliv. foit exceffive
en 1536 , on peut adopter l'eſtimation
qu'en fit faire François I , en fixant
dans l'Ordonnance du 20 Avril 1542 les
droits qui lui appartenoient fur différentes
denrées. Le prix du cheval y eft ( 1 ) à 45
liv. tournois . Obfervez que fi cette Ordonnance
eft poftérieure à 1536 , du moins
l'eftimation qu'on y trouve eft- elle fort au
deffous de la valeur rapportée dans les regiftres
de l'Abbaye de Preuilly. Mais il
faut auffi remarquer que le cheval apprécié
45 liv. eft fans qualification ; ce qui pouvoit
être indifférent pour les Receveurs des
droits du Prince ; au lieu que dans notre
efpece il s'agit d'un cheval entier , fort &
d'épaiffe (2 ) encolure, en un mot d'un bon
cheval de charge.
Quoi qu'il en foit , ce cheval eftimé 45
liv. en 1542 , valoit alors ( 3 ) environ
trois marcs d'argent ; & fi c'étoit un cheval,
(1 ) Effai fur les Monnoies , p. 91 des Variations.
(2) Voyez le mot Rouffin , dans le Manuel
Léxique.
(3 ) Cette année 1 542 ne fe trouve ni dans les
Tables de M. le Blanc , ni dans celles de M. du
Pré-de Saint-Maur : mais , felon les années anté◄
rieures & fubféquentes , le marc d'argent a été en
1542 à 15 liv. ou environ.
II. Vol, H
$ 70 MERCURE DE FRANCE;
fans qualité qui le diftinguât des chevaux
communs , on pourroit porter ici cette valeur
réelle à 60 liv . ( 1 ) au moins , puif
qu'il s'agit du prix d'un bon cheval de bagage
or 60 liv. en 1542 , repréfentoient
près de quatre marcs d'argent . Donc celui
qui recevoit alors 60 f. pour le prix d'un
rouffin de fervice , ne touchoit effectivement
que le cinquieme d'un marc , au lieu
de quatre marcs d'argent , c'eft-à- dire ,
le vingtieme de la valeur réelle & actuelle.
Mais i un bon cheval de bagage vaut aujourdui
[ 1757 ] cent cinquante de nos livres
, & l'on ne croit pas cette eftimation
trop forte , l'évaluation de la Coutume ſe
trouve réduite à la cinquantieme partie de
la valeur réelle & actuelle de cet animal.
Il eft furprenant que les Seigneurs communément
fi actifs en matiere d'intérêt
fe foient laiffé réduire à trois de nos livres,
tandis que fur le pied de 60 f. du XIIIª
qui repréfentoient alors le marc d'argent ;
il leur feroit dû aujourd'hui au moins feize
fois davantage , c'est-à- dire , 48 de nos livres.
En effet ils pourroient exiger le triple
( 1) Cette eſtimation n'eft certainement pas ou
trée. On a vu qu'en 1536 le rouffin valoit environ
90 liv. en 1542 , il étoit eftimé 45 liv. & en
581 , foixante francs . Le total de ces trois fom
mes eft 200 liv. dont le tiers excede 60 liv,
JUILLET. 1758. 171
de cette derniere fomme , fi on ſuppoſe
qu'ils fuffent reftés maîtres de prendre le
rouffin ou fa valeur . C'eft ainfi que les
Seigneurs qui ont eu jadis affez peu de
prévoyance pour ftipuler leurs redevances
en argent , au lieu de les ftipuler payables
én nature , ont fait perdre à leurs defcendans
au moins les neuf dixiemes de leur
fortune. Finiffons , en rapportant ce que
M. du Pré-de Saint-Maur ( 1 ) penfe fur
les Evaluations Coutumieres.
<< Les Coutumes , dit - il , dont nous
» avons parlé , en eftimant les différentes
chofes qui entrent dans les redevances ,
afin de prévenir les conteftations , ont
» moins eu égard au prix courant des den-
» rées dans le temps de leur rédaction
"
"
qu'à ce que ces mêmes chofes produi-
» foient en argent , par rapport à la valeur
» des monnoies , lors de l'inféodation de
plufieurs de ces devoirs . Sans remonter
» trop haut , & fans ſe fixer tout- à- fait au
préfent , elles ont cherché un milieu .
» Pour cela elles fe font arrêtées au temps
» où le marc d'argent fin monnoyé auroit
» valu huit livres ; ce qui peut remonter à
"
(1) Effaifur les Monnoies , à la p.75 du Rappors
entre les monnoies & les denrées.
Hij
171 MERCURE DE FRANCE:
"
Philippe de Valois , en 1339 ( 1 ) , & elles
» ont eftimé fur ce pied le prix des grains
qui compofent les principales redevances.
A l'égard des autres denrées , les
prix en font restés dans les Coutumes
» tels qu'ils avoient été fixés par des eftimations
plus anciennes , parce que ces
parties étoient d'une moindre impor-
?
tance "?.
(1 ) Voyez l'Abr. Chr. de l'Hift. de France .
la marge de la p. 250 , ad an. 1285.
JUILLET. 1758. 173'
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
Le
MUSIQUE.
E fieur Bordier , Maître de Mufique de
l'églife des Saints Innocens, à Paris, vient
de faire graver douze Meffes de fa compofition
, à l'ufage des métropoles , cathédrales
, collégiales & autres églifes où il y
a mufique. Les talens de cet Auteur font
généralement reconnus, & le Public a toujours
reçu avec bonté fes productions . Ces
Meffes font gravées en grand & en beau
papier. On a joint à chacune d'elles une
élévation , avec le Domine , falvum , &c.
Elles ne font pas plus longues que toutes
celles dont on s'eft fervi jufqu'ici : il y en
a cependant quatre dans lefquelles il s'eft
un peu plus livré à fes idées , & qui peuvent
fervir les jours de fêtes où il n'y a
point de mufique écrite à la main .
Les douze Meffes enfemble fe vendent
---
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
100 liv. Ceux qui voudront les avoir
s'adrefferont à l'Auteur, qui en fera l'envoi
auffi-tôt après la réception de leurs lettres ,
dont on les prie d'affranchir le port.
JOURNAL de Mufique , pour le mois de
Juillet de cette année, par M. de la Garde,
Maître de Mufique , en furvivance , des
Enfans de France. Se vend à Paris , au
Bureau du Mercure , chez l'Auteur , rue
de Richelieu , vis - à- vis la rue Villedot , &
chez Prault , Duchefne & Lambert , Libraires.
L'AMOU
GRAVURE .
Eftampes nouvelles.
'AMOUR porté par les Graces
Vénus & l'Amour.
Vénus & les Graces au bain.
La Bergere endormie.
Le Berger Napolitain.
Le Rafraîchiffement des Voyageufes ,
d'après les deffeins & tableaux de M. Boucher.
L'Ecole champêtre , d'après M. Lenain .
La Surpriſe du vin , d'après le même
Peintre.
JUILLET. 1758. 175
Le Serrail du Doguin, d'après le tableau
d'Oudry , du cabinet de M. Dammery ,
Officier aux Gardes Françoifes.
Toutes ces Eftampes font gravées par
M. Daullé , Graveur du Roi & de l'Académie
Impériale d'Aufbourg. On les trouve
chez lui , rue du Plâtre Saint Jacques ,
à côté du college du Cornouaille .
LETTRE de François Gando le jeune ,
Graveur & Fondeur de Caracteres d'Imprimerie
, à Paris.
Iz paroît depuis quelque temps une Brochure
intitulée , Differtation fur l'origine
le progrès de l'art de graver en bois ,
pour éclaircir quelques traits de l'hiftoire
de l'Imprimerie , & prouver que Guttemberg
n'en eft pas l'Inventeur , par M. Fournier
le jeune , Graveur & Fondeur de caracteres
d'Imprimerie. A Paris , de l'Imprimerie
de Barbou , 1758.
Que le fieur Fournier le jeune foit effec
tivement l'Auteur de cette Brochure qui a
été publiée fous fon nom , ou qu'un homme
de lettres lui ait prêté fa plume pour
fervir fon animofité contre quelques - uns
de fes Confreres , c'eft ce que je veux bien
ne point rechercher ici. Je me donnerai
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
(
bien de garde de me mettre fur les rangs
pour relever les erreurs dont cette Piece
fourmille. Je laiffe à une main plus habile
le foin d'apprendre à l'Auteur , quel qu'il,
foit , qu'il faut un talent bien décidé pour
exercer la critique en matière d'hiftoire ; que
d'ailleurs elle doit être exempte de vanité
& de perfonnalités . En effet , entreprendre
de tourner en ridicule les Mallinckrot,
les Mettaire , les Naudé , les Chevillier ,
les Mentel , les la Caille & les Profper
Marchand , fans avoir fait bonne provifion
de preuves démonftratives , & fans
autre fecours que l'expofition d'un ſyſtème
enfanté par des idées chimériques , ce, fe
roit ( 1 ) choquer les opinions les plus
généralement reçues : l'entrepriſe feroit
» hardie , & pourroit même paffer pour
téméraire.
30
s
Je laiffe donc le fieur Fournier donner
(2) ou ôter alternativement à Guttemberg
la gloire d'être l'Inventeur de l'art de l'Im
primerie. Je le laiffe infulter gratuitement
un Corps refpectable , dont il a voulu devenir
membre , en qualité d'Imprimeur.
Je l'abandonne encore à la mortification &
à la honte de fe trouver prefque toujours
( 1 ) Page 4 de la brochure.
(2) Dans la préface ou l'avertiffement qui eft à
la tête de les épreuves de caracteres,
JUILLET. 1758. 177
"
en contradiction avec lui-même , & de
confondre les caracteres de fonte avec des
planches de bois . Je ne releverai pas la
note ( 1 ) dans laquelle il avance que « pour
qui fçait graver & fondre les caracteres,
l'impreffion n'eft point difficile , & que
» ce n'eft pas le titre qui fait la fcience , ni
le bonnet le Docteur ». C'eft aux fages
fupérieurs, c'eſt au miniftere public à punir
les écarts indécens d'une imagination ſi vagabonde.
"
23
Pour moi , je penfe qu'il me fera permis
de me plaindre d'un Avis particulier de
l'Auteur , inféré à la fin de fa Differtation,
d'une maniere fi affectée , qu'il y a tout
lieu de croire qu'il n'a jamais été compris
fous l'approbation d'un Cenfeur refpectable
, qui vraisemblablement ne l'a point lu.
Le fait feroit aifé à éclaircir. Le manufcrit
a-t'il été paraphé felon les regles ?
L'Imprimeur eft- il en état de le repréfenter
? Si je prétendois intenter un procès
au fieur Fournier, je me flatte que le Confeil
décideroit en ma faveur. Mais je ne
vais pas fi loin ; il me fuffit de répondre
fommairement aux allégations de mon antagoniſte.
Selon le fieur Fournier , plufieurs Gra
( 1) Page 6 de la Differtation .
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
veurs & Fondeurs ( 1 ) « fe font appliqués ,
contre le droit des gens , à contrefaire
» fes caracteres ». Il feroit curieux de
fçavoir ce qu'entend le prétendu Auteur
de la Differtation , par fes caracteres . Les
caracteres appartiennent- ils exclufivement
au fieur Fournier ? Eft-il défendu à un
artifte de s'exercer dans une carriere pu
blique ? Et fi c'eft un crime à un Graveur
de copier le freur Fournier , n'en feroit- ce
pas un pour lui d'avoir copié tant
bien que mal , les caracteres du Louvre ..
" Un de ceux-là , dit- il ( en parlant des
» Graveurs ) , que la médiocrité de ſes ta-
99%
36
,
lens avoit rélégué dans une ville de
» Flandres , s'eft mis fur les rangs pour
» cette contrefaction , non feulement par
rapport à mes italiques , mais auffi pour
» mes nouveaux ornemens de fonte , lettres
≫ ornées , &c. ... Il s'en vint à Paris avec
»fon tréfor de contrebande. Il s'eft pré-
» fenté chez tous les Imprimeurs , avec les
» nouveaux fruits de fon travail.... Il a
fait inférer dans le Mercure une Lettre
remplie d'idées fi abfurdes , qu'elles
» n'ont donné à perfonne l'envie de les re-
" lever.... Il s'offre encore de donner fes
» caracteres à bon marché à ceux qui en
>> voudront » .
(1 ) Pages 87 & 88 de la Differtation
JUILLET. 1758. 179
Il est étonnant que le ftyle du fieur
Fournier l'abandonne fi mal à propos dans
fon libelle qui paroît effectivement de
lui , & qu'à l'exception du voyage de Flandres
, on puiffe lui reprocher exactement
tout ce qu'il reproche aux autres.
1° . Le fieur Fournier a copié groffiérement
les italiques de l'Imprimerie Roya
le. 2 °. Le fieur Luce eft en état de reconnoître
tous les jolis deffeins de vignettes
dans celles de celui qui s'en dit hardiment
l'Inventeur. 3°. Le premier & le plus habile
Fondeur a offert fon caractere de
finance ( 1 ) à tous les Imprimeurs de Paris
& des provinces , au prix de quarante fols.
Il est vrai que j'ai offert le même pour
rente-fix (2). Quel crime !
«
L'épreuve de l'italique de faint Auguftin ,
que j'ai portée chez les Imprimeurs de
Paris » , paroît tenir bien au coeur de notre
Auteur fatyrique. Seroit- ce parce qu'il la
Houve groffiere & informe > ou parce
que j'ai mis une note au bas de cette
épreuve ?
Je conviens que le fieur Fournier a raifon
de fe plaindre. Mon italique groffiere
(1) Avis du fieur Fournier , en 17520
(2) Mon Avis eft de 1758.
H.vj.
180 MERCURE DE FRANCE.
& informe, a d'autant plus lieu de le révolter
, qu'elle approche davantage de la
fienne . Ici je ne fuis qu'un copiſte . Pour
ma note , je m'y fers des mêmes termes de
M. Fréron , qui , l'on ne fçait pas par
quelle raifon , prodigue à notre prétendu
Inventeur , les épithetes flatteufes de fçavant
& d'excellent Artiſte ( 1 ) .
Mais tout ceci n'eft rien , voici ce qui
choque mon Confrere. On a fait compo-.
fer dans une Imprimerie de Paris ( 2 ) une
petite Piece de vers de vingt- quatre lignes,
fur le caractere de petit Romain italique ,
qui imite affez bien celui dont il eſt l'Inventeur
d'après les autres. Il faut ici rendre
juftice à la vérité. Le petit Romain n'eſt
pas du jeune Fournier , mais de l'aîné.
J'ai mis en parallele mon effai , pour faire
voir au Public qu'il n'eft pas impoffible à
plufieurs Artiſtes de fournir la même carriere
, en s'imitant l'un l'autre .
Que s'enfuit-il de ces trois modeles ?
(1 ) Trente- quatrieme feuille Littéraire.
( 2 ) Je n'ai pu faire cette épreuve chez moi ,"
n'ayant pas la facilité d'avoir une preffe ; grace
que je n'aurois jamais demandée à mes fupérieurs,
parce qu'elle eft diamétralement oppofée aux Réglemens
de la Librairie , & qu'elle peut occafionner
mille inconvéniens , qu'il eft de la prudence
de prévenir,
JUILLET. 1758. 181
finon que le fieur Fournier cadet a fait une
italique de petit Romain , l'aîné une autre,
& moi la troifieme. On apperçoit dans
toute cette chicane , fondée ſeulement fur
la différence de la qualité de cadet à celle
d'aîné , que le cader cherche à dénigrer
fon aîné , fes Confreres & les Imprimeurs
mêmes , qui ne fe déclarent pas hautement
pour lui. Il faudroit effectivement , pour
fatisfaire l'ambition démefurée de ce cadet,
que tous fes Confreres s'avouaffent fes inférieurs
, qu'il ne fe fît aucune impreffion
que fur fes caracteres , & que tout le mond
lui décernât la gloire d'être le premier
homme en fon genre.
Il réfulte donc de cette petite difpute ,
que le fieur Fournier le jeune a tort de fe
plaindre d'avoir des émules . Il lui fera toujours
glorieux d'être imité , de même qu'il
ne fera jamais humiliant pour d'habiles
Imprimeurs , d'avoir fait d'auffi belles impreffions
que les Etiennes , les Elzevirs &
les Plantins . Le nombre des Artiſtes augmente
l'émulation . La différence des caracteres
gravés par plufieurs mains , produira
une variété gracieufe dans les différentes
éditions , & le Public inftruit & judicieux ,
fçaura bien donner la palme à celui qui
aura le mieux réuff .
182 MERCURE DE FRANCE.
Pour moi , je vais redoubler mes efforts
pour atteindre à la perfection que je me
propofe. Je ne promets cependant point
T'emporter fur le fameux projet de Mufique
deLéipfick : mais, quoi qu'il en foit , je me
donnerai bien de garde de m'annoncer pour
Inventeur , & d'antidater mes épreuves.-
A Paris , ce 12 Mai 1758.
JUILLET. 1758. 183
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
DESCRIPTION du Manfolée de Philippe V“,
Roi d'Espagne.
PHIHLILIIPPPPEE Vavoit ordonné , par fon tef
tament , que fon corps fût mis dans une
chapelle qu'il avoit fait conftruire dans
l'églife collégiale de Saint Ildefonce . Ferdinand
VI , pour remplir l'intention du
Roi fon pere , vient de faire élever dans
cette chapelle un magnifique Mauſolée . Il
a choifi pour cela un deffein entre plu--
plufieurs que
les plus habiles Maîtres confultés
par fon ordre , avoient envoyés , &
il l'a fait exécuter fous la direction de Dom
Diego Ramo y Velafco , Contrôleur de la
maifon de la Reine Douairiere.
La chapelle a trente deux pieds de lon
gueur , quatorze de largeur , & trentetrois
de hauteur. On y a fait une voûte de:
ftuc , partagée en deux parties ornées de
dorure & de peinture à frefque . Chaque
partie offre une médaille . L'une des deux:
médailles repréfente la Juftice , la Pruden184
MERCURE DE FRANCE.
ce , la Force & la Clémence ; l'autre , la
Foi , l'Efpérance , la Religion & la Chaf
teté.
Les carreaux de la chapelle font de marbre
jafpé de différentes couleurs. Elle eft
environnée d'un lambris haut de fix pieds
& de marbre jonquille. Elle a quatre por
tes quarrées , à deux battans faits de différens
bois , & fur lefquels on a fculpté en
relief les armes d'Efpagne & de France .
Les cinteaux , les feuils & les côtés font
ornés du même marbre que le lambris.
Par l'une de ces portes on va à l'églife ;
par l'autre , à la facriftie : les deux autres
ne font que des fauffes portes. Il y a de
même quatre croifées de cryftal , deux
vraies & deux fauffes. Le deffous de la
corniche de la voûte , & le deffus des portes
, font couverts de trophées d'armes en
ftuc , & dorés .
L'autel eft de marbre de différentes couleurs
. On voit au deffus notre Seigneur
tenant fa croix , & environné d'Anges ,
dont les deux plus grands tiennent chacun
un faifceau de palmes. Ces figures font en
relief. Les reliques font entre ces figures
& l'autel.
Vis- à- vis l'autel eft le Maufolée compoſé
d'un piédeftal , d'une urne & d'une pyra
mide dont la baſe eft cachée par l'urne.
JUILLET. 1758 187
Le piédeſtal eft de trois efpeces de marbre
, de marbre verd d'Egypte , de marbre
fanguin , & de marbre jaune. Au milieu ,
vers le devant , eft un oreiller fur lequel
on apperçoit le fceptre , la main de juſtice ,
& la couronne.
L'urne eft de marbre fanguin ; elle porte
les médailles du Roi & de la Reine : elle
eft enveloppée du manteau royal. On voit
à côté la Charité & la Douleur , & au
deffus , la Renommée.
La pyramide eft terminée par une caffo
lette , au deffus de laquelle font les armes
du Roi , fupportées par deux Anges .
Toutes les figures & les deux médailles
du Maufolée font d'un beau marbre blanc
de Grenade . La trompette de la Renommée
, la caffolette , les armes & tous les
filets du piédeſtal & de la pyramide , font
de bronze doré d'or moulu.
Ce fuperbe Monument coûte au moins
deux millions de livres ; il répond parfaitement
à la grandeur du Monarque qui l'a
ordonné , & au zele de celui qui en a di
rigé l'exécution.
LE fieur Louchet , Architecte , Profef
feur dans l'art du trait , donne des leçons
fur la coupe des pierres , tous les jours depuis
huit heures du matin jufqu'à fix heu
186 MERCURE DE FRANCE.
4
res du foir. Le but de fes lecons eft de conduire
de la théorie à la pratique par des
moyens faciles à faifir . Les perfonnes qui
ne voudront point couper de plâtre , trouveront
chez lui des développemens en carton
qui repréfente parfaitement l'exécu
tion. Il entreprend des modeles de quelque
nature qu'ils foient ; il en a fait un
grand nombre pour des Seigneurs étrangers
, qui ont été admirés de plufieurs habiles
Architectes de Paris. On peut en
voir plufieurs chez M. Blondel , célebre
Profeffeur d'Architecture , & Architecte
du Roi , & un à Sainte Géneviève , exécuté
d'après les deffeins de M. Soufflot ,
Architecte du Roi & de cette églife . Il donne
auffi des leçons en ville. Sa demeure
eft rue de la Harpe , vis- à- vis le pallage
des Jacobins.
JUILLET. 1758. 187
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique continue
de repréſenter les Fêtes de Paphos.
Nous nous fommes bornés dans le premier
volume du Mercure de ce mois , à indiquer
le fujet des trois actes dont ce Ballet héroïque
eft compofé . Nous y avons donné au
Muficien les éloges qu'il nous a paru mériter.
Nous allons faire connoître ici d'une
maniere un peu plus détaillée le plan & la
marche de chaque acte de ce Ballet.
L'objet du premier eft l'hiftoire des
Amours, de Vénus & Adonis . Mars tranfporté
de rage & de jaloufie , ouvre la ſcene.
Il entre environné de guerriers , à qui il
ordonne de fe retirer. I refte feul fur la
fcene , & déclare fes projets dans un monologue.
Il annonce que Diane lui a promis
de faire périr Adonis fous les coups.
d'un monftre qui ravage la forêt que le
théâtre repréfente. Adonis , accompagné
188 MERCURE DE FRANCE.
:
com d'une troupe de chaffeurs, vient pour
battre le monftre. Vénus inquiete & allarmée
pour les jours de fon amant , veut le
retenir mais la gloire l'emporte fur l'Amour.
Adonis s'enfonce dans la forêt ; un
moment après on entend des cris qui glacent
Vénus d'effroi . Adonis bleffé , fe
préfente à fes yeux , & meurt entre fes
bras. La Déeffe défefpérée de la perte de
fon amant , le change en une anemone ,
qui s'éleve du milieu d'un tombeau foutenu
fur des guirlandes. Des Génies couron
nent avec des fleurs ce trifte monument de
la tendreffe de la mere des Amours. Mars
fatisfait de fa vengeance , vient infulter
aux larmes deVénus. Cette Déeffe lui mon
tre l'anemone formée du fang de l'Amant
qui regne toujours fur fon coeur . A cet
afpect la rage de Mars fe ranime ; il veut
arracher la fleur. Vénus implore Jupiter ;
le tonnerre gronde ; Mars, furieux , brave
le maître des cieux , & arrache l'anemone :
mais une lumiere fubite fuccédant à l'obfcurité
, on apperçoit Adonis , à qui Jupiter
a rendu la vie. Vénus eft tranfportée de
joie; Mars , trompé dans fon efpérance ,
devient furieux , & jure dans fa colere de
tout mettre à feu & à fang fur la terre .
Adonis & Vénus chantent leur bonheur ;
les jeux & les plaifirs terminent la fête.
JUILLET. 1758 . 189
>
Il y a quelques beautés dans ce Poëme
mais la verfification nous paroît en bien
des endroits trop négligée. Il feroit à
Louhaiter que les événemens en fuffent un
peu moins précipités , & que Mars y fûr
repréſenté fous des traits plus convenables
& plus dignes de lui. On voit avec quelque
peine que le Dieu de la valeur & des
combats, a recours à Diane pour fufciter un
monftre qui attaque fon rival , qui aprè
tout , n'eft que le plus beau des mortels.
Dans le fecond acte Bacchus vainqueur
, touche le coeur d'Erigone. Cette
Nymphe ouvre la fcene par un monolague
, où elle exprime fa tendreffe & la
crainte qu'elle a de ne pouvoir foumettre
le Héros qu'elle aime. Mercure la raffure ,
& lui dit que Jupiter veut favorifer fes
feux. Bacchus arrive fur un char de triomphe
; il eft accompagné de Comus , Dieu
de la bonne chere , à qui il avoue que ,
malgré toute la félicité dont il jouit , & la
gloire qui l'environne , fon coeur reffent
encore de l'inquiétude .
Je languis , dit- il , dans le fein de la gloire
Elle fait mes plaifirs , fans faire mon bonheur.
Å
Mercure & Comus lui difent que c'eſt
l'Amour qui fe venge de fon infenfibilité ,
qu'il eft dans ces lieux une Nympha
yo MERCURE DE FRANCE.
qui pourroit lui procurer ce bonheur . On
voit arriver alors Erigone , dont la beauté
eft relevée par l'éclat de la parure. Des
Nymphes compofent fa cour , & un choeur
de fuivantes chante fes louanges. Bacchus
eft ébloui de fes charmes , & en devient
épris . Il inftruit cette Nymphe des mouvemens
que la préfence vient de faire naître
dans fon coeur. Erigone ravie de le
ouver fenfible , laiffe percer la tendreffe
qu'elle a pour ce Héros , & lui explique
les effets de l'Amour , à quoi Bacchus répond
:
Mais vous, objet divin , vous, dont la voix fi tendre
Sur les fecrets d'amour a daigné m'éclairer ;
Votre coeur veut-il ignorer
Ce que vos yeux ont fçu m'apprendre.
Erigone.
L'Amour , par un charmant lien ,
Sçut m'enchaîner en vous voyant paroîtres
Et fi mon coeur fut votre maître ,
L'Amour lui-même fut le mien .
Bacchus tranfporté du plaifir qu'il a
d'apprendre qu'Erigone répond à l'amour
dont il brûle pour elle , lui peint toute la
vivacité de fes fentimens. Il invite les Menades
& les Sylvains à venir prendre part
Afon bonheur . Ils célebrent l'union de ces
JUILLET. 1758 . 191
deux amans , & forment par leurs danfes
& leurs chants une fête qui termine cet
acte . Les vers en font fupérieurs à ceux du
premier. Tout y eft gracieux & marqué
au coin de la délicateffe & du fentiment.
La fcene du dialogue entre Erigone &
Bacchus , eft un des plus beaux morceaux
qu'il y ait dans le genre lyrique.
Nous voici arrivés au troifieme acte.
C'eſt celui qui a le plus réuffi ; il eſt auffi
le mieux fait & le plus intéreffant. Au goût
de tous les connoiffeurs , il eft rendu avec
autant de force & d'agrément de la part.
du Muficien , que du côté du Poëte. Le
jeu des Acteurs ajoute encore à fon mérite.
Les amours de Pfyché & du fils de Vénus
en font le fujet . Vénus indignée contre Pfyché
, dont les attraits femblent lui difputer
le prix de la beauté , attache Tifyphone
à fa fuite , pour la tourmenter . Cette Furie
invente tous les moyens qui peuvent fervir
à défefpérer Pfyché . Elle veut d'abord
lui faire croire que l'Amour n'eft plus fenfible
pour elle ; & pour l'en convaincre ,
elle fait paroître à fes yeux de jeunes beautés
que l'Inconftance conduit . Pfyché n'en
conçoit point de jaloufie , & s'en rappor
toujours aux fermens de l'Amo
lude agréable fe fair
ne appercev
192 MERCURE DE FRANCE
ché au milieu de la mer , fur un vaiffeau.
Une tempête s'éleve ; le vaiffeau fe brife ;
Plyché fe fauve fur un rocher ; Tifyphone
la fuit ; l'Amour vient pour arracher fon
amante au péril qui menace fes jours ; fa
préfence ranime le courage de Pſyché ;
l'Amour veut l'enlever à Tifyphone , qui
la précipite dans la mer. Le théâtre change;
on apperçoit l'Enfer , où Pfyché tâche en
vain de fléchir , par fes prieres & par fes
larmes , une foule de Démons qui l'obfe
dent. Elle appelle l'Amour à fon fecours ;
mais Tifyphone lui dit :
Cet objet que ton coeur adore ,
Sera bientôt ton plus cruel tourment ;
Ton ame , en le voyant , d'horreur fera faifie
Connois toute ma cruauté ;
Tu fouffrirois trop peu fi je t'ôtois la vie ;
Je fais bien plus , je détruis ta beauté .
Pleure , gémis , fois affreuſe & fenfible ;
C'eſt le tourment le plus horrible
Que l'on ait encore inventé.
Pfyché déplore la perte de fes attraits ;
qui vont lui faire perdre auffi le coeur de
fon amant. L'Amour arrive ; Pfyché le dérobe
à fa vue. L'Amour la fuit , la regarde
<ri d'étonnement ; Pfyché &
Chere
『,
193
JUILLET. 1753.
Chere amante ( dit l'Amour ), vivez calmez vos
douleurs.
Vénus , en détruiſant vos charmes ?>
N'a pas détruit ma fenfibilité ;
Vos foupirs , vos plaintes , vos larmes
Vous donnent un pouvoir plus grand que la beauté,
A ces mots le théâtre change & repréfente
le Palais de Vénus qui , touchée de la
tendreffe de ces deux amans , rend à Pfyché
fes attraits , & lui annonce que Jupiter l'éleve
au rang des Immortelles. Cet acte
finit par une fête que la fuite de Vénus célebre
en honneur de l'Amour.
Mlle Sixte a joué le rôle de Vénus dans
le premier acte. Mlle Riviere a joué celui
de Pfyché dans le dernier. Elle s'en eft fi
bien acquitée , qu'elle a été généralement
applaudie, malgré la prévention du Public,
juſtement fondée en faveur de l'aimable
Acttice qui l'avoit repréſenté en premier
lieu : plufieurs perfonnes même ont été embass
fur la préférence .
194 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE FRANÇOIS E.
E Le fieur Prefac a continué fon début. La
maniere dont il a rempli les différens rôles
qu'il a joués , fait affez bien augurer de fes
difpofitions pour le théâtre.
Les Comédiens François ont repréſenté
le Mercredi 8 Juin , pour la premiere
fois , l'Amant déguife , Piece en deux actes
& en profe , de M. la Morliere. Le Public
ne l'a pas accueillie favorablement.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné Mercredi
21 Juin , la premiere repréfentation
d'un Ballet orné de chants , intitulé , la Fête
au moulin. Il a fait beaucoup de plaifir. Les
paroles & la mufique font d'une perſonne
qui n'a pas jugé à propos de fe nommer.
La danse en eft extrêmement galante , 3e
du deffein le plus gracieux .
On a repréſenté fur le même théâtre
le Vendredi 23 Juin , pour la premiere fois,
le Fils retrouvé, Piece Italienne. Elle a été
un peu plus goûtée que n'ont coutume de
l'être ces fortes de Drames , dont le caneJUILLET.
1758. 195
vas monſtrueux & abfurde n'offre prefque
toujours aux yeux des fpectateurs qu'un
tiffa de fcenes mal afforties , & encore
plus mal dialoguées Ils ne fe foutiennent
guere au théâtre que par le jeu comique
d'Arlequin & de Scapin : ce font en effet les
feuls Acteurs qui y figurent.
OPERA
COMIQUE.
L'OUVERTURE 'OUVERTURE de ce Théâtre s'eft faite le
Mercredi 28 Juin , par la Fauffe Aveniuriere
, Piece en deux actes , mêlée d'ariettes
, de MM . Anfeaume & Marcouville
& remife au théâtre , où elle avoit paru en
1757 à la foire Saint- Germain.
Le fieur Saint- Aubert s'y eft diftingué
dans le rôle d'amoureux. On doit rendre
juſtice à la netteté & à l'agrément de fa voix.
Quand il aura joint la connoiffauce du
théâtre aux talens qu'il poffede déja , il nẹ
faut point douter qu'il n'ait beaucoup de
fuccès. Pour la premiere fois qu'il paroît
en public , il a fait tout ce qu'on pouvoit
attendre de lui. On a donné à la fuite de
cette Piece le Magafin des Modernes , donť
M. Panard eft Auteur. M. Bourette y a
joué le rôle du Poëte d'une maniere auffi
I ij
196 MERCURE
DE FRANCE
.
comique
qu'originale
. On a repréfenté
depuis les Troqueurs
. Les Ballets ont été particuliérement
applaudis
. Ils font de la compofition
de M. Billioni , qui en avoit
déja donné de très-agréables
à la Comédie
Italienne
.
JUILLET. 1758 197
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De l'Armée Impériale en Moravie , le 2
Juillet.
SUR l'avis qu'avoit depuis quelques jours le
Maréchal Comte de Daun , qu'un convoi confidérable
chargé de vivres & de munitions de guerre
, étoit en route pour arriver à l'armée du Roi
de Pruffe , ce Général envoya le Comte de Lau
don & le Baron de Ziskowitz avec de forts Détachemens
, pour tâcher de l'intercepter. Le 28 du
mois de Juin , le Général Laudon attaqua ce convoi
près de Gunderfdorff ; mais le retard du Baron
de Ziskowitz , qui n'étoit pas encore à portée ,
l'obligea de fe retirer pour l'attendre. Pendant ce
court délai , l'ennemi reçut du renfort , & l'escorte
du convoi fe trouva de plus de quinze mille hommes.
Le lendemain , les deux Généraux de Laudon
& de Ziskowitz le trouvant rapprochés , concerterent
leur opération , & l'exécuterent le 30. A
dix heures & demie du matin , pendant que l'ennemi
étoit occupé à faire défiler les charriots
derriere lefquels il s'étoit retranché près de Neudorffel
, le Baron de Ziskowitz attaqua. Les Pruf
fiens qui avoient gagné des hauteurs , & qui manoeuvroient
avec toute l'habileté poffible , firent
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
la plus belle défenfe ; leur cavalerie fort fupérieure
à la nôtre , fe rallia jufqu'à quatre fois , mais enfin
elle fut défaite & mife en déroute. Leur infanterie
tint beaucoup plus long-temps , & fut de même
entiérement culbutée . Le convoi ennemi dont
s'empara le Général Laudon , confiftoit en plus de
trois mille charriots chargés de vivres , de munitions
de guerre , & d'habillemens pour les troupes.
Comme le feu du canon avoit tué la plus grande
partie des chevaux & des conducteurs , on fut
obligé de faire fauter la poudre , les bombes &
les grenades chargées , & de brûler la farine &
tous les charriots. Ceux qui étoient chargés d'argent
échapperent avec l'avant - garde Pruffienne ;
mais dans la premiere attaque du 28 , l'ennemi
perdit à Gundersdorff près d'un million de florins,
qui fut pillé en partie par nos troupes légeres &
par les payfans , en partie par les Pruffiens mêmes.
Nos troupes ont pris fur le champ de bataille fix
pieces de canon , un Major général , deux Majors ,
beaucoup d'Officiers & près de fept cens foldats.
La perte des enne nis en morts monte à mille out
douze cens hommes , & la nôtre à près de cinq
cens.
Le Baron de Ziskowitz de fon côté enleva fix
pieces de canon & mille charriots qu'il fit aufh
fauter. I fit de plus prifonniers un Major , vingthuit
Officiers , & deux bataillons de Grenadiers.
Plus de cinq cens Pruffiens ont resté fur le champ
de bataille , & fa perte ne va guere à plus de cent
homes.
L'action a duré depuis midi jufqu'à quatre heu
res , avec une bravoure & une opiniâtreté égales
des deux parts. Le feu du canon & de la moufquc➡
terie ne s'eft pas ralenti un inftant. Tous les Offi.
ciers Généraux & les Commandans des Corps le
JUILLET. 1758 . 199
font extrêmement diftingués ; & entr'autres le
Comte de Caramelly , Commandant du Régiment
de Deux-Ponts ; le fieur Rouvoy , Capitaine d'Artillerie
, qui a fi bien fait fervir le canon , que
prefque chaque coup a porté ; le fieur de Brantano,
Colonel des Waradins ; le Comte de Nafely , Colonel
de Collowrath ; le fieur de Stampach , Lieutenant-
Colonel du même Régiment ; le fieur de
Riefe , Lieutenant- Colonel des Waradins ; le fieur
de Grimau , Major de Stharemberg ; le fieur de
Caldevel , Capitaine de Grenadiers de Vieux Wol
fenbuttel ; le fieur Grifoni , Capitaine de Grenadiers
de Konigseg , & le premier Lieutenant de
Ruft , Aide de Camp du Général Laudon. Les
Régimens de Nadafty , de Deux - Ponts , de Collowrath
, infanterie ; les Grenadiers , & en général
tous les Corps ont fuppléé par leur intrépidité à
l'inégalité du nombre. Trois mille Croates &
foixante Huffards , aux ordres du Major Hamiluſe
, ont été détachés vers Neyff , pour tâcher d'enlever
huit cens charriots de remonte , qui font près
de cette Ville .
Le même jour 30 Juin , le Comte de Daun fit
attaquer par fes troupes légeres les poftes avancés
de l'ennemi . Le Roi de Pruffe croyant qu'il vouloit
en venir à un engagement général , retira
précipitamment tous fes poftes ; mais notre Général
leva fon camp à dix heures du foir , & n'ayant
laiffé repofer fon armée que deux heures , il paffa
le lendemain la Morave , fit une marche de cinq à
fix lieues d'Allemagne , & s'approcha des portes
d'Olmutz. Ainfi par cette pofition , l'armée Impériale
fe trouvoit non feulement à portée de fe
courir de toutes façons la Place affiégée , mais de
fournir encore des détachemens néceffaires pour
faire, conjointement avec la garnifon , une fortie,
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
moyennant laquelle on auroit culbuté fans rel
fource le Corps ennemi qui formoit le fiege , enlevé
toute fon artillerie , & rendu la retraite des
Pruffiens en Siléfie extrêmement difficile . Le Roi
de Pruffe
ayant connu le danger , cette confidération
jointe au manque de vivres & de munitions
de guerre , l'obligea de lever le fiege ; ce qu'il fit
le 2 à trois heures du matin , après avoir fait faire
pendant toute la nuit un feu continuel pour cou
vrir fon deffein . L'ennemi a abandonné dans fes
retranchemens un feul canon de batterie , cinq
mortiers , & une grande quantité de bombes &
de grenades. H eft poursuivi dans fa retraite par
les Généraux de Laudon , de Ziskowitz , de Saint-
Ignon , de Bucow & de Ville , dont les détachemens
forment enſemble un Corps d'environ vingtquatre
mille hommes.
DE RATISBONNE , le 19 Juins
Plufieurs lettres de Berlin marquent , qu'un
Corps de Huffards , de Croates & de Pandoures a
pénétré par la Luface dans le Brandebourg , fans
que les Pruffiens ayent eu aucun avis de fa marche.
Elles ajoutent que ce Corps a tiré des contributions
confidérables , qu'il a enlevé beaucoup
de bétail , & qu'il a pris un détachement de cent
Fufiliers , & de vingt Huffards Pruffiens qu'on
avoit envoyés contre lui .
Les mêmes lettres affurent encore , que le Général
Haddick a auffi pénétré dans le Brandebourg
avec un Corps de huit mille hommes , &
qu'il s'eft réuni avec un gros Corps de Ruffiens
aux environs de Cuftrin & de Landſberg.
1
JUILLET. 175.8 . 201
PAYS - BAS.
DE LIEGE, le S Juillet.
Suivant les derniers avis que nous avons reçus
Fes Hanovriens ont abandonné la ville de Ruremonde
, & le Quartier général de leur armée eft
à Saint-Nicolas. Celui de l'armée du Roi a été
transféré de Nippes à Cafter fur la riviere d'Erft .
Les François ont fait paffer le Rhin au deffus
de Cologne à un Corps de quinze à ſeize mille
hommes. On affure que ce Corps doit marcher
fur la rive droite du fleuve vers Vezel , pour couper
la retraite aux ennemis.
La garnifon de Ruremonde avec divers détachemens
qu'on y a joints , forme un camp fur la
hauteur de Saint - Gilles à une demi -lieue de cette
Ville . Ces difpofitions , & la marche d'un Corps
d'environ dix mille hommes qui nous viennent
des Pays- bas , ont obligé les ennemis de fe replier.
E
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LeRoi , la Reine, & la Famille Royale , figne:
rent le 11 Juin le Contrat de mariage de M. le
Marquis d'Efparbès , avec Mademoiſelle Thoinard
de Jouy , & celui de M. le Comte de Guitaut
avec Mademoiſelle Durey de Meinieres.
Le IS le Prince Xavier de Saxe partit de Ver
failles vers les dix heures du foir pour fe rendre à
Parmée du Roi.
Iw
201 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majesté a tenu le Sceau pour la trente-unies
me & trente- deuxieme fois.
Madame la Ducheffe de Rohan-Chabot fut préfentée
le 18 au Roi & à la Reine , & elle prit le tabouret.
Le 19 , M. de Chevert , Lieutenant- Général
des Armées du Roi , arriva ici fur les fept heures
du foir. Il eut une conférence avec M. le Maréchal
Duc de Belle -Ifte , & il partit la nuit même pour
fe rendre à l'Armée de M. le Comte de Clermont.
Toutes les lettres qu'on reçoit de Bretagne confirment
que les Anglois fe font rembarqués les 1 1 ,
12 & 13 de Juin avec effroi & précipitation . Ils
n'ont point jugé à propos d'attendre l'arrivée des
Troupes que M. le Duc d'Aiguillon avoit fait venir
de divers endroits de la Province , ni celles
que M. le Duc d'Harcourt amenoit de Normandie.
Tout le dommage qu'ils ont caufé s'eft borné
à Saint- Servan , Fauxbourg de Saint - Malo ; ils
n'ont rien ofé entreprendre contre la Vile , ou
l'on avoit fait entrer deux mille hommes de Trou
pes , foutenus par trois mil e Bourgeois bien ar❤
més & d'une grande réfolution . Cette Ville étoit
d'ailleurs bien pourvue de munitions de toute efpece
, & par conféquent en état de faire une vigoureufe
défenfe. Les Troupes ont marqué beaucoup
d'ardeur pour marcher à l'ennemi , & les
Bretons le plus grand zele pour la défenſe de leur
Province. La Nobleffe , plufieurs Préfidens & Con
feillers du Parlement de Rennes faifoient armer
leurs Vaffaux , & les Ecoliers de Droit ne demandoient
des Officiers
que
les conduire contre
pour
les Anglois. L'Amiral Anfon avoit fait fortir le 15
fa flotte de la Baye de Cancale ; mais les vents
contraires l'ont obligé d'y rentrer , & elle y étoit
encore le Dimanche 18. Partout où fe porteront
les Anglois , ils trouveront nos côtes garnies & en
JUILLET. 1758. 203
état de faire échouer toutes leurs entrepriſes.
Une lettre du camp de Granville , en Baffe - Nor
mandie , datée du ro Juin , contient le détail fuivant.
« Le z de Juin vers les neuf heures du ma-
» tin , la Flotte Angloiſe párut à la Folle de Mon
» ville , & le même jour elle entra vers les fix heu
» res du foir dans l'Anfe de Vauville . Au premier
» avis qu'en reçut M. le Comte de Raymond , Ma.
» réchal de Camp , qui commande à Vallogne
>>> cet Officier Général fit marcher les Grenadiers
» du Régiment de Guyenne , avec un Piquet , &
#il envoya des ordres pour raffembler toutes les
» Troupes de ce quartier . Ces difpofitions devin→
rent inutiles par le départ de la flotte , qu'on re-
» vit le à trois heures du matin à la hauteur du
>> Cap Frehel & cette Flotte mouilla le même
» jour à neuf heures du matin fous Cancale. M.
>> le Com e de Coetlogon , Lieutenant- Général ,
» qui commande à Coutances , fit partir les Gre
>> nidiers de Saint - Chamond ; il donna en même-
>> temps des ordres pour faire marcher les Trou-
» pes de la Généralité , & pour les raffembler à
» Granville , où il arriva le lendemain 6 avec le
» Régiment de Saint - Chamond. Il trouva les ha
» bitans de cette Ville , qui étoient ratfurés par la
>>prefence & par les bonnes difpofitions de M. le
» Prince de Robec , dans la plus grande fécurité .
» Le même jour , ce Général alla reconnoître &
» marquer un camp , où toutes les Troupes fe
>> read rent avec la plus grande diligence. Le Sub-
» dé égué de l'Election de Coutances , que ce Gé
néral avoit char é de faire les approvifionne
» mens néc flaires , avoit pr's des metures fi exac-
> res , que le Régiment de Lorraine fut campé le
» 8 & le reste de l'armée le 9. Ce camp formé en
» quatre jours dans le canton le plus ingrat de la
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Normandie , fut abondamment pourvu de tou
tes chofes , & le bois de campement , ainfi que
le bois de chauffage ,fut fourni fi à propos , que
» le Soldat ne fit pas le moindre défordre . La vian-
» de pour le Soldat , eft ici taxée à trois fols , & le
pain le plus blanc à un fol fix deniers . >>
M. le Marquis de Villeroi a prêté ferment le 25
Juin , entre les mains du Roi , pour la furvivance
de la place de Capitaine des Gardes du Corps ,
dont M. le Duc de Villerei , fon oncle , eft titu→
laire. Il en a fait les fonctions le même jour.
Le Roi a nommé Protecteur des affaires de
France , à Rome , M. le Cardinal Profper Colonna
de Sciarra.
M. le Marquis de Cambis , Colonel d'un Régiment
d'Infanterie , à qui le Roi avoit donné celui
de Nice , vacant par la mort de M. le Comte dela
Queille , ayant défiré de garder le fien , Sa<
Majefté a difpofé de celui de Nice , en faveur
de M. le Vicomte de la Tournelle , Capitaine de
Grenadiers dans le Régiment de Cambis.
Par une nouvelle Ordonnance rendue le premier
Juin dernier , le Roi a accordé une augmentation
de traitement aux Troupes d'Infante
rie Françoife , pour l'entretien du linge & de la
chauffure defdites Troupes.
Le 29. Juin , M. Rouillé , ci- devant Miniftre des
affaires étrangeres , M. le Marquis de Paulmy &
M. de Moras , eurent l'agrément du Roi , pour fe
retirer du Confeil.
Le 30 Juin , M. le Maréchal Duc de Belle- Me
à l'occafion de la mort de M. le Comte de Giſors ,
fon fils , eut l'honneur d'être vifité par le Roi ,
la Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame
Infante & Madame Adelaide. Madame la Dauphine
& Mesdames Victoire, Sophie & Louife
JUILLET. 1758. 201
firent le lendemain premier Juillet , le même honce
Maréchal. neur à
Le 2 Juillet , Sa Majefté admit au Confeil M.
le Maréchal d'Eftrées , & M. de Berryer , qui
étoit déja du Confeil des dépêches . M. le Marquis
de Puyfieulx y reprit auffi féance.
Le même jour , M. le Duc de Trefmes prêta
ferment entre les mains du Roi , pour le Gouver
nement de l'Ile de France .
Le 3 Juillet , le Roi donna les entrées de la
Chambre à M. le Duc de Broglie , Lieutenant-
Général de fes Armées.
Le Roi a difpofé de la charge de Meftre de
Camp-Lieutenant du Régiment des Carabiniers
de Monſeigneur le Comte de Provence , en fa-*
veur de M. le Marquis de Poyanne , Lieutenant-
Général , Infpecteur Général des Troupes de
Cavalerie & de Dragons.
De la Brigade vacante dans le même Régiment
, par la mort de M. de la Tour , en faveur
de M. de Saint - André , Lieutenant- Colonel
de celle de Bovet , avec rang de Meſtre de
Camp.
Et de la Brigade vacante par la retraite de
M. de Maifons , en faveur de M. Poiffon de
Malvoifin , Meftre de Camp de Cavalerie..
Le 28, Juin , M. le Duc de Trefmes fut reçu
au Parlement , Pair de France,
Le 26 Juin , M. de la Curne de Sainte- Palaye ,
élu par l'Académie Françoife , pour remplir la
place vacante par la mort de M. Boiffy , prit
féance dans cette Compagnie , & prononça fon
difcours de remerciment auquel M. l'Abbé Alaric
répondit.
La Tartane que commandoit M. Calais d'Arles
, & dont un Ĉorfaire Anglois s'étoit emparé ,
106 MERCURE DE FRANCE.
a été réprife le premier de Jain , par le Navire
le Saint- Antoine, fur les côtes de Catalogue , &
ramenée dans ce Port.
BÉNÉFICES DONNÉS.
A Majefté a donné l'Abbaye de Bonnefaigne
Ordre de Saint Benoît , Diocefe de Limoges , à la
Dame d'Uffel -de Chateauvert , Abbeffe des Allois ;
celle des Allois , même Ordre & même Dioceſe ,
à la Dame de Lentilhac , Religieufe du Monaftere
de la Regle , à Limoges ; & l'Abbaye de Buffiere.
Ordre de Citeaux , Dioceſe & ville de Bourges ,
la Dame de Bry d'Arcy , Religieufe de l'Abbaye
aux Bois , à Paris.
MORT
MESSIRE Louis-Marie de Foucquet , Comte de
Gifors , Prince de l'Empire , Gouverneur de Merz
& du Pays Meffin , Lieutenant général au Gouvernement
de Lorraine & du Barro's , Brigadier
des Armées du Roi , Meftre de Camp Lieutenant
du Régiment Royal des Carabiniers , mourut à
Nuys le 26 Juin dernier , dans la vingt -ſeptieme
année de fon âge , de la bleffure qu'il avoit reçue
an combat de Crewelt , où il s'étoit fort diftingué.
Il étoit fils aniqué du Maréchal Duc de Belle- Iffe.
Le Comte de Gifors enlevé à la fleur de fon âge
eft univerfellement regretté. Par les grandes qua
lités qu'il réuniffoit , il s'étoit acquis l'amour &
Feftime de toute la N tion , ainfi que des Cours
étrangeres où il avoit voyagé.
JUILLET. 1758. 207
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Hôpital de M. le Maréchal Duc de Biron.
Douzieme traitement depuis fon établiſſement.
LAHAYE , Compagnie de Rafilly , eft entre
I.
le 2 Février , & eft forti le 15 M parfaitement
guéri ; il étoit dans un état bien fâcheux , & avoir
des douleurs aigues dans tous les doigts du pid.
2. Defrance , Compagnie de Bragelongne , eft
entré le z Février , & eft forti le 15 Mais parfai
tement guéri .
3. Ladouceur , Compagnie de Rochegude , eft
entré le 2 Février , & eft forti le- Mars parfai
tement guéri . Outre les fimptômes vénér ens ,
avoit de grandes douleurs dans les jambes .
4. Saint Médard Compagnie de Guer , eft entré
le 9 Février , & eft forti le 9 Avril parfaitement
guér .
5. Davefne , Compagnie de Bouville , eft entré
le 10 Février , & eft forti le 28 Mars parfa tement
gué: Outre des puftules confidérables , il avoit
des douleurs dans tous les membres , de violens
maux de tête , & un ulcere très profond dans la
gorge.
T
6. Briant , compagnie de Pronleroi , eft entré
le 16 Février , & eft forti le 29 Mars parfaitement
guéri .
7. Drapier , Compagnie de la Colonelle , eft
entré le 17 Février , & eft forti le 28 Mars parfai
tement guéri. l'étoit dans un état cruel , & avoiť
inutilement paffé les grands remedes à Montpellier
& ailleurs.
208 MERCURE DE FRANCE.
8. Digon , Compagnie de Chevalier , eft entré
le 16 Mars , & eft forti le 3 Mai parfaitement
guéri. Outre les fimptômes ordinaires , il avoit
des douleurs partout le corps.
eft
9. Saint André , Compagnie de la Ferriere ,
entré le 30 Mars , & eft forti le 9 Mai parfaitement
guéri. Il avoit les plus violens maux de tête ,
une furdité confidérable , une ophtalmie à l'oeil
gauche , & un ulcere , avec inflammation à la
gorge.
10. La Pierre , Compagnie de Chevalier , eft entré
le 30 Mars , & eft forti le 2 Mai parfaitement
guéri .
11. Verly , Compagnie de Chevalier , eft entré
le 13 Avril, & eft forti le 23 Mai parfaitement
guéri . Il étoit dans l'état le plus fâcheux , & outre
les fimptômes les plus graves , il avoit une furdité
à l'oreille gauche avec un engorgement aux glandes
inguinaires.
12. Coeur-de- Roi , Compagnie de Mathan , eft
entré le 4 Mai , & eft forti le 13 Juin parfaitement
guéri.
Expériences qui viennent d'être faites dans l'Hopital
Militaire de Strasbourg ,fous le bon plaifir
de M. l'Intendant d'Alface , & fous les yeux de
Meffieurs les Médecins & Chirurgiens dudit Hô◄
pital.
Lettre de M. le Riche , Chirurgien-Major de l'Hôpital
Militaire de Strasbourg , à M. Keyfer , en
datte du 28 Mai 1758.
J'ai l'honneur de vous adreffer , Monfieur , un
'état de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, que j'ai traités avec vos dragées , & fuivant
votre méthode de les adminiftrer. Vous ver
rez que le fuccès ne pouvoit en être plus complet ,
JULLET. 1758. 200
ni les atteftations plus authentiques. Il n'y a cependant
rien d'exagéré , ni qui ne foit conforme
à la plus exacte vérité . Je ne vous diffimulerai pas ,
Monfieur , que j'avois befoin de ces preuves pour
croire. Accoutumé depuis très - long- temps à employer
le mercure par les frictions , je ne croyois
pas que toute autre maniere de le donner pût pro
duire de fi bons effets que votre découverte ; mais
je ſuis défabulé , & il eft jufte que j'en faffe l'a
veu. Une circonstance qui me plaît encore , & à
laquelle on doit faire attention , c'eft que la cure
de cette maladie par vos dragées , eft beaucoup
plus courte que par les frictions , plus commode ,
& qu'elle eft pour le moins auffi sûre.
J'ai l'honneur d'être , & c. Le Riche , Chirur
gien Major de l'Hôpital Militaire de Strasbourg .
Etat de cinq malades attaqués de la maladie vénérienne
, qui ont été traités à l'Hôpital Militaire .
de Strasbourg avec les dragées de M. Keyfer ,
fuivantfa méthode , par les foins de M. le Riche,
Chirurgien Major dudit Hôpital , avecla permiffion
de M. le Baron de Lucé , Intendant de la
Province d'Alface.
Le nommé Antoine Buiron , dit Saint Flours ,
Grenadier au Régiment de la Roche -Aymond ,
Compagnie de Saint Fal , eft entré à l'Hôpital le
7 d'Avril , a commencé à être traité le 23 , & en
eft forti le 18 Mai parfaitement guéri , & les forces
rétablies. Les fimptômes de fa maladie étoient
entr'autres des puftules ulcérées.
Le nommé Jean -Baptifte - Jofeph Robelot , Cavalier
au Régiment de Grammont , Compagnie
de Toulle , eft entré à l'hôpital le 23 Mars , fon
traitement a commencé le 10 Avril , & a fini le 12
Mai. Il avoit des puftules ulcérées & des excroiffances.
Il a été parfaitement guéri des unes & des
autres.
210 MERCURE DERANCE!
Le nommé Nicolas la Forge , Cavalier au Rés
giment de Bezons , Compagnie de Ponti , eft entré
à l'hôpital le 23 Mars. Son traitement a commencé
le 10 Avril & a fini le 14 Mai . Il avoit
pour fymptômes des puftules ulcérées , & des
douleurs aux extrêmités fupérieures & inférieures ,
-particulièrement au bras gauche dont il pouvoit
à peine faire ufage. Les puftules font effacées & les
douleurs ont difparues.
Le nommé Gabriel- Pierre , dit d'Arras, Sappeur
au Régiment du Corps royal d'Artillerie , Compagnie
de Clinchamp , eft entré à l'hôpital le 21
Mars . Son traitement a commencé le 10 du mois
`d'Avril , & a fini le 14 Mai. Il avoit pour ſymptômes
un ulcere aux côtés de la luette , lequel lui
étoit furvenu après d'autres maladies vénériennes
bien caractérisées , & il en eft parfaitement guéri.
Le nommé Vidal Eftreman , dit la Jeuneffe ,
foldat au Régiment de Bauvoifis , Compagnie de
la Tour , eft entré à l'hôpital les Avril , ayant un
bubon à laine droite , qui a été ouvert , & autres
fymptômes. Son traitement a commencé le 20
Avril , & a fini le 20 Mai. Il eſt parfaitement guéri .
Certificat de Meffieurs les Médecins & Chirurgiens
qui ont fuivi ces traitemens.
Nous , Médecins , Chirurgiens-Majors & Aides
de l'Hôpital Militaire de Strasbourg , fouffignés
eertifions & atteftons que nous avons vifité trèsfcrupuleufement
les malades dénommés au préfent
état , & que nous avons trouvé qu'ils avoient
chacun les fymptômes propres & particuliers de
la maladie vénérienne dont il eft fait mention à
chaque article féparé. Que nous nous fommes
tranfportés plufieurs fois dans la falle où ils ont
été traités par l'invitation de M. le Riche , Chiturgien-
Major chargé de ce traitement , pour voir
JUI LET. 1758. 211
de quelle maniere le ragées antivénériennes ont
agi fur eux. Que nous avons appris & obfervés en
interrogeant lefdits malades , que ce remede produifoit
des évacuations fûres , douces & aifées ,
tant par les felles , que par les urines & légere
falivation ; & que la guérifon de ces malades
ayant été une fuite de l'adminiftration des dragées
, nous eftimons qu'elles peuvent être employées
avec les meilleurs fuccès pour la guérifon
de cette maladie. Fait à Strasbourg , le 25 du mois
de Mai 1798. Guérin , Docteur en Médecine ;
Paris , Docteur en Médecine ; le Riche , Chirurgien-
Major ; Domergue , Chirurgien - Major en
fecond ; le Riche , Chirurgien Aide- Major ; Barbezant
, Chirurgien Aide- Major.
Cure particuliere && de remarque .
Le fieur Keyfer entreprit l'an paffé M. de ***,
dans l'état du monde le plus cruel & fans reffource
, ayant été manqué plufieurs fois , & les frictions
ne pouvant plus lui procurer aucun foulagement.
Avant de l'entreprendre , M Keyfer pria
ce malade de faire faire des confultations authentiques
, lefquelles furent faites par les plus habiles
perfonnes de l'Art en Médecine & en Chirurgie.
M. Keyfer ne pouvant s'étendre plus particuliérement
là- deffus , laiffe ces Meffieurs , qui font extrêmement
au fait , maîtres de juger, en fe rappellant
ce dont il eft queftion . Il entreprit donc ce
malade après leurs confultations , le guérit , &
pria de nouveau fon malade de rappeller après la
guérifon les mêmes perfonnes qui avoient affifté
à la premiere confultation ; ce qui fut exécuté ,
& où plufieurs d'entr'eux marquerent un grand
étonnement. Or comme cette cure a fait tenir
beaucoup de propos , & que les ennemis du ficut
Keyfer , toujours plus animés & plus jaloux que
212 MERCURE DE FRANCE:
jamais , ont ofé répandre danse Public , que non
feulement il l'avoit manque , ais même que ce
malade avoit été obligé de repaffer par les remedes
depuis le traitement du fieur Keyſer ; pour
prouver la nouvelle fauffeté de ces imputations ,
toujours démenties avec autant de vérité que d'authenticité,
le fieur Keyfer va rapporter une Lettre
d'un Maître en Chirurgie de Paris , écrite à fon
malade actuellement à l'armée du Roi , & la Réponſe
dudit malade à ladite Lettre ; ces deux pieces
lui ayant été envoyées par le malade lui -même ,
homme de confidération , & qui s'eft fait un plaifir
d'avertir dans la minute le fieur Keyfer des
queftions qu'on avoit ofé lui faire fur fon état.
Lettre d'un Maître en Chirurgie de Paris , à M.
de *** , à l'Armée de Clermont , en date du 12
Mai 1758.
Monfieur , pour des raifons de la derniere conféquence
, je vous prie en grace de m'écrire let
plutôt que vous pourrez l'état au jufte de votre
fanté , & s'il eft vrai que depuis le traitement que
vous a fait M. Keyler , vous avez été obligé de
paffer par les grands remedes ; c'eft une chofe
très-intéreffante à fçavoir pour moi , voulant fçavoir
au jufte l'état des malades après un temps de
traitement écoulé. Je me flatte que vous ne me
refuferez pas la grace que je vous demande , & j'ai
l'honneur d'être , &c. A Paris , le 12 Mai 1758.
Réponse de M. *** , au Maître en Chirurgie , Auteur
de la Lettre ci deffus.
Monfieur , rien ne m'eft plus aifé que de fatisfaire
à ce que vous paroiffez defirer de moi . L'on
vous en a très-fort impofé , lorfque l'on vous a
que j'avois été obligé de paffer par les remedesdepuis
que j'ai forti des mains de M. Keyfer. Bien
Koin de-là , ma ſanté a toujours été de mieux en
dit
JUI LET . 1758. 213
mieux , malgré l ue d'un long voyage que
j'ai été obligé de à cheval pour joindre mon
Corps. Depuis mon arrivée ici , j'aurai l'honneur
de vous dire, Monfieur, que je ne me fuis gêné en
rien. Je chaffe , je bois , je mange , & je fais mon
ſervice comme fi je n'avois jamais éte incommodé,
Voilà , Monfieur , la vérité pure , & je puis vous
certifier que je dirai à toute la terre que je dois la
vie à M. Keyfer , & non à d'autres , ayant été
manqué par plufieurs. J'ai l'honneur d'être , &c.
A l'Armée de Clermont , Mars 1758. ƉE ***¿
M. Keyfer ne chercheroit affurément pas
s'appuyer de faits fi authentiques ni à en triompher
, fi la malice des propos que l'on invente
chaque jour ne l'y forçoit ; il en eft encore aux➡
quels il croit devoir donner ici un démenti public
Ces propos font qu'il donne des frictions à fes
malades , & que c'eft précisément ce moyen qui lui
fait opérer les cures qu'il cite. A cela M. Keyfer
répond encore comme à la derniere reffource de
fes Adverfaires , que c'eft une fauffeté d'autant
plus grande , qu'il n'en a jamais donné une feule s
qu'il en eft bien éloigné , & qu'il leur défie de
lui citer qui que ce foit qui ofe dire qu'il lui en
ait donné. Ce font là des faits , & ces Meffieurs
peuvent actuellement chercher s'ils en trouveront
Il leur ajoutera encore que ces fortes d'imputa
tions font d'autant plus maladroites , qu'actuel
lement il eft aifé de fçavoir par la multiplicité de
fes Correfpondans , fi le remede a befoin de fric
tions pour guérir , &fi quelqu'un dans la Province
les a employées avec fes dragées. D'autres pour
effrayer le Public , & l'éloigner de ce remede , font
courir le bruit qu'il lui eft mort plufieurs malades
entre les mains. Fauffeté d'autant plus grande
qu'il ne lui en eft pas mort encore un feul , & il
214 MERCURE DE FRANCE.
les défie pareillement de l
foit , riche , pauvre , ou fol
malheureux fort par fes remedes.
AVIS.
mer qui que ce
ui ait éprouvé ce
LEE
Public eft averti qu'il n'y a que le fieur
Garrot qui poffede le fecret & la compofition de
la véritable Eau des Sultanes du feu fieur Richard
de Marolle , dont les vertus & propriétés font incomparables
pour l'embelliffement de la peau. On
peut s'en fervir le matin & le foir. Elle rafermit la
peau , la fortifie & l'adoucit confidérablement en
la blanchiffant : elle a auffi la vertu de rafraîchir :
elle convient , non-feulement au beau Sexe , mais
encore aux hommes qui ont le vifage brulé du
foleil en courant la pofte ou la chaffe. Il ne faut
qu'imbiber un petit linge fin ou une éponge avec
cette Eau , & s'en étuver pour fe trouver promptement
foulagé. Cette eau eft très -convenable dans
les bains de fanté & de propreté ; on la peut mêler
avec l'eau du bain à volonté ; lorſqu'on fera
forti du bain , on peut l'employer toute pure ; on
peut auffi , après s'être bien lavé les mains & les
avoir effuyées , fe les frotter de ladite Eau pure ,
puis la laiffer fécher fans les effuyer que très -légérement.
Cette eau eft aufſi très- bonne pour les taches
de rouffeurs & les rougeurs de la petite vérole
; elle les efface entiérement. Plufieurs Seigneurs
& Dames s'en fervent actuellement . Cette Eau fe
débite en différentes Provinces. Le prix du flacon
eft de fix livres , & le demi - flacon eft de trois livres
. Il demeure actuellement rue des deux Ponts ,
Ifle S. Louis , entre un Papetier & un Chaircuitier,
au premier étage. Son Tableau eft fur la porte.
Les perfonnes de Province auront la bonté d'affranchir
les Lettres qu'elles lui écriront.
215
AP OBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond volume du Mercure du mois de Juillet
, & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 19 Juillet 1758.
GUIROY,
TABLE DES ARTICLES.
"ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
LE Cheval & les deux Afnes , Fable ,
page s
La Conftance couronnée , Anecdote par Madame
de S *** , 8
Ode Anacréontique , à Madame G... de P ... 23
Lettre de Madame de St... M.. , à Mademoiſelle
de N... 25
Epître fur l'Age d'Or , à l'Anonyme de Chartrait ,
près Melun ,
Réflexions ,
29
39
Vers à Mademoiſelle Arnould , fur fon rôle de
Pfyché ,
t
45
Vers à Mademoiſelle Lemiere , fur fon rôle de
l'Amour , ibid.
46
Vers à Mademoiſelle Lany , fur fa danfe dans le
Ballet de l'Inconſtance ,
Vers à Mademoiſelle Puvigné , fur fa danſe dans
le Pas de Deux ibid.
Traduction de la neuvieme Ode du troifieme Livre
d'Horace ,
Le Triomphe de la Raifon , Allégorie ,
47
48
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
216
premier Mercure da moj
let ;
ibid.
୨୨
Enigme ,
Logogryphe ,
Couplets chantés fur le Théâtre de la Comédie Italienne
dans le Ballet de la Fête du Moulin , 101
ART. II . NOUVELLES LITTERAIRES:
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux;
103
137
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Grammaire. Lettre de M. G *** , à M. F ***, fur
l'Inftruction de la Jeuneſſe ,
Monnoies. Conjectures fur quelques difficultés touchant
la valeur des Monnoies des VIII , IX , XII
& XIVe fiecles , & les Evaluations Coutumieres,
Mufique,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
145,
179
174
175
Gravure ,
Lettre de M. Gando , le jeune ,
Architecture. Defcription du Maufolée de Philippe
V, Roi d'Eſpagne ,
ART. V. SPECTACLES.
Opera ,
183
187
Comédie Françoife ,
194
Comédie Italienne ,
ibid
Орска Comique , 195
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 197
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c,, 201
Mort ,
Bénéfices donnés ,
Supplément à l'Article Chirurgie ,
誓Avis ,
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères