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1758, 04, vol. 1-2, 05-06
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1758.
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'eft ma derife. La Fontaine.
Cechin
Siliusinv
PapillonSculpe
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix .
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins..
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privitge du Roi,
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
635.299
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M:
LUTTON , Avocat , & Greffier - Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
deport , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY ,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant ,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs deport.
leur
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , où qui prendront les frais du portfur
compte , ne payeront , comme à Paris
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
>
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
Onfupplie les perfonnes des provinces d'en-
4
A ij
voyerpar la poste , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera ,
de rester à fon Bureau les Mardi , Mercredi -
& Jeudi de chaque femaine , après- midi .
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Estampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
Le choix des meilleures pieces des anciens
Mercures, qui fe continue , comprend
auffi un choix général fait dans tous les
Journaux fous le titre de Nouveaux Choix ,
par M. de Baftide. Il fe délivre au Bureau
du Mercure, Le format , le nombre des
volumes , & les conditions font les mêmes
pour une année chaque volume compofé
de cinq articles peut fe divifer , & l'on
vend chaque article féparément en faveur
des Amateurs de chacun,
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1758.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES TORTS.
SERVET eut tort , il fut un fot
D'ofer dans un ſiecle falot
S'avouer antitrinitaire ,
Et notre illuftre atrabilaire
Eut tort d'employer le fagot
Pour convaincre fon adverfaire ,
Et tort notre antique Sénat
D'avoir prêté fon miniftere
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
A ce dangereux coup d'état .
Quelle barbare inconféquence !
O malheureux fiecle ignorant !
On déteftoit l'intolérance
Qui défoloit toute la France ,
Et l'on étoit intolérant.
Pour ce Cenfeur épiſtolaire ,
Qui dans fon pétulant effort
Vient réveiller le chat qui dort ;
Et dans un ample commentaire
Prône ce qu'il auroit du taire ,
Je laiffe à juger s'il a tort.
Quant à vous , célebre Voltaire ,
Vous avez tort ; c'eft mon avis :
Vous vous plaifez en ce pays ,
Ménagez ce qu'on y révere ,
Vous avez à fatiété
Les biens où la raiſon afpire ;
L'opulence , la liberté ,
La paiz qu'en cent lieux on defire ,
Des droits à l'immortalité ,
Cent fois plus qu'on ne fçauroit dire.
On a du goût , on vous admiré :
Tronchin veille à votre fanté ;
Cela vaut bien en vérité
Qu'on immole à ſa fûreté
Le trifte plaifir de médire.
AVRIL: 1758. 7
ESS AI fur la Médiocrité des Conditions ,
traduit de l'Anglois de M. Hume.
UNUn ruiffeau rencontrant fur fon paffage
»
33
un autre ruiffeau avec lequel il avoit été
long- temps uni de la plus étroite amitié ,
lui dit avec un ton de hauteur & de dédain
: « Quoi ! mon frere , toujours dans
le même état ! toujours foible & ram-
"pant ! N'êtes - vous pás honteux en me
voyant ? Moi , qui n'étois , il y a quel-
» que temps , que votre égal , me voilà à
préfent une grande riviere , & je ferai
» dans peu le rival du Rhin & du Danube ,
»pourvu que ces pluies favorables conti-
» nuent à étendre mes bords . Il eft vrai ,
répondit l'humble ruiffeau , que vous
" êtes devenu bien confidérable ; mais il
» me femble que vous êtes devenu en
» même temps un peu bruyant & fangeux .
» Pour moi , je fuis content de rouler mes
flots avec moins de fracas , & plus de
pureté.
93
"
Sans m'arrêter à fuivre les applications
de cette fable , elle me donnera lieu de
comparer les différens états de la vie , &
de faire fentir à ceux de mes Lecteurs qui
fe trouvent placés dans une condition
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
médiocre , combien elle eft préférable à
toutes les autres ; la plus grande partie des
hommes , capables de réflexion , font dans
cette claffe ; c'eft à eux principalement que
doivent être adreffés les difcours de morale.
Les grands trop livrés aux plaiſirs ,
& les petits trop occupés à pourvoir aux
befoins preffans de la vie , ne peuvent
guere prêter l'oreille à la voix paifible ide
la philofophie. Les conditions moyennes
plus heureufes à bien des égards , le font
furtout , en ce qu'on y trouve un bonheur
que l'on peut contempler à fon aife , &
dont les charmes, augmentent à mesure que
l'on compare cet état avec ceux qui font
au deffus & au deffous.
Je
La priere d'Agur eft affez connue,
vous demande deux choſes, grand Dieu !
» ne me les refufez pas avant que je meure.
Ecartez de moi la vanité & le menføngee
» mettez moi entre les richeffes & lappau-
» vreté , & donnez- moi la nourriture qui
» me convient , de peur que dans l'abon
» dance je pe vous méconnoiffe , & ne
demande : Qui eft le Seigneur ? Ou de
» peur que dans l'indigence je ne devien-
» ne méchant , & ne prenne le nom de
» mon Dieu en vain . Cette priere nous
fait envifager avec raifon les conditions
médiocres , comme plus propres à mettre
AVRIL. 1758
la vertu dans une parfaite fécurité. J'ajouterai
qu'elles fourniffent plus d'occafions
de la faire paroître , & qu'elles ouvrent
la plus libre carriere à toutes les
bonnes qualités dont un homme peut être
doué. Il ne refte guere aux hommes , qui
font placés dans les derniers rangs , d'autres
vertus àpratiquer que la patience , la réfignation
, l'induftrie & la probité. Ceux
qui font élevés aux plus hauts degrés , penvent
faire briller la générofité , l'humanité ,
l'affabilité , la bienfaiſance. Celui qui fe:
trouve entre ces deux extrêmes , peut exercer
les premieres vertus envers fes fupérieurs
, & les dernieres envers fes inférieurs
. Toutes les qualités morales qui orneront
fon ame , peuvent fe montrer &
développer leur activité , & il s'affurera
par- là de fes progrès dans la vertu , plus
aifément que fi fes bonnes qualités ref
toient fans objet & fans action.
Mais il y a une autre vertu qui ne fe rencontre
guere qu'avec l'égalité , & qui par
conféquent femble particuliérement réfervée
aux conditions moyennes de la fociété .
Cette vertu eft l'amitié . Il y a fans doute
des ames généreufes qui ne peuvent s'empêcher
d'envier aux grands le pouvoir flatteur
d'obliger , quand ils le veulent , leurs
femblables , & de s'acquérir l'eftime &
A v
TO MERCURE DE FRANCE.
l'amitié des gens de mérite. Affez heureux
pour ne faire jamais d'avances inutiles , ils
ne font point obligés de fe lier à des gens
pour qui ils ne fe fentent aucun penchant s
au lieu que les hommes d'un état inférieur
font fouvent expofés à voir leurs offres
d'amitié dédaignées , lors même qu'ils fentent
plus vivement le prix & le beſoin de
l'amitié. Mais s'il eft plus facile aux grands
de fe faire des amis , ils ne peuvent pas
compter avec autant de confiance fur leur
fincérité , que les hommes d'un rang moins
élevé. Les faveurs qu'ils répandent , attirent
à eux plus de flatteurs que d'amis. On
a très-bien obfervé que nous nous attachons
davantage , par les fervices que nous
rendons que par ceux que nous recevons .,
& qu'un homme s'expofe à perdre fes amis
par les bienfaits mêmes dont il les accable ,
Je choifirois donc une condition médiocre
, & je voudrois que mes engagemen's
avec mon ami fuffent ferrés par des fervices
réciproquement reçus & rendus . J'ai
l'ame trop haute pour vouloir que les obligations
fuffent toutes de mon côté , & fi
elles étoient du côté de mon ami , je craindrois
auffi que fa fierté n'en fût bleffée , &
la liberté & l'égalité que de notre union
n'en fuffent altérées.
Nous remarquerons auffi que cette méAVRIL
1758. II
diocrité d'état n'eft pas moins favorable
aux développemens des lumieres & des
talens , qu'à ceux de la vertu ; elles nous
met plus à portée de parvenir à la connoiffance
des hommes & des affaires , qu'un
rang plus élevé. Un homme privé pénette
plus librement dans les détails de la vie
humaine chaque chofe fe préfente à lui
dans fon vrai point de vue , & avec fes
couleurs naturelles ; il a plus de loifir pour
faire des obfervations : il eft animé d'ailleurs
par un motif d'ambition qui le porte
à étendre fes connoiffances ; il fent qu'il
ne peut prétendre à aucune forte de diftinction
& de fupériorité dans le monde
que par fa propre induftrie. Je n'oublierai
pas une remarque qui pourra paroître un
peu finguliere ; c'eſt que la Providence a
fagement réglé que les conditions médiocres
feroient plus favorables aux progrès
de nos talens naturels ; parce qu'il faut en
effet plus de capacité pour remplir les devoirs
de ces conditions , que pour fe conduire
dans celles d'un ordre fupérieur. On
feroit un grand Monarque avec moins
d'efprit & moins de force de génie , qu'il
n'en faut pour faire un bon Avocat & un
habile Médecin . Prenons une fuite de Rois
placés fur le trône par leur naiffance ; les
Rois d'Angleterre , par exemple , qui ne
A vi
12 MERCURE DE FRANCE .
jouent pas le rôle le plus brillant dans
Phiftoire. Depuis Guillaume le Conquérant
, jufqu'au Roi régnant , on compte
vingt - huit Souverains , fans parler de ceux
qui font morts en minorité , & il y en a
huit qu'on peut regarder comme des Prin
ces d'un grand talent , Guillaume , Henri
II , Edouard I , Edouard III , Henri V
Henri VII , Elifabeth , & le dernier Roi
Guillaume . Or tout le monde conviendra ,
je penfe , que dans le cours ordinaire des
chofes , de vingt - huits Jurifconfultes , on
n'en trouvera pás huit qui par leur talens
naturels fe faffent une réputation dans leur
art. Enfin il faut plutôt , pour bien gouver
ner , un grand fonds de vertu , d'équité &
d'humanité , qu'une grande capacité . Je ne
fçais quel Pape avoit coutume de dire : Ne
penfons qu'à nous amufer, mes amis , le monde
fe gouvernera de lui même. Il y a , à la véri
té , des temps orageux , tels que ceux du
regne d'Henri IV , qui demandene la plus
grande vigueur , & un Prince qui eût eumoins
de courage & de talens que ce grand
Monarque, auroit fuccombé fous le fardeau
Mais ces circonftances font rares , & même
alors la fortune fait au moins la moitié de:
Pouvrage .
Mais fi les profeffions ordinaires , telles
que celles du Jurifconfulte & du Médecins .
AVRIL 1758% 13
exigent autant , ou plus de capacité même
que les emplois plus élevés , il eft inconteftable
qu'il faut un efprit d'une trempe
encore plus délicate pour briller dans la
philofophie , dans la poéfie , ou dans quel
qu'autre partie diftinguée de la littérature..
Le courage & la fermeté font particuliérement
néceffaires à un homme de guerre , la
justice & l'humanité à un homme d'état ,
le génie & les lumieres à l'homme de lettres.
On a trouvé dans tour les temps &
dans tous les pays de grands Généraux &
d'habiles Politiques , & il n'eft pas rared'en
rencontrer chez les Nations les plus
barbares . La Suede étoit plongée dans l'ignorance
, lorfqu'elle produifit Guftave-
Vafa & Guftave - Adolphe. La Mofcovie
étoit barbare , quand le Czar y parut , &
Carthage peut-être ne l'étoit pas moins ,
lorfqu'elle vit naître Annibal . Mais l'Angleterre
a dû s'élever par une gradation
lente de fes Spencers , à fes Johnſons , à fes
Wallers , à fes Driden , avant d'arriver à
un Pope & à un Addiffon. Un heureux
talent pour les beaux Arts & les Sciences ,
eft une espece de prodige parmi les hommes.
Il faut être doué par la nature du
plus riche génie qui puiffe fortir de fes
mains . L'éducation & l'exemple doivent
le cultiver & l'enrichir , & l'art achever
14 MERCURE DE FRANCE.
enfuite de le porter à la perfection . On n'eſt
point étonné de voir Koulikan fortir du
fein de la Perfe ; mais Homere qui s'éleve
au milieu de la Grece encore fauvage , eft
un fujet éternel d'admiration.
Un homme ne fçauroit développer fon
génie pour la guerre , fi les circonftances
'éloignent du commandement, & l'on voit
rarement dans un état plufieurs hommes à
la fois commander les armées. Combien y
a-t'il eu de Marlboroug qui n'ont jamais pu
parvenir à la tête d'un Régiment ? Mais je
fuis bien perfuadé qu'il n'y a eu en Angleterre
qu'un Milton depuis cent ans. Quiconque
a du talent pour la poéfie peut s'y
livrer , & perfonne ne trouva plus d'obſtacles
à fuivre fon génie que ce divin Poëte.
Si l'on mefuroit les rangs des hommes
fur leur génie & leur capacité , plutôt que
fur leurs vertus & l'utilité qu'ils procurent
à la fociété , il faudroit placer les grands
Philofophes à la tête de l'efpece humaine.
Il n'y en a peut-être pas eu plus de deux fur
la terre qui puffent prétendre juſtement à
cette gloire. Du moins Galilée & Newton
me paroiffent laiffer tous les Philofophes fi
loin derriere eux , qu'on n'en peut mettre
aucun autre en parallele.
Les grands Poëtes feroient au fecond
rangs : cette forte de génie , quoique très-
2
AVRIL. 1758 IS
rare , l'eft cependant encore moins que le
génie de la philofophie . Des Poëtes anciens
qui nous reftent , il n'y a qu'Homere chez
les Grecs qui me paroiffe mériter ce titre ;
Virgile , Horace & Lucrece chez les Romain
; Milton & Pope chez les Anglois ;
Corneille , Racine , Boileau & Voltaire
chez les François ; le Taffe & l'Ariofte chez
les Italiens.
Les grands Orateurs & les grands Hiftoriens
font peut- être plus rares encore
que les grands Poëtes ; mais comme les occafions
de produire les talens qu'exige l'éloquence
, & d'acquérir les connoiffances
néceffaires pour écrire l'hiftoire , dépendent
en quelque forte du hazard , il eſt difficile
de juger fi les talens de l'Hiſtorien &
de l'Orateur font fupérieurs à ceux du Philofophe
& du Poëte .
LES DEUX SERINS ,
A Mademoiſelle A. C.
DEUX
FABLE.
EUX Serins à joli corfage ,
il vif & bec mignon ,
Eteient au printemps de leur âge :
Tout annonçoit en eux cette aimable ſaiſon.
16 MERCURE DE FRANCE.
Propos demi- malins , regards , agaceries ,
Humeur légere , & mille autres folies ;
On leur avoit appris tout ce qu'on peut fçavoir :
Siffler , chanter , voler à la toilette ,
Dire à propos , & bon jour, & bon ſoir ,
Rendre dix airs de férinette ,
Baiſez , baiſez , & tous ces riens charmans
Dont on orne l'efprit des Oiſeaux à talens .
Avint le temps de les mettre en ménage.
On les affiche , on les prône à l'éntour ;
Maint acquéreur arrive avec la cage ,
Trifte prifon , affreux féjour ,
Si la porte n'en eft confiée à l'amour.
Parmi ces afpirans tous empreffés à plaire , -
Deux écartent la foule & fixent tous les yeux
L'une étoit riche & vieille douairierė ,
Dans un équipage pompeux ,
Qu'environnoient le fafte & l'opulence ,
Tout étaloit de la magnificence
Les attributs ambitieux.
Elle tenoit une cage élégante ,
Où l'or avec l'azur mêlés aux diamans ,,
Par une main fçavante ,
Formoient divers compartimens ;
L'autre modefte autant que belle ,
Sa cage étoit fimple comme elle
Mais admirable en fa fimplicité.
La porte en étoit couronnée
De ces deux mots : la liberté. -
AVRIL. 1758. 17
La liberté tréfor pour toute ame bien née .
Il faut choifir : Serins , décidez-vous .
L'un ébloui par l'appât des richeffes ,
Sans doute accompagné de trompeufes promeffes,
Vole vers la cabane où brillent les bijoux.
L'autre moins vain , mais bien plus fage,
Préfere la modefte cage
Dont la déviſe étoit tout l'ornement.
De ces Oifeaux le fort fut différent .
Celui- ci careflé d'une Maîtreffe aimable ;
Paffoit les jours dans les plaifirs :
Tout fecondoit fes innocens défirs .
Il voloit fur fon fein , il chanteit à fa table ,
Se promenoit , & rentroit à fa voix :
Sa cage étoit une retraite fûre ,
Où le befoin l'invitoit quelquefois ,
Mais qui n'avoit ni verroux , ni ferrure.
Le premier au contraire enfermé dans un trou
Voyoit le jour , comme un hibou ,
Reclus dans un cabinet fombre ,
Où nul être n'avoit accès :
Pour compagnons il n'avoit que fon ombre;
Pour entretien , que ſes regrets.
Souvent la Mégere inhumaine
Venoit lui demander des chants ;
Et la cruelle infultoit à fa peine ,
Quand la douleur arrêtoit les accens.
Pour s'échapper , il ufe en vain d'adreffe ;
Tous les jaloux font défians :
18 MERCURE DE FRANCE.
Sur ce chapitre la traîtreffe
Eût enfeigné les plus fçavans .
Par des maux fi cuiſans fon ame eft déchirée ;
Il fuccombe , en voyant deffécher fes beaux jours.
en termine le cours :
La douleur , non les ans
Fille fouvent fe prend à la cage dorée.
H. D. P.
FELIME AZÉMA ,
Hiftoire Orientale.
ELIME ,
Reine de Bactriane , tomba
dans une profonde trifteffe , dont elle ne
dit jamais la caufe. Ses chagrins s'aigrirent
à un tel point , qu'ils terminerent fes jours.
L'Eunuque Afpard avoit gouverné l'Etat
avec une autorité prefqu'abfolue . Comme
la Reine n'avoit laiffé que des parens trèséloignés
, il crut devoir garantir le Royaume
des malheurs d'une guerre civile. On
venoit d'envoyer pour le Palais , une femme
dont le vifage reffembloit beaucoup à
celui de la Reine , & par une conformité
finguliere , elle avoit les mêmes déplaifirs.
L'Eunuque la plaça fur le Trône , réfolu
de maintenir fon autorité qu'il vit
en ce moment liée avec le bien de l'Etat.
AVRIL. 1758. 19
Cependant le Prince d'Hircanie entra
avec une armée dans la Bactriane . Une bataille
finit cette guerre , & délivra l'Etat
d'un formidable ennemi. Un foldat nouvellement
arrivé dans l'armée des Bactriens
, fit des prodiges de valeur . Il perça
jufqu'au lieu où combattoit le Prince
d'Hircanie , & le fit fon prifonnier . Il avoit
remis le Prince à un Officier , & fans dire
fon nom , il alloit rentrer dans la foule :
mais fuivi par les acclamations de toute
l'armée , il fut mené en triomphe à la tente
du Général. Il parut devant lui avec une
noble affurance : il parla modeftement de
fon action. Le Général lui offrit des récompenfes
, on l'y vit infenfible : il voulut le
combler d'honneurs , il y parut accoutu
mé.
L'Eunuque Afpard jugea que cet Etranger
n'étoit pas un homme ordinaire. Il le
fit venir à la Cour , & quand il le vit de
plus près , il fe confirma encore plus dans
cette penſée . Sa perfonne lui donna de l'admiration
, & la trifteffe même qui paroiffoit
fur fon viſage , lui infpira du refpect .
Il loua fa valeur , & lui dit les chofes du
mende les plus flatteufes. Seigneur , lui dit
l'Etranger , je fuis confus de vos bontés ;
mais excufez un malheureux , que l'horreur
de fa fituation rend prefque incapa40
MERCURE DE FRANCE.
•
ble de les fentir , & encore plus d'y r
pondre. Ses yeux fe remplirent de larme
L'Eunuque en fut attendri. Vous êt
malheureux , lui dit -il , foyez donc me
ami . Il y a un moment que je vous adm
rois , à préfent je vous aime. Je cherch
rai à vous confoler , & j'efpere que vou
voudrez bien faire ufage de ma raiſoni
de la vôtre . Puis il ajouta : Prenez un a
partement dans mon palais : celui qui l'ha
bite aime la vertu , & vous n'y ferez poir
étranger. Le pofte que j'occupe , m'a fai
jufqu'à préfent beaucoup de flatteurs & pe
d'amis je prie les Dieux de me conferve
celui qu'ils me donnent aujourd'hui . Vou
êtes malheureux , Arfame ( c'étoit te non
de l'inconnu ) , & vos malheurs n'ont poin
abattu votre courage : tant de fageffe dan
un âge fi tendre , vous donne droit à la
fenfibilité de tous les coeurs vertueux . De
puis ce temps , ils eurent toujours l'ur
pour l'autre les fentimens de l'amitié la
plus tendre.
Le lendemain fut un jour de fête pour
tous les Bactriens . La Reine fortit de fon
palais fuivie de toute fa Cour. Elle paroil
foit fur fon char , au milieu d'un peuple
nombreux . Un voile qui couvroit fon vi
fage , laiffoit voir une taille charmante :
la beauté fe cachoit , mais les graces
montroient partcut.
AVRIL 1758. 2t.
Elle defcendit de fon char , & entra dans
le temple. Tous les Grands de Bactriane
étoient autour d'elle . Elle fe profterna , elle
adora les Dieux dans le filence , elle fe leva
& dit à haute voix : Dieux immortels ! la
Reine de Bactriane vient vous rendre gra
ce.de la victoire que vous lui avez don
née ; mettez le comble à vos faveurs , en
permettant que jamais elle n'en abufe ;
faites qu'elle n'ait ni paffions , ni foiblef
fes , ni caprices ; que fes craintes foient ,
de faire le mal , & fes efpérances de faire
le bien , & puifqu'elle ne peut être heureuſe
, dit - elle d'une voix que les fanglots
ne putent arrêter , faites du moins que fes
peuples le foient.
A mefure que la Reine parloit , l'Etran
ger changeoit de vifage ; un trouble inconnu
s'emparoit de fes fens , un froid
mortel fe gliffoit dans fes veines ; fes yeux
fe couvroient de larmes , il tomba évanoui.
Des gens d'Afpard le pritent dans
leurs bras , le retirerent du temple , & le
porterent dans le palais . On le mit fur un
lit , on lui donna toutes fortes de fecours
& à peine avoit-il repris fes fens , qu'Af
pard arriva. J'ai été dans une inquiétude
mortelle. Ai je dû craindre pour vos jours?
Vos chagrins fe font- ils aigris ? Avez-vous
quelque nouveau fujet de peine ... Hélas !
22 MERCURE DE FRANCE.
Seigneur, que me demandez - vous ? Les évé
nemens de ma vie font liés à une chaîne
qui les tient tous : la fortune , qui n'a ceff
de m'accabler , me pourfuit jufque dan
les bras de l'amitié , & pour vous dire ce
lui d'aujourd'hui , il faudroit vous racon
ter tous les autres . Ceffez , généreux Af
pard , ceffez de vous intéreffer pour ur
malheureux qui femble partager l'étoil
qui le domine avec tous les objets qui l'en
vironnent ; la mort feule eft capable d'ar
rêter le cours de mes peines.
L'Eunuque fit retirer tout le monde. Il
le conjura de s'ouvrir à lui. Croyez- vous
qu'un coeur agité ne trouve point de douceur
à confier fes peines ? C'eſt comme fi
on fe repofoit dans un lieu plus tranquille.
Parlez- moi de vos malheurs ; n'oubliez
rien ; les moindres circonftances de votre
vie deviennent intéreffantes pour moi . Au
nom de la plus tendre amitié qui fût jamais....
Il n'étoit pas au pouvoir de l'Etranger
de refufer quelque chofe à Afpard. Il
Le tut un moment & commença ainfi.
L'amour a fait tout le bonheur & le
malheur de ma vie : d'abord il l'avoit femé
de peines & de plaiſirs , il n'y a laiffé
enfuite que les plaintes , les pleurs & les
regrets.
Je fuis né dans la Médie. Je perdis mon
AVRIL. 1758 . 23
pere dès mon enfance , mes parens prirent
foin de ma jeuneffe & de mon éducation.
A l'âge de quinze ans ils m'établirent , &
mon palais fut bientôt rempli des beautés
les plus rares. Si les plaifirs feuls , fans le
fentiment , pouvoient rendre les hommes
heureux , je jouirois encore fans trouble
& fans alarmes , de ceux que me procuroient
ma jeuneffe & les grands biens que
je poffédois.
Parmi les beautés dont mon ferrail étoit
rempli , la feule Azéma ne montra pas les
complaifançes de fes compagnes ; mais aucune
d'elles ne montroit autant d'amour.
Elle avoit une fierté mêlée de quelque
chofe de fi tendre , fes fentimens étoient
fi nobles , fi différens de ceux qu'une dépendance
éternelle fait naître dans le coeur
des femmes d'Afie , elle avoit d'ailleurs
tant de beauté , que bientôt je l'aimai ſeule
, & j'ignorai toutes les autres.
Ma naiſſance , mes richeffes , mon âge
& quelques avantages perfonnels , déterminerent
le Roi à me donner fa fille . C'eft
une coutume inviolable des Medes , que
ceux qui ' reçoivent un pareil honneur
renvoient toutes leurs femmes ; perfonne
ne devant plus difputer un coeur que de fi
grandes Princeffes daignent accepter. Je ne
vis dans cette grande alliance que la perte
>
24 MERCURE DE FRANCE.
de ce que j'avois dans le monde de plus
chet ; mais il me fallat dévorer mes latnies
, & montrer une feinte gaieté ; tandis
que toute la Cour me félicitoit d'une
faveur dont elle eft : toujours idolâtre , &
qui faifoit mon défefpoir.
Azéma ne demandoit point à me voir ,
elle ne faifoit pas un pas pour me rencontter
, & mois je craignois fa préfence , &
je la cherchois. J'allai dans fon appartement.
J'étois défolé , mes genoux fuioient
fous moi. Je l'abordai en tremblant . Azémas,
lui diseje , je vous perds.... Mais fans
me faire ni careffes , ni reproches , fans
lever les yeux fans verfer de larmes , elle
gazla un profond filence : Une pâleur mortelle
paroiffoie für fon vifage , & je voyois
ding fon air une certaine indignation mêlée
de défefpoir. 19
- voulus l'embraffer, elle me parut gla
cée , & je ne lui fentis de mouvement que
pour s'échapper de mes bras. Te efois bien
que fi je n'avois pas craint pour Azéma
j'aurois refale la Princeffe , & que je me
ferois expofe à la plus affreufe Vengeance :
mais quand je me repréfèntois que mon
refus feroit infailliblenient fuivi de fa
more , mon efprit fe confondort & je ne
frouvois en mol de forces que pour m'abandonner
à mon malheur . Le four fatal
arrive.
AVRIL. 1758 . 25
arrive. On me conduit dans le palais du
Roi ; & de ce moment funefte , il ne m'eſt
plus permis de fortir , ni de voir ma chere
Azéma. Je ne devois plus penfer qu'à adorer
la Princeffe , & ne chercher de félicité
qu'auprès d'elle.
Le jour que la cérémonie du mariage fe
fit , on envoya enlever de mon palais toutes
mes femmes. Azéma qui avoit gagné
un de mes Eunuques , mit un Efclave de
fa taille & de fon air fous fes voilés & fes
habits , & fe cacha dans un lieu fecrer.
Elle avoit fait entendre à l'Eunuque qu'el
le vouloit fe retirer parmi les Prêtreffes des
Dieux.
Le foir que je menai la Princeſſe dans
ma maifon , le lit nuptial étoit préparé
je l'y portai moi-même. Sa beauté, fon innocence
, fes graces , que fçais - je ¦ car l'amour
fe peint dans tous ces objets , la
grandeur de fa naiffance auroient pu me
confoler , & peut - être me rendre infidele :
connoître , apprendre , fentir même qu'en
en eft aimé , combien d'excufes pour un
amour infidele ! Mais écoutez ce récit
affreux ; le fouvenir m'en glace encore
d'effroi. Dans l'horreur de la nuit Azéma
entre dans ma chambre ; la fureur eft pein--
re dans fes yeux ; elle découvre un Alambeau
, & s'approchant de la Princeffe , elle
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
fui plongé un poignard dans le fein : elle
le retire encore tout fanglant , & fe tournant
vers moi d'un air animé : Allons , me
dit- elle , Arfame , quittons ces lieux infortunés
, ou fi tu ne veux pas me fuivre ,
mourons ici . Tout mon fang fe glaça dans
mes veines ; & quand j'eus un peu repris
mes efprits : Eh bien , lui dis -je , cruelle
Azéma , puifqu'il ne m'eft plus permis
d'efpérer de vivre dans ma patrie , allons
fuyons , & quittons ce lieu tout rempli de
vos fureurs . L'ame encore remplie du coup
affreux qui venoit de fe faire à mes yeux
je cours tout agité dans mes appartemens ;
j'emporte tout ce que je peux de mes richeffes.
J'en chargeai deux Efclaves fidefes
je leur fis prendre divers chemins ,
Azema me prenant par la main : La nuit
nous favorife , dit - elle partons. Je la
fuis , le coeur rempli d'amour , d'horreur &
de crainte .
que
253
•
Je ne vous dirai point les périls infinis
dus courûmes . Azéma , malgré la
foibleffe de fon fexe , étoit la premiere
m'encourager : l'amour lui prêtoit fes ailes
& forfque je craignois qu'elle ne fût accablée
, je la voyois marcher devant moi
Après plufieurs jours de marche , nous
arrivâmes dans la Margiane ; nos Efclavesnous
y rejoignirent , & nous remirent
AVRIL. 1758. 27
les tréfors que nous leur avions confiés.
Cette terre étrangere nous parut une nouvelle
patrie. Délivrés de la crainte importune
qui ne nous avoit pas quitté jufqueslà
, nous vécûmes à la campagne , loin du
monde & du bruit. Charmés l'un de l'autre
, nous nous entretenions de nos plaifirs
préfens & de nos peines paffées. L'amour
occupé à remplir tous nos momens , les
marquoit fans ceffe par des plaifirs nouyeaux.
La paffion d'Azéma & la mienne prenoient
des impreffions de notre différente
éducation & de nos divers caracteres. Azéma
ne refpiroit que pour aimer ; fa paffion
étoit fa vie ; toute fon ame refpiroit l'amour
: il n'étoit pas en elle de m'aimer
moins , elle ne pouvoit pas non plus m'aimer
davantage. Je paroiffois aimer avec
plus d'emportement , parce qu'il fembloit
que je n'aimois pas toujours de même.
Azéma feule étoit capable de m'occuper ;
mais il y avoit des chofes qui pouvoient
me diftraire. Je fuivois les cerfs dans les
forêts , & j'allois combattre les bêtes féroces.
Hélas ! pourquoi ne pouvons - nous
être heureux d'un bonheur préfent ? pourquoi
notre ame quitte-t'elle une félicité
dont elle jouit , pour une félicité qu'elle
efpere Bientôt l'idée de ma premiere
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
grandeur vint s'offrir à mon efprit : je
m'imaginai que je menois une vie trop
obfcure. Je me trouve , difois- je , dans
les Etats du Roi de Margianne , pourquoi
n'irai-je pas à la cour ? Je fuis profcrit de
mon pays , & je vis inconnu dans celuiei
: je me vois fans appui & fans défenfe .
Mon efprit fut perfuadé , & je me défiai
de mon coeur. Le fentiment de mon amour
me parut une foibleffe , & malgré les prieres
d'Azéma , malgré fes larmes , je lá
quittai .
Je ne vous dirai point l'affreufe violence
que je me fis , je fus cent fois fur le point
de revenir. Je voulois m'aller jetter aux
genoux d'Azéma ; mais la honte de me
démentir , la certitude que je n'aurois pas
la force de me féparer d'elle , l'habitude
que j'avois prife de commander à mon
coeur des chofes difficiles , tout cela me fir
continuer mon chemin.
Je fus reçu du Roi avec toutes fortes de
diftinctions à peine eus- je le temps de
m'apperçevoir que je fuffe étranger à fa
cour. J'étois de toutes fes parties de plaiſir ;
il me préféra bientôt à tous ceux de mon
âge , & bientôt il n'y eut point de rangs
ni de dignités que je ne puffe efpérer en
Margianne. Dans le bruit & le tumulte de
cette cour , je ne goûtois que de fauffes
AVRIL 1758. 29
Joies. Le fouvenir d'Azéma me fuivoit partout,
& je fentois dans le fein des plaifirs
mêmes , qu'elle manquoit à mon coeur . Je
connoiffois mon bonheur , & je le fuyois ;
je n'étois point d'accord avec moi- même ,
je pouvois goûter des plaifirs réels , & ję
courois après un vain fantôme.
Azéma , depuis mon départ , n'avoit
point eu de fentiment qui n'eût été d'abord
combattu par un autre. Elle avoit toutes
les paffions , & elle n'étoit contente d'aucune
: elle vouloit fe plaindre , elle prenoir
la plume pour m'écrire , le dépit lui
faifoit changer de penfée ; elle ne pouvoit
fe réfoudre à me marquer de la fenfibilité ,
encore moins de l'indifférence : mais enfin
Ja douleur gagna toute fon ame , fixa fes
irréfolutions , & je reçus cette lettre :
« Si vous aviez gardé dans votre coeur
» le moindre fentiment de pitié , vous ne
»› m'auriez jamais quittée ; vous auriez ré-
» pondu à un amour fi tendre , & respecté
» nos malheurs ; vous m'auriez facrifié des
» idées vaines. Cruel ! vous auriez cru
perdre quelque chofe en perdant un coeur
qui ne brûle que pour vous. Comment
» pouvez - vous fçavoir fi , en ne vous
» voyant plus , j'aurai le courage de fou-
» tenir la vie ? & li je meurs , barbare ,
» pouvez-vous douter que ce ne foit pour
33
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
» vous ? Oh Dieux ! pour vous Arſame :
» mon amour fi induſtrieux à m'affliger , ne
» m'auroit jamais fait craindre ce genre de
fupplice ; je croyois que je n'aurois à
pleurer que vos malheurs , & que je
» ferois toute ma vie infenfible fur les
>> miens. "
"
ود
Je ne pus lire cette lettre fans verfer des
larmes mon coeur fut faifi de trifteffe ,
& au fentiment de pitié , il fe joignit un
cruel remord de faire le malheur de ce que
j'aimois plus que ma vie. Il me vint dans
l'efprit d'engager Azéma à venir à la cour :
je ne reftai fur cette idée qu'un moment.
La cour de Margianne eft la feule d'Afie
où les femmes ne font point féparées du
commerce des hommes ; & plutôt que de
fouffrir que la beauté d'Azéma fît la félicité
d'autres yeux que les miens , & qu'elle
pût régner dans quelqu'autre coeur que
ce fût au monde , j'aurois accepté mille
morts ; je n'avois d'autre parti à prendre
que de retourner auprès d'elle . Vous ferez
étonné , quand vous fçaurez les raifons
qui me firent différer l'exécution de ce
deffein.
J'attendois à tous les momens des marques
brillantes de la faveur du Roi. Je
m'imaginai que paroiffant aux yeux d'Azéma
avec un éclat nouveau , je me jųftiAVRIL.
1758 . 31
Fieroisplus aifément auprès d'elle ; je penfai
qu'elle m'en aimeroit davantage , & ję
goûtois d'avance le plaifir d'aller porter
ma nouvelle fortune à fes pieds .
Je lui appris la taifon qui me faifoit
différer mon voyage , & ce fut cela même
qui la mit au défefpoir . Ma faveur auprès
du Roi avoit été fi rapide , qu'on l'attribua
au goût que la Princeffe de Margianne
avoit pour moi. C'eft une de ces chofes
que l'on croir toujours , quand elles ont
été dites une fois. Un Efclave qu'Azéma
avoit mife auprès de moi , lui écrivit ce
qu'il avoit entendu dire. L'idée que j'allois
tenir ma fortune de la main d'une Rivale ,
la mit au défefpoir; fon amour s'indigna ,
elleprit fon parti. Elle fe défit de la
plupart de fes Efclaves , en choifit de nouveaux
, envoya meubler un palais dans le
pays des Hircaniens , fe déguifa , prit avec
elle trois Eunuques , qui ne m'étoient pas
connus , vint fécrettement à la cour ; elle
inftruifit l'Efclave qui lui étoit fidele , &
prit des mefures pour m'enlever dès le lendemain.
Je devois aller me baigner dans l'Arafpe
: l'Eſclave me mena vers un endroit du
rivage , où Azéma m'attendoit . J'étois à
peine déshabillé , qu'on me faifit : on jetta
fur moi une robe de femme ; on me fir
Biv
32
MERCURE
DE
FRANCE
.
entrer dans une litiere fermée ; on marcha
nuit & jour nous eûmes bientôt quitté
la Margianne , & nous arrivâmes dans le
pays des Hircaniens. Je fus enfermé dans
un vafte palais. On me faifoit entendre
que la Prêtreffe , qu'on difoit avoir de l'amour
pour moi , m'avoit fair enlever &
conduire fecrettement dans une terre de fa
dépendance.
Azéma ne vouloit point être connue , ni
que je fuffe connu ; elle cherchoir à jouir
de mon erreur , Tous ceux qui n'étoient
point du fecret , la prenoit pour la Prêtref
fe ; mais un homme enfermé dans fon palais
, auroit démenti ce caractere. On me
laiffa donc mes habits de femme , & on
crut que j'étois une fille nouvellement
achetée , & deftinée pour la fervir.
J'étois encore dans ma feizieme année ;
on difoit que j'avois toute la fraîcheur de
la jeuneffe , & on me louoit fur ma beauté,
comme fi j'euffe été une fille du palais.
Azéma , qui fçavoit que la paffion pour la
gloire m'avoit déterminé à la quitter , fongea
à amollir mon courage par toutes
fortes de moyens . Je fus mis entre les
mains des Eunuques on paffoit les journées
à me parer on verfoit fur moi les
effences les plus délicieuſes ; je ne fortois
jamais de la maifon ; on m'apprenoit à
AVRIL 1758. 33
travailler moi - même à ma parure , & furtour
on vouloit m'accoutumer à cette
obéiffance fous laquelle les femmes font
abattues en Orient , dans les férails .
Je vous dirai bien que j'étois indigné
de me voir traiter ainfi : il n'y a rien que
je n'euſſe ofé pour rompre mes chaînes ;
mais me voyant fans armes , entouré de
gens qui avoient toujours les yeux fur moi ,
je ne craignois point d'entreprendre , mais
de manquer mon entrepriſe. J'efpérai que
dans la fuite , je ferois moins foigneufement
gardé , que je pourrois corrompre
quelque Eunuque , & fortir de ce féjour ,
ou mourir.
J'avouerai cependant qu'une efpece de
curiofité de voir le dénouement de route
cette aventure fembloit ralentir mes penfées
dans la honte & la confufion que je
reffentois , j'étois néanmoins furpris de
n'en avoir pas davantage : mon ame formoit
des projets ; ils finiffoient tous par
un certain trouble ; un charme fecret &
une force invincible me retenoit dans ce
palais.
La feinte Prêtreffe étoit toujours voilée
, & je n'entendois jamais fa voix. Elle
paffoit prefque toutes les journées à me
regarder par une jaloufie pratiquée à ma
chambre ; quelquefois elle me faifoit venir
34 MERCURE DE FRANCE:
dans fon appartement. Là , fes filles chantoient
les airs les plus tendres : il me fembloit
que tout exprimoit fon amour : je
n'étois jamais affez près d'elle ; elle n'étoit
occupée que de moi ; il y avoit toujours
quelque chofe à raccommoder à ma parure
; elle défaifoit mes cheveux pour
les
arranger encore , & elle n'étoit jamais contente
de ce qu'elle avoit faite.
Un jour on vint me dire qu'elle me
permettoit de la voir. Je la trouvai fur un
fopha de pourpre. Ses voiles la couvroient
encore ; fa tête étoit mollement penchée ,
& elle me fembloit dans une douce langueur.
J'approchai , & une de fes filles me
parla ainfi L'amour vous favorife : c'eſt
lui qui fous ce déguiſement vous a fait
venir ici . La Prêtreffe vous aime : tous les
coeurs lui feroient foumis , & elle ne veut
que le vôtre. Comment , dis-je en foupirant
, pourrai- je donner un coeur qui n'eft
point à moi ? Ma chere Azéma en eft la
maîtreffe , & elle la fera toujours. Je ne
vis point qu'Azéma marqua de l'émotion
à ces paroles ; mais elle m'a dit depuis
qu'elle n'a jamais fentie une plus grande
joie. Téméraire , me dit cette femme , la
Prêtreffe doit être offenfée comme les
Dieux , lorfqu'on eft affez malheureux
pour ne pas l'aimer . Je lui rendrai , répon-
>
AVRIL 1758. 35°
dis-je , toutes fortes d'hommages ; mon
refpect , ma reconnoiffance ne finiront jamais
; mais le cruel deftin ne me permet
pas de l'aimer.
· Divine Prêtreſſe , ajoutai- je en me jettant
à fes genoux , je vous conjure , par
votre gloire , d'oublier un homme , qui ,
par un amour éternel pour une autre , ne
fera jamais digne de vous .
J'entendis qu'elle jetta un profond foutpir
: je crus m'appercevoir que fon viſage
étoit couvert de larmes. Je me reprochois
mon infenfibilité ; j'aurois voulu , ce que
je ne trouvois pas poffible , être fidele à
mon amour , & ne pas défefpérer le fien.
On me ramena dans mon appartement ,
& quelques jours après , je reçus un billet
d'une main qui m'étoit inconnue.
»L'amour de la Prêtreffe eft violent ,
mais il n'eft pas tyrannique : elle ne fe
» plaindra pas même de vos refus , fi vous
» lui faites voir qu'ils font légitimes. Ve-
>> nez lui apprendre les raifons que vous
» avez pour être fi fidele à cette Azéma. »
Je fus reconduit auprès d'elle . Je lui racontai
toute l'hiſtoire de ma vie. Lorfque
je lui parlois de mon amour , je l'entendois
foupirer : elle tenoit ma main dans
la fienne , & dans ces momens touchans
elle la ferroit malgré elle. Recommencez ,
Bvi
36 MERCURE DE FRANCE.
me difoit une de fes femmes , à cet endroit
où vous fûtes fi défefpéré , lorfque
le Roi de Médie vous donna fa fille ; redites-
nous les craintes que vous eûtes pour
elle dans votre faite ; Parlez à la Prêtreffe
des plaifirs que vous goûtiez, lorfque vous
étiez dans votre folitude chez les Margiens.
Je n'avois jamais dit toutes les circonftances
je répétois , elle croyoit entendre
pour la premiere fois ; je finiffois , elle s'imaginoit
que j'allois commencer. Le lendemain
je reçus ce billet :
»
Je comprens bien votre amour , & je
n'exige point que vous me le facrifiez :
mais êtes -vous sûr que cette Azéma vous
>> aime encore ? Peut- être réfufez-vous pour
» une ingrate , le coeur d'une perfonne qui
» vous adore, »
ود
Je fis cette réponſe :
» Azéma m'aime à un tel point , que je
» ne fçaurois demander aux Dieux qu'ils
» augmentent fon amour. Hélas ! peut-
» être qu'elle m'a trop aimé! je me fou
» viens d'une lettre qu'elle m'écrivit quel
que temps après que je l'eus quittée : fi
» vous aviez vu les expreffions terribles &
tendres de fa douleur.... Je crains que
» pendant que je fuis retenu dans ces lieux,
le défefpoir de m'avoir perdu , & fon
dégoût pour la vie , ne lui faffent pren-
ود
»
AVRIL 1758. 37
dre une réfolution qui me mettroit au
>> tombeau . >>
و ر
Elle me fit cette réponſe :
Soyez heureux , Arfame , & donnez
» tout votre amour à la beauté qui vous ai
» me: pour moi, je ne veux que votre ami-
» tić. Venez ce foir me marquer celle que
» vous avez pour une perfonne qui auroit
» été à vous fi vous l'aviez aimée . »
Je fus reconduit dans fon appartement.
Là,je fentis tout ce qui peut porter à la volupté.
On avoit répandu dans la chambre
les parfums les plus agréables ; elle étoit
fur un lit qui n'étoit fermé que par des
guirlandes de fleurs : elle y paroiffoit languiffamment
couchée ; elle me tendit la
main , & me fit affeoir auprès d'elle : un
voile qui lui couvroit le vifage, defcendoit
avec grace fur fon fein , & me laiffoit entrevoir
la forme du plus beau corps. Elle
remarqua que mes yeux étoient occupés ,
& quand elle les vit s'enflammer , la toile
fembla s'ouvrir d'elle- même. Dans ce mo
ment elle me ferra la main ; mes yeux er.
rerent partout. Il n'y a , m'écriai -je , que H
ma chere Azéma qui foit auffi belle ! Mais
j'attefte les Dieux que ma fidélité.... Elle fe
jetta à mon col , & me ferra dans fes bras.
Tour d'un coup la chambre s'obscurcit ,
fon voile s'ouvrit , & elle me donna un
38 MERCURE DE FRANCE.
bailer. Je fus tout hors de moi ; l'idée d'A
zéma s'éloigna de mon efprit : un refte de
fouvenir combattoit encore pour elle ; mais
il ne me paroiffoit prefque plus que comme
un fonge .... J'allois.... j'allois la préférer
à elle- même lorfque tout-à coup elle
fit un effort. Elle fur fecourue , elle fe déroba
de moi , & je la perdis . Je retournai
dans mon appartement , furpris moi-même
de mon inconftance. Le lendemain on entra
dans ma chambre . On me rendit les habits
de mon fexe , & le foir on mena chez
celle dont l'idée m'enchantoit encore . J'ap
prochai d'elle , je me mis à fes genoux
& tranfporté d'amour , je parlai de mon
bonheur , je me plaignis de mes propres
refus , je demandai , je promis , j'exigeai
j'ofai tout dire , je voulus tout voir ; mais
je trouvai un changement étrange. Elle me
parut glacée , & lorfqu'elle m'eut affez
écouté , & qu'elle eut joui de tout mon
embarras , elle me parla & j'entendis fa
voix pour la premiere fois :Ne voulez - vous
point voir le vifage de celle que vous aimez
? Ce fon de voix me pénétra , je reftai
immobile : j'efpérai que ce feroit Azéma
& je le craignis. Découvrez ce bandeau me
dit-elle. Je le fis , & je vis le vifage d'Azéma.
Je voulus parler , & ma voix s'arrê
ta. L'amour , la furprife , la honte , tow
AVRIL. 1758. 39
tes les paffions me faifirent tour- à- tour .
Vous êtes Azéma , lui dis- je ? Oui , perfide
, répondit- elle , je la fuis . Azéma , lui
dis- je d'une voix entrecoupée , pourquoi
vous jouez-vous ainfi d'un malheureux
amour ? Je voulns l'embraffer. Seigneur ,
me dit-elle , je fuis à vous ; mais laiffezmoi.
Hélas ! j'avois efpéré de vous revoir
plus fidele : contentez - vous de comman
der ici ; puniffez-moi , fi vous voulez , de
ce que j'ai fait. Arfame , ajouta - t - elle en
pleurant , vous ne le méritiez pas.
Ma chere Azéma , lui dis- je , pour
quoi me défefpérez-vous ? Auriez- vous
voulu que j'euffe été infenfible à des charmes
que j'ai toujours adorés? Convenez què
vous n'êtes pas d'accord avec vous- même.
N'étoit-ce pas vous que j'aimois ? ne fontce
pas ces beautés qui m'ont toujours charmé
? Ah ! dit-elle , vous auriez aimé une
autre que moi ! Je n'aurois point , lui disje
, aimé une autre que vous ; tout ce qui
n'auroit point été vous , m'auroit déplu ?
Qu'auroit- ce été lorfque je n'aurois point
vų cet adorable vifage , que je n'aurois
point entendu cette voix , que je n'aurois
point trouvé ces yeux ? Mais de grace , ne
me défefpérez pas ; fongez que de toutes
les infidélités que l'on peut faire , j'ai fans
doute commis la moindre . Je fentis à la
langueur de fes yeux qu'elle n'étoit plus
40 MERCURE DE FRANCE.
T
irritée ; je le fentis à fa voix languifſante.
Azéma revenue à elle , me dit : Mon cher
Arfame , l'amour que j'ai eu pour vous ,
m'a fait faire des chofes bien extraordinaires
; mais croyez qu'un amour bien
violent n'a de regles & de loix que lui -même.
On ne le connoît guere , fi on ne met
les caprices au nombre de fes plus grands
plaifis. Mais au nom des Dieux , ne me
quitte plus. Que peut il te manquer ? Tu
es heureux fi tu m'aime : tu es sûr que ja
mais mortel n'a été tant aimé que toi : dise
moi , promers , jure moi que tu refter as
ici. Je lui fis mille fermens , ils ne furent
interrompus que par mes baifers , & elle
les reçut avec tranfport.
J'étois enivré de plaiſirs , & je n'imaginois
pas même les peines. Quelle étoit
mon erreur ! Je touchois au revers du
monde le plus affreux.
Le Prince du pays ( Afmer étoit fon
nom ) étoit un tyran capable de tous les
crimes mais rien ne le rendoit plus in..
fupportable que les outrages continuels
qu'il faifoit au fexe , fur lequel il n'étoit
pas permis de lever les yeux . Il apprit par
un efclave forti du ferrail d'Azéma, qu'elle
étoit la plus belle perfonne de l'Orient. Il
n'en fallut pas davantage pour le déterminer
à me l'enlever. Une nuit , une groffe
AVRIL 1758, 41.
troupe de gens armés entoura ma maiſon ,
& le matin je reçus un ordre du tyran de
lui envoyer Azéma. Je vis l'impoffibilité
de la faire fauver ou de la défendre . Ma
premiere idée fut de lui donner la mort ,
dans le fommeil où elle étoit ensevelie.
Conduit par mon défefpoir , je pris mon
poignard : je courus , j'entrai dans fa chanbre
, j'ouvris les rideaux : j'allois lever le
bras ; mais un mouvement inconnu m'arrêca
, je reculai d'horreur , tous mes fens
fe glacerent. Une nouvelle rage me faifit :
je voulus aller me jetter au milieu des Satellites
du tyran , & immoler tout ce qui
fe préfenteroit à moi mon efprit s'ouvrit
pour un plus grand deffein ; un calme affreux
fuccéda à la confufion où je me trouvois.
Je réfolus de prendre les habits que
j'avois eu il y a quelques mois ; de monter
, fous le nom d'Azéma , dans la litiere
que le tyran lui avoit deſtinée, de me faire
mener à lui , de cacher furtout à Azéma
le péril que je courois & de la faire fauver
dans un autre pays . Outre que je ne voyois
point d'autres reffources , je reffentois un
plaifir fecret à faire une action de courage
fous les mêmes habits avec lesquels l'aveugle
amour avoit auparavant avili mon
fexe.
J'exécutai tout de fang froid ; je ne me4
42 MERCURE DE FRANCE.
nai qu'une eſclave fidelle , & je me livrai
aux femmes & aux Eunuques que le tyran
avoit envoyés. Je ne reftai pas deux jours
en chemins , & quand j'arrivai , la nuit
étoit déja avancée. Afmer , le traître Af
mer donnoit un feftin à fes femmes & a
fes favoris dans une falle de fes jardins. II
étoit dans cette gaieté ftupide que donne
la débauche lorfqu'elle eft pouffée à l'excès.
Je lui fus annoncé : il ordonna qu'on
me fît venir ; j'entrai dans la falle du feftin
, & mon efclave fe tint à la porte. Le
tyran me fit mettre auprès de lui : je l'ervifageai
plein de colere , de rage & du défir
de la plus affreufe vengeance ; & lorfque
fa fureur brutale alloit l'éclaircir fur
mon fexe , je lui plongeai mon poignard
- dans le fein . Je l'en retirai pour percer un
homme qui avoit paru le vouloir fecourir.
Mon efclave à qui j'avois donné mes
ordres , donna la mort au premier qui fe
préſenta pour fortir. On crut que tout étoit
environné de conjurés. Parmi tant d'objets
, on ne voit que deux poignards , &
la peur les multipliant fans nombre , tout
refta immobile. Je fortis , nous fermâmes
la porte ; nous fuîmes : nous rencontrâmes
un Eunuque dans les jardins. Je tel
plongerai , lui dis-je , ce fer dans le feins
fi tu ne me fais fortir d'ici . C'étoit un JarAVRIL.
1758. 43
dinier qui , tout tremblant de peur , me
mena à une porte qu'il ouvrit : je la lui fis
refermer , & lui ordonnai de me fuivre.
Je jettai mes habits , & je pris un manteau
d'efclave . Nous nous enfonçâmes dans
les bois , & par un bonheur inefpéré
lorfque nous étions accablés de laffitude ,
nous trouvâmes un marchand qui faifoit
paitre ſes chameaux . Nous le contraignîmes
à nous mener hors de ce pays funefte. A
meſure que j'évitois tant de dangers , mon
coeur devenoit moins tranquille. Il falloit
revoir Azéma , & tout me faifoit craindre
pour elle. Ses femmes . & fes Eunuques
lui avoient caché l'horreur de notre fituation
; mais en ne me voyant point malheureux
, elle me jugeoit coupable ; elle
croyoit que j'avois manqué , en la quittant,
à tant de fermens que je lui avois faits :
pouvoit concevoir cette barbarie ,
de l'avoir abandonnée fans lui rien dire :
l'amour voit tout ce qu'il craint.
La vie lui devint infupportable. Elle
prit du poifon. Il ne fit pas fon effet vio-
Jemment. J'arrivai , je la trouvai mourante.
Azéma , lui dis-je , je vous perds !...
Ah ! fi vous m'aviez aimé ! Cruelle Azéma
, hélas ! que vous ai-je fait ? Elle verfa
quelques larmes . Cher Arfame , me ditelle
d'une voix mourante , il n'y a qu'un
I
44 MERCURE
DE
FRANCE
. moment que la mort me paroiffoit déli
cieufe , à préfent elle me paroit terrible
depuis que je vous revois . Je fens que je
voudrois vivre pour vous , & que mon
ame vous quitte malgré elle . Confervez
mon fouvenir , & fi j'apprends qu'il vous
eft cher , contez que je ne ferai point tourmentée
parmi les ombres. J'ai du moins
cette confolation , cher Arfame, de mourir
dans vos bras . Ses yeux fe fermerent . Il me
feroit impoffible de dire comment je n'expirai
pas auffi - tôt . On me fépara d'Azéma , &
je crus qu'on me féparoit de moi-même. Je
fixai mes yeux fur ce cher objet , & je reftai
immobile. J'étois demeuré ftupide. On
m'ôta à ce terrible fpectacle , & je fentis
mon ame reprendre toute fa fenfibilité.
On m'entraîna , je tournois les yeux vers
ce fatal objet de ma douleur , & j'aurois
donné mille vies pour la voir , pour l'entendre
encore un moment. Ses dernieres
paroles avoient percé mon coeur ; le fon de
La voix que je croyois encore entendre , me
mettoit hors de moi-même. J'entrai en fureur
; je fautai fur mon poignard ; j'allois
me délivrer d'une odieufe vie : c'en étoit
fait. On m'arrêta . Je fortis de ce palais funefte
pour n'y plus rentrer. Je courois dans
les bois , je rempliffois l'air de mes cris :
Quand je devenois plus tranquille , toutes
AVRIL. 1958 . 45
les forces de mon ame la fixoient à fa douleur
: il me fembla qu'il ne me reftoit plus
rien dans le monde , que ma trifteffe &
le nom d'Azéma. Ce nom , je le prononçois
d'une voix terrible , & je rentrois
dans le filence. Mon efprit s'aliéna , &
quand la raifon me fut revenue , je réſolus
de m'ôter la vie. La fureur me fit quitter
ce deffein. Tu veux mourir , me dis- je
à moi- même , & Azéma n'eft point vengée
? Tu veux mourir & le fils du tyran
eft en Hircanie , qui fe baigne dans les
délices ? Il vit encore & tu veux mourir.
Je me mis en chemin pour l'aller chercher ,
& venger dans fon fang , Azéma & mon
amour. Lorfque j'appris qu'il vous avoit
déclaré la guerre , j'ai volé à vous. Je ſuis
arrivé trois jours avant la bataille , & j'ai
fait l'action que vous connoiffez. J'aurois
percé le fils du týran , mais j'ai mieux aimé
le faire prifonnier . Je veux qu'il traîne
dans la honte & dans les fers , une vie
auffi malheureufe que la mienne : je veux
qu'il apprenne que j'ai fait mourir le der
nier de fa maifon : & réduit fon palais en
cendres : je veux que le nom d'Azéma foit
terrible pour lui , comme il l'eft pour moi.
Oui , j'exterminerai tous ceux qui n'ont
point étouffé cette voix facrilege par laquelle
fon pere a demandé Azéina . Je fens
46 MERCURE DE FRANCE.
bien que depuis que je fuis vengé , je ne
fuis pas plus heureux , & que l'efpoir de
la vengeance touche plus que la vengeance
même. Non , rien ne peut me foulager
: il me femble que de tous côtés , tout
vient toucher nion coeur dans un endroit
douloureux ; tout me repréfente Azéma ;
tout me retrace fon idée , elle me fuit ,
tout me parle d'elle. Ce matin encore je
fuis entré dans le temple ; la Reine a parlé
: j'ai trouvé quelque conformité entre
fa voix & celle d'Azéma , j'ai rougi , j'ai
pali , je fuis tombé évanoui .
L'Etranger parloit encore lorfque la
Reine envoya fçavoir s'il étoit en état de
paroître en fa préfence. Cela le mit dans
un trouble que l'on ne peut exprimer. Il
adoroit cet ordre & il s'en plaignoit il
étoit ravi d'entendre encore une fois la
voix de la Reine , & il craignoit de l'entendre.
Il fe leva . Il vouloit courir , il vouloit
s'arrêter il fe faifoit en lui une confufion
étrange de défirs & de penfées. Il
arriva dans l'appartement de la Reine . Elle
le vit & tombant fur une de fes femmes
Arfame , dit-elle , c'est vous ? Et tout à
coup reprenant fes efprits , elle fe précipita
vers lui , & le ferrant dans fes bras :
Arfame , c'eft vous ? Azéma , lui dit- il ,
comment les Dieux vous ont- ils rendus à
10
AVRIL
1758. 47
1.
la vie ? Et levant fon voile... Azéma , c'eft
vous? Quel prodige ! Quel bonheur ! ô
Dieux ! La joie, les tranfports les faifirent ;
ils fe tenoient embraffés ; ils vouloient tour
dire. Quand Azéma put parler , elle fe
hata de raconter comment une de fes femmes
avoit fubftitué au poifon une liqueur
affoupiffante ; comment elle avoit été trois
jours fans mouvement ; comment elle avoit
été rendue à la vie. Sa premiere parole
avoit été le nom d'Arfame : fes yeux ne
s'étoient ouverts que pour le voir : elle
l'avoit fait chercher , elle l'avoit cherché
elle-même. Arfame étoit tout hors de lui :
fa joie le troubloit tellement qu'il n'enpas
même les chofes qui faifoient
1-
tendoit
fa félicité.
L'Eunuque Afpard prit d'abord fon parti.
Vous êtes , dit- il à Arfame , le mari de
la Reine , foyez donc mon Roi . Il s'inclina
, & ayant affemblé le ferrail : Venez
faluer l'époux que la Reine vient de choifit
, dit-il ; il va paroître fur le trône ; venez
l'adorer. Dans le même jour Arfame
fut déclaré Roi de Bactriane ; dans le mêmejour
il récompenfa l'armée victorieufe ;
dans le même jour il rendit la liberté au
Prince d'Hircanie. Il crut régner fur tout
l'univers , parce qu'il régnoit fur le coeur
d'Azéma , à qui le trône étoit double-
A
48 MERCURE DE FRANCE.
ment dû par le mérite
& par la naiffance
Elle étoit four de Félime
, & fut expofé
en naiffant
pour des raifons
trop longue
!
à dire , & qu'on
doit furtout
fupprime dans un dénouement
. Afpar
en étoit feu
inftruit
. En coutonnant
Azéma
, il avoi agi en miniftre
non moins
honnête
homme
qu'habile
. Ce fut un acte de juſtice autant
qu'un coup de politique
.
VERS
A Madame *** , fur les Tablettes Enchantées
, Conte qui a paru dans le fecond Volume
de Janvier 1758.
PROTECTEUR des tendres 'Amans ,
C'eft toi , puiffant génie : ah ! c'est toi que j'implore.
Par le magique effet de tes enchantemens ,
Laiffe-moi ſoulager le feu qui me dévore.
Brillans honneurs , faftueufe opulence ,
Frivoles rangs , vaine diſtinction ,
Gloire inſenſée , orgueilleule ſcience
Vous n'êtes point l'objet de mon ambition.
Si tu connois l'adorable Gliedre ,
Facilement ru peux le pénétrer.
Mes voeux , oui , tous mes voeux fe bornent à lui'
bb plaire : t
J
Après
AVRIL 1758. 49
Après un tel bonheur que puis- je defirer ?
Comme Zelmis , elle eft touchante & belle ;
Comme Zelmis , par mille attraits vainqueurs,
Elle charme l'efprit & captive les coeurs :
Ociel ! comme Zelmis , eft- elle donc cruelle ?
Secourable & puiffant Génie ,
Telle eft la Reine de mon fort ,
Puifque je dois , ô Dieux ! l'aimer toute ma vie ,
Que ne fuis-je un autre Agenor !
J. FONT...
VERS
Au fujet de ce que M. de Boilly a dit dans
le Mercure de Février , qu'il feroit mainbaffe
fur toutes les Pieces qui n'annonceroient
point de talent.
PLEUREZ , jeunes Auteurs , dont la Muſe infipide
Dans les champs de la gloire entre & marche ſans
guide.
Pour vous Mercure eft las d'effuyer des mépris ,
Déformais il renonce à porter vos écrits ,
Vos petits Madrigaux , vos plaintes langoureuſes ,
Toutes ces ftances doucereufes
Par qui vous prétendez enchanter les eſprits ,
Pour avoir de plaifir fait pâmer une Iris ,
Qui croit en les lifant qu'elle n'a point d'égale.
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
Dans la réforme générale
Le premier je ferai compris ,
Et maint autre après moi qui ne s'en doute guere ;
•
Tant en Province qu'à Paris.
Pleurons , pleurons , mes chers Confreres ;
Mais non , remercions plutôt
Celui qui , fur notre délire ,
Pouvant lâcher plus d'un bon mot ,
A nos dépens veut empêcher de rire.
Par l'Anonyme de Chartrait , près Melun.
SUITE fur M. de Fontenelle , par M.
l'Abbé Trublet , contenant des corrections
des additions aux articles précédens .
MERCURE d'Avril 1757 , premier volume
, page 57 , fur l'Opéra de Pfyché.
1. J'ai dit que je ne doutois guere que
l'Epître dédicatoire de l'Opéra de Pfyché
au Roi , au nom de l'Académie Royale de
mufique , ne fût de M. de F. Je devois en
être sûr , & ne point douter : mais j'avois
oublié que cette Epître a été inférée par
M. de F. lui-même dans le tom. 8 de fes
Euvres , pag. 302 .
II. Le nom de Pfyché ( car il n'y a pas
d'autre à propos ) me rappelle une petite
anecdote que je vais placer ici.
AVRIL 1758. St
M. le Préfident Hénault avoit fait, il y a
plus de 40 ans , une Epître dans le genre
des Héroïdes d'Ovide ; c'eft Pfyché qui
écrit à l'Amour après qu'il l'a abandonnée ,
pour fe juftifier de fa curiofité . M. de F.
à qui cette Epître plut beaucoup , envoya
ce Madrigal à M. le P. H.
Hier Apollon tenant chapitre ,
On lui préfenta cette Epître.
Calliope la lut. Eh bien ! qu'en dites- vous ,
Dit Phoebus aux neuf foeurs La piece fut vantée ;
Pfyché n'auroit pas mieux écrit à fon époux.
J
Je le crois bien , reprit le Dieu jaloux ;
C'est une lettre interceptée.
Nous aurions bien defiré d'avoir cette
Epître , pour confirmer le jugement de M.
de F.
Sur Thétis & Pelée page 59 du même
Mercure.
I. Cet Opéra eft le feul de Colaffe qui
foit resté au théâtre. La mufique en eft
bonne ; mais les paroles ont bien contribué
à le conſerver. M. de F. m'a dit qu'il
l'avoit lu à Quinault quelques mois avant
fa mort , arrivée le 26 octobre 1688. Il
n'avoit que 53 ans. Ce Poëte fi grand dans
Je genre lyrique , qu'il l'avoit à la fois inventé
& perfectionné , très-content de l'ou-
Cij
S2 MERCURE DE FRANCE .
vrage , invita M. de F. à continuer , & lui
dit : Vous ferez mon fucceffeur.
On croit fans peine que M. de F. avoit
beaucoup d'eftime pour l'efprit & letalent
de M. Quinault , & qu'il étoit bien éloigné
d'en penfer comme M. Defpreaux.
Mais il m'a dit de plus , que c'étoit l'homme
du caractere le plus aimable , & entre
autres , de la plus grande modeftie .
II. La mufique de Thétis fut trouvée fi
belle , que comme Colaffe avoit travaillé
fous Lully , mort en 1687 , on le foupçonna
d'avoir profité du porte- feuille de ſon
maître . M. de F. m'a dit que cela pouvoit
abfolument être vrai de la mufique inftrumentale
; mais qu'il étoit sûr que toute la
mufique vocale étoit de Colaffe , ne lui
ayant donné fes paroles que depuis la mort
de Lully.
Sur la Tragédie d'Afpar , page 60 .
I. MM. Parfait n'ont pas même nommé
cette Tragédie dans leur hiftoire du théâtre
françois , ni dans leur dictionnaire des théûtres
de Paris , & cela par égard pour M.
de F.
II. On fçait que Racine fit contre cette
piece une épigramme & des couplets. L'épigramme
eft très- connue , parce qu'elle a
été imprimée. Les couplets le font moins.
Je n'en connois même que deux , quoique
AVRIL. 1758. 53
j'aie entendu dire qu'il y en avoit plufieurs.
Comme ils font plaifans , ils feront quelque
plaifir au lecteur , & peut- être une forte
d'honneur à Racine ; mais d'ailleurs je crois
que l'hiftoire des Grands Hommes , furtout
dans les lettres & dans les fciences ,
doit faire mention de ce qui a été écrit
contr'eux de leur temps , fût- ce des Satyres.
Elle le doit pour être entiérement
vraie & fincere ( 1 ) . Elle le doit encore pour
la confolation , & même pour l'inftruction
des pareils de ces grands hommes.
Voci donc ces couplets :
1.
Adieu , ville peu courtoife ,
Où je crus être adoré.
Afpar eft défefpéré ;
Le Poulaillier de Pontoise
Me doit remmener demain
Voir ma famille Bourgeoife ;
Me doit remmener demain ,
Un bâton blanc à la main.
II.
Mon aventure eft étrange :
On m'adoroit à Rouen.
Dans le Mercure galant
(1 ) On fçait les deux regles de Ciceron pour
Phiftoire. Ne quid falfi dicere audeat ; deinde ne
quid veri non audeat. Cic. Orat.
Ciij
$4 MERCURE DE FRANCE .
J'avois plus d'efprit qu'un Ange.
Cependant je pars demain.
Sans argent & fans louange ;
Cependant je pars demain ,
Un bâton blanc à la main .
On attribue encore à Racine d'autres
couplets fur la réception de M. de F. à
l'Académie françoife . C'est une efpece de
relation de l'affemblée publique tenue à
cette occafion. On fera encore bien aife de
les trouver ici ; il n'existe plus perfonne
qu'ils puiffent bleffer. Je les éclaircirai enfuite
par quelques remarques où l'on trouvera
diverfes anecdotes littéraires.
I.
Or écoutez , noble affiftance ,
Ce qu'à l'Académie on fit ,
Dans la mémorable Séance
Où l'on reçut un bel-eſprit.
Ce qui fut dit
Par ces modeles d'éloquence ,
A bien mérité d'être écrit.
II.
Quand le Novice Académique
Eut falué fort humblement
D'une normande rhétorique
Il commença fon compliment ,
Où fortement 1
AVRIL. 1758 . 55
De fa nobleffe poétique ,
Il fit un long dénombrement.
IIL
Corneille , difeur de nouvelles ,
Suppôt du Mercure galant ,
Loua fon neveu Fontenelles ,
Et vanta le prix excellent
De fon talent ;
Non fatisfait des bagatelles
Qu'il dit de lui douze fois l'an.
IV.
Entêté de fon faux fyftême ,
Perrault, philofophe mutin ,
Difputà d'une force extrême ;
Et coëffé de fon avertin
Fit le lutin ร
Pour prouver clairement lui- même ,
Qu'il n'entend ni grec , ni latin.
V.
Doyen de pefante figure ,
Qui trouvez le fecret nouveau ,
De parler aux Rois en peinture ,
Et d'apostropher leur tableau :
Ah ! qu'il fait beau
De te voir en cette poſture
Faire à Louis le pied de veau !
V I.
Si tu ne fçavois pas mieux faire ,
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
Lavau falloit -il imprimer ?
Ne fors point de ton caractere ,
Contente- toi de déclamer ,
Sans préfumer
Que ton éloquence groffiere
Sur le papier puiffe charmer.
VII.
Boyer , le Clerc , couple inutile,
Grands maffacreurs de Hollandois ,
Porteurs de Madrigaux en ville ;
Moitié Gafcons , moitié François ,
Vieux Albigeois ,
Allez exercer votre ſtyle
Près du fucceffeur d'Henri trois
VIII.
Touchant les vers de Benferade ,
On a fort long- temps balancé ,
Si c'eſt louange ou paſquinade
Mais le bon homme eft fort baiffé ;
Il eft paffé :
Qu'on lui chante une ſérénade
De Requiefcat in pace.
I X.
Prions donc , Meffieurs , je vous prie ,
Leur protecteur , le grand Louis ,
Que du corps de l'Académie
Tous ignorans foient interdits ,
Comme jadis ,
Quand Richelieu , ce grand génie ,
AVRIL. 1758.
$7
Prit les premiers quatre fois dix ( 1).
Notes fur les Couplets précédens.
Second Couplet.
Il fit an long dénombrement.
Ce prétendu long dénombrement fe réduit
à ce peu de paroles.
" Le mérite d'autrui , dit M. de F.
» vous a encore plus fortement follicités
>> en ma faveur. Je tiens, par le bonheur de
» ma naiſſance , à un grand nom qui , dans
» la plus noble efpece des productions de
( 1 ) Je me crois obligé de déclarer ici que M.
Racine à qui j'ai parlé de ces couplets & des deux
précédens , doute fort qu'ils foient de fon pere ,
& fa raifon d'en douter eft que les amis les plus
intimes de cet illuftre Poëte ne lui en ont jamais
parlé . Il ne les connoît même que depuis la mort
de M. de F. par M. Thiriot qui les lui a récités , &
qui les donne fans balancer à Racine , les lui ayant
toujours entendu attribuer. Je les ai eus par une
autre voie , & de quelqu'un qui les tenoit de feue
Madame la Marquife de Mimeure , auparavant
Mademoiſelle d'Achy . Elle pouvoit bien les tenir
de M. de F. même. Il communiquoit volontiers ,
lorfqu'il les avoit , les pieces faites contre lui ; &
Fon fçait qu'il laiffa prendre copie , chez M. le
Marquis de Laffay , de la lettre que Mademoiſelle
de Launay, depuis Madame de Staal , lui avoit
écrite fur l'aventure de Mademoiſelle Tetar. Voyez
le Mercure de Juillet 1757, p . 81 , & les Mémoires
de Madame de Staal ,, t. I , p. 246.
Cy
18 MERCURE DE FRANCE.
3
» l'efprit , efface tous les autres noms
» &c. »
Le mot efface dut bleffer Racine , & je
conviendrai fans peine qu'il étoit trop fort.
Si Corneille furpaffe Racine , il ne l'efface
pas ; deux grands hommes ne s'effacent
point l'un l'autre. Mais le premier étoit
oncle de M. de F. le fecond étoit fon ennemi
déclaré , & il avoit traverfé de toutes
fes forces avec M. Defpréaux , fon élection
à l'Académie. La preuve en eſt dáns
leurs lettres mêmes , données au public par
M. Racine , fils .
La Bruyere , ami de Racine , en parla
bien différemment , relativement à Corneille
, lorfque deux ans après ( juin 1693 )
il fut auffi reçu à l'Académie. « Quelquesuns
, dit- il , ne fouffrent pas que Corneille
lui foit préféré , quelques autres
qu'il lui foit égalé . Ils en appellent à
l'autre fiecle ; ils attendent la fin de
quelques vieillards qui , touchés indif-
»féremment de tout qui rappelle leurs
premieres années , n'aiment peut- être
» dans Oedipe que le fouvenir de leur jeu-
» neffe .
"
ور
ง
Cet endroit du difcours de la B. furtout
la fin où l'on crut voir une raillerie amere
, bleffa beaucoup les partifans de Corneille
; & en général , ce diſcours , quoique
AVRIL 1758. 39
par
très-beau , fut peu goûté , lorfqu'il fut prononcé
: il ne s'eft pas même relevé à la lecture
; & j'entends encore tous les jours
citer la Bruyere , lorfqu'on parle d'Académiciens
célébres
d'excellens ouvrages ,
& qui pourtant n'ont fait à leur réception
à l'Académie , qu'un difcours médiocre ou
même mauvais . Je fais bien éloigné de
penſer ainfi de celui de la Bruyère . Je n'en
connois guere d'auffi beaux , & je n'ai
point craint de le dire plus d'une fois à M.
de F. même . J'avoue qu'il n'étoit pas de
mon avis ; mais il avoit fes raiſons ou plutôt
fes motifs.
Troifieme Couplets.
Qu'il dit de lui douze fois l'an.
J'ai déja dit que Thomas Corneille travailloit
au Mercure avec M. de Vife ;
qu'on y trouve plufieurs petites pieces de
M. de F. tant en profe qu'en vers ; qu'elles
Y font quelquefois accompagnées de
quelques éloges , & j'ai cité en entier ( 1 )
celui qui précede la piece intitulée : l'Amour
noyé.
La Bruyere très- piqué de la maniere peu
favorable dont le Mercure avoit parlé de
(1) Mercure d'Avril , 1757 , premier volame ,
page z
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
fon difcours à l'Académie , s'en plaignit
très- vivement dans la préface qu'il mit à
la tête de ce difcours , lorfqu'il le fit réim
primer à la fuite de fes caracteres . Il dit
" que quelques Académiciens violant les
» loix de l'Académie françoife qui défend
» aux Académiciens d'écrire ou de faire
» écrire contre leurs confreres , lâcherent
» fur lui deux Auteurs affociés à une mê-
» me gazette , & c. « & on lit à la marge
Mercure galant.
ور
Plus bas i les défigne encore , en difant
, les deux Auteurs de lagazette que j'ai
citée , & ailleurs , les Gazetiers , & c. Ce
font-là des injures fans efprit , & dès- lors
peu dignes d'un Ecrivain qui en avoit autant
que la Bruyere en général , toute
cette préface eft du ftyle le plus amer..
J'ajoute qu'il eſt évident qu'en plus d'un
endroit l'Auteur a eu en vue M. de F ..
auffi-bien que M. de Vife & Thomas Corneille.
Dans fon difcours , M. de la B. loua ,
peignit & caractérifa parfaitement bien
tous ceux des Académiciens qui avoient
alors quelque réputation. Il n'y pas un
mot pour M. de F. Cependant je le repéte
, ce difcours fut prononcé en 1693 , &
dès lors M. de F. avoit fait fes dialogues
Les églogues , l'hiftoire des oracles , la plura
AVRIL. 1758 . 61
Tié des mondes &c. Dans le temps , ce filence
fit peut-être quelque tort à M. de F.
aujourd'hui il n'en peut faire qu'à M. de
la B.
7
J'ai vu plufieurs perfonnes perfuadées
fur ce difcours , où elles avoient trouvé
tous les Académiciens célebres en 1693 ,
excepté M. de F. qu'il n'avoit été reçu à
l'Académie Françoife , qu'après M. de la
Bruyere.
Je fçais bien que l'hiftoire de l'Académie
des Sciences augmenta beaucoup fa réputation
; mais elle ne fit que l'augmenter , &
encore une fois , fes précédens ouvrages:
lui en avoient déja fait une très- grande. ( 1 )
(1) Cela eft vrai même des Dialogues des Morts.
Bayle faifant l'extrait de l'Hiftoire des Oracles dans
fes Nouvelles de la République des Lettres , Février
1687 , ajouta au titre de l'ouvrage qui étoit Anonyme
, par l'Auteur des Dialogues des Morts , après.
quoi il débuté ainfi :
« Les Dialogues dont on parle dans ce titre ont
> fait rant d'honneur à M. de F. qu'on s'imagine.
» que , pour prévenir favorablement les Lecteurs ,
» il faut leur caractériſer par cet endroit-là tout
>> ce qu'il donne au public. Affurément c'eft une
» fort bonne époque pour fa gloire ; & quand il
>> arriveroit , contre toutes les apparences que ce
» qu'il publiera déformais n'augmenteroit point
»fa réputation , il trouveroit une agréable ref
>> fource dans ces Dialogues , & il pourroit y retr
voyer à coup sûr les gens qui voudroient le
61 MERCURE DE FRANCE.
Pour un auffi grand Peintre que M. de
la Bruyere , c'étoit un bonheur que d'avoir
à peindre un Ecrivain d'un caractere auffi
original que M. de F. Les fujets qui offrent
quelque chofe de particulier , fourniffent
par eux-mêmes du neuf & du piquant.
On pourroit donc dire qu'en manquant
à M. de F. M. de la B. fe manqua
à lui - même.
Quatrieme Couplet.
Qu'il n'entend ni grec , ni latin.
Dans l'affemblée publique pour la réception
de M. de F. M. Perrault préfenta
(c'est l'expreffion du recueil de l'Acadé
mie de 1691 ) & M. l'Abbé de Lavau lat
pour lui deux pieces de poéfie , la Marquife
de Saluffes ou la patience de Grifelidis ,
nouvelle agréablement verfifiée , & un Epitre
à M. le Président Rofe , un de fes confreres
dans l'Académie , & Secretaire du
Cabinet. Mais il n'y a rien dans ces deux
» bien connoître. M. de Balzac difoit quelque-
» fois , que ceux qui voudroient fçavoir de fes:
> nouvelles lui feroient plaifir de les chercher
» dans l'année 1626. C'étoit donc là fon époque
» favorite. Il n'y a guere de bons Auteurs qui
» n'en ayent une plus favorable que toutes les
autres , & qui n'eft pas toujours la plus éloignée
» de leur coup d'eſſai. »
AVRIL. 1798. 63
pieces à quoi le couplet puiffe avoir rapport.
M. Perrault en lut donc ou en fit lirequelque
autre qu'on ne trouve point dans
le recueil ; & c'eft peut- être fon Epitre fur
le génie , adreffée à M. de F. Elle est fort
connue , ayant été imprimée plufieurs fois.
Je crois pourtant qu'on fera bien aife de
trouver ici le morceau qui la termine . C'eft
un éloge de M. de F. , & M. P. y ramena
fon opinion fur les anciens & fur les modernes.
En vain quelques Auteurs dont la mufe ftérile
N'eût jamais rien chanté fans Homere & Virgile
Prétendent qu'en nos jours on doit fe contenter
De voir les Anciens & de les imiter :
Combien , fans le fecours de ces rares modeles ,
En voit-on s'élever par des routes nouvelles !
Combien de traits charmans femés dans tes:
écrits ,
Ne doivent qu'à toi ſeul & leur être & leur prix!
N'a-t'on pas vu des morts aux rives infernales
Briller de cent beautés toutes originales ,
Et plaire aux plus chagrins , fans redire en Fran
çois
Ce qu'un aimable Grec leur fit dire autrefois
De l'églogue en tes vers éclate le mérite ,
Sans qu'il en coûte rien au fameux Théocrite ,
Qui jamais ne fit plaindre un amoureux deftin ,
D'un ton fi délicat , fi galant & fi fin,
64 MERCURE DE FRANCE.
M. de F. eft peut - être celui de nos Ecri
vains célebres qui a le moins emprunté des
autres Auteurs , foit anciens , foit modernes.
Il connoiffoit pourtant bien tous ceux
qui méritoient d'être connus, & il les avoit
lus dans leur langue . Outre le latin qu'il
poffédoit fi bien dès l'âge de 13 à 14 ans ,
(1 ) il fçavoit le grec, l'italien & l'efpagnol.
Le dernier étoit encore à la mode fur la
fin du fiecle précédent. L'Anglois n'y eft
venu que dans la vieilleffe de M. de F. &
il regrettoit de n'avoir pas prévu qu'il y
viendroit , il l'auroit appris dans fa jeuneffe
, & la connoiffance d'une langue
dans laquelle il a été écrit des ouvrages fi
fçavans fur les mathématiques & la phyfrque
, eût été très- utile au Secretaire de
l'Académie des Sciences. J'ajoute qu'il eût
eu le plaifir d'y lire fes propres louanges.
M. de F. a été fouvent loué par les Anglois
tant en profe qu'en vers . On peut voir entr'autres
une très -jolie piece fur la pluralité
des mondes , dans le 3. tom. du recueil in
titulé , A collection of poems , &c. London:
1748 .
Je puis rappeller ici la piece de M. Ma
(1 ) On en verra la preuve dans le Balinod, qu'il
préſenta pour le prix à Rouen , en 1670. J'en ai
parlé dans le Mercure du premier volume d'Ayrili
1757 , P. 75
AVRIL. 1758. 63
ty, compofée en Angleterre ; mais en françois
, & intitulée Fauxhall. On la trouve
dans le Journal Britannique du même M.
Maty , avril 1750 , & dans un des Mercures
de la même année.
Je l'avois indiqué à M. l'Abbé Raynal ,
chargé alors de la compofition duMercure.
Elle eft précédée d'une lettre de l'Auteur à
M. de F. mêlée de profe & de vers. Nous
croyons faire plaifir au plus grand nombre
de nos lecteurs , de redonner ici cette
lettre.
A M. de Fontenelle.
Aimable & fage Fontenelle ,
Toi , que dans le déclin des ans
Orne une guirlande immortelle
De fleurs que l'amour renouvelle ,
Et que ne peut flétrir le temps.
Sage Platon , divin Orphée ,
Que Minerve & que Cythérée
Empêchent même de vieillir ,
Où pourrai-je te découvrir ?
Sera- ce au haut de l'Empirée ,
Où tu fuis les céleftes corps ;
Dans cette profonde contrée ,
Où tu fais badiner les morts ;
Où fur les bords d'une fontaine ,
Près de Corylas & d'Ifmene ,
Dont tu fens & peins les tranſports
1
66 MERCURE DE FRANCE.
T'irai-je chercher au portique ,
Dont tu dévoiles les leçons ;
Au fond de quelque temple antique ,
Que tu dépeuples de démons ;
Ou bien au ſpectacle magique
Dont ta mufe anime les fons &
Si de ces demeures fublimes ,
Encor vers les terreftres lieux
Tu daignes abaiffer les yeux ,
Reçois avec ces foibles rimes
Mon encens , mon coeur & mes voeux.
Oui , c'eſt vous , c'eft au peintre des
graces & à l'interprete de la fageffe , que
offre des Elfais , dont l'exécution eft peurêtre
plus imparfaite que l'entrepriſe ne fut
téméraire. Mais l'une & l'autre le fuffentelles
davantage , elles me fourniffent du
moins une occafion de m'adreffer à l'homme
qui , de toutes les beautés de la France ,
eft celle que je regrette le plus de n'avoir
jamais vue. J'ai d'autant plus de plaifir de
vous rendre cet hommage , qu'il ne fera
foupçonné de partialité par aucun de ceux
qui ont lu vos Ouvrages.
Vivez long-temps , vivez toujours aimable
Entre la fageffe & les ris
Vous feriez immortel , fi le fort équitable
Vous permettoit de vivre autant que vos écrits,
Londres, le 2 Octobre 1741.
AVRIL 1758. 67
On a cru trouver quelque reffemblance
entre la profe de Seneque & celle de M. de
F. entre fes vers & ceux d'Ovide ; mais
il me femble qu'elle fe réduit à ce qu'ils
font tous trois très- féconds en tours ingénieux.
D'ailleurs , il y a entr'eux de trèsgrandes
différences , & pour ne parler que
de la maniere & du ftyle , & laiffer là le
fonds des chofes , bien fupérieur dans M.
de F. fon ftyle en profe n'eft point coupé
& haché comme celui de Seneque ; &
en vers , il n'eft point diffus comme celui
d'Ovide. Ce qui eft certain , c'eft qu'il n'a
cherché à imiter ni l'un, ni l'autre . S'il s'étoit
propofé quelque modele , ç'auroit été
Cicéron dans les ouvrages philofophiques.
On peut voir comment il en parle dans la
préface de la pluralité des mondes ( 1 ) . Mais
voici un mot encore plus décifif , décifif
furtout par l'objet de l'écrit où M. de F.
l'a placé. C'eft dans fa digreffion fur les anciens
les modernes. « Je n'imagine rien ,
dit- il , au deffus de Cicéron & de Tite-
»Live. Ce n'eft pas qu'ils n'ayent leurs dé-
»fauts ; mais je ne crois pas qu'on puiffe
» avoir moins de défauts avec autant de
33
(1 ) L'excellence de fon génie & la grande ré
putation qu'il avoit acquife , lui garantifoient le
fuccès de cette nouvelle forte d'ouvrages qu'il
donnoit au Public , &c.
68 MERCURE DE FRANCE.
ور
grandes qualités , & l'on fçait affez que
» c'eſt la feule maniere dont on puiffe dire
les hommes foient parfaits fur quel-
» que choſe. "
و ر
que
Le principal défaut ,, ppoouurr le remarquer
en paffant , que M. de F. trouvoit à Ciceron
, c'eft d'être un peu diffus & trop verbeux
; & d'autres , des anciens mêmes , le
lui ont reproché. Ce reproche feroit peutêtre
injufte , fi Cicéron n'étoit diffus que
dans fes livres philofophiques , par exemple
dans celui de la nature des Dieux ; car
y traitoit des matieres nouvelles au plus
grand nombre de fes lecteurs ; mais il l'eft
dans tous fes ouvrages , dans ceux fur la
morale , fur la rhétorique , &c. riche en
belles paroles , il les prodigue. On ſent
que fon tour d'efprit le portoit à cette abondance
, & peut-être encore l'habitude à
l'éloquence du barreau & de la place publique.
L'Orateur devenu Philofophe &
Ecrivain didactique , étoit encore trop Orateur
; mais s'il en valoit moins à certains
égards , il en valoit mieux à d'autres ; du
moins je le répete , pour le plus grand
nombre de fes lecteurs ; il en étoit plus
clair , plus développé , &c .
J'avoue que M. de F. s'étoit dit de bonne
heure mais fi au raisonnable , au naturel
& au fimple des Auteurs du fiecle d'AnA
VRI L. 1758. 69
gufte , on joignoit l'ingénieux & le piquant
des Ecrivains du fiecle fuivant , ne furpafferait-
on pas les uns & les autres ? Voilà fon
but , & je crois qu'il l'a atteint.
M. de F. ne laſſe ni n'ennuie. C'eſt qu'il
eft à la fois ingénieux & naturel . S'il n'étoit
qu'ingénieux , il lafferoit ; s'il n'étoit que
naturel , il ennuyeroit.
J'ajoute qu'il attache & amufe ; c'eſt
qu'il eft folide & agréable , profond &
clair ; clair, dis-je , fans être diffus , & fouvent
enjoué.
A quel autre donc pourroit- on plus juftement
appliquer la définition qu'Horace a
donnée d'un Auteur parfait dans ce vers fi
connu ,
Omne tulit punctum cui mifcuit utile dulci,
La perfection complette , & fi je puis
m'exprimer ainsi , la parfaite perfection
feroit de réunir toutes les fortes d'utile &
d'agréable ; mais cette perfection n'exifte
point , parce qu'elle eft phyfiquement impoffible.
On a pourtant l'injuſtice de l'exiger
. C'eft comme fi on vouloit qu'une belle
femme fût à la fois blonde & brune.
Qu'on me nomme un Ecrivain , qui ,
avec plus de chaleur que M. de F. ait autant
de juſteſſe , & je le lui préférerai .
70 MERCURE DE FRANCE.
Cinquieme Couplet.
Doyen de pefante figure.
C'eft M. Charpentier , alors Doyen de
l'Académie , où il avoit été reçu le 7 janvier
1651. Il étoit très grand & très-gros ,
& fa voix étoit affortie à fa figure & à fa
taille . C'eſt à cette forte voix de M. Charpentier,&
à la furdité de l'Abbé de la Cham
bre , que Benferade avoit fait allufion , lorfque
dans les portraits des 40 Académiciens
vivans en 1684 , piece de vers qu'il lut à
la réception de Thomas Corneille , il avoit
dit :
Et le tonnant Charpentier
Qu'entend l'Abbé de la Chambre.
Bayle parle de cette piece dans fes Nouvelles
de la République des Lettres , janvier
1685 , art. 3 , où il rend compte de la réception
de MM. Corneille & Bergeret à l'Académie
Françoife . On fçait que Thomas
fuccéda à Pierre dans cette compagnie , &
que Racine répondit aux difcours des deux
Récipiendaires. « Ces trois difcours , dit
Bayle , durerent une heure précisément
( 1 ) , après quoi M. de Benferade lut ane
(1 ) Quelques lignes auparavant , Bayle avoit
dit : « On l'admira ( Racine ) principalement dans
≫ l'éloge de feu M. Corneille, qui fut court & bien
AVRIL. 1758 . 71
"
33
piece de fa façon , qui fut extrêmement
applaudie. C'eft le portrait en raccourci
» des 40 Académiciens , par rapport à
leurs perfonnes , à leurs talens , à leurs
» aventures & à leur fortune. Il parle avec
liberté de chacun d'eux ; mais avec ce
>>tour fin & inimitable dont il s'eft ſervi
>>tant de fois pour faire des vers de ballets,
perfonnellement propres aux Dames &
» aux Seigneurs de la Cour qui devoient
paroître dans les entrées.
33
23
23
Cette efpece de liſte de l'Académie , n'a
jamais été imprimée . Furetiere qui en parle
dans fon 3. factum , dit :
"
» La lifte fcandaleufe ..... qu'il ( Benfera-
» de ) eut la témérité de lire publiquement
» dans une des affemblées folemnelles , contenoit
de chofes fi choquantes & fi ou-
» trageufes , qu'elles attirerent les mena-
» ces d'une perfonne de la premiere qualité
qui y prenoit intérêt ; de forte que ,
» nonobftant fon imprudence , il fut obli-
» gé de la fupprimer , pour la bonne amitié
qu'il portoit à fes épaules. ( 1 ) »
و د
» tourné. » Bayle avoit été mal informé ; cet
éloge ne fut point court. Il contient cinq grandes
pages dans le Recueil des Harangues de l'Académie
Françoife , 2 vol. p. 158.
(1) « Furetiere , dit M. l'Abbé d'Olivet , non
» content d'avoir oublié ce qu'il devoit à ſa com72.
MERCURE DE FRANCE .
:
M. de F. avoit retenu beaucoup de vers
de cette piece . En voici quelques - uns . Elle
commençoit de la maniere fuivante.
De ce corps célebre & rare ,
Louis le Grand fe déclare
Le protecteur , le foutien ;
Et l'on peut mettre à la marge
Que certains Rois voudroient bien
Qu'il s'en tînt à cette charge.
Sur l'égalité qui regne entre tous les
Académiciens , Benferade difoit :
Là fe perdent les grands noms
Des Harlais , des Novions ;
Auprès d'eux , ou vis- à - vis ,
Eft l'Abbé de Furetiere ,
Qui n'eft pas de leur avis.
'M. l'Abbé d'Olivet cite encore ceux - ci
dans fon hiftoire de l'Académie , art , de M.
Bergeret , au fujet de la préférence injufte
( c'eft fon expreffion ) qui lui fut donnée
D
» pagnie , oublia dès lors ce qu'un homme d'hon-
» neur fe doit toujours à lui- même . Sa colere lui
» dicta des volumes de médifances & de railleries
» contre les anciens Confreres ; mais railleries
» groffieres , médifances brutales , qui ne donnent
>> pas une trop bonne idée de fon efprit , & qui en
donnent une bien plus mauvaiſe de fon coeur. »
Hift . de l'Acad. Fran.
fur
AVRIL. 1758. 73
far Menage , préférence , difoit Benferade
,
Dont la troupe de Ménage
Appella comme d'abus
Au tribunal de Phébus.
On peut voir encore dans la même hiftoire
l'art. de Benferade .
Je reviens au couplet contre M. Charpentier,
pour l'éclaircir encore par une note.
Doyen de pefante figure ,
Qui trouvez le fecret nouveau
De parler aux Rois en peinture ,
Et d'apostropher leur tableau .
Ces vers ont rapport au panégyrique du
Roi prononcé par M. Charpentier le 24
juillet 1679 , dans l'affemblée publique
qui fe tint pour la réception de M. Verjus ,
Comte de Crecy. Vers la fin de fon difcours
, l'Orateur s'exprime ainfi :
""
""
" Mais , Meffieurs , laiffez -moi oublier
que je fuis en votre préfence ; laiffez- moi
jouir de la douce imagination que je
parle à ce grand Prince , & accordez à
"mon emportement un honneur que la
fortune à refufé à mon zele. C'est donc
» à vous , ô grand Roi ! que j'adrefferai
» déformais ma parole , & peut-être que
I. Vol.
"
a
D
74 MERCURE DE FRANCE:
vous l'entendrez du haut de votre tro
› ne. »
Le refte du difcours s'adreffe en effet au
Roi , l'Orateur regardant fon portrait qui
étoit dans la falle de l'Académie . Les Prédicateurs
en ufent quelquefois ainfi en
chaire , dans les panégyriques des Saints ,
& adreffent la parole à leur portrait , ou à
leur ftatue. L'apostrophe de M. Charpentier
n'étoit donc point ridicule , & on ne la
trouveroit point telle dans un Orateur grec
ou romain , dans un ancien ; mais un moderne
eft jugé plus févérement. D'ailleurs
cette apoftrophe pouvoit paroître trop flatteufe.
Enfin les grandes figures font les
plus fufceptibles de ridicule , ne fût- ce que
parce qu'elles font d'un ufage moins fréquent
. Point de milieu , on admire , ou
l'on rit.
Il faut avouer , fans préjudice du refpect
& de l'admiration dûs à Louis XIV
que ce Prince s'eft laiffé donner trop de
louanges & des louanges exceffives. On lui
rendoit une espece de culte ; on l'adoreit.
Mais il y a deux manieres d'adorer les Rois,
l'admiration & l'amour. On adoroit Louis
le Grand ; on adore Louis le Bien- aimé .
Du vivant même de Louis XIV , on a
ofé , & ailleurs que dans la Chaire Evangélique
, on a ofé , dis- je , Pavertir de
AVRIL. 1758 . 75
craindre la flatterie , & l'orgueil qu'elle
infpire . On a ofé lui infinuer que par cet
orgueil, il pouvoit ternir la gloire de fes exploits
, & perdre le mérite de fes vertus.
M. de F. citoit volontiers deux vers d'une
piece adreffée à ce Monarque , & dont
l'Auteur lui étoit inconnu .
Le Démon Duellifte & le Blafphêmateur
Cherchent à fe vanger par le Démonflatteur ( 1 ) .
La Bruyere a eu le courage de s'élever
contre les louanges données à Louis XIV
dans les prologues des Opéras . C'eft dans
la préface que j'ai déja citée , de fon difcours
de réception à l'Académie françoiſe ,
où répondant aux critiques qu'en avoient
faites les Theobaldes ( c'eſt le nom qu'il
leur donne ) , il dit : « Si ma harangue n'é-
" toit pas en effet compofée d'un ftyle affec-
» té , dur & interrompu , ni chargé de
» louanges fades & outrées , telles qu'on
» les lit dans les prologues d'Opéra , &
» dans tant d'Epitres dédicatoires ; il ne
faut plus s'étonner qu'elle ait ennuyé
» Theobalde. ( 2 ) ,
و د
"
( 1 ) M. de F. croyoit , mais fans en être sûr ,
que ces vers étoient de M. Barbier d'Aucour , de
PAcadémie Françoiſe. J'ignore fi la piece d'où ils
font tirés a été imprimée.
(2) Ce qu'on trouve ici en italique , y eft auffi
dans la Bruyere.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE,
Sixieme Couplet.
Si tu ne fçavois pas mieux faire ,
Lavau , falloit - il imprimer ?
с
J'ai déja dit dans la note fur le 4 cou
plet , que l'Abbé de Lavau lut pour l'Auteur
, deux pieces de poéfie de M. Perrault.
Il lut encore l'Epitre de M. Boyer
au Roi fur la prife de Mons , & celle de
Madame Deshoulieres à M. le Duc de Boure
gogne fur le même fujet . Toutes ces lectures
prouvent qu'il avoit du moins le talent de
bien lire , de déclamer , talent , pour l'obferver
en paffant , que tous les Auteurs
n'ont pas , lors même qu'ils ont de la
voix , & une voix flexible , ce qui n'eſt
pas aifé à expliquer ; car il femble qu'avec
un pareil organe , il ne faut , pour
bien lire , qu'entendre & fentir ce qu'on
lir. Or , un Auteur entend & fent fon propre
ouvrage. Quoi qu'il en foit , l'Abbé de
Lavau prononça un difcours de fa façon
fur la prife de Mons. Il débute de la maniere
fuivante .
Pour contribuer à la folemnité de cet-
» te journée , je voudrois bien , je l'avoue ,
» faire quelque autre chofe que de lire les
puvrages des autres , & c. »
Vient enfuite l'éloge du Récipiendaire
AVRIL. 1758. 77
M. de F. J'en ai cité une partie dans le
Mercure de juin , page 81 .
Ce difcours de l'Abbé de Lavau ne fe
trouve que dans le recueil de l'Académie
de 1691. On l'a omis dans celui des harangues
en 4. vol . in - 12 , & fans doute
comme trop médiocre .
Septieme Couplet fur MM. Boyer & le
Clerc.
Vieux Albigeois , &c.
Ils étoient l'un & l'autre d'Alby . On connoît
les deux épigrammes de Racine fur
l'Iphigénie de le Clerc , & fur la Judith de
Boyer ; elles font dans la derniere édition
de fes oeuvres.
Huitieme Couplet .
Touchant les vers de Benferade , &c.
Je ne puis dire fur cette piece que ce
que j'en trouve dans le Journal de M. de
Beauval à l'occafion de la réception de M.
de F. « M. de Benferade , dit le Journalif
» te , fit la clôture de la féance , par la
» lecture d'une piece de fa façon , fous le
» titre de Caprice , laquelle ne fentoit rien
" moins que la féchereffe de fon âge qui
» approche de 80 ans . " Hiftoire des ou
vrages des Sçavans , mai 1691 , t. 7.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Voilà comme la même piece & le même
Auteur font loués par les uns & cruellement
déchirés par les autres . Tout Ecrivain
doit s'y attendre. M. de F. l'a dit dans les
quatre vers fuivans , faits dans fes dernieres
années.
Dans la lice où tu vas courir
Songe un peu combien tu hazardes ;
Il faut avec courage également offrir ,
Et ton front aux lauriers , & ton nez aux nazardes.
On peut voir le portrait de Benferade
dans la Bruyere , fous le nom de Théobalde
, chapitre de la fociété & de la converfation.
C'est Benferade vieilli , & très- reffemblant
, malgré la charge ordinaire au
Peintre. Il eft inconcevable que la Bruyere
ait ofé publier de pareils portraits , du vivant
même de leurs originaux. Cependant
fon livre en eft plein , & dut lui faire bien
des ennemis , peut- être auffi des amis . En
déchirant certaines gens , il plaifoit à
d'autres .
M. de F. qui avoit beaucoup connu
Benferade , en citoit volontiers plufieurs
traits , les uns pleins de fel & d'efprit ( 1 ) ,
(1 ) Comme ce qu'il dit à Racine : « Si quelqu'un
pouvoit prétendre à enterrer M. Corneille,
» c'étoit vous ; vous ne l'avez pourtant pas en-
» terré . » C'eſt M. de F. qui nous a conſervé ce
AVRIL. 1758. 79
les autres ingénieux encore , mais de mauvais
goût, des jeux de mots, plaifans néanmoins
, & M. de F. ne les donnoit que
pour ce qu'ils étoient. Benferade lui - même
n'en faifoit guere plus de cas ; du moins il
s'étoit moqué de ceux qui fe plaisent à
dire de pareilles pointes ; & M. de F. fe
fouvenoit de deux vers d'un de fes Ballets ,
où l'un des perfonnages difoit de Jupiter ,
repréſenté par un Seigneur de la cour , difeur
de mauvais bons mots :
Jupiter defcend même à la tutlupinade ;
Chez les pauvres mortels on ne va point plus bas
Lafuite dans le Mercure prochain.
bon mot , fouvent cité depuis , & très-connu aujourd'hui
.
L'AMOUR ATTRAPÉ.
BELLE Thémire , fous vos doigts ,
Quand un ruban , couleur de rofe ,
Eut fubi la métamorphofe
Qu'il attendoit de votre choix ,
Je vis l'enfant malin qui vous regardoit faire ,
Déchirer le cordon qui portoit fon carquois.
Il ceffe , dit- il , de me plaire :
Celui-là m'ira mieux , je crois.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
Thémire n'oſera regretter un ouvrage
Dont fe fera paré l'Amour.
Il bien de mon corps
peut ne faire
pas
le tour ;
Mais j'y trouve un autre avantage :
Je n'en eus jamais de mieux fait ;
Et quoique celui que je quitte ,
De ma mere foit un bienfait ,
Jamais il n'eut tant de mérite.
Ces plis ingénieux viennent de m'enchanter .
Que je vais dans le Ciel reparoître avec grace ..
L'Amour dit , puis remet le collier à fa place ,
Et ne s'attendoit pas que vous alliez l'ôter.
Déja de fon carquois il avoit défait l'autre ,
Quand il ne trouve plus le vôtre.
Ce Dieu ne fut pas fin alors ;
Il s'abandonne à des remords :
Il contoit fur une parure
Dont il s'étoit promis un charme tout nouveau.
Pour raccommoder fa ceinture ,
Il n'avoit plus que fon bandeau.
Vous aviez donc eu la malice
De le mettre dans l'embarras ?
L'Amour pleuroit , votre juftice
Devoit le tirer de ce pas.
Vous remontrâtes votre ouvrage ,
Il n'en falloit pas davantage ;
L'Amour eft prompt , il s'en faifit ;
Ses pleurs couloient , mais il fourit ;
Je craignois : .. mais je le vis rire ;"
AVRIL. 1758. ST
L'Amour fouvent eft furieux.
Vous l'aviez attrapé , Thémire ,
Vous avez plus fait que les Dieux.
ÉPITRE ( 1 ).
Obel objet defiré
Du plus amoureux des hommes
O mon aimable Chéré !
Que n'êtes-vous où nous ſommes
Jamais plus jufte defir
N'anima mon coeur fincere,
Les Belles faites
pour plaire ,
Sont faites pour le plaifir.
C'eft ici le pur afyle
De ces plaifirs tant aimés :
La paix les a renfermés
Dans ce Prieuré tranquille.
Hyer il en étoit plein.
J'en vois naître aujourd'hui mille;
Mille y renaîtront demain.
Je n'y reffens qu'un chagrin ;›
(1 ) Comme cette jolie piece eft de M. Piron ,
dont on vient de publier les OEuvres , & qu'elle ne
s'y trouve pas , nous avons cru faire plaisir à nos
Lecteurs de l'inférer ici . Quand même elle auroit
déja paru dans quelque Recueil périodique , la réimpreffion
en fera toujours agréable , & l'on n'aura
pas la peine de l'aller chercher ailleurs.
D.V
2 MERCURE DE FRANCE
C'eft que le temps foit mobile ,
Et que fon fable inhumain
Marque déja le chemin
Qui nous rappelle à la ville.
Décrirai - je ces plaifirs
Que ramene chaque Aurore ,
Plus riants que les Zéphyrs ,
Quand ils vont careffer Flore ?
Pourquoi les décrire › hélas !
Un feul mot les rend croyables ,
Et vante affez leurs appas.
Ils m'ont rendu fupportables
Des lieux où vous n'étiez pas.
Je veux cependant les peindre
Pour occuper mon loifir .
Y puiffai-je réuffir
De maniere à vous contraindre
A venir vous éclaircir
Par le propre témoignage
Des yeux qu'on y defira !
Des plaifirs , en ce cas là ,
Parfait feroit l'affemblage !
Les peigne alors qui pourra.
De quatre heureux perfonnages
Que nous nous trouvons ici ,
Deux font four & deux font fages
Providence en tout ceci :
Mêlange, qui Dieu merc ,
Sans relâche nous balotte ,
AVRIL 1758. 83
Et nous promene à grands pas
Du
compas
à la marotte
>
De la marotte au compas.
Figurez-vous le tracas
D'un Quatrain de notre eſpèce ,
Et voyez courir ſans ceffe
La fageffe après les rats ,
Les rats après la fageffe.
Tantôt des regles en jeu ,
Et tantôt les purs caprices ;
Voilà pour les gens du lieu ,
Voici quant à fes délices.
Sçachez que premiérement
Le prieural hermitage
Confifte en un bâtiment
Mal conçu pour l'ornement ,
Très-bien conçu pour l'uſage ?
Tout s'y refferre ou s'étend ,
Selon fon jufte mérite .
C'eft pour cela , dit l'Hermite ,
Que le réfectoire eft grand ,
Et la Chapelle petite.
Auffi l'heureux parafite
De la cave aux galetas
Voit cette fentence écrite :
Courte Meffe & longs repas.
Rien ne manque aux délicats ,
Cuifine en ragoûts féconde ,
Cave où le Nectar abonde ,
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE .
Et la glaciere à deux pas :
Les lits les meilleurs du monde ,
Plume entre bons matelas ,
Doux fommeil entre deux draps :
Un calme dont rien n'approche :
Jamais le moindre fracas
De carroffe ni de cloche :
Paix , bombance , liberté ;
Liberté fans anicroche :
L'horloge , à la vérité
(Qui voudra nous le reproche )
Rarement eft remonté ;
Mais non pas le tourne-broche.
Une autre félicité
Après Bénédicité ,.
2
C'eft de voir par la fenêtre
De notre falle à manger ,
Cueillir dans le potager
La fraize qui vient de naître ;
De voir la petite faux
Moiffonner , à notre vue,
Là , de jeunes artichauds ,
Ici , la tendre laitue ,
Le pourpier & l'eftragen ,
Qui tout à l'heure en falade,
Vont piquer près du dindon .
L'appétit le plus malade.
Du même lieu nous voyons»
Venir l'innocence même ;
AVRIL 175.8. $$
Lyfe qui , fur des clayons ,
Nous apporte de la crême
Blanche un peu plus que fa main ,
Mais moins blanche que fon fein ,
Et que la perle enfantine
D'un ratelier des plus nets ,
Où ne toucherent jamais ,
Ni Capron , ni Carmeline:
C'eft elle auffi qui , le ſoir ,
En cent poftures gentilles
( Où je voudrois bien vous voir ) ,
Dreffe & redreffe nos quilles ;
Jeu tout des plus innocens ,
Où , pour aiguifer nos dents ,
Quand la faim nous abandonne ,
Nous nous exerçons du
temps ,
Avant que le foupé fonne.
Le quillier eft dans un bois ,.
Qui touche à la maiſonnette :
Bois d'une beauté complette ,
Trifte & charmant à la fois :
Bois ſemblable aux lieux terribles
Où loin des prophanes
yeux ,
Les Druides & leurs Dieux
Se rendoient inacceffibles.
A nos crédules Ayeux ;
Mais dans ces cantons paifibles ,,
Et moins fuperftitieux ,
Bois où l'Amour a des armes 2
MERCURE DE FRANCE
A qui l'auftere pudeur
Se foumettroit fans alarmes :
Bois où , même avec douceur ,
Dans le plus cruel malheur ,
L'Amant verferoit des larmes :
Bois où tout , jufqu'à l'horreur ,
Pour un coeur tendre a des charmes.
Jamais en effet l'Amour
Ne trouveroit un séjour
Plus propre à fon badinage.
Qu'il y feroit amufé !
Car je le fçais par uſage ,
C'eft un enfant avifé :
Dans un Quinconce , il eft fage ;
Mais plus l'endroit eft fauvage ,
Plus il eft apprivoifé.
Difparoiffez , lieux ſuperbes ,
Où rien ne croît au hazard ,
Où l'arbre eft l'enfant de l'art ,
Où le fable , au lieu des herbes ,
Nous attrifte le regard ;
Lieux , où la fotte induftrie
'Arrondit tout au cizeau ,
j Où rien aux yeux ne varie
Ou tout s'aligne au cordeau
De la froide fymmétrie ,
Et de l'ennuyeux niveau .
Ici , l'augufte nature ,
Dans toute fa majefté ,
AVRIL. 1758. 87
Offre une vive peinture
De la noble liberté ,
Sublime & toujours nouvelle ,
Sous l'oeil elle s'embellit.
Sa variété révele
Une reffource éternelle ,
Que jamais rien ne tarit.
Qu'en ce point l'art eft loin d'elle !
Son chef-d'oeuvre ſe décrit ;
Mais la beauté naturelle
Refte au deffus du récit.
Sous l'épais & haut feuillage
De ce bois qu'ont révéré
Les temps , la hache & l'orage ,
Je me retrace l'image
De l'engageante Chéré.
Ah! qu'au fonds de ce boccage
Son afpe&t feroit charmant !
Les beaux lieux ! l'heureux moment
Que de fleurs fur fon paſſage !
Que de foupirs éloquens !
Que les gages de ma flamme
Seroient tendres & fréquens !
Mais où s'égare mon ame ?
O bel objet defiré
Du plus amoureux des hommes !'
O mon aimable Chéré !
Que n'êtes-vous où nous fommes y
'A Saint- Ouën , le 24 Juin 1730.
SS MERCURE DE FRANCE.
Li
mot de l'Enigme du Mercure de
Mars eft le Manchon. Celui du Logogryphe
eft Bourſe , dans lequel on trouve brou ,
øs , or , roue , ove , Burſe , ours , bourre
obus , orbe , rue , boufe , forbe , bure , rufe ,
rose , boue , ro , buſe , robe.
ENIGM E.
J'OFFRE 'OFFRE à tes yeux , ami Lecteur ,
Un lieu fouvent plein d'horreur ,
Dont l'orgueil des Héros s'honore ;;
Que le fimple vulgaire abhorre ,,
Quoique fa curiofité
Le cherche avec avidité.
Aux appas d'Iris infenfible ;
Elle fçait me rendre flexible.
Le Guerrier vigilant me craint
Le Moine en me quittant fe plaint
Je fuis l'écueil du mariage ,
.
Ce qui convient à tout âge ,
Au Potentat comme au Berger:
En un feul mot , pour abréger ,
Je fuis un vrai lieu de mifere
Au Louvre comme à la chaumiere.
Par Mile de la Boiffierre , à MoulinsA.
VRIL 1758. $9
LOGOGRYPHE.
la
QUOIQUE d'un grand ufage à la cour , à fa
ville ,
Chez la ruftique gent , je ne fuis guere utile.
Qu'on divife en deux mes huit piés ,
On aura dans les deux moitiés
Un bénéfice , enfuite un os de bête ou d'homme.
En les tranfpofant tous , qu'on combine , on produit
Un Muſulman , un Empereur de Rome ;
Tout ce qui n'eft pas doux , tout ce qui n'eft pas
cuit :
Ce qui fert de paffage
A la ville , au village :
L'oppofé du néant ;
Certain terme qui fixe un grand événement ;
Dans la chronologie ,
D'où partent les Sçavans
Pour fupputer les frecles & les ans :
Une riviere en Normandie ,
Dont la Seine reçoit les eaux :
L'Ifle où régna Minos :
Ce qui fait que le Nil , en répandant fon onde ,
Rend l'Egypte féconde :
Une épithete adaptée aux oifeaux ,
Une ville au pays de Caux
20 MERCURE DE FRANCE.
Un volatile, un grand Seigneur en France s
Tout ce qu'on fait avec décence :
L'eau du globe terreftre , élevée en vapeurs ;
Ce que doit faire un Peintre employant fes cou→
leurs :
Tout ce qui n'eft pas dur , tout ce qui n'eft pas
tendre ;
Tout ce qui n'eft pas habillé ,
&c. Mon nom eft affez détaillé ,
Pour que l'on puiffe le comprendre.
AS. N. lex - Sentis.
CHANSON.
QuUE je vous aime !
Difoit un jour le beau Tircis ,
Pour vous mon ardeur eft extrême :
Hélas ! je ne fuis pas furpris
Que je vous aime ;
Je le ferois bien plus , Philis ,
Si vous vouliez un jour de même
Me dire avec un doux fouris :
Que je vous aime !
ve
Air par M. Legat de Furcy.
Tendrem
Que je vous
ar me: Disoit un
+
How
bre
le beau Tircis,Pour vous mon ardeurestex
+ + +
me:Hélasje ne suispointsurprisQueje vou
e je le serois bien plus Phiai
me W
lis si vous voulies un
unjour de même,
Me
dire avec un doux souris, Queje vous
aime !Queje vous
av.me
par Melle Labassie.
#
Imprimé par Tournelle.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
AVRIL. 1758. ୭ 1
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
UVRES d'Alexis Piron , avec figures
en taille- douce d'après le deffein de M. Cochin.
3 volumes in 12. A Paris , chez Du
chefne , rue S. Jacques. Prix 7 liv . 10 f.
brochés.
Ces Euvres fi juftement attendues , n'ont
pas befoin de notre éloge. La meilleure façon
de les louer , eft d'en nommer l'Auteur.
Sa célébrité dit plus que le plus fort
panégyrique.
La Métromanie , cette piece de génie ,
& vraiment créée , fuffiroit feule pour immortalifer
M. Piron , & le placer au rang.
de nos premiers Poëtes comiques.
L'ouvrage eft divifé en trois volumes.
Le premier contient l'Ecole des Peres , comédie
en cinq actes , plus connue fous le
titre des Fils ingrats , & Callikhene tragé
die. L'une & l'autre font précédées de deux
amples préfaces. Le fecond tome renferme
les Courfes de Tempé , paſtorale en un acte
avec une préface & un divertiffement. Di92
MERCURE DE FRANCE.
thyrambe fur la convaleſcence du Roi, Poëme
de Fontenoi, ou Effai d'un chant pour fervi
à un poëme héroïque de la Louifiade , anecdote
comique & littéraire au fujet des deux
pieces précédentes . Odes facrées , Guftave
Vafa , tragédie , précedée de deux Epîtres
& d'une préface . Le troifieme contient la
Métromanie, comédie en cinq actes, & Cortés
tragédie . Chacune de ces pieces a fa
préface . Il eût été à fouhaiter que l'Auteur
eût un peu diminué le volume de fes préfaces
, & augmenté celui de fes pieces fugitives,
parmi lesquelles il y en a un grand
nombre de charmantes : telle eft fon Epître
à Mlle . Chéré, dont nous avons enrichi
la partie fugitive de ce Mercure.
Cette édition fait honneur au Sr. Duchefne.
Elle est élégante & faite avec foin:
ce qui furtout y ajoute un nouveau prix
ce font les gravures qui la décorent . Elles
font de la plus grande beauté & dignes de
l'ouvrage,
L'HISTOIRE de M. le Marquis de Crefcy,
traduite de l'Anglois par Madame de ***.
A Amfterdam , fans nom de Libraire , & fe
trouve à Paris à la porte du Palais Royal ,
1758. 1 vol. in- 12 . Prix 1 liv . 16. ſ.
Ce Roman mérite fon grand fuccès.It
réunit tout ce qui peut plaire . Les graces
du ftyle , la chaleur de l'intérêt , la déliAVRIL.
1758 .
93
cateffe des fentimens , la vérité & la var
riété des caracteres. Les réflexions y font
courtes , prifes dans l'ufage du monde , &
toujours en action . Il joint au mérite des
détails celui de l'enſemble , & nous penfons
qu'il feroit un chef- d'oeuvre en fon
genre , s'il ne péchoit par le dénouement,
Nos tragédies fe terminent par le fer , &
nos romans par le poifon . Celui que l'Auteur
emploie dans cette hiftoire , fâche
d'autant plus que la femme du Marquis de
Crefcy à l'ame trop vertueufe & les paffions
trop douces, pour mourir d'une mort
fi tragique , & qui ne feroit vraiſemblable
que dans une amante d'un caractere impétueux
& d'un amour emporté. Nous efpérons
que l'extrait que nous donnerons de
cette brochure dans le Mercure prochain ,
juſtifiera notre éloge & notre critique.
LE Spectacle des beaux Arts , ou Confidérations
touchant leur nature , leurs objets ,
leurs effets & leurs regles principales, avec des
Obfervations fur la maniere de les enviſager
fur les difpofitions néceffaires pour les cultiver,
& fur les moyens propres pour les étendre &
les perfectionner. Par M. Lacombe Avocat ,
un volume in- 12 . A Paris , chez Hardy ,
Libraire , rue S. Jacques au- deffus de celle
de la Parcheminerie , à la Colonne d'Or ,
1758.
94 MERCURE DE FRANCE.
Le Spectacle de la nature , ouvrage de
M. Pluche, a fait naître à M. de Lacombe ,
ainfi qu'il le dit dans fa préface , l'idée de
préfenter le fpectacle des beaux arts . L'exécution
d'un plan fi vaſte demanderoit plufieurs
volumes. L'Auteur ne donne aujourd'hui
que celui- ci qu'on pourroit appeller
le premier ; car il nous apprend que fon
fuccès l'encouragera à en publier plufieurs
autres.
Le volume eſt divifé en trois parties ,
dont la premiere contient des réflexions
générales fur les beaux arts , la feconde
traite de la Poéfie, & la troisieme de la Mufique.
Dans les généralités fur les arts , on
trouve un examen fur la difpofition & les
talens néceffaires pour y réuffir. L'Auteur
confidere les obftacles qui ont pu empêcher
leur établiſſement , ou retarder leurs
progrès , les caufes de leur décadence , les
avantages qu'ils procurent , & les grandes
époques de leurs triomphes. Toutes ces
queftions traitées fuccinctement , fervent
d'introduction au détail des arts qui font la
matiere des autres parties.
Les différens genres de poéfie font l'objet
de la feconde partie , qui n'eft , à proprement
parler , qu'une poétique. Le zele
éclairé de l'Auteur y propofe différentes
AVRIL. 1758 .
vues , qui mériteroient d'être réalifées .
Par exemple , nous ne pouvons qu'applaudir
au nouveau genre de comédies lyriques
dont il voudroit enrichir la fcene françoiſe.
و د
و د
» Le poëme tragique ( dit l'Auteur page
"157 ) n'eft point la feule richeffe que le
» théâtre lyrique peut acquérir : il eft en-
»core en droit de s'approprier le genre comique
, c'eft-à- dire , les pieces de ca-
» ractere , les pieces d'intrigue & celles de
»fentiment. Le comique de caractere fur-
»tout peut être pour ce théâtre d'une ref-
»fource infinie. Il fournira au Poëte &
» au Muficien un moyen sûr de fortir de
» la monotonie éternelle d'expreffion mê-
» lées , & de fentimens doucereux qui ca-
» ractériſent ordinairement nos opéra lyriques.
Quels fujets plus féconds , quels
» traits plus marqués , quels tableaux plus
» intéreffans peuvent exercer le talent du
»Muficien , que les caracteres d'un Joueur,
»d'un Miſanthrope , d'un Avare , d'un
Jaloux , d'un Grondeur ! &c . »
器
33
Ce que l'Auteur dit dans fa troifieme
partie , fur le fujet du chant qui doit toujours
être pris dans l'expreffion fimple &
naturelle de la chofe qu'on veut repréſenter
, eft une très bonne leçon pour la plûpart
des Muficiens modernes , qui ne re96
MERCURE DE FRANCE.
cherchent que des ornemens ambitieux.
Ce chapitre mérite d'être lu avec attention
. En général , cette troifieme partie
renferme, pour la plupart des lecteurs , des
que tout
chofes neuves & moins familieres
ce qui regarde la poéſie .
LES fables Egyptiennes & Grecques dévoilées
& réduites au même principe, avec une
explication des Hieroglyphes & de la guerre
de Troye.Par Don Antoine Jofeph Pernety,
Réligieux Bénédictin de la Congrégation
de St. Maur, in- 12 tome premier 580 pag.
tome fecond 627. A Paris , chez Bauche , Libraire,
quai des Auguftins, à Sainte Génevieve
& à Saint Jean dans le défert 1758 .
Depuis longtemps la Philofophie hermétique
eft dans le plus grand difcrédit .
La bonne Phyfique a fait difparoître toutes
ces explications myftiques des fables
anciennes. En nous dévoilant la vérité
elle a jetté le plus grand ridicule fur les
erreurs monstrueufes que les Adeptes ont
cru être la ſcience de la nature.
Don Pernety a ofé braver cette dérifion
générale jettée fur la fcience hermétique,
Armé de la plus vafte & de la plus profonde
littérature , il a réuni dans un corps
d'ouvrage méthodique , les explications
que les Alchymiftes ont donné des fables
Egyptiennes
AVRIL 1758. 97
Egyptiennes & Grecques. Lorfque ce fecours
manque à l'Auteur , il y fupplée par
des explications de fa façon . Enfin il a formé
un corps complet de fcience hermétique.
Il ne feroit pas poffible de faire connoître
l'immenfité des chofes fingulieres & extraordinaires
que contient cet ouvrage :
nous nous contenterons d'en rapporter
quelques traits qui puiffent indiquer aux
fecteurs le ton dont il eft écrit.
Il y eft dit , par exemple ( page 209. )
que les métaux ont deux fortes de maladies.
« La premiere eft appellée originelle
& incurable , la feconde vient de la di-
»verfité du foufre qui fait leurs imperfections
, fçavoir la lepre de Saturne , la
jauniffe de Vénus , l'enthumement de
Jupiter , l'hydropific de Mercure & la
galle de Mars. »
33
و ر
«
رد
Lorfque Don Pernety parle de Vénus ,
il dit qu'il voit clairement ce que les Anciens
ont voulu exprimer par fes adulteres
avec Mars , & par fon mariage avec Vulcain.
ן כ
« Ce dernier étant le feu philofophique
» ( t. 2 , pag. 112) , eft il furprenant qu'il
ait été marié avec la matiere des Philofophes
? S'il furprit cette Déeffe avec le
Dieu de la guerre , c'eft que la couleur
33.
1. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
"
99
BJ
de rouille de fer femble être tellement
unie avec la couleur citrine & fafranée
appellée Vénus , qu'on ne les diftingue
qu'après que le rouge eft dans tout fon
éclat. Alors Mars & Vénus le trouvent
pris dans les filets de Vulcain , & le foleik
» qui les y voit , les décele ; car la couleur
» rouge eft précisément le foleil philofophique.
Le fruit de l'aftre lunaire(pag . 301 )
» eft Adonis , ou l'or philofophique que les
» Nayades & les Nymphes reçoivent à fa
» naiffance. Il naît en effet au milieu de
» l'eau mercurielle qui le nourrit , & a
foin de lui jufques à fa perfection.
»
39
و د
"
و ر
و د
و ت
ود
" A mefure qu'Adonis grandit , il devient
beau de plus en plus. N'eft- ce pas
la couleur de l'or philofophique qui fe
» fortifie & devient plus brillante Vénus
en devient éperduement amoureuſe &
l'accompagne dans les divertiffemens
» qu'il prend à la chaffe. Rien de plus fimple
que cela ; il ne pouvoit pas même ſe
faire que Vénus ne l'aimât éperduement,
»& qu'elle ne l'accompagnât pas jufqu'au
» moment malheureux où Adonis fut tué
>> & mourut. En voici la raison . La pierre
paffe de la couleur blanche à la fafranée:
appellée Vénus par les Philofophes . Pendant
que cette couleur dure , il fe fair
une circulation de la matiere dans le va
وي
و ر
AVRIL. 1958. 99
"
"
23
"
» fe : c'eft la chaffe où Vénus fuit Adonis,
» La couleur de rouille qui fuccede à la
fafranée , eft nommée Mars. Voilà le fan-
"glier que Mars jaloux envoie contre Adonis.
Celui - ci meurt de la bleſſure , par-
» ce qu'il ne reste plus rien de volatil en
» lui. Vénus conferva même après la mort
» de fon amant , l'amour qu'elle avoit pour
» lui , parce que la couleur rouge que l'A-
" donis philofophique prend dans fa fixa-
»tion , conferve toujours une partie de
» cette couleur fafranée qu'il avoit pendant
qu'il chaffoit avec Vénus. Les rofes
» que le fang de cette Déeffe teignit en
» rouge pendant qu'elle couroit au fecours
de fon amant , ne fignifient autre choſe
» que la couleur rouge qui fuccede à la
blanche par l'entremise de la fafranée »
Aux yeux de Don pernety , de Don pernety , le fiege de
Troye n'est qu'une opération de chymie
exprimée par des allégories. Les Héros ne
lui paroiffent que des alembics , leurs combats
font des diftillations , & la prife de
la Ville après dix ans de travaux , eft la
compofition de l'or philofophique après
des opérations très - fatiguantes .
93
»
DICTIONNAIRE Mytho - Hermétique, dans
lequel on trouve des allégories fabuleuses des
Poëtes , les métaphores , les énigmes & les
$35299
Ĕ ij
foo MERCURE DE FRANCE.
termes barbares des Philofophes Hermétiques ,
expliqués par le même Auteur & chez le
même Libraire.
Ce dictionnaire eft une fuite de l'ouvrage
dont nous venons de rendre compte.
Il en forme comme le 3. volume.
TRAITE de la paix intérieure , en 4 partiès
, feconde édition revue , corrigée &
augmentée par l'Auteur , & mife dans un
meilleur ordre. A Paris , chez Claude Hériffant,
fils, Imprimeur, rue Notre- Dame, à la
'Croix d'or & aux trois Vertus , 1758 .
TRAITES choifis de S. Auguftin Evêque
d'Hippône fur la grace de Dieu , le libre
arbitre de l'homme , & la prédeftination des
Saints , fidélement traduits fur la nouvelle
édition latine de ces mêmes traités , imprimée
à Rome en 1754 avec les permiffions
ordinaires , & dédiée au Pape Benoît
XIV, en 2 volumes in- 12. A Paris , chez P.
G. Cavelier , Libraire , rue St. Jacques , au
Lys d'or , 1758 .
LES Elemens de fections coniques démont
trées par fynthefe , ouvrage dans lequel on
a renfermé le petit traité des fections coniques
de M. de la Hire, par M. Mauduit,
Profeffeur de Mathématiques , un volume
AVRIL. 1758. 101
in - 8 ° . A Paris , chez Defaint & Saillant ,
Libraires, rue Saint Jean de Beauvais , visà-
vis le collége , 1757 .
Il y a deux méthodes en ufage dans les
Mathématiques , l'analyfe & la fyntheſe.
Celle- ci appuyée fur des principes évidens
ou des propofitions clairement démontrées,
marche d'un pas lent , mais affuré , à la démonftration
des vérités qu'elle annonce.
Elle ne parle que par théorêmes , & tous
fes pas font éclairés par le flambeau de l'évidence.
Au contraire , l'analyfe fuppofe
d'abord ce qui eft en queftion , & felon
que la chaîne de fes conféquences la conduit
à quelque vérité ou à quelque abfurdité
, elle en conclud la vérité ou la fauffeté
de fon hypotheſe.
La premiere de ces méthodes , comme
la plus capable d'éclairer l'efprit , eft celle
qui a été fuivie dans ces nouveaux élemens
de fections coniques. Ce ne font pas
ici des calculs algébriques qui conduifent
par des routes inconnues ; mais des propofitions
clairement démontrées , qui mettent
la vérité dans tout fon jour . On doit
applaudir au zele infatigable de l'Auteur.
Il a renouvellé les méthodes rigourenfes
de l'ancienne géométrie : il lui eût été
plus aifé de traiter les coniques par analyfe
; mais fon ouvrage eût été beaucoup
moins utile. E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur avertit dans fa préface , que
le livre qu'il préfente au Public , n'étoit
dans fon principe qu'une nouvelle édition
des élémens de M. de la Hire. Il a fuivi le
plan de cet Auteur , fans en copier les démonftrations
qui ne lui ont pas toujours
paru rigoureufes , ni clairement exprimées.
Ce font ici des élemens fynthétiques à la
portée des commençans. En un mot , ce livre
peut fervir d'introduction à tous les
autres faits fur la même matiere , & même
au grand traité des fections coniques , qui
paffe pour un des plus difficiles & un des
plus beaux ouvrages que nous ayons en ce
genre.
Chaque fection conique eft traitée en
particulier. La parabole , l'ellipfe & l'hyperbole
forment autant de livres. L'Auteur
paffe enfuite à la confidération de toutes
ces figures dans le cône. Il rend fenfible la
maniere dont elles s'y engendrent , & acheve
d'en faire connoître les propriétés élé
mentaires. Il eft à fouhaiter que cet ou
vrage faffe renaître le goût de la fyntheſe
un peu trop abandonnée.
le
LA Trigonométrie Sphérique , réfolue par
moyen de la regle & du compas , d'où l'on
tire une maniere très aifee & très lumineufo
de la réfoudre par les finus. Par M. Siméon
1.
AVRIL. 1758. 103
Valette. A Bourges , chez la veuve Boyer ,
& à Paris , chez Barbou , rue Saint Jacques.
Cet Ouvrage que nous avions fimplement
annoncé dans le premier volume
d'Octobre de l'année derniere , & qui eft
d'un affez petit volume , puifqu'il ne contient
pas so pages in 80 , nous a paru
eftimé des Connoiffeurs . La pratique de la
trigonométrie fphérique y eft arrangée de
façon , qu'elle n'exige la connoiffance
d'aucune théorie , de maniere qu'il n'eft
point de commençant qui n'en puiffe faire
ufage . On y trouve tous les cas réfolus fans
ambiguité & fans difficulté , à l'exception
de ceux qui font néceffairement indéterminés.
L'Auteur fuppofe connue la trigonométrie
rectiligne , à laquelle il femble en
effet qu'il n'y a plus rien à ajouter ; il n'a
pas jugé à propos , & avec raifon , de groffir
fon livre de ce qui fe trouve ailleurs.
Le tout eft terminé par un traité de gnomonique
, où l'Auteur a renfermé en 30
pages ce qu'on peut dire de plus intéreffant
fur cette fcience , & ce qui a produit de
beaucoup plus gros volumes. Mais afin
qu'on ne nous en croye pas fur notre feule
parole , nous allons mettre fous les yeux
du Lecteur l'approbation que l'Académie
des Sciences a donnée à cet Ouvrage.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Extrait des Regiftres de l'Académie royale
des Sciences , du 3 Septembre 1755 .
Nous avons examiné , au nom de l'Académie
, un Ouvrage qui a pour titre , La
Trigonométrie Sphérique réfolue par le moyen
de la regle & du compas , d'où l'on tire une
maniere très-aifee & très - lumineuse de la réfoudre
par les finus ; par M. Siméon Valette.
Avant l'invention des logarithmes , on
réfolvoit déja les triangles fphériques par
des proportions entre les finus ou tangentes
des parties connues , & les finus ou
tangentes des parties cherchées ; mais pour
abréger ces proportions , qui fuppofoient
des multiplications & des divifions de fie
nus , on avoit imaginé la méthode de la
proftapherefe , qui devenoit fort fimple
par le moyen de la regle fuivante .
Si le rayon du cercle eft au finus d'un
angle A , comme le finus d'un angle B eft
à un quatrieme terme , on pourra trouver
ce dernier terme fans aucune multiplication
, en prenant la moitié de la fomme
des finus , de la fomme & de la différence
de l'arc B , & du complément de l'arc A.
C'eft ainfi qu'on pouvoit trouver d'une
maniere ingénieufe dans les anciennes
méthodes , un fecours que Neper a rendu
plus général par la découverte des logaAVRIL
1758. 105
rithmes. Snellius dit à la page 152 de fa
Trigonométrie , publiée par Hortenfius en
1627 , que Regiomontanus s'en étoit fervi
le premier pour trouver la hauteur du foleil
, étant donné l'angle horaire , il réduifoit
auffi à peu près par une femblable
méthode , les produits des finus ou des
cofinus , à des fommes ou à des différences
de finus ou de cofinus fimples.
Cette proftapherefe fervoit admirablement
à réfoudre les triangles fphériques
obliquangles , fans les réduire à des triangles
rectangles , & au moyen d'une feule
multiplication , les autres analogies fe faifant
par la proftapherefe : alors elles étoient
tirées des triangles rectilignes que for
moient les finus ou les cofinus des côtés
cherchés ; ce que l'on a appellé quelquefois
méthode de projection.
Cette voie de réfolution a prefque été
oubliée des Aftronomes depuis l'invention
des logarithmes ; fi ce n'eft que les Géometres
y font toujours retombés , lorsqu'ils
ont exprimé par des équations les propriétés
des triangles fphériques.
Par exemple , pour exprimer le rapport
qu'il y a entre les trois côtés d'un triangle
fphérique & un de fes angles , on trouve
ane équation compofée de trois termes ,
& chaque terme de trois dimenfions , tous
Ev
106 MERCURE DE FRANCE:
les facteurs étant des finus ou des cofinus
des côtés donnés ; ce qui indique les trois
analogies de la méthode précédente.
L'Auteur de cet Ouvrage déja connu par
fon talent pour les belles-lettres , & également
verfé dans les mathématiques , a
cherché une maniere de fimplifier les projections
: il les réduit à des opérations fimples
que les perfonnes les moins inftruites
peuvent mettre en ufage pour éviter de fe
tromper dans le calcul , & à des figures
planes par le moyen defquelles on apperçoit
tous les rapports qu'il y a entre les
quantités données & les quantités inconnues.
Par exemple étant donnés l'hypoténufe
& un angle , l'Auteur en déduit
une opération graphique affez fimple , un
triangle rectiligne dans lequel on apperçoit
fept à huit analogies différentes , qui
peuvent indifféremment fervir à trouver le
côté que l'on cherchoir , Clavius , dans fon
Traité des Aftrolabes , avoit auffi donné la
maniere de trouver les différentes voies
qui conduifoient à une même folution.
par
La premiere partie de cet Ouvrage traite
de la pratique feule des triangles fphériques
rectangles : cette partie comprend
pour chaque cas l'opération graphique
propre à trouver la quantité qu'on cherche
, & la proportion qui fert à la trouver
AVRIL. 1758. 107
par le calcul : on y trouve pour chaque cas
autant de figures ( 1 ) , qu'il peut yavoir de
variétés dans les efpeces des côtés ou des
angles.
La feconde partie comprend la pratique
des triangles obliquangles , dont les
opérations graphiques fe trouvent preſque
auffi fimples que celles des triangles rectangles.
La troifieme partie comprend la théorie
des triangles rectangles , c'est- à- dire les
démonftrations qui conviennent à toutes
les conftructions des deux premieres parties
, dans lesquelles l'Auteur avoit voulu
féparer ce qui n'eft que d'ufage , des démonftrations
qui ne font à l'égard du praticien
que de pure curiofité.
Ces démonſtrations ne fuppofent que
les définitions les plus fimples de la nature
des triangles fphériques , pourvu que l'on
conçoive les plans relevés les uns fur les
autres , fuivant les angles droits ou obli
ques qu'il font réellement dans la ſphere.
La difficulté qui naît de cette efpece de
fiction effentielle dans toutes les démonf
trations fteréométriques , eft commune à
toutes les méthodes de trigonométrie ſphé
rique ; mais on trouve dans celle-ci l'avan
(1 ) On a trouvé le moyen d'abréger le nom
bre de ces figures.
E vj
1108 MERCURE DE FRANCE.
tage de fupprimer la quantité de propoſttions
préliminaires dont certaines méthodes
font chargées , & de réduire tout à
quelques définitions faciles à comprendre
La quatrieme & derniere partie renferme
les démonftrations des triangles obliquangles
, & de toutes les conftructions
qu'on a employées dans la feconde partie.
Ainfi les deux dernieres parties préfentent
les démonftrations de toutes les regles
& de tous les préceptes que les deux prémieres
parties comprennent . L'Auteur fait
voir dans le plus grand détail quelles font
les conditions de chaque cas ; mais ce qu'il
y a de plus utile encore, c'eft que par cette
méthode l'Auteur détermine dans plufieurs
cas entre l'aigu & l'obtus , ce qui ne pa-
Foît pas déterminé par les conditions du
problême. Par exemple étant donnés deux
côtés , & un angle qui ne foit pas compris:
entre les deux côtés , ou deux angles & un
côté non compris entre ces angles, les trois.
autres quantités peuvent fouvent être
moindres ou plus grandes que 90 degrés
la projection montre toujours les cas où
cette incertitude eft effentiellement attachée
au problênre , & ceux où elle peus
être fixée par les conditions fuppofées .
Plufieurs Auteurs ont négligé totalement
sette détermination , fous prétexte que
AVRIL. 1758. 109
dans l'application de la trigonométrie aux
queftions particulieres , on fçait toujours fi
ce qu'on cherche eft aigu ou obtus ; mais
cette raifon n'eft point exacte : car fi on
cherchoit , par exemple , dans un lieu connu
l'azimuth du foleil par le moyen de fa
hauteur , & pour une heure donnée , on
ne trouveroit point fi fa déclinaiſon eft
feptentrionale ou méridionale , & fi fon
amplitude eft vers le midi ou vers le nord.
De même fuppofé qu'un Navigateur cherchât
près de la ligne l'heure & la latitude
du lieu par le moyen de la hauteur , de la
déclinaifon & de l'azimuth du foleil , il
ne pourroit fçavoir fi fa latitude eft méridionale
ou feptentrionale , ni trouyer s'il
eft plus ou moins de fix heures , c'est - à- dire
fi l'angle horaire eft aigu ou obtus.
Les démonſtrations de l'Auteur , quoi
qu'un peu longues , font auffi abrégées
qu'elles le peuvent être fuivant cette méthode
: on peut les employer fans perdre de
vue le triangle fur lequel on opere , & elles
ne fuppofent pas un auffi grand nombre de
principes que les démonftrations de plufieurs
autres méthodes . Cet Ouvrage fuppofe
dans fon Auteur une parfaite connoiffance
en cette partie , & il nous a paru
qu'il feroit utile au Public. Signé, La Caille ,
Le François , De la Lande
110 MERCURE DE FRANCE.
Je certifie le préfent extrait conforme
fon original , & au jugement de la Compagnie.
A Paris , ce 6 Septembre 1755 .
Signé , Grandjean - de Fouchi , Secretaire
perpétuel de l'Académie royale des Sciences.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , ONSIEUR , on trouve dans l'Art de converfer
, au fujet de Vaux- le- Peny cette note
, Jolie campagne près Melan . Elle a fait
prendre le change à bien des lecteurs. Ils
m'ont attribué ce poëme , & fe croyoient
d'autant mieux fondés , qu'il a paru dans
un ancien journal de Verdun , une petite
piece de moi en ſtyle payfan , datée de cet
endroit. Sur cette idée , j'ai reçu quelques
éloges d'une part , & beaucoup de critiques
de l'autre ; j'avois beau proteſter contre
, les Apologiftes me répondoient qu'il
ne falloit pas être fi modefte , & les cenfeurs
, fi orgueilleux . Les premiers foutenoient
que je n'avois encore rien fait d'auffi
bon ( jugez, Monfieur, comme mon amour
propre
devoit être flatté ! ) & les autres me
difoient fententieufement , que le fort des
armes étoit journalier,
Tant que les imputations n'ont été qué
み
AVRIL. 1758.
verbales , je me fuis contenté d'en rire
l'impreffion les confirme , & je romps le
filence.En parcourant la France littéraire ,
j'y ai vu mon nom avec l'annonce de l'art
de converfer ; indigné qu'on me couvrît
d'un plagiat , j'ai volé chez Duchesne , it
s'eft excufé en fe rejettant fur le détail immenfe
de fon Almanach des Beaux - Arts
& a fini par m'aflurer qu'il rectifieroit l'année
prochaine cette erreur ; mais elle fubfifteroit
encore trop longtemps. Je vous
prie , Monfieur , de vouloir bien inférer
promptement ma lettre dans votre Mercure
.
Pour ne laiffer aucun doute fur mon défayeu
, je vous envoie quelques ( 1 ) feuil
lets qui me font tombés par hazard , de
ce poëme fous le titre de la converfation on
Part de converfer imprimé en 1742 à Antun
& figné du R. P. Janvier , Chanoine
régulier de l'Abbaye de St. Symphorien de
la même Ville. Si c'eft lui qui l'a récem
ment divifé en quatre chants , pourquoi
pas indiqué que c'étoit une nouvelle
édition : Pourquoi avoir changé le
féjour de Meulan en celui de Berni , celui
de Chêne de coeur en celui de Vaux- le- Péay
, le nom de Bignon en celui de Cler
n'avoir
( 1 ) Nous avons lu ces feuillets , qui juftifient
e que l'Anonyme avance,
112 MERCURE DE FRANCE :
mont , &c. ? Tout ceci m'a bien l'air d'un
larcin déguifé ; mais ce n'eft point à moi
à démêler ce mystere au Public ; il me fuffit
de le détromper -à mon égard.
J'ai l'honneur d'être , & c.
L'Anonyme de Chartrait , près Melun.
A Paris , ce 6 Mars 1758.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , la place que vous accordez
fi gracieuſement
dans vos Mercures à
tout ce qui intéreffe les Belles- Lettres , publie
votre zele pour leur avancement , &
me perfuade que vous voudrez bien avoir
les mêmes égards pour les obfervations cri
tiques que j'ai l'honneur de vous adreſſer.
Comme elles ont pour objer un point effentiel
à l'hiftoire des deux Bourgognes ,
j'ofe croire que les Hiftoriens intéreffés à
fixer enfin nos regards , voudront bien s'y
prêter , & qu'ils auront cette attention de
donner le texte original qui doit trancher
le noeud de la difficulté. Voici ce dont il
s'agit :
Jufqu'à la fin du feizieme fiecle , fle
Comté de Bourgogne avoit compté parmi
AVRIL. 1758. 113
fes Héros , le célebre Henri , pere du fondateur
du Royaume de Portugal ( 1 ) . L'au
torité fur laquelle les Hiftonens de cette
Province appuyerent leurs prétentions
paroiffoit irreprochable : ils y appercevoient
un Prélat diftingué (2 ) , inftruit & contemporain
; trois caracteres bien capables
de faire un titre féduifant , & de captiver
les fuffrages. Ce fentiment qui jouiffoit
de tout le crédit d'une vérité démontrée ,
reçut néanmoins une atteinte mortelle en
1596 , par l'édition qui fe fit à Francfort
d'un fragment de l'hiftoire de France , que
l'on attribue à un Moine de l'Abbaye de
Fleury , qui écrivoit au commencement
du douzieme fiecle.
C'eſt dans ce monument inconnu jufques
alors , & tiré du cabinet de Pierre
Pithou ,, qquuee ,, felon les Auteurs de l'hiftoire
généalogique de la Maifon de France ,
(3) "on lit page 88 , qu'Henri l'un des
» enfans du fils de Robert Duc de Bourgo-
» gne , paffa en Espagne avec d'autres
François au fecours du Roi Alphonfe
33
(1 ) Henri , Comte Souverain de Portugal dès
l'an 1094 ou environ , mourut en 1112.
(2 ) Rodrigue Ximénez , Archevêque de Tolede
, qui écrivoit en 1208 .
(3 ) Page 170 , édit. de 1726 , t. 11.
114 MERCURE DE FRANCE.
"contre les infideles , qui lui donna en
mariage fa fille naturelle . »
J'avoue qu'une autorité de cette efpece
, fuffiroit feule pour prononcer irrévocablement
en faveur de ce qu'elle dépofe ;
fi la maxime qui a fagement établi qu'un
fait , pour être cru , feroit préalablement
faifi d'un oeil ferme , ne permettoit à tout
lecteur d'examiner de près le texte qui renverſe
l'ancien fentiment & qui le détruit.
Appuyé de cette loi judicieufe , je dis d'abord
que les continuateurs de l'hiftoire généalogique
de la Maifon de France , s'étant
donné la commiffion de traiter à fonds
cette difficulté,il eft étonnant qu'ils n'ayent
pas rapporté le texte original du Moine de
Fleury , comme on le pratique ordinairement
en pareil cas ; par- là ils affuroient au
fait conteſté une folution qui fixoit fans
retour les fuffrages , & les difputes feroient
abfolument terminées.
Cependant , qu'il me foit permis de le
dire , tout concourt à nous perfuader que
les continuateurs ont effectivement prétendu
rapporter la piece décifive du fragment :
non- feulement ils en cotent la page avec
foin ; mais encore ils donnent en lettres
italiques le texte dont j'ai parlé ci - deffus :
deux indices en ufage chez tous les Hiftoriens
, pour annoncer que c'eft à la fource
AVRIL 1758. 115
même qu'ils ont puifé , & qu'ils parlent
fur le vu d'un original . Il eft donc en quelque
forte démontré que les continuateurs
ont littéralement copié le texte original
qu'ils attribuent au fragment de l'édition
de Pithou. Or , à quelle objection également
forte & férieufe , le nouveau fentiment
& fon appui ne font ils pas exposés ?
Parloit-on en 1110 ( temps auquel vivoit
le Moine de Fleury ) , un François auffi
pur ? Le lecteur aimeroit-il mieux penfer
que ces Auteurs exacts pour des faits qui
ne font pas auffi intéreffans , ont effayé ici
de le furprendre Mais ne preffons point
ce raifonnement , & paffons auparavant 2
un autre exemple .
L'Auteur de l'hiftoire de Portugal également
engagé à faire triompher le nouveau
fyftême qu'il adopte , fe donne pour
avoir confulté à fon tour le monument de
l'Abbaye de Fleury , comme il eft facile
d'en juger par fes propres paroles : « Tou-
» tes ces opinions ( 1 ) ont été détruites dans
» un manufcrit trouvé dans l'Abbaye de
Fleury , & imprimé à Francfort par les
"foins de Pierre Pithou. Ce manufcrit
l'ouvrage d'un Bénédictin contient tout
ce qui s'eft paffé depuis 897 juſqu'en
23
( 1 ) Hift. de Portugal , t. 1 , p. 157 , &fuiv
116 MERCURE DE FRANCE.
ود
1110. Il y parle de Robert Roi de Fran
" ce & de fes defcendans , jufqu'à Philippe
I du nom . On voit par ce manuf
» crit , monument qu'on ne peut rejetter
» que
Robert premier Duc de Bourgogne,
» frere d'Henri I du nom , Roi de Fran-
» ce , tous deux fils de Robert le Dévot
» eut de fa femme Hermengarde , Henri
» fon unique héritier ; Henri mourut en
1067 , avant fon pere , laiffant de Sybille
de Bourgogne- Comté , Hugues qui
» fuccéda à fon ayeul & mourut fans en-
» fans .... Henry Comte de Portugal , &
" l'Abbé Renaud ».
Qui ne croiroit que cet Auteur a vu ou
l'édition faite par Pierre Pithou , ou l'original
même ? Pourquoi , s'il a confulté l'un
ou l'autre , n'en a - t - il pas rapporté les propres
termes ? Il eft donc dans le même cas ,
que les continuateurs qui nous apprennent
(1) que le recueil que Pierre Pithou fit imprimer
en 1596 , contenoit le fragment
dont nous avons parlé , & des morceaux
de plufieurs anciens Ecrivains de notre hif
toire.
Le fecond exemple qui établit que les
Auteurs dont j'ai fait mention jufqu'ici ,
n'ont point connu , quoi qu'ils en difent ,
(1) Ibid, ac fup.
AVRIL. 1758.
117
le recueil de Pierre Pithou , nous laiffe entrevoir.
1 °. Qu'ils n'ont point eu d'autre
guide que Théodore Godefroy , qui fit imprimer
en 1624 un traité fur l'origine des
Rois de Portugal , où cet Auteur annonce
qu'il n'écrit que fur l'édition de Francfort .
2°. Que ce dernier n'a pas même rapporté
le texte intéreffant & original qu'on demande
aujourd'hui avec juftice , puifque
fes copiftes l'auroient sûrement préférés au
texte françois que nous trouvons dans leurs
ouvrages . 3 °. Que Théodore Godefroi
pourroit bien être le feul qui ait eu connoiffance
du recueil que l'on a fi fort recommandé
à nos refpects , & à qui nous
ne devons encore que nos attentions . Ef
fayons de fortifier cette conjecture ,
Parmi le nombre des Auteurs qui ſe ſont
engagés à traiter , ex profeffo , cette queftion
, n'eft- il pas fingulier , qu'au lieu de
nous conduire du premier mot à la fource ,
on les voie tous attachés fur les pas des uns
& des autres , fe guider fur Godefroi , fans
ofer le citer nommément , pour prétendre
plus sûrement à la gloire de perfuader leurs
lecteurs , qu'ils n'ont parlé que fur un monument
refpectable , & fur la foi des Auteurs
contemporains ? Tels font néanmoins
ceux que les continuateurs citent ( 1 ) eux-
(1 ) Ibid. ac sup,
118 MERCURE DE FRANCE.
mêmes , auxquels on peut accoller les Du
pleix , les Dom Plancher , les Abbés VelÎy
( 1 ) , & tant d'autres , qui n'ont pas même
penfé à vérifier Godefroi , fur un fait auffi
intéreffant que celui qu'ils entreprenoient
de traiter.
ou
Cette vérification fur l'édition de 1596,
qui devient plus néceffaire que jamais pour
autorifer le cours d'un fyftême que l'on a
peut-être trop facilement admis , feroit- elle
moins effentielle à l'authenticité du fragment
qui captive fi fort la foi de nos Hiftoriens
? Déja j'apperçois que la confiance
qu'ils ont accordée à ce monument ,
plutôt à Godefroi , les a fait paffer fur les
erreurs qu'il contient , motif également
nouveau & preffant pour répéter le texte
original , comme on va le voir. On fait
dire au manufcrit du Moine de Fleury (2)
que Robert , premier Duc de Bourgogne
eut de fa femme Hermengarde , Henri
fon unique héritier : fur quoi j'obſerve.
1°. Que Dom Plancher prouve invincible-
(1 ) Dupleix , Hift. de Fr. t. 1 , p. 47. Hift. de
Bourgogne , t. I , PP. 370 & 371. L'Hift. de Fr.
de l'Abbé Velly , t. 2 , p. 419. Ce dernier a fans
doute voulu dire qu'Henri , tige des Rois de Portugal
, étoit petit fils de Robert , Duc de Bourgo
gne , & non pas fon fils.
(2) Hift. de Portugal , loco citat、1
AVRIL. 1758. 119
ment que l'épouse de ce Prince s'appelloit
Hélie , comme on peut s'en convaincre
par une charte de l'an 1045 , que cet Auteur
rapporte aux preuves de fon hiſtoire
de Bourgogne ( 1 ) , & à la fin de laquelle
on lit : Signum ipfius Domini Roberti Ducis,
qui hanc donationem fecit . Signum Helie conjugis
ejus fignum duorum filiorum eorum
Hugenis & Henrici, &c. 2 °. Qu'Henri n'étoit
pas l'unique héritier du Duc Robert
comme le prouve cette charte. Duchefne
lui donne encore ( 2) deux autres fils &
deux filles.
•
Selon les Continuateurs ( 3 ) le manufcrit
a été tiré du cabinet de Pierre Pithou ;
l'Auteur de l'hiftoire du Portugal (4 ) dit
au contraire que ce manufcrit a été trouvé
dans l'Abbaye de Fleury ; une pareille
méfintelligence ne fuffiroit- elle donc pas
pour répandre de juftes foupçons fur l'authenticité
& l'existence de ce monument ?
On préfameroit volontiers qu'une main
trop intéreffée lui a donné le jour , ou qu'il
a des défauts bien capables de balancer fon
autorité , & de lui faire craindre la lumie
(1) T. I , aux preuv. p. xxvij.
(2) Du Chêne , 1. 3 , p. 271 , après Dom Plan
cher ; t. 1 , p. 269.
(3 ) Loco jam cit.
(4) T. 1 , p. ISSÄ
120 MERCURE DE FRANCE.
re. Sufpendons néanmoins notre jugement ;
attendons , il eft jufte , la décifion des
Sçavans leur filence à cet égard rendroit
bientôt la vie au fentiment de Rodrigue
Ximénés , & les partifans de cet Auteur
ne manqueroient pas de fe prévaloir avec
avantage de cette omiffion. J'ai dit plus
haut que cer Hiftorien faifoit une autorité
irréprochable. En effet , ce Prélat diftingué
par fon rang , puifqu'il étoit Archevêque
de Tolede , écrivoit en 1208 , comme l'avouent
les continuateurs ( 1 ) : il avoit donc
vécu dans le fiecle même d'Henri Comte
de Portugal , fi on ne peut raifonnablement
contefter que cet Auteur avoit au
moins quarante ans , lorfqu'il fit fon livre
de Rebus Hifpanicis. Il y traite d'un fait intéreſſant
, arrivé foixante & quelques années
auparavant , dans un pays limitrophe
à celui qu'il habite ; on eft même en droit
de dire qu'il écrivòir dans une Province où
l'intrépidité & les hauts faits du Comte
Henri n'avoient encore pu vieillir. Inf
truit de la frappante révolution qui vit
chaffer les Maures , il confacre à la mémoire
du Prince victorieux un chapitre de
fon ouvrage ; il y dit en termes clairs ( 2 ),
(1) Voyez l'Histoire générale de la Maifon de
France.
(2) Chap. 2 , liv. 6 , après Dupleix , t. I, p. 47.
que
AVRIL 1758 . 121
que ce conquérant eft du Comté de Bourgogne
, ex partibus Bifuminis , & l'on prétend
qu'il s'elt trompé , qu'il a ignoré la
patrie de ce Prince , qu'il a été infenfible
au motif vif & preffant qui engage rout
Hiftorien à s'informer exactement de l'origine
du héros qu'il célebre , qu'il n'a pu
être à portée de confulter des perfonnes
également sûres & éclairées , foit à la Cour
Efpagne , foit à celle de Portugal où régnoit
alors le petit fils du Comte Henri.
Que cet Auteur enfin ne s'eft point inquiété
de ce qu'on pourroit penfer de fon erreur
, dans deux Royaumes où la plus faine
partie étoit en état de la relever : en ce
cas il convient de démontrer cette faute
capitale d'une maniere qui ne fouffre plus
de réplique.
Telles font , Monfieur , les obfervations
que je vous fupplie d'inférer dans votre
Mercure ; afin que la citation du texte original
, donnée par quelque Sçavant qui
youdra bien nous conftater l'authenticité du
fragment de l'Abbaye de Fleury , puiſſe
répandre un jour plus affuré fur l'hiftoire
des deux Bourgognes. Vous partagerez
vous- même la gloire de cette précieuſe découverte
, fi vous m'accordez la grace que
j'ai l'honneur de vous demander. Je vous.
en aurai en particulier la plus vive obli-
I.Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
gation , & c'eft dans ces fentimens que je
vous prie de me croire avec refpect , & c.
P. J. M. D. C.
A Auxonne , ce-1 Mars 1758% but
Al Auteur de l'Almanach de Picardie.
VOTRE Almanach , Monfieur , mérite
des éloges chaque année ; il s'y eft gliffé
celle - ci une légere inadvertance . On lit à
la page 224 , que le boiffeau de bled
d'Aumale pefe 30 livres , & que fa continence
eft d'un demi - pied cube ; vous partez
du principe , que le pied cube contient
60 liv . On en doit conclure feulement que
ce boiffeau contient la moitié du pied cu
be , & non pas un demi-pied cube qui eft
au pied comme un eft à huit ; ce qui fair
une grande différence. Le demi-pied ne
contient que 7 liv. , & le boiffeau de
bled d'Aumale en contient 30. L'exactitude
reclame contre la pofition de votre almanach
: elle a lieu de furprendre ; car votre
capacité & votre attention font connues
avantageufement. J'ai l'honneur d'être
& c.
Le 2 Maxs $ 7.5·8%
F.E. M.V, D. B
AVRIL. 1758.
723
DISSERTATION fur l'origine & les progrès
de l'art de graver en bois , pour éclaircir
quelques traits de l'hiftoire de l'Imprimetie
, & prouver que Guttemberg n'en eft
pas l'inventeur : par M. Fournier le jeune ,
Graveur & Fondeur de caracteres d'Imprimerie.
A Paris , chez J. Barbon 1758 , in-
12 , 92. pag.
Cette differtation eft divifée en 3 parties.
La premiere nous apprend l'ufage ancien
de la fculpture & gravure en bois , la
feconde fes premiers progrès en Allemagne
, & la troifieme ſa perfection & fa
décadence.
En Egypte , en Grece & à Rome , dit
l'Auteur, on gravoit, on ſculptoit en relief
des figures , des ornemens , des marques ,
des noms ou deviſes fur des vafes qui fervoient
aux facrifices , fur de petites tables
de bois où l'on pofoit les fervices , fur les
bois de lits , fur les mortiers à piler le
bled , fur les divers uftenciles néceffaires
à la vie , fur les charriots & fur les
boucliers. Ces opérations fe faifoient fur
le bois , fur la pierre & fur les métaux .
Cet art fut porté en Grece à un fi haut
point de perfection & de délicateffe , que
Thiftoire nous apprend que Callicrate gravoit
des vers d'Homere fur un grain de
millet.
Fij
#24 MERCURE DE FRANCE.
Les Chinois impriment depuis très longtemps
leurs livres en planches de bois fixes,
Il n'eft pas permis de douter que cette maniere
d'imprimer parfaitement , femblable
aux premiers effais d'impreffion de Guttemberg
, ne fût connue dans les Indes au
moins deux fiecles avant qu'on en fît ufage
en Europe.
Les Orientaux ont même porté cet art a
un très grand degré de perfection . Les lertres
& ornemens font taillés avec hardieffe,
& l'impreffion en eft admirable . Ils enploient
avec une adreffe finguliere l'or
F'argent & les couleurs .
Les cartes à jouer qui font imprimées
avec des planches de bois gravées & enfuite
colorées , étoient en ufage en France
, en Allemagne , en Italie & en Angleterre
, avant l'invention de l'Imprimerie,
Dans les archives de la Chambre des Comptes
, on trouve une fomme paffée en 1391
pour un jeu de cartes acheté , afin de divertir
Charles VI qui commençoit à tomber
en démence.
L'art de graver fur le bois , des deffeins
ou figures pour les imprimer far lé papier,
avec une encre épaiffe & gluante , & en
former des images , fut encore antérieur à
Guttemberg. Cet Artifte , à qui on attri
bue vulgairement l'învention de l'ImpriA
V R Í L. 1758. 125
merie, n'a d'autre gloire , dit M. Fournier,
que le courage d'avoir fait une grande entrepriſe.
Environ l'an 1445 , il s'affocia à
Mayence Jean Fauft , Bourgeois de cette ville
. Ces deux affociés , après avoir fait jurer à
leurs ouvriers un fecret inviolable , mirent
au jour une bible qui n'a aucune marque
fenfible de la gravure en bois .Il n'y a aucun
ornement qui puiffe déceler cet art. Les
lettres feulement font gravées & imprimées
, les fominaires font écrits à la main
en lettres rouges ; à chaque chapitre il y a
une place vuide plus ou moins grande , où
Pon a peint la premiere lettre en miniaturre
, fuivant l'ufage du temps pour les manufcrits
, & aider par-là à -la féduction .
L'intérêt ayant défuni ces deux Entrepreneurs
, Fauft s'affocia avec Schoiffer , le
plus intelligent & le plus habile ouvrier de
certe typographie naiffante. Pour l'emputter
fur Guttemberg qui étoit devenu leur
antagonifte , ils graverent avec le plus
grand foin de nouveaux caracteres mobiles
de bois . Its firent de grandes lettres de 41
& pouces de haut , chargées d'ornemens 5
de fleurs & d'animaux. Ces lettres font trèsdélicatement
gravées : enfin le premier outtrage
qui fortit de cette fociété , fut un
chef-d'oeuvre d'impreffion. Cette rapidité .
de l'art , die M. Fournier , eft une preuve
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
qu'il ne confiftoit qu'à faire ufage de la
gravure en bois très- connue , & déjá fore
perfectionnée .
Nous venons de rendre compte des deux
premieres parties de cette differtation . La
troifieme contient des détails très-curieux
fur le véritable art typographique , c'eftà-
dire , fur l'impreffion en lettres de métail
mobile. Cet art fut inventé vers l'an
1457 par Pierre Schoiffer. En 1462 ce
nouvel art commença à fe répandre , & les
Imprimeries fe multiplierent. Il faut lire
la differtation de M. Fournier pour s'inftruire
de quantité d'anecdotes très - curienfes
fur les commencemens de l'Imprimerie ,
& fur l'entiere décadence de l'art de graver
en bois.
DE Imitations Chrifti , Libri IV , ad otte
manufcriptorum , ac primarum . Editionum
fedem caftigati , & mendis plus fexcentis expurgati.
Ex Recenfione Jofephi Valart , Prefbyter
. Hefdinenfis , & Academici Ambianenfis.
Parifiis , Typis J. Barbon , viâ San-Jacobea
, 1758. in- 12.
Le mérite de cet Ouvrage eft trop connu
pour nous arrêter à en parler. Ce traité
dont on a plufieurs traductions en toutes
fortes de Langues , doit être dans les mains
de tous les Chrétiens qui cherchent leur
AVRIL. 1758. 127
Edification , & qui veulent fe former à la
pratique des devoirs de la morale évangéfique
, & à la folide piété. Auffi fon utilité
l'a - t'il rendu d'un ufage prefque indifpenfable
, & c'eſt un des livres qu'on a peutêtre
réimprimés le plus de fois . Cependant
les fréquentes éditions qui s'en font faites
en différens temps , n'ont pas détourné M.
Valart d'en donner une nouvelle. Il a dirigé
celle que nous annonçons , & autant
que nous en pouvons juger , elle a des
avantages réels fur les précédentes. Il nous
affure l'avoir revue non feulement fur huit
manufcrits , dont un eft le plus ancien de
tous ceux que nous ayons de ce Traité ,
mais encore fur les premieres éditions
qu'il a pour cet effer collationnées entre
elles . Il eſt parvenu par ce moyen à corriger
une infinité de fautes qui s'étoient
gliffées dans les éditions poftérieures.
Comme l'Auteur de l'Imitation , qui a
écrit en larin , s'eft moins attaché à la pureté
de la diction , qu'à celle des fentimens
& des préceptes , qui font le caractere de
fon Ouvrage , il s'y trouve beaucoup de
termes qui s'éloignent du goût de la bonne
latinité , foit par rapport à la conftruction
ou à la fignification dans laquelle il les employe.
L'Editeur a pris foin de les recueillir
dans un petit vocabulaire qu'il a mis à
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE:
la fuite de l'Ouvrage. Le volume eft ter
miné par une Differtation de fa façon fur
l'Auteur de l'Imitation . Je ne fçais pourquoi
il a jugé à propos de l'écrire en françois.
Il me femble qu'il eût été plus convenable
de la compofer dans la même Langue
que le texte qu'il fait réimprimer.
Dire qu'il a voulu par-là en rendre la lecture
plus générale en la mettant à la portée
de tout le monde , ce feroit une raifon qui
pourroit avoir lieu dans tout autre cas que
celui dont il s'agit. Car l'édition étant purement
latine , elle ne fçauroit convenir
qu'à ceux qui entendent cette Langue ,
pour l'ufage defquels on l'a entrepriſe . M.
Valart a partagé fa Differtation en trois
articles. Le premier eft deftiné à faire voir
que l'Imitation eft plus ancienne que d'A
kempis , par des paffages tirés de l'Ouvrage
même , qui peuvent fournir quelques lumieres
touchant l'Auteur. Le but du fecond
eft de fixer le temps où elle a été compofée.
Si l'on en fait Auteur Thomas d'Akempis ,
il eft conftant que la date de fa compofition
doit correfpondre au quinzieme fiecle.
L'Editeur prétend au contraire qu'elle eft
bien antérieure , puifqu'il l'a fait remonter
jufqu'au treizieme. C'est ce qu'il tâche
d'établir par des raifons dont on pourra
voir la fpécification dans la Differtation
AVRIL. 1758. 129
même. Il fe propofe dans le troifieme artiele
de déterminer quel eft l'Auteur de
Imitation. C'eft une queftion qui a partagé
les Sçavans , & fur laquelle on n'a
point encore formé de décifion définitive .
On fait communément honneur de cer
Ouvrage à Thomas d'Akempis , mort vers
Fan 1471. Cette opinion , qui eft la plus
fuivie , n'eft pourtant pas la mieux fondée..
Mais il y en a plufieurs qui l'attribuent à
Jean Gerfen , Abbé de Verceil , qui vivoit
dans le treizieme fiecle . Cela a été le fujer
de conteftations très- vives entre les Béné--
dictins & les Chanoines Réguliers , qui
de part & d'autres ont réclamé ce Traité
dans des écrits compofés exprès à cette:
occafion , comme étant l'Ouvrage d'une
perfonne de leur Ordre . Ils font , à dite
vrai , les feuls qui ayent pu s'intéreffer à
une difpute de cette nature , que le temps
a affoupie , fans qu'aucun des deux partis :
ait renoncé à fes prétentions . L'Editeur ne:
balance pas à fe déclarer pour Jean Getfen
, fur l'autorité des plus anciens manufcrits
, à la tête defquels il eft expreffé--
ment nommé comme l'Auteur de l'Ouvrà--
ge , avec fa qualité qui y eft marquée..
M. Valart finit par nous avertir que le
fentiment qu'il foutient , eft celui du celebre
M. du Cange , dont le témoignages
By:
130 MERCURE DE FRANCE.
doit être affurément compté pour quelque
chofe dans ces fortes de matieres ; puifqu'il
avoit feuilleté un affez grand nombre
de manufcrits pour être plus en état
que perfonne d'en connoître l'âge. A l'égard
de la partie typographique de cette
nouvelle édition , elle nous paroît mériter
les éloges qui font dûs , à jufte titre , au
fieur Barbou , pour la beauté & l'élégance
de celles de divers Auteurs Latins , qu'il a
déja données dans le même format.
DEFENSE de la Chronologie fondée fur
les Monumens de l'Hiftoire ancienne ,
contre le fyftême chronologique de M.
Newton ; par M. Fréret , Penfionnaire &
Secretaire perpétuel de l'Académie royale
des Belles Lettres. A Paris , chez Durand ;
rue du Foin , au Griffon , 1758. in-4°. de
506 pages , fans compter la préface qui en
ass.
Comme nous fommes preffés du temps,
nous renvoyons au mois prochain l'extrait
que nous nous fommes propofés de
faire de cet Ouvrage pofthume de M.Fréret,
dont M. de Bougainville eft l'Editeur.
{
AVRIL. 1758. 131
LETTRE À l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
ONSIEUR , j'ai vu dans les petites affiches
de lundi 6 février , deux ouvrages
annoncés fous le nom du Chevalier de Laborie
, Officier au Régiment de Vierfet , l'un
eft intitulé , Lettre fur l'éducation des fem
mes , avec un éloge de l'imagination
; l'autre
, Poéfies diverfes , chez Duchesne , 1758.
Il ne fut jamais un plagiat fi maladroit
& fi hardi. Ces deux ouvrages font tirés ,
mot pour mot, l'un , de mes Confidérations,
fur les révolutions des arts ; l'autre , de mes
Piécesfugitives, qui fe débitent depuis trois
ans , chez Brocas &Jorry.
Vous tenez , Monfieur , un rang trop
diftingué dans la République des Lettres ,
pour ne pas vous intéreffer à ceux qui ont
du moins le mérite de la chérir, C'eft à ce
titre que je vous prie de me rendre juftice
dans votre Mercure d'avril , en y inférant
ma Lettre.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DE MEHEGAN.
A Paris , ce 12 Février 1758.
Voilà la feconde fois que M. l'Abbé de
Méhegan crie au plagiat. Il doit en être
E vj
132 MERCURE DE FRANCE:
flatté dans le fonds : ce malheur n'arrive
qu'aux bons Ecrivains.
La nouvelle édition de l'Abrégé de-
'Hiftoire de France & Romaine ; par M.
Ragois , Précepteur de M. le Duc du Mai--
ne. In- 12 , chez Barbou , rue S. Jacques.
FABULARUM fopiarum libri quinque
P. Defbillon , in - 12 . Editione nova emendatior.
Chez le même Libraire .
Nous ne pourrons donner l'extrait de
la traduction des OEuvres dramatiquess
d'Apoflole Zeno , qu'au prochain Mercure..
AVRIL. 1738. 1133
ARTICLE III
SCIENCES ET BELLES - LETTRES,
HISTOIRE.
DIVORCE
DE L'HISTOIRE ET DE LA FABLESuite
de la Differtation critique du P. Feijooj ,
Bénédictin Espagnol..
M. Huet n'eft pas plus heureux dans fes
autres rapports , que dans ceux que nous
avons donnés pour exemple. Ce feroit un
grand ouvrage que de vouloir le ſuivre , ·
attendu que fon projet embraffe prefque
tous les Dieux & les Héros de la fable ,
dont il n'en fait qu'un feul & unique , qui
toujours a trait à Moyfe ; je dis Dieux &
Héros , parce que M. Huet réferve les
Déeffes & les Héroïnes pour figurer , foit´
avec Séphora , femme de Moyfe , foir avec :
Marie , fa four. Voilà en vérité un ſyſtème
magnifique , s'il pouvoit fe foutenir ::
mais fa grandeur découvre fa foibleffe , ne134
MERCURE DE FRANCE .
pouvant manquer de lui arriver , ce qu'on
voit dans les grands édifices qui , lorfqu'ils
n'ont pas de folides fondemens , plus ils
font élevés , & plutôt ils s'écroulent.
N'étant donc pas poffible d'attaquer
toutes les affertions de M. Huet les unes
après les autres , je combattrai fon fyftême
en gros ; j'efpere le faire de façon à lui
enlever toute apparence de probabilité.
Il faut d'abord fuppofer que l'idolâtrie
commença bien avant la naiffance de
Moyfe, & qu'elle étoit trop étendue pour
que Moyle pût en être l'objet. Ceci fe
prouve évidemment par plufieurs paffages
de l'Ecriture. Il eft dit expreffément dans:
le Livre de Jofué , ch . 24, que Tharé lẹ
le
pere , & Nacher le frere d'Abraham ,.
étoient Idolâtres. Ceux - ci précéderent
Moyfe de quatre fiecles. Les Idoles de La-
Ban , dont il eft fait mention dans la Genefe
, ch. 31 , étoient auffi fort antérieures à
Moyfe. L'Idole de Moloch étoit adorée
par quelques Nations long- temps avant
Moyfe , comme on le voit par le dix-huitieme
chapitre du Lévitique.
L'idolâtrie étoit très- commune du temps
de Moyfe. Il eft certain qu'elle régnoit en
Egypte , puifque Moyfe parlant à Pharaon ,
appelle le Dieu véritable , le Dieu des Hébreux
; d'où il fuit que Pharaon & les
AVRIL 1758. 135
Egyptiens ne le reconnoiffoient pas pour
tel. Il lui dit auffi qu'il n'y avoit point de
Dieu comme fon Dieu : Ut fcias quoniam
non eft ficut Dominus nofter . Il eft vraifemblable
que le Veau d'or que les Ifraélites
adorerent dans le défert , étoit l'image du
Boeuf que les Egyptiens , de qui ils prirent
cette fuperftition , adoroient fous le nom
d'Apis.
n'eft pas moins conftant que l'idolâtrie
étoit établie dans nombre d'autres
Nations. Moloch avoit un culte chez les
Ammonites. Les Moabites étoient Idolâtres
, & leurs femmes firent prévariquer
les Ifraélites , en les portant à adorer leurs.
faux Dieux ( num. cap. 25. ). Dans le feptieme
chapitre du Deuteronome , il eſt fait
mention de fept Nations Idolâtres.
Voilà ce qui ne peut être révoqué en
doute , étant appuyé de l'Ecriture .
Il y aa des apparences
bien
fondées
que
l'idolatrie
étoit
enracinée
du temps
de
Moyfe
, non
feulement
parmi
les Nations
ci-deffus
mentionnées
; mais
encore
chez
toutes
les autres
dont
l'Ecriture
ne parle
pas , étant
inutile
à l'hiftoire
des Ifraélites
.
Je le fuppofe
1º. fur l'expreffion
employée
dans
l'Ecriture
, de Dieu
des Hébreux
, de
Dieu
d'Ifraël
, expreffion
qui
indique
que:
es feuls
Ifraélites
, connoiffoient
& ado136
MERCURE DE FRANCE.
roient le Dieu véritable ; 2 ° . parce qu'il
n'eft pas vraisemblable que dans ce
fi
temps la il y eût eu un autre peuple fidete
à fon Créateur, la divine Providence n'eût
pris foin de nous le faire connoître , ainfi
que les hommes éminens en vertu , qui y
auroient brillé , foit par la plume de Moyfe
, foit par quelqu'autre Ecrivain canouique
; 3. fi la lumiere de la véritable Re--
ligion étoit éreinte chez les Nations voifines
des Ifraélites , qui voyoient leurs cultes
, & les prodiges que Dieu opéroit en
leur faveur , que doit- on penfer des peuples
éloignés 2
L'idolatrie étant fuppofée dès le temps :
de Moyfe dans prefque toutes les Nations
du monde , ou du moins dans un trèsgrand
nombre , voici comme je raifonne
contre le fyfteme de M. Huet . Il eft totale--
ment incroyable que toutes ces Nations >
Idolâtres fe dépouillaffent fi promptement ,
& d'un commun accord', de leurs anciennes
erreurs , pour fe former une nouvelle
fanife Religion , dont l'objet auroit été
Moyfe même ; il eft dont faux que toutes
les Idoles du paganifme repréfentaffent las
perfonne de Moyfe . Je prouve ma premiere
propofition. Si ce grand changement
dans le culte étoit arrivé , il auroit natų--
rellenrent commencé chez les Nations vo
AVRIL 1758. 737
fines des Ifraélites ; celles- ci ayant été les
premieres , qui apprirent & expérimenterent
les prodiges que Moyfe opéroit , &
Ç'auroit été de celles là qu'auroit paffé dans
les éloignées la nouvelle idolâtrie , avec
la connoiffance des prodiges : or ce changement
dans les Nations voifines n'eft pas
admirable, parce que, comme elles n'ignoroient
pas les prodiges que Moyfe opéroit ,
elles fçavoient auffi , du moins en général ,
quelle étoit la Religion que lui & les Hebreux
profeffoient . Elles fçavoient , dis je ,
que les Hébreux n'adoroient pas Moyfe ;
mais que Moyfe & les Hébreux adoroient
un Dieu invisible , au nom & par le fuprê
me pouvoir duquel s'exécutoient les prodiges
dont Moyfe n'étoit que le fimple
inftrument. Conféquemment fi ces prodi
ges avoient fait impreffion fur leur efprit
pour changer de Religion , ils auroient
embraffé celle de Moyfe & des Hébreux
bien loin de fe faire une Divinité d'un
homme que tout annonçoit n'opérer que
par une puiffance furnaturelle .
Rendons fenfible la force de cet argu
ment par l'exemple des Egyptiens. Ceux - ci
virent les grandes actions de Moyfe : `fe
porterent-ils pour cela a le reconnoître
pour une Divinité , & à lui offrir un culte
comme tel? Non fans doute , parce qu'il
138 MERCURE DE FRANCE .
fçavoient par Moyfe même & par les Hébreux
, que rien ne s'opéroit que par l'ordre
, fous l'autorité & la conduite d'un
Dieu que Moyfe & tout fon peuple adoroient
, à qui ils rendoient un culte public
, & qu'ils appelloient tantôt le Dieu
des Hébreux , tantôt le Dieu d'Abraham
d'Ifaac & de Jacob , qui étoient bien anciens
à l'égard de Moyfe. Par conséquent
ces Nations voifines , en les fuppofant ex-
'citées
par les prodiges à changer de Religion
, auroient embraffé celle des Hébreux ,
& adoré le Dieu véritable , & non Moyfe
fon Miniftre , puifqu'elles auroient vu que
tout le peuple ne le regardoit que comme
fon chef & fon protecteur.
Ayant prouvé que les Nations voifines
'des Hébreux ne pouvoient point prendre
Moyfe pour Tobjet de leur culte , il eſt
aifé de conclure de même pour les Nations
Eloignées , qui n'auroient pu l'apprendre
que des premieres : or fi les connoiffances
que celles- ci leur auroient donné des prodiges
de Moyfe , avoient dû les faire changer
de Religion , ç'auroit été pour les
porter à adorer non Moyfe , mais le Dieu
de Moyfe .
A cet argument qui me paroît fans replique
, j'en ajouterai un autre qui n'aura
pas moins de poids . Aucune de toutes les
AVRIL. 1758. 339
Nations Idolâtres ne conferva le nom de
Moyfe , entendant par - là un perfonnage
qu'elles vénéraffent comme une Divinité :
donc aucune n'en fit fon Dieu . L'antécédent
est inniable. Il n'y a aucun monument
de la Religion d'aucun peuple , ni dans les
livres , ni fur les marbres , où l'on life le
nom de Moyfe avec la fignification d'une
Divinité ; la conféquence qui s'enfuit eft
d'une certitude morale : car fi toutes les.
Nations euffent dans un temps rendu un.
culte à Moyfe , il eft moralement impoffible
qu'il n'y en eût eu quelqu'une qui eût
confervé fon nom. Comment pouvoir fe
figurer , le nombre des Nations de la terre
étant fi grand , que toutes s'étant accordées
, comme le prétend M. Huet , à adorer
Moyfe , toutes, fans exception , euffent oublié
fon nom ? Les peuples font tenaces à
conferver les noms de leurs Dieux ; cela
ne peut pas être autrement , parce que ces.
noms font tous les jours fur la langue &
dans la mémoire de chaque individu ::
auffi voit-on que depuis Héfiode & Homere
, jufqu'à l'extinction du Paganifme ,
période qui , fuivant l'antiquité que donnent
à Homere les marbres d'Arondel
comprend douze fiecles , les Grecs conferverent
les mêmes noms de leurs fauffes
Divinités : Jupiter , Junon , Diane , &c «
"
140 MERCURE DE FRANCE.
Il eft donc contre toute vraisemblance que
quelque Nation , & même le plus grand
nombre , n'eût point confervé le nom de
Moyfe , fi dans un temps il avoit été la
Divinité que toutes euffent adorée.
Le fyfteme de M. Huet eft donc deftitué
de tout folide fondement , & le rapport
qu'il a trouvé entre les erreurs du Paga
nifme & les vérités de l'Ecriture , n'a ja
mais exifté que dans fon imagination.
Le dernier argument que nous venon's
de propofer contre M. Huet , peut fervit
contre tous les autres Auteurs qui , par
différentes routes , ont cherché à venir au
même but. Il eft certain qu'il n'y a dans
aucune des fables du Paganifme aucun des
noms propres de l'Ecriture , quoi qu'on ait
cru y en trouver. Pour peu de réflexion
que l'on y faffe , on reconnoît qu'outre la
'diftinction viſible de l'expreffion , la fignification
en eft très - différente. Burtler pré
rend , par exemple , que le mot Evoé' ,
fouvent répété dans les fêtes de Bacchus ,
exprime le nom d'Eve notre premiere mere.
Les Commentateurs de Plaute , de Virgile
& d'Ovide , qui ont trouvé ce mot dans
les ouvrages de ces Poëtes , le regardent
cependant comme une interjection ' qui
exprime feulement le fentiment d'affection
de celui qui le prononce , ce qui eft
AVRIL 175.8. 140
conforme aux Dictionnaires Latins & Grecs
qui lui donnent cette fignification : Bene
fit illi ( Evohé ou Evan : c'étoit le cri que
les Bacchantes faifoient pour chanter les
louanges de Bacchus. Dictionnaire abrégé
de la Fable ).
J'avoue qu'il peut fe rencontrer quel
que fable , dont on peut faire une heureufe
application à quelque hiftoire véritable
; mais cela ne prouve pas que l'hiftoire
ait donné lieu à la fable . Le feul hazard
eft capable de produire ces rapports,
Quel eft l'homme de bon fens qui , parce
qu'il lui arrivera aujourd'hui quelque
chofe de ce qu'il aura rêvé hier , en infere
quelque connexion entre le rêve &
Pévénement ? Il eft prefqu'impoffible que
dans le nombre d'idées que l'imagination
produit , il n'y en ait quelqu'une qui ne
foit cafuellement liée à quelques réalités,
Il faut en dire autant des fictions volontaires
. Parmi tant d'abfurdités & d'erreurs
qui fe trouvoient chez les Gentils , cauroit
été une grande merveille qu'il n'y en
eût pas eu quelqu'une qui eût la fauffe
lueur d'une vérité révélée.
Il eft vrai que comme cette coincidence
peut-être purement cafuelle , elle peut- être
auffi relative ou de connexion , c'eft- à-dire
qu'il eft poffible que quelqu'une des hif
142 MERCURE DE FRANCE.
toires facrées , dégénérant peu-à- peu de fa
pureté , à proportion des circonftances
que la malice , ou l'ignorance des hommes
lui auroit ôté ou ajouté , elle eût été à la
fin transformée en une fable du Paganifme.
La création , l'entrepriſe puniffable de
ceux que l'Ecriture appelle des Géans , la
corruption univerfelle des hommes , le
déluge , font des faits défigurés dans les
Métamorphofes d'Ovide. Mais il y a bien
de la différence entre établir que telle ou
telle fable dérive de l'hiftoire facrée , &
faire de cet exemple un fyftême général
pour toutes les erreurs du Paganifme ; &
encore le rapport de ce petit nombre de
fables doit- il être donné comme probable
& non comme certain , parce que , comme
nous l'avons infinué ci - deſſus , la feule cafualité
a pu l'occafionner.
En nous fixant prudemment à ce milieu
nous nous éloignons d'autant de l'opinion
commune qui fait dériver toutes les fables
de l'hiftoire facrée , fans trop nous rapprocher
du fyftême particulier de M.
Bianchini , un des modernes Sçavans Italiens
, qui prétend que toutes ont leur
fource dans les hiftoires profanes. Suivant
cet Auteur , tout autant d'hiftoires de Héros
& de Divinités que les antiques monumens
nous ont confervées , toutes ont eu
AVRIL. 1758. 143
pour objet des hommes qui , dans les temps.
éloignés , fe rendirent fameux par différentes
routes ( l'amour du merveilleux .
vient de dire M. l'Abbé Trouillet , avoir
porté les anciens peuples à ne montrer
leurs grands perfonnages que fous le voile
de l'allégorie. De-là font nées la plupart
des fables du Paganifme , & des obfcurités
que renferme l'antiqué profane. Mercuro;
fecond volume d'Avril 1756 ) . Leurs actions
ayant été recueillies , foit par les
Poëtes , foit des flatteurs , foit par
leurs créatures , foit enfin par leurs propres
defcendans; il arriva que les premiers
par profeffion , les feconds par intérêt , les
troifiemes par reconnoiffance , les derniers
pour leur gloire , les revêtirent de nombre
de circonftances fabuleufes ; & de cet affemblage
de menfonge & de vérité , fortit
toute la théologie du paganiſme.
par
On ne peut révoquer en doute que les
hommes n'ayent très-fréquemment divinifé
leurs femblables par quelqu'un de ces
quatre motifs. Il y a plus de 2500 ans que
cette fureur s'eft emparée de l'efprit des
Poëtes , & encore aujourd'hui n'en fontils
pas entiérement guéris , n'y ayant pas
de jolie femme que leur plume n'éleve au
rang d'une Déeffe. Les flatteurs faifoient
des Divinités de ceux qui , par leurs vices ,
144 MERCURE DE FRANCE.
étoient même indignes de conferver le
nom d'hommes ; les apothéofes des Empereurs
Romains en font une preuve. La
vanité des defcendans a attribué une origine
toute divine à nombre d'Empires & .
de Républiques ; les Romains non contens
de donner pour pere le Dieu Mars à Romulus
leur fondateur , firent de Romulus
même leur Dieu tutélaire .
t
!
C'eft à l'amour qu'eft dûe la plus ancienne
poffeffion de déifier les mortels..
Nous lifons dans le Livre de la Sageffe ,
chap. 14 , qu'un pere extrêmement affligé
de la mort de fon fils , qui lui étoit enlevé
a la fleur de fon âge , en fit faire l'effigie
pour foulager fa tendreffe qui , paffant les
bornes des fentimens humains , fit bientôt
de l'image l'objet de fon adoration ; l'au̟-
torité étendit la fuperftition jufqu'aux ferviteuts
, le mauvais exemple de ceux - ci
paffa au peuple , & du peuple à toute la
Religion. Ce délire occafionné par la même
paffion , s'empara pendant plufieurs fiecles
des plus grands hommes de l'antiquité.
Ciceron , ce Ciceron l'Oracle des Romains
dans le temps , & depuis l'admiration de
tous les fiecles , s'oublia fi fort à la mort
de fa chere fille Tullie , qu'il fut bien longtemps
dans le deffein de lui ériger un
Temple comme à une Divinité. Ses écrits
nous
AVRIL 1758. 143
nous certifient une fi folle extravagance.
L'Empereur Adrien pouffa cette ridicule
impiété au fuprême degré ; il fit bâtir des
Temples , dreffer des Autels , établit des
Prêtres , des fêtes , des Sacrifices : pour
qui pour un jeune Bithynien , nommé
Antinous , compagnon de fes abominables
turpitudes qui , fuivant quelques Auteurs ,
ſe noya cruellement dans le Nil , ou qui ,
comme d'autres le rapportent , offtit ſa vie
dans un facrifice magique qui fe faifoit
pour la prolongation des jours de l'Empereur
, & qui exigeoit une victime volontaire.
Mais quoiqu'il foit vrai que les fentimens
d'amour , de vanité ou d'intérêt ,
appuyés des fictions poétiques , ayent divinifé
nombre de mortels , le fyftême de
M. Bianchini ne peut pas pour cela fubfifter
dans fa généralité , 1 °. par l'exclufion
qu'il donne à toutes les hiftoires facrées
qui , comme nous l'avons obfervé , purent
être altérées , de la même maniere que les
profanes , par les Poëtes ; 2 ° . parce que
quelques fictions purent être totales , de
façon que la fable n'eût aucun mêlange de
l'hiftoire. Qu'eft ce qui empêchoit qu'un
fourbe de profeffion paffant dans quelque
région éloignée , n'y racontât des prodiges
de quelque Héros de fa Nation qui n'au-
1. Vol.
•
G
146 MERCURE DE FRANCE ;
roit jamais exifté , & qu'enfuite ce pays ,
où le menfonge auroit été répandų , n'adoptât
pour la Divinité le Héros imaginaire
? 3 °. Parce qu'une grande partie du
Paganiſme ayant adoré les aftres , qu'on
croyoit animés , il eft à préfumer que ces
objets donnerent lieu à quelques fictions.
L'adoration du foleil , par exemple , étant
enracinée , on put feindre , & il eft naturel
qu'on ait feint que la Divinité qui l'animoit
, avoit opéré telles & telles chofes ,
fans que cela eût le moindre rapport à
aucun homme , mais feulement à la Divinité
imaginaire.
Peut-être enfin , le grand nombre de
fables du Paganifme n'eut- il d'autre principe
que la repréfentation myftique ou
morale , politique ou philofophique que
quelques - uns lui attribuent ; je veux dire
qu'il le peut que ceux qui forgerent ces
narrations , n'eurent d'autre intention que
de repréſenter obfcurément , & fous le
voile de la fable , des myfteres théologiques
, ou des maximes philofophiques ou
morales , & que par la fuite l'ignorance du
peuple les faifant prendre à la lettre , on
vint à en former une théologie , ou une
Religion ridicule , à laquelle les Auteurs
n'avoient jamais penfé. Il eft conftant que
les Egyptiens cachoient fous des hiérogliAVRIL.
1758. 147
phes , non feulement leur Religion , mais
encore leur hiftoire , leur politique , leur
philofophie , dont on ne donnoit l'explication
qu'aux Rois & aux Prêtres du Soleil.
Il est vraisemblable qu'à l'imitation des
Egyptiens ( dans ces fiecles où ceux - ci
étoient réputés les plus fages du monde .) ,
nombre d'autres Nations ait pratiqué la
même chofe ; comme il eft auffi poffible
que les Egyptiens imitaffent quelque Nation
qui leur fût antérieure dans la réputation
de fcience ( on prétend que les fables
doivent leur origine aux Phéniciens
qui décrivoient des choſes ordinaires d'une
maniere toute figurée & toute hyperbolique.
Furetiere ) . Enfin , cette pratique put
être commune dans l'antiquité. Ce qu'il y
a de certain , c'eſt qu'un très - grand nombre
de fables du Paganifme ont une application
bien plus propre à la phyfique , à la
morale & à la politique , qu'à l'hiſtoire.
Voyez le fameux Bacon dans fon Traité de
Sapientia veterum , où , en fuivant cette
opinion , il explique très heureuſement
beaucoup de ces fables.
·
Concluons que cette matiere eft bien
plus fufceptible d'une infinité de conjectures
, que d'aucun fyftême général & folide.
C'eft ce que nous avons cherché à
prouver dans cette Differtation , fpéciale-
Gij
# 48 MERCURE DE FRANCE.
ment par rapport à l'union de la fable avec
l'histoire , & plus particuliérement encore
avec l'hiftoire facrée , qui eft auffi éloignée
des erreurs du Paganifme , que la plus
grande vérité l'eft du plus grand menfonge.
MEDAILLE S.
Devifes pour les Jettons du premier Janvier
1758.
TRESOR ROYAL.
NEPTUNE environné de fleuves qui lui
préfentent leurs Urnes.
Legende. Dant accipiuntque viciffim.
Exergue. Tréfor Royal.
1758.
PARTIES CASUELLES.
Un Oifeau détachant quelques- unes de
Les plumes pour garnir fon nid.
Légende. Sobolem pia cura juvabit.
Exergue. Parties cafuelles .
1758.
MAISON DE LA REINE.
Un crystal taillé à facettes, rendant plu
Geurs images du Soleil,
THE
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LENOX
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TIAN
IS
S
JOSE
ET
NAV
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I
IPIUNT
VIC
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ISSIN
TRESOA ROYAL
1758
SIDERE
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FELIX
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1758
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1758
LA DAUPHINE MAISON DE
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1758
L'ANNÉE 1758
PIA
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PARTSASU2124
1758
MEDITATA
TR
EXTRAORDWARE
DES GUERRES
1758
TEMPESTATE
RIUMPHOS
UTATUE
COPPER DELARTICL
ZTBY GENT.
1758
TRANS
EQUORA
RAUX DENTERS
1758
LABORE
VIRTU
COL FRANC . DE
LAM. 1758
USALIS
MENUS PLAISE
DU ROI
3758
IMPATIENS
XII
PUGN
MARINE
1-58
ORDINAIR 2 DES GUERRES
58
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
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A V R I L. 1758. 149
Legende. Quot ab uno lumine Soles.
Exergue. Maifon de la Reine.
1758.
MAISON DE MADAME LA DAUPHINE.
La planette de Jupiter avec fes
Lunes.
Légende. Quaterno fidere felix.
quatre
Exergue. Maifon de Madame la Dauphine.
1758.
EXTRAORDINAIRE DES GUERRES.
Hercules, allié de Pirithous , abattant les
Centaures à coups de maffue.
Légende. Sic fadera fancit.
Exergue. Extraordinaire des Guerres.
1758.
ORDINAIRE DES GUERRES.
Un cheval armé en guerre , retenu à la
barriere .
Légende. Impatiens pugna.
Exergue. Ordinaire des Guerres.
1758.
MARINE.
Deux Argonautes aîlés pourfuivant les
Harpies.
Légende. Ferro & pernicibus alis .
Exergue. Marine .
1758.
G iij
190 MERCURE DE FRANCE.
COLONIES.
Des Aigles qui paffent la mer.
Légende. Eadem trans aquora virtus.
Exergue. Colonies.
1758.
BATIMENS DU ROI.
Un trophée compofé des inftrumens des
trois arts ; Architecture, Peinture & Sculp
ture.
Légende. Et his quoque vincimus armiš .
Exergue . Bâtimens du Roi .
1758.
MENUS PLAISIRS.
Des Génies avec des lauriers & des
guirlandes.
Légende. Placet empia labore voluptas.
Exergue. Menus plaifirs.
1758.
ARTILLERIE ET GENIE.
Pallas tenant d'une main la foudre , &
de l'autre un plan de fortifications qu'elle
confidere attentivement.
Légende. Novos meditata triumphos.
Exergue. Corps royal d'Artillerie & du
Génie.
1758.
AVRIL. 1758. ist
CHAMBRE AUX DENIERS .
Une plante de laurier.
Légende. Nulla tempeftate mutatur.
Exergue. Chambre aux Deniers.
1758.
HISTOIRE NATURELLE.
REMARQUE fur un poiffon qu'on croit être
la Torpile.
UNE tempête ayant fait échouer fur la
côte du Croific , un poiffon que perfonne
du pays ne connoiffoit , on me l'apporta.
Je le comparai avec différentes figures de
poiffons deffinées d'après nature, & je trou
vai qu'il reffembloit parfaitement à la fameufe
torpile , fi célebre dans l'hiftoire
naturelle des poiffons. Sa réputation piqua
ma curiofité , & j'entrepris à l'aide du
fcalpel , de fonder fon méchaniſme intérieur.
Le défir de connoître la nature mé
tamorphofe fouvent les Phyficiens en anatomiftes.
Je m'attendois , vu fa configuration
extérieure d'y trouver des arêtes ;
mais à leur place , je n'y découvris que
des efpeces d'os cartilagineux tels que ceux
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
à >
de la raie. Les fibres de fa chair avoient
beaucoup de rapport
ceux de la morue
& étoient à peu près de la même blancheur
; mais une fingularité que je ne dois
pas obmettre , c'eft qu'il s'y trouvoit beaucoup
d'endroits teints intérieurement du
plus beau couleur de rofe. J'abandonne ici
la diffection pour paffer aux remarques
phyfiques que j'ai à faire fur cet animal.
En inférant le doigt vers fon coeur , je
fentis une piquure affez vive : je crus d'abord
que quelque arête très- fine étoit la
caufe d'un tel effet ; mais m'étant affuré
de la fauffeté de ma conjecture , je ne fçavois
plus à quoi attribuer cette efpece de
piquure beaucoup plus violente que celle
de la matiere électrique , lorfqu'elle eſt
miſe en mouvement par la force centrifuge
d'un globe de verre. Je fis mettre dans le
même endroit le doigt de la perfonne qui
m'aidoit dans cette opération , elle rellentit
la même douleur : mais ma furpriſe augmenta
bien. davantage , lorfque quelques
momens après , je fentis une véritable
crampe dans toute l'étendue de ma main
avec un engourdiffement dans le bras , accompagné
de mouvemens de friffon qui
fembloient couler de nerf en nerf. Je ne
doutai plus alors que cette qualité engour
diffante , qu'on attribue à la torpille lorf
AVRIL. 1758. 153
qu'elle eft vivante , ne fe fût confervée en
partie après la mort même. Sur ces entrefaites
, deux foldats de milice trouverent
la chair de ce poiffon fi belle , qu'ils me
la demanderent avec inftance pour la goûter.
Je leur dis de quoi il s'agiffoit , &
qu'ils rifquoient tout au moins une indigeftion.
Je me laiffai fléchir par leurs prieres
, lorfque j'eus fait réflexion , qu'une
efpece de raie appellée tremblar par les Pêcheurs
, fans doute à caufe de la propriété
qu'elle a de communiquer à la jambe un
mouvement de tremblement convulfif
Torfque l'on pofe deffus fon pied nu , ne
fait cependant aucun mal à ceux qui en
mangent . Effectivement , il ne leur en arriva
rien ; ils la trouverent au contraire
délicieufe , mais de tels palais font de
fort mauvais Juges en fins ragoûts.
Ceci nous fait voir , que ce qui peut opé
rer certains effets fur les nerfs de la peau
n'a plus le même pouvoir fur ceux de l'eftomac
.
C
Pline le Naturaliſte , dit , liv . 32 , chap.
1: Ex eodem mari torpedo etiam procul &à:
Longinquo , vel fi haftâ virgâve attingatur
quamvisprava lidos lacertos torpefcere quam--
Libet ad curfum veloces alligatipedes tradunt.
Si ces effets font vrais ( car les anciens .
Naturaliftes étoient de grands exagéra
G.v.
154 MERCURE DE FRANCE.
teurs , & fouvent même quelque chofe de
plus ) , il n'eft pas douteux que la mort du
poiffon n'ait éteint cette activité , au point
de n'en plus laiffer que de foibles reftes.
Je ne m'arrêterai pas à raiſonner fur la nature
de cette matiere , qui fixe en quèl
que façon nos mouvemens mufculaires.
C'est bien affez pour un Phyficien de raifonner
fur les chofes vifibles , fans préten
dre encore y joindre l'invifible.
Le même Pline dit dans un autre endroit
, liv. 9 , chap. 42. Novit torpedo vim
fuam , ipfa non torpens merfaque in limo fe
occuliar.
Je fuis en état de prouver qu'elle s'attache
au rochér même ; la partie dont elle fe:
fert pour cet ufage , eft peut-être unique
dans les habitans des ondes , fon méchanifme
eft des plus curieux , & d'autant
plus à notre portée , que nous pouvons l'imiter
& le contrefaire.
Un jeu d'enfant ( la boule de Savon )
fournit au grand Newton les plus habiles
expériences qui ayent jamais été faites dans
la phyfique expérimentale. Un autre jeu
d'enfant me fournira ici l'expérience dont
j'ai befoin pour expliquer l'action mécha→
nique de la partie qui fert à la torpile à
s'attacher contre le rocher affez fortement
pour réſiſter à l'agitation des flots..
AVRIL. 1758.
ISS
Un cuir mouillé , attaché au bout d'une
corde , fert aux enfans à élever de terre
des cailloux dont la ſurface eft affez polie
pour permettre au cuir de s'y appliquer immédiatement.
Tout Phyficien en fçait la
raifon , mais je trouve à propos de la répéter
ici en faveur de ceux qui ne la ſçavent
pas. La corde étant attachée au centre
du cuir , fait tout fon effort à ce feul point
pour le détacher de la pierre ; mais fa flexibilité
naturelle lui permet de s'élever en
cet endroit , quoique toutes les parties qui
fe trouvent plus près de fa circonférence ,
reftent encore pendant ce temps- là , comme
collées fur le caillou. Il fe fait donc alors
un vuide entre le cuir & la pierre , mais
aucun vuide ne peut fe faire à la furface
de notre fphéroïde terreftre , qu'une colonne
d'air d'une pefanteur égale à 27 pouces
de Mercure , ne preffe en raifon de fon
poids fur le cuir & en deffous de la pierre
pour en rapprocher les furfaces défunies ;
ne pouvant trouver aucune iffue au travers
de leurs pores pour s'infinuet entre deux ,
cette force devenant victorieufe de la pefanteur
abfolue du caillou , le force de fuivre
le cuir. Notre poiffon a immédiatement
entre les deux nageoires, qui fe trouvent
au deffous des ouies , une partie membranenfe
à peu près circulaire , qui fait en
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
fa faveur l'office du cuir mouillé que je
viens de décrire. Le milieu de cette membrane
eft de la grandeur d'un écu de fix
livres , lorfque le poiffon eft frais ; elle eft
femée par compartiment de petites éminences
fpongieufes qui fervent à la prémunir
contre la dureté des frottemens :
tel eft l'ufage des fubftances fpongieufes
qu'on découvre fous les pattes des chiens ,
des chats , & c. Tout au tour s'étend une
membrane plus fine , qui ne furpaffe guere
en épaiffeur une feuille de parchemin ,
& dont les fibres , ont la même direction
que les d'un cercle. La grandeurtotale
de cette piece repond à celle d'une
petite foucoupe à café.
rayons.
Lorfqu'elle fe trouve immédiatement
appliquée contre le rocher , l'agitation de
l'onde faifant effort. pour foulever le poiffon
, opere un vuide vers fon centre , que
la colonne d'eau jointe à celle de l'air s'ef
forcent de venir remplir : elles preffent
par conféquent le poiffon en raifon de la
furface du vuide qui fe trouve fous la
membrane. Donc cet effort. augmente
à mesure qu'il s'en détache une plus grande
partie de la furface du rocher . Si quel
qu'un , par hazard , révoquoit en doute
la vérité du fait , je fuis en état de lui
montrer la peau de ce poiffon , fourrée &
AVRIL. 1758.
très-bien confervée , où l'on peut voir la
partie dont je viens de faire la defcription ;
j'offre même de l'envoyer à Paris au premier
Naturalifte qui la défirera.
Un Méchanicien qui eft un peu Naturaliſte
, voit dans certains poiffons & dans
quantité d'infectes , des modeles de machines
dont les hommes fe croient les premiers
inventeurs ; au refte , il fe pourroit.
très -bien faire qu'ils n'euffent fait qu'imiter
la nature dans le commencement de
l'invention des arts , & dans ce cas nous
lui ferions encore redevable de nous avoir
appris elle-même à l'embellir par les tra
vaux de nos mains. Ce n'eft en effet que
depuis qu'on s'eft mis à l'obferver , & à
tâcher de lui arracher fes fecrets par d'ingénieux
artifices , que nous pouvons dire
avoir fait quelques progrès dans les véri
tés phyfiques. Que les bons efprits doivent
regretter le temps que tant de beaux gé
nies , & chez les Anciens , & chez les
Modernes , ont paffé à imaginer la nature
& à la faire quadrer avec leur fyftême !
Jofe le dire ici , un fyftême n'eſt qu'un
obftacle de plus à la découverte de la vérité
c'est vouloir conftruire un édifice
avec des matériaux qu'on ne connoît point
affez : l'on bâtit au hazard , & le temps .
fait toujours voir à la postérité que les Ar
chitectes fe font trompés , tandis qu'un fait:
:
158 MERCURE DE FRANCE.
bien approfondi refte pour toujours.
DE VILLENEUVE.
Au Croific , ce 26 Février 1758 .
CHIRURGIE.
DESCRIPTION d'un Enfant furnaturel , qai
a été présenté à l'Académie royale de Chirurgie
, le & Septembre dernier.
10. CET enfant eft venu à terme : il a
dix-huit pouces de long , & eft épais fut
les épaules d'un pied trois pouces & demi .
2º. Il a deux têtes , que l'on peut nom
"
mer tête droite & tête gauche.
3. Ces deux têtes font foutenues fut
deux cols bien diftincts , compofés de verrebrés.
4. Il a quatre bras , deux latéralement
& deux poftérieurement ; de forte que ce
fujet eft double fupérieurement , & fimple
inférieurement , & d'ailleurs beaucoup
d'autres particularités.
Le fieur Caftel étudiant en chirurgie ,
poffeffeur de ce phénomene , propofe aux
amateurs de l'hiftoire naturelle , de leur
faire l'analyse de ce fujet. Si quelqu'un des
re en décorer fon cabinet , il pourra s'adreffer
chez M. Vifinet , Maître Perruquier, rue
Mont-Martre , au coin de la rue du Mail.
AVRIL. 1958% 199
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQU E.
Six Duo à deux violons , ou pardeſſus ,
dédiés à M. le Marquis d'Etampes , Colonel
aux Grenadiers de France , par M.
Milandre. Gravés par Mlle Cheron . Prix
6 liv . en blanc. A Paris, chez l'Auteur, rue
Quincampoix , près S. Joffe. Et aux adref
fes ordinaires . Avec privilege du Roi.
TROISIEME Livre de Sonates à violon
feul , & baffe , dédié à Madame Ifabelle
Comteffe de Parliſle , par Félice Dejardino.
Prix 6 liv. Aux adreffes ordinaires de Mufique.
Cer Auteur eft connu avec avantage
dans le Public par plufieurs Ouvrages qui
ont plû extrêmement.
L'ÉLOGE de la Voix , Cantatille à voix
feule & fymphonic , dédiée à Madame de
160 MERCURE DE FRANCE:
Blair , Intendante du Hainaut & du Cam--
brefis ; par M. Légat- de Furcy , Maître
de Mufique & de Clavecin. Prix 1 l . 16 f..
Gravée par Mlle Vandôme , & fe vend à
Paris , chez l'Auteur , rue de Long- pont
près S. Gervais , & aux adreffes ordinaires.
Les paroles font de l'Anonyme de Chartrait,
près Melun.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
PRECIS de l'idée de l'Effai de M. Clémentfür
la compofition & fur l'accompagnement
du Clavecin.
Τουτ Tour ce qui a été dit par les Anciens
& par les Modernes fur l'harmonie , &
que j'ai recueilli dans cet Effai , fe réduit
à ceci :
L'harmonie eft une ; le fonds en eft le
même , quoique les Anciens & les Modernes
en ayent parlé différemment .
Tout eft confonnance ou diffonnance à
l'oreille ; la premiere la flatte , la feconde
la choque ; l'une répare ce que l'autre a
fait fentir de défagréable.
L'harmonie confonnante n'eft qu'un accord
parfait , qui fe trouve dans la nature
& dans la divifion d'un corps fonore , que
AVRIL 1758. 161
T'on fait raisonner ; expérience connue de
tout le monde.
L'harmonie diffonnante n'eft qu'un
accord de feptieme fondé fur trois tierces
qui fe fuccedent , & dont la derniere , qui
forme la ſeptieme touchant l'octave , forme
le fon diffonnant . Voilà tout le fyftême
harmonique : car fi tous les accords de
l'harmonie tirent leur origine de ces deux
là , il ne faut donc reconnoître pour accords
fondamentaux qu'un accord parfait
& un accord de feptieme , qui prennent
différens noms fuivant les notes du ton
far lefquelles on les fait entendre . Auffi
l'accord parfait tonique s'appelle - t'il 6
fur la médiante , & fur la dominante ?
Auffi l'accord de feptieme dominante
prend-t'il le nom de fur la feconde notte
, de 4 fur la quatrieme en defcendant
l'octave , de fur la note fenfible , & ainfi
8
des autres.
Vous trouverez tout cela développé
dans ce petit Effai , furtout dans une cofonne
qui réunit fous un feul point de
vue tout ce qui concerne chaque accord
en particulier. Sur une même ligne on.
voit l'accord , fon nom , ſon chiffre , ſon
accompagnement ou les fons qui le compofent
, fon ufage , & fa dérivaiſon ou
origine ; ce qui facilite beaucoup la théo
16% MERCURE DE FRANCE.
rie & la pratique de la compofition , &
furtout de l'accompagnement du clavecin ,
dont la pratique devient bien plus facile
aux jeunes gens par cette méthode qui ,
en leur mettant deux accords fous les
doigts , leur donne tout de fuite la pratique
de tous les autres.
Voilà , Monfieur , ce que j'ai l'honneur
de vous développer far mon petit Ouvrage
; je vous prie de le lire , & vous y verrez
réuni en abrégé ce qui a été écrit fur l'harmonie.
Peu de perfonnes n'ont pas réuffi pas
cette méthode d'accompagnement.
J'ai l'honneur d'être , &c.
T. CLEMENT.
VENUS vengée , Cantatille à voix feule
& accompagnement , dédiée à M. L. de
Lagery , par C. H. Blainville , gravée par
Mademoiſelle Vandôme . A Paris , chez
l'Auteur , rue de la Harpe , au café de
Condé ; chez M. Bayard , rue S. Honoré ,
à la Regle d'or ; chez M. le Clerc , rue du
Roule , à la Croix d'or ; chez Mademoiſelle
Caftagneri, rue des Prouvaires , à la Mufique
royale ; chez M. le Menu , rue du Roule
à la Clef d'or.
⚫ Cette nouvelle Cantatille eft d'un Augeur
dont le talent eft connu. On y trouve
AVRIL. 1758. 163
du chant & de l'harmonie. L'entrelaffement
des modes y eft auffi -bien entendu que la
bonne modulation.
E
GRAVURE.
Le fieur François , Auteur de l'art de
graver dans le goût du crayon , vient de
mettre au jour un Deffein de M. Carle-
Vanloo, qui repréfente des Soldats habillés
à l'antique , & occupés autour d'une table
à boire de la biere . Ce Deffein avoit paru
dans le dernier Sallon , où il avoit fait
Fadmiration de tous les Connoilleurs. En
effet les figures y font bien grouppées , leur
action eft vive & naturelle , & tous les
acceffoires font bien entendus. Ce morceau
eft très bien rendu par le Graveur . La
hardieffe & la précision du Deffein , le
moëlleux & le large du crayon y font fidélement
copiés. C'eft en même temps un
Deffein d'étude & une Eftampe qui fait
tableau . Cette gravure eft dédiée à M. le
Marquis de Marigny , Confeiller du Roi
en fes Confeils , Commandeur des Ordres
de Sa Majefte , Directeur & Ordonnateur
général de fes Bâtimens , Jardins , Arts ,
Académies , & Manufactures royales.
164 MERCURE DE FRANCE.
LE fieur Moitte a mis au jour une Ef
tampe repréfentant un Repos de chaffe ,
d'après Bénard. Le fujet nous a paru rendu
avec beaucoup de légéreté & de grace.
Cette gravure eft dédiée à M. Cochin
Chevalier de l'Ordre de S. Michel , Garde
des Deffeins du cabinet du Roi , & Secretaire
perpétuel de l'Académie royale de
Peinture. Le prix eft de 2 liv.
AVRIL 1758. 165
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADEMIE
'ACADEMIE royale de Mufique a continué
avec fuccès jufqu'à la clôture de fon
Théâtre , les repréſentations de la Tragédie
d'Enée & Lavinie. Plus on l'a vue ,
plus on a applaudi M. Dauvergne , & plus
on a été forcé de rendre à fon grand talent
toute la juftice qu'il mérite . Que ne doiton
pas attendre de lui , quand il fera choix
d'un Poëme plus heureux ! On peut dire
avec vérité que cet Opera , à un article
près , réunit tout ce qu'on peut defirer . Il
eft parfaitement habillé , la mufique en eft
excellente , les Ballets en font charmans . Il
ne lui manque que des paroles .
Pour la gloire de M. de Fontenelle ,
nous ne ferons pas l'extrait d'une Poéfie fi
peu digne de lui. Ce feroit bleffer en
quelque forte les mânes de ce grand homme
, & nous croyons ne pouvoir mieux
les honorer qu'en gardant un filence ref
pectueux fur cette trifte production.
466 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE FRANÇOISE.
Le lundi 27 Février , les Comédiens
François ont repréfenté pour la premiere
fois Aftarbé , Tragédie nouvelle. C'eſt la
premiere piece de M. Colardo , qui n'a ,
dit-on , que 23 ans. Un premier parterre
l'a jugée avec trop de rigueur. Un fecond
Public lui a prodigué les applaudiffemens ,
& nous penfons qu'il a été plus jufte même
en les exagérant. On ne peut pas annoncer
un talent plus marqué pour la poéfie , &
quoi qu'on en dife , c'eft le premier du
théâtre. Il couvre feul les défauts d'un
voile féducteur , & met les beautés dans le
jour le plus brillant : il porte enfin la magie
jufqu'au point de faire tout écouter
avec plaifir , en dépit du défaut d'intérêt
& de conduite. C'eft ce que nous avons
éprouvé à la repréſentation de la Tragedie
de M. Colardo. Ce n'eft pas affez de dire
qu'il fait de beaux vers , il poffede ce don
aujourd'hui devenu fi rare , cette contexture
parfaite , cet enfemble harmonieux
d'une verfification toujours noble , toujours
foutenue , qui fait fur l'oreille & fur
Tame le même effet que produit une excellente
mufique. Ajoutons qu'il penſe
AVRIL 1758. 167
plus fortement qu'il n'eft permis à fon âge ,
& qu'il exprime encore mieux ce qu'il
penfe il joint fouvent la force de Corneille
à l'élégance de Racine . Il eſt abondant
en images & fobre en épithetes, Il
n'employe que celles qui peignent . On
peut feulement lui reprocher d'avoir un
peu trop de ce que les autres n'ont pas
affez. C'eft une profufion de penfées &
de traits dont la continuité fatiguent . Seş
éclairs, quoiqu'ils brillent fans efforts , font
trop fréquens , & l'on eſt ébloui de tant de
lumiere,
Il y a tout lieu de préfumer qu'il ira
toujours en croiffant. Son fecond Ouvrage
doit enchérir fur fon premier. Mieux inftruit
de l'art du théâtre , il fera fans doute
un choix plus heureux ; il conftruira mieux
fa fable , il obfervera mieux la liaifon des
fcenes , & joindra au mérite des détails
celui de l'enfemble. 11 feroit à fouhaiter
que M. de la Touche eût conduit Aftarbé ,
& que M. Colardo eût fait les vers d'Iphigénie.
Nous penfons que de tous les deux
réunis , on feroit un excellent Poëte tragique.
Les cinq repréſentations qu'on a
données d'Aftarbé ont toujours été des
plus fortes , & également applandies : nous
ne doutons point qu'on ne la reprenne
après Pâques. On doit cet encouragement
168 MERCURE DE FRANCE:
à un jeune Auteur , dont le coup d'effai
annonce tout ce qu'on peut efpérer d'un
vrai talent.
Le famedi 11 Mars , les mêmes Comédiens
ont fermé leur Théâtre par Inès de
Caftro , avec le compliment d'ufage . M. de
Belcour s'en eft bien acquité à fon ordinaire.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont fait la clôture
de leur Théâtre le famedi 11 Mars ,
par la Noce interrompue , fuivie de la Fille
malgardée , parodie de l'acte de la Provençale
. Le fujet de cette nouvelle Paredie
eft un vieux Magifter de village , qui
a pour écoliere la jeune & belle Nicolete
dont il eft éperduement amoureux . Craignant
la coquetterie de ce charmant objet ,
il le cache à tous les regards , & ne l'entretient
que de fa prétendue laideur . La naïve
Nicolete s'eft mirée dans les eaux pures
d'un ruiffeau , & a été fort fatisfaite de fa
figure. Un jeune Amant qui , à l'infçu du
jaloux , lui a parlé d'amour , l'a encore
mieux perfuadée. Une vieille Gouvernante
du Magifter , impérieufe & brufque , veille
à tous les pas. Elle avertit le jaloux que
les
AVRIL. 178 . 169
les Amans peuvent s'introduire par une
breche faite au mur du jardin ; ce qui l'oblige
d'aller dans la guinguette prochaine
chercher des Maçons. Pendant fon abfcence
la furveillante donne dans un piege
que Nicolette lui tend ; l'Amant arrive en
cabriolet , & enleve fa chere Maîtreffe. Le
Magifter apprend une fi trifte nouvelle , &
en est défeſpéré.
Cette Parodie eft ornée de plufieurs
Ariettes Italiennes. Celle qui fait le plus
de plaifir & d'effet , eft chantée par Mlle
Favart , qui fait avec fuccès le rôle de Nicolette
, & qui eft en habit d'enfant . Dans
cette Ariette , on entend des fons mal articulés
d'une écoliere qui épele , mêlés
avec des fanglots & des pleurs , le Magifter
y joint les emportemens & fes brufqueries.
Le tout enfemble fait un tableau des
plus agréables .
M. Deshayes a fait le compliment qui a
été fort applaudi.
OPERA COMIQUE.
LE famedi 18 Márs , l'Opera Comique a
fait la clôture de fon Théâtre par le Magazin
des Modernes , précédé des Troqueurs,
& fuivi du Peintre amoureux de fon Modele,
I. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE:
& de fa Parodie intitulée , Gilles , garçon
Peintre , amoureux & rival , Parade avec
des divertiffemens , & le compliment à
l'ordinaire..
Gilles qui broye des couleurs , & le
bon homme Caffandre qui peint des enfeignes
; Colombine , fa chambriere , & la
belle Zirzabelle qui fert de modele pour
un enſeigne à biere , font les perfonnages
de cette Parade , digne d'être repréſentée
en dehors. Les paroles même pourroient
fcandalifer chez Bienfait. Il n'en eft pas
de même de la mufique : elle ne feroit
déplacée fur aucun théâtre. Les Ariettes
font bien coupées & ont beaucoup d'expreffion.
CONCERT SPIRITUEL.
E Le Dimanche de la Paffion 12 Mars , le
Concert a commencé par une Symphonie ;
enfuite Exaltabo te , Motet à grand choeur
de M. de la Lande , où Mlle Sixte a chanté
; M. Vachon a joué un Concerto de fa
compofition avec la même réuffite. M. Muguet
a chanté un petit Motet de M , Mouret.
Mlle d'Heuzé a joué fur l'orgue un
Concerto de M. Balbaftre . Mlle le Miere
chanté un petit Moter, Ce Concert a fini
AVRIL. 1758.
171
par Bonum eft , Motet à grand cheur de
M. Mondonville.
Le mardi 14 Mars , le Concert a commencé
par une Symphonie fuivie de Deus
mifereatur , Motet à grand choeur de M.
Davefne. M. Vachon a joué enfuite un
Concerto de fa compofition. Mlle Veftrisde
Giardini a chanté deux airs Italiens.
M. Balbastre a joué fur l'orgue l'ouverture
de l'Opera Languedocien. Mlle Fel a
chanté un petit Motet. Le Concert a fini
par un Poëme intitulé les Ifraélites à la
Montagne d'Oreb , mis en mufique par M.
Mondonville.
Ce Poëme qu'on peut appeller un Öratorio
François , a eu le plus brillant ſuccès,
& le mérite. Il eft de la plus grande beauté.
On peut avancer qu'il eft effai & modele
tout à la fois. II prouve mieux que
tout ce qu'on a pu écrire , que notre mufique
eft fufceptible de tous les modes &
de toutes les expreffions qu'on lui avoit
refufées il enrichit notre mufique
d'un nouveau genre qui lui manquoit.
Pour tout dire en un mot , il eft digne
de la mufique de M. Mondonville , qui
l'a rendu avec toute la fublimité que
fujet demande , & qui , à un ſpectacle différent
, femble avoir trouvé fon Quinault.
Il faudra à l'avenir aller au Concert pour
le
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
entendre de bonnes paroles françoifes. Ce
Poëme de M. l'Abbé de Voiſenon , on peut
le nommer fans le commettre , mérite d'être
confacré dans les faftes des Spectacles
François . Nous croyons faire plaifir à nos
Lecteurs de l'inférer ici dans fon entier.
LES ISRAELITES
A LA MONTAGNE D'OREB ,
POEME.
Choeur d'Ifraélites,
HELAS ! Dieu nous conduit dans ce féjour d'allarmes
,
Et nous y fommes immolés :*
Nous n'avons que nos larmes
Pour éteindre la foif dont nous fommes brûlés,
Aaron.
Refpectons du Seigneur la volonté fuprême ;
Il peut tarir la fource de nos pleurs :
Même en nous frappant , il nous aime ;
'Adorons fes décrets jufques dans nos malheurs ,
Le Choeur.
Pourquoi détruit-il fon ouvrage ?
Par les revers & l'opprobre flétri ,
Eft- ce là ce Peuple chéri
Qu'il appelle fon héritage
AVRIL 1758 . 173
!
Aaron.
Auprès de l'Eternel Moyfe eft votre appui ;
Craignez de l'irriter par votre impatience :
Tremblez , il paroît , il s'avance ;
Vos murmures vos cris ont percé jufqu'à lui .
,
Un prélude annonce Moyfe
Moyfe.
Quelles clameurs ont frappé mon oreille ;
Et d'un Dieu de clémence ont fait un Dieu veng
geur ?
Le Choeur.
Des maux que nous fouffrons , vous feul êtes
l'auteur ;
Nous gémiffons , & le Seigneur fommeille
Moyfe.
Peuple féditieux & digne de mépris ,
Aux bontés du Très- Haut réſerviez -vous ce prix?
Le Choeur.
Que font devenus fes Oracles ?
Trouvons-nous en ces lieux ce qu'il nous a pro
mis ?
Ce Dieu fi bienfaiſant nous traite en ennemis.
Moyfe.
Ingrats , avez -vous donc oublié fes miracles ?
C'est ce Dieu dont le bras vous foutint tant de
fois :
A la mer étonnée , il impofa des loix ;
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Il conduifit vos pas dans fes routes profondes,
Et les flots divifés revinrent à fa voix
Engloutir l'ennemi dans l'abîme des Ondes..
Il fouffrit , il calma vos cris tumultueux.
Expirans de langueur , en cet état funefte ,
La mort levoit fon glaive affreux ,
Il ouvrit les portes des Cieux ,
Et fit tomber pour vous un aliment célefte.
Du Pere le plus tendre implorez le ſecours ;
N'armez plus contre vous fa puiflance infinie ;
Soyez foumis au Dieu dont vous tenez la vie ,
C'est l'unique moyen d'en prolonger le cours.
Dieu veut vous éprouver ; que vos pleurs le filéchiffent.
Le Choeur.
Il rejette nos coeurs , lui , qui les a formés ;
C'eft en vain qu'ils gémiffent ,
Nos femmes , nos enfans périffent ;
Les tombeaux font ouverts , & les Cieux font
fermés.
Moyfe.
Ciel ! quels objets ! quelles victimes !
Nous périffons.
Le Choeur.
Moyfe.
Quel fpectacle d'horreur !
J'oublie , en voyant leur malheur ,
Que leurs murmures font des crimes
AVRIL. 1758. 171
Nous périffons.
Le Choeur.
Moyfe.
Dans ces momens affreux ,
Seigneur , n'écoute plus le cri de la vengeance.
Hélas !
Le Chaur
Mayfe.
De ta clémence
Répands les tréfors précieux.
Hate-toi.
Le Chaur.
Neus mourons.
Moyfe.
Que vas -tu faire › arrête :
Ils font tous tes enfans.
Le Choeur.
O fort & trifte fort L
Moyse.
Lance plutôt la foudre fur ma tête ,
Ne frappe que moi feul , je me livre à la mort.
Nous expirons.
Le Choeur.
Moyfe.
Grand Dieu , la foi la plus ardente
M'ordonne de tout efpérer ;
Tu ne peux tromper mon attente.
Ton peuple eft tout prêt d'expirer.
Ranime fa force mourante ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Pour te bénir , & t'adorer.
Moyje frappe le rocher , il en fort des torrens d'ead.
Le Choeur,
O prodige ! ô miracle ! ô puiffance ſuprême !
D'impétueux torrens s'élancent du rocher.
Moyfe.
Dieu devroit vous punir , & Dieu veut vous tou
cher ;
Il vous prévient , il vous cherche , il vous aime
Il daigne ne vous reprocher
L'oubli de les bienfaits , que par fa bonté même,
A ces traits éclatans , connoiffez l'Eternel ,
Adorez le Dieu d'Ifraël .
Le Choeur.
Adorons le Dieu d'Ifraël.
Moyfe.
Il appelle , il attire , il commande , il terraffe ;
Sans forcer notre volonté :
Il a de ce rocher brifé la dureté ,
C'eſt l'image des coeurs qu'il frappe de fa
A ces traits éclatans , connoiffez l'Eternel
Adorez le Dieu d'Ifraël.
Le Choeur.
'Adorons le Dieu d'Ifraël.
grace
Moyfe , Aaron & le Choeur.
Que le Seigneur eft grand que fa puiffance
étonne !
AVRIL. 1758. 177
Sa bonté remplit l'Univers.
Que fa vengeance éclate , tonne ;
Qu'il frappe les peuples pervers
Qui refuſent d'aimer un Maître qui pardonne,
La muſique du récitatif de Moyfe,
Ingrats , avez-vous donc oublié , &c.
eft admirable. Celle du Choeur
Nous périffons ,
eft du plus grand pathétique , & le dernier
Choeur ,
Que le Seigneur eft grand ! &c.
réunit tout ce qui peut rendre un choeur
parfait ; la majefté , la force & la richeſſe
d'harmonie .
le Le vendredi 17 du même mois
Concert a commencé par une Symphonie
fuivie de Diligam te , Motet à grand choeur
de M. Madin . Mlle Veftris-de Giardini a
chanté deux airs Italiens. M. Vachon a
joué un Concerto de fa compofition. Mlle
le Mierre a chanté un petit Motet. On a
exécuté Exultate , jufti , Concerto de voix
de M. Mondonville. Le Concert a fini
le Motet françois du même Auteur.
par
La réuffite de ce nouvel Oratorio a
été confirmée par la plus brillante affemblée
& les plus grands applaudiffemens.
Quelle gloire pour le Poëte & pour le Mu-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
ficien ! On peut leur appliquer avec vérité
ce vers de Quinault :
L'honneur eft égal entre vous.
Le Dimanche des Rameaux le Concert
Spirituel commença par une Symphonie
fuivie de Diligam te , Motet à grand choeur
de Gilles , dans lequel Mlle Sixte chanta .
Enfuite M. Vachon joua un Concerto de
fa compofition. Mlle Veftris- de Giardini
chanta deux airs Italiens. M. Balbaftre
joua fur l'orgue un Concerto de fa compofition.
Mlle Fel chanta un petit Motet,
Ce Concert a fini par Cali enarrant , Moter
à grand choeur de M. Mondonville.
La fuite des Concerts au prochain Volume.
AVRIL. 1758.. 179
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE STOCKOLM , le 9 Février.
>
N eft préfentement inftruit des circonftances
qui ont obligé nos troupes d'abandonner Anclam
& Demmin. L'armée qui avoit pris les quartiers
d'hyver en deça de la Peene , comptoit y tenir
jufqu'à ce que le temps lui permit de poursuivre
Les avantages , parce qu'on ne prévoyoit pas que
cette riviere , & les marais qui l'environnent
duffent fe glacer , comme il eft très-rare en effer
que ces eaux ſe gelent . Mais le froid vif qui commença
quelques jours avant Noël , devint tout- àcoup
fiviolent , que dès le 28 Décembre la cavalerie
pouvoit paffer la Peene fur la glace. Comme
alers la poſition de nos troupes n'étoit rien moins
qu'avantageufe , & que tous les poftes fur la Peene
étaient expofés , le Maréchal de Sternberg prit la
réfolution de retirer les quartiers , & de raffembler
les troupes entre Ruhtenberg & Stralfund .
Ainfi le Comte d'Hamilton , Lieutenant général ,
évacua le 29 Anclam , & le Lieutenant colonel
Sparre , quittant Wollgaft , fe replia fur Greiffswald.
Le Major général de Lugen , qui commandoit
à Tribfées , en ayant auffi retiré fes troupes ,
undéta chement de cent hommes , commandé par
H vj
180 MERCURE DE FRANCE:
le Capitaine Sternroos , fut attaqué près de Nof
fendorf par les Huffards Pruffiens de Mala
chowski , & il en fut enveloppé. Ce Capitaine fe
jetta dans une maifon , où il fit une vigoureuſe
défenfe. Les ennemis y mirent le feu pour l'obliger
d'en fortir ; il ſe fit jour l'épée à la main , &
rejoignit le corps du Général de Lugen.
Le même jour 29 Décembre , le Colonel Carpelan
, qui commandoit à Demmin , reçut ordre
d'abandonner cette Place , & de fe rendre au corps
de l'armée. Mais comme il difpofoit ſa retraite
il fut bloqué de toutes parts par dix bataillons &
trente-quatre efcadrons Pruffiens , aux ordres du
Maréchal de Lehwald. D'abord les ennemis le
fommerent de fe rendre , avec la garnifon , prifonnier
de guerre. Il répondit que ces conditions
n'étoient pas faites pour des Suédois. Sur cette
réponſe , l'ennemi commença l'attaque par un
feu très- vif de canons , de mortiers & d'obuz. On
lui ripofta de maniere , qu'on lui démonta pluheurs
pieces d'artillerie . Le lendemain , le Maré--
chal de Lehwal fit faire d'autres propofitions.
Elles furent également rejettées , & le Colonel
Carpelan envoya les Majors During & Wrangeb
offrir l'évacuation de la Place , mais à la ſeule
condition de fe retirer librement avec tout ce
qui appartenoit aux Suédois. Les Pruffiens voulurent
exiger que la garnifon s'engageât à ne point
fervir d'un an contre le Roi du Pruffe ou fes Alliés
; le Colonel ayant tenu ferme , obtint enfin la
capitulation qu'il fouhaitoit , & elle fut fignée le
30 au foir. Il fortit le premier Janvier de Demmin
avec toute la garnifon , & le 4 il rejoignit à
Ludersh gen le Général Lybecker.
Les douze ou treize mille hommes deftinés à
paffer en Pomeranie , pour renforcer l'armée du
AVRIL. 1758. 181
Roi , fe rendent de tous côtés dans les ports ou
ils doivent être embarqués , & l'on travaille en
conféquence avec toute l'activité poffible à réparer
les Galeres qui doivent tranfporter ces Troupes.
Il part auffi continuellement des provifions
pour Stralfund & l'Ile de Rugen.
ALLEMAGNE.
DE KONIGSBERG , le 13 Février.
Toute la Pruffe eft actuellement au pouvoir des
troupes Ruffiennes. En entrant fur le territoire
d'Elbing , elles ont pris environ quarante foldats
qui occupoient un petit Fort. La garnifon que le
Général Fermer a laiffée ici eft de fix mille hom-'
mes , infanterie & cavalerie. Les Cofaques de fon
armée obfervent la même difcipline que les troupes
nationales , & font traités en conféquence fur
le pied de troupes régulieres.
On affure qu'avant un mois , l'armée Ruffienne
fera forte au moins de quatre-vingts mille hommes
, & qu'il en marchera la moitié vers la Siléſie .
Le corps du Général Fermer eft en pleine marche
pour fe rendre dans la Poméranie.
•
Konigsberg vient d'être impofée par les Ruffiens
à une contribution de cinquante mille écus. Les
Commiffaires de l'Impératrice font de grands amas
de vivres à Kowno , pour y établir un magazin
capable de faire fubfifter un corps de quarante
mille hommes.
L'armée Ruffienne eft en mouvement pour
s'approcher de la Viftule. Le Major général Stolfen
eft entré le 11 dans Marienwerder avec un
détachement de trois cens hommes.
、
On ne peut qu'admirer la modération des Ruf
182 MERCURE DE FRANCE
fiens dans toute leur conduite à notre égard. Cea
pendant on a toujours lieu de craindre que les
violences exercées en Saxe , ne les forcent enfin
d'en venir à de fâcheufes repréfailles.
DE LEIPSICK , le 25 Février.
Les Etats des Cercles de Saxe font toujours af
femblés ici . Le 16 de Février , M. de Borck ,
Miniftre du Roi de Pruffe , propofa de la part de
fon Maître , aux Députés des Cercles , de remettre
aux Etats l'adminiftration des revenus de l'Electorat
, à condition 1º . de payer au Roi de
Pruffe la fomme de fix millions d'écus , y com
pris le produit des domaines & de l'accife géné
male , ou celle de quatre millions & demi , fans ces
deux branches des revenus ; 2º, de donner encore
en portions & rations la valeur de cent mille écus
par mois , pour l'entretien des troupes Pruffiennes
qui font en Saxe ; 3 °. d'acquitter en outre
exactement ce que cet Electorat redoit de l'année
derniere .
Ces demandes n'interrompent point le cours
des exécutions militaires qui fe font avec plus de
rigueur que jamais . Elles commencerent le 8 Janvier
dans les Bailliages de Moiffen & d'Ofchutz ,
pour la livraifon de deux mille wifpels , ou quarante-
huit mille boiffeaux de froment à quoi le
Cercle de Milnie eft taxé . On menace de traiter
de même les autres Bailliages , & de condamner.
au double ceux qui n'auront pas fourni leur con
tingent. Plufieurs Cercles , que les événemens de
la guerre affujettiffent également aux ordres des
deux partis ennemis , ont beau repréſenter les
obftacles que ces ordres contradictoires apportent
au fournitures qu'on exige d'eux, on veut qu'elles
AVRIL. 1758. 183
Te faffent à quelque prix que ce foit , à peine d'être
livrés au pillage des Huffards , & pour les Gentilshommes
dont on pourra le faifir , d'être mis dans
la Fortereffe de Magdebourg,
On a exécuté dans cette Ville douze Marchands
Italiens , taxés enfemble à quinze mille écus de
douceurs ( ainfi nomme- t'on cette nouvelle taxe ) ,
pour le premier bataillon des Gardes Pruffiennes.
Mêmes exactions à Drefde , mêmes violences de
la part du Commandant. Propriétaires & Locatai,
res de maiſons , pauvres & riches , tout y eft taxé,
A l'égard des Saxons enrôlés de force , qui ont
déferté des troupes Pruffiennes , le Directoire de
Torgau a enjoint aux Tribunaux de Juftice , fous
les plus féveres menaces , de confifquer tous leurs
biens meubles & immeubles , fans exception , de
les faire vendre à l'encan dans le terme de fix femaines
, & d'en faire porter le prix à la caiffe militaire
des Pruffiens . Le même traitement fera fait
aux Officiers Saxons qui ont paffé au ſervice de
l'Empereur ou de l'Empire. On veut encore forcer
les parens des déferteurs à les repréſenter. Un
paylan du Bailliage de Noffen qu'on avoit arrêté
pour répondre de fon fils qui étoit fugitif , cherchant
à fe fauver lui-même , a été jetté mort fur
le carreau.
On a mis le fcellé fur l'hôtel des Monnoies à
Drefde , & l'on n'en fait pas la raifon, à moins
que les malverfations du JuifEphraïm , qui depuis
La guerre ont été portées à l'excès , ne lui ayent
attiré cette difgrace.
Les Députés des Etats font encore ici . Le premier
payement des fix cens mille écus qu'ils ont
été contraints d'accorder fous le nom fpécieux de
don gratuit , fe fait actuellement avec la plus
grande rigueur. La moindre Terre noble eft taxée
184 MERCURE DE FRANCE.
à mille écus , & les autres à proportion .
Nos Magiftrats font aux arrêts à l'Hôtel de Ville
& gardés par foixante foldats. On permet feulement
aux plus âgés de retourner chez eux le foir ;
les autres font obligés de refter & de coucher fur
des paillaffes. Il y a fur toutes les maiſons & fur
les biens de fonds une nouvelle taxe fixée à deux
pour cent du prix de la derniere acquifition . Les
Locataires font impofés à quatre gros par écu de
tout bail qui excede vingt écus par an. Si l'on
manque d'argent comptant pour fatisfaire à ces
exactions , il faut donner de l'argenterie ou des
marchandiſes ; les Pruffiens s'accommodent de
tout. Indépendamment de ces taxes , chaque Négociant
eft encore obligé de payer féparément
mille ou deux mille écus. Le commerce eft entiérement
fufpendu , & l'on ne permet plus le tranf
port d'aucunes marchandifes. Enfin les foldats
vont de maifon en maifon , & prennent de force
tout ce qu'on ne veut pas leur donner. Drefde
Chemnitz , Naumbourg , Merfebourg , font traités
à peu près de même. On vend aux Juifs à trèsvil
prix les meubles , habits , effets , jufqu'aux lits
mêmes des habitans qui ne font point en état de
payer les taxes.
A Drefde , la cherté des vivres & la mifere des
habitans font à un tel point , qu'un grand nombre
eft réduit à la mendicité. La Princeffe Royale &
à fon exemple , plufieurs perfonnes de diftinction ,
font obligées , pour les faire vivre , de faire diftri
buer une certaine quantité de pain par femaine.
Le Directeur des biens que le Comte de Bruhl
poffede dans la baffe- Luface, a reçu ordre du Com
mandant de Drefde de s'y rendre au plutôt , pour
rendre compte du revenu de ces biens.
Tous les maux dont Léipfick eft accablée
AVRIL 1758 1185
viennent d'être portés à leur comble . Nos Magif
trats ont été forcés de prêter ferment de fidélité
aux Pruffiens. Pour leur arracher ce ferment , on
avoit planté le canon contre l'Hôtel de Ville. Les
Pruffiens ont voulu exiger le même ferment des
Etats de Saxe , mais ces Etats l'ont refufé ; ils ont
même déclaré hautement qu'ils périroient plutôt
que de manquer de fidélité à leur Souverain légitime
, & plufieurs Députés ont difparu . La Terre
du Comte de Loefer , Maréchal héréditaire & Préfident
né des Etats , & celle du Baron de Ponickau
, Miniftre de Saxe à la Diete de l'Empire , ont
été depuis ravagées & détruites comme celles du
Comte & de la Comteffe de Bruhl. Il eft à remarquer
que le fameux partifan Meyer , exécuteur de
ces violences , a été long- temps au fervice de Saxe.
On apprend de Drefde que le Commandant
Pruffien a auffi obligé les Magiftrats de cette Ville
de prêter ferment de fidélité à fon Maître , & que
la même cérémonie va ſe faire dans les autres Villes
& Bailliages de l'Electorat .
Le château de Lavenftein , appartenant au
Comte de Bunau , Chambellan du Roi , a été ra➡
vagé par les Pruffiens , & tous les effets , meubles
beftiaux , &c. ont été tranſportés à Dreſde.
DE VIENNE , le 27 Février.
On ne croit pas que la ſanté du Prince Charles,
qui eft confidérablement altérée par les fatigues
de la derniere campagne , lui permette de commander
l'armée Impériale dans la campagne prochaine.
Ainfi , felon toutes les apparences , le
Feld -Maréchal Comte de Daun fera chargé da
commandement en chef.
L'échange des prifonniers refpectifs faits dans
186 MERCURE DE FRANCE:
la derniere campagne eſt enfin réglé. Les Coma
miffaires Impériaux & ceux du Roi de Pruffe
vont fe rendre pour cet effet à Peterfwalde &
Jagerndorff , & les troupes qui doivent être
échangées font en marche. Il a paffé par ici le 11
douze cens Craates , qui efcortoient huit cens
prifonniers Pruffiens , & le 14 , il a défilé une autre
Colonne de douze cens Croates qui vont en
Boheme.
On forme aux environs de cette Ville un nouveau
corps de Pionniers , & un autre corps deftiné
uniquement à la garde des équipages : ils fe levent
l'un & l'autre avec tout le fuccès poffible.
Les enrollemens conditionnels ont très- bien
réuffi dans cette Capitale , ainfi qu'à Lints , en
Stirie , & dans les autres Etats héréditaires de
Impératrice- Reine.
M. le Comte de Broglie , Ambaſſadeur du Roi
Très- Chrétien auprès du Roi de Pologne , eſt arrivé
de Warfovie , & retourne en France pour rétablir
fa fanté .
Tout ce qu'il y avoit ici d'Officiers Généraux
& autres , ont en ordre de partir fans délai , pour
rejoindre leurs corps. Le Feld-Maréchal Comte
de Daun eft auffi fur fon départ.
Le 23 Février , la glace dont le Danube étoit
couvert , fe rompit fi fubitement & avec une telle
violence , que quatre arches du grand pont furent
emportées.
La marche des troupes qui viennent d'Italie
pour aller renforcer l'armée de Boheme , a été
retardée quelque temps par le débordement de:
l'Adige ; mais on a des avis certains. que la tête de
ces troupes eft arrivée dans le Tirol.
Les ennemis ont été chaffés de Troppau le 18
par le Marquis de Ville , & ils fe font retirés avec
AVRIL. 1758. 187
perte. Le lendemain de la retraite , le régiment
de Stechau , dragons , croyant que les Pruffiens
occupoient encore ce pofte , s'approcha des fauxbourgs
de la Ville . On le fit attaquer par les
Uhlans , par les Huffards de Karoly , & par les
Huffards Carlftadiens , qui le mirent bientôt en
fuite , lui tuerent du monde , & firent prifonniers
le Major Pruffien qui le commandoit , un Capitaine
, Lieutenans , un Enſeigne , & deux cens
foixante Dragons.
DE HAMBOURG , le z Mars.
Ce qui vient de fe paffer à Zerbft caufe un
étonnement général . Un détachement de Huffards
Pruffiens étant revenu dans cette Ville pour enlever
le Marquis de Fraygne , a procédé de cette
maniere. Ils inveftirent d'abord le château , où le
Prince régnant avoit cru devoir mettre le Marquis
à couvert des violences qu'il avoit déja effayées
, & le tinrent bloqué pendant un jour.
L'Officier qui commandoit le détachement fit
enfuite braquer le canon , & fomma le Prince de
lui livrer le Marquis de Fraygne. Après quelques
négociations tentées infructueufement auprès du
Roi de Pruffe & du Prince Henry , le Comman
dant Pruffien déclara , que , file Marquis ne lui
étoit pas remis avant le 24 Février , il auroit recours
aux voies extrêmes. Sur ces difpofitions , le
Marquis de Fraygne , pour empêcher qu'à fon
occalion on n'achevât de violer tous les droits ,
en forçant jufqu'à l'afyle d'un Prince Souverain &
libre, qui n'eft en guerre avec perfonne , prit le
parti de fe remettre volontairement entre les
mains des Pruffiens. Il fut donc conduit fur le
champ à la citadelle de Magdebourg , où il eft
188 MERCURE DE FRANCE.
traité avec autant de rigueur que le plus coupable
fujet pourroit l'être fous l'autorité légitime de fon
Souverain naturel .
Quelques jours après cet événement , la Princeffe
douairiere d'Anhalt - Zerbft , & le Prince ré→
gnant fon fils , le font retirés dans cette Ville
pour fe fouftraire à de nouvelles extrêmités de la
part des Pruffiens.
DU CAMP D'HAMELEN , le 9 Mars.
Les troupes d'Hanovre , de Brunfwick & de
Heffe , auxquelles plufieurs régimens Pruffiens
s'étoient joints , fe mirent en mouvement le 18
du mois dernier , pour attaquer nos quartiers. Un
corps confidérable des ennemis fe porta fur Vehrden
, ce qui obligea M. le Marquis de Saint - Cha-
Maréchal de Camp , commandant alors
dans ce pofte , qui n'eft d'aucune défenſe , de l'évacuer,
& les inondations l'obligerent de ſe replier
fur Brême.
mans ,
Le 23 Février, M le Comte de Chabot- la Serre,
Brigadier des Armées du Roi & Colonel desVolontaires
Royaux , fut vivement attaqué dans Hoya
par des troupes fupérieures aux fiennes. Il avoit
fous fes ordres le rég ment des Gardes Lorraines ,
deux compagnies de Grenadiers , deux Piquets de
Bretagne , & cent Dragons du régiment Meſtre
de Camp Général. Il fit la plus vigoureufe défenfe
, & fe battit de rue en rue : enfin forcé de fe
retirer dans le château , il obtint une capitulation
très-honorable & fortit , ainfi que les troupes
qu'il commandoit , avec tous les honneur de la
guerre. Le régiment des Gardes Lorraines a beaucoup
perdu à cette attaque. M. le Chevalier Mecles
, Lieutenant- Colonel du régiment Mestre de
AVRIL 1758. 189
Camp Général , qui étoit venu volontairement
avec les Dragons , & M de Prade , Aide Major de
ce corps , ont été tués . M. le Chevalier de Lemps ,
Lieutenant-Colonel du régiment de Bretagne
s'eft fort dift.ngué , ainfi que tous les Officiers des
différens corps.
M. le Comte de Chabot ayant fait fçavoir le 24
à M. le Comte de Saint- Germain l'événement de
Hoya , ce Lieutenant géneral jugea qu'il ne pouvoit
plus être d'aucune utilité dans Brême au refte
de l'armée dont il fe trouvoit féparé , & qu'en y
reftant , il couroit rifque d'être coupé tout -à -fait
par l'ennemi ainfi il fit fur le champ fes difpofitions
pour ſe retirer avec fa nombreuſe garnifon.
Il a fait fa retraite dans le meilleur ordre jufqu'à
Ofnabruck , où il a trouvé le régiment de Champagne
, deux régimens de Cavalerie , & le régi
ment Colonel général des Dragons.
;.
M. le Comte de Clermont ayant jugé à propos
de replier fon quartier général pour donner le
temps à tous les corps de fon armée de le joindre ,
ce Prince partit le 28 d'Hanovre dans le plus
grand ordre , & en faifant obferver à les troupes
la plus exacte difcipline. Il a fait diftribuer aux
pauvres les farines qui ne pouvoient fe transporter.
Il avoit donné les ordres pour faire évacuer dès le
26 les Villes de Zell , de Brunſwick , de Wolfenbuttel
, & tous les autres poftes que nos troupes
occupoient. Cette retraite générale n'a pu fe faire
fans perdre les malades qui ne ſe font pas trouvés
en état de fupporter le tranſport , quelques chariots
mal attelés , & beaucoup de provifions ; mais
on a pris de juftes mefures pour empêcher l'ennemi
de profiter de nos magazins.
Le 9 Mars , toute l'armée ſe trouvoit raffemblée
à Hamelen , où M. le Comte de Clermont a établi
190 MERCURE DE FRANCE.
fon quartier général. Depuis ce Prince a donné
ordre de jetter un pont fur le Wefer à Rhintlen ,
affurer la communication avec le corps que pour
commande M. le Comte de Saint- Germain fur la
rive gauche de cette riviere , & pour obferver de
plus près les mouvemens des ennemis fur Munden.
DE PRAGUE , le 3 Mars.
On affure ici que , fuivant le plan d'opérations
concerté à Vienne , l'Impératrice- Reine aura trois
grandes armées qui agiront tout à la fois ; l'une
en Siléfie , fous les ordres du Feld-Maréchal Comte
de Daun ; la deuxieme , commandée par le Feld-
Maréchal Comte de Nadafty , du côté de Troppau
; & la troifieme , dans la Luface , aux ordres
du Feld-Maréchal Bathiani.
Plufieurs lettres ont confirmé l'action particu
liere dont voici le détail. Le 16 Février , un Officier
de nos troupes vint loger à Kaldekerich. II
n'avoit qu'un petit détachement avec lui , & cependant
il fit marquer des logemens pour mille
hommes ; mais il n'exigea pour fa troupe que les
provifions néceffaires , & fit obferver le meilleur
ordre. A peine ce qu'il avoit demandé aux habitans
lui fut délivré , qu'il parut un corps de troupes
ennemies fort fupérieur au fien , dans le deffein
de l'enlever. Le Capitaine n'eut que le temps
de s'emparer du cimetiere , & de s'y retrancher
comme il put . Les Pruffiens voulurent l'y forcer ,
& des deux côtés on ſe fufilla vivement. Après
une demi -heure de combat , ils fommerent l'Officier
de fe rendre. Celui-ci pour toute réponſe
dit, qu'il avoit fait marquer du logement pour
deux Bataillons , & qu'il étoit bien réfolu de tenir
juſqu'à leur arrivée. Le feu recommença fur la
AVRIL. 1758. 191
champ ; mais l'Officier voulant ménager fon
monde , fit demander des conditions. Pendant les
pourparlers qui fufpendirent l'attaque , l'Officier
reconnut une maiſon qui communiquoit au cimetiere.
Il fit fortir par-là fon Lieutenant avec la
moitié de fa troupe. Ce dernier après quelques
détours vint charger les Pruffiens en queue , & le
Capitaine fortant tout-à-coup du cimetiere , força
la tête. Les Pruffiens , qui crurent alors avoir fur
les bras les mille hommes dont on avoit parlé,
furent culbutés , & fe retirerent en défordre , laif
fant fur la place vingt-fept hommes morts , fans
les bleffés qu'ils remmenerent avec eux. Le nom
de ce Capitaine eft Lallieux , & le Lieutenant ſe
aomme Ryff.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 10 Janvier.
Le 31 de Décembre , vers les fix heures da
matin , cette Ville a encore reffenti un nouveau
tremblement de terre dont la fecouffe a duré
trenté ou trente-deux ſecondes. Elle étoit accompagnée
d'un bruit fouterrein . C'eft la plus violente
qu'on ait effuyée depuis celle du premier Novem
bre 1755 ; mais elle n'a point cauſé de dommage.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
M. Bernard de Boulinvilliers prêta ferment entre
les maine du Roi pour la charge de Provôt ,
192 MERCURE DE FRANCE .
Maître des Cérémonies de l'Ordre Royal & Mili
taire de S. Louis , dont il a été revêtu fur la démiffion
de M. de Lamoignon.
Par une Ordonnance du Roi rendue le premier
Février , les Volontaires du Dauphiné vont être
confidérablement augmentés. Ce corps qui étoit
de cent vingt hommes , en fix Compagnies de
vingt hommes chacune , dont cinq d'Infanterie &
une de Dragons , fera porté à quatre cens vinge
hommes en fix Compagnies , chacune de foixantedix
hommes , dont quarante d'Infanterie & trente
de Dragons. Il aura dorénavant le titre de Régi
ment des Volontaires du Dauphiné.
M. le Marquis de Paulniy ayant obtenu du Roi
la permiffion de fe démettre de la charge de Secretaire
d'Etat au département de la Guerre , Sa
Majefté a nommé M. le Maréchal de Belle- Ifle
pour le remplacer.
Sa Majefté a difpofé du Régiment de Mailly en
faveur de M, le Marquis de Talaru , & de celui de
Talaru en faveur de M. le Duc de Mazarin.
M. le Marquis de Pons a obtenu du Roi l'agrément
de Colonel en fecond du Régiment de Dragons
d'Orléans .
Le 7 Mars , le Roi fit dans la plaine des Sablons
la revue du Rég ment des Gardes Françoiles , &
de celui des Gardes Suiffes . Ces deux Kégimens ,
après avoir fait l'exercice , défilerent en préſence
de Sa Majesté. Monfeigneur le Dauphin , Madame
la Dauphine , Madame Infante , Madame , &
Mefdames Victoire , Sophie & Louife , affifterent
à cette revue.
Par une Ordonnance du Roi du 20 Février dernier
, il eft enjoint aux Officiers des troupes des
armées du Roi en Allemagne ; qui fe font rendus
,en France fur des paffeports , pour y travailler
aux
AVRIL. 1758. 193
aux recres de leurs corps , de s'acheminer dans le
courant de ce mois , des lieux où ils font aux quar
tiers généraux à portée de la frontiere affignés à
chaque corps pour y raffembler fes recrues , &
d'y être rendus au premier Avril prochain au plus
tard. Veut Sa Majeſté , 1 ° . Que lesdites recrues ,
ainfi que les chevaux de remonte des régimens de
Cavalerie , de Huffards , de Dragons & de Troupes
légeres , foient conduits par lefdits Officiers
abfens , & que ceux qui pour cet effet ne ſe trou→
veront pas rendus auxdits quartiers au premier
Avril , foient punis & privés en outre de leurs appointemens
, pour tout le temps de leur abfence s
2°. Les Officiers qui auront joint leur corps avec
lefdites recrues dans le mois d'Avril ou dans les
premiers jours de Mai , fuivant l'éloignement
defdits corps , feront employés préfens dans les
revues qui feront faites par les Commiffaires des
Guerres , & y feront rappellés pour être payés du
temps de leur abfence , grace dont feront privés
ceux qui n'auront pas joint ; 3 ° . Si quelques- uns
defdies Officiers abfens s'étoient mis en route
pour rejoindre leurs corps , & y arrivoient avant le
temps ci -deffus marqué , ils feront auffi rappellés
dans lefdites revues , pour les mois précédens de
leur abſence.
Le Roi a fait Maréchaux de France M. le Comte
de Bercheny, Lieutenant général , & M. le Comte
de Conflans , Vice Amiral.
Sa Majefté a tenu le Sceau pour la 23 , 24 & 250
fois.
Les Lieutenans Généraux nommés par le Roi
pour fervir pendant la préfente campagne dans
l'armée commandée par M. le Comte de Clermont
, font MM. le Marquis de Villemeur , le
Duc de Randan , le Marquis de Contades , le
1.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE. NO
>
Comté de Mortaigne , le Marquis d'Armentieres →
les Ducs de Briffac & de Chevreufe , les Marquis
d'Anlezy , de Morangies & de Sourches le
Comte de Fitz- James , le Chevalier de Nicolai
le Duc de Fitz- James , le fieur de Chevert , le
Comte de Noailles , le Duc de Broglie , le Chevalier
de May , le Comte de Lorges , le Duc de Lauraguais
, les Comtes d'Andlau & de Guerchy , le
Duc d'Havrey , le Marquis de Saint- Pern , le
Comte de Saint Germain & le Marquis de Valiere.
Les Maréchaux de Camp font , MM. les Marquis
de Crillon & de Torcy , le Chevalier du Châtelet¸
le Marquis de Poyanne , le Comte de Montmo
tency, le Chevalier de Fontenay , les Comtes de
Vogué & d'Orlick , les fieurs de Planta , Caftella
& Boccard , le Comte de Lutzelbourg , les Mar
quis d'Auvet , d'Efcars , de Dreux & des Salles
les Comtes de Champignelles & de Raugrave , le
fieur de Beaufobre , les Comtes de Vence & de
Bergeyck , le Marquis de Voyer , le Chevalier de
la Touche , les Marquis de Laval & de Monteynard
, le Prince de Beauveau , le Comte de la Gui◄
the , le Chevalier de Pons , les Marquis de Maupeou
& de Béthune , le Comte de Ségur , les Marquis
de Leyde , de Roquépine , de Monty , de
Traifnel , & le Comte d'Egmont.
Le Roi, par Edit de ce mois , enregistré au Partement
, a créé dix nouvelles charges de Payeurs ,
& autant de Contrôleurs des Rentes fur PHôtel
de Ville de Paris . La finance de chacune des pre
mieres eft de trois cens einquante mille livres , &
celle de chaque charge de Contrôleur , de quatre
vingt-dix mille livres.
On mande de Toulouſe , que le feu prit le 21
Février à huit heures du foir en certe Ville , au
quartier des Pénitens noirs , que l'incendie a duré
jufqu'au matin du jour fuivant , qu'il a confumé
J
AVRIL. 1758. 195
huit maiſons , avec une grande quantité de meubles;
mais qu'heureufement il n'a péri perfonne.
Le Janvier , les Pénitens Blancs, de Montpellier
ont célébré l'Anniverſaire de la fondation
qu'ils ont établie par délibération du 6 février
1757 , pour la confervation des jours facrés du
Roi. Cette délibération fut exécutée pour la premiere
fois le 11 février de la même année avec
tant de ferveur , que le produit des offrandes pro
cura la liberté de deux Prifonniers. C'eft fans
doute à cette preuve d'amour & de fidélité , que
cette Compagnie eft redevable de la permiffion
qu'elle obtint au mois de mars fuivant , d'avoir un
Suiffe à la grande livrée du Roi.
•
E
Ce fut le 4 janvier de cette année , que la cloche
à l'heure de midi annonça l'anniverſaire de
cette folemnité. On pofa les armoiries du Roi
avec banderolles fur le portail de la Chapelles
les Freres s'affemblerent au Choeur à trois heures.
Un de Meffieurs les Syndics crut ne pouvoir choi
fir un temps plus propre pour faire part de la let→
tre de M. le Comte de Saint Florentin , par la
quelle ce Miniftre veut bien honorer cette Com
pagnie de fon aggrégation . Les freres déja affectés
par l'objet qui les raffembloit , furent péné
trés de la plus vive reconnoiffance , & le TeDeum
fut chanté en actions de graces : on chanta enfuite
les premieres vêpres de la Trinité avec folemnité
à l'iffue des vêpres la cloche fonna jufqu'à l'entrée
de la nuit.
Le lendemain , les freres artifans s'abftinrent
de toutes oeuvres ferviles , chaque frere voulant
prendre dans fon état & dans fa profeffion des momens
f précieux pour fatisfaire fon inclination
pour
le meilleur des Rois .
Le Saint Sacrement fut expofé às heures du
Dalij C
196 MERCURE DE FRANCE.
matin avec la permiffion de M. l'Evêque de Mont
pellier qui a bien voulu concourir au zele & à la
fidélité des Pénitens par fon approbation ; on célébra
fans ceffe des Meffes depuis l'heure de cinq
heures jufqu'à 10 , auxquelles affifta un concours de
peuple & d'ames fidelles qui y firent leur dévotion
avec une édification qui exprimoir leurs ſentimens
, les freres s'affemblerent à 8 heures pour
chanter l'office de la Trinité ; l'augufte affemblée
des Etats de la Province de Languedoc fe forma à
onze heures,à la maiſon de l'Oratoire, en habit de
cérémonies , fuivant la délibération du 3, pour af
fifter à la grande-Meffe des Pénitens Blancs , après
en avoir été invités par les députés de cette compagnie;
M, l'ancien Prieur en l'absence de M. le Prieur
en charge fut à l'Oratoire avec une députation pour
complimenter l'affemblée des Etats en la perfonne
de M. l'Archevêque de Narbonne , & pour leur diftribuer
des exemplaires de la délibération du 6 février
1757. Les Etats en corps furent enfuite à la
Chapelle des Pénitens , & M. l'ancien Prieur eut
l'honneur de leur préfenter l'eau bénite , Mrs. les
Commiffaires du Roi qui avoient été également
invités par les Pénitens , fe rendirent enfuite à
ladite Chapelle en habit de cérémonie , & M. l'ancien
Prieur eut l'honneur de leur préfenter l'eau
bénite , & de les complimenter en la perfonne de
M. le Maréchal Comte de Thomont , Comman
dant en Chef dans la Province ,
La grande Meffe fut célébrée par M. l'Evêque
de Montpellier , affifté des dignités de fon Chapitre
, & fut chantée par la mufique des Etats , la
piété & la modeftie des freres lors de l'offrande au
nombre de près de 300 , & le recueillement de
ceux qui communierent , mériterent les éloges
de l'affemblée , ainfi que le bon ordre dans une
Chapelle d'une très- petite étendue. Les perfonnes
AVRIL. 1758. 197
en place & de la premiere diftinction qui n'avoient
pu être placées dans l'Eglife , occupoient
les tribunes ; la décoration de cette Chapelle en
bois peint , doré & en tableau , ne permirent pas
d'autre décoration : l'autel fut fimplement , mais
noblement décoré fuivant l'ufage de cette compagnie
, par 12 cierges à la Parifienne de 10 pieds
de hauteur , portés par des grands & magnifiques
chandeliers d'argent. A la fin de la Meffe , les
freres chanterent en faux bourdon l'Exaudiat, pendanr
lequel on tira un nombre de boîtes , afin
d'inviter les Citoyens à unir leurs voeux aux chants
& prieres des Pénitens. Mrs. les Commiffaires du
Roi furent accompagnés jufqu'à la porte de l'Eglife
, par les députés de la Compagnie , ainfi que
l'affemblée des Etats ; le Saint Sacrement fut toujours
exposé à la piété des fideles : les freres fe
releverent de demi-heures en demi heures, pour y
faire ftation : les vêpres étant chantées à 3 heures
avec la même folemnité , la bénédiction fur
donnée par M. d'Ufés , M. l'Evêque de Montpellier
s'en étant exempté fur la fatigue du matin.
M. l'Archevêque de Narbonne fatisfait d'un établiffement
fi conforme à fes fentimens , a bien
voulu honorer cette Compagnie de fon aggrégation
après avoir célébré là Meffe de Communauté
le jour des Rois , & n'a pu refufer aux empreffemens
de Mrs, les Pénitens pénétrés de l'honneur
qu'ils avoient reçu la veille par la préſence des
Etats , de leur permettre d'aggréger cette augufte
affemblée dans la participation de leurs prieres &
bonnes oeuvres , ce qui a été approuvé par accla
mation , par délibération des Etats dudit jour du
même mois.
Tel a été l'événement , & telles font les fuites
honorables d'une cérémonie qui , renouvellée cha
Liij
198 MERCURE DE FRANCE.
que année, tranfmettra à la poftérité , que le regne
de Louis le bien aimé fut pour cette compagnie
un temps de ferveur. Le ciel fera propice à fes
voeux en multipliant les jours facrés de Louis le
bien-aimé , & cette compagnie fe glorifiera toujours
d'avoir la priorité parmi les différens établi
femens faits dans la même intention.
Nous apprenons de Marfeille , que le Capitaine
Chin , commandant la Barque le Saint- Esprit ,
& venant du Cap François , ayant rencontré le
janvier , dans le Golfe de Verre , près de Carthagene,
la Tartane du Patron Jean- Baptifte d'Agde
dont les Anglois s'étoient emparé , il l'a reprife
& renvoyée dans ce port , où elle eft arrivée le
26. Le même a appris à Alicante , où il a touché ,
que l'Eſcadre du fieur de la Clue s'eft emparé en
route de dix Navires Anglois.
Les Navires Anglois Alouette , chargé de
chanvre & de lin , la Rofe , de Stockton , ayant
ane cargaifon compofée de différentes marchandifes
, & le Bateau les Trois Soeurs , allant à Londres
avec des morues fraîches , ont été pris par le
Corfaire le Moiffonneur de Dunkerque.
Le Capitaine Antoine Vaffe , commandant l'A
wenturier , autre Corfaire de Dunkerque , s'eft
emparé des Navires Anglois le May , de Leith &
le Frederic , de Londres. Cette derniere prife ,
qui alloit de Peterſbourg à Corck , avec un chargement
de chanvre & de fer , a été conduite en
Norwege.
Les Corfaires le Machault & le Comte de Saint-
Germain , de Dunkerque ; y ont conduit les Na
vires Anglois le Succès , & le Marchand , de Stoc
kholm , l'Elifabeth , l'Anne & le Marchand , d'E
dimbourg , & le Marchand , de Rotterdam. Ces
fix bâtimens font chargés de charbon de terre,
AVRIL. 1758, 199
1 eft encore arrivé à Dunkerque un Brigantin
Anglois appellé la Jeanne & Marguerite , done
la cargaifon eft compofée de différentes marchandifes
, & qui a été pris par le Corfaire le Comte
Ayen , de Boulogne,
Les Navires Anglois le Franchip , de Corck ;
chargé de fruit & de fel , & le Javan , chargé
d'indigo , de fucre , de café & de bois de Campeche
, ont été pris par les Corfaires le Mefnil &
la Nymphe , de Granville . Le Javan a été conduit
dans ce dernier port ; l'autre prife eft arrivée à
Morlaix.
Le Capitaine Defvalons- Macé, commandant le
Corfaire l'Helene , de Saint-Malo , y a conduit le
Navire Anglois la Parfaite Union , de 360 tonneaux
, venant de Rhode- Inland , & allant à Londres,
avec une cargaifon d'indigo , de café , de
bois de campeche , de gayac , d'huile de baleine
, & d'autres marchandifes, Cette prife eft eftimée
plus de trois cens mille livres,
Le fieur de Gouyen , commandant le Corfaire
la Ducheffe de Fitz- James , de Saint - Malo , s'eft
renda maître d'un Corfaire de Jerzey , armé de
8 canons & de 40 hommes d'équipage , qui eft ar
rivé à Cherbourg.
Le Groignard , autre Corfaire de Saint- Malo ,
a conduit dans le même port de Cherbourg un
Brigantin Anglois de 200 tonneaux , chargé de
charbon de terre.
Le Navire François le Polly , chargé de fucre
& de café , a été enlevé par le Corfaire le Moras ,
de Saint-Malo , à un Corfaire de Briſtol , qui s'en
étoit,emparé,
On mande de Saint-Jean- de-Luz , qu'il y eft
arrivé un Navire Anglois appellé la Priory , de
Pool, qui a pour chargement 930 quintaux de
1 iv
200 MERCURE DE FRANCE.
morues , & 28 demi-barriques d'huile de poiffon:
Ce Bâtiment a été pris par le Corfaire la Baſquaife
, de ce port.
Les Capitaines Rondemy & Jean Olive , com
mandans , l'un le Corfaire le Roi Gaſpard , de
Marſeille , l'autre la Barque la Marie Diligente ,
de Martigue , armée en guerre & en marchandi
fes , fe font rendus maîtres , le premier , du Corfaire
Anglois le Osborne , armé de 80 hommes
d'équipage , le fecond , du Senaw l'Anne Betine ,
chargé de chanvre & de graine de lin.
:
Par les lettres venues de Saint- Domingue , on
apprend que les Corfaires de cette ifle y ont conduit
foixante-deux Navires Anglois qui font fa
Goëlette , le Jean- de- Nancy ; an Bateau Hollandois
repris fur les Anglois ; le Bateau , la Fleur
de la mer; le Brigantin , le Severn ; le Bateau ',
le Guilleaume ; le Brigantin , le Poli ; un Corfaire
repris fur les Anglois ; le Brigantin , l'Elifan
beth ; le Corfaire , les Deux Freres ; la Goëlette ,
la Jeanne ; le Bateau , le Diamant ; le Brigan
tin , la Marie-Marthe ; la Goëlette , la Fortune ;
la Goëlette , la Charmante- Folie ; la Goëlette
te Roi Georges ; le Corfaire , la Revanche ; le Cor
faire , le George ; le Corfaire , la Tarte ; la Goë-
Jette , le Loup , avec un Bateau ; le Bateau , la
Marie-Jofeph ; le Navire , le Munety ; le Bateau- ,
Ja Charmante- Bedfy ; le Bateau , PAmitié ; le
Brigantin , le Roi Georges ; le Senaw , le Derfor ;
de Bateau , les Deux-Freres ; le Brigantin , l'Afritain
; la Goëlette , la Norwege ; le Brigantin ,
ta Suzanne ; la Goëlette , le Ringeard ; le Sela
Rebecca ; le Brigantin , du même nom ;
le Bateau , le Diamant ; le Senaw , le Grandifon
le Bateau , le Guillaume ; le Brigantin , le Jean
de Greenoeck ; la Goëlette , Lancop de Lencefter
t
naw ,
"
AVRIL 1758. 201
Je François ; le Brigantin , le Dauphin ; la Goëlette
, l'Anne; le Navire , le Cigne ; une Barque
repriſe fur les Anglois ; le Bateau , l'Hirondelle ;
le Bateau , le Thomas ; le Bateau , la Bonite ; le
Bateau , l'Efther; le Brigantin ; l'Ame ; le Prince-
Sauvage , Navire Negrier , de Bristol ; le Pa→
quebot , le Duc de Falmouth ; le Navire , le Sucès
; la Goëlette , la Pauline ; le Senaw , la Syrene;
le Navire , le Tanger ; le Senaw , le Succès
; le Navire , l'Ifabelle- Marie ; le Bateau , le
Thomas ; la Goëlette , le Saint Etienne ; le Bateau ,
le Dauphin & le Hardewichele Brigantin , l'Hi
Tondelle ; le Senaw , l'Unifé ; le Brigantia , PA
mable-Jeanne ; le Bateau , la Bonne- Aventure.
Tous ces Bâtimens avoient des cargaiſons confi
dérables , à l'exception des Corfaires.
Le fieur Canon , commandant la Frégate dis
Roi la Valeur , s'eft rendu maître du Corfaire
Anglois le Vernon , de Londres , armé de 12 canons
, 16 pierriers , & 43 hommes d'équipage ,
il l'a conduit à Dunkerque.
La Revanche , Corfaire de Dunkerque , commandé
par le Capitaine Monnier , s'eft emparé de
la Frégate Angloife la Van- Anna , de 200 tonneaux
, chargée de coton , d'huile d'olive , de raifins
& de bled. Cette prife a été conduite à Diep
pe. Le même Corfaire a rançonné pour 750 gui .
aées les Navires Anglois l'Anfon le William
dont il s'étoit rendu maître.
Le Corfaire l'Emerillon , de Calais > a pris&
conduit dans ce port le Navire Anglois le Hellen ,
de Montroſe , ayant pour chargement 182 bar
ils de faumon.
Le Sloop Anglois la Providence , chargé de
grains , a été pris par le Corfaire le Villemur , de
Dieppe , qui l'a conduit au Havre.
I w
202 MERCURE DE FRANCE:
"
Il eft arrivé à Dieppe un Navire Anglois , dont
le Corfaire la Marquise de Leede , de Boulogne ,
s'eft emparé , & qui n'a pour chargement que des
pierres de taille plattes.
On apprend par des lettres écrites de Saint-Malo
, que le Capitaine Avice , commandant le Corfaire
la Comteffe de Bentheim , de ce port , y a
conduit deux prifes : l'une eft le Navire Anglois le
Fantyn , de 220 tonneaux , chargé d'environ 200
boucauts de fucre , de 7 boucauts de café , de
gingembre , de bois de Campeche & de dents
d'Eléphant l'autre eft le Corfaire le Prince
Edouard , de Grenezey , ( ci- devant la Sauterelle
, de Breft , ) armé de 14 canons , & de 80 hommes
d'équipage.
Le Bateau le Georges , de Jerzey , chargé de
balots de bas , a été pris par le Corſaire l'Eclair
de Saint Malo , qui l'a fait conduire à Cherbourg.
Le Corfaire le Samfon , de Bayonne , s'eft rea-
'du maître du Corfaire le Keirke , de Grenezey ,
armé de 10 canons , 12 pierriers , & 45 hommes
d'équipage.
On mande du paffage qu'il y eft arrivé un Navire
Anglois qui a été pris par le Corfaire le La
bour , de Saint-Jean-de-Luz , & dont la cargai
fon confifte en 401. boucauts de fucre , 150 barriques
de vin de Madere , & autres marchandiſes.
Les Vaiffeaux la Compagnie des Indes & le Duc
de Bethune , venant des Indes Orientales richement
chargés , l'un en marchandiſes de la Chine
Pautre en marchandifes de la côte de Coromandel
& de Bengale , font arrivés au port de l'Orient
en. Bretagne les 10 & 12 de ce mois .
Le Vaiffeau la Compagnie des Indes , aux átté-
#ages des côtes de Bretagne , a été atteint par un
Corfaire Anglois de 14 canons , contre lequel il
AVRIL. 1758. 203
eft battu pendant plufieurs heures ; fa bonne contenance
a fait lâcher prife à ce Corfaire.
Le Vaiffeau le Duc de Bethune, a auffi été attaqué
à la hauteur de 40 degrés de latitude Nord ,
par un Corfaire Anglois de 30 canons de 10livres
de balle , & nonobftant la foibleffe de ce Vailfeau
, qui n'étoit monté que de 16 canons , il a
forcé le Corfaire Anglois de l'abandonner . Le
fieur Sainromain , qui le commandoit , a été bleffé
au bras de deux coups de feu , & il a eu huit hom
mes de fon équipage tués & plufieurs bleflés.
La Compagnie à reçu , par le Vaiffeau le Duc
de Béthune , la nouvelle de l'arrivée de plufieursde
fes vaiffeaux à Pondichery , où ils ont remis
les munitions & les fecours dont cette place pouvoit
avoir befoin.
écrit de Marfeille que le Capitaine Gaffin
de Martigues , de cette Ville , commandant le
Brigantin le Fameux , a fait dans les différentes
croifieres douze prifes qu'il a conduites à Cadix ,
à l'exception d'une feule qui lui a été enlevée.
BÉNÉFICES DONNÉS.
Sa Majesté a nommé à l'Abbaye de la Joye près
de Nemours , Ordre de Citeaux , Diocefe de Sens,
la Dame de Barbançon - Nantouillet , Religieufe
de l'Abbaye de Fontaine , Diocefe de Meaux , & à
P'Abbaye de Saint Paul , Ordre de Saint Benoît ,
Diocefe de Soiffons , la Dame de Margeret , Religieufe
Bernardine de l'Abbaye du Pont - aux-
Dames , Ordre de Citeaux ; à l'Archevêché de
Eyon , M. P'Evêque d'Autun ; àl'Abbaye de Trois-
Fontaines, Ordre de Câteaux , Diocefe de Châlonsfur-
Marne , M. l'Abbé Comte de Bernis , Miniftre
L vj
204 MERCURE DE FRANCE.
& Secretaire d'Etat , ayant le département des
Affaires Etrangeres , & Commandeur nommé de
1'Ordre du S. Efprit ; à l'Abbaye féculiere d'Aifnay
, Dioceſe & Ville de Lyon , M. l'Abbé de
Jarente , Tréforier du Chapitre de Saint Victor
de Marſeille , & Vicaire Général du même Diocefe
; au Prieuré de Renty , Ordre de S. Benoît
Diocefe de Boulogne , à M. Belletrufe , Prêtre di
Diocefe de Digne
MARIAGE ET MORTS.
Le premier Février dernier M. Laurent Grimod
E
de la Reyniere , Fermier général , & l'un des Adminiftrateurs
des Poftes & relais de France, époufas
Mademoiſelle Sufanne- Françoife- Elifabeth de Jarente
d'Orgeval , fille de Meffire Alexandre - Bal
thafar de Jarente - de Senas , Baron de Luce , Lacroixhaute
, Marquis d'Orgeval , & de Dame Elifabeth
de Rambault - de Saint- Maurice.
La Bénédiction nuptiale leur a été donnée par
M. l'Evêque d'Orléans dans l'Eglife de Panthe--
mont..
Meffire N. Donadieu , Grand- Vicaire d'Alais ,,
Prieur Commendataire des Prieurés de Renty ,.
Diocefe de Boulogne - fur - Mer , & de Tournac
Ordre de Cluny , Dioceſe d'Alais , mourut à Uſezz
le 30-Janvier dans fa foixante - troiſieme année .
Meffire N. de Vanolles , Abbé Commendatairede
l'Abbaye royale de Reffons , Ordre de Saint
Benoit , Diocefe de Rouen , eft mort à Rheims le
8 Février âgé de $ 8 ans.
Meffire Alexandre- Hector de Gouvernet , Sei
gneur de Vexclaufe , eft mort à Bagnols , Diocese
AVRIL. 1758. 20 $
PUfez , le 10 Février dernier , âgé de quatrevingt-
feize ans.
Dame Marie - Françoile de Gelas Leberon
époufe de Meffire Marc- Antoine de Levis- Cou
fan , Baron de Lugny , ancien Capitaine aux Gardes
, eft morte le 17 Février dans la cinquanteunieme
année de fon âge.
Meffire Pierre Guerin-de Tencin , Cardinal de
Ja Sainte Eglife Romaine , Archevêque de Lyon
& Proviſeur de Sorbonne , Miniftre d'Etat , Abbé
des Abbayes de Vezelay , Dioceſe d'Autun , de
Trois Fontaines , Ordre de Cîteaux , Diocefe de
Châlons-fur-Marne ; d'Aiſnay , Diocefe de Lyon,.
& d'Abondance en Savoye , eft mort en fon Palais
Archiepifcopal le 2 Mars , dans la quatre - vingt--
quatrieme année de fon âge. Le Cardinal de Tencin
avoit été nommé à l'Archevêché d'Embrun en
1724 , & à celui de Lyon en 1740 ( 1 ) .
Meffire Guy de Durfort , Duc de Lorge , Comte
& Baron de Quintin , Vicomte de Pommerit , eft
décédé à Chaillot le 3 Mars , âgé de foixantequinze
ans.
( 1 ) Il s'eft gliſſé une erreur aſſez conſidérable dans
la Gazette de France du 11 de ce mois , p . 128 , par
rapport à l'âge de M. le Cardinal de Tencin. Ily
eft dit qu'il avoit 84 ans. Cela eft fautif, puifque ce
Cardinal étoit né en 1679 , le 22 du mois d'Août .
Ainfi il étoit âgé de 77 ans , fix mois & plufieurs
jours . C'est ce que l'on a appris d'une perfonne qui a
approché de très-près M. le Cardinal , & qui nous a
affaré le tenir de lui - même. Il eft à propos de relever
auffi une faute moins importante de l'Almanach
Royal ( p. 46 ) , où l'on a fait ce Cardinal pluss
jenne d'un an qu'il n'étoit , en marquant la date de
La nailance au 23 Août de l'année 1680.
a
206 MERCURE DE FRANCE.
Meffire Louis-George , Comte de Clermont-
Gallerande , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , premier Gentilhomme de la Chambre du
Duc d'Orléans , eft mort le même jour en cette
Ville , âgé de foixante-quatorze ans .
Meffire Bernard Drohin- de Valenceau , Brigadier
des Armées du Roi , ancien Lieutenant - Colonel
du Régiment de l'Artillerie & du Génie , &
Commandant d'un Bataillon de fon nom , eſt décédé
le 4 Mars à Avalon en Bourgogne , âgé de
quatre-vingt- treize ans & deux mois. Il avoit
cinquante-neuf ans de fervice , & il étoit retiré
depuis le premier Mars 1744-
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE..
Hôpital de M. le Maréchal Duc de Biron.
Dixieme traitement depuis fon établiſſement.
Le nommé Brindamour , de la Compagnie de
Sinety , eft entré le 24 Novembre , & eft forti le
3 Janvier parfaitement guéri.
E
Le nommé Saint- Antoine , de la Compagnie de
Gauville , eft entré le 24 Novembre , & eft forti le
3 Janvier parfaitement guéri..
Le nommé la Fayeur , Compagnie de Ratilly
eft entré le premier Décembre , & eft forti le 3
Janvier parfaitement guéri.
Le nommé Lépine , Compagnie de Poudenx ,
eft entré le premier Décembre , & eft forti le
3Janvier parfaitement guéri.
AVRTE. 1758.
207
Le nommé Beaudevin , Compagnie de Guer ,
eft entré le premier Décembre, & eft forti le 3:
Janvier parfaitement guéri.
Le nominé Lapierre , Compagnie des Defpiez ,.
eft entré le premier Décembre , & eft forti le 3
Janvier parfaitement guéri.
Le nommé Comtois, Compagnie de la Ferriere ,.
eft entré le 28 Novembre , & eft forti le 3 Janvier
parfaitement guéri.
Le nommé Cuify , Compagnie de Chevalier ,
eft entré le 28 Novembre , & eft forti le 3 Janvier
parfaitement guéri.
Le nommé Alphonfe , de la Compagnie de.
Coëttrieux , eft entré le 28 Novembre , & eft forti
le 3 Janvier parfaitement guéri.
Le nommé la Sonde , Compagnie de la Vieuville
, eft entré le 28 Novembre , & eft forti le 3
Janvier parfaitement guéri.
Le nommé Robert , de la Compagnie de Vifé ,
eft entré le 28 Novembre, & eft forti le 3 Janvier
parfaitement guéri.
Expériencefaite à Rheims
Lettre de M. Méric , Maitre en Chirurgie , à M..
Keyfer , en date du
Février 1758.
14
Je crois devoir vous faire part , Monfieur , du
fuccès de vos dragées antivénériennes , dont je
viens de me fervir fur une homme d'environ quarante
ans , lequel avoit deux larges & profondes
puftules véroliques avec un gonflement confidé--
rable dans les glandes inguinales. Ce qui lui étoir
furvenu à la fuite de plufieurs g... maltraitées , &
qui a été parfaitement guéri le trente- cinquieme
jour de l'ufage de vos dragées , quoique le maladefoit
forti tous les jours pour aller à les occupa
20 MERCURE DE FRANCE.
·
tions ordinaires , excepté les jours de purgation
Le tout a été exécuté fous les yeux d'un habile
Médecin de cette Ville. Cer exemple me prouve
l'efficacité de votre remede , que j'adminiftrerai
déformais avec la plus grande confiance à tous
ceux qui feront dans le cas d'en avoir beſoin , &
qui s'adrefferont à moi. Je me flatte qu'en fuivant
exactement votre méthode & vos confeils dans les
cas particuliers , je réuffirai toujours , & me ferai
gloire de contribuer avec vous au bien de lafo
ciété. J'ai l'honneur d'être , &c. Signé , Méric.
Lettre de M. Perrin maître en Chirurgie , & Gref
fier de M. le premier Chirurgien du Roi ,
Vernon en Normandie , à M. Keyfer.
J'ai été longtemps fans vous donner de mes
nouvelles , Monfieur , parce qu'avant de rien pro
noncer fur l'efficacité de vos remedes , & malgré
la quantité des cures que je vous ai vu faire , j'ai
voulu par moi-même être sûr d'une qui fût bien
radicale ; la voici , & je me hâte de vous en faire
part , en vous priant de la faire inférer dans le
Mercure.
Elizabeth Laurent âgée de 35 ans , femme de
Jean Grenier Vigneron de la Paroiffe de Nieville
avoit pris à Paris en 1756 un nourriffon . Quel
que temps après fon retour , cet enfant deving
cruel ce qu'elle attribua à des tranchées , mala
dies affez ordinaires aux enfans nouveaux nés. Auk
mois de mars , il furvint des boutons à cet enfanc
efquels jettoient un pus verdâtre , & ne furent
pas regardés comme des puftules , quoique c'em
étoit bien effectivement. L'on fe contenta de faigner
& purger la nourrice , de lui faire prendre
des plantes rafraichiffantes , ce qui ne ' fit aucun
effer . Les boutons fe multiplierent de plus en plus
AVRIL 1758. 209
furvint des ulceres , l'enfant mourut & fon corps
devint dans une fi grande mortification , qu'on fut
obligé de l'enterrer deux heures après.
La nourrice vers ce même temps fut at aquée
des plus violens maux de tête , des douleurs dans
tous les membres & dans les articulations des démangeaifons
cruelles aux nymphos , des ulceres
& deux chancres , dont il y en avoit un qui conmençoit
à ronger les parties , un condiiôme ; enfin
cette femme étoit dans un état affreux , fans
qu'on eût voulu connoître fon mal , ni que le
Chirurgien qui la foignoit , eût imaginé de lui
donner le Mercure. Dans cet état , elle vint donc
me confulter , je n'eus rien de plus preffé que de
lui confeiller votre remede , je la fis voir à un
Seigneur de notre Ville , qui toujours prêt à fecourir
& protéger les malheureux , voulut bien
écrire à M. le Major des Gardes- Françoiſes , pour
lui procurer le remede qu'elle a pris , & au moyen
de quoi elle eft parfaitement guérie , dormant
bien , & dans le meilleur embonpoint . Je l'ai fuivie
exactement. Aucun fymptôme n'a reparu , &
la femme a accouché depuis très- heureuſement.
Or , quoique votre remede n'ait pas befoin , Monfieur
, de l'authenticité de cette cure pour le faire
adopter , je me ferois reproché de ne l'avoir pas
rendue publique , en certifiant avec vérité que
l'effet de la cure a été prompt & radical , le traitement
fort doux , & que cette malheureuſe n'a
fouffert en aucune maniere. A Vernon , ce 6 décembre
1757. Perrin
M. Keyfer prévient Meffieurs fes Correfpondans
, que ne pouvant inférer toutes les lettres &
Les certificats qu'ils lui envoient , dans le petit
eſpace du Mercure qui lui cft accordé , ils ne
210 MERCURE DE FRANCE.
foient pas étonnés de n'y voir que ceux , qui pa
Toiffant les plus authentiques , y feront mis de
préférence , mais en petit nombre, & il fera dans
un volume de l'année , un extrait de toutes les
autres cures qui auront été faites dans toutes les
Villes en général par telle & telle perfonne. Il les
prie auffi de vouloir bien obferver avec la plus
grande attention que comme il eft par fois
des tempéramens délicats & finguliers , fi fenfibles
à l'impreffion du mercure , que le moindre
ufage leur occafionne la falivation , quand il leur
tombera de ces tempéramens , ils ayent la bonté
de leur adminiftrer le remede, en très - petites dofes
, & de fe contenter de traîner la cure en longueur
, laquelle ne fera pas moins radicale, N'étant
pas poffible d'ailleurs de faire mieux , & fon
remede , quoique préparé différemment , étant
toujours le Mercure .
Il fupplie auffi le public d'obferver , que toutes
les lettres & certificats qu'il a l'honneur de lui préfenter
, font d'autant moins mandiées & fufpectes
, qu'elles lui viennent de la part de toutes fortes
de perfonnes , dont il n'a l'honneur , ni d'être
connu , ni d'être ami , qu'en envoyant par◄
tout , & il l'ofe dire avec vérité , pour des fommes.
confidérables , fon remede dans toutes les
Provinces, il a fupplié ces mêmes perfonnes d'en
faire les épreuves gratis pour foulager dans tous
les endroits , les malheureux qui leur tomberont
fous la main , & fe convaincre authentiquement
de la vérité & de l'efficacité du remede , avant
de lui donner la confiance qu'il efpere mériter ,
& avant d'en faire usage par préférence. Que
peut-il faire de plus
Il demeure toujours rue & ifle S. Louis , près le
Pont-rouge.
AVRIL. 1758. 218
AVIS.
Las lampes optiques de M. Rabiqueau fe multipliant
confidérablement , il eft obligé d'avertir
qu'un petit défaut d'attention , prive plufieurs perfonnes
de jouir de la beauté qu'ils remarquent ,
tant au cabinet , que chez plufieurs Princes &
Seigneurs , &c.
Le défaut le plus général, eftqu'on tient toujours
les meches trop groffes ; ce qui rend la lumiere
plus rouge , & forme plutôt champignon : ainfi
on doit être exact à les laiffer plus petites que plus
groffes , flottant dans le porte-meches , fans tomber.
Il faut couper le brûlé tous les jours , & régler
la hauteur des meches au fil fer , ou trois lignes
de fórtie. Les bouteilles fe rempliront plutôt
que plus tard , afin de ne pas laiffer les meches
fans buile : ce défaut fait brûler les meches en
dedans , & produit un feu qui s'alonge , fait caf
fer les verres , & peut même fondre l'étain. Quoiqu'on
ait donné une inftruction pour remettre des
bouteilles , fi on les caffe, il y a des perfonnes
qui remettent des bouteilles à l'aventure ; & l'huile
n'eft plus à fon point. D'autres fe font contentés
de mettre de l'huile dans le réfervoir des meches &
ce qui produit encore un mauvais effet , l'huile
s'abaiffant trop . Pour parer à ces inconvéniens , il
faut que les domestiques viennent avec la lampe ,
& une bouteille on deux , on les leur ajuftera.
Pour la Province , il faut qu'ils ayent foin de les
caffer & régler à la hauteur déterminée . Il vient
prefque tous les jours des perfonnes , foit de Paris.
eu des Provinces , qui veulent voir l'effet des lampes
au billard. On eft obligé de les renvoyer à la
212 MERCURE DE FRANCE.
nuit , la plupart venant dans le jour , même
l'heure des repréfentations phyfiques & méchaniques
, qui fe font tous les après midi jufqu'à fepe
heures du foir au cabinet privilégié du Roi , rue
S. Jacques , vis - à-vis les filles Ste. Marie , feul
endroit où l'on vend les lampes optiques.
AUTRE.
LE fieur Cartier , nouvellement arrivé en cette
Ville , débite une pommade faite avec des fimples
, pour le teint , & qui a beaucoup de vertus ,
entr'autres. 1 °. Elle conferve le teint toujours trèsfrais
& la peau très- blanche. Elle empêche les rides
, & ôte les taches de rouffeur , en s'en fervant
tous les foirs : elle ôte auffi parfaitement le rouge.
2º. Elle emporte les boutons de telle efpece qu'ils
foient au vifage & au refte du corps , fans les faire
rentrer en dedans. 3°. Elle eft auffi très - bonne
pour les perfonnes couperofées , ou qui ont le
teint échauffé. 4° . Elle guérit les dartres vives &
farineufes. . Elle adoucit beaucoup les Hémorroïdes.
6° . Elle efface la marque que laiffent les
coups de foleil , en s'en fervant fur le champ. 7 °
Enfin elle eft bonne pour tous les vices auxquel's
la peau eft fujette. Elle peut fe conferver au moins
fix ans , en la tenant dans un endroit fec , fupporte
même la mer. Si elle jauniffoit , on la remanieroit
avec de l'eau de la Reine d'Hongrie , &
elle reprendroit fa premiere blanchear . Il eft bon
d'obferver que quand elle jauniroit , elle ne perdroit
que le coup d'oeil , fans perdre rien de fes
qualités . Cette pommade fe débite au café dans le
Palais du Luxembourg. Il y a des pots de 6. 1. &
de 3. L. Le nom de l'Auteur eft fur les pos
AVRIL 1758. 213
AUTRE.
LAA veuve du fieur Bunon , Dentiſte des Enfans
de France , donne avis qu'elle débite journellement
chez elle , rue des Saints Peres , fauxbourg
Saint Germain , la troifieme porte cochere à main
droite en entrant par la rue de Grenelle , les Remedes
de feu fon mari , dont elle a feule la compofition
, & qu'elle a toujours préparés elle- même.
L'on en trouvera toujours chez le fieur Georget ,
fon frere , Chirurgien , rue Sainte Avoye , au coin
de la rue de Braque, pour la commodité des perfon
nes qui logent au Marais. Sçavoir , 1º. Un Elixir
anti -fcorbutique qui affermit les dents , diffipe le
gonflement & l'inflammation des gencives , les
fortifie , les fait recroître, diffipe & prévient toutes
les afflictions fcorbutiques , & appaiſe la douleur
des dents. 2° . Une Eau appellée Souveraine , qui
affermit auffi les dents , rétablit les gencives , en
diffipe toutes tumeurs , chancres & boutons qui
viennent auffi à la langue , à l'intérieur des levres
& des joues , en fe.rinçant la bouche de quelques
gouttes dans de l'eau tous les jours , & elle la rend
fraîche & fans odeurs , & en éloigne les corrup
tions , elle calme la douleur des dents. 3º. Un
Opiat pour affermir & blanchir les dents , diffiper
le fang épais & groffier des gencives , qui les rend
tendres & mollaffes , & caufe de l'odeur dans la
bouche, 4° . Une Poudre de Corail pour blanchir
les dents & les entretenir ; elle empêche que le
limon ne fe forme en tartre, & qu'il ne corrompe
les gencives, & elle les conferve fermes & bonnes
de forte qu'elle peut fouffrir pour les perfonnes
qui ont foin de leurs dents , fans qu'il ſoit nécef214
MERCURE DE FRANCE:
faire de leur faire nettoyer. Les plus petites boud
teilles d'Elixir font d'une livre dix fols. Les plus
petites bouteilles d'Eau Souveraine , font d'une livre
quatre fols , mais plus grandes que celles de
l'élixir. Les pots d'Opiat , les petits , font d'une
livre dix fols. Les boîtes de Poudre de Corail
font d'une livre quatre fols.
AUTRE.
MADAME Lepreux , Marchande Lingere à Pa
ris , rue & près l'Echelle du Temple , à l'Ange
Gardien , donne avis au public qu'elle vend une
poudre qui a la vertu d'enlever fur le champ de
deffus les toiles , mouffelines & dentelles , les taches
d'encre & de rouille , fans aucun danger de
rien gâter , quand même lefdites taches feroient
anciennes , & que les chofes fufdites auroient été
blanchies ; elle les ôte fur les étoffes de foie & de
laine blanche. Elle fe vend 24 fols le paquet
avec la maniere de les enlever. L'on en fait l'expé
rience fur le champ devant les perſonnes qui le
Jouhaitent.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le premier volume du Mercure du mois d'Avril ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
T'impreffion. A Paris , ce 29 Mars 1758.
GUIROY,
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
LES
Torts ,
page
s
Effai
fur la Médiocrité
des
Conditions
, traduit
de l'Anglois
de M.
Hume
,
Les deux
Serins
, à Mademoiſelle
A. C. Fable
, 15
Azema
, Hiftoire
Orientale
,
7
48
18
Vers à Madame *** , fur les Tablettes Enchan
tées. Conte qui a paru dans le ſecond volume
de Janvier 1758 ,
Vers au fujer de ce que M. de Boiffy a dit dans le
Mercure de Février , qu'il feroit main- baſſe ſur
toutes les Pieces qui n'annonceroient point de
49
talent ,
Suite
de M.
de Fontenelle
, par
M.
l'Abbé
Trublet
, contenant
des
corrections
& additions
aux
articles
précédens
,
L'Amour attrapé ,
Epitre de M. Piron ,
so
79
83
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure du mois de Mars ,
Enigme ,
Logogryphe
Chanfon
88
ibid.
89
90
ART. II. NOUVELLES , LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Autre Lettre à Auteur du Mercure ,
110
112
Lettre à l'Auteur de l'Almanach de Picardie , 122
Lettre à l'Auteur du Mercure 134
216
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Hiftoire. Divorce de l'Hiftoire & de la Fable . Suite
de la Differtation critique du P. Féijoo , Bénědictin
Eſpagnol , 133
148
Médailles. Devifes pour les Jettons du premier
Janvier 1758 ,
Hiftoire Naturelle. Remarques fur un poiffon
qu'on croit être la Tortile ,
Chirurgie. Defcription d'un Enfant furnaturel ,
qui a été préfenté à l'Académie royale de Chirurgie
, le 6 Septembre dernier ,
Musique,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
IsI
158
159
A l'Auteur du Mercure. Précis de l'idée de M.
Clément fur la compofition & fur l'accompa
gnement du Clavecin ,
Gravure ,
ART. V. SPECTACLES.
Opera ,
Comédie Françoiſe ,
Comédie Italienne ,
Opera Comique ,
Concert Spirituel ,
160
163
165
166
168
169
170
Les Ifraélites à la montagne d'Oreb . Poëme , 172
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 179
Nouvelles de la Cour , de Paris &o ; 191
Bénéfices donnés , 203
Mariage & Morts , 204
Avis divers ,
Supplément à l'article de Chirurgie ,
La Chanson notée doit regarder la page 90 , & la
planche des Médailles , la page 148 .
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
206
211
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
AVRIL. 1758.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cechin
fhus inv.
PapillonsSculp
A PARIS,
CHAUBERT , rue du Hurepoir
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Rei.
.23
1
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres ,
& lettres, pour remettre,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercuré.
སྐ
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raiſon
de 30 fols piece.
>
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pourfeize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur
compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant peur
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
Onfupplie lesperfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ;
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de refter à fon Bureau les Mardi , Mercredi
Jeudi de chaque femaine , après- midi.
t
On prie les perfonnes qui envoient des Li-
Eftampes & Mufique à annoncer •
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mereure
, les autres Journaux , ainſi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
***
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1758.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
༢ ་
LE CHÊNE ET LE TEMPS,
UN
FABLE ;
A Madame
N Chêne un jour défirant s'établir ,
Alla chercher place qui pût lui plaire.
Une parut être bien fon affaire :
Il s'y fixa. Dieux ! quel fut fon plaifir
De prendre mille petits foins
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Pour rendre la demeure fûre !
Jetter racines fans mefure
Ne fut ce qui l'occupa moins.
Il avoit fçu faire choix d'un terrein
Qu'il ne pût pas taxer d'ingratitude.
Notre arbre ainfi , fans nulle inquiétude
S'éleve en peu fous un ciel très- ferein .
Vient le temps jaloux , envieux ,
Qui toujours le plaît à détruire.
Jefçaurai , dit- il , te réduire ,
Petit fuperbe , audacieux.
Je t'ai bien vu prendre tous tes ébats ;};
Si je voulus lors te laiffer tranquile
Dans ce beau lieu fixer ton domicile ,
Mince Chêneau , ne t'en étonne pas ;
J'avois une bonne raiſon.
Bien loin de m'oppofer qu'un être
Prenne jour , je le laiſſe naître ;
Mais pour devenir fon poiſon.
Le Temps raffemble à l'inftant tous les vents ;
Et les excite à renverfer le Chêne .
En vain fur lui leur fureur fe déchaîne :
Portez ailleurs tous vos mugiffemens ,
Dit-il : temps ennemi , crois - moi ,
Ma force vient de mes années ,
Et mes heureufes deftinées
N'ont pas d'autre . fource que toi.
C'est ici- bas par ta rapidité
Que chacun doit terminer fa carriere ;
AVRIL 1758. 7
Mais il en eft à qui ta longueur meurtriere
Donne de la folidité.
Tel eft ſon effet fur les coeurs ;
Lorfqu'en eux l'amitié domine ,
Par le temps elle s'enracine
Malgré lui-même & fes fureurs.
Oui , belle Eglé , je fens que chaque jour
Sur moi vos yeux étendent leur empire ;
Plus les ans vont , plus pour vous je reſpire .
Le Chêne eft fait pour peindre mon amour,
A Dreux , le premier Janvier.
RÉFLEXIONS fur l'inconftance , qui
tiendront lieu d'un Conte.
'ÉTOIS ces jours derniers chez Madame
de *** , femme aimable , quoique fur le retour
, & auffi digne d'eftime pár la délicareffe
de fon efprit , & les qualités de fon
coeur , qu'elle mérite de refpect par fes
vertus. Je goûtois près d'elle les douceurs
d'un entretien plein de fentimens & de '
raifon , lorfqu'on annonça le jeune Tréville.
Il entra auffi- tot ; mais comment
rut- il ? Sa phyfionomie étoit altérée : fes'
yeux ardens , malgré l'abattement qu'il laiffoit
appercevoir , me firent foupçonner
qu'il étoit tourmenté par le chagrin le plus
Aiv
& MERCURE DE FRANCE.
violent , & nous ne fûmes pas longtemps
fans en être parfaitement inftruits. Il venoit
le confier à Madame de *** , & chercher
auprès d'elle des confolations qu'elle
eft plus propre à donner que perfonne , &
qu'elle ne refufe jamais à fes amis.
Qu'avez- vous , Tréville lui dit cette
Dame , je vous trouve défait. Ceci m'a
tout l'air d'un chagrin caufé par l'amour.
Auriez- vous encore effuyé quelque nouvelle
tracafferie de la part de la belle Iſmene
? Le pauvre Tréville attendoit cette ouverture
: le nom de fon ingrate ne fut pas
plutôt prononcé , qu'il nous fit un détail
circonftancié de l'inconftance de fa maîtreffe
, mais avec des couleurs fi vives
mais avec des preuves fi fortes & fi convaincantes
, mais avec un contrafte fi frappant
de la droiture de fes procédés , avec
la mauvaiſe foi d'Ifmene , que nous ne
pûmes l'entendre fans en être attendris.
Lui ayant laiffé le loifir d'exhaler tout
fon mécontentement , & de foulager fon
coeur par un déluge de plaintes , il tomba
enfin dans une espece d'accablement qui
lui fit garder un filence , avant -coureur
d'un défefpoir marqué. Madame de ***
faifit alors cet inftant , & lui dit : Vorre
fituation eft trifte , mon cher Tréville : il
fuffit d'avoir un coeur pour connoître tous
AVRIL 1758.
re l'amertume dont le vôtre eft abreuvé ,
& la partager avec vous . Votre malheur
eft conftaté ; mais c'est peut-être un bien :
je ne défefpere pas au moins de vous en
convaincre , & de vous renvoyer plus tran.
quille , fi vous voulez m'entendre.
Ce qui vous bleſſe finguliérement, ditesvous,
c'eft qu'on vous préfere le Chevalier
de *** qui eſt un vrai étourdi , fait exprès
, par l'éclat de fes affiduités , pour
afficher une femme , & la perdre de ré
putation ; qui , plus que fingulier dans
fes alures , a un caractere & une façon de
penfer qui ne reffemble à rien ; dont l'efprit
eft borné , le jugement louche , la
converfation ftérile , l'humeur fâcheufe
d'une fenfibilité fi puérile , qu'elle annonce
la médiocrité de fon mérite , & quis
joint à cela une figure peu avantageufe:
Eres-vous content Eft- ce bien là votre
rival ? Vous voyez que je le connois , &
que je ne le ménage pas ; cependant je n'em
conclurai pas moins qu'il devoit l'empor
ter fur vous. Connoiffez les femmes, mon
cher Tréville , l'intérêt que je prends à vos
peines , fera que je vais manquer à ce que
je dois à mon fexe. Vous n'imagineriez pas
ce que vaut un plumet fur la plupart de
nous ! Oub, un plumer eft capable de
nous renverser la cervelle ; ce fera bien
A.y
TO MERCURE DE FRANCE..
pis encore , fi vous y ajoutez un habit.
brillant , une épée & une frifure avantageufement
fingulieres. L'efprit , les fentimens
, la bonne foi , la tendreffe , ne
peuvent compenfer ce mérite : or , convenez
en , le Chevalier le poffede fupérieurement.
Ce n'eft pas tout ; vous avez un pere
qui demande à être ménagé mais ce pere
obferve vos démarches. N'agréant pas vos
fentimens pour Ifmene , vous êtes contraint
de ne la voir que rarement & à la
dérobée , votre charge vous oblige à fréquenter
le Palais ; voilà bien des momens
enlevés à votre amour . Votre maîtreffe cependant
craint la folitude , elle n'aime pas
à être feule ; le Chevalier , fi vous voulez
, eſt un fot , mais ce fot la voit à tou
tes les heures , & publiquement : ibl'accompagne
au jeu , il lui donne le bras à la
menade & au fpectacle , il ne la quitte
point , c'eft fon ombre. Tient- on contrede
pareilles affiduités ? Il n'eft pas un ouvrage
de femmes qu'il ignore , & où il n'excelle
: il découpe comme une Fée , il rac
commode un évantail dans la derniere per
fection , & ce Chevalier eft Colonel , tandis
que vous n'êtes qu'un Confeiller . Se
donner à vous , c'eft de propos délibéré
tomber dans la feconde claffe , c'eſt dire
proAVRIL.
1758.
11
au public qu'on approche trente ans , ou
qu'on les a ; cet aveu n'eft- il pas coûteux
à notre vanité ? Devez vous trouver mau
vais qu'Ifmene fe l'épargne ?
Vous - même , Tréville , n'eft- ce pas par
amour propre que vous êtes chagrin
N'eft- ce pas lui qui anime votre défeſpoir ?
Votre peine la plus fenfible n'est- elle pas
d'avoir été prévenu par une femme que
vous étiez cependant fur le point d'aban
donner & de mortifier par votre inconf
tance ? Ne déguiſons rien , foyons de bonne
foi ; votre paffion pour elle n'étoit plus
la même ; l'habitude en faifoit peut- être
le lien le plus fort . Déja vous étiez mécontent
de fon efprit , vous lui en trouviez
moins qu'à la Marquife de *** ; vous m'avez
avoué , dans le temps même que vous
n'aviez pas à vous en plaindre , que fes
manieres n'étoient pas toujours du bon
ton , que fa façon de penfer n'avoit rien
de relevé , en un mot vous faifiez des comparaiſons
, & un amant qui compare , fit.
ce n'eft à l'avantage de fa maîtreffe , je dis
qu'il n'aime plus , ou qu'il cherche à rom
pre. Jugez- en vous- même par les difpofi
tions où vous étiez , lorfque vous commençâtes
à aimer Ifmene ? Ses graces ,
fon efprit , fa figure , étoient autant de
chef-d'oeuvres d'une nature toujours pro
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
digue à fon égard , & vous n'euffiez pas
trouvé bon qu'on vous eût contredit. C'eſt
qu'alors l'amour ne vous laiffoit voir Ifmene
qu'à travers le voile trompeur de votre
paffion , & que ce voile ufé par le
temps , l'illufion a ceffé. Elle s'en eſt fans
doute apperçue , elle a pris les devants
pouvez vous le trouver mauvais ?
Ce qui vous défefpere encore , c'eft la
comparaifon que vous faites de votre fortuné
rival , avec vous. La préférence qu'il
obtient vous humilie , & met votre amour
propre en défaut. Pauvre dupe ! Avez - vous
donc jamais imaginé que le mérite nous
décidoir en amour ? Ce fentiment fut- il
jamais le réfultat d'une délibération réfléchie
, & d'un deffein prémédité fur la réputation
acquife , ou fur l'eftime publique
vraiment méritée , par la perfonne à laquelle
nous voulons nous attacher ? Non,
mon cher ami . Le hazard nous préfente un
objet , fa figure , fes façons , la tournurede
fon efprit nous plaifent , nous l'aimons.
Si dans la fuite nous trouvons un vrai mérite
à cet objet , tant-mieux pour nous ;:
notre vanité y trouve fon compte , hous
nous attribuons un goût fin & délicat ,
nous nous glorifions de notre choix , la
joie que nous en reffentons , fera peut -être
que nous l'en aimerons davantage , mais
AVRIL 1758.
çe fera toujours par un retour fur nousmêmes
; car s'il eût été moins parfait , nous
n'euffions pas pour cela ceffè de l'aimer.
Tant d'amans mal affortis en font la preuve.
Si donc on vous a aimé fans fçavoir ce
que vous valiez , pourquoi ne voulez - vous.
pas qu'on en aime un autre avec la même
incertitude Quel tort cela fait - il à votre
amour propre ? vos bonnes qualités n'ayant
pas plus contribué à votre engagement ,
qu'elles n'entrent dans votre rupture.
* !
A mefure que Madame de *** parloit ,
je voyois Tréville reprendre fa tranquilli
té. Ses yeux s'adouciffoient : il lui échappoit
, il eft vrai , des foupirs ; mais ils
éroient moins douloureux , fa refpiration
étoit plus libre , & c'eft là un bon figne
dans les amans malheureux. Madame de
*** profitant de cette difpofition pourſui
vit ainfi.
Il n'eft rien de ftable ici - bas : nos goûts
nos humeurs , notre façon de penfer , l'idée
même que nous nous fommes formée
du bonheur , tout varie. Comment pourrions-
nous , au milieu de ces viciffitudes ,,
conferver un attachement durable pour le
même objet ?: Il nous plaifoit hier par des
qualités qui nous font indifférentes aujour
d'hui les rapports qui fe trouvoient entre
lui & nous , & qui faifoient que nous l'aig
14 MERCURE DE FRANCE.
mions , par un retour d'amour propre
ont difparus , nous avons acquis une façon
d'être différente , il faut donc que notre
façon de fentir le foit auffi. Si vous me
paffez cette idée , mon cher Tréville , ik
me fera aifé de vous faire voir qu'on ne
peut jamais faire un crime de l'inconftance.
Ce changement organique , fi j'oſe
m'exprimer ainfi , arrivant à l'un ou à l'autre
des deux amans , ou même à tous deux ,
ne doit- il pas naturellement s'en faire un
dans leur amour ? l'objet de ce fentiment
n'étant plus le même. N'eft- ce pas de ce
principe que découle l'inftabilité des jugemens
que nous portons fur la même perfonne
? que nous aimons quelquefois celles
qui nous étoient la veille plus qu'indifférentes
, que nous leur faifons occuper
dans notre coeur la place de celles que peu
auparavant nous idolâtrions , tandis que
celles- ci font oubliées fans retour ? Ne
foyons donc pas furpris fi l'on change , &
fi l'on apperçoit quelquefois fi tard des défauts
qui choquent dans la perfonne que
nous aimions. Ils n'y étoient pas moins ,
mais nous les voyions d'un autre ceil , nous
en faifions peut-être même des agrémens.
Eft- ce notre faute à préfent fi nous n'aimons
plus Eft- ce la faute de notre amant ?
Ni l'un ni l'autre. Nous y tenions peut- être
AVRIL. 1758.
par les endroits que nous trouvons en lui
défectueux
. En deux mots , dans tous les
tendres engagemens
on cherche le plaifir :
dès qu'il difparoît , l'amour s'envole . Voilà,
je crois , la juftification de l'inconftance
bien avancée . Appuyons-la encore d'un
autre motif.
nous
Avant que d'aimer , nous nous créons
en idée ane perfonne telle que nous la défirerions.
pour réunir tous nos voeux. Jeuneffe
, beauté , efprit , talens , graces , dé
licateffe , fentimens du coeur , tout lui eft
prodigué , mais toujours de l'efpece la plus
analogue à notre goût & à notre caractere .
Cette provifion faite , nous allons à la découverte
; nous paffons en revue ,
examinons tous les objets qui fe préfentent.
En rencontrons- nous un que nous puiffions
croire être reffemblant à l'idole que nous
avons formée , nouveaux Pygmalions, notre
coeur s'émeut , un feu dangereux s'y
gliffe , nous aimons. Ce n'eft pas encore
là le temps de l'examen ; on n'a de loifir
que pour aimer. Mais l'habitude de fé
voir , rend moins féduifant ce que nous
avons vu fi ſouvent ; bientôt le portrait ne
fera plus fi reffemblant , il y aura quelques.
traits manqués. Le temps multipliera ces
défauts ; honteux de nous être mépris
nous ne tarderons pas à chercher ailleurs
"
16 MERCURE DE FRANCE.
une reffemblance plus parfaite , que nous
ne trouverons jamais . Notre bel âge fe paffe
dans cette recherche . Souvent trompés ,
heureux quelques momens ; voilà l'hiftoire
de tous les amans. Et comptez bien , mon
cher Tréville , que tout cela eft récipro
que. Les hommes nous trompent fouvent
fans le vouloir , nous les trompons nousmêmes
fans deffein : aufli l'empire d'amour
n'eſt-il compoſé en plus grande partie que
de dupes.
Et voilà précisément ce qui me révolte
répondit Tréville . Perfuadé d'une partie
des raifons que vous venez de me détailler
, Madame , avec autant de pénétration
que d'efprit , je me rendrois ; l'inconftan
ce d'Ifmene me feroit fupportable , fi elle
n'eût pas mis de la manoeuvre dans fon
changement , & que je puffe le regarder
comme un effet de fon étoile ou de la mienne.
Mais agiffant avec candeur & probité ,-
n'ai -je pas fujet de me plaindre qu'à l'inconftance
la plus marquée , elle ait: jointla
perfidie la plus noire ? L'amour ne fe
commande pas , lui difois je un jour ,
après lui avoir fait des reproches fur les affiduités
qu'elle permettoit au Chevalier ;
mais on eft en droit d'exiger la bonne foi.
Pourquoi ne pas dire ingénuement , je ne
vous aime plus ? On n'auroit alors que le
AVRIL 1758 17
·
regret d'avoir perdu une amante , & on fe
fauveroit la honte d'avoir été dupe.
Vous propofez là une belle chimere ,
mon cher Tréville , reprit Madame de *** :
croyez- vous donc qu'un tel aveu foit facile
à faire ? Ne fentez-vous pas qu'il eft humiliant
pour celui qui le reçoit ? & que la
politeffe , l'humanité même veulent qu'on
lui épargne cet affront ? D'ailleurs feriezyous
demeuré fans replique ? Il auroit
fallu entrer dans des explications , répon→
dre à des plaintes , à des reproches , bien
mérités fans doute ; mais qu'Ifmene au
roit été très-décidée à mériter encore da
vantage : fituation défagréable , qu'elle a
bien fait de vous épargner à l'un & à l'autre.
D'ailleurs fes façons ne vous ont- elles
pas affez averti ? Depuis longtemps vous
en convenez , elle n'étoit plus la même à
à votre égard ; fes empreffemens étoient
ralentis , vos lettres ne lui caufoient plus
cette douce émotion que vous remarquiez
dans les commencemens de votre commer
ce , les entretiens étoient plus courts , ils
étoient plus froids ; eft- ce donc fa faute fi
vous n'avez pas entendu tout ce que cela
vouloit dire ? C'est donc par ménagement
pour vous , & par un fonds d'eftime
qu'elle vous conferve encore , qu'elle
n'a pas ofé vous dire que fon coeur ne
18 MERCURE DE FRANCE
pouvoit plus répondre à vos fentimens.
Mais enfin je le veux , elle a tort. Ce
fera encore une raifon de plus pour vous
confoler de fon inconftance. Pouvez-vous
regretter une perfonne à qui vous pensez
avoir raifon de croire l'efprit diffimalé &
le coeur faux ? Vous donneriez par- là une
bien mauvaiſe idée de votre goût. Votre
probité , la délicateffe de vos fentimens ,
méritent quelque chofe de mieux , vous
le trouverez fans doute. Mais à tout événement,
qu'il ne vous échappe jamais rien
de défavantageux far le compte d'Ifmene ,
ce feroit vous déshonorer : pouvez-vous
abufer de la
circonfpection à laquelle fon
état l'oblige , & qui , l'empêchant d'avouer
qu'elle vous ait aimée , lui ôte le moyen
de dire la raison pour laquelle elle ne vous
aime plus ? Ce feroit là pêcher contre l'honnête
homme. Il fuffit qu'elle vous ait aimé
, ne feroit- ce qu'un inftant , pour que
vous lui deviez des égards. Un galant
homme ne s'en difpenfe pas avec la femme
la plus méprifable : quelle doit donc être
votre conduite avec Ifmene , à qui vous
n'avez d'autre crime à imputer que celui
d'avoir obéi à un penchant qu'elle ſe reproche
peut-être en y cédant. Votre conduite
eft tracée dans ces deux vers :
Le bruit eft pour le fat , la plainte pour le for
AVRIL 175 19
L'honnête- homme trompé s'éloigne , & ne dir
.mot.
Vous êtes , je le crois , trop raifonnable
pour ne pas vous y conformer.
Quelle eft la force , quel eft l'afcendant
de la raifon & de l'efprit , quand une belle
perfonne les fait valoir ! Tréville fortit de
cette converfation, finon parfaitement confolé
, au moins avec les difpofitions à l'être
bientôt il prononçoit déja le nom de
fon infidelle fans émotion & fans aigreur ,
& fi j'ajoute foi à la promeffe qu'il répéta
cent fois de ne jamais renouer avec elle ,
je crois auffi pouvoir garantir qu'il ne lui
manquera jamais en rien , qu'il l'eftimera ,
& qu'elle pourroit peut- être trouver en lui
dans la fuite un bon ami : reffource heureufe
qu'une femme raiſonnable ne ſçauroit
trop fe ménager.
D.....
A A... en Bourgogne , ce 6 Mars 1758 .
L'AVEU INGENU.
BELLE Eucharis , je vous adore ;
M'aimez-vous , ma chere Eucharis
Dites , m'aimez -vous ? ... Je l'ignore ,
Berger : qui me l'auroit appris à
20 MERCURE DE FRANCE.
L'amour... l'amour !…. oui , l'amour même,
Le Dieu des plus tendres plaifirs ,
Ce doux charme qui fait qu'on aime ,
Qui réunit tous les défirs ;
Ce doux penchant qu'un rien fait naître,
Que rien ne peut anéantir ,
Ce que le coeur ſeul peut fentir...
Ah ! vous me l'avez fait connoître.
A M. DE BOISSr.
MONSONISEIEUURR ,, j'ai l'honneur de vous envoyer
ma récolte de cet automne , peutêtre
n'y trouverez- vous rien qui flatte un
peu votre goût ; mais pour vous offrir
quelque chofe de plus délicat , il m'en eût
couté des foins , peut- être encore inutiles ,
& c'eft ce qui n'entre pas dans le plan que
je me fuis tracé : foit raifon , foit pareffe ,
je n'aime guere de mes fruits littéraires ,
que l'agrément de les cueillir à mon aife.
J'ofe donc vous les livrer , tels à peu près
qu'ils me font venus fous la main , beaucoup
plus confus de la vilité du préfent ,
qu'inquiet du fort que vous lui réfervez.
Recevrez - vous le tout fans exception ;
n'en retiendrez - vous , après un triage févere
, qu'un tiers , un quart , un cinquieAVRIL
1758) 11
me ; n'en fervirez - vous au public que de
de légers effais , pour ne lui faire avaler
Pennui qu'à petits coups ? Tout cela , Monfieur
, eft fouverainement à votre difpofition.
La destinée de mes foibles produc
tions n'eft pas moins votre affaire qué la
mienne. Si je m'amufe par fois à pfalmodier
dans le bas- choeur du facré vallon
vous en êtes la feule , ou du moins la principale
caufe. Vos fuffrages féduifans ont
fait prendre à ma voix un effor que je
n'aurois jamais ofé lui permettre fans cela,
D'un trait de plume,
D'un médiocre profateur ,
Vous avez eu l'art de me rendre
Un affez facile Rimeur.
Si quelque jour de vous entendre ,
Je pouvois avoir le bonheur ,
Deftin, hélas ! qu'avec ardeur
Depuis filong-temps je fouhaite ,
Vous rendriez , j'en crois mon coeur ,
La métamorphofe parfaite ;
D'un foible verificateur ,
Par votre talent créateur ,
[
Vous fçauriez faire un bon Poëte.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Aux Amognes , le 5 Décembre 1757.
22 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE en réponse à M. l'Abbé de
Chanoine d'Autun.
QUAND
+
UAND Vous exigez , mon cher Ami
que je renoue avec la poéfie , que vous
confultez peu mes vrais intérêts ! Vous
aimez mon repos & mon bonheur , je le
fçais , & cependant par vos inftances preffantes
, vous ne tendez à rien moins qu'à
me faire hazarder l'un & l'autre. Si vous
aviez jetté les yeux fur les divers précipices
qui bordent le chemin de l'Hélicon
loin de m'engager à reprendre cette route
périlleufe , vous me féliciteriez d'en être
forti , & vous n'exerceriez , j'en ſuis fûr
l'afcendant qu'une longue amitié vous a
donné fur mon coeur , que pour me détourner
d'y rentrer jamais, Mais vous me
connoiffez , dites - vous ,
.
Aimant la paix , craignant le bruit ,”
Autant ou plus que la mort même !
Sur les moeurs , & les goûts qu'on fuit
D'une indifférence fuprême
Laiffant , libre de tout fyftême ,
Parler chacun comme il lui duit
Peu preffé de parler moi - même :
Fuyant fans aigreur qui me fuit , vb.
Sans paffion aimant qui m'aime ;
AVRIL. 1758 25
Rimant enfin par goût , bien moins que par ennui
;
Le feroit , dites-vous , un malheur bien gratuit ,
Un cas bien rare & bien fortuit ,
Si , dans quelque diſgrace extrême ,
L'art des vers jamais me conduit,
Il eft vrai que la conftitution de mon
caractere , autant que la foibleffe de mes
talens , eſt toute propre à me raffurer contre
de certains hazards.
Quand je vois des efprits fublimes ,
Nés pour réformer l'univers ,
Jouets des plus fougueux travers ,
Dégrader les vertus , légitimer les crimes ,
Et dans de déteſtables rimes ,
Subftituer aux plus faines maximes
Des principes faux & pervers :
Quand je vois l'art des vers , ce langage admi
rable ,
Fait pour chanter des Rois les geftes immortels ,
Et célébrer des Dieux la clémence adorable ,
Traduit en un art exécrable ,
Sapper le trône & les Autels :
Du eigne innocent & paisible ,
Quand j'entens le gofier flatteur ,
Devenu l'organe terrible
Du courroux & de la clameur ,
Pouffer le fifflement horrible
24 MERCURE DE FRANCE.
Du fier alpic mis en fureur item wil
Quand je vois les. Graces timides ,
Eprifes d'un tranfport foudain ,
Voler les flammes à la main ,
Sur les traces des Euménides
Pour tourmenter le genre humain
Quand je vois , en un mot , cette lumiere pure ;
Qu'un mortel (1) téméraire oſa ravir aux Dieux ,
Changeant , pour nous punir , d'effet & de nature ,
Faire luire fur nous un jour plus odieux ,
Que ne feroit la nuit la plus obfcure :
Non , contre les talens en fecret révolté
Je regrette que ton fyftême ,
Rouffeau (2 ) , ne foit qu'un vain problême
Enfanté par l'abſurdité ;
Et dans mon coeur , 8 fainte vérité !:
Pardonne- moi cet énorme blaſphême
Oui , je me fens prefque tenté
De préférer, à ta recherche même , si lah
Une paisible oifiveté.
Mais de combien d'écueils n'eft pas femée
la mer poétique ? Quand il n'y auroit
que cette prévention ( 3 ) fecrette & épidé-
(1 ) Prométhée .
(2) Le Citoyen de Geneve , connu par les Dilcours
fur le danger des Lettres , & fur l'origine , &c.
(3) Je parle ici d'après mon expérience perfonnelle.
Je n'apperçois que les vers , pour peu
que je vouluffe m'y livrer à forfait , me rendroient
mique ,
AVRIL. 1758, 25
gon
mique , dont on eft prefque généralement
préoccupé contre tout ce qui parle le jardu
parnaffe ; que ce cri de furpriſe &
de frayeur qui s'éleve brufquement dans
une contrée à l'apparition d'un Poëte ,
comme à l'aſpect d'un animal furieux , prêt
à fondre , la gueule béante fur les paſſans ;
vous m'avouerez que ce feroit toujours ,
comme dit Boileau , un fort méchant métier
que celui de rimer. Auffi vous affurerai - je
très-fincérement que , fi je m'en mêle quelde
fort vilains offices ; parce qu'on veut que les
Mufes , ainfi que les abeilles , ayent un aiguillon ;
on s'imagine qu'à propos de bottes , pour ainfi
dire , je vais en percer quiconque n'aura pas le
don de me plaire . En vain ma conduite démentelle
cet injufte foupçon ; elle ne peut le détruire.
Mon malheur , que je fouffre cependant , graces à
Dieu , avec affez de réfignation , ne fe borne pas
là . Les perfonnes qui ne me craignent pas , me
condamnent encore plus nettement , que celles
qui font affez bonnes pour me craindre . La belle
Occupation , difent-elles avec un air de mépris
décidé , pour un homme d'un certain état , d'enfiler
puérilement des mots au bout les uns des autres
,& de les faire confonner entr'eux ! Il eft vrai
qu'il y en a peu de plus ridicule , & qu'il vaudroit
beaucoup mieux , à leur exemple , dans les intervalles
de fes devoirs , ſe défennuier tout bonnement
à ne rien faire du tout , ou bien à dormir
innocemment couché de fon long dans un bon
fauteuil ; mais n'a pas cet heureux talent là qui
veut.
II. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE .
quefois , c'eft que je n'ai rien de mieux à
faire. Que n'ai- je une Cure , ou ſeulement
un pauvre petit Bénéfice fimple ,
De quelque mille écus de rente
La moitié même fuffiroit.
Ah ! que bientôt on me verroit ,
Auffi vite , auffi prompt qu'un trait
Lancé par une main puiffante ,
Du Pinde enfiler la defcente ,
Et, fans le plus léger regret ,
Dire adieu pour jamais à la troupe fçavante :
Environné chez moi d'un cortege d'amis ,,
Qu'attireroit fans ceffe fur ma trace
L'art renommé d'un Cuifinier exquis ,
Et que la peur d'encourir ma difgrace
Rendroit zélés , attentifs & foumis :
Sur une Majordôme auffi fûre que fage ,
Me repofant du tracas du ménage ,
Et de mille ennuyeux foucis :
D'un troupeau de parens avides ,
Par un goût d'épargnes fordides ,
Peu foigneux d'allumer l'orgueil & les défirs ;
Paffant , volant enfin de plaifirs en plaiſirs ,
Entre le jeu , la table & des courfes rapides ,
Je partagerois mes loisirs.
Des pauvres filles de mémoire ,
Si par hazard il étoit queſtion ,
Ce feroit tout au plus dans quelques airs à boire,
Ou , dévouant leur art à la dérifiop ,
AVRIL 1758. 27
Du feul Bacchus j'aurois l'ambition
D'exalter les faits & la gloire.
Pour de lectures , point, Seulement , par façon ,
Dans les jours , ou d'amis on peut avoir dilette ,
Je pourrois du Mercure entonner la Chanfon ,
Lire l'Enigme & la Gazette,
Vous me regardez d'un ait étonné...
Eh ! Monfieur le Vénérable , les richeffes
font tous les jours de plus grands miracles
que cela auffi voit- on qu'il n'y a pas d'autel
mieux paré que celui de la fortune.
Mais enfin ne fiffent- elles d'autres effets
fur moi que de me guérir de la fotte manie
des vers , en détournant mon goût fur des
objets plus raifonnables , tels , par exemple,
que la levée d'une bonne dîme , le battage
d'une vafte grange , la recherche d'une
vieille limite , & c. occupations qui me feroient
rentrer dans l'efprit de mon état ,
ce feroit toujours un fort bon office qu'elles
me rendroient : vous ne voudrez pas
en convenir , & , pour m'amorcer , je vois
l'appât que vous m'allez tendre ; les éloges
que Paris & la Province.... Paris ! ah !
mon cher , fes louanges me font beaucoup
moins d'honneur que vous ne penfez . Perfuadé
fans doute ,
Que nous autres gens de Village ,
Peuple groffier , race ſauvage ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
Sans talent , fans légéreté ,
Ne devons avoir en partage
Que l'ignorance & la rufticité :
De notre part la moindre bagatelle ,
Où quelque peu d'urbanité ,
Quelque trait d'efprit étincelle ,
Lui paroît de toute beauté.
De ce que fon fuffrage a pour moi d'honorable ;
Je ne fuis donc pas plus fier que furpris ;
Ce n'eft , je crois , que par mépris
Qu'il me trouve moins mépriſable.
Au refte , je crains fi fort de m'attirer le
reproche d'infenfibilité ou d'ingratitude ,
que je confens , s'il le faut , de prendre
pour bons les éloges gracieux dont on veut
bien m'honorer ; mais à une condition ;
c'eft qu'il n'en fera ni plus , ni moins , &
que la reconnoiffance ne m'engagera en
rigueur qu'à de purs remercimens in petto.
Mon but , en rimant quelques miferes
campagnardes , ne fut jamais d'arborer
l'enfeigne d'Auteur. Je penfe , graces à
Dieu , un peu plus fenfément. Je fçais trop
bien que ce n'eft pas à un fauvage comme
moi , fans connoiffance du monde , fans
relation , & prefque fans culture & fans
livres , qu'il appartient de prétendre contribuer
au plaifir du Public. Pour quelques
méchantes faillies , naïves , fi l'on veut ,
AVRIL. 1958. 29
qui lui échapperont par hazard ,
hazard , combien
d'inepties & de puérilités , malgré qu'il en
ait , ne couleront pas en foule de fa plume ,
comme d'une fource naturelle ?
Quand j'apprens donc que R...
Ce Seigneur charmant , adorable ,
Dont l'ame vafte réunit
Tant de jufteffe à tant d'efprit ,
Tant de grandeur à l'air le plus affable ,
Tant de talens au ton le plus uni ,
Accorde à mes vers fon fuffrage
Vous vous imaginez , je gage ,
Que j'en fuis bien flatté : nanni.
Non , je ne me perfuaderai jamais que
M. le M. de R. connu par la délicateffe &
l'univerfalité de fon goût , trouve rien
dans mes foibles effais qui l'amufe réellement
; mais peut - être y découvre-t'il par
une pénétration de regard propre aux
grands génies , un germe heureux qui ,
développé par un travail affidu , pourroit
produire un jour des fruits eftimables . A
ce compte , fon approbation , en la fuppofant
véritable , ne porteroit réguliérement
que fur un mérite futur , qu'il penſe
que j'acquerrai . Mais pour parvenir à ce
terme glorieux , il faut du moins y tendre ,
& je vous avoue fincérement que c'eſt
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
tout le plus loin de ma penſée . Si j'entre
par fois
Dans la poétique carriere ,
C'eft fans aucuns engagemens :
M'y diftraire quelques momens ,
A regarder , affis au bout de la barriere ,
L'activité des chars , l'ardeur des afpirans :
Pour un qui vole au but , en vòir cent par derriere
,
Abatrus , pâles , expirans ,
Gémir , foulés dans la pouffiere ,
Sous les pieds de leurs concurrens :
Entonner , s'il le faut , quelques vers à la gloire
Du mortel fortuné dont mille cris bruyans
Viennent de toutes parts m'annoncer la victoire ;
Mêler fans art , à fes lauriers brillans ,
Quelques - une's des fleurs dont fe parent nos
champs :
Cher Ami , voilà mon hiftoire ,
Et l'unique but où je tends.
Quel pauvre but ! vous entens je dire ,
en hauffant les épaules . Peut- on fe laiffer
appéfantir par un goût fi pufillanifme ?
Qu'y a - t'il donc au monde de plus féduifant
, de plus noble , de plus digne même
de l'être qui penfe , que de prétendre à la
palme des beaux arts ? que de courir une
lice , où , pour peu qu'on veuille s'efforcer ,
AVRIL. 1758. 3 $
on trouve toujours au moins des fleurs à
cueillir ; où les Mufes , juges impartiales
& naturellement indulgentes de la courſe ,
diftribuant les prix felon la nature & la
diverfité des talens , n'en laiffent aucun
fans récompenfes , & les égalent prefque
tous dans lear eftime , lorfque chacun
d'eux , dans le genre qui lui eft propre, s'éleve
au degré de perfection dont il eft fufceptible
; où les vainqueurs enfin , couronnés
des vrais lauriers que la nature
avoue aux yeux d'une multitude toujours
prompte à s'extafier ...
Oui , je le crois , tous ces brillans propos ;
Quand on les oit , au retour de matine ,
Le corps penché fur un lit de repos ,
D'où l'oeil chargé d'un refte de pavots ,
Et tendrement tourné vers la cuifine ,
L'efprit exempt de tout ſoin qui chagrine ,
Sur un bufet rayonnant de cryftaux ;
On apperçoit Iſabelle ou Juftine ,
En linge frais , en jupe fimple & fine ,
D'un air riant , d'un pied libre & difpos ,
En attendant d'aimables commenſaux ,
D'un déjeuné qu'on dévore à fa mine
Porter , ranger les divers matériaux :
Oui , quand d'un vin de la graviere ( 1 ) ,
(1 ) Canton de Bourgogne renommé parfon vin.
B iv
32
MERCURE DE FRANCE.
Fait dans la meilleure faifon ,
Entre un pâté dont la façon
Marque le prix de la matiere ,
Et l'omoplatte d'un jambon ,
Tout frais tiré de la chaudiere ,
On voit briller maint gros flacon ;
Oui , je n'en doute pas , ces propos de
courfes
littéraires , de combats d'efprits ,
de couronnes
poétiques, &c. doivent, dans
un ame dont le corps eft à fon aife & nage
dans les plaifirs , allumer la plus vive &
la plus agréable chaleur ; & je n'ai aucune
peine à croire qu'on ne puiffe alors s'imaginer
aifément qu'il n'eft rien de plus flatteur
& de plus noble que de s'élancer à
tire- d'aîles au temple de la Gloire. Mais
malheureufement ces
magnifiques propos
ne font , dans le fonds , que de purs propos
de table , faits
uniquement pour animer la
converfation ; & ce temple
merveilleux ,
qu'un vain phantôme qui, comme tous les
autres , pour être apperçu , a befoin qu'on
le regarde avec des yeux un peu troubles ,
& dans une certaine pofition :
autrement
tout s'évanouit , & difparoît.
Sortons du manoir délectable
De ce mortel chéri des Dieux ,
Qu'un fommeil doux , officieux ,
AVRIL. 1758. 33
Sur un fopha délicieux ,
Vient d'étendre au fortir de table.
Laiffons dans un fonge flatteur
S'égayer fon ame tranquille :
Hélas ! trop tôt , pour fon malheur ,
Le fon d'une cloche incivile ,
En furfaut l'appellant au choeur ,
D'une digeftion facile
Va venir troubler la douceur.
Echappons-nous de la ville , féjour enchanteur
de l'abondance , du luxe & des
plaifirs ; & portons nos pas vers la campagne
, retraite ifolée , où , du temps de nos
peres , régnoit , dit - on , la belle nature ,
T'aimable paix , l'heureufe fimplicité , &
où habitent du nôtre , la barbarie , l'inquiétude
, la trifteffe & l'indigence.
Avançons vers cette chaumiere ,
Ridicule jouet d'Eole mutiné ,
Que fa pofition auprès d'un cimetiere ;
Bien moins que fon état chancelant , incliné,
Nous annonce être un prefbytere,
Séjour aux foucis deftiné.
A travers cette clôture ,
Ouverte de tout côté ,
Voyez de cette mafure
L'habitant déconcerté ,
Qui fufpectant la vifite
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
De quelque for patafite ,
A notre afpect fe rapit
1
Contre un mur en découpure ,
Dont mainte large échancrare
Le décele & le trahit.
A fon air fee , à fa taille évidée , à fon
accoutrement délabré , c'eft , n'en doutons
point , un de ces manoeuvres évangéliques,
gagés pour travailler à la vigne du Seigneur.
Voilà juftement l'homme qu'il nous
faut , le vrai contraſte de notre dormeur
paifible. A ce pauvre here , à qui les loix
rigoureufes de l'ufage ne permettent pas
de vivre feul de fa modique prébende , ou
de fe conténter tout au plus d'une fimple
domestique , obligé , s'il ne veut pas , graces
aux bons foins de fa fidele économe ,
aller mourir quelques années plutôt à
l'hôpital , obligé , dis- je , de prendre
garde
Si tette bonne chatemite ,
Pendant que lui , dans les repas ,
Vit plus maigrement qu'un hermite ,
Pour elle en féërët né fait pas
Bouillir graffement la martnite.
Si pendant que d'un vin au bas
Le Pafteur humblement s'abreuve ,
D'une futaille toute neuve ,
AVRIL. 1758. 35
La comere , avec quelque gas ,
N'a pas ſoin de faire l'épreuve.
Si , pendant que pour un défunt ,
Le pauvre diable encore à jeun ,
Fait l'Office dans fon Eglife ,
Il n'arrive pas bien ſouvent
Qu'en fa cuifine on folemnife
La fête de quelque vivant.
Enfin fi le bled de réſerve ,
Que notre bon homme conferve,
Pour le munir , l'hyver prochain ,
D'une méchante foutanelle ,
Changeant de place & de deſtin ,
Sans bruit , chaque jour par parcelle¸
Porté chez un Blatier ( 1 ) voiſin ,
Ne fournit pas la perronelle ,
De tablier, de jupon fin ,
De mouffeline & de dentelle.
A ce pauvre honteux Eccléfiaftique
tourmenté par mille foins différens , perpétuels
, difgracieux , garotté à jamais
dans fa mifere , & fouffrant d'avance par
un preffentiment malheureux qu'il ne peut
écarter , avec fes peines préfentes , celles
que lui prépare un trifte avenir. A ce miférable
portionnaire enfin , à qui peut être
dans le moment un bourreau d'Huiffier
(1) Gens qui voiturent le grain au M arché.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE:
vient de fignifier par la faifie de fa penfion
, pour fait de décimes , qu'il faut mourir
de faim ; allez un peu , je vous prie ,
parler de mufique , & c . Peignez- lui de votre
mieux la gloire , le plaifir qu'il y a ,
pour un être penfant , de charmer une
multitude , & c. montrez- lui du doigt les
couronnes , les guirlandes qui ... vous
riez.
*
Ami , ce bon folitaire ,
Dont j'ai tracé le portrait ;
Si vous le fuppofez fait ,
Du côté du caractere ,
De façon que gai , fatisfait
Du fort fâcheux , ou profpere ,
Auquel le ciel le foumet ,
Il ait le don de fe faire
Un jeu de ce qui feroit ,
Pour un autre , le fujet
D'un fonds de trifteffe amere :
Ami , ce bon Solitaire ,
Dont vous plaignez la mifere ;
C'eft votre ami trait pour trait.
Jugez après cela , fans parler des devoirs
indifpenfables d'un état , qui en comporte
tant , & de fr pénibles , à la campagne furtout
, s'il m'eft poffible de me livrer au
goût de la rime , le plus féduifant & le
moins compatible qu'il y ait avec les autres
AVRIL. 1758; 37
goûts. Au refte , quand je voudrois lui
abandonner la meilleure partie de mon
temps , qu'en réfulteroit- il ! Eft- ce dans
une fituation comme celle où je fuis , dans
une contrée fauvage , au milieu des bois ,
éloigné de quatre lieues du féjour des humains
, que les objets de la belle poéfie
viendront fe peindre à mon imagination ?
eft-ce dans l'antre des Cyclopes ( 1 ) que les
Mufes , du moins quelques- unes des plus
aimables , oferont venir m'infpirer ? Encore
1
Si , comme vous , affis à table ,
Auprès de Faye 1 , & de Héraut 2.,
M'abreuvant d'un jus comparable
A celui que l'on boit là haut ;
Partageant la gaîté charmante
De mille agréables propos ,
Il me falloit fur mes pipeaux
Chercher quelque chanſon plaifante ;-
Pour une , j'en trouverois trente.
Si l'Hôte du double côteau
Me refufoit fon affiftance ,
Mon fort n'en feroit que plus beau :
Sous l'air du badin Vachereau 3 ,
(1 ) La contrée des Amognes eft remplie de forges
& de fourneaux. Elle eft plus propre à donner des
compagnons à Vulcain , qu'à faire des élèves à
Apollon.
1. 2. 3. Chanoines d'Autun , pleins d'eſprit , de
18 MERCURE DE FRANCE.
Le Dien Côme , avec abondance ,
Suppléeroit à fon défaut.
Voici donc , pour finir une fois pour
toutes , quel eft mon dernier mot ; c'eft
fans lier aucun commerce fuivi avec les
Mufes , j'entends les Mufes chantantes ; de
ne les cultiver que comme a fait certaine
efpece de gens de par le monde , dont
l'intimité feroit dangereufe , & qu'on ne
voit que par bienséance , ou par befoin . Je
prévois ce que vous allez me dire : leurs
faveurs , du moins les plus rares , ne feront
pas pour moi Je le fçais bien auffi n'y
Comptai -je pas plus que fur leur crédit.
Laudantur & algent.
Je fuis avec , & c.
:.
Aux Amognes , le 29 Septembre 1757.
goût & de politeffe. Ils partagent ces qualités aima
bles avec la plus grande partie de leur Chapitre ,
où elles font fi communes , qu'on les croiroit exigées
des récipiendaires par les réglemens.
AVRIL. 1958. 39
VERS
D'une jeune Ecoliere fur le retour d'un Abbé
de fes amis.
CHARMANT Abbé , fur ton retour ,
Que ne puis-je effayer ma lyre !
Pardonne à ce tendre délire ,
Toujours on pardonne à l'Amour.
Mais en vain je brûle d'écrire ,
Ce même amour a caufé mon malheur ;
J'ai tant médité mon bonheur ,
Que j'ai perdu le temps de te le dire.
ENVO I.
Boiffy, de ma lyre naiffante ,
Au Pinde fois l'introducteur ;
Quand le favori nous préſente ,
L'on n'eft pas long-temps fans faveur.
Par Mlle Va.
Cer Envoi eft trop Hatteur pour nous ,
& les Vers qui le précedent le font encore
plus pour M. l'Abbé.
40 MERCURE DE FRANCE .
SUR LA DURÉE
DE CERTAINES. PASSIONS.
Lettre à M. de ...
Vous êtes donc bien furpris , Monfieur ,
de la force & de la durée des paffions
qu'infpirent les femmes d'un certain âge .
Sçavez- vous que Dom Calmet ne donne
pas moins de foixante , ou même foixante
cinq ans à Judith , lorfqu'Holopherne fut
la victime. de fes charmes ?
Ceux qui veulent conferver la vraifèmblance
dans l'hiftoire d'Helene , fe trouvent
contrariés par la chronologie. On fuppofe
que cette beauté célebre , étoit à peu
près du même âge que fes freres Caftor
& Pollux , & qu'elle avoit environ vinge
ans , quand ils allerent avec les autres Argonautes
à Colchos . De cette expédition
au fiege de Troye , on compte environ
trente ans. Helene en avoit donc cinquante
, lorfque Pâris l'enleva , Le fiege , ou la
guerre de Troye dura dix ans , & ce fut
la derniere année de ce fiege , qu'Agamemnon
& Achille fe querellerent . L'admiration
des Confeillers de Priam pour la
divine beauté de cette femme , doit fe rapAVRIL
175.8. 41
porter au temps qui fuivit cette querelle.
Elle avoit donc foixante ans lorfque fes
charmes obligerent les Confeillers de ce
Roi , d'avouer qu'elle étoit digne de tout
ce que faifoient pour elle deux puiffantes
nations. Ce n'eft pas tout. Peu de temps
après , Pâris ayant été tué , fes freres -
rent paroître une égale ardeur pour fe marier
avec fa veuve. Priam qui craignoit les
fuites d'une difpute auffi acharnée, leur ordonna
le combat , & la promit à celui qui
reviendroit victorieux . Helene fut adjugée
à Déiphobe. L'un de fes freres nommé Helenus
en fut fi outré , qu'il fortit de Troye ,
& qu'il fit tous fes efforts pour hâter la ruine
de fa patrie. Etranges effets de la beauté
d'une femme qui paffoit 60 ans ! Cependant
qu'est- ce que ce calcul à l'égard d'un
fçavant Chronologifte ( 1 ) , qui ne lui donne
pas moins de quatre- vingts ans , lorfqu'on
prétend qu'elle fut enlevée pour la
premiere fois ?
Céfonie , maîtreffe de Caligula & fa
femme après qu'il en eut eu des enfans
n'étoit plus ( 2 ) jeune quand elle s'empara
du coeur & de l'efprit de ce Prince : elle
avoit eu trois enfans de fon premier mari.
( 1 ) M. de Vignoles. Chronologie de l'Hiftoire
Sainte & des Hiftoires prophanes.
(2) Suet. Vie de Caligula , chap. 33+
41 MERCURE DE FRANCE.
Suétone rapporte que ce fut l'excès de fon
tempérament , & fes raffinemens fur la débauche
qui charmerent Caligula . Dans fes
tranfports d'admiration pour elle , il la
montroit en habit de guerre à fes foldats ,
& toute nue à fes amis.
Marie d'Arragon , femme du Marquis
du Guaft , l'un des bons Généraux de Charles-
Quint , fut belle , défirable même jufques
dans fa vieilleffe. Quand je dis défirable
, je m'en rapporte à Brantome , qui ,'
parlant de cette Dame nous apprend ( 1 ) ,
29
que de vrai elle fe montroit encore très-
» belle & fort aimable , voire plus que fes
» deux filles toutes belles & jeunes qu'elles
» étoient. Si avoit- elle alors près de foixante
bonnes années ». Le grand Prieur François
de Lorraine Général des Galeres , en
devint alors amoureux , & Brantome étant
retourné à Naples environ fix ans après ,
ne la trouva que fort peu changée , " en->
≫ core auffi belle qu'elle eût bien fait com-
» mettre un péché mortel ou de fait , ou
» de volonté.
Diane de Poitiers , Ducheffe de Valen
tinois , avoit près de quarante ans , lorfqu'Henri
II en devint amoureux . Le pouvoir
de fes charmes fut moins furprenant
(1) Dames galantes , t . s
AVRIL. 1758. 43
que la durée de fa beauté. Ce fera encore
le même Brantome que je fuivrai dans fon
langage naïf. ( 1 ) « J'ai vu Madame la Du
» cheffe de Valentinois en l'âge de foixan-
» te-dix ans , auffi belle de face , auffi
» fraîche & auffi aimable comme en l'âge
» de trente ans . Auffi fut- elle fort aimée &
» fervie d'un des grands Rois & valeureux
»du monde... Je vis cette Dame , fix mois
» avant qu'elle mourût, fi belle encore , que
je ne fçache coeur de rocher qui ne s'en
fût ému , encore qu'auparavant elle fe
»fût rompu une jambe fur le pavé d'Or
léans , allant & fe tenant à cheval auffi
» dextrement & difpotement comme elle
"avoit jamais fait ; mais le cheval tomba
» & gliffa fous elle , & pour telle rupture
" & maux & douleurs qu'elle endura , il
» eût femblé que fa belle face s'en fût changée
; mais rien moins que cela : car fa
beauté , fa grace , fa majefté , fa belle
» apparence étoient toutes pareilles qu'elle
»avoit toujours eu , & furtout elle avoit
" une très grande blancheur , & fans fe
>> farder aucunement ; mais on dit bien
H
ל כ
que
tous les matins elle ufoit de quelques
»bouillons compofés d'or potable, & autres
drogues que je ne fçais pas comme les
" bons Médecins & doctes Apothicaires . Je
(1 ) Dames galantes , t . 2 .
13.
MERCURE DE FRANCE.
» crois que fi cette Dame eût encore vécu
» cent ans , qu'elle n'eût jamais vieilli ,
fût de vifage, tant il étoit bien compofé , 33
fût de corps caché & couvert , tant il
» étoit de bonne trempe & belle habitude.
" C'eſt dommage que la terre couvre ce
beau corps. "
Madame la Ducheffe de Portſmouth
maîtreffe de Charles II Roi d'Angleterre ,
a confervé ſa beauté jufqu'à 70 ans.
La célebre Ninon Lenclos , qui vivoit encore
en 1704 , a fait des paffions dans l'âge
le plus avancé elles n'étoient point
J'effet des charmes de fon efprit , quoiqu'elle
en eût beaucoup : on en vouloit à
fon corps . On nomme encore ceux à qui
elle a bien voulu accorder fes faveurs à
quatre-vingts ans.
Je ne vous ai point parlé de plufieurs
femmes de l'antiquité , qui ont fait & confervé
de brillantes conquêtes malgré le
nombre des années : les bornes d'une lettre
m'en ont impofé. Je ne défeſpere pas
de voir un livre fur cette matiere . On n'oubliera
pas Afpafie , Laïs , Lamie. Quand
un Auteur est tourné du côté de la galanterie
, encore vaut - il mieux écrire des vérités
que tant de fictions , la plûpart trèsmal
imaginées .
A Vauréas , le 12 Février 1758.
AVRIL. 1758. 45
L'HYVER ET LE PRINTEMPS,
Par M. Varé , à Granville.
La tendre Zéphyr
Careffoit ce feuillage ;
L'Aquilon le ravage
Et le fait mourir ;
L'Oiſeau s'en retire ;
Defcend aux buiffons ,
Et lorsqu'il expire
Parmi les glaçons ,
La plaine eft déferte ,
Et les noirs frimats
Dont elle eft couverte ,
Effacent de nos climats
Les plus beaux traits de la nature ;
Il n'eft plus de pâture
Pour nos troupeaux ,
La terre devient dure ;
Et cette mere , inſenſible à nos maux ,
Nous refufe la nouriture .
•
Tu fçais Pattendrir ,
Printemps adorable :
Quand ton retour aimable
• La fait refleurir ,
L'Onde fe dégele
Et reprend fon cours ;
6 ME RCURE DE FRANCE.
*
On paffe auprès d'elle
Les plus heureux jours.
Pere de la verdure ,
Pere des amours ,
Ton
haleine pure
Peut tout rajeunir
Et tu fais finir,
Les maux de tout âge :
Que le Roffigool
Reprenne fon vol
Pour te rendre hommage
Deffus un rameau
Paré de nouveau
Qu'à fon doux ramage
S'uniffent nos voix
Nos mufettes & nos hautbois,
*
RÉPONSE aux Remarques inférées dans
le Mercure de Février dernier , touchant
les Réflexions de M. de l´auvenargues au
fujet de Rouffeau o' on it , som tropa
QUOIQU'ON attribue fauvent aux Auteurs
après leur mott , des ouvrages qu'ils
n'ont jamais produits , il n'en eft pas de
même des réflexions de M. de Vauvenargues
fur Rouffeau , qui furent imprimées
dans le Mercure du mois de Jyiller 1753 .
AVRIL. 1758. 47
On y reconnoît ce ftyle noble , & certe
délicateffe de jugement qui lui étoient propres
, malgré les reproches que lui fait
l'Auteur des Remarques inferées dans le
Mercure du mois de Février dernier . Il
prétend que M. de Vauvenargues auroit
dû avoir plus de ménagement pour un Poëte
tel que Rouffeau , en qui il ne trouve
d'autre mérite , felon cet Auteur , que le
méchanifme des vers.Si l'Obfervateur avoit
fait plus d'attention aux paroles qu'il criti
que , il auroit vu que, quoique M. de Vauvenargues
regarde le méchanifme de la
verfification comme la partie dominante de
Rouffeau , il eft fi éloigné de ne reconnoître
d'autre mérite en lui , qu'il fe plaint
que les fortes images qui font dans ce Poëte
, ne le remuent point affez , parce que
la paffion ne les anime pas . Sans difcuter fi
ce fentiment , dont M, de Vauvenargues
ne veut point faire une loi aux autres , eſt
vrai ou non ; il en résulte qu'il reconnoît
dans Rouffeau la force des images , principale
qualité de la poéfie , qui doit être
une peinture parlante. Il me paroît donc
qu'il ne manque pas de ménagement en
ce point à l'égard de ce Poëte ; en manqueroit-
il davantage en ce qu'il n'ofe le
mettre à côté de Defpréaux pour le méchanifme
des vers , à caufe que Defpréaux a
48 MERCURE DE FRANCE.
été fon maître ? On peut , dit notre Obfervateur
, être égal & même fupérieur à quelqu'un
, quoiqu'il ait été notre maître.
Cette maxime eft vraie en général pour toutes
les chofes , où les maîtres ont trouvé l'art
qu'ils ont enfeigné au point de perfection
où ils l'ont tranfmis à leurs éleves , & non
dans le cas où, comme Defpréaux , ils l'ont
porté à un point de perfection inconnu à
ceux qui les avoient précédés , & que leurs
fucceffeurs n'ont eu qu'à fuivre , parce que
leur mérite doit fe mefurer à la difficulté
de parvenir à ce qui n'étoit point encore
connu . Mais venons aux réflexions particulieres
fur l'Ode de la Fortune , dans laquelle
M. de Vauvenargues trouve la plûpart
des pensées plus éblouiffantes
folides , par exemple celle- ci ,
Quoi ! Rome & l'Italie en cendre
Me feront honorer Silla ?
que
fo-
M. de Vauvenargues dit , non vraiment ,
ce n'eft point par cet endroit que j'admirerai
Silla , mais par ce génie puiffant &
fupérieur , qui éclate dans fes opérations.
L'Obfervateur répond que Rouffeau n'a pas
dit le contraire , & que fon objet n'étoit
pas de faire l'éloge des conquérans ; mais
la réflexion de M. de Vauvenargues n'en
વefીt pas moins jufte , puifque Rouffeau
ayant
AVRIL.
1758.
49
-༧ ༔
A
ayant dit dans la ftrophe
précédente , que
les vertus des
conquérans
n'étoient que
des crimes heureux , il donne à entendre
que Silla , en mettant Rome & l'Italie en
cendre , ne devoit fes victoires qu'à fon
bonheur , tandis que fon génie en fut la
principale caufe. Faut - il parce qu'on ne
veut pas faire l'éloge des
conquérans , méconnoître
leurs qualités eftimables , & leur
en ravir la gloire ? On peut déplorer les
maux qu'ils ont caufé , fans attribuer à la
fortune tous leurs triomphes , & fans dire
d'Alexandre....
Mais à la place de Socrate ,
Le fameux Vainqueur de l'Euphrate
Sera le dernier des mortels.
Alexandre n'avoit- il , comme a fort bien
remarqué M. de
Vauvenargues , que les
qualités du conquérant ? Etoit- il fans vertas
? L'amitié , la générofité & la clémence
ne furent- elles pas fon partage ? A la
place de Socrate , ces mêmes vertus n'auroient-
elles pas exifté ? Au contraire , la
profpérité qui corrompit
Alexandre , auroit
eu moins de prife fur lui dans une
condition privée.
Quoique
Defpréaux eût
déja parlé contre
Alexandre , en l'appellant
écervelé , il étoit beaucoup plus excufable
que Rouffeau ;
l'enjouement de la
II. Vol. C
>
So MERCURE DE FRANCE .
fatyre permet des expreffions , que le férieux
de l'ode ne fçauroit admettre , &.
rien n'eft fi indécent , en parlant férieuſement
d'un héros tel qu'Alexandre , que de
l'appeller le dernier des mortels. M. de
Vauvenargues n'a pas été plus mal fondé à
trouver à redire à ce paffage de Rouffeau ,
L'inexpérience indocile ,
Du compagnon de Paul Emile ,
Fit tout le fuccès d'Annibal .
Perfonne n'ignore , dit- il , que l'habileté
d'un Général à la guerre , confifte à profiter
des fautes des ennemis : envain l'Obfervateur
prétend que , quoique perfonne
n'ignore cette maxime , le but de Rouffeau
n'étant que de parler des ravages & des
maux que font les conquérans, il eft inutile
d'examiner ce qui fait l'habileté des Géné
raux , il eft vifible que malgré ce but général
, Rouſſeau ,dans la ftrophe dont il s'agit,
a voulu parler de ce qui fait la gloire des
conquérans dans cet objet , il a eu tort
de croire pouvoir rabaiffer la gloire d'Annibal
, en difant qu'il devoit tout le fuccès
qu'il eut , à l'inexpérience de fon adverfaire
, comme fi Annibal n'avoit eu ni
capacité , ni valeur , & qu'il ne fût redevable
de fon triomphe qu'à la fortune
qui lui avoit fait rencontrer un adverfaire
AVRIL. 1758.
SI
h peu habile. Il me femble donc qu'une
critique auffi jufte & auffi modefte que
celle de M. de Vauvenargues méritoit plus
de ménagement : bien loin d'avoir repris
tout ce qu'il auroit pu , il a épargné cette
fameufe ftrophe ,
Montrez-nous, guerriers magnanimes, &c.
qui renferme une propofition fauffe dans
fa généralité , car il n'eft point vrai que
les guerriers véritablement magnanimes fe
démentent au moindre revers , puifque
c'eft alors que la fermeté & l'étendue du
génie fe manifeftent davantage. Je ne prétends
pas cependant dégrader une ode qui
eft admirée , mais je crois qu'elle eft plus
admirable par l'expreffion que par les penfées
, qui font , comme dit M. de Vauvenargues
, plus éblouiffantes que folides .
L'eftime que j'ai pour les ouvrages d'un
homme qui a honoré la patrie dont je fuis
ne m'a pas permis de laiffer fans réponſe ,
la critique de fes réflexions fur Rouffeau
auffi délicates que vraies.
Par le fieur de F ***, d'Aix en Provence.
2
་
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. l'Abbé Aubert à M. de
Voltaire , en lui envoyant le Recueil de
fes Fables.
Otoi ! dont les fublimes chants
Imitent les fons fiers des clairons , des trompettes,
Daigne écouter mes chanſonnettes ,
Daigne favoriſer mes timides accens,
Des coeurs ambitieux admirable interprête ,
Ta mufe fait parler les Princes , les Héros :
La mienne fait jafer le Serein , la Fauvette ;
Par l'organe de l'Ane , elle enſeigne les fots .
Si quelquefois , dans d'heureuſes images ,
J'ai peint avec fuccès le vice ou la vertu :
Voltaire , c'eſt à toi que l'hommage en est dû
J'ai relu cent fois tes Ouvrages.
•
J'ai toujours penfé , Monfieur , que le
premier devoir d'un homme qui vouloit
fe faire un nom , dans quelque genre de
poéfie que ce fût , étoit de fe former fur
vos Ouvrages ; & le fecond , de vous offrir
fes effais. Je m'acquitte de ce dernier ſoin ,
en comptant beaucoup fur votre indulgence
& fur vos avis. Jufqu'à préfent les perfonnes
que j'ai confultées m'ont toutes
donné des confeils fi oppofés , que je ne
fçais quel parti prendre . L'un me reproche
AVRIL. 1758. 53
pas
d'imiter trop la Fontaine , & l'autre , de ne
l'imiter affez. Celui- ci fe plaint que
mes morales font trop longues , celui -là ,
qu'elles font trop courtes. Un troifieme
voudroit m'obliger à les fupprimer toutes ,
alléguant pour raifon , malgré l'exemple
de tous les Fabuliftes , que le but d'une
Fable doit fe faire fentir affez de foi - même,
pour fe paffer de cette efpece de commentaire
que l'on appelle la morale. Il y en a
qui voudroient que mes Fables fuffent toures
auffi fimples que celle de la Cigale & là
Fourmi , comme fi un Fabulifte étoit condamné
à n'être lu que par des enfans. Cette
variété d'opinions fur mon Recueil m'a
mis fouvent dans le cas de m'appliquer la
Fable du Meunier , fon Fils & l'Ane.
Parbleu , dit le Meûnier , eft bien fou du cerveau ,
Qui prétend contenter tout le monde & fon pere.
Vous voyez , Monfieur , combien j'ai
befoin d'être fixé par des avis fûrs , & dont
on ne puiffe appeller . Je me déciderai ,
Monfieur , d'après les vôtres , fi je vaux la
peine que l'Auteur de la Henriade facrifie
quelques momens à la lecture d'une cinquantaine
de Fables , & qu'il daigne m'écrire
ce qu'il en penfe. J'attends , Monfieur
, cette faveur de votre attention à
encourager les talens naiffans , & je me
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
"
ferai en tout temps honneur de prendre
des leçons du plus beau génie de la France .
Je fuis , & c.
A Paris , ce 10 Janvier 1758.
RÉPONSE de M. de Voltaire à M.
l'Abbé Aubert .
Je n'ai reçu , Monfieur , que depuis trèspeu
de jours dans ma campagne où je fuis
de retour , la Lettre pleine d'efprit & de
graces dont vous m'avez honoré , accompagnée
de votre livre qui me rend encore
votre lettre plus précieufe . Je ne fçais quel
contretemps a pu retarder un préfent fi
flatteur pour moi . J'ai lu vos Fables avec
tout le plaifir qu'on doit fentir , quand on
voit la raifon ornée des charmes de l'efprit.
11 y en a quelques-unes qui refpirent la
philofophie la plus odigne de l'homme.
Gelles du Merle , du Patriarche , des Four
mis font de ce nombre. De telles Fables
font du fublime écrit avec naïveté. Vous
avez avec le mérite du ftyle , celui de l'invention
, dans un genre où tout paroiffoir
avoir été dir. Je vous remercie , & je vous
félicite . Je donnerois ici plus d'étendue à
tous les fentimens que vous m'infpirez , fi
le mauvais état de ma fanté me permettoit
AVRIL. 1758.
les longues lettres . Je peux à peine dicter ,
mais je n'en fuis pas moins fenfible à votre
mérite & à votre préfent.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Aux Délices , route de Lyon à Geneve ,
22 Mars 1758.
Le fuffrage de M. de Voltaire met le
"dernier fceau au fuccès des Fables de M.
l'Abbé Aubert , & l'on ne doit plus douter
que perfonne, depuis la Fontaine , n'a mieux
traité ce genre. On ne peut trop l'exhorter
à continuer.Nous avions porté nous- mêmes
le même jugement de fon livre. Nous
fommes flattés de le trouver conforme à
celui du plus grand Poëte de nos jours.
Nous fommes fûrs à préfent que nous n'avons
pas mal jugé.
.
A
RONDE A U.
VEC le temps , on quitte la bavette ,
On prend l'oeil vif , on devient grandelette ,.
Et feins naiffans agitent le mouchoir :
Dès lors galans commencent à pleuvoir ,
Et vont quettant fuffrages d'amourette.
On a beau fuir l'appas de la fleurette ,
Momens perdus ! Une pente fecrete
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Dans tous les coeurs prévaut fur le devoir
Avec le temps.
Mais contre l'âge il n'eſt point de recette
On double en vain de foins & de toilette
Pour étayer Beauté qui va décheoir ,
Plus rien ne fert confulter fon miroir ,
D'amour à peine il refte le fquelette
Avec le temps.
Par un vieux Commandeur , au château
d'Efaye.
Li
E mot de l'Enigme du premier Mercure
d'Avril eft un Lit. Celui du Logogryphe
eft Curedent , dans lequel on trouve
cure , dent , Turc , Dece , rude , cruel , rue ,
être , crête , ut , ré , Ere , la riviere d'Eure ,
Crete , crue , dru , la ville d'En , Duc oifeau
, Duc Seigneur , décent , nue , nuer ,
tendre, dur & nud.
AVRIL 1758.
$7
5.
ENIGM E.
Au Maître à qui je fuis je fus toujours fidele
Jamais à fes fouhaits je ne parus rebelle :
Clair & vivant flambeau toujours je le conduis ;
Quelque danger qu'il courre , en tous lieux je le
fais.
Je lui découvre tout aveugle pour moi - même ;
Et pour preuve de ma foi ,
Sans lui je ne puis vivre , il peut vivre fans moi ;
Mais c'eſt toujours par un malheur extrême.
Souvent mon air doux & riant ,
N'eft qu'un appas double & perfide
Quelquefois j'ai l'air intrépide ,
Audacieux , entreprenant.
A tout fpectacle je préfide.
Par ma grande légéreté ,
Je fuis le trait le plus rapide :
Sans langue & fans diſcours , je donne des confeils
;
J'enflamme , & de frayeur je frappe mes pareils ;
Je tue , & je guéris ; j'accorde , & je refuſe ;
Je permets , je défends , j'autorife , & j'excufe
Dans les uns , j'ai beaucoup plus de vivacité ,
Je puis fervir à différent ufage :
La Coquette furtout tire un grand avantage
De mon agilité :
Cx
SS MERCURE DE FRANCE.
D'un ruiffeau je ſuis l'image ;
J'ai des bords , un rivage;
J'ai toujours de l'humidité ,
Je ne coule que dans l'orage :
L'on m'employe en tous lieux à cent travaux
divers ;
Je fuis utile au Grand, au Bourgeois , au Cham
L
roll ¿pêtre,,, ormos liupssppul ev. 19
Et dans le moment même où tu veux me connoître
NOVA TUOY 517 , C
Cher Lecteur , je te fers.
N. T. BRÉMONTIER , de Rouen.
N
LOGOGRYPHE.
OMBRE de gens , Lecteur , ont du foible
moi ,
pour
N'en conclus pas que je fois belle ;
Je ne ſçaurois me vanter d'être telle ,
Mais bien d'avoir certain je ne fçais quoi
Qui féduit ; & de plus je fuis fort naturelle ,
Défendue , il eft vrai , de tout temps par la loi ,
Loi divine , Lecteur ; ainfi prends garde à toi ,
Et dans l'occafion ... c'eft le moment critique ,
Et le feul où je puis ... finiffons ce difcours :
Pour me connoître , il faut que l'on s'applique ;
Je vais t'embarraffer par mes petits détours ,
A promener de mes pieds à ma tête ,
AVRIL. 1758. 59.
Sans oublier ni le col , ni le corps ;
Je l'avouerai , je me fais une fête
D'engager ton efprit à faire des efforts
Pour découvrir un mot dont peut être l'uſage ,
Pour toi depuis long- temps n'eft pas apprentif
fage ;
Mes pieds qu'il ne faut pas , s'il te plaît , déſunir ;,
T'offrent un peuple entier , & tu peux le choifir ;
Je te préfente après la feconde perfonne ,
D'un alphabet de beau monde connu ,
Par la mode , & le goût toujours bien foutenu ,,
Un inftrument utile ; enfuite je te donne
A ce qui fuit , fi tu veux dire bis ,
Le joli petit nom , je gage que
Philis
Ne m'en dédira pas : confultes- en la Belle ,
Ce peut bien être ainfi que fon Amant l'appelle
:
Brouillons le tout , & formons d'autres mots ::
Voici la qualité qui donne l'importance ,
A celui qui jamais dans la claffe des fots ,
Ne fut choisi pour féjourner en France :
Voici de plus un Moine , un métal précieux ,.
Un poids , un élément , un oifeau de paffage ,
Un inftrument de mer , un habitant des cieux ,
Dont on cite fouvent la force & le courage ::
Imitez - le , Lecteur , & dans l'occafion.
Point ne ferez larron ,
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE.
CHANSON
A Mile D. R. pour l'engager à paſſer quelques
jours de plus qu'elle ne vouloit à La
maison de campagne de M. D.
Sur l'Air : Tout roule aujourd'hui dans le mondes
DEs charmes de votre préſence , ES
Ces beaux lieux font leurs ornemens ;
C'eft dans l'agréable eſpérance
De vous retenir plus long-temps :
Voyez fous vos pas , belle Flore ,
Voyez ces jardins s'embellir ;
Que de fleurs vous faites éclore
Arrêtez-vous pour les cueillir,
AVRIL. 1758 ,
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
OEUVRES UVRES dramatiques de Néricault-
Deftouches , de l'Académie Françoiſe , en'
4 volumes in 4°. A Paris , de l'Imprimerie
Royale , 1757 , & fe vend chez Prault
pere , quai de Gêvres ; chez Prault fils ,
quai de Conty ; chez Hériſſant , rue neuve
Notre- Dame , & chez le fils de l'Auteur
rue Royale , place Royale , la derniere
porte cochere à main gauche en entrant
par la rue S. Antoine : le prix eft de 36 liv .
en feuilles .
On ne peut trop louer le zele de M. Deftouches
d'avoir follicité & obtenu pour les
Euvres de fon illuftre pere cette édition
diftinguée. Qui mérite mieux cette faveur
de la Cour que le premier Poëte comique
après Moliere ! l'Auteur en un mot du
Philofophe marié & du Glorieux , deux
Pieces immortelles qui ont enrichi le
Théâtre François du genre le plus noble de
la Comédie , & peut- être à qui rien n'eſt
comparable,
62 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne fçaurions donner une plus jufte
idée de cette édition , qu'en rapportant
l'avertiffement que le fils de l'Auteur a mis
au commencement du premier volume.
.
Le Roi , dont les bontés ne ceffent
d'encourager les talens , ayant bien voulu
honorer la mémoire de mon pere
en ordonnant une édition de fes oeuvres
au Louvre , j'ai cru ne pouvoir mieux répondre
à cette grace , qu'en portant l'édition
au degré de perfection dont elle étoit
fufceptible .
Je ne m'en fuis pas rapporté à mes foins
uniquement pour les corrections , qui ont
été faites avec l'exactitude la plus fcrupuleufe.
Un ami de mon pere , auffi connu
par fes talens , que par fa place
, a bien
voulu m'aider dans ce travail . On trouvera
beaucoup de changemens dans les premieres
pieces , telles que le Curieux impertinent
, l'Ingrat , l'Irréfolu , le Médifant ,
'Obstacle imprévu ; mais ces changemens
ne font point émanés de nous. Mon pere
les avoit préparés la qualité diftinctive
d'un bon Auteur , eft de n'être jamais content
de fes ouvrages ; M. Deftouches avoir,
j'ofe le dire , porté cette louable défiance
à l'excès , il n'avoit ceffé de revoir fes premieres
pieces furtout , avec un oeil féveAVRIL.
1758;
re , perfuadé qu'on découvre dans un âge
mûr bien des défauts qui ont échappé au
feu de la jeuneffe ; c'est ce qui a produit
des fcenes , des actes refondus prefqu'en
entier. Il comptoit exercer la même critique
fur les autres poëmes ; la mort ne lui
a pas permis d'achever cette entrepriſe , &
c'eft un regret de plus ajouté à la douleur
que m'a caufée fa perte. Au furplus , on a
retranché de cette édition tout ce qui n'eft:
propre qu'à groffir des volumes , comme
épîtres dédicatoires , préfaces , fouvent
relatives aux temps ; mais on trouvera de
plus que dans les éditions précédentes , le
Jeune Homme à l'épreuve , la Force du Nar
turel , déja connus ; & en oeuvres pofthu
mes , & qui n'ont point encore paru , le
Tréfor caché , en cinq actes & en profe ,
( fujet tiré de Plaute ) ; le Mari confident
en cinq actes & en vers ; l'Archi menteur ,
de même ; le Dépôt , petite piece en un
acte , auffi en vers. Peut- être ces poëmes
ne paroîtront- ils pas de la force des premiers
, néanmoins on ne les met au jour
qu'après avoir confulté plufieurs gens de
lettres qui les ont jugés très- dignes d'être
publiés . Enfin , on s'eft renfermé dans le
talent principal de l'Auteur , & l'on ne
verra rien ici d'écranger au théâtre , que .
les difcours académiques de M. Deftou
64 MERCURE DE FRANCE.
ches , & fon tombeau , monument érigé
par l'amitié la plus tendre .
Ce feroit peut-être ici le lieu de tracer
la vie de mon pere , mais cette tâche et
un peu trop délicate pour un fils . Je me
bornerai à dire qu'il fut dans fa jeuneffe
envoyé en Angleterre par M. le Duc d'Or
léans Régent , & qu'il y fut employé longtemps
à des négociations dont il s'acquitta
à la fatisfaction de ce Grand Prince . Feu
mon pere avoit eu le bonheur d'être inf
truit par M. le Marquis de Puifieulx , dans
le temps qu'il étoit Ambaffadeur en Suiffe ,
& il dut principalement aux lumieres de
cet excellent Politique , les fuccès de fes
négociations. A fon retour , le Roi lui accorda
une gratification de cent mille livres.
La mort de M. le Duc d'Orléans fit éclipfer
les premiers rayons de fortune qu'il
avoit vus luire , il s'en confola avec les
Mufes , & pour les cultiver avec plus de
foin , il prit le parti de la folitude ; il
it
achera une terre dans le deffein de s'y retirer
, & de pouvoir fe livrer tout entier à
fon goût pour le dramatique. Il eut l'honneur
, avant cette retraite , d'être reçu 酱
l'Académie Françoife , & il entretint toujours
des correfpondances utiles avec la
plupart des Membres de cette illuftre Com
pagnie. Il s'étoit marié en Angleterre ;
le
AVRIL. 1758. 69
fecret important que cette alliance exigeoit
alors , n'ayant point été gardé par une
perfonne de la famille à laquelle il s'étoit
uni , a donné lieu à la Comédie du / hilofophe
marié. On fçait que la vie d'un homme
de lettres , peu chargée d'événemens
n'eft pas fort intéreffante pour le public en
général ; mais ce qu'il eft toujours curieux
de connoître , c'eft le caractere , ce
font les moeurs des perfonnes qui fe font
diftinguées par leur mérite ; & à cet égard ,
pour bien juger de mon pere , on peut s'en
rapporter aux fentimens vertueux qu'il a
répandus dans toutes fes pieces. Sa droiture
, fa candeur étoient encore moins le
fruit d'un heureux naturel , que celui des
impreffions que la religion , à laquelle il a
toujours été fidélement attaché , avoit également
faites fur fon coeur & fur fon efprit.
CONSIDERATION fur les ouvrages d'efprit
, in- 12. 1758 .
L'objet de l'Auteur eft d'examiner ce qui
fait le mérite des ouvrages d'efprit , &
quelles font les difpofitions qu'il faut apporter
pour y réuffic.
Dans la premiere partie , il démontre ,
par des exemples , que c'eft la nature des
idées qui fait le mérite des ouvrages d'efprit
, & la différence des ftyles ; il prouve
66 MERCURE DE FRANCE .
enfuite par le raiſonnement , que les mots
n'étant que les fignes de nos idées , ce ne
peut être que les idées qui produisent cette
différence , que ce qu'on appelle ftyle , në
confifte que dans la convenance & l'arrangement
, & non dans le choix des mots ,
qui n'eft pas libre , comme on fe l'eft longtems
imaginé ; & enfin , il examine quelles
font les idées qui conviennent aux différens
genres de littérature.
→ Dans la feconde partie , il fait voir
que c'est le concours des caufes phyfiques
& morales qui développent les facultés de
l'entendement ; que la conftitution , le
climat , les âges de l'homme & les faifons
, font les caufes phyfiques qui déterminent
le talent ; & qu'enfin la diffipation
l'ignorance , la manie d'être univerfel , &
les paffions font les caufes morales , qui
retardent les progrès de l'efprit humain.
Nous nous contenterons de rapporter le
paffage fuivant , pour faire juger du ton
de cet ouvrage.
Les caufes morales qui nuifent le plus
» aux progrès de l'efprit humain , font l'i-
» gnorance & la diffipation , dans lefquel-
» les vivent la plupart des Auteurs qui
» nés avec des talens & de l'efprit , fe li-
»vrent au tourbillon du monde qui les recherche
& qui leur applaudit : leur efAVRIL.
1758.
67
par
la lec- » prit , qui auroit s'étendre
pu
» ture & la réflexion , fe trouve refferré
dans un cercle de connoiffances
fort
étroit , & ne produit que de foibles &
»de frivoles imitations , ou des écrits lé-
»gers & fuperficiels : ce n'eft pas dans le
tumulte & l'agitation des plaifirs , que
l'ame acquiert cette force & cette profondeur
, que les Pafcal , les Nicole , les
>>Corneille ont mifes dans leurs ouvrages ;
»mais en voulant éviter ce danger , il faut
prendre garde de donner dans un autre
écueil : un genre de vie trop fédentaire-
» & une application forcée , épuifent les
efprits , & jettent l'ame dans la langueur
& l'abbattement
: dans le cabinet , on
» contracte , fans s'en appercevoir , une
>> humeur fombre & auftere , qui nous
» rend indifférens fur les plaifirs ; nous.
négligeons cè qu'on nomme agrémens ;
nous ne voyons plus le monde que par
fes défauts l'âpreté cinique & Phumeur
cauftique fe gliffent dans nos veines ,
qui portent l'empreinte de la mélancolie
qui nous domine , & par ce ton triſte
» & pédant , nous révoltons l'amour propre
, & nous manquons le but que
"nous étions propofé. Ce n'eft que dans.
» une fociété choifie , qu'on peut fentir à
quel point l'agrément eft néceffaire , &
" .
>>
nous
68 MERCURE DE FRANCE
» combien il contribue au fuccès d'un ou
» vrage : c'eft là qu'on apprend à connoî-
» tre les paffions & à les peindre. Dans ces
» entretiens vifs & animés , qui en font
» les délices , l'imagination s'échauffe
» l'homme fe montre à découvert , & ces
» traits fubits de lumiere , qui fortent du
» choc des idées oppofées & des différen-
"tes opinions , impriment fortement dans
l'ame , des vérités de fentiment que l'ef-
» prit feul ne peut pénétrer.
»
و ر
"
"
"
» Tels font les avantages qu'on retire
du commerce de la fociété , & furtout
»des fociétés littéraires : les difputes mo-
» dérées , les difcuffions approfondies , les
» obfervations ingénieufes y aiguifent les
efprits , le goût s'y épure , & le talent
s'y perfectionne. Quelque fupérieur que
»foit un homme , il fe trompe quelquefois
, & il a befoin alors qu'on lui faffe
»connoître fes erreurs : trop plein de fon
fujet , il croit fouvent l'avoir rendu , &
laiffe à fes lecteurs le foin de tirer les
» conféquences d'un principe qui n'eft pas
fuffifamment développé : tantôt c'est une
» conftruction qui n'eft pas claire , tantôt
» une penfée qui demande des modifications
, des éclairciffemens , des reftric-
» tions : , ici , c'eſt une phrafe languiffanqui
exigeroit un tour vif & animé,
"9
و د
ود
"
ود
2
AVRIL. 1758. 69
"
"2
là ,une expreffion favorite qui revient fou-
» vent dans le difcours , fans qu'on s'en
apperçoive : enfin ce font mille petits
» défauts que la tendreffe paternelle ne
» voit point , & qui n'échappent pas à la
fagacité d'un critique éclairé. Combien
» l'aveugle préfomption & la folle fuffiian-
"ce , n'ont- elles pas égaré d'hommes ef-
»timables à beaucoup d'égards ! Tel qui
cût pu s'élever jufqu'au fommet du Par-
» naffe , n'aura jamais que la réputation
d'un Auteur médiocre , pour vouloir
» trop tôt produire au grand jour des ta-
» lens marqués , mais toujours foibles en
» leur naiffance . »
"J
»
›
TRAITÉ hiftorique & critique de la nature
de Dieu , par M, l'Abbé Pichon , Docteur
en Théologie : vol. in- 12 contenant
552 pag. fans la préface. A Paris , chez J.
Baptifte Garnier, rue S. Jacques , L'Auteur a
raffemblé dans cet ouvrage tout ce que la
Philofophie tant ancienne que moderne, la
Théologie& l'Hiftoire ont pu lui fournir de
plus propre pour donner une jufte idée de
la nature divine. Il fe plaint que plufieurs
Sçavans ont en divers temps altéré les principales
notions qu'en avoient les premiers
hommes , & qu'ils les ont remplacées pour
la plupart , par autant d'opinions fingulieres
70 MERCURE DE FRANCE.
dont il entreprend de faire voir la fauffété
& le ridicule . Les articles qui concernent
l'origine du mal , la poffibilité de la création
, & la providence contiennent beaucoup
de raifonnemens métaphyfiques . Dans
tout le cours de l'ouvrage brille une érudition
profonde.
CATALOGUE du cabinet d'hiftoire naturelle
de M. Bomare de Valmont , démonſtrateur
d'hiftoire naturelle , & membre de
la fociété littéraire de Clermont-Ferrand
comprenant les minéraux , vegétaux , animaux
& quelques productions tant de la
nature que de l'art . Prix 36 f. fe vend chez
l'Auteur , rue de la Verrerie , à la roſe
blanche , 1758.
Ce catalogue contient toutes les matieres
que l'Auteur a déja démontrées dans
un cours public qu'il fit l'année derniere
fur l'hiftoire naturelle. Son zele pour la
fcience qu'il cultive , mérite d'être encouragé.
Auffi nous emprefferons- nous d'inférer
dans l'article des fciences le programme
, par lequel il indique un fecond cours
fur la même matiere , qui doit commencer
au mois d'avril de cette année.
ARCHITECTURE finguliere . L'élephant
triomphal , grand Kiofque à la gloire du
2
AVRIL. 1758. 71
Roi , par M. Ribard , Ingénieur, & de l'Académie
des fciences & belles lettres de
Beziers. Petit volume in- quarto , grand
papier orné de fept planches avec un diſcours
, qui fe vend à Paris , chez P. Patte
Graveur , rue des Noyers , la fixieme porte
cochere à droite en entrant par la rue S.
Jacques. Prix 4 liv . 10 f. enluminé , & z
1. non enluminé.
Afin de faire concevoir une idée de cet
ouvrage tout-à- fait extraordinaire , nous
en allons donner un précis.
Cet édifice fingulier que
l'Auteur a pro
jetté pour être placé fur la montagne qui
termine la vue du jardin des Tuileries ,
repréſente un élephant richement harnaché
; chargé des dépouilles de quinze ennemis
vaincus , & portant fur une espece
de piédeſtal la figure de fa Majesté. Tout
y paroît vivant , il ne femble même arrêté
que pour le défaltérer à une fontaine qui
fait avec lui la tête d'une riche cafcade.
Ce coloffe qui a 35 toifes de long , &
qui feroit conftruit tout en pierre , eſt poſé
fur une terraffe percée de toutes parts par
des périftiles ou galeries : au milieu de
cette terraffe fe trouve un magnifique efcalier
à trois rampes , qui conduit dans le
corps de l'élephant , lequel eft diftribué en
trois étages & orné de pieces auffi régu7
MERCURE DE FRANCE.
ハ
lieres & auffi commodes , que fi elles appartenoient
à un édifice ordinaire . Ces pieces
font tellement difpofées , qu'elles réuniffent
d'une maniere agréable , tout ce
qui concerne les amuſemens , les fêtes &
les plaifirs. La falle à manger , par exemple
, eft ornée par des peintures & des
fculptures accordées enfemble de façon
qu'elle reffemble au rendez- vous champêtre
d'une forêt ; les jours n'y donnent que par
reflets au travers les feuilles & les branches
d'une infinité d'arbres & d'arbustes : un
ruiffeau y fort avec impétuofité du fonds
d'une roche , & après avoir formé plufieurs
détours , l'eau qui paroît fuir dans un lointain
, fe diftribue pour les offices & les
bains , d'où elle s'échappe par la trompe .
de l'animal comme par une efpece de fyphon
on entend dans cette falle à manger
des concerts d'oifeaux ; on y eft fervi
par machines ; en un mot , elle reffemble
à ces lieux enchantés que décrit la
fable .
Pour rendre cet édifice plus merveilleux
, comme les oreilles de l'élephant répondent
pofitivement fur l'orqueftre de la
falle de bal , on y a inénagé des ouvertufes
, afin d'y placer des portevoix ou cornets
qui porteroient dans l'occafion au loin
dans la campagne , le fon des inftrumens :
enfin
AVRIL 1758. 75.
enfin l'on pourroit y placer des renommées.
avec des trompettes , dont les plis des draperies
pourroient être difpofées de manicre
, que le moindre vent s'y engageant ,
leur feroit jouer naturellement quelques
airs ou fanfares qui varieroient , fuivant.
le côté d'où le vent pourroit fouffler. Telles
font à peu près les idées de l'Artiſte qui
a imaginé cet édifice auffi fingulier que
coloffal.
Ce morceau d'architecture nous a paru
préfenter de très - grandes difficultés de
conftruction . La tête furtout eft portée en
avant , & ne paroît avoir aucun appui.
Nous invitons l'Auteur à enrichir le Public
de la coupe qu'il fe propofe de donner
aux pierres. La poffibilité d'un exécution
d'un morceau fi difficile , ne peut qu'éclairer
beaucoup la théorie de la conftruction
. C'eft ainfi que l'idée bizarre de cet
Eléphant deviendroit une production
avantageufe , puifqu'elle nous procureroit
la folution des problêmes les plus difficiles
dans l'art de conftruire.
A M. DE BOISSr.
MONSIEU
ONSIEUR
, un particulier
de la ville
de Lyon , poffeffeur
d'un manufcrit
, pesit
in- 4° de 225 pages , en date de l'an
II. Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
49.1 , par un François de féjour à Naples
dans l'hôtel illuftriffime du Prince de Sa
lerne , fe fair un plaifir d'annoncer le'nomí
des Aureurs contenus dans ce volume. En
relifant à leur article , Moreti , Bayle , la
bibliothèque de Gefner , &c. les amateurs
jugeront du prix de l'annonce.
23 Lettres de Léonard Aretin.
-L'Eifagogue , ou introduction à la phi
lofophie morale , par le même Léonato
Aretin.
Une lettre de Pogge au même Léonard
Aretin.
Lettres d'Elifius Calentius.
སྙ
139
(Movs
-Une lettre de Livius Colutius
au Pape
Innocent
. og
Une lettre d'Alexandre Cortefius à Mare
Dolabella , maître du facré Palais , fur le
corps d'une perfonne du féxe trouvé entier
à Romeen 1485.
Une autre lettre d'un inconnu für le même
cadavre qu'il dit être celui de Tulliola
fille de Cicéronomidor , es
Une lettre de M.T. Cicéron à Pompo
nius , qui commence par ces mots , Neftorius
nofter.
Une traduction latine du grec de Lucien ,
fur les plaintes de la vertu , pat Ch . Aretin
Une traduction farine du grec de Lucien ,
ſur la¹ primauté entte Scipion , Annibal
AVRIL 1753231/ 75
Alexandre, par Jean Aurifpad chet
Une traduction latine du grec de Lu
cien ,fur les funérailles , par Rinutius.
Le traité de Seneque, fur les quatre vertus ,
Difpute fur la nobleffe entre Publius
Cornelius Scipion , & Caius Flamineus ,
d'un Auteur anonyme . 7
Le traité fur les héros par Enéas de Pi
colominibus , depuis Pape Pie II.
Un mémoire italien pour l'expédition
du Royaume de Grenade , de Ferdinand
& Ifabelle , Rois de Caftille & d'Arragon .
Des étymologies & des annotations , fur
l'ancienne ville de Rome , par un Auteur
inconnu.
23
Tous ces ouvrages, Monfieur, font écrits
en langue latine , à l'exception du mémoire
ci - deffus qui eft italien. Je ne puis
mieux m'adreffer qu'à vous , pour enrichir
le tréfor de la république littéraire , en
invitant les perfonnes qui aiment les nouveautés
ou les variantes , de m'honorer par
la voie de votre Mercure , d'une réponfé
fur la valeur & l'ufage qu'on doit faire
d'un manufcrit de cette conféquence . Il y
a des traits finguliers dans plufieurs pieces
de la compilations Voici de quelle maniere
le Scribe s'exprime à la fin de l'Eifagogue
d'Aretin. Ex inemendato exemplari , furtivo
quafimodò & noctu fcribendo , raptiſſimè bas
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
opufculum meo tenui judicio dignum excerpfi
J'ai l'honneur d'être , &c,
2
ec.
S
A Lyon , ce 15 Février 1758.
ABREGE de la Crufca , ou Dictionnaire
portatif François & Italien , par le R. P.
Fanetti , de la compagnie de Jéfus. A Lyon,
chez Aimé Delaroche , rue Merciere , à la
Couronne & à la Rofe d'or, 1757.
TRADUCTION françoife du traité de Mile,
Stephens fur la gravelle. A Lyon , chez Aimé
Delaroche, & à Paris , chez Durand
rue du foin.
LE Chrétien dirigé dans les exercices
d'une retraite fpirituelle , par le R. P. Gabriel
Martel de la compagnie de Jéfus ,
nouvelle édition augmentée de lectures
pour chaque jour de la retraite . A Lyon ,
chez J. Deville Libraire , rue Merciere au
grand Hercules .
92
7
Nous annonçons la feconde édition de
Cléon ou le Petit Maître Efprit fort , par
M. de Campigneulles, Garde du Corps du
Roi. A la Haye ; & fe trouve à Lyon , chez
Delaroche , Imprimeur de la Valle & du
Gouvernement , & à Paris, chez Duchefne,
Tue S. Jacques,
AVRIL. 175833 77
NOUVEAU choix de pieces , ou théâtre
comique de province , contenant plufieurs
opéra comiques , repréfentés fur différens
théâtres de province , prix 2 liv . avec les
airs notés. A Amfterdam , & fe trouve à
Paris , chez Cuiffart , Libraire , quai de
Gevres , à l'Ange Gardien , 1758 .
L'ombre de Vadé , le labyrinthe d'amour ,
l'amour libérateur , Iphis ou la fille crue garçon
, les apprêts des nôces & les deux rivaux
divertiſſement , font les pieces contenues
dans ce recueil.
LE tome 8º du Mercure de Vittorio Siri
, contenant l'hiftoire générale de l'Europe
, depuis 1640 jufqu'en 1655 , traduit
de l'Italien par M. Requier , fe trouve
à Paris , chez Durand , rue du Foin ,
1758.
HISTOIRE du commerce & de la navigation
des peuples anciens & modernes ,
ouvrage divifé en deux parties , dont la
premiere contient l'hiftoire politique du
commerce des anciens , & la feconde .
l'hiftoire générale du commerce chez les
peuples modernes. Premiere partie en 2
tomes. A Amfterdam , & le trouve à Paris,
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais, chez Durand, rue du Foin , chez
Diij
8 MERCURE DE FRANCE,
Vincent , rue S. Severin , & chez Duchesne
rue S. Jacques 1758.
*
L'Auteur de cet ouvrage eft l'Ecrivain
fçavant & ingénieux , qui a déja commencé
à nous enrichir du premier volume de
Thiftoire générale des guerres. Ces deux
genres quoiqu'oppofés en apparence , fe
réuniffent dans la confidération du gouvernement.
Un étar , dit-il , eft fondé fur
» un fyftême de légiflation & fur cinq autres
fyftêmes , fyftême de police générale
, fyftême militaire , fyftême politique
, fyftême de finance & fyftême de
commerce. » D'après cette maniere de
confidérer le gouvernement dans fes différentes
branches , & l'hiftoire dans fes dé-
"rails inſtructifs , on doit entrevoir que l'ouvrage
que nous annonçons eft rempli de
grandes vues.
Ces cinq fyftemes ont entr'eux une relation
, une liaiſon fi intime , que les défauts
de l'un ne peuvent guere manquer
-d'influer fur les autres. On fent aifément
combien la police générale tient à l'admi-
⚫niftration intérieure , combien le militaite
& le politique font dépendans d'un de l'autre
, combien ils tiennent à celui de finance
, combien celui de finance tient à tous.
les autres , enfin combien celui du commerce
influe , & fur les finances , & fur
AVRI L. 1758 77
Fadministration , & fur la politique.
Pour ce qui eft de l'histoire du commerce
& de la navigation que l'Auteur a principalement
en vae, il la divife en deux parties
, dont la premiere comprend les peuples
anciens , oa les Etats qui n'exiftent
plus, & la feconde les peuples modernes
ou les Etats que nous voyons aujourd'hui .
La premiere partie eft la feule qui paroiffe
. L'Auteur y paffe en revue les peuples
anciens qui ont joué le plus grand rôle
dans le monde politique , & furtout ceux
qui fe font diftingués dans le commerce.Il
confidere quelle a été la forme du gouvernement
de chacun en particulier, & fes viciffitudes
, le plus ou le moins d'inclination
ou d'aptitude de ce peuple pour le
-commerce; jufques à quel point le commerce
a été favorifélpát le gouvernement
& quelles en ont été les fuites. Enfin il confidere
l'état de puiffance du peuple qui eft
devenu commerçant avant qu'il s'abandonnât
au commerce , & l'état de puiffance de
ce peuple depuis qu'il s'eft livré au commerce
jufques au moment où il a été fonmis
, ou du moins auquel il paroît s'éclip-
*fer.
"
ab
Le tableau des premiers troubles de da
fociété naiffante , donnera une juſte idée
de la rapidité du ftyle de l'Auteur. Il
Div
So MERCURE DE FRANCE.
"
®
99
» fallut , dit- il , des réglemens pour affurer
les premieres conventions. On vit des
légiflateurs & bientôt des tyrans. L'orgueil
fit trouver de la douceur dans le
»commandement , & de l'amertume daris
l'obéiffance . On combattit : les vainqueurs
opprimerent , les foibles furent
efclaves ou s'enfuirent . La difcorde fépara
ce que la nature avoit uni ; la bien-
» faifance s'évanouit , l'ufurpation , le
vol , la cruauté prirent fa place ; les peuples
fe poufferent avec la même fureur
» que les flots d'une mer agitée , s'entrechoquerent
& fe briferent de même. Le
»brigandage inonda les campagnes défolées.
Des héros parurent , les peuples
refpirerent ; mais la tyrannie fut entée
fur l'héroïfme ; & les combats recom-
» mencerent : je dis les combats , car alors
on fe battoit , & l'on ne faifoit pas enco-
» re la guerre. Enfin l'habitude de la foumiffion
ou de l'esclavage ayant abaiſſé
l'orgueil des hommes , la tranquillité rèvint
; mais la férénité ne l'accompagnoit
plus. La férénité eft le prix de la
- » liberté.
W
"
» Cependant du fein de cet engourdif-
» fement , on vit fortir le commerce.....
On vit des barques & des vaiffeaux chargés
de vin , de fruits , de grains , de
AVRIL 1758. 181
métaux brutes & façonnés , d'étoffes travaillées
& teintes de différentes couleurs .
On vit , dis-je , ces barques , ces vaiffeaux
fuivre le cours des fleuves , déf-
» cendre juſques à leur embouchure , ofer
» ranger les côtes , & fe hazarder de plus
» en plus dans des routes inconnues : la
" manoeuvre fut inventée & le pilotage
devint une profeffion honorable. Les
tempêtes firent découvrir de nouvelles
» terres. Les naufrages peuplerent quel-
» ques ifles. On vit des colonies s'établir &
» former de nouvelles plantations. Le cours
» des rivieres fut détourné pour fertilifer
le fol , ou pour faciliter les tranfports.
La nature changea de forme fous les efforts
de l'art , la terre s'embellir , les na-
" tions fe communiquerent , & échange-
» rent entr'elles le réfultat de leurs tra-
33
ม
» vaux. ››
Après ces confidérations générales , on
trouve le détail du commerce & de la navigation
des différens peuples. L'Auteur
parle d'abord des Egyptiens , de l'abon
dance de leur climat , & du commerce que
les Grecs faifoient dans cette contrée. Les
Arabes & les Ethyopiens y alloient auffi
échanger de l'or , de l'argent & du fer avec
du bled , des légumes & des laines. Les
Phéniciens qui ont été les premiers navi-
Dv
182 MERCURE DE FRANCE.
•
J
?
gateurs , & qui fe porterent aux régions
les plus éloignées , commercerent auffi +
avec l'Egypte. Le Mont Liban. fourniffoit i
aces mêmes Phéniciens du bois pour la 4
donſtruction si leur terrein étoit peu érendu
& peu fertile , its fe trouverent à portée
d'établir une communication entre l'Afie
, l'Europe & l'Afrique : auffi fonde-
2rentails unscommerce immenſe. Hsiétábli-.
? rent des colonies fur prefque tous les bords
ide la Méditerranée.
.
9
A 20 .297751
25 Salomon infpira aux Juifs l'efprit de
commerce qu'ils avoient dédaigné jufques
au temps de cè Roi. Il s'affocia lui- même
avec le Roi de Tyr pour de commerce de
la mer rouge cette affociation lui valut
des richelles prodigienfes , Dans le même
-temps , les Affyriens faifoient un cammer-
-ce intérieur qui les ruinoit les étrangers
apportoient en foule chez eux , tout ce
quel'industrie avoit fait imaginer de com-
-mode ou d'agréable dont le débit étoit affaré
, & ils en oempottoiont des denrées
-moiles Les Medes , les Perfest & lbs Lydiens
commercesentauffi . On ardavera dans l'oùvrage
dont nous parlons d'influence qu'e
le commerce a eue fur l'hiftoire de ces différens
peuples , & dans les revolutions des
états qu'ils compofoient, he'd ch
Après avoir parcouru Afie l'Auteur
f
Τ
AVRT
1758.
83
revient en Europe, il rappeu les premiers
temps de la Grèce , il entre dans des détails
inftructifs fur Corinthe , Corcyrc
Athenes , Sparte. Les Egyptiens & les
Syriens fons les fucceffeurs d'Alexandre
les Rhodiens & les Siciliens font
auffi confidérés comme commerçans :
viennent . enfuite les Carthaginois & les.
Romains . Ici les matériaux ont été plus
abondans , la matiere plus intéreffante. &
les principes politiques mieux développés..
Ces deux chapitres furtout méritent une
attention particuliere . Les intérêts de Rome
& de Carthage , l'influence du commerce
fur la puiffance de ces deux fameu
fes Villes , lear agrandiffement , leur
luxe , leur décadence & leur ruine , tout
y eft traité avec profondeur & avec clarté.
Dans un fiecle où le commerce paroît reprendre
toute la faveur qu'il mérite , cette
hiftoire du commerce & de la navigation
doit être auffi agréable qu'elle eft utile. On
y trouvera des exemples pour étayer les:
raifonnemens que l'on fait en faveur d'une
profeffion, qui conftitue la richeffe, l'abon
dance , la gloire & la fûreté d'un Etats
2
MÉTHODE facile & abrégée pour ap
prendre la géographie. A Bruxelles , & ſe
frouve chez Contelier , Libraire , quai des
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE .
Auguftins
coin de la rue Gillecoeur.
Cerre méthode dont la diftribution e
Ample & commode , décrit la forme du
gouvernement de chaque pays , fes qualités
, les moeurs de fes habitans , & c. avec
beaucoup de précifion & de clarté , & mé
rite d'être mife entre les mains des jeunes
gens pour l'inftruction defquels il est
compofé.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ONSIEUR , après avoir tenu tant de
place dans votre Mercure de Février , pour
relever un mot d'un Journaliſte , qui peutêtre
de penfoit pas à moi , je nepeux guere
garder le filence , lorfqu'un Brigadier des
Armées du Roi me fait l'honneur de mè
critiquer. Je vous prie donc de vouloir
bien inférer dans celui d'Avril les Réflexions
que j'ai l'honneur de vous envoyer
Je fuis , & c.
Réflexions fur la Differtation Militaire de la
Colonne , quife trouve dans le Supplement
à l'étude militaire de M. le Baron de
Traverse.
Je n'entreprendrai point de répondre en
détail à tout ce que m'oppofe M. le Baron
AVRIL 1758.
de Traverſe. Le commentaire appartient
de droit au lecteur éclairé , comme le dit
très- bien cet Auteur lui- même dans fon
Avant - propos. D'ailleurs fa critique ne
renferme aucune objection que je n'aye
prévenue plus d'une fois. Il faudroit donc,
pour la réfuter , me répéter continuellement
; ce qui pourroit devenir ennuyeux.
Et pourquoi la réfuter ? n'ai- je pas affez
dit qu'un corps de preuves peut compter
pour rien toute attaque , qui n'eft point
corps de réfutation ? ( 1 ) Que l'on ne peut
rien conclure contre mon fyftême de deux
ou trois objections bonnes ou mauvaifes
(2) , jufqu'à ce qu'on ait répondu , du
moins à une vingtaine de celles que j'aifaites
contre le fyftême accoutumé ? Enfin qu'il eft
fort inutile d'élever une batterie d'objections
contre quelqu'une des preuves que j'ai entaf
fees , puifque cela ne ruinera pas l'édifice , &
ne détruira ni la force des autres , ni la
bonté du fyftême ? Si l'Auteur s'étoit rappellé
ces dernieres paroles , il n'auroit pas
exigé que toutes mes preuves fuffent dé
monftratives & irrévocables ; il n'auroit pas
pris tant de peine à combattre celles que
j'ai tirées de l'hiftoite ; il auroit remarqué
( 1 ) Voyez , par exemple , le Projet de Tactique,
page 425.
(2) Saite du Projet, art.
86 MERCURE DE FRANCE.
que ce font celles fur lefquelles je compte le
moins que je ne les trouve les meilleures
que (1 ) contre ceux qui s'opiniâtrent 'à rejetter
les démonftration's ; enfin que j'en ai
affez de cette derniere efpece , pour ne
pas craindre qu'on merte mon fyftême au
rang de ceux qui n'étoient fondés que fur des
événemens , dont les fuccès étoient fauffement
attribués à une cauſe inventée , l'espritfrappe
par l'enthousiasme, d'un objet lui rapportant
fouvent les effets les plus contraires. Cel
sin que s'exprime l'Auteur dans un long:
préambule qu'il a mis à la tête de fa Criti
que. Il y parle beaucoup d'égaremens , de
faux éclat , de fophifmes , de la vue tardive
de l'entendement de l'homme, En toutleftyle
de ce morceau de m'a pas paru fort obli
geant , non plus que l'application que la
fuite de ce chapitre ne m'a pas permis de
me diffimaler Aurefte, l'Auteur avant que
de la faire plus clairement , nous avertit
qu'il n'eft point de ceux qui fe plaignent
de la quantité d'Ouvrages militaires quiont été
mis au jourì , & ne qefale pasaveux mêmes
qui pourroient avoir avancé des propofirions
mop hazardées , la gloire d'ampir eu grande
part à la découverte de la vérité , s'ils font
affez beureux d'avoir mis l'efprit de critique
en train d'en faire la recherche. Jufqu'a
(1 ) Projet de Tactique , p. 43 oth. 3 (4)
7
AVRIL 17585.
préfent M. le B. de T. fait toute ma gloire ::
car il eft le feul efprit de critique que j'aje
mis en train. Mais fuivons encore un inf
tant. L'Auteur du Projet d'un ordre François
en Tallique paroit avoir eu pour but sin
objet auffi louable. L'objet feroit louable en
effet . Mais ma confcience m'oblige d'avouer
que ce n'étoit pas le miens & que.
je voulois tout bonnement mettre les Pléfions
au point de gagner des batailles . Ce
n'étoit pas une petite befogne : auffi ne
fuis je pas au bout. Par bonheur les critiques
ne me décourageront pas,
Mais
pour revenir aux preuves que j'ai
tirées de l'hiftoire , il ne me paroît pas que
PAutear les ait détruites ; & après ce que
j'ai dit , je ne croyois pas qu'on pût m'oppofer
la bataille de Cyrus contre Créfus ,
celle d'Annibal contre Varron , ni même
les amours d'Antoine & de Cléopâtre . On
veut me prouver par ce dernier trait , &
beaucoup de raifonnemens , que ce n'eft pas
Fordre feul qui gagne les batailles . Cela n'étoir
pas fort néceffaire , puifque je l'ai dit :
moi même dans les mêmes termes dont je
me fers ici pour abréger .
L'Auteur m'accorderoit volontiers que
la Colonne ou Pléfion ( 1 ) dût être regardée
( (x) Comme qui diroit , ou plutôt qui auroit die
ilya 100 ans , l'arme à feu ou fuſil, ENG
MERCURE DE FRANCE.
comme faifant baſe du fyftême de Tacti
que , fi je voulois y joindre l'ordre du bataillon
; mais ne conçoit pas pourquoi je
prétends élever l'édifice de l'un fur les ruine's
totales de l'autre , & ne donner à mon
fyftême qu'un feul point d'appui.
Et moi , je ne conçois point cette objection.
Pourquoi donc n'ai - je qu'un feul
point d'appui Eft - ce parce que je n'ai
qu'un ordre habituel J'ai cela de commun
avec toutes les Nations' qui ont fait
-la guerre , & tous les Auteurs qui en ont
écrit. Dans ce fens l'on n'a aujourd'hui
qu'un feul point d'appui , qui eft le bataillon.
Mais d'après Fordonnance habituelle
rien n'empêche ( la pléfion au moins ) de
manoeuvrer , pour prendre une autre forme
dans les cas où la premiere ne feroit
pas la meilleure ; & malgré l'univerfalité
qu'on me reproche tant , je ne la fais jamais
combattre dans fon état naturel , que
lorfqu'il eft queftion d'une affaire de choc ,
circonftance dans laquelle ni l'Auteur , ni
perfonne ne méconnoît fa fupériorité . Mais
pourquoi choisir pour ordre habituel celui
qui eft propre à l'arme blanche : & ne
paffer à celui qui eft propre à la moufqueterie
, que par une manoeuvre tandis
qu'on fait ( ou du moins qu'on veut faire )
aujourd'hui précisément la contraire
,
AVRIL 1758. 89
C'étoit- là la feule queftion à difcuter entre
le fyftême que je propofe & celui que je
-combats ; queftion que l'Auteur n'a pas
jugé à propos d'approfondir , mais que je
crois avoir affez approfondiemor
même ( r). IF
J'ai dit que le feu du bataillon eft fort
peu à craindre pour la pléfion , la petiteffe
de fon front lui en épargnant la plus grande
partie , & fa vîteffe abrégeant , & parconféquent
diminuant de beaucoup l'effet
du refte. L'Auteur penfe au contraire
qu'elle perdra beaucoup par ce feu bien
nourri & fort étendu . Je ne répondrai à
cela que par fa derniere phrafe. Ce que j'ai
dit la deffus eft trop à la portée de tous les
entendemens , pour prendre la peine d'en
faire la demonftration .
•
Je finirai par le plus intéreffant : c'eft
l'endroit où l'Auteur vient au fait , & analyfe
fans nulle prévention les avantages &
defavantages de la colonne & du bataillon.
Le parallele qu'il en fait eft totalement à
l'avantage de la colonne. Il reconnoît
(1) Voyez , furtout ceci , le Proj. de Tact. p. 28
du Difc. prél. Id. pag. 89 , 394 & 395 , 415 &
416 , 362 , la fuite du Projet , p . 11 de la premiere
édition , id. pag. 38 , id. p . 42 , & fuiv. id. art. 3 ,
fect . 9, & autres paffages dont un feul devoit peutêtre
m'épargner cette objection.
MERCURE DE FRANCE .
A
qu'elle donne plus de confiance , parce qu'or
eft für de ne combattre que de front , ayant
Jes flancs &fon derriere affuré. Il ladicompare
aux têtes de l'hidre. Il ne trouvé pás
a beaucoup près les mêmes avantages &
les mêmes reffources dans le bataillon. Il
avoue que la crainte de voir fes flancs, dégarnis
intimide le foldat qui , dès qu'il voit
Ja moindre apparence de pouvoir être tourmé
fe croit perdu ; que lorfque le bataillon
va à la charges pour peu qu'il y ait de coups
qui portent on eft obligé de faire ferrer
fur le centre , ce qui fait un mouvement dans
ont le bataillons qui répand l'épouvante ;
d'où il arrive que bientôt l'ordre fe change
en confufion , & que le bataillon fe voit
obligé de chercher fon falut dans la fuite ,
trop heureux alors de gagner par veſſe în
herrein , où il puiffe fe rallier & fe reformer
pour revenir à la charge contre l'ennemi ,
recommencer la même manoeuvre qu'il a déja
faire une fois. Mais vraiment cette manoeuvre
n'eft point bonne à répéter. Une auffi
mauvaiſe ſcene ne demande pas une féconde
repréſentation . L'Auteur eft en cela
demon avis , & aimerait mieux en pareil
cas revenir la feconde fois à la charge avec
le bataillon en colonne , que d'y retourner
dans un ordre de bataille , dont il fe feroit
déja fort mal trouvé. Et moi j'aime mieux
5
ཝཱ
A-V RTL. 1758 11 IN
9
venir en colonne dès la premiere fois
que de commencer par me faire battre en
bataillon , & ne prendrois jamais une difpofition
dont je m'attendrois à me trouver
fort mal. L'éloge d'avoir fouvent charge ,
eft quelque chofe pour des bataillons - les
pléfions ne prétendent qu'à celui de les
renverfer du premier coup , & ne veulent
gagner par viele qu'en avant .
*
Je n'examinerai point les autres points
de la critique. Je crois que ceci fuffira. Il
me refte à remercier M. le Baron de Traverfe
des élogês qu'il m'a donnés , y & de
l'honneur qu'il m'a fait , & à fouhaiter
celui de perfuader un Lecteur auffi éclairé ,
ce que pourroit faire à préfent une feconde
lecture de mon Ouvrage , bien entendu
qu'elle fe feroit avec toute l'attention que
mérite da grandeur & l'importance du
fujet. bob anu i
.f
ALMANACH aftronomique & hiftorique
de la ville de Lyon & des provinces de
Lyonnois , Forez & Beaujolais , revu &
corrigé pour l'année de grace 1758 de
prix eft de 30 fibroché. A Lyon , de l'Imprimerie
d'Aimé Delaroche
1
Fue Merciere
, 1758 , & fe trouve à Paris , chez
Defaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
, vis- à - vis de collége.
92 MERCURE DE FRANCE.
LE Dictionnaire italien fe trouve chez
les mêmes Libraires , & chez Guerin &
Delatour , Libraires , rue Saint Jacques , à
S. Thomas d'Acquin.
PRECIS ou fragmens de l'Examen abrégé
des différentes Iphigénies en Tauride , en
forme de Lettre , adreffée à M. de V...
Par M. G…….D...
Il y a longtemps , Monfieur , qu'on n'avoit
vu fur le théâtre françois , une réuffite
auffi étonnante que celle d'Iphigénie en
Tauride , Tragédie qui , aprés avoir été
jouée l'été dernier , avec les plus grands
applaudiffemens , a été reprifé le 12 décembre
fuivant avec autant & plus de fuccès.
Peu de pieces ont éprouvé tant» d'indulgence
de la part des fpectateurs ; on ne
l'a confidérée que par le côté qui lui étoit
favorable. La fimplicité qui y eft obfervée ,
l'intérêt qu'on a cru trouver dans les
premiers
actes , quelques détails brillans , &
plus encore les fentimens de la nature &
ceux de l'amitié qui y regnent partout ,
ont fermé les yeux fur les défauts. Voilà
l'avantage des Tragédies compofées fur des
fujets intéreffans on les critique & on le
AVRIL 1758 : 93.
revoit avec plaisir , malgré tout ce qu'on y
apperçoit de repréhenſible.
La Tragédie d'Euripide fur ce fujet , a
fourni la matiere à toutes celles qui l'ont
fuivie. Le fameux Racine avoit voulu l'accommoder
à notre théâtre , ainfi qu'il avoit
fait Iphigénie en Aulide ; mais la difficulté
eu l'impoffibilité d'y trouver un beau cinquieme
acte le détourna de cette entreprife,
& en a détourné plufieurs autres Auteurs.
M. De la Grange Chancel crut avoir
vaincu cette difficulté , & donna fa Tragédie
d'Orefte & Pilade , en 1697. Il y a
dans cette piece de belles fituations ; mais
la complication d'Epifodes & d'intrigues
amoureuſes , l'a trop éloigné de la fimplicité
grecque. Ses perfonnages font Iphigénie
, Antenor fon confident , Orefte , Pila-
´de , Thoas Roi des Scythes , & Thomiris
Reine d'une contrée voifine de la Scythie ,
& amoureufe de Thoas. Le caractere d'Iphigénie
eft beau & affez foutenu ; & l'amour
que l'Auteur lui a donné pour Pilade,
produit un grand intérêt dans les premiers
actes ; parce que Thoas ayant ordonné
à Iphigénie , qui eft Prêtreffe de Diane ,
d'immoler tous les Grecs qui aborderont
dans fes Etats , Iphigénie eft balancée entre
fon devoir & fon amour pour Pilade
dont Thoas a appris l'arrivée Elle allé
44 MERCURE DE FRANCE:
gue en vain différens prétextes pour retar
der le fupplice de Pilade Thoas eft fur le
point de la contraindre à obéir , lorſqu'on
annonce à la Prêtreffe , qu'un autre Grec
ayant fait naufrage fur les côtes de la Scy
thie vient d'être arrêté. Iphigénie prend auffi-
tôt le parti de fubftituer ce Grec à Piladey
dont elle a ménagé la fuite. Quelle
furpriſe pour elle , en reconnoiffant ce
Grec pour Orefte fon frere , dans l'inſtant
même où elle est prête de l'immoler ! Cette
fcene eft fort belle. L'état d'Oreste au moment
de la reconnoiffance , remplit Iphigénie
d'épouvante & d'horreur, Ce Prince
pour expier l'affaffinat de Clitemneſtre ſa
mere , doit toujours être agité par les fu
ries ; jufqu'à ce qu'il ait enlevé la ftatue
de Diane ; là Prêtreffe lui en fournit les
moyens: Orefte revient dans un état tran
quille , & Thoas périt. Le caractere de ce
dernier eft manqué , ceux d'Oreſte & dé
Pilade font affez conformes à la fable : Ana
tenor a peu de part à l'action , & l'Epiſode
de Thomiris ne fait que la ralentir. On eft
indigné de voir cette Reine , à qui l'Auseur
a donné des fentimens dignes de fa
naiffance , épriſe d'une paffion violente
pour un tyran qui n'a nul mérite. M. de
la Grange devoit trouver d'autres reffources
pour remplir fes cinq actes : les deux
*
a
1
AVRIL 1758593
premiers font froids , le troifieme & le
quatrieme ont de grandes beautés , & le¹
einquieme eft très mauvais. Aufli remeron
rarement cette Tragédie au théâtre : au
furplus , fon principal défaut , ainfi que'
celui de tous les ouvrages dramatiques de
M. de la Grange, eft dans le ftyle : nonfeulement
le fien eft en général profaïque
& fans élévation , mais fouvent encore
très-incorrect ; & quoiqu'il s'y trouvé de
temps en temps des vers heureux , à peine
dans la fuite y pourra- t- on reconnoître le
génie de la langue.
M. Duché s'eft plus affervi que M. de la
Grange à Euripide fon modele , dans fon
opéra d'Iphigenie en Tauride , qui parut
d'abord sen 1704. C'eft notre meilleure
Tragédie lyrique , depuis Armide , Atis
& Théfée , ces trois chefs- d'oeuvres de Quimaalt.
On ne peut entendre la reconnoiffance
d'Iphigénie & d'Orefte , fans répandre
des larmes , même dans un concert : elle
eft encore mieux conduite , mieux préparée
, & rendue d'une façon plus pathétique
que dans la Grange. Les deux principaux
rôles font très - beaux ; & ceux de
Thoas , de Pilade & d'Electre , quoique
foibles , n'ont rien d'abſolument défectueux.
Outre cela , les vers d'Iphigénie ſont
élégans & bien faits ; mais ils font quel,
94 MERCURE DE FRANCE.
quefois plus tragiques , peut-être , que ly
riques ; ce qui a dû fournir des difficultés
au Muficien : cependant Campras par la
fupériorité de fon talent , les a furmontées
, & a mis admirablement en muſique
les deux derniers actes de cet opéra ; il y,
a auffi dans les trois premiers , qui font de
Defmarets , de très -beaux morceaux , &:
furtout une mufique des fureurs d'Orefte
au fecond acte , qui eft très- eftimée.
Enfin M. Guymond de la Touche profitant
de ces ouvrages , & furtout du der-.
nier , a traité le même fujet ; il n'a pas
mieux franchi que M. de la Grange , la
difficulté du dénouement ; fa piece n'eft
guere mieux écrite , & la conduite en eſt
moins réguliere : cependant il a réuffi.
Quel motif a donc pu attirer ainfi toute
une nation ? c'eft fans doute , parce que
l'Auteur a dépouillé fon fujet de tour or
nement , de tout fentiment étranger , parce
que l'intrigue n'en eft pas compliquée ,
qu'il n'y a point d'amour ; ou plutôt , c'eſt
parce que la religion naturelle , ce fystême:
devenu le goût du ficcle , eft le fonds de
toute fa piece.
*
and by
e
MEMOIRE
AVRIL. 1758. 97
MEMOIRE des Libraires affociés à
l'Encyclopédie , fur les motifs de la fufpen
fion actuelle de cet Ouvrage.
Nous allons rapporter quelques mor
ceaux de ce mémoire qui nous a paru trèsbien
écrit. On y répond aux reproches faits
aux Auteurs de l'Encyclopédie
, & on s'efforce
de les raffurer contre les traits de la
critique , qui depuis quelque temps , ne
ceffentde les pourfuivre. Voici comme s'expriment
les Libraires affociés :
« Souvent un ouvrage paffager fuffic
"pour partager les efprits. L'Encyclopédie
" annoncée comme devant être l'hiftoire
93
générale des arts & des fciences depuis
" l'établiſſement des lettres , a offert à
» fes adverſaires un corps plus folide à at-
" taquer ; elle a été expofée dès fa naiffan
"ce à toutes les traverfes que les paffions
" ou les divers intérêts peuvent enfanter.
"On a cherché à la noircir par les imputa-
"tions les plus odieufes. Les ridicules de
" toute efpece ont été joints aux accufa
tions les plus graves ; & l'on a vu paroî-
» tre un déluge de brochures paffionnées ,
plus propres à foulever les efprits qu'à
» les éclairer.
93
"
II.Vol E
98 MERCURE DE FRANCE.
ود
» Des animofités particulieres contre
» quelques - uns des Auteurs , occafionnées.
par la vivacité , peut- être trop grande
avec laquelle ils ont repouffé les pre-
» mieres attaques ; des mouvemens intérieurs
de jaloufie , qui ont rendu antago
" niftes de l'ouvrage des Gens de lettres ,
»
qui ne devoient pas en être les co- opéra-
» teurs ; la révolte enfin de l'amour propre
bleffé du ton de déciſion & de fupé
» riorité attribué aux Encyclopédiſtes , font
» la caufe & l'origine de toutes, les cla-
99
2 meurs.
» S'il eft vrai que ce ton choquant pour
les autres , puille être reproché à ceux
» qu'on en accuſe , c'eft fans doute dans
»des ouvrages étrangers à l'Encyclopédie
" qu'on le trouve ; mais nous ofons dire
L
que l'ouvrage même en eft exempt. Tout
juge impartial y verta régner ce ton d'é-
„ lévation & de nobleſſe , qui doit être
» l'appanage de l'homme de lettres ; mais
» ce n'eft point par ce prétendu ton de décifion
& de fupériorité , c'eſt par l'éten →
due des connoiffances qu'on a révolté les
Auteurs médiocres,
92
>>
On fe convaincra facilement du peu
», de fondement de ce reproche , en lifant
la préface du troifieme volume ; les Edi-
" teurs s'y plaignent avec modeftie des traAVRIL.
1758. 29
33
verfes que l'envie a fufcitées à l'Encyclo
pédie. Après une juftification auffi fim-
» ple que véridique , ils déclarent qu'ils
regardent ce Dictionnaire , comme trèséloigné
de la perfection à laquelle il peut
> atteindre un jour , & qu'ils ignorent dans
quelle vue on leur a fait tenir un lan-
» gage tout oppofé. Ils conviennent qu'il a
dû fe gliffer des fautes dans un ouvrage
d'une auffi grande étendue , & ils ajou
tent : Nous avons témoigné au nom de nos
» Collégues & au nôtre , & nous témoignons
wencore notre reconnoiſſance à tous ceux qui
» vaudront bien nous faire appercevoir nos
fautes ; nous espérons feulement , que pour
» avoirremarqué des erreurs dans cet ouvrage
immenfe , on ne prétendra point l'avoir
»jugé »...
Un des moyens employés pour tâcher
» de rendre le foulévement général , a été
de reprocher à quelques- uns des Auteurs
» des ouvrages furtifs ; mais les principes
que l'on condamne dans ces écrits , ne
» ferretrouvent point dans l'Encyclopédie
ce font des morceaux étrangers à cet ou
vrage , & dont la plûpart font défavoués
par ceux à qui on les attribue .
"
>>Le motcenf eft un des articles qu'on a
relevés avec le plus d'aigreur , & pour
infinuer malignement que les Auteurs de
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
"
"
"
29
و د
D
l'Encyclopédie inclinent au matérialiſme,
on leur a fait dire que les cerfs parvien
nent à l'âge de raifon. La feule lecture de
l'article fera connoître fi les accufateurs
fe piquent d'être équitables : voici le paffage
tel qu'il fe trouve dans le tome II ',
pag. 840 , lig. 31. On raconte de leurs
courfes , de leurs repofées , de leur pâture ,
» reffui , diete , jeûnes , purgations , circonf
pection , maniere de vivre , furtout torf-
» qu'ils ont atteint l'âge de raifon , une infi-
» nité de chofes merveilleufes qu'on trouvera
dans Fouilloux , Salnove , & c. qui ont
» écrit fur la chaſſe du cerf en enthouſiaſtes ,
&c. Ces mots , lorfqu'ils ont atteint l'âge
» de raifon , féparés de ce qui les accompagne
, ont fait crier à l'impiété . On a cru
» fur la parole des Critiques , que les Au-
» teurs attribuoient férieuſement un âge
de raifon aux cerfs , lorfqu'ils citoient
au contraire cette expreffion , & celles
qui l'accompagnent , comme ridicules
» de la part de ceux qui s'en font fervis.
Eft-il rien qu'on ne puiffe condamner ,
quand on voudra dénaturer ainfi des paffages
?!
Ja
"
30
29
"
» Nous n'infiftons fur les imputations
faites à l'encyclopédie , que parce que
nous voyons avec douleur , qu'un de nos
Editeurs rebuté de toutes ces vexations
K
.
AVRIL. 1758 . 101
30
ןכ
a déja pris le parti de la retraite , & que
" nous avons lieu de craindre que tous
» ceux qu'on a rendus participans de fes
dégoûts , ne fuivent un exemple auffi
fâcheux pour nous. Il n'y a pas un feut
» des co-opérateurs , qui ne nous foit pré-
» cieux , & dont nous ne regretaffions la
»perte en pareil cas ; mais nos Editeurs
finguliérement , nous font d'une néceffi-
"té indifpenfable , & nous ne craignons
pas d'avancer que fans le fecours & la
» réunion de ces deux hommes de lettres ,
»nous ferions réduits à la trifte impoffi
»bilité d'achever l'ouvrage.M . d'Alembert ,
» que nous regrettons , a eu là modeſție de
"ne vouloir être annoncé fur le frontif
pice de l'Encyclopédie, que comme chargé
de la partie des mathématiques ; mais
nous ne devons pas laiffer ignoter que ,
depuis le commencement de l'entrepri
"fe , il s'eft livré avec un zele infatigable
conjointement avec fon Collegue , à la
direction générale de l'ouvrage , & à la
»compofition d'un grand nombre d'arti-
» cles fur divers fujets. Nous connoiſſons
>> mieux que perfonne , les obligations que
» lui a l'Encyclopédie , & notre reconnoif-
»fance ne peut lui en donner un témoi-
"gnage trop authentique ; nous le lui deyons
à un titre d'autant plus jufte , que ,
"
"
>>
و د
"
و ر
E. iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ي و ع د
s'il a confacré fon temps & fes foins
» l'exécution de cette entreptife , il s'y eft
porté avec un défintéreffement qui annonce
la nobleffe de fon ame . L'amotfr
des lettres , l'amour de la nation , & un
fentiment de bienveillance pour nous ,
»ont été les feuls motifs qui l'ayent artaché
à ce travail pénible , & pour le fotttien
duquel il falloit avoir beaucoup de
courage.
Nous ne pourrions donc trop gentir
de fa retraite , fi la fatalité des circonftances
la rendoit fans retour : mais nous
efpérons que , convaincu comme nousmêmes
du befoin que nous avons de lui
pour achever l'Encyclopédie , il cédera à
la fincérité de nos voeux & à ceux du public.
Sa façon de penfer honnêté & élé-
"vée , lui fera méprifer des atteintes autdeffus
defquelles fa réputation l'a déja
mis ; & il ne refufera pas fans doute à
l'empreffement général , le fecours de
fes lumieres , pour la continuation d'un
livre qui , malgré les clameurs de l'envie
, immortalifera fes Auteurs , furtour
fi l'on peut eſpérer que la critique fe renferme
dans de juftes bornes.
""
و ر
»
DO
» Il eft fort naturel que nous nous montrions
jaloux de voir arriver à fa pérfection
un vaſte édifice dont nous avons
AVRIL 1958. 103
ל כ
préparé les fondemens avec autant de
" frais que de foins & d'appareil. En ef-
» fer , c'eft nous qui avons , pour ainfi
dire , donné l'être à cet ouvrage , par
» l'idée que nous avons conçue les premiers
» de la traduction de l'Encyclopédie angloife,
& de l'amélioration dont elle étoit
fufceptible ; projet fort étendu dans fa
» fuire par les Sçavans , fur lesquels nous
» avons jetté les yeux , & que la voix publique
nous avoit indiqués d'avance .
» Cette entrepriſe eft la plus confidérable
qui fe foit encore formée dans la Librairie.
Elle exigeoit une application infinie
des foins journaliers , & un courage a
toute épreuve. Nous avons fait des pertes
confidérables avant que de propofer
des foufcriptions ; nous avons même cou-
» ru les rifques de voir échouer nos projets
» par des traverſes & des incidens , dont
» la plus grande partie fera toujours igno
» rée du public. Enfin , après douze ans &
plus de travaux & de follicitudes , l'efpoir
d'un heureux avenir foutenoit notre
patience. Mais lorsque nous croyons tou-
» cher au terme défiré , la paffion ſe rani-
» me , & nous enleve les inftrumens né-
» ceffaires à l'entiere exécution d'un Ou-
» vrage , qui , depuis long temps , eft l'ob-
»jet des voeux du public & des nôtres.
"
»
"}
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
25
و ر
L'encyclopédie offre auffi des points
importans d'utilité , en la confidérant
comme une fimple branche de commer-
» ce ; elle confomme le travail de nos ma-
» nufactures , elle entretient & fait vivre
un grand nombre d'ouvriers différens .
Par cette entrepriſe , nous enlevons à
l'étranger , le droit de nous vendre cher
»fes connoiffances ; & en les recueillant
dans le fein du Royaume , nous y procurons
l'introduction d'un argent qui
augmente les richeffes de l'Etat.
33
Ces confidérations dont tout efprit
fenfé fera frappé , méritent fans doute
qu'on nous accorde , dans la continuation
de l'Encyclopédie , la protection & la tranquillité
qui nous font néceffaires , pour
procurer au public un monument digne de
xer fon attention..
•
AVRIL 1758. 1105
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES
HISTOIRE NATURELLE..
SECOND Cours public fur l'Hiftoire na
turelle , concernant les minéraux , les vé
gétaux & les animaux , relativement aux
Arts & Métiers , &c. par M. Bomarede
Valmont , Demonſtrateur d'hiſtoire naturelle
, de ta Société Littéraire de
Clermont- Ferrand ; en fon cabinet , vieille
rue du Temple , à l'hôtel d'Hollande , le
Samedi 15 Avril 1758 , à trois heures
précifes de relevée , & jours ſuivans indiqués.
NO
L'EXPOSITION de ce qui regarde le regne
minéral , donnera occafion de parler des
eaux , des terres , des fables , des pierress
& pierreries , des fels , des foufres , dess
bitumes , des productions de volcans , des
concrétions, métalliques , des minéraux ,
des métaux , & enfin de ce qui peut avoir
rapport au regne. minéral..
Ew
006 MERCURE DE FRANCE.
Le regne végétal renfermera les racines ,
les écorces , les bois , tes feuilles , les
bourgeons , les fleurs , les fruits , les femences
, les fucs foit liquides , foit concrêts
, tant de l'art que de la nature , Tes
fécules & autres fubftances qui y font analogues.
On finira par le regne animal ; les détails
qui concernent les infectes & particuliérement
la zoologie ou les polypes.
Les coquillages , les poiffons , les amphibies
, les oifeaux , les quadrupedes &
l'homme même , font auffi curieux qu'intéreffans.
Toutes les fubftances qui font relatives
à ces trois regnes , feront exposées aux
yeux des auditeurs , & l'on a lieu d'efpérer
que la beauté , le choix & l'abondance
fatisferont également l'Artifte & le Naturalifte
. En s'inftruifant des procédés de l'art
& des termes propres à chacun , ils auront
Occafion d'apprendre comment la plûpast
des matieres font récoltées , trafiquées ,
altérées & employées.
On ne s'eft propofé d'expliquer que
ée qui peut êtrede quelque utilité aux arts ,
aux métiers , aux befoins & à l'agrément
de la vie , & pour la facilité de ceux qui
affifteront au Cours , on fuivra l'ordre du
catalogue imprimé , qui contient toutes les
AVRIL 1758. 107
fubftances qui feront la matiere des le
çons.
"
On eft averti de foufcrité avant qu'on
faffe l'ouverture de ce Cours.On s'adreffera
à M. Bomare- de Valmont , rue de la Ver→
rerie à la Rofe blanche , chez lequel on
trouve fon catalogue qu'il diftribue ..
MEDECINE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE
MONSIEUR ,
ONSIEUR
, j'efpere
que vous voudrez
bien accorder
une place dans votre fournal
, à quelques
réflexions
que j'ai faires
fur la lettre que M. Laberthonye
, Docteur
en Médecine
à Toulon
, y a imprimée
au
mois de mars dernier
, fur la maladie
populaire
qui a régné dans les hôpitaux
militaires
& autres de Provence
. On ne fçausoit
trop éclaircir
tout ce qui regarde
la
Médecine
. C'eft s'exercer
fur l'objet le plus
intéreffant
pour l'humanité
, que de tra
vailler
à développer
& à épurer
toutes les
connoiffances
qui vont à étendre & à perfectionner
la théorie
de l'art précieux
de
quérir. C'eft principalement
à cet égard
E vi
TOS MERCURE DE FRANCE:
que
porter à
les Journaux font utiles , en ce qu'ils
ouvrent un champ libre à la difcuffion &
à la critique légitime . M. Laberthonyc attribue
la caufe de la maladie , qui a attaqué
un fi grand nombre de foldats & de
perfonnes du bas, peuple dans fes cantons
à l'ufage immodéré du mauvais vin de la
récolte de 1755. Le défir de concourir aux
progrès de notre art qui a engagé fans
doute M. Laberthonye à rendre les obfervations
publiques , auroit dû le
les rendre plus fatisfaifantes & plus folides,
en les mettant dans un plus grand jour , &
en les prouvant davantage, En effet, quelles
preuves donne- t- il de l'opinion qu'il avance
? Ne pouvant pas trouver la caufe de
la maladie populaire , ni dans la difpofition
propre des corps , ni dans l'intempérie
de la faifon , ni dans l'ufage immodéré
des fruits , M. Laberthonye imagine qu'il
faut la chercher dans la boiffon de 1756 ;
c'eft- à- dire , dans le vin de la récolte de
1755 , qui ne fut pas naturel dans fes cantons
, & il dit que ce qui démontre fon affértion
, c'eſt que la maladie courante a
épargné les perfonnes aifées qui n'ont point
bu de ce vin , & celles qui, par état , par
tempérance ou par économie n'en ont pas
fait un grand ufage , & qu'elle a maltraité
au contraire les foldats , les ouvriers , les
AVRIL. 1758% 109
mandians & c. qui en ont bu avec excès :
on fent combien cette preuve eft équivoque
& foible ; pour l'appuyer & la rendre
tout- à- fait convaincante , il auroit fallu
déterminer quelle étoit la nature de ce vin
dans le temps qu'on croit qu'il eft devenu
malfain , & démontrer qu'un tel vin bu
avec excès , a du produire le cours de ventre
& le flux de fang qui ont défolé les
hôpitaux de Toulon. La chaleur néceffaire
pour procurer la maturité des raifins de la
recolte de 1755 , fut interrompu par les
pluyes abondantes qui tomberent durant
l'automne , à ce que dit M. Laberthonye
; voici quel dut être le vin de cette
année.
7
On fçait que le fúc des raifins eft com+
pofé d'eau ou phlegme , qui eft le véhicule
d'une terre qui renferme une huile &
un fel acide ; c'est cette terre qui donne le
goût acerbe au raifin qui n'eft pas encore
parvenu à fa maturité. La chaleur du ſoleil
en ouvrant & divifant cette terre , dégage
l'huile & les fels acides qu'elle contient
, les mêle entr'eux & les confond
dans le degré de combinaiſon qu'il faut ,
pour qu'il en réfalte la proportion qui forme
un fuc agréable & propre à faire du
bon vin.
Suppofons avec M. Laberthonye , que
10 MERCURE DE FRANCE
la chaleur de l'automne de 1755 ait été
trop foible , l'huile & les fels acides n'auront
pas été fuffifamment développés , &
le vin aura été acerbe & ftiptique. On ſçait
que les effets d'un tel vin dans le corps de
Thomme , font de deffécher , de refferrer
& de roidir les folides , & d'épaiffir , de
condenfer & de coaguler les fluides. Suppofons
à préfent que la chaleur de la faifon
réveille la fermentation de ce vin , je demande
à M. Laberthonye quel changement
apportera à fa nature cette nouvelle fermentation
, & quels effets produira dans
le
corps humain ce même vin ainfi changé
, étant bu en trop grande quantité. If
eft certain qu'il tiendra toujours de fa qua
lité âpre & auftere , & qu'il tournera davantage
vers l'acide. Un Médecin phyftcien
ne doit pas fe contenter de dire qu'un
vin , qui en premier lieu a effuyé une
fermentation trop foible , & qui a fúbi une
#
feconde fermentation au renouvellement
de la faifon , doit dépraver le chyle , qui
a fon tour appauvrit & pervertit le fang &
les fluides qui s'en féparent , & qu'ainf
la bile & les fucs digeftifs qui viennent de
la même fource , doivent participer de fa
mauvaiſe qualité. Il eft queſtion d'expliquer
quelle fera immédiatement fon acion
dans notre corps , & comment les of
AVRIL 1758 FIE
-fets de cette action immédiate entraîneront
des devoiemens. Ainfi M. Laberthonye
ne pouvoit fe difpenfer d'examiner fi la
caufe prochaine de la maladie a été un relâchement
ou une irritation dans les fibres
des premieres voies . Il s'eft pourtant déterminé
à penfer , que l'effet du chyle dépravé
par la boillon de ce vin malfain , a
été de relâcher les fibres : mais eft - il aifé
de concevoir qu'un vin qui , par fa nature
, doit picoter & deffécher les folides
& épaifir & coaguler les fluides , puiffe
caufer une fonte dans ceux - ci , & une atonic
dans ceux - là ? Un tel état des folides &
des fluides ne pourroit tout au plus être
que la fuite d'une ancienne altération du
chyle ; mais fi le vin dont il eft queftion ,
n'a produit les dévoiemens qu'après avoir
gâté le chyle , & fucceffivement toutes les
humeurs qui en dérivent , ainfi que M.
Laberthonye paroît le prétendre , eft - it
poffible d'imaginer que l'hipecacuanha &
la rhubarbe ayent pu les combattre f
promptement ? De ce que l'action de ces re
medes fe borne aux premieres voies , &
de ce qu'ils ont agi avec tant de promptirude
, quand ils ont été employés au commencement
de la maladie , ne doit- on pas
inférer que la caufe de cette même maladie
ne réfidoit que là , & qu'elle ne procédois
112 MERCURE DE FRANCE!
point d'une altération ancienne & généra
le dés fluides.
J'ai l'honneur d'être , &c.
SUMEIRE , Do&t. en Médec.
A Marignand , ce 20 Juin 1757.
CHIRURGIE.
Obfervations fur les Injections.
Tour le monde convient que rien n'eft
plus capable de perfectionner la Chirurgie
que les obfervations :: mais fi elles ne font
pas accompagnées des qualités néceffaires ,
loin de tourner à l'avantage de la fociété ,
elles ne peuvent que lui être infiniment
préjudiciables. Ces qualités principales
font une attention active & fcrupuleuſe à
qui rien n'échappe dans l'examen , & une
fincérité à l'épreuve de toutes les foibleffes
de l'amour propre.
Ce n'eft que pas que l'exactitude
& la fincérité
nous rendent
infaillibles
. Tout homme
, quelqu'habile
qu'il foit , eft fujet à
Ferreur
; mais il doit convenir
modeftement
de fes fautes pour en tirer le double
avantage
de les éviter dans la fuite , & de
AVRIL. 1758
les faire éviter aux autres. C'eft dans ces
fentimens que j'expofe les obfervations
que j'ai faites fur les injections dans les
plaies. Si je me fuis écarté fur ce point de
l'opinion de nos plus célebres Obfervateurs
dont je refpecte les lumieres , on ne pourra
pas du moins me reprocher de m'être écar
té de ces grands modeles , en négligeant
l'exactitude & la fincérité dont ils m'ont
donné l'exemple .
Les injections ne font autre chofe que
des remedes liquides portés dans les plaies
ou finus , par le moyen d'une feringue..
L'objet de ces injections eft de déterger ,
ou d'incarner les clapiers ou finus , qui
fouvent ne font acceffibles qu'à la fonde ,
& où quelquefois même elle ne peut parvenir
, lorfque ces finus pénetrent dans la
capacité des ventres , ou des parties charnues
, & que leur route eft tortuenſe &
inégale.
Par rapport aux plaies des parties charnues
, comme celles qui résultent des
coups de feu ou d'armes blanches , & qui
peuvent être compliquées , ou celles des
grands abcès , les injections balzamiques
& vulnéraires peuvent y avoir lieu dans
les commencemens : mais je foutiens que
ces remedes continués trop long-temps ,
leur deviendroient préjudiciables. Ils for114
MERCURE DE FRANCE.
meroient autant de corps étrangers qui
s'oppofant à la réunion des chairs , ren
droient la cure extrêmement lente ou
même impoffible. En effet , les embou
chures des vaiffeaux venant à fe racornir ,
& enfuite à fe fermer par les fréquentes
fecouffes que caufent les injections , il eft
aifé de fentir qu'elles cefferoient d'épancher
ce fuc agglutinatif , cette lymphe fa
lutaire qui opere la guérifon. D'ailleurs
qui eft-ce qui n'a pas obfervé comme moi
qu'il reftoit fouvent dans les plaies une
grande partie de la liqueur injectée , laquelle
, par le moyen de l'injection du
lendemain , fortoit chargée d'un pus fé
reux & de fort mauvaife odeur , en plus
grande quantité que la plaie n'en auroit
fourni en quatre jours en ne l'injectant
point ?
Pour prévenir ces deux inconvéniens ,
je me fuis toujours cru autorifé par les
réflexions que j'ai faites , à fupprimer l'ufage
des injections , en y fubftituant un
Ample pantement avec des compreffes ex→
pulfives dans le befoin. Si quelquefois j'ai
cru devoir employer ces injections , ce n'a
jamais été que les cinq ou fix premiers
jours feulement , comme dans les ulceres
fiftalenx ; & c'eft du caput mortuum da
vitriol dans une fuffifante quantité d'eau
AVRIL 1758. 1:15
d'hyfope ou de lavende , dont je me fers
alors pour favorifer le fuintement des fucs
propres
à régénérer les chairs. Ce n'eft
donc que dans ce cas , & pour quelques
jours feulement que j'adopte les injections ;
en tout autre je les abandonne comme
inutiles & dangereufes , furtout dans les
plaies qui communiquent
aux grandes capacités.
Les exemples que je vais rapporter
donneront du jour à mes obfervations ; je
les réduis à un très -petit nombre , qui
fuffira pour montrer que je ne me détermine
qu'avec connoiffance de caufe.
En 1737 , à Véfoul , M. Cardot fils , âgé
de 12 ans , avoit à la poitrine du côté droit
une fiftule qui pénétroit dans la capacité ,
& qu'on injectoit depuis cinq mois deux
fois par jour. Je fupprimai d'abord l'ufage
des injections ; & après avoir rafraîchi
les bords de la plaie qui étoient renversés
& calleux , je fis fubftituer un petit plumaceau
chargé de beaume d'arceus , à une
stente longue de deux travers de doigt , que
l'on introduifoit
à chaque panfement dans
la fiftule ; l'enfant fut guéri en moins de
douze jours.
En 1758 , je fis deux opérations
de
l'empieme à fix jours d'intervalle
l'une de
l'aurre ; da premiere , à un Manceuvre
de
Befançon , qui avait reçu un coup de con116
MERCURE DE FRANCE:
teau entre la cinquiemé & fixieme des
vraies côtes du côté droit , à trois doigts da
Sternum. Il s'étoit fait un épanchement de
fang affez confidérable , & enfuite une
grande fuppuration. Il fut néanmoins guéri
radicalement par le fimple fecours d'un
plumaceau chargé de beaume d'arceus. La
feconde opération fut faite à un Soldat du
Régiment du Roi . Sa plaie étoit entre la
fixieme & feptieme des vraies côtes , à
quatre travers de doigt des vertebres.
L'opération réuffit affez bien dans les com
mencemens ; mais comme on crut devoir
employer les injections déterfives & vulnéraires
, & c. le Soldat en mourut le Manoeuvre
avoit été un peu négligé , mais fa
plaie n'avoit point été injectée . Le Soldat
avoit été très - bien foigné , mais injecté
réguliérement jufqu'à fa mort.
En 1740 , un Soldat du Régiment d'Anjou
, infanterie , âgé de 28 ans , fut bleffe
à la partie droite de la poitrine entre la
derniere des vraies côtes , & la premiere
des fauffes à cinq travers de doigt de l'épine
, & la plaie fortoit du côté oppofé
entre la troifieme & quatrieme des fauffes
côtes à deux travers de doigt de l'épine..
Les accidens furent très fâcheux dans les
commencemens : on y apporta les remedės
convenables , mais fans aucune efpece d'in
AVRIL 1758. 117
jection. Le malade qui étoit entré à l'hôpital
de Befançon , le 4 Septembre, en fortit
parfaitement guéri le 2 Janvier 1741 .
En 1742 , un Cavalier de la Mestre de
Camp , fut conduit à l'hôpital de Befançon
le neuvieme jour de ſa bleſſure. Il avoit
reçu un coup de fabre entre la troisieme &
çinquieme côte fupérieure ; la quatrieme
qui fe trouvoit entre deux étoit coupée
tranfverfalement ; fa plaie étoit fi large &
fi profonde , qu'il étoit facile de voir le
poulmon & de diftinguer fes mouvemens.
Je fupprimai fur le champ les injections
qui avoient été employées juſqu'alors , je
fis panfer le malade avec un double linge
trempé dans Phuile d'hypericum , affez
grand pour ne pas fe perdre dans la poitrine.
Je coupai enfuite les portions de la
quatrieme côte , en partie dépouillée de
chair , & en partie vermoulue & fans injections
: le malade fut rétabli fept femaines
après.
Je paffe fous filence le nombre de cures
que j'ai faites de plaies pareilles à ces dernieres
, fans jamais employer des injections.
Je puis parler maintenant de celles
qui avoient dégénéré en fiftules , lorfqu'on
m'en confia le foin ; elles ne feront encore
que plus concluantes pour la nouvelle méthode,
118 MERCURE DE FRANCE.
Un nommé Renaud , de Befançon , Dra
gond ans le Régiment de la Ferronaye ,
avoit reçu à Monthimard , un coup d'épée à
Ka partie droite de la poitrine , un dõige au
deffus du tetton : à en juger par l'hémorra
gie qui avoit fuivi le coup , l'épée avoit pé-
Hétré le poulmon . Comme le Régiment étoit
en marche , il avoit été laiffé comme mort ;
dependant on lui avoit donné du ſecours
e dans l'efpace de neuf mois , il avoit été
injecté deux fois par jour dans l'hôpital
où il éroit : ilavoit été conduir enfuite à
celui de Lyon , où on ne lui avoit pas plus
épargné les injections . Enfin il fut tranf
porté dans celui de Befançon , dans l'efpés
rance d'être plus foulage dans fa patries
Ses parens vinrent me le recommander ;
je le vis , & pendant deux jours je le 'laiffat
fans autre panfement que des linges
blancs fur fa plaie. Je détruifis les jours
fuivans les bords de fa fiftule & d'une
vieille plaie , j'en fis une récente quant à
Fextérieur par le moyen de petits cauftiques
, je fis difimroître les callofites inté
rieures de la plaie Fy introduifis une peu
tre camle d'argent , que j'y haifai l'efface
dun mois ; & quand je vis qu'il n'y avoir
plus de fuintement , je retirai la canule ;
je rafraichi de nouveau les bords de la
plaie que je traitai enfuite comme plais
3
+
s
A VRTE. 17580 119
Gmple; enfin au bout de quinze jours , depuis
celui où j'avois ôté la canule , le jeune
homme fut radicalement guéri...
Le nommé Beau Séjour , Cavalier dans
le Régiment d'Efcart , à la fuite d'un em
pieme , avoit été injecté à l'hôpital de Véfoul
matin & foir , pendant vingt deux
mois. Tranfporté à l'hôpital de Befançon
je le trouvai dans un parfait anéantiffement
; je fis ôter l'appareil de deſſus la
plaie , & la laiffai pendant deux jours couverte
d'une fimple compreffe foutenue par
le bandage ordinaire. Je fuivis pour celuici
la méthode que j'avois fuivie pour le
précédent. Je laiffai pendant près de deux
mois la canule dans fa fiftule ; & après fix
mois , il fut en état de joindre fon Régi
ment.
તે
Un Savoyard à qui on avoit fait l'opération
de l'empieme à l'hôpital des Bourgeois
de Befançon , étoit injecté journellement
depuis plufieurs mois. Le fieur
Darc , Maître en Chirurgie , me pria de le
voir : après l'avoir examiné , je fis part
mon Confrere de ma méthode à cet égard ,
qu'il mit fur le champ en pratique. Ledit
Savoyard a été guéri en très - peu de temps
par les foins du fieur Juffy , autre de mes
Confreres , qui avoit relevé ledit Sr. Darc
peu de temps après que j'eus vu le malade.
20 MERCURE DE FRANCE.
Je ne condamne pas abfolument la méthode
des Chirurgiens qui injectent les
plaies , & elle fe pratique journellement ;
mais il paroît que la méthode contraire eft
plus falutaire. Les injections ne font enployées
que pour liquéfier les matieres qui
ont trop de confiftance , laver & déterger
les plaies & ulceres , & je ne les crois propres
dans les grandes capacités , que pour
deux ou trois jours au plus 2:12
On fe fert ordinairement d'une tente ,
que je regarde encore comme plus dangéreufe
que les injections , pour fermer ,
dit -on , l'entrée à l'air extérieur qui feroit
pernicieux ; mais j'ai plufieurs obfervations
qui prouvent que l'air ne fait aucune
mauvaiſe impreffion dans la poitrine , lorfqu'il
a la même liberté d'en fortir qu'il
en a eue pour y entrer !.
Quelques exactes & fidelles que foient
ces obfervations , je les foumets à l'autorité
refpectable des Maîtres de l'Art : heureux
fi l'expérience en conftate l'utilité !
C'est la plus grande & la feule fatisfaction
que puiffent attendre ceux dont les travaux
n'ont pour but que les avantages de l'humanité.
LETTRE
Ο
AVRIL. 1758. 121
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur les
Accouchemens.
MONSIEUR , les abus dans l'exercice de
notre profeffion , font trop dangereux pour
qu'ils puiffent être tolérés fans bleffer la
probité , dès qu'ils viennent à notre connoiffance.
Quelques égards que fe doivent
entr'eux , les Médecins & les Chirurgiens ,
ils ne fçauroient , fans être coupables , fermer
les yeux fur les fautes qu'ils voient
commettre. Entre la vie du malade , & la
réputation du citoyen , il n'y a pas à balancer
l'une doit être facrifiée à l'autre .
Pourquoi pardonner à l'ignorance ?
Je ne fçais , fi je me trompe ; mais je
crois que l'on traite très- mal dans ce canton
les femmes accouchées , lorfqu'elles fe
plaignent de ces violentes douleurs , que
l'on nomme vulgairement tranchées. L'unique
remede que je vois employer dans
des cas fi terribles , & que je n'ai jamais
vu réuffir , c'eft l'huile d'amandes douces.
Ce font des tranchées , vous difent tranquillement
les Médecins & les Chirurgiens
de cette Ville. Il faut de l'huile d'amandes
douces , & quoi plus ? de l'huile d'amandes
, c'eft le fpécifique. En vain , depuis
que je fuis établi dans ce pays , & que je
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
me mêle des accouchemens , j'ai voulu détruire
une pratique fi ignorante. Mes confreres
, encore moins Meffieurs les Médecins
, n'ont jamais voulu fe rendre à mes
raifons , ni aux obfervations que je leur ai
miſes devant les yeux. L'envie de foulager
une infinité de victimes de leur préjugé ,
me force enfin de prendre la plume. Si mes
raifons couchées par écrit peuvent faire
plus de fenfation que lorfque j'ai efſayé
de les faire valoir moi-même , je ferai content
, puifque j'aurai rendu un ſervice au
public, Je doute néanmoins de pouvoir le
détromper, quoique la pratique que je vais
annoncer , fait adoptée partout où l'art
des accouchemens eft connu ; parce que ,
en matiere de fanté , furtout lorfqu'une
erreur eft unanimement reçue , elle ne peur
être détruite que par l'aveu de ceux def
quels nous la tenons , & qui ont notre
confiance . Or , quoique l'expérience & la
raifon foient pour moi , cette converfion
eft impoffible.
Les douleurs qui accompagnent & qui
précedent l'accouchement , ne fe terminent
point à la fortie de l'enfant & de
l'arriere-faix hors de la matrice. La mere
en eſt tourmentée ordinairement . Plufieurs
jours après qu'elle eft accouchée , elle
commence à reffentir des foibleffes , des
évanouiflemens , des douleurs extrêmes ,
AVRIL. 1758. 123
connues fous le terme vague de tranchées.
La malade rapporte le plus fréquemment
ces douleurs à la matrice , que l'on
trouve pour lors très - dure au tact , aux
lombes , à l'ombilic & aux aînes. Nous
voyons cependant dans quelques fujets ,
ees douleurs quitter quelquefois l'utérus &
fes attaches , pour parcourir irréguliérement
l'abdomen . Souvent elles fe fixent à
Feftomach ou aux inteftins. Ce font pour
lors de vraies coliques ftomachales ou inteftinales
, que nous prouverons plus bas ,
être toujours du genre des convulfives.
Nous venons de donner une defcription
fuccincte du fiége des tranchées;parcourons
à préfent leurs différentes caufes , afin de
juger fi l'huile d'amandes eft l'unique remede
qui puiffe convenir dans les deux
feules indications que l'accoucheur a à remphir
dans des circonftances fi preffantes ;
car l'on ne peut avoir en vue que l'affoupiffement
de la douleur , par la regle urgentiori
fuccurrendum : ou la deſtruction de
la caufe par cet autre axiome qui n'eft
toujours vrai en chirurgie , tollitur effectus
fublatâ caufâ.
pas
La manoeuvre plus ou moins adroite
d'un accoucheur , en arrachant le foetus
du féin de la mere , eft une des premieres
caufes des tranchées, Le mauvais traire-
F ij
124 MERCURE DE FRANCE.
ment de ce vifcere ne dépend pas tou
jours de nous à la vérité ; mais il eft bien
des occafions où le public eft trop indulgent
à notre égard.
Le placenta trop tôt ou trop violemment
arraché , les ongles d'un accoucheur imprudent
qui auront gratté trop vivement les
parois internes de la matrice , un fragment
de l'arriere-faix encore adhérent : voilà ce
qui occafionne les premiers agacemens de
l'utérus , & qui laiffe la mere dans des douleurs
encore plus vives que celles qui ont
précédé l'accouchement . Ce vifcere étant
tout à la fois fenfible & irritable , tout ce
qui détermine ces conftrictions fpafmodi
ques , entraîne néceffairement les fenfations
les plus douloureuſes .
Dès que l'enfant & l'arriere - faix font
dehors , le fang coule abondamment ; cette
perte eft néceffaire & falutaire. La femme
enceinte fe trouvant dans un état de pléthore
, il eft très -heureux pour elle que les
orifices des vaiffeaux ne puiffent à l'inftant
fe refferrer , afin que le fuperflu du fang
qui occafionnoit tous les accidens de la
groffeffe , puiffe s'évacuer. Si cette perte
eft proportionnée au tempérament de la
malade , je veux dire à la maffe des humeurs
accumulée , il en réfulte un bien.
Si elle excede , fi elle eſt ſupprimée ou di̟-
AVRIL. 1758. 1125
•
minuée , la malade reffent auffi - tôt les douleurs
les plus vives , qui parcourent , comme
nous l'avons déja dit , l'eftomac , le
canal inteſtinal ou la matrice. Je dirai en
paſſant , que je n'ai jamais vu que ces trois
vifceres affectés , & je crois que ce font
les feuls qui peuvent l'être , parce qu'ils
font les feuls dans le bas ventre doués de
fenfibilité , & capables de contraction muſculaire.
Ainfi lorfque j'ai dit que les malades
rapportoient la douleur au lombes
&c. je n'ai pas voulu dire que ces parties
fuffent fenfibles. C'eſt par un méchaniſme
que le temps ne me permet pas d'expliquer ,
que les douleurs dont le vrai fiege eft pour
lors à la matrice , fe répandent jufques à
ces régions. Le foie s'enflamme encore ,
mais ce n'eft qu'une fuite des tranchées . Ce
cas d'ailleurs eft extrêmement rare.
Plufieurs caufes produifent donc ce flux
trop abondant de vuidanges , de même
que plufieurs le fuppriment. Mais quelles
qu'elles puiffent être ; que ce foient des
caillots de fang retenus dans la matrice ,
ou des matieres durcies dans le canal inteſtinal
, comme l'a obfervé Mauriceau &
d'autres avec lui ; que ce foit un air froid ,
ou des affections de l'ame trop vives ; enfin
que ce foit par trop de fluidité , ou
par trop d'agitation, que le fang coule, com-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
me le dit Boerhaave ; ou qu'une trop grande
& fubite dérivation des parties fupérieures
, déterminée par le vuide que laifde
la fortie de l'enfant , forme des engorgemens
dans le bas ventre , & occafionne
par- là une fuppreffion , cela eft indifférent .
Il eft conftant que les nerfs font irrités.
L'expérience démontre que fans irritation
dans le nerf , tranſmiſe à l'ame , il n'y a
point de douleur. Il est encore certain
que ces tranchées font toujours accompagnées
de refferrement convulfif de la parrie
fouffrante. Pour s'en affurer , que l'on
porte la main fur l'endroit où la douleur
eft fixée , & l'on y trouvera une tenſion
fentible au tact . L'indication naturelle &
évidente qui fe préfente donc à remplir ,
c'eſt d'anéantir , s'il eſt poſſible , la douleur
& la convulfion. N'importe où fort
leur fiege , & quelle que foit la caufe qui
des produit la caufe immédiate dans toutes
ces efpeces étant l'irritation de la fibre
mufculaire , & du fyftême nerveux diftribué
à ces parties.
Examinons à préfent quel foulagement
l'on peut attendre de l'huile d'amandes
douces fi celébrée ici. Peut-elle , en parcourant
les routes de la circulation , affoupit
cette irritabilité de l'une & de l'autre fibre
. La propriété anodine que je lui re-
1
AVRIL. 1758. 117
connois dans certains cas , peut- elle avoir
fon effet , lorfqu'il s'agit d'aller calmer une
matrice irritée , étant mêlée & confondue
dans la maffe des humeurs. Je ne crois point
qu'un accoucheur qui aura les premieres
notions de l'économie animale , ofe avancer
une pareille théorie.
L'huile d'amandes par fes parties graffes
& onctueuses , eſt très- propre à envelopper
des matieres âcres , qui irritent le canal
inteſtinal. C'eft de cette façon qu'elle
appaife des coliques , qui ont leur caufe
matérielle dans les premieres voies. C'eſt
par cette même raiſon qu'elle entre dans
les looches pour adoucir l'âcreté du mulus
qui irrite la membrane interne des bronches
& de la trachée artere . L'huile d'aamandes
appliquée immédiatement & topiquement
, comme on dit , fur quelque
partie enflammée & tendue , affouplit &
amollit les fibres . C'eft pour lors qu'elle eft
anodine , en ôtant la douleur. Elle l'eft
par exemple , lorfqu'elle eft verfée fur la
membrane du timpan enflammée & tendue.
Elle devient encore béchique , lorfqu'elle
affouplit la membrane interne de la
trachée artere dans les péripneumonies ,
&c. Mais que l'on fe perfuade qu'elle agit
dans les fecondes voies par fa vertu émolliente
, c'eft ce que l'expérience ne dé-
F iv
128 MERCURE DE FRANCE:
montrera jamais , & que la théorie ne
fçauroit prouver .
Je ne connois qu'un feul cas où l'huile
d'amandes puiffe remédier aux tranchées ,
c'eft lorfque les matieres fécales irritent les
premieres voies ; ce qui arrive très rarement.
Car j'obferve très- fouvent que les
malades fe plaignent immédiatement après
l'accouchement , de coliques inteftinales
avec foibleffe qu'elles ne reffentoient point
avant , ni pendant le travail de l'enfantement.
Or je demande fi ces matieres ont
contracté tant d'âcreté dans fi peu de minutes
? Quel eft donc le vrai remede des
tranchées ? C'est l'opium & fes différentes
préparations. Lui feul remplit la vraie &
unique indication.
L'on fçait par expérience , que de tous
les narcotiques , c'eft le plus affuré & le
moins dangereux pour affoupir le mouvement
& le fentiment. Il anéantit tout dans
la machine pendant fon action , excepté le
mouvement du coeur.
Je ne veux cependant point bannir l'ufage
intérieur & extérieur des émolliens ,
de même que celui des antihystériques , & c .
Je fçais qu'ils rempliffent mon indication ,
quoique par un méchanifme différent ; la
faignée elle- même revient à mon but. Je
n'ai voulu que prouver l'inutilité de l'huiAVRIL.
1758. 129
le d'amandes , fur laquelle on fe repofe fi
aveuglément , & lui fubftituer les calmans ,
dont on fait partout ailleurs de fi falutaires
applications .
L'on reproche , avec raifon , à l'opium ,
de fufpendre toutes les évacuations , & que
dans ce cas-ci , il peut arrêter totalement
le flux des vuidanges. J'avoue que fi ce remede
n'eft pas ordonné par une main fage
& prudente , il peut produire le mal qué
l'on craint ; mais s'il eft ordonné avec les
précautions qu'il doit être preferit , je foutiens
qu'au lieu de fupprimer la perte , il
la facilitera , & je puis dire lui avoir vu
conftamment opérer cet effet , lorfque je
l'ai fait prendre.
Quand il feroit vrai qu'il devroit tour
arrêter , l'on ne doit pas héfiter à le faire
prendre. Periculum eft in mora. Il n'y a pas
à balancer ; la malade périt dans les douleurs
, fi vous ne les anéantiffez. Il n'y a
point de remede plus prompt , ni plus efficace
: il faut donc y avoir recours , fut-il
encore plus dangereux. In extremis extrema.
remedia tentanda funt.
J'ai l'honneur d'être , &c.
F.... Chirurgien - Juré de la Ville d'Anrillac
, en haute- Auvergne.
Ce 22 Novembre 1757.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
C
PROJET de foufcription pour la Carte
générale de la France , en 173 feuilles ,
propofe par M. Caffini de Thury.
de fe
L'OBTET des foufcriptions ordinaires eft
procurer des fonds pour l'exécution
d'un projet , & fouvent de s'allurer d'avance
du profit qu'on en peut retirer.
Dans celle que je propofe , mon bur eft
plus noble & plus étendu, Le fuccès de
l'Ouvrage eft affuré ; le Public eft préfentement
en état de juger de fon exécution.
par les feize feuilles déja publiées : c'eſt
le bien de la chofe & l'intérêt du Public
que j'ai en vue ; & fi j'ai réfifté jufqu'à
préfent aux demandes , multipliées qui
m'ont été faites d'admettre des foufcriptions
, c'est pour ne point engager le Public
à l'acquifition d'un Ouvrage qu'il ne
connoiffoit pas encore , pas encore , & qui n'étoit pas
alors affez avancé...:
t
Cinquante Citoyens diftingués dans
tous les Ordres de l'Etat , fe font affociés
pour fupporter les charges d'une entreprife
que le Roi honore de fa protection ,
& pour porter à la plus grande perfection
qu'il foit poffible un Ouvrage qu'ils fçavent
être agréable à Sa Majefté. Leur fortune les
AVRIL 1758. 131
met en état de fe paffer de fecours étrangers
; mais la confiance qu'ils ont en moi
& leur défintéreffement même, ne me permettent
pas de perdre de vue leur intérêt ,
furtout lorfqu'il s'accorde avec celui du
Public. La voie de la foufcription offre à la
Compagnie le moyen de fe foulager d'une
partie des charges ,en fecondant les defirs du
Public , & d'accélérer l'exécution de l'Ouvrage,
en nous mettant en état de l'achever
dans unterme plus court que celui que nous
nous étions propofé. Il eft jufte d'ailleurs
de fatisfaire l'impatience des habitans des
Provinces méridionales qui reftent à lever ,
& de ne leur pas faire attendre dix années
une bonne Carte , dont ils ont d'autant
plus de befoin qu'ils n'en ont eu jufqu'ici
que de fort défectueuses .
”
La foufcription produira encore l'avantage
de prévenir la contrefaction : les
étrangers qui auront contracté un engage
ment avec la Compagnie , fçachant qu'ils
peuvent fe procurer les Cartes originales à
un prix modéré , auffi-tôt qu'elles paroîttont
, n'écouteront plus les offres des contrefacteurs
, dont l'avidité pour le gain
défigureroit bientôt nos Cartes par une
exécution défectueufe , & furtout par une
infinité de fautes d'impreffion fi ordinaires
dans les noms propres. Il eft jufte auffi
E vi
132 MERCURE DE FRANCE:
que ceux qui contribueront volontaire
ment à l'exécution & à l'accélération de
l'Ouvrage par par leurs avances, puiffent avoir
les Cartes à un moindre prix..
Conditions de la foufcription .
La Carte de la France compofée ( 1 ) de
cent foixante & treize feuilles , coûtera
aux Soufcripteurs 562 livres ( argent de
France ) payables en cinq termes , à raiſon
de 3 liv. 5. fols la feuille , au lieu de 4 liv.
prix auquel chaque feuille fera vendue en
détail.
Au moyen de cette avance, la Compagnie
s'engage à faire tenir les cent foixante
& treize Cartes particulieres franches de
port aux Soufcripteurs , foit à leur demeure
à Paris , foit dans les Villes principales du
Royaume qu'ils indiqueront , foit dans les
Villes capitales des pays étrangers les plus
voifines du lieu de leur réfidence , & ce, à
mefure que les Cartes paroîtront .
On payera en foufcrivant 162 liv. fur
quoi on déduira quatre livres pour chaque
Carte déja payée avant la foufcription , &
( 1 ) La Carte des triangles n'eft pas compriſe
dans les cent foixante & treize feuilles ; les Soufcripteurs
qui voudront en faire l'acquifition la
trouveront chez les Débitans , & né la payeront
que 3 liv. s fols,
AVRIL. 1758. 133
on enverra les fuivantes aux Soufcripteurs
à mesure qu'elles paroîtront , jufques &
compris la vingt- neuvieme ; celui qui aura
déja payé les feize premieres Cartes pu
bliées , n'aura que 98 liv. à payer au lieu de
162 liv.
On payera en recevant la trentieme
feuille Too liv. & l'on recevra fucceffivement
les fuivantes fans rien payer , juſques
& compris la cinquante-neuvieme.
On payera en recevant la foixantieme
100 liv. & l'on recevra fucceffivement les
fuivantes jufques & compris la quatrevingt-
neuvieme.
On payera en recevant la quatre-vingtdixieme
feuille 100 liv. & l'on recevra les
fuivantes fucceffivement jufques & compris
la cent dix-neuvieme.
On payera en recevant la cent vingtie
me feuille 100 liv. & l'on recevra fucceffivement
les fuivantes fans rien payer juſques
& compris la cent foixante- treizieme
& derniere feuille. Total 562 liv.
誓
Les plus belles épreuves feront réfervées
pour les Soufcripteurs , fuivant la date des
foufcriptions , dont on tiendra regiftre .
Comme plufieurs perfonnes , par zele &
par l'intérêt qu'elles prennent à la prompte
exécution de cet Ouvrage , ont offert de
payer, en foufcrivant le recueil entier des
134 MERCURE DE FRANCE.
cent foixante & treize feuilles , en faveur
de cette avance , on leur fera une plus
grande diminution fur le prix total . Elles
ne payeront le recueil complet que cinq
cens livres , & elles recevront les feuilles
franches de port , à mesure qu'elles paroîtront.
- Pour la fatisfaction de ceux qui veulent
connoître avec exactitude la diftance ré
ciproque des lieux , on a calculé foigneu
fement en toifes la diftance de toutes les
Paroiffes du Royaume , tant à la Méridienne
de l'Obfervatoire , qu'à la perpendicu
laire de cette Méridienne , & l'on a formé
de ces diftances calculées autant de Tables
alphabétiques que de Cartes. On y a joint
une inftruction pour conclure des diftances
calculées , & par une fimple addition de
nombres , la diſtance d'une Paroiffe quelconque
à une autre. On laiffe à juger de la
longueur de ce travail. Chacune de ces
Tables prifes féparément fera payée vingt
fols ; mais on fera une remife de près de
moitié à ceux qui voudront foufcrire pour
le recueil de toutes les Tables , qui ne leur
coûtera que quatre- vingt- dix livres en cinq
payemens, dont le premier de trente livres ,
& les fuivans de quinze livres ; & ils rece+
vront les Tables fucceffivement aux mêmes
conditions , & en même temps que les
AVRIL 1758. 235
feuilles de la Carte , chaque feuille ayant
fa table correfpondante . · 28
On fera admis à foufcrire jufqu'au premier
Octobre 1758 pour la France , &
jufqu'au premier Janvier 1759 pour les
pays étrangers .
Les Soufcripteurs remettront à la caiffe
de la Compagnie entre les mains de M.
Delifle , chez M. Borda , rue neuve des
Capucines , le prix de la foufcription ; &
en préfentant le biller de la foufcription ,
le fieur Nobleffe , Garde du dépôt des Car
tes à l'Obfervatoire Royal à Paris , leur délivrera
toutes celles qui auront paru juſqu'au
jour de la foufcription . Le même
tiendra un registre du numero & de la date
de chaque billet de foufcription & de
l'adreffe du Soufcripteur,
ASSEMBLÉE PUBLIQUE
De l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres.
L'ACADÉMIE Royale des Inſcriptions &
belles Lettres , a tenu , felon l'ufage , fon
affemblée publique le premier mardi après
le dimanche de Quafimodo . Elle a d'abord
adjugé le prix fondé en 1733. Le fujet propofé
confiftoit à examiner quel étoit enFrance
36 MERCURE DE FRANCE
Pétat de la Marine & du commerce mariti
me fous les deux premieres Races. Le prix a
été remporté par M. l'Abbé Cartier, fousmaître
au Collège Mazarin , & Prieur
d'Andrecy. C'est le quatrieme prix qu'il
remporte dans cette Académie.
le: Le Secrétaire a enfuite annoncé que
fujet du prix pour la S. Martin de l'année
1759, feroit d'examiner , fi Serapis étoit une
Divinité originaire d'Egypte , ou fi fon culte y
fut apporté de Sinope ; quels font les attributs
diftinctifs qui le caractérisent dans les Auteurs
& fur les Monumens ; quelles pouvoient être
l'origine & les raifons de ces attributs , s'ils
ont éprouvé des changemens , foit dans les
différens âges , foit dans les différens pays où
se culte s'eft introduit.
Après ces annonces , M. Lebeau , Secrétaire
perpétuel , a lu l'éloge de M. Peyffonnel
, Académicien libre , mort Conful
à Smyrne l'année derniere. Cet éloge a
été fuivi de trois lectures.
M. l'Abbé Barthelemy a lu une differta
tion fur l'Alphabet Phénicien , qu'il a découvert
par une Infcription de l'ifle de
Malthe .
M. de la Curne-de Ste. Palaye a la fon
quatrieme & dernier mémoire fur la chaffe
, il a fait voir quel étoit l'état de ce di
vertiffement fous nos derniers Rois , deAVRIL.
1738. 137
puis Henri II , jufqu'à la fin du regne de
Louis XIV .
M. l'Abbé de la Bleterie a lu une differtation
fur l'autorité des Empereurs Romains
dans le Sénat.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences .
Le
mercredi S Avril 1758
, l'Académie
royale
des Sciences
tint fon affemblée
publique
, à laquelle
M. le Duc de Chaulnes
préfida
. M. de Fouchy
Secretaire
, annonça
que le prix de cette année
dont le
fujet étoit fi les corps céleftes
ont des atmofpheres
, & fupposé
qu'ils en ayent , jusqu'où
ces atmospheres
s'étendent
? avoit
été adjugé
à la piece nº . 1 , qui a pour
deviſe
,
Hac cognofcere
primùm
,
Inque Domos fuperas feandere cura fuit.
Dont l'Auteur eft le P. Frifi , Clerc Ré
gulier de la Congrégation de Saint Paul ,
de l'Académie Impériale de Pétersbourg ,
de celle de l'Institut de Bologne , & Profeffeur
dans l'Univerfité de Pife.
Que l'Académie propofoit pour fujet du
prix de 1760 , S'il y a de l'altération dans
Ly
le mouvement moyen des Planetes , & fup..
138 MESURE DE FRANCE.
posé qu'il y en ait , quelles font les caufes de
cette alteration ?
Le même Académicien lut enfuite les
Eloges de MM. de Réaumur & Nicole.
M. de Bélidor lut un Mémoire intitulé ,
Differtation fur les effets de la Poudre relati
vement à la plus forte charge du canon.
M. de Vaucanfon lut la Defcription
d'un nouveau Métier pour les Manufactures
de Tapifferie.
M. Hériffant lut un Mémoire intitulé ,
Eclairciffement fur l'Offification .
1
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Besançon , à la rentrée de
la S. Martin , leLe 15 Novembre 1757%.
M. Loys , Greffier en chef de la Chambre
des Comptes de Dôle , l'un des Affociés
Réfidens de l'Académie , a fait l'ouverture
de cette Séance , par fon difcours de
remerciment.
Pour accomplir l'article de nos ftatuts ,
qui impofe aux Récipiendaires l'obligation
de traiter un fujet dans leurs complimens
de réception , il a lu un ouvrage ,
il s'eft propofé de prouver , que les talens.
font en nous fans être à nous.
où
. Cet Académicien a terminé fon difcours
AVRIL. 1758. 139
par avancer , que tout devoit rendre à l'utilité
publique , & que les piéces académiques
devoient rouler fur des objets utiles ,
par préférence à ceux qui ne font que de
pur agrément.
M. l'Abbé Talbert , Préfident de l'Académie
, a repondu à M. Loys , dont il a
peint le caractere & les talens ; il a enfuite
lu une differtation fur les langues grecque ,
latine & françoiſe , dont voici l'extrait .
L'Auteur , après avoir remarqué , que
la politique littéraire veut qu'on établiffe
entre les diverfes parties de la littérature ,
un certain équilibre qui les faffe régner
avec le même empire , fe plaint de voir
l'étude de l'antiquité & furtout des langues
fçavantes , négligée, fous prétexte que
la langue françoife nous fuffit.
De-là , il prend occafion d'examiner
fi elle a mérité en effet que celles- là foient
oubliées , s'il n'eft pas de l'intérêt de la
nôtre qu'on les cultive , & fi enfin nous
faifons nos efforts pour donner à la langue
françoife les avantages dont elle fe pique .
Pour apprécier le mérite des trois langues
, il en examine le principe , l'énergie
, le tour & l'harmonie. If remarque
que la langue françoife eft trop fouvent infidelle
à fes principes , tandis que les anciennes
en ont d'invariables , & que leurs
140 MERCURE DE FRANCE:
exceptions même ont des loix ; il établit
cinq regles qui font les fondemens de l'énergie
pris dans la nature même. Selon lui ,
pour bien exprimer , une langue doit avoir
des fons forts , un timbre éclatant , elle
doit avoir de la précifion pour rendre la
penſée qui eft rapide & préciſe , elle doit
peindre l'action des objets par le fon des
mots ou par leur arrangement , elle doit
être fufceptible de détails pour préfenter les
objets tout entiers ; enfin elle doit être
abondante , afin de pouvoir tout exprimer.
L'Auteur applique fes principes , &
prouve par l'analyse des trois langues , que
les anciennes l'emportent dans tous ces
points fur la nôtre.
Il parle enfuite du tour de la phrafe , &
il avoue que la période françoiſe a quelque
chofe de plus naturel que la grecque
& la latine ; mais que cet avantage ne regarde
que quelques parties de la phrafe ,
& non la phrafe entiere, comme on le croit
communément.Il balance cet avantage avec
le mérite de l'inverfion grecque & latine
& trouve dans celle- ci une fource de richeffes
& de beautés incompatibles avec
l'uniformité de nos périodes.
Il paffe enfin à l'harmonie , qui eft ſelon
lui , l'unique but de l'inverfion des
anciens. Il fait fentir combien la quantité
AVRIL. 1758. 141
& les accens étoient inutiles aux anciens à
cet égard. Il remarque que la langue françoife
a une quantité & même des accens ;
mais qu'elle les fait trop peu fentir , &
n'en peut tirer aucun avantage furtout
pour les vers ; qu'elle n'y a fuppléé qu'en
rendant fa poéfie d'une difficulté infinie ,
fans la rendre auffi forte que celle des
anciens.
L'Auteur conclut de-là , qu'il feroit né
ceffaire & facile d'enrichir notre langue ;
& il établit des regles fondées fur les préceptes
d'Horace ; mais il fait voir furtout ,
que c'eft aux langues anciennes à nous former
le goût & l'oreille .
: Il finit par fe plaindre des négligences
infinies , des fautes groffieres que l'on fe
permet dans le langage ordinaire , dans le
ftyle des ouvrages , de la rapidité du travail
de nos Auteurs , du peu de goût qu'ils
ent pour limer , & il oppofe leur indolence
auxveilles laborieufes des plus grands
maîtres , qui manioient cependant un langage
plus fécond & plus facile.
M. le Préſident de Courbouton , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , a lu enfuite
des anecdotes fur la vie de Mercurin d'Arborio
, Comte de Gattinara , Préfident du
Parlement de Dôle , Chancelier de l'Em
pereur & Cardinal,
142 MERCURE DE FRANCE .
M. de Grand- Fontaine , Vice Préfident
de l'Académie , fit enfuite lecture de la
premiere partie des mémoires, qu'il fe propofe
de faire fervir à l'hiſtoire d'Antoine
Brun, Plénipotentiaire d'Efpagne aux Conférences
de Munſter.
04
„ ce que
爨
Les reproches que Brun eut à effuyer fur:
fon goût pour les lettres , & la maniere
dont il répondit à fes cenfeurs , fournif
foient à M. de . Grand - Fontaine une occafion
de feconder les vues de l'Académie
en réveillant & juftifiant l'amour des lettres.
Que ces reproches , dit- il , fe re-
" nouvellent encore parmi nous , que des
,, hommes de nos jours foient encore per-1
» fuadés , que les lettres font pour l'efprit
les romans font pour le coeur ,
que ce genre d'étude eft une oifiveté déguilée
, que ce talent, eft la reffource de
ceux qui n'en ont point d'autre.... Voilà
"ce qui feroit foupçonner que l'efprit hu
» main ne doit pas encore dater fes
>> grès de notre fiecle, & il nefera pas effec
» tivement avancé vers la perfection , tandis
que les lettres formeront parmi les
» fciences un rameau de l'arbre, au lieu
d'en être réputées la fever qui doit vivis
fier toutes les branches , tandis que les
idées publiques ne feront pas épurées ,
» ennoblies & fixées au point dés'accorder
pros
AVRIL. 1758. 143
92
»
» à placer les lettres immédiatement après
" les moeurs , dans l'ordre du mérite , & à
enviſager les unes ainfi que les autres ,
» non comme le devoir d'une profeffion
particuliere , mais comme l'ornement
indifpenfable de chaque profeffion.
33
M. l'Abbé Buller a continué par un dif
cours fur l'origine de la poudre à poudrer ;
qu'il a annoncé comme un amuſement littéraire.
Les cheveux font la parure naturelle de
l'homme. C'eſt par cette raifon qu'on a
toujours cherché à corriger ce qu'ils pou
voient avoir de défectueux , & à leur donner
ce qui leur manquoit d'agrément. Les
Anciens les teignoient en blond , parce
que cette couleur leur plaifoit. Quelque+
fois même ils les couvroient de poudre
d'or , pour les rendre plus brillans ; cette
teinture & cette poudre étoient les deux
feuls moyens en ufage parmi eux , pour
parer leur chevelure . Ils ne connoiffoient
point notre poudre à poudrer ; il n'en eft
point parlé dans ce grand nombre d'Auteurs
grecs & latins qui nous font reftés .
Les Peres de l'Eglife qui reprochent avec
tant de force aux femmes chrétiennes , tous
les moyens qu'elles employent pour ſe donner
des agrémens qu'elles n'avoient pas ,
n'ont point fait mention de la poudre. H
144 MERCURE DE FRANCE.
n'en eft point parlé dans nos vieux romans,
qui marquent dans un fi grand détail les
ajuftemens de l'un & de l'autre fexe. On
n'en voit point dans les vieux portraits ,
quoique les Peintres d'alors repréfentaffent
toujours la perfonne de la même maniere
dont elle étoit vêtue & parée.
On lit dans Brantome , que Marguerite
de Valois , qui étoit fâchée d'avoir les cheveux
très-noirs , recouroit à toutes fortes
d'artifices pour en adoucir la couleur: fi la
poudre eût été alors en ufage, elle fe feroit
épargnée ces foins . Le premier de nos écrivains
, qui ait parlé de la poudre , eft l'Etoile
dans fon Journal , fous l'an 1593 .
Il rapporte que l'on vit dans Paris des Religieufes
fe promener dans les rues frifées
& poudrées. Depuis ce temps , la poudre
fe mit peu à peu à la mode parmi nous.
De notre nation , elle a paffé chez tous les
peuples de l'Europe , excepté chez les
Turcs , qui n'en peuvent faire ufage dans
leurs turbans.
M. le Vacher , Chirurgien-Major de
l'Hôpital , l'un des Membres de cette Académie
, a terminé la féance par la lecture
d'un mémoire , fur l'abus des injections dans
les plaies.
Ces Obfervations font inférées dans cet
article, page 134.
ARTICLE
+
AVRIL. 1758 . 145
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
Le fuccès du Journal de Muſique eſt des
plus brillans. M. de la Garde y foutient
avec éclat fa grande réputation . On fçait
que le gracieux , le chantant , le délicat &.
le tendre caractérifent cet habile Muficien.
Que de beautés dans la Cantatille du Songe
, qui commence le Journal de Février !
Le Duo qui la fuit a fait beaucoup de plaifir.
La Brunette , dans le goût de la Romance
, eft déja fçue de tout le monde . Le
Vaudeville qui termine cet ordinaire eſt
léger & fort agréable.
Le Journal du mois de Mars mérite
d'auffi grands éloges. Il commence par le
Triomphe des graces & des talens , Cantatille
avec accompagnement de violon , claveffin
, guittare , féparément , ou avec l'un
ou l'autre de ces inftrumens . L'Ingénue ,
II. Vol. G
**6 MERCURE DE FRANCE.
feconde Cantatille , a le même arrange
ment dans les parties d'accompagnement.
Le Duo a pour titre , le Bon Ménage. Il eft
fuivi d'un air dans le goût du Vaudeville.
Le morceau qui termine ce Journal eft
dans le mouvement du ménuet . La diftribution
s'en fait à Paris au Bureau du Mercure
; chez l'Auteur , rue de Richelieu ,
vis - à - vis la rue Villedot , & chez Prault
& Duchefne , Libraires.
Fragment d'une Leure écrite de Venife.
Vou's voulez fçavoir , Madame , ce que
je penfe de l'Opera Italien : il faut vous
obéir , & vous rendre compte des fenfations
que ce Spectacle m'a fait éprouver.
J'ai vu des falles immenfes & magnifi-
"ques , des théâtres vaftes & pompeufement
décorés , beaucoup de fpectacle , des Acteurs
richement vêtus , des danſes d'une
gaieté & d'une légéreté finguliere ; j'ai
entendu des Chanteurs & des Symphoniſres
merveilleux pour la jufteffe & la préci
fion ; une mufique facile , abondante , légere
, ingénieufe , brillante : mes yeux ont
été enchantés , mes oreilles ravies ; mais
'mon coeur eft refté vuide : j'ai cherché
L'intérêt ; je n'ai trouvé que du bruit , fças
AVRIL 1758. 147
vant & délicieux à la vérité ; j'écoutois ,
j'admirois , je n'étois ni attaché , ni ému .
Qu'est-ce que l'Opera Italien ? Il confifte
en vingt ou trente fcenes de récitatif ,
terminées fidélement chacune par une
Ariette. Les Poëmes ont des beautés , mais
fouvent peu propres à être mifes en mulique
: on y trouve des préceptes , des fentences
, des réflexions , des récits , des expofitions
, des harangues , des éclairciffemens
. Le récitatif a donc dû être mauvais
, d'abord par la nature des paroles
qu'il ne pouvoit rendre ; mais il l'eft encore
plus par lui- même : on n'y apperçoit
qu'une efpece bâtarde entre la déclamation
& le chant , voulant tenir de l'un & de
l'autre , & les gâtant tous deux ; une pfalmodie
aride , monotone & forcée , qui
n'eft propre qu'à contrarier le fentiment
& anéantir l'attention , fans vie , fans ame ,
n'infpirant & ne peignant rien : il faut
rendre juftice aux Italiens , ils ne l'écoutent
jamais.
L'Ariette arrive à la fin de chaque fcene
: le perfonnage ne peut quitter le théâtre
fans l'avoir chantée ; qu'on aſſaſſine
fon pere , il ne peut aller au fecours fans
avoir rempli cette loi ; il faut qu'il chante ,
& fans faire grace d'une feule répétition .
Mérope accufée devant les Etats du Royau-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
me d'avoir fait affaffiner fon mari , exécute
une longue Ariette pour toute réponſe , &
s'en va . Artaban remet à fon fils l'épée
enfanglantée dont il vient d'égorger le Roi ;
on ne fut jamais plus preffé de fuir le
jeune homme chante , & fait des points
d'orgue on ne finiroit pas de rapporter
des exemples pareils tirés des meilleures
Opera.
Toutes les Ariettes ne font pas auffi ridi.
culement déplacées , mais toutes le font
plus ou moins. Souvent la fcene eft terminée
, le perfonnage refte pour rendre en
mufique une penfée ingénieufe qui ne tient
à rien , une maxime , une comparaifon , &
ces comparaifons font toujours tirées des
mêmes objets , dont la répétition ne peut
manquer de paroître froide ; d'autres fois
l'Ariette n'eft que la conclufion même de
la fcene : ce font des ordres , des confeils
des reproches , des incertitudes ; mais en
ce cas , pourquoi quitter la marche du rérécitatif
? pourquoi tout à coup tant de
chant , de bruit , de répétitions fymmétriques
& de cliquetis d'inftrumens ? La nature
défavoue un contrafte fi fubit & fi
bizarre dans une fuite des mêmes fentimens.
Comment place-t'on des roulemens trèslongs
& très - légers dans la trifteffe & la
AVRIL. 1758. 149
douleur comment un point d'orgue termine-
t'il des ordres donnés par un Roi ?
comment le défefpoir le plus violent attend-
t'il la fin de la ritournelle pour éclater
? comment fe permet- il de répéter tant
de fois les mêmes traits ?
Confidérez la longueur périodique de
l'Ariette , fes reprifes , fes retours concertés
, l'excès de fes ornemens , l'action & le
gefte de routine , auquel l'Acteur eſt forcé
par un chant qui l'occupe & le fatigue ; enfin
le défoeuvrement ridicule & inévitable
de ceux qui font en fcene avec lui : fi le
récitatif avoit pu infpirer quelque intérêt ,
il faudroit qu'il expirât à chaque Ariette.
:
Je compare les Ariettes difperfées de
l'Opera Italien à des tableaux qui ornent
une galerie chacun d'eux peut produire
une impreffion ifolée ; mais ils ne fçauroient
jamais concourir tous enſemble à
une émotion totale & continue. L'intérêt
ne marche que par des liaiſons , des nuances
, des gradations imperceptibles ; le
moindre vuide , le plus léger contraſte , la
plus petite interruption l'anéantit : Qui a
jamais dit , ou éprouvé que l'impreffion
d'une Ariette fervît à fortifier celle de la
> fcene précédente ou qu'elle préparât
celle qui doit fuivre ? C'eft le cas dont
parle Horace ; Unus & alter affuitur pan.
Giij
Iso MERCURE DE FRANCE.
nus. Jamais aucun Compofiteur n'a imaginé
de les varier que pour l'oreille : la
nature de l'Ariette eft donc de flatter l'oreille
; mais elle eſt en oppoſition conftante
& abfolue avec l'intérêt . Eh ! qu'eſt-ce
qu'un fpectacle qui dure cinq heures fans
intérêt ? Il faut s'être obftiné à l'écouter ,
pour fçavoir jufqu'à quel point de perfection
l'ennui peut- être porté.
Si je confidere l'Ariette fimplement en
Muficien , je trouve fouvent un fujet heureux
, brillant , naturel même ; mais bientôt
il m'échappe noyé, perdu , fous les ornemens
: l'oreille la plus exercée a peine à
faifir ce Prothée actif à fe varier , à fe contrafter
, à fe tourmenter en cent façons :
toujours même nombre de repriſes , de
variations , de doubles ; qu'il foit queſtion
de tendreffe , de fureur , ou d'une fimple
chanfon , la même marche exifte , on n'y
peut rien changer. La premiere partie de
l'air toujours plus vive , plus ornée ; la feconde
travaillée avec des notes recherchées
, mais moins de mouvement. La
premiere toujours fidélement repriſe avec
toutes les répétitions placées au même
pofte : n'oublions pas les points d'orgue.
qui font exactement l'arriere- garde , les
ritournelles qui précedent toujours le
chant , les coups de force qui terminent
AVRIL. 1758. 15 %
Fair , & les arpeggio qui pourfuivent le
Chanteur après qu'il a fini , & il faut
convenir que c'eft la routine en perfonne
qui a difpofé l'Opera Italien , & les parties
qui le compofent.
En vain les motifs des airs font variés ,
ils font accablés fous la broderie qui les
couvre ; elle eft partout la même , & je
n'apperçois qu'elle.
Je vois la mufique Italienne comme
une coquette bruyante , minaudiere , babillant
joliment , & fouvent ne diſant rien
qui intéreffe ; elle plaît d'abord , & finit
quelquefois par fatiguer ; elle s'annonce
toujours avec fracas , précédée & fuivie
de tout fon cortege , enfevelie dans fa pa¬
rure : n'efperez pas la furprendre jamais
dans une fimplicité naïve , dans un négligé
intéreffant , dans un repos touchant &
tendre ; elle ne veut qu'éblouir , quelquefois
elle s'amufe à jouer le fentiment ; mais
elle ne l'éprouve , ni ne l'inſpire ; toujours
extrême , fi elle l'atteint , c'elt pour aller
au- delà : l'a- t'elle faifi , bientôt elle le défigure
; l'air du caprice fe mêle à fa tendreffe
, le ton de la folie la fuit dans fa
douleur , la fureur de briller éclate jufques
dans fon défefpoir.
Repréfentez - vous enfuite une beauté
noble & intéreffante , tantôt tendre &
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
naïve , tantôt vive & brillante , touchante
, ingénieufe , négligée ou parée ; mais
toujours avec bienféance , dédaignant de
féduire & d'éblouir , ne voulant qu'attacher
, ne prétendant point de fuccès dont
elle ait à rougir , toujours décente même
dans la paffion la plus vive , toujours fidelle
au fentiment jufques dans fa joie la plus
éclatante.
Celle - ci fans doute aura fes partiſans ;
mais la premiere avec tous fes défauts
aura les fiens auffi , & peut-être en plus
grand nombre ; la gaieté , la légèreté ,
l'éclat , ont des droits univerfels : tous les
hommes ont des oreilles , peu de gens ont
une ame ſenſible , un goût jufte , un coeur.
délicat , fufceptible d'une impreffion férieufe
, continue , attachante & profonde.
L'Opera Italien ne préfente aucunes
traces de la variété qui regne dans le nôtre
point de choeurs , point de fêtes liées
au fujet ; vous n'y verrez aucune de nos
belles imitations de la nature , qui annoncent
le débrouillement du cahos , le lever
de l'aurore , des bruits de guerre ou de
chaffe , le foulévement des flots , le fifflement
des vents , la tempête & le calme
renaiffant ; nos belles chanfonnettes , nos
fymphonies céleftes , infernales , fauvages,
paftorales : on n'y trouve point de ces airs
AVRIL. 1758. 153
de chant , d'un genre fimple , tempéré &
doux , qui s'uniffant entr'eux & fe mariant
avec le récitatif , femblent parler
tantôt fi voluptueufement , tantôt fi gaiement
, & qui ont chacun leur caractere ,
& , pour ainfi dire , leur phyfionomie fi
vraie , fi différente & fi décidée ; rien n'y
remplace les tréfors de l'imagination Françoife
; nos bergeries , nos féeries délicieufes
, nos marches , nos facrifices , nos oracles
, nos choeurs , tout tremble devant le
Seigneur... Brillant foleil ... ébranlons la
terre... l'amour triomphe ... nos fcenes fi
bien traitées , nos plaintes fi touchantes ,
que l'on écoute avec une attention fi tendre
, une rêverie fi naïve , un intérêt fi
doux & fi féduifant .
Qu'oppofe t'on à toutes ces richeffes ?
Vingt Ariettes enfilées au bout de vingt
fcenes d'ennui , toutes ces Ariettes marchant
, s'annonçant , finiffant , répétant ,
roulant , reprenant de même. L'Opera
François forme un fpectacle noble , majeftueux
, auffi régulier que varié & intéreffant
dans toutes fes parties : l'Opera Italien
n'eft qu'une Ariette ; il eft abfolument
inécoutable dans la moitié au moins de fa
durée. Les Italiens n'écoutent jamais la
fcene , & c'eft en cela qu'ils ont raifon
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
nous écoutons la nôtre , il me femble que
le procès eft jugé.
A l'égard des Opera bouffons , il ne
leur manque que des Poëmes pour être lé
triomphe de la mufique Italienne ; c'eſt
dans ce genre que fes caprices , fes folies
fes contraſtes les plus bizarres peuvent
trouver une place convenable ; mais la
plupart des Poëmes ne préfentent ni inté
rêt , ni caracteres , ni intrigue , ni détails
ce font des Ariettes fur des grimaces ; la
feule nouveauté peut leur donner une vo
gue momentanée : on fe laffe enfin de facrifier
fon coeur & fon goût à fes oreilles .
Un homme d'efprit qui a pris plaifir à
fe jouer des idées les plus évidentes , a
ofé dire que nous n'avions point de mufi
que ; fon opinion n'a fait que le bruit
qu'elle a dû faire : tant de gens qui ne
fentent pas qu'un raifonnement fatigue &
qu'une Epigramme décide , tant d'hommes
communs qui courent après leur original ,
ne pouvoient manquer d'exciter une rumeur
: fi la mufique n'eft faite que pour
être admirée & non pour être fentie , fi
l'homme n'a que des oreilles , fi fon ame
fi fon coeur , font comptés pour rien , fans
doute M. Rouffeau a eu raifon ; en ce cas
L'agilité du gofier eft tout ; la grace , l'exAVRIL
1758. 155
preffion , le fentiment , font des êtres ima
ginaires ; la danfe fur la corde méritera
feule le nom de danfe ; le menuet , la farabande
feront indignes de ce nom.
Si la mufique ne renferme que des combinaifons
de fons fans expreffion , fans
imitation , je dis qu'elle eft indigne d'un
être qui fent & qui penfe. C'eft le fentiment
feul qui doit être l'objet & la perfection
de l'art . Laquelle des deux mufiques
l'a mieux connu : j'en appelle. J'ai entendu
fouvent les Italiens eux- mêmes gémir des
excès de l'art , & du mauvais goût qu'ils
ont introduit chez eux ( 1 ) . Je ſuis bien
éloigné de prétendre que la mufique Fran +
coife foit fans défauts ; fouvent plaintive ,
monotone , peinée , languiffante , elle récite
trop & ne chante pas affez ; elle a befoin
d'embelliflemens , mais elle a faifi la
vraie route.
Les Italiens poffedent , fans doute , à
un haut degré le génie de la mufique ; mais
l'oreille feule a été l'objet de leurs travaux ;
ils fe font amufés à la féduire par de petites
notes brillantes , rapides & volatiles
ils ont négligé le coeur & le fentiment ,
femblent même quelquefois avoir pris à
tâche de leur infulter ; c'eft ce que l'on
&
(1 ) Voyez l'Effai fur l'Opera Italien , par M.
Algarotti , Mercure de France , 1757.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
voit dans leurs Opera bouffons , où l'imi
tation des fentimens n'eft fouvent qu'une
moquerie ; leur ſcience , leur art même les
a égarés le chant a été fubordonné à la
fymphonie. Le principal perfonnage de
leur Opera n'eft ni Didon , ni Artaxerce ,
c'eſt le premier violon . L'Ariette admirable
dans une fête , eft déplacée dans la fcene ;
elle chante trop , le récitatif ne chante pas
affez : trop oppofés & trop voifins , tous
deux ne font que s'entrenuite ; ils ont méconnu
le beau caractere des voix que la
nature a formées , ils font chanter infipidement
la baffe-taille , & plus encore la
haute contre en revanche , ils fe font
donné des voix factices en dégradant l'humanité.
Titus ne parle , ni ne déclame ;
l'Empereur de Rome n'eft qu'un oifeau
qui gazouille : il leur faut tant de décorations
par Opera , tant d'entrées par
Ballet , tant d'Ariettes par acte & par perfonnage.
Goldoni n'ofa donner une Comédie
fans un Arlequin & un Pantalon . Leur
danſe eſt toute en entrechats , & leur poéfie
en Sonnets.
AVRIL. 1758. 157
PEINTURE.
LETTRE à M. l'Abbé Pernetti , Chevalier
de Saint Jean , à Lyon.
MONSIEUR , un Hiftorien ne sçauroit
être trop attentif à examiner les fources
d'où il tire fes mémoires . La vérité eft la
premiere loi , & il lui eft défendu de céder
à aucune confidération . C'eſt dans ces
termes que vous vous exprimez dans la préface
de vos recherches , pour fervir à l'hiftoire
de Lyon , ou les Lyonnois dignes de
mémoire .
Un Auteur d'auffi bonne foi que vous ,
Monfieur , qui ne fe laffe point de deman
der des lumieres à tous ceux qui lui en
pourront fournir , ne peut pas trouver mauvais
qu'on éclairciffe un fait qu'il expoſe
d'une façon toute oppofée à ce qu'il eft :
c'eft à la page 351 du fecond volume de
votre ouvrage , où il eft fait mention de
l'école gratuite de deffein d'après nature,
que plufieurs amateurs ont formée à Lyon.
Il eft aifé de fentir les motifs qui ont engagé
ceux qui vous ont fourni cet article à
altérer la vérité.
358 MERCURE DE FRANCE.
J'étois à Lyon lors de cet établiſſement ,
& me fuis inftruit avec empreffement de
tout ce qui s'eft pratiqué à ce fujet , tant
par l'intérêt que je prends au progrès des
arts , que par la fincere amitié qui me lie
avec M. Frontier , Peintre d'hiftoire , Of
ficier adjoint & Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculpture , auffi
recommandable par les qualités du coeur ,
que par la fupériorité de fon talent.
Comme les ouvrages d'un Auteur de
votre mérite ſe répandent rapidement , je
me hâte , Monfieur , de vous prier de réformer
dans une feconde édition de votre
ouvrage , Farticle dont il s'agit. Il feroic
injufte de laiffer en fon ordre dans l'idée
du public , un artiſte qui mérite à tous.
égards une diftinction particuliere,
Voici le fait dans l'exacte vérité , dont
je fupprimerai toute fois , quelques circonftances
qui ne font rien au fonds , &
cela pour des raifons que je ne rendrai pu
bliques , que fi le cas l'exige.
Au commencement de la préfente année
1757 , pluſieurs amateurs fe font affo
ciés pour former en cette Ville , & faire
les frais d'une école de deffein d'après nature.
L'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture en ayant été informée , jugeant
qu'il étoit effentiel qu'il y eût à la tête un
AVRIL 1758. 159
fujet capable d'en remplir l'objet , & étant
inftruite que M. Frontier un de fes Officiers
, y tient depuis quelques années avec
fuccès la premiere école de deffein , l'a
nommé feul Profeffeur de ce nouvel érabliffement
, & lui a envoyé des Lettres-
Patentes , avec un extrait de fa délibé
ration.
J'ai eu dans le temps , entre les mains
cet acte qui rend tant de juftice à mon ami
& j'en ai tiré une copie que voici mot pour
mot.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , du famed
19 Janvier 1757.
Le Secrétaire a fait lecture d'une lettre
de Monfieur Frontier , Adjoint & Profeffeur
préfentement à Lyon , dans laquelle
après les complimens ordinaires à la Compagnie
, il lui fait part d'un projet d'école
académique qu'on le propoſe d'établir dans
cette Ville . C'eft le fruit du zele de plu
hieurs Citoyens qui veulent bien contribuer
aux frais néceffaires. Il défireroit s'unir à
des intentions fi louables , en donnant fon
temps & fes foins ; mais fçachant ce qu'il
doit à l'Académie , & connoiffant que fes
privileges font , que les écoles académiques
établies en province , feront gouver
160 MERCURE DE FRANCE.
nées & conduites par les Officiers que
que l'Académie
commettra , il ne s'eft engagé que
conditionnellement , & jufqu'à ce qu'il
foit informé des intentions de la Compagnie.
En conféquence l'Académie , après avoir
délibéré , en vertu des Lettres- Patentes accordées
par le Roi , enrégiftrées en Parlement
le 22 Décembre 1676 , nomme &
inftitue M. Frontier pour gouverner & conduire
l'école académique de la ville de
Lyon, fous fa protection , & en outre l'autorife
( conformément à l'article IV du reglement
, auffi régiftré en Parlement avec
lefdites Lettres - Patentes ) à fe faire ſoulager
dans les exercices ordinaires , par les
gens capables qu'il pourra rencontrer dans
ladite Ville , particuliérement s'il ſe trouve
quelqu'un des Membres de l'Académie
qui veuille fe joindre à lui pour concourir
à cet établiffement utile .
Enſuite il a été arrêté , que le Secrétaire
écriroit à M. Frontier , pour lui témoi
gner la fatisfaction que l'Académie reffent
de fon attachement pour elle , & de fon
zele pour le maintien de fes privileges , &
lui enverroit un extrait de la préfente délibération
, auquel il joindroit une copie
des Lettres-Patentes ci - deſſus mentionnées ,
afin qu'il s'y conforme en toutes choſes.
AVRIL. 1758. 161
Nous , Secrétaire perpétuel & Hiftoriographe
de l'Académie Royale de Peinture
& de Sculpture , certifions que le préfent
extrait eft véritable & conforme à l'original
; en foi de quoi nous y avons appofé le
fçeau de la Compagnie.
A Paris au Louvre, ce 29 Janvier 1757.
Cochin.
J'ai encore un petit grief contre vous
Monfieur ; vous ne faites aucune mention
des Citoyens fi dignes d'éloge , dont le zele
a formé cet établiffement. Leurs noms méritent
cependant , à tous égards , d'être
placés dans un ouvrage qui porte le titre
de Lyonnois dignes de mémoire. J'ai l'honneur
d'en connoître la plûpart , & je faifis
avec empreffement cette occafion de
leur rendre publiquement mon hommage .
Je vous invite , Monfieur , à réformer
cet article ; il eft effentiel pour le fuccès
de votre ouvrage. Si dans un fait récent ,
& qui s'eft paffe fous vos yeux , la vérité eft
altérée , qui conftatera l'authenticité des
autres ?
J'ai l'honneur d'être , &c.
VEROPHILE
162 MERCURE DE FRANCE.
Noms des Amateurs qui ont établi à leurs
frais l'Ecole académique de la ville de
Lyon.
MM. Bertin , ancien Intendant , & Menard
, Secretaire de l'Intendance.
MM. Soubry & Magnial , Tréforiers de
France.
M. Gras , Secretaire du Roi.
MM. Clapeyron ; Parent , l'aîné ; Monlong
, l'aîné ; Geneve , l'aîné ; Lacourt
fils , & Flachon , Négocians.
M. de la Croix , Chanoine de S. Juft .
M. Goiffon , Secretaire de la Compa
gnie.
GRAVURE.
M. MOYREAU , Graveur du Roi en fon
Académie Royale de peinture & de fculpture
, vient de mettre au jour une nouvelle
eftampe , c'est le n°. 85 de fa fuite ,
gravée d'après le tableau original de Philippe
Wowermens , qui a pour titre , Pe
tite Partie de Chaffe , & c. qui eft au cabinet
de Monfieur Crofat , Baron de Thiers.
L'Auteur demeure rue des Mathurins à
Paris.
AVRIL 1758. 163
ARTS UTILES.
GNOMONIQUE.
LETTRE à M. de Boiffy , fur un Cadran
Solaire.
MONSIEUR,
ONSIEUR , vous avez bien voulu , par
le Mercure du mois de Février dernier ,
rendre publique la defcription d'un cadran
tout à fait fingulier.
Cette defcription , qui vous fut adreffée
par M. le Prieur de Courte , eft , à peu
de chofe près , de la derniere exactitude ; je
le fupplie néanmoins de me pardonner , fi
j'ofe en relever une erreur, & fuppléer une
omiffion.
L'erreur confifte en ce qu'il y eft dit ,
que c'est un cadran vertical.; ce qui n'eft
pas : car bien que les lignes horaires foient
repréfentées par des traits de lumiere fur
la furface verticale d'un mur ombragé , il
n'en eft pas moins vrai qu'elles ont été tracées
fur les trois lames de fer évuidées &
percées à jour : or , ces lames étant fituées
en forme d'avant- couvert , elles font toutes
inclinées plus ou moins à l'horizon, de
164 MERCURE DE FRANCE.
forte qu'à parler correctement , ce font
trois cadrans inclinés & déclinans , deftinés
à n'en repréſenter qu'un feul contre le
mur.
M. le Prieur a omis d'obferver , que le
bout du doigt de l'Ange n'indique pás feulement
l'heure préfente ; mais encore la
faifon où l'on eft ; puifqu'au folftice d'hiver
, ce bout de doigt peint fe trouve à
l'extrêmité inférieure des lignes horaires.
Au temps préfent de l'équinoxe , on le
voit vers le milieu de ces lignes , & l'on
le verra fans doute au fölftice d'été à l'extrêmité
fupérieure de ces mêmes lignes : ce
qui doit être entendu de leur apparence lumineufe.
Au refte , on peut dire que cet ouvrage
eft une production
peu commune
, non
pas de l'horlogerie
; mais de la gnomonique
autrement
horographie
, & même on aura
lieu de penfer que ce cadran eft unique en
fon efpece , tant qu'on ne fera pas informé
du contraire.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Dom DAPREVIN , Religieux de l'Abbaye
de la Charité.
De Besançon , ce 17 Mars 1758.
AVRIL 1758.
165
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
Le mardi 4 avril , tous les Spectacles ont
fait leur ouverture. L'Académie Royale de
Mufique a donné Enée & Lavinie , qui lui
a valu une forte recette , Le vendredi a été
encore plus brillant ; il n'étoit pas poffible
qu'il y eût plus de monde. Nous fommes
charmés que le public confirme le fuccès
que nous avions annoncé à M. d'Auvergne.
Il eft d'autant plus flatteur , qu'il ne
le doit qu'à lui -même. Auffi les applaudiffemens
lui appartiennent - ils en entier.
On continue à donner les jeudis , les
Amours des Dieux & la Provençale .
COMEDIE FRANÇOISE,
LESES Comédiens François ont continué les
repréſentations d'Aftarbé . Le public a revu
avec plaifir cetteT ragédie ; il y avoit le
166 MERCURE DE FRANCE.
famedi une affemblée très- nombreuſe.
Nous ajouterons à ce que nous avons déja
dit dans le Mercure précédent , que l'Auteur
doit la plus grande partie de fon fuccès
théâtral au jeu fupérieur de Mlle Clairon.
Cette excellente Actrice rend le rôle d'Aftarbé
avec beaucoup de force & de nobleffe.
Il ne falloit rien moins que fon grand
talent , pour répandre de la chaleur dans
un drame qui renferme plus de traits de
caractere que d'action . Toutes les noirceurs
de Cléopâtre , de Médée & de tous les
méchans illuftres de l'Antiquité, font mifes
fur le compte d'Aftarbé, & prefque toujours
en narration. Une réflexion qui fait honneur
aux fentimens de M. Collardo , c'eft
qu'il eft verfificateur plus élégant , que
confpirateur habile.
On a remis fur le même théâtre le mercredi
Avril , le 5 Glorieux. Mlle Gauffin
y a joué pour la premiere fois & avec diftinction
, le rôle de Soubrette. Qui pouvoit
s'en mieux acquitter ! Cette foubrette
eft une fille de qualité , qui , réduite à
fervir , conſerve les nobles fentimens de
fon origine. Elle reconnoît fon pere accablé
d'infortunes & de miferes : quelle fituation
touchante ? L'Actrice dont nous
parlons , l'a rendue avec tant de pathétique
, qu'elle a arraché des larmes aux plus
infenfibles.
AVRIL. 1758. 167
Cette même piece a été jouée le dimanche
9. Les fpectateurs qui étoient en trèsgrand
nombre , ont tous également renda
juftice au jeu intéreffant de Mlle Gauffin ,
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont ouvert leur
théâtre par la Vie eft un fonge , ſuivie des
Rufes d'amour , Comédie Italienne.
Le fieur Marignan a débuté dans les rô
les d'Arlequin , le mercredis Avril. II
étoit fi intimidé , qu'on n'a pas pu décider
de fon talent.
par
Le jeudi 6 , les mêmes Comédiens ont
donné la premiere repréſentation de la
Nouvelle école des femmes , Comédie en
trois actes en profe , elle eft de M. de
Moiffy , Auteur du Provincial à Paris.
Cette piece a eu le premier jour un plein
fuccès , qui a été confirmé le famedi
les plus grands applaudiffemens & la plus
grande affemblée. L'intrigue en eft fimple ,
les caracteres vrais & le fujet dans nos
moeurs. Que de titres pour prétendre au
fuccès ! Mélite, d'une figure charmante ,
amoureufe de fon époux , fe voit quittée
pour la belle Laure qui eft fille fans
état , qui voit de grands Seigneurs fans
468 MERCURE DE FRANCE .
fortune , & qui vit dans le fafte & l'opulence.
Cette préférence paroît choquante' à
Mélite ; elle forme le projet d'aller confulter
Laure qui ne la connoît pas , fur les
moyens de ramener un perfide. Laure confommée
dans l'art de fubjuguer les hommes
, eft flattée de la confultation : elle
donne fes fages avis , blâme le ton froid
& languiffant de Mélite , & cette prétendue
décence qui eft compagne de l'ennui ;
elle lui reproche de s'abandonner trop à la
paffion , & de ne pas étudier affez les
moyens de plaire. Cette converſation eft
interrompue par un carroffe qui entre dans
la cour. Laure apprend que c'eft Sainphar
qui arrive elle propofe à Mélite de paffer
dans fon cabinet , pour être à portée
d'entendre une converfation qui l'inftruira
encore mieux que les préceptes. Sainphar
entre , Laure le gronde , lui infpire de la
jaloufie , fe radoucit , lui tient des propos
obligeans , chante des paroles que
Sainphar lui a envoyées , propofe à Sainphar
de chanter un duo ; enfin elle développe
l'art de la coquetterie , & finit par
envoyer fon amant à l'Opéra . Mélite fort
de fa prifon , remercie Laure de ce qu'elle
vient de voir & d'entendre. Sur quelques
traits qui échappent à Mélite , Laure découvre
que Sainphar eft fon époux . Il s'é-
C
toit
AVRIL. 1758. 169
toit annoncé garçon. Cette trahifon l'offenfe,
elle promet à Mélite de lui renvoyer
Sainphar dès le même foir.
Mélite arrivée chez elle , prend un habit
de bal ; le Chevalier ami de Sainphar ,
& qui voudroit infpirer à Mélite la vengeance
, lui amene une fête fort à
propos
Sainphar paroît ; les caprices de Laure le
mettent hors de lui -même . Il craint de troubler
la fête qu'on donne chez lui , il veut
fe retirer. Mélite le retient. Dans un ballet
figuré , elle unit l'hymen avec l'amour, Le
Chevalier paroît . Nouvelle entrée dans laquelle
un danfeur habillé comme le Che
valier , veut faire violence à l'amour. Ce
Dieu l'éconduit , & amene Mélite à Sainphar.
Le Chevalier fort confus , & Sainphar
renoue de tendres chaînes avec fon
adorable époufe.
Il nous a paru que le caractere de Laure
étoit d'après celui de Ninon Lenclos . L'efprit
, les talens , les graces & le mépris
des préjugés ; voilà fon portrait: Sans être
efclave de la décence , elle fe refpecte . Ses
moeurs ne font ni licencieufes , ni févéres.
Généreufe , compatiſſante , noble & toujours
adorable , elle écoute l'amour , *&
obtient de la confidération . Ce caractere
eft neuf au théâtre , & il y produit un
grand effer.
11.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE
Ce rôle eft joué fupérieurement par
Mlle. Favart. Les fcenes de la toilette &
de coquetterie , font d'une vérité à s'y méprendre.
Mlle. Catinon s'acquitte à merveille
du rôle de Mélite. Cette aimable Actrice
change, pour ainfi dire, de figure à volonté.
Dans le premier acte , elle est trifte
, férieuſe & pleine de langueur. Cheż
Laure , elle eſt intéreffante & ne reſpire
que la confiance & le fentiment . Au dénouement
, elle eft vive , légere , folâtre
& toujours tendre. Le ballet eft très- bien
deffiné & plein d'action. Il eft de M. des
Hayes.
CONCERT SPIRITUEL.
ON n'a jamais vu les concerts fi brillans
n'a
& fi nombreux , qu'ils l'ont été cette année,
Le Concert du lundi- faint 20 Mars , à
commencé par une fymphonie de M. Rameau,
le neveu , enfuite Jubilate Deo , motet
à grand choeur de M. Mondonville . M.
Piffet a joué un concerto de fa compoft
tion . Mlle. *** a chanté un petit motet de
M. Mouret. M. Balbaftre a joué un nouveau
concerto de fa compofition . Mlle. Lemiere
a chanté un petit motet de M. Mondonville
, & le concert a fini par le moter
d'orgue du même Auteur,
•
AVRIL. 1758 . ་་་
Le mardi - faint 21 Mars , le Concert
fpirituel a commencé par une fymphonie ,
fuivie du Stabat del Signor Pergoleze . M.
l'Abbé Petit a chanté un motet de M. Lefévre
. M. Furler a joué un concerto de violon.
Mlle . Fel a chanté Miferere mei , Deus ,
Pf57. petit moter à voix feule & à grande.
fymphonie , par M. Leboeuf Organiſte de
l'Abbaye Royale de Panthemont , & d'autres.
Le Concert a fini par le motet françois
de M. Mondonville.
Le 22 Mars jour du mercredi- faint , le
Concert a commencé comme le jour précédent
, par une fymphonie & le Stabat.
Enfuite Mlle, Limene a chanté un petit
moter de M. Mouret. M. Taſchi Muficien
de S. A. S. l'Electeur Palatin , a joué fur
la viole- d'amour une fonate de fa compofition
. M. l'Abbé Petit a chanté un motet
de M. Lefevre , M. Balbaftre a joué fur l'orgué
, l'ouverture de Pigmalion , fuivie des
Sauvages. Le Concert a fini
. par De profundis
, motet à grand choeur de M. Mondonville.
Le jeudi- faint.23 Mars , le concert commenca
par une fymphonie & le Stabat . M.
Godard chanta Conferva me , petit motet
de M. Lefévre. M. Vachon joua un concerto
de fa compofition . Mlle , Lemiere &
M. Godard chanterent le premier concerto
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de voix de M. Mondonville . Le Concert
finit , par Nifi Dominus , du même Auteur.
Le vendredi-faint 24 Mars , le Concert
a commencé par une fymphonie de M. Aubert
, enfuite Mifere motet à grand choeur
de M. Delalande . On a exécuté le choeur
de l'Opéra de Jephté. M. Balbaftre a joué
fur l'orgue l'ouverture de Polymnie . Mlle.
Fel a chanté le deuxième concerto de voix
de M. Mondonville. Le Concert a fini
par
De profundis , motet à grand choeur du
même Auteur.
Une fymphonie a commencé le Concert
du famedi - faint 25 Mars , enfuite Exaltabo
te , motet à grand choeur de M. Giraud.
Mlle. Gibért a chanté un petit motet de M.
Mouret. M. Vachon a joué un concerto de
fa compofition. Mile . Fel a chanté un petit
moter pour le jour , & le Concert a fini
par le motet françois de M. Mondonville.
Le dimanche de Pâques 26 Mars , le
Concert a commencé par l'ouverture des
pieces de claveffin de M. Mondonville, enfuite
Cantate Domino , motet à grand choeur
de M. Delalande. On a exécuté le choeur
de l'Opéra de Jephté. M. Balbaſtre a joué
fur l'orgue un nouveau concerto de fa compofition
. Mlle. Lemiere a chanté Regina
cæli , petit motet de M. Mondonville.
Mlle. Fel a chantéun petit motet de Fioco ,
C ^
AVRIL. 1758. 173
& le Concert a fini par Venite , exultemus ,
motet à grand choeur de M. Mondonville.
Le Concert du lundi de Pâques a commencé
par une fymphonie del Signor Geminiani
, enfuite le motet Cali enarrant
de M. Mondonville . M. Vachon a joué un
concerto de fa compofition . Mile . Sixte a
chanté Ufquequò , petit motet de M. Mou
ret. M. Balbaftre a joué fur l'orgue un nou
yeau concerto de fa compofition , Mlle . Fel
a chanté Exultate, jufti , fecond concerto de
voix de M. Mondonville ; le Concert a
fini par le motet françois du même Auteur.
Le Concert du mardi 28 Mars a commencé
par une fymphonie , enfuite Deus
venerunt , moter à grand choeur de feu M.
Fanton. M. de la Croix a chanté Conferva
me , petit motet de M. Lefévre . M. Va
chon a joué le Printems de Vivaldy. Mlle.
Fel a chanté un petit motet pour le jour
Le concert a fini par le motet d'orgue de
M. Mondonville.
Le vendredi avant la Quafimodo du 31
mars 1758' , le Concert à commencé par
une fymphonie fuivie d'un motet de M.
Daveſne. M. Piffet a joué un concerto de
fa compofition. M. Defentis a chanté un
petit moter. M. Balbaſtre a joué ſur l'orgue
, l'ouverture de l'Opéra Languedocien.
Mlle . Fel a chanté un petit motet. Le
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE:
Concert a fini par Nifi Dominus , où Meffieurs
Benoift pere & fils ont chanté.
Le Dimanche de la Quafimodo 2 Avril 1758 ,
le Concert a commencé par une fymphonie ; enfuite
Confitebor , motet à grand choeur de M. de
Lalande. M. Vachon a joué un Concerto de fa
compofition ; on a exécuté le choeur de Jephté.
M Balbaftre a joué fur l'orgue , un Concerto de
fa compofition . Mlle Fel a chanté un petit moter
pour le jour, & le Concert a fini par Venite, exultemus
, motet à grand choeur de M. Mondonville.
Le 3 Avril 1758 , jour de l'Annonciation , le
Concert Spirituel a commencé par une fymphonie
, enfuite Dominus regnavit , motet à grand
choeur de M. Mondonville. M. Vachon a joué un
Concerto de fa compofition ; M. Godard a chanté
Afferte Domino , petit motet de M. le Fevre. M.
Balbaftre a joué fur l'orgue , un Concerto de fa
compofition. Mlle Fel a chanté un petit motet
pour le jour. Le Concert a fini par le motet françois
de M. de Mondonville.
Le moret françois dont nous avons inféré
les paroles dans le dernier Mercure ,
a reçu de nouveaux applaudiffemens le jour
de l'Annonciation . Le Concert étoit ce
jour- là très-brillant. L'on a remarqué dans
ce morceau qui le terminoit , d'heureux
changemens de la part du Muficien. Le premier
choeur , entr'autres , qui avoit paru
trop chargé d'accompagnement , parce qu'il
ouvre le poëme , & fert d'expofition , eſt
maintenant plus fimple , plus diftinct , en
forte que l'on entend parfaitement les paroles.
AVRIL. 1758. 175
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 10 Février.
Au milieu du calme dont jouit cet Empire fous
un Prince pacifique , il y a de temps en temps
quelques révolutions dans le miniftere. Le Mufti ,
le Chiaoux-Bafchi , & les Reis-Effendi ont été depuis
peu dépofés tous trois. Ils ont eu pour fucceffeurs
le premier , Salik- Effendi , Cadiſleker de
Romélie ; le fecond , Bekir- Effendi ; & le troifieme
, le Secrétaire du Grand Vizir.
On eft ici fort occupé d'une nouvelle dont la
confirmation pourroit donner de l'embarras à la
Porte. La grande Caravane qui ſe raffemble tous
les ans au Grand Caire , pour paffer de -là à la
Mecque , eft ordinairement efcortée par les Troupes
du Gouvernement de Damas , au nombre d'environ
trente mille hommes . Le dernier Gouver
neur de cette Province ayant été déposé depuis
peu , s'eft dit- on , mis à la tête d'un grand Corps
d'Arabes , avec lequel il eft tombé fi brufquement
fur la Caravane & fur les Troupes qui lui fervoient
d'escorte , qu'il l'a détruite entiérement ,
& a fait un butin immenfe. Près de cinquante
mille ames , à ce qu'on prétend , ont péri dans
cette rencontre.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
ALLEMAGNE.
DE KONIGSGRATZ EN BOHEME ,
le 7 Mars.
Depuis près de quinze jours , on a fait partir un
Corps de dix-huit mille hommes , commandé par
Te fieur Buchow , Général de Cavalerie , pour faire
lever le fiége de Schweidnitz . La tranchée devant
cette place eft ouverte du 4 de mars.
Le Major Général de Sickowich ayant été chargé
de tenter une entrepriſe fur Liebau , Place qui
étoit occupée par des troupes Pruffiennes , elles
en ont été délogées fans prefque aucune perte de
notre part. Les ennemis dans cette affaire ont eu
cinquante- cinq hommes de tués , & en ont encore
perdu près de deux cents en prifonniers & en
déferteurs. Le reſte a été obligé de ſe retirer à
Landshutt , où l'on affure que le Roi de Pruffe
étoit en perfonne pendant l'attaque de Liebau ..
Tout eft en mouvement dans ce royaume. Le
Corps du Général Marshal doit être arrivé à Ga
bel & à Reechenberg ; le Général Haddick eft à
Toplitz , & le Colonel Mittowski près de Commotau
, avec deux Bataillons de Croates. Ceux - ci
ont envoyé à Prague le 23 Février , feize charriots.
chargés de cuivre & d'argent qu'ils ont enlevés
aux Pruffiens dans le canton d'Erzgeburg en Saxe.
>
La prife de Troppau , dont s'eft emparé le Général
de Ville en forçant la Garnifon Pruffienne ,
nous a coûté très- peu de monde. Les Bavarois
qui faifoient Partie des fix mille hommes employés
à ce coup de main , n'y ont perdu que fept
à huit hommes.
AVRIL 1758. 177
DE DANTZICK , le 15 Mars.
Marienwerder , la derniere place de la Pruffe
Ducale , fut occupée par les Ruffiens le 21 de Février
, & les Magiftrats de cette Ville prêterent le
même jour ferment de fidélité à l'Impératrice de
Ruffie.
Tout le diftri& d'Elbing qui appartient au Roi
de Pruffe , eft obligé de fournir à l'armée Ruffienne
par chaque Mairie , une mefure de bled , une
mefure & demie d'avoine , & quatre quintaux de
foin.
Le Général Fermer a envoyé ordre à Thorn ,
Culm , Graudens , Newenbourg , Mewe , Marienbourg
, & aux Places voifines , d'y préparer des
quartiers pour feize Régimens d'Infanterie , fix de
Cavalerie, & deux mille Cofaques . D'autre part ,
dix mille hommes de Troupes Ruffiennes ont été
réparties dans les Villes de Rifenbourg , Freystad ,
Gardenfée , Marienwerder , & dans les Bourgs ou
Villages voifins.
L'armée Ruffienne eft actuellement de plus de
foixante mille hommes , & elle s'avance par déta
chemens vers la Viftule.
3
Nous apprenons de Lithuanie , qu'un Corps
confidérable de Ruffiens va paffer par ce Grand
Duché , & qu'il doit diriger fa marche par la Pologne
, vers Francfort fur l'Oder. On ajoute qu'un
autre Corps des mêmes Troupe marchera par
Mewe , Stargard , Berend , &c. & qu'il fera la même
route qu'ont fait les Pruffiens en allant en Poméranie.
Il a parn
à huit ou dix lieues
d'ici un Détachement
de Huffards
Ruffiens
, qui nous
a donné
quelque
inquiétude
, par rapport
au bruit
que faf-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
foient courir des gens auffi peu inftruits que ma
intentionnés , que les Troupes Ruffiennes vouloient
mettre ici garniſon . Mais nous fommes
bien raffurés par une lettre que le Général Fermer
a écrite au Réfident de Ruffie en cette Ville . Cette
lettre , datée de Konigsberg & du 17 Février dernier
, eſt conçue ainsi .
CC
Ayant appris que quelques efprits turbulens
» & des Nouvelliftes ont répandu le bruit que j'a
» vois deffein , non - feulement de paffer avec les
» Troupes Impériales que j'ai l'honneur de com-
» mander , par la Ville de Dantzick & le Couvent
» d'Olive , mais encore d'occuper ces Places , je
>> ne puis me difpenfer de vous affurer que cette
» nouvelle eſt très-faufſe & entiérement contraire
» aux ordres de notre Souveraine. Sa Majesté Impé
» riale , au lieu de vouloir incommoder les Villes
» & les territoires qui jouiffent de la protection
du Roi de Pologne & de la République , m'a
» très expreffément ordonné de les regarder com
» me des Places qui participent à l'alliance & à l'a-
» mitié établies entre les deux Cours , & de les
» ménager comme les pays propres de Sa Majefté.
Ainfi les habitans de Dantzick doivent être
» à l'abri de toute crainte , à la faveur des inten-
» tions, bienfaifantes de Sa Majefté Impériale à
» leur égard , intentions dont le temps & toute
» ma conduite juftifieront la droiture . N'avons-
» nous pas la plus belle occafion de faire des con
quêtes d'une autre conféquence pour les Alliés.
» de notre Souveraine , fans penſer à l'occupation
» des Etats qui font fes amis Que Dantzick, foit
> tranquille fur ce point : elle n'a rien à craindre,
» Mais auffi nous espérons que les Dantzickois
» tâcheront réciproquement de témoigner leur
attachement au Roi & à la République de Po
AVRIL. 1758. 179
logne , par leur empreffement à être utiles aux
>> armes de Sa Majesté Impériale » .
»
Après quelques repréfentations faites au Géné
ral Fermer par les Magiftrats d'Elbing , les Trou
pes Ruffiennes ont été reçues dans cette Place , &
le Major Général Stoffel Y commande . La lettre
écrite à ces Magiftrats par le Général Ruffien ,
pour les raffarer , portoit en fubftance : « Que
» les ordres de l'Impératrice de Ruffie étant ex-
» preffément de faire occuper par fes Troupes , fi
» la raifon de guerre l'exigeoit , les Villes d'Elbing
& de Thorn , il ne dépendoit pas de lui de
» laiffer ces Villes à leur propre garde ; qu'au fur-
>> plus il leur donnoit par écrit les plus fortes affu
» rances , que l'entrée des Troupes Impériales ne
>> cauferoit pas dans la Ville le moindre embarras
>> ni aucun dommage ; qu'il lui en reviendroit au
» contraire un avantage très-réel , par l'exacte
» difcipline qui feroit obfervée & par la confom-
>> mation que feroient ces Troupes ; que l'intérêt
>> commun du Roi & de la République de Pologne
» éxigeoit qu'on prft ce parti , & qu'enfin , loin
» que leur préſence dût leur faire la moindre pei
» ne , ils devoient les regarder comme leurs pro
» pres Troupes >> .
Toutes les Troupes Ruffiennes marchent for
trois colonnes. L'une , qui confifte en dix Régimens
d'Infanterie & en mille Huffards , eft commandée
par le Prince
Gallitzin
, Lieutenant
-Géné
ral. La feconde
, auffi compofée
de dix Régimens
d'Infanterie
& d'un Régiment
de Huffards
, eft:
aux ordres
du Lieutenant
-Général
Soltikof
. La
troifieme
, qui eft commandée
par le fieur de
Braun , Général
en chef, eft formée
d'un pareil
nombre
de Régimens
d'Infanterie
& de cinq Régimens
de Cavalerie
, vingt Compagnies
de Gré
Hv
180 MERCURE DE FRANCE.
nadiers à cheval & trois Régimens de Huffards
Les deux premieres fe raffemblent aux environs.
de Marienwerder , où le Général Fermer a établi
fon Quartier Général , & tout fe diſpoſe à paſſer
la Viftule .
Les Troupes légeres font déja des courfes dans
la Pomeranie. Trois cens Huffards , commandés
par un Major, fe font avancés près de Stolpen &
fe font portés à Battow , d'où ils ont amené pour
ôtages le Capitaine , le Bourguemeftre & le Notaire
de la Ville . Ce détachement a rapporté qu'il
n'y avoit pas de Pruffiens cantonnés en deçà de
Stettin , & qu'à leur arrivée les habitans du pays
avoient été dans les plus grandes alarmes ; mais
que la bonne difcipline & la conduite des foldats
les avoient bientôt raffurés furtout lorfqu'ils
avoient vu qu'à l'exception du fourrage , on leur
payoit tour argent comptant . Depuis , les Poméraniens
paroiffent difpofés à ramaffer des vivres
& des fourrages pour l'armée Ruffienne , lorfqu'elle
s'approchera de leurs frontieres.
•
On prétend que le Général Fermer a reçu des
ordres précis de n'obéir à aucun ordre , & de ne
fuivre aucune inftruction qui ne foient fignés de
la propre main de l'Impératrice de Ruffie.
DE VIENNE , le 22 Mars.
L'Impératrice-Reine a ordonné la levée d'un
Bouveau Régiment d'Artillerie de campagne , ou
la paie fera plus forte que dans tous les autres
Corps. Les foldats auront la liberté de ne s'engager
que pour fix ans.
Sa Majesté a donné au Général de Buchow le
Régiment de Cuiraffiers vacant par la mort din
Général Luchef..
AVRIL. 1758. 181
Les motifs du voyage que le Prince de Brunfwick-
Bevern a fait en cette Cour , ne paroiffene
point un myftere ; & voici ce qu'on en publie .
Peu de jours après que ce Prince eut été fait prifonnier
de guerre , il demanda la permiffion d'écrire
au Roi de Pruffe , & elle lui fut accordée :
il écrivit en conféquence , & plus d'une fois ,
mais il n'eut jamais de réponſe . Ce Prince alors
fit demander à l'Impératrice - Reine , comme une
grace particuliere , de pouvoir fe racheter luimême
, & de payer fa rançon. La réponſe de Sa
Majefté fut qu'Elle n'en vouloit recevoir aucune ,
& qu'Elle lui accordoit néanmoins la liberté , mais
gratuitement. Pénétré d'une bonté fi rare ,
Prince eft venu fur le champ épancher fa reconnoiffance
aux pieds de l'impératrice - Reine ; &
après avoir reçu dans cette Cour l'accueil le plus
diftingué , il en eft parti avant -hier.
DE DRESDE, le 10 Mars.
ce
Les fix mille hommes de recrue que le Roi de
Pruffe exige de cet Electorat , fe levent avec la
même rigueur qu'on employe pour toutes les autres
exactions , & cette Ville pour fa part en doit
fournir cent trente- cinq.
Cinq cens hommes des Gardes à pied du Roi
de Pologne , détenus depuis plus d'un an à Magdebourg
, & maintenant réduits aux deux tiers par
la mifere & les mauvais traitemens , viennent
d'être répartis dans plufieurs Régimens Pruffiens ,
fans qu'on ait pu les porter encore à prêter ferment
au Roi de Pruffe. On apprend de Léipfick ,
qu'il en a paffé derniérement quatre-vingts , que
Fon conduifoit fous bonne efcorte à Freyberg ,
pour les incorporer dans le Régiment de Hulfen.
182 MERCURE DE FRANCE.
Le Maréchal Keith a quitté ce canton , pour
s'avancer dans le Voigtland avec une partie du
Corps qu'il commande ; & la troupe du partiſan
Meyer , renforcée de quelques efcadrons de Huf
fards , s'eft portée jufqu'à Plaven .
DE LEIPSICK , le 13 Mars.
Les Décrets du Directoire de Torgau , qui fe
multiplient tous les jours , achevent d'épuifer cet
Electorat ; & voici la lettre adreffée le 14 de Février
par le Maréchal Keith au Baron de Borck ,
Miniftre Pruffien en cette Ville . « Monfieur , j'ai
» reçu hier un ordre du Roi , par lequel S. M. me
» charge de faire lever fur la Ville de Drefde la
fomme de cinq cens mille écus. , d'employer
» pour cet effet les plus rigoureufes exécutions ,
» de n'épargner abfolument perfonne , & de chat-
» ger particuliérement les Catholiques Romains ,
» & ceux qui ont des charges à la Cour. J'ai déja
» notifié ces ordres aux Magiftrats qui font la
répartition de cette fomme fur la Ville. Il- eft:
vrai que je ne me flatte pas de la tirer en entier;
» mais comme je veux employer toutes les rigueurs
dont les François ont ufé à Halberstadt ,
»je compte en pouvoir tirer une bonne partie.
» Cet exemple fera peut- être de quelque utilité
» aux Etats affemblés à Léipfick . Car V. E. peut
» les affurer , que le refte de la Saxe ne fera pas
» plus épargné que la Capitale , & que puifqu'on
» nous oblige à fuivre de mauvais exemples , ils
» doivent en porter la peine. Je ne vois qu'un
» moyen qui puiffe les garantir d'une ruine tota
» le , c'eft de faire leurs derniers efforts pour con-
» tenter le Roi qui ne veut plus être amuſé debelles
paroles . Jufqu'ici la Saxe a été peu traitée
par
AVRIL 1758. 18
en pays ennemi ; mais je vois que les ménage
» mens tirent à leur fin , & que le Roi irrité des
» ravages que les ennemis ont faits dans fes Etats
»pourra bien faire reffentir , par de juttes repré-.
failles , les triftes effets de fon indignation . Jas
» déja déclaré ici que je ne permettrois plus de
» faire aucunes repréfentations à S M. que j'avois
» reçu les ordres , & que je trouverois bien moyen
» de les mettre à exécution , & c. »
Ainfi les éxactions inouies que les Pruffiens ,
depuis leur invafion , n'ont fait que continuer ou
multiplier , font colorées aujourd'hui du nom de
repréfailles , & nous payons pour Halberstadt.
La nouvelle monnoie que l'on frappe actuellement
dans le Château de Pleiffenberg , eft au coin
du Roi de Pruffe.
DE RATISBONNE , le 18 Mars.
Toutes les lettres du Duché de Mecklenbourg
ne parlent que de l'excès des demandes , ou des
ordres violens adreffés par le Maréchal de Lehwald
aux habitans de ce Duché . Indépendamment
de plus de cent mille facs de farine qu'ils ont été
contraints de nouveau de faire voiturer à Demmin
, & des contributions en argent qui ne pour
ront jamais être acquittées ; ils font encore forcés.
de livrer , 1°. feize cens chevaux pour la Cavalerie
, tous noirs, ou bay-bruns , taille de cinq pieds ,
& de cinq à fix ans , avec les conducteurs néceffaires
pour les amener à Berlin , ou à Francfort
fur l'Oder ; 2 ° Quinze cens chevaux de trait pour
le tranfport des vivres , & quatre cens hommes
pour les conduire ; . 3 Trois mille hommes de
recrue , robuftes & de taille , dont mille tirés des
domaines & terres du Duc , mille fournis par les
·
184 MERCURE DE FRANCE.
Etats , & pareil nombre par les Villes. La fenfe
Ville de Roftock entr'autres , en doir fournir deur
cens cinquante.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
M. l'Abbé Agoult , Chanoine & nouveaut
Doyen de l'Eglife de Paris , fut préſenté au Rož
le 17 Mars.
Le 19 , Dimanche des Rameaux , le Roi , ac
compagné de Monfeigneur le Dauphin , de Ma→
dame la Dauphine , de Madame Infante , de Ma
dame , & de Mefdames Victoire , Sophie & Louife
, affifta à la Bénédiction des Palmes . Cette céré
honie fut faite par M. l'Abbé Gergoy , Chapelain
ordinaire de la Chapelle- Mufique , qui préfenta
ane palme à Sa Majefté. Le Roi affifta de même à
la Proceffion & à l'adoration de la Croix. Enfuite
Sa Majesté entendit la grand'Meffe , qui fut aufft
célébrée par M. l'Abbé Gergoy , & chantée par la
Mufique.
La Reine affifta dans fa tribune à l'Office.
Le Roi ayant donné fon agrément à M. le Marquis
de Gefvres pour fon mariage avec Damoifelle
Françoife-Marie du Guefclin , Leurs Majeftés & la
Famille Royale, en fignerent le contrat le 19 Mars.
Le Roi a accordé à M. le Marquis de Gefvres la
furvivance du Gouvernement de l'Ile de France
de la Capitainerie Royale de Montceaux , & dis
Brevet de retenue de cinquante mille écus accor
dé au Duc de Trefmes fon pere.
AVRIL. 1758. 189
Leurs Majeftés & la Famille Royale fignerent
auffi le même jour le contrat de mariage de M.
Hérault de Séchelles , Colonel du Régiment de
Rouergue , avec la Demoiſelle de la Lande-
Magon,
Le jeudi-faint , M. l'Evêque de Dol ayant fait
l'Abfoute , & le Roi ayant entendu le Sermon de
la Cêne du Pere Boule , Religieux Cordelier , Sa
Majefté à lavé les pieds à douze pauvres , & les a
fervis à table. M. le Prince de Condé , Grand-
Maître de la Maiſon du Roi , étoit à la tête des
Maîtres d'Hôtel , & il précédoit le fervice. Les
plats étoient portés par Monfeigneur le Dauphin ,
MM. le Duc d'Orléans , le Prince de Conty , le
Comte de la Marche , le Comte d'Eu , le Duc de
Penthievre , & par les principaux Officiers de Sa
Majefté . Après cette cérémonie , le Roi & la Reine
fe font rendus à la Chapelle , où Leurs Majeftés
ont entendu la grand'Meffe , & ont enfuite affifté
à la Proceffion.
Le Roi a accordé à M. le Marquis de Mont
mort , Major de fes Gardes , l'expectative de Comi
mandeur honoraire de l'Ordre de Saint Louis . Sa
Majefté lui a donné , en attendant , la permiffion
d'en porter les honneurs.
Quatre Bataillons des Gardes Françoiſes font
partis d'ici les 9, 11 , 13 & 15 de Mars pour Saint.
Omer , où ils doivent être rendus en dix jours , &
deux Bataillons des Gardes Suiffes le font mis en
marche le 9 & le 11 pour la ville d'Aire , où ils
ont dû être rendus dans le même eſpace de
temps.
Le Parlement a enrégiftré le ro de Mars deux
nouvelles Déclarations du Roi : la premiere , por
tant Réglement fur la diftribution & le jugement
des procès ou inftances qui étoient pendans dans
186 MERCURE DE FRANCE:
:
les quatrieme & cinquieme Chambres des Enquée
tes du Parlement de Paris , lors de la fuppreffion
d'icelles la feconde , concernant le rembourfement
de foixante Offices de Confeillers Laïcs , de
quatre Offices de Confeillers - Clercs , & d'une
Commiffion des Requêtes du Palais , vacans ou
fupprimés en exécution de l'Edit du mois de Décembre
1756.
La difette exceffive des fourrages a déterminé
M. le Comte de Clermont à paffer le Wefer, pour
fe porter fur Paderbon , & ce Prince s'eft mis en
marche le 17 de Mars.
Le 23 , la Reine entendit le Sermon de la
Cêne de M. l'Abbé d'Eſpiard , Chanoine de la
Métropole de Befançon , & Confeiller Clerc au
Parlement de la même Ville. M. l'Evêque de Dol
fit enfuite l'Abfoute , après laquelle Sa Majefté
lava les pieds à douze pauvres filles & les fervit à
table .M. le Marquis de Chalmazel , premier Maî
tre d'Hôtel de la Reine , précédoit le ſervice , dont
les plats étoient portés par Madame la Dauphine ,
Madame Infante , Madame , Madame Sophie ,
Madame la Princeffe de Condé , les Dames du Palais
, & plufieurs autres Dames de la Cour .
LeursMajeftés & la Famille Royale ſe rendirent
le même jour für les dix heures du ſoir à la Chapelle
du Château , & firent leurs prieres devant
'Autel où le Saint Sacrement étoit en dépôt.
Le 24 , jour du vendredi - faint , le Roi & la
Reine , accompagnés de Monfeigneur le Dauphin
, Madame la Dauphine , Madame Infante ;
Madame , & de Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , entendirent le fermon de la paffion du
Pere Chapelain , Jéfaite .
Le 26 , Fête de Pâques , le Roi , la Reine &
la Famille Royale , entendirent la grande Meffe
AVRIL. 1758. 187
célébrée pontificalement par M. l'Evêque de Dol';
& chantée par la mufique.
Le 28 , le Roi , la Reine & la Famille Royale
fignerent le contrat de mariage de M. le Marquis
de Damas- Dantlezy avec Demoifelle Tillieres , &
celui de M. de Lamoignon de Baville , avec la
Demoiſelle Berryer .
Le même jour , le Roi tint le Sceau
vingt-fixieme fois.
pour la
Sa Majesté a donné le Régiment de la Couronne
, vacant par la démiffion du Comte de Pólaftron
, au Comte de Montbarey , Colonel dans le
Régiment des Grenadiers de France , & la place
de Colonel dans le même Régiment , à M. le Mar
quis de Montefquiou , Capitaine dans le Régiment
du Roi , Cavalerie.
Voici le détail qu'on a reçu du fiége de Minden
Le 4 du mois de Mars , l'armée Hanovrienne
déboucha des bois de Thaudozen & y campa le
lendemain 5.Le Prince Héréditaire de Brunſwick
& M. Dauberg , Lieutenant- Colonel , chargés du
fiége , envoyerent fommer M. le Marquis de Morangies
, Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
qui commandoit dans Minden , de ſe rendre , en
lui offrant la capitulation qu'il pourroit défirer ..
M. le Marquis de Morangies refufa toute propofition
, & répondit qu'il vouloit fe défendre. Le
même jour , la place fut inveftie par toute l'armée.
Le 6 , le Prince Ferdinand de Brunſwick s'empara
des gorges en avant de Minden , & établit fon
Quartier Général à Hill . La nuit du 6 au 7 , Pennemi
ouvrit la tranchée devant la place hors de la
portée du canon , & dans la nuit du 7 il perfectionna
la premiere parallele. Le 8 , M. le Marquis
de Morangies ordonna une fortie de so Volontaires
d'Infanterie & de sa Volontaires de Hay
188 MERCURE DE FRANCE.
nault à cheval , pour aller enlever dans les Villa
ges voisins , où l'ennemi avoit des poftes de ca
valerie , des moutons , des boeufs , des , vaches &
d'autres provifions ; ce qui fut exécuté fans peine ,
parce que les ennemis fe retirerent à l'approche
du détachement qu'ils crurent plus nombreux:
ainfi le convoi entra dans la place fans aucun inconvénient.
Le 9 , les affiégeans poufferent deux
zigzags en avant dans la premiere parallele. Le
10 , ils formerent la feconde parallele & acheverent
d'embraffer le front de l'attaque. Le même
jour , M. le Marquis de Morangies ordonna une
fortie de 100 hommes , pour faire entrer du bois
dans la place , dont la garnifon paffoit toutes les
nuits au bivouac , ainfi que pour reconnoître en
même temps les travaux des ennemis & les tâter.
Le feu fut affez vif de part & d'autre ; on leur tua
10 à 12 hommes , & les deux objets furent remplis.
Le 11 , les ennemis poufferent deux zigzags
en avant de la feconde parallele , & ils établirent
deux batteries de trois pieces de canon chacune ,
qui tirerent avec fi peu de fuccès , qu'ils firent
ceffer. Dans l'après-midi du même jour , ils éta
blirent une autre batterie de trois pieces de canon
qui tira fur la place : cette batterie fut bientôt
éteinte par le feu fupérieur de notre artillerie . Lé
12 , les ennemis établirent cinq batteries de fix
pieces de canon de 17 & de 33 , & une batterie
de fix mortiers , qui jettoient des bombes de huit
pouces. Toutes ces batteries furent en état de tirer
Le matin , à la réſerve d'une feule qu'ils ne démaf
querent point : quelques maifons du rempart furent
endommagées ; cependant leur feu n'eut pas.
un grand fuccès , parce qu'on leur oppofa un feu
d'artillerie qui les incommoda beaucoup . Le mê
me jour , on commanda cinq Compagnies de Gre↓
AVRIL. 1758. 189
nadiers & cinquante Volontaires , pour faire une
fortie & pour attaquer la tranchée. L'ennemi fa
trouva partout en force , parce que précisément
alors on relevoit la tranchée. Le 13 , les ennemis
firent la troisieme parallele & rapprocherent leurs
batteries à so toifes de la contrefcarpe ; ils firent
pendant toute la journée un feu terrible , & ils jetterent
une fi prodigieufe quantité de bombes dans
la Ville , qu'ils y mirent feu . Le foir , nos batte
ries fe trouverent en mauvais ordre & la poudre
manqua. Dans cette extrêmité , les Commandans
des Corps s'affemblerent chez M. le Marquis de
Morangies , où il fut conclu de rendre la place.
Pat la capitulation , qui fut fignée le 14 , la Garni
fon a été faite prifonniere de guerre.
M. le Duc de Broglie a évacué Caffel , & il s'eft
mis en marche le 23 avec toutes les Troupes qui
fent fous les ordres , pour joindre l'armée de M.
le Comte de Clermont. Il n'y a aucun Corps ennemi
à portée de s'opposer à cette jonction.
Le onzième tirage de la premiere Loterie
Royale , fe fit le 16 du mois dernier & les jours
faivans. Le principal lot eft échu au numero 376393
le fecond lot au numero 27416 , & la prime de
20000 livres au numero 19214.
Le Roi , la Reine , & la Famille Royale fignerent
le 2 d'Avril , le contrat de mariage de M.
le Marquis de Chauvelin , Lieutenant- Général
des Armées de Sa Majefté , & fon Ambaffadeur
auprès du Roi de Sardaigne , avec la Demoiſelle
Mazade d'Argeville , & celui de M. le Marquis
d'Avarey , avec Angélique- Adélaïde Sophie de
Mailly-de Rubempre.
Le trois Avril , le Duc d'Aumont , Premier
Gentilhomme de la Chambre , & la Ducheffe de
Luynes , Dame d'Honneur de la Reine , tinrent
190 MERCURE DE FRANCE.
au nom du Roi & de la Reine fur les fonts de Bap
tême , à la Paroiffe du Château , l'enfant du fieur
Chatelain , Contrôleur ordinaire de la Bouche du
Roi.
Le cinq , le Baron de Lichtenſtein , Miniſ
tre Plénipotentiaire du Duc de Saxe-Gotha , eur
une audience particuliére du Roi , dans laquelle il
préfenta à Sa Majefté ſes Lettres de rappel. Il fut
conduit à cette audience , ainſi qu'à celles de la
Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de Madame
la Dauphine , de Monfeigneur le Duc de Bourgo
gne , de Monſeigneur le Duc de Berry , de Monfeigneur
le Comte de Provence , de Madame Infante
, de Madame , & de Meſdames Victoire , So.
phie & Louife , par le fieur Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs.
Le même jour , M. l'Evêque d'Orleans prêta ferment
entre les mains du Roi , pour l'Evêché de
Condom ; & M. l'Evêque de Digne , pour l'Evê,
ché d'Orleans.
Suivant la difpofition faite par le Roi des emplois
de la Gendarmerie , la Soulieutenance des
Gendarmes de Flandres eſt donnée à M. le Cointe
de Saint-Chamans, premier Cornette ; la premiere
Cornette des Chevaux- Légers de Bourgogne, à M.
le Baron de Breteuil , Guidon ; le Guidon des Gendarmes
d'Orléans , à M. le Comte de Noé , Capitaine
dans le Régiment de Cavalerie de Viefville ;
la Soulieutenance des Chevaux- Légers d'Orléans ,
à M. le Comte de Fougieres , Enſeigne ; l'Enfeigne
des Gendarmes d'Orléans , à M. le Comte de
Choifeul-Savigny , fecond Cornette ; la feconde
Cornette des Chevaux - Légers de la Reine , à M.
de Marquis de Crenolles , Lieutenant dans le Régiment
d'Infanterie du Roi,; .la Compagnie des
Chevaux-Légers de Bourgogne , à M. le Comte
A VRIL. 1758. 191
Herbouville , Soulieutenant ; la Soulieutenance
des Gendarmes d'Aquitaine , à M. le Comte de Cuf
tines de Guermnage, Enfeigne; l'Enſeigne des Gendarmes
de Flandres , à M.le Comte de Roncé fecond
Cornette; la feconde Cornette des Chevaux - Légers
d'Orléans , à M. le Baron de Choiſeul- Buffiere
Lieutenant dans le Régiment du Roi , Infanterie ;
le Guidon des Gendarmes Ecoffois , à M. le Comte
de Saiffeval , Guidon des Gendarmes de Berry ;
le Guidon des Gendarmes de Berry , à M. le Mar
quis le Veneur , Moufquetaire ; le Guidon des
Gendarmes Bourguignons , à M. le Marquis de
Valençay , Capitaine dans le Régiment du Commiffaire
Général de la Cavalerie ; la Soulieute
nance des Gendarmes Bourguignons , à M. le
Marquis de Carvoifin d'Achy , Enſeigne ; l'Enfeigne
des Gendarmes Dauphins , à M. le Comte
de Caftellane , fecond Cornette ; l'Enfeigne des
Gendarmes de Bourgogne , à M. le Marquis de
Seran , Guidon ; le Guidon des Gendarmes Dauphins
, à M. le Comte Dauvet , Aide- Major dans
le Régiment des Gardes Françoifes ; la feconde
Cornette des Chevaux- Légers d'Aquitaine , à M.
le Marquis de Lambertie , Moufquetaire , & le.
Guidon des Gendarmes de Flandres , à M. le Mar
quis d'Houdetot , Lieutenant en fecond dans le
Régiment du Roi , Infanterie.
Sa Majesté vient d'accorder des Croix de Saint
Louis & différentes graces aux Officiers qui ſe font
diftingués à l'attaque du pont de Weiffenfels , fous
les ordres de M. le Marquis de Crillon . Les Gre
nadiers des deux Compagnies du Régiment de
Saint Chamond , qui dans cette action ont mar
qué beaucoup de valeur , ont auffi reçu du Roi
chacun une gratification.
Le Roi a nommé Brigadier d'Infanterie M. de
2192 MERCURE DE FRANCE.
Buffy , qui , depuis fept ans , commande en chef
les Troupes Françoifes dans le Dekan aux Indes
Occidentales.
L'Armée du Comte de Clermont eſt arrivée à
Wezel , fans avoir été inquiétée dans fa marche.
Les Troupes qui étoient dans Caffel & dans le
pays de Hefle , font actuellement à Duffeldorp ,
Capitale du Duché de Bergues , & dans les environs
de cette Ville . Elles s'y font rendues , fans
rencontrer le moindre obſtacle de la part des ennemis.
La nuit du 3 Mars au premier Avril , M. le
Comte de Clermont fut attaqué d'une violente &
douloureuſe efquinancie , qui a mis ſa vie en danger.
Il a été faigné trois fois dans le même jour ,
& on a employé fi à propos les remedes convenables
, que la fanté de ce Prince eft parfaitement
Tétablie.
Les Gazettes d'Angleterre font monter le nombre
des vaiffeaux que les François leur ont pris ,
depuis le 29 Octobre 1757 , juſqu'au 10 Janvier
dernier , à cent cinquante-deux , non compris
plufieurs autres bâtimens , comme chaloupes &
Bateaux de Pêcheurs , & le nombre des vailleaux
François pris par les Anglois , pendant le même
temps , à cent navires. Ainfi , felon eux , nos prifes
excedent les leurs d'environ foixante vaiffeaux.
Le Capitaine Guitton , commandant le Corfaire
le Don de Dieu , de Calais , a rançonné pour
125 guinées deux bâteaux Anglois dont il s'étoit
emparé!
Le Corfaire le Machault , de Granville , a pris
& conduit à Saint- Malo le Navire Anglois le Sa-
Pisbary , de Liverpool, qui alloit à la côte de
Guinée avec une cargaifon d'eau - de- vie , de fer ,
de poudre de guerre , de fufils , de pistolets de
toiles
AVRIL. 1758. 193
toiles peintes , & autres marchandifes propres
pour la traite des Negres.
Le même Corfaire s'eft rendu maître des Navites
Anglois le Recovry & l'Europe , & il les a rançonnés
pour 19 mille livres.
Le Capitaine le Tourneur , commandant le
Mefny , autre Corſaire du même port , y a conduit
un Bateau Anglois chargé de vin de Florence ,
d'huile d'olive & de raiſins .
Le Navire Anglois le Samuel , de 300 tonneaux ,
allant de Saint - Chriftophe à Londres , avec un
chargement compofé de 366 boucaurs de fucre ,
& de 10 bottes de vin de Madere , a été pris par
le Capitaine le Roi , commandant.le Corfaire le
Comte de Langeron de Saint- Malo , où il a été
conduit.
Le Navire Anglois le Laurier, pris par le Cor
faire la Revanche de Dunkerque , a été conduit
dans le port d'Abreuvaç en Bretagne. Il eſt chargé
de tabac , de favon & d'autres marchandiſes.
Les Frégates du Roi , la Calypfo & l'Eclair , ſe
font emparés du Corfaire Anglois le Tartare , de
Briftol , armé de 12 canons , 10 pierriers , 71
hommes d'équipage , & elles l'ont conduit dans
la rade de l'ile Daix.
Le Corfaire la Comteffe de la Serre , de Dunkerque
, y a conduit le Navire Anglois lá Lady-
Liveſtown , de 60 tonneaux , chargé de vin , d'eaude-
vie & de graine de lin.
Le Senaw Anglois la Providence , de 120 tonneaux
, ayant pour cargaifon 8 à 10 barriques
d'eau- de-vie , go barriqués de vieux fer , 7 balles
de lin , & 30 petits barrils de falpêtre , a été pris
par le Corfaire le Moiffonneur , de Calais.
Deux autres Corfaires de ce port , appellés ;
P'un le Don de Dieu , l'autre le Bart, ont remis à
11. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Dunkerque les ôtages qu'ils ont pris , pour affu
rer le paiement de quatre rançons montant enfemble
à 375 guinées .
Le Navire Anglois les Amis , de 200 tonneaux ,
chargé de farine , de biere , & d'autres vivres &
marchandifes deftinées pour Gibraltar , a été pris
par le Corfaire la Revanche , de Dunkerque , qui
l'a fait conduire au Havre.
Le Corfaire la Bellone , de Saint - Malo , a pris
& conduit à Cherbourg le Navire Anglois le Butterfly
, de 70 tonneaux , chargé de 130 futailles
de vin de Madere .
Il est arrivé à Saint -Malo deux prifes faites par
le Corfaire l'Augufte , de ce port : l'une eft le Senaw
l'Anne , de 120 tonneaux , chargé de riz ,
d'indigo & de bois d'Acajou ; l'autre eft le Sloup
l'Endeavour , de so tonneaux , allant de Briſtol
à la nouvelle Angleterre , avec un chargement de
vivres & d'autres denrées , deſtinés pour cette Colonie.
Le Capitaine Naguille , commandant le Corfaire
le Labourt , de Saint- Jean-de-Luz , a pris &
conduit à Bayonne le Navire Anglois la Liffe , de
Liverpool , ayant pour cargaison 296 boucauts de
fucre , 12 barriques de taffia , 10 barriques d'indigo
, 10 barriques de café , &c. & un autre bâtiment
chargé de goudron.
Le Chevalier Barrot , autre Corſaire de Bayonne
, a conduit à Saint-Sébaſtien un Navire Anglois
chargé de 450 barrils de riz & de quelques pelleteries.
1 I
On écrit du Havre de Grace , que le Corſaire
la Comteffe de Filtz-James , de 30 canons , a relâché
à Granville , après s'être longtemps battu
contre un Vaiffeau de guerre ennemi de o cas
Aons , qui n'a pu s'en rendre maître.
AVRIL. 1758. 195
eLe Capitaine Robert , commandant le Corfairela
Comtelle de la Serre , de Dunkerque , y a fait
conduire un Bâtiment , dont la cargaifon compofée
d'indigo , de fucre , de café & d'autres marchandiſes
, eft eftimée plus de trois cents mille
livres.
Le Navire Anglois la Prospérité , de Dublin , a
été pris par le Corfaire la Marquise de Mazelet ,
de Boulogne , qui l'a rançonné pour fept mille
deux cents livres.
Le Comte de Valence , autre Corſaire du même
port , a pris & conduit à Cherbourg un Bâtiment
Anglois chargé de laine , de fer , de taffia , & de
quelques barriques de fucre.
Il est arrivé à Saint- Malo un Corfaire Anglois
appellé la Défiance , de Jerzey, armé de 6 canons ,
6 pierriers & 74 hommes d'équipages : c'eft le
Corfaire la Bellone , de ce port , qui s'en eft rendu
maître.
On mande de Bayonne , que les Capitaines
Guillaume Lavernis & Pierre-Denis Labat , commandant
les Corfaires l'Aurore & le Chevalier
Barrau , de ce port , y ont fait conduire , l'un
le Navire Anglois le Guillaume , dont la cargaifon
confifte en huile de poiffon & en merrains ;
Pautre , un Bâtiment appellé le Tom , de Philadelphie
, chargé de riz.
1.
Le Capitaine de Laire , commandant le Corfaire
la Marquife de Nazelle , de Boulogne , s'eft
emparé des Bateaux Anglois le Moineau & la Bonne-
Amie, & il les a rançonnés , l'un pour so ,
l'autre pour 60 livres fterlings.
Les Corfaires le Comte de Valence & le Comte
d'Ayen , de Boulogne , ont fait conduire à Cherbourg
un petit Navire Anglois chargé de bled.
Le Navire Anglois la Providence , de Bristol ,
I ij
196 , MERCURE DE FRANCE.
armné de 8 canons , & ayant pour chargement 210
boucauts de fucre blanc , 20 tonneaux de gingem
bre , & 200 dents d'éléphant , a été pris par le
Corfaire le Macbault, de Grandville , & conduit
à Morlaix. 2
Le Capitaine Deftouches , commandant le Mara
quis de Marigny , autre Corfaire de Granville , a
rançonné pour 17000 livres un Navire Anglois
dont il s'étoit emparé.
Le Corfaire le Moras , de S. Malo , s'eft rendu
maître du Navire Anglois le Bafton , de 199 100-
neaux , dont la cargaison confifte en 1400 barrils
de goudron , so barrils de brai , & quelques doug
velles .
On mande de Bayonne qu'il y eft arrivé un Nad
vire Anglois appellé le Pemberton , de 450 ton
neaux , armé de 18 canons & de 4s hommes d'é
quipage , dont le Corfaire le Machault , de ce
Port , s'eft rendu maître .
S₁
BÉNÉFICES DONNÉS,
Majeſté a donné l'Abbaye du Tréport , Om
dre de Saint Benoît , Dioceſe de Rouen , à M.
Abbé Comte de Lagnafco , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi de Pologne , Electeur de Saxe , à
Rames l'Abbaye de Poultiere , même Ordre ,
Diocefe de Langres , à M. l'Abbé de Saintnom ,
Confeiller au Parlement ; l'Abbaye de Sainte Co
lambe , même Ordre , Diocefe de Seas (fur la démiffion
de M. l'Evêque de Mende ) à M. l'Abbé de
Livry, Evêque in partibus ; l'Abbaye de Saint
Crefpin- le - Grand , même Ordre , Dioceſe de
Soifons , à M. PAbbé d'Héricourt , Confeiller an
Parlement ; l'Abbaye de Lonlay , même Ordre ,
f
AVRIL 1758. 197
Dioceſe du Mans , à M. l'Abbé de Clery-de Serans
, Chanoine de Merz ; l'Abbaye de Quimperlé
, même Ordre , Dioceſe de Quimper , à M.
P'Abbé Berthelot , Inffituteur des Enfans de France
; l'Abbaye de Tirronneau , Ordre de Câteaux ,
Diocefe du Mans ( fur la démiffion de M. l'Evêque
de Mende ) à M. l'Abbé de Saint-Simon ,
Vicaire Général de Touloufe ; l'Abbaye de la
Cafe-Dieu , Ordre de Prémontré, Dioceſe d'Auch,
à M. l'Abbé de Vienne, Chanoine de Notre- Dame ;
PAbbaye de Saint Severin , Ordre de S. Auguf
tin , Diocefe de Poitiers , à M. l'Abbé de la Noue ;
P'Abbaye de Reffons , Ordre de Prémontré ,
Diocefe de Rouen , à M. l'Abbé de Salignac- de
Fénélon , Vicaire Général de Toul ; l'Abbaye
de Longuay , même Ordre , Dioceſe de Rheims
à M. l'Abbé de Saint-Capraire , Vicaire Général
de Troyes ; l'Abbaye Réguliere de S. Vincentaux-
Bois , Ordre de Saint Auguftin , Diocefe de
Chartres , à M. l'Abbé André , Vicaire Général du
même Dioceſe ; l'Abbaye réguliere de Villers-
Cotterets , Ordre de Prémontré , Diocefe de Soif
fons , à Dom Richard , Procureur Général de
T'Ordre l'Abbaye de Saint Bénigne de Dijon ,
Ordre de S. Benoît ( fur la démiffion de M. Def
marets ) à M. Poncet- de la Riviere , ancien Evêque
de Troyes; l'Abbaye de Montebourg , même
Ordre , Diocefe de Coutances ( fur la démiffion
de M. Poncer de la Riviere ) à M. l'Abbé Deſmarets
l'Abbaye de la Buffiere , Ordre de Câteaux ,
Diocefe d'Autun , à M. l'Abbé Paris ; le Prieuré
de Montrelais , Diocefe de Nantes , à M. l'Abbé
Jaloutz Vicaire Général de Cambray & l'Abbaye
de Saint Denis de Rheims , Ordre de S. Auguftin
, à M. l'Abbé Comte de Lodran , Chanoine
du Chapitre d'Olmatz,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE
MARIAGES ET MORTS.
MESSIRE ESSIRE Charles de Biotiere de Chaffincour ;
Marquis de Tilly , Chevalier Seigneur de Montfant
, de Ris , de Bau , du Treüil des Gardais , de
S. Martin , de S. Bluife , la Ronde les Giffiers , &c.
époufa le 9 de Mars , Damoiſelle Marie - Anne de
Durfort. La célébration du mariage fe fit dans la
Chapelle de l'Hôtel de Duras , & la Bénédiction
nuptiale leur fut donnée par M. l'abbé de Durfort,
Grand Vicaire de Narbonne.
La maison de Biotiere de Chaffincour ; eft une
des plus anciennes du Bourbonnois , d'extraction
militaire , & de cette nobleffe dont on peut trouver
P'origine même dans les temps les plus reculés,
on voit par fes titres qui font chez M. de Claframbault
, qu'elle a toujours été noble , & toujours
inviolablement attaché à fon Roi & à fa
Patrie.
Quant à la maifon de Durfort , pour tout dire
il fuffit de la nommer.
Meffire Louis- Joachim Paris Potier , Marquis
de Gefvres , Vicomte de Pledrau & du Pirruit ,
épousé le 4 Avril Françoife Marie du Guefclin',
fille de feu Bertrand Celar , Marquis du Guéfclin',
Meftre de Camp , Premier Gent homme de la
Chambre du Duc d'Orleans , & de Dame Marguerite
Bofc. La Bénédiction nuptiale leur a été
donnée à Saint- Ouen par le Cardinal de Gefvres.
Le Marquis de Gefvres eft fils de Louis - Léon Potier
de Gefvres , Duc de Trefmes , Pair de France,
Marquis de Gandelu , Lieutenant Général des Ar
mées du Roi , Gouverneur & Capitaine du Châ
AVRIL. 1758. 199
teau & Capitainerie Royale de Montceaux , &
Gouverneur Général de l'Ile de France , & de feue
Eleonore- Marie de Montmorency- Luxembourg.
Les perfonnes les plus qualifiées de la Cour & de
la Ville ont affifté à cette Noce , & toute l'affemblée
qui étoit nombreuſe a été traitée , avec autant
de goût que de magnificence.
M. le Marquis Defcars eft mort le 14 Février
à fa terre de la Mothe- Deſcars , près de Toulouſe,
dans la quatre -vingt- deuxieme année de fon âge.
Il étoit de la même maifon , mais d'une autre branche
, que les trois Officiers Généraux du nom de
Perreufe - Defcars , dont un eſt Maréchal de Camp,
un autre Colonel du Régiment de Normandie , &
le troifieme auffi Colonel du Régiment Defcars ,
Cavalerie .
Le 19 Février dernier mourut à Haguenau Dame
Magdeleine d'Aine , veuve de Meffire Etienne
Duvivier , Chevalier de l'ordre royal & militaire
de S. Louis , Commandant dudit Haguenau , âgée
de quatre-vingt- un an accomplis ; elle étoit foeur
puînée de Marins Bazile Daine , Ecuyer , Commiffaire
ordonnateur , & Infpecteur Général de
l'habillement des troupes de Sa Majefté , ayeul
de Meffire Daine , Maître des Requêtes. M.
Duvivier étoit décédé auffi à Haguenau en 1756,
il avoit été nommé Major de cette Place en
1704 , & Commandant en 1715. Il étoit entré
au Service dès l'année 1697. Ils ne laiffent point
d'enfans.
Meffire Louis - Anne-Jules Potier , Marquis de
Novion , mourut en cette Ville le 27 de Février
âgé de foixante-fept ans."
>
Le 27 Février , mourut dans fon Château de
Courtozé en Vendômois , Charlotte d'Alboin
époufe de Charles -Louis du Bouchet , Chevalier
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
de l'ordre royal & militaire de S. Louis , dit le
Marquis du Bouchet.
Elle étoit fille unique de Trophyme -Jofeph ,
Marquis d'Alborn , Chevalier de l'ordre militaire
de S. Louis , Lieutenant pour le Roi à Belle - Iſle
& d'Anne -Louiſe d'Azemard , foeur du Comte de
la Serre , Maréchal de Camp , Grand-Croix de
P'ordre militaire de S. Louis , Infpecteur d'Infanterie
, & Gouverneur des Invalides.
La branche du Marquis du Bouchet , eft un
faméau de celle de Malefre , puînée de la maifon
de Bouchet , depuis Seigneur & Marquis, de
Sourches. Simon , Chevalier , Seigneur de la Guionniere
, Jarfan , la Bouverie , la Fremondiere &c ,
3 fils de Jean , Seigneur de Malefre , auteur de
cette branche établie en Vendômois , fut Chambellan
de Charles VII ; furprit en 1429 , la ville
de Laval fur les Anglois , & fut déclaré exempt
de tous droits de franc- fiefs , comme noble & extrait
d'ancienne lignée le 18 Juin 1458. Il avoit
époufé en 1418 , Agnès de la Chapelle. Charles ,
fon fils , Seigneur de Jarfan , &c , partagea avec fes
freres , le 14 Octobre 1461 , & s'allia à Jeanne de
Mondoucet. Il en eut Jean , Seigneur de Jarfan
& c , majeur le 18 Mars 1 500 , lequel eut de Barbe
d'Amilly , entr'autres enfans , Bertrand , qui
fut Capitaine de so hommes d'armes , mort fans
hoirs ; & Nicolas , qui a continué la postérité , &c.
eur de Philippe de Franqueville plufieurs enfans
dont l'aîné Artus , Seigneur de Jarfan, &c , Chevalier
de l'ordre du Roi , Gentilhomme ordinaire du
Duc d'Alençon le 6 Septembre 1757 , épouſa Fran
goife de Beaufils : il en eut Lancelot , & Abel ,
Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi ,
Gouverneur de la Ville & Château de Preuilli , le
29 Décembre 1622. Lancelot , Seigneux de Jarfan,
AVRIL. 1758. 201
kc, Gentilhomme ordinaire de la Chambre du
Roi , Capitaine de se hommes d'armes , Gouver
neur du Vendômois & de la Ville & Chateau de
Vendôme , s'allia le 4 Février 1625 , à Géneviéve
de Tours il en eur Louis , Seigneur de la Grand-
Salle , Capitaine au Régiment de Mercoeur , marié
le 7 Février 169 , à Anne de Beaufils . Charles-
Louis , leur fils aîné , Capitaine de Grenadiers au
Régiment de Quercy , tué en 170s , à la bataille
de Caffano , s'étoit allié le 3 Janvier 1703 , à Su-
Janne d'Argy , dont eft iffu le Marquis du Bou
chet , marié le 11 Septembre 1740 , à Charlotte
d'Alboin qui donne lieu à cet article , & dont il ă
eu deux garçons & deux filles.
Meffire Jean-François de Bafchi , Marquis du
Caila , fils unique du Marquis d'Aubais , mourut
ây Château d'Aubais , Dioceſe de Nîmes , leé 28
Février , dans fa quarantie unieme année.
Meffire Prix Hay , Abbé Commandataire de
Abbaye Royale , de Brantome , Ordre de Saint
Benoit , Diocefe de Perigueux , eft mort à Auxerre
le 12 Mars , âgé de quatre- vingt ans .
圈
Il eft mort dans la Paroiffe de Lerat , Diocefe
de Rieux , une fille âgée de cent ſept ans , nomé
mée Catherine Reymon , native de Montefquiou
Quinze jours avant fon décès , elle avoit encore.um
appétit furprenant , & buvoit furtout beaucoup
de vin..
Le fieur Alboug , Curé de Saint André de Val-
Borgne , dans le Diocèfe d'Alais , qui gouvernoir
cette Paroiffe depuis 1680 , eft auſſi décédé depuis
peu , au même âge de cent fept ans. H ne buvoit
point de vin , & depuis fon enfance il në vivois
que de légantess
202 MERCURE DE FRANCE
SUPPLEMENT
A LA PARTIE FUGITIVE...
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
t
MONSIEUR , il eft naturel de vous prendre
pour Juge dans le différend poétique,
qui s'eft élevé entre ma foeur & moi ; &
vous ne pourriez vous récufer dans certe
caufe , quoique vous y foyez intéreffé
fans nous faire le plus fenfible déplaifir.
Voici le fait. Nous nous difputons qui de
nous a le mieux réuffi, dans les vers cijoints
, que nous avons faits en réponſe à
ceux que vous adreffez à M. le Contrôleur
Général dans ce dernier Mercure. Lifez
Monfieur , & prononcez nous ferons
d'accord. Mais comme chez un galant- hom
me , le coeur prend fouvent la place de
refprit , quand il s'agit des intérêts du
beau fexe, c'est pour obvier à cet inconvénient
, que j'ai cru devoir vous cacher
lequel de ces deux petits morceaux eft de
ma foeur. Si par hazard , Monfieur , vous
trouviez qu'ils méritaffent , foit en les
laiffant féparés , foit en les fondant enfemble
, l'attention du public , je ferais.
AVRIL 1758.. 203.
fort aile , ainfi que ma foeur , qu'il vît
par le moyen du Mercure , ce témoignage.
de l'admiration que nous avons pour vos
talens , & de l'eftime parfaite avec laquelle
j'ai l'honneur d'être , & c.
Le Chevalier DE JUILLY -THOMASSIN ,
Garde du Corps du Roi.
A Arc- en - Barois , Le 14 8. Février 1758
RÉPONSE
AuxVers de M. Tanevat , à M. le Contrôleur
Général.
POURQUOI donc fi mal préfumer
Des nouveaux accords de ta lyre ?
Comme autrefois , ta verve a droit de nous charmer
,'
Tu n'éprouvas jamais de plus heureux délire.
A fes tranfports fans crainte abandonne tes fens. i
Ta mufe femble n'être encor qu'à fon printemps
Pourrois-tu nous priver de ce qu'elle t'infpire
Quand exprimant tes voeux , par des fons ravif
fans,
Tu rends à ton Héros ce légitime hommage ;
Chacun , cher Tanevot , t'admire & le partage
Et l'oreille des Dieux , jaloux de ton encens,
Se plaît , fans doute , à tes accens
Tu parles leur plus pur langage.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE
AUTRE.
Tu ne formas jamais ni des voeux , ni d'accens ,
Plus dignes du grand homme à qui tu rends hom
mage ;
Jupiter eft jaloux de ton nouvel encens ,
Et Phébus l'eft de ton langage.
REPLIQUE de M. Tanevot.
DAN'S ANs cette aimable lutte , à ma gloire entred
prife,
L'efprit ne reconnoît qu'un avantage égal :
L'on peut des mêmes fleurs , fans crainte de més
prife ,
Couronner à la fois l'un & l'autre Rival :
Que ne puis- je au Parnaffe en cueillir des plus
belles ..
J'en ornerois le front du frere & de la foeur ;
Les Pierides immortelles
Ne m'ont point accordé la charmante douceur
De moiffonner ces plantes fi chéries ,
Qui par le temps ne font jamais Rétries:
Nez tous deux pour vous reflembler ,
Vous avez le même génie ;
Et les talens , prompts à vous accoupler,
N'ont pas moins que le fang mis en vous d'hier
monie ;
Je gagerois qu'aux champs de Mars,
Prête à braves tous les hazards ,
AVRIL 1758. 20
Là foeurfùivant le frete ou le danger domine ,
Pour ne lui rien céder , feroit une héroïne.
ORDONNANCE de Monfeigneur l'Intendant
, de la Généralité de Rouen ,
qua
accorde anx Habitans de la Campagne
qui entretiennent des Mouches à miel , une
diminution de leur Capitation proportion
née au nombre de Ruches qu'ils auront
chaque année. Du 19 Novembre 1757%
ANTOINE- Paul- Jofeph Feydeau-de Brou , Che
valier , Confeiller du Roi en fes Confeils , Ma
tre des Requêtes ordinaires de fon Hôtel , Inten
dant de Juftice , Police & Finances en la Généra
Ité de Rouen. Etant informés que plufieurs ha
bitans de la campagne s'appliquent avec fuccès
élever & à entretenir des ruches à miel , nous avons
eru devoir , en les récompenfant de leurs foins
encourager ce genre d'induſtrie , capable de ré
pandre de Paifance dans les campagnes ; & d'y
accroftre les progrès de la culture , qui en font la
fuite néceffaire . Nous fommes portés d'autant plus
volontiers à former & à fuivre cette réfolution ,
qu'outre les avantages que la culture pent en retirer
, il en résultera également un avantage pour
le commerce , qui ne fera plas obligé de tirer de
l'étranger une auffi grande quantité de cires que
celle qu'il fait venir aujourd'hui en France , où la
confommation en devient de jour en jour plus
confidérable. Nous avons cru ne pouvoir exciter
plus furement les habitans de la campagne à fe
livrer à cette branche d'induſtrie qui s'allic fi nay
LOG MERCURE DE FRANCE.
turellement avec la culture des terres , qu'en ac
cordant , à ceux qui s'y appliqueront avec une
certaine émulation , des récompenfes qui , en
même temps qu'elles leur feront utiles , ne tour
neront point au préjudice de leurs concitoyens &
n'en augmenteront point les charges.
3
ART. 1. Ceux qui auront dix ruches garnies de
mouches à miel au mois d'Avril de chaque année ,
jouiront de cinq livres de diminution fur leur capitation
, pendant les fix premieres années ,
compter du mois d'Avril prochain , & plus long
temps même , s'il eft jugé néceffaire ; & fi leur
capitation ne monte point à cette fomme , ils fesont
déchargés du payement entier de celle à la
quelle ils étoient impofés.
II. Ceux qui auront vingt- cinq ruches gar
nies de mouches à miel au mois d'Avril , outre
les cinq livres de diminution far la capitation
jouiront encore du privilege d'être taxés d'office
à la taille ; & pour nous mettre en état de déterminer
la fomme à laquelle ils devront être taxés ,
ils feront tenus à nous repréfenter les quittances
des fommes qu'ils ont payées les trois années précédentes.
III. Ceux qui auront quarante- cinq ruches à
miel , jouiront du privilege d'être taxes d'office ,
& ils auront vingt livres de diminution fur leur
capitation.
7.
IV. Voulons que ceux que nous aurons ainfi
taxés d'office , ne puiffent être augmentés à la
taille , capitation , induftrie & autres impofitions ,
pour raifon dudit commerce tant qu'ils entretiendront
la quantité de ruches portée par l'arti
cle fecond , ou même une plus grande quantités
finon au marc la livre de l'augmentation de taille
que nous aurions été obligés de donner à leur pas
AVRIL. 1758. ἐσχ
toiffe , lors de nos départemens , & auffi feule
ment par proportion aux nouvelles occupatione
qu'ils pourroient prendre , & aux acquisitions
d'immeubles qu'ils auroient faites.
V. Pour nous mettre en état de faire jouir des
avantages accordés par les articles précédens ,
ceux qui auront été dans le cas de les mériter
nous ordonnons qu'ils feront tenus de nous repré
fenter pendant le cours du mois d'Avril de cha→
que année , un certificat figné du Syndic & de
quatre principaux habitans de la Paroiffe , qui
contiendra le nombre de ruches à miel que poffé
dera celui ou ceux qui defireront jouir defdits
avantages , & ledit certificat fera vité d'un de nos
fubdélégués , avant que de nous être envoyé.
VI. Défendons , fous telles peines qu'il appar
tiendra , de faire aucunes fauffes déclarations , ni
de chercher à furprendre notre religion par des fi
gnatures données à la follicitation & fans connoiffance
de cauſe.
VII. La diminution que nous accorderons fur
la capitation de ceux qui auront été dans le cas de
l'obtenir , ne fera point rejetée fur les autres ha→
bitans; mais elle paffera en décharge dans les
comptes des receveurs des tailles , en vertu des
ordonnances que nous rendrons à cet effet. Fait à
Rouen , en notre hôtel , le If Novembre 1757-
Signé , Feydeau. Et plus bas : Par Monfeigneur
Dailly.
AVIS.
Las heureux fuccès que produit le vinaigre re
main pour la conſervation de la bouche , prou
yent que cette compofition eft la plus parfaite qui
208 MERCURE DE FRANCE .
fe foit trouvée. Ce vinaigre blanchit les dents
arrête le progrès de la carie , empêche que les
autres dents ne fe carient , & prévient l'haleine
forte. Le vinaigre de Turbie le débité avec une
zéushte parfaite pour la guériſon du mal de dents ,
comme auffi différentes fortes de vinaigres ſervans
à ôter les boutons , tâches du vifage , dartres fa→
sineuſes , blanchir la peau , & noircir les cheveux
& fourcils roux ou blanes . Ces vinaigres ſe vendent
chez le fieur Maille , Vinaigrier - Diſtillateur
de leurs Majefté Impériale , & le feul pour la com
pofition de ces fortes de vinaigres. Il tient maga→
fin de vinaigres au nombre de cent ſoixante-douze
fortes. Il demeure à Paris rue S. André des Arts
La troifieme porté cochere à droite par le bout qui
fait face à la rue de la Huchette aux Armes Impé
riales . Les moindres bouteilles font de trois livresj
Aux perfonnes de Province qui défireront fe pro
curer ces fortes de vinaigres en écrivant une lettre
d'avis au fieur Maille , & remertant Pargent par
la pofte le tout affranchi , on leur fera tenir exace
tement le vinaigre , ainfi que la façon de s'en feri
vir. Le fieur Maille , après qu'il aura eu l'hon
meur de préfenter à leurs Majeſtés Impériales , de
nouveaux vinaigres en couleur qui n'ont pointen
core parus , les annoncera dans les Mercures in→
ceffamment. ร์
A U T R E.
La fieur Mangin, maître Perruquier à Paris ,
Fue Montmartre à côté de la porte cochere de l
Juffienne , que nous avons déja annoncé dans le
Mercure de Janvier dernier , comme ayant le fe
eret d'une eau dont les propriétés fant , de come
AVRIL 1758. 200
per
ferver, nettoyer les dents , & en appaifer & diffi
les douleurs , a encore le fecret d'une farinė
qui blanchit parfaitement les dents ; la manierede
s'en fervir , eft de tremper le doigt dans l'eau
fufdite , & enfuite dans la farine à plufieurs fois ,
& de s'en frotter les dents. Le prix de chaque pe
tite boke de farine , ainsi que de chaque fiolle
d'eau , eft de 24 fols.
MONSTEUR
AUTRE.
ONSIEUR Marchand continue à faire des cures
admirables avec le fecret qu'il a trouvé de guérir
les loupes & les chancres. Il vient d'opérer la
parfaite guérifon du pere Tiburce Denielle , Gar
dien des Recollets d'Arras , d'une loupe monf
trueufe qu'il avoit fur le nez , fous laquelle étoit
un chancre qui pénétroit jufqu'au cartilage. Mrs
Jes Médecins & Chirurgiens jugeoient fon mal incurable
, il eft aujourd'hui fi parfaitement guéri
qu'on ne voit pas fur fon nez la moindre marque
qu'il y ait eu du mal . Monfieur Marchand demeu
re rue du Chantre près du Louvre , à Paris .
AUTRE.
ON conftruit & arme actuellement à Safenelle ;
près la ville de Caën , deux frégates nommées le
Comte & la Comteffe d'Harcourt. La premiere
de 150 pieds de longueur de tête en tête , montant
trente pieces de canon de 12 livres de balle
en batterie , 4 pieces dé 18 dans fon entrepont ,
& 14 pieces de 6 fur fes gaillards , avec so pier
piers , bordant 40 rames ou environs. La feconde
de 145 pieds de longueur , de tête en tête , mone
210 MERCURE DE FRANCE.
tant 28 pieces de canon de 12 livres de balle en
batterie , 4 pieces de 18 dans fon entrepont & 8
pieces de fur fes gaillards , avee 40 pierriers ,
bordant 36 rames ou environs. Les deux frégates
font armées pour faire la courſe enſemble contre
les ennemis de l'Etat , avec 1000 à 1100 hommes
d'équipages & les menues armes à proportion , &
dont l'armement pourra monter en total à fix cens
mille livres ou environ , ceux ou celles qui voudront
s'intéreffer dans ledit armement , auront la
bonté de s'adreffer à Paris , chez Mrs Chabert &
Banquet , Banquiers , rue Thévenot , dans le cul
de- fac de l'Etoile . A Rouen , chez M. Marie
Ecuyer , Maire de ladite Ville , rue gros Horloge.
A Caen , à M. Legaigneur , place S. Pierre , armateur
defdites deux frégates , lefquels recevront
les foufcriptions & recevront les actions qui font
de 1000 livres pour la facilité du public , & pour
mieux fatisfaire Mrs les intéreffés , ils nommeront
s'ils le jugent à propos quelqu'un pour être préfent
aux ventes des prifes , qui pourront être faites
par lefdites deux frégates , & les fonds qui en
proviendront , feront mis à furt & à meſure de la.
rentrée à un chacun au prorata de ſon intérêt
fans attendre la fin de la courſe entiere. Le tout par
le fieur Legaigneur , qui rendra compte des mifes
& benéfices rélativement aux ordonnances de Sa
Majefté.
MADEMOISE
AUTRE.
ADEMOISELLE Geraudly , niéce & éléve de
feu M. Geraudly , feule privilégiée du Roi , dé
bite journellement dans fa maifon , rue d'Orléans ,
quartier S. Honoré , vis-à-vis l'hôtel de la Prove
AVRIL 1758. 277
dence , au fecond fur le derriere. 1º . Un élixir
qui fortifie les dents qui branlent , & qui fait croître
les gencives. 2° . Un opiat qui nettoie & blanchit
les dents. 3 °. Une effence qui appaife & guérit
fur le champ les douleurs des dents . Les prix
font marqués fur chaque bouteille , fur chaque
pot & fur chaque boîte.
AUTRE.
La fieur Villermé , qui-s'eſt fait annoncer il y'a
plufieurs années dans le Mercure pour la guérifon
des écrouelles , avertit de nouveau le public qu'il
continue de traiter ces maladies avec tout le fuccès
poffible. Ce n'eft , comme il l'a déja marqué ,
ni par des opérations , ni par des topiques , qu'il
parvient à les guérir. Appliqué depuis longtemps
à connoître & à fuivre ces torres de maladies , il
fçait que ces moyens ne peuvent être qu'infiuctueux
, & qu'une affection générale & habituelle ,
qui a fon principe dans toute la mafſe du fang , ne
fe détruit pas comme un mal paffager. Il emploie
intérieurement des remedés , dont une longue expérience
lui a confirmé la propriété & l'efficacité ,
& il a la fatisfaction avec plus ou moins de temps
fuivant les différens fujets , de rendre à leurs pa
rens des enfans dont la fanté & l'embonpoint les
étonnent , après les lui avoir donnés dans un état
qui leur paroiffoit défefpéré. L'on fouhaiteroit
peut-être que le fieur Villermé , pour prouver ce
qu'il avance, produifft quelque certificat ; mais
quel eft celui qui voudroit confentir qu'il apprît au
public que c'eft fon enfant qu'il a guéri ? Perſonne
ne veut être connu, & il doit par état & par confidération
, garder le filence là- deffus. Tout ce qu'i
212 MERGURE DE FRANCE.
fe croit permis , c'eft d'affuret qu'il ne cherelle
pas à en impofer , & qu'il ne dit ici rien qui ne
foit exactement vrai. Sa demeure est toujours à
Lardy , à 2 lieues d'Arpajeon , & à neuf de Paris,
route d'Orléans.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond volume du Mercure du mois d'Avril ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
Pimpreffion. A Paris , ce 13 Avril 1758.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
LE Chêne & le Temps , Fable à Madame …..
page s
Réflexions fur l'Inconftance , qui tiendront lien
d'un Conte ,
L'Aveu ingénu ,
Lettre à M. de Boiffy,
19
20
Lettre en réponse à M. l'Abbé de ….. Chanoine
d'Autun 22
Vers d'une jeune Ecoliere fur le retour d'un Abbé
de fes amis , & Envoi à M. de Boiffy , 39
Lettre à M. de ... für la durée de certaines Paffions
,
40
L'Hyver & le Printemps , par M. Varé , à Gran=”
ville
Réponſe aux Remarques inférées dans le Mercure
21
de Février dernier , touchant les Réflexions de
M. de Vauvenargues au fujet de Rouffeau , 46
Lettre de M. l'Abbé Aubert à M. de Voltaire , en
lui envoyant le Recueil de les Fables , 52
Réponse de M. de Voltaire à M. l'Abbé Aubert, 54
Rondeau ,
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Mercure du mois d'Avril ,
Enigme ,
Logogryphe
.
56
57
58
Chanfon
à Mademoiſelle
D.
R.
pour
l'engager
à
paffer
quelques
jours
de
plus
qu'elle
ne
vouloić
à la maison
de
campagne
de
M.
D... 60
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES .
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
61
73 Lettre à M. de Boiffy ,
Lettre à Auteur du Mercure , & Réflexions fur
la Differtation militaire de la Colonne , &c. 84
Précis & fragmens de l'Examen abrégé des diffé
rentes Iphigénies en Tauride , en forme de
Lettres adreffés à M. de V... par M. G... D... 92
émoire des Libraires affociés à l'Encyclopédie ,
fur les motifs de la ſuſpenſion actuelle de cer
Ouvrage , 97
ART. III. SCIENCES BT BELLES LETTRES,
Hiftoire Naturelle. Second Cours public fur l'hif
toire naturelle , concernant les minéraux , les
végétaux & les animaux , relativement aux Arts
& aux Métiers, &c. par M. Bomare-de Valmont,
105
107
Médecine . Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Chirurgie. Obfervation fur les Injections , 112
Lettre à l'Auteur du Mercure fur les Accouche
mens
121
214
Projet de Soufcription pour la Carte générale de
France , en 173 feuilles , propofé par M. Caffini-
de Thury ,
130
Affemblée, publique de l'Académie des Infcriptions
& Belles-Lettres j 135
Séance publique de l'Académie Royale des Sciences',
Séance publique de l'Académie de Befançon , & c.
ART. IV. BEAUX-ARTS.
137
138
145 Mufique ,
Fragment d'une Lettre écrite de Venife , 146
Peinture. Lettre à M. l'Abbé Pernetti , Chevalier
de S. Jean , à Lyon ,
Gravure ,
157
162
Gnomonique. Lettre à M. de Boiffy , fur un Cadran
Solaire ,
Opera ,
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe
Comédie Italienne
Concert Spirituel ,
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
Bénéfices donnés ,
Mariages & Morts ,
Supplément à la Partie Fugitive ,
163
165
ibid.
167
170
175
"
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c , #1184
196
198
202
Réponse aux Vers de M. Tanevot, à M. le Contrôleur
Général ,
Replique de M. Tanevot ,
203
204
205
207
Ordonnance de M. l'Intendant , de la Généralité
de Rouen , &c.
Avis divers ,
44 De l'Imprimerie de Ch, Ant. Jombert.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
MA I. 1758.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Jinain
PapillonSculp 1778.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Rei.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols &
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du pori fur
leur compte , ne pajeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant peur
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
Aij
1
Onfapplie lesperfonnes des provinces d'en
voyerpar la pofte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
•Les paquets qui neferont pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un
en état de
répondre
chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de refter à fon Bureau les Mardi , Mercredi
✔ Jeudi de chaque femaine , après- midi .
Comme , à commencer du premier Juin
prochain , on doit délivrer dans le courant
d'une année 16 volumes de l'Ouvrage intitulé
, Nouveau Choix des anciens Mercu
res, & autres Journaux , aux mêmes conditions
, & pourle même prix que le Mercure
de France , on avertit les perfonnes qui
defirent avoir cet Ouvrage d'envoyer le
montant de leur abonnement
chez M. Rollin
, Libraire , quai des Auguftins , où fera
à l'avenir le Bureau , & de s'adreffer au
Sr LERIS , demeurant chez ledit Sr Rollin ;
cependant comme ce NouveauChoix a toujours
une liaiſon intime avec le Mercure de
France , on peut auffi fe le procurer par la
voie du Bureau du Mercure , & ces deux
Ouvrages feront même portés enfembles
ceux qui les prennent par abonnement
MERCURE
DE FRANCE..
MAI. 1758.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES DEUX CHIENS ET LE CHAT,
FABLE.
MORTELS , qui ne prenez que la haine
guide ,
pour
N'apprendrez-vous jamais , race ingrate & pera
fide ,
A quel deffein le Ciel vous a doués d'un coeur ?
Il voulut vous faire un bonheur
A iij
G
4
MERCURE DE FRANCE.
De chérir , d'aider vos femblables .
Renoncer à cette douceur ,
Envers l'humanité , c'eft vous rendre coupables ;
C'eft profaner du Ciel le don le plus flatteur.
Veux-tu qu'à tes defirs les Dieux foient favorables &
Lecteur , imite- les , & fois compatiſſant.
Le plaifir d'être humain devroit- il coûter tant ≥
Il nous offre de fi doux charmes !
L'infenfibilité n'offre que de l'enaui.
Malheureux celui qui d'autrui
N'a jamais partagé les larmes !
Deux Chiens logeoient dans la même maiſon.
Comme voifins , ils avoient l'un pour l'autre *
Une rare amitié , dit-on .
Le naturel du Chien , par fois , vaut bien le nôtre;
De la riche Aglaé l'un étoit le Toutoa ,
Et l'autre le Barbet de la pauvre Claudine.
Celui- ci logé dans un trou ,
Près du grenier , faifoit maigre cuifine.
Celui- là commenfal d'un fuperbe logis ,
Ne vivoit que de mets exquis.
Mais , admirez d'un Chien la pitié ſecourable :
Toutou nourriffoit fon voifin ;
Toutou n'étoit d'aucun feftin ,'
Qu'il n'offrêt à Barbet quelques plats de fa table.
Sur un point feulement il avoit du chagrin :-
Aglaé qui craignoit de lui gâter la taille ,
Car elle étoit , dit - on , folle des animaux ,
Pour régaler Barbet , comptoit trop fes morceaux
+
MA 1. 1758.
fl avoit beau s'en plaindre. Enfin , vaille que
vaille ,
Barbet partageoit fon deftin ,
Barbet ne mouroit pas de faim .
Les foins du bon Toutou n'étoient vus de per
fonne.
Notre Chien , difoit - on , eft devenu gourmand ;
On ne fçait ce qu'il fait de tout ce qu'on lui
donne,
Les
gens le maltraitoient : le monde eft fi mé
chant !
Toutou pâtiffoit , mais n'importe.
Son frere étoit encor cent fois plus malheureux,
Sur l'efcalier , près de certaine porte ,
Etoit un coin , bien connu de tous deux ,
Que recéloit les dons du Toutou généreux ;
Là chaque jour Barbet fe reconforte.
Nos deux Chiens vivant de la forte ;
Un dévot Chat , compagnon de Toutou ,
Le vit porter en ce lieu fa pitance.
Frere , dit -il , es - tu donc fou
Quelle loi pour un gueux t'oblige à l'abſtinence
Laiffe- le faire diette , & manges tout ton faou.
L'honnête homme de Chien , fans fe mettre en
colere ,
Lui dit , fi vous fçaviez quelle félicité
L'on goûte à foulager autrui dans fa mifere ,
Vous auriez pour Barbet la même charité .
Du peu dont je me prive il fera grande chere.
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ne fuis - je pas heureux d'avoir ce fuperflu ,
Pour appaiſer la faim d'un frere >>
Je conçois qu'un bon coeur peut aimer la vertu ,
Pour le feul plaifir de bien faire.
Alte-là , votre Chien a beaucoup trop d'esprit ,
Dira quelque Cenfeur , il parle comme un livre..
Qu'il parle bien ou mal , retenons ce qu'il dit ;-
Ses préceptes font bons à fuivre.
L'Abbé AUBERT.
LES ABSENS ONT TORT ,
MAXIME FRANÇOISE ;
Conte à Madame P. de M... de Ľ. . .
JE
3
E ne fuis furpris que de votre étonnement
, Madame ; je vous avois prédit que
les portraits & vos réflexions feroient furieufement
élagués dans le Conte du Verrenaturel
ou des Conferves , qu'on vient de
mettre dans le Mercure de Mars. Plus
j'applaudiffois aux idées que vous me donniez
; plus je les trouvois légeres , délicates
, fatyriques ; plus j'avois fujet de vous.
dire que le judicieux Auteur du Mercure
fupprimeroit tous ces détails. Je ne croyois
pas , à la vérité , qu'il portât le fcrupule fi
loin. Mais applaudiffez à fa fageffe . Je
MAI. 1798 ༡
fçais que vos portraits n'étoient que d'ima
gination mais vous faififfez fi adroitement
le ridicule , qu'on trouve aiſément
des originaux à qui les appliquer. Un ami,
à qui je viens de montrer le Conte tel
qu'il eft , & qui eft au fait de mille anecdotes
, m'a affuré que le trait du gros Prélat
, celui de l'Abbé & de fon intrigue du
licentié , les détails des Auteurs & des
Actrices , des Artistes , & d'autres que je
ne veux feulement pas rappeller , étoient
peints d'après nature , & que les hiftoires
& bagatelles que vous imaginiez pouvoir
arriver , étoient arrivées en effet (1).
Les combinaifons font immenfes dans
eet Univers , en hiftoire comme en phyfi
que , Madame ; il eft des Auteurs qui prétendent
même qu'en une infinité de jets
de caracteres d'imprimerie , il pourroit
s'en rencontrer un qui vous préfenteroit
tout d'un coup l'Odiffée d'Homere ou la
Henriade de Voltaire.
C'est done parce que vous aviez trop
bien imaginé que le Conte dont vous m'a--
viez fourni l'idée , donné les matériaux ,
(1 ) Nous fommes très-obligés à l'Auteur de
faire fi bien notre apologie . C'eft malgré nous ques
nous avons coupé des Portraits excellens en euxmêmes
; mais trop vrais en même temps pour ne
pas bleffer ceux qui y font bien caractériſés.
Aav
10 MERCURE DE FRANCE .
& prefqu'arrangé les portraits , eft réduit
à fi peu de choſe. Laiffons - en la fuite qui
auroit un même fort , & que je n'enverrai
point. Vous conviendrez encore , Madame,
qu'il y avoit des chofes qui, trois mois
avant , étoient d'une louange délicate &
naturelle , & qui , dans le temps où le
Conte a été publié , auroient peut - être
paru une fatyre condamnable . Votre Angloife
fera mieux accueillie de M. de Boiffy
( 1 ) , n'en doutez pas. Son attentions
fcrupuleufe à éviter le plus petit trait of
fenfant , eft connue de tout le monde . Si
l'admiration que vous avez pour lui pouvoit
augmenter , ce feroit une raifon pour
la faire croître. Je vous prie , au refte , de
ne point adopter la maxime Françoife qui
fert d'épigraphe à ce Conte. Je fouhaite
(1 ) Oui fûrement , nous remercions les aimables
Auteurs du préfent qu'ils nous ont fait d'un
Conte fi intéreflant. Le caractere de la jeune &-
tendre Lady eft admirable. La derniere moitié du
Conte nous a paru fi touchante , que nous fçavons
gré à l'Auteur d'avoir fauvé fi à propos les
jours expirans de cette Angloife . Nous n'avons
rien lu fans exception qui nous ait tant touché ,
que l'inftant où le pere de Lady préfente fi à
propos notre jeune François pour renouer une f
belle vie , & unir ce que l'amour a formé de plus
parfait. Nous avons pris la liberté de couper quel
que chofe à l'Aventure de la Françoife , & furtque
le paffage latin qui nous a paru déplacé..
MA I. 1758.
✦ous revoir avec les fentimens de la jeune
Lady , & ne crains rien de la confomption .
Votre gaieté , la lecture , & plus que tout
cela , l'air du canigou & de nos montagnes
met à couvert d'une maladie auffi effrayante.
Si vous en étiez attaquée , deux perfonnes
en mourroient . Vous aimez lafingularité
, je le fçais ; vous feriez la premiere
Françoife attaquée de ce mal ; il fuffiroit
pour vous rendre immortelle dans les faftes
de notre Nation ; vous l'emporteriez
fur Arthémife, & tant d'autres . Cette raifon
eft féduifante ; mais croyez- moi , ne vifez
pas à tant de gloire .J'ai l'honneur d'être, & c .
Le Comte de Philette partit de la cour ,
pour voyager dans les Cours étrangeres.
Son pere avoit été employé dans les négociations.
Il deftinoit fon fils à fuivre
fon exemple , à profiter de fes leçons , & à
fervir l'état. Il avoit trop bien mérité du
Prince & de la Nation , pour ne pas efpérer
que fon nom feroit un titre , & le mérite
de fon fils , un fujet d'efpérance de le
voir réuffir.
Philette partit en verfant des pleurs
ameres. Son coeur étoit plein d'une vraie
paffion pour la jeune veuve d'un de ces
riches Milords François , qui tiennent
comme ceux d'Angleterre , leur état d'una
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
bon du Prince. Enfin Mélite à vingt & un
an , avoit pleuré deux jours un Fermier Gé
néral ; qui lui laiffoit la dot d'une Princeffe.
Philette n'avoit point été touché du
bien & de l'efpérance des richeffes. Les
traits intéreffans de la veuve avoient commencé
fa défaite. Son efprit , & un caractere
de fentiment & de tendreffe avoient
achevé de le rendre éperdument amoureux.
S'il avoit pouffé plus loin fon examen , la
légéreté & l'inconftance de Mélite l'euffent
rendu à lui-même & à fon indifférence.
Le pere de Philette avoit feint d'ignorer
fa paffion. Il ne vouloit ni la défapprouver,
ni y applaudir. Il laiffoit au temps à déçider
du fort de fon fils .
ges ,
Deux ans s'étoient paffés dans des voyaoù
Philette avoit continué de jurer
un éternel amour à Mélite. Le myftere de
cette paffion , & le goût de l'étude & des
livres avoit partagé tout le temps de Philette.
Il paffoit pour un homme profond , a
vingt ans. Il étoit parti avec des regrets &
une fincérité d'attachement que notre fiecle
ignore. L'abfence de Mélite ne la dimi-.
nua point.
Toute fon occupation étoit , avant fon
départ , d'aimer Mélite , & de le lui dire ,
de faire fa cour & d'étudier. Toute fon
occupation fut depuis d'étudier , d'aimer
MA I. 1758
:
•
Mélite & de lui écrire. Ses lettres étoient
paffionnées & fes fentimens vrais. Mélite
* répondoit avec ce feu , ce naturel & cette
naïveté charmante , qui donne la fupério
rité à ſon ſexe fur le nôtre dans ce genre
d'écrire. Elle crat n'y pas réuffir. Elle étoit
belle ; elle avoit de l'efprit . On ne ſe
fuadera pas que le doute de fon ftyle ne:
de modeftie.
vint
que
per-
Mélite lia connoiffance avec un Sçavant,
homme d'efprit. Elle lui confia fa paffion
& fon embarras . Il devint en même remps
le confident & le fecretaire. Sous ce Maître
, elle écrivit de grands mots , de belles
phrafes , de l'efprit & de beaux fentimens.
Elle ne parla plus le langage du coeur .
Philette fentit la différence , fans en foupçonner
la caufe. Il s'en plaignit tendrement.
Lifius profita du moment , Mélite
lui plaifoit. Il commençoit à plaire. Il per
fuada à Mélite que les plaintes de fon
Amant annonçoient le changement de fa
tendreffe . Elle le crut : elle s'en confola.
Lifius étoit à fes pieds , & lui juroit un
amour extrême. Il mêloit à fes fermens des
geftes expreffifs. Mélite n'étoit occupée
qu'à fe défendre de fes tranfports . Le
trouble augmenta , l'embarras la rendit
moins attentive. Lifius triompha , car Philette
étoit loin- ; & nous l'avons dit dès le
14 MERCURE DE FRANCE.
commencement , chez les François , les ab
Jens ont tort.
Le réflexion vint à Mélite : elle fe rappella
le nom de fon Amant. Lifius lui plaifoit
; mais elle ne pouvoit quitter l'efpérance
de devenir Dame de la Cour , &
renoncer pour un Amant en us au rang
que devoit lui procurer le mariage de
Philette.
Elle feignit , & fes lettres devinrent plus
animées . Elle les écrivit elle - même . Les
heures qu'elle paffoit avec Lifius, n'étoient
plus occupées à écrire fous fa dictée. Elle
parloit à Philette le langage le plus naturel .
de la paffion , & elle lui peignoit tout l'amour
dont elle goûtoit les charmes avec
Lifius.
Philette avoit vu l'Italie & l'Allemagne.
Il étoit en Angleterre , & vouloit finic
par là fes voyages , & étudier cette Nation
profonde , dont le caractere eft fujet à de fi
étranges alternatives , & où les vertus font
fouvent des défauts par l'excès où l'on les
porte.
Il avoit été préfenté à la Cour par l'Ambaffadeur
de France. Il étoit lié chez les
grands , & fon caractere le rendoit cher à
tous . Une jeune Lady qui avoit une paffion
extrême pour le françois qu'elle entendoit
très - bien , mais qu'elle parloit.
MAI. 1758." IST
>
comme prefque toutes les perfonnes de fa
Nation c'eft- à- dire avec des fifflemens
qui choquent nos oreilles , cherchoit avec
empreffement à fe trouver avec Philette.
Elle aimoit à l'entendre parler. Elle le
prioit de l'inftruire , de la reprendre ; elle
l'engagea même à la voir chez elle , pour
donner plus de temps à cet exercice. Philette
étoit d'une politeffe & d'une attention
extrême ; il n'en avoit pas befoin
pour le prêter aux defirs de la jeune Lady.
Il étoit galant : elle étoit belle .
Elle étoit grande ; elle avoit une taille
charmante , des yeux tendres & languiffans
, des traits réguliers , une belle main ;
elle avoit du teint , ce que n'ont pas ordinairement
les Angloifes . Elle avoit enfin
tout l'éclat de leur blancheur , fans la fadeur
qui l'accompagne
.
Le Comte la voyoit fouvent ; elle le
cherchoit ; j'en ai dit le prétexte : peutêtre
ne pénétroit- elle pas elle - même le
vrai motif de cet empreffement. Pour qui.
le coeur , & furtout dans les premieres.
paffions , n'eft- il pas une énigme ?
Les fentimens de la jeune Angloife n'er
auroient pu être une pour
Philette , s'il
n'avoit été préoccupé de fon premier
amour. Il étoit des mots qu'elle aimoit à
zépéter avec lui , qu'elle lui faifoit redite
16 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle repétoit encore , qu'elle feignoit
fouvent de mal prononcer , pour les entendre
plus fouvent fortir de la bouche de
Philette . Ses yeux rendoient tout le feu &
la paffion que ces mots expriment. Elle le
regardoit tendrement : elle lui faifoit des
queftions. Une langue nouvelle développe
de nouvelles idées , & la jeune Angloife
en éprouvoit plus qu'on ne fçauroit dire.
Elle apprenoit par coeur certains morceaux
de Télémaque , livre favori des Anglois
par la fatyre qu'ils croyent y voir du
regne de Louis XIV , par fes principes fur
que
le gouvernement & l'autorité des Rois ,
le bonheur & la liberté des peuples dont
on fçait qu'ils font idolâtres , fans en connoître
peut être la vraie fource. Ce n'étoir
point àces endroits s'attachoit la jeune
Lady. Les tendres converfations d'Eucha
ris ; les fentimens ; la paffion du Prince
qui l'adoroit ; l'amour de Calypfo ; la
peinture de ces grottes voluptueufes ornées
fi délicieufement , & décrites avec
tant d'art & de légéreté , fe plaçoient aifément
dans fa mémoire , ainfi que quelques
fcenes de Racine . Elle les récitoit ; elle
prioit Philette de les lui faire prononcer ,
& fon coeur lui adreffoit tout ce qu'elle
trouvoit de paffionné dans ces Ouvrages.
Une maladie férieuſe du pere de Philette
M A I. 1758. 17
lui fit abréger le féjour qu'il devoit faire
à Londres , & interrompit les plaifirs de la
jeune Angloife. Il partit , & la laiffa dans.
la douleur d'une Amante éperdue & défefpérée
de n'avoir feulement pu découvrir
fon fecret, ni pénétrer celui de fon Amant :
elle ne fentit toute la violence de fa paffion
, qu'après le départ de celui qui l'avoit
fait naître. Elle s'abandonna aux larmes
aux regrets , fans avoir la trifte confolation
d'ofer la découvrir au Mylord fon pere.
Son chagrin ne fit que croître , & la jetta
dans une langueur qui fembloit devoir la
conduire au tombeau.
L'état de Philette n'étoit pas plus tranquille.
Aux vives inquiétudes que lui avoit
caufé la maladie d'un pere qu'il aimoit
tendrement , fuccéda bientôt la crainte de
n'être plus aimé de Mélite , ou , au moins ,
de la trouver peu digne de fa conftance &
de fon amour. Il fut inftruit par le bruit
public , des affiduités de Lifius auprès de
fa maîtreffe . S'il étoit fenfible , il n'étoit
pas moins délicat. Les empreffemens trop.
marqués de Mélite lui déplurent ; même
un air de hardieffe & de liberté avoit fuccédé
à cette pudeur , & cette fage retenue
qui fera toujours , quoi qu'on dife , le
charme le plus féduifant du fexe.
Elle lui témoignoit des tranfports , &
18 MERCURE DE FRANCE:
h
il fe fouvenoit qu'avant fon départ , il n'é
toit occupé qu'à fe faire pardonner les fiens.
Ce n'étoit plus en rougilfant qu'elle le prévenoit
, on lui répondoit , comme autrefois,
par un gefte léger , un coup d'oeil , un mot ,
un fouris qui faifoit fon bonheur , & qui
auroit femblé indifférent à tout autre qu'un
amant aimé. Elle le recherchoit avec affectation
; elle couroit où elle fçavoit qu'il
devoit êrre ; elle entendoit dire avec plai
fir & ne diffimuloit point qu'il l'aimoit ,
& qu'il en étoit aimé.
Dans les momens de chagrin de Philette
, la jeune Lady & fes charmes reve
noient à fon efprit. Il fe rappelloit volontiers
fa modeftie & fa retenue ; mais malgré
les torts de Mélite , il ne pouvoit fe
défendre de l'aimer encore. Il la voyoit
fouvent , & ne s'appercevoit pas du foin
qu'elle avoit de s'inftruire quand il la reverroit
, de l'heure , du moment où elle
devoit l'attendre . Elle le prioit furtout de
l'avertir , s'il devoit par un changement
de circonftances , la revoir plutôt qu'il ne
lui promettoit. Il en foupçonnoit encore
moins le motif ; tout cela étoit couvert du
voile de l'impatience & de l'amour.
Le hazard ne le fervit que trop bien
pour l'en inftruire. L'inquiétude que lui
caufoit l'état cruel de fon ame , le fit renMA
I. 1758.
dre à la toilette de Mélite beaucoup plu
tôt qu'il ne l'avoit promis. Il entre : affez
libre pour ne point fe faire annoncer , il
pénetre dans les appartemens. I apperçoit
au fond de fon cabinet de toilette Mélite ,
& auprès d'elle Lifius , trop occupés du
plaifir de fe parler pour rien voir & rien
entendre. Indigné de fon infidélité , pea
maître de lui-même ; le bruit qu'il fait
pour fuir , fait tourner la tête à Mélite.
Elle voit Philette. Elle croit n'être pas vue.
Lifius fe cache. Elle court après fon amant ,
qui , outré de fa perfidie , ne lui répond
que par un gefte de mépris. Elle fait de
vains efforts. Il fort , & les dernieres paroles
qu'il entend de cette femme hors d'elle-
même , furent que les abfens ont tort.
Son indignation auroit augmentée à ces
mots , fi elle avoit pu croître. Il fortit en
déteftant les femmes , & leur perfidie . Il
étoit trop jufte , pour que ce fentiment durât
toujours. La réflexion vint . Il fe contenta
de penfer , que le très- grand nombre
étoit infidele , & peut-être ne fit- il grace
à quelques- unes d'elles , qu'en confidération
de la jeune Ladi , dont les charmes ,
la douceur & la modeftie lui revinrent à
l'efprit. Il fe fentoit entraîné malgré lui ; il
fe reprochoit de n'avoir pas rempli tous
les devoirs de la bienséance la plus exacte
20 MERCURE DE FRANCE.
en s'en éloignant , puifqu'il n'avoit pris
congé d'elle , que dans une maiſon étran
gere , & ne s'étoit préfenté à l'hôtel du
Milord , que dans un inſtant où elle ne ſe
trouva pas vifible.
Il aborda le Comte fon pere , accablé
de tout fon chagrin : il lui fit part de fon
étrange aventure . Il trouva en lui , moins
un pere qu'un ami tendre : heureux les
peres qui fçavent prendre ce ton avec leurs
enfans ! Combien leur épargnent - ils de folies
! Plus heureux les enfans, qui , à un cer
tain âge , éprouvent que la vie & l'éducation
eft le moindre bienfait qu'ils doivent
à leurs peres qui trouvent auprès d'eux
toutes les douceurs de l'amitié , & en re
çoivent avec le ton qui ne peut que les faire
goûter les confeils.de fageffe & d'expérience
qu'ils n'ont pu acquérir encore.
Tel étoit le pere de Philette. Tel fut le
bonheur de fon fils . Il lui parla de la jeune
Angloife. Le pere vir qu'il étoit amoureux
, & qu'il ne croyoit pas l'être . Il ne
s'oppofa point au defir qu'il lui témoigna
de repaffer en Angleterre . Le prétexte étoit
de diffiper fon chagrin : l'amour en étoit
la raifon. Philette partit.
Son premier foin en arrivant à Londres ,
fut de voir Milord Duc de *** . Il le trou
va dans la triſteſſe & les alarmes. Sa fille
MA I. 1758. 21
étoit attaquée de cette fâcheufe maladie
qui conduit à une mort certaine , qui enléve
tant d'Anglois , & dont les femmes
font rarement atteintes ; mais chez qui elle
eft plus effrayante & plus cruelle : enfin la
jeune Ladi mouroit de la maladie qu'on
appelle confomption .
le
L'état où cette nouvelle mit Philette , feroit
difficile à peindre. Il s'attendrit avec
pere de cette fille infortunée. Il verfa
des larmes avec lui , & Milord ne les prit
que pour une marque de fenfibilité du jeune
François pour fes peines. 11 fe garda
bien de lui propofer de voir fa fille . Elle
étoit dans cet état , où le filence feul , la
folitude la plus profonde , l'éloignement
de tout objet, en ne combattant pas la noirceur
qui s'eft emparée de ces ames angloifes
, les font fubfifter encore quelque temps
pour jouir avec amertume de leur fombre
douleur , & fe pénétrer de la triſteffe de
leur-être.
Philette fortit défefpéré ; c'eft alors qu'il
fentit qu'il aimoit. Il courut le lendemain
à l'hôtel du Milord renouveller la fcene
attendriffante de la veille : il ofa propoſer
de voir fa fille , il ne l'obtint pas. Le pere
craignoit de hâter le moment qui alloit la
lui ravir.
Philette à peine forti , chercha , mit
14 MERCURE DE FRANCE.
tout en oeuvre , & gagna enfin celle des
femmes qui approchoit le plus près de la
jeune Ladi , & qui la fervoit fans pronon.
cer une parole. Il la fit conſentir à lui dire
que le jeune François qu'elle daignoit
autrefois prier de lui parler fa langue ,
brûloit de la voir. Cette femme prit un
inftant qu'elle crut favorable ; mais à peine
ouvrit-elle la bouche, que , fans l'entendre
, fa maîtreffe lui impofa du gefte &
d'un coup d'oeil un filence rigoureux. Elle
porta cette trifte nouvelle à Philette . Ses
inftances redoublerent. Elle ne promit rien,
Elle lui annonça même qu'à la premiere
parole qu'elle oferoit proférer encore , elle
feroit pour toujours bannie de la préſence
de fa maîtreffe . Elle n'en étoit que trop
sûre. Depuis trois mois , perfonne n'avoit
ofé ouvrir la bouche devant elle , & ellemême
ne s'étoit exprimée que par un gefte
& des foupirs. Philette infifta avec toute la
vivacité de la paffion qui l'animoit . Julie
tint bon contre fes paroles , mais ne pût
réfifter à fes libéralités . Ainfi vaincue , elle
effaya encore , elle dit un mor. Ce qu'elle
avoit prévu arriva , elle eut défenſe de paroître
dans cet appartement.
Philette ne fe connur plus à ce récit , il
donna tout ce qu'il avoit , il promit tout
ce qu'il pouvoit avoir. Il obtint de cette
MA I. 1758.
25
femme qu'elle lui montreroit le chemin de
l'appartement de fa maîtreffe . Rien ne réfifte
à l'or. Elle le cacha chez Milord Duc,
Le moment qu'elle crut favorable arriva.
Elle le guide . Il traverfe plufieurs pieces
obfcures. Il entre dans un appartement
dont toutes les glaces & les tableaux étoient
couverts , il n'étoit éclairé que de deux
triftes bougies éloignées d'un lit violet où
la jeune Ladi mourante étoit enfevelie dans
fa douleur profonde . Il balance , il héfite ,
il ofe approcher d'un pas tremblant , il
refte immobile , il s'enhardit un peu , il la
nomme d'une voix entrecoupée. Elle jette
un cri aigu , elle demeure fans connoiffance
. Les femmes accourent. Philette étoit
dans le même état , un fauteuil l'avoit reçu
dans fa chûre & fon évanouiffement,
On le tranfporte dans un appartement voifin.
Milord accourt , averti par le bruit
qu'il vient d'entendre . Il eft depuis longtemps
auprès de fa fille dont l'évanouiffement
dure encore . Enfin pour la premiere
fois qu'elle a parlé depuis plufieurs mois ,
elle s'écrie qu'un fpectre la pourfuit , &
que cette ombre lui annonce que l'objet
qu'elle adore eft mort avant elle . Milord
fon pere s'étonne. Il commence à foupçonner
le fujet de la douleur qui la mene au
tombeau. Elle étoit trop foible pour luj
24 MERCURE DE FRANCE.
parler , il remet au lendemain. Il fe retire,
Le lendemain hélas ! eût été trop tard.
Elle mouroit. Julie celle de fes femmes.que
Philette avoit gagnée , ofe le nommer :
elle lui dit que ce n'eft point un ombre :
que Philette lui- même venoit fe jetter à
fes pieds : que c'eft lui : que c'eft Philette :
qu'il l'aime , qu'il l'adore. Ses forces la
quittent encore. Elle tombe dans un évanouiffement
plus cruel que le premier. On
avertit Milord. Il étoit auprès de cet amant
qui commençoit à ouvrir les yeux à la lumiere.
Il court à fa fille : il attend qu'elle
revienne à la vie. Le premier figne qu'elle
en donne , eft d'appeller Philette : elle voit
fon pere baigné de pleurs , il l'embraſſe ,
il la mouille de fes larmes ; elle lui décou
vre fon fecret par des paroles entrecoupées.
Il la confole , il lui apprend que Philette
n'eft pas loin ; qu'elle le verra , que ce
n'eft pas affez dire qu'il l'aime , puifqu'il
l'adore. Milord ajoute qu'il confent à leur
amour. On conçoit dans cet état de foibleffe
quels ménagemens il fallut prendre pour
les faire voir l'un à l'autre. On attendit
qu'ils fuffent remis de la violence de ces
premiers inftans . Ils fe virent ; ils s'aimerent
; ils fe le dirent. L'himen du confentement
des deux peres couronna leur
amour. Ils furent & vécurent toujours heu-
"
reux
MA I. 1758. 25
feux.La jeune Ladi reprit fes forces & avec
elles tous fes charmes : il ne lui refta qu'un
air de langueur qui la rendoit plus touchante.
•
Par le Montagnard des Pyrénées.
VERS
AMadame la Marquise de Bouflers , par
M. l'Abbé P...
De Bouflers fur les coeurs i l'empire eſt ſi
grand ,
Difoit un jour la Déeffe de Gnide ,
C'eft de moi feule qu'il dépend :
Qu'on la regarde , & qu'on décide:
C'eft , repliqua Minerve , un effet de mes foins :
Qu'on l'écoute , & puis qu'on prononce,
Du débat les Graces témoins ,
Aux deux Divinités firent cette réponſe.
Croyez-nous , terminez des difcours fuperflus :
Bouflers vous doit beaucoup , mais nous doit encor
plus :
Tout ce qu'en fa faveur votre amour ne put faire ;
A vos bienfaits nous l'avons ajouté :
Vous donnez , il eft vrai , l'eſprit & la beauté ;
Mais c'eft par nous que vos dons fçavent plaire?
B
24 MERCURE DE FRANCE.
parler , il remet au lendemain. Il fe retire.
Le lendemain hélas ! eût été trop tard.
Elle mouroit. Julie celle de fes femmes que
Philette avoit gagnée , ofe le nommer :
elle lui dit que ce n'eft point un ombre:
que Philette lui- même venoit fe jetter à
fes pieds : que c'eft lui : que c'eft Philette :
qu'il l'aime , qu'il l'adore. Ses forces la
quittent encore. Elle tombe dans un évanouiffement
plus cruel que le premier. On
avertit Milord. Il étoit auprès de cet amant
qui commençoit à ouvrir les yeux à la lumiere.
Il court à fa fille : il attend qu'elle
revienne à la vie. Le premier figne qu'elle.
endonne , eft d'appeller Philette : elle voit
fon pere baigné de pleurs , il l'embraffe ,
il la mouille de fes larmes ; elle lui décou- ;
vre fon fecret par des paroles entrecoupées.
Il la confole , il lui apprend que Philette
n'eft pas loin ; qu'elle le verra , que ce
n'eft pas affez dire qu'il l'aime , puifqu'il
l'adore . Milord ajoute qu'il confent à leur
amour. On conçoit dans cet état de foibleffe.
quels ménagemens il fallut prendre pour
les faire voir l'un à l'autre . On attendit
qu'ils fuffent remis de la violence de ces
premiers inftans . Ils fe virent ; ils s'aimerent
; ils fe le dirent. L'himen du confentement
des deux peres couronna leur
amour, Ils furent & vécurent toujours heureux
MA I. 1758. 25
feux. La jeune Ladi reprit fes forces & avec
elles tous fes charmes : il ne lui refta qu'un
ait de langueur qui la rendoit plus touchante.
.
Par le Momagnard des Pyrénées.
VERS
AMadame la Marquise de Bouflers , par
M. l'Abbé P...
De Bouflers fur les coeurs ſi l'empire eſt fi
grand ,
Difoit un jour la Déeffe de Gnide ;
C'eft de moi feule qu'il dépend :
Qu'on la regarde , & qu'on décide:
C'eft , repliqua Minerve , un effet de mes foins :
Qu'on l'écoute , & puis qu'on prononce,
Du débat les Graces témoins ,
Aux deux Divinités firent cette réponſe.
Croyez -nous , terminez des diſcours fuperflus':
Bouflers vous doit beaucoup , mais nous doit en◄
cor plus :
faire ;
Tout ce qu'en fa faveur votre amour ne put
A vos bienfaits nous l'avons ajouté :
Vous donnez , il eft vrai , l'eſprit & la beauté ;
Mais c'eſt par nous que vos dons fçavent plaire
B
26 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A M. DE BOIS ST.
E dois vous remercier , Monfieur , de la
façon obligeante dont vous parlez du Marquis
de Creffy. Vous me paroiffez un peu
prévenu en fa faveur , & vos louanges font
i flatteufes , que le Public les trouvera
peut être un peu fortes pour une bagatelle
dont tout le mérite eft d'être écrit avec
quelque foin.
Mais êtes- vous bien für , Monfieur, que
les inclinations douces & la vertu de Madame
de Creffy puiffent fervir d'objections
contre le parti qu'elle prend ? & penfez
-vous qu'une femme vive , impétueuse ,
rendîc cette mort plus vraisemblable ?
Réfléchiffez fur ces deux caracteres ,
vous trouverez affurément qu'une perfonne
douce & tendre , eft portée par fon naturel
à recevoir les plus fortes impreffions ,
les conferver , à s'en occuper , à fe livrer
à cette profonde douleur qui rejette toute
confulation , conduit à fe dégoûter des autres
, à s'ennuyer de foi -même , à ne rien
eſpérer du temps ; enfin à regarder la vię
comme un poids difficile à fupporter , &
MA I. 1758 . 1727
que chaque inftant rend plus pefant . Une
femme emportée répand au dehors une
partie des peines qu'elle reffent : cette parstie
qui s'exale , diminue la violence de fa
paffion ; elle perd fon Amant , rien n'égale
fon chagrin ; elle accable de reproches
cet Amant infidele , fait mille projets
de vengeance qui l'empêchent de précipiter
fa mort ; elle pleure , crie , gémit , &
speut-être au bout de fix mois fera le même
éclat pour un autre.
Dans un premier mouvement on fe venge
, on tue celui qui l'excite ; mais il eſt
très rare que ce foit un premier mouvement
qui porte à fe tuer foi-même. C'eft
une fuite de triftes idées ; c'eſt la noirceur
d'une imagination toujours frappée du
même objet , ce font de longues réflexions
qui conduisent lentement & par degrés à
fe laffer d'un état qu'on imagine qui ne
peut changer : la raifon s'éteint , & l'égarement
& la foibleffe nous font préférer
l'anéantiffement à la douleur.
Madame de Creffy eft réduite à vivre
avec un homme qu'elle aime encore , mais
qu'elle n'aimera bientôt plus , qui a perdu
fon eftime, qui ne peut jamais la regagner ;
elle a été trompée , elle en eft fûre : tout
ce qu'il lui diroit ne la perfuaderoit plus.
Ah , Monfieur , quelle fituation !
1
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
Un homme vit tous les jours avec une
femme qu'il méprife ; quoiqu'elle ne touche
plus fon coeur , elle l'amufe , prend de
l'empire fur fes fens , excite fes defirs , les
fatisfait ; c'est tout ce qu'il en attend , c'eft
tout ce qu'il en exige : mais une femme
qui penfe bien , Monfieur , veut eftimer ce
qu'elle aime. C'eft au mérite que notre
ame s'attache ; & lorfque l'objet de notre
amour ceffe de nous paroître digne de notre
amitié , de notre tendreffe , je dirai plus ,
de notre admiration , que lui refte-t'il pour
nous rendre heureuſes ?
Après tout , Monfieur , je ne prétends
pas gêner votre extrait. J'aurai un vrai
plaifir à le voir. Si je n'ai pas les talens
qui diftinguent les Auteurs brillans du fiecle
, j'ai l'avantage d'être fans prévention
fur mon efprit , & j'ai bien peur que vous
n'ayez plus de peine à juſtifier votre éloge
que votre critique .
J'ai l'honneur d'être , &c.
MA I. 1758. 29
EPITRE
A M. D. H. G. D. T. R.
MORTEL ORTEL charmant, en qui les cieux
Font briller leur plus bel Ouvrage ,
Vous , qui penfez toujours en fage ,
Vous , qui parlez comme les Dieux ,
D'H... fi je fuis heureux ,
C'eft à vous que j'en dois l'hommage.
Déja compagne des Amours ,
La fanté riante & fleurie
Répand fur l'été de ma vie
L'éclat du printemps de mes jours.
Déja dans la plus noble ivreffe ,
Ma mufe renaît & s'empreffe
Au milieu des jeux & des ris ,
A joindre aux lauriers du Permeffe ;
Et les fruits murs de la ſageſſe ,
Et les doux myrthes de Cypris
Ainfi de la philoſophie ,
Les temples pour moi font ouverts ;
'Ainfi le Dieu de l'harmonie
M'invite à de nouveaux concerts :
Puiffante Reine d'Italie ,
Si parmi tant de biens divers
Ma voix plaît encore à Sylvie ,
Me voilà Roi de l'Univers.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE
Dans ma paiſible folitude .
Que manque-t'il à mes defirs &
La vérité fait mon étude
La liberté tous mes plaiſirs.
Loin du tumulte de la Ville ,
Des propos & du goût futile ,
Qui partagent le ton du jour ,
'A la raiſon j'offre un aſyle ,
Où le travail toujours utile
Où le repos toujours facile ,
Rempliffent mes voeux tour à tour
Là , je vous vois renaître encore ,
Momens autrefois fi chéris ,
Od fi fouvent avant l'aurore,..
Fixé fur les divins écrits
Que le Dieu des Arts fit éclore ,
Mon coeur dans les plus doux tranfport
Qu'infpire la reconnoiffance ,
Evoquoit les illaftres morts ,.
Ou , fans de magiques efforts ,
Dans un refpectueux filence ,
Perçoit l'affreuſe obſcurité
De ces rives ou la lumiere
N'étala jamais fa clarté ,
Et bientôt d'une aîle légere
Voloit avec vivacité
Vers ces demeures fortunées ,
Où les Héros , les demi - Dieux ,
Satisfaits de leurs deftinées ,
MÁ Ì. 1758 . 34
Ignorent le poids des années ,
Et les foupirs des malheureux.
Où fuis-je ... difois- je en moi- même ;
Quand parvenu dans ces beaux lieux ,
Je goûtois le plaifir fuprême
De voir les favoris des Cieux ! ...
Séjour charmant , que je vous aime ! >
Que vos bois font délicieux ! ...
O temps flatteur , temps précieuxj
Dont le charme fe renouvelle !
Qu'avec tranfport je me rappelle
Tes fleurs , ton ufage & tes jeux !
Qu'un autre aux rives du Pactole
Cherche donc à porter les pas
Ŝans tes attraits , fafte frivole ,
La vie eſt- elle fans appas ?
En vain de l'un à l'autre pole ,
Epris de ton éclat trompeur ,
Les mortels fur la foi d'Eole
Vont braver Neptune en fureur s
Qui fçait du foyer de ſes peres
Ecarter les vaines chimeres
Qui naiffent d'une folle ardeur ,
Y jouit des deux hémispheres ,
Et connoît feul le vrai bonheur,
Bir
12
MERCURE DE FRANCE.
PARALLELE de l'Orgueil & de
l'Élévation des Sentimens .
L'ORGUEIL a perdu les Anges & les hommes.
Il faut donc le regarder comme la
fource de tout mal .
L'élévation conduit au bonheur & à
l'immortalité .
Par orgueil on rougit d'être né d'une
baffe extraction. La moindre faveur de la
fortune fait bientôt méconnoître ceux de
qui on tient le jour , abandonner fes parens
, haïr fes égaux & même fes bienfaicteurs.
Par élévation on fe foumet aux ordres
de la Providence fur le choix qu'elle a fait
de notre origine. Elle nous préfente les
hommes égaux devant elle ; & fi on fe
foumet aux diftinctions des rangs , ce n'eft
que comme aux Ordonnances d'un Royaume
étranger , où l'on feroit obligé de vivre ,
& jamais une ame élevée n'a méconnu fa
fource.
Par orgueil on néglige de s'inftruire.
Les leçons font d'une amertume infuppor
table. L'on ofe nier le mérite des autres ,
croyant l'effacer .
MA I. 1758. 33
L'élévation feule donne du goût pour
F'étude , de la foumiffion pour les confeils ,
un defir ardent de furpaffer les autres en
véritable fcience .
Le moindre revers fait fuccomber une
efprit qui n'eft foutenu que par l'orgueil.
C'eft dans les revers que l'élévation
triomphe. Elle eſt toujours au deffus des
caprices du fort..
Par orgueil on envie la fortune de ces
hommes que le travail du pauvre enrichit.
Par élévation , on méprife la fortune qui
peut coûter des remords , & on lui préfere
même la pauvreté.
L'orgueil eft pere de la haine & de la
vengeance. Il nourrit le fouvenir des injures
, les imprime dans l'ame en gros caractere
, la trouble & la dégrade.
L'élévation connoît la jufte valeur des
procédés , rend fenfible aux infultes , s'en
fouvient & les méprife , prend foin de défendre
l'honneur attaqué par les méchans ,
& aime à les humilier par des bienfaits.
Le Maréchal de .... avoit des talens
pour
la guerre , que l'orgueil & l'avarice
qui en eft la fuite , ont obfcurci .
Le Maréchal de T. eft le meilleur con--
trafte
que l'on puiffe placer à côté du Ma
réchal de ....
34 MERCURE DE FRANCE
La vertu des femmes a plus fouvent fuc
combé fous le poids de l'orgueil que fous
celui des fens .
L'élévation combat toujours pour la
vertu des femmes . Heureufes celles qui en
ont une mefure affez forte pour remporter
la victoire contre tout ce qui les attaque !
Un Miniftre orgueilleux fe croit utile à
fa patrie , en exige des hommages , fait
graver fes fervices fur des monumens qu'il
croit que la postérité approuvera , abufe
de la confiance de fon Maître , éleve des
palais fomptueux , enrichit fes créatures ,
foule aux pieds ceux qui l'apprécient à fa
jufte valeur , & regarde le peuple comme
l'inftrument de fa félicité.
Un Miniftre d'un génie élevé n'abuſe
jamais de la faveur de fon Maître , parce
qu'il ne craint point de la perdre , mépriſe
les biens qu'il eft le maître de s'approprier,
fçait qu'un Citoyen ne peut s'acquitter envers
fa patrie , encourage le mérite & les
talens , récompenfe la vertu , & laiffe à la
poftérité le foin de fa réputation . C'eft elle
qui a le droit d'en juger fainement.
Par orgueil les Guifes furent les chefs
de la Ligue , profanerent le nom facré de
la Religion , affaffinerent leurs concitoyens,
& méconnurent leur légitime Roi.
Par élévation dans ces temps d'horreur,
MA I. 1758% 35
le Préfident de Novion dit au Duc de
Mayenne qui ofoit prétendre à la couronne
: Je vous regarderai toujours comme mon
bienfaiteur , mais jamais comme mon Roi.
C'eft l'orgueil qui a enfanté l'héréfie &
tous les malheurs qui la fuivent.
L'élévation foumet l'efprit aux décifions
de l'Eglife.
Quel malheur pour les peuples gouvernés
par un Roi que l'orgueil domine ! Des
guerres injuftes , le mérite avili , la flatterie
étouffant la juftice , la vengeance à la place
de la clémence , font un foible efquiffe des
maux qui les accablent.
L'élévation indique aux Rois les devoirs
de leur état , & tous les moyens de
les remplir ; l'amour de la paix , celui de
la juftice , la clémence , la libéralité , l'af
fabilité , &c. .
L'orgueil ne s'empare que des efprits
médiocres , & les rétrecit toujours .
L'élévation eft la bafe d'un efprit fubli
me, & il lui doit fon étendue .
Par Madame B.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur la mort du Moineau de Madame de St....
LORSQUE la mort fous qui tout plie ,
Dont rien n'arrête le ciſeau ,
Dans un accès de fa furie
Eut tranché les jours du Moineau ,
De la trop fenfible Leſbie ,
Animé du feu le plus beau ,
D'une main délicate & tendre ,
Catulle fe plut à répandre
Des fleurs fur ce trifte tombeau
Et par la fublime harmonie.
De fa divine poéſie ,
Il rendit à ce bel Oifeau
Un nouvel être , une feconde vies
Ah ! fi j'avois , ainſi que lui ,
Les graces , le don du génie ,
Je célébrerois aujourd'hui
Le trépas du Moineau chéri
D'une Amante encor plus chérie ?
Ne pouvant le reffufciter
Par toute la docte magie
De la puiffante pharmacie ,
Je voudrois , pour vous conſoler ,
Avoir , Eglé , du moins la gloire:
De l'éternifer dans l'hiſtoire :
MA I. 1758. 37
Mais il jouit d'un bien meilleur
Que n'eſt cette frivole vie ;
Son fort.eft plus digne d'envie ;:
Il vit encor dans votre coeur
Et votre amour le déifie.
Cet avantage , en vérité ,
Vaut mieux que l'immortalité :
Cependant , crainte qu'on n'oublie
Combien vous l'avez regretté ,
Je veux fur l'endroit mémorable ,
Dans lequel il eft inhumé ,
Graver en ftyle ineffaçable :
Cy gît l'Oiseau le plus aimable ;
C'étoit auffi le plus aimé.
SUITE fur M. de Fontenelle , par M..
LAbbé Trublet , contenant des corrections
des additions aux articles précédens.
MERCURE
ERCURE d'Avril 1757 , tome pré .
mier
• Page 75.
que: Je me fuis trompé lorfque j'y ai dit
le Palinod compofé par M. de F. lorfqu'il
étoit en Rhétorique , à l'âge de 13 ans ,
remporta un des deux prix. Mais la piece
quoique non couronnée , fut jugée digne:
de l'impreffion . Elle porte en tête , Epigramma
honorarium. C'eft, le titre qu'on
* MERCURE DE FRANCE.
donnoit aux pieces qui avoient approché
du prix. Les vainqueurs du jeune Fontenelle
furent le P. Etienne Dubois , Jésuite
& M. Enouf , Prêtre du Séminaire de Lifieux.
M. l'Abbé Saas , Chanoine & Académicien
de Rowen , a bien voulu me faire
de ces détails. C'eft l'Auteur de l'élégie
latine fur la mort de M. de F. dont nous
avons parlé dans le Mercure de Juin 1757
page 73 .
part
Même Mercure d'Avril , page 83 .
Sur les difcours de M. le Haguais ( Fran
gois le Haguais. )
C'est ainsi qu'il faut dire, Cependant
M. de F. difoit des Haguais , & beaucoup
d'autres le difent encore comme lui. M. de
F. avoit demeuré chez lui pendant plufieurs
années , & il n'en fortit que pour aller
loger au Palais Royal . M. le Haguais mourut
à Paris le 23 Janvier 1724 , âgé de
$4 ans , & laiffant une grande réputation
d'efprit & de probité . Il avoit brillé
dant longtemps dans la place d'Avocat Gé
néral de la Cour des Aides . Au talent de la
parole , & lors même qu'il parloit fur le
champ , il joignoit celui de l'action dans
un degré rare. Cependant , Orateur né à
rous égards , il parloit très- peu en conver
fation , même dans le tête à tête ; & com- '
me M. de F. parloit peu auffi , furtout lorf
1
penMA
I. 1735:
qu'il n'étoit pas excité , ils paffoient quelquefois
enfemble un temps affez confidérable
fans fe dire que quelques mots. Cetter
habitude au filence avoit tellement donné à
M. le Haguais l'air filencieux , que s'étant í
fait peindre par le célebre Rigaud , & le
portrait étant extrêmement reffemblant ,
M. de F. le voyant pour la premiere fois ,
s'écria : On diroit qu'il va fe taire.
Je me rappelle qu'en me contant ce trait,
M. de F. m'ajouta qu'un de fes coufins ,
fils du grand Corneille , étoit fi taciturne
qu'on l'appelloit Corneille Tacite.
Entre les difcours que M. de F. m'a dit
avoir compofés pour cet ami , en tout ou
en partie , il y en a un pour la préfentation
des lettres de M. le Chancelier Pontchartrain
, qui fuccéda à M. Boucherat en
1699. Je vais en citer un morceau qui fera
défirer au public , qu'on lui donne tous
ces difcours , comme ceux qui les poffédent
( r ) , me l'ont fait efpérer, Il y eft
queftion de la place de Contrôleur Général
des Finances , que M. de Pontchartrain
avoit remplie pendant 10 ans , avant que
d'être Chancelier. Ce morceau peut faire
pendant à celui de la police dans l'éloge de
M. d'Argenfon, Il eft d'un autre ton &
(1) MM. Joly-de Fleury
$
40 MERCURE DE FRANCE.
d'un autre ftyle , d'un ton plus élevé &
d'un ftyle plus oratoire ; le différent caractere
des deux ouvrages demandoit cette
différence. Le remerciement de M. de F.
lorfqu'il fut reçu le 5 Mai 1691 à l'Académie
Françoife , avoit déja prouvé qu'il
étoit capable , quand il le falloit , de ce
qu'on entend ordinairement par éloquence
, de ce genre d'éloquence que les Rhéteurs
appellent le genre fublime . (1 )
J'invite furtout à relire dans le remerciement
de M. de F. à l'Académie , l'endroit .
qui commence par ces mots : Un grand
Spectacle eft devant vos jeux, &c. L'Orateur:
y parle du fiége de Mons. Cette Ville s'étoit
rendue au Roi en perfonne , le 9 d'Avril
précédent , après 16 jours de tranchée
ouverte. C'eft un des événemens les plus
célebres du Regne de Louis XIV.
Extrait du difcours prononcé par M. le
Haguais , Avocat Général de la Cour des
Aides , à la préfentation des lettres de M. le
Chancelier de Pontchartrain.
Aux yeux du Vulgaire , il ( le Contrô
leur Général des Finances ) paroît parfaitement
heureux . Semblable à ces Dieuxque-
(1 ) On fait que les Rhéteurs diftinguent trois
genres d'éloquence , le fimple , le fublime & le
tempéré
1
MA I. 1758 . 41
Fantiquité imaginoit à la fource des grands
Aleuves , il eft appuyé fur l'urne d'où coulent
les tréfors ; il en regle le cours à font
gré , & il en arrofe les campagnes qu'il lui
plaît de favorifer.
Ce qui eft le plus néceffaire aux divers
befoins des hommes , ce qui l'eft encore
davantage à leur avidité , eft uniquement
entre fes mains.
Auffi , quelle foule de fupplians autour
de lui ! Le moment de fon élévation lui
donne un monde d'efclaves , attachés à lui
par les indiffolubles chaînes de l'intérêt.
Les plus fuperbes n'auroient pas de quoi
foutenir leur orgueil , s'ils ne fe profternoient
à fes pieds , & il devient le centre
où aboutiffent tous les voeux & tous les
refpects que produit la plus générale de
toutes les paffions.
Honoré de la plus intime confiance du
Prince , il en tire encore un nouvel éclat.
Cette Majefté preſque inacceffible aux autres
, féparée des plus grands de l'état par
un prodigieux intervalle , fe laiffe voir à
lui & plus fouvent & de plus près. Il jouit
de la précieuſe facilité d'approcher d'elle ,
& elle fouffre qu'il foit préfent , & quelquefois
même qu'il prenne part à la naiffance
de ces deffeins fecrets , d'où dépen
dent les deftinées des hommes.
44 MERCURE DE FRANCE.
Vaine & trompeufe félicité dont tout
l'enchantement difparoît au premier regard
de la raifon !
Tous les befoins d'un grand Royaumé ,
pefent fur celui qui préfide aux Finances ,
Toutes les maladies de l'Etat ont droit d'al
ler troubler fon repos , ou , pour mieux dis
re , elles fe font toutes fentir à lui.
Sans ceffe de nouveaux maux lui deman
dent de nouveaux remedes ; fouvent de
ces remedes même il renaît des maux qu'il
faut encore guérir , & cet emploi fi bril
lant & fi déſirable en apparence , n'eſt au
fonds que le fupplice de cet homme condamné
par les Dieux à rouler toujours ,
jufqu'au haut d'une montagne , une pier
re & un poids énorme qui retomboit tou
jours.
Mais ce qui doit le plus coûter à un bon
Citoyen , il faut que par les maux particuliers
, il prévienne ou foulage les maux
publics qu'il s'attende que ce foin même
paroîtra barbare à tout un Royaume , qui
fent les coups qu'on lui porte , & ne voit
pas ceux qu'on lui épargne' ; qu'il exerce
des rigueurs dont l'utilité éloignée & peu
fenfible , ne le juftifie pas auprès de ceux
qui les fouffrent ; qu'il fe refufe d'écouter
des gémiffemens , légitimes du moins par
la douleur préfente; que pour prix de fes
MAI. 1758: 43
travaux & de fes veilles , il foit l'objet de
toutes les plaintes de ce même peuple don
il affure le repos ; qu'il s'entende reproeher
jufqu'à la ftérilité des campagnes ,
devienne refponfable des rigueurs du
ciel.
Enfin ( & quel fupplice pour un coeur
fincere ) c'eft un de fes principaux devoirs
de raffurer , par fon extérieur , ceux qui
tremblent pour la fortune de l'Etat . Il faut
il opqu'aux
préfages les plus menaçans ,
pofe un vifage ferein ; qu'il fe donne un
air tranquille au milieu des plus cruelles
inquiétudes , & que , malgré la plus vive
fenfibilité , il s'efforce de contrefaire l'infenfible.
En vain , pour fe délaffer d'un foin continuel
& de la contrainte qu'il s'impoſe en
public , il fe réfugie pour quelques momens
dans fon domeftique ; il s'y trouve
auffi -tôt environné de courtifans que fa
fortune lui a raffemblés de toutes parts ,
ou d'amis qu'elle lui a faits , tous également
ardens à recueillir le fruit de fon élé
vation & de fes peines , tous également
fertiles & inépuifables en demandes , prefque
tous comblés fans être fatisfaits , &
tout au moins ingrats par leur infatiable
avidité.
Pour qui cet emploi fi pénible l'a- t'il ja44
MERCURE DE FRANCE.
mais été davantage que pour M. le Chancelier
? (1 ).
Encore fi avant que d'y parvenir , il en
avoit fait l'objet de fes voeux les plus fe-.
crets & de fa plus délicate conduite ; fi fon
imagination avoit été longtemps enflammée
ou du défir ou de l'efpérance . Il eût
moins fenti des maux qu'il auroit recherchés
; & l'ambition fatisfaite lui eût fait .
aimer jufqu'à fes peines.
Mais ni fa modération ne lui en permettoit
le défir , ni les conjonctures n'en
auroient permis l'efpérance aux plus ambitieux.
Un coup imprévu de la fageffe du Sou
verain , pareil en quelque façon à ces coups
de la providence qui ne tiennent point à
la chaîne ordinaire des événemens , l'enleva
fubitement du fein de la Magiftrature
qui l'avoit nourri , & le tranſporta dans
une place où tout étoit nouveau , même à
fa penfée
.
Il y entre , & le plus grand , le plus
menaçant des dangers s'offre à lui pour fon
coup d'eſſai . ( 2) Il n'a pas le loifir de s'inf-
( 1 ) La plupart des Grammairiens condamnent
que après davantage.
(2) M. de Pontchartrain fuccéda en 1689 , dans
la place de Contrôleur général , à M. Pelletier qui
s'en étoit démis volontairement,
MA 1. 1758 .
truire , ni d'attendre les tardives leçons de
l'expérience ; & quels efforts font néceffaires
au plus fublime efprit , pour fuppléer
par fes feules vues aux connoiffances
acquifes:!
Quelque fecours qu'il tirât de cette
prompte intelligence qui lui épargne le
long circuit des raifonnemens ordinaires ,
de cette vivacité de lumiere qui faifit le
vrai fi fûrement , qu'elle ne laiffe prefque
plus rien à faire aux réflexions , il fallut
cependant qu'une extrême application lui
tint lieu d'une longue habitude , & que la
force du travail applanît des difficultés qu'il
n'appartient ordinairement qu'à l'ufage de
furmonter , & c.
Mercure de Juillet , page 84.
J'ai parlé dans cet endroit d'un petit ou
vrage imprimé en 1695 , & intitulé : hiftoire
de la conjuration faite à Stockolm contre
M. Defcartes. J'ai dit que M. d'Artis (Journal
de Hambourg , tom. 3 pag. 297 ) avoit
penfé que cette fiction affez ingénieuſe ,
pouvoit bien être de M. de F. J'ai ajouté
que je ne le croyois pas , & que je la don
nerois plutôt à un Jéfuite , par exemple ,
au P. Daniel. J'ai fçu depuis qu'elle étoit
d'un M. Gervais de Montpellier , d'abord
Proteftant , enfuite Eccléfiaftique . J'igno
re s'il a fait quelques autres ouvrages,
6 MERCURE DE FRANCE.
Mercure d'Avril , 1757 , premier volume
, page 63 , & d'Août , pp. 5.5 , 63 , 6
fuiv.
Sur la Pluralité des Mondes.
I. Je fuis revenu plufieurs fois à cet ou
rage , le plus célebre de tous ceux de M.
de F. Les gens de lettres , & même beau-
Coup de gens du monde , fçavent que M.
Huyghens en a fait un fur le même fujet.
Mais plusieurs ignorent que fon livre eft
poftérieur à celui de M. de F. Ils le croient
même antérieur de pluſieurs années , & ik
en concluent que l'ouvrage de M. H. avoit
donné à M. de F. l'idée du fien ; que dès-
Hors celui - ci n'eft plus un ouvrage original
, & qu'ainfi M. de F. n'avoit guere
fait fur les mondes , d'après le Hollandois
-Huyghens , que ce qu'il fit depuis fur les
oracles , d'après Vandale , Hollandois
*auffi .
Quand cela feroit , la pluralité des mondes
& fon Auteur n'en feroient pas moins
eftimables : car ce n'eft pas le fyftême fur
lequel roule cet ouvrage , qui en fait le
"mérite ; c'eft la maniere dont ce systèmey
eft expofé. Mais enfin cela n'eft pas. Le livre
de M. de F. parut à Paris en 1686 &
celui de M. H. à la Haye en 1698. Il eft
écrit en latin , & intitulé : Chriftiani Huge
vii cofmothearos , five de terris cæleftibus ,
MA I. 1758. 47
parumque ornatu , conjectura ad Conftantinum
Hugenium fratrem.
En 1702 , il en parut une traduction
françoife, fous le titre de Nouveau Traité de
la Pluralité des Mondes , par feu M. Huyghens
, de l'Académie Royale des Sciences ,
par M. D*** , c'est- à - dire , M. Dufour.
On trouve un très-bon extrait du livre
de M.H. fur l'original latin , dans le journal
de M. de Beauval tom. 14 , page 229,
Mai 1698. Cet extrait débute ainfi :
« On a lu d'abord la Pluralité des Mondes
» de M. de F. comme un badinage ingé-
> nieux , hazardé pour égayer une converfation.
Mais les impreffions qu'on emporte
de cette lecture , font qu'on revient
» enfuite à regarder les chofes plus férieufement
, & à foupçonner que fon fyſtême
pourroit bien n'être pas abfolument
faux. Du moins ceux qui n'y ont pas fait
affez d'attention , en jugeront peut-être
autrement , quand ils le verront foutenu
» du fuffrage de M. Huyghens. Cet Aftronome
fi célebre , après avoir bien étudié
la conftitution de l'univers , eft demeu-
»ré convaincu que la terre n'eft pas le feul
globe qui foit habité , &c . »
On trouve l'extrait de la traduction
françoife du livre de M. H. dans le Jourpal
de Trévoux , Mai 1702 mais cet ex
48 MERCURE DE FRANCE.
trait eft bien différent à tous égards , de
celui de M. de Beauval. L'ouvrage de M.
H. y eft fort maltraité , & le Journaliſte
le trouve fi peu digne de l'Auteur dont il
porte le nom , qu'il doute qu'il en foit effectivement
, du moins en entier. Je ne
fcache pas que perfonne en ait jamais douté.
Mais il y a plus , & M. de Chauffepie ,
dit pofitivement dans l'article de M. H.
( 1 ) que cet Aftronome , qui mourut le 8
Juin 1695 , âgé de 66 ans , avoit fait imprimer
de fon vivant la premiere feuille
de fon livre , & il le dit pour combattre le
doute du Journaliſte de Trévoux. Celui - ci
que nous croyons être le célebre P. de Tournemine,
ne fe borne pas à attaquer plufieurs
des raifons de M. H. en faveur de l'opi
nion de la pluralité des mondes . H attaque
l'opinion même , mais par des railleries &
quelques unes affez ameres , plus que par
d'autres raifons , ou du moins en Théolo
gien plus qu'en Phyficien . « Le fyftême des
» mondes planétaires , dit- il , ne s'accom-
» mode pas trop des idées de la Théologie.
M. de Fontenelle en avoit très- bien fenti
les difficultés dans l'ouvrage fi ingénieux
» & fi poli qu'il a fait fur cette matiere . Il
» avoit pris foin de les détourner , en di-
( 1) Voir for Dictionnaire , t. 2 .
»fant
MA I.
1758. 49
fant que les habitans planétaires ne font
point du tout des hommes . Comme l'on
» ne balance , pas ici à dire que c'en font
d'auffi véritables que nous , &c. »
tend
Il eft vrai que M. H. fe fert du mot
d'hommes ; mais il eſt évident qu'il n'empar-
là que des
créatures
intelligentes ,
des animaux
raifonnables. Voici les propres
paroles , page 32. In planetis effe animantia,
que ratione mantur. Il l'avoit déja
dit page 7 , & il le répete en plus d'un
endroit , ajoutant même que , vu la prodigieufe
variété des ouvrages de la nature ,
il y a toute apparence que les hommes planétaires
font très-différens à plufieurs égards
des hommes terreftres , & qu'en
particulier
ils ont une autre figure , &c. Dès- lors ce
ne font plus des hommes que pour les philofophes.
Je doute fort que fi ceux qui travaillent
aujourd'hui au Journal de Trévoux , le P.
Berthier , par exemple , fi propre à ce genre
de travail , avoient à faire l'extrait du
livre de M. H. , ils le fiffent dans le goût
du Pere de Tournemine , Jéſuite .
II. Si quelque ouvrage pouvoit avoir donnéà
M. de F. l'idée de fa pluralité des mondes
, c'eft celui qui a pour titre , « le Monde
dans la Lune , divifé en deux livres ;
le premier , prouvant que la lune peut 33
C
so MERCURE
DE FRANCE,
"
❤être un monde ; le fecond , que la terre
peut être une planette. De la traduction
» du fieur de la Montagne , ( avec cette
épigraphe ) : Mais de quoi ( diras-tu ) me
peut-ilfervir de fçavoir cela ? Si ce n'est
» pour autre chofe , au moins j'apprendrai
» qu'il n'y a rien en ce monde qui ne foit de
» peu de valeur. Seneque en la préface au
» premier livre de les queftions naturelles ( 1 ) .
» A Rouen , chez Jacques Cailloué , dans
» la Cour du Palais . 1656. Deux parties en
» un volume in 8°.
¿
J'ai balancé ſi je parlerois de cet ouvrage
, n'ayant aucun éclairciffement à donner
, ni fur le traducteur , ni fur l'Auteur ,
& la chofe d'ailleurs n'en valant guere la
peine . Le fieur de la Montagne m'eft entiérement
inconnu , & ce n'eft peut-être
qu'un nom feint. Dans fon avis au Lecteur
il ne nomme point fon Auteur. Il dit feulement
que c'eft un fçavant homme , fort
célebre en fon pays par les excellens ouvrages
qu'il a mis au jour , tant en Théologie qu'en
mathématique. Il ne dit pas même en quelle
langue le livre étoit compofé . Sur tout cela
, & de plus , fur le ftyle de la préten
due traduction , je doute que c'en foit une
(1) Voici le texte de Séneque : Quid tibi , ina
quis , ifta, proderunt ? Si nihil aliud , hoc corte
fciam , omnia angufta effe.
MAI.
$758.
Ce ftyle , quoiqu'affez mauvais , a pour
tant un air d'aiſance & de liberté qui décele
un original.
Au refte , quoiqu'il y ait de bonnes chofes
dans cet ouvrage , & que M. de F. ait
pu le connoître , d'autant plus qu'il avoit
été imprimé à Rouen , du moins fi le frontifpice
n'eft pas trompeur , j'ai parcouru le
livre avec affez d'attention , pour pouvoir
affurer que M. de F. n'en a rien emprunté.
Si l'on trouve quelquefois les mêmes preuves
& les mêmes penfées dans les deux ouvrages
, c'eft uniquement parce qu'ils font
fur le même fujet.
III. On trouve dans le journal de M. de
Beauval , Juin 1702 , tom . 18 , pag. 264,
L'extrait de l'Hiftoire de l'Académie des
Sciences 1699. C'eft le premier volume
qu'ait donné M. de F. M. de Beauval commence
fon extrait par la préface générale ,
& il en fait les plus grands éloges. J'ai dit
ailleurs combien elle fut eftimée , & combien
elle l'eft encore. Comptant parmi les
avantages des mathématiques , qu'elles
contribuent à la jufteffe de l'efprit , & regardant
cette jufteffe comme néceffaire dans
les ouvrages de tout genre ( 1 ) , M. de F.
avoit dit :
(1) Horace penfoit de même , & c'eſt le vrai
fens de ce vers fi conny :
Cij
31 MERCURE DE FRANCE.
W
«L'efprit géométrique n'eft pas fi atta
ché à la géométrie , qu'il n'en puiffe être
tiré & tranfporté à d'autres connoif
»fances. Un ouvrage de morale , de politique
, de critique , peut- être même d'éloquence
, en fera plus beau , toutes
chofes d'ailleurs égales , s'il eft fait de
main de Géometre. »
33
59
Sur cela M. de B. rapporte l'objection
commune , que les mathématiques defféchent
l'efprit , & qu'en l'accoutumant à des
vérités feches & arides , elles lui donnent du
dégoût pour tout ce qui peut l'orner & l'enbellir.
« Un Géometre , ajoute-t'il , fe
• foucie peu d'une penfée ingénieufe &
délicate , & trouve fes fupputations algébriques
beaucoup plus fûres & plus
"
» folides. »
M. de B. oppofe à cette accuſation ,
l'exemple de M. de F. Il pourroit lui-mê
» me , dit- il , fervir de raifon pour réfuter
» la triſte idée qu'on fe fait des Mathéma-
» ticiens ; il n'apporte point dans le mon-
» de l'air diftrait & rêveur des Géometres ,
& il joint à la politeffe & à la délicatef-
» fe de l'efprit , la jufteffe & l'exactitude
» des mathématiques . Il ne parle point en
ود
fçavant qui ne fçait que les termes de
Scribendi recte , Sapere eft , & principium & fons.
Art poéte
M A I. 1758. $$
"
➡l'art. Le ſyſtême du monde , qui pour un
» autre feroit la matiere d'une differtation
dogmatique , & qu'on ne pourroit peut-
» être entendre qu'avec un dictionnaire,
» devient entre fes mains un badinage
agréable , & quand on a cru feulement
» fe divertir , on fe trouve quafi habile en
» Aftronomie fans y penfer ».
"
4
IV. Dans le premier volume du Mercure
d'Avril de cette année , page 64 , j'ai indiqué
une jolie piece de vers Anglois fur
la pluralité des mondes. Un de mes amis a
bien voulu me la traduire , & la voici.
Aune jeune Dame en lui envoyant les Mondes
de Fontenelle. Coll. of. Poems. t . 3 ,
pag. 233 ( 1 ) .
« Ce petit ouvrage vous dévoilera les
» merveilles de la nature : il adoucira pour
» vous les traits de l'auftere philofophie.
»Vous parviendrez juſqu'à la vérité par un
» chemin de fleurs ; vous croirez ne lire
qu'un agréable roman. Trop longtemps
» ces hautes connoiffances, fruit d'une étu-
» de opiniâtre , avoient été refervées à un
"petit nombre de fages qui n'en décou-
" vroient les beautés qu'en perdant leurs
"
( 1 ) Cette piece eft anonyme , & j'en ignore
Auteur
C iij
34 MERCURE DE FRANCE.
» yeux , & qui affis au feftin de la fcien
ce, loin d'en rapporter la gaieté , en
fortoient mornes & appefantis. Les gens
de bonne humeur rioient de leur air fombre
, & fuyoient une fcience fi trifte , à
l'égal de l'antre de Trophonius. Avoientils
tort de craindre des connoiffances qui
» les auroient rendu ftupides avant que
d'en faire des Sçavans ? Ici vous contemplerez
avec plaifir une eau claire quoi-
款
» que profonde.
»
33
"
Votre fexe léger a toujours méprifé
les fciences , ne fe fouciant que de l'art
» de la parure. Le temps inutile pour vos
pareilles , a été prodigué à quelques hiftoriettes
frivoles , ou à la comédie du
jour. La meilleure des femmes , peutêtre
, donne quelques heures perdues à
ce je ne fçais quoi , vuide pour elle de
fens & de fentiment , & appellé mal- àpropos
priere. En vain les fpheres bril
» lantes répandoient pendant de belles
» nuits des fleuves de lumiere ; nos belles
les voyoient parcourir les cieux avec une
froide indifférence , & inftruites par nos
petits maîtres , elles ofoient donner la
préférence à leurs yeux . Aucune ne fça-
>> voit que les étoiles étoient autant de foleils
femés dans l'immenfité de la nature
; elles ne connoiffoient d'autre monde
30
ม
MA I. 1758.
que celui- ci . Elles pouvoient bien avoir
»' une haute idée de leurs charmes , puif-
» que , croyant ce monde unique , elles
en font l'unique ornement. Renonce-
» riez - vous , comme elles , aux grandes
» idées que ce livre fait naître , pour
toutes les bagatelles que votre fexe admire
? Non , foutenez vos droits au bon
» fens , & montrez aux hommes que la
raifon n'eft pas faite pour eux feuls . »
" Et vous , fieres beautés , qui préten-
» dez aux autels , & qui regarderiez com-
» me des facrileges , ceux qui refuferoient
» de vous adorer ; lifez ceci , & foyez
» vaines , fi vous l'ofez encore .
» Vous même , dont l'empire eft fi étendu
» & fi affuré , que feriez- vous pour nous
»fans les agrémens de votre efprit ? Quand
» tous ceux qui vous voient , vous ver-
» roient avec mes yeux ; quand aucune
»maladie ne viendroit ternir votre beauté
; quand vous feriez enfin tout ce que
" je penfe de vous , & tout ce que ceux
» qui vous connoiffent , en penfent com-
»me moi , quel efpace , quelle durée pour
» vos charmes ? une ifle, & au plus la moi→
→ tié d'un fiecle .
La fuite pour le Mercare prochain.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE
Ce
VERS
A Mademoiselle Frogier- Dupleffis
Vous , que Plutus & les Amours
Carefferent dès votre enfance ,
Qui voyez couler tous vos jours
Dans les plaifirs & l'abondance ;
Vous , que les graces ont ornée
Des appas les plus féduifans ,
Qui dès votre quinzieme année
Avez le coeur de mille Amans ;
Aimable Eglé , dont la tendreffe
Feroit ma feule volupté ,
Que j'envie la félicité
De l'objet qui vous intéreffe !
Heureux celui qui tous les jours
Vous voit , vous entend , vous admire ,
Dont vous écoutez les difcours ,
Qui vous aime , & peut vous le dire !
Ah ! que mon fort feroit heureux
Si vous répondiez à ma flamme ,
Et fi vous fentiez en votre ame
que m'ont infpiré l'éclat de vos beaux yeux.
Hélas ! fi de l'amour la douce tyrannie ,
Si le feu le plus pur & la plus vive ardeur
'Avoient pu , belle Eglé , mériter votre coeur ,
Vous feriez maintenant le bonheur de ma vie.
MA I. 1758. '57.
Je ne refpire que pour vous ;
De vos divins attraits mon ame eſt embraſée ,
Et je me fais le plaifir le plus doux
D'occuper mon efprit de votre chere idée.
Cependant vous me haiffez ,
Vos beaux yeux évitent ma vue :
Vous me bravez , cruelle , & fans fin vous
verfez
Dans mon coeur enflammé le poiſon qui le tue.
Par quel crime ai - je pu m'attirer vos rigueurs e
Hélas ! divine Eglé , depuis que je foupire ,
La raiſon n'eut jamais fur moi le moindre em
pire :
Pardonnez à l'Amour les fréquentes erreurs ;
Mais , quel que foit mon fort , votre gloire m'eft
chere ,
Et qui l'offenferoit effuyeroit mon courroux :
Je n'aſpirerois pas au bonheur de vous plaire ,
Si je ne me croyois un coeur digne de vous.
QUILANFER
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
J'AI 'AI l'honneur , Monfieur , de vous envoyer
la traduction que j'avois faite , il y a
long- temps , de quelques penfées détachées
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
de Pope & de Swift : un de mes amis à
qui j'ai montré ces penſées , m'a appris
qu'il y en avoit une partie dont on avoit
inféré la traduction dans l'Année Littéraire
( 1754 , N°. 27 , pag. 103 ) . J'ai lu cette
traduction , & je n'ai pas cru devoir pour
cela fupprimer celle que j'ai faite des mê
mes morceaux ..
M. Fréron dit quelque part , fi je ne me
trompe , que la plupart de nos Traducteurs
dé l'Anglois , au bout de quelques leçons
fe dépêchent d'envoyer leurs thêmes à l'Im,
primeur. Auffi trouve - t'on qu'il ne leur
manque guere que le goût de leur propre
langue , & l'intelligence de celle qu'ils
veulent traduire. Je ne dis pas cependant
que ce foit le cas de l'Auteur de la traduction
dont je parle , dans laquelle on pourroit
feulement défirer plus d'élégance , plus
de précifion , une littéralité moins timide
& plus fidelle, & furtout le ton propre aux
penfées détachées. On peut en juger par
quelques traits que je citerai en notes. Je
n'ai pas prétendu d'ailleurs reprendre toutes
les fautes que j'ai cruappercevoir , parce
que les détails de critique font faftidieux ,
lorfqu'ils ne font relevés ni par l'importan .
ce des objets , ni par le nom des Auteurs.
Jelaiffe d'ailleurs à celui que je critique , le
plaifir de s'égayer aux dépens de ma tras
M A I. 1758. 59
duction , & il aura d'autant plus d'avantage
, que je ne me fuis pas donné la peine
d'en vérifier l'exactitude , en la confrontant
avec l'original que je n'ai pas
dans ce
moment entre les mains. Je fuis , &c.
PENSÉES détachées , traduites de l'An
glois de Pope & de Swift.
(1) Il n'ya jamais eu de partis , de factions,
de fectes , de cabales , de quelque nature
que ce foit , où les plus ignorans n'ayent
été les plus ardens : car l'abeille n'eft pas un
animal plus occupé qu'un fot : ce font cependant
des inftrumens néceffaires aux Po
litiques , & peut- être qu'il en eft des Etats
comme des horloges , dans lefquelles on ſe
fert de gros poids pour aider & régler le
mouvement des refforts plus deliés & plus
utiles.
Prétendre émouvoir la multitude par
(1 ) Je ne fçais pourquoi cette penſée a été ainſi
mutilée dans la traduction dont j'ai parlé. « Un
fot eft plus affairé que l'abeille la plus difigen-
» te. De tels inftrumens font pourtant néceffaires
» aux Politiques. Il en eft peut - être dés états
comme des horloges qui demandent plufieurs
»poids de plomb , pour aider & rendre régulier le
>> mouvement des parties les plus déliées & les
plus néceffaires. »
"
Cvji
60 MERCURE DE FRANCE.
des traits fins & délicats , c'eft effayer de
couper du marbre avec un rafoir.
La fineffe & l'élévation de l'efprit ne
font pas fi utiles que le bon fens . Il y a
beaucoup de gens d'efprit pour un homme
de fens ; celui qui ne porteroit fur lui
que de l'or , feroit tous les jours embarraſfé
faute de monnoye.
La fcience eft comme le mercure , qui
eft un des plus puiffans & des plus excellens
remedes dans des mains habiles ,
des plus dangereux dans des mains malhabiles
.
&
Les plans de gouvernemens trop compliqués
font comme des chef - d'oeuvres
d'Horlogerie , dont la jufteffe dépend de la
combinaifon de tant de mouvemens différens
, qu'ils fe dérangent très -facilement.
La vanité d'un homme eft précisément
en proportion de fon peu de jugement.
(1 ) La modeftie n'a befoin d'être recom-
(1 ) Cette penſée avoit été rendue ainfi : « La
modeftie ne peut jamais produire de bons effets ,
» & par rapport à nous-mêmes , & vis - à - vis du
» Public. Un homme qui prétend à peu vit tran-
» quille : un glorieux , au contraire , eft continuel-
» lement dans la gêne pour paroître ce qu'il n'eft
pas. Si nous avons du génie & des talens , notre
» modeftie eft ce qui le prouve le mieux aux au-
» tres : fi nous fommes dépourvus de lumieres &
» d'efprit , notre modeftie eft encore le meilleur
M.A L. 1758. Br
mandée que par elle-même un homme
fans prétention eſt toujours à fon aiſe , au
lieu que la vanité exige un travail continuel
pour paroître ce qu'on n'eft pas. Si
nous avons de l'efprit , la modeftie le prouve
aux autres ; fi nous n'en avons pas , elle
en cache le défaut. De même que la rougeur
fur le vifage d'une proftituée , peut
quelquefois la faire prendre pour une
honnête femme , la modeftie peut auffi
faire paffer fouvent un fot pour un homme
d'efprit.
*
L'avantage de l'homme n'eft pas tant
d'être exempt de fautes que de fçavoir les
réparer. Il en eft des erreurs de l'efprit
comme des mauvaiſes herbes d'un champ
qui , arrachées & brûlées fur le terrein qui
les a produites , l'engraiffent & le rendent
meilleur qu'il n'auroit été , fi elles n'y fuffent
pas venues.
»
(1 )Pourquoi rougir d'avouer qu'on s'eft
» moyen de cacher ce qui nous manque de ce
» côté-là. Car de même que la pudeur peut quelquefois
faire prendre une fille publique pour ,
une honnête femme , ainfi la modeftie peut
» faire prendre un fot pour un homme d'eſprit . »
Quelle élégante préciſion !
(1 ) « Un homme ne devroit jamais rougir d'a
vouer qu'il a tort , car , en faiſant cet aveu , c'eft
» comme s'il difoit qu'il eft plus fage aujourd'hui
»qu'il ne l'étoit hier. »
3 MERCURE DE FRANCE:
rompé ! n'eft- ce pas dire qu'on eft plus
fage aujourd'hui qu'on ne l'étoit hier ?
Se mettre en colere , c'eft punir fur foimême
les fautes d'autrui.
La fuperftition eft la ( 1 ) confomption
de l'ame.
L'Athée n'eft qu'un fou qui fe moque
ridiculement de la religion , mais l'Hypocrite
joue de fang froid Dieu & la religion .
Il trouve plus aifé ( 2 ) de tomber à genoux
que de s'élever à une bonne action . C'eft
un débiteur impudent , qui vient tous les
jours caufer familiérement avec fon créancier
, fans lui payer jamais ce qu'il lui
doit.
Quand nous fommes jeunes, nous tra
vaillons en efclaves pour nous procurer de
quoi vivre agréablement dans la vieilleffe :
& quand nous fommes vieux , nous nous
appercevons qu'il eft tard trop pour vi
vre comme nous nous l'étions propofé.
Un homme de génie n'eft pas incapable
d'affaires , mais il eft au deffus des affai
res. Un cheval fier & plein de feur , por
teroit un bât tout auffi - bien qu'un âne ,
(1 ) Le spleen.
fe
( 2 ) Le premier Traducteur a rendu ainfi cer
endroit « Il trouve plus aifé de ſe baiſſer pour
» mettre à genoux , que de fe lever pour faire une
bonne action , &Cr
MAI. 1758.
mais il eft trop bon pour être employé à ce
vil fervice.
Je ne jette prefque jamais les yeux
fur un bel édifice , ou fur quelque monument
de pompe & de magnificence , que
je ne me dife à moi- même : cela eft bien
peu de chofe pour raffafier l'ambition &
remplir les defirs d'une ame immortelle !
( 1 ) Si vous voulez réunir à une feule
religion tous les hommes raiſonnables &
fans prévention , faites les converfer tous
les jours enfemble.
S'il eft raisonnable de douter de beaucoup
de chofes , nous devons furtout dou
ter de notre raison qui prétend tout expliquer.
Les mauvais Critiques qui difent du
mal des mauvais Auteurs , font comme
ces Charlatans qui crient fans ceffe qu'on
fe donne bien de garde des faux orviétans ; .
ils decrient les drogues d'autres fourbes
pour faire paffer les leurs.
En France un Ecrivain n'en attaque
guere un autre , s'ils n'ont eu enſemble
quelque démêlé perfonnel ; en Angleterre
les Auteurs ne louent guere que ceux aves
qui il font liés d'intérêt ou d'amitié .
( 1 ) La premiere traduction dit : « Il ne fautpour
rendre d'une feule Religion tous les gens
fenfés , &c.
34
MERCURE DE FRANCE:
( 1 ) Je n'ai jamais connu perfonne qui
ne fût en état de fupporter les malheuts
des autres avec la fermeté d'un Chrétien.
Les hommes font reconnoiffans au mê
me degré qu'ils font vindicatifs .
La diffipation eft le bonheur de ceux qui
ne fçavent pas penfer.
(2 ) La plupart des vieillards reffemblent
aux anciennes chroniques. Ils nous font
des détails ennuyeux , mais vrais de leur
temps , & ne font bons à connoître que
pour cet ufage.
L'oeil des Critiques eft ordinairement
comme un microfcope travaillé avec foin,
Il découvre bien les fibres les plus déliées ,
les particules les plus menues d'un objet ,
mais il n'embraffe pas tout l'objet ; il n'en
réunit pas toutes les parties , & fait perdre
l'harmonie de l'enfemble.
Une femme ne hait jamais un homme
parce qu'il a de l'amour pour elle ; mais
elle pourra bien le haïr s'il n'a de l'a
mitié.
que
( 1 ) M. de la Rochefoucault avoit dit : Nous
avons tous affez de force pour supporter les maux
d'autrui.
(2 ) Voici la premiere traduction : « Les vieilles
>> gens font comme les vieilles chroniques , pour
» la plûpart : elles renferment des récits ennuyeuz
& vrais du temps paffé , & ne valent la peine
» d'être conſultées que pour cela.
M A I. 1758.
(1 ) Le cri général eft contre l'ingratitude :
cela eft injufte ;il devroit être contre l'or
gueil. Une ingratitude ouverte & volontaire
n'eft faite que pour des ames vraiment
méchantes , mais ordinairement celui
qui rend fervice , croit faire plus qu'il
ne doit à celui qu'il oblige , & celui- ci croit
prefque toujours avoir reçu moins qu'il ne
méritoit .
Un Roi d'Angleterre peut bien n'être
qu'un inftrument , un homme de paille ,
mais s'il fert à intimider nos ennemis , &
à défendre nos poffeffions , il eft utile . Un
épouvantail que nous mettons dans nos
champs , eft auffi un homme de paille , mais
il défend nos bleds .
Penfees de Swift.
Nous avons précisément autant de religion
qu'il nous en faut , pour nous haïr
( 1 ) . On avoit traduit : « Le cri général eft contre
l'ingratitude ; mais ces clameurs font dépla
cées : le cri général devroit être contre la va
nité. Il n'y a que des malhonnêtes gens qui
»foient capables d'une ingratitude marquée &
» volontaire. Mais il n'y a prefque perfonne qui
» ne penfe qu'il a fait plus que celui à qui il a
rendu fervice ne méritoit , tandis que ce dernier,
de fon côté , croit qu'il a reçu beaucoup moins
» qu'il ne méritoit. »
73 MERCURE DE FRANCË:
mutuellement ; mais nous n'en avons pas
pour nous aimer. affez
Je ne me fouviens plus fr l'Ariofte a
mis les confeils au nombre des chofes perdues
fur la terre , qu'on retrouve dans la
lune ; ils doivent y être auffi- bien que lo
tempsi
La religion femble être tombée en end
fance ; elle auroit befoin de miracles pour
fe foutenir , comme dans fa naiffance.
Les plaifirs vifs font balancés par un égal
degré de peine & de langueur : s'y livrer ,
c'est dépenfer cette année une partie du
revenu de l'année prochaine .
Un homme fage employe la derniere
partie de fa vie à fe guérir des préjugés ,
des foibleffes , & des fauffes opinions qu'il
a contractés dans la premiere
Quand un vrai génie paroîtra dans le
monde , vous le reconnoîtrez à cette marque
, que tous les fots fe ligueront contre
lui.
- Quelques Ecrivains , fous prétexte de'dé
truire les préjugés , déracinent les vertus ,
l'honnêteté & la religion .
Hérodote nous dit que dans les pays
froids , les animaux ont rarement des cornes
, & que dans les pays chauds ils en ont
de fort grandes. Cela pourroit avoir une
plaifante application .
MÁ Í. 1758 67
1
Quoi qu'en difent les Poëtes , il eft für
qu'ils ne donnent l'immortalité qu'à euxmêmes
; c'eft Homere & Virgile que nous
admirons dans leurs poëmes. Ce n'eft ni
Achille , ni Enée. Il en eft autrement des
Hiftoriens , nos penfées fe fixent fur les
actions , les événemens & les perfonnes
dont ils nous parlent , & nous ne penfons
guere à l'Écrivain
Ceux qui jouiffent de tous les avantages
de la vie , font dans une telle fituation ,
qu'il y a mille événemens qui peuvent
troubler leur bonheur , & très- peu qui
puiffent l'augmenter.
Je fuis porté à croire qu'au jour du jugement
, le fçavant qui aura manqué de
moeurs , & l'ignorant qui aura manqué de
foi , trouveront peu d'indulgence ; l'un
& l'autre feront fans excuſe. Čela rend les
avantages de la fcience & de l'ignorance
prefque égaux , mais quelques doutes de
plus dans le fçavant , & quelques vices
dans l'ignorant , feront peut- être pardonnés
à la force de la tentation.
Si un homme vouloit tenir compte de
toutes les opinions qu'il a eues fur l'amour,
ła religion , la politique , les fciences , & c.
quel cahos d'inconféquences & de contradictions
ne trouveroit- il pas à la fin !
Quand je jette les yeux fur la plupart de
68 MERCURE DE FRANCE.
ceux que nos Dames honorent de leurs fa
veurs , je ne puis me défendre d'avoir quel
que vénération pour la mémoire de ces cavalles
, dont parle Xénophon , qui , tant
qu'elles étoient dans leur jeuneffe & leut
beauté , ne vouloient pas fouffrir les careffes
d'un âne .
Vouloir , comme les Stoïciens , corriger
fes défauts en détruifant les paffions ,
c'eft fe couper les pieds quand on manque
de fouliers.
Il ne devroit pas être permis aux Médeçins
d'opiner en matiere de religion , par la
même raifon que les Bouchers ( 1 ) ne font
pas admis à être Jurés , quand il s'agit de
vie & de mort .
Si l'on voit fi peu de mariages heureux ,
c'est que les jeunes femmes perdent leur
temps à faire des filets , & ne fongent pas
à faire des cages.
La cenfure eft une taxe que le public
impofe fur le mérite fupérieur.
Les vieillards voient mieux à une certaine
diſtance , avec les yeux de l'enten-
(1) On fçait qu'en Angleterre un homme ac
cufé d'un crime eft jugé par douze Jurés , qui font
choifis parmi les perfonnes de fon état. Les Bou
chers feuls ne peuvent être Jurés , quand le crime
eft capital , à caufe de la préfomption de cruauté,
fans doute , que leur profeffion fuppofe
M A I. 1758. 69
dement , comme avec ceux du corps.
Un payfan mourant de l'afthme , difoit
: Ah ! fi cette maudite refpiration peut
une fois fortir , je l'empêcherai bien de
rentrer.
La loi , dans un pays libre , eft , ou
doit être la détermination du plus grand
nombre de ceux qui font propriétaires des
terres .
( 1 ) Chacun defire de vivre longtemps ;
mais perfonne ne veut être vieux.
Très- peu de gens , à proprement parler
, vivent à préfent ; mais tous fe difpofent
à vivre dans un autre temps .
J'ai connu des gens d'une grande répu
tation de fageffe dans les affaires publiques
& dans les confeils , gouvernés par des
valets imbécilles .
J'ai connu de grands Miniftres diftingués
par l'efprit & les connoiffances , qui
n'employoient jamais que des fots .
J'ai connu des gens de la plus grande fineffe
, perpétuellement dupés.
Les Princes font ordinairement de meilleurs
choix , que les fubalternes qu'ils
(1) J'ai traduit cette penfée pour faire voir
qu'il peut échapper à un homme de beaucoup
d'efprit , de grandes puérilités . C'eft précisément
parce que chacun veut vivre long- temps , que
perfonne ne veut être vieux,
MERCURE DE FRANCE
chargent de la diftribution des places .
Les plus lauables & les plus grandes
chofes ne font pas celles que demande le
grand nombre , mais la grande probité
Auffi un Koi , pour fe faire une réputation
„de bienfaiſance , n'a beſoin que d'être un
honnête homme & d'être bien conſeillé.
fi
Malgré les plaintes fi communes fur les
vices des gens en place , je n'ai point connu
de Miniftres & d'hommes à la tête des
affaires , méchans que leurs inférieurs.
Leur éducation & leurs connoiffances les
préfervent de cent baffeffes ordinaires , &
s'ils deviennent durs ou injuftes , ils y
font entraînés plus par la néceffité de leur
fituation , que par un penchant naturel au
mal.
L'envie s'attache furtout à la réputation
des hommes vertueux , comme les
oifeaux & les vers s'attachent aux meil
leurs fruits.
MA I. 1758. སྙ
VERS
AM. D. H. G. D. L. R. pour le premier
Jour de l'An.
I eft un lieu dans l'Univers,
Impénétrable à l'impofture ,
Où la vérité fimple & pure ,
Fait feule entendre fes Concerts,
Loin de la foule menfongere ,
Guidé par la fincérité ,
J'aurois , pour vous , dans ce temple enchant
Offert aux Dieux mes voeux & ma priere ;
Mais ils yous ont déja comblé
LE
De tous les dons qui fçavent plaire.
Quand on a tout , cher d'H...lai ,
Les fouhaits n'ont plus rien à faire,
E mot de l'Enigme du fecond Mercure
d'Avril eft l'Eil. Celui du Logogryphe eſt
Récrimination , dans lequel on trouve Na
tion , ré , cri , mimi , Nonce , Carme , or
once , air , ramier , rame & Antoine.
72 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
DANS un palais d'yvoire on me trouve eas
fermée ;
Je ne fuis point au large , & ne fuis point gênée:
Le bien , le mal , font tous à mon pouvoir ;
Je poffede beaucoup fans pourtant rien avoir.
Iris , pour toi , j'ai toujours l'avantage
Dans ma prifon , de te donner pour gage
Tout ce que peut fur un coeur amoureux
Infpirer fans regret la force de tes yeux.
Par M. de V *** .
La perfonne qui nous a envoyé l'Enigme
du premier volume d'Avril , l'a mife fous
le nom de Mademoiſelle de la Boiffierre ,
de Moulins , qui nous a chargé de publier
fon défaveu . Nous prions très-inftamment
ceux qui nous feront l'honneur de nous
adreffer leurs productions de ne pas commettre
de femblables infidélités ; car nous
ne pourrions nous difpenfer de démafquer
aux yeux du Public ces fauffaires , fi nous
parvenions à les reconnoître.
LOGOGRYPHE.
MA I. 1758. 73
A
LOGOGRYPHE.
tes yeux quelquefois vile avant que de naître
Si je plais , à l'art feul je dois ce que je fuis ;
Quelque part où le goût me force de paroître ;
J'ai toujours l'heureux don de charmer les ennuis
Mon fein loge un captif que tu chéris peut-être ;
Ilfut long-temps fans gloire : en honneur aujour
d'hui ,
Je lui donne des fers , on en reçoit de lui :
Cher Lecteur , à ces traits peux- tu me mécon◄
noître ?
J'ai neuf pieds dans mon tout , je renferme un
poiffon ,
Une arme , un élément , un être fans raifon
Du Berger & du Roi le lugubre appanage ;
Un peuple de l'Afie , & fon vafte héritage :
L'Artifan fabuleux d'un horrible forfait ,
Que le foleil , dit- on , n'éclaira qu'à regret ;
Ce
que porte
fans ceffe une vile monture ,
Pour Cérès en automne un vrai lieu de torture ;
Ce qui pare un Pontife : un Empereur Romain :
corps une partie ; un fleuve ultramontain.
Ce n'eft pas tout , Lecteur , il te refte à réfoudre
Du
Ce
que poffede un Prince , un lieu d'où part la
foudre ;
Un afyle fur mer , un péché capital ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Du fuprême Ouvrier l'induftrieux rival ;
Certain pays en France ; animal amphibie ;
Une marque d'honneur , un ton dans l'harmonie ;
Enfin , fans t'ennuyer d'un détail importun ,
Au Prêtre , au Magiftrat , un ornement commun.
BLAND DE S. JUST,
Qu
CHANSON.
UAND les Oiseaux de nos boccages ,
Pour annoncer l'aftré du jour ,
Uniffent leurs tendres ramages :
Qui les éveille e c'eft l'amour.
Dans nos jardins aux fleurs nouvelles ,
Quand ces Papillons font la cour ,
Qu'ils voltigent , battent des ailes :
Qui les anime ? c'eſt l'amour.
Par M. Ball ***
* pour la Comteffe S. A.
Tres lent.
Chansonette .
Quand les oiseaux de nos boccages,Pour annon
cer
l'astre du jour, Unissent leurs tendresra
+
ma
ges; Quiles
e
W W
veille ? c'est l'amour. Dans nos jardins, aux
fleurs nouvelles Quand les papillonsfontla cou
Qu'ils voltigent, battent des ai
W
les Qui les a- ni- me? c'est l'amour.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATION8
.
M A I. 1758 . 75
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
DEFENSE de la Chronologie fondée ſur
les monumens de l'hiftoire ancienne contre
le fyftême chronologique de M. Newton
; par M. Fréret , Penfionnaire & Secretaire
perpétuel de l'Académie des Belles-
Lettres. A Paris , chez Durand , rue du
Foin , au Griffon , 1758 , in 4° . de 506
pages , fans compter la préface qui en
ass.
Voici un ouvrage pofthume de feu M.
Fréret , qu'il avoit achevé près de vingt
ans avant fa mort. Le nom de l'Auteur qui
avoit fait une étude approfondie de la chronologie
, à laquelle il avoit confacré fes
veilles , fuffit pour en donner l'idée la plus
avantageufe. Nous ofons dire que le fuccès
de fes autres productions en ce genre
de littérature , dont il a enrichi le recueil
des mémoires de l'Académie des Belles- Lettres
, fert à la juftifier . Il y a beaucoup
d'apparence que le traité chronologique
que nous annonçons , n'eût jamais vu le
Dij
76 MERCURE DE FRANCE:
jour fans les foins de M. de Bougainville ;
entre les mains duquel il étoit refté manufcrit.
C'est à lui qu'on eft redevable de
fa publication , & par là il acquiert un
droit réel à la reconnoiffance de tous les
gens de lettres , qui font entrer la fcience
des temps dans le plan de leurs recherches
fur l'antiquité. Ç'auroit été une vraie perte
pour eux , que la privation du travail de
de notre fçavant Académicien , que nous
jugeons très-propre à répandre de nouvelles
clartés fur la chronologie des anciens
peuples , obfcurcie par la fable dont les
menfonges ont altéré la vérité des événe
mens des premiers fiecles. M. de Bougainville
a trop fenti par lui-même fon utilité ,
pour laiffer plus longtemps un ouvrage
cette nature enfeveli dans la poufliere du
cabinet. M. Fréret l'avoit toujours deftiné
à l'impreffion ; s'il s'eft arrêté au fimple
projet fans l'exécuter , on doit en rejetter
la faute fur des occupations qui l'ont empêché
de revoir ce traité avec l'attention
néceffaire pour le mettre en état de paroître
au jour. Quoi qu'il en foit , M. de Bou
gainville remplit aujourd'hui les premie
res intentions de l'Auteur : il fatisfait à
P'engagement qu'il avoit contracté avec le
public , en réitérant plufieurs fois la proeffe
de lui en faire part. Il s'excufe de ne
de
MA I. 1758. 77
s'être pas acquitté plutôt de fa parole fur
des obftacles qui ont différé l'impreffion
de ce livre , & dont il a jugé à propos de
fupprimer le détail . Il eft du moins heureux
pour M. Freret , que ne l'ayant point
publié de fon vivant , il fe foit trouvé
après la mort une perfonne du mérite de
M. de Bougainville , qui faffe les fonctions
d'éditeur . Čet ouvrage eft précédé d'une
préface de fa façon , qui nous a paru trèsbien
écrite. Elle eft divifée en deux parties,
dont la premiere eft un préliminaire qui
contient une expofition circonftanciée des
faits qui ont occafionné la compofition des
nouvelles obfervations fur le fyftême chronologique
de M. Newton . C'est le titre que porte
le traité dont il s'agit. Nous nous flattons
que nos lecteurs nous fçauront quelque gré
de leur en donner ici d'apres l'éditeur , un
précis qui les inftruiſe du fonds de cette
difpute littéraire.
M. Newton jouiffoit de la réputation la
plus brillante , qu'il devoit à la fublimité
de fes fpéculations philofophiques. Elles
lui attiroient l'admiration des plus célebres
Mathématiciens de l'Europe , dont plufieurs
fe faifoient honneur de le regarder
comme leur maître , en adoptant fes hypotheſes.
Les heureufes découvertes qui étoient
D iij
78 MERCURE DE FRANCE :
fa
le fruit de fes méditations , marquoient
affez la vafte étendue de fon génie ; mais
on ne connoiffoit pas encore l'univerfalité
de fes talens , parce qu'il fuffifoit pour
gloire , de s'être produit dans la république
des lettres en qualité de profond Géometre
& d'excellent Phyficien . On ignoroit
que depuis quelques années , il travailloit
à un nouveau plan de chronologie
, dont l'objet étoit la réforme des annales
des nations , qui ont le plus figuré
dans l'antiquité. Il employoit à le dreffer
fes momens de loifir , ou interrompant le
cours de fes occupations ordinaires , il cherchoit
à s'en délaffer par un travail d'un
autre genre . On ne fe feroit fans doute pas
imaginé , qu'il eût choifi l'étude d'une
fcience qui , à divers égards eft auffi épineufe
& auffi compliquée dans fes calculs , que
peuvent l'être les opérations algébriques.
Il falloit affurément pofféder au plus haut
degré l'efprit de combinaifon , & s'être
rendu toutes fortes de calculs bien familiers
, pour fe propofer comme un fimple
amufement , ce qui demande , de la part
commun des hommes , l'application la
plus pénible & l'attention la plus réfléchie .
Au refte , cela prouve que ce penchant invincible
de la nature pour certaines étu
des préférablement à d'autres , étend me
du
M A Ì. 1758. 79
me fes droits jufqu'aux objets que nous faifons
fervir à notre délaffement , en les
rapprochant , par une analogie imperceptible
, de notre goût primitif. M. Newton
n'avoit mis qu'un petit nombre d'amis particuliers
dans la confidence de fes travaux
chronologiques. Comme la probité n'étoit
en aucune façon liée à ce fecret , qui n'en
étoit un que par un pur effet de fa délicateffe
qui provenoit d'un grand fonds de modeftie
, il ne fut pas fi bien gardé qu'il ne
perçât dans le public. La Princeffe de Galles
, depuis Reine d'Angleterre , prenoit
l'intérêt le plus vif aux études de notre
Philofophe , pour qui elle étoit pénétrée
d'eftime ; jufques-là qu'elle fe félicitoit de
l'avoir pour contemporain . Elle fut une
des premieres perfonnes à qui il communiqua
fes vues générales fur l'ancienne
chronologie . Ayant été frappée de la nouveauté
de fes idées , qui portoient l'empreinte
de ce génie inventeur , dont brillent
toutes fes productions , elle le pria
de faire , pour fon ufage feul , un abrégé de
tout l'ouvrage qu'il avoit compofé fur cette
matiere. Il étoit trop flatté de l'amitié dont
cette Princeffe l'honoroit , pour ne la pas
fatisfaire fur ce qu'elle lui demandoit. Les
précautions qu'on employa pour tenir le
manufcrit caché , furent une foible ref-
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
fource contre la curiofité d'une infinité de
gens attentifs à tout ce qui pourroit fortir
de la plume d'un homme auffi célebre que
M. Newton. Quelques- uns tenterent adroitement
les moyens de fe procurer une copie
du manufcrit , qui avoit été remis entre
les mains de la Princeffe , & ils furent
affez heureux pour réuffir dans leur tentative.
Il s'en fit plufieurs autres copies
dont il s'en échappa une qui parvint en
France par les foins d'un noble Vénitien
appellé l'Abbé Conti , qui l'y avoit apportée
d'Angleterre , où il avoit réfidé.
Elles ne tarderent pas à fe multiplier par
la même voie , & elles fe répandirent rapidement
dans Paris. M. Fréret, dont la paf
fion pour l'étude de la chronologie aug
mentoit encore l'empreffement qu'il avoit
de connoître l'ouvrage manufcrit du Mathématicien
Anglois fur ce fujet , obtint
d'un de fes confreres , affocié à l'Académie
des Belles- Lettres , la communication
d'une de ces copies qu'il tranſcrivit de fon
côté. C'eft fur ce précis qu'il fe livra à un
examen rigoureux du nouveau fystême ,
qui l'allarma d'autant plus que le point de
vue fpécieux , fous lequel il fe préfentoit
d'abord , pouvoit en impofer au premier
coup d'oeil. En effet , il étoit très- capable
de féduire ceux qui ne ſe donnent pas la
M A 1. 1758.
peine de pénétrer dans le fonds des chofes ,
afin d'être en état d'en juger fainement.
Cette alarme étoit autorisée par les changemens
confidérables qu'il introduifoit
dans l'ordre des temps , que les Ecrivains
les plus exacts de l'antiquité marquoient
pour l'établiffement des premiers Empires :
changemens qui ne tendoient à rien moins
qu'à fapper la foi de tous les monumens
d'où l'on fait dépendre la fixation des épo
ques capitales de l'hiftoire ancienne. On
prétendoit y fubftituer une hypotheſe chronologique
, appuyée fur des principes dont
on abufoit dans les conféquences , ou qui
péchoient dans l'application. M. Fréret réfléchiffant
fur le danger des nouvelles opinions
fi promptes à s'accréditer , quand
elles ont pour Auteurs des hommes célebres
, forma la réfolution de combattre
celles dont il s'agit , & de maintenir la vérité
des dattes établies fur les témoignages
hiftoriques. Ces opinions avoient beau lui
paroître autant de paradoxes , il fçavoit
que plus elles tenoient de la fingularité ,
plus il étoit à craindre qu'elles ne trouvaffent
de zélés partifans dans la perfonne de
ces littérateurs toujours avides de la nouveauté
des fentimens , & prêts à adopter
les idées même les plus bizarres , dès qu'el
les offrent une ample matiere à faire bril
Dv
82 MERCURE DE FRANCE:
ler leur efprit. Il commença par traduire
en françois l'abrégé chronologique en
queftion : il accompagna cette traduction
d'Obfervations générales , dans lesquelles ,
fans hazarder une critique prématurée
des fimples affertions dénuées des preuves
de détail , qui devoient être difcutées dans
le corps de l'ouvrage d'où on les avoit extraites
, il s'attacha aux fondemens du fyftême.
Il fe propofa , en les ruinant, de renverfer
le nouvel édifice qu'on s'efforçoit
de conftruire fur les débris des monumens
de l'antiquité les plus authentiques.
M. Fréret n'avoit d'abord d'autre deffein
en travaillant à ces obfervations , que de.
les communiquer à quelques amis , qui
vouloient avoir une notion nette & diftincte
du fyftême chronologique de l'Auteur
Anglois , & fçavoir le jugement qu'er
portoit notre Académicien fi exercé dans
ces fortes de matieres. Mais à la vue d'une
nouvelle traduction de cet abrégé dont il
fe divulgua plufieurs copies en peu de
temps , il fe détermina à rendre publique
la fienne , à laquelle il joignit fes remarques.
C'eft ce qu'il crut être d'autant plus
en droit de faire , que le manufcrit ne lui
avoit pas été confié fous la condition du
fecret. Il céda alors aux preffantes follicitations
que lui faifoit la perfonne qui dis
MA I. 1758.
83
rigeoit la nouvelle édition de l'Hiftoire des
Juifs , par M. Prideaux , qui s'imprima à
Paris en 1726 , pour l'engager à publier
fa traduction & fes obfervations à la fuite
de ce grand ouvrage . Ce font ces deux
morceaux qui terminent le feptieme volume.
M. de Bougainville a fait réimprimer
les feules obfervations à la tête des nouvelles
. Cependant M. Fréret , avant que de
les donner à l'impreffion , exigea du Libraire
qui s'en étoit chargé , qu'il écrivît
trois fois différentes , à M. Newton , pour
le prévenir de fes intentions , & avoir l'aveu
de ce fameux Géometre. Il fe flattoit
de l'obtenir , parce qu'il ne préfumoit pas
que le Sçavant Anglois , dont la modeftie
& la candeur étoient connues de toute l'Europe
, pût lui fçavoir mauvais gré des objections
qu'il propofoit contre fon fyftême
fur la chronologie des anciens peuples.
C'étoit même moins des difficultés qu'il
formoit , que des doutes dont il demandoit
l'éclairciffement : fi d'ailleurs il combattoit
l'hypothefe du nouveau Chronologifte
, il le faifoit avec tous les égards dûs
à fa grande réputation : le ton de déférence
qu'il prenoit dans cet écrit , témoignoit
affez l'eftime fincere & profonde
qu'il avoit pour lafupériorité de fon métite.
La publication de l'ouvrage de M.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
que
Fréret ayant été fufpendue pendant fix
mois entiers , comme le Libraire ne recevoit
aucune réponſe de la derniere lettre ,
dans laquelle il donnoit avis,à M. Newton,
fon filence feroit pris pour un effet de
fon approbation , notre Académicien crut
qu'il feroit inutile d'attendre plus longtemps.
I laiffa le Libraire maître d'agir
conformément à l'ufage établi , & de fe
munir d'un privilege pour l'édition de l'ouvrage.
Tous ces faits font détaillés avec
exactitude , autant qu'il nous paroît , dans
un avertiffement que M. Fréret a mis à la
tête de fes Nouvelles Obfervations. On eft
étonné , qu'après avoir employé les mefures
néceffaires pour ôter à M. New
ton tous les fujets de plainte qu'il auroit
pu former , il ait effuyé de fa part des
reproches très vifs ; jufques - là qu'ils
devenoient perfonnels. Il falloit que cet
illuftre Philofophe eût oublié en ce moment
fa douceur naturelle , pour taxer d'irrégularité
une pareille conduite , qui , tout
bien confidéré , nous femble fort innocente.
Difons plutôt , que fon extrême
fenfibilité dans cette occafion , provenoit
d'un grand fonds de prédilection pour fon
fyftême de chronologie , auquel il a paru
s'intéreffer par- là , beaucoup plus qu'à aucune
de fes découvertes géométriques ,
-
MA I. 1758. 85
J
dont quelques-unes avoient éprouvé également
des contradictions & des critiques.
Cependant il avoit vu ces attaques d'un
cil affez tranquille , pour ne pas éclater
par des plaintes dures & ameres contre ceux
qui en étoient les Auteurs. Il fit inférer
dans les tranfactions philofophiques de l'année
1726 , nº . 389 , vol . 33 , pag. 315 , un
écrit de ſa façon , fous le titre de remarques
fur les Obfervations faites fur l'abrégé
chronologique de M. Newton , traduit en
françois , & publié à Paris , par l'Auteur des
Obfervations. Ces remarques furent tradui -
tes en françois , & imprimées à Paris dans
le cours de la même année. M. Newton y
accufoit l'obfervateur de ne s'être propofé
d'autre but , en réfutant fon ſyſtême , que
la fatisfaction maligne d'étouffer , pour ainfi
dire , au berceau , une production qu'il
chériffoit comme l'enfant de fon loifir. Il lui
reprochoit enfuite de fréquentes mépriſes ,
où l'avoit fait tomber la précipitation donu
il avoit ufé pour le combattre. Il ajoutoit
encore que , faute d'avoir bien entendu le
véritable fens des deux principes fondamentaux
du fyftême , il avoit altéré fes
idées , pour lui attribuer des fentimens
différens des fiens. M. Fréret fut fenfiblement
touché d'imputations auffi graves ,
qu'il n'avoit prévues , ni méritées . Comme
16 MERCURE DE FRANCE:
il travailloit à fon apologie , il apprit la
mort de M. Newton , arrivée en 1727. Cer
événement ralentit l'ardeur avec laquelle il
fe hâtoit de la finir ; car il cherchoit moins
à fe juftifier aux yeux du public , qui étoit
à portée de le juger fur fon ouvrage, qu'aux
yeux de M. Newton lui- même , qu'il eftimoit
trop, pour ne pas fouhaiter que ce
grand homme lui rendît juftice , en ſe
formant de fon procédé une idée plus avantageufe.
Il crut, après de mûres réflexions ;
qu'il valoit mieux attendre la publication
de l'ouvrage tout entier , annoncée par les
amis de l'Auteur . En effet , le fyftême chronologique
vit le jour dès l'année fuivante .
Il parut à Londres en 1728 fous ce titre ,
la Chronologie des anciens Royaumes corrigée
, avec une dédicace à la Reine d'Angleterre
, par M. Conduitt , neveu de M.
Newton. L'Editeur fit imprimer conjointement
la chronique fur le manufcrit original.
On donna fur le champ en France
ane traduction de l'ouvrage & de l'abrégé.
Il ne fut plus queſtion alors d'encourir le
reproche de combattre le nouveau ſyſtême
fur un fimple abrégé , dont on qualifioit
d'infidelles , les copies qui s'en étoient faites.
Il étoit aifé de vérifier la jufteffe des
critiques ,, que l'hypothefe chronologique
de M. Newton avoit effuyé , par la lecMA
1. 1758.
87
ture de l'ouvrage complet qui contenoit le
développement des principes fur lefquels
elle étoit établie . Si la maniere plus ingénieufe
que folide , dont cet illuftre Géometre
avoit fçu procéder à une réforme générale
de l'ancienne chronologie , avoit
mis dans fon parti & avoit engagé à3 prendre
fa défenfe , des perfonnes qui , par
l'étendue de leurs connoiffances tenoient
un rang diftingué dans la République des
Lettres , il faut avouer que parmi les Chro
nologiftes de profeffion , le nombre de fes
adverfaires l'emportoit infiniment fur celui
de fes partifans. Il s'eft trouvé au ſein
même de fa nation , toute prévenue qu'elle
eft en faveur de fon rare mérite , d'habiles
gens , entre lefquels on doit compter principalement
MM. Bedford & Schutiford ,
qui ont ofé attaquer vigoureufement le
nouveau fyftême , en même temps qu'ils
ont admiré la fécondité du génie de fon
Auteur qui , fur quelque fujet qu'il
s'exerçât , fembloit fait pour s'ouvrir des
routes inconnues aux autres. Dès que l'ouvrage
de M. Newton eut été publié , M.
Fréret s'appliqua à le lire avec la plus fcrupuleufe
attention. L'examen réfléchi qu'il
en fit , ne contribua pas peu à le confirmer
dans le jugement qu'il avoit porté fur
le nouveau fyftême. Il fervit à convaincre
88 MERCURE DE FRANCE.
notre Académicien qu'il ne s'étoit mépris ,
ni fur les principes de l'hypotheſe du célebre
Anglois , ni fur les conféquences ,
comme on le lui avoit reproché , & qu'ainſi
les difficultés qu'il avoit propofées à ce fujet
, fubfiftoient dans toute leur force. Ces
motifs réunis l'engagerent à compoſer ce
traité , où il a mis dans un plus grand jour
Les objections contre les points fondamentaux
du fyftême , en réfutant pié à pié &
dans de plus amples détails , les raifonnemens
que M. Newton a employés pour
l'accréditer. Il l'a intitulé Nouvelles Obfervations
, &c. par lefquelles il a pris à tâche
de juftifier les premieres , qu'il avoit
données au public.
M. de Bougainville commence la feconde
partie de fa préface par une analyſe
fommaire de l'ouvrage de M. Newton ,
qui offre le précis de fon fyftême ; d'où il
paffe à celle du traité de M. Fréret , dont
il développe le plan , les vues & la méthode.
Il expofe les divers objets que le docte
Académicien embraffe dans le cours de fes
recherches , & les réſultats généraux des
principes , fur lefquels notre Auteur fe
fonde. L'art avec lequel il les rapproche
les uns des autres , en fait appercevoir la
liaifon , & en faifit tous les rapports , mar
que de fa part autant de pénétration que
MA I. 1758. 84
1
-
'de fagacité. Ce n'eft point ici une analyſe
froide & nue , dont la féchereffe foit capable
de rebuter ; elle devient intéreffante
fous la plume élégante de l'Editeur qui
l'accompagne de réflexions auffi fines que
judicieufes. Son travail nous dirigera dans
le compte que nous allons rendre de l'ouvrage
de M. Fréret . Il eft divifé en trois
parties , dont chacune renferme plufieurs
fections foudivifées en articles. La premiere
partie traite de la chronologie grecque
, dont elle contient les points les plus
importans difcutés en fix fections . La premiere
fection fournit des remarques préliminaires
fur l'évaluation des générations
dans les familles royales, fur leur durée en
général , & fur la maniere de les diftinguer
des regnes. C'eſt l'un des deux principaux
argumens fur lefquels roule tout le fyftême
chronologique de M. Newton. Les Anciens
comptoient trois générations environ
pour un fiecle , en les évaluant chacune
fur le pied de trente-trois ans . Ce fçavant
Mathématicien reçoit ce calcul pour le
cours ordinaire de la nature ; mais il accufe
les Ecrivains grecs d'en avoir fait une
fauffe application , en fuppofant mal-àpropos
chaque regne équivalent à une génération
; ce dont ils faifoient la bafe de
lear chronologie. Un réſultat de la durée
Jo MERCURE DE FRANCE.
Y
totale des regnes pris des fucceffions des
Rois dans plufieurs Monarchies anciennes
& modernes , qu'il paffe en revue pour cet
effet , lui donne occafion d'en déduire un
calcul moyen , à la faveur duquel il réduit
tes regnes à dix- huit ou vingt ans, l'un por
tant l'autre. Il eft aifé de voir par-là combien
cette réduction abrege l'intervalle qui
fépare les époques de l'ancienne hiſtoire.
M. Fréret avoit reproché à M. Newton ,
dans fes premieres obfervations , de confondre
les générations avec les regnes . Le nouveau
Chronologifte prétendit dans fa réponſe
les avoir expreffément diftingués.
Le fçavant Académicien infifte ici fur l'objection
qu'il lui avoit faite à ce fujet ; &
reftraint la queftion à fçavoir fi M. Newton
a toujours évalué les générations à trentetrois
ans ; & fi ce font feulement les regnes
qu'il a réduits à dix- huit ou vingt
ans. Il s'attache à montrer 1 ° . qu'il a fupputé
certaines fuites de regnes égaux à des
générations , tels que furent conftamment
ceux des Rois de Sparte ; 2 ° . qu'il a fouvent
confondu les regnes héréditaires , avec
les regnes électifs , qui, l'un portant l'autre,
ne durent tout au plus que dix-neuf ou
vingt ans ; 3 ° . que dans les différentes fuires
des regnes héréditaires , dont il a produit
les fommes totales , il ne s'eft point em
MA I. 1758. 91
barraffé de la diftinction qu'il faut mettre
entre les regnes fucceffifs , & les regnes collatéraux.
Ce défaut d'attention a cauſé de
fréquentes méprifes de fa part , en évaluant
fur le pied de trois générations fucceffives
, trois regnes équivalens à une feule.
Il fuffit d'examiner l'ordre de la fucceffion
totale des Rois de France des trois
races , pour en tirer une induction oppofée
à la méthode que fuit M. Newton . Les
foixante- quatre regnes ne font que quarante
cinq générations. Ce Géometre
compte 1295 ans pour leur durée totale ;
il en refulte donc près de vingt- neuf ans
pou rchaque génération .
-
M. Newton allegue les trente Rois d'Angleterre
qui ont regné pendant fix cens
quarante - huit ans , depuis Guillaume le
Conquérant , jufqu'à la Reine Anne . Cependant
on ne trouvera dans la totalité
de certe fucceffion , que vingt générations ,
dont chacune excede trente - deux ans. La
même réduction aura lieu dans toutes les
fuites des Princes héréditaires , foit anciens
ou modernes.
M. Fréret ne s'arrête point à prouver ,
par une longue énumération , que la durée
des générations eft égale dans toutes les
familles Royales connues , & dans les familles
particulieres. Il a fuppléé à ce dá91.
MERCURE DE FRANCE.
tail qu'il fupprime ici , par un mémoirè
exprès fur cette matiere , dont on peut
lire un extrait dans le quatorzieme volume
des Mémoires de l'Académie des Belles-
Lettres. Au refte M. de Bougainville nous
dit s'être affuré , par lui -même , de l'exactitude
du calcul de M. Fréret , en le vé
rifiant pour fa propre inftruction fur toutes
les fuites de Souverains modernes ,
dont cet habile Académicien ne fait point
mention.
Le dernier article de cette fection eft terminé
par une idée générale des preuves ,
qui fervoient de fondement à l'ancienne
Chronologie. M. Fréret , fe propofe d'y
montrer que les Ecrivains de l'antiquité
avoient des moyens plus fûrs pour la dé
termination des dates qui s'y rapportent ,
que la durée des regnes fucceffifs , ou l'évaluation
des générations. Ces moyens
confiſtoient dans les fecours qu'ils tiroient
des généalogies que les Grecs prirent foin
de recueillir , lorfqu'ils commencerent
cultiver les Lettres . On doit y joindre
encore les archives des Villes , les regiftres
des Temples , les actes des Particu
liers , les fuites des Magiftrats ; celles des
Prêtres , de certaines Divinités , les Inf
criptions , les Annales , les Traités de paix
ou d'alliance ; enfin les Monumens de touM
A 1. 1758.
te efpece , qui fubfiftoient de leurs temps ;
& qu'ils étoient par conféquent à portée
de confulter. C'étoient autant de titres
fur lefquels ils fondoient d'une maniere
inconteſtable leur chronologie , en remontant
d'époques en époques , jufqu'au premier
âge de leur nation.
M. Fréret , employe toute fa feconde
fection à faire voir l'incompatibilité du
nouveau fyftême , avec les époques chro
nologiques , autorifées par Hérodote &
Thucydide , les deux plus anciens Hifto
riens Grecs qui nous reftent. Il prend à
tâche furtout , d'établir fans replique l'ac
cord de leurs textes fur tous les points
effentiels , & particuliérement fur l'épo
que du retour des Héraclides dans le Péloponefe.
Notre Académicien a pour but dans
la fection fuivante de conftater les preuves
de la chronologie des deux Hiftoriens
que nous venons de nommer , par le nombre
des générations dans toutes les illuftres
familles de la Grece , comme celles de
Cadmus , d'Ajax , & de plufieurs autres ,
qu'il examine chacune féparément . Il
montre la conformité des calculs qui en
réfultent avec ceux d'Hérodote & de Thu
cydide.
La quatrieme fection à pour objet la
94 MERCURE DE, FRANCE.
difcuffion des preuves fur lefquelles M.
Newton appuie la détermination de plufeurs
dates particulieres de l'hiſtoire Grecque
, qui font relatives à la généalogie des
defcendans de Cadmus , établis à Lacédémone
, & à celle de la famille des Héraclides
de Corinthe , & des Cypfélides .
M. Fréret fixe dans la cinquieme , conformément
au témoignage des anciens ,
l'époque de la premiere inftitution des
Jeux Olympiques par Hercules , & de leur
renouvellement par Iphitus ; enfuite il détermine
le temps de la légiflation de Lycurgue
, qui paffe conftamment pour avoir
été contemporain d'Iphitus , & avoir même
eu part à l'établiſſement de ces Jeux. Il
confirme la date dont il s'agir par la fuite
des générations poftérieures à ce Légiſlateur
Lacédémonien , & par l'intervalle
qui s'eft écoulé depuis le retour des Héraclides
, jufqu'aux Jeux Olympiques. La
chronologie de l'hiftoire d'Athenes , fous
le gouvernement des Rois & des Archontes
, fait le fujet de la fixieme ſection .
t
Voilà , en peu de mots , le plan de cette
premiere Partie , que nous nous bornons à
indiquer. Les perfonnes curieufes de s'inftruite
du détail des preuves que produit
l'Auteur , pourront fe fatisfaire par la
Lecture de l'ouvrage , où les points de la
M A I. 1758.
are
chronologie Grecque les plus embarraslés
& les plus épineux , font approfondis par
une combinaiſon exacte , & développés
avec autant de clarté que de préciſion. Il
yregne un fond d'érudition , d'autant plus
eftimable , qu'elle n'y eſt point ſemée avec
profufion . Comme M, Fréret cherche
moins à éblouir qu'à convaincre fes Lecteurs
, il l'a fçait fi bien ménager dans le
choix des raifons qu'il employe pour détruire
les argumens de fon adverfaire , qu'elles
acquierent par- là un nouveau degré de forçe.
Il juftifie Eratofthene du reproche que
M. Newton lui fait d'avoir trop étendu
l'efpace des temps hiftoriques de la Grece ,
& rétorque l'accufation contre l'illuftre
Anglois , qui les abrege mal- à- propos d'un
fiecle entier , en affignant au retour des
Héraclides , & à tous les faits qui y font
liés , une date plus récente de cent ans que
celle qu'Hérodote , Thucydide , & tous
les Ecrivains antérieurs au regne d'Alexandre
, ont marquée pour cet événement,
C'eft en procédant de la même façon à un
examen rigoureux des calculs de M. Newton,
pour la fixation des autres époques qu'il
reftitue aux annales de la nation Grecque
les cinq cens ans qu'il a plu au nouveau
Chronologifte de leur retrancher.
La fuite au prochain Mercure,
96 MERCURE DE FRANCE
LA Platine , l'Or blanc , ou le huitie
me métal. Recueil d'expériences faites dans
les Académies Royales de Londres , -de
Suede , &c. fur une nouvelle fubftance
métallique tirée des mines du Pérou ,
a le poids & la fixité de l'or. Ouvrage intéreffant
pour les amateurs de l'hiftoire naturelle
, de la phyfique & de la chymie ;
néceffaire aux Orfévres & Affineurs , pour
n'être point trompés fur des alliages qui
réfiftent aux épreuves de l'or ; utile dans
les arts qui peuvent employer cette fubftance
à fabriquer des miroirs qui ne fe terniffent
point à l'air , & à ôter au cuivre fa
facilité à contracter le verd- de- gris. A Pa
vis , chez Lebreton , Imprimeur ordinaire
du Roi , rue de la Harpe ; Durand , rue
du Foin ; Piffot , quai de Conty , Lambert
, rue de la Comédie Françoife. 1758.
Prix trente fols broché.
Cet ouvrage eft d'une utilité plus géné
rale , que fon titre ne paroît d'abord l'annoncer.
Non-feulement les Artiſtes , mais
tout le monde eft intéreffé à connoître une
nouvelle fubftance , qui n'a déja que trop
caufé de défordre dans la fociété . L'Auteur
cite entr'autres , une perfonne qui , fur
une partie de lingots d'or , a perdu plus de
douze mille livres , par rapport à la platine
qui s'y trouvoit mêlée , & qui , réfiltant
MA I. 1758. 97.
tant également aux quatre grandes épreuves
auxquelles on foumet ce roi des métaux
, ne pouvoit en être féparé par les
voies ordinaires .
Pour raffurer le commerce justement allarmé
, & auquel des théorêmes métallurgiques
reçus de temps immémorial , devenoient
inutiles , on y donne deux manieres
fûres & faciles , pour reconnoître
la préfence de ce métal , en quelque petite
quantité qu'il puiffe être allié à l'or.
On y trouve auffi le moyen de rompre leur
union.
Après avoir expofé les tromperies qu'on
peut tenter à fon aide , l'Auteur cherche à
rendre ce métal utile à la fociété . Sa couleur
blanche & brillante , fa dureté extrême
& fa propriété de ne point fe ternir à
Fair , qu'il communique dans un degré
éminent aux autres métaux , le rend propre
à bien des ufages dont quelques - uns
font indiqués. Dans l'hiftoire naturelle de
ce métal , qui fert d'introduction à l'ouvrage
, on remarque que depuis le commencement
du monde jufqu'en 1729 , l'on
ne connoiffoit que onze fubftances métalliques
,
quoiqu'on en compte quatorze ,
fçavoir huit métaux & fix demi- métaux.
Si ce que les Journaux allemands nous annoncent
auffi d'une nouvelle pierre pré-
E
98 MERCURE DE FRANCE:
"
cieuſe différente de toutes celles qui pora
rent ce nom , fe trouve vrai , l'on verra
combien l'étude de l'hiftoire naturelle a
déja enrichi notre fiecle , & la rapidité de
nos progrès depuis que les hommes quit
tant le voile du myftere , mafque ordinalre
de l'ignorance , fe communiquent réci
proquement leurs découvertes.
Non-feulement les Chymiftes trouve
ront amplement de quoi le fatisfaire par
la délicateffe des expériences , & la clarté
& l'exactitude des procédés , mais une
analyſe auffi bien conduite , peut fervir de
guide & de modele aux curieux , fur la
maniere d'interroger la nature & lui arracher
fon fecret.
Les Alchymiftes mêmes devront en être
fatisfaits. On les y invite à employer leurs
arcanes , pour donner à cet or blanc une
teinture fixe qui le perfectionne , & dont
la lettre du Chymifte Italien , qui termine
ce recueil , femble démontrer la poffibilité.
ESSAIS hiftoriques de Monfieur de Saintfoix,
4. partie.A Londres, & fe trouvent à
Paris , chez Duchefne , Libraire , rue S.
Jacques , au deffous de la fontaine S. Benoît,
au temple du goût , 1757
Cette quatrieme partie des Effais hiftori
ques eft précédée d'une préface dans la
"MA I. 1758.
ΤΟΥ
"
quelle M. de Saintfoix commence par rappeller
le plan de fon ouvrage. «Quelquesuns
de mes Lecteurs , dit - it , m'obligent
de leur dire & de répéter ici , que mon
objet , en compofant ces Effais , n'a pas
» été de rapporter uniquement des anecdo-
" tes fingulieres , & des faits curieux &
» intéreffans ; mais de faire connoître par
» les faits nos anciennes loix , nos coutu-
»mes , nos moeurs , le caractere & le gé
nie de notre nation. Après avoir peint
» les François entr'eux & dans la vie civi
le , j'ai cru que je devois les faire voir à
» la guerre , & dans une guerre de plus
>> de trois cens ans contre un peuple toujours
notre ennemi , & dont les Rois
" poffédant une partie de la France à titre
» de Vaffaux , tenterent d'arracher le ſcep-
>> tre à leurs ( 1 ) Souverains. J'ai cru en
"même temps qu'on me fçauroit gré de
» préſenter de fuite & fous un même coup
» d'oeil , des événemens qui ont une inti-
» meliaiſon les uns avec les autres , & dont
» le fil eft fans ceffe interrompu dans l'hif-
» toire générale , par d'autres événemens
qui leur font abfolument étrangers.
"
"
( 1 ) Les Rois d'Angleterre écrivoient à nos
Rois , illuftri Domino noftro Regi Francia. Nos
Rois leur répondoient : Féal & amé , Fideli &
“amico Regi Anglia. Actapublica Anglia.
Eij
)
98 MERCI
ras
a eu
un
cieufe MERCURE
DE FRANCE
. L'hiftoire
d'Angleterre
de Rapin de Toi
grand fuccès , & le mérite à bien des égards, Mais on voit clairement
que c'eft en partie le chagrin
, l'aigreur
& la haine qui lui ont mis , comme
à Larrey , la plume à la main , & qu'il s'eft orgueilleufement
flatté de faire re- » pentir la patrie de l'avoir contraint
à s'exiler. Tous nos Rois , felon cet Hifto
» rien , ont été des Princes
injuftes
, tou-
» jouts occupés
des moyens
de dépouiller
leurs grands Vaffaux
de leurs poffeffions
, » ne fe faifant aucun fcrupule
d'enfreindre
» les traités les plus folemnels
, dès qu'ils
entrevoyoient
quelque
avantage
à les
» violer. Ses réflexions
fur le caractere
de
» la nation en général
, ne font pas moins outrageantés
& moins odieufes
.
>>
??
il
Depuis 1727 que fon ouvrage a paru ,
» & qu'on le lit dans toute l'Europe ,
eft étonnant qu'en France perfonne n'ait
» penſé à lui répondre .
de
Dans l'hiftoire des guerres que je trai
»te ( c'est toujours M. de Saintfoix qui
parle ; fon ftyle eft rempli de tant de beauque
tés , qu'on ne fçauroit mieux faire
fe fervir de fes propres paroles) , il y a qua
tre époques principales . La confifcation
» faite par Philippe Augufte fur Jean fans
terre , en 1203 ; le traité de S. Louis
MA I. 1758.
for
» avec Henry III en 1259 ; les prétentions
» d'Edouard III à la couronne de France ,
wen 1339 , & le traité de Brétigni en
1360. Rapin de Toiras a fait des differtations
ou de longues réflexions fur ces
quatre points principaux ; je crois que
"j'y ai repondu d'une façon convaincan-
»te , & qui ne laiffe aucuns moyens à la
replique. Dans le cours des autres événemens
, c'eft prefque toujours par fes garants
même & par les actes publics d'Argleterre
, que je fais voir des fréquentes
prévarications , & la tournure infidelle
»de fa narration .
כ
"
Lorfque je fuis en contradiction avec
nos Hiftoriens , & par conféquent avec
*ceux qui les ont copiés fans réflexion &
» fans examen , je dis mes raifons , c'eſt
au lecteur à juger fi elles font bonnes.
" Nous avons aujourd'hui , furtout depuis
la publication ( 1 ) des actes d'Angleterre
, des fecours & des éclairciffe-
» mens que ces Hiftoriens n'avoient pas :
quiconque enfin n'aura pas lu & relu ces
actes avec beaucoup d'attention , ne pour
ra jamais donner qu'un tableau peu fidele
de ce qui s'eft paffé fous les regnes de
Philippe de Valois , du Roi Jean , de
(t ) En 1717.
»
E iij
702 MERCURE DE FRANCE.
» Charles V , de Charles VI & de Char
" les VII. »
En lifant l'ouvrage de M. de Saintfoix ,
on fe convaincra qu'il a rempli tous les objets
qu'il s'étoit propofés . Les recherches
les plus épineufes , la faine critique , les
traits les plus frappans de l'hiftoire , les caprices
les plus finguliers des moeurs & des
ufages , un ftyle toujours noble , précis
& élégant , caractérisent fes Effais hiftoriques.
Le plus grand éloge que nous puifhons
faire de cette quatrieme partie , eft
de dire qu'elle eft digne de celles qui l'ont
précédées , & que tout le monde à entre
les mains. Nous allons en rapporter quelques
traits , qui mettront le lecteur en état
d'en juger.
Dans l'article de quelques modes & habillemens
, M. de Saintfoix dit : « Sous
François II , les hommes trouverent qu'un
gros ventre donnoit un air de majefté
» & les femmes s'imaginerent auffi- tôt qu'il
en étoit de même d'un gros culOn avoit
n
de
gros ventres & de gros culs poftiches,
& cette ridicule mode dura 3 ou 4 ans.
Ce qu'il y eut encore de fingulier , c'eft
que lorfqu'elle commença , les femmes
parurent ne plus fe foucier de leurs vifages
, & commencerent à le cacher. Elles
MA 1. 1758.
prirent un loup ( 1 ) , & n'allerent plus
que mafquées dans les rues , aux promenades
, en vifite & même à l'Eglife . Au
mafque , fuccederent les mouches. On
» prétend qu'elles en mettoient en fi gran-
» de quantité , qu'on avoit de la peine à
les reconnoître.
99
"
L'article des livrées eft des plus curieux.
Les armoiries devenues fixes & hérédi-
» taires , introduifirent en même temps las
livrées , & de même que chacun s'étoit
fait des armoiries à fa fantaifie , chacun
»compofa & arrangea des livrées comme il
voulut.J'ai dit qu'on mettoit fes armoiries
»fur fa cotte d'armes & fur fon bouclier
on portoit d'ailleurs une écharpe dont la
>> couleur aidoit à faire connoître de quel-
»le province on étoit. Les Comtes de Flan-
» dre avoient pour couleur le verd foncé
» les Comtes d'Anjou le verd naiffant ; les
Ducs de Bourgogne le rouge ; les Com
tes de Blois & de Champagne , l'aurore
» & le bleu ; les Ducs de Lorraine , le jau-
»ne ; les Ducs de Bretagne le noir & le
blanc ainfi les Vaffaux de ces différens
>> Princes avoient des écharpes différentes.
» Ceux de ces Vaffaux qui leur étoient alliés
, ou qui poffédoient auprès d'eux
(1) Efpece de mafque,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
"
">
وو
quelque charge confidérable , affectoient
» de joindre aux couleurs de leurs livrées
particulieres , une petite bande ou petit
galon plus ou moins large de la livrée đe
leur Seigneur . Voilà pourquoi l'on re-
» marque communément du verd foncé
» dans les livrées de la nobleffe de Flandres
» & de la moitié de la Picardie ; du verd
»naiffant dans les livrées de la nobleffe
» d'Anjou ; du rouge dans les livrées de la
nobleffe de Bourgogne ; de l'aurore &
» bleu dans les livrées de la nobleffe du
» Bléfois & de la Champagne ; du jaune
» dans les livrées de la nobleſſe de Lorraf-
» ne & du Duché de Bar ; du noir dans
» les livrées de la nobleffe de Bretagne. La
» nobleffe des environs de Paris , qui rele-
»voit immédiatement du Roi , a commu
" nément du bleu dans fes livrées , parce
que le bleu étoit la couleur de nos Rois.
» On demandera fans doute , pourquoi il
≫y a auffi du blanc & du rouge dans la li
vrée Royale ; parce que le blanc étoit de
» temps immémorial la couleur générale &
défignative de la nation ; à l'égard du
rouge , parce que nos Rois lorfqu'ils te-
»noient Cour pléniere , étoient vêtus d'ut
ne grande foutane rouge , fous un long
» manteau bleu , femé de fleurs de lys d'or.
» Sous Charles V on porta des habits
MA I. 1758. 105
$
blafonnés , c'eft-à-dire qu'on les chamar-
» roit de toutes les pieces armoriales de
» fon écu . »
" Sous Charles VI , on imagina l'habit
»mi-parti femblable à celui des Bedeaux.
Cette quatrieme partie eft prefque partout
auffi curieufe & auffi intéreffante
que
les traits que nous avons tranſcrits .
TRAITÉ du célebre Dagoumer fur l'ame
des bêtes , traduit du latin en françois ,
par le révérend Pere Grégoire Martin , ancien
lecteur des Minimes. Se vend douze
fols. A Lyon , chez Geofroy Regnault , Imprimeur-
Libraire , rue Merciere , 1758 .
M. Dagoumer a été Profeffeur dans les
colléges de Lifieux , de Navarre & d'Harcourt.
C'est dans les cahiers qu'il dictoit à
fes écoliers, qu'on a pris ce court traité fur
l'ame des bêtes , qui ne renferme rien de fort
particulier par rapport à la folution des
principales difficultés attachées à cette
grande queftion .
DISCOURS qui a remporté le prix au ju
gement de l'Académie de Dijon , par le
P. Millot, Jéfuite. A Lyon , de l'imprimerie
d'Aimé de la Roche , Imprimeur- Libraire
, rue Merciere , à la Couronne d'or
1757. Le fujet de ce Difcours eft de fçavoir
,s'il eft plus utile d'étudier les hommes
que les livres. Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
ADRESSE à la Nation Angloife , Poëme
patriotique , par un Citoyen , fur la guerre
préfente. A Amfterdam , & le trouve à
Paris , chez Laurent Prault , Quai des
Auguftins , près la rue Gît- le-Coeur , à
la Source des Sciences , 1757.
LETTRE à l'Auteur de l'Hiftoire du
Diocèfe de Paris , contenant quelques Remarques
fur le Chapitre ayant pour titre ,
Luzargues & l'Abbaye d'Hérivaux . A Ge
neve , 1758 .
HISTOIRE univerfelle de Diodore de
Sicile , fervant à l'Hiftoire de l'origine des
Peuples & des anciens Empires , traduite
en François , avec des Notes géographi
ques , chronologiques , hiftoriques & critiques
; par M. l'Abbé Terraffon , de l'Académie
Françoife , nouvelle édition en
7 volumes in- 12 . Prix 21 liv . reliés. A
Paris , chez Debure , l'aîné , Quai des
Auguftins , à l'Image S. Paul , 1758.
De tous les Auteurs qui ont écrit l'Hif
toire des premiers temps , c'eft- à-dire ,
Hiftoire de l'origine des Peuples & des
anciens Empires , il n'en eft aucun qui
pour l'exactitude des faits puiffe être mis
en comparaifon avec Diodore de Sicile.
Cet Hiftorien après avoir dépouillé tous
les livres qui exiftoient de fon temps ,
&
MAI. 1758. 107
toutes les fables du merveilleux dont on
avoit revêtu la vérité , fe tranſporta dans
les différentes contrées pour y vifiter les
monumens , s'inftruire des traditions , &
donner la derniere authenticité à ce que
La critique lui avoit fait reconnoître pour
incontestable. L'Hiftoire &c les moeurs des
anciens Egyptiens , des Affyriens , des
Medes , des Perfes , des Scytes , des
Grecs , des Gaulois & des Romains ; enfic
l'Hiftoire générale de l'ancien Monde fe
trouve dans cet ouvrage , auffi utile qu'inftructif.
Quoique ce ne foit ici qu'une
traduction , elle fe fait pourtant lire avec
plaifir. Le ftyle eft très- correct , fort clair
& quelquefois élégant. D'ailleurs ce qui
occupe le plus dans une pareille lecture ,
c'eft la multitude des événemens , & la
différence étonnante qu'on eft à portée:
de remarquer entre les ufages anciens &
ceux de nos jours . Cette nouvelle édition
eft très- bien exécutée ; le papier est beau
& les caracteres fort nets.
TARIF des droits d'entrée & de fortie
des cinq groffes Fermes , ordonnés être
perçus par l'Edit de 1664 , fur toutes les
marchandifes ; augmenté de notes & obfervations
fur les mutations des droits de
puis ledic Tarif ; fur les précautions à
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
prendre pour la forme des Déclarations ,
& fur les obligations des Négocians & des
Employés , pour prévenir toutes difficultés;
fuivi des Ordonnances de 1681 & 1687 ,
renfermant la régie des Fermes , & commentées
des Edits , Déclarations , Réglemens
& décifions du Confeil , rendus fur
lefdites Ordonnances .. Nouvelle édition
en deux gros volumes , grand in- 8º . A
Rouen , chez Jacques - Nicolas Befogne ,
Libraire & Imprimeur , au Palais 175 8.-
C'est ici une troifieme édition du Tarif
donnée en 1664 , pour la perception des
droits des cinq groffes Fermes , augmenté
de plufieurs Arrêts & Réglemens qui ont
changé ou modifié les premieres difpofitions..
Le premier volume comprend le Tarif
de 1664 , tel qu'il a été arrêté au Confeil
d'Etat du Roi , le 18 Septembre de la même
année , avec les citations des nouveaux
Arrêts d'un cactere différent , & à chaque
article fur lesquels les droits ont été chan
gés & tels qu'ils fe perçoivent aujour
d'hui. Comme auffi des obſervations utiles
& indiſpenſables , pour affurer la perception
de tous ces droits.
Ace Tarif on a joint les Ordonnances
de 1680 , 8 & 87 , comme preuvesi
juftificatives. On obferve fur cette der
J
ΜΑΙ. 1758 .
rag
niere , qu'elle a été trouvée en manuf
crit à la mort d'un homme de diftinction
& de lettres , & augmentée des Arrêts
rendus en interprétation .. Il y avoit em
tête , cet ouvrage a été commenté par une
perfonne de talens & fçavant dans les Fermes:
taifons qui ont engagé l'Editeur à fel
conformer au manufcrit qui lui a été com
muniqué.
¿
Le fecond volume contient la plusi
grande partie des Arrêts & Régleméns
rendus depuis le Tarif de 1664 : je dis
la plus grande partie , car on n'a pas rapporté
ceux qui n'ont plus force de loi , &
qui ont été fuivis d'autres qui les ont
rendus inutiles. On a même cru devoir
fe reftraindre fur quelques- uns à rapporter
le difpofitif.
Cet ouvrage eft néceffaire & même
d'une utilité indifpenfable au Public , auxi
Négocians
en particulier , & aux Employés
des Fermes . Il préviendra une perception
irréguliere , préjudiciable au commerce
ou aux intérêts du Roi. Chacun y
trouvera fans peine , fans recherche , &
fans grande lecture , tous les éclairciffemens
qu'il pourra défirer. On y a renfermé
tout ce qui peut avoir rapport aux
droits des cinq groffes Fermes , tant fur
le commerce de la Compagnie des Indes ,
110 MERCURE DE FRANCE
que fur celui des Ifles Françoifes , comme
auffi les privileges dont jouiffent différen
tes Villes. Ce livre fe trouve , à Paris ,
/chez Durand.
ÉLÉMENS de Tactique , Ouvrage dans
lequel on traite de la formation des troupes
, des évolutions de l'infanterie & de
la Cavalerie , des principaux ordres de
bataille , de la marche des armées & de la
caftramétation : vol . in - 4°. dédié à Monfeigneur
le Dauphin ; par M. le Blond ,
Maître de Mathématique des Enfans de
France , &c. A Paris , chez Ch. Ant. Jom
bert , Imprimeur- Libraire du Corps Royal
de l'Artillerie & du Génie , rue Dauphine,
à l'Image Notre- Dame , 1758 .
La tactique a toujours été regardée
comme une des plus importantes parties de
l'art militaire. Elle traite de la formation
des troupes pour combattre , de leurs différens
mouvemens , des ordres de bataille ,
&c. Les Grecs avoient cultivé cette fcience
avec beaucoup de foin , & ils avoient des
Profeffeurs publics pour l'enfeigner
. Les
Princes de l'Europe ayant négligé jufqu'à
préfent un établiffement fi utile , on ne
peut fe former dans la tactique que par le
fecours des livres & par la pratique. Mais
comme les connoiffances qu'on acquiert.
M A. 1. 1758. FIE
par l'uſage font toujours très- tardives &
très-bornées , un Ouvrage où l'on expli
queroit les regles & les principes de la
tactique avec ordre & méthode , ne pour
roit être que d'une grande utilité pour
préparer l'efprit & le mettre en état de fe
rendre compte des différentes manoeuvres
militaires , & pour en pofféder la ſcience
parfaitement.
Il paroît que c'eft - là l'objet que M. le
Blond s'eft propofé dans fes Elémens de
Tactique. « Notre intention a été , dit- il ,
» d'expoſer avec ordre les regles fonda
» mentales de la tactique , & de les faire
» entrer aifément dans l'efprit du Lecteur ,
» en lui rendant compte des raifons fut
lefquelles les opérations qu'on lui enfei-
"gne, font établies. »
Cet Ouvrage eft divifé en quatre livres.
On trouve dans le premier le détail de
Farrangement des troupes , & tout ce qui
concerne la formation du bataillon & de
l'efcadron.
Le fecond livre traite des évolutions de
Infanterie & de la Cavalerie , l'Auteur en
abrégeant , ce que les Auteurs militaires
ont écrit fur ce fujet , & même en la rectifrant
quelquefois , enfeigne d'une maniere
également claire & lumineufe, tous les dif
férens mouvemens du bataillon & de l'ef
E MERCURE DE FRANCE.
k
cadron : on y trouve plufieurs obfervations
fur le quart de converfion , les différentes
manieres de défiler , la formation des bataillons
quarrés , triangulaires , ronds ,
octogones , de la colonne d'attaque , de
retraite du Chevalier de Folard , &c.
Le troifieme livre a pour objet l'armée ,
& tout ce qui lui appartient ; l'Auteur y
fait voir par le fentiment des Militaires les
plus célebres , que la fupériorité du nombre
ne peut feule décider des fuccès à la
guerre , & que la fcience du Général eſt
toujours plus avantageufe que le grand
nombre de troupes. Il examine auffi quel
doit être à peu près le rapport de la Cava
lerie à l'Infanterie dans les armées , fuivant
la nature des différens pays qui peuvent
être le théâtre de la guerre.
Après avoir parlé de tout ce qui appartient
à l'armée , de fes différens Officiers ,
de l'artillerie , &c. M. le B. entre dans le
détail des ordres de bataille. Il s'eft renfermé
fur ce fujet dans ce qu'il y a de plus
univerfellement établi par les Militaires
les plus célebres : il examine quels font les
avantages & les inconvéniens de la ligne
pleine , propofée par M. le Maréchal de
Puységur , & les différentes manieres dont
on peut fortifier l'ordre de bataille par
par le
mélange de la Cavalerie & de l'Infanterie.
MA I. 1758: rry
Ce livre eft terminé par un précis des
regles générales qui fervent de bafe à fa
marche ou au mouvement des armées , &
par le détail de la marche des troupes dans
les colonnes , & des différentes manieres
de les remettre en bataille .
Le quatrieme livre traite de la caftramétation.
M. le Blond ayant déja donné
un Ouvrage particulier fur cette matiere
en 1748 , ajoute ici tout ce qui lui a
paru néceffaire pour en former un Traité
complet.
Telles font les différentes matieres qui
compofent les Elémens de Tactique : « Cet
"Ouvrage , pour nous fervir des termes da
» Cenfeur ( M. Bélidor ) , eft fait avec
beaucoup de foin & d'érudition ; il comprend
les meilleures maximes qu'ont pu
donner fur la tactique les plus grands-
» Maîtres de l'Art ; & il fera d'une trèsgrande
utilité pour l'inſtruction du Mi
litaire qui trouvera renfermé dans un
volume , ce qui ne fe rencontre point
» dans un très-grand nombre d'autres . »
n
→
Le même Libraire a reçu de Hollande
quelques Exemplaires de l'Effai fur l'Hifto
re générale , & fur les moeurs & l'esprit des
Nations , depuis Charlemagne jufqu'à nos
jours ; par M. de Voltaire , en 7 vol. in 8.
14 MERCURE DE FRANCE .
On a joint à chaque volume une Table ta
fonnée des matieres qu'il contient. Prix 18
liv. brochés , & 22 liv. reliés.
LETTRE à M. de Boiſſy , en réponſe à
celle du Solitaire de Bretagne . Mercure
de Février.
་
Le folitaire de Bretagne , Monfieur, expofe
fes fentimens avec tant d'égards pour
M. l'Abbé Velly , qu'il femble permettre
qu'on défende le texte qu'il attaque. Il eft
reconnu que Guillaume n'eût jamais penfe
à faire la conquête de l'Angleterre , sit
n'y avoit été appellé par le voeu général de
Ja plus faine partie de la nation angloiſe
Je dis la plus faine partie , parce que tout
Etat de quelque compofition qu'il foit ,
renferme dans fon fein de bons & de mau
vais patriotes. Ces derniers même font
quelquefois les plus nombreux , & ne doi
vent pas être confidérés par un Légiſlateur
qui n'a contracté aucun ferment avec une
nation , parce qu'ils empêchent le bien
général de tout un Etat. On pourroit trouver
dans eux la caufe des troubles qui ont
agité l'Angleterre depuis quelques fiecles.
C'eft dans des circonftances pareilles , que
Guillaume après avoir effayé de gouverner
ΜΑΙ. 1758 .
fes nouveaux fujets par l'amour & par laJa
raifon , fe vit contraint de changer leurs
anciennes loix , où les efprits inquiets fe
trouvoient des fujets de révoltes , en s'appuyant
fur des prétendus privileges & des
ufages tolérés par foibleffe , foibleffe , qui commettoient
les Citoyens entr'eux , ou détruifoient
l'harmonie du corps politique. Combien
la grande Charte , piece fi douteufe
&tant reclamée en Angleterre , n'y a t'elle
pas produit de troubles dans les derniers
fecles. Guillaume ne fit donc rien contre
la juftice & le droit public , lorfqu'il ôta
à fes fujets des prétextes éternels de divifion
, d'autant plus qu'il n'avoit fait aucune
capitulation à cet égard. L'exemple
d'Alexandre ne prouve rien contre lui , les
eirconstances étoient différentes . Alexandre
eft beaucoup moins à louer , d'avoir
confervé aux peuples qu'il avoit fubjugués
leurs moeurs & leur loix , qu'il n'eft blamable
d'avoir abandonné celles de fes própres
fujets pour prendre celles des vaincus ,
& vouloir y affervir même les vainqueurs
puiſqu'aux yeux de la raiſon , de l'huma
nité & de la vertu , les loix de la Grece
avoient tout l'avantage fur celles des Perfes
telles qu'elles étoient alors. C'eft- là ce
qui rendit Alexandre fi infupportable aux
Macédoniens , & les porta , malgré les
116 MERCURE DE FRANCE:
fentimens
que leur infpiroient fes grandet
actions , à confpirer tant de fois contre
Jui mais ce Prince étoit d'autant moins
excufable , qu'il violoit les capitulations
qu'il avoit faites avec des fujets libres, tels
qu'étoient les Macédoniens ; au lieu que
Guillaume qui avoit fubjugué les Anglois
par la force de fes armes , n'avoit contrac
té aucun engagement avec eux. Il pouvoit
donc avec juftice , fondé fur les princi
pes d'un bon Roi , changer les loix de fes
nouveaux ſujets , s'il y voyoit plus d'avan
tages pour leur tranquillité & pour leur
bonheur ; ce qui , à la vérité , ne lui auroit
pas été permis , s'il avoit été lié par le
ferment de les maintenir. Il en faut conclure
, que la penfée de M. l'Abbé Velly
a toute l'exactitude & la jufteffe qu'on
peur exiger. Le Solitaire de Bretagne lu
rendra fans doute cette juftice , puifqu'en
produifant fon opinion , il a montré les
fentimens & les principes les plus chers à
Fhumanité. Son ftyle fait juger auffi - bien
de fon efprit , que de fon coeur. Combien
gens répandus dans tous les cercles ,
font bien plus dans la folitude
de
- J'ai l'honneur d'être , &c.
que lui !
LUBIN.
Lyon, le premier Février 1758.
MAL 1758. 117
LIVRES nouveaux qui fe trouvent à Geneve
& à Coppenhague , chez Cl. & Ant.
Philibert , ou qui font actuellement fous
preffe.
Aventures de Télémaque in - 12 , 2 vol.
fous preffe.
Memoires de Maintenon in- 12 , 6 volumes
, avec des remarques critiques de
M. de Voltaire , tirées de fon effai fur
l'histoire univerfelle , en attendant les ୨
volumes de lettres qui font fous preffe.
Newtonis principia , par foufcription ,
fuivant le plan qu'on va publier.
Lettres Perfannes , in 12 , 2 vol, avec
le temple de Gnide , nouvelle édition.
Choix littéraire , in- 8° , 11 vol. & le
12°fous preffe.
Forme du Gouvernement de Suede, in- 8°,
Inftruction pour le Gouverneur du Prin
çe Royal de Suede , in 8º.
Hiftoire du Dannemarck , avec le monument
de la Mythologie des Celtes , & le
portrait du Roi , avec la carte géographique
, in-40 , 2 volumes , par M. le Profeffeur
Mallet.
Lettres fur le Dannemarck, par M. Royer.
Mercure Danois , depuis Mars 1753 qui
continue.
Dictionnaire univerfel du commerce ,
des freres Savary , avec des augmentations
18 MERCURE DE FRANCE.
très- confidérables , & fur de beau papier ,
in-folie , 4 vol. fous preffe par foufcription.
Gazette univerfelle du commerce , ou 圈
tableau du négoce actuel des quatre parties
du monde.
La dévotion réconciliée avec l'efprit ,
par M. de Pompignan , Evêque du Puy ,
nouvelle édition bien corrigée , in- 12.
Mes Loisirs ou penfées diverſes , avec
l'apologie du genre humain , par M. le
Chevalier Dasc , in- 12 , nouvelle édition,
Le grand Dictonnaire hiftorique , ou
le mêlange curieux de l'Hiftoire facrée &
profane , qui contient en abrégé l'hiſtoire
fabuleufe des Dieux & des Héros de l'antiquité
Payenne : les vies & les actions
remarquables des Patriarches , des Emporeurs
, des Rois , des Princes illuftres , des
grands Capitaines , des Papes , des faints
Martyrs & Confeffeurs , des Peres de l'Eglife
, des Evêques , des Cardinaux & autres
Prélats célebres , des Héréfiarques &
des Schifmatiques ; l'Hiftoire des Religions
& fectes des Chrétiens , des Juifs
& des Payens ; des Conciles généraux &
particuliers ; des Auteurs anciens & modernes
, des Philofophes , des inventeurs
des Arts , & de ceux qui fe font rendus
recommandables en toute forte de Profef
MA I. 1758. 115
fons , par leur fcience , par leurs ouvrages ,
& par quelque action éclatante ; l'établif
fement & le progrès des Ordres Religieux
& Militaires, & la vie de leurs Fondateurs ;
les généalogies des familles illuftres de
France , & des autres Pays de l'Europe ; la
defeription dés Empires , Royaumes , Républiques
, Provinces , Villes, Liles , Montagnes
, Fleuves & autres lieux confidéra
bles de l'ancienne & de la nouvelle Géogra
phie , où l'on remarque la fituation , l'étendue
& la qualité du pays , la religion ,
de gouvernement , les moeurs & les coutu
mes des Peuples ; les dignités , les Magiftra
tures ou titres d'honneur ; les actions publiques
& folemnelles , les Jeux , les Fêtes
, & c. les Edits & les Loix , dont l'Hiftoire
eft curieufe , & c. Le tout enrichi
de remarques , de differtations & de recherches
curieufes , pour l'éclairciffement
des difficultés de l'Hiftoire , de la Chronologie
& de la Géographie , par Meffire
Louis Moréri , Prêtre , Docteur en Théologie.
Nouvelle édition , dans laquelle on
a refondu les fupplémens de M. l'Abbé
Goujet. Le tout revu , corrigé & augmenté
par M. Drouet ; dix volumes in-folia
propofés par foufcription. A Paris , 1758.
Il fembloit que , pour porter ce Dictionnaire
an degré de perfection dont il e
•
12. MERCURE DE FRANCE.
fufceptible , il fiffifoit d'y refondre let
derniers fuppiemens , afin d'épargner à
ceux qui le confultent l'embarras & le
défagrément de recourir à différens volumes
, pour chercher ce qui doit fe trou
ver dans un feul , à fon ordre alphabétique .
C'eft effectivement l'unique objet que s'étoit
d'abord propofé l'homme de Lettres
qui s'eft chargé de la nouvelle édition
qu'on annonce au Public. Mais ayant examiné
avec foin quelques parties détachées
de ce recueil , il y a remarqué des défauts
effentiels & multipliés , par le rapport que
tant d'articles ont les uns avec les autres.
Par exemple , on trouve dans le Moréri
des liftes chronologiques des Souverains
des différens Etats , où les époques du commencement
& de la fin de leur regne font
indiquées . Ces époques ne s'accordent
pas toujours avec celles qu'on donne dans
les articles particuliers de chacun d'eux.
En parlant des Conciles tenus dans une
Ville , on leur affigne
différentes de celle des dates fouvent
fous lefquelles on les
a rangés dans la lifte même des Conciles.
Tantôt on fuit pour les années des Confulats
la fupputation de Varron , tantôt on
fuit celle des marbres Capitolins . Les an
nées qu'on fait répondre aux Olympiades
font le plus fouvent fautives. Beaucoup de
renvois
MA I. 1758. 121
renvois font défectueux , & n'indiquent
pas les titres qu'il faut confulter. Une multitude
d'articles concernant les mêmes perfonnes
ou les mêmes lieux , font employés
plufieurs fois fous des dénominations
différentes. D'autres n'ont pas affez d'étendue
pour donner une notion fuffifante
des objets qu'on prétend y traiter.
Toutes ces défectuofités , dont l'Editeur
s'eft affuré par un travail de huit années ,
l'ont déterminé à diriger fon travail fur
un nouveau plan ; il a vérifié la plûpart
des époques , il a refondu les uns dans
les autres les articles répétés , & a indiqué
par des renvois le nom le plus confous
lequel il les a placés.
nu,
Il fait une mention honorable de tous
les Scavans , les Artiftes , les Littérateurs ,
morts depuis le dernier fupplément , fur
lefquels on a pu avoir des Mémoires exacts.
Les Journaux de différent genre ont été
d'un grand fecours pour remplir cet objet ;
comme auffi les Mémoires , les Critiques
& les Remarques que différentes perfonnes
ont fourni depuis la derniere édition.
Le prix de ce Dictionnaire en dix volumes
in-folie en feuilles , fera , pour ceux
qui n'auront pas foufcrit , de deux cens
quarante livres. Mais pour favorifer ceux
qui voudront dès- à-préfent en affurer un
F
122 MERCURE DE FRANCE:
exemplaire , les Libraires ci-après nom
més , ont fixé le prix defdits dix volumes à
cent quatre vingt livres qu'on payera felon
l'ordre qui fuit ;
Le premier payement , en levant la
foufcription , 60 liv . Le fecond payement
en Mars prochain , en recevant les fix premiers
volumes , 72 liv. Le troisieme en
Juillet 1759 , en retirant les quatre der
niers volumes , 48 liv. Total 180 liv.
On ne recevra des affurances pour cet
Ouvrage que jufqu'au dernier jour de cette
année 1758.
Les Soufcripteurs font priés de faire
retirer leurs exemplaires dans le courant
de 1759. Paffé ce temps les avances feront
perdues pour eux. Sans cette condition ,
on n'auroit pas propofé l'avantage de la
foufcription. On pourra foufcrire , chez
le Mercier , rue S. Jacques, au Livre d'or;
Defaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
; Jean Thomas Heriffant , rue S. Jac
ques , à S. Paul & à S. Hilaire ; Boudet ;
rue S. Jacques , à la Bible d'or ; Fincent ,
rue S. Severin ; Le Prieur, rue S. Jacques,
à la Croix d'or.
MAI. 1758. 123
III. ARTICLE
SCIENCES ET BELLES - LETTRES:
HISTOIRE.
LETTRE de M. Coleffe , Curé de Châ
teauvieux , en Berry , à M. l'Abbé Hardi ,
du College Mazarin , à Paris , fur la
fituation du lieu d'où les Hébreux partirent
en quittant l'Egypte , & fur le jour
où ils pafferent la Mer Rouge.
Il étoit , Monfieur , très - naturel d'en
croire Jofephe fur un point qui concerne
les antiquités Judaïques ; & le R. P. Sicard
, fur la fituation d'une contrée de l'Egypte
, nommée dans l'Ecriture , puifque
ce Miffionnaire a fait une étude particu
liere du local de ce Royaume , & des textes
des Livres faints qui y ont rapport : appuyé
de l'autorité de l'un , & des differtations
géographiques de l'autre , vous auriez
trouvé , Monfieur , dans les reffources de
votre génie de quoi défendre long temps
l'opinion que vous aviez embraffée d'après
F ij
114 MERCURE DE FRANCE.
eux mais à peine Dom Calmet nous a-t'il
fait entrevoir la vérité , que vous lui avez
rendu l'hommage le plus prompt , & en
même temps le plus glorieux pour elle ,
pour vous , Monfieur , & pour le fçavant
homme à qui elle doit votre conquête.
Vous avez plus fait encore. Devenu tout
coup le défenfeur & le foutien de la
caufe qui venoit de nous paroître préférable
, vous avez travaillé avec le plus
grand zele à lui faire des profélites , en
levant un obstacle qui n'avoit pas , il eft
vrai , arrêté Dom Calmer , mais qui pouvoit
faire peine à bien d'autres.
Vous avez penfé , avec raiſon , qu'il ne
falloit pas faire partir les Hébreux des environs
de Tanis : vous avez bien vu qu'il
étoit hors de toute vraisemblance , que fix
cens mille hommes chargés de leur bagage
& des dépouilles de leurs ennemis , &
traînant avec eux une multitude innombrable
de vieillards , de femmes , d'enfans,
d'efclaves & de troupeaux , ayent pu en
trois jours faire trente lieues , prefque
toujours à travers des montagnes & des
défilés . Pour abréger leur marche , vous
ne les faites partir que des environs de
Rameffes , & vous fuivez en cela l'Ecritu
re; mais , ainfi que Dom Calmet , vous
placez cette Ville à 25 lieues de la Mer
MA I. 1758. 12
Rouge , & cette diftance épouvante encore
bien des
gens.
Raffurons- les , Monfieur , & abrégeons
la route des Ifraélites de cinq à fix lieues
encore de plus. Pourquoi refter dans l'embarras
, quand on peut s'en tirer auffi facilement
? Plaçons ( puifqu'on le veut ) Tanis
à 30 lieues de la Mer Rouge ; mais comà.
30
mençons par en éloigner de cinq à fix
lieues , en avançant vers l'Orient , le palais
qu'habitoit Pharaon . C'eft fans doute dans
ce féjour & fous les yeux de ce Tyram ,
que Moyfe fit éclater les merveilles terribles
dont la derniere opéra la délivrance
d'Iraël ; c'eft là que fe devoit commencer
la fanglante exécution , dont la vengeance
de Dieu avoit chargé l'Ange exterminareur
; mais rien ne nous force de placer ce
lieu de malédiction dans la ville même de
Tanis. Ce n'eft point dans cette Ville , c'eft
dans les plaines qui l'environnoient , IN
CAMPO Faneos , que fe formerent les orages
, qui fe répandirent enfuite dans tout
le refte de l'Egypte. Ainfi le palais de l'endurci
Pharaon étoit fitué non dans Tanis ,
mais dans les plaines de Tanis ; IN CAMPO
Taneos. Nous pouvons donc le rapprocher
de cinq à fix lieues vers l'Orient , & placer
enfuite Rameffés à cinq on fix lieues plus
près encore de la Mer Rouge. Pour expli-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
quer l'Ecriture à cet égard , il nous fuffit
que Moyfe & Aaron ayent pu s'y rendre
dans la même nuit , où ils reçurent enfin
de Pharaon la permiffion d'aller facrifier
dans le défert . Car , comme vous l'obfervez
très-bien , Monfieur , il eft inutile de
faire partir les Couriers de Pharaon pour
aller chercher Moyfe & Aaron à Rameffés ,
d'en faire venir ces deux Chefs du peuple
de Dieu ,, pour les y ramener enfuite , &
tout cela dans les cinq ou fix heures qui
précéderent le départ des Hébreux. Čes
Miniftres du Seigneur fûrs de la promeffe ,
& de la protection du Maître qu'ils fervoient
, fe tenoient fans doute à la Cour ,
pour y attendre le moment fixé par l'Eternel
pour la délivrance de fon peuple. C'eft
vers le milieu de la nuit du 14 au 15 da
mois , qui fut dans la fuite le premier de
l'année hébraïque , qu'arriva ce moment
tant defiré , & fi long- temps attendu . Pharaon
, au cri de toute l'Egypte baignée
dans le fang de fes premiers més , appella
Moyfe & Aaron , & les preffa vivement
de partir. Vocatifque Pharao , Moyfe &
Aaron, ait eis : Surgite & egredimini , Exod.
12 , 3. Ainfi en ne mettant du palais dù
Tyran à Rameffés que cinq à fix lieues ,
Moyfe & Aaron purent y venir de grand
matin annoncer aux Hébreux l'heureuſe
MA I. 1758 . 127
houvelle de leur délivrance. 1 Ils fe mirent
en marche au même inftant , & arriverent
fur le foir à Socoth d'autant plus aisément,
qu'une auffi grande multitude étoit fans
doute campée dans la plaine , ou cantonnée
dans les villages bien en avant de Ramef
fés. Leur quartier général , dans les fuppofitions
que je viens d'établir , n'étant
éloigné de la Mer Rouge que de 18 lieues
environ , il est donc facile , malgré leur
multitude , d'y faire arriver les Ifraélites
le troifieme jour , c'est-à- dire le 17 au foir.
Je voudrois , Monfieur , qu'il fût auffi facile
de leur en faire faire le trajet miraculeux
dans la même nuit ; mais j'y trouve
de grandes difficultés. Je ne les propoſe
qu'en les foumettant , Monfieur , à votre
jugement , & à celui de tous ceux qui
voudront bien me communiquer leurs
lumieres. Je fuis difpofé à en profiter
avec toute la docilité poffible. L'exemple
que vous venez Monfieur , d'en
donner eft trop beau : il me fera glorieux
de l'imiter.
Lorſque la main du Seigneur ouvrit à
fon peuple un paffage à travers les flots de
la Mer Rouge , Pharaon & fon armée
étoient campés à Phihahiroth : or en confidérant
les différentes circonftances détaillées
dans l'Exode , chap. 13 & 14 ; il n'eft
F iv
128 MERCURE DE FRANCE:
pas poffible de les y faire arriver le 17
Les Hébreux partis de Rameffés le r
au matin , arriverent le même jour à Sosoth
, & le lendemain à Etham , à l'extrê
mité du défert . Là , Dien parla à Moyfe
lui dit : Parlez aux Enfans d'Ifraël , &
Beur dites, qu'ils retournent pour aller camper
vers Phibahiroth. Exod . 14 , 1 & 2. Reverfi
caftramentur è regione Phihahiroth. Il étoit
tout naturel que les Hébreux arrivés à
Etham à l'extrémité du défert , au lieu de
prendre leur route le long du bord occidental
de la Mer Rouge , ayant cette mer
à leur gauche , la laiffaffent à droite pour
traverfer l'ifthme de Suès , puifqu'alors la
mer ne les auroit point arrêtés. Mais le
Dieu d'Ifraël avoit fes deffeins. Il vouloit
faire tout à la fois éclater fa plus grande
miféricorde fur fon peuple , & fa vengean
ce la plus terrible fur Pharaon & fon armée.
Il ne conduifit donc pas , dit l'Ecricure
, les Hébreux fugitifs par le chemin lè
plus court , le plus aifé , le feul même
qu'ils fembloient devoir fuivre pour fe
rendre dans la terre de Chanaan ; mais
il les fit tourner par le chemin du défert
le long de la Mer Rouge. Non eduxit eos
Deus per viam terra Philiftiim que vici
na eft ...fed circumduxit per viam deferti
que eft juxta mare rubrum , Exod. 13 , 17
AMA I. 1758. 129
& 18. Ce chemin , au rapport du P. Sicard
, eft un défilé affez long , mais fort
étroit , entre le bord occidental de la mer
& les montagnes. Les Hébreux s'y enfoncerent
en quittant Phihahiroth , affez:
avant pour que les Egyptiens ayent pa
venir camper à Phihahiroth même ; d'où je
conclus d'abord, que ce ne peut être le 17
au foir que les Egyptiens s'y foient rendus.
Car les Hébreux , qui y vinrent coucher le
même jour, devoient en être affez éloignés
lorfque les Egyptiens y arriverent ils
avoient donc marché le 18 , en s'enfonçant
dans le défilé affez avant vers le midi
pour
pouvoir y camper ; ce qui ne put s'exécuter
par cette immenfe multitude , qu'en un ou
deux jours ainfi les Egyptiens ne les rencontrerent
au plutôt que le foir du 18 au
19. Je ne pense pas même qu'ils ayent pu
fe trouver fi -tôt en préfence des ennemis ,
la raifon en eft claire.
Or Pharaon , qui avoit accordé à Moyfe:
la permiffion d'aller facrifier dans le défert:
à la diftance de trois journées , ni les Egyp
tiens , qui avoient fourni volontiers aux
Hébreux des vaſes d'or & d'argent pour
les mettre en état de faire avec plus de
magnificence & d'éclat les cérémonies du
grand Sacrifice , ne devoient être inquiets
& ne le furent point en effet les deu xpre
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
miers jours. Ils virent avec plaifir les Hébreux
laiffer à leur gauche le chemin de
l'Orient qui pouvoit faciliter leur fuite , &
s'avancer pendant ces deux jours au Sud- eft
vers le défert. Ils ne commencerent à s'allarmer
, que lorsqu'en fortant d'Etham ,
les Ifraélites parurent en effet fonger à fe
mettre en fûreté. Alors on annonça à Pha
raón que le prétexte d'un Sacrifice couvroit
la fuite véritable des Hébreux . Alors
le Tyran changea de fentimens , immutatum
eftque cor Pharaonis. Il s'abandonna à
toute fa fureur ; elle ne fit même qu'augmenter
, quoiqu'il apprît qu'après avoir
fait quelques pas dans la route qui pouvoit
les fauver , les Ifraélites avoient tourné
tout-à-coup à droite pour entrer dans ce
défilé , qui eft entre le bord occidental de la
Mer Rouge & les montagnes. L'efpérance
de les y renfermer & de les forcer à y
mourir de faim , ou à venir redemander
leurs premiers fers , lui fit hâter fes prépa
ratifs , qui , fi les Hébreux n'avoient pas
changé de route , auroient été très - inutiles
contre des fuyards qui avoient deux journées
d'avance , & pouvoient en 24 heures
entrer dans le pays des Philiftins. Pharaon
monta donc fur fon char , raſſembla tous les
charriots de l'Egypte , parmi lesquels il y en
avoit 600 d'élite ; il fit prendre les armes à
MA I. 1758. 131
tout fon peuple , Exod. 14 , 6 & 7 ; pourfuivit
vivement les Hébreux , les joignit
fur le bord de la iner , & les renferma en
campant à Phihahiroth , dans le défilé où
ils s'étoient engagés .
Ne prenons point à la rigueur ces expreffions
de l'Ecriture , il prit avec lui
TOUT SON PEUPLE , ET TOUT CE QU'IL Y
AVOIT DE GHARRIOTS en Egypte ; OMNEM
populum affumpfi fecum talitque QUIDQUID
curruum in Egypto fuit. Je veux
qu'elles fignifient fimplement que Pharaon
affembla une grande armée : comment
n'en ayant pris la réfolution que le troifieme
jour après le départ des Hébreux ,
put- il raffembler une armée capable de
faire tête à 6ooooo combattans , la fournir
de vivres , & la faire trouver le même
jour à Phihahiroth , c'eft- à- dire à plus de
20 lieues de l'endroit d'où elle dut partir ?
Cela eft il concevable !
Je veux même que dès le jour que les
Hébreux partirent de Rameffés , le Tyran
qui ne fçavoit ce que c'étoit que de garder
fa parole , eût retracté dans fon coeur la
permiffion qu'il venoit de leur accorder ,
& qu'il eût pris fur le champ la réfolution
de courir après eux. Il ne put partir qu'après
avoir raffemblé cette armée immenſe ;
& à moins de la faire par miracle , & de
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE:
lui donner des aîles , il eft impoffible
qu'elle ait pu joindre les Hébreux le 17 ,
& conféquemment il eft impoffible que
ceux- ci ayent paffé la Mer Rouge la nuit
du 17 au 18 .
Je crois , Monfieur , que le
fyftême que
vous avez établi fur cet époque eſt trèsbeau
; mais cette époque eft elle bien
vraie ? C'est ce qu'on aura de la peine à
croire , jufqu'à ce que vous l'ayez rendus
plus vraisemblable . Cela ne vous fera pas
difficile fans doute : vous avez vu , mieux.
que moi , les difficultés ; mais je n'ai pas
apparemment vu , comme vous , ce qui
peut les diminuer , & peut- être même les
anéantir tout - à- fait..
J'ai l'honneur d'être , & c.
·
E. COLESSE , Curé de Châteauvieux
Diocese de Bourges..
MAI. 1758 ***
MEDECINE.
OBSERVATION fur les effets mortels
de la Poudre d'Alliot . Par M. Thiery
Docteur- Régent de la Faculté de Médecis
ne de Paris.
On m'invita au commencement de Jan N
vier dernier , à vifiter M. Bocanne , Prê
tre de la Paroiffe de la Magdeleine Fauxbourg
S. Honoré; je trouvai ce malade
avec un délire continuel , la voix entrecou
pée , & la refpiration très- gênée. La langue
étoit tellement gonflée , fans aucun
figne d'inflammation dans le voifinage ,
qu'à peine il la pouvoit tirer : le ventrs:
étoit mol , tuméfié & infenfible ; mais le
pouls étoit fi inégal , fi irrégulier , & accompagné
de tant d'intermittences , que ne
me reffouvenant pas d'avoir vu fauver des
malades avec cette efpece de pouls , je ne
craignis point d'affurer aux perfonnes qui
s'y intéreffoient , qu'il y avoit gangrene
dans les principaux vifceres , & que le fieus
Bocanne étoit perdu fans reffource. Notremalade
cependant , réveillé par la préſence
du Médecin , faifoit tous. fes. efforts pour
134 MERCURE DE FRANCE.
rappeller fes idées , & répondre aux queftions
que j'avois à lui faire. Il me confir
ma ce que j'avois déja appris des perfonnes
de fa connoiffance , que s'étant trouvé incommodé
quelques jours avant les fêtes
de Noël , & ayant eu un peu de fievre ,
que je jugeai par les circonstances n'avoir
été qu'une fimple fievre catharrale , il avoit
eu recours à fon remede ordinaire , la pou
dre d'Alliot ; qu'il en avoit pris neuf prifes
les quatre à cinq premiers jours ; que
néanmoins il avoit continué fes fonctions
pendant toutes les fêtes ; qu'au furplus il
étoit dans l'habitude , depuis douze ans ,
de prendre cette poudre tous les mois, pour
fe préferver , difoit - il , de tous maux ,
quoiqu'il ne fût naturellement fujet à aucunes
maladies , finon à des battemens de
coeur , & à des étouffemens. D'abord je
lui repréſentai , ainfi qu'aux affiftans , com
bien il étoit dangereux , & même criminel,
d'employer pour foi ou pour les autres ,
non feulement ces poudres d'Alliot dont
j'avois déja vu de funeftes effets , mais
tous autres remedes d'une certaine force ,
quand on n'avoit pas les connoiffances néceffaires
pour les mettre en ufage dans les
cas convenables. Puis réfléchiffant fur la
compofition de cette poudre ( 1 ) , je pteſ-
( 1 ) Elle eft principalement réfineufe : il
MA I. 1758.
135
crivis un électuaire compofé de mucilages,
& pour boiffon ordinaire , le petit lait
édulcoré avec les firops de guimauve , &c .
j'ajoutai l'ufage répété de lavemens adouciffans.
Le fecond jour le malade paroiffoit
paroft qu'il y a eu en différens temps quelques
variétés dans cette poudre. Celle qu'on débitoit il
ya dix à douze ans fous le nom de poudre d'Aix ou
d'Alliot , paffoit affez généralement pour un mê
lange de Jalap , de Scammonée & de racine de
Squine. M. Rouelle , de l'Académie Royale des
Sciences , dont l'habileté en fait d'analyfes eft fi
connue , trouva quelques années après que cette
poudre n'étoit autre chofe que l'Electuaire Diacarthame
, dont on peut voir la compofition dans
toutes nos Pharmacopées , & à laquelle on avoit
ajouté une grande quantité de fucre pour la maf
quer. La poudre dont notre malade fit ufage eft
noire , & pefe une dragme & douze grains pour
chaque prife. Elle eft auffi compofée de réfines ,
comme les précédentes , & paroît être un mêlange
de Jalap , de Scammonée , & de quelque Tithymale;
le tout torréfié , tant pour diminuer la virulencé
de ces drogues , que pour les déguifer. De
nouveaux effais , dès que la faifon fournira des
plantes fraîches , détermineront plus particuliérement
les fubftances qui entrent dans cette poudre
dangereufe. En attendant nous n'avons qu'à rougir
que le fieur Alliot , que nous apprenons n'avoir
eu ni confiance , ni conſidération dans fa patrie ,
ait porté le nom de Médecin , & ait été ou affez
ignorant pour croire qu'un purgatif réfineux
pourroit convenir dans toutes les maladies & à
tous les tempéramens , ou affez de mauvaiſe for
pour tâcher de le perſuader au peuple.
136 MERCURE DE FRANCE
moins mal , les évacuations étoient abon
dantes fans être forcées : je fis mêler des
laxatifs & des tempérans aux remedes dont
on continuoit l'ufage: Cependant le délire
étoit augmenté , & la même efpece de
pouls fubfiftoit toujours. Me reffouvenant
alors des fuccès heureux que j'avois fou
vent éprouvé de la térébenthine , non feu
lement dans le malade dont l'hiftoire eft
rapportée au no. I. ( 1 ) du Journal de Médecine
, mais dans d'autres maladies trèsgraves
des vifceres de l'abdomen , j'or
donnai un mêlange où elle entroit en affez
grande dofe , & qui fut pris en très-grande
partie. Je dois dire à la louange de ce
remede , qu'en allant le lendemain matin
faire ma vifite , je trouvai le pouls plein ,
fort , égal & fans intermittences . Un chan
gement auffi favorable qu'il étoit peu ef
péré ; le tempérament du malade qui étoit
charnu & fanguin ; la couleur affez vive
du vifage , joint aux autres circonstances ,
& nommément à ce qu'il s'étoit déja paffé
cinq à fix jours depuis qu'il avoit ceffe
Pufage de fes poudres , me déterminerent
à tenter une faignée que j'avois rebutée
jufqu'à ce moment. Elle fut donc faite du
(1) Voyez dans le Journal de Médecine du
mois d'Avril dernier , Obfervations fur quelques
maladies peu cominunes...
MA I. 1758: 137
před ce matin même ; le malade la fou
tint très-bien : le fang paroiffoit fortir avec
impétuofité. Immédiatement après on ap
pliqua à la nuque du col une large emplâ
tre véficatoire , ainfi que je l'avois prefcrit.
Mais trompeufe efpérance ! foins fu
perflus ! le fieur Bocanne ne tira d'autres
fruits de ces fecours que de pouvoir remplir
avec plus de connoiffance & d'édification
les derniers devoirs de la Piété Chrétienne
à fept heures du foir il n'étoit
plus. Je demandai à M. le Curé de la Mag--
deleine , qui fçavoit le jugement que j'a
vois porté de la maladie dès ma premiere
vifite
, que le corps fût ouvert. Animé ,
comme il l'eft , de l'amour du bien public,
non feulement il y confentit , mais il témoigna
que le défirant lui- même , il avoit
réfolu de m'en prier , afin que cette our
verture pût fervir d'exemple à fes Paroiffiens.
Elle fut faite le 7 Janvier au matin ,
36 heures après la mort , en préfence de
beaucoup de perfonnes.
D'abord nous remarquâmes que la peau
étoit en plufieurs endroits parfemée de
grandes taches vertes & violettes , qui
nous annoncoient une corruption plus
prompte qu'on ne l'obferve communé
ment dans un pareil efpace de temps.
après la mort. Dès que le fieur Banniere
38 MERGURE DE FRANCE.
S
Chirurgien , eut ouvert l'abdomen , il en
fortit une vapeur foetide , quoique l'incifion
eût été faite habilement & fans
bleffer les inteftins. Mais à mesure qu'on
découvroit les principaux vifceres leur
altération parut fi fenfible & fi éloignée
de l'état naturel , qu'elle frappoit d'étonnement
les perfonnes les moins inftruites.
Le foie , la rate , les reins , le poumon
étoient de couleur de poix noire , friables
, fecs , gonflés , comme fi on les eût
légérement foufflés. Je ne pourrois en
donner une idée plus exacte qu'en les
comparant , tant à l'extérieur que dans
leur fubftance la plus intime , à différentes
maffes d'amadou d'un brun foncé ,
qu'on auroit rendue moins compacte en la
foufflant. Il eft digne de remarque qu'il
ne fortit pas une goute de fang , tant par
l'ouverture des tégumens , que par les incifions
les plus profondes que je fis faire
au foie , à la rate , aux poumons : cependant
il faut fe reffouvenir que le malade
n'avoit été faigné qu'une feule fois , comme
on l'a dit ; qu'il étoit replet , fanguin
& à la fleur de fon âge ; que fa maladie
avoit été trop courte pour qu'il eût eu
le temps de maigrir fenfiblement ; &
qu'enfin il n'avoit été privé d'alimens folides
que cinq à fix jours avant ſa mort.
MA I. 1758. 139
en
L'eftomac furtout à fon fond , le pilore ,
l'épipoloon , le duodénum étoient ,
plufieurs endroits , pénétrés de cette finguliere
efpece de gangrene que nous ve
nons de d'écrire. L'eftomac étoit vuide
fa tunique interne ou veloutée , ainfi que
celle du duodénum , paroiffoit détruite.
Les autres inteftins , qui étoient fort gon-
Hés , n'offroient rien de particulier , dumoins
quant à l'extérieur. Le coeur étoit f
flafque & fi gros , qu'à peine pouvoit
on reconnoître fa figure. Il n'y avoit pas
une goutte de fang dans fes cavités : fa
ſubſtance , qui eft naturellement trèscompacte
, étoit finguliérement molle : il
étoit adhérent au péricarde, & ne faifoient
enſemble qu'une maffe commune : cette
maffe étoit de la couleur & de la confiftence
que nous avions trouvée au foie , aux
poumons, &c. Mais d'ailleurs on ne décou
vrit ni polipes, ni offifications, foit au coeur,
foit dans les grands vaiffeaux , ni aucune
forte de vice auquel onpût attribuer les battemens
de coeur & les palpitations qui affligerent
notre malade pendant plufieurs
années. Il y a donc toute apparence que
ces accidens n'étoient produits que par
fympathie , & par l'irritation des entrailles
excitée par les poudres d'Alliot , qu'il
étoit dans l'habitude de prendre. On peut
140 MERCURE DE FRANCE:
croire auffi que le delire qui accompagna
fa derniere maladie , étoit produit en gran
de partie par les prifes du même remede
dont il venoit en dernier lieu de faire
ufage. Car ayant auffi voulu examiner
le cerveau , je n'y trouvai aucun engor
gement , foit lymphatique , foit inflam
matoire , ni aucun autre vice fenfible.
Seulement , loin d'être mol & friable ,
comme les autres vifceres , il avoit un
peu plus de fermeté & de conſiſtence que
dans l'état ordinaire . [ ? )
Ayant fait le rapport de cette ouverture
à M. le Curé de la Magdeleine , & ayant
ajouté que
l'hiftoire de la Médecine , ne
rapportoit d'auffi grands changemens dans
le corps , qu'à la fuite des poifons ou des
fievres peftilencielles , ce digne Paſteur fe
rappella pour lors avec le plus vif chagrin
, que fon prédéceffeur étoit mort
auffi par l'ufage des poudres d'Alliot ; que
le corps ayant été ouvert , Meffieurs les
Médecins y trouverent plufieurs traces
de
gangrene ; que M. Bocanne , loin de ce- .
der à fes fréquentes exhortations , & de
quitter fes poudres , les faifoit prendre en
cachette à plufieurs malades ; ce qui produifoit
communément les effets les plus
funeftes ; que nommément dans un jeune
komme , à qui le fieur Bocanne ne put
4
M A I. 1758. 14t
nier d'avoir donné fes poudres , elles
furent fuivies d'une mort très -prompte.
Des exemples fi frappans & fi bien conftatés
ne fçauroient être rendus trop publics,
Ils ferviront peut-être à arrêter ces perfonnes
téméraires , qui , fans confidération
du péril auquel elles s'expofent elles- mêmes
, ou leur prochain , ofent fe fervir
d'armes dangereufes qu'elles ne connoiffent
pas , & employer à tout hafard des
remedes qui ne peuvent être que def
tructeurs , foit par leur nature , foit par
l'abus qu'on en fait , foit enfin par les circonftances
dans lefquelles on les employe ,
Landis que ceux qui, par goût & par les devoirs
de leur profeffion , ont fait une longue
étude de l'humanité & de fes maux ,
ofent à peine s'en rapporter à leurs lumieres
, à leur expérience & à celle de plufieurs
fiecles , quand , dans des maladies
un peu difficiles , il s'agit de la jufte appli
cation des remedes les plus connus & les
plus expérimentés,
}
+
«Je certifie que les faits énoncés dans
» la préfente obfervation font authenti-
» ques , & que l'on peut ajouter foi à
» l'expofé qu'en fait M. Thierry. A Pa-
» ris , ce 4 Avril 1758. Cathelin , Curé de
la Magdeleine de la Ville- L'Evêque. « ??
142 MERCURE DE FRANCE:
ELOGE de M. de Réaumur , lu à l'affemblée
publique de l'Académie Royale des
Sciences , le mercredi s Avril , par M.
de Fouchy , Secretaire perpétuel.
RENÉ-ANTOINE Ferchault , Ecuyer , Seigneur
de Réaumur , des Angles & de la
Bermoudiere , Commandeur & Intendant
de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
de l'Académie Royale des Belles- Lettres de
la Rochelle , Membre des Académies des
Sciences d'Angleterre , de Pruffe , de Ruffie
, de Suede , de celle de l'inftitut de
Bologne , naquit à la Rochelle en 1683
de René Ferchault , Seigneur de Réaumur ,
Confeiller au Préfidial de cette Ville , &
de Géneviève Bouchel.
Il fit fes premieres études à la Rochelle ;
& fa philofophie chez les Jéfuites de Poitiers
, de- là il alla en 1699 faire fon droit à
Bourges, où un de fes oncles, Chanoine de
la Sainte Chapelle de cetteVille, l'avoit appellé.
Ce voyage fut accompagné d'une circonftance
finguliere : M. de Réaumur avoit
alors à peine 17 ans. On ofa confier à fa
conduite un frere cadet qu'il avoit. La confiance
qu'on avoit en lui ne fut point trom
pée ; il poffédoit déja la prudence d'un
MAI. 1758. 143'
homme fait , & le Mentor de 17 ans s'acquitta
parfaitement de fon devoir.
Les études que M. de Réaumur avoit
faites jufqu'alors , l'avoient mis en état de
s'appliquer aux fciences pour lefquelles il
fe fentiroit de l'inclination ; les mathéma
tiques & la phyfique eurent bientôt fixé
fon choix , & il fe hâta de fe rendre à Pa
ris , pour cultiver les heureufes difpofitions
qu'il avoit reçues de la nature.
Quelqu'immenfe variété de caracteres
qu'on puifle rencontrer dans les habitans
de cette Capitale , il n'étoit pas fûr qu'il
pût aifément y trouver quelqu'un de fon
âge auffi avide que lui de connoiffances ,
auffi livré à l'étude & au travail , d'un efprit
auffi net , & d'un coeur auffi droit que
le fien ; en un mot , qui , dans le feu de
la premiere jeuneffe , eut toute la folidité
d'efprit & toute la conduite d'un homme
fait. Il fut cependant affez heureux , pour
rencontrer ce tréfor , & nous ne craignons
point que le public nous défavoue , quand
nous ajouterons que ce fut en la perfonne
de M. le Préfident Hénault fon parent ,
qui devint bientôt fon ami , & n'a jamais
ceffé de l'être.
M. de Réaumur ne tarda pas à fe faire
connoître pour ce qu'il étoit. Venu à Paris
en 1703 , dès 1708 il fut jugé digne d'
244 MERCURE DE FRANCE.
tre membre de cette Compagnie , où il
obtint le 14 Mars , âgé feulement de 24
ans, la place d'éleve de M. Varignon , vacante
par la promotion de feu M. Saurin
à celle d'affocié.
. Dès la même année , il donna une ma-
Biére générale de trouver une infinité de
courbes décrites par le mouvement de l'extrêmité
d'une ligne droite , qui , parcourant
par l'autre bout une courbe donnée
eft affſujettie à paffer toujours par un même
point. M. Carré avoit réfolu ce problême
en 1705 ; mais il n'avoit conſidéré
que le feul cas dans lequel la courbe génératrice
étoit un cercle. M. de Réaumur entreprit
de le porter à fa plus grande généralité
; en effet , fa théorie s'applique à
toutes les courbes poffibles , & ne laiffe
tien à défirer fur cette matiere .
L'année ſuivante fut marquée par un
autre ouvrage géométrique fur les développées.
On avoit bien déterminé les courbes
formées par les rayons perpendiculaires
à tous les points d'une autre courbe ;
mais perfonne ne s'étoit encore avifé de
déterminer la nature de celles que formoient
des lignes qui rencontroient une
courbe donnée fous un angle conftant plus
ou moins grand qu'un droit . Cette condition
donne au problême toute la généralité
poffible ,
M A I. 1758. 145
poffible , & la maniere ordinaire de confidérer
ces courbes , n'en eft qu'un cas particulier.
Cet ouvrage fut le dernier mémoire de
mathématique que donna M. de Réaumur :
il étoit dès- lors chargé de la defcription
des arts , & en même temps le goût qu'il
avoit l'hiftoire naturelle , commença
à l'entraîner vers d'autres recherches , qui
ne lui permirent plus que quelques applications
toujours utiles & ingénieufes de
la géometrie à ces différens objets.
pour
Dès la même année , il lut fes obfervations
fur la formation des coquilles ; on
ignoroit encore fi elles croiffoient comme
le refte du corps animal par une intus- fufception
, ou par l'addition extérieure &
fucceffive de nouvelles parties. Ses obfervations
fines & délicates leverent cette incertitude
, & apprirent que les coquilles
fe formoient par l'addition de nouvelles
parties , & même qu'elle étoit la caufe de
la variété de couleur , de figure & de grandeur
qu'elles affectent ordinairement. Les
obfervations que ces recherches l'engagerent
à faire fur les limaçons , lui firent découvrir
un infecte fingulier , qui vit nonfeulement
fur ces animaux , mais dans
l'intérieur de leur corps , d'où il ne fort
que lorfque le limaçon les en chaffe
G
146 MERCURE DE FRANCE:
Elles lui donnerent de même occafion de
démêler le mouvement progreffif d'un
grand nombre de coquillages , & la prodigieufe
variété des organes que l'Auteur
de la nature a employés pour ce feul ufage
, dans les différentes efpeces de ces animaux.
ter ,
On fera peut-être furpris que dans la
même année , qui pourroit paroître bien
remplie par ce que nous venons de rapporil
ait pu donner un travail tout diffé
rent , quoique du même genre fur l'hiſtoire
de la foie des araignées. Les expériences
de M. Bon , premier Préſident de la Chambre
des Comptes de Montpellier , avoient
fait voir que les araignées fçavoient filer
une foie qui pouvoit être utilement employée
; mais il reftoitencore à s'affurer s'il
étoit poffible de les nourrir en affez grande
quantité , & fans des frais qui excé
daffent le profit qu'on en pouvoit tirer.
L'ingénieux Académicien entreprit cette
pénible recherche , & il en réſulta que la
découverte de M. le Préfident Bon n'étoit
que de fimple curiofité , & que le commerce
n'en pourroit tirer aucun avantage.
Ce travail porté à la Chine avec les mémoires
de l'Académie , attira l'attention
du célébre Cam- hi , qui regnoit alors ; ce
Prince le fit traduire en Tartare , voulut
MA I. 1758 . 147
que trois des Princes fes fils l'étudiaffent
avec foin , & lui en rendiffent compte ,
& ajouta que pour avoir une fi grande ardeur
de découvrir , il falloit être Européen
.
On fçavoit depuis longtemps que plufieurs
animaux marins étoient attachés à
différens corps folides , foit que cette
adhérence fut perpétuelle , foit qu'elle pût
ceffer à la volonté de l'animal ; mais on
ignoroit par quels moyens elle s'opéroit.
M. de Réaumur entreprit de les découvrir
, & on doit à fes recherches la connoiffance
des filieres , des moules & des
pinnes marines , de l'ufage du prodigieux
nombre des jambes de l'étoile de mer
pour s'attacher aux corps folides , de la glu
qu'emploient d'autres animaux pour la même
fin , en un mot d'un grand nombre de
5 manieres employées à cet effet , & defquelles
on n'avoit eu jufques-là aucune
idée .
•
Ces mêmes recherches offrirent à M. de
Réaumur un autre objet bien fingulier ,
qu'il ne cherchoit pas. Elles lui firent découvrir
un poiffon différent de celui qui
fourniffoit la pourpre des Anciens , & qui
jouiffoit de la même propriété , & de plus ,
des grains femblables à des oeufs de poiffon
qui fe rencontrent en très- grande abon-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
dance fur les côtes de Poitou . Ces grains
donnent, en les écrafant , une teinture jaunâtre
très- folide , qui , expofée à l'air ,
devient en peu de minutes d'un très beau
pourpre. Nouvelle maniere de teindre ,
ignorée jufqu'ici , & dont les recherches
de M. de Réaumur ont enrichi la phyfique
& le Royaume.
Un travail d'un tout autre genre l'oc
cupoit encore dans le même temps ; il fai
foit des expériences pour déterminer fi la
force d'une corde étoit plus grande ou
moindre , que la fomme des forces des
cordons qui la compofent ; elles déciderent
contre l'opinion reçue jufqu'alors ,
que la force de la corde étoir moindre que
la fomme de celles de fes cordons ; d'où il
fuivoit néceſſairement , que moins une
corde différoit d'un affemblage de cordons
paralleles , c'est- à- dire , moins elle étoit
torfe , & plus elle devoit être forte . Paradoxe
de méchanique alors bien fingulier ,
que les expériences de M. Duhamel ont
mis depuis au rang des chofes démontrées.
Tous les habitans des bords de la mer
& des rivieres , affuroient que lorfque les
écreviffes , les crabes , les homards avoient
perdu une de leurs pattes , il leur en revenoit
une autre. Mais comment fe prêter à
un pareil phénomene ; c'étoit , difoit-on ,
MAI. 1758. 149
tenverfer toutes les idées de la faine phyfique.
M. de Réaumur bien inftruit que
fouvent ce qui paroît le moins vraisemblable
n'en eft pas moins vrai , confulta l'expérience
, & il trouva que fur ce point ,
les Phyficiens avoient tort , & que le peuple
avoit raifon. Il démêla de plus toutes
les circonftances de cette reproduction, plus
fingulieres peut-être encore que la chofe
même.
ទ Voici encore une merveille de la mer
de laquelle on doit l'explication à M. de
Réaumur ; la torpille ou tremble , étoit
redoutée de tous ceux qui la connoiffoient ,
par la propriété qu'elle a d'engourdir la
main & le bras qui la touchent. On avoit
tenté depuis long- temps , mais toujours
inutilement , d'expliquer ce phénomene ;
on en étoit réduit aux grandes extrêmités ,
c'est-à-dire à une émiffion de corpufcules
torporifiques. M. de Réaumur eut le courage
de tenter des expériences difficiles &
fâcheufes , & l'avantage de démêler à l'aide
de l'anatomie l'admirable ſtructure des
muſcles , qui , par la vîteffe du coup qu'ils
donnent
produisent l'engourdiffement
qu'on reffent en touchant la torpille.
Les objets dont nous venons de parler ,
n'intéreffoient que la curiofité phyf
que. Ceux qui fuivent , font d'un
و
1
genre
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
différent , ils vont directement au bien
de la fociété.
Le premier , fut la découverte des mines
de Turquoife. La Perfe étoit regardée
comme le feul lieu de l'univers où les Turquoifes
, du moins les belles , priffent naiſ
fance ; on en étoit même fi bien perfuadé
, qu'on regardoit comme Turquoifes
orientales , toutes celles qu'on trouvoit
parfaites . Le travail que M. de Réaumur
avoit entrepris für les arts , lui fit connoître
des mines de cette matiére , abandonnées
depuis longtemps dans le Languedoc.
Il follicita les ordres néceffaires pour en
avoir des morceaux , il fit des expériences
pour connoître le degré de feu qui leur
donne la couleur , il détermina la forme
& la dimenfion des fourneaux , & il réfulta
de fes recherches , que les Turquoi
fes étoient des os foffiles pétrifiés , colorés
par une diffolution métallique que le feu y
faifoit étendre , & que de plus , celles de
Fra ce ne le cédoient , ni en groffeur , ni
en beauté aux plus belles qui fé trouvént
en Perfe.
L'art de faire les pérles fauffes , par le
quel les hommes font venus à bout de contrefaire
fi parfaitement une des plus belles
productions de la nature , qu'elle en a perdu
prefque tout fon prix , n'avoit pas
M A I. 1798. Ist
échappé à M. de Réaumur ; mais il y joignit
une recherche bien intéreffante pour
la phyfique. Ce fut celle de la matiere qui
donne la couleur aux perles fauffes , & qui
fe tire d'un petit poiffon nommé able , ou
ablette. Ce feul article pourroit fervir de
réponse à ceux qui ofent blâmer les obfervations
faites. fur des fujets petits en ap
parence , & prouver que les moindres ouvrages
de l'Auteur de la nature , ne méritent
pas moins notre admiration , que les
plus grands. Cette recherche fur les perles
fauffes , fut fuivie par un examen de la
nature des véritables perles que M. de
Réaumur regarde , comme une maladie
de l'animal . C'étoit bien les dégrader de
l'origine céleste qu'on leur accordoit autrefois.
Ce travail fut bientôt après fuivi d'un
autre encore plus intéreffant , de l'hiſtoire
des rivieres auriferes de France , dans lequel,
avec le détail de cet art fi fimple qu'on
emploie , à retirer les paillettes d'or qu'el
les roulent dans leur fable , on voit briller
partout l'efprit du Phyficien.
Nous ne pourrions fans excéder les bornes
qui nous font prefcrites , parler ici de
tous les morceaux intéreffans dont il a enrichi
nos mémoires . Telles font fes recherches
fur le banc de coquilles foffiles dont
Giv
132 MERCURE DE FRANCE :
on tire en Touraine cette immenfe quantité
de fragmens qui fervent à fertilifer les
terres , & qu'on nomme falun ; ſur la nature
des cailloux qu'il fait voir n'être que
des pierres plus pénétrées de fuc pierreux ,
plus lapidifiées , s'il m'eft permis d'ufer
de ce mot , que les pierres ordinaires ,
mais moins cependant que le cryftal de roche
; fur le noſtoch , cette plante fingulie
re qui ne paroît qu'après les grandes pluies
d'été, fous une forme gélatineufe , & hors
delà devient invifible , ou au moins méconnoiffable
; fur la lumiere des dails , efpece
de coquillage qui luit dans l'obſcurité
avec d'autant plus de force , qu'il eft plus
frais ; fur la facilité avec laquelle le fer &
l'acier s'aimantent par la percuffion ; nous
fupprimons , dis- je , tous ces ouvrages ,
& bien d'autres qui auroient pu, à jufte titre
, faire une réputation brillante à un
autre Phyficien , pour en venir à des objets
plus grands & plus intéreffans , & par conféquent
plus dignes de lui : car fi la gloire
de grand Phyficien lui fut chere , celle de
bon Citoyen le flatta toujours davantage.
De ce nombre eft l'ouvrage qu'il fit
paroître en 1722 , fous le titre de l'art de
convertir le fer en acier , & d'adoucir le
fer fondu .
Perfonne n'ignore les ufages infinis d
M A I. 1758. 193
fer fous les trois formes de fer fondu , ou
fonte de fer , de fer forgé ou en barres , &
enfin d'acier . Dans le premier état , le fer
eft fufceptible de fufion ; mais il eft aigre
& dur , & refuſe également de fe laiffer
étendre fous le marteau , & de fe laiffer
entamer par le cifeau. Dans le fecond , il
eft malléable , & fe peut limer & couper;
mais auffi il a perdu la propriété d'être fu
fible fans addition . Enfin dans le troifieme
, il acquiert une propriété bien plus
finguliere , celle de durcir & de devenir
caffant. Si après l'avoir chauffé jufqu'à rou
gir , on le trempe dans l'eau froide , &
c'est ce qu'on nomme trempe de l'acier ,
l'aigreur de la fonte de fer ne permer
pas d'en faire des ouvrages qui ayent befoin
de foupleffe ; moins encore de ceux
qui doivent être cizelés , percés , en un
mot travaillés au fortir de la fonte. Aucun
outil ne pourroit les entamer , & on rifqueroit
beaucoup de les caffer..
D'un autre côté , la maniere de conver
tir le fer forgé en acier , étoit un fecret
abfolument ignoré en France , & poffédé
par les Etrangers qui tiroient de nous de
très- groffes fommes pour cette marchandife..
Le travail que M. de Réaumur avoit fait
fur les arts , lui avoit fouvent donné oc-
G.v
154 MERCURE DE FRANCE.
;
cafion d'étudier le fer dans fes différens
états : il avoit reconnu que l'acier ne différoit
du fer forgé , qu'en ce qu'il avoit
plus de foufre & plus de fels. C'en fut affez
pour l'engager à rechercher les moyens
de donner au fer ce qui lui manquoit pour
être acier , & après un nombre infini de
tentatives dont les mauvais fuccès ne le rébuterent
point , il parvint au but qu'il s'étoit
propofé , à convertir le fer forgé en
acier de telle qualité qu'il le vouloit. Ce
fuccès, après plusieurs établiffemens que divers
accidens ont renversés , a cependant
tranfporté chez nous un art duquel nos
voifins étoient fi jaloux , & attiré prefqu'entiérement
en France cette branche de
leur commerce.
Les mêmes expériences qui avoient montré
à M. de Réaumur que l'acier ne différoit
du fer , que parce qu'il avoit plus de
foufres & de fels , lui avoient auffi appris
que la fonte de fer ne différoit du fer fotgé
,, que parce qu'elle en avoit trop , parce
qu'elle étoit de l'acier trop acier. Il cher
cha donc à lui ôter ce trop , & y réuffit au
point de produire des ouvrages de fer fondu
, auffi bien réparés que ceux de fer forgé
, & qui ne devoit pas en coûter la vingtieme
partie. Nous ne diffimulerons pas
qu'on ne leur ait reproché des défauts , &
M A I. 1758 . ISS
que les premiers établiſſemens de cette manufacture
n'ayent échoué : mais ne s'eft- on
point un peu trop laffé de perfectionner
cet art , & peut- être auffi trop preffé de
le condamner ? Quoi qu'il en foit , M. de
Réaumur a ouvert en cette partie une nouvelle
carriere , & on lui aura toujours
l'obligation d'avoir enfeigné aux hommes
un art abſolument ignoré juſqu'à lui.
•
Feu M. le Régent , bon Juge en pareille
matiere , crut devoir récompenfer ce fervice
rendu à l'Etat par une penfion de
12000 liv . M. de Réaumur pouvoit l'accepter
fans condition , & bien d'autres
l'euffent fait en fa place ; mais il ofa porter
fes vues plus loin , & demander à M.
le Duc d'Orléans , qu'elle fût mife fous le
nom de l'Académie qui en jouiroit après fa
mort , pour fubvenir aux frais des expé
riences néceffaires à la perfection des arts :
idée bien digne d'un Académicien vraiement
Citoyen. Le Prince Régent fentir
toute la nobleffe de ce procédé , & lui accorda
fa demande. Les Lettres-Patentes qui
affurent ce fonds à l'Académie , & qui lui
en prefcrivent l'ufage , furent expédiées
le 22 Décembre 1722 , & enrégiftrées à
la Chambre des Comptes .
La découverte de cer art fut bientôt fuivie
de celle d'un autre , alors inconnu en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE:
France , & qui nous rendoit encore tribu
taires de l'étranger . Le fer blanc , ces feuilles
de fer étamé qui eft d'un ufage fi commode
& fi étendu , ne fe fabriquoit qu'en
Allemagne . Ce n'étoit pas qu'on ne fçût
ici que du fer blanchi s'étame très- facilement
, lorfqu'après l'avoir frotté ou faupoudré
de fel ammoniac , on le plonge dans
l'étain fondu ; mais fi on eût entrepris
d'enlever aux feuilles de fer noir leur écaille
, & de les étamer par cette méthode ,
elles auroient beaucoup plus coûté que les
feuilles étamées venues d'Allemagne . Il de
voit donc y avoir un moyen abrégé & peu
coûteux , de nettoyer & de décaper ces
feuilles. M. de Réaumur entreprit fur les
plus légers indices de trouver ce fecret ,
dont les Manufacturiers Allemands étoient
fi jaloux. Il le trouva en effet. Trempant
ces feuilles dans une eau de fon aigrie , &
les laiffant enfuite rouiller dans des étuves,
on détache l'écaille du fer , & on la peut
aifément enlever en les écurant avec le
grés elles font alors en état d'être facilement
étamées , fi on les plonge dans un
ereufet plein d'étain fondu couvert d'un
doigt ou deux de fuif , qui d'une part empêche
l'étain de fe convertir en chaux , &
de l'autre fournit en fe brûlant , affez de
fell ammoniac à la fenille qui le traverfe
MAI. 1758. 197
pour
lui permettre
de
fe bien
étamer
, &
graces
au travail
de
M.
de
Réaumur
, les
manufactures
de fer
blanc
fe font
multipliées
en France
, & nous
avons
lieu
d'ef
pérer
que
le Royaume
fera
bientôt
en
état
de n'en
plus
tirer
de l'étranger
. Un troifieme art que l'Etat doit encore
tout entier à fes recherches , eft celui de
faire de la Porcelaine . On croyoit autrefois
la Chine privilégiée de la nature fuz
cet article. Elle poffédoit feule , difoit - on
la terre précieule propre à former ces vafes
que nous admirons . En vain la Saxes'étoit-
elle procuré une manufacture de
porcelaine ; en vain même en avoit- on
compofé ici d'imparfaite à la vérité , mais
qui cependant étoit porcelaine ; rien n'avoit
pu réveiller la curiofité des Phyficiens,
ou du moins leurs tentatives avoient été
inutiles , & le fecret de la porcelaine foi
gneufement gardé en Saxe , étoit encore
un fecret pour nous. M. de Réaumur entreprit
de le deviner des obfervations
de
très-fimples fur les caffures du verre ,
la porcelaine & de la potterie de terre , lui
apprirent qu'on devoit regarder la porcelaine
comme une demi -vitrification : or ,
une demi -vitrification fe pent obtenir 9
ou en expofant au feu une matiere vitri
fiable , & l'en retirant avant qu'elle fait
158 MERCURE DE FRANCE.
totalement vitrifiée , ou en compofant la
pâte de deux matieres dont l'une fe vitrifie
, & l'autre puiffe foutenir le feu le plus
violent fans changer de nature . Une épreuve
ailée pouvoit faire voir , fi la porcelaine
de la Chine étoit de l'une ou de l'autre
efpece ; il ne falloit que l'expofer à un
feu violent : fi elle étoit une matiere à demi
vitrifiée , elle devoit achever de fe convertir
en verre ; fi au contraire elle étoit
de la feconde efpece , elle devoit foutenir ,
fans changer , le feu le plus vif. Ce fut en
effet ce qui arriva : la porcelaine de la Chine
refta porcelaine , & toute celle de l'Europe
fe changea en verre ; ce qui montroit
bien la différence de leur nature : mais en
fçachant que la porcelaine de la Chine étoit
compofée de deux matieres , il falloit encore
fçavoir quelles elles étoient , & fi la
France en produifoit de pareilles. Les mémoires
& les échantillons envoyés par les
Jéfuites François , Miffionnaires à la Chine
, comparés avec ceux que les foins du
Prince Régent avoient engagé les Intendans
des différentes Provinces à faire remettre
à M. de Réaumur , lui eurent bientôt
fait voir que nous poffédions en ce point
mieux que la Chine , & qu'il ne tenoit
qu'à nous de mettre nos tréfors en oeuvre.
Il en fit des effais qui réuffirent parfaiteMA
I. 1758: 189
thent : il contrefit de même celle de l'Europe
, & tranfporta par ce moyen dans le
Royaume , un art utile & un objet de commerce
qui lui étoit abfolument étranger :
il fit plus , il imagina une troifieme efpece
de porcelaine capable de réfifter au feu
le plus vif , & qui n'eft que du verre recuit
avec des précautions aifées . Si cette
derniere n'a pas autant d'éclat que les deux
autres , le peu qu'elle coûte , & la facilité
qu'on a de s'en procurer aifément partout ,
en doivent rendre la découverte précieuſe .
Voici encore un travail fuivi d'un autre
genre , & peut être plus intéreffant
pour la Phyfique , que ceux dont nous
venons de parler. Les thermometres ordinaires
ou de Florence , marquoient bien
l'augmentation du chaud & du froid ,
mais chacun les marquoit , pour ainfi
dire , à fa maniere , & par conféquent la
chaleur & le froid indiqués par l'un , ne
pouvoient être comparés à ceux qui étoient
marqués par un autre ; & le thermometre
n'apprenoit rien autre chofe , finon que
dans l'endroit où il étoit , il faifoit plus
ou moins chaud , fans que ce plus ou
moins de chaleur ou de froid , pât être
comparé à celui de tout autre endroit . Fen
M. Amontons avoit déja travaillé en 1703
fur cette matiere , mais quelqu'ingénieufes
160 MERCURE DE FRANCE
que fuffent fes vues , elles n'avoient
encore le débarraffer de toute incertitude.
M. de Réaumur entreprit de remédier à
ces inconvéniens ; il en démêla les fources
: ils venoient de l'inégalité d'où l'on
faifoit partir la divifion de celle du calibre
du tuyau , & enfin de la différente dilatabilité
de l'efprit- de- vin qu'on employoit.
Pour obvier à toutes ces erreurs , il prit
pour terme ou zéro de fa divifion , le
point où s'éleve la liqueur lorfque la boule
eft plongée dans l'eau qui commence à ſe
glacer ; il donna les moyens de régler les
divifions proportionnellement à l'augmen
tation de la liqueur , & non par les- parties
aliquotes de la longueur du tuyau ; &
enfin il enfeigna à réduire l'efprit - de- vin
à un degré conftant de dilatabilité . Ces circonftances
réunies donnerent à fes thermometres
une fi grande uniformité de
marche , qu'ils ont fait abandonner pref
que toutes les conftructions ordinaires , &
qu'ils ont été adoptés prefque univerſellement
par les Phyficiens. On ne fe fert plus
guere que de ceux de M. de Réaumur ; cas
fon nom y eft demeuré attaché , & forme
a fa gloire un monument plus durable
qu'une colonne ou qu'un obélifque. Cette
conftruction de thermometre a donné lieu
de comparer la température des climats les
MA I. 1758.
161
plus éloignés , de conferver toujours , &
dans toutes les expériences , des degrés
égaux de chaud ou de froid ; de prefcrire
aux ferres qui contiennent des plantes
étrangeres , le degré de chaleur qui leur
convient ; en un mot elle fait une époque
mémorable dans la Phyfique .
Le dernier art que nous devons à fes
foins , eft celui de conferver les oeufs , de
faire éclorre & d'élever les oifeaux fans le
fecours de l'incubation .
On connoiffoit depuis longtemps l'induſtrieuſe
maniere par laquelle les Egyptiens
fubftituoient à l'incubation , l'action
d'un feu fagement ménagé , mais le détail
en étoit inconnu : les Berméens , feuls poffeffeurs
de l'art de conduire les fours à poulets
, en faifoient un myftere impénétrable
: mais eût- on pu réuffir à leur dérober
leur fecret , il étoit plus que vraisemblable
que la différence de climat l'auroit rendu
inutile parmi nous. Toutes ces difficultés
n'arrêterent point M. de Réaumur : il démêla
le fecret des Berméens ; il inventa une
infinité de manieres d'employer avec fuccès
le feu , fouvent même celui qui fervoit
à d'autres ufages ; il y fubftitua la chaleur
du fumier , inventa de longues cages où
les petits nouvellement éclos font mis comme
en dépôt , les boîtes fourrées qui leur
162 MERCURE DE FRANCE.
fervent de meres pour les couver` lorfqu'ils
en ont befoin ; il propofa des nourritures
de leur goût , & qui fe peuvent
trouver partout en abondance ; en un mot
on peut dire que l'art qu'il a fubftitué à
celui des Egyptiens , eft autant au deffus
du leur que les connoiffances de M. de
Réaumur étoient au deffus de celles des
Berméens.
Ses recherches lui apprirent encore qu'on
pouvoit conferver des oeufs frais auffi longtemps
qu'on le vouloit , en les enduifant
de vernis , d'huile , de graiffe , en un mot
de quelque matiere qui bouche les pores
de la coquille , & empêche ce qu'elle contient
de s'évaporer. Par cet ingénieux
moyen , on peut non feulement conferver
les oeufs tant qu'on le juge à propos , même
dans les climats les plus chauds , mais
encore faire venir en oeufs fufceptibles d'être
couvés , une infinité d'oifeaux rares &
trop délicats pour foutenir la fatigue d'une
longue traverfée .
Pendant que M. de Réaumur étoit occupé
de tous ces objets , il en fuivoit encore
un autre d'une plus grande étendue ,
& capable feul d'occuper un Phyficien : il
travailloit à l'Histoire des Infectes , dont il
donna le premier volume en 1734. Ce premier
volume contient l'Hiftoire des che
MA I. 1758. 163
nifles. M. de Réaumur y établit fept carac
teres diftinctifs , qui conftituent la divifion
des chenilles en fept claffes , & qui peuvent
contenir tous les genres & les efpeces
de ces infectes . On ne conçoit qu'à peine
combien il a fallu de recherches & d'obfervations
pour parvenir à cet arrangement :
rien n'exige plus d'art que la recherche du
vrai fyftême de la nature . Il examine enfuite
les diverfes manieres de vivre de ces
animaux , tant fous la forme de chenilles ,
que fous celle de chryfalides ; les divers
changemens qu'elles fubiffent ; leur maniere
de prendre la nourriture , de filer la
foie qui leur eft néceffaire ; en un mot il
préfente aux yeux tout le détail intéreſſant
de la vie de ces infectes fi méprifés , & cependant
fi dignes de l'attention des Philofophes.
Le fecond volume qui parut en
1736 , eft une continuation du même fujet
, & contient de plus l'Hiftoire des chenilles
dans leur troifieme état , ou fous la
forme de papillons. Le temps ne nous per
met pas d'entrer ici dans le détail très curieux
de leurs figures , des pouffieres qui
colorent fi admirablement leurs aîles , de
leur accouplement , de leur ponte , & de
l'induftrie qu'ont ces animaux de placer
leurs oeufs dans des endroits qui puiffent
être convenables aux chenilles qui doivent
en fortir.
164 MERCURE DE FRANCE.
Le troifieme volume contient l'Hiftoire
des teignes , non feulement de celles qui
font fi pernicieufes aux étoffes de laine
& aux pelleteries , mais encore de celles
qui vivent dans des feuilles d'arbres &
dans les eaux ; & fi l'article qui concerne
les premieres eft plus intéreffant pour nous
par les moyens que donne M. de Réaumur
de les détruire , l'Hiftoire des fecondes
offre des faits fi finguliers , qu'on ne peut
fe refufer à l'admiration en la lifant : elle
eft fuivie de celle d'une autre espece d'animaux
auffi à craindre pour nos jardins que
les teignes le font pour nos meubles , celle
des pucerons. Il y a joint celle des vers
qui les dévorent , & celle des galles produites
fur les arbres par les piquûres de
quelques infectes , & qui leur fervent fouvent
d'habitation.
Des galles proprement dites , M. de
Réaumur paffe , dans fon quatrieme volume,
aux galles infectes , qui font réellement
des animaux , mais condamnés par la nature
à être toujours fixés & immobiles fur
les branches des arbres , & à l'étrange myftere
de leur multiplication . Il vient enfuite
aux mouches à deux aîles , & aux
vers fous la forme defquels elles ont paffé
le premier temps de leur vie , parmi lefquelles
fe trouvent les coulins , & toute
M A I. 1758. 165
3
leur finguliere hiftoire. Viennent enfuite
dans le cinquieme volume , les mouches
quatre aîles , & furtout les abeilles , ces
mouches fi merveilleufes qui s'étoient déja
attiré l'admiration des hommes à jufte ti
tre ; & fi M. de Réaumur détruit quelqu'un
des faits fur lefquels elle étoit fondée
, il en fait connoître tant d'autres plus
réels , que la gloire des abeilles n'en eft fûrement
pas ternie.
Les abeilles ne font pas les feules mouches
qui fçachent faire du miel : plufieurs
efpeces du même genre vivent féparées &
en petites troupes. Elles fçavent fe procurer
différens réduits convenables pour les
vers qu'elles doivent produire , & dans lefquels
elles enferment leurs oeufs avec la
nourriture qui fera néceffaire au ver jufqu'à
fa transformation , C'eft par celles- ci
que commence le fixieme & dernier volu
me des infectes ; de-là il paffe aux guêpes ,
tant celles qui vivent en république , que
celles qui font deſtinées à vivre ſéparées ;
puis au formicaleo & aux demoiſelles ;
puis enfin aux mouches éphémeres , ces
infectes finguliers qui , après avoir été
poiffons pendant trois ans , n'ont à vivre
fous la forme de mouches qu'un petit nombre
d'heures , pendant lefquelles elles fubiffent
une métamorphofe , s'accouplent 2
166 MERCURE DE FRANCE.
pondent & couvrent de leurs cadavres l'eau
même qu'elles avoient habitée. Ce volume
eft précédé d'une Préface qui contient l'admirable
découverte des polypes ,de ces animaux
, qui fe multiplient fans accouplement
; qui , lorfqu'on les a retournés , digerent
auffi bien avec la peau de leur dos ,
qu'ils digéroient dans l'état naturel avec
leur eftomac , & dont les tronçons , lorfqu'on
les coupe , deviennent des animaux
parfairs ; propriété alors unique, mais
qu'on leur a depuis reconnu commune avec
bien d'autres animaux .
Une collection d'oifeaux defféchés qu'il
avoit trouvé le fecret de fe procurer & de
conferver , lui donna lieu de faire des expériences
fingulieres qui ont jetté un grand
jour fur une queftion importante d'anatomie
: on étoit extrêmement partagé fur la
maniere dont fe fait la digeftion dans le
corps animal : les uns vouloient que ce fût
par trituration , c'est- à- dire , que l'eſtomac
broyât les alimens ; les autres au contraire
foutenoient que la digeftion s'opéroit par
des diffolvans , & fans que l'action de l'eftomac
y eûr aucune part. Les expériences
de M. de Réaumur ont fait voir que l'une
& l'autre maniere de digérer étoit en ufage,
que la digeftion des oifeaux carnaffiers fe
faifoit abfolument par des diffolvans , que
M A I. 1758 . 167
les autres digéroient par trituration , &
que la force de leur eftomac étoit plus que
fuffifante pour brifer les matieres les plus
dures.
Les obfervations de M. de Réaumur, fur
les oiſeaux , lui firent faire des remarques
fur l'art avec lequel les différentes efpeces
de ces animaux fçavent conftruire leurs
nids. Il en fit part à l'Académie en 1756 ,
& ç'a été le dernier Ouvrage qu'il nous
ait communiqué. Ce n'étoit pas cependant
qu'il difcontinuât fes travaux fon âge
n'avoit nullement affoibli fon ardeur , &
nous efpérions le pofféder encore plufieurs
années ; la bonne fanté dont il jouiffoit ,
peut- être plus encore la fageffe avec laquelle
il avoit toujours vécu , fembloient
nous en donner le droit. Il avoit feulement
déféré aux prieres de fes amis , en
renonçant au voyage qu'il avoit coutume
de faire tous les ans en Poitou , & s'étoit
contenté d'aller paffer fes vacances à la Bermondiere
, terre fituée dans le Maine , &
qui lui avoit été léguée par un de ſes amis.
Ce fut là qu'il fit une chûte peu dangereuſe
en apparence , mais qui lui occafionna
un contrecoup dans la tête , duquel il
mourut le 17 Octobre dernier , âgé d'envi-
Fon 5 ans.
Des arrangemens de famille l'avoient
168 MERCURE DE FRANCE.
obligé en 1735 , de prendre la charge d'In
tendant de l'Ordre de S. Louis , dont il a
rempli les fonctions jufqu'à fa mort , avec
la plus grande exactitude , fans vouloir jamais
accepter aucun des émolumens de
cette place , qu'il a toujours remis en entier
à la perfonne à laquelle elle appartenoit ,
& pour laquelle il s'étoit prêté à la conferver.
C'étoit remplir à la fois & dans toute
leur étendue les devoirs de bon
de bon citoyen .
parent
&
Les ouvrages de M. de Réaumur , que
nous avons indiqués , font affez connoître
l'étendue & la force de fon efprit ;
mais il faudroit un autre plume pour peindre
fon coeur. Ami vrai , toujours prêt à
faifir l'occafion de donner des marques
de fon attachement , il ne négligoit rien
de ce qui pouvoit le témoigner : fon credit ,
fes connoiffances qui lui avoient tant coûté
à acquérir , n'étoient chez lui que comme
en dépôt pour le befoin de fes amis : il
étoit exact à venir s'informer de leur
état , lorfqu'ils étoient malades , que quelques
uns qui ne le voyoient pas affez à leur
gré , difoient qu'ils fouhaitoient avoir la
fiévre pour jouir plus fouvent de fa préfence
. Les revers de fortune arrivés à fes
amis , ne faifoient que refferrer les noeuds
qui l'attachoient à eux. Avec de tels fentimens
MA I.
1758. 169
mens il étoit bien digne d'en avoir de la plus
haute diftinction. Ce fera prefque en faire
la lifte , que de dire qu'elle comprenoit
tout ce qu'il y avoit de diftingué en Europe
, foit par la naiffance , foit par les talens
: les plus grands hommes fe faifoient
honneur de fon amitié. S'il a eu quelqu'ennemis
, car quel grand homme a pu
en être exempt , il n'a jamais commis les
premieres hoftilités, & ne leur a guere oppofé
que l'éclat de fa gloire & le flegme de
la Philofophie. La douceur de fon caractere
le rendoit très- aimable dans la focieté ;
il ne faifoit jamais fentir la fupériorité de
fon génie , & on fortoit inftruit d'avec
lui , fans qu'il eût penfé à inftruire , &
prefque fans s'en être apperçu . Ses moeurs
n'étoient pas moins pures que fes lumieres
: fidele aux devoirs qu'impofe la
religion , il s'en eft toujours acquitté de
la maniere la plus exacte & la moins
équivoque.
On a pu voir par ce que nous avons dit
de lui , jufqu'à quel point il étoit citoyen :
mais nous ne devons pas oublier de faire
voir combien il étoit Académicien , fi
cependant ces deux qualités peuvent être
féparées , & ne font pas plus effentiellement
liées qu'on ne le penfe communément.
Son attachement pour l'Académie
H
170 MERCURE DE FRANCE .
étoit fans bornes : aucun Académicien ne
prit jamais plus de part à tout ce qui
regardoit , & les travaux , & le bien de
cette Compagnie ; il a voulu même être
Académicien jufqu'après fa mort , par le
don qu'il lui avoit fait par fon teftament ,
de fes papiers & de fon cabinet. L'Acadé
mie travaille actuellement à mettre en ordre
cent trente- huit porte- feuilles , qui ont
été trouvés chez lui , remplis d'ouvrages
complets ou commencés , d'obfervations ,
& d'une infinité d'autres pieces. On y a
trouvé la plus grande partie de l'Hiftoire
des Arts , prefqu'en état d'être publiée , &
quantité de mémoires fur le refte. L'Académie
ofe affurer le Public , qu'elle ne
négligera rien pour le mettre en état de
recueillir cette partie de la fucceffion de
M. de Réaumur,
La place de Méchanicien penfionnaire ,
a été remplie par M. l'Abbé Nollet , afſocié
dans cette même claffe .
MA I. 1758 . 17
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
NOUVELLE OUVELLE Méthode courte & facile ;
pour apprendre promptement à jouer de la
flûte-traverfiere , ou clôture de principes ,
pour faciliter cet inftrument à ceux qui
ne font que très- médiocrement verfés dans
la mufique , & leur faire éviter tout défaut
d'habitude ; par M. Atys , Maître de
Flûte : dédiée à Meffieurs les Commerçans.
Ce Livre peut fe jouer fur le violon & le
pardeffus de viole. A Paris , chez l'Aureur
, rue Traverfiere , en entrant par la
rue S. Honoré , & aux adreffes ordinaires.
Cette nouvelle Méthode contient un
Avis que l'Auteur dit être très important.
C'eft dans cet Avis qu'il nous apprend que
foit que l'on joue debout ou affis , il faut
» tenir le cou droit , la tête plus haute
» que baffe , un peu tournée vers l'épaule
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
و د
» gauche ; les mains hautes , fans lever les
» coudes ni les épaules ; le poignet gau-
» che ployé en dehors , & le même bras ni
près , ni loin du corps. Si on eft debout,
il faut être bien campé fur fes jambes ,
» le pied gauche avancé , le corps polé
» fur la hanche droite , le tout fans aucu-
» ne contrainte, On doit furtout obſerver
de ne faire aucun mouvement du
corps
ni de la tête , comme plufieurs font en
» battant la meſure. Il ne faut pas que la
» tête aille chercher la flûte. On doit fenrir
au contraire que cette derniere eft
» deftinée à faire elle feule le chemin. »
3
93
Voici comme l'Auteur s'exprime fur la
maniere de gouverner le fouffle pour ac
quérir l'embouchure de la flûte traverfiere.
"
Il ne faut pas fouffler par fecouffes ; mais
» il faut avoir grand foin de tirer les deux
coins des levres d'une maniere riante.
» Quand on eft parvenu à faire parler la
flute , il faut appuyer fur le fon par degré
, de forte que le milieu de ce fon
foit plus enflé que le commencement &
la fin ; ce qui fe fait aifément en lâchant
»les levres & les ferrant par gradation.
» Le vent qui fe trouve refferré , fort avec
" plus de force , & groffit naturellement le
fon . Pour régler votre embouchure dans
le commencement , foufflez dans la flûre
ور
MA I. 1758. 173
5 vis à une chandelle allumée ; fi la chan-
» delle varie , la flûte n'eft pas bien em-
» bouchée. »
Après la gamme des tons naturels de la
Aûte , des cadences naturelles , des cadences
diefes & des cadences B mols , on trouve
plufieurs airs deftinés à fervir d'exemples.
Le tout enſemble contient 58 pages ,
format de Mufique.
LES Songes heureux & malheureux , Cantatille
avec accompagnement , par Mile
d'A *** , gravé par Mlle Vendome , prix
1 liv. 16 fols. A Paris , chez M. Bayard ,
rue S. Honoré , à la Regie d'or ; chez M.
Leclerc , rue du Roule , à la Croix d'or ; &
chez Mlle Caftagneri , rue des Prouvaires ,
à la Mufique royale .
LE Journal de Mufique du mois d'Avril
commence par un Dialogue , en forme de
fcene. M. de la Garde nous avertit que fi
ce genre eft goûté du Public pour la variété
, de temps en temps il aura foin d'en
inférer. On trouve après une Brunette ,
fuivie d'une Paftourelle , enfuite un Duo.
Une Mufette tendre termine ce Journal ,
qui foutient très-bien la réputation de ceux
qui l'ont précédé
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
ESSAI fur l'accompagnement du Clavef
fin , pour parvenir facilement & en peu
de temps à accompagner avec des chiffres
ou fans chiffres , par les principes les plus
clairs & les plus fimples de la compofition ;
par M. Clément . Se vend chez l'Auteur ,
cloître Saint Nicolas du Louvre , & aux
adreſſes ordinaires de Mufique , 1758 .
Le Dictionnaire de Broffard , l'examen
qui en fut fait dans le Journal de Trévoux,
& les excellens Traités de M. Rameau font
les fources où M. Clément a puifé cet Effai
fur l'accompagnement du Claveffin. On y
trouve la définition des termes de l'art ,
fuivis des principes qui nous paroiffent
traités très-méthodiquement.
GRAVURE.
LE fieur le Rouge , Ingénieur - Géographe
du Roi , rue des Auguflins , vient de donner
la Siléfie en deux grandes feuilles ,
beaucoup plus exactement que ceux qui
l'ont précédé. C'est une exacte réduction
de la Siléfie en 16 feuilles de l'illuftre
Wicland . A Schubarth. Prix 3 liv.
Plus le Comté de la Marck , en unè
feuille . Prix liv. 4 fols. 1
Plus Cartes in 4°. contenant tous ·
MA 1. 1758 . 179
fes théâtres de guerre en Allemagne, & les
détails de l'Empire ; réduites , corrigées
& gravées avec foins fur celles de Homan ,
Haffe & Mayer. Prix 24 liv. Nota , que le Sr
le Rouge s'engage à fournir gratis la fuite
en 50 autres Cartes , le 30 Septembre prochain
à ceux qui prendront les 50 fufdites
feuilles , & on s'affurera de belles épreuves.
CARACTERE de Finance nouvellement
gravé ;, ppaarr Gando le jeune , Graveur &
Fondeur de caracteres d'Imprimerie , rue
S. Jacques , la feconde porte cochere après
l'Enfeigne de S. Thomas d'Aquin , à Paris,
1758. Ce caractere eft fur le corps de Pa
rangon ; il eft gravé pour l'impreffion de
certains ouvrages légers & de goût , qu'on
voudroit faire paffer pour être écrits . Il est
utile pour les Epîtres dédicatoires , Lettres
circulaires & de change , Billets de commerce
, d'invitation d'affemblée , de cérémonie
, &c. néceffaire furtout pour les ou
vrages d'Intendance , comme Mandemens ,
Permiffions , Ordonnances , Avertiffemens ,
Ordres , Défenfes , & c. Pour des Placets ,
pour les ouvrages du Secretariat des Evêchés
; pour les Bureaux , les Fermes , les
Gabelles , les Finances , & pour l'impreffion
de petites pieces fugitives en vers , & autres
ouvrages que le goût & la curioſité
E
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
dicteront. Ce caractere eft augmenté de
lettres ornées , pour tenir lieu de petites
capitales. Le prix eft de trente fix fols la
livre . Cette Fonderie s'augmente & s'embellit
de jour en jour. Parmi fes beaux caracteres
romains , il s'en trouve trois , fçavoir
, petit Romain ordinaire , Gaillarde &
petit Texte gros oeil , qui furpaffent en
beauté tout ce qui a paru jufqu'à ce jour.
ARTS UTILES.
JOYALLERIE .
LETTRE l'Auteur du Mercure fur les
Feuilles à mettre fous les pierres de differentes
couleurs.
MONSIEUR ,
ONSIEUR
, la crédulité
du
Public
, &
fon
avidité
pour
toutes
les
nouveautés
,
ont
donné
lieu
à tant
de
charlataneries
déguifées
, fous
le nom
de
fecrets
, que
prefque
chaque
famille
prétend
avoir
le
lien
;
&
que
parmi
la foule
de
ceux
qui
fe prévalent
du
même
fecret
, il
n'en
eft
aucun
qui
ne
prétende
que
le fien
feul
eft
le véritable
. Mais
à la
fatisfaction
de la Joyaillerie
, il n'en
eft
pas
de
même
du
fecret
annoncé
l'année
derniere
par
les
Demoi
felles
Goujon
, petites
nieces
des
DemoiMA
I. 1758. 177
i
felles Trochus. Ce fecret regarde les feuilles
à mettre fous les pierres de différentes
couleurs , & la teinture de toute forte de
pierres. Il n'eft perfonne dans ce genre de
Commerce , qui ignore la perte qu'il avoit
foufferte par la mort des Demoifelles Trochus.
Depuis cette époque , en vain s'eſt
on efforcé de réparer cette perte & d'imiter
leurs feuilles & la reinture de leurs
pierres ; l'on n'a pu mettre ces feuilles
à l'abri d'une altération fubite , foit qu'elles
fuffent teintes , ou feulement polies à
blanc ; & l'on n'a pu fauver la vivacité
du coloris des pierres teintes. Le Public
n'a que trop fenti qu'il n'étoit plus de Demoifelles
Trochus ; mais trois jeunes Demoifelles
, héritieres du fecret de leurs
grandes tantes , fe font fait un amufement
de s'appliquer à faire revivre ce fecret
précieux , pour le commerce de M.
leur pere , & pour tant d'autres , & l'ont
pouffé même à une plus grande perfection .
Depuis l'année derniere qu'elles ont eu
foin d'en inftruire le Public , j'en ai fait
différens envois chez l'Etranger , & j'en
ai reçu & en reçois journellement mille
témoignages de fatisfaction . Je me crois
donc obligé , Monfieur , pour le bien dų
commerce en général , & par reconnoiffance
pour les talens des jeunes De
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
moifelles qui en font leur plaifir , de vous
prier d'inférer cette lettre dans votre Mercure
, & d'annoncer leur demeure dans
la Place Dauphine , où l'on trouvera le
nom de Monfieur leur pere fur la porte.
Malgré mes invitations réitérées , ces jeunes
Demoiselles fe font toujours refufées
à fe faire connoître au Public ; c'eft une
forte de modeftie que j'ofe regarder comme
déplacée. J'ai l'honneur d'être , &c.
TOURTEAU. Paris , le 22 Mars 1758.
MANUFACTURE S.
RÉFLEXIONS fur la fituation des prin
cipales Manufactures de France , & pariiculiérement
de celle de Tours , in-fol. 7 pag
L'OBJET de ce Mémoire eft de démontrer
que les Manufactures de Tours ont diminué
des trois quarts depuis 1754 ; que
cette diminution de commerce a occafionné
le défoeuvrement de 18000. Ouvriers ;
Ce n'eft point à la guerre , dit l'Auteur ,
qu'il faut imputer ce renversement ; car
dans le cours de la guerre précédente, cette
Manufacture s'eft foutenue dans l'état le
plus floriffant. Il en fortoit tous les ans
onze à douze mille pieces d'étoffe. C'eſt
dans le fein même de la derniere paix
MA I. 1758. 175
qu'elle a reçu les coups qui la ruinent.
Voici à quoi il attribue cette décadence .
Son principe eft , que l'édifice de toutes
les Manufactures de France porte fur deux
colonnes.
La premiere eft une défenfe abfolue
mais févere , d'introduire & de porter
Les étoffes de fabrique étrangere.
La feconde eft une défenfe également
abfolue & févere , d'importer en France ou
d'y imiter tout ce qui s'appelle toile peinte
ou indienne. L'Auteur ajoute que ces
deux colonnes jufques ici inébranlables , fe
trouvent aujourd'hui prefque renversées .
Les étoffes étrangeres font tort , fursout
, aux grandes Manufactures. Les toiles
peintes empêchent le débit des étoffes
en laine , fil , coton & foie.
On pourra objecter , que l'impreffion
des toiles & des étoffes fera une branche
de plus pour le commerce de la France ;
que nous n'avons pas plus de raifon que
nos voisins de nous en priver, que notre
induſtrie eft capable de perfectionner
cet art , & de le porter à un fi haut degré
qu'il en pourra réfulter une exportation
confidérable. A cette difficulté l'Auteur
Bépond :
Premiérement, que quand il eft question
introduire une nouvelle Manufacture
I vj
180 MERCURE DE FRANCE.
la prudence exige de prendre garde qu'elle
ne nuife à aucune autre déja établie ,
foit dans la même efpece , foit dans une
efpece différente .
>
Secondement , il y a à cet égard une
différence prodigieufe , entre la France &
les Etats voisins. Ils n'ont point, comme la
France qui eft le centre des arts des
Manufactures de conféquence , que ce métier
puiffe intéreffer. Ils n'ont point , comme
la France , des foies nationales à employer.
Ils n'ont point , comme la France ,
des Colonies riches en coton , dont l'emploi
pur ou le mêlange foit avec le fil , la
laine ou la foie , occupe des Fabriques
confidérables. Ils n'ont pas, comme la France
, un fi grand nombre d'habitans qu'il
importe d'occuper.
Telles font les principales raifons qu'on
fait valoir pour interdire les indiennes .
Au ton du Mémoire , il eft aifé de re
connoître qu'il a été dicté par des Fabricans
pénétrés des malheurs qu'ils ont
déja éprouvés , & de la chûte dont ils font
menacés. Ce n'eft pas que les avantages
de l'Etat ne fervent de fondement à tous
leurs motifs ; mais à moins d'avoir fous les
yeux la fituation'd'une affaire fi intéreffante
, il n'eft guere poffible d'y mettre
autant de zele , de chaleur & de profon
deur.
M A I. 1758.
181
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
Le jeudi 13 Avril , le fieur de Sainti a E
chanté fur le Théâtre de l'Académie Royale
de Mufique , l'Ariette du Carnaval du
Parnaffe. La beauté de fon organe a obtenu
les plus grands applaudiffemens. Sa
voix eft bien décidée . C'eft une baffe- taille
fans équivoque. Comme cet Acteur n'avoit
jamais monté fur les planches , fon étonnement
& fon embarras ont mafqué fon
jeu , & il n'a pas été poffible de juger de
fon talent pour le théâtre.
Le rôle de Vénus qui eft dans le quatrieme
acte de l'Opera d'Enée & Lavinie , a
été chanté le vendredi 15 Avril , par Mlle
Arnoud . C'eft fon coup d'effai dans la
Tragédie. Le Public a vu avec grand plaifir
qu'elle n'y étoit pas déplacée. Aufi lui
a-t'on accordé des applaudiffemens auffi
finceres , & en auffi grand nombre que
152 MERCURE DE FRANCE.
ceux qu'elle avoit déja obtenus dans l'Ariette
& dans la Paftorale.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE
famedi 15 Avril , les Comédiens
François ont donné la derniere repréſenta
tion d'Aftarbé. C'étoit la cinquieme depuis
la rentrée. Cette piece en avoit eu le mê
me nombre avant la clôture du Théâtre.
C'est un fuccès qui doit beaucoup flatter
M. Collardo , & l'encourager à cultiver un
talent fi bien accueilli du Public.
MA I. 1758. 153
COMÉDIE ITALIENNE.
LA
A nouvelle Ecole des Femmes , continue
d'entraîner tout Paris aux Italiens. Une
piece bien conduite , bien dialoguée , &
conforme à nos moeurs , dans laquelle Madame
Favart chante , & Mlle Catinon danfe
, ne pouvoit manquer d'obtenir le plus
grand fuccès Le mercredi 26 Avril , on en
étoit à la dixieme repréſentation.
Le fieur Marignan a continuée fon début
dans les rôles d'Arlequin . Son jeu s'efa
développé , & il a obtenu des applaudiffemens.
184 MERCURE DE FRANCE.
Profpectus du Théâtre Italien.
PARMI
ARMI les beaux monumens de l'efprit
humain , les nations éclairées accorderent
toujours un rang diftingué aux poëmes
dramatiques . Charmés , comme nous le
fommes , de tous les bons ouvrages écrits
dans ce genre , je me fuis étonné mille fois,
que perfonne n'ait encore entrepris de
nous donner le théâtre Italien. On a paré
de ce titre un ramaffis de pieces , méprifées
de tous les gens de goût. Juger d'après
un tel recueil , du talent des Italiens
pour le dramatique , c'eft leur faire plus
d'injuftice qu'ils ne nous en feroient , s'ils
décidoient de notre mérite en ce genre ,
par les productions de Jodelle & de Garnier.
Du temps de ces derniers , l'Italie ,
cette reftauratrice des arts , rappelloit fur
la fcene les mêmes fpectacles qui raviffoient
Athenes : le Triffin & Ruccelai
dirigés par Euripide & par Sophocle , enchantoient
leur patrie , & réveillant l'efprit
de leur nation , l'on vit éclorre pendant
le feizieme fiecle , des tragédies comparables
à celles des Grecs. La Comédie
eut des fuccès non moins éclatans ; elle
l'emporta fur celle de l'antiquité par une
conduite plus réguliere , par des fituations
M A I. 1758 .
185
-
plus théâtrales , par la variété des caracte
res , par des dialogues précis & remplis de
faillies. Les Italiens , dans leurs poëmes
dramatiques , toucherent d'abord à la
perfection
; tandis que chez nous les prédéceffeurs
de Corneille & de Moliere , paf-
! ferent par tous les degrés des inepties du
théâtre , fans arriver au but. On peur affurer
que ceux de nos Ecrivains qui ont
= mal parlé du Théâtre Italien , ne le connoiffoient
pas. Ils avoient lu quelques Cenfeurs
d'Italie , d'un goût trop difficile , &
il n'en fallut pas davantage pour former
leur décifion . Si les étrangers s'en rapportoient
au fentiment de Dacier & du pere
Rapin , touchant Racine & Corneille , à
peine ils daigneroient jetter les yeux fur
les chef- d'oeuvres de ces grands hommes.
J'ai fouvent oui dire que les Italiens n'avoient
qu'une Comédie , qui eft la Mandragore
de Machiavel , & qu'ils n'ont
point & n'auront jamais de Tragédies ,
leur langue n'étant propre que pour des
madrigaux , & nullement pour des fujets
majeftueux . Tout connoiffeur ne difputera
point aux Italiens la gloire d'avoir excellé
dans la carriere de Virgile & d'Horace ,
& conviendra qu'il n'eft aucune langue
plus propre que la leur à exprimer les paffions
théâtrales. Douce , abondante , éner
186 MERCURE DE FRANCE.
gique , pleine de tours variés , elle fe plie
a tout avec une facilité furprenante , s'é
foigne de la profe , fans donner dans le ſtyle
lyrique , & fe revêt de toutes les graces &
de tout le fublime de la poéfie , fans s'écarter
du naturel , ni tomber dans le bas .
Combien ne doivent pas perdre des pieces
dépouillées de l'harmonie des vers , &
traduites en une langue moins riche. Malgré
ce défavantage , j'efpere que mon Oavrage
plaira , & j'ofe me flatter qu'on ne
refufera plus aux Poëtes dramatiques Italiens
, les éloges qui leur font dûs. Ma traduction
occafionnera infailliblement bien
des reproches plus vrais encore que ceux
qui ont été faits à M. D *** . On verra de
nos Auteurs , qui n'ont pas même déguifé
le titre des pieces qu'ils ont dérobées
aux Italiens . On peut compter plus de cinq
cens Tragédies & plus de huit cens Comédies
, toutes en cinq actes , faites en Italie
durant le feizieme fiecle : j'en donne
rai un catalogue à la fin de mon dernier
volume. Je ne penfe point qu'il y ait aucun
caractere , aucun fujet dans la fable
ou dans l'hiftoire , qui n'ait été traité dans
ce temps -là . J'ai choifi d'après le Marquis
de Maffei , & d'autres excellens Juges ,
la plupart des pieces qui entreront dans
mon recueil. Il fera compofé de quinze
MA I. 1758. 187
er
volumes in- 12 . Il en paroîtra un chaque
mois , à commencer par celui de Juillet
1758. A la tête du volume des Tragédies , je
mettrai l'hiftoire du Théâtre Italien , fuivi
d'un parallele entre nos Tragédies & les
Italiennes , & au commencement du 1 *
tome des comédies , je placerai une differtation
affez étendue fur les Auteurs comiques
d'Italie . Je donnerai l'abrégé de la
vie de chaque Auteur , & des anecdotes curieufes
touchant plufieurs de leurs pieces.
er
1. vol . La Sophonifbe du Triffin . La
Rofemonde de Ruccelai . L'Orbêque de
Girardi . La Canacé de Spéroni .
2º. vol . L'Horace d'Arétin. La Didon
& la Mariamne de Dolce . Le Torrifmond
du Taffe. La Sémiramis de Manfrede. La
Tullie de Louis Martelli .
3. vol. L'Alcippe de Céba . La Gifmon
de de Razzi, La Mérope & le Tancrede de
Torelli . Le Mithridate de Cortellini . Les
Troyennes de Bragazzi .
4. vol . L'Aftyanax de Gratarolo . L'Hidalbe
de Vénier. L'Elife de Clofio. La
Cléopâtre & le Créfus du Cardinal Delfino.
Le Soliman de Bonarelli .
5. vol. L'Ariftodeme de Dottori . La Jocafte
& l'Ezzelin de Baruffaldi . La Polixe→
ne & le Crifpe d'Annibal Marchefi . L'K
phigénie en Tauride de Pierre Martelli
188 MERCURE DE FRANCE:
6°. vol. L'Alcefte & le Cicéron de Pierre
Martelli. Temifto de Salio . L'Achille de
Montanari. Le Conradin de Caracci . La
Didon de Zanotti.
7°. vol. L'Ulyffe de Lazzarini. La Mérope
de Mafféi . Le Brutus & le Céfar de
Conti . Deux pieces de Métaftafio .
8. vol . Six Tragédies , tant de Métaſtafio
que d'Apoftolo Zéno.
Les fept derniers volumes comprendront
les Comédies , au nombre de quarante.
Elles font tirées des Auteurs les plus eftimés
du bon fiecle , comme de Bibiena
de l'Ariofte , de Firenzuola , de Salviati ,
de Doménichi , de Lorenzino de Médici ,
d'Ambra , de Machiavel , du Lafca , de
Nicolas Secchi , de Marie Secchi , d'Annibal
Caro , d'Hercules Bentivoglio , de
Dolce , de Porta , de Lanci , & c .
Les foufcriptions coûteront 30 livres.
Ceux qui n'auront point foufcrit en payeront
40. Le papier & le caractere feront les
mêmes que ceux du Profpectus. Chaque
volume aura pour le moins 400 pages. Les
foufcriptions feront ouvertes jufqu'au 15
de Juin. On s'adreffera à M. DE CEDORS ,
demeurant à l'hôtel Dauphin , grande rue
de Taranne , ou à M. JOMBERT , Imprimeur-
Libraire du Roi pour l'Artillerie &
le Génie , rue Dauphine , à l'image Notre-
"
M A I. 1758. 189
Dame. On ne fe chargera point de faire
remettre les exemplaires.
Nouveau Ballet du fieur Noverre.
LE fieur Noverre a donné , pour la premiere
fois , fur le Théâtre de Lyon , le 18
Novembre 1757 , un nouveau Ballet qui
a pour titre , la Toilette de Vénus , ou les
Rufes de l'Amour, Ballet héroï- pantomime.
Scene premiere.
Le théâtre repréfentoit un falon où l'on
voyoit Vénus à fa toilette. Une troupe de
Nymphes s'empreffoient à l'orner . L'Amour
préfidoit à ce confeil de coquetterie.
En reconnoiffance de fes avis , trois Nym
phes mettoient tous leurs foins à lui préparer
un cafque. Vénus parée , les Nymphes
emporterent la toilette qui devenoit
inutile . L'Amour fut encore confulté : il
témoigna fa fatisfaction en fe plongeant
dans les bras de fon adorable mere. Dans
cette douce ivreffe , il forma le projet de
s'introduire dans le coeur des Nymphes ,
qui n'avoient pas encore reffenti le charme
de fes feux .
Scene 11.
Vénus & les Nymphes formerent une
190 MERCURE DE FRANCE.
entrée dans laquelle la Déeffe des Amours
invita fes compagnes à la tendreffe . Charmée
du fuccès de fes confeils , elle danfa
feule en caractériſant la volupté . Les Nymphes
répéterent fa danſe.
Scene III.
Dans une entrée générale l'Amour inftruifit
les Nymphes. Il peignit la molleſſe ,
le dépit , la légèreté & l'inconftance ; fes
tendres & aimables écolieres rejetterent
fes douces leçons. Enfin ce Dieu s'élança
dans des bras qui le reçurent avec tranfport.
Scene IV.
L'Amour affuré de fa victoire , commenà
fuir les Nymphes , qui ne purent le
quitter , & la ſcene refta vuide,
Scene V.
per-
L'Amour reparut enfuite ; il changea le
théâtre en une forêt couverte ' bien
cée , & terminée par un pont dans le
lointain.
Scene VI.
Les Nymphes cherchant toujours l'Amour
, entrerent avec précipitation . Le
plaifir qu'elles eurent à le trouver , fut
mêlé de la furprifeque leur caufa le chanMA
I. 1758. 191
gement du lieu. L'Amour difparut encore ,
les Nymphes continuerent à le pourſuivre,
& furent en même temps apperçues par
une troupe de jeunes Faunes.
Scene VII.
Les Nymphes reculerent d'effroi ; mais
les Faunes avancerent avec fierté , & fe
rendirent les maîtres de cinq de ces
Nymphes. Les autres s'échapperent . La
jalousie s'empara du coeur des Faunes. Ils
en vinrent aux mains , les arbres furent
déracinés , le combat devint opiniâtre ;
cependant les Nymphes profiterent de cet
inftant pour s'échapper. La victoire fut
long-temps incertaine ; enfin elle fe décida
, & la moitié des Faunes terraffa l'autre,
Scene VIII.
Les Nymphes reparurent avec des couronnes
de fleurs. Les unes les poferent fur
la tête des Vainqueurs , les autres les jetterent
à leurs pieds. Chaque perfonnage
exprima le fentiment dont il étoit pénétré.
Scene 1 X.
Vénus & l'Amour reparurent ; celui - ci
d'un regard puiffant ranima les Faunes
vaincus. Le combat recommença , les
Vainqueurs fuccomberent , les couronnes
192 MERCURE DE FRANCE.
leur furent arrachées. Mais par le charme
de l'amour , elles fe partagerent. Cet événement
merveilleux ramena la paix , &
l'amour unit chaque Amant à fon Amante.
Scene derniere.
Les Faunes & les Nymphes exprimerent
leur joie par un Ballet , qui commença par
une chaconne . Elle fut coupée par différens
pas particuliers , & termina le divertiffement
.
On nous écrit de Lyon que ce Ballet у
a fait le plus grand effet , que les pas &
les expreffions y étoient très-bien entendus
, & que la lutte des Faunes formoit
furtout un tableau des plus pittorefques.
ARTICLE
M A I. 1758 . 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE PRAGUE , le 3 Avril.
Ce qu'on fçait ici de certain des marches & des
E
mouvemens des Pruffiens en Siléfie , fe réduit au
détail fuivant. Le Roi arriva le 17 Mars de Breſlau
à Landshut ; il alla le 19 à Criffau , & le lendemain
il y transféra fon Quartier Général . Ses
Troupes font partagées en trois Corps . L'un d'environ
vingt -cinq mille hommes eft campé entre
Frauftad & Glogau , près des frontieres de Pologne
, pour obferver les mouvemens de l'armée ,
Ruffienne. Il y a dans la Haute Siléfie un autre
Corps deftiné à agir du côté de la Moravie. Le
troiſieme Corps eft dans la Luface , pour affurer
la communication entre la Saxe & la Siléfie . Ce
dernier fait partie de l'armée que le Roi commande
en perfonne , & qui eft forte , à ce qu'on prétend
, de plus de cinquante mille hommes.
ce ,
Les premiers pas des Pruffiens ont été dirigés
vers le Comté de Glatz. Ils s'y font portés en forpour
faire abandonner ce canton au Général
Janhus , & s'étendre eux- mêmes de ce côté- là ;
ce qui leur a réuffi . Leur grande fupériorité a obligé
le Général Janhus de fe replier , fuivant les
ordres qu'il en avoit , fur Mittelwalde , & delà
fur Senftenberg ; mais ce n'a pas été fans coup
I
194 MERCURE DE FRANCE.
férir. L'ennemi dans cette retraite , a¨efſuyé un
feu continuel , qui lui a fait perdre bien du monde.
Les Pruffiens depuis ont fait occuper Grulick
par cinq mille hommes d'Infanterie & quelques
chevaux. De là ils ont fait des excurſions jufqu'à
Wigftatl , & ont pillé le canton . Cependant , foit
qu'ils ayent eu avis des difpofitions qui fe faifoient
pour les recevoir vigoureufement , s'ils étoient
avancés vers nos frontieres , foit qu'ils ayent voulu
prévenir le débordement des eaux qui leur eût
coupé la retraite , s'ils avoient été attaqués , ils
n'ont pas gardé longtemps ce pofte. Dès le 25 ;
ils revinrent à Mittelwalde , ils marcherent enfuite
fur Schonfeld , pafferent Habetſchwerd , &
prirent de nouveau pofte à Ullerfdorff. Le Corps
entiers des Prufhiens , dont on croit que le véri
table objet étoit d'enlever le magafin que nous
avons à Leutomyffel , étoit , au rapport de leurs
Déferteurs , de quinze à feize mille hommes. Il
étoit commandé par le Général de la Mothe-Fon
quet , le Prince François de Brunſwick & le Gée
néral Putkammer.
L'ennemi continue de fe renforcer du côté de
Landshut. Il fe retranche auffi à Liébeau & à
Schoenberg.
Les poftes que les Pruffiens ont du côté de
Braunau vers les frontieres de la Siléfie , ont déja
tenté plufieurs fois de furprendre nos poftes avancés
; mais ils ont toujours été repouflés avec
perte,
L'armée du Feld- Maréchal Comte de Daun
s'eft miſe en marche le 24 , & s'avance du côté
de Braunau.
Les Pruffiens ayant échoué dans la tentative
qu'ils ont faite pour pénétrer dans ce Royaume
par Grulick , en ont fait depuis une nouvelle du
M. A I. 1758. 195
tôté de Reinerts. Le Prince François de Brunfwick,
avec un Corps de quatre mille hommes ,
s'eft porté le 28 Mars fur ce dernier pofte , &
après s'être formé fur les hauteurs dont la Place
eft environnée , il a fait attaquer par deux côtés
différens un Détachement de nos Troupes légeres
qui en formoit la Garnifon . L'Officier qui le commandoit
, étant obligé de céder à la fupériorité
de l'ennemi , fit fa retraite en fi bon ordre , qu'on
ne put jamais entamer fa Troupe , quoique les
Pruffiens l'attaquaffent à la fois par quatre côtés.
Une autre Compagnie de nos Troupes légeres
vint à fon fecours , & le Colonel de Zettwitz ,
qui commande dans ces quartiers -là , s'avança ,
pour la foutenir , avec quatre Compagnies des
mêmes Troupes. Le fen de part & d'autre fut trèsvif
; mais enfin les ennemis furent obligés de fe
replier avec perte , & de fe retirer par Ruckers.
Hs font prefque tous les jours de pareilles tentatives
, pour furprendre de petits poftes fur la frontiere
, & il s'y fait de continuelles eſcarmouches.
DE HANAU , le 2 Avril.
>
L'évacuation de Hanau , que toutes les difpefitions
des François avoient annoncée , ne paroît
rien moins que prochaine. Le Comte de Lorges
qui y commande , a reçu depuis peu ordre d'y
refter avec la Garniſon , & de s'y fortifier. On a
repris en conféquence , dès le jour de Pâques , les
travaux avec plus d'activité que jamais . Toutes les
Troupes , l'artillerie & les munitions , qui depuis
le 26 Mars marchoient vers le Rhin , reviennent
fur leurs pas ; la Garniſon eſt même augmentée
de deux Bataillons , & l'on garnit de canon les
remparts.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE .
DE DUSSELDORP , les Avril.
Les Troupes aux ordres du Duc de Broglie vont
paffer fucceffivement le Rhin , &, feront bientôt
toutes raffemblées dans ces quartiers- ci . Elles font
partagées en deux colonnes , dont chacune mar
che en trois Divifions . La premiere Divifion de la
Colonne de la droite , eft compofée des quatre
Bataillons du Régiment du Roi , & des dix Efcadrons
des Carabiniers ; la feconde , de l'artillerie
, des deux Bataillons de Dauphin , & de la
Brigade Impériale de trois Bataillons ; la troifieme
, des deux Bataillons de Touraine , de deux
Efcadrons de Montcalm , & des Grenadiers de
cette Colonne. Les trois Divifions de la Colonne
de la gauche , confiftent 1 ° , en deux Bataillons
de Provence , un de Foix , un de Tournaifis , un
de la Marck , deux de Rochefort , & deux de Planta.
2°. Deux de Caftellas , deux de Diefback , deux
Efcadrons de Royal Allemand , deux de Naffau ,
& deux de Poly. 3 °. Deux Bataillons de Vaubecourt
, un de Royal Lorraine , avec les Grenadiers
de cette Colonne , & fix Eſcadrons des Huf.
fards Impériaux de Czeczeni.
•
Une partie de ces Troupes étoit fortie de Soeft
le 28 du mois de Mars à midi , & elles étoient à
peine à quatre cents pas de la Ville , lorfque des
Huffards Pruffiens Noirs & Jaunes , fe montrerent
avec quelques Chaffeurs. Les Huffards de Czeczeni
les chargerent , & les repoufferent le fabre à
la main jufques fous les remparts de Soeft . Il y a
eu dans ce choc de part & d'autre environ quarante
hommes tués ou bleffés , & à peu près au
tant de chevaux. Le Marquis de Loftanges , Colonel
des Cuiraffiers , qui voulut être de la partie ,
a eu fon cheyal tué fous lui.
MA I. 1758. 197
DE BAUTZEN , dans la Haute Luface ,
le 27 Mars.
Il eft arrivé dans ces cantons un Corps de Trou
pes Autrichiennes aux ordres du Général de Sincere.
Ce Général vient d'établir des poftes de
communication avec la Boheme , & avec l'armée
du Comte de Daun . Par la pofition qu'il a prife ,
il est en même temps à portée de troubler de ce
côté- là les communications entre l'armée Pruffienne
& la Saxe. Un Détachement de Huffards ,
qui fut envoyé il y a quelques jours à la décou
-verte , s'eft avancé jufqu'à Cotbus , eft entré dans
cette Ville , a enlevé la Caiffe que le Roi de Pruffe
y faifoit garder , & s'eft retiré fans obſtacle avec ·
fon butin.
DE WESEL , le 12 Avril .
Les Troupes qui font cantonnées felon l'ordre
de bataille , peuvent fe raffembler en deux fois
vingt- quatre heures , & elles s'occupent avec fuc
cès de leurs réparations. Plufieurs Régimens font
déja complets , avec le fecours des Miliciens qui
y ont été incorporés . Chaque Officier Général eft
avec la Divifion dont le commandement lui eft
deftiné pour la campagne prochaine , & veille par
ce moyen au rétabliffement de la difcipline . Ainfi
il y a lieu d'efpérer que dans peu de temps , notre
armée fe trouvera en auffi bon état qu'elle étoit ,
il y a un an , avant que de paffer le Rhin.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
6
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &G.
Lag du mois d'Avril, M. le Marquis de Paulmy,
Miniftre d'Etat , prêta ferment entre les mains du
Roi , pour la charge de Tréforier de l'Ordre du
Saint-Efprit.
Les deux nouveaux Maréchaux de France ( MM.
les Comces de Bercheny & de Conflans ) prêterent
auffi ferment le même jour en cette qualité.
Le Roi ayant fait choix de M. le Maréchal Duc
de Befle- Ifle pour remplir la charge de Secrétaire
d'Etat au Département de la Guerre , Sa Majefté
a appellé près de fa perfonne M. de Crémille ,
Lieutenant- Général de fes Armées , pour aider
M. le Maréchal de Belle-Ifle dans les fonctions &
dans les détails de fon Département , & fous les
ordres.
La Vacance du Parlement ayant obligé de remettre
la Proceffion qui fe fait tous les ans le 22
de Mars , en mémoire de la réduction de certe
Capitale fous Pobéiffance de Henry IV , elle fe
fr en la maniere accoutumée le 7 de ce mois. Les
Lettres du Roi avoient été portées la veille aux
Compagnies , dont la préfence y eft requiſe , fuivant
l'ufage , par M. de Gizeux , Maître des cérémonies
de France en furvivance.
L'Efcadre Angloife , commandée par l'Amiral
Hawke , eft entrée le 4 Avril après-midi aux ra
des de la Rochelle , & a mouillé le 5 dans celle
de l'Ifle. Daix . Elle en eft repartie le 7 au matin
M A 1. 1758. 199
Cette Efcadre étoit compofée de fept Vaiffeaux de
ligne le Ramillies , de yo canons , le Royal-
Georges & le Royal- Guillaume , de 100 canons
chacun ; le Torbay , de 74 ; le Bedford , de 70 ;
l'Intrépide , de 64 ; & le Windſor , de 60 , avec
trois Frégates & un Senaw. L'Amiral Hauke a fait
débarquer quelque monde à l'ifle Daix , & y a
fait brûler les plattes formes , outils de travailleurs
, tombereaux , charettes , fauciffons , fafcinages
, ponts , & généralement tout ce qui s'eft
trouvé de combuftible dans les fortifications provifionnelles
que l'on y exécutoir. Tous les habitans
& ouvriers qui étoient à l'Iſle Daix , s'en étoient
retirés à Fouras dans le moment où l'Eſcadre Angloife
a paru , & il n'y étoit resté que quelques
Soldats. Les Anglois en ont emmené fept ou huit
avec eux. Les Vaiffeaux du Roi le Floriffant , le
Dragón , le Sphinx , le Hardy & le Warwick , qui
étoient en rade avec quelques Frégates , n'étant
point en état de réfilter à des forces fi fupérieures ,
fe font réfugiés dans la Charente entre Fouras &
l'Iſle Madame , & ils s'y font entraversé de maniere
à empêcher Pentrée de la riviere à l'Efcadre
Angloife , fi elle eût fair quelques tentatives pour
forcer le paffage. On avoit fait des difpofitions à
Rochefort , pour nuire par tous les moyens praticables
aux Vaiffeaux Anglois , s'ils n'en avoient
pas prévenu l'effet par leur retraite . Cependant les
Chaloupes canonnieres Anguille & l'Aventure ,
armées chacune d'un canon de 24 , & comman→
dées par les fieurs de Kergariou & de Camiran
Enfeignes de Vaiffeau, ont fort incommodé le
Vaiffeau Anglois l'Intrépide , qui étoit échoué fur
le banc de Boyard , & qui attendoit la haute mer
pour le mettre à flor. Nos Chaloupes feroient même
parvenues à le défemparer , fans le Vaiffeau le
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Windfor & quelques Frégates qui ont mis fours
voile pour le dégager . Les Fregates . la Thetis
l'Anemone & l'Ecureuil , commandées par les
fieurs de Goimpy , de Feuquieres , Lieutenant de
Vaiffeau , du Guafpern & de Queralbeau , Enfeignes
, conduifoient un convoi de Navires de commerce
de Breft à Rochefort . L'Anemone a gagné
l'entrée de la Charente avec une partie du convoi
, & le refte s'eft mis fous la protection de la
Citadelle de Saint-Martin de Ré , avec les Fregates
la Thetis & l'Ecureuil. Cette premiere s'eft même
emparé dans le Pertuis - Breton du Corſaire Anglois
le Franc-Maçon , de 10 carrons & de 70 hommes
d'équipage , & l'a fait entrer à Saint -Martin
de Ré à la vue de l'Efcadre Angloiſe.
Le 14 Avril , le Roi tint le Sceau pour la vingtfeptieme
fois.
Sa Majefté , à l'occafion de la mort de Mademoiſelle
de Charolois , alla le même jour rendre
vifite à la Princeffe de Conty , & à Mademoiſelle
de Sens , chez qui fe trouverent le Prince & la
Princeffe de Condé .
La Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame
la Dauphine , Monfeigneur le Duc de Bourgogne,
Monſeigneur le Duc de Berry , Monfeigneur le
Comte de Provence , Madame Infante , Madame
& Mefdames Victoire & Louiſe , vifiterent auffi
ces Princeffes .
Le 15 , la Princeffe de Conty & Mademoiſelle
de Sens , allerent faire leurs révérences au Roi , à
la Reine & à la Famille Royale.
Le même jour , Madame Louife donna le voile
à la Dame de Ziner , dans l'Abbaye de Saint Cyr.
Le 19 , MM. l'Evêque de Digne & l'Evêquè
d'Aire prêterent ferment entre les mains du Roi .
Les fieurs Guyot de Saint- Amand & de Gangy
MA 1.1758. 201
4
prêterent ferment entre les mains du Roi le 9 du
même mois ; le premier , pour la charge de Lieutenant
de Roi de la Province du Chalonnois ; le
fecond , pour la charge de Lieutenant de Roi au
Département & Sénéchauffée de Poitiers & de Lu
fignan.
Le Roi reçut le même jour Chevaliers de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , M. le Marquis
de Foffeufe , Capitaine- Lieutenant des Gendarmes
de la Reine , Menin de Monfeigneur le
Dauphin , & MM. les ) Comtes de Biernay , Soulieutenant
des Gendarmes de Berry ; de Lordat ,
Soulieutenant des Chevaux- Légers de Bretagne ;
de Murinais , premier Cornette des Chevaux - Legers
d'Aquitaine ; de Noé & de Saiffeval , Guidons
de Gendarmerie.
M. PEyêque de Digne a été facré le 16 Avril
dans l'Eglife des Miffions Etrangeres , par M.
l'Archevêque d'Embrun , affifté des Evêques de
Dol & de Vence,
M. l'Evêque d'Aire,a été facré le même jour à
Meaux par l'Evêque de cette derniere Ville , affifté
de l'ancien Evêque de Troyes & de celui de
Condom.
L'Académie Royale des Sciences ayant élu le
feur Bezout & le Comte de Lauragais , pour remplir
les deux places d'Adjoints - Méchaniciens , va
cantes par la promotion de M. le Chevalier d'Arcy
& de M. Yaucanfon à celles d'Affociés Ordinaires
, le Roi a bien voulu agréer fon choix.
Le Corps de Mademoiſelle de Charolois , après
avoir été embaumé , a été expofé pendant plufeurs
jours dans une Chambre de parade , éclairée.
par un grand nombre de lumieres , & tendue de
blanc. Il fut porté le 13 Avril au Couvent des
Carmelites du Fauxbourg Saint Jacques , pour y
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
être inhumé. Le cortège du Convoi étoit compoft
de cent Pauvres , couverts de draps gris , & tenant
chacun un fambeau ; des Officiers , des Suiffes &
des Valets de Chambre de la Princeffe à cheval
de plus de cent cinquante Valers de pieds , de fept
Carroffes drapés à fix chevaux harnachés & capa
raçonnés de noir , qui étoient remplis par les
Ecuyers , les Gentilshommes , les principaux Of
heiers , & les Femmes de Chambres ; & de deux
Carroles à huit chevaux. Dans le premier de ces
deux Carroffes , étoit le Corps de la Princeffe
avec les deur Aumôniers. La Princeffe de Condé
étoit dans le fecond avec la Princeffe de Rohan
la Dame de Renty , fa Dame d'Honneur , la Dame
du Guefelin , fa Dame de Compagnie , & les
Dames attachées à la Princeffe défunte. Lorsqu'on
fut aux Carmelites , le Corps fat defcendu du Carroffe
par les huit Valers de Chambre, & porté fous
le portique intérieur de l'Eglife , ou les Religieufes
, tenant chacune un cierge à la main , étoient
rangées à droite & à gauche avec trente Eeclefiafriques
, le Supérieur de la Maifon à leur tête. L'Evêque
de Valence en camail & en rochet , accom
pagné du Curé de Saint Sulpice en étole ; en préfentant
le Corps & le Coeur de la Princeffe aux
Carmelites , leur fit un difcours auquel le Supé
rieur répondit , enfuite ces Religieufes commencerent
l'Office des Morts. Les prietes finies , les
hair Valets de Chambre porterent le Corps près de
la foffe , & Py ayant defeende , le Ceur fur pofe
fur la croix du cerceuil . La Princeffe de Condé qui
menoit le deuil , étoit en longue mante , dont la
queue étoit portée par le fieur de Tourailles , for
fecond Ecuyer.
On vient de publier un Edit du Roi portant
création de trois millions deur cens mille livres
MAI. 1758.
203
actuelles & effectives de Rentes héréditaires à
quatre pour cent fur les Aydes & Gabelles , par
forme de remplacement des Rentes créées par
l'Edit de Juin 1720. Chaque conſtitution particuliere
defdites Rentes ne pourra être moindre que
de mille livres de principal , qui produiront quarante
livres de rente. Il n'y aura fur ces Rentes
aucune retenue de vingtieme ni des deux fols pour
livre du dixieme , & de toutes autres impofitions.
Les Communautés Eccléfiaftiques , les Hôpitaux ,
& tous gens de main- morte , ainfi que les Etran
gers non-naturalifés & ceux mêmes qui demeure-
Font hots du Royaume , pourront acquérir lefdites
Rentes & en jouir , fans être obligés à aucune
formalité, ni payer aucuns droits d'amortiffemens.
On pourra en tranfmettre la propriété à d'autres
par voie de réconftitution. A commencer du premier
Janvier 1760 , on remboursera tous les ans
en deniers comptans une partie des capitaux defdites
Rentes jufqu'à leur extinétion totale , & ce
remboursement fe fera par la voie du fort , en
forme de Loterie , en la maniere qu'il eft porté &
expliqué par l'Edit . Les capitaux desdites Rentes
feront fournis moitié en argent, moitié en contrats .
Les lettres de Livourne annoncent que la Frégate
la Rofe , de 16 canons , commandée par le
feur de Sade , Capitaine de Vaiffeau , a conduit
à Malte le 9 Mars le Corſaire Anglois le Léopard,
de 36 canons , dont elle s'eft emparé après um
long combat.
•
Le Capitaine Ferdinand de Renaud , qui commande
le Corfaire le Duc d'Ayen , de Boulogne ,
s'eft rendu maître des Brigantins Anglois le Sal
tens, chargéd'orge & de farine,& laFortune, ayant
pour cargaifon du fucre ,du fel , des vins , des fruits,
&c. & il les a fait conduire à Dunkerque. Le mê-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
me Corfaire a pris un troifieme Bâtiment Anglois
chargé de charbon de terre , qui s'est échoué aux
environs d'Oftende .
Le Navire Anglois le Thomlefon , d'Antigues ,
'de 200 tonneaux , chargé de fucre & de coton
eft arrivé à Morlaix : il a été pris par le Corfaire
le Comte de Langeron , de Saint -Malo..
On mande de Marfeille , qu'il y a été conduit
un Brigantin Anglois appellé le Conftant , chargé
raifins fecs , qui a été pris par les Corfaires la
Conftance & le Charron , de ce port .
Le Corfaire la Ville- Helio , de Vannes , ayant
rencontré le 17 Juillet dernier au Cap Finiſtere
le Navire Anglois l'Elifabeth , forti de Roterdam
le 2 du même mois fous pavillon Hollandois , le
fomma d'amener & d'exhiber fes papiers . Ce Bâtiment
ayant refuſé d'amener , le Corſaire François
l'attaqua , & après un combat fanglant , s'en rendit
maître à l'abordage . Cette prife fi légitime a
fait l'objet d'une conteftation qui a été jugée le 8
de ce mois au Confeil des Prifes , en faveur du
Corfaire de Vannes. Elle eft eftimée plus de quatre
cens mille livres.
Le Capitaine Adrien de Lille , commandant le
Corfaire la Fulvie , de Dunkerque , s'eft rendu
maître des Navires Anglois l'Ellis , de Liverpool ,
de 200 tonneaux , armé de 4 canons & de 15 hommes
, & la Providence , de Briſtol , de 350 tonneaux
, armé de 24 canons & de 60 hommes. Ces
deux Bâtimens , qui alloient à la Jamaïque chacun
avec un chargement confiftant en vivres & en
marchandifes feches , ont été conduits à Morlaix .
Le Capitaine de Lille , en fociété avec le Corſaire
le Maurepas , de Dunkerque , a fait de plus pour
environ cinquante mille livres de rançons.
Le Navire Anglois l'Ulyffe , de la Nouvelle .
MA I. 1758 . 203
Yorck, d'où il venoit avec un chargement compofé
de bois de campêche, & de 80 barrils de goudron
, a été pris par le Corfaire l'Espérance , de
Bayonne, où il eft arrivé.
Le Capitaine Durbecq- de la Ciotat , commandant
la Galliote la Curieufe , qui a été armée en
courſe à Marſeille au mois de Janvier dernier , s'eft
rendu maître à la hauteur de Malaga , d'un Navire
Anglois dont le Capitaine a offert deux mille livres
fterlings pour fa rançon .
SA
BÉNÉFICES DONNÉS.
A Majefté a nommé à l'Evêché d'Autun ;
M. l'Abbé Comte de Bouillé , Doyen des Comtés
de Lyon , & premier Aumônier du Roi ; à l'Ab- .
baye de Brantôme , Ordre de S. Benoît , Dioceſe
de Périgueux , M. l'Abbé Bertin , Vicaire Géné
ral du même Dioceſe , & Conſeiller Clerc au
Parlement de Bordeaux ; à l'Abbaye de Préaux ;
même Ordre , Dioceſe de Lizieux , la Dame de
de Saint - Chamans , Abbeffe de Saint Jean de
Bonneval- lès - Thouars , Diocefe de Poitiers ; à
PAbbaye de Saint Jean de Bonneval - lès - Thouars ,
la Dame Bouchard d'Efparbès- de Luffan- d'Aubeterre
, Grande Prieure de l'Abbaye de Sainte Croix
de Poitiers.
MARIAGES ET MORTS.
MESSIRE Jean - Pierre Damas , Marquis de
Thiange , fils de feu Louis-François Damas , Comte
de Thiange & d'Anlezy , & de Dame Magde206
MERCURE DE FRANCE.
leine- Angélique de Gaffion , époufa le 4 Avril
Damoiselle Michelle-Perette le Veneur-de Tilliezes
, fille de Jacques Tanneguy-le Veneur , Comte
de Tillieres , & de feue Dame Michelle -Julie
Françoife Bouchard d'Eſparbès-de Luffan d'Aubeterre-
de Jonfac. Ils ont reçula Bénédiction Nup
tiale dans la Chapelle de l'hôtel de Châtillon .
Meffire Claude-Antoine de Beziade , Marquis
d'Avarey, Grand Bailli d'Orléans , fils de feu Meffire
Charles , Marquis d'Avarey, &c. de Dame Marguerite
-Elifabeth Meigret , fut marié le { à Angélique-
Adélaïde - Sophie de Mailly , fille de Louis,
Comte de Mailly , Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant-Général des Armées de Sa Majefté ,
premier Ecuyer de Madame la Dauphine , & de
Dame Anne -Françoife- Elifabeth Arbalete - de
Melun. La Bénédiction Nuptiale leur a été donnée
dans l'Eglife de Saint Eustache par l'Archevêque
de Toulouſe.
M. le Marquis de Chauvelin , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , Grand-Croix honoraire
de l'Ordre de Saint Louis , & Ambaffadeur de Sa
Majefté auprès du Roi de Sardaigne , époufa le
même jour dans la Chapelle particuliere de l'hôtel
du Duc de Broglie , la Demoifelle Agnès - Thérele
Mazade d'Argeville.
Mademoiſelle de Charolois , Princeffe du Sang ,
eft morte en cette Ville le 8 d'Avril , vers les cinq
heures du matin , âgée de foixante - deux ans , neuf
mois & feize jours. Cette Princeffe , qui fe nommoit
Louife-Anne de Bourbon Condé , étoit fille
de Louis , Duc de Bourbon- Conde , Prince du
Sang , Grand- Maître de la Maifon du Roi , &
Gouverneur du Duché de Bourgogne , mort le 4
Mars 1710; & de Louife - Françoife de Bourbon ,.
Légitimée de France, fille du feu Roi, mome le 14
Juin 1743.
MAI. 1758. 207
Mehre N. de Brancas , Abbé Commendataire
de l'Abbaye royale d'Aulnay , Ordre de Cheaux ,
Diocefe de Bayeux , eft décédé le fr du mois
d'Avril.
Mere Charles- Marie - Léopold , Comte de
Dunois , Mestre de Camp en fecond du Régiment
Colonel général des Dragons , & fils aîné du Duc
de Chevreufe , eft mont le 12 à Ruremonde , à
Farmée du bas-Rhin , dans la dir- haitieme année
de fon âge.
MRREST du Confeil d'Erat du Roi , qui permet
à toutes personnes de faire le commerce des
Laines , tant nationales qu'étrangeres , comme
auffe de lesfaire cirouler dans tout le Royaume
en exemption de tous droits d'entrée & defortie ,
&c. Da 20Mars 1758.
Extrait des Regifres du Confeil d'Etat.
Le Roi s'étant fait répréfenter , en fon Confeil ,
PArrêt renduen icelui le 4 Août 1716 , par lequel
auroit été dérogé aux difpofitions d'autres arrêts
des 9 Mai & 2 Juin 1699 , qui défendent à tous
autres qu'aux Marchands de laine & aux Fabricans
d'acheter des laines pour les revendre &
en faire trafic , & ordonné qu'à la venir ce commerce
feroit entièrement libre & permis à toutes
perfonnes Autre arrêt du 9 Décembre 1749 ,
par lequel Sa Majefté a exempté de tous droits.
d'entrée & de fortie , & des droits locaux dépendans
de la Ferme générale , les laines qui pafferoient
des provinces des cinq groffes Fermes
dans les provinces réputées étrangeres , & des
provinces réputées étrangeres dans celles des
sing groffes Fermes : & Sa Majefté érant infor
·
208 MERCURE DE FRANCE.
mée que par arrêt du 7 Avril 1714 , il a été fait
défenfes de fortir les laines de la province de Lan,
guedoc pour les tranfporter dans les autres provinces
du Royaume , fans en avoir une pers
miffion expreffe & par écrit du fieur Intendant
& Commiffaire départi dans ladite province ;
ce qui empêche l'effet de la liberté que Sa Majesté
a eu intention de procurer au commerce des
laines qu'il paroît fubfifter auffi quelques autres
réglemens , qui reftreignent la liberté de ce commerce.
A quoi Sa Majefté defirant pourvoir ; ouï
le rapport du fieur de Boullongne , Confeiller ordinaire
au Confeil royal , Contrôleur général des
finances , le Roi étant en fon Confeil , a ordonné
& ordonne que les arrêts des 4 Août 1716 &
9 Décembre 1749 , feront exécutés felon leur
forme & teneur en conféquence , permet à toutes
perfonnes de faire le commerce des laines ,
tant nationales qu'étrangeres ; comme auffi de
faire circuler librement lefdites laines dans tout
l'intérieur, du Royaume , en exemption de tous
droits, foit d'entrée & de fort ie , lorfqu'elles pafferont
des provinces réputées étrangeres dans celles
des cinq groffes Fermes , & de celles des cinq
groffes Fermes dans les provinces réputées étran
geres , qu'autres droits locaux , à l'exception néan,
moins de ceux dépendans des Fermes des Aides &
Domaines dérogeant à cet effet Sa Majefté , tant
à l'arrêt du 7 Avril 1714 , qu'à toute autre dif
pofition contraire au préfent arrêt ; fans préjudice
toutefois du droit de ving - cinq livres du
cent pefant , que les laines nationales continueront
d'acquitter à la fortie du Royaume , con
formément à l'article V de l'arrêt du 9 Décem
bre 1749, Enjoint Sa Majefté aux fieurs Intendans
& Commiffaires départis pour l'exécution
MA I. 1758.
203
de fes ordres dans les provinces & généralités
du Royaume , de tenir la main à l'exécution
du préfent arrêt. Fait au Confeil d'Etat da Rõi¹,
Sa Majesté y étant , tenu à Verſailles le vingtieme
jour de Mars mil fept cent cinquante- huit. Signé
Phelipeaux.
LOUIS , par la grace de Dieu , Roi de France
& de Navarre , Dauphin de Viennois , Comte de
Valentinois
& Diois , Provence , Forcalquier
&
terres adjacentes
: A nos amés & féaux Confeillers
en nos Confeils , les ,fieurs Intendans
&
Commiffaires
, départis pour l'exécution
de nos
ordres dans les provinces & généralités
de notre
Royaume ; Salut. Nous vous mandons & enjoignons
par ces préfentes fignées de nous , de
tenir , chacun en droit foi , la main à l'exécution
de, l'arrêt dont l'extrait eft ci -attaché fous le
contre-fcel de notre Chancellerie
, cejourd'hui
rendu en notre Confeil d'Etat , Nous y étante,
pour les caufes y contenus : Comman
ons au
premier notre Huiffier ou Sergent fur ce requis ,
de fignifier ledit arrêt à tous qu'il appartiendra
,
à ce que perfonne n'en ignore ; & de faire pour
l'entiere exécution d'icelui , tous actes & exploits
néceffaires
, fans autre permiffion
, nonobftant
clameur de Haro , Chartre Normande
& lettres
à ce contraires
; aux copies duquel , collationnées
par l'un de nos amés & féaux Confeillers
Secrétaires
, voulons que foi foit ajoûtée comme
aux originaux
: Car tel eft notre plaifir . Donné à
Verfailles
le vingtieme
jour de Mars , l'an de
grace mil fept cent cinquante-huit , & de no
tre regne le quarante- troifieme . Signé LOUIS . Et
plus bas , Par le Roi , Dauphin , Comte de Provence.
Signé Phelipeaux
. Et fcellé.
210 MERCURE DE FRANCE.
Pour le Roi. Collationné aux originaux , par
nous Ecuyer , Confeiller Secrétaire du Roi , Mai
fon , Couronne de France & de fes finances.
N.
AVIS.
"
auvelas invention pour les ouvrages d'armées
, par le fieur Lafontaine Dulin , éleve de
l'Ecole Militaire , inftituée par feu M. le Chevalier
de Luffan, Ingenieur. Il eft auteur artifte des
lits , tables , fiéges , tabourets , échaudées , fecrétaires
, cuifinieres , fauteuils , bidets tables
de nuit , tables à écrire , & chaiſes de commodités.
Il fait auffi une nouvelle piece qui
fert de bidet & de chaife de commodité , dans
la même piece , il y a un refervoir , des flacons ,
éponges & une feringue , le tout formant le né
ceffaire des Officiers militaires , tant fur terre
que fur mer, plufieurs de ces pieces font utiles
pour la chaffe.
Le tout fait par principes de Mathématiques ,
combinaiſon Géométrique , & par expérience
Métaphyfique.
Ayant confidéré que toutes les fujetions qui
font dans les ouvrages ordinaires , joint à leur
pefanteur & au grand nombre de pieces qu'il
faut pour faire une des pieces ci deffus , ne font
que très- nuifibles & embarraffantes à monter
pour les Domeftiques , & même pour les voi
turer d'un endroit à l'autre ; j'ai trouvé le moyen
de les réduire , & certaines preces de cinq fix liv.
fans pourtant en diminuer le mérite & la folidité
, au contraire.
Dans ma conſtruction j'ai réuni enfemble
toutes les pieces qu'il faut , pour en faire une ,
MA I. 1758.
211
font par ce moyen plus faciles à monter que
celles dont on fait ufage actuellement.
Je peux parler affirmativement de la folidité
de mes ouvrages , vu qu'ils tombent à plomb
ou perpendiculairement ce qui fait que l'on
eft toujours bien affis : je fais aufli toutes fortes
d'ouvrages de Menuiferie , Ebénisterie , & d'un
bon goût. J'ai eu l'honneur d'en faire pour plufieurs
Officiers Généraux ; pour leurs Alteffes Séréniffimes
Monfeigneur le Comte de Clermont ;
Monfeigneur le Prince de Soubile & de Rohan ;
Monfieur le Marquis de Maurange , Lieutenant
général M. le Marquis de Gamache , M. le
Marquis de Lirie , M. le Comte de Milfort ; &
pour beaucoup de Tapiffiers-Tentiers. L'on trou
ve chez l'Artifte , de ces fortes d'ouvrages prêts
à mettre en ufage.
Il demeure grande rue du Fauxbourg S. Antoine
, chez M. Perfon, Marchand Epicier.
AUTRE.
Life
La fieur Fagonde, Marchand à Paris , rue Saine
Denis, à côté de Sainte Catherine , à l'enfeigne
de la Toilette , débite roujours avee fuccès , l'ean
Anticauftique , ainfi appellée à caufe de fa vertu
fouveraine , pour la guérifon prompte & fure de
toutes fortes de brûlures de quelque nature
qu'elles puiffent être . Perfonne n'ignore combien
eft vive la douleur excitée par l'action du
feu: la guérifon d'une brûlure eft ordinairement
affez longue , parce que le mal augmente pendant
dix à douzejours. Ce n'eft d'abord qu'une
longeur plus ou moins grande : furviennent en
fuire des tumeurs féruſes , vulgairement appel.
212 MERCURE DE FRANCE:
lées cloches , la partie affligée ſe gonfle , & s'er
flamme de plus en plus , tout cela eſt accompagné
de douleurs aiguës , qui fouvent occafionnent
la fièvre , la peau du malade ſe roidit , lés
petites fibres ne pouvant plus faire leurs fonctions
fe détruifent , & enfin on refte fouvent eſtropié
La liqueur Anticauftique , appliquée à froid , &
fouvent renouvellée , remedie à tous ces accidens
: elle commence par appaiſer la douleur ,
& elle arrête enfuite très-promptement tous les
progrès que le mal pourroit faire. Le prix eſt de
3 liv. le flacon de demi- fetier , le demi facon
30 fols. Cette eau peut le tranſporter en tous
lieux & fe conferve toujours , pourvu que les bouteilles
foient bien bouchées. On donnera une
inftruction pour l'employer.
AUTRE ,
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , l'attention que vous avez d'inféser
dans votre Mercure , tout ce qui peut concourir à
l'avantage & à la fatisfaction du public , me fait
efpérer que vous voudrez bien lui annoncer un
Remede nouveau , dont les bons effets ont été conf
tatés par un grand nombre de cures furprenantes.
C'est un Topique éprouvé avec le plus grand fucpour
les Rhumatifmes fimples & goutteup ,
pour la fciatique , la paralifie commençante, pour
toutes les maladies de nerf, les fraîcheurs des parties
, contre les anchilofes , exoftoles , écrouelles
, & généralement contre toutes les tumeurs
froides...
cès
Il agit principalement par les urines , ſouvent
MA 1. 1758. 213
par un fuintement confidérable , qui évacue l'humeur
, & quelquefois par les felles . Comme on
doit être en garde contre les nouveautés en fait de
Médecine , j'ai voulu par moi- même reconnoître
les effets du remede , & ai fuivi quelques maladies
dont la guérifon radicale a levé tous mes doutes.
Vous me permettrez d'en çiter une , que je croyois
au deffus de toutes les reffources de l'art . La nommée
Leroi âgée d'environ 60 ans , demeurant, rue
Dauphine chez un Ceinturonnier , étoit travaillée
depuis plus de trois mois d'un fhumatifme goutteux
, qui lui faifoit fouffrir les plus cuifantes douleurs
elle avoit été traitée inutilement par plufieurs
Médecins & Chirurgiens qui défefpéroient
de fa guérifon. Je la trouvai au lit dans un état pitoyable
, & avec des douleurs fi vives , qu'elle ne
pouvoit le remuer , ni fouffrir qu'on la touchât ;
le bras gauche perclus & entiérement defféché ,
& au genouil du même côté une anchyloſe énorme
; enfin elle étoit à l'extrêmité : un mois de
l'ufage du remede l'a rétablie entiérement . Je vous
en citerois un grand nombre d'autres , fi les barnes
de votre recueil me, permettoient de donner
plus d'étendue à cette lettre. Soyez perfuadé
Monfieur , que c'est l'intérêt feul de la vérité &
celui du public , qui m'ont déterminé à vous écrire.
Ceux qui me connoiffent , n'en douteront
point , & les malades qui auront éprouvé par l'ufage
l'efficacité du topique , nous fçaurons gré à
P'un & à l'autre de l'avoir indiqué. Le privilege qui
vient d'être délivré par M. le premier Médecin du
Roi , & par Mrs de la commiffion royale de Mé→
decine , prouve encore plus que tout ce que je
pourrois dire , qu'on ne fçauroit avoir trop de
confiance en ce remede. Le fieur Berthelot qui le
diftribue, demeure à l'hôtel de Tour, rue du Paon,
214 MERCURE DE FRANCE.
& avertit qu'il ne retirera point de lettres qu'elles
m'aient été affranchies.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Giraud.
AUTRE.
LECT
ECLERC , Maître Perruquier
, rue de la Har
pe , près S. Côme , vend & diftribue une Pommade
Chymique
, parfaite pour fortifier la racine
des cheveux , les empêcher
de tomber & les
faire revenir ; elle eft auffi d'ufage pour faire reve
nir les fourcils , & ce n'eft qu'après plufieurs expériences
faites par nombre de perfonnes
qui
en ont fait ufage , qu'il donne des Certificats
de
vérité de l'effet de ladite Pommade
, à tous ceux
& celles qui l'ignorent
; & on ne trouvera la véritable
Pommade
Chymique
que chez le fieur
Leclerc. Il vend le pot 3 liv. & 6 liv.
APPROBATION
.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le Mercure du mois de Mai , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , ce 29 Avril 1758.
GUIROY
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
LES deux Chiens &le Chat , Fable ,
page
Les Abfens ont tort , maxime françoife ; Conte à
Madame P... de M ... de L ...
Vers à Madame la Marquife de Boufflers , par Ma
l'Abbé P...
Lettre à M. de Boiffy 2
Epitre à M. D. H. G, D. T. R.
25
29
Parallele de l'orgueil & de l'élévation des Sentimens
32
Vers fur la mort du Moineau de Madame de St.. 36
Suite fur M. de Fontenelle , par M. l'Abbé Trublet,
contenant des corrections & additions aux arti
cles précédens ,
Vers à Mademoiſelle Frogier- Dupleffis ,
37
36
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Pensées détatraduites
chées , de l'Anglois de Pope & de
Swift ,
ノ
57659
Vers à M. D. G. D. L. R. pour le premier Jour de
l'An , 78
Explication de l'Enigme & du Logegryphe du
fecond Mercure du mois d'Avril ,
Enigme ,
Logogryphe
Chanfon ,
ibida
72
73
74
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux ,
75
Lettre à M. de Boiffy , en réponse à celle du Solitaire
de Bretagne ,
114
314
ART. III. SCIENCES
ET BELLES LETTRES
.. Hiftoire. Lettre de M. Coleffe à M. l'Abbé Hardi ,
127
& c.
Médecine. Obſervations fur les effets de la Poudre
d'Alliot. Par M. de Thierry , Docteur - Régent
de la Faculté de Médecine de Paris , 133
Eloge de M. de Réaumur , lu à l'affemblée publique
de l'Académie Royale des Sciences , & c.
ART. IV. BEAUX-ARTS.
1
Mufique ,
Gravure ,
142
171
172
176
Jayallerie. Lettre à l'Auteur du Mercure , fur les
"feuilles à mettre fous les pierres de différentes
couleurs ,
Manufactures. Réflexions fur la fituation des principales
Manufactures de France , & particuliérement
de celle de Tours ,
Opera ,
ART. V. SPECTACLES.
178
181
Comédie Françoiſe , 182
Comédie Italienne , 183
Profpectus du Théâtre Italien ; 184
Nouveau Ballet du fieur Noverre ,
189
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
193
Nouvelles de la Cour , de Paris , &¿ ‚ 198
Bénéfices donnés , 205
Mariages & Morts ,
ibid.
merce des laines ,
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , au fujet du com→
Avis divers ,
La Chanfon notée doit regarder la page 74.
De l'Imprimerie de Ch . Ant . Jombert,
207
21Q
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUIN. 1758.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filius in
RapillesSculp 1218.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
de
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur
compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est -àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant
16 volumes .
pour
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mereure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces d'en²
voyerpar la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement
, ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis
;
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un
en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de refter à fon Bureau les Mardi , Mercredi
& Jeudi de chaque femaine , après- midi.
On prie les perfonnes
qui envoient des Li
vres , Eftampes
& Mufique
à annoncer ;
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer
par la voie du Meri
cure ,
les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent. On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feſſard & Marcenay,
000000
吸
000000
MERCURE
DE FRANCE.
JUIN. 1758 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES ÉCOLIERS
ET LES AMANDES AMERES,
FABLE.
Loin des yeux redoutés d'un Précepteur févere ;
Deux Ecoliers faifoient dans un jardin ,
Ce qu'en leur langue familiere
On appelle , je crois , l'école buiffoniere.
Un Amandier fut le premier butin
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Qui s'offrit à la gourmandiſe
De notre couple libertin.
Son fruit leur paroiffoit être de bonne prife ;
Mais l'arbre étoit fi haut ,
Qu'avec un faut
On n'y pourroit atteindre.
Que faire ? il faut rufer. L'un forme un échaffaud
De fon dos recourbé , d'où l'autre , fans rien
craindre ,
A l'arbre livrant maint affaut ,
Remplit fes poches comme il faut.
Il n'eft bouton ni branche à qui l'on eût fait
grace ;
Mais juftement affez près de la paffe
Un Villageois que du plus loin l'on prend
Pour un Régent.
Un rien fait peur à qui confcience reproche ;
C'est ainsi qu'un voleur dès qu'il entend marcher,
Ou quelque chofe qui s'approche ,
Croit d'abord que c'eſt un Archer.
En peu nos deux Marmots ont déferté la place ,
Bientôt ils ont gagné la claffe ,
Et par plus d'un menſonge adroit ,
Déja fur leur abfence ils ont obtenu grace.
Empreffés de jouir du fruit d'un tel exploit ,
Les voilà tous deux en cachette
Qui cherchent à croquer leurs amandes. L'on
jette
La premiere qu'on a trouvé d'un mauvais goût ;
JUIN. 1758. 7
Une autre fuit , qu'on caffe & mange , & puis
qu'on crache ;
Voyons donc celle-là ; mais en vain on fe fâche ,
Tout eft de même juſqu'au bout.
Leurs dégoûts n'étoient point de fantaſques chimeres.
Sçavez-vous ce qu'ils avoient pris ?
Il avoient pris partout des Amandes ameres,
C'eft ainfi qu'un bien mal acquis
Dont trop fouvent un fot préfume ;
Quand il croit en goûter les fruits ,
Ne lui préfente qu'amertume .
▲ Lyon , par M. dê R ‡‡ *,
N'EN CROYEZ QUE VOS YEUX ,
ANECDOTE.
LISE étoit née avec un coeur fincere ,
une ame fenfible , un caractere heureux ;
mais furtout avec un efprit facile & naturel.
Elle avoit dans un degré éminent ce
goût pour les fciences qu'ont affez ordinairement
les perfonnes de fon fexe , qu'on
éteint en elles , en les éloignant de tout ce
qui pourroit leur en faciliter l'étude , &
leur en faire fentir les agrémens.
Le hazard fervit Life. Un frere , l'idole
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
de fa maiſon , étoit élevé par des Maîtres
habiles. La tendreffe qu'on avoit pour lui
empêchoit qu'on ne le confiât à des mains
étrangeres. L'exemple des Princes même
ne put déterminer le Marquis de *** à
mettre fon fils au College.
Pour exciter l'émulation de ce jeune
éleve , Léandre enfant de condition du
voifinage , qui profitoit auffi de l'éducation
domestique qu'on donnoit à fon aîné ,
venoit fouvent étudier & difputer avec le
jeune Marquis . Il avoit à peine neuf ans.
Life en avoit fept , & je ne fçais par quel
instinct , par quelle union de caractere
Léandre & Life aimoient déja à fe trouver
enfemble .
Le plaifir d'être avec Léandre , plus encore
peut- être que celui de partager fes
Occupations , entraîna Life à imiter les
études de fon frere , à répéter quelquesunes
de fes leçons , on s'en amufa quelque
temps. La chofe devint férieufe. On vit
que Life réuffiffoit. On la laiffa continuer.
Elle fe livra à fon goût naiffant , & fit
bientôt des progrès rapides . Elle paſſoit &
Léandre & fon frere.
La liaiſon qui fe trouvoit tout naturellement
entr'elle & ce jeune homme , ne
déplaifoit point. Léandre étoit de qualité ,
je l'ai dit . Il devoit avoir du bien. On
JUIN. 1758. 9
voyoit aifément qu'ils fe plaifoient l'un à
l'autre. Les deux familles fembloient fouhaiter
cette alliance. L'âge feul la faifoit
différer.
Après les premieres études , Léandre
alla faire fes exercices. Life fut mife au
Couvent. Sa modeftie égaloit fes talens.
A l'exception de quelques amies de confiance
qui la trouvoient fur fes livres , &
à qui elle ne pouvoit dérober fon application
à l'étude , on n'imaginoit pas dans
fon Couvent qu'elle fçût autre chofe que
coudre , filer au rouet & broder ; & comme
elle n'avoit pas la même hardieffe que fes
compagnes à parler fans ceffe , à décider
de tout , & à trancher net fur quelque fujet
qui fe préfentât , elle paffoit pour un
efprit borné , & on l'appelloit ordinairement
la bonne Life , tant la modeſtie eft
compagne du fçavoir .
On acheta à Léandre en vue de cette
alliance une charge de magiftrature diftinguée.
Son aîné étoit au fervice , ainſi que
le frere de Life. Ce dernier obtint un Régiment
. Il s'y faifoit honneur. On l'attendoit
à la fin de la campagne pour conclure
le mariage de fa foeur , lorfqu'on apprit
qu'il venoit d'être tué à la tête de fa troupe
la célebre bataille de Fontenoi .
Cette mort changeoit la fortune de Life.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Elle devenoit héritiere de tous les biens
d'une grande maiſon . Quelqu'eftime ,
quelqu'amitié que le Marquis fon pere ,
eût pour Léandre , il penfa à une autre
alliance. Le Comte de *** , fans être de
la même maiſon , portoit le même nom ,
avoit les mêmes armes : il n'en fallut
pas
davantage au Marquis pour rechercher ce
mariage.
Le moindre Gentilhomme de Province
veut conferver fon nom ; il en eft peu qui
ne le croie lié à la gloire & à la fortune
de l'état. Les grands Seigneurs ont cette
paffion & cette idée bien plus vive encore.
C'eft une folie , mais elle tient à une infinité
d'avantages . Eh ! fi l'on ôtoit de l'uni
vers toutes les folies qui le gouvernent ,
qu'y refteroit-il ?
Enfin pour foutenir fon nom & fa maifon
, le Marquis de *** rechercha le
Comte du même nom pour fa fille. Ce
dernier n'avoit point de bien. Le Marquis
manquoit de parole à Léandre : il forçoit
le goût de fa fille. Il s'expofoit à la voir
malheureuſe. Son nom le touchoit plus
que tout cela. Les hommes font plaifans, dit
M. de Fontenelle, ils ne peuvent fe dérober
à la mort , & ils tâchent de lui dérober
deux ou trois fyllabes qui leur appartiennent
; voilà une belle chicanne qu'ils s'aviJUI
N. 1758. II
fent de lui faire. Ne vaudroit-il pas mieux
qu'ils confentiffent de bonne grace à mourir
eux & leurs noms.
Le Marquis ne philofopha pas tant.
L'amour du fien le fit paffer pardeffus tout.
Life fut facrifiée. Elle ne put fe défendre
contre la volonté d'un pere abfolu.
Léandre continua à la voir après fon
mariage. Ils lifoient enſemble. Le même
commerce d'efprit fubfiftoit entr'eux . Ils
paffoient des jours charmans. Life eftimoir
fon mari , & lui étoit même attachée. Le
Comte admiroit fon époufe , & l'aimoit
tendrement. Léandre pour jouir tout entier
du plaifir de l'étude , & de cet heureux
loifir qui fait le bonheur du fage & de
cette fociété , s'étoit défait de la charge
qu'il n'avoit pris que pour fe donner un
état , & époufer Life. La félicité de ces
trois perfonnes étoit parfaite.
Quelques difcours déplacés la troublerent.
Le Comte effuya des plaifanteries
fur le goût de fon époufe. On la difoit
plus décidée pour le Sçavant que pour la
fcience. Il ne put tenir long - temps. Le
véritable amour n'eft jamais fans jaloufie.
Mais une jaloufie fans fujet & fans raifon
eft le martyre des Amans. C'eft le délire ,
c'eft la fievre de l'amour.
Life , fans avoir de paffion pour fon
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
époux , avoit le coeur trop bien placé pour
le rendre malheureux . A la vérité , elle
avoit donné occafion aux foupçons . Léandre
ne pouvoit vivre fans Life. Life penfoit
& agiffoit comme lui. Ils le témoignoient
affez. Ils cherchoient la folitude.
Les ennuyeux les fatiguoient . Ils évitoient
les conteurs de nouvelles , les difeurs de
rien , les mauvais plaifans. Ils fuyoient
enfin ce que le grand monde recherche ,
les cercles nombreux , où l'on tue le temps
par des difcours inutiles , où l'on parle
toujours fans rien dire. Ils n'avoient aucun
goût pour le jeu . Si quelqu'un d'un
efprit éclairé , d'une converfation intéreffante
, fe joignoit à eux , ils étoient enchantés
, ils le recherchoient ; & s'ils fe
trouvoient fouvent feuls , c'eſt qu'ils trouvoient
peu de perfonnes pour mettre en
tiers dans leur converfation . Qu'on n'imagine
ici ni fatuité , ni pédanterie , on fe
tromperoit. Life & Léandre fe prêtoient à
out fans affectation . Ils fçavoient dévorer
l'ennui qu'on trouve à chaque pas , lorfque
la décence l'exigeoit. Mais ils l'évitoient
autant qu'il leur étoit poffible.
Je l'ai dit , quelques plaifanteries rendirent
cette conduite fufpecte au Comte.
Il parla à Life. Life ne balança pas à rompre
avec Léandre. Elle connoiffoit le fond
JUIN. 1758. 13
'de fon coeur & fa maniere de penfer. Elle
lui dit clairement la chofe : elle lui fit
goûter fes raiſons. Ils cefferent de fe voir.
La jaloufie eft un mal qui ne fe guérit
guere. Le Comte feignit d'être tranquille.
Il auroit dû l'être. Que pouvoit- il exiger
de plus ? Léandre évitoit jufqu'aux fociétés
où Life fe trouvoit ; & à peine fe permettoit-
il chez le Comte les vifites d'une bienféance
indifpenfable . Trois ans s'écoule
rent dans cette gêne. Le Comte auroit dû
s'occuper d'autre chofe que de fes foupçons.
Le bien de Life lui étoit difputé .
Son pere étoit mort. Certains droits d'une
fubftitution fort litigieufe étoient prétendus
par un proche parent. Ce procès étoit
de la derniere importance. Si le Comte le
perdoit , il ne lui reftoit rien des grands
biens que Life lui avoit apportés. A peine
les fiens fuffifoient pour payer les frais
d'une affaire auffi importante. Il en étoit
inquiet , mais moins que des liaifons fécrettes
qu'il foupçonnoit toujours entre
Léandre & fon époufe . Elle étoit à la campagne
depuis quelques mois . Pendant fon
abfence , il faifoit travailler à la ville à des
réparations confidérables , ou plutôt il
étoit tout occupé du deffein d'éclaircir fes
foupçons. Il fit pratiquer une porte dérobée
, qui donnoit de ſon cabinet dans l'ap14
MERCURE DE FRANCE.
partement de fon époufe . Il l'avoit placée
de façon , & fi bien ménagée , que fans
qu'on pût l'appercevoir ni s'en douter , il
pouvoit tout voir & tout entendre dans la
chambre. Dès qu'il eût ainfi difpofé la
chofe , il envoya fon équipage à Life , la
pria de revenir en hâte , lui dit à ſon arri
vée que fon procès étoit perdu . Il avoit
répandu cette nouvelle en ville , & avoit
pouffé la feinte auffi loin qu'elle peut aller.
Il ajouta à fon époufe que pour arrêter la
vivacité de fa partie & les frais , il partoit
pour la ville du Parlement , où elle avoit
été jugée , & feroit abfent plufieurs jours.
Deux Laquais , qui couroient avec lui ,
étoient partis . La chaife étoit prête : il
étoit encore grand matin . Il fait fes adieux
à fon épouse ; & en fortant de l'apparte
ment , il donne ordre fécrétement à un
valet- de- chambre , qui lui étoit affidé ,
de
monter à fa place. Il le charge de lettres
qu'il dit preffées , & lui défend de revenir
fans avoir réponſe poſitive . Il écrivoit à
un ami de le retenir quinze jours. Tout
ainfi difpofé , il court à fon embufcade.
Son impatience fut bientôt fatisfaite. A
peine le jour étoit -il levé , qu'il entendit
un des gens de Léandre qui demandoit à
Madame , de la part de fon Maître , la
permiffion de la voir, Life étoit au lit , &
JUIN. 1758. IS
répondoit déja qu'elle ne vouloit voir
perfonne. Lorfque Léandre lui -même entra
, le Comte l'entendit : il ne fe pofféda
plus il vouloit prendre une vengeance
éclatante de fa perfide époufe & du traître
Léandre. Il cherche fes armes , s'apperçoit
avec défefpoir qu'elles lui manquent , &
qu'il les a oubliées. Cet inftant lui donna
le temps de la réflexion . Il revient , il fe
place , il écoute. Je viens , Madame , dit
Léandre , d'apprendre une nouvelle , à laquelle
vous ne doutez pas que je ne fois
bien fenfible. Il y a trois ans que nous
nous évitons. Je veux continuer à le faire .
Vos defits font des ordres pour moi ; & je
mourrois de vous caufer la moindre peine ,
ou à l'époux que vous aimez . Mais permettez
que la féparation que nous nous
fommes prefcrite , n'éteigne pas l'amitié
dans nos coeurs . Si j'avois cru trouver
quelqu'autre que vous capable de garder
mon fecret , je vous aurois fait paffer par
des mains étrangeres cette bourfe de deux
mille livres que je vous préfente.
Ce n'eft point un don , parce que vous
ne l'accepteriez pas. Je vous les prête. Je
fçais l'acharnement de votre partie . On
trouve peu d'amis quand la fortune paroît
s'éloigner. J'ai cru vous faire plaifir en
cette occafion. Vous direz à M. le Comte ,
16 MERCURE DE FRANCE.
\
fi vous le jugez à propos , la main d'où
vous tenez cet argent ; mais affurez - le
qu'il eft à lui , & qu'il ne le rendra qu'à
fa commodité. Adieu , Madame , voilà la
premiere fois que je vous parle depuis que
vous m'avez fait goûter les raifons de ne
point nous voir. Voilà , felon les apparences
, la derniere.
Léandre fe retiroit , & laiffoit Life à
peine remiſe de la ſurpriſe de cette vifite ,
& étonnée de ce procédé. Le Comte n'étoit
plus à lui-même , toute fa fureur s'étoit
changée en admiration , & en ſentimens
de reconnoiffance pour un ami fi
généreux. A peine eut-il la force d'ouvrir
la porte qu'il avoit pratiquée. Il appelle
Léandre , qui ne fçait que croire de cette
voix , & qui balançoit à retourner fur fes
pas. Un cri que jette Life , éperdue à la vue
de fon époux , termine l'incertitude de
Léandre. Il rentre : il voit le Comte aux
genoux de Life appuyé ſur ſon lit , mouillant
une main de fes larmes , ne pouvant
proférer que quelques mots entrecoupés ;
Life dans une fituation & un effroi qui
approchoit de l'évanouiffement. Léandre
n'étant plus à lui - même , ne fçait que
penfer.
Enfin le Comte fe remettant un peu :
Je viens expier mes foupçons à vos pieds.
JUIN. 1758. 17
O très -aimable Life ! dit - il. Léandre , fuisje
digne d'entrer dans une amitié auffi
pure & auffi généreufe que celle qui anime
vos deux coeurs ! ...
Le Comte leur dit comme il venoit de
tout entendre. Il leur conta fes foupçons
les moyens qu'il avoit pris pour les éclaircir
; fa rage , fon défefpoir ; enfin fon
admiration pour la générofité d'un ami tel
que lui , & pour une époufe auffi eftimable.
Aimez moi , Léandre , lui dit- il . Mon
procès n'eft point perdu ; & pour vous
montrer comme je veux vivre avec vous ,
partons enfemble ; venez folliciter avec
moi . Ils partirent , & revinrent après avoir
gagné cette affaire importante.
Rien ne fut égal à l'amitié qui régna
depuis entre ces trois perfonnes.
J'arrivois comme le Comte lui- même
racontoit cette hiftoire à un ami. Vous
êtes jaloux , lui difoit- il , n'en croyez que
vos yeux. Je le priai de recommencer ce
récit en ma faveur . Il le fit , & me permit
de ne le point taire . Il vouloit même que
je nommaffe les mafques. Mais quand les
noms y feroient , la fingularité de ce fait
auroit peine peut - être à trouver créance
au loin , & perfonne ne l'ignore dans le
pays où elle s'eft paffée.
Par le Montagnard des Pyrénées.
18 MERCURE DE FRANCE
•
ÉPITRE
A Madame de P...:
POURQUOr , laiffant dans l'oubli d'un village ;
Aminte , fuir les beaux jours de votre âge ,
Enfevelir vos innocens attraits ?
Quoi donc le Sage à l'ombre des forêts
Va-t'il chercher la raifon qui l'éclaire ?
Tantôt errant dans un bois folitaire ,
Et vous riant des fonges de la Cour
Vous préférez un champêtre féjour
A ces palais , que l'oifive molleffe
D'un Grand épris de fa vaine nobleffe ;
Fait enrichir de meubles fomptueux.
Tantôt avec un ami vertueux ,
Vous enchantez par une fage étude
L'heureux loifir de votre folitude.
Dans ces beaux lieux la douce liberté ,
A la faveur de votre obſcurité ,
File toujours vos jours purs & tranquilles.
La liberté fuit le fafte des villes.
O! que ne puis-je en des bocages frais
Goûter encor les charmes de la paix !
Jours fortunés , où , dans l'indépendance
D'une commode & paifible indolence ,
Je me plaifois dans des fentiers fleuris
A promener mes volages efprits !
JUI N. 1758. 19
Adieu , beau parc , adieu , fombres allées ,
Calme profond des riantes vallées ;
Adieu , doux chants des innocens oiſeaux ,
Ombres des bois , délicieux côteaux :
Je n'irai plus fur l'émail des prairies
Entretenir mes libres rêveries.
La dure loi de la néceffité
M'arrache , hélas ! d'un féjour enchanté.
Je vais languir dans ces manoirs horribles ,
Où les ennuis & les travaux pénibles ,
A la vertu forment nos foibles coeurs
Contre l'attrait des plaifirs corrupteurs.
Ciel dans les fers de la mifanthropie
Je vis long-temps mon ame enfevelie :
Je crus qu'alors dans fa muette horreur ,
Mon coeur alloit fe brifer de douleur.
L'Oiseau captif regrette le bocage ,
Où voltigeant fous un épais feuillage ,
Il fe plaifoit à chanter fes amours ;
Tel dans l'ennui qui noircit mes beaux jours ,
Mon coeur épris d'agréables menfonges ,
M'emporte encor fur les aîles des fonges
Vers les plaifirs de votre heureux château.
Aimable Aminte , en mon féjour nouveau
Ne croyez pas qu'au matin de ma vie
Je m'abandonne à la mélancolie.
Quoi ! je pourrois me rendre malheureux
Par les ennuis d'un féjour odieux ?
Semant de fleurs fa plus pénible voie ,
"
20 MERCURE DE FRANCE.
Le fage fçait d'une innocente joie
Trouver partout le folide bonheur ,
L'erreur des fens ne peut troubler ſon coeur
{ Ainfi charmant ma trifte folitude
Par les douceurs d'une facile étude ,
Et m'en faisant un noble amuſement ,
Je vais pour vous rimer en badinant
Sur le tableau de mon noir domicile.
Sous un ciel dur , dans un fauvage aſyle ,'
Que les Normands inondent en tout temps ;
Loin des plaifirs & de tous agrémens ,
Je vis au haut d'un quatrieme étage ,
Dans le réduit du plus pauvre hermitage.
Là, relégué tous les jours , je pâlis
A pénétrer dans les profonds écrits
De nos Docteurs fur la théologie.
Là , quelquefois l'aimable poéfie ,
Contre l'ennui mon unique plaifir ,
Vient m'amufer aux heures du loifir.
Enfin j'y joins le glorieux mérite
De m'éclairer & de vivre en hermite ;
Un gîte étroit , des lits peu délicats ,
De longs travaux & de très - courts repas ,
Des mets groffiers , & beaucoup d'eau rougie ;
Tel eft le train de notre obfcure vie.
Heureux encor fi , pour charmer nos maux ,
On nous laiffoit un paifible repos.
Hélas ! tandis que ma lampe allumée ,
Luit en fecret dans ma niche fermée ,
JUI N. 1758.
Et que je veille à vous rimer des vers ;
Quels cris troublans le filence des airs ;
Ont diffipé l'illufion chérie ,
Où s'égaroit ma tendre rêverie ?
C'eſt un Caron , noir enfant de la nuit ,
Qui dans ce lieu , pour ramener le bruit ;
forti , je crois , des rives du Cocite ,
Au fon perçant d'une cloche maudite ,
Vient tous les jours m'arracher au fommeil
Long-temps avant le lever du foleil.
En ce moment je finis , chere Aminte :
Vous le fçavez les fers de la contrainte
M'ont enchaîné dans des devoirs gênants!
Trop occupé pour rimer plus long-temps,
Je vous fouhaite une fanté Aleurie ,
Et le long cours d'une agréable vie ;
Juſqu'à l'automne , où brifant mes liens ,
Pirai jouir de vos doux entretiens.
POTET.
LETTRE du P. Barre , Chanoine Régu
lier de l'Abbaye de Sainte Genevieve ;
Chancelier de l'Univerfué de Paris , fur
- les Portraits hiftoriques.
Un portrait hiftorique eſt le tableau des
vertus & des vices du perfonnage que
l'on veut repréſenter ; le peindre au natu22
MERCURE DE FRANCE.
rel , n'eft pas une chofe ordinaire : il eft rare
qu'il n'échappe au peintre des défauts , qui
ne donnent prife à la critique , & qui ne
faffent au moins douter de la fidélité ou
de l'exactitude de fon pinceau.
d'un
M. de la Mothe trouve les portraits
d'Homere chargés de minuties ; Longin y
remarquoit des ombres , mais il les croyoit
néceffaires pour en relever les beautés.
Tacite eft un grand peintre , dit M. de la
Bletterie , s'il peint en raccourci , fes traits
n'en font que plus vifs & plus frappans ...
Il étoit feul capable d'écrire le regne
Prince artificieux tel que Tibere , & de fonder
les replis de ce coeur impénétrable ( 1 ) .
"Tacite paroît à d'autres Connoiffeurs
» trop fubtil dans fes caracteres : il ne voit
» que du myftere dans les actions les plus
» communes : Tibere n'y eft jamais au
» naturel ; il ne fait point fans deffeins les
actions les plus ordinaires ; fon repos n'y
» eft jamais fans une conféquence qui intéreffe
l'Etat , & fes moindres mouve
mens n'embraffent que des menées. »
Quelle figure fait dans les Hiftoriens
du onzieme & du douzieme fiecle Guillaume
Duc de Normandie , le conquérant
de la Grande Bretagne ! C'étoit un Dien ,
( 1 ) Mêlanges de poćfies & d'éloquence , édifi
$700
JUI N.
23 .
1758.
felon les Normans , & un Diable , felon les
Anglois. A ces traits fi exagérés , qui ne
voit les préjugés de deux Nations ennemies
!
Luitprand , Auteur du dixieme fiecle ,
nous repréfente les Grecs de fon temps ,
comme des hommes fans foi , fans courage ,
fans honneur. Luitprand étoit Italien , &
les Italiens avoient les Grecs en horreur.
Paul Jove , Guichardin & Fra - Paolo
s'imaginent bien connoître Léon X. Néanmoins
ils s'expriment fi diverſement fur
fon caractere , que Céfar , Caton , Augufte
ne font pas entr'eux plus différens
de moeurs , que ce Pape l'eft dans ces Hiftoriens.
Pour donner le véritable caractere d'un
homme célebre , il faut avoir des idées
nettes de fes bonnes & de fes mauvaiſes
qualités. Il y a des vices qui prennent la
couleur des vertus : la témérité reffemble
par quelques traits au courage , la profufion
à la libéralité , la lenteur à la prudence
, l'obftination à la fermeté ; leur voifinage
cache leur différence ; leur apparence
trompe , elle éblouit , & un Prince perd
fon caractere fous le pinceau & la plume
d'un Ecrivain fuperficiel.
D'autres Auteurs attribuent à leur Héros
une vertu ou un vice , non parce qu'ils
24 MERCURE DE FRANCE.
croient l'appercevoir en lui ; mais ils ne
veulent pas perdre une expreffion ingénieuſe
: c'eſt une antitheſe , un jeu de
mots , un colifichet dont ils font jaloux.
Ils font dans leurs deſcriptions , dit le P.
Bouhours , ce que les Goths étoient pour l'architecture
: ces Barbares incapables d'arriver
à la noblefimplicité des Grecs & des Romains,
croyoient y fuppléer par les extravagances de
leur imagination.
D'ailleurs le foin trop fcrupuleux de ne
laiffer aucun défaut à un perfonnage , fait
au moins douter de la reffemblance de fon
portrait : fi le Héros en profite , la vérité
peut en fouffrir. La plupart des Hiftoriens
repréſentent Charlemagne comme un Monarque
accompli ; mais il étoit ambitieux ,
il étoit guerrier : un Prince de ce caractere
n'eft pas toujours un exact obfervateur de
la juftice. « ( 1 ) Tout bon qu'étoit Charlemagne
, dit M. le Gendre , il étoit quelquefois
fi colere , qu'irrité contre les
» Saxons fouvent rebelles , il en fit décoller
quatre mille cinq cens en un jour :
» exécution épouvantable , qui marque
» bien autant de férocité dans le juge , que
» de crime dans les coupables . »
99
Il eft prefqu'impoffible de trouver tous
(1) Moeurs des François , p. 74 , édit. in- 12.
les
JUI N. 1758. 25
les genres de mérite raffemblés dans un
même fujet. ( 1 ) Un Auteur qui les réuniroit
pour en faire un caractere particulier ,
imiteroit le burlefque de ce peintre , qui
fit un portrait extravagant d'une Hélene ,
qu'il vouloit repréſenter parfaitement belle
; il s'avifa de lui donner toutes les beau
tés qu'on peut imaginer , & fit une figure
ridicule , femblable à celle que décrit Horace
dans fon Art poétique .
Un Auteur juge fouvent du mérite d'un
Prince par le fuccès de fes entrepriſes . Ses
armes font- elles heureuſes ? c'eft un grand
Capitaine , la juftice eft de fon côté.
Eprouve-t'il quelques revers de la fortune ?
on blâme fon entrepriſe , on oublie fes
talens pour la guerre . Eudes , Duc d'Aquitaine
, deſcendant de Clovis , petit fils de
Charibert , Roi de Touloufe , s'oppofe
aux entrepriſes de Charle- Martel ; il défend
la couronne de fes Ancêtres contre
un Maire ufurpateur ; il perd deux batailles
; l'hiſtoire (2 ) en conféquence le déclare
rébele , ou elle en fait un Aventurier.
Endes nous paroîtroit Grand , dit le fçavant
& le judicieux D. Vaiffete , s'il avoit en le
bonheur & les panegyriftes de Charle-Martel.
(1 ) Saint-Evremont , de la vérité & la fauffeté
des Ouvrages d'efprit.
(2) Hift. de Lang. t . I , p. 400.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
il
On ignore pourquoi Louis V eft caractérifé
fainéant : ce Prince n'a régné qu'un
an environ. Pendant un regne fi court ,
affiége Rheims , s'en rend maître , & fe
prépare à marcher au fecours du Comte de
Barcelone contre les Sarrazins : il meurt
empoisonné , à l'âge de vingt ans , les armes
, pour ainfi dire , à la main. L'hiftoire
raconte ces faits , & ne ceffe de furnommer
fainéant , le jeune Prince à qui elle les attribue
. Quelle contradiction ! quelle injustice
!
des Les Médailles ne font pas toujours
modeles à propofer pour repréfentér le caractere
des EmpereursRomains . M.Vaillant
en rapporte plus de cinquante frappées par
les Colonies en l'honneur d'Héliogabale,
Caracalla en comptoit un plus grand nom
bre , qui lui donnoient les titres les plus
flatteurs. Commode fut nommé Pieux ,
Débonnaire , Pere de la Patrie , par
par le Sénat
Romain .
Magni fapè viri mendacia magna loquuntur.
Le fçavant Léibnitz fouhaitoit qu'une
main habile ( 1 ) s'appliquât à réformer les
portraits exagérés à tous égards , & qu'elle
les rapprochat de leurs originaux, Comme
(1 ) Lettre à M. de la Bruyere.
JUIN. 1758. 27
ce travail pouvoit devenir immenfe par la
multitude des caracteres qu'il falloit corriger
, il confeilloit de s'attacher feulement
à retoucher ou à refaire les portraits des
grands hommes les plus célebres , que la
Aatterie , ou la calomnie & l'ignorance
ont défigurés. Une entrepriſe fi glorieufe
fut propofée à M. de la Bruyere , qui en
fentit d'abord toutes les difficultés. Il ne
voyoit que de loin les anciens Héros. En
effet , leurs actions , leurs moeurs , comme
les objets de la vue , fe perdent dans un
grand éloignement ; leur antiquité n'offre
guere que des ruines , & ces débris de leur
hiftoire ne font affez fouvent connus que
fur la parole des Auteurs , dont la plume a
été conduite par le préjugé , ou par l'ignorance.
Ces obftacles ne rebuterent point M.
de la Bruyere ; il commença par dreffer le
plan de fon Ouvrage ; mais la mort arrivée
en 1696 , ravit au Public l'efpérance de le
voir exécuté. C'eft une ébauche d'Apelle :
quel Peintre ofera la finir ?
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
EP ITR E.
EGLÉ , loin de brifer ma chaîne ;
Chaque inftant va ferrer mes noeuds ;
Je vais au charme qui m'entraîne
Céder fans être malheureux.
Quoique d'une vaine eſpérance
L'Amour n'ofe plus me flatter ,
Le prix qu'il met ma conftance
Eft affez doux pour m'arrêter .
Heureux de voir briller fa flamme ,
Sans qu'elle faffe mon tourment !
Ce Dieu n'éteint point dans mon ame
Les defirs & le fentiment .
Mais fur mes défauts il m'éclaire.
Toujours trop prompt à t'allarmer :
Frémis , dit - il , de lui déplaire :
Que tu connois peu l'art d'aimer !
On n'excufe plus à ton âge
Les tranſports des jeunes Amans :
Il fied mal d'avoir leur langage ,
Quand on n'a plus leurs agrémens,
Ridicule dans fon délire ,
Trop pefant s'il eft férieux ,
JUI N. 1758 . 29
Un Philofophe qui foupire
Devient aisément ennuyeux.
Un rien l'émeut ou l'embarraffe :
Il veut tout prévoir , tout parer ;
Mais il ne fait rien avec grace ,
L'efprit ne fert qu'à l'égarer.
C'eft ainfi que l'Amour lui- même
Vient de m'arracher fon bandeau ;
Mais je vois toujours ce que j'aime,
A la lueur de fon flambeau.
D'une illufion trop charmante ,
Je ne veux bannir que l'erreur :
Belle Eglé , tout ce qui m'enchante
Ne fortira point de mon coeur.
Cacher mon trouble & ma foibleffe ,
Si vous formez quelque lien :
Vous voir , vous écouter fans ceffe ,
Vous aimer fans exiger rien.
Quand le matin dans la prairie ,
Je vais pour vous cueillir des fleurs ,
Dans une douce rêverie ,
Si mes
yeux fe couvrent de pleurs.
Avoir foin d'effacer leurs traces
Pour me trouver à ce réveil :
Qu'Hebé , les Amours & les Graces
Parent après un doux ſommeil.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE:
Dans vos yeux n'avoir l'air de lire
Que tout ce qu'un efprit divin
Pour nous éclairer vous inſpire
Et n'y plus chercher mon deftin.
Bannir la douleur qui m'accable ,
Plaifanter fans en abuſer ;
Ne prétendre à paroître aimable
Qu'autant qu'il faut pour amufer.
Belle Eglé , tel eft le ſyſtême
Que je vais fuivre dès ce jour :
Auprès de vous la raiſon même
Dicte les leçons de l'Amour.
DERNIERE fuite fur M. de Fontenelle ,
par M. Abbé Trublet , contenant des
corrections & des additions aux articles
précédens.
MERCURE de
Septembre 1757 .
I. Dans ce Mercure , page 37 & fuivantes
, j'ai parlé du poëme préſenté à
l'Académie françoiſe pour le prix de poéfie
de 1687 , fur le foin que le Roi prend de
l'éducation de la nobleſſe dans fes places & à
Saint Cyr , & j'ai dit que je la ſoupçonnois
de M. de Fontenelle. J'en ai depuis
JUIN. 1758 . 31
trouvé la preuve dans l'hiftoire des ouvrages
des Sçavans par M. Bafnage de Beauval
( j'ai déja cité plus d'une fois ce journal
) , Septembre 1687 , article 14 tome 1
page 1 3 2. Le Journaliſte dit qu'on lui écrit
de Paris , que M. de Fontenelle a remporté
le prix de l'Académie françoife pour la profe
, ( c'eft fon difcours fur la patience ) , &
qu'il a eu le premier acceffit pour les vers ;
que Mlle. Deshoulieres a eu le prix ; que
quelques - uns ont prétendu qu'il y avoit en un
peu de faveur dans ce jugement , mais que
M. de F. auffi galant qu'il l'eft , n'a pas
befoin de raifons pour fe confoler de cette préference,
& même que fi l'ouvrage de Mlle.
Deshoulieres avoit en befoin d'une galanterie
, M. de F. auroit laiſſe volontiers quelques
négligences dans le fien , pour laiffer à
cette jeune Muſe le plaifir de la victoire ; que
d'autres ont infinué que Madame Deshoulieres
avoitfait elle même la piece , mais que
c'est fans doute une médifance , & c.
J'avois fait moi- même toutes ces conjectures
dans le Mercure de Septembre , quoique
perfonne ne m'eût jamais dit que ce
poëme fût de M. de F. , & que je n'euffe été
amené à le foupçonner , que parce que je le
trouvai dans le recueil intitulé le Portefeuille
, &c. entre deux autres piéces du même
Auteur , & qu'ayant lu celle- ci par
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
occafion , car je ne l'avois jamais lue dans
le recueil de l'Académie , je fus frappé de
la reffemblance du ftyle. Quelques jours
après , je fis part de ma conjecture à quelques
gens de lettres , & leur lus quelques
morceaux de ce poëme. Ils convinrent de
cette reffemblance. M. Boullier ayant lu le
Mercure de Septembre , m'écrivit le 4
Octobre que j'avois bien deviné , & m'indiqua
le Journal de M. de Beauval.
Celui- ci dans la fuite de fon article ,
loue M. de F. de pofféder dans la profe &
dans la poéfie , deux talens prefque incompatibles
; le feu , ajoute - t'il , qui fait
les bons Poëtes , & le jugement fi néceſſaire
pour la profe. On peut bien juger , pourfuitil
, qu'il n'échappera pas à Mrs. de l'Académie
françoife , & le feul défaut qui fera
dans leur choix , eft de ne l'avoir pas fait
plutôt.
M. de B. ajoute une chofe comme ayant
été écrite de Paris en Hollande , mais qui
n'avoit pu l'être que par quelqu'un bien
mal inftruit ; & c'eſt que , pour faire à M.
de F. une espece de réparation de ne l'avoir
pas encore élu , Mrs. de l'Académie lui
avoient accordé la furvivance de la premiere
place qui vaqueroit .
Ce n'eft point là l'ufage de cette Compagnie.
Elle l'a pourtant fait une fois en
JUI N. 1758. 33
faveur de M. Peliffos , après qu'il eut publié
fon hiftoire de l'Académie françoife. Il
fut reçu furnuméraire , avec l'affurance de
la premiere place vacante, qu'il remplit en
effet ; en forte qu'il fut reçu deux fois , &
prononça deux remerciemens .
Dans le fecond tome du même Journal ,
Février 1688 page 286 , l'anecdote du
poëme de M. de F. pour le prix de 1687
eft confirmée par des vers de Ménage
adreffés à Mlle. Deshoulieres , fur le prix
remporté par elle , concurremment avec Mrs.
de Fontenelle & Duperrier , qui y font
nommés . Voici ces vers :
Hulleria virgo in certamine Poëtarum viðtrix.
Ad Paulum Peliffonem , Magiftrum Libellorum
Supplicum.
Pramia , qui meliùs celebrarent carmine Magnum ,
Obtuleras doctis , docte Peliffo , viris.
Certatim ecce tibi vatum lectiffima turba
Magnanimum Regem , regia bella canunt.
Fontanelle canis , noftri nova gloria Pindi :
Et tu, Pereri , carmine utroque potens.
Hulleria ipfa viris audet concurrere virgo ;
Hulleria , Franca gloria Calliopes.
Et toto coetu certantum judice , viðtrix
Effigiem Magni , pramia magna , refert.
Et decuit , Musa prognatam principe Nymphen,
Mortales doctis vincere carminibus.
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
II. J'ai dit dans le premier volume du
Mercure d'Avril de cette année page 54 ,
qu'on attribuoit à Racine les couplets que
j'y ai rapportés , fur la réception de M.
de F. à l'Académie françoife. J'ai fçu de-'
puis , qu'on les attribuoit auffi à Mlle.
Deshoulieres , aidée fans doute par fa mere ,
& ce qu'on vient de lire au fujet de la victoire
de cette Demoiſelle fur M. de F.
rend cette conjecture affez vraisemblable.
Peut-être , à cette occafion , fe paffa- t- il
quelque chofe dont la mere & la fille furent
bleffées. Elles parent du moins l'être
de ce que je viens de citer du journal de
M. de Beauval ; croire même que M. de
F. y avoit quelque part , & dès- lors devenir
fes ennemies.
On fçait que Madame Deshoulieres l'étoit
de Racine & de Despréaux , & l'on connoît
les fonnets qui fe firent de part &
d'autre à l'occafion de la Phedre de Racine
& de celle de Pradon . Il étoit donc affez
naturel que Madame Deshoulieres & M. de
Fontenelle fuffent amis , puifqu'ils avoient
les mêmes ennemis en la perfonne de Racine
& de Defpreaux. Cependant M. de F.
m'a dit qu'il n'avoit point eu de liaiſon
particuliere avec Mad. Deshoulieres ; mais
il ne m'a jamais parlé des couplets ſur fa
réception à l'Académie , au lieu qu'il l'a
JUIN. 1758. 35
fouvent fait de ceux de Racine fur Afpar
quoique beaucoup plus malins. En général
, M. de F. parloit affez volontiers de
l'inimitié que Defpréaux & Racine avoient
pour lui , & il en contoit plufieurs traits.
Il m'a dit de plus , que le Pere Bouhours
avoit offert de le racommoder avec eux ,
& qu'il l'avoit remercié Ce refus ne leur
fait pas d'honneur auprès de ceux qui ont
bien connu M. de F. Pacifique , fagé ,
politique même , fi l'on veut , il ne fe fût
pas refufé à une réconciliation qu'il eût
cru fincére .
30
Le P. Boubours a loué M. de F. dans fa
maniere de bienpenfer dans les ouvrages d'efprit
. Parlant page 188 , de quelques petits
ouvrages , parmi lefquels il nomme les
nouveaux dialogues des morts ; il dit : & Ces
petus ouvrages ont un carattere très fpiri-
» tuel & très agréable. » ( Voyez encore la
table des matieres , au mot dialogne, ) Le
pere B. devoit eftimer beaucoup M. de
F. Voiture étoit l'Auteur favori de ce Jéfuite
, & fi M. de F. a quelque rapport
avec quelqu'un des Ecrivains qui l'ont
précédé , c'eft avec l'enjoué , le galant ,
Pingénieux Voiture.
M. de F. a loué auffi le P. Bouhours ,
& notamment celui de fes ouvrages que je
viens de citer. C'est dans fon difcours fur
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
ود
l'églogue. « L'Auteur , dit- il , de l'agréable
" livre de la maniere de bien penſer dans
les ouvrages d'efprit , condamne la Silvie
» du Taffe , qui , en fe mirant dans une
»fontaine , & en fe mettant des fleurs ,
» leur dit qu'elle ne les porte pas pour fe
" parer , mais pour leur faire honte. Il
trouve la penfée trop recherchée , &
»trop peu naturelle pour une bergere , &
≫ on ne peut fe difpenfer de foufcrire à ce
jugement qui part d'un goût fort déli- "3
» cat. »
Mais il faut tout dire. Cette louange ,
que ce jugement partoit d'un goût fort délicat
, & l'épithete d'agréable , donnée au
livre de la maniere de bien penfer , difpa
rurent dès la troifieme édition du difcours
fur l'églogue , c'est- à - dire , après la mort
du P. Bouhours , & elles n'ont point reparues
depuis ; en forte qu'il n'eft plus refté
dans ce difcours , qu'une approbation toute
fimple & fans aucun éloge , de la cenfure
que le Pere Bouhours avoit faite de la penfée
du Taffe.
Mercure d'Octobre 1757 , 1 vol. p. 31 .
au bas.
Parlant de Mlle . d'Achy , depuis Madame
la Marquife de Mimeure , j'ai dit
que M. de F. l'avoit aimée , autant qu'il
était capable d'aimer.
JUIN. 1758. 37
Il s'eft peint lui-même à cet égard , à
l'égard de l'amour , dans ce qu'il fait dire
à Macate , dans celle de fes comédies qui
porte ce titre . Phormion , efclave de Macate
, croit fon maître amoureux de Mirtale
, niece de leur hôte Démeftrate. Macate
lui dit qu'il ne l'eft point.
« Eh que diable étes- vous donc ? Ré-
ᎬᏂ
pond Phormion ; car à la fin vous me met-
>> tez en colere ; je vous en demande pardon.
» 23
Macate.
» Mirtale eft aimable de fa figure ; fa
"converfation eft vive & amufante ; je
» me plais avec elle ; je lui dis volontiers
des chofes obligeantes , des galanteries.
Phormion.
" " Eh bien c'eft être amoureux que
» tout cela.
Macate.
" Oh que non ! fa figure me paroît ai-
>> mable , fans me tranfporter ; fa converfation
m'amufe, fans me caufer d'émotion .
»Je fuis bien aife de la voir ; mais fi j'en
manque l'occafion , je remets fans pei-
»> ne à une autre fois . Je lui dis des galan-
» teries qui ne font que des agrémens de
converfation , des chofes flatteufes qui ,
>> quoique vraies, pour la plus grande par-
"3
92
38 MERCURE DE FRANCE.
33
tie , n'ont pourtant d'autre deffein que
» de lui prouver que je puis avoir un peu
» d'efprit. Je voudrois lui paroître aima-
» ble , mais fans aucun defir férieux d'en
»être aimé.
و د
Phormion.
» Tout cela eft fubtil. Il y a donc bien
» de la façon à être amoureux ? Je ne croyois
» pas qu'il y en eût la moitié tant .
99
Macate.
»Il y en a tant , que je ne l'ai jamais
» été . Tu m'as vu vivre comme les gens
de mon âge , être dans des commerces
» de femmes , prendre les plaifirs de l'amour
; mais je n'ai point eu d'amour .
Phormion.
» Vous en avez bien pris le meilleur ,
» puifque vous en avez pris les plaiſirs ,
» A quoi diable ferviroit le refte ?
Macate.
» Il ferviroit à me remplir le coeur ,
me ravir , à m'élever au deffus de moi-
→ même. Je me fens un vuide dans l'amé
» qui commence à m'être inſupportable.
Il me manque d'aimer. »
Ici M. de F. fait tenir à Macate le langage
commun , celui des opéras & des
JUIN. 1758. 39
romans ; langage vrai néanmoins , & malheureufement
trop vrai de la part des ames
tendres & fenfibles. M. de F. étoit bien
éloigné de s'en mocquer comme M. Def
préaux, & de le trouver faux & ridicule ,
en jugeant des autres coeurs par le fien . Le
Philofophe ne tombe point dans cette mé
prife , & ne croit point qu'une maniere
d'être & de fentir foit hors de la nature ,
parce qu'il ne l'éprouvé point . Bien loin
même d'en nier la poffibilité , il en voit ,
avant toute expérience , l'exiftence & la
réalité dans la connoiffance qu'il a du coeur
humain ; mais revenons à celui de M. de
Fontenelle.
S'il n'a point fenti l'amour , l'amour
paffion , ni même aucune autre paffion ,
il les connoiffoit bien toutes ; d'où il
eft arrivé que , fi dans fes ouvrages il a
quelquefois manqué le ton du fentiment
, il n'a jamais manqué le fentiment
même ; mérite rare , même dans les Auteurs
les plus exempts du défaut reproché
à M. de F. , & cela doit être ainfi . Un
homme qui a plus de fentiment que de
lumiere eft fujet à s'égarer , dès qu'il n'a
plus le fentiment pour guide ; & , pour ré
péter l'expreffion dont je viens de me fervir
, il manque fouvent le fentiment , lorf
que le fentiment lui manque. J'en pour
40 MERCURE DE FRANCE.
rois citer plus d'un exemple parmi des
Ecrivains très-juftement célébres.
II. Madame de Forgeville m'a conté
qu'elle avoit dit un jour à M. de Fontenelle
je l'emporte autant fur vous en ſentiment
, que vous l'emportez fur moi en efprit ;
& qu'il avoit répondu : cela pourroit bien
être. Il fe connoiffoit bien lui- même , &
à tous égards , du côté de l'efprit & des
talens , auffi bien que du côté du coeur . Il
fçavoit les qualités qui lui manquoient ,
comme Ecrivain , & très- réellement il s'en
eftimoit beaucoup moins. Cependant il
n'eût pas voulu les avoir , parce qu'il fçavoit
qu'on ne les a guere qu'aux dépens
d'autres qualités plus favorables au bonheur
, & que le bonheur eft l'effentiel , eft
tour.
III. M. de F. effectif en amitié , mais
non affectueux , n'a du moins jamais cherché
à le paroître.
Dans la fociété , il étoit complaifant
par raifon plus que par caractere , indulgent
par l'un & par l'autre.
Il étoit poli fans être flatteur , quoiqu'il
dît fouvent des chofes flatteufes ; c'eft
qu'elles étoient toujours vraies.
Je ne l'ai jamais entendu donner une
louange fauffe . Il n'y a perfonne qu'on ne
puiffe louer avec vérité , il y a du bien
JUIN. 1758. 41
partout ; il ne s'agit que de le voir , &
M. de F. le voyoit , non - feulement parce
qu'il étoit éclairé , mais parce qu'il aimoit
à le voir. En effet , il voyoit mieux
le bien que le mal , qu'il auroit pourtant
bien vu s'il l'avoit voulu ; mais il en détournoit
exprès la vue. On ne le voit toujours
que trop , difoit- il , on le voit fans le
regarder , & l'on y perd. En effet , les autres
nous en plaiſent moins , & il eſt de
notre intérêt qu'ils nous plaifent.
mes ,
pas
Doux & non doucereux ; ce n'étoit
des douceurs que M. de F. difoit aux femencore
moins des fadeurs ; c'étoit
des galanteries plus ou moins fines & ingénieuſes
, felon que celles à qui il les difoit
, avoient plus ou moins d'efprit . Mais
toujours vrai dans ces galanteries mêmes
, il n'en difoit qu'aux femmes qui lui
plaifoient. C'eft de la fauffeté , & , fi cela
fe peut dire , de la banalité, que naît la fadeur
, encore plus que de la trivialité &
de la platitude .
Les galanteries font doublement banales
, lorfqu'on en dit à toutes les femmes ,
& qu'on dit les mêmes à toutes. Celles de
M. de F. avoient toujours le rapport le plus
jufte , & la convenance la plus parfaite
aux femmes qui en étoient l'objet. Il faififfoit
finement ce qui diftinguoit chacu42
MERCURE DE FRANCE.
ne d'elles , ce qui faifoit leur mérite &
leur agrément particulier , & l'exprimoit
en un mot , le peignoit d'un trait. Point
de verbiage , point de phrafes. En général
, il parloit comme il écrivoit , & n'en
parloit que plus naturellement .
La fadeur des galanteries ordinaires
vient quelquefois encore d'un faux air de
paffion . On veut paroître tendre , on n'eft
que langoureux. Celles de M. de F. infpirées
, non à la vérité , par l'amour , mais
par un goût plus ou moins vif , & non
par la feule envie de briller & de dire de
jolies chofes ; fes galanteries , dis- je ,
étoient enjouées , fans pourtant être badines
, ni un pur jeu d'efprit. Ceux qui
ont trouvé M. de F. badin & joli , lorf
qu'il n'étoit qu'enjoué & agréable , ne
connoiffoient pas les nuances , ou ne vouloient
pas les connoître , quand il s'agiffoit
de lui.
On connoît l'épigramme de Rouffeau , qui
finit par ce vers :
C'eſt le pédant le plus joli du monde.
>
M. de F. n'étoit ni pédant , ni joli ; c'ètoit
un Philofophe aimable. Mais , pour
peu que les chofes fe reffemblent , la fatyre
les confond ; c'est même en cela que
confifte principalement fon art.
JUIN. 1758 . 43
Je dirai plus : M. de F. avoit des défauts
, peut- être même des foibleffes ; mais
il n'avoit point de ridicule. Beaucoup d'efptit
& de raifon , joints à un caractere
vrai , l'en avoient fauvé.
Mais pour revenir à fes galanteries , en
voici une entre plufieurs autres , qui réunit
tous les caracteres que je leur ai attribués.
Etant un jour dans le jardin d'une maifon
où il avoit dîné , quelqu'un vint montrer
à la compagnie un petit ouvrage d'yvoire
d'un travail fi délicat , qu'on n'ofoit
le toucher , de crainte de le brifer.
Chacun l'admirant , pour moi , dit M. de
F. , je n'aime point ce qu'il faut tant refpecter.
Madame la Marquife de Flamarens
furvint tandis qu'il parloit : elle l'avoit
entendu ; il fe retourne , l'apperçoit , &
ajoute je ne dis pas cela pour vous , Madame,
>
M. de F. a été fertile en pareilles galanteries
jufques dans fes dernieres années
& l'on peut dire de lui , à bien meilleur
titre encore qu'on ne l'a dit de Benferade.
Ce bel -efprit eut des talens divers ,
Qui trouveront l'avenir pea crédule .
·
Il fut vieux & galant fans être ridicule , &c.
44 MERCURE DE FRANCE.
IV. Dans une lettre en profe & en vers
de M. de S. Hyacinthe à M. Titon du Tillet
fur fon Parnaffe , & écrite de Londres en
1728 , on trouve un éloge fort étendu de
M. de F. M. de S. H. étoit fâché que M.
du Tillet n'eût point érigé fa ftatue fur fon
Parnaffe. La vie , ajoute- t- il , ne doit point
empêcher les honneurs qui lui font dûs ,
« & quand vous feriez pour lui une exception
, il n'y a perfonne qui ne re-
» connût avec plaifir que cette diftinction
" eft dûe au mérite de M. de F. »
33
L'éloge en vers que M. de S. H. fait enfuite
de M. de F. roule principalement fur
fon univerfalité à tous égards ; univerfa
lité de connoiffances , de talens , de qua
lités & de vertus . Le Poëte fait un dénombrement
badin de la plupart des fciences &
des arts , & conclut par dire :
Soit en ie enfin ,
Soit en ique,
Il fçait tout , & le fçait très -bien.
Il fçait plus , il fçait être aimable ;
Plus modefte qu'un Ecolier
Et plus galant qu'un Cavalier ,
Ou , Diable , trouver fon ſemblable ? ( 1 )
(1 ) Cette Lettre eft imprimée dans le Parnaffe
François , de M. Titon- du Tillet.
JUIN. 1758. 45
P. S. Les deux nouveaux volumes des
oeuvres de feu M. de Fontenelle , c'eſt - à- dire ,
le 9° & le 10 font maintenant en vente
chez Brunet, au Palais. A la tête du 9 ° eft un
avertiffement du Libraire dont voici le début
.
»
e
Parmi les ouvrages de M. de Fonte-
» nelle contenus dans ce volume & dans le
fuivant , les uns n'avoient point été imprimés
, les autres l'avoient été féparé-
≫ment ou dans différens Journaux , dans
93
23
les Mercures & autres recueils . On nous
» a invités à les raffembler , furtout depuis
» que M. l'Abbé Trublet les a prefque tous
indiqués dans les Mercures d'Avril , de
Septembre & d'Octobre 1757. C'est d'après
lui que nous allons dire un mot des
principaux de ces ouvrages. »
38
23
"3
Cet avertiffement n'apprendra donc rien
à ceux qui ont lu ce que j'ai mis dans les
Mercures de 1756 , 57 & 58 , fur M. de
F. & fes ouvrages , & par conféquent il
feroit fuperflu d'en donner ici un extrait
détaillé .
و ر
e
Cet avertiffement eft fuivi de « l'éloge
» de M. de F. par M. de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie des Sciences
» lu dans l'affemblée publique d'après Pâ-
» ques 1757 ; de fon portrait par Mada-
» me la Marquife de Lambert , & de quel.
46 MERCURE DE FRANCE.
» ques autres petits morceaux où il a paru
» bien caractérisé . » "
D
Le dernier de ces morceaux eft celui par
lequel j'ai terminé l'article Fontenelle
qu'on m'a demandé pour la nouvelle édition
du Dictionnaire de Moreri qui paroîtra
en 1759.
J'ai deux remarques à faire fur l'éloge
de M. de F. par M. de Fouchy page 26 ,
lit ce qui fuit : on y
"
"
" Un Mathématicien ( 1 ) , aujourd'hui
» l'un des premiers Profeffeurs en ce gen-
" re ( 2 ) , fe trouva en province dans une
telle fituation , qu'une fomme de 600
» livres lui étoit abfolument néceffaire. Il
» avoit eu autrefois occafion de donner
quelques leçons à un homme de qualité ,
" riche , & qui l'avoit quitté en l'accablant
» de proteftations d'amitié & d'envie de
» l'obliger . Il crut pouvoir s'adreffer à lui ;
» mais en même temps & par une espece
» d'inftinct , il s'adreffa auffi à M. de F. ,
❞ dont il connoiffoit l'humeur bienfaifante
plus que perfonne. Il leur écrivit à tous
deux , & leur peignit fa fituation. Les
deux lettres firent l'effet qu'on pouvoit
en attendre le courtifan qui n'avoit
plus befoin du Mathématicien , ne dai
- (1 ) M. Beauxée.
ود
22
ود
:
(2 ) A l'Ecole Militaire.
JUIN. 1758. 47
"gna pas lui faire réponſe , & celle de
" M. de Fontenelle qui arriva l'ordinaire
" fuivant , fut accompagnée d'une lettre
de change de la fomme demandée. La
» différence des deux procédés fut fentie
» par celui qui en étoit l'objet. C'eſt de
» lui-même que je tiens ce fait , c'eft à ſa
priere que j'en fais part au public. »
1 °. Je fçavois ce trait de la bienfaifance
de M. de F. , mais pas affez exactement
pour le rapporter. J'ignorois entr'autres ,
le nom de celui qui en étoit l'objet. M. de
F. n'avoit jamais voulu le dire , & ne dît
même fa bonne action que parce qu'on la
devina, Il fut obligé de s'adreffer à un ami
pour la lettre de change , & comme il
n'avoit point d'affaires , du moins en pro--
vince , on vit bien qu'il s'agiffoit d'un
don ou d'un prêt ; & à la fin il en convint ,
en exigeant néanmoins le fecret .
2º . M. Beauzée eſt en effet profeffeur à
l'Ecole Royale Militaire ; mais profeffeur
de grammaire & non de mathématiques ,
quoiqu'il les ait ci - devant enfeignées .
En attendant que l'Auteur du Mercure
rende compte des tomes 9 & 10 des oeuvres
de M. de F. , je vais indiquer d'après l'avertiffement
du Libraire , ce que le public
y trouvera de nouveau , ou de moins
} connu.
48 MERCURE DE FRANCE.
}
1º. Doutes fur le fyftême phyſique des caufes
occafionnelles.
« Nous y avons joint , dit M. Brunet¸
» une critique qui en fut faite dans le
» temps , une réponſe de M. de F. à cette
» critique , & une réplique à cette ré
ponſe. »
n
2º. Une lettre de M. de F. à M. Bafnage
de Beauval , en reponse à quelques objections
contre un endroit de la pluralité des
mondes.
"
Le Libraire a cru devoir imprimer auffi
la lettre qui contient ces objections. « Elle
» pouvoit , dit- il , n'être donnée que par
» extrait , parce qu'elle eft trop longue ,
» & de plus affez médiocre. On nous a
» confeillé de la donner entiere , parce
qu'on en goûteroit davantage celle de
» M. de Fontenelle.
"
3 ° . Plufieurs fragmens fur la raison hu
maine , l'efprit humain , l'inftinet , l'hiftoire
, fur une République , &c. ( voyez le 1
vol du Mercure d'Octobre 1757.)
4. Des remarques fur quelques comédies
d'Ariftophane , fur le théâtre Grec , &c.
5. Eloge de M. Perrault , de l'Académie
des Sciences.
Le Libraire a cru pouvoir lui donner
place dans les oeuvres de M. de F. parce
que plufieurs gens de lettres le croient de
lui ,
JUIN. 1758 . 49
lai , fur quelque reffemblance de ftyle
avec fes autres éloges , & fur fes liaiſons
avec MM. Perrault , & avec M. Bafnage de
Beauval , dans le journal duquel on trouve
ce morceau , t . 4 , Novembre 1688. M. ,
Perrault étoit mort dans le mois d'Octobre
précédent.
6°. Les préfaces de l'ancienne hiftoire de
l'Académie des Sciences , de l'analyse des infinimens
petits, par M. le Marquis de l' Hôpital
, des élémens de la géométrie de l'infini
& quelques petits avertiffemens fupprimés
dans les dernieres éditions de M. de
F. « On a cru , dit le Libraire , que du
» moins à l'égard de la profe , il ne falloit
rien perdre d'un excellent Ecrivain
qui ne fe négligeoit jamais. »
"
"
"
7°. Enone , & le retour de Climene , paftorales.
8°. Prologue en vers libres , d'une Comédie
intitulée , Pigmalion , Prince de Tyr.
9°. La Cométe , Comédie en un acte en
proſe , repréſentée fous le nom de M. de
Vife , en 1691. ( Voyez fur ces différens ouvrages
les Mercures de Septembre & d'OƐtobre
, 1757.
พ
Le 10 volume , dit le Libraire , « eſt
» terminé par plufieurs petites pieces de
poéfie , dont plufieurs n'avoient point
»encore vu le jour. Nous réfervons à un
C
So MERCURE DE FRANCE. ༨ 。
autre temps , ajoute- t'il , celles des Mer-
" cures de M. de Vife .
Ici M. Brunet fait efpérer un onzieme
tome , dont «< une grande partie , dit il ,
» contiendra des lettres de M. de F. , &
peut-être même quelques unes de celles
qui lui ont été écrites , lorfqu'elles pa-
»roîtront dignes de l'impreffion , ou néceffaires
à l'intelligence des fiennes.
"
"
" Enfin , continue M. Brunet , on trou
» vera dans ce onzieme volume , quel-
» ques morceaux qui devoient naturelle-
» ment entrer dans les précédens ; mais
qui ont échappé à notre attention , oụ
qui ne nous font parvenus que lorfque
»l'impreffion a été achevée . »
و ر
و د
Je ne doute point que ce onzieme volu
me ne foit attendu avec impatience , &
qu'on ne preffe M. Brunet de le donner ,
dès qu'il aura raffemblé de quoi le former.
Il a cru devoir mettre dans le dixieme
tome , les opéra de Pfyché & de Bellerophon
, parce qu'ils font en grande partię
de M. de F. , quoiqu'on les ait cru dans
le temps , de Thomas Corneille , & que
depuis ils ayent été imprimés fous fon
nom . Mon avis n'étoit pourtant pas de les
redonner. On a ces deux poëmes dans le
recueil des Opéra. D'ailleurs , à peine lit
JUIN. 1758 .
on les meilleurs ouvrages lyriques ; &
ceux-ci , avec de grandes beautés , ne font
pas du premier ordre en leur genre . Il auroit
du moins fallu fupprimer les fêtes ou
divertiffemens , & tout ce qu'on appelle
canevas ; ils ne font pas de M. de F. Rien '
n'eft plus foible & plus infipide dans la
plupart des Opéra , que les vers des divertiſſemens
; mais furtout dans Pfyché
& dans Bellerophon.
On fçait encore que le prologue de
Bellerophon n'eft pas de M. de F. ( voyez fa
lettre fur cet Opéra , aux Auteurs du Journal
des Sçavans , t . 3 de fes oeuvres . )
Les premiers vers de la premiere fcene ,
du premier acte ,
Non , les foulevemens d'une ville rebelle , &c.
font d'une grande beauté & d'une grande
nobleffe. Le fujet de la tragédie y eft expofé
avec autant de netteté que de précifion
, & je doute qu'on trouvât dans aucun
autre opéra , une expofition plus parfaite
, c'est-à-dire , à la fois plus courte &
plus claire . Telle doit être toute expofition ,
mais furtout celle d'un poëme lyrique . J'ai
dit ailleurs que quand M. de F. fit Bellerophon
, il n'avoit tout au plus que 21 an.
Je termine ici mes Fontenelliana . Ce
n'eſt pas faute de matiere ; mais je crains
Cij
S52e MERCURE DE FRANCE.
de laffer mes Lecteurs. On veut réimprimer
en Hollande ces Anecdotes ; j'y joindrai
alors de nouvelles additions & de
nouvelles corrections ( 1 ) . J'invite donc les
Gens de Lettres à m'en fournir. Quelquesuns
l'ont déja fait , entr'autres M. l'Abbé
Saas , Chanoine de Rouen. Ils peuvent
compter fur ma reconnoiffance ; j'ofe ajouter
fur celle du public. Tout ce qui regarde
M. de F. l'intéreffera davantage de jour.
en jour,
(1 ) J'avertis d'avance que je réformerai prefque
entiérement ce que j'ai dit ( Merc. de Mai 1758 ,
page 49 &fuiv. ) fous le livre intitulé : Le Monde
dans la Lune , &c, Cet ouvrage eſt effectivement
une traduction de l'Anglois de Wilkins , Evêque
de Chefer , par Jean de la Montagne , Proteftant ,
&c. On peut , en attendant , confulter le Dictionnaire
de M. de Chauffepié , article Wilkins ,
celui de Bayle , article Xenophanes,
&
JUIN. 1758.
- ELOGE funebre des Athéniens enterrés
au ( 1 ) Céramique , traduit du Grec de
Platon ; par le P. Power , Jéfusie ( 2).
Nous avons rendu à ces illuftres morts
tous les devoirs publics & particuliers que
la Religion preferit , & leurs manes peuvent
déformais repofer en paix , & ( 3 )
paffer fans obftacle la rive fatale. Il nous
refte encore de célébrer par un éloge folemnel
leurs actions glorieufes : les loix
nous l'ordonnent , la raiſon nous le com-
(1 ) Le Céramique étoit un fauxbourg d'Athenes
,dans lequel on enterroit , aux dépens du Public,
tous ceux qui mouroient au fervice de la patrie.
On célébroit tous les ans en ce lieu une fête folemnelle
en l'honneur des morts , & cette cérémonie
étoit toujours terminée par un éloge
funebre.
(2) Le Pere Power eft déja connu avantageuſement
de nos Lecteurs , par fon portrait de M. de
Fontenelle , inféré dans le fecond volume du Mercure
de Juillet 1756. Il nous fut communiqué par
M. l'Abbé Trublet , qui l'a encore rappellé avec
de juftes éloges dans le Mercure de Mars de cette
année. Note de l'Auteur du Mercure.
(3 ) Les Anciens croyoient que les ames des
morts ne pouvoient paffer le Styx , ni être reçues .
dans les champs Elyfées , avant qu'on cût rendu à
leurs corps les honneurs de la fépulture.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
mande : car il n'appartient qu'à l'éloquence
de répandre fur les actions des Héros cet
éclat vif & durable , qui en fait appercevoir
tout le mérite aux contemporains , &
en fait paffer la mémoire à la poſtérité.
Mais un difcours de la nature de celui - ci
doit renfermer , avec de juftes louanges des
morts , des inftructions falutaires pour les
vivans. Ces généreufes victimes de la patrie
ont laiffé des freres , des fils & des
petit - fils ; des peres , des meres & des
ayeux. Il eft du devoir d'un Orateur public
d'infpirer aux uns des fentimens d'une
noble émulation , & de fournir aux autres
des motifs d'une juſte confolation . Pour
cela, que dois- je me propofer ? que dois- je
principalement envifager dans ces grands
hommes , qui durant leur vie ont fait , par
leur vertu la joie de leurs parens , & qui
ont racheté par leur mort les vies & les
fortunes de leurs concitoyens ?
La nature , dans les divers degrés par
lefquels elle les a conduits à la vertu , femble
m'avoir tracé le plan que je dois fuivre
dans leur éloge. Elle les y prépara par une
illuftre naiffance ; elle les y forma par une
heureuſe éducation. Je parlerai donc premiérement
de leur naiffance , fecondement
de leur éducation ; troifiémement je ferai
voir que par une vertu conftamment fouJUI
N. 1738.
55
tenue , ils fe font toujours montrés dignes
de l'une & de l'autre.
Le fang dont ils étoient fortis , ne prenoir
pas fa fource dans une Nation étrangere .
Il avoit coulé jufqu'à eux à travers une
longue fuite d'Ancêtres , depuis les premiers
habitans de cette contrée. Le titre
glorieux d'Athéniens , ils le durent à la
naiffance , & non à l'adoption . Enfans de
la patrie , fi- tôt qu'ils furent nés , ils entrerent
dès - lors en partage de toute la grandeur
de leur mere . La patrie de fon côté
ne les traita pas en marâtre , mais en mere
véritable . Elle éleva leur enfance , elle
forma leur jeuneffe ; & c'eft encore dans
fon fein , dans ce fein où ils prirent la vie
& l'accroiffement , que leurs cendres repofent.
Je crois donc devoir commencer leur
éloge par celui de la patrie même . Le luftre
que je répandrai fur elle , rejaillira néceffairement
fur eux.
La terre que nous habitons , mérite d'être
louée , non feulement par nous ,
par nous , mais par
tous les peuples du monde . Car indépendamment
de tous les autres titres qui la
diftinguent , 1 ° . jamais contrée ne fut fi
chere aux Dieux. Il n'en faut pas d'autre
preuve que la célebre conteftation qui
s'éleva à fon fujet entre Neptune & Minerve.
Or , quel mortel feroit affez infenfé
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
pour refufer fes éloges à un pays auquel
les Divinités mêmes ont donné un témoifi
éclatant de leur eftime ?
gnage
Secondement , tandis que le refte de la
terre ne produifoit que des bêtes farouches
& de vils animaux : l'Attique jaloufe
d'une plus noble fécondité , donna naiffance
à l'homme , qui furpaffe infiniment
en intelligence tous les autres animaux ,
& feul connoît les Dieux , les loix & le
devoir. ( 1 ) Oui , Meffieurs , c'eſt du fein
même de cette terre que naquirent les
Ancêtres de ces Héros , & les nôtres. En
voulez vous la preuve ? La voici. La nature
donne à tout ce qui eft fécond , de
quoi nourrir les fruits de fa fécondité .
A quel figne diftingue-t'on fûrement une
femme , qui eft devenue mere , d'avec une
autre qui ne l'eft pas ? Une liqueur falutaire
fe répand dans le fein de la premiere ,
& y forme deux fources abondantes , où
l'enfant encore tendre trouve une nourriture
proportionnée à la délicateffe de ſes
organes . Ce principe s'applique encore
(1 ) Tout ce morceau eft indigne d'un Philofophe
auffi fenfé que l'eft généralement Platon . On
peut dire cependant pour excufer ce grand homme
, que dans un difcours tel que celui- ci , il
étoit obligé de s'accommoder aux idées du peuple.
Or les Athéniens étoient extrêmement entêtés de
l'origine qu'il leur attribue ici.
JUIN. 1758. 57
mieux à la terre qu'à la femme : car la formation
des corps dans le fein de la femme,
n'est qu'une imitation de leur origine pri
mitive dans les entrailles de la terre. Voici
donc mon raiſonnement. De routes les
contrées du monde , l'Artique eft la premiere
qui ait produit le bled & les autres
grains qui font la nourriture la plus naturelle
de l'homme ; elle eft donc la premiere
qui ait enfanté des hommes . C'eſt
elle auffi qui a donné naiſſance à l'olive ,
dont le jus munit nos membres contre la
fatigue , & répare nos forces épuisées.
Ce ne fur que par de femblables préfens
, que la patrie fignala fa tendreffe envers
nos ancêtres , durant l'efpece d'enfance
qui fuivit leur formation. Mais lorfque
nourris & fortifiés par les foins , ils
eurent comme atteint l'âge de l'adolefcence
, elle leur choifit parmi les Dieux mêmes
, des chefs & des inftructeurs qui
polirent leurs moeurs , leur firent connoître
les arts , leur mirent en main des armes
& leur en apprirent l'ufage. Je ne cite pas
ici les noms de ces Divinités , que perfonne
n'ignore.
Nés & élevés de la forte , nos Ancêtres
établirent une forme de gouvernement ,
qui mérite de fixer pour quelques momens
nos regards. Du caractere du gouverne-
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
ment dépend celui des Citoyens. Un bon
gouvernement forme de bons Citoyens ,
comme un mauvais gouvernement produit
de mauvais Citoyens. Quelle idée devonsnous
donc avoir d'un gouvernement tel
que le nôtre , qui du temps de nos Ancêtres
a été fi fécond en vertus de toute efpece
, & dont l'heureufe influence agiffant
toujours avec une puiffance égale , reproduit
fans ceffe dans les enfans les grandes
qualités de leurs peres ?
Ce gouvernement a prefque toujours
été , & eft encore une Aristocratie. Que
d'autres l'appellent Démocratie , ou qu'on
lui donne le nom qu'on voudra , c'eft une
Ariftocratie fondée fur le confentement libre
du peuple. La magiftrature fouveraine y a
toujours été une véritable royauté , tantôt
héréditaire , & tantôt élective. La puiffance
& l'autorité y font toujours données à
ceux que leur probité & leur fageffe en
rendent plus dignes, Etre né de parens
obfcurs , pauvres & fans crédit , n'eft pas
une raifon pour en être exclu , ni defcendre
d'une famille illuftre ou opulente ,
un titre fuffifant pour y parvenir , ainſt
qu'il arrive dans les autres Etats. Le mérite
eft parmi nous le feul principe de l'élévation
.
Nous fommes redevables de cette conJUIN.
1758.
duite fifage , à l'égalité de notre naiffance.
Les autres Etats font compofés d'une foule
confufe d'hommes de rangs & d'intérêts
différens , dont les uns font accoutumés
dès l'enfance à obéir en efclaves , & les
autres à commander en maîtres. Cette inégalité
dans les conditions rompt l'équili- .
bre du gouvernement , & produit les tyrannies
& les oligarchies. Mais pour nous ,
nous regardant tous comme autant de freres
iffus d'une mere commune , nous ne
pous permettons pas les noms odieux de
maître & d'efclave. La nature, en nous faifant
tous naître égaux , nous foumet à des
loix égales , & femble nous intimer une
défenfe de reconnoître entre nous d'autre
fupériorité , que celle qui eft fondée fur
une plus grande réputation de vertu & de
prudence.
.. C'eſt à ces idées de liberté imprimées
par l'éducation dans des ames naturelle .
ment élevées , qu'il faut attribuer toutes
les belles actions , par lefquelles les Ancêtres
de ces Héros & les nôtres , & ces Héros
eux-mêmes fe font diftingués , foit au fervice
de la patrie , foit dans le commerce
de la vie privée. Ce fut à la lumiere de
ces idées éclatantes , qu'ils fe convainquirent
qu'il étoit de la dignité d'Athenes de
protéger la liberté des Grecs contre les
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Grecs , & celle de la Grece contre les
Barbares.
Je ne rappellerai pas ici les victoires
que nos Ancêtres remporterent fur Eumolpe
& fur les Amazones , qui avoient
entrepris d'envahir l'Attique , ni d'autres
faits encore plus reculés , comme la guerre
qu'ils foutinrent contre les Thébains en
faveur des Argiens , & celle qu'ils firent
aux Argiens en faveur des Héraclides ;
parce que le temps ne me permet pas d'en
parler avec toute l'étendue qui convient
& que d'ailleurs vos Poëtes les ayant fouvent
célébrés en très - beaux vers , les foibles
images que j'en pourrois tracer dans
une profe fimple & unie , feroient fort au
deffous des grandes idées que vous en
avez déja conçues. Je laiffe donc ces événemens
fur lefquels la poéfie a répandu
une fi vive lumiere , pour m'attacher à
d'autres qui n'ayant pas eu le même avan
tage , font encore couverts d'ombres. Que
les Poëtes , à mon exemple , faffent déformais
de ces mêmes événemens la matiere
de toutes leurs compofitions , & qu'ils s'efforcent
de leur conferver dans les vers le
même éclar qu'ils ont eu dans la réalité .
Je les y invite je les y exhorte.
La guerre des Perfes eft le premier objet
qui va m'occuper. Cette Nation déja maîJUI
N. 1758.
61
treffe de l'Afie , menaçoit l'Europe de l'efclavage
; mais elle trouva dans le courage
de nos peres une digue que tous fes efforts
ne purent renverfer.
Pour bien fentir combien Athenes acquit
de gloire en cette occafion , il eſt néceffaire
d'être inftruit de l'état où étoient
alors les Perfes. Leur puiffance embrasfoit
l'Afte entiere , & avoit eu le temps de s'y
cimenter fous les regnes de trois Rois . Le
premier de ces Princes , qui étoit Cyrus ,
après avoir rendu la liberté, autant par fou
habileté que par fon courage , aux Perfes
fes compatriotes , avoit foumis les Medes
fes anciens Maîtres , & conquis toutes les
Provinces de l'Afie jufqu'à l'Egypte. Son
fils Cambyfe recueillit cette riche fuccefhion
, & y ajouta toutes les contrées de
l'Egypte & de la Libye , que leur fituation
ne rendoit pas inacceffibles . Darius , fucceffeur
de Cambyfe , étendit fes conquêtes
par terre jufqu'à la Scythie , & occupoit:
par fes flottes la mer & les Ifles . Une fi
énorme puiffance tenoit le courage de tous
les peuples comme enchaîné. Les Nations
les plus fortes & les plus belliqueufes, dans.
la crainte d'en être entiérement accablées ,
avoient pris le parti de s'y foumettre .
Darius étoit vivement piqué contre
nous & contre les Erétriens , depuis l'in
G2 MERCURE DE FRANCE.
cendie de Sardes , & ce fut pour fatisfaire
fon reffentiment qu'il nous déclara la
guerre. Il avoit affemblé une armée de
cinq cens mille hommes , & fait équipper
une flotte de trois cens gros vaiffeaux ,
outre un nombre prodigieux de petits bâ
timens deftinés à tranfporter les troupes.
Il donna le commandement de toutes ces
forces à Datis , en lui ordonnant , s'il vouloit
conferver fa tête , de lui amener les
Athéniens & les Erétriens enchaînés . Ce
Général ayant d'abord dirigé fa route vers
Eréttie , emporta en trois jours cette Ville,
alors très -bien peuplée , & une des plus
belliqueufes de la Grece. Il mit tous les
habitans aux fers , & afin qu'il pût affurer
fon-Maître qu'il ne lui en étoit pas échap
pé un ſeul , it fit faire dans toute l'Eréttique
des recherches auffi exactes que fingu
lieres . Une chaîne de foldats prolongée
par fes ordres fur la frontiere dans tour
l'efpace qui fépare les deux golphes , mar
cha en fe tenant toujours ferrée jufqu'à
l'extrêmité oppofée ; deforte que dans une
fi grande étendue de pays , il ne fe trouva
pas une feule portion de terre qui ne fût
parcourue & vifitée. Il fe propofoit d'en
faire bientôt autant dans l'Attique , dont
la conquête ne lui parut pas devoir coûter
davantage que celle de l'Erétrique . Dans
JUIN 1758. 63
cette idée , il avança vers Marathon .
Tandis que les Perfes exécutoient de fi
grandes chofes , & qu'ils en projettoient
encore de plus grandes , la Grece entiere
demeuroit dans l'inaction. Aucun des peuples
qui la compofent , n'avoit envoyé du
fecours à Erétrie : nous n'en reçûmes que
des Lacédémoniens , encore celui qu'ils
nous donnerent, ne joignit notre armée que
le lendemain de la bataille . Tous les autres
Etats faifis d'épouvante , & préférant une
fûreté paffagere à une gloire immortelle ,
refuferent de prendre aucune part à cette
guerre.
7 Quiconque fera attention à ces diverſes
circonftances , ne pourra s'empêcher de
regarder comme un prodige , le courage
que firent paroître nos Ancêtres dans cette
Occafion. Quoique réduits à leurs feules
forces , ils foutinrent à Marathon le choc
de l'Afie affemblée . Ils firent plus . Ils y
vengerent l'univers de la fierté des Perfes
& les premiers apprirent à toutes les Nations
que cette puiffance n'étoit pas invincible
, & que le nombre & les richeffes
font de foibles inftrumens de victoire ,
quand ils fe trouvent oppofés au courage .
C'eft pourquoi , j'ofe dire que ces grands
hommes ne font pas feulement les auteurs
de nos jours , mais encore les peres de
64 MERCURE DE FRANCE.
notre liberté & de celle de toute la Greee,
Car c'eft dans les trophées de Marathon ,
les premiers que la Grece ait élevés des
dépouilles des Barbares , & comme à l'école
de ces Héros , que les Grecs ont pris
les premieres leçons de ce généreux mépris
qu'ils ont toujours marqué depuis
pour les Perfes. Les vainqueurs de Marathon
occupent donc , à juste titre , la premiere
place dans cet éloge : la feconde
doit être donnée à ceux de Salamine &
d'Artémife .
Il me feroit aifé de m'étendre fur les
louanges de ces derniers. Eh ! que n'aurois-
je point à dire de leur patience dans
les travaux , de leur fermeté dans les dangers
qu'ils eurent à effuyer fur la terre &
fur la mer? Mais pour me borner à ce qui
les diftingue le plus , je me contenterai
de remarquer qu'ils mirent comme la derniere
main à ce qui n'avoit été qu'ébauché
à Marathon. En effet , cette premiere victoire
nous avoit feulement appris qu'une
poignée de Grecs pouvoit vaincre une infinie
multitude de Barbares dans les combats
de terre , & nous ignorions encore
s'il en étoit de même dans les batailles navales.
Les Perfes avoient même , dans cette
partie de la guerre , la réputation d'être invincibles
, à caufe du nombre & de la force
JUIN. 1758. 65
de leurs vaiffeaux , de leurs richeffes &
de leur habileté dans la marine. C'étoit là
comme un lieu de terreur qui tenoit encore
captive les ames de la plupart des
Grees. Or les Vainqueurs de Salamine
rompirent , fi j'oſe ainfi parler , ce lien
honteux , & acheverent de nous convaincre
que toute multitude , foit d'hommes
foit de vaiffeaux , eſt par elle-même peu
formidable.
Le troifieme événement , & fuivant l'ordre
des faits , & par le degré d'héroïfie
qu'il fuppofe ; c'eft la bataille de Platée ,
où la Grece nous fut encore une fois redevable
de fon falut. Il eft vrai que les Lacedémoniens
partagerent avec nous la gloire
de cette journée ; mais là , comme durant
tout le cours de la guerre , ce qu'il y eut
de plus difficile dans l'exécution , & de
plus glorieux par le fuccès , ce furent inconteftablement
ces illuftres morts qui
l'exécuterent.
Cependant les Barbares , quoiqu'affoiblis
par tant de défaites , tenoient plufieurs
Villes fous leur puiffance , & le bruit
couroit que le Roi avoit deffein de faire
paffer une nouvelle armée dans la Grece.
Nous devons donc des louanges & des actions
de graces particulieres à ces autres
héros , qui , par de nouveaux exploits
66 MERCURE DE FRANCE.
mirent comme le fceau à nos premieres
victoires , & établirent enfin notre liberté
fur des fondemens inébranlables . Je parle
ici de ces grands hommes qui fignaleren
leur courage en diverfes fortes de combats
, fur les bords de l'Eurymedon , en
Chypre , en Egypte & ailleurs. Victorieux
dans tous les endroits où ils combattirent ,
ils purgerent la mer des reftes des Barbares
qui l'infeftoient , porterent la terreur du
nom Athénien jufqu'au trône du Roi ,
& contraignirent ce Prince de donner déformais
toute fon attention à la défenſe de
fes Etats & de fa perfonne , & non à la
ruine de la Grece. Par là finit une guerre ,
dans laquelle Athenes avoit facrifié , s'il
m'eft permis de parler ainfi ( 1 ) , juſqu'à fon
exiſtence , pour conferver fa liberté & celle
de tous les Grecs.
Nous éprouvâmes alors un des plus or-
(1 ) Lorfque Xercès entra dans la Grece , les
Athéniens ne voulant pas fe foumettre à ce Prince
, & défefpérant de pouvoir lui réſiſter dans leur
Ville , prirent le parti de l'abandonner . Tous les
hommes en état de porter les armes fe mirent ſur
la flotte : les autres avec les femmes & les enfans fe
retirerent à Trézenes . Xercès ayant trouvé Athe
nes fans défenfe, y entra , & la réduifit en cendres.
Thémiftocle y ramena les habitans après la bataille
de Salamine , & la fit rebâtir avec plus de ma
gnificence qu'auparavant .
JUIN. 1758. 67
dinaires effets de la profpérité. Nos fuccès
& la confidération qu'ils nous donnoient
dans la Grece , exciterent dans quelquesuns
de nos voifins , une émulation qui
dégénéra bientôt en jaloufie. Delà naquit
une nouvelle guerre , dans laquelle nous
fûmes contraints , malgré toutes nos répugnances
, d'employer contre les Grecs ,
les mêmes armes dont nous venions de
nous fervir pour leur défenfe. Les Lacédémoniens
commencerent les hoftilités , en
attaquant la Béotie . Il y eut d'abord un pe
tit combat àGanagra, où l'avantage fut affez
égal de part & d'autre , mais dont les
fuites auroient été funeftes , fi un événement
plus heureux n'eût fixé le fort de la
guerre . Car déja les autres alliés des Béotiens
, oubliant ce qu'on doit à un peuple
qu'on s'eft engagé à défendre , s'étoient
retirés chez eux , lorfqu'au bout de trois
jours nous remportâmes cette célebre victoire
des Enophytes , qui , en faisant
fentir à ces Alliés infidelles l'injuftice de
leur fuite , les ramena à leurs premiers engagemens
, & étonna tellement les ennemis
, qu'ils s'emprefferent de faire la paix.
Ce fut là le premier exploit des Athéniens
en faveur de la liberté publique , depuis
la guerre des Perfes : exploit d'autant plus
glorieux , qu'il affranchit les Grecs , non
68 MERCURE DE FRANCE.
plus de l'oppreffion des Barbares , mais de
celle des Grecs mêmes , & qu'il répandit
un nouvel éclat fur notre fidélité , notre
courage & notre bonheur dans la défenfe
de nos alliés.
Quelque temps après , la guerre s'allunra
contre nous de toutes parts. La Grece
entiere , fans égard pour la reconnoiffance
qu'elle nous devoit , entra dans une ligue
dont le but étoit de nous perdre . Trop foibles
pour réfifter fur terre à tant d'ennemis,
nous abandonnâmes l'Attique à leurs ravages
, & ayant porté toutes nos forces fur
notre flotte , nous cherchâmes celle des
Lacédémoniens , & la défîmes entiérement.
Un fi grand avantage nous rendoit maî
tres du fort de Lacédémone , & fa qua
lité d'auteur & de chef de la ligue , fembloit
nous autorifer à n'éteindre notre ven
geance que dans fes ruines. Nous en ufâmes
cependant très- modérément avec elle ,
nous pardonnâmes tout le mal qu'elle nous
avoit fait , & nous lui accordâmes la paix
à des conditions raifonnables , perfuadés
que la vengeance qui furvit à la victoire ,
n'étoit légitime dans des Grecs qu'à l'égard
des Barbares , & que l'intérêt commun de
toute la Grece ne devoit jamais être facrifié
au reffentiment particulier d'une feule
Ville.
JUIN. 1758 . 69
C
On vit alors avec évidence , ce dont
auparavant on auroit pu douter ,› que de
tous les peuples de la Grece , les Athéniens
étoient les plus braves & les plus
puiffans. En effet , avoir écrafé avec nos
Teules forces une ligue fi formidable , &
vaincu , comme dans un combat particulier
, le peuple le plus belliqueux de la
Grece, & qui , autrefois uni avec nous, avoit
fouvent triomphé des Barbares ; cela
formoit en faveur de notre fupériorité ,
une preuve certaine & fans replique.
Une paix fi glorieufe fut interrompue
par une autre guerre , dans laquelle il ar
riva beaucoup de chofes contraires à notre
attente , & qui coûta la vie à plufieurs de
ceux qui répofent ici . Je parle de la guerre.
de Sicile. Le befoin qu'avoient les Léotins
d'un prompt fecours , & la religion des
fermens qui nous lioient à ce peuple , furent
les motifs qui nous y engagerent , Les
commencemens en furent heureux : mais
notre armée n'ayant pu être renforcée , ni
ravitaillée à propos dans un fi grand éloignement
, elle s'affoiblit peu
P
peu , & l'entreprise
échoua. Ce défaftre
toutefois
ne porta aucun préjudice
à notre gloire, Nos ennemis
eux mêmes rendirent
témoi.
gnage à la bravoure
de nos troupes. D'ail leurs ce triſte événement
fut balancé
par:
70 MERCURE DE FRANCE,
d'autres plus heureux ; car fans parler de
plufieurs avantages moins confidérables ,
nous nous emparâmes en un feul jour de
tous les vaiffeaux que les ennemis avoient
dans l'Hellefpont . Ainfi ce qui fe paffa
dans cette guerre de plus contraire à notre
attente , ce fut de voir des Grecs emportés
par une animofité forcenée , & perdant
toute honte , mandier contre d'autres
Grecs l'appui d'un Roi barbare , exciter
cet ennemi implacable de toute la nation ,
contre un peuple qui en avoit toujours été
le plus zélé défenfeur , rappeller contre
nous dans la Grece un Prince que, de concert
avec nous , ils en avoient chaffé , mertre
enfin en mouvement toutes les forces
de l'Afie & de l'Europe, pour accabler plus
fûrement Athenes. Au refte , tant d'efforts
ne fervirent qu'à faire mieux éclater notre
puiffance & notre courage ; car tandis que
les ennemis tenoient le peu qui nous reftoit
de vaiffeaux bloqués dans le port de
Mitylene , & qu'ils fe promettoient d'être
bientôt maîtres d'Athenes même , ayant
trouvé de quoi équipper une nouvelle
flotte de foixante vaiffeaux , nous la fîmes
monter par l'élite des Citoyens , & fecondés
de ce même courage qui nous avoit
tant de fois affuré la victoire , nous défîmes
nos ennemis , & fauvâmes nos amis
JUEN. 1758.
& nos Alliés, Les Auteurs de cette victoire
méritoient un fort différent de celui qu'ils
ont éprouvé. Leurs corps engloutis dans
les ondes , n'ont pu être réunis ici aux
cendres de leurs freres ; mais nous ne cefferons
jamais de rappeller tous les ans le
fouvenir de leurs vertus & de leur gloire.
Nous leur fûmes redevables , non feulement
de cette victoire ; mais de plus , de
tous les fuccès qui la fuivirent ; car un
avantage fi inefpéré rétablit le crédit de
nos armes , & leur rendit leur ancienne activité
, par la perfuafion où il mit tous les
Grecs, qu'il falloit d'autres forces que celles
des hommes pour abattre Athenes.
Cette idée étoit vraie & n'a pas été démentie
; car les malheurs que nous avons
éprouvés depuis , ce font nos divifions inteſtines
, & non les ennemis du dehors
qui les ont caufés. Non , Meffieurs : les
étrangers n'ont porté jufqu'ici aucune atteinte
confidérable à la République c'eſt
de nos propres mains que font partis les
coups qui nous ont accablés ; c'est par nousmêmes
que nous avons été vaincus.
A peine libres d'ennemis étrangers , nous
commencions à goûter les douceurs d'un
repos acheté par tant de fatigues , lorfqu'une
guerre plus funefte que toutes les
précédentes , s'enflamma dans le fein mê
72 MERCURE DE FRANCE.
me de la République . Il faut cependant
dire à notre gloire , que quelque animés
que fuffent les efprits , on ne fe permit
aucun des excès fi ordinaires dans les guer
res civiles . S'il eft de la deftinée de tous les
Etats de fentir de temps en temps de pareilles
agitations , heureux du moins ceux
qui n'en font pas plus affectés que ne le
fut alors Athenes ! Avec quelle joie les
habitans de la Ville & ceux du Pirée fe virent-
ils réunis après leurs difcordes ? Quelle
amitié vive prit dans tous les coeurs la place
de l'animofité ? Avec quels ménagemens
traita-t- on les habitans d'Eleufine , contre
l'attente de toute la Grece ? Une fi grande
modération ne peut être que l'effet du fang
dont nous fommes formés , qui étant le
même dans tous , fait couler avec lui dans
tous nos coeurs les principes d'une amitié
fincere , univerfelle & inaltérable. Quoique
ceux qui périrent durant ces divifions
foient morts les mains teintes du fang de
leurs Concitoyens , ils n'ont pas cependant
perdu tout droit à notre ſouvenir.
Après nous être réconciliés entre noùs ,
Rous devons nous réconcilier avec eux , &
puifqu'il ne nous refte plus d'autre voie
pour leur témoigner notre amitié , il convient
au moins qu'ils partagent avec leurs
vainqueurs les honneurs de cette augufte
cérémonie ,
JUI N. 1758 . 73
que
cérémonie , & les fruits des facrifices
nous y offrons ; car ce ne fut ni la fcélératelfe
, ni la haine ,
mais un pur
malheur qui les arma contre leurs freres.
Ils avoient les mêmes fentimens , comme
ils étoient du même fang que nous. Auffi
malheureux , mais pas plus coupables ,
ils doivent obtenir de nous le même pardon
que nous avons obtenu les uns des
autres.
A tant d'orages fuccéda enfin un calme
heureux , & qui fembloit devoir être durable
; car d'un côté trouvant les Baibares
excufables , d'avoir cherché dans les maux
qu'ils nous cauferent , de quoi réparer la
honte de leurs propres défaites , nous ne
fongions pas à en tirer vengeance ; & de
l'autre vivement indignés contre les Grecs
qui , après avoir reçu de nous les fervices
les plus effentiels , avoient , par la plus
infigne ingratitude , confpité contre nous
avec les Barbares , détruit tous nos vaiffeaux
, ces mêmes vaiffeaux auxquels ils
avoient été fi fouvent redevables de leur
falut, & rafé nos murs , à l'abri deſquels les
leurs avoient fi longtemps fubfifté , nous
réfolûmes d'abandonner déſormais ces ingrats
à la tyrannie de leurs oppreffeurs, foit
Grecs , foit Barbares . Ces difpofitions pafurent
aux Lacédémoniens l'effet de notre
D
74 MERCURE DE FRANCE:
foibleffe . Ils crurent nous avoir entiére
ment abattus , & avec nous l'unique fou
tien de la liberté publique. Dans cette perfuafion
ils firent enfin éclater le projet
qu'ils méditoient depuis longtemps , d'af
fervir tous les autres Etats de la Grece.
&
Il eft inutile que je m'étende fur les évé
nemens dont j'ai déformais à vous entretenir.
Ils fe font paffés fous nos yeux ,
tout le monde en eft inftruit. Nous avons
vu les premiers peuples de la Grece , les
Argiens , les Béotiens , les Corinthiens
épouvantés , confternés , venir implorer
la protection d'Athenes ; & ce qui eft encore
plus glorieux , & prefque divin , nous
avons vu le Roi lui -même , dans des circonftances
prefque défefpérées , fe jetter
entre les bras de cette Ville , dont il avoit
pourſuivi la ruine avec tant d'acharnement.
Si l'on peut faire aux Athéniens quelque
reproche légitime , c'eft d'être trop fenfibles
aux malheurs des autres peuples , &
trop vifs à prendre en main la défenfe des
foibles injuftement opprimés . Nous ne méritâmes
jamais mieux ce reproche que dans
cette occafion ; car malgré la réfolution
que nous avions prife , de ne jamais nous
intéreffer pour des peuples dont nous avions
fi grand fujet de nous plaindre , nous ne
fumes pas les maîtres de réfifter à leurs
JUIN. 1758. 75
prieres nous nous chargeâmes encore une
fois de les défendre , nous les garantîmes
pour lors de l'efclavage , & s'ils y font tombés
depuis , c'eft qu'ils s'y font eux - mêmes
précipités. Quant au Roi , nous n'ofâmes
le fecourir ouvertement , par refpect
pour les Trophées de Marathon , de
Salamine & de Platée : nous permîmes
feulement à ceux des Citoyens qui en auroient
la volonté , & particuliérement aux
exilés , de fe mettre à fon ſervice ; mais ce
fecours , tout foible qu'il étoit , lui fut
d'une fi grande utilité , que nous pouvons
nous glorifier à jufte titre , d'avoir été les
principaux Auteurs de fa délivrance .
Dès que nos murs furent relevés , &
notre marine parfaitement rétablie , voyant
qu'il ne nous étoit pas permis de fuivre
nos fentimens pacifiques , nous reprîmes
les armes contre les Lacédémoniens en faveur
des Pariens . Le Roi fe trouva pour
cette fois au nombre de nos alliés. Mais
comme il craignoit notre puiffance renaiffante
, furtout après que les Lacédémoniens
nous eurent abandonné l'empire de
la mer , il chercha un prétexte plauſible
pour rompre les engagemens qu'il avoit
contractés . Les Lacédémoniens dans une
circonftance femblable , avoient confenti
qu'il s'emparât des Villes grecques fituées
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
en Afie. Il fit demander à nous & à nos
Alliés un pareil confentement : ce ne fut
pas qu'il efpérât l'obtenir ; il fe propofoir
feulement de nous obliger à lui fournir, par
notre refus , le prétexte qu'il cherchoit :
mais il fut trompé en partie ; car les Corinthiens
, les Argiens , les Béotiens &
tous les autres Ailiés ne firent aucune difficulté
de lui accorder fa demande ; ils
s'engagerent même par ferment à lui abandonner
toutes ces Villes , à condition qu'il
fourniroit l'argent néceffaire pour la conduite
de la guerre. Pour nous , nous rougîmes
de prendre part à un accord fi honteux
, retenus par cette façon de penfer
noble & élevée , par cet amour de la liberté
publique , par cette fermeté de confeils
toujours foutenue & indépendante
des circonftances , par cette intégrité d'ame
inacceffible à la corruption , par cette
haine invétérée contre les Barbares ; fentimens
qui naiffent avec nous , & que forme
dans nos coeurs la pureté d'un fang vẻ-
ritablement Grec & exempt de tout mêlange
barbare ; car les Pélops , les Cadmus
, les Egyptus , les Danaus & tant
d'autres , Barbares de naiffance Grecs
feulement par adoption , n'ont jamais uni
leur fang au nôtre. Nous fommes , je le
répete , véritablement Grecs , & exempts
,
JUIN. 1758. 77
de tout mêlange avec les Barbares. De-là
vient cette horreur généreufe que nous
avons toujours eue pour le caractere & la
conduite de certains peuples. Quoi qu'il
en foit , nous nous vîmes encore une fois
abandonnés de tous nos Alliés , pour n'avoir
pas voulu nous déshonorer , ni violer
les loix les plus faintes , en livrant des
Grecs aux fers des Barbares. Les circonftances
où cet abandon nous mettoit , étoient
toutes femblables à celles , qui avoient déja
caufé notre ruine : mais nous fçûmes ,
moyenant la protection des Dieux , nous
en démêler avec fuccès & avec gloire.
Nous fîmes la guerre de maniere à faire
fouhaiter la paix à nos ennemis , & nous
confervâmes nos murs , nos vaiffeaux &
nos colonies. Il périt dans cette guerre plufieurs
braves Citoyens : le défavantage des
lieux fut fatal à quelques-uns auprès de
Corinthe ; une trahifon en fit mourir un
grand nombre à Léchée . Je ne fais qué
vous en rappeller le fouvenir , non plus
que de ceux qui délivrerent le Roi de
Perfe , & de ceux qui enleverent aux Lacédémoniens
l'empire de la mer. C'eſt d
vous , Meffieurs , de fuppléer aux éloges
que le tems ne me permet pas de leur donner
, en célébrant fans ceffe leur mémoire
, & en ornant leurs noms des titres les
plus glorieux. D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Le ricit que je viens de faire ne com
prend qu'une partie des grandes actions ,
par lefquelles ces héros , & tous les autres
Citoyens qui ont répandu leur fang pour
la patrie , fe font diftingués en différens
temps. Celles dont il me refteroit à parler
font en bien plus grand nombre , & non
moins éclatantes ; mais il a fallu me borner.
Que ces grands hommes foient toujours
préfens à votre mémoire. De leurs
exemples , il fort comme une voix , qui
vous marque le rang que vous devez tenir
après eux dans la République , & vous
avertit de le garder fidélement , comme
un foldat courageux garde celui que fon
Général lui a affigné , fans reculer en arriere
, vaincus & repouffés par le vice & la
corruption.
O enfans de tant de héros ! je vous
exhofte préfentement , & je ne cefferai jamais
de vous exhorter , en faisant retentir
à vos oreilles la renommée de vos ancêtres
, à tendre fans ceffe à toutes les vertus
où l'homme peut atteindre. Je vais vous
rapporter les fublimes leçons que vos peres
, en partant pour les combats , nous
ont ordonné de vous enfeigner , en cas
que la mort les empêchât de vous inftruire.
eux -mêmes.Je ne vous dirai que ce que j'ai,
entendu de leur bouche , & ce qu'ils vous
JUIN. 178. 75
diroient eux- mêmes , s'ils pouvoient revivre.
Vous devez donc vous imaginer que
c'eft leur voix que vous entendez. Or voici
ce qu'ils vous difent.
"
Co
Chers enfans , cet appareil funebre
» vous apprend affez que vous êtes nés de
» peres vertueux . Nous pouvions prolon-
"ger nos jours au dépens de notre hon-
" neur mais nous avons mieux aimé
» mourir avec gloire , que de faire honte
»à nos Ancêtres , de nous couvrir nous-
» mêmes d'opprobre , & de tranfmettre à
" nos defcendans le funefte héritage d'une
» éternelle ignominie. Nous étions perfua-
» dés
que celui qui fait entrer le deshon-
" neur dans fa famille , fe condamne luimême
à la mort , & qu'il eft deftiné
»foit qu'il vive , foit qu'il meure , foit
»fur la terre , foit dans les enfers , à être
» un éternel objet d'horreur pour les
» Dieux & pour les hommes. Soyez donc
» donc attentifs à nos leçons. A quelques
objets que vous afpiriez , que la vertu
» foit le guide qui vous y conduife . Tout
» ce que les hommes eftiment le plus ,
» talens , connoiffances , richeffes , fans la
» vertu , n'entraîne que honte & ruine.
"Quel éclat peuvent donner les richeffes
» à un homme qui eft indigne de les pofféder
? Ce font des chofes que nous pof-
ל כ
"
D jv
80 MERCURE DE FRANCE.
»
"
ور
33
و د
"
"
fédons moins pour nous que pour les
» autres. La beauté & la force du corps ,
» jointes à une ame timide & vicieuſe ,
» loin d'orner celui qui en eft doué , ne
fervent, par l'éclat qu'elles jettent fur lui,
qu'à faire mieux briller fes défauts , & à
» les rendre plus difformes. La fcience la
plus étendue , que la juftice & les autres
» vertus n'accompagnent pas , n'eft point
fageffe , mais trompeufe fubtilité . C'eft
» pourquoi que le premier & le dernier
» de vos foins , & le feul qui occupe en
» tout temps & en tous lieux toutes vos
penſées , foit celui de furpaffer , s'il eſt
poffible , vos peres , vos ayeux , & tous
» ceux de votre race , en vertu & en gloire .
» Scachez que ce feroit pour nous une
» humiliation affligeante de vous vaincre
» en vertu , & que ce feroit le plus beau
» de nos triomphes d'être vaincus par vous.
Oui , notre défaite à cet égard feroit
» pour nous une victoire. Au lieu donc de
perdre la gloire que vos Ancêtres vous
» ont laiffée , efforcez- vous fans ceffe de
l'augmenter & de l'étendre . Perfuadez-
» vous qu'il n'y a rien de plus honteux
» pour un homme d'une naiffance illuftre ,
que d'être plus refpectable par le mérite
» de fes Ancêtres , que par fes qualités
perfonnelles. La gloire eft dans unej fa-
و د
و د
و ر
»
ور
JUIN. 1758. 81
"
» mille comme un tréfor précieux . Diffiper
» ce tréfor , ne pas l'enrichir de l'éclat de
fes
propres vertus , pour le tranfmettre
» avec de nouveaux accroiffemens à fa
» postérité , eft une lâcheté & un opprobre.
» Si vous faites de ces maximes la regle de
» votre conduite , vous entrerez dans ces
» demeures , chéris & dignes de l'être ,
lorfque la commune deſtinée vous y fera
» defcendre. Au contraire , fi vous les né
gligez , la honte de votre vie pourſuivra
»vos manes jufques dans les enfers , &
» vous rendra éternellement haïffables.
Voilà ce que nous avions à dire à nos
» enfans .
»Quant à nos peres & meres , s'ils vi-
» vent encore , & s'ils font affligés de no-
» tre perte , nous les exhortons d'abord à
»fe former des coeurs qui foient à l'épreu-
" ve de l'infortune. La vie eft fi féconde
» en difgraces, que quiconque ne veut pas
» s'en laiffer tout-à- fait accabler , doit tra-
» vailler fans ceffe à y rendre fon ame in-
» fenfible. Mais de plus qu'ils fe fouvien-
33
nent que de toutes les chofes qu'ils ont
» demandées aux Dieux , ils ont obtenu
» celle qu'ils demandoient avec le plus
" d'ardeur. Car ils ne défiroient pas que
» leurs enfans fuffent immortels , mais
qu'ils fuffent vertueux & dignes de
D v
32 MERCURE DE FRANCE
" louange. Ils ont été exaucés en cela , &
il n'étoit pas au pouvoir des Dieux mê-
» mes de leur accorder une plus infigne
» faveur. Ils n'ont pas dû s'attendre que
» tout leur réufsît au gré de leurs voeux :
» un bonheur fi pur n'eft pas le partage de
» l'homme mortel durant fa vie. S'ils fçavent
s'élever au deffus des malheurs , ils
prouveront par cet acte d'héroïfme qu'ils
» ont donné le jour à des Héros . Mais s'ils
» cedent à l'infortune , ils laifferont lieu
» de foupçonner , ou qu'ils ne font pas vé-
» ritablement nos peres , ou que tous les
éloges qu'on nous donne , ne font que
» des menfonges . Loin de nous deshonorer
ainfi , ou de fe deshonorer eux - mêmes,
ils doivent faire enforte que le Public
ayant devant les yeux le fpectacle
» de leurs vertus , en foit plus porté à
» ajouter foi au récit des nôtres , & qu'une
99
30
reffemblance parfaite entre notre carac-
» tere & le leur , leur affure la gloire d'être
» les auteurs de nos jours. L'ancienne ma-
»xime rien de trop , eft d'une grande fagef
fe. Quiconque attache fon bonheur à la
» deſtinée d'autrui , éprouvera des balan-
»cemens perpétuels de joie & de trifteffe ,
effets inévitables de l'inftabilité des cho-
»fes humaines. Celui- là feul eft folidement
heureux , qui établit en foi-même:
JUI N. 1758 . $3
33
39
23
33
»
les principes de fa félicité. Il eft feul ca-
» pable d'atteindre la perfection de la fageffe
& de l'héroïfme . Soit que les Dieux
»lui donnent , ou qu'ils lui ôtent des biens
» & des enfans , il conformera fa condui-
»te à la maxime que nous venons de citer :
»fa joie & fa douleur feront également
» modérées. C'eft- là le modele que nous
préfentons à nos parens , & c'est celui
» que nous fuivons nous- mêmes : car nous
»ne regrettons que foiblement la vie , &
" s'il falloit la perdre une feconde fois , une
crainte trop vive ne nous empêcheroit
pas d'en faire le facrifice. Nous prions
» nos peres & meres de prendre de femblables.
fentimes , & d'y perfifter tant
qu'ils vivront. Les larmes & les foupirs
» ne pourroient avoir d'autre effet que de
les avilir. Car qu'ils ne s'imaginent pas
" que tout cet appareil de douleur nous
»fût agréable. Si dans l'état où nous fom-
» mes , il pouvoit exciter dans nous quelque
fentiment , ce feroit celui d'un extrême
déplaifir. S'ils veulent nous don-
»ner des marques d'amour que nous puif
fions agréer , qu'ils fupportent leurs
malheurs avec patience.. Notre deſtinée
» eft la plus glorieufe que l'homme puiffe.
défirer. Ils doivent donc nous féliciter
» au lieu de nous plaindre. Nous leur
"9
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
و د
» recommandons nos femmes & nos en-
» fans. Le foin qu'ils en prendront , écar-
»tera de leurs efprits l'idée de leurs infor-
» tunes , & fera en même temps plus con-
» forme à la vertu , plus digne de leur ca-
» ractere , & plus agréable à nos manes que
»des plaintes & des larmes inutiles. Tel
» eft le difcours que nous adreffons à nos
»peres & meres. Pour ce qui eft de la pa-
» trie , nous la prierions , s'il étoit néceffaire
, de prendre fous fa protection nos
» parens & nos enfans , de fournir aux uns
» les fecours dont ils ont befoin dans leur
vieilleffe , & de procurer aux autres une
» éducation digne de leur naiffance : mais
»nous ne doutons pas qu'elle ne prévien-
» ne à cet égard nos prieres & nos défits . »
30
O enfans ! ô peres de ces héros ! voilà
les enfeignemens qu'ils vous ont laiffés ,
& que je vous ai répétés par leur ordre
avec tout le zele d'un véritable Citoyen.
Je vous exhorte de nouveau en leur nom ,
& je vous fupplie , vous , qui êtes leurs enfans
, de marcher fidélement fur leurs traces
, & vous , qui êtes leurs peres , de
vous réjouir de leur destinée. Vous retrouverez
dans nous le foutien que vous avez
perdu dans eux. Nous nous emprefferons
rous , en particulier & en commun , de
procurer à chacun les reffources que fa
JUIN. 1758.
condition demande . Vous êtes vous- mêmes
témoins des attentions de l'Etat pour les
parens & les enfans de ceux qui meurent
à fon fervice. Il ordonne aux Magiftrats
d'exercer fur eux une vigilance particuliere
, de défendre les parens contre l'injuftice
& l'oppreffion , & de faire donner
aux enfans une éducation convenable . Il
met tout en ufage pour que ces Orphelins
ne fouffrent pas de la perte de leurs peres .
Il en prend à leur égard les fentimens & le
titre , il veille fur leur enfance avec l'affection
la plus tendre , & après les avoir
conduits jufqu'à l'âge viril , avant que de
les renvoyer dans leurs familles , il leur
préfente les armes de leurs peres , & les en
fait revêtir en cérémonie , afin que la vue
de ces inftrumens de la gloire paternelle ,
excite en eux un vif défir de fe fignaler
à leur tour , & que le premier ufage qu'ils
font de leurs forces , étant comme un effai
d'héroïfme , foit pour eux l'augure &
gage d'une vie vertueufe & pleine de
gloire.
le
Il ne fait pas paroître moins de zele pour
étendre & perpétuer la gloire des morts. It
fait célébrer tous les ans en ce lieu une fête
folemnelle en leur honneur , où il offre
pour tous en commun les mêmes facrifices
qu'on offre pour chacun d'eux dans leurs
36 MERCURE DE FRANCE.
familles. Il a de plus établi des combats &
des courfes autour de leurs tombeaux . Il
engage les Poëtes par l'appas des plus glorieufes
récompenfes , à chanter leurs vertus
& leurs exploits. Partageant ainfi fes
foins entre les morts , leurs enfans & leurs
parens , il agit envers les morts comme un
héritier reconnoiffant , envers les enfans
comme un pere tendre , & envers les parens
comme un fils attentif aux befoins de
leur vieilleffe.
Tout ce que je viens de dire , doir être
gravé dans votre mémoire , & fervir à
vous confoler des pertes que vous avez faites.
Ainfi vous rendrez vous plus agréables
aux vivans & aux morts , & vous ferez
plus en état de profiter des remedes qu'on
offre à vos malheurs , & d'en fournir vousmêmes
aux autres . La cérémonie eft finie :
que l'affemblée , après avoir dit toute d'u
ne voix , fuivant l'ufage , un dernier adicu
aux morts , fe retire .
JUIN. 1738. 87
VERS
A Madame C ** , C ** de V *** , de
ENVOYER
Marfeille.
NVOYER un bouquet dans un autre hémif
phere ,
Et trouver moyen que les fleurs
Ne perdent rien de leurs vives couleurs ,
Flore m'a dit qu'on ne fçauroit le faire ;
Et je l'ai crue . Affurer de mes feux ,.
Une beauté que j'aime , que j'adore ,.
Le lui dire cent fois , le lui.redire encore ,.
L'Amour m'a dit que cela valoit mieux ;,
Et je l'ai cru : les Amans font crédules,
'Ah ! ſi vous m'écriviez que vous m'aimez toujours ,
Ma crainte , un noir foupçon , fans doute ridicules
,
N'empoifonneroient plus mes jours
Alors la joie & ma tendreffe extrême ,
Par cet aimable aveu rendroient mon coeur char
mé..
On croit tout d'un objet aimẻ ;
Et vous fçavez fi je vous aime .
D. D. B. D. T
88 MERCURE DE FRANCE .
Le mot de l'Enigme du Mercure de Mai
E
eft la Langue. Celui du Logogryphe eft
Tabatiere , dans lequel on trouve raie ,
brette , air , bête , biere , Arabe , Arabie ,
Atrée , bât , aire , tiare , Tibere , tête , Tibre,
état , batterie , baie , ire , art , Brie , rat ,
titre , ré & rabot.
ENIGM E.
J'AT le corps gros & le col mince -
ΑΙ
Je ſuis fans têté & plein d'eſprit :
Chez le Curieux & le Prince ,
Plus qu'autre part eft mon crédit :
Je ſuis foumis au temps , comme lui, variable :
Je vais & viens ; cependant je fuis ftable ,
Reftant fixe à l'endroit où l'on veut me placer :
C'eft affez , cher Lecteur , je te laiffe y penſer
Dans le Mercure de Mai nous nous
étions bornés à apprendre au Public que
Mademoiſelle de la Boiffiere , de Moulins ,
défavouoit l'Enigme qui a paru fous fon
nom dans le premier volume du Mercure
d'Avril. Comme il nous eft revenu qu'elle
ne fe contente point de ce défaveu , auJUIN.
1758 . 89
quel elle dit n'avoir aucune part, & qu'elle
fouhaite que nous inférions ici la Lettre
qu'elle nous a écrite à ce fujet , & qui contient
celui qu'elle fait elle- même , nous
ne croyons pas pouvoir lui refuſer la fatisfaction
qu'elle exige de nous. La voici :
MONSIEUR , ONSIEUR , j'ai été extrêmement furpriſe
de trouver dans le premier volume
du Mercure d'Avril , une Enigme au bas
de laquelle eft le nom de Mademoiſelle
de la Boiffiere : c'eft celui fous lequel je
fuis le plus connue , il n'y a point d'autre
perfonne à Moulins qui porte ce nom. Je
puis vous affurer , Monfieur , que cette
Enigme n'eft point de moi , que
l'on vous
en a impofé , & au Public , lorfqu'on vous
l'a adreffée fous mon nom . Je n'ai jamais
donné dans la littérature , encore moins
dans la poéfie. Je ne me flatte pas d'avoir
affez de connoiffance pour juger fi elle eft
bonne ou mauvaiſe , ni affez d'efprit pour
l'entendre. Telle qu'elle eft je la défavoue,
& j'ai tout fujet de me plaindre de la
perfonne qui vous l'a adreffée fous mon
nom. Si on a prétendu me faire honneur ,
de m'ériger en Auteur , en faifant inférer
dans le Mercure un ouvrage auquel je
n'ai aucune part , on auroit dû me demander
mon confentement , & fûrement je ne
go MERCURE DE FRANCE.
fuis pas.
l'aurois pas donné ; je n'ai point la fotte
vanité de vouloir paroître ce que je ne
Si on a voulu me donner un ridicule
, ma plainte eft encore mieux fondée
; je ne crois pas l'avoir mérité : je me
flattois d'avoir vécu jufqu'à préfent de
façon à ne me point faire d'ennemi . De
quelque part que ce procédé vienne , il eft
intéreffant pour moi que le Public foit
défabufé . Ainfi , Monfieur , je vous demande
en grace de vouloir bien inférer
dans votre prochain Mercure la Lettre que
j'ai l'honneur de vous adreffer. Je fuis ,
Monfieur , votre très- humble & très-obéiffante
fervante , LA BOISSIERE.
A Moulins , ce 12 Avril 1758 .
LOGO GRYPHE.
Js fuis fille de l'air , l'on ne me voit jamais : B
Les vents étendent mon empire ;
Et dans le moment où j'expire ,
Au creux d'un rec à demi je renais .
Mon nom contient un pays de l'Attique ;
Une Ville en Hollande , & l'autre en Dauphinés
Et quand il plaît à qui m'a combiné ,
Je deviens un ton de mufique.
J'immortalife & Pindare , & Rouffeau ;
Mes bords font environnés d'eau :
JUIN. 1758.
Je gouverne un état ſur les côtes d'Afrique ,
Où le Chrétien reçoit des fers du Muſulman ;
Et j'embellis par ma ftructure
Un Temple à Rome , à Stamboul le Divan..
Des fimples je fais des victimes ;
Je défends l'innocence , & je punis les crimes ;
Je nourris le Clergé , je nourris le vieillard ;
L'on me recueille fur l'hymette :
Je fus au ciel élevé fur un char ,
Je parois , après la tempête ,
Sur les mâts & fur le gaillard.
De l'Egyptien idolâtre
J'obtins des Autels à Memphis :
D'un fexe léger & folâtre ,
Dans la faifon des amours & des ris ;
Je releve les tendres graces :
Si je lui plais , il plaît par moi.
De l'orage quand les menaces
Répandent un cruel effroi ,
J'offre aux vaiffeaux un für afyle ,
Où dans un parage tranquille ,
Ils bravent la mer en fureur.
Je mords le métal le plus dur.
Diane trouve en moi le nom qu'elle éut d'une
Inle :
Chez les Romains , je divifois les temps :
Victorieux , je montai fur le trône
Des Empereurs de Babylone :
Au fage Grec, je confiai les vents :
2 MERCURE DE FRANCE:
Je fauve un doigt d'une pointe inhumaine ,
Je caufai le trépas du vaillant fils d'Alcmene:
Par moi du corps fe font les mouvemens ;
Je fuis un oifeau de riviere ,
Et des liqueurs la fubftance groffiere
Un fimple contre les poifons :
Enfin , malgré l'éclat du Dieu de la lumiere ,
Si je manquois à l'homme , il iroit à tâtons
1
CHANSON
Doux ruiffeaux coulez fans violence :
Roffignols , arrêtez votre voix :
Taifez -vous, Zéphyrs , faites filence;
C'eft Iris qui chante dans ce bois.
Tendrement.
Doux ruisseaux,coulés
sans vio
lence,Rossignols, arretes uptre voiaTaisésvé
6
1090
phirsfaites silence, Cest Iris, qui chan
7 36
3
6 6
Gravé par MelleLabassée .
Imprimépar Tournelle .
5
574
+
te dans ce bois.
σ
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
JUIN. 1758 . .75
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite de l'Extrait de la Défenfe de la Chronologie
fondée fur les monumens de l'histoire.
ancienne contre le fyftême chronologique de
M. Newton ; par M. Fréret , &c.
M. Fréret parcourt un champ d'une plus
vafte étendue dans la feconde partie de cet
Ouvrage. Elle ne renferme que trois fections
, dont les deux premieres traitent de
la chronologie de l'hiftoire Orientale . Il
prélude par des obfervations générales fur
les antiquités Egyptiennes & fur celles des
Chaldéens. Il expofe la méthode qu'il faut
fuivre pour parvenir à diftinguer les traditions
fabuleufes de ces peuples , des traditions
véritables ; enfuite il propoſe les
moyens de les concilier , & de réduire à
leur valeur hiſtorique ces efpaces immenfes
d'années que le préjugé national affignoit
parmi eux à la durée de leur Monar
chie.
Ces remarques le.conduifent par degrés
à une difcuffion approfondie de l'époque
96 MERCURE DE FRANCE .
toire de ce temps - là défigne fous le nom
de Pafteurs . Ils en étoient les maîtres abfolus
, lorfque Jacob vint y chercher un
afyle. Le Prince qui revêtit Jofeph de la
dignité de Miniftre de fes Etats , étoit un
de ces Rois Pafteurs , qui ne furent entiérement
expulfés qu'au bout de 511 ans. Le
temps de leur domination fut marqué par
toutes les viciffitudes de la fortune . Après
avoir donné la loi pendant plufieurs fiecles
, ils fe virent réduits à la recevoir . Un
premier échec les dépofféda du trône de
Memphis , fous le regne d'Aliphragmuthofis
vers l'an 1878 avant l'Ere Chrétienne.
Ce Monarque leur enleva cette Capitale
, les chaffa de l'Egypte , & les contraignit
de fe renfermer dans des marais du
Delta. C'eft à cet événement que fe rapporte
l'époque du paffage d'Inachus dans
la Grece.
Quarante- huit ans après , de nouvelles
révolutions affoiblirent encore ce peuple
d'étrangers. Les Egyptiens , fous la conduire
de Thethmofis leur Roi , les forcerent
dans les lieux qui leur fervoient de
retraite , & où ils s'étoient retranchés . Ils
les obligerent pour la plupart de fe retirer
dans la Paleſtine & dans la Phénicie , au
nombre de 240000 , d'où ils fe répandirent
dans la partie montagneufe de la terre de
Chanaan.
Après
JUIN. 1758.
97
Après la défaite des Pafteurs par Thethmofis
en 1830 , ceux d'entr'eux qui ſe
fentirent affez forts pour réfifter aux atta
ques des naturels du pays , demeurerent
en Egypte. Ils fe cantonnerent dans les
environs de Pélufe , où ils conferverent
leur indépendance jufqu'au regne d'Amé.
nophis. Ce Prince fuperftitieux fe faiſant ,
pour ainfi dire , un devoir d'extirper une
race profcrite comme impure par les Miniftres
de fa Religion , leur déclara ouver
tement la guerre , & marcha contr'eux.
Cela les mit dans la néceffité de pourvoir
à leur défenſe. Ils fignalerent leur liberté
expirante par une dévaftation entiere de
l'Egypte. Ils remporterent de grands avantages
fur Aménophis , qui n'échappa à leur
pourfuite , qu'en fuyant vers les frontieres
de l'Ethiopie. Le fuccès de leurs armes
s'étant foutenu pendant treize ans , ils furent
enfin vaincus par Séfoftris , fils de ce
Prince , qui les extermina. Ceux qu'épargna
le fer du Vainqueur , fubirent le joug
de la fervitude la plus onéreuſe. Les Ifraélites
, dont les Ancêtres avoient paſſé en
Egypte au temps de la pu flance de ces
Pafteurs , furent enveloppés dans la même
difgrace. Cet efclavage commun a donné
lieu de les confondre depuis les uns avec
les autres. Les horreurs des difcordes civi-
E
98 MERCURE DE FRANCE
les qui défolerent l'Egypte dans le cours
de cette guerre cruelle & fanglante , qui
précéda la ruine des Pafteurs , furent caufe
que plufieurs de fes Habitans abandonnerent
leur patrie , loin de laquelle ils allerent
, fous la conduite de différens Chefs ,
chercher des retraites , & fonder des Etats.
Ce fut alors que Danaus paffa dans la Gre
ce , où il établit une colonie.
La troifieme fection beaucoup plus lon
gue que les deux précédentes , contient
is articles , où l'Auteur traite un grand
nombre de queftions auffi curieufes qu'importantes
, & qui ont été affez peu éclaircies
jufqu'à préfent pour mériter une explication
plus détaillée . Il la deftine principalement
à combattre l'identité prétendue
de Séfoftris & d'Ofiris , que M. Newton
fuppofe d'après M. Prideaux , qui a
avancé une femblable opinion fur quelques
traits de reffemblance qu'il a obfervés dans
les actions que l'hiftoire attribue à ces deux
Héros de l'antiquité. Comme fi des rapports
vagues dans la vie de plufieurs hommes
, occafionnés par un pur effet du ha
zard , fuffifoient pour les identifier. M.
Fréret fait voir que cette identité eft contraire
à ce que l'Ecriture nous apprend de
la Religion Egyptienne au temps de Jacob,
de Jofeph & de Moyfe, Il prouve par le
JUIN. 1758 . 99
texte des Ecrivains facrés , que le culte qui
en dépendoit n'avoit point fouffert les
changemens que M. Newton fe perfuade
lui être arrivés ; qu'il fut dans les ficcles
poftérieurs à Salomon , le même que celui
qui fubfiftoit dans ce pays au temps de
Moyfe , & que parconféquent le culte
d'Ofiris & d'Apis étoit établi long-temps
avant Sefac , contemporain de Salomon &
de fon fils Roboam. Il réfulte de l'impoffibilité
que Séfoftris ait pu être le même
que l'Ofiris des Egyptiens , des difficultés
infurmontables que le fçavant Académicien
forme contre l'hypothefe de M. Newton
fur la nature de l'idolâtrie , qu'il foutient
avoir commencé par le culte des
hommes apothéofés. Il n'a point de peine
à montrer que ce fentiment contredit
l'idée que les Anciens nous donnent de la
Religion Egyptienne. « Les Dieux adorés
99
en Egypte , dit notre Auteur , étoient
» de deux efpeces . Les uns étoient les Dieux
fupérieurs , qui étoient tels par leur na-
» ture. Les autres étoient des hommes illuftres
, que la reconnoiffance , l'admiration
& la flatterie avoient mis au rang
» des Dieux , à caufe de leurs grandes ac-
» tions , & des découvertes utiles que le
» genre humain leur devoit dans les Arts
"
29
& dans les Sciences . D'abord on s'étoit
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
» contenté de les affocier aux grandes Di-
» vinités , à celles de la claffe fupérieure.
» Ces Dieux du fecond ordre étoient fub.
» ordonnés aux premiers. Ils n'étoient d'a-
» bord que les exécuteurs de leurs volon-
33
tés , & leurs Miniftres dans le gouverne
" ment de l'Univers. Mais dans la fuite ,
" on les confondit enfemble , on leur
» donna un pouvoir égal ; & comme les
» hommes préferent volontiers dans la
Religion les objets fenûbles , & ceux qui
frappent leur imagination , aux objets
purement métaphyfiques , les Divinités
» du fecond ordre prirent peu 2 peu la
place des premieres , & les firent pref-
» qu'entiérement oublier . »
"
"
»
Un examen réfléchi de l'origine de l'idolâtrie
le conduit néceffairement à difcuter
celle que lui attribuoit Evhemere , le
premier Auteur du fyftême qui concerne
l'apothéofe , ou le culte des hommes morts,
adopté & renouvellé par M. Newton. Cet
ancien Ecrivain qui fleuriffoit du temps
des fucceffeurs d'Alexandre , avoit compofé
un ouvrage fur l'hiftoire fabuleufe , où
il prétendoit que toutes les Divinités n'étoient
que de fimples hommes femblables
à nous , que l'admiration pour leurs belles
actions , la reconnoiffance pour leurs bienfaits
, & ſouvent la terreur qu'ils avoient
JUIN 1758 . ΙΟΙ
infpirée , avoient placés dans ce rang fublime.
Les peuples naturellement portés a
la fuperftition , s'étoient avifés d'adreffer
leur culte & leurs adorations à ces hommes
qu'ils avoient changés en des êtres
d'une nature fupérieure à la nôtre. Ils s'imaginoient
qu'ils étoient devenus immortels
, impaffibles & tout- puiffants , & ils les
regardoient comme les difpenfateurs des
biens & des maux qui nous arrivent dans
ce monde.
Cet Evhemere avoit affecté de marquer
le temps & le lieu de la naiſſance , de la
mort & de la fépulture de toutes ces Divinités.
Son hypotheſe , bien loin d'être reçue
favorablement , excita une indignation
générale , même parmi ceux d'entre les
Payens qui paroiffoient le plus indifférens
fur leur Religion. Elle fe préfentoit à leurs
yeux comme un moyen imaginé pour en
anéantir l'idée dans l'efprit des hommes.
M. Fréret obferve qu'il fuffit de confidérer
ce fyftême en lui même , dont la nouveauté
eft fenfible , pour être convaincu de fon
abfurdité & de fa fauffeté , même parmi
les Grecs qui admettoient l'apothéofe . En
effet , on ne fçauroit nier que cette affociation
des ames humaines aux Dieux fupérieurs
, ne foit la feule maniere dont on
puiffe concevoir l'origine du culte des
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
hommes déifiés . « Mais cette affociation ,
»dit notre Académicien , ne fera jamais
que des Dieux fecondaires & fubalter-
» nes , dont le culte ne pourra s'établir que
» par une longue fuite de générations , &
» ces Dieux ne parviendront même pref-
» que jamais à être égalés aux Dieux fupé-
» rieurs. C'eft ce qu'il confirme par des
exemples tirés du culte religieux des Grecs ,
qui diftinguoient ces Divinités fupérieures
des fubalternes , qu'ils nommoient tou
jours des Héros & des demi - Dieux. Il
montre par l'hiftoire de celui de Bacchus
que ce Dieu ne fut jamais regardé comme
un homme , ou comme un Héros. Il expofe
enfuite l'opinion des Egyptiens touchant
le même Bacchus , Hercule & Pan ,
qu'ils foutenoient n'avoir jamais été des
hommes . Il fait voir que l'apothéofe a été
inconnue aux peuples de l'Orient ; que
S. Paul , en s'adreffant aux Gentils , a toujours
fuppofé que les Dieux du Paganiſme
n'étoient pas des hommes déifiés ; que les
Phéniciens rejettoient le culte des Héros ;
enfin que les Prêtres d'Egypte nioient que
les hommes puffent s'élever à la nature des
Dieux , & les Dieux defcendre à l'humanité.
Ces remarques font fuivies de deux
digreffions , dont l'une a pour objet la variation
de l'écliptique , dont les Egyptiens
JUIN. 1758. 10%
'entretinrent Hérodote ; l'autre roule fur
leur antiquité reconnue par Solon & par
Platon. M. Fréret fe propoſe d'établir dans
le dernier article de cette feconde partie
de fon Traité , que les Egyptiens ont confervé
fous la domination des Grecs & des
Romains , le même éloignement pour le
culte des hommes morts , qu'ils en avoient
témoigné dans les premiers âges de leur
Monarchie , & dans les fiecles floriffans de
leur indépendance. Cela donne lieu au
développement de leur fyftême religieux ,
qu'il explique d'après les idées d'Hermesde
Porphyre , de Jamblique , & de quelques
autres Platoniciens modernes . Si notre
analyfe n'excédoit déja par fa longueur
les bornes ordinaires , nous aurions pu entrer
dans quelque détail fur ce que renferme
de curieux ce morceau , qui nous
paroît fait avec beaucoup de foin , & trèspropre
à intéreffer ceux qui s'appliquent à
approfondir la théologie de ces anciens
temps du Paganifme. Nous ofons dire à la
louange de l'Auteur , qu'il manie fon fujet
d'une maniere également fçavante & philofophique.
C'eft le témoignage que lui
rend M. de Bougainville , au jugement
duquel nous acquiefçons volontiers. Il eft
bon de l'entendre parler lui- même. « C'eft
» un fujet immenfe , dont les profondeurs
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
و ر
و د
"3
»
"
» inacceffibles au génie fans érudition ,
» impénétrables à l'érudition fans génie ,
» renferment une infinité de problèmes ,
qu'un fçavant Philofophe eft feul en état
» de réfoudre. Je ne crains pas d'être défavoué
par ceux qui connoiffent les écrits
imprimés de M. Fréret , quand je leur
annonce que ce dernier Ouvrage ache-
» vera de les convaincre qu'il étoit tout ce
qu'il faut être pour lutter avec fuccès
» contre de pareilles queftions. Il le prouve
» dans le cours de l'Ouvrage entier , mais
principalement à mes yeux dans cette
» feconde partie , où brillent à la fois toute
» la force & la fagacité de l'efprit , tout
» l'art de la critique & toutes les richeſſes
» du fçavoir. Des difcuffions fines & méthodiques
y conduifent le Lecteur à des
dénouemens finguliers , mais fimples ,
» dont la nouveauté l'étonne , dont la vé-
» rité le frappe , & qu'il adopte fans efforts
» comme des idées naturelles , qui n'avoient
» befoin que d'être développées en lui.
» Les découvertes y naiffent les unes des
» autres. La chaîne qui lie les conféquen-
» ces aux principes , les vraisemblances
» aux vérités , met entr'elles un accord fi
parfait , que les conjectures mêmes empruntent
des faits dont elles dépendent ,
» ou qu'elles expliquent une folidité qui
» leur donne du corps. »
و د
ور
JUIN. 1758. 105
M. Fréret ne s'eft attaché jufqu'ici à
combattre que les preuves hiftoriques &
morales du fyftême de M. Newton , en
employant des argumens du même genre ,
que les moyens mais en ufage par fon Adverfaire.
Il lui reftoit à examiner les preuves
aftronomiques , dont ce Géometre a
voulu étayer fon hypothefe , & que fes
partifans font valoir avec beaucoup d'emphafe.
C'eſt ce que notre Auteur entreprend
de faire dans la troifieme partie qui
fe divife en deux fections. Cette matiere
eft liée à des calculs fi compliqués , qu'elle
eft, pour ainfi dire , hériffée de difficultés
qu'on ne parvient à réfoudre que par le
travail le plus opiniâtre . Mais les éclairciffemens
qu'elle reçoit par ces fortes de
difcuffions compenfent la féchereffe des
détails épineux & pénibles qu'elle comporte
, & qui fuppofent néceffairement
une connoiffance plus que médiocre de
l'ancienne aftronomie. L'objet de la premiere
fection eſt un réfutation dans les
formes de l'hypothefe de M. Newton ſur
le temps de l'établiffement de l'année Egyptienne.
Suivant la fuppofition du nouveau
Chronologiſte , les Egyptiens s'étoient
fervis, avant le regne d'Ammon , pere de
Sefac ou Séfoftris, d'une année de 360
jours , qui différoit auffi fenfiblement de
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
l'année Lunaire que de l'année Solaire. Ce
Prince fut le premier qui ajouta cinq jours
épagomenes au douze mois , & qui donna
365 jours à l'année , dont l'ufage ne fut
pas d'abord commun. Elle n'eut cours dans
toute l'Egypte que 72 ans après la mort
de Séfoftris , vers l'an 884 avant l'Ere
chrétienne , fous le regne d'Aménophis ,
fils de Zarah , Roi d'Ethiopie , au temps.
duquel M. Newton rapporte l'entiere expulfion
des Paſteurs en 930 , & qu'il prétend
être le Menès d'Hérodote, l'Offimandyas
de Diodore , & le Memnon des Grecs.
Il préfume que les Prêtres Egyptiens , à la
faveur de leurs obfervations du lever & du
coucher héliaque des étoiles , furent alors
en état de régler leur Calendrier , en corrigeant
la forme défectueufe de l'année
qu'ils avoient fuivie jufques-là . Il croit
que ce fut pour confacrer la mémoire de
cette correction , dont il attribue l'honneur
à Aménophis , qu'ils placerent autour de
fon tombeau dans le fameux édifice appellé
Memnonium , un cercle d'or de 365 coudées
de circonférence , & le diviferent en
365 parties égales , qui faifoient allufion
au même nombre des jours dont leur année
étoit compofée. Il fuppofe encore que
le commencement de cette année nouvelle
fut fixé par eux au jour de l'équinoxe du
JUIN. 1758. 107
མ་
printemps. Mais comme elle a environ fix
heures de moins que l'année tropique , il
arriva qu'en quatre ans l'équinoxe avançoit
d'un jour , & que par une fuite de
cette anticipation annuelle , au lieu de
concourir avec le premier jour du premier
mois , c'étoit fur le fecond de ce mois qu'il
tomboit. La même chofe avoit lieu pour
les levers & les couchers des étoiles . Ainft
felon M. Newton , lorfque ces Prêtres introduifirent
dans la Chaldée l'ufage de
l'année de 365 jours , 137 ans après l'an
884, qui eft celui de fon établiſſement en
Egypte , le jour de l'équinoxe du printemps
ne répondoit plus au premier jour
de l'année ; mais au trente- quatrieme jour
cinq heures du fecond mois. L'établiffement
de cette année à Babylone , eft l'époque
que M. Newton affigne à l'Ere de Nabonaffar
, qui commence au 26 Février de
Fan 747 avant l'Ere chrétienne.
Ces différentes affertions difcutées en
détail par notre Académicien , lui paroiffent
appuyées fur des fondemens ruineux ,
& parconféquent très - faciles à renverfer .
It montre que l'Aménophis dont il s'agit
ici , n'eft ni le Ménès d'Hérodote , ni l'Offimandyas
de Diodore , que M. Newton
a tort de le faire auteur de la réforme du
Calendrier Egyptien ; que fon tombeau
Evj
108 MERCURE DE FRANCE .
n'avoit point été orné du cercle d'or , mais
celui d'un Roi d'Egypte plus ancien que
Séfaftris , & qui régnoit plus de feize cens
ans avant l'Ere chrétienne ; enfin que l'établiſſement
de l'année de 365 jours eft de
la plus haute antiquité. Les raifons qu'il
oppofe à celles que le nouveau Chronologifte
produit en faveur de fon hypotheſe ,
fe réduifent aux articles fuivans. 1 °. Les
Egyptiens avoient une année vague de 365
jours , dont le commencement varioit
tous les ans de fix heures quelques minutes.
C'étoit leur année religieufe. Les
Prêtres fe firent un point capital d'en conferver
l'ufage ; en conféquence duquel les
fêtes des Dieux qui changeoient tous les
quatre ans de jour par rapport au mouvement
du foleil dans l'écliptique , parcou
roient toutes les faifons , & fanctifioient
fucceffivement tous les jours de l'année
folaire vraie .
2º. Ils avoient de plus une année civile,
dont le commencement étoit fixe , & qui
fervoit à régler la culture des terres , le
temps des fermages , & celui du paiement
des impôts annuels qui fe prenoient fur le
produit des terres .
3. Les commencemens de ces deux années
, dont l'une indiquoit les fêtes , &
l'autre marquoit les ufages civils , fe réuniffoient
au bout de 1460 ans par leur
JUIN. 1758.
109
concours au même point de l'écliptique.
Comme l'année civile commençoit au
lever héliaque de la canicule , nommée Sothis
en Egypte , cet espace de 1460 ans ,
dont le premier & dernier inftant étoient
déterminés par le retour commun des
deux années aux mêmes points du ciel ,
formoit un cycle connu fous le nom de
Cycle Sothiaque ou Caniculaire. La réunion
du premier jour de l'année vague avec
celui du lever héliaque de l'étoile Sothis
fous le climat de l'Egypte , marquoit la fin
d'une de ces périodes , & le commencement
d'une autre .
4°. Cenforin témoigne expreffément que
l'année dans laquelle il écrivoit , étoit la
centieme d'un nouveau cycle , & que la
réunion ou le commencement du cycle
avoit concouru avec l'année du fecond
Confulat de l'Empereur Antonin , le treizieme
jour avant les Calendes d'Août ,
c'eft-à-dire le 20 Juillet d'une année Julienne
, qui eft indubitablement la 138 °
de l'Ere vulgaire . Cette année répondoit
donc à la premiere du nouveau cycle
Egyptien , & à la derniere du cycle précédent.
Ce cycle antérieur à celui de
Cenforin , avoit parconféquent commencé
au mois de Juillet de l'an 1322 avant l'Ere
vulgaire, c'est-à - dire 438 ans entiers avant
110 MERCURE DE FRANCE
la date établie par M. Newton pour le
premier établiſſement de l'année Egyptienne
de 365 jours.
5. M. Fréret va plus loin encorè. Il
fait voir que le cycle révolu immédiatement
avant celui pendant lequel écrivoit
Cenforin , n'eft pas le plus ancien cycle
Egyptien. Il n'étoit que le fecond ; & celui
de la centieme année , d'où date Cenforin ,
étoit le troifieme . On trouvera donc , en
remontant au premier cycle , qu'il avoit
commencé 2920 ans avant le cent trentehuitieme
de Jeſus - Chrift , ou l'an 2782
avant FEre chrétienne. La réalité de ce.
premier cycle eft une choſe facile à conftater
, même même par l'Ecriture dont notre Au
teur tire des preuves inconteftables , pour
montrer que l'année vague de 365 jours ,
étoit en ufage chez les Egyptiens au moins
du temps de Moyfe , & que parconfé
quent elle étoit de la même ancienneté
que le cycle caniculaire , qui eft compofé
de ces années. Ainfi ces deux chofes ont
une liaiſon fi étroite, que l'une ne fçauroit
fubfifter fans l'autre , & que l'existence
prouvée de ce cycle eft une démonftration
de l'année de 3.65 jours.
L'examen de l'époque de Chiron dé
terminée dans le nouveau fyftême par
Faftronomie , fait le fujet de la feconde
JUIN. 1758. TRE
阈
fection , qui fe partage en quatre articles.
C'eft , fans contredit , le côté le plus impofant
fous lequel l'hypothefe de M. Newton
fe préfente à l'efprit des perfonnes qui
ne jugent que d'après les apparences , &
qui font par cela même moins en garde
contre l'illufion des moyens dont il fe fert
pour les établir. Comme la chronologie
paroît recevoir fa plus grande certitudedes
fecours qu'elle tire de l'aftronomie
M. Newton autorife fon calcul abrégé
d'une preuve qui en découle , & qui donne
à fon raiſonnement l'air d'une démonftration.
Il s'agit de la détermination de
l'âge des Argonautes par le lieu des colures
dans l'ancienne fphere Grecque réglée
par Chiron , pour leur ufage dans le cours
de la navigation qu'ils avoient entrepris.
M. Halley , qu'on n'accufera pas affurément
d'avoir été prévenu contre le nouveau
fyftême , avoue de bonne foi que
c'en eft l'endroit le plus problématique ;
parce qu'il dépend entiérement de deux.
fuppofitions , fçavoir rº. que Chiron avoir
deffiné une ſphere célefte pour l'ufage des
Argonautes ; 2°. que cette fphere étoit
celle qu'avoit fuivie Eudoxe , deux chofes
qui font avancées gratuitement . La théo
rie de la préceffion des équinoxes fournir
M. Newton l'argument principal par le112
MERCURE DE FRANCE.
e
quel il fe propofe d'abréger de plus de 400
ans la chronologie Grecque. Il eft conftant
par les obfervations les plus exactes , que les
points équinoctiaux , & généralement tous
les points de l'écliptique , ont un mouvement
rétrograde & continu , qui les porte
d'Orient en Occident contre l'ordre des
fignes , & dont la quantité mefurée eft
d'un degré en 72 ans . Chiron , felon M.
Newton , fixa l'expofition des points cardinaux,
au 15 ° degré de leurs fignes .Meton,
l'an 16 de l'Ere 31 de Nabonaffar , obſerva
le folftice d'été au huitieme degré da
Cancer. Parconféquent les folftices avoient
rétrogradé de fept degrés , & comme un
degré équivaut à 72 ans , fept degrés parcourus
produifent un intervalle de 504
ans , qui , ajoutés aux 316 de l'Ere de Nabonaffar
, qui s'étoient écoulés jufqu'au
temps de l'obfervation de Meton , ne font
remonter l'expédition des Argonautes qu'à
l'an 936 avant l'Ere chrétienne . Il n'eft
point queftion de la jufteffe de ces calculs
qu'on ne contefte point à M. Newton.
M. Fréret combat uniquement la vérité des
faits auxquels le nouveau Chronologiſte
les applique , & les conféquences qu'il en
tire pour accréditer fon hypotheſe. En
effet , fi cette fphere ancienne n'eft pas
celle de Chiron , il eft évident qu'on n'a
JUIN. 1758 . 113
aucune raifon d'en déduire l'époque des
Argonautes , ni fonder fur le calcul qui
en réfultera , une chronologie totalement
oppofée à celle qui eft appuyée fur le témoignage
des meilleurs Ecrivains de l'Antiquité.
C'eft ce qu'il s'attache à prouver ,
en remarquant 1 ° . que le premier planifphere
connu des Grecs differoit abfolument
de celui auquel Eudoxe a comparé
les obfervations du folftice faires par Meton
; ou que du moins fi cette fphere eft
celle qu'Eudoxe a employée , elle avoit été
réformée de maniere à n'être plus la même ;
que conféquemment on ne peut inférer
l'époque des Argonautes de la pofition
affignée pour lors aux étoiles dans cette
fphere qui avoit été corrigée plufieurs
fiecles après eux ; 2 ° . qu'il fuffit de jetter
un coup d'oeil fur ce qui nous refte des
monumens de l'aftronomie ancienne , pour
fe difpenfer d'avoir recours à cette correction
de fphere primitive , & pour être à
portée de voir divers Calendriers dreffés
fucceffivement , & dont il eft facile de
déterminer les époques , par les différences
qu'on obferve dans la repréſentation de
l'état du ciel fur chacun de ces Calendriers
; 3 ° . que celui qu'Eudoxe a fuivi ,
n'a été dreffé qu'au temps d'Héfiode , &
que fi l'on examine avec foin les frag114
MERCURE DE FRANCE.
mens qui fubfiftent encore de quelques
autres , on parviendra à en découvrir dans
le nombre , un dont la date eft beaucoup
plus ancienne ; puifqu'elle répond au commencement
du quinzieme fiecle avant
Jefus- Chrift ; 4° . enfin que le temps de ce
premier effai de l'aftronomie concourt à
peu près avec l'époque marquée par les
meilleurs Ecrivains pour l'entreprife des
Argonautes ; qu'ainfi la détermination af
tronomique de cet événement , loin de
détruire leurs calculs , comme on voudroit
le fuppofer , eft une preuve de plus en leur
faveur. Au refte , M. Fréret , avant que de
paffer à une difcuffion de la prétendue
démonſtration aftronomique de M. Newton
, donne une traduction d'un morceau
qui y eft relatif , & qu'il a extrait de
l'Ouvrage que M. Wifthon a publié contre
le nouveau fyftême . Elle y eft attaquée
dans un très - grand détail , qu'il abrege
felon l'exigence des cas. Il commente quelquefois
le texte du célebre Aftronome Anglois
, aux remarques duquel il en ajoute
d'autres qui lui ont paru propres à confirmer
les idées de M. Wifthon . Il fait enfuite
des objections qui lui font particulieres
contre cette même preuve aftronomique
, dont M. Newton & fes partifans
fe prévalent ; & pour leur donner toute la
JUIN 1758. 113
force dont elles font fufceptibles , il fe livre
aux plus profondes difcuffions des Calendriers
des différens âges , qu'il compare les
uns avec les autres. Il fait obſerver la marche
progreffive des conftellations , indiquée
fur ces planifpheres , par la diverfité
des lieux qu'elles y occupent . De ces différentes
pofitions mifes en parallele avec
celles que les catalogues de Bayer & de
Flamftéed attribuent aux mêmes étoiles , il
déduit les époques qui doivent être affi .
gnées à ces planifpheres anciens. Il examine
un paffage de Columelle allégué par
M. Newton , qui s'en autorife fans rapporter
les paroles expreffes de cet Auteur ,
pour avancer que Meton avoit placé le colure
des folftices au 8. degré. Il fe propofe
de montrer que le fçavant Anglois
s'eft mépris groffiérement fur le fens de ce
paffage , qui bien loin de favorifer fon
fyftème , lui eft formellement contraire .
Cet examen l'engage par occafion dans
des recherches fur les Calendriers ruftiques
des Anciens. Des éclairciffemens fur
les Calendriers qui portoient le nom de
Meron , & fur ceux qui étoient , felon les
apparences , plus anciens que le temps.
d'Héfiode , terminent cette fection &c
F'ouvrage entier. Il eft aifé de juger de fon
utilité par l'analyfe que nous venons d'en
116 MERCURE DE FRANCE.
faire. On peut affurer qu'elle eft fupérieare
à celle d'un écrit purement polémique ;
puifque l'objet de ce Traité n'eft pas une
finple réfutation des hypothefes fingulieres
& hardies de M. Newton ; fon plan
embraffe encore la folution des plus importantes
queſtions de la chronologie de
tous les peuples de l'antiquité , & la fixation
de toutes les époques générales , &
de celles d'un infinité de faits particuliers
fur chacun defquels il afpire à découvrir
la vérité. S'il nous étoit permis de déclarer
ce que nous penfons du travail de l'Auteur
, fans prétendre pour cela diminuer
le mérite de celui des autres perfonnes qui
ont attaqué le nouveau fyftême ,
dirions que nous n'en connoiffons aucun ,
qui en ait développé les principes avec
plus d'ordre & de clarté , ait faifi les difficultés
qui en naiffent avec plus de précifion
, & les ait combattus avec plus de
force que M. Fréret.
nous
CODE Louis XV, ou recueil des principaux
Edits , Déclarations , Ordonnances
, Arrêts , Sentences & Reglemens concernant
la juftice , police & finances avec
les tables chronologiques & alphabétiques
des matieres , en 6 volumes . A Paris , au
Palais , chez Claude Girard , vis - à- vis la
JUIN. 1758. 117
-
Grand - Chambre , au nom de Jéfus , 1758 .
Ce recueil commence au 29 Septembre
1722 , & finit au 27 Janvier 1736. left
néceffaire à tous les Officiers de Juftice &
intéreffés dans les Finances , même à tous
les particuliers en général ; il fert de fuite
à tous les livres de réglemens ſur toute
forte de matieres .
Afin que ce recueil foit complet , le Libraire
fe propofe de donner tous les deux
mois un nouveau volume. Le feptieme paroîtra
dans le mois de Mai. Les fix volumes
déja imprimés & que nous annonçons ,
fe vendent 18 liv . reliés. Chacun des nouveaux
volumes fe vendra également 3 liv .
relié.
L'on trouve chez le même Libraire tous
les Edits , Déclarations & Arrêts des dif
férentes Cours , en recueil ou féparément.
LA Morale d'Epicure tirée de fes propres
écrits , par M. l'Abbé Batteux , Profeffeur
de Philofophie grecque & latine au
Collège Royal de France , de l'Académie
Royale des infcriptions & Belles- Lettres , 4
volumes in - 12. A Paris , chez Defaint &
Saillant , rue S. Jean de Beauvais 1758 .
La mémoire & la philofophie d'Epicure
ont été perfécutées pendant plufieurs fiecles
, avec un zele qui tenoit de l'emporte118
MERCURE DE FRANCE.
ment. Le nom feul de ce Philofophe étoit
prefque un blafphême ou une infamie. Depuis
environ deux cens ans ce Philofophe
a été vengé des traits envenimés de la ca-
Jomnie & de l'ignorance. La fageffe de fes
moeurs , fon défintéreffement dans toute
fa conduite , en un mot fa vertu l'ont
fuffisamment juftifié du reproche de
libertinage qu'il a encouru en différens
temps par l'abus que fes prétendus difciples
ont fait de fa morale qui , prife
dans les notions de la nature , n'a rien
abfolument de repréhenfible. En effet
dire avec lui que le plaifir eft la récompenfe
de la vertu , & le faire confifter , à
fon exemple, dans une parfaite tranquillité
de l'ame , exempte des mouvemens défordonnés
qu'y excitent les paffions , ce
n'eſt pas chercher à en anéantir toute idée
dans l'efprit des hommes . Néanmoins M.
le Batteux commence par remarquer qu'il
faut apporter de grands tempéramens dans
cette réhabilitation de la mémoire d'Epicure
, qu'on outre à préfent prefqu'au même
point , qu'on a exagéré autrefois les
défauts de fa Philofophie. C'eft dans cette
vue qu'il s'eft propoſé de faire une réviſion
fuccincte des pieces de ce procès , pour me
fervir de fes propres expreffions. Il craint
que les honnents actuels rendus à Epicure ,
JUIN. 1758. 119
ne faffent trop d'impreffion fur des efprits
peu en garde contre une doctrine , dont
les conféquences peuvent être dangereufes."
M. le Batteux divife fon ouvrage en
deux parties. La premiere contient l'expofition
de la doctrine d'Epicure , & la ſeconde
, les pieces juftificatives , c'eſt - à- dire
les fragmens qui nous reftent des ouvrages
de ce Philofophe.
23
- M. le Batteux donne en même temps un
portrait d'Epicure . » Il paroiffoit , dit-il ,
d'un caractere franc , ingénu , plus occupé
du bien des autres que du fien propre.
» Il fembloit propoſer fes idées fans art &
» fans détour , fe déclarant hautement con-
» tre les couleurs de l'éloquence & contre
» les fineffes de la dialectique , affectant
» d'attaquer en plein jour , fans cafque ni
bouclier , avec une forte de confiance
qui en donnoit à ceux qui l'écoutoient.
,, Il vifita toutes les écoles de la Grece , en-
» tendit tous les maîtres de fon temps , &
» s'il ne connut pas toutes leurs penſées ,
c'eft qu'il crut en avoir affez vu pour
n'avoir pas befoin de connoître le
» reſte .
99
و د
» Peu fatisfait de ce qu'on avoit voulu
lui apprendre , il fongea à donner des
idées nouvelles. Il fit un plan qu'il préfenta
comme neuf , & qu'il prétendit
120 MERCURE DE FRANCE.
"
» avoir exécuté feul & de fes propres fonds,
» fans aucun emprunt. Il compofa trois
» cens volumes fans y faire entrer aucune
citation , parce qu'apparemment il ne
croyoit pas que la philofophie dût citer ,
" ou que fes prédéceffeurs méritaffent de
» l'être .
ود
"
La doctrine d'Epicure fur la divinité eſt
très - bien exposée par M. le Batteux. Voici
comme il s'exprime. " Dieu , a dit Epica-
» re , eft un Etre heureux & immortel:
» deux attributs que tous les Philofophes
» renferment dans la notion de Dieu , mais
qu'Epicure emploie par préférence à d'au-
» tres , pour des raifons effentielles à fon
fyftême les voici .
ور
"?
» Tout être qui a ces deux qualités ,
» n'eſt , ſelon lui , capable de haine ni d'amour
, fentimens qui fuppofent la foibleffe
: par conféquent on ne le touche
"point par les bienfaits , ni on ne l'offenfe
92 par les injures. Tranquille & renfermé
en lui -même , il n'empêche ni ne trou-
»ble la tranquillité de qui que ce foit.
» C'est donc mal à propos que les hommes
prêtent à la divinité leurs idées d'amour
& de haine , de récompenfe & de punition
, & qu'ils lui refufent le repos par-
» fait , parce qu'ils n'en trouvent pas le
a modele en eux-mêmes.
"
"
32
Quant
JUI N. 1758 .
121
23
ور
Quant à l'homme , « vous êtes , dit Epi-
» cure , un réſeau d'atomes , un tiſſu de
» certaines parcelles formé par certaines
» combinaiſons que le hazard a exécutées
» d'une certaine maniere , & qui doivent
»fe rompre au bout d'un certain temps par
" les loix effentielles de la nature. Votre
» ame même n'eft qu'un entrelaffement de
»corps très-fubtils répandus dans cette portion
organique de matiere fenfible , que
» vous appellez votre corps. Ce ne peut
» être autre chofe , puifque toute choſe eſt
» néceffairement atome & vuide : ou , fi
» vous le voulez , choix & arrangement d'a-
»tomes combinés avec le vuide.
وو
Les idées de la Divinité & de l'ame
font combattues par Monfieur le Batteux
avec beaucoup de précifion & de clarté.
La morale Epicurienne eft analyfée dans
routes fes parties fous la plume de notre
Auteur. Quoiqu'elle n'ait point tous les
défauts que les ennemis de ce Philoſophe ,
ou du moins des gens trop prévenus contre
fa perfonne lui ont imputés , on ne fçauroit
difconvenir de fon imperfection , dès
qu'on la ramene aux notions puifées dans la
révélation. Les feules lumieres de la raifon
font infuffifantes pour atteindre à la pureté
qui caractériſe la morale évangélique.
La feconde partie contient les pieces juſtifi-
F
# 22 MERCURE DE FRANCE.
catives. La premiere eft une lettre d'Epicure
à Menæcée rapportée par Diogene Laërce.
On trouve enfuite la traduction des maximes
fondamentales, que le même Hiftorien
nous a tranfmifes fur la Divinité , la mort ,
les fins morales de l'homme & les principes
de fes devoirs : c'eft la philofophie en
Aphorifmes. Il y a encore le portrait du fage
, ou le plan général de fa conduite par
rapport à lui-même & à la fociété. Le tout
eft terminé par deux lettres , l'une à Hérodote
& l'autre à Pythocles . Cette feconde
partie eft très- curieufe , intéreffante ,
& donne une expofition parfaite de la morale
d'Epicure.
HISTOIRE de la Louifiane contenant la
découverte de ce vafte pays , la defcription
géographique , un voyage dans les terres ,
l'hiftoire naturelle, les moeurs , les coutumes
& la religion des naturels avec leurs origines
; deux voyages dans le Nord du nouveau
Mexique , dont un jufqu'à la mer du
Sud ornée de deux cartes & de 40 planches
en taille - douce. Par M. le Page du
Pratz , 3 volumes in- 12 . A Paris , chez
Debure l'aîné fur le quai des Auguftins , à
S. Paul ; chez la veuve Delaguette , rue S.
Jacques à l'Olivier ; chez Lambert , rue
de la Comédie Françoiſe , 1758.
JUI N. 1758. 123
>
L'idée défavantageufe que fait naître en
France le nom de Miffifipi, a fait rétablir par
M. le Page du Pratz celui de la Louifiane
qui eft le premier que les Européens ont
donné à ce vafte pays. Cet Ecrivain y a
demeuré pendant feize ans . Il a fait des
voyages dans les terres , il a appris la langue
des naturels , les a interrogés , & a examiné
la nature du fol & fes productions.
L'état actuel du commerce & les moyens
de l'accroître ont été également l'objet de
fon attention . Muni de tous ces matériaux
, il a entrepris d'écrire l'hiftoire d'un
peuple & d'un pays , que , fuivant les apparences
, on ne fçauroit mieux connoître.
L'Auteur paffa en Amérique lors de l'établiffement
de la Compagnie d'Occident.
Il donne l'hiftoire de fa traversée & des
détails fur tous les lieux où fon vaiffeau
toucha , & fon arrivée à l'Ifle Dauphine.
Il fut d'abord s'établir aux environs du lieu
où l'on devoit bâtir la nouvelle Orléans .
Inftruit que le pays des Natchez étoit plus
abondant & fous un ciel plus férein , il remonta
le fleuve l'efpace de cent lieues , &
alla s'y fixer.
Pendant fon féjour aux environs de la
nouvelle Orléans , un petit crocodile de
cinq pieds de long vint fe placer à une
toife près de fon feu : une femme eſclave
Fij
124 MERCURE DE FRANCE,
pays ,
& naturelle du l'affomma à coups de
bâton , fans marquer aucune crainte : elle
lui apprit que ces animaux n'étoient point
dangereux , & que dans cette contrée lorf
qu'on en appercevoit quelques-uns , les
femmes & les enfans couroient après , & les
tuoient. Il faut que dans ce climat les crocodiles
ne foient pas auffi voraces qu'ils le
font en Egypte.
M. le Page du Pratz fut encore témoin
d'une Ambaffade de paix que la nation des
Tchitimachas envoya au Commandant des
François. Un fauvage de cette nation avoit
tué un Miffionnaire ; on en demanda raifon
les armes à la main. Après quelques
combats, les Tchitimachas demanderent la
paix & envoyerent un Ambaſſadeur .
Ces Sauvages arriverent par le fleuve
dans plufieurs troncs d'arbres creufés en
batelets . Ils avançoient toujours en chantant
la chanfon du calumet, qu'ils agitoient
au vent & en cadence, pour annoncer leur
ambaffade. Elle étoit compofée du Porte-
Parole , comme le nomment ces peuples ,
ou Chancelier , & d'une douzaine d'autres
hommes. Dans ces occafions , ils font
parés de ce qu'ils ont de plus beau à leur
goût.
Ce calumet de paix eft un tuyau de pipe
long au moins d'un pied & demi : il eft garJUI
N. 1758. 125
ni d'une peau du col d'un canard branchu,
dont le plumage de diverfes couleurs , eft
très- beau , & l'extrêmité eft une pipe . Au
même bout eft attaché une espece d'évantail
de plume d'aigle blanc en forme de
quart de cercle , au bout de chaque plume
eft une houpe de poil teint en rouge éclatant
, l'autre bout du tuyau eft à nu pour
pouvoir fumer. Ceux qui accompagnent le
porte- calumet , ont en main un chichicois
qu'ils agitent en cadence , c'est-à- dire
une calebaffe percée par les deux bouts
pour y mettre un petit bâton , dont un
bout dépaffe pour fervir de manche . Ils
mettent dedans du gros gravier , ou des
feves ou des haricots fecs ; ce qui produit
un grand bruit .
,
Il n'y avoit pas plus de cent pas de l'endroit
, où cet Ambaffadeur avec fa fuite
débarqua , jufques à la cabane du Commandant
; cependant ces Sauvages mirent
une demi- heure à faire ce chemin . Tous
leurs pas étoient réglés par la meſure & la
cadence. Arrivés près du Commandant , la
mufique ceffa , & le Porte- parole lui dit :
Te voilà donc & moi avec toi ! Ils s'affirent
tous par terre , appuyerent leurs vifages
fur leurs mains , & entrerent pendant
quelques momens dans un parfait recueillement.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Le Porte - parole s'étant levé avec deux
autres , l'un emplit de tabac la pipe du
calumet , l'autre apporta du feu. Le premier
alluma la pipe , le Porte- parole fuma
& la préfenta , après l'avoir effuyée , au
Commandant pour en faire autant . Celuici
ayant fumé , toute fa fuite prit à fon
tour le calumet & fuma . Le Porte - parole le
reprit & le donna au Commandant François
, afin qu'il le gardât. Alors ce Porteparole
refta feul debout , & les autres députés
s'affirent auprès du préfent qu'ils
avoient apporté au Gouverneur. Il confiftoit
en peaux de chevreuil , & en quelques
autres paffées en blanc. Cet Orateur
étoit revêtu d'une robe de plufieurs peaux
de caftor coufues enfemble ; elle étoit attachée
fous l'épaule droite, & paffoit fous
l'épaule gauche ; il fe ferra le corps de cette
robe , & commença fa harangue d'un
air majestueux. Nous allons en rapporter
la traduction françoife qui donnera une
idée de l'éloquence que la feule nature infpire
à ces peuples.
« Mon coeur rit de joie de me voir de-
» vant toi. Nous avons tous entendu la pa-
» role de paix que tu nous as fait porter.
ود
»Le coeur de toute notre nation en rit de
joie jufqu'à treffaillir les femmes ou-
»bliant à l'inftant tout ce qui s'eft paffé ,
JUIN. 1758. 127
ont danfé ; les enfans ont fauté comme
» des jeunes chevreuils , & couru comme
» s'ils avoient perdu le fens. Ta parole ne
» fe perdra jamais ; nos coeurs & nos oreil-
» les en font remplis , & nos defcendans
» la garderont auffi longtemps que l'an-
» cienne parole durera. Comme la guerre
» nous a rendus pauvres , nous avons été
» contraints de chaffer pour t'apporter de
» la pelleterie , & de préparer les peaux
» avant que de venir vers toi .. Mais nos
» hommes n'ofoient s'éloigner à la chaffe ,
» à caufe des autres nations, dans la crainte
qu'elles n'euffent pas encore entendu ta
parole , & parce qu'elles font jalouſes de
» nous ; nous ne ſommes même venus qu'en
>> tremblant dans le chemin , juſqu'à ce
» que nous euffions vu ton vifage .
"9
ور
"2
"3 con- Que mon coeur & mes yeux font
» tens de te voir aujourd'hui , de te parler
moi-même , à toi -même , fans craindre
» que le vent emporte nos paroles en chemin.
Nos préfens font petits , mais nos
» coeurs font grands pour obéir à ta paro-
» le. Quand tu parleras , tu verras nos jam-
» bes courir & fauter comme celles des
»cerfs , pour faire ce que tu voudras. »
Ici l'Orateur fit une pauſe , puis élévant
la voix , il reprit avec gravité.
"Ah ! que ce foleil eft beau aujourd'hui
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
en comparaifon de ce qu'il étoit quand
» tu étois fâché contre nous ! Qu'un méchant
homme eft dangereux ! Tu fçais
» qu'un feul a tué le François , dont la
» mort a fait tomber avec lui nos meilleurs
ود
ود
guerriers ; il ne nous refte plus que des
»vieillards , des femmes & des enfans ;
»tu as demandé la tête du méchant hom-
» me pour avoir la paix , nous te l'avons
"
envoyée , & voilà le feul vieux guer-
» rier qui a ofé l'attaquer & le tuer ; n'en
»fois point furpris , il a toujours été un
vrai homme & un vrai guerrier : il eft
"parent de notre Souverain , & fon coeur
» pleuroit jour & nuit , parce que fa fem-
» me & fon enfant ne font plus depuis
» cette guerre ; mais il eft content & moi
" auffi aujourd'hui , parce qu'il a tué ton
» ennemi & le fien . Auparavant le foleil
étoit rouge , les chemins étoient remplis
» de ronces & d'épines , les nuages étoient
ود
"
noirs , l'eau étoit trouble & teinte de
» notre fang , nos femmes pleuroient fans
» ceffe , nos enfans crioient de frayeur ,
» le gibier fuyoit loin de nous , nos mai-
»fons étoient abandonnées , nos champs
» en friche , nous avions tous le ventre
» vuide & nos os paroiffoient. »
сс
Aujourd'hui le foleil eft chaud & bril-
» lant , le ciel eft clair , il n'y a plus de
JUIN. 1758. 129
nuages , les chemins font nets & agréa-
» bles , l'eau eft fi claire que nous nous
» voyons dedans , le gibier revient , nos
» femmes danſent jufqu'à oublier de man-
» ger , nos enfans fautent comme de jeu-
» nes faons de biche , le coeur de toute la
» nation rit de joie de voir qu'aujourd'hui
» nous marcherons par le même chemin
» que vous tous François ; le même foleil
» nous éclairera , nous n'aurons plus qu'u-
» ne même parole , nos coeurs n'en feront
plus qu'un , nous mangerons enſemble
» comme freres ; cela ne fera- t'il pas
"
bon ? "
Nous ne finirions point fi nous voulions
rapporter tous les traits auffi curieux
qu'inftructifs dont cette hiftoire eft remplie.
Contentons- nous de dire que la lecture
en eft fort agréable , & que l'Auteur
mérite de grands éloges . Il a préféré la
fimplicité de l'Hiftorien , au ton fouvent
emphatique du Voyageur , qui affecte de
ne rien raconter que de merveilleux .
Nous annonçons le tome 9 du Mercure
de Vittorio Siri , Confeiller d'Etat , &
Hiftoriographe de Sa Majefté Très- Chrétienne
, contenant l'hiftoire générale de
l'Europe de 1640 jufques en 1655 , traduit
de l'Italien de M. Requier . A Paris ,
shez Durand , rue du Foin , la premiere
Fy.
130 MERCURE DE FRANCE.
porte cochere à droite en entrant par la rue
S. Jacques , 1758.
"3
" M. GALLIMARD attentif à ne conftituer
perfonne en dépense que le moins qu'il
lui eft poffible , propofe par foufcription
» une Méthode latine , laquelle pouvant
» contenir fept à huit volumes , eft con-
» çue de façon que les jeunes Etudians fe-
» ront difpenfés de chercher leurs mots
» dans le dictionnaire , & de faire aucuns
» thêmes , accoutumés qu'ils feront , dès
» leur bas âge , à parler , fans héfiter, une la-
»tinité épurée , par de très- faciles moyens
»qu'en donne cette méthode.
"
33
» Ces foufcriptions au nombre de 1 500
>> au moins , feront reçues à raifon de 30
» f. feulement pour l'impreffion de chaque
volume in- 8° broché , fans aucun autre
affujettiffement pour les foufcripteurs ,
de configner au fieur Ballard, Impri-
» meur , à Paris , rue S. Jean de Beauvais ,
»ce prix modique de 30 fols pour chaque
» volume , à mesure qu'il devra s'en imprimer
un nouveau , afin que le public
» que l'Auteur ne cherche point à furpren-
» dre , ni à gêner en aucune façon par des
» engagemens forcés , puiffe s'affurer de fa
franchiſe & de fon défintéreffement.
N
"
Le plan de cette méthode fe trouve exJUIN.
1758. 131
pliqué dans le Pont- aux- ânes , ouvrage que
M. Gallimard donna l'année derniere &
dans lequel il s'étoit propofé des comptes
faits à l'imitation de Barême.
LETTRE du Roi de Pologne , Stanislas
I , où il raconte la maniere dont il eſt
forti de Dantzick durant le fiege de cette
Ville. A la Haye, & fe vend à Paris , chez
Tilliard , Libraire , à S. Bénoît , quai des
Auguftins .
REFLEXIONS diverfes de M. le Chevalier
de Bruix. A Londres , & fe vend à Paris
chez P. G. Lemercier, rue S.Jacques, au
livre d'or , 1758.
"
SUPPLÉMENT aux Tablettes Dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy , de l'Académie
des Belles - Lettres de Dijon , depuis
la rentrée du théâtre jufqu'à la clôture ,
pour les années 1757 & 1758 , contenant
les pieces nouvelles , les pieces remifes
les pieces imprimées , les débutans , les
ballets , les anecdotes du théâtre depuis le
dernier fupplément , & les morts des Auteurs
& des Acteurs . A Paris , chez Jorry,
quai des Auguftins , près le pont S. Michel,
aux Cicognes ; chez Lambert , rue
de la Comédie Françoife, au Parnaſſe; chez
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Duchesne , rue S. Jacques au temple du
goût , 1758 .
DE Turbis Gallia modernis Sacerdotium,
inter & Parlamentum Regium, &c . Augufta
Vindelicorum , in- 4 ° . 1757 , Pp. 154 .
REFLEXIONES & principia meliora de
Jurifdictione Ecclefiaftica , oppofita principiis
Poloni nobilis , in- 4° . Francofurti & Lipfia ,
apud Joannem - Fredericum Gaum , 1757.
PP. 122 .
LIVRES nouvellement imprimés , qui sè
trouvent chez CHA. ANT. JOMBERT ,
Imprimeur- Libraire du Roi pour l'Artillerie
& le Génie , rue Dauphine , à l'Imege
Notre-Dame.
V OYAGES d'Italie , ou Recueil de notes
fur les Ouvrages de Peinture & de Sculpture
, qu'on voit dans les principales villes
d'Italie ; par M. Cochin , Graveur du Roi,
Garde des Deffeins du Cabinet de Sa Majefté
, Secretaire de l'Académie royale de
Feinture & de Sculpture , & Cenfeur
Royal , 3 vol . in- 8 ° , 1758.
Dictionnaire ' historique , théorique &
pratique de Marine , par M. Savérien
deux volumes in octave, petit format , avec
JUI N. 1758. 128
des planches en taille douce , 1758. Prix
relié liv.
Nouveau Cours de Mathématique à
l'ufage de l'Artillerie & du Génie , où l'on
explique les parties les plus utiles de cette
fcience à la théorie & à la pratique des
différens fujets qui peuvent avoir rapport
à la guerre nouvelle édition confidérablement
augmentée ; par M. Belidor , Colonel
d'Infanterie , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis , Membre des
Académies Royales des Sciences de France,
d'Angleterre & de Pruffe . Prix 15 liv . en
petit papier , & en grand 24 liv.
Politique Militaire , ou Traité de la
Guerre ; par M. Paul Hay- du Châtelet ,
Confeiller d'Etat , Intendant d'armée , l'un
des Quarante de l'Académie , en un vol.
in- 12 , 2 liv. 10 fols .
Milice des Grecs , ou Tactique d'Elien
ouvrage traduit du Grec ; par M. Bouchaudde
Buffy , Major du Régiment des Grenadiers
Royaux d'Ally , 2 vol . in- 12 , 5 liv.
9
Manuel de l'Artificier , où fe trouvent
les compofitions Chinoifes du P. d'Incarville
, pour repréfenter des fleurs de diverfes
efpeces , un vol . in - 12 , 3 liv.
Méthode pour laver & fondre , avec
économie , les mines de fer relativement à
feurs différentes efpeces ; Piece qui a rem
134 MERCURE DE FRANCE.
porté le prix propofé par l'Académie de
Befançon par M. Robert. Broché 1 1. 4 f...
Dictionnaire d'Architecture civile &
hydraulique , où l'on explique les termes
de l'art de bâtir & de fes différentes parties
, comme la décoration extérieure &
intérieure des édifices , le jardinage , la
menuiferie , la charpenterie , la ferrurerie,
la conftruction des éclufes & des canaux ,
&c. par d'Aviler. Nouvelle édition confidérablement
augmentée , in- 4° , grand
papier , 15 liv.
Le Cours d'Architecture du même Auteur
, in- 4° , 24 liv.
Dictionnaire portatif de l'Ingénieur ,
où l'on explique les principaux termes des
fciences les plus néceffaires à un homme
de guerre ; par M. Belidor , in- 8 ° , 3 liv.
12 fols.
Hiftoire de Polybe , avec un commentaire
ou un corps de fcience militaire , enrichie
de notes hiftoriques & critiques ; par
M. de Folard . En 7 vol. in- 4°. avec figures ,
72 liv.
Supplément du même Ouvrage , ou le
tome vi féparé , contenant les nouvelles
découvertes fur la guerre : Lettre critique
d'un Officier Hollandois ; & Sentimens
d'un homme de guerre fur le fyftême militaire
du Chevalier de Folard , avec les
JUIN. 1758. 135
réponses à ces critiques , in- 4° , 1753 ,
10 liv.
Effai fur la Cavalerie tant ancienne que
moderne , avec les inftructions & ordonnances
qui y ont rapport , & l'état actuel
des troupes à cheval , in-4°, 13 l . 10 f.
L'Art de la Guerre pratique , où il eft
amplement traité de tout ce qu'un Militaire
doit fçavoir & pratiquer fur chaque
partie de la guerre ; par M. de Saint Geniés,
Capitaine d'Infanterie. En 2 vol . in 12 ,
5 liv.
Relation du fameux fiege de Grave en
1674 , & du fiege de Mayence en 1689 ,
avec le plan de ces deux Villes , in- 12 ,
3 liv.
Mémoires des deux dernieres Campagnes
de M. de Turenne , en Allemagne ,
& de ce qui s'eft paffé , depuis fa mort ,
fous le commandement du Comte de Lorge
, in- 12 , 2 liv. 10 fols.
Rêveries , ou Mémoires de M. le Maréchal-
Comte de Saxe , 2 vol . in - 12 , avec
figures , 6 liv.
Géométrie élémentaire & pratique , par
feu M. Sauveur, de l'Académie Royale des
Sciences , revue , corrigée & augmentée
par M. le Blond , Maître de Mathématique
des Enfans de France , in- 4° . avec figures ,
1753. 12 liv.
136 MERCURE DE FRANCE.
Le Guide des jeunes Mathématiciens ,
traduit de l'Anglois de Jean Ward , par
le R. P. Pézenas , in- 8°. avec figures , 7 l.
Hiftoire de la quadrature du cercle , &
des découvertes que fes recherches ont occafionnées
; par M. de Montucla , de la
Société royale de Lyon , in- 12 . fig. 3 liv.
Hiftoire générale des Mathématiques ;
le même Auteur. En 2 vol. in- 4° . avec
par
figures.
Traité des Courbes algébriques , I vol .
in-12 , 3 liv.
Hiftoire générale & particuliere de
l'Aftronomie , où l'on trouve tout ce qui a
été découvert dans cette fcience jufqu'à
préfent ; par M. Estève. En 3 vol. in- 12 ,
8 liv.
Quelques Exemplaires de la magnifique
Hiftoire Militaire du Prince Eugene de
Savoye , du Duc de Malborough & du
Prince de Naffau - Frife , enrichie des Plans
néceffaires : trois grands volumes in-folio ,
150 liv. en feuilles.
Le même Libraire vient de faire l'acquifition
du Traité des Senfations , par
M. l'Abbé de Condillac , 2 vol . in 12 ,
prix s liv. relié ; & du Traité des Ani-
I vol. in 12. Prix 1 liv. 16 fols maux ,
broché.
· I
JUIN. 1758 . 137
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
HISTOIRE.
ELOGE DE M. NICOLE.
FRANÇOIS Nicole naquit à Paris le 23
Décembre 1683 , de Jean Nicole , & de
Marie Jollimois tous deux d'honnête famille.
Il fit fes premieres études au collége des
Jéfuites : fon pere qui étoit homme de
lettres , & qui avoit même préfidé à l'éducation
de quelques jeunes gens , lui fervit
de repétiteur , avec une attention d'autant
plus fcrupuleufe , qu'il le deftinoit à
l'état eccléfiaftique ; mais il n'avoit pas
compté que les talens du jeune homine
viendroient traverfer fes vues. Ceux qu'il
avoit pour les mathématiques fe montrerent
de fi bonne heure , que M. l'Abbé de
Gamache fut étonné d'en trouver tant , &
de fi bien marqués dans un auffi jeune homme,
& plus étonné encore du chemin
138 MERCURE DE FRANCE.
qu'il avoit fait feul & fans guide dans cette
épineufe carriere ; il crut lui devoir fa
ciliter les moyens de fuivre avec avantage
un travail , dans lequel il avoit eu déja
des fuccès fi marqués. Dans cette vue , il
en parla à feu M. de Montmort de cette
Académie. Celui - ci n'héfita pas un moment
à s'emparer du jeune Nicole âgé pour
lors d'environ 15 à 16 ans. Il le prit chez
lui , & lui ouvrit les routes de la haute
géométrie. Les progrès rapides qu'il y fit ,
furent dignes du maître & du difciple ;
bientôt M. de Montmort trouva en lui un
compagnon d'études , en état de le fuivre
& même de l'aider dans fes plus profondes
recherches , & bientôt auffi M. Nicole ent
acquis , malgré fa jeuneſſe , la réputation
d'un des plus fçavans Mathématiciens de
Paris.
Le premier ouvrage par lequel il fe fit
connoître pour Géometre à l'Académie ,
fut un effai de la théorie des roulettes qu'il
lui préfenta en 1706. Cet ouvrage y donna
une fi grande idée de fa capacité , que
l'Académie crut devoir s'affurer un tel fu
jet ; il fut nommé le 12 Mars 1707
place d'éleve de M. Carré , vacante par la
vétérance de M. de Beauvilliers , & feu
M. Saurin , bon Juge en pareille matiere ,
prédit hautement que ce jeune homme ,
à la
JUIN. 1758. 139
peine âgé pour lors de 23 ans , poufferoit
l'algebre au plus haut point où elle pât
être portée. Il juftifia bientôt le choix de
l'Académie , en donnant l'ouvrage entier
dont il n'avoit préfenté l'année précédente
qu'une légere idée . Dans cet ouvrage , il
examine toutes les courbes qui peuvent
être décrites par un point pris fur le rayon
d'une courbe quelconque qui roule fur une
autre courbe , femblable ou différente , ou
même fur une ligne droite , foit que ce
point foit pris au dedans de la courbe , foit
qu'on le prenne fur le rayon prolongé : il
détermine celles qui peuvent être géométriques
, c'est- à- dire , qui ont un rapport
conftant entre les abfciffes & les ordonnées
, & celles qui ne font que méchaniques
, c'eft - à- dire , qui n'ont pas cette
propriété , celles qui peuvent être rectifiées
& celles qui n'en font pas fufceptibles.
Ila même pouffé dans la fuite fon travail fur
cette matiere , jufqu'aux roulettes formées
fur la fuperficie convexe d'une fphere : en
unmot, il a traité ce fujet avec tant d'exactitude
, & l'a élevé à une fi grande généralité
, que la cycloïde ordinaire de quelques
propriétés de laquelle la découverte
a fait tant d'honneur à l'illuftre M. Hughens
, fe trouve confondue dans la foule
de ces courbes , & devient , s'il m'eft per140
MERCURE DE FRANCE.
mis de parler ainfi , une partie infiniment
petite de l'ouvrage de M. Nicole .
Son goût étoit entiérement tourné du
côté des théories générales. C'eſt affez ordinairement
celui des Géometres , qu'un
ufage continuel du calcul infinitéfimal
accoutume à regarder les objets qu'ils traitent
fous toutes les faces poffibles , & à les
confidérer toujours d'un point de vue affez
élevé pour en embraffer toute l'étendue.
On a de lui en ce genre , une méthode
générale pour déterminer la nature des
courbes , qui en coupent fous le même angle
une infinité d'autres données de pofition.
Il commença en 1717 un traité du calcul
des différences finies , qu'il continua
depuis en 1723 , 1724 & 1727. On
fçait affez combien l'application du calcul
à l'infini a prouvé d'avantages à la géométrie
; mais on ne s'étoit pas encore apperçu
, que les regles du calcul infinitéfimal
pouvoient dans de certaines circonftances
être appliquées avec fuccès à des quantités
finies. Taylor Géometre Anglois , en donna
la premiere ouverture dans fon ouvrage
de .
Methodo incrementorum. C'en fut affez pour
engager M. Nicole , qui fentit toute l'atilité
de cette théorie , à la traiter dans tou
te l'étendue dont elle éteit fufceptible . Us
(
141
JUI N. 1758 .
donne dans fon ouvrage la maniere de calculer
toutes les fuites de nombres , foit entiers
, foit fractionnaires , compofé de termes
formés par un produit , dans lequel
il n'entre qu'une feule grandeur indéterminée
, qui croiffe toujours d'une même
quantité. Toute cette théorie eft pouffée
dans fon ouvrage au plus grand degré de
généralité , fans rien perdredu côté du détail
,ni du côté de la préciſion, quelqu'abſtraites
que puiffent être ces matieres. Le génie
aidé du travail viendra toujours à bout d'y
répandre une lumiere & un ordre , qui va
jufqu'à leur donner, du moins aux yeux des
Géometres , une efpece d'agrément .
Il reprit encore en 1737 la matiere des
fuites , & ce ne fut que pour donner un
exemple de la facilité avec laquelle fes méthodes
pouvoient être employées , en réfolvant
par leur moyen plufieurs problêmes
très -difficiles à réfoudre par les méthodes
ordinaires.
Un autre corps d'ouvrage auffi étendu
que ce dernier , eft fon traité des lignes du
e ordre , qu'il lut à l'Académie en 1729.
On fçait que les différentes courbes tirent
leur ordre de la puiffance à laquelle l'ordonnée
eft élevée dans l'équation qui exprime
leur nature : la ligne droite compofe feule
le premier ordre , parce que l'ordonnée a
142 MERCURE DE FRANCE.
e
toujours un rapport conftant avec la partic
de l'axe qu'elle coupe. Dans les fections coniques
qui compofent le ſecond ordre , ce
n'eft plus entre les parties de l'axe & les
ordonnées , que fe rencontre le rapport
qui en conftitue la nature ; mais entre ces
mêmes parties de l'axe & les ordonnées
élevées à la 2º puiffance ce qui leur a fait
donner le nom de lignes du fecond ordre :
les lignes du troifieme ordre ont leurs ordonnées
élevées à la 3 ° puiſſance ; mais il
s'en faut bien qu'elles ne foient auffi fimples
, ni en auffi petite quantité que celles
du fecond ordre . Leur nombre est très- condérable
, & la bizarrerie de leur cône
déja fi grande , que le calcul feul peut les
fuivre dans tous leurs détours , & que le
Géometre eft, pour ainfi dire , continuellement
obligé d'appeller les yeux de l'efprit
au fecours de ceux du corps. M. Newton
avoit déja travaillé ſur ce fujet dans ſon excellent
ouvrage intitulé Enumeratio linearum
tertii ordinis ; mais il n'avoit pas ,
beaucoup près , épuifé la matiere. M. Nicole
s'en faifit après lui : le travail même
le conduifit à quelques réflexions nouvelles
fur les fections coniques . Il le termina par
l'ingénieufe conftruction d'un folide , dont
les différentes fections engendrent les lignes
du troifieme ordre , comme celles du
JUI N. 1758 . 143
cône produifent les lignes du fecond . On
juge bien que ce folide n'eft pas auffi fimple
que le cône , & de plus , M. Nicole y
a été conduit de démonftration en démonftration
, & le hazard n'a eu nulle part
cette découverte.
à
On peut rapporter au même temps un
événement fingulier , qui a fait trop d'honneur
à M. Nicole , pour que nous puiffions
nous difpenfer d'en parler dans cet
éloge.
Un Lyonnois , nommé M. Mathulon ,
crut fi bien avoir trouvé la quadrature
exacte du cercle , qu'en la publiant , il
n'hésita pas à dépofer à Lyon chez un Notaire
une fomme de mille écus , payable à
celui qui , au jugement de l'Académie des
Sciences , démontreroit la fauffeté de fa
folution . M. Nicole piqué de l'efpece d'infulte
que le défi de M. Mathulon faifoit
aux Géometres , & peut- être plus encore à
la Géométrie , démontra le paralogifme
dans un Mémoire qu'il lut le 23 août 1727,
& le 1 Septembre fuivant. L'Académie jugea
qu'il avoit été très- bien démontré
que la figure rectiligne que M. Mathulon
donnoit pour égale au cercle , non - feulement
ne lui étoit pas égale ; mais que même
elle étoit plus grande que le polygone
de 32 côtés circonfcrit au cercle. Par les
ex
144 MERCURE DE FRANCE .
conditions énoncées dans l'acte même du
dépôt , les mille écus étoient bien légitimement
acquis à M. Nicole : il n'étoit pas
riche ; cependant malgré ces raiſons , il ſe
contenta d'avoir vaincu , fans vouloir s'enrichir
des dépouilles de fon ennemi , &
tranfporta généreufement fon droit à l'Hôtel
-Dieu de Lyon , qui retira effectivement
cette fomme. S'il étoit glorieux pour lui
d'avoir eu affez de fçavoir en mathématique
pour démêler le paralogifme , il doit
l'être encore plus , d'avoir eu le coeur affez
généreux pour abandonner aux pauvres le
fruit de fa victoire : les qualités du coeur
doivent toujours avoir le pas fur celles de
l'efprit.
Non- feulement le mémoire que M. Nicole
lut alors , démontroit évidemment la
fauffeté de la prétendue quadrature du Sr.
Mathulon ; mais encore il donnoit une
méthode générale pour découvrir celle de
prefque toutes les fauffes folutions qu'on
pourroit vouloir donner de ce problême.
La pierre de touche de M. Nicole eft
la comparaifon qu'il en fait , à des polygones
d'un très - grand nombre de côtés
infcrits & circonfcrits au cercle , entre lefquels
la véritable valeur de fa circonférenće
doit néceffairement fe trouver. Il en a
depuis donné en 1747 des tables toutes calculées
JUIN. 1758, 145
culées pour divers polygones , & les a
pouffées jufqu'à celui de 393 , 216 côtés :
il pouvoit fe difpenfer de les porter fi loin ;
la plupart des quadratures qu'on préfente
à l'Académie font bien en deçà de ces limites.
Quoi qu'il en foit , on peut , au
moyen de ces tables , découvrir d'un coup
d'oeil l'erreur d'une quadrature propoſée ,
étant évident qu'elle eft fauffe , fi la circonférence
qu'elle donne au cercle , excéde
celle d'un polygone de même rayon ,
qui lui eft circonfcrit , ou eft moindre que
celle du polygone qui lui feroit infcrit.
Aucune n'a pu jufqu'ici foutenir cet examen
, & M. Nicole fera toujours , pour
ainfi dire , au moyen de fes tables , l'Examinateur
& le Juge de toutes les quadratures
qui pourront être préſentées dans la
fuite.
Il a donné encore à l'Académie , un travail
affez fuivi fur le cas irréductible du
troifieme degré qui l'occupa depuis 1738 ,
jufqu'en 1744.
Tous les Géometres fçavent qu'une
équation a autant de racines , c'est- à- dire ,
de quantités auxquelles l'inconnue peut
être égale , que la puiffance à laquelle
l'inconnue eft élevée , a de degrés : ainfi les
équations du fecond degré dans lesquelles
l'inconnue eft élevée feulement au quarré
G
146 MERCURE DE FRANCE.
ou à la deuxieme puiffance , ont deux racines
, & celles du troifieme degré en ont
trois mais fi ces trois racines fe trouvent
toutes trois réelles , inégales & incommenfurables
, elles ne peuvent être réduites
par les regles ordinaires en d'autres quantités
, & c'eft ce qu'on appelle le cas irréductible
du troifieme degré.
Cardan , qui vraisemblablement eft le
premier qui ait ofé tenter la réfolution des
équations du troifieme degré , fut arrêté
par cet obftacle , & tout ce qu'il put faire
, ce fut de trouver une formule propre
à exprimer la plus grande de ces trois racines
; & ce qui eft de plus fingulier , c'eſt
que cette formule qui exprime une quantité
réelle , contient elle -même des imaginaires.
M. Nicole voulut lever cette difficulté ,
il trouva moyen de convertir cette formule
en une fuite , où les termes qui contiennent
les imaginaires font alternativement
affectées des fignes plus & moins , & par
conféquent fe détruifent : mais cette fuite
avoit un autre inconvénient. Elle étoit du
genre de celle qu'on ne peut fommer par
les méthodes connues. Ce nouvel obftacle
le piqua. A force de travail , il parvint à
démêler des circonftances , où cette fuite
fi rebelle fe laiffe fommer & même affez
facilement.
JUIN. 1758 . 147
Ce fut la matiere d'un ouvrage qu'il
donna en 1741 , en faifant l'application
de cette méthode à la fameufe trifection
de l'angle qu'il trouve par ce moyen avec
une facilité infinie. De nouvelles tentatives
faites en 1743 & en 1744 , augmenterent
encore l'étendue des limites dans lefquelles
le cas irréductible ceffe de l'être ,
& lui firent voir une grande quantité de
circonftances , où l'on peut approcher fi
près qu'on voudra de la réduction , lorfqu'on
ne peut l'obtenir. Si M. Nicole n'a
pu épaiffir abfolument cette matiere , au
moins aura - t-il toujours la gloire d'avoir
attaqué avec fuccès un problème fi redoutable
, de l'avoir réfolu dans plufieurs
cas , & d'en avoir beaucoup diminué la
difficulté , lors même qu'on en peut obtenir
l'entiere folution.
›
M. Nicole n'étoit pas cependant fi fort
attaché à fes théories générales , qu'il ne
tournât quelquefois fes vues vers des objets
particuliers . Il s'eft prêté plufieurs fois
à des folutions de problêmes propofés
foit par les Géometres de l'Académie , foit
par les Etrangers . Il a donné même quelques
propofitions nouvelles de géométrie
élémentaire , objet en apparence bien inférieur
à ceux qui l'occupoient ordinairement
; mais c'étoit pour l'intérêt même de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
la géométrie , qu'il defcendoit , pour
ainfi
dire , de la haute région qu'il y occupoit.
C'étoient d'ailleurs des vérités nouvelles
qu'il enfeignoit. Les hommes en pourrontils
jamais trop connoître .
Il donna en 1730 un travail affez fuivi
fur les jeux. Il étoit impoffible que la familiarité
qu'il avoit eue avec M. de Montmort
ne lui eût donné quelques idées fur
cette matiere . Les mémoires qu'il donna à
ce fujet , étoient deſtinés à déterminer le
fort de plufieurs joueurs de forces inégales
qui joueroient enſemble un certain nombre
de parties. On fçait en général qu'il y
a à parier en faveur du plus fort ; mais on
ne devineroit pas aifément , combien le
plus grand ou le moindre nombre de parties
change la probabilité & la fomme
qu'on auroit à parier . Le calcul algébrique
peut feul fixer les idées fur une pareille
matiere , & donner , pour ainfi dire , des
loix au hazard & à la fortune.
L'efprit géométrique que M. Nicole
poffédoit au plus haut degré , ne communiquoit
au fien aucune féchereffe. Il n'étoit
Mathématicien qu'à l'Académie ou
dans fon cabinet. Hors de là , c'étoit un
homme aimable & très-propre à vivre dans
la meilleure compagnie : il l'avoit auffi
toujours aimée ; fes liaiſons étoient prefJUIN.
1758. 149
:
que toutes avec les perfonnes de la plus
haute confidération. Il avoit été admis de
bonne heure dans la fociété de l'illuftre
Comteſſe de Caylus , de feu M. le Duc de
Villeroi , & de M. le Duc de Villeroi
d'aujourd'hui il a été toujours lié avec,
toute la maifon de Pontchartrain , & avec
celles de Ségur & de Mortemart : nous
n'avons garde d'oublier l'attachement qu'il
a toujours confervé pour M. de Montmort,
aujourd'hui Major des Gardes du Corps.
Il étoit fondé fur la reconnoiffance qu'il
avoit des fervices que feu M. de Montmort
lui avoit autrefois rendus ; il avoit
été auffi lié d'une très- étroite amitié avec
feu M. le Comte de Nocé. Bien d'autres
auroient cru voir dans ce favori du Prince
Régent une porte ouverte à la fortune.
Le Mathématicien Philofophe n'y vit qu'un
homme digne de fon attachement , &
n'employa jamais pour lui-même le crédit
de fon ami .
Il avoit toujours joui d'une affez bonne
fanté l'été dernier fes jambes commencerent
à s'enfler ; il paffa tout l'automne à
la campagne avec M. le Duc de Villeroi ,
fans aucune incommodité : ce Seigneur
vouloit même l'engager à y paffer l'hyver ;
mais M. Nicole lui témoigna une fi forte
envie d'affifter à l'Affemblée publique de
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
la Saint Martin , qu'il fallut lui permettre
de revenir à Paris , en exigeant de lui de
retourner à Villeroi peu de jours après : il
ne fut pas en fon pouvoir de tenir cette
parole. Il fe forma fur fes jambes une éréfipele
, qui d'abord ne parut exiger que du
régîme. Le mal devint plus confidérable ,
mais on ne croyoit pas le danger fi preffant
qu'il l'étoit . Je le vis encore le ſamedi
7 Janvier , n'étant pas en apparence plus
mal qu'à l'ordinaire , & caufant fort gaiement
avec plufieurs de fes amis ; mais dès
le lendemain les accidens parurent ménaçans
: il n'héfita pas à demander les fecours
fpirituels , & à mettre ordre à ſes affaires ;
car fa tête fut toujours épargnée par la
maladie , & peu d'heures après il expira.
Il n'avoit point été marié , & il a inftitué
pour fes Légataires univerfels M. de Billy,
Gentilhomme Lyonnois , fon ami particulier
depuis 40 ans , & M. de Montbazin ,
Avocat au Parlement.
La place de Penfionnaire Méchanicien
de M. Nicole , a été remplie par M. de
Montigny , déja Penfionnaire furnuméraire
dans la même claffe.
JUI N. 1758. ISI
BOTANIQUE.
نم
MEMOIRE où l'on prouve que les
Plantes qui exiftoient anciennement , &
dont on a vanté les vertus médicinales ,
doivent exifter encore.
LA
par
la
A prévention où l'on eft que nombre
de plantes médicinales connues des Anciens
n'exiftent plus , peut venir de trois principes
, 10. du peu d'application à les chercher
, ou du peu de bonheur à les trouver ;
2º. de la variété des noms ; 3 °. des vertus
que les Anciens leur ont ou fabuleufement, "
ou hyperboliquement attribuées. Si
raifon que les Botaniftes modernes ne font
pas mention dans leurs catalogues d'une
plante dont les Anciens ont parlé ; on devoit
inférer que cette efpece exiftoit dans
les fiecles précédents , & n'existe pas dans
le nôtre , on pourroit retorquer l'argument
, & dire qu'un nombre confidérable
d'efpeces exiftent actuellement , & n'ont
pas exifté par le paffé . En fuivant cette
façon de raifonner , nous trouverions que
ce que nous avons perdu eft très peu de
chofe , en comparaifon de ce que nous
Giv
152 MERCURE DE FRANCE
avons gagné , & nous ferions autorisés à
conclure que la nature eft plus vigoureufe
& plus féconde que dans les fiecles paffés.
Le fameux Pitton - de Tournefort eft
parvenu à connoître 8846 efpeces de plan
res , tant terreftres que marines . Diofcoride
n'en a jamais connu la dixieme partie.
Cette prodigieufe augmentation doit-elle
être attribuée à des nouveaux efforts de la
nature ? Non , fans doute ; mais à une plus
grande application des curieux modernes
dans la recherche de fes productions.
par
Ces mêmes Modernes peuvent - ils fe
flatter d'avoir paffé en revue tout ce qui
exiſte dans l'univers , champ par champ,
montagne par montagne , forêt
M. de
Tournefort , dans un voyage qu'il
forêt?
fit au Levant , & où il ne parcourut peutêtre
pas la 8 partie de l'Àfie , découvrit
1356 efpeces de plantes inconnues aux Européens.
Combien dans les mêmes endroits
y en eut- il qui durent échapper à fa vue !
Combien de pays où jamais aucun Botanifte
n'a pénétré ! Concluons donc que fi nous
ne connoiffons pas telle ou telle plante préconifée
par les Anciens , c'eft moins un
défaut de fon existence , que parce que
par
le
hazard ne nous l'a pas encore préfentée ,
ou parce qu'elle ne croît que dans des régionséloignées
, ou dans des lieux jufqu'à
JUI N. 1758. 153
préfent inacceffibles ou impénétrables .
Le café qu'on a cru pendant long- temps
être une production de la feule Arabie
heureufe , s'eft trouvé par hazard & en
abondance dans les montagnes de l'Iſle de
Bourbon. Un navire François y ayant relâché
, le Capitaine , qui par curiofité apportoit
en France quelques branches de
cet arbre , avec les feuilles & les fruits , les
montra aux habitans , qui furpris du cas
qu'il en faifoit , lui dirent tout de fuite:
qu'ils en voyoient de femblables tous les
jours dans leur Ifle. Le gingfeng des Chinois
, cette plante fi merveilleufe parmi
eux , à laquelle ils attribuent les plus grandes
vertus , & qu'ils ornent des plus belles
épithetes , comme le fimple ſpiritueux , le
pur efprit de la terre , la recette de l'immortalité
, &c. croît dans des forêts de la
Tartarie dépendante de l'Empereur de la
Chine , pour qui feul eft réſervé tout ce
qu'on en cueille , partie en forme de tribut
, partie vendu à poids d'argent , &
qu'il revend lui-même au quadruple. La
premiere connoiffance en vint en Europe
par des Jéfuites Miffionnaires , qui confirmoient
la perfuafion générale du pays. Le
Pere Lafitau , autre Jéfuite , Miffionnaire
chez les Iroquois , a cependant trouvé la
même plante dans les forêts du Canada ..
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
La variété des noms contribue beaucoup
à fortifier la premiere erreur : une même
plante a eu dans un temps un nom différent
de celui qu'elle porte aujourd'hui . Les
defcriptions des Anciens font en général
très- peu exactes ; à quoi on doit ajouter
que la diverfité du terrein & du climat
pouvant occafionner quelque différence
accidentelle dans la même efpece , il n'eſt
pas furprenant que les Botaniftes fuperficiels
ayent méconnu dans les livres telle
ou telle plante fort connue dans les montagnes
; d'où mal-à- propos ils ont conclu
que la plante nommée par les Anciens ,
étoit toute autre que celle qui étoit trouvée
par les Modernes . Cette remarque eft
appuyée de l'autorité refpectable de l'illuftre
feu M. de Fontenelle.
Non feulement la différence des fiecles
& des pays peut induire en erreur ; mais un
même fiecle , un même pays jettent trèsfouvent
la confufion dans une même plante.
Saumaife, dans fon Traité de Synonymis
byles Jatrice , démontre que les Anciens
ne défignoient pas toujours la même plante
par le même nom. L'un lui donnoit le
nom du pays où elle naiffoit ; un fecond ,
de celui qui l'avoit découverte ; un troifieme
, de fa forme ; un quatrieme , de fa
vertu. Les Botaniftes Modernes s'imagiJUIN.
1758. 155
nant que ces différens noms fignifioient
différens objets , ne ceffent de fe plaindre
amérement de la perte des efpeces qui
n'ont jamais exifté .
Prefque tous ceux qui affurent que l'efpece
de cinnamomum n'eft point perdue ,
s'accordent à la trouver dans l'arbre de la
canelle. En effet , le mot latin par lequel
on défigne cet arbre , n'eft autre que cinnamomum.
Les vertus que les Modernes
prétendent lui connoître de faciliter l'accouchement
, les menftrues , les urines ,
d'éclaircir la vue , de foulager les hydropiques
, &c. font les mêmes que Diofcoride
attribue au cinnamomum . Ce que Pline
dit de cette derniere efpece fe trouve dans
l'autre Viliffimum quod radicibus proximum
, quoniam ibi minimum corticis , in quo
fumma gratia , qua de caufa praferantur
cacumina , ubi plurimum cortex ; & encore :
Frutex & caffia eft , juxtaque cinnamomi
campos nafcitur. En effet , l'Ile de Ceylan
qui produit la canelle , nous donne auffi
la caffia - lignea , dont la meilleure , fuivant
Galien , eft très - femblable au cinnamomun
, & en eft un fupplément par fa vertu .
Il en est précisément de même à l'égard
de la canelle ; il faut feulement une plus
forte dofe de caffia lignea. On obfervera
en paffant qu'on ne nous vend preſque
Gy
156 MERCURE DE FRANCE.
jamais la canelle fans un mêlange de
caffe.
Il eſt à croire que ceux qui regrettent
encore le véritable balfamum , ne fe fondent
que fur ce qu'ils ont lu dans Pline ,
qui affure que le terroir de la Judée lui eft
fi privativement propre , qu'aucun autre
ne peut le produire : Uni terra Judea conceffum
... faftidit balſamum alibi nafci. Or
comme on ne trouve plus cet arbre en
Judée , on s'eft imaginé que l'efpece en
étoit perdue pour tout le monde. Pline
s'eft trompé fur ce fait : Diofcoride dit
que non feulement il venoit en Judée ,
mais encore en Egypte . Il eft plus croyable
que Pline , étant naturel de la Cilicie ,
beaucoup moins éloignée de l'Egypte que
Rome. D'ailleurs les Hébreux n'ont jamais
fait honneur à leur patrie de cette production.
C'étoit une tradition parmi eux ,
rapportée par Jofephe , que la Reine de
Saba avoit , dans fa vifite à Salomon , apporté
cette plante en Judée : Aiunt etiam
quod Balfami plantum , cujus hodie quoque
ferax eft noftra Regio , illius Regina munifi
centia ferri acceptam oporteat. Le baume
venoit donc originairement de l'Afrique 5
& fi la Reine Saba régnoit en Egypte
comme le dit le même Jofephe , cette notice
eft relative à celle de Diofcoride , qui fait
JUIN. 1758. 157
auffi trouver ce baume en Egypte. Malgré
cela l'arbre ne fe trouve plus en Egypte
ou fe trouve ſeulement , comme quelquesuns
le prétendent , dans un jardin du
Grand- Seigneur , à quatre mille du Caire ,
lieu vénéré par les Chrétiens d'Orient ,
qui croient par tradition particuliere que
la Sainte Vierge confacra cet endroit par
fon féjour , & qu'elle y alloit laver à une
fontaine les langes de fon fils , motif bien
fuffifant par une fuite de la même tradition,
pour que le précieux baume dont il eft
queftion ne vînt nulle autre part . Dans le
vrai cette plante croît en abondance en
Arabie , aux environs de la Mecque & de
Medine , non feulement dans les terres
cultivées , mais encore dans les incultes ,
au grand avantage des naturels du pays ,
qui la vendent aux Pélerins , qui de leur
côté en font auffi un commerce . Que ce
baume foit de la même efpece que celui
qui dans un temps fe trouvoit en Egypte ,
la conformité de la plante , & les defcriptions
que nous en ont laiffées Pline & Diofcoride
, le prouvent. Il eft vrai que les
effets ne répondent pas ordinairement à la
haute eftime qu'en font les Auteurs ; ce
qui peut provenir de ce que les naturels
du pays font dans l'ufage de vendre à la
place du fuc tout pur qu'on tire du trone
15
8 MERCURE
DE
FRANCE
.
par incifion , & en très-petite quantité ,
une liqueur extraite de la graine ou des
feuilles , ou même du bois de la plante , à
laquelle ils ajoutent encore la thérébentine
de Chypre , & d'autres drogues. Bien loin
donc que nous devions regretter le baume
fi vanté des Anciens , nous avons l'avantage
de pofféder le feul qu'ils connoiffoient
, & d'autres peut-être auffi parfaits
qui nous viennent de divers endroits de
l'Amérique , & de différentes efpeces
d'arbres.
Les grandes vertus qu'on attribue aux
plantes , donnent lieu à la troiſieme erreur.
Les Modernes prennent à la lettre les
hyperboles , par lefquelles les Anciens les
exhaltoient ; d'où il arrive que quoiqu'ils
ayent les mêmes efpeces fous la main , la
grande différence des effets les leur fait
méconnoître. Combien fe font - ils rompu la
tête pour découvrir ce que pouvoit être le
Nephentes d'Homere ! Ce Poëte raconte
que cette herbe venoit feulement en Egypte
, & qu'Hélene en faifoit ufage comme
d'un remede divin contre la mélancolie . Sa
vertu étoit fi efficace , qu'elle rendoit
joyeux & contens ceux qui étoient accablés
des plus cruels chagrins. Trop malheureufe
Cléopâtre , un fi grand ſpécifique
JUIN. 1758. 159
>
devoit- il naître inutilement pour vous dans
vos propres Etats ! On ne trouve aujourd'hui
ni en Egypte , ni hors de l'Egypte
aucune plante d'une qualité auffi admirable
difficulté bien aifée à réfoudre , en
difant qu'Homere la créa dans fon imagination
, ou comme Poëte , ou comme Médecin
; car fuivant quelques Auteurs , il
exerçoit cette profeffion . D'autres ne le
font mentir qu'à demi , c'eſt -à- dire , dans
la fauffe attribution des vertus merveilleufes
, & prétendent que le Nephentes eſt
le même que le Helenium que nous poffédons.
Chaque jour nous voyons tomber les
remedes de la haute eftime qu'on en a faite
dans la nouveauté. L'honneur de l'invention
dure à peine autant que la vie de
l'Auteur . Ainfi fe fuccedent les remedes
à la mode les uns aux autres fans interrup
tion.
Il en eft de même des plantes. Quels
tréfors immenfes ne nous étoient pas venus
de l'Amérique ! que d'excellens fpécifiques
! aujourd'hui , à la réſerve du quinquina
, nihil invenimus in manibus noftris.
L'hypécuana tant célébrée pour les dyffenteries
, n'eft pas plus que les autres , à
l'abri du mépris. L'expérience a fait voir
qu'elle y étoit non- feulement inutile , mais
160 MERCURE DE FRANCE
C
extrêmement contraire. Il n'y a pas bien du
des années qu'un Chirurgien François éta
bli à Liſbonne , publia comme un remede
fouverain pour la pleuréfie , l'apoplexie ,
les fiévres intermittentes , le mauvais goût
du fené , & c. une certaine herbe qu'il
avoit apportée du Bréfil , & qu'il nommoit
Simarouba. Malheureufement pour le
Charlatan , quelques petites feuilles prefque
réduites en poudre , tomberent par
hazard dans les mains de M. Homberg &
de M. Marchant . Une petite graine qu'ils
y découvrirent & qu'ils femerent ,
leur
donna dans le temps ce qu'on appelle ferophularia
aquatiqua , & ils n'y reconnurent
par l'expérience , que la feule qualité dộ-
ter au fené fon mauvais goût , fans lat
rien faire perdre de fa vertu purgative.
Nous devrions bien , après avoir été fi
longtemps dupés , fuivre l'exemple des
Hollandois. Ces rufés Négocians ,
contens des profits confidérables qu'ils faifoient
fur le thé qu'ils apportoient en Europe
& dans lequel , fi nous étions de
bonne foi , nous avouerions n'avoir encore
trouvé que la vertu d'éloigner le fom
meil ) , fe mirent en tête de perfuader aux
Orientaux que notre fauge , plante qui ne
fe trouve pas en Afie , avoit des proprié
tés incomparablement au deffus de celles
non
JUIN. 1758.
161
du thé. Leur projet réuffit au-delà de leur
efpérance ; de façon qu'aujourd'hui , fi on
en croit quelques Auteurs , les Orientaux
leur donnent quatre fois autant de thé ,
qu'ils leurs cedent de fauge . Quel immenſe
commerce ne pourrions- nous pas faire dans
bien des contrées , en y portant & vantant
avec le même enthoufiafme qu'on fait ici ,
un nombre infini de plantes qui ne nous
fervent à rien.
SUJETS propofés par l'Académie Royale
des Sciences & Beaux Arts , établie à Pau ,
pour trois Prix qui feront diftribués le
premier Jeudi du mois de Février 1759.
'ACADÉMIE ayant jugé à propos de réferver
les deux Prix qu'elle avoit à diftribuer
cette année , en donnera trois en
1759. Les deux à des Ouvrages en profe
qui feront au plus d'une demi -heure de
lecture , & qui auront pour fujets ; l'un ,
Pourquoi les hommes les plus diftingués par
la naissance & par les richeffes , font fi fouvent
Littérateurs de profeffion , & prefque
jamais Artiftes ? Et l'autre , Eft- il plus difficile
d'éclairer les hommes , que de les condui
re ? Le troifieme prix fera pour un Ouvra
ge de poéfie , de cent vers au plus , fur ce
162 MERCURE DE FRANCE
fujet , La Renaissance des Lettres en Europt
dans le feizieme fiecle.
Il fera fait de chaque Ouvrage deux
Exemplaires qui feront adreffés à M. de
Pomps , Secretaire de l'Académie.
On n'en recevra aucun après le mois
de Novembre , & s'ils ne font affranchis
des frais du port.
Les Auteurs mettront à la fin de leur
Ouvrage une fentence ; ils la répéteront
au deffus d'un billet cacheté , dans lequel
ils écriront leurs noms avec leur adreffe.
JUI N. 1758. 163
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
Le fieur de Mongaultier continue tou-
I
jours avec fuccès fon Ouvrage périodique
intitulé , Récréations chantantes , dont il
vient de faire imprimer la feconde & la
troifieme partie. Le prix de chaque partie
eft de 1 liv. 4. fols en blanc. Elles fe vendent
également en feuilles féparées , fi l'on
veut , & le prix eft de 6 fols la feuille .
A Paris , chez l'Auteur , quai de la Mégif
ferie , proche l'Arche Marion , à l'enſeigne
du Lion d'or ; cher le fieur Dumefnil ,
Marchand de Fer , s'adreffer à la boutique
où l'Auteur vend fes Ouvragès , & aux
adreffes ordinaires de Mufique.
Nota. Chaque feuille eft contrôlée d'un
double fleuron , afin que l'on ne prenne
point d'autres feuilles que celles- là .
Le Journal de Mufique du mois de Mai
164 MERCURE DE FRANCE:
commence par une Cantatille qui a pour
titre , la Rofe & le Zéphyr . On trouve enfuite
un Duo , qui eft fuivi d'une Muſetts.
Un Vaudeville le termine.
Six Sonates à deux violons ou pardeffus
de violes , dédiées à M. le Marquis
d'Eftampes , Baron de Mauny , Seigneur
de Planne , Tauberville , Beaulieu , & autres
lieux , Colonel aux Grenadiers de
France. Compofées par M. Milandre , &
gravées par M. Ceron. OEuvre troifieme.
Prix fix livres. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Quincampoix ; chez le Bonnetier , près
S. Joffe , & aux adreffes ordinaires.
Ces Sonates font fort agréables , mérite
très-rare en ce genre de mufique , & qui
femble lui affurer beaucoup de fuccès.
›
Don ***
connu
par fes talens
& par la
connoiffance
qu'il a de la Guitarre
, vivement
follicité
par les Amateurs
de cet inf- trument
s'eft déterminé
de mettre
au
jour une Méthode
de fa compofition
, par
laquelle
on apprend
facilement
& fans
beaucoup
d'étude
, à en jouer tant en tablature
qu'en mufique. L'Auteur
y donne une connoiffance
du manche auffi étendue
qu'elle peut l'être , & en même temps il s'eft attaché
à en fimplifier
l'étude , & à
JUIN. 1758 . 165
rendre fes principes à la portée de tout le
monde . Il y a joint fix Duo pour ceux qui
voudront s'habituer à jouer par mufique.
Ces Principes fe vendent à Paris , chez
M. le Menu , Marchand , rue du Roule , à
la Clef d'or , & aux adreffes ordinaires de
Mufique, Prix fix livres.
Et à Madrid , chez Guerrero Luthier , à
la Puerta del Sol,
SCULPTURE.
FIGURE ÉQUESTRE DE LOU IS XV.
La ville de Paris voulant tranfmettre à
la postérité l'amour des François pour le
Monarque qui les gouverne avec autant
de gloire , que de fageffe & de prudence ,
demanda & obtint en 1749 la permiffion
de lui ériger une ſtatue équeftre. Afin que
ce monument de zele & de reconnoiffance
approchât de très-près de la plus grande
perfection , on chargea M. Bouchardon de
l'exécuter. Cet habile Artiſte a parfaitement
répondu à la jufte confiance qu'on
avoit en fes talens . Car on a dit dans le
temps que fon modele étoit d'une trèsgrande
beauté,
166 MERCURE DE FRANCE:
Il ne fera queſtion ici que de la fonte
de la figure du Roi & du cheval , qui font
d'un feul jet , ce qui a parfaitement réuffi.
Il y a cent ans que cette entrepriſe auroit
paru au deffus des forces humaines. Alors
on fondoit les figures par parties , & on
les rajoutoit enfuite le moins mal qu'on
pouvoit. La figure équeftre de Louis XIV
qui eft dans la place Vendôme , eft la premiere
qui ait été fondue d'un feul jet ,
& qui , à quelque chofe près , a fervi de
modele à toutes celles qu'on a fondues depuis
.
La maniere dont on jetta en fonte cette
figure , ne nous eft aujourd'hui connue
que par un ouvrage que M. de Bofrand fit
plufieurs années après , & dans lequel il
raffembla ce dont la tradition l'avoit inftruit.
Cet Ouvrage a pour titre , Defcription
de ce qui a été pratiqué pour fondre en
bronze d'un feul jet , la figure équestre de
Louis XIV , élevée par la ville de Paris dans
la place de Louis le Grand , 1699. Soit que
M. de Bofrand eût été mal inſtruit , ou
que dans la fonte de cette figure de Louis
le Grand on ne s'y fût pas pris de la meilleure
maniere , il eft certain que le détail
donné dans la Defeription , &c. a préſenté
en plufieurs occafions de très- grands inconvéniens.
Aufli a-t'on fuivi une route
JUIN. 1758 . 167
toute différente , qui a été juftifiée par un
plein fuccès.
Cette fonte a été conduite. par M. Marits
, un des plus habiles hommes de ce
fiècle en ce genre , & à qui on doit la
nouvelle découverte de l'art de forer les
canons de fer. Il a donné les deffeins de la
foffe , du fourneau , des armures , & de
tout ce qui a été néceffaire à ce grand
ouvrage . De fon propre aveu , il a été trèsbien
fecondé par le fieur Gor, Fondeur , &
par la vigilance de M. le Prévôt des Marchands
& des Echevins : de forte qu'on
n'avoit point d'exemple qu'une pareille
fonte eût été achevée avec tant de promptitude
, même en deux fois plus de temps .
La foffe & le fourneau avoient été commencés
il y a environ trois ans ; mais on
ne mit la main au moule , autrement dit
le creux , qu'au mois de Février 1757. Le
fieur le Vaffeur fut chargé de cette opération.
Il moula en particulier avec du plâtre
chaque partie de la figure. Il fallut enfuite
avec de la cire fondue enduire intérieurement
& avec un pinceau , ce même
moule. Après plufieurs couches de cires , on
en mit avec la main une épaiffeur égale à
celle qu'on vouloit donner au bronze. Ce
moule ainfi garni , fut tranfporté dans la
foffe , & rajufté fur une carcaffe de fer.
163 MERCURE DE FRANCE.
? avec
Toutes les parties rapprochées , on coula
dans l'intérieur du plâtre mêlé avec de
la brique pilée ; enfuite le moule fut
retiré. Alors la figure équestre qui étoit
auparavant dans l'attelier , fe trouva tranſportée
dans la foffe , & en cire
cette circonstance qu'on avoit ménagé
dans l'intérieur une efpece de carcaffe
de fer , jointe à de groffes barres du
même métal , qui excédoient d'environ
trois pieds la longueur des jambes , & qui
étoient deſtinées à retenir la figure fur le
pied'eftal.
Cette figure en cire fut réparée par M.
Bouchardon. On la couvrit enfuite de plufieurs
couches de potée extrêmement fine ,
& broyée fur le marbre. C'étoit un fecond
moule qu'on formoit , & tout d'une piece.
Les premieres couches de potée furent mifes
au pinceau. Celles-ci furent recouvertes
avec de la potée moins fine , appliquée
en quantité. Le tout fut entouré d'une armure
de fer. On plaça enfuite des briques
tout autour de ce moule , & on acheva de
combler la foffe avec de la maçonnerie.
Ce moule de potée fut totalement achevé
le 25 Février de cette année.
Le moule rempli de cire fe trouva donc
enterré dans la foffe. Il communiquoit
avec l'air extérieur par plufieurs tuyaux
en
JUIN. 1758. 169
en cire & recouverts de potée. Les uns devoient
fervir de canaux pour couler la
matiere , & les autres d'évent pour laiffer
fortir l'air. Ces derniers tuyaux étoient en
très-grand nombre. Il y en avoit plufieurs
fur chaque partie du cheval & de la figure
du Roi.
On mit le feu au moule : par-là on en fit
fortir la cire par des trous qu'on avoit ménagés
exprès. Ce feu fut redoublé pendant
quarante trois jours ; ce qui rougit le
noule , en chaffa toute humidité , & en fit
le recuit.
Dans cet intervalle , on faifoit les préparations
néceffaires à la fonte. Les matieres
furent mifes dans le fourneau. On y
alluma le feu le vendredis du mois de
Mai à onze heures du matin. Le lendemain
à cinq heures & demi du foir , la matiere
fut coulée dans l'efpace de cinq minutes
quatre fecondes ; ce qui fait environ trente
heures de fufion.
M. le Comte de Saint- Florentin , M.
le Duc de Chevreufe , Madame la Ducheffe
de Chevreufe , M. le Marquis de Marigny
, M. le Prévôt de Marchands , M.
l'Empereur , premier Echevin ; M. Viarme
, défigné pour fucceffeur de M. de Bernage
, & plufieurs autres perfonnes diftinguées
par leur naiffance ou leurs emplois ,
H
170 MERCURE DE FRANCE.
furent témoins de l'ouverture du fourneau.
Lorfqu'ils virent la matiere refluer par tous
les évents , ils fe livrerent aux tranfports
de leur joie , qui furent fuivis du bruit de
plufieurs boîtes tirées pour annoncer cet
heureux événement à tous les habitans de
la Capitale.
La matiere refluant par les évents étoit
en effet une preuve que le moule étoit
rempli , & qu'il ne s'y étoit point fait de
crevaffe qui laifsât échapper la fonte. C'étoit
un plein fuccès , admirable en ce que
la figure du Roi & le cheval font d'un
feul jet .
On avoit mis dans le fourneau foixante
milliers de matiere ; mais la figure reparée
, elle ne pefera guere qu'environ 24 à
25 milliers.
Il eft à fouhaiter que M. l'Empereur ,
premier Echevin , qui a fuivi de près toutes
ces opérations , qui en a fait prendre
les deffeins , & dreffer des procès - verbaux ,
les mette en ordre & au jour. Il eft luimême
habile Artifte , & il a tout vu &
examiné en homme d'art. Son ouvrage
détruiroit non feulement toutes les erreurs
répandues dans le livre de M. de Bofrand ;
mais encore il nous inftruiroit des moindres
détails de cette importante opération .
Le foin avec lequel il à ramaffé fes matéJUIN.
1758. 171
riaux , ne nous permet pas de douter qu'il
ne rempliffe à cet égard les defirs du
Public.
GRAVURE.
SUITE de la Lifte des Soufcripteurs pour
la gravure des Tableaux du cabinet du
Roi ; par Feffard , Graveur du Roi , &
de fa Bibliotheque , rue S. Honoré , chez
M. le Noir, Notaire , vis - à - vis la rue
de Léchelle , & à la Bibliotheque du Roi ,
rue de Ribelien .
ANNON
NNONCER ces nouveaux Soufcripteurs ,
c'eft annoncer le fuccès de cette entrepriſe.
Les Amateurs & Curieux de tous pays
s'intéreffant & contribuant à la réuffite
d'un auffi beau projet , fourniffent au Sc
Feffard les moyens de le fuivre avec vivacité.
Les perfonnes qui voudront voir les
Tableaux & le commencement de l'ouvrage
, pourront fe tranfporter tous les mardi
& vendredi de chaque femaine jufqu'à une
heure après - midi , à la Bibliotheque du
Roi , où le Sr Feffard travaille : il fe fera un
vrai plaifir de les y recevoir , & de profiter
de leurs confeils & de leurs avis . Les recon
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
noiffances des foufcriptions fe délivrent
toujours chez lui & à la Bibliotheque , &
chez le fieur Buldet , Marchand d'Eftampes
, au grand Coeur , rue de Gêvres , chez
lequel on trouve un affortiment général
de fes Gravures : ainfi qu'à Lyon , chez le
fieur Goubert , Marchand d'Eftampes.
C'est au 15 du préfent mois que devoir
fe fermer cette foufcription ; mais comme
il eft revenu au fieur Feflard que des perfonnes
ne foufcrivoient pas à cauſe du
retard des gravures de la Chapelle des Enfans-
Trouvés , il a reculé le terme juſqu'à
la fin du mois d'Août prochain. Il a déja
annoncé dans les Journaux que des maladies
en avoient été la premiere caufe, à quoi
l'on doit joindre encore le manque d'habiles
Eleves , dont il eft pourvu aujourd'hui.
Une nouvelle raifon de retard eft l'augmentation
de l'ouvrage. Il n'avoit promis
que des planches de 19 pouces de haut fur
i de larges. La Gloire en fait une de 30
pouces de large fur 23 de haut. Le maître-
Autel exige auffi un changement dans fa
grandeur. Il en eft de même de la planche
générale ; ce qui fait , tout bien combiné ,
trois planches de plus.
Noms de Soufcripteurs.
M. Pommier , Ingénieur du Roi des
JUIN. 1758. 173
Ponts & Chauffées aux Etats de Languedoc
, réfident à Alais.
Madame de Caumartin , Intendante de
l'Ifle ; M. le Baron de Thiers ; M. Boutin
fils , Receveur Général des Finances ; M.
de la Live de la Briche , Secretaire des
Commandemens de la Reine ; M. de Bachaumont
, Ecuyer ; M. de Montcellé , Secretaire
des Commandemens de la Reine.
De Dannemarck.
M. Waferfehble , Confeiller de Juſtice ,
Secretaire des affaires Etrangeres ; M. le
Baron de Bernftorff , Miniftre & Secretaire
d'Etat ; M. le Comte de Moltke , grand
Maréchal de la Cour ; M. Thot , Miniftre
des Finances ; M. Pleffen , Major Général
de Cavalerie ; M. Malhman , Bibliothécaire
du Roi ; M. Pilo , premier Peintre
du Roi ; M. Philibert.
Paris.
M. de Neuville , Fermier Général ; M.
le Comte de Calemberg , à Bruxelles ; M.
le Préſident de Cotte ; M. Goubert, à Lyon.
ONOn peut dire en général que l'eftime
qu'on accorde à un Ouvrage , fait naître
affez volontiers le defir d'en connoître
l'Auteur. Cette réflexion convient parti-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
culiérement à l'excellent Traité de la population.
Dès qu'il a paru , tous les fuffrages
fe font réunis pour applaudir au
génie bienfaifant qui l'a produit . L'ami
des hommes n'a trouvé que des amis dans
fes Lecteurs on s'eft empreffé de voir fon
portrait au dernier fallon , & la belle maniere
dont M. Aved l'a exécuté , n'a été
qu'un moyen de plus pour attirer les regards
du Public fur ce portrait intéreffant
à tous égards . M. de Marcenay- Deghui
vient de le graver , le zele a animé fes travaux.
Dans cette nouvelle Eftampe , le 16º
de fon oeuvre , qu'il a dédiée à M. le Marquis
de Mirabeau lui-même , on lit l'épigraphe
fuivante , qui renferme en trois
mots ce que l'ami des hommes a fait pour
les éclairer , & pour mériter leur reconnoiffance
:
Ipfe hominum pariter lumen , amicus , amor.
Cette Eftampe fe trouve chez l'Auteur ,
quai de Conti , la feconde porte cochere
après la rue Guénégaud , & chez M. Lutton
, Commis au recouvrement du Mercure
, rue Sainte Anne , butte Saint Roch.
Voici une petite lifte des Eftampes les plus
intéreffantes que le même Graveur a mifes
au jour.
La Bohemienne , du Prefteniers.
JUIN. 1758 . 175
Le Portrait de Rembrandt , d'après ce
Peintre.
Celui du Tintoret , auffi d'après lui.
Le Tobie qui recouvre la vue , d'après
Rembrandt .
L'Homme à la plume blanche avec fon
éponse , d'après Rembrandt.
La Bataille , d'après Parocel le pere.
Le Clair de Lune , d'après Vernet .
Le Teftament d'Endamidas , d'après le
Pouffin , annoncé au mois de Novembre
dernier , & quelques autres petites planches
qui complettent le nombre des 16
annoncées.
ARTS UTILES.
OPTIQUE.
LETTRE de M. l'Abbé de la Ville ,
l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR , relativement à la mention
que vous avez faite de moi dans le Mercure
de Mars de cette année , page 179 ,
je fuis accablé de ports de lettres , qu'on
m'adreffe inceffamment de Province. Cette
réputation que vous avez bien voulu me
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE:
donner , malgré moi , me devient en
quelque façon à charge ; puifqu'elle m'eſt
tout- à-fait difpendieufe. Ce qui me met
dans le goût de refufer à l'avenir toutes
les lettres qu'on pourroit m'adreffer , fi
elles ne font affranchies. Elles me deviendroient
extrêmement incommodes , puifque
par- là je ne pourrois plus retirer les
miennes. J'ai l'honneur de vous prier ,
Monfieur , à ce fujet de vouloir bien en
prévenir le Public. Je crois qu'il fuffira
d'inférer ma Lettre dans votre Mercure ,
& je me flatte que vous me ferez la grace
d'employer promptement cet article , auffi
bien que de me croire très- parfaitement ,
Monfieur , Votre très-humble , & c.
L'Abbé DE LA VILLE.
A Paris , le 21 Avril 1758 .
JUIN. 1758. 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
Le mardi 18 Avril , Mlle Arnould a joué
pour la premiere fois le rôle de Lavinie.
Son fuccès a été complet. Le tragique paroît
même le genre qui lui convient le
mieux. C'eſt du moins celui où elle a paru
dans le plus beau jour . Ses geftes font nobles
fans fierté , & expreffifs fans grimaces.
Son jeu eft vif & animé , & ne fort point
de la belle nature. Cette excellente Actrice
s'eft déja corrigée en partie d'une forte de
lenteur qu'elle mettoit dans la fcene , &
qui ne peut tout au plus convenir qu'à
PAriette. Le mauvais exemple l'avoit féduite
. Nous l'invitons à ne s'écouter qu'elle
même , fi elle veut approcher de plus en
plus de la perfection .
Un fi grand fuccès nous difpenferoit
prefque de dire que Mlle Arnould n'a plus
quitté le rôle , qu'elle a ramené le Public
à l'Opera ; enfin qu'elle a embelli Enés &
Hv
178 MERCURE DE FRANCE:
Lavine d'une apparence de nouveauté.
Les Amours des Dieux & la Provençale,
ont été donnés le 27 Avril pour la derniere
fois. Mlle Arnould qui chante tous les
jours , s'est très - bien acquittée du rôle de
la Provençale . Le fieur Defentis a rendu
fon Ariette avec toutes les graces dont la
Baffe eft fufceptible.
COMEDIE FRANÇOISE.
Le famedi 29 Avril , les Comédiens
François ont repréſenté pour la premiere
fois la Fille d'Ariftide , Comédie en profe
& en cinq actes.
L'innocence & la vertu perfécutées , tel
eft le tableau principal qu'a voulu nous
préfenter dans cette Piece Madame de
Graffigny , qui a des droits fi bien acquis
fur l'eftime du Public , par les Ouvrages
qu'elle lui a déja donnés. En aller chercher
les traits dans l'ancienne Athenes , c'étoit ,
fans doute , vouloir inftruire fa propre
Nation en la ménageant .
La diverfité des opinions fur cet Ouvrage
retiré du théâtre , nous feroit fouhaiter
d'être en état d'en donner un extrait aſſez
étendu pour pouvoir les fixer. Mais nous
fommes forcés nous - mêmes d'attendre
JUIN. 1758. 179
l'impreffion de cette piece , dont nous nous
bornerons ici à expofer le plan.
Cléomene , ancien Sénateur d'Athenes ;
avoit fuivi le célebre Ariftide , fon ami ,
dans fon éxil à Mégare : fes foins , fon
amitié , fa fortune même , lui en avoient
adouci l'injuftice & la rigueur. A fa mort ,
il fe chargea de Théonife , fa fille ; mais
comme le féjour de Mégare lui étoit devenu
infupportable par le caractere tracaffier
, importun , indifcretement zélé de
Cratobule , fon beau-frere , il étoit revenu
à Athenes y chercher la folitude qu'on
trouve dans les grandes Villes , mais fans
pardonner à fa patrie , & furtout au Sénat ,
l'injuſtice de la profcription de fon ami.
Cette même profcription lui avoit donné
un dégoût infurmontable pour toutes
les affaires , foit publiques , foit domeſtiques.
Les fiennes étoient dans un défordre
qui étoit la fuite de fa négligence & de
fon goût pour la retraite . Ce qui l'avoit
mis à fon retour dans la néceffité de les
confier à Parmenon , affranchi d'Ariftide
pour les rétablir avec le temps , s'il étoit
poffible.
Théonife avoit été élevée à Mégare avec
Thrafile , fils de Cratobule leurs coeurs
s'étoient liés par une intelligence douce &
festette . Mais Cratobule , Officier de mer ,
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
ayant obligé fon fils à prendre malgré lui
le même fervice , les avoit féparés. Dans
un combat naval , Thrafile tombé dans la
mer , paffa pour y avoir été englouti : Cratobule
bientôt confolé de cette perte par la
fingularité de fon caractere , ne fongeoit
plus qu'à unir Glaucé , fa fille , à Phérès ,
fils de Cleomene .
Tels font les faits préliminaires de la piece
dont nous allons tracer rapidement l'action
.
La haine de Phérès pour Théonife , qui
a toute la confiance de Cléomene ; l'envie
qu'il témoigne à Dromon , fon efclave , de
la rendre odieufe à fon pere ; les ordres
preffans qu'il lui donne d'abufer de la
naïveté de Thais pour tirer d'elle les prétendus
fecrets de Théonife , fa maîtreſſe ;
les larmes que la fille d'Ariftide verfe dans
le fein de Parmenon fur la mort de Thrafile
; la fituation fâcheufe des affaires de
Cléomene dont Parmenon s'entretient avec
elle ; l'impatience & la dureté d'un Créancier
qui exige un paiement qui paroît à
Parmenon impoffible à faire ; l'opiniâtreté
de Cléomene à ne vouloir entendre parler
de rien qui foit étranger à fa philofophie
oifive ; les nouveaux dangers dont Par
menon le menace par rapport au Sénat dont
il a refuſé d'écouter les Députés qui veJUIN.
1758. 182
noient le confulter fur les affaires publiques
: voilà les traits principaux qui fervent
à l'expofition & au développement
de la Piece.
Cratobule perfuadé avec la confiance
que donnent les fauffes préventions , que
Cleomene pourroit aller jufqu'à épouser
Théonife , arrive à Athenes. Il fe lie avec
Pherès , augmente fes foupçons , infulte
Théonife , & l'accufe de profiter du dérangement
des affaires de fon bienfaicteur
tandis qu'elle vient dans l'inftant d'appaifer
les pourfuites du Créancier dont on a
parlé , en facrifiant une fomme qu'un Débiteur
honnête de fon pere lui avoit remife
, & qui étoit fa feule reffource.
>
Excédée de perfécutions injuftes , & révoltée
contre les calomnies dont on la
noircit , Théonife ne peut refter dans une
maifon où elle caufe innocemment tant
de troubles. Cléomene alors , pour la mettre
à l'abri des deffeins de Cratobule , & la faire
rentrer dans les droits de Citoyenne dont
fa qualité de fille d'un Profcrit la privoit ,
fe détermine à lui offrir fa main , après lui
avoir propofé celle de fon fils , & avoir
fenti la répugnance invincible qu'elle avoit
à l'accepter. Il faut , dit- il , que nos chaînes
ne durent qu'un moment , &c. ... Recevez
mon ferment. Je promets de mourir votre
époux.
182 MERCURE DE FRANCE:
A peine Théonife a-t'elle reçu le ferment
de fon bienfaicteur , qu'elle voit Thrafile à
fes genoux. Son étonnement , fon embarfa
réferve & fa contrainte , ne confir
ment que trop à fon Amant les foupçons
que lui a imputés la naïve Thaïs trompée
par Cratobule.
ras ,
Pherès les furprend enfemble : il en
avertit Cratobule. Tous deux conviennent
de faire enlever Théonife dans la nuit.
Thaïs les entend : elle confie leur complot
à Thrafile , que fon déſeſpoir ramene , &
le fait cacher dans la maifon .
Les Raviffeurs font repouffés & mis en
fuite par Thrafile. Le bruit de cet événement
eft entendu de Cléomene , que Pherès &
Dromon cherchent à tromper fur les éclairciffemens
qu'il en demande. Il eft d'abord
inftruit de l'entrevue de Théonife & de
fon Amant il apprend enfuite que Trafile
a été caché la nuit dans la maiſon . Il
fait venir Thaïs : il l'interroge ; & la naïveté
des réponſes qu'elle fait en tremblant
ouvre fon efprit à tous les foupçons , que
fon refpect pour la vertu de Théonife lui
faifoit rejetter.
La fille d'Ariftide livrée au défefpoit
où l'a laiffée Cléomene dont la répugnance
pour toute difcuffion , ne lui a pas permis
d'affez longs éclairciffemens , apprend enJUIN.
1758.
183
core de Parmenon que Cléomene , l'ami de
fon pere , eft condamné par le Sénat à une
amende dont le défaut de paiement va le
précipiter dans les horreurs d'une prifon
peut- être éternelle. Théonife épouvantée ,
voit qu'elle n'a plus qu'un facrifice à faire
pour fon bienfaicteur : elle s'y réfout . Elle
court vendre fa liberté à un Marchand
d'Efclaves, tandis que Parmenon va promp
tement avertir Thrafile de tout ce qui fe
paffe.
Celui- ci à qui le Sénat avoit promis la
premiere grace qu'il demanderoit , pour
s'être diftingué dans la bataille dont il eft
venu annoncer le fuccès , implore auprès
de ce même Sénat le droit de Citoyenne
pour Théonife . La République fait encore
plus. Elle rétablit la mémoire d'Ariftide ;
érige un monument à fa gloire , & dote fa
fille . Cléomene inftruit du facrifice , & plus
encore de l'innocence de Théonife , la rend
à ce jeune Héros , en la dégageant de fes
premiers fermens.
L
COMÉDIE ITALIENNE.
A Nouvelle Ecole des Femmes , dont le
fuccès s'est toujours foutenu d'une maniere
brillante , vient d'être imprimée
184 MERCURE DE FRANCE.
1
Paris , chez Prault fils , quai de Conti ,
la Charité. Cette piece n'a rien perdu à la
la lecture , elle cft écrite avec efprit ; nous
prions nos lecteurs de fe rappeller le plan
que nous en avons donné dans le fecond
volume d'Avril de cette année ; car nous
nous contenterons aujourd'hui d'en tranf
crire quelques traits , qui feront juger du
ton du dialogue.
Par exemple , la maniere dont le Chevalier
juftifie Laure aux yeux de Mélite ,
nous a paru très- adroite. Acte 1. Scene
V.
Le Chevalier.
Pour vous fatisfaire , Madame , en-
» trons dans le détail . Que reprochez - vous
Ȉ Laure ? Elle eft aimable , dites- vous ;
» n'eft- ce pas bien fait à elle , & eft- ce à
» vous , Madame , à lui faire un défaut
» d'une qualité que vous poffédez plus que
perfonne
"
Mélite.
Je vous remercie de la galanterie ;
mais point de comparaifon.
Le Chevalier.
» Elle a des talens : d'accord ; mais ces
talens ne font point avilis par l'ufage
» qu'elle en fait . C'eft pour le bonheur des
perfonnes qui la connoiffent ,, que
l'are
JUIN. 1758. 185
33
ود
"
ور
»chez elle a fçu embellir la nature ; &
» comme les talens font des faveurs que la
» nature fait à peu de perfonnes , elle les
charge d'en amufer , par forme de dédommagement
, celles à qui elle les refuſe.
Laure eft jeune , ajoutez - vous : grand
» défaut , j'en conviens ; mais c'eft le feul
»que les femmes pardonnent : elles fça-
» vent qu'il ne dure pas . Laure fait beaucoup
de dépenfe & tient une maifon , il
>> eft vrai ; mais elle eft riche , & fa ri-
» cheffe n'eft point le fruit du deshonneur.
>> Un vieux garçon fort opulent prêt à l'époufer
, mourut fans parens ; il a laiffé
» à fa maîtreffe tout le bien que huit jours
plus tard il auroit laiffé à fa femme . Depuis
quand eft- il défendu à l'amour d'ê-
» tre auffi généreux que l'hymen ? Laure
» ne voit que des gens fort riches & du
" plus haut étage : fans doute , ce font
eux avec qui elle peut mettre fon mérite
» dans le plus beau jour. C'eft un tableau
» fini qui a befoin d'être vu par des con-
» noiffeurs. Enfin elle n'eft point mariée :
ور
و ر
23
و ر
و ر
و و
quelles entraves vous mettez à votre
» bonheur , Mefdames , fi vous ne pouvez
» jouir honnêtement de quelques années
de votre vie fans la perte de votre liberté
...... fçachez donc que Laure n'a ni
> les raffinemens de la coquetterie , ni les
و د
186 MERCURE DE FRANCE
" artifices de l'infidélité , ni les noirceurs
» de la perfidie : la liberté , l'amour & la
philofophie chez elle fe tiennent par la
» main ; c'eft une ame noble , mais fenfi-
» ble , qui fe livre avec décence à toute la
» vivacité de fes goûts , & qui fçait allier
» la dignité des fentimens les plus refpec-
» tables , avec l'extérieur de la conduite
» la plus galante . »
و ر
Il feroit à fouhaiter qu'il y eût dans ce
premier acte un peu plus de gaieté , &
cela avec d'autant plus de raiſon , que le
fecond eft fort agréable. Tout y eft également
intéreffant , le dialogue en eft vif &
l'action très-animée . Parmi les différentes
fcenes de ce fecond acte , nous ferons
choix du commencement de la fixieme ,
dans laquelle Laure fait une mauvaiſe
querelle à S. Fard pour ranimer fa paffion
& inftruire Mélite dans l'art de la coquetterie.
ACTE II , SCENE VI.
Laure , Saint- Fard.
Laure àfa toilette , s'ajustant quelques boucles
-de cheveux.
Ah ! Monfieur , vous voilà ; je fuis
fort aife de vous voir : eh bien ! on ne
JUI N. 1758 . 187
»peut donc pas avoir la clef de votre lo-
» ge ?
S. Fard.
» Je me fuis fait un plaifir de vous l'ap-
» porter moi- même.
و د
Laure.
» Un plaifir d'apporter une clef : cela
» s'appelle mettre du plaifir partout. Mais
» voilà une belle heure pour aller à un
opéra nouveau .
و د
"
S. Fard tire fa montre.
» Il n'eft
ود
que cinq heures & demi , Ma
» dame , & vous n'y arrivez jamais avant
>> fix heures.
Laure.
» D'accord ; mais précisément aujourd'hui
je voulois y aller de bonne heure.
» Et c'eft
و د
n'eſt
S. Fard.
cela
pour que votre toilette
pas encore
finie :
Laure.
» Ce petit ton ironique veut me prou-
» ver apparemment que je n'ai pas le fens
» commun.
23
S. Fard.
Quelle idée , charmante Laure ! quel
188 MERCURE DE FRANCE:
»qu'un mieux que moi fçait- il ce qui en
» eft ? "
ม
Laure.
» Et pourquoi le fçauriez - vous plus
qu'un autre ? N'ai - je donc de l'efprit que
» pour vous , ou vous croyez-vous feul capable
d'en juger ?
"
"
S. Fard.
» Ni l'un ni l'autre , Madame , mais je
» défie que perfonne s'y intéreffe plus que
» moi , & c'eſt cet intérêt qui me fait diftinguer
toutes vos bonnes qualités mieux
» que perfonne.
و د
ود
و ر
Oh ! pour le
Laure.
coup ,
voilà un compli-
» ment qui vous eft d'une grande refſource:
» les hommes font admirables , ils ne nous
» ont pas plutôt lancé l'épigramme , qu'a-
» vec quelque fadeur ils content tout rac-
>> commoder , & que nous fommes con-
» tentes. Oh bien , Monfieur , gardez vo-
» tre compliment pour une meilleure oc-
» cafion , & votre loge pour un autre
jour.
"3
S. Fard.
» Vous n'allez donc point à l'opéra ?
Laure.
» Si vraiment , n'y a-t - il que votre loJUIN.
1758 . 189
"ge
و
dans le monde ? J'ai celle du Baron
» qui , plus attentif que vous , me l'a en-
» voyée dès le matin .
S. Fard.
» Et vous l'avez acceptée ?
Laure.
35
Pourquoi non ?
S. Fard.
39
" Le Baron eft heureux , Madame. Si
j'avois imaginé que vous cuffiez pu
dou-
» ter de mon exactitude , vous auriez eu la
» clef de la loge dès hier : ainfi celle du
» Baron....
"
Laure.
Soit tout ce tracas de clefs me rompt
»la tête. Laiffons cela.
و ر
S. Fard.
»Volontiers , je connois votre fincérité.
Là avouez que quand je fuis arrivé ,
» vous aviez un petit befoin de gronder ,
> dont vous m'avez donné la préférence .
و ر
Laure.
Pourquoi non c'eſt une faveur ; ai-
» meriez -vous mieux que je l'euffe gardé
» pour un autre ? ( elle fe leve , on ôte la toi-
»lette ) Vous en fentirez mieux le plaifir
» de m'entendre chanter l'air que vous
190 MERCURE DE FRANCE.
m'avez envoyé ; les paroles font fimples
» & modeftes , voilà comme je les aime ,
» &c.
Le peu d'étendue de notre premier extrait
( 1 ) , ne nous permit pas de développer
toute l'adreffe du dénouement. Nous
y fuppléérons ici d'autant plus volontiers ,
que c'eft la partie de la piece qui fait le
plus d'honneur à M. de Moiffy : car elle
établit fon talent pour le théâtre.
On doit fe rappeller que dans le premier
acte , le Chevalier fait inutilement fes efforts
pour infpirer le parti de la vengeance
à Mélite . N'ayant rien obtenu par fes difcours
, il dit à part : » je n'ai plus de ref-
و ر
fource , que dans l'amufement qu'elle
» pourra prendre à la fête que je lui pré-
" pare ici ; ne ménageons rien pour la ren-
» dre agréable ». Marton eft dans fa confidence
.
Dans le troifieme acte , Mélité eft en
habit de bal , elle demande à Marton
qu'elle lui aide à inventer quelque amuſement
, qui puiffe intéreffer & furprendre
S. Fard.
Marton.
>> Pour ce foir , "
(1) Second volume d'Avril
JUIN. 1758. 191
Mélite.
>>
" Oui pour ce foir , pour l'inſtant même
, s'il le faut.
99
Marton.
Que voulez- vous que j'imagine en fi
de temps ? Ma foi , Madame , chantez
, danfez autour de lui.
» peu
Mélite.
Quoi ! feule ? J'aurai l'air d'une folle .
Marton.
D'accord : tout ce que je peux faire
"pour votre ſervice , c'eft de
partager
,, cette folie avec vous.
Mélite.
Cela ne réuffira pas mon enfant , &
je manquerai mon début.
»
Marton.
Voilà pourtant tout ce qui fe préfente
» à mon imagination : auffi votre deffein
» eft fi extraordinaire ! ... Mais ... attendez...
juftement... Madame , j'ai votre affaire,
ود
>Comment !
و د
Mélite.
Marten.
» Monfieur le Chevalier qui prétend ;
comme vous fçavez , vous confoler de
192 MERCURE DE FRANCE.
» vos chagrins , doit ce foir vous donner
» un divertiffement ; je fuis dans le fecret ,
» il a fait aſſembler ici incognito des dan-
» feurs & des danfeufes dont il veut vous
régaler , employons- les pour en amufer
» S. Fard.
33
Mélite.
» Fort bien ! cela vient on ne peut pas
» mieux . 33
Marton.
» Vous ferez la premiere femme qui au-
» ra fait fervir à l'amuſement de fon mari
» une fête préparée par fon amant ; mais
» cette fingularité en rendra le tour plus
plaifant.
و د
Mélite.
" Et fi le Chevalier revient pendant le
» divertiſſement.
39
Marton .
» Ne craignez rien , il eft trop fin pour
» dire à S. Fard , qu'il eft l'auteur de cette
galanterie , & vous pourrez vous l'attri-
» buer toute feule .
99
Mélite gayement.
» Tu as raifon » , &c.
Que ce divertiffement eft bien amené !
il fort du fond du fujet. Il eft annoncé dès
le premier acte , & lié à tous les événemens
JUIN. 1758. 193
mens de la piece . On défireroit feulement
qu'il fût un peu moins précipité. Si Laure
fût venue à ce bal mafquée , elle y auroit
jetté un nouvel intérêt , & auroit été témoin
du fuccès de fes leçons. Ces petits
défauts n'empêchent pas que la nouvelle
Ecole des Femmes ne foit fort agréable , &
dans le goût du vrai comique. Auffi a- t'elle
eu 18 repréſentations .
CONCERT SPIRITUEL.
Le jeudi 4 mai , jour de l'Afcenfion , le
Concert fpirituel a commencé par une
fymphonie : on a éxécuté enſuiteOmnes gentes
motet à grand choeur de M. Cordelet.
Mlle Lemiere & M. Defentis ont chanté
Cantemus , petit motet de M. Mouret. M.
Vachon a joué un concerto de fa compofition
. Mlle Fel a chanté un petit motet
pour le jour . Le Concert a fini par In
exitu , motet à grand choeur de M. Mondonville
.
Le 14 mai , jour de la Pentecôte , le
Concert a commencé ppaarr uunnee fymphonie :
on a éxécuté enfuite Venite, exultemus , motet
à grand choeur de M.Davefne . La Signora
Anna Chirri Dehel chanta un air Italien.
Mlle Lemiere & M. Larivée chan-
I
194 MERCURE DE FRANCE ,
terent un petit motet de M. Mouret , M.
Balbaftre joua un concerto d'orgue. Mademoiſelle
Fel chanta Exultate, jufti , concerto
de voix de M. Mondonville. Le Con.
cert a fini
par Laudate Dominum , quoniam,
&c. motet d'orgue du même Auteur.
JUIN. 1758. 195
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ES
ALLEMAGNE.
DE STRALSUND , le 9 Avril. 9.
Les Pruffiens avoient établi vis- à - vis de l'iſle de
Rugen , près de Stahlbroë , une batterie qui incommodoit
beaucoup les Suédois . Ceux -ci ayant
pris la réfolution de la détruire , firent partir le 2
du mois d'Avril de Danholm , à un quart de lieue
de cette Ville , plufieurs bâtimens plats chargés
d'artillerie. La canonnade , qui fut très- vive de
part & d'autre , dura depuis cinq heures jufqu'à
neuf heures du matin , & les Suédois font venus à
bout de ruiner entiérement cette batterie.
Depuis les détachemens que les Pruffiens ont
été obligés de faire , pour s'opposer aux progrès
des Ruffiens , ils n'ont plus ici que quinze ou feize
mille hommes. Ainfi les Suédois fe difpofent à
quitter inceffamment l'ifle de Rugen & Stralfund ,
pour pénétrer une feconde fois dans la Poméranie
Pruffienne.
par
Malgré les affurances par écrit , données
le Maréchal de Lehwald aux Etats de la Poméra
nie Suédoife , qu'il ne feroit exigé d'eux aucune
autre contribution que celle qu'ils ont déja
payée , le Comte de Dohna , qui a pris le commandement
de l'armée Pruffienne , leur demande
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
encore foixante mille écus , & une certaine quantité
de bled .
DE RATISBONNE , le 7 Avril.
On écrit de Reftock , que le 28 du mois de
Mars , les Pruffiens ayant empêché d'ouvrir les
portes de la Ville , commencerent de grand matin
à vifiter toutes les maifons , & enleverent indiftinctement
tous ceux qui leur parurent propres
à porter les armes. La vifite dura jufqu'à neufheures
, & quantité de Négocians fe trouvant compris
dans le nombre de ces recrues bourgeoiles de
nouvelle efpece , la confternation fut générale .
Cependant les cris des femmes , des enfans & du
peuple , obligerent le Commandant Pruffien à
faire relâcher plufieurs hommes d'un âge avancé ;
mais ce ne fut qu'en leur déclarant qu'aucun d'eux
ne feroit exempt d'entrer au fervice du Roi de
Pruffe , à moins qu'il ne fût remplacé par un autre
en état de fervir. Comme à cette premiere vifite
, on ne put faire affez de recrue pour completter
le nombre auquel les Pruffiens ont taxé
cette Ville , la nuit fuivante ils recommencerent
à faire de nouvelles recherches , & ils s'emparerent
encore d'un grand nombre d'habitans,
DE HAMBOURG , le 19 Avril.
L'impoffibilité où le trouvent les habitans du
Duché de Mecklenbourg , de payer les contributions
en argent qui leur ont été impofées , a enfia
été reconnue , & le Roi de Pruffe en conféquence
, a permis d'accorder une diminution de
cinq cens mille écus .
Les Troupes Pruffiennes répandues dans ce mê
JUIN. 1758. 197
me Etat , vont l'évacuer , pour se rendre à l'armée
de Poméranie , qui a befoin de renforts . Le
détachement qui bloquoit la ville de Schwerin
étoit déja retiré le 13 .
Tous les avis qui viennent de Pomeranie , marquent
que les Pruffiens fortifient confidérablement
Stettin , & que par ordre du Roi de Pruffe , on
coupe dans les forêts voifines quarante mille paliffades
, pour être tranfportées dans cette Ville.
Du Quartier général de l'Armée Impériale
fur les frontieres de Silefie , le 18 Avril.
Une colonne de Troupes Pruffiennes , aux or
dres du Général de la Mothe.Fouquet , compofée
d'environ fix mille hommes , Infanterie , Cavalerie
& Huffards , s'eft portée de Winfchelbourg à
Braunau , & s'eft emparé de ce pofte , où nous
n'avions qu'un détachement de cent cinquante
hommes , pour obferver les mouvemens de l'ennemi
, & en donner avis fur le champ , avec ordre
de fe retirer , s'il s'avançoit avec des forces
fupérieures. Cette colonne à été bientôt ſuivie
d'un corps d'environ trois mille hommes qui ont
marché de Friedland à Ruppersdorff. Un détachement
de ce corps obligea d'abord nos poftes avancés
de fe replier fur une redoute établie à portée
de Podifch ; mais à l'arrivée de deux cens Huffards
qui venoient relever ces poftes , les ennemis
furent contraints de fe retirer eux-mêmes
jufqu'à Ruppersdorff. Les ennemis dans ce petit
choc n'ont perdu que neuf hommes tués , & deux
faits prifonniers ; mais le nombre de leurs bleffés
doit être plus grand . Nous y avons eu deux foldats
tués , un Lieutenant & onze hommes bleffés ,
& le fieur de Fourar , Lieutenant- Colonel du Ré-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
giment de Huffards de l'Empereur , ayant eu fon
cheval tué fous lui , a été fait priſonnier , ainfi
que quatre foldats qui venoient pour le dégager.
Le 8 Avril , le Colonel Pruffien le Noble , avec
un bataillon de Volontaires & deux Efcadrons de
Huffards , ayant tout-à-coup débouché d'un bois ,
attaqua vigoureufement nos poftesavancés d'Halbftadt.
La fupériorité du nombre obligea d'abord
les nôtres à fe replier jufqu'à une redoute qui était
hors de portée. Mais le Général Laundon , commandant
dans cette partie , fit fur le champ des
difpofitions qui arrêterent les Pruffiens . Un détachement
de Huffards , foutenu par des Croates ,
tomba rapidement le fabre à la main fur les ennemis
, & les obligea de fe replier eux- mêmes avec
la plus grande précipitation. Les Pruffiens , protégés
par un feu très-vif, tâcherent de regagner
le bois , & d'y reprendre pofte ; mais les Croates
les ayant tournés , les en empêcherent , & les re
menerent battant jufqu'à Halbftadt.
Pendant cette action , un autre détachement
Pruffien , compofé d'Infanterie & de Cavalerie ,
fit la même tentative du côté de Dieterbaſch ;
mais le Général Laundon y pourvut encore , &
l'ennemi fut repouffé avec perte.
Enfin le lendemain , un troifieme corps de
Pruffiens venant de Schwartzwaffer , voulut pénétrer
du côté de Schatzlar ; mais il n'ofa rien
entreprendre , parce que le pofte que nous y
avions , lui parut bien difpofé à le recevoir , & il
s'en retourna comme il étoit venu .
Depuis , le corps du Colonel le Noble , renfor
cé de trois bataillons de Grenadiers , parut vouloir
de nouveau forcer une redoute que nous avions
établie à Potifch. Cependant cette expédition fe
borna à détacher quelques troupes , pour débar
JUIN. 1758. 199
raffer les environs de Hutberg des abbatis qu'on
y avoit faits ; & le pofte que nous y avions , fe
défendit avec tant de vigueur , que l'ennemi fut
contraint d'abandonner l'entreprife. Ainfi toute
la troupe rentra dans fes quartiers à Dieterſbach ,
& travailla fur le champ à fe retrancher près d'une
ferme à portée de-là. La nuit fuivante , le Général
Laundon fit attaquer par les Croates le retranchement
des Pruffiens , & l'ennemi , après quelque
perte , fut encore obligé de fe retirer .
On vient d'apprendre que la ville de Schweidnitz
s'eft rendue aux ennemis , la nuit du 16 au
17 du mois d'Avril , aux mêmes conditions qu'elle
s'étoit rendue ci -devant aux troupes de l'Impératrice-
Reine.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Le Roi jugeant à propos de faire paffer incef- E
*
famment entre les mains des hommes Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , à nommé Gouverneur
de ce Prince M. le Comte de la Vauguyon
Lieutenant général de fes Armées , Chevalier de
fes Ordres , & Menin de Monfeigneur le Dauphin
; Précepteur , M. PEvêque de Limoges ;
Sous-Gouverneurs , MM . les Chevaliers de la Ferriere
& de Beaujeu ; le premier , Brigadier d'Infanterie
, & Capitaine au Régiment des Gardes
Françoifes ; le fecond , Chevalier de l'Ordre de
Saint Jean de Jérufalems Sous - Précepteur , M.
l'Abbé de Radonvilliers , Abbé de l'Abbaye de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Saint Loup de Troyes ; Lecteur , M. l'Abbé d'Ar
gentré , Vicaire général du Dioceſe de Limoges ;
Gentilshommes de la Manche , M. le Baron de
Luppé , Colonel du Régiment royal Cantabre ;
MM. les Marquis de Marboeuf , Colonel du Régiment
de Dragons de fon nom ; de Montefquiou ,
Colonel dans le Corps des Grenadiers de France ,
& de la Haye , Capitaine de Cavalerie.
Le Roi a donné à M. l'Evêque d'Orléans la futvivance
de la Direction générale des Economats
& de la Régie des biens des Religionnaires , exercées
actuellement par M. le Comte du Muy ; & Sa
Majefté a voulu que ce Prélat pût lui en rendre
compte , lorfque , pour cauſe d'abſence ou de maladie
, M. le Comte du Muy ne'pourroit pas travailler
avec Elle.
Le 23 Avril , le Roi , la Reine , & la Famille
Royale , fignerent le contrat de mariage de M. le
Marquis de la Côte , Officier des Chevaux- Légers
de la Garde , avec Mademoiſelle de Digoine.
M. de Perfan , ci -devant Capitaine au Régiment
Colonel Général de la Cavalerie , a obtenu l'agrément
du Roi pour la place de Lieutenant Meſtre
de Camp du même Régiment.
Le 30 Avril , M. le Comte de la Vauguion &
M. l'Evêque de Limoges , prêterent ferment entre
les mains du Roi ; le premier , en qualité de Gouverneur
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
& le ſecond , comme Précepteur de ce Prince.
Le même jour , les Etats de Bourgogne eurent
audience de Sa Majefté . Ils furent préſentés par
M. le Prince de Condé , Gouverneur de la Province
, & par M. le Comte de Saint - Florentin , Minif
tre & Secretaire d'Etat . La députation , qui étoit
conduite par M. Defgranges , Maître des Cérémonies
, étoit compofée , pour le Clergé , de M.
JUIN. 1758. 201
P'Abbé Dufers , qui portoit la parole ; de M. le
Comte de Tonnerre , pour la Nobleſſe , & de M.
de la Ramiffe , Maire d'Auxonne , pour le Tiers-
Etat . Elle eut audience de la Reine & de la Famille
Royale.
Les Etats d'Artois eurent auffi l'honneur d'être
admis à l'audience du Roi , pour la préſentation
du cahier. M. le Duc de Chaulnes , Gouverneur
de la Province , & M. le Comte de Saint - Florentin
, pour le M. le Maréchal - Duc de Belle - Ife
qui a le département de cette Province , & qui
étoit indifpofé , les préſenterent à Sa Majefté , &
ils furent conduits par M. de Gifeux , Maître des
Cérémonies en furvivance. Les Députés étoient ,
pour le Clergé , M. l'Abbé de Cry , Chanoine de
la Cathédrale d'Arras & Vicaire général du Diocefe
, portant la parole ; pour la Nobleffe , M. le
Baron de Wifmes ; & pour le Tiers- Etat , M. de
Camps , Avocat , ancien Echevin de la ville
d'Arras.
Le premier de Mai , la Faculté vérifia le bon
état de la fanté de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
. Il en fut dreffé un procès-verbal qui fut
préfenté à Sa Majefté par M. le Comte de Saint-
Florentin , & on en remit deux copies en forme ,
P'une à Madame la Comteffe de Marfan , & l'autre
à M. le Comte de la Vauguyon. Vers le midi ,
Madame la Comteffe de Marfan conduifit Monfeigneur
le Duc de Bourgogne à l'appartement du
Roi , & remit ce Prince entre les mains de Sa
Majefté , qui lui témoigna toute la fatisfaction du
fuccès de fes foins pour la premiere education de
ce Prince. Un moment après le Roi remit Monſeigneur
le Duc de Bourgogne entre les mains de M.
le Comte de la Vauguyon . Les mouvemens de
l'ame de ce Prince , au moment d'une féparation
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
fenfible , fe peignirent fur fon vifage , & firent
admirer à la fois l'excellence de fon coeur & fa
fermeté dans un âge fi tendre.
Promotion d'Officiers Généraux & de Brigadiers.
Lieutenans Généraux. MM . le Comte de Moncan
, Commandant en Languedoc ; le Marquis de
Crillon ; de Torcy , Commandant à Nancy ; le
Comte d'Afpremont , Commandant un Bataillon
du Régiment des Gardes Françoiſes ; de Landreville
, Lieutenant des Gardes du Corps dans la
Compagnie de Luxembourg ; le Comte d'Affry
Lieutenant Colonel du Régiment des Gardes Suiffes;
le Baillif de Grille , Capitaine - Lieutenant
des Grenadiers à cheval ; le Chevalier du Châte
let ; le Comte de Vauban ; les Marquis de la Che--
ze, d'Havrincour , de Poyanne , de Barbançon ,
ces deux derniers Inspecteurs Généraux de Cavalerie
& de Dragons ; de Berville & d'Efcorailles ,
premier Soulieutenant de la Compagnie des Chevaux-
Légers de la Garde du Roi le Comte de la
Serre , Infpecteur général d'Infanterie ; de Montmort
, Major des Gardes du Corps ; le Marquis
d'Aubeterre ; le Comte de Montmorency ; le
Duc d'Aiguillon , Commandant en Bretagne , &
de Sabrevois , du Corps Royal de l'Artillerie & du
Génie.
Maréchaux de Camp , de la Maison du Roi , Infanterie
Cavalerie..
MM. le Chevalier de Vogué , Exempt des Gar
des du Corps dans la Compagnie de Luxembourg ;
le Baron de Beufenvald , Capitaine au Régiment
des Gardes Suiffes ; le Comte de Chabannes , Soulieutenant
de la feconde Compagnie des Mouf
quetaires; le Marquis de Caryoifin , Soulieutenant
JUIN. 1758. 205
de la premiere Compagnie des Moufquetaires ; le
Vicomte de Merainville , Soulieutenant de la Compagnie
des Gendarmes de la Garde du Roi.
De la Gendarmerie . M. le Comte de Bouville ,
Soulieutenant des Gendarmes Anglois.
De l'Infanterie. MM. de Vaux-de la Broffe ,
Lieutenant Colonel du Régiment du Comte de la
Marche ; le Comte de Polignac , Colonel du Régiment
d'Enghien ; Robert , Colonel Réformé à
la fuite du Régiment de Picardie ; le Comte de
Grammont ; le Marquis de Balleroy ; le Comte
de Waldner , Colonel d'un Régiment Suiffe ; le
le Chevalier de Croifmaré , Lieutenant Colonel du
Régiment du Rói ; Chevalier de Grollier, Colonel
du Régiment de Foix ; le Chevalier de Beauteville ,
Commandant dans les Cevennes ; le Marquis de
Langeron , Colonel du Régiment de Condé,
Du Corps Royal de l'Artillerie. MM. le Chevalier
d'Efpicquetieres & de Roftaing , tous deux du
Corps Royal de l'Artillerie & du Génie.
Du Corps du Génie. M. de Rivérfon , du Corps
Royal de l'Artillerie & du Génie .
De la Cavalerie. MM. le Chevalier de Montbarey
, Lieutenant - Colonel du Régiment Royal ;
les Comtes de Clermont -Tonnerre & de Maugiron
, Mestres de Camp d'un Régiment de Baye ,
Meftre de Camp Réformé à la fuire du Régiment
Royal Rouffillon ; les Marquis de Bellefont & de
Bezons , chacun Meſtre de Camp d'un Régiment.
"'
Des Dragons. MM. les Comtes d'Aubigny
Lieutenant- Colonel du Régiment de Dragons de
Marbeuf, & d'Harcourt- Lillebonne , Meftre de
Camp d'un Régiment de Dragons.
Brigadiers d'Infanterie. MM. le Comte d'Hef
fenftein , Colonel ; le Chevalier d'Aubonne , Capitaine
dans le Régiment des Gardes Françoifes;
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
Conrad- Bely de Belfort , Aide- Major dans le Ré
giment des Gardes Suiffes ; le Chevalier de Montazet
, Colonel Réformé à la fuite du Régiment
d'Eu ; le Marquis d'Hérouville , Colonel du Régiment
de Bourgogne ; les Comtes de Drummontde
Melfort , Colonel Réformé à la fuite du Régiment
Royal Ecoffois , & de Civerac , Colonel da
Régiment Royal des Vaiffeaux ; Filtz - Gerald ,
Colonel Réformé à la fuite du Régiment de Clare ;
le Comte de Lewenhaup , Colonel du Régiment
de Madame la Dauphine ; le Chevalier de Chantilly
, Colonel d'un Régiment de Grenadiers
Royaux le Beuf, Colonel dans le Corps Royal
de l'Artillerie & du Génie , & Chabrié , Colonel-
Commandant un Bataillon du Corps Royal de
l'Artillerie & du Génie .
Brigadiers de Cavalerie. MM . le Marquis de
Montalembert , Enfeigne de la Compagnie des
Chevaux-Légers de la Garde du Roi ; Hébert ,
Aide Major des quatre Compagnies des Gardes
du Corps ; Pinon de Saint- Georges , Meftre de
Camp d'une Brigade de Carabiniers , & du Poral,
Meftre de Camp Réformé à la fuite du Régiment
des Cuir ffiers ; le Marquis de Laubefpine , Meftre
de Camp Réformé à la fuite du Meftre de
Camp géneral ; les Comtes d'Houdetot , Capitaine-
Lieutenant des Gendarmes de Berry , de Bourbon
- Buffet , Meftre de Camp d'un Régiment , &
de Béthune , Meftre de Camp du Régiment Royal
Pologne.
Brigadiers de Dragons . MM. le Vicomte de
Thiange , Meftre de Camp d'un Régiment ; le
Chevalier d'Aubigné , aufli Meſtre de Camp d'un
Régiment.
Sa Majefté a donné le Régiment de Nice , Infanterie
, vacant par la mort de M. le Comte de la
JUIN. 1758 . 205
Queuille , à M. le Marquis de Juigné , Colonel
dans les Grenadiers de France. Les quatre Régimens
de Cavalerie , de Maugiron , de Clermont-
Tonnerre , de Bellefont & de Bezons , vacans par
la promotion , ont été accordés par le Roi ; le
premier , à M. le Comte de Tralegnies , Major
du Régiment royal Etranger ; le fecond , à M. le
Marquis de Noé , Lieutenant - Colonel du Régiment
de Cavalerie de Monfeigneur le Dauphin ;
le troisieme , à M. le Duc de Chartres , & le quatrieme
, à M. le Marquis de Vauffieux , Capitaine
dans le Régiment de Dragons du Roi. M. le Chevalier
de Flamarens a obtenu celui d'Harcourt-
Lillebonne , Dragons , qui vaquoit par la même
promotion.
Le Roi a donné à M. d'Ormeſſon , Intendant
des Finances , la place de Confeiller d'Etat , vacante
par la mort de M. Pallu , Intendant général
des Claffes de la Marine.
MM. les Chevaliers de l'Ordre de Saint Michel
tinrent le 8 Mai Chapitre dans le grand Couvent
des Religieux de l'Obſervance . M. le Maréchal
Duc de Biron , Chevalier des Ordres du Roi , y
préfida en qualité de Commiffaire de Sa Majesté.
Il reçut Chevaliers MM . Maris , Directeur Général
des fontes de l'Artillerie du Royaume , de
l'Eclufe , Doyen des Députés du Commerce , &
Taitbout , Greffier de la Ville.
Le Roi a tenu le Sceau pour la vingt huitieme
& vingt -neuvieme fois.
Le 14 Mai , Fête de la Pentecôte , MM. les
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre
du Saint Efprit , s'étant affemblés vers les onze
heures du matin dans le Cabinet du Roi , Sa Majefté
tint chapitre , & Elle nomma les Cardinaux
de Gefvres & de Luynes , Commandeurs de cet
206 MERCURE DE FRANCE.
Ordre. Les preuves de Nobleffe de l'Abbé Comte
de Bernis , lequel avoit été propofé le z Février
dernier , pour être Commandeur du même Ordre
, ayant été préalablement faites , l'information
de fes vie & moeurs & fa profeffion de foi furent
admifes. Le Roi fortit enfuite de fon appartement
pour aller à la Chapelle. Sa Majefté , devant
qui deux Huiffiers de la Chambre portoientleurs
inaffes , étoit en manteau de cérémonie , le
Collier de l'Ordre & celui de la Toifon d'Or pardeffus.
Elle étoit précédée de Monfeigneur le Dauphin
, de MM . le Duc d'Orléans , le Prince de
Condé , le Comte de Charolois , le Prince de
Conty, le Comte de la Marche , le Comte d'Eu ,
le Duc de Penthievres , & les Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre. Le nouveau
Commandeur en rochet & en camail , marchoit
entre les Chevaliers & les Officiers . Avant la gran
de Meffe , qui fut célébrée par l'Archevêque de
de Narbonne , Prélat - Commandeur de l'Ordre da
Saint-Efprit , Sa Majefté monta for fon trône &
revêtit des marques de l'Ordre M. l'Abbé Comte
de Bernis. Le Roi après la Meffe fut reconduit à
fon appartement en la maniere accoutumée.
Sa Majefté a difpofé du Régiment des Carabi
niers en faveur de Monfeigneur le Comte de Provence
, & Elle a nommé M. le Comte de Giſors ,
Mestre de Camp Lieutenant de ce Régiment.
M. le Duc d'Orléans préfenta le 14 Mai au
Roi , à la Reine , à Monfeigneur le Dauphin , à
Madame la Dauphine , à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , à Madame Infante , à Madame & à
Mefdames , MM . le Marquis de la Tour- du -Pin ,
& le Chevalier de Durfort , pour remercier Sa
Majefté du Régiment de Chartres , Infanterie ,
accordé au premier , & du Régiment de Chare
JUIN. 1758. 1 07
tres , Cavalerie , accordé au fecond.
Le mêmejour , M. le Prince de Condé préfenta
auffi à Leurs Majeftés & à la Famille Royale , M.
le Comte de Maillé , pour remercier Sa Majefté
du Régiment de Condé , Infanterie , qui lui a été
accordé.
་
Le 16 , le Roi , la Reine , & la Famille Royale
figuerent le contrat de mariage de M. le Duc
de Rohan , avec Damoiſelle Emilie d'Uzès , fille
de M. Charles - Emmanuel , Duc d'Uzès , & de
Dame Emilie de la Rochefoucauld.
Le fieur Gualterio , Archevêque de Mira &
Nonce du Pape , eut le même jour une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il fit part à Sa
Majefté de la mort du Pape Benoît XIV , & lui
préſenta une lettre du Sacré Collége. Il fut conduit
à cette audience par M. Dufort , introducteur
des Ambaffadeurs.
୨
Benoît XIV , ( Profper Lambertini ) Bolonnois
, né le 31 Mars 1675 , avoit été nommé
Cardinal le 9 Décembre 1726 , & il fut élevé au
fouverain Pontificat le 17 Août 1740. Il eft mort
âgé de quatre-vingt trois ans , un mois & deux
jours , & en a regné près de dix- huit . La fageffe ,
la modération , la vafte érudition & l'affabilité de
ce Pontife , rendront fa mémoire célebre , & le
font univerſellement regretter.
M. le Cardinal de Tavannes , Archevêque de
Rouen , & Grand Aumônier de France , a été éla
le 19 Avril Provifeur de Sorbonne , à la place du
feu Cardinal de Tencin.
Le Capitaine de Laftre , commandant le Corfaire
le Printemps , de Dunkerque , a pris & conduit
en ce port le Sloop Anglois la Charmante
Elifabeth , chargé de vin , de thé & autres marchandifes.
208 MERCURE DE FRANCE.
Le même Corſaire s'eft emparé d'un autre bâ
timent Anglois , appellé le Jean & Susanne , qui
eft arrivé au Havre , & il a fait de plus trois rançons
montant enfemble à 167 guinées.
La Comteffe de la Serre & l'Europe , autres Corfaires
de Dunkerque , fe font auffi rendus ma
tres , le premier , du bateau Anglois le Bon Succès
, le fecond , du Brigantin la Marguerite , qu'il
a rançonné pour 60 guinées.
On mande de Cherbourg , que le Corfaire le
Conquérant , de ce port , y a conduit un bateau
Anglois chargé de farine & de froment.
Le Capitaine Jean-Baptifte de Cock , comman
dant le Corfaire le Comte de Maurepas , de Dunkerque
, a remis à Morlaix les ôtages de deux ran
çons qu'il a faites , & qui montent enſemble à
760 guinées.
Le Corfaire l'Aurore , de Bayonne , comman
dé
par le Capitaine Guillaume Lavernis , s'eft rendu
maître des navires Anglois le Guillaume ;
chargé d'huile , le Plaifant , de Londres , ayant
pour chargement de la chaux & des briques , qui
a été conduit à Lisbonne , & le Carry , de Londres
, lequel s'eft trouvé en fi mauvais état , qu'on
a été obligé d'y mettre le feu , après en avoir retiré
l'équipage & les principaux effets de la cargaifon.
Le Capitaine Danglade , commandant le Corfaire
l'Aimable Françoife , de Bayonne , a relâché
, moyennant une rançon de 2500 livres fterlings
, le Navire Anglois le Carry , de Glafcow
dont il s'étoit emparé.
On apprend par des lettres écrites de Marſeille ,
que le Brigantin Anglois Cerès , dont la cargaifon
confifte en 40 barriques de fucre , 8 balles
de draps , & balles de cuirs forts , a été pris par
JUI N. 1758 . 209
le Capitaine Pierre Donjon , commandant le Navire
le Saint- Charles , armé en guerre & marchandiſes
, & a été conduit par relâche à Barcelone.
Le 2 de Mai , les Vaiffeaux du Roi le Dragon
, le Belliqueux , le Sphinx , le Hardi , le Floriffant
, les Frégates la Zephire , la Bellone , &
l'Aigrette , le Rhinoceros armé en flûte , & quatre
autres bâtimens frêtés pour le compte du Roi ,
partirent de Rochefort fous les ordres des fieurs de
Maurville & Duchaffaut- Defbenes , Capitaines.
On mande de Dunkerque , que le Capitaine
Robert , commandant le Corfaire la Comteffe de
la Serre , de ce port , a pris & y a fait conduire le
Brigantin Anglois la Réfolution , chargé de fel ,
& qu'il a rançonné pour onze cens cinquante-cinq
guinées quatre autres bâtimens dont il s'étoit emparé.
Il eft arrivé à Breft un navire Anglois de 100
tonneaux , qui a été pris par le fieur Perée , commandant
le Corfaire le Comte de la Riviere , de
Granville , & dont la cargaiſon eft composée de
riz & d'indigo.
BÉNÉFICE DONNÉ.
Sa Majefté a donné le Prieuré de Saint Maurice,
Ordre de Sainte Géneviève , Dioceſe & Ville de
Senlis , à M. l'Abbé Bachoud , Prêtre du Dioceſe
de Lyon.
210 MERCURE DE FRANCE
MORT S.
Louis de Boiffy , de l'Académie Françoife ,
que le grand nombre de productions qu'il a mifes
au théâtre , ont rendu célebre , eft mort à Paris
le 19 Avril , âgé de foixante-trois ans 4 mois 24
jours . Il étoit né à Vic en Carladèz dans l'Auvergne
, le 26 novembre 1694 , de Pierre Boilly ,
Confeiller du Roi , Juge Prévôt du Carladèz ; &
de Marie- Félice de Comblat , fortie d'une famille
diftinguée de cette Province. La Cour l'avoit
choisi pour remplacer dans la compoſition du
Mercure de France , teu M. de la Bruere , qui en
avoit obtenu le privilege . Il en avoit été chargé
depuis le mois de Janvier 1755. Il avoit cru ne
pouvoir mieux répondre à l'honneur du choix
qu'on avoit fait de lui pour la direction de ce
Journal , qu'en s'occupant uniquement du travail
que comporte cet ouvrage périodique , qui étoit
devenu l'objet de toute fon application pendant
les dernieres années de fa vie. Il avoit apporté tous
fes foins à intéreffer le public à fa lecture , qu'il
avoit tâché de rendre également agréable & inftructive.
Ce que nous oferons feulement nous permettre
de remarquer à fa louange , c'eft qu'ils n'ont pas
paru avoir été infructueux. Le Mercure paffe actuellement
par brévet entre les mains de M. Marmontel
, dont les talens en divers genres de litté
rature , font affez connus pour n'avoir pas befoin
de nos éloges . Il nous fuffira de dire , que les
contes ingénieux dont il à enrichi ce recueil à
différentes fois , étoient autant de titres pour mériter
qu'on lui en confiât la rédaction . Il doit comJUIN.
1758.
21 P
mencer par le premier volume du mois d'Août.
Nous avertiffons que le Bureau du Mercure conti
nuera de fe tenir chez M. Lutton . C'eſt à lui qu'on
prie d'adreffer les piéces qu'on enverra pour être
inférées dans cet ouvrage.
Dame Marguerite Camille de Grimaldi de Monaco
, épouse de M. Louis de Gand de Merodes de
Montmorency , Prince d'Ifenghien , Maréchal de
France , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
- Général de la Province d'Artois , & Gouverneur
des Ville & Citadelle d'Arras, eft morte à Paris, le
27 du mois d'Avril , âgée de cinquante- huit ans.
Dame Marie-Eléonore- Augufte de Bethune
époufe de Meffire Louis - Armand de Seigliere de
Belleforiere , Marquis de Soyecourt , Brigadier
3 des Armées du Roi , Meftre de Camp du Régiment
Dauphin Etranger , Cavalerie , eft décédée
le même jour à Paris , dans fa trente - deuzieme
année.
M. François de Cruffol d'Amboiſe , Archevêque
de Toulouſe , Abbé des Abbayes Royales de
Charroux , Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de
Poitiers, & de Saint Germain , même Ordre, Diocèſe
d'Auxerre, eft mort à Paris , le 30 , âgé de cinquante-
cinq ans . Il avoit été nommé à l'Evêché
de Blois en 1734 , & à l'Archevêché de Toulouſe
en 1753.
Meffire René- Bertrand Pallu , Confeiller d'Etat,
Intendant Général des Claffes de la Marine , eft
mort à Paris, le deux de Mai , âgé de foixantefix
ans.
M. le Comte de la Queuille , Brigadier des Armées
du Roi , & Colonel du Régiment de Nice ,
Infanterie , mourut à Paris le 3.
Meffire Paul Sanguin , Marquis de Livry , premier
Maître d'Hôtel du Roi , & Capitaine des
212 MERCURE DE FRANCE.
Chaffes de la Capitainerie Royale de Livry & Bondi
, eft mort à Paris , le 16 , dans la quaranteneuvieme
année de fon âge.
Il est mort dans un des fauxbourgs de Vienne ,
une veuve nommée Catherine Lienhardt , âgée de
cent dix-huit ans.
Il est mort dans la Paroiffe de Saint Saturnin
au Diocèſe de Lodève , une fille appellée Marie
Granouillet , âgée de cent un ans.
La nommée Marie Miraffou , veuve d'un Laboureur
, eft morte dans la Paroiffe de Lagor ,
près d'Ortez en Bearn , le 18 Mars , âgée de cent
huit ans.
AVIS.
Le fieur Coufin vient de perfectionner un bandage
à reffort pour l'exomphale réduit . Il a préfenté
ce bandage à la Faculté de Médecine , qui ,
fur le rapport des Commiffaires qu'elle avoit nommés
pour l'examen , a jugé que ce bandage par
fes grands avantages , furpaffoit de beaucoup ceux
qui avoient jufqu'ici été propofés pour cette maladie.
L'on trouve de plus chez lui , des bandages
élaftiques à reffort & fans reffort , à charnieres &
à corps ouverts . Il a toujours regardé ceux à corps
ouverts d'acier trempé , comme préférables par
leurs fuccès , & fe flatte de contenir toutes les décentes
de telle nature qu'elles puiffent être ; l'on
trouve auffi chez ledit ſieur , botine pour les enfans
, fufpenfoirs & peffaires. Il démeure rue Comteffe
d'Artois , entre la rue Monconfeil & celle de
la Truanderie , à Paris.
JUI N. 1758. 213
AUTRE.
LE frere François Lefevre , Cordelier à Mante
fur Seine , vient d'inventer & conftruire une machine
hydraulique , qui tourne à tous vents , fans
que l'on foit obligé de la tourner comme les moulins
à vents. Elle eft propre à épuifer des marais ,
ou lacs , & donner de l'eau dans les prairies , jardins
& ailleurs ; cette Machine tirera au moins 2
muids ou 600 pintes mefure de Paris , à 12 pieds
d'élévation , à 24 pieds de haut ; elle tirera cinq
quart de muids , ou 375 pintes , & ainfi du refte à
proportion, Dans les vents médiocres , elle fera au
moins cinq tours de roue par minutes , & dans les
vents un peu forts , elle en fera 10 ou 12. L'Auteur
affure qu'elle ne coûtera pas plus de deux mille
livres , à faire faire , les matériaux compris , &
pour la mettre en état d'opérer.
AUTRE.
FAU fouveraine pour guérir les maux de dents ,
les conferver & fortifier les gencives : maniere de
s'en fervir .
On en met fix gouttes dans deux cuillerées.
d'eau chaude pour le laver la bouche tous les matins.
Quand on aura mal aux dents , on en prendra
de pure plein une petite cuiller à café , que
l'on gardera dans fa bouche.
On peut mettre du coton imbibé de cette eau
dans la dent gâtée ou cariée. Cette eau appaife la
douleur des dents , les empêche de fe gâter , raffermit
& fait croître les gencives , & guérit le
fcorbut,
214 MERCURE DE FRANCE.
Le prix eft de 3 liv. la bouteille . Il faut s'adref
fer rue Dauphine , au Magafin de Montpellier ,
chez M. Brouet Epicier- Droguifte.
Fautes à corriger dans le fecond Mercure
d'Avril.
PAGE 71 , chargé des dépouilles de quinze cane
mis vaincus. Effacez quinze.
Page 73 , la poffibilité d'un exécution , lifex, une
Fautes à corriger dans le Mercure de Mai.
PAGE-AGE 7, que receloit , lifez, qui receloit, &c.
Page 86 , que l'hypothefe Chronologique de
M. Newton avoit effuyé , &c. lifez effuyée.
Page 87, Schutford , &c. lifex Schuckford.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier;
le Mercure du mois de Juin , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 29 Mai 1758.
GUIROY,
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Les Ecoliers & les Amandes ameres , Fable ; ES
page s
7
18
28
N'en croyez que vos yeux , Anecdote ,
Epître à Madame de P....
Lettre du P. Barre , Chanoine Régulier de l'Abbaye
de Sainte Géneviève , Chancelier de l'Uni
verfité de Paris , fur les Portraits Hiſtoriques , 21
- Epître ,
Derniere fuite für M. de Fontenelle , par M.
l'Abbé Trublet , contenant des corrections &
additions aux articles précédens ,
Eloge funebre des Athéniens enterrés au Cérami- .
que , traduit du Grec , par le P. Power , Jéfuite ,
30
Vers à Madame C ** , C ** de V ** , de Marfeille
,
87
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure du mois de Mai ,
Enigme ,
Logogryphe ,
89
ibid.
୨୦
92
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite de l'Extrait de la Chronologie fondée fur les
monumens de l'Hiftoire ancienne , contre le
fyftême chronologique ; par M. Fréret , &c, 93
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux ,
116
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
Hiftoire, Eloge de M, Nicole , ... 137
216
Botanique
. Mémoire où l'on prouve que les plantes
qui existoient anciennement , & dont on a
vanté les vertus médicinales , doivent exifter
encore , 151
Sujets propofés par l'Académie Royale des Sciences
& Arts , établie à Pau ,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
161
Mufique ,
Sculpture ,
Gravure ,
163
165
171
Optique. Lettre de M. l'Abbé de la Ville , à l'Auteur
du Mercure.
Opera ,
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
Comédie Italienne ,
175
177
178
183
193
Concert Spirituel ,
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c , 199
Bénéfice donné , 209
Morts ,
210
Avis divers , 212
La Chanfon notée doit regarder la page 92.
De l'Imprimerie de Ch , Ant. Jombert,
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1758.
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'eft ma derife. La Fontaine.
Cechin
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A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix .
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins..
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privitge du Roi,
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
635.299
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M:
LUTTON , Avocat , & Greffier - Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
deport , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY ,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant ,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs deport.
leur
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , où qui prendront les frais du portfur
compte , ne payeront , comme à Paris
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
>
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreffe ci- deffus.
Onfupplie les perfonnes des provinces d'en-
4
A ij
voyerpar la poste , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera ,
de rester à fon Bureau les Mardi , Mercredi -
& Jeudi de chaque femaine , après- midi .
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Estampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
Le choix des meilleures pieces des anciens
Mercures, qui fe continue , comprend
auffi un choix général fait dans tous les
Journaux fous le titre de Nouveaux Choix ,
par M. de Baftide. Il fe délivre au Bureau
du Mercure, Le format , le nombre des
volumes , & les conditions font les mêmes
pour une année chaque volume compofé
de cinq articles peut fe divifer , & l'on
vend chaque article féparément en faveur
des Amateurs de chacun,
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1758.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES TORTS.
SERVET eut tort , il fut un fot
D'ofer dans un ſiecle falot
S'avouer antitrinitaire ,
Et notre illuftre atrabilaire
Eut tort d'employer le fagot
Pour convaincre fon adverfaire ,
Et tort notre antique Sénat
D'avoir prêté fon miniftere
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
A ce dangereux coup d'état .
Quelle barbare inconféquence !
O malheureux fiecle ignorant !
On déteftoit l'intolérance
Qui défoloit toute la France ,
Et l'on étoit intolérant.
Pour ce Cenfeur épiſtolaire ,
Qui dans fon pétulant effort
Vient réveiller le chat qui dort ;
Et dans un ample commentaire
Prône ce qu'il auroit du taire ,
Je laiffe à juger s'il a tort.
Quant à vous , célebre Voltaire ,
Vous avez tort ; c'eft mon avis :
Vous vous plaifez en ce pays ,
Ménagez ce qu'on y révere ,
Vous avez à fatiété
Les biens où la raiſon afpire ;
L'opulence , la liberté ,
La paiz qu'en cent lieux on defire ,
Des droits à l'immortalité ,
Cent fois plus qu'on ne fçauroit dire.
On a du goût , on vous admiré :
Tronchin veille à votre fanté ;
Cela vaut bien en vérité
Qu'on immole à ſa fûreté
Le trifte plaifir de médire.
AVRIL: 1758. 7
ESS AI fur la Médiocrité des Conditions ,
traduit de l'Anglois de M. Hume.
UNUn ruiffeau rencontrant fur fon paffage
»
33
un autre ruiffeau avec lequel il avoit été
long- temps uni de la plus étroite amitié ,
lui dit avec un ton de hauteur & de dédain
: « Quoi ! mon frere , toujours dans
le même état ! toujours foible & ram-
"pant ! N'êtes - vous pás honteux en me
voyant ? Moi , qui n'étois , il y a quel-
» que temps , que votre égal , me voilà à
préfent une grande riviere , & je ferai
» dans peu le rival du Rhin & du Danube ,
»pourvu que ces pluies favorables conti-
» nuent à étendre mes bords . Il eft vrai ,
répondit l'humble ruiffeau , que vous
" êtes devenu bien confidérable ; mais il
» me femble que vous êtes devenu en
» même temps un peu bruyant & fangeux .
» Pour moi , je fuis content de rouler mes
flots avec moins de fracas , & plus de
pureté.
93
"
Sans m'arrêter à fuivre les applications
de cette fable , elle me donnera lieu de
comparer les différens états de la vie , &
de faire fentir à ceux de mes Lecteurs qui
fe trouvent placés dans une condition
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
médiocre , combien elle eft préférable à
toutes les autres ; la plus grande partie des
hommes , capables de réflexion , font dans
cette claffe ; c'eft à eux principalement que
doivent être adreffés les difcours de morale.
Les grands trop livrés aux plaiſirs ,
& les petits trop occupés à pourvoir aux
befoins preffans de la vie , ne peuvent
guere prêter l'oreille à la voix paifible ide
la philofophie. Les conditions moyennes
plus heureufes à bien des égards , le font
furtout , en ce qu'on y trouve un bonheur
que l'on peut contempler à fon aife , &
dont les charmes, augmentent à mesure que
l'on compare cet état avec ceux qui font
au deffus & au deffous.
Je
La priere d'Agur eft affez connue,
vous demande deux choſes, grand Dieu !
» ne me les refufez pas avant que je meure.
Ecartez de moi la vanité & le menføngee
» mettez moi entre les richeffes & lappau-
» vreté , & donnez- moi la nourriture qui
» me convient , de peur que dans l'abon
» dance je pe vous méconnoiffe , & ne
demande : Qui eft le Seigneur ? Ou de
» peur que dans l'indigence je ne devien-
» ne méchant , & ne prenne le nom de
» mon Dieu en vain . Cette priere nous
fait envifager avec raifon les conditions
médiocres , comme plus propres à mettre
AVRIL. 1758
la vertu dans une parfaite fécurité. J'ajouterai
qu'elles fourniffent plus d'occafions
de la faire paroître , & qu'elles ouvrent
la plus libre carriere à toutes les
bonnes qualités dont un homme peut être
doué. Il ne refte guere aux hommes , qui
font placés dans les derniers rangs , d'autres
vertus àpratiquer que la patience , la réfignation
, l'induftrie & la probité. Ceux
qui font élevés aux plus hauts degrés , penvent
faire briller la générofité , l'humanité ,
l'affabilité , la bienfaiſance. Celui qui fe:
trouve entre ces deux extrêmes , peut exercer
les premieres vertus envers fes fupérieurs
, & les dernieres envers fes inférieurs
. Toutes les qualités morales qui orneront
fon ame , peuvent fe montrer &
développer leur activité , & il s'affurera
par- là de fes progrès dans la vertu , plus
aifément que fi fes bonnes qualités ref
toient fans objet & fans action.
Mais il y a une autre vertu qui ne fe rencontre
guere qu'avec l'égalité , & qui par
conféquent femble particuliérement réfervée
aux conditions moyennes de la fociété .
Cette vertu eft l'amitié . Il y a fans doute
des ames généreufes qui ne peuvent s'empêcher
d'envier aux grands le pouvoir flatteur
d'obliger , quand ils le veulent , leurs
femblables , & de s'acquérir l'eftime &
A v
TO MERCURE DE FRANCE.
l'amitié des gens de mérite. Affez heureux
pour ne faire jamais d'avances inutiles , ils
ne font point obligés de fe lier à des gens
pour qui ils ne fe fentent aucun penchant s
au lieu que les hommes d'un état inférieur
font fouvent expofés à voir leurs offres
d'amitié dédaignées , lors même qu'ils fentent
plus vivement le prix & le beſoin de
l'amitié. Mais s'il eft plus facile aux grands
de fe faire des amis , ils ne peuvent pas
compter avec autant de confiance fur leur
fincérité , que les hommes d'un rang moins
élevé. Les faveurs qu'ils répandent , attirent
à eux plus de flatteurs que d'amis. On
a très-bien obfervé que nous nous attachons
davantage , par les fervices que nous
rendons que par ceux que nous recevons .,
& qu'un homme s'expofe à perdre fes amis
par les bienfaits mêmes dont il les accable ,
Je choifirois donc une condition médiocre
, & je voudrois que mes engagemen's
avec mon ami fuffent ferrés par des fervices
réciproquement reçus & rendus . J'ai
l'ame trop haute pour vouloir que les obligations
fuffent toutes de mon côté , & fi
elles étoient du côté de mon ami , je craindrois
auffi que fa fierté n'en fût bleffée , &
la liberté & l'égalité que de notre union
n'en fuffent altérées.
Nous remarquerons auffi que cette méAVRIL
1758. II
diocrité d'état n'eft pas moins favorable
aux développemens des lumieres & des
talens , qu'à ceux de la vertu ; elles nous
met plus à portée de parvenir à la connoiffance
des hommes & des affaires , qu'un
rang plus élevé. Un homme privé pénette
plus librement dans les détails de la vie
humaine chaque chofe fe préfente à lui
dans fon vrai point de vue , & avec fes
couleurs naturelles ; il a plus de loifir pour
faire des obfervations : il eft animé d'ailleurs
par un motif d'ambition qui le porte
à étendre fes connoiffances ; il fent qu'il
ne peut prétendre à aucune forte de diftinction
& de fupériorité dans le monde
que par fa propre induftrie. Je n'oublierai
pas une remarque qui pourra paroître un
peu finguliere ; c'eſt que la Providence a
fagement réglé que les conditions médiocres
feroient plus favorables aux progrès
de nos talens naturels ; parce qu'il faut en
effet plus de capacité pour remplir les devoirs
de ces conditions , que pour fe conduire
dans celles d'un ordre fupérieur. On
feroit un grand Monarque avec moins
d'efprit & moins de force de génie , qu'il
n'en faut pour faire un bon Avocat & un
habile Médecin . Prenons une fuite de Rois
placés fur le trône par leur naiffance ; les
Rois d'Angleterre , par exemple , qui ne
A vi
12 MERCURE DE FRANCE .
jouent pas le rôle le plus brillant dans
Phiftoire. Depuis Guillaume le Conquérant
, jufqu'au Roi régnant , on compte
vingt - huit Souverains , fans parler de ceux
qui font morts en minorité , & il y en a
huit qu'on peut regarder comme des Prin
ces d'un grand talent , Guillaume , Henri
II , Edouard I , Edouard III , Henri V
Henri VII , Elifabeth , & le dernier Roi
Guillaume . Or tout le monde conviendra ,
je penfe , que dans le cours ordinaire des
chofes , de vingt - huits Jurifconfultes , on
n'en trouvera pás huit qui par leur talens
naturels fe faffent une réputation dans leur
art. Enfin il faut plutôt , pour bien gouver
ner , un grand fonds de vertu , d'équité &
d'humanité , qu'une grande capacité . Je ne
fçais quel Pape avoit coutume de dire : Ne
penfons qu'à nous amufer, mes amis , le monde
fe gouvernera de lui même. Il y a , à la véri
té , des temps orageux , tels que ceux du
regne d'Henri IV , qui demandene la plus
grande vigueur , & un Prince qui eût eumoins
de courage & de talens que ce grand
Monarque, auroit fuccombé fous le fardeau
Mais ces circonftances font rares , & même
alors la fortune fait au moins la moitié de:
Pouvrage .
Mais fi les profeffions ordinaires , telles
que celles du Jurifconfulte & du Médecins .
AVRIL 1758% 13
exigent autant , ou plus de capacité même
que les emplois plus élevés , il eft inconteftable
qu'il faut un efprit d'une trempe
encore plus délicate pour briller dans la
philofophie , dans la poéfie , ou dans quel
qu'autre partie diftinguée de la littérature..
Le courage & la fermeté font particuliérement
néceffaires à un homme de guerre , la
justice & l'humanité à un homme d'état ,
le génie & les lumieres à l'homme de lettres.
On a trouvé dans tour les temps &
dans tous les pays de grands Généraux &
d'habiles Politiques , & il n'eft pas rared'en
rencontrer chez les Nations les plus
barbares . La Suede étoit plongée dans l'ignorance
, lorfqu'elle produifit Guftave-
Vafa & Guftave - Adolphe. La Mofcovie
étoit barbare , quand le Czar y parut , &
Carthage peut-être ne l'étoit pas moins ,
lorfqu'elle vit naître Annibal . Mais l'Angleterre
a dû s'élever par une gradation
lente de fes Spencers , à fes Johnſons , à fes
Wallers , à fes Driden , avant d'arriver à
un Pope & à un Addiffon. Un heureux
talent pour les beaux Arts & les Sciences ,
eft une espece de prodige parmi les hommes.
Il faut être doué par la nature du
plus riche génie qui puiffe fortir de fes
mains . L'éducation & l'exemple doivent
le cultiver & l'enrichir , & l'art achever
14 MERCURE DE FRANCE.
enfuite de le porter à la perfection . On n'eſt
point étonné de voir Koulikan fortir du
fein de la Perfe ; mais Homere qui s'éleve
au milieu de la Grece encore fauvage , eft
un fujet éternel d'admiration.
Un homme ne fçauroit développer fon
génie pour la guerre , fi les circonftances
'éloignent du commandement, & l'on voit
rarement dans un état plufieurs hommes à
la fois commander les armées. Combien y
a-t'il eu de Marlboroug qui n'ont jamais pu
parvenir à la tête d'un Régiment ? Mais je
fuis bien perfuadé qu'il n'y a eu en Angleterre
qu'un Milton depuis cent ans. Quiconque
a du talent pour la poéfie peut s'y
livrer , & perfonne ne trouva plus d'obſtacles
à fuivre fon génie que ce divin Poëte.
Si l'on mefuroit les rangs des hommes
fur leur génie & leur capacité , plutôt que
fur leurs vertus & l'utilité qu'ils procurent
à la fociété , il faudroit placer les grands
Philofophes à la tête de l'efpece humaine.
Il n'y en a peut-être pas eu plus de deux fur
la terre qui puffent prétendre juſtement à
cette gloire. Du moins Galilée & Newton
me paroiffent laiffer tous les Philofophes fi
loin derriere eux , qu'on n'en peut mettre
aucun autre en parallele.
Les grands Poëtes feroient au fecond
rangs : cette forte de génie , quoique très-
2
AVRIL. 1758 IS
rare , l'eft cependant encore moins que le
génie de la philofophie . Des Poëtes anciens
qui nous reftent , il n'y a qu'Homere chez
les Grecs qui me paroiffe mériter ce titre ;
Virgile , Horace & Lucrece chez les Romain
; Milton & Pope chez les Anglois ;
Corneille , Racine , Boileau & Voltaire
chez les François ; le Taffe & l'Ariofte chez
les Italiens.
Les grands Orateurs & les grands Hiftoriens
font peut- être plus rares encore
que les grands Poëtes ; mais comme les occafions
de produire les talens qu'exige l'éloquence
, & d'acquérir les connoiffances
néceffaires pour écrire l'hiftoire , dépendent
en quelque forte du hazard , il eſt difficile
de juger fi les talens de l'Hiſtorien &
de l'Orateur font fupérieurs à ceux du Philofophe
& du Poëte .
LES DEUX SERINS ,
A Mademoiſelle A. C.
DEUX
FABLE.
EUX Serins à joli corfage ,
il vif & bec mignon ,
Eteient au printemps de leur âge :
Tout annonçoit en eux cette aimable ſaiſon.
16 MERCURE DE FRANCE.
Propos demi- malins , regards , agaceries ,
Humeur légere , & mille autres folies ;
On leur avoit appris tout ce qu'on peut fçavoir :
Siffler , chanter , voler à la toilette ,
Dire à propos , & bon jour, & bon ſoir ,
Rendre dix airs de férinette ,
Baiſez , baiſez , & tous ces riens charmans
Dont on orne l'efprit des Oiſeaux à talens .
Avint le temps de les mettre en ménage.
On les affiche , on les prône à l'éntour ;
Maint acquéreur arrive avec la cage ,
Trifte prifon , affreux féjour ,
Si la porte n'en eft confiée à l'amour.
Parmi ces afpirans tous empreffés à plaire , -
Deux écartent la foule & fixent tous les yeux
L'une étoit riche & vieille douairierė ,
Dans un équipage pompeux ,
Qu'environnoient le fafte & l'opulence ,
Tout étaloit de la magnificence
Les attributs ambitieux.
Elle tenoit une cage élégante ,
Où l'or avec l'azur mêlés aux diamans ,,
Par une main fçavante ,
Formoient divers compartimens ;
L'autre modefte autant que belle ,
Sa cage étoit fimple comme elle
Mais admirable en fa fimplicité.
La porte en étoit couronnée
De ces deux mots : la liberté. -
AVRIL. 1758. 17
La liberté tréfor pour toute ame bien née .
Il faut choifir : Serins , décidez-vous .
L'un ébloui par l'appât des richeffes ,
Sans doute accompagné de trompeufes promeffes,
Vole vers la cabane où brillent les bijoux.
L'autre moins vain , mais bien plus fage,
Préfere la modefte cage
Dont la déviſe étoit tout l'ornement.
De ces Oifeaux le fort fut différent .
Celui- ci careflé d'une Maîtreffe aimable ;
Paffoit les jours dans les plaifirs :
Tout fecondoit fes innocens défirs .
Il voloit fur fon fein , il chanteit à fa table ,
Se promenoit , & rentroit à fa voix :
Sa cage étoit une retraite fûre ,
Où le befoin l'invitoit quelquefois ,
Mais qui n'avoit ni verroux , ni ferrure.
Le premier au contraire enfermé dans un trou
Voyoit le jour , comme un hibou ,
Reclus dans un cabinet fombre ,
Où nul être n'avoit accès :
Pour compagnons il n'avoit que fon ombre;
Pour entretien , que ſes regrets.
Souvent la Mégere inhumaine
Venoit lui demander des chants ;
Et la cruelle infultoit à fa peine ,
Quand la douleur arrêtoit les accens.
Pour s'échapper , il ufe en vain d'adreffe ;
Tous les jaloux font défians :
18 MERCURE DE FRANCE.
Sur ce chapitre la traîtreffe
Eût enfeigné les plus fçavans .
Par des maux fi cuiſans fon ame eft déchirée ;
Il fuccombe , en voyant deffécher fes beaux jours.
en termine le cours :
La douleur , non les ans
Fille fouvent fe prend à la cage dorée.
H. D. P.
FELIME AZÉMA ,
Hiftoire Orientale.
ELIME ,
Reine de Bactriane , tomba
dans une profonde trifteffe , dont elle ne
dit jamais la caufe. Ses chagrins s'aigrirent
à un tel point , qu'ils terminerent fes jours.
L'Eunuque Afpard avoit gouverné l'Etat
avec une autorité prefqu'abfolue . Comme
la Reine n'avoit laiffé que des parens trèséloignés
, il crut devoir garantir le Royaume
des malheurs d'une guerre civile. On
venoit d'envoyer pour le Palais , une femme
dont le vifage reffembloit beaucoup à
celui de la Reine , & par une conformité
finguliere , elle avoit les mêmes déplaifirs.
L'Eunuque la plaça fur le Trône , réfolu
de maintenir fon autorité qu'il vit
en ce moment liée avec le bien de l'Etat.
AVRIL. 1758. 19
Cependant le Prince d'Hircanie entra
avec une armée dans la Bactriane . Une bataille
finit cette guerre , & délivra l'Etat
d'un formidable ennemi. Un foldat nouvellement
arrivé dans l'armée des Bactriens
, fit des prodiges de valeur . Il perça
jufqu'au lieu où combattoit le Prince
d'Hircanie , & le fit fon prifonnier . Il avoit
remis le Prince à un Officier , & fans dire
fon nom , il alloit rentrer dans la foule :
mais fuivi par les acclamations de toute
l'armée , il fut mené en triomphe à la tente
du Général. Il parut devant lui avec une
noble affurance : il parla modeftement de
fon action. Le Général lui offrit des récompenfes
, on l'y vit infenfible : il voulut le
combler d'honneurs , il y parut accoutu
mé.
L'Eunuque Afpard jugea que cet Etranger
n'étoit pas un homme ordinaire. Il le
fit venir à la Cour , & quand il le vit de
plus près , il fe confirma encore plus dans
cette penſée . Sa perfonne lui donna de l'admiration
, & la trifteffe même qui paroiffoit
fur fon viſage , lui infpira du refpect .
Il loua fa valeur , & lui dit les chofes du
mende les plus flatteufes. Seigneur , lui dit
l'Etranger , je fuis confus de vos bontés ;
mais excufez un malheureux , que l'horreur
de fa fituation rend prefque incapa40
MERCURE DE FRANCE.
•
ble de les fentir , & encore plus d'y r
pondre. Ses yeux fe remplirent de larme
L'Eunuque en fut attendri. Vous êt
malheureux , lui dit -il , foyez donc me
ami . Il y a un moment que je vous adm
rois , à préfent je vous aime. Je cherch
rai à vous confoler , & j'efpere que vou
voudrez bien faire ufage de ma raiſoni
de la vôtre . Puis il ajouta : Prenez un a
partement dans mon palais : celui qui l'ha
bite aime la vertu , & vous n'y ferez poir
étranger. Le pofte que j'occupe , m'a fai
jufqu'à préfent beaucoup de flatteurs & pe
d'amis je prie les Dieux de me conferve
celui qu'ils me donnent aujourd'hui . Vou
êtes malheureux , Arfame ( c'étoit te non
de l'inconnu ) , & vos malheurs n'ont poin
abattu votre courage : tant de fageffe dan
un âge fi tendre , vous donne droit à la
fenfibilité de tous les coeurs vertueux . De
puis ce temps , ils eurent toujours l'ur
pour l'autre les fentimens de l'amitié la
plus tendre.
Le lendemain fut un jour de fête pour
tous les Bactriens . La Reine fortit de fon
palais fuivie de toute fa Cour. Elle paroil
foit fur fon char , au milieu d'un peuple
nombreux . Un voile qui couvroit fon vi
fage , laiffoit voir une taille charmante :
la beauté fe cachoit , mais les graces
montroient partcut.
AVRIL 1758. 2t.
Elle defcendit de fon char , & entra dans
le temple. Tous les Grands de Bactriane
étoient autour d'elle . Elle fe profterna , elle
adora les Dieux dans le filence , elle fe leva
& dit à haute voix : Dieux immortels ! la
Reine de Bactriane vient vous rendre gra
ce.de la victoire que vous lui avez don
née ; mettez le comble à vos faveurs , en
permettant que jamais elle n'en abufe ;
faites qu'elle n'ait ni paffions , ni foiblef
fes , ni caprices ; que fes craintes foient ,
de faire le mal , & fes efpérances de faire
le bien , & puifqu'elle ne peut être heureuſe
, dit - elle d'une voix que les fanglots
ne putent arrêter , faites du moins que fes
peuples le foient.
A mefure que la Reine parloit , l'Etran
ger changeoit de vifage ; un trouble inconnu
s'emparoit de fes fens , un froid
mortel fe gliffoit dans fes veines ; fes yeux
fe couvroient de larmes , il tomba évanoui.
Des gens d'Afpard le pritent dans
leurs bras , le retirerent du temple , & le
porterent dans le palais . On le mit fur un
lit , on lui donna toutes fortes de fecours
& à peine avoit-il repris fes fens , qu'Af
pard arriva. J'ai été dans une inquiétude
mortelle. Ai je dû craindre pour vos jours?
Vos chagrins fe font- ils aigris ? Avez-vous
quelque nouveau fujet de peine ... Hélas !
22 MERCURE DE FRANCE.
Seigneur, que me demandez - vous ? Les évé
nemens de ma vie font liés à une chaîne
qui les tient tous : la fortune , qui n'a ceff
de m'accabler , me pourfuit jufque dan
les bras de l'amitié , & pour vous dire ce
lui d'aujourd'hui , il faudroit vous racon
ter tous les autres . Ceffez , généreux Af
pard , ceffez de vous intéreffer pour ur
malheureux qui femble partager l'étoil
qui le domine avec tous les objets qui l'en
vironnent ; la mort feule eft capable d'ar
rêter le cours de mes peines.
L'Eunuque fit retirer tout le monde. Il
le conjura de s'ouvrir à lui. Croyez- vous
qu'un coeur agité ne trouve point de douceur
à confier fes peines ? C'eſt comme fi
on fe repofoit dans un lieu plus tranquille.
Parlez- moi de vos malheurs ; n'oubliez
rien ; les moindres circonftances de votre
vie deviennent intéreffantes pour moi . Au
nom de la plus tendre amitié qui fût jamais....
Il n'étoit pas au pouvoir de l'Etranger
de refufer quelque chofe à Afpard. Il
Le tut un moment & commença ainfi.
L'amour a fait tout le bonheur & le
malheur de ma vie : d'abord il l'avoit femé
de peines & de plaiſirs , il n'y a laiffé
enfuite que les plaintes , les pleurs & les
regrets.
Je fuis né dans la Médie. Je perdis mon
AVRIL. 1758 . 23
pere dès mon enfance , mes parens prirent
foin de ma jeuneffe & de mon éducation.
A l'âge de quinze ans ils m'établirent , &
mon palais fut bientôt rempli des beautés
les plus rares. Si les plaifirs feuls , fans le
fentiment , pouvoient rendre les hommes
heureux , je jouirois encore fans trouble
& fans alarmes , de ceux que me procuroient
ma jeuneffe & les grands biens que
je poffédois.
Parmi les beautés dont mon ferrail étoit
rempli , la feule Azéma ne montra pas les
complaifançes de fes compagnes ; mais aucune
d'elles ne montroit autant d'amour.
Elle avoit une fierté mêlée de quelque
chofe de fi tendre , fes fentimens étoient
fi nobles , fi différens de ceux qu'une dépendance
éternelle fait naître dans le coeur
des femmes d'Afie , elle avoit d'ailleurs
tant de beauté , que bientôt je l'aimai ſeule
, & j'ignorai toutes les autres.
Ma naiſſance , mes richeffes , mon âge
& quelques avantages perfonnels , déterminerent
le Roi à me donner fa fille . C'eft
une coutume inviolable des Medes , que
ceux qui ' reçoivent un pareil honneur
renvoient toutes leurs femmes ; perfonne
ne devant plus difputer un coeur que de fi
grandes Princeffes daignent accepter. Je ne
vis dans cette grande alliance que la perte
>
24 MERCURE DE FRANCE.
de ce que j'avois dans le monde de plus
chet ; mais il me fallat dévorer mes latnies
, & montrer une feinte gaieté ; tandis
que toute la Cour me félicitoit d'une
faveur dont elle eft : toujours idolâtre , &
qui faifoit mon défefpoir.
Azéma ne demandoit point à me voir ,
elle ne faifoit pas un pas pour me rencontter
, & mois je craignois fa préfence , &
je la cherchois. J'allai dans fon appartement.
J'étois défolé , mes genoux fuioient
fous moi. Je l'abordai en tremblant . Azémas,
lui diseje , je vous perds.... Mais fans
me faire ni careffes , ni reproches , fans
lever les yeux fans verfer de larmes , elle
gazla un profond filence : Une pâleur mortelle
paroiffoie für fon vifage , & je voyois
ding fon air une certaine indignation mêlée
de défefpoir. 19
- voulus l'embraffer, elle me parut gla
cée , & je ne lui fentis de mouvement que
pour s'échapper de mes bras. Te efois bien
que fi je n'avois pas craint pour Azéma
j'aurois refale la Princeffe , & que je me
ferois expofe à la plus affreufe Vengeance :
mais quand je me repréfèntois que mon
refus feroit infailliblenient fuivi de fa
more , mon efprit fe confondort & je ne
frouvois en mol de forces que pour m'abandonner
à mon malheur . Le four fatal
arrive.
AVRIL. 1758 . 25
arrive. On me conduit dans le palais du
Roi ; & de ce moment funefte , il ne m'eſt
plus permis de fortir , ni de voir ma chere
Azéma. Je ne devois plus penfer qu'à adorer
la Princeffe , & ne chercher de félicité
qu'auprès d'elle.
Le jour que la cérémonie du mariage fe
fit , on envoya enlever de mon palais toutes
mes femmes. Azéma qui avoit gagné
un de mes Eunuques , mit un Efclave de
fa taille & de fon air fous fes voilés & fes
habits , & fe cacha dans un lieu fecrer.
Elle avoit fait entendre à l'Eunuque qu'el
le vouloit fe retirer parmi les Prêtreffes des
Dieux.
Le foir que je menai la Princeſſe dans
ma maifon , le lit nuptial étoit préparé
je l'y portai moi-même. Sa beauté, fon innocence
, fes graces , que fçais - je ¦ car l'amour
fe peint dans tous ces objets , la
grandeur de fa naiffance auroient pu me
confoler , & peut - être me rendre infidele :
connoître , apprendre , fentir même qu'en
en eft aimé , combien d'excufes pour un
amour infidele ! Mais écoutez ce récit
affreux ; le fouvenir m'en glace encore
d'effroi. Dans l'horreur de la nuit Azéma
entre dans ma chambre ; la fureur eft pein--
re dans fes yeux ; elle découvre un Alambeau
, & s'approchant de la Princeffe , elle
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
fui plongé un poignard dans le fein : elle
le retire encore tout fanglant , & fe tournant
vers moi d'un air animé : Allons , me
dit- elle , Arfame , quittons ces lieux infortunés
, ou fi tu ne veux pas me fuivre ,
mourons ici . Tout mon fang fe glaça dans
mes veines ; & quand j'eus un peu repris
mes efprits : Eh bien , lui dis -je , cruelle
Azéma , puifqu'il ne m'eft plus permis
d'efpérer de vivre dans ma patrie , allons
fuyons , & quittons ce lieu tout rempli de
vos fureurs . L'ame encore remplie du coup
affreux qui venoit de fe faire à mes yeux
je cours tout agité dans mes appartemens ;
j'emporte tout ce que je peux de mes richeffes.
J'en chargeai deux Efclaves fidefes
je leur fis prendre divers chemins ,
Azema me prenant par la main : La nuit
nous favorife , dit - elle partons. Je la
fuis , le coeur rempli d'amour , d'horreur &
de crainte .
que
253
•
Je ne vous dirai point les périls infinis
dus courûmes . Azéma , malgré la
foibleffe de fon fexe , étoit la premiere
m'encourager : l'amour lui prêtoit fes ailes
& forfque je craignois qu'elle ne fût accablée
, je la voyois marcher devant moi
Après plufieurs jours de marche , nous
arrivâmes dans la Margiane ; nos Efclavesnous
y rejoignirent , & nous remirent
AVRIL. 1758. 27
les tréfors que nous leur avions confiés.
Cette terre étrangere nous parut une nouvelle
patrie. Délivrés de la crainte importune
qui ne nous avoit pas quitté jufqueslà
, nous vécûmes à la campagne , loin du
monde & du bruit. Charmés l'un de l'autre
, nous nous entretenions de nos plaifirs
préfens & de nos peines paffées. L'amour
occupé à remplir tous nos momens , les
marquoit fans ceffe par des plaifirs nouyeaux.
La paffion d'Azéma & la mienne prenoient
des impreffions de notre différente
éducation & de nos divers caracteres. Azéma
ne refpiroit que pour aimer ; fa paffion
étoit fa vie ; toute fon ame refpiroit l'amour
: il n'étoit pas en elle de m'aimer
moins , elle ne pouvoit pas non plus m'aimer
davantage. Je paroiffois aimer avec
plus d'emportement , parce qu'il fembloit
que je n'aimois pas toujours de même.
Azéma feule étoit capable de m'occuper ;
mais il y avoit des chofes qui pouvoient
me diftraire. Je fuivois les cerfs dans les
forêts , & j'allois combattre les bêtes féroces.
Hélas ! pourquoi ne pouvons - nous
être heureux d'un bonheur préfent ? pourquoi
notre ame quitte-t'elle une félicité
dont elle jouit , pour une félicité qu'elle
efpere Bientôt l'idée de ma premiere
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
grandeur vint s'offrir à mon efprit : je
m'imaginai que je menois une vie trop
obfcure. Je me trouve , difois- je , dans
les Etats du Roi de Margianne , pourquoi
n'irai-je pas à la cour ? Je fuis profcrit de
mon pays , & je vis inconnu dans celuiei
: je me vois fans appui & fans défenfe .
Mon efprit fut perfuadé , & je me défiai
de mon coeur. Le fentiment de mon amour
me parut une foibleffe , & malgré les prieres
d'Azéma , malgré fes larmes , je lá
quittai .
Je ne vous dirai point l'affreufe violence
que je me fis , je fus cent fois fur le point
de revenir. Je voulois m'aller jetter aux
genoux d'Azéma ; mais la honte de me
démentir , la certitude que je n'aurois pas
la force de me féparer d'elle , l'habitude
que j'avois prife de commander à mon
coeur des chofes difficiles , tout cela me fir
continuer mon chemin.
Je fus reçu du Roi avec toutes fortes de
diftinctions à peine eus- je le temps de
m'apperçevoir que je fuffe étranger à fa
cour. J'étois de toutes fes parties de plaiſir ;
il me préféra bientôt à tous ceux de mon
âge , & bientôt il n'y eut point de rangs
ni de dignités que je ne puffe efpérer en
Margianne. Dans le bruit & le tumulte de
cette cour , je ne goûtois que de fauffes
AVRIL 1758. 29
Joies. Le fouvenir d'Azéma me fuivoit partout,
& je fentois dans le fein des plaifirs
mêmes , qu'elle manquoit à mon coeur . Je
connoiffois mon bonheur , & je le fuyois ;
je n'étois point d'accord avec moi- même ,
je pouvois goûter des plaifirs réels , & ję
courois après un vain fantôme.
Azéma , depuis mon départ , n'avoit
point eu de fentiment qui n'eût été d'abord
combattu par un autre. Elle avoit toutes
les paffions , & elle n'étoit contente d'aucune
: elle vouloit fe plaindre , elle prenoir
la plume pour m'écrire , le dépit lui
faifoit changer de penfée ; elle ne pouvoit
fe réfoudre à me marquer de la fenfibilité ,
encore moins de l'indifférence : mais enfin
Ja douleur gagna toute fon ame , fixa fes
irréfolutions , & je reçus cette lettre :
« Si vous aviez gardé dans votre coeur
» le moindre fentiment de pitié , vous ne
»› m'auriez jamais quittée ; vous auriez ré-
» pondu à un amour fi tendre , & respecté
» nos malheurs ; vous m'auriez facrifié des
» idées vaines. Cruel ! vous auriez cru
perdre quelque chofe en perdant un coeur
qui ne brûle que pour vous. Comment
» pouvez - vous fçavoir fi , en ne vous
» voyant plus , j'aurai le courage de fou-
» tenir la vie ? & li je meurs , barbare ,
» pouvez-vous douter que ce ne foit pour
33
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
» vous ? Oh Dieux ! pour vous Arſame :
» mon amour fi induſtrieux à m'affliger , ne
» m'auroit jamais fait craindre ce genre de
fupplice ; je croyois que je n'aurois à
pleurer que vos malheurs , & que je
» ferois toute ma vie infenfible fur les
>> miens. "
"
ود
Je ne pus lire cette lettre fans verfer des
larmes mon coeur fut faifi de trifteffe ,
& au fentiment de pitié , il fe joignit un
cruel remord de faire le malheur de ce que
j'aimois plus que ma vie. Il me vint dans
l'efprit d'engager Azéma à venir à la cour :
je ne reftai fur cette idée qu'un moment.
La cour de Margianne eft la feule d'Afie
où les femmes ne font point féparées du
commerce des hommes ; & plutôt que de
fouffrir que la beauté d'Azéma fît la félicité
d'autres yeux que les miens , & qu'elle
pût régner dans quelqu'autre coeur que
ce fût au monde , j'aurois accepté mille
morts ; je n'avois d'autre parti à prendre
que de retourner auprès d'elle . Vous ferez
étonné , quand vous fçaurez les raifons
qui me firent différer l'exécution de ce
deffein.
J'attendois à tous les momens des marques
brillantes de la faveur du Roi. Je
m'imaginai que paroiffant aux yeux d'Azéma
avec un éclat nouveau , je me jųftiAVRIL.
1758 . 31
Fieroisplus aifément auprès d'elle ; je penfai
qu'elle m'en aimeroit davantage , & ję
goûtois d'avance le plaifir d'aller porter
ma nouvelle fortune à fes pieds .
Je lui appris la taifon qui me faifoit
différer mon voyage , & ce fut cela même
qui la mit au défefpoir . Ma faveur auprès
du Roi avoit été fi rapide , qu'on l'attribua
au goût que la Princeffe de Margianne
avoit pour moi. C'eft une de ces chofes
que l'on croir toujours , quand elles ont
été dites une fois. Un Efclave qu'Azéma
avoit mife auprès de moi , lui écrivit ce
qu'il avoit entendu dire. L'idée que j'allois
tenir ma fortune de la main d'une Rivale ,
la mit au défefpoir; fon amour s'indigna ,
elleprit fon parti. Elle fe défit de la
plupart de fes Efclaves , en choifit de nouveaux
, envoya meubler un palais dans le
pays des Hircaniens , fe déguifa , prit avec
elle trois Eunuques , qui ne m'étoient pas
connus , vint fécrettement à la cour ; elle
inftruifit l'Efclave qui lui étoit fidele , &
prit des mefures pour m'enlever dès le lendemain.
Je devois aller me baigner dans l'Arafpe
: l'Eſclave me mena vers un endroit du
rivage , où Azéma m'attendoit . J'étois à
peine déshabillé , qu'on me faifit : on jetta
fur moi une robe de femme ; on me fir
Biv
32
MERCURE
DE
FRANCE
.
entrer dans une litiere fermée ; on marcha
nuit & jour nous eûmes bientôt quitté
la Margianne , & nous arrivâmes dans le
pays des Hircaniens. Je fus enfermé dans
un vafte palais. On me faifoit entendre
que la Prêtreffe , qu'on difoit avoir de l'amour
pour moi , m'avoit fair enlever &
conduire fecrettement dans une terre de fa
dépendance.
Azéma ne vouloit point être connue , ni
que je fuffe connu ; elle cherchoir à jouir
de mon erreur , Tous ceux qui n'étoient
point du fecret , la prenoit pour la Prêtref
fe ; mais un homme enfermé dans fon palais
, auroit démenti ce caractere. On me
laiffa donc mes habits de femme , & on
crut que j'étois une fille nouvellement
achetée , & deftinée pour la fervir.
J'étois encore dans ma feizieme année ;
on difoit que j'avois toute la fraîcheur de
la jeuneffe , & on me louoit fur ma beauté,
comme fi j'euffe été une fille du palais.
Azéma , qui fçavoit que la paffion pour la
gloire m'avoit déterminé à la quitter , fongea
à amollir mon courage par toutes
fortes de moyens . Je fus mis entre les
mains des Eunuques on paffoit les journées
à me parer on verfoit fur moi les
effences les plus délicieuſes ; je ne fortois
jamais de la maifon ; on m'apprenoit à
AVRIL 1758. 33
travailler moi - même à ma parure , & furtour
on vouloit m'accoutumer à cette
obéiffance fous laquelle les femmes font
abattues en Orient , dans les férails .
Je vous dirai bien que j'étois indigné
de me voir traiter ainfi : il n'y a rien que
je n'euſſe ofé pour rompre mes chaînes ;
mais me voyant fans armes , entouré de
gens qui avoient toujours les yeux fur moi ,
je ne craignois point d'entreprendre , mais
de manquer mon entrepriſe. J'efpérai que
dans la fuite , je ferois moins foigneufement
gardé , que je pourrois corrompre
quelque Eunuque , & fortir de ce féjour ,
ou mourir.
J'avouerai cependant qu'une efpece de
curiofité de voir le dénouement de route
cette aventure fembloit ralentir mes penfées
dans la honte & la confufion que je
reffentois , j'étois néanmoins furpris de
n'en avoir pas davantage : mon ame formoit
des projets ; ils finiffoient tous par
un certain trouble ; un charme fecret &
une force invincible me retenoit dans ce
palais.
La feinte Prêtreffe étoit toujours voilée
, & je n'entendois jamais fa voix. Elle
paffoit prefque toutes les journées à me
regarder par une jaloufie pratiquée à ma
chambre ; quelquefois elle me faifoit venir
34 MERCURE DE FRANCE:
dans fon appartement. Là , fes filles chantoient
les airs les plus tendres : il me fembloit
que tout exprimoit fon amour : je
n'étois jamais affez près d'elle ; elle n'étoit
occupée que de moi ; il y avoit toujours
quelque chofe à raccommoder à ma parure
; elle défaifoit mes cheveux pour
les
arranger encore , & elle n'étoit jamais contente
de ce qu'elle avoit faite.
Un jour on vint me dire qu'elle me
permettoit de la voir. Je la trouvai fur un
fopha de pourpre. Ses voiles la couvroient
encore ; fa tête étoit mollement penchée ,
& elle me fembloit dans une douce langueur.
J'approchai , & une de fes filles me
parla ainfi L'amour vous favorife : c'eſt
lui qui fous ce déguiſement vous a fait
venir ici . La Prêtreffe vous aime : tous les
coeurs lui feroient foumis , & elle ne veut
que le vôtre. Comment , dis-je en foupirant
, pourrai- je donner un coeur qui n'eft
point à moi ? Ma chere Azéma en eft la
maîtreffe , & elle la fera toujours. Je ne
vis point qu'Azéma marqua de l'émotion
à ces paroles ; mais elle m'a dit depuis
qu'elle n'a jamais fentie une plus grande
joie. Téméraire , me dit cette femme , la
Prêtreffe doit être offenfée comme les
Dieux , lorfqu'on eft affez malheureux
pour ne pas l'aimer . Je lui rendrai , répon-
>
AVRIL 1758. 35°
dis-je , toutes fortes d'hommages ; mon
refpect , ma reconnoiffance ne finiront jamais
; mais le cruel deftin ne me permet
pas de l'aimer.
· Divine Prêtreſſe , ajoutai- je en me jettant
à fes genoux , je vous conjure , par
votre gloire , d'oublier un homme , qui ,
par un amour éternel pour une autre , ne
fera jamais digne de vous .
J'entendis qu'elle jetta un profond foutpir
: je crus m'appercevoir que fon viſage
étoit couvert de larmes. Je me reprochois
mon infenfibilité ; j'aurois voulu , ce que
je ne trouvois pas poffible , être fidele à
mon amour , & ne pas défefpérer le fien.
On me ramena dans mon appartement ,
& quelques jours après , je reçus un billet
d'une main qui m'étoit inconnue.
»L'amour de la Prêtreffe eft violent ,
mais il n'eft pas tyrannique : elle ne fe
» plaindra pas même de vos refus , fi vous
» lui faites voir qu'ils font légitimes. Ve-
>> nez lui apprendre les raifons que vous
» avez pour être fi fidele à cette Azéma. »
Je fus reconduit auprès d'elle . Je lui racontai
toute l'hiſtoire de ma vie. Lorfque
je lui parlois de mon amour , je l'entendois
foupirer : elle tenoit ma main dans
la fienne , & dans ces momens touchans
elle la ferroit malgré elle. Recommencez ,
Bvi
36 MERCURE DE FRANCE.
me difoit une de fes femmes , à cet endroit
où vous fûtes fi défefpéré , lorfque
le Roi de Médie vous donna fa fille ; redites-
nous les craintes que vous eûtes pour
elle dans votre faite ; Parlez à la Prêtreffe
des plaifirs que vous goûtiez, lorfque vous
étiez dans votre folitude chez les Margiens.
Je n'avois jamais dit toutes les circonftances
je répétois , elle croyoit entendre
pour la premiere fois ; je finiffois , elle s'imaginoit
que j'allois commencer. Le lendemain
je reçus ce billet :
»
Je comprens bien votre amour , & je
n'exige point que vous me le facrifiez :
mais êtes -vous sûr que cette Azéma vous
>> aime encore ? Peut- être réfufez-vous pour
» une ingrate , le coeur d'une perfonne qui
» vous adore, »
ود
Je fis cette réponſe :
» Azéma m'aime à un tel point , que je
» ne fçaurois demander aux Dieux qu'ils
» augmentent fon amour. Hélas ! peut-
» être qu'elle m'a trop aimé! je me fou
» viens d'une lettre qu'elle m'écrivit quel
que temps après que je l'eus quittée : fi
» vous aviez vu les expreffions terribles &
tendres de fa douleur.... Je crains que
» pendant que je fuis retenu dans ces lieux,
le défefpoir de m'avoir perdu , & fon
dégoût pour la vie , ne lui faffent pren-
ود
»
AVRIL 1758. 37
dre une réfolution qui me mettroit au
>> tombeau . >>
و ر
Elle me fit cette réponſe :
Soyez heureux , Arfame , & donnez
» tout votre amour à la beauté qui vous ai
» me: pour moi, je ne veux que votre ami-
» tić. Venez ce foir me marquer celle que
» vous avez pour une perfonne qui auroit
» été à vous fi vous l'aviez aimée . »
Je fus reconduit dans fon appartement.
Là,je fentis tout ce qui peut porter à la volupté.
On avoit répandu dans la chambre
les parfums les plus agréables ; elle étoit
fur un lit qui n'étoit fermé que par des
guirlandes de fleurs : elle y paroiffoit languiffamment
couchée ; elle me tendit la
main , & me fit affeoir auprès d'elle : un
voile qui lui couvroit le vifage, defcendoit
avec grace fur fon fein , & me laiffoit entrevoir
la forme du plus beau corps. Elle
remarqua que mes yeux étoient occupés ,
& quand elle les vit s'enflammer , la toile
fembla s'ouvrir d'elle- même. Dans ce mo
ment elle me ferra la main ; mes yeux er.
rerent partout. Il n'y a , m'écriai -je , que H
ma chere Azéma qui foit auffi belle ! Mais
j'attefte les Dieux que ma fidélité.... Elle fe
jetta à mon col , & me ferra dans fes bras.
Tour d'un coup la chambre s'obscurcit ,
fon voile s'ouvrit , & elle me donna un
38 MERCURE DE FRANCE.
bailer. Je fus tout hors de moi ; l'idée d'A
zéma s'éloigna de mon efprit : un refte de
fouvenir combattoit encore pour elle ; mais
il ne me paroiffoit prefque plus que comme
un fonge .... J'allois.... j'allois la préférer
à elle- même lorfque tout-à coup elle
fit un effort. Elle fur fecourue , elle fe déroba
de moi , & je la perdis . Je retournai
dans mon appartement , furpris moi-même
de mon inconftance. Le lendemain on entra
dans ma chambre . On me rendit les habits
de mon fexe , & le foir on mena chez
celle dont l'idée m'enchantoit encore . J'ap
prochai d'elle , je me mis à fes genoux
& tranfporté d'amour , je parlai de mon
bonheur , je me plaignis de mes propres
refus , je demandai , je promis , j'exigeai
j'ofai tout dire , je voulus tout voir ; mais
je trouvai un changement étrange. Elle me
parut glacée , & lorfqu'elle m'eut affez
écouté , & qu'elle eut joui de tout mon
embarras , elle me parla & j'entendis fa
voix pour la premiere fois :Ne voulez - vous
point voir le vifage de celle que vous aimez
? Ce fon de voix me pénétra , je reftai
immobile : j'efpérai que ce feroit Azéma
& je le craignis. Découvrez ce bandeau me
dit-elle. Je le fis , & je vis le vifage d'Azéma.
Je voulus parler , & ma voix s'arrê
ta. L'amour , la furprife , la honte , tow
AVRIL. 1758. 39
tes les paffions me faifirent tour- à- tour .
Vous êtes Azéma , lui dis- je ? Oui , perfide
, répondit- elle , je la fuis . Azéma , lui
dis- je d'une voix entrecoupée , pourquoi
vous jouez-vous ainfi d'un malheureux
amour ? Je voulns l'embraffer. Seigneur ,
me dit-elle , je fuis à vous ; mais laiffezmoi.
Hélas ! j'avois efpéré de vous revoir
plus fidele : contentez - vous de comman
der ici ; puniffez-moi , fi vous voulez , de
ce que j'ai fait. Arfame , ajouta - t - elle en
pleurant , vous ne le méritiez pas.
Ma chere Azéma , lui dis- je , pour
quoi me défefpérez-vous ? Auriez- vous
voulu que j'euffe été infenfible à des charmes
que j'ai toujours adorés? Convenez què
vous n'êtes pas d'accord avec vous- même.
N'étoit-ce pas vous que j'aimois ? ne fontce
pas ces beautés qui m'ont toujours charmé
? Ah ! dit-elle , vous auriez aimé une
autre que moi ! Je n'aurois point , lui disje
, aimé une autre que vous ; tout ce qui
n'auroit point été vous , m'auroit déplu ?
Qu'auroit- ce été lorfque je n'aurois point
vų cet adorable vifage , que je n'aurois
point entendu cette voix , que je n'aurois
point trouvé ces yeux ? Mais de grace , ne
me défefpérez pas ; fongez que de toutes
les infidélités que l'on peut faire , j'ai fans
doute commis la moindre . Je fentis à la
langueur de fes yeux qu'elle n'étoit plus
40 MERCURE DE FRANCE.
T
irritée ; je le fentis à fa voix languifſante.
Azéma revenue à elle , me dit : Mon cher
Arfame , l'amour que j'ai eu pour vous ,
m'a fait faire des chofes bien extraordinaires
; mais croyez qu'un amour bien
violent n'a de regles & de loix que lui -même.
On ne le connoît guere , fi on ne met
les caprices au nombre de fes plus grands
plaifis. Mais au nom des Dieux , ne me
quitte plus. Que peut il te manquer ? Tu
es heureux fi tu m'aime : tu es sûr que ja
mais mortel n'a été tant aimé que toi : dise
moi , promers , jure moi que tu refter as
ici. Je lui fis mille fermens , ils ne furent
interrompus que par mes baifers , & elle
les reçut avec tranfport.
J'étois enivré de plaiſirs , & je n'imaginois
pas même les peines. Quelle étoit
mon erreur ! Je touchois au revers du
monde le plus affreux.
Le Prince du pays ( Afmer étoit fon
nom ) étoit un tyran capable de tous les
crimes mais rien ne le rendoit plus in..
fupportable que les outrages continuels
qu'il faifoit au fexe , fur lequel il n'étoit
pas permis de lever les yeux . Il apprit par
un efclave forti du ferrail d'Azéma, qu'elle
étoit la plus belle perfonne de l'Orient. Il
n'en fallut pas davantage pour le déterminer
à me l'enlever. Une nuit , une groffe
AVRIL 1758, 41.
troupe de gens armés entoura ma maiſon ,
& le matin je reçus un ordre du tyran de
lui envoyer Azéma. Je vis l'impoffibilité
de la faire fauver ou de la défendre . Ma
premiere idée fut de lui donner la mort ,
dans le fommeil où elle étoit ensevelie.
Conduit par mon défefpoir , je pris mon
poignard : je courus , j'entrai dans fa chanbre
, j'ouvris les rideaux : j'allois lever le
bras ; mais un mouvement inconnu m'arrêca
, je reculai d'horreur , tous mes fens
fe glacerent. Une nouvelle rage me faifit :
je voulus aller me jetter au milieu des Satellites
du tyran , & immoler tout ce qui
fe préfenteroit à moi mon efprit s'ouvrit
pour un plus grand deffein ; un calme affreux
fuccéda à la confufion où je me trouvois.
Je réfolus de prendre les habits que
j'avois eu il y a quelques mois ; de monter
, fous le nom d'Azéma , dans la litiere
que le tyran lui avoit deſtinée, de me faire
mener à lui , de cacher furtout à Azéma
le péril que je courois & de la faire fauver
dans un autre pays . Outre que je ne voyois
point d'autres reffources , je reffentois un
plaifir fecret à faire une action de courage
fous les mêmes habits avec lesquels l'aveugle
amour avoit auparavant avili mon
fexe.
J'exécutai tout de fang froid ; je ne me4
42 MERCURE DE FRANCE.
nai qu'une eſclave fidelle , & je me livrai
aux femmes & aux Eunuques que le tyran
avoit envoyés. Je ne reftai pas deux jours
en chemins , & quand j'arrivai , la nuit
étoit déja avancée. Afmer , le traître Af
mer donnoit un feftin à fes femmes & a
fes favoris dans une falle de fes jardins. II
étoit dans cette gaieté ftupide que donne
la débauche lorfqu'elle eft pouffée à l'excès.
Je lui fus annoncé : il ordonna qu'on
me fît venir ; j'entrai dans la falle du feftin
, & mon efclave fe tint à la porte. Le
tyran me fit mettre auprès de lui : je l'ervifageai
plein de colere , de rage & du défir
de la plus affreufe vengeance ; & lorfque
fa fureur brutale alloit l'éclaircir fur
mon fexe , je lui plongeai mon poignard
- dans le fein . Je l'en retirai pour percer un
homme qui avoit paru le vouloir fecourir.
Mon efclave à qui j'avois donné mes
ordres , donna la mort au premier qui fe
préſenta pour fortir. On crut que tout étoit
environné de conjurés. Parmi tant d'objets
, on ne voit que deux poignards , &
la peur les multipliant fans nombre , tout
refta immobile. Je fortis , nous fermâmes
la porte ; nous fuîmes : nous rencontrâmes
un Eunuque dans les jardins. Je tel
plongerai , lui dis-je , ce fer dans le feins
fi tu ne me fais fortir d'ici . C'étoit un JarAVRIL.
1758. 43
dinier qui , tout tremblant de peur , me
mena à une porte qu'il ouvrit : je la lui fis
refermer , & lui ordonnai de me fuivre.
Je jettai mes habits , & je pris un manteau
d'efclave . Nous nous enfonçâmes dans
les bois , & par un bonheur inefpéré
lorfque nous étions accablés de laffitude ,
nous trouvâmes un marchand qui faifoit
paitre ſes chameaux . Nous le contraignîmes
à nous mener hors de ce pays funefte. A
meſure que j'évitois tant de dangers , mon
coeur devenoit moins tranquille. Il falloit
revoir Azéma , & tout me faifoit craindre
pour elle. Ses femmes . & fes Eunuques
lui avoient caché l'horreur de notre fituation
; mais en ne me voyant point malheureux
, elle me jugeoit coupable ; elle
croyoit que j'avois manqué , en la quittant,
à tant de fermens que je lui avois faits :
pouvoit concevoir cette barbarie ,
de l'avoir abandonnée fans lui rien dire :
l'amour voit tout ce qu'il craint.
La vie lui devint infupportable. Elle
prit du poifon. Il ne fit pas fon effet vio-
Jemment. J'arrivai , je la trouvai mourante.
Azéma , lui dis-je , je vous perds !...
Ah ! fi vous m'aviez aimé ! Cruelle Azéma
, hélas ! que vous ai-je fait ? Elle verfa
quelques larmes . Cher Arfame , me ditelle
d'une voix mourante , il n'y a qu'un
I
44 MERCURE
DE
FRANCE
. moment que la mort me paroiffoit déli
cieufe , à préfent elle me paroit terrible
depuis que je vous revois . Je fens que je
voudrois vivre pour vous , & que mon
ame vous quitte malgré elle . Confervez
mon fouvenir , & fi j'apprends qu'il vous
eft cher , contez que je ne ferai point tourmentée
parmi les ombres. J'ai du moins
cette confolation , cher Arfame, de mourir
dans vos bras . Ses yeux fe fermerent . Il me
feroit impoffible de dire comment je n'expirai
pas auffi - tôt . On me fépara d'Azéma , &
je crus qu'on me féparoit de moi-même. Je
fixai mes yeux fur ce cher objet , & je reftai
immobile. J'étois demeuré ftupide. On
m'ôta à ce terrible fpectacle , & je fentis
mon ame reprendre toute fa fenfibilité.
On m'entraîna , je tournois les yeux vers
ce fatal objet de ma douleur , & j'aurois
donné mille vies pour la voir , pour l'entendre
encore un moment. Ses dernieres
paroles avoient percé mon coeur ; le fon de
La voix que je croyois encore entendre , me
mettoit hors de moi-même. J'entrai en fureur
; je fautai fur mon poignard ; j'allois
me délivrer d'une odieufe vie : c'en étoit
fait. On m'arrêta . Je fortis de ce palais funefte
pour n'y plus rentrer. Je courois dans
les bois , je rempliffois l'air de mes cris :
Quand je devenois plus tranquille , toutes
AVRIL. 1958 . 45
les forces de mon ame la fixoient à fa douleur
: il me fembla qu'il ne me reftoit plus
rien dans le monde , que ma trifteffe &
le nom d'Azéma. Ce nom , je le prononçois
d'une voix terrible , & je rentrois
dans le filence. Mon efprit s'aliéna , &
quand la raifon me fut revenue , je réſolus
de m'ôter la vie. La fureur me fit quitter
ce deffein. Tu veux mourir , me dis- je
à moi- même , & Azéma n'eft point vengée
? Tu veux mourir & le fils du tyran
eft en Hircanie , qui fe baigne dans les
délices ? Il vit encore & tu veux mourir.
Je me mis en chemin pour l'aller chercher ,
& venger dans fon fang , Azéma & mon
amour. Lorfque j'appris qu'il vous avoit
déclaré la guerre , j'ai volé à vous. Je ſuis
arrivé trois jours avant la bataille , & j'ai
fait l'action que vous connoiffez. J'aurois
percé le fils du týran , mais j'ai mieux aimé
le faire prifonnier . Je veux qu'il traîne
dans la honte & dans les fers , une vie
auffi malheureufe que la mienne : je veux
qu'il apprenne que j'ai fait mourir le der
nier de fa maifon : & réduit fon palais en
cendres : je veux que le nom d'Azéma foit
terrible pour lui , comme il l'eft pour moi.
Oui , j'exterminerai tous ceux qui n'ont
point étouffé cette voix facrilege par laquelle
fon pere a demandé Azéina . Je fens
46 MERCURE DE FRANCE.
bien que depuis que je fuis vengé , je ne
fuis pas plus heureux , & que l'efpoir de
la vengeance touche plus que la vengeance
même. Non , rien ne peut me foulager
: il me femble que de tous côtés , tout
vient toucher nion coeur dans un endroit
douloureux ; tout me repréfente Azéma ;
tout me retrace fon idée , elle me fuit ,
tout me parle d'elle. Ce matin encore je
fuis entré dans le temple ; la Reine a parlé
: j'ai trouvé quelque conformité entre
fa voix & celle d'Azéma , j'ai rougi , j'ai
pali , je fuis tombé évanoui .
L'Etranger parloit encore lorfque la
Reine envoya fçavoir s'il étoit en état de
paroître en fa préfence. Cela le mit dans
un trouble que l'on ne peut exprimer. Il
adoroit cet ordre & il s'en plaignoit il
étoit ravi d'entendre encore une fois la
voix de la Reine , & il craignoit de l'entendre.
Il fe leva . Il vouloit courir , il vouloit
s'arrêter il fe faifoit en lui une confufion
étrange de défirs & de penfées. Il
arriva dans l'appartement de la Reine . Elle
le vit & tombant fur une de fes femmes
Arfame , dit-elle , c'est vous ? Et tout à
coup reprenant fes efprits , elle fe précipita
vers lui , & le ferrant dans fes bras :
Arfame , c'eft vous ? Azéma , lui dit- il ,
comment les Dieux vous ont- ils rendus à
10
AVRIL
1758. 47
1.
la vie ? Et levant fon voile... Azéma , c'eft
vous? Quel prodige ! Quel bonheur ! ô
Dieux ! La joie, les tranfports les faifirent ;
ils fe tenoient embraffés ; ils vouloient tour
dire. Quand Azéma put parler , elle fe
hata de raconter comment une de fes femmes
avoit fubftitué au poifon une liqueur
affoupiffante ; comment elle avoit été trois
jours fans mouvement ; comment elle avoit
été rendue à la vie. Sa premiere parole
avoit été le nom d'Arfame : fes yeux ne
s'étoient ouverts que pour le voir : elle
l'avoit fait chercher , elle l'avoit cherché
elle-même. Arfame étoit tout hors de lui :
fa joie le troubloit tellement qu'il n'enpas
même les chofes qui faifoient
1-
tendoit
fa félicité.
L'Eunuque Afpard prit d'abord fon parti.
Vous êtes , dit- il à Arfame , le mari de
la Reine , foyez donc mon Roi . Il s'inclina
, & ayant affemblé le ferrail : Venez
faluer l'époux que la Reine vient de choifit
, dit-il ; il va paroître fur le trône ; venez
l'adorer. Dans le même jour Arfame
fut déclaré Roi de Bactriane ; dans le mêmejour
il récompenfa l'armée victorieufe ;
dans le même jour il rendit la liberté au
Prince d'Hircanie. Il crut régner fur tout
l'univers , parce qu'il régnoit fur le coeur
d'Azéma , à qui le trône étoit double-
A
48 MERCURE DE FRANCE.
ment dû par le mérite
& par la naiffance
Elle étoit four de Félime
, & fut expofé
en naiffant
pour des raifons
trop longue
!
à dire , & qu'on
doit furtout
fupprime dans un dénouement
. Afpar
en étoit feu
inftruit
. En coutonnant
Azéma
, il avoi agi en miniftre
non moins
honnête
homme
qu'habile
. Ce fut un acte de juſtice autant
qu'un coup de politique
.
VERS
A Madame *** , fur les Tablettes Enchantées
, Conte qui a paru dans le fecond Volume
de Janvier 1758.
PROTECTEUR des tendres 'Amans ,
C'eft toi , puiffant génie : ah ! c'est toi que j'implore.
Par le magique effet de tes enchantemens ,
Laiffe-moi ſoulager le feu qui me dévore.
Brillans honneurs , faftueufe opulence ,
Frivoles rangs , vaine diſtinction ,
Gloire inſenſée , orgueilleule ſcience
Vous n'êtes point l'objet de mon ambition.
Si tu connois l'adorable Gliedre ,
Facilement ru peux le pénétrer.
Mes voeux , oui , tous mes voeux fe bornent à lui'
bb plaire : t
J
Après
AVRIL 1758. 49
Après un tel bonheur que puis- je defirer ?
Comme Zelmis , elle eft touchante & belle ;
Comme Zelmis , par mille attraits vainqueurs,
Elle charme l'efprit & captive les coeurs :
Ociel ! comme Zelmis , eft- elle donc cruelle ?
Secourable & puiffant Génie ,
Telle eft la Reine de mon fort ,
Puifque je dois , ô Dieux ! l'aimer toute ma vie ,
Que ne fuis-je un autre Agenor !
J. FONT...
VERS
Au fujet de ce que M. de Boilly a dit dans
le Mercure de Février , qu'il feroit mainbaffe
fur toutes les Pieces qui n'annonceroient
point de talent.
PLEUREZ , jeunes Auteurs , dont la Muſe infipide
Dans les champs de la gloire entre & marche ſans
guide.
Pour vous Mercure eft las d'effuyer des mépris ,
Déformais il renonce à porter vos écrits ,
Vos petits Madrigaux , vos plaintes langoureuſes ,
Toutes ces ftances doucereufes
Par qui vous prétendez enchanter les eſprits ,
Pour avoir de plaifir fait pâmer une Iris ,
Qui croit en les lifant qu'elle n'a point d'égale.
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
Dans la réforme générale
Le premier je ferai compris ,
Et maint autre après moi qui ne s'en doute guere ;
•
Tant en Province qu'à Paris.
Pleurons , pleurons , mes chers Confreres ;
Mais non , remercions plutôt
Celui qui , fur notre délire ,
Pouvant lâcher plus d'un bon mot ,
A nos dépens veut empêcher de rire.
Par l'Anonyme de Chartrait , près Melun.
SUITE fur M. de Fontenelle , par M.
l'Abbé Trublet , contenant des corrections
des additions aux articles précédens .
MERCURE d'Avril 1757 , premier volume
, page 57 , fur l'Opéra de Pfyché.
1. J'ai dit que je ne doutois guere que
l'Epître dédicatoire de l'Opéra de Pfyché
au Roi , au nom de l'Académie Royale de
mufique , ne fût de M. de F. Je devois en
être sûr , & ne point douter : mais j'avois
oublié que cette Epître a été inférée par
M. de F. lui-même dans le tom. 8 de fes
Euvres , pag. 302 .
II. Le nom de Pfyché ( car il n'y a pas
d'autre à propos ) me rappelle une petite
anecdote que je vais placer ici.
AVRIL 1758. St
M. le Préfident Hénault avoit fait, il y a
plus de 40 ans , une Epître dans le genre
des Héroïdes d'Ovide ; c'eft Pfyché qui
écrit à l'Amour après qu'il l'a abandonnée ,
pour fe juftifier de fa curiofité . M. de F.
à qui cette Epître plut beaucoup , envoya
ce Madrigal à M. le P. H.
Hier Apollon tenant chapitre ,
On lui préfenta cette Epître.
Calliope la lut. Eh bien ! qu'en dites- vous ,
Dit Phoebus aux neuf foeurs La piece fut vantée ;
Pfyché n'auroit pas mieux écrit à fon époux.
J
Je le crois bien , reprit le Dieu jaloux ;
C'est une lettre interceptée.
Nous aurions bien defiré d'avoir cette
Epître , pour confirmer le jugement de M.
de F.
Sur Thétis & Pelée page 59 du même
Mercure.
I. Cet Opéra eft le feul de Colaffe qui
foit resté au théâtre. La mufique en eft
bonne ; mais les paroles ont bien contribué
à le conſerver. M. de F. m'a dit qu'il
l'avoit lu à Quinault quelques mois avant
fa mort , arrivée le 26 octobre 1688. Il
n'avoit que 53 ans. Ce Poëte fi grand dans
Je genre lyrique , qu'il l'avoit à la fois inventé
& perfectionné , très-content de l'ou-
Cij
S2 MERCURE DE FRANCE .
vrage , invita M. de F. à continuer , & lui
dit : Vous ferez mon fucceffeur.
On croit fans peine que M. de F. avoit
beaucoup d'eftime pour l'efprit & letalent
de M. Quinault , & qu'il étoit bien éloigné
d'en penfer comme M. Defpreaux.
Mais il m'a dit de plus , que c'étoit l'homme
du caractere le plus aimable , & entre
autres , de la plus grande modeftie .
II. La mufique de Thétis fut trouvée fi
belle , que comme Colaffe avoit travaillé
fous Lully , mort en 1687 , on le foupçonna
d'avoir profité du porte- feuille de ſon
maître . M. de F. m'a dit que cela pouvoit
abfolument être vrai de la mufique inftrumentale
; mais qu'il étoit sûr que toute la
mufique vocale étoit de Colaffe , ne lui
ayant donné fes paroles que depuis la mort
de Lully.
Sur la Tragédie d'Afpar , page 60 .
I. MM. Parfait n'ont pas même nommé
cette Tragédie dans leur hiftoire du théâtre
françois , ni dans leur dictionnaire des théûtres
de Paris , & cela par égard pour M.
de F.
II. On fçait que Racine fit contre cette
piece une épigramme & des couplets. L'épigramme
eft très- connue , parce qu'elle a
été imprimée. Les couplets le font moins.
Je n'en connois même que deux , quoique
AVRIL. 1758. 53
j'aie entendu dire qu'il y en avoit plufieurs.
Comme ils font plaifans , ils feront quelque
plaifir au lecteur , & peut- être une forte
d'honneur à Racine ; mais d'ailleurs je crois
que l'hiftoire des Grands Hommes , furtout
dans les lettres & dans les fciences ,
doit faire mention de ce qui a été écrit
contr'eux de leur temps , fût- ce des Satyres.
Elle le doit pour être entiérement
vraie & fincere ( 1 ) . Elle le doit encore pour
la confolation , & même pour l'inftruction
des pareils de ces grands hommes.
Voci donc ces couplets :
1.
Adieu , ville peu courtoife ,
Où je crus être adoré.
Afpar eft défefpéré ;
Le Poulaillier de Pontoise
Me doit remmener demain
Voir ma famille Bourgeoife ;
Me doit remmener demain ,
Un bâton blanc à la main.
II.
Mon aventure eft étrange :
On m'adoroit à Rouen.
Dans le Mercure galant
(1 ) On fçait les deux regles de Ciceron pour
Phiftoire. Ne quid falfi dicere audeat ; deinde ne
quid veri non audeat. Cic. Orat.
Ciij
$4 MERCURE DE FRANCE .
J'avois plus d'efprit qu'un Ange.
Cependant je pars demain.
Sans argent & fans louange ;
Cependant je pars demain ,
Un bâton blanc à la main .
On attribue encore à Racine d'autres
couplets fur la réception de M. de F. à
l'Académie françoife . C'est une efpece de
relation de l'affemblée publique tenue à
cette occafion. On fera encore bien aife de
les trouver ici ; il n'existe plus perfonne
qu'ils puiffent bleffer. Je les éclaircirai enfuite
par quelques remarques où l'on trouvera
diverfes anecdotes littéraires.
I.
Or écoutez , noble affiftance ,
Ce qu'à l'Académie on fit ,
Dans la mémorable Séance
Où l'on reçut un bel-eſprit.
Ce qui fut dit
Par ces modeles d'éloquence ,
A bien mérité d'être écrit.
II.
Quand le Novice Académique
Eut falué fort humblement
D'une normande rhétorique
Il commença fon compliment ,
Où fortement 1
AVRIL. 1758 . 55
De fa nobleffe poétique ,
Il fit un long dénombrement.
IIL
Corneille , difeur de nouvelles ,
Suppôt du Mercure galant ,
Loua fon neveu Fontenelles ,
Et vanta le prix excellent
De fon talent ;
Non fatisfait des bagatelles
Qu'il dit de lui douze fois l'an.
IV.
Entêté de fon faux fyftême ,
Perrault, philofophe mutin ,
Difputà d'une force extrême ;
Et coëffé de fon avertin
Fit le lutin ร
Pour prouver clairement lui- même ,
Qu'il n'entend ni grec , ni latin.
V.
Doyen de pefante figure ,
Qui trouvez le fecret nouveau ,
De parler aux Rois en peinture ,
Et d'apostropher leur tableau :
Ah ! qu'il fait beau
De te voir en cette poſture
Faire à Louis le pied de veau !
V I.
Si tu ne fçavois pas mieux faire ,
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
Lavau falloit -il imprimer ?
Ne fors point de ton caractere ,
Contente- toi de déclamer ,
Sans préfumer
Que ton éloquence groffiere
Sur le papier puiffe charmer.
VII.
Boyer , le Clerc , couple inutile,
Grands maffacreurs de Hollandois ,
Porteurs de Madrigaux en ville ;
Moitié Gafcons , moitié François ,
Vieux Albigeois ,
Allez exercer votre ſtyle
Près du fucceffeur d'Henri trois
VIII.
Touchant les vers de Benferade ,
On a fort long- temps balancé ,
Si c'eſt louange ou paſquinade
Mais le bon homme eft fort baiffé ;
Il eft paffé :
Qu'on lui chante une ſérénade
De Requiefcat in pace.
I X.
Prions donc , Meffieurs , je vous prie ,
Leur protecteur , le grand Louis ,
Que du corps de l'Académie
Tous ignorans foient interdits ,
Comme jadis ,
Quand Richelieu , ce grand génie ,
AVRIL. 1758.
$7
Prit les premiers quatre fois dix ( 1).
Notes fur les Couplets précédens.
Second Couplet.
Il fit an long dénombrement.
Ce prétendu long dénombrement fe réduit
à ce peu de paroles.
" Le mérite d'autrui , dit M. de F.
» vous a encore plus fortement follicités
>> en ma faveur. Je tiens, par le bonheur de
» ma naiſſance , à un grand nom qui , dans
» la plus noble efpece des productions de
( 1 ) Je me crois obligé de déclarer ici que M.
Racine à qui j'ai parlé de ces couplets & des deux
précédens , doute fort qu'ils foient de fon pere ,
& fa raifon d'en douter eft que les amis les plus
intimes de cet illuftre Poëte ne lui en ont jamais
parlé . Il ne les connoît même que depuis la mort
de M. de F. par M. Thiriot qui les lui a récités , &
qui les donne fans balancer à Racine , les lui ayant
toujours entendu attribuer. Je les ai eus par une
autre voie , & de quelqu'un qui les tenoit de feue
Madame la Marquife de Mimeure , auparavant
Mademoiſelle d'Achy . Elle pouvoit bien les tenir
de M. de F. même. Il communiquoit volontiers ,
lorfqu'il les avoit , les pieces faites contre lui ; &
Fon fçait qu'il laiffa prendre copie , chez M. le
Marquis de Laffay , de la lettre que Mademoiſelle
de Launay, depuis Madame de Staal , lui avoit
écrite fur l'aventure de Mademoiſelle Tetar. Voyez
le Mercure de Juillet 1757, p . 81 , & les Mémoires
de Madame de Staal ,, t. I , p. 246.
Cy
18 MERCURE DE FRANCE.
3
» l'efprit , efface tous les autres noms
» &c. »
Le mot efface dut bleffer Racine , & je
conviendrai fans peine qu'il étoit trop fort.
Si Corneille furpaffe Racine , il ne l'efface
pas ; deux grands hommes ne s'effacent
point l'un l'autre. Mais le premier étoit
oncle de M. de F. le fecond étoit fon ennemi
déclaré , & il avoit traverfé de toutes
fes forces avec M. Defpréaux , fon élection
à l'Académie. La preuve en eſt dáns
leurs lettres mêmes , données au public par
M. Racine , fils .
La Bruyere , ami de Racine , en parla
bien différemment , relativement à Corneille
, lorfque deux ans après ( juin 1693 )
il fut auffi reçu à l'Académie. « Quelquesuns
, dit- il , ne fouffrent pas que Corneille
lui foit préféré , quelques autres
qu'il lui foit égalé . Ils en appellent à
l'autre fiecle ; ils attendent la fin de
quelques vieillards qui , touchés indif-
»féremment de tout qui rappelle leurs
premieres années , n'aiment peut- être
» dans Oedipe que le fouvenir de leur jeu-
» neffe .
"
ور
ง
Cet endroit du difcours de la B. furtout
la fin où l'on crut voir une raillerie amere
, bleffa beaucoup les partifans de Corneille
; & en général , ce diſcours , quoique
AVRIL 1758. 39
par
très-beau , fut peu goûté , lorfqu'il fut prononcé
: il ne s'eft pas même relevé à la lecture
; & j'entends encore tous les jours
citer la Bruyere , lorfqu'on parle d'Académiciens
célébres
d'excellens ouvrages ,
& qui pourtant n'ont fait à leur réception
à l'Académie , qu'un difcours médiocre ou
même mauvais . Je fais bien éloigné de
penſer ainfi de celui de la Bruyère . Je n'en
connois guere d'auffi beaux , & je n'ai
point craint de le dire plus d'une fois à M.
de F. même . J'avoue qu'il n'étoit pas de
mon avis ; mais il avoit fes raiſons ou plutôt
fes motifs.
Troifieme Couplets.
Qu'il dit de lui douze fois l'an.
J'ai déja dit que Thomas Corneille travailloit
au Mercure avec M. de Vife ;
qu'on y trouve plufieurs petites pieces de
M. de F. tant en profe qu'en vers ; qu'elles
Y font quelquefois accompagnées de
quelques éloges , & j'ai cité en entier ( 1 )
celui qui précede la piece intitulée : l'Amour
noyé.
La Bruyere très- piqué de la maniere peu
favorable dont le Mercure avoit parlé de
(1) Mercure d'Avril , 1757 , premier volame ,
page z
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
fon difcours à l'Académie , s'en plaignit
très- vivement dans la préface qu'il mit à
la tête de ce difcours , lorfqu'il le fit réim
primer à la fuite de fes caracteres . Il dit
" que quelques Académiciens violant les
» loix de l'Académie françoife qui défend
» aux Académiciens d'écrire ou de faire
» écrire contre leurs confreres , lâcherent
» fur lui deux Auteurs affociés à une mê-
» me gazette , & c. « & on lit à la marge
Mercure galant.
ور
Plus bas i les défigne encore , en difant
, les deux Auteurs de lagazette que j'ai
citée , & ailleurs , les Gazetiers , & c. Ce
font-là des injures fans efprit , & dès- lors
peu dignes d'un Ecrivain qui en avoit autant
que la Bruyere en général , toute
cette préface eft du ftyle le plus amer..
J'ajoute qu'il eſt évident qu'en plus d'un
endroit l'Auteur a eu en vue M. de F ..
auffi-bien que M. de Vife & Thomas Corneille.
Dans fon difcours , M. de la B. loua ,
peignit & caractérifa parfaitement bien
tous ceux des Académiciens qui avoient
alors quelque réputation. Il n'y pas un
mot pour M. de F. Cependant je le repéte
, ce difcours fut prononcé en 1693 , &
dès lors M. de F. avoit fait fes dialogues
Les églogues , l'hiftoire des oracles , la plura
AVRIL. 1758 . 61
Tié des mondes &c. Dans le temps , ce filence
fit peut-être quelque tort à M. de F.
aujourd'hui il n'en peut faire qu'à M. de
la B.
7
J'ai vu plufieurs perfonnes perfuadées
fur ce difcours , où elles avoient trouvé
tous les Académiciens célebres en 1693 ,
excepté M. de F. qu'il n'avoit été reçu à
l'Académie Françoife , qu'après M. de la
Bruyere.
Je fçais bien que l'hiftoire de l'Académie
des Sciences augmenta beaucoup fa réputation
; mais elle ne fit que l'augmenter , &
encore une fois , fes précédens ouvrages:
lui en avoient déja fait une très- grande. ( 1 )
(1) Cela eft vrai même des Dialogues des Morts.
Bayle faifant l'extrait de l'Hiftoire des Oracles dans
fes Nouvelles de la République des Lettres , Février
1687 , ajouta au titre de l'ouvrage qui étoit Anonyme
, par l'Auteur des Dialogues des Morts , après.
quoi il débuté ainfi :
« Les Dialogues dont on parle dans ce titre ont
> fait rant d'honneur à M. de F. qu'on s'imagine.
» que , pour prévenir favorablement les Lecteurs ,
» il faut leur caractériſer par cet endroit-là tout
>> ce qu'il donne au public. Affurément c'eft une
» fort bonne époque pour fa gloire ; & quand il
>> arriveroit , contre toutes les apparences que ce
» qu'il publiera déformais n'augmenteroit point
»fa réputation , il trouveroit une agréable ref
>> fource dans ces Dialogues , & il pourroit y retr
voyer à coup sûr les gens qui voudroient le
61 MERCURE DE FRANCE.
Pour un auffi grand Peintre que M. de
la Bruyere , c'étoit un bonheur que d'avoir
à peindre un Ecrivain d'un caractere auffi
original que M. de F. Les fujets qui offrent
quelque chofe de particulier , fourniffent
par eux-mêmes du neuf & du piquant.
On pourroit donc dire qu'en manquant
à M. de F. M. de la B. fe manqua
à lui - même.
Quatrieme Couplet.
Qu'il n'entend ni grec , ni latin.
Dans l'affemblée publique pour la réception
de M. de F. M. Perrault préfenta
(c'est l'expreffion du recueil de l'Acadé
mie de 1691 ) & M. l'Abbé de Lavau lat
pour lui deux pieces de poéfie , la Marquife
de Saluffes ou la patience de Grifelidis ,
nouvelle agréablement verfifiée , & un Epitre
à M. le Président Rofe , un de fes confreres
dans l'Académie , & Secretaire du
Cabinet. Mais il n'y a rien dans ces deux
» bien connoître. M. de Balzac difoit quelque-
» fois , que ceux qui voudroient fçavoir de fes:
> nouvelles lui feroient plaifir de les chercher
» dans l'année 1626. C'étoit donc là fon époque
» favorite. Il n'y a guere de bons Auteurs qui
» n'en ayent une plus favorable que toutes les
autres , & qui n'eft pas toujours la plus éloignée
» de leur coup d'eſſai. »
AVRIL. 1798. 63
pieces à quoi le couplet puiffe avoir rapport.
M. Perrault en lut donc ou en fit lirequelque
autre qu'on ne trouve point dans
le recueil ; & c'eft peut- être fon Epitre fur
le génie , adreffée à M. de F. Elle est fort
connue , ayant été imprimée plufieurs fois.
Je crois pourtant qu'on fera bien aife de
trouver ici le morceau qui la termine . C'eft
un éloge de M. de F. , & M. P. y ramena
fon opinion fur les anciens & fur les modernes.
En vain quelques Auteurs dont la mufe ftérile
N'eût jamais rien chanté fans Homere & Virgile
Prétendent qu'en nos jours on doit fe contenter
De voir les Anciens & de les imiter :
Combien , fans le fecours de ces rares modeles ,
En voit-on s'élever par des routes nouvelles !
Combien de traits charmans femés dans tes:
écrits ,
Ne doivent qu'à toi ſeul & leur être & leur prix!
N'a-t'on pas vu des morts aux rives infernales
Briller de cent beautés toutes originales ,
Et plaire aux plus chagrins , fans redire en Fran
çois
Ce qu'un aimable Grec leur fit dire autrefois
De l'églogue en tes vers éclate le mérite ,
Sans qu'il en coûte rien au fameux Théocrite ,
Qui jamais ne fit plaindre un amoureux deftin ,
D'un ton fi délicat , fi galant & fi fin,
64 MERCURE DE FRANCE.
M. de F. eft peut - être celui de nos Ecri
vains célebres qui a le moins emprunté des
autres Auteurs , foit anciens , foit modernes.
Il connoiffoit pourtant bien tous ceux
qui méritoient d'être connus, & il les avoit
lus dans leur langue . Outre le latin qu'il
poffédoit fi bien dès l'âge de 13 à 14 ans ,
(1 ) il fçavoit le grec, l'italien & l'efpagnol.
Le dernier étoit encore à la mode fur la
fin du fiecle précédent. L'Anglois n'y eft
venu que dans la vieilleffe de M. de F. &
il regrettoit de n'avoir pas prévu qu'il y
viendroit , il l'auroit appris dans fa jeuneffe
, & la connoiffance d'une langue
dans laquelle il a été écrit des ouvrages fi
fçavans fur les mathématiques & la phyfrque
, eût été très- utile au Secretaire de
l'Académie des Sciences. J'ajoute qu'il eût
eu le plaifir d'y lire fes propres louanges.
M. de F. a été fouvent loué par les Anglois
tant en profe qu'en vers . On peut voir entr'autres
une très -jolie piece fur la pluralité
des mondes , dans le 3. tom. du recueil in
titulé , A collection of poems , &c. London:
1748 .
Je puis rappeller ici la piece de M. Ma
(1 ) On en verra la preuve dans le Balinod, qu'il
préſenta pour le prix à Rouen , en 1670. J'en ai
parlé dans le Mercure du premier volume d'Ayrili
1757 , P. 75
AVRIL. 1758. 63
ty, compofée en Angleterre ; mais en françois
, & intitulée Fauxhall. On la trouve
dans le Journal Britannique du même M.
Maty , avril 1750 , & dans un des Mercures
de la même année.
Je l'avois indiqué à M. l'Abbé Raynal ,
chargé alors de la compofition duMercure.
Elle eft précédée d'une lettre de l'Auteur à
M. de F. mêlée de profe & de vers. Nous
croyons faire plaifir au plus grand nombre
de nos lecteurs , de redonner ici cette
lettre.
A M. de Fontenelle.
Aimable & fage Fontenelle ,
Toi , que dans le déclin des ans
Orne une guirlande immortelle
De fleurs que l'amour renouvelle ,
Et que ne peut flétrir le temps.
Sage Platon , divin Orphée ,
Que Minerve & que Cythérée
Empêchent même de vieillir ,
Où pourrai-je te découvrir ?
Sera- ce au haut de l'Empirée ,
Où tu fuis les céleftes corps ;
Dans cette profonde contrée ,
Où tu fais badiner les morts ;
Où fur les bords d'une fontaine ,
Près de Corylas & d'Ifmene ,
Dont tu fens & peins les tranſports
1
66 MERCURE DE FRANCE.
T'irai-je chercher au portique ,
Dont tu dévoiles les leçons ;
Au fond de quelque temple antique ,
Que tu dépeuples de démons ;
Ou bien au ſpectacle magique
Dont ta mufe anime les fons &
Si de ces demeures fublimes ,
Encor vers les terreftres lieux
Tu daignes abaiffer les yeux ,
Reçois avec ces foibles rimes
Mon encens , mon coeur & mes voeux.
Oui , c'eſt vous , c'eft au peintre des
graces & à l'interprete de la fageffe , que
offre des Elfais , dont l'exécution eft peurêtre
plus imparfaite que l'entrepriſe ne fut
téméraire. Mais l'une & l'autre le fuffentelles
davantage , elles me fourniffent du
moins une occafion de m'adreffer à l'homme
qui , de toutes les beautés de la France ,
eft celle que je regrette le plus de n'avoir
jamais vue. J'ai d'autant plus de plaifir de
vous rendre cet hommage , qu'il ne fera
foupçonné de partialité par aucun de ceux
qui ont lu vos Ouvrages.
Vivez long-temps , vivez toujours aimable
Entre la fageffe & les ris
Vous feriez immortel , fi le fort équitable
Vous permettoit de vivre autant que vos écrits,
Londres, le 2 Octobre 1741.
AVRIL 1758. 67
On a cru trouver quelque reffemblance
entre la profe de Seneque & celle de M. de
F. entre fes vers & ceux d'Ovide ; mais
il me femble qu'elle fe réduit à ce qu'ils
font tous trois très- féconds en tours ingénieux.
D'ailleurs , il y a entr'eux de trèsgrandes
différences , & pour ne parler que
de la maniere & du ftyle , & laiffer là le
fonds des chofes , bien fupérieur dans M.
de F. fon ftyle en profe n'eft point coupé
& haché comme celui de Seneque ; &
en vers , il n'eft point diffus comme celui
d'Ovide. Ce qui eft certain , c'eft qu'il n'a
cherché à imiter ni l'un, ni l'autre . S'il s'étoit
propofé quelque modele , ç'auroit été
Cicéron dans les ouvrages philofophiques.
On peut voir comment il en parle dans la
préface de la pluralité des mondes ( 1 ) . Mais
voici un mot encore plus décifif , décifif
furtout par l'objet de l'écrit où M. de F.
l'a placé. C'eft dans fa digreffion fur les anciens
les modernes. « Je n'imagine rien ,
dit- il , au deffus de Cicéron & de Tite-
»Live. Ce n'eft pas qu'ils n'ayent leurs dé-
»fauts ; mais je ne crois pas qu'on puiffe
» avoir moins de défauts avec autant de
33
(1 ) L'excellence de fon génie & la grande ré
putation qu'il avoit acquife , lui garantifoient le
fuccès de cette nouvelle forte d'ouvrages qu'il
donnoit au Public , &c.
68 MERCURE DE FRANCE.
ور
grandes qualités , & l'on fçait affez que
» c'eſt la feule maniere dont on puiffe dire
les hommes foient parfaits fur quel-
» que choſe. "
و ر
que
Le principal défaut ,, ppoouurr le remarquer
en paffant , que M. de F. trouvoit à Ciceron
, c'eft d'être un peu diffus & trop verbeux
; & d'autres , des anciens mêmes , le
lui ont reproché. Ce reproche feroit peutêtre
injufte , fi Cicéron n'étoit diffus que
dans fes livres philofophiques , par exemple
dans celui de la nature des Dieux ; car
y traitoit des matieres nouvelles au plus
grand nombre de fes lecteurs ; mais il l'eft
dans tous fes ouvrages , dans ceux fur la
morale , fur la rhétorique , &c. riche en
belles paroles , il les prodigue. On ſent
que fon tour d'efprit le portoit à cette abondance
, & peut-être encore l'habitude à
l'éloquence du barreau & de la place publique.
L'Orateur devenu Philofophe &
Ecrivain didactique , étoit encore trop Orateur
; mais s'il en valoit moins à certains
égards , il en valoit mieux à d'autres ; du
moins je le répete , pour le plus grand
nombre de fes lecteurs ; il en étoit plus
clair , plus développé , &c .
J'avoue que M. de F. s'étoit dit de bonne
heure mais fi au raisonnable , au naturel
& au fimple des Auteurs du fiecle d'AnA
VRI L. 1758. 69
gufte , on joignoit l'ingénieux & le piquant
des Ecrivains du fiecle fuivant , ne furpafferait-
on pas les uns & les autres ? Voilà fon
but , & je crois qu'il l'a atteint.
M. de F. ne laſſe ni n'ennuie. C'eſt qu'il
eft à la fois ingénieux & naturel . S'il n'étoit
qu'ingénieux , il lafferoit ; s'il n'étoit que
naturel , il ennuyeroit.
J'ajoute qu'il attache & amufe ; c'eſt
qu'il eft folide & agréable , profond &
clair ; clair, dis-je , fans être diffus , & fouvent
enjoué.
A quel autre donc pourroit- on plus juftement
appliquer la définition qu'Horace a
donnée d'un Auteur parfait dans ce vers fi
connu ,
Omne tulit punctum cui mifcuit utile dulci,
La perfection complette , & fi je puis
m'exprimer ainsi , la parfaite perfection
feroit de réunir toutes les fortes d'utile &
d'agréable ; mais cette perfection n'exifte
point , parce qu'elle eft phyfiquement impoffible.
On a pourtant l'injuſtice de l'exiger
. C'eft comme fi on vouloit qu'une belle
femme fût à la fois blonde & brune.
Qu'on me nomme un Ecrivain , qui ,
avec plus de chaleur que M. de F. ait autant
de juſteſſe , & je le lui préférerai .
70 MERCURE DE FRANCE.
Cinquieme Couplet.
Doyen de pefante figure.
C'eft M. Charpentier , alors Doyen de
l'Académie , où il avoit été reçu le 7 janvier
1651. Il étoit très grand & très-gros ,
& fa voix étoit affortie à fa figure & à fa
taille . C'eſt à cette forte voix de M. Charpentier,&
à la furdité de l'Abbé de la Cham
bre , que Benferade avoit fait allufion , lorfque
dans les portraits des 40 Académiciens
vivans en 1684 , piece de vers qu'il lut à
la réception de Thomas Corneille , il avoit
dit :
Et le tonnant Charpentier
Qu'entend l'Abbé de la Chambre.
Bayle parle de cette piece dans fes Nouvelles
de la République des Lettres , janvier
1685 , art. 3 , où il rend compte de la réception
de MM. Corneille & Bergeret à l'Académie
Françoife . On fçait que Thomas
fuccéda à Pierre dans cette compagnie , &
que Racine répondit aux difcours des deux
Récipiendaires. « Ces trois difcours , dit
Bayle , durerent une heure précisément
( 1 ) , après quoi M. de Benferade lut ane
(1 ) Quelques lignes auparavant , Bayle avoit
dit : « On l'admira ( Racine ) principalement dans
≫ l'éloge de feu M. Corneille, qui fut court & bien
AVRIL. 1758 . 71
"
33
piece de fa façon , qui fut extrêmement
applaudie. C'eft le portrait en raccourci
» des 40 Académiciens , par rapport à
leurs perfonnes , à leurs talens , à leurs
» aventures & à leur fortune. Il parle avec
liberté de chacun d'eux ; mais avec ce
>>tour fin & inimitable dont il s'eft ſervi
>>tant de fois pour faire des vers de ballets,
perfonnellement propres aux Dames &
» aux Seigneurs de la Cour qui devoient
paroître dans les entrées.
33
23
23
Cette efpece de liſte de l'Académie , n'a
jamais été imprimée . Furetiere qui en parle
dans fon 3. factum , dit :
"
» La lifte fcandaleufe ..... qu'il ( Benfera-
» de ) eut la témérité de lire publiquement
» dans une des affemblées folemnelles , contenoit
de chofes fi choquantes & fi ou-
» trageufes , qu'elles attirerent les mena-
» ces d'une perfonne de la premiere qualité
qui y prenoit intérêt ; de forte que ,
» nonobftant fon imprudence , il fut obli-
» gé de la fupprimer , pour la bonne amitié
qu'il portoit à fes épaules. ( 1 ) »
و د
» tourné. » Bayle avoit été mal informé ; cet
éloge ne fut point court. Il contient cinq grandes
pages dans le Recueil des Harangues de l'Académie
Françoife , 2 vol. p. 158.
(1) « Furetiere , dit M. l'Abbé d'Olivet , non
» content d'avoir oublié ce qu'il devoit à ſa com72.
MERCURE DE FRANCE .
:
M. de F. avoit retenu beaucoup de vers
de cette piece . En voici quelques - uns . Elle
commençoit de la maniere fuivante.
De ce corps célebre & rare ,
Louis le Grand fe déclare
Le protecteur , le foutien ;
Et l'on peut mettre à la marge
Que certains Rois voudroient bien
Qu'il s'en tînt à cette charge.
Sur l'égalité qui regne entre tous les
Académiciens , Benferade difoit :
Là fe perdent les grands noms
Des Harlais , des Novions ;
Auprès d'eux , ou vis- à - vis ,
Eft l'Abbé de Furetiere ,
Qui n'eft pas de leur avis.
'M. l'Abbé d'Olivet cite encore ceux - ci
dans fon hiftoire de l'Académie , art , de M.
Bergeret , au fujet de la préférence injufte
( c'eft fon expreffion ) qui lui fut donnée
D
» pagnie , oublia dès lors ce qu'un homme d'hon-
» neur fe doit toujours à lui- même . Sa colere lui
» dicta des volumes de médifances & de railleries
» contre les anciens Confreres ; mais railleries
» groffieres , médifances brutales , qui ne donnent
>> pas une trop bonne idée de fon efprit , & qui en
donnent une bien plus mauvaiſe de fon coeur. »
Hift . de l'Acad. Fran.
fur
AVRIL. 1758. 73
far Menage , préférence , difoit Benferade
,
Dont la troupe de Ménage
Appella comme d'abus
Au tribunal de Phébus.
On peut voir encore dans la même hiftoire
l'art. de Benferade .
Je reviens au couplet contre M. Charpentier,
pour l'éclaircir encore par une note.
Doyen de pefante figure ,
Qui trouvez le fecret nouveau
De parler aux Rois en peinture ,
Et d'apostropher leur tableau .
Ces vers ont rapport au panégyrique du
Roi prononcé par M. Charpentier le 24
juillet 1679 , dans l'affemblée publique
qui fe tint pour la réception de M. Verjus ,
Comte de Crecy. Vers la fin de fon difcours
, l'Orateur s'exprime ainfi :
""
""
" Mais , Meffieurs , laiffez -moi oublier
que je fuis en votre préfence ; laiffez- moi
jouir de la douce imagination que je
parle à ce grand Prince , & accordez à
"mon emportement un honneur que la
fortune à refufé à mon zele. C'est donc
» à vous , ô grand Roi ! que j'adrefferai
» déformais ma parole , & peut-être que
I. Vol.
"
a
D
74 MERCURE DE FRANCE:
vous l'entendrez du haut de votre tro
› ne. »
Le refte du difcours s'adreffe en effet au
Roi , l'Orateur regardant fon portrait qui
étoit dans la falle de l'Académie . Les Prédicateurs
en ufent quelquefois ainfi en
chaire , dans les panégyriques des Saints ,
& adreffent la parole à leur portrait , ou à
leur ftatue. L'apostrophe de M. Charpentier
n'étoit donc point ridicule , & on ne la
trouveroit point telle dans un Orateur grec
ou romain , dans un ancien ; mais un moderne
eft jugé plus févérement. D'ailleurs
cette apoftrophe pouvoit paroître trop flatteufe.
Enfin les grandes figures font les
plus fufceptibles de ridicule , ne fût- ce que
parce qu'elles font d'un ufage moins fréquent
. Point de milieu , on admire , ou
l'on rit.
Il faut avouer , fans préjudice du refpect
& de l'admiration dûs à Louis XIV
que ce Prince s'eft laiffé donner trop de
louanges & des louanges exceffives. On lui
rendoit une espece de culte ; on l'adoreit.
Mais il y a deux manieres d'adorer les Rois,
l'admiration & l'amour. On adoroit Louis
le Grand ; on adore Louis le Bien- aimé .
Du vivant même de Louis XIV , on a
ofé , & ailleurs que dans la Chaire Evangélique
, on a ofé , dis- je , Pavertir de
AVRIL. 1758 . 75
craindre la flatterie , & l'orgueil qu'elle
infpire . On a ofé lui infinuer que par cet
orgueil, il pouvoit ternir la gloire de fes exploits
, & perdre le mérite de fes vertus.
M. de F. citoit volontiers deux vers d'une
piece adreffée à ce Monarque , & dont
l'Auteur lui étoit inconnu .
Le Démon Duellifte & le Blafphêmateur
Cherchent à fe vanger par le Démonflatteur ( 1 ) .
La Bruyere a eu le courage de s'élever
contre les louanges données à Louis XIV
dans les prologues des Opéras . C'eft dans
la préface que j'ai déja citée , de fon difcours
de réception à l'Académie françoiſe ,
où répondant aux critiques qu'en avoient
faites les Theobaldes ( c'eſt le nom qu'il
leur donne ) , il dit : « Si ma harangue n'é-
" toit pas en effet compofée d'un ftyle affec-
» té , dur & interrompu , ni chargé de
» louanges fades & outrées , telles qu'on
» les lit dans les prologues d'Opéra , &
» dans tant d'Epitres dédicatoires ; il ne
faut plus s'étonner qu'elle ait ennuyé
» Theobalde. ( 2 ) ,
و د
"
( 1 ) M. de F. croyoit , mais fans en être sûr ,
que ces vers étoient de M. Barbier d'Aucour , de
PAcadémie Françoiſe. J'ignore fi la piece d'où ils
font tirés a été imprimée.
(2) Ce qu'on trouve ici en italique , y eft auffi
dans la Bruyere.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE,
Sixieme Couplet.
Si tu ne fçavois pas mieux faire ,
Lavau , falloit - il imprimer ?
с
J'ai déja dit dans la note fur le 4 cou
plet , que l'Abbé de Lavau lut pour l'Auteur
, deux pieces de poéfie de M. Perrault.
Il lut encore l'Epitre de M. Boyer
au Roi fur la prife de Mons , & celle de
Madame Deshoulieres à M. le Duc de Boure
gogne fur le même fujet . Toutes ces lectures
prouvent qu'il avoit du moins le talent de
bien lire , de déclamer , talent , pour l'obferver
en paffant , que tous les Auteurs
n'ont pas , lors même qu'ils ont de la
voix , & une voix flexible , ce qui n'eſt
pas aifé à expliquer ; car il femble qu'avec
un pareil organe , il ne faut , pour
bien lire , qu'entendre & fentir ce qu'on
lir. Or , un Auteur entend & fent fon propre
ouvrage. Quoi qu'il en foit , l'Abbé de
Lavau prononça un difcours de fa façon
fur la prife de Mons. Il débute de la maniere
fuivante .
Pour contribuer à la folemnité de cet-
» te journée , je voudrois bien , je l'avoue ,
» faire quelque autre chofe que de lire les
puvrages des autres , & c. »
Vient enfuite l'éloge du Récipiendaire
AVRIL. 1758. 77
M. de F. J'en ai cité une partie dans le
Mercure de juin , page 81 .
Ce difcours de l'Abbé de Lavau ne fe
trouve que dans le recueil de l'Académie
de 1691. On l'a omis dans celui des harangues
en 4. vol . in - 12 , & fans doute
comme trop médiocre .
Septieme Couplet fur MM. Boyer & le
Clerc.
Vieux Albigeois , &c.
Ils étoient l'un & l'autre d'Alby . On connoît
les deux épigrammes de Racine fur
l'Iphigénie de le Clerc , & fur la Judith de
Boyer ; elles font dans la derniere édition
de fes oeuvres.
Huitieme Couplet .
Touchant les vers de Benferade , &c.
Je ne puis dire fur cette piece que ce
que j'en trouve dans le Journal de M. de
Beauval à l'occafion de la réception de M.
de F. « M. de Benferade , dit le Journalif
» te , fit la clôture de la féance , par la
» lecture d'une piece de fa façon , fous le
» titre de Caprice , laquelle ne fentoit rien
" moins que la féchereffe de fon âge qui
» approche de 80 ans . " Hiftoire des ou
vrages des Sçavans , mai 1691 , t. 7.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Voilà comme la même piece & le même
Auteur font loués par les uns & cruellement
déchirés par les autres . Tout Ecrivain
doit s'y attendre. M. de F. l'a dit dans les
quatre vers fuivans , faits dans fes dernieres
années.
Dans la lice où tu vas courir
Songe un peu combien tu hazardes ;
Il faut avec courage également offrir ,
Et ton front aux lauriers , & ton nez aux nazardes.
On peut voir le portrait de Benferade
dans la Bruyere , fous le nom de Théobalde
, chapitre de la fociété & de la converfation.
C'est Benferade vieilli , & très- reffemblant
, malgré la charge ordinaire au
Peintre. Il eft inconcevable que la Bruyere
ait ofé publier de pareils portraits , du vivant
même de leurs originaux. Cependant
fon livre en eft plein , & dut lui faire bien
des ennemis , peut- être auffi des amis . En
déchirant certaines gens , il plaifoit à
d'autres .
M. de F. qui avoit beaucoup connu
Benferade , en citoit volontiers plufieurs
traits , les uns pleins de fel & d'efprit ( 1 ) ,
(1 ) Comme ce qu'il dit à Racine : « Si quelqu'un
pouvoit prétendre à enterrer M. Corneille,
» c'étoit vous ; vous ne l'avez pourtant pas en-
» terré . » C'eſt M. de F. qui nous a conſervé ce
AVRIL. 1758. 79
les autres ingénieux encore , mais de mauvais
goût, des jeux de mots, plaifans néanmoins
, & M. de F. ne les donnoit que
pour ce qu'ils étoient. Benferade lui - même
n'en faifoit guere plus de cas ; du moins il
s'étoit moqué de ceux qui fe plaisent à
dire de pareilles pointes ; & M. de F. fe
fouvenoit de deux vers d'un de fes Ballets ,
où l'un des perfonnages difoit de Jupiter ,
repréſenté par un Seigneur de la cour , difeur
de mauvais bons mots :
Jupiter defcend même à la tutlupinade ;
Chez les pauvres mortels on ne va point plus bas
Lafuite dans le Mercure prochain.
bon mot , fouvent cité depuis , & très-connu aujourd'hui
.
L'AMOUR ATTRAPÉ.
BELLE Thémire , fous vos doigts ,
Quand un ruban , couleur de rofe ,
Eut fubi la métamorphofe
Qu'il attendoit de votre choix ,
Je vis l'enfant malin qui vous regardoit faire ,
Déchirer le cordon qui portoit fon carquois.
Il ceffe , dit- il , de me plaire :
Celui-là m'ira mieux , je crois.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
Thémire n'oſera regretter un ouvrage
Dont fe fera paré l'Amour.
Il bien de mon corps
peut ne faire
pas
le tour ;
Mais j'y trouve un autre avantage :
Je n'en eus jamais de mieux fait ;
Et quoique celui que je quitte ,
De ma mere foit un bienfait ,
Jamais il n'eut tant de mérite.
Ces plis ingénieux viennent de m'enchanter .
Que je vais dans le Ciel reparoître avec grace ..
L'Amour dit , puis remet le collier à fa place ,
Et ne s'attendoit pas que vous alliez l'ôter.
Déja de fon carquois il avoit défait l'autre ,
Quand il ne trouve plus le vôtre.
Ce Dieu ne fut pas fin alors ;
Il s'abandonne à des remords :
Il contoit fur une parure
Dont il s'étoit promis un charme tout nouveau.
Pour raccommoder fa ceinture ,
Il n'avoit plus que fon bandeau.
Vous aviez donc eu la malice
De le mettre dans l'embarras ?
L'Amour pleuroit , votre juftice
Devoit le tirer de ce pas.
Vous remontrâtes votre ouvrage ,
Il n'en falloit pas davantage ;
L'Amour eft prompt , il s'en faifit ;
Ses pleurs couloient , mais il fourit ;
Je craignois : .. mais je le vis rire ;"
AVRIL. 1758. ST
L'Amour fouvent eft furieux.
Vous l'aviez attrapé , Thémire ,
Vous avez plus fait que les Dieux.
ÉPITRE ( 1 ).
Obel objet defiré
Du plus amoureux des hommes
O mon aimable Chéré !
Que n'êtes-vous où nous ſommes
Jamais plus jufte defir
N'anima mon coeur fincere,
Les Belles faites
pour plaire ,
Sont faites pour le plaifir.
C'eft ici le pur afyle
De ces plaifirs tant aimés :
La paix les a renfermés
Dans ce Prieuré tranquille.
Hyer il en étoit plein.
J'en vois naître aujourd'hui mille;
Mille y renaîtront demain.
Je n'y reffens qu'un chagrin ;›
(1 ) Comme cette jolie piece eft de M. Piron ,
dont on vient de publier les OEuvres , & qu'elle ne
s'y trouve pas , nous avons cru faire plaisir à nos
Lecteurs de l'inférer ici . Quand même elle auroit
déja paru dans quelque Recueil périodique , la réimpreffion
en fera toujours agréable , & l'on n'aura
pas la peine de l'aller chercher ailleurs.
D.V
2 MERCURE DE FRANCE
C'eft que le temps foit mobile ,
Et que fon fable inhumain
Marque déja le chemin
Qui nous rappelle à la ville.
Décrirai - je ces plaifirs
Que ramene chaque Aurore ,
Plus riants que les Zéphyrs ,
Quand ils vont careffer Flore ?
Pourquoi les décrire › hélas !
Un feul mot les rend croyables ,
Et vante affez leurs appas.
Ils m'ont rendu fupportables
Des lieux où vous n'étiez pas.
Je veux cependant les peindre
Pour occuper mon loifir .
Y puiffai-je réuffir
De maniere à vous contraindre
A venir vous éclaircir
Par le propre témoignage
Des yeux qu'on y defira !
Des plaifirs , en ce cas là ,
Parfait feroit l'affemblage !
Les peigne alors qui pourra.
De quatre heureux perfonnages
Que nous nous trouvons ici ,
Deux font four & deux font fages
Providence en tout ceci :
Mêlange, qui Dieu merc ,
Sans relâche nous balotte ,
AVRIL 1758. 83
Et nous promene à grands pas
Du
compas
à la marotte
>
De la marotte au compas.
Figurez-vous le tracas
D'un Quatrain de notre eſpèce ,
Et voyez courir ſans ceffe
La fageffe après les rats ,
Les rats après la fageffe.
Tantôt des regles en jeu ,
Et tantôt les purs caprices ;
Voilà pour les gens du lieu ,
Voici quant à fes délices.
Sçachez que premiérement
Le prieural hermitage
Confifte en un bâtiment
Mal conçu pour l'ornement ,
Très-bien conçu pour l'uſage ?
Tout s'y refferre ou s'étend ,
Selon fon jufte mérite .
C'eft pour cela , dit l'Hermite ,
Que le réfectoire eft grand ,
Et la Chapelle petite.
Auffi l'heureux parafite
De la cave aux galetas
Voit cette fentence écrite :
Courte Meffe & longs repas.
Rien ne manque aux délicats ,
Cuifine en ragoûts féconde ,
Cave où le Nectar abonde ,
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE .
Et la glaciere à deux pas :
Les lits les meilleurs du monde ,
Plume entre bons matelas ,
Doux fommeil entre deux draps :
Un calme dont rien n'approche :
Jamais le moindre fracas
De carroffe ni de cloche :
Paix , bombance , liberté ;
Liberté fans anicroche :
L'horloge , à la vérité
(Qui voudra nous le reproche )
Rarement eft remonté ;
Mais non pas le tourne-broche.
Une autre félicité
Après Bénédicité ,.
2
C'eft de voir par la fenêtre
De notre falle à manger ,
Cueillir dans le potager
La fraize qui vient de naître ;
De voir la petite faux
Moiffonner , à notre vue,
Là , de jeunes artichauds ,
Ici , la tendre laitue ,
Le pourpier & l'eftragen ,
Qui tout à l'heure en falade,
Vont piquer près du dindon .
L'appétit le plus malade.
Du même lieu nous voyons»
Venir l'innocence même ;
AVRIL 175.8. $$
Lyfe qui , fur des clayons ,
Nous apporte de la crême
Blanche un peu plus que fa main ,
Mais moins blanche que fon fein ,
Et que la perle enfantine
D'un ratelier des plus nets ,
Où ne toucherent jamais ,
Ni Capron , ni Carmeline:
C'eft elle auffi qui , le ſoir ,
En cent poftures gentilles
( Où je voudrois bien vous voir ) ,
Dreffe & redreffe nos quilles ;
Jeu tout des plus innocens ,
Où , pour aiguifer nos dents ,
Quand la faim nous abandonne ,
Nous nous exerçons du
temps ,
Avant que le foupé fonne.
Le quillier eft dans un bois ,.
Qui touche à la maiſonnette :
Bois d'une beauté complette ,
Trifte & charmant à la fois :
Bois ſemblable aux lieux terribles
Où loin des prophanes
yeux ,
Les Druides & leurs Dieux
Se rendoient inacceffibles.
A nos crédules Ayeux ;
Mais dans ces cantons paifibles ,,
Et moins fuperftitieux ,
Bois où l'Amour a des armes 2
MERCURE DE FRANCE
A qui l'auftere pudeur
Se foumettroit fans alarmes :
Bois où , même avec douceur ,
Dans le plus cruel malheur ,
L'Amant verferoit des larmes :
Bois où tout , jufqu'à l'horreur ,
Pour un coeur tendre a des charmes.
Jamais en effet l'Amour
Ne trouveroit un séjour
Plus propre à fon badinage.
Qu'il y feroit amufé !
Car je le fçais par uſage ,
C'eft un enfant avifé :
Dans un Quinconce , il eft fage ;
Mais plus l'endroit eft fauvage ,
Plus il eft apprivoifé.
Difparoiffez , lieux ſuperbes ,
Où rien ne croît au hazard ,
Où l'arbre eft l'enfant de l'art ,
Où le fable , au lieu des herbes ,
Nous attrifte le regard ;
Lieux , où la fotte induftrie
'Arrondit tout au cizeau ,
j Où rien aux yeux ne varie
Ou tout s'aligne au cordeau
De la froide fymmétrie ,
Et de l'ennuyeux niveau .
Ici , l'augufte nature ,
Dans toute fa majefté ,
AVRIL. 1758. 87
Offre une vive peinture
De la noble liberté ,
Sublime & toujours nouvelle ,
Sous l'oeil elle s'embellit.
Sa variété révele
Une reffource éternelle ,
Que jamais rien ne tarit.
Qu'en ce point l'art eft loin d'elle !
Son chef-d'oeuvre ſe décrit ;
Mais la beauté naturelle
Refte au deffus du récit.
Sous l'épais & haut feuillage
De ce bois qu'ont révéré
Les temps , la hache & l'orage ,
Je me retrace l'image
De l'engageante Chéré.
Ah! qu'au fonds de ce boccage
Son afpe&t feroit charmant !
Les beaux lieux ! l'heureux moment
Que de fleurs fur fon paſſage !
Que de foupirs éloquens !
Que les gages de ma flamme
Seroient tendres & fréquens !
Mais où s'égare mon ame ?
O bel objet defiré
Du plus amoureux des hommes !'
O mon aimable Chéré !
Que n'êtes-vous où nous fommes y
'A Saint- Ouën , le 24 Juin 1730.
SS MERCURE DE FRANCE.
Li
mot de l'Enigme du Mercure de
Mars eft le Manchon. Celui du Logogryphe
eft Bourſe , dans lequel on trouve brou ,
øs , or , roue , ove , Burſe , ours , bourre
obus , orbe , rue , boufe , forbe , bure , rufe ,
rose , boue , ro , buſe , robe.
ENIGM E.
J'OFFRE 'OFFRE à tes yeux , ami Lecteur ,
Un lieu fouvent plein d'horreur ,
Dont l'orgueil des Héros s'honore ;;
Que le fimple vulgaire abhorre ,,
Quoique fa curiofité
Le cherche avec avidité.
Aux appas d'Iris infenfible ;
Elle fçait me rendre flexible.
Le Guerrier vigilant me craint
Le Moine en me quittant fe plaint
Je fuis l'écueil du mariage ,
.
Ce qui convient à tout âge ,
Au Potentat comme au Berger:
En un feul mot , pour abréger ,
Je fuis un vrai lieu de mifere
Au Louvre comme à la chaumiere.
Par Mile de la Boiffierre , à MoulinsA.
VRIL 1758. $9
LOGOGRYPHE.
la
QUOIQUE d'un grand ufage à la cour , à fa
ville ,
Chez la ruftique gent , je ne fuis guere utile.
Qu'on divife en deux mes huit piés ,
On aura dans les deux moitiés
Un bénéfice , enfuite un os de bête ou d'homme.
En les tranfpofant tous , qu'on combine , on produit
Un Muſulman , un Empereur de Rome ;
Tout ce qui n'eft pas doux , tout ce qui n'eft pas
cuit :
Ce qui fert de paffage
A la ville , au village :
L'oppofé du néant ;
Certain terme qui fixe un grand événement ;
Dans la chronologie ,
D'où partent les Sçavans
Pour fupputer les frecles & les ans :
Une riviere en Normandie ,
Dont la Seine reçoit les eaux :
L'Ifle où régna Minos :
Ce qui fait que le Nil , en répandant fon onde ,
Rend l'Egypte féconde :
Une épithete adaptée aux oifeaux ,
Une ville au pays de Caux
20 MERCURE DE FRANCE.
Un volatile, un grand Seigneur en France s
Tout ce qu'on fait avec décence :
L'eau du globe terreftre , élevée en vapeurs ;
Ce que doit faire un Peintre employant fes cou→
leurs :
Tout ce qui n'eft pas dur , tout ce qui n'eft pas
tendre ;
Tout ce qui n'eft pas habillé ,
&c. Mon nom eft affez détaillé ,
Pour que l'on puiffe le comprendre.
AS. N. lex - Sentis.
CHANSON.
QuUE je vous aime !
Difoit un jour le beau Tircis ,
Pour vous mon ardeur eft extrême :
Hélas ! je ne fuis pas furpris
Que je vous aime ;
Je le ferois bien plus , Philis ,
Si vous vouliez un jour de même
Me dire avec un doux fouris :
Que je vous aime !
ve
Air par M. Legat de Furcy.
Tendrem
Que je vous
ar me: Disoit un
+
How
bre
le beau Tircis,Pour vous mon ardeurestex
+ + +
me:Hélasje ne suispointsurprisQueje vou
e je le serois bien plus Phiai
me W
lis si vous voulies un
unjour de même,
Me
dire avec un doux souris, Queje vous
aime !Queje vous
av.me
par Melle Labassie.
#
Imprimé par Tournelle.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
AVRIL. 1758. ୭ 1
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
UVRES d'Alexis Piron , avec figures
en taille- douce d'après le deffein de M. Cochin.
3 volumes in 12. A Paris , chez Du
chefne , rue S. Jacques. Prix 7 liv . 10 f.
brochés.
Ces Euvres fi juftement attendues , n'ont
pas befoin de notre éloge. La meilleure façon
de les louer , eft d'en nommer l'Auteur.
Sa célébrité dit plus que le plus fort
panégyrique.
La Métromanie , cette piece de génie ,
& vraiment créée , fuffiroit feule pour immortalifer
M. Piron , & le placer au rang.
de nos premiers Poëtes comiques.
L'ouvrage eft divifé en trois volumes.
Le premier contient l'Ecole des Peres , comédie
en cinq actes , plus connue fous le
titre des Fils ingrats , & Callikhene tragé
die. L'une & l'autre font précédées de deux
amples préfaces. Le fecond tome renferme
les Courfes de Tempé , paſtorale en un acte
avec une préface & un divertiffement. Di92
MERCURE DE FRANCE.
thyrambe fur la convaleſcence du Roi, Poëme
de Fontenoi, ou Effai d'un chant pour fervi
à un poëme héroïque de la Louifiade , anecdote
comique & littéraire au fujet des deux
pieces précédentes . Odes facrées , Guftave
Vafa , tragédie , précedée de deux Epîtres
& d'une préface . Le troifieme contient la
Métromanie, comédie en cinq actes, & Cortés
tragédie . Chacune de ces pieces a fa
préface . Il eût été à fouhaiter que l'Auteur
eût un peu diminué le volume de fes préfaces
, & augmenté celui de fes pieces fugitives,
parmi lesquelles il y en a un grand
nombre de charmantes : telle eft fon Epître
à Mlle . Chéré, dont nous avons enrichi
la partie fugitive de ce Mercure.
Cette édition fait honneur au Sr. Duchefne.
Elle est élégante & faite avec foin:
ce qui furtout y ajoute un nouveau prix
ce font les gravures qui la décorent . Elles
font de la plus grande beauté & dignes de
l'ouvrage,
L'HISTOIRE de M. le Marquis de Crefcy,
traduite de l'Anglois par Madame de ***.
A Amfterdam , fans nom de Libraire , & fe
trouve à Paris à la porte du Palais Royal ,
1758. 1 vol. in- 12 . Prix 1 liv . 16. ſ.
Ce Roman mérite fon grand fuccès.It
réunit tout ce qui peut plaire . Les graces
du ftyle , la chaleur de l'intérêt , la déliAVRIL.
1758 .
93
cateffe des fentimens , la vérité & la var
riété des caracteres. Les réflexions y font
courtes , prifes dans l'ufage du monde , &
toujours en action . Il joint au mérite des
détails celui de l'enſemble , & nous penfons
qu'il feroit un chef- d'oeuvre en fon
genre , s'il ne péchoit par le dénouement,
Nos tragédies fe terminent par le fer , &
nos romans par le poifon . Celui que l'Auteur
emploie dans cette hiftoire , fâche
d'autant plus que la femme du Marquis de
Crefcy à l'ame trop vertueufe & les paffions
trop douces, pour mourir d'une mort
fi tragique , & qui ne feroit vraiſemblable
que dans une amante d'un caractere impétueux
& d'un amour emporté. Nous efpérons
que l'extrait que nous donnerons de
cette brochure dans le Mercure prochain ,
juſtifiera notre éloge & notre critique.
LE Spectacle des beaux Arts , ou Confidérations
touchant leur nature , leurs objets ,
leurs effets & leurs regles principales, avec des
Obfervations fur la maniere de les enviſager
fur les difpofitions néceffaires pour les cultiver,
& fur les moyens propres pour les étendre &
les perfectionner. Par M. Lacombe Avocat ,
un volume in- 12 . A Paris , chez Hardy ,
Libraire , rue S. Jacques au- deffus de celle
de la Parcheminerie , à la Colonne d'Or ,
1758.
94 MERCURE DE FRANCE.
Le Spectacle de la nature , ouvrage de
M. Pluche, a fait naître à M. de Lacombe ,
ainfi qu'il le dit dans fa préface , l'idée de
préfenter le fpectacle des beaux arts . L'exécution
d'un plan fi vaſte demanderoit plufieurs
volumes. L'Auteur ne donne aujourd'hui
que celui- ci qu'on pourroit appeller
le premier ; car il nous apprend que fon
fuccès l'encouragera à en publier plufieurs
autres.
Le volume eſt divifé en trois parties ,
dont la premiere contient des réflexions
générales fur les beaux arts , la feconde
traite de la Poéfie, & la troisieme de la Mufique.
Dans les généralités fur les arts , on
trouve un examen fur la difpofition & les
talens néceffaires pour y réuffir. L'Auteur
confidere les obftacles qui ont pu empêcher
leur établiſſement , ou retarder leurs
progrès , les caufes de leur décadence , les
avantages qu'ils procurent , & les grandes
époques de leurs triomphes. Toutes ces
queftions traitées fuccinctement , fervent
d'introduction au détail des arts qui font la
matiere des autres parties.
Les différens genres de poéfie font l'objet
de la feconde partie , qui n'eft , à proprement
parler , qu'une poétique. Le zele
éclairé de l'Auteur y propofe différentes
AVRIL. 1758 .
vues , qui mériteroient d'être réalifées .
Par exemple , nous ne pouvons qu'applaudir
au nouveau genre de comédies lyriques
dont il voudroit enrichir la fcene françoiſe.
و د
و د
» Le poëme tragique ( dit l'Auteur page
"157 ) n'eft point la feule richeffe que le
» théâtre lyrique peut acquérir : il eft en-
»core en droit de s'approprier le genre comique
, c'eft-à- dire , les pieces de ca-
» ractere , les pieces d'intrigue & celles de
»fentiment. Le comique de caractere fur-
»tout peut être pour ce théâtre d'une ref-
»fource infinie. Il fournira au Poëte &
» au Muficien un moyen sûr de fortir de
» la monotonie éternelle d'expreffion mê-
» lées , & de fentimens doucereux qui ca-
» ractériſent ordinairement nos opéra lyriques.
Quels fujets plus féconds , quels
» traits plus marqués , quels tableaux plus
» intéreffans peuvent exercer le talent du
»Muficien , que les caracteres d'un Joueur,
»d'un Miſanthrope , d'un Avare , d'un
Jaloux , d'un Grondeur ! &c . »
器
33
Ce que l'Auteur dit dans fa troifieme
partie , fur le fujet du chant qui doit toujours
être pris dans l'expreffion fimple &
naturelle de la chofe qu'on veut repréſenter
, eft une très bonne leçon pour la plûpart
des Muficiens modernes , qui ne re96
MERCURE DE FRANCE.
cherchent que des ornemens ambitieux.
Ce chapitre mérite d'être lu avec attention
. En général , cette troifieme partie
renferme, pour la plupart des lecteurs , des
que tout
chofes neuves & moins familieres
ce qui regarde la poéſie .
LES fables Egyptiennes & Grecques dévoilées
& réduites au même principe, avec une
explication des Hieroglyphes & de la guerre
de Troye.Par Don Antoine Jofeph Pernety,
Réligieux Bénédictin de la Congrégation
de St. Maur, in- 12 tome premier 580 pag.
tome fecond 627. A Paris , chez Bauche , Libraire,
quai des Auguftins, à Sainte Génevieve
& à Saint Jean dans le défert 1758 .
Depuis longtemps la Philofophie hermétique
eft dans le plus grand difcrédit .
La bonne Phyfique a fait difparoître toutes
ces explications myftiques des fables
anciennes. En nous dévoilant la vérité
elle a jetté le plus grand ridicule fur les
erreurs monstrueufes que les Adeptes ont
cru être la ſcience de la nature.
Don Pernety a ofé braver cette dérifion
générale jettée fur la fcience hermétique,
Armé de la plus vafte & de la plus profonde
littérature , il a réuni dans un corps
d'ouvrage méthodique , les explications
que les Alchymiftes ont donné des fables
Egyptiennes
AVRIL 1758. 97
Egyptiennes & Grecques. Lorfque ce fecours
manque à l'Auteur , il y fupplée par
des explications de fa façon . Enfin il a formé
un corps complet de fcience hermétique.
Il ne feroit pas poffible de faire connoître
l'immenfité des chofes fingulieres & extraordinaires
que contient cet ouvrage :
nous nous contenterons d'en rapporter
quelques traits qui puiffent indiquer aux
fecteurs le ton dont il eft écrit.
Il y eft dit , par exemple ( page 209. )
que les métaux ont deux fortes de maladies.
« La premiere eft appellée originelle
& incurable , la feconde vient de la di-
»verfité du foufre qui fait leurs imperfections
, fçavoir la lepre de Saturne , la
jauniffe de Vénus , l'enthumement de
Jupiter , l'hydropific de Mercure & la
galle de Mars. »
33
و ر
«
رد
Lorfque Don Pernety parle de Vénus ,
il dit qu'il voit clairement ce que les Anciens
ont voulu exprimer par fes adulteres
avec Mars , & par fon mariage avec Vulcain.
ן כ
« Ce dernier étant le feu philofophique
» ( t. 2 , pag. 112) , eft il furprenant qu'il
ait été marié avec la matiere des Philofophes
? S'il furprit cette Déeffe avec le
Dieu de la guerre , c'eft que la couleur
33.
1. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
"
99
BJ
de rouille de fer femble être tellement
unie avec la couleur citrine & fafranée
appellée Vénus , qu'on ne les diftingue
qu'après que le rouge eft dans tout fon
éclat. Alors Mars & Vénus le trouvent
pris dans les filets de Vulcain , & le foleik
» qui les y voit , les décele ; car la couleur
» rouge eft précisément le foleil philofophique.
Le fruit de l'aftre lunaire(pag . 301 )
» eft Adonis , ou l'or philofophique que les
» Nayades & les Nymphes reçoivent à fa
» naiffance. Il naît en effet au milieu de
» l'eau mercurielle qui le nourrit , & a
foin de lui jufques à fa perfection.
»
39
و د
"
و ر
و د
و ت
ود
" A mefure qu'Adonis grandit , il devient
beau de plus en plus. N'eft- ce pas
la couleur de l'or philofophique qui fe
» fortifie & devient plus brillante Vénus
en devient éperduement amoureuſe &
l'accompagne dans les divertiffemens
» qu'il prend à la chaffe. Rien de plus fimple
que cela ; il ne pouvoit pas même ſe
faire que Vénus ne l'aimât éperduement,
»& qu'elle ne l'accompagnât pas jufqu'au
» moment malheureux où Adonis fut tué
>> & mourut. En voici la raison . La pierre
paffe de la couleur blanche à la fafranée:
appellée Vénus par les Philofophes . Pendant
que cette couleur dure , il fe fair
une circulation de la matiere dans le va
وي
و ر
AVRIL. 1958. 99
"
"
23
"
» fe : c'eft la chaffe où Vénus fuit Adonis,
» La couleur de rouille qui fuccede à la
fafranée , eft nommée Mars. Voilà le fan-
"glier que Mars jaloux envoie contre Adonis.
Celui - ci meurt de la bleſſure , par-
» ce qu'il ne reste plus rien de volatil en
» lui. Vénus conferva même après la mort
» de fon amant , l'amour qu'elle avoit pour
» lui , parce que la couleur rouge que l'A-
" donis philofophique prend dans fa fixa-
»tion , conferve toujours une partie de
» cette couleur fafranée qu'il avoit pendant
qu'il chaffoit avec Vénus. Les rofes
» que le fang de cette Déeffe teignit en
» rouge pendant qu'elle couroit au fecours
de fon amant , ne fignifient autre choſe
» que la couleur rouge qui fuccede à la
blanche par l'entremise de la fafranée »
Aux yeux de Don pernety , de Don pernety , le fiege de
Troye n'est qu'une opération de chymie
exprimée par des allégories. Les Héros ne
lui paroiffent que des alembics , leurs combats
font des diftillations , & la prife de
la Ville après dix ans de travaux , eft la
compofition de l'or philofophique après
des opérations très - fatiguantes .
93
»
DICTIONNAIRE Mytho - Hermétique, dans
lequel on trouve des allégories fabuleuses des
Poëtes , les métaphores , les énigmes & les
$35299
Ĕ ij
foo MERCURE DE FRANCE.
termes barbares des Philofophes Hermétiques ,
expliqués par le même Auteur & chez le
même Libraire.
Ce dictionnaire eft une fuite de l'ouvrage
dont nous venons de rendre compte.
Il en forme comme le 3. volume.
TRAITE de la paix intérieure , en 4 partiès
, feconde édition revue , corrigée &
augmentée par l'Auteur , & mife dans un
meilleur ordre. A Paris , chez Claude Hériffant,
fils, Imprimeur, rue Notre- Dame, à la
'Croix d'or & aux trois Vertus , 1758 .
TRAITES choifis de S. Auguftin Evêque
d'Hippône fur la grace de Dieu , le libre
arbitre de l'homme , & la prédeftination des
Saints , fidélement traduits fur la nouvelle
édition latine de ces mêmes traités , imprimée
à Rome en 1754 avec les permiffions
ordinaires , & dédiée au Pape Benoît
XIV, en 2 volumes in- 12. A Paris , chez P.
G. Cavelier , Libraire , rue St. Jacques , au
Lys d'or , 1758 .
LES Elemens de fections coniques démont
trées par fynthefe , ouvrage dans lequel on
a renfermé le petit traité des fections coniques
de M. de la Hire, par M. Mauduit,
Profeffeur de Mathématiques , un volume
AVRIL. 1758. 101
in - 8 ° . A Paris , chez Defaint & Saillant ,
Libraires, rue Saint Jean de Beauvais , visà-
vis le collége , 1757 .
Il y a deux méthodes en ufage dans les
Mathématiques , l'analyfe & la fyntheſe.
Celle- ci appuyée fur des principes évidens
ou des propofitions clairement démontrées,
marche d'un pas lent , mais affuré , à la démonftration
des vérités qu'elle annonce.
Elle ne parle que par théorêmes , & tous
fes pas font éclairés par le flambeau de l'évidence.
Au contraire , l'analyfe fuppofe
d'abord ce qui eft en queftion , & felon
que la chaîne de fes conféquences la conduit
à quelque vérité ou à quelque abfurdité
, elle en conclud la vérité ou la fauffeté
de fon hypotheſe.
La premiere de ces méthodes , comme
la plus capable d'éclairer l'efprit , eft celle
qui a été fuivie dans ces nouveaux élemens
de fections coniques. Ce ne font pas
ici des calculs algébriques qui conduifent
par des routes inconnues ; mais des propofitions
clairement démontrées , qui mettent
la vérité dans tout fon jour . On doit
applaudir au zele infatigable de l'Auteur.
Il a renouvellé les méthodes rigourenfes
de l'ancienne géométrie : il lui eût été
plus aifé de traiter les coniques par analyfe
; mais fon ouvrage eût été beaucoup
moins utile. E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur avertit dans fa préface , que
le livre qu'il préfente au Public , n'étoit
dans fon principe qu'une nouvelle édition
des élémens de M. de la Hire. Il a fuivi le
plan de cet Auteur , fans en copier les démonftrations
qui ne lui ont pas toujours
paru rigoureufes , ni clairement exprimées.
Ce font ici des élemens fynthétiques à la
portée des commençans. En un mot , ce livre
peut fervir d'introduction à tous les
autres faits fur la même matiere , & même
au grand traité des fections coniques , qui
paffe pour un des plus difficiles & un des
plus beaux ouvrages que nous ayons en ce
genre.
Chaque fection conique eft traitée en
particulier. La parabole , l'ellipfe & l'hyperbole
forment autant de livres. L'Auteur
paffe enfuite à la confidération de toutes
ces figures dans le cône. Il rend fenfible la
maniere dont elles s'y engendrent , & acheve
d'en faire connoître les propriétés élé
mentaires. Il eft à fouhaiter que cet ou
vrage faffe renaître le goût de la fyntheſe
un peu trop abandonnée.
le
LA Trigonométrie Sphérique , réfolue par
moyen de la regle & du compas , d'où l'on
tire une maniere très aifee & très lumineufo
de la réfoudre par les finus. Par M. Siméon
1.
AVRIL. 1758. 103
Valette. A Bourges , chez la veuve Boyer ,
& à Paris , chez Barbou , rue Saint Jacques.
Cet Ouvrage que nous avions fimplement
annoncé dans le premier volume
d'Octobre de l'année derniere , & qui eft
d'un affez petit volume , puifqu'il ne contient
pas so pages in 80 , nous a paru
eftimé des Connoiffeurs . La pratique de la
trigonométrie fphérique y eft arrangée de
façon , qu'elle n'exige la connoiffance
d'aucune théorie , de maniere qu'il n'eft
point de commençant qui n'en puiffe faire
ufage . On y trouve tous les cas réfolus fans
ambiguité & fans difficulté , à l'exception
de ceux qui font néceffairement indéterminés.
L'Auteur fuppofe connue la trigonométrie
rectiligne , à laquelle il femble en
effet qu'il n'y a plus rien à ajouter ; il n'a
pas jugé à propos , & avec raifon , de groffir
fon livre de ce qui fe trouve ailleurs.
Le tout eft terminé par un traité de gnomonique
, où l'Auteur a renfermé en 30
pages ce qu'on peut dire de plus intéreffant
fur cette fcience , & ce qui a produit de
beaucoup plus gros volumes. Mais afin
qu'on ne nous en croye pas fur notre feule
parole , nous allons mettre fous les yeux
du Lecteur l'approbation que l'Académie
des Sciences a donnée à cet Ouvrage.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Extrait des Regiftres de l'Académie royale
des Sciences , du 3 Septembre 1755 .
Nous avons examiné , au nom de l'Académie
, un Ouvrage qui a pour titre , La
Trigonométrie Sphérique réfolue par le moyen
de la regle & du compas , d'où l'on tire une
maniere très-aifee & très - lumineuse de la réfoudre
par les finus ; par M. Siméon Valette.
Avant l'invention des logarithmes , on
réfolvoit déja les triangles fphériques par
des proportions entre les finus ou tangentes
des parties connues , & les finus ou
tangentes des parties cherchées ; mais pour
abréger ces proportions , qui fuppofoient
des multiplications & des divifions de fie
nus , on avoit imaginé la méthode de la
proftapherefe , qui devenoit fort fimple
par le moyen de la regle fuivante .
Si le rayon du cercle eft au finus d'un
angle A , comme le finus d'un angle B eft
à un quatrieme terme , on pourra trouver
ce dernier terme fans aucune multiplication
, en prenant la moitié de la fomme
des finus , de la fomme & de la différence
de l'arc B , & du complément de l'arc A.
C'eft ainfi qu'on pouvoit trouver d'une
maniere ingénieufe dans les anciennes
méthodes , un fecours que Neper a rendu
plus général par la découverte des logaAVRIL
1758. 105
rithmes. Snellius dit à la page 152 de fa
Trigonométrie , publiée par Hortenfius en
1627 , que Regiomontanus s'en étoit fervi
le premier pour trouver la hauteur du foleil
, étant donné l'angle horaire , il réduifoit
auffi à peu près par une femblable
méthode , les produits des finus ou des
cofinus , à des fommes ou à des différences
de finus ou de cofinus fimples.
Cette proftapherefe fervoit admirablement
à réfoudre les triangles fphériques
obliquangles , fans les réduire à des triangles
rectangles , & au moyen d'une feule
multiplication , les autres analogies fe faifant
par la proftapherefe : alors elles étoient
tirées des triangles rectilignes que for
moient les finus ou les cofinus des côtés
cherchés ; ce que l'on a appellé quelquefois
méthode de projection.
Cette voie de réfolution a prefque été
oubliée des Aftronomes depuis l'invention
des logarithmes ; fi ce n'eft que les Géometres
y font toujours retombés , lorsqu'ils
ont exprimé par des équations les propriétés
des triangles fphériques.
Par exemple , pour exprimer le rapport
qu'il y a entre les trois côtés d'un triangle
fphérique & un de fes angles , on trouve
ane équation compofée de trois termes ,
& chaque terme de trois dimenfions , tous
Ev
106 MERCURE DE FRANCE:
les facteurs étant des finus ou des cofinus
des côtés donnés ; ce qui indique les trois
analogies de la méthode précédente.
L'Auteur de cet Ouvrage déja connu par
fon talent pour les belles-lettres , & également
verfé dans les mathématiques , a
cherché une maniere de fimplifier les projections
: il les réduit à des opérations fimples
que les perfonnes les moins inftruites
peuvent mettre en ufage pour éviter de fe
tromper dans le calcul , & à des figures
planes par le moyen defquelles on apperçoit
tous les rapports qu'il y a entre les
quantités données & les quantités inconnues.
Par exemple étant donnés l'hypoténufe
& un angle , l'Auteur en déduit
une opération graphique affez fimple , un
triangle rectiligne dans lequel on apperçoit
fept à huit analogies différentes , qui
peuvent indifféremment fervir à trouver le
côté que l'on cherchoir , Clavius , dans fon
Traité des Aftrolabes , avoit auffi donné la
maniere de trouver les différentes voies
qui conduifoient à une même folution.
par
La premiere partie de cet Ouvrage traite
de la pratique feule des triangles fphériques
rectangles : cette partie comprend
pour chaque cas l'opération graphique
propre à trouver la quantité qu'on cherche
, & la proportion qui fert à la trouver
AVRIL. 1758. 107
par le calcul : on y trouve pour chaque cas
autant de figures ( 1 ) , qu'il peut yavoir de
variétés dans les efpeces des côtés ou des
angles.
La feconde partie comprend la pratique
des triangles obliquangles , dont les
opérations graphiques fe trouvent preſque
auffi fimples que celles des triangles rectangles.
La troifieme partie comprend la théorie
des triangles rectangles , c'est- à- dire les
démonftrations qui conviennent à toutes
les conftructions des deux premieres parties
, dans lesquelles l'Auteur avoit voulu
féparer ce qui n'eft que d'ufage , des démonftrations
qui ne font à l'égard du praticien
que de pure curiofité.
Ces démonſtrations ne fuppofent que
les définitions les plus fimples de la nature
des triangles fphériques , pourvu que l'on
conçoive les plans relevés les uns fur les
autres , fuivant les angles droits ou obli
ques qu'il font réellement dans la ſphere.
La difficulté qui naît de cette efpece de
fiction effentielle dans toutes les démonf
trations fteréométriques , eft commune à
toutes les méthodes de trigonométrie ſphé
rique ; mais on trouve dans celle-ci l'avan
(1 ) On a trouvé le moyen d'abréger le nom
bre de ces figures.
E vj
1108 MERCURE DE FRANCE.
tage de fupprimer la quantité de propoſttions
préliminaires dont certaines méthodes
font chargées , & de réduire tout à
quelques définitions faciles à comprendre
La quatrieme & derniere partie renferme
les démonftrations des triangles obliquangles
, & de toutes les conftructions
qu'on a employées dans la feconde partie.
Ainfi les deux dernieres parties préfentent
les démonftrations de toutes les regles
& de tous les préceptes que les deux prémieres
parties comprennent . L'Auteur fait
voir dans le plus grand détail quelles font
les conditions de chaque cas ; mais ce qu'il
y a de plus utile encore, c'eft que par cette
méthode l'Auteur détermine dans plufieurs
cas entre l'aigu & l'obtus , ce qui ne pa-
Foît pas déterminé par les conditions du
problême. Par exemple étant donnés deux
côtés , & un angle qui ne foit pas compris:
entre les deux côtés , ou deux angles & un
côté non compris entre ces angles, les trois.
autres quantités peuvent fouvent être
moindres ou plus grandes que 90 degrés
la projection montre toujours les cas où
cette incertitude eft effentiellement attachée
au problênre , & ceux où elle peus
être fixée par les conditions fuppofées .
Plufieurs Auteurs ont négligé totalement
sette détermination , fous prétexte que
AVRIL. 1758. 109
dans l'application de la trigonométrie aux
queftions particulieres , on fçait toujours fi
ce qu'on cherche eft aigu ou obtus ; mais
cette raifon n'eft point exacte : car fi on
cherchoit , par exemple , dans un lieu connu
l'azimuth du foleil par le moyen de fa
hauteur , & pour une heure donnée , on
ne trouveroit point fi fa déclinaiſon eft
feptentrionale ou méridionale , & fi fon
amplitude eft vers le midi ou vers le nord.
De même fuppofé qu'un Navigateur cherchât
près de la ligne l'heure & la latitude
du lieu par le moyen de la hauteur , de la
déclinaifon & de l'azimuth du foleil , il
ne pourroit fçavoir fi fa latitude eft méridionale
ou feptentrionale , ni trouyer s'il
eft plus ou moins de fix heures , c'est - à- dire
fi l'angle horaire eft aigu ou obtus.
Les démonſtrations de l'Auteur , quoi
qu'un peu longues , font auffi abrégées
qu'elles le peuvent être fuivant cette méthode
: on peut les employer fans perdre de
vue le triangle fur lequel on opere , & elles
ne fuppofent pas un auffi grand nombre de
principes que les démonftrations de plufieurs
autres méthodes . Cet Ouvrage fuppofe
dans fon Auteur une parfaite connoiffance
en cette partie , & il nous a paru
qu'il feroit utile au Public. Signé, La Caille ,
Le François , De la Lande
110 MERCURE DE FRANCE.
Je certifie le préfent extrait conforme
fon original , & au jugement de la Compagnie.
A Paris , ce 6 Septembre 1755 .
Signé , Grandjean - de Fouchi , Secretaire
perpétuel de l'Académie royale des Sciences.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , ONSIEUR , on trouve dans l'Art de converfer
, au fujet de Vaux- le- Peny cette note
, Jolie campagne près Melan . Elle a fait
prendre le change à bien des lecteurs. Ils
m'ont attribué ce poëme , & fe croyoient
d'autant mieux fondés , qu'il a paru dans
un ancien journal de Verdun , une petite
piece de moi en ſtyle payfan , datée de cet
endroit. Sur cette idée , j'ai reçu quelques
éloges d'une part , & beaucoup de critiques
de l'autre ; j'avois beau proteſter contre
, les Apologiftes me répondoient qu'il
ne falloit pas être fi modefte , & les cenfeurs
, fi orgueilleux . Les premiers foutenoient
que je n'avois encore rien fait d'auffi
bon ( jugez, Monfieur, comme mon amour
propre
devoit être flatté ! ) & les autres me
difoient fententieufement , que le fort des
armes étoit journalier,
Tant que les imputations n'ont été qué
み
AVRIL. 1758.
verbales , je me fuis contenté d'en rire
l'impreffion les confirme , & je romps le
filence.En parcourant la France littéraire ,
j'y ai vu mon nom avec l'annonce de l'art
de converfer ; indigné qu'on me couvrît
d'un plagiat , j'ai volé chez Duchesne , it
s'eft excufé en fe rejettant fur le détail immenfe
de fon Almanach des Beaux - Arts
& a fini par m'aflurer qu'il rectifieroit l'année
prochaine cette erreur ; mais elle fubfifteroit
encore trop longtemps. Je vous
prie , Monfieur , de vouloir bien inférer
promptement ma lettre dans votre Mercure
.
Pour ne laiffer aucun doute fur mon défayeu
, je vous envoie quelques ( 1 ) feuil
lets qui me font tombés par hazard , de
ce poëme fous le titre de la converfation on
Part de converfer imprimé en 1742 à Antun
& figné du R. P. Janvier , Chanoine
régulier de l'Abbaye de St. Symphorien de
la même Ville. Si c'eft lui qui l'a récem
ment divifé en quatre chants , pourquoi
pas indiqué que c'étoit une nouvelle
édition : Pourquoi avoir changé le
féjour de Meulan en celui de Berni , celui
de Chêne de coeur en celui de Vaux- le- Péay
, le nom de Bignon en celui de Cler
n'avoir
( 1 ) Nous avons lu ces feuillets , qui juftifient
e que l'Anonyme avance,
112 MERCURE DE FRANCE :
mont , &c. ? Tout ceci m'a bien l'air d'un
larcin déguifé ; mais ce n'eft point à moi
à démêler ce mystere au Public ; il me fuffit
de le détromper -à mon égard.
J'ai l'honneur d'être , & c.
L'Anonyme de Chartrait , près Melun.
A Paris , ce 6 Mars 1758.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , la place que vous accordez
fi gracieuſement
dans vos Mercures à
tout ce qui intéreffe les Belles- Lettres , publie
votre zele pour leur avancement , &
me perfuade que vous voudrez bien avoir
les mêmes égards pour les obfervations cri
tiques que j'ai l'honneur de vous adreſſer.
Comme elles ont pour objer un point effentiel
à l'hiftoire des deux Bourgognes ,
j'ofe croire que les Hiftoriens intéreffés à
fixer enfin nos regards , voudront bien s'y
prêter , & qu'ils auront cette attention de
donner le texte original qui doit trancher
le noeud de la difficulté. Voici ce dont il
s'agit :
Jufqu'à la fin du feizieme fiecle , fle
Comté de Bourgogne avoit compté parmi
AVRIL. 1758. 113
fes Héros , le célebre Henri , pere du fondateur
du Royaume de Portugal ( 1 ) . L'au
torité fur laquelle les Hiftonens de cette
Province appuyerent leurs prétentions
paroiffoit irreprochable : ils y appercevoient
un Prélat diftingué (2 ) , inftruit & contemporain
; trois caracteres bien capables
de faire un titre féduifant , & de captiver
les fuffrages. Ce fentiment qui jouiffoit
de tout le crédit d'une vérité démontrée ,
reçut néanmoins une atteinte mortelle en
1596 , par l'édition qui fe fit à Francfort
d'un fragment de l'hiftoire de France , que
l'on attribue à un Moine de l'Abbaye de
Fleury , qui écrivoit au commencement
du douzieme fiecle.
C'eſt dans ce monument inconnu jufques
alors , & tiré du cabinet de Pierre
Pithou ,, qquuee ,, felon les Auteurs de l'hiftoire
généalogique de la Maifon de France ,
(3) "on lit page 88 , qu'Henri l'un des
» enfans du fils de Robert Duc de Bourgo-
» gne , paffa en Espagne avec d'autres
François au fecours du Roi Alphonfe
33
(1 ) Henri , Comte Souverain de Portugal dès
l'an 1094 ou environ , mourut en 1112.
(2 ) Rodrigue Ximénez , Archevêque de Tolede
, qui écrivoit en 1208 .
(3 ) Page 170 , édit. de 1726 , t. 11.
114 MERCURE DE FRANCE.
"contre les infideles , qui lui donna en
mariage fa fille naturelle . »
J'avoue qu'une autorité de cette efpece
, fuffiroit feule pour prononcer irrévocablement
en faveur de ce qu'elle dépofe ;
fi la maxime qui a fagement établi qu'un
fait , pour être cru , feroit préalablement
faifi d'un oeil ferme , ne permettoit à tout
lecteur d'examiner de près le texte qui renverſe
l'ancien fentiment & qui le détruit.
Appuyé de cette loi judicieufe , je dis d'abord
que les continuateurs de l'hiftoire généalogique
de la Maifon de France , s'étant
donné la commiffion de traiter à fonds
cette difficulté,il eft étonnant qu'ils n'ayent
pas rapporté le texte original du Moine de
Fleury , comme on le pratique ordinairement
en pareil cas ; par- là ils affuroient au
fait conteſté une folution qui fixoit fans
retour les fuffrages , & les difputes feroient
abfolument terminées.
Cependant , qu'il me foit permis de le
dire , tout concourt à nous perfuader que
les continuateurs ont effectivement prétendu
rapporter la piece décifive du fragment :
non- feulement ils en cotent la page avec
foin ; mais encore ils donnent en lettres
italiques le texte dont j'ai parlé ci - deffus :
deux indices en ufage chez tous les Hiftoriens
, pour annoncer que c'eft à la fource
AVRIL 1758. 115
même qu'ils ont puifé , & qu'ils parlent
fur le vu d'un original . Il eft donc en quelque
forte démontré que les continuateurs
ont littéralement copié le texte original
qu'ils attribuent au fragment de l'édition
de Pithou. Or , à quelle objection également
forte & férieufe , le nouveau fentiment
& fon appui ne font ils pas exposés ?
Parloit-on en 1110 ( temps auquel vivoit
le Moine de Fleury ) , un François auffi
pur ? Le lecteur aimeroit-il mieux penfer
que ces Auteurs exacts pour des faits qui
ne font pas auffi intéreffans , ont effayé ici
de le furprendre Mais ne preffons point
ce raifonnement , & paffons auparavant 2
un autre exemple .
L'Auteur de l'hiftoire de Portugal également
engagé à faire triompher le nouveau
fyftême qu'il adopte , fe donne pour
avoir confulté à fon tour le monument de
l'Abbaye de Fleury , comme il eft facile
d'en juger par fes propres paroles : « Tou-
» tes ces opinions ( 1 ) ont été détruites dans
» un manufcrit trouvé dans l'Abbaye de
Fleury , & imprimé à Francfort par les
"foins de Pierre Pithou. Ce manufcrit
l'ouvrage d'un Bénédictin contient tout
ce qui s'eft paffé depuis 897 juſqu'en
23
( 1 ) Hift. de Portugal , t. 1 , p. 157 , &fuiv
116 MERCURE DE FRANCE.
ود
1110. Il y parle de Robert Roi de Fran
" ce & de fes defcendans , jufqu'à Philippe
I du nom . On voit par ce manuf
» crit , monument qu'on ne peut rejetter
» que
Robert premier Duc de Bourgogne,
» frere d'Henri I du nom , Roi de Fran-
» ce , tous deux fils de Robert le Dévot
» eut de fa femme Hermengarde , Henri
» fon unique héritier ; Henri mourut en
1067 , avant fon pere , laiffant de Sybille
de Bourgogne- Comté , Hugues qui
» fuccéda à fon ayeul & mourut fans en-
» fans .... Henry Comte de Portugal , &
" l'Abbé Renaud ».
Qui ne croiroit que cet Auteur a vu ou
l'édition faite par Pierre Pithou , ou l'original
même ? Pourquoi , s'il a confulté l'un
ou l'autre , n'en a - t - il pas rapporté les propres
termes ? Il eft donc dans le même cas ,
que les continuateurs qui nous apprennent
(1) que le recueil que Pierre Pithou fit imprimer
en 1596 , contenoit le fragment
dont nous avons parlé , & des morceaux
de plufieurs anciens Ecrivains de notre hif
toire.
Le fecond exemple qui établit que les
Auteurs dont j'ai fait mention jufqu'ici ,
n'ont point connu , quoi qu'ils en difent ,
(1) Ibid, ac fup.
AVRIL. 1758.
117
le recueil de Pierre Pithou , nous laiffe entrevoir.
1 °. Qu'ils n'ont point eu d'autre
guide que Théodore Godefroy , qui fit imprimer
en 1624 un traité fur l'origine des
Rois de Portugal , où cet Auteur annonce
qu'il n'écrit que fur l'édition de Francfort .
2°. Que ce dernier n'a pas même rapporté
le texte intéreffant & original qu'on demande
aujourd'hui avec juftice , puifque
fes copiftes l'auroient sûrement préférés au
texte françois que nous trouvons dans leurs
ouvrages . 3 °. Que Théodore Godefroi
pourroit bien être le feul qui ait eu connoiffance
du recueil que l'on a fi fort recommandé
à nos refpects , & à qui nous
ne devons encore que nos attentions . Ef
fayons de fortifier cette conjecture ,
Parmi le nombre des Auteurs qui ſe ſont
engagés à traiter , ex profeffo , cette queftion
, n'eft- il pas fingulier , qu'au lieu de
nous conduire du premier mot à la fource ,
on les voie tous attachés fur les pas des uns
& des autres , fe guider fur Godefroi , fans
ofer le citer nommément , pour prétendre
plus sûrement à la gloire de perfuader leurs
lecteurs , qu'ils n'ont parlé que fur un monument
refpectable , & fur la foi des Auteurs
contemporains ? Tels font néanmoins
ceux que les continuateurs citent ( 1 ) eux-
(1 ) Ibid. ac sup,
118 MERCURE DE FRANCE.
mêmes , auxquels on peut accoller les Du
pleix , les Dom Plancher , les Abbés VelÎy
( 1 ) , & tant d'autres , qui n'ont pas même
penfé à vérifier Godefroi , fur un fait auffi
intéreffant que celui qu'ils entreprenoient
de traiter.
ou
Cette vérification fur l'édition de 1596,
qui devient plus néceffaire que jamais pour
autorifer le cours d'un fyftême que l'on a
peut-être trop facilement admis , feroit- elle
moins effentielle à l'authenticité du fragment
qui captive fi fort la foi de nos Hiftoriens
? Déja j'apperçois que la confiance
qu'ils ont accordée à ce monument ,
plutôt à Godefroi , les a fait paffer fur les
erreurs qu'il contient , motif également
nouveau & preffant pour répéter le texte
original , comme on va le voir. On fait
dire au manufcrit du Moine de Fleury (2)
que Robert , premier Duc de Bourgogne
eut de fa femme Hermengarde , Henri
fon unique héritier : fur quoi j'obſerve.
1°. Que Dom Plancher prouve invincible-
(1 ) Dupleix , Hift. de Fr. t. 1 , p. 47. Hift. de
Bourgogne , t. I , PP. 370 & 371. L'Hift. de Fr.
de l'Abbé Velly , t. 2 , p. 419. Ce dernier a fans
doute voulu dire qu'Henri , tige des Rois de Portugal
, étoit petit fils de Robert , Duc de Bourgo
gne , & non pas fon fils.
(2) Hift. de Portugal , loco citat、1
AVRIL. 1758. 119
ment que l'épouse de ce Prince s'appelloit
Hélie , comme on peut s'en convaincre
par une charte de l'an 1045 , que cet Auteur
rapporte aux preuves de fon hiſtoire
de Bourgogne ( 1 ) , & à la fin de laquelle
on lit : Signum ipfius Domini Roberti Ducis,
qui hanc donationem fecit . Signum Helie conjugis
ejus fignum duorum filiorum eorum
Hugenis & Henrici, &c. 2 °. Qu'Henri n'étoit
pas l'unique héritier du Duc Robert
comme le prouve cette charte. Duchefne
lui donne encore ( 2) deux autres fils &
deux filles.
•
Selon les Continuateurs ( 3 ) le manufcrit
a été tiré du cabinet de Pierre Pithou ;
l'Auteur de l'hiftoire du Portugal (4 ) dit
au contraire que ce manufcrit a été trouvé
dans l'Abbaye de Fleury ; une pareille
méfintelligence ne fuffiroit- elle donc pas
pour répandre de juftes foupçons fur l'authenticité
& l'existence de ce monument ?
On préfameroit volontiers qu'une main
trop intéreffée lui a donné le jour , ou qu'il
a des défauts bien capables de balancer fon
autorité , & de lui faire craindre la lumie
(1) T. I , aux preuv. p. xxvij.
(2) Du Chêne , 1. 3 , p. 271 , après Dom Plan
cher ; t. 1 , p. 269.
(3 ) Loco jam cit.
(4) T. 1 , p. ISSÄ
120 MERCURE DE FRANCE.
re. Sufpendons néanmoins notre jugement ;
attendons , il eft jufte , la décifion des
Sçavans leur filence à cet égard rendroit
bientôt la vie au fentiment de Rodrigue
Ximénés , & les partifans de cet Auteur
ne manqueroient pas de fe prévaloir avec
avantage de cette omiffion. J'ai dit plus
haut que cer Hiftorien faifoit une autorité
irréprochable. En effet , ce Prélat diftingué
par fon rang , puifqu'il étoit Archevêque
de Tolede , écrivoit en 1208 , comme l'avouent
les continuateurs ( 1 ) : il avoit donc
vécu dans le fiecle même d'Henri Comte
de Portugal , fi on ne peut raifonnablement
contefter que cet Auteur avoit au
moins quarante ans , lorfqu'il fit fon livre
de Rebus Hifpanicis. Il y traite d'un fait intéreſſant
, arrivé foixante & quelques années
auparavant , dans un pays limitrophe
à celui qu'il habite ; on eft même en droit
de dire qu'il écrivòir dans une Province où
l'intrépidité & les hauts faits du Comte
Henri n'avoient encore pu vieillir. Inf
truit de la frappante révolution qui vit
chaffer les Maures , il confacre à la mémoire
du Prince victorieux un chapitre de
fon ouvrage ; il y dit en termes clairs ( 2 ),
(1) Voyez l'Histoire générale de la Maifon de
France.
(2) Chap. 2 , liv. 6 , après Dupleix , t. I, p. 47.
que
AVRIL 1758 . 121
que ce conquérant eft du Comté de Bourgogne
, ex partibus Bifuminis , & l'on prétend
qu'il s'elt trompé , qu'il a ignoré la
patrie de ce Prince , qu'il a été infenfible
au motif vif & preffant qui engage rout
Hiftorien à s'informer exactement de l'origine
du héros qu'il célebre , qu'il n'a pu
être à portée de confulter des perfonnes
également sûres & éclairées , foit à la Cour
Efpagne , foit à celle de Portugal où régnoit
alors le petit fils du Comte Henri.
Que cet Auteur enfin ne s'eft point inquiété
de ce qu'on pourroit penfer de fon erreur
, dans deux Royaumes où la plus faine
partie étoit en état de la relever : en ce
cas il convient de démontrer cette faute
capitale d'une maniere qui ne fouffre plus
de réplique.
Telles font , Monfieur , les obfervations
que je vous fupplie d'inférer dans votre
Mercure ; afin que la citation du texte original
, donnée par quelque Sçavant qui
youdra bien nous conftater l'authenticité du
fragment de l'Abbaye de Fleury , puiſſe
répandre un jour plus affuré fur l'hiftoire
des deux Bourgognes. Vous partagerez
vous- même la gloire de cette précieuſe découverte
, fi vous m'accordez la grace que
j'ai l'honneur de vous demander. Je vous.
en aurai en particulier la plus vive obli-
I.Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
gation , & c'eft dans ces fentimens que je
vous prie de me croire avec refpect , & c.
P. J. M. D. C.
A Auxonne , ce-1 Mars 1758% but
Al Auteur de l'Almanach de Picardie.
VOTRE Almanach , Monfieur , mérite
des éloges chaque année ; il s'y eft gliffé
celle - ci une légere inadvertance . On lit à
la page 224 , que le boiffeau de bled
d'Aumale pefe 30 livres , & que fa continence
eft d'un demi - pied cube ; vous partez
du principe , que le pied cube contient
60 liv . On en doit conclure feulement que
ce boiffeau contient la moitié du pied cu
be , & non pas un demi-pied cube qui eft
au pied comme un eft à huit ; ce qui fair
une grande différence. Le demi-pied ne
contient que 7 liv. , & le boiffeau de
bled d'Aumale en contient 30. L'exactitude
reclame contre la pofition de votre almanach
: elle a lieu de furprendre ; car votre
capacité & votre attention font connues
avantageufement. J'ai l'honneur d'être
& c.
Le 2 Maxs $ 7.5·8%
F.E. M.V, D. B
AVRIL. 1758.
723
DISSERTATION fur l'origine & les progrès
de l'art de graver en bois , pour éclaircir
quelques traits de l'hiftoire de l'Imprimetie
, & prouver que Guttemberg n'en eft
pas l'inventeur : par M. Fournier le jeune ,
Graveur & Fondeur de caracteres d'Imprimerie.
A Paris , chez J. Barbon 1758 , in-
12 , 92. pag.
Cette differtation eft divifée en 3 parties.
La premiere nous apprend l'ufage ancien
de la fculpture & gravure en bois , la
feconde fes premiers progrès en Allemagne
, & la troifieme ſa perfection & fa
décadence.
En Egypte , en Grece & à Rome , dit
l'Auteur, on gravoit, on ſculptoit en relief
des figures , des ornemens , des marques ,
des noms ou deviſes fur des vafes qui fervoient
aux facrifices , fur de petites tables
de bois où l'on pofoit les fervices , fur les
bois de lits , fur les mortiers à piler le
bled , fur les divers uftenciles néceffaires
à la vie , fur les charriots & fur les
boucliers. Ces opérations fe faifoient fur
le bois , fur la pierre & fur les métaux .
Cet art fut porté en Grece à un fi haut
point de perfection & de délicateffe , que
Thiftoire nous apprend que Callicrate gravoit
des vers d'Homere fur un grain de
millet.
Fij
#24 MERCURE DE FRANCE.
Les Chinois impriment depuis très longtemps
leurs livres en planches de bois fixes,
Il n'eft pas permis de douter que cette maniere
d'imprimer parfaitement , femblable
aux premiers effais d'impreffion de Guttemberg
, ne fût connue dans les Indes au
moins deux fiecles avant qu'on en fît ufage
en Europe.
Les Orientaux ont même porté cet art a
un très grand degré de perfection . Les lertres
& ornemens font taillés avec hardieffe,
& l'impreffion en eft admirable . Ils enploient
avec une adreffe finguliere l'or
F'argent & les couleurs .
Les cartes à jouer qui font imprimées
avec des planches de bois gravées & enfuite
colorées , étoient en ufage en France
, en Allemagne , en Italie & en Angleterre
, avant l'invention de l'Imprimerie,
Dans les archives de la Chambre des Comptes
, on trouve une fomme paffée en 1391
pour un jeu de cartes acheté , afin de divertir
Charles VI qui commençoit à tomber
en démence.
L'art de graver fur le bois , des deffeins
ou figures pour les imprimer far lé papier,
avec une encre épaiffe & gluante , & en
former des images , fut encore antérieur à
Guttemberg. Cet Artifte , à qui on attri
bue vulgairement l'învention de l'ImpriA
V R Í L. 1758. 125
merie, n'a d'autre gloire , dit M. Fournier,
que le courage d'avoir fait une grande entrepriſe.
Environ l'an 1445 , il s'affocia à
Mayence Jean Fauft , Bourgeois de cette ville
. Ces deux affociés , après avoir fait jurer à
leurs ouvriers un fecret inviolable , mirent
au jour une bible qui n'a aucune marque
fenfible de la gravure en bois .Il n'y a aucun
ornement qui puiffe déceler cet art. Les
lettres feulement font gravées & imprimées
, les fominaires font écrits à la main
en lettres rouges ; à chaque chapitre il y a
une place vuide plus ou moins grande , où
Pon a peint la premiere lettre en miniaturre
, fuivant l'ufage du temps pour les manufcrits
, & aider par-là à -la féduction .
L'intérêt ayant défuni ces deux Entrepreneurs
, Fauft s'affocia avec Schoiffer , le
plus intelligent & le plus habile ouvrier de
certe typographie naiffante. Pour l'emputter
fur Guttemberg qui étoit devenu leur
antagonifte , ils graverent avec le plus
grand foin de nouveaux caracteres mobiles
de bois . Its firent de grandes lettres de 41
& pouces de haut , chargées d'ornemens 5
de fleurs & d'animaux. Ces lettres font trèsdélicatement
gravées : enfin le premier outtrage
qui fortit de cette fociété , fut un
chef-d'oeuvre d'impreffion. Cette rapidité .
de l'art , die M. Fournier , eft une preuve
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
qu'il ne confiftoit qu'à faire ufage de la
gravure en bois très- connue , & déjá fore
perfectionnée .
Nous venons de rendre compte des deux
premieres parties de cette differtation . La
troifieme contient des détails très-curieux
fur le véritable art typographique , c'eftà-
dire , fur l'impreffion en lettres de métail
mobile. Cet art fut inventé vers l'an
1457 par Pierre Schoiffer. En 1462 ce
nouvel art commença à fe répandre , & les
Imprimeries fe multiplierent. Il faut lire
la differtation de M. Fournier pour s'inftruire
de quantité d'anecdotes très - curienfes
fur les commencemens de l'Imprimerie ,
& fur l'entiere décadence de l'art de graver
en bois.
DE Imitations Chrifti , Libri IV , ad otte
manufcriptorum , ac primarum . Editionum
fedem caftigati , & mendis plus fexcentis expurgati.
Ex Recenfione Jofephi Valart , Prefbyter
. Hefdinenfis , & Academici Ambianenfis.
Parifiis , Typis J. Barbon , viâ San-Jacobea
, 1758. in- 12.
Le mérite de cet Ouvrage eft trop connu
pour nous arrêter à en parler. Ce traité
dont on a plufieurs traductions en toutes
fortes de Langues , doit être dans les mains
de tous les Chrétiens qui cherchent leur
AVRIL. 1758. 127
Edification , & qui veulent fe former à la
pratique des devoirs de la morale évangéfique
, & à la folide piété. Auffi fon utilité
l'a - t'il rendu d'un ufage prefque indifpenfable
, & c'eſt un des livres qu'on a peutêtre
réimprimés le plus de fois . Cependant
les fréquentes éditions qui s'en font faites
en différens temps , n'ont pas détourné M.
Valart d'en donner une nouvelle. Il a dirigé
celle que nous annonçons , & autant
que nous en pouvons juger , elle a des
avantages réels fur les précédentes. Il nous
affure l'avoir revue non feulement fur huit
manufcrits , dont un eft le plus ancien de
tous ceux que nous ayons de ce Traité ,
mais encore fur les premieres éditions
qu'il a pour cet effer collationnées entre
elles . Il eſt parvenu par ce moyen à corriger
une infinité de fautes qui s'étoient
gliffées dans les éditions poftérieures.
Comme l'Auteur de l'Imitation , qui a
écrit en larin , s'eft moins attaché à la pureté
de la diction , qu'à celle des fentimens
& des préceptes , qui font le caractere de
fon Ouvrage , il s'y trouve beaucoup de
termes qui s'éloignent du goût de la bonne
latinité , foit par rapport à la conftruction
ou à la fignification dans laquelle il les employe.
L'Editeur a pris foin de les recueillir
dans un petit vocabulaire qu'il a mis à
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE:
la fuite de l'Ouvrage. Le volume eft ter
miné par une Differtation de fa façon fur
l'Auteur de l'Imitation . Je ne fçais pourquoi
il a jugé à propos de l'écrire en françois.
Il me femble qu'il eût été plus convenable
de la compofer dans la même Langue
que le texte qu'il fait réimprimer.
Dire qu'il a voulu par-là en rendre la lecture
plus générale en la mettant à la portée
de tout le monde , ce feroit une raifon qui
pourroit avoir lieu dans tout autre cas que
celui dont il s'agit. Car l'édition étant purement
latine , elle ne fçauroit convenir
qu'à ceux qui entendent cette Langue ,
pour l'ufage defquels on l'a entrepriſe . M.
Valart a partagé fa Differtation en trois
articles. Le premier eft deftiné à faire voir
que l'Imitation eft plus ancienne que d'A
kempis , par des paffages tirés de l'Ouvrage
même , qui peuvent fournir quelques lumieres
touchant l'Auteur. Le but du fecond
eft de fixer le temps où elle a été compofée.
Si l'on en fait Auteur Thomas d'Akempis ,
il eft conftant que la date de fa compofition
doit correfpondre au quinzieme fiecle.
L'Editeur prétend au contraire qu'elle eft
bien antérieure , puifqu'il l'a fait remonter
jufqu'au treizieme. C'est ce qu'il tâche
d'établir par des raifons dont on pourra
voir la fpécification dans la Differtation
AVRIL. 1758. 129
même. Il fe propofe dans le troifieme artiele
de déterminer quel eft l'Auteur de
Imitation. C'eft une queftion qui a partagé
les Sçavans , & fur laquelle on n'a
point encore formé de décifion définitive .
On fait communément honneur de cer
Ouvrage à Thomas d'Akempis , mort vers
Fan 1471. Cette opinion , qui eft la plus
fuivie , n'eft pourtant pas la mieux fondée..
Mais il y en a plufieurs qui l'attribuent à
Jean Gerfen , Abbé de Verceil , qui vivoit
dans le treizieme fiecle . Cela a été le fujer
de conteftations très- vives entre les Béné--
dictins & les Chanoines Réguliers , qui
de part & d'autres ont réclamé ce Traité
dans des écrits compofés exprès à cette:
occafion , comme étant l'Ouvrage d'une
perfonne de leur Ordre . Ils font , à dite
vrai , les feuls qui ayent pu s'intéreffer à
une difpute de cette nature , que le temps
a affoupie , fans qu'aucun des deux partis :
ait renoncé à fes prétentions . L'Editeur ne:
balance pas à fe déclarer pour Jean Getfen
, fur l'autorité des plus anciens manufcrits
, à la tête defquels il eft expreffé--
ment nommé comme l'Auteur de l'Ouvrà--
ge , avec fa qualité qui y eft marquée..
M. Valart finit par nous avertir que le
fentiment qu'il foutient , eft celui du celebre
M. du Cange , dont le témoignages
By:
130 MERCURE DE FRANCE.
doit être affurément compté pour quelque
chofe dans ces fortes de matieres ; puifqu'il
avoit feuilleté un affez grand nombre
de manufcrits pour être plus en état
que perfonne d'en connoître l'âge. A l'égard
de la partie typographique de cette
nouvelle édition , elle nous paroît mériter
les éloges qui font dûs , à jufte titre , au
fieur Barbou , pour la beauté & l'élégance
de celles de divers Auteurs Latins , qu'il a
déja données dans le même format.
DEFENSE de la Chronologie fondée fur
les Monumens de l'Hiftoire ancienne ,
contre le fyftême chronologique de M.
Newton ; par M. Fréret , Penfionnaire &
Secretaire perpétuel de l'Académie royale
des Belles Lettres. A Paris , chez Durand ;
rue du Foin , au Griffon , 1758. in-4°. de
506 pages , fans compter la préface qui en
ass.
Comme nous fommes preffés du temps,
nous renvoyons au mois prochain l'extrait
que nous nous fommes propofés de
faire de cet Ouvrage pofthume de M.Fréret,
dont M. de Bougainville eft l'Editeur.
{
AVRIL. 1758. 131
LETTRE À l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
ONSIEUR , j'ai vu dans les petites affiches
de lundi 6 février , deux ouvrages
annoncés fous le nom du Chevalier de Laborie
, Officier au Régiment de Vierfet , l'un
eft intitulé , Lettre fur l'éducation des fem
mes , avec un éloge de l'imagination
; l'autre
, Poéfies diverfes , chez Duchesne , 1758.
Il ne fut jamais un plagiat fi maladroit
& fi hardi. Ces deux ouvrages font tirés ,
mot pour mot, l'un , de mes Confidérations,
fur les révolutions des arts ; l'autre , de mes
Piécesfugitives, qui fe débitent depuis trois
ans , chez Brocas &Jorry.
Vous tenez , Monfieur , un rang trop
diftingué dans la République des Lettres ,
pour ne pas vous intéreffer à ceux qui ont
du moins le mérite de la chérir, C'eft à ce
titre que je vous prie de me rendre juftice
dans votre Mercure d'avril , en y inférant
ma Lettre.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DE MEHEGAN.
A Paris , ce 12 Février 1758.
Voilà la feconde fois que M. l'Abbé de
Méhegan crie au plagiat. Il doit en être
E vj
132 MERCURE DE FRANCE:
flatté dans le fonds : ce malheur n'arrive
qu'aux bons Ecrivains.
La nouvelle édition de l'Abrégé de-
'Hiftoire de France & Romaine ; par M.
Ragois , Précepteur de M. le Duc du Mai--
ne. In- 12 , chez Barbou , rue S. Jacques.
FABULARUM fopiarum libri quinque
P. Defbillon , in - 12 . Editione nova emendatior.
Chez le même Libraire .
Nous ne pourrons donner l'extrait de
la traduction des OEuvres dramatiquess
d'Apoflole Zeno , qu'au prochain Mercure..
AVRIL. 1738. 1133
ARTICLE III
SCIENCES ET BELLES - LETTRES,
HISTOIRE.
DIVORCE
DE L'HISTOIRE ET DE LA FABLESuite
de la Differtation critique du P. Feijooj ,
Bénédictin Espagnol..
M. Huet n'eft pas plus heureux dans fes
autres rapports , que dans ceux que nous
avons donnés pour exemple. Ce feroit un
grand ouvrage que de vouloir le ſuivre , ·
attendu que fon projet embraffe prefque
tous les Dieux & les Héros de la fable ,
dont il n'en fait qu'un feul & unique , qui
toujours a trait à Moyfe ; je dis Dieux &
Héros , parce que M. Huet réferve les
Déeffes & les Héroïnes pour figurer , foit´
avec Séphora , femme de Moyfe , foir avec :
Marie , fa four. Voilà en vérité un ſyſtème
magnifique , s'il pouvoit fe foutenir ::
mais fa grandeur découvre fa foibleffe , ne134
MERCURE DE FRANCE .
pouvant manquer de lui arriver , ce qu'on
voit dans les grands édifices qui , lorfqu'ils
n'ont pas de folides fondemens , plus ils
font élevés , & plutôt ils s'écroulent.
N'étant donc pas poffible d'attaquer
toutes les affertions de M. Huet les unes
après les autres , je combattrai fon fyftême
en gros ; j'efpere le faire de façon à lui
enlever toute apparence de probabilité.
Il faut d'abord fuppofer que l'idolâtrie
commença bien avant la naiffance de
Moyfe, & qu'elle étoit trop étendue pour
que Moyle pût en être l'objet. Ceci fe
prouve évidemment par plufieurs paffages
de l'Ecriture. Il eft dit expreffément dans:
le Livre de Jofué , ch . 24, que Tharé lẹ
le
pere , & Nacher le frere d'Abraham ,.
étoient Idolâtres. Ceux - ci précéderent
Moyfe de quatre fiecles. Les Idoles de La-
Ban , dont il eft fait mention dans la Genefe
, ch. 31 , étoient auffi fort antérieures à
Moyfe. L'Idole de Moloch étoit adorée
par quelques Nations long- temps avant
Moyfe , comme on le voit par le dix-huitieme
chapitre du Lévitique.
L'idolâtrie étoit très- commune du temps
de Moyfe. Il eft certain qu'elle régnoit en
Egypte , puifque Moyfe parlant à Pharaon ,
appelle le Dieu véritable , le Dieu des Hébreux
; d'où il fuit que Pharaon & les
AVRIL 1758. 135
Egyptiens ne le reconnoiffoient pas pour
tel. Il lui dit auffi qu'il n'y avoit point de
Dieu comme fon Dieu : Ut fcias quoniam
non eft ficut Dominus nofter . Il eft vraifemblable
que le Veau d'or que les Ifraélites
adorerent dans le défert , étoit l'image du
Boeuf que les Egyptiens , de qui ils prirent
cette fuperftition , adoroient fous le nom
d'Apis.
n'eft pas moins conftant que l'idolâtrie
étoit établie dans nombre d'autres
Nations. Moloch avoit un culte chez les
Ammonites. Les Moabites étoient Idolâtres
, & leurs femmes firent prévariquer
les Ifraélites , en les portant à adorer leurs.
faux Dieux ( num. cap. 25. ). Dans le feptieme
chapitre du Deuteronome , il eſt fait
mention de fept Nations Idolâtres.
Voilà ce qui ne peut être révoqué en
doute , étant appuyé de l'Ecriture .
Il y aa des apparences
bien
fondées
que
l'idolatrie
étoit
enracinée
du temps
de
Moyfe
, non
feulement
parmi
les Nations
ci-deffus
mentionnées
; mais
encore
chez
toutes
les autres
dont
l'Ecriture
ne parle
pas , étant
inutile
à l'hiftoire
des Ifraélites
.
Je le fuppofe
1º. fur l'expreffion
employée
dans
l'Ecriture
, de Dieu
des Hébreux
, de
Dieu
d'Ifraël
, expreffion
qui
indique
que:
es feuls
Ifraélites
, connoiffoient
& ado136
MERCURE DE FRANCE.
roient le Dieu véritable ; 2 ° . parce qu'il
n'eft pas vraisemblable que dans ce
fi
temps la il y eût eu un autre peuple fidete
à fon Créateur, la divine Providence n'eût
pris foin de nous le faire connoître , ainfi
que les hommes éminens en vertu , qui y
auroient brillé , foit par la plume de Moyfe
, foit par quelqu'autre Ecrivain canouique
; 3. fi la lumiere de la véritable Re--
ligion étoit éreinte chez les Nations voifines
des Ifraélites , qui voyoient leurs cultes
, & les prodiges que Dieu opéroit en
leur faveur , que doit- on penfer des peuples
éloignés 2
L'idolatrie étant fuppofée dès le temps :
de Moyfe dans prefque toutes les Nations
du monde , ou du moins dans un trèsgrand
nombre , voici comme je raifonne
contre le fyfteme de M. Huet . Il eft totale--
ment incroyable que toutes ces Nations >
Idolâtres fe dépouillaffent fi promptement ,
& d'un commun accord', de leurs anciennes
erreurs , pour fe former une nouvelle
fanife Religion , dont l'objet auroit été
Moyfe même ; il eft dont faux que toutes
les Idoles du paganifme repréfentaffent las
perfonne de Moyfe . Je prouve ma premiere
propofition. Si ce grand changement
dans le culte étoit arrivé , il auroit natų--
rellenrent commencé chez les Nations vo
AVRIL 1758. 737
fines des Ifraélites ; celles- ci ayant été les
premieres , qui apprirent & expérimenterent
les prodiges que Moyfe opéroit , &
Ç'auroit été de celles là qu'auroit paffé dans
les éloignées la nouvelle idolâtrie , avec
la connoiffance des prodiges : or ce changement
dans les Nations voifines n'eft pas
admirable, parce que, comme elles n'ignoroient
pas les prodiges que Moyfe opéroit ,
elles fçavoient auffi , du moins en général ,
quelle étoit la Religion que lui & les Hebreux
profeffoient . Elles fçavoient , dis je ,
que les Hébreux n'adoroient pas Moyfe ;
mais que Moyfe & les Hébreux adoroient
un Dieu invisible , au nom & par le fuprê
me pouvoir duquel s'exécutoient les prodiges
dont Moyfe n'étoit que le fimple
inftrument. Conféquemment fi ces prodi
ges avoient fait impreffion fur leur efprit
pour changer de Religion , ils auroient
embraffé celle de Moyfe & des Hébreux
bien loin de fe faire une Divinité d'un
homme que tout annonçoit n'opérer que
par une puiffance furnaturelle .
Rendons fenfible la force de cet argu
ment par l'exemple des Egyptiens. Ceux - ci
virent les grandes actions de Moyfe : `fe
porterent-ils pour cela a le reconnoître
pour une Divinité , & à lui offrir un culte
comme tel? Non fans doute , parce qu'il
138 MERCURE DE FRANCE .
fçavoient par Moyfe même & par les Hébreux
, que rien ne s'opéroit que par l'ordre
, fous l'autorité & la conduite d'un
Dieu que Moyfe & tout fon peuple adoroient
, à qui ils rendoient un culte public
, & qu'ils appelloient tantôt le Dieu
des Hébreux , tantôt le Dieu d'Abraham
d'Ifaac & de Jacob , qui étoient bien anciens
à l'égard de Moyfe. Par conséquent
ces Nations voifines , en les fuppofant ex-
'citées
par les prodiges à changer de Religion
, auroient embraffé celle des Hébreux ,
& adoré le Dieu véritable , & non Moyfe
fon Miniftre , puifqu'elles auroient vu que
tout le peuple ne le regardoit que comme
fon chef & fon protecteur.
Ayant prouvé que les Nations voifines
'des Hébreux ne pouvoient point prendre
Moyfe pour Tobjet de leur culte , il eſt
aifé de conclure de même pour les Nations
Eloignées , qui n'auroient pu l'apprendre
que des premieres : or fi les connoiffances
que celles- ci leur auroient donné des prodiges
de Moyfe , avoient dû les faire changer
de Religion , ç'auroit été pour les
porter à adorer non Moyfe , mais le Dieu
de Moyfe .
A cet argument qui me paroît fans replique
, j'en ajouterai un autre qui n'aura
pas moins de poids . Aucune de toutes les
AVRIL. 1758. 339
Nations Idolâtres ne conferva le nom de
Moyfe , entendant par - là un perfonnage
qu'elles vénéraffent comme une Divinité :
donc aucune n'en fit fon Dieu . L'antécédent
est inniable. Il n'y a aucun monument
de la Religion d'aucun peuple , ni dans les
livres , ni fur les marbres , où l'on life le
nom de Moyfe avec la fignification d'une
Divinité ; la conféquence qui s'enfuit eft
d'une certitude morale : car fi toutes les.
Nations euffent dans un temps rendu un.
culte à Moyfe , il eft moralement impoffible
qu'il n'y en eût eu quelqu'une qui eût
confervé fon nom. Comment pouvoir fe
figurer , le nombre des Nations de la terre
étant fi grand , que toutes s'étant accordées
, comme le prétend M. Huet , à adorer
Moyfe , toutes, fans exception , euffent oublié
fon nom ? Les peuples font tenaces à
conferver les noms de leurs Dieux ; cela
ne peut pas être autrement , parce que ces.
noms font tous les jours fur la langue &
dans la mémoire de chaque individu ::
auffi voit-on que depuis Héfiode & Homere
, jufqu'à l'extinction du Paganifme ,
période qui , fuivant l'antiquité que donnent
à Homere les marbres d'Arondel
comprend douze fiecles , les Grecs conferverent
les mêmes noms de leurs fauffes
Divinités : Jupiter , Junon , Diane , &c «
"
140 MERCURE DE FRANCE.
Il eft donc contre toute vraisemblance que
quelque Nation , & même le plus grand
nombre , n'eût point confervé le nom de
Moyfe , fi dans un temps il avoit été la
Divinité que toutes euffent adorée.
Le fyfteme de M. Huet eft donc deftitué
de tout folide fondement , & le rapport
qu'il a trouvé entre les erreurs du Paga
nifme & les vérités de l'Ecriture , n'a ja
mais exifté que dans fon imagination.
Le dernier argument que nous venon's
de propofer contre M. Huet , peut fervit
contre tous les autres Auteurs qui , par
différentes routes , ont cherché à venir au
même but. Il eft certain qu'il n'y a dans
aucune des fables du Paganifme aucun des
noms propres de l'Ecriture , quoi qu'on ait
cru y en trouver. Pour peu de réflexion
que l'on y faffe , on reconnoît qu'outre la
'diftinction viſible de l'expreffion , la fignification
en eft très - différente. Burtler pré
rend , par exemple , que le mot Evoé' ,
fouvent répété dans les fêtes de Bacchus ,
exprime le nom d'Eve notre premiere mere.
Les Commentateurs de Plaute , de Virgile
& d'Ovide , qui ont trouvé ce mot dans
les ouvrages de ces Poëtes , le regardent
cependant comme une interjection ' qui
exprime feulement le fentiment d'affection
de celui qui le prononce , ce qui eft
AVRIL 175.8. 140
conforme aux Dictionnaires Latins & Grecs
qui lui donnent cette fignification : Bene
fit illi ( Evohé ou Evan : c'étoit le cri que
les Bacchantes faifoient pour chanter les
louanges de Bacchus. Dictionnaire abrégé
de la Fable ).
J'avoue qu'il peut fe rencontrer quel
que fable , dont on peut faire une heureufe
application à quelque hiftoire véritable
; mais cela ne prouve pas que l'hiftoire
ait donné lieu à la fable . Le feul hazard
eft capable de produire ces rapports,
Quel eft l'homme de bon fens qui , parce
qu'il lui arrivera aujourd'hui quelque
chofe de ce qu'il aura rêvé hier , en infere
quelque connexion entre le rêve &
Pévénement ? Il eft prefqu'impoffible que
dans le nombre d'idées que l'imagination
produit , il n'y en ait quelqu'une qui ne
foit cafuellement liée à quelques réalités,
Il faut en dire autant des fictions volontaires
. Parmi tant d'abfurdités & d'erreurs
qui fe trouvoient chez les Gentils , cauroit
été une grande merveille qu'il n'y en
eût pas eu quelqu'une qui eût la fauffe
lueur d'une vérité révélée.
Il eft vrai que comme cette coincidence
peut-être purement cafuelle , elle peut- être
auffi relative ou de connexion , c'eft- à-dire
qu'il eft poffible que quelqu'une des hif
142 MERCURE DE FRANCE.
toires facrées , dégénérant peu-à- peu de fa
pureté , à proportion des circonftances
que la malice , ou l'ignorance des hommes
lui auroit ôté ou ajouté , elle eût été à la
fin transformée en une fable du Paganifme.
La création , l'entrepriſe puniffable de
ceux que l'Ecriture appelle des Géans , la
corruption univerfelle des hommes , le
déluge , font des faits défigurés dans les
Métamorphofes d'Ovide. Mais il y a bien
de la différence entre établir que telle ou
telle fable dérive de l'hiftoire facrée , &
faire de cet exemple un fyftême général
pour toutes les erreurs du Paganifme ; &
encore le rapport de ce petit nombre de
fables doit- il être donné comme probable
& non comme certain , parce que , comme
nous l'avons infinué ci - deſſus , la feule cafualité
a pu l'occafionner.
En nous fixant prudemment à ce milieu
nous nous éloignons d'autant de l'opinion
commune qui fait dériver toutes les fables
de l'hiftoire facrée , fans trop nous rapprocher
du fyftême particulier de M.
Bianchini , un des modernes Sçavans Italiens
, qui prétend que toutes ont leur
fource dans les hiftoires profanes. Suivant
cet Auteur , tout autant d'hiftoires de Héros
& de Divinités que les antiques monumens
nous ont confervées , toutes ont eu
AVRIL. 1758. 143
pour objet des hommes qui , dans les temps.
éloignés , fe rendirent fameux par différentes
routes ( l'amour du merveilleux .
vient de dire M. l'Abbé Trouillet , avoir
porté les anciens peuples à ne montrer
leurs grands perfonnages que fous le voile
de l'allégorie. De-là font nées la plupart
des fables du Paganifme , & des obfcurités
que renferme l'antiqué profane. Mercuro;
fecond volume d'Avril 1756 ) . Leurs actions
ayant été recueillies , foit par les
Poëtes , foit des flatteurs , foit par
leurs créatures , foit enfin par leurs propres
defcendans; il arriva que les premiers
par profeffion , les feconds par intérêt , les
troifiemes par reconnoiffance , les derniers
pour leur gloire , les revêtirent de nombre
de circonftances fabuleufes ; & de cet affemblage
de menfonge & de vérité , fortit
toute la théologie du paganiſme.
par
On ne peut révoquer en doute que les
hommes n'ayent très-fréquemment divinifé
leurs femblables par quelqu'un de ces
quatre motifs. Il y a plus de 2500 ans que
cette fureur s'eft emparée de l'efprit des
Poëtes , & encore aujourd'hui n'en fontils
pas entiérement guéris , n'y ayant pas
de jolie femme que leur plume n'éleve au
rang d'une Déeffe. Les flatteurs faifoient
des Divinités de ceux qui , par leurs vices ,
144 MERCURE DE FRANCE.
étoient même indignes de conferver le
nom d'hommes ; les apothéofes des Empereurs
Romains en font une preuve. La
vanité des defcendans a attribué une origine
toute divine à nombre d'Empires & .
de Républiques ; les Romains non contens
de donner pour pere le Dieu Mars à Romulus
leur fondateur , firent de Romulus
même leur Dieu tutélaire .
t
!
C'eft à l'amour qu'eft dûe la plus ancienne
poffeffion de déifier les mortels..
Nous lifons dans le Livre de la Sageffe ,
chap. 14 , qu'un pere extrêmement affligé
de la mort de fon fils , qui lui étoit enlevé
a la fleur de fon âge , en fit faire l'effigie
pour foulager fa tendreffe qui , paffant les
bornes des fentimens humains , fit bientôt
de l'image l'objet de fon adoration ; l'au̟-
torité étendit la fuperftition jufqu'aux ferviteuts
, le mauvais exemple de ceux - ci
paffa au peuple , & du peuple à toute la
Religion. Ce délire occafionné par la même
paffion , s'empara pendant plufieurs fiecles
des plus grands hommes de l'antiquité.
Ciceron , ce Ciceron l'Oracle des Romains
dans le temps , & depuis l'admiration de
tous les fiecles , s'oublia fi fort à la mort
de fa chere fille Tullie , qu'il fut bien longtemps
dans le deffein de lui ériger un
Temple comme à une Divinité. Ses écrits
nous
AVRIL 1758. 143
nous certifient une fi folle extravagance.
L'Empereur Adrien pouffa cette ridicule
impiété au fuprême degré ; il fit bâtir des
Temples , dreffer des Autels , établit des
Prêtres , des fêtes , des Sacrifices : pour
qui pour un jeune Bithynien , nommé
Antinous , compagnon de fes abominables
turpitudes qui , fuivant quelques Auteurs ,
ſe noya cruellement dans le Nil , ou qui ,
comme d'autres le rapportent , offtit ſa vie
dans un facrifice magique qui fe faifoit
pour la prolongation des jours de l'Empereur
, & qui exigeoit une victime volontaire.
Mais quoiqu'il foit vrai que les fentimens
d'amour , de vanité ou d'intérêt ,
appuyés des fictions poétiques , ayent divinifé
nombre de mortels , le fyftême de
M. Bianchini ne peut pas pour cela fubfifter
dans fa généralité , 1 °. par l'exclufion
qu'il donne à toutes les hiftoires facrées
qui , comme nous l'avons obfervé , purent
être altérées , de la même maniere que les
profanes , par les Poëtes ; 2 ° . parce que
quelques fictions purent être totales , de
façon que la fable n'eût aucun mêlange de
l'hiftoire. Qu'eft ce qui empêchoit qu'un
fourbe de profeffion paffant dans quelque
région éloignée , n'y racontât des prodiges
de quelque Héros de fa Nation qui n'au-
1. Vol.
•
G
146 MERCURE DE FRANCE ;
roit jamais exifté , & qu'enfuite ce pays ,
où le menfonge auroit été répandų , n'adoptât
pour la Divinité le Héros imaginaire
? 3 °. Parce qu'une grande partie du
Paganiſme ayant adoré les aftres , qu'on
croyoit animés , il eft à préfumer que ces
objets donnerent lieu à quelques fictions.
L'adoration du foleil , par exemple , étant
enracinée , on put feindre , & il eft naturel
qu'on ait feint que la Divinité qui l'animoit
, avoit opéré telles & telles chofes ,
fans que cela eût le moindre rapport à
aucun homme , mais feulement à la Divinité
imaginaire.
Peut-être enfin , le grand nombre de
fables du Paganifme n'eut- il d'autre principe
que la repréfentation myftique ou
morale , politique ou philofophique que
quelques - uns lui attribuent ; je veux dire
qu'il le peut que ceux qui forgerent ces
narrations , n'eurent d'autre intention que
de repréſenter obfcurément , & fous le
voile de la fable , des myfteres théologiques
, ou des maximes philofophiques ou
morales , & que par la fuite l'ignorance du
peuple les faifant prendre à la lettre , on
vint à en former une théologie , ou une
Religion ridicule , à laquelle les Auteurs
n'avoient jamais penfé. Il eft conftant que
les Egyptiens cachoient fous des hiérogliAVRIL.
1758. 147
phes , non feulement leur Religion , mais
encore leur hiftoire , leur politique , leur
philofophie , dont on ne donnoit l'explication
qu'aux Rois & aux Prêtres du Soleil.
Il est vraisemblable qu'à l'imitation des
Egyptiens ( dans ces fiecles où ceux - ci
étoient réputés les plus fages du monde .) ,
nombre d'autres Nations ait pratiqué la
même chofe ; comme il eft auffi poffible
que les Egyptiens imitaffent quelque Nation
qui leur fût antérieure dans la réputation
de fcience ( on prétend que les fables
doivent leur origine aux Phéniciens
qui décrivoient des choſes ordinaires d'une
maniere toute figurée & toute hyperbolique.
Furetiere ) . Enfin , cette pratique put
être commune dans l'antiquité. Ce qu'il y
a de certain , c'eſt qu'un très - grand nombre
de fables du Paganifme ont une application
bien plus propre à la phyfique , à la
morale & à la politique , qu'à l'hiſtoire.
Voyez le fameux Bacon dans fon Traité de
Sapientia veterum , où , en fuivant cette
opinion , il explique très heureuſement
beaucoup de ces fables.
·
Concluons que cette matiere eft bien
plus fufceptible d'une infinité de conjectures
, que d'aucun fyftême général & folide.
C'eft ce que nous avons cherché à
prouver dans cette Differtation , fpéciale-
Gij
# 48 MERCURE DE FRANCE.
ment par rapport à l'union de la fable avec
l'histoire , & plus particuliérement encore
avec l'hiftoire facrée , qui eft auffi éloignée
des erreurs du Paganifme , que la plus
grande vérité l'eft du plus grand menfonge.
MEDAILLE S.
Devifes pour les Jettons du premier Janvier
1758.
TRESOR ROYAL.
NEPTUNE environné de fleuves qui lui
préfentent leurs Urnes.
Legende. Dant accipiuntque viciffim.
Exergue. Tréfor Royal.
1758.
PARTIES CASUELLES.
Un Oifeau détachant quelques- unes de
Les plumes pour garnir fon nid.
Légende. Sobolem pia cura juvabit.
Exergue. Parties cafuelles .
1758.
MAISON DE LA REINE.
Un crystal taillé à facettes, rendant plu
Geurs images du Soleil,
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR,
LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS.
JETTONS IDE
RE
MARIA
DER
CHRIS
TIAN
IS
S
JOSE
ET
NAV
REGINA
QU
I
IPIUNT
VIC
QUOQUE
STH
ISSIN
TRESOA ROYAL
1758
SIDERE
QUATERN
FELIX
EMUSAERMIS
BATIMENS DU ROI
1758
UNO
UMIN
AISONDR MADAME
1758
LA DAUPHINE MAISON DE
LA REINE
1758
L'ANNÉE 1758
PIA
JUVABETSIC
DERA
FCED
VISANCIT
PARTSASU2124
1758
MEDITATA
TR
EXTRAORDWARE
DES GUERRES
1758
TEMPESTATE
RIUMPHOS
UTATUE
COPPER DELARTICL
ZTBY GENT.
1758
TRANS
EQUORA
RAUX DENTERS
1758
LABORE
VIRTU
COL FRANC . DE
LAM. 1758
USALIS
MENUS PLAISE
DU ROI
3758
IMPATIENS
XII
PUGN
MARINE
1-58
ORDINAIR 2 DES GUERRES
58
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
A V R I L. 1758. 149
Legende. Quot ab uno lumine Soles.
Exergue. Maifon de la Reine.
1758.
MAISON DE MADAME LA DAUPHINE.
La planette de Jupiter avec fes
Lunes.
Légende. Quaterno fidere felix.
quatre
Exergue. Maifon de Madame la Dauphine.
1758.
EXTRAORDINAIRE DES GUERRES.
Hercules, allié de Pirithous , abattant les
Centaures à coups de maffue.
Légende. Sic fadera fancit.
Exergue. Extraordinaire des Guerres.
1758.
ORDINAIRE DES GUERRES.
Un cheval armé en guerre , retenu à la
barriere .
Légende. Impatiens pugna.
Exergue. Ordinaire des Guerres.
1758.
MARINE.
Deux Argonautes aîlés pourfuivant les
Harpies.
Légende. Ferro & pernicibus alis .
Exergue. Marine .
1758.
G iij
190 MERCURE DE FRANCE.
COLONIES.
Des Aigles qui paffent la mer.
Légende. Eadem trans aquora virtus.
Exergue. Colonies.
1758.
BATIMENS DU ROI.
Un trophée compofé des inftrumens des
trois arts ; Architecture, Peinture & Sculp
ture.
Légende. Et his quoque vincimus armiš .
Exergue . Bâtimens du Roi .
1758.
MENUS PLAISIRS.
Des Génies avec des lauriers & des
guirlandes.
Légende. Placet empia labore voluptas.
Exergue. Menus plaifirs.
1758.
ARTILLERIE ET GENIE.
Pallas tenant d'une main la foudre , &
de l'autre un plan de fortifications qu'elle
confidere attentivement.
Légende. Novos meditata triumphos.
Exergue. Corps royal d'Artillerie & du
Génie.
1758.
AVRIL. 1758. ist
CHAMBRE AUX DENIERS .
Une plante de laurier.
Légende. Nulla tempeftate mutatur.
Exergue. Chambre aux Deniers.
1758.
HISTOIRE NATURELLE.
REMARQUE fur un poiffon qu'on croit être
la Torpile.
UNE tempête ayant fait échouer fur la
côte du Croific , un poiffon que perfonne
du pays ne connoiffoit , on me l'apporta.
Je le comparai avec différentes figures de
poiffons deffinées d'après nature, & je trou
vai qu'il reffembloit parfaitement à la fameufe
torpile , fi célebre dans l'hiftoire
naturelle des poiffons. Sa réputation piqua
ma curiofité , & j'entrepris à l'aide du
fcalpel , de fonder fon méchaniſme intérieur.
Le défir de connoître la nature mé
tamorphofe fouvent les Phyficiens en anatomiftes.
Je m'attendois , vu fa configuration
extérieure d'y trouver des arêtes ;
mais à leur place , je n'y découvris que
des efpeces d'os cartilagineux tels que ceux
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
à >
de la raie. Les fibres de fa chair avoient
beaucoup de rapport
ceux de la morue
& étoient à peu près de la même blancheur
; mais une fingularité que je ne dois
pas obmettre , c'eft qu'il s'y trouvoit beaucoup
d'endroits teints intérieurement du
plus beau couleur de rofe. J'abandonne ici
la diffection pour paffer aux remarques
phyfiques que j'ai à faire fur cet animal.
En inférant le doigt vers fon coeur , je
fentis une piquure affez vive : je crus d'abord
que quelque arête très- fine étoit la
caufe d'un tel effet ; mais m'étant affuré
de la fauffeté de ma conjecture , je ne fçavois
plus à quoi attribuer cette efpece de
piquure beaucoup plus violente que celle
de la matiere électrique , lorfqu'elle eſt
miſe en mouvement par la force centrifuge
d'un globe de verre. Je fis mettre dans le
même endroit le doigt de la perfonne qui
m'aidoit dans cette opération , elle rellentit
la même douleur : mais ma furpriſe augmenta
bien. davantage , lorfque quelques
momens après , je fentis une véritable
crampe dans toute l'étendue de ma main
avec un engourdiffement dans le bras , accompagné
de mouvemens de friffon qui
fembloient couler de nerf en nerf. Je ne
doutai plus alors que cette qualité engour
diffante , qu'on attribue à la torpille lorf
AVRIL. 1758. 153
qu'elle eft vivante , ne fe fût confervée en
partie après la mort même. Sur ces entrefaites
, deux foldats de milice trouverent
la chair de ce poiffon fi belle , qu'ils me
la demanderent avec inftance pour la goûter.
Je leur dis de quoi il s'agiffoit , &
qu'ils rifquoient tout au moins une indigeftion.
Je me laiffai fléchir par leurs prieres
, lorfque j'eus fait réflexion , qu'une
efpece de raie appellée tremblar par les Pêcheurs
, fans doute à caufe de la propriété
qu'elle a de communiquer à la jambe un
mouvement de tremblement convulfif
Torfque l'on pofe deffus fon pied nu , ne
fait cependant aucun mal à ceux qui en
mangent . Effectivement , il ne leur en arriva
rien ; ils la trouverent au contraire
délicieufe , mais de tels palais font de
fort mauvais Juges en fins ragoûts.
Ceci nous fait voir , que ce qui peut opé
rer certains effets fur les nerfs de la peau
n'a plus le même pouvoir fur ceux de l'eftomac
.
C
Pline le Naturaliſte , dit , liv . 32 , chap.
1: Ex eodem mari torpedo etiam procul &à:
Longinquo , vel fi haftâ virgâve attingatur
quamvisprava lidos lacertos torpefcere quam--
Libet ad curfum veloces alligatipedes tradunt.
Si ces effets font vrais ( car les anciens .
Naturaliftes étoient de grands exagéra
G.v.
154 MERCURE DE FRANCE.
teurs , & fouvent même quelque chofe de
plus ) , il n'eft pas douteux que la mort du
poiffon n'ait éteint cette activité , au point
de n'en plus laiffer que de foibles reftes.
Je ne m'arrêterai pas à raiſonner fur la nature
de cette matiere , qui fixe en quèl
que façon nos mouvemens mufculaires.
C'est bien affez pour un Phyficien de raifonner
fur les chofes vifibles , fans préten
dre encore y joindre l'invifible.
Le même Pline dit dans un autre endroit
, liv. 9 , chap. 42. Novit torpedo vim
fuam , ipfa non torpens merfaque in limo fe
occuliar.
Je fuis en état de prouver qu'elle s'attache
au rochér même ; la partie dont elle fe:
fert pour cet ufage , eft peut-être unique
dans les habitans des ondes , fon méchanifme
eft des plus curieux , & d'autant
plus à notre portée , que nous pouvons l'imiter
& le contrefaire.
Un jeu d'enfant ( la boule de Savon )
fournit au grand Newton les plus habiles
expériences qui ayent jamais été faites dans
la phyfique expérimentale. Un autre jeu
d'enfant me fournira ici l'expérience dont
j'ai befoin pour expliquer l'action mécha→
nique de la partie qui fert à la torpile à
s'attacher contre le rocher affez fortement
pour réſiſter à l'agitation des flots..
AVRIL. 1758.
ISS
Un cuir mouillé , attaché au bout d'une
corde , fert aux enfans à élever de terre
des cailloux dont la ſurface eft affez polie
pour permettre au cuir de s'y appliquer immédiatement.
Tout Phyficien en fçait la
raifon , mais je trouve à propos de la répéter
ici en faveur de ceux qui ne la ſçavent
pas. La corde étant attachée au centre
du cuir , fait tout fon effort à ce feul point
pour le détacher de la pierre ; mais fa flexibilité
naturelle lui permet de s'élever en
cet endroit , quoique toutes les parties qui
fe trouvent plus près de fa circonférence ,
reftent encore pendant ce temps- là , comme
collées fur le caillou. Il fe fait donc alors
un vuide entre le cuir & la pierre , mais
aucun vuide ne peut fe faire à la furface
de notre fphéroïde terreftre , qu'une colonne
d'air d'une pefanteur égale à 27 pouces
de Mercure , ne preffe en raifon de fon
poids fur le cuir & en deffous de la pierre
pour en rapprocher les furfaces défunies ;
ne pouvant trouver aucune iffue au travers
de leurs pores pour s'infinuet entre deux ,
cette force devenant victorieufe de la pefanteur
abfolue du caillou , le force de fuivre
le cuir. Notre poiffon a immédiatement
entre les deux nageoires, qui fe trouvent
au deffous des ouies , une partie membranenfe
à peu près circulaire , qui fait en
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
fa faveur l'office du cuir mouillé que je
viens de décrire. Le milieu de cette membrane
eft de la grandeur d'un écu de fix
livres , lorfque le poiffon eft frais ; elle eft
femée par compartiment de petites éminences
fpongieufes qui fervent à la prémunir
contre la dureté des frottemens :
tel eft l'ufage des fubftances fpongieufes
qu'on découvre fous les pattes des chiens ,
des chats , & c. Tout au tour s'étend une
membrane plus fine , qui ne furpaffe guere
en épaiffeur une feuille de parchemin ,
& dont les fibres , ont la même direction
que les d'un cercle. La grandeurtotale
de cette piece repond à celle d'une
petite foucoupe à café.
rayons.
Lorfqu'elle fe trouve immédiatement
appliquée contre le rocher , l'agitation de
l'onde faifant effort. pour foulever le poiffon
, opere un vuide vers fon centre , que
la colonne d'eau jointe à celle de l'air s'ef
forcent de venir remplir : elles preffent
par conféquent le poiffon en raifon de la
furface du vuide qui fe trouve fous la
membrane. Donc cet effort. augmente
à mesure qu'il s'en détache une plus grande
partie de la furface du rocher . Si quel
qu'un , par hazard , révoquoit en doute
la vérité du fait , je fuis en état de lui
montrer la peau de ce poiffon , fourrée &
AVRIL. 1758.
très-bien confervée , où l'on peut voir la
partie dont je viens de faire la defcription ;
j'offre même de l'envoyer à Paris au premier
Naturalifte qui la défirera.
Un Méchanicien qui eft un peu Naturaliſte
, voit dans certains poiffons & dans
quantité d'infectes , des modeles de machines
dont les hommes fe croient les premiers
inventeurs ; au refte , il fe pourroit.
très -bien faire qu'ils n'euffent fait qu'imiter
la nature dans le commencement de
l'invention des arts , & dans ce cas nous
lui ferions encore redevable de nous avoir
appris elle-même à l'embellir par les tra
vaux de nos mains. Ce n'eft en effet que
depuis qu'on s'eft mis à l'obferver , & à
tâcher de lui arracher fes fecrets par d'ingénieux
artifices , que nous pouvons dire
avoir fait quelques progrès dans les véri
tés phyfiques. Que les bons efprits doivent
regretter le temps que tant de beaux gé
nies , & chez les Anciens , & chez les
Modernes , ont paffé à imaginer la nature
& à la faire quadrer avec leur fyftême !
Jofe le dire ici , un fyftême n'eſt qu'un
obftacle de plus à la découverte de la vérité
c'est vouloir conftruire un édifice
avec des matériaux qu'on ne connoît point
affez : l'on bâtit au hazard , & le temps .
fait toujours voir à la postérité que les Ar
chitectes fe font trompés , tandis qu'un fait:
:
158 MERCURE DE FRANCE.
bien approfondi refte pour toujours.
DE VILLENEUVE.
Au Croific , ce 26 Février 1758 .
CHIRURGIE.
DESCRIPTION d'un Enfant furnaturel , qai
a été présenté à l'Académie royale de Chirurgie
, le & Septembre dernier.
10. CET enfant eft venu à terme : il a
dix-huit pouces de long , & eft épais fut
les épaules d'un pied trois pouces & demi .
2º. Il a deux têtes , que l'on peut nom
"
mer tête droite & tête gauche.
3. Ces deux têtes font foutenues fut
deux cols bien diftincts , compofés de verrebrés.
4. Il a quatre bras , deux latéralement
& deux poftérieurement ; de forte que ce
fujet eft double fupérieurement , & fimple
inférieurement , & d'ailleurs beaucoup
d'autres particularités.
Le fieur Caftel étudiant en chirurgie ,
poffeffeur de ce phénomene , propofe aux
amateurs de l'hiftoire naturelle , de leur
faire l'analyse de ce fujet. Si quelqu'un des
re en décorer fon cabinet , il pourra s'adreffer
chez M. Vifinet , Maître Perruquier, rue
Mont-Martre , au coin de la rue du Mail.
AVRIL. 1958% 199
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQU E.
Six Duo à deux violons , ou pardeſſus ,
dédiés à M. le Marquis d'Etampes , Colonel
aux Grenadiers de France , par M.
Milandre. Gravés par Mlle Cheron . Prix
6 liv . en blanc. A Paris, chez l'Auteur, rue
Quincampoix , près S. Joffe. Et aux adref
fes ordinaires . Avec privilege du Roi.
TROISIEME Livre de Sonates à violon
feul , & baffe , dédié à Madame Ifabelle
Comteffe de Parliſle , par Félice Dejardino.
Prix 6 liv. Aux adreffes ordinaires de Mufique.
Cer Auteur eft connu avec avantage
dans le Public par plufieurs Ouvrages qui
ont plû extrêmement.
L'ÉLOGE de la Voix , Cantatille à voix
feule & fymphonic , dédiée à Madame de
160 MERCURE DE FRANCE:
Blair , Intendante du Hainaut & du Cam--
brefis ; par M. Légat- de Furcy , Maître
de Mufique & de Clavecin. Prix 1 l . 16 f..
Gravée par Mlle Vandôme , & fe vend à
Paris , chez l'Auteur , rue de Long- pont
près S. Gervais , & aux adreffes ordinaires.
Les paroles font de l'Anonyme de Chartrait,
près Melun.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
PRECIS de l'idée de l'Effai de M. Clémentfür
la compofition & fur l'accompagnement
du Clavecin.
Τουτ Tour ce qui a été dit par les Anciens
& par les Modernes fur l'harmonie , &
que j'ai recueilli dans cet Effai , fe réduit
à ceci :
L'harmonie eft une ; le fonds en eft le
même , quoique les Anciens & les Modernes
en ayent parlé différemment .
Tout eft confonnance ou diffonnance à
l'oreille ; la premiere la flatte , la feconde
la choque ; l'une répare ce que l'autre a
fait fentir de défagréable.
L'harmonie confonnante n'eft qu'un accord
parfait , qui fe trouve dans la nature
& dans la divifion d'un corps fonore , que
AVRIL 1758. 161
T'on fait raisonner ; expérience connue de
tout le monde.
L'harmonie diffonnante n'eft qu'un
accord de feptieme fondé fur trois tierces
qui fe fuccedent , & dont la derniere , qui
forme la ſeptieme touchant l'octave , forme
le fon diffonnant . Voilà tout le fyftême
harmonique : car fi tous les accords de
l'harmonie tirent leur origine de ces deux
là , il ne faut donc reconnoître pour accords
fondamentaux qu'un accord parfait
& un accord de feptieme , qui prennent
différens noms fuivant les notes du ton
far lefquelles on les fait entendre . Auffi
l'accord parfait tonique s'appelle - t'il 6
fur la médiante , & fur la dominante ?
Auffi l'accord de feptieme dominante
prend-t'il le nom de fur la feconde notte
, de 4 fur la quatrieme en defcendant
l'octave , de fur la note fenfible , & ainfi
8
des autres.
Vous trouverez tout cela développé
dans ce petit Effai , furtout dans une cofonne
qui réunit fous un feul point de
vue tout ce qui concerne chaque accord
en particulier. Sur une même ligne on.
voit l'accord , fon nom , ſon chiffre , ſon
accompagnement ou les fons qui le compofent
, fon ufage , & fa dérivaiſon ou
origine ; ce qui facilite beaucoup la théo
16% MERCURE DE FRANCE.
rie & la pratique de la compofition , &
furtout de l'accompagnement du clavecin ,
dont la pratique devient bien plus facile
aux jeunes gens par cette méthode qui ,
en leur mettant deux accords fous les
doigts , leur donne tout de fuite la pratique
de tous les autres.
Voilà , Monfieur , ce que j'ai l'honneur
de vous développer far mon petit Ouvrage
; je vous prie de le lire , & vous y verrez
réuni en abrégé ce qui a été écrit fur l'harmonie.
Peu de perfonnes n'ont pas réuffi pas
cette méthode d'accompagnement.
J'ai l'honneur d'être , &c.
T. CLEMENT.
VENUS vengée , Cantatille à voix feule
& accompagnement , dédiée à M. L. de
Lagery , par C. H. Blainville , gravée par
Mademoiſelle Vandôme . A Paris , chez
l'Auteur , rue de la Harpe , au café de
Condé ; chez M. Bayard , rue S. Honoré ,
à la Regle d'or ; chez M. le Clerc , rue du
Roule , à la Croix d'or ; chez Mademoiſelle
Caftagneri, rue des Prouvaires , à la Mufique
royale ; chez M. le Menu , rue du Roule
à la Clef d'or.
⚫ Cette nouvelle Cantatille eft d'un Augeur
dont le talent eft connu. On y trouve
AVRIL. 1758. 163
du chant & de l'harmonie. L'entrelaffement
des modes y eft auffi -bien entendu que la
bonne modulation.
E
GRAVURE.
Le fieur François , Auteur de l'art de
graver dans le goût du crayon , vient de
mettre au jour un Deffein de M. Carle-
Vanloo, qui repréfente des Soldats habillés
à l'antique , & occupés autour d'une table
à boire de la biere . Ce Deffein avoit paru
dans le dernier Sallon , où il avoit fait
Fadmiration de tous les Connoilleurs. En
effet les figures y font bien grouppées , leur
action eft vive & naturelle , & tous les
acceffoires font bien entendus. Ce morceau
eft très bien rendu par le Graveur . La
hardieffe & la précision du Deffein , le
moëlleux & le large du crayon y font fidélement
copiés. C'eft en même temps un
Deffein d'étude & une Eftampe qui fait
tableau . Cette gravure eft dédiée à M. le
Marquis de Marigny , Confeiller du Roi
en fes Confeils , Commandeur des Ordres
de Sa Majefte , Directeur & Ordonnateur
général de fes Bâtimens , Jardins , Arts ,
Académies , & Manufactures royales.
164 MERCURE DE FRANCE.
LE fieur Moitte a mis au jour une Ef
tampe repréfentant un Repos de chaffe ,
d'après Bénard. Le fujet nous a paru rendu
avec beaucoup de légéreté & de grace.
Cette gravure eft dédiée à M. Cochin
Chevalier de l'Ordre de S. Michel , Garde
des Deffeins du cabinet du Roi , & Secretaire
perpétuel de l'Académie royale de
Peinture. Le prix eft de 2 liv.
AVRIL 1758. 165
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADEMIE
'ACADEMIE royale de Mufique a continué
avec fuccès jufqu'à la clôture de fon
Théâtre , les repréſentations de la Tragédie
d'Enée & Lavinie. Plus on l'a vue ,
plus on a applaudi M. Dauvergne , & plus
on a été forcé de rendre à fon grand talent
toute la juftice qu'il mérite . Que ne doiton
pas attendre de lui , quand il fera choix
d'un Poëme plus heureux ! On peut dire
avec vérité que cet Opera , à un article
près , réunit tout ce qu'on peut defirer . Il
eft parfaitement habillé , la mufique en eft
excellente , les Ballets en font charmans . Il
ne lui manque que des paroles .
Pour la gloire de M. de Fontenelle ,
nous ne ferons pas l'extrait d'une Poéfie fi
peu digne de lui. Ce feroit bleffer en
quelque forte les mânes de ce grand homme
, & nous croyons ne pouvoir mieux
les honorer qu'en gardant un filence ref
pectueux fur cette trifte production.
466 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE FRANÇOISE.
Le lundi 27 Février , les Comédiens
François ont repréfenté pour la premiere
fois Aftarbé , Tragédie nouvelle. C'eſt la
premiere piece de M. Colardo , qui n'a ,
dit-on , que 23 ans. Un premier parterre
l'a jugée avec trop de rigueur. Un fecond
Public lui a prodigué les applaudiffemens ,
& nous penfons qu'il a été plus jufte même
en les exagérant. On ne peut pas annoncer
un talent plus marqué pour la poéfie , &
quoi qu'on en dife , c'eft le premier du
théâtre. Il couvre feul les défauts d'un
voile féducteur , & met les beautés dans le
jour le plus brillant : il porte enfin la magie
jufqu'au point de faire tout écouter
avec plaifir , en dépit du défaut d'intérêt
& de conduite. C'eft ce que nous avons
éprouvé à la repréſentation de la Tragedie
de M. Colardo. Ce n'eft pas affez de dire
qu'il fait de beaux vers , il poffede ce don
aujourd'hui devenu fi rare , cette contexture
parfaite , cet enfemble harmonieux
d'une verfification toujours noble , toujours
foutenue , qui fait fur l'oreille & fur
Tame le même effet que produit une excellente
mufique. Ajoutons qu'il penſe
AVRIL 1758. 167
plus fortement qu'il n'eft permis à fon âge ,
& qu'il exprime encore mieux ce qu'il
penfe il joint fouvent la force de Corneille
à l'élégance de Racine . Il eſt abondant
en images & fobre en épithetes, Il
n'employe que celles qui peignent . On
peut feulement lui reprocher d'avoir un
peu trop de ce que les autres n'ont pas
affez. C'eft une profufion de penfées &
de traits dont la continuité fatiguent . Seş
éclairs, quoiqu'ils brillent fans efforts , font
trop fréquens , & l'on eſt ébloui de tant de
lumiere,
Il y a tout lieu de préfumer qu'il ira
toujours en croiffant. Son fecond Ouvrage
doit enchérir fur fon premier. Mieux inftruit
de l'art du théâtre , il fera fans doute
un choix plus heureux ; il conftruira mieux
fa fable , il obfervera mieux la liaifon des
fcenes , & joindra au mérite des détails
celui de l'enfemble. 11 feroit à fouhaiter
que M. de la Touche eût conduit Aftarbé ,
& que M. Colardo eût fait les vers d'Iphigénie.
Nous penfons que de tous les deux
réunis , on feroit un excellent Poëte tragique.
Les cinq repréſentations qu'on a
données d'Aftarbé ont toujours été des
plus fortes , & également applandies : nous
ne doutons point qu'on ne la reprenne
après Pâques. On doit cet encouragement
168 MERCURE DE FRANCE:
à un jeune Auteur , dont le coup d'effai
annonce tout ce qu'on peut efpérer d'un
vrai talent.
Le famedi 11 Mars , les mêmes Comédiens
ont fermé leur Théâtre par Inès de
Caftro , avec le compliment d'ufage . M. de
Belcour s'en eft bien acquité à fon ordinaire.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont fait la clôture
de leur Théâtre le famedi 11 Mars ,
par la Noce interrompue , fuivie de la Fille
malgardée , parodie de l'acte de la Provençale
. Le fujet de cette nouvelle Paredie
eft un vieux Magifter de village , qui
a pour écoliere la jeune & belle Nicolete
dont il eft éperduement amoureux . Craignant
la coquetterie de ce charmant objet ,
il le cache à tous les regards , & ne l'entretient
que de fa prétendue laideur . La naïve
Nicolete s'eft mirée dans les eaux pures
d'un ruiffeau , & a été fort fatisfaite de fa
figure. Un jeune Amant qui , à l'infçu du
jaloux , lui a parlé d'amour , l'a encore
mieux perfuadée. Une vieille Gouvernante
du Magifter , impérieufe & brufque , veille
à tous les pas. Elle avertit le jaloux que
les
AVRIL. 178 . 169
les Amans peuvent s'introduire par une
breche faite au mur du jardin ; ce qui l'oblige
d'aller dans la guinguette prochaine
chercher des Maçons. Pendant fon abfcence
la furveillante donne dans un piege
que Nicolette lui tend ; l'Amant arrive en
cabriolet , & enleve fa chere Maîtreffe. Le
Magifter apprend une fi trifte nouvelle , &
en est défeſpéré.
Cette Parodie eft ornée de plufieurs
Ariettes Italiennes. Celle qui fait le plus
de plaifir & d'effet , eft chantée par Mlle
Favart , qui fait avec fuccès le rôle de Nicolette
, & qui eft en habit d'enfant . Dans
cette Ariette , on entend des fons mal articulés
d'une écoliere qui épele , mêlés
avec des fanglots & des pleurs , le Magifter
y joint les emportemens & fes brufqueries.
Le tout enfemble fait un tableau des
plus agréables .
M. Deshayes a fait le compliment qui a
été fort applaudi.
OPERA COMIQUE.
LE famedi 18 Márs , l'Opera Comique a
fait la clôture de fon Théâtre par le Magazin
des Modernes , précédé des Troqueurs,
& fuivi du Peintre amoureux de fon Modele,
I. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE:
& de fa Parodie intitulée , Gilles , garçon
Peintre , amoureux & rival , Parade avec
des divertiffemens , & le compliment à
l'ordinaire..
Gilles qui broye des couleurs , & le
bon homme Caffandre qui peint des enfeignes
; Colombine , fa chambriere , & la
belle Zirzabelle qui fert de modele pour
un enſeigne à biere , font les perfonnages
de cette Parade , digne d'être repréſentée
en dehors. Les paroles même pourroient
fcandalifer chez Bienfait. Il n'en eft pas
de même de la mufique : elle ne feroit
déplacée fur aucun théâtre. Les Ariettes
font bien coupées & ont beaucoup d'expreffion.
CONCERT SPIRITUEL.
E Le Dimanche de la Paffion 12 Mars , le
Concert a commencé par une Symphonie ;
enfuite Exaltabo te , Motet à grand choeur
de M. de la Lande , où Mlle Sixte a chanté
; M. Vachon a joué un Concerto de fa
compofition avec la même réuffite. M. Muguet
a chanté un petit Motet de M , Mouret.
Mlle d'Heuzé a joué fur l'orgue un
Concerto de M. Balbaftre . Mlle le Miere
chanté un petit Moter, Ce Concert a fini
AVRIL. 1758.
171
par Bonum eft , Motet à grand cheur de
M. Mondonville.
Le mardi 14 Mars , le Concert a commencé
par une Symphonie fuivie de Deus
mifereatur , Motet à grand choeur de M.
Davefne. M. Vachon a joué enfuite un
Concerto de fa compofition. Mlle Veftrisde
Giardini a chanté deux airs Italiens.
M. Balbastre a joué fur l'orgue l'ouverture
de l'Opera Languedocien. Mlle Fel a
chanté un petit Motet. Le Concert a fini
par un Poëme intitulé les Ifraélites à la
Montagne d'Oreb , mis en mufique par M.
Mondonville.
Ce Poëme qu'on peut appeller un Öratorio
François , a eu le plus brillant ſuccès,
& le mérite. Il eft de la plus grande beauté.
On peut avancer qu'il eft effai & modele
tout à la fois. II prouve mieux que
tout ce qu'on a pu écrire , que notre mufique
eft fufceptible de tous les modes &
de toutes les expreffions qu'on lui avoit
refufées il enrichit notre mufique
d'un nouveau genre qui lui manquoit.
Pour tout dire en un mot , il eft digne
de la mufique de M. Mondonville , qui
l'a rendu avec toute la fublimité que
fujet demande , & qui , à un ſpectacle différent
, femble avoir trouvé fon Quinault.
Il faudra à l'avenir aller au Concert pour
le
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
entendre de bonnes paroles françoifes. Ce
Poëme de M. l'Abbé de Voiſenon , on peut
le nommer fans le commettre , mérite d'être
confacré dans les faftes des Spectacles
François . Nous croyons faire plaifir à nos
Lecteurs de l'inférer ici dans fon entier.
LES ISRAELITES
A LA MONTAGNE D'OREB ,
POEME.
Choeur d'Ifraélites,
HELAS ! Dieu nous conduit dans ce féjour d'allarmes
,
Et nous y fommes immolés :*
Nous n'avons que nos larmes
Pour éteindre la foif dont nous fommes brûlés,
Aaron.
Refpectons du Seigneur la volonté fuprême ;
Il peut tarir la fource de nos pleurs :
Même en nous frappant , il nous aime ;
'Adorons fes décrets jufques dans nos malheurs ,
Le Choeur.
Pourquoi détruit-il fon ouvrage ?
Par les revers & l'opprobre flétri ,
Eft- ce là ce Peuple chéri
Qu'il appelle fon héritage
AVRIL 1758 . 173
!
Aaron.
Auprès de l'Eternel Moyfe eft votre appui ;
Craignez de l'irriter par votre impatience :
Tremblez , il paroît , il s'avance ;
Vos murmures vos cris ont percé jufqu'à lui .
,
Un prélude annonce Moyfe
Moyfe.
Quelles clameurs ont frappé mon oreille ;
Et d'un Dieu de clémence ont fait un Dieu veng
geur ?
Le Choeur.
Des maux que nous fouffrons , vous feul êtes
l'auteur ;
Nous gémiffons , & le Seigneur fommeille
Moyfe.
Peuple féditieux & digne de mépris ,
Aux bontés du Très- Haut réſerviez -vous ce prix?
Le Choeur.
Que font devenus fes Oracles ?
Trouvons-nous en ces lieux ce qu'il nous a pro
mis ?
Ce Dieu fi bienfaiſant nous traite en ennemis.
Moyfe.
Ingrats , avez -vous donc oublié fes miracles ?
C'est ce Dieu dont le bras vous foutint tant de
fois :
A la mer étonnée , il impofa des loix ;
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Il conduifit vos pas dans fes routes profondes,
Et les flots divifés revinrent à fa voix
Engloutir l'ennemi dans l'abîme des Ondes..
Il fouffrit , il calma vos cris tumultueux.
Expirans de langueur , en cet état funefte ,
La mort levoit fon glaive affreux ,
Il ouvrit les portes des Cieux ,
Et fit tomber pour vous un aliment célefte.
Du Pere le plus tendre implorez le ſecours ;
N'armez plus contre vous fa puiflance infinie ;
Soyez foumis au Dieu dont vous tenez la vie ,
C'est l'unique moyen d'en prolonger le cours.
Dieu veut vous éprouver ; que vos pleurs le filéchiffent.
Le Choeur.
Il rejette nos coeurs , lui , qui les a formés ;
C'eft en vain qu'ils gémiffent ,
Nos femmes , nos enfans périffent ;
Les tombeaux font ouverts , & les Cieux font
fermés.
Moyfe.
Ciel ! quels objets ! quelles victimes !
Nous périffons.
Le Choeur.
Moyfe.
Quel fpectacle d'horreur !
J'oublie , en voyant leur malheur ,
Que leurs murmures font des crimes
AVRIL. 1758. 171
Nous périffons.
Le Choeur.
Moyfe.
Dans ces momens affreux ,
Seigneur , n'écoute plus le cri de la vengeance.
Hélas !
Le Chaur
Mayfe.
De ta clémence
Répands les tréfors précieux.
Hate-toi.
Le Chaur.
Neus mourons.
Moyfe.
Que vas -tu faire › arrête :
Ils font tous tes enfans.
Le Choeur.
O fort & trifte fort L
Moyse.
Lance plutôt la foudre fur ma tête ,
Ne frappe que moi feul , je me livre à la mort.
Nous expirons.
Le Choeur.
Moyfe.
Grand Dieu , la foi la plus ardente
M'ordonne de tout efpérer ;
Tu ne peux tromper mon attente.
Ton peuple eft tout prêt d'expirer.
Ranime fa force mourante ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Pour te bénir , & t'adorer.
Moyje frappe le rocher , il en fort des torrens d'ead.
Le Choeur,
O prodige ! ô miracle ! ô puiffance ſuprême !
D'impétueux torrens s'élancent du rocher.
Moyfe.
Dieu devroit vous punir , & Dieu veut vous tou
cher ;
Il vous prévient , il vous cherche , il vous aime
Il daigne ne vous reprocher
L'oubli de les bienfaits , que par fa bonté même,
A ces traits éclatans , connoiffez l'Eternel ,
Adorez le Dieu d'Ifraël .
Le Choeur.
Adorons le Dieu d'Ifraël.
Moyfe.
Il appelle , il attire , il commande , il terraffe ;
Sans forcer notre volonté :
Il a de ce rocher brifé la dureté ,
C'eſt l'image des coeurs qu'il frappe de fa
A ces traits éclatans , connoiffez l'Eternel
Adorez le Dieu d'Ifraël.
Le Choeur.
'Adorons le Dieu d'Ifraël.
grace
Moyfe , Aaron & le Choeur.
Que le Seigneur eft grand que fa puiffance
étonne !
AVRIL. 1758. 177
Sa bonté remplit l'Univers.
Que fa vengeance éclate , tonne ;
Qu'il frappe les peuples pervers
Qui refuſent d'aimer un Maître qui pardonne,
La muſique du récitatif de Moyfe,
Ingrats , avez-vous donc oublié , &c.
eft admirable. Celle du Choeur
Nous périffons ,
eft du plus grand pathétique , & le dernier
Choeur ,
Que le Seigneur eft grand ! &c.
réunit tout ce qui peut rendre un choeur
parfait ; la majefté , la force & la richeſſe
d'harmonie .
le Le vendredi 17 du même mois
Concert a commencé par une Symphonie
fuivie de Diligam te , Motet à grand choeur
de M. Madin . Mlle Veftris-de Giardini a
chanté deux airs Italiens. M. Vachon a
joué un Concerto de fa compofition. Mlle
le Mierre a chanté un petit Motet. On a
exécuté Exultate , jufti , Concerto de voix
de M. Mondonville. Le Concert a fini
le Motet françois du même Auteur.
par
La réuffite de ce nouvel Oratorio a
été confirmée par la plus brillante affemblée
& les plus grands applaudiffemens.
Quelle gloire pour le Poëte & pour le Mu-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
ficien ! On peut leur appliquer avec vérité
ce vers de Quinault :
L'honneur eft égal entre vous.
Le Dimanche des Rameaux le Concert
Spirituel commença par une Symphonie
fuivie de Diligam te , Motet à grand choeur
de Gilles , dans lequel Mlle Sixte chanta .
Enfuite M. Vachon joua un Concerto de
fa compofition. Mlle Veftris- de Giardini
chanta deux airs Italiens. M. Balbaftre
joua fur l'orgue un Concerto de fa compofition.
Mlle Fel chanta un petit Motet,
Ce Concert a fini par Cali enarrant , Moter
à grand choeur de M. Mondonville.
La fuite des Concerts au prochain Volume.
AVRIL. 1758.. 179
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE STOCKOLM , le 9 Février.
>
N eft préfentement inftruit des circonftances
qui ont obligé nos troupes d'abandonner Anclam
& Demmin. L'armée qui avoit pris les quartiers
d'hyver en deça de la Peene , comptoit y tenir
jufqu'à ce que le temps lui permit de poursuivre
Les avantages , parce qu'on ne prévoyoit pas que
cette riviere , & les marais qui l'environnent
duffent fe glacer , comme il eft très-rare en effer
que ces eaux ſe gelent . Mais le froid vif qui commença
quelques jours avant Noël , devint tout- àcoup
fiviolent , que dès le 28 Décembre la cavalerie
pouvoit paffer la Peene fur la glace. Comme
alers la poſition de nos troupes n'étoit rien moins
qu'avantageufe , & que tous les poftes fur la Peene
étaient expofés , le Maréchal de Sternberg prit la
réfolution de retirer les quartiers , & de raffembler
les troupes entre Ruhtenberg & Stralfund .
Ainfi le Comte d'Hamilton , Lieutenant général ,
évacua le 29 Anclam , & le Lieutenant colonel
Sparre , quittant Wollgaft , fe replia fur Greiffswald.
Le Major général de Lugen , qui commandoit
à Tribfées , en ayant auffi retiré fes troupes ,
undéta chement de cent hommes , commandé par
H vj
180 MERCURE DE FRANCE:
le Capitaine Sternroos , fut attaqué près de Nof
fendorf par les Huffards Pruffiens de Mala
chowski , & il en fut enveloppé. Ce Capitaine fe
jetta dans une maifon , où il fit une vigoureuſe
défenfe. Les ennemis y mirent le feu pour l'obliger
d'en fortir ; il ſe fit jour l'épée à la main , &
rejoignit le corps du Général de Lugen.
Le même jour 29 Décembre , le Colonel Carpelan
, qui commandoit à Demmin , reçut ordre
d'abandonner cette Place , & de fe rendre au corps
de l'armée. Mais comme il difpofoit ſa retraite
il fut bloqué de toutes parts par dix bataillons &
trente-quatre efcadrons Pruffiens , aux ordres du
Maréchal de Lehwald. D'abord les ennemis le
fommerent de fe rendre , avec la garnifon , prifonnier
de guerre. Il répondit que ces conditions
n'étoient pas faites pour des Suédois. Sur cette
réponſe , l'ennemi commença l'attaque par un
feu très- vif de canons , de mortiers & d'obuz. On
lui ripofta de maniere , qu'on lui démonta pluheurs
pieces d'artillerie . Le lendemain , le Maré--
chal de Lehwal fit faire d'autres propofitions.
Elles furent également rejettées , & le Colonel
Carpelan envoya les Majors During & Wrangeb
offrir l'évacuation de la Place , mais à la ſeule
condition de fe retirer librement avec tout ce
qui appartenoit aux Suédois. Les Pruffiens voulurent
exiger que la garnifon s'engageât à ne point
fervir d'un an contre le Roi du Pruffe ou fes Alliés
; le Colonel ayant tenu ferme , obtint enfin la
capitulation qu'il fouhaitoit , & elle fut fignée le
30 au foir. Il fortit le premier Janvier de Demmin
avec toute la garnifon , & le 4 il rejoignit à
Ludersh gen le Général Lybecker.
Les douze ou treize mille hommes deftinés à
paffer en Pomeranie , pour renforcer l'armée du
AVRIL. 1758. 181
Roi , fe rendent de tous côtés dans les ports ou
ils doivent être embarqués , & l'on travaille en
conféquence avec toute l'activité poffible à réparer
les Galeres qui doivent tranfporter ces Troupes.
Il part auffi continuellement des provifions
pour Stralfund & l'Ile de Rugen.
ALLEMAGNE.
DE KONIGSBERG , le 13 Février.
Toute la Pruffe eft actuellement au pouvoir des
troupes Ruffiennes. En entrant fur le territoire
d'Elbing , elles ont pris environ quarante foldats
qui occupoient un petit Fort. La garnifon que le
Général Fermer a laiffée ici eft de fix mille hom-'
mes , infanterie & cavalerie. Les Cofaques de fon
armée obfervent la même difcipline que les troupes
nationales , & font traités en conféquence fur
le pied de troupes régulieres.
On affure qu'avant un mois , l'armée Ruffienne
fera forte au moins de quatre-vingts mille hommes
, & qu'il en marchera la moitié vers la Siléſie .
Le corps du Général Fermer eft en pleine marche
pour fe rendre dans la Poméranie.
•
Konigsberg vient d'être impofée par les Ruffiens
à une contribution de cinquante mille écus. Les
Commiffaires de l'Impératrice font de grands amas
de vivres à Kowno , pour y établir un magazin
capable de faire fubfifter un corps de quarante
mille hommes.
L'armée Ruffienne eft en mouvement pour
s'approcher de la Viftule. Le Major général Stolfen
eft entré le 11 dans Marienwerder avec un
détachement de trois cens hommes.
、
On ne peut qu'admirer la modération des Ruf
182 MERCURE DE FRANCE
fiens dans toute leur conduite à notre égard. Cea
pendant on a toujours lieu de craindre que les
violences exercées en Saxe , ne les forcent enfin
d'en venir à de fâcheufes repréfailles.
DE LEIPSICK , le 25 Février.
Les Etats des Cercles de Saxe font toujours af
femblés ici . Le 16 de Février , M. de Borck ,
Miniftre du Roi de Pruffe , propofa de la part de
fon Maître , aux Députés des Cercles , de remettre
aux Etats l'adminiftration des revenus de l'Electorat
, à condition 1º . de payer au Roi de
Pruffe la fomme de fix millions d'écus , y com
pris le produit des domaines & de l'accife géné
male , ou celle de quatre millions & demi , fans ces
deux branches des revenus ; 2º, de donner encore
en portions & rations la valeur de cent mille écus
par mois , pour l'entretien des troupes Pruffiennes
qui font en Saxe ; 3 °. d'acquitter en outre
exactement ce que cet Electorat redoit de l'année
derniere .
Ces demandes n'interrompent point le cours
des exécutions militaires qui fe font avec plus de
rigueur que jamais . Elles commencerent le 8 Janvier
dans les Bailliages de Moiffen & d'Ofchutz ,
pour la livraifon de deux mille wifpels , ou quarante-
huit mille boiffeaux de froment à quoi le
Cercle de Milnie eft taxé . On menace de traiter
de même les autres Bailliages , & de condamner.
au double ceux qui n'auront pas fourni leur con
tingent. Plufieurs Cercles , que les événemens de
la guerre affujettiffent également aux ordres des
deux partis ennemis , ont beau repréſenter les
obftacles que ces ordres contradictoires apportent
au fournitures qu'on exige d'eux, on veut qu'elles
AVRIL. 1758. 183
Te faffent à quelque prix que ce foit , à peine d'être
livrés au pillage des Huffards , & pour les Gentilshommes
dont on pourra le faifir , d'être mis dans
la Fortereffe de Magdebourg,
On a exécuté dans cette Ville douze Marchands
Italiens , taxés enfemble à quinze mille écus de
douceurs ( ainfi nomme- t'on cette nouvelle taxe ) ,
pour le premier bataillon des Gardes Pruffiennes.
Mêmes exactions à Drefde , mêmes violences de
la part du Commandant. Propriétaires & Locatai,
res de maiſons , pauvres & riches , tout y eft taxé,
A l'égard des Saxons enrôlés de force , qui ont
déferté des troupes Pruffiennes , le Directoire de
Torgau a enjoint aux Tribunaux de Juftice , fous
les plus féveres menaces , de confifquer tous leurs
biens meubles & immeubles , fans exception , de
les faire vendre à l'encan dans le terme de fix femaines
, & d'en faire porter le prix à la caiffe militaire
des Pruffiens . Le même traitement fera fait
aux Officiers Saxons qui ont paffé au ſervice de
l'Empereur ou de l'Empire. On veut encore forcer
les parens des déferteurs à les repréſenter. Un
paylan du Bailliage de Noffen qu'on avoit arrêté
pour répondre de fon fils qui étoit fugitif , cherchant
à fe fauver lui-même , a été jetté mort fur
le carreau.
On a mis le fcellé fur l'hôtel des Monnoies à
Drefde , & l'on n'en fait pas la raifon, à moins
que les malverfations du JuifEphraïm , qui depuis
La guerre ont été portées à l'excès , ne lui ayent
attiré cette difgrace.
Les Députés des Etats font encore ici . Le premier
payement des fix cens mille écus qu'ils ont
été contraints d'accorder fous le nom fpécieux de
don gratuit , fe fait actuellement avec la plus
grande rigueur. La moindre Terre noble eft taxée
184 MERCURE DE FRANCE.
à mille écus , & les autres à proportion .
Nos Magiftrats font aux arrêts à l'Hôtel de Ville
& gardés par foixante foldats. On permet feulement
aux plus âgés de retourner chez eux le foir ;
les autres font obligés de refter & de coucher fur
des paillaffes. Il y a fur toutes les maiſons & fur
les biens de fonds une nouvelle taxe fixée à deux
pour cent du prix de la derniere acquifition . Les
Locataires font impofés à quatre gros par écu de
tout bail qui excede vingt écus par an. Si l'on
manque d'argent comptant pour fatisfaire à ces
exactions , il faut donner de l'argenterie ou des
marchandiſes ; les Pruffiens s'accommodent de
tout. Indépendamment de ces taxes , chaque Négociant
eft encore obligé de payer féparément
mille ou deux mille écus. Le commerce eft entiérement
fufpendu , & l'on ne permet plus le tranf
port d'aucunes marchandifes. Enfin les foldats
vont de maifon en maifon , & prennent de force
tout ce qu'on ne veut pas leur donner. Drefde
Chemnitz , Naumbourg , Merfebourg , font traités
à peu près de même. On vend aux Juifs à trèsvil
prix les meubles , habits , effets , jufqu'aux lits
mêmes des habitans qui ne font point en état de
payer les taxes.
A Drefde , la cherté des vivres & la mifere des
habitans font à un tel point , qu'un grand nombre
eft réduit à la mendicité. La Princeffe Royale &
à fon exemple , plufieurs perfonnes de diftinction ,
font obligées , pour les faire vivre , de faire diftri
buer une certaine quantité de pain par femaine.
Le Directeur des biens que le Comte de Bruhl
poffede dans la baffe- Luface, a reçu ordre du Com
mandant de Drefde de s'y rendre au plutôt , pour
rendre compte du revenu de ces biens.
Tous les maux dont Léipfick eft accablée
AVRIL 1758 1185
viennent d'être portés à leur comble . Nos Magif
trats ont été forcés de prêter ferment de fidélité
aux Pruffiens. Pour leur arracher ce ferment , on
avoit planté le canon contre l'Hôtel de Ville. Les
Pruffiens ont voulu exiger le même ferment des
Etats de Saxe , mais ces Etats l'ont refufé ; ils ont
même déclaré hautement qu'ils périroient plutôt
que de manquer de fidélité à leur Souverain légitime
, & plufieurs Députés ont difparu . La Terre
du Comte de Loefer , Maréchal héréditaire & Préfident
né des Etats , & celle du Baron de Ponickau
, Miniftre de Saxe à la Diete de l'Empire , ont
été depuis ravagées & détruites comme celles du
Comte & de la Comteffe de Bruhl. Il eft à remarquer
que le fameux partifan Meyer , exécuteur de
ces violences , a été long- temps au fervice de Saxe.
On apprend de Drefde que le Commandant
Pruffien a auffi obligé les Magiftrats de cette Ville
de prêter ferment de fidélité à fon Maître , & que
la même cérémonie va ſe faire dans les autres Villes
& Bailliages de l'Electorat .
Le château de Lavenftein , appartenant au
Comte de Bunau , Chambellan du Roi , a été ra➡
vagé par les Pruffiens , & tous les effets , meubles
beftiaux , &c. ont été tranſportés à Dreſde.
DE VIENNE , le 27 Février.
On ne croit pas que la ſanté du Prince Charles,
qui eft confidérablement altérée par les fatigues
de la derniere campagne , lui permette de commander
l'armée Impériale dans la campagne prochaine.
Ainfi , felon toutes les apparences , le
Feld -Maréchal Comte de Daun fera chargé da
commandement en chef.
L'échange des prifonniers refpectifs faits dans
186 MERCURE DE FRANCE:
la derniere campagne eſt enfin réglé. Les Coma
miffaires Impériaux & ceux du Roi de Pruffe
vont fe rendre pour cet effet à Peterfwalde &
Jagerndorff , & les troupes qui doivent être
échangées font en marche. Il a paffé par ici le 11
douze cens Craates , qui efcortoient huit cens
prifonniers Pruffiens , & le 14 , il a défilé une autre
Colonne de douze cens Croates qui vont en
Boheme.
On forme aux environs de cette Ville un nouveau
corps de Pionniers , & un autre corps deftiné
uniquement à la garde des équipages : ils fe levent
l'un & l'autre avec tout le fuccès poffible.
Les enrollemens conditionnels ont très- bien
réuffi dans cette Capitale , ainfi qu'à Lints , en
Stirie , & dans les autres Etats héréditaires de
Impératrice- Reine.
M. le Comte de Broglie , Ambaſſadeur du Roi
Très- Chrétien auprès du Roi de Pologne , eſt arrivé
de Warfovie , & retourne en France pour rétablir
fa fanté .
Tout ce qu'il y avoit ici d'Officiers Généraux
& autres , ont en ordre de partir fans délai , pour
rejoindre leurs corps. Le Feld-Maréchal Comte
de Daun eft auffi fur fon départ.
Le 23 Février , la glace dont le Danube étoit
couvert , fe rompit fi fubitement & avec une telle
violence , que quatre arches du grand pont furent
emportées.
La marche des troupes qui viennent d'Italie
pour aller renforcer l'armée de Boheme , a été
retardée quelque temps par le débordement de:
l'Adige ; mais on a des avis certains. que la tête de
ces troupes eft arrivée dans le Tirol.
Les ennemis ont été chaffés de Troppau le 18
par le Marquis de Ville , & ils fe font retirés avec
AVRIL. 1758. 187
perte. Le lendemain de la retraite , le régiment
de Stechau , dragons , croyant que les Pruffiens
occupoient encore ce pofte , s'approcha des fauxbourgs
de la Ville . On le fit attaquer par les
Uhlans , par les Huffards de Karoly , & par les
Huffards Carlftadiens , qui le mirent bientôt en
fuite , lui tuerent du monde , & firent prifonniers
le Major Pruffien qui le commandoit , un Capitaine
, Lieutenans , un Enſeigne , & deux cens
foixante Dragons.
DE HAMBOURG , le z Mars.
Ce qui vient de fe paffer à Zerbft caufe un
étonnement général . Un détachement de Huffards
Pruffiens étant revenu dans cette Ville pour enlever
le Marquis de Fraygne , a procédé de cette
maniere. Ils inveftirent d'abord le château , où le
Prince régnant avoit cru devoir mettre le Marquis
à couvert des violences qu'il avoit déja effayées
, & le tinrent bloqué pendant un jour.
L'Officier qui commandoit le détachement fit
enfuite braquer le canon , & fomma le Prince de
lui livrer le Marquis de Fraygne. Après quelques
négociations tentées infructueufement auprès du
Roi de Pruffe & du Prince Henry , le Comman
dant Pruffien déclara , que , file Marquis ne lui
étoit pas remis avant le 24 Février , il auroit recours
aux voies extrêmes. Sur ces difpofitions , le
Marquis de Fraygne , pour empêcher qu'à fon
occalion on n'achevât de violer tous les droits ,
en forçant jufqu'à l'afyle d'un Prince Souverain &
libre, qui n'eft en guerre avec perfonne , prit le
parti de fe remettre volontairement entre les
mains des Pruffiens. Il fut donc conduit fur le
champ à la citadelle de Magdebourg , où il eft
188 MERCURE DE FRANCE.
traité avec autant de rigueur que le plus coupable
fujet pourroit l'être fous l'autorité légitime de fon
Souverain naturel .
Quelques jours après cet événement , la Princeffe
douairiere d'Anhalt - Zerbft , & le Prince ré→
gnant fon fils , le font retirés dans cette Ville
pour fe fouftraire à de nouvelles extrêmités de la
part des Pruffiens.
DU CAMP D'HAMELEN , le 9 Mars.
Les troupes d'Hanovre , de Brunfwick & de
Heffe , auxquelles plufieurs régimens Pruffiens
s'étoient joints , fe mirent en mouvement le 18
du mois dernier , pour attaquer nos quartiers. Un
corps confidérable des ennemis fe porta fur Vehrden
, ce qui obligea M. le Marquis de Saint - Cha-
Maréchal de Camp , commandant alors
dans ce pofte , qui n'eft d'aucune défenſe , de l'évacuer,
& les inondations l'obligerent de ſe replier
fur Brême.
mans ,
Le 23 Février, M le Comte de Chabot- la Serre,
Brigadier des Armées du Roi & Colonel desVolontaires
Royaux , fut vivement attaqué dans Hoya
par des troupes fupérieures aux fiennes. Il avoit
fous fes ordres le rég ment des Gardes Lorraines ,
deux compagnies de Grenadiers , deux Piquets de
Bretagne , & cent Dragons du régiment Meſtre
de Camp Général. Il fit la plus vigoureufe défenfe
, & fe battit de rue en rue : enfin forcé de fe
retirer dans le château , il obtint une capitulation
très-honorable & fortit , ainfi que les troupes
qu'il commandoit , avec tous les honneur de la
guerre. Le régiment des Gardes Lorraines a beaucoup
perdu à cette attaque. M. le Chevalier Mecles
, Lieutenant- Colonel du régiment Mestre de
AVRIL 1758. 189
Camp Général , qui étoit venu volontairement
avec les Dragons , & M de Prade , Aide Major de
ce corps , ont été tués . M. le Chevalier de Lemps ,
Lieutenant-Colonel du régiment de Bretagne
s'eft fort dift.ngué , ainfi que tous les Officiers des
différens corps.
M. le Comte de Chabot ayant fait fçavoir le 24
à M. le Comte de Saint- Germain l'événement de
Hoya , ce Lieutenant géneral jugea qu'il ne pouvoit
plus être d'aucune utilité dans Brême au refte
de l'armée dont il fe trouvoit féparé , & qu'en y
reftant , il couroit rifque d'être coupé tout -à -fait
par l'ennemi ainfi il fit fur le champ fes difpofitions
pour ſe retirer avec fa nombreuſe garnifon.
Il a fait fa retraite dans le meilleur ordre jufqu'à
Ofnabruck , où il a trouvé le régiment de Champagne
, deux régimens de Cavalerie , & le régi
ment Colonel général des Dragons.
;.
M. le Comte de Clermont ayant jugé à propos
de replier fon quartier général pour donner le
temps à tous les corps de fon armée de le joindre ,
ce Prince partit le 28 d'Hanovre dans le plus
grand ordre , & en faifant obferver à les troupes
la plus exacte difcipline. Il a fait diftribuer aux
pauvres les farines qui ne pouvoient fe transporter.
Il avoit donné les ordres pour faire évacuer dès le
26 les Villes de Zell , de Brunſwick , de Wolfenbuttel
, & tous les autres poftes que nos troupes
occupoient. Cette retraite générale n'a pu fe faire
fans perdre les malades qui ne ſe font pas trouvés
en état de fupporter le tranſport , quelques chariots
mal attelés , & beaucoup de provifions ; mais
on a pris de juftes mefures pour empêcher l'ennemi
de profiter de nos magazins.
Le 9 Mars , toute l'armée ſe trouvoit raffemblée
à Hamelen , où M. le Comte de Clermont a établi
190 MERCURE DE FRANCE.
fon quartier général. Depuis ce Prince a donné
ordre de jetter un pont fur le Wefer à Rhintlen ,
affurer la communication avec le corps que pour
commande M. le Comte de Saint- Germain fur la
rive gauche de cette riviere , & pour obferver de
plus près les mouvemens des ennemis fur Munden.
DE PRAGUE , le 3 Mars.
On affure ici que , fuivant le plan d'opérations
concerté à Vienne , l'Impératrice- Reine aura trois
grandes armées qui agiront tout à la fois ; l'une
en Siléfie , fous les ordres du Feld-Maréchal Comte
de Daun ; la deuxieme , commandée par le Feld-
Maréchal Comte de Nadafty , du côté de Troppau
; & la troifieme , dans la Luface , aux ordres
du Feld-Maréchal Bathiani.
Plufieurs lettres ont confirmé l'action particu
liere dont voici le détail. Le 16 Février , un Officier
de nos troupes vint loger à Kaldekerich. II
n'avoit qu'un petit détachement avec lui , & cependant
il fit marquer des logemens pour mille
hommes ; mais il n'exigea pour fa troupe que les
provifions néceffaires , & fit obferver le meilleur
ordre. A peine ce qu'il avoit demandé aux habitans
lui fut délivré , qu'il parut un corps de troupes
ennemies fort fupérieur au fien , dans le deffein
de l'enlever. Le Capitaine n'eut que le temps
de s'emparer du cimetiere , & de s'y retrancher
comme il put . Les Pruffiens voulurent l'y forcer ,
& des deux côtés on ſe fufilla vivement. Après
une demi -heure de combat , ils fommerent l'Officier
de fe rendre. Celui-ci pour toute réponſe
dit, qu'il avoit fait marquer du logement pour
deux Bataillons , & qu'il étoit bien réfolu de tenir
juſqu'à leur arrivée. Le feu recommença fur la
AVRIL. 1758. 191
champ ; mais l'Officier voulant ménager fon
monde , fit demander des conditions. Pendant les
pourparlers qui fufpendirent l'attaque , l'Officier
reconnut une maiſon qui communiquoit au cimetiere.
Il fit fortir par-là fon Lieutenant avec la
moitié de fa troupe. Ce dernier après quelques
détours vint charger les Pruffiens en queue , & le
Capitaine fortant tout-à-coup du cimetiere , força
la tête. Les Pruffiens , qui crurent alors avoir fur
les bras les mille hommes dont on avoit parlé,
furent culbutés , & fe retirerent en défordre , laif
fant fur la place vingt-fept hommes morts , fans
les bleffés qu'ils remmenerent avec eux. Le nom
de ce Capitaine eft Lallieux , & le Lieutenant ſe
aomme Ryff.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 10 Janvier.
Le 31 de Décembre , vers les fix heures da
matin , cette Ville a encore reffenti un nouveau
tremblement de terre dont la fecouffe a duré
trenté ou trente-deux ſecondes. Elle étoit accompagnée
d'un bruit fouterrein . C'eft la plus violente
qu'on ait effuyée depuis celle du premier Novem
bre 1755 ; mais elle n'a point cauſé de dommage.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
M. Bernard de Boulinvilliers prêta ferment entre
les maine du Roi pour la charge de Provôt ,
192 MERCURE DE FRANCE .
Maître des Cérémonies de l'Ordre Royal & Mili
taire de S. Louis , dont il a été revêtu fur la démiffion
de M. de Lamoignon.
Par une Ordonnance du Roi rendue le premier
Février , les Volontaires du Dauphiné vont être
confidérablement augmentés. Ce corps qui étoit
de cent vingt hommes , en fix Compagnies de
vingt hommes chacune , dont cinq d'Infanterie &
une de Dragons , fera porté à quatre cens vinge
hommes en fix Compagnies , chacune de foixantedix
hommes , dont quarante d'Infanterie & trente
de Dragons. Il aura dorénavant le titre de Régi
ment des Volontaires du Dauphiné.
M. le Marquis de Paulniy ayant obtenu du Roi
la permiffion de fe démettre de la charge de Secretaire
d'Etat au département de la Guerre , Sa
Majefté a nommé M. le Maréchal de Belle- Ifle
pour le remplacer.
Sa Majefté a difpofé du Régiment de Mailly en
faveur de M, le Marquis de Talaru , & de celui de
Talaru en faveur de M. le Duc de Mazarin.
M. le Marquis de Pons a obtenu du Roi l'agrément
de Colonel en fecond du Régiment de Dragons
d'Orléans .
Le 7 Mars , le Roi fit dans la plaine des Sablons
la revue du Rég ment des Gardes Françoiles , &
de celui des Gardes Suiffes . Ces deux Kégimens ,
après avoir fait l'exercice , défilerent en préſence
de Sa Majesté. Monfeigneur le Dauphin , Madame
la Dauphine , Madame Infante , Madame , &
Mefdames Victoire , Sophie & Louife , affifterent
à cette revue.
Par une Ordonnance du Roi du 20 Février dernier
, il eft enjoint aux Officiers des troupes des
armées du Roi en Allemagne ; qui fe font rendus
,en France fur des paffeports , pour y travailler
aux
AVRIL. 1758. 193
aux recres de leurs corps , de s'acheminer dans le
courant de ce mois , des lieux où ils font aux quar
tiers généraux à portée de la frontiere affignés à
chaque corps pour y raffembler fes recrues , &
d'y être rendus au premier Avril prochain au plus
tard. Veut Sa Majeſté , 1 ° . Que lesdites recrues ,
ainfi que les chevaux de remonte des régimens de
Cavalerie , de Huffards , de Dragons & de Troupes
légeres , foient conduits par lefdits Officiers
abfens , & que ceux qui pour cet effet ne ſe trou→
veront pas rendus auxdits quartiers au premier
Avril , foient punis & privés en outre de leurs appointemens
, pour tout le temps de leur abfence s
2°. Les Officiers qui auront joint leur corps avec
lefdites recrues dans le mois d'Avril ou dans les
premiers jours de Mai , fuivant l'éloignement
defdits corps , feront employés préfens dans les
revues qui feront faites par les Commiffaires des
Guerres , & y feront rappellés pour être payés du
temps de leur abfence , grace dont feront privés
ceux qui n'auront pas joint ; 3 ° . Si quelques- uns
defdies Officiers abfens s'étoient mis en route
pour rejoindre leurs corps , & y arrivoient avant le
temps ci -deffus marqué , ils feront auffi rappellés
dans lefdites revues , pour les mois précédens de
leur abſence.
Le Roi a fait Maréchaux de France M. le Comte
de Bercheny, Lieutenant général , & M. le Comte
de Conflans , Vice Amiral.
Sa Majefté a tenu le Sceau pour la 23 , 24 & 250
fois.
Les Lieutenans Généraux nommés par le Roi
pour fervir pendant la préfente campagne dans
l'armée commandée par M. le Comte de Clermont
, font MM. le Marquis de Villemeur , le
Duc de Randan , le Marquis de Contades , le
1.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE. NO
>
Comté de Mortaigne , le Marquis d'Armentieres →
les Ducs de Briffac & de Chevreufe , les Marquis
d'Anlezy , de Morangies & de Sourches le
Comte de Fitz- James , le Chevalier de Nicolai
le Duc de Fitz- James , le fieur de Chevert , le
Comte de Noailles , le Duc de Broglie , le Chevalier
de May , le Comte de Lorges , le Duc de Lauraguais
, les Comtes d'Andlau & de Guerchy , le
Duc d'Havrey , le Marquis de Saint- Pern , le
Comte de Saint Germain & le Marquis de Valiere.
Les Maréchaux de Camp font , MM. les Marquis
de Crillon & de Torcy , le Chevalier du Châtelet¸
le Marquis de Poyanne , le Comte de Montmo
tency, le Chevalier de Fontenay , les Comtes de
Vogué & d'Orlick , les fieurs de Planta , Caftella
& Boccard , le Comte de Lutzelbourg , les Mar
quis d'Auvet , d'Efcars , de Dreux & des Salles
les Comtes de Champignelles & de Raugrave , le
fieur de Beaufobre , les Comtes de Vence & de
Bergeyck , le Marquis de Voyer , le Chevalier de
la Touche , les Marquis de Laval & de Monteynard
, le Prince de Beauveau , le Comte de la Gui◄
the , le Chevalier de Pons , les Marquis de Maupeou
& de Béthune , le Comte de Ségur , les Marquis
de Leyde , de Roquépine , de Monty , de
Traifnel , & le Comte d'Egmont.
Le Roi, par Edit de ce mois , enregistré au Partement
, a créé dix nouvelles charges de Payeurs ,
& autant de Contrôleurs des Rentes fur PHôtel
de Ville de Paris . La finance de chacune des pre
mieres eft de trois cens einquante mille livres , &
celle de chaque charge de Contrôleur , de quatre
vingt-dix mille livres.
On mande de Toulouſe , que le feu prit le 21
Février à huit heures du foir en certe Ville , au
quartier des Pénitens noirs , que l'incendie a duré
jufqu'au matin du jour fuivant , qu'il a confumé
J
AVRIL. 1758. 195
huit maiſons , avec une grande quantité de meubles;
mais qu'heureufement il n'a péri perfonne.
Le Janvier , les Pénitens Blancs, de Montpellier
ont célébré l'Anniverſaire de la fondation
qu'ils ont établie par délibération du 6 février
1757 , pour la confervation des jours facrés du
Roi. Cette délibération fut exécutée pour la premiere
fois le 11 février de la même année avec
tant de ferveur , que le produit des offrandes pro
cura la liberté de deux Prifonniers. C'eft fans
doute à cette preuve d'amour & de fidélité , que
cette Compagnie eft redevable de la permiffion
qu'elle obtint au mois de mars fuivant , d'avoir un
Suiffe à la grande livrée du Roi.
•
E
Ce fut le 4 janvier de cette année , que la cloche
à l'heure de midi annonça l'anniverſaire de
cette folemnité. On pofa les armoiries du Roi
avec banderolles fur le portail de la Chapelles
les Freres s'affemblerent au Choeur à trois heures.
Un de Meffieurs les Syndics crut ne pouvoir choi
fir un temps plus propre pour faire part de la let→
tre de M. le Comte de Saint Florentin , par la
quelle ce Miniftre veut bien honorer cette Com
pagnie de fon aggrégation . Les freres déja affectés
par l'objet qui les raffembloit , furent péné
trés de la plus vive reconnoiffance , & le TeDeum
fut chanté en actions de graces : on chanta enfuite
les premieres vêpres de la Trinité avec folemnité
à l'iffue des vêpres la cloche fonna jufqu'à l'entrée
de la nuit.
Le lendemain , les freres artifans s'abftinrent
de toutes oeuvres ferviles , chaque frere voulant
prendre dans fon état & dans fa profeffion des momens
f précieux pour fatisfaire fon inclination
pour
le meilleur des Rois .
Le Saint Sacrement fut expofé às heures du
Dalij C
196 MERCURE DE FRANCE.
matin avec la permiffion de M. l'Evêque de Mont
pellier qui a bien voulu concourir au zele & à la
fidélité des Pénitens par fon approbation ; on célébra
fans ceffe des Meffes depuis l'heure de cinq
heures jufqu'à 10 , auxquelles affifta un concours de
peuple & d'ames fidelles qui y firent leur dévotion
avec une édification qui exprimoir leurs ſentimens
, les freres s'affemblerent à 8 heures pour
chanter l'office de la Trinité ; l'augufte affemblée
des Etats de la Province de Languedoc fe forma à
onze heures,à la maiſon de l'Oratoire, en habit de
cérémonies , fuivant la délibération du 3, pour af
fifter à la grande-Meffe des Pénitens Blancs , après
en avoir été invités par les députés de cette compagnie;
M, l'ancien Prieur en l'absence de M. le Prieur
en charge fut à l'Oratoire avec une députation pour
complimenter l'affemblée des Etats en la perfonne
de M. l'Archevêque de Narbonne , & pour leur diftribuer
des exemplaires de la délibération du 6 février
1757. Les Etats en corps furent enfuite à la
Chapelle des Pénitens , & M. l'ancien Prieur eut
l'honneur de leur préfenter l'eau bénite , Mrs. les
Commiffaires du Roi qui avoient été également
invités par les Pénitens , fe rendirent enfuite à
ladite Chapelle en habit de cérémonie , & M. l'ancien
Prieur eut l'honneur de leur préfenter l'eau
bénite , & de les complimenter en la perfonne de
M. le Maréchal Comte de Thomont , Comman
dant en Chef dans la Province ,
La grande Meffe fut célébrée par M. l'Evêque
de Montpellier , affifté des dignités de fon Chapitre
, & fut chantée par la mufique des Etats , la
piété & la modeftie des freres lors de l'offrande au
nombre de près de 300 , & le recueillement de
ceux qui communierent , mériterent les éloges
de l'affemblée , ainfi que le bon ordre dans une
Chapelle d'une très- petite étendue. Les perfonnes
AVRIL. 1758. 197
en place & de la premiere diftinction qui n'avoient
pu être placées dans l'Eglife , occupoient
les tribunes ; la décoration de cette Chapelle en
bois peint , doré & en tableau , ne permirent pas
d'autre décoration : l'autel fut fimplement , mais
noblement décoré fuivant l'ufage de cette compagnie
, par 12 cierges à la Parifienne de 10 pieds
de hauteur , portés par des grands & magnifiques
chandeliers d'argent. A la fin de la Meffe , les
freres chanterent en faux bourdon l'Exaudiat, pendanr
lequel on tira un nombre de boîtes , afin
d'inviter les Citoyens à unir leurs voeux aux chants
& prieres des Pénitens. Mrs. les Commiffaires du
Roi furent accompagnés jufqu'à la porte de l'Eglife
, par les députés de la Compagnie , ainfi que
l'affemblée des Etats ; le Saint Sacrement fut toujours
exposé à la piété des fideles : les freres fe
releverent de demi-heures en demi heures, pour y
faire ftation : les vêpres étant chantées à 3 heures
avec la même folemnité , la bénédiction fur
donnée par M. d'Ufés , M. l'Evêque de Montpellier
s'en étant exempté fur la fatigue du matin.
M. l'Archevêque de Narbonne fatisfait d'un établiffement
fi conforme à fes fentimens , a bien
voulu honorer cette Compagnie de fon aggrégation
après avoir célébré là Meffe de Communauté
le jour des Rois , & n'a pu refufer aux empreffemens
de Mrs, les Pénitens pénétrés de l'honneur
qu'ils avoient reçu la veille par la préſence des
Etats , de leur permettre d'aggréger cette augufte
affemblée dans la participation de leurs prieres &
bonnes oeuvres , ce qui a été approuvé par accla
mation , par délibération des Etats dudit jour du
même mois.
Tel a été l'événement , & telles font les fuites
honorables d'une cérémonie qui , renouvellée cha
Liij
198 MERCURE DE FRANCE.
que année, tranfmettra à la poftérité , que le regne
de Louis le bien aimé fut pour cette compagnie
un temps de ferveur. Le ciel fera propice à fes
voeux en multipliant les jours facrés de Louis le
bien-aimé , & cette compagnie fe glorifiera toujours
d'avoir la priorité parmi les différens établi
femens faits dans la même intention.
Nous apprenons de Marfeille , que le Capitaine
Chin , commandant la Barque le Saint- Esprit ,
& venant du Cap François , ayant rencontré le
janvier , dans le Golfe de Verre , près de Carthagene,
la Tartane du Patron Jean- Baptifte d'Agde
dont les Anglois s'étoient emparé , il l'a reprife
& renvoyée dans ce port , où elle eft arrivée le
26. Le même a appris à Alicante , où il a touché ,
que l'Eſcadre du fieur de la Clue s'eft emparé en
route de dix Navires Anglois.
Les Navires Anglois Alouette , chargé de
chanvre & de lin , la Rofe , de Stockton , ayant
ane cargaifon compofée de différentes marchandifes
, & le Bateau les Trois Soeurs , allant à Londres
avec des morues fraîches , ont été pris par le
Corfaire le Moiffonneur de Dunkerque.
Le Capitaine Antoine Vaffe , commandant l'A
wenturier , autre Corfaire de Dunkerque , s'eft
emparé des Navires Anglois le May , de Leith &
le Frederic , de Londres. Cette derniere prife ,
qui alloit de Peterſbourg à Corck , avec un chargement
de chanvre & de fer , a été conduite en
Norwege.
Les Corfaires le Machault & le Comte de Saint-
Germain , de Dunkerque ; y ont conduit les Na
vires Anglois le Succès , & le Marchand , de Stoc
kholm , l'Elifabeth , l'Anne & le Marchand , d'E
dimbourg , & le Marchand , de Rotterdam. Ces
fix bâtimens font chargés de charbon de terre,
AVRIL. 1758, 199
1 eft encore arrivé à Dunkerque un Brigantin
Anglois appellé la Jeanne & Marguerite , done
la cargaifon eft compofée de différentes marchandifes
, & qui a été pris par le Corfaire le Comte
Ayen , de Boulogne,
Les Navires Anglois le Franchip , de Corck ;
chargé de fruit & de fel , & le Javan , chargé
d'indigo , de fucre , de café & de bois de Campeche
, ont été pris par les Corfaires le Mefnil &
la Nymphe , de Granville . Le Javan a été conduit
dans ce dernier port ; l'autre prife eft arrivée à
Morlaix.
Le Capitaine Defvalons- Macé, commandant le
Corfaire l'Helene , de Saint-Malo , y a conduit le
Navire Anglois la Parfaite Union , de 360 tonneaux
, venant de Rhode- Inland , & allant à Londres,
avec une cargaifon d'indigo , de café , de
bois de campeche , de gayac , d'huile de baleine
, & d'autres marchandifes, Cette prife eft eftimée
plus de trois cens mille livres,
Le fieur de Gouyen , commandant le Corfaire
la Ducheffe de Fitz- James , de Saint - Malo , s'eft
renda maître d'un Corfaire de Jerzey , armé de
8 canons & de 40 hommes d'équipage , qui eft ar
rivé à Cherbourg.
Le Groignard , autre Corfaire de Saint- Malo ,
a conduit dans le même port de Cherbourg un
Brigantin Anglois de 200 tonneaux , chargé de
charbon de terre.
Le Navire François le Polly , chargé de fucre
& de café , a été enlevé par le Corfaire le Moras ,
de Saint-Malo , à un Corfaire de Briſtol , qui s'en
étoit,emparé,
On mande de Saint-Jean- de-Luz , qu'il y eft
arrivé un Navire Anglois appellé la Priory , de
Pool, qui a pour chargement 930 quintaux de
1 iv
200 MERCURE DE FRANCE.
morues , & 28 demi-barriques d'huile de poiffon:
Ce Bâtiment a été pris par le Corfaire la Baſquaife
, de ce port.
Les Capitaines Rondemy & Jean Olive , com
mandans , l'un le Corfaire le Roi Gaſpard , de
Marſeille , l'autre la Barque la Marie Diligente ,
de Martigue , armée en guerre & en marchandi
fes , fe font rendus maîtres , le premier , du Corfaire
Anglois le Osborne , armé de 80 hommes
d'équipage , le fecond , du Senaw l'Anne Betine ,
chargé de chanvre & de graine de lin.
:
Par les lettres venues de Saint- Domingue , on
apprend que les Corfaires de cette ifle y ont conduit
foixante-deux Navires Anglois qui font fa
Goëlette , le Jean- de- Nancy ; an Bateau Hollandois
repris fur les Anglois ; le Bateau , la Fleur
de la mer; le Brigantin , le Severn ; le Bateau ',
le Guilleaume ; le Brigantin , le Poli ; un Corfaire
repris fur les Anglois ; le Brigantin , l'Elifan
beth ; le Corfaire , les Deux Freres ; la Goëlette ,
la Jeanne ; le Bateau , le Diamant ; le Brigan
tin , la Marie-Marthe ; la Goëlette , la Fortune ;
la Goëlette , la Charmante- Folie ; la Goëlette
te Roi Georges ; le Corfaire , la Revanche ; le Cor
faire , le George ; le Corfaire , la Tarte ; la Goë-
Jette , le Loup , avec un Bateau ; le Bateau , la
Marie-Jofeph ; le Navire , le Munety ; le Bateau- ,
Ja Charmante- Bedfy ; le Bateau , PAmitié ; le
Brigantin , le Roi Georges ; le Senaw , le Derfor ;
de Bateau , les Deux-Freres ; le Brigantin , l'Afritain
; la Goëlette , la Norwege ; le Brigantin ,
ta Suzanne ; la Goëlette , le Ringeard ; le Sela
Rebecca ; le Brigantin , du même nom ;
le Bateau , le Diamant ; le Senaw , le Grandifon
le Bateau , le Guillaume ; le Brigantin , le Jean
de Greenoeck ; la Goëlette , Lancop de Lencefter
t
naw ,
"
AVRIL 1758. 201
Je François ; le Brigantin , le Dauphin ; la Goëlette
, l'Anne; le Navire , le Cigne ; une Barque
repriſe fur les Anglois ; le Bateau , l'Hirondelle ;
le Bateau , le Thomas ; le Bateau , la Bonite ; le
Bateau , l'Efther; le Brigantin ; l'Ame ; le Prince-
Sauvage , Navire Negrier , de Bristol ; le Pa→
quebot , le Duc de Falmouth ; le Navire , le Sucès
; la Goëlette , la Pauline ; le Senaw , la Syrene;
le Navire , le Tanger ; le Senaw , le Succès
; le Navire , l'Ifabelle- Marie ; le Bateau , le
Thomas ; la Goëlette , le Saint Etienne ; le Bateau ,
le Dauphin & le Hardewichele Brigantin , l'Hi
Tondelle ; le Senaw , l'Unifé ; le Brigantia , PA
mable-Jeanne ; le Bateau , la Bonne- Aventure.
Tous ces Bâtimens avoient des cargaiſons confi
dérables , à l'exception des Corfaires.
Le fieur Canon , commandant la Frégate dis
Roi la Valeur , s'eft rendu maître du Corfaire
Anglois le Vernon , de Londres , armé de 12 canons
, 16 pierriers , & 43 hommes d'équipage ,
il l'a conduit à Dunkerque.
La Revanche , Corfaire de Dunkerque , commandé
par le Capitaine Monnier , s'eft emparé de
la Frégate Angloife la Van- Anna , de 200 tonneaux
, chargée de coton , d'huile d'olive , de raifins
& de bled. Cette prife a été conduite à Diep
pe. Le même Corfaire a rançonné pour 750 gui .
aées les Navires Anglois l'Anfon le William
dont il s'étoit rendu maître.
Le Corfaire l'Emerillon , de Calais > a pris&
conduit dans ce port le Navire Anglois le Hellen ,
de Montroſe , ayant pour chargement 182 bar
ils de faumon.
Le Sloop Anglois la Providence , chargé de
grains , a été pris par le Corfaire le Villemur , de
Dieppe , qui l'a conduit au Havre.
I w
202 MERCURE DE FRANCE:
"
Il eft arrivé à Dieppe un Navire Anglois , dont
le Corfaire la Marquise de Leede , de Boulogne ,
s'eft emparé , & qui n'a pour chargement que des
pierres de taille plattes.
On apprend par des lettres écrites de Saint-Malo
, que le Capitaine Avice , commandant le Corfaire
la Comteffe de Bentheim , de ce port , y a
conduit deux prifes : l'une eft le Navire Anglois le
Fantyn , de 220 tonneaux , chargé d'environ 200
boucauts de fucre , de 7 boucauts de café , de
gingembre , de bois de Campeche & de dents
d'Eléphant l'autre eft le Corfaire le Prince
Edouard , de Grenezey , ( ci- devant la Sauterelle
, de Breft , ) armé de 14 canons , & de 80 hommes
d'équipage.
Le Bateau le Georges , de Jerzey , chargé de
balots de bas , a été pris par le Corſaire l'Eclair
de Saint Malo , qui l'a fait conduire à Cherbourg.
Le Corfaire le Samfon , de Bayonne , s'eft rea-
'du maître du Corfaire le Keirke , de Grenezey ,
armé de 10 canons , 12 pierriers , & 45 hommes
d'équipage.
On mande du paffage qu'il y eft arrivé un Navire
Anglois qui a été pris par le Corfaire le La
bour , de Saint-Jean-de-Luz , & dont la cargai
fon confifte en 401. boucauts de fucre , 150 barriques
de vin de Madere , & autres marchandiſes.
Les Vaiffeaux la Compagnie des Indes & le Duc
de Bethune , venant des Indes Orientales richement
chargés , l'un en marchandiſes de la Chine
Pautre en marchandifes de la côte de Coromandel
& de Bengale , font arrivés au port de l'Orient
en. Bretagne les 10 & 12 de ce mois .
Le Vaiffeau la Compagnie des Indes , aux átté-
#ages des côtes de Bretagne , a été atteint par un
Corfaire Anglois de 14 canons , contre lequel il
AVRIL. 1758. 203
eft battu pendant plufieurs heures ; fa bonne contenance
a fait lâcher prife à ce Corfaire.
Le Vaiffeau le Duc de Bethune, a auffi été attaqué
à la hauteur de 40 degrés de latitude Nord ,
par un Corfaire Anglois de 30 canons de 10livres
de balle , & nonobftant la foibleffe de ce Vailfeau
, qui n'étoit monté que de 16 canons , il a
forcé le Corfaire Anglois de l'abandonner . Le
fieur Sainromain , qui le commandoit , a été bleffé
au bras de deux coups de feu , & il a eu huit hom
mes de fon équipage tués & plufieurs bleflés.
La Compagnie à reçu , par le Vaiffeau le Duc
de Béthune , la nouvelle de l'arrivée de plufieursde
fes vaiffeaux à Pondichery , où ils ont remis
les munitions & les fecours dont cette place pouvoit
avoir befoin.
écrit de Marfeille que le Capitaine Gaffin
de Martigues , de cette Ville , commandant le
Brigantin le Fameux , a fait dans les différentes
croifieres douze prifes qu'il a conduites à Cadix ,
à l'exception d'une feule qui lui a été enlevée.
BÉNÉFICES DONNÉS.
Sa Majesté a nommé à l'Abbaye de la Joye près
de Nemours , Ordre de Citeaux , Diocefe de Sens,
la Dame de Barbançon - Nantouillet , Religieufe
de l'Abbaye de Fontaine , Diocefe de Meaux , & à
P'Abbaye de Saint Paul , Ordre de Saint Benoît ,
Diocefe de Soiffons , la Dame de Margeret , Religieufe
Bernardine de l'Abbaye du Pont - aux-
Dames , Ordre de Citeaux ; à l'Archevêché de
Eyon , M. P'Evêque d'Autun ; àl'Abbaye de Trois-
Fontaines, Ordre de Câteaux , Diocefe de Châlonsfur-
Marne , M. l'Abbé Comte de Bernis , Miniftre
L vj
204 MERCURE DE FRANCE.
& Secretaire d'Etat , ayant le département des
Affaires Etrangeres , & Commandeur nommé de
1'Ordre du S. Efprit ; à l'Abbaye féculiere d'Aifnay
, Dioceſe & Ville de Lyon , M. l'Abbé de
Jarente , Tréforier du Chapitre de Saint Victor
de Marſeille , & Vicaire Général du même Diocefe
; au Prieuré de Renty , Ordre de S. Benoît
Diocefe de Boulogne , à M. Belletrufe , Prêtre di
Diocefe de Digne
MARIAGE ET MORTS.
Le premier Février dernier M. Laurent Grimod
E
de la Reyniere , Fermier général , & l'un des Adminiftrateurs
des Poftes & relais de France, époufas
Mademoiſelle Sufanne- Françoife- Elifabeth de Jarente
d'Orgeval , fille de Meffire Alexandre - Bal
thafar de Jarente - de Senas , Baron de Luce , Lacroixhaute
, Marquis d'Orgeval , & de Dame Elifabeth
de Rambault - de Saint- Maurice.
La Bénédiction nuptiale leur a été donnée par
M. l'Evêque d'Orléans dans l'Eglife de Panthe--
mont..
Meffire N. Donadieu , Grand- Vicaire d'Alais ,,
Prieur Commendataire des Prieurés de Renty ,.
Diocefe de Boulogne - fur - Mer , & de Tournac
Ordre de Cluny , Dioceſe d'Alais , mourut à Uſezz
le 30-Janvier dans fa foixante - troiſieme année .
Meffire N. de Vanolles , Abbé Commendatairede
l'Abbaye royale de Reffons , Ordre de Saint
Benoit , Diocefe de Rouen , eft mort à Rheims le
8 Février âgé de $ 8 ans.
Meffire Alexandre- Hector de Gouvernet , Sei
gneur de Vexclaufe , eft mort à Bagnols , Diocese
AVRIL. 1758. 20 $
PUfez , le 10 Février dernier , âgé de quatrevingt-
feize ans.
Dame Marie - Françoile de Gelas Leberon
époufe de Meffire Marc- Antoine de Levis- Cou
fan , Baron de Lugny , ancien Capitaine aux Gardes
, eft morte le 17 Février dans la cinquanteunieme
année de fon âge.
Meffire Pierre Guerin-de Tencin , Cardinal de
Ja Sainte Eglife Romaine , Archevêque de Lyon
& Proviſeur de Sorbonne , Miniftre d'Etat , Abbé
des Abbayes de Vezelay , Dioceſe d'Autun , de
Trois Fontaines , Ordre de Cîteaux , Diocefe de
Châlons-fur-Marne ; d'Aiſnay , Diocefe de Lyon,.
& d'Abondance en Savoye , eft mort en fon Palais
Archiepifcopal le 2 Mars , dans la quatre - vingt--
quatrieme année de fon âge. Le Cardinal de Tencin
avoit été nommé à l'Archevêché d'Embrun en
1724 , & à celui de Lyon en 1740 ( 1 ) .
Meffire Guy de Durfort , Duc de Lorge , Comte
& Baron de Quintin , Vicomte de Pommerit , eft
décédé à Chaillot le 3 Mars , âgé de foixantequinze
ans.
( 1 ) Il s'eft gliſſé une erreur aſſez conſidérable dans
la Gazette de France du 11 de ce mois , p . 128 , par
rapport à l'âge de M. le Cardinal de Tencin. Ily
eft dit qu'il avoit 84 ans. Cela eft fautif, puifque ce
Cardinal étoit né en 1679 , le 22 du mois d'Août .
Ainfi il étoit âgé de 77 ans , fix mois & plufieurs
jours . C'est ce que l'on a appris d'une perfonne qui a
approché de très-près M. le Cardinal , & qui nous a
affaré le tenir de lui - même. Il eft à propos de relever
auffi une faute moins importante de l'Almanach
Royal ( p. 46 ) , où l'on a fait ce Cardinal pluss
jenne d'un an qu'il n'étoit , en marquant la date de
La nailance au 23 Août de l'année 1680.
a
206 MERCURE DE FRANCE.
Meffire Louis-George , Comte de Clermont-
Gallerande , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , premier Gentilhomme de la Chambre du
Duc d'Orléans , eft mort le même jour en cette
Ville , âgé de foixante-quatorze ans .
Meffire Bernard Drohin- de Valenceau , Brigadier
des Armées du Roi , ancien Lieutenant - Colonel
du Régiment de l'Artillerie & du Génie , &
Commandant d'un Bataillon de fon nom , eſt décédé
le 4 Mars à Avalon en Bourgogne , âgé de
quatre-vingt- treize ans & deux mois. Il avoit
cinquante-neuf ans de fervice , & il étoit retiré
depuis le premier Mars 1744-
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE..
Hôpital de M. le Maréchal Duc de Biron.
Dixieme traitement depuis fon établiſſement.
Le nommé Brindamour , de la Compagnie de
Sinety , eft entré le 24 Novembre , & eft forti le
3 Janvier parfaitement guéri.
E
Le nommé Saint- Antoine , de la Compagnie de
Gauville , eft entré le 24 Novembre , & eft forti le
3 Janvier parfaitement guéri..
Le nommé la Fayeur , Compagnie de Ratilly
eft entré le premier Décembre , & eft forti le 3
Janvier parfaitement guéri.
Le nommé Lépine , Compagnie de Poudenx ,
eft entré le premier Décembre , & eft forti le
3Janvier parfaitement guéri.
AVRTE. 1758.
207
Le nommé Beaudevin , Compagnie de Guer ,
eft entré le premier Décembre, & eft forti le 3:
Janvier parfaitement guéri.
Le nominé Lapierre , Compagnie des Defpiez ,.
eft entré le premier Décembre , & eft forti le 3
Janvier parfaitement guéri.
Le nommé Comtois, Compagnie de la Ferriere ,.
eft entré le 28 Novembre , & eft forti le 3 Janvier
parfaitement guéri.
Le nommé Cuify , Compagnie de Chevalier ,
eft entré le 28 Novembre , & eft forti le 3 Janvier
parfaitement guéri.
Le nommé Alphonfe , de la Compagnie de.
Coëttrieux , eft entré le 28 Novembre , & eft forti
le 3 Janvier parfaitement guéri.
Le nommé la Sonde , Compagnie de la Vieuville
, eft entré le 28 Novembre , & eft forti le 3
Janvier parfaitement guéri.
Le nommé Robert , de la Compagnie de Vifé ,
eft entré le 28 Novembre, & eft forti le 3 Janvier
parfaitement guéri.
Expériencefaite à Rheims
Lettre de M. Méric , Maitre en Chirurgie , à M..
Keyfer , en date du
Février 1758.
14
Je crois devoir vous faire part , Monfieur , du
fuccès de vos dragées antivénériennes , dont je
viens de me fervir fur une homme d'environ quarante
ans , lequel avoit deux larges & profondes
puftules véroliques avec un gonflement confidé--
rable dans les glandes inguinales. Ce qui lui étoir
furvenu à la fuite de plufieurs g... maltraitées , &
qui a été parfaitement guéri le trente- cinquieme
jour de l'ufage de vos dragées , quoique le maladefoit
forti tous les jours pour aller à les occupa
20 MERCURE DE FRANCE.
·
tions ordinaires , excepté les jours de purgation
Le tout a été exécuté fous les yeux d'un habile
Médecin de cette Ville. Cer exemple me prouve
l'efficacité de votre remede , que j'adminiftrerai
déformais avec la plus grande confiance à tous
ceux qui feront dans le cas d'en avoir beſoin , &
qui s'adrefferont à moi. Je me flatte qu'en fuivant
exactement votre méthode & vos confeils dans les
cas particuliers , je réuffirai toujours , & me ferai
gloire de contribuer avec vous au bien de lafo
ciété. J'ai l'honneur d'être , &c. Signé , Méric.
Lettre de M. Perrin maître en Chirurgie , & Gref
fier de M. le premier Chirurgien du Roi ,
Vernon en Normandie , à M. Keyfer.
J'ai été longtemps fans vous donner de mes
nouvelles , Monfieur , parce qu'avant de rien pro
noncer fur l'efficacité de vos remedes , & malgré
la quantité des cures que je vous ai vu faire , j'ai
voulu par moi-même être sûr d'une qui fût bien
radicale ; la voici , & je me hâte de vous en faire
part , en vous priant de la faire inférer dans le
Mercure.
Elizabeth Laurent âgée de 35 ans , femme de
Jean Grenier Vigneron de la Paroiffe de Nieville
avoit pris à Paris en 1756 un nourriffon . Quel
que temps après fon retour , cet enfant deving
cruel ce qu'elle attribua à des tranchées , mala
dies affez ordinaires aux enfans nouveaux nés. Auk
mois de mars , il furvint des boutons à cet enfanc
efquels jettoient un pus verdâtre , & ne furent
pas regardés comme des puftules , quoique c'em
étoit bien effectivement. L'on fe contenta de faigner
& purger la nourrice , de lui faire prendre
des plantes rafraichiffantes , ce qui ne ' fit aucun
effer . Les boutons fe multiplierent de plus en plus
AVRIL 1758. 209
furvint des ulceres , l'enfant mourut & fon corps
devint dans une fi grande mortification , qu'on fut
obligé de l'enterrer deux heures après.
La nourrice vers ce même temps fut at aquée
des plus violens maux de tête , des douleurs dans
tous les membres & dans les articulations des démangeaifons
cruelles aux nymphos , des ulceres
& deux chancres , dont il y en avoit un qui conmençoit
à ronger les parties , un condiiôme ; enfin
cette femme étoit dans un état affreux , fans
qu'on eût voulu connoître fon mal , ni que le
Chirurgien qui la foignoit , eût imaginé de lui
donner le Mercure. Dans cet état , elle vint donc
me confulter , je n'eus rien de plus preffé que de
lui confeiller votre remede , je la fis voir à un
Seigneur de notre Ville , qui toujours prêt à fecourir
& protéger les malheureux , voulut bien
écrire à M. le Major des Gardes- Françoiſes , pour
lui procurer le remede qu'elle a pris , & au moyen
de quoi elle eft parfaitement guérie , dormant
bien , & dans le meilleur embonpoint . Je l'ai fuivie
exactement. Aucun fymptôme n'a reparu , &
la femme a accouché depuis très- heureuſement.
Or , quoique votre remede n'ait pas befoin , Monfieur
, de l'authenticité de cette cure pour le faire
adopter , je me ferois reproché de ne l'avoir pas
rendue publique , en certifiant avec vérité que
l'effet de la cure a été prompt & radical , le traitement
fort doux , & que cette malheureuſe n'a
fouffert en aucune maniere. A Vernon , ce 6 décembre
1757. Perrin
M. Keyfer prévient Meffieurs fes Correfpondans
, que ne pouvant inférer toutes les lettres &
Les certificats qu'ils lui envoient , dans le petit
eſpace du Mercure qui lui cft accordé , ils ne
210 MERCURE DE FRANCE.
foient pas étonnés de n'y voir que ceux , qui pa
Toiffant les plus authentiques , y feront mis de
préférence , mais en petit nombre, & il fera dans
un volume de l'année , un extrait de toutes les
autres cures qui auront été faites dans toutes les
Villes en général par telle & telle perfonne. Il les
prie auffi de vouloir bien obferver avec la plus
grande attention que comme il eft par fois
des tempéramens délicats & finguliers , fi fenfibles
à l'impreffion du mercure , que le moindre
ufage leur occafionne la falivation , quand il leur
tombera de ces tempéramens , ils ayent la bonté
de leur adminiftrer le remede, en très - petites dofes
, & de fe contenter de traîner la cure en longueur
, laquelle ne fera pas moins radicale, N'étant
pas poffible d'ailleurs de faire mieux , & fon
remede , quoique préparé différemment , étant
toujours le Mercure .
Il fupplie auffi le public d'obferver , que toutes
les lettres & certificats qu'il a l'honneur de lui préfenter
, font d'autant moins mandiées & fufpectes
, qu'elles lui viennent de la part de toutes fortes
de perfonnes , dont il n'a l'honneur , ni d'être
connu , ni d'être ami , qu'en envoyant par◄
tout , & il l'ofe dire avec vérité , pour des fommes.
confidérables , fon remede dans toutes les
Provinces, il a fupplié ces mêmes perfonnes d'en
faire les épreuves gratis pour foulager dans tous
les endroits , les malheureux qui leur tomberont
fous la main , & fe convaincre authentiquement
de la vérité & de l'efficacité du remede , avant
de lui donner la confiance qu'il efpere mériter ,
& avant d'en faire usage par préférence. Que
peut-il faire de plus
Il demeure toujours rue & ifle S. Louis , près le
Pont-rouge.
AVRIL. 1758. 218
AVIS.
Las lampes optiques de M. Rabiqueau fe multipliant
confidérablement , il eft obligé d'avertir
qu'un petit défaut d'attention , prive plufieurs perfonnes
de jouir de la beauté qu'ils remarquent ,
tant au cabinet , que chez plufieurs Princes &
Seigneurs , &c.
Le défaut le plus général, eftqu'on tient toujours
les meches trop groffes ; ce qui rend la lumiere
plus rouge , & forme plutôt champignon : ainfi
on doit être exact à les laiffer plus petites que plus
groffes , flottant dans le porte-meches , fans tomber.
Il faut couper le brûlé tous les jours , & régler
la hauteur des meches au fil fer , ou trois lignes
de fórtie. Les bouteilles fe rempliront plutôt
que plus tard , afin de ne pas laiffer les meches
fans buile : ce défaut fait brûler les meches en
dedans , & produit un feu qui s'alonge , fait caf
fer les verres , & peut même fondre l'étain. Quoiqu'on
ait donné une inftruction pour remettre des
bouteilles , fi on les caffe, il y a des perfonnes
qui remettent des bouteilles à l'aventure ; & l'huile
n'eft plus à fon point. D'autres fe font contentés
de mettre de l'huile dans le réfervoir des meches &
ce qui produit encore un mauvais effet , l'huile
s'abaiffant trop . Pour parer à ces inconvéniens , il
faut que les domestiques viennent avec la lampe ,
& une bouteille on deux , on les leur ajuftera.
Pour la Province , il faut qu'ils ayent foin de les
caffer & régler à la hauteur déterminée . Il vient
prefque tous les jours des perfonnes , foit de Paris.
eu des Provinces , qui veulent voir l'effet des lampes
au billard. On eft obligé de les renvoyer à la
212 MERCURE DE FRANCE.
nuit , la plupart venant dans le jour , même
l'heure des repréfentations phyfiques & méchaniques
, qui fe font tous les après midi jufqu'à fepe
heures du foir au cabinet privilégié du Roi , rue
S. Jacques , vis - à-vis les filles Ste. Marie , feul
endroit où l'on vend les lampes optiques.
AUTRE.
LE fieur Cartier , nouvellement arrivé en cette
Ville , débite une pommade faite avec des fimples
, pour le teint , & qui a beaucoup de vertus ,
entr'autres. 1 °. Elle conferve le teint toujours trèsfrais
& la peau très- blanche. Elle empêche les rides
, & ôte les taches de rouffeur , en s'en fervant
tous les foirs : elle ôte auffi parfaitement le rouge.
2º. Elle emporte les boutons de telle efpece qu'ils
foient au vifage & au refte du corps , fans les faire
rentrer en dedans. 3°. Elle eft auffi très - bonne
pour les perfonnes couperofées , ou qui ont le
teint échauffé. 4° . Elle guérit les dartres vives &
farineufes. . Elle adoucit beaucoup les Hémorroïdes.
6° . Elle efface la marque que laiffent les
coups de foleil , en s'en fervant fur le champ. 7 °
Enfin elle eft bonne pour tous les vices auxquel's
la peau eft fujette. Elle peut fe conferver au moins
fix ans , en la tenant dans un endroit fec , fupporte
même la mer. Si elle jauniffoit , on la remanieroit
avec de l'eau de la Reine d'Hongrie , &
elle reprendroit fa premiere blanchear . Il eft bon
d'obferver que quand elle jauniroit , elle ne perdroit
que le coup d'oeil , fans perdre rien de fes
qualités . Cette pommade fe débite au café dans le
Palais du Luxembourg. Il y a des pots de 6. 1. &
de 3. L. Le nom de l'Auteur eft fur les pos
AVRIL 1758. 213
AUTRE.
LAA veuve du fieur Bunon , Dentiſte des Enfans
de France , donne avis qu'elle débite journellement
chez elle , rue des Saints Peres , fauxbourg
Saint Germain , la troifieme porte cochere à main
droite en entrant par la rue de Grenelle , les Remedes
de feu fon mari , dont elle a feule la compofition
, & qu'elle a toujours préparés elle- même.
L'on en trouvera toujours chez le fieur Georget ,
fon frere , Chirurgien , rue Sainte Avoye , au coin
de la rue de Braque, pour la commodité des perfon
nes qui logent au Marais. Sçavoir , 1º. Un Elixir
anti -fcorbutique qui affermit les dents , diffipe le
gonflement & l'inflammation des gencives , les
fortifie , les fait recroître, diffipe & prévient toutes
les afflictions fcorbutiques , & appaiſe la douleur
des dents. 2° . Une Eau appellée Souveraine , qui
affermit auffi les dents , rétablit les gencives , en
diffipe toutes tumeurs , chancres & boutons qui
viennent auffi à la langue , à l'intérieur des levres
& des joues , en fe.rinçant la bouche de quelques
gouttes dans de l'eau tous les jours , & elle la rend
fraîche & fans odeurs , & en éloigne les corrup
tions , elle calme la douleur des dents. 3º. Un
Opiat pour affermir & blanchir les dents , diffiper
le fang épais & groffier des gencives , qui les rend
tendres & mollaffes , & caufe de l'odeur dans la
bouche, 4° . Une Poudre de Corail pour blanchir
les dents & les entretenir ; elle empêche que le
limon ne fe forme en tartre, & qu'il ne corrompe
les gencives, & elle les conferve fermes & bonnes
de forte qu'elle peut fouffrir pour les perfonnes
qui ont foin de leurs dents , fans qu'il ſoit nécef214
MERCURE DE FRANCE:
faire de leur faire nettoyer. Les plus petites boud
teilles d'Elixir font d'une livre dix fols. Les plus
petites bouteilles d'Eau Souveraine , font d'une livre
quatre fols , mais plus grandes que celles de
l'élixir. Les pots d'Opiat , les petits , font d'une
livre dix fols. Les boîtes de Poudre de Corail
font d'une livre quatre fols.
AUTRE.
MADAME Lepreux , Marchande Lingere à Pa
ris , rue & près l'Echelle du Temple , à l'Ange
Gardien , donne avis au public qu'elle vend une
poudre qui a la vertu d'enlever fur le champ de
deffus les toiles , mouffelines & dentelles , les taches
d'encre & de rouille , fans aucun danger de
rien gâter , quand même lefdites taches feroient
anciennes , & que les chofes fufdites auroient été
blanchies ; elle les ôte fur les étoffes de foie & de
laine blanche. Elle fe vend 24 fols le paquet
avec la maniere de les enlever. L'on en fait l'expé
rience fur le champ devant les perſonnes qui le
Jouhaitent.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le premier volume du Mercure du mois d'Avril ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
T'impreffion. A Paris , ce 29 Mars 1758.
GUIROY,
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
LES
Torts ,
page
s
Effai
fur la Médiocrité
des
Conditions
, traduit
de l'Anglois
de M.
Hume
,
Les deux
Serins
, à Mademoiſelle
A. C. Fable
, 15
Azema
, Hiftoire
Orientale
,
7
48
18
Vers à Madame *** , fur les Tablettes Enchan
tées. Conte qui a paru dans le ſecond volume
de Janvier 1758 ,
Vers au fujer de ce que M. de Boiffy a dit dans le
Mercure de Février , qu'il feroit main- baſſe ſur
toutes les Pieces qui n'annonceroient point de
49
talent ,
Suite
de M.
de Fontenelle
, par
M.
l'Abbé
Trublet
, contenant
des
corrections
& additions
aux
articles
précédens
,
L'Amour attrapé ,
Epitre de M. Piron ,
so
79
83
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure du mois de Mars ,
Enigme ,
Logogryphe
Chanfon
88
ibid.
89
90
ART. II. NOUVELLES , LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Autre Lettre à Auteur du Mercure ,
110
112
Lettre à l'Auteur de l'Almanach de Picardie , 122
Lettre à l'Auteur du Mercure 134
216
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Hiftoire. Divorce de l'Hiftoire & de la Fable . Suite
de la Differtation critique du P. Féijoo , Bénědictin
Eſpagnol , 133
148
Médailles. Devifes pour les Jettons du premier
Janvier 1758 ,
Hiftoire Naturelle. Remarques fur un poiffon
qu'on croit être la Tortile ,
Chirurgie. Defcription d'un Enfant furnaturel ,
qui a été préfenté à l'Académie royale de Chirurgie
, le 6 Septembre dernier ,
Musique,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
IsI
158
159
A l'Auteur du Mercure. Précis de l'idée de M.
Clément fur la compofition & fur l'accompa
gnement du Clavecin ,
Gravure ,
ART. V. SPECTACLES.
Opera ,
Comédie Françoiſe ,
Comédie Italienne ,
Opera Comique ,
Concert Spirituel ,
160
163
165
166
168
169
170
Les Ifraélites à la montagne d'Oreb . Poëme , 172
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 179
Nouvelles de la Cour , de Paris &o ; 191
Bénéfices donnés , 203
Mariage & Morts , 204
Avis divers ,
Supplément à l'article de Chirurgie ,
La Chanson notée doit regarder la page 90 , & la
planche des Médailles , la page 148 .
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
206
211
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI,
AVRIL. 1758.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cechin
fhus inv.
PapillonsSculp
A PARIS,
CHAUBERT , rue du Hurepoir
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Rei.
.23
1
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres ,
& lettres, pour remettre,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercuré.
སྐ
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raiſon
de 30 fols piece.
>
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pourfeize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur
compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant peur
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
Onfupplie lesperfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ;
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de refter à fon Bureau les Mardi , Mercredi
Jeudi de chaque femaine , après- midi.
t
On prie les perfonnes qui envoient des Li-
Eftampes & Mufique à annoncer •
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mereure
, les autres Journaux , ainſi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
***
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1758.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
༢ ་
LE CHÊNE ET LE TEMPS,
UN
FABLE ;
A Madame
N Chêne un jour défirant s'établir ,
Alla chercher place qui pût lui plaire.
Une parut être bien fon affaire :
Il s'y fixa. Dieux ! quel fut fon plaifir
De prendre mille petits foins
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Pour rendre la demeure fûre !
Jetter racines fans mefure
Ne fut ce qui l'occupa moins.
Il avoit fçu faire choix d'un terrein
Qu'il ne pût pas taxer d'ingratitude.
Notre arbre ainfi , fans nulle inquiétude
S'éleve en peu fous un ciel très- ferein .
Vient le temps jaloux , envieux ,
Qui toujours le plaît à détruire.
Jefçaurai , dit- il , te réduire ,
Petit fuperbe , audacieux.
Je t'ai bien vu prendre tous tes ébats ;};
Si je voulus lors te laiffer tranquile
Dans ce beau lieu fixer ton domicile ,
Mince Chêneau , ne t'en étonne pas ;
J'avois une bonne raiſon.
Bien loin de m'oppofer qu'un être
Prenne jour , je le laiſſe naître ;
Mais pour devenir fon poiſon.
Le Temps raffemble à l'inftant tous les vents ;
Et les excite à renverfer le Chêne .
En vain fur lui leur fureur fe déchaîne :
Portez ailleurs tous vos mugiffemens ,
Dit-il : temps ennemi , crois - moi ,
Ma force vient de mes années ,
Et mes heureufes deftinées
N'ont pas d'autre . fource que toi.
C'est ici- bas par ta rapidité
Que chacun doit terminer fa carriere ;
AVRIL 1758. 7
Mais il en eft à qui ta longueur meurtriere
Donne de la folidité.
Tel eft ſon effet fur les coeurs ;
Lorfqu'en eux l'amitié domine ,
Par le temps elle s'enracine
Malgré lui-même & fes fureurs.
Oui , belle Eglé , je fens que chaque jour
Sur moi vos yeux étendent leur empire ;
Plus les ans vont , plus pour vous je reſpire .
Le Chêne eft fait pour peindre mon amour,
A Dreux , le premier Janvier.
RÉFLEXIONS fur l'inconftance , qui
tiendront lieu d'un Conte.
'ÉTOIS ces jours derniers chez Madame
de *** , femme aimable , quoique fur le retour
, & auffi digne d'eftime pár la délicareffe
de fon efprit , & les qualités de fon
coeur , qu'elle mérite de refpect par fes
vertus. Je goûtois près d'elle les douceurs
d'un entretien plein de fentimens & de '
raifon , lorfqu'on annonça le jeune Tréville.
Il entra auffi- tot ; mais comment
rut- il ? Sa phyfionomie étoit altérée : fes'
yeux ardens , malgré l'abattement qu'il laiffoit
appercevoir , me firent foupçonner
qu'il étoit tourmenté par le chagrin le plus
Aiv
& MERCURE DE FRANCE.
violent , & nous ne fûmes pas longtemps
fans en être parfaitement inftruits. Il venoit
le confier à Madame de *** , & chercher
auprès d'elle des confolations qu'elle
eft plus propre à donner que perfonne , &
qu'elle ne refufe jamais à fes amis.
Qu'avez- vous , Tréville lui dit cette
Dame , je vous trouve défait. Ceci m'a
tout l'air d'un chagrin caufé par l'amour.
Auriez- vous encore effuyé quelque nouvelle
tracafferie de la part de la belle Iſmene
? Le pauvre Tréville attendoit cette ouverture
: le nom de fon ingrate ne fut pas
plutôt prononcé , qu'il nous fit un détail
circonftancié de l'inconftance de fa maîtreffe
, mais avec des couleurs fi vives
mais avec des preuves fi fortes & fi convaincantes
, mais avec un contrafte fi frappant
de la droiture de fes procédés , avec
la mauvaiſe foi d'Ifmene , que nous ne
pûmes l'entendre fans en être attendris.
Lui ayant laiffé le loifir d'exhaler tout
fon mécontentement , & de foulager fon
coeur par un déluge de plaintes , il tomba
enfin dans une espece d'accablement qui
lui fit garder un filence , avant -coureur
d'un défefpoir marqué. Madame de ***
faifit alors cet inftant , & lui dit : Vorre
fituation eft trifte , mon cher Tréville : il
fuffit d'avoir un coeur pour connoître tous
AVRIL 1758.
re l'amertume dont le vôtre eft abreuvé ,
& la partager avec vous . Votre malheur
eft conftaté ; mais c'est peut-être un bien :
je ne défefpere pas au moins de vous en
convaincre , & de vous renvoyer plus tran.
quille , fi vous voulez m'entendre.
Ce qui vous bleſſe finguliérement, ditesvous,
c'eft qu'on vous préfere le Chevalier
de *** qui eſt un vrai étourdi , fait exprès
, par l'éclat de fes affiduités , pour
afficher une femme , & la perdre de ré
putation ; qui , plus que fingulier dans
fes alures , a un caractere & une façon de
penfer qui ne reffemble à rien ; dont l'efprit
eft borné , le jugement louche , la
converfation ftérile , l'humeur fâcheufe
d'une fenfibilité fi puérile , qu'elle annonce
la médiocrité de fon mérite , & quis
joint à cela une figure peu avantageufe:
Eres-vous content Eft- ce bien là votre
rival ? Vous voyez que je le connois , &
que je ne le ménage pas ; cependant je n'em
conclurai pas moins qu'il devoit l'empor
ter fur vous. Connoiffez les femmes, mon
cher Tréville , l'intérêt que je prends à vos
peines , fera que je vais manquer à ce que
je dois à mon fexe. Vous n'imagineriez pas
ce que vaut un plumet fur la plupart de
nous ! Oub, un plumer eft capable de
nous renverser la cervelle ; ce fera bien
A.y
TO MERCURE DE FRANCE..
pis encore , fi vous y ajoutez un habit.
brillant , une épée & une frifure avantageufement
fingulieres. L'efprit , les fentimens
, la bonne foi , la tendreffe , ne
peuvent compenfer ce mérite : or , convenez
en , le Chevalier le poffede fupérieurement.
Ce n'eft pas tout ; vous avez un pere
qui demande à être ménagé mais ce pere
obferve vos démarches. N'agréant pas vos
fentimens pour Ifmene , vous êtes contraint
de ne la voir que rarement & à la
dérobée , votre charge vous oblige à fréquenter
le Palais ; voilà bien des momens
enlevés à votre amour . Votre maîtreffe cependant
craint la folitude , elle n'aime pas
à être feule ; le Chevalier , fi vous voulez
, eſt un fot , mais ce fot la voit à tou
tes les heures , & publiquement : ibl'accompagne
au jeu , il lui donne le bras à la
menade & au fpectacle , il ne la quitte
point , c'eft fon ombre. Tient- on contrede
pareilles affiduités ? Il n'eft pas un ouvrage
de femmes qu'il ignore , & où il n'excelle
: il découpe comme une Fée , il rac
commode un évantail dans la derniere per
fection , & ce Chevalier eft Colonel , tandis
que vous n'êtes qu'un Confeiller . Se
donner à vous , c'eft de propos délibéré
tomber dans la feconde claffe , c'eſt dire
proAVRIL.
1758.
11
au public qu'on approche trente ans , ou
qu'on les a ; cet aveu n'eft- il pas coûteux
à notre vanité ? Devez vous trouver mau
vais qu'Ifmene fe l'épargne ?
Vous - même , Tréville , n'eft- ce pas par
amour propre que vous êtes chagrin
N'eft- ce pas lui qui anime votre défeſpoir ?
Votre peine la plus fenfible n'est- elle pas
d'avoir été prévenu par une femme que
vous étiez cependant fur le point d'aban
donner & de mortifier par votre inconf
tance ? Ne déguiſons rien , foyons de bonne
foi ; votre paffion pour elle n'étoit plus
la même ; l'habitude en faifoit peut- être
le lien le plus fort . Déja vous étiez mécontent
de fon efprit , vous lui en trouviez
moins qu'à la Marquife de *** ; vous m'avez
avoué , dans le temps même que vous
n'aviez pas à vous en plaindre , que fes
manieres n'étoient pas toujours du bon
ton , que fa façon de penfer n'avoit rien
de relevé , en un mot vous faifiez des comparaiſons
, & un amant qui compare , fit.
ce n'eft à l'avantage de fa maîtreffe , je dis
qu'il n'aime plus , ou qu'il cherche à rom
pre. Jugez- en vous- même par les difpofi
tions où vous étiez , lorfque vous commençâtes
à aimer Ifmene ? Ses graces ,
fon efprit , fa figure , étoient autant de
chef-d'oeuvres d'une nature toujours pro
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
digue à fon égard , & vous n'euffiez pas
trouvé bon qu'on vous eût contredit. C'eſt
qu'alors l'amour ne vous laiffoit voir Ifmene
qu'à travers le voile trompeur de votre
paffion , & que ce voile ufé par le
temps , l'illufion a ceffé. Elle s'en eſt fans
doute apperçue , elle a pris les devants
pouvez vous le trouver mauvais ?
Ce qui vous défefpere encore , c'eft la
comparaifon que vous faites de votre fortuné
rival , avec vous. La préférence qu'il
obtient vous humilie , & met votre amour
propre en défaut. Pauvre dupe ! Avez - vous
donc jamais imaginé que le mérite nous
décidoir en amour ? Ce fentiment fut- il
jamais le réfultat d'une délibération réfléchie
, & d'un deffein prémédité fur la réputation
acquife , ou fur l'eftime publique
vraiment méritée , par la perfonne à laquelle
nous voulons nous attacher ? Non,
mon cher ami . Le hazard nous préfente un
objet , fa figure , fes façons , la tournurede
fon efprit nous plaifent , nous l'aimons.
Si dans la fuite nous trouvons un vrai mérite
à cet objet , tant-mieux pour nous ;:
notre vanité y trouve fon compte , hous
nous attribuons un goût fin & délicat ,
nous nous glorifions de notre choix , la
joie que nous en reffentons , fera peut -être
que nous l'en aimerons davantage , mais
AVRIL 1758.
çe fera toujours par un retour fur nousmêmes
; car s'il eût été moins parfait , nous
n'euffions pas pour cela ceffè de l'aimer.
Tant d'amans mal affortis en font la preuve.
Si donc on vous a aimé fans fçavoir ce
que vous valiez , pourquoi ne voulez - vous.
pas qu'on en aime un autre avec la même
incertitude Quel tort cela fait - il à votre
amour propre ? vos bonnes qualités n'ayant
pas plus contribué à votre engagement ,
qu'elles n'entrent dans votre rupture.
* !
A mefure que Madame de *** parloit ,
je voyois Tréville reprendre fa tranquilli
té. Ses yeux s'adouciffoient : il lui échappoit
, il eft vrai , des foupirs ; mais ils
éroient moins douloureux , fa refpiration
étoit plus libre , & c'eft là un bon figne
dans les amans malheureux. Madame de
*** profitant de cette difpofition pourſui
vit ainfi.
Il n'eft rien de ftable ici - bas : nos goûts
nos humeurs , notre façon de penfer , l'idée
même que nous nous fommes formée
du bonheur , tout varie. Comment pourrions-
nous , au milieu de ces viciffitudes ,,
conferver un attachement durable pour le
même objet ?: Il nous plaifoit hier par des
qualités qui nous font indifférentes aujour
d'hui les rapports qui fe trouvoient entre
lui & nous , & qui faifoient que nous l'aig
14 MERCURE DE FRANCE.
mions , par un retour d'amour propre
ont difparus , nous avons acquis une façon
d'être différente , il faut donc que notre
façon de fentir le foit auffi. Si vous me
paffez cette idée , mon cher Tréville , ik
me fera aifé de vous faire voir qu'on ne
peut jamais faire un crime de l'inconftance.
Ce changement organique , fi j'oſe
m'exprimer ainfi , arrivant à l'un ou à l'autre
des deux amans , ou même à tous deux ,
ne doit- il pas naturellement s'en faire un
dans leur amour ? l'objet de ce fentiment
n'étant plus le même. N'eft- ce pas de ce
principe que découle l'inftabilité des jugemens
que nous portons fur la même perfonne
? que nous aimons quelquefois celles
qui nous étoient la veille plus qu'indifférentes
, que nous leur faifons occuper
dans notre coeur la place de celles que peu
auparavant nous idolâtrions , tandis que
celles- ci font oubliées fans retour ? Ne
foyons donc pas furpris fi l'on change , &
fi l'on apperçoit quelquefois fi tard des défauts
qui choquent dans la perfonne que
nous aimions. Ils n'y étoient pas moins ,
mais nous les voyions d'un autre ceil , nous
en faifions peut-être même des agrémens.
Eft- ce notre faute à préfent fi nous n'aimons
plus Eft- ce la faute de notre amant ?
Ni l'un ni l'autre. Nous y tenions peut- être
AVRIL. 1758.
par les endroits que nous trouvons en lui
défectueux
. En deux mots , dans tous les
tendres engagemens
on cherche le plaifir :
dès qu'il difparoît , l'amour s'envole . Voilà,
je crois , la juftification de l'inconftance
bien avancée . Appuyons-la encore d'un
autre motif.
nous
Avant que d'aimer , nous nous créons
en idée ane perfonne telle que nous la défirerions.
pour réunir tous nos voeux. Jeuneffe
, beauté , efprit , talens , graces , dé
licateffe , fentimens du coeur , tout lui eft
prodigué , mais toujours de l'efpece la plus
analogue à notre goût & à notre caractere .
Cette provifion faite , nous allons à la découverte
; nous paffons en revue ,
examinons tous les objets qui fe préfentent.
En rencontrons- nous un que nous puiffions
croire être reffemblant à l'idole que nous
avons formée , nouveaux Pygmalions, notre
coeur s'émeut , un feu dangereux s'y
gliffe , nous aimons. Ce n'eft pas encore
là le temps de l'examen ; on n'a de loifir
que pour aimer. Mais l'habitude de fé
voir , rend moins féduifant ce que nous
avons vu fi ſouvent ; bientôt le portrait ne
fera plus fi reffemblant , il y aura quelques.
traits manqués. Le temps multipliera ces
défauts ; honteux de nous être mépris
nous ne tarderons pas à chercher ailleurs
"
16 MERCURE DE FRANCE.
une reffemblance plus parfaite , que nous
ne trouverons jamais . Notre bel âge fe paffe
dans cette recherche . Souvent trompés ,
heureux quelques momens ; voilà l'hiftoire
de tous les amans. Et comptez bien , mon
cher Tréville , que tout cela eft récipro
que. Les hommes nous trompent fouvent
fans le vouloir , nous les trompons nousmêmes
fans deffein : aufli l'empire d'amour
n'eſt-il compoſé en plus grande partie que
de dupes.
Et voilà précisément ce qui me révolte
répondit Tréville . Perfuadé d'une partie
des raifons que vous venez de me détailler
, Madame , avec autant de pénétration
que d'efprit , je me rendrois ; l'inconftan
ce d'Ifmene me feroit fupportable , fi elle
n'eût pas mis de la manoeuvre dans fon
changement , & que je puffe le regarder
comme un effet de fon étoile ou de la mienne.
Mais agiffant avec candeur & probité ,-
n'ai -je pas fujet de me plaindre qu'à l'inconftance
la plus marquée , elle ait: jointla
perfidie la plus noire ? L'amour ne fe
commande pas , lui difois je un jour ,
après lui avoir fait des reproches fur les affiduités
qu'elle permettoit au Chevalier ;
mais on eft en droit d'exiger la bonne foi.
Pourquoi ne pas dire ingénuement , je ne
vous aime plus ? On n'auroit alors que le
AVRIL 1758 17
·
regret d'avoir perdu une amante , & on fe
fauveroit la honte d'avoir été dupe.
Vous propofez là une belle chimere ,
mon cher Tréville , reprit Madame de *** :
croyez- vous donc qu'un tel aveu foit facile
à faire ? Ne fentez-vous pas qu'il eft humiliant
pour celui qui le reçoit ? & que la
politeffe , l'humanité même veulent qu'on
lui épargne cet affront ? D'ailleurs feriezyous
demeuré fans replique ? Il auroit
fallu entrer dans des explications , répon→
dre à des plaintes , à des reproches , bien
mérités fans doute ; mais qu'Ifmene au
roit été très-décidée à mériter encore da
vantage : fituation défagréable , qu'elle a
bien fait de vous épargner à l'un & à l'autre.
D'ailleurs fes façons ne vous ont- elles
pas affez averti ? Depuis longtemps vous
en convenez , elle n'étoit plus la même à
à votre égard ; fes empreffemens étoient
ralentis , vos lettres ne lui caufoient plus
cette douce émotion que vous remarquiez
dans les commencemens de votre commer
ce , les entretiens étoient plus courts , ils
étoient plus froids ; eft- ce donc fa faute fi
vous n'avez pas entendu tout ce que cela
vouloit dire ? C'est donc par ménagement
pour vous , & par un fonds d'eftime
qu'elle vous conferve encore , qu'elle
n'a pas ofé vous dire que fon coeur ne
18 MERCURE DE FRANCE
pouvoit plus répondre à vos fentimens.
Mais enfin je le veux , elle a tort. Ce
fera encore une raifon de plus pour vous
confoler de fon inconftance. Pouvez-vous
regretter une perfonne à qui vous pensez
avoir raifon de croire l'efprit diffimalé &
le coeur faux ? Vous donneriez par- là une
bien mauvaiſe idée de votre goût. Votre
probité , la délicateffe de vos fentimens ,
méritent quelque chofe de mieux , vous
le trouverez fans doute. Mais à tout événement,
qu'il ne vous échappe jamais rien
de défavantageux far le compte d'Ifmene ,
ce feroit vous déshonorer : pouvez-vous
abufer de la
circonfpection à laquelle fon
état l'oblige , & qui , l'empêchant d'avouer
qu'elle vous ait aimée , lui ôte le moyen
de dire la raison pour laquelle elle ne vous
aime plus ? Ce feroit là pêcher contre l'honnête
homme. Il fuffit qu'elle vous ait aimé
, ne feroit- ce qu'un inftant , pour que
vous lui deviez des égards. Un galant
homme ne s'en difpenfe pas avec la femme
la plus méprifable : quelle doit donc être
votre conduite avec Ifmene , à qui vous
n'avez d'autre crime à imputer que celui
d'avoir obéi à un penchant qu'elle ſe reproche
peut-être en y cédant. Votre conduite
eft tracée dans ces deux vers :
Le bruit eft pour le fat , la plainte pour le for
AVRIL 175 19
L'honnête- homme trompé s'éloigne , & ne dir
.mot.
Vous êtes , je le crois , trop raifonnable
pour ne pas vous y conformer.
Quelle eft la force , quel eft l'afcendant
de la raifon & de l'efprit , quand une belle
perfonne les fait valoir ! Tréville fortit de
cette converfation, finon parfaitement confolé
, au moins avec les difpofitions à l'être
bientôt il prononçoit déja le nom de
fon infidelle fans émotion & fans aigreur ,
& fi j'ajoute foi à la promeffe qu'il répéta
cent fois de ne jamais renouer avec elle ,
je crois auffi pouvoir garantir qu'il ne lui
manquera jamais en rien , qu'il l'eftimera ,
& qu'elle pourroit peut- être trouver en lui
dans la fuite un bon ami : reffource heureufe
qu'une femme raiſonnable ne ſçauroit
trop fe ménager.
D.....
A A... en Bourgogne , ce 6 Mars 1758 .
L'AVEU INGENU.
BELLE Eucharis , je vous adore ;
M'aimez-vous , ma chere Eucharis
Dites , m'aimez -vous ? ... Je l'ignore ,
Berger : qui me l'auroit appris à
20 MERCURE DE FRANCE.
L'amour... l'amour !…. oui , l'amour même,
Le Dieu des plus tendres plaifirs ,
Ce doux charme qui fait qu'on aime ,
Qui réunit tous les défirs ;
Ce doux penchant qu'un rien fait naître,
Que rien ne peut anéantir ,
Ce que le coeur ſeul peut fentir...
Ah ! vous me l'avez fait connoître.
A M. DE BOISSr.
MONSONISEIEUURR ,, j'ai l'honneur de vous envoyer
ma récolte de cet automne , peutêtre
n'y trouverez- vous rien qui flatte un
peu votre goût ; mais pour vous offrir
quelque chofe de plus délicat , il m'en eût
couté des foins , peut- être encore inutiles ,
& c'eft ce qui n'entre pas dans le plan que
je me fuis tracé : foit raifon , foit pareffe ,
je n'aime guere de mes fruits littéraires ,
que l'agrément de les cueillir à mon aife.
J'ofe donc vous les livrer , tels à peu près
qu'ils me font venus fous la main , beaucoup
plus confus de la vilité du préfent ,
qu'inquiet du fort que vous lui réfervez.
Recevrez - vous le tout fans exception ;
n'en retiendrez - vous , après un triage févere
, qu'un tiers , un quart , un cinquieAVRIL
1758) 11
me ; n'en fervirez - vous au public que de
de légers effais , pour ne lui faire avaler
Pennui qu'à petits coups ? Tout cela , Monfieur
, eft fouverainement à votre difpofition.
La destinée de mes foibles produc
tions n'eft pas moins votre affaire qué la
mienne. Si je m'amufe par fois à pfalmodier
dans le bas- choeur du facré vallon
vous en êtes la feule , ou du moins la principale
caufe. Vos fuffrages féduifans ont
fait prendre à ma voix un effor que je
n'aurois jamais ofé lui permettre fans cela,
D'un trait de plume,
D'un médiocre profateur ,
Vous avez eu l'art de me rendre
Un affez facile Rimeur.
Si quelque jour de vous entendre ,
Je pouvois avoir le bonheur ,
Deftin, hélas ! qu'avec ardeur
Depuis filong-temps je fouhaite ,
Vous rendriez , j'en crois mon coeur ,
La métamorphofe parfaite ;
D'un foible verificateur ,
Par votre talent créateur ,
[
Vous fçauriez faire un bon Poëte.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Aux Amognes , le 5 Décembre 1757.
22 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE en réponse à M. l'Abbé de
Chanoine d'Autun.
QUAND
+
UAND Vous exigez , mon cher Ami
que je renoue avec la poéfie , que vous
confultez peu mes vrais intérêts ! Vous
aimez mon repos & mon bonheur , je le
fçais , & cependant par vos inftances preffantes
, vous ne tendez à rien moins qu'à
me faire hazarder l'un & l'autre. Si vous
aviez jetté les yeux fur les divers précipices
qui bordent le chemin de l'Hélicon
loin de m'engager à reprendre cette route
périlleufe , vous me féliciteriez d'en être
forti , & vous n'exerceriez , j'en ſuis fûr
l'afcendant qu'une longue amitié vous a
donné fur mon coeur , que pour me détourner
d'y rentrer jamais, Mais vous me
connoiffez , dites - vous ,
.
Aimant la paix , craignant le bruit ,”
Autant ou plus que la mort même !
Sur les moeurs , & les goûts qu'on fuit
D'une indifférence fuprême
Laiffant , libre de tout fyftême ,
Parler chacun comme il lui duit
Peu preffé de parler moi - même :
Fuyant fans aigreur qui me fuit , vb.
Sans paffion aimant qui m'aime ;
AVRIL. 1758 25
Rimant enfin par goût , bien moins que par ennui
;
Le feroit , dites-vous , un malheur bien gratuit ,
Un cas bien rare & bien fortuit ,
Si , dans quelque diſgrace extrême ,
L'art des vers jamais me conduit,
Il eft vrai que la conftitution de mon
caractere , autant que la foibleffe de mes
talens , eſt toute propre à me raffurer contre
de certains hazards.
Quand je vois des efprits fublimes ,
Nés pour réformer l'univers ,
Jouets des plus fougueux travers ,
Dégrader les vertus , légitimer les crimes ,
Et dans de déteſtables rimes ,
Subftituer aux plus faines maximes
Des principes faux & pervers :
Quand je vois l'art des vers , ce langage admi
rable ,
Fait pour chanter des Rois les geftes immortels ,
Et célébrer des Dieux la clémence adorable ,
Traduit en un art exécrable ,
Sapper le trône & les Autels :
Du eigne innocent & paisible ,
Quand j'entens le gofier flatteur ,
Devenu l'organe terrible
Du courroux & de la clameur ,
Pouffer le fifflement horrible
24 MERCURE DE FRANCE.
Du fier alpic mis en fureur item wil
Quand je vois les. Graces timides ,
Eprifes d'un tranfport foudain ,
Voler les flammes à la main ,
Sur les traces des Euménides
Pour tourmenter le genre humain
Quand je vois , en un mot , cette lumiere pure ;
Qu'un mortel (1) téméraire oſa ravir aux Dieux ,
Changeant , pour nous punir , d'effet & de nature ,
Faire luire fur nous un jour plus odieux ,
Que ne feroit la nuit la plus obfcure :
Non , contre les talens en fecret révolté
Je regrette que ton fyftême ,
Rouffeau (2 ) , ne foit qu'un vain problême
Enfanté par l'abſurdité ;
Et dans mon coeur , 8 fainte vérité !:
Pardonne- moi cet énorme blaſphême
Oui , je me fens prefque tenté
De préférer, à ta recherche même , si lah
Une paisible oifiveté.
Mais de combien d'écueils n'eft pas femée
la mer poétique ? Quand il n'y auroit
que cette prévention ( 3 ) fecrette & épidé-
(1 ) Prométhée .
(2) Le Citoyen de Geneve , connu par les Dilcours
fur le danger des Lettres , & fur l'origine , &c.
(3) Je parle ici d'après mon expérience perfonnelle.
Je n'apperçois que les vers , pour peu
que je vouluffe m'y livrer à forfait , me rendroient
mique ,
AVRIL. 1758, 25
gon
mique , dont on eft prefque généralement
préoccupé contre tout ce qui parle le jardu
parnaffe ; que ce cri de furpriſe &
de frayeur qui s'éleve brufquement dans
une contrée à l'apparition d'un Poëte ,
comme à l'aſpect d'un animal furieux , prêt
à fondre , la gueule béante fur les paſſans ;
vous m'avouerez que ce feroit toujours ,
comme dit Boileau , un fort méchant métier
que celui de rimer. Auffi vous affurerai - je
très-fincérement que , fi je m'en mêle quelde
fort vilains offices ; parce qu'on veut que les
Mufes , ainfi que les abeilles , ayent un aiguillon ;
on s'imagine qu'à propos de bottes , pour ainfi
dire , je vais en percer quiconque n'aura pas le
don de me plaire . En vain ma conduite démentelle
cet injufte foupçon ; elle ne peut le détruire.
Mon malheur , que je fouffre cependant , graces à
Dieu , avec affez de réfignation , ne fe borne pas
là . Les perfonnes qui ne me craignent pas , me
condamnent encore plus nettement , que celles
qui font affez bonnes pour me craindre . La belle
Occupation , difent-elles avec un air de mépris
décidé , pour un homme d'un certain état , d'enfiler
puérilement des mots au bout les uns des autres
,& de les faire confonner entr'eux ! Il eft vrai
qu'il y en a peu de plus ridicule , & qu'il vaudroit
beaucoup mieux , à leur exemple , dans les intervalles
de fes devoirs , ſe défennuier tout bonnement
à ne rien faire du tout , ou bien à dormir
innocemment couché de fon long dans un bon
fauteuil ; mais n'a pas cet heureux talent là qui
veut.
II. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE .
quefois , c'eft que je n'ai rien de mieux à
faire. Que n'ai- je une Cure , ou ſeulement
un pauvre petit Bénéfice fimple ,
De quelque mille écus de rente
La moitié même fuffiroit.
Ah ! que bientôt on me verroit ,
Auffi vite , auffi prompt qu'un trait
Lancé par une main puiffante ,
Du Pinde enfiler la defcente ,
Et, fans le plus léger regret ,
Dire adieu pour jamais à la troupe fçavante :
Environné chez moi d'un cortege d'amis ,,
Qu'attireroit fans ceffe fur ma trace
L'art renommé d'un Cuifinier exquis ,
Et que la peur d'encourir ma difgrace
Rendroit zélés , attentifs & foumis :
Sur une Majordôme auffi fûre que fage ,
Me repofant du tracas du ménage ,
Et de mille ennuyeux foucis :
D'un troupeau de parens avides ,
Par un goût d'épargnes fordides ,
Peu foigneux d'allumer l'orgueil & les défirs ;
Paffant , volant enfin de plaifirs en plaiſirs ,
Entre le jeu , la table & des courfes rapides ,
Je partagerois mes loisirs.
Des pauvres filles de mémoire ,
Si par hazard il étoit queſtion ,
Ce feroit tout au plus dans quelques airs à boire,
Ou , dévouant leur art à la dérifiop ,
AVRIL 1758. 27
Du feul Bacchus j'aurois l'ambition
D'exalter les faits & la gloire.
Pour de lectures , point, Seulement , par façon ,
Dans les jours , ou d'amis on peut avoir dilette ,
Je pourrois du Mercure entonner la Chanfon ,
Lire l'Enigme & la Gazette,
Vous me regardez d'un ait étonné...
Eh ! Monfieur le Vénérable , les richeffes
font tous les jours de plus grands miracles
que cela auffi voit- on qu'il n'y a pas d'autel
mieux paré que celui de la fortune.
Mais enfin ne fiffent- elles d'autres effets
fur moi que de me guérir de la fotte manie
des vers , en détournant mon goût fur des
objets plus raifonnables , tels , par exemple,
que la levée d'une bonne dîme , le battage
d'une vafte grange , la recherche d'une
vieille limite , & c. occupations qui me feroient
rentrer dans l'efprit de mon état ,
ce feroit toujours un fort bon office qu'elles
me rendroient : vous ne voudrez pas
en convenir , & , pour m'amorcer , je vois
l'appât que vous m'allez tendre ; les éloges
que Paris & la Province.... Paris ! ah !
mon cher , fes louanges me font beaucoup
moins d'honneur que vous ne penfez . Perfuadé
fans doute ,
Que nous autres gens de Village ,
Peuple groffier , race ſauvage ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
Sans talent , fans légéreté ,
Ne devons avoir en partage
Que l'ignorance & la rufticité :
De notre part la moindre bagatelle ,
Où quelque peu d'urbanité ,
Quelque trait d'efprit étincelle ,
Lui paroît de toute beauté.
De ce que fon fuffrage a pour moi d'honorable ;
Je ne fuis donc pas plus fier que furpris ;
Ce n'eft , je crois , que par mépris
Qu'il me trouve moins mépriſable.
Au refte , je crains fi fort de m'attirer le
reproche d'infenfibilité ou d'ingratitude ,
que je confens , s'il le faut , de prendre
pour bons les éloges gracieux dont on veut
bien m'honorer ; mais à une condition ;
c'eft qu'il n'en fera ni plus , ni moins , &
que la reconnoiffance ne m'engagera en
rigueur qu'à de purs remercimens in petto.
Mon but , en rimant quelques miferes
campagnardes , ne fut jamais d'arborer
l'enfeigne d'Auteur. Je penfe , graces à
Dieu , un peu plus fenfément. Je fçais trop
bien que ce n'eft pas à un fauvage comme
moi , fans connoiffance du monde , fans
relation , & prefque fans culture & fans
livres , qu'il appartient de prétendre contribuer
au plaifir du Public. Pour quelques
méchantes faillies , naïves , fi l'on veut ,
AVRIL. 1958. 29
qui lui échapperont par hazard ,
hazard , combien
d'inepties & de puérilités , malgré qu'il en
ait , ne couleront pas en foule de fa plume ,
comme d'une fource naturelle ?
Quand j'apprens donc que R...
Ce Seigneur charmant , adorable ,
Dont l'ame vafte réunit
Tant de jufteffe à tant d'efprit ,
Tant de grandeur à l'air le plus affable ,
Tant de talens au ton le plus uni ,
Accorde à mes vers fon fuffrage
Vous vous imaginez , je gage ,
Que j'en fuis bien flatté : nanni.
Non , je ne me perfuaderai jamais que
M. le M. de R. connu par la délicateffe &
l'univerfalité de fon goût , trouve rien
dans mes foibles effais qui l'amufe réellement
; mais peut - être y découvre-t'il par
une pénétration de regard propre aux
grands génies , un germe heureux qui ,
développé par un travail affidu , pourroit
produire un jour des fruits eftimables . A
ce compte , fon approbation , en la fuppofant
véritable , ne porteroit réguliérement
que fur un mérite futur , qu'il penſe
que j'acquerrai . Mais pour parvenir à ce
terme glorieux , il faut du moins y tendre ,
& je vous avoue fincérement que c'eſt
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
tout le plus loin de ma penſée . Si j'entre
par fois
Dans la poétique carriere ,
C'eft fans aucuns engagemens :
M'y diftraire quelques momens ,
A regarder , affis au bout de la barriere ,
L'activité des chars , l'ardeur des afpirans :
Pour un qui vole au but , en vòir cent par derriere
,
Abatrus , pâles , expirans ,
Gémir , foulés dans la pouffiere ,
Sous les pieds de leurs concurrens :
Entonner , s'il le faut , quelques vers à la gloire
Du mortel fortuné dont mille cris bruyans
Viennent de toutes parts m'annoncer la victoire ;
Mêler fans art , à fes lauriers brillans ,
Quelques - une's des fleurs dont fe parent nos
champs :
Cher Ami , voilà mon hiftoire ,
Et l'unique but où je tends.
Quel pauvre but ! vous entens je dire ,
en hauffant les épaules . Peut- on fe laiffer
appéfantir par un goût fi pufillanifme ?
Qu'y a - t'il donc au monde de plus féduifant
, de plus noble , de plus digne même
de l'être qui penfe , que de prétendre à la
palme des beaux arts ? que de courir une
lice , où , pour peu qu'on veuille s'efforcer ,
AVRIL. 1758. 3 $
on trouve toujours au moins des fleurs à
cueillir ; où les Mufes , juges impartiales
& naturellement indulgentes de la courſe ,
diftribuant les prix felon la nature & la
diverfité des talens , n'en laiffent aucun
fans récompenfes , & les égalent prefque
tous dans lear eftime , lorfque chacun
d'eux , dans le genre qui lui eft propre, s'éleve
au degré de perfection dont il eft fufceptible
; où les vainqueurs enfin , couronnés
des vrais lauriers que la nature
avoue aux yeux d'une multitude toujours
prompte à s'extafier ...
Oui , je le crois , tous ces brillans propos ;
Quand on les oit , au retour de matine ,
Le corps penché fur un lit de repos ,
D'où l'oeil chargé d'un refte de pavots ,
Et tendrement tourné vers la cuifine ,
L'efprit exempt de tout ſoin qui chagrine ,
Sur un bufet rayonnant de cryftaux ;
On apperçoit Iſabelle ou Juftine ,
En linge frais , en jupe fimple & fine ,
D'un air riant , d'un pied libre & difpos ,
En attendant d'aimables commenſaux ,
D'un déjeuné qu'on dévore à fa mine
Porter , ranger les divers matériaux :
Oui , quand d'un vin de la graviere ( 1 ) ,
(1 ) Canton de Bourgogne renommé parfon vin.
B iv
32
MERCURE DE FRANCE.
Fait dans la meilleure faifon ,
Entre un pâté dont la façon
Marque le prix de la matiere ,
Et l'omoplatte d'un jambon ,
Tout frais tiré de la chaudiere ,
On voit briller maint gros flacon ;
Oui , je n'en doute pas , ces propos de
courfes
littéraires , de combats d'efprits ,
de couronnes
poétiques, &c. doivent, dans
un ame dont le corps eft à fon aife & nage
dans les plaifirs , allumer la plus vive &
la plus agréable chaleur ; & je n'ai aucune
peine à croire qu'on ne puiffe alors s'imaginer
aifément qu'il n'eft rien de plus flatteur
& de plus noble que de s'élancer à
tire- d'aîles au temple de la Gloire. Mais
malheureufement ces
magnifiques propos
ne font , dans le fonds , que de purs propos
de table , faits
uniquement pour animer la
converfation ; & ce temple
merveilleux ,
qu'un vain phantôme qui, comme tous les
autres , pour être apperçu , a befoin qu'on
le regarde avec des yeux un peu troubles ,
& dans une certaine pofition :
autrement
tout s'évanouit , & difparoît.
Sortons du manoir délectable
De ce mortel chéri des Dieux ,
Qu'un fommeil doux , officieux ,
AVRIL. 1758. 33
Sur un fopha délicieux ,
Vient d'étendre au fortir de table.
Laiffons dans un fonge flatteur
S'égayer fon ame tranquille :
Hélas ! trop tôt , pour fon malheur ,
Le fon d'une cloche incivile ,
En furfaut l'appellant au choeur ,
D'une digeftion facile
Va venir troubler la douceur.
Echappons-nous de la ville , féjour enchanteur
de l'abondance , du luxe & des
plaifirs ; & portons nos pas vers la campagne
, retraite ifolée , où , du temps de nos
peres , régnoit , dit - on , la belle nature ,
T'aimable paix , l'heureufe fimplicité , &
où habitent du nôtre , la barbarie , l'inquiétude
, la trifteffe & l'indigence.
Avançons vers cette chaumiere ,
Ridicule jouet d'Eole mutiné ,
Que fa pofition auprès d'un cimetiere ;
Bien moins que fon état chancelant , incliné,
Nous annonce être un prefbytere,
Séjour aux foucis deftiné.
A travers cette clôture ,
Ouverte de tout côté ,
Voyez de cette mafure
L'habitant déconcerté ,
Qui fufpectant la vifite
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
De quelque for patafite ,
A notre afpect fe rapit
1
Contre un mur en découpure ,
Dont mainte large échancrare
Le décele & le trahit.
A fon air fee , à fa taille évidée , à fon
accoutrement délabré , c'eft , n'en doutons
point , un de ces manoeuvres évangéliques,
gagés pour travailler à la vigne du Seigneur.
Voilà juftement l'homme qu'il nous
faut , le vrai contraſte de notre dormeur
paifible. A ce pauvre here , à qui les loix
rigoureufes de l'ufage ne permettent pas
de vivre feul de fa modique prébende , ou
de fe conténter tout au plus d'une fimple
domestique , obligé , s'il ne veut pas , graces
aux bons foins de fa fidele économe ,
aller mourir quelques années plutôt à
l'hôpital , obligé , dis- je , de prendre
garde
Si tette bonne chatemite ,
Pendant que lui , dans les repas ,
Vit plus maigrement qu'un hermite ,
Pour elle en féërët né fait pas
Bouillir graffement la martnite.
Si pendant que d'un vin au bas
Le Pafteur humblement s'abreuve ,
D'une futaille toute neuve ,
AVRIL. 1758. 35
La comere , avec quelque gas ,
N'a pas ſoin de faire l'épreuve.
Si , pendant que pour un défunt ,
Le pauvre diable encore à jeun ,
Fait l'Office dans fon Eglife ,
Il n'arrive pas bien ſouvent
Qu'en fa cuifine on folemnife
La fête de quelque vivant.
Enfin fi le bled de réſerve ,
Que notre bon homme conferve,
Pour le munir , l'hyver prochain ,
D'une méchante foutanelle ,
Changeant de place & de deſtin ,
Sans bruit , chaque jour par parcelle¸
Porté chez un Blatier ( 1 ) voiſin ,
Ne fournit pas la perronelle ,
De tablier, de jupon fin ,
De mouffeline & de dentelle.
A ce pauvre honteux Eccléfiaftique
tourmenté par mille foins différens , perpétuels
, difgracieux , garotté à jamais
dans fa mifere , & fouffrant d'avance par
un preffentiment malheureux qu'il ne peut
écarter , avec fes peines préfentes , celles
que lui prépare un trifte avenir. A ce miférable
portionnaire enfin , à qui peut être
dans le moment un bourreau d'Huiffier
(1) Gens qui voiturent le grain au M arché.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE:
vient de fignifier par la faifie de fa penfion
, pour fait de décimes , qu'il faut mourir
de faim ; allez un peu , je vous prie ,
parler de mufique , & c . Peignez- lui de votre
mieux la gloire , le plaifir qu'il y a ,
pour un être penfant , de charmer une
multitude , & c. montrez- lui du doigt les
couronnes , les guirlandes qui ... vous
riez.
*
Ami , ce bon folitaire ,
Dont j'ai tracé le portrait ;
Si vous le fuppofez fait ,
Du côté du caractere ,
De façon que gai , fatisfait
Du fort fâcheux , ou profpere ,
Auquel le ciel le foumet ,
Il ait le don de fe faire
Un jeu de ce qui feroit ,
Pour un autre , le fujet
D'un fonds de trifteffe amere :
Ami , ce bon Solitaire ,
Dont vous plaignez la mifere ;
C'eft votre ami trait pour trait.
Jugez après cela , fans parler des devoirs
indifpenfables d'un état , qui en comporte
tant , & de fr pénibles , à la campagne furtout
, s'il m'eft poffible de me livrer au
goût de la rime , le plus féduifant & le
moins compatible qu'il y ait avec les autres
AVRIL. 1758; 37
goûts. Au refte , quand je voudrois lui
abandonner la meilleure partie de mon
temps , qu'en réfulteroit- il ! Eft- ce dans
une fituation comme celle où je fuis , dans
une contrée fauvage , au milieu des bois ,
éloigné de quatre lieues du féjour des humains
, que les objets de la belle poéfie
viendront fe peindre à mon imagination ?
eft-ce dans l'antre des Cyclopes ( 1 ) que les
Mufes , du moins quelques- unes des plus
aimables , oferont venir m'infpirer ? Encore
1
Si , comme vous , affis à table ,
Auprès de Faye 1 , & de Héraut 2.,
M'abreuvant d'un jus comparable
A celui que l'on boit là haut ;
Partageant la gaîté charmante
De mille agréables propos ,
Il me falloit fur mes pipeaux
Chercher quelque chanſon plaifante ;-
Pour une , j'en trouverois trente.
Si l'Hôte du double côteau
Me refufoit fon affiftance ,
Mon fort n'en feroit que plus beau :
Sous l'air du badin Vachereau 3 ,
(1 ) La contrée des Amognes eft remplie de forges
& de fourneaux. Elle eft plus propre à donner des
compagnons à Vulcain , qu'à faire des élèves à
Apollon.
1. 2. 3. Chanoines d'Autun , pleins d'eſprit , de
18 MERCURE DE FRANCE.
Le Dien Côme , avec abondance ,
Suppléeroit à fon défaut.
Voici donc , pour finir une fois pour
toutes , quel eft mon dernier mot ; c'eft
fans lier aucun commerce fuivi avec les
Mufes , j'entends les Mufes chantantes ; de
ne les cultiver que comme a fait certaine
efpece de gens de par le monde , dont
l'intimité feroit dangereufe , & qu'on ne
voit que par bienséance , ou par befoin . Je
prévois ce que vous allez me dire : leurs
faveurs , du moins les plus rares , ne feront
pas pour moi Je le fçais bien auffi n'y
Comptai -je pas plus que fur leur crédit.
Laudantur & algent.
Je fuis avec , & c.
:.
Aux Amognes , le 29 Septembre 1757.
goût & de politeffe. Ils partagent ces qualités aima
bles avec la plus grande partie de leur Chapitre ,
où elles font fi communes , qu'on les croiroit exigées
des récipiendaires par les réglemens.
AVRIL. 1958. 39
VERS
D'une jeune Ecoliere fur le retour d'un Abbé
de fes amis.
CHARMANT Abbé , fur ton retour ,
Que ne puis-je effayer ma lyre !
Pardonne à ce tendre délire ,
Toujours on pardonne à l'Amour.
Mais en vain je brûle d'écrire ,
Ce même amour a caufé mon malheur ;
J'ai tant médité mon bonheur ,
Que j'ai perdu le temps de te le dire.
ENVO I.
Boiffy, de ma lyre naiffante ,
Au Pinde fois l'introducteur ;
Quand le favori nous préſente ,
L'on n'eft pas long-temps fans faveur.
Par Mlle Va.
Cer Envoi eft trop Hatteur pour nous ,
& les Vers qui le précedent le font encore
plus pour M. l'Abbé.
40 MERCURE DE FRANCE .
SUR LA DURÉE
DE CERTAINES. PASSIONS.
Lettre à M. de ...
Vous êtes donc bien furpris , Monfieur ,
de la force & de la durée des paffions
qu'infpirent les femmes d'un certain âge .
Sçavez- vous que Dom Calmet ne donne
pas moins de foixante , ou même foixante
cinq ans à Judith , lorfqu'Holopherne fut
la victime. de fes charmes ?
Ceux qui veulent conferver la vraifèmblance
dans l'hiftoire d'Helene , fe trouvent
contrariés par la chronologie. On fuppofe
que cette beauté célebre , étoit à peu
près du même âge que fes freres Caftor
& Pollux , & qu'elle avoit environ vinge
ans , quand ils allerent avec les autres Argonautes
à Colchos . De cette expédition
au fiege de Troye , on compte environ
trente ans. Helene en avoit donc cinquante
, lorfque Pâris l'enleva , Le fiege , ou la
guerre de Troye dura dix ans , & ce fut
la derniere année de ce fiege , qu'Agamemnon
& Achille fe querellerent . L'admiration
des Confeillers de Priam pour la
divine beauté de cette femme , doit fe rapAVRIL
175.8. 41
porter au temps qui fuivit cette querelle.
Elle avoit donc foixante ans lorfque fes
charmes obligerent les Confeillers de ce
Roi , d'avouer qu'elle étoit digne de tout
ce que faifoient pour elle deux puiffantes
nations. Ce n'eft pas tout. Peu de temps
après , Pâris ayant été tué , fes freres -
rent paroître une égale ardeur pour fe marier
avec fa veuve. Priam qui craignoit les
fuites d'une difpute auffi acharnée, leur ordonna
le combat , & la promit à celui qui
reviendroit victorieux . Helene fut adjugée
à Déiphobe. L'un de fes freres nommé Helenus
en fut fi outré , qu'il fortit de Troye ,
& qu'il fit tous fes efforts pour hâter la ruine
de fa patrie. Etranges effets de la beauté
d'une femme qui paffoit 60 ans ! Cependant
qu'est- ce que ce calcul à l'égard d'un
fçavant Chronologifte ( 1 ) , qui ne lui donne
pas moins de quatre- vingts ans , lorfqu'on
prétend qu'elle fut enlevée pour la
premiere fois ?
Céfonie , maîtreffe de Caligula & fa
femme après qu'il en eut eu des enfans
n'étoit plus ( 2 ) jeune quand elle s'empara
du coeur & de l'efprit de ce Prince : elle
avoit eu trois enfans de fon premier mari.
( 1 ) M. de Vignoles. Chronologie de l'Hiftoire
Sainte & des Hiftoires prophanes.
(2) Suet. Vie de Caligula , chap. 33+
41 MERCURE DE FRANCE.
Suétone rapporte que ce fut l'excès de fon
tempérament , & fes raffinemens fur la débauche
qui charmerent Caligula . Dans fes
tranfports d'admiration pour elle , il la
montroit en habit de guerre à fes foldats ,
& toute nue à fes amis.
Marie d'Arragon , femme du Marquis
du Guaft , l'un des bons Généraux de Charles-
Quint , fut belle , défirable même jufques
dans fa vieilleffe. Quand je dis défirable
, je m'en rapporte à Brantome , qui ,'
parlant de cette Dame nous apprend ( 1 ) ,
29
que de vrai elle fe montroit encore très-
» belle & fort aimable , voire plus que fes
» deux filles toutes belles & jeunes qu'elles
» étoient. Si avoit- elle alors près de foixante
bonnes années ». Le grand Prieur François
de Lorraine Général des Galeres , en
devint alors amoureux , & Brantome étant
retourné à Naples environ fix ans après ,
ne la trouva que fort peu changée , " en->
≫ core auffi belle qu'elle eût bien fait com-
» mettre un péché mortel ou de fait , ou
» de volonté.
Diane de Poitiers , Ducheffe de Valen
tinois , avoit près de quarante ans , lorfqu'Henri
II en devint amoureux . Le pouvoir
de fes charmes fut moins furprenant
(1) Dames galantes , t . s
AVRIL. 1758. 43
que la durée de fa beauté. Ce fera encore
le même Brantome que je fuivrai dans fon
langage naïf. ( 1 ) « J'ai vu Madame la Du
» cheffe de Valentinois en l'âge de foixan-
» te-dix ans , auffi belle de face , auffi
» fraîche & auffi aimable comme en l'âge
» de trente ans . Auffi fut- elle fort aimée &
» fervie d'un des grands Rois & valeureux
»du monde... Je vis cette Dame , fix mois
» avant qu'elle mourût, fi belle encore , que
je ne fçache coeur de rocher qui ne s'en
fût ému , encore qu'auparavant elle fe
»fût rompu une jambe fur le pavé d'Or
léans , allant & fe tenant à cheval auffi
» dextrement & difpotement comme elle
"avoit jamais fait ; mais le cheval tomba
» & gliffa fous elle , & pour telle rupture
" & maux & douleurs qu'elle endura , il
» eût femblé que fa belle face s'en fût changée
; mais rien moins que cela : car fa
beauté , fa grace , fa majefté , fa belle
» apparence étoient toutes pareilles qu'elle
»avoit toujours eu , & furtout elle avoit
" une très grande blancheur , & fans fe
>> farder aucunement ; mais on dit bien
H
ל כ
que
tous les matins elle ufoit de quelques
»bouillons compofés d'or potable, & autres
drogues que je ne fçais pas comme les
" bons Médecins & doctes Apothicaires . Je
(1 ) Dames galantes , t . 2 .
13.
MERCURE DE FRANCE.
» crois que fi cette Dame eût encore vécu
» cent ans , qu'elle n'eût jamais vieilli ,
fût de vifage, tant il étoit bien compofé , 33
fût de corps caché & couvert , tant il
» étoit de bonne trempe & belle habitude.
" C'eſt dommage que la terre couvre ce
beau corps. "
Madame la Ducheffe de Portſmouth
maîtreffe de Charles II Roi d'Angleterre ,
a confervé ſa beauté jufqu'à 70 ans.
La célebre Ninon Lenclos , qui vivoit encore
en 1704 , a fait des paffions dans l'âge
le plus avancé elles n'étoient point
J'effet des charmes de fon efprit , quoiqu'elle
en eût beaucoup : on en vouloit à
fon corps . On nomme encore ceux à qui
elle a bien voulu accorder fes faveurs à
quatre-vingts ans.
Je ne vous ai point parlé de plufieurs
femmes de l'antiquité , qui ont fait & confervé
de brillantes conquêtes malgré le
nombre des années : les bornes d'une lettre
m'en ont impofé. Je ne défeſpere pas
de voir un livre fur cette matiere . On n'oubliera
pas Afpafie , Laïs , Lamie. Quand
un Auteur est tourné du côté de la galanterie
, encore vaut - il mieux écrire des vérités
que tant de fictions , la plûpart trèsmal
imaginées .
A Vauréas , le 12 Février 1758.
AVRIL. 1758. 45
L'HYVER ET LE PRINTEMPS,
Par M. Varé , à Granville.
La tendre Zéphyr
Careffoit ce feuillage ;
L'Aquilon le ravage
Et le fait mourir ;
L'Oiſeau s'en retire ;
Defcend aux buiffons ,
Et lorsqu'il expire
Parmi les glaçons ,
La plaine eft déferte ,
Et les noirs frimats
Dont elle eft couverte ,
Effacent de nos climats
Les plus beaux traits de la nature ;
Il n'eft plus de pâture
Pour nos troupeaux ,
La terre devient dure ;
Et cette mere , inſenſible à nos maux ,
Nous refufe la nouriture .
•
Tu fçais Pattendrir ,
Printemps adorable :
Quand ton retour aimable
• La fait refleurir ,
L'Onde fe dégele
Et reprend fon cours ;
6 ME RCURE DE FRANCE.
*
On paffe auprès d'elle
Les plus heureux jours.
Pere de la verdure ,
Pere des amours ,
Ton
haleine pure
Peut tout rajeunir
Et tu fais finir,
Les maux de tout âge :
Que le Roffigool
Reprenne fon vol
Pour te rendre hommage
Deffus un rameau
Paré de nouveau
Qu'à fon doux ramage
S'uniffent nos voix
Nos mufettes & nos hautbois,
*
RÉPONSE aux Remarques inférées dans
le Mercure de Février dernier , touchant
les Réflexions de M. de l´auvenargues au
fujet de Rouffeau o' on it , som tropa
QUOIQU'ON attribue fauvent aux Auteurs
après leur mott , des ouvrages qu'ils
n'ont jamais produits , il n'en eft pas de
même des réflexions de M. de Vauvenargues
fur Rouffeau , qui furent imprimées
dans le Mercure du mois de Jyiller 1753 .
AVRIL. 1758. 47
On y reconnoît ce ftyle noble , & certe
délicateffe de jugement qui lui étoient propres
, malgré les reproches que lui fait
l'Auteur des Remarques inferées dans le
Mercure du mois de Février dernier . Il
prétend que M. de Vauvenargues auroit
dû avoir plus de ménagement pour un Poëte
tel que Rouffeau , en qui il ne trouve
d'autre mérite , felon cet Auteur , que le
méchanifme des vers.Si l'Obfervateur avoit
fait plus d'attention aux paroles qu'il criti
que , il auroit vu que, quoique M. de Vauvenargues
regarde le méchanifme de la
verfification comme la partie dominante de
Rouffeau , il eft fi éloigné de ne reconnoître
d'autre mérite en lui , qu'il fe plaint
que les fortes images qui font dans ce Poëte
, ne le remuent point affez , parce que
la paffion ne les anime pas . Sans difcuter fi
ce fentiment , dont M, de Vauvenargues
ne veut point faire une loi aux autres , eſt
vrai ou non ; il en résulte qu'il reconnoît
dans Rouffeau la force des images , principale
qualité de la poéfie , qui doit être
une peinture parlante. Il me paroît donc
qu'il ne manque pas de ménagement en
ce point à l'égard de ce Poëte ; en manqueroit-
il davantage en ce qu'il n'ofe le
mettre à côté de Defpréaux pour le méchanifme
des vers , à caufe que Defpréaux a
48 MERCURE DE FRANCE.
été fon maître ? On peut , dit notre Obfervateur
, être égal & même fupérieur à quelqu'un
, quoiqu'il ait été notre maître.
Cette maxime eft vraie en général pour toutes
les chofes , où les maîtres ont trouvé l'art
qu'ils ont enfeigné au point de perfection
où ils l'ont tranfmis à leurs éleves , & non
dans le cas où, comme Defpréaux , ils l'ont
porté à un point de perfection inconnu à
ceux qui les avoient précédés , & que leurs
fucceffeurs n'ont eu qu'à fuivre , parce que
leur mérite doit fe mefurer à la difficulté
de parvenir à ce qui n'étoit point encore
connu . Mais venons aux réflexions particulieres
fur l'Ode de la Fortune , dans laquelle
M. de Vauvenargues trouve la plûpart
des pensées plus éblouiffantes
folides , par exemple celle- ci ,
Quoi ! Rome & l'Italie en cendre
Me feront honorer Silla ?
que
fo-
M. de Vauvenargues dit , non vraiment ,
ce n'eft point par cet endroit que j'admirerai
Silla , mais par ce génie puiffant &
fupérieur , qui éclate dans fes opérations.
L'Obfervateur répond que Rouffeau n'a pas
dit le contraire , & que fon objet n'étoit
pas de faire l'éloge des conquérans ; mais
la réflexion de M. de Vauvenargues n'en
વefીt pas moins jufte , puifque Rouffeau
ayant
AVRIL.
1758.
49
-༧ ༔
A
ayant dit dans la ftrophe
précédente , que
les vertus des
conquérans
n'étoient que
des crimes heureux , il donne à entendre
que Silla , en mettant Rome & l'Italie en
cendre , ne devoit fes victoires qu'à fon
bonheur , tandis que fon génie en fut la
principale caufe. Faut - il parce qu'on ne
veut pas faire l'éloge des
conquérans , méconnoître
leurs qualités eftimables , & leur
en ravir la gloire ? On peut déplorer les
maux qu'ils ont caufé , fans attribuer à la
fortune tous leurs triomphes , & fans dire
d'Alexandre....
Mais à la place de Socrate ,
Le fameux Vainqueur de l'Euphrate
Sera le dernier des mortels.
Alexandre n'avoit- il , comme a fort bien
remarqué M. de
Vauvenargues , que les
qualités du conquérant ? Etoit- il fans vertas
? L'amitié , la générofité & la clémence
ne furent- elles pas fon partage ? A la
place de Socrate , ces mêmes vertus n'auroient-
elles pas exifté ? Au contraire , la
profpérité qui corrompit
Alexandre , auroit
eu moins de prife fur lui dans une
condition privée.
Quoique
Defpréaux eût
déja parlé contre
Alexandre , en l'appellant
écervelé , il étoit beaucoup plus excufable
que Rouffeau ;
l'enjouement de la
II. Vol. C
>
So MERCURE DE FRANCE .
fatyre permet des expreffions , que le férieux
de l'ode ne fçauroit admettre , &.
rien n'eft fi indécent , en parlant férieuſement
d'un héros tel qu'Alexandre , que de
l'appeller le dernier des mortels. M. de
Vauvenargues n'a pas été plus mal fondé à
trouver à redire à ce paffage de Rouffeau ,
L'inexpérience indocile ,
Du compagnon de Paul Emile ,
Fit tout le fuccès d'Annibal .
Perfonne n'ignore , dit- il , que l'habileté
d'un Général à la guerre , confifte à profiter
des fautes des ennemis : envain l'Obfervateur
prétend que , quoique perfonne
n'ignore cette maxime , le but de Rouffeau
n'étant que de parler des ravages & des
maux que font les conquérans, il eft inutile
d'examiner ce qui fait l'habileté des Géné
raux , il eft vifible que malgré ce but général
, Rouſſeau ,dans la ftrophe dont il s'agit,
a voulu parler de ce qui fait la gloire des
conquérans dans cet objet , il a eu tort
de croire pouvoir rabaiffer la gloire d'Annibal
, en difant qu'il devoit tout le fuccès
qu'il eut , à l'inexpérience de fon adverfaire
, comme fi Annibal n'avoit eu ni
capacité , ni valeur , & qu'il ne fût redevable
de fon triomphe qu'à la fortune
qui lui avoit fait rencontrer un adverfaire
AVRIL. 1758.
SI
h peu habile. Il me femble donc qu'une
critique auffi jufte & auffi modefte que
celle de M. de Vauvenargues méritoit plus
de ménagement : bien loin d'avoir repris
tout ce qu'il auroit pu , il a épargné cette
fameufe ftrophe ,
Montrez-nous, guerriers magnanimes, &c.
qui renferme une propofition fauffe dans
fa généralité , car il n'eft point vrai que
les guerriers véritablement magnanimes fe
démentent au moindre revers , puifque
c'eft alors que la fermeté & l'étendue du
génie fe manifeftent davantage. Je ne prétends
pas cependant dégrader une ode qui
eft admirée , mais je crois qu'elle eft plus
admirable par l'expreffion que par les penfées
, qui font , comme dit M. de Vauvenargues
, plus éblouiffantes que folides .
L'eftime que j'ai pour les ouvrages d'un
homme qui a honoré la patrie dont je fuis
ne m'a pas permis de laiffer fans réponſe ,
la critique de fes réflexions fur Rouffeau
auffi délicates que vraies.
Par le fieur de F ***, d'Aix en Provence.
2
་
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. l'Abbé Aubert à M. de
Voltaire , en lui envoyant le Recueil de
fes Fables.
Otoi ! dont les fublimes chants
Imitent les fons fiers des clairons , des trompettes,
Daigne écouter mes chanſonnettes ,
Daigne favoriſer mes timides accens,
Des coeurs ambitieux admirable interprête ,
Ta mufe fait parler les Princes , les Héros :
La mienne fait jafer le Serein , la Fauvette ;
Par l'organe de l'Ane , elle enſeigne les fots .
Si quelquefois , dans d'heureuſes images ,
J'ai peint avec fuccès le vice ou la vertu :
Voltaire , c'eſt à toi que l'hommage en est dû
J'ai relu cent fois tes Ouvrages.
•
J'ai toujours penfé , Monfieur , que le
premier devoir d'un homme qui vouloit
fe faire un nom , dans quelque genre de
poéfie que ce fût , étoit de fe former fur
vos Ouvrages ; & le fecond , de vous offrir
fes effais. Je m'acquitte de ce dernier ſoin ,
en comptant beaucoup fur votre indulgence
& fur vos avis. Jufqu'à préfent les perfonnes
que j'ai confultées m'ont toutes
donné des confeils fi oppofés , que je ne
fçais quel parti prendre . L'un me reproche
AVRIL. 1758. 53
pas
d'imiter trop la Fontaine , & l'autre , de ne
l'imiter affez. Celui- ci fe plaint que
mes morales font trop longues , celui -là ,
qu'elles font trop courtes. Un troifieme
voudroit m'obliger à les fupprimer toutes ,
alléguant pour raifon , malgré l'exemple
de tous les Fabuliftes , que le but d'une
Fable doit fe faire fentir affez de foi - même,
pour fe paffer de cette efpece de commentaire
que l'on appelle la morale. Il y en a
qui voudroient que mes Fables fuffent toures
auffi fimples que celle de la Cigale & là
Fourmi , comme fi un Fabulifte étoit condamné
à n'être lu que par des enfans. Cette
variété d'opinions fur mon Recueil m'a
mis fouvent dans le cas de m'appliquer la
Fable du Meunier , fon Fils & l'Ane.
Parbleu , dit le Meûnier , eft bien fou du cerveau ,
Qui prétend contenter tout le monde & fon pere.
Vous voyez , Monfieur , combien j'ai
befoin d'être fixé par des avis fûrs , & dont
on ne puiffe appeller . Je me déciderai ,
Monfieur , d'après les vôtres , fi je vaux la
peine que l'Auteur de la Henriade facrifie
quelques momens à la lecture d'une cinquantaine
de Fables , & qu'il daigne m'écrire
ce qu'il en penfe. J'attends , Monfieur
, cette faveur de votre attention à
encourager les talens naiffans , & je me
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
"
ferai en tout temps honneur de prendre
des leçons du plus beau génie de la France .
Je fuis , & c.
A Paris , ce 10 Janvier 1758.
RÉPONSE de M. de Voltaire à M.
l'Abbé Aubert .
Je n'ai reçu , Monfieur , que depuis trèspeu
de jours dans ma campagne où je fuis
de retour , la Lettre pleine d'efprit & de
graces dont vous m'avez honoré , accompagnée
de votre livre qui me rend encore
votre lettre plus précieufe . Je ne fçais quel
contretemps a pu retarder un préfent fi
flatteur pour moi . J'ai lu vos Fables avec
tout le plaifir qu'on doit fentir , quand on
voit la raifon ornée des charmes de l'efprit.
11 y en a quelques-unes qui refpirent la
philofophie la plus odigne de l'homme.
Gelles du Merle , du Patriarche , des Four
mis font de ce nombre. De telles Fables
font du fublime écrit avec naïveté. Vous
avez avec le mérite du ftyle , celui de l'invention
, dans un genre où tout paroiffoir
avoir été dir. Je vous remercie , & je vous
félicite . Je donnerois ici plus d'étendue à
tous les fentimens que vous m'infpirez , fi
le mauvais état de ma fanté me permettoit
AVRIL. 1758.
les longues lettres . Je peux à peine dicter ,
mais je n'en fuis pas moins fenfible à votre
mérite & à votre préfent.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Aux Délices , route de Lyon à Geneve ,
22 Mars 1758.
Le fuffrage de M. de Voltaire met le
"dernier fceau au fuccès des Fables de M.
l'Abbé Aubert , & l'on ne doit plus douter
que perfonne, depuis la Fontaine , n'a mieux
traité ce genre. On ne peut trop l'exhorter
à continuer.Nous avions porté nous- mêmes
le même jugement de fon livre. Nous
fommes flattés de le trouver conforme à
celui du plus grand Poëte de nos jours.
Nous fommes fûrs à préfent que nous n'avons
pas mal jugé.
.
A
RONDE A U.
VEC le temps , on quitte la bavette ,
On prend l'oeil vif , on devient grandelette ,.
Et feins naiffans agitent le mouchoir :
Dès lors galans commencent à pleuvoir ,
Et vont quettant fuffrages d'amourette.
On a beau fuir l'appas de la fleurette ,
Momens perdus ! Une pente fecrete
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Dans tous les coeurs prévaut fur le devoir
Avec le temps.
Mais contre l'âge il n'eſt point de recette
On double en vain de foins & de toilette
Pour étayer Beauté qui va décheoir ,
Plus rien ne fert confulter fon miroir ,
D'amour à peine il refte le fquelette
Avec le temps.
Par un vieux Commandeur , au château
d'Efaye.
Li
E mot de l'Enigme du premier Mercure
d'Avril eft un Lit. Celui du Logogryphe
eft Curedent , dans lequel on trouve
cure , dent , Turc , Dece , rude , cruel , rue ,
être , crête , ut , ré , Ere , la riviere d'Eure ,
Crete , crue , dru , la ville d'En , Duc oifeau
, Duc Seigneur , décent , nue , nuer ,
tendre, dur & nud.
AVRIL 1758.
$7
5.
ENIGM E.
Au Maître à qui je fuis je fus toujours fidele
Jamais à fes fouhaits je ne parus rebelle :
Clair & vivant flambeau toujours je le conduis ;
Quelque danger qu'il courre , en tous lieux je le
fais.
Je lui découvre tout aveugle pour moi - même ;
Et pour preuve de ma foi ,
Sans lui je ne puis vivre , il peut vivre fans moi ;
Mais c'eſt toujours par un malheur extrême.
Souvent mon air doux & riant ,
N'eft qu'un appas double & perfide
Quelquefois j'ai l'air intrépide ,
Audacieux , entreprenant.
A tout fpectacle je préfide.
Par ma grande légéreté ,
Je fuis le trait le plus rapide :
Sans langue & fans diſcours , je donne des confeils
;
J'enflamme , & de frayeur je frappe mes pareils ;
Je tue , & je guéris ; j'accorde , & je refuſe ;
Je permets , je défends , j'autorife , & j'excufe
Dans les uns , j'ai beaucoup plus de vivacité ,
Je puis fervir à différent ufage :
La Coquette furtout tire un grand avantage
De mon agilité :
Cx
SS MERCURE DE FRANCE.
D'un ruiffeau je ſuis l'image ;
J'ai des bords , un rivage;
J'ai toujours de l'humidité ,
Je ne coule que dans l'orage :
L'on m'employe en tous lieux à cent travaux
divers ;
Je fuis utile au Grand, au Bourgeois , au Cham
L
roll ¿pêtre,,, ormos liupssppul ev. 19
Et dans le moment même où tu veux me connoître
NOVA TUOY 517 , C
Cher Lecteur , je te fers.
N. T. BRÉMONTIER , de Rouen.
N
LOGOGRYPHE.
OMBRE de gens , Lecteur , ont du foible
moi ,
pour
N'en conclus pas que je fois belle ;
Je ne ſçaurois me vanter d'être telle ,
Mais bien d'avoir certain je ne fçais quoi
Qui féduit ; & de plus je fuis fort naturelle ,
Défendue , il eft vrai , de tout temps par la loi ,
Loi divine , Lecteur ; ainfi prends garde à toi ,
Et dans l'occafion ... c'eft le moment critique ,
Et le feul où je puis ... finiffons ce difcours :
Pour me connoître , il faut que l'on s'applique ;
Je vais t'embarraffer par mes petits détours ,
A promener de mes pieds à ma tête ,
AVRIL. 1758. 59.
Sans oublier ni le col , ni le corps ;
Je l'avouerai , je me fais une fête
D'engager ton efprit à faire des efforts
Pour découvrir un mot dont peut être l'uſage ,
Pour toi depuis long- temps n'eft pas apprentif
fage ;
Mes pieds qu'il ne faut pas , s'il te plaît , déſunir ;,
T'offrent un peuple entier , & tu peux le choifir ;
Je te préfente après la feconde perfonne ,
D'un alphabet de beau monde connu ,
Par la mode , & le goût toujours bien foutenu ,,
Un inftrument utile ; enfuite je te donne
A ce qui fuit , fi tu veux dire bis ,
Le joli petit nom , je gage que
Philis
Ne m'en dédira pas : confultes- en la Belle ,
Ce peut bien être ainfi que fon Amant l'appelle
:
Brouillons le tout , & formons d'autres mots ::
Voici la qualité qui donne l'importance ,
A celui qui jamais dans la claffe des fots ,
Ne fut choisi pour féjourner en France :
Voici de plus un Moine , un métal précieux ,.
Un poids , un élément , un oifeau de paffage ,
Un inftrument de mer , un habitant des cieux ,
Dont on cite fouvent la force & le courage ::
Imitez - le , Lecteur , & dans l'occafion.
Point ne ferez larron ,
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE.
CHANSON
A Mile D. R. pour l'engager à paſſer quelques
jours de plus qu'elle ne vouloit à La
maison de campagne de M. D.
Sur l'Air : Tout roule aujourd'hui dans le mondes
DEs charmes de votre préſence , ES
Ces beaux lieux font leurs ornemens ;
C'eft dans l'agréable eſpérance
De vous retenir plus long-temps :
Voyez fous vos pas , belle Flore ,
Voyez ces jardins s'embellir ;
Que de fleurs vous faites éclore
Arrêtez-vous pour les cueillir,
AVRIL. 1758 ,
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
OEUVRES UVRES dramatiques de Néricault-
Deftouches , de l'Académie Françoiſe , en'
4 volumes in 4°. A Paris , de l'Imprimerie
Royale , 1757 , & fe vend chez Prault
pere , quai de Gêvres ; chez Prault fils ,
quai de Conty ; chez Hériſſant , rue neuve
Notre- Dame , & chez le fils de l'Auteur
rue Royale , place Royale , la derniere
porte cochere à main gauche en entrant
par la rue S. Antoine : le prix eft de 36 liv .
en feuilles .
On ne peut trop louer le zele de M. Deftouches
d'avoir follicité & obtenu pour les
Euvres de fon illuftre pere cette édition
diftinguée. Qui mérite mieux cette faveur
de la Cour que le premier Poëte comique
après Moliere ! l'Auteur en un mot du
Philofophe marié & du Glorieux , deux
Pieces immortelles qui ont enrichi le
Théâtre François du genre le plus noble de
la Comédie , & peut- être à qui rien n'eſt
comparable,
62 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne fçaurions donner une plus jufte
idée de cette édition , qu'en rapportant
l'avertiffement que le fils de l'Auteur a mis
au commencement du premier volume.
.
Le Roi , dont les bontés ne ceffent
d'encourager les talens , ayant bien voulu
honorer la mémoire de mon pere
en ordonnant une édition de fes oeuvres
au Louvre , j'ai cru ne pouvoir mieux répondre
à cette grace , qu'en portant l'édition
au degré de perfection dont elle étoit
fufceptible .
Je ne m'en fuis pas rapporté à mes foins
uniquement pour les corrections , qui ont
été faites avec l'exactitude la plus fcrupuleufe.
Un ami de mon pere , auffi connu
par fes talens , que par fa place
, a bien
voulu m'aider dans ce travail . On trouvera
beaucoup de changemens dans les premieres
pieces , telles que le Curieux impertinent
, l'Ingrat , l'Irréfolu , le Médifant ,
'Obstacle imprévu ; mais ces changemens
ne font point émanés de nous. Mon pere
les avoit préparés la qualité diftinctive
d'un bon Auteur , eft de n'être jamais content
de fes ouvrages ; M. Deftouches avoir,
j'ofe le dire , porté cette louable défiance
à l'excès , il n'avoit ceffé de revoir fes premieres
pieces furtout , avec un oeil féveAVRIL.
1758;
re , perfuadé qu'on découvre dans un âge
mûr bien des défauts qui ont échappé au
feu de la jeuneffe ; c'est ce qui a produit
des fcenes , des actes refondus prefqu'en
entier. Il comptoit exercer la même critique
fur les autres poëmes ; la mort ne lui
a pas permis d'achever cette entrepriſe , &
c'eft un regret de plus ajouté à la douleur
que m'a caufée fa perte. Au furplus , on a
retranché de cette édition tout ce qui n'eft:
propre qu'à groffir des volumes , comme
épîtres dédicatoires , préfaces , fouvent
relatives aux temps ; mais on trouvera de
plus que dans les éditions précédentes , le
Jeune Homme à l'épreuve , la Force du Nar
turel , déja connus ; & en oeuvres pofthu
mes , & qui n'ont point encore paru , le
Tréfor caché , en cinq actes & en profe ,
( fujet tiré de Plaute ) ; le Mari confident
en cinq actes & en vers ; l'Archi menteur ,
de même ; le Dépôt , petite piece en un
acte , auffi en vers. Peut- être ces poëmes
ne paroîtront- ils pas de la force des premiers
, néanmoins on ne les met au jour
qu'après avoir confulté plufieurs gens de
lettres qui les ont jugés très- dignes d'être
publiés . Enfin , on s'eft renfermé dans le
talent principal de l'Auteur , & l'on ne
verra rien ici d'écranger au théâtre , que .
les difcours académiques de M. Deftou
64 MERCURE DE FRANCE.
ches , & fon tombeau , monument érigé
par l'amitié la plus tendre .
Ce feroit peut-être ici le lieu de tracer
la vie de mon pere , mais cette tâche et
un peu trop délicate pour un fils . Je me
bornerai à dire qu'il fut dans fa jeuneffe
envoyé en Angleterre par M. le Duc d'Or
léans Régent , & qu'il y fut employé longtemps
à des négociations dont il s'acquitta
à la fatisfaction de ce Grand Prince . Feu
mon pere avoit eu le bonheur d'être inf
truit par M. le Marquis de Puifieulx , dans
le temps qu'il étoit Ambaffadeur en Suiffe ,
& il dut principalement aux lumieres de
cet excellent Politique , les fuccès de fes
négociations. A fon retour , le Roi lui accorda
une gratification de cent mille livres.
La mort de M. le Duc d'Orléans fit éclipfer
les premiers rayons de fortune qu'il
avoit vus luire , il s'en confola avec les
Mufes , & pour les cultiver avec plus de
foin , il prit le parti de la folitude ; il
it
achera une terre dans le deffein de s'y retirer
, & de pouvoir fe livrer tout entier à
fon goût pour le dramatique. Il eut l'honneur
, avant cette retraite , d'être reçu 酱
l'Académie Françoife , & il entretint toujours
des correfpondances utiles avec la
plupart des Membres de cette illuftre Com
pagnie. Il s'étoit marié en Angleterre ;
le
AVRIL. 1758. 69
fecret important que cette alliance exigeoit
alors , n'ayant point été gardé par une
perfonne de la famille à laquelle il s'étoit
uni , a donné lieu à la Comédie du / hilofophe
marié. On fçait que la vie d'un homme
de lettres , peu chargée d'événemens
n'eft pas fort intéreffante pour le public en
général ; mais ce qu'il eft toujours curieux
de connoître , c'eft le caractere , ce
font les moeurs des perfonnes qui fe font
diftinguées par leur mérite ; & à cet égard ,
pour bien juger de mon pere , on peut s'en
rapporter aux fentimens vertueux qu'il a
répandus dans toutes fes pieces. Sa droiture
, fa candeur étoient encore moins le
fruit d'un heureux naturel , que celui des
impreffions que la religion , à laquelle il a
toujours été fidélement attaché , avoit également
faites fur fon coeur & fur fon efprit.
CONSIDERATION fur les ouvrages d'efprit
, in- 12. 1758 .
L'objet de l'Auteur eft d'examiner ce qui
fait le mérite des ouvrages d'efprit , &
quelles font les difpofitions qu'il faut apporter
pour y réuffic.
Dans la premiere partie , il démontre ,
par des exemples , que c'eft la nature des
idées qui fait le mérite des ouvrages d'efprit
, & la différence des ftyles ; il prouve
66 MERCURE DE FRANCE .
enfuite par le raiſonnement , que les mots
n'étant que les fignes de nos idées , ce ne
peut être que les idées qui produisent cette
différence , que ce qu'on appelle ftyle , në
confifte que dans la convenance & l'arrangement
, & non dans le choix des mots ,
qui n'eft pas libre , comme on fe l'eft longtems
imaginé ; & enfin , il examine quelles
font les idées qui conviennent aux différens
genres de littérature.
→ Dans la feconde partie , il fait voir
que c'est le concours des caufes phyfiques
& morales qui développent les facultés de
l'entendement ; que la conftitution , le
climat , les âges de l'homme & les faifons
, font les caufes phyfiques qui déterminent
le talent ; & qu'enfin la diffipation
l'ignorance , la manie d'être univerfel , &
les paffions font les caufes morales , qui
retardent les progrès de l'efprit humain.
Nous nous contenterons de rapporter le
paffage fuivant , pour faire juger du ton
de cet ouvrage.
Les caufes morales qui nuifent le plus
» aux progrès de l'efprit humain , font l'i-
» gnorance & la diffipation , dans lefquel-
» les vivent la plupart des Auteurs qui
» nés avec des talens & de l'efprit , fe li-
»vrent au tourbillon du monde qui les recherche
& qui leur applaudit : leur efAVRIL.
1758.
67
par
la lec- » prit , qui auroit s'étendre
pu
» ture & la réflexion , fe trouve refferré
dans un cercle de connoiffances
fort
étroit , & ne produit que de foibles &
»de frivoles imitations , ou des écrits lé-
»gers & fuperficiels : ce n'eft pas dans le
tumulte & l'agitation des plaifirs , que
l'ame acquiert cette force & cette profondeur
, que les Pafcal , les Nicole , les
>>Corneille ont mifes dans leurs ouvrages ;
»mais en voulant éviter ce danger , il faut
prendre garde de donner dans un autre
écueil : un genre de vie trop fédentaire-
» & une application forcée , épuifent les
efprits , & jettent l'ame dans la langueur
& l'abbattement
: dans le cabinet , on
» contracte , fans s'en appercevoir , une
>> humeur fombre & auftere , qui nous
» rend indifférens fur les plaifirs ; nous.
négligeons cè qu'on nomme agrémens ;
nous ne voyons plus le monde que par
fes défauts l'âpreté cinique & Phumeur
cauftique fe gliffent dans nos veines ,
qui portent l'empreinte de la mélancolie
qui nous domine , & par ce ton triſte
» & pédant , nous révoltons l'amour propre
, & nous manquons le but que
"nous étions propofé. Ce n'eft que dans.
» une fociété choifie , qu'on peut fentir à
quel point l'agrément eft néceffaire , &
" .
>>
nous
68 MERCURE DE FRANCE
» combien il contribue au fuccès d'un ou
» vrage : c'eft là qu'on apprend à connoî-
» tre les paffions & à les peindre. Dans ces
» entretiens vifs & animés , qui en font
» les délices , l'imagination s'échauffe
» l'homme fe montre à découvert , & ces
» traits fubits de lumiere , qui fortent du
» choc des idées oppofées & des différen-
"tes opinions , impriment fortement dans
l'ame , des vérités de fentiment que l'ef-
» prit feul ne peut pénétrer.
»
و ر
"
"
"
» Tels font les avantages qu'on retire
du commerce de la fociété , & furtout
»des fociétés littéraires : les difputes mo-
» dérées , les difcuffions approfondies , les
» obfervations ingénieufes y aiguifent les
efprits , le goût s'y épure , & le talent
s'y perfectionne. Quelque fupérieur que
»foit un homme , il fe trompe quelquefois
, & il a befoin alors qu'on lui faffe
»connoître fes erreurs : trop plein de fon
fujet , il croit fouvent l'avoir rendu , &
laiffe à fes lecteurs le foin de tirer les
» conféquences d'un principe qui n'eft pas
fuffifamment développé : tantôt c'est une
» conftruction qui n'eft pas claire , tantôt
» une penfée qui demande des modifications
, des éclairciffemens , des reftric-
» tions : , ici , c'eſt une phrafe languiffanqui
exigeroit un tour vif & animé,
"9
و د
ود
"
ود
2
AVRIL. 1758. 69
"
"2
là ,une expreffion favorite qui revient fou-
» vent dans le difcours , fans qu'on s'en
apperçoive : enfin ce font mille petits
» défauts que la tendreffe paternelle ne
» voit point , & qui n'échappent pas à la
fagacité d'un critique éclairé. Combien
» l'aveugle préfomption & la folle fuffiian-
"ce , n'ont- elles pas égaré d'hommes ef-
»timables à beaucoup d'égards ! Tel qui
cût pu s'élever jufqu'au fommet du Par-
» naffe , n'aura jamais que la réputation
d'un Auteur médiocre , pour vouloir
» trop tôt produire au grand jour des ta-
» lens marqués , mais toujours foibles en
» leur naiffance . »
"J
»
›
TRAITÉ hiftorique & critique de la nature
de Dieu , par M, l'Abbé Pichon , Docteur
en Théologie : vol. in- 12 contenant
552 pag. fans la préface. A Paris , chez J.
Baptifte Garnier, rue S. Jacques , L'Auteur a
raffemblé dans cet ouvrage tout ce que la
Philofophie tant ancienne que moderne, la
Théologie& l'Hiftoire ont pu lui fournir de
plus propre pour donner une jufte idée de
la nature divine. Il fe plaint que plufieurs
Sçavans ont en divers temps altéré les principales
notions qu'en avoient les premiers
hommes , & qu'ils les ont remplacées pour
la plupart , par autant d'opinions fingulieres
70 MERCURE DE FRANCE.
dont il entreprend de faire voir la fauffété
& le ridicule . Les articles qui concernent
l'origine du mal , la poffibilité de la création
, & la providence contiennent beaucoup
de raifonnemens métaphyfiques . Dans
tout le cours de l'ouvrage brille une érudition
profonde.
CATALOGUE du cabinet d'hiftoire naturelle
de M. Bomare de Valmont , démonſtrateur
d'hiftoire naturelle , & membre de
la fociété littéraire de Clermont-Ferrand
comprenant les minéraux , vegétaux , animaux
& quelques productions tant de la
nature que de l'art . Prix 36 f. fe vend chez
l'Auteur , rue de la Verrerie , à la roſe
blanche , 1758.
Ce catalogue contient toutes les matieres
que l'Auteur a déja démontrées dans
un cours public qu'il fit l'année derniere
fur l'hiftoire naturelle. Son zele pour la
fcience qu'il cultive , mérite d'être encouragé.
Auffi nous emprefferons- nous d'inférer
dans l'article des fciences le programme
, par lequel il indique un fecond cours
fur la même matiere , qui doit commencer
au mois d'avril de cette année.
ARCHITECTURE finguliere . L'élephant
triomphal , grand Kiofque à la gloire du
2
AVRIL. 1758. 71
Roi , par M. Ribard , Ingénieur, & de l'Académie
des fciences & belles lettres de
Beziers. Petit volume in- quarto , grand
papier orné de fept planches avec un diſcours
, qui fe vend à Paris , chez P. Patte
Graveur , rue des Noyers , la fixieme porte
cochere à droite en entrant par la rue S.
Jacques. Prix 4 liv . 10 f. enluminé , & z
1. non enluminé.
Afin de faire concevoir une idée de cet
ouvrage tout-à- fait extraordinaire , nous
en allons donner un précis.
Cet édifice fingulier que
l'Auteur a pro
jetté pour être placé fur la montagne qui
termine la vue du jardin des Tuileries ,
repréſente un élephant richement harnaché
; chargé des dépouilles de quinze ennemis
vaincus , & portant fur une espece
de piédeſtal la figure de fa Majesté. Tout
y paroît vivant , il ne femble même arrêté
que pour le défaltérer à une fontaine qui
fait avec lui la tête d'une riche cafcade.
Ce coloffe qui a 35 toifes de long , &
qui feroit conftruit tout en pierre , eſt poſé
fur une terraffe percée de toutes parts par
des périftiles ou galeries : au milieu de
cette terraffe fe trouve un magnifique efcalier
à trois rampes , qui conduit dans le
corps de l'élephant , lequel eft diftribué en
trois étages & orné de pieces auffi régu7
MERCURE DE FRANCE.
ハ
lieres & auffi commodes , que fi elles appartenoient
à un édifice ordinaire . Ces pieces
font tellement difpofées , qu'elles réuniffent
d'une maniere agréable , tout ce
qui concerne les amuſemens , les fêtes &
les plaifirs. La falle à manger , par exemple
, eft ornée par des peintures & des
fculptures accordées enfemble de façon
qu'elle reffemble au rendez- vous champêtre
d'une forêt ; les jours n'y donnent que par
reflets au travers les feuilles & les branches
d'une infinité d'arbres & d'arbustes : un
ruiffeau y fort avec impétuofité du fonds
d'une roche , & après avoir formé plufieurs
détours , l'eau qui paroît fuir dans un lointain
, fe diftribue pour les offices & les
bains , d'où elle s'échappe par la trompe .
de l'animal comme par une efpece de fyphon
on entend dans cette falle à manger
des concerts d'oifeaux ; on y eft fervi
par machines ; en un mot , elle reffemble
à ces lieux enchantés que décrit la
fable .
Pour rendre cet édifice plus merveilleux
, comme les oreilles de l'élephant répondent
pofitivement fur l'orqueftre de la
falle de bal , on y a inénagé des ouvertufes
, afin d'y placer des portevoix ou cornets
qui porteroient dans l'occafion au loin
dans la campagne , le fon des inftrumens :
enfin
AVRIL 1758. 75.
enfin l'on pourroit y placer des renommées.
avec des trompettes , dont les plis des draperies
pourroient être difpofées de manicre
, que le moindre vent s'y engageant ,
leur feroit jouer naturellement quelques
airs ou fanfares qui varieroient , fuivant.
le côté d'où le vent pourroit fouffler. Telles
font à peu près les idées de l'Artiſte qui
a imaginé cet édifice auffi fingulier que
coloffal.
Ce morceau d'architecture nous a paru
préfenter de très - grandes difficultés de
conftruction . La tête furtout eft portée en
avant , & ne paroît avoir aucun appui.
Nous invitons l'Auteur à enrichir le Public
de la coupe qu'il fe propofe de donner
aux pierres. La poffibilité d'un exécution
d'un morceau fi difficile , ne peut qu'éclairer
beaucoup la théorie de la conftruction
. C'eft ainfi que l'idée bizarre de cet
Eléphant deviendroit une production
avantageufe , puifqu'elle nous procureroit
la folution des problêmes les plus difficiles
dans l'art de conftruire.
A M. DE BOISSr.
MONSIEU
ONSIEUR
, un particulier
de la ville
de Lyon , poffeffeur
d'un manufcrit
, pesit
in- 4° de 225 pages , en date de l'an
II. Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
49.1 , par un François de féjour à Naples
dans l'hôtel illuftriffime du Prince de Sa
lerne , fe fair un plaifir d'annoncer le'nomí
des Aureurs contenus dans ce volume. En
relifant à leur article , Moreti , Bayle , la
bibliothèque de Gefner , &c. les amateurs
jugeront du prix de l'annonce.
23 Lettres de Léonard Aretin.
-L'Eifagogue , ou introduction à la phi
lofophie morale , par le même Léonato
Aretin.
Une lettre de Pogge au même Léonard
Aretin.
Lettres d'Elifius Calentius.
སྙ
139
(Movs
-Une lettre de Livius Colutius
au Pape
Innocent
. og
Une lettre d'Alexandre Cortefius à Mare
Dolabella , maître du facré Palais , fur le
corps d'une perfonne du féxe trouvé entier
à Romeen 1485.
Une autre lettre d'un inconnu für le même
cadavre qu'il dit être celui de Tulliola
fille de Cicéronomidor , es
Une lettre de M.T. Cicéron à Pompo
nius , qui commence par ces mots , Neftorius
nofter.
Une traduction latine du grec de Lucien ,
fur les plaintes de la vertu , pat Ch . Aretin
Une traduction farine du grec de Lucien ,
ſur la¹ primauté entte Scipion , Annibal
AVRIL 1753231/ 75
Alexandre, par Jean Aurifpad chet
Une traduction latine du grec de Lu
cien ,fur les funérailles , par Rinutius.
Le traité de Seneque, fur les quatre vertus ,
Difpute fur la nobleffe entre Publius
Cornelius Scipion , & Caius Flamineus ,
d'un Auteur anonyme . 7
Le traité fur les héros par Enéas de Pi
colominibus , depuis Pape Pie II.
Un mémoire italien pour l'expédition
du Royaume de Grenade , de Ferdinand
& Ifabelle , Rois de Caftille & d'Arragon .
Des étymologies & des annotations , fur
l'ancienne ville de Rome , par un Auteur
inconnu.
23
Tous ces ouvrages, Monfieur, font écrits
en langue latine , à l'exception du mémoire
ci - deffus qui eft italien. Je ne puis
mieux m'adreffer qu'à vous , pour enrichir
le tréfor de la république littéraire , en
invitant les perfonnes qui aiment les nouveautés
ou les variantes , de m'honorer par
la voie de votre Mercure , d'une réponfé
fur la valeur & l'ufage qu'on doit faire
d'un manufcrit de cette conféquence . Il y
a des traits finguliers dans plufieurs pieces
de la compilations Voici de quelle maniere
le Scribe s'exprime à la fin de l'Eifagogue
d'Aretin. Ex inemendato exemplari , furtivo
quafimodò & noctu fcribendo , raptiſſimè bas
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
opufculum meo tenui judicio dignum excerpfi
J'ai l'honneur d'être , &c,
2
ec.
S
A Lyon , ce 15 Février 1758.
ABREGE de la Crufca , ou Dictionnaire
portatif François & Italien , par le R. P.
Fanetti , de la compagnie de Jéfus. A Lyon,
chez Aimé Delaroche , rue Merciere , à la
Couronne & à la Rofe d'or, 1757.
TRADUCTION françoife du traité de Mile,
Stephens fur la gravelle. A Lyon , chez Aimé
Delaroche, & à Paris , chez Durand
rue du foin.
LE Chrétien dirigé dans les exercices
d'une retraite fpirituelle , par le R. P. Gabriel
Martel de la compagnie de Jéfus ,
nouvelle édition augmentée de lectures
pour chaque jour de la retraite . A Lyon ,
chez J. Deville Libraire , rue Merciere au
grand Hercules .
92
7
Nous annonçons la feconde édition de
Cléon ou le Petit Maître Efprit fort , par
M. de Campigneulles, Garde du Corps du
Roi. A la Haye ; & fe trouve à Lyon , chez
Delaroche , Imprimeur de la Valle & du
Gouvernement , & à Paris, chez Duchefne,
Tue S. Jacques,
AVRIL. 175833 77
NOUVEAU choix de pieces , ou théâtre
comique de province , contenant plufieurs
opéra comiques , repréfentés fur différens
théâtres de province , prix 2 liv . avec les
airs notés. A Amfterdam , & fe trouve à
Paris , chez Cuiffart , Libraire , quai de
Gevres , à l'Ange Gardien , 1758 .
L'ombre de Vadé , le labyrinthe d'amour ,
l'amour libérateur , Iphis ou la fille crue garçon
, les apprêts des nôces & les deux rivaux
divertiſſement , font les pieces contenues
dans ce recueil.
LE tome 8º du Mercure de Vittorio Siri
, contenant l'hiftoire générale de l'Europe
, depuis 1640 jufqu'en 1655 , traduit
de l'Italien par M. Requier , fe trouve
à Paris , chez Durand , rue du Foin ,
1758.
HISTOIRE du commerce & de la navigation
des peuples anciens & modernes ,
ouvrage divifé en deux parties , dont la
premiere contient l'hiftoire politique du
commerce des anciens , & la feconde .
l'hiftoire générale du commerce chez les
peuples modernes. Premiere partie en 2
tomes. A Amfterdam , & le trouve à Paris,
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais, chez Durand, rue du Foin , chez
Diij
8 MERCURE DE FRANCE,
Vincent , rue S. Severin , & chez Duchesne
rue S. Jacques 1758.
*
L'Auteur de cet ouvrage eft l'Ecrivain
fçavant & ingénieux , qui a déja commencé
à nous enrichir du premier volume de
Thiftoire générale des guerres. Ces deux
genres quoiqu'oppofés en apparence , fe
réuniffent dans la confidération du gouvernement.
Un étar , dit-il , eft fondé fur
» un fyftême de légiflation & fur cinq autres
fyftêmes , fyftême de police générale
, fyftême militaire , fyftême politique
, fyftême de finance & fyftême de
commerce. » D'après cette maniere de
confidérer le gouvernement dans fes différentes
branches , & l'hiftoire dans fes dé-
"rails inſtructifs , on doit entrevoir que l'ouvrage
que nous annonçons eft rempli de
grandes vues.
Ces cinq fyftemes ont entr'eux une relation
, une liaiſon fi intime , que les défauts
de l'un ne peuvent guere manquer
-d'influer fur les autres. On fent aifément
combien la police générale tient à l'admi-
⚫niftration intérieure , combien le militaite
& le politique font dépendans d'un de l'autre
, combien ils tiennent à celui de finance
, combien celui de finance tient à tous.
les autres , enfin combien celui du commerce
influe , & fur les finances , & fur
AVRI L. 1758 77
Fadministration , & fur la politique.
Pour ce qui eft de l'histoire du commerce
& de la navigation que l'Auteur a principalement
en vae, il la divife en deux parties
, dont la premiere comprend les peuples
anciens , oa les Etats qui n'exiftent
plus, & la feconde les peuples modernes
ou les Etats que nous voyons aujourd'hui .
La premiere partie eft la feule qui paroiffe
. L'Auteur y paffe en revue les peuples
anciens qui ont joué le plus grand rôle
dans le monde politique , & furtout ceux
qui fe font diftingués dans le commerce.Il
confidere quelle a été la forme du gouvernement
de chacun en particulier, & fes viciffitudes
, le plus ou le moins d'inclination
ou d'aptitude de ce peuple pour le
-commerce; jufques à quel point le commerce
a été favorifélpát le gouvernement
& quelles en ont été les fuites. Enfin il confidere
l'état de puiffance du peuple qui eft
devenu commerçant avant qu'il s'abandonnât
au commerce , & l'état de puiffance de
ce peuple depuis qu'il s'eft livré au commerce
jufques au moment où il a été fonmis
, ou du moins auquel il paroît s'éclip-
*fer.
"
ab
Le tableau des premiers troubles de da
fociété naiffante , donnera une juſte idée
de la rapidité du ftyle de l'Auteur. Il
Div
So MERCURE DE FRANCE.
"
®
99
» fallut , dit- il , des réglemens pour affurer
les premieres conventions. On vit des
légiflateurs & bientôt des tyrans. L'orgueil
fit trouver de la douceur dans le
»commandement , & de l'amertume daris
l'obéiffance . On combattit : les vainqueurs
opprimerent , les foibles furent
efclaves ou s'enfuirent . La difcorde fépara
ce que la nature avoit uni ; la bien-
» faifance s'évanouit , l'ufurpation , le
vol , la cruauté prirent fa place ; les peuples
fe poufferent avec la même fureur
» que les flots d'une mer agitée , s'entrechoquerent
& fe briferent de même. Le
»brigandage inonda les campagnes défolées.
Des héros parurent , les peuples
refpirerent ; mais la tyrannie fut entée
fur l'héroïfme ; & les combats recom-
» mencerent : je dis les combats , car alors
on fe battoit , & l'on ne faifoit pas enco-
» re la guerre. Enfin l'habitude de la foumiffion
ou de l'esclavage ayant abaiſſé
l'orgueil des hommes , la tranquillité rèvint
; mais la férénité ne l'accompagnoit
plus. La férénité eft le prix de la
- » liberté.
W
"
» Cependant du fein de cet engourdif-
» fement , on vit fortir le commerce.....
On vit des barques & des vaiffeaux chargés
de vin , de fruits , de grains , de
AVRIL 1758. 181
métaux brutes & façonnés , d'étoffes travaillées
& teintes de différentes couleurs .
On vit , dis-je , ces barques , ces vaiffeaux
fuivre le cours des fleuves , déf-
» cendre juſques à leur embouchure , ofer
» ranger les côtes , & fe hazarder de plus
» en plus dans des routes inconnues : la
" manoeuvre fut inventée & le pilotage
devint une profeffion honorable. Les
tempêtes firent découvrir de nouvelles
» terres. Les naufrages peuplerent quel-
» ques ifles. On vit des colonies s'établir &
» former de nouvelles plantations. Le cours
» des rivieres fut détourné pour fertilifer
le fol , ou pour faciliter les tranfports.
La nature changea de forme fous les efforts
de l'art , la terre s'embellir , les na-
" tions fe communiquerent , & échange-
» rent entr'elles le réfultat de leurs tra-
33
ม
» vaux. ››
Après ces confidérations générales , on
trouve le détail du commerce & de la navigation
des différens peuples. L'Auteur
parle d'abord des Egyptiens , de l'abon
dance de leur climat , & du commerce que
les Grecs faifoient dans cette contrée. Les
Arabes & les Ethyopiens y alloient auffi
échanger de l'or , de l'argent & du fer avec
du bled , des légumes & des laines. Les
Phéniciens qui ont été les premiers navi-
Dv
182 MERCURE DE FRANCE.
•
J
?
gateurs , & qui fe porterent aux régions
les plus éloignées , commercerent auffi +
avec l'Egypte. Le Mont Liban. fourniffoit i
aces mêmes Phéniciens du bois pour la 4
donſtruction si leur terrein étoit peu érendu
& peu fertile , its fe trouverent à portée
d'établir une communication entre l'Afie
, l'Europe & l'Afrique : auffi fonde-
2rentails unscommerce immenſe. Hsiétábli-.
? rent des colonies fur prefque tous les bords
ide la Méditerranée.
.
9
A 20 .297751
25 Salomon infpira aux Juifs l'efprit de
commerce qu'ils avoient dédaigné jufques
au temps de cè Roi. Il s'affocia lui- même
avec le Roi de Tyr pour de commerce de
la mer rouge cette affociation lui valut
des richelles prodigienfes , Dans le même
-temps , les Affyriens faifoient un cammer-
-ce intérieur qui les ruinoit les étrangers
apportoient en foule chez eux , tout ce
quel'industrie avoit fait imaginer de com-
-mode ou d'agréable dont le débit étoit affaré
, & ils en oempottoiont des denrées
-moiles Les Medes , les Perfest & lbs Lydiens
commercesentauffi . On ardavera dans l'oùvrage
dont nous parlons d'influence qu'e
le commerce a eue fur l'hiftoire de ces différens
peuples , & dans les revolutions des
états qu'ils compofoient, he'd ch
Après avoir parcouru Afie l'Auteur
f
Τ
AVRT
1758.
83
revient en Europe, il rappeu les premiers
temps de la Grèce , il entre dans des détails
inftructifs fur Corinthe , Corcyrc
Athenes , Sparte. Les Egyptiens & les
Syriens fons les fucceffeurs d'Alexandre
les Rhodiens & les Siciliens font
auffi confidérés comme commerçans :
viennent . enfuite les Carthaginois & les.
Romains . Ici les matériaux ont été plus
abondans , la matiere plus intéreffante. &
les principes politiques mieux développés..
Ces deux chapitres furtout méritent une
attention particuliere . Les intérêts de Rome
& de Carthage , l'influence du commerce
fur la puiffance de ces deux fameu
fes Villes , lear agrandiffement , leur
luxe , leur décadence & leur ruine , tout
y eft traité avec profondeur & avec clarté.
Dans un fiecle où le commerce paroît reprendre
toute la faveur qu'il mérite , cette
hiftoire du commerce & de la navigation
doit être auffi agréable qu'elle eft utile. On
y trouvera des exemples pour étayer les:
raifonnemens que l'on fait en faveur d'une
profeffion, qui conftitue la richeffe, l'abon
dance , la gloire & la fûreté d'un Etats
2
MÉTHODE facile & abrégée pour ap
prendre la géographie. A Bruxelles , & ſe
frouve chez Contelier , Libraire , quai des
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE .
Auguftins
coin de la rue Gillecoeur.
Cerre méthode dont la diftribution e
Ample & commode , décrit la forme du
gouvernement de chaque pays , fes qualités
, les moeurs de fes habitans , & c. avec
beaucoup de précifion & de clarté , & mé
rite d'être mife entre les mains des jeunes
gens pour l'inftruction defquels il est
compofé.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ONSIEUR , après avoir tenu tant de
place dans votre Mercure de Février , pour
relever un mot d'un Journaliſte , qui peutêtre
de penfoit pas à moi , je nepeux guere
garder le filence , lorfqu'un Brigadier des
Armées du Roi me fait l'honneur de mè
critiquer. Je vous prie donc de vouloir
bien inférer dans celui d'Avril les Réflexions
que j'ai l'honneur de vous envoyer
Je fuis , & c.
Réflexions fur la Differtation Militaire de la
Colonne , quife trouve dans le Supplement
à l'étude militaire de M. le Baron de
Traverse.
Je n'entreprendrai point de répondre en
détail à tout ce que m'oppofe M. le Baron
AVRIL 1758.
de Traverſe. Le commentaire appartient
de droit au lecteur éclairé , comme le dit
très- bien cet Auteur lui- même dans fon
Avant - propos. D'ailleurs fa critique ne
renferme aucune objection que je n'aye
prévenue plus d'une fois. Il faudroit donc,
pour la réfuter , me répéter continuellement
; ce qui pourroit devenir ennuyeux.
Et pourquoi la réfuter ? n'ai- je pas affez
dit qu'un corps de preuves peut compter
pour rien toute attaque , qui n'eft point
corps de réfutation ? ( 1 ) Que l'on ne peut
rien conclure contre mon fyftême de deux
ou trois objections bonnes ou mauvaifes
(2) , jufqu'à ce qu'on ait répondu , du
moins à une vingtaine de celles que j'aifaites
contre le fyftême accoutumé ? Enfin qu'il eft
fort inutile d'élever une batterie d'objections
contre quelqu'une des preuves que j'ai entaf
fees , puifque cela ne ruinera pas l'édifice , &
ne détruira ni la force des autres , ni la
bonté du fyftême ? Si l'Auteur s'étoit rappellé
ces dernieres paroles , il n'auroit pas
exigé que toutes mes preuves fuffent dé
monftratives & irrévocables ; il n'auroit pas
pris tant de peine à combattre celles que
j'ai tirées de l'hiftoite ; il auroit remarqué
( 1 ) Voyez , par exemple , le Projet de Tactique,
page 425.
(2) Saite du Projet, art.
86 MERCURE DE FRANCE.
que ce font celles fur lefquelles je compte le
moins que je ne les trouve les meilleures
que (1 ) contre ceux qui s'opiniâtrent 'à rejetter
les démonftration's ; enfin que j'en ai
affez de cette derniere efpece , pour ne
pas craindre qu'on merte mon fyftême au
rang de ceux qui n'étoient fondés que fur des
événemens , dont les fuccès étoient fauffement
attribués à une cauſe inventée , l'espritfrappe
par l'enthousiasme, d'un objet lui rapportant
fouvent les effets les plus contraires. Cel
sin que s'exprime l'Auteur dans un long:
préambule qu'il a mis à la tête de fa Criti
que. Il y parle beaucoup d'égaremens , de
faux éclat , de fophifmes , de la vue tardive
de l'entendement de l'homme, En toutleftyle
de ce morceau de m'a pas paru fort obli
geant , non plus que l'application que la
fuite de ce chapitre ne m'a pas permis de
me diffimaler Aurefte, l'Auteur avant que
de la faire plus clairement , nous avertit
qu'il n'eft point de ceux qui fe plaignent
de la quantité d'Ouvrages militaires quiont été
mis au jourì , & ne qefale pasaveux mêmes
qui pourroient avoir avancé des propofirions
mop hazardées , la gloire d'ampir eu grande
part à la découverte de la vérité , s'ils font
affez beureux d'avoir mis l'efprit de critique
en train d'en faire la recherche. Jufqu'a
(1 ) Projet de Tactique , p. 43 oth. 3 (4)
7
AVRIL 17585.
préfent M. le B. de T. fait toute ma gloire ::
car il eft le feul efprit de critique que j'aje
mis en train. Mais fuivons encore un inf
tant. L'Auteur du Projet d'un ordre François
en Tallique paroit avoir eu pour but sin
objet auffi louable. L'objet feroit louable en
effet . Mais ma confcience m'oblige d'avouer
que ce n'étoit pas le miens & que.
je voulois tout bonnement mettre les Pléfions
au point de gagner des batailles . Ce
n'étoit pas une petite befogne : auffi ne
fuis je pas au bout. Par bonheur les critiques
ne me décourageront pas,
Mais
pour revenir aux preuves que j'ai
tirées de l'hiftoire , il ne me paroît pas que
PAutear les ait détruites ; & après ce que
j'ai dit , je ne croyois pas qu'on pût m'oppofer
la bataille de Cyrus contre Créfus ,
celle d'Annibal contre Varron , ni même
les amours d'Antoine & de Cléopâtre . On
veut me prouver par ce dernier trait , &
beaucoup de raifonnemens , que ce n'eft pas
Fordre feul qui gagne les batailles . Cela n'étoir
pas fort néceffaire , puifque je l'ai dit :
moi même dans les mêmes termes dont je
me fers ici pour abréger .
L'Auteur m'accorderoit volontiers que
la Colonne ou Pléfion ( 1 ) dût être regardée
( (x) Comme qui diroit , ou plutôt qui auroit die
ilya 100 ans , l'arme à feu ou fuſil, ENG
MERCURE DE FRANCE.
comme faifant baſe du fyftême de Tacti
que , fi je voulois y joindre l'ordre du bataillon
; mais ne conçoit pas pourquoi je
prétends élever l'édifice de l'un fur les ruine's
totales de l'autre , & ne donner à mon
fyftême qu'un feul point d'appui.
Et moi , je ne conçois point cette objection.
Pourquoi donc n'ai - je qu'un feul
point d'appui Eft - ce parce que je n'ai
qu'un ordre habituel J'ai cela de commun
avec toutes les Nations' qui ont fait
-la guerre , & tous les Auteurs qui en ont
écrit. Dans ce fens l'on n'a aujourd'hui
qu'un feul point d'appui , qui eft le bataillon.
Mais d'après Fordonnance habituelle
rien n'empêche ( la pléfion au moins ) de
manoeuvrer , pour prendre une autre forme
dans les cas où la premiere ne feroit
pas la meilleure ; & malgré l'univerfalité
qu'on me reproche tant , je ne la fais jamais
combattre dans fon état naturel , que
lorfqu'il eft queftion d'une affaire de choc ,
circonftance dans laquelle ni l'Auteur , ni
perfonne ne méconnoît fa fupériorité . Mais
pourquoi choisir pour ordre habituel celui
qui eft propre à l'arme blanche : & ne
paffer à celui qui eft propre à la moufqueterie
, que par une manoeuvre tandis
qu'on fait ( ou du moins qu'on veut faire )
aujourd'hui précisément la contraire
,
AVRIL 1758. 89
C'étoit- là la feule queftion à difcuter entre
le fyftême que je propofe & celui que je
-combats ; queftion que l'Auteur n'a pas
jugé à propos d'approfondir , mais que je
crois avoir affez approfondiemor
même ( r). IF
J'ai dit que le feu du bataillon eft fort
peu à craindre pour la pléfion , la petiteffe
de fon front lui en épargnant la plus grande
partie , & fa vîteffe abrégeant , & parconféquent
diminuant de beaucoup l'effet
du refte. L'Auteur penfe au contraire
qu'elle perdra beaucoup par ce feu bien
nourri & fort étendu . Je ne répondrai à
cela que par fa derniere phrafe. Ce que j'ai
dit la deffus eft trop à la portée de tous les
entendemens , pour prendre la peine d'en
faire la demonftration .
•
Je finirai par le plus intéreffant : c'eft
l'endroit où l'Auteur vient au fait , & analyfe
fans nulle prévention les avantages &
defavantages de la colonne & du bataillon.
Le parallele qu'il en fait eft totalement à
l'avantage de la colonne. Il reconnoît
(1) Voyez , furtout ceci , le Proj. de Tact. p. 28
du Difc. prél. Id. pag. 89 , 394 & 395 , 415 &
416 , 362 , la fuite du Projet , p . 11 de la premiere
édition , id. pag. 38 , id. p . 42 , & fuiv. id. art. 3 ,
fect . 9, & autres paffages dont un feul devoit peutêtre
m'épargner cette objection.
MERCURE DE FRANCE .
A
qu'elle donne plus de confiance , parce qu'or
eft für de ne combattre que de front , ayant
Jes flancs &fon derriere affuré. Il ladicompare
aux têtes de l'hidre. Il ne trouvé pás
a beaucoup près les mêmes avantages &
les mêmes reffources dans le bataillon. Il
avoue que la crainte de voir fes flancs, dégarnis
intimide le foldat qui , dès qu'il voit
Ja moindre apparence de pouvoir être tourmé
fe croit perdu ; que lorfque le bataillon
va à la charges pour peu qu'il y ait de coups
qui portent on eft obligé de faire ferrer
fur le centre , ce qui fait un mouvement dans
ont le bataillons qui répand l'épouvante ;
d'où il arrive que bientôt l'ordre fe change
en confufion , & que le bataillon fe voit
obligé de chercher fon falut dans la fuite ,
trop heureux alors de gagner par veſſe în
herrein , où il puiffe fe rallier & fe reformer
pour revenir à la charge contre l'ennemi ,
recommencer la même manoeuvre qu'il a déja
faire une fois. Mais vraiment cette manoeuvre
n'eft point bonne à répéter. Une auffi
mauvaiſe ſcene ne demande pas une féconde
repréſentation . L'Auteur eft en cela
demon avis , & aimerait mieux en pareil
cas revenir la feconde fois à la charge avec
le bataillon en colonne , que d'y retourner
dans un ordre de bataille , dont il fe feroit
déja fort mal trouvé. Et moi j'aime mieux
5
ཝཱ
A-V RTL. 1758 11 IN
9
venir en colonne dès la premiere fois
que de commencer par me faire battre en
bataillon , & ne prendrois jamais une difpofition
dont je m'attendrois à me trouver
fort mal. L'éloge d'avoir fouvent charge ,
eft quelque chofe pour des bataillons - les
pléfions ne prétendent qu'à celui de les
renverfer du premier coup , & ne veulent
gagner par viele qu'en avant .
*
Je n'examinerai point les autres points
de la critique. Je crois que ceci fuffira. Il
me refte à remercier M. le Baron de Traverfe
des élogês qu'il m'a donnés , y & de
l'honneur qu'il m'a fait , & à fouhaiter
celui de perfuader un Lecteur auffi éclairé ,
ce que pourroit faire à préfent une feconde
lecture de mon Ouvrage , bien entendu
qu'elle fe feroit avec toute l'attention que
mérite da grandeur & l'importance du
fujet. bob anu i
.f
ALMANACH aftronomique & hiftorique
de la ville de Lyon & des provinces de
Lyonnois , Forez & Beaujolais , revu &
corrigé pour l'année de grace 1758 de
prix eft de 30 fibroché. A Lyon , de l'Imprimerie
d'Aimé Delaroche
1
Fue Merciere
, 1758 , & fe trouve à Paris , chez
Defaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
, vis- à - vis de collége.
92 MERCURE DE FRANCE.
LE Dictionnaire italien fe trouve chez
les mêmes Libraires , & chez Guerin &
Delatour , Libraires , rue Saint Jacques , à
S. Thomas d'Acquin.
PRECIS ou fragmens de l'Examen abrégé
des différentes Iphigénies en Tauride , en
forme de Lettre , adreffée à M. de V...
Par M. G…….D...
Il y a longtemps , Monfieur , qu'on n'avoit
vu fur le théâtre françois , une réuffite
auffi étonnante que celle d'Iphigénie en
Tauride , Tragédie qui , aprés avoir été
jouée l'été dernier , avec les plus grands
applaudiffemens , a été reprifé le 12 décembre
fuivant avec autant & plus de fuccès.
Peu de pieces ont éprouvé tant» d'indulgence
de la part des fpectateurs ; on ne
l'a confidérée que par le côté qui lui étoit
favorable. La fimplicité qui y eft obfervée ,
l'intérêt qu'on a cru trouver dans les
premiers
actes , quelques détails brillans , &
plus encore les fentimens de la nature &
ceux de l'amitié qui y regnent partout ,
ont fermé les yeux fur les défauts. Voilà
l'avantage des Tragédies compofées fur des
fujets intéreffans on les critique & on le
AVRIL 1758 : 93.
revoit avec plaisir , malgré tout ce qu'on y
apperçoit de repréhenſible.
La Tragédie d'Euripide fur ce fujet , a
fourni la matiere à toutes celles qui l'ont
fuivie. Le fameux Racine avoit voulu l'accommoder
à notre théâtre , ainfi qu'il avoit
fait Iphigénie en Aulide ; mais la difficulté
eu l'impoffibilité d'y trouver un beau cinquieme
acte le détourna de cette entreprife,
& en a détourné plufieurs autres Auteurs.
M. De la Grange Chancel crut avoir
vaincu cette difficulté , & donna fa Tragédie
d'Orefte & Pilade , en 1697. Il y a
dans cette piece de belles fituations ; mais
la complication d'Epifodes & d'intrigues
amoureuſes , l'a trop éloigné de la fimplicité
grecque. Ses perfonnages font Iphigénie
, Antenor fon confident , Orefte , Pila-
´de , Thoas Roi des Scythes , & Thomiris
Reine d'une contrée voifine de la Scythie ,
& amoureufe de Thoas. Le caractere d'Iphigénie
eft beau & affez foutenu ; & l'amour
que l'Auteur lui a donné pour Pilade,
produit un grand intérêt dans les premiers
actes ; parce que Thoas ayant ordonné
à Iphigénie , qui eft Prêtreffe de Diane ,
d'immoler tous les Grecs qui aborderont
dans fes Etats , Iphigénie eft balancée entre
fon devoir & fon amour pour Pilade
dont Thoas a appris l'arrivée Elle allé
44 MERCURE DE FRANCE:
gue en vain différens prétextes pour retar
der le fupplice de Pilade Thoas eft fur le
point de la contraindre à obéir , lorſqu'on
annonce à la Prêtreffe , qu'un autre Grec
ayant fait naufrage fur les côtes de la Scy
thie vient d'être arrêté. Iphigénie prend auffi-
tôt le parti de fubftituer ce Grec à Piladey
dont elle a ménagé la fuite. Quelle
furpriſe pour elle , en reconnoiffant ce
Grec pour Orefte fon frere , dans l'inſtant
même où elle est prête de l'immoler ! Cette
fcene eft fort belle. L'état d'Oreste au moment
de la reconnoiffance , remplit Iphigénie
d'épouvante & d'horreur, Ce Prince
pour expier l'affaffinat de Clitemneſtre ſa
mere , doit toujours être agité par les fu
ries ; jufqu'à ce qu'il ait enlevé la ftatue
de Diane ; là Prêtreffe lui en fournit les
moyens: Orefte revient dans un état tran
quille , & Thoas périt. Le caractere de ce
dernier eft manqué , ceux d'Oreſte & dé
Pilade font affez conformes à la fable : Ana
tenor a peu de part à l'action , & l'Epiſode
de Thomiris ne fait que la ralentir. On eft
indigné de voir cette Reine , à qui l'Auseur
a donné des fentimens dignes de fa
naiffance , épriſe d'une paffion violente
pour un tyran qui n'a nul mérite. M. de
la Grange devoit trouver d'autres reffources
pour remplir fes cinq actes : les deux
*
a
1
AVRIL 1758593
premiers font froids , le troifieme & le
quatrieme ont de grandes beautés , & le¹
einquieme eft très mauvais. Aufli remeron
rarement cette Tragédie au théâtre : au
furplus , fon principal défaut , ainfi que'
celui de tous les ouvrages dramatiques de
M. de la Grange, eft dans le ftyle : nonfeulement
le fien eft en général profaïque
& fans élévation , mais fouvent encore
très-incorrect ; & quoiqu'il s'y trouvé de
temps en temps des vers heureux , à peine
dans la fuite y pourra- t- on reconnoître le
génie de la langue.
M. Duché s'eft plus affervi que M. de la
Grange à Euripide fon modele , dans fon
opéra d'Iphigenie en Tauride , qui parut
d'abord sen 1704. C'eft notre meilleure
Tragédie lyrique , depuis Armide , Atis
& Théfée , ces trois chefs- d'oeuvres de Quimaalt.
On ne peut entendre la reconnoiffance
d'Iphigénie & d'Orefte , fans répandre
des larmes , même dans un concert : elle
eft encore mieux conduite , mieux préparée
, & rendue d'une façon plus pathétique
que dans la Grange. Les deux principaux
rôles font très - beaux ; & ceux de
Thoas , de Pilade & d'Electre , quoique
foibles , n'ont rien d'abſolument défectueux.
Outre cela , les vers d'Iphigénie ſont
élégans & bien faits ; mais ils font quel,
94 MERCURE DE FRANCE.
quefois plus tragiques , peut-être , que ly
riques ; ce qui a dû fournir des difficultés
au Muficien : cependant Campras par la
fupériorité de fon talent , les a furmontées
, & a mis admirablement en muſique
les deux derniers actes de cet opéra ; il y,
a auffi dans les trois premiers , qui font de
Defmarets , de très -beaux morceaux , &:
furtout une mufique des fureurs d'Orefte
au fecond acte , qui eft très- eftimée.
Enfin M. Guymond de la Touche profitant
de ces ouvrages , & furtout du der-.
nier , a traité le même fujet ; il n'a pas
mieux franchi que M. de la Grange , la
difficulté du dénouement ; fa piece n'eft
guere mieux écrite , & la conduite en eſt
moins réguliere : cependant il a réuffi.
Quel motif a donc pu attirer ainfi toute
une nation ? c'eft fans doute , parce que
l'Auteur a dépouillé fon fujet de tour or
nement , de tout fentiment étranger , parce
que l'intrigue n'en eft pas compliquée ,
qu'il n'y a point d'amour ; ou plutôt , c'eſt
parce que la religion naturelle , ce fystême:
devenu le goût du ficcle , eft le fonds de
toute fa piece.
*
and by
e
MEMOIRE
AVRIL. 1758. 97
MEMOIRE des Libraires affociés à
l'Encyclopédie , fur les motifs de la fufpen
fion actuelle de cet Ouvrage.
Nous allons rapporter quelques mor
ceaux de ce mémoire qui nous a paru trèsbien
écrit. On y répond aux reproches faits
aux Auteurs de l'Encyclopédie
, & on s'efforce
de les raffurer contre les traits de la
critique , qui depuis quelque temps , ne
ceffentde les pourfuivre. Voici comme s'expriment
les Libraires affociés :
« Souvent un ouvrage paffager fuffic
"pour partager les efprits. L'Encyclopédie
" annoncée comme devant être l'hiftoire
93
générale des arts & des fciences depuis
" l'établiſſement des lettres , a offert à
» fes adverſaires un corps plus folide à at-
" taquer ; elle a été expofée dès fa naiffan
"ce à toutes les traverfes que les paffions
" ou les divers intérêts peuvent enfanter.
"On a cherché à la noircir par les imputa-
"tions les plus odieufes. Les ridicules de
" toute efpece ont été joints aux accufa
tions les plus graves ; & l'on a vu paroî-
» tre un déluge de brochures paffionnées ,
plus propres à foulever les efprits qu'à
» les éclairer.
93
"
II.Vol E
98 MERCURE DE FRANCE.
ود
» Des animofités particulieres contre
» quelques - uns des Auteurs , occafionnées.
par la vivacité , peut- être trop grande
avec laquelle ils ont repouffé les pre-
» mieres attaques ; des mouvemens intérieurs
de jaloufie , qui ont rendu antago
" niftes de l'ouvrage des Gens de lettres ,
»
qui ne devoient pas en être les co- opéra-
» teurs ; la révolte enfin de l'amour propre
bleffé du ton de déciſion & de fupé
» riorité attribué aux Encyclopédiſtes , font
» la caufe & l'origine de toutes, les cla-
99
2 meurs.
» S'il eft vrai que ce ton choquant pour
les autres , puille être reproché à ceux
» qu'on en accuſe , c'eft fans doute dans
»des ouvrages étrangers à l'Encyclopédie
" qu'on le trouve ; mais nous ofons dire
L
que l'ouvrage même en eft exempt. Tout
juge impartial y verta régner ce ton d'é-
„ lévation & de nobleſſe , qui doit être
» l'appanage de l'homme de lettres ; mais
» ce n'eft point par ce prétendu ton de décifion
& de fupériorité , c'eſt par l'éten →
due des connoiffances qu'on a révolté les
Auteurs médiocres,
92
>>
On fe convaincra facilement du peu
», de fondement de ce reproche , en lifant
la préface du troifieme volume ; les Edi-
" teurs s'y plaignent avec modeftie des traAVRIL.
1758. 29
33
verfes que l'envie a fufcitées à l'Encyclo
pédie. Après une juftification auffi fim-
» ple que véridique , ils déclarent qu'ils
regardent ce Dictionnaire , comme trèséloigné
de la perfection à laquelle il peut
> atteindre un jour , & qu'ils ignorent dans
quelle vue on leur a fait tenir un lan-
» gage tout oppofé. Ils conviennent qu'il a
dû fe gliffer des fautes dans un ouvrage
d'une auffi grande étendue , & ils ajou
tent : Nous avons témoigné au nom de nos
» Collégues & au nôtre , & nous témoignons
wencore notre reconnoiſſance à tous ceux qui
» vaudront bien nous faire appercevoir nos
fautes ; nous espérons feulement , que pour
» avoirremarqué des erreurs dans cet ouvrage
immenfe , on ne prétendra point l'avoir
»jugé »...
Un des moyens employés pour tâcher
» de rendre le foulévement général , a été
de reprocher à quelques- uns des Auteurs
» des ouvrages furtifs ; mais les principes
que l'on condamne dans ces écrits , ne
» ferretrouvent point dans l'Encyclopédie
ce font des morceaux étrangers à cet ou
vrage , & dont la plûpart font défavoués
par ceux à qui on les attribue .
"
>>Le motcenf eft un des articles qu'on a
relevés avec le plus d'aigreur , & pour
infinuer malignement que les Auteurs de
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
"
"
"
29
و د
D
l'Encyclopédie inclinent au matérialiſme,
on leur a fait dire que les cerfs parvien
nent à l'âge de raifon. La feule lecture de
l'article fera connoître fi les accufateurs
fe piquent d'être équitables : voici le paffage
tel qu'il fe trouve dans le tome II ',
pag. 840 , lig. 31. On raconte de leurs
courfes , de leurs repofées , de leur pâture ,
» reffui , diete , jeûnes , purgations , circonf
pection , maniere de vivre , furtout torf-
» qu'ils ont atteint l'âge de raifon , une infi-
» nité de chofes merveilleufes qu'on trouvera
dans Fouilloux , Salnove , & c. qui ont
» écrit fur la chaſſe du cerf en enthouſiaſtes ,
&c. Ces mots , lorfqu'ils ont atteint l'âge
» de raifon , féparés de ce qui les accompagne
, ont fait crier à l'impiété . On a cru
» fur la parole des Critiques , que les Au-
» teurs attribuoient férieuſement un âge
de raifon aux cerfs , lorfqu'ils citoient
au contraire cette expreffion , & celles
qui l'accompagnent , comme ridicules
» de la part de ceux qui s'en font fervis.
Eft-il rien qu'on ne puiffe condamner ,
quand on voudra dénaturer ainfi des paffages
?!
Ja
"
30
29
"
» Nous n'infiftons fur les imputations
faites à l'encyclopédie , que parce que
nous voyons avec douleur , qu'un de nos
Editeurs rebuté de toutes ces vexations
K
.
AVRIL. 1758 . 101
30
ןכ
a déja pris le parti de la retraite , & que
" nous avons lieu de craindre que tous
» ceux qu'on a rendus participans de fes
dégoûts , ne fuivent un exemple auffi
fâcheux pour nous. Il n'y a pas un feut
» des co-opérateurs , qui ne nous foit pré-
» cieux , & dont nous ne regretaffions la
»perte en pareil cas ; mais nos Editeurs
finguliérement , nous font d'une néceffi-
"té indifpenfable , & nous ne craignons
pas d'avancer que fans le fecours & la
» réunion de ces deux hommes de lettres ,
»nous ferions réduits à la trifte impoffi
»bilité d'achever l'ouvrage.M . d'Alembert ,
» que nous regrettons , a eu là modeſție de
"ne vouloir être annoncé fur le frontif
pice de l'Encyclopédie, que comme chargé
de la partie des mathématiques ; mais
nous ne devons pas laiffer ignoter que ,
depuis le commencement de l'entrepri
"fe , il s'eft livré avec un zele infatigable
conjointement avec fon Collegue , à la
direction générale de l'ouvrage , & à la
»compofition d'un grand nombre d'arti-
» cles fur divers fujets. Nous connoiſſons
>> mieux que perfonne , les obligations que
» lui a l'Encyclopédie , & notre reconnoif-
»fance ne peut lui en donner un témoi-
"gnage trop authentique ; nous le lui deyons
à un titre d'autant plus jufte , que ,
"
"
>>
و د
"
و ر
E. iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ي و ع د
s'il a confacré fon temps & fes foins
» l'exécution de cette entreptife , il s'y eft
porté avec un défintéreffement qui annonce
la nobleffe de fon ame . L'amotfr
des lettres , l'amour de la nation , & un
fentiment de bienveillance pour nous ,
»ont été les feuls motifs qui l'ayent artaché
à ce travail pénible , & pour le fotttien
duquel il falloit avoir beaucoup de
courage.
Nous ne pourrions donc trop gentir
de fa retraite , fi la fatalité des circonftances
la rendoit fans retour : mais nous
efpérons que , convaincu comme nousmêmes
du befoin que nous avons de lui
pour achever l'Encyclopédie , il cédera à
la fincérité de nos voeux & à ceux du public.
Sa façon de penfer honnêté & élé-
"vée , lui fera méprifer des atteintes autdeffus
defquelles fa réputation l'a déja
mis ; & il ne refufera pas fans doute à
l'empreffement général , le fecours de
fes lumieres , pour la continuation d'un
livre qui , malgré les clameurs de l'envie
, immortalifera fes Auteurs , furtour
fi l'on peut eſpérer que la critique fe renferme
dans de juftes bornes.
""
و ر
»
DO
» Il eft fort naturel que nous nous montrions
jaloux de voir arriver à fa pérfection
un vaſte édifice dont nous avons
AVRIL 1958. 103
ל כ
préparé les fondemens avec autant de
" frais que de foins & d'appareil. En ef-
» fer , c'eft nous qui avons , pour ainfi
dire , donné l'être à cet ouvrage , par
» l'idée que nous avons conçue les premiers
» de la traduction de l'Encyclopédie angloife,
& de l'amélioration dont elle étoit
fufceptible ; projet fort étendu dans fa
» fuire par les Sçavans , fur lesquels nous
» avons jetté les yeux , & que la voix publique
nous avoit indiqués d'avance .
» Cette entrepriſe eft la plus confidérable
qui fe foit encore formée dans la Librairie.
Elle exigeoit une application infinie
des foins journaliers , & un courage a
toute épreuve. Nous avons fait des pertes
confidérables avant que de propofer
des foufcriptions ; nous avons même cou-
» ru les rifques de voir échouer nos projets
» par des traverſes & des incidens , dont
» la plus grande partie fera toujours igno
» rée du public. Enfin , après douze ans &
plus de travaux & de follicitudes , l'efpoir
d'un heureux avenir foutenoit notre
patience. Mais lorsque nous croyons tou-
» cher au terme défiré , la paffion ſe rani-
» me , & nous enleve les inftrumens né-
» ceffaires à l'entiere exécution d'un Ou-
» vrage , qui , depuis long temps , eft l'ob-
»jet des voeux du public & des nôtres.
"
»
"}
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
25
و ر
L'encyclopédie offre auffi des points
importans d'utilité , en la confidérant
comme une fimple branche de commer-
» ce ; elle confomme le travail de nos ma-
» nufactures , elle entretient & fait vivre
un grand nombre d'ouvriers différens .
Par cette entrepriſe , nous enlevons à
l'étranger , le droit de nous vendre cher
»fes connoiffances ; & en les recueillant
dans le fein du Royaume , nous y procurons
l'introduction d'un argent qui
augmente les richeffes de l'Etat.
33
Ces confidérations dont tout efprit
fenfé fera frappé , méritent fans doute
qu'on nous accorde , dans la continuation
de l'Encyclopédie , la protection & la tranquillité
qui nous font néceffaires , pour
procurer au public un monument digne de
xer fon attention..
•
AVRIL 1758. 1105
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES
HISTOIRE NATURELLE..
SECOND Cours public fur l'Hiftoire na
turelle , concernant les minéraux , les vé
gétaux & les animaux , relativement aux
Arts & Métiers , &c. par M. Bomarede
Valmont , Demonſtrateur d'hiſtoire naturelle
, de ta Société Littéraire de
Clermont- Ferrand ; en fon cabinet , vieille
rue du Temple , à l'hôtel d'Hollande , le
Samedi 15 Avril 1758 , à trois heures
précifes de relevée , & jours ſuivans indiqués.
NO
L'EXPOSITION de ce qui regarde le regne
minéral , donnera occafion de parler des
eaux , des terres , des fables , des pierress
& pierreries , des fels , des foufres , dess
bitumes , des productions de volcans , des
concrétions, métalliques , des minéraux ,
des métaux , & enfin de ce qui peut avoir
rapport au regne. minéral..
Ew
006 MERCURE DE FRANCE.
Le regne végétal renfermera les racines ,
les écorces , les bois , tes feuilles , les
bourgeons , les fleurs , les fruits , les femences
, les fucs foit liquides , foit concrêts
, tant de l'art que de la nature , Tes
fécules & autres fubftances qui y font analogues.
On finira par le regne animal ; les détails
qui concernent les infectes & particuliérement
la zoologie ou les polypes.
Les coquillages , les poiffons , les amphibies
, les oifeaux , les quadrupedes &
l'homme même , font auffi curieux qu'intéreffans.
Toutes les fubftances qui font relatives
à ces trois regnes , feront exposées aux
yeux des auditeurs , & l'on a lieu d'efpérer
que la beauté , le choix & l'abondance
fatisferont également l'Artifte & le Naturalifte
. En s'inftruifant des procédés de l'art
& des termes propres à chacun , ils auront
Occafion d'apprendre comment la plûpast
des matieres font récoltées , trafiquées ,
altérées & employées.
On ne s'eft propofé d'expliquer que
ée qui peut êtrede quelque utilité aux arts ,
aux métiers , aux befoins & à l'agrément
de la vie , & pour la facilité de ceux qui
affifteront au Cours , on fuivra l'ordre du
catalogue imprimé , qui contient toutes les
AVRIL 1758. 107
fubftances qui feront la matiere des le
çons.
"
On eft averti de foufcrité avant qu'on
faffe l'ouverture de ce Cours.On s'adreffera
à M. Bomare- de Valmont , rue de la Ver→
rerie à la Rofe blanche , chez lequel on
trouve fon catalogue qu'il diftribue ..
MEDECINE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE
MONSIEUR ,
ONSIEUR
, j'efpere
que vous voudrez
bien accorder
une place dans votre fournal
, à quelques
réflexions
que j'ai faires
fur la lettre que M. Laberthonye
, Docteur
en Médecine
à Toulon
, y a imprimée
au
mois de mars dernier
, fur la maladie
populaire
qui a régné dans les hôpitaux
militaires
& autres de Provence
. On ne fçausoit
trop éclaircir
tout ce qui regarde
la
Médecine
. C'eft s'exercer
fur l'objet le plus
intéreffant
pour l'humanité
, que de tra
vailler
à développer
& à épurer
toutes les
connoiffances
qui vont à étendre & à perfectionner
la théorie
de l'art précieux
de
quérir. C'eft principalement
à cet égard
E vi
TOS MERCURE DE FRANCE:
que
porter à
les Journaux font utiles , en ce qu'ils
ouvrent un champ libre à la difcuffion &
à la critique légitime . M. Laberthonyc attribue
la caufe de la maladie , qui a attaqué
un fi grand nombre de foldats & de
perfonnes du bas, peuple dans fes cantons
à l'ufage immodéré du mauvais vin de la
récolte de 1755. Le défir de concourir aux
progrès de notre art qui a engagé fans
doute M. Laberthonye à rendre les obfervations
publiques , auroit dû le
les rendre plus fatisfaifantes & plus folides,
en les mettant dans un plus grand jour , &
en les prouvant davantage, En effet, quelles
preuves donne- t- il de l'opinion qu'il avance
? Ne pouvant pas trouver la caufe de
la maladie populaire , ni dans la difpofition
propre des corps , ni dans l'intempérie
de la faifon , ni dans l'ufage immodéré
des fruits , M. Laberthonye imagine qu'il
faut la chercher dans la boiffon de 1756 ;
c'eft- à- dire , dans le vin de la récolte de
1755 , qui ne fut pas naturel dans fes cantons
, & il dit que ce qui démontre fon affértion
, c'eſt que la maladie courante a
épargné les perfonnes aifées qui n'ont point
bu de ce vin , & celles qui, par état , par
tempérance ou par économie n'en ont pas
fait un grand ufage , & qu'elle a maltraité
au contraire les foldats , les ouvriers , les
AVRIL. 1758% 109
mandians & c. qui en ont bu avec excès :
on fent combien cette preuve eft équivoque
& foible ; pour l'appuyer & la rendre
tout- à- fait convaincante , il auroit fallu
déterminer quelle étoit la nature de ce vin
dans le temps qu'on croit qu'il eft devenu
malfain , & démontrer qu'un tel vin bu
avec excès , a du produire le cours de ventre
& le flux de fang qui ont défolé les
hôpitaux de Toulon. La chaleur néceffaire
pour procurer la maturité des raifins de la
recolte de 1755 , fut interrompu par les
pluyes abondantes qui tomberent durant
l'automne , à ce que dit M. Laberthonye
; voici quel dut être le vin de cette
année.
7
On fçait que le fúc des raifins eft com+
pofé d'eau ou phlegme , qui eft le véhicule
d'une terre qui renferme une huile &
un fel acide ; c'est cette terre qui donne le
goût acerbe au raifin qui n'eft pas encore
parvenu à fa maturité. La chaleur du ſoleil
en ouvrant & divifant cette terre , dégage
l'huile & les fels acides qu'elle contient
, les mêle entr'eux & les confond
dans le degré de combinaiſon qu'il faut ,
pour qu'il en réfalte la proportion qui forme
un fuc agréable & propre à faire du
bon vin.
Suppofons avec M. Laberthonye , que
10 MERCURE DE FRANCE
la chaleur de l'automne de 1755 ait été
trop foible , l'huile & les fels acides n'auront
pas été fuffifamment développés , &
le vin aura été acerbe & ftiptique. On ſçait
que les effets d'un tel vin dans le corps de
Thomme , font de deffécher , de refferrer
& de roidir les folides , & d'épaiffir , de
condenfer & de coaguler les fluides. Suppofons
à préfent que la chaleur de la faifon
réveille la fermentation de ce vin , je demande
à M. Laberthonye quel changement
apportera à fa nature cette nouvelle fermentation
, & quels effets produira dans
le
corps humain ce même vin ainfi changé
, étant bu en trop grande quantité. If
eft certain qu'il tiendra toujours de fa qua
lité âpre & auftere , & qu'il tournera davantage
vers l'acide. Un Médecin phyftcien
ne doit pas fe contenter de dire qu'un
vin , qui en premier lieu a effuyé une
fermentation trop foible , & qui a fúbi une
#
feconde fermentation au renouvellement
de la faifon , doit dépraver le chyle , qui
a fon tour appauvrit & pervertit le fang &
les fluides qui s'en féparent , & qu'ainf
la bile & les fucs digeftifs qui viennent de
la même fource , doivent participer de fa
mauvaiſe qualité. Il eft queſtion d'expliquer
quelle fera immédiatement fon acion
dans notre corps , & comment les of
AVRIL 1758 FIE
-fets de cette action immédiate entraîneront
des devoiemens. Ainfi M. Laberthonye
ne pouvoit fe difpenfer d'examiner fi la
caufe prochaine de la maladie a été un relâchement
ou une irritation dans les fibres
des premieres voies . Il s'eft pourtant déterminé
à penfer , que l'effet du chyle dépravé
par la boillon de ce vin malfain , a
été de relâcher les fibres : mais eft - il aifé
de concevoir qu'un vin qui , par fa nature
, doit picoter & deffécher les folides
& épaifir & coaguler les fluides , puiffe
caufer une fonte dans ceux - ci , & une atonic
dans ceux - là ? Un tel état des folides &
des fluides ne pourroit tout au plus être
que la fuite d'une ancienne altération du
chyle ; mais fi le vin dont il eft queftion ,
n'a produit les dévoiemens qu'après avoir
gâté le chyle , & fucceffivement toutes les
humeurs qui en dérivent , ainfi que M.
Laberthonye paroît le prétendre , eft - it
poffible d'imaginer que l'hipecacuanha &
la rhubarbe ayent pu les combattre f
promptement ? De ce que l'action de ces re
medes fe borne aux premieres voies , &
de ce qu'ils ont agi avec tant de promptirude
, quand ils ont été employés au commencement
de la maladie , ne doit- on pas
inférer que la caufe de cette même maladie
ne réfidoit que là , & qu'elle ne procédois
112 MERCURE DE FRANCE!
point d'une altération ancienne & généra
le dés fluides.
J'ai l'honneur d'être , &c.
SUMEIRE , Do&t. en Médec.
A Marignand , ce 20 Juin 1757.
CHIRURGIE.
Obfervations fur les Injections.
Tour le monde convient que rien n'eft
plus capable de perfectionner la Chirurgie
que les obfervations :: mais fi elles ne font
pas accompagnées des qualités néceffaires ,
loin de tourner à l'avantage de la fociété ,
elles ne peuvent que lui être infiniment
préjudiciables. Ces qualités principales
font une attention active & fcrupuleuſe à
qui rien n'échappe dans l'examen , & une
fincérité à l'épreuve de toutes les foibleffes
de l'amour propre.
Ce n'eft que pas que l'exactitude
& la fincérité
nous rendent
infaillibles
. Tout homme
, quelqu'habile
qu'il foit , eft fujet à
Ferreur
; mais il doit convenir
modeftement
de fes fautes pour en tirer le double
avantage
de les éviter dans la fuite , & de
AVRIL. 1758
les faire éviter aux autres. C'eft dans ces
fentimens que j'expofe les obfervations
que j'ai faites fur les injections dans les
plaies. Si je me fuis écarté fur ce point de
l'opinion de nos plus célebres Obfervateurs
dont je refpecte les lumieres , on ne pourra
pas du moins me reprocher de m'être écar
té de ces grands modeles , en négligeant
l'exactitude & la fincérité dont ils m'ont
donné l'exemple .
Les injections ne font autre chofe que
des remedes liquides portés dans les plaies
ou finus , par le moyen d'une feringue..
L'objet de ces injections eft de déterger ,
ou d'incarner les clapiers ou finus , qui
fouvent ne font acceffibles qu'à la fonde ,
& où quelquefois même elle ne peut parvenir
, lorfque ces finus pénetrent dans la
capacité des ventres , ou des parties charnues
, & que leur route eft tortuenſe &
inégale.
Par rapport aux plaies des parties charnues
, comme celles qui résultent des
coups de feu ou d'armes blanches , & qui
peuvent être compliquées , ou celles des
grands abcès , les injections balzamiques
& vulnéraires peuvent y avoir lieu dans
les commencemens : mais je foutiens que
ces remedes continués trop long-temps ,
leur deviendroient préjudiciables. Ils for114
MERCURE DE FRANCE.
meroient autant de corps étrangers qui
s'oppofant à la réunion des chairs , ren
droient la cure extrêmement lente ou
même impoffible. En effet , les embou
chures des vaiffeaux venant à fe racornir ,
& enfuite à fe fermer par les fréquentes
fecouffes que caufent les injections , il eft
aifé de fentir qu'elles cefferoient d'épancher
ce fuc agglutinatif , cette lymphe fa
lutaire qui opere la guérifon. D'ailleurs
qui eft-ce qui n'a pas obfervé comme moi
qu'il reftoit fouvent dans les plaies une
grande partie de la liqueur injectée , laquelle
, par le moyen de l'injection du
lendemain , fortoit chargée d'un pus fé
reux & de fort mauvaife odeur , en plus
grande quantité que la plaie n'en auroit
fourni en quatre jours en ne l'injectant
point ?
Pour prévenir ces deux inconvéniens ,
je me fuis toujours cru autorifé par les
réflexions que j'ai faites , à fupprimer l'ufage
des injections , en y fubftituant un
Ample pantement avec des compreffes ex→
pulfives dans le befoin. Si quelquefois j'ai
cru devoir employer ces injections , ce n'a
jamais été que les cinq ou fix premiers
jours feulement , comme dans les ulceres
fiftalenx ; & c'eft du caput mortuum da
vitriol dans une fuffifante quantité d'eau
AVRIL 1758. 1:15
d'hyfope ou de lavende , dont je me fers
alors pour favorifer le fuintement des fucs
propres
à régénérer les chairs. Ce n'eft
donc que dans ce cas , & pour quelques
jours feulement que j'adopte les injections ;
en tout autre je les abandonne comme
inutiles & dangereufes , furtout dans les
plaies qui communiquent
aux grandes capacités.
Les exemples que je vais rapporter
donneront du jour à mes obfervations ; je
les réduis à un très -petit nombre , qui
fuffira pour montrer que je ne me détermine
qu'avec connoiffance de caufe.
En 1737 , à Véfoul , M. Cardot fils , âgé
de 12 ans , avoit à la poitrine du côté droit
une fiftule qui pénétroit dans la capacité ,
& qu'on injectoit depuis cinq mois deux
fois par jour. Je fupprimai d'abord l'ufage
des injections ; & après avoir rafraîchi
les bords de la plaie qui étoient renversés
& calleux , je fis fubftituer un petit plumaceau
chargé de beaume d'arceus , à une
stente longue de deux travers de doigt , que
l'on introduifoit
à chaque panfement dans
la fiftule ; l'enfant fut guéri en moins de
douze jours.
En 1758 , je fis deux opérations
de
l'empieme à fix jours d'intervalle
l'une de
l'aurre ; da premiere , à un Manceuvre
de
Befançon , qui avait reçu un coup de con116
MERCURE DE FRANCE:
teau entre la cinquiemé & fixieme des
vraies côtes du côté droit , à trois doigts da
Sternum. Il s'étoit fait un épanchement de
fang affez confidérable , & enfuite une
grande fuppuration. Il fut néanmoins guéri
radicalement par le fimple fecours d'un
plumaceau chargé de beaume d'arceus. La
feconde opération fut faite à un Soldat du
Régiment du Roi . Sa plaie étoit entre la
fixieme & feptieme des vraies côtes , à
quatre travers de doigt des vertebres.
L'opération réuffit affez bien dans les com
mencemens ; mais comme on crut devoir
employer les injections déterfives & vulnéraires
, & c. le Soldat en mourut le Manoeuvre
avoit été un peu négligé , mais fa
plaie n'avoit point été injectée . Le Soldat
avoit été très - bien foigné , mais injecté
réguliérement jufqu'à fa mort.
En 1740 , un Soldat du Régiment d'Anjou
, infanterie , âgé de 28 ans , fut bleffe
à la partie droite de la poitrine entre la
derniere des vraies côtes , & la premiere
des fauffes à cinq travers de doigt de l'épine
, & la plaie fortoit du côté oppofé
entre la troifieme & quatrieme des fauffes
côtes à deux travers de doigt de l'épine..
Les accidens furent très fâcheux dans les
commencemens : on y apporta les remedės
convenables , mais fans aucune efpece d'in
AVRIL 1758. 117
jection. Le malade qui étoit entré à l'hôpital
de Befançon , le 4 Septembre, en fortit
parfaitement guéri le 2 Janvier 1741 .
En 1742 , un Cavalier de la Mestre de
Camp , fut conduit à l'hôpital de Befançon
le neuvieme jour de ſa bleſſure. Il avoit
reçu un coup de fabre entre la troisieme &
çinquieme côte fupérieure ; la quatrieme
qui fe trouvoit entre deux étoit coupée
tranfverfalement ; fa plaie étoit fi large &
fi profonde , qu'il étoit facile de voir le
poulmon & de diftinguer fes mouvemens.
Je fupprimai fur le champ les injections
qui avoient été employées juſqu'alors , je
fis panfer le malade avec un double linge
trempé dans Phuile d'hypericum , affez
grand pour ne pas fe perdre dans la poitrine.
Je coupai enfuite les portions de la
quatrieme côte , en partie dépouillée de
chair , & en partie vermoulue & fans injections
: le malade fut rétabli fept femaines
après.
Je paffe fous filence le nombre de cures
que j'ai faites de plaies pareilles à ces dernieres
, fans jamais employer des injections.
Je puis parler maintenant de celles
qui avoient dégénéré en fiftules , lorfqu'on
m'en confia le foin ; elles ne feront encore
que plus concluantes pour la nouvelle méthode,
118 MERCURE DE FRANCE.
Un nommé Renaud , de Befançon , Dra
gond ans le Régiment de la Ferronaye ,
avoit reçu à Monthimard , un coup d'épée à
Ka partie droite de la poitrine , un dõige au
deffus du tetton : à en juger par l'hémorra
gie qui avoit fuivi le coup , l'épée avoit pé-
Hétré le poulmon . Comme le Régiment étoit
en marche , il avoit été laiffé comme mort ;
dependant on lui avoit donné du ſecours
e dans l'efpace de neuf mois , il avoit été
injecté deux fois par jour dans l'hôpital
où il éroit : ilavoit été conduir enfuite à
celui de Lyon , où on ne lui avoit pas plus
épargné les injections . Enfin il fut tranf
porté dans celui de Befançon , dans l'efpés
rance d'être plus foulage dans fa patries
Ses parens vinrent me le recommander ;
je le vis , & pendant deux jours je le 'laiffat
fans autre panfement que des linges
blancs fur fa plaie. Je détruifis les jours
fuivans les bords de fa fiftule & d'une
vieille plaie , j'en fis une récente quant à
Fextérieur par le moyen de petits cauftiques
, je fis difimroître les callofites inté
rieures de la plaie Fy introduifis une peu
tre camle d'argent , que j'y haifai l'efface
dun mois ; & quand je vis qu'il n'y avoir
plus de fuintement , je retirai la canule ;
je rafraichi de nouveau les bords de la
plaie que je traitai enfuite comme plais
3
+
s
A VRTE. 17580 119
Gmple; enfin au bout de quinze jours , depuis
celui où j'avois ôté la canule , le jeune
homme fut radicalement guéri...
Le nommé Beau Séjour , Cavalier dans
le Régiment d'Efcart , à la fuite d'un em
pieme , avoit été injecté à l'hôpital de Véfoul
matin & foir , pendant vingt deux
mois. Tranfporté à l'hôpital de Befançon
je le trouvai dans un parfait anéantiffement
; je fis ôter l'appareil de deſſus la
plaie , & la laiffai pendant deux jours couverte
d'une fimple compreffe foutenue par
le bandage ordinaire. Je fuivis pour celuici
la méthode que j'avois fuivie pour le
précédent. Je laiffai pendant près de deux
mois la canule dans fa fiftule ; & après fix
mois , il fut en état de joindre fon Régi
ment.
તે
Un Savoyard à qui on avoit fait l'opération
de l'empieme à l'hôpital des Bourgeois
de Befançon , étoit injecté journellement
depuis plufieurs mois. Le fieur
Darc , Maître en Chirurgie , me pria de le
voir : après l'avoir examiné , je fis part
mon Confrere de ma méthode à cet égard ,
qu'il mit fur le champ en pratique. Ledit
Savoyard a été guéri en très - peu de temps
par les foins du fieur Juffy , autre de mes
Confreres , qui avoit relevé ledit Sr. Darc
peu de temps après que j'eus vu le malade.
20 MERCURE DE FRANCE.
Je ne condamne pas abfolument la méthode
des Chirurgiens qui injectent les
plaies , & elle fe pratique journellement ;
mais il paroît que la méthode contraire eft
plus falutaire. Les injections ne font enployées
que pour liquéfier les matieres qui
ont trop de confiftance , laver & déterger
les plaies & ulceres , & je ne les crois propres
dans les grandes capacités , que pour
deux ou trois jours au plus 2:12
On fe fert ordinairement d'une tente ,
que je regarde encore comme plus dangéreufe
que les injections , pour fermer ,
dit -on , l'entrée à l'air extérieur qui feroit
pernicieux ; mais j'ai plufieurs obfervations
qui prouvent que l'air ne fait aucune
mauvaiſe impreffion dans la poitrine , lorfqu'il
a la même liberté d'en fortir qu'il
en a eue pour y entrer !.
Quelques exactes & fidelles que foient
ces obfervations , je les foumets à l'autorité
refpectable des Maîtres de l'Art : heureux
fi l'expérience en conftate l'utilité !
C'est la plus grande & la feule fatisfaction
que puiffent attendre ceux dont les travaux
n'ont pour but que les avantages de l'humanité.
LETTRE
Ο
AVRIL. 1758. 121
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur les
Accouchemens.
MONSIEUR , les abus dans l'exercice de
notre profeffion , font trop dangereux pour
qu'ils puiffent être tolérés fans bleffer la
probité , dès qu'ils viennent à notre connoiffance.
Quelques égards que fe doivent
entr'eux , les Médecins & les Chirurgiens ,
ils ne fçauroient , fans être coupables , fermer
les yeux fur les fautes qu'ils voient
commettre. Entre la vie du malade , & la
réputation du citoyen , il n'y a pas à balancer
l'une doit être facrifiée à l'autre .
Pourquoi pardonner à l'ignorance ?
Je ne fçais , fi je me trompe ; mais je
crois que l'on traite très- mal dans ce canton
les femmes accouchées , lorfqu'elles fe
plaignent de ces violentes douleurs , que
l'on nomme vulgairement tranchées. L'unique
remede que je vois employer dans
des cas fi terribles , & que je n'ai jamais
vu réuffir , c'eft l'huile d'amandes douces.
Ce font des tranchées , vous difent tranquillement
les Médecins & les Chirurgiens
de cette Ville. Il faut de l'huile d'amandes
douces , & quoi plus ? de l'huile d'amandes
, c'eft le fpécifique. En vain , depuis
que je fuis établi dans ce pays , & que je
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
me mêle des accouchemens , j'ai voulu détruire
une pratique fi ignorante. Mes confreres
, encore moins Meffieurs les Médecins
, n'ont jamais voulu fe rendre à mes
raifons , ni aux obfervations que je leur ai
miſes devant les yeux. L'envie de foulager
une infinité de victimes de leur préjugé ,
me force enfin de prendre la plume. Si mes
raifons couchées par écrit peuvent faire
plus de fenfation que lorfque j'ai efſayé
de les faire valoir moi-même , je ferai content
, puifque j'aurai rendu un ſervice au
public, Je doute néanmoins de pouvoir le
détromper, quoique la pratique que je vais
annoncer , fait adoptée partout où l'art
des accouchemens eft connu ; parce que ,
en matiere de fanté , furtout lorfqu'une
erreur eft unanimement reçue , elle ne peur
être détruite que par l'aveu de ceux def
quels nous la tenons , & qui ont notre
confiance . Or , quoique l'expérience & la
raifon foient pour moi , cette converfion
eft impoffible.
Les douleurs qui accompagnent & qui
précedent l'accouchement , ne fe terminent
point à la fortie de l'enfant & de
l'arriere-faix hors de la matrice. La mere
en eſt tourmentée ordinairement . Plufieurs
jours après qu'elle eft accouchée , elle
commence à reffentir des foibleffes , des
évanouiflemens , des douleurs extrêmes ,
AVRIL. 1758. 123
connues fous le terme vague de tranchées.
La malade rapporte le plus fréquemment
ces douleurs à la matrice , que l'on
trouve pour lors très - dure au tact , aux
lombes , à l'ombilic & aux aînes. Nous
voyons cependant dans quelques fujets ,
ees douleurs quitter quelquefois l'utérus &
fes attaches , pour parcourir irréguliérement
l'abdomen . Souvent elles fe fixent à
Feftomach ou aux inteftins. Ce font pour
lors de vraies coliques ftomachales ou inteftinales
, que nous prouverons plus bas ,
être toujours du genre des convulfives.
Nous venons de donner une defcription
fuccincte du fiége des tranchées;parcourons
à préfent leurs différentes caufes , afin de
juger fi l'huile d'amandes eft l'unique remede
qui puiffe convenir dans les deux
feules indications que l'accoucheur a à remphir
dans des circonftances fi preffantes ;
car l'on ne peut avoir en vue que l'affoupiffement
de la douleur , par la regle urgentiori
fuccurrendum : ou la deſtruction de
la caufe par cet autre axiome qui n'eft
toujours vrai en chirurgie , tollitur effectus
fublatâ caufâ.
pas
La manoeuvre plus ou moins adroite
d'un accoucheur , en arrachant le foetus
du féin de la mere , eft une des premieres
caufes des tranchées, Le mauvais traire-
F ij
124 MERCURE DE FRANCE.
ment de ce vifcere ne dépend pas tou
jours de nous à la vérité ; mais il eft bien
des occafions où le public eft trop indulgent
à notre égard.
Le placenta trop tôt ou trop violemment
arraché , les ongles d'un accoucheur imprudent
qui auront gratté trop vivement les
parois internes de la matrice , un fragment
de l'arriere-faix encore adhérent : voilà ce
qui occafionne les premiers agacemens de
l'utérus , & qui laiffe la mere dans des douleurs
encore plus vives que celles qui ont
précédé l'accouchement . Ce vifcere étant
tout à la fois fenfible & irritable , tout ce
qui détermine ces conftrictions fpafmodi
ques , entraîne néceffairement les fenfations
les plus douloureuſes .
Dès que l'enfant & l'arriere - faix font
dehors , le fang coule abondamment ; cette
perte eft néceffaire & falutaire. La femme
enceinte fe trouvant dans un état de pléthore
, il eft très -heureux pour elle que les
orifices des vaiffeaux ne puiffent à l'inftant
fe refferrer , afin que le fuperflu du fang
qui occafionnoit tous les accidens de la
groffeffe , puiffe s'évacuer. Si cette perte
eft proportionnée au tempérament de la
malade , je veux dire à la maffe des humeurs
accumulée , il en réfulte un bien.
Si elle excede , fi elle eſt ſupprimée ou di̟-
AVRIL. 1758. 1125
•
minuée , la malade reffent auffi - tôt les douleurs
les plus vives , qui parcourent , comme
nous l'avons déja dit , l'eftomac , le
canal inteſtinal ou la matrice. Je dirai en
paſſant , que je n'ai jamais vu que ces trois
vifceres affectés , & je crois que ce font
les feuls qui peuvent l'être , parce qu'ils
font les feuls dans le bas ventre doués de
fenfibilité , & capables de contraction muſculaire.
Ainfi lorfque j'ai dit que les malades
rapportoient la douleur au lombes
&c. je n'ai pas voulu dire que ces parties
fuffent fenfibles. C'eſt par un méchaniſme
que le temps ne me permet pas d'expliquer ,
que les douleurs dont le vrai fiege eft pour
lors à la matrice , fe répandent jufques à
ces régions. Le foie s'enflamme encore ,
mais ce n'eft qu'une fuite des tranchées . Ce
cas d'ailleurs eft extrêmement rare.
Plufieurs caufes produifent donc ce flux
trop abondant de vuidanges , de même
que plufieurs le fuppriment. Mais quelles
qu'elles puiffent être ; que ce foient des
caillots de fang retenus dans la matrice ,
ou des matieres durcies dans le canal inteſtinal
, comme l'a obfervé Mauriceau &
d'autres avec lui ; que ce foit un air froid ,
ou des affections de l'ame trop vives ; enfin
que ce foit par trop de fluidité , ou
par trop d'agitation, que le fang coule, com-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
me le dit Boerhaave ; ou qu'une trop grande
& fubite dérivation des parties fupérieures
, déterminée par le vuide que laifde
la fortie de l'enfant , forme des engorgemens
dans le bas ventre , & occafionne
par- là une fuppreffion , cela eft indifférent .
Il eft conftant que les nerfs font irrités.
L'expérience démontre que fans irritation
dans le nerf , tranſmiſe à l'ame , il n'y a
point de douleur. Il est encore certain
que ces tranchées font toujours accompagnées
de refferrement convulfif de la parrie
fouffrante. Pour s'en affurer , que l'on
porte la main fur l'endroit où la douleur
eft fixée , & l'on y trouvera une tenſion
fentible au tact . L'indication naturelle &
évidente qui fe préfente donc à remplir ,
c'eſt d'anéantir , s'il eſt poſſible , la douleur
& la convulfion. N'importe où fort
leur fiege , & quelle que foit la caufe qui
des produit la caufe immédiate dans toutes
ces efpeces étant l'irritation de la fibre
mufculaire , & du fyftême nerveux diftribué
à ces parties.
Examinons à préfent quel foulagement
l'on peut attendre de l'huile d'amandes
douces fi celébrée ici. Peut-elle , en parcourant
les routes de la circulation , affoupit
cette irritabilité de l'une & de l'autre fibre
. La propriété anodine que je lui re-
1
AVRIL. 1758. 117
connois dans certains cas , peut- elle avoir
fon effet , lorfqu'il s'agit d'aller calmer une
matrice irritée , étant mêlée & confondue
dans la maffe des humeurs. Je ne crois point
qu'un accoucheur qui aura les premieres
notions de l'économie animale , ofe avancer
une pareille théorie.
L'huile d'amandes par fes parties graffes
& onctueuses , eſt très- propre à envelopper
des matieres âcres , qui irritent le canal
inteſtinal. C'eft de cette façon qu'elle
appaife des coliques , qui ont leur caufe
matérielle dans les premieres voies. C'eſt
par cette même raiſon qu'elle entre dans
les looches pour adoucir l'âcreté du mulus
qui irrite la membrane interne des bronches
& de la trachée artere . L'huile d'aamandes
appliquée immédiatement & topiquement
, comme on dit , fur quelque
partie enflammée & tendue , affouplit &
amollit les fibres . C'eft pour lors qu'elle eft
anodine , en ôtant la douleur. Elle l'eft
par exemple , lorfqu'elle eft verfée fur la
membrane du timpan enflammée & tendue.
Elle devient encore béchique , lorfqu'elle
affouplit la membrane interne de la
trachée artere dans les péripneumonies ,
&c. Mais que l'on fe perfuade qu'elle agit
dans les fecondes voies par fa vertu émolliente
, c'eft ce que l'expérience ne dé-
F iv
128 MERCURE DE FRANCE:
montrera jamais , & que la théorie ne
fçauroit prouver .
Je ne connois qu'un feul cas où l'huile
d'amandes puiffe remédier aux tranchées ,
c'eft lorfque les matieres fécales irritent les
premieres voies ; ce qui arrive très rarement.
Car j'obferve très- fouvent que les
malades fe plaignent immédiatement après
l'accouchement , de coliques inteftinales
avec foibleffe qu'elles ne reffentoient point
avant , ni pendant le travail de l'enfantement.
Or je demande fi ces matieres ont
contracté tant d'âcreté dans fi peu de minutes
? Quel eft donc le vrai remede des
tranchées ? C'est l'opium & fes différentes
préparations. Lui feul remplit la vraie &
unique indication.
L'on fçait par expérience , que de tous
les narcotiques , c'eft le plus affuré & le
moins dangereux pour affoupir le mouvement
& le fentiment. Il anéantit tout dans
la machine pendant fon action , excepté le
mouvement du coeur.
Je ne veux cependant point bannir l'ufage
intérieur & extérieur des émolliens ,
de même que celui des antihystériques , & c .
Je fçais qu'ils rempliffent mon indication ,
quoique par un méchanifme différent ; la
faignée elle- même revient à mon but. Je
n'ai voulu que prouver l'inutilité de l'huiAVRIL.
1758. 129
le d'amandes , fur laquelle on fe repofe fi
aveuglément , & lui fubftituer les calmans ,
dont on fait partout ailleurs de fi falutaires
applications .
L'on reproche , avec raifon , à l'opium ,
de fufpendre toutes les évacuations , & que
dans ce cas-ci , il peut arrêter totalement
le flux des vuidanges. J'avoue que fi ce remede
n'eft pas ordonné par une main fage
& prudente , il peut produire le mal qué
l'on craint ; mais s'il eft ordonné avec les
précautions qu'il doit être preferit , je foutiens
qu'au lieu de fupprimer la perte , il
la facilitera , & je puis dire lui avoir vu
conftamment opérer cet effet , lorfque je
l'ai fait prendre.
Quand il feroit vrai qu'il devroit tour
arrêter , l'on ne doit pas héfiter à le faire
prendre. Periculum eft in mora. Il n'y a pas
à balancer ; la malade périt dans les douleurs
, fi vous ne les anéantiffez. Il n'y a
point de remede plus prompt , ni plus efficace
: il faut donc y avoir recours , fut-il
encore plus dangereux. In extremis extrema.
remedia tentanda funt.
J'ai l'honneur d'être , &c.
F.... Chirurgien - Juré de la Ville d'Anrillac
, en haute- Auvergne.
Ce 22 Novembre 1757.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
C
PROJET de foufcription pour la Carte
générale de la France , en 173 feuilles ,
propofe par M. Caffini de Thury.
de fe
L'OBTET des foufcriptions ordinaires eft
procurer des fonds pour l'exécution
d'un projet , & fouvent de s'allurer d'avance
du profit qu'on en peut retirer.
Dans celle que je propofe , mon bur eft
plus noble & plus étendu, Le fuccès de
l'Ouvrage eft affuré ; le Public eft préfentement
en état de juger de fon exécution.
par les feize feuilles déja publiées : c'eſt
le bien de la chofe & l'intérêt du Public
que j'ai en vue ; & fi j'ai réfifté jufqu'à
préfent aux demandes , multipliées qui
m'ont été faites d'admettre des foufcriptions
, c'est pour ne point engager le Public
à l'acquifition d'un Ouvrage qu'il ne
connoiffoit pas encore , pas encore , & qui n'étoit pas
alors affez avancé...:
t
Cinquante Citoyens diftingués dans
tous les Ordres de l'Etat , fe font affociés
pour fupporter les charges d'une entreprife
que le Roi honore de fa protection ,
& pour porter à la plus grande perfection
qu'il foit poffible un Ouvrage qu'ils fçavent
être agréable à Sa Majefté. Leur fortune les
AVRIL 1758. 131
met en état de fe paffer de fecours étrangers
; mais la confiance qu'ils ont en moi
& leur défintéreffement même, ne me permettent
pas de perdre de vue leur intérêt ,
furtout lorfqu'il s'accorde avec celui du
Public. La voie de la foufcription offre à la
Compagnie le moyen de fe foulager d'une
partie des charges ,en fecondant les defirs du
Public , & d'accélérer l'exécution de l'Ouvrage,
en nous mettant en état de l'achever
dans unterme plus court que celui que nous
nous étions propofé. Il eft jufte d'ailleurs
de fatisfaire l'impatience des habitans des
Provinces méridionales qui reftent à lever ,
& de ne leur pas faire attendre dix années
une bonne Carte , dont ils ont d'autant
plus de befoin qu'ils n'en ont eu jufqu'ici
que de fort défectueuses .
”
La foufcription produira encore l'avantage
de prévenir la contrefaction : les
étrangers qui auront contracté un engage
ment avec la Compagnie , fçachant qu'ils
peuvent fe procurer les Cartes originales à
un prix modéré , auffi-tôt qu'elles paroîttont
, n'écouteront plus les offres des contrefacteurs
, dont l'avidité pour le gain
défigureroit bientôt nos Cartes par une
exécution défectueufe , & furtout par une
infinité de fautes d'impreffion fi ordinaires
dans les noms propres. Il eft jufte auffi
E vi
132 MERCURE DE FRANCE:
que ceux qui contribueront volontaire
ment à l'exécution & à l'accélération de
l'Ouvrage par par leurs avances, puiffent avoir
les Cartes à un moindre prix..
Conditions de la foufcription .
La Carte de la France compofée ( 1 ) de
cent foixante & treize feuilles , coûtera
aux Soufcripteurs 562 livres ( argent de
France ) payables en cinq termes , à raiſon
de 3 liv. 5. fols la feuille , au lieu de 4 liv.
prix auquel chaque feuille fera vendue en
détail.
Au moyen de cette avance, la Compagnie
s'engage à faire tenir les cent foixante
& treize Cartes particulieres franches de
port aux Soufcripteurs , foit à leur demeure
à Paris , foit dans les Villes principales du
Royaume qu'ils indiqueront , foit dans les
Villes capitales des pays étrangers les plus
voifines du lieu de leur réfidence , & ce, à
mefure que les Cartes paroîtront .
On payera en foufcrivant 162 liv. fur
quoi on déduira quatre livres pour chaque
Carte déja payée avant la foufcription , &
( 1 ) La Carte des triangles n'eft pas compriſe
dans les cent foixante & treize feuilles ; les Soufcripteurs
qui voudront en faire l'acquifition la
trouveront chez les Débitans , & né la payeront
que 3 liv. s fols,
AVRIL. 1758. 133
on enverra les fuivantes aux Soufcripteurs
à mesure qu'elles paroîtront , jufques &
compris la vingt- neuvieme ; celui qui aura
déja payé les feize premieres Cartes pu
bliées , n'aura que 98 liv. à payer au lieu de
162 liv.
On payera en recevant la trentieme
feuille Too liv. & l'on recevra fucceffivement
les fuivantes fans rien payer , juſques
& compris la cinquante-neuvieme.
On payera en recevant la foixantieme
100 liv. & l'on recevra fucceffivement les
fuivantes jufques & compris la quatrevingt-
neuvieme.
On payera en recevant la quatre-vingtdixieme
feuille 100 liv. & l'on recevra les
fuivantes fucceffivement jufques & compris
la cent dix-neuvieme.
On payera en recevant la cent vingtie
me feuille 100 liv. & l'on recevra fucceffivement
les fuivantes fans rien payer juſques
& compris la cent foixante- treizieme
& derniere feuille. Total 562 liv.
誓
Les plus belles épreuves feront réfervées
pour les Soufcripteurs , fuivant la date des
foufcriptions , dont on tiendra regiftre .
Comme plufieurs perfonnes , par zele &
par l'intérêt qu'elles prennent à la prompte
exécution de cet Ouvrage , ont offert de
payer, en foufcrivant le recueil entier des
134 MERCURE DE FRANCE.
cent foixante & treize feuilles , en faveur
de cette avance , on leur fera une plus
grande diminution fur le prix total . Elles
ne payeront le recueil complet que cinq
cens livres , & elles recevront les feuilles
franches de port , à mesure qu'elles paroîtront.
- Pour la fatisfaction de ceux qui veulent
connoître avec exactitude la diftance ré
ciproque des lieux , on a calculé foigneu
fement en toifes la diftance de toutes les
Paroiffes du Royaume , tant à la Méridienne
de l'Obfervatoire , qu'à la perpendicu
laire de cette Méridienne , & l'on a formé
de ces diftances calculées autant de Tables
alphabétiques que de Cartes. On y a joint
une inftruction pour conclure des diftances
calculées , & par une fimple addition de
nombres , la diſtance d'une Paroiffe quelconque
à une autre. On laiffe à juger de la
longueur de ce travail. Chacune de ces
Tables prifes féparément fera payée vingt
fols ; mais on fera une remife de près de
moitié à ceux qui voudront foufcrire pour
le recueil de toutes les Tables , qui ne leur
coûtera que quatre- vingt- dix livres en cinq
payemens, dont le premier de trente livres ,
& les fuivans de quinze livres ; & ils rece+
vront les Tables fucceffivement aux mêmes
conditions , & en même temps que les
AVRIL 1758. 235
feuilles de la Carte , chaque feuille ayant
fa table correfpondante . · 28
On fera admis à foufcrire jufqu'au premier
Octobre 1758 pour la France , &
jufqu'au premier Janvier 1759 pour les
pays étrangers .
Les Soufcripteurs remettront à la caiffe
de la Compagnie entre les mains de M.
Delifle , chez M. Borda , rue neuve des
Capucines , le prix de la foufcription ; &
en préfentant le biller de la foufcription ,
le fieur Nobleffe , Garde du dépôt des Car
tes à l'Obfervatoire Royal à Paris , leur délivrera
toutes celles qui auront paru juſqu'au
jour de la foufcription . Le même
tiendra un registre du numero & de la date
de chaque billet de foufcription & de
l'adreffe du Soufcripteur,
ASSEMBLÉE PUBLIQUE
De l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres.
L'ACADÉMIE Royale des Inſcriptions &
belles Lettres , a tenu , felon l'ufage , fon
affemblée publique le premier mardi après
le dimanche de Quafimodo . Elle a d'abord
adjugé le prix fondé en 1733. Le fujet propofé
confiftoit à examiner quel étoit enFrance
36 MERCURE DE FRANCE
Pétat de la Marine & du commerce mariti
me fous les deux premieres Races. Le prix a
été remporté par M. l'Abbé Cartier, fousmaître
au Collège Mazarin , & Prieur
d'Andrecy. C'est le quatrieme prix qu'il
remporte dans cette Académie.
le: Le Secrétaire a enfuite annoncé que
fujet du prix pour la S. Martin de l'année
1759, feroit d'examiner , fi Serapis étoit une
Divinité originaire d'Egypte , ou fi fon culte y
fut apporté de Sinope ; quels font les attributs
diftinctifs qui le caractérisent dans les Auteurs
& fur les Monumens ; quelles pouvoient être
l'origine & les raifons de ces attributs , s'ils
ont éprouvé des changemens , foit dans les
différens âges , foit dans les différens pays où
se culte s'eft introduit.
Après ces annonces , M. Lebeau , Secrétaire
perpétuel , a lu l'éloge de M. Peyffonnel
, Académicien libre , mort Conful
à Smyrne l'année derniere. Cet éloge a
été fuivi de trois lectures.
M. l'Abbé Barthelemy a lu une differta
tion fur l'Alphabet Phénicien , qu'il a découvert
par une Infcription de l'ifle de
Malthe .
M. de la Curne-de Ste. Palaye a la fon
quatrieme & dernier mémoire fur la chaffe
, il a fait voir quel étoit l'état de ce di
vertiffement fous nos derniers Rois , deAVRIL.
1738. 137
puis Henri II , jufqu'à la fin du regne de
Louis XIV .
M. l'Abbé de la Bleterie a lu une differtation
fur l'autorité des Empereurs Romains
dans le Sénat.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences .
Le
mercredi S Avril 1758
, l'Académie
royale
des Sciences
tint fon affemblée
publique
, à laquelle
M. le Duc de Chaulnes
préfida
. M. de Fouchy
Secretaire
, annonça
que le prix de cette année
dont le
fujet étoit fi les corps céleftes
ont des atmofpheres
, & fupposé
qu'ils en ayent , jusqu'où
ces atmospheres
s'étendent
? avoit
été adjugé
à la piece nº . 1 , qui a pour
deviſe
,
Hac cognofcere
primùm
,
Inque Domos fuperas feandere cura fuit.
Dont l'Auteur eft le P. Frifi , Clerc Ré
gulier de la Congrégation de Saint Paul ,
de l'Académie Impériale de Pétersbourg ,
de celle de l'Institut de Bologne , & Profeffeur
dans l'Univerfité de Pife.
Que l'Académie propofoit pour fujet du
prix de 1760 , S'il y a de l'altération dans
Ly
le mouvement moyen des Planetes , & fup..
138 MESURE DE FRANCE.
posé qu'il y en ait , quelles font les caufes de
cette alteration ?
Le même Académicien lut enfuite les
Eloges de MM. de Réaumur & Nicole.
M. de Bélidor lut un Mémoire intitulé ,
Differtation fur les effets de la Poudre relati
vement à la plus forte charge du canon.
M. de Vaucanfon lut la Defcription
d'un nouveau Métier pour les Manufactures
de Tapifferie.
M. Hériffant lut un Mémoire intitulé ,
Eclairciffement fur l'Offification .
1
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Besançon , à la rentrée de
la S. Martin , leLe 15 Novembre 1757%.
M. Loys , Greffier en chef de la Chambre
des Comptes de Dôle , l'un des Affociés
Réfidens de l'Académie , a fait l'ouverture
de cette Séance , par fon difcours de
remerciment.
Pour accomplir l'article de nos ftatuts ,
qui impofe aux Récipiendaires l'obligation
de traiter un fujet dans leurs complimens
de réception , il a lu un ouvrage ,
il s'eft propofé de prouver , que les talens.
font en nous fans être à nous.
où
. Cet Académicien a terminé fon difcours
AVRIL. 1758. 139
par avancer , que tout devoit rendre à l'utilité
publique , & que les piéces académiques
devoient rouler fur des objets utiles ,
par préférence à ceux qui ne font que de
pur agrément.
M. l'Abbé Talbert , Préfident de l'Académie
, a repondu à M. Loys , dont il a
peint le caractere & les talens ; il a enfuite
lu une differtation fur les langues grecque ,
latine & françoiſe , dont voici l'extrait .
L'Auteur , après avoir remarqué , que
la politique littéraire veut qu'on établiffe
entre les diverfes parties de la littérature ,
un certain équilibre qui les faffe régner
avec le même empire , fe plaint de voir
l'étude de l'antiquité & furtout des langues
fçavantes , négligée, fous prétexte que
la langue françoife nous fuffit.
De-là , il prend occafion d'examiner
fi elle a mérité en effet que celles- là foient
oubliées , s'il n'eft pas de l'intérêt de la
nôtre qu'on les cultive , & fi enfin nous
faifons nos efforts pour donner à la langue
françoife les avantages dont elle fe pique .
Pour apprécier le mérite des trois langues
, il en examine le principe , l'énergie
, le tour & l'harmonie. If remarque
que la langue françoife eft trop fouvent infidelle
à fes principes , tandis que les anciennes
en ont d'invariables , & que leurs
140 MERCURE DE FRANCE:
exceptions même ont des loix ; il établit
cinq regles qui font les fondemens de l'énergie
pris dans la nature même. Selon lui ,
pour bien exprimer , une langue doit avoir
des fons forts , un timbre éclatant , elle
doit avoir de la précifion pour rendre la
penſée qui eft rapide & préciſe , elle doit
peindre l'action des objets par le fon des
mots ou par leur arrangement , elle doit
être fufceptible de détails pour préfenter les
objets tout entiers ; enfin elle doit être
abondante , afin de pouvoir tout exprimer.
L'Auteur applique fes principes , &
prouve par l'analyse des trois langues , que
les anciennes l'emportent dans tous ces
points fur la nôtre.
Il parle enfuite du tour de la phrafe , &
il avoue que la période françoiſe a quelque
chofe de plus naturel que la grecque
& la latine ; mais que cet avantage ne regarde
que quelques parties de la phrafe ,
& non la phrafe entiere, comme on le croit
communément.Il balance cet avantage avec
le mérite de l'inverfion grecque & latine
& trouve dans celle- ci une fource de richeffes
& de beautés incompatibles avec
l'uniformité de nos périodes.
Il paffe enfin à l'harmonie , qui eft ſelon
lui , l'unique but de l'inverfion des
anciens. Il fait fentir combien la quantité
AVRIL. 1758. 141
& les accens étoient inutiles aux anciens à
cet égard. Il remarque que la langue françoife
a une quantité & même des accens ;
mais qu'elle les fait trop peu fentir , &
n'en peut tirer aucun avantage furtout
pour les vers ; qu'elle n'y a fuppléé qu'en
rendant fa poéfie d'une difficulté infinie ,
fans la rendre auffi forte que celle des
anciens.
L'Auteur conclut de-là , qu'il feroit né
ceffaire & facile d'enrichir notre langue ;
& il établit des regles fondées fur les préceptes
d'Horace ; mais il fait voir furtout ,
que c'eft aux langues anciennes à nous former
le goût & l'oreille .
: Il finit par fe plaindre des négligences
infinies , des fautes groffieres que l'on fe
permet dans le langage ordinaire , dans le
ftyle des ouvrages , de la rapidité du travail
de nos Auteurs , du peu de goût qu'ils
ent pour limer , & il oppofe leur indolence
auxveilles laborieufes des plus grands
maîtres , qui manioient cependant un langage
plus fécond & plus facile.
M. le Préſident de Courbouton , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , a lu enfuite
des anecdotes fur la vie de Mercurin d'Arborio
, Comte de Gattinara , Préfident du
Parlement de Dôle , Chancelier de l'Em
pereur & Cardinal,
142 MERCURE DE FRANCE .
M. de Grand- Fontaine , Vice Préfident
de l'Académie , fit enfuite lecture de la
premiere partie des mémoires, qu'il fe propofe
de faire fervir à l'hiſtoire d'Antoine
Brun, Plénipotentiaire d'Efpagne aux Conférences
de Munſter.
04
„ ce que
爨
Les reproches que Brun eut à effuyer fur:
fon goût pour les lettres , & la maniere
dont il répondit à fes cenfeurs , fournif
foient à M. de . Grand - Fontaine une occafion
de feconder les vues de l'Académie
en réveillant & juftifiant l'amour des lettres.
Que ces reproches , dit- il , fe re-
" nouvellent encore parmi nous , que des
,, hommes de nos jours foient encore per-1
» fuadés , que les lettres font pour l'efprit
les romans font pour le coeur ,
que ce genre d'étude eft une oifiveté déguilée
, que ce talent, eft la reffource de
ceux qui n'en ont point d'autre.... Voilà
"ce qui feroit foupçonner que l'efprit hu
» main ne doit pas encore dater fes
>> grès de notre fiecle, & il nefera pas effec
» tivement avancé vers la perfection , tandis
que les lettres formeront parmi les
» fciences un rameau de l'arbre, au lieu
d'en être réputées la fever qui doit vivis
fier toutes les branches , tandis que les
idées publiques ne feront pas épurées ,
» ennoblies & fixées au point dés'accorder
pros
AVRIL. 1758. 143
92
»
» à placer les lettres immédiatement après
" les moeurs , dans l'ordre du mérite , & à
enviſager les unes ainfi que les autres ,
» non comme le devoir d'une profeffion
particuliere , mais comme l'ornement
indifpenfable de chaque profeffion.
33
M. l'Abbé Buller a continué par un dif
cours fur l'origine de la poudre à poudrer ;
qu'il a annoncé comme un amuſement littéraire.
Les cheveux font la parure naturelle de
l'homme. C'eſt par cette raifon qu'on a
toujours cherché à corriger ce qu'ils pou
voient avoir de défectueux , & à leur donner
ce qui leur manquoit d'agrément. Les
Anciens les teignoient en blond , parce
que cette couleur leur plaifoit. Quelque+
fois même ils les couvroient de poudre
d'or , pour les rendre plus brillans ; cette
teinture & cette poudre étoient les deux
feuls moyens en ufage parmi eux , pour
parer leur chevelure . Ils ne connoiffoient
point notre poudre à poudrer ; il n'en eft
point parlé dans ce grand nombre d'Auteurs
grecs & latins qui nous font reftés .
Les Peres de l'Eglife qui reprochent avec
tant de force aux femmes chrétiennes , tous
les moyens qu'elles employent pour ſe donner
des agrémens qu'elles n'avoient pas ,
n'ont point fait mention de la poudre. H
144 MERCURE DE FRANCE.
n'en eft point parlé dans nos vieux romans,
qui marquent dans un fi grand détail les
ajuftemens de l'un & de l'autre fexe. On
n'en voit point dans les vieux portraits ,
quoique les Peintres d'alors repréfentaffent
toujours la perfonne de la même maniere
dont elle étoit vêtue & parée.
On lit dans Brantome , que Marguerite
de Valois , qui étoit fâchée d'avoir les cheveux
très-noirs , recouroit à toutes fortes
d'artifices pour en adoucir la couleur: fi la
poudre eût été alors en ufage, elle fe feroit
épargnée ces foins . Le premier de nos écrivains
, qui ait parlé de la poudre , eft l'Etoile
dans fon Journal , fous l'an 1593 .
Il rapporte que l'on vit dans Paris des Religieufes
fe promener dans les rues frifées
& poudrées. Depuis ce temps , la poudre
fe mit peu à peu à la mode parmi nous.
De notre nation , elle a paffé chez tous les
peuples de l'Europe , excepté chez les
Turcs , qui n'en peuvent faire ufage dans
leurs turbans.
M. le Vacher , Chirurgien-Major de
l'Hôpital , l'un des Membres de cette Académie
, a terminé la féance par la lecture
d'un mémoire , fur l'abus des injections dans
les plaies.
Ces Obfervations font inférées dans cet
article, page 134.
ARTICLE
+
AVRIL. 1758 . 145
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
Le fuccès du Journal de Muſique eſt des
plus brillans. M. de la Garde y foutient
avec éclat fa grande réputation . On fçait
que le gracieux , le chantant , le délicat &.
le tendre caractérifent cet habile Muficien.
Que de beautés dans la Cantatille du Songe
, qui commence le Journal de Février !
Le Duo qui la fuit a fait beaucoup de plaifir.
La Brunette , dans le goût de la Romance
, eft déja fçue de tout le monde . Le
Vaudeville qui termine cet ordinaire eſt
léger & fort agréable.
Le Journal du mois de Mars mérite
d'auffi grands éloges. Il commence par le
Triomphe des graces & des talens , Cantatille
avec accompagnement de violon , claveffin
, guittare , féparément , ou avec l'un
ou l'autre de ces inftrumens . L'Ingénue ,
II. Vol. G
**6 MERCURE DE FRANCE.
feconde Cantatille , a le même arrange
ment dans les parties d'accompagnement.
Le Duo a pour titre , le Bon Ménage. Il eft
fuivi d'un air dans le goût du Vaudeville.
Le morceau qui termine ce Journal eft
dans le mouvement du ménuet . La diftribution
s'en fait à Paris au Bureau du Mercure
; chez l'Auteur , rue de Richelieu ,
vis - à - vis la rue Villedot , & chez Prault
& Duchefne , Libraires.
Fragment d'une Leure écrite de Venife.
Vou's voulez fçavoir , Madame , ce que
je penfe de l'Opera Italien : il faut vous
obéir , & vous rendre compte des fenfations
que ce Spectacle m'a fait éprouver.
J'ai vu des falles immenfes & magnifi-
"ques , des théâtres vaftes & pompeufement
décorés , beaucoup de fpectacle , des Acteurs
richement vêtus , des danſes d'une
gaieté & d'une légéreté finguliere ; j'ai
entendu des Chanteurs & des Symphoniſres
merveilleux pour la jufteffe & la préci
fion ; une mufique facile , abondante , légere
, ingénieufe , brillante : mes yeux ont
été enchantés , mes oreilles ravies ; mais
'mon coeur eft refté vuide : j'ai cherché
L'intérêt ; je n'ai trouvé que du bruit , fças
AVRIL 1758. 147
vant & délicieux à la vérité ; j'écoutois ,
j'admirois , je n'étois ni attaché , ni ému .
Qu'est-ce que l'Opera Italien ? Il confifte
en vingt ou trente fcenes de récitatif ,
terminées fidélement chacune par une
Ariette. Les Poëmes ont des beautés , mais
fouvent peu propres à être mifes en mulique
: on y trouve des préceptes , des fentences
, des réflexions , des récits , des expofitions
, des harangues , des éclairciffemens
. Le récitatif a donc dû être mauvais
, d'abord par la nature des paroles
qu'il ne pouvoit rendre ; mais il l'eft encore
plus par lui- même : on n'y apperçoit
qu'une efpece bâtarde entre la déclamation
& le chant , voulant tenir de l'un & de
l'autre , & les gâtant tous deux ; une pfalmodie
aride , monotone & forcée , qui
n'eft propre qu'à contrarier le fentiment
& anéantir l'attention , fans vie , fans ame ,
n'infpirant & ne peignant rien : il faut
rendre juftice aux Italiens , ils ne l'écoutent
jamais.
L'Ariette arrive à la fin de chaque fcene
: le perfonnage ne peut quitter le théâtre
fans l'avoir chantée ; qu'on aſſaſſine
fon pere , il ne peut aller au fecours fans
avoir rempli cette loi ; il faut qu'il chante ,
& fans faire grace d'une feule répétition .
Mérope accufée devant les Etats du Royau-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
me d'avoir fait affaffiner fon mari , exécute
une longue Ariette pour toute réponſe , &
s'en va . Artaban remet à fon fils l'épée
enfanglantée dont il vient d'égorger le Roi ;
on ne fut jamais plus preffé de fuir le
jeune homme chante , & fait des points
d'orgue on ne finiroit pas de rapporter
des exemples pareils tirés des meilleures
Opera.
Toutes les Ariettes ne font pas auffi ridi.
culement déplacées , mais toutes le font
plus ou moins. Souvent la fcene eft terminée
, le perfonnage refte pour rendre en
mufique une penfée ingénieufe qui ne tient
à rien , une maxime , une comparaifon , &
ces comparaifons font toujours tirées des
mêmes objets , dont la répétition ne peut
manquer de paroître froide ; d'autres fois
l'Ariette n'eft que la conclufion même de
la fcene : ce font des ordres , des confeils
des reproches , des incertitudes ; mais en
ce cas , pourquoi quitter la marche du rérécitatif
? pourquoi tout à coup tant de
chant , de bruit , de répétitions fymmétriques
& de cliquetis d'inftrumens ? La nature
défavoue un contrafte fi fubit & fi
bizarre dans une fuite des mêmes fentimens.
Comment place-t'on des roulemens trèslongs
& très - légers dans la trifteffe & la
AVRIL. 1758. 149
douleur comment un point d'orgue termine-
t'il des ordres donnés par un Roi ?
comment le défefpoir le plus violent attend-
t'il la fin de la ritournelle pour éclater
? comment fe permet- il de répéter tant
de fois les mêmes traits ?
Confidérez la longueur périodique de
l'Ariette , fes reprifes , fes retours concertés
, l'excès de fes ornemens , l'action & le
gefte de routine , auquel l'Acteur eſt forcé
par un chant qui l'occupe & le fatigue ; enfin
le défoeuvrement ridicule & inévitable
de ceux qui font en fcene avec lui : fi le
récitatif avoit pu infpirer quelque intérêt ,
il faudroit qu'il expirât à chaque Ariette.
:
Je compare les Ariettes difperfées de
l'Opera Italien à des tableaux qui ornent
une galerie chacun d'eux peut produire
une impreffion ifolée ; mais ils ne fçauroient
jamais concourir tous enſemble à
une émotion totale & continue. L'intérêt
ne marche que par des liaiſons , des nuances
, des gradations imperceptibles ; le
moindre vuide , le plus léger contraſte , la
plus petite interruption l'anéantit : Qui a
jamais dit , ou éprouvé que l'impreffion
d'une Ariette fervît à fortifier celle de la
> fcene précédente ou qu'elle préparât
celle qui doit fuivre ? C'eft le cas dont
parle Horace ; Unus & alter affuitur pan.
Giij
Iso MERCURE DE FRANCE.
nus. Jamais aucun Compofiteur n'a imaginé
de les varier que pour l'oreille : la
nature de l'Ariette eft donc de flatter l'oreille
; mais elle eſt en oppoſition conftante
& abfolue avec l'intérêt . Eh ! qu'eſt-ce
qu'un fpectacle qui dure cinq heures fans
intérêt ? Il faut s'être obftiné à l'écouter ,
pour fçavoir jufqu'à quel point de perfection
l'ennui peut- être porté.
Si je confidere l'Ariette fimplement en
Muficien , je trouve fouvent un fujet heureux
, brillant , naturel même ; mais bientôt
il m'échappe noyé, perdu , fous les ornemens
: l'oreille la plus exercée a peine à
faifir ce Prothée actif à fe varier , à fe contrafter
, à fe tourmenter en cent façons :
toujours même nombre de repriſes , de
variations , de doubles ; qu'il foit queſtion
de tendreffe , de fureur , ou d'une fimple
chanfon , la même marche exifte , on n'y
peut rien changer. La premiere partie de
l'air toujours plus vive , plus ornée ; la feconde
travaillée avec des notes recherchées
, mais moins de mouvement. La
premiere toujours fidélement repriſe avec
toutes les répétitions placées au même
pofte : n'oublions pas les points d'orgue.
qui font exactement l'arriere- garde , les
ritournelles qui précedent toujours le
chant , les coups de force qui terminent
AVRIL. 1758. 15 %
Fair , & les arpeggio qui pourfuivent le
Chanteur après qu'il a fini , & il faut
convenir que c'eft la routine en perfonne
qui a difpofé l'Opera Italien , & les parties
qui le compofent.
En vain les motifs des airs font variés ,
ils font accablés fous la broderie qui les
couvre ; elle eft partout la même , & je
n'apperçois qu'elle.
Je vois la mufique Italienne comme
une coquette bruyante , minaudiere , babillant
joliment , & fouvent ne diſant rien
qui intéreffe ; elle plaît d'abord , & finit
quelquefois par fatiguer ; elle s'annonce
toujours avec fracas , précédée & fuivie
de tout fon cortege , enfevelie dans fa pa¬
rure : n'efperez pas la furprendre jamais
dans une fimplicité naïve , dans un négligé
intéreffant , dans un repos touchant &
tendre ; elle ne veut qu'éblouir , quelquefois
elle s'amufe à jouer le fentiment ; mais
elle ne l'éprouve , ni ne l'inſpire ; toujours
extrême , fi elle l'atteint , c'elt pour aller
au- delà : l'a- t'elle faifi , bientôt elle le défigure
; l'air du caprice fe mêle à fa tendreffe
, le ton de la folie la fuit dans fa
douleur , la fureur de briller éclate jufques
dans fon défefpoir.
Repréfentez - vous enfuite une beauté
noble & intéreffante , tantôt tendre &
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
naïve , tantôt vive & brillante , touchante
, ingénieufe , négligée ou parée ; mais
toujours avec bienféance , dédaignant de
féduire & d'éblouir , ne voulant qu'attacher
, ne prétendant point de fuccès dont
elle ait à rougir , toujours décente même
dans la paffion la plus vive , toujours fidelle
au fentiment jufques dans fa joie la plus
éclatante.
Celle - ci fans doute aura fes partiſans ;
mais la premiere avec tous fes défauts
aura les fiens auffi , & peut-être en plus
grand nombre ; la gaieté , la légèreté ,
l'éclat , ont des droits univerfels : tous les
hommes ont des oreilles , peu de gens ont
une ame ſenſible , un goût jufte , un coeur.
délicat , fufceptible d'une impreffion férieufe
, continue , attachante & profonde.
L'Opera Italien ne préfente aucunes
traces de la variété qui regne dans le nôtre
point de choeurs , point de fêtes liées
au fujet ; vous n'y verrez aucune de nos
belles imitations de la nature , qui annoncent
le débrouillement du cahos , le lever
de l'aurore , des bruits de guerre ou de
chaffe , le foulévement des flots , le fifflement
des vents , la tempête & le calme
renaiffant ; nos belles chanfonnettes , nos
fymphonies céleftes , infernales , fauvages,
paftorales : on n'y trouve point de ces airs
AVRIL. 1758. 153
de chant , d'un genre fimple , tempéré &
doux , qui s'uniffant entr'eux & fe mariant
avec le récitatif , femblent parler
tantôt fi voluptueufement , tantôt fi gaiement
, & qui ont chacun leur caractere ,
& , pour ainfi dire , leur phyfionomie fi
vraie , fi différente & fi décidée ; rien n'y
remplace les tréfors de l'imagination Françoife
; nos bergeries , nos féeries délicieufes
, nos marches , nos facrifices , nos oracles
, nos choeurs , tout tremble devant le
Seigneur... Brillant foleil ... ébranlons la
terre... l'amour triomphe ... nos fcenes fi
bien traitées , nos plaintes fi touchantes ,
que l'on écoute avec une attention fi tendre
, une rêverie fi naïve , un intérêt fi
doux & fi féduifant .
Qu'oppofe t'on à toutes ces richeffes ?
Vingt Ariettes enfilées au bout de vingt
fcenes d'ennui , toutes ces Ariettes marchant
, s'annonçant , finiffant , répétant ,
roulant , reprenant de même. L'Opera
François forme un fpectacle noble , majeftueux
, auffi régulier que varié & intéreffant
dans toutes fes parties : l'Opera Italien
n'eft qu'une Ariette ; il eft abfolument
inécoutable dans la moitié au moins de fa
durée. Les Italiens n'écoutent jamais la
fcene , & c'eft en cela qu'ils ont raifon
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
nous écoutons la nôtre , il me femble que
le procès eft jugé.
A l'égard des Opera bouffons , il ne
leur manque que des Poëmes pour être lé
triomphe de la mufique Italienne ; c'eſt
dans ce genre que fes caprices , fes folies
fes contraſtes les plus bizarres peuvent
trouver une place convenable ; mais la
plupart des Poëmes ne préfentent ni inté
rêt , ni caracteres , ni intrigue , ni détails
ce font des Ariettes fur des grimaces ; la
feule nouveauté peut leur donner une vo
gue momentanée : on fe laffe enfin de facrifier
fon coeur & fon goût à fes oreilles .
Un homme d'efprit qui a pris plaifir à
fe jouer des idées les plus évidentes , a
ofé dire que nous n'avions point de mufi
que ; fon opinion n'a fait que le bruit
qu'elle a dû faire : tant de gens qui ne
fentent pas qu'un raifonnement fatigue &
qu'une Epigramme décide , tant d'hommes
communs qui courent après leur original ,
ne pouvoient manquer d'exciter une rumeur
: fi la mufique n'eft faite que pour
être admirée & non pour être fentie , fi
l'homme n'a que des oreilles , fi fon ame
fi fon coeur , font comptés pour rien , fans
doute M. Rouffeau a eu raifon ; en ce cas
L'agilité du gofier eft tout ; la grace , l'exAVRIL
1758. 155
preffion , le fentiment , font des êtres ima
ginaires ; la danfe fur la corde méritera
feule le nom de danfe ; le menuet , la farabande
feront indignes de ce nom.
Si la mufique ne renferme que des combinaifons
de fons fans expreffion , fans
imitation , je dis qu'elle eft indigne d'un
être qui fent & qui penfe. C'eft le fentiment
feul qui doit être l'objet & la perfection
de l'art . Laquelle des deux mufiques
l'a mieux connu : j'en appelle. J'ai entendu
fouvent les Italiens eux- mêmes gémir des
excès de l'art , & du mauvais goût qu'ils
ont introduit chez eux ( 1 ) . Je ſuis bien
éloigné de prétendre que la mufique Fran +
coife foit fans défauts ; fouvent plaintive ,
monotone , peinée , languiffante , elle récite
trop & ne chante pas affez ; elle a befoin
d'embelliflemens , mais elle a faifi la
vraie route.
Les Italiens poffedent , fans doute , à
un haut degré le génie de la mufique ; mais
l'oreille feule a été l'objet de leurs travaux ;
ils fe font amufés à la féduire par de petites
notes brillantes , rapides & volatiles
ils ont négligé le coeur & le fentiment ,
femblent même quelquefois avoir pris à
tâche de leur infulter ; c'eft ce que l'on
&
(1 ) Voyez l'Effai fur l'Opera Italien , par M.
Algarotti , Mercure de France , 1757.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
voit dans leurs Opera bouffons , où l'imi
tation des fentimens n'eft fouvent qu'une
moquerie ; leur ſcience , leur art même les
a égarés le chant a été fubordonné à la
fymphonie. Le principal perfonnage de
leur Opera n'eft ni Didon , ni Artaxerce ,
c'eſt le premier violon . L'Ariette admirable
dans une fête , eft déplacée dans la fcene ;
elle chante trop , le récitatif ne chante pas
affez : trop oppofés & trop voifins , tous
deux ne font que s'entrenuite ; ils ont méconnu
le beau caractere des voix que la
nature a formées , ils font chanter infipidement
la baffe-taille , & plus encore la
haute contre en revanche , ils fe font
donné des voix factices en dégradant l'humanité.
Titus ne parle , ni ne déclame ;
l'Empereur de Rome n'eft qu'un oifeau
qui gazouille : il leur faut tant de décorations
par Opera , tant d'entrées par
Ballet , tant d'Ariettes par acte & par perfonnage.
Goldoni n'ofa donner une Comédie
fans un Arlequin & un Pantalon . Leur
danſe eſt toute en entrechats , & leur poéfie
en Sonnets.
AVRIL. 1758. 157
PEINTURE.
LETTRE à M. l'Abbé Pernetti , Chevalier
de Saint Jean , à Lyon.
MONSIEUR , un Hiftorien ne sçauroit
être trop attentif à examiner les fources
d'où il tire fes mémoires . La vérité eft la
premiere loi , & il lui eft défendu de céder
à aucune confidération . C'eſt dans ces
termes que vous vous exprimez dans la préface
de vos recherches , pour fervir à l'hiftoire
de Lyon , ou les Lyonnois dignes de
mémoire .
Un Auteur d'auffi bonne foi que vous ,
Monfieur , qui ne fe laffe point de deman
der des lumieres à tous ceux qui lui en
pourront fournir , ne peut pas trouver mauvais
qu'on éclairciffe un fait qu'il expoſe
d'une façon toute oppofée à ce qu'il eft :
c'eft à la page 351 du fecond volume de
votre ouvrage , où il eft fait mention de
l'école gratuite de deffein d'après nature,
que plufieurs amateurs ont formée à Lyon.
Il eft aifé de fentir les motifs qui ont engagé
ceux qui vous ont fourni cet article à
altérer la vérité.
358 MERCURE DE FRANCE.
J'étois à Lyon lors de cet établiſſement ,
& me fuis inftruit avec empreffement de
tout ce qui s'eft pratiqué à ce fujet , tant
par l'intérêt que je prends au progrès des
arts , que par la fincere amitié qui me lie
avec M. Frontier , Peintre d'hiftoire , Of
ficier adjoint & Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculpture , auffi
recommandable par les qualités du coeur ,
que par la fupériorité de fon talent.
Comme les ouvrages d'un Auteur de
votre mérite ſe répandent rapidement , je
me hâte , Monfieur , de vous prier de réformer
dans une feconde édition de votre
ouvrage , Farticle dont il s'agit. Il feroic
injufte de laiffer en fon ordre dans l'idée
du public , un artiſte qui mérite à tous.
égards une diftinction particuliere,
Voici le fait dans l'exacte vérité , dont
je fupprimerai toute fois , quelques circonftances
qui ne font rien au fonds , &
cela pour des raifons que je ne rendrai pu
bliques , que fi le cas l'exige.
Au commencement de la préfente année
1757 , pluſieurs amateurs fe font affo
ciés pour former en cette Ville , & faire
les frais d'une école de deffein d'après nature.
L'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture en ayant été informée , jugeant
qu'il étoit effentiel qu'il y eût à la tête un
AVRIL 1758. 159
fujet capable d'en remplir l'objet , & étant
inftruite que M. Frontier un de fes Officiers
, y tient depuis quelques années avec
fuccès la premiere école de deffein , l'a
nommé feul Profeffeur de ce nouvel érabliffement
, & lui a envoyé des Lettres-
Patentes , avec un extrait de fa délibé
ration.
J'ai eu dans le temps , entre les mains
cet acte qui rend tant de juftice à mon ami
& j'en ai tiré une copie que voici mot pour
mot.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , du famed
19 Janvier 1757.
Le Secrétaire a fait lecture d'une lettre
de Monfieur Frontier , Adjoint & Profeffeur
préfentement à Lyon , dans laquelle
après les complimens ordinaires à la Compagnie
, il lui fait part d'un projet d'école
académique qu'on le propoſe d'établir dans
cette Ville . C'eft le fruit du zele de plu
hieurs Citoyens qui veulent bien contribuer
aux frais néceffaires. Il défireroit s'unir à
des intentions fi louables , en donnant fon
temps & fes foins ; mais fçachant ce qu'il
doit à l'Académie , & connoiffant que fes
privileges font , que les écoles académiques
établies en province , feront gouver
160 MERCURE DE FRANCE.
nées & conduites par les Officiers que
que l'Académie
commettra , il ne s'eft engagé que
conditionnellement , & jufqu'à ce qu'il
foit informé des intentions de la Compagnie.
En conféquence l'Académie , après avoir
délibéré , en vertu des Lettres- Patentes accordées
par le Roi , enrégiftrées en Parlement
le 22 Décembre 1676 , nomme &
inftitue M. Frontier pour gouverner & conduire
l'école académique de la ville de
Lyon, fous fa protection , & en outre l'autorife
( conformément à l'article IV du reglement
, auffi régiftré en Parlement avec
lefdites Lettres - Patentes ) à fe faire ſoulager
dans les exercices ordinaires , par les
gens capables qu'il pourra rencontrer dans
ladite Ville , particuliérement s'il ſe trouve
quelqu'un des Membres de l'Académie
qui veuille fe joindre à lui pour concourir
à cet établiffement utile .
Enſuite il a été arrêté , que le Secrétaire
écriroit à M. Frontier , pour lui témoi
gner la fatisfaction que l'Académie reffent
de fon attachement pour elle , & de fon
zele pour le maintien de fes privileges , &
lui enverroit un extrait de la préfente délibération
, auquel il joindroit une copie
des Lettres-Patentes ci - deſſus mentionnées ,
afin qu'il s'y conforme en toutes choſes.
AVRIL. 1758. 161
Nous , Secrétaire perpétuel & Hiftoriographe
de l'Académie Royale de Peinture
& de Sculpture , certifions que le préfent
extrait eft véritable & conforme à l'original
; en foi de quoi nous y avons appofé le
fçeau de la Compagnie.
A Paris au Louvre, ce 29 Janvier 1757.
Cochin.
J'ai encore un petit grief contre vous
Monfieur ; vous ne faites aucune mention
des Citoyens fi dignes d'éloge , dont le zele
a formé cet établiffement. Leurs noms méritent
cependant , à tous égards , d'être
placés dans un ouvrage qui porte le titre
de Lyonnois dignes de mémoire. J'ai l'honneur
d'en connoître la plûpart , & je faifis
avec empreffement cette occafion de
leur rendre publiquement mon hommage .
Je vous invite , Monfieur , à réformer
cet article ; il eft effentiel pour le fuccès
de votre ouvrage. Si dans un fait récent ,
& qui s'eft paffe fous vos yeux , la vérité eft
altérée , qui conftatera l'authenticité des
autres ?
J'ai l'honneur d'être , &c.
VEROPHILE
162 MERCURE DE FRANCE.
Noms des Amateurs qui ont établi à leurs
frais l'Ecole académique de la ville de
Lyon.
MM. Bertin , ancien Intendant , & Menard
, Secretaire de l'Intendance.
MM. Soubry & Magnial , Tréforiers de
France.
M. Gras , Secretaire du Roi.
MM. Clapeyron ; Parent , l'aîné ; Monlong
, l'aîné ; Geneve , l'aîné ; Lacourt
fils , & Flachon , Négocians.
M. de la Croix , Chanoine de S. Juft .
M. Goiffon , Secretaire de la Compa
gnie.
GRAVURE.
M. MOYREAU , Graveur du Roi en fon
Académie Royale de peinture & de fculpture
, vient de mettre au jour une nouvelle
eftampe , c'est le n°. 85 de fa fuite ,
gravée d'après le tableau original de Philippe
Wowermens , qui a pour titre , Pe
tite Partie de Chaffe , & c. qui eft au cabinet
de Monfieur Crofat , Baron de Thiers.
L'Auteur demeure rue des Mathurins à
Paris.
AVRIL 1758. 163
ARTS UTILES.
GNOMONIQUE.
LETTRE à M. de Boiffy , fur un Cadran
Solaire.
MONSIEUR,
ONSIEUR , vous avez bien voulu , par
le Mercure du mois de Février dernier ,
rendre publique la defcription d'un cadran
tout à fait fingulier.
Cette defcription , qui vous fut adreffée
par M. le Prieur de Courte , eft , à peu
de chofe près , de la derniere exactitude ; je
le fupplie néanmoins de me pardonner , fi
j'ofe en relever une erreur, & fuppléer une
omiffion.
L'erreur confifte en ce qu'il y eft dit ,
que c'est un cadran vertical.; ce qui n'eft
pas : car bien que les lignes horaires foient
repréfentées par des traits de lumiere fur
la furface verticale d'un mur ombragé , il
n'en eft pas moins vrai qu'elles ont été tracées
fur les trois lames de fer évuidées &
percées à jour : or , ces lames étant fituées
en forme d'avant- couvert , elles font toutes
inclinées plus ou moins à l'horizon, de
164 MERCURE DE FRANCE.
forte qu'à parler correctement , ce font
trois cadrans inclinés & déclinans , deftinés
à n'en repréſenter qu'un feul contre le
mur.
M. le Prieur a omis d'obferver , que le
bout du doigt de l'Ange n'indique pás feulement
l'heure préfente ; mais encore la
faifon où l'on eft ; puifqu'au folftice d'hiver
, ce bout de doigt peint fe trouve à
l'extrêmité inférieure des lignes horaires.
Au temps préfent de l'équinoxe , on le
voit vers le milieu de ces lignes , & l'on
le verra fans doute au fölftice d'été à l'extrêmité
fupérieure de ces mêmes lignes : ce
qui doit être entendu de leur apparence lumineufe.
Au refte , on peut dire que cet ouvrage
eft une production
peu commune
, non
pas de l'horlogerie
; mais de la gnomonique
autrement
horographie
, & même on aura
lieu de penfer que ce cadran eft unique en
fon efpece , tant qu'on ne fera pas informé
du contraire.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Dom DAPREVIN , Religieux de l'Abbaye
de la Charité.
De Besançon , ce 17 Mars 1758.
AVRIL 1758.
165
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
Le mardi 4 avril , tous les Spectacles ont
fait leur ouverture. L'Académie Royale de
Mufique a donné Enée & Lavinie , qui lui
a valu une forte recette , Le vendredi a été
encore plus brillant ; il n'étoit pas poffible
qu'il y eût plus de monde. Nous fommes
charmés que le public confirme le fuccès
que nous avions annoncé à M. d'Auvergne.
Il eft d'autant plus flatteur , qu'il ne
le doit qu'à lui -même. Auffi les applaudiffemens
lui appartiennent - ils en entier.
On continue à donner les jeudis , les
Amours des Dieux & la Provençale .
COMEDIE FRANÇOISE,
LESES Comédiens François ont continué les
repréſentations d'Aftarbé . Le public a revu
avec plaifir cetteT ragédie ; il y avoit le
166 MERCURE DE FRANCE.
famedi une affemblée très- nombreuſe.
Nous ajouterons à ce que nous avons déja
dit dans le Mercure précédent , que l'Auteur
doit la plus grande partie de fon fuccès
théâtral au jeu fupérieur de Mlle Clairon.
Cette excellente Actrice rend le rôle d'Aftarbé
avec beaucoup de force & de nobleffe.
Il ne falloit rien moins que fon grand
talent , pour répandre de la chaleur dans
un drame qui renferme plus de traits de
caractere que d'action . Toutes les noirceurs
de Cléopâtre , de Médée & de tous les
méchans illuftres de l'Antiquité, font mifes
fur le compte d'Aftarbé, & prefque toujours
en narration. Une réflexion qui fait honneur
aux fentimens de M. Collardo , c'eft
qu'il eft verfificateur plus élégant , que
confpirateur habile.
On a remis fur le même théâtre le mercredi
Avril , le 5 Glorieux. Mlle Gauffin
y a joué pour la premiere fois & avec diftinction
, le rôle de Soubrette. Qui pouvoit
s'en mieux acquitter ! Cette foubrette
eft une fille de qualité , qui , réduite à
fervir , conſerve les nobles fentimens de
fon origine. Elle reconnoît fon pere accablé
d'infortunes & de miferes : quelle fituation
touchante ? L'Actrice dont nous
parlons , l'a rendue avec tant de pathétique
, qu'elle a arraché des larmes aux plus
infenfibles.
AVRIL. 1758. 167
Cette même piece a été jouée le dimanche
9. Les fpectateurs qui étoient en trèsgrand
nombre , ont tous également renda
juftice au jeu intéreffant de Mlle Gauffin ,
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont ouvert leur
théâtre par la Vie eft un fonge , ſuivie des
Rufes d'amour , Comédie Italienne.
Le fieur Marignan a débuté dans les rô
les d'Arlequin , le mercredis Avril. II
étoit fi intimidé , qu'on n'a pas pu décider
de fon talent.
par
Le jeudi 6 , les mêmes Comédiens ont
donné la premiere repréſentation de la
Nouvelle école des femmes , Comédie en
trois actes en profe , elle eft de M. de
Moiffy , Auteur du Provincial à Paris.
Cette piece a eu le premier jour un plein
fuccès , qui a été confirmé le famedi
les plus grands applaudiffemens & la plus
grande affemblée. L'intrigue en eft fimple ,
les caracteres vrais & le fujet dans nos
moeurs. Que de titres pour prétendre au
fuccès ! Mélite, d'une figure charmante ,
amoureufe de fon époux , fe voit quittée
pour la belle Laure qui eft fille fans
état , qui voit de grands Seigneurs fans
468 MERCURE DE FRANCE .
fortune , & qui vit dans le fafte & l'opulence.
Cette préférence paroît choquante' à
Mélite ; elle forme le projet d'aller confulter
Laure qui ne la connoît pas , fur les
moyens de ramener un perfide. Laure confommée
dans l'art de fubjuguer les hommes
, eft flattée de la confultation : elle
donne fes fages avis , blâme le ton froid
& languiffant de Mélite , & cette prétendue
décence qui eft compagne de l'ennui ;
elle lui reproche de s'abandonner trop à la
paffion , & de ne pas étudier affez les
moyens de plaire. Cette converſation eft
interrompue par un carroffe qui entre dans
la cour. Laure apprend que c'eft Sainphar
qui arrive elle propofe à Mélite de paffer
dans fon cabinet , pour être à portée
d'entendre une converfation qui l'inftruira
encore mieux que les préceptes. Sainphar
entre , Laure le gronde , lui infpire de la
jaloufie , fe radoucit , lui tient des propos
obligeans , chante des paroles que
Sainphar lui a envoyées , propofe à Sainphar
de chanter un duo ; enfin elle développe
l'art de la coquetterie , & finit par
envoyer fon amant à l'Opéra . Mélite fort
de fa prifon , remercie Laure de ce qu'elle
vient de voir & d'entendre. Sur quelques
traits qui échappent à Mélite , Laure découvre
que Sainphar eft fon époux . Il s'é-
C
toit
AVRIL. 1758. 169
toit annoncé garçon. Cette trahifon l'offenfe,
elle promet à Mélite de lui renvoyer
Sainphar dès le même foir.
Mélite arrivée chez elle , prend un habit
de bal ; le Chevalier ami de Sainphar ,
& qui voudroit infpirer à Mélite la vengeance
, lui amene une fête fort à
propos
Sainphar paroît ; les caprices de Laure le
mettent hors de lui -même . Il craint de troubler
la fête qu'on donne chez lui , il veut
fe retirer. Mélite le retient. Dans un ballet
figuré , elle unit l'hymen avec l'amour, Le
Chevalier paroît . Nouvelle entrée dans laquelle
un danfeur habillé comme le Che
valier , veut faire violence à l'amour. Ce
Dieu l'éconduit , & amene Mélite à Sainphar.
Le Chevalier fort confus , & Sainphar
renoue de tendres chaînes avec fon
adorable époufe.
Il nous a paru que le caractere de Laure
étoit d'après celui de Ninon Lenclos . L'efprit
, les talens , les graces & le mépris
des préjugés ; voilà fon portrait: Sans être
efclave de la décence , elle fe refpecte . Ses
moeurs ne font ni licencieufes , ni févéres.
Généreufe , compatiſſante , noble & toujours
adorable , elle écoute l'amour , *&
obtient de la confidération . Ce caractere
eft neuf au théâtre , & il y produit un
grand effer.
11.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE
Ce rôle eft joué fupérieurement par
Mlle. Favart. Les fcenes de la toilette &
de coquetterie , font d'une vérité à s'y méprendre.
Mlle. Catinon s'acquitte à merveille
du rôle de Mélite. Cette aimable Actrice
change, pour ainfi dire, de figure à volonté.
Dans le premier acte , elle est trifte
, férieuſe & pleine de langueur. Cheż
Laure , elle eſt intéreffante & ne reſpire
que la confiance & le fentiment . Au dénouement
, elle eft vive , légere , folâtre
& toujours tendre. Le ballet eft très- bien
deffiné & plein d'action. Il eft de M. des
Hayes.
CONCERT SPIRITUEL.
ON n'a jamais vu les concerts fi brillans
n'a
& fi nombreux , qu'ils l'ont été cette année,
Le Concert du lundi- faint 20 Mars , à
commencé par une fymphonie de M. Rameau,
le neveu , enfuite Jubilate Deo , motet
à grand choeur de M. Mondonville . M.
Piffet a joué un concerto de fa compoft
tion . Mlle. *** a chanté un petit motet de
M. Mouret. M. Balbaftre a joué un nouveau
concerto de fa compofition . Mlle. Lemiere
a chanté un petit motet de M. Mondonville
, & le concert a fini par le moter
d'orgue du même Auteur,
•
AVRIL. 1758 . ་་་
Le mardi - faint 21 Mars , le Concert
fpirituel a commencé par une fymphonie ,
fuivie du Stabat del Signor Pergoleze . M.
l'Abbé Petit a chanté un motet de M. Lefévre
. M. Furler a joué un concerto de violon.
Mlle . Fel a chanté Miferere mei , Deus ,
Pf57. petit moter à voix feule & à grande.
fymphonie , par M. Leboeuf Organiſte de
l'Abbaye Royale de Panthemont , & d'autres.
Le Concert a fini par le motet françois
de M. Mondonville.
Le 22 Mars jour du mercredi- faint , le
Concert a commencé comme le jour précédent
, par une fymphonie & le Stabat.
Enfuite Mlle, Limene a chanté un petit
moter de M. Mouret. M. Taſchi Muficien
de S. A. S. l'Electeur Palatin , a joué fur
la viole- d'amour une fonate de fa compofition
. M. l'Abbé Petit a chanté un motet
de M. Lefevre , M. Balbaftre a joué fur l'orgué
, l'ouverture de Pigmalion , fuivie des
Sauvages. Le Concert a fini
. par De profundis
, motet à grand choeur de M. Mondonville.
Le jeudi- faint.23 Mars , le concert commenca
par une fymphonie & le Stabat . M.
Godard chanta Conferva me , petit motet
de M. Lefévre. M. Vachon joua un concerto
de fa compofition . Mlle , Lemiere &
M. Godard chanterent le premier concerto
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de voix de M. Mondonville . Le Concert
finit , par Nifi Dominus , du même Auteur.
Le vendredi-faint 24 Mars , le Concert
a commencé par une fymphonie de M. Aubert
, enfuite Mifere motet à grand choeur
de M. Delalande . On a exécuté le choeur
de l'Opéra de Jephté. M. Balbaftre a joué
fur l'orgue l'ouverture de Polymnie . Mlle.
Fel a chanté le deuxième concerto de voix
de M. Mondonville. Le Concert a fini
par
De profundis , motet à grand choeur du
même Auteur.
Une fymphonie a commencé le Concert
du famedi - faint 25 Mars , enfuite Exaltabo
te , motet à grand choeur de M. Giraud.
Mlle. Gibért a chanté un petit motet de M.
Mouret. M. Vachon a joué un concerto de
fa compofition. Mile . Fel a chanté un petit
moter pour le jour , & le Concert a fini
par le motet françois de M. Mondonville.
Le dimanche de Pâques 26 Mars , le
Concert a commencé par l'ouverture des
pieces de claveffin de M. Mondonville, enfuite
Cantate Domino , motet à grand choeur
de M. Delalande. On a exécuté le choeur
de l'Opéra de Jephté. M. Balbaſtre a joué
fur l'orgue un nouveau concerto de fa compofition
. Mlle. Lemiere a chanté Regina
cæli , petit motet de M. Mondonville.
Mlle. Fel a chantéun petit motet de Fioco ,
C ^
AVRIL. 1758. 173
& le Concert a fini par Venite , exultemus ,
motet à grand choeur de M. Mondonville.
Le Concert du lundi de Pâques a commencé
par une fymphonie del Signor Geminiani
, enfuite le motet Cali enarrant
de M. Mondonville . M. Vachon a joué un
concerto de fa compofition . Mile . Sixte a
chanté Ufquequò , petit motet de M. Mou
ret. M. Balbaftre a joué fur l'orgue un nou
yeau concerto de fa compofition , Mlle . Fel
a chanté Exultate, jufti , fecond concerto de
voix de M. Mondonville ; le Concert a
fini par le motet françois du même Auteur.
Le Concert du mardi 28 Mars a commencé
par une fymphonie , enfuite Deus
venerunt , moter à grand choeur de feu M.
Fanton. M. de la Croix a chanté Conferva
me , petit motet de M. Lefévre . M. Va
chon a joué le Printems de Vivaldy. Mlle.
Fel a chanté un petit motet pour le jour
Le concert a fini par le motet d'orgue de
M. Mondonville.
Le vendredi avant la Quafimodo du 31
mars 1758' , le Concert à commencé par
une fymphonie fuivie d'un motet de M.
Daveſne. M. Piffet a joué un concerto de
fa compofition. M. Defentis a chanté un
petit moter. M. Balbaſtre a joué ſur l'orgue
, l'ouverture de l'Opéra Languedocien.
Mlle . Fel a chanté un petit motet. Le
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE:
Concert a fini par Nifi Dominus , où Meffieurs
Benoift pere & fils ont chanté.
Le Dimanche de la Quafimodo 2 Avril 1758 ,
le Concert a commencé par une fymphonie ; enfuite
Confitebor , motet à grand choeur de M. de
Lalande. M. Vachon a joué un Concerto de fa
compofition ; on a exécuté le choeur de Jephté.
M Balbaftre a joué fur l'orgue , un Concerto de
fa compofition . Mlle Fel a chanté un petit moter
pour le jour, & le Concert a fini par Venite, exultemus
, motet à grand choeur de M. Mondonville.
Le 3 Avril 1758 , jour de l'Annonciation , le
Concert Spirituel a commencé par une fymphonie
, enfuite Dominus regnavit , motet à grand
choeur de M. Mondonville. M. Vachon a joué un
Concerto de fa compofition ; M. Godard a chanté
Afferte Domino , petit motet de M. le Fevre. M.
Balbaftre a joué fur l'orgue , un Concerto de fa
compofition. Mlle Fel a chanté un petit motet
pour le jour. Le Concert a fini par le motet françois
de M. de Mondonville.
Le moret françois dont nous avons inféré
les paroles dans le dernier Mercure ,
a reçu de nouveaux applaudiffemens le jour
de l'Annonciation . Le Concert étoit ce
jour- là très-brillant. L'on a remarqué dans
ce morceau qui le terminoit , d'heureux
changemens de la part du Muficien. Le premier
choeur , entr'autres , qui avoit paru
trop chargé d'accompagnement , parce qu'il
ouvre le poëme , & fert d'expofition , eſt
maintenant plus fimple , plus diftinct , en
forte que l'on entend parfaitement les paroles.
AVRIL. 1758. 175
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 10 Février.
Au milieu du calme dont jouit cet Empire fous
un Prince pacifique , il y a de temps en temps
quelques révolutions dans le miniftere. Le Mufti ,
le Chiaoux-Bafchi , & les Reis-Effendi ont été depuis
peu dépofés tous trois. Ils ont eu pour fucceffeurs
le premier , Salik- Effendi , Cadiſleker de
Romélie ; le fecond , Bekir- Effendi ; & le troifieme
, le Secrétaire du Grand Vizir.
On eft ici fort occupé d'une nouvelle dont la
confirmation pourroit donner de l'embarras à la
Porte. La grande Caravane qui ſe raffemble tous
les ans au Grand Caire , pour paffer de -là à la
Mecque , eft ordinairement efcortée par les Troupes
du Gouvernement de Damas , au nombre d'environ
trente mille hommes . Le dernier Gouver
neur de cette Province ayant été déposé depuis
peu , s'eft dit- on , mis à la tête d'un grand Corps
d'Arabes , avec lequel il eft tombé fi brufquement
fur la Caravane & fur les Troupes qui lui fervoient
d'escorte , qu'il l'a détruite entiérement ,
& a fait un butin immenfe. Près de cinquante
mille ames , à ce qu'on prétend , ont péri dans
cette rencontre.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
ALLEMAGNE.
DE KONIGSGRATZ EN BOHEME ,
le 7 Mars.
Depuis près de quinze jours , on a fait partir un
Corps de dix-huit mille hommes , commandé par
Te fieur Buchow , Général de Cavalerie , pour faire
lever le fiége de Schweidnitz . La tranchée devant
cette place eft ouverte du 4 de mars.
Le Major Général de Sickowich ayant été chargé
de tenter une entrepriſe fur Liebau , Place qui
étoit occupée par des troupes Pruffiennes , elles
en ont été délogées fans prefque aucune perte de
notre part. Les ennemis dans cette affaire ont eu
cinquante- cinq hommes de tués , & en ont encore
perdu près de deux cents en prifonniers & en
déferteurs. Le reſte a été obligé de ſe retirer à
Landshutt , où l'on affure que le Roi de Pruffe
étoit en perfonne pendant l'attaque de Liebau ..
Tout eft en mouvement dans ce royaume. Le
Corps du Général Marshal doit être arrivé à Ga
bel & à Reechenberg ; le Général Haddick eft à
Toplitz , & le Colonel Mittowski près de Commotau
, avec deux Bataillons de Croates. Ceux - ci
ont envoyé à Prague le 23 Février , feize charriots.
chargés de cuivre & d'argent qu'ils ont enlevés
aux Pruffiens dans le canton d'Erzgeburg en Saxe.
>
La prife de Troppau , dont s'eft emparé le Général
de Ville en forçant la Garnifon Pruffienne ,
nous a coûté très- peu de monde. Les Bavarois
qui faifoient Partie des fix mille hommes employés
à ce coup de main , n'y ont perdu que fept
à huit hommes.
AVRIL 1758. 177
DE DANTZICK , le 15 Mars.
Marienwerder , la derniere place de la Pruffe
Ducale , fut occupée par les Ruffiens le 21 de Février
, & les Magiftrats de cette Ville prêterent le
même jour ferment de fidélité à l'Impératrice de
Ruffie.
Tout le diftri& d'Elbing qui appartient au Roi
de Pruffe , eft obligé de fournir à l'armée Ruffienne
par chaque Mairie , une mefure de bled , une
mefure & demie d'avoine , & quatre quintaux de
foin.
Le Général Fermer a envoyé ordre à Thorn ,
Culm , Graudens , Newenbourg , Mewe , Marienbourg
, & aux Places voifines , d'y préparer des
quartiers pour feize Régimens d'Infanterie , fix de
Cavalerie, & deux mille Cofaques . D'autre part ,
dix mille hommes de Troupes Ruffiennes ont été
réparties dans les Villes de Rifenbourg , Freystad ,
Gardenfée , Marienwerder , & dans les Bourgs ou
Villages voifins.
L'armée Ruffienne eft actuellement de plus de
foixante mille hommes , & elle s'avance par déta
chemens vers la Viftule.
3
Nous apprenons de Lithuanie , qu'un Corps
confidérable de Ruffiens va paffer par ce Grand
Duché , & qu'il doit diriger fa marche par la Pologne
, vers Francfort fur l'Oder. On ajoute qu'un
autre Corps des mêmes Troupe marchera par
Mewe , Stargard , Berend , &c. & qu'il fera la même
route qu'ont fait les Pruffiens en allant en Poméranie.
Il a parn
à huit ou dix lieues
d'ici un Détachement
de Huffards
Ruffiens
, qui nous
a donné
quelque
inquiétude
, par rapport
au bruit
que faf-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
foient courir des gens auffi peu inftruits que ma
intentionnés , que les Troupes Ruffiennes vouloient
mettre ici garniſon . Mais nous fommes
bien raffurés par une lettre que le Général Fermer
a écrite au Réfident de Ruffie en cette Ville . Cette
lettre , datée de Konigsberg & du 17 Février dernier
, eſt conçue ainsi .
CC
Ayant appris que quelques efprits turbulens
» & des Nouvelliftes ont répandu le bruit que j'a
» vois deffein , non - feulement de paffer avec les
» Troupes Impériales que j'ai l'honneur de com-
» mander , par la Ville de Dantzick & le Couvent
» d'Olive , mais encore d'occuper ces Places , je
>> ne puis me difpenfer de vous affurer que cette
» nouvelle eſt très-faufſe & entiérement contraire
» aux ordres de notre Souveraine. Sa Majesté Impé
» riale , au lieu de vouloir incommoder les Villes
» & les territoires qui jouiffent de la protection
du Roi de Pologne & de la République , m'a
» très expreffément ordonné de les regarder com
» me des Places qui participent à l'alliance & à l'a-
» mitié établies entre les deux Cours , & de les
» ménager comme les pays propres de Sa Majefté.
Ainfi les habitans de Dantzick doivent être
» à l'abri de toute crainte , à la faveur des inten-
» tions, bienfaifantes de Sa Majefté Impériale à
» leur égard , intentions dont le temps & toute
» ma conduite juftifieront la droiture . N'avons-
» nous pas la plus belle occafion de faire des con
quêtes d'une autre conféquence pour les Alliés.
» de notre Souveraine , fans penſer à l'occupation
» des Etats qui font fes amis Que Dantzick, foit
> tranquille fur ce point : elle n'a rien à craindre,
» Mais auffi nous espérons que les Dantzickois
» tâcheront réciproquement de témoigner leur
attachement au Roi & à la République de Po
AVRIL. 1758. 179
logne , par leur empreffement à être utiles aux
>> armes de Sa Majesté Impériale » .
»
Après quelques repréfentations faites au Géné
ral Fermer par les Magiftrats d'Elbing , les Trou
pes Ruffiennes ont été reçues dans cette Place , &
le Major Général Stoffel Y commande . La lettre
écrite à ces Magiftrats par le Général Ruffien ,
pour les raffarer , portoit en fubftance : « Que
» les ordres de l'Impératrice de Ruffie étant ex-
» preffément de faire occuper par fes Troupes , fi
» la raifon de guerre l'exigeoit , les Villes d'Elbing
& de Thorn , il ne dépendoit pas de lui de
» laiffer ces Villes à leur propre garde ; qu'au fur-
>> plus il leur donnoit par écrit les plus fortes affu
» rances , que l'entrée des Troupes Impériales ne
>> cauferoit pas dans la Ville le moindre embarras
>> ni aucun dommage ; qu'il lui en reviendroit au
» contraire un avantage très-réel , par l'exacte
» difcipline qui feroit obfervée & par la confom-
>> mation que feroient ces Troupes ; que l'intérêt
>> commun du Roi & de la République de Pologne
» éxigeoit qu'on prft ce parti , & qu'enfin , loin
» que leur préſence dût leur faire la moindre pei
» ne , ils devoient les regarder comme leurs pro
» pres Troupes >> .
Toutes les Troupes Ruffiennes marchent for
trois colonnes. L'une , qui confifte en dix Régimens
d'Infanterie & en mille Huffards , eft commandée
par le Prince
Gallitzin
, Lieutenant
-Géné
ral. La feconde
, auffi compofée
de dix Régimens
d'Infanterie
& d'un Régiment
de Huffards
, eft:
aux ordres
du Lieutenant
-Général
Soltikof
. La
troifieme
, qui eft commandée
par le fieur de
Braun , Général
en chef, eft formée
d'un pareil
nombre
de Régimens
d'Infanterie
& de cinq Régimens
de Cavalerie
, vingt Compagnies
de Gré
Hv
180 MERCURE DE FRANCE.
nadiers à cheval & trois Régimens de Huffards
Les deux premieres fe raffemblent aux environs.
de Marienwerder , où le Général Fermer a établi
fon Quartier Général , & tout fe diſpoſe à paſſer
la Viftule .
Les Troupes légeres font déja des courfes dans
la Pomeranie. Trois cens Huffards , commandés
par un Major, fe font avancés près de Stolpen &
fe font portés à Battow , d'où ils ont amené pour
ôtages le Capitaine , le Bourguemeftre & le Notaire
de la Ville . Ce détachement a rapporté qu'il
n'y avoit pas de Pruffiens cantonnés en deçà de
Stettin , & qu'à leur arrivée les habitans du pays
avoient été dans les plus grandes alarmes ; mais
que la bonne difcipline & la conduite des foldats
les avoient bientôt raffurés furtout lorfqu'ils
avoient vu qu'à l'exception du fourrage , on leur
payoit tour argent comptant . Depuis , les Poméraniens
paroiffent difpofés à ramaffer des vivres
& des fourrages pour l'armée Ruffienne , lorfqu'elle
s'approchera de leurs frontieres.
•
On prétend que le Général Fermer a reçu des
ordres précis de n'obéir à aucun ordre , & de ne
fuivre aucune inftruction qui ne foient fignés de
la propre main de l'Impératrice de Ruffie.
DE VIENNE , le 22 Mars.
L'Impératrice-Reine a ordonné la levée d'un
Bouveau Régiment d'Artillerie de campagne , ou
la paie fera plus forte que dans tous les autres
Corps. Les foldats auront la liberté de ne s'engager
que pour fix ans.
Sa Majesté a donné au Général de Buchow le
Régiment de Cuiraffiers vacant par la mort din
Général Luchef..
AVRIL. 1758. 181
Les motifs du voyage que le Prince de Brunfwick-
Bevern a fait en cette Cour , ne paroiffene
point un myftere ; & voici ce qu'on en publie .
Peu de jours après que ce Prince eut été fait prifonnier
de guerre , il demanda la permiffion d'écrire
au Roi de Pruffe , & elle lui fut accordée :
il écrivit en conféquence , & plus d'une fois ,
mais il n'eut jamais de réponſe . Ce Prince alors
fit demander à l'Impératrice - Reine , comme une
grace particuliere , de pouvoir fe racheter luimême
, & de payer fa rançon. La réponſe de Sa
Majefté fut qu'Elle n'en vouloit recevoir aucune ,
& qu'Elle lui accordoit néanmoins la liberté , mais
gratuitement. Pénétré d'une bonté fi rare ,
Prince eft venu fur le champ épancher fa reconnoiffance
aux pieds de l'impératrice - Reine ; &
après avoir reçu dans cette Cour l'accueil le plus
diftingué , il en eft parti avant -hier.
DE DRESDE, le 10 Mars.
ce
Les fix mille hommes de recrue que le Roi de
Pruffe exige de cet Electorat , fe levent avec la
même rigueur qu'on employe pour toutes les autres
exactions , & cette Ville pour fa part en doit
fournir cent trente- cinq.
Cinq cens hommes des Gardes à pied du Roi
de Pologne , détenus depuis plus d'un an à Magdebourg
, & maintenant réduits aux deux tiers par
la mifere & les mauvais traitemens , viennent
d'être répartis dans plufieurs Régimens Pruffiens ,
fans qu'on ait pu les porter encore à prêter ferment
au Roi de Pruffe. On apprend de Léipfick ,
qu'il en a paffé derniérement quatre-vingts , que
Fon conduifoit fous bonne efcorte à Freyberg ,
pour les incorporer dans le Régiment de Hulfen.
182 MERCURE DE FRANCE.
Le Maréchal Keith a quitté ce canton , pour
s'avancer dans le Voigtland avec une partie du
Corps qu'il commande ; & la troupe du partiſan
Meyer , renforcée de quelques efcadrons de Huf
fards , s'eft portée jufqu'à Plaven .
DE LEIPSICK , le 13 Mars.
Les Décrets du Directoire de Torgau , qui fe
multiplient tous les jours , achevent d'épuifer cet
Electorat ; & voici la lettre adreffée le 14 de Février
par le Maréchal Keith au Baron de Borck ,
Miniftre Pruffien en cette Ville . « Monfieur , j'ai
» reçu hier un ordre du Roi , par lequel S. M. me
» charge de faire lever fur la Ville de Drefde la
fomme de cinq cens mille écus. , d'employer
» pour cet effet les plus rigoureufes exécutions ,
» de n'épargner abfolument perfonne , & de chat-
» ger particuliérement les Catholiques Romains ,
» & ceux qui ont des charges à la Cour. J'ai déja
» notifié ces ordres aux Magiftrats qui font la
répartition de cette fomme fur la Ville. Il- eft:
vrai que je ne me flatte pas de la tirer en entier;
» mais comme je veux employer toutes les rigueurs
dont les François ont ufé à Halberstadt ,
»je compte en pouvoir tirer une bonne partie.
» Cet exemple fera peut- être de quelque utilité
» aux Etats affemblés à Léipfick . Car V. E. peut
» les affurer , que le refte de la Saxe ne fera pas
» plus épargné que la Capitale , & que puifqu'on
» nous oblige à fuivre de mauvais exemples , ils
» doivent en porter la peine. Je ne vois qu'un
» moyen qui puiffe les garantir d'une ruine tota
» le , c'eft de faire leurs derniers efforts pour con-
» tenter le Roi qui ne veut plus être amuſé debelles
paroles . Jufqu'ici la Saxe a été peu traitée
par
AVRIL 1758. 18
en pays ennemi ; mais je vois que les ménage
» mens tirent à leur fin , & que le Roi irrité des
» ravages que les ennemis ont faits dans fes Etats
»pourra bien faire reffentir , par de juttes repré-.
failles , les triftes effets de fon indignation . Jas
» déja déclaré ici que je ne permettrois plus de
» faire aucunes repréfentations à S M. que j'avois
» reçu les ordres , & que je trouverois bien moyen
» de les mettre à exécution , & c. »
Ainfi les éxactions inouies que les Pruffiens ,
depuis leur invafion , n'ont fait que continuer ou
multiplier , font colorées aujourd'hui du nom de
repréfailles , & nous payons pour Halberstadt.
La nouvelle monnoie que l'on frappe actuellement
dans le Château de Pleiffenberg , eft au coin
du Roi de Pruffe.
DE RATISBONNE , le 18 Mars.
Toutes les lettres du Duché de Mecklenbourg
ne parlent que de l'excès des demandes , ou des
ordres violens adreffés par le Maréchal de Lehwald
aux habitans de ce Duché . Indépendamment
de plus de cent mille facs de farine qu'ils ont été
contraints de nouveau de faire voiturer à Demmin
, & des contributions en argent qui ne pour
ront jamais être acquittées ; ils font encore forcés.
de livrer , 1°. feize cens chevaux pour la Cavalerie
, tous noirs, ou bay-bruns , taille de cinq pieds ,
& de cinq à fix ans , avec les conducteurs néceffaires
pour les amener à Berlin , ou à Francfort
fur l'Oder ; 2 ° Quinze cens chevaux de trait pour
le tranfport des vivres , & quatre cens hommes
pour les conduire ; . 3 Trois mille hommes de
recrue , robuftes & de taille , dont mille tirés des
domaines & terres du Duc , mille fournis par les
·
184 MERCURE DE FRANCE.
Etats , & pareil nombre par les Villes. La fenfe
Ville de Roftock entr'autres , en doir fournir deur
cens cinquante.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
M. l'Abbé Agoult , Chanoine & nouveaut
Doyen de l'Eglife de Paris , fut préſenté au Rož
le 17 Mars.
Le 19 , Dimanche des Rameaux , le Roi , ac
compagné de Monfeigneur le Dauphin , de Ma→
dame la Dauphine , de Madame Infante , de Ma
dame , & de Mefdames Victoire , Sophie & Louife
, affifta à la Bénédiction des Palmes . Cette céré
honie fut faite par M. l'Abbé Gergoy , Chapelain
ordinaire de la Chapelle- Mufique , qui préfenta
ane palme à Sa Majefté. Le Roi affifta de même à
la Proceffion & à l'adoration de la Croix. Enfuite
Sa Majesté entendit la grand'Meffe , qui fut aufft
célébrée par M. l'Abbé Gergoy , & chantée par la
Mufique.
La Reine affifta dans fa tribune à l'Office.
Le Roi ayant donné fon agrément à M. le Marquis
de Gefvres pour fon mariage avec Damoifelle
Françoife-Marie du Guefclin , Leurs Majeftés & la
Famille Royale, en fignerent le contrat le 19 Mars.
Le Roi a accordé à M. le Marquis de Gefvres la
furvivance du Gouvernement de l'Ile de France
de la Capitainerie Royale de Montceaux , & dis
Brevet de retenue de cinquante mille écus accor
dé au Duc de Trefmes fon pere.
AVRIL. 1758. 189
Leurs Majeftés & la Famille Royale fignerent
auffi le même jour le contrat de mariage de M.
Hérault de Séchelles , Colonel du Régiment de
Rouergue , avec la Demoiſelle de la Lande-
Magon,
Le jeudi-faint , M. l'Evêque de Dol ayant fait
l'Abfoute , & le Roi ayant entendu le Sermon de
la Cêne du Pere Boule , Religieux Cordelier , Sa
Majefté à lavé les pieds à douze pauvres , & les a
fervis à table. M. le Prince de Condé , Grand-
Maître de la Maiſon du Roi , étoit à la tête des
Maîtres d'Hôtel , & il précédoit le fervice. Les
plats étoient portés par Monfeigneur le Dauphin ,
MM. le Duc d'Orléans , le Prince de Conty , le
Comte de la Marche , le Comte d'Eu , le Duc de
Penthievre , & par les principaux Officiers de Sa
Majefté . Après cette cérémonie , le Roi & la Reine
fe font rendus à la Chapelle , où Leurs Majeftés
ont entendu la grand'Meffe , & ont enfuite affifté
à la Proceffion.
Le Roi a accordé à M. le Marquis de Mont
mort , Major de fes Gardes , l'expectative de Comi
mandeur honoraire de l'Ordre de Saint Louis . Sa
Majefté lui a donné , en attendant , la permiffion
d'en porter les honneurs.
Quatre Bataillons des Gardes Françoiſes font
partis d'ici les 9, 11 , 13 & 15 de Mars pour Saint.
Omer , où ils doivent être rendus en dix jours , &
deux Bataillons des Gardes Suiffes le font mis en
marche le 9 & le 11 pour la ville d'Aire , où ils
ont dû être rendus dans le même eſpace de
temps.
Le Parlement a enrégiftré le ro de Mars deux
nouvelles Déclarations du Roi : la premiere , por
tant Réglement fur la diftribution & le jugement
des procès ou inftances qui étoient pendans dans
186 MERCURE DE FRANCE:
:
les quatrieme & cinquieme Chambres des Enquée
tes du Parlement de Paris , lors de la fuppreffion
d'icelles la feconde , concernant le rembourfement
de foixante Offices de Confeillers Laïcs , de
quatre Offices de Confeillers - Clercs , & d'une
Commiffion des Requêtes du Palais , vacans ou
fupprimés en exécution de l'Edit du mois de Décembre
1756.
La difette exceffive des fourrages a déterminé
M. le Comte de Clermont à paffer le Wefer, pour
fe porter fur Paderbon , & ce Prince s'eft mis en
marche le 17 de Mars.
Le 23 , la Reine entendit le Sermon de la
Cêne de M. l'Abbé d'Eſpiard , Chanoine de la
Métropole de Befançon , & Confeiller Clerc au
Parlement de la même Ville. M. l'Evêque de Dol
fit enfuite l'Abfoute , après laquelle Sa Majefté
lava les pieds à douze pauvres filles & les fervit à
table .M. le Marquis de Chalmazel , premier Maî
tre d'Hôtel de la Reine , précédoit le ſervice , dont
les plats étoient portés par Madame la Dauphine ,
Madame Infante , Madame , Madame Sophie ,
Madame la Princeffe de Condé , les Dames du Palais
, & plufieurs autres Dames de la Cour .
LeursMajeftés & la Famille Royale ſe rendirent
le même jour für les dix heures du ſoir à la Chapelle
du Château , & firent leurs prieres devant
'Autel où le Saint Sacrement étoit en dépôt.
Le 24 , jour du vendredi - faint , le Roi & la
Reine , accompagnés de Monfeigneur le Dauphin
, Madame la Dauphine , Madame Infante ;
Madame , & de Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , entendirent le fermon de la paffion du
Pere Chapelain , Jéfaite .
Le 26 , Fête de Pâques , le Roi , la Reine &
la Famille Royale , entendirent la grande Meffe
AVRIL. 1758. 187
célébrée pontificalement par M. l'Evêque de Dol';
& chantée par la mufique.
Le 28 , le Roi , la Reine & la Famille Royale
fignerent le contrat de mariage de M. le Marquis
de Damas- Dantlezy avec Demoifelle Tillieres , &
celui de M. de Lamoignon de Baville , avec la
Demoiſelle Berryer .
Le même jour , le Roi tint le Sceau
vingt-fixieme fois.
pour la
Sa Majesté a donné le Régiment de la Couronne
, vacant par la démiffion du Comte de Pólaftron
, au Comte de Montbarey , Colonel dans le
Régiment des Grenadiers de France , & la place
de Colonel dans le même Régiment , à M. le Mar
quis de Montefquiou , Capitaine dans le Régiment
du Roi , Cavalerie.
Voici le détail qu'on a reçu du fiége de Minden
Le 4 du mois de Mars , l'armée Hanovrienne
déboucha des bois de Thaudozen & y campa le
lendemain 5.Le Prince Héréditaire de Brunſwick
& M. Dauberg , Lieutenant- Colonel , chargés du
fiége , envoyerent fommer M. le Marquis de Morangies
, Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
qui commandoit dans Minden , de ſe rendre , en
lui offrant la capitulation qu'il pourroit défirer ..
M. le Marquis de Morangies refufa toute propofition
, & répondit qu'il vouloit fe défendre. Le
même jour , la place fut inveftie par toute l'armée.
Le 6 , le Prince Ferdinand de Brunſwick s'empara
des gorges en avant de Minden , & établit fon
Quartier Général à Hill . La nuit du 6 au 7 , Pennemi
ouvrit la tranchée devant la place hors de la
portée du canon , & dans la nuit du 7 il perfectionna
la premiere parallele. Le 8 , M. le Marquis
de Morangies ordonna une fortie de so Volontaires
d'Infanterie & de sa Volontaires de Hay
188 MERCURE DE FRANCE.
nault à cheval , pour aller enlever dans les Villa
ges voisins , où l'ennemi avoit des poftes de ca
valerie , des moutons , des boeufs , des , vaches &
d'autres provifions ; ce qui fut exécuté fans peine ,
parce que les ennemis fe retirerent à l'approche
du détachement qu'ils crurent plus nombreux:
ainfi le convoi entra dans la place fans aucun inconvénient.
Le 9 , les affiégeans poufferent deux
zigzags en avant dans la premiere parallele. Le
10 , ils formerent la feconde parallele & acheverent
d'embraffer le front de l'attaque. Le même
jour , M. le Marquis de Morangies ordonna une
fortie de 100 hommes , pour faire entrer du bois
dans la place , dont la garnifon paffoit toutes les
nuits au bivouac , ainfi que pour reconnoître en
même temps les travaux des ennemis & les tâter.
Le feu fut affez vif de part & d'autre ; on leur tua
10 à 12 hommes , & les deux objets furent remplis.
Le 11 , les ennemis poufferent deux zigzags
en avant de la feconde parallele , & ils établirent
deux batteries de trois pieces de canon chacune ,
qui tirerent avec fi peu de fuccès , qu'ils firent
ceffer. Dans l'après-midi du même jour , ils éta
blirent une autre batterie de trois pieces de canon
qui tira fur la place : cette batterie fut bientôt
éteinte par le feu fupérieur de notre artillerie . Lé
12 , les ennemis établirent cinq batteries de fix
pieces de canon de 17 & de 33 , & une batterie
de fix mortiers , qui jettoient des bombes de huit
pouces. Toutes ces batteries furent en état de tirer
Le matin , à la réſerve d'une feule qu'ils ne démaf
querent point : quelques maifons du rempart furent
endommagées ; cependant leur feu n'eut pas.
un grand fuccès , parce qu'on leur oppofa un feu
d'artillerie qui les incommoda beaucoup . Le mê
me jour , on commanda cinq Compagnies de Gre↓
AVRIL. 1758. 189
nadiers & cinquante Volontaires , pour faire une
fortie & pour attaquer la tranchée. L'ennemi fa
trouva partout en force , parce que précisément
alors on relevoit la tranchée. Le 13 , les ennemis
firent la troisieme parallele & rapprocherent leurs
batteries à so toifes de la contrefcarpe ; ils firent
pendant toute la journée un feu terrible , & ils jetterent
une fi prodigieufe quantité de bombes dans
la Ville , qu'ils y mirent feu . Le foir , nos batte
ries fe trouverent en mauvais ordre & la poudre
manqua. Dans cette extrêmité , les Commandans
des Corps s'affemblerent chez M. le Marquis de
Morangies , où il fut conclu de rendre la place.
Pat la capitulation , qui fut fignée le 14 , la Garni
fon a été faite prifonniere de guerre.
M. le Duc de Broglie a évacué Caffel , & il s'eft
mis en marche le 23 avec toutes les Troupes qui
fent fous les ordres , pour joindre l'armée de M.
le Comte de Clermont. Il n'y a aucun Corps ennemi
à portée de s'opposer à cette jonction.
Le onzième tirage de la premiere Loterie
Royale , fe fit le 16 du mois dernier & les jours
faivans. Le principal lot eft échu au numero 376393
le fecond lot au numero 27416 , & la prime de
20000 livres au numero 19214.
Le Roi , la Reine , & la Famille Royale fignerent
le 2 d'Avril , le contrat de mariage de M.
le Marquis de Chauvelin , Lieutenant- Général
des Armées de Sa Majefté , & fon Ambaffadeur
auprès du Roi de Sardaigne , avec la Demoiſelle
Mazade d'Argeville , & celui de M. le Marquis
d'Avarey , avec Angélique- Adélaïde Sophie de
Mailly-de Rubempre.
Le trois Avril , le Duc d'Aumont , Premier
Gentilhomme de la Chambre , & la Ducheffe de
Luynes , Dame d'Honneur de la Reine , tinrent
190 MERCURE DE FRANCE.
au nom du Roi & de la Reine fur les fonts de Bap
tême , à la Paroiffe du Château , l'enfant du fieur
Chatelain , Contrôleur ordinaire de la Bouche du
Roi.
Le cinq , le Baron de Lichtenſtein , Miniſ
tre Plénipotentiaire du Duc de Saxe-Gotha , eur
une audience particuliére du Roi , dans laquelle il
préfenta à Sa Majefté ſes Lettres de rappel. Il fut
conduit à cette audience , ainſi qu'à celles de la
Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de Madame
la Dauphine , de Monfeigneur le Duc de Bourgo
gne , de Monſeigneur le Duc de Berry , de Monfeigneur
le Comte de Provence , de Madame Infante
, de Madame , & de Meſdames Victoire , So.
phie & Louife , par le fieur Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs.
Le même jour , M. l'Evêque d'Orleans prêta ferment
entre les mains du Roi , pour l'Evêché de
Condom ; & M. l'Evêque de Digne , pour l'Evê,
ché d'Orleans.
Suivant la difpofition faite par le Roi des emplois
de la Gendarmerie , la Soulieutenance des
Gendarmes de Flandres eſt donnée à M. le Cointe
de Saint-Chamans, premier Cornette ; la premiere
Cornette des Chevaux- Légers de Bourgogne, à M.
le Baron de Breteuil , Guidon ; le Guidon des Gendarmes
d'Orléans , à M. le Comte de Noé , Capitaine
dans le Régiment de Cavalerie de Viefville ;
la Soulieutenance des Chevaux- Légers d'Orléans ,
à M. le Comte de Fougieres , Enſeigne ; l'Enfeigne
des Gendarmes d'Orléans , à M. le Comte de
Choifeul-Savigny , fecond Cornette ; la feconde
Cornette des Chevaux - Légers de la Reine , à M.
de Marquis de Crenolles , Lieutenant dans le Régiment
d'Infanterie du Roi,; .la Compagnie des
Chevaux-Légers de Bourgogne , à M. le Comte
A VRIL. 1758. 191
Herbouville , Soulieutenant ; la Soulieutenance
des Gendarmes d'Aquitaine , à M. le Comte de Cuf
tines de Guermnage, Enfeigne; l'Enſeigne des Gendarmes
de Flandres , à M.le Comte de Roncé fecond
Cornette; la feconde Cornette des Chevaux - Légers
d'Orléans , à M. le Baron de Choiſeul- Buffiere
Lieutenant dans le Régiment du Roi , Infanterie ;
le Guidon des Gendarmes Ecoffois , à M. le Comte
de Saiffeval , Guidon des Gendarmes de Berry ;
le Guidon des Gendarmes de Berry , à M. le Mar
quis le Veneur , Moufquetaire ; le Guidon des
Gendarmes Bourguignons , à M. le Marquis de
Valençay , Capitaine dans le Régiment du Commiffaire
Général de la Cavalerie ; la Soulieute
nance des Gendarmes Bourguignons , à M. le
Marquis de Carvoifin d'Achy , Enſeigne ; l'Enfeigne
des Gendarmes Dauphins , à M. le Comte
de Caftellane , fecond Cornette ; l'Enfeigne des
Gendarmes de Bourgogne , à M. le Marquis de
Seran , Guidon ; le Guidon des Gendarmes Dauphins
, à M. le Comte Dauvet , Aide- Major dans
le Régiment des Gardes Françoifes ; la feconde
Cornette des Chevaux- Légers d'Aquitaine , à M.
le Marquis de Lambertie , Moufquetaire , & le.
Guidon des Gendarmes de Flandres , à M. le Mar
quis d'Houdetot , Lieutenant en fecond dans le
Régiment du Roi , Infanterie.
Sa Majesté vient d'accorder des Croix de Saint
Louis & différentes graces aux Officiers qui ſe font
diftingués à l'attaque du pont de Weiffenfels , fous
les ordres de M. le Marquis de Crillon . Les Gre
nadiers des deux Compagnies du Régiment de
Saint Chamond , qui dans cette action ont mar
qué beaucoup de valeur , ont auffi reçu du Roi
chacun une gratification.
Le Roi a nommé Brigadier d'Infanterie M. de
2192 MERCURE DE FRANCE.
Buffy , qui , depuis fept ans , commande en chef
les Troupes Françoifes dans le Dekan aux Indes
Occidentales.
L'Armée du Comte de Clermont eſt arrivée à
Wezel , fans avoir été inquiétée dans fa marche.
Les Troupes qui étoient dans Caffel & dans le
pays de Hefle , font actuellement à Duffeldorp ,
Capitale du Duché de Bergues , & dans les environs
de cette Ville . Elles s'y font rendues , fans
rencontrer le moindre obſtacle de la part des ennemis.
La nuit du 3 Mars au premier Avril , M. le
Comte de Clermont fut attaqué d'une violente &
douloureuſe efquinancie , qui a mis ſa vie en danger.
Il a été faigné trois fois dans le même jour ,
& on a employé fi à propos les remedes convenables
, que la fanté de ce Prince eft parfaitement
Tétablie.
Les Gazettes d'Angleterre font monter le nombre
des vaiffeaux que les François leur ont pris ,
depuis le 29 Octobre 1757 , juſqu'au 10 Janvier
dernier , à cent cinquante-deux , non compris
plufieurs autres bâtimens , comme chaloupes &
Bateaux de Pêcheurs , & le nombre des vailleaux
François pris par les Anglois , pendant le même
temps , à cent navires. Ainfi , felon eux , nos prifes
excedent les leurs d'environ foixante vaiffeaux.
Le Capitaine Guitton , commandant le Corfaire
le Don de Dieu , de Calais , a rançonné pour
125 guinées deux bâteaux Anglois dont il s'étoit
emparé!
Le Corfaire le Machault , de Granville , a pris
& conduit à Saint- Malo le Navire Anglois le Sa-
Pisbary , de Liverpool, qui alloit à la côte de
Guinée avec une cargaifon d'eau - de- vie , de fer ,
de poudre de guerre , de fufils , de pistolets de
toiles
AVRIL. 1758. 193
toiles peintes , & autres marchandifes propres
pour la traite des Negres.
Le même Corfaire s'eft rendu maître des Navites
Anglois le Recovry & l'Europe , & il les a rançonnés
pour 19 mille livres.
Le Capitaine le Tourneur , commandant le
Mefny , autre Corſaire du même port , y a conduit
un Bateau Anglois chargé de vin de Florence ,
d'huile d'olive & de raiſins .
Le Navire Anglois le Samuel , de 300 tonneaux ,
allant de Saint - Chriftophe à Londres , avec un
chargement compofé de 366 boucaurs de fucre ,
& de 10 bottes de vin de Madere , a été pris par
le Capitaine le Roi , commandant.le Corfaire le
Comte de Langeron de Saint- Malo , où il a été
conduit.
Le Navire Anglois le Laurier, pris par le Cor
faire la Revanche de Dunkerque , a été conduit
dans le port d'Abreuvaç en Bretagne. Il eſt chargé
de tabac , de favon & d'autres marchandiſes.
Les Frégates du Roi , la Calypfo & l'Eclair , ſe
font emparés du Corfaire Anglois le Tartare , de
Briftol , armé de 12 canons , 10 pierriers , 71
hommes d'équipage , & elles l'ont conduit dans
la rade de l'ile Daix.
Le Corfaire la Comteffe de la Serre , de Dunkerque
, y a conduit le Navire Anglois lá Lady-
Liveſtown , de 60 tonneaux , chargé de vin , d'eaude-
vie & de graine de lin.
Le Senaw Anglois la Providence , de 120 tonneaux
, ayant pour cargaifon 8 à 10 barriques
d'eau- de-vie , go barriqués de vieux fer , 7 balles
de lin , & 30 petits barrils de falpêtre , a été pris
par le Corfaire le Moiffonneur , de Calais.
Deux autres Corfaires de ce port , appellés ;
P'un le Don de Dieu , l'autre le Bart, ont remis à
11. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Dunkerque les ôtages qu'ils ont pris , pour affu
rer le paiement de quatre rançons montant enfemble
à 375 guinées .
Le Navire Anglois les Amis , de 200 tonneaux ,
chargé de farine , de biere , & d'autres vivres &
marchandifes deftinées pour Gibraltar , a été pris
par le Corfaire la Revanche , de Dunkerque , qui
l'a fait conduire au Havre.
Le Corfaire la Bellone , de Saint - Malo , a pris
& conduit à Cherbourg le Navire Anglois le Butterfly
, de 70 tonneaux , chargé de 130 futailles
de vin de Madere .
Il est arrivé à Saint -Malo deux prifes faites par
le Corfaire l'Augufte , de ce port : l'une eft le Senaw
l'Anne , de 120 tonneaux , chargé de riz ,
d'indigo & de bois d'Acajou ; l'autre eft le Sloup
l'Endeavour , de so tonneaux , allant de Briſtol
à la nouvelle Angleterre , avec un chargement de
vivres & d'autres denrées , deſtinés pour cette Colonie.
Le Capitaine Naguille , commandant le Corfaire
le Labourt , de Saint- Jean-de-Luz , a pris &
conduit à Bayonne le Navire Anglois la Liffe , de
Liverpool , ayant pour cargaison 296 boucauts de
fucre , 12 barriques de taffia , 10 barriques d'indigo
, 10 barriques de café , &c. & un autre bâtiment
chargé de goudron.
Le Chevalier Barrot , autre Corſaire de Bayonne
, a conduit à Saint-Sébaſtien un Navire Anglois
chargé de 450 barrils de riz & de quelques pelleteries.
1 I
On écrit du Havre de Grace , que le Corſaire
la Comteffe de Filtz-James , de 30 canons , a relâché
à Granville , après s'être longtemps battu
contre un Vaiffeau de guerre ennemi de o cas
Aons , qui n'a pu s'en rendre maître.
AVRIL. 1758. 195
eLe Capitaine Robert , commandant le Corfairela
Comtelle de la Serre , de Dunkerque , y a fait
conduire un Bâtiment , dont la cargaifon compofée
d'indigo , de fucre , de café & d'autres marchandiſes
, eft eftimée plus de trois cents mille
livres.
Le Navire Anglois la Prospérité , de Dublin , a
été pris par le Corfaire la Marquise de Mazelet ,
de Boulogne , qui l'a rançonné pour fept mille
deux cents livres.
Le Comte de Valence , autre Corſaire du même
port , a pris & conduit à Cherbourg un Bâtiment
Anglois chargé de laine , de fer , de taffia , & de
quelques barriques de fucre.
Il est arrivé à Saint- Malo un Corfaire Anglois
appellé la Défiance , de Jerzey, armé de 6 canons ,
6 pierriers & 74 hommes d'équipages : c'eft le
Corfaire la Bellone , de ce port , qui s'en eft rendu
maître.
On mande de Bayonne , que les Capitaines
Guillaume Lavernis & Pierre-Denis Labat , commandant
les Corfaires l'Aurore & le Chevalier
Barrau , de ce port , y ont fait conduire , l'un
le Navire Anglois le Guillaume , dont la cargaifon
confifte en huile de poiffon & en merrains ;
Pautre , un Bâtiment appellé le Tom , de Philadelphie
, chargé de riz.
1.
Le Capitaine de Laire , commandant le Corfaire
la Marquife de Nazelle , de Boulogne , s'eft
emparé des Bateaux Anglois le Moineau & la Bonne-
Amie, & il les a rançonnés , l'un pour so ,
l'autre pour 60 livres fterlings.
Les Corfaires le Comte de Valence & le Comte
d'Ayen , de Boulogne , ont fait conduire à Cherbourg
un petit Navire Anglois chargé de bled.
Le Navire Anglois la Providence , de Bristol ,
I ij
196 , MERCURE DE FRANCE.
armné de 8 canons , & ayant pour chargement 210
boucauts de fucre blanc , 20 tonneaux de gingem
bre , & 200 dents d'éléphant , a été pris par le
Corfaire le Macbault, de Grandville , & conduit
à Morlaix. 2
Le Capitaine Deftouches , commandant le Mara
quis de Marigny , autre Corfaire de Granville , a
rançonné pour 17000 livres un Navire Anglois
dont il s'étoit emparé.
Le Corfaire le Moras , de S. Malo , s'eft rendu
maître du Navire Anglois le Bafton , de 199 100-
neaux , dont la cargaison confifte en 1400 barrils
de goudron , so barrils de brai , & quelques doug
velles .
On mande de Bayonne qu'il y eft arrivé un Nad
vire Anglois appellé le Pemberton , de 450 ton
neaux , armé de 18 canons & de 4s hommes d'é
quipage , dont le Corfaire le Machault , de ce
Port , s'eft rendu maître .
S₁
BÉNÉFICES DONNÉS,
Majeſté a donné l'Abbaye du Tréport , Om
dre de Saint Benoît , Dioceſe de Rouen , à M.
Abbé Comte de Lagnafco , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi de Pologne , Electeur de Saxe , à
Rames l'Abbaye de Poultiere , même Ordre ,
Diocefe de Langres , à M. l'Abbé de Saintnom ,
Confeiller au Parlement ; l'Abbaye de Sainte Co
lambe , même Ordre , Diocefe de Seas (fur la démiffion
de M. l'Evêque de Mende ) à M. l'Abbé de
Livry, Evêque in partibus ; l'Abbaye de Saint
Crefpin- le - Grand , même Ordre , Dioceſe de
Soifons , à M. PAbbé d'Héricourt , Confeiller an
Parlement ; l'Abbaye de Lonlay , même Ordre ,
f
AVRIL 1758. 197
Dioceſe du Mans , à M. l'Abbé de Clery-de Serans
, Chanoine de Merz ; l'Abbaye de Quimperlé
, même Ordre , Dioceſe de Quimper , à M.
P'Abbé Berthelot , Inffituteur des Enfans de France
; l'Abbaye de Tirronneau , Ordre de Câteaux ,
Diocefe du Mans ( fur la démiffion de M. l'Evêque
de Mende ) à M. l'Abbé de Saint-Simon ,
Vicaire Général de Touloufe ; l'Abbaye de la
Cafe-Dieu , Ordre de Prémontré, Dioceſe d'Auch,
à M. l'Abbé de Vienne, Chanoine de Notre- Dame ;
PAbbaye de Saint Severin , Ordre de S. Auguf
tin , Diocefe de Poitiers , à M. l'Abbé de la Noue ;
P'Abbaye de Reffons , Ordre de Prémontré ,
Diocefe de Rouen , à M. l'Abbé de Salignac- de
Fénélon , Vicaire Général de Toul ; l'Abbaye
de Longuay , même Ordre , Dioceſe de Rheims
à M. l'Abbé de Saint-Capraire , Vicaire Général
de Troyes ; l'Abbaye Réguliere de S. Vincentaux-
Bois , Ordre de Saint Auguftin , Diocefe de
Chartres , à M. l'Abbé André , Vicaire Général du
même Dioceſe ; l'Abbaye réguliere de Villers-
Cotterets , Ordre de Prémontré , Diocefe de Soif
fons , à Dom Richard , Procureur Général de
T'Ordre l'Abbaye de Saint Bénigne de Dijon ,
Ordre de S. Benoît ( fur la démiffion de M. Def
marets ) à M. Poncet- de la Riviere , ancien Evêque
de Troyes; l'Abbaye de Montebourg , même
Ordre , Diocefe de Coutances ( fur la démiffion
de M. Poncer de la Riviere ) à M. l'Abbé Deſmarets
l'Abbaye de la Buffiere , Ordre de Câteaux ,
Diocefe d'Autun , à M. l'Abbé Paris ; le Prieuré
de Montrelais , Diocefe de Nantes , à M. l'Abbé
Jaloutz Vicaire Général de Cambray & l'Abbaye
de Saint Denis de Rheims , Ordre de S. Auguftin
, à M. l'Abbé Comte de Lodran , Chanoine
du Chapitre d'Olmatz,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE
MARIAGES ET MORTS.
MESSIRE ESSIRE Charles de Biotiere de Chaffincour ;
Marquis de Tilly , Chevalier Seigneur de Montfant
, de Ris , de Bau , du Treüil des Gardais , de
S. Martin , de S. Bluife , la Ronde les Giffiers , &c.
époufa le 9 de Mars , Damoiſelle Marie - Anne de
Durfort. La célébration du mariage fe fit dans la
Chapelle de l'Hôtel de Duras , & la Bénédiction
nuptiale leur fut donnée par M. l'abbé de Durfort,
Grand Vicaire de Narbonne.
La maison de Biotiere de Chaffincour ; eft une
des plus anciennes du Bourbonnois , d'extraction
militaire , & de cette nobleffe dont on peut trouver
P'origine même dans les temps les plus reculés,
on voit par fes titres qui font chez M. de Claframbault
, qu'elle a toujours été noble , & toujours
inviolablement attaché à fon Roi & à fa
Patrie.
Quant à la maifon de Durfort , pour tout dire
il fuffit de la nommer.
Meffire Louis- Joachim Paris Potier , Marquis
de Gefvres , Vicomte de Pledrau & du Pirruit ,
épousé le 4 Avril Françoife Marie du Guefclin',
fille de feu Bertrand Celar , Marquis du Guéfclin',
Meftre de Camp , Premier Gent homme de la
Chambre du Duc d'Orleans , & de Dame Marguerite
Bofc. La Bénédiction nuptiale leur a été
donnée à Saint- Ouen par le Cardinal de Gefvres.
Le Marquis de Gefvres eft fils de Louis - Léon Potier
de Gefvres , Duc de Trefmes , Pair de France,
Marquis de Gandelu , Lieutenant Général des Ar
mées du Roi , Gouverneur & Capitaine du Châ
AVRIL. 1758. 199
teau & Capitainerie Royale de Montceaux , &
Gouverneur Général de l'Ile de France , & de feue
Eleonore- Marie de Montmorency- Luxembourg.
Les perfonnes les plus qualifiées de la Cour & de
la Ville ont affifté à cette Noce , & toute l'affemblée
qui étoit nombreuſe a été traitée , avec autant
de goût que de magnificence.
M. le Marquis Defcars eft mort le 14 Février
à fa terre de la Mothe- Deſcars , près de Toulouſe,
dans la quatre -vingt- deuxieme année de fon âge.
Il étoit de la même maifon , mais d'une autre branche
, que les trois Officiers Généraux du nom de
Perreufe - Defcars , dont un eſt Maréchal de Camp,
un autre Colonel du Régiment de Normandie , &
le troifieme auffi Colonel du Régiment Defcars ,
Cavalerie .
Le 19 Février dernier mourut à Haguenau Dame
Magdeleine d'Aine , veuve de Meffire Etienne
Duvivier , Chevalier de l'ordre royal & militaire
de S. Louis , Commandant dudit Haguenau , âgée
de quatre-vingt- un an accomplis ; elle étoit foeur
puînée de Marins Bazile Daine , Ecuyer , Commiffaire
ordonnateur , & Infpecteur Général de
l'habillement des troupes de Sa Majefté , ayeul
de Meffire Daine , Maître des Requêtes. M.
Duvivier étoit décédé auffi à Haguenau en 1756,
il avoit été nommé Major de cette Place en
1704 , & Commandant en 1715. Il étoit entré
au Service dès l'année 1697. Ils ne laiffent point
d'enfans.
Meffire Louis - Anne-Jules Potier , Marquis de
Novion , mourut en cette Ville le 27 de Février
âgé de foixante-fept ans."
>
Le 27 Février , mourut dans fon Château de
Courtozé en Vendômois , Charlotte d'Alboin
époufe de Charles -Louis du Bouchet , Chevalier
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
de l'ordre royal & militaire de S. Louis , dit le
Marquis du Bouchet.
Elle étoit fille unique de Trophyme -Jofeph ,
Marquis d'Alborn , Chevalier de l'ordre militaire
de S. Louis , Lieutenant pour le Roi à Belle - Iſle
& d'Anne -Louiſe d'Azemard , foeur du Comte de
la Serre , Maréchal de Camp , Grand-Croix de
P'ordre militaire de S. Louis , Infpecteur d'Infanterie
, & Gouverneur des Invalides.
La branche du Marquis du Bouchet , eft un
faméau de celle de Malefre , puînée de la maifon
de Bouchet , depuis Seigneur & Marquis, de
Sourches. Simon , Chevalier , Seigneur de la Guionniere
, Jarfan , la Bouverie , la Fremondiere &c ,
3 fils de Jean , Seigneur de Malefre , auteur de
cette branche établie en Vendômois , fut Chambellan
de Charles VII ; furprit en 1429 , la ville
de Laval fur les Anglois , & fut déclaré exempt
de tous droits de franc- fiefs , comme noble & extrait
d'ancienne lignée le 18 Juin 1458. Il avoit
époufé en 1418 , Agnès de la Chapelle. Charles ,
fon fils , Seigneur de Jarfan , &c , partagea avec fes
freres , le 14 Octobre 1461 , & s'allia à Jeanne de
Mondoucet. Il en eut Jean , Seigneur de Jarfan
& c , majeur le 18 Mars 1 500 , lequel eut de Barbe
d'Amilly , entr'autres enfans , Bertrand , qui
fut Capitaine de so hommes d'armes , mort fans
hoirs ; & Nicolas , qui a continué la postérité , &c.
eur de Philippe de Franqueville plufieurs enfans
dont l'aîné Artus , Seigneur de Jarfan, &c , Chevalier
de l'ordre du Roi , Gentilhomme ordinaire du
Duc d'Alençon le 6 Septembre 1757 , épouſa Fran
goife de Beaufils : il en eut Lancelot , & Abel ,
Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi ,
Gouverneur de la Ville & Château de Preuilli , le
29 Décembre 1622. Lancelot , Seigneux de Jarfan,
AVRIL. 1758. 201
kc, Gentilhomme ordinaire de la Chambre du
Roi , Capitaine de se hommes d'armes , Gouver
neur du Vendômois & de la Ville & Chateau de
Vendôme , s'allia le 4 Février 1625 , à Géneviéve
de Tours il en eur Louis , Seigneur de la Grand-
Salle , Capitaine au Régiment de Mercoeur , marié
le 7 Février 169 , à Anne de Beaufils . Charles-
Louis , leur fils aîné , Capitaine de Grenadiers au
Régiment de Quercy , tué en 170s , à la bataille
de Caffano , s'étoit allié le 3 Janvier 1703 , à Su-
Janne d'Argy , dont eft iffu le Marquis du Bou
chet , marié le 11 Septembre 1740 , à Charlotte
d'Alboin qui donne lieu à cet article , & dont il ă
eu deux garçons & deux filles.
Meffire Jean-François de Bafchi , Marquis du
Caila , fils unique du Marquis d'Aubais , mourut
ây Château d'Aubais , Dioceſe de Nîmes , leé 28
Février , dans fa quarantie unieme année.
Meffire Prix Hay , Abbé Commandataire de
Abbaye Royale , de Brantome , Ordre de Saint
Benoit , Diocefe de Perigueux , eft mort à Auxerre
le 12 Mars , âgé de quatre- vingt ans .
圈
Il eft mort dans la Paroiffe de Lerat , Diocefe
de Rieux , une fille âgée de cent ſept ans , nomé
mée Catherine Reymon , native de Montefquiou
Quinze jours avant fon décès , elle avoit encore.um
appétit furprenant , & buvoit furtout beaucoup
de vin..
Le fieur Alboug , Curé de Saint André de Val-
Borgne , dans le Diocèfe d'Alais , qui gouvernoir
cette Paroiffe depuis 1680 , eft auſſi décédé depuis
peu , au même âge de cent fept ans. H ne buvoit
point de vin , & depuis fon enfance il në vivois
que de légantess
202 MERCURE DE FRANCE
SUPPLEMENT
A LA PARTIE FUGITIVE...
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
t
MONSIEUR , il eft naturel de vous prendre
pour Juge dans le différend poétique,
qui s'eft élevé entre ma foeur & moi ; &
vous ne pourriez vous récufer dans certe
caufe , quoique vous y foyez intéreffé
fans nous faire le plus fenfible déplaifir.
Voici le fait. Nous nous difputons qui de
nous a le mieux réuffi, dans les vers cijoints
, que nous avons faits en réponſe à
ceux que vous adreffez à M. le Contrôleur
Général dans ce dernier Mercure. Lifez
Monfieur , & prononcez nous ferons
d'accord. Mais comme chez un galant- hom
me , le coeur prend fouvent la place de
refprit , quand il s'agit des intérêts du
beau fexe, c'est pour obvier à cet inconvénient
, que j'ai cru devoir vous cacher
lequel de ces deux petits morceaux eft de
ma foeur. Si par hazard , Monfieur , vous
trouviez qu'ils méritaffent , foit en les
laiffant féparés , foit en les fondant enfemble
, l'attention du public , je ferais.
AVRIL 1758.. 203.
fort aile , ainfi que ma foeur , qu'il vît
par le moyen du Mercure , ce témoignage.
de l'admiration que nous avons pour vos
talens , & de l'eftime parfaite avec laquelle
j'ai l'honneur d'être , & c.
Le Chevalier DE JUILLY -THOMASSIN ,
Garde du Corps du Roi.
A Arc- en - Barois , Le 14 8. Février 1758
RÉPONSE
AuxVers de M. Tanevat , à M. le Contrôleur
Général.
POURQUOI donc fi mal préfumer
Des nouveaux accords de ta lyre ?
Comme autrefois , ta verve a droit de nous charmer
,'
Tu n'éprouvas jamais de plus heureux délire.
A fes tranfports fans crainte abandonne tes fens. i
Ta mufe femble n'être encor qu'à fon printemps
Pourrois-tu nous priver de ce qu'elle t'infpire
Quand exprimant tes voeux , par des fons ravif
fans,
Tu rends à ton Héros ce légitime hommage ;
Chacun , cher Tanevot , t'admire & le partage
Et l'oreille des Dieux , jaloux de ton encens,
Se plaît , fans doute , à tes accens
Tu parles leur plus pur langage.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE
AUTRE.
Tu ne formas jamais ni des voeux , ni d'accens ,
Plus dignes du grand homme à qui tu rends hom
mage ;
Jupiter eft jaloux de ton nouvel encens ,
Et Phébus l'eft de ton langage.
REPLIQUE de M. Tanevot.
DAN'S ANs cette aimable lutte , à ma gloire entred
prife,
L'efprit ne reconnoît qu'un avantage égal :
L'on peut des mêmes fleurs , fans crainte de més
prife ,
Couronner à la fois l'un & l'autre Rival :
Que ne puis- je au Parnaffe en cueillir des plus
belles ..
J'en ornerois le front du frere & de la foeur ;
Les Pierides immortelles
Ne m'ont point accordé la charmante douceur
De moiffonner ces plantes fi chéries ,
Qui par le temps ne font jamais Rétries:
Nez tous deux pour vous reflembler ,
Vous avez le même génie ;
Et les talens , prompts à vous accoupler,
N'ont pas moins que le fang mis en vous d'hier
monie ;
Je gagerois qu'aux champs de Mars,
Prête à braves tous les hazards ,
AVRIL 1758. 20
Là foeurfùivant le frete ou le danger domine ,
Pour ne lui rien céder , feroit une héroïne.
ORDONNANCE de Monfeigneur l'Intendant
, de la Généralité de Rouen ,
qua
accorde anx Habitans de la Campagne
qui entretiennent des Mouches à miel , une
diminution de leur Capitation proportion
née au nombre de Ruches qu'ils auront
chaque année. Du 19 Novembre 1757%
ANTOINE- Paul- Jofeph Feydeau-de Brou , Che
valier , Confeiller du Roi en fes Confeils , Ma
tre des Requêtes ordinaires de fon Hôtel , Inten
dant de Juftice , Police & Finances en la Généra
Ité de Rouen. Etant informés que plufieurs ha
bitans de la campagne s'appliquent avec fuccès
élever & à entretenir des ruches à miel , nous avons
eru devoir , en les récompenfant de leurs foins
encourager ce genre d'induſtrie , capable de ré
pandre de Paifance dans les campagnes ; & d'y
accroftre les progrès de la culture , qui en font la
fuite néceffaire . Nous fommes portés d'autant plus
volontiers à former & à fuivre cette réfolution ,
qu'outre les avantages que la culture pent en retirer
, il en résultera également un avantage pour
le commerce , qui ne fera plas obligé de tirer de
l'étranger une auffi grande quantité de cires que
celle qu'il fait venir aujourd'hui en France , où la
confommation en devient de jour en jour plus
confidérable. Nous avons cru ne pouvoir exciter
plus furement les habitans de la campagne à fe
livrer à cette branche d'induſtrie qui s'allic fi nay
LOG MERCURE DE FRANCE.
turellement avec la culture des terres , qu'en ac
cordant , à ceux qui s'y appliqueront avec une
certaine émulation , des récompenfes qui , en
même temps qu'elles leur feront utiles , ne tour
neront point au préjudice de leurs concitoyens &
n'en augmenteront point les charges.
3
ART. 1. Ceux qui auront dix ruches garnies de
mouches à miel au mois d'Avril de chaque année ,
jouiront de cinq livres de diminution fur leur capitation
, pendant les fix premieres années ,
compter du mois d'Avril prochain , & plus long
temps même , s'il eft jugé néceffaire ; & fi leur
capitation ne monte point à cette fomme , ils fesont
déchargés du payement entier de celle à la
quelle ils étoient impofés.
II. Ceux qui auront vingt- cinq ruches gar
nies de mouches à miel au mois d'Avril , outre
les cinq livres de diminution far la capitation
jouiront encore du privilege d'être taxés d'office
à la taille ; & pour nous mettre en état de déterminer
la fomme à laquelle ils devront être taxés ,
ils feront tenus à nous repréfenter les quittances
des fommes qu'ils ont payées les trois années précédentes.
III. Ceux qui auront quarante- cinq ruches à
miel , jouiront du privilege d'être taxes d'office ,
& ils auront vingt livres de diminution fur leur
capitation.
7.
IV. Voulons que ceux que nous aurons ainfi
taxés d'office , ne puiffent être augmentés à la
taille , capitation , induftrie & autres impofitions ,
pour raifon dudit commerce tant qu'ils entretiendront
la quantité de ruches portée par l'arti
cle fecond , ou même une plus grande quantités
finon au marc la livre de l'augmentation de taille
que nous aurions été obligés de donner à leur pas
AVRIL. 1758. ἐσχ
toiffe , lors de nos départemens , & auffi feule
ment par proportion aux nouvelles occupatione
qu'ils pourroient prendre , & aux acquisitions
d'immeubles qu'ils auroient faites.
V. Pour nous mettre en état de faire jouir des
avantages accordés par les articles précédens ,
ceux qui auront été dans le cas de les mériter
nous ordonnons qu'ils feront tenus de nous repré
fenter pendant le cours du mois d'Avril de cha→
que année , un certificat figné du Syndic & de
quatre principaux habitans de la Paroiffe , qui
contiendra le nombre de ruches à miel que poffé
dera celui ou ceux qui defireront jouir defdits
avantages , & ledit certificat fera vité d'un de nos
fubdélégués , avant que de nous être envoyé.
VI. Défendons , fous telles peines qu'il appar
tiendra , de faire aucunes fauffes déclarations , ni
de chercher à furprendre notre religion par des fi
gnatures données à la follicitation & fans connoiffance
de cauſe.
VII. La diminution que nous accorderons fur
la capitation de ceux qui auront été dans le cas de
l'obtenir , ne fera point rejetée fur les autres ha→
bitans; mais elle paffera en décharge dans les
comptes des receveurs des tailles , en vertu des
ordonnances que nous rendrons à cet effet. Fait à
Rouen , en notre hôtel , le If Novembre 1757-
Signé , Feydeau. Et plus bas : Par Monfeigneur
Dailly.
AVIS.
Las heureux fuccès que produit le vinaigre re
main pour la conſervation de la bouche , prou
yent que cette compofition eft la plus parfaite qui
208 MERCURE DE FRANCE .
fe foit trouvée. Ce vinaigre blanchit les dents
arrête le progrès de la carie , empêche que les
autres dents ne fe carient , & prévient l'haleine
forte. Le vinaigre de Turbie le débité avec une
zéushte parfaite pour la guériſon du mal de dents ,
comme auffi différentes fortes de vinaigres ſervans
à ôter les boutons , tâches du vifage , dartres fa→
sineuſes , blanchir la peau , & noircir les cheveux
& fourcils roux ou blanes . Ces vinaigres ſe vendent
chez le fieur Maille , Vinaigrier - Diſtillateur
de leurs Majefté Impériale , & le feul pour la com
pofition de ces fortes de vinaigres. Il tient maga→
fin de vinaigres au nombre de cent ſoixante-douze
fortes. Il demeure à Paris rue S. André des Arts
La troifieme porté cochere à droite par le bout qui
fait face à la rue de la Huchette aux Armes Impé
riales . Les moindres bouteilles font de trois livresj
Aux perfonnes de Province qui défireront fe pro
curer ces fortes de vinaigres en écrivant une lettre
d'avis au fieur Maille , & remertant Pargent par
la pofte le tout affranchi , on leur fera tenir exace
tement le vinaigre , ainfi que la façon de s'en feri
vir. Le fieur Maille , après qu'il aura eu l'hon
meur de préfenter à leurs Majeſtés Impériales , de
nouveaux vinaigres en couleur qui n'ont pointen
core parus , les annoncera dans les Mercures in→
ceffamment. ร์
A U T R E.
La fieur Mangin, maître Perruquier à Paris ,
Fue Montmartre à côté de la porte cochere de l
Juffienne , que nous avons déja annoncé dans le
Mercure de Janvier dernier , comme ayant le fe
eret d'une eau dont les propriétés fant , de come
AVRIL 1758. 200
per
ferver, nettoyer les dents , & en appaifer & diffi
les douleurs , a encore le fecret d'une farinė
qui blanchit parfaitement les dents ; la manierede
s'en fervir , eft de tremper le doigt dans l'eau
fufdite , & enfuite dans la farine à plufieurs fois ,
& de s'en frotter les dents. Le prix de chaque pe
tite boke de farine , ainsi que de chaque fiolle
d'eau , eft de 24 fols.
MONSTEUR
AUTRE.
ONSIEUR Marchand continue à faire des cures
admirables avec le fecret qu'il a trouvé de guérir
les loupes & les chancres. Il vient d'opérer la
parfaite guérifon du pere Tiburce Denielle , Gar
dien des Recollets d'Arras , d'une loupe monf
trueufe qu'il avoit fur le nez , fous laquelle étoit
un chancre qui pénétroit jufqu'au cartilage. Mrs
Jes Médecins & Chirurgiens jugeoient fon mal incurable
, il eft aujourd'hui fi parfaitement guéri
qu'on ne voit pas fur fon nez la moindre marque
qu'il y ait eu du mal . Monfieur Marchand demeu
re rue du Chantre près du Louvre , à Paris .
AUTRE.
ON conftruit & arme actuellement à Safenelle ;
près la ville de Caën , deux frégates nommées le
Comte & la Comteffe d'Harcourt. La premiere
de 150 pieds de longueur de tête en tête , montant
trente pieces de canon de 12 livres de balle
en batterie , 4 pieces dé 18 dans fon entrepont ,
& 14 pieces de 6 fur fes gaillards , avec so pier
piers , bordant 40 rames ou environs. La feconde
de 145 pieds de longueur , de tête en tête , mone
210 MERCURE DE FRANCE.
tant 28 pieces de canon de 12 livres de balle en
batterie , 4 pieces de 18 dans fon entrepont & 8
pieces de fur fes gaillards , avee 40 pierriers ,
bordant 36 rames ou environs. Les deux frégates
font armées pour faire la courſe enſemble contre
les ennemis de l'Etat , avec 1000 à 1100 hommes
d'équipages & les menues armes à proportion , &
dont l'armement pourra monter en total à fix cens
mille livres ou environ , ceux ou celles qui voudront
s'intéreffer dans ledit armement , auront la
bonté de s'adreffer à Paris , chez Mrs Chabert &
Banquet , Banquiers , rue Thévenot , dans le cul
de- fac de l'Etoile . A Rouen , chez M. Marie
Ecuyer , Maire de ladite Ville , rue gros Horloge.
A Caen , à M. Legaigneur , place S. Pierre , armateur
defdites deux frégates , lefquels recevront
les foufcriptions & recevront les actions qui font
de 1000 livres pour la facilité du public , & pour
mieux fatisfaire Mrs les intéreffés , ils nommeront
s'ils le jugent à propos quelqu'un pour être préfent
aux ventes des prifes , qui pourront être faites
par lefdites deux frégates , & les fonds qui en
proviendront , feront mis à furt & à meſure de la.
rentrée à un chacun au prorata de ſon intérêt
fans attendre la fin de la courſe entiere. Le tout par
le fieur Legaigneur , qui rendra compte des mifes
& benéfices rélativement aux ordonnances de Sa
Majefté.
MADEMOISE
AUTRE.
ADEMOISELLE Geraudly , niéce & éléve de
feu M. Geraudly , feule privilégiée du Roi , dé
bite journellement dans fa maifon , rue d'Orléans ,
quartier S. Honoré , vis-à-vis l'hôtel de la Prove
AVRIL 1758. 277
dence , au fecond fur le derriere. 1º . Un élixir
qui fortifie les dents qui branlent , & qui fait croître
les gencives. 2° . Un opiat qui nettoie & blanchit
les dents. 3 °. Une effence qui appaife & guérit
fur le champ les douleurs des dents . Les prix
font marqués fur chaque bouteille , fur chaque
pot & fur chaque boîte.
AUTRE.
La fieur Villermé , qui-s'eſt fait annoncer il y'a
plufieurs années dans le Mercure pour la guérifon
des écrouelles , avertit de nouveau le public qu'il
continue de traiter ces maladies avec tout le fuccès
poffible. Ce n'eft , comme il l'a déja marqué ,
ni par des opérations , ni par des topiques , qu'il
parvient à les guérir. Appliqué depuis longtemps
à connoître & à fuivre ces torres de maladies , il
fçait que ces moyens ne peuvent être qu'infiuctueux
, & qu'une affection générale & habituelle ,
qui a fon principe dans toute la mafſe du fang , ne
fe détruit pas comme un mal paffager. Il emploie
intérieurement des remedés , dont une longue expérience
lui a confirmé la propriété & l'efficacité ,
& il a la fatisfaction avec plus ou moins de temps
fuivant les différens fujets , de rendre à leurs pa
rens des enfans dont la fanté & l'embonpoint les
étonnent , après les lui avoir donnés dans un état
qui leur paroiffoit défefpéré. L'on fouhaiteroit
peut-être que le fieur Villermé , pour prouver ce
qu'il avance, produifft quelque certificat ; mais
quel eft celui qui voudroit confentir qu'il apprît au
public que c'eft fon enfant qu'il a guéri ? Perſonne
ne veut être connu, & il doit par état & par confidération
, garder le filence là- deffus. Tout ce qu'i
212 MERGURE DE FRANCE.
fe croit permis , c'eft d'affuret qu'il ne cherelle
pas à en impofer , & qu'il ne dit ici rien qui ne
foit exactement vrai. Sa demeure est toujours à
Lardy , à 2 lieues d'Arpajeon , & à neuf de Paris,
route d'Orléans.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond volume du Mercure du mois d'Avril ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
Pimpreffion. A Paris , ce 13 Avril 1758.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
LE Chêne & le Temps , Fable à Madame …..
page s
Réflexions fur l'Inconftance , qui tiendront lien
d'un Conte ,
L'Aveu ingénu ,
Lettre à M. de Boiffy,
19
20
Lettre en réponse à M. l'Abbé de ….. Chanoine
d'Autun 22
Vers d'une jeune Ecoliere fur le retour d'un Abbé
de fes amis , & Envoi à M. de Boiffy , 39
Lettre à M. de ... für la durée de certaines Paffions
,
40
L'Hyver & le Printemps , par M. Varé , à Gran=”
ville
Réponſe aux Remarques inférées dans le Mercure
21
de Février dernier , touchant les Réflexions de
M. de Vauvenargues au fujet de Rouffeau , 46
Lettre de M. l'Abbé Aubert à M. de Voltaire , en
lui envoyant le Recueil de les Fables , 52
Réponse de M. de Voltaire à M. l'Abbé Aubert, 54
Rondeau ,
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Mercure du mois d'Avril ,
Enigme ,
Logogryphe
.
56
57
58
Chanfon
à Mademoiſelle
D.
R.
pour
l'engager
à
paffer
quelques
jours
de
plus
qu'elle
ne
vouloić
à la maison
de
campagne
de
M.
D... 60
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES .
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
61
73 Lettre à M. de Boiffy ,
Lettre à Auteur du Mercure , & Réflexions fur
la Differtation militaire de la Colonne , &c. 84
Précis & fragmens de l'Examen abrégé des diffé
rentes Iphigénies en Tauride , en forme de
Lettres adreffés à M. de V... par M. G... D... 92
émoire des Libraires affociés à l'Encyclopédie ,
fur les motifs de la ſuſpenſion actuelle de cer
Ouvrage , 97
ART. III. SCIENCES BT BELLES LETTRES,
Hiftoire Naturelle. Second Cours public fur l'hif
toire naturelle , concernant les minéraux , les
végétaux & les animaux , relativement aux Arts
& aux Métiers, &c. par M. Bomare-de Valmont,
105
107
Médecine . Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Chirurgie. Obfervation fur les Injections , 112
Lettre à l'Auteur du Mercure fur les Accouche
mens
121
214
Projet de Soufcription pour la Carte générale de
France , en 173 feuilles , propofé par M. Caffini-
de Thury ,
130
Affemblée, publique de l'Académie des Infcriptions
& Belles-Lettres j 135
Séance publique de l'Académie Royale des Sciences',
Séance publique de l'Académie de Befançon , & c.
ART. IV. BEAUX-ARTS.
137
138
145 Mufique ,
Fragment d'une Lettre écrite de Venife , 146
Peinture. Lettre à M. l'Abbé Pernetti , Chevalier
de S. Jean , à Lyon ,
Gravure ,
157
162
Gnomonique. Lettre à M. de Boiffy , fur un Cadran
Solaire ,
Opera ,
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe
Comédie Italienne
Concert Spirituel ,
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
Bénéfices donnés ,
Mariages & Morts ,
Supplément à la Partie Fugitive ,
163
165
ibid.
167
170
175
"
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c , #1184
196
198
202
Réponse aux Vers de M. Tanevot, à M. le Contrôleur
Général ,
Replique de M. Tanevot ,
203
204
205
207
Ordonnance de M. l'Intendant , de la Généralité
de Rouen , &c.
Avis divers ,
44 De l'Imprimerie de Ch, Ant. Jombert.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
MA I. 1758.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Jinain
PapillonSculp 1778.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Rei.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols &
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du pori fur
leur compte , ne pajeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant peur
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
Aij
1
Onfapplie lesperfonnes des provinces d'en
voyerpar la pofte , en payant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
•Les paquets qui neferont pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un
en état de
répondre
chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de refter à fon Bureau les Mardi , Mercredi
✔ Jeudi de chaque femaine , après- midi .
Comme , à commencer du premier Juin
prochain , on doit délivrer dans le courant
d'une année 16 volumes de l'Ouvrage intitulé
, Nouveau Choix des anciens Mercu
res, & autres Journaux , aux mêmes conditions
, & pourle même prix que le Mercure
de France , on avertit les perfonnes qui
defirent avoir cet Ouvrage d'envoyer le
montant de leur abonnement
chez M. Rollin
, Libraire , quai des Auguftins , où fera
à l'avenir le Bureau , & de s'adreffer au
Sr LERIS , demeurant chez ledit Sr Rollin ;
cependant comme ce NouveauChoix a toujours
une liaiſon intime avec le Mercure de
France , on peut auffi fe le procurer par la
voie du Bureau du Mercure , & ces deux
Ouvrages feront même portés enfembles
ceux qui les prennent par abonnement
MERCURE
DE FRANCE..
MAI. 1758.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES DEUX CHIENS ET LE CHAT,
FABLE.
MORTELS , qui ne prenez que la haine
guide ,
pour
N'apprendrez-vous jamais , race ingrate & pera
fide ,
A quel deffein le Ciel vous a doués d'un coeur ?
Il voulut vous faire un bonheur
A iij
G
4
MERCURE DE FRANCE.
De chérir , d'aider vos femblables .
Renoncer à cette douceur ,
Envers l'humanité , c'eft vous rendre coupables ;
C'eft profaner du Ciel le don le plus flatteur.
Veux-tu qu'à tes defirs les Dieux foient favorables &
Lecteur , imite- les , & fois compatiſſant.
Le plaifir d'être humain devroit- il coûter tant ≥
Il nous offre de fi doux charmes !
L'infenfibilité n'offre que de l'enaui.
Malheureux celui qui d'autrui
N'a jamais partagé les larmes !
Deux Chiens logeoient dans la même maiſon.
Comme voifins , ils avoient l'un pour l'autre *
Une rare amitié , dit-on .
Le naturel du Chien , par fois , vaut bien le nôtre;
De la riche Aglaé l'un étoit le Toutoa ,
Et l'autre le Barbet de la pauvre Claudine.
Celui- ci logé dans un trou ,
Près du grenier , faifoit maigre cuifine.
Celui- là commenfal d'un fuperbe logis ,
Ne vivoit que de mets exquis.
Mais , admirez d'un Chien la pitié ſecourable :
Toutou nourriffoit fon voifin ;
Toutou n'étoit d'aucun feftin ,'
Qu'il n'offrêt à Barbet quelques plats de fa table.
Sur un point feulement il avoit du chagrin :-
Aglaé qui craignoit de lui gâter la taille ,
Car elle étoit , dit - on , folle des animaux ,
Pour régaler Barbet , comptoit trop fes morceaux
+
MA 1. 1758.
fl avoit beau s'en plaindre. Enfin , vaille que
vaille ,
Barbet partageoit fon deftin ,
Barbet ne mouroit pas de faim .
Les foins du bon Toutou n'étoient vus de per
fonne.
Notre Chien , difoit - on , eft devenu gourmand ;
On ne fçait ce qu'il fait de tout ce qu'on lui
donne,
Les
gens le maltraitoient : le monde eft fi mé
chant !
Toutou pâtiffoit , mais n'importe.
Son frere étoit encor cent fois plus malheureux,
Sur l'efcalier , près de certaine porte ,
Etoit un coin , bien connu de tous deux ,
Que recéloit les dons du Toutou généreux ;
Là chaque jour Barbet fe reconforte.
Nos deux Chiens vivant de la forte ;
Un dévot Chat , compagnon de Toutou ,
Le vit porter en ce lieu fa pitance.
Frere , dit -il , es - tu donc fou
Quelle loi pour un gueux t'oblige à l'abſtinence
Laiffe- le faire diette , & manges tout ton faou.
L'honnête homme de Chien , fans fe mettre en
colere ,
Lui dit , fi vous fçaviez quelle félicité
L'on goûte à foulager autrui dans fa mifere ,
Vous auriez pour Barbet la même charité .
Du peu dont je me prive il fera grande chere.
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ne fuis - je pas heureux d'avoir ce fuperflu ,
Pour appaiſer la faim d'un frere >>
Je conçois qu'un bon coeur peut aimer la vertu ,
Pour le feul plaifir de bien faire.
Alte-là , votre Chien a beaucoup trop d'esprit ,
Dira quelque Cenfeur , il parle comme un livre..
Qu'il parle bien ou mal , retenons ce qu'il dit ;-
Ses préceptes font bons à fuivre.
L'Abbé AUBERT.
LES ABSENS ONT TORT ,
MAXIME FRANÇOISE ;
Conte à Madame P. de M... de Ľ. . .
JE
3
E ne fuis furpris que de votre étonnement
, Madame ; je vous avois prédit que
les portraits & vos réflexions feroient furieufement
élagués dans le Conte du Verrenaturel
ou des Conferves , qu'on vient de
mettre dans le Mercure de Mars. Plus
j'applaudiffois aux idées que vous me donniez
; plus je les trouvois légeres , délicates
, fatyriques ; plus j'avois fujet de vous.
dire que le judicieux Auteur du Mercure
fupprimeroit tous ces détails. Je ne croyois
pas , à la vérité , qu'il portât le fcrupule fi
loin. Mais applaudiffez à fa fageffe . Je
MAI. 1798 ༡
fçais que vos portraits n'étoient que d'ima
gination mais vous faififfez fi adroitement
le ridicule , qu'on trouve aiſément
des originaux à qui les appliquer. Un ami,
à qui je viens de montrer le Conte tel
qu'il eft , & qui eft au fait de mille anecdotes
, m'a affuré que le trait du gros Prélat
, celui de l'Abbé & de fon intrigue du
licentié , les détails des Auteurs & des
Actrices , des Artistes , & d'autres que je
ne veux feulement pas rappeller , étoient
peints d'après nature , & que les hiftoires
& bagatelles que vous imaginiez pouvoir
arriver , étoient arrivées en effet (1).
Les combinaifons font immenfes dans
eet Univers , en hiftoire comme en phyfi
que , Madame ; il eft des Auteurs qui prétendent
même qu'en une infinité de jets
de caracteres d'imprimerie , il pourroit
s'en rencontrer un qui vous préfenteroit
tout d'un coup l'Odiffée d'Homere ou la
Henriade de Voltaire.
C'est done parce que vous aviez trop
bien imaginé que le Conte dont vous m'a--
viez fourni l'idée , donné les matériaux ,
(1 ) Nous fommes très-obligés à l'Auteur de
faire fi bien notre apologie . C'eft malgré nous ques
nous avons coupé des Portraits excellens en euxmêmes
; mais trop vrais en même temps pour ne
pas bleffer ceux qui y font bien caractériſés.
Aav
10 MERCURE DE FRANCE .
& prefqu'arrangé les portraits , eft réduit
à fi peu de choſe. Laiffons - en la fuite qui
auroit un même fort , & que je n'enverrai
point. Vous conviendrez encore , Madame,
qu'il y avoit des chofes qui, trois mois
avant , étoient d'une louange délicate &
naturelle , & qui , dans le temps où le
Conte a été publié , auroient peut - être
paru une fatyre condamnable . Votre Angloife
fera mieux accueillie de M. de Boiffy
( 1 ) , n'en doutez pas. Son attentions
fcrupuleufe à éviter le plus petit trait of
fenfant , eft connue de tout le monde . Si
l'admiration que vous avez pour lui pouvoit
augmenter , ce feroit une raifon pour
la faire croître. Je vous prie , au refte , de
ne point adopter la maxime Françoife qui
fert d'épigraphe à ce Conte. Je fouhaite
(1 ) Oui fûrement , nous remercions les aimables
Auteurs du préfent qu'ils nous ont fait d'un
Conte fi intéreflant. Le caractere de la jeune &-
tendre Lady eft admirable. La derniere moitié du
Conte nous a paru fi touchante , que nous fçavons
gré à l'Auteur d'avoir fauvé fi à propos les
jours expirans de cette Angloife . Nous n'avons
rien lu fans exception qui nous ait tant touché ,
que l'inftant où le pere de Lady préfente fi à
propos notre jeune François pour renouer une f
belle vie , & unir ce que l'amour a formé de plus
parfait. Nous avons pris la liberté de couper quel
que chofe à l'Aventure de la Françoife , & furtque
le paffage latin qui nous a paru déplacé..
MA I. 1758.
✦ous revoir avec les fentimens de la jeune
Lady , & ne crains rien de la confomption .
Votre gaieté , la lecture , & plus que tout
cela , l'air du canigou & de nos montagnes
met à couvert d'une maladie auffi effrayante.
Si vous en étiez attaquée , deux perfonnes
en mourroient . Vous aimez lafingularité
, je le fçais ; vous feriez la premiere
Françoife attaquée de ce mal ; il fuffiroit
pour vous rendre immortelle dans les faftes
de notre Nation ; vous l'emporteriez
fur Arthémife, & tant d'autres . Cette raifon
eft féduifante ; mais croyez- moi , ne vifez
pas à tant de gloire .J'ai l'honneur d'être, & c .
Le Comte de Philette partit de la cour ,
pour voyager dans les Cours étrangeres.
Son pere avoit été employé dans les négociations.
Il deftinoit fon fils à fuivre
fon exemple , à profiter de fes leçons , & à
fervir l'état. Il avoit trop bien mérité du
Prince & de la Nation , pour ne pas efpérer
que fon nom feroit un titre , & le mérite
de fon fils , un fujet d'efpérance de le
voir réuffir.
Philette partit en verfant des pleurs
ameres. Son coeur étoit plein d'une vraie
paffion pour la jeune veuve d'un de ces
riches Milords François , qui tiennent
comme ceux d'Angleterre , leur état d'una
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
bon du Prince. Enfin Mélite à vingt & un
an , avoit pleuré deux jours un Fermier Gé
néral ; qui lui laiffoit la dot d'une Princeffe.
Philette n'avoit point été touché du
bien & de l'efpérance des richeffes. Les
traits intéreffans de la veuve avoient commencé
fa défaite. Son efprit , & un caractere
de fentiment & de tendreffe avoient
achevé de le rendre éperdument amoureux.
S'il avoit pouffé plus loin fon examen , la
légéreté & l'inconftance de Mélite l'euffent
rendu à lui-même & à fon indifférence.
Le pere de Philette avoit feint d'ignorer
fa paffion. Il ne vouloit ni la défapprouver,
ni y applaudir. Il laiffoit au temps à déçider
du fort de fon fils .
ges ,
Deux ans s'étoient paffés dans des voyaoù
Philette avoit continué de jurer
un éternel amour à Mélite. Le myftere de
cette paffion , & le goût de l'étude & des
livres avoit partagé tout le temps de Philette.
Il paffoit pour un homme profond , a
vingt ans. Il étoit parti avec des regrets &
une fincérité d'attachement que notre fiecle
ignore. L'abfence de Mélite ne la dimi-.
nua point.
Toute fon occupation étoit , avant fon
départ , d'aimer Mélite , & de le lui dire ,
de faire fa cour & d'étudier. Toute fon
occupation fut depuis d'étudier , d'aimer
MA I. 1758
:
•
Mélite & de lui écrire. Ses lettres étoient
paffionnées & fes fentimens vrais. Mélite
* répondoit avec ce feu , ce naturel & cette
naïveté charmante , qui donne la fupério
rité à ſon ſexe fur le nôtre dans ce genre
d'écrire. Elle crat n'y pas réuffir. Elle étoit
belle ; elle avoit de l'efprit . On ne ſe
fuadera pas que le doute de fon ftyle ne:
de modeftie.
vint
que
per-
Mélite lia connoiffance avec un Sçavant,
homme d'efprit. Elle lui confia fa paffion
& fon embarras . Il devint en même remps
le confident & le fecretaire. Sous ce Maître
, elle écrivit de grands mots , de belles
phrafes , de l'efprit & de beaux fentimens.
Elle ne parla plus le langage du coeur .
Philette fentit la différence , fans en foupçonner
la caufe. Il s'en plaignit tendrement.
Lifius profita du moment , Mélite
lui plaifoit. Il commençoit à plaire. Il per
fuada à Mélite que les plaintes de fon
Amant annonçoient le changement de fa
tendreffe . Elle le crut : elle s'en confola.
Lifius étoit à fes pieds , & lui juroit un
amour extrême. Il mêloit à fes fermens des
geftes expreffifs. Mélite n'étoit occupée
qu'à fe défendre de fes tranfports . Le
trouble augmenta , l'embarras la rendit
moins attentive. Lifius triompha , car Philette
étoit loin- ; & nous l'avons dit dès le
14 MERCURE DE FRANCE.
commencement , chez les François , les ab
Jens ont tort.
Le réflexion vint à Mélite : elle fe rappella
le nom de fon Amant. Lifius lui plaifoit
; mais elle ne pouvoit quitter l'efpérance
de devenir Dame de la Cour , &
renoncer pour un Amant en us au rang
que devoit lui procurer le mariage de
Philette.
Elle feignit , & fes lettres devinrent plus
animées . Elle les écrivit elle - même . Les
heures qu'elle paffoit avec Lifius, n'étoient
plus occupées à écrire fous fa dictée. Elle
parloit à Philette le langage le plus naturel .
de la paffion , & elle lui peignoit tout l'amour
dont elle goûtoit les charmes avec
Lifius.
Philette avoit vu l'Italie & l'Allemagne.
Il étoit en Angleterre , & vouloit finic
par là fes voyages , & étudier cette Nation
profonde , dont le caractere eft fujet à de fi
étranges alternatives , & où les vertus font
fouvent des défauts par l'excès où l'on les
porte.
Il avoit été préfenté à la Cour par l'Ambaffadeur
de France. Il étoit lié chez les
grands , & fon caractere le rendoit cher à
tous . Une jeune Lady qui avoit une paffion
extrême pour le françois qu'elle entendoit
très - bien , mais qu'elle parloit.
MAI. 1758." IST
>
comme prefque toutes les perfonnes de fa
Nation c'eft- à- dire avec des fifflemens
qui choquent nos oreilles , cherchoit avec
empreffement à fe trouver avec Philette.
Elle aimoit à l'entendre parler. Elle le
prioit de l'inftruire , de la reprendre ; elle
l'engagea même à la voir chez elle , pour
donner plus de temps à cet exercice. Philette
étoit d'une politeffe & d'une attention
extrême ; il n'en avoit pas befoin
pour le prêter aux defirs de la jeune Lady.
Il étoit galant : elle étoit belle .
Elle étoit grande ; elle avoit une taille
charmante , des yeux tendres & languiffans
, des traits réguliers , une belle main ;
elle avoit du teint , ce que n'ont pas ordinairement
les Angloifes . Elle avoit enfin
tout l'éclat de leur blancheur , fans la fadeur
qui l'accompagne
.
Le Comte la voyoit fouvent ; elle le
cherchoit ; j'en ai dit le prétexte : peutêtre
ne pénétroit- elle pas elle - même le
vrai motif de cet empreffement. Pour qui.
le coeur , & furtout dans les premieres.
paffions , n'eft- il pas une énigme ?
Les fentimens de la jeune Angloife n'er
auroient pu être une pour
Philette , s'il
n'avoit été préoccupé de fon premier
amour. Il étoit des mots qu'elle aimoit à
zépéter avec lui , qu'elle lui faifoit redite
16 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle repétoit encore , qu'elle feignoit
fouvent de mal prononcer , pour les entendre
plus fouvent fortir de la bouche de
Philette . Ses yeux rendoient tout le feu &
la paffion que ces mots expriment. Elle le
regardoit tendrement : elle lui faifoit des
queftions. Une langue nouvelle développe
de nouvelles idées , & la jeune Angloife
en éprouvoit plus qu'on ne fçauroit dire.
Elle apprenoit par coeur certains morceaux
de Télémaque , livre favori des Anglois
par la fatyre qu'ils croyent y voir du
regne de Louis XIV , par fes principes fur
que
le gouvernement & l'autorité des Rois ,
le bonheur & la liberté des peuples dont
on fçait qu'ils font idolâtres , fans en connoître
peut être la vraie fource. Ce n'étoir
point àces endroits s'attachoit la jeune
Lady. Les tendres converfations d'Eucha
ris ; les fentimens ; la paffion du Prince
qui l'adoroit ; l'amour de Calypfo ; la
peinture de ces grottes voluptueufes ornées
fi délicieufement , & décrites avec
tant d'art & de légéreté , fe plaçoient aifément
dans fa mémoire , ainfi que quelques
fcenes de Racine . Elle les récitoit ; elle
prioit Philette de les lui faire prononcer ,
& fon coeur lui adreffoit tout ce qu'elle
trouvoit de paffionné dans ces Ouvrages.
Une maladie férieuſe du pere de Philette
M A I. 1758. 17
lui fit abréger le féjour qu'il devoit faire
à Londres , & interrompit les plaifirs de la
jeune Angloife. Il partit , & la laiffa dans.
la douleur d'une Amante éperdue & défefpérée
de n'avoir feulement pu découvrir
fon fecret, ni pénétrer celui de fon Amant :
elle ne fentit toute la violence de fa paffion
, qu'après le départ de celui qui l'avoit
fait naître. Elle s'abandonna aux larmes
aux regrets , fans avoir la trifte confolation
d'ofer la découvrir au Mylord fon pere.
Son chagrin ne fit que croître , & la jetta
dans une langueur qui fembloit devoir la
conduire au tombeau.
L'état de Philette n'étoit pas plus tranquille.
Aux vives inquiétudes que lui avoit
caufé la maladie d'un pere qu'il aimoit
tendrement , fuccéda bientôt la crainte de
n'être plus aimé de Mélite , ou , au moins ,
de la trouver peu digne de fa conftance &
de fon amour. Il fut inftruit par le bruit
public , des affiduités de Lifius auprès de
fa maîtreffe . S'il étoit fenfible , il n'étoit
pas moins délicat. Les empreffemens trop.
marqués de Mélite lui déplurent ; même
un air de hardieffe & de liberté avoit fuccédé
à cette pudeur , & cette fage retenue
qui fera toujours , quoi qu'on dife , le
charme le plus féduifant du fexe.
Elle lui témoignoit des tranfports , &
18 MERCURE DE FRANCE:
h
il fe fouvenoit qu'avant fon départ , il n'é
toit occupé qu'à fe faire pardonner les fiens.
Ce n'étoit plus en rougilfant qu'elle le prévenoit
, on lui répondoit , comme autrefois,
par un gefte léger , un coup d'oeil , un mot ,
un fouris qui faifoit fon bonheur , & qui
auroit femblé indifférent à tout autre qu'un
amant aimé. Elle le recherchoit avec affectation
; elle couroit où elle fçavoit qu'il
devoit êrre ; elle entendoit dire avec plai
fir & ne diffimuloit point qu'il l'aimoit ,
& qu'il en étoit aimé.
Dans les momens de chagrin de Philette
, la jeune Lady & fes charmes reve
noient à fon efprit. Il fe rappelloit volontiers
fa modeftie & fa retenue ; mais malgré
les torts de Mélite , il ne pouvoit fe
défendre de l'aimer encore. Il la voyoit
fouvent , & ne s'appercevoit pas du foin
qu'elle avoit de s'inftruire quand il la reverroit
, de l'heure , du moment où elle
devoit l'attendre . Elle le prioit furtout de
l'avertir , s'il devoit par un changement
de circonftances , la revoir plutôt qu'il ne
lui promettoit. Il en foupçonnoit encore
moins le motif ; tout cela étoit couvert du
voile de l'impatience & de l'amour.
Le hazard ne le fervit que trop bien
pour l'en inftruire. L'inquiétude que lui
caufoit l'état cruel de fon ame , le fit renMA
I. 1758.
dre à la toilette de Mélite beaucoup plu
tôt qu'il ne l'avoit promis. Il entre : affez
libre pour ne point fe faire annoncer , il
pénetre dans les appartemens. I apperçoit
au fond de fon cabinet de toilette Mélite ,
& auprès d'elle Lifius , trop occupés du
plaifir de fe parler pour rien voir & rien
entendre. Indigné de fon infidélité , pea
maître de lui-même ; le bruit qu'il fait
pour fuir , fait tourner la tête à Mélite.
Elle voit Philette. Elle croit n'être pas vue.
Lifius fe cache. Elle court après fon amant ,
qui , outré de fa perfidie , ne lui répond
que par un gefte de mépris. Elle fait de
vains efforts. Il fort , & les dernieres paroles
qu'il entend de cette femme hors d'elle-
même , furent que les abfens ont tort.
Son indignation auroit augmentée à ces
mots , fi elle avoit pu croître. Il fortit en
déteftant les femmes , & leur perfidie . Il
étoit trop jufte , pour que ce fentiment durât
toujours. La réflexion vint . Il fe contenta
de penfer , que le très- grand nombre
étoit infidele , & peut-être ne fit- il grace
à quelques- unes d'elles , qu'en confidération
de la jeune Ladi , dont les charmes ,
la douceur & la modeftie lui revinrent à
l'efprit. Il fe fentoit entraîné malgré lui ; il
fe reprochoit de n'avoir pas rempli tous
les devoirs de la bienséance la plus exacte
20 MERCURE DE FRANCE.
en s'en éloignant , puifqu'il n'avoit pris
congé d'elle , que dans une maiſon étran
gere , & ne s'étoit préfenté à l'hôtel du
Milord , que dans un inſtant où elle ne ſe
trouva pas vifible.
Il aborda le Comte fon pere , accablé
de tout fon chagrin : il lui fit part de fon
étrange aventure . Il trouva en lui , moins
un pere qu'un ami tendre : heureux les
peres qui fçavent prendre ce ton avec leurs
enfans ! Combien leur épargnent - ils de folies
! Plus heureux les enfans, qui , à un cer
tain âge , éprouvent que la vie & l'éducation
eft le moindre bienfait qu'ils doivent
à leurs peres qui trouvent auprès d'eux
toutes les douceurs de l'amitié , & en re
çoivent avec le ton qui ne peut que les faire
goûter les confeils.de fageffe & d'expérience
qu'ils n'ont pu acquérir encore.
Tel étoit le pere de Philette. Tel fut le
bonheur de fon fils . Il lui parla de la jeune
Angloife. Le pere vir qu'il étoit amoureux
, & qu'il ne croyoit pas l'être . Il ne
s'oppofa point au defir qu'il lui témoigna
de repaffer en Angleterre . Le prétexte étoit
de diffiper fon chagrin : l'amour en étoit
la raifon. Philette partit.
Son premier foin en arrivant à Londres ,
fut de voir Milord Duc de *** . Il le trou
va dans la triſteſſe & les alarmes. Sa fille
MA I. 1758. 21
étoit attaquée de cette fâcheufe maladie
qui conduit à une mort certaine , qui enléve
tant d'Anglois , & dont les femmes
font rarement atteintes ; mais chez qui elle
eft plus effrayante & plus cruelle : enfin la
jeune Ladi mouroit de la maladie qu'on
appelle confomption .
le
L'état où cette nouvelle mit Philette , feroit
difficile à peindre. Il s'attendrit avec
pere de cette fille infortunée. Il verfa
des larmes avec lui , & Milord ne les prit
que pour une marque de fenfibilité du jeune
François pour fes peines. 11 fe garda
bien de lui propofer de voir fa fille . Elle
étoit dans cet état , où le filence feul , la
folitude la plus profonde , l'éloignement
de tout objet, en ne combattant pas la noirceur
qui s'eft emparée de ces ames angloifes
, les font fubfifter encore quelque temps
pour jouir avec amertume de leur fombre
douleur , & fe pénétrer de la triſteffe de
leur-être.
Philette fortit défefpéré ; c'eft alors qu'il
fentit qu'il aimoit. Il courut le lendemain
à l'hôtel du Milord renouveller la fcene
attendriffante de la veille : il ofa propoſer
de voir fa fille , il ne l'obtint pas. Le pere
craignoit de hâter le moment qui alloit la
lui ravir.
Philette à peine forti , chercha , mit
14 MERCURE DE FRANCE.
tout en oeuvre , & gagna enfin celle des
femmes qui approchoit le plus près de la
jeune Ladi , & qui la fervoit fans pronon.
cer une parole. Il la fit conſentir à lui dire
que le jeune François qu'elle daignoit
autrefois prier de lui parler fa langue ,
brûloit de la voir. Cette femme prit un
inftant qu'elle crut favorable ; mais à peine
ouvrit-elle la bouche, que , fans l'entendre
, fa maîtreffe lui impofa du gefte &
d'un coup d'oeil un filence rigoureux. Elle
porta cette trifte nouvelle à Philette . Ses
inftances redoublerent. Elle ne promit rien,
Elle lui annonça même qu'à la premiere
parole qu'elle oferoit proférer encore , elle
feroit pour toujours bannie de la préſence
de fa maîtreffe . Elle n'en étoit que trop
sûre. Depuis trois mois , perfonne n'avoit
ofé ouvrir la bouche devant elle , & ellemême
ne s'étoit exprimée que par un gefte
& des foupirs. Philette infifta avec toute la
vivacité de la paffion qui l'animoit . Julie
tint bon contre fes paroles , mais ne pût
réfifter à fes libéralités . Ainfi vaincue , elle
effaya encore , elle dit un mor. Ce qu'elle
avoit prévu arriva , elle eut défenſe de paroître
dans cet appartement.
Philette ne fe connur plus à ce récit , il
donna tout ce qu'il avoit , il promit tout
ce qu'il pouvoit avoir. Il obtint de cette
MA I. 1758.
25
femme qu'elle lui montreroit le chemin de
l'appartement de fa maîtreffe . Rien ne réfifte
à l'or. Elle le cacha chez Milord Duc,
Le moment qu'elle crut favorable arriva.
Elle le guide . Il traverfe plufieurs pieces
obfcures. Il entre dans un appartement
dont toutes les glaces & les tableaux étoient
couverts , il n'étoit éclairé que de deux
triftes bougies éloignées d'un lit violet où
la jeune Ladi mourante étoit enfevelie dans
fa douleur profonde . Il balance , il héfite ,
il ofe approcher d'un pas tremblant , il
refte immobile , il s'enhardit un peu , il la
nomme d'une voix entrecoupée. Elle jette
un cri aigu , elle demeure fans connoiffance
. Les femmes accourent. Philette étoit
dans le même état , un fauteuil l'avoit reçu
dans fa chûre & fon évanouiffement,
On le tranfporte dans un appartement voifin.
Milord accourt , averti par le bruit
qu'il vient d'entendre . Il eft depuis longtemps
auprès de fa fille dont l'évanouiffement
dure encore . Enfin pour la premiere
fois qu'elle a parlé depuis plufieurs mois ,
elle s'écrie qu'un fpectre la pourfuit , &
que cette ombre lui annonce que l'objet
qu'elle adore eft mort avant elle . Milord
fon pere s'étonne. Il commence à foupçonner
le fujet de la douleur qui la mene au
tombeau. Elle étoit trop foible pour luj
24 MERCURE DE FRANCE.
parler , il remet au lendemain. Il fe retire,
Le lendemain hélas ! eût été trop tard.
Elle mouroit. Julie celle de fes femmes.que
Philette avoit gagnée , ofe le nommer :
elle lui dit que ce n'eft point un ombre :
que Philette lui- même venoit fe jetter à
fes pieds : que c'eft lui : que c'eft Philette :
qu'il l'aime , qu'il l'adore. Ses forces la
quittent encore. Elle tombe dans un évanouiffement
plus cruel que le premier. On
avertit Milord. Il étoit auprès de cet amant
qui commençoit à ouvrir les yeux à la lumiere.
Il court à fa fille : il attend qu'elle
revienne à la vie. Le premier figne qu'elle
en donne , eft d'appeller Philette : elle voit
fon pere baigné de pleurs , il l'embraſſe ,
il la mouille de fes larmes ; elle lui décou
vre fon fecret par des paroles entrecoupées.
Il la confole , il lui apprend que Philette
n'eft pas loin ; qu'elle le verra , que ce
n'eft pas affez dire qu'il l'aime , puifqu'il
l'adore. Milord ajoute qu'il confent à leur
amour. On conçoit dans cet état de foibleffe
quels ménagemens il fallut prendre pour
les faire voir l'un à l'autre. On attendit
qu'ils fuffent remis de la violence de ces
premiers inftans . Ils fe virent ; ils s'aimerent
; ils fe le dirent. L'himen du confentement
des deux peres couronna leur
amour. Ils furent & vécurent toujours heu-
"
reux
MA I. 1758. 25
feux.La jeune Ladi reprit fes forces & avec
elles tous fes charmes : il ne lui refta qu'un
air de langueur qui la rendoit plus touchante.
•
Par le Montagnard des Pyrénées.
VERS
AMadame la Marquise de Bouflers , par
M. l'Abbé P...
De Bouflers fur les coeurs i l'empire eſt ſi
grand ,
Difoit un jour la Déeffe de Gnide ,
C'eft de moi feule qu'il dépend :
Qu'on la regarde , & qu'on décide:
C'eft , repliqua Minerve , un effet de mes foins :
Qu'on l'écoute , & puis qu'on prononce,
Du débat les Graces témoins ,
Aux deux Divinités firent cette réponſe.
Croyez-nous , terminez des difcours fuperflus :
Bouflers vous doit beaucoup , mais nous doit encor
plus :
Tout ce qu'en fa faveur votre amour ne put faire ;
A vos bienfaits nous l'avons ajouté :
Vous donnez , il eft vrai , l'eſprit & la beauté ;
Mais c'eft par nous que vos dons fçavent plaire?
B
24 MERCURE DE FRANCE.
parler , il remet au lendemain. Il fe retire.
Le lendemain hélas ! eût été trop tard.
Elle mouroit. Julie celle de fes femmes que
Philette avoit gagnée , ofe le nommer :
elle lui dit que ce n'eft point un ombre:
que Philette lui- même venoit fe jetter à
fes pieds : que c'eft lui : que c'eft Philette :
qu'il l'aime , qu'il l'adore. Ses forces la
quittent encore. Elle tombe dans un évanouiffement
plus cruel que le premier. On
avertit Milord. Il étoit auprès de cet amant
qui commençoit à ouvrir les yeux à la lumiere.
Il court à fa fille : il attend qu'elle
revienne à la vie. Le premier figne qu'elle.
endonne , eft d'appeller Philette : elle voit
fon pere baigné de pleurs , il l'embraffe ,
il la mouille de fes larmes ; elle lui décou- ;
vre fon fecret par des paroles entrecoupées.
Il la confole , il lui apprend que Philette
n'eft pas loin ; qu'elle le verra , que ce
n'eft pas affez dire qu'il l'aime , puifqu'il
l'adore . Milord ajoute qu'il confent à leur
amour. On conçoit dans cet état de foibleffe.
quels ménagemens il fallut prendre pour
les faire voir l'un à l'autre . On attendit
qu'ils fuffent remis de la violence de ces
premiers inftans . Ils fe virent ; ils s'aimerent
; ils fe le dirent. L'himen du confentement
des deux peres couronna leur
amour, Ils furent & vécurent toujours heureux
MA I. 1758. 25
feux. La jeune Ladi reprit fes forces & avec
elles tous fes charmes : il ne lui refta qu'un
ait de langueur qui la rendoit plus touchante.
.
Par le Momagnard des Pyrénées.
VERS
AMadame la Marquise de Bouflers , par
M. l'Abbé P...
De Bouflers fur les coeurs ſi l'empire eſt fi
grand ,
Difoit un jour la Déeffe de Gnide ;
C'eft de moi feule qu'il dépend :
Qu'on la regarde , & qu'on décide:
C'eft , repliqua Minerve , un effet de mes foins :
Qu'on l'écoute , & puis qu'on prononce,
Du débat les Graces témoins ,
Aux deux Divinités firent cette réponſe.
Croyez -nous , terminez des diſcours fuperflus':
Bouflers vous doit beaucoup , mais nous doit en◄
cor plus :
faire ;
Tout ce qu'en fa faveur votre amour ne put
A vos bienfaits nous l'avons ajouté :
Vous donnez , il eft vrai , l'eſprit & la beauté ;
Mais c'eſt par nous que vos dons fçavent plaire
B
26 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A M. DE BOIS ST.
E dois vous remercier , Monfieur , de la
façon obligeante dont vous parlez du Marquis
de Creffy. Vous me paroiffez un peu
prévenu en fa faveur , & vos louanges font
i flatteufes , que le Public les trouvera
peut être un peu fortes pour une bagatelle
dont tout le mérite eft d'être écrit avec
quelque foin.
Mais êtes- vous bien für , Monfieur, que
les inclinations douces & la vertu de Madame
de Creffy puiffent fervir d'objections
contre le parti qu'elle prend ? & penfez
-vous qu'une femme vive , impétueuse ,
rendîc cette mort plus vraisemblable ?
Réfléchiffez fur ces deux caracteres ,
vous trouverez affurément qu'une perfonne
douce & tendre , eft portée par fon naturel
à recevoir les plus fortes impreffions ,
les conferver , à s'en occuper , à fe livrer
à cette profonde douleur qui rejette toute
confulation , conduit à fe dégoûter des autres
, à s'ennuyer de foi -même , à ne rien
eſpérer du temps ; enfin à regarder la vię
comme un poids difficile à fupporter , &
MA I. 1758 . 1727
que chaque inftant rend plus pefant . Une
femme emportée répand au dehors une
partie des peines qu'elle reffent : cette parstie
qui s'exale , diminue la violence de fa
paffion ; elle perd fon Amant , rien n'égale
fon chagrin ; elle accable de reproches
cet Amant infidele , fait mille projets
de vengeance qui l'empêchent de précipiter
fa mort ; elle pleure , crie , gémit , &
speut-être au bout de fix mois fera le même
éclat pour un autre.
Dans un premier mouvement on fe venge
, on tue celui qui l'excite ; mais il eſt
très rare que ce foit un premier mouvement
qui porte à fe tuer foi-même. C'eft
une fuite de triftes idées ; c'eſt la noirceur
d'une imagination toujours frappée du
même objet , ce font de longues réflexions
qui conduisent lentement & par degrés à
fe laffer d'un état qu'on imagine qui ne
peut changer : la raifon s'éteint , & l'égarement
& la foibleffe nous font préférer
l'anéantiffement à la douleur.
Madame de Creffy eft réduite à vivre
avec un homme qu'elle aime encore , mais
qu'elle n'aimera bientôt plus , qui a perdu
fon eftime, qui ne peut jamais la regagner ;
elle a été trompée , elle en eft fûre : tout
ce qu'il lui diroit ne la perfuaderoit plus.
Ah , Monfieur , quelle fituation !
1
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
Un homme vit tous les jours avec une
femme qu'il méprife ; quoiqu'elle ne touche
plus fon coeur , elle l'amufe , prend de
l'empire fur fes fens , excite fes defirs , les
fatisfait ; c'est tout ce qu'il en attend , c'eft
tout ce qu'il en exige : mais une femme
qui penfe bien , Monfieur , veut eftimer ce
qu'elle aime. C'eft au mérite que notre
ame s'attache ; & lorfque l'objet de notre
amour ceffe de nous paroître digne de notre
amitié , de notre tendreffe , je dirai plus ,
de notre admiration , que lui refte-t'il pour
nous rendre heureuſes ?
Après tout , Monfieur , je ne prétends
pas gêner votre extrait. J'aurai un vrai
plaifir à le voir. Si je n'ai pas les talens
qui diftinguent les Auteurs brillans du fiecle
, j'ai l'avantage d'être fans prévention
fur mon efprit , & j'ai bien peur que vous
n'ayez plus de peine à juſtifier votre éloge
que votre critique .
J'ai l'honneur d'être , &c.
MA I. 1758. 29
EPITRE
A M. D. H. G. D. T. R.
MORTEL ORTEL charmant, en qui les cieux
Font briller leur plus bel Ouvrage ,
Vous , qui penfez toujours en fage ,
Vous , qui parlez comme les Dieux ,
D'H... fi je fuis heureux ,
C'eft à vous que j'en dois l'hommage.
Déja compagne des Amours ,
La fanté riante & fleurie
Répand fur l'été de ma vie
L'éclat du printemps de mes jours.
Déja dans la plus noble ivreffe ,
Ma mufe renaît & s'empreffe
Au milieu des jeux & des ris ,
A joindre aux lauriers du Permeffe ;
Et les fruits murs de la ſageſſe ,
Et les doux myrthes de Cypris
Ainfi de la philoſophie ,
Les temples pour moi font ouverts ;
'Ainfi le Dieu de l'harmonie
M'invite à de nouveaux concerts :
Puiffante Reine d'Italie ,
Si parmi tant de biens divers
Ma voix plaît encore à Sylvie ,
Me voilà Roi de l'Univers.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE
Dans ma paiſible folitude .
Que manque-t'il à mes defirs &
La vérité fait mon étude
La liberté tous mes plaiſirs.
Loin du tumulte de la Ville ,
Des propos & du goût futile ,
Qui partagent le ton du jour ,
'A la raiſon j'offre un aſyle ,
Où le travail toujours utile
Où le repos toujours facile ,
Rempliffent mes voeux tour à tour
Là , je vous vois renaître encore ,
Momens autrefois fi chéris ,
Od fi fouvent avant l'aurore,..
Fixé fur les divins écrits
Que le Dieu des Arts fit éclore ,
Mon coeur dans les plus doux tranfport
Qu'infpire la reconnoiffance ,
Evoquoit les illaftres morts ,.
Ou , fans de magiques efforts ,
Dans un refpectueux filence ,
Perçoit l'affreuſe obſcurité
De ces rives ou la lumiere
N'étala jamais fa clarté ,
Et bientôt d'une aîle légere
Voloit avec vivacité
Vers ces demeures fortunées ,
Où les Héros , les demi - Dieux ,
Satisfaits de leurs deftinées ,
MÁ Ì. 1758 . 34
Ignorent le poids des années ,
Et les foupirs des malheureux.
Où fuis-je ... difois- je en moi- même ;
Quand parvenu dans ces beaux lieux ,
Je goûtois le plaifir fuprême
De voir les favoris des Cieux ! ...
Séjour charmant , que je vous aime ! >
Que vos bois font délicieux ! ...
O temps flatteur , temps précieuxj
Dont le charme fe renouvelle !
Qu'avec tranfport je me rappelle
Tes fleurs , ton ufage & tes jeux !
Qu'un autre aux rives du Pactole
Cherche donc à porter les pas
Ŝans tes attraits , fafte frivole ,
La vie eſt- elle fans appas ?
En vain de l'un à l'autre pole ,
Epris de ton éclat trompeur ,
Les mortels fur la foi d'Eole
Vont braver Neptune en fureur s
Qui fçait du foyer de ſes peres
Ecarter les vaines chimeres
Qui naiffent d'une folle ardeur ,
Y jouit des deux hémispheres ,
Et connoît feul le vrai bonheur,
Bir
12
MERCURE DE FRANCE.
PARALLELE de l'Orgueil & de
l'Élévation des Sentimens .
L'ORGUEIL a perdu les Anges & les hommes.
Il faut donc le regarder comme la
fource de tout mal .
L'élévation conduit au bonheur & à
l'immortalité .
Par orgueil on rougit d'être né d'une
baffe extraction. La moindre faveur de la
fortune fait bientôt méconnoître ceux de
qui on tient le jour , abandonner fes parens
, haïr fes égaux & même fes bienfaicteurs.
Par élévation on fe foumet aux ordres
de la Providence fur le choix qu'elle a fait
de notre origine. Elle nous préfente les
hommes égaux devant elle ; & fi on fe
foumet aux diftinctions des rangs , ce n'eft
que comme aux Ordonnances d'un Royaume
étranger , où l'on feroit obligé de vivre ,
& jamais une ame élevée n'a méconnu fa
fource.
Par orgueil on néglige de s'inftruire.
Les leçons font d'une amertume infuppor
table. L'on ofe nier le mérite des autres ,
croyant l'effacer .
MA I. 1758. 33
L'élévation feule donne du goût pour
F'étude , de la foumiffion pour les confeils ,
un defir ardent de furpaffer les autres en
véritable fcience .
Le moindre revers fait fuccomber une
efprit qui n'eft foutenu que par l'orgueil.
C'eft dans les revers que l'élévation
triomphe. Elle eſt toujours au deffus des
caprices du fort..
Par orgueil on envie la fortune de ces
hommes que le travail du pauvre enrichit.
Par élévation , on méprife la fortune qui
peut coûter des remords , & on lui préfere
même la pauvreté.
L'orgueil eft pere de la haine & de la
vengeance. Il nourrit le fouvenir des injures
, les imprime dans l'ame en gros caractere
, la trouble & la dégrade.
L'élévation connoît la jufte valeur des
procédés , rend fenfible aux infultes , s'en
fouvient & les méprife , prend foin de défendre
l'honneur attaqué par les méchans ,
& aime à les humilier par des bienfaits.
Le Maréchal de .... avoit des talens
pour
la guerre , que l'orgueil & l'avarice
qui en eft la fuite , ont obfcurci .
Le Maréchal de T. eft le meilleur con--
trafte
que l'on puiffe placer à côté du Ma
réchal de ....
34 MERCURE DE FRANCE
La vertu des femmes a plus fouvent fuc
combé fous le poids de l'orgueil que fous
celui des fens .
L'élévation combat toujours pour la
vertu des femmes . Heureufes celles qui en
ont une mefure affez forte pour remporter
la victoire contre tout ce qui les attaque !
Un Miniftre orgueilleux fe croit utile à
fa patrie , en exige des hommages , fait
graver fes fervices fur des monumens qu'il
croit que la postérité approuvera , abufe
de la confiance de fon Maître , éleve des
palais fomptueux , enrichit fes créatures ,
foule aux pieds ceux qui l'apprécient à fa
jufte valeur , & regarde le peuple comme
l'inftrument de fa félicité.
Un Miniftre d'un génie élevé n'abuſe
jamais de la faveur de fon Maître , parce
qu'il ne craint point de la perdre , mépriſe
les biens qu'il eft le maître de s'approprier,
fçait qu'un Citoyen ne peut s'acquitter envers
fa patrie , encourage le mérite & les
talens , récompenfe la vertu , & laiffe à la
poftérité le foin de fa réputation . C'eft elle
qui a le droit d'en juger fainement.
Par orgueil les Guifes furent les chefs
de la Ligue , profanerent le nom facré de
la Religion , affaffinerent leurs concitoyens,
& méconnurent leur légitime Roi.
Par élévation dans ces temps d'horreur,
MA I. 1758% 35
le Préfident de Novion dit au Duc de
Mayenne qui ofoit prétendre à la couronne
: Je vous regarderai toujours comme mon
bienfaiteur , mais jamais comme mon Roi.
C'eft l'orgueil qui a enfanté l'héréfie &
tous les malheurs qui la fuivent.
L'élévation foumet l'efprit aux décifions
de l'Eglife.
Quel malheur pour les peuples gouvernés
par un Roi que l'orgueil domine ! Des
guerres injuftes , le mérite avili , la flatterie
étouffant la juftice , la vengeance à la place
de la clémence , font un foible efquiffe des
maux qui les accablent.
L'élévation indique aux Rois les devoirs
de leur état , & tous les moyens de
les remplir ; l'amour de la paix , celui de
la juftice , la clémence , la libéralité , l'af
fabilité , &c. .
L'orgueil ne s'empare que des efprits
médiocres , & les rétrecit toujours .
L'élévation eft la bafe d'un efprit fubli
me, & il lui doit fon étendue .
Par Madame B.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur la mort du Moineau de Madame de St....
LORSQUE la mort fous qui tout plie ,
Dont rien n'arrête le ciſeau ,
Dans un accès de fa furie
Eut tranché les jours du Moineau ,
De la trop fenfible Leſbie ,
Animé du feu le plus beau ,
D'une main délicate & tendre ,
Catulle fe plut à répandre
Des fleurs fur ce trifte tombeau
Et par la fublime harmonie.
De fa divine poéſie ,
Il rendit à ce bel Oifeau
Un nouvel être , une feconde vies
Ah ! fi j'avois , ainſi que lui ,
Les graces , le don du génie ,
Je célébrerois aujourd'hui
Le trépas du Moineau chéri
D'une Amante encor plus chérie ?
Ne pouvant le reffufciter
Par toute la docte magie
De la puiffante pharmacie ,
Je voudrois , pour vous conſoler ,
Avoir , Eglé , du moins la gloire:
De l'éternifer dans l'hiſtoire :
MA I. 1758. 37
Mais il jouit d'un bien meilleur
Que n'eſt cette frivole vie ;
Son fort.eft plus digne d'envie ;:
Il vit encor dans votre coeur
Et votre amour le déifie.
Cet avantage , en vérité ,
Vaut mieux que l'immortalité :
Cependant , crainte qu'on n'oublie
Combien vous l'avez regretté ,
Je veux fur l'endroit mémorable ,
Dans lequel il eft inhumé ,
Graver en ftyle ineffaçable :
Cy gît l'Oiseau le plus aimable ;
C'étoit auffi le plus aimé.
SUITE fur M. de Fontenelle , par M..
LAbbé Trublet , contenant des corrections
des additions aux articles précédens.
MERCURE
ERCURE d'Avril 1757 , tome pré .
mier
• Page 75.
que: Je me fuis trompé lorfque j'y ai dit
le Palinod compofé par M. de F. lorfqu'il
étoit en Rhétorique , à l'âge de 13 ans ,
remporta un des deux prix. Mais la piece
quoique non couronnée , fut jugée digne:
de l'impreffion . Elle porte en tête , Epigramma
honorarium. C'eft, le titre qu'on
* MERCURE DE FRANCE.
donnoit aux pieces qui avoient approché
du prix. Les vainqueurs du jeune Fontenelle
furent le P. Etienne Dubois , Jésuite
& M. Enouf , Prêtre du Séminaire de Lifieux.
M. l'Abbé Saas , Chanoine & Académicien
de Rowen , a bien voulu me faire
de ces détails. C'eft l'Auteur de l'élégie
latine fur la mort de M. de F. dont nous
avons parlé dans le Mercure de Juin 1757
page 73 .
part
Même Mercure d'Avril , page 83 .
Sur les difcours de M. le Haguais ( Fran
gois le Haguais. )
C'est ainsi qu'il faut dire, Cependant
M. de F. difoit des Haguais , & beaucoup
d'autres le difent encore comme lui. M. de
F. avoit demeuré chez lui pendant plufieurs
années , & il n'en fortit que pour aller
loger au Palais Royal . M. le Haguais mourut
à Paris le 23 Janvier 1724 , âgé de
$4 ans , & laiffant une grande réputation
d'efprit & de probité . Il avoit brillé
dant longtemps dans la place d'Avocat Gé
néral de la Cour des Aides . Au talent de la
parole , & lors même qu'il parloit fur le
champ , il joignoit celui de l'action dans
un degré rare. Cependant , Orateur né à
rous égards , il parloit très- peu en conver
fation , même dans le tête à tête ; & com- '
me M. de F. parloit peu auffi , furtout lorf
1
penMA
I. 1735:
qu'il n'étoit pas excité , ils paffoient quelquefois
enfemble un temps affez confidérable
fans fe dire que quelques mots. Cetter
habitude au filence avoit tellement donné à
M. le Haguais l'air filencieux , que s'étant í
fait peindre par le célebre Rigaud , & le
portrait étant extrêmement reffemblant ,
M. de F. le voyant pour la premiere fois ,
s'écria : On diroit qu'il va fe taire.
Je me rappelle qu'en me contant ce trait,
M. de F. m'ajouta qu'un de fes coufins ,
fils du grand Corneille , étoit fi taciturne
qu'on l'appelloit Corneille Tacite.
Entre les difcours que M. de F. m'a dit
avoir compofés pour cet ami , en tout ou
en partie , il y en a un pour la préfentation
des lettres de M. le Chancelier Pontchartrain
, qui fuccéda à M. Boucherat en
1699. Je vais en citer un morceau qui fera
défirer au public , qu'on lui donne tous
ces difcours , comme ceux qui les poffédent
( r ) , me l'ont fait efpérer, Il y eft
queftion de la place de Contrôleur Général
des Finances , que M. de Pontchartrain
avoit remplie pendant 10 ans , avant que
d'être Chancelier. Ce morceau peut faire
pendant à celui de la police dans l'éloge de
M. d'Argenfon, Il eft d'un autre ton &
(1) MM. Joly-de Fleury
$
40 MERCURE DE FRANCE.
d'un autre ftyle , d'un ton plus élevé &
d'un ftyle plus oratoire ; le différent caractere
des deux ouvrages demandoit cette
différence. Le remerciement de M. de F.
lorfqu'il fut reçu le 5 Mai 1691 à l'Académie
Françoife , avoit déja prouvé qu'il
étoit capable , quand il le falloit , de ce
qu'on entend ordinairement par éloquence
, de ce genre d'éloquence que les Rhéteurs
appellent le genre fublime . (1 )
J'invite furtout à relire dans le remerciement
de M. de F. à l'Académie , l'endroit .
qui commence par ces mots : Un grand
Spectacle eft devant vos jeux, &c. L'Orateur:
y parle du fiége de Mons. Cette Ville s'étoit
rendue au Roi en perfonne , le 9 d'Avril
précédent , après 16 jours de tranchée
ouverte. C'eft un des événemens les plus
célebres du Regne de Louis XIV.
Extrait du difcours prononcé par M. le
Haguais , Avocat Général de la Cour des
Aides , à la préfentation des lettres de M. le
Chancelier de Pontchartrain.
Aux yeux du Vulgaire , il ( le Contrô
leur Général des Finances ) paroît parfaitement
heureux . Semblable à ces Dieuxque-
(1 ) On fait que les Rhéteurs diftinguent trois
genres d'éloquence , le fimple , le fublime & le
tempéré
1
MA I. 1758 . 41
Fantiquité imaginoit à la fource des grands
Aleuves , il eft appuyé fur l'urne d'où coulent
les tréfors ; il en regle le cours à font
gré , & il en arrofe les campagnes qu'il lui
plaît de favorifer.
Ce qui eft le plus néceffaire aux divers
befoins des hommes , ce qui l'eft encore
davantage à leur avidité , eft uniquement
entre fes mains.
Auffi , quelle foule de fupplians autour
de lui ! Le moment de fon élévation lui
donne un monde d'efclaves , attachés à lui
par les indiffolubles chaînes de l'intérêt.
Les plus fuperbes n'auroient pas de quoi
foutenir leur orgueil , s'ils ne fe profternoient
à fes pieds , & il devient le centre
où aboutiffent tous les voeux & tous les
refpects que produit la plus générale de
toutes les paffions.
Honoré de la plus intime confiance du
Prince , il en tire encore un nouvel éclat.
Cette Majefté preſque inacceffible aux autres
, féparée des plus grands de l'état par
un prodigieux intervalle , fe laiffe voir à
lui & plus fouvent & de plus près. Il jouit
de la précieuſe facilité d'approcher d'elle ,
& elle fouffre qu'il foit préfent , & quelquefois
même qu'il prenne part à la naiffance
de ces deffeins fecrets , d'où dépen
dent les deftinées des hommes.
44 MERCURE DE FRANCE.
Vaine & trompeufe félicité dont tout
l'enchantement difparoît au premier regard
de la raifon !
Tous les befoins d'un grand Royaumé ,
pefent fur celui qui préfide aux Finances ,
Toutes les maladies de l'Etat ont droit d'al
ler troubler fon repos , ou , pour mieux dis
re , elles fe font toutes fentir à lui.
Sans ceffe de nouveaux maux lui deman
dent de nouveaux remedes ; fouvent de
ces remedes même il renaît des maux qu'il
faut encore guérir , & cet emploi fi bril
lant & fi déſirable en apparence , n'eſt au
fonds que le fupplice de cet homme condamné
par les Dieux à rouler toujours ,
jufqu'au haut d'une montagne , une pier
re & un poids énorme qui retomboit tou
jours.
Mais ce qui doit le plus coûter à un bon
Citoyen , il faut que par les maux particuliers
, il prévienne ou foulage les maux
publics qu'il s'attende que ce foin même
paroîtra barbare à tout un Royaume , qui
fent les coups qu'on lui porte , & ne voit
pas ceux qu'on lui épargne' ; qu'il exerce
des rigueurs dont l'utilité éloignée & peu
fenfible , ne le juftifie pas auprès de ceux
qui les fouffrent ; qu'il fe refufe d'écouter
des gémiffemens , légitimes du moins par
la douleur préfente; que pour prix de fes
MAI. 1758: 43
travaux & de fes veilles , il foit l'objet de
toutes les plaintes de ce même peuple don
il affure le repos ; qu'il s'entende reproeher
jufqu'à la ftérilité des campagnes ,
devienne refponfable des rigueurs du
ciel.
Enfin ( & quel fupplice pour un coeur
fincere ) c'eft un de fes principaux devoirs
de raffurer , par fon extérieur , ceux qui
tremblent pour la fortune de l'Etat . Il faut
il opqu'aux
préfages les plus menaçans ,
pofe un vifage ferein ; qu'il fe donne un
air tranquille au milieu des plus cruelles
inquiétudes , & que , malgré la plus vive
fenfibilité , il s'efforce de contrefaire l'infenfible.
En vain , pour fe délaffer d'un foin continuel
& de la contrainte qu'il s'impoſe en
public , il fe réfugie pour quelques momens
dans fon domeftique ; il s'y trouve
auffi -tôt environné de courtifans que fa
fortune lui a raffemblés de toutes parts ,
ou d'amis qu'elle lui a faits , tous également
ardens à recueillir le fruit de fon élé
vation & de fes peines , tous également
fertiles & inépuifables en demandes , prefque
tous comblés fans être fatisfaits , &
tout au moins ingrats par leur infatiable
avidité.
Pour qui cet emploi fi pénible l'a- t'il ja44
MERCURE DE FRANCE.
mais été davantage que pour M. le Chancelier
? (1 ).
Encore fi avant que d'y parvenir , il en
avoit fait l'objet de fes voeux les plus fe-.
crets & de fa plus délicate conduite ; fi fon
imagination avoit été longtemps enflammée
ou du défir ou de l'efpérance . Il eût
moins fenti des maux qu'il auroit recherchés
; & l'ambition fatisfaite lui eût fait .
aimer jufqu'à fes peines.
Mais ni fa modération ne lui en permettoit
le défir , ni les conjonctures n'en
auroient permis l'efpérance aux plus ambitieux.
Un coup imprévu de la fageffe du Sou
verain , pareil en quelque façon à ces coups
de la providence qui ne tiennent point à
la chaîne ordinaire des événemens , l'enleva
fubitement du fein de la Magiftrature
qui l'avoit nourri , & le tranſporta dans
une place où tout étoit nouveau , même à
fa penfée
.
Il y entre , & le plus grand , le plus
menaçant des dangers s'offre à lui pour fon
coup d'eſſai . ( 2) Il n'a pas le loifir de s'inf-
( 1 ) La plupart des Grammairiens condamnent
que après davantage.
(2) M. de Pontchartrain fuccéda en 1689 , dans
la place de Contrôleur général , à M. Pelletier qui
s'en étoit démis volontairement,
MA 1. 1758 .
truire , ni d'attendre les tardives leçons de
l'expérience ; & quels efforts font néceffaires
au plus fublime efprit , pour fuppléer
par fes feules vues aux connoiffances
acquifes:!
Quelque fecours qu'il tirât de cette
prompte intelligence qui lui épargne le
long circuit des raifonnemens ordinaires ,
de cette vivacité de lumiere qui faifit le
vrai fi fûrement , qu'elle ne laiffe prefque
plus rien à faire aux réflexions , il fallut
cependant qu'une extrême application lui
tint lieu d'une longue habitude , & que la
force du travail applanît des difficultés qu'il
n'appartient ordinairement qu'à l'ufage de
furmonter , & c.
Mercure de Juillet , page 84.
J'ai parlé dans cet endroit d'un petit ou
vrage imprimé en 1695 , & intitulé : hiftoire
de la conjuration faite à Stockolm contre
M. Defcartes. J'ai dit que M. d'Artis (Journal
de Hambourg , tom. 3 pag. 297 ) avoit
penfé que cette fiction affez ingénieuſe ,
pouvoit bien être de M. de F. J'ai ajouté
que je ne le croyois pas , & que je la don
nerois plutôt à un Jéfuite , par exemple ,
au P. Daniel. J'ai fçu depuis qu'elle étoit
d'un M. Gervais de Montpellier , d'abord
Proteftant , enfuite Eccléfiaftique . J'igno
re s'il a fait quelques autres ouvrages,
6 MERCURE DE FRANCE.
Mercure d'Avril , 1757 , premier volume
, page 63 , & d'Août , pp. 5.5 , 63 , 6
fuiv.
Sur la Pluralité des Mondes.
I. Je fuis revenu plufieurs fois à cet ou
rage , le plus célebre de tous ceux de M.
de F. Les gens de lettres , & même beau-
Coup de gens du monde , fçavent que M.
Huyghens en a fait un fur le même fujet.
Mais plusieurs ignorent que fon livre eft
poftérieur à celui de M. de F. Ils le croient
même antérieur de pluſieurs années , & ik
en concluent que l'ouvrage de M. H. avoit
donné à M. de F. l'idée du fien ; que dès-
Hors celui - ci n'eft plus un ouvrage original
, & qu'ainfi M. de F. n'avoit guere
fait fur les mondes , d'après le Hollandois
-Huyghens , que ce qu'il fit depuis fur les
oracles , d'après Vandale , Hollandois
*auffi .
Quand cela feroit , la pluralité des mondes
& fon Auteur n'en feroient pas moins
eftimables : car ce n'eft pas le fyftême fur
lequel roule cet ouvrage , qui en fait le
"mérite ; c'eft la maniere dont ce systèmey
eft expofé. Mais enfin cela n'eft pas. Le livre
de M. de F. parut à Paris en 1686 &
celui de M. H. à la Haye en 1698. Il eft
écrit en latin , & intitulé : Chriftiani Huge
vii cofmothearos , five de terris cæleftibus ,
MA I. 1758. 47
parumque ornatu , conjectura ad Conftantinum
Hugenium fratrem.
En 1702 , il en parut une traduction
françoife, fous le titre de Nouveau Traité de
la Pluralité des Mondes , par feu M. Huyghens
, de l'Académie Royale des Sciences ,
par M. D*** , c'est- à - dire , M. Dufour.
On trouve un très-bon extrait du livre
de M.H. fur l'original latin , dans le journal
de M. de Beauval tom. 14 , page 229,
Mai 1698. Cet extrait débute ainfi :
« On a lu d'abord la Pluralité des Mondes
» de M. de F. comme un badinage ingé-
> nieux , hazardé pour égayer une converfation.
Mais les impreffions qu'on emporte
de cette lecture , font qu'on revient
» enfuite à regarder les chofes plus férieufement
, & à foupçonner que fon fyſtême
pourroit bien n'être pas abfolument
faux. Du moins ceux qui n'y ont pas fait
affez d'attention , en jugeront peut-être
autrement , quand ils le verront foutenu
» du fuffrage de M. Huyghens. Cet Aftronome
fi célebre , après avoir bien étudié
la conftitution de l'univers , eft demeu-
»ré convaincu que la terre n'eft pas le feul
globe qui foit habité , &c . »
On trouve l'extrait de la traduction
françoife du livre de M. H. dans le Jourpal
de Trévoux , Mai 1702 mais cet ex
48 MERCURE DE FRANCE.
trait eft bien différent à tous égards , de
celui de M. de Beauval. L'ouvrage de M.
H. y eft fort maltraité , & le Journaliſte
le trouve fi peu digne de l'Auteur dont il
porte le nom , qu'il doute qu'il en foit effectivement
, du moins en entier. Je ne
fcache pas que perfonne en ait jamais douté.
Mais il y a plus , & M. de Chauffepie ,
dit pofitivement dans l'article de M. H.
( 1 ) que cet Aftronome , qui mourut le 8
Juin 1695 , âgé de 66 ans , avoit fait imprimer
de fon vivant la premiere feuille
de fon livre , & il le dit pour combattre le
doute du Journaliſte de Trévoux. Celui - ci
que nous croyons être le célebre P. de Tournemine,
ne fe borne pas à attaquer plufieurs
des raifons de M. H. en faveur de l'opi
nion de la pluralité des mondes . H attaque
l'opinion même , mais par des railleries &
quelques unes affez ameres , plus que par
d'autres raifons , ou du moins en Théolo
gien plus qu'en Phyficien . « Le fyftême des
» mondes planétaires , dit- il , ne s'accom-
» mode pas trop des idées de la Théologie.
M. de Fontenelle en avoit très- bien fenti
les difficultés dans l'ouvrage fi ingénieux
» & fi poli qu'il a fait fur cette matiere . Il
» avoit pris foin de les détourner , en di-
( 1) Voir for Dictionnaire , t. 2 .
»fant
MA I.
1758. 49
fant que les habitans planétaires ne font
point du tout des hommes . Comme l'on
» ne balance , pas ici à dire que c'en font
d'auffi véritables que nous , &c. »
tend
Il eft vrai que M. H. fe fert du mot
d'hommes ; mais il eſt évident qu'il n'empar-
là que des
créatures
intelligentes ,
des animaux
raifonnables. Voici les propres
paroles , page 32. In planetis effe animantia,
que ratione mantur. Il l'avoit déja
dit page 7 , & il le répete en plus d'un
endroit , ajoutant même que , vu la prodigieufe
variété des ouvrages de la nature ,
il y a toute apparence que les hommes planétaires
font très-différens à plufieurs égards
des hommes terreftres , & qu'en
particulier
ils ont une autre figure , &c. Dès- lors ce
ne font plus des hommes que pour les philofophes.
Je doute fort que fi ceux qui travaillent
aujourd'hui au Journal de Trévoux , le P.
Berthier , par exemple , fi propre à ce genre
de travail , avoient à faire l'extrait du
livre de M. H. , ils le fiffent dans le goût
du Pere de Tournemine , Jéſuite .
II. Si quelque ouvrage pouvoit avoir donnéà
M. de F. l'idée de fa pluralité des mondes
, c'eft celui qui a pour titre , « le Monde
dans la Lune , divifé en deux livres ;
le premier , prouvant que la lune peut 33
C
so MERCURE
DE FRANCE,
"
❤être un monde ; le fecond , que la terre
peut être une planette. De la traduction
» du fieur de la Montagne , ( avec cette
épigraphe ) : Mais de quoi ( diras-tu ) me
peut-ilfervir de fçavoir cela ? Si ce n'est
» pour autre chofe , au moins j'apprendrai
» qu'il n'y a rien en ce monde qui ne foit de
» peu de valeur. Seneque en la préface au
» premier livre de les queftions naturelles ( 1 ) .
» A Rouen , chez Jacques Cailloué , dans
» la Cour du Palais . 1656. Deux parties en
» un volume in 8°.
¿
J'ai balancé ſi je parlerois de cet ouvrage
, n'ayant aucun éclairciffement à donner
, ni fur le traducteur , ni fur l'Auteur ,
& la chofe d'ailleurs n'en valant guere la
peine . Le fieur de la Montagne m'eft entiérement
inconnu , & ce n'eft peut-être
qu'un nom feint. Dans fon avis au Lecteur
il ne nomme point fon Auteur. Il dit feulement
que c'eft un fçavant homme , fort
célebre en fon pays par les excellens ouvrages
qu'il a mis au jour , tant en Théologie qu'en
mathématique. Il ne dit pas même en quelle
langue le livre étoit compofé . Sur tout cela
, & de plus , fur le ftyle de la préten
due traduction , je doute que c'en foit une
(1) Voici le texte de Séneque : Quid tibi , ina
quis , ifta, proderunt ? Si nihil aliud , hoc corte
fciam , omnia angufta effe.
MAI.
$758.
Ce ftyle , quoiqu'affez mauvais , a pour
tant un air d'aiſance & de liberté qui décele
un original.
Au refte , quoiqu'il y ait de bonnes chofes
dans cet ouvrage , & que M. de F. ait
pu le connoître , d'autant plus qu'il avoit
été imprimé à Rouen , du moins fi le frontifpice
n'eft pas trompeur , j'ai parcouru le
livre avec affez d'attention , pour pouvoir
affurer que M. de F. n'en a rien emprunté.
Si l'on trouve quelquefois les mêmes preuves
& les mêmes penfées dans les deux ouvrages
, c'eft uniquement parce qu'ils font
fur le même fujet.
III. On trouve dans le journal de M. de
Beauval , Juin 1702 , tom . 18 , pag. 264,
L'extrait de l'Hiftoire de l'Académie des
Sciences 1699. C'eft le premier volume
qu'ait donné M. de F. M. de Beauval commence
fon extrait par la préface générale ,
& il en fait les plus grands éloges. J'ai dit
ailleurs combien elle fut eftimée , & combien
elle l'eft encore. Comptant parmi les
avantages des mathématiques , qu'elles
contribuent à la jufteffe de l'efprit , & regardant
cette jufteffe comme néceffaire dans
les ouvrages de tout genre ( 1 ) , M. de F.
avoit dit :
(1) Horace penfoit de même , & c'eſt le vrai
fens de ce vers fi conny :
Cij
31 MERCURE DE FRANCE.
W
«L'efprit géométrique n'eft pas fi atta
ché à la géométrie , qu'il n'en puiffe être
tiré & tranfporté à d'autres connoif
»fances. Un ouvrage de morale , de politique
, de critique , peut- être même d'éloquence
, en fera plus beau , toutes
chofes d'ailleurs égales , s'il eft fait de
main de Géometre. »
33
59
Sur cela M. de B. rapporte l'objection
commune , que les mathématiques defféchent
l'efprit , & qu'en l'accoutumant à des
vérités feches & arides , elles lui donnent du
dégoût pour tout ce qui peut l'orner & l'enbellir.
« Un Géometre , ajoute-t'il , fe
• foucie peu d'une penfée ingénieufe &
délicate , & trouve fes fupputations algébriques
beaucoup plus fûres & plus
"
» folides. »
M. de B. oppofe à cette accuſation ,
l'exemple de M. de F. Il pourroit lui-mê
» me , dit- il , fervir de raifon pour réfuter
» la triſte idée qu'on fe fait des Mathéma-
» ticiens ; il n'apporte point dans le mon-
» de l'air diftrait & rêveur des Géometres ,
& il joint à la politeffe & à la délicatef-
» fe de l'efprit , la jufteffe & l'exactitude
» des mathématiques . Il ne parle point en
ود
fçavant qui ne fçait que les termes de
Scribendi recte , Sapere eft , & principium & fons.
Art poéte
M A I. 1758. $$
"
➡l'art. Le ſyſtême du monde , qui pour un
» autre feroit la matiere d'une differtation
dogmatique , & qu'on ne pourroit peut-
» être entendre qu'avec un dictionnaire,
» devient entre fes mains un badinage
agréable , & quand on a cru feulement
» fe divertir , on fe trouve quafi habile en
» Aftronomie fans y penfer ».
"
4
IV. Dans le premier volume du Mercure
d'Avril de cette année , page 64 , j'ai indiqué
une jolie piece de vers Anglois fur
la pluralité des mondes. Un de mes amis a
bien voulu me la traduire , & la voici.
Aune jeune Dame en lui envoyant les Mondes
de Fontenelle. Coll. of. Poems. t . 3 ,
pag. 233 ( 1 ) .
« Ce petit ouvrage vous dévoilera les
» merveilles de la nature : il adoucira pour
» vous les traits de l'auftere philofophie.
»Vous parviendrez juſqu'à la vérité par un
» chemin de fleurs ; vous croirez ne lire
qu'un agréable roman. Trop longtemps
» ces hautes connoiffances, fruit d'une étu-
» de opiniâtre , avoient été refervées à un
"petit nombre de fages qui n'en décou-
" vroient les beautés qu'en perdant leurs
"
( 1 ) Cette piece eft anonyme , & j'en ignore
Auteur
C iij
34 MERCURE DE FRANCE.
» yeux , & qui affis au feftin de la fcien
ce, loin d'en rapporter la gaieté , en
fortoient mornes & appefantis. Les gens
de bonne humeur rioient de leur air fombre
, & fuyoient une fcience fi trifte , à
l'égal de l'antre de Trophonius. Avoientils
tort de craindre des connoiffances qui
» les auroient rendu ftupides avant que
d'en faire des Sçavans ? Ici vous contemplerez
avec plaifir une eau claire quoi-
款
» que profonde.
»
33
"
Votre fexe léger a toujours méprifé
les fciences , ne fe fouciant que de l'art
» de la parure. Le temps inutile pour vos
pareilles , a été prodigué à quelques hiftoriettes
frivoles , ou à la comédie du
jour. La meilleure des femmes , peutêtre
, donne quelques heures perdues à
ce je ne fçais quoi , vuide pour elle de
fens & de fentiment , & appellé mal- àpropos
priere. En vain les fpheres bril
» lantes répandoient pendant de belles
» nuits des fleuves de lumiere ; nos belles
les voyoient parcourir les cieux avec une
froide indifférence , & inftruites par nos
petits maîtres , elles ofoient donner la
préférence à leurs yeux . Aucune ne fça-
>> voit que les étoiles étoient autant de foleils
femés dans l'immenfité de la nature
; elles ne connoiffoient d'autre monde
30
ม
MA I. 1758.
que celui- ci . Elles pouvoient bien avoir
»' une haute idée de leurs charmes , puif-
» que , croyant ce monde unique , elles
en font l'unique ornement. Renonce-
» riez - vous , comme elles , aux grandes
» idées que ce livre fait naître , pour
toutes les bagatelles que votre fexe admire
? Non , foutenez vos droits au bon
» fens , & montrez aux hommes que la
raifon n'eft pas faite pour eux feuls . »
" Et vous , fieres beautés , qui préten-
» dez aux autels , & qui regarderiez com-
» me des facrileges , ceux qui refuferoient
» de vous adorer ; lifez ceci , & foyez
» vaines , fi vous l'ofez encore .
» Vous même , dont l'empire eft fi étendu
» & fi affuré , que feriez- vous pour nous
»fans les agrémens de votre efprit ? Quand
» tous ceux qui vous voient , vous ver-
» roient avec mes yeux ; quand aucune
»maladie ne viendroit ternir votre beauté
; quand vous feriez enfin tout ce que
" je penfe de vous , & tout ce que ceux
» qui vous connoiffent , en penfent com-
»me moi , quel efpace , quelle durée pour
» vos charmes ? une ifle, & au plus la moi→
→ tié d'un fiecle .
La fuite pour le Mercare prochain.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE
Ce
VERS
A Mademoiselle Frogier- Dupleffis
Vous , que Plutus & les Amours
Carefferent dès votre enfance ,
Qui voyez couler tous vos jours
Dans les plaifirs & l'abondance ;
Vous , que les graces ont ornée
Des appas les plus féduifans ,
Qui dès votre quinzieme année
Avez le coeur de mille Amans ;
Aimable Eglé , dont la tendreffe
Feroit ma feule volupté ,
Que j'envie la félicité
De l'objet qui vous intéreffe !
Heureux celui qui tous les jours
Vous voit , vous entend , vous admire ,
Dont vous écoutez les difcours ,
Qui vous aime , & peut vous le dire !
Ah ! que mon fort feroit heureux
Si vous répondiez à ma flamme ,
Et fi vous fentiez en votre ame
que m'ont infpiré l'éclat de vos beaux yeux.
Hélas ! fi de l'amour la douce tyrannie ,
Si le feu le plus pur & la plus vive ardeur
'Avoient pu , belle Eglé , mériter votre coeur ,
Vous feriez maintenant le bonheur de ma vie.
MA I. 1758. '57.
Je ne refpire que pour vous ;
De vos divins attraits mon ame eſt embraſée ,
Et je me fais le plaifir le plus doux
D'occuper mon efprit de votre chere idée.
Cependant vous me haiffez ,
Vos beaux yeux évitent ma vue :
Vous me bravez , cruelle , & fans fin vous
verfez
Dans mon coeur enflammé le poiſon qui le tue.
Par quel crime ai - je pu m'attirer vos rigueurs e
Hélas ! divine Eglé , depuis que je foupire ,
La raiſon n'eut jamais fur moi le moindre em
pire :
Pardonnez à l'Amour les fréquentes erreurs ;
Mais , quel que foit mon fort , votre gloire m'eft
chere ,
Et qui l'offenferoit effuyeroit mon courroux :
Je n'aſpirerois pas au bonheur de vous plaire ,
Si je ne me croyois un coeur digne de vous.
QUILANFER
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
J'AI 'AI l'honneur , Monfieur , de vous envoyer
la traduction que j'avois faite , il y a
long- temps , de quelques penfées détachées
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
de Pope & de Swift : un de mes amis à
qui j'ai montré ces penſées , m'a appris
qu'il y en avoit une partie dont on avoit
inféré la traduction dans l'Année Littéraire
( 1754 , N°. 27 , pag. 103 ) . J'ai lu cette
traduction , & je n'ai pas cru devoir pour
cela fupprimer celle que j'ai faite des mê
mes morceaux ..
M. Fréron dit quelque part , fi je ne me
trompe , que la plupart de nos Traducteurs
dé l'Anglois , au bout de quelques leçons
fe dépêchent d'envoyer leurs thêmes à l'Im,
primeur. Auffi trouve - t'on qu'il ne leur
manque guere que le goût de leur propre
langue , & l'intelligence de celle qu'ils
veulent traduire. Je ne dis pas cependant
que ce foit le cas de l'Auteur de la traduction
dont je parle , dans laquelle on pourroit
feulement défirer plus d'élégance , plus
de précifion , une littéralité moins timide
& plus fidelle, & furtout le ton propre aux
penfées détachées. On peut en juger par
quelques traits que je citerai en notes. Je
n'ai pas prétendu d'ailleurs reprendre toutes
les fautes que j'ai cruappercevoir , parce
que les détails de critique font faftidieux ,
lorfqu'ils ne font relevés ni par l'importan .
ce des objets , ni par le nom des Auteurs.
Jelaiffe d'ailleurs à celui que je critique , le
plaifir de s'égayer aux dépens de ma tras
M A I. 1758. 59
duction , & il aura d'autant plus d'avantage
, que je ne me fuis pas donné la peine
d'en vérifier l'exactitude , en la confrontant
avec l'original que je n'ai pas
dans ce
moment entre les mains. Je fuis , &c.
PENSÉES détachées , traduites de l'An
glois de Pope & de Swift.
(1) Il n'ya jamais eu de partis , de factions,
de fectes , de cabales , de quelque nature
que ce foit , où les plus ignorans n'ayent
été les plus ardens : car l'abeille n'eft pas un
animal plus occupé qu'un fot : ce font cependant
des inftrumens néceffaires aux Po
litiques , & peut- être qu'il en eft des Etats
comme des horloges , dans lefquelles on ſe
fert de gros poids pour aider & régler le
mouvement des refforts plus deliés & plus
utiles.
Prétendre émouvoir la multitude par
(1 ) Je ne fçais pourquoi cette penſée a été ainſi
mutilée dans la traduction dont j'ai parlé. « Un
fot eft plus affairé que l'abeille la plus difigen-
» te. De tels inftrumens font pourtant néceffaires
» aux Politiques. Il en eft peut - être dés états
comme des horloges qui demandent plufieurs
»poids de plomb , pour aider & rendre régulier le
>> mouvement des parties les plus déliées & les
plus néceffaires. »
"
Cvji
60 MERCURE DE FRANCE.
des traits fins & délicats , c'eft effayer de
couper du marbre avec un rafoir.
La fineffe & l'élévation de l'efprit ne
font pas fi utiles que le bon fens . Il y a
beaucoup de gens d'efprit pour un homme
de fens ; celui qui ne porteroit fur lui
que de l'or , feroit tous les jours embarraſfé
faute de monnoye.
La fcience eft comme le mercure , qui
eft un des plus puiffans & des plus excellens
remedes dans des mains habiles ,
des plus dangereux dans des mains malhabiles
.
&
Les plans de gouvernemens trop compliqués
font comme des chef - d'oeuvres
d'Horlogerie , dont la jufteffe dépend de la
combinaifon de tant de mouvemens différens
, qu'ils fe dérangent très -facilement.
La vanité d'un homme eft précisément
en proportion de fon peu de jugement.
(1 ) La modeftie n'a befoin d'être recom-
(1 ) Cette penſée avoit été rendue ainfi : « La
modeftie ne peut jamais produire de bons effets ,
» & par rapport à nous-mêmes , & vis - à - vis du
» Public. Un homme qui prétend à peu vit tran-
» quille : un glorieux , au contraire , eft continuel-
» lement dans la gêne pour paroître ce qu'il n'eft
pas. Si nous avons du génie & des talens , notre
» modeftie eft ce qui le prouve le mieux aux au-
» tres : fi nous fommes dépourvus de lumieres &
» d'efprit , notre modeftie eft encore le meilleur
M.A L. 1758. Br
mandée que par elle-même un homme
fans prétention eſt toujours à fon aiſe , au
lieu que la vanité exige un travail continuel
pour paroître ce qu'on n'eft pas. Si
nous avons de l'efprit , la modeftie le prouve
aux autres ; fi nous n'en avons pas , elle
en cache le défaut. De même que la rougeur
fur le vifage d'une proftituée , peut
quelquefois la faire prendre pour une
honnête femme , la modeftie peut auffi
faire paffer fouvent un fot pour un homme
d'efprit.
*
L'avantage de l'homme n'eft pas tant
d'être exempt de fautes que de fçavoir les
réparer. Il en eft des erreurs de l'efprit
comme des mauvaiſes herbes d'un champ
qui , arrachées & brûlées fur le terrein qui
les a produites , l'engraiffent & le rendent
meilleur qu'il n'auroit été , fi elles n'y fuffent
pas venues.
»
(1 )Pourquoi rougir d'avouer qu'on s'eft
» moyen de cacher ce qui nous manque de ce
» côté-là. Car de même que la pudeur peut quelquefois
faire prendre une fille publique pour ,
une honnête femme , ainfi la modeftie peut
» faire prendre un fot pour un homme d'eſprit . »
Quelle élégante préciſion !
(1 ) « Un homme ne devroit jamais rougir d'a
vouer qu'il a tort , car , en faiſant cet aveu , c'eft
» comme s'il difoit qu'il eft plus fage aujourd'hui
»qu'il ne l'étoit hier. »
3 MERCURE DE FRANCE:
rompé ! n'eft- ce pas dire qu'on eft plus
fage aujourd'hui qu'on ne l'étoit hier ?
Se mettre en colere , c'eft punir fur foimême
les fautes d'autrui.
La fuperftition eft la ( 1 ) confomption
de l'ame.
L'Athée n'eft qu'un fou qui fe moque
ridiculement de la religion , mais l'Hypocrite
joue de fang froid Dieu & la religion .
Il trouve plus aifé ( 2 ) de tomber à genoux
que de s'élever à une bonne action . C'eft
un débiteur impudent , qui vient tous les
jours caufer familiérement avec fon créancier
, fans lui payer jamais ce qu'il lui
doit.
Quand nous fommes jeunes, nous tra
vaillons en efclaves pour nous procurer de
quoi vivre agréablement dans la vieilleffe :
& quand nous fommes vieux , nous nous
appercevons qu'il eft tard trop pour vi
vre comme nous nous l'étions propofé.
Un homme de génie n'eft pas incapable
d'affaires , mais il eft au deffus des affai
res. Un cheval fier & plein de feur , por
teroit un bât tout auffi - bien qu'un âne ,
(1 ) Le spleen.
fe
( 2 ) Le premier Traducteur a rendu ainfi cer
endroit « Il trouve plus aifé de ſe baiſſer pour
» mettre à genoux , que de fe lever pour faire une
bonne action , &Cr
MAI. 1758.
mais il eft trop bon pour être employé à ce
vil fervice.
Je ne jette prefque jamais les yeux
fur un bel édifice , ou fur quelque monument
de pompe & de magnificence , que
je ne me dife à moi- même : cela eft bien
peu de chofe pour raffafier l'ambition &
remplir les defirs d'une ame immortelle !
( 1 ) Si vous voulez réunir à une feule
religion tous les hommes raiſonnables &
fans prévention , faites les converfer tous
les jours enfemble.
S'il eft raisonnable de douter de beaucoup
de chofes , nous devons furtout dou
ter de notre raison qui prétend tout expliquer.
Les mauvais Critiques qui difent du
mal des mauvais Auteurs , font comme
ces Charlatans qui crient fans ceffe qu'on
fe donne bien de garde des faux orviétans ; .
ils decrient les drogues d'autres fourbes
pour faire paffer les leurs.
En France un Ecrivain n'en attaque
guere un autre , s'ils n'ont eu enſemble
quelque démêlé perfonnel ; en Angleterre
les Auteurs ne louent guere que ceux aves
qui il font liés d'intérêt ou d'amitié .
( 1 ) La premiere traduction dit : « Il ne fautpour
rendre d'une feule Religion tous les gens
fenfés , &c.
34
MERCURE DE FRANCE:
( 1 ) Je n'ai jamais connu perfonne qui
ne fût en état de fupporter les malheuts
des autres avec la fermeté d'un Chrétien.
Les hommes font reconnoiffans au mê
me degré qu'ils font vindicatifs .
La diffipation eft le bonheur de ceux qui
ne fçavent pas penfer.
(2 ) La plupart des vieillards reffemblent
aux anciennes chroniques. Ils nous font
des détails ennuyeux , mais vrais de leur
temps , & ne font bons à connoître que
pour cet ufage.
L'oeil des Critiques eft ordinairement
comme un microfcope travaillé avec foin,
Il découvre bien les fibres les plus déliées ,
les particules les plus menues d'un objet ,
mais il n'embraffe pas tout l'objet ; il n'en
réunit pas toutes les parties , & fait perdre
l'harmonie de l'enfemble.
Une femme ne hait jamais un homme
parce qu'il a de l'amour pour elle ; mais
elle pourra bien le haïr s'il n'a de l'a
mitié.
que
( 1 ) M. de la Rochefoucault avoit dit : Nous
avons tous affez de force pour supporter les maux
d'autrui.
(2 ) Voici la premiere traduction : « Les vieilles
>> gens font comme les vieilles chroniques , pour
» la plûpart : elles renferment des récits ennuyeuz
& vrais du temps paffé , & ne valent la peine
» d'être conſultées que pour cela.
M A I. 1758.
(1 ) Le cri général eft contre l'ingratitude :
cela eft injufte ;il devroit être contre l'or
gueil. Une ingratitude ouverte & volontaire
n'eft faite que pour des ames vraiment
méchantes , mais ordinairement celui
qui rend fervice , croit faire plus qu'il
ne doit à celui qu'il oblige , & celui- ci croit
prefque toujours avoir reçu moins qu'il ne
méritoit .
Un Roi d'Angleterre peut bien n'être
qu'un inftrument , un homme de paille ,
mais s'il fert à intimider nos ennemis , &
à défendre nos poffeffions , il eft utile . Un
épouvantail que nous mettons dans nos
champs , eft auffi un homme de paille , mais
il défend nos bleds .
Penfees de Swift.
Nous avons précisément autant de religion
qu'il nous en faut , pour nous haïr
( 1 ) . On avoit traduit : « Le cri général eft contre
l'ingratitude ; mais ces clameurs font dépla
cées : le cri général devroit être contre la va
nité. Il n'y a que des malhonnêtes gens qui
»foient capables d'une ingratitude marquée &
» volontaire. Mais il n'y a prefque perfonne qui
» ne penfe qu'il a fait plus que celui à qui il a
rendu fervice ne méritoit , tandis que ce dernier,
de fon côté , croit qu'il a reçu beaucoup moins
» qu'il ne méritoit. »
73 MERCURE DE FRANCË:
mutuellement ; mais nous n'en avons pas
pour nous aimer. affez
Je ne me fouviens plus fr l'Ariofte a
mis les confeils au nombre des chofes perdues
fur la terre , qu'on retrouve dans la
lune ; ils doivent y être auffi- bien que lo
tempsi
La religion femble être tombée en end
fance ; elle auroit befoin de miracles pour
fe foutenir , comme dans fa naiffance.
Les plaifirs vifs font balancés par un égal
degré de peine & de langueur : s'y livrer ,
c'est dépenfer cette année une partie du
revenu de l'année prochaine .
Un homme fage employe la derniere
partie de fa vie à fe guérir des préjugés ,
des foibleffes , & des fauffes opinions qu'il
a contractés dans la premiere
Quand un vrai génie paroîtra dans le
monde , vous le reconnoîtrez à cette marque
, que tous les fots fe ligueront contre
lui.
- Quelques Ecrivains , fous prétexte de'dé
truire les préjugés , déracinent les vertus ,
l'honnêteté & la religion .
Hérodote nous dit que dans les pays
froids , les animaux ont rarement des cornes
, & que dans les pays chauds ils en ont
de fort grandes. Cela pourroit avoir une
plaifante application .
MÁ Í. 1758 67
1
Quoi qu'en difent les Poëtes , il eft für
qu'ils ne donnent l'immortalité qu'à euxmêmes
; c'eft Homere & Virgile que nous
admirons dans leurs poëmes. Ce n'eft ni
Achille , ni Enée. Il en eft autrement des
Hiftoriens , nos penfées fe fixent fur les
actions , les événemens & les perfonnes
dont ils nous parlent , & nous ne penfons
guere à l'Écrivain
Ceux qui jouiffent de tous les avantages
de la vie , font dans une telle fituation ,
qu'il y a mille événemens qui peuvent
troubler leur bonheur , & très- peu qui
puiffent l'augmenter.
Je fuis porté à croire qu'au jour du jugement
, le fçavant qui aura manqué de
moeurs , & l'ignorant qui aura manqué de
foi , trouveront peu d'indulgence ; l'un
& l'autre feront fans excuſe. Čela rend les
avantages de la fcience & de l'ignorance
prefque égaux , mais quelques doutes de
plus dans le fçavant , & quelques vices
dans l'ignorant , feront peut- être pardonnés
à la force de la tentation.
Si un homme vouloit tenir compte de
toutes les opinions qu'il a eues fur l'amour,
ła religion , la politique , les fciences , & c.
quel cahos d'inconféquences & de contradictions
ne trouveroit- il pas à la fin !
Quand je jette les yeux fur la plupart de
68 MERCURE DE FRANCE.
ceux que nos Dames honorent de leurs fa
veurs , je ne puis me défendre d'avoir quel
que vénération pour la mémoire de ces cavalles
, dont parle Xénophon , qui , tant
qu'elles étoient dans leur jeuneffe & leut
beauté , ne vouloient pas fouffrir les careffes
d'un âne .
Vouloir , comme les Stoïciens , corriger
fes défauts en détruifant les paffions ,
c'eft fe couper les pieds quand on manque
de fouliers.
Il ne devroit pas être permis aux Médeçins
d'opiner en matiere de religion , par la
même raifon que les Bouchers ( 1 ) ne font
pas admis à être Jurés , quand il s'agit de
vie & de mort .
Si l'on voit fi peu de mariages heureux ,
c'est que les jeunes femmes perdent leur
temps à faire des filets , & ne fongent pas
à faire des cages.
La cenfure eft une taxe que le public
impofe fur le mérite fupérieur.
Les vieillards voient mieux à une certaine
diſtance , avec les yeux de l'enten-
(1) On fçait qu'en Angleterre un homme ac
cufé d'un crime eft jugé par douze Jurés , qui font
choifis parmi les perfonnes de fon état. Les Bou
chers feuls ne peuvent être Jurés , quand le crime
eft capital , à caufe de la préfomption de cruauté,
fans doute , que leur profeffion fuppofe
M A I. 1758. 69
dement , comme avec ceux du corps.
Un payfan mourant de l'afthme , difoit
: Ah ! fi cette maudite refpiration peut
une fois fortir , je l'empêcherai bien de
rentrer.
La loi , dans un pays libre , eft , ou
doit être la détermination du plus grand
nombre de ceux qui font propriétaires des
terres .
( 1 ) Chacun defire de vivre longtemps ;
mais perfonne ne veut être vieux.
Très- peu de gens , à proprement parler
, vivent à préfent ; mais tous fe difpofent
à vivre dans un autre temps .
J'ai connu des gens d'une grande répu
tation de fageffe dans les affaires publiques
& dans les confeils , gouvernés par des
valets imbécilles .
J'ai connu de grands Miniftres diftingués
par l'efprit & les connoiffances , qui
n'employoient jamais que des fots .
J'ai connu des gens de la plus grande fineffe
, perpétuellement dupés.
Les Princes font ordinairement de meilleurs
choix , que les fubalternes qu'ils
(1) J'ai traduit cette penfée pour faire voir
qu'il peut échapper à un homme de beaucoup
d'efprit , de grandes puérilités . C'eft précisément
parce que chacun veut vivre long- temps , que
perfonne ne veut être vieux,
MERCURE DE FRANCE
chargent de la diftribution des places .
Les plus lauables & les plus grandes
chofes ne font pas celles que demande le
grand nombre , mais la grande probité
Auffi un Koi , pour fe faire une réputation
„de bienfaiſance , n'a beſoin que d'être un
honnête homme & d'être bien conſeillé.
fi
Malgré les plaintes fi communes fur les
vices des gens en place , je n'ai point connu
de Miniftres & d'hommes à la tête des
affaires , méchans que leurs inférieurs.
Leur éducation & leurs connoiffances les
préfervent de cent baffeffes ordinaires , &
s'ils deviennent durs ou injuftes , ils y
font entraînés plus par la néceffité de leur
fituation , que par un penchant naturel au
mal.
L'envie s'attache furtout à la réputation
des hommes vertueux , comme les
oifeaux & les vers s'attachent aux meil
leurs fruits.
MA I. 1758. སྙ
VERS
AM. D. H. G. D. L. R. pour le premier
Jour de l'An.
I eft un lieu dans l'Univers,
Impénétrable à l'impofture ,
Où la vérité fimple & pure ,
Fait feule entendre fes Concerts,
Loin de la foule menfongere ,
Guidé par la fincérité ,
J'aurois , pour vous , dans ce temple enchant
Offert aux Dieux mes voeux & ma priere ;
Mais ils yous ont déja comblé
LE
De tous les dons qui fçavent plaire.
Quand on a tout , cher d'H...lai ,
Les fouhaits n'ont plus rien à faire,
E mot de l'Enigme du fecond Mercure
d'Avril eft l'Eil. Celui du Logogryphe eſt
Récrimination , dans lequel on trouve Na
tion , ré , cri , mimi , Nonce , Carme , or
once , air , ramier , rame & Antoine.
72 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
DANS un palais d'yvoire on me trouve eas
fermée ;
Je ne fuis point au large , & ne fuis point gênée:
Le bien , le mal , font tous à mon pouvoir ;
Je poffede beaucoup fans pourtant rien avoir.
Iris , pour toi , j'ai toujours l'avantage
Dans ma prifon , de te donner pour gage
Tout ce que peut fur un coeur amoureux
Infpirer fans regret la force de tes yeux.
Par M. de V *** .
La perfonne qui nous a envoyé l'Enigme
du premier volume d'Avril , l'a mife fous
le nom de Mademoiſelle de la Boiffierre ,
de Moulins , qui nous a chargé de publier
fon défaveu . Nous prions très-inftamment
ceux qui nous feront l'honneur de nous
adreffer leurs productions de ne pas commettre
de femblables infidélités ; car nous
ne pourrions nous difpenfer de démafquer
aux yeux du Public ces fauffaires , fi nous
parvenions à les reconnoître.
LOGOGRYPHE.
MA I. 1758. 73
A
LOGOGRYPHE.
tes yeux quelquefois vile avant que de naître
Si je plais , à l'art feul je dois ce que je fuis ;
Quelque part où le goût me force de paroître ;
J'ai toujours l'heureux don de charmer les ennuis
Mon fein loge un captif que tu chéris peut-être ;
Ilfut long-temps fans gloire : en honneur aujour
d'hui ,
Je lui donne des fers , on en reçoit de lui :
Cher Lecteur , à ces traits peux- tu me mécon◄
noître ?
J'ai neuf pieds dans mon tout , je renferme un
poiffon ,
Une arme , un élément , un être fans raifon
Du Berger & du Roi le lugubre appanage ;
Un peuple de l'Afie , & fon vafte héritage :
L'Artifan fabuleux d'un horrible forfait ,
Que le foleil , dit- on , n'éclaira qu'à regret ;
Ce
que porte
fans ceffe une vile monture ,
Pour Cérès en automne un vrai lieu de torture ;
Ce qui pare un Pontife : un Empereur Romain :
corps une partie ; un fleuve ultramontain.
Ce n'eft pas tout , Lecteur , il te refte à réfoudre
Du
Ce
que poffede un Prince , un lieu d'où part la
foudre ;
Un afyle fur mer , un péché capital ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Du fuprême Ouvrier l'induftrieux rival ;
Certain pays en France ; animal amphibie ;
Une marque d'honneur , un ton dans l'harmonie ;
Enfin , fans t'ennuyer d'un détail importun ,
Au Prêtre , au Magiftrat , un ornement commun.
BLAND DE S. JUST,
Qu
CHANSON.
UAND les Oiseaux de nos boccages ,
Pour annoncer l'aftré du jour ,
Uniffent leurs tendres ramages :
Qui les éveille e c'eft l'amour.
Dans nos jardins aux fleurs nouvelles ,
Quand ces Papillons font la cour ,
Qu'ils voltigent , battent des ailes :
Qui les anime ? c'eſt l'amour.
Par M. Ball ***
* pour la Comteffe S. A.
Tres lent.
Chansonette .
Quand les oiseaux de nos boccages,Pour annon
cer
l'astre du jour, Unissent leurs tendresra
+
ma
ges; Quiles
e
W W
veille ? c'est l'amour. Dans nos jardins, aux
fleurs nouvelles Quand les papillonsfontla cou
Qu'ils voltigent, battent des ai
W
les Qui les a- ni- me? c'est l'amour.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATION8
.
M A I. 1758 . 75
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
DEFENSE de la Chronologie fondée ſur
les monumens de l'hiftoire ancienne contre
le fyftême chronologique de M. Newton
; par M. Fréret , Penfionnaire & Secretaire
perpétuel de l'Académie des Belles-
Lettres. A Paris , chez Durand , rue du
Foin , au Griffon , 1758 , in 4° . de 506
pages , fans compter la préface qui en
ass.
Voici un ouvrage pofthume de feu M.
Fréret , qu'il avoit achevé près de vingt
ans avant fa mort. Le nom de l'Auteur qui
avoit fait une étude approfondie de la chronologie
, à laquelle il avoit confacré fes
veilles , fuffit pour en donner l'idée la plus
avantageufe. Nous ofons dire que le fuccès
de fes autres productions en ce genre
de littérature , dont il a enrichi le recueil
des mémoires de l'Académie des Belles- Lettres
, fert à la juftifier . Il y a beaucoup
d'apparence que le traité chronologique
que nous annonçons , n'eût jamais vu le
Dij
76 MERCURE DE FRANCE:
jour fans les foins de M. de Bougainville ;
entre les mains duquel il étoit refté manufcrit.
C'est à lui qu'on eft redevable de
fa publication , & par là il acquiert un
droit réel à la reconnoiffance de tous les
gens de lettres , qui font entrer la fcience
des temps dans le plan de leurs recherches
fur l'antiquité. Ç'auroit été une vraie perte
pour eux , que la privation du travail de
de notre fçavant Académicien , que nous
jugeons très-propre à répandre de nouvelles
clartés fur la chronologie des anciens
peuples , obfcurcie par la fable dont les
menfonges ont altéré la vérité des événe
mens des premiers fiecles. M. de Bougainville
a trop fenti par lui-même fon utilité ,
pour laiffer plus longtemps un ouvrage
cette nature enfeveli dans la poufliere du
cabinet. M. Fréret l'avoit toujours deftiné
à l'impreffion ; s'il s'eft arrêté au fimple
projet fans l'exécuter , on doit en rejetter
la faute fur des occupations qui l'ont empêché
de revoir ce traité avec l'attention
néceffaire pour le mettre en état de paroître
au jour. Quoi qu'il en foit , M. de Bou
gainville remplit aujourd'hui les premie
res intentions de l'Auteur : il fatisfait à
P'engagement qu'il avoit contracté avec le
public , en réitérant plufieurs fois la proeffe
de lui en faire part. Il s'excufe de ne
de
MA I. 1758. 77
s'être pas acquitté plutôt de fa parole fur
des obftacles qui ont différé l'impreffion
de ce livre , & dont il a jugé à propos de
fupprimer le détail . Il eft du moins heureux
pour M. Freret , que ne l'ayant point
publié de fon vivant , il fe foit trouvé
après la mort une perfonne du mérite de
M. de Bougainville , qui faffe les fonctions
d'éditeur . Čet ouvrage eft précédé d'une
préface de fa façon , qui nous a paru trèsbien
écrite. Elle eft divifée en deux parties,
dont la premiere eft un préliminaire qui
contient une expofition circonftanciée des
faits qui ont occafionné la compofition des
nouvelles obfervations fur le fyftême chronologique
de M. Newton . C'est le titre que porte
le traité dont il s'agit. Nous nous flattons
que nos lecteurs nous fçauront quelque gré
de leur en donner ici d'apres l'éditeur , un
précis qui les inftruiſe du fonds de cette
difpute littéraire.
M. Newton jouiffoit de la réputation la
plus brillante , qu'il devoit à la fublimité
de fes fpéculations philofophiques. Elles
lui attiroient l'admiration des plus célebres
Mathématiciens de l'Europe , dont plufieurs
fe faifoient honneur de le regarder
comme leur maître , en adoptant fes hypotheſes.
Les heureufes découvertes qui étoient
D iij
78 MERCURE DE FRANCE :
fa
le fruit de fes méditations , marquoient
affez la vafte étendue de fon génie ; mais
on ne connoiffoit pas encore l'univerfalité
de fes talens , parce qu'il fuffifoit pour
gloire , de s'être produit dans la république
des lettres en qualité de profond Géometre
& d'excellent Phyficien . On ignoroit
que depuis quelques années , il travailloit
à un nouveau plan de chronologie
, dont l'objet étoit la réforme des annales
des nations , qui ont le plus figuré
dans l'antiquité. Il employoit à le dreffer
fes momens de loifir , ou interrompant le
cours de fes occupations ordinaires , il cherchoit
à s'en délaffer par un travail d'un
autre genre . On ne fe feroit fans doute pas
imaginé , qu'il eût choifi l'étude d'une
fcience qui , à divers égards eft auffi épineufe
& auffi compliquée dans fes calculs , que
peuvent l'être les opérations algébriques.
Il falloit affurément pofféder au plus haut
degré l'efprit de combinaifon , & s'être
rendu toutes fortes de calculs bien familiers
, pour fe propofer comme un fimple
amufement , ce qui demande , de la part
commun des hommes , l'application la
plus pénible & l'attention la plus réfléchie .
Au refte , cela prouve que ce penchant invincible
de la nature pour certaines étu
des préférablement à d'autres , étend me
du
M A Ì. 1758. 79
me fes droits jufqu'aux objets que nous faifons
fervir à notre délaffement , en les
rapprochant , par une analogie imperceptible
, de notre goût primitif. M. Newton
n'avoit mis qu'un petit nombre d'amis particuliers
dans la confidence de fes travaux
chronologiques. Comme la probité n'étoit
en aucune façon liée à ce fecret , qui n'en
étoit un que par un pur effet de fa délicateffe
qui provenoit d'un grand fonds de modeftie
, il ne fut pas fi bien gardé qu'il ne
perçât dans le public. La Princeffe de Galles
, depuis Reine d'Angleterre , prenoit
l'intérêt le plus vif aux études de notre
Philofophe , pour qui elle étoit pénétrée
d'eftime ; jufques-là qu'elle fe félicitoit de
l'avoir pour contemporain . Elle fut une
des premieres perfonnes à qui il communiqua
fes vues générales fur l'ancienne
chronologie . Ayant été frappée de la nouveauté
de fes idées , qui portoient l'empreinte
de ce génie inventeur , dont brillent
toutes fes productions , elle le pria
de faire , pour fon ufage feul , un abrégé de
tout l'ouvrage qu'il avoit compofé fur cette
matiere. Il étoit trop flatté de l'amitié dont
cette Princeffe l'honoroit , pour ne la pas
fatisfaire fur ce qu'elle lui demandoit. Les
précautions qu'on employa pour tenir le
manufcrit caché , furent une foible ref-
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
fource contre la curiofité d'une infinité de
gens attentifs à tout ce qui pourroit fortir
de la plume d'un homme auffi célebre que
M. Newton. Quelques- uns tenterent adroitement
les moyens de fe procurer une copie
du manufcrit , qui avoit été remis entre
les mains de la Princeffe , & ils furent
affez heureux pour réuffir dans leur tentative.
Il s'en fit plufieurs autres copies
dont il s'en échappa une qui parvint en
France par les foins d'un noble Vénitien
appellé l'Abbé Conti , qui l'y avoit apportée
d'Angleterre , où il avoit réfidé.
Elles ne tarderent pas à fe multiplier par
la même voie , & elles fe répandirent rapidement
dans Paris. M. Fréret, dont la paf
fion pour l'étude de la chronologie aug
mentoit encore l'empreffement qu'il avoit
de connoître l'ouvrage manufcrit du Mathématicien
Anglois fur ce fujet , obtint
d'un de fes confreres , affocié à l'Académie
des Belles- Lettres , la communication
d'une de ces copies qu'il tranſcrivit de fon
côté. C'eft fur ce précis qu'il fe livra à un
examen rigoureux du nouveau fystême ,
qui l'allarma d'autant plus que le point de
vue fpécieux , fous lequel il fe préfentoit
d'abord , pouvoit en impofer au premier
coup d'oeil. En effet , il étoit très- capable
de féduire ceux qui ne ſe donnent pas la
M A 1. 1758.
peine de pénétrer dans le fonds des chofes ,
afin d'être en état d'en juger fainement.
Cette alarme étoit autorisée par les changemens
confidérables qu'il introduifoit
dans l'ordre des temps , que les Ecrivains
les plus exacts de l'antiquité marquoient
pour l'établiffement des premiers Empires :
changemens qui ne tendoient à rien moins
qu'à fapper la foi de tous les monumens
d'où l'on fait dépendre la fixation des épo
ques capitales de l'hiftoire ancienne. On
prétendoit y fubftituer une hypotheſe chronologique
, appuyée fur des principes dont
on abufoit dans les conféquences , ou qui
péchoient dans l'application. M. Fréret réfléchiffant
fur le danger des nouvelles opinions
fi promptes à s'accréditer , quand
elles ont pour Auteurs des hommes célebres
, forma la réfolution de combattre
celles dont il s'agit , & de maintenir la vérité
des dattes établies fur les témoignages
hiftoriques. Ces opinions avoient beau lui
paroître autant de paradoxes , il fçavoit
que plus elles tenoient de la fingularité ,
plus il étoit à craindre qu'elles ne trouvaffent
de zélés partifans dans la perfonne de
ces littérateurs toujours avides de la nouveauté
des fentimens , & prêts à adopter
les idées même les plus bizarres , dès qu'el
les offrent une ample matiere à faire bril
Dv
82 MERCURE DE FRANCE:
ler leur efprit. Il commença par traduire
en françois l'abrégé chronologique en
queftion : il accompagna cette traduction
d'Obfervations générales , dans lesquelles ,
fans hazarder une critique prématurée
des fimples affertions dénuées des preuves
de détail , qui devoient être difcutées dans
le corps de l'ouvrage d'où on les avoit extraites
, il s'attacha aux fondemens du fyftême.
Il fe propofa , en les ruinant, de renverfer
le nouvel édifice qu'on s'efforçoit
de conftruire fur les débris des monumens
de l'antiquité les plus authentiques.
M. Fréret n'avoit d'abord d'autre deffein
en travaillant à ces obfervations , que de.
les communiquer à quelques amis , qui
vouloient avoir une notion nette & diftincte
du fyftême chronologique de l'Auteur
Anglois , & fçavoir le jugement qu'er
portoit notre Académicien fi exercé dans
ces fortes de matieres. Mais à la vue d'une
nouvelle traduction de cet abrégé dont il
fe divulgua plufieurs copies en peu de
temps , il fe détermina à rendre publique
la fienne , à laquelle il joignit fes remarques.
C'eft ce qu'il crut être d'autant plus
en droit de faire , que le manufcrit ne lui
avoit pas été confié fous la condition du
fecret. Il céda alors aux preffantes follicitations
que lui faifoit la perfonne qui dis
MA I. 1758.
83
rigeoit la nouvelle édition de l'Hiftoire des
Juifs , par M. Prideaux , qui s'imprima à
Paris en 1726 , pour l'engager à publier
fa traduction & fes obfervations à la fuite
de ce grand ouvrage . Ce font ces deux
morceaux qui terminent le feptieme volume.
M. de Bougainville a fait réimprimer
les feules obfervations à la tête des nouvelles
. Cependant M. Fréret , avant que de
les donner à l'impreffion , exigea du Libraire
qui s'en étoit chargé , qu'il écrivît
trois fois différentes , à M. Newton , pour
le prévenir de fes intentions , & avoir l'aveu
de ce fameux Géometre. Il fe flattoit
de l'obtenir , parce qu'il ne préfumoit pas
que le Sçavant Anglois , dont la modeftie
& la candeur étoient connues de toute l'Europe
, pût lui fçavoir mauvais gré des objections
qu'il propofoit contre fon fyftême
fur la chronologie des anciens peuples.
C'étoit même moins des difficultés qu'il
formoit , que des doutes dont il demandoit
l'éclairciffement : fi d'ailleurs il combattoit
l'hypothefe du nouveau Chronologifte
, il le faifoit avec tous les égards dûs
à fa grande réputation : le ton de déférence
qu'il prenoit dans cet écrit , témoignoit
affez l'eftime fincere & profonde
qu'il avoit pour lafupériorité de fon métite.
La publication de l'ouvrage de M.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
que
Fréret ayant été fufpendue pendant fix
mois entiers , comme le Libraire ne recevoit
aucune réponſe de la derniere lettre ,
dans laquelle il donnoit avis,à M. Newton,
fon filence feroit pris pour un effet de
fon approbation , notre Académicien crut
qu'il feroit inutile d'attendre plus longtemps.
I laiffa le Libraire maître d'agir
conformément à l'ufage établi , & de fe
munir d'un privilege pour l'édition de l'ouvrage.
Tous ces faits font détaillés avec
exactitude , autant qu'il nous paroît , dans
un avertiffement que M. Fréret a mis à la
tête de fes Nouvelles Obfervations. On eft
étonné , qu'après avoir employé les mefures
néceffaires pour ôter à M. New
ton tous les fujets de plainte qu'il auroit
pu former , il ait effuyé de fa part des
reproches très vifs ; jufques - là qu'ils
devenoient perfonnels. Il falloit que cet
illuftre Philofophe eût oublié en ce moment
fa douceur naturelle , pour taxer d'irrégularité
une pareille conduite , qui , tout
bien confidéré , nous femble fort innocente.
Difons plutôt , que fon extrême
fenfibilité dans cette occafion , provenoit
d'un grand fonds de prédilection pour fon
fyftême de chronologie , auquel il a paru
s'intéreffer par- là , beaucoup plus qu'à aucune
de fes découvertes géométriques ,
-
MA I. 1758. 85
J
dont quelques-unes avoient éprouvé également
des contradictions & des critiques.
Cependant il avoit vu ces attaques d'un
cil affez tranquille , pour ne pas éclater
par des plaintes dures & ameres contre ceux
qui en étoient les Auteurs. Il fit inférer
dans les tranfactions philofophiques de l'année
1726 , nº . 389 , vol . 33 , pag. 315 , un
écrit de ſa façon , fous le titre de remarques
fur les Obfervations faites fur l'abrégé
chronologique de M. Newton , traduit en
françois , & publié à Paris , par l'Auteur des
Obfervations. Ces remarques furent tradui -
tes en françois , & imprimées à Paris dans
le cours de la même année. M. Newton y
accufoit l'obfervateur de ne s'être propofé
d'autre but , en réfutant fon ſyſtême , que
la fatisfaction maligne d'étouffer , pour ainfi
dire , au berceau , une production qu'il
chériffoit comme l'enfant de fon loifir. Il lui
reprochoit enfuite de fréquentes mépriſes ,
où l'avoit fait tomber la précipitation donu
il avoit ufé pour le combattre. Il ajoutoit
encore que , faute d'avoir bien entendu le
véritable fens des deux principes fondamentaux
du fyftême , il avoit altéré fes
idées , pour lui attribuer des fentimens
différens des fiens. M. Fréret fut fenfiblement
touché d'imputations auffi graves ,
qu'il n'avoit prévues , ni méritées . Comme
16 MERCURE DE FRANCE:
il travailloit à fon apologie , il apprit la
mort de M. Newton , arrivée en 1727. Cer
événement ralentit l'ardeur avec laquelle il
fe hâtoit de la finir ; car il cherchoit moins
à fe juftifier aux yeux du public , qui étoit
à portée de le juger fur fon ouvrage, qu'aux
yeux de M. Newton lui- même , qu'il eftimoit
trop, pour ne pas fouhaiter que ce
grand homme lui rendît juftice , en ſe
formant de fon procédé une idée plus avantageufe.
Il crut, après de mûres réflexions ;
qu'il valoit mieux attendre la publication
de l'ouvrage tout entier , annoncée par les
amis de l'Auteur . En effet , le fyftême chronologique
vit le jour dès l'année fuivante .
Il parut à Londres en 1728 fous ce titre ,
la Chronologie des anciens Royaumes corrigée
, avec une dédicace à la Reine d'Angleterre
, par M. Conduitt , neveu de M.
Newton. L'Editeur fit imprimer conjointement
la chronique fur le manufcrit original.
On donna fur le champ en France
ane traduction de l'ouvrage & de l'abrégé.
Il ne fut plus queſtion alors d'encourir le
reproche de combattre le nouveau ſyſtême
fur un fimple abrégé , dont on qualifioit
d'infidelles , les copies qui s'en étoient faites.
Il étoit aifé de vérifier la jufteffe des
critiques ,, que l'hypothefe chronologique
de M. Newton avoit effuyé , par la lecMA
1. 1758.
87
ture de l'ouvrage complet qui contenoit le
développement des principes fur lefquels
elle étoit établie . Si la maniere plus ingénieufe
que folide , dont cet illuftre Géometre
avoit fçu procéder à une réforme générale
de l'ancienne chronologie , avoit
mis dans fon parti & avoit engagé à3 prendre
fa défenfe , des perfonnes qui , par
l'étendue de leurs connoiffances tenoient
un rang diftingué dans la République des
Lettres , il faut avouer que parmi les Chro
nologiftes de profeffion , le nombre de fes
adverfaires l'emportoit infiniment fur celui
de fes partifans. Il s'eft trouvé au ſein
même de fa nation , toute prévenue qu'elle
eft en faveur de fon rare mérite , d'habiles
gens , entre lefquels on doit compter principalement
MM. Bedford & Schutiford ,
qui ont ofé attaquer vigoureufement le
nouveau fyftême , en même temps qu'ils
ont admiré la fécondité du génie de fon
Auteur qui , fur quelque fujet qu'il
s'exerçât , fembloit fait pour s'ouvrir des
routes inconnues aux autres. Dès que l'ouvrage
de M. Newton eut été publié , M.
Fréret s'appliqua à le lire avec la plus fcrupuleufe
attention. L'examen réfléchi qu'il
en fit , ne contribua pas peu à le confirmer
dans le jugement qu'il avoit porté fur
le nouveau fyftême. Il fervit à convaincre
88 MERCURE DE FRANCE.
notre Académicien qu'il ne s'étoit mépris ,
ni fur les principes de l'hypotheſe du célebre
Anglois , ni fur les conféquences ,
comme on le lui avoit reproché , & qu'ainſi
les difficultés qu'il avoit propofées à ce fujet
, fubfiftoient dans toute leur force. Ces
motifs réunis l'engagerent à compoſer ce
traité , où il a mis dans un plus grand jour
Les objections contre les points fondamentaux
du fyftême , en réfutant pié à pié &
dans de plus amples détails , les raifonnemens
que M. Newton a employés pour
l'accréditer. Il l'a intitulé Nouvelles Obfervations
, &c. par lefquelles il a pris à tâche
de juftifier les premieres , qu'il avoit
données au public.
M. de Bougainville commence la feconde
partie de fa préface par une analyſe
fommaire de l'ouvrage de M. Newton ,
qui offre le précis de fon fyftême ; d'où il
paffe à celle du traité de M. Fréret , dont
il développe le plan , les vues & la méthode.
Il expofe les divers objets que le docte
Académicien embraffe dans le cours de fes
recherches , & les réſultats généraux des
principes , fur lefquels notre Auteur fe
fonde. L'art avec lequel il les rapproche
les uns des autres , en fait appercevoir la
liaifon , & en faifit tous les rapports , mar
que de fa part autant de pénétration que
MA I. 1758. 84
1
-
'de fagacité. Ce n'eft point ici une analyſe
froide & nue , dont la féchereffe foit capable
de rebuter ; elle devient intéreffante
fous la plume élégante de l'Editeur qui
l'accompagne de réflexions auffi fines que
judicieufes. Son travail nous dirigera dans
le compte que nous allons rendre de l'ouvrage
de M. Fréret . Il eft divifé en trois
parties , dont chacune renferme plufieurs
fections foudivifées en articles. La premiere
partie traite de la chronologie grecque
, dont elle contient les points les plus
importans difcutés en fix fections . La premiere
fection fournit des remarques préliminaires
fur l'évaluation des générations
dans les familles royales, fur leur durée en
général , & fur la maniere de les diftinguer
des regnes. C'eſt l'un des deux principaux
argumens fur lefquels roule tout le fyftême
chronologique de M. Newton. Les Anciens
comptoient trois générations environ
pour un fiecle , en les évaluant chacune
fur le pied de trente-trois ans . Ce fçavant
Mathématicien reçoit ce calcul pour le
cours ordinaire de la nature ; mais il accufe
les Ecrivains grecs d'en avoir fait une
fauffe application , en fuppofant mal-àpropos
chaque regne équivalent à une génération
; ce dont ils faifoient la bafe de
lear chronologie. Un réſultat de la durée
Jo MERCURE DE FRANCE.
Y
totale des regnes pris des fucceffions des
Rois dans plufieurs Monarchies anciennes
& modernes , qu'il paffe en revue pour cet
effet , lui donne occafion d'en déduire un
calcul moyen , à la faveur duquel il réduit
tes regnes à dix- huit ou vingt ans, l'un por
tant l'autre. Il eft aifé de voir par-là combien
cette réduction abrege l'intervalle qui
fépare les époques de l'ancienne hiſtoire.
M. Fréret avoit reproché à M. Newton ,
dans fes premieres obfervations , de confondre
les générations avec les regnes . Le nouveau
Chronologifte prétendit dans fa réponſe
les avoir expreffément diftingués.
Le fçavant Académicien infifte ici fur l'objection
qu'il lui avoit faite à ce fujet ; &
reftraint la queftion à fçavoir fi M. Newton
a toujours évalué les générations à trentetrois
ans ; & fi ce font feulement les regnes
qu'il a réduits à dix- huit ou vingt
ans. Il s'attache à montrer 1 ° . qu'il a fupputé
certaines fuites de regnes égaux à des
générations , tels que furent conftamment
ceux des Rois de Sparte ; 2 ° . qu'il a fouvent
confondu les regnes héréditaires , avec
les regnes électifs , qui, l'un portant l'autre,
ne durent tout au plus que dix-neuf ou
vingt ans ; 3 ° . que dans les différentes fuires
des regnes héréditaires , dont il a produit
les fommes totales , il ne s'eft point em
MA I. 1758. 91
barraffé de la diftinction qu'il faut mettre
entre les regnes fucceffifs , & les regnes collatéraux.
Ce défaut d'attention a cauſé de
fréquentes méprifes de fa part , en évaluant
fur le pied de trois générations fucceffives
, trois regnes équivalens à une feule.
Il fuffit d'examiner l'ordre de la fucceffion
totale des Rois de France des trois
races , pour en tirer une induction oppofée
à la méthode que fuit M. Newton . Les
foixante- quatre regnes ne font que quarante
cinq générations. Ce Géometre
compte 1295 ans pour leur durée totale ;
il en refulte donc près de vingt- neuf ans
pou rchaque génération .
-
M. Newton allegue les trente Rois d'Angleterre
qui ont regné pendant fix cens
quarante - huit ans , depuis Guillaume le
Conquérant , jufqu'à la Reine Anne . Cependant
on ne trouvera dans la totalité
de certe fucceffion , que vingt générations ,
dont chacune excede trente - deux ans. La
même réduction aura lieu dans toutes les
fuites des Princes héréditaires , foit anciens
ou modernes.
M. Fréret ne s'arrête point à prouver ,
par une longue énumération , que la durée
des générations eft égale dans toutes les
familles Royales connues , & dans les familles
particulieres. Il a fuppléé à ce dá91.
MERCURE DE FRANCE.
tail qu'il fupprime ici , par un mémoirè
exprès fur cette matiere , dont on peut
lire un extrait dans le quatorzieme volume
des Mémoires de l'Académie des Belles-
Lettres. Au refte M. de Bougainville nous
dit s'être affuré , par lui -même , de l'exactitude
du calcul de M. Fréret , en le vé
rifiant pour fa propre inftruction fur toutes
les fuites de Souverains modernes ,
dont cet habile Académicien ne fait point
mention.
Le dernier article de cette fection eft terminé
par une idée générale des preuves ,
qui fervoient de fondement à l'ancienne
Chronologie. M. Fréret , fe propofe d'y
montrer que les Ecrivains de l'antiquité
avoient des moyens plus fûrs pour la dé
termination des dates qui s'y rapportent ,
que la durée des regnes fucceffifs , ou l'évaluation
des générations. Ces moyens
confiſtoient dans les fecours qu'ils tiroient
des généalogies que les Grecs prirent foin
de recueillir , lorfqu'ils commencerent
cultiver les Lettres . On doit y joindre
encore les archives des Villes , les regiftres
des Temples , les actes des Particu
liers , les fuites des Magiftrats ; celles des
Prêtres , de certaines Divinités , les Inf
criptions , les Annales , les Traités de paix
ou d'alliance ; enfin les Monumens de touM
A 1. 1758.
te efpece , qui fubfiftoient de leurs temps ;
& qu'ils étoient par conféquent à portée
de confulter. C'étoient autant de titres
fur lefquels ils fondoient d'une maniere
inconteſtable leur chronologie , en remontant
d'époques en époques , jufqu'au premier
âge de leur nation.
M. Fréret , employe toute fa feconde
fection à faire voir l'incompatibilité du
nouveau fyftême , avec les époques chro
nologiques , autorifées par Hérodote &
Thucydide , les deux plus anciens Hifto
riens Grecs qui nous reftent. Il prend à
tâche furtout , d'établir fans replique l'ac
cord de leurs textes fur tous les points
effentiels , & particuliérement fur l'épo
que du retour des Héraclides dans le Péloponefe.
Notre Académicien a pour but dans
la fection fuivante de conftater les preuves
de la chronologie des deux Hiftoriens
que nous venons de nommer , par le nombre
des générations dans toutes les illuftres
familles de la Grece , comme celles de
Cadmus , d'Ajax , & de plufieurs autres ,
qu'il examine chacune féparément . Il
montre la conformité des calculs qui en
réfultent avec ceux d'Hérodote & de Thu
cydide.
La quatrieme fection à pour objet la
94 MERCURE DE, FRANCE.
difcuffion des preuves fur lefquelles M.
Newton appuie la détermination de plufeurs
dates particulieres de l'hiſtoire Grecque
, qui font relatives à la généalogie des
defcendans de Cadmus , établis à Lacédémone
, & à celle de la famille des Héraclides
de Corinthe , & des Cypfélides .
M. Fréret fixe dans la cinquieme , conformément
au témoignage des anciens ,
l'époque de la premiere inftitution des
Jeux Olympiques par Hercules , & de leur
renouvellement par Iphitus ; enfuite il détermine
le temps de la légiflation de Lycurgue
, qui paffe conftamment pour avoir
été contemporain d'Iphitus , & avoir même
eu part à l'établiſſement de ces Jeux. Il
confirme la date dont il s'agir par la fuite
des générations poftérieures à ce Légiſlateur
Lacédémonien , & par l'intervalle
qui s'eft écoulé depuis le retour des Héraclides
, jufqu'aux Jeux Olympiques. La
chronologie de l'hiftoire d'Athenes , fous
le gouvernement des Rois & des Archontes
, fait le fujet de la fixieme ſection .
t
Voilà , en peu de mots , le plan de cette
premiere Partie , que nous nous bornons à
indiquer. Les perfonnes curieufes de s'inftruite
du détail des preuves que produit
l'Auteur , pourront fe fatisfaire par la
Lecture de l'ouvrage , où les points de la
M A I. 1758.
are
chronologie Grecque les plus embarraslés
& les plus épineux , font approfondis par
une combinaiſon exacte , & développés
avec autant de clarté que de préciſion. Il
yregne un fond d'érudition , d'autant plus
eftimable , qu'elle n'y eſt point ſemée avec
profufion . Comme M, Fréret cherche
moins à éblouir qu'à convaincre fes Lecteurs
, il l'a fçait fi bien ménager dans le
choix des raifons qu'il employe pour détruire
les argumens de fon adverfaire , qu'elles
acquierent par- là un nouveau degré de forçe.
Il juftifie Eratofthene du reproche que
M. Newton lui fait d'avoir trop étendu
l'efpace des temps hiftoriques de la Grece ,
& rétorque l'accufation contre l'illuftre
Anglois , qui les abrege mal- à- propos d'un
fiecle entier , en affignant au retour des
Héraclides , & à tous les faits qui y font
liés , une date plus récente de cent ans que
celle qu'Hérodote , Thucydide , & tous
les Ecrivains antérieurs au regne d'Alexandre
, ont marquée pour cet événement,
C'eft en procédant de la même façon à un
examen rigoureux des calculs de M. Newton,
pour la fixation des autres époques qu'il
reftitue aux annales de la nation Grecque
les cinq cens ans qu'il a plu au nouveau
Chronologifte de leur retrancher.
La fuite au prochain Mercure,
96 MERCURE DE FRANCE
LA Platine , l'Or blanc , ou le huitie
me métal. Recueil d'expériences faites dans
les Académies Royales de Londres , -de
Suede , &c. fur une nouvelle fubftance
métallique tirée des mines du Pérou ,
a le poids & la fixité de l'or. Ouvrage intéreffant
pour les amateurs de l'hiftoire naturelle
, de la phyfique & de la chymie ;
néceffaire aux Orfévres & Affineurs , pour
n'être point trompés fur des alliages qui
réfiftent aux épreuves de l'or ; utile dans
les arts qui peuvent employer cette fubftance
à fabriquer des miroirs qui ne fe terniffent
point à l'air , & à ôter au cuivre fa
facilité à contracter le verd- de- gris. A Pa
vis , chez Lebreton , Imprimeur ordinaire
du Roi , rue de la Harpe ; Durand , rue
du Foin ; Piffot , quai de Conty , Lambert
, rue de la Comédie Françoife. 1758.
Prix trente fols broché.
Cet ouvrage eft d'une utilité plus géné
rale , que fon titre ne paroît d'abord l'annoncer.
Non-feulement les Artiſtes , mais
tout le monde eft intéreffé à connoître une
nouvelle fubftance , qui n'a déja que trop
caufé de défordre dans la fociété . L'Auteur
cite entr'autres , une perfonne qui , fur
une partie de lingots d'or , a perdu plus de
douze mille livres , par rapport à la platine
qui s'y trouvoit mêlée , & qui , réfiltant
MA I. 1758. 97.
tant également aux quatre grandes épreuves
auxquelles on foumet ce roi des métaux
, ne pouvoit en être féparé par les
voies ordinaires .
Pour raffurer le commerce justement allarmé
, & auquel des théorêmes métallurgiques
reçus de temps immémorial , devenoient
inutiles , on y donne deux manieres
fûres & faciles , pour reconnoître
la préfence de ce métal , en quelque petite
quantité qu'il puiffe être allié à l'or.
On y trouve auffi le moyen de rompre leur
union.
Après avoir expofé les tromperies qu'on
peut tenter à fon aide , l'Auteur cherche à
rendre ce métal utile à la fociété . Sa couleur
blanche & brillante , fa dureté extrême
& fa propriété de ne point fe ternir à
Fair , qu'il communique dans un degré
éminent aux autres métaux , le rend propre
à bien des ufages dont quelques - uns
font indiqués. Dans l'hiftoire naturelle de
ce métal , qui fert d'introduction à l'ouvrage
, on remarque que depuis le commencement
du monde jufqu'en 1729 , l'on
ne connoiffoit que onze fubftances métalliques
,
quoiqu'on en compte quatorze ,
fçavoir huit métaux & fix demi- métaux.
Si ce que les Journaux allemands nous annoncent
auffi d'une nouvelle pierre pré-
E
98 MERCURE DE FRANCE:
"
cieuſe différente de toutes celles qui pora
rent ce nom , fe trouve vrai , l'on verra
combien l'étude de l'hiftoire naturelle a
déja enrichi notre fiecle , & la rapidité de
nos progrès depuis que les hommes quit
tant le voile du myftere , mafque ordinalre
de l'ignorance , fe communiquent réci
proquement leurs découvertes.
Non-feulement les Chymiftes trouve
ront amplement de quoi le fatisfaire par
la délicateffe des expériences , & la clarté
& l'exactitude des procédés , mais une
analyſe auffi bien conduite , peut fervir de
guide & de modele aux curieux , fur la
maniere d'interroger la nature & lui arracher
fon fecret.
Les Alchymiftes mêmes devront en être
fatisfaits. On les y invite à employer leurs
arcanes , pour donner à cet or blanc une
teinture fixe qui le perfectionne , & dont
la lettre du Chymifte Italien , qui termine
ce recueil , femble démontrer la poffibilité.
ESSAIS hiftoriques de Monfieur de Saintfoix,
4. partie.A Londres, & fe trouvent à
Paris , chez Duchefne , Libraire , rue S.
Jacques , au deffous de la fontaine S. Benoît,
au temple du goût , 1757
Cette quatrieme partie des Effais hiftori
ques eft précédée d'une préface dans la
"MA I. 1758.
ΤΟΥ
"
quelle M. de Saintfoix commence par rappeller
le plan de fon ouvrage. «Quelquesuns
de mes Lecteurs , dit - it , m'obligent
de leur dire & de répéter ici , que mon
objet , en compofant ces Effais , n'a pas
» été de rapporter uniquement des anecdo-
" tes fingulieres , & des faits curieux &
» intéreffans ; mais de faire connoître par
» les faits nos anciennes loix , nos coutu-
»mes , nos moeurs , le caractere & le gé
nie de notre nation. Après avoir peint
» les François entr'eux & dans la vie civi
le , j'ai cru que je devois les faire voir à
» la guerre , & dans une guerre de plus
>> de trois cens ans contre un peuple toujours
notre ennemi , & dont les Rois
" poffédant une partie de la France à titre
» de Vaffaux , tenterent d'arracher le ſcep-
>> tre à leurs ( 1 ) Souverains. J'ai cru en
"même temps qu'on me fçauroit gré de
» préſenter de fuite & fous un même coup
» d'oeil , des événemens qui ont une inti-
» meliaiſon les uns avec les autres , & dont
» le fil eft fans ceffe interrompu dans l'hif-
» toire générale , par d'autres événemens
qui leur font abfolument étrangers.
"
"
( 1 ) Les Rois d'Angleterre écrivoient à nos
Rois , illuftri Domino noftro Regi Francia. Nos
Rois leur répondoient : Féal & amé , Fideli &
“amico Regi Anglia. Actapublica Anglia.
Eij
)
98 MERCI
ras
a eu
un
cieufe MERCURE
DE FRANCE
. L'hiftoire
d'Angleterre
de Rapin de Toi
grand fuccès , & le mérite à bien des égards, Mais on voit clairement
que c'eft en partie le chagrin
, l'aigreur
& la haine qui lui ont mis , comme
à Larrey , la plume à la main , & qu'il s'eft orgueilleufement
flatté de faire re- » pentir la patrie de l'avoir contraint
à s'exiler. Tous nos Rois , felon cet Hifto
» rien , ont été des Princes
injuftes
, tou-
» jouts occupés
des moyens
de dépouiller
leurs grands Vaffaux
de leurs poffeffions
, » ne fe faifant aucun fcrupule
d'enfreindre
» les traités les plus folemnels
, dès qu'ils
entrevoyoient
quelque
avantage
à les
» violer. Ses réflexions
fur le caractere
de
» la nation en général
, ne font pas moins outrageantés
& moins odieufes
.
>>
??
il
Depuis 1727 que fon ouvrage a paru ,
» & qu'on le lit dans toute l'Europe ,
eft étonnant qu'en France perfonne n'ait
» penſé à lui répondre .
de
Dans l'hiftoire des guerres que je trai
»te ( c'est toujours M. de Saintfoix qui
parle ; fon ftyle eft rempli de tant de beauque
tés , qu'on ne fçauroit mieux faire
fe fervir de fes propres paroles) , il y a qua
tre époques principales . La confifcation
» faite par Philippe Augufte fur Jean fans
terre , en 1203 ; le traité de S. Louis
MA I. 1758.
for
» avec Henry III en 1259 ; les prétentions
» d'Edouard III à la couronne de France ,
wen 1339 , & le traité de Brétigni en
1360. Rapin de Toiras a fait des differtations
ou de longues réflexions fur ces
quatre points principaux ; je crois que
"j'y ai repondu d'une façon convaincan-
»te , & qui ne laiffe aucuns moyens à la
replique. Dans le cours des autres événemens
, c'eft prefque toujours par fes garants
même & par les actes publics d'Argleterre
, que je fais voir des fréquentes
prévarications , & la tournure infidelle
»de fa narration .
כ
"
Lorfque je fuis en contradiction avec
nos Hiftoriens , & par conféquent avec
*ceux qui les ont copiés fans réflexion &
» fans examen , je dis mes raifons , c'eſt
au lecteur à juger fi elles font bonnes.
" Nous avons aujourd'hui , furtout depuis
la publication ( 1 ) des actes d'Angleterre
, des fecours & des éclairciffe-
» mens que ces Hiftoriens n'avoient pas :
quiconque enfin n'aura pas lu & relu ces
actes avec beaucoup d'attention , ne pour
ra jamais donner qu'un tableau peu fidele
de ce qui s'eft paffé fous les regnes de
Philippe de Valois , du Roi Jean , de
(t ) En 1717.
»
E iij
702 MERCURE DE FRANCE.
» Charles V , de Charles VI & de Char
" les VII. »
En lifant l'ouvrage de M. de Saintfoix ,
on fe convaincra qu'il a rempli tous les objets
qu'il s'étoit propofés . Les recherches
les plus épineufes , la faine critique , les
traits les plus frappans de l'hiftoire , les caprices
les plus finguliers des moeurs & des
ufages , un ftyle toujours noble , précis
& élégant , caractérisent fes Effais hiftoriques.
Le plus grand éloge que nous puifhons
faire de cette quatrieme partie , eft
de dire qu'elle eft digne de celles qui l'ont
précédées , & que tout le monde à entre
les mains. Nous allons en rapporter quelques
traits , qui mettront le lecteur en état
d'en juger.
Dans l'article de quelques modes & habillemens
, M. de Saintfoix dit : « Sous
François II , les hommes trouverent qu'un
gros ventre donnoit un air de majefté
» & les femmes s'imaginerent auffi- tôt qu'il
en étoit de même d'un gros culOn avoit
n
de
gros ventres & de gros culs poftiches,
& cette ridicule mode dura 3 ou 4 ans.
Ce qu'il y eut encore de fingulier , c'eft
que lorfqu'elle commença , les femmes
parurent ne plus fe foucier de leurs vifages
, & commencerent à le cacher. Elles
MA 1. 1758.
prirent un loup ( 1 ) , & n'allerent plus
que mafquées dans les rues , aux promenades
, en vifite & même à l'Eglife . Au
mafque , fuccederent les mouches. On
» prétend qu'elles en mettoient en fi gran-
» de quantité , qu'on avoit de la peine à
les reconnoître.
99
"
L'article des livrées eft des plus curieux.
Les armoiries devenues fixes & hérédi-
» taires , introduifirent en même temps las
livrées , & de même que chacun s'étoit
fait des armoiries à fa fantaifie , chacun
»compofa & arrangea des livrées comme il
voulut.J'ai dit qu'on mettoit fes armoiries
»fur fa cotte d'armes & fur fon bouclier
on portoit d'ailleurs une écharpe dont la
>> couleur aidoit à faire connoître de quel-
»le province on étoit. Les Comtes de Flan-
» dre avoient pour couleur le verd foncé
» les Comtes d'Anjou le verd naiffant ; les
Ducs de Bourgogne le rouge ; les Com
tes de Blois & de Champagne , l'aurore
» & le bleu ; les Ducs de Lorraine , le jau-
»ne ; les Ducs de Bretagne le noir & le
blanc ainfi les Vaffaux de ces différens
>> Princes avoient des écharpes différentes.
» Ceux de ces Vaffaux qui leur étoient alliés
, ou qui poffédoient auprès d'eux
(1) Efpece de mafque,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
"
">
وو
quelque charge confidérable , affectoient
» de joindre aux couleurs de leurs livrées
particulieres , une petite bande ou petit
galon plus ou moins large de la livrée đe
leur Seigneur . Voilà pourquoi l'on re-
» marque communément du verd foncé
» dans les livrées de la nobleffe de Flandres
» & de la moitié de la Picardie ; du verd
»naiffant dans les livrées de la nobleffe
» d'Anjou ; du rouge dans les livrées de la
nobleffe de Bourgogne ; de l'aurore &
» bleu dans les livrées de la nobleffe du
» Bléfois & de la Champagne ; du jaune
» dans les livrées de la nobleſſe de Lorraf-
» ne & du Duché de Bar ; du noir dans
» les livrées de la nobleffe de Bretagne. La
» nobleffe des environs de Paris , qui rele-
»voit immédiatement du Roi , a commu
" nément du bleu dans fes livrées , parce
que le bleu étoit la couleur de nos Rois.
» On demandera fans doute , pourquoi il
≫y a auffi du blanc & du rouge dans la li
vrée Royale ; parce que le blanc étoit de
» temps immémorial la couleur générale &
défignative de la nation ; à l'égard du
rouge , parce que nos Rois lorfqu'ils te-
»noient Cour pléniere , étoient vêtus d'ut
ne grande foutane rouge , fous un long
» manteau bleu , femé de fleurs de lys d'or.
» Sous Charles V on porta des habits
MA I. 1758. 105
$
blafonnés , c'eft-à-dire qu'on les chamar-
» roit de toutes les pieces armoriales de
» fon écu . »
" Sous Charles VI , on imagina l'habit
»mi-parti femblable à celui des Bedeaux.
Cette quatrieme partie eft prefque partout
auffi curieufe & auffi intéreffante
que
les traits que nous avons tranſcrits .
TRAITÉ du célebre Dagoumer fur l'ame
des bêtes , traduit du latin en françois ,
par le révérend Pere Grégoire Martin , ancien
lecteur des Minimes. Se vend douze
fols. A Lyon , chez Geofroy Regnault , Imprimeur-
Libraire , rue Merciere , 1758 .
M. Dagoumer a été Profeffeur dans les
colléges de Lifieux , de Navarre & d'Harcourt.
C'est dans les cahiers qu'il dictoit à
fes écoliers, qu'on a pris ce court traité fur
l'ame des bêtes , qui ne renferme rien de fort
particulier par rapport à la folution des
principales difficultés attachées à cette
grande queftion .
DISCOURS qui a remporté le prix au ju
gement de l'Académie de Dijon , par le
P. Millot, Jéfuite. A Lyon , de l'imprimerie
d'Aimé de la Roche , Imprimeur- Libraire
, rue Merciere , à la Couronne d'or
1757. Le fujet de ce Difcours eft de fçavoir
,s'il eft plus utile d'étudier les hommes
que les livres. Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
ADRESSE à la Nation Angloife , Poëme
patriotique , par un Citoyen , fur la guerre
préfente. A Amfterdam , & le trouve à
Paris , chez Laurent Prault , Quai des
Auguftins , près la rue Gît- le-Coeur , à
la Source des Sciences , 1757.
LETTRE à l'Auteur de l'Hiftoire du
Diocèfe de Paris , contenant quelques Remarques
fur le Chapitre ayant pour titre ,
Luzargues & l'Abbaye d'Hérivaux . A Ge
neve , 1758 .
HISTOIRE univerfelle de Diodore de
Sicile , fervant à l'Hiftoire de l'origine des
Peuples & des anciens Empires , traduite
en François , avec des Notes géographi
ques , chronologiques , hiftoriques & critiques
; par M. l'Abbé Terraffon , de l'Académie
Françoife , nouvelle édition en
7 volumes in- 12 . Prix 21 liv . reliés. A
Paris , chez Debure , l'aîné , Quai des
Auguftins , à l'Image S. Paul , 1758.
De tous les Auteurs qui ont écrit l'Hif
toire des premiers temps , c'eft- à-dire ,
Hiftoire de l'origine des Peuples & des
anciens Empires , il n'en eft aucun qui
pour l'exactitude des faits puiffe être mis
en comparaifon avec Diodore de Sicile.
Cet Hiftorien après avoir dépouillé tous
les livres qui exiftoient de fon temps ,
&
MAI. 1758. 107
toutes les fables du merveilleux dont on
avoit revêtu la vérité , fe tranſporta dans
les différentes contrées pour y vifiter les
monumens , s'inftruire des traditions , &
donner la derniere authenticité à ce que
La critique lui avoit fait reconnoître pour
incontestable. L'Hiftoire &c les moeurs des
anciens Egyptiens , des Affyriens , des
Medes , des Perfes , des Scytes , des
Grecs , des Gaulois & des Romains ; enfic
l'Hiftoire générale de l'ancien Monde fe
trouve dans cet ouvrage , auffi utile qu'inftructif.
Quoique ce ne foit ici qu'une
traduction , elle fe fait pourtant lire avec
plaifir. Le ftyle eft très- correct , fort clair
& quelquefois élégant. D'ailleurs ce qui
occupe le plus dans une pareille lecture ,
c'eft la multitude des événemens , & la
différence étonnante qu'on eft à portée:
de remarquer entre les ufages anciens &
ceux de nos jours . Cette nouvelle édition
eft très- bien exécutée ; le papier est beau
& les caracteres fort nets.
TARIF des droits d'entrée & de fortie
des cinq groffes Fermes , ordonnés être
perçus par l'Edit de 1664 , fur toutes les
marchandifes ; augmenté de notes & obfervations
fur les mutations des droits de
puis ledic Tarif ; fur les précautions à
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
prendre pour la forme des Déclarations ,
& fur les obligations des Négocians & des
Employés , pour prévenir toutes difficultés;
fuivi des Ordonnances de 1681 & 1687 ,
renfermant la régie des Fermes , & commentées
des Edits , Déclarations , Réglemens
& décifions du Confeil , rendus fur
lefdites Ordonnances .. Nouvelle édition
en deux gros volumes , grand in- 8º . A
Rouen , chez Jacques - Nicolas Befogne ,
Libraire & Imprimeur , au Palais 175 8.-
C'est ici une troifieme édition du Tarif
donnée en 1664 , pour la perception des
droits des cinq groffes Fermes , augmenté
de plufieurs Arrêts & Réglemens qui ont
changé ou modifié les premieres difpofitions..
Le premier volume comprend le Tarif
de 1664 , tel qu'il a été arrêté au Confeil
d'Etat du Roi , le 18 Septembre de la même
année , avec les citations des nouveaux
Arrêts d'un cactere différent , & à chaque
article fur lesquels les droits ont été chan
gés & tels qu'ils fe perçoivent aujour
d'hui. Comme auffi des obſervations utiles
& indiſpenſables , pour affurer la perception
de tous ces droits.
Ace Tarif on a joint les Ordonnances
de 1680 , 8 & 87 , comme preuvesi
juftificatives. On obferve fur cette der
J
ΜΑΙ. 1758 .
rag
niere , qu'elle a été trouvée en manuf
crit à la mort d'un homme de diftinction
& de lettres , & augmentée des Arrêts
rendus en interprétation .. Il y avoit em
tête , cet ouvrage a été commenté par une
perfonne de talens & fçavant dans les Fermes:
taifons qui ont engagé l'Editeur à fel
conformer au manufcrit qui lui a été com
muniqué.
¿
Le fecond volume contient la plusi
grande partie des Arrêts & Régleméns
rendus depuis le Tarif de 1664 : je dis
la plus grande partie , car on n'a pas rapporté
ceux qui n'ont plus force de loi , &
qui ont été fuivis d'autres qui les ont
rendus inutiles. On a même cru devoir
fe reftraindre fur quelques- uns à rapporter
le difpofitif.
Cet ouvrage eft néceffaire & même
d'une utilité indifpenfable au Public , auxi
Négocians
en particulier , & aux Employés
des Fermes . Il préviendra une perception
irréguliere , préjudiciable au commerce
ou aux intérêts du Roi. Chacun y
trouvera fans peine , fans recherche , &
fans grande lecture , tous les éclairciffemens
qu'il pourra défirer. On y a renfermé
tout ce qui peut avoir rapport aux
droits des cinq groffes Fermes , tant fur
le commerce de la Compagnie des Indes ,
110 MERCURE DE FRANCE
que fur celui des Ifles Françoifes , comme
auffi les privileges dont jouiffent différen
tes Villes. Ce livre fe trouve , à Paris ,
/chez Durand.
ÉLÉMENS de Tactique , Ouvrage dans
lequel on traite de la formation des troupes
, des évolutions de l'infanterie & de
la Cavalerie , des principaux ordres de
bataille , de la marche des armées & de la
caftramétation : vol . in - 4°. dédié à Monfeigneur
le Dauphin ; par M. le Blond ,
Maître de Mathématique des Enfans de
France , &c. A Paris , chez Ch. Ant. Jom
bert , Imprimeur- Libraire du Corps Royal
de l'Artillerie & du Génie , rue Dauphine,
à l'Image Notre- Dame , 1758 .
La tactique a toujours été regardée
comme une des plus importantes parties de
l'art militaire. Elle traite de la formation
des troupes pour combattre , de leurs différens
mouvemens , des ordres de bataille ,
&c. Les Grecs avoient cultivé cette fcience
avec beaucoup de foin , & ils avoient des
Profeffeurs publics pour l'enfeigner
. Les
Princes de l'Europe ayant négligé jufqu'à
préfent un établiffement fi utile , on ne
peut fe former dans la tactique que par le
fecours des livres & par la pratique. Mais
comme les connoiffances qu'on acquiert.
M A. 1. 1758. FIE
par l'uſage font toujours très- tardives &
très-bornées , un Ouvrage où l'on expli
queroit les regles & les principes de la
tactique avec ordre & méthode , ne pour
roit être que d'une grande utilité pour
préparer l'efprit & le mettre en état de fe
rendre compte des différentes manoeuvres
militaires , & pour en pofféder la ſcience
parfaitement.
Il paroît que c'eft - là l'objet que M. le
Blond s'eft propofé dans fes Elémens de
Tactique. « Notre intention a été , dit- il ,
» d'expoſer avec ordre les regles fonda
» mentales de la tactique , & de les faire
» entrer aifément dans l'efprit du Lecteur ,
» en lui rendant compte des raifons fut
lefquelles les opérations qu'on lui enfei-
"gne, font établies. »
Cet Ouvrage eft divifé en quatre livres.
On trouve dans le premier le détail de
Farrangement des troupes , & tout ce qui
concerne la formation du bataillon & de
l'efcadron.
Le fecond livre traite des évolutions de
Infanterie & de la Cavalerie , l'Auteur en
abrégeant , ce que les Auteurs militaires
ont écrit fur ce fujet , & même en la rectifrant
quelquefois , enfeigne d'une maniere
également claire & lumineufe, tous les dif
férens mouvemens du bataillon & de l'ef
E MERCURE DE FRANCE.
k
cadron : on y trouve plufieurs obfervations
fur le quart de converfion , les différentes
manieres de défiler , la formation des bataillons
quarrés , triangulaires , ronds ,
octogones , de la colonne d'attaque , de
retraite du Chevalier de Folard , &c.
Le troifieme livre a pour objet l'armée ,
& tout ce qui lui appartient ; l'Auteur y
fait voir par le fentiment des Militaires les
plus célebres , que la fupériorité du nombre
ne peut feule décider des fuccès à la
guerre , & que la fcience du Général eſt
toujours plus avantageufe que le grand
nombre de troupes. Il examine auffi quel
doit être à peu près le rapport de la Cava
lerie à l'Infanterie dans les armées , fuivant
la nature des différens pays qui peuvent
être le théâtre de la guerre.
Après avoir parlé de tout ce qui appartient
à l'armée , de fes différens Officiers ,
de l'artillerie , &c. M. le B. entre dans le
détail des ordres de bataille. Il s'eft renfermé
fur ce fujet dans ce qu'il y a de plus
univerfellement établi par les Militaires
les plus célebres : il examine quels font les
avantages & les inconvéniens de la ligne
pleine , propofée par M. le Maréchal de
Puységur , & les différentes manieres dont
on peut fortifier l'ordre de bataille par
par le
mélange de la Cavalerie & de l'Infanterie.
MA I. 1758: rry
Ce livre eft terminé par un précis des
regles générales qui fervent de bafe à fa
marche ou au mouvement des armées , &
par le détail de la marche des troupes dans
les colonnes , & des différentes manieres
de les remettre en bataille .
Le quatrieme livre traite de la caftramétation.
M. le Blond ayant déja donné
un Ouvrage particulier fur cette matiere
en 1748 , ajoute ici tout ce qui lui a
paru néceffaire pour en former un Traité
complet.
Telles font les différentes matieres qui
compofent les Elémens de Tactique : « Cet
"Ouvrage , pour nous fervir des termes da
» Cenfeur ( M. Bélidor ) , eft fait avec
beaucoup de foin & d'érudition ; il comprend
les meilleures maximes qu'ont pu
donner fur la tactique les plus grands-
» Maîtres de l'Art ; & il fera d'une trèsgrande
utilité pour l'inſtruction du Mi
litaire qui trouvera renfermé dans un
volume , ce qui ne fe rencontre point
» dans un très-grand nombre d'autres . »
n
→
Le même Libraire a reçu de Hollande
quelques Exemplaires de l'Effai fur l'Hifto
re générale , & fur les moeurs & l'esprit des
Nations , depuis Charlemagne jufqu'à nos
jours ; par M. de Voltaire , en 7 vol. in 8.
14 MERCURE DE FRANCE .
On a joint à chaque volume une Table ta
fonnée des matieres qu'il contient. Prix 18
liv. brochés , & 22 liv. reliés.
LETTRE à M. de Boiſſy , en réponſe à
celle du Solitaire de Bretagne . Mercure
de Février.
་
Le folitaire de Bretagne , Monfieur, expofe
fes fentimens avec tant d'égards pour
M. l'Abbé Velly , qu'il femble permettre
qu'on défende le texte qu'il attaque. Il eft
reconnu que Guillaume n'eût jamais penfe
à faire la conquête de l'Angleterre , sit
n'y avoit été appellé par le voeu général de
Ja plus faine partie de la nation angloiſe
Je dis la plus faine partie , parce que tout
Etat de quelque compofition qu'il foit ,
renferme dans fon fein de bons & de mau
vais patriotes. Ces derniers même font
quelquefois les plus nombreux , & ne doi
vent pas être confidérés par un Légiſlateur
qui n'a contracté aucun ferment avec une
nation , parce qu'ils empêchent le bien
général de tout un Etat. On pourroit trouver
dans eux la caufe des troubles qui ont
agité l'Angleterre depuis quelques fiecles.
C'eft dans des circonftances pareilles , que
Guillaume après avoir effayé de gouverner
ΜΑΙ. 1758 .
fes nouveaux fujets par l'amour & par laJa
raifon , fe vit contraint de changer leurs
anciennes loix , où les efprits inquiets fe
trouvoient des fujets de révoltes , en s'appuyant
fur des prétendus privileges & des
ufages tolérés par foibleffe , foibleffe , qui commettoient
les Citoyens entr'eux , ou détruifoient
l'harmonie du corps politique. Combien
la grande Charte , piece fi douteufe
&tant reclamée en Angleterre , n'y a t'elle
pas produit de troubles dans les derniers
fecles. Guillaume ne fit donc rien contre
la juftice & le droit public , lorfqu'il ôta
à fes fujets des prétextes éternels de divifion
, d'autant plus qu'il n'avoit fait aucune
capitulation à cet égard. L'exemple
d'Alexandre ne prouve rien contre lui , les
eirconstances étoient différentes . Alexandre
eft beaucoup moins à louer , d'avoir
confervé aux peuples qu'il avoit fubjugués
leurs moeurs & leur loix , qu'il n'eft blamable
d'avoir abandonné celles de fes própres
fujets pour prendre celles des vaincus ,
& vouloir y affervir même les vainqueurs
puiſqu'aux yeux de la raiſon , de l'huma
nité & de la vertu , les loix de la Grece
avoient tout l'avantage fur celles des Perfes
telles qu'elles étoient alors. C'eft- là ce
qui rendit Alexandre fi infupportable aux
Macédoniens , & les porta , malgré les
116 MERCURE DE FRANCE:
fentimens
que leur infpiroient fes grandet
actions , à confpirer tant de fois contre
Jui mais ce Prince étoit d'autant moins
excufable , qu'il violoit les capitulations
qu'il avoit faites avec des fujets libres, tels
qu'étoient les Macédoniens ; au lieu que
Guillaume qui avoit fubjugué les Anglois
par la force de fes armes , n'avoit contrac
té aucun engagement avec eux. Il pouvoit
donc avec juftice , fondé fur les princi
pes d'un bon Roi , changer les loix de fes
nouveaux ſujets , s'il y voyoit plus d'avan
tages pour leur tranquillité & pour leur
bonheur ; ce qui , à la vérité , ne lui auroit
pas été permis , s'il avoit été lié par le
ferment de les maintenir. Il en faut conclure
, que la penfée de M. l'Abbé Velly
a toute l'exactitude & la jufteffe qu'on
peur exiger. Le Solitaire de Bretagne lu
rendra fans doute cette juftice , puifqu'en
produifant fon opinion , il a montré les
fentimens & les principes les plus chers à
Fhumanité. Son ftyle fait juger auffi - bien
de fon efprit , que de fon coeur. Combien
gens répandus dans tous les cercles ,
font bien plus dans la folitude
de
- J'ai l'honneur d'être , &c.
que lui !
LUBIN.
Lyon, le premier Février 1758.
MAL 1758. 117
LIVRES nouveaux qui fe trouvent à Geneve
& à Coppenhague , chez Cl. & Ant.
Philibert , ou qui font actuellement fous
preffe.
Aventures de Télémaque in - 12 , 2 vol.
fous preffe.
Memoires de Maintenon in- 12 , 6 volumes
, avec des remarques critiques de
M. de Voltaire , tirées de fon effai fur
l'histoire univerfelle , en attendant les ୨
volumes de lettres qui font fous preffe.
Newtonis principia , par foufcription ,
fuivant le plan qu'on va publier.
Lettres Perfannes , in 12 , 2 vol, avec
le temple de Gnide , nouvelle édition.
Choix littéraire , in- 8° , 11 vol. & le
12°fous preffe.
Forme du Gouvernement de Suede, in- 8°,
Inftruction pour le Gouverneur du Prin
çe Royal de Suede , in 8º.
Hiftoire du Dannemarck , avec le monument
de la Mythologie des Celtes , & le
portrait du Roi , avec la carte géographique
, in-40 , 2 volumes , par M. le Profeffeur
Mallet.
Lettres fur le Dannemarck, par M. Royer.
Mercure Danois , depuis Mars 1753 qui
continue.
Dictionnaire univerfel du commerce ,
des freres Savary , avec des augmentations
18 MERCURE DE FRANCE.
très- confidérables , & fur de beau papier ,
in-folie , 4 vol. fous preffe par foufcription.
Gazette univerfelle du commerce , ou 圈
tableau du négoce actuel des quatre parties
du monde.
La dévotion réconciliée avec l'efprit ,
par M. de Pompignan , Evêque du Puy ,
nouvelle édition bien corrigée , in- 12.
Mes Loisirs ou penfées diverſes , avec
l'apologie du genre humain , par M. le
Chevalier Dasc , in- 12 , nouvelle édition,
Le grand Dictonnaire hiftorique , ou
le mêlange curieux de l'Hiftoire facrée &
profane , qui contient en abrégé l'hiſtoire
fabuleufe des Dieux & des Héros de l'antiquité
Payenne : les vies & les actions
remarquables des Patriarches , des Emporeurs
, des Rois , des Princes illuftres , des
grands Capitaines , des Papes , des faints
Martyrs & Confeffeurs , des Peres de l'Eglife
, des Evêques , des Cardinaux & autres
Prélats célebres , des Héréfiarques &
des Schifmatiques ; l'Hiftoire des Religions
& fectes des Chrétiens , des Juifs
& des Payens ; des Conciles généraux &
particuliers ; des Auteurs anciens & modernes
, des Philofophes , des inventeurs
des Arts , & de ceux qui fe font rendus
recommandables en toute forte de Profef
MA I. 1758. 115
fons , par leur fcience , par leurs ouvrages ,
& par quelque action éclatante ; l'établif
fement & le progrès des Ordres Religieux
& Militaires, & la vie de leurs Fondateurs ;
les généalogies des familles illuftres de
France , & des autres Pays de l'Europe ; la
defeription dés Empires , Royaumes , Républiques
, Provinces , Villes, Liles , Montagnes
, Fleuves & autres lieux confidéra
bles de l'ancienne & de la nouvelle Géogra
phie , où l'on remarque la fituation , l'étendue
& la qualité du pays , la religion ,
de gouvernement , les moeurs & les coutu
mes des Peuples ; les dignités , les Magiftra
tures ou titres d'honneur ; les actions publiques
& folemnelles , les Jeux , les Fêtes
, & c. les Edits & les Loix , dont l'Hiftoire
eft curieufe , & c. Le tout enrichi
de remarques , de differtations & de recherches
curieufes , pour l'éclairciffement
des difficultés de l'Hiftoire , de la Chronologie
& de la Géographie , par Meffire
Louis Moréri , Prêtre , Docteur en Théologie.
Nouvelle édition , dans laquelle on
a refondu les fupplémens de M. l'Abbé
Goujet. Le tout revu , corrigé & augmenté
par M. Drouet ; dix volumes in-folia
propofés par foufcription. A Paris , 1758.
Il fembloit que , pour porter ce Dictionnaire
an degré de perfection dont il e
•
12. MERCURE DE FRANCE.
fufceptible , il fiffifoit d'y refondre let
derniers fuppiemens , afin d'épargner à
ceux qui le confultent l'embarras & le
défagrément de recourir à différens volumes
, pour chercher ce qui doit fe trou
ver dans un feul , à fon ordre alphabétique .
C'eft effectivement l'unique objet que s'étoit
d'abord propofé l'homme de Lettres
qui s'eft chargé de la nouvelle édition
qu'on annonce au Public. Mais ayant examiné
avec foin quelques parties détachées
de ce recueil , il y a remarqué des défauts
effentiels & multipliés , par le rapport que
tant d'articles ont les uns avec les autres.
Par exemple , on trouve dans le Moréri
des liftes chronologiques des Souverains
des différens Etats , où les époques du commencement
& de la fin de leur regne font
indiquées . Ces époques ne s'accordent
pas toujours avec celles qu'on donne dans
les articles particuliers de chacun d'eux.
En parlant des Conciles tenus dans une
Ville , on leur affigne
différentes de celle des dates fouvent
fous lefquelles on les
a rangés dans la lifte même des Conciles.
Tantôt on fuit pour les années des Confulats
la fupputation de Varron , tantôt on
fuit celle des marbres Capitolins . Les an
nées qu'on fait répondre aux Olympiades
font le plus fouvent fautives. Beaucoup de
renvois
MA I. 1758. 121
renvois font défectueux , & n'indiquent
pas les titres qu'il faut confulter. Une multitude
d'articles concernant les mêmes perfonnes
ou les mêmes lieux , font employés
plufieurs fois fous des dénominations
différentes. D'autres n'ont pas affez d'étendue
pour donner une notion fuffifante
des objets qu'on prétend y traiter.
Toutes ces défectuofités , dont l'Editeur
s'eft affuré par un travail de huit années ,
l'ont déterminé à diriger fon travail fur
un nouveau plan ; il a vérifié la plûpart
des époques , il a refondu les uns dans
les autres les articles répétés , & a indiqué
par des renvois le nom le plus confous
lequel il les a placés.
nu,
Il fait une mention honorable de tous
les Scavans , les Artiftes , les Littérateurs ,
morts depuis le dernier fupplément , fur
lefquels on a pu avoir des Mémoires exacts.
Les Journaux de différent genre ont été
d'un grand fecours pour remplir cet objet ;
comme auffi les Mémoires , les Critiques
& les Remarques que différentes perfonnes
ont fourni depuis la derniere édition.
Le prix de ce Dictionnaire en dix volumes
in-folie en feuilles , fera , pour ceux
qui n'auront pas foufcrit , de deux cens
quarante livres. Mais pour favorifer ceux
qui voudront dès- à-préfent en affurer un
F
122 MERCURE DE FRANCE:
exemplaire , les Libraires ci-après nom
més , ont fixé le prix defdits dix volumes à
cent quatre vingt livres qu'on payera felon
l'ordre qui fuit ;
Le premier payement , en levant la
foufcription , 60 liv . Le fecond payement
en Mars prochain , en recevant les fix premiers
volumes , 72 liv. Le troisieme en
Juillet 1759 , en retirant les quatre der
niers volumes , 48 liv. Total 180 liv.
On ne recevra des affurances pour cet
Ouvrage que jufqu'au dernier jour de cette
année 1758.
Les Soufcripteurs font priés de faire
retirer leurs exemplaires dans le courant
de 1759. Paffé ce temps les avances feront
perdues pour eux. Sans cette condition ,
on n'auroit pas propofé l'avantage de la
foufcription. On pourra foufcrire , chez
le Mercier , rue S. Jacques, au Livre d'or;
Defaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
; Jean Thomas Heriffant , rue S. Jac
ques , à S. Paul & à S. Hilaire ; Boudet ;
rue S. Jacques , à la Bible d'or ; Fincent ,
rue S. Severin ; Le Prieur, rue S. Jacques,
à la Croix d'or.
MAI. 1758. 123
III. ARTICLE
SCIENCES ET BELLES - LETTRES:
HISTOIRE.
LETTRE de M. Coleffe , Curé de Châ
teauvieux , en Berry , à M. l'Abbé Hardi ,
du College Mazarin , à Paris , fur la
fituation du lieu d'où les Hébreux partirent
en quittant l'Egypte , & fur le jour
où ils pafferent la Mer Rouge.
Il étoit , Monfieur , très - naturel d'en
croire Jofephe fur un point qui concerne
les antiquités Judaïques ; & le R. P. Sicard
, fur la fituation d'une contrée de l'Egypte
, nommée dans l'Ecriture , puifque
ce Miffionnaire a fait une étude particu
liere du local de ce Royaume , & des textes
des Livres faints qui y ont rapport : appuyé
de l'autorité de l'un , & des differtations
géographiques de l'autre , vous auriez
trouvé , Monfieur , dans les reffources de
votre génie de quoi défendre long temps
l'opinion que vous aviez embraffée d'après
F ij
114 MERCURE DE FRANCE.
eux mais à peine Dom Calmet nous a-t'il
fait entrevoir la vérité , que vous lui avez
rendu l'hommage le plus prompt , & en
même temps le plus glorieux pour elle ,
pour vous , Monfieur , & pour le fçavant
homme à qui elle doit votre conquête.
Vous avez plus fait encore. Devenu tout
coup le défenfeur & le foutien de la
caufe qui venoit de nous paroître préférable
, vous avez travaillé avec le plus
grand zele à lui faire des profélites , en
levant un obstacle qui n'avoit pas , il eft
vrai , arrêté Dom Calmer , mais qui pouvoit
faire peine à bien d'autres.
Vous avez penfé , avec raiſon , qu'il ne
falloit pas faire partir les Hébreux des environs
de Tanis : vous avez bien vu qu'il
étoit hors de toute vraisemblance , que fix
cens mille hommes chargés de leur bagage
& des dépouilles de leurs ennemis , &
traînant avec eux une multitude innombrable
de vieillards , de femmes , d'enfans,
d'efclaves & de troupeaux , ayent pu en
trois jours faire trente lieues , prefque
toujours à travers des montagnes & des
défilés . Pour abréger leur marche , vous
ne les faites partir que des environs de
Rameffes , & vous fuivez en cela l'Ecritu
re; mais , ainfi que Dom Calmet , vous
placez cette Ville à 25 lieues de la Mer
MA I. 1758. 12
Rouge , & cette diftance épouvante encore
bien des
gens.
Raffurons- les , Monfieur , & abrégeons
la route des Ifraélites de cinq à fix lieues
encore de plus. Pourquoi refter dans l'embarras
, quand on peut s'en tirer auffi facilement
? Plaçons ( puifqu'on le veut ) Tanis
à 30 lieues de la Mer Rouge ; mais comà.
30
mençons par en éloigner de cinq à fix
lieues , en avançant vers l'Orient , le palais
qu'habitoit Pharaon . C'eft fans doute dans
ce féjour & fous les yeux de ce Tyram ,
que Moyfe fit éclater les merveilles terribles
dont la derniere opéra la délivrance
d'Iraël ; c'eft là que fe devoit commencer
la fanglante exécution , dont la vengeance
de Dieu avoit chargé l'Ange exterminareur
; mais rien ne nous force de placer ce
lieu de malédiction dans la ville même de
Tanis. Ce n'eft point dans cette Ville , c'eft
dans les plaines qui l'environnoient , IN
CAMPO Faneos , que fe formerent les orages
, qui fe répandirent enfuite dans tout
le refte de l'Egypte. Ainfi le palais de l'endurci
Pharaon étoit fitué non dans Tanis ,
mais dans les plaines de Tanis ; IN CAMPO
Taneos. Nous pouvons donc le rapprocher
de cinq à fix lieues vers l'Orient , & placer
enfuite Rameffés à cinq on fix lieues plus
près encore de la Mer Rouge. Pour expli-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
quer l'Ecriture à cet égard , il nous fuffit
que Moyfe & Aaron ayent pu s'y rendre
dans la même nuit , où ils reçurent enfin
de Pharaon la permiffion d'aller facrifier
dans le défert . Car , comme vous l'obfervez
très-bien , Monfieur , il eft inutile de
faire partir les Couriers de Pharaon pour
aller chercher Moyfe & Aaron à Rameffés ,
d'en faire venir ces deux Chefs du peuple
de Dieu ,, pour les y ramener enfuite , &
tout cela dans les cinq ou fix heures qui
précéderent le départ des Hébreux. Čes
Miniftres du Seigneur fûrs de la promeffe ,
& de la protection du Maître qu'ils fervoient
, fe tenoient fans doute à la Cour ,
pour y attendre le moment fixé par l'Eternel
pour la délivrance de fon peuple. C'eft
vers le milieu de la nuit du 14 au 15 da
mois , qui fut dans la fuite le premier de
l'année hébraïque , qu'arriva ce moment
tant defiré , & fi long- temps attendu . Pharaon
, au cri de toute l'Egypte baignée
dans le fang de fes premiers més , appella
Moyfe & Aaron , & les preffa vivement
de partir. Vocatifque Pharao , Moyfe &
Aaron, ait eis : Surgite & egredimini , Exod.
12 , 3. Ainfi en ne mettant du palais dù
Tyran à Rameffés que cinq à fix lieues ,
Moyfe & Aaron purent y venir de grand
matin annoncer aux Hébreux l'heureuſe
MA I. 1758 . 127
houvelle de leur délivrance. 1 Ils fe mirent
en marche au même inftant , & arriverent
fur le foir à Socoth d'autant plus aisément,
qu'une auffi grande multitude étoit fans
doute campée dans la plaine , ou cantonnée
dans les villages bien en avant de Ramef
fés. Leur quartier général , dans les fuppofitions
que je viens d'établir , n'étant
éloigné de la Mer Rouge que de 18 lieues
environ , il est donc facile , malgré leur
multitude , d'y faire arriver les Ifraélites
le troifieme jour , c'est-à- dire le 17 au foir.
Je voudrois , Monfieur , qu'il fût auffi facile
de leur en faire faire le trajet miraculeux
dans la même nuit ; mais j'y trouve
de grandes difficultés. Je ne les propoſe
qu'en les foumettant , Monfieur , à votre
jugement , & à celui de tous ceux qui
voudront bien me communiquer leurs
lumieres. Je fuis difpofé à en profiter
avec toute la docilité poffible. L'exemple
que vous venez Monfieur , d'en
donner eft trop beau : il me fera glorieux
de l'imiter.
Lorſque la main du Seigneur ouvrit à
fon peuple un paffage à travers les flots de
la Mer Rouge , Pharaon & fon armée
étoient campés à Phihahiroth : or en confidérant
les différentes circonftances détaillées
dans l'Exode , chap. 13 & 14 ; il n'eft
F iv
128 MERCURE DE FRANCE:
pas poffible de les y faire arriver le 17
Les Hébreux partis de Rameffés le r
au matin , arriverent le même jour à Sosoth
, & le lendemain à Etham , à l'extrê
mité du défert . Là , Dien parla à Moyfe
lui dit : Parlez aux Enfans d'Ifraël , &
Beur dites, qu'ils retournent pour aller camper
vers Phibahiroth. Exod . 14 , 1 & 2. Reverfi
caftramentur è regione Phihahiroth. Il étoit
tout naturel que les Hébreux arrivés à
Etham à l'extrémité du défert , au lieu de
prendre leur route le long du bord occidental
de la Mer Rouge , ayant cette mer
à leur gauche , la laiffaffent à droite pour
traverfer l'ifthme de Suès , puifqu'alors la
mer ne les auroit point arrêtés. Mais le
Dieu d'Ifraël avoit fes deffeins. Il vouloit
faire tout à la fois éclater fa plus grande
miféricorde fur fon peuple , & fa vengean
ce la plus terrible fur Pharaon & fon armée.
Il ne conduifit donc pas , dit l'Ecricure
, les Hébreux fugitifs par le chemin lè
plus court , le plus aifé , le feul même
qu'ils fembloient devoir fuivre pour fe
rendre dans la terre de Chanaan ; mais
il les fit tourner par le chemin du défert
le long de la Mer Rouge. Non eduxit eos
Deus per viam terra Philiftiim que vici
na eft ...fed circumduxit per viam deferti
que eft juxta mare rubrum , Exod. 13 , 17
AMA I. 1758. 129
& 18. Ce chemin , au rapport du P. Sicard
, eft un défilé affez long , mais fort
étroit , entre le bord occidental de la mer
& les montagnes. Les Hébreux s'y enfoncerent
en quittant Phihahiroth , affez:
avant pour que les Egyptiens ayent pa
venir camper à Phihahiroth même ; d'où je
conclus d'abord, que ce ne peut être le 17
au foir que les Egyptiens s'y foient rendus.
Car les Hébreux , qui y vinrent coucher le
même jour, devoient en être affez éloignés
lorfque les Egyptiens y arriverent ils
avoient donc marché le 18 , en s'enfonçant
dans le défilé affez avant vers le midi
pour
pouvoir y camper ; ce qui ne put s'exécuter
par cette immenfe multitude , qu'en un ou
deux jours ainfi les Egyptiens ne les rencontrerent
au plutôt que le foir du 18 au
19. Je ne pense pas même qu'ils ayent pu
fe trouver fi -tôt en préfence des ennemis ,
la raifon en eft claire.
Or Pharaon , qui avoit accordé à Moyfe:
la permiffion d'aller facrifier dans le défert:
à la diftance de trois journées , ni les Egyp
tiens , qui avoient fourni volontiers aux
Hébreux des vaſes d'or & d'argent pour
les mettre en état de faire avec plus de
magnificence & d'éclat les cérémonies du
grand Sacrifice , ne devoient être inquiets
& ne le furent point en effet les deu xpre
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
miers jours. Ils virent avec plaifir les Hébreux
laiffer à leur gauche le chemin de
l'Orient qui pouvoit faciliter leur fuite , &
s'avancer pendant ces deux jours au Sud- eft
vers le défert. Ils ne commencerent à s'allarmer
, que lorsqu'en fortant d'Etham ,
les Ifraélites parurent en effet fonger à fe
mettre en fûreté. Alors on annonça à Pha
raón que le prétexte d'un Sacrifice couvroit
la fuite véritable des Hébreux . Alors
le Tyran changea de fentimens , immutatum
eftque cor Pharaonis. Il s'abandonna à
toute fa fureur ; elle ne fit même qu'augmenter
, quoiqu'il apprît qu'après avoir
fait quelques pas dans la route qui pouvoit
les fauver , les Ifraélites avoient tourné
tout-à-coup à droite pour entrer dans ce
défilé , qui eft entre le bord occidental de la
Mer Rouge & les montagnes. L'efpérance
de les y renfermer & de les forcer à y
mourir de faim , ou à venir redemander
leurs premiers fers , lui fit hâter fes prépa
ratifs , qui , fi les Hébreux n'avoient pas
changé de route , auroient été très - inutiles
contre des fuyards qui avoient deux journées
d'avance , & pouvoient en 24 heures
entrer dans le pays des Philiftins. Pharaon
monta donc fur fon char , raſſembla tous les
charriots de l'Egypte , parmi lesquels il y en
avoit 600 d'élite ; il fit prendre les armes à
MA I. 1758. 131
tout fon peuple , Exod. 14 , 6 & 7 ; pourfuivit
vivement les Hébreux , les joignit
fur le bord de la iner , & les renferma en
campant à Phihahiroth , dans le défilé où
ils s'étoient engagés .
Ne prenons point à la rigueur ces expreffions
de l'Ecriture , il prit avec lui
TOUT SON PEUPLE , ET TOUT CE QU'IL Y
AVOIT DE GHARRIOTS en Egypte ; OMNEM
populum affumpfi fecum talitque QUIDQUID
curruum in Egypto fuit. Je veux
qu'elles fignifient fimplement que Pharaon
affembla une grande armée : comment
n'en ayant pris la réfolution que le troifieme
jour après le départ des Hébreux ,
put- il raffembler une armée capable de
faire tête à 6ooooo combattans , la fournir
de vivres , & la faire trouver le même
jour à Phihahiroth , c'eft- à- dire à plus de
20 lieues de l'endroit d'où elle dut partir ?
Cela eft il concevable !
Je veux même que dès le jour que les
Hébreux partirent de Rameffés , le Tyran
qui ne fçavoit ce que c'étoit que de garder
fa parole , eût retracté dans fon coeur la
permiffion qu'il venoit de leur accorder ,
& qu'il eût pris fur le champ la réfolution
de courir après eux. Il ne put partir qu'après
avoir raffemblé cette armée immenſe ;
& à moins de la faire par miracle , & de
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE:
lui donner des aîles , il eft impoffible
qu'elle ait pu joindre les Hébreux le 17 ,
& conféquemment il eft impoffible que
ceux- ci ayent paffé la Mer Rouge la nuit
du 17 au 18 .
Je crois , Monfieur , que le
fyftême que
vous avez établi fur cet époque eſt trèsbeau
; mais cette époque eft elle bien
vraie ? C'est ce qu'on aura de la peine à
croire , jufqu'à ce que vous l'ayez rendus
plus vraisemblable . Cela ne vous fera pas
difficile fans doute : vous avez vu , mieux.
que moi , les difficultés ; mais je n'ai pas
apparemment vu , comme vous , ce qui
peut les diminuer , & peut- être même les
anéantir tout - à- fait..
J'ai l'honneur d'être , & c.
·
E. COLESSE , Curé de Châteauvieux
Diocese de Bourges..
MAI. 1758 ***
MEDECINE.
OBSERVATION fur les effets mortels
de la Poudre d'Alliot . Par M. Thiery
Docteur- Régent de la Faculté de Médecis
ne de Paris.
On m'invita au commencement de Jan N
vier dernier , à vifiter M. Bocanne , Prê
tre de la Paroiffe de la Magdeleine Fauxbourg
S. Honoré; je trouvai ce malade
avec un délire continuel , la voix entrecou
pée , & la refpiration très- gênée. La langue
étoit tellement gonflée , fans aucun
figne d'inflammation dans le voifinage ,
qu'à peine il la pouvoit tirer : le ventrs:
étoit mol , tuméfié & infenfible ; mais le
pouls étoit fi inégal , fi irrégulier , & accompagné
de tant d'intermittences , que ne
me reffouvenant pas d'avoir vu fauver des
malades avec cette efpece de pouls , je ne
craignis point d'affurer aux perfonnes qui
s'y intéreffoient , qu'il y avoit gangrene
dans les principaux vifceres , & que le fieus
Bocanne étoit perdu fans reffource. Notremalade
cependant , réveillé par la préſence
du Médecin , faifoit tous. fes. efforts pour
134 MERCURE DE FRANCE.
rappeller fes idées , & répondre aux queftions
que j'avois à lui faire. Il me confir
ma ce que j'avois déja appris des perfonnes
de fa connoiffance , que s'étant trouvé incommodé
quelques jours avant les fêtes
de Noël , & ayant eu un peu de fievre ,
que je jugeai par les circonstances n'avoir
été qu'une fimple fievre catharrale , il avoit
eu recours à fon remede ordinaire , la pou
dre d'Alliot ; qu'il en avoit pris neuf prifes
les quatre à cinq premiers jours ; que
néanmoins il avoit continué fes fonctions
pendant toutes les fêtes ; qu'au furplus il
étoit dans l'habitude , depuis douze ans ,
de prendre cette poudre tous les mois, pour
fe préferver , difoit - il , de tous maux ,
quoiqu'il ne fût naturellement fujet à aucunes
maladies , finon à des battemens de
coeur , & à des étouffemens. D'abord je
lui repréſentai , ainfi qu'aux affiftans , com
bien il étoit dangereux , & même criminel,
d'employer pour foi ou pour les autres ,
non feulement ces poudres d'Alliot dont
j'avois déja vu de funeftes effets , mais
tous autres remedes d'une certaine force ,
quand on n'avoit pas les connoiffances néceffaires
pour les mettre en ufage dans les
cas convenables. Puis réfléchiffant fur la
compofition de cette poudre ( 1 ) , je pteſ-
( 1 ) Elle eft principalement réfineufe : il
MA I. 1758.
135
crivis un électuaire compofé de mucilages,
& pour boiffon ordinaire , le petit lait
édulcoré avec les firops de guimauve , &c .
j'ajoutai l'ufage répété de lavemens adouciffans.
Le fecond jour le malade paroiffoit
paroft qu'il y a eu en différens temps quelques
variétés dans cette poudre. Celle qu'on débitoit il
ya dix à douze ans fous le nom de poudre d'Aix ou
d'Alliot , paffoit affez généralement pour un mê
lange de Jalap , de Scammonée & de racine de
Squine. M. Rouelle , de l'Académie Royale des
Sciences , dont l'habileté en fait d'analyfes eft fi
connue , trouva quelques années après que cette
poudre n'étoit autre chofe que l'Electuaire Diacarthame
, dont on peut voir la compofition dans
toutes nos Pharmacopées , & à laquelle on avoit
ajouté une grande quantité de fucre pour la maf
quer. La poudre dont notre malade fit ufage eft
noire , & pefe une dragme & douze grains pour
chaque prife. Elle eft auffi compofée de réfines ,
comme les précédentes , & paroît être un mêlange
de Jalap , de Scammonée , & de quelque Tithymale;
le tout torréfié , tant pour diminuer la virulencé
de ces drogues , que pour les déguifer. De
nouveaux effais , dès que la faifon fournira des
plantes fraîches , détermineront plus particuliérement
les fubftances qui entrent dans cette poudre
dangereufe. En attendant nous n'avons qu'à rougir
que le fieur Alliot , que nous apprenons n'avoir
eu ni confiance , ni conſidération dans fa patrie ,
ait porté le nom de Médecin , & ait été ou affez
ignorant pour croire qu'un purgatif réfineux
pourroit convenir dans toutes les maladies & à
tous les tempéramens , ou affez de mauvaiſe for
pour tâcher de le perſuader au peuple.
136 MERCURE DE FRANCE
moins mal , les évacuations étoient abon
dantes fans être forcées : je fis mêler des
laxatifs & des tempérans aux remedes dont
on continuoit l'ufage: Cependant le délire
étoit augmenté , & la même efpece de
pouls fubfiftoit toujours. Me reffouvenant
alors des fuccès heureux que j'avois fou
vent éprouvé de la térébenthine , non feu
lement dans le malade dont l'hiftoire eft
rapportée au no. I. ( 1 ) du Journal de Médecine
, mais dans d'autres maladies trèsgraves
des vifceres de l'abdomen , j'or
donnai un mêlange où elle entroit en affez
grande dofe , & qui fut pris en très-grande
partie. Je dois dire à la louange de ce
remede , qu'en allant le lendemain matin
faire ma vifite , je trouvai le pouls plein ,
fort , égal & fans intermittences . Un chan
gement auffi favorable qu'il étoit peu ef
péré ; le tempérament du malade qui étoit
charnu & fanguin ; la couleur affez vive
du vifage , joint aux autres circonstances ,
& nommément à ce qu'il s'étoit déja paffé
cinq à fix jours depuis qu'il avoit ceffe
Pufage de fes poudres , me déterminerent
à tenter une faignée que j'avois rebutée
jufqu'à ce moment. Elle fut donc faite du
(1) Voyez dans le Journal de Médecine du
mois d'Avril dernier , Obfervations fur quelques
maladies peu cominunes...
MA I. 1758: 137
před ce matin même ; le malade la fou
tint très-bien : le fang paroiffoit fortir avec
impétuofité. Immédiatement après on ap
pliqua à la nuque du col une large emplâ
tre véficatoire , ainfi que je l'avois prefcrit.
Mais trompeufe efpérance ! foins fu
perflus ! le fieur Bocanne ne tira d'autres
fruits de ces fecours que de pouvoir remplir
avec plus de connoiffance & d'édification
les derniers devoirs de la Piété Chrétienne
à fept heures du foir il n'étoit
plus. Je demandai à M. le Curé de la Mag--
deleine , qui fçavoit le jugement que j'a
vois porté de la maladie dès ma premiere
vifite
, que le corps fût ouvert. Animé ,
comme il l'eft , de l'amour du bien public,
non feulement il y confentit , mais il témoigna
que le défirant lui- même , il avoit
réfolu de m'en prier , afin que cette our
verture pût fervir d'exemple à fes Paroiffiens.
Elle fut faite le 7 Janvier au matin ,
36 heures après la mort , en préfence de
beaucoup de perfonnes.
D'abord nous remarquâmes que la peau
étoit en plufieurs endroits parfemée de
grandes taches vertes & violettes , qui
nous annoncoient une corruption plus
prompte qu'on ne l'obferve communé
ment dans un pareil efpace de temps.
après la mort. Dès que le fieur Banniere
38 MERGURE DE FRANCE.
S
Chirurgien , eut ouvert l'abdomen , il en
fortit une vapeur foetide , quoique l'incifion
eût été faite habilement & fans
bleffer les inteftins. Mais à mesure qu'on
découvroit les principaux vifceres leur
altération parut fi fenfible & fi éloignée
de l'état naturel , qu'elle frappoit d'étonnement
les perfonnes les moins inftruites.
Le foie , la rate , les reins , le poumon
étoient de couleur de poix noire , friables
, fecs , gonflés , comme fi on les eût
légérement foufflés. Je ne pourrois en
donner une idée plus exacte qu'en les
comparant , tant à l'extérieur que dans
leur fubftance la plus intime , à différentes
maffes d'amadou d'un brun foncé ,
qu'on auroit rendue moins compacte en la
foufflant. Il eft digne de remarque qu'il
ne fortit pas une goute de fang , tant par
l'ouverture des tégumens , que par les incifions
les plus profondes que je fis faire
au foie , à la rate , aux poumons : cependant
il faut fe reffouvenir que le malade
n'avoit été faigné qu'une feule fois , comme
on l'a dit ; qu'il étoit replet , fanguin
& à la fleur de fon âge ; que fa maladie
avoit été trop courte pour qu'il eût eu
le temps de maigrir fenfiblement ; &
qu'enfin il n'avoit été privé d'alimens folides
que cinq à fix jours avant ſa mort.
MA I. 1758. 139
en
L'eftomac furtout à fon fond , le pilore ,
l'épipoloon , le duodénum étoient ,
plufieurs endroits , pénétrés de cette finguliere
efpece de gangrene que nous ve
nons de d'écrire. L'eftomac étoit vuide
fa tunique interne ou veloutée , ainfi que
celle du duodénum , paroiffoit détruite.
Les autres inteftins , qui étoient fort gon-
Hés , n'offroient rien de particulier , dumoins
quant à l'extérieur. Le coeur étoit f
flafque & fi gros , qu'à peine pouvoit
on reconnoître fa figure. Il n'y avoit pas
une goutte de fang dans fes cavités : fa
ſubſtance , qui eft naturellement trèscompacte
, étoit finguliérement molle : il
étoit adhérent au péricarde, & ne faifoient
enſemble qu'une maffe commune : cette
maffe étoit de la couleur & de la confiftence
que nous avions trouvée au foie , aux
poumons, &c. Mais d'ailleurs on ne décou
vrit ni polipes, ni offifications, foit au coeur,
foit dans les grands vaiffeaux , ni aucune
forte de vice auquel onpût attribuer les battemens
de coeur & les palpitations qui affligerent
notre malade pendant plufieurs
années. Il y a donc toute apparence que
ces accidens n'étoient produits que par
fympathie , & par l'irritation des entrailles
excitée par les poudres d'Alliot , qu'il
étoit dans l'habitude de prendre. On peut
140 MERCURE DE FRANCE:
croire auffi que le delire qui accompagna
fa derniere maladie , étoit produit en gran
de partie par les prifes du même remede
dont il venoit en dernier lieu de faire
ufage. Car ayant auffi voulu examiner
le cerveau , je n'y trouvai aucun engor
gement , foit lymphatique , foit inflam
matoire , ni aucun autre vice fenfible.
Seulement , loin d'être mol & friable ,
comme les autres vifceres , il avoit un
peu plus de fermeté & de conſiſtence que
dans l'état ordinaire . [ ? )
Ayant fait le rapport de cette ouverture
à M. le Curé de la Magdeleine , & ayant
ajouté que
l'hiftoire de la Médecine , ne
rapportoit d'auffi grands changemens dans
le corps , qu'à la fuite des poifons ou des
fievres peftilencielles , ce digne Paſteur fe
rappella pour lors avec le plus vif chagrin
, que fon prédéceffeur étoit mort
auffi par l'ufage des poudres d'Alliot ; que
le corps ayant été ouvert , Meffieurs les
Médecins y trouverent plufieurs traces
de
gangrene ; que M. Bocanne , loin de ce- .
der à fes fréquentes exhortations , & de
quitter fes poudres , les faifoit prendre en
cachette à plufieurs malades ; ce qui produifoit
communément les effets les plus
funeftes ; que nommément dans un jeune
komme , à qui le fieur Bocanne ne put
4
M A I. 1758. 14t
nier d'avoir donné fes poudres , elles
furent fuivies d'une mort très -prompte.
Des exemples fi frappans & fi bien conftatés
ne fçauroient être rendus trop publics,
Ils ferviront peut-être à arrêter ces perfonnes
téméraires , qui , fans confidération
du péril auquel elles s'expofent elles- mêmes
, ou leur prochain , ofent fe fervir
d'armes dangereufes qu'elles ne connoiffent
pas , & employer à tout hafard des
remedes qui ne peuvent être que def
tructeurs , foit par leur nature , foit par
l'abus qu'on en fait , foit enfin par les circonftances
dans lefquelles on les employe ,
Landis que ceux qui, par goût & par les devoirs
de leur profeffion , ont fait une longue
étude de l'humanité & de fes maux ,
ofent à peine s'en rapporter à leurs lumieres
, à leur expérience & à celle de plufieurs
fiecles , quand , dans des maladies
un peu difficiles , il s'agit de la jufte appli
cation des remedes les plus connus & les
plus expérimentés,
}
+
«Je certifie que les faits énoncés dans
» la préfente obfervation font authenti-
» ques , & que l'on peut ajouter foi à
» l'expofé qu'en fait M. Thierry. A Pa-
» ris , ce 4 Avril 1758. Cathelin , Curé de
la Magdeleine de la Ville- L'Evêque. « ??
142 MERCURE DE FRANCE:
ELOGE de M. de Réaumur , lu à l'affemblée
publique de l'Académie Royale des
Sciences , le mercredi s Avril , par M.
de Fouchy , Secretaire perpétuel.
RENÉ-ANTOINE Ferchault , Ecuyer , Seigneur
de Réaumur , des Angles & de la
Bermoudiere , Commandeur & Intendant
de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
de l'Académie Royale des Belles- Lettres de
la Rochelle , Membre des Académies des
Sciences d'Angleterre , de Pruffe , de Ruffie
, de Suede , de celle de l'inftitut de
Bologne , naquit à la Rochelle en 1683
de René Ferchault , Seigneur de Réaumur ,
Confeiller au Préfidial de cette Ville , &
de Géneviève Bouchel.
Il fit fes premieres études à la Rochelle ;
& fa philofophie chez les Jéfuites de Poitiers
, de- là il alla en 1699 faire fon droit à
Bourges, où un de fes oncles, Chanoine de
la Sainte Chapelle de cetteVille, l'avoit appellé.
Ce voyage fut accompagné d'une circonftance
finguliere : M. de Réaumur avoit
alors à peine 17 ans. On ofa confier à fa
conduite un frere cadet qu'il avoit. La confiance
qu'on avoit en lui ne fut point trom
pée ; il poffédoit déja la prudence d'un
MAI. 1758. 143'
homme fait , & le Mentor de 17 ans s'acquitta
parfaitement de fon devoir.
Les études que M. de Réaumur avoit
faites jufqu'alors , l'avoient mis en état de
s'appliquer aux fciences pour lefquelles il
fe fentiroit de l'inclination ; les mathéma
tiques & la phyfique eurent bientôt fixé
fon choix , & il fe hâta de fe rendre à Pa
ris , pour cultiver les heureufes difpofitions
qu'il avoit reçues de la nature.
Quelqu'immenfe variété de caracteres
qu'on puifle rencontrer dans les habitans
de cette Capitale , il n'étoit pas fûr qu'il
pût aifément y trouver quelqu'un de fon
âge auffi avide que lui de connoiffances ,
auffi livré à l'étude & au travail , d'un efprit
auffi net , & d'un coeur auffi droit que
le fien ; en un mot , qui , dans le feu de
la premiere jeuneffe , eut toute la folidité
d'efprit & toute la conduite d'un homme
fait. Il fut cependant affez heureux , pour
rencontrer ce tréfor , & nous ne craignons
point que le public nous défavoue , quand
nous ajouterons que ce fut en la perfonne
de M. le Préfident Hénault fon parent ,
qui devint bientôt fon ami , & n'a jamais
ceffé de l'être.
M. de Réaumur ne tarda pas à fe faire
connoître pour ce qu'il étoit. Venu à Paris
en 1703 , dès 1708 il fut jugé digne d'
244 MERCURE DE FRANCE.
tre membre de cette Compagnie , où il
obtint le 14 Mars , âgé feulement de 24
ans, la place d'éleve de M. Varignon , vacante
par la promotion de feu M. Saurin
à celle d'affocié.
. Dès la même année , il donna une ma-
Biére générale de trouver une infinité de
courbes décrites par le mouvement de l'extrêmité
d'une ligne droite , qui , parcourant
par l'autre bout une courbe donnée
eft affſujettie à paffer toujours par un même
point. M. Carré avoit réfolu ce problême
en 1705 ; mais il n'avoit conſidéré
que le feul cas dans lequel la courbe génératrice
étoit un cercle. M. de Réaumur entreprit
de le porter à fa plus grande généralité
; en effet , fa théorie s'applique à
toutes les courbes poffibles , & ne laiffe
tien à défirer fur cette matiere .
L'année ſuivante fut marquée par un
autre ouvrage géométrique fur les développées.
On avoit bien déterminé les courbes
formées par les rayons perpendiculaires
à tous les points d'une autre courbe ;
mais perfonne ne s'étoit encore avifé de
déterminer la nature de celles que formoient
des lignes qui rencontroient une
courbe donnée fous un angle conftant plus
ou moins grand qu'un droit . Cette condition
donne au problême toute la généralité
poffible ,
M A I. 1758. 145
poffible , & la maniere ordinaire de confidérer
ces courbes , n'en eft qu'un cas particulier.
Cet ouvrage fut le dernier mémoire de
mathématique que donna M. de Réaumur :
il étoit dès- lors chargé de la defcription
des arts , & en même temps le goût qu'il
avoit l'hiftoire naturelle , commença
à l'entraîner vers d'autres recherches , qui
ne lui permirent plus que quelques applications
toujours utiles & ingénieufes de
la géometrie à ces différens objets.
pour
Dès la même année , il lut fes obfervations
fur la formation des coquilles ; on
ignoroit encore fi elles croiffoient comme
le refte du corps animal par une intus- fufception
, ou par l'addition extérieure &
fucceffive de nouvelles parties. Ses obfervations
fines & délicates leverent cette incertitude
, & apprirent que les coquilles
fe formoient par l'addition de nouvelles
parties , & même qu'elle étoit la caufe de
la variété de couleur , de figure & de grandeur
qu'elles affectent ordinairement. Les
obfervations que ces recherches l'engagerent
à faire fur les limaçons , lui firent découvrir
un infecte fingulier , qui vit nonfeulement
fur ces animaux , mais dans
l'intérieur de leur corps , d'où il ne fort
que lorfque le limaçon les en chaffe
G
146 MERCURE DE FRANCE:
Elles lui donnerent de même occafion de
démêler le mouvement progreffif d'un
grand nombre de coquillages , & la prodigieufe
variété des organes que l'Auteur
de la nature a employés pour ce feul ufage
, dans les différentes efpeces de ces animaux.
ter ,
On fera peut-être furpris que dans la
même année , qui pourroit paroître bien
remplie par ce que nous venons de rapporil
ait pu donner un travail tout diffé
rent , quoique du même genre fur l'hiſtoire
de la foie des araignées. Les expériences
de M. Bon , premier Préſident de la Chambre
des Comptes de Montpellier , avoient
fait voir que les araignées fçavoient filer
une foie qui pouvoit être utilement employée
; mais il reftoitencore à s'affurer s'il
étoit poffible de les nourrir en affez grande
quantité , & fans des frais qui excé
daffent le profit qu'on en pouvoit tirer.
L'ingénieux Académicien entreprit cette
pénible recherche , & il en réſulta que la
découverte de M. le Préfident Bon n'étoit
que de fimple curiofité , & que le commerce
n'en pourroit tirer aucun avantage.
Ce travail porté à la Chine avec les mémoires
de l'Académie , attira l'attention
du célébre Cam- hi , qui regnoit alors ; ce
Prince le fit traduire en Tartare , voulut
MA I. 1758 . 147
que trois des Princes fes fils l'étudiaffent
avec foin , & lui en rendiffent compte ,
& ajouta que pour avoir une fi grande ardeur
de découvrir , il falloit être Européen
.
On fçavoit depuis longtemps que plufieurs
animaux marins étoient attachés à
différens corps folides , foit que cette
adhérence fut perpétuelle , foit qu'elle pût
ceffer à la volonté de l'animal ; mais on
ignoroit par quels moyens elle s'opéroit.
M. de Réaumur entreprit de les découvrir
, & on doit à fes recherches la connoiffance
des filieres , des moules & des
pinnes marines , de l'ufage du prodigieux
nombre des jambes de l'étoile de mer
pour s'attacher aux corps folides , de la glu
qu'emploient d'autres animaux pour la même
fin , en un mot d'un grand nombre de
5 manieres employées à cet effet , & defquelles
on n'avoit eu jufques-là aucune
idée .
•
Ces mêmes recherches offrirent à M. de
Réaumur un autre objet bien fingulier ,
qu'il ne cherchoit pas. Elles lui firent découvrir
un poiffon différent de celui qui
fourniffoit la pourpre des Anciens , & qui
jouiffoit de la même propriété , & de plus ,
des grains femblables à des oeufs de poiffon
qui fe rencontrent en très- grande abon-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
dance fur les côtes de Poitou . Ces grains
donnent, en les écrafant , une teinture jaunâtre
très- folide , qui , expofée à l'air ,
devient en peu de minutes d'un très beau
pourpre. Nouvelle maniere de teindre ,
ignorée jufqu'ici , & dont les recherches
de M. de Réaumur ont enrichi la phyfique
& le Royaume.
Un travail d'un tout autre genre l'oc
cupoit encore dans le même temps ; il fai
foit des expériences pour déterminer fi la
force d'une corde étoit plus grande ou
moindre , que la fomme des forces des
cordons qui la compofent ; elles déciderent
contre l'opinion reçue jufqu'alors ,
que la force de la corde étoir moindre que
la fomme de celles de fes cordons ; d'où il
fuivoit néceſſairement , que moins une
corde différoit d'un affemblage de cordons
paralleles , c'est- à- dire , moins elle étoit
torfe , & plus elle devoit être forte . Paradoxe
de méchanique alors bien fingulier ,
que les expériences de M. Duhamel ont
mis depuis au rang des chofes démontrées.
Tous les habitans des bords de la mer
& des rivieres , affuroient que lorfque les
écreviffes , les crabes , les homards avoient
perdu une de leurs pattes , il leur en revenoit
une autre. Mais comment fe prêter à
un pareil phénomene ; c'étoit , difoit-on ,
MAI. 1758. 149
tenverfer toutes les idées de la faine phyfique.
M. de Réaumur bien inftruit que
fouvent ce qui paroît le moins vraisemblable
n'en eft pas moins vrai , confulta l'expérience
, & il trouva que fur ce point ,
les Phyficiens avoient tort , & que le peuple
avoit raifon. Il démêla de plus toutes
les circonftances de cette reproduction, plus
fingulieres peut-être encore que la chofe
même.
ទ Voici encore une merveille de la mer
de laquelle on doit l'explication à M. de
Réaumur ; la torpille ou tremble , étoit
redoutée de tous ceux qui la connoiffoient ,
par la propriété qu'elle a d'engourdir la
main & le bras qui la touchent. On avoit
tenté depuis long- temps , mais toujours
inutilement , d'expliquer ce phénomene ;
on en étoit réduit aux grandes extrêmités ,
c'est-à-dire à une émiffion de corpufcules
torporifiques. M. de Réaumur eut le courage
de tenter des expériences difficiles &
fâcheufes , & l'avantage de démêler à l'aide
de l'anatomie l'admirable ſtructure des
muſcles , qui , par la vîteffe du coup qu'ils
donnent
produisent l'engourdiffement
qu'on reffent en touchant la torpille.
Les objets dont nous venons de parler ,
n'intéreffoient que la curiofité phyf
que. Ceux qui fuivent , font d'un
و
1
genre
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
différent , ils vont directement au bien
de la fociété.
Le premier , fut la découverte des mines
de Turquoife. La Perfe étoit regardée
comme le feul lieu de l'univers où les Turquoifes
, du moins les belles , priffent naiſ
fance ; on en étoit même fi bien perfuadé
, qu'on regardoit comme Turquoifes
orientales , toutes celles qu'on trouvoit
parfaites . Le travail que M. de Réaumur
avoit entrepris für les arts , lui fit connoître
des mines de cette matiére , abandonnées
depuis longtemps dans le Languedoc.
Il follicita les ordres néceffaires pour en
avoir des morceaux , il fit des expériences
pour connoître le degré de feu qui leur
donne la couleur , il détermina la forme
& la dimenfion des fourneaux , & il réfulta
de fes recherches , que les Turquoi
fes étoient des os foffiles pétrifiés , colorés
par une diffolution métallique que le feu y
faifoit étendre , & que de plus , celles de
Fra ce ne le cédoient , ni en groffeur , ni
en beauté aux plus belles qui fé trouvént
en Perfe.
L'art de faire les pérles fauffes , par le
quel les hommes font venus à bout de contrefaire
fi parfaitement une des plus belles
productions de la nature , qu'elle en a perdu
prefque tout fon prix , n'avoit pas
M A I. 1798. Ist
échappé à M. de Réaumur ; mais il y joignit
une recherche bien intéreffante pour
la phyfique. Ce fut celle de la matiere qui
donne la couleur aux perles fauffes , & qui
fe tire d'un petit poiffon nommé able , ou
ablette. Ce feul article pourroit fervir de
réponse à ceux qui ofent blâmer les obfervations
faites. fur des fujets petits en ap
parence , & prouver que les moindres ouvrages
de l'Auteur de la nature , ne méritent
pas moins notre admiration , que les
plus grands. Cette recherche fur les perles
fauffes , fut fuivie par un examen de la
nature des véritables perles que M. de
Réaumur regarde , comme une maladie
de l'animal . C'étoit bien les dégrader de
l'origine céleste qu'on leur accordoit autrefois.
Ce travail fut bientôt après fuivi d'un
autre encore plus intéreffant , de l'hiſtoire
des rivieres auriferes de France , dans lequel,
avec le détail de cet art fi fimple qu'on
emploie , à retirer les paillettes d'or qu'el
les roulent dans leur fable , on voit briller
partout l'efprit du Phyficien.
Nous ne pourrions fans excéder les bornes
qui nous font prefcrites , parler ici de
tous les morceaux intéreffans dont il a enrichi
nos mémoires . Telles font fes recherches
fur le banc de coquilles foffiles dont
Giv
132 MERCURE DE FRANCE :
on tire en Touraine cette immenfe quantité
de fragmens qui fervent à fertilifer les
terres , & qu'on nomme falun ; ſur la nature
des cailloux qu'il fait voir n'être que
des pierres plus pénétrées de fuc pierreux ,
plus lapidifiées , s'il m'eft permis d'ufer
de ce mot , que les pierres ordinaires ,
mais moins cependant que le cryftal de roche
; fur le noſtoch , cette plante fingulie
re qui ne paroît qu'après les grandes pluies
d'été, fous une forme gélatineufe , & hors
delà devient invifible , ou au moins méconnoiffable
; fur la lumiere des dails , efpece
de coquillage qui luit dans l'obſcurité
avec d'autant plus de force , qu'il eft plus
frais ; fur la facilité avec laquelle le fer &
l'acier s'aimantent par la percuffion ; nous
fupprimons , dis- je , tous ces ouvrages ,
& bien d'autres qui auroient pu, à jufte titre
, faire une réputation brillante à un
autre Phyficien , pour en venir à des objets
plus grands & plus intéreffans , & par conféquent
plus dignes de lui : car fi la gloire
de grand Phyficien lui fut chere , celle de
bon Citoyen le flatta toujours davantage.
De ce nombre eft l'ouvrage qu'il fit
paroître en 1722 , fous le titre de l'art de
convertir le fer en acier , & d'adoucir le
fer fondu .
Perfonne n'ignore les ufages infinis d
M A I. 1758. 193
fer fous les trois formes de fer fondu , ou
fonte de fer , de fer forgé ou en barres , &
enfin d'acier . Dans le premier état , le fer
eft fufceptible de fufion ; mais il eft aigre
& dur , & refuſe également de fe laiffer
étendre fous le marteau , & de fe laiffer
entamer par le cifeau. Dans le fecond , il
eft malléable , & fe peut limer & couper;
mais auffi il a perdu la propriété d'être fu
fible fans addition . Enfin dans le troifieme
, il acquiert une propriété bien plus
finguliere , celle de durcir & de devenir
caffant. Si après l'avoir chauffé jufqu'à rou
gir , on le trempe dans l'eau froide , &
c'est ce qu'on nomme trempe de l'acier ,
l'aigreur de la fonte de fer ne permer
pas d'en faire des ouvrages qui ayent befoin
de foupleffe ; moins encore de ceux
qui doivent être cizelés , percés , en un
mot travaillés au fortir de la fonte. Aucun
outil ne pourroit les entamer , & on rifqueroit
beaucoup de les caffer..
D'un autre côté , la maniere de conver
tir le fer forgé en acier , étoit un fecret
abfolument ignoré en France , & poffédé
par les Etrangers qui tiroient de nous de
très- groffes fommes pour cette marchandife..
Le travail que M. de Réaumur avoit fait
fur les arts , lui avoit fouvent donné oc-
G.v
154 MERCURE DE FRANCE.
;
cafion d'étudier le fer dans fes différens
états : il avoit reconnu que l'acier ne différoit
du fer forgé , qu'en ce qu'il avoit
plus de foufre & plus de fels. C'en fut affez
pour l'engager à rechercher les moyens
de donner au fer ce qui lui manquoit pour
être acier , & après un nombre infini de
tentatives dont les mauvais fuccès ne le rébuterent
point , il parvint au but qu'il s'étoit
propofé , à convertir le fer forgé en
acier de telle qualité qu'il le vouloit. Ce
fuccès, après plusieurs établiffemens que divers
accidens ont renversés , a cependant
tranfporté chez nous un art duquel nos
voifins étoient fi jaloux , & attiré prefqu'entiérement
en France cette branche de
leur commerce.
Les mêmes expériences qui avoient montré
à M. de Réaumur que l'acier ne différoit
du fer , que parce qu'il avoit plus de
foufres & de fels , lui avoient auffi appris
que la fonte de fer ne différoit du fer fotgé
,, que parce qu'elle en avoit trop , parce
qu'elle étoit de l'acier trop acier. Il cher
cha donc à lui ôter ce trop , & y réuffit au
point de produire des ouvrages de fer fondu
, auffi bien réparés que ceux de fer forgé
, & qui ne devoit pas en coûter la vingtieme
partie. Nous ne diffimulerons pas
qu'on ne leur ait reproché des défauts , &
M A I. 1758 . ISS
que les premiers établiſſemens de cette manufacture
n'ayent échoué : mais ne s'eft- on
point un peu trop laffé de perfectionner
cet art , & peut- être auffi trop preffé de
le condamner ? Quoi qu'il en foit , M. de
Réaumur a ouvert en cette partie une nouvelle
carriere , & on lui aura toujours
l'obligation d'avoir enfeigné aux hommes
un art abſolument ignoré juſqu'à lui.
•
Feu M. le Régent , bon Juge en pareille
matiere , crut devoir récompenfer ce fervice
rendu à l'Etat par une penfion de
12000 liv . M. de Réaumur pouvoit l'accepter
fans condition , & bien d'autres
l'euffent fait en fa place ; mais il ofa porter
fes vues plus loin , & demander à M.
le Duc d'Orléans , qu'elle fût mife fous le
nom de l'Académie qui en jouiroit après fa
mort , pour fubvenir aux frais des expé
riences néceffaires à la perfection des arts :
idée bien digne d'un Académicien vraiement
Citoyen. Le Prince Régent fentir
toute la nobleffe de ce procédé , & lui accorda
fa demande. Les Lettres-Patentes qui
affurent ce fonds à l'Académie , & qui lui
en prefcrivent l'ufage , furent expédiées
le 22 Décembre 1722 , & enrégiftrées à
la Chambre des Comptes .
La découverte de cer art fut bientôt fuivie
de celle d'un autre , alors inconnu en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE:
France , & qui nous rendoit encore tribu
taires de l'étranger . Le fer blanc , ces feuilles
de fer étamé qui eft d'un ufage fi commode
& fi étendu , ne fe fabriquoit qu'en
Allemagne . Ce n'étoit pas qu'on ne fçût
ici que du fer blanchi s'étame très- facilement
, lorfqu'après l'avoir frotté ou faupoudré
de fel ammoniac , on le plonge dans
l'étain fondu ; mais fi on eût entrepris
d'enlever aux feuilles de fer noir leur écaille
, & de les étamer par cette méthode ,
elles auroient beaucoup plus coûté que les
feuilles étamées venues d'Allemagne . Il de
voit donc y avoir un moyen abrégé & peu
coûteux , de nettoyer & de décaper ces
feuilles. M. de Réaumur entreprit fur les
plus légers indices de trouver ce fecret ,
dont les Manufacturiers Allemands étoient
fi jaloux. Il le trouva en effet. Trempant
ces feuilles dans une eau de fon aigrie , &
les laiffant enfuite rouiller dans des étuves,
on détache l'écaille du fer , & on la peut
aifément enlever en les écurant avec le
grés elles font alors en état d'être facilement
étamées , fi on les plonge dans un
ereufet plein d'étain fondu couvert d'un
doigt ou deux de fuif , qui d'une part empêche
l'étain de fe convertir en chaux , &
de l'autre fournit en fe brûlant , affez de
fell ammoniac à la fenille qui le traverfe
MAI. 1758. 197
pour
lui permettre
de
fe bien
étamer
, &
graces
au travail
de
M.
de
Réaumur
, les
manufactures
de fer
blanc
fe font
multipliées
en France
, & nous
avons
lieu
d'ef
pérer
que
le Royaume
fera
bientôt
en
état
de n'en
plus
tirer
de l'étranger
. Un troifieme art que l'Etat doit encore
tout entier à fes recherches , eft celui de
faire de la Porcelaine . On croyoit autrefois
la Chine privilégiée de la nature fuz
cet article. Elle poffédoit feule , difoit - on
la terre précieule propre à former ces vafes
que nous admirons . En vain la Saxes'étoit-
elle procuré une manufacture de
porcelaine ; en vain même en avoit- on
compofé ici d'imparfaite à la vérité , mais
qui cependant étoit porcelaine ; rien n'avoit
pu réveiller la curiofité des Phyficiens,
ou du moins leurs tentatives avoient été
inutiles , & le fecret de la porcelaine foi
gneufement gardé en Saxe , étoit encore
un fecret pour nous. M. de Réaumur entreprit
de le deviner des obfervations
de
très-fimples fur les caffures du verre ,
la porcelaine & de la potterie de terre , lui
apprirent qu'on devoit regarder la porcelaine
comme une demi -vitrification : or ,
une demi -vitrification fe pent obtenir 9
ou en expofant au feu une matiere vitri
fiable , & l'en retirant avant qu'elle fait
158 MERCURE DE FRANCE.
totalement vitrifiée , ou en compofant la
pâte de deux matieres dont l'une fe vitrifie
, & l'autre puiffe foutenir le feu le plus
violent fans changer de nature . Une épreuve
ailée pouvoit faire voir , fi la porcelaine
de la Chine étoit de l'une ou de l'autre
efpece ; il ne falloit que l'expofer à un
feu violent : fi elle étoit une matiere à demi
vitrifiée , elle devoit achever de fe convertir
en verre ; fi au contraire elle étoit
de la feconde efpece , elle devoit foutenir ,
fans changer , le feu le plus vif. Ce fut en
effet ce qui arriva : la porcelaine de la Chine
refta porcelaine , & toute celle de l'Europe
fe changea en verre ; ce qui montroit
bien la différence de leur nature : mais en
fçachant que la porcelaine de la Chine étoit
compofée de deux matieres , il falloit encore
fçavoir quelles elles étoient , & fi la
France en produifoit de pareilles. Les mémoires
& les échantillons envoyés par les
Jéfuites François , Miffionnaires à la Chine
, comparés avec ceux que les foins du
Prince Régent avoient engagé les Intendans
des différentes Provinces à faire remettre
à M. de Réaumur , lui eurent bientôt
fait voir que nous poffédions en ce point
mieux que la Chine , & qu'il ne tenoit
qu'à nous de mettre nos tréfors en oeuvre.
Il en fit des effais qui réuffirent parfaiteMA
I. 1758: 189
thent : il contrefit de même celle de l'Europe
, & tranfporta par ce moyen dans le
Royaume , un art utile & un objet de commerce
qui lui étoit abfolument étranger :
il fit plus , il imagina une troifieme efpece
de porcelaine capable de réfifter au feu
le plus vif , & qui n'eft que du verre recuit
avec des précautions aifées . Si cette
derniere n'a pas autant d'éclat que les deux
autres , le peu qu'elle coûte , & la facilité
qu'on a de s'en procurer aifément partout ,
en doivent rendre la découverte précieuſe .
Voici encore un travail fuivi d'un autre
genre , & peut être plus intéreffant
pour la Phyfique , que ceux dont nous
venons de parler. Les thermometres ordinaires
ou de Florence , marquoient bien
l'augmentation du chaud & du froid ,
mais chacun les marquoit , pour ainfi
dire , à fa maniere , & par conféquent la
chaleur & le froid indiqués par l'un , ne
pouvoient être comparés à ceux qui étoient
marqués par un autre ; & le thermometre
n'apprenoit rien autre chofe , finon que
dans l'endroit où il étoit , il faifoit plus
ou moins chaud , fans que ce plus ou
moins de chaleur ou de froid , pât être
comparé à celui de tout autre endroit . Fen
M. Amontons avoit déja travaillé en 1703
fur cette matiere , mais quelqu'ingénieufes
160 MERCURE DE FRANCE
que fuffent fes vues , elles n'avoient
encore le débarraffer de toute incertitude.
M. de Réaumur entreprit de remédier à
ces inconvéniens ; il en démêla les fources
: ils venoient de l'inégalité d'où l'on
faifoit partir la divifion de celle du calibre
du tuyau , & enfin de la différente dilatabilité
de l'efprit- de- vin qu'on employoit.
Pour obvier à toutes ces erreurs , il prit
pour terme ou zéro de fa divifion , le
point où s'éleve la liqueur lorfque la boule
eft plongée dans l'eau qui commence à ſe
glacer ; il donna les moyens de régler les
divifions proportionnellement à l'augmen
tation de la liqueur , & non par les- parties
aliquotes de la longueur du tuyau ; &
enfin il enfeigna à réduire l'efprit - de- vin
à un degré conftant de dilatabilité . Ces circonftances
réunies donnerent à fes thermometres
une fi grande uniformité de
marche , qu'ils ont fait abandonner pref
que toutes les conftructions ordinaires , &
qu'ils ont été adoptés prefque univerſellement
par les Phyficiens. On ne fe fert plus
guere que de ceux de M. de Réaumur ; cas
fon nom y eft demeuré attaché , & forme
a fa gloire un monument plus durable
qu'une colonne ou qu'un obélifque. Cette
conftruction de thermometre a donné lieu
de comparer la température des climats les
MA I. 1758.
161
plus éloignés , de conferver toujours , &
dans toutes les expériences , des degrés
égaux de chaud ou de froid ; de prefcrire
aux ferres qui contiennent des plantes
étrangeres , le degré de chaleur qui leur
convient ; en un mot elle fait une époque
mémorable dans la Phyfique .
Le dernier art que nous devons à fes
foins , eft celui de conferver les oeufs , de
faire éclorre & d'élever les oifeaux fans le
fecours de l'incubation .
On connoiffoit depuis longtemps l'induſtrieuſe
maniere par laquelle les Egyptiens
fubftituoient à l'incubation , l'action
d'un feu fagement ménagé , mais le détail
en étoit inconnu : les Berméens , feuls poffeffeurs
de l'art de conduire les fours à poulets
, en faifoient un myftere impénétrable
: mais eût- on pu réuffir à leur dérober
leur fecret , il étoit plus que vraisemblable
que la différence de climat l'auroit rendu
inutile parmi nous. Toutes ces difficultés
n'arrêterent point M. de Réaumur : il démêla
le fecret des Berméens ; il inventa une
infinité de manieres d'employer avec fuccès
le feu , fouvent même celui qui fervoit
à d'autres ufages ; il y fubftitua la chaleur
du fumier , inventa de longues cages où
les petits nouvellement éclos font mis comme
en dépôt , les boîtes fourrées qui leur
162 MERCURE DE FRANCE.
fervent de meres pour les couver` lorfqu'ils
en ont befoin ; il propofa des nourritures
de leur goût , & qui fe peuvent
trouver partout en abondance ; en un mot
on peut dire que l'art qu'il a fubftitué à
celui des Egyptiens , eft autant au deffus
du leur que les connoiffances de M. de
Réaumur étoient au deffus de celles des
Berméens.
Ses recherches lui apprirent encore qu'on
pouvoit conferver des oeufs frais auffi longtemps
qu'on le vouloit , en les enduifant
de vernis , d'huile , de graiffe , en un mot
de quelque matiere qui bouche les pores
de la coquille , & empêche ce qu'elle contient
de s'évaporer. Par cet ingénieux
moyen , on peut non feulement conferver
les oeufs tant qu'on le juge à propos , même
dans les climats les plus chauds , mais
encore faire venir en oeufs fufceptibles d'être
couvés , une infinité d'oifeaux rares &
trop délicats pour foutenir la fatigue d'une
longue traverfée .
Pendant que M. de Réaumur étoit occupé
de tous ces objets , il en fuivoit encore
un autre d'une plus grande étendue ,
& capable feul d'occuper un Phyficien : il
travailloit à l'Histoire des Infectes , dont il
donna le premier volume en 1734. Ce premier
volume contient l'Hiftoire des che
MA I. 1758. 163
nifles. M. de Réaumur y établit fept carac
teres diftinctifs , qui conftituent la divifion
des chenilles en fept claffes , & qui peuvent
contenir tous les genres & les efpeces
de ces infectes . On ne conçoit qu'à peine
combien il a fallu de recherches & d'obfervations
pour parvenir à cet arrangement :
rien n'exige plus d'art que la recherche du
vrai fyftême de la nature . Il examine enfuite
les diverfes manieres de vivre de ces
animaux , tant fous la forme de chenilles ,
que fous celle de chryfalides ; les divers
changemens qu'elles fubiffent ; leur maniere
de prendre la nourriture , de filer la
foie qui leur eft néceffaire ; en un mot il
préfente aux yeux tout le détail intéreſſant
de la vie de ces infectes fi méprifés , & cependant
fi dignes de l'attention des Philofophes.
Le fecond volume qui parut en
1736 , eft une continuation du même fujet
, & contient de plus l'Hiftoire des chenilles
dans leur troifieme état , ou fous la
forme de papillons. Le temps ne nous per
met pas d'entrer ici dans le détail très curieux
de leurs figures , des pouffieres qui
colorent fi admirablement leurs aîles , de
leur accouplement , de leur ponte , & de
l'induftrie qu'ont ces animaux de placer
leurs oeufs dans des endroits qui puiffent
être convenables aux chenilles qui doivent
en fortir.
164 MERCURE DE FRANCE.
Le troifieme volume contient l'Hiftoire
des teignes , non feulement de celles qui
font fi pernicieufes aux étoffes de laine
& aux pelleteries , mais encore de celles
qui vivent dans des feuilles d'arbres &
dans les eaux ; & fi l'article qui concerne
les premieres eft plus intéreffant pour nous
par les moyens que donne M. de Réaumur
de les détruire , l'Hiftoire des fecondes
offre des faits fi finguliers , qu'on ne peut
fe refufer à l'admiration en la lifant : elle
eft fuivie de celle d'une autre espece d'animaux
auffi à craindre pour nos jardins que
les teignes le font pour nos meubles , celle
des pucerons. Il y a joint celle des vers
qui les dévorent , & celle des galles produites
fur les arbres par les piquûres de
quelques infectes , & qui leur fervent fouvent
d'habitation.
Des galles proprement dites , M. de
Réaumur paffe , dans fon quatrieme volume,
aux galles infectes , qui font réellement
des animaux , mais condamnés par la nature
à être toujours fixés & immobiles fur
les branches des arbres , & à l'étrange myftere
de leur multiplication . Il vient enfuite
aux mouches à deux aîles , & aux
vers fous la forme defquels elles ont paffé
le premier temps de leur vie , parmi lefquelles
fe trouvent les coulins , & toute
M A I. 1758. 165
3
leur finguliere hiftoire. Viennent enfuite
dans le cinquieme volume , les mouches
quatre aîles , & furtout les abeilles , ces
mouches fi merveilleufes qui s'étoient déja
attiré l'admiration des hommes à jufte ti
tre ; & fi M. de Réaumur détruit quelqu'un
des faits fur lefquels elle étoit fondée
, il en fait connoître tant d'autres plus
réels , que la gloire des abeilles n'en eft fûrement
pas ternie.
Les abeilles ne font pas les feules mouches
qui fçachent faire du miel : plufieurs
efpeces du même genre vivent féparées &
en petites troupes. Elles fçavent fe procurer
différens réduits convenables pour les
vers qu'elles doivent produire , & dans lefquels
elles enferment leurs oeufs avec la
nourriture qui fera néceffaire au ver jufqu'à
fa transformation , C'eft par celles- ci
que commence le fixieme & dernier volu
me des infectes ; de-là il paffe aux guêpes ,
tant celles qui vivent en république , que
celles qui font deſtinées à vivre ſéparées ;
puis au formicaleo & aux demoiſelles ;
puis enfin aux mouches éphémeres , ces
infectes finguliers qui , après avoir été
poiffons pendant trois ans , n'ont à vivre
fous la forme de mouches qu'un petit nombre
d'heures , pendant lefquelles elles fubiffent
une métamorphofe , s'accouplent 2
166 MERCURE DE FRANCE.
pondent & couvrent de leurs cadavres l'eau
même qu'elles avoient habitée. Ce volume
eft précédé d'une Préface qui contient l'admirable
découverte des polypes ,de ces animaux
, qui fe multiplient fans accouplement
; qui , lorfqu'on les a retournés , digerent
auffi bien avec la peau de leur dos ,
qu'ils digéroient dans l'état naturel avec
leur eftomac , & dont les tronçons , lorfqu'on
les coupe , deviennent des animaux
parfairs ; propriété alors unique, mais
qu'on leur a depuis reconnu commune avec
bien d'autres animaux .
Une collection d'oifeaux defféchés qu'il
avoit trouvé le fecret de fe procurer & de
conferver , lui donna lieu de faire des expériences
fingulieres qui ont jetté un grand
jour fur une queftion importante d'anatomie
: on étoit extrêmement partagé fur la
maniere dont fe fait la digeftion dans le
corps animal : les uns vouloient que ce fût
par trituration , c'est- à- dire , que l'eſtomac
broyât les alimens ; les autres au contraire
foutenoient que la digeftion s'opéroit par
des diffolvans , & fans que l'action de l'eftomac
y eûr aucune part. Les expériences
de M. de Réaumur ont fait voir que l'une
& l'autre maniere de digérer étoit en ufage,
que la digeftion des oifeaux carnaffiers fe
faifoit abfolument par des diffolvans , que
M A I. 1758 . 167
les autres digéroient par trituration , &
que la force de leur eftomac étoit plus que
fuffifante pour brifer les matieres les plus
dures.
Les obfervations de M. de Réaumur, fur
les oiſeaux , lui firent faire des remarques
fur l'art avec lequel les différentes efpeces
de ces animaux fçavent conftruire leurs
nids. Il en fit part à l'Académie en 1756 ,
& ç'a été le dernier Ouvrage qu'il nous
ait communiqué. Ce n'étoit pas cependant
qu'il difcontinuât fes travaux fon âge
n'avoit nullement affoibli fon ardeur , &
nous efpérions le pofféder encore plufieurs
années ; la bonne fanté dont il jouiffoit ,
peut- être plus encore la fageffe avec laquelle
il avoit toujours vécu , fembloient
nous en donner le droit. Il avoit feulement
déféré aux prieres de fes amis , en
renonçant au voyage qu'il avoit coutume
de faire tous les ans en Poitou , & s'étoit
contenté d'aller paffer fes vacances à la Bermondiere
, terre fituée dans le Maine , &
qui lui avoit été léguée par un de ſes amis.
Ce fut là qu'il fit une chûte peu dangereuſe
en apparence , mais qui lui occafionna
un contrecoup dans la tête , duquel il
mourut le 17 Octobre dernier , âgé d'envi-
Fon 5 ans.
Des arrangemens de famille l'avoient
168 MERCURE DE FRANCE.
obligé en 1735 , de prendre la charge d'In
tendant de l'Ordre de S. Louis , dont il a
rempli les fonctions jufqu'à fa mort , avec
la plus grande exactitude , fans vouloir jamais
accepter aucun des émolumens de
cette place , qu'il a toujours remis en entier
à la perfonne à laquelle elle appartenoit ,
& pour laquelle il s'étoit prêté à la conferver.
C'étoit remplir à la fois & dans toute
leur étendue les devoirs de bon
de bon citoyen .
parent
&
Les ouvrages de M. de Réaumur , que
nous avons indiqués , font affez connoître
l'étendue & la force de fon efprit ;
mais il faudroit un autre plume pour peindre
fon coeur. Ami vrai , toujours prêt à
faifir l'occafion de donner des marques
de fon attachement , il ne négligoit rien
de ce qui pouvoit le témoigner : fon credit ,
fes connoiffances qui lui avoient tant coûté
à acquérir , n'étoient chez lui que comme
en dépôt pour le befoin de fes amis : il
étoit exact à venir s'informer de leur
état , lorfqu'ils étoient malades , que quelques
uns qui ne le voyoient pas affez à leur
gré , difoient qu'ils fouhaitoient avoir la
fiévre pour jouir plus fouvent de fa préfence
. Les revers de fortune arrivés à fes
amis , ne faifoient que refferrer les noeuds
qui l'attachoient à eux. Avec de tels fentimens
MA I.
1758. 169
mens il étoit bien digne d'en avoir de la plus
haute diftinction. Ce fera prefque en faire
la lifte , que de dire qu'elle comprenoit
tout ce qu'il y avoit de diftingué en Europe
, foit par la naiffance , foit par les talens
: les plus grands hommes fe faifoient
honneur de fon amitié. S'il a eu quelqu'ennemis
, car quel grand homme a pu
en être exempt , il n'a jamais commis les
premieres hoftilités, & ne leur a guere oppofé
que l'éclat de fa gloire & le flegme de
la Philofophie. La douceur de fon caractere
le rendoit très- aimable dans la focieté ;
il ne faifoit jamais fentir la fupériorité de
fon génie , & on fortoit inftruit d'avec
lui , fans qu'il eût penfé à inftruire , &
prefque fans s'en être apperçu . Ses moeurs
n'étoient pas moins pures que fes lumieres
: fidele aux devoirs qu'impofe la
religion , il s'en eft toujours acquitté de
la maniere la plus exacte & la moins
équivoque.
On a pu voir par ce que nous avons dit
de lui , jufqu'à quel point il étoit citoyen :
mais nous ne devons pas oublier de faire
voir combien il étoit Académicien , fi
cependant ces deux qualités peuvent être
féparées , & ne font pas plus effentiellement
liées qu'on ne le penfe communément.
Son attachement pour l'Académie
H
170 MERCURE DE FRANCE .
étoit fans bornes : aucun Académicien ne
prit jamais plus de part à tout ce qui
regardoit , & les travaux , & le bien de
cette Compagnie ; il a voulu même être
Académicien jufqu'après fa mort , par le
don qu'il lui avoit fait par fon teftament ,
de fes papiers & de fon cabinet. L'Acadé
mie travaille actuellement à mettre en ordre
cent trente- huit porte- feuilles , qui ont
été trouvés chez lui , remplis d'ouvrages
complets ou commencés , d'obfervations ,
& d'une infinité d'autres pieces. On y a
trouvé la plus grande partie de l'Hiftoire
des Arts , prefqu'en état d'être publiée , &
quantité de mémoires fur le refte. L'Académie
ofe affurer le Public , qu'elle ne
négligera rien pour le mettre en état de
recueillir cette partie de la fucceffion de
M. de Réaumur,
La place de Méchanicien penfionnaire ,
a été remplie par M. l'Abbé Nollet , afſocié
dans cette même claffe .
MA I. 1758 . 17
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
NOUVELLE OUVELLE Méthode courte & facile ;
pour apprendre promptement à jouer de la
flûte-traverfiere , ou clôture de principes ,
pour faciliter cet inftrument à ceux qui
ne font que très- médiocrement verfés dans
la mufique , & leur faire éviter tout défaut
d'habitude ; par M. Atys , Maître de
Flûte : dédiée à Meffieurs les Commerçans.
Ce Livre peut fe jouer fur le violon & le
pardeffus de viole. A Paris , chez l'Aureur
, rue Traverfiere , en entrant par la
rue S. Honoré , & aux adreffes ordinaires.
Cette nouvelle Méthode contient un
Avis que l'Auteur dit être très important.
C'eft dans cet Avis qu'il nous apprend que
foit que l'on joue debout ou affis , il faut
» tenir le cou droit , la tête plus haute
» que baffe , un peu tournée vers l'épaule
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
و د
» gauche ; les mains hautes , fans lever les
» coudes ni les épaules ; le poignet gau-
» che ployé en dehors , & le même bras ni
près , ni loin du corps. Si on eft debout,
il faut être bien campé fur fes jambes ,
» le pied gauche avancé , le corps polé
» fur la hanche droite , le tout fans aucu-
» ne contrainte, On doit furtout obſerver
de ne faire aucun mouvement du
corps
ni de la tête , comme plufieurs font en
» battant la meſure. Il ne faut pas que la
» tête aille chercher la flûte. On doit fenrir
au contraire que cette derniere eft
» deftinée à faire elle feule le chemin. »
3
93
Voici comme l'Auteur s'exprime fur la
maniere de gouverner le fouffle pour ac
quérir l'embouchure de la flûte traverfiere.
"
Il ne faut pas fouffler par fecouffes ; mais
» il faut avoir grand foin de tirer les deux
coins des levres d'une maniere riante.
» Quand on eft parvenu à faire parler la
flute , il faut appuyer fur le fon par degré
, de forte que le milieu de ce fon
foit plus enflé que le commencement &
la fin ; ce qui fe fait aifément en lâchant
»les levres & les ferrant par gradation.
» Le vent qui fe trouve refferré , fort avec
" plus de force , & groffit naturellement le
fon . Pour régler votre embouchure dans
le commencement , foufflez dans la flûre
ور
MA I. 1758. 173
5 vis à une chandelle allumée ; fi la chan-
» delle varie , la flûte n'eft pas bien em-
» bouchée. »
Après la gamme des tons naturels de la
Aûte , des cadences naturelles , des cadences
diefes & des cadences B mols , on trouve
plufieurs airs deftinés à fervir d'exemples.
Le tout enſemble contient 58 pages ,
format de Mufique.
LES Songes heureux & malheureux , Cantatille
avec accompagnement , par Mile
d'A *** , gravé par Mlle Vendome , prix
1 liv. 16 fols. A Paris , chez M. Bayard ,
rue S. Honoré , à la Regie d'or ; chez M.
Leclerc , rue du Roule , à la Croix d'or ; &
chez Mlle Caftagneri , rue des Prouvaires ,
à la Mufique royale .
LE Journal de Mufique du mois d'Avril
commence par un Dialogue , en forme de
fcene. M. de la Garde nous avertit que fi
ce genre eft goûté du Public pour la variété
, de temps en temps il aura foin d'en
inférer. On trouve après une Brunette ,
fuivie d'une Paftourelle , enfuite un Duo.
Une Mufette tendre termine ce Journal ,
qui foutient très-bien la réputation de ceux
qui l'ont précédé
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
ESSAI fur l'accompagnement du Clavef
fin , pour parvenir facilement & en peu
de temps à accompagner avec des chiffres
ou fans chiffres , par les principes les plus
clairs & les plus fimples de la compofition ;
par M. Clément . Se vend chez l'Auteur ,
cloître Saint Nicolas du Louvre , & aux
adreſſes ordinaires de Mufique , 1758 .
Le Dictionnaire de Broffard , l'examen
qui en fut fait dans le Journal de Trévoux,
& les excellens Traités de M. Rameau font
les fources où M. Clément a puifé cet Effai
fur l'accompagnement du Claveffin. On y
trouve la définition des termes de l'art ,
fuivis des principes qui nous paroiffent
traités très-méthodiquement.
GRAVURE.
LE fieur le Rouge , Ingénieur - Géographe
du Roi , rue des Auguflins , vient de donner
la Siléfie en deux grandes feuilles ,
beaucoup plus exactement que ceux qui
l'ont précédé. C'est une exacte réduction
de la Siléfie en 16 feuilles de l'illuftre
Wicland . A Schubarth. Prix 3 liv.
Plus le Comté de la Marck , en unè
feuille . Prix liv. 4 fols. 1
Plus Cartes in 4°. contenant tous ·
MA 1. 1758 . 179
fes théâtres de guerre en Allemagne, & les
détails de l'Empire ; réduites , corrigées
& gravées avec foins fur celles de Homan ,
Haffe & Mayer. Prix 24 liv. Nota , que le Sr
le Rouge s'engage à fournir gratis la fuite
en 50 autres Cartes , le 30 Septembre prochain
à ceux qui prendront les 50 fufdites
feuilles , & on s'affurera de belles épreuves.
CARACTERE de Finance nouvellement
gravé ;, ppaarr Gando le jeune , Graveur &
Fondeur de caracteres d'Imprimerie , rue
S. Jacques , la feconde porte cochere après
l'Enfeigne de S. Thomas d'Aquin , à Paris,
1758. Ce caractere eft fur le corps de Pa
rangon ; il eft gravé pour l'impreffion de
certains ouvrages légers & de goût , qu'on
voudroit faire paffer pour être écrits . Il est
utile pour les Epîtres dédicatoires , Lettres
circulaires & de change , Billets de commerce
, d'invitation d'affemblée , de cérémonie
, &c. néceffaire furtout pour les ou
vrages d'Intendance , comme Mandemens ,
Permiffions , Ordonnances , Avertiffemens ,
Ordres , Défenfes , & c. Pour des Placets ,
pour les ouvrages du Secretariat des Evêchés
; pour les Bureaux , les Fermes , les
Gabelles , les Finances , & pour l'impreffion
de petites pieces fugitives en vers , & autres
ouvrages que le goût & la curioſité
E
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
dicteront. Ce caractere eft augmenté de
lettres ornées , pour tenir lieu de petites
capitales. Le prix eft de trente fix fols la
livre . Cette Fonderie s'augmente & s'embellit
de jour en jour. Parmi fes beaux caracteres
romains , il s'en trouve trois , fçavoir
, petit Romain ordinaire , Gaillarde &
petit Texte gros oeil , qui furpaffent en
beauté tout ce qui a paru jufqu'à ce jour.
ARTS UTILES.
JOYALLERIE .
LETTRE l'Auteur du Mercure fur les
Feuilles à mettre fous les pierres de differentes
couleurs.
MONSIEUR ,
ONSIEUR
, la crédulité
du
Public
, &
fon
avidité
pour
toutes
les
nouveautés
,
ont
donné
lieu
à tant
de
charlataneries
déguifées
, fous
le nom
de
fecrets
, que
prefque
chaque
famille
prétend
avoir
le
lien
;
&
que
parmi
la foule
de
ceux
qui
fe prévalent
du
même
fecret
, il
n'en
eft
aucun
qui
ne
prétende
que
le fien
feul
eft
le véritable
. Mais
à la
fatisfaction
de la Joyaillerie
, il n'en
eft
pas
de
même
du
fecret
annoncé
l'année
derniere
par
les
Demoi
felles
Goujon
, petites
nieces
des
DemoiMA
I. 1758. 177
i
felles Trochus. Ce fecret regarde les feuilles
à mettre fous les pierres de différentes
couleurs , & la teinture de toute forte de
pierres. Il n'eft perfonne dans ce genre de
Commerce , qui ignore la perte qu'il avoit
foufferte par la mort des Demoifelles Trochus.
Depuis cette époque , en vain s'eſt
on efforcé de réparer cette perte & d'imiter
leurs feuilles & la reinture de leurs
pierres ; l'on n'a pu mettre ces feuilles
à l'abri d'une altération fubite , foit qu'elles
fuffent teintes , ou feulement polies à
blanc ; & l'on n'a pu fauver la vivacité
du coloris des pierres teintes. Le Public
n'a que trop fenti qu'il n'étoit plus de Demoifelles
Trochus ; mais trois jeunes Demoifelles
, héritieres du fecret de leurs
grandes tantes , fe font fait un amufement
de s'appliquer à faire revivre ce fecret
précieux , pour le commerce de M.
leur pere , & pour tant d'autres , & l'ont
pouffé même à une plus grande perfection .
Depuis l'année derniere qu'elles ont eu
foin d'en inftruire le Public , j'en ai fait
différens envois chez l'Etranger , & j'en
ai reçu & en reçois journellement mille
témoignages de fatisfaction . Je me crois
donc obligé , Monfieur , pour le bien dų
commerce en général , & par reconnoiffance
pour les talens des jeunes De
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
moifelles qui en font leur plaifir , de vous
prier d'inférer cette lettre dans votre Mercure
, & d'annoncer leur demeure dans
la Place Dauphine , où l'on trouvera le
nom de Monfieur leur pere fur la porte.
Malgré mes invitations réitérées , ces jeunes
Demoiselles fe font toujours refufées
à fe faire connoître au Public ; c'eft une
forte de modeftie que j'ofe regarder comme
déplacée. J'ai l'honneur d'être , &c.
TOURTEAU. Paris , le 22 Mars 1758.
MANUFACTURE S.
RÉFLEXIONS fur la fituation des prin
cipales Manufactures de France , & pariiculiérement
de celle de Tours , in-fol. 7 pag
L'OBJET de ce Mémoire eft de démontrer
que les Manufactures de Tours ont diminué
des trois quarts depuis 1754 ; que
cette diminution de commerce a occafionné
le défoeuvrement de 18000. Ouvriers ;
Ce n'eft point à la guerre , dit l'Auteur ,
qu'il faut imputer ce renversement ; car
dans le cours de la guerre précédente, cette
Manufacture s'eft foutenue dans l'état le
plus floriffant. Il en fortoit tous les ans
onze à douze mille pieces d'étoffe. C'eſt
dans le fein même de la derniere paix
MA I. 1758. 175
qu'elle a reçu les coups qui la ruinent.
Voici à quoi il attribue cette décadence .
Son principe eft , que l'édifice de toutes
les Manufactures de France porte fur deux
colonnes.
La premiere eft une défenfe abfolue
mais févere , d'introduire & de porter
Les étoffes de fabrique étrangere.
La feconde eft une défenfe également
abfolue & févere , d'importer en France ou
d'y imiter tout ce qui s'appelle toile peinte
ou indienne. L'Auteur ajoute que ces
deux colonnes jufques ici inébranlables , fe
trouvent aujourd'hui prefque renversées .
Les étoffes étrangeres font tort , fursout
, aux grandes Manufactures. Les toiles
peintes empêchent le débit des étoffes
en laine , fil , coton & foie.
On pourra objecter , que l'impreffion
des toiles & des étoffes fera une branche
de plus pour le commerce de la France ;
que nous n'avons pas plus de raifon que
nos voisins de nous en priver, que notre
induſtrie eft capable de perfectionner
cet art , & de le porter à un fi haut degré
qu'il en pourra réfulter une exportation
confidérable. A cette difficulté l'Auteur
Bépond :
Premiérement, que quand il eft question
introduire une nouvelle Manufacture
I vj
180 MERCURE DE FRANCE.
la prudence exige de prendre garde qu'elle
ne nuife à aucune autre déja établie ,
foit dans la même efpece , foit dans une
efpece différente .
>
Secondement , il y a à cet égard une
différence prodigieufe , entre la France &
les Etats voisins. Ils n'ont point, comme la
France qui eft le centre des arts des
Manufactures de conféquence , que ce métier
puiffe intéreffer. Ils n'ont point , comme
la France , des foies nationales à employer.
Ils n'ont point , comme la France ,
des Colonies riches en coton , dont l'emploi
pur ou le mêlange foit avec le fil , la
laine ou la foie , occupe des Fabriques
confidérables. Ils n'ont pas, comme la France
, un fi grand nombre d'habitans qu'il
importe d'occuper.
Telles font les principales raifons qu'on
fait valoir pour interdire les indiennes .
Au ton du Mémoire , il eft aifé de re
connoître qu'il a été dicté par des Fabricans
pénétrés des malheurs qu'ils ont
déja éprouvés , & de la chûte dont ils font
menacés. Ce n'eft pas que les avantages
de l'Etat ne fervent de fondement à tous
leurs motifs ; mais à moins d'avoir fous les
yeux la fituation'd'une affaire fi intéreffante
, il n'eft guere poffible d'y mettre
autant de zele , de chaleur & de profon
deur.
M A I. 1758.
181
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
Le jeudi 13 Avril , le fieur de Sainti a E
chanté fur le Théâtre de l'Académie Royale
de Mufique , l'Ariette du Carnaval du
Parnaffe. La beauté de fon organe a obtenu
les plus grands applaudiffemens. Sa
voix eft bien décidée . C'eft une baffe- taille
fans équivoque. Comme cet Acteur n'avoit
jamais monté fur les planches , fon étonnement
& fon embarras ont mafqué fon
jeu , & il n'a pas été poffible de juger de
fon talent pour le théâtre.
Le rôle de Vénus qui eft dans le quatrieme
acte de l'Opera d'Enée & Lavinie , a
été chanté le vendredi 15 Avril , par Mlle
Arnoud . C'eft fon coup d'effai dans la
Tragédie. Le Public a vu avec grand plaifir
qu'elle n'y étoit pas déplacée. Aufi lui
a-t'on accordé des applaudiffemens auffi
finceres , & en auffi grand nombre que
152 MERCURE DE FRANCE.
ceux qu'elle avoit déja obtenus dans l'Ariette
& dans la Paftorale.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE
famedi 15 Avril , les Comédiens
François ont donné la derniere repréſenta
tion d'Aftarbé. C'étoit la cinquieme depuis
la rentrée. Cette piece en avoit eu le mê
me nombre avant la clôture du Théâtre.
C'est un fuccès qui doit beaucoup flatter
M. Collardo , & l'encourager à cultiver un
talent fi bien accueilli du Public.
MA I. 1758. 153
COMÉDIE ITALIENNE.
LA
A nouvelle Ecole des Femmes , continue
d'entraîner tout Paris aux Italiens. Une
piece bien conduite , bien dialoguée , &
conforme à nos moeurs , dans laquelle Madame
Favart chante , & Mlle Catinon danfe
, ne pouvoit manquer d'obtenir le plus
grand fuccès Le mercredi 26 Avril , on en
étoit à la dixieme repréſentation.
Le fieur Marignan a continuée fon début
dans les rôles d'Arlequin . Son jeu s'efa
développé , & il a obtenu des applaudiffemens.
184 MERCURE DE FRANCE.
Profpectus du Théâtre Italien.
PARMI
ARMI les beaux monumens de l'efprit
humain , les nations éclairées accorderent
toujours un rang diftingué aux poëmes
dramatiques . Charmés , comme nous le
fommes , de tous les bons ouvrages écrits
dans ce genre , je me fuis étonné mille fois,
que perfonne n'ait encore entrepris de
nous donner le théâtre Italien. On a paré
de ce titre un ramaffis de pieces , méprifées
de tous les gens de goût. Juger d'après
un tel recueil , du talent des Italiens
pour le dramatique , c'eft leur faire plus
d'injuftice qu'ils ne nous en feroient , s'ils
décidoient de notre mérite en ce genre ,
par les productions de Jodelle & de Garnier.
Du temps de ces derniers , l'Italie ,
cette reftauratrice des arts , rappelloit fur
la fcene les mêmes fpectacles qui raviffoient
Athenes : le Triffin & Ruccelai
dirigés par Euripide & par Sophocle , enchantoient
leur patrie , & réveillant l'efprit
de leur nation , l'on vit éclorre pendant
le feizieme fiecle , des tragédies comparables
à celles des Grecs. La Comédie
eut des fuccès non moins éclatans ; elle
l'emporta fur celle de l'antiquité par une
conduite plus réguliere , par des fituations
M A I. 1758 .
185
-
plus théâtrales , par la variété des caracte
res , par des dialogues précis & remplis de
faillies. Les Italiens , dans leurs poëmes
dramatiques , toucherent d'abord à la
perfection
; tandis que chez nous les prédéceffeurs
de Corneille & de Moliere , paf-
! ferent par tous les degrés des inepties du
théâtre , fans arriver au but. On peur affurer
que ceux de nos Ecrivains qui ont
= mal parlé du Théâtre Italien , ne le connoiffoient
pas. Ils avoient lu quelques Cenfeurs
d'Italie , d'un goût trop difficile , &
il n'en fallut pas davantage pour former
leur décifion . Si les étrangers s'en rapportoient
au fentiment de Dacier & du pere
Rapin , touchant Racine & Corneille , à
peine ils daigneroient jetter les yeux fur
les chef- d'oeuvres de ces grands hommes.
J'ai fouvent oui dire que les Italiens n'avoient
qu'une Comédie , qui eft la Mandragore
de Machiavel , & qu'ils n'ont
point & n'auront jamais de Tragédies ,
leur langue n'étant propre que pour des
madrigaux , & nullement pour des fujets
majeftueux . Tout connoiffeur ne difputera
point aux Italiens la gloire d'avoir excellé
dans la carriere de Virgile & d'Horace ,
& conviendra qu'il n'eft aucune langue
plus propre que la leur à exprimer les paffions
théâtrales. Douce , abondante , éner
186 MERCURE DE FRANCE.
gique , pleine de tours variés , elle fe plie
a tout avec une facilité furprenante , s'é
foigne de la profe , fans donner dans le ſtyle
lyrique , & fe revêt de toutes les graces &
de tout le fublime de la poéfie , fans s'écarter
du naturel , ni tomber dans le bas .
Combien ne doivent pas perdre des pieces
dépouillées de l'harmonie des vers , &
traduites en une langue moins riche. Malgré
ce défavantage , j'efpere que mon Oavrage
plaira , & j'ofe me flatter qu'on ne
refufera plus aux Poëtes dramatiques Italiens
, les éloges qui leur font dûs. Ma traduction
occafionnera infailliblement bien
des reproches plus vrais encore que ceux
qui ont été faits à M. D *** . On verra de
nos Auteurs , qui n'ont pas même déguifé
le titre des pieces qu'ils ont dérobées
aux Italiens . On peut compter plus de cinq
cens Tragédies & plus de huit cens Comédies
, toutes en cinq actes , faites en Italie
durant le feizieme fiecle : j'en donne
rai un catalogue à la fin de mon dernier
volume. Je ne penfe point qu'il y ait aucun
caractere , aucun fujet dans la fable
ou dans l'hiftoire , qui n'ait été traité dans
ce temps -là . J'ai choifi d'après le Marquis
de Maffei , & d'autres excellens Juges ,
la plupart des pieces qui entreront dans
mon recueil. Il fera compofé de quinze
MA I. 1758. 187
er
volumes in- 12 . Il en paroîtra un chaque
mois , à commencer par celui de Juillet
1758. A la tête du volume des Tragédies , je
mettrai l'hiftoire du Théâtre Italien , fuivi
d'un parallele entre nos Tragédies & les
Italiennes , & au commencement du 1 *
tome des comédies , je placerai une differtation
affez étendue fur les Auteurs comiques
d'Italie . Je donnerai l'abrégé de la
vie de chaque Auteur , & des anecdotes curieufes
touchant plufieurs de leurs pieces.
er
1. vol . La Sophonifbe du Triffin . La
Rofemonde de Ruccelai . L'Orbêque de
Girardi . La Canacé de Spéroni .
2º. vol . L'Horace d'Arétin. La Didon
& la Mariamne de Dolce . Le Torrifmond
du Taffe. La Sémiramis de Manfrede. La
Tullie de Louis Martelli .
3. vol. L'Alcippe de Céba . La Gifmon
de de Razzi, La Mérope & le Tancrede de
Torelli . Le Mithridate de Cortellini . Les
Troyennes de Bragazzi .
4. vol . L'Aftyanax de Gratarolo . L'Hidalbe
de Vénier. L'Elife de Clofio. La
Cléopâtre & le Créfus du Cardinal Delfino.
Le Soliman de Bonarelli .
5. vol. L'Ariftodeme de Dottori . La Jocafte
& l'Ezzelin de Baruffaldi . La Polixe→
ne & le Crifpe d'Annibal Marchefi . L'K
phigénie en Tauride de Pierre Martelli
188 MERCURE DE FRANCE:
6°. vol. L'Alcefte & le Cicéron de Pierre
Martelli. Temifto de Salio . L'Achille de
Montanari. Le Conradin de Caracci . La
Didon de Zanotti.
7°. vol. L'Ulyffe de Lazzarini. La Mérope
de Mafféi . Le Brutus & le Céfar de
Conti . Deux pieces de Métaftafio .
8. vol . Six Tragédies , tant de Métaſtafio
que d'Apoftolo Zéno.
Les fept derniers volumes comprendront
les Comédies , au nombre de quarante.
Elles font tirées des Auteurs les plus eftimés
du bon fiecle , comme de Bibiena
de l'Ariofte , de Firenzuola , de Salviati ,
de Doménichi , de Lorenzino de Médici ,
d'Ambra , de Machiavel , du Lafca , de
Nicolas Secchi , de Marie Secchi , d'Annibal
Caro , d'Hercules Bentivoglio , de
Dolce , de Porta , de Lanci , & c .
Les foufcriptions coûteront 30 livres.
Ceux qui n'auront point foufcrit en payeront
40. Le papier & le caractere feront les
mêmes que ceux du Profpectus. Chaque
volume aura pour le moins 400 pages. Les
foufcriptions feront ouvertes jufqu'au 15
de Juin. On s'adreffera à M. DE CEDORS ,
demeurant à l'hôtel Dauphin , grande rue
de Taranne , ou à M. JOMBERT , Imprimeur-
Libraire du Roi pour l'Artillerie &
le Génie , rue Dauphine , à l'image Notre-
"
M A I. 1758. 189
Dame. On ne fe chargera point de faire
remettre les exemplaires.
Nouveau Ballet du fieur Noverre.
LE fieur Noverre a donné , pour la premiere
fois , fur le Théâtre de Lyon , le 18
Novembre 1757 , un nouveau Ballet qui
a pour titre , la Toilette de Vénus , ou les
Rufes de l'Amour, Ballet héroï- pantomime.
Scene premiere.
Le théâtre repréfentoit un falon où l'on
voyoit Vénus à fa toilette. Une troupe de
Nymphes s'empreffoient à l'orner . L'Amour
préfidoit à ce confeil de coquetterie.
En reconnoiffance de fes avis , trois Nym
phes mettoient tous leurs foins à lui préparer
un cafque. Vénus parée , les Nymphes
emporterent la toilette qui devenoit
inutile . L'Amour fut encore confulté : il
témoigna fa fatisfaction en fe plongeant
dans les bras de fon adorable mere. Dans
cette douce ivreffe , il forma le projet de
s'introduire dans le coeur des Nymphes ,
qui n'avoient pas encore reffenti le charme
de fes feux .
Scene 11.
Vénus & les Nymphes formerent une
190 MERCURE DE FRANCE.
entrée dans laquelle la Déeffe des Amours
invita fes compagnes à la tendreffe . Charmée
du fuccès de fes confeils , elle danfa
feule en caractériſant la volupté . Les Nymphes
répéterent fa danſe.
Scene III.
Dans une entrée générale l'Amour inftruifit
les Nymphes. Il peignit la molleſſe ,
le dépit , la légèreté & l'inconftance ; fes
tendres & aimables écolieres rejetterent
fes douces leçons. Enfin ce Dieu s'élança
dans des bras qui le reçurent avec tranfport.
Scene IV.
L'Amour affuré de fa victoire , commenà
fuir les Nymphes , qui ne purent le
quitter , & la ſcene refta vuide,
Scene V.
per-
L'Amour reparut enfuite ; il changea le
théâtre en une forêt couverte ' bien
cée , & terminée par un pont dans le
lointain.
Scene VI.
Les Nymphes cherchant toujours l'Amour
, entrerent avec précipitation . Le
plaifir qu'elles eurent à le trouver , fut
mêlé de la furprifeque leur caufa le chanMA
I. 1758. 191
gement du lieu. L'Amour difparut encore ,
les Nymphes continuerent à le pourſuivre,
& furent en même temps apperçues par
une troupe de jeunes Faunes.
Scene VII.
Les Nymphes reculerent d'effroi ; mais
les Faunes avancerent avec fierté , & fe
rendirent les maîtres de cinq de ces
Nymphes. Les autres s'échapperent . La
jalousie s'empara du coeur des Faunes. Ils
en vinrent aux mains , les arbres furent
déracinés , le combat devint opiniâtre ;
cependant les Nymphes profiterent de cet
inftant pour s'échapper. La victoire fut
long-temps incertaine ; enfin elle fe décida
, & la moitié des Faunes terraffa l'autre,
Scene VIII.
Les Nymphes reparurent avec des couronnes
de fleurs. Les unes les poferent fur
la tête des Vainqueurs , les autres les jetterent
à leurs pieds. Chaque perfonnage
exprima le fentiment dont il étoit pénétré.
Scene 1 X.
Vénus & l'Amour reparurent ; celui - ci
d'un regard puiffant ranima les Faunes
vaincus. Le combat recommença , les
Vainqueurs fuccomberent , les couronnes
192 MERCURE DE FRANCE.
leur furent arrachées. Mais par le charme
de l'amour , elles fe partagerent. Cet événement
merveilleux ramena la paix , &
l'amour unit chaque Amant à fon Amante.
Scene derniere.
Les Faunes & les Nymphes exprimerent
leur joie par un Ballet , qui commença par
une chaconne . Elle fut coupée par différens
pas particuliers , & termina le divertiffement
.
On nous écrit de Lyon que ce Ballet у
a fait le plus grand effet , que les pas &
les expreffions y étoient très-bien entendus
, & que la lutte des Faunes formoit
furtout un tableau des plus pittorefques.
ARTICLE
M A I. 1758 . 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE PRAGUE , le 3 Avril.
Ce qu'on fçait ici de certain des marches & des
E
mouvemens des Pruffiens en Siléfie , fe réduit au
détail fuivant. Le Roi arriva le 17 Mars de Breſlau
à Landshut ; il alla le 19 à Criffau , & le lendemain
il y transféra fon Quartier Général . Ses
Troupes font partagées en trois Corps . L'un d'environ
vingt -cinq mille hommes eft campé entre
Frauftad & Glogau , près des frontieres de Pologne
, pour obferver les mouvemens de l'armée ,
Ruffienne. Il y a dans la Haute Siléfie un autre
Corps deftiné à agir du côté de la Moravie. Le
troiſieme Corps eft dans la Luface , pour affurer
la communication entre la Saxe & la Siléfie . Ce
dernier fait partie de l'armée que le Roi commande
en perfonne , & qui eft forte , à ce qu'on prétend
, de plus de cinquante mille hommes.
ce ,
Les premiers pas des Pruffiens ont été dirigés
vers le Comté de Glatz. Ils s'y font portés en forpour
faire abandonner ce canton au Général
Janhus , & s'étendre eux- mêmes de ce côté- là ;
ce qui leur a réuffi . Leur grande fupériorité a obligé
le Général Janhus de fe replier , fuivant les
ordres qu'il en avoit , fur Mittelwalde , & delà
fur Senftenberg ; mais ce n'a pas été fans coup
I
194 MERCURE DE FRANCE.
férir. L'ennemi dans cette retraite , a¨efſuyé un
feu continuel , qui lui a fait perdre bien du monde.
Les Pruffiens depuis ont fait occuper Grulick
par cinq mille hommes d'Infanterie & quelques
chevaux. De là ils ont fait des excurſions jufqu'à
Wigftatl , & ont pillé le canton . Cependant , foit
qu'ils ayent eu avis des difpofitions qui fe faifoient
pour les recevoir vigoureufement , s'ils étoient
avancés vers nos frontieres , foit qu'ils ayent voulu
prévenir le débordement des eaux qui leur eût
coupé la retraite , s'ils avoient été attaqués , ils
n'ont pas gardé longtemps ce pofte. Dès le 25 ;
ils revinrent à Mittelwalde , ils marcherent enfuite
fur Schonfeld , pafferent Habetſchwerd , &
prirent de nouveau pofte à Ullerfdorff. Le Corps
entiers des Prufhiens , dont on croit que le véri
table objet étoit d'enlever le magafin que nous
avons à Leutomyffel , étoit , au rapport de leurs
Déferteurs , de quinze à feize mille hommes. Il
étoit commandé par le Général de la Mothe-Fon
quet , le Prince François de Brunſwick & le Gée
néral Putkammer.
L'ennemi continue de fe renforcer du côté de
Landshut. Il fe retranche auffi à Liébeau & à
Schoenberg.
Les poftes que les Pruffiens ont du côté de
Braunau vers les frontieres de la Siléfie , ont déja
tenté plufieurs fois de furprendre nos poftes avancés
; mais ils ont toujours été repouflés avec
perte,
L'armée du Feld- Maréchal Comte de Daun
s'eft miſe en marche le 24 , & s'avance du côté
de Braunau.
Les Pruffiens ayant échoué dans la tentative
qu'ils ont faite pour pénétrer dans ce Royaume
par Grulick , en ont fait depuis une nouvelle du
M. A I. 1758. 195
tôté de Reinerts. Le Prince François de Brunfwick,
avec un Corps de quatre mille hommes ,
s'eft porté le 28 Mars fur ce dernier pofte , &
après s'être formé fur les hauteurs dont la Place
eft environnée , il a fait attaquer par deux côtés
différens un Détachement de nos Troupes légeres
qui en formoit la Garnifon . L'Officier qui le commandoit
, étant obligé de céder à la fupériorité
de l'ennemi , fit fa retraite en fi bon ordre , qu'on
ne put jamais entamer fa Troupe , quoique les
Pruffiens l'attaquaffent à la fois par quatre côtés.
Une autre Compagnie de nos Troupes légeres
vint à fon fecours , & le Colonel de Zettwitz ,
qui commande dans ces quartiers -là , s'avança ,
pour la foutenir , avec quatre Compagnies des
mêmes Troupes. Le fen de part & d'autre fut trèsvif
; mais enfin les ennemis furent obligés de fe
replier avec perte , & de fe retirer par Ruckers.
Hs font prefque tous les jours de pareilles tentatives
, pour furprendre de petits poftes fur la frontiere
, & il s'y fait de continuelles eſcarmouches.
DE HANAU , le 2 Avril.
>
L'évacuation de Hanau , que toutes les difpefitions
des François avoient annoncée , ne paroît
rien moins que prochaine. Le Comte de Lorges
qui y commande , a reçu depuis peu ordre d'y
refter avec la Garniſon , & de s'y fortifier. On a
repris en conféquence , dès le jour de Pâques , les
travaux avec plus d'activité que jamais . Toutes les
Troupes , l'artillerie & les munitions , qui depuis
le 26 Mars marchoient vers le Rhin , reviennent
fur leurs pas ; la Garniſon eſt même augmentée
de deux Bataillons , & l'on garnit de canon les
remparts.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE .
DE DUSSELDORP , les Avril.
Les Troupes aux ordres du Duc de Broglie vont
paffer fucceffivement le Rhin , &, feront bientôt
toutes raffemblées dans ces quartiers- ci . Elles font
partagées en deux colonnes , dont chacune mar
che en trois Divifions . La premiere Divifion de la
Colonne de la droite , eft compofée des quatre
Bataillons du Régiment du Roi , & des dix Efcadrons
des Carabiniers ; la feconde , de l'artillerie
, des deux Bataillons de Dauphin , & de la
Brigade Impériale de trois Bataillons ; la troifieme
, des deux Bataillons de Touraine , de deux
Efcadrons de Montcalm , & des Grenadiers de
cette Colonne. Les trois Divifions de la Colonne
de la gauche , confiftent 1 ° , en deux Bataillons
de Provence , un de Foix , un de Tournaifis , un
de la Marck , deux de Rochefort , & deux de Planta.
2°. Deux de Caftellas , deux de Diefback , deux
Efcadrons de Royal Allemand , deux de Naffau ,
& deux de Poly. 3 °. Deux Bataillons de Vaubecourt
, un de Royal Lorraine , avec les Grenadiers
de cette Colonne , & fix Eſcadrons des Huf.
fards Impériaux de Czeczeni.
•
Une partie de ces Troupes étoit fortie de Soeft
le 28 du mois de Mars à midi , & elles étoient à
peine à quatre cents pas de la Ville , lorfque des
Huffards Pruffiens Noirs & Jaunes , fe montrerent
avec quelques Chaffeurs. Les Huffards de Czeczeni
les chargerent , & les repoufferent le fabre à
la main jufques fous les remparts de Soeft . Il y a
eu dans ce choc de part & d'autre environ quarante
hommes tués ou bleffés , & à peu près au
tant de chevaux. Le Marquis de Loftanges , Colonel
des Cuiraffiers , qui voulut être de la partie ,
a eu fon cheyal tué fous lui.
MA I. 1758. 197
DE BAUTZEN , dans la Haute Luface ,
le 27 Mars.
Il eft arrivé dans ces cantons un Corps de Trou
pes Autrichiennes aux ordres du Général de Sincere.
Ce Général vient d'établir des poftes de
communication avec la Boheme , & avec l'armée
du Comte de Daun . Par la pofition qu'il a prife ,
il est en même temps à portée de troubler de ce
côté- là les communications entre l'armée Pruffienne
& la Saxe. Un Détachement de Huffards ,
qui fut envoyé il y a quelques jours à la décou
-verte , s'eft avancé jufqu'à Cotbus , eft entré dans
cette Ville , a enlevé la Caiffe que le Roi de Pruffe
y faifoit garder , & s'eft retiré fans obſtacle avec ·
fon butin.
DE WESEL , le 12 Avril .
Les Troupes qui font cantonnées felon l'ordre
de bataille , peuvent fe raffembler en deux fois
vingt- quatre heures , & elles s'occupent avec fuc
cès de leurs réparations. Plufieurs Régimens font
déja complets , avec le fecours des Miliciens qui
y ont été incorporés . Chaque Officier Général eft
avec la Divifion dont le commandement lui eft
deftiné pour la campagne prochaine , & veille par
ce moyen au rétabliffement de la difcipline . Ainfi
il y a lieu d'efpérer que dans peu de temps , notre
armée fe trouvera en auffi bon état qu'elle étoit ,
il y a un an , avant que de paffer le Rhin.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
6
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &G.
Lag du mois d'Avril, M. le Marquis de Paulmy,
Miniftre d'Etat , prêta ferment entre les mains du
Roi , pour la charge de Tréforier de l'Ordre du
Saint-Efprit.
Les deux nouveaux Maréchaux de France ( MM.
les Comces de Bercheny & de Conflans ) prêterent
auffi ferment le même jour en cette qualité.
Le Roi ayant fait choix de M. le Maréchal Duc
de Befle- Ifle pour remplir la charge de Secrétaire
d'Etat au Département de la Guerre , Sa Majefté
a appellé près de fa perfonne M. de Crémille ,
Lieutenant- Général de fes Armées , pour aider
M. le Maréchal de Belle-Ifle dans les fonctions &
dans les détails de fon Département , & fous les
ordres.
La Vacance du Parlement ayant obligé de remettre
la Proceffion qui fe fait tous les ans le 22
de Mars , en mémoire de la réduction de certe
Capitale fous Pobéiffance de Henry IV , elle fe
fr en la maniere accoutumée le 7 de ce mois. Les
Lettres du Roi avoient été portées la veille aux
Compagnies , dont la préfence y eft requiſe , fuivant
l'ufage , par M. de Gizeux , Maître des cérémonies
de France en furvivance.
L'Efcadre Angloife , commandée par l'Amiral
Hawke , eft entrée le 4 Avril après-midi aux ra
des de la Rochelle , & a mouillé le 5 dans celle
de l'Ifle. Daix . Elle en eft repartie le 7 au matin
M A 1. 1758. 199
Cette Efcadre étoit compofée de fept Vaiffeaux de
ligne le Ramillies , de yo canons , le Royal-
Georges & le Royal- Guillaume , de 100 canons
chacun ; le Torbay , de 74 ; le Bedford , de 70 ;
l'Intrépide , de 64 ; & le Windſor , de 60 , avec
trois Frégates & un Senaw. L'Amiral Hauke a fait
débarquer quelque monde à l'ifle Daix , & y a
fait brûler les plattes formes , outils de travailleurs
, tombereaux , charettes , fauciffons , fafcinages
, ponts , & généralement tout ce qui s'eft
trouvé de combuftible dans les fortifications provifionnelles
que l'on y exécutoir. Tous les habitans
& ouvriers qui étoient à l'Iſle Daix , s'en étoient
retirés à Fouras dans le moment où l'Eſcadre Angloife
a paru , & il n'y étoit resté que quelques
Soldats. Les Anglois en ont emmené fept ou huit
avec eux. Les Vaiffeaux du Roi le Floriffant , le
Dragón , le Sphinx , le Hardy & le Warwick , qui
étoient en rade avec quelques Frégates , n'étant
point en état de réfilter à des forces fi fupérieures ,
fe font réfugiés dans la Charente entre Fouras &
l'Iſle Madame , & ils s'y font entraversé de maniere
à empêcher Pentrée de la riviere à l'Efcadre
Angloife , fi elle eût fair quelques tentatives pour
forcer le paffage. On avoit fait des difpofitions à
Rochefort , pour nuire par tous les moyens praticables
aux Vaiffeaux Anglois , s'ils n'en avoient
pas prévenu l'effet par leur retraite . Cependant les
Chaloupes canonnieres Anguille & l'Aventure ,
armées chacune d'un canon de 24 , & comman→
dées par les fieurs de Kergariou & de Camiran
Enfeignes de Vaiffeau, ont fort incommodé le
Vaiffeau Anglois l'Intrépide , qui étoit échoué fur
le banc de Boyard , & qui attendoit la haute mer
pour le mettre à flor. Nos Chaloupes feroient même
parvenues à le défemparer , fans le Vaiffeau le
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Windfor & quelques Frégates qui ont mis fours
voile pour le dégager . Les Fregates . la Thetis
l'Anemone & l'Ecureuil , commandées par les
fieurs de Goimpy , de Feuquieres , Lieutenant de
Vaiffeau , du Guafpern & de Queralbeau , Enfeignes
, conduifoient un convoi de Navires de commerce
de Breft à Rochefort . L'Anemone a gagné
l'entrée de la Charente avec une partie du convoi
, & le refte s'eft mis fous la protection de la
Citadelle de Saint-Martin de Ré , avec les Fregates
la Thetis & l'Ecureuil. Cette premiere s'eft même
emparé dans le Pertuis - Breton du Corſaire Anglois
le Franc-Maçon , de 10 carrons & de 70 hommes
d'équipage , & l'a fait entrer à Saint -Martin
de Ré à la vue de l'Efcadre Angloiſe.
Le 14 Avril , le Roi tint le Sceau pour la vingtfeptieme
fois.
Sa Majefté , à l'occafion de la mort de Mademoiſelle
de Charolois , alla le même jour rendre
vifite à la Princeffe de Conty , & à Mademoiſelle
de Sens , chez qui fe trouverent le Prince & la
Princeffe de Condé .
La Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame
la Dauphine , Monfeigneur le Duc de Bourgogne,
Monſeigneur le Duc de Berry , Monfeigneur le
Comte de Provence , Madame Infante , Madame
& Mefdames Victoire & Louiſe , vifiterent auffi
ces Princeffes .
Le 15 , la Princeffe de Conty & Mademoiſelle
de Sens , allerent faire leurs révérences au Roi , à
la Reine & à la Famille Royale.
Le même jour , Madame Louife donna le voile
à la Dame de Ziner , dans l'Abbaye de Saint Cyr.
Le 19 , MM. l'Evêque de Digne & l'Evêquè
d'Aire prêterent ferment entre les mains du Roi .
Les fieurs Guyot de Saint- Amand & de Gangy
MA 1.1758. 201
4
prêterent ferment entre les mains du Roi le 9 du
même mois ; le premier , pour la charge de Lieutenant
de Roi de la Province du Chalonnois ; le
fecond , pour la charge de Lieutenant de Roi au
Département & Sénéchauffée de Poitiers & de Lu
fignan.
Le Roi reçut le même jour Chevaliers de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , M. le Marquis
de Foffeufe , Capitaine- Lieutenant des Gendarmes
de la Reine , Menin de Monfeigneur le
Dauphin , & MM. les ) Comtes de Biernay , Soulieutenant
des Gendarmes de Berry ; de Lordat ,
Soulieutenant des Chevaux- Légers de Bretagne ;
de Murinais , premier Cornette des Chevaux - Legers
d'Aquitaine ; de Noé & de Saiffeval , Guidons
de Gendarmerie.
M. PEyêque de Digne a été facré le 16 Avril
dans l'Eglife des Miffions Etrangeres , par M.
l'Archevêque d'Embrun , affifté des Evêques de
Dol & de Vence,
M. l'Evêque d'Aire,a été facré le même jour à
Meaux par l'Evêque de cette derniere Ville , affifté
de l'ancien Evêque de Troyes & de celui de
Condom.
L'Académie Royale des Sciences ayant élu le
feur Bezout & le Comte de Lauragais , pour remplir
les deux places d'Adjoints - Méchaniciens , va
cantes par la promotion de M. le Chevalier d'Arcy
& de M. Yaucanfon à celles d'Affociés Ordinaires
, le Roi a bien voulu agréer fon choix.
Le Corps de Mademoiſelle de Charolois , après
avoir été embaumé , a été expofé pendant plufeurs
jours dans une Chambre de parade , éclairée.
par un grand nombre de lumieres , & tendue de
blanc. Il fut porté le 13 Avril au Couvent des
Carmelites du Fauxbourg Saint Jacques , pour y
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
être inhumé. Le cortège du Convoi étoit compoft
de cent Pauvres , couverts de draps gris , & tenant
chacun un fambeau ; des Officiers , des Suiffes &
des Valets de Chambre de la Princeffe à cheval
de plus de cent cinquante Valers de pieds , de fept
Carroffes drapés à fix chevaux harnachés & capa
raçonnés de noir , qui étoient remplis par les
Ecuyers , les Gentilshommes , les principaux Of
heiers , & les Femmes de Chambres ; & de deux
Carroles à huit chevaux. Dans le premier de ces
deux Carroffes , étoit le Corps de la Princeffe
avec les deur Aumôniers. La Princeffe de Condé
étoit dans le fecond avec la Princeffe de Rohan
la Dame de Renty , fa Dame d'Honneur , la Dame
du Guefelin , fa Dame de Compagnie , & les
Dames attachées à la Princeffe défunte. Lorsqu'on
fut aux Carmelites , le Corps fat defcendu du Carroffe
par les huit Valers de Chambre, & porté fous
le portique intérieur de l'Eglife , ou les Religieufes
, tenant chacune un cierge à la main , étoient
rangées à droite & à gauche avec trente Eeclefiafriques
, le Supérieur de la Maifon à leur tête. L'Evêque
de Valence en camail & en rochet , accom
pagné du Curé de Saint Sulpice en étole ; en préfentant
le Corps & le Coeur de la Princeffe aux
Carmelites , leur fit un difcours auquel le Supé
rieur répondit , enfuite ces Religieufes commencerent
l'Office des Morts. Les prietes finies , les
hair Valets de Chambre porterent le Corps près de
la foffe , & Py ayant defeende , le Ceur fur pofe
fur la croix du cerceuil . La Princeffe de Condé qui
menoit le deuil , étoit en longue mante , dont la
queue étoit portée par le fieur de Tourailles , for
fecond Ecuyer.
On vient de publier un Edit du Roi portant
création de trois millions deur cens mille livres
MAI. 1758.
203
actuelles & effectives de Rentes héréditaires à
quatre pour cent fur les Aydes & Gabelles , par
forme de remplacement des Rentes créées par
l'Edit de Juin 1720. Chaque conſtitution particuliere
defdites Rentes ne pourra être moindre que
de mille livres de principal , qui produiront quarante
livres de rente. Il n'y aura fur ces Rentes
aucune retenue de vingtieme ni des deux fols pour
livre du dixieme , & de toutes autres impofitions.
Les Communautés Eccléfiaftiques , les Hôpitaux ,
& tous gens de main- morte , ainfi que les Etran
gers non-naturalifés & ceux mêmes qui demeure-
Font hots du Royaume , pourront acquérir lefdites
Rentes & en jouir , fans être obligés à aucune
formalité, ni payer aucuns droits d'amortiffemens.
On pourra en tranfmettre la propriété à d'autres
par voie de réconftitution. A commencer du premier
Janvier 1760 , on remboursera tous les ans
en deniers comptans une partie des capitaux defdites
Rentes jufqu'à leur extinétion totale , & ce
remboursement fe fera par la voie du fort , en
forme de Loterie , en la maniere qu'il eft porté &
expliqué par l'Edit . Les capitaux desdites Rentes
feront fournis moitié en argent, moitié en contrats .
Les lettres de Livourne annoncent que la Frégate
la Rofe , de 16 canons , commandée par le
feur de Sade , Capitaine de Vaiffeau , a conduit
à Malte le 9 Mars le Corſaire Anglois le Léopard,
de 36 canons , dont elle s'eft emparé après um
long combat.
•
Le Capitaine Ferdinand de Renaud , qui commande
le Corfaire le Duc d'Ayen , de Boulogne ,
s'eft rendu maître des Brigantins Anglois le Sal
tens, chargéd'orge & de farine,& laFortune, ayant
pour cargaifon du fucre ,du fel , des vins , des fruits,
&c. & il les a fait conduire à Dunkerque. Le mê-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
me Corfaire a pris un troifieme Bâtiment Anglois
chargé de charbon de terre , qui s'est échoué aux
environs d'Oftende .
Le Navire Anglois le Thomlefon , d'Antigues ,
'de 200 tonneaux , chargé de fucre & de coton
eft arrivé à Morlaix : il a été pris par le Corfaire
le Comte de Langeron , de Saint -Malo..
On mande de Marfeille , qu'il y a été conduit
un Brigantin Anglois appellé le Conftant , chargé
raifins fecs , qui a été pris par les Corfaires la
Conftance & le Charron , de ce port .
Le Corfaire la Ville- Helio , de Vannes , ayant
rencontré le 17 Juillet dernier au Cap Finiſtere
le Navire Anglois l'Elifabeth , forti de Roterdam
le 2 du même mois fous pavillon Hollandois , le
fomma d'amener & d'exhiber fes papiers . Ce Bâtiment
ayant refuſé d'amener , le Corſaire François
l'attaqua , & après un combat fanglant , s'en rendit
maître à l'abordage . Cette prife fi légitime a
fait l'objet d'une conteftation qui a été jugée le 8
de ce mois au Confeil des Prifes , en faveur du
Corfaire de Vannes. Elle eft eftimée plus de quatre
cens mille livres.
Le Capitaine Adrien de Lille , commandant le
Corfaire la Fulvie , de Dunkerque , s'eft rendu
maître des Navires Anglois l'Ellis , de Liverpool ,
de 200 tonneaux , armé de 4 canons & de 15 hommes
, & la Providence , de Briſtol , de 350 tonneaux
, armé de 24 canons & de 60 hommes. Ces
deux Bâtimens , qui alloient à la Jamaïque chacun
avec un chargement confiftant en vivres & en
marchandifes feches , ont été conduits à Morlaix .
Le Capitaine de Lille , en fociété avec le Corſaire
le Maurepas , de Dunkerque , a fait de plus pour
environ cinquante mille livres de rançons.
Le Navire Anglois l'Ulyffe , de la Nouvelle .
MA I. 1758 . 203
Yorck, d'où il venoit avec un chargement compofé
de bois de campêche, & de 80 barrils de goudron
, a été pris par le Corfaire l'Espérance , de
Bayonne, où il eft arrivé.
Le Capitaine Durbecq- de la Ciotat , commandant
la Galliote la Curieufe , qui a été armée en
courſe à Marſeille au mois de Janvier dernier , s'eft
rendu maître à la hauteur de Malaga , d'un Navire
Anglois dont le Capitaine a offert deux mille livres
fterlings pour fa rançon .
SA
BÉNÉFICES DONNÉS.
A Majefté a nommé à l'Evêché d'Autun ;
M. l'Abbé Comte de Bouillé , Doyen des Comtés
de Lyon , & premier Aumônier du Roi ; à l'Ab- .
baye de Brantôme , Ordre de S. Benoît , Dioceſe
de Périgueux , M. l'Abbé Bertin , Vicaire Géné
ral du même Dioceſe , & Conſeiller Clerc au
Parlement de Bordeaux ; à l'Abbaye de Préaux ;
même Ordre , Dioceſe de Lizieux , la Dame de
de Saint - Chamans , Abbeffe de Saint Jean de
Bonneval- lès - Thouars , Diocefe de Poitiers ; à
PAbbaye de Saint Jean de Bonneval - lès - Thouars ,
la Dame Bouchard d'Efparbès- de Luffan- d'Aubeterre
, Grande Prieure de l'Abbaye de Sainte Croix
de Poitiers.
MARIAGES ET MORTS.
MESSIRE Jean - Pierre Damas , Marquis de
Thiange , fils de feu Louis-François Damas , Comte
de Thiange & d'Anlezy , & de Dame Magde206
MERCURE DE FRANCE.
leine- Angélique de Gaffion , époufa le 4 Avril
Damoiselle Michelle-Perette le Veneur-de Tilliezes
, fille de Jacques Tanneguy-le Veneur , Comte
de Tillieres , & de feue Dame Michelle -Julie
Françoife Bouchard d'Eſparbès-de Luffan d'Aubeterre-
de Jonfac. Ils ont reçula Bénédiction Nup
tiale dans la Chapelle de l'hôtel de Châtillon .
Meffire Claude-Antoine de Beziade , Marquis
d'Avarey, Grand Bailli d'Orléans , fils de feu Meffire
Charles , Marquis d'Avarey, &c. de Dame Marguerite
-Elifabeth Meigret , fut marié le { à Angélique-
Adélaïde - Sophie de Mailly , fille de Louis,
Comte de Mailly , Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant-Général des Armées de Sa Majefté ,
premier Ecuyer de Madame la Dauphine , & de
Dame Anne -Françoife- Elifabeth Arbalete - de
Melun. La Bénédiction Nuptiale leur a été donnée
dans l'Eglife de Saint Eustache par l'Archevêque
de Toulouſe.
M. le Marquis de Chauvelin , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , Grand-Croix honoraire
de l'Ordre de Saint Louis , & Ambaffadeur de Sa
Majefté auprès du Roi de Sardaigne , époufa le
même jour dans la Chapelle particuliere de l'hôtel
du Duc de Broglie , la Demoifelle Agnès - Thérele
Mazade d'Argeville.
Mademoiſelle de Charolois , Princeffe du Sang ,
eft morte en cette Ville le 8 d'Avril , vers les cinq
heures du matin , âgée de foixante - deux ans , neuf
mois & feize jours. Cette Princeffe , qui fe nommoit
Louife-Anne de Bourbon Condé , étoit fille
de Louis , Duc de Bourbon- Conde , Prince du
Sang , Grand- Maître de la Maifon du Roi , &
Gouverneur du Duché de Bourgogne , mort le 4
Mars 1710; & de Louife - Françoife de Bourbon ,.
Légitimée de France, fille du feu Roi, mome le 14
Juin 1743.
MAI. 1758. 207
Mehre N. de Brancas , Abbé Commendataire
de l'Abbaye royale d'Aulnay , Ordre de Cheaux ,
Diocefe de Bayeux , eft décédé le fr du mois
d'Avril.
Mere Charles- Marie - Léopold , Comte de
Dunois , Mestre de Camp en fecond du Régiment
Colonel général des Dragons , & fils aîné du Duc
de Chevreufe , eft mont le 12 à Ruremonde , à
Farmée du bas-Rhin , dans la dir- haitieme année
de fon âge.
MRREST du Confeil d'Erat du Roi , qui permet
à toutes personnes de faire le commerce des
Laines , tant nationales qu'étrangeres , comme
auffe de lesfaire cirouler dans tout le Royaume
en exemption de tous droits d'entrée & defortie ,
&c. Da 20Mars 1758.
Extrait des Regifres du Confeil d'Etat.
Le Roi s'étant fait répréfenter , en fon Confeil ,
PArrêt renduen icelui le 4 Août 1716 , par lequel
auroit été dérogé aux difpofitions d'autres arrêts
des 9 Mai & 2 Juin 1699 , qui défendent à tous
autres qu'aux Marchands de laine & aux Fabricans
d'acheter des laines pour les revendre &
en faire trafic , & ordonné qu'à la venir ce commerce
feroit entièrement libre & permis à toutes
perfonnes Autre arrêt du 9 Décembre 1749 ,
par lequel Sa Majefté a exempté de tous droits.
d'entrée & de fortie , & des droits locaux dépendans
de la Ferme générale , les laines qui pafferoient
des provinces des cinq groffes Fermes
dans les provinces réputées étrangeres , & des
provinces réputées étrangeres dans celles des
sing groffes Fermes : & Sa Majefté érant infor
·
208 MERCURE DE FRANCE.
mée que par arrêt du 7 Avril 1714 , il a été fait
défenfes de fortir les laines de la province de Lan,
guedoc pour les tranfporter dans les autres provinces
du Royaume , fans en avoir une pers
miffion expreffe & par écrit du fieur Intendant
& Commiffaire départi dans ladite province ;
ce qui empêche l'effet de la liberté que Sa Majesté
a eu intention de procurer au commerce des
laines qu'il paroît fubfifter auffi quelques autres
réglemens , qui reftreignent la liberté de ce commerce.
A quoi Sa Majefté defirant pourvoir ; ouï
le rapport du fieur de Boullongne , Confeiller ordinaire
au Confeil royal , Contrôleur général des
finances , le Roi étant en fon Confeil , a ordonné
& ordonne que les arrêts des 4 Août 1716 &
9 Décembre 1749 , feront exécutés felon leur
forme & teneur en conféquence , permet à toutes
perfonnes de faire le commerce des laines ,
tant nationales qu'étrangeres ; comme auffi de
faire circuler librement lefdites laines dans tout
l'intérieur, du Royaume , en exemption de tous
droits, foit d'entrée & de fort ie , lorfqu'elles pafferont
des provinces réputées étrangeres dans celles
des cinq groffes Fermes , & de celles des cinq
groffes Fermes dans les provinces réputées étran
geres , qu'autres droits locaux , à l'exception néan,
moins de ceux dépendans des Fermes des Aides &
Domaines dérogeant à cet effet Sa Majefté , tant
à l'arrêt du 7 Avril 1714 , qu'à toute autre dif
pofition contraire au préfent arrêt ; fans préjudice
toutefois du droit de ving - cinq livres du
cent pefant , que les laines nationales continueront
d'acquitter à la fortie du Royaume , con
formément à l'article V de l'arrêt du 9 Décem
bre 1749, Enjoint Sa Majefté aux fieurs Intendans
& Commiffaires départis pour l'exécution
MA I. 1758.
203
de fes ordres dans les provinces & généralités
du Royaume , de tenir la main à l'exécution
du préfent arrêt. Fait au Confeil d'Etat da Rõi¹,
Sa Majesté y étant , tenu à Verſailles le vingtieme
jour de Mars mil fept cent cinquante- huit. Signé
Phelipeaux.
LOUIS , par la grace de Dieu , Roi de France
& de Navarre , Dauphin de Viennois , Comte de
Valentinois
& Diois , Provence , Forcalquier
&
terres adjacentes
: A nos amés & féaux Confeillers
en nos Confeils , les ,fieurs Intendans
&
Commiffaires
, départis pour l'exécution
de nos
ordres dans les provinces & généralités
de notre
Royaume ; Salut. Nous vous mandons & enjoignons
par ces préfentes fignées de nous , de
tenir , chacun en droit foi , la main à l'exécution
de, l'arrêt dont l'extrait eft ci -attaché fous le
contre-fcel de notre Chancellerie
, cejourd'hui
rendu en notre Confeil d'Etat , Nous y étante,
pour les caufes y contenus : Comman
ons au
premier notre Huiffier ou Sergent fur ce requis ,
de fignifier ledit arrêt à tous qu'il appartiendra
,
à ce que perfonne n'en ignore ; & de faire pour
l'entiere exécution d'icelui , tous actes & exploits
néceffaires
, fans autre permiffion
, nonobftant
clameur de Haro , Chartre Normande
& lettres
à ce contraires
; aux copies duquel , collationnées
par l'un de nos amés & féaux Confeillers
Secrétaires
, voulons que foi foit ajoûtée comme
aux originaux
: Car tel eft notre plaifir . Donné à
Verfailles
le vingtieme
jour de Mars , l'an de
grace mil fept cent cinquante-huit , & de no
tre regne le quarante- troifieme . Signé LOUIS . Et
plus bas , Par le Roi , Dauphin , Comte de Provence.
Signé Phelipeaux
. Et fcellé.
210 MERCURE DE FRANCE.
Pour le Roi. Collationné aux originaux , par
nous Ecuyer , Confeiller Secrétaire du Roi , Mai
fon , Couronne de France & de fes finances.
N.
AVIS.
"
auvelas invention pour les ouvrages d'armées
, par le fieur Lafontaine Dulin , éleve de
l'Ecole Militaire , inftituée par feu M. le Chevalier
de Luffan, Ingenieur. Il eft auteur artifte des
lits , tables , fiéges , tabourets , échaudées , fecrétaires
, cuifinieres , fauteuils , bidets tables
de nuit , tables à écrire , & chaiſes de commodités.
Il fait auffi une nouvelle piece qui
fert de bidet & de chaife de commodité , dans
la même piece , il y a un refervoir , des flacons ,
éponges & une feringue , le tout formant le né
ceffaire des Officiers militaires , tant fur terre
que fur mer, plufieurs de ces pieces font utiles
pour la chaffe.
Le tout fait par principes de Mathématiques ,
combinaiſon Géométrique , & par expérience
Métaphyfique.
Ayant confidéré que toutes les fujetions qui
font dans les ouvrages ordinaires , joint à leur
pefanteur & au grand nombre de pieces qu'il
faut pour faire une des pieces ci deffus , ne font
que très- nuifibles & embarraffantes à monter
pour les Domeftiques , & même pour les voi
turer d'un endroit à l'autre ; j'ai trouvé le moyen
de les réduire , & certaines preces de cinq fix liv.
fans pourtant en diminuer le mérite & la folidité
, au contraire.
Dans ma conſtruction j'ai réuni enfemble
toutes les pieces qu'il faut , pour en faire une ,
MA I. 1758.
211
font par ce moyen plus faciles à monter que
celles dont on fait ufage actuellement.
Je peux parler affirmativement de la folidité
de mes ouvrages , vu qu'ils tombent à plomb
ou perpendiculairement ce qui fait que l'on
eft toujours bien affis : je fais aufli toutes fortes
d'ouvrages de Menuiferie , Ebénisterie , & d'un
bon goût. J'ai eu l'honneur d'en faire pour plufieurs
Officiers Généraux ; pour leurs Alteffes Séréniffimes
Monfeigneur le Comte de Clermont ;
Monfeigneur le Prince de Soubile & de Rohan ;
Monfieur le Marquis de Maurange , Lieutenant
général M. le Marquis de Gamache , M. le
Marquis de Lirie , M. le Comte de Milfort ; &
pour beaucoup de Tapiffiers-Tentiers. L'on trou
ve chez l'Artifte , de ces fortes d'ouvrages prêts
à mettre en ufage.
Il demeure grande rue du Fauxbourg S. Antoine
, chez M. Perfon, Marchand Epicier.
AUTRE.
Life
La fieur Fagonde, Marchand à Paris , rue Saine
Denis, à côté de Sainte Catherine , à l'enfeigne
de la Toilette , débite roujours avee fuccès , l'ean
Anticauftique , ainfi appellée à caufe de fa vertu
fouveraine , pour la guérifon prompte & fure de
toutes fortes de brûlures de quelque nature
qu'elles puiffent être . Perfonne n'ignore combien
eft vive la douleur excitée par l'action du
feu: la guérifon d'une brûlure eft ordinairement
affez longue , parce que le mal augmente pendant
dix à douzejours. Ce n'eft d'abord qu'une
longeur plus ou moins grande : furviennent en
fuire des tumeurs féruſes , vulgairement appel.
212 MERCURE DE FRANCE:
lées cloches , la partie affligée ſe gonfle , & s'er
flamme de plus en plus , tout cela eſt accompagné
de douleurs aiguës , qui fouvent occafionnent
la fièvre , la peau du malade ſe roidit , lés
petites fibres ne pouvant plus faire leurs fonctions
fe détruifent , & enfin on refte fouvent eſtropié
La liqueur Anticauftique , appliquée à froid , &
fouvent renouvellée , remedie à tous ces accidens
: elle commence par appaiſer la douleur ,
& elle arrête enfuite très-promptement tous les
progrès que le mal pourroit faire. Le prix eſt de
3 liv. le flacon de demi- fetier , le demi facon
30 fols. Cette eau peut le tranſporter en tous
lieux & fe conferve toujours , pourvu que les bouteilles
foient bien bouchées. On donnera une
inftruction pour l'employer.
AUTRE ,
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , l'attention que vous avez d'inféser
dans votre Mercure , tout ce qui peut concourir à
l'avantage & à la fatisfaction du public , me fait
efpérer que vous voudrez bien lui annoncer un
Remede nouveau , dont les bons effets ont été conf
tatés par un grand nombre de cures furprenantes.
C'est un Topique éprouvé avec le plus grand fucpour
les Rhumatifmes fimples & goutteup ,
pour la fciatique , la paralifie commençante, pour
toutes les maladies de nerf, les fraîcheurs des parties
, contre les anchilofes , exoftoles , écrouelles
, & généralement contre toutes les tumeurs
froides...
cès
Il agit principalement par les urines , ſouvent
MA 1. 1758. 213
par un fuintement confidérable , qui évacue l'humeur
, & quelquefois par les felles . Comme on
doit être en garde contre les nouveautés en fait de
Médecine , j'ai voulu par moi- même reconnoître
les effets du remede , & ai fuivi quelques maladies
dont la guérifon radicale a levé tous mes doutes.
Vous me permettrez d'en çiter une , que je croyois
au deffus de toutes les reffources de l'art . La nommée
Leroi âgée d'environ 60 ans , demeurant, rue
Dauphine chez un Ceinturonnier , étoit travaillée
depuis plus de trois mois d'un fhumatifme goutteux
, qui lui faifoit fouffrir les plus cuifantes douleurs
elle avoit été traitée inutilement par plufieurs
Médecins & Chirurgiens qui défefpéroient
de fa guérifon. Je la trouvai au lit dans un état pitoyable
, & avec des douleurs fi vives , qu'elle ne
pouvoit le remuer , ni fouffrir qu'on la touchât ;
le bras gauche perclus & entiérement defféché ,
& au genouil du même côté une anchyloſe énorme
; enfin elle étoit à l'extrêmité : un mois de
l'ufage du remede l'a rétablie entiérement . Je vous
en citerois un grand nombre d'autres , fi les barnes
de votre recueil me, permettoient de donner
plus d'étendue à cette lettre. Soyez perfuadé
Monfieur , que c'est l'intérêt feul de la vérité &
celui du public , qui m'ont déterminé à vous écrire.
Ceux qui me connoiffent , n'en douteront
point , & les malades qui auront éprouvé par l'ufage
l'efficacité du topique , nous fçaurons gré à
P'un & à l'autre de l'avoir indiqué. Le privilege qui
vient d'être délivré par M. le premier Médecin du
Roi , & par Mrs de la commiffion royale de Mé→
decine , prouve encore plus que tout ce que je
pourrois dire , qu'on ne fçauroit avoir trop de
confiance en ce remede. Le fieur Berthelot qui le
diftribue, demeure à l'hôtel de Tour, rue du Paon,
214 MERCURE DE FRANCE.
& avertit qu'il ne retirera point de lettres qu'elles
m'aient été affranchies.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Giraud.
AUTRE.
LECT
ECLERC , Maître Perruquier
, rue de la Har
pe , près S. Côme , vend & diftribue une Pommade
Chymique
, parfaite pour fortifier la racine
des cheveux , les empêcher
de tomber & les
faire revenir ; elle eft auffi d'ufage pour faire reve
nir les fourcils , & ce n'eft qu'après plufieurs expériences
faites par nombre de perfonnes
qui
en ont fait ufage , qu'il donne des Certificats
de
vérité de l'effet de ladite Pommade
, à tous ceux
& celles qui l'ignorent
; & on ne trouvera la véritable
Pommade
Chymique
que chez le fieur
Leclerc. Il vend le pot 3 liv. & 6 liv.
APPROBATION
.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le Mercure du mois de Mai , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , ce 29 Avril 1758.
GUIROY
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
LES deux Chiens &le Chat , Fable ,
page
Les Abfens ont tort , maxime françoife ; Conte à
Madame P... de M ... de L ...
Vers à Madame la Marquife de Boufflers , par Ma
l'Abbé P...
Lettre à M. de Boiffy 2
Epitre à M. D. H. G, D. T. R.
25
29
Parallele de l'orgueil & de l'élévation des Sentimens
32
Vers fur la mort du Moineau de Madame de St.. 36
Suite fur M. de Fontenelle , par M. l'Abbé Trublet,
contenant des corrections & additions aux arti
cles précédens ,
Vers à Mademoiſelle Frogier- Dupleffis ,
37
36
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Pensées détatraduites
chées , de l'Anglois de Pope & de
Swift ,
ノ
57659
Vers à M. D. G. D. L. R. pour le premier Jour de
l'An , 78
Explication de l'Enigme & du Logegryphe du
fecond Mercure du mois d'Avril ,
Enigme ,
Logogryphe
Chanfon ,
ibida
72
73
74
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux ,
75
Lettre à M. de Boiffy , en réponse à celle du Solitaire
de Bretagne ,
114
314
ART. III. SCIENCES
ET BELLES LETTRES
.. Hiftoire. Lettre de M. Coleffe à M. l'Abbé Hardi ,
127
& c.
Médecine. Obſervations fur les effets de la Poudre
d'Alliot. Par M. de Thierry , Docteur - Régent
de la Faculté de Médecine de Paris , 133
Eloge de M. de Réaumur , lu à l'affemblée publique
de l'Académie Royale des Sciences , & c.
ART. IV. BEAUX-ARTS.
1
Mufique ,
Gravure ,
142
171
172
176
Jayallerie. Lettre à l'Auteur du Mercure , fur les
"feuilles à mettre fous les pierres de différentes
couleurs ,
Manufactures. Réflexions fur la fituation des principales
Manufactures de France , & particuliérement
de celle de Tours ,
Opera ,
ART. V. SPECTACLES.
178
181
Comédie Françoiſe , 182
Comédie Italienne , 183
Profpectus du Théâtre Italien ; 184
Nouveau Ballet du fieur Noverre ,
189
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
193
Nouvelles de la Cour , de Paris , &¿ ‚ 198
Bénéfices donnés , 205
Mariages & Morts ,
ibid.
merce des laines ,
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , au fujet du com→
Avis divers ,
La Chanfon notée doit regarder la page 74.
De l'Imprimerie de Ch . Ant . Jombert,
207
21Q
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUIN. 1758.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Chez
Cochin
Filius in
RapillesSculp 1218.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
de
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poſte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur
compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est -àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant
16 volumes .
pour
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mereure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces d'en²
voyerpar la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement
, ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis
;
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un
en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de refter à fon Bureau les Mardi , Mercredi
& Jeudi de chaque femaine , après- midi.
On prie les perfonnes
qui envoient des Li
vres , Eftampes
& Mufique
à annoncer ;
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer
par la voie du Meri
cure ,
les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent. On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feſſard & Marcenay,
000000
吸
000000
MERCURE
DE FRANCE.
JUIN. 1758 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES ÉCOLIERS
ET LES AMANDES AMERES,
FABLE.
Loin des yeux redoutés d'un Précepteur févere ;
Deux Ecoliers faifoient dans un jardin ,
Ce qu'en leur langue familiere
On appelle , je crois , l'école buiffoniere.
Un Amandier fut le premier butin
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Qui s'offrit à la gourmandiſe
De notre couple libertin.
Son fruit leur paroiffoit être de bonne prife ;
Mais l'arbre étoit fi haut ,
Qu'avec un faut
On n'y pourroit atteindre.
Que faire ? il faut rufer. L'un forme un échaffaud
De fon dos recourbé , d'où l'autre , fans rien
craindre ,
A l'arbre livrant maint affaut ,
Remplit fes poches comme il faut.
Il n'eft bouton ni branche à qui l'on eût fait
grace ;
Mais juftement affez près de la paffe
Un Villageois que du plus loin l'on prend
Pour un Régent.
Un rien fait peur à qui confcience reproche ;
C'est ainsi qu'un voleur dès qu'il entend marcher,
Ou quelque chofe qui s'approche ,
Croit d'abord que c'eſt un Archer.
En peu nos deux Marmots ont déferté la place ,
Bientôt ils ont gagné la claffe ,
Et par plus d'un menſonge adroit ,
Déja fur leur abfence ils ont obtenu grace.
Empreffés de jouir du fruit d'un tel exploit ,
Les voilà tous deux en cachette
Qui cherchent à croquer leurs amandes. L'on
jette
La premiere qu'on a trouvé d'un mauvais goût ;
JUIN. 1758. 7
Une autre fuit , qu'on caffe & mange , & puis
qu'on crache ;
Voyons donc celle-là ; mais en vain on fe fâche ,
Tout eft de même juſqu'au bout.
Leurs dégoûts n'étoient point de fantaſques chimeres.
Sçavez-vous ce qu'ils avoient pris ?
Il avoient pris partout des Amandes ameres,
C'eft ainfi qu'un bien mal acquis
Dont trop fouvent un fot préfume ;
Quand il croit en goûter les fruits ,
Ne lui préfente qu'amertume .
▲ Lyon , par M. dê R ‡‡ *,
N'EN CROYEZ QUE VOS YEUX ,
ANECDOTE.
LISE étoit née avec un coeur fincere ,
une ame fenfible , un caractere heureux ;
mais furtout avec un efprit facile & naturel.
Elle avoit dans un degré éminent ce
goût pour les fciences qu'ont affez ordinairement
les perfonnes de fon fexe , qu'on
éteint en elles , en les éloignant de tout ce
qui pourroit leur en faciliter l'étude , &
leur en faire fentir les agrémens.
Le hazard fervit Life. Un frere , l'idole
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
de fa maiſon , étoit élevé par des Maîtres
habiles. La tendreffe qu'on avoit pour lui
empêchoit qu'on ne le confiât à des mains
étrangeres. L'exemple des Princes même
ne put déterminer le Marquis de *** à
mettre fon fils au College.
Pour exciter l'émulation de ce jeune
éleve , Léandre enfant de condition du
voifinage , qui profitoit auffi de l'éducation
domestique qu'on donnoit à fon aîné ,
venoit fouvent étudier & difputer avec le
jeune Marquis . Il avoit à peine neuf ans.
Life en avoit fept , & je ne fçais par quel
instinct , par quelle union de caractere
Léandre & Life aimoient déja à fe trouver
enfemble .
Le plaifir d'être avec Léandre , plus encore
peut- être que celui de partager fes
Occupations , entraîna Life à imiter les
études de fon frere , à répéter quelquesunes
de fes leçons , on s'en amufa quelque
temps. La chofe devint férieufe. On vit
que Life réuffiffoit. On la laiffa continuer.
Elle fe livra à fon goût naiffant , & fit
bientôt des progrès rapides . Elle paſſoit &
Léandre & fon frere.
La liaiſon qui fe trouvoit tout naturellement
entr'elle & ce jeune homme , ne
déplaifoit point. Léandre étoit de qualité ,
je l'ai dit . Il devoit avoir du bien. On
JUIN. 1758. 9
voyoit aifément qu'ils fe plaifoient l'un à
l'autre. Les deux familles fembloient fouhaiter
cette alliance. L'âge feul la faifoit
différer.
Après les premieres études , Léandre
alla faire fes exercices. Life fut mife au
Couvent. Sa modeftie égaloit fes talens.
A l'exception de quelques amies de confiance
qui la trouvoient fur fes livres , &
à qui elle ne pouvoit dérober fon application
à l'étude , on n'imaginoit pas dans
fon Couvent qu'elle fçût autre chofe que
coudre , filer au rouet & broder ; & comme
elle n'avoit pas la même hardieffe que fes
compagnes à parler fans ceffe , à décider
de tout , & à trancher net fur quelque fujet
qui fe préfentât , elle paffoit pour un
efprit borné , & on l'appelloit ordinairement
la bonne Life , tant la modeſtie eft
compagne du fçavoir .
On acheta à Léandre en vue de cette
alliance une charge de magiftrature diftinguée.
Son aîné étoit au fervice , ainſi que
le frere de Life. Ce dernier obtint un Régiment
. Il s'y faifoit honneur. On l'attendoit
à la fin de la campagne pour conclure
le mariage de fa foeur , lorfqu'on apprit
qu'il venoit d'être tué à la tête de fa troupe
la célebre bataille de Fontenoi .
Cette mort changeoit la fortune de Life.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Elle devenoit héritiere de tous les biens
d'une grande maiſon . Quelqu'eftime ,
quelqu'amitié que le Marquis fon pere ,
eût pour Léandre , il penfa à une autre
alliance. Le Comte de *** , fans être de
la même maiſon , portoit le même nom ,
avoit les mêmes armes : il n'en fallut
pas
davantage au Marquis pour rechercher ce
mariage.
Le moindre Gentilhomme de Province
veut conferver fon nom ; il en eft peu qui
ne le croie lié à la gloire & à la fortune
de l'état. Les grands Seigneurs ont cette
paffion & cette idée bien plus vive encore.
C'eft une folie , mais elle tient à une infinité
d'avantages . Eh ! fi l'on ôtoit de l'uni
vers toutes les folies qui le gouvernent ,
qu'y refteroit-il ?
Enfin pour foutenir fon nom & fa maifon
, le Marquis de *** rechercha le
Comte du même nom pour fa fille. Ce
dernier n'avoit point de bien. Le Marquis
manquoit de parole à Léandre : il forçoit
le goût de fa fille. Il s'expofoit à la voir
malheureuſe. Son nom le touchoit plus
que tout cela. Les hommes font plaifans, dit
M. de Fontenelle, ils ne peuvent fe dérober
à la mort , & ils tâchent de lui dérober
deux ou trois fyllabes qui leur appartiennent
; voilà une belle chicanne qu'ils s'aviJUI
N. 1758. II
fent de lui faire. Ne vaudroit-il pas mieux
qu'ils confentiffent de bonne grace à mourir
eux & leurs noms.
Le Marquis ne philofopha pas tant.
L'amour du fien le fit paffer pardeffus tout.
Life fut facrifiée. Elle ne put fe défendre
contre la volonté d'un pere abfolu.
Léandre continua à la voir après fon
mariage. Ils lifoient enſemble. Le même
commerce d'efprit fubfiftoit entr'eux . Ils
paffoient des jours charmans. Life eftimoir
fon mari , & lui étoit même attachée. Le
Comte admiroit fon époufe , & l'aimoit
tendrement. Léandre pour jouir tout entier
du plaifir de l'étude , & de cet heureux
loifir qui fait le bonheur du fage & de
cette fociété , s'étoit défait de la charge
qu'il n'avoit pris que pour fe donner un
état , & époufer Life. La félicité de ces
trois perfonnes étoit parfaite.
Quelques difcours déplacés la troublerent.
Le Comte effuya des plaifanteries
fur le goût de fon époufe. On la difoit
plus décidée pour le Sçavant que pour la
fcience. Il ne put tenir long - temps. Le
véritable amour n'eft jamais fans jaloufie.
Mais une jaloufie fans fujet & fans raifon
eft le martyre des Amans. C'eft le délire ,
c'eft la fievre de l'amour.
Life , fans avoir de paffion pour fon
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
époux , avoit le coeur trop bien placé pour
le rendre malheureux . A la vérité , elle
avoit donné occafion aux foupçons . Léandre
ne pouvoit vivre fans Life. Life penfoit
& agiffoit comme lui. Ils le témoignoient
affez. Ils cherchoient la folitude.
Les ennuyeux les fatiguoient . Ils évitoient
les conteurs de nouvelles , les difeurs de
rien , les mauvais plaifans. Ils fuyoient
enfin ce que le grand monde recherche ,
les cercles nombreux , où l'on tue le temps
par des difcours inutiles , où l'on parle
toujours fans rien dire. Ils n'avoient aucun
goût pour le jeu . Si quelqu'un d'un
efprit éclairé , d'une converfation intéreffante
, fe joignoit à eux , ils étoient enchantés
, ils le recherchoient ; & s'ils fe
trouvoient fouvent feuls , c'eſt qu'ils trouvoient
peu de perfonnes pour mettre en
tiers dans leur converfation . Qu'on n'imagine
ici ni fatuité , ni pédanterie , on fe
tromperoit. Life & Léandre fe prêtoient à
out fans affectation . Ils fçavoient dévorer
l'ennui qu'on trouve à chaque pas , lorfque
la décence l'exigeoit. Mais ils l'évitoient
autant qu'il leur étoit poffible.
Je l'ai dit , quelques plaifanteries rendirent
cette conduite fufpecte au Comte.
Il parla à Life. Life ne balança pas à rompre
avec Léandre. Elle connoiffoit le fond
JUIN. 1758. 13
'de fon coeur & fa maniere de penfer. Elle
lui dit clairement la chofe : elle lui fit
goûter fes raiſons. Ils cefferent de fe voir.
La jaloufie eft un mal qui ne fe guérit
guere. Le Comte feignit d'être tranquille.
Il auroit dû l'être. Que pouvoit- il exiger
de plus ? Léandre évitoit jufqu'aux fociétés
où Life fe trouvoit ; & à peine fe permettoit-
il chez le Comte les vifites d'une bienféance
indifpenfable . Trois ans s'écoule
rent dans cette gêne. Le Comte auroit dû
s'occuper d'autre chofe que de fes foupçons.
Le bien de Life lui étoit difputé .
Son pere étoit mort. Certains droits d'une
fubftitution fort litigieufe étoient prétendus
par un proche parent. Ce procès étoit
de la derniere importance. Si le Comte le
perdoit , il ne lui reftoit rien des grands
biens que Life lui avoit apportés. A peine
les fiens fuffifoient pour payer les frais
d'une affaire auffi importante. Il en étoit
inquiet , mais moins que des liaifons fécrettes
qu'il foupçonnoit toujours entre
Léandre & fon époufe . Elle étoit à la campagne
depuis quelques mois . Pendant fon
abfence , il faifoit travailler à la ville à des
réparations confidérables , ou plutôt il
étoit tout occupé du deffein d'éclaircir fes
foupçons. Il fit pratiquer une porte dérobée
, qui donnoit de ſon cabinet dans l'ap14
MERCURE DE FRANCE.
partement de fon époufe . Il l'avoit placée
de façon , & fi bien ménagée , que fans
qu'on pût l'appercevoir ni s'en douter , il
pouvoit tout voir & tout entendre dans la
chambre. Dès qu'il eût ainfi difpofé la
chofe , il envoya fon équipage à Life , la
pria de revenir en hâte , lui dit à ſon arri
vée que fon procès étoit perdu . Il avoit
répandu cette nouvelle en ville , & avoit
pouffé la feinte auffi loin qu'elle peut aller.
Il ajouta à fon époufe que pour arrêter la
vivacité de fa partie & les frais , il partoit
pour la ville du Parlement , où elle avoit
été jugée , & feroit abfent plufieurs jours.
Deux Laquais , qui couroient avec lui ,
étoient partis . La chaife étoit prête : il
étoit encore grand matin . Il fait fes adieux
à fon épouse ; & en fortant de l'apparte
ment , il donne ordre fécrétement à un
valet- de- chambre , qui lui étoit affidé ,
de
monter à fa place. Il le charge de lettres
qu'il dit preffées , & lui défend de revenir
fans avoir réponſe poſitive . Il écrivoit à
un ami de le retenir quinze jours. Tout
ainfi difpofé , il court à fon embufcade.
Son impatience fut bientôt fatisfaite. A
peine le jour étoit -il levé , qu'il entendit
un des gens de Léandre qui demandoit à
Madame , de la part de fon Maître , la
permiffion de la voir, Life étoit au lit , &
JUIN. 1758. IS
répondoit déja qu'elle ne vouloit voir
perfonne. Lorfque Léandre lui -même entra
, le Comte l'entendit : il ne fe pofféda
plus il vouloit prendre une vengeance
éclatante de fa perfide époufe & du traître
Léandre. Il cherche fes armes , s'apperçoit
avec défefpoir qu'elles lui manquent , &
qu'il les a oubliées. Cet inftant lui donna
le temps de la réflexion . Il revient , il fe
place , il écoute. Je viens , Madame , dit
Léandre , d'apprendre une nouvelle , à laquelle
vous ne doutez pas que je ne fois
bien fenfible. Il y a trois ans que nous
nous évitons. Je veux continuer à le faire .
Vos defits font des ordres pour moi ; & je
mourrois de vous caufer la moindre peine ,
ou à l'époux que vous aimez . Mais permettez
que la féparation que nous nous
fommes prefcrite , n'éteigne pas l'amitié
dans nos coeurs . Si j'avois cru trouver
quelqu'autre que vous capable de garder
mon fecret , je vous aurois fait paffer par
des mains étrangeres cette bourfe de deux
mille livres que je vous préfente.
Ce n'eft point un don , parce que vous
ne l'accepteriez pas. Je vous les prête. Je
fçais l'acharnement de votre partie . On
trouve peu d'amis quand la fortune paroît
s'éloigner. J'ai cru vous faire plaifir en
cette occafion. Vous direz à M. le Comte ,
16 MERCURE DE FRANCE.
\
fi vous le jugez à propos , la main d'où
vous tenez cet argent ; mais affurez - le
qu'il eft à lui , & qu'il ne le rendra qu'à
fa commodité. Adieu , Madame , voilà la
premiere fois que je vous parle depuis que
vous m'avez fait goûter les raifons de ne
point nous voir. Voilà , felon les apparences
, la derniere.
Léandre fe retiroit , & laiffoit Life à
peine remiſe de la ſurpriſe de cette vifite ,
& étonnée de ce procédé. Le Comte n'étoit
plus à lui-même , toute fa fureur s'étoit
changée en admiration , & en ſentimens
de reconnoiffance pour un ami fi
généreux. A peine eut-il la force d'ouvrir
la porte qu'il avoit pratiquée. Il appelle
Léandre , qui ne fçait que croire de cette
voix , & qui balançoit à retourner fur fes
pas. Un cri que jette Life , éperdue à la vue
de fon époux , termine l'incertitude de
Léandre. Il rentre : il voit le Comte aux
genoux de Life appuyé ſur ſon lit , mouillant
une main de fes larmes , ne pouvant
proférer que quelques mots entrecoupés ;
Life dans une fituation & un effroi qui
approchoit de l'évanouiffement. Léandre
n'étant plus à lui - même , ne fçait que
penfer.
Enfin le Comte fe remettant un peu :
Je viens expier mes foupçons à vos pieds.
JUIN. 1758. 17
O très -aimable Life ! dit - il. Léandre , fuisje
digne d'entrer dans une amitié auffi
pure & auffi généreufe que celle qui anime
vos deux coeurs ! ...
Le Comte leur dit comme il venoit de
tout entendre. Il leur conta fes foupçons
les moyens qu'il avoit pris pour les éclaircir
; fa rage , fon défefpoir ; enfin fon
admiration pour la générofité d'un ami tel
que lui , & pour une époufe auffi eftimable.
Aimez moi , Léandre , lui dit- il . Mon
procès n'eft point perdu ; & pour vous
montrer comme je veux vivre avec vous ,
partons enfemble ; venez folliciter avec
moi . Ils partirent , & revinrent après avoir
gagné cette affaire importante.
Rien ne fut égal à l'amitié qui régna
depuis entre ces trois perfonnes.
J'arrivois comme le Comte lui- même
racontoit cette hiftoire à un ami. Vous
êtes jaloux , lui difoit- il , n'en croyez que
vos yeux. Je le priai de recommencer ce
récit en ma faveur . Il le fit , & me permit
de ne le point taire . Il vouloit même que
je nommaffe les mafques. Mais quand les
noms y feroient , la fingularité de ce fait
auroit peine peut - être à trouver créance
au loin , & perfonne ne l'ignore dans le
pays où elle s'eft paffée.
Par le Montagnard des Pyrénées.
18 MERCURE DE FRANCE
•
ÉPITRE
A Madame de P...:
POURQUOr , laiffant dans l'oubli d'un village ;
Aminte , fuir les beaux jours de votre âge ,
Enfevelir vos innocens attraits ?
Quoi donc le Sage à l'ombre des forêts
Va-t'il chercher la raifon qui l'éclaire ?
Tantôt errant dans un bois folitaire ,
Et vous riant des fonges de la Cour
Vous préférez un champêtre féjour
A ces palais , que l'oifive molleffe
D'un Grand épris de fa vaine nobleffe ;
Fait enrichir de meubles fomptueux.
Tantôt avec un ami vertueux ,
Vous enchantez par une fage étude
L'heureux loifir de votre folitude.
Dans ces beaux lieux la douce liberté ,
A la faveur de votre obſcurité ,
File toujours vos jours purs & tranquilles.
La liberté fuit le fafte des villes.
O! que ne puis-je en des bocages frais
Goûter encor les charmes de la paix !
Jours fortunés , où , dans l'indépendance
D'une commode & paifible indolence ,
Je me plaifois dans des fentiers fleuris
A promener mes volages efprits !
JUI N. 1758. 19
Adieu , beau parc , adieu , fombres allées ,
Calme profond des riantes vallées ;
Adieu , doux chants des innocens oiſeaux ,
Ombres des bois , délicieux côteaux :
Je n'irai plus fur l'émail des prairies
Entretenir mes libres rêveries.
La dure loi de la néceffité
M'arrache , hélas ! d'un féjour enchanté.
Je vais languir dans ces manoirs horribles ,
Où les ennuis & les travaux pénibles ,
A la vertu forment nos foibles coeurs
Contre l'attrait des plaifirs corrupteurs.
Ciel dans les fers de la mifanthropie
Je vis long-temps mon ame enfevelie :
Je crus qu'alors dans fa muette horreur ,
Mon coeur alloit fe brifer de douleur.
L'Oiseau captif regrette le bocage ,
Où voltigeant fous un épais feuillage ,
Il fe plaifoit à chanter fes amours ;
Tel dans l'ennui qui noircit mes beaux jours ,
Mon coeur épris d'agréables menfonges ,
M'emporte encor fur les aîles des fonges
Vers les plaifirs de votre heureux château.
Aimable Aminte , en mon féjour nouveau
Ne croyez pas qu'au matin de ma vie
Je m'abandonne à la mélancolie.
Quoi ! je pourrois me rendre malheureux
Par les ennuis d'un féjour odieux ?
Semant de fleurs fa plus pénible voie ,
"
20 MERCURE DE FRANCE.
Le fage fçait d'une innocente joie
Trouver partout le folide bonheur ,
L'erreur des fens ne peut troubler ſon coeur
{ Ainfi charmant ma trifte folitude
Par les douceurs d'une facile étude ,
Et m'en faisant un noble amuſement ,
Je vais pour vous rimer en badinant
Sur le tableau de mon noir domicile.
Sous un ciel dur , dans un fauvage aſyle ,'
Que les Normands inondent en tout temps ;
Loin des plaifirs & de tous agrémens ,
Je vis au haut d'un quatrieme étage ,
Dans le réduit du plus pauvre hermitage.
Là, relégué tous les jours , je pâlis
A pénétrer dans les profonds écrits
De nos Docteurs fur la théologie.
Là , quelquefois l'aimable poéfie ,
Contre l'ennui mon unique plaifir ,
Vient m'amufer aux heures du loifir.
Enfin j'y joins le glorieux mérite
De m'éclairer & de vivre en hermite ;
Un gîte étroit , des lits peu délicats ,
De longs travaux & de très - courts repas ,
Des mets groffiers , & beaucoup d'eau rougie ;
Tel eft le train de notre obfcure vie.
Heureux encor fi , pour charmer nos maux ,
On nous laiffoit un paifible repos.
Hélas ! tandis que ma lampe allumée ,
Luit en fecret dans ma niche fermée ,
JUI N. 1758.
Et que je veille à vous rimer des vers ;
Quels cris troublans le filence des airs ;
Ont diffipé l'illufion chérie ,
Où s'égaroit ma tendre rêverie ?
C'eſt un Caron , noir enfant de la nuit ,
Qui dans ce lieu , pour ramener le bruit ;
forti , je crois , des rives du Cocite ,
Au fon perçant d'une cloche maudite ,
Vient tous les jours m'arracher au fommeil
Long-temps avant le lever du foleil.
En ce moment je finis , chere Aminte :
Vous le fçavez les fers de la contrainte
M'ont enchaîné dans des devoirs gênants!
Trop occupé pour rimer plus long-temps,
Je vous fouhaite une fanté Aleurie ,
Et le long cours d'une agréable vie ;
Juſqu'à l'automne , où brifant mes liens ,
Pirai jouir de vos doux entretiens.
POTET.
LETTRE du P. Barre , Chanoine Régu
lier de l'Abbaye de Sainte Genevieve ;
Chancelier de l'Univerfué de Paris , fur
- les Portraits hiftoriques.
Un portrait hiftorique eſt le tableau des
vertus & des vices du perfonnage que
l'on veut repréſenter ; le peindre au natu22
MERCURE DE FRANCE.
rel , n'eft pas une chofe ordinaire : il eft rare
qu'il n'échappe au peintre des défauts , qui
ne donnent prife à la critique , & qui ne
faffent au moins douter de la fidélité ou
de l'exactitude de fon pinceau.
d'un
M. de la Mothe trouve les portraits
d'Homere chargés de minuties ; Longin y
remarquoit des ombres , mais il les croyoit
néceffaires pour en relever les beautés.
Tacite eft un grand peintre , dit M. de la
Bletterie , s'il peint en raccourci , fes traits
n'en font que plus vifs & plus frappans ...
Il étoit feul capable d'écrire le regne
Prince artificieux tel que Tibere , & de fonder
les replis de ce coeur impénétrable ( 1 ) .
"Tacite paroît à d'autres Connoiffeurs
» trop fubtil dans fes caracteres : il ne voit
» que du myftere dans les actions les plus
» communes : Tibere n'y eft jamais au
» naturel ; il ne fait point fans deffeins les
actions les plus ordinaires ; fon repos n'y
» eft jamais fans une conféquence qui intéreffe
l'Etat , & fes moindres mouve
mens n'embraffent que des menées. »
Quelle figure fait dans les Hiftoriens
du onzieme & du douzieme fiecle Guillaume
Duc de Normandie , le conquérant
de la Grande Bretagne ! C'étoit un Dien ,
( 1 ) Mêlanges de poćfies & d'éloquence , édifi
$700
JUI N.
23 .
1758.
felon les Normans , & un Diable , felon les
Anglois. A ces traits fi exagérés , qui ne
voit les préjugés de deux Nations ennemies
!
Luitprand , Auteur du dixieme fiecle ,
nous repréfente les Grecs de fon temps ,
comme des hommes fans foi , fans courage ,
fans honneur. Luitprand étoit Italien , &
les Italiens avoient les Grecs en horreur.
Paul Jove , Guichardin & Fra - Paolo
s'imaginent bien connoître Léon X. Néanmoins
ils s'expriment fi diverſement fur
fon caractere , que Céfar , Caton , Augufte
ne font pas entr'eux plus différens
de moeurs , que ce Pape l'eft dans ces Hiftoriens.
Pour donner le véritable caractere d'un
homme célebre , il faut avoir des idées
nettes de fes bonnes & de fes mauvaiſes
qualités. Il y a des vices qui prennent la
couleur des vertus : la témérité reffemble
par quelques traits au courage , la profufion
à la libéralité , la lenteur à la prudence
, l'obftination à la fermeté ; leur voifinage
cache leur différence ; leur apparence
trompe , elle éblouit , & un Prince perd
fon caractere fous le pinceau & la plume
d'un Ecrivain fuperficiel.
D'autres Auteurs attribuent à leur Héros
une vertu ou un vice , non parce qu'ils
24 MERCURE DE FRANCE.
croient l'appercevoir en lui ; mais ils ne
veulent pas perdre une expreffion ingénieuſe
: c'eſt une antitheſe , un jeu de
mots , un colifichet dont ils font jaloux.
Ils font dans leurs deſcriptions , dit le P.
Bouhours , ce que les Goths étoient pour l'architecture
: ces Barbares incapables d'arriver
à la noblefimplicité des Grecs & des Romains,
croyoient y fuppléer par les extravagances de
leur imagination.
D'ailleurs le foin trop fcrupuleux de ne
laiffer aucun défaut à un perfonnage , fait
au moins douter de la reffemblance de fon
portrait : fi le Héros en profite , la vérité
peut en fouffrir. La plupart des Hiftoriens
repréſentent Charlemagne comme un Monarque
accompli ; mais il étoit ambitieux ,
il étoit guerrier : un Prince de ce caractere
n'eft pas toujours un exact obfervateur de
la juftice. « ( 1 ) Tout bon qu'étoit Charlemagne
, dit M. le Gendre , il étoit quelquefois
fi colere , qu'irrité contre les
» Saxons fouvent rebelles , il en fit décoller
quatre mille cinq cens en un jour :
» exécution épouvantable , qui marque
» bien autant de férocité dans le juge , que
» de crime dans les coupables . »
99
Il eft prefqu'impoffible de trouver tous
(1) Moeurs des François , p. 74 , édit. in- 12.
les
JUI N. 1758. 25
les genres de mérite raffemblés dans un
même fujet. ( 1 ) Un Auteur qui les réuniroit
pour en faire un caractere particulier ,
imiteroit le burlefque de ce peintre , qui
fit un portrait extravagant d'une Hélene ,
qu'il vouloit repréſenter parfaitement belle
; il s'avifa de lui donner toutes les beau
tés qu'on peut imaginer , & fit une figure
ridicule , femblable à celle que décrit Horace
dans fon Art poétique .
Un Auteur juge fouvent du mérite d'un
Prince par le fuccès de fes entrepriſes . Ses
armes font- elles heureuſes ? c'eft un grand
Capitaine , la juftice eft de fon côté.
Eprouve-t'il quelques revers de la fortune ?
on blâme fon entrepriſe , on oublie fes
talens pour la guerre . Eudes , Duc d'Aquitaine
, deſcendant de Clovis , petit fils de
Charibert , Roi de Touloufe , s'oppofe
aux entrepriſes de Charle- Martel ; il défend
la couronne de fes Ancêtres contre
un Maire ufurpateur ; il perd deux batailles
; l'hiſtoire (2 ) en conféquence le déclare
rébele , ou elle en fait un Aventurier.
Endes nous paroîtroit Grand , dit le fçavant
& le judicieux D. Vaiffete , s'il avoit en le
bonheur & les panegyriftes de Charle-Martel.
(1 ) Saint-Evremont , de la vérité & la fauffeté
des Ouvrages d'efprit.
(2) Hift. de Lang. t . I , p. 400.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
il
On ignore pourquoi Louis V eft caractérifé
fainéant : ce Prince n'a régné qu'un
an environ. Pendant un regne fi court ,
affiége Rheims , s'en rend maître , & fe
prépare à marcher au fecours du Comte de
Barcelone contre les Sarrazins : il meurt
empoisonné , à l'âge de vingt ans , les armes
, pour ainfi dire , à la main. L'hiftoire
raconte ces faits , & ne ceffe de furnommer
fainéant , le jeune Prince à qui elle les attribue
. Quelle contradiction ! quelle injustice
!
des Les Médailles ne font pas toujours
modeles à propofer pour repréfentér le caractere
des EmpereursRomains . M.Vaillant
en rapporte plus de cinquante frappées par
les Colonies en l'honneur d'Héliogabale,
Caracalla en comptoit un plus grand nom
bre , qui lui donnoient les titres les plus
flatteurs. Commode fut nommé Pieux ,
Débonnaire , Pere de la Patrie , par
par le Sénat
Romain .
Magni fapè viri mendacia magna loquuntur.
Le fçavant Léibnitz fouhaitoit qu'une
main habile ( 1 ) s'appliquât à réformer les
portraits exagérés à tous égards , & qu'elle
les rapprochat de leurs originaux, Comme
(1 ) Lettre à M. de la Bruyere.
JUIN. 1758. 27
ce travail pouvoit devenir immenfe par la
multitude des caracteres qu'il falloit corriger
, il confeilloit de s'attacher feulement
à retoucher ou à refaire les portraits des
grands hommes les plus célebres , que la
Aatterie , ou la calomnie & l'ignorance
ont défigurés. Une entrepriſe fi glorieufe
fut propofée à M. de la Bruyere , qui en
fentit d'abord toutes les difficultés. Il ne
voyoit que de loin les anciens Héros. En
effet , leurs actions , leurs moeurs , comme
les objets de la vue , fe perdent dans un
grand éloignement ; leur antiquité n'offre
guere que des ruines , & ces débris de leur
hiftoire ne font affez fouvent connus que
fur la parole des Auteurs , dont la plume a
été conduite par le préjugé , ou par l'ignorance.
Ces obftacles ne rebuterent point M.
de la Bruyere ; il commença par dreffer le
plan de fon Ouvrage ; mais la mort arrivée
en 1696 , ravit au Public l'efpérance de le
voir exécuté. C'eft une ébauche d'Apelle :
quel Peintre ofera la finir ?
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
EP ITR E.
EGLÉ , loin de brifer ma chaîne ;
Chaque inftant va ferrer mes noeuds ;
Je vais au charme qui m'entraîne
Céder fans être malheureux.
Quoique d'une vaine eſpérance
L'Amour n'ofe plus me flatter ,
Le prix qu'il met ma conftance
Eft affez doux pour m'arrêter .
Heureux de voir briller fa flamme ,
Sans qu'elle faffe mon tourment !
Ce Dieu n'éteint point dans mon ame
Les defirs & le fentiment .
Mais fur mes défauts il m'éclaire.
Toujours trop prompt à t'allarmer :
Frémis , dit - il , de lui déplaire :
Que tu connois peu l'art d'aimer !
On n'excufe plus à ton âge
Les tranſports des jeunes Amans :
Il fied mal d'avoir leur langage ,
Quand on n'a plus leurs agrémens,
Ridicule dans fon délire ,
Trop pefant s'il eft férieux ,
JUI N. 1758 . 29
Un Philofophe qui foupire
Devient aisément ennuyeux.
Un rien l'émeut ou l'embarraffe :
Il veut tout prévoir , tout parer ;
Mais il ne fait rien avec grace ,
L'efprit ne fert qu'à l'égarer.
C'eft ainfi que l'Amour lui- même
Vient de m'arracher fon bandeau ;
Mais je vois toujours ce que j'aime,
A la lueur de fon flambeau.
D'une illufion trop charmante ,
Je ne veux bannir que l'erreur :
Belle Eglé , tout ce qui m'enchante
Ne fortira point de mon coeur.
Cacher mon trouble & ma foibleffe ,
Si vous formez quelque lien :
Vous voir , vous écouter fans ceffe ,
Vous aimer fans exiger rien.
Quand le matin dans la prairie ,
Je vais pour vous cueillir des fleurs ,
Dans une douce rêverie ,
Si mes
yeux fe couvrent de pleurs.
Avoir foin d'effacer leurs traces
Pour me trouver à ce réveil :
Qu'Hebé , les Amours & les Graces
Parent après un doux ſommeil.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE:
Dans vos yeux n'avoir l'air de lire
Que tout ce qu'un efprit divin
Pour nous éclairer vous inſpire
Et n'y plus chercher mon deftin.
Bannir la douleur qui m'accable ,
Plaifanter fans en abuſer ;
Ne prétendre à paroître aimable
Qu'autant qu'il faut pour amufer.
Belle Eglé , tel eft le ſyſtême
Que je vais fuivre dès ce jour :
Auprès de vous la raiſon même
Dicte les leçons de l'Amour.
DERNIERE fuite fur M. de Fontenelle ,
par M. Abbé Trublet , contenant des
corrections & des additions aux articles
précédens.
MERCURE de
Septembre 1757 .
I. Dans ce Mercure , page 37 & fuivantes
, j'ai parlé du poëme préſenté à
l'Académie françoiſe pour le prix de poéfie
de 1687 , fur le foin que le Roi prend de
l'éducation de la nobleſſe dans fes places & à
Saint Cyr , & j'ai dit que je la ſoupçonnois
de M. de Fontenelle. J'en ai depuis
JUIN. 1758 . 31
trouvé la preuve dans l'hiftoire des ouvrages
des Sçavans par M. Bafnage de Beauval
( j'ai déja cité plus d'une fois ce journal
) , Septembre 1687 , article 14 tome 1
page 1 3 2. Le Journaliſte dit qu'on lui écrit
de Paris , que M. de Fontenelle a remporté
le prix de l'Académie françoife pour la profe
, ( c'eft fon difcours fur la patience ) , &
qu'il a eu le premier acceffit pour les vers ;
que Mlle. Deshoulieres a eu le prix ; que
quelques - uns ont prétendu qu'il y avoit en un
peu de faveur dans ce jugement , mais que
M. de F. auffi galant qu'il l'eft , n'a pas
befoin de raifons pour fe confoler de cette préference,
& même que fi l'ouvrage de Mlle.
Deshoulieres avoit en befoin d'une galanterie
, M. de F. auroit laiſſe volontiers quelques
négligences dans le fien , pour laiffer à
cette jeune Muſe le plaifir de la victoire ; que
d'autres ont infinué que Madame Deshoulieres
avoitfait elle même la piece , mais que
c'est fans doute une médifance , & c.
J'avois fait moi- même toutes ces conjectures
dans le Mercure de Septembre , quoique
perfonne ne m'eût jamais dit que ce
poëme fût de M. de F. , & que je n'euffe été
amené à le foupçonner , que parce que je le
trouvai dans le recueil intitulé le Portefeuille
, &c. entre deux autres piéces du même
Auteur , & qu'ayant lu celle- ci par
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
occafion , car je ne l'avois jamais lue dans
le recueil de l'Académie , je fus frappé de
la reffemblance du ftyle. Quelques jours
après , je fis part de ma conjecture à quelques
gens de lettres , & leur lus quelques
morceaux de ce poëme. Ils convinrent de
cette reffemblance. M. Boullier ayant lu le
Mercure de Septembre , m'écrivit le 4
Octobre que j'avois bien deviné , & m'indiqua
le Journal de M. de Beauval.
Celui- ci dans la fuite de fon article ,
loue M. de F. de pofféder dans la profe &
dans la poéfie , deux talens prefque incompatibles
; le feu , ajoute - t'il , qui fait
les bons Poëtes , & le jugement fi néceſſaire
pour la profe. On peut bien juger , pourfuitil
, qu'il n'échappera pas à Mrs. de l'Académie
françoife , & le feul défaut qui fera
dans leur choix , eft de ne l'avoir pas fait
plutôt.
M. de B. ajoute une chofe comme ayant
été écrite de Paris en Hollande , mais qui
n'avoit pu l'être que par quelqu'un bien
mal inftruit ; & c'eſt que , pour faire à M.
de F. une espece de réparation de ne l'avoir
pas encore élu , Mrs. de l'Académie lui
avoient accordé la furvivance de la premiere
place qui vaqueroit .
Ce n'eft point là l'ufage de cette Compagnie.
Elle l'a pourtant fait une fois en
JUI N. 1758. 33
faveur de M. Peliffos , après qu'il eut publié
fon hiftoire de l'Académie françoife. Il
fut reçu furnuméraire , avec l'affurance de
la premiere place vacante, qu'il remplit en
effet ; en forte qu'il fut reçu deux fois , &
prononça deux remerciemens .
Dans le fecond tome du même Journal ,
Février 1688 page 286 , l'anecdote du
poëme de M. de F. pour le prix de 1687
eft confirmée par des vers de Ménage
adreffés à Mlle. Deshoulieres , fur le prix
remporté par elle , concurremment avec Mrs.
de Fontenelle & Duperrier , qui y font
nommés . Voici ces vers :
Hulleria virgo in certamine Poëtarum viðtrix.
Ad Paulum Peliffonem , Magiftrum Libellorum
Supplicum.
Pramia , qui meliùs celebrarent carmine Magnum ,
Obtuleras doctis , docte Peliffo , viris.
Certatim ecce tibi vatum lectiffima turba
Magnanimum Regem , regia bella canunt.
Fontanelle canis , noftri nova gloria Pindi :
Et tu, Pereri , carmine utroque potens.
Hulleria ipfa viris audet concurrere virgo ;
Hulleria , Franca gloria Calliopes.
Et toto coetu certantum judice , viðtrix
Effigiem Magni , pramia magna , refert.
Et decuit , Musa prognatam principe Nymphen,
Mortales doctis vincere carminibus.
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
II. J'ai dit dans le premier volume du
Mercure d'Avril de cette année page 54 ,
qu'on attribuoit à Racine les couplets que
j'y ai rapportés , fur la réception de M.
de F. à l'Académie françoife. J'ai fçu de-'
puis , qu'on les attribuoit auffi à Mlle.
Deshoulieres , aidée fans doute par fa mere ,
& ce qu'on vient de lire au fujet de la victoire
de cette Demoiſelle fur M. de F.
rend cette conjecture affez vraisemblable.
Peut-être , à cette occafion , fe paffa- t- il
quelque chofe dont la mere & la fille furent
bleffées. Elles parent du moins l'être
de ce que je viens de citer du journal de
M. de Beauval ; croire même que M. de
F. y avoit quelque part , & dès- lors devenir
fes ennemies.
On fçait que Madame Deshoulieres l'étoit
de Racine & de Despréaux , & l'on connoît
les fonnets qui fe firent de part &
d'autre à l'occafion de la Phedre de Racine
& de celle de Pradon . Il étoit donc affez
naturel que Madame Deshoulieres & M. de
Fontenelle fuffent amis , puifqu'ils avoient
les mêmes ennemis en la perfonne de Racine
& de Defpreaux. Cependant M. de F.
m'a dit qu'il n'avoit point eu de liaiſon
particuliere avec Mad. Deshoulieres ; mais
il ne m'a jamais parlé des couplets ſur fa
réception à l'Académie , au lieu qu'il l'a
JUIN. 1758. 35
fouvent fait de ceux de Racine fur Afpar
quoique beaucoup plus malins. En général
, M. de F. parloit affez volontiers de
l'inimitié que Defpréaux & Racine avoient
pour lui , & il en contoit plufieurs traits.
Il m'a dit de plus , que le Pere Bouhours
avoit offert de le racommoder avec eux ,
& qu'il l'avoit remercié Ce refus ne leur
fait pas d'honneur auprès de ceux qui ont
bien connu M. de F. Pacifique , fagé ,
politique même , fi l'on veut , il ne fe fût
pas refufé à une réconciliation qu'il eût
cru fincére .
30
Le P. Boubours a loué M. de F. dans fa
maniere de bienpenfer dans les ouvrages d'efprit
. Parlant page 188 , de quelques petits
ouvrages , parmi lefquels il nomme les
nouveaux dialogues des morts ; il dit : & Ces
petus ouvrages ont un carattere très fpiri-
» tuel & très agréable. » ( Voyez encore la
table des matieres , au mot dialogne, ) Le
pere B. devoit eftimer beaucoup M. de
F. Voiture étoit l'Auteur favori de ce Jéfuite
, & fi M. de F. a quelque rapport
avec quelqu'un des Ecrivains qui l'ont
précédé , c'eft avec l'enjoué , le galant ,
Pingénieux Voiture.
M. de F. a loué auffi le P. Bouhours ,
& notamment celui de fes ouvrages que je
viens de citer. C'est dans fon difcours fur
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
ود
l'églogue. « L'Auteur , dit- il , de l'agréable
" livre de la maniere de bien penſer dans
les ouvrages d'efprit , condamne la Silvie
» du Taffe , qui , en fe mirant dans une
»fontaine , & en fe mettant des fleurs ,
» leur dit qu'elle ne les porte pas pour fe
" parer , mais pour leur faire honte. Il
trouve la penfée trop recherchée , &
»trop peu naturelle pour une bergere , &
≫ on ne peut fe difpenfer de foufcrire à ce
jugement qui part d'un goût fort déli- "3
» cat. »
Mais il faut tout dire. Cette louange ,
que ce jugement partoit d'un goût fort délicat
, & l'épithete d'agréable , donnée au
livre de la maniere de bien penfer , difpa
rurent dès la troifieme édition du difcours
fur l'églogue , c'est- à - dire , après la mort
du P. Bouhours , & elles n'ont point reparues
depuis ; en forte qu'il n'eft plus refté
dans ce difcours , qu'une approbation toute
fimple & fans aucun éloge , de la cenfure
que le Pere Bouhours avoit faite de la penfée
du Taffe.
Mercure d'Octobre 1757 , 1 vol. p. 31 .
au bas.
Parlant de Mlle . d'Achy , depuis Madame
la Marquife de Mimeure , j'ai dit
que M. de F. l'avoit aimée , autant qu'il
était capable d'aimer.
JUIN. 1758. 37
Il s'eft peint lui-même à cet égard , à
l'égard de l'amour , dans ce qu'il fait dire
à Macate , dans celle de fes comédies qui
porte ce titre . Phormion , efclave de Macate
, croit fon maître amoureux de Mirtale
, niece de leur hôte Démeftrate. Macate
lui dit qu'il ne l'eft point.
« Eh que diable étes- vous donc ? Ré-
ᎬᏂ
pond Phormion ; car à la fin vous me met-
>> tez en colere ; je vous en demande pardon.
» 23
Macate.
» Mirtale eft aimable de fa figure ; fa
"converfation eft vive & amufante ; je
» me plais avec elle ; je lui dis volontiers
des chofes obligeantes , des galanteries.
Phormion.
" " Eh bien c'eft être amoureux que
» tout cela.
Macate.
" Oh que non ! fa figure me paroît ai-
>> mable , fans me tranfporter ; fa converfation
m'amufe, fans me caufer d'émotion .
»Je fuis bien aife de la voir ; mais fi j'en
manque l'occafion , je remets fans pei-
»> ne à une autre fois . Je lui dis des galan-
» teries qui ne font que des agrémens de
converfation , des chofes flatteufes qui ,
>> quoique vraies, pour la plus grande par-
"3
92
38 MERCURE DE FRANCE.
33
tie , n'ont pourtant d'autre deffein que
» de lui prouver que je puis avoir un peu
» d'efprit. Je voudrois lui paroître aima-
» ble , mais fans aucun defir férieux d'en
»être aimé.
و د
Phormion.
» Tout cela eft fubtil. Il y a donc bien
» de la façon à être amoureux ? Je ne croyois
» pas qu'il y en eût la moitié tant .
99
Macate.
»Il y en a tant , que je ne l'ai jamais
» été . Tu m'as vu vivre comme les gens
de mon âge , être dans des commerces
» de femmes , prendre les plaifirs de l'amour
; mais je n'ai point eu d'amour .
Phormion.
» Vous en avez bien pris le meilleur ,
» puifque vous en avez pris les plaiſirs ,
» A quoi diable ferviroit le refte ?
Macate.
» Il ferviroit à me remplir le coeur ,
me ravir , à m'élever au deffus de moi-
→ même. Je me fens un vuide dans l'amé
» qui commence à m'être inſupportable.
Il me manque d'aimer. »
Ici M. de F. fait tenir à Macate le langage
commun , celui des opéras & des
JUIN. 1758. 39
romans ; langage vrai néanmoins , & malheureufement
trop vrai de la part des ames
tendres & fenfibles. M. de F. étoit bien
éloigné de s'en mocquer comme M. Def
préaux, & de le trouver faux & ridicule ,
en jugeant des autres coeurs par le fien . Le
Philofophe ne tombe point dans cette mé
prife , & ne croit point qu'une maniere
d'être & de fentir foit hors de la nature ,
parce qu'il ne l'éprouvé point . Bien loin
même d'en nier la poffibilité , il en voit ,
avant toute expérience , l'exiftence & la
réalité dans la connoiffance qu'il a du coeur
humain ; mais revenons à celui de M. de
Fontenelle.
S'il n'a point fenti l'amour , l'amour
paffion , ni même aucune autre paffion ,
il les connoiffoit bien toutes ; d'où il
eft arrivé que , fi dans fes ouvrages il a
quelquefois manqué le ton du fentiment
, il n'a jamais manqué le fentiment
même ; mérite rare , même dans les Auteurs
les plus exempts du défaut reproché
à M. de F. , & cela doit être ainfi . Un
homme qui a plus de fentiment que de
lumiere eft fujet à s'égarer , dès qu'il n'a
plus le fentiment pour guide ; & , pour ré
péter l'expreffion dont je viens de me fervir
, il manque fouvent le fentiment , lorf
que le fentiment lui manque. J'en pour
40 MERCURE DE FRANCE.
rois citer plus d'un exemple parmi des
Ecrivains très-juftement célébres.
II. Madame de Forgeville m'a conté
qu'elle avoit dit un jour à M. de Fontenelle
je l'emporte autant fur vous en ſentiment
, que vous l'emportez fur moi en efprit ;
& qu'il avoit répondu : cela pourroit bien
être. Il fe connoiffoit bien lui- même , &
à tous égards , du côté de l'efprit & des
talens , auffi bien que du côté du coeur . Il
fçavoit les qualités qui lui manquoient ,
comme Ecrivain , & très- réellement il s'en
eftimoit beaucoup moins. Cependant il
n'eût pas voulu les avoir , parce qu'il fçavoit
qu'on ne les a guere qu'aux dépens
d'autres qualités plus favorables au bonheur
, & que le bonheur eft l'effentiel , eft
tour.
III. M. de F. effectif en amitié , mais
non affectueux , n'a du moins jamais cherché
à le paroître.
Dans la fociété , il étoit complaifant
par raifon plus que par caractere , indulgent
par l'un & par l'autre.
Il étoit poli fans être flatteur , quoiqu'il
dît fouvent des chofes flatteufes ; c'eft
qu'elles étoient toujours vraies.
Je ne l'ai jamais entendu donner une
louange fauffe . Il n'y a perfonne qu'on ne
puiffe louer avec vérité , il y a du bien
JUIN. 1758. 41
partout ; il ne s'agit que de le voir , &
M. de F. le voyoit , non - feulement parce
qu'il étoit éclairé , mais parce qu'il aimoit
à le voir. En effet , il voyoit mieux
le bien que le mal , qu'il auroit pourtant
bien vu s'il l'avoit voulu ; mais il en détournoit
exprès la vue. On ne le voit toujours
que trop , difoit- il , on le voit fans le
regarder , & l'on y perd. En effet , les autres
nous en plaiſent moins , & il eſt de
notre intérêt qu'ils nous plaifent.
mes ,
pas
Doux & non doucereux ; ce n'étoit
des douceurs que M. de F. difoit aux femencore
moins des fadeurs ; c'étoit
des galanteries plus ou moins fines & ingénieuſes
, felon que celles à qui il les difoit
, avoient plus ou moins d'efprit . Mais
toujours vrai dans ces galanteries mêmes
, il n'en difoit qu'aux femmes qui lui
plaifoient. C'eft de la fauffeté , & , fi cela
fe peut dire , de la banalité, que naît la fadeur
, encore plus que de la trivialité &
de la platitude .
Les galanteries font doublement banales
, lorfqu'on en dit à toutes les femmes ,
& qu'on dit les mêmes à toutes. Celles de
M. de F. avoient toujours le rapport le plus
jufte , & la convenance la plus parfaite
aux femmes qui en étoient l'objet. Il faififfoit
finement ce qui diftinguoit chacu42
MERCURE DE FRANCE.
ne d'elles , ce qui faifoit leur mérite &
leur agrément particulier , & l'exprimoit
en un mot , le peignoit d'un trait. Point
de verbiage , point de phrafes. En général
, il parloit comme il écrivoit , & n'en
parloit que plus naturellement .
La fadeur des galanteries ordinaires
vient quelquefois encore d'un faux air de
paffion . On veut paroître tendre , on n'eft
que langoureux. Celles de M. de F. infpirées
, non à la vérité , par l'amour , mais
par un goût plus ou moins vif , & non
par la feule envie de briller & de dire de
jolies chofes ; fes galanteries , dis- je ,
étoient enjouées , fans pourtant être badines
, ni un pur jeu d'efprit. Ceux qui
ont trouvé M. de F. badin & joli , lorf
qu'il n'étoit qu'enjoué & agréable , ne
connoiffoient pas les nuances , ou ne vouloient
pas les connoître , quand il s'agiffoit
de lui.
On connoît l'épigramme de Rouffeau , qui
finit par ce vers :
C'eſt le pédant le plus joli du monde.
>
M. de F. n'étoit ni pédant , ni joli ; c'ètoit
un Philofophe aimable. Mais , pour
peu que les chofes fe reffemblent , la fatyre
les confond ; c'est même en cela que
confifte principalement fon art.
JUIN. 1758 . 43
Je dirai plus : M. de F. avoit des défauts
, peut- être même des foibleffes ; mais
il n'avoit point de ridicule. Beaucoup d'efptit
& de raifon , joints à un caractere
vrai , l'en avoient fauvé.
Mais pour revenir à fes galanteries , en
voici une entre plufieurs autres , qui réunit
tous les caracteres que je leur ai attribués.
Etant un jour dans le jardin d'une maifon
où il avoit dîné , quelqu'un vint montrer
à la compagnie un petit ouvrage d'yvoire
d'un travail fi délicat , qu'on n'ofoit
le toucher , de crainte de le brifer.
Chacun l'admirant , pour moi , dit M. de
F. , je n'aime point ce qu'il faut tant refpecter.
Madame la Marquife de Flamarens
furvint tandis qu'il parloit : elle l'avoit
entendu ; il fe retourne , l'apperçoit , &
ajoute je ne dis pas cela pour vous , Madame,
>
M. de F. a été fertile en pareilles galanteries
jufques dans fes dernieres années
& l'on peut dire de lui , à bien meilleur
titre encore qu'on ne l'a dit de Benferade.
Ce bel -efprit eut des talens divers ,
Qui trouveront l'avenir pea crédule .
·
Il fut vieux & galant fans être ridicule , &c.
44 MERCURE DE FRANCE.
IV. Dans une lettre en profe & en vers
de M. de S. Hyacinthe à M. Titon du Tillet
fur fon Parnaffe , & écrite de Londres en
1728 , on trouve un éloge fort étendu de
M. de F. M. de S. H. étoit fâché que M.
du Tillet n'eût point érigé fa ftatue fur fon
Parnaffe. La vie , ajoute- t- il , ne doit point
empêcher les honneurs qui lui font dûs ,
« & quand vous feriez pour lui une exception
, il n'y a perfonne qui ne re-
» connût avec plaifir que cette diftinction
" eft dûe au mérite de M. de F. »
33
L'éloge en vers que M. de S. H. fait enfuite
de M. de F. roule principalement fur
fon univerfalité à tous égards ; univerfa
lité de connoiffances , de talens , de qua
lités & de vertus . Le Poëte fait un dénombrement
badin de la plupart des fciences &
des arts , & conclut par dire :
Soit en ie enfin ,
Soit en ique,
Il fçait tout , & le fçait très -bien.
Il fçait plus , il fçait être aimable ;
Plus modefte qu'un Ecolier
Et plus galant qu'un Cavalier ,
Ou , Diable , trouver fon ſemblable ? ( 1 )
(1 ) Cette Lettre eft imprimée dans le Parnaffe
François , de M. Titon- du Tillet.
JUIN. 1758. 45
P. S. Les deux nouveaux volumes des
oeuvres de feu M. de Fontenelle , c'eſt - à- dire ,
le 9° & le 10 font maintenant en vente
chez Brunet, au Palais. A la tête du 9 ° eft un
avertiffement du Libraire dont voici le début
.
»
e
Parmi les ouvrages de M. de Fonte-
» nelle contenus dans ce volume & dans le
fuivant , les uns n'avoient point été imprimés
, les autres l'avoient été féparé-
≫ment ou dans différens Journaux , dans
93
23
les Mercures & autres recueils . On nous
» a invités à les raffembler , furtout depuis
» que M. l'Abbé Trublet les a prefque tous
indiqués dans les Mercures d'Avril , de
Septembre & d'Octobre 1757. C'est d'après
lui que nous allons dire un mot des
principaux de ces ouvrages. »
38
23
"3
Cet avertiffement n'apprendra donc rien
à ceux qui ont lu ce que j'ai mis dans les
Mercures de 1756 , 57 & 58 , fur M. de
F. & fes ouvrages , & par conféquent il
feroit fuperflu d'en donner ici un extrait
détaillé .
و ر
e
Cet avertiffement eft fuivi de « l'éloge
» de M. de F. par M. de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie des Sciences
» lu dans l'affemblée publique d'après Pâ-
» ques 1757 ; de fon portrait par Mada-
» me la Marquife de Lambert , & de quel.
46 MERCURE DE FRANCE.
» ques autres petits morceaux où il a paru
» bien caractérisé . » "
D
Le dernier de ces morceaux eft celui par
lequel j'ai terminé l'article Fontenelle
qu'on m'a demandé pour la nouvelle édition
du Dictionnaire de Moreri qui paroîtra
en 1759.
J'ai deux remarques à faire fur l'éloge
de M. de F. par M. de Fouchy page 26 ,
lit ce qui fuit : on y
"
"
" Un Mathématicien ( 1 ) , aujourd'hui
» l'un des premiers Profeffeurs en ce gen-
" re ( 2 ) , fe trouva en province dans une
telle fituation , qu'une fomme de 600
» livres lui étoit abfolument néceffaire. Il
» avoit eu autrefois occafion de donner
quelques leçons à un homme de qualité ,
" riche , & qui l'avoit quitté en l'accablant
» de proteftations d'amitié & d'envie de
» l'obliger . Il crut pouvoir s'adreffer à lui ;
» mais en même temps & par une espece
» d'inftinct , il s'adreffa auffi à M. de F. ,
❞ dont il connoiffoit l'humeur bienfaifante
plus que perfonne. Il leur écrivit à tous
deux , & leur peignit fa fituation. Les
deux lettres firent l'effet qu'on pouvoit
en attendre le courtifan qui n'avoit
plus befoin du Mathématicien , ne dai
- (1 ) M. Beauxée.
ود
22
ود
:
(2 ) A l'Ecole Militaire.
JUIN. 1758. 47
"gna pas lui faire réponſe , & celle de
" M. de Fontenelle qui arriva l'ordinaire
" fuivant , fut accompagnée d'une lettre
de change de la fomme demandée. La
» différence des deux procédés fut fentie
» par celui qui en étoit l'objet. C'eſt de
» lui-même que je tiens ce fait , c'eft à ſa
priere que j'en fais part au public. »
1 °. Je fçavois ce trait de la bienfaifance
de M. de F. , mais pas affez exactement
pour le rapporter. J'ignorois entr'autres ,
le nom de celui qui en étoit l'objet. M. de
F. n'avoit jamais voulu le dire , & ne dît
même fa bonne action que parce qu'on la
devina, Il fut obligé de s'adreffer à un ami
pour la lettre de change , & comme il
n'avoit point d'affaires , du moins en pro--
vince , on vit bien qu'il s'agiffoit d'un
don ou d'un prêt ; & à la fin il en convint ,
en exigeant néanmoins le fecret .
2º . M. Beauzée eſt en effet profeffeur à
l'Ecole Royale Militaire ; mais profeffeur
de grammaire & non de mathématiques ,
quoiqu'il les ait ci - devant enfeignées .
En attendant que l'Auteur du Mercure
rende compte des tomes 9 & 10 des oeuvres
de M. de F. , je vais indiquer d'après l'avertiffement
du Libraire , ce que le public
y trouvera de nouveau , ou de moins
} connu.
48 MERCURE DE FRANCE.
}
1º. Doutes fur le fyftême phyſique des caufes
occafionnelles.
« Nous y avons joint , dit M. Brunet¸
» une critique qui en fut faite dans le
» temps , une réponſe de M. de F. à cette
» critique , & une réplique à cette ré
ponſe. »
n
2º. Une lettre de M. de F. à M. Bafnage
de Beauval , en reponse à quelques objections
contre un endroit de la pluralité des
mondes.
"
Le Libraire a cru devoir imprimer auffi
la lettre qui contient ces objections. « Elle
» pouvoit , dit- il , n'être donnée que par
» extrait , parce qu'elle eft trop longue ,
» & de plus affez médiocre. On nous a
» confeillé de la donner entiere , parce
qu'on en goûteroit davantage celle de
» M. de Fontenelle.
"
3 ° . Plufieurs fragmens fur la raison hu
maine , l'efprit humain , l'inftinet , l'hiftoire
, fur une République , &c. ( voyez le 1
vol du Mercure d'Octobre 1757.)
4. Des remarques fur quelques comédies
d'Ariftophane , fur le théâtre Grec , &c.
5. Eloge de M. Perrault , de l'Académie
des Sciences.
Le Libraire a cru pouvoir lui donner
place dans les oeuvres de M. de F. parce
que plufieurs gens de lettres le croient de
lui ,
JUIN. 1758 . 49
lai , fur quelque reffemblance de ftyle
avec fes autres éloges , & fur fes liaiſons
avec MM. Perrault , & avec M. Bafnage de
Beauval , dans le journal duquel on trouve
ce morceau , t . 4 , Novembre 1688. M. ,
Perrault étoit mort dans le mois d'Octobre
précédent.
6°. Les préfaces de l'ancienne hiftoire de
l'Académie des Sciences , de l'analyse des infinimens
petits, par M. le Marquis de l' Hôpital
, des élémens de la géométrie de l'infini
& quelques petits avertiffemens fupprimés
dans les dernieres éditions de M. de
F. « On a cru , dit le Libraire , que du
» moins à l'égard de la profe , il ne falloit
rien perdre d'un excellent Ecrivain
qui ne fe négligeoit jamais. »
"
"
"
7°. Enone , & le retour de Climene , paftorales.
8°. Prologue en vers libres , d'une Comédie
intitulée , Pigmalion , Prince de Tyr.
9°. La Cométe , Comédie en un acte en
proſe , repréſentée fous le nom de M. de
Vife , en 1691. ( Voyez fur ces différens ouvrages
les Mercures de Septembre & d'OƐtobre
, 1757.
พ
Le 10 volume , dit le Libraire , « eſt
» terminé par plufieurs petites pieces de
poéfie , dont plufieurs n'avoient point
»encore vu le jour. Nous réfervons à un
C
So MERCURE DE FRANCE. ༨ 。
autre temps , ajoute- t'il , celles des Mer-
" cures de M. de Vife .
Ici M. Brunet fait efpérer un onzieme
tome , dont «< une grande partie , dit il ,
» contiendra des lettres de M. de F. , &
peut-être même quelques unes de celles
qui lui ont été écrites , lorfqu'elles pa-
»roîtront dignes de l'impreffion , ou néceffaires
à l'intelligence des fiennes.
"
"
" Enfin , continue M. Brunet , on trou
» vera dans ce onzieme volume , quel-
» ques morceaux qui devoient naturelle-
» ment entrer dans les précédens ; mais
qui ont échappé à notre attention , oụ
qui ne nous font parvenus que lorfque
»l'impreffion a été achevée . »
و ر
و د
Je ne doute point que ce onzieme volu
me ne foit attendu avec impatience , &
qu'on ne preffe M. Brunet de le donner ,
dès qu'il aura raffemblé de quoi le former.
Il a cru devoir mettre dans le dixieme
tome , les opéra de Pfyché & de Bellerophon
, parce qu'ils font en grande partię
de M. de F. , quoiqu'on les ait cru dans
le temps , de Thomas Corneille , & que
depuis ils ayent été imprimés fous fon
nom . Mon avis n'étoit pourtant pas de les
redonner. On a ces deux poëmes dans le
recueil des Opéra. D'ailleurs , à peine lit
JUIN. 1758 .
on les meilleurs ouvrages lyriques ; &
ceux-ci , avec de grandes beautés , ne font
pas du premier ordre en leur genre . Il auroit
du moins fallu fupprimer les fêtes ou
divertiffemens , & tout ce qu'on appelle
canevas ; ils ne font pas de M. de F. Rien '
n'eft plus foible & plus infipide dans la
plupart des Opéra , que les vers des divertiſſemens
; mais furtout dans Pfyché
& dans Bellerophon.
On fçait encore que le prologue de
Bellerophon n'eft pas de M. de F. ( voyez fa
lettre fur cet Opéra , aux Auteurs du Journal
des Sçavans , t . 3 de fes oeuvres . )
Les premiers vers de la premiere fcene ,
du premier acte ,
Non , les foulevemens d'une ville rebelle , &c.
font d'une grande beauté & d'une grande
nobleffe. Le fujet de la tragédie y eft expofé
avec autant de netteté que de précifion
, & je doute qu'on trouvât dans aucun
autre opéra , une expofition plus parfaite
, c'est-à-dire , à la fois plus courte &
plus claire . Telle doit être toute expofition ,
mais furtout celle d'un poëme lyrique . J'ai
dit ailleurs que quand M. de F. fit Bellerophon
, il n'avoit tout au plus que 21 an.
Je termine ici mes Fontenelliana . Ce
n'eſt pas faute de matiere ; mais je crains
Cij
S52e MERCURE DE FRANCE.
de laffer mes Lecteurs. On veut réimprimer
en Hollande ces Anecdotes ; j'y joindrai
alors de nouvelles additions & de
nouvelles corrections ( 1 ) . J'invite donc les
Gens de Lettres à m'en fournir. Quelquesuns
l'ont déja fait , entr'autres M. l'Abbé
Saas , Chanoine de Rouen. Ils peuvent
compter fur ma reconnoiffance ; j'ofe ajouter
fur celle du public. Tout ce qui regarde
M. de F. l'intéreffera davantage de jour.
en jour,
(1 ) J'avertis d'avance que je réformerai prefque
entiérement ce que j'ai dit ( Merc. de Mai 1758 ,
page 49 &fuiv. ) fous le livre intitulé : Le Monde
dans la Lune , &c, Cet ouvrage eſt effectivement
une traduction de l'Anglois de Wilkins , Evêque
de Chefer , par Jean de la Montagne , Proteftant ,
&c. On peut , en attendant , confulter le Dictionnaire
de M. de Chauffepié , article Wilkins ,
celui de Bayle , article Xenophanes,
&
JUIN. 1758.
- ELOGE funebre des Athéniens enterrés
au ( 1 ) Céramique , traduit du Grec de
Platon ; par le P. Power , Jéfusie ( 2).
Nous avons rendu à ces illuftres morts
tous les devoirs publics & particuliers que
la Religion preferit , & leurs manes peuvent
déformais repofer en paix , & ( 3 )
paffer fans obftacle la rive fatale. Il nous
refte encore de célébrer par un éloge folemnel
leurs actions glorieufes : les loix
nous l'ordonnent , la raiſon nous le com-
(1 ) Le Céramique étoit un fauxbourg d'Athenes
,dans lequel on enterroit , aux dépens du Public,
tous ceux qui mouroient au fervice de la patrie.
On célébroit tous les ans en ce lieu une fête folemnelle
en l'honneur des morts , & cette cérémonie
étoit toujours terminée par un éloge
funebre.
(2) Le Pere Power eft déja connu avantageuſement
de nos Lecteurs , par fon portrait de M. de
Fontenelle , inféré dans le fecond volume du Mercure
de Juillet 1756. Il nous fut communiqué par
M. l'Abbé Trublet , qui l'a encore rappellé avec
de juftes éloges dans le Mercure de Mars de cette
année. Note de l'Auteur du Mercure.
(3 ) Les Anciens croyoient que les ames des
morts ne pouvoient paffer le Styx , ni être reçues .
dans les champs Elyfées , avant qu'on cût rendu à
leurs corps les honneurs de la fépulture.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
mande : car il n'appartient qu'à l'éloquence
de répandre fur les actions des Héros cet
éclat vif & durable , qui en fait appercevoir
tout le mérite aux contemporains , &
en fait paffer la mémoire à la poſtérité.
Mais un difcours de la nature de celui - ci
doit renfermer , avec de juftes louanges des
morts , des inftructions falutaires pour les
vivans. Ces généreufes victimes de la patrie
ont laiffé des freres , des fils & des
petit - fils ; des peres , des meres & des
ayeux. Il eft du devoir d'un Orateur public
d'infpirer aux uns des fentimens d'une
noble émulation , & de fournir aux autres
des motifs d'une juſte confolation . Pour
cela, que dois- je me propofer ? que dois- je
principalement envifager dans ces grands
hommes , qui durant leur vie ont fait , par
leur vertu la joie de leurs parens , & qui
ont racheté par leur mort les vies & les
fortunes de leurs concitoyens ?
La nature , dans les divers degrés par
lefquels elle les a conduits à la vertu , femble
m'avoir tracé le plan que je dois fuivre
dans leur éloge. Elle les y prépara par une
illuftre naiffance ; elle les y forma par une
heureuſe éducation. Je parlerai donc premiérement
de leur naiffance , fecondement
de leur éducation ; troifiémement je ferai
voir que par une vertu conftamment fouJUI
N. 1738.
55
tenue , ils fe font toujours montrés dignes
de l'une & de l'autre.
Le fang dont ils étoient fortis , ne prenoir
pas fa fource dans une Nation étrangere .
Il avoit coulé jufqu'à eux à travers une
longue fuite d'Ancêtres , depuis les premiers
habitans de cette contrée. Le titre
glorieux d'Athéniens , ils le durent à la
naiffance , & non à l'adoption . Enfans de
la patrie , fi- tôt qu'ils furent nés , ils entrerent
dès - lors en partage de toute la grandeur
de leur mere . La patrie de fon côté
ne les traita pas en marâtre , mais en mere
véritable . Elle éleva leur enfance , elle
forma leur jeuneffe ; & c'eft encore dans
fon fein , dans ce fein où ils prirent la vie
& l'accroiffement , que leurs cendres repofent.
Je crois donc devoir commencer leur
éloge par celui de la patrie même . Le luftre
que je répandrai fur elle , rejaillira néceffairement
fur eux.
La terre que nous habitons , mérite d'être
louée , non feulement par nous ,
par nous , mais par
tous les peuples du monde . Car indépendamment
de tous les autres titres qui la
diftinguent , 1 ° . jamais contrée ne fut fi
chere aux Dieux. Il n'en faut pas d'autre
preuve que la célebre conteftation qui
s'éleva à fon fujet entre Neptune & Minerve.
Or , quel mortel feroit affez infenfé
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
pour refufer fes éloges à un pays auquel
les Divinités mêmes ont donné un témoifi
éclatant de leur eftime ?
gnage
Secondement , tandis que le refte de la
terre ne produifoit que des bêtes farouches
& de vils animaux : l'Attique jaloufe
d'une plus noble fécondité , donna naiffance
à l'homme , qui furpaffe infiniment
en intelligence tous les autres animaux ,
& feul connoît les Dieux , les loix & le
devoir. ( 1 ) Oui , Meffieurs , c'eſt du fein
même de cette terre que naquirent les
Ancêtres de ces Héros , & les nôtres. En
voulez vous la preuve ? La voici. La nature
donne à tout ce qui eft fécond , de
quoi nourrir les fruits de fa fécondité .
A quel figne diftingue-t'on fûrement une
femme , qui eft devenue mere , d'avec une
autre qui ne l'eft pas ? Une liqueur falutaire
fe répand dans le fein de la premiere ,
& y forme deux fources abondantes , où
l'enfant encore tendre trouve une nourriture
proportionnée à la délicateffe de ſes
organes . Ce principe s'applique encore
(1 ) Tout ce morceau eft indigne d'un Philofophe
auffi fenfé que l'eft généralement Platon . On
peut dire cependant pour excufer ce grand homme
, que dans un difcours tel que celui- ci , il
étoit obligé de s'accommoder aux idées du peuple.
Or les Athéniens étoient extrêmement entêtés de
l'origine qu'il leur attribue ici.
JUIN. 1758. 57
mieux à la terre qu'à la femme : car la formation
des corps dans le fein de la femme,
n'est qu'une imitation de leur origine pri
mitive dans les entrailles de la terre. Voici
donc mon raiſonnement. De routes les
contrées du monde , l'Artique eft la premiere
qui ait produit le bled & les autres
grains qui font la nourriture la plus naturelle
de l'homme ; elle eft donc la premiere
qui ait enfanté des hommes . C'eſt
elle auffi qui a donné naiſſance à l'olive ,
dont le jus munit nos membres contre la
fatigue , & répare nos forces épuisées.
Ce ne fur que par de femblables préfens
, que la patrie fignala fa tendreffe envers
nos ancêtres , durant l'efpece d'enfance
qui fuivit leur formation. Mais lorfque
nourris & fortifiés par les foins , ils
eurent comme atteint l'âge de l'adolefcence
, elle leur choifit parmi les Dieux mêmes
, des chefs & des inftructeurs qui
polirent leurs moeurs , leur firent connoître
les arts , leur mirent en main des armes
& leur en apprirent l'ufage. Je ne cite pas
ici les noms de ces Divinités , que perfonne
n'ignore.
Nés & élevés de la forte , nos Ancêtres
établirent une forme de gouvernement ,
qui mérite de fixer pour quelques momens
nos regards. Du caractere du gouverne-
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
ment dépend celui des Citoyens. Un bon
gouvernement forme de bons Citoyens ,
comme un mauvais gouvernement produit
de mauvais Citoyens. Quelle idée devonsnous
donc avoir d'un gouvernement tel
que le nôtre , qui du temps de nos Ancêtres
a été fi fécond en vertus de toute efpece
, & dont l'heureufe influence agiffant
toujours avec une puiffance égale , reproduit
fans ceffe dans les enfans les grandes
qualités de leurs peres ?
Ce gouvernement a prefque toujours
été , & eft encore une Aristocratie. Que
d'autres l'appellent Démocratie , ou qu'on
lui donne le nom qu'on voudra , c'eft une
Ariftocratie fondée fur le confentement libre
du peuple. La magiftrature fouveraine y a
toujours été une véritable royauté , tantôt
héréditaire , & tantôt élective. La puiffance
& l'autorité y font toujours données à
ceux que leur probité & leur fageffe en
rendent plus dignes, Etre né de parens
obfcurs , pauvres & fans crédit , n'eft pas
une raifon pour en être exclu , ni defcendre
d'une famille illuftre ou opulente ,
un titre fuffifant pour y parvenir , ainſt
qu'il arrive dans les autres Etats. Le mérite
eft parmi nous le feul principe de l'élévation
.
Nous fommes redevables de cette conJUIN.
1758.
duite fifage , à l'égalité de notre naiffance.
Les autres Etats font compofés d'une foule
confufe d'hommes de rangs & d'intérêts
différens , dont les uns font accoutumés
dès l'enfance à obéir en efclaves , & les
autres à commander en maîtres. Cette inégalité
dans les conditions rompt l'équili- .
bre du gouvernement , & produit les tyrannies
& les oligarchies. Mais pour nous ,
nous regardant tous comme autant de freres
iffus d'une mere commune , nous ne
pous permettons pas les noms odieux de
maître & d'efclave. La nature, en nous faifant
tous naître égaux , nous foumet à des
loix égales , & femble nous intimer une
défenfe de reconnoître entre nous d'autre
fupériorité , que celle qui eft fondée fur
une plus grande réputation de vertu & de
prudence.
.. C'eſt à ces idées de liberté imprimées
par l'éducation dans des ames naturelle .
ment élevées , qu'il faut attribuer toutes
les belles actions , par lefquelles les Ancêtres
de ces Héros & les nôtres , & ces Héros
eux-mêmes fe font diftingués , foit au fervice
de la patrie , foit dans le commerce
de la vie privée. Ce fut à la lumiere de
ces idées éclatantes , qu'ils fe convainquirent
qu'il étoit de la dignité d'Athenes de
protéger la liberté des Grecs contre les
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Grecs , & celle de la Grece contre les
Barbares.
Je ne rappellerai pas ici les victoires
que nos Ancêtres remporterent fur Eumolpe
& fur les Amazones , qui avoient
entrepris d'envahir l'Attique , ni d'autres
faits encore plus reculés , comme la guerre
qu'ils foutinrent contre les Thébains en
faveur des Argiens , & celle qu'ils firent
aux Argiens en faveur des Héraclides ;
parce que le temps ne me permet pas d'en
parler avec toute l'étendue qui convient
& que d'ailleurs vos Poëtes les ayant fouvent
célébrés en très - beaux vers , les foibles
images que j'en pourrois tracer dans
une profe fimple & unie , feroient fort au
deffous des grandes idées que vous en
avez déja conçues. Je laiffe donc ces événemens
fur lefquels la poéfie a répandu
une fi vive lumiere , pour m'attacher à
d'autres qui n'ayant pas eu le même avan
tage , font encore couverts d'ombres. Que
les Poëtes , à mon exemple , faffent déformais
de ces mêmes événemens la matiere
de toutes leurs compofitions , & qu'ils s'efforcent
de leur conferver dans les vers le
même éclar qu'ils ont eu dans la réalité .
Je les y invite je les y exhorte.
La guerre des Perfes eft le premier objet
qui va m'occuper. Cette Nation déja maîJUI
N. 1758.
61
treffe de l'Afie , menaçoit l'Europe de l'efclavage
; mais elle trouva dans le courage
de nos peres une digue que tous fes efforts
ne purent renverfer.
Pour bien fentir combien Athenes acquit
de gloire en cette occafion , il eſt néceffaire
d'être inftruit de l'état où étoient
alors les Perfes. Leur puiffance embrasfoit
l'Afte entiere , & avoit eu le temps de s'y
cimenter fous les regnes de trois Rois . Le
premier de ces Princes , qui étoit Cyrus ,
après avoir rendu la liberté, autant par fou
habileté que par fon courage , aux Perfes
fes compatriotes , avoit foumis les Medes
fes anciens Maîtres , & conquis toutes les
Provinces de l'Afie jufqu'à l'Egypte. Son
fils Cambyfe recueillit cette riche fuccefhion
, & y ajouta toutes les contrées de
l'Egypte & de la Libye , que leur fituation
ne rendoit pas inacceffibles . Darius , fucceffeur
de Cambyfe , étendit fes conquêtes
par terre jufqu'à la Scythie , & occupoit:
par fes flottes la mer & les Ifles . Une fi
énorme puiffance tenoit le courage de tous
les peuples comme enchaîné. Les Nations
les plus fortes & les plus belliqueufes, dans.
la crainte d'en être entiérement accablées ,
avoient pris le parti de s'y foumettre .
Darius étoit vivement piqué contre
nous & contre les Erétriens , depuis l'in
G2 MERCURE DE FRANCE.
cendie de Sardes , & ce fut pour fatisfaire
fon reffentiment qu'il nous déclara la
guerre. Il avoit affemblé une armée de
cinq cens mille hommes , & fait équipper
une flotte de trois cens gros vaiffeaux ,
outre un nombre prodigieux de petits bâ
timens deftinés à tranfporter les troupes.
Il donna le commandement de toutes ces
forces à Datis , en lui ordonnant , s'il vouloit
conferver fa tête , de lui amener les
Athéniens & les Erétriens enchaînés . Ce
Général ayant d'abord dirigé fa route vers
Eréttie , emporta en trois jours cette Ville,
alors très -bien peuplée , & une des plus
belliqueufes de la Grece. Il mit tous les
habitans aux fers , & afin qu'il pût affurer
fon-Maître qu'il ne lui en étoit pas échap
pé un ſeul , it fit faire dans toute l'Eréttique
des recherches auffi exactes que fingu
lieres . Une chaîne de foldats prolongée
par fes ordres fur la frontiere dans tour
l'efpace qui fépare les deux golphes , mar
cha en fe tenant toujours ferrée jufqu'à
l'extrêmité oppofée ; deforte que dans une
fi grande étendue de pays , il ne fe trouva
pas une feule portion de terre qui ne fût
parcourue & vifitée. Il fe propofoit d'en
faire bientôt autant dans l'Attique , dont
la conquête ne lui parut pas devoir coûter
davantage que celle de l'Erétrique . Dans
JUIN 1758. 63
cette idée , il avança vers Marathon .
Tandis que les Perfes exécutoient de fi
grandes chofes , & qu'ils en projettoient
encore de plus grandes , la Grece entiere
demeuroit dans l'inaction. Aucun des peuples
qui la compofent , n'avoit envoyé du
fecours à Erétrie : nous n'en reçûmes que
des Lacédémoniens , encore celui qu'ils
nous donnerent, ne joignit notre armée que
le lendemain de la bataille . Tous les autres
Etats faifis d'épouvante , & préférant une
fûreté paffagere à une gloire immortelle ,
refuferent de prendre aucune part à cette
guerre.
7 Quiconque fera attention à ces diverſes
circonftances , ne pourra s'empêcher de
regarder comme un prodige , le courage
que firent paroître nos Ancêtres dans cette
Occafion. Quoique réduits à leurs feules
forces , ils foutinrent à Marathon le choc
de l'Afie affemblée . Ils firent plus . Ils y
vengerent l'univers de la fierté des Perfes
& les premiers apprirent à toutes les Nations
que cette puiffance n'étoit pas invincible
, & que le nombre & les richeffes
font de foibles inftrumens de victoire ,
quand ils fe trouvent oppofés au courage .
C'eft pourquoi , j'ofe dire que ces grands
hommes ne font pas feulement les auteurs
de nos jours , mais encore les peres de
64 MERCURE DE FRANCE.
notre liberté & de celle de toute la Greee,
Car c'eft dans les trophées de Marathon ,
les premiers que la Grece ait élevés des
dépouilles des Barbares , & comme à l'école
de ces Héros , que les Grecs ont pris
les premieres leçons de ce généreux mépris
qu'ils ont toujours marqué depuis
pour les Perfes. Les vainqueurs de Marathon
occupent donc , à juste titre , la premiere
place dans cet éloge : la feconde
doit être donnée à ceux de Salamine &
d'Artémife .
Il me feroit aifé de m'étendre fur les
louanges de ces derniers. Eh ! que n'aurois-
je point à dire de leur patience dans
les travaux , de leur fermeté dans les dangers
qu'ils eurent à effuyer fur la terre &
fur la mer? Mais pour me borner à ce qui
les diftingue le plus , je me contenterai
de remarquer qu'ils mirent comme la derniere
main à ce qui n'avoit été qu'ébauché
à Marathon. En effet , cette premiere victoire
nous avoit feulement appris qu'une
poignée de Grecs pouvoit vaincre une infinie
multitude de Barbares dans les combats
de terre , & nous ignorions encore
s'il en étoit de même dans les batailles navales.
Les Perfes avoient même , dans cette
partie de la guerre , la réputation d'être invincibles
, à caufe du nombre & de la force
JUIN. 1758. 65
de leurs vaiffeaux , de leurs richeffes &
de leur habileté dans la marine. C'étoit là
comme un lieu de terreur qui tenoit encore
captive les ames de la plupart des
Grees. Or les Vainqueurs de Salamine
rompirent , fi j'oſe ainfi parler , ce lien
honteux , & acheverent de nous convaincre
que toute multitude , foit d'hommes
foit de vaiffeaux , eſt par elle-même peu
formidable.
Le troifieme événement , & fuivant l'ordre
des faits , & par le degré d'héroïfie
qu'il fuppofe ; c'eft la bataille de Platée ,
où la Grece nous fut encore une fois redevable
de fon falut. Il eft vrai que les Lacedémoniens
partagerent avec nous la gloire
de cette journée ; mais là , comme durant
tout le cours de la guerre , ce qu'il y eut
de plus difficile dans l'exécution , & de
plus glorieux par le fuccès , ce furent inconteftablement
ces illuftres morts qui
l'exécuterent.
Cependant les Barbares , quoiqu'affoiblis
par tant de défaites , tenoient plufieurs
Villes fous leur puiffance , & le bruit
couroit que le Roi avoit deffein de faire
paffer une nouvelle armée dans la Grece.
Nous devons donc des louanges & des actions
de graces particulieres à ces autres
héros , qui , par de nouveaux exploits
66 MERCURE DE FRANCE.
mirent comme le fceau à nos premieres
victoires , & établirent enfin notre liberté
fur des fondemens inébranlables . Je parle
ici de ces grands hommes qui fignaleren
leur courage en diverfes fortes de combats
, fur les bords de l'Eurymedon , en
Chypre , en Egypte & ailleurs. Victorieux
dans tous les endroits où ils combattirent ,
ils purgerent la mer des reftes des Barbares
qui l'infeftoient , porterent la terreur du
nom Athénien jufqu'au trône du Roi ,
& contraignirent ce Prince de donner déformais
toute fon attention à la défenſe de
fes Etats & de fa perfonne , & non à la
ruine de la Grece. Par là finit une guerre ,
dans laquelle Athenes avoit facrifié , s'il
m'eft permis de parler ainfi ( 1 ) , juſqu'à fon
exiſtence , pour conferver fa liberté & celle
de tous les Grecs.
Nous éprouvâmes alors un des plus or-
(1 ) Lorfque Xercès entra dans la Grece , les
Athéniens ne voulant pas fe foumettre à ce Prince
, & défefpérant de pouvoir lui réſiſter dans leur
Ville , prirent le parti de l'abandonner . Tous les
hommes en état de porter les armes fe mirent ſur
la flotte : les autres avec les femmes & les enfans fe
retirerent à Trézenes . Xercès ayant trouvé Athe
nes fans défenfe, y entra , & la réduifit en cendres.
Thémiftocle y ramena les habitans après la bataille
de Salamine , & la fit rebâtir avec plus de ma
gnificence qu'auparavant .
JUIN. 1758. 67
dinaires effets de la profpérité. Nos fuccès
& la confidération qu'ils nous donnoient
dans la Grece , exciterent dans quelquesuns
de nos voifins , une émulation qui
dégénéra bientôt en jaloufie. Delà naquit
une nouvelle guerre , dans laquelle nous
fûmes contraints , malgré toutes nos répugnances
, d'employer contre les Grecs ,
les mêmes armes dont nous venions de
nous fervir pour leur défenfe. Les Lacédémoniens
commencerent les hoftilités , en
attaquant la Béotie . Il y eut d'abord un pe
tit combat àGanagra, où l'avantage fut affez
égal de part & d'autre , mais dont les
fuites auroient été funeftes , fi un événement
plus heureux n'eût fixé le fort de la
guerre . Car déja les autres alliés des Béotiens
, oubliant ce qu'on doit à un peuple
qu'on s'eft engagé à défendre , s'étoient
retirés chez eux , lorfqu'au bout de trois
jours nous remportâmes cette célebre victoire
des Enophytes , qui , en faisant
fentir à ces Alliés infidelles l'injuftice de
leur fuite , les ramena à leurs premiers engagemens
, & étonna tellement les ennemis
, qu'ils s'emprefferent de faire la paix.
Ce fut là le premier exploit des Athéniens
en faveur de la liberté publique , depuis
la guerre des Perfes : exploit d'autant plus
glorieux , qu'il affranchit les Grecs , non
68 MERCURE DE FRANCE.
plus de l'oppreffion des Barbares , mais de
celle des Grecs mêmes , & qu'il répandit
un nouvel éclat fur notre fidélité , notre
courage & notre bonheur dans la défenfe
de nos alliés.
Quelque temps après , la guerre s'allunra
contre nous de toutes parts. La Grece
entiere , fans égard pour la reconnoiffance
qu'elle nous devoit , entra dans une ligue
dont le but étoit de nous perdre . Trop foibles
pour réfifter fur terre à tant d'ennemis,
nous abandonnâmes l'Attique à leurs ravages
, & ayant porté toutes nos forces fur
notre flotte , nous cherchâmes celle des
Lacédémoniens , & la défîmes entiérement.
Un fi grand avantage nous rendoit maî
tres du fort de Lacédémone , & fa qua
lité d'auteur & de chef de la ligue , fembloit
nous autorifer à n'éteindre notre ven
geance que dans fes ruines. Nous en ufâmes
cependant très- modérément avec elle ,
nous pardonnâmes tout le mal qu'elle nous
avoit fait , & nous lui accordâmes la paix
à des conditions raifonnables , perfuadés
que la vengeance qui furvit à la victoire ,
n'étoit légitime dans des Grecs qu'à l'égard
des Barbares , & que l'intérêt commun de
toute la Grece ne devoit jamais être facrifié
au reffentiment particulier d'une feule
Ville.
JUIN. 1758 . 69
C
On vit alors avec évidence , ce dont
auparavant on auroit pu douter ,› que de
tous les peuples de la Grece , les Athéniens
étoient les plus braves & les plus
puiffans. En effet , avoir écrafé avec nos
Teules forces une ligue fi formidable , &
vaincu , comme dans un combat particulier
, le peuple le plus belliqueux de la
Grece, & qui , autrefois uni avec nous, avoit
fouvent triomphé des Barbares ; cela
formoit en faveur de notre fupériorité ,
une preuve certaine & fans replique.
Une paix fi glorieufe fut interrompue
par une autre guerre , dans laquelle il ar
riva beaucoup de chofes contraires à notre
attente , & qui coûta la vie à plufieurs de
ceux qui répofent ici . Je parle de la guerre.
de Sicile. Le befoin qu'avoient les Léotins
d'un prompt fecours , & la religion des
fermens qui nous lioient à ce peuple , furent
les motifs qui nous y engagerent , Les
commencemens en furent heureux : mais
notre armée n'ayant pu être renforcée , ni
ravitaillée à propos dans un fi grand éloignement
, elle s'affoiblit peu
P
peu , & l'entreprise
échoua. Ce défaftre
toutefois
ne porta aucun préjudice
à notre gloire, Nos ennemis
eux mêmes rendirent
témoi.
gnage à la bravoure
de nos troupes. D'ail leurs ce triſte événement
fut balancé
par:
70 MERCURE DE FRANCE,
d'autres plus heureux ; car fans parler de
plufieurs avantages moins confidérables ,
nous nous emparâmes en un feul jour de
tous les vaiffeaux que les ennemis avoient
dans l'Hellefpont . Ainfi ce qui fe paffa
dans cette guerre de plus contraire à notre
attente , ce fut de voir des Grecs emportés
par une animofité forcenée , & perdant
toute honte , mandier contre d'autres
Grecs l'appui d'un Roi barbare , exciter
cet ennemi implacable de toute la nation ,
contre un peuple qui en avoit toujours été
le plus zélé défenfeur , rappeller contre
nous dans la Grece un Prince que, de concert
avec nous , ils en avoient chaffé , mertre
enfin en mouvement toutes les forces
de l'Afie & de l'Europe, pour accabler plus
fûrement Athenes. Au refte , tant d'efforts
ne fervirent qu'à faire mieux éclater notre
puiffance & notre courage ; car tandis que
les ennemis tenoient le peu qui nous reftoit
de vaiffeaux bloqués dans le port de
Mitylene , & qu'ils fe promettoient d'être
bientôt maîtres d'Athenes même , ayant
trouvé de quoi équipper une nouvelle
flotte de foixante vaiffeaux , nous la fîmes
monter par l'élite des Citoyens , & fecondés
de ce même courage qui nous avoit
tant de fois affuré la victoire , nous défîmes
nos ennemis , & fauvâmes nos amis
JUEN. 1758.
& nos Alliés, Les Auteurs de cette victoire
méritoient un fort différent de celui qu'ils
ont éprouvé. Leurs corps engloutis dans
les ondes , n'ont pu être réunis ici aux
cendres de leurs freres ; mais nous ne cefferons
jamais de rappeller tous les ans le
fouvenir de leurs vertus & de leur gloire.
Nous leur fûmes redevables , non feulement
de cette victoire ; mais de plus , de
tous les fuccès qui la fuivirent ; car un
avantage fi inefpéré rétablit le crédit de
nos armes , & leur rendit leur ancienne activité
, par la perfuafion où il mit tous les
Grecs, qu'il falloit d'autres forces que celles
des hommes pour abattre Athenes.
Cette idée étoit vraie & n'a pas été démentie
; car les malheurs que nous avons
éprouvés depuis , ce font nos divifions inteſtines
, & non les ennemis du dehors
qui les ont caufés. Non , Meffieurs : les
étrangers n'ont porté jufqu'ici aucune atteinte
confidérable à la République c'eſt
de nos propres mains que font partis les
coups qui nous ont accablés ; c'est par nousmêmes
que nous avons été vaincus.
A peine libres d'ennemis étrangers , nous
commencions à goûter les douceurs d'un
repos acheté par tant de fatigues , lorfqu'une
guerre plus funefte que toutes les
précédentes , s'enflamma dans le fein mê
72 MERCURE DE FRANCE.
me de la République . Il faut cependant
dire à notre gloire , que quelque animés
que fuffent les efprits , on ne fe permit
aucun des excès fi ordinaires dans les guer
res civiles . S'il eft de la deftinée de tous les
Etats de fentir de temps en temps de pareilles
agitations , heureux du moins ceux
qui n'en font pas plus affectés que ne le
fut alors Athenes ! Avec quelle joie les
habitans de la Ville & ceux du Pirée fe virent-
ils réunis après leurs difcordes ? Quelle
amitié vive prit dans tous les coeurs la place
de l'animofité ? Avec quels ménagemens
traita-t- on les habitans d'Eleufine , contre
l'attente de toute la Grece ? Une fi grande
modération ne peut être que l'effet du fang
dont nous fommes formés , qui étant le
même dans tous , fait couler avec lui dans
tous nos coeurs les principes d'une amitié
fincere , univerfelle & inaltérable. Quoique
ceux qui périrent durant ces divifions
foient morts les mains teintes du fang de
leurs Concitoyens , ils n'ont pas cependant
perdu tout droit à notre ſouvenir.
Après nous être réconciliés entre noùs ,
Rous devons nous réconcilier avec eux , &
puifqu'il ne nous refte plus d'autre voie
pour leur témoigner notre amitié , il convient
au moins qu'ils partagent avec leurs
vainqueurs les honneurs de cette augufte
cérémonie ,
JUI N. 1758 . 73
que
cérémonie , & les fruits des facrifices
nous y offrons ; car ce ne fut ni la fcélératelfe
, ni la haine ,
mais un pur
malheur qui les arma contre leurs freres.
Ils avoient les mêmes fentimens , comme
ils étoient du même fang que nous. Auffi
malheureux , mais pas plus coupables ,
ils doivent obtenir de nous le même pardon
que nous avons obtenu les uns des
autres.
A tant d'orages fuccéda enfin un calme
heureux , & qui fembloit devoir être durable
; car d'un côté trouvant les Baibares
excufables , d'avoir cherché dans les maux
qu'ils nous cauferent , de quoi réparer la
honte de leurs propres défaites , nous ne
fongions pas à en tirer vengeance ; & de
l'autre vivement indignés contre les Grecs
qui , après avoir reçu de nous les fervices
les plus effentiels , avoient , par la plus
infigne ingratitude , confpité contre nous
avec les Barbares , détruit tous nos vaiffeaux
, ces mêmes vaiffeaux auxquels ils
avoient été fi fouvent redevables de leur
falut, & rafé nos murs , à l'abri deſquels les
leurs avoient fi longtemps fubfifté , nous
réfolûmes d'abandonner déſormais ces ingrats
à la tyrannie de leurs oppreffeurs, foit
Grecs , foit Barbares . Ces difpofitions pafurent
aux Lacédémoniens l'effet de notre
D
74 MERCURE DE FRANCE:
foibleffe . Ils crurent nous avoir entiére
ment abattus , & avec nous l'unique fou
tien de la liberté publique. Dans cette perfuafion
ils firent enfin éclater le projet
qu'ils méditoient depuis longtemps , d'af
fervir tous les autres Etats de la Grece.
&
Il eft inutile que je m'étende fur les évé
nemens dont j'ai déformais à vous entretenir.
Ils fe font paffés fous nos yeux ,
tout le monde en eft inftruit. Nous avons
vu les premiers peuples de la Grece , les
Argiens , les Béotiens , les Corinthiens
épouvantés , confternés , venir implorer
la protection d'Athenes ; & ce qui eft encore
plus glorieux , & prefque divin , nous
avons vu le Roi lui -même , dans des circonftances
prefque défefpérées , fe jetter
entre les bras de cette Ville , dont il avoit
pourſuivi la ruine avec tant d'acharnement.
Si l'on peut faire aux Athéniens quelque
reproche légitime , c'eft d'être trop fenfibles
aux malheurs des autres peuples , &
trop vifs à prendre en main la défenfe des
foibles injuftement opprimés . Nous ne méritâmes
jamais mieux ce reproche que dans
cette occafion ; car malgré la réfolution
que nous avions prife , de ne jamais nous
intéreffer pour des peuples dont nous avions
fi grand fujet de nous plaindre , nous ne
fumes pas les maîtres de réfifter à leurs
JUIN. 1758. 75
prieres nous nous chargeâmes encore une
fois de les défendre , nous les garantîmes
pour lors de l'efclavage , & s'ils y font tombés
depuis , c'eft qu'ils s'y font eux - mêmes
précipités. Quant au Roi , nous n'ofâmes
le fecourir ouvertement , par refpect
pour les Trophées de Marathon , de
Salamine & de Platée : nous permîmes
feulement à ceux des Citoyens qui en auroient
la volonté , & particuliérement aux
exilés , de fe mettre à fon ſervice ; mais ce
fecours , tout foible qu'il étoit , lui fut
d'une fi grande utilité , que nous pouvons
nous glorifier à jufte titre , d'avoir été les
principaux Auteurs de fa délivrance .
Dès que nos murs furent relevés , &
notre marine parfaitement rétablie , voyant
qu'il ne nous étoit pas permis de fuivre
nos fentimens pacifiques , nous reprîmes
les armes contre les Lacédémoniens en faveur
des Pariens . Le Roi fe trouva pour
cette fois au nombre de nos alliés. Mais
comme il craignoit notre puiffance renaiffante
, furtout après que les Lacédémoniens
nous eurent abandonné l'empire de
la mer , il chercha un prétexte plauſible
pour rompre les engagemens qu'il avoit
contractés . Les Lacédémoniens dans une
circonftance femblable , avoient confenti
qu'il s'emparât des Villes grecques fituées
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
en Afie. Il fit demander à nous & à nos
Alliés un pareil confentement : ce ne fut
pas qu'il efpérât l'obtenir ; il fe propofoir
feulement de nous obliger à lui fournir, par
notre refus , le prétexte qu'il cherchoit :
mais il fut trompé en partie ; car les Corinthiens
, les Argiens , les Béotiens &
tous les autres Ailiés ne firent aucune difficulté
de lui accorder fa demande ; ils
s'engagerent même par ferment à lui abandonner
toutes ces Villes , à condition qu'il
fourniroit l'argent néceffaire pour la conduite
de la guerre. Pour nous , nous rougîmes
de prendre part à un accord fi honteux
, retenus par cette façon de penfer
noble & élevée , par cet amour de la liberté
publique , par cette fermeté de confeils
toujours foutenue & indépendante
des circonftances , par cette intégrité d'ame
inacceffible à la corruption , par cette
haine invétérée contre les Barbares ; fentimens
qui naiffent avec nous , & que forme
dans nos coeurs la pureté d'un fang vẻ-
ritablement Grec & exempt de tout mêlange
barbare ; car les Pélops , les Cadmus
, les Egyptus , les Danaus & tant
d'autres , Barbares de naiffance Grecs
feulement par adoption , n'ont jamais uni
leur fang au nôtre. Nous fommes , je le
répete , véritablement Grecs , & exempts
,
JUIN. 1758. 77
de tout mêlange avec les Barbares. De-là
vient cette horreur généreufe que nous
avons toujours eue pour le caractere & la
conduite de certains peuples. Quoi qu'il
en foit , nous nous vîmes encore une fois
abandonnés de tous nos Alliés , pour n'avoir
pas voulu nous déshonorer , ni violer
les loix les plus faintes , en livrant des
Grecs aux fers des Barbares. Les circonftances
où cet abandon nous mettoit , étoient
toutes femblables à celles , qui avoient déja
caufé notre ruine : mais nous fçûmes ,
moyenant la protection des Dieux , nous
en démêler avec fuccès & avec gloire.
Nous fîmes la guerre de maniere à faire
fouhaiter la paix à nos ennemis , & nous
confervâmes nos murs , nos vaiffeaux &
nos colonies. Il périt dans cette guerre plufieurs
braves Citoyens : le défavantage des
lieux fut fatal à quelques-uns auprès de
Corinthe ; une trahifon en fit mourir un
grand nombre à Léchée . Je ne fais qué
vous en rappeller le fouvenir , non plus
que de ceux qui délivrerent le Roi de
Perfe , & de ceux qui enleverent aux Lacédémoniens
l'empire de la mer. C'eſt d
vous , Meffieurs , de fuppléer aux éloges
que le tems ne me permet pas de leur donner
, en célébrant fans ceffe leur mémoire
, & en ornant leurs noms des titres les
plus glorieux. D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Le ricit que je viens de faire ne com
prend qu'une partie des grandes actions ,
par lefquelles ces héros , & tous les autres
Citoyens qui ont répandu leur fang pour
la patrie , fe font diftingués en différens
temps. Celles dont il me refteroit à parler
font en bien plus grand nombre , & non
moins éclatantes ; mais il a fallu me borner.
Que ces grands hommes foient toujours
préfens à votre mémoire. De leurs
exemples , il fort comme une voix , qui
vous marque le rang que vous devez tenir
après eux dans la République , & vous
avertit de le garder fidélement , comme
un foldat courageux garde celui que fon
Général lui a affigné , fans reculer en arriere
, vaincus & repouffés par le vice & la
corruption.
O enfans de tant de héros ! je vous
exhofte préfentement , & je ne cefferai jamais
de vous exhorter , en faisant retentir
à vos oreilles la renommée de vos ancêtres
, à tendre fans ceffe à toutes les vertus
où l'homme peut atteindre. Je vais vous
rapporter les fublimes leçons que vos peres
, en partant pour les combats , nous
ont ordonné de vous enfeigner , en cas
que la mort les empêchât de vous inftruire.
eux -mêmes.Je ne vous dirai que ce que j'ai,
entendu de leur bouche , & ce qu'ils vous
JUIN. 178. 75
diroient eux- mêmes , s'ils pouvoient revivre.
Vous devez donc vous imaginer que
c'eft leur voix que vous entendez. Or voici
ce qu'ils vous difent.
"
Co
Chers enfans , cet appareil funebre
» vous apprend affez que vous êtes nés de
» peres vertueux . Nous pouvions prolon-
"ger nos jours au dépens de notre hon-
" neur mais nous avons mieux aimé
» mourir avec gloire , que de faire honte
»à nos Ancêtres , de nous couvrir nous-
» mêmes d'opprobre , & de tranfmettre à
" nos defcendans le funefte héritage d'une
» éternelle ignominie. Nous étions perfua-
» dés
que celui qui fait entrer le deshon-
" neur dans fa famille , fe condamne luimême
à la mort , & qu'il eft deftiné
»foit qu'il vive , foit qu'il meure , foit
»fur la terre , foit dans les enfers , à être
» un éternel objet d'horreur pour les
» Dieux & pour les hommes. Soyez donc
» donc attentifs à nos leçons. A quelques
objets que vous afpiriez , que la vertu
» foit le guide qui vous y conduife . Tout
» ce que les hommes eftiment le plus ,
» talens , connoiffances , richeffes , fans la
» vertu , n'entraîne que honte & ruine.
"Quel éclat peuvent donner les richeffes
» à un homme qui eft indigne de les pofféder
? Ce font des chofes que nous pof-
ל כ
"
D jv
80 MERCURE DE FRANCE.
»
"
ور
33
و د
"
"
fédons moins pour nous que pour les
» autres. La beauté & la force du corps ,
» jointes à une ame timide & vicieuſe ,
» loin d'orner celui qui en eft doué , ne
fervent, par l'éclat qu'elles jettent fur lui,
qu'à faire mieux briller fes défauts , & à
» les rendre plus difformes. La fcience la
plus étendue , que la juftice & les autres
» vertus n'accompagnent pas , n'eft point
fageffe , mais trompeufe fubtilité . C'eft
» pourquoi que le premier & le dernier
» de vos foins , & le feul qui occupe en
» tout temps & en tous lieux toutes vos
penſées , foit celui de furpaffer , s'il eſt
poffible , vos peres , vos ayeux , & tous
» ceux de votre race , en vertu & en gloire .
» Scachez que ce feroit pour nous une
» humiliation affligeante de vous vaincre
» en vertu , & que ce feroit le plus beau
» de nos triomphes d'être vaincus par vous.
Oui , notre défaite à cet égard feroit
» pour nous une victoire. Au lieu donc de
perdre la gloire que vos Ancêtres vous
» ont laiffée , efforcez- vous fans ceffe de
l'augmenter & de l'étendre . Perfuadez-
» vous qu'il n'y a rien de plus honteux
» pour un homme d'une naiffance illuftre ,
que d'être plus refpectable par le mérite
» de fes Ancêtres , que par fes qualités
perfonnelles. La gloire eft dans unej fa-
و د
و د
و ر
»
ور
JUIN. 1758. 81
"
» mille comme un tréfor précieux . Diffiper
» ce tréfor , ne pas l'enrichir de l'éclat de
fes
propres vertus , pour le tranfmettre
» avec de nouveaux accroiffemens à fa
» postérité , eft une lâcheté & un opprobre.
» Si vous faites de ces maximes la regle de
» votre conduite , vous entrerez dans ces
» demeures , chéris & dignes de l'être ,
lorfque la commune deſtinée vous y fera
» defcendre. Au contraire , fi vous les né
gligez , la honte de votre vie pourſuivra
»vos manes jufques dans les enfers , &
» vous rendra éternellement haïffables.
Voilà ce que nous avions à dire à nos
» enfans .
»Quant à nos peres & meres , s'ils vi-
» vent encore , & s'ils font affligés de no-
» tre perte , nous les exhortons d'abord à
»fe former des coeurs qui foient à l'épreu-
" ve de l'infortune. La vie eft fi féconde
» en difgraces, que quiconque ne veut pas
» s'en laiffer tout-à- fait accabler , doit tra-
» vailler fans ceffe à y rendre fon ame in-
» fenfible. Mais de plus qu'ils fe fouvien-
33
nent que de toutes les chofes qu'ils ont
» demandées aux Dieux , ils ont obtenu
» celle qu'ils demandoient avec le plus
" d'ardeur. Car ils ne défiroient pas que
» leurs enfans fuffent immortels , mais
qu'ils fuffent vertueux & dignes de
D v
32 MERCURE DE FRANCE
" louange. Ils ont été exaucés en cela , &
il n'étoit pas au pouvoir des Dieux mê-
» mes de leur accorder une plus infigne
» faveur. Ils n'ont pas dû s'attendre que
» tout leur réufsît au gré de leurs voeux :
» un bonheur fi pur n'eft pas le partage de
» l'homme mortel durant fa vie. S'ils fçavent
s'élever au deffus des malheurs , ils
prouveront par cet acte d'héroïfme qu'ils
» ont donné le jour à des Héros . Mais s'ils
» cedent à l'infortune , ils laifferont lieu
» de foupçonner , ou qu'ils ne font pas vé-
» ritablement nos peres , ou que tous les
éloges qu'on nous donne , ne font que
» des menfonges . Loin de nous deshonorer
ainfi , ou de fe deshonorer eux - mêmes,
ils doivent faire enforte que le Public
ayant devant les yeux le fpectacle
» de leurs vertus , en foit plus porté à
» ajouter foi au récit des nôtres , & qu'une
99
30
reffemblance parfaite entre notre carac-
» tere & le leur , leur affure la gloire d'être
» les auteurs de nos jours. L'ancienne ma-
»xime rien de trop , eft d'une grande fagef
fe. Quiconque attache fon bonheur à la
» deſtinée d'autrui , éprouvera des balan-
»cemens perpétuels de joie & de trifteffe ,
effets inévitables de l'inftabilité des cho-
»fes humaines. Celui- là feul eft folidement
heureux , qui établit en foi-même:
JUI N. 1758 . $3
33
39
23
33
»
les principes de fa félicité. Il eft feul ca-
» pable d'atteindre la perfection de la fageffe
& de l'héroïfme . Soit que les Dieux
»lui donnent , ou qu'ils lui ôtent des biens
» & des enfans , il conformera fa condui-
»te à la maxime que nous venons de citer :
»fa joie & fa douleur feront également
» modérées. C'eft- là le modele que nous
préfentons à nos parens , & c'est celui
» que nous fuivons nous- mêmes : car nous
»ne regrettons que foiblement la vie , &
" s'il falloit la perdre une feconde fois , une
crainte trop vive ne nous empêcheroit
pas d'en faire le facrifice. Nous prions
» nos peres & meres de prendre de femblables.
fentimes , & d'y perfifter tant
qu'ils vivront. Les larmes & les foupirs
» ne pourroient avoir d'autre effet que de
les avilir. Car qu'ils ne s'imaginent pas
" que tout cet appareil de douleur nous
»fût agréable. Si dans l'état où nous fom-
» mes , il pouvoit exciter dans nous quelque
fentiment , ce feroit celui d'un extrême
déplaifir. S'ils veulent nous don-
»ner des marques d'amour que nous puif
fions agréer , qu'ils fupportent leurs
malheurs avec patience.. Notre deſtinée
» eft la plus glorieufe que l'homme puiffe.
défirer. Ils doivent donc nous féliciter
» au lieu de nous plaindre. Nous leur
"9
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
و د
» recommandons nos femmes & nos en-
» fans. Le foin qu'ils en prendront , écar-
»tera de leurs efprits l'idée de leurs infor-
» tunes , & fera en même temps plus con-
» forme à la vertu , plus digne de leur ca-
» ractere , & plus agréable à nos manes que
»des plaintes & des larmes inutiles. Tel
» eft le difcours que nous adreffons à nos
»peres & meres. Pour ce qui eft de la pa-
» trie , nous la prierions , s'il étoit néceffaire
, de prendre fous fa protection nos
» parens & nos enfans , de fournir aux uns
» les fecours dont ils ont befoin dans leur
vieilleffe , & de procurer aux autres une
» éducation digne de leur naiffance : mais
»nous ne doutons pas qu'elle ne prévien-
» ne à cet égard nos prieres & nos défits . »
30
O enfans ! ô peres de ces héros ! voilà
les enfeignemens qu'ils vous ont laiffés ,
& que je vous ai répétés par leur ordre
avec tout le zele d'un véritable Citoyen.
Je vous exhorte de nouveau en leur nom ,
& je vous fupplie , vous , qui êtes leurs enfans
, de marcher fidélement fur leurs traces
, & vous , qui êtes leurs peres , de
vous réjouir de leur destinée. Vous retrouverez
dans nous le foutien que vous avez
perdu dans eux. Nous nous emprefferons
rous , en particulier & en commun , de
procurer à chacun les reffources que fa
JUIN. 1758.
condition demande . Vous êtes vous- mêmes
témoins des attentions de l'Etat pour les
parens & les enfans de ceux qui meurent
à fon fervice. Il ordonne aux Magiftrats
d'exercer fur eux une vigilance particuliere
, de défendre les parens contre l'injuftice
& l'oppreffion , & de faire donner
aux enfans une éducation convenable . Il
met tout en ufage pour que ces Orphelins
ne fouffrent pas de la perte de leurs peres .
Il en prend à leur égard les fentimens & le
titre , il veille fur leur enfance avec l'affection
la plus tendre , & après les avoir
conduits jufqu'à l'âge viril , avant que de
les renvoyer dans leurs familles , il leur
préfente les armes de leurs peres , & les en
fait revêtir en cérémonie , afin que la vue
de ces inftrumens de la gloire paternelle ,
excite en eux un vif défir de fe fignaler
à leur tour , & que le premier ufage qu'ils
font de leurs forces , étant comme un effai
d'héroïfme , foit pour eux l'augure &
gage d'une vie vertueufe & pleine de
gloire.
le
Il ne fait pas paroître moins de zele pour
étendre & perpétuer la gloire des morts. It
fait célébrer tous les ans en ce lieu une fête
folemnelle en leur honneur , où il offre
pour tous en commun les mêmes facrifices
qu'on offre pour chacun d'eux dans leurs
36 MERCURE DE FRANCE.
familles. Il a de plus établi des combats &
des courfes autour de leurs tombeaux . Il
engage les Poëtes par l'appas des plus glorieufes
récompenfes , à chanter leurs vertus
& leurs exploits. Partageant ainfi fes
foins entre les morts , leurs enfans & leurs
parens , il agit envers les morts comme un
héritier reconnoiffant , envers les enfans
comme un pere tendre , & envers les parens
comme un fils attentif aux befoins de
leur vieilleffe.
Tout ce que je viens de dire , doir être
gravé dans votre mémoire , & fervir à
vous confoler des pertes que vous avez faites.
Ainfi vous rendrez vous plus agréables
aux vivans & aux morts , & vous ferez
plus en état de profiter des remedes qu'on
offre à vos malheurs , & d'en fournir vousmêmes
aux autres . La cérémonie eft finie :
que l'affemblée , après avoir dit toute d'u
ne voix , fuivant l'ufage , un dernier adicu
aux morts , fe retire .
JUIN. 1738. 87
VERS
A Madame C ** , C ** de V *** , de
ENVOYER
Marfeille.
NVOYER un bouquet dans un autre hémif
phere ,
Et trouver moyen que les fleurs
Ne perdent rien de leurs vives couleurs ,
Flore m'a dit qu'on ne fçauroit le faire ;
Et je l'ai crue . Affurer de mes feux ,.
Une beauté que j'aime , que j'adore ,.
Le lui dire cent fois , le lui.redire encore ,.
L'Amour m'a dit que cela valoit mieux ;,
Et je l'ai cru : les Amans font crédules,
'Ah ! ſi vous m'écriviez que vous m'aimez toujours ,
Ma crainte , un noir foupçon , fans doute ridicules
,
N'empoifonneroient plus mes jours
Alors la joie & ma tendreffe extrême ,
Par cet aimable aveu rendroient mon coeur char
mé..
On croit tout d'un objet aimẻ ;
Et vous fçavez fi je vous aime .
D. D. B. D. T
88 MERCURE DE FRANCE .
Le mot de l'Enigme du Mercure de Mai
E
eft la Langue. Celui du Logogryphe eft
Tabatiere , dans lequel on trouve raie ,
brette , air , bête , biere , Arabe , Arabie ,
Atrée , bât , aire , tiare , Tibere , tête , Tibre,
état , batterie , baie , ire , art , Brie , rat ,
titre , ré & rabot.
ENIGM E.
J'AT le corps gros & le col mince -
ΑΙ
Je ſuis fans têté & plein d'eſprit :
Chez le Curieux & le Prince ,
Plus qu'autre part eft mon crédit :
Je ſuis foumis au temps , comme lui, variable :
Je vais & viens ; cependant je fuis ftable ,
Reftant fixe à l'endroit où l'on veut me placer :
C'eft affez , cher Lecteur , je te laiffe y penſer
Dans le Mercure de Mai nous nous
étions bornés à apprendre au Public que
Mademoiſelle de la Boiffiere , de Moulins ,
défavouoit l'Enigme qui a paru fous fon
nom dans le premier volume du Mercure
d'Avril. Comme il nous eft revenu qu'elle
ne fe contente point de ce défaveu , auJUIN.
1758 . 89
quel elle dit n'avoir aucune part, & qu'elle
fouhaite que nous inférions ici la Lettre
qu'elle nous a écrite à ce fujet , & qui contient
celui qu'elle fait elle- même , nous
ne croyons pas pouvoir lui refuſer la fatisfaction
qu'elle exige de nous. La voici :
MONSIEUR , ONSIEUR , j'ai été extrêmement furpriſe
de trouver dans le premier volume
du Mercure d'Avril , une Enigme au bas
de laquelle eft le nom de Mademoiſelle
de la Boiffiere : c'eft celui fous lequel je
fuis le plus connue , il n'y a point d'autre
perfonne à Moulins qui porte ce nom. Je
puis vous affurer , Monfieur , que cette
Enigme n'eft point de moi , que
l'on vous
en a impofé , & au Public , lorfqu'on vous
l'a adreffée fous mon nom . Je n'ai jamais
donné dans la littérature , encore moins
dans la poéfie. Je ne me flatte pas d'avoir
affez de connoiffance pour juger fi elle eft
bonne ou mauvaiſe , ni affez d'efprit pour
l'entendre. Telle qu'elle eft je la défavoue,
& j'ai tout fujet de me plaindre de la
perfonne qui vous l'a adreffée fous mon
nom. Si on a prétendu me faire honneur ,
de m'ériger en Auteur , en faifant inférer
dans le Mercure un ouvrage auquel je
n'ai aucune part , on auroit dû me demander
mon confentement , & fûrement je ne
go MERCURE DE FRANCE.
fuis pas.
l'aurois pas donné ; je n'ai point la fotte
vanité de vouloir paroître ce que je ne
Si on a voulu me donner un ridicule
, ma plainte eft encore mieux fondée
; je ne crois pas l'avoir mérité : je me
flattois d'avoir vécu jufqu'à préfent de
façon à ne me point faire d'ennemi . De
quelque part que ce procédé vienne , il eft
intéreffant pour moi que le Public foit
défabufé . Ainfi , Monfieur , je vous demande
en grace de vouloir bien inférer
dans votre prochain Mercure la Lettre que
j'ai l'honneur de vous adreffer. Je fuis ,
Monfieur , votre très- humble & très-obéiffante
fervante , LA BOISSIERE.
A Moulins , ce 12 Avril 1758 .
LOGO GRYPHE.
Js fuis fille de l'air , l'on ne me voit jamais : B
Les vents étendent mon empire ;
Et dans le moment où j'expire ,
Au creux d'un rec à demi je renais .
Mon nom contient un pays de l'Attique ;
Une Ville en Hollande , & l'autre en Dauphinés
Et quand il plaît à qui m'a combiné ,
Je deviens un ton de mufique.
J'immortalife & Pindare , & Rouffeau ;
Mes bords font environnés d'eau :
JUIN. 1758.
Je gouverne un état ſur les côtes d'Afrique ,
Où le Chrétien reçoit des fers du Muſulman ;
Et j'embellis par ma ftructure
Un Temple à Rome , à Stamboul le Divan..
Des fimples je fais des victimes ;
Je défends l'innocence , & je punis les crimes ;
Je nourris le Clergé , je nourris le vieillard ;
L'on me recueille fur l'hymette :
Je fus au ciel élevé fur un char ,
Je parois , après la tempête ,
Sur les mâts & fur le gaillard.
De l'Egyptien idolâtre
J'obtins des Autels à Memphis :
D'un fexe léger & folâtre ,
Dans la faifon des amours & des ris ;
Je releve les tendres graces :
Si je lui plais , il plaît par moi.
De l'orage quand les menaces
Répandent un cruel effroi ,
J'offre aux vaiffeaux un für afyle ,
Où dans un parage tranquille ,
Ils bravent la mer en fureur.
Je mords le métal le plus dur.
Diane trouve en moi le nom qu'elle éut d'une
Inle :
Chez les Romains , je divifois les temps :
Victorieux , je montai fur le trône
Des Empereurs de Babylone :
Au fage Grec, je confiai les vents :
2 MERCURE DE FRANCE:
Je fauve un doigt d'une pointe inhumaine ,
Je caufai le trépas du vaillant fils d'Alcmene:
Par moi du corps fe font les mouvemens ;
Je fuis un oifeau de riviere ,
Et des liqueurs la fubftance groffiere
Un fimple contre les poifons :
Enfin , malgré l'éclat du Dieu de la lumiere ,
Si je manquois à l'homme , il iroit à tâtons
1
CHANSON
Doux ruiffeaux coulez fans violence :
Roffignols , arrêtez votre voix :
Taifez -vous, Zéphyrs , faites filence;
C'eft Iris qui chante dans ce bois.
Tendrement.
Doux ruisseaux,coulés
sans vio
lence,Rossignols, arretes uptre voiaTaisésvé
6
1090
phirsfaites silence, Cest Iris, qui chan
7 36
3
6 6
Gravé par MelleLabassée .
Imprimépar Tournelle .
5
574
+
te dans ce bois.
σ
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
JUIN. 1758 . .75
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite de l'Extrait de la Défenfe de la Chronologie
fondée fur les monumens de l'histoire.
ancienne contre le fyftême chronologique de
M. Newton ; par M. Fréret , &c.
M. Fréret parcourt un champ d'une plus
vafte étendue dans la feconde partie de cet
Ouvrage. Elle ne renferme que trois fections
, dont les deux premieres traitent de
la chronologie de l'hiftoire Orientale . Il
prélude par des obfervations générales fur
les antiquités Egyptiennes & fur celles des
Chaldéens. Il expofe la méthode qu'il faut
fuivre pour parvenir à diftinguer les traditions
fabuleufes de ces peuples , des traditions
véritables ; enfuite il propoſe les
moyens de les concilier , & de réduire à
leur valeur hiſtorique ces efpaces immenfes
d'années que le préjugé national affignoit
parmi eux à la durée de leur Monar
chie.
Ces remarques le.conduifent par degrés
à une difcuffion approfondie de l'époque
96 MERCURE DE FRANCE .
toire de ce temps - là défigne fous le nom
de Pafteurs . Ils en étoient les maîtres abfolus
, lorfque Jacob vint y chercher un
afyle. Le Prince qui revêtit Jofeph de la
dignité de Miniftre de fes Etats , étoit un
de ces Rois Pafteurs , qui ne furent entiérement
expulfés qu'au bout de 511 ans. Le
temps de leur domination fut marqué par
toutes les viciffitudes de la fortune . Après
avoir donné la loi pendant plufieurs fiecles
, ils fe virent réduits à la recevoir . Un
premier échec les dépofféda du trône de
Memphis , fous le regne d'Aliphragmuthofis
vers l'an 1878 avant l'Ere Chrétienne.
Ce Monarque leur enleva cette Capitale
, les chaffa de l'Egypte , & les contraignit
de fe renfermer dans des marais du
Delta. C'eft à cet événement que fe rapporte
l'époque du paffage d'Inachus dans
la Grece.
Quarante- huit ans après , de nouvelles
révolutions affoiblirent encore ce peuple
d'étrangers. Les Egyptiens , fous la conduire
de Thethmofis leur Roi , les forcerent
dans les lieux qui leur fervoient de
retraite , & où ils s'étoient retranchés . Ils
les obligerent pour la plupart de fe retirer
dans la Paleſtine & dans la Phénicie , au
nombre de 240000 , d'où ils fe répandirent
dans la partie montagneufe de la terre de
Chanaan.
Après
JUIN. 1758.
97
Après la défaite des Pafteurs par Thethmofis
en 1830 , ceux d'entr'eux qui ſe
fentirent affez forts pour réfifter aux atta
ques des naturels du pays , demeurerent
en Egypte. Ils fe cantonnerent dans les
environs de Pélufe , où ils conferverent
leur indépendance jufqu'au regne d'Amé.
nophis. Ce Prince fuperftitieux fe faiſant ,
pour ainfi dire , un devoir d'extirper une
race profcrite comme impure par les Miniftres
de fa Religion , leur déclara ouver
tement la guerre , & marcha contr'eux.
Cela les mit dans la néceffité de pourvoir
à leur défenſe. Ils fignalerent leur liberté
expirante par une dévaftation entiere de
l'Egypte. Ils remporterent de grands avantages
fur Aménophis , qui n'échappa à leur
pourfuite , qu'en fuyant vers les frontieres
de l'Ethiopie. Le fuccès de leurs armes
s'étant foutenu pendant treize ans , ils furent
enfin vaincus par Séfoftris , fils de ce
Prince , qui les extermina. Ceux qu'épargna
le fer du Vainqueur , fubirent le joug
de la fervitude la plus onéreuſe. Les Ifraélites
, dont les Ancêtres avoient paſſé en
Egypte au temps de la pu flance de ces
Pafteurs , furent enveloppés dans la même
difgrace. Cet efclavage commun a donné
lieu de les confondre depuis les uns avec
les autres. Les horreurs des difcordes civi-
E
98 MERCURE DE FRANCE
les qui défolerent l'Egypte dans le cours
de cette guerre cruelle & fanglante , qui
précéda la ruine des Pafteurs , furent caufe
que plufieurs de fes Habitans abandonnerent
leur patrie , loin de laquelle ils allerent
, fous la conduite de différens Chefs ,
chercher des retraites , & fonder des Etats.
Ce fut alors que Danaus paffa dans la Gre
ce , où il établit une colonie.
La troifieme fection beaucoup plus lon
gue que les deux précédentes , contient
is articles , où l'Auteur traite un grand
nombre de queftions auffi curieufes qu'importantes
, & qui ont été affez peu éclaircies
jufqu'à préfent pour mériter une explication
plus détaillée . Il la deftine principalement
à combattre l'identité prétendue
de Séfoftris & d'Ofiris , que M. Newton
fuppofe d'après M. Prideaux , qui a
avancé une femblable opinion fur quelques
traits de reffemblance qu'il a obfervés dans
les actions que l'hiftoire attribue à ces deux
Héros de l'antiquité. Comme fi des rapports
vagues dans la vie de plufieurs hommes
, occafionnés par un pur effet du ha
zard , fuffifoient pour les identifier. M.
Fréret fait voir que cette identité eft contraire
à ce que l'Ecriture nous apprend de
la Religion Egyptienne au temps de Jacob,
de Jofeph & de Moyfe, Il prouve par le
JUIN. 1758 . 99
texte des Ecrivains facrés , que le culte qui
en dépendoit n'avoit point fouffert les
changemens que M. Newton fe perfuade
lui être arrivés ; qu'il fut dans les ficcles
poftérieurs à Salomon , le même que celui
qui fubfiftoit dans ce pays au temps de
Moyfe , & que parconféquent le culte
d'Ofiris & d'Apis étoit établi long-temps
avant Sefac , contemporain de Salomon &
de fon fils Roboam. Il réfulte de l'impoffibilité
que Séfoftris ait pu être le même
que l'Ofiris des Egyptiens , des difficultés
infurmontables que le fçavant Académicien
forme contre l'hypothefe de M. Newton
fur la nature de l'idolâtrie , qu'il foutient
avoir commencé par le culte des
hommes apothéofés. Il n'a point de peine
à montrer que ce fentiment contredit
l'idée que les Anciens nous donnent de la
Religion Egyptienne. « Les Dieux adorés
99
en Egypte , dit notre Auteur , étoient
» de deux efpeces . Les uns étoient les Dieux
fupérieurs , qui étoient tels par leur na-
» ture. Les autres étoient des hommes illuftres
, que la reconnoiffance , l'admiration
& la flatterie avoient mis au rang
» des Dieux , à caufe de leurs grandes ac-
» tions , & des découvertes utiles que le
» genre humain leur devoit dans les Arts
"
29
& dans les Sciences . D'abord on s'étoit
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
» contenté de les affocier aux grandes Di-
» vinités , à celles de la claffe fupérieure.
» Ces Dieux du fecond ordre étoient fub.
» ordonnés aux premiers. Ils n'étoient d'a-
» bord que les exécuteurs de leurs volon-
33
tés , & leurs Miniftres dans le gouverne
" ment de l'Univers. Mais dans la fuite ,
" on les confondit enfemble , on leur
» donna un pouvoir égal ; & comme les
» hommes préferent volontiers dans la
Religion les objets fenûbles , & ceux qui
frappent leur imagination , aux objets
purement métaphyfiques , les Divinités
» du fecond ordre prirent peu 2 peu la
place des premieres , & les firent pref-
» qu'entiérement oublier . »
"
"
»
Un examen réfléchi de l'origine de l'idolâtrie
le conduit néceffairement à difcuter
celle que lui attribuoit Evhemere , le
premier Auteur du fyftême qui concerne
l'apothéofe , ou le culte des hommes morts,
adopté & renouvellé par M. Newton. Cet
ancien Ecrivain qui fleuriffoit du temps
des fucceffeurs d'Alexandre , avoit compofé
un ouvrage fur l'hiftoire fabuleufe , où
il prétendoit que toutes les Divinités n'étoient
que de fimples hommes femblables
à nous , que l'admiration pour leurs belles
actions , la reconnoiffance pour leurs bienfaits
, & ſouvent la terreur qu'ils avoient
JUIN 1758 . ΙΟΙ
infpirée , avoient placés dans ce rang fublime.
Les peuples naturellement portés a
la fuperftition , s'étoient avifés d'adreffer
leur culte & leurs adorations à ces hommes
qu'ils avoient changés en des êtres
d'une nature fupérieure à la nôtre. Ils s'imaginoient
qu'ils étoient devenus immortels
, impaffibles & tout- puiffants , & ils les
regardoient comme les difpenfateurs des
biens & des maux qui nous arrivent dans
ce monde.
Cet Evhemere avoit affecté de marquer
le temps & le lieu de la naiſſance , de la
mort & de la fépulture de toutes ces Divinités.
Son hypotheſe , bien loin d'être reçue
favorablement , excita une indignation
générale , même parmi ceux d'entre les
Payens qui paroiffoient le plus indifférens
fur leur Religion. Elle fe préfentoit à leurs
yeux comme un moyen imaginé pour en
anéantir l'idée dans l'efprit des hommes.
M. Fréret obferve qu'il fuffit de confidérer
ce fyftême en lui même , dont la nouveauté
eft fenfible , pour être convaincu de fon
abfurdité & de fa fauffeté , même parmi
les Grecs qui admettoient l'apothéofe . En
effet , on ne fçauroit nier que cette affociation
des ames humaines aux Dieux fupérieurs
, ne foit la feule maniere dont on
puiffe concevoir l'origine du culte des
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
hommes déifiés . « Mais cette affociation ,
»dit notre Académicien , ne fera jamais
que des Dieux fecondaires & fubalter-
» nes , dont le culte ne pourra s'établir que
» par une longue fuite de générations , &
» ces Dieux ne parviendront même pref-
» que jamais à être égalés aux Dieux fupé-
» rieurs. C'eft ce qu'il confirme par des
exemples tirés du culte religieux des Grecs ,
qui diftinguoient ces Divinités fupérieures
des fubalternes , qu'ils nommoient tou
jours des Héros & des demi - Dieux. Il
montre par l'hiftoire de celui de Bacchus
que ce Dieu ne fut jamais regardé comme
un homme , ou comme un Héros. Il expofe
enfuite l'opinion des Egyptiens touchant
le même Bacchus , Hercule & Pan ,
qu'ils foutenoient n'avoir jamais été des
hommes . Il fait voir que l'apothéofe a été
inconnue aux peuples de l'Orient ; que
S. Paul , en s'adreffant aux Gentils , a toujours
fuppofé que les Dieux du Paganiſme
n'étoient pas des hommes déifiés ; que les
Phéniciens rejettoient le culte des Héros ;
enfin que les Prêtres d'Egypte nioient que
les hommes puffent s'élever à la nature des
Dieux , & les Dieux defcendre à l'humanité.
Ces remarques font fuivies de deux
digreffions , dont l'une a pour objet la variation
de l'écliptique , dont les Egyptiens
JUIN. 1758. 10%
'entretinrent Hérodote ; l'autre roule fur
leur antiquité reconnue par Solon & par
Platon. M. Fréret fe propoſe d'établir dans
le dernier article de cette feconde partie
de fon Traité , que les Egyptiens ont confervé
fous la domination des Grecs & des
Romains , le même éloignement pour le
culte des hommes morts , qu'ils en avoient
témoigné dans les premiers âges de leur
Monarchie , & dans les fiecles floriffans de
leur indépendance. Cela donne lieu au
développement de leur fyftême religieux ,
qu'il explique d'après les idées d'Hermesde
Porphyre , de Jamblique , & de quelques
autres Platoniciens modernes . Si notre
analyfe n'excédoit déja par fa longueur
les bornes ordinaires , nous aurions pu entrer
dans quelque détail fur ce que renferme
de curieux ce morceau , qui nous
paroît fait avec beaucoup de foin , & trèspropre
à intéreffer ceux qui s'appliquent à
approfondir la théologie de ces anciens
temps du Paganifme. Nous ofons dire à la
louange de l'Auteur , qu'il manie fon fujet
d'une maniere également fçavante & philofophique.
C'eft le témoignage que lui
rend M. de Bougainville , au jugement
duquel nous acquiefçons volontiers. Il eft
bon de l'entendre parler lui- même. « C'eft
» un fujet immenfe , dont les profondeurs
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
و ر
و د
"3
»
"
» inacceffibles au génie fans érudition ,
» impénétrables à l'érudition fans génie ,
» renferment une infinité de problèmes ,
qu'un fçavant Philofophe eft feul en état
» de réfoudre. Je ne crains pas d'être défavoué
par ceux qui connoiffent les écrits
imprimés de M. Fréret , quand je leur
annonce que ce dernier Ouvrage ache-
» vera de les convaincre qu'il étoit tout ce
qu'il faut être pour lutter avec fuccès
» contre de pareilles queftions. Il le prouve
» dans le cours de l'Ouvrage entier , mais
principalement à mes yeux dans cette
» feconde partie , où brillent à la fois toute
» la force & la fagacité de l'efprit , tout
» l'art de la critique & toutes les richeſſes
» du fçavoir. Des difcuffions fines & méthodiques
y conduifent le Lecteur à des
dénouemens finguliers , mais fimples ,
» dont la nouveauté l'étonne , dont la vé-
» rité le frappe , & qu'il adopte fans efforts
» comme des idées naturelles , qui n'avoient
» befoin que d'être développées en lui.
» Les découvertes y naiffent les unes des
» autres. La chaîne qui lie les conféquen-
» ces aux principes , les vraisemblances
» aux vérités , met entr'elles un accord fi
parfait , que les conjectures mêmes empruntent
des faits dont elles dépendent ,
» ou qu'elles expliquent une folidité qui
» leur donne du corps. »
و د
ور
JUIN. 1758. 105
M. Fréret ne s'eft attaché jufqu'ici à
combattre que les preuves hiftoriques &
morales du fyftême de M. Newton , en
employant des argumens du même genre ,
que les moyens mais en ufage par fon Adverfaire.
Il lui reftoit à examiner les preuves
aftronomiques , dont ce Géometre a
voulu étayer fon hypothefe , & que fes
partifans font valoir avec beaucoup d'emphafe.
C'eſt ce que notre Auteur entreprend
de faire dans la troifieme partie qui
fe divife en deux fections. Cette matiere
eft liée à des calculs fi compliqués , qu'elle
eft, pour ainfi dire , hériffée de difficultés
qu'on ne parvient à réfoudre que par le
travail le plus opiniâtre . Mais les éclairciffemens
qu'elle reçoit par ces fortes de
difcuffions compenfent la féchereffe des
détails épineux & pénibles qu'elle comporte
, & qui fuppofent néceffairement
une connoiffance plus que médiocre de
l'ancienne aftronomie. L'objet de la premiere
fection eſt un réfutation dans les
formes de l'hypothefe de M. Newton ſur
le temps de l'établiffement de l'année Egyptienne.
Suivant la fuppofition du nouveau
Chronologiſte , les Egyptiens s'étoient
fervis, avant le regne d'Ammon , pere de
Sefac ou Séfoftris, d'une année de 360
jours , qui différoit auffi fenfiblement de
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
l'année Lunaire que de l'année Solaire. Ce
Prince fut le premier qui ajouta cinq jours
épagomenes au douze mois , & qui donna
365 jours à l'année , dont l'ufage ne fut
pas d'abord commun. Elle n'eut cours dans
toute l'Egypte que 72 ans après la mort
de Séfoftris , vers l'an 884 avant l'Ere
chrétienne , fous le regne d'Aménophis ,
fils de Zarah , Roi d'Ethiopie , au temps.
duquel M. Newton rapporte l'entiere expulfion
des Paſteurs en 930 , & qu'il prétend
être le Menès d'Hérodote, l'Offimandyas
de Diodore , & le Memnon des Grecs.
Il préfume que les Prêtres Egyptiens , à la
faveur de leurs obfervations du lever & du
coucher héliaque des étoiles , furent alors
en état de régler leur Calendrier , en corrigeant
la forme défectueufe de l'année
qu'ils avoient fuivie jufques-là . Il croit
que ce fut pour confacrer la mémoire de
cette correction , dont il attribue l'honneur
à Aménophis , qu'ils placerent autour de
fon tombeau dans le fameux édifice appellé
Memnonium , un cercle d'or de 365 coudées
de circonférence , & le diviferent en
365 parties égales , qui faifoient allufion
au même nombre des jours dont leur année
étoit compofée. Il fuppofe encore que
le commencement de cette année nouvelle
fut fixé par eux au jour de l'équinoxe du
JUIN. 1758. 107
མ་
printemps. Mais comme elle a environ fix
heures de moins que l'année tropique , il
arriva qu'en quatre ans l'équinoxe avançoit
d'un jour , & que par une fuite de
cette anticipation annuelle , au lieu de
concourir avec le premier jour du premier
mois , c'étoit fur le fecond de ce mois qu'il
tomboit. La même chofe avoit lieu pour
les levers & les couchers des étoiles . Ainft
felon M. Newton , lorfque ces Prêtres introduifirent
dans la Chaldée l'ufage de
l'année de 365 jours , 137 ans après l'an
884, qui eft celui de fon établiſſement en
Egypte , le jour de l'équinoxe du printemps
ne répondoit plus au premier jour
de l'année ; mais au trente- quatrieme jour
cinq heures du fecond mois. L'établiffement
de cette année à Babylone , eft l'époque
que M. Newton affigne à l'Ere de Nabonaffar
, qui commence au 26 Février de
Fan 747 avant l'Ere chrétienne.
Ces différentes affertions difcutées en
détail par notre Académicien , lui paroiffent
appuyées fur des fondemens ruineux ,
& parconféquent très - faciles à renverfer .
It montre que l'Aménophis dont il s'agit
ici , n'eft ni le Ménès d'Hérodote , ni l'Offimandyas
de Diodore , que M. Newton
a tort de le faire auteur de la réforme du
Calendrier Egyptien ; que fon tombeau
Evj
108 MERCURE DE FRANCE .
n'avoit point été orné du cercle d'or , mais
celui d'un Roi d'Egypte plus ancien que
Séfaftris , & qui régnoit plus de feize cens
ans avant l'Ere chrétienne ; enfin que l'établiſſement
de l'année de 365 jours eft de
la plus haute antiquité. Les raifons qu'il
oppofe à celles que le nouveau Chronologifte
produit en faveur de fon hypotheſe ,
fe réduifent aux articles fuivans. 1 °. Les
Egyptiens avoient une année vague de 365
jours , dont le commencement varioit
tous les ans de fix heures quelques minutes.
C'étoit leur année religieufe. Les
Prêtres fe firent un point capital d'en conferver
l'ufage ; en conféquence duquel les
fêtes des Dieux qui changeoient tous les
quatre ans de jour par rapport au mouvement
du foleil dans l'écliptique , parcou
roient toutes les faifons , & fanctifioient
fucceffivement tous les jours de l'année
folaire vraie .
2º. Ils avoient de plus une année civile,
dont le commencement étoit fixe , & qui
fervoit à régler la culture des terres , le
temps des fermages , & celui du paiement
des impôts annuels qui fe prenoient fur le
produit des terres .
3. Les commencemens de ces deux années
, dont l'une indiquoit les fêtes , &
l'autre marquoit les ufages civils , fe réuniffoient
au bout de 1460 ans par leur
JUIN. 1758.
109
concours au même point de l'écliptique.
Comme l'année civile commençoit au
lever héliaque de la canicule , nommée Sothis
en Egypte , cet espace de 1460 ans ,
dont le premier & dernier inftant étoient
déterminés par le retour commun des
deux années aux mêmes points du ciel ,
formoit un cycle connu fous le nom de
Cycle Sothiaque ou Caniculaire. La réunion
du premier jour de l'année vague avec
celui du lever héliaque de l'étoile Sothis
fous le climat de l'Egypte , marquoit la fin
d'une de ces périodes , & le commencement
d'une autre .
4°. Cenforin témoigne expreffément que
l'année dans laquelle il écrivoit , étoit la
centieme d'un nouveau cycle , & que la
réunion ou le commencement du cycle
avoit concouru avec l'année du fecond
Confulat de l'Empereur Antonin , le treizieme
jour avant les Calendes d'Août ,
c'eft-à-dire le 20 Juillet d'une année Julienne
, qui eft indubitablement la 138 °
de l'Ere vulgaire . Cette année répondoit
donc à la premiere du nouveau cycle
Egyptien , & à la derniere du cycle précédent.
Ce cycle antérieur à celui de
Cenforin , avoit parconféquent commencé
au mois de Juillet de l'an 1322 avant l'Ere
vulgaire, c'est-à - dire 438 ans entiers avant
110 MERCURE DE FRANCE
la date établie par M. Newton pour le
premier établiſſement de l'année Egyptienne
de 365 jours.
5. M. Fréret va plus loin encorè. Il
fait voir que le cycle révolu immédiatement
avant celui pendant lequel écrivoit
Cenforin , n'eft pas le plus ancien cycle
Egyptien. Il n'étoit que le fecond ; & celui
de la centieme année , d'où date Cenforin ,
étoit le troifieme . On trouvera donc , en
remontant au premier cycle , qu'il avoit
commencé 2920 ans avant le cent trentehuitieme
de Jeſus - Chrift , ou l'an 2782
avant FEre chrétienne. La réalité de ce.
premier cycle eft une choſe facile à conftater
, même même par l'Ecriture dont notre Au
teur tire des preuves inconteftables , pour
montrer que l'année vague de 365 jours ,
étoit en ufage chez les Egyptiens au moins
du temps de Moyfe , & que parconfé
quent elle étoit de la même ancienneté
que le cycle caniculaire , qui eft compofé
de ces années. Ainfi ces deux chofes ont
une liaiſon fi étroite, que l'une ne fçauroit
fubfifter fans l'autre , & que l'existence
prouvée de ce cycle eft une démonftration
de l'année de 3.65 jours.
L'examen de l'époque de Chiron dé
terminée dans le nouveau fyftême par
Faftronomie , fait le fujet de la feconde
JUIN. 1758. TRE
阈
fection , qui fe partage en quatre articles.
C'eft , fans contredit , le côté le plus impofant
fous lequel l'hypothefe de M. Newton
fe préfente à l'efprit des perfonnes qui
ne jugent que d'après les apparences , &
qui font par cela même moins en garde
contre l'illufion des moyens dont il fe fert
pour les établir. Comme la chronologie
paroît recevoir fa plus grande certitudedes
fecours qu'elle tire de l'aftronomie
M. Newton autorife fon calcul abrégé
d'une preuve qui en découle , & qui donne
à fon raiſonnement l'air d'une démonftration.
Il s'agit de la détermination de
l'âge des Argonautes par le lieu des colures
dans l'ancienne fphere Grecque réglée
par Chiron , pour leur ufage dans le cours
de la navigation qu'ils avoient entrepris.
M. Halley , qu'on n'accufera pas affurément
d'avoir été prévenu contre le nouveau
fyftême , avoue de bonne foi que
c'en eft l'endroit le plus problématique ;
parce qu'il dépend entiérement de deux.
fuppofitions , fçavoir rº. que Chiron avoir
deffiné une ſphere célefte pour l'ufage des
Argonautes ; 2°. que cette fphere étoit
celle qu'avoit fuivie Eudoxe , deux chofes
qui font avancées gratuitement . La théo
rie de la préceffion des équinoxes fournir
M. Newton l'argument principal par le112
MERCURE DE FRANCE.
e
quel il fe propofe d'abréger de plus de 400
ans la chronologie Grecque. Il eft conftant
par les obfervations les plus exactes , que les
points équinoctiaux , & généralement tous
les points de l'écliptique , ont un mouvement
rétrograde & continu , qui les porte
d'Orient en Occident contre l'ordre des
fignes , & dont la quantité mefurée eft
d'un degré en 72 ans . Chiron , felon M.
Newton , fixa l'expofition des points cardinaux,
au 15 ° degré de leurs fignes .Meton,
l'an 16 de l'Ere 31 de Nabonaffar , obſerva
le folftice d'été au huitieme degré da
Cancer. Parconféquent les folftices avoient
rétrogradé de fept degrés , & comme un
degré équivaut à 72 ans , fept degrés parcourus
produifent un intervalle de 504
ans , qui , ajoutés aux 316 de l'Ere de Nabonaffar
, qui s'étoient écoulés jufqu'au
temps de l'obfervation de Meton , ne font
remonter l'expédition des Argonautes qu'à
l'an 936 avant l'Ere chrétienne . Il n'eft
point queftion de la jufteffe de ces calculs
qu'on ne contefte point à M. Newton.
M. Fréret combat uniquement la vérité des
faits auxquels le nouveau Chronologiſte
les applique , & les conféquences qu'il en
tire pour accréditer fon hypotheſe. En
effet , fi cette fphere ancienne n'eft pas
celle de Chiron , il eft évident qu'on n'a
JUIN. 1758 . 113
aucune raifon d'en déduire l'époque des
Argonautes , ni fonder fur le calcul qui
en réfultera , une chronologie totalement
oppofée à celle qui eft appuyée fur le témoignage
des meilleurs Ecrivains de l'Antiquité.
C'eft ce qu'il s'attache à prouver ,
en remarquant 1 ° . que le premier planifphere
connu des Grecs differoit abfolument
de celui auquel Eudoxe a comparé
les obfervations du folftice faires par Meton
; ou que du moins fi cette fphere eft
celle qu'Eudoxe a employée , elle avoit été
réformée de maniere à n'être plus la même ;
que conféquemment on ne peut inférer
l'époque des Argonautes de la pofition
affignée pour lors aux étoiles dans cette
fphere qui avoit été corrigée plufieurs
fiecles après eux ; 2 ° . qu'il fuffit de jetter
un coup d'oeil fur ce qui nous refte des
monumens de l'aftronomie ancienne , pour
fe difpenfer d'avoir recours à cette correction
de fphere primitive , & pour être à
portée de voir divers Calendriers dreffés
fucceffivement , & dont il eft facile de
déterminer les époques , par les différences
qu'on obferve dans la repréſentation de
l'état du ciel fur chacun de ces Calendriers
; 3 ° . que celui qu'Eudoxe a fuivi ,
n'a été dreffé qu'au temps d'Héfiode , &
que fi l'on examine avec foin les frag114
MERCURE DE FRANCE.
mens qui fubfiftent encore de quelques
autres , on parviendra à en découvrir dans
le nombre , un dont la date eft beaucoup
plus ancienne ; puifqu'elle répond au commencement
du quinzieme fiecle avant
Jefus- Chrift ; 4° . enfin que le temps de ce
premier effai de l'aftronomie concourt à
peu près avec l'époque marquée par les
meilleurs Ecrivains pour l'entreprife des
Argonautes ; qu'ainfi la détermination af
tronomique de cet événement , loin de
détruire leurs calculs , comme on voudroit
le fuppofer , eft une preuve de plus en leur
faveur. Au refte , M. Fréret , avant que de
paffer à une difcuffion de la prétendue
démonſtration aftronomique de M. Newton
, donne une traduction d'un morceau
qui y eft relatif , & qu'il a extrait de
l'Ouvrage que M. Wifthon a publié contre
le nouveau fyftême . Elle y eft attaquée
dans un très - grand détail , qu'il abrege
felon l'exigence des cas. Il commente quelquefois
le texte du célebre Aftronome Anglois
, aux remarques duquel il en ajoute
d'autres qui lui ont paru propres à confirmer
les idées de M. Wifthon . Il fait enfuite
des objections qui lui font particulieres
contre cette même preuve aftronomique
, dont M. Newton & fes partifans
fe prévalent ; & pour leur donner toute la
JUIN 1758. 113
force dont elles font fufceptibles , il fe livre
aux plus profondes difcuffions des Calendriers
des différens âges , qu'il compare les
uns avec les autres. Il fait obſerver la marche
progreffive des conftellations , indiquée
fur ces planifpheres , par la diverfité
des lieux qu'elles y occupent . De ces différentes
pofitions mifes en parallele avec
celles que les catalogues de Bayer & de
Flamftéed attribuent aux mêmes étoiles , il
déduit les époques qui doivent être affi .
gnées à ces planifpheres anciens. Il examine
un paffage de Columelle allégué par
M. Newton , qui s'en autorife fans rapporter
les paroles expreffes de cet Auteur ,
pour avancer que Meton avoit placé le colure
des folftices au 8. degré. Il fe propofe
de montrer que le fçavant Anglois
s'eft mépris groffiérement fur le fens de ce
paffage , qui bien loin de favorifer fon
fyftème , lui eft formellement contraire .
Cet examen l'engage par occafion dans
des recherches fur les Calendriers ruftiques
des Anciens. Des éclairciffemens fur
les Calendriers qui portoient le nom de
Meron , & fur ceux qui étoient , felon les
apparences , plus anciens que le temps.
d'Héfiode , terminent cette fection &c
F'ouvrage entier. Il eft aifé de juger de fon
utilité par l'analyfe que nous venons d'en
116 MERCURE DE FRANCE.
faire. On peut affurer qu'elle eft fupérieare
à celle d'un écrit purement polémique ;
puifque l'objet de ce Traité n'eft pas une
finple réfutation des hypothefes fingulieres
& hardies de M. Newton ; fon plan
embraffe encore la folution des plus importantes
queſtions de la chronologie de
tous les peuples de l'antiquité , & la fixation
de toutes les époques générales , &
de celles d'un infinité de faits particuliers
fur chacun defquels il afpire à découvrir
la vérité. S'il nous étoit permis de déclarer
ce que nous penfons du travail de l'Auteur
, fans prétendre pour cela diminuer
le mérite de celui des autres perfonnes qui
ont attaqué le nouveau fyftême ,
dirions que nous n'en connoiffons aucun ,
qui en ait développé les principes avec
plus d'ordre & de clarté , ait faifi les difficultés
qui en naiffent avec plus de précifion
, & les ait combattus avec plus de
force que M. Fréret.
nous
CODE Louis XV, ou recueil des principaux
Edits , Déclarations , Ordonnances
, Arrêts , Sentences & Reglemens concernant
la juftice , police & finances avec
les tables chronologiques & alphabétiques
des matieres , en 6 volumes . A Paris , au
Palais , chez Claude Girard , vis - à- vis la
JUIN. 1758. 117
-
Grand - Chambre , au nom de Jéfus , 1758 .
Ce recueil commence au 29 Septembre
1722 , & finit au 27 Janvier 1736. left
néceffaire à tous les Officiers de Juftice &
intéreffés dans les Finances , même à tous
les particuliers en général ; il fert de fuite
à tous les livres de réglemens ſur toute
forte de matieres .
Afin que ce recueil foit complet , le Libraire
fe propofe de donner tous les deux
mois un nouveau volume. Le feptieme paroîtra
dans le mois de Mai. Les fix volumes
déja imprimés & que nous annonçons ,
fe vendent 18 liv . reliés. Chacun des nouveaux
volumes fe vendra également 3 liv .
relié.
L'on trouve chez le même Libraire tous
les Edits , Déclarations & Arrêts des dif
férentes Cours , en recueil ou féparément.
LA Morale d'Epicure tirée de fes propres
écrits , par M. l'Abbé Batteux , Profeffeur
de Philofophie grecque & latine au
Collège Royal de France , de l'Académie
Royale des infcriptions & Belles- Lettres , 4
volumes in - 12. A Paris , chez Defaint &
Saillant , rue S. Jean de Beauvais 1758 .
La mémoire & la philofophie d'Epicure
ont été perfécutées pendant plufieurs fiecles
, avec un zele qui tenoit de l'emporte118
MERCURE DE FRANCE.
ment. Le nom feul de ce Philofophe étoit
prefque un blafphême ou une infamie. Depuis
environ deux cens ans ce Philofophe
a été vengé des traits envenimés de la ca-
Jomnie & de l'ignorance. La fageffe de fes
moeurs , fon défintéreffement dans toute
fa conduite , en un mot fa vertu l'ont
fuffisamment juftifié du reproche de
libertinage qu'il a encouru en différens
temps par l'abus que fes prétendus difciples
ont fait de fa morale qui , prife
dans les notions de la nature , n'a rien
abfolument de repréhenfible. En effet
dire avec lui que le plaifir eft la récompenfe
de la vertu , & le faire confifter , à
fon exemple, dans une parfaite tranquillité
de l'ame , exempte des mouvemens défordonnés
qu'y excitent les paffions , ce
n'eſt pas chercher à en anéantir toute idée
dans l'efprit des hommes . Néanmoins M.
le Batteux commence par remarquer qu'il
faut apporter de grands tempéramens dans
cette réhabilitation de la mémoire d'Epicure
, qu'on outre à préfent prefqu'au même
point , qu'on a exagéré autrefois les
défauts de fa Philofophie. C'eft dans cette
vue qu'il s'eft propoſé de faire une réviſion
fuccincte des pieces de ce procès , pour me
fervir de fes propres expreffions. Il craint
que les honnents actuels rendus à Epicure ,
JUIN. 1758. 119
ne faffent trop d'impreffion fur des efprits
peu en garde contre une doctrine , dont
les conféquences peuvent être dangereufes."
M. le Batteux divife fon ouvrage en
deux parties. La premiere contient l'expofition
de la doctrine d'Epicure , & la ſeconde
, les pieces juftificatives , c'eſt - à- dire
les fragmens qui nous reftent des ouvrages
de ce Philofophe.
23
- M. le Batteux donne en même temps un
portrait d'Epicure . » Il paroiffoit , dit-il ,
d'un caractere franc , ingénu , plus occupé
du bien des autres que du fien propre.
» Il fembloit propoſer fes idées fans art &
» fans détour , fe déclarant hautement con-
» tre les couleurs de l'éloquence & contre
» les fineffes de la dialectique , affectant
» d'attaquer en plein jour , fans cafque ni
bouclier , avec une forte de confiance
qui en donnoit à ceux qui l'écoutoient.
,, Il vifita toutes les écoles de la Grece , en-
» tendit tous les maîtres de fon temps , &
» s'il ne connut pas toutes leurs penſées ,
c'eft qu'il crut en avoir affez vu pour
n'avoir pas befoin de connoître le
» reſte .
99
و د
» Peu fatisfait de ce qu'on avoit voulu
lui apprendre , il fongea à donner des
idées nouvelles. Il fit un plan qu'il préfenta
comme neuf , & qu'il prétendit
120 MERCURE DE FRANCE.
"
» avoir exécuté feul & de fes propres fonds,
» fans aucun emprunt. Il compofa trois
» cens volumes fans y faire entrer aucune
citation , parce qu'apparemment il ne
croyoit pas que la philofophie dût citer ,
" ou que fes prédéceffeurs méritaffent de
» l'être .
ود
"
La doctrine d'Epicure fur la divinité eſt
très - bien exposée par M. le Batteux. Voici
comme il s'exprime. " Dieu , a dit Epica-
» re , eft un Etre heureux & immortel:
» deux attributs que tous les Philofophes
» renferment dans la notion de Dieu , mais
qu'Epicure emploie par préférence à d'au-
» tres , pour des raifons effentielles à fon
fyftême les voici .
ور
"?
» Tout être qui a ces deux qualités ,
» n'eſt , ſelon lui , capable de haine ni d'amour
, fentimens qui fuppofent la foibleffe
: par conféquent on ne le touche
"point par les bienfaits , ni on ne l'offenfe
92 par les injures. Tranquille & renfermé
en lui -même , il n'empêche ni ne trou-
»ble la tranquillité de qui que ce foit.
» C'est donc mal à propos que les hommes
prêtent à la divinité leurs idées d'amour
& de haine , de récompenfe & de punition
, & qu'ils lui refufent le repos par-
» fait , parce qu'ils n'en trouvent pas le
a modele en eux-mêmes.
"
"
32
Quant
JUI N. 1758 .
121
23
ور
Quant à l'homme , « vous êtes , dit Epi-
» cure , un réſeau d'atomes , un tiſſu de
» certaines parcelles formé par certaines
» combinaiſons que le hazard a exécutées
» d'une certaine maniere , & qui doivent
»fe rompre au bout d'un certain temps par
" les loix effentielles de la nature. Votre
» ame même n'eft qu'un entrelaffement de
»corps très-fubtils répandus dans cette portion
organique de matiere fenfible , que
» vous appellez votre corps. Ce ne peut
» être autre chofe , puifque toute choſe eſt
» néceffairement atome & vuide : ou , fi
» vous le voulez , choix & arrangement d'a-
»tomes combinés avec le vuide.
وو
Les idées de la Divinité & de l'ame
font combattues par Monfieur le Batteux
avec beaucoup de précifion & de clarté.
La morale Epicurienne eft analyfée dans
routes fes parties fous la plume de notre
Auteur. Quoiqu'elle n'ait point tous les
défauts que les ennemis de ce Philoſophe ,
ou du moins des gens trop prévenus contre
fa perfonne lui ont imputés , on ne fçauroit
difconvenir de fon imperfection , dès
qu'on la ramene aux notions puifées dans la
révélation. Les feules lumieres de la raifon
font infuffifantes pour atteindre à la pureté
qui caractériſe la morale évangélique.
La feconde partie contient les pieces juſtifi-
F
# 22 MERCURE DE FRANCE.
catives. La premiere eft une lettre d'Epicure
à Menæcée rapportée par Diogene Laërce.
On trouve enfuite la traduction des maximes
fondamentales, que le même Hiftorien
nous a tranfmifes fur la Divinité , la mort ,
les fins morales de l'homme & les principes
de fes devoirs : c'eft la philofophie en
Aphorifmes. Il y a encore le portrait du fage
, ou le plan général de fa conduite par
rapport à lui-même & à la fociété. Le tout
eft terminé par deux lettres , l'une à Hérodote
& l'autre à Pythocles . Cette feconde
partie eft très- curieufe , intéreffante ,
& donne une expofition parfaite de la morale
d'Epicure.
HISTOIRE de la Louifiane contenant la
découverte de ce vafte pays , la defcription
géographique , un voyage dans les terres ,
l'hiftoire naturelle, les moeurs , les coutumes
& la religion des naturels avec leurs origines
; deux voyages dans le Nord du nouveau
Mexique , dont un jufqu'à la mer du
Sud ornée de deux cartes & de 40 planches
en taille - douce. Par M. le Page du
Pratz , 3 volumes in- 12 . A Paris , chez
Debure l'aîné fur le quai des Auguftins , à
S. Paul ; chez la veuve Delaguette , rue S.
Jacques à l'Olivier ; chez Lambert , rue
de la Comédie Françoiſe , 1758.
JUI N. 1758. 123
>
L'idée défavantageufe que fait naître en
France le nom de Miffifipi, a fait rétablir par
M. le Page du Pratz celui de la Louifiane
qui eft le premier que les Européens ont
donné à ce vafte pays. Cet Ecrivain y a
demeuré pendant feize ans . Il a fait des
voyages dans les terres , il a appris la langue
des naturels , les a interrogés , & a examiné
la nature du fol & fes productions.
L'état actuel du commerce & les moyens
de l'accroître ont été également l'objet de
fon attention . Muni de tous ces matériaux
, il a entrepris d'écrire l'hiftoire d'un
peuple & d'un pays , que , fuivant les apparences
, on ne fçauroit mieux connoître.
L'Auteur paffa en Amérique lors de l'établiffement
de la Compagnie d'Occident.
Il donne l'hiftoire de fa traversée & des
détails fur tous les lieux où fon vaiffeau
toucha , & fon arrivée à l'Ifle Dauphine.
Il fut d'abord s'établir aux environs du lieu
où l'on devoit bâtir la nouvelle Orléans .
Inftruit que le pays des Natchez étoit plus
abondant & fous un ciel plus férein , il remonta
le fleuve l'efpace de cent lieues , &
alla s'y fixer.
Pendant fon féjour aux environs de la
nouvelle Orléans , un petit crocodile de
cinq pieds de long vint fe placer à une
toife près de fon feu : une femme eſclave
Fij
124 MERCURE DE FRANCE,
pays ,
& naturelle du l'affomma à coups de
bâton , fans marquer aucune crainte : elle
lui apprit que ces animaux n'étoient point
dangereux , & que dans cette contrée lorf
qu'on en appercevoit quelques-uns , les
femmes & les enfans couroient après , & les
tuoient. Il faut que dans ce climat les crocodiles
ne foient pas auffi voraces qu'ils le
font en Egypte.
M. le Page du Pratz fut encore témoin
d'une Ambaffade de paix que la nation des
Tchitimachas envoya au Commandant des
François. Un fauvage de cette nation avoit
tué un Miffionnaire ; on en demanda raifon
les armes à la main. Après quelques
combats, les Tchitimachas demanderent la
paix & envoyerent un Ambaſſadeur .
Ces Sauvages arriverent par le fleuve
dans plufieurs troncs d'arbres creufés en
batelets . Ils avançoient toujours en chantant
la chanfon du calumet, qu'ils agitoient
au vent & en cadence, pour annoncer leur
ambaffade. Elle étoit compofée du Porte-
Parole , comme le nomment ces peuples ,
ou Chancelier , & d'une douzaine d'autres
hommes. Dans ces occafions , ils font
parés de ce qu'ils ont de plus beau à leur
goût.
Ce calumet de paix eft un tuyau de pipe
long au moins d'un pied & demi : il eft garJUI
N. 1758. 125
ni d'une peau du col d'un canard branchu,
dont le plumage de diverfes couleurs , eft
très- beau , & l'extrêmité eft une pipe . Au
même bout eft attaché une espece d'évantail
de plume d'aigle blanc en forme de
quart de cercle , au bout de chaque plume
eft une houpe de poil teint en rouge éclatant
, l'autre bout du tuyau eft à nu pour
pouvoir fumer. Ceux qui accompagnent le
porte- calumet , ont en main un chichicois
qu'ils agitent en cadence , c'est-à- dire
une calebaffe percée par les deux bouts
pour y mettre un petit bâton , dont un
bout dépaffe pour fervir de manche . Ils
mettent dedans du gros gravier , ou des
feves ou des haricots fecs ; ce qui produit
un grand bruit .
,
Il n'y avoit pas plus de cent pas de l'endroit
, où cet Ambaffadeur avec fa fuite
débarqua , jufques à la cabane du Commandant
; cependant ces Sauvages mirent
une demi- heure à faire ce chemin . Tous
leurs pas étoient réglés par la meſure & la
cadence. Arrivés près du Commandant , la
mufique ceffa , & le Porte- parole lui dit :
Te voilà donc & moi avec toi ! Ils s'affirent
tous par terre , appuyerent leurs vifages
fur leurs mains , & entrerent pendant
quelques momens dans un parfait recueillement.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Le Porte - parole s'étant levé avec deux
autres , l'un emplit de tabac la pipe du
calumet , l'autre apporta du feu. Le premier
alluma la pipe , le Porte- parole fuma
& la préfenta , après l'avoir effuyée , au
Commandant pour en faire autant . Celuici
ayant fumé , toute fa fuite prit à fon
tour le calumet & fuma . Le Porte - parole le
reprit & le donna au Commandant François
, afin qu'il le gardât. Alors ce Porteparole
refta feul debout , & les autres députés
s'affirent auprès du préfent qu'ils
avoient apporté au Gouverneur. Il confiftoit
en peaux de chevreuil , & en quelques
autres paffées en blanc. Cet Orateur
étoit revêtu d'une robe de plufieurs peaux
de caftor coufues enfemble ; elle étoit attachée
fous l'épaule droite, & paffoit fous
l'épaule gauche ; il fe ferra le corps de cette
robe , & commença fa harangue d'un
air majestueux. Nous allons en rapporter
la traduction françoife qui donnera une
idée de l'éloquence que la feule nature infpire
à ces peuples.
« Mon coeur rit de joie de me voir de-
» vant toi. Nous avons tous entendu la pa-
» role de paix que tu nous as fait porter.
ود
»Le coeur de toute notre nation en rit de
joie jufqu'à treffaillir les femmes ou-
»bliant à l'inftant tout ce qui s'eft paffé ,
JUIN. 1758. 127
ont danfé ; les enfans ont fauté comme
» des jeunes chevreuils , & couru comme
» s'ils avoient perdu le fens. Ta parole ne
» fe perdra jamais ; nos coeurs & nos oreil-
» les en font remplis , & nos defcendans
» la garderont auffi longtemps que l'an-
» cienne parole durera. Comme la guerre
» nous a rendus pauvres , nous avons été
» contraints de chaffer pour t'apporter de
» la pelleterie , & de préparer les peaux
» avant que de venir vers toi .. Mais nos
» hommes n'ofoient s'éloigner à la chaffe ,
» à caufe des autres nations, dans la crainte
qu'elles n'euffent pas encore entendu ta
parole , & parce qu'elles font jalouſes de
» nous ; nous ne ſommes même venus qu'en
>> tremblant dans le chemin , juſqu'à ce
» que nous euffions vu ton vifage .
"9
ور
"2
"3 con- Que mon coeur & mes yeux font
» tens de te voir aujourd'hui , de te parler
moi-même , à toi -même , fans craindre
» que le vent emporte nos paroles en chemin.
Nos préfens font petits , mais nos
» coeurs font grands pour obéir à ta paro-
» le. Quand tu parleras , tu verras nos jam-
» bes courir & fauter comme celles des
»cerfs , pour faire ce que tu voudras. »
Ici l'Orateur fit une pauſe , puis élévant
la voix , il reprit avec gravité.
"Ah ! que ce foleil eft beau aujourd'hui
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
en comparaifon de ce qu'il étoit quand
» tu étois fâché contre nous ! Qu'un méchant
homme eft dangereux ! Tu fçais
» qu'un feul a tué le François , dont la
» mort a fait tomber avec lui nos meilleurs
ود
ود
guerriers ; il ne nous refte plus que des
»vieillards , des femmes & des enfans ;
»tu as demandé la tête du méchant hom-
» me pour avoir la paix , nous te l'avons
"
envoyée , & voilà le feul vieux guer-
» rier qui a ofé l'attaquer & le tuer ; n'en
»fois point furpris , il a toujours été un
vrai homme & un vrai guerrier : il eft
"parent de notre Souverain , & fon coeur
» pleuroit jour & nuit , parce que fa fem-
» me & fon enfant ne font plus depuis
» cette guerre ; mais il eft content & moi
" auffi aujourd'hui , parce qu'il a tué ton
» ennemi & le fien . Auparavant le foleil
étoit rouge , les chemins étoient remplis
» de ronces & d'épines , les nuages étoient
ود
"
noirs , l'eau étoit trouble & teinte de
» notre fang , nos femmes pleuroient fans
» ceffe , nos enfans crioient de frayeur ,
» le gibier fuyoit loin de nous , nos mai-
»fons étoient abandonnées , nos champs
» en friche , nous avions tous le ventre
» vuide & nos os paroiffoient. »
сс
Aujourd'hui le foleil eft chaud & bril-
» lant , le ciel eft clair , il n'y a plus de
JUIN. 1758. 129
nuages , les chemins font nets & agréa-
» bles , l'eau eft fi claire que nous nous
» voyons dedans , le gibier revient , nos
» femmes danſent jufqu'à oublier de man-
» ger , nos enfans fautent comme de jeu-
» nes faons de biche , le coeur de toute la
» nation rit de joie de voir qu'aujourd'hui
» nous marcherons par le même chemin
» que vous tous François ; le même foleil
» nous éclairera , nous n'aurons plus qu'u-
» ne même parole , nos coeurs n'en feront
plus qu'un , nous mangerons enſemble
» comme freres ; cela ne fera- t'il pas
"
bon ? "
Nous ne finirions point fi nous voulions
rapporter tous les traits auffi curieux
qu'inftructifs dont cette hiftoire eft remplie.
Contentons- nous de dire que la lecture
en eft fort agréable , & que l'Auteur
mérite de grands éloges . Il a préféré la
fimplicité de l'Hiftorien , au ton fouvent
emphatique du Voyageur , qui affecte de
ne rien raconter que de merveilleux .
Nous annonçons le tome 9 du Mercure
de Vittorio Siri , Confeiller d'Etat , &
Hiftoriographe de Sa Majefté Très- Chrétienne
, contenant l'hiftoire générale de
l'Europe de 1640 jufques en 1655 , traduit
de l'Italien de M. Requier . A Paris ,
shez Durand , rue du Foin , la premiere
Fy.
130 MERCURE DE FRANCE.
porte cochere à droite en entrant par la rue
S. Jacques , 1758.
"3
" M. GALLIMARD attentif à ne conftituer
perfonne en dépense que le moins qu'il
lui eft poffible , propofe par foufcription
» une Méthode latine , laquelle pouvant
» contenir fept à huit volumes , eft con-
» çue de façon que les jeunes Etudians fe-
» ront difpenfés de chercher leurs mots
» dans le dictionnaire , & de faire aucuns
» thêmes , accoutumés qu'ils feront , dès
» leur bas âge , à parler , fans héfiter, une la-
»tinité épurée , par de très- faciles moyens
»qu'en donne cette méthode.
"
33
» Ces foufcriptions au nombre de 1 500
>> au moins , feront reçues à raifon de 30
» f. feulement pour l'impreffion de chaque
volume in- 8° broché , fans aucun autre
affujettiffement pour les foufcripteurs ,
de configner au fieur Ballard, Impri-
» meur , à Paris , rue S. Jean de Beauvais ,
»ce prix modique de 30 fols pour chaque
» volume , à mesure qu'il devra s'en imprimer
un nouveau , afin que le public
» que l'Auteur ne cherche point à furpren-
» dre , ni à gêner en aucune façon par des
» engagemens forcés , puiffe s'affurer de fa
franchiſe & de fon défintéreffement.
N
"
Le plan de cette méthode fe trouve exJUIN.
1758. 131
pliqué dans le Pont- aux- ânes , ouvrage que
M. Gallimard donna l'année derniere &
dans lequel il s'étoit propofé des comptes
faits à l'imitation de Barême.
LETTRE du Roi de Pologne , Stanislas
I , où il raconte la maniere dont il eſt
forti de Dantzick durant le fiege de cette
Ville. A la Haye, & fe vend à Paris , chez
Tilliard , Libraire , à S. Bénoît , quai des
Auguftins .
REFLEXIONS diverfes de M. le Chevalier
de Bruix. A Londres , & fe vend à Paris
chez P. G. Lemercier, rue S.Jacques, au
livre d'or , 1758.
"
SUPPLÉMENT aux Tablettes Dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy , de l'Académie
des Belles - Lettres de Dijon , depuis
la rentrée du théâtre jufqu'à la clôture ,
pour les années 1757 & 1758 , contenant
les pieces nouvelles , les pieces remifes
les pieces imprimées , les débutans , les
ballets , les anecdotes du théâtre depuis le
dernier fupplément , & les morts des Auteurs
& des Acteurs . A Paris , chez Jorry,
quai des Auguftins , près le pont S. Michel,
aux Cicognes ; chez Lambert , rue
de la Comédie Françoife, au Parnaſſe; chez
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Duchesne , rue S. Jacques au temple du
goût , 1758 .
DE Turbis Gallia modernis Sacerdotium,
inter & Parlamentum Regium, &c . Augufta
Vindelicorum , in- 4 ° . 1757 , Pp. 154 .
REFLEXIONES & principia meliora de
Jurifdictione Ecclefiaftica , oppofita principiis
Poloni nobilis , in- 4° . Francofurti & Lipfia ,
apud Joannem - Fredericum Gaum , 1757.
PP. 122 .
LIVRES nouvellement imprimés , qui sè
trouvent chez CHA. ANT. JOMBERT ,
Imprimeur- Libraire du Roi pour l'Artillerie
& le Génie , rue Dauphine , à l'Imege
Notre-Dame.
V OYAGES d'Italie , ou Recueil de notes
fur les Ouvrages de Peinture & de Sculpture
, qu'on voit dans les principales villes
d'Italie ; par M. Cochin , Graveur du Roi,
Garde des Deffeins du Cabinet de Sa Majefté
, Secretaire de l'Académie royale de
Feinture & de Sculpture , & Cenfeur
Royal , 3 vol . in- 8 ° , 1758.
Dictionnaire ' historique , théorique &
pratique de Marine , par M. Savérien
deux volumes in octave, petit format , avec
JUI N. 1758. 128
des planches en taille douce , 1758. Prix
relié liv.
Nouveau Cours de Mathématique à
l'ufage de l'Artillerie & du Génie , où l'on
explique les parties les plus utiles de cette
fcience à la théorie & à la pratique des
différens fujets qui peuvent avoir rapport
à la guerre nouvelle édition confidérablement
augmentée ; par M. Belidor , Colonel
d'Infanterie , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis , Membre des
Académies Royales des Sciences de France,
d'Angleterre & de Pruffe . Prix 15 liv . en
petit papier , & en grand 24 liv.
Politique Militaire , ou Traité de la
Guerre ; par M. Paul Hay- du Châtelet ,
Confeiller d'Etat , Intendant d'armée , l'un
des Quarante de l'Académie , en un vol.
in- 12 , 2 liv. 10 fols .
Milice des Grecs , ou Tactique d'Elien
ouvrage traduit du Grec ; par M. Bouchaudde
Buffy , Major du Régiment des Grenadiers
Royaux d'Ally , 2 vol . in- 12 , 5 liv.
9
Manuel de l'Artificier , où fe trouvent
les compofitions Chinoifes du P. d'Incarville
, pour repréfenter des fleurs de diverfes
efpeces , un vol . in - 12 , 3 liv.
Méthode pour laver & fondre , avec
économie , les mines de fer relativement à
feurs différentes efpeces ; Piece qui a rem
134 MERCURE DE FRANCE.
porté le prix propofé par l'Académie de
Befançon par M. Robert. Broché 1 1. 4 f...
Dictionnaire d'Architecture civile &
hydraulique , où l'on explique les termes
de l'art de bâtir & de fes différentes parties
, comme la décoration extérieure &
intérieure des édifices , le jardinage , la
menuiferie , la charpenterie , la ferrurerie,
la conftruction des éclufes & des canaux ,
&c. par d'Aviler. Nouvelle édition confidérablement
augmentée , in- 4° , grand
papier , 15 liv.
Le Cours d'Architecture du même Auteur
, in- 4° , 24 liv.
Dictionnaire portatif de l'Ingénieur ,
où l'on explique les principaux termes des
fciences les plus néceffaires à un homme
de guerre ; par M. Belidor , in- 8 ° , 3 liv.
12 fols.
Hiftoire de Polybe , avec un commentaire
ou un corps de fcience militaire , enrichie
de notes hiftoriques & critiques ; par
M. de Folard . En 7 vol. in- 4°. avec figures ,
72 liv.
Supplément du même Ouvrage , ou le
tome vi féparé , contenant les nouvelles
découvertes fur la guerre : Lettre critique
d'un Officier Hollandois ; & Sentimens
d'un homme de guerre fur le fyftême militaire
du Chevalier de Folard , avec les
JUIN. 1758. 135
réponses à ces critiques , in- 4° , 1753 ,
10 liv.
Effai fur la Cavalerie tant ancienne que
moderne , avec les inftructions & ordonnances
qui y ont rapport , & l'état actuel
des troupes à cheval , in-4°, 13 l . 10 f.
L'Art de la Guerre pratique , où il eft
amplement traité de tout ce qu'un Militaire
doit fçavoir & pratiquer fur chaque
partie de la guerre ; par M. de Saint Geniés,
Capitaine d'Infanterie. En 2 vol . in 12 ,
5 liv.
Relation du fameux fiege de Grave en
1674 , & du fiege de Mayence en 1689 ,
avec le plan de ces deux Villes , in- 12 ,
3 liv.
Mémoires des deux dernieres Campagnes
de M. de Turenne , en Allemagne ,
& de ce qui s'eft paffé , depuis fa mort ,
fous le commandement du Comte de Lorge
, in- 12 , 2 liv. 10 fols.
Rêveries , ou Mémoires de M. le Maréchal-
Comte de Saxe , 2 vol . in - 12 , avec
figures , 6 liv.
Géométrie élémentaire & pratique , par
feu M. Sauveur, de l'Académie Royale des
Sciences , revue , corrigée & augmentée
par M. le Blond , Maître de Mathématique
des Enfans de France , in- 4° . avec figures ,
1753. 12 liv.
136 MERCURE DE FRANCE.
Le Guide des jeunes Mathématiciens ,
traduit de l'Anglois de Jean Ward , par
le R. P. Pézenas , in- 8°. avec figures , 7 l.
Hiftoire de la quadrature du cercle , &
des découvertes que fes recherches ont occafionnées
; par M. de Montucla , de la
Société royale de Lyon , in- 12 . fig. 3 liv.
Hiftoire générale des Mathématiques ;
le même Auteur. En 2 vol. in- 4° . avec
par
figures.
Traité des Courbes algébriques , I vol .
in-12 , 3 liv.
Hiftoire générale & particuliere de
l'Aftronomie , où l'on trouve tout ce qui a
été découvert dans cette fcience jufqu'à
préfent ; par M. Estève. En 3 vol. in- 12 ,
8 liv.
Quelques Exemplaires de la magnifique
Hiftoire Militaire du Prince Eugene de
Savoye , du Duc de Malborough & du
Prince de Naffau - Frife , enrichie des Plans
néceffaires : trois grands volumes in-folio ,
150 liv. en feuilles.
Le même Libraire vient de faire l'acquifition
du Traité des Senfations , par
M. l'Abbé de Condillac , 2 vol . in 12 ,
prix s liv. relié ; & du Traité des Ani-
I vol. in 12. Prix 1 liv. 16 fols maux ,
broché.
· I
JUIN. 1758 . 137
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
HISTOIRE.
ELOGE DE M. NICOLE.
FRANÇOIS Nicole naquit à Paris le 23
Décembre 1683 , de Jean Nicole , & de
Marie Jollimois tous deux d'honnête famille.
Il fit fes premieres études au collége des
Jéfuites : fon pere qui étoit homme de
lettres , & qui avoit même préfidé à l'éducation
de quelques jeunes gens , lui fervit
de repétiteur , avec une attention d'autant
plus fcrupuleufe , qu'il le deftinoit à
l'état eccléfiaftique ; mais il n'avoit pas
compté que les talens du jeune homine
viendroient traverfer fes vues. Ceux qu'il
avoit pour les mathématiques fe montrerent
de fi bonne heure , que M. l'Abbé de
Gamache fut étonné d'en trouver tant , &
de fi bien marqués dans un auffi jeune homme,
& plus étonné encore du chemin
138 MERCURE DE FRANCE.
qu'il avoit fait feul & fans guide dans cette
épineufe carriere ; il crut lui devoir fa
ciliter les moyens de fuivre avec avantage
un travail , dans lequel il avoit eu déja
des fuccès fi marqués. Dans cette vue , il
en parla à feu M. de Montmort de cette
Académie. Celui - ci n'héfita pas un moment
à s'emparer du jeune Nicole âgé pour
lors d'environ 15 à 16 ans. Il le prit chez
lui , & lui ouvrit les routes de la haute
géométrie. Les progrès rapides qu'il y fit ,
furent dignes du maître & du difciple ;
bientôt M. de Montmort trouva en lui un
compagnon d'études , en état de le fuivre
& même de l'aider dans fes plus profondes
recherches , & bientôt auffi M. Nicole ent
acquis , malgré fa jeuneſſe , la réputation
d'un des plus fçavans Mathématiciens de
Paris.
Le premier ouvrage par lequel il fe fit
connoître pour Géometre à l'Académie ,
fut un effai de la théorie des roulettes qu'il
lui préfenta en 1706. Cet ouvrage y donna
une fi grande idée de fa capacité , que
l'Académie crut devoir s'affurer un tel fu
jet ; il fut nommé le 12 Mars 1707
place d'éleve de M. Carré , vacante par la
vétérance de M. de Beauvilliers , & feu
M. Saurin , bon Juge en pareille matiere ,
prédit hautement que ce jeune homme ,
à la
JUIN. 1758. 139
peine âgé pour lors de 23 ans , poufferoit
l'algebre au plus haut point où elle pât
être portée. Il juftifia bientôt le choix de
l'Académie , en donnant l'ouvrage entier
dont il n'avoit préfenté l'année précédente
qu'une légere idée . Dans cet ouvrage , il
examine toutes les courbes qui peuvent
être décrites par un point pris fur le rayon
d'une courbe quelconque qui roule fur une
autre courbe , femblable ou différente , ou
même fur une ligne droite , foit que ce
point foit pris au dedans de la courbe , foit
qu'on le prenne fur le rayon prolongé : il
détermine celles qui peuvent être géométriques
, c'est- à- dire , qui ont un rapport
conftant entre les abfciffes & les ordonnées
, & celles qui ne font que méchaniques
, c'eft - à- dire , qui n'ont pas cette
propriété , celles qui peuvent être rectifiées
& celles qui n'en font pas fufceptibles.
Ila même pouffé dans la fuite fon travail fur
cette matiere , jufqu'aux roulettes formées
fur la fuperficie convexe d'une fphere : en
unmot, il a traité ce fujet avec tant d'exactitude
, & l'a élevé à une fi grande généralité
, que la cycloïde ordinaire de quelques
propriétés de laquelle la découverte
a fait tant d'honneur à l'illuftre M. Hughens
, fe trouve confondue dans la foule
de ces courbes , & devient , s'il m'eft per140
MERCURE DE FRANCE.
mis de parler ainfi , une partie infiniment
petite de l'ouvrage de M. Nicole .
Son goût étoit entiérement tourné du
côté des théories générales. C'eſt affez ordinairement
celui des Géometres , qu'un
ufage continuel du calcul infinitéfimal
accoutume à regarder les objets qu'ils traitent
fous toutes les faces poffibles , & à les
confidérer toujours d'un point de vue affez
élevé pour en embraffer toute l'étendue.
On a de lui en ce genre , une méthode
générale pour déterminer la nature des
courbes , qui en coupent fous le même angle
une infinité d'autres données de pofition.
Il commença en 1717 un traité du calcul
des différences finies , qu'il continua
depuis en 1723 , 1724 & 1727. On
fçait affez combien l'application du calcul
à l'infini a prouvé d'avantages à la géométrie
; mais on ne s'étoit pas encore apperçu
, que les regles du calcul infinitéfimal
pouvoient dans de certaines circonftances
être appliquées avec fuccès à des quantités
finies. Taylor Géometre Anglois , en donna
la premiere ouverture dans fon ouvrage
de .
Methodo incrementorum. C'en fut affez pour
engager M. Nicole , qui fentit toute l'atilité
de cette théorie , à la traiter dans tou
te l'étendue dont elle éteit fufceptible . Us
(
141
JUI N. 1758 .
donne dans fon ouvrage la maniere de calculer
toutes les fuites de nombres , foit entiers
, foit fractionnaires , compofé de termes
formés par un produit , dans lequel
il n'entre qu'une feule grandeur indéterminée
, qui croiffe toujours d'une même
quantité. Toute cette théorie eft pouffée
dans fon ouvrage au plus grand degré de
généralité , fans rien perdredu côté du détail
,ni du côté de la préciſion, quelqu'abſtraites
que puiffent être ces matieres. Le génie
aidé du travail viendra toujours à bout d'y
répandre une lumiere & un ordre , qui va
jufqu'à leur donner, du moins aux yeux des
Géometres , une efpece d'agrément .
Il reprit encore en 1737 la matiere des
fuites , & ce ne fut que pour donner un
exemple de la facilité avec laquelle fes méthodes
pouvoient être employées , en réfolvant
par leur moyen plufieurs problêmes
très -difficiles à réfoudre par les méthodes
ordinaires.
Un autre corps d'ouvrage auffi étendu
que ce dernier , eft fon traité des lignes du
e ordre , qu'il lut à l'Académie en 1729.
On fçait que les différentes courbes tirent
leur ordre de la puiffance à laquelle l'ordonnée
eft élevée dans l'équation qui exprime
leur nature : la ligne droite compofe feule
le premier ordre , parce que l'ordonnée a
142 MERCURE DE FRANCE.
e
toujours un rapport conftant avec la partic
de l'axe qu'elle coupe. Dans les fections coniques
qui compofent le ſecond ordre , ce
n'eft plus entre les parties de l'axe & les
ordonnées , que fe rencontre le rapport
qui en conftitue la nature ; mais entre ces
mêmes parties de l'axe & les ordonnées
élevées à la 2º puiffance ce qui leur a fait
donner le nom de lignes du fecond ordre :
les lignes du troifieme ordre ont leurs ordonnées
élevées à la 3 ° puiſſance ; mais il
s'en faut bien qu'elles ne foient auffi fimples
, ni en auffi petite quantité que celles
du fecond ordre . Leur nombre est très- condérable
, & la bizarrerie de leur cône
déja fi grande , que le calcul feul peut les
fuivre dans tous leurs détours , & que le
Géometre eft, pour ainfi dire , continuellement
obligé d'appeller les yeux de l'efprit
au fecours de ceux du corps. M. Newton
avoit déja travaillé ſur ce fujet dans ſon excellent
ouvrage intitulé Enumeratio linearum
tertii ordinis ; mais il n'avoit pas ,
beaucoup près , épuifé la matiere. M. Nicole
s'en faifit après lui : le travail même
le conduifit à quelques réflexions nouvelles
fur les fections coniques . Il le termina par
l'ingénieufe conftruction d'un folide , dont
les différentes fections engendrent les lignes
du troifieme ordre , comme celles du
JUI N. 1758 . 143
cône produifent les lignes du fecond . On
juge bien que ce folide n'eft pas auffi fimple
que le cône , & de plus , M. Nicole y
a été conduit de démonftration en démonftration
, & le hazard n'a eu nulle part
cette découverte.
à
On peut rapporter au même temps un
événement fingulier , qui a fait trop d'honneur
à M. Nicole , pour que nous puiffions
nous difpenfer d'en parler dans cet
éloge.
Un Lyonnois , nommé M. Mathulon ,
crut fi bien avoir trouvé la quadrature
exacte du cercle , qu'en la publiant , il
n'hésita pas à dépofer à Lyon chez un Notaire
une fomme de mille écus , payable à
celui qui , au jugement de l'Académie des
Sciences , démontreroit la fauffeté de fa
folution . M. Nicole piqué de l'efpece d'infulte
que le défi de M. Mathulon faifoit
aux Géometres , & peut- être plus encore à
la Géométrie , démontra le paralogifme
dans un Mémoire qu'il lut le 23 août 1727,
& le 1 Septembre fuivant. L'Académie jugea
qu'il avoit été très- bien démontré
que la figure rectiligne que M. Mathulon
donnoit pour égale au cercle , non - feulement
ne lui étoit pas égale ; mais que même
elle étoit plus grande que le polygone
de 32 côtés circonfcrit au cercle. Par les
ex
144 MERCURE DE FRANCE .
conditions énoncées dans l'acte même du
dépôt , les mille écus étoient bien légitimement
acquis à M. Nicole : il n'étoit pas
riche ; cependant malgré ces raiſons , il ſe
contenta d'avoir vaincu , fans vouloir s'enrichir
des dépouilles de fon ennemi , &
tranfporta généreufement fon droit à l'Hôtel
-Dieu de Lyon , qui retira effectivement
cette fomme. S'il étoit glorieux pour lui
d'avoir eu affez de fçavoir en mathématique
pour démêler le paralogifme , il doit
l'être encore plus , d'avoir eu le coeur affez
généreux pour abandonner aux pauvres le
fruit de fa victoire : les qualités du coeur
doivent toujours avoir le pas fur celles de
l'efprit.
Non- feulement le mémoire que M. Nicole
lut alors , démontroit évidemment la
fauffeté de la prétendue quadrature du Sr.
Mathulon ; mais encore il donnoit une
méthode générale pour découvrir celle de
prefque toutes les fauffes folutions qu'on
pourroit vouloir donner de ce problême.
La pierre de touche de M. Nicole eft
la comparaifon qu'il en fait , à des polygones
d'un très - grand nombre de côtés
infcrits & circonfcrits au cercle , entre lefquels
la véritable valeur de fa circonférenće
doit néceffairement fe trouver. Il en a
depuis donné en 1747 des tables toutes calculées
JUIN. 1758, 145
culées pour divers polygones , & les a
pouffées jufqu'à celui de 393 , 216 côtés :
il pouvoit fe difpenfer de les porter fi loin ;
la plupart des quadratures qu'on préfente
à l'Académie font bien en deçà de ces limites.
Quoi qu'il en foit , on peut , au
moyen de ces tables , découvrir d'un coup
d'oeil l'erreur d'une quadrature propoſée ,
étant évident qu'elle eft fauffe , fi la circonférence
qu'elle donne au cercle , excéde
celle d'un polygone de même rayon ,
qui lui eft circonfcrit , ou eft moindre que
celle du polygone qui lui feroit infcrit.
Aucune n'a pu jufqu'ici foutenir cet examen
, & M. Nicole fera toujours , pour
ainfi dire , au moyen de fes tables , l'Examinateur
& le Juge de toutes les quadratures
qui pourront être préſentées dans la
fuite.
Il a donné encore à l'Académie , un travail
affez fuivi fur le cas irréductible du
troifieme degré qui l'occupa depuis 1738 ,
jufqu'en 1744.
Tous les Géometres fçavent qu'une
équation a autant de racines , c'est- à- dire ,
de quantités auxquelles l'inconnue peut
être égale , que la puiffance à laquelle
l'inconnue eft élevée , a de degrés : ainfi les
équations du fecond degré dans lesquelles
l'inconnue eft élevée feulement au quarré
G
146 MERCURE DE FRANCE.
ou à la deuxieme puiffance , ont deux racines
, & celles du troifieme degré en ont
trois mais fi ces trois racines fe trouvent
toutes trois réelles , inégales & incommenfurables
, elles ne peuvent être réduites
par les regles ordinaires en d'autres quantités
, & c'eft ce qu'on appelle le cas irréductible
du troifieme degré.
Cardan , qui vraisemblablement eft le
premier qui ait ofé tenter la réfolution des
équations du troifieme degré , fut arrêté
par cet obftacle , & tout ce qu'il put faire
, ce fut de trouver une formule propre
à exprimer la plus grande de ces trois racines
; & ce qui eft de plus fingulier , c'eſt
que cette formule qui exprime une quantité
réelle , contient elle -même des imaginaires.
M. Nicole voulut lever cette difficulté ,
il trouva moyen de convertir cette formule
en une fuite , où les termes qui contiennent
les imaginaires font alternativement
affectées des fignes plus & moins , & par
conféquent fe détruifent : mais cette fuite
avoit un autre inconvénient. Elle étoit du
genre de celle qu'on ne peut fommer par
les méthodes connues. Ce nouvel obftacle
le piqua. A force de travail , il parvint à
démêler des circonftances , où cette fuite
fi rebelle fe laiffe fommer & même affez
facilement.
JUIN. 1758 . 147
Ce fut la matiere d'un ouvrage qu'il
donna en 1741 , en faifant l'application
de cette méthode à la fameufe trifection
de l'angle qu'il trouve par ce moyen avec
une facilité infinie. De nouvelles tentatives
faites en 1743 & en 1744 , augmenterent
encore l'étendue des limites dans lefquelles
le cas irréductible ceffe de l'être ,
& lui firent voir une grande quantité de
circonftances , où l'on peut approcher fi
près qu'on voudra de la réduction , lorfqu'on
ne peut l'obtenir. Si M. Nicole n'a
pu épaiffir abfolument cette matiere , au
moins aura - t-il toujours la gloire d'avoir
attaqué avec fuccès un problème fi redoutable
, de l'avoir réfolu dans plufieurs
cas , & d'en avoir beaucoup diminué la
difficulté , lors même qu'on en peut obtenir
l'entiere folution.
›
M. Nicole n'étoit pas cependant fi fort
attaché à fes théories générales , qu'il ne
tournât quelquefois fes vues vers des objets
particuliers . Il s'eft prêté plufieurs fois
à des folutions de problêmes propofés
foit par les Géometres de l'Académie , foit
par les Etrangers . Il a donné même quelques
propofitions nouvelles de géométrie
élémentaire , objet en apparence bien inférieur
à ceux qui l'occupoient ordinairement
; mais c'étoit pour l'intérêt même de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
la géométrie , qu'il defcendoit , pour
ainfi
dire , de la haute région qu'il y occupoit.
C'étoient d'ailleurs des vérités nouvelles
qu'il enfeignoit. Les hommes en pourrontils
jamais trop connoître .
Il donna en 1730 un travail affez fuivi
fur les jeux. Il étoit impoffible que la familiarité
qu'il avoit eue avec M. de Montmort
ne lui eût donné quelques idées fur
cette matiere . Les mémoires qu'il donna à
ce fujet , étoient deſtinés à déterminer le
fort de plufieurs joueurs de forces inégales
qui joueroient enſemble un certain nombre
de parties. On fçait en général qu'il y
a à parier en faveur du plus fort ; mais on
ne devineroit pas aifément , combien le
plus grand ou le moindre nombre de parties
change la probabilité & la fomme
qu'on auroit à parier . Le calcul algébrique
peut feul fixer les idées fur une pareille
matiere , & donner , pour ainfi dire , des
loix au hazard & à la fortune.
L'efprit géométrique que M. Nicole
poffédoit au plus haut degré , ne communiquoit
au fien aucune féchereffe. Il n'étoit
Mathématicien qu'à l'Académie ou
dans fon cabinet. Hors de là , c'étoit un
homme aimable & très-propre à vivre dans
la meilleure compagnie : il l'avoit auffi
toujours aimée ; fes liaiſons étoient prefJUIN.
1758. 149
:
que toutes avec les perfonnes de la plus
haute confidération. Il avoit été admis de
bonne heure dans la fociété de l'illuftre
Comteſſe de Caylus , de feu M. le Duc de
Villeroi , & de M. le Duc de Villeroi
d'aujourd'hui il a été toujours lié avec,
toute la maifon de Pontchartrain , & avec
celles de Ségur & de Mortemart : nous
n'avons garde d'oublier l'attachement qu'il
a toujours confervé pour M. de Montmort,
aujourd'hui Major des Gardes du Corps.
Il étoit fondé fur la reconnoiffance qu'il
avoit des fervices que feu M. de Montmort
lui avoit autrefois rendus ; il avoit
été auffi lié d'une très- étroite amitié avec
feu M. le Comte de Nocé. Bien d'autres
auroient cru voir dans ce favori du Prince
Régent une porte ouverte à la fortune.
Le Mathématicien Philofophe n'y vit qu'un
homme digne de fon attachement , &
n'employa jamais pour lui-même le crédit
de fon ami .
Il avoit toujours joui d'une affez bonne
fanté l'été dernier fes jambes commencerent
à s'enfler ; il paffa tout l'automne à
la campagne avec M. le Duc de Villeroi ,
fans aucune incommodité : ce Seigneur
vouloit même l'engager à y paffer l'hyver ;
mais M. Nicole lui témoigna une fi forte
envie d'affifter à l'Affemblée publique de
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
la Saint Martin , qu'il fallut lui permettre
de revenir à Paris , en exigeant de lui de
retourner à Villeroi peu de jours après : il
ne fut pas en fon pouvoir de tenir cette
parole. Il fe forma fur fes jambes une éréfipele
, qui d'abord ne parut exiger que du
régîme. Le mal devint plus confidérable ,
mais on ne croyoit pas le danger fi preffant
qu'il l'étoit . Je le vis encore le ſamedi
7 Janvier , n'étant pas en apparence plus
mal qu'à l'ordinaire , & caufant fort gaiement
avec plufieurs de fes amis ; mais dès
le lendemain les accidens parurent ménaçans
: il n'héfita pas à demander les fecours
fpirituels , & à mettre ordre à ſes affaires ;
car fa tête fut toujours épargnée par la
maladie , & peu d'heures après il expira.
Il n'avoit point été marié , & il a inftitué
pour fes Légataires univerfels M. de Billy,
Gentilhomme Lyonnois , fon ami particulier
depuis 40 ans , & M. de Montbazin ,
Avocat au Parlement.
La place de Penfionnaire Méchanicien
de M. Nicole , a été remplie par M. de
Montigny , déja Penfionnaire furnuméraire
dans la même claffe.
JUI N. 1758. ISI
BOTANIQUE.
نم
MEMOIRE où l'on prouve que les
Plantes qui exiftoient anciennement , &
dont on a vanté les vertus médicinales ,
doivent exifter encore.
LA
par
la
A prévention où l'on eft que nombre
de plantes médicinales connues des Anciens
n'exiftent plus , peut venir de trois principes
, 10. du peu d'application à les chercher
, ou du peu de bonheur à les trouver ;
2º. de la variété des noms ; 3 °. des vertus
que les Anciens leur ont ou fabuleufement, "
ou hyperboliquement attribuées. Si
raifon que les Botaniftes modernes ne font
pas mention dans leurs catalogues d'une
plante dont les Anciens ont parlé ; on devoit
inférer que cette efpece exiftoit dans
les fiecles précédents , & n'existe pas dans
le nôtre , on pourroit retorquer l'argument
, & dire qu'un nombre confidérable
d'efpeces exiftent actuellement , & n'ont
pas exifté par le paffé . En fuivant cette
façon de raifonner , nous trouverions que
ce que nous avons perdu eft très peu de
chofe , en comparaifon de ce que nous
Giv
152 MERCURE DE FRANCE
avons gagné , & nous ferions autorisés à
conclure que la nature eft plus vigoureufe
& plus féconde que dans les fiecles paffés.
Le fameux Pitton - de Tournefort eft
parvenu à connoître 8846 efpeces de plan
res , tant terreftres que marines . Diofcoride
n'en a jamais connu la dixieme partie.
Cette prodigieufe augmentation doit-elle
être attribuée à des nouveaux efforts de la
nature ? Non , fans doute ; mais à une plus
grande application des curieux modernes
dans la recherche de fes productions.
par
Ces mêmes Modernes peuvent - ils fe
flatter d'avoir paffé en revue tout ce qui
exiſte dans l'univers , champ par champ,
montagne par montagne , forêt
M. de
Tournefort , dans un voyage qu'il
forêt?
fit au Levant , & où il ne parcourut peutêtre
pas la 8 partie de l'Àfie , découvrit
1356 efpeces de plantes inconnues aux Européens.
Combien dans les mêmes endroits
y en eut- il qui durent échapper à fa vue !
Combien de pays où jamais aucun Botanifte
n'a pénétré ! Concluons donc que fi nous
ne connoiffons pas telle ou telle plante préconifée
par les Anciens , c'eft moins un
défaut de fon existence , que parce que
par
le
hazard ne nous l'a pas encore préfentée ,
ou parce qu'elle ne croît que dans des régionséloignées
, ou dans des lieux jufqu'à
JUI N. 1758. 153
préfent inacceffibles ou impénétrables .
Le café qu'on a cru pendant long- temps
être une production de la feule Arabie
heureufe , s'eft trouvé par hazard & en
abondance dans les montagnes de l'Iſle de
Bourbon. Un navire François y ayant relâché
, le Capitaine , qui par curiofité apportoit
en France quelques branches de
cet arbre , avec les feuilles & les fruits , les
montra aux habitans , qui furpris du cas
qu'il en faifoit , lui dirent tout de fuite:
qu'ils en voyoient de femblables tous les
jours dans leur Ifle. Le gingfeng des Chinois
, cette plante fi merveilleufe parmi
eux , à laquelle ils attribuent les plus grandes
vertus , & qu'ils ornent des plus belles
épithetes , comme le fimple ſpiritueux , le
pur efprit de la terre , la recette de l'immortalité
, &c. croît dans des forêts de la
Tartarie dépendante de l'Empereur de la
Chine , pour qui feul eft réſervé tout ce
qu'on en cueille , partie en forme de tribut
, partie vendu à poids d'argent , &
qu'il revend lui-même au quadruple. La
premiere connoiffance en vint en Europe
par des Jéfuites Miffionnaires , qui confirmoient
la perfuafion générale du pays. Le
Pere Lafitau , autre Jéfuite , Miffionnaire
chez les Iroquois , a cependant trouvé la
même plante dans les forêts du Canada ..
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
La variété des noms contribue beaucoup
à fortifier la premiere erreur : une même
plante a eu dans un temps un nom différent
de celui qu'elle porte aujourd'hui . Les
defcriptions des Anciens font en général
très- peu exactes ; à quoi on doit ajouter
que la diverfité du terrein & du climat
pouvant occafionner quelque différence
accidentelle dans la même efpece , il n'eſt
pas furprenant que les Botaniftes fuperficiels
ayent méconnu dans les livres telle
ou telle plante fort connue dans les montagnes
; d'où mal-à- propos ils ont conclu
que la plante nommée par les Anciens ,
étoit toute autre que celle qui étoit trouvée
par les Modernes . Cette remarque eft
appuyée de l'autorité refpectable de l'illuftre
feu M. de Fontenelle.
Non feulement la différence des fiecles
& des pays peut induire en erreur ; mais un
même fiecle , un même pays jettent trèsfouvent
la confufion dans une même plante.
Saumaife, dans fon Traité de Synonymis
byles Jatrice , démontre que les Anciens
ne défignoient pas toujours la même plante
par le même nom. L'un lui donnoit le
nom du pays où elle naiffoit ; un fecond ,
de celui qui l'avoit découverte ; un troifieme
, de fa forme ; un quatrieme , de fa
vertu. Les Botaniftes Modernes s'imagiJUIN.
1758. 155
nant que ces différens noms fignifioient
différens objets , ne ceffent de fe plaindre
amérement de la perte des efpeces qui
n'ont jamais exifté .
Prefque tous ceux qui affurent que l'efpece
de cinnamomum n'eft point perdue ,
s'accordent à la trouver dans l'arbre de la
canelle. En effet , le mot latin par lequel
on défigne cet arbre , n'eft autre que cinnamomum.
Les vertus que les Modernes
prétendent lui connoître de faciliter l'accouchement
, les menftrues , les urines ,
d'éclaircir la vue , de foulager les hydropiques
, &c. font les mêmes que Diofcoride
attribue au cinnamomum . Ce que Pline
dit de cette derniere efpece fe trouve dans
l'autre Viliffimum quod radicibus proximum
, quoniam ibi minimum corticis , in quo
fumma gratia , qua de caufa praferantur
cacumina , ubi plurimum cortex ; & encore :
Frutex & caffia eft , juxtaque cinnamomi
campos nafcitur. En effet , l'Ile de Ceylan
qui produit la canelle , nous donne auffi
la caffia - lignea , dont la meilleure , fuivant
Galien , eft très - femblable au cinnamomun
, & en eft un fupplément par fa vertu .
Il en est précisément de même à l'égard
de la canelle ; il faut feulement une plus
forte dofe de caffia lignea. On obfervera
en paffant qu'on ne nous vend preſque
Gy
156 MERCURE DE FRANCE.
jamais la canelle fans un mêlange de
caffe.
Il eſt à croire que ceux qui regrettent
encore le véritable balfamum , ne fe fondent
que fur ce qu'ils ont lu dans Pline ,
qui affure que le terroir de la Judée lui eft
fi privativement propre , qu'aucun autre
ne peut le produire : Uni terra Judea conceffum
... faftidit balſamum alibi nafci. Or
comme on ne trouve plus cet arbre en
Judée , on s'eft imaginé que l'efpece en
étoit perdue pour tout le monde. Pline
s'eft trompé fur ce fait : Diofcoride dit
que non feulement il venoit en Judée ,
mais encore en Egypte . Il eft plus croyable
que Pline , étant naturel de la Cilicie ,
beaucoup moins éloignée de l'Egypte que
Rome. D'ailleurs les Hébreux n'ont jamais
fait honneur à leur patrie de cette production.
C'étoit une tradition parmi eux ,
rapportée par Jofephe , que la Reine de
Saba avoit , dans fa vifite à Salomon , apporté
cette plante en Judée : Aiunt etiam
quod Balfami plantum , cujus hodie quoque
ferax eft noftra Regio , illius Regina munifi
centia ferri acceptam oporteat. Le baume
venoit donc originairement de l'Afrique 5
& fi la Reine Saba régnoit en Egypte
comme le dit le même Jofephe , cette notice
eft relative à celle de Diofcoride , qui fait
JUIN. 1758. 157
auffi trouver ce baume en Egypte. Malgré
cela l'arbre ne fe trouve plus en Egypte
ou fe trouve ſeulement , comme quelquesuns
le prétendent , dans un jardin du
Grand- Seigneur , à quatre mille du Caire ,
lieu vénéré par les Chrétiens d'Orient ,
qui croient par tradition particuliere que
la Sainte Vierge confacra cet endroit par
fon féjour , & qu'elle y alloit laver à une
fontaine les langes de fon fils , motif bien
fuffifant par une fuite de la même tradition,
pour que le précieux baume dont il eft
queftion ne vînt nulle autre part . Dans le
vrai cette plante croît en abondance en
Arabie , aux environs de la Mecque & de
Medine , non feulement dans les terres
cultivées , mais encore dans les incultes ,
au grand avantage des naturels du pays ,
qui la vendent aux Pélerins , qui de leur
côté en font auffi un commerce . Que ce
baume foit de la même efpece que celui
qui dans un temps fe trouvoit en Egypte ,
la conformité de la plante , & les defcriptions
que nous en ont laiffées Pline & Diofcoride
, le prouvent. Il eft vrai que les
effets ne répondent pas ordinairement à la
haute eftime qu'en font les Auteurs ; ce
qui peut provenir de ce que les naturels
du pays font dans l'ufage de vendre à la
place du fuc tout pur qu'on tire du trone
15
8 MERCURE
DE
FRANCE
.
par incifion , & en très-petite quantité ,
une liqueur extraite de la graine ou des
feuilles , ou même du bois de la plante , à
laquelle ils ajoutent encore la thérébentine
de Chypre , & d'autres drogues. Bien loin
donc que nous devions regretter le baume
fi vanté des Anciens , nous avons l'avantage
de pofféder le feul qu'ils connoiffoient
, & d'autres peut-être auffi parfaits
qui nous viennent de divers endroits de
l'Amérique , & de différentes efpeces
d'arbres.
Les grandes vertus qu'on attribue aux
plantes , donnent lieu à la troiſieme erreur.
Les Modernes prennent à la lettre les
hyperboles , par lefquelles les Anciens les
exhaltoient ; d'où il arrive que quoiqu'ils
ayent les mêmes efpeces fous la main , la
grande différence des effets les leur fait
méconnoître. Combien fe font - ils rompu la
tête pour découvrir ce que pouvoit être le
Nephentes d'Homere ! Ce Poëte raconte
que cette herbe venoit feulement en Egypte
, & qu'Hélene en faifoit ufage comme
d'un remede divin contre la mélancolie . Sa
vertu étoit fi efficace , qu'elle rendoit
joyeux & contens ceux qui étoient accablés
des plus cruels chagrins. Trop malheureufe
Cléopâtre , un fi grand ſpécifique
JUIN. 1758. 159
>
devoit- il naître inutilement pour vous dans
vos propres Etats ! On ne trouve aujourd'hui
ni en Egypte , ni hors de l'Egypte
aucune plante d'une qualité auffi admirable
difficulté bien aifée à réfoudre , en
difant qu'Homere la créa dans fon imagination
, ou comme Poëte , ou comme Médecin
; car fuivant quelques Auteurs , il
exerçoit cette profeffion . D'autres ne le
font mentir qu'à demi , c'eſt -à- dire , dans
la fauffe attribution des vertus merveilleufes
, & prétendent que le Nephentes eſt
le même que le Helenium que nous poffédons.
Chaque jour nous voyons tomber les
remedes de la haute eftime qu'on en a faite
dans la nouveauté. L'honneur de l'invention
dure à peine autant que la vie de
l'Auteur . Ainfi fe fuccedent les remedes
à la mode les uns aux autres fans interrup
tion.
Il en eft de même des plantes. Quels
tréfors immenfes ne nous étoient pas venus
de l'Amérique ! que d'excellens fpécifiques
! aujourd'hui , à la réſerve du quinquina
, nihil invenimus in manibus noftris.
L'hypécuana tant célébrée pour les dyffenteries
, n'eft pas plus que les autres , à
l'abri du mépris. L'expérience a fait voir
qu'elle y étoit non- feulement inutile , mais
160 MERCURE DE FRANCE
C
extrêmement contraire. Il n'y a pas bien du
des années qu'un Chirurgien François éta
bli à Liſbonne , publia comme un remede
fouverain pour la pleuréfie , l'apoplexie ,
les fiévres intermittentes , le mauvais goût
du fené , & c. une certaine herbe qu'il
avoit apportée du Bréfil , & qu'il nommoit
Simarouba. Malheureufement pour le
Charlatan , quelques petites feuilles prefque
réduites en poudre , tomberent par
hazard dans les mains de M. Homberg &
de M. Marchant . Une petite graine qu'ils
y découvrirent & qu'ils femerent ,
leur
donna dans le temps ce qu'on appelle ferophularia
aquatiqua , & ils n'y reconnurent
par l'expérience , que la feule qualité dộ-
ter au fené fon mauvais goût , fans lat
rien faire perdre de fa vertu purgative.
Nous devrions bien , après avoir été fi
longtemps dupés , fuivre l'exemple des
Hollandois. Ces rufés Négocians ,
contens des profits confidérables qu'ils faifoient
fur le thé qu'ils apportoient en Europe
& dans lequel , fi nous étions de
bonne foi , nous avouerions n'avoir encore
trouvé que la vertu d'éloigner le fom
meil ) , fe mirent en tête de perfuader aux
Orientaux que notre fauge , plante qui ne
fe trouve pas en Afie , avoit des proprié
tés incomparablement au deffus de celles
non
JUIN. 1758.
161
du thé. Leur projet réuffit au-delà de leur
efpérance ; de façon qu'aujourd'hui , fi on
en croit quelques Auteurs , les Orientaux
leur donnent quatre fois autant de thé ,
qu'ils leurs cedent de fauge . Quel immenſe
commerce ne pourrions- nous pas faire dans
bien des contrées , en y portant & vantant
avec le même enthoufiafme qu'on fait ici ,
un nombre infini de plantes qui ne nous
fervent à rien.
SUJETS propofés par l'Académie Royale
des Sciences & Beaux Arts , établie à Pau ,
pour trois Prix qui feront diftribués le
premier Jeudi du mois de Février 1759.
'ACADÉMIE ayant jugé à propos de réferver
les deux Prix qu'elle avoit à diftribuer
cette année , en donnera trois en
1759. Les deux à des Ouvrages en profe
qui feront au plus d'une demi -heure de
lecture , & qui auront pour fujets ; l'un ,
Pourquoi les hommes les plus diftingués par
la naissance & par les richeffes , font fi fouvent
Littérateurs de profeffion , & prefque
jamais Artiftes ? Et l'autre , Eft- il plus difficile
d'éclairer les hommes , que de les condui
re ? Le troifieme prix fera pour un Ouvra
ge de poéfie , de cent vers au plus , fur ce
162 MERCURE DE FRANCE
fujet , La Renaissance des Lettres en Europt
dans le feizieme fiecle.
Il fera fait de chaque Ouvrage deux
Exemplaires qui feront adreffés à M. de
Pomps , Secretaire de l'Académie.
On n'en recevra aucun après le mois
de Novembre , & s'ils ne font affranchis
des frais du port.
Les Auteurs mettront à la fin de leur
Ouvrage une fentence ; ils la répéteront
au deffus d'un billet cacheté , dans lequel
ils écriront leurs noms avec leur adreffe.
JUI N. 1758. 163
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
Le fieur de Mongaultier continue tou-
I
jours avec fuccès fon Ouvrage périodique
intitulé , Récréations chantantes , dont il
vient de faire imprimer la feconde & la
troifieme partie. Le prix de chaque partie
eft de 1 liv. 4. fols en blanc. Elles fe vendent
également en feuilles féparées , fi l'on
veut , & le prix eft de 6 fols la feuille .
A Paris , chez l'Auteur , quai de la Mégif
ferie , proche l'Arche Marion , à l'enſeigne
du Lion d'or ; cher le fieur Dumefnil ,
Marchand de Fer , s'adreffer à la boutique
où l'Auteur vend fes Ouvragès , & aux
adreffes ordinaires de Mufique.
Nota. Chaque feuille eft contrôlée d'un
double fleuron , afin que l'on ne prenne
point d'autres feuilles que celles- là .
Le Journal de Mufique du mois de Mai
164 MERCURE DE FRANCE:
commence par une Cantatille qui a pour
titre , la Rofe & le Zéphyr . On trouve enfuite
un Duo , qui eft fuivi d'une Muſetts.
Un Vaudeville le termine.
Six Sonates à deux violons ou pardeffus
de violes , dédiées à M. le Marquis
d'Eftampes , Baron de Mauny , Seigneur
de Planne , Tauberville , Beaulieu , & autres
lieux , Colonel aux Grenadiers de
France. Compofées par M. Milandre , &
gravées par M. Ceron. OEuvre troifieme.
Prix fix livres. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Quincampoix ; chez le Bonnetier , près
S. Joffe , & aux adreffes ordinaires.
Ces Sonates font fort agréables , mérite
très-rare en ce genre de mufique , & qui
femble lui affurer beaucoup de fuccès.
›
Don ***
connu
par fes talens
& par la
connoiffance
qu'il a de la Guitarre
, vivement
follicité
par les Amateurs
de cet inf- trument
s'eft déterminé
de mettre
au
jour une Méthode
de fa compofition
, par
laquelle
on apprend
facilement
& fans
beaucoup
d'étude
, à en jouer tant en tablature
qu'en mufique. L'Auteur
y donne une connoiffance
du manche auffi étendue
qu'elle peut l'être , & en même temps il s'eft attaché
à en fimplifier
l'étude , & à
JUIN. 1758 . 165
rendre fes principes à la portée de tout le
monde . Il y a joint fix Duo pour ceux qui
voudront s'habituer à jouer par mufique.
Ces Principes fe vendent à Paris , chez
M. le Menu , Marchand , rue du Roule , à
la Clef d'or , & aux adreffes ordinaires de
Mufique, Prix fix livres.
Et à Madrid , chez Guerrero Luthier , à
la Puerta del Sol,
SCULPTURE.
FIGURE ÉQUESTRE DE LOU IS XV.
La ville de Paris voulant tranfmettre à
la postérité l'amour des François pour le
Monarque qui les gouverne avec autant
de gloire , que de fageffe & de prudence ,
demanda & obtint en 1749 la permiffion
de lui ériger une ſtatue équeftre. Afin que
ce monument de zele & de reconnoiffance
approchât de très-près de la plus grande
perfection , on chargea M. Bouchardon de
l'exécuter. Cet habile Artiſte a parfaitement
répondu à la jufte confiance qu'on
avoit en fes talens . Car on a dit dans le
temps que fon modele étoit d'une trèsgrande
beauté,
166 MERCURE DE FRANCE:
Il ne fera queſtion ici que de la fonte
de la figure du Roi & du cheval , qui font
d'un feul jet , ce qui a parfaitement réuffi.
Il y a cent ans que cette entrepriſe auroit
paru au deffus des forces humaines. Alors
on fondoit les figures par parties , & on
les rajoutoit enfuite le moins mal qu'on
pouvoit. La figure équeftre de Louis XIV
qui eft dans la place Vendôme , eft la premiere
qui ait été fondue d'un feul jet ,
& qui , à quelque chofe près , a fervi de
modele à toutes celles qu'on a fondues depuis
.
La maniere dont on jetta en fonte cette
figure , ne nous eft aujourd'hui connue
que par un ouvrage que M. de Bofrand fit
plufieurs années après , & dans lequel il
raffembla ce dont la tradition l'avoit inftruit.
Cet Ouvrage a pour titre , Defcription
de ce qui a été pratiqué pour fondre en
bronze d'un feul jet , la figure équestre de
Louis XIV , élevée par la ville de Paris dans
la place de Louis le Grand , 1699. Soit que
M. de Bofrand eût été mal inſtruit , ou
que dans la fonte de cette figure de Louis
le Grand on ne s'y fût pas pris de la meilleure
maniere , il eft certain que le détail
donné dans la Defeription , &c. a préſenté
en plufieurs occafions de très- grands inconvéniens.
Aufli a-t'on fuivi une route
JUIN. 1758 . 167
toute différente , qui a été juftifiée par un
plein fuccès.
Cette fonte a été conduite. par M. Marits
, un des plus habiles hommes de ce
fiècle en ce genre , & à qui on doit la
nouvelle découverte de l'art de forer les
canons de fer. Il a donné les deffeins de la
foffe , du fourneau , des armures , & de
tout ce qui a été néceffaire à ce grand
ouvrage . De fon propre aveu , il a été trèsbien
fecondé par le fieur Gor, Fondeur , &
par la vigilance de M. le Prévôt des Marchands
& des Echevins : de forte qu'on
n'avoit point d'exemple qu'une pareille
fonte eût été achevée avec tant de promptitude
, même en deux fois plus de temps .
La foffe & le fourneau avoient été commencés
il y a environ trois ans ; mais on
ne mit la main au moule , autrement dit
le creux , qu'au mois de Février 1757. Le
fieur le Vaffeur fut chargé de cette opération.
Il moula en particulier avec du plâtre
chaque partie de la figure. Il fallut enfuite
avec de la cire fondue enduire intérieurement
& avec un pinceau , ce même
moule. Après plufieurs couches de cires , on
en mit avec la main une épaiffeur égale à
celle qu'on vouloit donner au bronze. Ce
moule ainfi garni , fut tranfporté dans la
foffe , & rajufté fur une carcaffe de fer.
163 MERCURE DE FRANCE.
? avec
Toutes les parties rapprochées , on coula
dans l'intérieur du plâtre mêlé avec de
la brique pilée ; enfuite le moule fut
retiré. Alors la figure équestre qui étoit
auparavant dans l'attelier , fe trouva tranſportée
dans la foffe , & en cire
cette circonstance qu'on avoit ménagé
dans l'intérieur une efpece de carcaffe
de fer , jointe à de groffes barres du
même métal , qui excédoient d'environ
trois pieds la longueur des jambes , & qui
étoient deſtinées à retenir la figure fur le
pied'eftal.
Cette figure en cire fut réparée par M.
Bouchardon. On la couvrit enfuite de plufieurs
couches de potée extrêmement fine ,
& broyée fur le marbre. C'étoit un fecond
moule qu'on formoit , & tout d'une piece.
Les premieres couches de potée furent mifes
au pinceau. Celles-ci furent recouvertes
avec de la potée moins fine , appliquée
en quantité. Le tout fut entouré d'une armure
de fer. On plaça enfuite des briques
tout autour de ce moule , & on acheva de
combler la foffe avec de la maçonnerie.
Ce moule de potée fut totalement achevé
le 25 Février de cette année.
Le moule rempli de cire fe trouva donc
enterré dans la foffe. Il communiquoit
avec l'air extérieur par plufieurs tuyaux
en
JUIN. 1758. 169
en cire & recouverts de potée. Les uns devoient
fervir de canaux pour couler la
matiere , & les autres d'évent pour laiffer
fortir l'air. Ces derniers tuyaux étoient en
très-grand nombre. Il y en avoit plufieurs
fur chaque partie du cheval & de la figure
du Roi.
On mit le feu au moule : par-là on en fit
fortir la cire par des trous qu'on avoit ménagés
exprès. Ce feu fut redoublé pendant
quarante trois jours ; ce qui rougit le
noule , en chaffa toute humidité , & en fit
le recuit.
Dans cet intervalle , on faifoit les préparations
néceffaires à la fonte. Les matieres
furent mifes dans le fourneau. On y
alluma le feu le vendredis du mois de
Mai à onze heures du matin. Le lendemain
à cinq heures & demi du foir , la matiere
fut coulée dans l'efpace de cinq minutes
quatre fecondes ; ce qui fait environ trente
heures de fufion.
M. le Comte de Saint- Florentin , M.
le Duc de Chevreufe , Madame la Ducheffe
de Chevreufe , M. le Marquis de Marigny
, M. le Prévôt de Marchands , M.
l'Empereur , premier Echevin ; M. Viarme
, défigné pour fucceffeur de M. de Bernage
, & plufieurs autres perfonnes diftinguées
par leur naiffance ou leurs emplois ,
H
170 MERCURE DE FRANCE.
furent témoins de l'ouverture du fourneau.
Lorfqu'ils virent la matiere refluer par tous
les évents , ils fe livrerent aux tranfports
de leur joie , qui furent fuivis du bruit de
plufieurs boîtes tirées pour annoncer cet
heureux événement à tous les habitans de
la Capitale.
La matiere refluant par les évents étoit
en effet une preuve que le moule étoit
rempli , & qu'il ne s'y étoit point fait de
crevaffe qui laifsât échapper la fonte. C'étoit
un plein fuccès , admirable en ce que
la figure du Roi & le cheval font d'un
feul jet .
On avoit mis dans le fourneau foixante
milliers de matiere ; mais la figure reparée
, elle ne pefera guere qu'environ 24 à
25 milliers.
Il eft à fouhaiter que M. l'Empereur ,
premier Echevin , qui a fuivi de près toutes
ces opérations , qui en a fait prendre
les deffeins , & dreffer des procès - verbaux ,
les mette en ordre & au jour. Il eft luimême
habile Artifte , & il a tout vu &
examiné en homme d'art. Son ouvrage
détruiroit non feulement toutes les erreurs
répandues dans le livre de M. de Bofrand ;
mais encore il nous inftruiroit des moindres
détails de cette importante opération .
Le foin avec lequel il à ramaffé fes matéJUIN.
1758. 171
riaux , ne nous permet pas de douter qu'il
ne rempliffe à cet égard les defirs du
Public.
GRAVURE.
SUITE de la Lifte des Soufcripteurs pour
la gravure des Tableaux du cabinet du
Roi ; par Feffard , Graveur du Roi , &
de fa Bibliotheque , rue S. Honoré , chez
M. le Noir, Notaire , vis - à - vis la rue
de Léchelle , & à la Bibliotheque du Roi ,
rue de Ribelien .
ANNON
NNONCER ces nouveaux Soufcripteurs ,
c'eft annoncer le fuccès de cette entrepriſe.
Les Amateurs & Curieux de tous pays
s'intéreffant & contribuant à la réuffite
d'un auffi beau projet , fourniffent au Sc
Feffard les moyens de le fuivre avec vivacité.
Les perfonnes qui voudront voir les
Tableaux & le commencement de l'ouvrage
, pourront fe tranfporter tous les mardi
& vendredi de chaque femaine jufqu'à une
heure après - midi , à la Bibliotheque du
Roi , où le Sr Feffard travaille : il fe fera un
vrai plaifir de les y recevoir , & de profiter
de leurs confeils & de leurs avis . Les recon
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
noiffances des foufcriptions fe délivrent
toujours chez lui & à la Bibliotheque , &
chez le fieur Buldet , Marchand d'Eftampes
, au grand Coeur , rue de Gêvres , chez
lequel on trouve un affortiment général
de fes Gravures : ainfi qu'à Lyon , chez le
fieur Goubert , Marchand d'Eftampes.
C'est au 15 du préfent mois que devoir
fe fermer cette foufcription ; mais comme
il eft revenu au fieur Feflard que des perfonnes
ne foufcrivoient pas à cauſe du
retard des gravures de la Chapelle des Enfans-
Trouvés , il a reculé le terme juſqu'à
la fin du mois d'Août prochain. Il a déja
annoncé dans les Journaux que des maladies
en avoient été la premiere caufe, à quoi
l'on doit joindre encore le manque d'habiles
Eleves , dont il eft pourvu aujourd'hui.
Une nouvelle raifon de retard eft l'augmentation
de l'ouvrage. Il n'avoit promis
que des planches de 19 pouces de haut fur
i de larges. La Gloire en fait une de 30
pouces de large fur 23 de haut. Le maître-
Autel exige auffi un changement dans fa
grandeur. Il en eft de même de la planche
générale ; ce qui fait , tout bien combiné ,
trois planches de plus.
Noms de Soufcripteurs.
M. Pommier , Ingénieur du Roi des
JUIN. 1758. 173
Ponts & Chauffées aux Etats de Languedoc
, réfident à Alais.
Madame de Caumartin , Intendante de
l'Ifle ; M. le Baron de Thiers ; M. Boutin
fils , Receveur Général des Finances ; M.
de la Live de la Briche , Secretaire des
Commandemens de la Reine ; M. de Bachaumont
, Ecuyer ; M. de Montcellé , Secretaire
des Commandemens de la Reine.
De Dannemarck.
M. Waferfehble , Confeiller de Juſtice ,
Secretaire des affaires Etrangeres ; M. le
Baron de Bernftorff , Miniftre & Secretaire
d'Etat ; M. le Comte de Moltke , grand
Maréchal de la Cour ; M. Thot , Miniftre
des Finances ; M. Pleffen , Major Général
de Cavalerie ; M. Malhman , Bibliothécaire
du Roi ; M. Pilo , premier Peintre
du Roi ; M. Philibert.
Paris.
M. de Neuville , Fermier Général ; M.
le Comte de Calemberg , à Bruxelles ; M.
le Préſident de Cotte ; M. Goubert, à Lyon.
ONOn peut dire en général que l'eftime
qu'on accorde à un Ouvrage , fait naître
affez volontiers le defir d'en connoître
l'Auteur. Cette réflexion convient parti-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
culiérement à l'excellent Traité de la population.
Dès qu'il a paru , tous les fuffrages
fe font réunis pour applaudir au
génie bienfaifant qui l'a produit . L'ami
des hommes n'a trouvé que des amis dans
fes Lecteurs on s'eft empreffé de voir fon
portrait au dernier fallon , & la belle maniere
dont M. Aved l'a exécuté , n'a été
qu'un moyen de plus pour attirer les regards
du Public fur ce portrait intéreffant
à tous égards . M. de Marcenay- Deghui
vient de le graver , le zele a animé fes travaux.
Dans cette nouvelle Eftampe , le 16º
de fon oeuvre , qu'il a dédiée à M. le Marquis
de Mirabeau lui-même , on lit l'épigraphe
fuivante , qui renferme en trois
mots ce que l'ami des hommes a fait pour
les éclairer , & pour mériter leur reconnoiffance
:
Ipfe hominum pariter lumen , amicus , amor.
Cette Eftampe fe trouve chez l'Auteur ,
quai de Conti , la feconde porte cochere
après la rue Guénégaud , & chez M. Lutton
, Commis au recouvrement du Mercure
, rue Sainte Anne , butte Saint Roch.
Voici une petite lifte des Eftampes les plus
intéreffantes que le même Graveur a mifes
au jour.
La Bohemienne , du Prefteniers.
JUIN. 1758 . 175
Le Portrait de Rembrandt , d'après ce
Peintre.
Celui du Tintoret , auffi d'après lui.
Le Tobie qui recouvre la vue , d'après
Rembrandt .
L'Homme à la plume blanche avec fon
éponse , d'après Rembrandt.
La Bataille , d'après Parocel le pere.
Le Clair de Lune , d'après Vernet .
Le Teftament d'Endamidas , d'après le
Pouffin , annoncé au mois de Novembre
dernier , & quelques autres petites planches
qui complettent le nombre des 16
annoncées.
ARTS UTILES.
OPTIQUE.
LETTRE de M. l'Abbé de la Ville ,
l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR , relativement à la mention
que vous avez faite de moi dans le Mercure
de Mars de cette année , page 179 ,
je fuis accablé de ports de lettres , qu'on
m'adreffe inceffamment de Province. Cette
réputation que vous avez bien voulu me
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE:
donner , malgré moi , me devient en
quelque façon à charge ; puifqu'elle m'eſt
tout- à-fait difpendieufe. Ce qui me met
dans le goût de refufer à l'avenir toutes
les lettres qu'on pourroit m'adreffer , fi
elles ne font affranchies. Elles me deviendroient
extrêmement incommodes , puifque
par- là je ne pourrois plus retirer les
miennes. J'ai l'honneur de vous prier ,
Monfieur , à ce fujet de vouloir bien en
prévenir le Public. Je crois qu'il fuffira
d'inférer ma Lettre dans votre Mercure ,
& je me flatte que vous me ferez la grace
d'employer promptement cet article , auffi
bien que de me croire très- parfaitement ,
Monfieur , Votre très-humble , & c.
L'Abbé DE LA VILLE.
A Paris , le 21 Avril 1758 .
JUIN. 1758. 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
Le mardi 18 Avril , Mlle Arnould a joué
pour la premiere fois le rôle de Lavinie.
Son fuccès a été complet. Le tragique paroît
même le genre qui lui convient le
mieux. C'eſt du moins celui où elle a paru
dans le plus beau jour . Ses geftes font nobles
fans fierté , & expreffifs fans grimaces.
Son jeu eft vif & animé , & ne fort point
de la belle nature. Cette excellente Actrice
s'eft déja corrigée en partie d'une forte de
lenteur qu'elle mettoit dans la fcene , &
qui ne peut tout au plus convenir qu'à
PAriette. Le mauvais exemple l'avoit féduite
. Nous l'invitons à ne s'écouter qu'elle
même , fi elle veut approcher de plus en
plus de la perfection .
Un fi grand fuccès nous difpenferoit
prefque de dire que Mlle Arnould n'a plus
quitté le rôle , qu'elle a ramené le Public
à l'Opera ; enfin qu'elle a embelli Enés &
Hv
178 MERCURE DE FRANCE:
Lavine d'une apparence de nouveauté.
Les Amours des Dieux & la Provençale,
ont été donnés le 27 Avril pour la derniere
fois. Mlle Arnould qui chante tous les
jours , s'est très - bien acquittée du rôle de
la Provençale . Le fieur Defentis a rendu
fon Ariette avec toutes les graces dont la
Baffe eft fufceptible.
COMEDIE FRANÇOISE.
Le famedi 29 Avril , les Comédiens
François ont repréſenté pour la premiere
fois la Fille d'Ariftide , Comédie en profe
& en cinq actes.
L'innocence & la vertu perfécutées , tel
eft le tableau principal qu'a voulu nous
préfenter dans cette Piece Madame de
Graffigny , qui a des droits fi bien acquis
fur l'eftime du Public , par les Ouvrages
qu'elle lui a déja donnés. En aller chercher
les traits dans l'ancienne Athenes , c'étoit ,
fans doute , vouloir inftruire fa propre
Nation en la ménageant .
La diverfité des opinions fur cet Ouvrage
retiré du théâtre , nous feroit fouhaiter
d'être en état d'en donner un extrait aſſez
étendu pour pouvoir les fixer. Mais nous
fommes forcés nous - mêmes d'attendre
JUIN. 1758. 179
l'impreffion de cette piece , dont nous nous
bornerons ici à expofer le plan.
Cléomene , ancien Sénateur d'Athenes ;
avoit fuivi le célebre Ariftide , fon ami ,
dans fon éxil à Mégare : fes foins , fon
amitié , fa fortune même , lui en avoient
adouci l'injuftice & la rigueur. A fa mort ,
il fe chargea de Théonife , fa fille ; mais
comme le féjour de Mégare lui étoit devenu
infupportable par le caractere tracaffier
, importun , indifcretement zélé de
Cratobule , fon beau-frere , il étoit revenu
à Athenes y chercher la folitude qu'on
trouve dans les grandes Villes , mais fans
pardonner à fa patrie , & furtout au Sénat ,
l'injuſtice de la profcription de fon ami.
Cette même profcription lui avoit donné
un dégoût infurmontable pour toutes
les affaires , foit publiques , foit domeſtiques.
Les fiennes étoient dans un défordre
qui étoit la fuite de fa négligence & de
fon goût pour la retraite . Ce qui l'avoit
mis à fon retour dans la néceffité de les
confier à Parmenon , affranchi d'Ariftide
pour les rétablir avec le temps , s'il étoit
poffible.
Théonife avoit été élevée à Mégare avec
Thrafile , fils de Cratobule leurs coeurs
s'étoient liés par une intelligence douce &
festette . Mais Cratobule , Officier de mer ,
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
ayant obligé fon fils à prendre malgré lui
le même fervice , les avoit féparés. Dans
un combat naval , Thrafile tombé dans la
mer , paffa pour y avoir été englouti : Cratobule
bientôt confolé de cette perte par la
fingularité de fon caractere , ne fongeoit
plus qu'à unir Glaucé , fa fille , à Phérès ,
fils de Cleomene .
Tels font les faits préliminaires de la piece
dont nous allons tracer rapidement l'action
.
La haine de Phérès pour Théonife , qui
a toute la confiance de Cléomene ; l'envie
qu'il témoigne à Dromon , fon efclave , de
la rendre odieufe à fon pere ; les ordres
preffans qu'il lui donne d'abufer de la
naïveté de Thais pour tirer d'elle les prétendus
fecrets de Théonife , fa maîtreſſe ;
les larmes que la fille d'Ariftide verfe dans
le fein de Parmenon fur la mort de Thrafile
; la fituation fâcheufe des affaires de
Cléomene dont Parmenon s'entretient avec
elle ; l'impatience & la dureté d'un Créancier
qui exige un paiement qui paroît à
Parmenon impoffible à faire ; l'opiniâtreté
de Cléomene à ne vouloir entendre parler
de rien qui foit étranger à fa philofophie
oifive ; les nouveaux dangers dont Par
menon le menace par rapport au Sénat dont
il a refuſé d'écouter les Députés qui veJUIN.
1758. 182
noient le confulter fur les affaires publiques
: voilà les traits principaux qui fervent
à l'expofition & au développement
de la Piece.
Cratobule perfuadé avec la confiance
que donnent les fauffes préventions , que
Cleomene pourroit aller jufqu'à épouser
Théonife , arrive à Athenes. Il fe lie avec
Pherès , augmente fes foupçons , infulte
Théonife , & l'accufe de profiter du dérangement
des affaires de fon bienfaicteur
tandis qu'elle vient dans l'inftant d'appaifer
les pourfuites du Créancier dont on a
parlé , en facrifiant une fomme qu'un Débiteur
honnête de fon pere lui avoit remife
, & qui étoit fa feule reffource.
>
Excédée de perfécutions injuftes , & révoltée
contre les calomnies dont on la
noircit , Théonife ne peut refter dans une
maifon où elle caufe innocemment tant
de troubles. Cléomene alors , pour la mettre
à l'abri des deffeins de Cratobule , & la faire
rentrer dans les droits de Citoyenne dont
fa qualité de fille d'un Profcrit la privoit ,
fe détermine à lui offrir fa main , après lui
avoir propofé celle de fon fils , & avoir
fenti la répugnance invincible qu'elle avoit
à l'accepter. Il faut , dit- il , que nos chaînes
ne durent qu'un moment , &c. ... Recevez
mon ferment. Je promets de mourir votre
époux.
182 MERCURE DE FRANCE:
A peine Théonife a-t'elle reçu le ferment
de fon bienfaicteur , qu'elle voit Thrafile à
fes genoux. Son étonnement , fon embarfa
réferve & fa contrainte , ne confir
ment que trop à fon Amant les foupçons
que lui a imputés la naïve Thaïs trompée
par Cratobule.
ras ,
Pherès les furprend enfemble : il en
avertit Cratobule. Tous deux conviennent
de faire enlever Théonife dans la nuit.
Thaïs les entend : elle confie leur complot
à Thrafile , que fon déſeſpoir ramene , &
le fait cacher dans la maifon .
Les Raviffeurs font repouffés & mis en
fuite par Thrafile. Le bruit de cet événement
eft entendu de Cléomene , que Pherès &
Dromon cherchent à tromper fur les éclairciffemens
qu'il en demande. Il eft d'abord
inftruit de l'entrevue de Théonife & de
fon Amant il apprend enfuite que Trafile
a été caché la nuit dans la maiſon . Il
fait venir Thaïs : il l'interroge ; & la naïveté
des réponſes qu'elle fait en tremblant
ouvre fon efprit à tous les foupçons , que
fon refpect pour la vertu de Théonife lui
faifoit rejetter.
La fille d'Ariftide livrée au défefpoit
où l'a laiffée Cléomene dont la répugnance
pour toute difcuffion , ne lui a pas permis
d'affez longs éclairciffemens , apprend enJUIN.
1758.
183
core de Parmenon que Cléomene , l'ami de
fon pere , eft condamné par le Sénat à une
amende dont le défaut de paiement va le
précipiter dans les horreurs d'une prifon
peut- être éternelle. Théonife épouvantée ,
voit qu'elle n'a plus qu'un facrifice à faire
pour fon bienfaicteur : elle s'y réfout . Elle
court vendre fa liberté à un Marchand
d'Efclaves, tandis que Parmenon va promp
tement avertir Thrafile de tout ce qui fe
paffe.
Celui- ci à qui le Sénat avoit promis la
premiere grace qu'il demanderoit , pour
s'être diftingué dans la bataille dont il eft
venu annoncer le fuccès , implore auprès
de ce même Sénat le droit de Citoyenne
pour Théonife . La République fait encore
plus. Elle rétablit la mémoire d'Ariftide ;
érige un monument à fa gloire , & dote fa
fille . Cléomene inftruit du facrifice , & plus
encore de l'innocence de Théonife , la rend
à ce jeune Héros , en la dégageant de fes
premiers fermens.
L
COMÉDIE ITALIENNE.
A Nouvelle Ecole des Femmes , dont le
fuccès s'est toujours foutenu d'une maniere
brillante , vient d'être imprimée
184 MERCURE DE FRANCE.
1
Paris , chez Prault fils , quai de Conti ,
la Charité. Cette piece n'a rien perdu à la
la lecture , elle cft écrite avec efprit ; nous
prions nos lecteurs de fe rappeller le plan
que nous en avons donné dans le fecond
volume d'Avril de cette année ; car nous
nous contenterons aujourd'hui d'en tranf
crire quelques traits , qui feront juger du
ton du dialogue.
Par exemple , la maniere dont le Chevalier
juftifie Laure aux yeux de Mélite ,
nous a paru très- adroite. Acte 1. Scene
V.
Le Chevalier.
Pour vous fatisfaire , Madame , en-
» trons dans le détail . Que reprochez - vous
Ȉ Laure ? Elle eft aimable , dites- vous ;
» n'eft- ce pas bien fait à elle , & eft- ce à
» vous , Madame , à lui faire un défaut
» d'une qualité que vous poffédez plus que
perfonne
"
Mélite.
Je vous remercie de la galanterie ;
mais point de comparaifon.
Le Chevalier.
» Elle a des talens : d'accord ; mais ces
talens ne font point avilis par l'ufage
» qu'elle en fait . C'eft pour le bonheur des
perfonnes qui la connoiffent ,, que
l'are
JUIN. 1758. 185
33
ود
"
ور
»chez elle a fçu embellir la nature ; &
» comme les talens font des faveurs que la
» nature fait à peu de perfonnes , elle les
charge d'en amufer , par forme de dédommagement
, celles à qui elle les refuſe.
Laure eft jeune , ajoutez - vous : grand
» défaut , j'en conviens ; mais c'eft le feul
»que les femmes pardonnent : elles fça-
» vent qu'il ne dure pas . Laure fait beaucoup
de dépenfe & tient une maifon , il
>> eft vrai ; mais elle eft riche , & fa ri-
» cheffe n'eft point le fruit du deshonneur.
>> Un vieux garçon fort opulent prêt à l'époufer
, mourut fans parens ; il a laiffé
» à fa maîtreffe tout le bien que huit jours
plus tard il auroit laiffé à fa femme . Depuis
quand eft- il défendu à l'amour d'ê-
» tre auffi généreux que l'hymen ? Laure
» ne voit que des gens fort riches & du
" plus haut étage : fans doute , ce font
eux avec qui elle peut mettre fon mérite
» dans le plus beau jour. C'eft un tableau
» fini qui a befoin d'être vu par des con-
» noiffeurs. Enfin elle n'eft point mariée :
ور
و ر
23
و ر
و ر
و و
quelles entraves vous mettez à votre
» bonheur , Mefdames , fi vous ne pouvez
» jouir honnêtement de quelques années
de votre vie fans la perte de votre liberté
...... fçachez donc que Laure n'a ni
> les raffinemens de la coquetterie , ni les
و د
186 MERCURE DE FRANCE
" artifices de l'infidélité , ni les noirceurs
» de la perfidie : la liberté , l'amour & la
philofophie chez elle fe tiennent par la
» main ; c'eft une ame noble , mais fenfi-
» ble , qui fe livre avec décence à toute la
» vivacité de fes goûts , & qui fçait allier
» la dignité des fentimens les plus refpec-
» tables , avec l'extérieur de la conduite
» la plus galante . »
و ر
Il feroit à fouhaiter qu'il y eût dans ce
premier acte un peu plus de gaieté , &
cela avec d'autant plus de raiſon , que le
fecond eft fort agréable. Tout y eft également
intéreffant , le dialogue en eft vif &
l'action très-animée . Parmi les différentes
fcenes de ce fecond acte , nous ferons
choix du commencement de la fixieme ,
dans laquelle Laure fait une mauvaiſe
querelle à S. Fard pour ranimer fa paffion
& inftruire Mélite dans l'art de la coquetterie.
ACTE II , SCENE VI.
Laure , Saint- Fard.
Laure àfa toilette , s'ajustant quelques boucles
-de cheveux.
Ah ! Monfieur , vous voilà ; je fuis
fort aife de vous voir : eh bien ! on ne
JUI N. 1758 . 187
»peut donc pas avoir la clef de votre lo-
» ge ?
S. Fard.
» Je me fuis fait un plaifir de vous l'ap-
» porter moi- même.
و د
Laure.
» Un plaifir d'apporter une clef : cela
» s'appelle mettre du plaifir partout. Mais
» voilà une belle heure pour aller à un
opéra nouveau .
و د
"
S. Fard tire fa montre.
» Il n'eft
ود
que cinq heures & demi , Ma
» dame , & vous n'y arrivez jamais avant
>> fix heures.
Laure.
» D'accord ; mais précisément aujourd'hui
je voulois y aller de bonne heure.
» Et c'eft
و د
n'eſt
S. Fard.
cela
pour que votre toilette
pas encore
finie :
Laure.
» Ce petit ton ironique veut me prou-
» ver apparemment que je n'ai pas le fens
» commun.
23
S. Fard.
Quelle idée , charmante Laure ! quel
188 MERCURE DE FRANCE:
»qu'un mieux que moi fçait- il ce qui en
» eft ? "
ม
Laure.
» Et pourquoi le fçauriez - vous plus
qu'un autre ? N'ai - je donc de l'efprit que
» pour vous , ou vous croyez-vous feul capable
d'en juger ?
"
"
S. Fard.
» Ni l'un ni l'autre , Madame , mais je
» défie que perfonne s'y intéreffe plus que
» moi , & c'eſt cet intérêt qui me fait diftinguer
toutes vos bonnes qualités mieux
» que perfonne.
و د
ود
و ر
Oh ! pour le
Laure.
coup ,
voilà un compli-
» ment qui vous eft d'une grande refſource:
» les hommes font admirables , ils ne nous
» ont pas plutôt lancé l'épigramme , qu'a-
» vec quelque fadeur ils content tout rac-
>> commoder , & que nous fommes con-
» tentes. Oh bien , Monfieur , gardez vo-
» tre compliment pour une meilleure oc-
» cafion , & votre loge pour un autre
jour.
"3
S. Fard.
» Vous n'allez donc point à l'opéra ?
Laure.
» Si vraiment , n'y a-t - il que votre loJUIN.
1758 . 189
"ge
و
dans le monde ? J'ai celle du Baron
» qui , plus attentif que vous , me l'a en-
» voyée dès le matin .
S. Fard.
» Et vous l'avez acceptée ?
Laure.
35
Pourquoi non ?
S. Fard.
39
" Le Baron eft heureux , Madame. Si
j'avois imaginé que vous cuffiez pu
dou-
» ter de mon exactitude , vous auriez eu la
» clef de la loge dès hier : ainfi celle du
» Baron....
"
Laure.
Soit tout ce tracas de clefs me rompt
»la tête. Laiffons cela.
و ر
S. Fard.
»Volontiers , je connois votre fincérité.
Là avouez que quand je fuis arrivé ,
» vous aviez un petit befoin de gronder ,
> dont vous m'avez donné la préférence .
و ر
Laure.
Pourquoi non c'eſt une faveur ; ai-
» meriez -vous mieux que je l'euffe gardé
» pour un autre ? ( elle fe leve , on ôte la toi-
»lette ) Vous en fentirez mieux le plaifir
» de m'entendre chanter l'air que vous
190 MERCURE DE FRANCE.
m'avez envoyé ; les paroles font fimples
» & modeftes , voilà comme je les aime ,
» &c.
Le peu d'étendue de notre premier extrait
( 1 ) , ne nous permit pas de développer
toute l'adreffe du dénouement. Nous
y fuppléérons ici d'autant plus volontiers ,
que c'eft la partie de la piece qui fait le
plus d'honneur à M. de Moiffy : car elle
établit fon talent pour le théâtre.
On doit fe rappeller que dans le premier
acte , le Chevalier fait inutilement fes efforts
pour infpirer le parti de la vengeance
à Mélite . N'ayant rien obtenu par fes difcours
, il dit à part : » je n'ai plus de ref-
و ر
fource , que dans l'amufement qu'elle
» pourra prendre à la fête que je lui pré-
" pare ici ; ne ménageons rien pour la ren-
» dre agréable ». Marton eft dans fa confidence
.
Dans le troifieme acte , Mélité eft en
habit de bal , elle demande à Marton
qu'elle lui aide à inventer quelque amuſement
, qui puiffe intéreffer & furprendre
S. Fard.
Marton.
>> Pour ce foir , "
(1) Second volume d'Avril
JUIN. 1758. 191
Mélite.
>>
" Oui pour ce foir , pour l'inſtant même
, s'il le faut.
99
Marton.
Que voulez- vous que j'imagine en fi
de temps ? Ma foi , Madame , chantez
, danfez autour de lui.
» peu
Mélite.
Quoi ! feule ? J'aurai l'air d'une folle .
Marton.
D'accord : tout ce que je peux faire
"pour votre ſervice , c'eft de
partager
,, cette folie avec vous.
Mélite.
Cela ne réuffira pas mon enfant , &
je manquerai mon début.
»
Marton.
Voilà pourtant tout ce qui fe préfente
» à mon imagination : auffi votre deffein
» eft fi extraordinaire ! ... Mais ... attendez...
juftement... Madame , j'ai votre affaire,
ود
>Comment !
و د
Mélite.
Marten.
» Monfieur le Chevalier qui prétend ;
comme vous fçavez , vous confoler de
192 MERCURE DE FRANCE.
» vos chagrins , doit ce foir vous donner
» un divertiffement ; je fuis dans le fecret ,
» il a fait aſſembler ici incognito des dan-
» feurs & des danfeufes dont il veut vous
régaler , employons- les pour en amufer
» S. Fard.
33
Mélite.
» Fort bien ! cela vient on ne peut pas
» mieux . 33
Marton.
» Vous ferez la premiere femme qui au-
» ra fait fervir à l'amuſement de fon mari
» une fête préparée par fon amant ; mais
» cette fingularité en rendra le tour plus
plaifant.
و د
Mélite.
" Et fi le Chevalier revient pendant le
» divertiſſement.
39
Marton .
» Ne craignez rien , il eft trop fin pour
» dire à S. Fard , qu'il eft l'auteur de cette
galanterie , & vous pourrez vous l'attri-
» buer toute feule .
99
Mélite gayement.
» Tu as raifon » , &c.
Que ce divertiffement eft bien amené !
il fort du fond du fujet. Il eft annoncé dès
le premier acte , & lié à tous les événemens
JUIN. 1758. 193
mens de la piece . On défireroit feulement
qu'il fût un peu moins précipité. Si Laure
fût venue à ce bal mafquée , elle y auroit
jetté un nouvel intérêt , & auroit été témoin
du fuccès de fes leçons. Ces petits
défauts n'empêchent pas que la nouvelle
Ecole des Femmes ne foit fort agréable , &
dans le goût du vrai comique. Auffi a- t'elle
eu 18 repréſentations .
CONCERT SPIRITUEL.
Le jeudi 4 mai , jour de l'Afcenfion , le
Concert fpirituel a commencé par une
fymphonie : on a éxécuté enſuiteOmnes gentes
motet à grand choeur de M. Cordelet.
Mlle Lemiere & M. Defentis ont chanté
Cantemus , petit motet de M. Mouret. M.
Vachon a joué un concerto de fa compofition
. Mlle Fel a chanté un petit motet
pour le jour . Le Concert a fini par In
exitu , motet à grand choeur de M. Mondonville
.
Le 14 mai , jour de la Pentecôte , le
Concert a commencé ppaarr uunnee fymphonie :
on a éxécuté enfuite Venite, exultemus , motet
à grand choeur de M.Davefne . La Signora
Anna Chirri Dehel chanta un air Italien.
Mlle Lemiere & M. Larivée chan-
I
194 MERCURE DE FRANCE ,
terent un petit motet de M. Mouret , M.
Balbaftre joua un concerto d'orgue. Mademoiſelle
Fel chanta Exultate, jufti , concerto
de voix de M. Mondonville. Le Con.
cert a fini
par Laudate Dominum , quoniam,
&c. motet d'orgue du même Auteur.
JUIN. 1758. 195
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ES
ALLEMAGNE.
DE STRALSUND , le 9 Avril. 9.
Les Pruffiens avoient établi vis- à - vis de l'iſle de
Rugen , près de Stahlbroë , une batterie qui incommodoit
beaucoup les Suédois . Ceux -ci ayant
pris la réfolution de la détruire , firent partir le 2
du mois d'Avril de Danholm , à un quart de lieue
de cette Ville , plufieurs bâtimens plats chargés
d'artillerie. La canonnade , qui fut très- vive de
part & d'autre , dura depuis cinq heures jufqu'à
neuf heures du matin , & les Suédois font venus à
bout de ruiner entiérement cette batterie.
Depuis les détachemens que les Pruffiens ont
été obligés de faire , pour s'opposer aux progrès
des Ruffiens , ils n'ont plus ici que quinze ou feize
mille hommes. Ainfi les Suédois fe difpofent à
quitter inceffamment l'ifle de Rugen & Stralfund ,
pour pénétrer une feconde fois dans la Poméranie
Pruffienne.
par
Malgré les affurances par écrit , données
le Maréchal de Lehwald aux Etats de la Poméra
nie Suédoife , qu'il ne feroit exigé d'eux aucune
autre contribution que celle qu'ils ont déja
payée , le Comte de Dohna , qui a pris le commandement
de l'armée Pruffienne , leur demande
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
encore foixante mille écus , & une certaine quantité
de bled .
DE RATISBONNE , le 7 Avril.
On écrit de Reftock , que le 28 du mois de
Mars , les Pruffiens ayant empêché d'ouvrir les
portes de la Ville , commencerent de grand matin
à vifiter toutes les maifons , & enleverent indiftinctement
tous ceux qui leur parurent propres
à porter les armes. La vifite dura jufqu'à neufheures
, & quantité de Négocians fe trouvant compris
dans le nombre de ces recrues bourgeoiles de
nouvelle efpece , la confternation fut générale .
Cependant les cris des femmes , des enfans & du
peuple , obligerent le Commandant Pruffien à
faire relâcher plufieurs hommes d'un âge avancé ;
mais ce ne fut qu'en leur déclarant qu'aucun d'eux
ne feroit exempt d'entrer au fervice du Roi de
Pruffe , à moins qu'il ne fût remplacé par un autre
en état de fervir. Comme à cette premiere vifite
, on ne put faire affez de recrue pour completter
le nombre auquel les Pruffiens ont taxé
cette Ville , la nuit fuivante ils recommencerent
à faire de nouvelles recherches , & ils s'emparerent
encore d'un grand nombre d'habitans,
DE HAMBOURG , le 19 Avril.
L'impoffibilité où le trouvent les habitans du
Duché de Mecklenbourg , de payer les contributions
en argent qui leur ont été impofées , a enfia
été reconnue , & le Roi de Pruffe en conféquence
, a permis d'accorder une diminution de
cinq cens mille écus .
Les Troupes Pruffiennes répandues dans ce mê
JUIN. 1758. 197
me Etat , vont l'évacuer , pour se rendre à l'armée
de Poméranie , qui a befoin de renforts . Le
détachement qui bloquoit la ville de Schwerin
étoit déja retiré le 13 .
Tous les avis qui viennent de Pomeranie , marquent
que les Pruffiens fortifient confidérablement
Stettin , & que par ordre du Roi de Pruffe , on
coupe dans les forêts voifines quarante mille paliffades
, pour être tranfportées dans cette Ville.
Du Quartier général de l'Armée Impériale
fur les frontieres de Silefie , le 18 Avril.
Une colonne de Troupes Pruffiennes , aux or
dres du Général de la Mothe.Fouquet , compofée
d'environ fix mille hommes , Infanterie , Cavalerie
& Huffards , s'eft portée de Winfchelbourg à
Braunau , & s'eft emparé de ce pofte , où nous
n'avions qu'un détachement de cent cinquante
hommes , pour obferver les mouvemens de l'ennemi
, & en donner avis fur le champ , avec ordre
de fe retirer , s'il s'avançoit avec des forces
fupérieures. Cette colonne à été bientôt ſuivie
d'un corps d'environ trois mille hommes qui ont
marché de Friedland à Ruppersdorff. Un détachement
de ce corps obligea d'abord nos poftes avancés
de fe replier fur une redoute établie à portée
de Podifch ; mais à l'arrivée de deux cens Huffards
qui venoient relever ces poftes , les ennemis
furent contraints de fe retirer eux-mêmes
jufqu'à Ruppersdorff. Les ennemis dans ce petit
choc n'ont perdu que neuf hommes tués , & deux
faits prifonniers ; mais le nombre de leurs bleffés
doit être plus grand . Nous y avons eu deux foldats
tués , un Lieutenant & onze hommes bleffés ,
& le fieur de Fourar , Lieutenant- Colonel du Ré-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
giment de Huffards de l'Empereur , ayant eu fon
cheval tué fous lui , a été fait priſonnier , ainfi
que quatre foldats qui venoient pour le dégager.
Le 8 Avril , le Colonel Pruffien le Noble , avec
un bataillon de Volontaires & deux Efcadrons de
Huffards , ayant tout-à-coup débouché d'un bois ,
attaqua vigoureufement nos poftesavancés d'Halbftadt.
La fupériorité du nombre obligea d'abord
les nôtres à fe replier jufqu'à une redoute qui était
hors de portée. Mais le Général Laundon , commandant
dans cette partie , fit fur le champ des
difpofitions qui arrêterent les Pruffiens . Un détachement
de Huffards , foutenu par des Croates ,
tomba rapidement le fabre à la main fur les ennemis
, & les obligea de fe replier eux- mêmes avec
la plus grande précipitation. Les Pruffiens , protégés
par un feu très-vif, tâcherent de regagner
le bois , & d'y reprendre pofte ; mais les Croates
les ayant tournés , les en empêcherent , & les re
menerent battant jufqu'à Halbftadt.
Pendant cette action , un autre détachement
Pruffien , compofé d'Infanterie & de Cavalerie ,
fit la même tentative du côté de Dieterbaſch ;
mais le Général Laundon y pourvut encore , &
l'ennemi fut repouffé avec perte.
Enfin le lendemain , un troifieme corps de
Pruffiens venant de Schwartzwaffer , voulut pénétrer
du côté de Schatzlar ; mais il n'ofa rien
entreprendre , parce que le pofte que nous y
avions , lui parut bien difpofé à le recevoir , & il
s'en retourna comme il étoit venu .
Depuis , le corps du Colonel le Noble , renfor
cé de trois bataillons de Grenadiers , parut vouloir
de nouveau forcer une redoute que nous avions
établie à Potifch. Cependant cette expédition fe
borna à détacher quelques troupes , pour débar
JUIN. 1758. 199
raffer les environs de Hutberg des abbatis qu'on
y avoit faits ; & le pofte que nous y avions , fe
défendit avec tant de vigueur , que l'ennemi fut
contraint d'abandonner l'entreprife. Ainfi toute
la troupe rentra dans fes quartiers à Dieterſbach ,
& travailla fur le champ à fe retrancher près d'une
ferme à portée de-là. La nuit fuivante , le Général
Laundon fit attaquer par les Croates le retranchement
des Pruffiens , & l'ennemi , après quelque
perte , fut encore obligé de fe retirer .
On vient d'apprendre que la ville de Schweidnitz
s'eft rendue aux ennemis , la nuit du 16 au
17 du mois d'Avril , aux mêmes conditions qu'elle
s'étoit rendue ci -devant aux troupes de l'Impératrice-
Reine.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Le Roi jugeant à propos de faire paffer incef- E
*
famment entre les mains des hommes Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , à nommé Gouverneur
de ce Prince M. le Comte de la Vauguyon
Lieutenant général de fes Armées , Chevalier de
fes Ordres , & Menin de Monfeigneur le Dauphin
; Précepteur , M. PEvêque de Limoges ;
Sous-Gouverneurs , MM . les Chevaliers de la Ferriere
& de Beaujeu ; le premier , Brigadier d'Infanterie
, & Capitaine au Régiment des Gardes
Françoifes ; le fecond , Chevalier de l'Ordre de
Saint Jean de Jérufalems Sous - Précepteur , M.
l'Abbé de Radonvilliers , Abbé de l'Abbaye de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Saint Loup de Troyes ; Lecteur , M. l'Abbé d'Ar
gentré , Vicaire général du Dioceſe de Limoges ;
Gentilshommes de la Manche , M. le Baron de
Luppé , Colonel du Régiment royal Cantabre ;
MM. les Marquis de Marboeuf , Colonel du Régiment
de Dragons de fon nom ; de Montefquiou ,
Colonel dans le Corps des Grenadiers de France ,
& de la Haye , Capitaine de Cavalerie.
Le Roi a donné à M. l'Evêque d'Orléans la futvivance
de la Direction générale des Economats
& de la Régie des biens des Religionnaires , exercées
actuellement par M. le Comte du Muy ; & Sa
Majefté a voulu que ce Prélat pût lui en rendre
compte , lorfque , pour cauſe d'abſence ou de maladie
, M. le Comte du Muy ne'pourroit pas travailler
avec Elle.
Le 23 Avril , le Roi , la Reine , & la Famille
Royale , fignerent le contrat de mariage de M. le
Marquis de la Côte , Officier des Chevaux- Légers
de la Garde , avec Mademoiſelle de Digoine.
M. de Perfan , ci -devant Capitaine au Régiment
Colonel Général de la Cavalerie , a obtenu l'agrément
du Roi pour la place de Lieutenant Meſtre
de Camp du même Régiment.
Le 30 Avril , M. le Comte de la Vauguion &
M. l'Evêque de Limoges , prêterent ferment entre
les mains du Roi ; le premier , en qualité de Gouverneur
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
& le ſecond , comme Précepteur de ce Prince.
Le même jour , les Etats de Bourgogne eurent
audience de Sa Majefté . Ils furent préſentés par
M. le Prince de Condé , Gouverneur de la Province
, & par M. le Comte de Saint - Florentin , Minif
tre & Secretaire d'Etat . La députation , qui étoit
conduite par M. Defgranges , Maître des Cérémonies
, étoit compofée , pour le Clergé , de M.
JUIN. 1758. 201
P'Abbé Dufers , qui portoit la parole ; de M. le
Comte de Tonnerre , pour la Nobleſſe , & de M.
de la Ramiffe , Maire d'Auxonne , pour le Tiers-
Etat . Elle eut audience de la Reine & de la Famille
Royale.
Les Etats d'Artois eurent auffi l'honneur d'être
admis à l'audience du Roi , pour la préſentation
du cahier. M. le Duc de Chaulnes , Gouverneur
de la Province , & M. le Comte de Saint - Florentin
, pour le M. le Maréchal - Duc de Belle - Ife
qui a le département de cette Province , & qui
étoit indifpofé , les préſenterent à Sa Majefté , &
ils furent conduits par M. de Gifeux , Maître des
Cérémonies en furvivance. Les Députés étoient ,
pour le Clergé , M. l'Abbé de Cry , Chanoine de
la Cathédrale d'Arras & Vicaire général du Diocefe
, portant la parole ; pour la Nobleffe , M. le
Baron de Wifmes ; & pour le Tiers- Etat , M. de
Camps , Avocat , ancien Echevin de la ville
d'Arras.
Le premier de Mai , la Faculté vérifia le bon
état de la fanté de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
. Il en fut dreffé un procès-verbal qui fut
préfenté à Sa Majefté par M. le Comte de Saint-
Florentin , & on en remit deux copies en forme ,
P'une à Madame la Comteffe de Marfan , & l'autre
à M. le Comte de la Vauguyon. Vers le midi ,
Madame la Comteffe de Marfan conduifit Monfeigneur
le Duc de Bourgogne à l'appartement du
Roi , & remit ce Prince entre les mains de Sa
Majefté , qui lui témoigna toute la fatisfaction du
fuccès de fes foins pour la premiere education de
ce Prince. Un moment après le Roi remit Monſeigneur
le Duc de Bourgogne entre les mains de M.
le Comte de la Vauguyon . Les mouvemens de
l'ame de ce Prince , au moment d'une féparation
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
fenfible , fe peignirent fur fon vifage , & firent
admirer à la fois l'excellence de fon coeur & fa
fermeté dans un âge fi tendre.
Promotion d'Officiers Généraux & de Brigadiers.
Lieutenans Généraux. MM . le Comte de Moncan
, Commandant en Languedoc ; le Marquis de
Crillon ; de Torcy , Commandant à Nancy ; le
Comte d'Afpremont , Commandant un Bataillon
du Régiment des Gardes Françoiſes ; de Landreville
, Lieutenant des Gardes du Corps dans la
Compagnie de Luxembourg ; le Comte d'Affry
Lieutenant Colonel du Régiment des Gardes Suiffes;
le Baillif de Grille , Capitaine - Lieutenant
des Grenadiers à cheval ; le Chevalier du Châte
let ; le Comte de Vauban ; les Marquis de la Che--
ze, d'Havrincour , de Poyanne , de Barbançon ,
ces deux derniers Inspecteurs Généraux de Cavalerie
& de Dragons ; de Berville & d'Efcorailles ,
premier Soulieutenant de la Compagnie des Chevaux-
Légers de la Garde du Roi le Comte de la
Serre , Infpecteur général d'Infanterie ; de Montmort
, Major des Gardes du Corps ; le Marquis
d'Aubeterre ; le Comte de Montmorency ; le
Duc d'Aiguillon , Commandant en Bretagne , &
de Sabrevois , du Corps Royal de l'Artillerie & du
Génie.
Maréchaux de Camp , de la Maison du Roi , Infanterie
Cavalerie..
MM. le Chevalier de Vogué , Exempt des Gar
des du Corps dans la Compagnie de Luxembourg ;
le Baron de Beufenvald , Capitaine au Régiment
des Gardes Suiffes ; le Comte de Chabannes , Soulieutenant
de la feconde Compagnie des Mouf
quetaires; le Marquis de Caryoifin , Soulieutenant
JUIN. 1758. 205
de la premiere Compagnie des Moufquetaires ; le
Vicomte de Merainville , Soulieutenant de la Compagnie
des Gendarmes de la Garde du Roi.
De la Gendarmerie . M. le Comte de Bouville ,
Soulieutenant des Gendarmes Anglois.
De l'Infanterie. MM. de Vaux-de la Broffe ,
Lieutenant Colonel du Régiment du Comte de la
Marche ; le Comte de Polignac , Colonel du Régiment
d'Enghien ; Robert , Colonel Réformé à
la fuite du Régiment de Picardie ; le Comte de
Grammont ; le Marquis de Balleroy ; le Comte
de Waldner , Colonel d'un Régiment Suiffe ; le
le Chevalier de Croifmaré , Lieutenant Colonel du
Régiment du Rói ; Chevalier de Grollier, Colonel
du Régiment de Foix ; le Chevalier de Beauteville ,
Commandant dans les Cevennes ; le Marquis de
Langeron , Colonel du Régiment de Condé,
Du Corps Royal de l'Artillerie. MM. le Chevalier
d'Efpicquetieres & de Roftaing , tous deux du
Corps Royal de l'Artillerie & du Génie.
Du Corps du Génie. M. de Rivérfon , du Corps
Royal de l'Artillerie & du Génie .
De la Cavalerie. MM. le Chevalier de Montbarey
, Lieutenant - Colonel du Régiment Royal ;
les Comtes de Clermont -Tonnerre & de Maugiron
, Mestres de Camp d'un Régiment de Baye ,
Meftre de Camp Réformé à la fuire du Régiment
Royal Rouffillon ; les Marquis de Bellefont & de
Bezons , chacun Meſtre de Camp d'un Régiment.
"'
Des Dragons. MM. les Comtes d'Aubigny
Lieutenant- Colonel du Régiment de Dragons de
Marbeuf, & d'Harcourt- Lillebonne , Meftre de
Camp d'un Régiment de Dragons.
Brigadiers d'Infanterie. MM. le Comte d'Hef
fenftein , Colonel ; le Chevalier d'Aubonne , Capitaine
dans le Régiment des Gardes Françoifes;
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
Conrad- Bely de Belfort , Aide- Major dans le Ré
giment des Gardes Suiffes ; le Chevalier de Montazet
, Colonel Réformé à la fuite du Régiment
d'Eu ; le Marquis d'Hérouville , Colonel du Régiment
de Bourgogne ; les Comtes de Drummontde
Melfort , Colonel Réformé à la fuite du Régiment
Royal Ecoffois , & de Civerac , Colonel da
Régiment Royal des Vaiffeaux ; Filtz - Gerald ,
Colonel Réformé à la fuite du Régiment de Clare ;
le Comte de Lewenhaup , Colonel du Régiment
de Madame la Dauphine ; le Chevalier de Chantilly
, Colonel d'un Régiment de Grenadiers
Royaux le Beuf, Colonel dans le Corps Royal
de l'Artillerie & du Génie , & Chabrié , Colonel-
Commandant un Bataillon du Corps Royal de
l'Artillerie & du Génie .
Brigadiers de Cavalerie. MM . le Marquis de
Montalembert , Enfeigne de la Compagnie des
Chevaux-Légers de la Garde du Roi ; Hébert ,
Aide Major des quatre Compagnies des Gardes
du Corps ; Pinon de Saint- Georges , Meftre de
Camp d'une Brigade de Carabiniers , & du Poral,
Meftre de Camp Réformé à la fuite du Régiment
des Cuir ffiers ; le Marquis de Laubefpine , Meftre
de Camp Réformé à la fuite du Meftre de
Camp géneral ; les Comtes d'Houdetot , Capitaine-
Lieutenant des Gendarmes de Berry , de Bourbon
- Buffet , Meftre de Camp d'un Régiment , &
de Béthune , Meftre de Camp du Régiment Royal
Pologne.
Brigadiers de Dragons . MM. le Vicomte de
Thiange , Meftre de Camp d'un Régiment ; le
Chevalier d'Aubigné , aufli Meſtre de Camp d'un
Régiment.
Sa Majefté a donné le Régiment de Nice , Infanterie
, vacant par la mort de M. le Comte de la
JUIN. 1758 . 205
Queuille , à M. le Marquis de Juigné , Colonel
dans les Grenadiers de France. Les quatre Régimens
de Cavalerie , de Maugiron , de Clermont-
Tonnerre , de Bellefont & de Bezons , vacans par
la promotion , ont été accordés par le Roi ; le
premier , à M. le Comte de Tralegnies , Major
du Régiment royal Etranger ; le fecond , à M. le
Marquis de Noé , Lieutenant - Colonel du Régiment
de Cavalerie de Monfeigneur le Dauphin ;
le troisieme , à M. le Duc de Chartres , & le quatrieme
, à M. le Marquis de Vauffieux , Capitaine
dans le Régiment de Dragons du Roi. M. le Chevalier
de Flamarens a obtenu celui d'Harcourt-
Lillebonne , Dragons , qui vaquoit par la même
promotion.
Le Roi a donné à M. d'Ormeſſon , Intendant
des Finances , la place de Confeiller d'Etat , vacante
par la mort de M. Pallu , Intendant général
des Claffes de la Marine.
MM. les Chevaliers de l'Ordre de Saint Michel
tinrent le 8 Mai Chapitre dans le grand Couvent
des Religieux de l'Obſervance . M. le Maréchal
Duc de Biron , Chevalier des Ordres du Roi , y
préfida en qualité de Commiffaire de Sa Majesté.
Il reçut Chevaliers MM . Maris , Directeur Général
des fontes de l'Artillerie du Royaume , de
l'Eclufe , Doyen des Députés du Commerce , &
Taitbout , Greffier de la Ville.
Le Roi a tenu le Sceau pour la vingt huitieme
& vingt -neuvieme fois.
Le 14 Mai , Fête de la Pentecôte , MM. les
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre
du Saint Efprit , s'étant affemblés vers les onze
heures du matin dans le Cabinet du Roi , Sa Majefté
tint chapitre , & Elle nomma les Cardinaux
de Gefvres & de Luynes , Commandeurs de cet
206 MERCURE DE FRANCE.
Ordre. Les preuves de Nobleffe de l'Abbé Comte
de Bernis , lequel avoit été propofé le z Février
dernier , pour être Commandeur du même Ordre
, ayant été préalablement faites , l'information
de fes vie & moeurs & fa profeffion de foi furent
admifes. Le Roi fortit enfuite de fon appartement
pour aller à la Chapelle. Sa Majefté , devant
qui deux Huiffiers de la Chambre portoientleurs
inaffes , étoit en manteau de cérémonie , le
Collier de l'Ordre & celui de la Toifon d'Or pardeffus.
Elle étoit précédée de Monfeigneur le Dauphin
, de MM . le Duc d'Orléans , le Prince de
Condé , le Comte de Charolois , le Prince de
Conty, le Comte de la Marche , le Comte d'Eu ,
le Duc de Penthievres , & les Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre. Le nouveau
Commandeur en rochet & en camail , marchoit
entre les Chevaliers & les Officiers . Avant la gran
de Meffe , qui fut célébrée par l'Archevêque de
de Narbonne , Prélat - Commandeur de l'Ordre da
Saint-Efprit , Sa Majefté monta for fon trône &
revêtit des marques de l'Ordre M. l'Abbé Comte
de Bernis. Le Roi après la Meffe fut reconduit à
fon appartement en la maniere accoutumée.
Sa Majefté a difpofé du Régiment des Carabi
niers en faveur de Monfeigneur le Comte de Provence
, & Elle a nommé M. le Comte de Giſors ,
Mestre de Camp Lieutenant de ce Régiment.
M. le Duc d'Orléans préfenta le 14 Mai au
Roi , à la Reine , à Monfeigneur le Dauphin , à
Madame la Dauphine , à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , à Madame Infante , à Madame & à
Mefdames , MM . le Marquis de la Tour- du -Pin ,
& le Chevalier de Durfort , pour remercier Sa
Majefté du Régiment de Chartres , Infanterie ,
accordé au premier , & du Régiment de Chare
JUIN. 1758. 1 07
tres , Cavalerie , accordé au fecond.
Le mêmejour , M. le Prince de Condé préfenta
auffi à Leurs Majeftés & à la Famille Royale , M.
le Comte de Maillé , pour remercier Sa Majefté
du Régiment de Condé , Infanterie , qui lui a été
accordé.
་
Le 16 , le Roi , la Reine , & la Famille Royale
figuerent le contrat de mariage de M. le Duc
de Rohan , avec Damoiſelle Emilie d'Uzès , fille
de M. Charles - Emmanuel , Duc d'Uzès , & de
Dame Emilie de la Rochefoucauld.
Le fieur Gualterio , Archevêque de Mira &
Nonce du Pape , eut le même jour une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il fit part à Sa
Majefté de la mort du Pape Benoît XIV , & lui
préſenta une lettre du Sacré Collége. Il fut conduit
à cette audience par M. Dufort , introducteur
des Ambaffadeurs.
୨
Benoît XIV , ( Profper Lambertini ) Bolonnois
, né le 31 Mars 1675 , avoit été nommé
Cardinal le 9 Décembre 1726 , & il fut élevé au
fouverain Pontificat le 17 Août 1740. Il eft mort
âgé de quatre-vingt trois ans , un mois & deux
jours , & en a regné près de dix- huit . La fageffe ,
la modération , la vafte érudition & l'affabilité de
ce Pontife , rendront fa mémoire célebre , & le
font univerſellement regretter.
M. le Cardinal de Tavannes , Archevêque de
Rouen , & Grand Aumônier de France , a été éla
le 19 Avril Provifeur de Sorbonne , à la place du
feu Cardinal de Tencin.
Le Capitaine de Laftre , commandant le Corfaire
le Printemps , de Dunkerque , a pris & conduit
en ce port le Sloop Anglois la Charmante
Elifabeth , chargé de vin , de thé & autres marchandifes.
208 MERCURE DE FRANCE.
Le même Corſaire s'eft emparé d'un autre bâ
timent Anglois , appellé le Jean & Susanne , qui
eft arrivé au Havre , & il a fait de plus trois rançons
montant enfemble à 167 guinées.
La Comteffe de la Serre & l'Europe , autres Corfaires
de Dunkerque , fe font auffi rendus ma
tres , le premier , du bateau Anglois le Bon Succès
, le fecond , du Brigantin la Marguerite , qu'il
a rançonné pour 60 guinées.
On mande de Cherbourg , que le Corfaire le
Conquérant , de ce port , y a conduit un bateau
Anglois chargé de farine & de froment.
Le Capitaine Jean-Baptifte de Cock , comman
dant le Corfaire le Comte de Maurepas , de Dunkerque
, a remis à Morlaix les ôtages de deux ran
çons qu'il a faites , & qui montent enſemble à
760 guinées.
Le Corfaire l'Aurore , de Bayonne , comman
dé
par le Capitaine Guillaume Lavernis , s'eft rendu
maître des navires Anglois le Guillaume ;
chargé d'huile , le Plaifant , de Londres , ayant
pour chargement de la chaux & des briques , qui
a été conduit à Lisbonne , & le Carry , de Londres
, lequel s'eft trouvé en fi mauvais état , qu'on
a été obligé d'y mettre le feu , après en avoir retiré
l'équipage & les principaux effets de la cargaifon.
Le Capitaine Danglade , commandant le Corfaire
l'Aimable Françoife , de Bayonne , a relâché
, moyennant une rançon de 2500 livres fterlings
, le Navire Anglois le Carry , de Glafcow
dont il s'étoit emparé.
On apprend par des lettres écrites de Marſeille ,
que le Brigantin Anglois Cerès , dont la cargaifon
confifte en 40 barriques de fucre , 8 balles
de draps , & balles de cuirs forts , a été pris par
JUI N. 1758 . 209
le Capitaine Pierre Donjon , commandant le Navire
le Saint- Charles , armé en guerre & marchandiſes
, & a été conduit par relâche à Barcelone.
Le 2 de Mai , les Vaiffeaux du Roi le Dragon
, le Belliqueux , le Sphinx , le Hardi , le Floriffant
, les Frégates la Zephire , la Bellone , &
l'Aigrette , le Rhinoceros armé en flûte , & quatre
autres bâtimens frêtés pour le compte du Roi ,
partirent de Rochefort fous les ordres des fieurs de
Maurville & Duchaffaut- Defbenes , Capitaines.
On mande de Dunkerque , que le Capitaine
Robert , commandant le Corfaire la Comteffe de
la Serre , de ce port , a pris & y a fait conduire le
Brigantin Anglois la Réfolution , chargé de fel ,
& qu'il a rançonné pour onze cens cinquante-cinq
guinées quatre autres bâtimens dont il s'étoit emparé.
Il eft arrivé à Breft un navire Anglois de 100
tonneaux , qui a été pris par le fieur Perée , commandant
le Corfaire le Comte de la Riviere , de
Granville , & dont la cargaiſon eft composée de
riz & d'indigo.
BÉNÉFICE DONNÉ.
Sa Majefté a donné le Prieuré de Saint Maurice,
Ordre de Sainte Géneviève , Dioceſe & Ville de
Senlis , à M. l'Abbé Bachoud , Prêtre du Dioceſe
de Lyon.
210 MERCURE DE FRANCE
MORT S.
Louis de Boiffy , de l'Académie Françoife ,
que le grand nombre de productions qu'il a mifes
au théâtre , ont rendu célebre , eft mort à Paris
le 19 Avril , âgé de foixante-trois ans 4 mois 24
jours . Il étoit né à Vic en Carladèz dans l'Auvergne
, le 26 novembre 1694 , de Pierre Boilly ,
Confeiller du Roi , Juge Prévôt du Carladèz ; &
de Marie- Félice de Comblat , fortie d'une famille
diftinguée de cette Province. La Cour l'avoit
choisi pour remplacer dans la compoſition du
Mercure de France , teu M. de la Bruere , qui en
avoit obtenu le privilege . Il en avoit été chargé
depuis le mois de Janvier 1755. Il avoit cru ne
pouvoir mieux répondre à l'honneur du choix
qu'on avoit fait de lui pour la direction de ce
Journal , qu'en s'occupant uniquement du travail
que comporte cet ouvrage périodique , qui étoit
devenu l'objet de toute fon application pendant
les dernieres années de fa vie. Il avoit apporté tous
fes foins à intéreffer le public à fa lecture , qu'il
avoit tâché de rendre également agréable & inftructive.
Ce que nous oferons feulement nous permettre
de remarquer à fa louange , c'eft qu'ils n'ont pas
paru avoir été infructueux. Le Mercure paffe actuellement
par brévet entre les mains de M. Marmontel
, dont les talens en divers genres de litté
rature , font affez connus pour n'avoir pas befoin
de nos éloges . Il nous fuffira de dire , que les
contes ingénieux dont il à enrichi ce recueil à
différentes fois , étoient autant de titres pour mériter
qu'on lui en confiât la rédaction . Il doit comJUIN.
1758.
21 P
mencer par le premier volume du mois d'Août.
Nous avertiffons que le Bureau du Mercure conti
nuera de fe tenir chez M. Lutton . C'eſt à lui qu'on
prie d'adreffer les piéces qu'on enverra pour être
inférées dans cet ouvrage.
Dame Marguerite Camille de Grimaldi de Monaco
, épouse de M. Louis de Gand de Merodes de
Montmorency , Prince d'Ifenghien , Maréchal de
France , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
- Général de la Province d'Artois , & Gouverneur
des Ville & Citadelle d'Arras, eft morte à Paris, le
27 du mois d'Avril , âgée de cinquante- huit ans.
Dame Marie-Eléonore- Augufte de Bethune
époufe de Meffire Louis - Armand de Seigliere de
Belleforiere , Marquis de Soyecourt , Brigadier
3 des Armées du Roi , Meftre de Camp du Régiment
Dauphin Etranger , Cavalerie , eft décédée
le même jour à Paris , dans fa trente - deuzieme
année.
M. François de Cruffol d'Amboiſe , Archevêque
de Toulouſe , Abbé des Abbayes Royales de
Charroux , Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de
Poitiers, & de Saint Germain , même Ordre, Diocèſe
d'Auxerre, eft mort à Paris , le 30 , âgé de cinquante-
cinq ans . Il avoit été nommé à l'Evêché
de Blois en 1734 , & à l'Archevêché de Toulouſe
en 1753.
Meffire René- Bertrand Pallu , Confeiller d'Etat,
Intendant Général des Claffes de la Marine , eft
mort à Paris, le deux de Mai , âgé de foixantefix
ans.
M. le Comte de la Queuille , Brigadier des Armées
du Roi , & Colonel du Régiment de Nice ,
Infanterie , mourut à Paris le 3.
Meffire Paul Sanguin , Marquis de Livry , premier
Maître d'Hôtel du Roi , & Capitaine des
212 MERCURE DE FRANCE.
Chaffes de la Capitainerie Royale de Livry & Bondi
, eft mort à Paris , le 16 , dans la quaranteneuvieme
année de fon âge.
Il est mort dans un des fauxbourgs de Vienne ,
une veuve nommée Catherine Lienhardt , âgée de
cent dix-huit ans.
Il est mort dans la Paroiffe de Saint Saturnin
au Diocèſe de Lodève , une fille appellée Marie
Granouillet , âgée de cent un ans.
La nommée Marie Miraffou , veuve d'un Laboureur
, eft morte dans la Paroiffe de Lagor ,
près d'Ortez en Bearn , le 18 Mars , âgée de cent
huit ans.
AVIS.
Le fieur Coufin vient de perfectionner un bandage
à reffort pour l'exomphale réduit . Il a préfenté
ce bandage à la Faculté de Médecine , qui ,
fur le rapport des Commiffaires qu'elle avoit nommés
pour l'examen , a jugé que ce bandage par
fes grands avantages , furpaffoit de beaucoup ceux
qui avoient jufqu'ici été propofés pour cette maladie.
L'on trouve de plus chez lui , des bandages
élaftiques à reffort & fans reffort , à charnieres &
à corps ouverts . Il a toujours regardé ceux à corps
ouverts d'acier trempé , comme préférables par
leurs fuccès , & fe flatte de contenir toutes les décentes
de telle nature qu'elles puiffent être ; l'on
trouve auffi chez ledit ſieur , botine pour les enfans
, fufpenfoirs & peffaires. Il démeure rue Comteffe
d'Artois , entre la rue Monconfeil & celle de
la Truanderie , à Paris.
JUI N. 1758. 213
AUTRE.
LE frere François Lefevre , Cordelier à Mante
fur Seine , vient d'inventer & conftruire une machine
hydraulique , qui tourne à tous vents , fans
que l'on foit obligé de la tourner comme les moulins
à vents. Elle eft propre à épuifer des marais ,
ou lacs , & donner de l'eau dans les prairies , jardins
& ailleurs ; cette Machine tirera au moins 2
muids ou 600 pintes mefure de Paris , à 12 pieds
d'élévation , à 24 pieds de haut ; elle tirera cinq
quart de muids , ou 375 pintes , & ainfi du refte à
proportion, Dans les vents médiocres , elle fera au
moins cinq tours de roue par minutes , & dans les
vents un peu forts , elle en fera 10 ou 12. L'Auteur
affure qu'elle ne coûtera pas plus de deux mille
livres , à faire faire , les matériaux compris , &
pour la mettre en état d'opérer.
AUTRE.
FAU fouveraine pour guérir les maux de dents ,
les conferver & fortifier les gencives : maniere de
s'en fervir .
On en met fix gouttes dans deux cuillerées.
d'eau chaude pour le laver la bouche tous les matins.
Quand on aura mal aux dents , on en prendra
de pure plein une petite cuiller à café , que
l'on gardera dans fa bouche.
On peut mettre du coton imbibé de cette eau
dans la dent gâtée ou cariée. Cette eau appaife la
douleur des dents , les empêche de fe gâter , raffermit
& fait croître les gencives , & guérit le
fcorbut,
214 MERCURE DE FRANCE.
Le prix eft de 3 liv. la bouteille . Il faut s'adref
fer rue Dauphine , au Magafin de Montpellier ,
chez M. Brouet Epicier- Droguifte.
Fautes à corriger dans le fecond Mercure
d'Avril.
PAGE 71 , chargé des dépouilles de quinze cane
mis vaincus. Effacez quinze.
Page 73 , la poffibilité d'un exécution , lifex, une
Fautes à corriger dans le Mercure de Mai.
PAGE-AGE 7, que receloit , lifez, qui receloit, &c.
Page 86 , que l'hypothefe Chronologique de
M. Newton avoit effuyé , &c. lifez effuyée.
Page 87, Schutford , &c. lifex Schuckford.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier;
le Mercure du mois de Juin , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 29 Mai 1758.
GUIROY,
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Les Ecoliers & les Amandes ameres , Fable ; ES
page s
7
18
28
N'en croyez que vos yeux , Anecdote ,
Epître à Madame de P....
Lettre du P. Barre , Chanoine Régulier de l'Abbaye
de Sainte Géneviève , Chancelier de l'Uni
verfité de Paris , fur les Portraits Hiſtoriques , 21
- Epître ,
Derniere fuite für M. de Fontenelle , par M.
l'Abbé Trublet , contenant des corrections &
additions aux articles précédens ,
Eloge funebre des Athéniens enterrés au Cérami- .
que , traduit du Grec , par le P. Power , Jéfuite ,
30
Vers à Madame C ** , C ** de V ** , de Marfeille
,
87
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure du mois de Mai ,
Enigme ,
Logogryphe ,
89
ibid.
୨୦
92
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Suite de l'Extrait de la Chronologie fondée fur les
monumens de l'Hiftoire ancienne , contre le
fyftême chronologique ; par M. Fréret , &c, 93
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux ,
116
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
Hiftoire, Eloge de M, Nicole , ... 137
216
Botanique
. Mémoire où l'on prouve que les plantes
qui existoient anciennement , & dont on a
vanté les vertus médicinales , doivent exifter
encore , 151
Sujets propofés par l'Académie Royale des Sciences
& Arts , établie à Pau ,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
161
Mufique ,
Sculpture ,
Gravure ,
163
165
171
Optique. Lettre de M. l'Abbé de la Ville , à l'Auteur
du Mercure.
Opera ,
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
Comédie Italienne ,
175
177
178
183
193
Concert Spirituel ,
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c , 199
Bénéfice donné , 209
Morts ,
210
Avis divers , 212
La Chanfon notée doit regarder la page 92.
De l'Imprimerie de Ch , Ant. Jombert,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères