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1757, 10, vol. 1-2, 11-12
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MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE. 1757.
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Cestin
Filurins
Full Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Anguftins.
CELLOT , grande Salle da Balais
Avec Approbation & Privilege du Roi.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
325807
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
4005
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt cher M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure .
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant
16 volumes.
pour
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
cure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
Aij
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi& Jeudi de chaque semaine, aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ;
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
**
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1757 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE TORRENT,
FABLE.
UN ruiffeau dans fon cours foible, mais fortuné,
Régnoit fur un vallon fertile
Où les deftins l'avoient borné.
Il dédaigna bientôt un bonheur ſi tranquille ;
Et contemplant l'éclat majeftueux
De ces fleuves puiffans , dont la courſe féconde
A iij
6 MERCURE DE FRANCE :
Enrichit & parcourt le monde ,
L'ambition faifit fon coeur préfomptueux.
Eh quoi dit- il , dans un coin de la terre ;
A jamais rampant , ignoré ,
Verrai-je mon cours refferré ?
Portons plutôt partout & le trouble & la guerre ;
Que le bruit de mes flots foit égal au tonnerre.
Il dit, & ferpentant par cent détours divers ,
Il s'approche du pied des montagnes voisines ,
Au moment qu'un orage éclatoit dans les airs
Les bouillons écumans qui tombent des ravines
Viennent groffir fon onde à flots précipités.
Il franchit à l'inftant fes bords épouvantés :
Torrent impétueux dans fa fureur foudaine ,
Il pourfuit, il renverfe , il fubmerge, il entraîne
Les arbres , les moiffons & les humbles hameaux ,
Et les Bergers & les troupeaux :
Il ofe porter le ravage
Jufqu'aux palais des Rois , juſqu'aux temples des
Dieux :
Tout périt , & lui feul s'applaudit de fa rage;
Les plaintes des mourans , les cris des malheureux
Sont pour lui des chants de victoire :
Sur les maux de la terre il meſure ſa gloire.
Mais les voeux des humains aux cieux font entendus
:
Il triomphe , il n'eft déja plus :
Déja fon onde divifée
OCTOBRE. 1757 .
S'affoiblit , fe difperfe , & fon cours expirant
S'abîme dans le fein de la terre appaiſée .
Vous ,Prince, qui briguez le nom de Conquérant;
Redoutez le fort du Torrent.
SANS Y PENSER ,
Conte plus vrai qu'une histoire.
SANS y penſer , c'eſt la deviſe des gens
du monde on parle , on agit , on fe lie ,
on fe brouille , on rit , on s'afflige , on eft
poli , impertinent , amufant , ennuyeux
fans y penfer. Vous remarquerez pourtant
que ces fans y penfer- là ont fouvent des
fuites fâcheufes , & l'hiftoire de Dorante
fuffira pour vous convaincre que les chofes
les plus ordinaires faires fans y penſer ,
peuvent empêcher un homme d'être heureux
toute la vie.
Dorante avoit paffé fon enfance à la
campagne auprès d'une foeur de fon pere ,
nommée Eliante , qui lui donna toute l'éducation
dont un efprit léger & inconfé
quent eft fufceptible . Il fortit des mains
de cette femme eftimable pour entrer dans
le monde , & il y débuta avec tout ce qu'il
faut pour y être aimé. Il étoit , fans y
penfer , fuperficiel , capricieux , extrava-
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
gant , gros joueur ; il avoit des manieres
agréables , un abord prévenant , un eſprit
aifé , & une fort jolie figure fans y penfer ;
ce qui eft rare . Cette figure fervoit de vernis
à fes bonnes qualités , & de voile à fes
défauts. Dorante , tel que je le peins , intéreffa
, fe fit aimer , & eut des aventures.
Il fe dégoûta bientôt de ce train de vie , &
il en choifit un autre dont il fe trouva plus
mal : il fe livra à trois ou quatre jeunes
gens qui vécurent quelque temps à fes dépens
, & qui l'entraînerent dans des tripots
, où il perdit tout fon bien fans y
penfer.
Il connut alors que les liaiſons qu'on
forme fans y penfer, fe rompent de même :
ces amis qui s'étoient fi vivement attachés
à lui , l'abandonnerent dès qu'il fut ruiné.
Il refta feul & fans bien au milieu d'un
monde , où l'on ne trouve que les agrémens
qu'on y achete.
Il s'agiffoit de fe marier , d'obtenir un
régiment , & de foutenir un nom. Dorante
n'y penfa que lorsqu'il fut hors d'état d'y
réuffir ; il ne put fupporter fa mifere aux
yeux des gens qui avoient été témoins de
fon éclat. Il retourna chez fa tante pour
fe confoler , au fein de la retraite , des malheurs
qu'il avoit effuyés dans la fociété .
Un air accablé, unabord trifte, un équipage
OCTOBRE. 1757. 9
fimple , annoncerent à Eliante le défaftre
de fon neveu . Elle lui épargna l'aveu de
fes torts , lui parla avec tendreffe , & lui
demanda uniquement s'il n'avoit point fait
de dettes . Dorante avoua qu'il devoit dix
mille écus. Vos fautes , répondit Eliante ,
n'ont d'autre caufe que la légèreté de
votre efprit ; elles font pardonnables
puifque le coeur n'y a point de part . Je
payerai les dix mille écus , & je rétablitai
votre fortune : mais promettez- moi de ne
rien faire déformais fans y penfer il le
promit fans y penſer .
Il y avoit dans le château une jeune
femme , parente affez éloignée d'Eliante.
Bélife , c'étoit fon nom , avoit le teint frais,
la taille légere , l'air animé , les yeux pleins
de feu , l'efprit vif, le caractere gai ; il
n'en falloit pas tant pour faire manquer
Dorante à fa parole . Il devint amoureux
de Bélife , fans y penfer : ( Y penfe - s'on
quand on aime ? ) Eliante approuva cette
inclination : Bélife y répondit , aucun des
trois n'y penfa.
Les deux Amans ne tarderent pas à s'époufer.
Eliante leur donna de quoi vivre
agréablement enfemble , mais fans luxe.
Ils vinrent à Paris , & c'éroit où Dorante
devoit reconnoître qu'il s'étoit marié fans
y penfer. Il n'avoit encore vu que les agré-
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
mens de fa femme , & n'y avoit point apperçu
un germe de coquetterie , qui fſe développa
trop fenfiblement à Paris . Bélife
fe refroidiffoit pour fon mari à vue d'oeil :
elle montroit de jour en jour un goût plus
violent pour la parure & les frivolités , &
ce grief n'étoit pas le plus fort que Dorante
eût contr'elle . Il fut jaloux , parce
qu'il avoit aimé ; il ceffa d'aimer , parce
qu'il avoit raifon d'être jaloux , & il voulut
fe féparer , parce qu'il n'aimoit plus.
Il ne lui fut permis de rompre avec Bélife
qu'à condition qu'il payeroit fes dettes ,
& qu'il lui feroit une penfion honnête . Il
fit affembler chez lui les créanciers de fa
femme. La Marchande de modes lui donne
un mémoire de quarante mille francs , la
Couturiere de trente , le Marchand d'étoffes
de quatre-vingts , le Bijoutier de
cent , & c. Il aima mieux garder fa femme
que de payer. Dès-lors Bélife ne connut
plus de bornes ; Dorante étoit avili à fes
yeux par la démarche qu'il venoit de faire .
Elle devint à fon égard capricieufe & tyrannique
par étude ; elle pouffa les outrages
jufqu'à l'expreffion du mépris le plus
humiliant. Dorante laffé de ce traitement ,
fe retira chez fa tante , qui partagea fon
malheur , & fe reprocha amérement de
l'avoir caufé.
OCTOBRE . 1757. II
Bélife mourut, quelque temps après, d'une
fievre maligne occafionnée par fes veilles
exceffives. Dorante apprit en même
temps que les dettes de fa femme avoient
été payées avant fa mort par un Financier
de fes amis. Par- là , il fe trouva heureux
fans y penſer ; mais il ne penfa plus à profiter
de fon bonheur.
Il alloit fouvent chez une femme d'environ
cinquante ans , qui avoit de grands
biens , & une figure encore aimable fans
avoir jamais été belle. Son efprit & fon
caractere plurent à Dorante ; fes agaceries
l'entraînerent , & il l'époufa fans penfer
à fon âge. Il fe conduifit avec elle
comme un honnête homme. Egards , affiduités
, careſſes , il mit en ufage tour
ce qui contrefait l'amour. Mais il en
infpiroit trop pour fa tranquillité . Il fentit
bientôt qu'il s'étoit engagé une feconde
fois fans y penfer. Cette contrainte ne dura
pas long- temps. Il eut le bonheur de
perdre encore fa femme . Elle lui laiffa une
belle fucceffion qui lui fut conteſtée . Il
plaida ; fes juges prononcerent fans y
penfer , & il perdit avec les plus juſtes eſpérances
de gagner.
Dorante revint une troifieme fois chez
cette fublime Eliante , qui l'avoit aimé
dans fon enfance , dans fes égaremens &
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
dans fes malheurs . Il vouloit fe confoler
dans la fociété de cette femme folide des
perfidies de fes amis , des coquetteries de
La premiere femme , des importunités de
la feconde , & de la perte de fon procés :
mais Eliante étoit à l'extrêmité quand il
arriva un foupir de tendreffe pour fon neveu
précéda immédiatement fon dernier
foupír. Elle mourut entre les bras de Dorante
, le laiffant fon unique héritier.
Dorante penfoit rarement ; mais il fentoit
toujours. Sa douleur fut proportionnée
à la perte qu'il faifoit. Quand les premiers
torrens des larmes furent verfés , il
fongea à prendre des arrangemens pour
રે
le refte de fa vie. Dégoûté du monde avec
raifon , il voulut fe fixer dans fa terre ;
mais il y étoit mal logé. On lui propofa
un plan qui lui plut : il employa , fans y
penfer, le fonds de fa terre à y bâtir un châreau.
Il laiffa après la terre & le château à
fon Architecte pour le payer , & fe retira
dans une ville de province avec une foible
penfion. Le peu de convenance qu'il
y avoit entre lui & la compagnie qu'il pou
voit voir dans ces endroits , lui donna le
goût de la folitude ; le goût de la folitude.
amena celui de la réflexion . Il devint Philofophe
, & il penfa tout le refte de fa vie
au temps qu'il avoit perdu , au bien qu'il
OCTOBRE . 1757 . 13
avoit diffipé , aux occafions d'être heureux
, qu'il avoit manquées fans y penfer.
Quand on achete ainfi la fageffe aux dépens
des fatisfactions paffageres , on fait
un bon marché fans y penfer.
*
9
VERS
AM qui a la manie de fe plaindre
toujours à tout propos , & qui fe plaignoit
en particulier très-amérement de ce
que Madame la Marquise de *** jouant
avec lui au triɛtrac , lui avoit donné par
gaieté quelques légers coups de cornet fur
les doigts.
ENFANT gâté de la nature ,
Aimable & foible créature ,
Cher P... pourquoi te plains -ta
Par Thémire d'être battu è
Dis-nous quelle injufte manie
Veut fur chaque inftant de ta vie
Faire gémir notre amitié :
Pourquoi , lorfque ton fort à tous doit faire envie,
Vouloir à tous faire pitié ?
De la Bourgeoife & la Marquiſe
Tu triomphes également :
fi n'eft belle dans un moment
Qui près de toi ne foit foumife.
4 MERCURE DE FRANCE.
A l'envi chaque Dieu t'a comblé de fes dons ;
Tu tiens d'Amour fes traits, d'Apollon fes crayons?
On te voit avec joie , on fe plaît à t'entendre :
Tu poffedes , fans y prétendre ,
Tous les talens & tous les tons.
Bel-efprit à la cour & commere à la ville ,
Qui , comme toi , d'un air agréable & facile ,
Sçait occuper autrui de fon oifiveté ,
Minauder , diſcuter , compoſer vers ou profe ;
Et néceffaire enfin par ſa frivolité ,
Par des riens valoir quelque chofe ?
Supprime donc des pleurs qu'on effuie en riant :
Dans ton courage , ami , mets un peu plus d'étoffe ;
A tout l'efprit d'un Philofophe ,
Ne joins plus le coeur d'un enfant.
VERS
A Madame Che... en lui donnant fon collier;
à fa toilette.
QUEL fein ! quelle aimable tournure !
Qu'il eft blanc ! jamais la nature
N'en a fait un plus régulier .
Je préférerois , belle Blonde ,
D'être un rang de votre collier
A tous les plus beaux rangs du monde
OCTOBRE . 1757 .
AVIS UTILE.
VERS
ERS le quarante -huitieme degré dè
latitude feptentrionale , on a découvert
nouvellement une Nation de Sauvages ,
plus féroce & plus redoutable que les Caraïbes
ne l'ont jamais été. On les appelle
Caconacs (1 ) : ils ne portent ni fleches , ni
maſſues : leurs cheveux font rangés avec
art ; leurs vêtemens brillans d'or , d'argent
& de mille couleurs , les rendent femblables
aux fleurs les plus éclatantes , ou aux
oifeaux les plus richement pannachés : ils
femblent n'avoir d'autre foin que de fe
parer , de fe parfumer & de plaire : en les
voyant , on fent un penchant fecret qui
vous attire vers eux les
dont ils
graces
vous comblent , font le dernier piege qu'ils
emploient.
Toutes leurs armes confiftent dans un
venin caché fous leur langue ; à chaque
parole qu'ils prononcent , même du ton le
plus doux & le plus riant , ce venin coule ,
s'échappe & fe répand au loin. Par le fecours
de la magie qu'ils cultivent foigneu-
(1 ) Il eft à remarquer que le mot Grec xaos ,
qui reffemble à celui de Caconacs , fignifie mé
shant.
16 MERCURE DE FRANCE.
fement , ils ont l'art de le lancer à quelque
diſtance que ce foit. Comme ils ne font
pas moins lâches que méchans , ils n'attaquent
en face que ceux dont ils croient
n'avoir rien à craindre : le plus fouvent ils
lancent leur poifon parderriere.
Parmi les malheureux qui en font atteints
, il y en a qui périffent fubitement :
d'autres confervent la vie ; mais leurs
plaies font incurables , & ne fe referment
jamais ; tout l'art de la médecine ne peut
rien contr'elles d'ailleurs on les prend
fouvent pour être naturelles ; ceux qui en
font frappés deviennent des objets d'horreur
, de mépris , & le plus fouvent d'une
dérifion qui n'eft pas moins cruelle : tout
le monde les fuit ; leurs meilleurs amis
rougiffent de les connoître & de prendre
leur défenſe.
Les Cacouacs ne refpectent aucune liaifon
de fociété , de parenté , d'amitié , ni
même d'amour : ils traitent tous les hommes
avec la même perfidie ; on remarque
feulement en eux un plaifir un peu plus vif
à répandre leur poifon fur ceux dont ils
ont éprouvé l'amitié ou les bienfaits en
ce cas , ils ont pourtant foin de l'affaifonner
du fuc de quelques fleurs ; car , malgré
leur cruauté , ils ne perdent jamais de vue
l'envie de plaire , d'amufer & de féduire,
OCTOBRE. 1757. 17
Ils paroiffent d'abord les plus fociables
de tous les hommes ; ils les recherchent &
veulent en être recherchés : mais tout ce
qu'ils en font , n'eft que dans le deſſein
d'exercer leur méchanceté , qui ne peut
avoir aucune prife fur ceux qui ont le
bonheur de n'être pas connus d'eux . Plus
vous les voyez affecter de graces , de
gaieté , de vivacité , plus vous devez vous
en défier ; c'eft ordinairement- là l'inftant
qu'ils choififfent pour darder leur venin :
Vous vous livrez à l'enjouement qu'ils
vous infpirent , & vous êtes tout - étonnés
de l'abondance du poifon qui s'eft infinué
dans vos oreilles , & qui vous a porté à la
tête les idées les plus finiftres & les plus
cruelles. Malheur à ceux qui fe plaiſent à
les voir & à les entendre ! Quelques précautions
qu'ils prennent , quelques proteftations
que les Cacouacs leur faffent de
les épargner , ils n'ont pas plutôt le dos
tourné qu'ils éprouvent leur rage.
Cependant ces Barbares , tout barbares
qu'ils font, fe craignent mutuellement ,& ne
s'attaquent guere entr'eux : mais quand ils
rencontrent quelqu'un qui n'eft pas initié
dans les myfteres de leur magie , ils le
pourfaivent impitoyablement du refte ,
parce qu'ils déteftent toute vertu , ils n'en
admettent aucune fur la terre , & affectent
1S MERCURE DE FRANCE:
de croire tous les hommes pervers : il fuffic
d'être modefte , honnête , bienfaiſant pour
être en butte à leurs traits .
On exhorte ceux qui voyageront vers
cette contrée , à fe munir de bonnes armes
offenfives. On a obfervé que ces Sauvages
les craignent beaucoup : à leur fimple vue ,
ils ceffent de rire & de faire rire ; ce qui
eft un figne affuré qu'ils font forcés de
retenir leur venin : il reflue alors fur eux ,
même avec tant de violence , qu'ils périroient
bientôt , s'ils ne s'échappoient
promptement pour aller chercher des objets
fur lefquels ils puiffent le dégorger :
c'eft - là leur unique occupation . On les
voit courir ça & là , & roder fans ceffe
dans cette vue.
Les hommes les plus barbares que l'on
ait découverts jufqu'ici , ne font point
fans quelques qualités morales ; les infectes
les plus déplaifans , les reptiles les
plus venimeux , ont quelques propriétés
utiles. Il n'en eft pas de même des Cacouacs
: toute leur fubftance n'eft que venin
& corruption ; la fource en eft intariffable
& coule toujours . Ce font peut-être
les feuls êtres dans la nature qui faffent le
mal précisément pour le plaifir de faire
du mal.
On a des avis fürs que quelques- uns de
OCTOBRE . 1757. 19
ces monftres font venus en Europe ; ils
fe font appliqués à contrefaire le ton de la
bonne compagnie , pour s'y introduire &
s'y mieux cacher on les rencontre dans
les cercles les plus agréables. Ils recherchent
particulièrement la fociété des femmes
, qu'ils affectent d'aimer ; mais c'eft
contr'elles qu'ils exhalent leur venin de
préférence. Il feroit difficile de fixer des
indices certains pour les reconnoître : on
confeille feulement de fe défier des gens
qui plaifantent fur tout ; on découvre tôt
ou tard que ce font des Cacouacs.
VERS
A Mademoiselle ... fur fon voyage de Paris.
ENFIN NFIN Vous voilà parvenue
Dans ce pays délicieux ,
Ce féjour des fous & des Dieux.
Avouez que votre ame émue ,
Tout à coup au premier afpect ,
N'a pu contempler fans refpect
Ce fracas & cette étendue ,
Et ces dômes perçans la nue
Et ce peuple immenſe , pareil ,
Dans fa bruyante fourmilliere ,
A des atômes de pouffiere ,
•
to MERCURE DE FRANCE.
Mûs dans un rayon du ſoleil.
1
En entrant dans ce vafte empire ,
Des plaifirs , des arts , des talens ,
Vous vous traciez avec délire
Les plus divins enchantemens.
Que d'émotions renaiffantes !
Ce n'eft point affez de cinq fens ,
Les jours n'ont point affez d'inftans
Pour tant de ſcenes raviffantes .
Lorfqu'on vient à réalifer
Cette divine façon d'être ,
De jouir , de voir , de connoître ,
Qu'on eft tenté de mépriſer
La province à peine exiftante ,
Avec fa langueur végétante !
Mais ces premiers momens paffés
Dans l'enchantement des prodiges ,
Dans l'illufion des preſtiges ,
Lorfque dans ces murs inſenſés ;
Vous verrez ces fous empreffés ,
Qu'on nomme bonne compagnie ,
Dans l'infipide tourbillon ,
Et de la mode , & du jargon ,
Pirouetter toute leur vie ;
Lorfqu'évidemment vous verrez
Tant de ridicules titrés ,
De tant de vices décorés ,
Que tout eft chiffon juſqu'aux ames ;
Tout pompon jufqu'aux vieilles femmes ;
OCTOBRE. 1757 . 25
Qu'en ces cercles de fauffeté ,
Qu'ils appellent fociété ,
Tout agrément eft perfidie ,
Et tout fentiment parodie ,
Vous conclurez dans votre coeur ,
Que, pour avoir plus de bonheur ,
Moins de plaifir eft néceffaire :
Préférant loin de ces faux biens
Le fage emploi de ne rien faire ,
Au travail de faire des riens ,
Et chériflant la bonhommie ,
Qui , faute d'autre amuſement ,
En ces lieux remplit notre vie ,
Pour le plaifir du fentiment ,
Libre d'un charme imaginaire ,
Sans peine on vous verra quitter
Ces gens qui fçavent fi bien plaire ,
Pour ceux qui fçavent mieux aimer.
VERS
A Madame ..fur fa petite-vérolle .
LAs des caprices de Vénus ,
L'Amour avoit quitté Cythere ;
Se promettant des triomphes de plus ;
Il fe fixa chez l'aimable Glicere :
Vénus jura de s'en venger ,
Et de l'en faire déloger,
12 MERCURE DE FRANCE.
L'effet fuit bientôt les menaces .
Par un fouffle contagieux ,
Elle voulut chafler , & l'Amour , & les Graces :
Le petit Dieu s'eft ſauvé dans les yeux ,
Les Graces ont gardé leurs places .
SUITE fur M. de Fontenelle ,
t M. l'Abbé Trublet.
par
J'Ax indiqué dans le Mercure du mois
dernier plufieurs petis écrits imprimés de
M. de F , & repandus dans différens Journaux
& différens recueils. Je viens maintenant
au peu de manufcrits qu'il a laiffés.
J'ai déja parlé de quelques- uns dans les
Mercures précédens ; je vais faire connoître
les autres.
1º.Un difcours affez érendu fur l'hiftoire.
J'y ai trouvé quelques morceaux de celui ,
fur l'origine des fables . ( 1 ) Mais il paroît
que ce fecond difcours n'eft qu'un détachement
du premier , & ne devoit faire que
la moindre partie d'un ouvrage plus confidérable
fur l'hiftoire. Je penfe donc , du
moins jufqu'à préfent , qu'il faudra imprimer
ce difcours tel qu'il eft , & fans
en retrancher les endroits déja imprimés
(1 ) Tome 3 , p. 270 , de l'édition de 1742.
OCTOBRE. 1757. 23
dans l'origine des fables . Par-là , on fera
plus en état de fe faire quelque idée de
l'ouvrage que M. de F. avoit projetté fur
l'hiftoire.
2°. Quelques fragmens fur les Philofophes
Grecs , & fur les Poëtes Dramatiques
de la même Nation.
MM. a'Alembert & Diderot ayant paru
defirer d'avoir quelque chofe de M. de F.
pour l'Encyclopédie , je fis remettre au fecond
les fragmens fur les Poëtes Dramatiques
Grecs , le feul manufcrit que j'euffe alors
de M. de F. Quelque temps après , je demandai
à M. Diderot s'il en feroit ufage.
Il me répondit avec vivacité qu'il fe garderoit
bien de mettre dans l'Encyclopédie
un écrit où Efchille étoit traité de fou ; &
il eft vrai que M. de F. le difoit à peu près,
quoique moins cruement . Voici le paffage :
" On ne fçait ce que c'eft que le Prométhée
d'Efchille. Il n'y a ni fujet , ni def-
» fein , mais des emportemens fort poéti-
"ques & fort hardis. Je crois qu'Efchille
» étoit une maniere de fou qui avoit l'ima-
» gination très- vive & pas trop réglée.
ود
Quand M. D. refufe de faire ufage des
fragmens de M. de F. fur les Poëtes Grecs ,
à caufe de cet endroit , il me femble voir
le Roi de Suede ( la comparaiſon n'offensera
pas M. D. elle eft affez noble ) qui
24 MERCURE DE FRANCE
déchire le feuillet de la Satyre huitieme de
Boileau , où ce Poëte traite Alexandre de
fou.
3 °. Le commencement , & quelques
fragmens d'un traité de la raison humaine.
°. Un autre commencement d'un écrit
intitulé , De la connoiſſance de l'efprit bur
main.
50
07
Il paroît que cet ouvrage devoit avoir
au moins deux parties , dont la premiere
traiteroit de l'origine des idées. « Nous les
regarderons enfuite , dit M. de F. fous
» deux rapports principaux qu'elles ont ,
» l'un aux objets extérieurs , ce qui fait
qu'on les appelle vraies ou fauffes , l'au-
» tre à l'efprit même , ce qui fait qu'on
les appelle agréables ou défagréables . En-
» fin des diverſes efpeces d'idées, & de di-
» verſes choſes qui regardent leur nature ,
» nous tirerons les principales différences
» qui font entre les efprits , c'eft - à dire ,
» les différens caracteres qui diftinguent
» les hommes , quant à ce qui regarde l'ef-
»prit. »
>>
ور
"
"
Si je juge des autres par moi- même , &
dans cette occafion je crois pouvoir le faire
fans craindre de me tromper , j'excite
de grands regrets en apprenant au Public
que M. de F. a laiffé imparfaits de pareils
ouvrages , ou plutôt , n'a fait que les
commencer ,
OCTOBRE . 1757. 25
commencer , & qu'on n'en aura que des
fragmens.
Je foupçonne que M. de F. s'en eft degoûté
, & ne les a point achevés , par le
peu de fuccès qu'il en efpéroit. Peu de
François , je l'ai dit ailleurs ( 1 ) , aiment
la métaphyfique ; & il faut convenir que
nous n'avons pas le génie de cette fcience
autant que les Allemands & les Anglois ( 2 ) :
pas
(1 ) Dans le Journal Etranger , de Janvier 1755 ,
Extrait de l'ecrit Italien de M. l'Abbé Buondelmonti
, mort depuis , fopra la mifura ed il calcolo
dei dolori edei piaceri. Cet extrait n'a été imprimé
abfolument comme je l'avois fait. M.
P'Abbé Prevoft , alors chargé de la direction de ce
Journal , le crut d'un It lien , & fur cela en loua
trop le ftyle , en y faifant néanmoins quelques
changemens , & même des retranchemens auxquels
j'ai eu regret. Je rapprochois des idées de
M. Buondelmonti , quelques unes de celles de M.
de Fontenelle , dans fon Traité du Bonheur ; quelques-
unes de celles de M. de Maupertuis , dans fon
Efai de philofophie morale & dans fes Lettres ; &
même quelques- unes des miennes , dans ce que
j'ai écrit aufli fur le bonheur & fur le plaifir. Il
me femble qu'il en réfultoit un nouveau jour pour
les unes & pour les autres M. l'Abbé Prevôt
trouva fans doute que l'extrait feroit trop long
avec toutes ces comparaifons d'idées & les citations
qu'elles entraînoient ; il eut raifon .
(2) Il feroit fuperflu d'avertir que je ne parle
ici qu'en général . Nous avons eu le P. Malebran
che , & nous avons encore MM. de Maupertuis ,
deCondillac , Diderot , &c .
I. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
de plus , M. de F. avoit accoutumé le Pu
blic à des agrémens , dont elle n'eſt pas
auffi fufceptible que la phyfique. Beaucoup
de lecteurs néanmicins les auroient exigés
de lui , pendant que d'autres les auroient
trouvé déplacés. Il penfoir comme ceuxci
; mais ils ne font que le petit non.bre
& j'avoue qu'il n'étoit pas fâché de plaire
au grand , furtout à ceux qui n'ont que
de l'epit , pourvu , comme il difoit ,
qu'il le pût en confcience , & fans fe déplaire
à lui même.
5 °. Quelques extraits qui ne font point
imprimés dans l'hiftoire de l'Académie des
fciences.
6°. Quelques fragmens de fa République
( 1 ) .
Au refte , M. de F. n'eftimoit pas le P. Males
branche comme Philofophe , autant qu'on pour
roit le croire fur l'éloge qu'il en a compofé. Mais
c'est un éloge , fait au nom de l'Académie des
Sciences , & quelques mois après la mort du
Héros . Ce n'étoit ni le lieu , ni le temps d'être
parfaitement fincere ; & d'ailleurs il ne s'agiffoit
pas là du fentiment particulier du Panégyrille ou
de l'Hiftorien . Jamais Auteur ne fut moins
Egoifle que
lui dans fes écrits . Cette conduite eſt
fort lage , & fauve de bien des ridicules ; mais
avec des Ecrivains tels que M. de Fontenelle le
Lecteur , même contemporain , y perd beaucoup,
& la poftér té y perdra encore davantage.
(1) V. le premier vel. du Merc, d'Avril , p. 68.
OCTOBRE. 1757. 27
C'eft peu de chofe , dans les deux fens
de cette façon de parler : cela eft court ; &
d'ailleurs M. de F. n'a pas cru devoir confier
même au papier ce qu'il penfoit fur certains
points importans , mais délicats , du
gouvernement.Jamais homme ne fut moins
frondeur ni de parole , ni même de penſée :
il fçavoit trop combien il eft difficile à des
hommes de gouverner des hommes.
Son ami l'Abbé de Saint Pierre , auroit
bien voulu , à ſon exemple , le tourner du
côté de la politique , & lui faire prêter à
certe grande fcience , ou , pour mi ux dire
peut- être , à ce grand art , la netreté &
les agrémens de fon ftyle. Mais M. de F.
les avoit engagés à la phyfique & aux mathématiques
, moins difficiles que la politique
, quoique plus épinenfes , & furtout
moins dangereufes. L'Abbé de S. P.
éprouva ce danger d'écrire fur les matieres
du gouvernement . Un des rêves de ce
bon Citoyen ( ) , quoiqu'adopté par le
Prince , chargé alors de l'a miniflration
du Royaume , lui fit perdre fa place à l'Académie
Françoife ( 2 ) , & la perdre , tout
( 1 ) C'eſt ainfi que le Cardinal du Bois appelloit
les projets de l'Abbé de S. P.
(2 ) On fçait que l'Abbé de S. P. s'attira cette
petite difgrace par fon livre de la Polyfynodic , on
de la pluralité des Confeils . M. le Régent qui ne
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
ور
d'une voix , à l'exception de celle de M. de
F. de qui je tiens cette derniere circonftance.
Il m'ajoûta que quelques années après ,
le Duc de la Force avoit dit , en fa préfence
même , à l'Abbé de S. P. : « Vous
» vous fouvenez bien , Monfieur l'Abbé ,
qu'il y eut une voix , une feule voix ,
» contre votre exclufion . Eh bien ! ce fut
», la mienne . » M. de F. ne laiffa pas d'être
étonné de la hardieffe du menfonge ;
car , me dit- il , en me contant cette petite
anecdote , le Duc de la Force qui fçavoit
bien que ce n'étoit pas lui qui avoit donné
la voix favorable , avoit de fortes raifons
de croire que c'étoit moi .
7°. Le prologue en vers libres d'une Comédie
intitulée Pigmalion , Prince de Tyr.
C'est le Pigmalion qui devint amoureux
d'une ftatue, & dont M. de F. fait un Prince,
d'après quelques Mythologiftes. Les Acteurs
de ce prologue font , l'Amour , l'Hi.
ménée , la Gloire & la Folie. Les deux premiers
s'adreffent au quatrieme , à la Folie,
crut pas devoir empêcher la délibération de l'Académie
, ni l'exclufion qui y fut décidée , ne voulut
pas que la place de l'Abbé de S. P. fût remplie.
Elle ne l'a été qu'à la mort en 1743 , par M. de
Maupertuis.
On peut voir fon article dans M. de Voltaire ,
catalogue des Ecrivains François , &c. à la fin dẹ
fon Siecle de Louis XIV.
OCTOBRE . 1757. 29
afin qu'elle les venge d'un Prince qui les
néglige, pour ne s'occuper que de la fculp
ture , & c'est l'Amour qui ouvre cet avis ,
parce qu'autrefois la Folie l'avoit vengé de
Narciffe qui n'aimoit point , en le rendant
amoureux de lui même. Quant à la Gloire,
elle est trop glorienfe , pour recourir à la
Folie ; mais elle n'en eft que plus folle d'être
fi glorienfe. Il y a dans ce prologue des
chofes fines & plaifantes fur les fous que
fait l'amour- propre.
J'ignore fi M. de F. avoit fait la Comédie
de Pigmalion. Je ne me fouviens pas
même de lui en avoir entendu parler.
8°. Enone , paftorale en trois actes , faite
pour être mise en mufique. Elle est trèscourte.
Il n'y a du troisieme acte que la
premiere Scene entre Hector & Pâris , encore
n'eft-elle pas entiere. C'est dommage.
L'idée de cette paftorale m'a paru neuve &
heureuſe . Il feroit fuperflu d'ajouter que.
les détails en font ingénieux . C'est vraisem
blablement un ouvrage de la premiere jeuneffe
de M. de F. Il eft certain du moins
qu'il a précédé Thétis & Pelée On y trouvera
les deux vers fi connus :
Dans l'empire d'amour on tient le rang fuprême ,
Dès que l'on fçait charmer.
Je ne puis guere douter que M. de F.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
n'eût achevé ce petit poëme ; mais je n'eſpere
plus recouvrer ce qui manque.
9° . Un affez grand nombre de petites
pieces de poéfie , dont la plus grande partie
avoit parue dans les Mercures de M. de Vife
1677 , & fuivans , & vient de reparoître
dans le porte -feuille trouvé , & enfuite dans
le Choix des anciens Mercures. Mais , comme
j'en ai déja averti , toutes celles qui
font de M. de F. dans les anciens Mercures ,
ne portent pas fon nom ; & parmi celles
qui ne le portent pas , les unes font abfolument
anonymes ; les autres ont des lettres
initiales qui ont trompé les Editeurs de
quelques uns de nos Poëtes , & par exemple
, ceux de M. Pavillon ( 1 ).
་
Voilà , outre ce que j'ai déja indiqué
dans les Mercures précédens , tout
ce que je connois d'imprimés & de ma.
nufcrits de M. de F , dont on pourra former
un fupplément aux 8 volumes de fes
OEuvres. Je prie ceux qui connoîtroient
( 1 ) Je pourrai entrer là deffus dans un plus
grand détail , dans la préface du Supplément des
Euvres de M. de F. fi pourtant cela en vaut la
peine. J'avertis d'avance que la jolie fable du
Moineau , du Roignol & de la Fauvette , imprimée
dans les OEuvres de M. Pavillon , t . 2 , p. 66.
de l'édition de M. de Saint Marc , eft certainement
de M. de F.
OCTOBRE. 1757. 31
d'autres imprimés , & qui poffederoient
d'autres manufcrits , ne fût- ce que quel ,
ques lettres , de m'indiquer les uns & de
me communiquer les autres . Tout est précieux
d'un homme comme M. de F.
On ne pourra guere fe difpenfer de
réimprimer ce qui a déja été imprimé ,
parce que fi M. Brunet ne le faifoit pas ,
un autre Libraire le feroit , du moins dar s
les pays étrangers . A l'égard des manufcrits
, on fera un choix , & l'on y fera févere
, non pas néanmoins autant que l'Auteur
vouloit qu'on le fût, & l'auroit été luimême
; ce feroit l'être trop.
Le Pere Brotier , Bibliothécaire du
College de Louis le Grand , m'a fait lire
quelques Lettres de M. de F. au feu Pere
Caftel. Elles méritent d'être confervées , &
elles le feront. Il y en a auffi plufieurs de
M. de Montefquieu au même Jéfuite , qui
ne le méritent pas moins. Quoique M. de
F. écrivit peu de lettres , il eft impoffible .
que pendant le cours d'une fi longue vie ,
il n'en ait pas écrit un très - grand nombre ,
& de toute efpece.
J'ai quelques- unes de celles qu'il avoit
écrites à Mademoiſelle d'Achy , qui époufa
depuis le marquis de Mimeure , de l'Académie
Françoife. M. de F. l'avoit aimée
autant qu'il étoit capable d'aimer , & fait
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
pour elle plufieurs de fes petites pieces de
poéfie. Madame de Mimeure qui avoit
long temps confervé les lettres de fon
Amant , les brûla prefque toutes quelques
années avant la mort. Une de celles qui
échapperent au feu , tomba entre les mains.
de feu M. Mairault , Auteur d'une traduction
des Paſtorales de Neméfien & de Calpurnius
, précédée d'une Préface , & fuivie
d'un Difcours fur l'Eglogue , dans lefquels
M. de F. eft fort maltraité. Il fit imprimer
une partie de cette Lettre , qui affurément
n'avoit jamais été écrite pour être imprimée.
C'étoit l'exécution d'une idée folle ,
fi l'on veut , mais plaifante , qui avoit
paffé par la tête de Mlle d'Achy , & à laquelle
M. de F. s'étoit prêté par complaifance.
La Lettre donnoit donc prife à la
raillerie , quoiqu'ingénieufe , & il fallut
moins d'efprit pour la tourner en ridicule ,
qu'il n'en avoit fallu pour l'écrire . M.
Mairault étoit fort lié avec l'Abbé Desfontaines
, & travailloit quelquefois à fes
feuilles. Comme il étoit connu auffi de
M. l'Abbé d'Olivet , j'en parlai à cet Académicien
, qui convenant avec moi du
procédé malhonnête de M. M. m'ajouta
qu'il lui avoit dit à lui - même ces propres
paroles Je ne voudrois pas avoir fait la
Lettre , ou du moins l'endroit cité ; mais
OCTOBRE . 1757. 33
je voudrois encore moins l'avoir fait imprimer.
Je dois à M. l'Abbé d'Olivet la juftice
qu'à peu de choſe près , il a toujours rendu
à M. de F. toute celle que je crois lui être
dûe , quoique , pour me fervir de l'expreffion
ordinaire , ils ne fuffent pas du même
parti.
M. de F. fçavoit bien qu'il avoit des
ennemis. J'ajouterai même qu'il fçavoit
bien les diftinguer de fes amis , & que le
traitement n'étoit pas égal . M. de la Motte,
qui d'une certaine façon en méritoit encore
plus , en avoit pourtant moins ; il fe
flattoit même de n'en avoir aucun , & il
alla un jour juſqu'à dire à M. de F. qu'il
croyoit avoir pour amis tous les Gens de
Lettres. Si cela étoit vrai , lui répondit il ,
ce feroit un terrible préjugé contre vous ;
mais vous leur faites trop d'honneur , & vous
ne vous en faites pas affez.
Parmi les Lettres de M. de F. on en
trouvera une pour feue Mile Sallé à feu M.
de Montefquieu. Je la tiens de M. Thiriot ,
qui pria M. de F. de l'écrire. Mlle Sallé
alloit en Angleterre où M. de Montesquieu
étoit alors M. de F. conta à cette occafion
à M. Thiriot qu'une autre célebre Danfeufe
de l'Opera , Mlle Sulligny , étant allée
auff en Angleterre , avoit cherché des
By
34 MERCURE DE FRANCE.
lettres de recommandation , & que lui &
l'Abbé Dubos lui en avoient donné pour
M. Locke. L'illuftre Métaphyficien peu
fenfible vraisemblablement au talent de la
Recommandée , mais rempli d'eftime pour
les Recommandeurs , devint l'homme d'affaires
de Mlle Subligny : ce fut l'expreffion
de M. de F.
Sa Lettre pour Mlle Salle à M. de Montefquieu
convient également, & à celle pour
qui elle étoit écrite , & à celui qui devoit
la recevoir : mais Mlle S. ayant différé fon
voyage , ne trouva plus M. de M. à Londres
, lorfqu'elle y arriva ; il venoit d'en
partir.
La fageffe de Mlle Sallé eft auffi connue
, & , pour ainfi dire , auffi célebre que
fon talent ; fageffe d'autant plus eftimable ,
que fon talent l'expofoit davantage . M. de
Voltaire célébra l'une & l'autre par les vers
fuivans qui devoient être placés au bas de
fon portrait , & que je ne crois pas imprimés.
De tous les coeurs & du fien la maîtreffe ;
Ede allume des feux qui lui font inconnus.
De Diane c'eft la Prêtreffe
Danfant fous les traits de Vénus (1 ).
( 1 ) Plufieurs Dames auffi refpectables par leur
yertu que par leur naiffance , honoroient Mlle
OCTOBRE. 1757. 35
On voit par tant d'Ouvrages de M. de F.
qu'il aimoit le travail de la compofition .
Auffi m'a- t'il répété plufieurs fois qu'il
auroit été Auteur , quand même il n'eût
pas eu befoin de l'être pour faire quelque
fortune. Un jour entr'autres , il me dit
que lorfqu'il avoit réfléchi fur la maniere
la plus heureuſe pour lui de naître & d'êrelativement
à fon caractere , il auroit
voulu naître avec cinquante mille livres
de rente , & être Président de la Chambre
des Comptes ; car , ajouta-t'il , il faut
être quelque chofe , & que ce quelque
chofe ne vous oblige à rien ; que comme
Sallé de leurs bontés. Je me contenterai de nommer
Madame la Marquiſe du Tort , foeur de M. le
Comte de Nocé. Ils avoient pour pere M. le Comte
de Fontenay , fous- Gouverneur de M. le Duc de
Chartres , depuis Duc d'Orléans & Régent du
Royaume. C'étoit un homme de beaucoup d'efprit
& de probité , mais auffi mifanthrope que M.
le Duc de Montaufier. On a imprimé il y a quel
ques années quelques- unes de fes Lettres à fon
augufte Eleve. Madame du Tort étoit une des
meilleures amies de M. de F. On connoît la galanterie
badine qu'ilfit pour elle :
C'est ici Madame du Tort ,
Qui la voit & ne l'aime , a tortj
Mais qui l'entend & ne l'adore ,
A mille fois plus tort encore.
Pour celui qui fit ces vers-ci ,
Il n'eut aucun tort , Dieu merci.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fon goût le portoit à la compofition , il
auroit compofé , nrais fans fe nommer ;
qu'il auroit donné fouvent à manger , mais
fans fuperfluité ni délicateffe recherchée ,
à un petit nombre d'amis choifis , jamais
plus de cinq ou fix à la fois ; qu'il leur :
auroit lu fes Ouvrages , comme lui ayant
été confiés par l'Auteur pour les faire voir
à des gens d'efprit , & avoir leur avis , &c .
Le travail de M. de F. étoit affidu , fans
être opiniâtre ni forcé. Il y confacroit réguliérement
toute la matinée , & donnoit
le refte de la journée à la fociété. Il ſe levoit
& fe couchoit de très- bonne heure ,
& ne connoiffoit point à cet égard la différence
des faifons . Rien de plus uniforme
que fa vie .
Travaillant fans beaucoup d'effort , avec.
application , mais fans contention ( 1 ) , il·
portoit dans les compagnies , comme dans
fon lit , une tête bien libre & bien dégagée:
des idées qui l'avoient occupé dans fon
(1) Il faut excepter de ce travail fans contention,.
fes Elémens de la géométrie de l'infini , & peut-être.
quelques-uns de fes extraits de l'Académie des
Scences. Voyez le Mercure de Juin , p. 58.
Le premier volume de l'Hiftoire de cette Compagnie
, depuis le renouvellement de 1699 , ne
parut qu'au commencement de 1702. L'Hiftorien
gagna bientôt une année , & tous les volumes fe
fuccéderent enfuite fans interruption,
OCTOBRE . 1757 . 37
cabinet ; il en fortoit , fi je puis m'exprimer
ainfi , tout entier , & il n'éprouvoit
ni ces diftractions , ni ces infomnies fi ordinaires
aux Auteurs toujours remplis de
l'Ouvrage qu'ils ont fur le métier. On dit
que les unes & les autres font une preuve
de génie. J'ai pourtant vu de ces diftractions
à beaucoup d'Auteurs médiocres , &
je les ai entendus fe vanter de leurs infomnies
(1 ).
rapport
de
Un des plus beaux chapitres des Confidérations
, &c. de M. Duclos , & peut-être
le plus finement penſé de tout le livre , eſt
celui qui a pour titre , Sur le
Besprit & du caractere . Ce rapport i rare
dans la plupart des hommes , étoit preſque
parfait dans M. de F. feulement pourroiton
dire , pour me fervir de l'expreffion de:
M. Duclos , qu'il n'avoit pas aſſez de caractere
, affez d'ame pour fon efprit. Mais il lefçavoit
, il fe connoiffoit , il s'étoit conduit
en conféquence , & , pour m'exprimer
encore avec M. du C , il avoit compié avec:
Jan caractere.
(1 ) Dans la petite piece de vers intitulée , Au
tres Etrennes , ( t 4 , p. 368 ) M. de F. dit :
En ce jour folemnel , où de voeux redoublés ,
Plus qu'en tout autre temps les Dieux font accablés ,
J'ai fait des voeux · ...
Tai demandé des jours occupés & paifibles , & c..
38 MERCURE DE FRANCE.
« Le plus grand avantage pour le bon-
» heur , dit plus bas l'Auteur que je viens de
" citer , eft une efpece d'équilibre entre
» les idées & les affections , entre l'efprit &
» le caractere . »
A cet égard , & par rapport au bonheur,
l'équilibre étoit parfait dans M. de F. Auffi
a -t'il été très - heureux pendant le cours de
la plus longue vie , à l'exception peut -être
des deux ou trois dernieres années ; encore
n'auroient- elles pas été exceptées de cette
félicité conftante , fans la furdité qui augmentant
de jour en jour , comme je l'ai
déja dit , le priva enfin prefqu'entiérement
du plaifir de la converfation . Ce plaifir
avoit été fon principal & prefque fon unique
délaffement ( on fçait qu'il ne jouoit
point ) , & il y étoit prefqu'auffi fenfible
que s'il eût été grand parleur , pourvu
néanmoins que la converfation fût entre
gens d'efprit , fans quoi il s'ennuyoit ,
mais très-poliment ; on ne s'en appercevoit
jamais.
Un de fes dons les plus marqués , car
c'en eſt un , & il eft rare , furtout parmi
ceux qui ont plus d'efprit que de politeffe
naturelle , ou acquife par l'ufage du monde
; c'étoit le don d'écouter & de bien
écouter. Il fe plaifoit à entendre d'excellentes
chofes autant & plus qu'à en dire ;
OCTOBRE. 1757. 39
car alors il s'inftruifoit ou s'amufoit
en repofant fa poitrine ( c'étoit fon expreffion
) naturellement affez foible , pour le
remarquer en paffant ; au lieu que fon
eftomac étoit très- fort. Auffi mangeoit- il
beaucoup , & même peu fainement. Il eft
vrai que depuis un très - grand nombre
d'années , il ne faifoit que dîner , & ne
foupoit point. Il n'a jamais eu qu'une maladie
, vers l'âge de so ans , & ce fut une
fluxion de poitrine. Auparavant , il prenoit
du café à l'eau tous les matins ; il n'en
prit plus qu'après le dîner , & il y mettoit
beaucoup de fucre.
Mais pour revenir à fon don de bien
écouter , je fus un jour fi frappé de l'air
de plaifir avec lequel il écoutoit quelqu'un
quí , à la vérité , parloit fort bier , mais
qui parla long- temps , & dès - lors n'amufa
guere que M. de F. & moi , que je le comparai
à cet Acteur célebre ( 1 ) dont le jeu
muet égaloit celui dont il accompagnoit
fa déclamation.
Après avoir fait fi long- temps un ufage
fi honnête & fi poli du fens de l'ouie , M.
de F. eût bien mérité de le conferver toujours.
M. de F. écoutoit d'autant plus & parloit
d'autant moins dans une compagnie ,
(1) Baron
40 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle étoit moins bien compofée. C'eſt
d'une part , part , qu'il n'aimoit pas à dire des
chofes trop communes, de pures inutilités ,
& que de l'autre , lorfqu'il parloit , il vouloit
être entendu & fenti . La politeffe ordinaire
d'un efprit fupérieur , eft de fe
mettre au niveau de ceux à qui il parle.
A l'égard de quelques perfonnes , c'en eft
une auffi de fe tenir au deffus de leur portée.
Par là , on flatte leur amour- propre.
Elles feignent d'entendre , & fe perfuadent
qu'on croit qu'elles entendent en effet.
Mais cette forte de politeffe a quelque
chofe de faux , & M. de F. étoit trop vrai
pour s'y prêter. On a pourtant dit qu'il
parloit volontiers de philofophie aux jolies
femmes Oui , pourvu qu'elles enffent de
l'efprit . Il y en a de charmantes à qui il
n'auroit voulu effayer de faire concevoir
les Antipodes , cuffent- elles dû l'admirer
,
pas
« Et fe pâmer à fa douce façon de , &c . ( 1 ) »
(1) Eigramme de Rousseau.
Et n'eft caillette en honnête maiſon ,
Qui ne fe pâme , &c.
fer-
Je la cite pour la feconde fois ; mais que
viroit de diffimuler ce que perfonne n'ignore
J'ajouterai même , quoique cela ne foit pas fi généralement
connu , que fous le nom de Cydias .
OCTOBRE. 1757. 41
Il feroit fuperflu d'ajouter que M. de F.
étoit bon entendeur. Je dis fuperflu pour
ceux qui l'ont connu ; car les autres pourroient
abfolument en douter , & il eft
d'expérience que tous ceux qui fçavent
bien parler , ne fçavent pas bien entendre.
J'avoue que dans quelques - uns cela vient
de vanité & d'inattention à ce qu'on leur
dit. Mais j'ai cru remarquer que cela venoit
auffi dans plufieurs d'un défaut réel
dans l'efprit ; défaut que je n'ofe appeller
un manque de fineffe & de promptitude
M. de la Bruyere paroît avoir voulu peindre M.
de F. ( chap. de la fociété de la conversation ) ,
& c'eft vraisemblablement d'après ce portrait
malin , que Rouſſeau fit fon Epigramme. Je dois
pourtant dire que je n'ai trouvé le nom de M.
de F. dans aucune des clefs du livre des Caracteres,
pendant qu'on y trouve une foule d'autres noms
très- refpectables , & furtout bien plus redoutables
que celui de M. de F. qui ne l'étoit point du tout.
Mais je ne me prévaudrai point du filence des
clefs , pour jetter du doute fur le véritable original
du portrait ; la charge , pour être très -forte
n'en ôte pas la reflemblance ; j'en parlerai
une autre fois plus amplement. J'ai plufieurs cho
fes à dire fur M. de F. relativement à M. de la B ,
& j'efpere les dire fans partialité . J'aimois bien le
premier ; mais j'eftime beaucoup le fecond. Je
trouve même qu'on ne l'eftime pas affez aujourd'hui
, & , pour tout dire , je n'étois pas abfolument
content de M. de F. fur cet article . Il ef
yrai qu'il avoit été cruellement offenfé.
42 MERCURE DE FRANCE.
d'intelligence ; car ils diroient auffi - bien
& mieux , que ce qu'on dit de mieux en
leur préfence , & cependant ils ne l'entendent
pas , ils ne le fentent pas , ou ne le
fentent qu'imparfaitement . Ils ont , ſi je
puis m'exprimer ainfi , une fineffe active ,
& n'ont pas une fineſſe paſſive. Ils ont ce
qui femble être le plus , & n'ont pas ce
qui femble être le moins. Quoi qu'il en
foit de la caufe qui fépare deux chofes fi
faites en apparence pour être toujours
réunies , M. de F. poffédoit l'un & l'autre
dans un égal degré. ( 1 )
Un jour Madame d'Argenton foupant en
grande compagnie chez M. le Duc d'Orléans
( le Régent ) , & ayant dit quelque
chofe de très-fin qui ne fut point fenti ,
s'écria : Ah! Fontenelle , où es tu ? Elle
faifoit allufion au mot fi connu . Où étoistu
, Crillon ?
Les beaux parleurs , foit gens d'efprit &
(1 ) Dans le chapitre des Confidérations , &c. déja
cité , l'Auteur dit qu'on doit diftinguer la fineſſe de
l'efprit , de celle du caractere. M. de F. eft un
exemple très-marqué de la jufteffe de cette diftinction.
C'étoit affurément un efprit très fin , mais
ce n'étoit point un homme fin , & par cela même
il étoit un peu défiant , du moins précautionné.
Sans de fortes preuves , il ne jugeoit mal de perfonne
en particulier ; mais il avoit affez mauvaiſe
opinion des hommes en général.
1
OCTOBRE . 1757. 43
à penfées , foit gens d'imagination & à
faillies , fe plaifoient beaucoup avec M.
de F. parce que , outre , comme je l'ai dit ,
qu'il les écoutoit autant qu'ils vouloient ,
ils ne perdoient rien avec lui.
M. Duclos n'étant encore que de l'Académie
des Belles Lettres , & n'ayant donné
que les Confeffions , &c. & Madame de Luz
qu'il n'avoit pas même encore avouées, eur
une affez longue converfation avec M.
de F. fur un point de littérature , & la
matiere fut traitée très philofophiquement.
Quand M. D. eût ceffé de parler ,
M. de F. fut fi content de ce qu'il venoit
d'entendre , qu'il lui dit : Vous devriez
écrire , faire quelque Ouvrage. Et fur quoi ,
Ini demanda M. Duclos ? M. de F. répondit
: Sur ce que vous venez de me dire.
Il excitoit volontiers à compofer , ceux
en qui il appercevoit du talent , & un talent
original ; mais furtout de la lumiere ,
de l'efprit proprement dit , le grand don
de penfer de foi - même & d'après foimême
, de voir dans les chofes ce qu'on
n'y avoit pas encore vu . Lorsqu'on lifoit
en fa préfence un Ouvrage nouveau ,
fi
quelques traits venoient à le frapper , fa
grande louange étoit : Cela eft neuf, ou
cela eft bien vu (1. Voilà ce qu'il appelloit
( 1) Je le crois même auteur de cette derniere
44 MERCURE DE FRANCE.
de l'efprit & du génie. Il en trouvoit à
l'Auteur à proportion que ces traits neufs
& lumineux étoient en plus grand nombre
dans fon ouvrage , & en même temps plus
fins , plus profonds , & c. à proportion de
la quantité & de la qualité. Si de plus cet
Ecrivain penfeur & original , penfoit , non
en quelque forte au hazard , mais , pour
ainfi dire , de fyftême ; fi fon ouvrage préfentoit
un deffein , un plan ; s'il formoit
un bel enfemble , un beau tout ; en un
mot , fi la forme égaloit la matiere , & fi
le créateur étoit architecte ; alors l'Auteur
étoit pour M. de F. un efprit & un génie
parfait , un Descartes en philofophie , un
Corneille en poésie , un la Morte en littérature.
Ce font là les trois hommes dont
je l'ai entendu parler avec le plus d'eftime ,
& à qui il donnoit plus de fonds d'efprit .
On fçait affez comment il en a parlé dans
fes Ouvrages , toutes les fois qu'il a eu
occafion de le faire .
Son Hiftoire de l'Académie des Sciences
eft remplie des louanges de Descartes.
Voici ce qu'il en difoit encore dans l'extrait
non imprimé ( j'ignore pourquoi il
ne le fut pas ) d'un Mémoire de M. Saurin
façon de parler , devenue aujourd'hui fort ordinaire
; ce qui fait honneur à notre fiecle,
OCTOBRE. 1757. 45
fur la caufe de la pefanteur , qu'on trouve
dans le volume de 1709 .
« M. Defcartes , dit M. de F , Auteur le
plus original qui ait peut- être jamais été,
» eft le premier qui ait confidéré les for-
» ces centrifuges des corps mus en rond ,
» & le premier qui en ait prétendu tirer
» la pefanteur. Cette idée eft fi belle , fi
» ingénieufe , fi conforme au plan général
» de la nature , fi agréable même pour
» ceux qui ont un certain goût de phyfique
, qu'elle mérite de n'être abandon-
» née que pour des difficultés invincibles
» & qu'à la derniere extrêmité ; & d'au-
» tant plus qu'il eft fort à craindre qu'en y
» renonçant , il ne faille auffi renoncer
» pour jamais à fçavoir ce que c'eſt que la
pefanteur des corps. »
و د
33
Quant à M. de la Motte , les amis de
M. de F. fe fouviendront de lui avoir
entendu dire plus d'une fois : Un des plus
beaux traits de ma vie , c'eft de n'avoir pas
été jaloux de M. de la Motte.
Comme ils vivoient dans les mêmes fociétés
, M..de F. avoit eu de fréquentes
occafions de connoître par la converfation
de M. de la M. auffi - bien que par fes Ouvrages
, tout ce qu'il a dit de la jufteffe , de'
l'agrément & de l'étendue de fon efprit ,
dans fa réponse à M. l'Evêque de Luçon ,
46 MERCURE DE FRANCE.
fucceffeur de M. de la Motte dans l'Acadé
nie Françoife. (1 )
Voilà les deux hommes de Lettres que ,
dès ma premiere jeuneffe , j'ai le plus defité
de connoître , quoi que pût me dire
contr'eux , mon Régent de Rhétorique, le
P. Guyot , alors Jéfute , & fi fameux de
puis fous le nom de l'Abbé Defontaines
car je lui dois la juftice qu'il en penfoit
dès lors comme il en a penfé depuis . Je
les connus l'un & l'autre peu après mon
arrivée à Paris ; & plus je les ai connus ,
plus je les ai eftimés , admirés , aimés . Le
premier écrit auquel j'aie mis mon nom ,
eft ma Lettre fur M de la Motte , en Janvier
1732. Il étoit mort le 26 du mois
précédent. L'Abbé Desfontaines ne fut pas
trop mécontent de la maniere dont j'avois
parlé dans cette Lettre de mon illuftre ami .
J'y faifois , difoit - il , des avenx hardis &
finceres , qui n'avoient pas plu au perit tron
pean de fes aveugles pariifans (… ). Mais
d'autres endroits de ma Lettre lui déplurent
(1) Je ne puis m'empêcher de citer un trait de
cette réponſe , dans lequel , en peignant fon ami ,
M. de F. s'eft peint lui- même , fans y penter. Un
efprit nourri de reflexions , plein d'idees bien faines
bien ordonnées , &c.
(2 ) Nouvellifte du Parnaſſe , t . 4 , p. 66. Eſprit
del'Abbé Desfontaines , t. 3 , P. 93.
OCTOBRE. 1757. 47
fort. Selon lui , j'y confondois partout la
critique avec la fatyre. Mais ne les avoit- il
point quelquefois confondues lui- même ?
Dans la feuille cirée de fon Nouvellifte
du Parnaffe , l'Abbé Desfontaines avoit aufli
parlé de la réponsede M. de r . à M. l'Evêque
de Luçon , & avec bien plus d'amertume
que de ma Lettre. J'étois infiniment moins
digne de fa colere . D'ailleurs , il avoit
confervé pour moi de l'amitié , comme
j'avois confervé pour lui de la reconnoiffance
. Enfin j'avoue que M. de F. l'avoit
traité lui- même un peu durement dans cette
réponse ; & je ne reconnus point fa douceur
ordinaire , lorfque je lui entendis dire.
33
« Parlerai je ici de cette foule de Cen-
» feurs que fon mérite lui a faits ? Secon-
» derai- je leurs intentions , en leur aidant
» à fortir de leur obfcurité ? Non , Meffieurs
, non , je ne puis m'y réfoudre ;
» leurs traits partoient de trop bas pour
» aller jufqu'à lui . Laiffons- les jouir de la
gloire d'avoir attaqué un grand nom ,
puifqu'ils n'en peuvent avoir d'autre ;
laiffons les jouir du vil profit qu'ils en
» ont efpéré , & que quelques - uns cher-
» choient à accroître par un retour réglé de
critiques injurieufes. Je fçais cependant
» que même en les méprifant , car on ne
48 MERCURE DE FRANCE.
"
pas
de
peut s'en empêcher , on ne laiffe
» recevoir d'eux quelques impreffions ; on
les écoute , quoiqu'on ne l'ofe le plus
fouvent , du moins fi l'on a quelque
pudeur , qu'après s'en être juftifié par
» convenir de tous les titres odieux qu'ils
» méritent. "
2
23
Cela eft affurément très-beau & trèséloquent.
Ifocrate étoit devenu Demofthenes
, pour vanger fon ami ; mais , encore
une fois , cela étoit dur. L'Abbé Def.
très fenfible aux traits qu'on lui lançoit ( &
cette fenfibilité lui fait une forte d'honneur
) , le fut infiniment à ceux de M. de F.
H voulut s'en vanger à fon tour ; il compofa
une feuille très maligne. Elle fut arrê
tée fur l'épreuve même , & le privilege
retiré. Elle ne parut donc point , & on
ne l'a vue que plufieurs années après : mais
alors le plaifir de la vangeance étoit émouffé
, ou plutôt , une vangeance fi tardive
n'en étoit plus une ; & la feuille qui eût
été lue dans le temps avec avidité par un
certain public , eft vraiſemblablement inconnue
à la plupart de mes Lecteurs.
Environ trois ans après , en 1735 s
l'Abbé des F. obtint un nouveau privilège
pour des feuilles périodiques. Ce font celles
qu'il intitula : Obfervations fur les écrits
modernes. On les fupprima encore en 1743 ·
Cependant
OCTOBRE. 1757. 49
Cependant l'année fuivante il donna de
nouvellesfeuilles fous le titredejugemensfur
les Ouvrages nouveaux. M. de F. tut encore
attaqué , mais loué auffi , dans les unes &
les autres. Il n'y auroit rien à dire , fi ces
critiques & ces louanges ne fe contredifoient
pas fouvent. L'Abbé des F. n'étoit pas
feulement partial : il étoit homme d'humeur
& de paffion , & chaque feuille dépendoit
beaucoup de fon humeur actuelle.
Difons tout. L'Abbé des F. n'avoit pas
affez d'efprit pour fentir tout celui de M.
de F. Son goût étoit plus jufte que fin ; &
dès- lors il n'étoit pas toujours jufte . Il
a quelquefois critiqué , faute d'entend é
ce qu'il critiquoit . M. l'Abbé de Pontbriant
, M. de Gennes de la Motte ( 1 ) , &
(1 ) Le premier eft Auteur du livre intitulé ,
Nouvelles vues fur le fyflême de l'Univers , 1751 .
M. de F. y eft-ſouvent loué , & très- bien loué , je
ne citerai que cet endroit de la page 2. Comme
P'ouvrage eft divifé en fix entretiens entre l'Auteur
& une Marquife : « Qu'on ne pense pas
» dit-il , à ce mot de Marquise , qu'il me foit venu
» dans l'idée d'attenter aux droits de l'homme
» unique , à qui feul il appartient de dérider dé-
» cemment le front de la philofophie , & de lui
» faire rirer avantage d'un refte de contraste avec
>
les Graces & les Ris Trop d'exemples font crain-
» dre qu'en inventant l'art , il n'en ait épuisé les
reffources , ainfi que les fineffes . L'inconvénient
d'être copifte & de lui trop reffembler , ne peut
1. Vol. C
༨༠
MERCURE
DE FRANCE.
moi , ( fi j'ofe me citer ) tous trois fes difciples
à Rennes , nous l'en avons fait convenir
plus d'une fois ; car , malgré fon
impétuofité naturelle , il fe rendoit , lorfqu'on
fçavoit le prendre comme il faut , &
lui parler avec douceur ; ou s'il ne fe rendoit
pas , ce n'étoit point comme tantd'autres
, par vanité & par préfomption
( fur le ton impérieux & magiftral qu'il
prenoit fouvent , on lui en a cru plus qu'il
n'en avoit ) , c'étoit , je le répete , faute
de lumieres affez étendues , & d'une certaine
fineffe de goût.
Je ne diffimulerai point qu'un autre de
fes difciples, (le Pere Berthier) mais dans
une autre ville , à Bourges , lui eft beaucoup
plus favorable que moi , & peutêtre
plus que fon abbréviateur même ,
quelque intéreffé que celui - ci fût à l'être.
Il lui accorde ( 1 ) , « l'avantage de faire
toujours appercevoir beaucoup de goût ,
d'intelligence & de fineffe ; avantage
93
» être que très- voifin de celui de l'imiter mal ,
» & de ne lui point reffembler. v
M. Degennes-de la Motte eft Avocat aux Confeils
, & ea cette qualité Avocat des Etats de Bretagne.
Je ne connois perfonne qui ait l'efprit plus
jufte & le goût plus délicat.
( 1 ) Journal de Trévoux , dans le mois d'Août
dernier , extrait de l'esprit de l'Abbé Desfontaines
OCTOBRE. 1757 .
SI
»
qui n'eft pas donné à tout le monde , &
que cette homme rare , poffédoit dans
»un degré très éminent . »
Je n'ai encore vu aucun homme de lettres
, je dis de ceux que l'Abbé des F. a le
plus loués lui - même , à qui ces louanges
n'aient paru trop fortes.
On peut diftinguer deux fortes de fineffe
dans un critique . L'une confifte dans la
fagacité à appercevoir les défauts & les
beautés des ouvrages ; l'autre dans une
maniere fine d'expofer & de faire fentir
ces beautés & ces défauts , de louer & de
cenfurer. Ces deux fortes de fineffe ne fe
trouvent pas toujours enſemble . Une critique
pourroit- être écrite finement , ſans
être fine , & fine , fans être écrite finement.
L'Abbé des F. étoit médiocre à ces
deux égards , furtout à l'égard de la fineffe
du ftyle . En général , fon ftyle eft clair ,
vif& naturel , mais négligé , peu correct ,
& fans élégance. Loue t'il ? C'eſt d'ordinaire
par des louanges communes & fans
délicateffe . Cenfure- t'il ? C'eft par des
railleries plus fortes qu'ingénieufes , fouvent
ameres & groffieres , & plutôt des injures
que des railleries . Il n'avoit pas le ton
de la bonne plaifanterie .
Mais quand même il eût eu tout le goût,
toute l'intelligence , toute la fineffe , que le
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE.
Pere B. lui attribue , avoit - il de l'équité
de la fincerité , de la bonne foi ? Ne vouloit-
il louer que le bon , & cenfurer que
le mauvais ? En un mot , le critique étoitil
honnête homme , comme critique ? Il n'y a
que la réponſe de Scaron à faire . Ob non,
Le Pere B. me permettra donc de le lui
dire . Tout bon critique qu'il eft lui même ,
la reconnoiffance
l'a féduit en faveur de
fon ancien maître , & cela lui fait honneur.
J'ajoûterois bien encore une autre
cauſe de féduction . Le Pere B , eſt Jéſuite, -
& l'Abbé des F. l'avoit été pendant près de
17 ans.
M. Fréron qui partagea quelque temps le
travail & lagloire desjugemens fur les ouvra
ges nouveaux ( 1 ) , qui après avoir été l'affocié
de l'Abbé des F , fut fon fucceffeur ,
l'eft encore , & marche fi fidélement fur
fes traces , M. Fréron , dis- je , ne pouvoit
guere être plus favorable à M. de F.
que fon Maître & fon Ami ( 2 ) . Il l'a dorç
traité à peu près de même. Il l'a quelquefois
loué , & plus fouvent critiqué . Sa
derniere critique ( 1 ) a paru fi outrée &
(1 ) Préface de l'Esprit de l'Abbé Desfontaines ,
page 24.
(2 ) Lettre à M. Lefranc , fur la mort de l'Abbé
Desfontaines , t. 1 , p. 278 , des Opufcules de M. F.
(3) Année Littéraire 1757 , tome 1 , P , 113 ,
OCTOBRE . 1757: 33
même fi maligne , que je ne crains point
de la mettre fous les yeux de mes Lecteurs .
Après avoir diftingué dans M. de F. le bel
efprit de l'Académie Françoife , & le Secretaire
de l'Académie des Sciences , M. F. dit :
" Comme bel efprit , l'audace de ſa ré-
>> volte contre les anciens , la méthaphyfi-
» que de fes idées , la fubtilité de fes re-
» flexions , fes recherches trop curieufes
» des invifibles refforts du coeur humain
» la tournure alambiquée de fon langage
» les petites chûtes épigrammatiques de
» fes phrafes , la politique raffinée defonftyle,
» fi je puis parler ainfi , ne lui ont pas fait
» des admirateurs parmi les gens de goût ».
Il feroit auffi ennuyeux qu'inutile de
difcuter en particulier chacun des traits de
ce portrait. J'avoue même qu'ils expriment
affez bien tous les vices voifins des vertus de
M. de F , & que , fi comme l'Abbé des F.
on avoit le goût plus jufte que fin , on pourroit
de la meilleure foi du monde confondre
les uns avec les autres. Je demanderai
feulement à M. F. ce qu'il a entendu par la
politique raffinée du fyle de M. de F. J'ai
foupçonné d'abord une faute d'impreffion ,
& qu'il falloit lire politeffeau lieu de politi
que. Mais fi cela étoit , M. F. n'auroit pas
ajouté , fi je puis parler ainfi. Politeffe raffi
article intitulé , mort de M. de Fontenelle.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
née est une expreffion fimple & ordinaire
pour laquelle on n'a point de permiffion
à demander. Il faut donc lire politique .
Mais alors , à quoi bon , fi je puis parler
ainfi Ce feroit peut -être un patfeport
pour une expreffion trop hardie ,
hardie
, trop
rep finguliere
, ou même d'une tournure alambiquée
, pour une chûte épigrammatique , en
mot pour quelque phrafe à la Fonte
nelle , mais il n'y a point de paffeport pour
une expreffion inintelligible.
Au refte , on n'en trouve guere de pareilles
dans M. Fréron ; l'obfcurité n'eft
point fon défaut . Auffi loue t'il plus bas
M. de F. fur la netteté de fes idées , &
fur la clarté de fon ftyle. Je ne fçais pourtant
s'il a fenti tout le prix de cette louange y
& toute la valeur qu'elle tire des critiques
qui l'ont précédée . La clarié du ftyle n'eft pas
un petit mérite dans M. de F. avec la métaphyfique
defes idées , lafubtilité defesreflexions,
fes recherches trop curieufes des plus inviſibles
refforts du coeur humain , la tournure alambiquée
de fon langage , la politique raffinée de
fon style , &c.
Quoi qu'il en foit de toutes ces accufations
, auxquelles on pourroit répondre ,
tantôt en niant le fait , tantôt en niant le
droit , j'avouerai encore à M. F. qu'il
n'eſt pas le premier qui les ait faites contre
OCTOBRE . 1757.
M. de F : mais qui jamais avoit dit avant lui:
« Sa Pluralité des mondes , fes Dialogues
» des morts , les églogues , font des ouvra-
" ges très ingénieux fans doute , mais fi
remplis d'affectation & de faux brillans ,
qu'il eft difficile d'en foutenir la lecture ,
23
و ر
" & c ".
Ce n'eft pas ainfi que Quintilien , affez
bon juge , fi je ne me trompe ( 1 ) , parloit
de ce Romain célebre , auquel on a quelquefois
comparé M. de F , de l'ingénieux
Seneque ; ce n'eft pas ainfi qu'il le cenfuroit.
Bien loin , felon lui , qu'il fût difficile
de foutenir la lecture de les ouvrages ,
cela n'étoit malheureuſement que trop facile.
Il lui reprochoit des vices ; il l'en
trouvoit plein ; mais c'étoit des vices agréables
: dulcibus abundat vitiis. Voilà comme
il falloit critiquer M. de F. Par là on ſe ſeroit
du moins accordé avec foi- même , &
on auroit expliqué comment il eft un écrivain
dangereux en fait de goût ; car il ne
l'eft point , fi on ne peut le lire.
M. F. a rendu pleine & entiere juſtice
M. de F. comme Secretaire de l'Académic
( 1 ) « Faut-il s'étonner que M. de Fontenelle
» fe foit vu en butte aux traits de Defpreaux , de
» Racine , de Rouffeau , & aux critiques de Féné-
» lon , de la Bruyere , de Rollin , de Desfontaines ,
» & c. tous partifans zélés de l'antiquité , & affez
bons juges , fi je ne me trompe ? » ibid.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
des Sciences : ce qu'il dit enfuite fur ce
que M. de F. étoit dans la fociété , n'eft
pas fi pur & fi net de toute cenfure & de
toute ironie.
Il parle de ces jolies réparties , de ces mots
fins , que lui infpiroient fur le champ la délicareffe
& la galanterie de fon efprit ; mais il
ne dit pas que M.de F. le même dans fa con-
- verfation que dans fes écrits , y étoit fouvent
auffi folide & auffi lumineux qu'ingénieux
& agréable.
Il dit que ces riens agréables viennent rarement
à un homme de cabinet ; & par là il
donne une louange rare à M. de F ; mais
en ajoutant , & même à un homme de génie,
il lui refufe une autre louange bien plus
précieufe. Mais je l'ai dit ailleurs , & je
n'y reviendrai point : comment peut-on refufer
le génie à un écrivain qui penfe autant
que M. de F.
C'eft , dit-on , que penſer , n'eſt que de
l'efprit.
Je ne difputerai point fur les mots ;
mais je déclare une fois pour toutes , que
fi je donnne legénie à M. de F , c'eſt que
j'appelle de ce nom toute grande & importante
qualité de l'efprit poffédée dans un
degré éminent. En ce fens , je regarde M.
Nicole , quoique Ecrivain fans graces , &
fans chaleur , comme un homme de génie.
C'eſt un penfeur.
OCTOBRE . 1757. 57
M. Fréron dit tout de fuite ironiquement
: le grand Corneille fon oncle n'avoit pas
affurément ces graces & ces gentilleffes.
Non , il ne les avoit pas ; mais ce n'eſt
pas parce qu'il étoit homme de génie ; c'eft
parce qu'il étoit homme de tel génie . Il n'avoit
pas le génie des graces & de l'enjouement
, parce qu'il avoit celui de la force
& du fublime.
Mais je dis trop . Aucune forte de génie
n'eft incompatible avec une autre. MM . de
Fontenelle & de Voltaire en font la
preuve.
Le premier a fait un grand ouvrage de
Géométrie , & il avoit des graces : le fecond
a fait des tragédies fortes & fublimes
; plufieurs morceaux de ce caractere
font répandus dans fes autres ouvrages ; &
il est plein de graces . Mais Lafontaine qui
en avoit tant dans fes écrits , & dont ces
graces naïves & enjouées étoient prefque
l'unique don , n'en avoit pourtant pointdans
la fociété . Toutes ces unions & léparations
, fi je puis m'exprimer ainfi , de
talens & de qualités bonnes ou mauvaiſes ,
tiennent à quelque chofe qui ne fera jamais
bien connu , & elles nous étonneront toujours.
A force de combinaifons difoit
quelquefois M. de F , la nature réunit tout
& fépare tout. Elle n'eft bifarre que parce
qu'elle eft féconde .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
J'en demeurerai là aujourd'hui ; je
crains de lafler le Public , non de M. de
F , mais de moi. Dans quelques mois peutêtre
, car il me refte encore beaucoup
dire , je reprendrai mes Fontenelliana , furtout
s'il me paroît qu'on le fouhaite.
Quant à une vie en forme de M. F.
je ne l'ai point promife abfolument , &
je ne la promets point encore. Plus j'y
penfe , plus je trouve de difficultés &
même d'inconvéniens à la faire , comme
je voudrois la faire , c'eſt - à - dire , bien
fincere & bien complette , ou du moins
à la donner , fi ce n'eft dans quelques
années . M. de F , je l'ai déja dit ailleurs , a
connu particuliérement un grand nombre
de perfonnes de tout rang & de tout état.
Il m'en a parlé ; il m'a appris beaucoup de
chofes qui les regardoient ; il m'a dit ce
qu'il penfoit lui-même de ces perfonnes ;
de leurs ouvrages , fi c'étoit des Auteurs ;
de la maniere dont ils ont rempli leurs emplois
, fi c'étoit des hommes en place , & c .
Or je voudrois redire tout cela d'après lui,
parce que les jugemens & les réflexions
d'un homme tel que M. de F. font une partie
auffi utile que curieufe de fon hiftoire.
Mais , avec quelque circonfpection qu'il
jugeât , & fur- tout qu'il parlât , il y auroit
peut - être encore , à publier ce qu'il
OCTOBRE. 1757 . $9
n'a dit & comme il me l'a dit , de quoi
bleffer beaucoup de gens . Je ne veux pourtant
bleffer perfonne ; & fi peut-être cela
m'eft déja arrivé , c'eft bien contre mon
intention affurément . Il faut donc attendre.
VERS
A M. le Comte de Saint - Florentin , le jour
de S. Louis , fa fête .
Sur l'air : Vous qui du vulgaire ftupide
Voulez écarter le bandeau ,
QUE
Prenez Epicure pour guide , &c
UE ce nom cher à la patrie
Eft encor plus cher en ces lieux !
Il offre à notre ame attendrie
Les deux plus beaux préfens des Cieux,
D'un Héros , Miniftre fidele ,
Que tu remplis bien fes projets !
Des Ro's Louis eft le modele ,
Et toi l'exemple des fujets.
La fageffe éclaire tes veilles ;
Infenfible aux bruits de la Cour ,
La voix du peuple à tes oreilles
Parvient fans peine & fans détour :
C vj
60
MERCURE DE
FRANCE.
De ton Prince ami plein de zele ,
Le vrai , le bien font tes objets :
Des Rois Louis , & c ..
*
Tout en lui ne peint , ne reſpire
Que la clémence & la candeur ;
C'est la belle ame qui t'inſpire ,
Tu prends tes vertus dans fon coeur.
Sa grandeur eft fi naturelle !
La tienne eft d'un fi doux accès !
Des Rois Louis , & c.
Il a fait fa gloire fuprême
D'être aimé d'un peuple foumis :
Comme lui tu veux que l'on t'aime ;
Tous fes fujets font tes amis.
Paris , à l'ombre de ton aîle ,
Goûte
l'abondance & la paix 2
Des Rois Louis , &c..
>.
Sans la pourpre & le diadême ,
Il feroit encore adoré :
Moins par ton rang , que par toi-même
Tu feras toujours honoré :
Le refpect que ton nom rappelle
Redouble à te voir de plus près :
Des Rois Louis , &c.
OCTOBRE . 1757. Gr
L'Italie a fait à Madame Dubocage tous
les honneurs que mérite fon talent diftingué.
L'Académie de Bologne s'eft empreffée
à la recevoir , & Rome vient de l'admettre
au nombre de fes Arcades , fous le
nom de la Bergere Doriclée , avec l'applaudiffement
univerfel . Nous l'apprenons par
une Lettre que M. Pizzi , l'un de ces illuftres
Académiciens , nous a écrite dans fa.
langue. Nous nous hâtons de l'inférer ici
avec le Remerciement que Madame Dubocage
a fait en vers François à cette célebre
compagnie.
Roma , 3 Agosto 1757.
MONSIEUR , l'inclita , ed erudita Madame
Dubocage , dopo effere ftata ammeſſa
all' Accademia delle Scienze in Bologna ,.
viene ora aggregata con plaufo univerfale
à quefta noftra Adunanza degli Arcadi fotto
Rome della Paftorella Doriclea.
fenfibile Quefta maravigliofa Donna ,
ad un tal veridica teftimonianza di ftima
( dovuta per altro al fuo merito diftintiffimo
) ha fubito compofto in ringraziamento
i qui aggionti leggiadri verfi diretti agli
Arcadi illuftri.
Mi permetterete
pertanto , Monfieur
6
MERCURE DE FRANCE:
ch' io , come uno de' XII Colleghi d' Arcadia
mi dia l' onore di trasmetterli à voi
qui acclufi per non defraudare la fuda .
Dama da quella accreditata menzione ,
che voi farete per farne nel voftro celebre
Mercurio.
Tanto mi riprometto dalla voftra ben
nota gentilezza ; me'ntre fon' io doppiamente
tenuto di cofi favorevol congiontura
, che mi dà anche il vantaggio di
proteftarmi. Monfieur ,
Dedmo obligmo fervre .
GIOACCHINO PIZZI.
VERS de Remerciement.
QUEL
UELLE puiffance enchantereffe
Mit dans l'empire des Céfars , -
Tous les arts brillans de la Grece !
Un Licée offre à mes regards
Les fçavantes foeurs du Permeffe.
Que vois - je où fut un champ de Mars ;
Un bofquet fait pour la molleffe
Invite au repos de Lucrece !
En ces lieux ou de toutes parts
L'étude & la délicateffe ,
Du Dieu du goût font la richeffe :
Un Roi ( 1 ) du Tage , ami des Arts ,
(1) Jean V , Roi de Portugal , bienfaiteur des
Arcades .
OCTOBRE. 1757. 6 2
De tréfors orna la fageffe.
Chriſtine ( 1 ) qu'encenfa Lutece ,
Quittant fon trône & fes remparts ,
De ces gazons fut la Déeffe :
Une fille (2 ) de cent Héros
A la fuivre en ces champs s'empreffe
Cyrene ( 3 ) y goûte un doux repos :
Euridice (4) dès fa jeuneſſe
Y chante fur fes chalumeaux
L'âge d'or qui nous fuit fans ceffe:
Des vers gravés fur ces ormeaux
M'apprennent ces faits que j'admire
Puis- je par des efforts nouveaux
Du Pinde ici m'ouvrir l'empire è
Oui , dit le Dieu de ces côteaux ,
La faveur où ton ame aſpire
Sera le prix de tes travaux ,
( 1 ) Cette Reine de Suede donna aux Arcades
un bofquet dans fon jardin pour tenir leurs Af-
Semblées.
(2 ) La Princeffe Royale de Pologne a fait l'bonneur
à cette Académie de lui envoyer des vers
qu'elle avoit compofés.
(3 ) La Ducheffe de Bracciano , fille du Prince
Corfini , amatrice des Beaux Arts.
(4) Jacinte, fille du Cardinal des Urfins , mariée
au Duc Darcé , fils du Prince de Piombino , Dame
auffi célebre par fes attraits & fes talens , que
par fa naiffance. Les vers de fa compofition qu'elle
vient de réciter dans l'Affemblée des Arcades
l'âge de 15 ans , ont fait l'admiration de Rome.
64 MERCURE DE FRANCE.
De mon bonheur que les échos ,
Raiſonnent de Londre à Palmire :
Tant que Flore aimera Zéphyre ,
Qu'on chante aux bords de ces ruiffeaux
Ma gloire & les fons de ma lyre.
Le mot de l'Enigme du Mercure de
Septembre eft l'Appétit . Celui du Logogryphe
eft Sac , dans lequel on trouve cas
de confcience , As riviere de Sologne , les
deux lettres du mot Pallas ; Sa , Religieux
Portugais.
ENIGM E.
Je fais la mere inconcevable
De ce qu'un Philofophe a peine à définir ;
Et de ce fils inexplicable ,
Il en fort trois qu'on ne peut bien unir.
Rien moins qu'eux trois ne fe reffemble :
Jamais on ne les vit un feul inftant enſemble ;
Car l'un s'enfuit , quand l'autre il apperçoit =
Mais laiffons les courir , & revenons à moi
Je porte un nom effrayant & fublime ,
Je fuis pour tous l'impénétrable abyfme :
Prends garde en téméraire à ne t'y point plonger ;
Sans ceffe , ami Lecte ur , je t'en vois approcher.
Par l'Hermite de Bufucil.
OCTOBRE. 1757 65
LOGOGRYPHE.
JE fuis cet ennemi fecret
Redouté fur toute la terre ;
Je brûle , agite & fais la guerre
Aux Rois comme au plus vil fujet .
Cher Lecteur , de mon nom fix pieds font l'aſſem→
blage :
Prends -en deux , & ma tête , on t'offre un élément ,
Ou le métal deſtiné d'âge en âge ,
Au combat , au labeur , à punir le méchant :
Avec trois je ferai cette femme crédule ,
Source du crime originel :
Même nombre , c'eft moi qui dans la canicule
Corrompt toute matiere & ronge tout mortel.
Veux-tu m'en donner deux fois deux ,
Je deviens certaine légume :
Pour m'obtenir fouvent on fait des voeux ,
Un certain jour furtout où, mis en gros volume ,
Je fuis le prix du plus heureux :
Ne m'en retranche point ? que fuis-je ? un vain
preftige
Qui trouble fouvent le fommeil :
Si tu m'en ôtes un , j'enfante le prodige :
Mon art eft fans pareil ;
Laiffe m'en trois encor pour terminer ma courſe ,
Je fuis ainfi que l'ombre , & ne fuis jamais vu ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Sous la faulx d'un tyran je tombe fans reffource:
A ce trait, cher Lecteur, puis- je être méconnu ?
L
CHANSON.
E vieux Lucas , d'une tremblante main ,
A fon ami Grégoire un jour verfoit du vin :
Pourquoi trembler , lui dit le Buveur intrépide ,
En me verfant cette douce liqueur ?
Je tremble , dit Lucas , ah ! je tremble de peur
Que ma bouteille ne fe vuide,
602
OCTOBRE . 1757 :
67
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Nous allons enrichir cet article du difcours
de M. Durey- de Morfan , Receveur
général des finances de Franche- Comté ,
Secretaire du Cabinet & des commandemens
de S. M. le Roi de Pologne , Duc
de Lorraine , & de Bar , pour fa réception
à l'Académie Royale des Sciences & Belles
- Lettres de Nancy , le 7 Mai 1757.
L'ouvrage mérite cette diftinction à trois
titrés , par fa préciſion , par fon élégance
& par le ton de modeftie , qui caracteriſe
l'Auteur. Il a pour objet les fociétés Littéraires.
La matiere a été fouvent traitée ;
mais il nous paroît que perfonne jufqu'ici
n'a mieux développé leurs avantages ,
mieux faifi leur côté favorable.
ni
Meffieurs , l'honneur d'être admis parmi
vous , l'avantage de vous avoir été préfenté
par les mains de l'amitié , l'idée
que j'ai conçue des talens qu'exige une pareille
diftinction , & la conviction de ma
médiocrité , tout vient à la fois frapper
68 MERCURE DE FRANCE.
mon efprit , partager mon coeur , & me
laiffe à peine la liberté néceflaire pour épancher
ma reconnoiffance. Inftruit de vos
ufages , Meffieurs , je fçais qu'en ce jour
folemnel on ne doit pas donner tout au fentiment.
Il faut , par un tribut Littéraire ,
juftifier ce que votre choix fait préſumer
d'un Candidat. On ne s'acquitte point avec
vous par des éloges : vous voulez qu'on vous
faffe part de quelques vérités neuves qui
foient utiles ou agréables , & celui qui
vous dit les meilleures chofes , vous fait
le meilleur remerciement.
Pour moi , Meffieurs , je n'apporte ici
qu'une ame pénétrée de vos bontés , & j'ai
feulement à vous offrir quelques réflexions
qui m'ont fait fentir tout le prix de l'adoption
dont vous m'honorez.
L'expérience , mieux que tous les taifonnemens
, a démontré les avantages des
Sociétés Littéraires . Perfonne ne doute
qu'elles ne contribuent plus que tout autre
moyen , au progrès des Lettres , à la perfection
des Arts , aux charmes & aux douceurs
de la fociété civile . On l'a fouvent dit
avant moi ; mais il me femble qu'on n'a
point fuffifamment analyfé les effets généraux
ou particuliers que produit ce commerce
réciproque , ce concert mutuel des
efprits .
OCTOBRE . 1757.
69
C'est ce développement que j'effaye de
tracer à vos yeux , Meffieurs ; je le confie à
votre indulgence , & je le foumets à vos
lumieres .
Premiere Partie.
L'homme eft né communicatif , & la
nature l'a formé avec toutes les facultés propres
à faire naître en lui , à entretenir & à
ranimer de plus en plus le defir de fe communiquer
aux autres. Le premier homme
qui a penfé , qui a combiné des idées , qui
a fenti des perceptions , a voulu auffi-tôt
les verfer dans l'ame de fes femblables. Les
befoins naturels ont fans doute commencé
à rapprocher les hommes : mais dès qu'ils
eurent reconnu les propriétés de l'organe de
la parole , on vit difparoître infenfiblement
ces Pantomimes imparfaits de l'ef
prit & du coeur , ces fignes muets, qui juf
qu'a
'alors avoient été les Interpretes naturels
des pensées & des fentimens. On leur fub-
Bitua les inflexions de la voix , d'où fe
forma le premier idiôme , inftrument plus
fûr & plus commode de la communication
intellectuelle. La facilité du langage , pour
exprimer fes fentimens , & pour produire
fes penfées , étendit la fphere de l'entendement
, multiplia les connoiffances & les
éclaircit ; les idées morales fe développe
70 MERCURE DE FRANCE.
rent & firent naître les premieres loix . Des
hommes plus éclairés que les autres ,
vinrent Légiflateurs.
de-
Les plus anciens peuples du monde remontent
tous à quelque fage , qui plus
habile à faifir le génie particulier des hommes
au milieu defquels ils vivoient , s'éleva
parmi les concitoyens , & apprit d'euxmêmes
à les gouverner. Hermès en Egyp
te , Confucius à la Chine , Minos en
Crete , Solon & Licurgue dans la Grece ,
Numa Pompilius à Rome , perfectionnerent
les Sociétés , & les affermirent par de
fages Loix. Souvent la raifon d'un feul développa
celle des autres, & la fit fi heureufement
germer, que de ce feul point de lumiere
il s'en répandit de toutes parts une
infinité de rayons. L'expérience donna
plus d'étendue , & l'obfervation plus de
jour aux principes déja connus , & en fit
éclorre de nouveaux ; de forte qu'à partir
de certains points hiftoriques , on voit que
dans l'efpace de quelques fiecles , la raifon
humaine a fait des progrès rapides
fans qu'on démêle tous les degrés par lefquels
elle a paffé de la barbarie à la politeffe.
Bien-tôt par la communication , non
plus d'hommes à hommes mais de
peuples à peuples , toute la face du
monde eft changée. Les migrations , les
>
>
OCTOBRE. 1757. 71
voyages , le commerce , les guerres , l'intérêt
, l'ambition , la curiofité , tout fert
à ouvrir une infinité de canaux , qui rapprochant
les extrêmités de la terre , mettent
tous les hommes en état de fe communiquer
leurs lumieres , leurs opinions .
leurs découvertes. Des efprits profonds ,
préparés par quelque notions fimples , fe
livrent à la méditation , & les voilà créateurs
de la Philofophie. Ces fages vont en
Egypte , & par eux les Egyptiens deviennent
les Précepteurs de la Grece la Grece
polie , éclairée , éclaire & polit à fon
tour prefque tous les autres peuples , &
les Romains deviennent les difciples des
Grecs .
Les premieres Poéfies , auffi fimples que
le fentiment qui les faifoit naître , n'étoient
que de légeres peintures des objets
naturels , de tendres chanfons qu'un Pâtre
Arabe ou Chaldéen adreffoit à la Bergere
ingénue qui partageoit fes travaux ruftiques
. Ce langage s'éleva peu à peu la
poéfie , fans quitter les campagnes , vint
dans les villes , s'y perfectionna , célébra
les Héros , déplora l'infortune de la vertu
opprimée , ou fit rire les hommes de leurs
propres ridicules.
:
Quelle diſtance du premier Berger qui
chanta fans art ce qu'il fentoit fans artifice,
72 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'au fublime chantre d'Achille ! Quelle
différence de ton , de goût , de langage
!
Le fouvenir des événemens fameux , des
belles actions , des faits mémorables ,
ne fe gravoit d'abord que dans la mémoire,
& fe tranfmettoit par la parole des peres
aux enfans ; mais cette tradition , en s'éloignant
de fa fource , fe brouille , fe confond.
L'écriture eft inventée chez les Phéniciens
, ou plus probablement en Chaldée.
Les arbres , les rochers deviennent
auffitôt les premiers monumens de l'hiftoire
, les premieres archives de l'humanité.
Cet art divin de parler aux yeux , multiplie
& perpétue la communication intellectuelle.
La parole fugitive , inconftante ,
fe fixe fur l'écorce d'un arbre ; on l'attache
enfuite aux fibres d'une plante ( 1 )
aquatique ; on la peint fur la d'un
animal. Ce fupplément du langage , cette
raifon écrite , plus réfléchie , eft portée
partout , & commence à diftinguer feule
le peuple humanifé du peuple barbare . ( 2 )
En même temps l'art de la parole fe perfectionne
par l'uſage , par l'habitude , par
l'exercice , & par une communication plus
(1) Le Papirus d'Egypte .
peau
(2 ) Hominum veftigia confpicio , s'écrie Ariſtippe
à la vue de quelques caracteres .
intime
OCTOBRE . 1757. 73
intime & plus générale entre les hommes.
L'éloquence ( dirai- je la fille ou la mere
de la fociété ? ) l'éloquence fe fortifie , &
prend tous les jours de nouvelles formes.
Produite par la communication , elle ne
pouvoit fubfifter fans elle , & c'eft la communication
qui l'anime , qui l'entretient
& qui l'applique à fon véritable ufage :
car à quoi ferviroit d'être éloquent , fi
on ne l'étoit que pour foi ? En général , la
perfection de nos facultés & de nos talens
ne regarde effentiellement que les autres.
On n'eft point éloquent pour le feul mérite
de l'être ; on n'écrit pas avec quelque
foin pour foi feul : tout fe rapporte à l'objer
général de la fociété. C'eft pour les
autres autant que pour foi qu'on penſe , &
qu'on produit fes penfées . Enfin toutes nos
facultés , toutes nos connoiffances fe perfectionnent
par les moyens qui les ont
formées , & par conféquent leurs progrès
fuivent ceux de la communication ."
Si Théfée n'eût pas raffemblé les peuples
épars dans les campagnes de l'Attique ; s'il
n'eût pas réuni toutes ces bourgades ifolées
pour n'en faire qu'une grande ville
il n'y auroit jamais eu dans la Grece ni
d'Ifocrate , ni de Démofthene . Mais dès
que les fociétés politiques ont eu leur confiftance
, la Langue Grecque s'eft polie &
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
s'eft étendue. Les paffions devenant de
jour en jour plus vives & les intérêts plus
actifs , par la préfence , ou par la multiplicité
des objets , le langage a infenſiblement
acquis de nouvelles inflexions : on
s'eft fait un art de la parole ; l'éloquence
enfin s'eft formée. Et depuis le premier
Laboureur qui fe diftingua de fes femblables
par un peu plus de facilité à manier
la parole jufqu'au foudroyant Périclès ,
jufqu'à l'Orateur fi redouté des Rois , quels
progrès cette éloquence n'avoit- elle point
faits ?
Chaque génération a profité des lumieres
de celle qui l'a précédée , & en a tranſmis
de nouvelles à la génération qui l'a
fuivie. Ainfi s'eft formé cet amas de connoiffances
dont nous jouiffons. Tous les
hommes & tous les fiecles y ont fucceffivement
contribué , & il circule parmi
nous , comme un patrimoine inépuisable
où chacun a fa légitime .
A
- Je me repréfente cette communication
générale comme un de ces grands fleuves
qu'on voit rouler majeftueufement fes
ondes dans un vafte canal. Si l'on veut
remonter à fa fource , ce n'eft qu'un filet
d'eau échapé d'une roche ; mais qui dans
fon cours s'eft groffi par une infinité de
ruiffeaux qu'il a reçus & qui s'y confon
OCTOBRE . 1757. 75
dent. Tele a été la pogreffion des Sciences
, des Lettres & des Arts , depuis les
Egypriens jufqu'aux Grecs , depuis les
Grecs ( Difciples ingrats qui fen bient avoir
méconnu leurs Maîtres ) , jufqu'aux Romains
, & depuis les Romains qui ont confervé
foigneufement les écrits des Grecs ,
ou qui font prefque tous Gr.cs eux mêmes
jufqu'à nous. La communication a tout
fait , & fi l'on confidere bien la façon
dont vivent encore aujourd'hui ces peuples
incultes qui nous retracent les premiers
Sauvages de l'Attique , c'eft au peu
de communication qu'ils ont avec les autres
peuples qu'il faut principalement attribuer
leur ignorance & leur ftupidité.
On reproche aux Orientaux comme un
refte de barbarie de ne pas connoître encore
les douceurs de la converfation . Cette
communication fociale , ce commerce de
fentimens , de penfées , de fantaiſies même,
où chacun met quelque chofe du fien , &
qui eft l'ame des liaiſons , les Grecs & les
Romains l'entendoient fi bien , & en faifoient
tellement leurs délices , qu'ils ont
laiffé des traces de leur goût pour la converfation
dans un grand nombre de Dialogues
dont nous n'avons plus qu'une trèspetite
partie. Quel avantage ne tire t'on
pas en effet des hommes , par l'agréable
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
épanchement des fociétés particulieres !
Nous éprouvons combien nos efprits ont
fouvent de peine à mettre au jour leurs
propres penfées. Il eft des génies trèscapables
de faire l'agrément d'un cercle
choifi , mais dont la trempe flegmatique
les fait reffembler à ces corps durs &
froids , dont on ne peut tirer du feu que
par le choc. C'est l'heureux choc de la
converfation qui eft néceffaire à ces efprits ,
ou pareffeux ou glacés . Il faut en quelque
façon les électrifer , pour faire paffer leurs
perceptions du centre à la circonférence ,
& alors qu'en réfulte- t'il ? D'heureuſes
étincelles , de brillantes faillies , des traits
de lumiere , foudains , inattendus , &
d'autant plus vifs , qu'ils ne font point refroidis
la réflexion . Je ne crains point par
de l'avancer : il s'eft dit de meilleures chofes
dans le feu des entretiens familiers
qu'il n'y en a d'écrites. Il n'eft pas rare de
voir des hommes qui paroiffent flupides ,
s'échauffer par la converfation , devenir
très -fupérieurs à eux-mêmes , & produire
enfin fans effort , ce que l'application du
cabinet leur refufe.
Mais les fociétés Littéraires qui dans la
fociété générale forment la République des
Lettres , font la preuve la plus fenfible des
avantages qui résultent de la communicaOCTOBRE
. 1757. 77
tion des pensées & du commerce des efprits
; & partout où l'on aimera les Lettres
, les Arts , l'union , la paix , l'amour
de l'ordre & de la fubordination , on fe
plaira toujours à voir ces utiles établiſſemens
fe multiplier pour le bonheur des
peuples & pour l'illuftration des empires.
C'eft ce qu'a bien compris un Sage , qui
eût été Législateur en Egypte , & qui auroit
poli la Grece ; un Monarque tel que
l'imaginoit Platon , deftiné à faire affeoir
la philofophie fur le trône . Vous êtes fon
ouvrage , Meffieurs : votre augufte Fondateur
, en vous reffemblant , a fenti combien
la réunion de vos lumieres contribueroit
à perfectionner les connoiffances ,
les talens , les vertus , le génie &le goût
d'une Nation diftinguée par fa valeur , fa
Religion & fon inviolable fidélité pour
fes Maîtres .
Le Monument ( 1 ) qu'il vient d'élever
pour éternifer le fouvenir d'une augufte
Alliance , ce Monument fi digne d'un
Prince qui fait honneur à l'humanité ,
nous montre ce qu'il voudroit faire pour
( 1 ) Pyramide ornée de trophées & de ſymboles
relatifs au Traité d'Alliance entre Sa M. T. C.
& l'Impératrice Reine de Boheme & de Hongrie ,
que le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , a fait élever dans fa Capitale .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
rapprocher tous les hommes , & n'en compofer
qu'une fociété , ou qu'un peuple de
freres.
Vous le voyez , Meffieurs , je n'ai fait
que crayonner rapidement les biens que
produit généralement la communication
des efprits. Il me refte à fuivre avec plus
de précifion fes effets particuliers fur chacun
de nous .
Seconde Partie.
Un célebre Métaphyficien ( 1 ) , rival
heureux de Prométhée , a expofé en public
une belle Statue qu'il fait fucceffivement
voir , entendre , goûter , flairer , toucher ,
& l'automate finit par être un grand Philofophe.
J'ai à vous préfenter , Meffieurs ,
une autre Statue , qui au contraire commencera
par être une forte de Philofophe ,
dégénérera en efpece d'automate , & reprendra
infenfiblement fes efprits , fes lumieres
& fa philofophie.
Le problême va s'expliquer. Je fuppofe
un homme très inftruit , & bien pourvu
de toutes les connoiffances qui font les
Sçavans , mais enfeveli dans fon cabinet
vivant avec fa bibliotheque qu'il fçait par
(1) M l'Abbé de Condillac , Auteur du livre
Métaphyfique , qui a pour titre : la Statue animée.
OCTOBRE. 1757. 79
coeur , & fuyant le monde qu'il ne connoît
pas. A ce portrait , qui n'eſt pas de fantaifie
, & dont il y a plus d'un modele , on
conçoit que mon Sçavant a toujours lu
pour lire , qu'il s'eft beaucoup plus occupé
de tout ce qu'ont penfé les Anciens , que
de ce qu'on penfe dans fon fiecle , qu'il
n'a jamais penſé lui - même que d'après fes
Maîtres , & qu'il n'eft ni communicatif
ni communicable. Effayons de faire mouvoir
cette machine organifée , c'eft - à- dire
de mettre en action quelqu'une de fes
facultés. Voyons fi ce cabinet vivant , enrichi
des productions d'autrui , pourra produire
quelque chofe. J'exige de lui , non
qu'il écrive en une Langue morte ou fçavante
( ce qu'il feroit peut- être aifément ) ,
mais qu'il puiffe être entendu de tout le
monde , & qu'il nous parle fa Langue naturelle.
Je l'obferve , & je remarque d'abord
que fon premier & fon plus grand
embarras eft précisément d'écrire en cette
Langue , qui de toutes les Langues eſt la
plus étrangere pour lui. Il l'a pourtant
parlée dès l'enfance ; il a lu Vaugelas ,
Bouhours & tous les bons Maîtres du langage.
Voyez- le dans la criſe du travail : à
peine il peut arracher de fa tête une phraſe
lourde , pédantefque & traînante ; l'expreffion
pour habiller les idées même les
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
plus communes , fe refufe à la lenteur de
fa plume : il ne fçait ni choifit , ni placer
les termes que lui fuggere fon fujet . Cet
homme cependant penfe admirablement
en Latin , & même en Grec. Qui lui rend
donc fi difficile l'ufage de fa propreLangue ?
Le défaut de communication.
S'il n'eût pas négligé le commerce des
perfonnes polies ; s'il fe fût partagé du
moins entre fon cabinet & la fociété ; fi
de temps en temps il eût converfé avec ces
aimables ignorans qui ne fçavent que plaire
& parler agréablement leur langue ;
enfin s'il eût refpiré l'air des cercles , où
l'on fe pique plus d'orner l'efprit que de
charger la mémoire , il auroit infenfible.
ment contracté cette facilité d'expreffion
que le travail donne encore moins , qu'un
peu de lecture & beaucoup de monde.
Mais en fe bornant à fes livres , ne con
verfant qu'avec les Morts , préférant une
étude obfcure & muette , aux leçons vivantes
d'une aimable fociété , & n'exerçant
que fa mémoire , il a laiffé deffécher
ou languir les autres facultés de fon efprit;
il n'a pas compris que l'étude peut les exciter
à un certain point, mais ne peut feule les
perfectionner , & que la véritable clef des
livres eft la connoiffance des hommes.
Ainfi réduit à fes feules lumieres , fans
OCTOBRE. 1757.
81
goût ou naturel ou acquis , privé de ce
difcernement , de ce tact fin que donne
l'habitude de voir , d'entendre & de comparer
, ce n'eft plus qu'une espece d'automate.
Ranimons préfentement la ſtatue. J'ai
fuppofé mon Erudit bien préparé par l'étu
de. Qu'il forte de fa fphere étroite & obfcure
, qu'il entre dans un plus grand tourbillon
; qu'il foit admis dans ces fociétés ,
où tous les agrémens de l'efprit , la politeffe
, le fel Attique , les graces de la converfation
, & la fcience du monde viennent
affaifonner la raifon ; qu'il prenne
feulement une teinture , un léger coloris
de l'urbanité qui regne dans ces fociétés
qu'on le verra bientôt différent de lui-mê
me ! Son imagination développée , embellie
, rendue plus active , répandra fur ces
productions cette fraîcheur , ce vernis naturel
, cette fleur d'expreffion qui font valoir
les moindres chofes. En donnant à la
fociété ce qu'il paroîtra dérober à fon cabinet
, il fçaura peut-être un peu moins
mais il fçaura beaucoup mieux ; & ce qui
eft plus important , il apprendra le vérita
ble ufage du fçavoir.
Vous l'avouerai- je , Meffieurs ? Je ref
femble peut-être en quelque chofe à l'homme
que je viens de vous peindre ; mais le
D v
82 MERCURE DE FRANCE:
goût que j'ai toujours eu pour les Lettres
& pour la retraite du cabinet ne m'a point
fait renoncer à la fociété. Convaincu plus
que perfonne de l'utilité de la communication
, perfuadé qu'on ne peut trop l'étendre
, j'ai commencé par les voyages , &
pour mieux connoître les hommes , j'ai
toujours tâché de joindre la pratique à la
théorie.Cependant , après avoir vu d'autres
climats , d'autres Peuples , d'autres moeurs ,
tous mes befoins n'étoient pas remplis , ni
tous mes defirs fatisfaits. L'attrait perfévé
rant des lettres me faifoit fouhaiter de
pouvoir tenir à quelque Société Littéraire ,
où je puffe épurer & former mon goût ,
dans le fein de laquelle enfin , fi je ne
pouvois lui communiquer aucunes lumieres
, il me fût au moins permis de puifer
celles qui me manquent.
Mes voeux font comblés aujourd'hui ,
Melfieurs : je connois tous les avantages de
l'honorable affociation qui en étoit le plus
cher objet ; il ne me refte plus qu'à mettre
à profit tous les moyens que vous me fournirez
de m'en rendre digne .
ARMORIAL des principales Maifons &
familles du Royaume , particuliérement de
celles de Paris & de l'ifle de France.
Cet ouvrage enrichi de près de 4000
OCTOBRE . 1757 .
83
Ecuffons en taille- douce , eft d'autant plus
intéreffant , que le fieur Dubuiffon , qui l'a
compofé , n'a rien épargné pour rendre les
Ecuffons corrects & en perfectionner la
gravure. Non feulement il a eu l'attention
d'y marquer les griffes des lions & autres
animaux ; mais il a eu encore foin d'y
diftinguer leurs langues , lorfqu'elles fe
font trouvées d'un autre émail que le
corps.
Quoique ce livre ne foit que de forme
in-12 , il renferme les Armoiries des Princes
, des Ducs & Pairs , Grands Officiers
de la Couronne , & autres Seigneurs les
plus qualifiés du Royaume & des Cours
Souveraines . On y trouve auffi les Armes
des perfonnes Nobles qui font leur demeure
à Paris , & de celles qui font établies
dans toute l'étendue de l'Ile de
France. La netteté & la préciſion avec lefquelles
on a compofé cet Ouvrage , le mer
a la portée de tout le monde ; & pour la
facilité de ceux qui n'ont aucune connoiffance
de l'art héraldique , le fieur Dubuiffon
y a inféré en tête un abrégé des principes
qui, joints à la quantité & à la variété
des Armoiries expliquées , pourront les ur -
truire dans cet art dont tous les termes
font raffemblés fous un même point de
vue.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur nous annonce dans fa préface
qu'il a nombre de matériaux qui le mettent
en état de donner encore plufieurs volumes
au public ; mais que l'accueil avec lequel
cet Ouvrage fera reçu décidera de
fon travail.
A notre égard nous ne pouvons qu'applaudir
à fon zele , & l'encourager à mettre
au jour la fuite d'un Ouvrage dont les
premiers volumes que nous annonçons
méritent d'être favorablement accueillis.
A Paris , deux volumes in - 12 , chez
H. L. Guérin & L. F. Delatour , rue S.
Jacques ; Laurent Durand , rue du Foin ,
& la veuve J. B. T. Legras , au Palais.
L'EUROPE Eccléfiaftique , ou Etat du
Clergé contenant premiérement l'Eglife
Univerfelle , la Cour de Rome , les Archevêques
& Evêques des Etats Catholiques
; les Ordres Religieux , les Univerfités
de l'Europe . II . Le Clergé de France ,
les Evêques , les Vicaires Généraux , les
Dignitaires des Cathédrales , le Gouver
nement temporel du Clergé , les Abbés
Commandataires , les Chapitres nobles ,
les Collégiales , le Clergé régulier , les
Univerfités. III . Le Clergé de Paris , le
Séculier , le Régulier ; les Chapitres , les
Paroiffes , les Monafteres , la Faculté de
OCTOBRE. 1757. 8$
Théologie , tous fes Decteurs , celle des
Arts. IV. La Chapelle du Roi , fes dignités
, la chronologie de fes principaux Officiers
; les Prédicateurs du Roi , les maiſons
royales , avec toutes les notions d'hiftoire ,
de chronologie & de géographie , qui
concernent chaque objet , in 12. petit format
, d'environ 540 pages. A Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques , 1757 .
Le titre de cet ouvrage eft fi bien détaillé
, qu'il peut tenir lieu d'un précis.
Nous annonçons la troifieme édition des
inftitutions de Géométrie , enrichies de notes
critiques & philofophiques fur la nature
, & les développemens de l'efprit humain
: avec un difcours fur l'étude des mathématiques,
où l'on effaye d'établir que les
enfans font capables de s'y appliquer ,
augmenté d'une réponse aux objections
qu'on y a faites. Ouvrage utile , non
feulement à ceux qui veulent apprendre
ou enfeigner les mathématiques par la voie
la plus naturelle ; mais encore à toutes les
perfonnes qui font chargées de quelque
éducation . Par M. de la Chapelle , Cenfeur
Royal . de l'Académie de Lyon , & de
la Société Royale de Londres , 2 vol . A
Paris , chez Debure l'aîné , quai des Auguftins
, 1757. Cette édition eft confidé
86 MERCURE DE FRANCE.
rablement augmentée par l'Auteur . Le
Profpectus que nous avons inféré dans le
Mercure de Mai , page 113 , nous difpenfe
d'un extrait.
LE tome cinquieme du Mercure de Vit
torio Siri , contenant l'Hiftoire Générale
de l'Europe , depuis 1640 , jufqu'en
1655 , traduit de l'Italien par M. Requier,
fe délivre actuellement chez Durand , rue
du Foin , 1757.
VUES d'un Citoyen , deux parties. A
Paris , chez Lambert , rue de la Comédie
Françoiſe , 1757 .
La premiere partie contient le plan d'une
maifon d'affociation , dans laquelle , au
moyen d'une fomme très- modique , chaque
affocié s'affurera , dans l'état de maladie,toutes
les fortes de fecours qu'on peut defirer.
Des additions & éclairciffemens , à ce même
plan , une Lettre à l'Auteur de la critique
du plan d'une maison d'affociation , &
l'expofition d'un plan propofé pour les malades
de l'Hôtel-Dieu .
La deuxieme partie comprend deux Mémoires
: le premier fur la confervation des
enfans , & une deftination avantageufe des
enfans trouvés. Le fecond , fur les biens de
'Hôpital S. Jacques , leur état actuel , &
OCTOBRE. 1757 : 87
leur véritable deftination , avec un plan
général pour l'adminiſtration des Hôpitaux
du Royaume , & pour le banniffement
de la mendicité.
MALADIES traduites du Latin de Bagliri,
auxquelles on a ajouté des remarques &
des obfervations fondées fur la théorie la
plus claire & la plus reçue , & fur la plus
faine pratique ; par M. G. d'Aignan , Locteur
en Médecine . A Paris , chez la veuve
Delaguette , rue S. Jacques, 1757. Ouvrage
excellent au jugement des Connoiffeurs.
CUISINE & Office de fanté , propre à
ceux qui vivent avec économie & régime ,
vol. in 12 , 50 fols relié. A Paris , chez
Le Clerc , quai des Auguftins ; Prault pere ,
quai de Gêvres , & Babuty pere , rue Saine
Jacques , 1757.
LA TRIGONOMETRIE SPHÉRIQUE , réfolue
par le moyen de la regle & du compas
, d'où l'on tire une maniere très- aifée
& très-lumineufe de la réfoudre par les
finus ; par M. Siméon Valette. A Bourges ,
chez la veuve de Jacques Boyer, Imprimeur
du Roi , & à Paris , chez I. Barbon , rue
S. Jacques , 1757.
SUPPLEMENT aux Tablettes dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy , de l'AcaSS
MERCURE DE FRANCE.
démie des Belles - Lettres de Dijon , depuis
la rentrée du théâtre jufqu'à la clôture ,
pour les années 1756 & 1757 , contenant
les pieces nouvelles , les pieces remifes ,
les pieces imprimées , les débutans , les
ballets , les anecdotes du théâtre depuis le
dernier fupplément , & les morts des Auteurs
& des Acteurs. A Paris , chez Jorry ,
quai des Auguftins ; Lambert , rue de la
Comédie Françoife , & Duchefne , rue S.
Jacques , 1757.
HARDI , Libraire , rue S. Jacques , au
deffus de celle de la Parcheminerie , à la
Colonne d'or ; donne avis au Public qu'il
vient d'acquérir le privilege , & tous les
les exemplaires d'un livre qui a pour titre ,
Pélerinage du Calvaire fur le Mont Valerien
, & les fruits qu'on doit retirer de cette
dévotion ; par M. de Pontbriand , Prêtre
agrégé du Mont Valérien : petit in. 12. enrichi
de figures en taille- douce , qui fe
vend trente fols relié.
TILLIARD , Libraire , fur le quai des
Auguftins , à Saint Benoît , diftribue aux
Soufcripteurs le premier volume de Virgile
, gravé & donné par les foins de M.
Henri Juftice. L'ouvrage eft bien exécuté ,
avec de belles vignettes, culs- de - lampe, & c.
OCTOBRE . 1757 . 89
Ceux qui voudront foufcrire pour ledit
Ouvrage , feront admis à la foufcription
chez le même Libraire.
MANUALE Rhetorices ad ufum artis
difcendi Candidatorum , &c. quod vovet
Cl. viro D. D. Paris de Meyzieu , regiæ
Schole militaris ftudiorum præfecto generali
, P. T. N. Hurtaut , Univerfitatis Parifienfis
artium Magifter , & Collegii Magiftrorum
deputatus . A Paris , chez Lanrent
Prault , quai des Auguſtins , 1757 .
LETTRE de M. Keyfer à M *** , Docteur
en Médecine , fervant de réponſe à
un faux article inféré dans le Journal économique.
A Paris , 1757.
Nous nous trouvons fi refferrés par l'abondance
des matieres , que nous fommes
obligés de nous borner à ces fimples annonces
, & de remettre les extraits au prochain
Mercure , ainfi que plufieurs autres
indications de Livres.
Moyens d'apprendre sûrement & facilement
les Langues.
Les enfans , pour être enfeignés , s'embarraffent
peu des moyens qu'on choifit ;
c'est pourquoi l'on a féparé ceci , dont ils
n'ont que faire , d'avec l'Introduclion à la
go MERCURE DE FRANCE.
Langue Latine par la voie de la traduction ;
nouvellement réimprimée à Paris , chez Gué
rin & Delatour , rue S. Jacques , à Saint
Thomas d'Aquin , 1757. On's'eft restraint
dans l'avertiffement de la nouvelle édition ,
à indiquer feulement la maniere de faire
ufage de cette Introduction , & l'on aura
ainfi la fpéculation d'un côté & la pratique
de Dautre .
Quoiqu'on ait beaucoup écrit fur l'art
d'enfeigner , on peut dire cependant que
la matiere n'eft pas encore tout à fait épuifée
, & ce n'eſt point ici une nouveauté.
Cette matiere a été traitée fous une infinité
de formes différentes , & nous efpérons
que ce que nous ofons y ajouter n'y
paroîtra pas étranger .
En parcourant l'hiftoire des enfans doctes
de M. Baillet , on apprend qu'ils n'étoient
parvenus à bien fçavoir les Langues
que par la lecture affidue & la traduction
continuelle des meilleurs Auteurs . Cela
étant , il s'agit de connoître quels font les
premiers pas qu'il faut faire relativement
à cette voie. Perfonne , qu'on fçache , ne
les a encore indiqués affez clairement ,
puifqu'on n'eft pas d'accord là- deffus .
Ce fut vers le regne de François premier
, que la compofition du Latin fur la
Langue maternelle, c'eft-à - dire la voie des
OCTOBRE. 1757. 91
thêmes , commença à s'introduire dans
prefque toutes les écoles. La Langue Françoife
prenoit le deffus : on perdoit peu à
peu de vue la Latine , & l'on s'avifa de
faire des regles , au moyen de quoi l'on
remplir cette route de ronces & d'épines .
Cette route a beau caufer de la torture aux
enfans , les retarder , les dégoûter ; elle
fubfifte , elle prévaut , tant la coutume a
de force , quand une fois elle eft établie.
N'y a t'il done point quelque chemin plus
aifé que celui - là , pour arriver à une Langue
qu'on ne fçait pas ?
Les enfans doctes dont parle M. Baillet,
étoient arrivés à l'inteiligence des Langues
dans un âge où le commun des enfans
commence à peine à fçavoir lire & écrire ,
& l'on ne comprend pas pourquoi les
exemples & les cris de tant de fçavans
n'ont prefque pas fait d'impreffion fur
l'efprit de ceux qui enfeignent. On éprouve
tous les jours que les enfans ne font ordinairement
rien qui vaille par ces exercices,
où l'on exige d'eux d'écrire en une Langue
dont ils n'ont aucune connoiffance . S'il
s'en trouve quelques-uns à qui l'on aura
inculqué avec des peines inexprimables un
nombre de regles , dont il y en a plus de
fauffes que de vraies , il eft conftant qu'ils
ne fçavent pas pour cela la Langue Latine ?
92 MERCURE DE FRANCE.
Eft-il naturel qu'il faffent une jufte ap
plication de regles qui induifent communément
en erreur , comme nous l'allons
voir ci- après ? Comment peuvent- ils choifir
les termes & les tours de cette Langue ,
qui leur eft totalement inconnue ? Une
regle eft un inftrument , fans matiere : fur
quoi l'employer ? Pour ranger du Latin ,
en faut avoir . Les enfans n'en ont , ni
n'en connoiffent point ; cependant on
veut qu'ils en faffent. Un très petit nombre
y tâche : mais quel langage ! Le Pere
Lamy raconte que quand il commença
par la pratique de ces regles , fans avoir
fait auparavant une provifion de mots &
de tours Latins , c'étoit comme fi on lui eût
mis la tête dans un fac pour marcher fans
s'égarer .
Un autre , c'eft M. le Fevre , a écrit à
ce fujet , que ce n'eft pas tenir à la raifon
que de demander à des enfans ce qu'on
fçait qu'ils n'ont pas. On ne s'avife point
en effet de tirer une lettre de change fur
un Banquier qu'on fçait qui n'a point de
fonds ; c'eft cependant ce qu'on demande
des enfans , quand on commence par leur
faire traduire leur Langue en celle qu'ils
ne fçavent pas. Les fautes qu'ils font néceffairement
deviennent le langage qu'ils
apprennent malgré eux , en le portant
OCTOBRE. 1757. 93
d'abord fur un brouillon , enfuite fur une
copie , puis enfin dans leur mémoire , où
ils le gravent fi profondément , qu'on ne
peut plus l'en extirper . On ne parle ni
l'on n'écrit point en Langue Ruftique à la
cour , parce que ce langage y eft inconnu .
Hé ! pourquoi donner lieu aux enfans de
connoître des fautes qu'il eft inutile de
connoître Difons donc avec le même
M. le Fevre , que de tous les exercices que
l'ufage a autorifés , il n'y en a peut - être
point qui faffe moins d'honneur à l'efprit
humain que celui - là.
Les jeunes gens ne feroient-ils pas heu
reux d'arriver à la connoiffance des Langues
fçavantes auffi agréablement , & avec
autant de certitude que la célebre Madame
Dacier , fa fille ? Elle y arriva promptement
& avec fuccès , en commençant &
en continuant fon travail uniquement par
la voie de la traduction . Ce fçavant homme
, fon pere & fon maître , avoit pour
maxime que tout ce que l'on compofe de
foi- même dans une Langue qu'on ne fçait
pas , ne peut- être que faux & directement
contraire à l'ufage de cette Langue , &
que c'est le moyen de reculer au lieu d'avancer.
On fçait jufqu'où , par la même
voie , il conduifit fon fils , qui entendoit
tous les Auteurs Grecs & Latins à l'âge
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
de 12 ans. Dans le temps qu'on parloit
univerfellement la Langue Latine , on fe
préfentoit aux écoles pour y apprendre des
chofes on entendoit les leçons publiques,
comme le peuple entend un fermon , fans
fçavoir la grammaire . On ne l'étudioit
que dans un âge mûr. Mais quand les
Langues nationales commencerent à s'éloigner
de la Latine , celle- ci fut abandonnée
. On en conferva quelques reftes
dans les écoles de Droit & de Médecine ;
mais chez les Théologiens , chez les Philofophes
, chez les Grammairiens , elle
alla coujours en baiffant , parce qu'on n'y
cultivoit prefque plus les Auteurs anciens.
Les Grammairiens crurent remédier au
mal en mariant la nouvelle Langue avec
l'ancienne , par des regles que Laurent
Valle & quelques autres , inventerent avec
la meilleure intention du monde , au milieu
du quinzieme fiecle : qu'arriva t'il ?
La Langue changeant confidérablement
d'un demi fiecle à un autre , il fallut aufli
changer les regles . Delà les rudimens ,
les fyntaxes , les concordances , les métho
des . On fit même du Latin , qui fut une
autre Langue , parce que les regles inventées
mettoient une diftance infinie entre
la Langue nationale & la Langue Latine.
Le mal devint encore plus grand , parce
OCTOBRE, 1757. 95
qu'on vouloit que la maternelle fervît de
moule à la Latine. On attribua du mérite
àfçavoir les regles , fans entendre le langage
des bons Auteurs Latins . Le moindre
Maître qui fçavoit les regles Deus Sanētus:
Urbs Roma : ego , qui : liber Petri : vapulo à
Praceptore : eo lufum , & quelques autres
auffi
importantes, paffoit pour un fçavant ,
& enfeignoit des regles , mais rien de
plus.
Ceux qui cultivoient encore les bons
Auteurs , s'éleverent contre ce défordre,
" Les foins merveilleux , dit un célebre
Ecrivain , que le Cardinal Bembe pric
pour rétablir le goût des Anciens , qu'on
» ne lifoit prefque plus à la fin du quin-
» zieme fiecle , font une partie de la gloire
de fon adoleſcence , quoiqu'il n'ait qu'é-
» bauché à cet âge ce qu'il porta plus loin
"3
33
» dans la fuite. »"
Aubert le Mire raconte avec amertume
que Lipfe fut balotté à Bruxelles & dans la
ville d'Ath , jufqu'à l'âge de treize ans ,
avec les rudimens & les fyntaxes , par les
différens maîtres fous lefquels il paffa fucceffivement
, & Lipfe lui- même traite de
bagatelles dégoûtantes ces regles dont on
l'occupa jufqu'à cet âge , qu'il eût le bonheur
d'être envoyé en penfion à Cologne
1chez les Jéfuites,
96 MERCURE DE FRANCE.
Quelques-uns de ces Peres eurent la
générolité de quitter le préjugé vulgaire ,
Se de faire lire les bons Auteurs au jeune
Lipfe , qui commença par des morceaux
chaifis de Ciceron . Ils le rendirent capable
en peu de temps de compofer des Orai
fons & des Harangues , qui paroiffoient
beaucoup au deffus de fon âge. On lui
avoit fait apprendre le François par la lec
ture des bons livres.
Aubert le Mire s'éleve , à ſon occafion ,
contre l'ufage de retenir fi long- temps les
enfans à l'entrée des fciences , où naiffent
les dégoûts fans remede. Magiftelli , dit- il ,
torquent ,
imò detorquent rectiſſima ingenia ;
quo fit ut adolefcentes fugiant , cùm advenerint
. Il faut remarquer que ces grands
hommes , dans leurs plaintes , parlent furtout
des Maîtres des petites écoles de
Grammaire , qu'Aubert appelle magiftelli.
Le pere de Scaliger retira fon fils de
Bordeaux à caufe de la pefte. Il lui crut
l'efprit bouché & pefant , parce qu'il fut
trois ans entiers à apprendre inutilement
les rudimens de la Langue Latine , n'ayant
commencé qu'à l'âge de 11 ans à étudier.
Le pere retint fon fils auprès de lui ; & au
lieu de lai faire continuer fes études par
la compofition , il prit la voie la plus
courte & la plus facile ( c'eft- à-dire la traduction).
OCTOBRE. 1757. 97
duction ) . Le jeune Scaliger fçut douze ou
treize Langues , pour lefquelles il ne s'étoit
jamais fervi de Dictionnaires , ni de
Grammaires.
M. Valois fait l'éloge de la route admimable
qu'on fit prendre au P. Pétau dans
fon enfance , pour le conduire à cette érudition
, à laquelle il parvint , fans fe laſfer
; & cette route fût la même voie de la
lecture affidue des bons Auteurs de l'antiquité.
Ce n'eft pas - là certainement une
magie noire.
preÖn
lit dans la même hiftoire des enfans
célebres par leurs études , que les Murets ,
les Turnébres , les Cafaubons , les Manuces,
les Lambins , les Sannarards , les Rapins ,
& tant d'autres , ne fe font formés qu'avec
les bons Auteurs anciens . La plupart de ces
Sçavans , lorfqu'ils parlent de leurs
mieres études , donnent les marques les
plus fenfibles de leurs regrets d'avoir perdu
leur temps à des compofitions faftidieuſes ,
qui ne leur avoient rien appris ; quoiqu'ils
y puffent briller. Les uns eurent le bonheur
de trouver des gens qui les conduisirent
par la vraie route , & les autres curent celui
de la trouver eux- mêmes .
Enfin l'univerfité de Paris dans fes ftatuts
renouvellés en 1600 , art . 24 , 27 , &c.
ne demande de compofition de François
1.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
en Latin , que dans les hautes humanités,
& feulement deux fois par femaine. L'antiquité
n'a pas connu l'ufage des thèmes ,
comme nous le pratiquons : auffi tient t'il
fa place fur la lifte des erreurs populaires,
L'univerfité dans les endroits cités , bien
Join d'approuver cette invention , recommande
au contraire la lecture des anciens ,
& marque même fpécialement ceux dont
il y a à profiter , pour bien fçavoir leur
langue . Elle s'éleve furtout fortement contre
les livres de Latin moderne , dont on
étoit inondé , & qu'on a encore multipliés
de nos jours.
La voie des thêmes , pour commencer,
étoit fi défapprouvée , que cette univerfité
dans fes ftatuts , n'indique pas une feule
méthode qui y eut rapport. Il n'eft pas
concevable comment cet ufage , malgré
l'oppofition des hommes les plus éclairés
du dernier fiecle , a pu prévaloir au point
où il a prévalu , n'étant furtout fondé
que fur une infinité de regles fauffes , &
réfutées par les meilleurs Grammairiens .
(1 ) Mais pour montrer la fauffeté de ces regles
, prenons- en quelques- unes au hazard
dans les rudimens , ou dans les fyntaxes , ou
(1 ) Voyez la Minerve de Sanctius , avec les
Remarques de Perizonis , & le Mercure de Scioppius.
OCTOBRE. 1757. 99
dans les méthodes ordinaires , afin de ne
nous pas faire illufion . Sanctius nous fournira
les réponſes .
Par exemple , où a ton pris qu'il y a , des
adjectifs , qui régiffent le génitif ? Le génitif
marque le nom ou l'objet qui exerce
une forte de poffeffion à l'égard d'un autre
nom , & alors il dépend de ce nom exprimé
, ou fous - entendu . Juftitia tenax : ce
n'eft pas que tenax , regiffe le génitif , c'eſt
comme s'il y avoit tenax in ordine juftitia
ou in viâ juftitia .
On débite férieufement que tel & tel
verbe , quoiqu'actif , régit d'autres cas
que l'accufatif , que ftudeo , par exemple ,
régit le datif ; mais ce cas n'eft pas autre
chofe , que le cas d'acquifition ou d'attribution
, ou de fimilitude ou comme
derniere fin , eft un cas abfolument indépendant
: ftudeo eft actif de fa nature.
Et hac tamen omnia ftudebat mediocriter , dit
Terence : hoc ftudet unum , dit Horace .
Cum vero literasftudere capit : unum ftudetis,
illud quod ftudes , dit Cicéron. Il y a mille
exemples femblables dans tous les meilleurs
Auteurs des bons fiecles de Rome ?
Quand ce verbe eſt ſuivi du génitif , c'eſt
en conféquence du nom verbal , qui eft
fousentendu . Studere alicujus rei , c'eſt- àdire
, ftudere ftudium alicujus rei : comme ,
$36297
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
pugnare pugnam , vivere vitam , & tant
d'autres. S'il eft fuivi d'un datif , ce n'eft
pas qu'il le gouverne. Ce cas entiérement
indépendant de tout nom , de tout verbe ,
& de toutes prépofitions , marque , comme
nous venons de dire , la fin qu'on fe
propofe . Quand les Romains difoient :
veniam alicui petere , c'eſt-à- dire , demander
grace pour quelqu'un , prétendoient- ils
qu'alicui étoit au datif, parce qu'il étoit
précédé de la particule pour ? Ils ne connoiffoient
ni nos articles , ni nos particules
.
On enfeigne que , celo , rogo , doceo ,
moneo , gouvernent deux accufatifs , l'un
de la chofe , & l'autre de la perfonne ,
tandis qu'étant verbes actifs , ils n'en peuvent
abfolument régir qu'un , & que l'autre
dépend d'une prépofition fous entendue.
Docco te artes , c'est- à -dire , doceo te
juxta oufecundum , ou ad artes. On ne voit
pas pourquoi les Grammairiens fe font
bornés à ces quatre verbes , pour fabriquer
la prétendue regle du régime des deux accutifs
.
Prafto , capio , do , & une infinité d'autres
fur ce pied-là , régiroient donc auffi
deux accufatifs ? Car on dit très-bien fur
l'autorité des meilleurs Auteurs anciens
prafta te virum , cepimus te arbitrum , deOCTOBRE.
1757 . 101
dit agrum dotem , & c. mais cette regle feroit
encore auffi fauffe ; car ces feconds accufatifs
font pour des adjectifs. Que cette
confufion caufe de fupplices aux pauvres
enfans ! Faut- il après cela s'étonner , s'ils
manquent fi fouvent à des regles auffi contradictoires
& auffi oppofées au vraie génie
de la langue latine ?
C'est encore pis , quand il s'agit des
questions de lieu , des noms de ville , qui
ne marchent jamais qu'avec des prépofitions
exprimées , ou fous- entendues , ainfi
que des ablatifs prétendus abfolus , dont
la regle qu'on en donne , eft auffi chimérique
que celle du que, qu'on dit qui fe rétranche
, & de celui qui ne fe retranche pas.
Quand on a mis dans la tête d'un enfant
que les noms de villes ne doivent jamais
avoir de propolitions devant eux , que
penfera t- il , lorfqu'il lira dans les bons auteurs
ad Genevam, in Ephefum, ex Ephefo , &
mille autres exemples fembables ? Que dira-
t'il de Cicéron , où il trouvera, contre fes
regles, ad Brundufium , ab Athenis , ad Capuam
, &c. (1 )
Les faifeurs de méthodes & de rudimens ,
(1 ) Voyez les douzes maximes de la vraie fyntaxe
, pag. 70 , de l'introduction , & les exemples
des Ellipfes qui font à la fuite de ces maximes.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
dans leurs fyntaxes , ont- ils encore bien
raifonné en propofant leurs regles , avant
les exemples : elles ne font fouvent que
des exceptions plutôt que des regles . Enfeignez
des regles , tant qu'il vous plaira ,
vous n'avancerez jamais d'un pas. Cela
eft fi vrai que tous les hommes en général ,
quand il s'agit de raiſonnemens, attendent
toujours l'exemple pour fe fixer, & d'où en
tirera-t'on de plus fürs en fait de langage
que des bons Auteurs anciens ? C'eft donc
l'ufage qui eft le grand maître , qui l'a toujours
été , & qui le fera toujours.
Commencez par montrer des modeles
parfaits qui fervent de texte , & les plus
furs font ceux des bons Auteurs anciens ,
comme tout le monde en convient ; raifonnez
alors , & faites raifonner les enfans
fur la ftructure de ce texte , enfin fur les
cauſes grammaticales de cet ordre & de cet
arrangement s'ils en font capables , à la
bonheure ; mais évitez la longueur fur
cette matiere. Si les exemples ne font pas
à leur portée , ou fi vous en fabriquez qui
n'exiftent pas , vous frappez l'air inutilement
du bruit de votre voix . La regle avant
l'exemple eft infiniment plus obfcure que
les queſtions philofophiques les plus épineufes
; & nous voulons que des enfans de
Lept , huit , neuf , dix , ou douze ans ſe
OCTOBRE . 1757 : 103
demêlent dans des combinaiſons intellec
tuelles pour en faire les applications ?
Prenons encore dans un des rudimens ,
ou dans une des méthodes d'ufage , quelques
regles de cette métaphyfique grammaticale
, en voici une : * Si me , tes
23
و د
,
fe , nous , vous , joints à un verbe , fe
» rapportent au nominatif d'une chofe
» animée , qui faffe fur elle- même l'action
» dont il s'agit on laiffe le verbe à
» l'actif , & on met les pronons aux cas
» du verbe ». Voilà une de ces regles de
méthode , dont l'intelligence exige préala
blement des connoiffances de la logique la
plus fubtile. Qu'on en faffe l'épreuve : de
cent enfans il n'y en aura peut-être pas
un qui s'y demêle , avant qu'il n'ait atteint
l'âge où la raifon doit être développée, ou
qu'il n'ait recu quelques principes de logique
en François. Une autre regle en apparence
plus praticable. Fruor , funger
utor , & quelques autres verbes , dir ou ,
comme potior , vefcor , glorior , lator , attirent
après eux l'ablatif. Non feulement
on donne une raifon fauffe de ces ablatifs
• mais on défend encore , à peine de punition ,
aux enfans des baffes claffes d'imiter les
bons Auteurs , qui fe font fervi d'un autre
cas. Cette défenfe eft finguliere ; car alors
que devient la regle? Cesverbes ont tous lear
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
nom verbal fous- entendu en confequence
duquel vient un génitif, s'il y en a un ; ou
un ablatif qui dépend de fa prépofition auffi
fous- entendue ; car il n'y a point d'ablatif
, qu'en conféquence d'une prépofition
exprimée ou fous entendue , abfolue &
autre .
Si après de telles obfervations , dont
prefque toutes les regles font fufceptibles
on eft encore attentif aux manieres de s'exprimer
, qu'on emploie pour les definir ,
& pour les expliquer , notre langue y fait
une trifte figure : par exemple, le qui relatif,
eft un qui qui , &c. Celui -ci est un que que ,
&c. cet autre eft un qui que , &c . Si dont
ou , de qui , eft devant un verbe de tells
efpece , ou s'il n'eft fuivi d'aucun fubftantif
, vous exprimerez , ce dont , ou ce de
qui , & c. comme fi les Latins connoiffoient
des
que , des qui , des dont , ou des de
qui. . . . .
....
Quel langage ! non feulement les enfans
n'acquièrent par-là aucun fentiment de
la beauté de leur propre langue , mais ils
perdent encore le peu du bel ufage qu'ils
peuvent en avoir eu dans le fein de leurs
familles. Tranfportons nous un inftant
avec notre langue dans un des plus beaux
fiecles de l'ancienne Rome , & fuppofons
qu'un de nos Grammairiens fe préſente à
OCTOBRE. 1757. 105
Rome même pour y enfeigner les regles de
la langue Latine , comme fi un ancien Romain
venoit s'afficher à Paris pour y enfeigner
aujourd'hui les regles de la langue
Françoife , l'un fuivant fa propre langue ,
& l'autre fuivant la fienne , iroit- on dans
leur auditoire pour y être inftruit ou pour
y rire ?
Le Grammairien François qui débiteroit
en fa langue inconnue à Rome que lefubftantif
& l'adjectif s'accordent en genre en
nombre en cas , ne feroit fûrement pas
entendu ; & le Grammairien latin qui viendroit
débiter en la fienne inconnue à nos
petis difciples François , que fubftantivum
& adjectivum concordant in genere , numero
cafu , ne le feroit certainement pas davantage
, quoiqu'il n'y ait encore guere
que cinquante ans que cette étrange maniere
d'enfeigner fubfiftoit prefque partout
: elle fubfifte encore , dit-on , en
quelques endroits , tant le préjugé a de
force , une fois établi : l'on ne craint pas
de dire que le nombre des difciples fçavans
qui ont percé par cette pénible carriere, eft
de beaucoup inférieur au hombre de ceux
que la voie de la traduction feule auroit
produit. La langue Grecque ne s'introduifit
dans tout l'Empire Romain , que par
cette voie :& c'eft par cette voie que notre
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
langue est établie dans toute l'Europe aujourd'hui
, & qu'elle penetre tous les
jours dans tout le monde connu. Mais revenons
à notre étude de la langue Latine ,
à laquelle on procede par des regles avant
de l'entendre.
que
Vous avez beau prêcher à vos difciples ,
qu'il faut dans telle & telle occafion tourner
, & retourner le verbe d'actif en paſfif,
ou le paffif en actif ; outre le mauvais
ufage qu'ils feront fouvent de cette
doctrine , ce que vous dites , n'eft qu'un
vain bruit qui paffe. Deux ou trois exemples
d'un petit Auteur que vous ferez traduire
, vous ferviront à coup fûr plus
promptement , & fans rifquer de leur donner
de fauffes idées. C'eft fur ce texte pur
qu'il faut leur débiter tout le grammatical .
Toutes les fyntaxes , & les méthodes bleues
noirciffent les doigts , & ne fervent aux
enfans qu'à couvrir des balles à jouer.
Nous verrons dans la fuite ce qu'on a
du pratiquer chez nos bons ayeux , avant
l'invention de ces regles.
La fuite au prochain Mercure.
LA MILICE des Grecs , ou tactique
d'Elien ; ouvrage traduit du Grec , avec
des notes & des figures , auquel on a joint
un Difcours fur la Phalange & fur la MiOCTOBRE.
1757. 107
lice des Grecs en général ; ſuivi d'une differtation
fur le coin des Anciens. Par M.
Bouchaud- de Buffy , Major d'un Régiment
de Grenadiers Royaux. A Paris ,
chez Ch. Ant. Jombert , Imprimeur Libraire
du Roi , pour l'artillerie & le génie
, rue Dauphine 1757 , 2 vol . in 12 ,
avec planches. Prix 5 livres relié.
NOUVEAUX principes de la Perfpective
linéaire , traduction de deux ouvrages
, l'un Anglois , du Docteur Brook Tayford
, l'autre Latin , de M. Patrice Murdoch
; avec un Effai fur le Mêlange des
couleurs par Newton . 1 vol. octavo avec
figures , imprimé à Amfterdam , chez
Weftein 1757. Se vend à Paris chez le
même Libraire , 4 liv . relié .
I
NOUVEAU Cours de Mathématiques , à
l'ufage de l'Artillerie & du Génie , où l'on
applique les parties les plus utiles de cette
fcience à la théorie & à la pratique des
différens fujets qui peuvent avoir rapport à
la guerre. Nouvelle édition corrigée &
confidérablement augmentée . Par M. Belidor
, Colonel d'Infanterie , Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , Membre des Académies Royales
des Sciences , de France , d'Angleterre
& de Pruffe. A Paris , chez le même Li-
E vj
10S MERCURE DE FRANCE.
braire. Prix 15 liv. en papier ordinaire ,
& 24 liv. en grand papier , dont il y a quelques
exemplaires .
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Françoife.
les
Le 25 d'Août , fête de Saint- Louis , l'Académie
Françoife s'eft affemblée publiquement
l'après-midi pour la diftribution de
fes prix. Elle a remis celui d'éloquence à
l'année prochaine. Le prix de poéfie a été
remporté par M. le Miere , qu'elle a couronné
pour la quatrieme fois. Son Poëme
avoit pour titre , les Hommes unis par
talens. M. Séguier , Avocat Général au Parlement
, termina cette Séance par la lecture
d'un excellent difcours de fa compofition
fur les qualités néceffaires à la criti-
Il feroit à fouhaiter pour l'avantage
des lettres qu'elle fût exercée avec l'efprit
de fageffe de lumiere & d'équité qu'il y
prefcrit , & dont on s'eft fait une habitude
de s'écarter.
que.
Cette Compagnie donnera deux prix l'année
prochaine 1758 ; un d'éloquence ( 1 ),
(1) Les prix de l'Académie font formés des fondations
de MM. de Balzac , de Clermont-Tonne,
te , Evêque de Noyon , & Gaudron.
OCTOBRE. 1757.. ICO
& un de poéfie , qui feront chacun une médaille
d'or de la valeur de fix cens livres.
Elle propofe pour fujet du prix d'éloquence:
qu'il n'y a point de paix pour les méchans .
Conformément à ces paroles de l'Ecriture :
non eftpax impiis. Ifaie , ch. 57 , . 21 .
Il faudra que le difcours ne foit que d'une
demi- heure de lecture au plus , & qu'il
finiffe par une courte priere à Jefus - Chrift .
On ne recevra aucun difcours fans une approbation
fignée de deux Docteurs de la faculté
de Théologie de Paris , & y réfidans
actuellement. Le même jour ( 25 d'Août )
l'Académie donnera le prix de poéfie à un
Ode d'environ cent vers , dont le fujer fera
au choix des Auteurs . Mais en mêmetemps
elle avertit que les pieces connues
de quelque maniere que ce foit , feront
mifes au rebut. Toutes perfonnes , excepté
les quarante de l'Académie , feront reçus
à compofer pour ce prix . Les Auteurs
ne mettront point leurs noms à leurs ouvrages
; mais ils y mettront un parafe
avec une fentence ou devife , telle qu'il
leur plaira . Ceux qui prétendent au prix ,
font avertis que les pieces des Auteurs qui
fe feront fair connoître foit par eux - mêmes
, foir par leur amis , ne concourront
point ; & que Meffieurs les Académiciens
ont promis de ne point opiner fur celles
110 MERCURE DE FRANCE.
dont les Auteurs leur feront connus.
Les Auteurs feront obligés de faire remerre
leurs ouvrages avant le premier du
mois de Juillet prochain à M. Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoife, au Palais
, & d'en affranchir le port : autrement
ils ne feront point retirés.
Ceux qui fe plaignent d'être avertis trop
tard par la voie des Journaux , des fu ets
propofés pour les prix , ne peuvent , fans
injuftice , faire ce reproche à l'Académie
Françoife. Elle a foin de faire afficher , ou
de diftribuer chaque année fon Programme
imprimé le jour de S. Louis. La Gazette
en fait alors mention , & nous l'inférons
exactement dans le premier Mercure d'Octobre.
Qu'on fe donne donc la peine de
lire l'un ou l'autre dans le temps , & l'on
s'épargnera celle de former une plainte
augi mal fondée , du moins à l'égard de
cette Compagnie.
OCTOBRE. 1757. II!
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GRAMMAIRE.
RÉPONSE à la lettre de M. l'Evêque
de la Ravaliere imprimée dans le Mercure
du mois d'Août 1757.
J''AAII lu , Monfieur , dans le Mercure
du mois d'Août dernier , la lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'adreffer au fujet
de mon difcours fur l'origine de la langue
Françoife. Vous n'avi z pas befoin d'avertir
le Public que ce difcours vous étoir
inconnu , lorsque vous avez compofé vos
Ouvrages. Votre réputation eft trop bien
fondée , pour qu'on ofe imaginer que
vous ayez recours aux lumieres d'autrui ,
& furtout aux miennes , qui font en toutes
manieres bien inférieures aux vôtres.
Lorfque j'ai fait mon difcours , j'avois
lu , il y avoit long- temps , cette fçavante
differtation que vous avez mife à la tête de
votre édition des Poéfies du Roi de Na112
MERCURE DE FRANCE.
varre mais je n'avois nulle connoiſſance
de votre lettre inférée en 1746 dans le
Journal des Sçavans , foit que je ne l'aye
point lue dans le temps ( car j'ai fuivi
peu exactement les journaux ) , foit que je
n'y aye point fait affez d'attention , n'ayant
alors aucun deffein d'écrire fur ces matieres.
Je n'étois pas mieux informé que vous
euffiez achevé l'hiftoire entiere de notre
Langue, que vous avez annoncée dans cette
lettre. Votre hiftoire n'a été connue du
Public , que par l'extrait qui s'en trouve
dans les Mémoires de l'Académie des Belles-
Lettres imprimés en 1756 , & mon
Difcours a été lu dès le mois de mars 1755,
dans une féance publique de la Société littéraire
d'Arras. Je l'ai envoyé au Mercure
dans le mois d'août ou de feptembre de
l'année derniere , & je crois y avoir marqué
à la marge ou en tête , le jour qu'il a
été lu ici ; c'eft apparemment une inattention
de l'Imprimeur
d'avoir omis cette
note dans le Mercure.
Vous affurez , Monfieur , que vous
avez lu votre hiftoire à l'Académie , &
que vous en avez communiqué le manuf
crit à plufieurs perfonnes : mais je n'ai
point été à Paris depuis 1736 ; & n'y
ayant aucune relation littéraire , la conOCTOBRE.
1757. 113
noiffance de cet ouvrage n'eft point parvenuejufqu'à
moi , je n'en ai pas même vu
l'extrait dans les mémoires de l'Académie
dont les Libraires d'Arras n'ont point encore
tiré d'exemplaires. Vous m'apprenez
cependant que je me fuis rencontré en
tout avec vous , & j'en dois être infiniment
flatté. C'est le plus bel éloge qu'on
puiffe faire de mon ouvrage , mais je vous
protefte en même temps , que fi j'avois eu
la moindre notion que vous étiez occupé
à traiter à fonds ce fujet , je ne me ferois
pas avifé de tracer la légere efquiffe dont
il est question.
Vous y avez remarqué fans doute , qu'il
y a bien des chofes que je n'ai dites qu'à
demi-mot , dans l'efpérance que d'autres
plus habiles & moins occupés que moi , fe
chargeroient de les approfondir. Je fuis
: charmé que cette entrepriſe foit tombée
dans vos mains , cela m'en garantit le
fuccès.
Je reviens , Monfieur , à la differtation
que vous avez publiée avec les poéfres du
Roi de Navarre . J'ai dit après vous , qu'il
avoit toujours exifté dans les Gaules une
langue vulgaire ; mais à cela près , il me
femble que nos objets font différens . Vous
n'avez voulu commencer cet ouvrage qu'aur
regne de Charlemagne : mon fujet m'a
114 MERCURE DE FRANCE.
fait remonter à la conquête de Jules Céfar.
Votre principal deffein , à ce qu'il me
paroît , s'eft fixé alors à compofer l'hiftoire
de la langue , depuis Charlemagne
jufqu'à S. Louis , plutôt qu'à rechercher
fon origine dont vous n'avez pas jugé à
propos de parler , non plus que de fes rapports
avec le Latin & le Tudefque . Ce font
au contraire les objets que j'ai principalement
difcutés. Il eft vrai qu'ils m'ont obligé
de citer une partie des Hiftoriens & des
monumens dont vous vous êtes fervi avant
moi ; mais j'efpere que vous ne trouverez
pas mauvais , que j'aye puifé dans une
fource commune à tout le monde.
Nos fentimens different auffi quelquefois
, par exemple , fur le temps où l'uſage
du Latin s'eft introduit dans nos Tribunaux
, & fur celui où il a été plus en vogue
parmi nos Ancêtres. Vous croyez que
le Tudefque n'a jamais été la langue des
François , & qu'ils parloient le Roman .
J'ai pensé autrement , & j'ai dit qu'ils
avoient apporté la langue des Germains
dans les Gaules , où le Peuple parloit le
Roman qui n'étoit autre que le Gaulois.La
diftinction de ces deux idiomes , remplit
une grande partie de mon difcours.
Je fuis entré dans un plus grand détail
fur toutes ces différences , dans une lettre
OCTOBRE. 1757. IIS
que j'ai eu l'honneur d'écrire à M. de Guignes
, qui vous l'aura fans doute communiquée
; mais il me refte l'avantage d'être
d'accord avec vous fur la confervation
d'une langue toujours exiftante parmi les
Gaulois. Fauchet & Pafquier l'auroient
penfé de même , s'ils avoient tiré tout fimplement
la conféquence naturelle des faits
qu'ils ont rapportés ; au lieu qu'ils le font
embrouillés & contredits eux- mêmes , en
voulant deviner des chofes que les Hiftoriens
n'ont pas écrites , & en ſubſtituant
des fuppofitions au défaut des monumens.
Vous m'annoncez que nous avons encore
d'autres adverfaires bien refpectables .
Mais peut-on anéantir les témoignages de
T'hiftoire qui attefte la continuation du
Gaulois jufqu'au regne de Clovis ? Le filence
des anciens Auteurs par rapport à
l'état de cette langue fous la premiere race
de nos Rois , ne prouvera point fans doute
qu'elle ait été détruite , ni même qu'elle
ait changé. Le filence ne prouve jamais
rien , ou plutôt on peut en conclure ,
que les chofes ont continué , à quelques
variations près , d'être ce qu'elles étoient
auparavant.
Sous la feconde race , les Hiftoriens
font mention d'une langue qu'ils nomment
116 MERCURE DE FRANCE.
Romaine , & j'ai tâché de prouver que
c'étoit la Gauloife , parce que long- temps
auparavant on avoit donné le nom de Romains
aux Gaulois. Cela n'eft- il pas plus
vraisemblable , que d'imaginer une langue
nouvelle dont on ne peut affigner le
commencement ( qui ne pourroit être
que depuis Clovis ) & dont la fource eft ,
dit- on , dans le Latin ? Mais quand même
elle reffembleroit encore plus à cette langue
dont je conviens qu'elle a beaucoup
emprunté, d'où lui vient tout ce qu'ellen'en
a pas tiré? N'eft-ce pas toujours du Gaulois,
plutôt que de tout autre idiome ?
A l'égard de cette baſſe latinité dont on
prétend le faire dériver , je crois, comme
vous , Monfieur , que ce ne peut être autre
chofe que le Latin corrompu . Il me femble
même que ceux qui l'ont nommée ainfi
, n'ont point penfé différemment ; &
s'ils en ont fait deux langues , c'eft qu'ils
ont divifé la même , fuivant les temps , en
haute & baffe latinité , en bonne & en
mauvaife. Nous aurions beau chercher ce
terme de baffe latinité dans les Auteurs anciens
car , ou ils ont précédé les temps
où le Latin a mérité ce nom de mépris , &
ils ne pouvoient pas le prévoir , où ils ont
vécu pendant qu'il s'eft corrompu . En ce
cas ils ont contribué eux-mêmes à le corOCTOBRE.
1757 . 117
rompre , & n'ont eu garde par conféquent
de s'appercevoir de la corruption. Ils ont
cru vraisemblablement s'énoncer en trèsbon
latin , & même mieux que leurs prédéceffeurs
. Ce font donc en effet les Modernes
qui fe font fervis du terme de baſſe
latinité , pour fignifier l'altération de la véritable
latinité , & pourquoi s'eft- elle altérée
? Parce qu'elle a emprunté nos termes
, ceux des Efpagnols , des Oftrogoths,
des Lombards , & c.
Mais croyez- vous , Monfieur , comme
vous l'avez dit dans votre lettre , que les
premiers Gaulois qui fe piquerent d'écrire
en latin , commencerent à le gâter , en af
fectant de donner aux mots de leur langue
naturelle un vernis de latinité ? Il me paroît
que les Gaulois qui compoferent en
latin dans les premiers fiecles qui fuivirent
la conquête de Céfar , manierent trèsbien
cette langue ; du moins par compa
raifon avec les Romains , dont le langage,
depuis l'Empire d'Augufte , perdit beaucoup
de fa premiere pureté.
C'eft même à ces Gaulois , qu'on accorde
la gloire d'avoir foutenu pendant
quelque temps la bonne littérature , & j'ai
cité Juftin , qui dit à leur honneur que la
Gaule fembloit tranſportée au ſein même
de la Grece : ce feroit donc dans des temps
118 MERCURE DE FRANCE.
J
poftérieurs que les Gaulois auroient contribué
, ainfi que les autres , à dénaturer
l'ancienne langue des Romains.
Au refte , Monfieur , vous êtes plus inftruit
que moi fur tous ces objets , & bien
loin de pouvoir vous être de quelque fecours
, c'eſt à vos lumieres que je voudrois
m'en rapporter. Je ne puis qu'applaudir à
la grande & belle entreprife que vous avez
faite de nous donner une hiftoire complette
de notre langue , c'eft l'ouvrage d'un
Citoyen auffi zélé que fçavant. Hâtez- vous
de la mettre au jour pour remplir les voeux
du Public , & pour nous éclairer . J'ai
l'honneur d'être , Monfieur , votre & c.
A Arras , ce 6 Septembre 1757.
MEDECINE.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences.
Du 8 Juin 1747.
Nous,Commiffaires nommés par l'Académie
, avons examiné un écrit qui a pour
titre : Mémoire concernant l'effetfingulier de
Fleurs de Pavot rouge , obfervé fur les entrailles
d'une perfonnefrappée de mortfubite ;
OCTOBRE. 1757. 119
avec quelques Réflexions fur la caufe de cette
mort ; le tout accompagné d'expérience & de
recherches anatomiques relatives aux circonf
tances. Par M. Navier , Docteur en Médecine
, & Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences.
Un Citoyen de Châlons - fur -Marne ,
fort confidéré dans cette ville , paroiffant
être en pleine convalefcence à la fuite d'u-
3. ne maladie vive qu'il venoit d'effuyer
mourut prefque fubitement quelques heures
après qu'une médecine qu'il avoit prife
le matin , eat éntiérement fait fon opéstration
d'une maniere douce , & fans avoir
produit le moindre fymptôme d'irritation
dans les entrailles. Cet événement impréyu
fit beaucoup de bruit : on ne manqua
pas d'imputer cette mort à l'effet du purgatif.
Mais après avoir confidéré les
drogues prefcrites pour la médecine n'étoient
que ce que l'on nomme des minoratifs
, c'est-à -dire des drogues purgatives
très- douces , qui avoient encore été adoucies
par la clarification de la médecine , on
penfa que l'Apothicaire par inadvertence &
par un qui - pro-quo funefte , avoit pu ſubftituer
dans cette potion purgative quelque
fel dangereux , au lieu d'un gros de fel de
Seignette qui devoit y entrer. Les circonf
tances de cette mort dont le public ne
que
110 MERCURE DE FRANCE.
cherchoit pas à approfondir les cauſes les
plus éloignées , commencerent à fortifier
ce foupçon ; mais ce qui acheva de confirmer
dans cette opinion , & qui effectivement
paroiffoit être une preuve démonf
trative du poifon , fut l'examen du cadavre.
Après avoir ouvert le bas ventre par
lequel on crut devoir commencer , on
trouva l'ofophage & particuliérement l'ef
tomac , rouges. & comme livides en diffé
rens endroits , c'est- à- dire , dans un état
apparent de phlogoſe ou d'inflammation.
gangreneufe. On s'en tint là , parce qu'on
n'imagina pas qu'il pût fe trouver ailleurs
d'autre caufe évidente de cette mort impré
vue . Dès - lors le Public crut que le malade
avoit été empoisonné . Mais M. Navier ,
fans être particuliérement intéreffé dans
cette affaire , puifqu'il n'étoit pas le Médecin
du malade , crut qu'il étoit de la
probité , & qu'il importoit à un Phyficien
avifé de tout examiner dans le plus grand
détail , & avec une forte de fcrupule ,
avant que de conformer fon jugement à
celui de bien des gens , qui fur ces matieres
ne décident que trop fréquemment avec
précipitation d'après les premieres apparences
fouvent trompeufes , quand on
n'approfondit pas toutes les circonstances.
1°. Il connoiffoit l'exactitu le & l'attention
de
OCTOBRE . 1757. 121
N
de l'Artiſte qui avoit préparé la potion purgative.
2. Etant remonté jufqu'au temps
qui avoit précédé la grande maladie , dont
la terminaifon fembloit établie par une
convalefcence , ayant enfuite rapproché
les accidens obfervés dans le période de la
maladie , & les fymptômes qui ont accompagné
& précédé les derniers momens de
la vie , il tire de ces faits combinés de trèsfortes
preuves d'un dépôt qui s'étoit fait
fourdement dans le cerveau , & qui a été
la vraie caufe de la mort prefque fubite.
Mais comme ces preuves font deftituées
de ce qui en auroit été le vrai complément,
c'eft-à - dire de l'obfervation immédiate du
cerveau , qui n'a pas été examiné fur le
cadavre , parce qu'on n'a fongé qu'à confulter
les vifceres du bas ventre , où l'on
a cru avoir trouvé ce que l'on recherchoit
, M. Navier tâche de donner à ces
inductions un nouveau genre d'évidence
, en démontrant que cette couleur
ronge livide obfervée fur l'ofophage & fur
l'eftomac du cadavre , n'étoit rien moins
qu'une phlogofe , ou inflammation gangreneufe
. Il fonde les preuves de certe efpece
de paradoxe fur deux points principaux.
1° . Comparant d'après les faits bien
certains & bien conftatés l'action douce &
lente du purgatifque le malade avoit pris
1. Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE:
fans en éprouver ni tranchées , ni nauſée ,
ni vomiffement pendant cinq heures de
fuite , avec les effets terribles & inftantanés
que produiroient fur l'ofophage & fur
l'eftomac d'un homme vivant , les poiſons
dont on fuppofoit la potion purgative chargée
à la dofe d'un gros , au lieu de fel de
feignette , il commence ainfi à détruire le
foupçon d'un pareil poifon inféré dans le
purgatif. 2 ° . Ayant appris que le malade ,
environ une heure avant fa mort , avoit pris
une once de firop de coquelicot ou de pavot
rouge , M. Navier préfuma que ce firop
avoit profondément imprimé fa couleur
rouge foncée & livide fur les parties
où il avoit féjourné. Il fentit de quelle
importance il étoit pour la circonstance
préfente & pour l'avenir , de vérifier cette
conjecture. Il fit donc une fuite d'expériences
fur des portions d'inteftins & fur
l'eftomac tiré du cadavre de divers animaux.
Il introduifit dans les uns le firop
de coquelicot ; dans d'autres la teinture des
mêmes fleurs de coquelicot ; il les y laiſſa
féjourner pendant vingt-quatre heures , en
plongeant ces parties dans l'eau chauffée au
degré de la chaleur des animaux vivans ;
& entretenant cette chaleur au même dégré
, il fit avaler le même firop , toujours
à la dofe d'une once , à différens animaux,
& environ une heure après il les fit mouOCTOBRE.
1757. 123
rir pour les examiner . Le réfultat conftant
de ces expériences a été que le firop á ímprimé
une couleur rouge livide , précisé
ment comme on l'avoit obfervé ſur la
parois
intérieure de l'eftomac de la perfonne
dont il s'agit dans le mémoire. La couleur
communiquée par la teinture des fleurs de
coquelicot , offroit abfolument le même
phénomene ; elle paroiffoit de plus avoir
pénétré toute l'épaiffeur des tuniques ; mais
comme le malade n'avoit pas pris le firop
de coquelicot pur ; qu'on le lui avoit don
né mêlé avec l'huile d'amandes douces , il
reftoit encore à éprouver l'effet de ce mêlange
par des expériences femblables aux
précédentes ; elles ont été faites , & ont
donné les mêmes réfultats ; tous ces faits
ont été vérifiés plufieurs fois en préſence
de perfonnes éclairées . Il faut obferver que
la couleur rouge avoit tellement pénétré &
teint les parties foumifes aux expériences ,
que les lotions répétées avec l'eau , n'ont
point détruit cette couleur , ne l'ont pas
même altérée ; car ces organes n'ont jamais
été examinés qu'après les lotions.
Nous n'entrerons point ici dans un plus
grand détail ; le fimple énoncé de ces expériences
& de leur réfultat fuffit pour en
faire fentir toutes les conféquences. M.
Navier , déja fort éclairé par ces obſerva-
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE .
tions , paffe à d'autres recherches , pour
continuer à prouver que la mort imprévue
dont il s'agit ici , n'eft point l'effet d'un
poifon pris avec le purgatif. D'abord ,
confidérant les trois efpeces de fels dange- ⚫
reux , le fublimé corrofif , l'arfenic , &
le tartre émétique , qui auroient pu être
fubftitués au fel de feignette prefcrit à la
dofe d'un gros dans la potion purgative ,
il fait voir que le foupçon ne fçauroit tomber
fur le tartre émerique , puifque ce fel
à la dofe de foixante- douze grains auroit
procuré fur le champ les plus terribles vomiffemens
. L'arfenic n'a pu être fubftitué
; car l'Apothicaire qui a préparé la potion
purgative , s'eft fait une loi depuis
vingt cinq ans de n'avoir point ce minéral
dans fa boutique. Il reftoit donc à
éxaminer fi le ſublimé corrofif, qui doit
être tenu en réſerve dans les Pharmacies
été em- pour différens ufages , n'auroit pas
ployé. M. Navier , par les mêlanges qu'il
a fait de cette drogue avec celles qui entroient
dans la compofition du purgatif ,
a obfervé des phénomenes finguliers &
trop marqués pour ne pas décéler une méprife
ou qui - pro - quo fâcheux aux yeux de
l'Artifte , & l'avertir de fon erreur . Mais
en fuppofant que l'Artifte eût été affez peu
attentif pour ne pas prendre garde à ces
OCTOBRE . 1757. 125
phénomenes , M. Navier prouve par une
fuite d'expérience bien faites , que le fublimé
corrofif combiné par l'ébullition
avec les autres drogues purgatives , comme
effectivement il l'eût été par la maniere
dont on avoit préparé la médecine , auroit
fouffert une telle décompofition , que
fon action , dangereufe fe feroit trouvé
émouffée & comme abfolument détruite . Il
y a dans le détail de toutes ces expériences
des faits curieux & remarquables qu'il faut
voir dans le mémoire. Enfin M. Navier
voulant achever de détruire tout foupçon
de poifon inféré dans la potion purgative ,
croit qu'il eft néceffaire de mettre fous les
yeux de nouvelles pieces de comparaiſon ,
en donnant le détail des accidens terribles
produits fur les animaux vivans par l'impreffion
des poifons tels que le verd - degris
, l'arfenic & le fublimé corrofif qu'il
a fait prendre à des animaux. Quoique
nous ayons déja de femblables obfervations
dans quelques ouvrages qui traitent
de l'effet des poifons , nous regardons
pourtant les expériences de M. Navier comme
intéreffantes , par l'exactitude avec laquelle
elles ont été faites , par la façon
dont elles font détaillées , & parce qu'elles
ont donné lieu à de bonnes remarques anatomiques
fur les tuniques internes de l'ef-
F iij
126
MERCURE DE
FRANCE.
par
tomac & des
inteftins grêles ,
principalement
fur la
maniere dont elles font organifées.
L'Auteur
termine fon
mémoire
cette
queſtion : Quelle peut donc être la
caufe de cette mort
prefque fubite , & des
fymptômes
violens qui font précédée ? Il
fair
obferver que le
malade avoit eu aux
jambes deux ulceres , qui ayant fourni
abondamment une
matiere
ichoreufe , s'étoient
féchés tout à coup. Cette feule circonftance
, jointe à la maladie aiguë qui
avoit
précédé , & dont les fignes avoient
caractérisé
l'embarras &
l'engorgement du
cerveau , lequel
embarras n'étant pas détruit
,
quoique le malade , après la rémiffion
des
accidens , parût être en
convalefcence
, a été
probablement la vraie cauſe
de cette mort
imprévue qui a été accélérée
par l'effet du
purgatif ,
quelque douce
qu'en ait été
l'opération . M. Navier donne
en
conféquence
plufieurs
obfervations de
femblables morts fubites arrivées fous fes
yeux dans des
circonftances toutes pareilles
à celles ci , & dont la caufe ne pouvoit
être
attribuée à aucun poifon . D'où M.
Navier
conclut que le
purgatif le plus
doux agiffant
toujours comme
ftimulant ,
eft capable de
produire
quelquefois des métaftafes
ou
d'autres
révolutions qui peuvent
être fuivies des
accidens les plus redoutables
& les plus
imprévus.
OCTOBRE. 1757 . 127
Nous penfons que ce Mémoire , dont le
principal objet & le plus louable fans doute
eft de rétablir la réputation d'un homme
injuftement accufé , où nous trouvons
d'ailleurs un grand nombre d'obſervations
intéreffantes & utiles , mérite d'être imprimé
dans le recueil des Sçavans Etrangers.
Signés Lafone & Macquer .
CHIRURGIE
.
SUITE de la Séance Publique de l'Académie
royale de Chirurgie , du 21 Avril
1757.
M. Louis lut un Mémoire ſur l'extirpation
de l'oeil. Son premier objet dans cet
Ouvrage eft de déterminer précisément
quels font les cas où il convient d'extirper
Fail :dans la feconde partie , il examine
les différentes méthodes de faire cette opération
, & donne des regles fur la maniere
la plus avantageufe de la faire.
Dans la chûte de l'oeil lorfque le
globe eft entiérement forti de l'orbite
ou boîte offeufe dans laquelle il eſt
logé , & qu'il pend fur la joue , il ne
femble pas qu'on puiffe fe difpenfer
1
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
-
d'en faire l'amputation . Il y a cependant
des faits qui montrent qu'on ne
doit pas fe porter précipitamment à fuivre
cette indication , furtout lorfque l'accident
eft récent , & l'effet d'une cauſe violente.
Covillard affure avoir replacé dans
l'orbite un oeil qui en étoit féparé à l'occafion
d'un coup de balle de raquette , &
qu'on étoit fur le point de couper avec des
cizeaux. Antoine Maître Jean , célebre
Auteur fur les maladies des yeux , regarde
cette obfervation comme un fait faux &
exagéré par oftentation . M. Louis expoſe
toute cette difcuffion qui lui paroît mériter
beaucoup d'attention , pour fe tenir en
garde , & faire apprécier les hiftoires ou
faits de pratique rapportés par les Auteurs,
afin de ne les point admettre légèrement ,
& en faire des regles , fi par un examen
judicieux , on ne les reconnoît conformes
à la raifon & à l'expérience. Lamzwerde
rapporte une cure toute femblable à celle
de Covillard ; le fameux Spigelius , fi habile
Anatomiſte , fe fert d'un exemple pareil
, dont il a été témoin , pour prouver ,
par la grande extenfion qu'a foufferte le
nerf optique , que les nerfs font des parties
lâches.Guillemeau admet la poffibilité de la
réduction de l'oeil pouffé hors de l'orbite par
une caufe violente. Après des témoignages
OCTOBRE. 1757 . 129
i
,
auffi authentiques , il ne paroît pas permis
de douter qu'on n'ait replacé l'oeil avec fuccès.
Ce principe paroîtra abfurde à ceux qui
prendroient à la lettre le terme de réduction
employé par les Auteurs , comme ſi la
chûte de l'oeil étoit implement une maladie
par fituation viciée , pour fe fervir de
l'expreffion des anciens Pathologiftes , &
qu'on parlât de le remettre comme on réduit
une luxation. M. Louis prétend que
ceux qui , à l'imitation de Maître - Jean ,
n'admettent dans ces faits que ce qu'ils y
entrevoient de vraisemblable auroient
moins douté des circonftances qu'on rapporte
, s'ils euffent connu bien précitément
la difpofition de l'oeil & de l'orbite
dans l'état naturel . M. Winflow en a donné
une defcription bien exacte dans les mémoires
de l'Académie royale des Sciences ,
année 1721 , & M. Louis tire de cette
recherche anatomique les principes par lefquels
on doit juger l'affertion des Auteurs
fur la chûre de l'oeil . Le plan du bord de
chaque orbite étant oblique , & plus reculé
ou plus en arriere vers la tempe que
vers le nez , il eft manifefte par la feule
infpection , que le globe de l'oeil dans l'état
naturel de l'homme vivant eft en partie hors
de l'orbite : ainfi il n'eft pas étonnant qu'au
moindre gonflement de tout le globe ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
l'oeil ne paroiffe faillir d'une maniere extraordinaire
, & qu'il ne faut pas un auffi
grand défordre qu'on pourroit fe l'imaginer
pour le faire paroître tout à fait hors
de l'orbite , fans que le nerf optique foit
rompu ni déchiré.
pur-
L'oeil peut être pouffé peu -à- peu ſur la
joue , par des tumeurs contre nature qui
prennent naiffance dans le fond de la foffe
orbitaire. Lorfque cette maladie ne cede
point aux remedes généraux & particuliers
,
à l'ufage continué des fondans & des
gatifs , à l'application des cauteres ou fttons
, &c. elle exige néceffairement l'extirpation
de l'oeil. M. Louis rapporte des
exemples anciens & modernes , de cures
obtenues par les médicamens
& par l'opération
, dans le cas où les remedes avoient
été inutiles.
Le principe du mal fe trouve quelquefois
hors de l'orbite près des lames offeufes
qui forment les parois de cette cavité. M.
Louis a vu un homme de 40 ans à qui un
fongus carcinomateux dans le finus maxillaire
avoit détruit la lame offenfe qui fait
le plancher de l'orbite. Le globe de l'oeil
étoit prefqu'entiérement fur la joue : ily
avoit carie à l'os maxillaire du côté des
foffes palatine & nazale. Le malade mourut
par les accidens de l'ulcération canceOCTOBRE
. 1757. 131
reufe de toutes ces parties. La chûte de
l'oeil étoit l'effet du volume exceffif de la
tumeur à laquelle les os n'ont pu oppoſer
une réfiftance capable d'en borner les progrès.
On les auroit prévenus en attaquant
à propos & convenablement la maladie du
côté de la bouche : car la végétation carcinomateuse
étoit un accident de la maladie
de l'os , caufée elle-même par un principe
vénérien qui n'avoit été combattu que par
des traitemens peu méthodiques , dont
l'effet eft toujours incertain . M. Louis rappelle
à cette occafion , d'après Ruiſch , les
fuccés des fecours locaux convenables à
ces caries de l'os maxillaire avec excroiffance
fongueufe. Il y a des cas où l'amputation
de l'oeil feroit fpécialement indiquée
dès les premiers temps. Paaw parle d'un
enfant de 3 ans , dont l'oeil gauche entiérement
forti de fa cavité , avoit acquis le
volume de deux poings . Il mourut de cette
maladie qui n'avoit commencée à fe manifefter
que quelques mois auparavant. On
découvrit àl'ouverture du crâne , une tumeur
fongueufe, dont la baſe tenoit à la dure-
mere au deffus de l'orbite , fans aucune
altération du cerveau . Dans un cas femblable
, après l'extirpation de l'oeil , on
pourroit confumer la tumeur jufqu'à fa racine.
L'abandon du maladene laiffe aucu-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
ne refource . L'opération propofée pourroit
être tentée avec efpérance de fuccès.
L'on a fouvent confondu la chûte de
l'oeil avec la dilatation du globe qui lui fait
faire pareillement faillie hors de l'orbite.
Ces deux maladies fi différentes par leur
nature , ont été défignées par différens
Auteurs fous les mêmes noms ; cette confufion
n'a pas peu contribué à jetter de
l'obfcurité fur les préceptes , & par confequent
à rendre la pratique incertaine . M.
Louis expofe les fignes , les fymptômes &
les accidens de l'hydrophtalmie ; il examine
la théorie & la pratique recues fur
cette maladie il adopte le précepte de
Bidloo qui ne recommande qu'une petite
incifion , laquelle ne doit pas s'étendre
pardelà le bord inférieur de la cornée
tranfparente ; & il rapporte le fuccès de
deux opérations qu'il a faites , & qui prouvent
par des circonftances particulieres la
folidité de cette doctrine.
Les excroiffances fongueufes qui s'élevent
fur la furface de l'oeil , n'exigent
pas toujours qu'on faffe l'extirpation du
globe , comme des Auteurs l'ont confeillé.
Il eft effentiel d'apporter la plus grande
attention à bien difcerner la nature du
mal ; car les indications fe tirent moins
du volume de la tumeur que de fon carac
OCTOBRE . 1757. 133
tere & de fes racines plus ou moins profondes.
C'eft par des inftructions commémoratives
fur la naiffance & les progrès de la
tumeur , qu'on fera éclairci fur cette derniere
circonftance. Les connoiffances pathologiques
indiqueront le genre & l'efpece
particuliere de la tumeur. Ces principes
réfléchis doivent être la bafe du jugement
par lequel on décide s'il faut &
comment il faut opérer. M. Louis donne
une fuite de faits de pratique pour établis
la doctrine fuivant laquelle il convient de
fe conduire dans les différens cas de cette
efpece. On examine ici les raifons de préférence
que méritent l'excifion , la ligature
& les cathérétiques."
Lorfque l'oeil eft cancéreux , il n'y a de
reffource que dans l'extirpation. Ce principe
établi , l'Auteur paffe aux moyens de
faire cette opération . Les fentimens font
partagés à cet égard . La doctrine que les.
Médecins avoient adopté fur les cancers.
confirmés , qu'ils regardoient comme incurables
, n'a jamais été généralement admife
par les Chirurgiens. Les cancers de
la face avoient néanmoins paru mériter une
exception : on leur a donné un nom particulier
, qui marque l'impoffibilité où l'on
fe croyoit de les guérir ; noli me tangere .
Dans cette opinion , le cancer des yeux.
134 MERCURE DE FRANCE.
3
"
devoit paroître plus formidable encore , &
par la nature du mal , & par la difficulté
d'ufer des fecours applicables en toute autre
partie. De grands Chirurgiens ont furmonté
ces obftacles ; ils ont laiffé dans
leurs ouvrages des exemples de leur fçavoir
& de leur habilité dans les cas épineux.
« Je m'attacherai , dit M. Louis ,
» à fuivre l'ordre des temps dans l'expofition
de la doctrine des Auteurs fur l'ex- 1
tirpation de l'oeil. L'hiftoire des arts eft
» toujours intéreffante ; par elle on raffem-
» ble les traits de lumiere qui ont éclairé
chaque âge , & l'on diffipe les ténebres
qui ont de temps à autre obcurci les
meilleurs principes. On n'eft pas obligé
» de remonter fort loin pour trouver les
premieres notions de l'opération dont il
s'agit ; & contre la marche naturelle des
» Arts & des Sciences qui vont ordinaire-
» ment d'un pas plus ou moins rapide vers
» leurs perfection , on verra que ceux à
qui nous fommes redevables des premiers
› details , ont travaillé plus utilement
» qu'aucun de leurs fucceffeurs. On juge-
» ra par là , combien il eft convenable d'é-
» tudier les anciens , & de ne pas ignorer
» leurs découvertes. >>
ور
"
"
و د
99
و د
33
C'eft dans un traité Allemand fur les
maladies des yeux , publié à Drefde en
OCTOBRE. 1757 : 135
>
1583 , par Georges Bartifch , qu'on trouve
la premiere époque de la pratique d'extirper
l'oeil . Il propofe un inftrument en
forme de cuillier tranchante à fon bec
pour cerner l'oeil , & le tirer de l'orbite .
13 ans après la publication de cet ouvrage ,
Fabrice de Hilden ent occafion de faire
l'extirpation d'un oeil carcinomateux. Il fit
l'effai de l'inftrument de Bartisch fur des
animaux , le trouva plein de défaut , &
en imagina un autre dont il fe fervit avec
le plus grand fuccès. L'obfervation de la
maladie en très- importante. M. Louis la
rapporte d'une maniere moins prolixe
qu'elle n'eft dans l'Auteur même ; ce qui
la rend plus lumineufe & en quelque forte
plus intéreffante .
Job à Meckren a extirpé l'oeil avec l'inftrument
de Bartifch. Bidloo rapporte quatre
exemples de cette opération faite avec
fuccés. Ces quatre cures méritent d'être remarquées,
parce que la réuffite eft un grand
argument en faveur de l'opération . Mais M.
Louis obferve que la maniere dont on la
fit , n'eft expofée que dans un feul cas ,
& il prouve que le procédé qu'on a fuivi
n'a point été méthodique.
Jufqu'ici ce font des étranges qui ont
fourni aux recherches hiftoriques : la Vauguyon
eft le premier des Auteurs François
136 MERCURE DE FRANCE.
qui ait prefcrit l'extirpation de l'oeil cancéreux
, dans un traité des opérations de chirurgie
, imprimé en 1696. Mais il ne donne
pas le procédé . Verduc dans fa pathologie de
chirurgie ne confeille que la cure palliative.
Dionis ne fait aucune mention de l'extirpation
de l'oeil. M. S. Yves eft entré dans
quelques détails fur la pratique de cette
opération . M. Heifter en parle fort fuccinctement.
Ainfi il faut remonter à- Fabrice
de Hilden ; c'eft le feul qui ait décrit
fon procédé avec quelque attention .
La perte infaillible des malades à qui l'on
n'a point fait cette opération , les cures
heureufes qu'on lui doit , tout devoit animer
les Chirurgiens modernes à la rendre
auffi fimple & facile qu'elle eft utile. M.
Louis confulté plufieurs fois dans des cas
qui exigoient cette opération , s'eft fait une
méthode que la ftructure de l'oeil , fes attaches
& fes rapports avec les parties circonvoisines
, auroient fait , dit- il , concevoir
à tous ceux qui fe feroient occupés de
cet objet. Elle confifte à incifer le pli de
la conjonctive avec la membrane interne
des paupieres , & à porter des cizeaux
courbes fur le plat des lames , dans le fond
de l'orbite, pour y couper d'un feul coup le
nerf optique avec les mufcles qui l'environnent.
M. Louis joint à l'expofition bien
OCTOBRE. 1757. 137
détaillée des raifons fur lefquelles cette
méthode eft fondée , des faits de pratique
qui juftifient tous les avantages qu'il a décrits.
M. Bordenave termina la féance par la
lecture d'un mémoire fur quelques maladies
du finus maxillaire . La mâchoire fuperieure
ett formée principalement de deux
os/nommés maxillaires . Le long de la partie
inférieure de chacun de ces os regne
une arcade creusée de fept à huit foffes ou
alvéoles qui reçoivent les dents d'en haut .
L'os maxillaire répond antérieurement à la
partie moyenne de la joue , fa partie fuperieure
forme le plancher de l'orbite ou
cavité dans laquelle l'ail eft logé ; & fa
face interne regarde la cloifon des narines.
On fent par cette defcription fommaire
que l'os maxillaire fupérieur a une grande
étendue. Il eft fort léger , parce qu'il y a
une grande cavité creufée dans fon épaiffeur
, au point que l'on diroit prefque que
l'os auroit été foufflé pour la former. C'eſt
à cette cavité qu'on a donné le nom de finus
maxillaire . Les racines des dents pénetrent
quelquefois jufques dans le finus ,
dont les parois font tapiffées d'une membrane
fufceptible d'inflammation , de fuppuration
, d'excroiffance fonguenfe , polypeufe
, &c. Les lames offeufes de ce finus
138 MERCURE DE FRANCE.
peuvent être attaquées d'exoftofe & de
carie toutes ces maladies ont des fignes
qui les manifeſtent , & elles exigent des
traitemens particuliers . M. Bordenave s'étend
fur tous ces détails dans un mémoire ,
dont il n'a lu qu'un extrait à la féance publique
; les bornes du temps ne lui
permis d'expofer que la partie de fon travail
qui a pour objet la fuppuration & la
carie du finus maxillaire.
:
ayant
Il a établi d'abord les fignes généraux &
particuliers , qui caractérisent l'inflammation
du finus maxillaire , & quels font les
accidens qui résultent de la fuppuration
qui en eft la fuite . Si l'ouverture du finus
dans la narine eft libre , le pus peut s'écouler
en partie lorfque le malade eft couché
du côté fain de fortes expirations contribuent
auffi à l'expulfion de la matiere purulente
. Elle agit fort fouvent fur les parois
du finus , & fe fait jour en détruiſant l'os
vers l'orbite ; mais plus communément
du côté de la joue , & même près des alvéoles
; ce qui produit une fiftule avec carie.
La différence de ces cas exige des procédés
différens pour obtenir la guérifon.
M. Bordenave fait connoître les différens
moyens auxquels on doit recourir ; les anciens
ne nous ont laiffé aucun précepte fur
ces maladies. M. Gunz, Profeffeur de
OCTOBRE. 1757. 139
Leipfick , a remarqué , que Henry Meibomius
étoit le premier qui avoit propofé
une méthode curative de l'ozêne maxillai-
E re ; elle confifte à faire l'extraction d'une
ou de plufieurs dents , pour procurer l'écoulement
du pus retenu dans le finus.
Cowper célebre Chirurgien Anglois , a perfectionné
cette opération. Il rapporte
qu'un homme rendoit depuis quatre ans
par la narine , beaucoup de matiere ichoreufe
, fétide , produite par un ulcere
dans le finus maxillaire. Pour procurer
une iffue libre au pus , il fit l'extraction de
la premiere dent molaire : mais le finus ne
communiquoit pas avec l'alvéole , ce qui
probablement ne s'étoit point trouvé dans
les cas rapportés par Meibomius : Cowper
perça avec un inftrument convenable la
cloifon offeufe qui retenoit encore les matieres
; cette perforation du fond de l'alvéole
permit l'ufage facile des injections ,
par le moyen defquelles on détergea l'ulcere
, & l'on obtint une parfaite guérifon.
Dracke à qui M. Heifter fait honneur de
cette invention , a fait des cures tout auffi
heureufes par le même procédé , lequel eft
fouvent inutile , parce que la carie de l'os
ouvre ordinairement une voie plus fuffifante.
M. Bordenave rapporte quelques
obfervations qui ont été communiquées à
140 MERCURE DE FRANCE.
l'Académie , fur de femblables cas , par
MM. de Jean , Chirurgien à Orleans , &
Lamorier , Profeffeur de Chirurgie à
Montpellier , & affocié de l'Académie .
Celui-ci a eu occafion de donner effor à fon
génie dans une circonftance particuliere ,
& il en a réfulté une méthode nouvelle
qui convient particuliérement à certains
cas. La carie d'une dent indique naturellement
celle qu'on doit tirer : fi elles étoient
toutes faines en apparence , ce qui est trèsrare
,& que l'on fût affuré d'une fuppuration
dans le finus , on pourroit découvrir celle
dont la racine répondroit plus directement
au mal , en les frappant les unes après les autres,
avec une fonde d'acier . Dans le cas où il
n'y auroit aucune raiſon qui déterminât à
l'extraction d'une dent, plutôt que d'une autre
, M. Bordenave fait obferver qu'il faut
tirer la troifieme molaire par préférence ,
parce qu'elle répond plus directement au
milieu du bas fonds du finus. M. Bertin
confeille dans fon oftéologie d'arracher la
premiere , ce qui feroit moins utile .
Mais fi la maladie du finus furvenoit à
une perfonne qui auroit perdu toutes les
dents , & en qui les alvéoles feroient entiérement
effacées , il faudroit procurer
une iffue au pusfur les parties latérales . M.
Lamorier détermine le lieu de la perfora-
"
i
OCTOBRE. 1757. 141
tion de l'os au deffus de la troifieme dent
molaire , fur une éminence que l'on fent
aifément , lorfqu'ayant fermé les mâchoires
, on porte le doigt auffi haut qu'il eft
poffible , fous la levre fupérieure. C'eft la
partie la plus baffe de cette éminence ,
nommée par quelques anatomiftes apophyfe
malaire , que M. Lamorier , confeille
de percer. Il a pratiqué cette opération
dans un cas fort grave , dont il a donné
le détail. Une Demoiſelle avoit une
fuppuration dans le finus maxillaire pour
laquelle on avoit déja facrifié deux dents qui
fe trouverent fort faines ; leur extraction
avoit procuré un écoulement de pus dont
on ne parvenoit point à tarir la fource . On
propofoit d'arracher une troifieme dent ,
lorfque la malade fit appeller M. Lamorier.
Perfuadé par tout ce qui s'étoit paffé ,
qu'il falloit, pour guérir cette maladie , une
ouverture beaucoup plus fpacieufe qu'on
ne pouvoit l'obtenir par la perforation du
fond des alvéoles , il imagina fa méthode.
Le malade affis , fa tête fixée , & les mâchoires
rapprochées , pour relâcher les levres
, on releve la commiffure en haut &
en arriere avec un crochet mouffe . On fait
tranfverfalement avec un biftouri droit ,
fur le bas de l'apophyfe malaire , une incifion
à la gencive & au périofte : on perce
142 MERCURE DE FRANCE:
l'os découvert avec un perforatif fait en
langue de ferpent , monté fur un petit vilbrequin
, & l'on ouvre plus ou moins le
finus , fuivant l'exigence du cas . La malade
à qui M. Lamorier fit cette opération ,
l'affura qu'elle avoit bien moins fouffert
que dans l'extraction d'une dent. Il ne furvint
aucun accident ; on détargea facilement
l'ulcere par des injections convenables.
Toutes ces différentes pratiques prouvent
les reffources de l'art : ce font des
exemples fort utiles , qui apprendront aux
jeunes Chirurgiens à varier les fecours de
chirurgie , fuivant le befoin.
OCTOBRE . 1757. 143
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
PEINTURE.
s.
VERS à M. Carlo- Vanloo , fur ſon Tableau
repréfentant le Sacrifice d'Iphigénie.
O d'un accord parfait , merveilleuſe harmonie
Deffein , couleur , élégance , génie ,
Vous m'enflammez , tout m'annonce Vanlo.
Je tremble pour Iphigénie ;
Je voudrois à Calchas arracher le coûteau.
Quel intérêt ! ... quel feu te pénetre & t'anime !
La douleur elle -même a conduit ton pinceau :
Je la vois , je la fens , partout elle s'exprime ;
J'admire en frémiflant ton immortel Tableau.
Par l'Anonyme de Chartrait , près Melun,
A Paris , le 2 Septembre 1757.
144 MERCURE DE FRANCE .
SENTIMENT d'un Amateur fur les
Forges de Vulcain , nouveau tableau de
M. Boucher , qui vient d'être expose an
Louvre.
AMIMON MIMONE ( 1 ) , Europe ( 2 ) & Proferpine
( 3 ) , tous fujets destinés à être exécutés
en tapifferie aux Goblins , & ordonnés
par M. le Marquis de Marigny , attendoient
Venus avec fa cour , recevant de
Vulcain les armes qu'elle avoit demandées
pour Enée , quatrieme fujet de même
grandeur que les précédens , & deftiné au
même objet. Ce vuide qui reftoit au falon
a été rempli par M. Boucher. Ce tableau
peut- être regardé., fans partialité & fans
adulation , comme le fceau de la réputa i
tion de ce Peintre , déja fi juftement méritée
dans plufieurs genres , & généralement
acquife dans celui des compofitions poétiques
& agréables . Il feroit difficile de
trouver un enfemble plus lumineux que
l'effet général de ce tableau ; & les lumieres
y font fi fçavamment & fi harmonieufement
diftribuées › que la vue attirée
( 1 ) De M. Carlo Vanloo.
( 2 ) De M. Pierre.
(3) De M. Vien,
vers
SEPTEMBRE . 1757. 145
CHIRURGIE.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale de Chirurgie , du 1
Avril 1757 .
M. Morand , Secretaire perpétuel , a lu
ce qui fuit :
L'Académie avoit propofé pour le prix
de cette année le fujet fuivant : Dans le
cas où l'amputation de la cuiffe dans l'article
paroîtroit l'unique reſſource pour fauver la
vie à un malade , déterminer fi on doit pratiquer
cette opération , & quelle feroit la
méthode la plus avantageuse de lafaire.
L'Académie a reçu douze Mémoires fur
ce fujet , & n'en a point trouvé qui fûr
digne du prix : parmi ces Mémoires , il en
eft un dans lequel l'Auteur a eu en vue de
prouver que l'opération propofée n'eſt
praticable en aucun cas. S'il eût établi cette
affertion de façon à lever tous les doutes
fur cela , le prix lui auroit été décerné , &
le feroit encore à celui qui prouveroit inconteſtablement
cette propofition ; parce ,
qu'il feroit cenfé avoir démontré que cette
G
146 MERCURE DE FRANCE.
opération ne peut jamais être une reffource
pour fauver la vie à un malade , contre la
fuppofition fuivant laquelle l'Académie
demande fi on doit la faire , & quelle
feroit la meilleure méthode de la faire.
Le même fujet eft remis pour 1759 ,
avec un prix double.
L'Académie ayant établi qu'elle donneroit
tous les ans fur les fonds qui lui
ont été légués par M. de la Peyronie , une
Médaille d'or de deux cens livres à celui
des Chirurgiens étrangers ou regnicoles ,
non Membres de l'Académie , qui l'aura
méritée par un ouvrage fur quelque matiere
de chirurgie que ce foit , au choix de
l'Auteur ; & ce prix d'émulation n'ayant
point été remporté l'année derniere , l'Académie
en avoit promis deux pour cette
année , s'il fe trouvoit deux bons Ouvra
ges. Parmi ceux qui ont été envoyés en
1756 , elle n'en a adjugé qu'un à M. Caqué
, fon Correfpondant à Rheims .
L'Académie ne peut donner une plus
grande marque d'impartialité , qu'en annonçant
que le Mémoire de M. Caqué a
pour objet de perfectionner la taille latérale
exécutée avec le lithotome caché.
Elle a fait fur cet inftrument l'examen le
plus approfondi ; elle n'a écouté ni les
préventions du Public qui court légèrement
SEPTEMBRE. 1757. 147
,
après les nouveautés , ni celle des Artiſtes
fervilement attachés aux anciennes méthodes.
Comptable à la fociété de tout ce qui
fe fait pour les progrès de l'art elle
en eft occupée de bonne foi ; elle ne
cherche que la vérité , & ce qu'elle fait
aujourd'hui en eft une preuve éclatante .
L'Académie ne diffimule pas qu'elle a trouvé
de grands défauts dans le lithotome
caché ; mais elle n'auroit pas couronné
celui qui fe feroit contenté de les expofer
: au contraire , elle récompenſe celui
qui propofe des moyens de les corriger.
L'on ne tardera pas à voir le jugement
qu'elle a porté de cet inftrument tel qu'il
eft , dans un parallele fur les différentes
méthodes de faire la taille.
Des cinq Médailles de cent francs chacune
deftinées à cinq Chirurgiens , foit
Académiciens de la claffe des libres , foit
fimplement regnicoles , qui auront fourni
dans le cours de l'année précédente un
Mémoire ou trois Obfervations intéreffantes
, l'Académie en adjuge quatre ; fçavoir
à MM. Recolin & Pipelet, Académiciens
libres ; M. Piplet le jeune , Candidat du College
, & M. Lefferé , Maître en Chir rgie
à Auxerre , & Membre de la Société ces
Sciences & Belles Lettres de la mêmeVille.
M. Suë, le jeune, lut enfuite un Mémoire
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE.
fur la cataracte membraneufe & fon extraction
. Avant les découvertes de MM .
Antoine- Maître -Jean & Briffeau fur la
cataracte , on penfoit qu'elle étoit formée
par une pellicule membraneufe : ils démontrerent
que c'étoit une affection du crystallin
qui perdoit fa tranfparence naturelle,
Ce fentiment prouvé par un grand nombre
d'expériences inconteftables , cut affez de
peine à s'établir , parce qu'il ne s'accordoit
point avec l'opinion des Phyficiens , qui
regardoient le cryftallin comme l'organe
immédiat de la vue . On la rendoit
par l'opération de la cataracte , & cette
opération n'auroit jamais eu de fuccès , fi
l'on eût abattu le corps , fans lequel il
feroit impoffible de voir. La chirurgie a
fervi utilement en cette occafion aux progrès
de la phyfique. Malgré les obfervations
qui firent admettre l'opacité du cryſtallin
comme caufe formelle de cataracte ,
l'existence de la pellicule fut conſtatée par
quelques faits non équivoques. M. Littre
l'a fait voir dans un oeil qu'il difféqua à l'Académie
des ſciences ; & quoique MM. de
la Peyronie & Morand fuffent bien convaincus
que le cryftallin étoit communément
le fiege de la cataracte , ils penfoient
que les membranes de l'oeil pouvoient ,
auffi bien que le cryftallin , perdre leur
SEPTEMBRE . 1757. 149
transparence naturelle , & produire par-là
une vraie cataracte membraneufe. M. Hoin
affocié de l'Académie , à Dijon , a jetté
un nouveau jour fur cette matiere. Il a eu
occafion de difféquer l'oeil d'un homme
mort à la fuite d'une opération , qui avoit
été faite par un de ces Oculiftes qui courent
de Province en Province. L'opération
avoit eu d'abord du fuccès , le malade
avoit vu ; la cataracte reparut au bout de
quelque temps , & fuivant les notions ordinaires
fur ces fortes de cas , on jugeoit
que le crystallin étoit remonté. A l'ouverture
du globe , on le trouva dans le fonds
de l'oeil ; c'étoit une pellicule qui s'oppofoit
au paffage de la lumiere ; & ce voile
nouvellement formé derriere la prunelle ,
étoit une cataracte membraneufe fecondaire.
Cette obfervation donne lieu à une
conféquence toute fimple , qui n'a pas
échappé à l'Auteur , c'eft qu'il eft poffible
qu'on fe foit quelquefois trompé dans le
jugement qu'on a porté fur les cataractes
qu'on a cru remontées. Un feul fait ne
permettoit de tirer cette conféquence que
comme une conjecture , qui préfente néanmoins
la plus grande probabilité. M. Suë
vient de la vérifier par plufieurs faits de
pratique , qui lui ont fait voir la cataracte
membraneufe fecondaire . Ses obfervations
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ne ferviront pas feulement à la confirmation
d'une vérité qui étend nos connoiffances
fur la nature de cette maladie ; elles
ont une utilité plus étendue : il a rendu
la vue à ceux en qui il reconnut cette pellicule
; & d'après ces mêmes obfervations ,
il indique les moyens de prévenir cette
maladie confécutive .
M. Sue a opéré à Angers , au printemps
de l'année 1756 , plufieurs perfonnes qui
avoient fouffert précédemment l'opération
par abaiffement au moyen de l'aiguille ,
fuivant l'ancienne méthode. Il fe propofoit
de faire l'extraction de cataractes
remontées. L'examen des yeux lui faifoit
voir fur chacun , que la cataracte étoit
très-enfoncée , plus mince & plus plate
qu'à l'ordinaire. Après l'incifion convenable
de la cornée tranfparente , il eut en
vain recours à la preffion méthodique du
globe de l'oeil pour procurer la fortie du
cryftallin ; il fut obligé de porter des
pincettes dans la prunelle , il tira par ce
moyen une pellicule très diftincte . La premiere
opération lui fervit de guide pour
les autres , qui réuffirent toutes également
bien. Ces cas étoient la fuite de l'opération
par l'ancienne méthode. Mais M. Suc
fait remarquer que fans une certaine précaution
effentielle , la méthode de l'exSEPTEMBRE
. 1757. 15t
traction ne mettroit pas à l'abri d'une cataracte
fecondaire. Il l'a reconnue dans la
diffection des deux yeux d'une femme
morte aux Incurables , à qui M. Daviel
avoit ôté les cryftallins cataractés , un an
auparavant. L'opération fut d'abord fuivie
du plus grand fuccès ; ce ne fut qu'au bout
de fix mois que les yeux s'obfcurcirent , &
que la perfonne redevint aveugle.
Pour prévenir cet inconvénient , contre
lequel l'art n'eft pas fans reffources efficaces
, comme le prouvent les obfervations
de M. Sue , il faut emporter la membrane
crystalline avec le cryftallin on y
parvient très-aifément , fi l'on incife circulairement
la capfule fur le corps qu'on
doit extraire. M. Daviel le fait préfentement
avec fuccès , M. Suë n'y manque
jamais , & l'on fent affez combien cette
pratique eft néceffaire à la perfection de
la nouvelle méthode d'opérer la cataracte
par l'extraction du crystallin .
Après ce Mémoire , M. Morand fit la
lecture d'une obfervation fur , un abfcès
au cerveau. Un Religieux Bénédictin
agé de 1 ans , fujet à des rhumatiſmes ,
fentit tout-à- coup des violentes douleurs
de tête , principalement vers l'oreille gauche
, avec élancemens , fievre , infomnie
, &c. on employa inutilement tous les
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
fecours qu'on crut convenables : au bout
de fix mois , il fe forma un abfcès derriere
l'oreille ; l'ouverture qu'on en fit , procura
quelque foulagement. Il refta un finus
fiftuleux , qui alloit vers la tempe de bas
en haut. Le malade avoit des douleurs
dans toute cette partie : elles augmentoient
aux changemens de temps , & furtout dans
les temps froids. Il vint à Paris . M. Morand
trouva , en fondant le finus , qu'il y
avoit carie à l'os temporal vers fa partie
inférieure. Il fit une incifion , & traita la
maladie de l'os fuivant les regles de l'art.
L'eau mercurielle n'ayant pu détruire les
chairs baveufes qui fe reproduifoient toujours
fur l'os malade , on y porta le feu à
différentes fois ; on obtint une exfoliation
d'une lame affez large de la table externe.
Monfieur Morand fe flattoit d'obtenir
une prompte guérifon : tout fembloit la
promettre , fi ce n'eft que la plaie fourniffoit
beaucoup plus de pus que fon étendue
apparente n'en devoit donner.
De nouvelles recherches firent connoître
un autre finus qui s'étendoit vers la
partie fupérieure de la tempe . Comme l'os
n'étoit point dénué dans le fonds de ce
finus , on eſpéra en obtenir facilement la
confolidation par l'effet des injections vulnéraires.
On fe fervit du beaume de Fio-
1
SEPTEMBRE. 1757. 153
raventi. Le malade en reffentit les donleurs
les plus vives ; elles furent fuivies
d'une espece de fureur qui dura quelque
temps. L'irritation des parties extérieures
ne pouvant caufer un effet auffi violent ,
M.Morand imagina qu'un peu d'injection
pouvoit s'être communiquée à quelque .
partie membraneufe de l'intérieur de la
tête. La plaie fut fondée de nouveau : on
découvrit un trou dans toute l'épaiffeur
de l'os temporal , & la fonde pénétra d'un
bon pouce dans l'intérieur de la tête. Il
eft aifé de voir que tout ce qui avoit été
fait jufques là pour la guérifon du malade
étoit en pure perte , & que jufqu'à préfent
la vraie fource du mal avoit été méconnue.
On fit les incifions convenables
pour mettre à nu une grande portion de
l'os temporal , & établir la place d'une
couronne de trépan, dans l'intention d'emporter
toute la partie de l'os altéré , & de
déterger l'ulcere de la tête.
dit
" Ici fe préfente naturellement
» M. Morand , la queftion ; fçavoir fi le
trou étoit fait par la carie de l'os de
» dehors au dedans , ou fi la matiere d'un
» abfcès formé dans la tête s'étoit fait jour
»à travers le crâne de dedans en dehors .
auroit bien des raifons de croire
و د
11
Y
» que cette communication étoit la fuite
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
d'un abfcès extérieur , en ce que l'état
» du malade ne l'empêchoit point d'aller
& de venir , ni même de remplir les
» fonctions de fon miniftere . Je crus réfoudre
la queftion en bouchant exacte-
» ment le trou avec une cheville de bois
»faite comme un fauffet, & groffe comme
une plume à écrire . Le lendemain en
» ôtant le fauffet , la matiere ruiffela de
» l'intérieur de la tête. »
"
Le trépan fut appliqué , & à la levée
du premier appareil , il fortit du pus
abondamment. La fonde pénétroit dans
le cerveau . Pour en dilater le finus , on
y introduifit pendant plufieurs jours une
tente faite avec la plus groffe corde à
boyau. Le quatorzieme jour , on jugea
qu'il étoit convenable d'incifer les membranes
en croix vis - à- vis le trou du trépan.
M. Morand porta enfuite le bour
de fon petit doigt dans le cerveau , réduit
dans cet endroit en une espece de
bouillie ; il en fortit beaucoup de pus.
On fit des injections avec l'eau vulnéraire
animée de quelques gouttes d'efprit
de térébenthine & de baume de Fioraventi
. Le malade , qui donna d'abord des
marques de fenfibilité , s'y accoutuma peu
peu. Quoique l'ouverture fût affez grande
pour l'iffue des matieres , & qu'on
SEPTEMBRE. 1757. 155
continua les injections , le pus féjournoit
encore d'un panfement à l'autre : il fortoit
à la quantité d'une petite cuillerée. Certe
circonftance détermina M. Morand à placer
dans le cerveau même une canule d'argent
groffe comme une plume à écrire
& longue de plus d'un pouce ,
› fans
fans y
comprendre le chaperon. Le pus ne féjourna
plus , & l'on ne devoit plus attendre
la parfaite guérifon que du temps &
de la nature. « Ce qu'il y a d'admirable ,
» dit M. Morand , c'eft que le malade fe
portoit bien d'ailleurs , qu'il fuivoit une
partie des exercices de la maifon ; płu-
»fieurs perfonnes qui ne vouloient pas
»croire ce que je leur en difois , revenoient
de fon monaftere fort étonnées
» de ce qu'ayant demandé à voir le Religieux
qui portoit une canule dans le
» cerveau , on étoit obligé de le chercher
» dans la maiſon. Il montroit fa plaie ,
» on ôroit la canule pour fatisfaire leur
» curiofité , & on la remettoit. »
"3
"3
و ر
33
Après environ quarante jours , on diminua
par degrés la canule de longueur :
Ja quantité du pus diminuoit en properla
tion , & l'on obtint , après la fuppreffion
de la canule , en peu de temps , la parfaite
guérifon.
M. Morand tire des phénomenes de ce
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
fait de pratique , des preuves qui confitment
les idées qu'on a de l'infenfibilité du
cerveau & de la fenfibilité des meninges.
Il préfente l'obfervation comme une des
plus grandes maladies dont le cerveau
puiffe être attaqué , & il n'a tardé à la
communiquer à l'Académie pour faire voir
les reffources de l'art dans les cas les plus
graves , que pour attendre que la guérifon
fût bien affurée. Il y a cinq ans , & le Religieux
, qui en eft le fujet , continue de
jouir de la meilleure fanté.
Lafuite au prochain Mercure.
SEPTEMBRE. 1757.
157 '
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
A M. DE BOISS r.
MONSIEUR , comme ma diſpute avec
M. de Morambert n'intéreffe aucunement
le Public , j'ai renoncé à faire paroître à
part la Replique que j'avois annoncée . Je
fais réflexion d'ailleurs que les ouvrages de
M. Rameau , fur l'harmonie , étant en affez
grand nombre, & fes principes affez démontrés,
M. de M. pourroit y voir la condamnation
des erreurs répandues dans fa réponſe .
Cependant je profite volontiers , Monfieur
, de la place que vous voulez bien
m'accorder encore dans votre article de
mufique. J'ai refondu , pour ainfi dire ,
mon ouvrage je me reftrains à ce qui
fuit , crainte d'abuferide vos bontés .
Paris , ce 20 Juin 1757.
1
158 MERCURE DE FRANCE.
Replique de M. Rouffier , à la réponse de
M. de Morambert , inférée dans le premier
volume du Mercure de Janvier ,
Article IV.
Si M. de M. a relu ma premiere Lettre,
comme je l'en ai prié dans celle du premier
volume d'Avril , il aura vu fans doute qu'en
6X 6
affignant aux accords las , & res (1),
leur vraie baffe fondamentale , j'étois bien
éloigné d'en rejetter la fucceffion , & que
mon ironie tomboit feulement fur les fi-
7 7
gnes F & B qui ne préfentant point ces
accords par l'ordre direct , les confondent
avec les dominantes.
Il auroit pu fe difpenfer de recourir à des
autorités pour me conftater la bonté d'une
fucceffion contre laquelle il a cru bonnement
que je me déclarois. Je l'avois employée
, cette fucceffion , page 177 de
ma lettre ( 2 ). M. de M. peut y voir ( dans
(1 ) Les fignes des accords , placés au deffus du
nom des notes , occupant trop d'eſpace dans l'impreffion
, je me fuis déterminé à les écrire dans
le fens horizontal , qui eft d'ailleurs celui qu'on a
accoutumé en lifant.
(2) Voyez le fecond volume d'Octobre 1756 ,
depuis la page 171.
SEPTEMBRE. 1757 .
159
l'exemple ) que fa & , ut 6 , n'eſt point
6
une harmonie différente de re 5 ›
6
6
mi 4 ,
l'une & l'autre venant de D , A , ou , fe-
7
lon lui , de B , A.
Mais comment M. de M. a- t'il pu prendre
le change au fujet du fens de ma lettre ?
En
annonçant d'abord dans la fienne ( page
182 ) , que j'ai cru appercevoir des faures
dansfa Méthode , comment a-t'il oublié
dans la fuite que ce n'étoit qu'à ce qui a
trait à cette Méthode , qu'à fes fignes que
j'en voulois
6
>
6
6*
& non aux paffages la 5 ,
6
fi 4 , & re 5 , mi 4 , qui font de fon
Ariette ?
Je n'avois attaqué de cette Ariette , &
4
par occafion , que la faute fa 6 , ut 3 ,
• 7
répétée dans les nouveaux fignes D , F ,
n'imaginant pas cependant alors d'avoir à
faire à fon Graveur. Quoi qu'il en foit , je
reçois de bon coeur les raifons de M. de
Morambert fur ce paffage : j'aurois fouhaité
qu'il m'eût à peu près autant fatisfait
à l'égard de fon figne dans les deux autres ,
160 MERCURE DE FRANCE.
& fur les preuves de fa co- invention.
Au refte , je lui dois un remerciment au
fujet du début par où il entreprend férieufement
la juftification de fa diffonnance.
Si M. Rouffier , dit- il › page 183 ,
connoiffoit mieux la fucceffion des accords ,
la liaison harmonique qui en résulte , il
verroit , &c. ...
M. de M. me fait bien de l'honneur à
l'égard de fa liaifon harmonique : j'avoue
franchement que je n'en connois point qui
réfulte de la fucceffion des accords . Je connois
feulement , dans l'harmonie , une
liaifon fur laquelle eft établie la fucceffion
des fons fondamentaux , de laquelle fucceffion
réſulte enfin celle des accords . C'eſt
M. Rameau qui me l'apprend dans fon
nouveau fystéme , chap. IV & VI , de fa génération
harmonique , à l'article de la liai
fon , pag. 69 ; mais plus expreffément encore
dans fa Differtation fur les differentes
méthodes d'accompagnement , page 35 ( 1 );
Ce qui me confole , c'eft que tous ceux qui
ont adopté la doctrine de M. Rameau , ne
connoîtront pas mieux que moi de liaiſon
harmonique réſultante de la fucceffion des accords.
Il faut efpérer que M. de M. nous
(1 ) En outre , le chap. 4 de la Gener, harm. &
Particle premier du chap. 10 , contiennent de bonnes
inftructions à ce sujet.
SEPTEMBRE. 1757 . 161
éclairera là deffus , afin que nous puiffions
voir fon mi diffonnance , & fauvé ſur reX.
Peut être verrons nous encore alors cette
autre note quiforme la diffonnance dans l'accord
de quinte & fixie des deux paſſages
de Pigmalion & de Caftor & Pollux , &
qui , dans les principes de M. Rameau ,
n'eft encore que la plus parfaite de toutes les
confonnances ( 1 )..
> Qu'auroit-ce donc été , s'écrie M. de M.
fi après l'accord de fixie quarte , j'euffe employé
celui de quarte & quinte ? .. M. Ronf
fier n'eût pas manqué de me táxer d'ineptie .
Non , Monfieur , lui répondrai -je , je
ne vous en aurois pas taxé , pas pas même
quand vous cuffiez inféré encore l'accord
de feconde entre ceux de fixte- quarte ,
& de quarte & quinte , fi la valeur des notes
, ou la tournure du chant vous l'euffent
permis y inféraffiez -vous de plus
dans une autre occafion , celui de feptieme
fuperflue , je n'en ferai aucunement
effrayé ; mais je ne regarderai jamais votre
tôt
( 1) Termes de M. Rameau au fujet de la quinte,
dans les Obferv. fur notre instinct pour la musique,
&c. p. 6 , & la Gener, harm . p . 57. On verra bienque
la note que M. de M. a cru diffonnance ,
foit dans les deux paffages de fon Ariette , ſoit
dans ceux qu'il cite de M. Rameau ; que cette
note , dis-je , eft la quinte du fon fondamental de
l'accord , la quinte d'une foudominante.
162 MERCURE DE FRANCE.
mi comme diffonnance , qu'à l'endroit où
il formera onzieme dans l'accord propofé ,
ou dans celui de Quarte. C'eft la baffe fondamentale
qui me donne ce courage : j'ofe
vous la préfenter.
Partie Supérieure.
S ste Sve 3ce 7 me
ce
3
8ve
Mi , mi , mi , mi- , rex , rex, mi.
Baffe-Continue.
6 6 7
S 4
2 * 7 4 x X
La , fi , fi , fi , fi , fi , fi , mi.
BASSE -FONDAMENTALE .
6
7
7 *
7
X X
---
> fi , fi , mi. La , mi , ut , fax
Nouveaux fignes.
X6
7
7 X X 7
E.
A, E , C , FX— , B
Les intervalles exprimés par des chiffres
dans la partie fupérieure , font relatifs à
11 baffe-fondamentale. Ils feront connoître
à M. de M. que le premier mi n'eft point
diffonnance , qu'il ne fait que fuivre fa
progreffion naturelle, en reftant fur le même
SEPTEMBRE . 1757 . 163
'degré , & n'a nul befoin d'être fauvé , ni
médiatement , ni immédiatement , ni en
montant , ni en defcendant.
S'il reftoit à M. de M. quelque fcrupule
au fujet de cette note , ou quelque doute
à l'égard du fon fondamental que j'affigne,
dans la fucceffion préfente , à l'accord dont
elle fait partie , il peut confulter le chapitreVII,
du fecond Livre du Traité de l'harm .
( au fupplément , pag. 3 ) , & le XVIme du
troifieme Livre du même Ouvrage. L'exemple
de la page 222 doit être vu auffi dans
le fupplément , p. 14. Enfin la baffe - fondamentale
de l'exemple 67 , planche 4 , des
Elém.de Mufiq. décide encore la difficulté .
Puifque nous en fommes fur les exemples
, M. de M. feroit- il curieux de voir
la finale de fon Ariette , mêmes notes dans
le chant , même baffe ? Il la trouvera dans
celle de l'exemp. 172 , du Livre intitulé ,
Expofition de la théorie & de la pratique de
la Musique , &c. par M. de Béthizy . Paris ,
1754, p. 45 des planch . gravées. L'Auteur a
joint à cet exemple la baffe fondamentale ,
7
qui n'eft point du tout en faveur de B , A :
6
elle dit , & eft chiffrée re 5 , la. L'exemple
qui termine la même page porte encore
une femblable cadence , & c'est toujours
164 MERCURE DE FRANCE.
le même fondement affigné , c'est - à - dire
6 6 6
res , la , pour l'harmonie re 5 , mi 4.
L'exemple 17 en préfente un autre dans
le ton d'ut , toujours avec fa baffe fondamentale
( feroit- ce la peine d'en citer autrement
) ? Le deffus y a la même tournure
que celui de l'Ariette dans les trois dernie
res mefures. Les exemples raffemblés , 100
( aux mots cadence imparfaite ) 101 , 102
( aux notes marquées d'un B ) & 103 ( à la
cadence finale ) , ne font pas moins décisifs
que les précédens. Ce dernier fera peutêtre
du goût de M. de M. ( il eft tiré de
Pigmalion ) ; du moins lui fera - t'il aife de
voir , par la baffe fondamentale , quelle
étoit dans l'efprit de M. Rameau la note
qui forme la diffonnance dans l'accord de
quinte & fixte.
S'il étoit d'ufage qu'on joignît aux ouvrages
de mufique une baffe fondamentale
en faveur de ceux qui ne connoiffent
pas affez l'harmonie , pour retrouver cette
BASSE , CE FOND d'harmonie qui a guidé le
Compofiteur dans fes productions , M. de
M. n'auroit eu garde de s'autorifer des
deux paffages de Pigmalion , & de Caftor &
Pollux (1 ).
(1 ) Les fignes dont j'ai déja donné une idée
( voyez fecond vol . d'Octobre 1756 , p. 175 ) , &
SEPTEMBRE. 1757 .
165
On fçait que c'eſt par la baffe fondamentale
qu'on découvre pofitivement ce qu'il
ya de confonnant ou de diffonnant dans
un accord . On fçait encore que dans la
foudominante la feule diffonnance eſt cette
fixte majeure , que l'art a ajouté à ſon
6
accord parfait. Or les deux accords la 5 ,
6
& res , des paffages de M. de M. étant
fondamentaux ( j'aurois honte de le prouver
davantage ) & acconds de foudominante
, accords de fixte- ajoutée , leur diffonnance
n'eft donc autre chofe que cette
même fixte , c'est- à-dire fax dans l'un , &
fi dans l'autre , & non leur quinte mi & la ,
comme l'a cru M. de M.
Je ne penfe pas , au refte , qu'il veuille
objecter que parce que dans l'accord
la 3e , ut 6te , mi 7me, fax 8ve renversé
ce
que je ne deftine pas au feul accompagnement ;
ces fignes , pour le dire en paffant , pourroient
peut- être , s'il étoient une fois en ufage , empêcher
bien des méprifes , des fauffes applications ,
des interprétations détournées , puifqu'ils repréfentent
précisément , & , j'ofe dire , affez clairement
, cette Baffe fondamentale , que M , Rameau,
dans la préface de la Gener . harmon . appelle le
guide invifible du Muficien , l'unique bouffole de
Poreille ; j'ajoute, & la vraie pierre de touche pour
s'affurer des confonnances ou des diffonnances,
166 MERCURE DE FRANCE.
се
d'une fimple dominante , la diffonnance
eft mi , il s'enfuive que ce même mi foit
auffi la diffonnance dans l'accord direct
de foudominante la , ut 3ce , mi s ™,fa 6 "?
Il faudroit que M. de Morambert me
prouvât auparavant qu'une feptieme &
une fixte ( en comptant du fon fondamental
) font la même chofe , ou que , être fondamental
, être dérivé , direct ou renverse ;
tout cela foit fynonime.
Si la pratique , à cauſe de l'identité des
notes qui compofent ces deux accords , les
confond encore aujourd'hui fous le même
nom & le même figne , & n'en fait , pour
ainfi dire , qu'un feul & même accord ,
cette pratique reconnoît néanmoins , dans
fon unique accord , un double emploi ,
une double acception , des marches différentes
dans les notes qui le compofent.
Or ces marches différentes font fondées
fur le rapport que les notes peuvent avoir
à divers fons fondamentaux , à diverfes
baffes fondamentales , dont les confonnances
ou les diffonnances n'ont rien de
commun.
Il ne manquoit à M. de M. lorfqu'il
me fait remarquer lui- même ( page 184
de fa Lettre les deux manieres dont s'em
ploie l'accord en queftion ; il ne lui manquoit
, dis-je , que de connoître le prinSEPTEMBRE.
1757.
167
cipe que je viens d'affigner , pour s'appercevoir
que dans le cas où la quinte doit def
cendre
diatoniquement , c'est parce qu'elle
eft dans fon origine la diffonnance mineure
de ce fon
fondamental qui refte fur le
même degré , qu'elle eft , veux je dire , la
feptieme d'une fimple
dominante ; & que
dans cet autre cas où la quinte refte fur le
même degré , tandis que la fixte monte , c'eſt
que cette fixte, bien loin d'être fondamentale
alors , n'eſt au contraire que la diffonnance
majeure d'un autre fon fondamental ,
d'une
foudominante ( 1 ) .
Il faut efpérer que M. de M. adoptera
enfin , foit dans fes écrits , foit dans fes
fignes , cette
SOUDOMINANTE que l'oreille
lui a déja fait pratiquer dans fon Ariette ,
& qu'il fera lui- même , avec M. Rameau
& tous ceux qui fuivent fes principes , la
diftinction qu'il me reproche des dominantes
avec les
fondominantes ( 2 ) ,
(1 ) M. de M. trouvera , page 215 de la Gener.
harmon . la
confirmation de ce que j'ai l'honneur
de lui dire ici , & la réfutation de ce qu'il avance
au fujet de l'accord de feconde , p. 186 & 187 de
fa Lettre. ( La diffonnance , la note qui devroit def
cendre , &c. &c. )
(2 ) « Il faut chiffrer la baffe
fondamentale ( dit
» M. Rameau , Gener. harm. page 210 ) avec un
6 pour les
foudominantes , un 7 pour les dominantes,
& rien pour les toniques. » C'eſt -là
168 MERCURE DE FRANCE.
L'idée lui en étoit bien venue , nous dit- il
dans fa Lettre ( p . 185 ) , & c'eſt déja beaucoup.
Il ne lui refte plus que de fçavoir ,
dans l'occafion , difcerner ces foudominan
tes , pour ne pas préférer de réduire tout en
accords parfaits & en accords de feptieme ;
préférence qui lui a fait fans doute traiter
de diffonnances des notes qui font pures
confonnances , & qui pourroit induire
dans la même erreur , & dans une infinité
de conféquences qui en découlent , ceux
qui s'en tiendroient à fes fignes.
·
Au refte, fi M. Rameau dans fa Méthode
exprime par 2 l'accord de fixte quinte ,
foit qu'il foit fondamental ou dérivé , c'eſt
que les fignes repréfentent , comme on
fçait , la méchanique des doigts , ou leur arrangement
relatif à la tonique . Or dans
l'accord fondamental & dans le dérivé ,
cette méchanique , cet arrangement des
doigts par rapport à la tonique étant les
mêmes , il n'a donc fallu à M. Rameau
qu'un même figne pour les exprimer.
D'un côté & d'autre , la tonique eft
La fource où j'ai puifé pour ma méthode : j'ai
appliqué aux lettres de la gamme ce que Monfieur
Rameau prefcrit ici pour les notes. Je ne vois
pas de différence entre un la , par exemple , chiffré
d'un 7 ou d'un 6 , & un A chiffré de même :
P'un eft noté , l'autre eft écrit.
jointe
OCTOBRE. 1757. 169
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPER A.
L'Académie Royale de Muſique continue
les répréfentations des Amours des Dieux ,
qu'on revoit avec le même plaifir. L'agrément
des ballets ajoute à celui des paroles
& de la mufique . Dans le premier acte ,
M. Laval & Mademoiſelle Carville danfent
un pas justement applaudi . Tous deux
l'exécutent avec autant de précifion que de
nobleffe . Le premier fait chaque jour de
nouveaux progrès , & Mademoiſelle Carville
ſe montre une digne éleve du célebre
M. Dupré. Dans la fête de l'acte charmanţ
de Coronis , M. Veftris & Mademoiſelle
Veftris fa foeur , forment un pas figuré
d'un goût , d'une expreffion , d'une grace
& d'un accord qui charment le fpectateur.
M. Veftris ne brille pas moins , quand il -
danfe feul dans le divertiffement du dernier
acte. On peut dire fans flatterie qu'il
en fait les honneurs.
I. Vol,
H
170 MERCURE DE FRANCE
COMEDIE FRANÇOISE.
E Le famedi 3 Septembre , les Comédiens
François ont repréſenté Athalie , dans laquelle
un Acteur nouveau a joué le rôle du
Grand-Prêtre au gré du Public . On lui
trouve de l'intelligence & de l'ame . On
lui fouhaiteroit plus de nobleffe dans la fi- !
gure & dans le jeu .
COMÉDIE
ITALIENNE.
LBLe lundi 19 Septembre , les Comédiens
Italiens ont donné la neuvieme repréſentation
des Enforcelés , ou de la Nouvelle
furprise de l'Amour , parodie en un acte ,
mêlée de chants , avec un divertiffement
nouveau . Elle a beaucoup réuffi . C'eſt la
piece , où le roman de Daphnis & Chloé
nous a paru mis le plus heureuſement
au Théâtre. Si le fonds n'eft pas neuf ,
les détails en font fi agréables , & le jeu
des Acteurs le rajeunit fi fort , qu'il reçoit
fur la fcene toutes les graces & tout le
piquant de la nouveauté. Mlle Catinon
fous le nom de Jeannot , offre un Daphnis
charmant , & Madame Favart , fous celui
OCTOBRE . 1757. 171
de Jeannette , eft une Chloé qui enforce le
elle-même tous les Spectateurs. Elle n'oublie
rien pour combler la féduction . On voit
qu'elle joue en mere ( 1 ) . On retrouve dans
Jeannette les charmes ingénus de Baftienne
: elle a un air de famille qui frappe ;
mais avec des nuances qui la diftinguent.
La naïveté de l'une n'eft pas l'ingénuité
le l'autre . Elle reffemble fans être la
même.
(1 ) Madame Favart eft l'Auteur de la piece, avec
1. Guerin & M. H * *.
OPERA COMIQUE.
ON a exécut
Na exécuté fur ce Théâtre un très- joli
allet pantomime , qui a pour titre , Le
uile dupé ; il eft de la compofition du
eur Rey , frere de Mlle Rey qui danſe
Etuellement à la Comédie Françoiſe. On
joué au même Spectacle une petite piece
ouvelle en un acte , intitulée , Le Faux
Jervis , dont nous dirons un mot au prohain
Mercure.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
CONCERT SPIRITUEL.
Le jeudi 8 Septembre , jour de la Nativité
de la Sainte Vierge , le Concert a
commencé par une Symphonie del Signor
Beck , fuivie de Cantate Domino , Moret
à grand choeur de M. Davefne . Enfuite
Mile Sixte a chanté Ufquequò , petit Motet
de Mouret . M. Moria a joué un Concerto
de M. Gaviniés . Mlle Fel a chanté un petit
Motet pour la fête du jour . M. Balbâtre
a joué fur l'orgue l'ouverture de l'Opera
Languedocien. Le Concert a fini par Laudate
Dominum , quoniam bonus
d'orgue de M, Mondonville ,
Motet
OCTOBRE. 1757 : 173
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE DANTZICK , le 33 Acût.
LE Feld- Maréchal Comte d'Apraxin a commencé
d'exiger des contributions du Royaume
de Pruffe. Ayant mandé les Magiftrats de Tylfit ,
il leur a fignifié les ordres pour la livraiſon d'une
certaine quantité de vivres & de fourrages.
La Colonne des troupes Ruffiennes , qui a pris
fa route par la Samogitie , arriva le 28 Septembre
fur la frontiere de la Pruffe Brandebourgeoife.
Le 29 , elle fut jointe par une autre Colonne ,
qui a traversé la Lithuanie. Le même jour ,
Feld-Maréchal Comte d'Apraxin fit occuper la
Ville de Tilfit , dont les Magiftrats furent confirmés
dans leurs emplois , après avoir prêté ferment
à l'Impératrice de Ruffie. Une partie de l'armée
de cette Princeffe a déja paffé la Niémen.
Le Feld- Maréchal de Lehwald a abandonné les
bords de cette riviere , & s'eft replié ſur la Prégel
. Il eft actuellement campé à Welau dans une
pofition avantageufe , fon centre couvert par un
ravin , fa gauche appuyée à Konigsberg , & fa
droite tirant vers Georgebourg , où elle eft flanquée
par des bois & par des marais . Ce Général a
retiré de Marienwerder le Bataillon qui y étoit
en garniſon. Chaque jour , il y a quelque efcar-
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
mouche entre les poftes avancés des deux ar
mées.
On n'eft point informé que la Flotte Ruffienne
ait paru fur les côtes de Poméranie. Cela donne
lieu de préfumer qu'elle eft retournée à Cronstadt
Depuis que l'armée commandée par le Feld-
Maréchal Apraxin eft entrée dans la Pruffe Du
cale , le Confeil de Régence , qui étoit établi
Konigsberg , s'en eft retiré. Il n'y eft refté que
les Magiftrats chargés de la police de la Ville
Les Archives qu'on y tenoit en dépôt , ont été
envoyées à Cuftrin. On fait monter à une fomme
très- confidérable les contributions que les Ruffiens
ont exigées du pays . Ils ont demandé qua
rante mille écus à la ville de Memel , & les habi
tans fe font preffés de payer cette taxe , pour n'è
tre pas exposés aux rigueurs d'une exécution .
DE VIENNE , le premier Août .
Un Officier dépêché par le Prince Charles de
Lorraine , a apporté dix drapeaux pris fur les
Pruffiens à Gabel & à Zittau . Cette derniere Ville
qui eft de la Luface , & fous la domination du
Roi de Pologne Electeur de Saxe , a beaucoup
fouffert des bombes & des boulets rouges. Plu
fieurs édifices publics ont été détruits . Un grand
nombre de maiſons ont été renversées , ou réduites
en cendres. La néceffité de ruiner divers magazins
, que les ennemis avoient dans la place ,
s'eft oppofée aux ménagemens qu'on auroit defiré
d'avoir pour les habitans. Lorfque les troupes de
l'Impératrice Reine fe font emparées de la Ville ,
il n'y reftoit plus qu'environ quatre cens foldats.
Le refte de la garnifon avoit trouvé le moyen
d'en fortir , & de fe retirer au camp du Prince
de Prufle.
OCTOBRE . 1757. 175
Dès le mois d'Avril dernier , le Fifcal de l'Empire
avoit demandé qu'on citât les Magiftrats de
Francfort , pour n'avoir pas fatisfait dans le temps.
preferit aux Avocatoires Impériaux. Le Confeil
Aulique rendit il y a quelques jours un Décret ,
qui ordonne à ces Magiftrats de répondre dans le
terme de deux mois fur l'objet de cette citation .
Le Chevalier Robert Keith , ci- devant Miniftre
plénipotentiaire du Roi de la Grande - Bretagne
auprès de Leurs Majeftés Impériales , vient de
reprendre la route de Londres.
Le Comte de Stainville , nouvel Ambaffadeur
de France auprès de cette Cour , arriva ici le 20
d'Août. Le 24 , il eut fes premieres audiences
particulieres de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine. Leurs Majeftés Impériales font parties
pour Hollitſch , où elles doivent paffer quelques
jours. Elles ont reçu au fujet de deux actions qui
fe font paffées le 13 & le 14 en Siléfie , une Relation
dont voici l'extrait.
Pendant plufieurs jours les Pruffiens n'avoient
fait aucun mouvement. Le 13 , un Caporal , qui
étoit en fauve-garde à Gimansdorff , vint donner
avis qu'ils s'avançoient en force . Auffi - tôt le Colonel
Jahaus doubla toutes fes gardes avancées.
Il fit en même temps plier les tentes & charger le
bagage . On avoit lieu de croire que le deffein des
ennemis étoit de furprendre Landshut , & de nous
contraindre d'abandonner la Siléfie. Ainfi il falloit
prendre une réſolution d'autant plus vigoureuſe ,
qu'on devoit s'attendre à être attaqué par la
droite & par la gauche. Les Pruffiens firent diverfes
feintes , pour engager le Colonel Jahnus à
quitter fa pofition ; mais il fe contenta de faire
manoeuvrer fon avant-garde . Sur les dix heures &
demie du foir , il fit donner l'alarme au camp
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
ennemi par cinquante Volontaires . Ce détache
ment y caufa d'abord tant de défordre , que les
Pruffiens firent feu les uns fur les autres , & qu'il
fe paffa plus d'une demi-heure avant qu'ils puffent
fe reconnoître. On leur enleva trente chevaux ,
& cent déferteurs fe rendirent à notre camp. Le
lendemain à la pointe du jour , on s'apperçut que
les ennemis avoient changé de pofition . Leur Infanterie
s'étoit avancée jufqu'au fauxbourg de
Landshut , & formoit un bataillon quarré . La
nôtre commença à donner par petits pelotons.
Quatre de nos pieces de campagne incommodant
confidérablement les Pruffiens , ils fe replierent
fur leur gauche. Leur premiere attaque fut contre
un bois , où le Capitaine Lakupith étoit avec un
bataillon de Warafdins. Cette attaque fut trèsvive
, & foutenue du feu de feize pieces de canon.
Le fieur Lakupith tint ferme pendant une heure ;
mais il fe vit enfin dans la néceffité de céder au
nombre , & il rejoignit le gros de nos troupes.
Alors l'action devint générale. Les ennemis , vu
la fupériorité de leurs forees , pouvoient déborder
notre droite . Pour remédier à cet inconvénient ,
le Colonel Jahnus avoit couvert de ce côté fon
flanc par plufieurs abattis d'arbres , & y avoit éta
bli deux batteries. Après un combat très- long &
très-opiniâtre , dans lequel notre artillerie chargée
à cartouches fit beaucoup de ravage parmi les
troupes ennemies , les Pruffiens fe retirerent avec
précipitation. Nos troupes les pourſuivirent à
droite au-delà de Reichenau , & à gauche pardelà
Richebanck. Elles fe font emparées de fix
pieces de canon , dont une de quatre livres de
balle , & les autres de trois. On a pris auffi une
grande quantité d'autres armes , plufieurs tambours
, un charriot & deux caiffons de munitions.
OCTOBRE . 1757. 177
Les Pruffiens compofoient un corps d'environ
huit mille hommes , & étoient commandés par le
Général Creutzer . Trois jours après l'action , on
n'avoit pu encore enterrer tous leurs morts. Ils
ont perdu trois milles hommes , en y comprenant
les déferteurs & quatorze cens prifonniers. Parmi
ces derniers , on compte dix-fept Officiers , dont
un eft mort le 16 de fes bleffures . Du côté des
troupes de l'Impératrice Reine , il n'y a eu que
dix-fept hommes tués , quatre- vingt- un bleffès ,
deux faits prifonniers , deux chevaux tués , & deux
autres pris. Da nombre des morts font les fieurs
Ummerhoffer & Liczeni , Capitaines dans les Régimens
de Saint-Georges & de Gradiska. Le Baron
de Jahnus a eu un cheval tué fous lui d'un boulet
de canon. Ce Colonel mande qu'il a fait
occuper
de nouveau les hauteurs de Zeifchenberg auprès
de Freyberg.
DE PRAGUE , le 30 Juillet.
Le 23 de Juillet , le Comte de Nadafty s'avança
de Leitmeritz à Levin . Un détachement de fes
troupes , commandé par le Comte de Draskowitz,
Major général , a fait prifonniers à Schrekenſtein
un Major , un Capitaine , fix autres Officiers , &
deux cens vingt foldats. Mille Pruffiens qui étoient
dans Tetſchen , ont abandonné ce pofte .
L'armée de l'Impératrice Reine marcha le 25
en avant. L'aile gauche a paffé la Neiff , ainfi
qu'avoit fait l'aile droite. Le corps de réſerve eft
refté à Ullersdorff , pour affurer la communication
avec la Boheme. Le Prince Charles de Lorraine
& le Feld-Maréchal Comte de Daun , ont
détaché un nouveau corps de troupes vers la
Siléfie.
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
DE DRESDE, le 31 Août .
·
Le Colonel Laudon continue d'inquiéter les
Pruffiens. Ces jours derniers il marcha avec
foixante Huffards à Liefnig , où il y avoit cinquante
hommes. Ils fe retirerent à ſon approche ,
& il les pourfuivit jufqu'à Querbitz . S'y voyant enveloppés
, il fe jetterent dans une maifon , d'où
ils firent un feu très- vif. Les Huffards mirent pied
à terre , attaquerent la maifon , & obligerent le
dêtachement ennemi de fe rendre à difcrétion.
DE FRANCFORT , le 3 Août.
Avant-hier, M. le Prince de Soubize vint en cette
Ville. Il fut falué par le canon des remparts , &
complimenté par une députation des Magiftrats ,
qui lui préfenta le vin d'honneur. Le foir , il re
tourna à Hanau. La Gendarmerie de France , qui
eft de l'armée de ce Général , s'avance vers ces
quatiers, Le corps de Fifcher doit être entré actuellement
dans la Turinge.
Les troupes de l'Empire
continuent
de s'affembler
entre Furth & Farrenbach
. On ne croit pas
qu'elles puiffent être réunis avant le 7 ou le 8 du
mois de Septembre.
On écrit de Minden , que M. le Maréchal- Duc
de Richelieu y a fait entrer un régiment Suiffe ,
pour renforcer la garn fon , & que M. le Marquis
de Berville, Maréchal de Camp, qui y commande,
fait réparer les fortifications de cette Place.
DE HAMBOURG , le 26 Août.
Quatre Vaiffeaux de guerre Anglois , & deur
Frégates de la même Nation , mouillerent hier à
l'embouchure de l'Elbe près d'Oldinbroek. Ces
OCTOBRE . 1757.
179
Bâtimens doivent remonter le fleuve jufqu'à Stade,
afin d'embarquer les effets retirés de Hanovre.
Les lettres de Siléfie marquent que le 15 du mois
d'Août le Colonel Jahnus a remporté un avantage,
confiderable fur un Corps de cinq mille Pruffiens .
Selon les avis reçus de Koniſberg , le Général Sibilski
, commandant les troupes légeres du Roi de
Polongne Electeur de Saxe , eft entré en Pruffe
avec ces troupes par le Palatinat de Trock. On
mande de Petersbourg , que le Chevalier Douglas
, qui a été chargé des affaires de Sa Majeſté
très-Chrétienne auprès de l'Impératrice de Rufke ,
doit reprendre inceffamment la route de Paris.
DE HANOVRE , le 10 Août.
Suivant la répartition des contributions , auxquelles
cet Electorat eft taxé , la Principauté de
Ĉalemberg doit fournir un million quatre-vingt
mille rations de foin , chacune du poids de dixbuit
livres ; trente- trois mille facs de froment ,
une pareille quantité de feigle , & autant d'avoine
, chaque fac pefant deux quintaux . La Principauté
de Grubenhagen fournira cent mille rations
de fourrage , & la Ville de Gottingen donnera
vingt-quatre mille facs , tant de froment & de
feigle que d'avoine . Ces livraifons doivent être
faites en deux termes , fçavoir une moitié avant le
premier du mois de Septembre , l'autre moitié
avant le premier Octobre , fous peine d'exécution
militaire.
Le ,, vers les dix heures du matin , un détachement
de Grénadiers de France vint prendre
poffeffion des portes de cette Capitale. Peu après ,
M.le Duc de Chevreule, nommé pour commander
ici , entra dans la Ville avec les troupes , qui doi-
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
vent en compofer la Garnifon . Celle de l'ancienne
Garnifon ont été défarmées , & on leur a permis de
fe retirer au bon leur fembleroit . MM . le Duc de
Chevreule , & le Marquis de Saint- Pern qui commande
fous lui , ont pris leurs logemens , le premier
à l'Hôtel du Baron de Dieden , Miniftre
d'Etat , le fecond chez le Comte de Kielmanfegg.
Après le dîner, MM . le Duc de Chevreufe & le Mar
quis de Saint- Pern fe promenerent à cheval dans
les rues , pour raffurer les habitans . Ces Lieutenans
- Généraux leur déclarerent que la Bourgeoi-
He devoit être parfaitement tranquille , & que ,
s'il arrivoit à des Soldats de commettre quelques
excès , on en feroit fur le champ une punition
exemplaire.
Brunswic & Wolfenbuttel ont ouvert leurs
portes aux François. Un Détachement des troupes
de cette Nation vient d'occuper auffi Zell . M.
le Maréchal Duc de Richelieu fe diſpoſe à paffer
la Leine , pour s'approcher de l'Electorat de
Brandebourg. On prépare à Hambourg , à Altena
, & dans quelques autres Villes voifines
foixante mille paires de fouliers , & vingt- deux.
mille paires de bottes , pour l'armée de Sa Majefté
Très Chrétienne. M. le Duc de Chevreuse qui
commandoit ici avant l'arrivée du Général , voulant
prévenir tout ce qui pourroit y troubler la
tranquillité publique , a exigé que tous les Bourgeois
dépofaffent leurs armes à l'Hôtel de Ville.
Une indifpofition a obligé M. le Duc d'Orléans
de fe rendre à Aix - la-Chapelle , pour y prendre
les eaux.
L'armée du Duc de Cumberland est toujours
campée à Ferden , Ville Capitale du Duché de ce
nom. Ce Prince fait travailler à applanir les rouses
qui conduifent de-là à Stade , & à en pratiOCTOBRE
. 1757. 181
quer de nouvelles à travers des bois dont le pays
eft entrecoupé.
M. le Maréchal Duc de Richelieu vient de recevoir
un courier de M. le Comte de Beauffobre ,
Maréchal de Camp , commandant le blocus de
Gueldre , avec nouvelle que le Gouverneur de
cette place demandoit à capituler & à fortir , lai
& fa garnifon , avec les honneurs de la guerre.
Notre Général a approuvé cette difpofition , &
en conféquence cette Garnifon doit être renvoyée
à Berlin par la route de Cologne & de Francfort.
DU CAMP D'INSTERBOURG , le 1 z Août.
L'armée de l'impératrice de Ruffie campa le
deuxd'Août près de Scaluponen. Il y eut le même
jour une efcarmouche entre l'avant - garde de cette
armée & un détachement de Huffards Pruffiens.
La perte fut à peu près égale de part & d'autre. Le
4 , le Feld- Maréchal Apraxin s'avança jufqu'à .
Buduponen. Il marcha le 6 à Gumbingen , où il
laiffa repofer les troupes pendant deux jours . La
nuit du 7 au 8 , le Colonel Malachowsky s'étant
avancé avec quelque Cavalerie du Roi de Pruffe ,
pour reconnoître notre camp , cer Officier fut
chargé dans fa retraite. De chaque côté , il y eut
environ trente hommes tués ou bleffés . Le 9 l'armée
ne fit qu'une marche de deux milles . Sur l'avis
que le Général Biaden venoit à nous avec dix-
Efcadrons tant de Dragons que de Huffards , on
envoya contre lui un détachement de Cavalerie
légere. Les deux troupes fe rencontrerent près de
Gerwiskene. A l'approche du détachement Ruffien
, le Général Bladen fe pofta dans le bois de
Piczkemsky . On attaqua les ennemis malgré leur
pofition avantageufe , & on les délogea du bois,
182 MERCURE DE FRANCE.
Ils perdirent cinquante- deux hommes , & nous flmes
vingt-fept prifonniers. Avant- hier , le Feld-
Maréchal Apraxin affit fon camp 3 peu de
diſtance de l'endroit , où cette action s'étoit paffée.
Quelques efpions ayant rapporté qu'un corps
d'Infanterie & de Cavalerie Pruffienne fe formoit
en bataille dans la plaine , on fe mit en marche
vers les dix heures du foir , pour attaquer cette
tête de troupes ennemies. Dès qu'elle fut informée
de notre mouvement , elle fe replia fur le camp
du Feld-Maréchal de Lehwald. Hier , nous continuâmes
de nous porter en avant. Nous fumes
joints par la divifion du Général Fermer , & nous
vînmes camper fous Infterbourg , dont les Magiftrats
ont apporté les clefs au Feld - Maréchal
Apraxin. Ce Général a envoyé des détachemens
dans les Bailliages de Centwallen , de Dittlacken ,
de Naffaven , de Caffouben & de Frackenen. Il a
mis des Garnifons à Schwarpelen , à Trezacken ,
à Cubarthen , à Sodargen , à Plathen , à Dorskabnen
& dans Althoff. On apprend que le Général
Sibilsky avec les troupes légeres du Roi de Pologne
Electeur de Saxe, a pénétré jufqu'à Oletsko .
DU CAMP DU PR. CHARLES DE LORRAINE,
le 17 Août.
Un corps de Bannaliſtes , de Lycaniens & d'Oguliniens
, commandé par le Colonel Laudon ,
ayant paffé l'Elbe , a pénétré en Saxe , & a pris
pofte à Hellendorff. Sur l'avis que le Général
Itzemplitz étoit à Gottluben avec un détachement
des troupes de Pruffe , le Colonel Laudon y marcha
le 8 d'Août. Ayant mis en fuite quelques
Gardes avancés , il attaqua les ennemis , quoique
couverts d'un triple retranchement. Cette atOCTOBRE.
1757. 183
taque fe fit avec tant de vivacité & de fuccès ,
qu'ils furent contraints d'abandonner leurs lignes,
& même la Ville , où ils ont laiffé trois canons de
douze livres de balle & une piece de campagne.
Dans leur retraite , qu'ils firent en un fort grand
défordre , ils furent joints par trois bataillons de
Grenadiers , qui vinrent de Gishubel à leurs fecours.
Alors ils fe rallierent , & le Colonnel Laudon
fe retira. Il a conduit à Hellendorff la piece
de campagne , dont il s'eft emparé. Faute de chevaux
, il n'a pu emmener les trois autres canons.
On a pris les équipages & tous les domestiques du
Général Itzemplitz . La perte des Pruffiens eft eftimée
à cinq cens hommes , en y comprenant les
prifonniers & les déferteurs. Plus de cent de ces
derniers fe rendirent à Hellendorff le jour même
de l'action . Le Colonel Laudon mande au Prince
Charles de Lorraine , que les Officiers , qui fe
font le plus diftingués à l'attaque des retranchemens
, font les fieurs d'Ofchen , Stupiniany
Jegerman , Meffig , Rollag , Millnoufnick ,
Berzinger , Gerlichib & Juftini.
Il arriva le 9 à l'armée du Roi de Pruffe un convoi
de mille charriots chargés de farine & de munitions
de guerre. Le 13 , le Feld-Maréchal Keith
décampa de Tumitz , & fe rendit avec les troupes
au camp que le Prince de Brunſwic - Bevern occupoit
ci-devant près de Baudiffin. Il fe porta le 14
à Hochkirchen. Avant hier , le Roi de Pruffe &
ce Général , ayant réuni leurs deux armées , maxcherent
à Bornstadt . Sa Majeſté Pruffienne s'avança
hier jufqu'aux environs de Hirschfeld . Le
Prince Charles de Lorraine a fait de fon côté un
mouvement , moyennant lequel nous ne fommes
féparés des ennemis que par le village de Witgendorff.
Toute la nuit , on s'eft canonné très - vive.
184 MERCURE DE FRANCE.
ment de part & d'autre. Aujourd'hui , les Pruffiens
ont attaqué le village de Witgendoff à deux
différentes reprifes , mais on les a repouffés.
Ils font tranfporter à Baudiffin une grande quantité
de paliffades. On dit que l'Officier Général ,
qui y commande a ordonné aux habitans ,
en cas d'alarme , non feulement de s'enfermer
dans leurs maifons , mais même de ne point regarder
par les fenêtres , & qu'il a défendu à tous
ceux qui ne font point Gentilshommes , de porter
l'épée.
>
Les avis de Siléfie portent que le Colonel Jahnus
s'eft porté de Hohenfriedberg dans les environs
de Landshut , afin de mettre la garniſon de cette
ville à l'abri des entrepriſes des ennemis . Le Prince
Charle de Lorraine a envoyé à cette Officier
un renfort d'Infanterie & de Cavalerie légere ,
avec quelques pieces d'artillerie de campagne.
Par une convention faite depuis peu entre l'Impératrice
Reine & l'Electeur de Baviere , il a été
ftipulé que tous les foldats , qui ont défesté de
part & d'autre avant le premier d'Août , pour
s'engager au fervice de l'une ou de l'autre Puiffance
, peuvent demeurer dans les corps où ils ont
pris parti ; mais que ceux qui déferteront à
l'avenir , feront punis fuivant la rigueur des loix
militaires.
DU CAMP DE VALLE , le premier Septembre.
Les ennemis gardant toujours leur poſition entre
Rothembourg & Otterberg , M. le Maréchal
Duc de Richelieu s'étoit determiné à les y attaquer.
Le 30 d'Août , il fit partir M. le Marquis
de Monteynard , pour s'approcher de leur
camp , & pour reconnoître le pays. Ce Maréchal
1
OCTOBRE . 1757 .
185
de Camp avoit fous fes ordres vingt Compagnies
de Grenadiers , quatre troupes de Carabiniers ,
deux de Cavalerie , un Détachement des Volontaires
de Flandre & de Haynault , & quatre pie.
ces de canon. Il fe porta fur Everfen à quatre
lieues environ de Werden , & il découvrit le camp
des ennemis encore tendu à un quart de lieue audelà
de Rothembourg. La Brigade d'Alface avoit
marché en même temps à Walle , pour foutenir
le détachement de M. le Marquis de Monteynard,
qui fut joint auffi à Everfen par trois cens Dragons
aux ordres de M. le Marquis de Caraman , que
M. le Marquis de Guerchy , campé à Withoé, avoit
envoyés fur la droite d'Everfen .
M. le Marquis de Monteynard employa la journée
du 30 à reconnoître le pays qui étoit deyant
lui , & à examiner les bords de la Wurm . II
fut inquiété par quelques Huffards & quelques
Chaffeurs fortis de Rothembourg , qui firent le
coup de fufil contre fes poftes avancés . Ayant
paflé la nuit en bataille , il s'avança le lendemain
à la pointe du jour fur le Village de Wderſchled ,
d'où il déboucha & marcha en colonne juſqu'à
une lieue de Rothembourg fur le grand chemin
ayant des marais à droite & à gauche. Alors il
s'apperçut que les ennemis avoient fait décamper
le centre de leurs lignes , & qu'ils n'avoient laiſſé
que des Détachemens dans les Forts de Rothembourg
& d'Otterberg. Comme on avoit lieu de
croire que ces Détachemens n'étoient reftés que
pour favorifer la retraite de leur armée , le Marquis
de Monteynard envoya fur le champ fommer
les deux Commandans. Ils répondirent qu'ils
avoient ordre de fe défendre . M. le Marq . de Monteynard
en informa le Maréchal de Richelieu ,
qui s'étoit déja mis en marche pour le joindre , &
186 MERCURE DE FRANCE.
qui fur cet avis envoya chercher quarante Compagnies
de Grenadiers de l'armée , tous les Gre
nadiers Royaux , les Carabiniers , & douze pieces
de canon d'augmentation.
Afept heures du matin , M. le Maréchal arriva
devant Rothembourg , qu'il alla reconnoître luimême.
On lui tira quelques coups de canon du
Fort , derriere lequel on voyoit une colonne d'Infanterie,
dont on ignoroit la force. M. le Maréchal
fit fes difpofitions , pour entourer le pofte de
droite & de gauche , & pour faire rétablir ſur la
Wurm les ponts que les ennemis avoient rompus.
En même temps , il fit paffer fur une éclufe
douze compagnies de Grenadiers, commandées par
M. le Comte de Wurmfer. Les ennemis , les ayant
apperçues , craignirent d'être coupés , & ils évacuerent
le Fort. Leur appréhenfion étoit d'autant
plus fondée , que M. le Marquis de Caraman avoit
déja paffé par fa droite une partie des marais &
une branche de la Wurm avec les Dragons de fon
Régiment. On vint avertir nos Sentinelles de la
retraite précipitée des ennemis. Mais il ne fut pas
poffible de s'y oppofer , parce qu'il n'y avoit dans
le voisinage aucun gué praticable , & que tous les
ponts fur la Wurm étoient rompus. D'ailleurs on
ne peut arriver à Rothembourg que par une feule
chauffée , & de tous côtés ce pofte eft environné
de marais.
M. le Maréchal de Richelieu fit occuper un des
Fauxbourgs de la Ville par quelques Compagnies
de Grenadiers , en attendant que le pont du Fort
fût rétabli . Les ennemis ont laiffé dans ce Fort
dix-fept pieces de canon de fer enclouées , dont
ils ont brifé les affûts . Quoique ce foit un pofte
très avantageux , qu'il étoit aifé de défendre longtemps,
on n'y a trouvé aucune forte de munitions.
OCTOBRE . 1757. 187
Pendant que le M. Maréchal de Richelieu s'étoit
avancé à Rothembourg, M. le Duc de Broglie avoit
marché avec la réſerve à Baffant , pour déboucher
fur Otterberg. Le Commandant de ce Fort avoit
fait tirer quelques coups de canon à cartouches fur
des Officiers & des Grenadiers , qui étoient allés
le reconnoître. Ayant été fommé de fe rendre , il
fit réponſe qu'il étoit dans l'intention de foutenir.
P'attaque . En conféquence il fit rompre les ponts
qui étoient dans cette partie. Mais M. le Duc de
Broglie ayant fait paffer des Grenadiers au gué , &
ayant fait la même manoeuvre que le Maréchal de
Richelieu avoit fait à Rothembourg , le Commandant
fe retira avec précipitation , laiffant
feize pieces de canon dans le Fort.
Hier , toute l'armée fe rendit de Werden à
Walle , où elle eft campée fur deux lignes . M. le
Marquis de Monteynard s'eft porté environ à trois
lieues en avant de Rothembourg . Les ennemis fe
font d'abord retirés à Gilhum . Leur pofition entre
Otterberg & Rothembourg , qui font des poftes
de la plus grande importance , étoit fi avantageufe,
qu'on eft fort furpris qu'ils l'aient abandonnée
fi précipitamment.
Ils étoient entourés à Gilhum de marais impraticables
, & ils avoient rompu la chauffée qui
étoit le feul chemin par lequel on pût y arriver.
Cependant ils ont levé leur camp avant le jour.
Ils continuent leur retraite fur Stade, & ils ont fait
une marche forcée de fix lieues . La tête de nos
détachemens a pouffé jufqu'à une demi-lieue au
de-là de Gilhum.
188 MERCURE DE FRANCE.
DU CAMP DE CLOSTER- SEVEN ,
les Septembre.
Le 3 du même mois , M. le Maréchal de Richelieu
apprit que les ennemis étoien impés à Emerfem,
& partit d'Otterberg avec tous les Grenadiers
qui étoient à Rothembourg , & avec la Brigade
d'Alface , pour fe porter à Clofter- Seven. Il manda
à M. le Duc de Broglie , de venir l'y joindre avec
fa réſerve , & cependant il pouffa en avant M. le
Marquis de Poyanne avec un détachement de
Carabiniers & de troupes légeres.
Le 4 au matin , fur l'avis que les ennemis
avoient décampé , il fe porta au détachement de
M. le Marquis de Poyanne , & fit attaquer pat
MM les Comtes de Berchiny & de Chabot , &
par deux cens Dragons à pied du Régiment d'Harcourt
, le village de Bevern qui fut emporté. Les
ennemis ayant alors fait avancer un corps confidé .
rable de troupes , le détachement de M. le Marquis
de Poyanne eut ordre de fe replier vers le village
de Selfen. Pendant ce temps , une colonne d'Infanterie
de quinze cens Heffois , commandée par
Je fieur de Saftro , qui pourfuivoit M. le Marquis
de Poyanne avec plufieurs troupes de Cavalerie ,
fut arrêtée par le feu de douze compagnies de
Grenadiers, commandées par le Prince de Chimay
qui avoient été embufquées dans un bois avec
quatre pieces de canon . Les Grenadiers de Chabot
chargerent la tête de cette Infanterie , qui fe retira
fort en défordre , & fut pourfuivie par les Volonsaires
du même corps & par les Huffards.
OCTOBRE.
1757 .
189
PAYS - BAS.
DE
BRUXELLES , le 26 Août.
Par des lettres de Bohême du 11 d'Août , on a
été informé d'une
expédition du Colonel Laudon.
Le 8 du même mois , cet Officier qui étant entré
en Saxe avec un Corps de
Bannaliftes , de Lycaniens
&
d'Oguliniens , a pris pofte à
Hellendorff ,
attaqua la petite Ville de Gottluben , où le Général
Itzemplitz étoit avec un
Détachement des
troupes
Pruffiennes. Les ennemis ont été contraints
d'abandonner ce pofte. Ils y ont laiffé
quatre canons , dont trois de douze livres de
balle. On s'eft emparé de tout le bagage du Général
Itzemplitz , & l'on a pris tous les domeftiques.
Du côté des
Autrichiens , il n'y a eu que
onze hommes tués , & foixante - deux bleffés . Six
Officiers font du nombre des derniers.
Un Officier du Régiment de Los Rios arriva
içi le 23 du mois d'Août , avec la nouvelle que la
garnifon de Gueldres avoit capitulé le 22 , & que
La Place devoit être remife le
lendemain aux
troupes de l'Impératrice Reine.
Voici l'extrait des lettres de l'armée de l'Impé
rátrice Reine , datées du 20 Août : « Le 18 , les
» ennemis
travaillerent à établir fur les hauteurs ,
» qui font à la droite & à la gauche de la Neiff ,
» plufieurs batteries dont chacune
paroiffoit être
» de quinze à vingt pieces de canon .
Cependant
» les deux armées
demeurerent dans la même
D
fition fur la gauche de la riviere. Les Pruffens
po-
»
continuerent le 19
l'établiffement de leurs batteries.
Il
paroiffoient méditer quelque entre-
‣ priſe
d'importance , & fur le foir ils
marquerent
190 MERCURE DE FRANCE.
» devant le front de leur camp un terrein , comme
» s'ils avoient deffein de s'y former en bataille.
>> Leur projet étoit fort différent . Pendant la nuit ,
» ils firent partir d'avance tout ce qui pouvoit les
» embarraffer dans leur retraite , & aujourd'hui
» 20 , ils font décampés avant le jour , marchant
»` vers Oftritz. Nos troupes légeres font à leur
» pourfuite. »
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LB16 B 16 d'Août , M. le Comte de Beftuchef , Amballadeur
Extraordinaire de l'Impératrice de Ruffie
, eut audience de Madame la Dauphine , de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de Monfeigneur
le Duc de Berry , de Monfeigneur le
Comte de Provence . Il y fut conduit par le fieur
de la Live , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le Roi alla le même jour ſouper à Montrouge
chez M. le Duc de la Valliere.
Le Roi ayant écrit à M. l'Archevêque de Paris ,
pour faire rendre à Dieu de folemnelles actions
de graces , à l'occafion de la victoire remportée
à Haftembecke , on chanta le 14 du même mois
dans l'Eglife Métropolitaine de cette Ville le Te
Deum, auquel M. l'Abbé de Saint- Exupery, Doyen
du Chapitre , officia. M. le Chancelier de France ,
accompagné de plufieurs Confeillers d'Etat &
Maîtres des Requêtes , y affifta , ainfi que le Cler
gé , le Parlement , la Chambre des Comptes ,
La Cour des Aides , & le Corps de Ville , qui y
OCTOBRE. 1757. 191
avoient été invités de la part
du Roi par M. de
Gifeux , Maître des Cérémonies .
On tira le même jour dans la Place de l'Hôtel
de Ville , par ordre de MM. Ics Prevôt des Marchands
& Echevins , un feu d'artifice , dont l'exé
cution ne laiffa rien à defirer.
Au feu d'artifice fuccéda une magnifique illu
mination , tant à la façade de l'Hôtel de Ville ,
que dans l'enceinte de la Place. Il y eut auffi de
très-belles illuminations aux hôtels de M. le Duc de
Gefvres & du Prevôt des Marchands , & des maifons
des Echevins & des principaux Officiers de
l'Hôtel de Ville. Des fontaines de vin coulerent
dans la Place de cet Hôtel , de même que dans
celle de Louis XV , & l'on y diftribua du pain
& des viandes au peuple. On y avoit mis des orcheftres
, & le peuple témoigna fon alégreffe
par fes danfes pendant la plus grande partie de
la nuit.
Le 15 Août , Fête de l'Affomption de la Sainte
Vierge , la Proceffion folemnelle qui ſe fait tous
les ans à pareil jour en exécution du voeu de
Louis XIII , fe fit avec les cérémonies accoutumées.
M. l'Abbé de Saint-Exupery y officia. Le
Parlement , la Chambre des Comptes , la Cour
des Aides , & le Corps de Ville , y affifterent.
Dans l'affemblée générale que le Corps de
Ville tint le 16 , MM. Brallet & Vernay y ont
été élus Echevins.
Un Paylan , travaillant dans fon champ , à
deux lieues de Toulon , a découvert une cavité ,
par laquelle à la faveur d'une corde il eft defcendu
dans une grotte extrêmement profonde . Plufieurs
perfonnes depuis ont vifité cette grotte. On
y voit diverfes fortes de plantes & de fruits pétrifiés
, & des pierres tranfparentes de toutes cou192
MERCURE DE FRANCE.
leurs. L'extrême fraîcheur qu'on y éprouve , ne
permet pas de s'y arrêter longtemps.
On mande de Manfeille , que le 21 Août un
Navire François , venant de Smirne , ayant été
chaffé pendant deux jours par un Vaiffeau de
guerre Anglois , de 74 canons , a été obligé de
fe jetter fur la côte de Sardaigne , où il s'eft
amarré à terre. Les ennemis fans égard pour une
côte neutre , ont continué de canonner le bâtiment
, dans la vue de le couler à fond. Impatiens
de le détruire , ils ont envoyé leurs Chaloupes
avec cent cinquante hommes , pour y
mettre le feu ; ce qu'ayant exécuté , ils ont affailli
l'équipage François qui n'avoit ofé s'éloigner du
rivage. Ils ont tué cinq hommes , en ont bleffé
plufieurs , & ont dépouillé fans aucune diſtinction
matelots & paffagers.
Le Comte de Starhenberg , Confeiller d'Etat ,
Chambellan de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme , & Ambaſſadeur
de Leurs Majeftés Impériales , a eu fa premiere
audience particuliere du Roi , dans laquelle
il a préfenté à Sa Majefté fes Lettres de Créance.
Il a été conduit à cette audience , ainfi qu'à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monseigneur le
Duc de Bourgogne , de Monfeigneur le Duc de ;
Berry , de Monfeigneur le Comte de Provence ,
de Madame & de Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , par M. de la Live , Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le 24 d'Août , les Députés des Etats de Langue
doc eurent audience du Roi . Ils furent préfentés
par M. le Comte d'Eu , Gouverneur de la Province ,
& par M. le Comte de Saint- Florentin , Miniftre &
Secretaire d'Etat , & conduits par M. de Gizeux
Maître de Cérémonie en furvivance, La
OCTOBRE . 1757. 193
Le 21 d'Août , M. le Marquis de Paulmy , Miniftre
& Secretaire d'Etat ayant le Département
de la Guerre , & Grand Croix Chancelier Garde
des Sceaux de l'Ordre de Saint Louis , fut reçu
Chevalier des Ordres Royaux , Militaires & Hofpitaliers
de Notre - Dame du Mont - Carmel , & de
Saint Lazare de Jérufalem. M. le Comte de Saint
Florentin , Miniftre & Secretaire d'Etat , Gérent
& Adminiftrateur de ces Ordres , fit la cérémonie
dans l'appartement & en préfence de Monfeigneur
le Duc de Berry , Grand- Maître. Enfuite
M. le Marquis de Paulmy prêta ferment pour la
dignité de Chancelier Garde des Sceaux desdits
Ordres . Les Grands Officiers & plufieurs Chevaliers
affifterent à cette cérémonie .
Le Corps de Ville alla le 25 d'Août à Verſailles
, & il eut audience du Roi . Il fut préſenté à
Sa Majefté par M. le Comte de Saint-Florentin ,
Miniftre & Secretaire d'Etat , & conduit par le
fieur de Gizeux , Maître des Cérémonies , en
furvivance. Les fieurs Brallet & Vernay , nouveaux
Echevins , prêterent entre les mains du
Roi le ferment de fidélité , dont M. le Comte de
Saint- Florentin fit la lecture , ainfi que du Scrutin
, qui fut préſenté par le fieur de Pomereu ,
Confeiller au grand Confeil.
Après cette audience , le Corps de Ville eut
l'honneur de rendre fes refpects à la Reine & à la
Famille Royale.
Le jour de la Fête de Saint Louis , la Procef
fion des Carmes du Grand Couvent , à laquelle
le Corps de Ville aflifta , fe rendit , felon la coutume
, à la Chapelle du Palais des Tuilerics ,
où ces Religieux chanterent la Meffe .
L'Académie Françoife célébra cette Fête dans
la Chapelle du Louvre. On exécuta un Motet
I.Vol. 1
194 MERCURE DE FRANCE.
pendant la Meffe , après laquelle le Panégyrique
du Saint fut prononcé par l'Abbé Rouveyre- Duplan
, Chanoine de l'Eglife de Valence.
La même Fête fut célébrée par l'Académie
Royale des Belles - Lettres , & par celle des Sciences
, dans l'Eglife des Prêtres de l'Oratoire . Le
Pere de Neufville , de la Compagnie de Jeſus ,
prononça le Panégyrique du Saint.
On célébra le de Septembre , dans l'Eglife de
l'Abbaye royale de Saint Denis , le Service folemnel
, qui s'y fait tous les ans pour le repos de
l'ame de Louis XIV. L'Evêque de Dol y officia
pontificalement. Le Comte d'Eu & le Duc de
Penthievre y affifterent , ainfi que plufieurs perfonnes
de diftinction .
Sur la démiffion que le fieur Peyrene de Moras
, Miniftre & Secretaire d'Etat ayant le Département
de la Marine , a donnée de la place
de Contrôleur Général des Finances , le Roi en
a difpofé en faveur du ficar de Boullongne. La
charge d'Intendant des Finances , qu'avoit le fieur
de Boullongne , paffe au fieur de Boullongne fon
fils , qui en avoir la furvivance .
Le Roi ayant jugé à propos de raſſembler fon
Parlement le premier Septembre , les Gens du Roi
entrerent aux Chambres affemblées , & y apporterent
l'ordre de Sa Majefté aux Préfidens du Parlement
aux quatorze anciens Confeillers de la
Grand'Chambre , & aux quatorze anciens Confeillers
des Enquêtes & Requêtes , de fe rendre
fur le champ à Verfailles pour recevoir les ordres ;
ce qui fut exécuté. Le Roi donna audience aux
Députés du Parlement , qui furent préfentés par
M.le Comte de Saint- Florentin , Secretaire d'Etat
ayant le Département de Paris , & conduits à l'ordinaire
par les Officiers des Cérémonies. Le Roi
OCTOBRE. 1757 195
lear dit que fon Chancelier alloit leur expliquer
fes intentions. Sur quoi M. de Lamoignon , Chancelier
de France , prit la parole , & dit :
« Les fentimens qui animoient vos prédécel
» feurs ne leur auroient pas permis de faire la dé-
» marche à laquelle s'eft portée la plus grande
» partie des Officiers du Parlement.
» Le Roi vous ordonne d'avoir toujours préfentes
les obligations que votre ferment vous impo-
» fe : nul motifne peut vous difpenfer de rendre la
» juftice que vous devez aux Sujets de Sa Majeſté.
Les Magiftrats , prépofés pour l'adminiftrer ,
» ne peuvent la refufer , fans être refponfables de
» tous les maux qui font la fuite néceſſaire de ce
> refus.
» Sur les témoignages répétés qui ont été don-
» nés à Sa Majesté de votre foumiffion & de votre
fidélité , Elle veut bien n'interroger aujourd'hui
D que vos coeurs , & chercher dans vos fenti-
> mens des motifs de confiance pour l'avenir .
>> Elle efface donc pour jamais le fouvenir de
» ce qui lui a déplu dans votre conduite paflée
> en regardant comme non-avenues toutes les démiffions
qui lui ont été données. Sa Majeſté vous
» a appris Elle-même par les Lettres qui vous ont
» été adreffées , qu'Elle veut bien conferver dans
>> leurs Offices tous ceux qui s'en étoient démis.
A l'égard de ceux de vos Confreres qu'Elle a
crudevoir éloigner pour des raifons particulieres,
» Sa Majefté , en les confervant dans leur état ,
»n'a pas encore fixé le temps de leur rappel .
» Quand le Roi fera obéi , quand vous aurez
» repris l'exercice entier de vos fonctions ordinaires
, & que Sa Majeſté ſera fatisfaite de la fa-
» geffe de votre conduite , Elle écoutera favorablement
vos inftances à cet égard.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
» Pour ce qui concerne la feconde déclaration ,
»le Roi defire que l'ufage en devienne auffi inutile,
qu'il l'avoit jugé néceflaire ; mais avant tout ,
» Sa Majefté ne refufera point d'écouter ce que
» fon Parlement croira devoir lui repréſenter fur
» cet objet . Elle veut que la fuppreffion ordonnée
» par fon édit du mois de Décembre dernier foit
» exécutée & Elle enverra à fon Parlement
>> une déclaration interprétative , à l'enrégiftre-
» ment de laquelle Elle vous ordonne de procéder
>> fans délai .
» Le Roi vous ordonne de reprendre vos foncntions
ordinaires : conformez - vous à les inten-
» tions.
» Sa Majeſté n'a rien tant à coeur que de faire
» régner dans fon Royaume le filence qu'Elle a
» préferit de part & d'autre ; & la paix qu'Elle
» defire depuis fi long-temps de voir rétablie.
Si Sa Majefté , par des raifons fupérieures , &
» dans la vue du bien général , a cru devoir s'éle-
» ver au deffus de regles ordinaires , fon Parle-
>> ment ne doit point en appréhender lesfuites pour
> l'avenir.
» Le Roi vous ordonne donc de faire exécuter
conformément aux
» fa premiere déclaration ,
>> Canons reçus dans le Royaume , aux Loix & aux
» Ordonnances.
» C'eſt en entrant dans ces vues , que vous de-
» vez toujours vous fouvenir qu'il eft des confidérations
de fagefle & de modération , ſur leſ-
» quelles vous devez régler vos démarches.
» Donnez vous - mêmes l'exemple du refpect que
» Sa Majefté veut qui foit rendu à la Religion & à
» fes Miniftres. C'eſt ainfi que vous ferez un ufa-
» ge légitime de l'autorité que le Roi a bien vou-
>> lu vous confier,
OCTOBRE . 1757. 197
» Que ces fentimens demeurent toujours gra-
» vés dans vos coeurs , & fouvenez - vous que
» votre Souverain vous traite en ce moment en
>> Pere » .
" Le lendemain 2 les Dépurés de retour rendirent
compte aux Chambres affemblées de ce qui
s'étoit paſſé à Verſailles ; & les Officiers du Parlement
, qui avoient donné l'année derniere la démiffion
de leurs Offices , ayant déclaré qu'ils en
reprenoient les fonctions , le Parlement procéda
à l'enrégiftrement de la déclaration interprétative
de l'Edit du mois de Décembre dernier , & arrêta
une députation pour remercier le Roi , & pour
lui demander le retour de fes Confreres , qui font
éloignés par des ordres particuliers.
Le Roi a reçu le 3 Septembre cette députation ,
& a fait aux Députés la réponſe fuivante.
« Je reçois avec fatisfaction les témoignages que
> vous venez de me donner de votre zele , de votre
» fidélité & de votre foumiffion à mes volontés.
>> Jouiffez du bonheur de plaire à un Maître qui
» vous aime , & de l'avantage de contribuer au
>> bien de mes sujets , en rempliffant vos devoirs.
» Achevez de répondre aux vues & aux inten-
» tions que je vous ai fait connoître pour le ré-
» tabliffement de la Paix , & je ne tarderai pas à
» réaliſer les espérances que je vous ai données
par rapport à ceux de vos Confrères , dont vous
» follicitez le retour . ,
» Ayez une entiere confiance en més bontés :
> fi vous pouviez en douter , vous cefferiez d'en
» être dignes ».
Le 5 Septembre , les Chambres affemblées ont
rendu un Arrêt , pour faire exécuter la Déclarátion
du 10 Décembre dernier , concernant les affaires
de l'Eglife , & ce conformément aux explica
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
tions portées aux réponses du Roi.
Elles ont auffi chargé le premier Préfident , &
deux Préfidens , de fe rendre à Choify , pour remercier
de nouveau le Roi , & l'affurer de l'entiere
confiance du Parlement dans les bontés de Sa
Majesté .
Le Roi a répondu en ces termes à cette derniere
députation : « Je crois que je puis compter fur les
» nouvelles affurances que vous donnez de votre
foumiffion & de votre zele , par la promptitude
» avec laquelle vous m'avez obéi , par la reconnoiffance
refpectueufe dont vous êtes pénétrés ,
»& par votre confiance dans ma Pertonne.
» Continuez à remplir vos fonctions avec cet
» eſprit de paix , de fageſſe & de modération , que
» je vous ai fi ſouvent & très - expreffément recom-
> mandé.
Vos Confreres vous feront rendus pour la
Saint-Martin ; & je vous difpenfe de me donner
à leur égard de nouveaux témoignages de
la reconnoiffance que vous devez à mes bontés .»
On avoit, dès le sau matin, enrégiftré la commiffion
pour la Chambre des Vacations , qui fera
tenwe par quatorze Conſeillers de la Grand Chambre
, & douze Confeillers des Enquêtes. M. Turgot
, Préfident du Parlement , eft nommé par le
Roi poury préfider.
Le Roi a tenu le Sceau pour la douzieme &
treizieme fois.
Madame Ducheffe de Parme arriva d'Italie à
Choify le 3 de Septembre , & à Versailles le 4.
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont reçu cette.
Princeffe avec les démonftrations de la plus vive
endreffe. 1
Le Roi fe rendit le 4 à Choify , avec Madame
Ducheffe de Parme & Mefdames de France.
OCTOBRE . 1757. 199
Le même jour , la Reine eft arrivée de Verſailles .
Les , le Roi de Pologne Duc de Lorraine &
de Bar eft parti de ce dernier Château , pour retourner
à Luneville .
On mande de Fécamp , que le Corfaire l'Hirondelle
, de Dunkerque , a fait conduire dans ce
premier port un quatrieme Navire Anglois , appellé
le Lyon , de Liverpool , de 250 tonneaux
armé de 4 canons , 25 efpingolles , & chargé de
bled & de ballotteries.
Le Brigantin Anglois le Marmaid, chargé d'hui
le , pris par le Corfaire le Vainqueur , de Marfeille
, est arrivé en ce port .
Les fieurs Chevalier de Glandevez & de Graſſe ,
qui commandent les Galeres la Brave & la Du→
cheffe , fe font rendus maîtres d'un Corfaire Anglois
, armé de 16 canons & de 110 hommes d'équipage
, qu'ils ont fait conduire à Cette .
Il est arrivé à Boulogne un Brigantin Anglois ,
de 120 tonneaux , chargé d'avoine , de cidre ,
de brai , & de plufieurs ballots de marchandifes.
Cette prife a été faite par le Corſaire la Marquife
de Beringhen.
Le Corfaire la Princeffe de Soubize a pris &
conduit à Brest le Navire Anglois le Duc d'Argile ,
de 250 tonneaux , armé de 4 canons & 4 pierriers
, allant de Liverpool à la Caroline avec un
chargement compofé de draps , d'étoffes , de toiles
& de quincaillerie .
Le Navire Anglois le Pacquet de Porto , de 80
tonneaux , chargé de fel , & qui a été pris par le
Corfaire la Mutine , de S. Jean -de-Luz , eft arrivé.
par relâche à Vigo en Galice.
Le Corfaire le Comte de Saint -Germain , de
Dunkerque , s'eft emparé des Navires Anglois le
Crownpoint chargé de toiles , de fucre en pain , &.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
d'autres marchandiſes , & l'Arlequin dont le chargement
eft compofé de fucre , de café , de thubarbe
, de cacao , de bois de Campeche. Ces
deux prifes ont été conduites , l'une à Eggrefund ,
l'autre à Bergues en Norwege.
Le même Corfaire a rançonné pour 15240 livres
trois autres Bâtimens Anglois , dont il s'étoit
rendu maître ; & il en a remis les ôtages à
Dunkerque.
Le Navire Anglois l'Ofgood , de 300 tonneaux ,
armé de 12 canons , allant de la Jamaïque à Londres
avec une cargaifon compofée de fucre , de
taffia , de maniguette & de bois rouge , a été pris
par le Corfaire la Victoire , de Saint - Malo , où
il a été conduit.
Il est arrivé dans la rade de l'Ile de Bas un Navire
de 450 tonneaux , pris par le Corfaire le
Comte d'Herouville , de Bordeaux , & qui eft
chargé de fix cens milliers de poudre à tirer , de
boulets , d'armes , & d'autres munitions de guerre.
SA
BÉNÉFICES DONNÉS.
A Majefté a nommé à l'Archevêché de Bourges ,
vacant par la mort du Cardinal de la Rochefoucauld
, M. l'Abbé de Phelypeaux , Vicaire Général
de cet Archevêché ; l'Abbaye de Notre- Dame
de Châtillon- fur - Seine , Ordre de S. Auguftin ,
Dioceſe de Langres , à M. l'Abbé d'Argenteuil
Vicaire Général du Dioceſe de Tours ; le Prieuré
du Pleffis - Grimault , même Ordre , Diocefe de
Bayeux , à M. l'Abbé Mercier , Chanoine de la
Sainte Chapelle de Paris ; & l'Abbaye réguliere
de Flines , Ordre de Câteaux , Dioceſe d'Arras , à
la Dame de Berchiny : l'Abbaye de Sainte Trinité
OCTOBRE. 1757. 201
de Beaulieu , Ordre de Saint Benoît , Dioceſe de
Tours , à M. l'Abbé Parchappe de Vinay , Prevot
de l'Eglife Métropolitaine , & Vicaire Général de
l'Archevêché de Rheims ; celle de Saint Cheron ,
Ordre de S. Auguftin , Dioceſe de Chartres , à
M. l'Abbé Matherot de Pregny , Prêtre du Diocefe
de Langres ; celle de Notre Dame de Flaran ,
Ordre de Citeaux , "Dioceſe d'Auch , à M. l'Abbé
de Beauffet- Roquefort , Vicaire Général de l’Evêché
de Béziers ; celle de Notre - Dame de Fontguillem
, même Ordre , Dioceſe de Bazas , à M.
P'Abbé Calture , Vicaire Général de ce Dioceſe ;
celle de S. Jean de Falaife , Ordre de Prémontré
réformé , Dioceſe de Seez , à M. l'Abbé de Gauchat
, Directeur des Carmelites de Saint - Denis ;
P'Abbaye réguliere de Barberie , Ordre de Ci
teaux , Diocese de Bayeux , à Dom Bernard du
Cayron , Prieur de cette Abbaye ; celle de Notre-
Dame du Lys , même Ordre , Diocefe de Sens , à
la Dame de Siougeat , Religieufe de l'Eclaches ,
ville & Dioceſe de Clermont ; celle de Bertaucourt
, Ordre de S. Benoît , Dioceſe d'Amiens , à
Dame Françoife de Montmorency , Religieufe
du même Ordre dans l'Abbaye d'Avefnes ; & celle
de Lieu- Dieu , Ordre de Cîteaux , Dioceſe d'Autún
, à la Dame de Pignerol , Prieure de ladite
maiſon.
MORT S.
La 7 Juin dernier eft mort dans la maifon de
P'Oratoire , rue S. Honoré , Meffire Henry Pajon ,
Prêtre de cette Congrégation , ancien Curé de
Notre- Dame, à la Rochelle. Il étoit le frere de
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Claud Pajon , dont la mort eft annoncée dans le
Mercure de Fevrier 1748.
Madame Anne- Marie Pajot de Villers , veuve
de Meffire Pierre Delpech , Marquis de Cailly ,
eft décédée le 17 Juillet , âgé de quarante- trois ans,
en fon hôtel à Paris , Paroiffe de la Magdelaine
de la Ville - l'Evêque .
Dame Claude-Elifabeth de Harlay , veuve de
Meffire Adrien - Alexandre de Hannivel , Préſident
du Parlement , eft morte le 20 Août en cette ville
dans la quatre- vingt - deuxieme année de fon âge.
Elle étoit la derniere du nom de Harlay.
Meffire Emanuel- Henri-Timoléon de Coffé- de
Briffae , Evêque de Condom , Abbé de l'Abbaye
de Fontfroide , Ordre de Cîteaux , Dioceſe de
Narbonne , & de celle de Saint Urbain , Ordre de
de Saint Benoît , Dioceſe de Châlons-fur- Marne ,
mourut à Paris le 27 de ce mois , âgé de cinquanteneuf
ans.
Meffire N. Roche Docteur de Sorbonne ,
Grand Pénitencier de l'Eglife Métropolitaine de
Paris , & Abbé de l'Abbaye de Saint Crefpin en
Chaye , Ordre de S. Auguftin , Dioceſe de Soiffons
, mourut à Paris le 12 Septembre , dans la
cinquante- quatrieme année de fon âge.
Meffire N. Parquet , Docteur de Sorbonne
Chanoine honoraire de l'Eglife de Paris , Abbé de
P'Abbaye royale de la Crefte , Ordre de Câteaux ,
Dioceſe de Langres , & ancien Curé de S. Nicolas
des Champs , eft mort en cette ville le 15 de ce
mois , âgé de faixante-huit ans,
OCTOBRE. 1757. 203
ADDITION A LA PARTIE FUGITIVE.
VERS
Au Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar.
VOTRE péril ( 1 ) nous livre aux plus juftes terreurs
,
Vous feul l'envifagez fans crainte !
( 1 ) Le Roi de Pologne en s'en retournant de
Versailles à Lunéville , vient de courir un danger
qui a allarmé tous ceux qui aiment les arts in
l'humanité dont il eft le bienfaiteur le protecteur.
A deux lieues en deçà d'un village nommé
Sandra , fur les frontieres de la Champagne & de
la Lorraine , la voiture dans laquelle Sa Majesté
étoit feule fe renversa dans une defcente . Toutes les
glaces du carroffe furent brifées. M. le Comte de
Treffan , M. le Chevalier de Liftenois , & plufieurs
autres Officiers qui étoient à la fuite du Roi , ayant
volé à fon fecours, le trouverent dans une poſture
très-contrainte , malgré cela tranquille & leur
Souriant avec son air de bonté ordinaire. Après
l'avoir débarraffe des morceaux de glace qui l'environnoient
, & l'avoir dégagé de la voiture , ils le
Supplierent , en embroffant fes genoux , de leur dire
s'il avoit reffenti quelque commotion , ce qui aurait
exigé des précautions. Sa Majefté les raffure , &
defcendit à pied , aidé du bras d'un de fes Officiers,
la montagne fur le penchant de laquelle cet accident
lui étoit arrivé , monta enfuite dans un autre
carroffe , acheva fon voyage auffi gaiement
qu'heureusement.
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Avec un doux fouris vous condamnez nos pleurs ,
Et la férénité fur votre front eft peinte !
Vos fujets font encor d'épouvante glacés.
Grand Roi ! leur deftinée à la vôtre eft unie.
Si vous aimez fi peu la vie ,
Vous ne les aimez pas affez.
Ces vers nous paroiffent fi heureuſement
faits pour le fujet , que nous croyons
faire honneur à l'Auteur de le nommer.
C'eft M. l'Abbé Porquet , qui ufe trop fobrement
du talent de faire de bons vers ,
pendant que tant d'autres abufent trop
fouvent de celui d'en faire de médiocres.
SUPPLÉMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Hôpital de M. le Maréchal- Duc de Biron.
Sixieme traitement depuis fon établiſſement.
B La nommé Saint - Martin , de la Compagnie
Deaubonne , de la guérifon duquel nous avions
douté , pour n'avoir pas voulu fur la fin du traitement
, continuer encore de prendre quelque dra
gés que nous avions cru néceffaires , fe trouvant
néanmoins bien & radicalement guéri , n'eſt pas
rentré dans l'hôpital , ainfi que nous l'avions an
noncé.
OCTOBRE , 1757 . 205
1. Le nommé la Roche , de la Compagnie Colonelle
, après avoir eu plufieurs gonorrhées
avoit deux exoftofes à l'extrêmité antérieure des
troifiemes côtes , & depuis trois femaines , il lui
étoit furvenu des fymptomes qui denoncoient la
maladie la plus grave. Il eft entré le 16 Juin ,
eft forti le 18 Juillet parfaitement guéri.
&
2. Le nommé Lemaret , de la Compagnie Delatour
, avoit des douleurs aiguës dans toutes les
extrêmités , & des puftules répandues dans toutes
les parties du corps , la plupart en fuppuration . Il
eft entré le 16 Juin , & eft forti le 26 Juillet parfaitement
guéri.
3. Le nommé Debaude , de la Compagnie de
Bragelongne s'étant fait paffer plufieurs fymptômes
véroliques avec la pierre de vitriol , il lui étoit
furvenu à l'aine droite un bubon confidérable qui
s'eft terminé par la fupuration. Il eft entré le 16
Juin , & eft forti le 2 Août parfaitement guéri..
4. Le nommé Marchand , de la Compagnie de
Bragelongne , avoit également un bubon à l'aine
gauche , avec quantité d'autres fymptomes bien
cara térifés , le bubon s'eft terminé par la fuppuration
, & il eft forti le même jour 2 Août parfaitement
guéri .
5. Le nommé Pointé , de la Compagnie de
Lautrec , étoit dans un état horrible , & cou
vert de puftules repandues dans toute l'habitude
du corps , lefquelles lui formoient une véri
table lepre.. Il eft entré le 23 Juin , & eft forti le 2
Août parfaitement guéri .
6. Le nommé Thibaut , de la Compagnie
d'Eaubonne , eft forti fans traitement , n'ayant
jamais voulu fouffrir l'adminiftration des bougies
qui lui étoient indifpenfablement néceffaires pour
guérir une fiftule qu'il avoit au periné.
206 MERCURE DE FRANCE.
7. Le nommé Bellerofe , de la Compagnie de
Voifinon , étoit dans un état très cruel : outre une
tumeur groffe comme un oeuf à la baſe de la mâil
choire , avec gonflement confidérable à l'os ,
avoit deux bubons dans les aines de droite , & de
gauche. Celui du côté droit s'eft terminé par réfolution
, & l'autre par fuppuration . Il eft entré le
23 Juin , & eft forti le 16 Août parfaitement.
guéri.
8. Le nommé Verly , de la Compagnie de Chevalier
, outre toutes fortes de fymptomes véroliques
très- confidérables , & en quantité , avoit un
phimofis , & un engorgement monftrueux aux
glandes jugulaires du côté gauche ; il avoit de
plus des douleurs de tête fi violentes , qu'il ne
pouvoit prendre de repos. Il est entré le 23 Juin ,
& eft forti le 16 Août parfaitement guéri .
9. Le nommé Senlis , de la compagnie de la
Vieuville , outre beaucoup de fymptomes bien ca
ractérisés , qu'on ne nomme plus , avoit un bubon
très - confidérable dans l'aine gauche , lequel
s'eft terminé par la fuppuration. Il eft entré le 23
Juin , & eft forti le 16 Août parfaitement guéri.
10. Le nommé Vincent , de la compagnie de
Sinety , avoit un phimofis & une quantité de puf
tules en fuppuration. Ileft entré le 30 Jain , & eft
forti le 9 Août parfaitement guéri .
11. Le nommé Bellecroix , de la Compagnie
d'Eaubonne avoit , outre les fymptomes les plus
caractérifés, un ulcere très-profond à la gorge, lequel
lui avoit occafionné une extinction de voir
totale , & empêchoit la déglutition des boiffons.
Il est entré le 30 Juin , & eft forti le 9 Août parfaitement
guéri.
12. Le nommé Cleret , annoncé dans le deraier
Mercure être refté à l'hôpital pour cauf
OCTOBRE. 1757. 207
d'une maladie fcorbutique des plus graves , fe
trouve dans le meilleur état du monde , & va fortir
inceffamment.
Il est entré douze autres malades , dont nous
rendrons compte dans le volume fuivant.
Le.fieur Keyfer fupplie le Public d'obferver :
1°. Que toutes les maladies qu'il détaille depuis
Pétabl ffement de l'hôpital , font presque toutes
des efpeces les plus graves & les plus difficiles
à traiter.
2°. Que ce dernier traitements'eft fait pendant
les chaleurs exceffives de la faifon , & lefquelles les
perfonnes jouillant de la meilleur fanté , avoient
peine à fupporter.
3°. Qu'il n'a employé ni bains , ni autres
moyens que fes feules dragées , pour parvenir à la
guérifon générale , fon remede n'ayant pour l'or
dinaire befoin d'aucun autre acceffoire.
Il prévient en même-temps le Publi :, qu'il a
répondu d'une façon authentique , & capable de
faire rougir fes advertaires à des fauffes imputa
tions inférées contre lui dans un volume du
Journal Economique , dont le titre la date du
mois de Janvier , quoiqu'il n'ait paru que dans le
mois de Juillet ; & que les démentis ont été formels
, même de la part des foldats qu'on a ofe
citer. Sa réponse que l'on diftribue gratis , fe
trouve chez la veuve de Lormel , & fils , Marchand
Libraire- Imprimeur , rue du Foin.
Comme fon unique but eft de faire voir de
plus en plus la vérité dans tout ſon jour , que d'ail
leurs il a promis de rendre un compte exact des
différens traitemens qui fe feroient par les éleves
déja répandus dans quelques provinces , il débute
aujourd'hui par rendre celui qui vient de lui être
envoyé de la part de M. Rey, Maître en chirurgie,
demeurant rue Tupin à Lyon.
208 MERCURE DE FRANCE:
LETTRE de M. Reg , à M. Keyfer , en date
du 29 Août .
Depuis que nous nous fommes quittés, Monfieur,
& que vous avez bien voulu me confier l'adminif
tration de votre remede , j'ai eu occafion de traiter
& de guérir cinq malades . Le hazard m'a fait
rencontrer les maladies les plus épineules , & quoi
qu'après tout ce que j'avois vu à l'hôpital de M.
le Maréchal de Biron , je ne fille aucun doute de
réuffir , je vous avouerai que fi j'ai été un peu hardi
d'entreprendre tout ce qu'il y avoit de plus grave
& de plus invétéré en maladies vénériennes , je
vous dois la juftice d'avouer qu'il faut abfolument
que votre remede ait bien de la vertu , & que malgré
vos ennemis & les miens , car je m'en fuis
fait un bon nombre , je ne puis n'empêcher de
dire hautement que ce remede eft fans contredit
le plus grand qui foit aujourd'hui dans la nature ;
& dans la médecine . C'eft un tribut qu'un galant
homme doit à la vérité ; & comme cette profesion
eft la premiere de toutes , je ne craindrai jamais
de lui donner la préférence .
Voici l'état & la guérifon de ces cinq malades ,
en attendant celle de plufieurs autres qui font entre
mes mairs,
Le premier avoit paffé , il y a huit ans , par les
grands remedes ; felon le récit du malade & des
parens dignes de foi , on l'avoit adminiftré dans
toutes les formes , en excitant une ample ſalivation
, & employant tous les moyens que des gens
habiles mettent en ufage pour parvenir à une gué
rifon radicale. Il avoit prefque tout ce que l'on
peut avoir en fymptomes , que ce premier traite
ment fit difparoître , & il fur jugé alors guéri par
OCTOBRE. 1757. 209,
les perfonnes qui l'avoient traité. Ces fymptomes
étant revenus quelque mois après , même avec
plus d'accidens , on le repaffa par extinction , &
ce fut encore inutilement . On lui a fait prendre
enfuite pendant des années des bols fondans ;
des panacées , des pillules de toutes façons , rien.
ne mordit , & il étoit dans un état affreux quand
il vint le préfenter à moi . Outre une immenfité de
fymptomes qu'on ne peut nommer , il avoit des
bubons à chaque aine , & des obftructions fi confidérables
dans les glandes axillaires & les ingui
nales, que je craignis d'abord qu'il n'y eût plus de
reffources . Je l'entrepris : vos feules dragées pouvoient
en faire la guérifon . Elle eft authentique ,
& j'en ai de bons certificats. Ce malade n'a ceflé
de vaquer à fes affaires : fon embonpoint eft
revenu , & fon teint qui étoit jaune & noir , a repris
la couleur naturelle . Il jouit enfin d'une fanté
qu'il n'avoit pas depuis huit années. Je l'ai tenu
près de deux mois , & fon état ne permettoit pas
d'être mené plus promptement.
Le fecond avoit pour fymptomes une chûte de
cheveux prefque totale , la voûte du palais dans un
défordre affreux , des ulcérations chancreufes , les
amygdales gonflées & ulcérées , enfin un mal de
tête fi cruel , que la chaleur du lit lui étoit devenue
infupportable , & qu'il ne pouvoit prendre aucun
repos . Je fuis obligé de vous dire qu'au bout de
15 jours de l'ufage de vos dragées , les ulceres fe
font cicatrifés , les obftructions fe font fondues
la chute des cheveux s'eft arrêté , & qu'enfin au
bout de 45 jours , la guériſon a été totale , &
qu'il jouit aujourd'hui de la meilleure fanté .
Le troifieme avoit une gonorrhée virulente de ,
la plus grave efpece qui lui occafionnoit une difurie
des plus mordicantes , & lui interdifoit toute
210 MERCURE DE FRANCE.
efpece de repos , quantité d'autres ſymptomes ;
dont un traverſoit dans la foffe naviculaire juſqu'à
P'extérieure , & s'étendoit vers le filet , un bubon
confidérable dans l'aine droite , & un tempérament
on ne peut pas plus délicat : l'ufage de vos
dragées en 25 jours a cicatrifé les ulceres , a enlevé
les maux de tête , le bubon s'eft terminé par
réfolution , & cela va vous paroître fort plaifant ,
mais quoique ce malade à mon infcu ait fait pendant
fon traitement à diverfes repriſes plus de
cent lieues en pofte pour des affaires indifpenfable
, le remede n'en a pas agi avec moins de vivacité
, & enfin il jouit de la meilleure fanté du
monde.
Le quatrieme étoit dans un état digne de pitié.
Tous les fymptomes étoient fi invétérés , que la premiere
fois que je le vis , je me crus dans l'obligation
indifpenfable de lui faire l'opération , tant la gangrene
menaçoit les parties attaquées. La guérifon
fuccéda cependant plus promptement & plus heureufement
que je ne pouvois l'imaginer , & après
les fympromes bien effacés , j'obfervai de continuer
encore quinze jours ou trois semaines , afin
de bien affurer le traitement .
Le cinquieme avoit une très - petite maladie ,
c'eft-à- dire fort peu de choſe Il a voulu abfolument
prendre le remede , malgré que je lui difois qu'il
pouvoit s'en paffer , & qu'il guériroit par le moindre
remede ordinaire . Toute fa maladie confiftoir
en un écoulement que je regardois de très - petite
conféquence. Il apris le remede pendant fix femaines
, & fon écoulement qui effectivement
avoit refifté à beaucoup de remedes que différentes
perfonnes de l'art lui avoit fuggetés inutilement ,
s'eft terminé , & il fe porte à merveille .
Voilà , Monfieur , le détail auffi vrai que fimOCTOBRE
. 1757. 211
ple & fuccinct des cures que j'ai déja faites . J'aurai
foin dans la fuite de vous apprendre les nouveaux
fuccès de vos dragées.
J'ai l'honneur d'être , &c.
REY.
AVIS.
EQUIPACE militaire & de campagne , ou toilette
de Mars. Elle confifte en deux petits coffrets , qu'on
peut mettre dans les deux facoches du cheval ,
fans qu'elles en foient trop enflées. Voici un détail
abrégé de ce quelles contiennent : un fourneau
d'une invention finguliere , par le moyen duquel
on peut apprêter fon chocolat , fon bouillon , café
, thé &c dans la moitié moins de temps que
fur un grand feu de bois ou de charbon : c'eft au
moyen d'une petite quantité d'efprit de vin , qu'on
allume le fourneau , qu'on en entretient le feu , &
qu'on le rend fuffifant pour apprêter ce que l'on
veut. Le même coffre renferme un cafetiere , une
thétiere , quatre taffes : l'on peut faire le thé & le
café tout à la fois par la même lampe & le même
fourneau , ou préparer un bouillon & du chocolat
en même temps : l'on peut le faire du lit , fans (e
lever , que pour battre le briquet , & allumer le
fourneau ; on peut même l'allumer à cheval , à
table , partout ou l'on veut , l'on peut maintenir
par fon moyen un bouillon chaud pendant la
nuit , la lumiere n'incommode point & ne fait
pas de fumée. Pour prendre le café , &c. il y a
quatre cueillers de compofition , quatre fous- taffes
qui peuvent fervir d'affiettes au befoin ; deux
boites qui s'emboîtant , font une tourtiere pour
faire une grillade , cuire un poulet , une rouelle
212 MERCURE DE FRANCE.
&c. Une boîte pour mettre les affaifonnemens &
épiceries , poivre , fel &c . Deux bouteilles pour
P'huile & vinaigre , une troifieme pour la liqueur,
un moulin à café , quatre fourchettes , quatre
gobelets , une boîte à mettre 28 onces d'efprit
de vin , laquelle quantité fuffit pour quinze apprêts
, une poéle à brûler le café , quatre petits facs
de peau pour mettre le café , thé , fucre & chocolat
; un fac pour faire manger l'avoine , &c . On
trouvera dans l'autre boîte , briquet , pierre à
fufil , amadou , bougie ; boîte à encre , chandelier
, mouchettes , un étui fourni de plufieurs
fils ou foies , aiguilles , épingles , dé à coudre , &c .
un grand fer à frifer & un petit à toupet , rafoir ,
favonnette , cuir pour le rafoir , cifeau & peigne.
On peut faire chauffer l'eau pour fe rafer , par le
moyen de la thétiere du premier coffre , plus pommade
liquide , pommade forte , poudre à poudrer
au moins demi - livre , avec une houpe ,
un miroir de fuffifante grandeur , vergette & décrottoire
; papier , plumes , canif , fablier, cachet,
cire ou pains à cacheter , une équerre , une regle ,
un compas , un pied de Koi , un plomb à ni
veler , boîte à poudre , à tirer , pierre à fufil ,
tire-bourre , pierre à lever les taches , alêne pour
accommoder , dans le befoin , botte , fangles ou
courroies , un marteau , percerettes , tenailles ,
clous à ferrer le cheval , fers à tout chevaux ;
une pipe , du tabac à fumer , &c. Tout ce que l'on
vient de detailler eft renfermé dans deux coffres
fermant à clefs , que l'on met dans une facoche
ordinaire ;ils ont en longueur 10 pouces & demi ,
en l'argeur 7 pouces , en hauteur 4 pouces ; les
facohes qui les renferment , fe peuvent paffer facilement
& s'ôter dans l'inftant par le moyen de
deux crochets.
OCTOBRE . 1757.
213
Le fieur Fourneron l'aîné , inventeur defdits coffrets
, dans lesquels il a renfermé avec un art
admirable tout ce qui eft mentionné ci- devant ,
& plufieurs autres petites commodités dont on a
fupprime le detail pour n'être pas trop long , don
nera à ceux qui lui feront l'honneur de lui écrire
les éclairciffemens qu'on lui demandera . Ses coffrets
font de plufieurs prix , fuivant la richeffe de
la matiere dont on voudra les cuillers à café , talfes
, la propreté des coffrets , &c. Il prie ceux
qui lui feront l'honneur de lui écrire , d'affranchir
leurs lettres , & de les adreffer au fieur Fourne
ron l'aîné , à Aunonay , Vivaret,
AUTRE.
La fieur Arnaud Matges , Chirurgien- Dentiſte
ordinaire de S. A. S. Monfeigneur le Comte de
Clermont , Prince du Sang , a une connoiffance fi
parfaite des dents , opere d'une façon fi adroite &
avec tant de fuccès , qu'il faut l'avoir vu ou le voir
pour le croire. Il ôre avec une facilité inexprimable
les racines ou chicots les plus difficiles , même
ceux qui jufqu'à lui avoient été regardés comme
ne pouvant être ôtés , fans qu'il s'enfuive jamais
ni hémorragie, ni fluxion ; il redrefle les dents qui
font hors de rang , fans les ébranler & fans fil ; il
transporte celles d'une bouche étrangere dans une
autre , pourvu que les chicots y foient , & elles
font attachées pendant huit jours feulement , fans
être obligé de garder la chambre ; après quoi elles
tiennent d'elles - mêmes , comme fi elles avoient
pris racine dans la bouche où étoient les chicors .
İl a auffi un excellent remede pour faciliter la
fortie des dents aux enfans .
214 MERCURE DE FRANCE.
Pour la commodité du Public , attendu qu'il
étoit logé trop haut dans le Palais abbatial , il
demeure à préfent à l'hôtel de Suede , rue de Bourbon
le château , entre celle de Buffy & l'abbaye
de Saint Germain- des -Prés , au premier fur le
devant.
Errata du Mercure de Septembre.
PAGE 90 , ligne 23 , brochure de 27 pages , lifez,
de 207 pages.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier;
le premier volume du Mercure du mois d'Octobre,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 28 Septembre 1757.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PINCES FUGITIVES EN VERS AT EN PROSE;
Le Torrent , Fable > pages
Sans y penfer , conte plus vrai qu'une hiftoire , 7
Vers à M. *** , &c. 13
Vers à Madame Che ... en lui donnant fon collier
à fa toilette ,
Avis utile ,
14
IS
Vers à Mademoiſelle ... fur fon voyage de Paris
,
19
215
211
22
Vers à Madame ... fur fa petite vérole ,
Suite fur M. de Fontenelle , par M. Trublet ,
Vers à M. le Comte de Saint- Florentin , le jour
de S. Louis , fa fête ,
61
59
Lettre de M. Pizzi , au fujet de la réception de
Madame Dubocage à l'Académie de Bologne
,
Vers de remerciement de Madame Dubocage , 62
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure de Septembre ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
64
65
66
Difcours de M. Durey- de Morfan , pour la récep
tion à l'Académie royale des Sciences & Belles-
Lettres de Nancy ,
67
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux ,
82
Méthode d'apprendre fûrement & facilement les
Langues ,
Séance publique de l'Académie Françoiſe ,
89
108
III
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Grammaire. Réponse à la Lettre de M. l'Evêque
de la Ravaliere , imprimée dans le Mercure du
mois d'Août 1757 ,
Médecine. Extrait des regiftres de l'Académie
royale des Sciences , du 8 Juin 1757.
Chirurgie. Suite de la Séance publique de l'Académie
royale de Chirurgie , du 21 Avril 1757,
ART. IV . BEAUX-ARTS.
118
127
Peinture. Vers à M. Carlo Vanloo , fur fon tableau
représentant le Sacrifice d'Iphigénie , 143,
216
Sentiment d'un Amateur fur les Forges de Vul
cain , nouveau tableau de M. Boucher , 144
Lettre au fujet de l'expofition des ouvrages de
Peinture & de Sculpture faite dans la falle de
l'Académie des Beaux Arts de Marſeille , 146
Gravure,?
Architecture.
154
158
ART. V. SPECTACLES.
Opera , 169
Comédie Françoiſe , 170
Comédie Italienne , ibid.
Opera Comique. 171
Concert Spirituel , 172
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 173
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 190
Bénéfices donnés , 200
Morts , 201
Addition à la partie Fugitive . Vers au Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar ,
Supplément à l'Article Chirurgie ,
Avis divers ,
La Chanfon notée doit regarder la page 66.
203
204
211
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
rgest
MERCURE
остта
(eve
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1757.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
C
JuRai
Cochin
Slinein
Dee
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
Chez
Tomie
1
AVERTISSEMENT
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Cornmis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raifon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du porifur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
pays Les Libraires des provinces ou des
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
eure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
A ij
"On Supplie les perfonnes des provinces d'ent
voyerpar la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à ſon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mer
cure , les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Burean du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Mareenay.
Au commencement de chaque mois , on
délivre au Bureau du Mercure un volume
du Choix des meilleures pieces des anciens
Mercures , précédées d'un extrait du Mercure
François , dans le format du Mercure
de France , & aux mêmes conditions.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1757.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Préfentés à Monseigneur le Duc de Bourgogne,
à l'occafion de fon Anniverſaire.
A pareil jour votre heureuſe naiſſance
Mit enfin le comble à nos voeux ;
Vous vintes affurer le bonheur de la France ,
Qui , tranquille pour nous , craignoit pour nos
neveux.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Elle vous voit , dès l'âge le plus tendre ,
Vous former aux vertus dignes de votre rang
Déja vous annoncez tout ce qu'on peut attendre
D'un Prince iffu d'un fi beau ſang,
A vos progrès la fageffe attachée ,
Sous le nom de Marfan , dirige votre effor :
Ainsi , pour Télémaque , elle s'étoit cachée ,
Sous la figure de Mentor.
Inftruit par elle à marcher fur les traces
De ces Héros dont vous tenez le jour ,
Vous marquerez vos inftans par des graces,
Votre regne par notre amour.
Croiffez , Prince ! vos deftinées
Fixeront celles des François ;
Il ne vous faut que des années ,
Pour éternifer leur fuccès.
L'Auteur eft M. l'Abbé Batanchon.
VERS
De M. Voltaire à M. Senac - de Meilban .
ELIVE LIVE du jeune Apollon ,
Et non pas de ce vieux Voltaire ;
Eleve heureux de la raifon
Et d'un Dieu plus charmant , qui t'inftruit à
plaire ;
OCTOBRE. 1757 .
J'ai lu tes vers brillans & ceux de ta Bergere
Ouvrages de l'efprit , embellis par l'amour ;
J'ai cru voir la belle Glycere
Qui chantoit Horace à fon tour.
Que fon efprit me plaît ! que fa beauté te touche :
Elle a tout mon fuffrage , elle a tous tes defirs :
Elle a chanté pour toi ; je vois que fur la bouche
Tu dois trouver tous les plaiſirs.
Je réponds bien mal , Monfieur , aux
chofes charmantes que vous m'envoyez ;
mais à mon âge on a la voix un peu rauque.
Lupi Marim vidêre priores , vox quoquè
Marim deficit.
L'UNION DE L'AMOUR
ET DE LA PHILOSOPHIE ,
ANECDOTE.
Par le Comte de M.... Officier au Régimen
de B....
Le Marquis de Merville avoit paffé les
premieres années de fa jeuneffe dans ce
tourbillon de plaifirs & de peines que le
grand monde traîne toujours après foi ,
lorfqu'il prit tout à coup la réfolution de
fe retirer dans une maifon de plaifance
A iv
MERCURE DE FRANCE.
qu'il avoit en Touraine. La pêche , la
chaffe , la promenade , l'étude des belleslettres
y partagegjent agréablement fon
temps. Avec quel plaifir n'arrêtoit- il pas
fes regards fur cette mer orageufe dont il
ne redoutoit plus les écueils ! qu'il ſe ſçavoit
gré d'avoir eu affez de fermeté pour
entrer dans le port ! Libre de préjugés ,
affranchi du joug tyrannique des paffions ,
il voyoit alors les chofes dans leur vrai
point de vue. Le mafque fous lequel fe
cachent la mauvaiſe foi , la trahiſon , le
parjure , les fauffes amitiés , étoit tombé ,
il en appercevoit toute la difformité , &
gémiffoit fur le fort de ceux qui y étoient
expofés. Charmé des attraits de la philofophie
, il en faifoit fes plus cheres délices.
Comment peut- on , s'écrioit- il quelquefois
, préférer les plaifirs tumultueux &
brillans à la tranquillité du fage ! Par
combien de peines , de regrets , de tourmens
, de remords n'achete -t'on pas dans
le monde un moment de plaifir ! De quelles
épaiffes ténebres ce foible crépuscule
n'eft- il pas précédé & fuivi ! Le fage au
contraire eft toujours content , toujours
heureux fes plaifirs font moins vifs , mais
ils font bien plus purs & bien plus durables .
Il ne doit fon bonheur qu'à fes réflexions ,
peut- il craindre de le voir renverfer ?
OCTOBRE. 1757: ༡
Quelques douceurs que trouvât le Marquis
à l'étude de la fageffe , il ne fut pas
long- temps à s'appercevoir qu'il manquoit
quelque chofe à fa félicité. Naturellement
tendre , il avoit renoncé à l'amour bien
plus par dépit que par tempérament , les
infidélités réitérées qu'il avoit effuyées de
quelques- unes de fes maîtreffes avoient
beaucoup contribué à ſa retraite , & dans
la perfuafion où il étoit , que la légèreté
eft l'appanage de ce fexe charmant , il évitoit
avec foin tout ce qui auroit pu le conduire
à un engagement : mais l'amour qui
fe rioit de fes précautions , fçut bien les
rendre inutiles.
A quelque diftance du château où
le Marquis avoit fixé fon féjour , demeuroit
une jeune veuve à qui la nature
avoit prodigué fes tréfors. Emilie ( c'eft
fon nom ) joignoit à la figure la plus féduifante
tous les charmes de l'efprit . La
mort d'un mari tendrement aimé , la crainte
de ne pouvoir réprimer les mouvemens
d'un coeur fait pour recevoir les plus tendres
impreffions de l'amour l'avoient
conduite dans une folitude où tout retracoit
à fes yeux l'image de l'époux chéri
qu'elle regrettoit. Quelque retirée qu'elle
fût , l'arrivée du Marquis avoit fait trop
bruit pour qu'elle l'ignorât . Sa réfolution
de
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
dans un homme de fon âge , avoit quelque
chofe de fi extraordinaire , qu'Emilie
fouhaita de le connoître ; elle ne tarda pas
à être fatisfaite.
>
Un violent orage ayant furpris le Marquis
de Merville à la chaffe , il fut obligé
de fe réfugier chez Emilie : c'étoit la premiere
fois qu'il la voyoit . Qu'elle lui parut
charmante Tous les projets s'évanouirent
dans un inftant ; fon coeur vola au devant
du trait. Etonné , faifi , immobile il
proféra quelques paroles fans ordre & fans
liaifon. Emilie fur qui une tendre fympathie
agiffoit déja , s'apperçut avec un fecret
plaifir de l'effet de fes charmes . Après les
premiers propos , elle fit tomber la converfation
fur les douceurs de la vie champêtre.
Remis de fon trouble , le Marquis
parla en homme d'efprit qui a du monde :
il ne prit congé de l'aimable Veuve , qu'après
qu'elle lui eut permis de venir quelquefois
lui faire la cour .
Retiré dans fon appartement , Merville
fe mit à rêver profondément à tout ce qui
s'étoit paffé dans cette journée. Il fouilla
jufques dans les replis les plus fecrets de
fon coeur. Ses recherches ne fervirent qu'à
le convaincre de la vivacité du feu qui
le dévoroit. La philofophie fit en vain
quelques foibles efforts pour étouffer une
OCTOBRE . 1757. IZ
paffion , qui dans un caractere de la trenpe
de celui du Marquis , ne pouvoit manquer
de faire en peu de temps des progrès
très rapides ; fa fituation lui paroiffoit délicieufe
; ce vuide affreux que l'étude la
plus affidue n'avoit pu remplir , avoit difparu
; les befoins de fon coeur étoient fatisfaits
; fon imagination le tranfportoit
dans un bofquet charmant ; il y voyoit
Emilie affife fur un lit de fleurs ; les graces
, les amours , la tendre volupté , formoient
un cercle autour d'elle , il étoit à
fes genoux dans l'attitude la plus paffionnée
; elle laiffoit tomber fur lui des regards
languiffans ; fa belle bouche ne s'ouvroit
que pour lui dire , je vous aime :
que de plaifirs ne goûtoit - il pas !
aimable :
Emilie de fon côté n'étoit pas plus tranquille.
Le Marquis lui avoit paru
fes graces , fon efprit , fa figure avoient fait
fur fon coeur la plus vive impreffion ; elle
ne put fe le diffimuler ; la douce agitation.
de fon ame avoit pour elle des charmes
inexprimables : la mémoire de fon mari ,
les réflexions les plus fenfées fur les dangers
de l'amour , ne purent tenir un inftant
contre les délicates émotions d'une paffion
naiffante. Avec quel plaifir ne vit - elle pas
les empreffemens flatteurs , les foins délicats
, les tendres affiduités de fon amant.
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
Ils alloient fouvent fe promener dans
une allée de charmille qui formoit une
des avenues de la demeure d'Emilie. Il me
paroît fi extraordinaire , dit un jour cette
jeune perfonne à ſon amant , qu'un homme
de votre âge & de votre mérite ait
rompu tout commerce avec le monde ,
que je vous aurois de l'obligation fi vous
vouliez m'apprendre les raifons qui vous y
ont porté. Aurois - je jamais de fecret pour
vous , Madame , repondit le Marquis . Je
vais vous inftruire de ce qui a toujours été
un myftere pour le Public ; nos deux
amans s'étant affis fur un fiege de gazon ,
le Marquis prit la parole en ces termes :
Maître d'un bien confidérable , je parus
dans le monde avec affez d'éclat pour fixer
fur moi les regards de la multitude . J'étais
défiré dans plufieurs maifons : celle de la
Comteffe de .. eut la préférence , les plus
jolies femmes de Paris s'y raffembloient ,
par vanité, bien plus que par goût . Il y
eut quelques- unes qui me firent les
avances les plus marquées : j'étois jeune ,
& fans expérience , mon coeur avoit des
befoins , il falloit les fatisfaire ; auffi ne
fus-je pas long- temps fans former un attachement.
Celle que je choifis pour l'objet
de mes foins , fans être de la premiere
jeuneffe , confervoit encore mille agréOCTOBRE
. 1757. 13
mens. Des petits yeux noirs , pleins de
feu , le plus beau teint du monde , un fourire
fin & fpirituel , des graces inexprimables
dans le moindre de fes mouvemens
, de la taille , du jargon ; tout cela
formoit un enfemble que bien des gens
trouvoient joli . Ma conquête parut d'abord
la flatter ; mais trop frivole pour s'attacher
, elle paya ma tendreffe avec une
monnoie qui n'aura jamais cours chez les
gens délicats . Je m'en dégoûtai bientôt :
plufieurs autres à qui j'offris fucceffivement
mes hommages dans très - peu de
tems , ne me parurent mériter que le mépris
d'un galant homme ; enfin défefpérant
de trouver ce que je cherchois , je me retirai
chez moi pour m'y livrer entiérement
à l'étude des belles lettres.
Etant allé un jour me promener aux
Tuileries, j'apperçus au détour d'une allée
une jeune perfonne dont la figure me
frappa. Elle avoit dans la phyfionomie
quelque chofe de fi noble & de fi intéreffant
, qu'il étoit impoffible de la voir fans.
en être touché. Je me fentis ému à cette
vue , un , trouble fecret s'empara de mest
fens , mes yeux ne pouvoient quitter l'aimable
objet qui fixoit toute mon attention
: une femme d'un certain âge l'accompagnoit
; je voulois les aborder , mais je
14 MERCURE DE FRANCE.
n'ofois ; j'étois flottant , irréfolu ; l'amour
me pouffoit , la crainte de déplaire me
rerenoir ; elles partirent fans que je me
fulle décidé je voulus les fuivre ; mais le
carroffe dans lequel elles étoient montées
s'éloigna avec tant de vîteffe , que je fus
obligé de retourner chez moi fans avoir
fatisfait ma curiofité . C'eft pour le coup
que je commençai à mettre de la différence
entre une paffion réelle , & ces goûts paffagers
& fantafques qui doivent la naiſfance
à la vanité & au plaifir des fens .
L'image de mon inconnue me fuivoit
partout. Les endroits les plus déferts , les
plus écartés étoient ceux qui avoient pour
moi le plus de charmes .... Vous aimiez
donc , interrompit Emilie avec un trouble
dont elle ne fut pas la maîtreffe ? .. Oui ,
Madame , j'aimois , & c'eft à cet amour
que je dois impurer tous les malheurs de
ma vie. Non , je lui dois tout ; c'eft lui
qui m'a conduit dans cette folitude .
Charmante retraite , ne vous devrai- je pas
mon bonheur , & je puis toucher l'objet
eftimable qui vient de me foumettre ? l'aurois-
je connu fans vous ? Mais continuons
un récit qui paroît vous intéreffer , Madame
.
Il fe paffoit peu de jours que je n'allaſſe
aux Tuileries dans l'efpérance d'y revoir
OCTOBRE. 1757. 15
mon inconnue. Une douce rêverie m'y
avoit retenu un jour plus tard qu'à l'ordinaire.
La nuit m'y furprit , & il étoit
plus de onze heures quand je penfai à me
retirer. En pallant devant une maiſon de
médiocre apparence , j'entendis des fanglots
redoublés. Je m'approche , & je vois
à travers les vitres d'une falle balle le
fpectacle le plus attendriffant. Une Dame
d'un âge avancé , le vifage couvert de
larmes , étoit alongée fur un fauteuil entre
deux jeunes filles , dont l'une ( jugez de
ma furprife ) étoit l'aimable inconnue.
Que devins-je à cette vue ! Ce n'eſt pas
moi qui fuis à plaindre , difoit de temps
en temps cette Dame en redoublant fes
pleurs. La mort va bientôt me rendre infenfible
à mon malheur ; mais vous , mes
cheres enfans , qu'allez vous devenir ?
c'eft fur votre fort que je répands les larmes
les plus ameres Qui vous garantira
des dangers affreux dont vous êtes menacées
? La mifere n'eft- elle pas ordinairement
l'écueil le plus redoutable de la
vertu ?
-
Ne prenant confeil que des divers mouvemens
qui m'agitoient , j'ouvre brufquement
la porte , & m'élance aux genoux de
cette Dame : effrayée d'un fpectacle auffi
nouveau qu'imprévu , elle pouffe d'abord
16 MERCURE DE FRANCE.
•
un cri ; mais bientôt remife par tout ce
que je lui difois de touchant , elle me fait
relever. Vous , Madame , lui dis- je , quand
je fus affis , réduite à éprouver avec votre
aimable famille tout ce que la fortune a
de plus accablant ! Sur qui le deftin exercet'il
fa rage ? la vertu réunie à la beauté
méritoit- elle un fort fi rigoureux ? mais
enfin vos maux font- ils fi grands qu'on ne
puiffe y remédier ?
Mon air pénétré , la douceur extrême
que l'on trouve à ouvrir fon coeur aux gens
que l'on croit dans fes intérêts , m'attirerent
la confiance de cette Dame : après
m'avoir regardé quelques inftans , elle me
parla ainfi : Quoique je n'aie pas l'honneur
de vous connoître , Monfieur , je me
fens fi prévenue en votre faveur , que je
crois ne pouvoir payer ce qu'il y a de flatteur
& d'obligeant dans votre procédé que
par une confiance fans bornes .
Le pere de ces enfans, après avoir exercé
pendant plufieurs années une des premieres
charges du barreau, mourut avec beaucoup
de réputation & fort peu de bien , effer
ordinaire d'une rare probité. Il ne me
laiffa que dix mille écus placés chez un
riche Banquier. J'ai vécu pendant quelques
années dans cette douce tranquillité ,
qui n'eft connue que de ceux dont la forOCTOBRE.
1757 . 17
tune médiocre oblige à cette modération
dans les defirs , qu'on peut regarder comme
la fource du vrai bonheur. Pourquoi ma
félicité a-t'elle été fi -tôt & fi cruellement
troublée ? Le Banquier fur qui tout mon
bien étoit placé vient de faire banqueroute
; je tombe par - là dans la plus affreufe
mifere ; plus d'efpoir , plus de reffource :
y eut-il jamais une fituation plus affreuſe ?
A ces mots les pleurs redoublerent.
J'avoue , lui dis je , Madame , que vos
maux font grands ; mais le fuffent - ils encore
plus , ils n'autorifent pas le défefpoir
; la vertu que vous avez pratiquée
toute votre vie vous offre une reffource
dans cette occafion ; elle feule peut nous
mettre au deffus des coups terribles que
la fortune nous porte ; c'eft dans les revers
les plus fubits, les plus affreux qu'elle brille
avec le plus d'éclat ; d'ailleurs je fuis affez
heureux pour pouvoir vous être de quelque
utilité oferois - je vous offrir dix
mille francs que mes Fermiers ont apporté
hier ?
Tant de générosité me charme , me répondit
Madame Brunet ( c'eſt ainfi que fe
nommoit cette infortunée ) ; mais je la
mériterois bien peu fi j'acceptois vos offres
; dans quelqu'abaiffement que le fort
nous réduife , nous ne ferons jamais à
18 MERCURE DE FRANCE.
charge à perfonne : mes filles fçavent broder
, leur travail pourvoira à notre ſubfiftance...
Que ces fentimens font beaux ,
repliquai - je mais voudriez - vous me
mortifier au point de ne pas recevoir ce
que j'ai l'avantage de vous offrir ? doit- on
fe faire une délicateffe de prendre à titre
de prêt une médiocre fomme d'argent ? ...
Que votre générofité eft ingénieufe , Monfieur
, me répondit- on ! fongez qu'il ne
nous reste que notre vertu ... Eh ! Madame
, interrompis je , la fortune peut fe
laffer de vous perfécuter , les affaires de
votre Banquier peuvent fe raccommoder :
Quoi cette aimable enfant feroit réduite
à vivre du travail de fes mains ? Dieux !
l'idée feule m'en fait frémir.. Vous ! ajoutai
- je en me précipitant aux genoux de
cette jeune perfonne , vous ! l'ouvrage le
plus parfait qui foit forti des mains de la
Divinité , vous ! qui êtes faite pour donner
des loix à toute la terre , vous feriez confondue
dans la foule de ces malheureufes
à qui lindigence ne laiffe pour fubfifter
d'autre reffource que le travail ! Je ne le
fouffrirai jamais , repris- je en me relevant.
Madame , continuai - je en me tournant
du côté de la mere je demande votre indulgence
pour des tranfports dont je n'ai
pu être le maître. J'aime votre aimable
OCTOBRE. 1757. 19
fille ; quand je voudrois le nier , tout me
trahiroit ; mais je l'aime avec tout le refpect
dû à fa fageffe. Fondé fur l'eftime la
plus parfaite , mon amour n'afpice qu'après
le moment qui nous unira par des
liens indiffolubles : fi je ne fuis point encore
votre fils , j'en ai au moins les fentimens.
Je fortis en finiflant ces mots , &
dès le lendemain j'envoyai à Madame Brunet
dix mille francs : c'étoit tout ce que
j'avois d'argent comptant.
Depuis ce jour- là je n'eus plus d'autre
maifon que la fienne , fa fille paro : ffoit
recevoir avec reconnoiffance mes foins ;
elle me difoit quelquefois que mon amour
la touchoit , que fon coeur en fentoit tout
le prix ; mais il m'étoit aifé de connoître
qu'elle fe faifoit violence pour me tenir
ce langage, Tant d'indifférence me défefpéroit
fans me rebuter ; je me flattois d'en
triompher par ma perfévérance , quand
mon efpoir s'évanouir tout d'un coup de
la maniere la plus cruelle.
Etant allé un jour à mon ordinaire chez
Madame Brunet , je la trouvai dans le dernier
abattement : inquiet & furpris , je lui
demande ce qui peut l'occafionner ; elle
me répond que fa fille avoit difparu le
jour précédent , & qu'elle avoit mille raifons
pour appréhender qu'elle n'eût été
20 MERCURE DE FRANCE.
enlevée par un jeune homme pour qui
elle avoit depuis long - temps la paffion la
plus vive , paffion au refte dont elle lui
avoit toujours fait un myftere . Quelle
nouvelle quel coup de foudre pour un
amant tendre & délicat ! Je me retire chez
moi dans un état plus aifé à imaginer qu'à
décrire. Peu d'heures après Madame Brunet
me renvoya la fomme qu'elle m'avoit
empruntée , avec une lettre qui ne me
laiffa plus lieu de douter de mon malheur.
Je fus long- temps inconfolable ; mais en-
' fin la raifon reprenant le deffus , & le mépris
fuccédant peu à peu à la fureur , je
me retirai dans cette folitude , bien réfolu
de renoncer pour toujours à l'amour.
J'afpirois après cette tranquillité intérieure
, l'objet des defirs du fage ; je n'en
étois même pas éloigné , lorfque vous êtes
venu renverfer mes projets , détruire mes
réfolutions , & m'apprendre que l'amour
triomphera toujours de la philofophie.
Emilie ne répondit à ce que ces dernieres
paroles renfermoient de tendre , que
par un fourire flatteur qui fit naître l'ef
poir dans le coeur du Marquis . Quoi !
Madame , s'écria- t'il ! ferois- je affez heureux
pour que l'amour le plus vif vous
eût touchée ! Vous êtes fenfible , vos beaux
yeux me le difent , dans quels raviflemens
OCTOBRE. 1757 . 21
leur langage ne me jette- t'il pas ! où trouver
des expreffions pour vous rendre ce
que ma fituation a de délicieux !
Merville s'énonçoit avec tant de graces
, ces graces étoient fi touchantes , il
avoit dans le gefte & dans l'expreffion
quelque chofe de fi naturel , de fi tendre
& de fi paffionné , qu'Emilie ne put lui
refufer un aveu que fon coeur ne pouvoit
plus différer. Ah ! Marquis , dit- elle en
lui jettant un regard dont le feul fentiment
pouvoit connoître le prix , pourquoi
êtes-vous fi aimable ? & pourquoi fuis- je
fi foible ? dois - je vous avouer ma défaite ?
dois - je vous dévoiler le fonds d'un coeur
qui n'est que trop fenfible à votre mérite ?
Elle fe tut à ces mots , une aimable rougeur
donna à fon teint un nouvel éclat ;
la pudeur & le defir fe retracerent dans fes
yeux. Prêts à fe combattre , l'amour vertueux
qui doit la naiffance au fentiment
vint les mettre d'accord ; ce fut lui qui
peu de jours après alluma le flambeau de
l'hymen en faveur de ces deux Amans .
Poffeffeur d'une femme auffi aimable
que vertueufe , Merville fe trouva au
comble de fes defirs. Il éprouva alors que
les lettres fans l'amour , ne pouvoient fuffire
au bonheur d'un homme délicat , &
qu'il n'y avoit que leur réunion qui pût le
rendre heureux,
22 MERCURE DE FRANCE.
Nous donnerons fans faure le mois
prochain
le Projet manqué , Conte du Montagnard
de Pyrénées. Nous prions l'Auteur
de nous excufer d'avoir différé fi longtemps
à le faire paroître ; mais nous ne
mettons chaque morceau que par ordre
de date. Si nous inférions les pieces par
ordre de bonté , les fiennes auroient fouvent
la préférence.
L'OEILLET ET LA ROSE ,.
FABLE.
SEXE fait pour régner , ma plume quelquefois
T'a peint avec des traits que mon coeur défavoue.
Eloignés de tes yeux , les hommes font tes Rois ;
Contre toi leur orgueil éleve alors la voix ;
Mais bientôt à tes pieds ce même orgueil échoue.
Leurs difcours t'attaquoient , leur hommage te
loue :
Pour te juftifier tu leur donnes des loix.
L'OEillet un jour parloit mal de la Roſe :
Elle a , difoit- il , des attraits ;
Mais flétrie auffi- tôt qu'éclofe ,
Et cependant vaine à l'excès ,
Les tributs qu'on lui doit , lorfqu'aux yeux de
l'aurore
Elle étale en naiffant les trafors de fon fein ,
Le foir elle prétend les mériter encore ;
OCTOBRE . 1757.
23
Le foir elle a perdu tout l'éclat du matin.
Le temps alors , avec ſa faulx barbare ,
En vain mutile ſes appas :
Prête d'aller border les rives du Tenare ,
La Coquette ne fe rend pas .
Encor fi dans l'inftant que brille cette belle ;
Son abord étoit fans danger !
Mais la perfide cache une épine cruelle ,
Et nuit à qui l'ofe approcher.
D'où vient cet importun murmure ,
Dit à l'OEillet la jeune Déité.
Qui du printemps peint la riche parure ?
Pour l'intérêt de votre vanité ,
La Rofe fans défauts eût été trop brillante ?
Ils vous vengent de la beauté.
Ainfi la nature prudente
Partagea tous les dons avec égalité.
L'éclat de cette fleur difparoît comme un ſonge :
Hé bien faut- il être irrité
Que jufqu'au foir fa vanité prolonge
Le cours d'un regne , hélas ! fi limité ?
Eillet , que votre plainte eft vaine !
Malgré l'épine & les noires couleurs
Dont vous peignez la plus belle des fleurs ,
Vous la reconnoiffez enfin pour votre Reine,
Cillet , oeillet , difons tout en deux mots ;
C'est l'orgueil qui produit vos injuftes querelles.
Si les Roſes étoient moins belles ,
Vous leur verriez moins de défauts .
Cette Fable eft de M. l'Abbé Aubert.
24 MERCURE DE FRANCE:
VERS à Mlle Baptifte, Actrice de l'Opera
Comique , à l'occafion de fon départ pour
la Hollande.
DIGN IGNE organe des jeux de la folle Thalie ;
Toi , dont la voix fut embellie
Par les amours , les graces & les ris ,
Toi , qui paffes fi bien du tendre à la faillie ;
Et des fons brillantés des ferins d'Italie ›
Aux fons mélodieux des Cygnes de Paris ;
Baptifte , quel deftin t'enleve à ta patrie ?
Tandis que le François , de la Saxe flétrie ,
Prompt miniftre des cieux, court vanger les débrist
Quel preftige de gloire entraîne les efprits ?
Voudrois-tu , rivale d'Orphée ,
Déployer le pouvoir de tes airs fi touchants ;
Et du lion belgique immobile à tes chants ,
Dreffer à tes talens un immortel trophée ?
Mais dans fon coeur la haine eft étouffée ;
Il ne peut s'irriter qu'à la voix de Thémis ;
Des traîtres Léopards , il n'eſt point le complice;
L'aigle , les Lys , armés par la Juſtice ,
Peuvent-ils le compter parmi leurs ennemis ?
Que ton ambition ſe borne à notre hommage ,
Reviens , fille du goût , reviens fur ce rivage :
Qui forma tes talens a bien des droits fur eux.
D'un peuple connoiffeur , le glorieux ſuffrage
Suffit à ton triomphe & doit remplir tes voeux.
PORTRAIT
OCTOBRE. 1757. 25
PORTRAIT D'AGRICOLA.
AGRICOLA
GRICOLA a un extérieur qui écarte la
confiance ; mais dès qu'on a pénétré fa
droiture & fa candeur , on fe familiarife
avec fon ton & fes manieres. Le premier
inftant dépofe contre lui , l'habitude le
juftifie .
Un efprit jufte , un coup d'oeil fûr ,
une logique naturelle , cachent chez lui le
défaut d'une étude férieufe & fuivie. Dès
qu'il a faifi le vrai , il procede avec tant
de jufteffe , qu'il femble toujours guidé
par le compas géométrique : une intempé
rance de lecture l'a mis en état de parler
de tout , fans être véritablement éclairé fur
rien : fa converſation eft plus instructive
qu''amufante ; tout ce qui eft du domaine
de l'imagination lui échape : il ne parle
que pour le faire entendre , & ne fçait
point farder la vérité pour l'embellir , non
qu'il n'ait des graces , mais il n'en a que
d'aufteres. Amateur de la mufique , les
charmes de la poéfie l'affectent foiblement.
Sa fagacité dans les affaires eft vive & perçante
; dans les chofes de goût , fes décifions
font moins fûres. Attaché aux premieres
impreffions , ce qu'il a fait , ce
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
qu'il a vu dans fon enfance , eft toujours
cher à fon coeur . Il rougiroit d'avoir des
préjugés , & eft le jouet de fes préventions.
Ennemi de la Aatterie , il tombe aifément
dans le piege des fimples & des
fots , les perfonnes d'efprit ne pourroient
réuffit à le tromper. Séduit par les penchans
de fon coeur , il eft quelquefois
aveugle dans fon eftime , & injufte dans
fes mépris. Prévenu contre les Sçavans ,
il préfère à leur commerce qui pourroit l'amufer
, la fociété des ignorans , qui l'ennuient.
Telles font les qualités de fon efprit
, examinons la trempe de fon coeur.
Egalement éloigné de la fuperftition
& de l'incrédulité , il fait le bien , & ne
pratique point la pénitence ; il va au temple
les jours prefcrit par la loi , & au théâtre
quand le plaifir l'y attire. Ennemi des
queftions contentieufes , il excufe les préjugés
des foibles , fans adopter les fophifmes
des incrédules . Jamais il n'applaudit
tout haut ce qu'il fronde tout bas . Son
exemple bannit de fa maifon le vaudeville
cynique , la fatyre clandeftine , & les faillies
de la malignité. Chez lui les abfens
n'ont jamais tort. Il fe défend la raillerie ;
peut être craint- il d'en être l'objet , peut
être n'a t'il pas ce talent dangereux . Bon
parent , fes richeſſes font une fource ouOCTOBRE
. 1757. 27
verte à fa famille. Il dépenfe aifém: nt ,
furtout pour les chofes relatives à fon être
particulier. Maître févere , il commande
'd'un coup d'oeil à de nombreux Efciaves
qui vivent fans befoins , & qui languiffent
fans récompenfe. Une continuité de bonheur
a émouffé la fenfibilité de fon coeur.
Les ingrats qu'il a faits l'ont rendu dur par
la crainte d'être dupé . Le malheureux qui
chercheroit à exciter fa pitié , pourroit
éprouver les mépris. Le fpectacle des miferes
d'autrui offenfe fes yeux . Il les detourne
, peut- être fe défie t'il de la bonté
de fon coeur. Quelques perfonnes peuvent
vanter fa générofité , nul ne peut fe plaindre
de fes injuftices . Rangé fans avarice ,
& jouiffant fans diffipation , il eft élégant
dans fes meubles , décent dans fes habits ,
& magnifique à fa table. C'est là que les
plus indifférens deviennent fes amis . C'eſt
là qu'il étale cette profufion plus propre à
exciter l'ennui , qu'à faire naître l'amitié :
l'austérité de fes moeurs fe communique à
tout ce qui l'environne . On rit mal chez
lui , parce qu'on s'efforce de rire en bâillant.
Moins propre à infpirer la joie qu'à
s'attirer l'eftime , il fait préfider la raifon
où doit régner le fentiment. Le compas &
l'équerre reglent tous fes plaifirs. Jamais
d'effufion de coeur , jamais de cette gaieté
Bij
30 MERCURE DE FRANCE
Déja faifoit voir la ruine
Que fuivoit la triste famine.
Senfible à nos juftes douleurs ,
De ma famille défolée
Vos mains ont effuyé les plears ;
Et loin de mon ame troublée ,
Chaffant les chagrins dévorans ,
De ma maiſon prefqu'ébranlée
Ont raffermi les fondemens.
C'est vous , ô mortel adorable !
C'est vous dont les foins généreux ;
Dont la main prompte & ſecourable
A daigné combler tous nos voeux.
Secondant l'ardeur qui m'enflamme ;
Que par d'ineffaçables traits
Un Dieu grave au fonds de mon ame,
Et votre nom & vos bienfaits :
Non , non , fur fon aîle légere ,
Le temps n'emportera jamais
Une image qui m'eft fi chere.
Ah ! pourſuivez une carriere
Où vos vertus & vos talens
Vous ont rendu fi néceſſaire.
Que toujours votre voix févere ,
Par des oracles fondroyans ,
Dompte l'audace téméraire
Du coupable fier & puiffant :
Que de l'orphelin gémiffant
Vos mains foulagent la mifere a
OCTOBRE. 1757.
31
Aux malheureux ſervez de père ,
De protecteur à l'innocent.
Qu'ainfi vos nobles destinées ,
Dans leur cours paifible & brillant,
Toujours de gloire environnées ,
Et par les plaifirs couronnées ,
D'aucun finiftre événement
Ne foient jamais empoisonnées ,
Et marquent toutes vos journées
Des traits heureux de l'enjouement.
Que pour vous , levé fans
nuage ,
Chaque foleil pur & ſerein ,
Fourniffe fon cours fans orage ,
Et joigne aux rofes du matin
Les fruits heureux du dernier âge.
Exempt d'ennuis & de chagrin ,
Que jamais la cruelle envie
Sur vous diftillant fon venin ,
N'ofe de fa rage ennemie
Troubler la paix de votre vie.
Qu'agitant les ferpens affreux ,
Jamais l'infame calomnie ,
De fes miniftres ténébreux ,
Contre vous n'arme la furie :
Oa fi , contre votre repos ,
Jamais ces deux monftres horribles;
Des vertus tyrans inflexibles ,
Tramoient de perfides complots ,
Soudain pour les réduire en poudre ;
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
A
Que Thémis vous prete fa foudre ,
Que leurs projets foient confondus ;
De leurs cabales frémiflantes ,
Bravez les fureurs impuiſſantes
Et que fous vos pieds abattus ,
Leurs bouches de rage écumantes
Rendent hommage à vos vertus.
Par M.... THOMAS.
PENSÉE S.
La Loi eft un tonnerre, qui rafant la furface
de la terre , ne frappe que le chaume
& le rofeau : on le voit rarement porter
fes feux timides fur les tours des palais &
la cime des chênes .
La difpute, quand elle eft modérée , eft
une fecouffe utile , qui développe le germe
des idées , & fait tomber les fruits de
l'efprit.
L'oeil de la fageffe s'ouvre quelquefois
fur le plaifir , & daigne lui fourire en paffant.
Celui de la paffion le fixe , s'en pénetre
, & y trouve le poifon du bafilic ;
on voit bien que l'ufage eft pour la fageffe ,
& l'excès pour la folie.
Une lecture rapide reffemble au voyage
de cet Anglois qui crut connoître la France
, parce qu'il l'avoit traversée en pofte.
OCTOBRE. 1737. 33 *
Lafpéculation eft le hochet de l'efprit
humain ; un échaffaudage frivole que la
pratique renverfe prefque toujours ; un
feu boréal qui fe joue dans le vuide du cerveau
; un phantôme enfin qui voltige fans
ceffe dans le cabinet des foi difants philofophes,
& qui , en matiere de vertus & debien
public , fe réalife rarement fur la
fcene du monde.
Il y a des vertus , ou , fi l'on veut , des
degrés dans les vertus qui n'appartiennent
pas à tous les hommes , il faut dans l'ame
cette vigueur fublime , feule capable de
porter un poids fi noble , & le vulgaire
des gens vertueux eft tel , que pour le repos
de l'humanité , on devroit prefqu'autant
prêcher la modération des vertus ,
que la correction des vices.
Cette penſée eft une fuite de la précedente
: je plains l'humanité , fi l'on permet
aux vertus qui ont leur racine dans la religion
, de juftifier le danger de leur excès
par la fainteté de leur fource.
Les vérités fommaires font le privilege
dugénie: l'efprit dont la vue eft plus foible,
fe contente de tournoyer au milieu de
quelques vérités intermédiaires , & ne
voit rien audelà . Malheur à lui , s'il effaye
de franchir fes limites ! Chaque pas
eſt une erreur.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Le peu de fuccès des louanges & des
confeils , décele fouvent la maladreſſe
de celui qui les donne , plutôt que le caprice
ou l'indocilité de celui qui les reçoit.
La honte d'ignorer eft le contre- poids
de la peine d'apprendre.
Les amis qui fe brouillent pour des bagatelles
, reffemblent à ces Rois qui fe firem
la guerre pour la querelle des chiens
de leurs ambaffadeurs .
Le bonheur est une injuftice qui trouve
rarement grace ; l'oftentation du bonheur,
une barbarie , une infulte capable d'armer
le genre humain.
Les tombeaux des morts font un tribunal
, d'où les vivans ne prononcent que
des fentences rigoureuſes ; c'eft le théâtre
où la petiteffe vient braver la grandeur ,
où le foible triomphe du puiffant , où l'ingratitude
ôte fon mafque d'une main , & le
déchire de l'autre , où le fage enfin , unique
appréciateur des actions des hommes
vient les pefer au poids de l'équité & de
l'indulgence inféparable de la nature
humaine.
La main qui veut repouffer une louange
délicate , y refte elle- même attachée
comme à un filtre : les mouvemens qui
la retiennent font bien plus vifs que ceux
qui la rejettent.
OCTOBRE. 1757.
35
Les efforts les plus pénibles de l'efprit,
font les jeux légers du génie.
Dans la févérité de les loix , la vertu ne
fçait que rétrecir les limites que la nature
elle- même a mifes aux penchans pour fa
confervation .
Tout ce que l'imagination prere à la
nature , eft une fuperfluité artificielle, qui
l'accable au lieu de l'enrichir , & l'appauvrit
fans retour , en lui arrachant tout ce
qu'elle poffede.
L'efprit humain eſt toujours enfant dans
la vérité , le génie la paffe , parce qu'il la
trouve trop fimple ; l'efprit médiocre ne
cherche pas à y arriver , parce qu'il la croir
cachée fous une enveloppe invincible ; le
philofophe la déchire à force de l'analifer ;
la plupart des Théologiens la laiffent
échapper dans une mer de fubtilités métaphyfiques;
l'incrédule croit la voir au fommet
de fa raifon , & n'embraffe qu'une
nue d'orgueil ; chacun enfin y répand les
taches dont le concours des diverfes circonftances
forme le nuage.
La modeftie eft un tiffù délicat qui demande
un main légere & adroite : le fot ne
le touche que pour le déchirer.
Le Cardinal de Richelieu s'amufoit à
abattre les plus grandes têtes de l'état ,
comme Tarquin le fuperbe à couper celles
B vj
36 MERCURE DE FRANCE:
des pavots les plus élevés : l'un fut le fimulacre
, dont l'autre fut la réalité.
Les confeils & les leçons font dans le
monde moral , ce que font les étoiles dans
le monde phyfique. On les voit tous les
jours avec la même régularité : les grands
exemples en font comme les cometes qui
ne fe montrent que tous les deux fiecles.
Ceux qui fe croient fideles au fecret ,
quand ils ne l'ont pas ouvertement révélé ,
reffemblent à l'autruche qui fe croit en fûreté
, quand elle a la tête derriere un arbre.
Les vertus mâles font le partage des nations
civilifées ; les qualités brillantes font
celui des nations polies.
La mort n'eft que la réalité du fommeil ,
dont le commencement de notre exiftence
eft l'image .
La mifanthropie n'éteint les vertus fociales
, que parce que fe croyant fondée fur
la connoiffance du coeur humain , elle regarde
ces vertus comme les erreurs de
l'inexpérience .
La fageffe n'eft que le repentir ou la
crainte des abus du coeur. Ainfi le plus
grand bien de l'homme eft une humiliation
, ou une inquiétude.
Qu'est- ce qui peut tenir de fang froid
la balance du plaifir ou de la douleur ?
l'orgueil flegmatique d'un Stoïcien , on
OCTOBRE . 1737. 37
le mépris fublime d'un chrétien parfait ,
c'eſt- à- dire , l'extrême folie , ou l'extrême
fageffe.
Le fort des gens fauffement vantés ,
reffemble à celui des Efpagnols de l'Araucna
( 1 ) , que les Indiens prirent d'abord
pour des Dieux , & fur qui ils vengerent
leur erreur , après avoir reconnus à leur
vices , qu'ils n'étoient que des hommes .
Le titre de Philofophe a fes différens
âges dans l'hiftoire de l'efprit humain :
dans le fiecle des génies , il donne une
forte de fuprématie ; il eft l'éclipfe de la
grandeur mais dans le fiecle de l'efprit
qui fuccede toujours à celui des génies , le
manteau de philofophe eft la livrée du
ridicule & fouvent du vice ; c'eft un
vêtement proftitué , qu'on fe fait un point
d'honneur de fouler aux pieds.
Etre la dupe d'un fourbe adroit , c'eſt
n'avoir plus qu'un pas à faire pour être fa
victime.
Qu'est- ce que la difpute ? Une offrande
portée dans le temple de l'orgueil , pluque
dans celui de la vérité ? tôt
Quelle eft la reffource de la grandeur
quand elle feroit , pour ainfi dire , coudoyée
par la petiteffe ? C'eft de paroître la
protéger en public pour conferver la di-
(1 ) Poëme Espagnol
38 MERCURE DE FRANCE.
gnité , & de lui nuire en fecret , pour
fatisfaire fa vengeance.
Malgré la multiplicité des ouvrages ,
on ne nous apprend que la moitié des chofes
que nous devrions fçavoir. On a bien
écrit fur l'art de parler , on n'a prefque
rien dit fur l'art d'écouter.
Qu'est ce que l'efprit de parti Un ferment
de fidélité à la perfécution de tout
ce qui le contredit .
Le flambeau de la critique s'allume plus
fouvent pour détruire , que pour éclairer.
L'efprit doit prendre le compas de la
modeftie pour mefurer fes propres dimenfions
; fans quoi c'eft un être vagabond ,
qui s'agite dans le vague des idées , & qui
n'a d'autre pivot que l'erreur.
Quand Méhémet Effendi porta l'art
typographique en Conftantinople , il s'entendoit
très - bien au bonheur de l'humanité
, mais point du tout à la nature , &
à la confervation du defpotifme ; les fciences
élevent l'ame ; l'intérêt du defpote
eft qu'elle ait à peine le fentiment de fon
exiftence.
Il en eft des Rois comme des Dieux. Il
ne fuffit pas de les refpecter , on n'eft heureux
que par la douceur de les aimer.
Que gagne le fatyrique à répandre fon
fiel ? Il éleve lui - même le retranchement ,
OCTOBRE. 1757 Jy
dersiere lequel tout le monde eft fous les
armes pour le défendre , lui nuire & fe
venger.
L'amitié reçoit les confidences de l'amour
, l'amour reçoit - il les confeils de
l'amitié .
Si l'amour eft le fentiment le plus délicieux
de la nature , cela décidé , les femmes
en font le plus bel ouvrage.
Qu'est- ce que le féjour des hommes fur
la terre ? Un crépufcule ténébreux & momentané
, où on a à peine le temps de décider
le fort d'une nouvelle vie.
Les révolutions littéraires ont cela de
différent des révolutions polítiques ; qu'on
les voit venir de loin , parce qu'elles font
attachées à des chofes qui les préparent ,
au lieu que les autres reffemblent à la fondre
qui marche rapidement fur les pas de
l'éclair.
Jeunes gens ! la fureur de fçavoir abforbe
tout votre être ; vous faites un pas en
avant , vous en voyez mille dans le miroir
trompeur de l'amour propre ; votre imagi- l'amour - propre ;
nation s'embrafe & vous emporte fur les
aîles de l'aigle : viendra bientôt l'inftant
où le bon fens de l'âge enchaînera fon vol,
vous ouvrira les yeux fur l'immenfité des
objets , leur inutilité pour le bonheur , &
l'infuffifance humaine : là s'éteindra lafoif
40 MERCURE DE FRANCE.
ardente & dangereufe des connoiffances.
Qu'est - ce que l'ennui ? L'inclination
douloureufe d'une ame qui a eu des plaifirs
& qui a des befoins .
Celle- ci eft une fuite de l'autre : eft- on
heureux quand le fouvenir du paffé ufurpe
fur le fentiment du préfent ?
Bonheur , vérité , vertu , trois chofes,
dont l'une eft une chimere , la feconde une
pomme de difcorde , & la derniere une
apparence .
Je finis ; l'amour -propre ne m'a peutfoutenu
contre l'ennui de ces
être que trop
penſées.
Les François font dans la fociété des nations
ce qu'eft une coquette aimable dans
le monde galant. Vive , fémillante & légere
, pleine de graces , d'efprit & de charmes
, elle porte d'un côté la féduction , &
de l'autre ne laiffe à fes rivales que la
reffſource amere du dépit & de la haine.
Les reflexions qui ont pour titre ; Milanges
de Littérature , des Livres , des Auteurs
, de la lecture & du ftyle , paroîtront
dans le Mercure de Novembre . Ce n'eft
qu'un retard de quinze jours.
OCTOBRE. 1757:
AIR POLONOIS
Du Prologue du Ballet des Indes galantes ;
PAROD 1 E.
LE MISANTROPE
CORRIGÉ ,
DIALOGUE.
Cours à Manon ,
Non.
Prends du vin ,
Quel venin !
Suis nos jeux ,
Choix coûteux.
Vois ,
Crois
Gens d'un aimable entretien ;
Rien .
Mais , comme un ours
Vivant toujours ,
As tu joui
Oui.
Je me plains
Des humains ,
Et je crains
Leurs deffeins
42 MERCURE DE FRANCE .
Pleins
De mauvais
Traits :
Sans honneur ,
Sans pudeur
Foux
Et jaloux.
>
Quel portrait grands Dieux !
Penfe- mieux.
Ne crois -tu
La vertu
Qu'en ton coeur ↑
Erreur.
Vois les hommes ,
Comble - les
De bienfaits :
Pour s'aimer tous ils font faits .
Tu me fommes
D'être heureux.
Tu le peux ,
Fuis ce qui deçoit.
Soit.
Par M. FUZILLIER , à Amiens.
Les Portraits du même Auteur au prochain
Mercure.
OCTOBRE 1757. 43
LES HOMMES UNIS
PAR LES TALENS ,
POEM Z. ( 1)
Aux cris que le befoin & l'intérêt formerent ;
L'an vers l'autre attirés les humains s'affemblerent
:
Mais de cette union les premiers fondemens
Ne pouvoient s'affermir fans l'appui des talens,
A l'aſpect du génie auffi puiffant que rare ,
Ne dites plus , ingrats , la nature eft avare :
S'il fut dans tous les temps peu d'efprits lumineux,
La race humaine au moins s'éleve entiere en eux.
Ils ont créé les arts dont le monde s'honore ,
Et la fociété plus précieuſe encore.
Les célestes préfens , dont vous êtes jaloux ,
Entre quelques mortels font partagés pour tous
C'eſt un heureux lien qui s'étend & fe ferre ,
Formé par peu de mains pour embraffer la terre
Au deffus des talens fous ces traits préfentés ,
Brille celui qui fonde ou régit les cités ,
L'art du Législateur , l'augufte politique ,
Non cet art d'opprimer , fourdement tyrannique ;
( 1 ) Ce Poëme de M. Lemiere , a remporté lé prix
de l'Académie Françoife , en cette année 1757-
44 MERCURE DE FRANCE.
Sous un nom refpecté , taient vil & cruel ,
Mais cette autre fcience , à l'exemple du Ciel ,
Secrette quelquefois , & toujours bienfaiſante ,
Qui confacre aux humains ſa vertu vigilante ,
Que le pouvoir feconde & jamais ne corrompt.
Je la vois en filence , une main fur le front ,
L'autre en figne d'appui fur un peuple étendue ,
La barbarie expire à ſes pieds abattue.
L'homme étoit fans les loix , ou fauvage , ou pervers
,
"
Ou le tyran de l'homme , ou feul dans l'univers :
Tout rentroit dans l'oubli , politique profonde.
Tu parus , on compta les premiers jours du monde ;
On te vit commencer tes heureuſes leçons
Par la double harmonie & des vers & des fons. ( 1 )
Sous la loi du plaifir la terre alors crut vivre :
Chantant l'amour de l'ordre , elle apprit à le
fuivre :
Il fut des moeurs , il fut des temps plus fortunés;
C'eſt à l'ombre des loix que tous les arts font nés-
Mais quels troubles civils ! quel effroyable orage
Va de la politique anéantir l'ouvrage !
On fe menace , on court à pas précipités ;
Le fer brille , on fe mêle : ah ! cruels , arrêtés.
Société fatale imprudente fageffe !
Solons , qu'avez-vous fait trop heureuſe rudeſſe ,
(1 ) Les premieres loix étoient en vers , & fe
chantoiens.
OCTOBRE. 1757. 45
Pour l'homme errant encor premier préfent des
Cieux !
Il n'étoit que farouche , il eft féditieux .
L'éloquence commande , & reffource imprévue !
Pardeffus tous les cris la voix eft entendue ;
Le fer tombe , tout cede , & ces coeurs égarés ,
Emportés loin de l'ordre , y font déja rentrés .
Ainfi donc à la fois & les talens fe fervent ,
Et par eux des mortels les liens fe confervent ;
Liens toujours plus doux & toujours plus ferrés
Dans les lieux par les arts de plus près éclairés,
Jettez au loin les yeux fur l'Egypte leur mere ,
L'union des efprits fut fon grand caractere :
On vit s'étendre ainfi ce peuple d'inventeurs ;
Il dut fes moeurs aux arts , & fon empire aux
moeurs,
Quand l'Alphée orgueilleux voyoit à chaque
luftre
Les peuples affemblés couvrir la rive illuftre ,
Ces jeux où triomphoient les talens excités , (1 )
Etoient l'art de la Grece & le noud des cités .
Les talens en des jours plus féconds en miracles ,
Pour unir les mortels n'ont point connu d'obfta
cles ;
Sagement inquiete en fes nobles deffeins,
La phyfique s'eft dit : il eft d'autres humains.
(1 ) On envoyoit des Poëmes aux Jeux Olyma
piques.
46 MERCURE DE FRANCE.
Soudain nouvel arbitre , & de l'onde , & d'Eole ;
L'aimant qui s'ignoroit , interroge le pole :
Sous des cieux inconnus un monde au nôtre
offert ,
S'ouvre , s'unit à nous , nous imite & nous fert.
Il n'eft plus de long cours fur l'élément humide ,
Il n'eft plus ni d'erreurs , ni de nocher timide :
L'oeil fixe fur l'aimant , on court toutes les mers ;
Le commerce a peuplé les liquides déſerts :
Chaque route eft connue , & l'onde , où tout s'ef
face ,
De la pouppe qui fuit femble garder la trace.
O vous ! peuples nombreux de ces vaſtes pays ,
Découverts par l'Europe , & par elle conquis ,
La force vous dompta , mais nos moeurs vous four
mirent ;
Le fer fit la conquête , & les arts l'adoucirent :
L'Américain changé s'unit à les vainqueurs.
Ailleurs du vaincu même un vainqueur prend les
moeurs ;
Le Catay s'affervit fon conquérant barbare :
Tout périt , hors les loix , fous l'effort du Tar
tare ;
Et ce long mur franchi par fes incurfions ,
Sépare deux pays , & non deux nations.
Du rapide Wolga parcourons les rivages :
Cet Empire du Nord , ces régions fauvages ,
Des arts n'avoient reçu ni cherché les clartés :
OCTOBRE . 1757 . 47
Là tout étoit déſert , même aux lieux habités ,
Le Ruffe fans commerce , & fans loix & fans
villes ,
Dans les huttes caché perdoit fes jours stériles ;
Sur la terre à lui- même il étoit étranger.
Pierre amene les arts , Pierre vient tout changer
Des fanges d'un marais fort une ville immenſe ,
De la fociété le regne heureux commence :
Les Ruffes font unis quand leurs yeux font ou
verts ;
L'Univers naît pour eux , comme eux pour l'Univers
;
Et réparant ainfi tant de fiecles de honte ,
Au rang des Nations le monde enfin les compte.
Qui l'auroit cru ? des feux par la guerre allumés ,
Ces noeuds , fruit des talens , ne font point confumés.
L'intérêt s'arme encor , l'ambition divife :
Mais cette haine aveugle aux Nations tranfmife ,
Ces préjugés honteux déformais font bannis ,
Les peuples font en guerre , & les hommes unis.
A Mademoiſelle de R.... ſur ſa Réponfe
à l'Amour.
Ex lifant votre réponſe à l'amour , Mademoiselle
, je fus fi frappée des motifs qui
48 MERCURE DE FRANCE.
vous animoient contre lui , que je fus prê
te à jurer de ne jamais aimer ; c'est l'effet
naturel d'un ſtyle féducteur. Je partageois
l'indignation qui femble avoir conduit vorre
pinceau , l'orfqu'une voix douce &
touchante pénétra jufqu'au fond de mon
coeur. A quoi penfes-tu , Thémire , me
dit-elle ? Quoi ! fans m'entendre , tu vas me
condamner : fufpends ton jugement , apprends
à me connoître , je ne puis qu'y
gagner..... J'allois me récrier contre fa
propofition , il me paroiffoit trop dangereux
de m'inftruire aux dépens de ma liberté.
Raffure- toi , reprit l'amour après un
moment de filence , je refpecte ton repos,
tu le dois à la noble idée que tu t'es formée
de moi : il m'est trop avantageux pour le
troubler : c'eft dans le calme de l'indifférence
, c'eſt à l'abri des impreffions d'une
paffion vive & féduifante , que je veux
t'engager dans un examen judicieux de la
nature de mon être , & de la véritable cauſe
des effets qu'on a l'injuftice de m'attribuer.
L'amour fe tut ; mais comme il n'eft guere
poffible de l'écouter impunément , il avoit
fait naître dans mon ame la plus fenfible
émotion , fes plaintes m'avoient touchée ,
elles me parurent fondées . En effet , fi nos
plus grands Philofophes n'ont pas dédaigné
de traiter de l'amour avec autant de
zele
OCTOBRE.
1757 .
49
zele &
d'application qu'ils ont traité des
fciences les plus
profondes , fi
quelquesuns
mêmes ont prétendu qu'il étoit l'ame
du monde , qui peut nous autoriſer à le
dégrader au point de lui imputer tous les
maux , dont l'univers eft affligé ? Paroît - il
vraisemblable qu'un être qui , felon eux ,
entretient l'ordre &
l'harmonie dans la nature
, foit le pere du vice , la cauſe du
trouble & du malheur ? Rendons - lui plus
de juftice : l'Amour eſt un don du ciel ,
dont l'ufage fixe le prix . Il devoit entretenir
la
confiance & la paix parmi nous ,
adoucir nos moeurs , & par le fecours du
plaifir , adoucir les peines auxquelles l'humanité
eſt affujettie : il devoit enfin établir
entre nous une
communication vive &
délicieufe , de foins , d'intérêts & de
fentimens néceffaires au bonheur de la fociété.
Voilà dans quelles vues il nous fut
accordé ne nous en
prenons qu'à nous ,
fi elles ne font pas remplies.
Le vice a befoin
d'excufe : on en connoît
la
difformité , par le foin qu'on prend
de le couvrir.
L'Amour nous paroî d'autant
plus propre à cet ufage , qu'il y a plus
d'êtres
intéreffés à le rendre
refponfable de
leurs torts. Ce n'eſt pas à ſon occaſion ſeule
que
l'aveuglement de l'homme fe fait remarquer
on ne peut
difconvenir que
II.Vol.
C
50
MERCURE
DE FRANCE.
toutes les paffions en général , n'aient été
introduites dans le monde pour le bien
commun : l'ambition ne devoit produite
qu'une noble émulation , pour exciter nos
coeurs à la vertu : la haine ne devoit être
confacrée qu'à fuir & à détefter le vice.
Quel ufage en faifons-nous ? Nous employons
les matériaux qui nous furent confiés
pour conftruire l'édifice de notre bonheur
, à élever celui de notre infortune ;
quelle dépravation ! Cet exemple ne fuffit.
pas pour juftifier l'Amour ? il
Suivons deux Amans fortant des mains
de la nature , dont le commerce du monde
n'a point encore altéré l'inocence , qui
jouiffent pour la premiere fois du plaifir
de fe connoître fenfibles . Quelle candeur
! quelle fimplicité ! quelle délicateffe
dans leur façon d'agir & de penfer :
fe voir , s'aimer , fe le dire , c'eſt où le
bornent leurs voeux les plus ardens ; l'idée
du crime ne s'offre point à leur imagination
, & n'entre dans aucun de leurs projets
; plus ils font vertueux & fages , plus
ils font heureux. Voilà l'Amour dans fon
principe , & tel qu'il fortit du ciel pour
notre félicité. Que ne devroit- on pas efpérer
d'une union formée fous de fi doux
aufpices , fi le préjugé ne lui étoit pas contraire
mais l'inégalité d'état & de fortu
OCTOBRE. 1757:
SI
ne , & fouvent des motifs plus condamnables
encore , font les obftacles qu'on lui
oppofe. De cette innovation naiffent la
féduction , l'oubli du devoir , la honte ,
les remords, le défefpoir , & quelquefois la
quine totale des familles les plus refpectables.
Voilà , fécrie- t'on enfuite , voilà les
fruits de l'Amour . Soyons juftes , ne ſontce
pas plutôt ceux du préjugé de quel
droit, prétend t'on lui affujettir le plus indépendant
des êtres.
Jettons un voile fur les paffions qui occupent
l'homme dans des temps moins
heureux. L'imprudente jeuneffe croit reconnoître
les impreffions de l'Amour , dans *
les honteux effets du défordre des fens.
Non , des goûts fi coupables ne peuvent fortir
d'un principe auffi pur , non , je ne retrouve
pas l'Amour dans l'empire du vice :
cherchons - le dans celui de la raiſon.
Le regne de l'erreur eft de peu de durée
. Heureux ceux qui ont pu garantir
leurs coeurs de fon poifon , ou qui dans
l'âge mur , confervent encore affez de délicateffe
& de goût , pour gémir de la préférence
qu'ils lui ont donnée fur le plus noble
des fentimens ! C'eft dans des ames épurées
par le temps & par l'expérience , qu'il
reclame fes droits. Voyons-le plus aimable
que jamais s'occuper de leur bonheur , les
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
exciter , les guider lui- même dans la pratique
des vertus les plus utiles à la fociété ,
& emprunter les fecours de la raifon , pour
leur tracer la route des vrais plaifirs.
Vous, qui bornez vos defirs à mériter un
fort fi doux , amans tendres & délicats
c'eft votre caufe que je plaide : venez apappuyer
mon fyftême ; je peins l'Amour tel
que je crois qu'il doit être fenti. Ajoutez
au tableau les traits fous lefquels il brille
dans vos ames ; prouvez qu'il en eſt encore
d'affez pures , pour n'avoir point à rougir
de leurs chaînes.
Cette apologie eft d'une jeune perfonne
auffi fage que belle. Nous en donnerons
le Mercure prochain une feconde
compofée par une Demoiſelle de dix-huit
ans . Le véritable amour , ce ſentiment deyenu
auffi rare qu'il eft pur , trouve encore
plus d'un défenfeur dans ce fexe aimable,
fait pour le protéger , puifqu'il eft né
pour l'infpirer & pour le fentir avec plus
de délicateffe que le nôtre. Nous penfons
que l'Amour ne pouvoit rencontrer deux
plus charmantes Apologiftes. Il nous paroît
d'autant mieux juftifié par leur fentiment ,
que ce fentiment n'eft pas le fruit de l'art ,
qu'il eft l'ouvrage feul de la nature , &
que l'air contagieux du monde n'en a pas
encore altéré la pureté.
OCTOBRE, 1757.
53
EPITRE
A Mademoiselle Bonté , à Giors.
Iz eft temps , aimable Emilie ,
De difpofer de votre coeur ;
C'eft un tréfor que l'on envie ,
Et qu'on recherche avec ardeur.
Aux noeuds d'Hymen il faut ſouſcrire ;
Mais gardez-vous bien de l'erreur
Qui peut aisément vous féduire
En reconnoiffant un vainqueur.
Songez que l'Hymen a fes charmes ,
Mais fongez qu'il a fes rigueurs ;
Il peut n'avoir que des douceurs ,
Il peut n'avoir que des alarmes .
L'amour qui devance ſes pas ,
Couvre les bords du précipice ,
Et des plus innocens appas
Lui fait fouvent un facrifice
Qu'il devroit ne lui faire pas."
On le voit , ce charmant volage ,
Sous les traits les plus féduifans ,
Auprès des Belles qu'il engage ,
Porter fes fleurs & fon encens.
Craignez les yeux & fon langage ,
Craignez les moindres mouvemens.
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE
Défiez - vous de l'artifice
Qu'il met en oeuvre pour charmer ,
Sous le fard démafquez le vice ,
Connoiffez bien avant d'aimer.
Sans vertu tout titré eft chimere ;
Les biens ne font rien fans l'honneur
La beauté fans le caractere ,
L'efprit fans la bonté du coeur.
Ne croyez pas la fympathie
Toujours la regle du bonheur :
Notre penchant le plus flatteur
N'eft fouvent qu'une douce erreur ;
Et de cette ivreffe remplie ,
L'Amante accordant fa faveur
A l'objet qui furprend fon coeur ,
Ne fait fouvent , pour fon malheur ;
Qu'un ingrat de plus dans la vie.
N'écoutez point les faux avis
Qui flatteroient votre foibleffe ,
N'écoutez que de vrais amis
Dont le coeur pour vous s'intéreffe.
De parens fages & chéris
Confultez furtout la tendreſſe.
Enfin pour ne point s'égarer
Dans le choix que le coeur doit faire ,
C'eft à la raifon d'éclairer
L'amour aveugle & téméraire.
Suivez pas à pas fa lueur :
De votre bonheur qu'elle ordonne ;
OCTOBRE . 1757. 55
Qu'elle nomme votre vainqueur ,
Et que votre main le couronne.
Alors l'Hymen fi redouté ,
Sera pour vous exempt d'alarmes ,
Et de votre félicité
Chaque jour accroîtra les charmes.
D'un époux avec vous lié
Par l'eftime & par l'amitié ,
Vous captiverez la tendreffe.
Toujours de vous- même maîtreffe ,
Et plus maîtreffe encor de lui ,
Vos jours couleront fans trifteffe ;
Sans amertume & fans ennui .
Vous aurez cette paix profonde ,
Rare bonheur , préſent des cieux ,
Tréfor cent fois plus précieux
Que les plus grands tréfors du monde.
Par M. DUTHIL , Avocat en Parlement .
D'Eftrepagny , vexin - Normand.
LE RETOUR DE LA FOLIE ,
Conte historique.
A cet âge , où une femme n'éprouve
plus de fentimens que le regret de fes
charmes , & le dépit de les voir paffer fur
le teint de fa fille , Cephife régnoit encore
Civ
16 MERCURE DE FRANCE .
fur une petite fociété le jeu gauche des
minauderies provinciales la rendoit prefqu'aimable
au milieu d'un cercle de rivales
décrépites : la comparaifon plutôt que
le mérite , affuroit le triomphe de fes prétentions.
Céphife fentoit tout l'avantage
de fa pofition : quelques jeunes gens nouvellement
arrivés , fe donnerent la peine
de le lui confirmer par indigence , & par
oifiveté : l'indolence de leurs hommages
en laiffoit cependant échapper l'humiliation.
Elle crut devoir leur prêter le ſecours
de la pérulance, & de l'agacerie . Un vieux
amant plus utile par l'entretien de l'émulation
, que par la folidité du plaifir , fervit
à Céphife , pour animer les foins de
fes dédaigneux fectateurs. Quelques préférences
affectées fembloient quêter l'éloge
de fa conſtance , & la complaifance de la
combattre . Céphife frappa , pour ainfi
dire , à tous les coeurs, & ne trouva que des
tiédeurs . Enfin Lifis excédé de cette inaction
douloureuſe d'une ame qui a eu des
plaifirs , & qui a des befoins , s'encouragea
à des lueurs . Des demi-frais lui
rent fuffifans pour fubjuguer Céphife : il
ne fe trompoit pas. Un de ces jours où la
nature femble, par l'éclat vif & doux de fa
parure , donner des leçons de fentiment
aux jeunes coeurs , & défefpérer les vieux
paruOCTOBRE
. 1757. 37
par des fouvenirs , Céphife enivrée de fa
conquête , voulut prouver fa reconnoiffance
par fa gaieté. Des étourderies ridicules
, des éclats de rire funeftes à la nudité
de fa bouche , jetterent Lifis dans des
rêveries qui allarmerent Céphife. Lifis ,
dit- elle , avec une inquiétude pétulante
ne pas partager la joie que vous m'infpirez
, c'eft prefque m'en arracher le principe.
Heureufe par l'aveu de vos fentimens
, j'éprouve que le retour du bonheur
peut faire naître celui de la folie. Ah !
Madame répondit gravement Lifis , je fens
que c'eft la fin de la mienne, & je me retire.
VERS de Madame Guibert , à M. l'Abbé
Mangenot, qui lui avoit envoyé ce Diſtique.
Croyez-en mon expérience ,
Le coeur va plus loin qu'on ne pense.
Na craignez rien , mon cher Mentor ,
Pour être dangereux l'Amour eft trop frivole ;
Une ombre de vertu l'effarouche , il s'envole.
Si dans votre printemps il en étoit encor
Qui fuffent animés d'une flamme durable ,
Il n'en eft plus , le vice épuifa ce tréfor.
Vertueux , délicat , tendre , furtout aimable ;
Qu'un Amant tel que vous m'eût été redoutable }
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
LA COURSE SINGULIERE,
OU LA NOUVELLE ATHLANTE ,
Aventure qui n'est pas un conte , puiſqu'elle
vient d'arriver près de Dinan . Toute la
ville en a été témoin , ainsi que l'anefte la
Lettre qu'on va lire , & qui nous eft
adreſſée.
MONSIEUR , on a vu parier , & même
parier gros pour des courfes : quelquefois
ces courfes fe font faites par des Coureurs
de profeffion & par état , quelquefois
auffi , & même plus fouvent par des gens
de qualité , à cheval . Les Anglois paroiffent
exceller de préférence dans celles - ci.
Nous n'avons point de goût ici pour de.
venir leurs émules , & furtout dans un
temps où leurs allures ne doivent point
être imitées . Il s'agit d'une autre efpece de
courfe qui s'eft faite en cette Ville , courfe
à pied , mais entre deux perfonnes de fexe
différent ; circonftance qui fait tout le
mérite & le fingulier de la chofe.
Le Héros de cette courfe , eft un Gentilhomme
de cette Ville , nommé M. le
Chevalier de la Houffaye , grand , jeune ,
OCTOBRE. 1757 .
59
bien fait & alerte ; l'Héroïne , une jeune
Demoiſelle , nommée Mademoiſelle de
la Pilaye , jolie , fpirituelle , & dont les
graces de l'ame furpaffent encore celles de
la figure . Nos deux athletes étoient euxmêmes
les parieurs ; perfonne ne s'en mêloit
; il ne s'agifloit que de deux louis de
chaque côté. Un air de pitié pour le fexe ,
pouffé jufqu'à l'ironie de la part de M. le
Chevalier de la Houffaye , occafionna le
défi. Il prérendoit que toute femme mettoit
deux heures de temps pour aller à
pied d'ici au chateau de la Garaye , qui
n'en eft éloigné que d'un grand quart de
lieu Mlle. de la Pilaye qui étoit préfente ,
ne put fouffrir une telle exagération , enforte
que
de parole en parole , on en vint
au défi , & enfin au pari , à qui des deux
y feroit le plutôt rendu . On fit plus , c'eft
que le jour fut pris au vendredy 9 de ce
mois , pour l'exécution , & que le même
jour, à deux heures après midi , on vit nos
deux aimables champions au lieu du rendez
- vous pour le départ , Mlle. de la Pilaye
, fans autre préparation que des vêremens
ordinaires de la faifon , mais légers ,
& M. de la Houffaye en petit bonnet de coton
& en vefte. Ses préparatifs déplurent
à l'affemblée , & redoublerent encore l'intérêt
qu'elle prenoit dans la jeune De-
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
:
moiſelle : tout le monde défiroit pour elle ;
mais perfonne n'eût voulu parier ; on n'ofoit
même efpérer . Un monde infini étoit
au lieu du départ , d'autres en grand nombre
s'étoient déja rendu au château de la
Garaye , & un plus grand nombre encore
bordoit le chemin par où ils devoient paffer
. Nos champions partent enfin , & les
voeux de tout le Public fuivent notre aimable
parieufe . M. de la Houffaye fait
d'abord des entrechats badins : il s'en
amufe pendant quelque temps ; mais il
s'apperçoit qu'il s'eft mépris , & que s'il ne
veut avoir un affront , il faut employer
tout fon fçavoir- faire les gambades inutiles
lui avoient fait perdre du terrein ,
étoit effoufflé , & il s'agiffoit de regagner:
il y parvient ; mais c'eft avec peine. La
charmante Pilaye de fon côté , avoit commencé
d'un pas léger , mais avec modération
, enforte que lorfque fon concurrent
la rejoignit , elle jouiffoit encore de toute
fa fraîcheur il s'agiffoit alors de ne fe
point laiffer dépaffer , elle y parvient , &
c'est beaucoup. Ceux qui avoient vu le
départ, ne voyent bientôt plus rien, & ceux
qui avoient devancé au tiers du chemin ,
ne voient déja plus qu'une pouffiere que
les pieds du Chevalier faifoit élever : car
les pas légers de fa concurrente n'en met
il
OCTOBRE. 1757. 61
toient point en mouvement. Perfonne ne
pouvoit la fuivre ; les Zéphyrs feuls
avoient droit de l'accompagner. On dit ,
& il y a bien de l'apparence qu'ils la foutenoient
de leurs aîles , & la pouffoient légérement
, enforte qu'elle figuroit des pas
fans en faire ; car elle ne touchoit point à
terre. Un mantelet de gaze voltigeoit derriere
elle , & fembloit être entraîné malgré
lai ; les voeux du Public paroiffent aider
au Zéphirs , & les forces femblent
augmenter , lorfqu'on s'apperçoit que celles
du Cavalier diminuent ; il perd quelquefois
, mais il regagne le terrein perdu :
les fpectateurs font agités de crainte & d'efpérance
ils défirent encore bien plus
qu'ils n'ofent efpérer le Héros paroît enfin
fe fatiguer ; l'Héroïne s'en apperçoit ,
& par un dernier effort , met le Chevalier
derriere elle la refpiration lui manque ;
déja le dépit paroît dans fes yeux , il aban
donne la partie , s'affied , puis s'en retourne
à la ville par des chemins détournés ,
afin de cacher fa honte. Il arrive chez fon
hôreffe , un filence fombre annonce fa
défaite. Il cherche fon lit & s'y couché ;
c'est là que je l'abandonne pour revenir à
notre moderne Athlante.
Elle ne s'appercevoit pas d'abord de fa
victoire . Se retourner pour y voir , cût
62 MERCURE DE FRANCE.
été une perte de temps dangereufe : mais
enfin n'entendant plus courir ni fouffler ,
elle foupçonne qu'elle a gagné , & un regard
derriere elle , la rend certaine de fes
avantages ; elle pouvoit alors prendre du
repos fans danger : mais elle le méprife &
fe contente de ralentir fes pas , une démarche
douce & aifée , fuccede à la courfe
, & c'eft ainfi qu'elle approche de la Garaye
, où ceux qui s'y étoient rendus auparavant
, jettent des cris de joie , qui font
répétés de diftance en diftance par ceux qui
l'avoient fuivie. On les entend de la Ville ,
& le triomphe n'eft plus douteux : tout le
monde veut y affifter , les chevaux font
bientôt mis au peu de carroffes qu'il y a
dans cette Ville , ces carroffes s'empliffent
& volent vers la Garaye , on s'y difpute
l'avantage de ramener notre aimable vainqueur
, elle refifte tranquillement aux follicitations
& aux empreffemens ; elle
répond modeftement , que la même
voiture qui la fait vaincre , fervira pour
fon triomphe . Elle fe met en chemin pour
revenir , elle eft accompagnée de toutes les
perfonnes de diftinction de cette Ville de
l'un & de l'autre fexe , une multitude de
peuple marche devant & derriere , & des
carroffes vuides ferment la marche . Pendant
qu'elle fe fait ; les Officiers qui com
OCTOBRE. 1757. 63
mandent les différens détachemens de troupes
qui compofent la garnifon de cette
Ville , s'affemblent pour honorer l'entrée,
leurs tambours , fifres & hautbois marchent
devant eux , & c'eft ainfi qu'ils reçoivent
cette Demoiſelle aux portes de la Ville .
La marche continue au fon de ces inftruments
guerriers , jufqu'à fa porte , où elle
reçoit encore beaucoup de complimens.
On la laiffa repofer jufqu'au foir , & pour
célébrer un événement qui flatte fon fexe
encore plus que le nôtre , Madame la
Comteffe de la Brétonniere , mere de notre
Gouverneur , donna un grand fouper à toute
la compagnie ; il fut fuivi d'un bal qui du
ra jufqu'au jour , & où notre Héroïne retraça
à la danfe des pas auffi légers que ceux
qui l'avoient fait vaincre ; il s'eft donné
plufieurs autres fêtes depuis, & on les continue.
J'oubliois de dire que le premier foin
de Mlle. de la Pilaye , en arrivant à Dinan ,
à été d'envoyer les quatre louis à une Communauté
de fille de cette Ville , qui n'eft
point riche : on n'en attendoit pas moins
de fa façon de penfer.
Voilà mon récit ; il eft , Monfieur , dans
la plus exacte vérité : il occafionne un autre
pari de deux louis ; vous pouvez me le
faire gagner , ou , pour mieux dire , aux
Religieufes qui ont profité de l'autre ; car
64 MERCURE DE FRANCE.
on parie que ma Lettre ne paroîtra point
dans votre Journal : quelle douleur pour
moi , qui n'ai mis la main à la plume qu'à
la priere d'une amie intime de Mademoifelle
de la Pilaye , jeune perfonne auffi
charmante qu'elle , & à qui je fais gloire
d'obéir en toute humilité !
Je fuis avec refpect , & c.
DE LA MARRE- DURAND ;
Licencié en Droit.
A Dinan , en Bretagne , ce 25 Septembre
1757.
Nous nous fommes empreffés de rendre
cette Lettre publique pour faire gagner le
pari au galant homme qui nous l'adreffe.
Il l'a trop bien mérité par le plaifir qu'elle
nous a fait , & nous croyons que le Public
ne la trouvera pas moins intéreffante ,
qu'elle nous l'a parue par fa nouveauté , &
par la maniere agréable dont elle eft écrite.
Mademoiſelle de la Pilaye attache plus
qu'une Héroïne de Roman , & tout Lecteur
fenfible doit applaudir à fon triomphe.
OCTOBRE. 1757 : 65
STANCES à Madame ....
Ls tendre objet de ma famme
Daigne rentrer fous mes loix :
Si mes yeux parlent , fon ame
Entend leur timide voix.
Le plaifir féche mes larmes ,
Le trouble amene la pi !
Plus l'hyver cauſe d'alarmes ,
Plus le printemps a d'attraits.
Dans fes bras la jeune Flore
Reçoit fon Zéphyr léger ;
Pour un Amant qui t'adore
Craindrois-tu de t'engager ?
Une Déeffe fidelle
Ne peut fixer fon ardeur ;
Une inconftante mortelle
N'a pu fortir de mon coeur.
Ma plainte eft une injuſtice ,
Ne penfons qu'à ſon retour :
En retraçant fon caprice ,
J'offenferois fon amour.
66 MERCURE DE FRANCE.
La fouffrance eft un paſſage ;
Le bonheur fort de fon fein :
On doit oublier l'orage
Lorfque le ciel eft ferein .
*
Protecteurs de la jeuneffe ,
Ris , défendez mes beaux jours :
Que la ſtérile trifteffe
Jamais n'en fane le cours.
Chere faifon d'alegreſſe :
Ah ! tu vas t'évanouir :
Ta couronne eft la fageffe
La fageffe eft de jouir.
*
Tu foupires , ma Sylvie ;
Tes pleurs m'affurent ta foi :
Que je chérirai la vie !
Si je la paffe avec toi.
Amour , que ta douce haleine
Conferve l'éclat des fleurs
Dont la précieufe chaîne
Unit & charme nos coeurs,
Outrageante jalousie ,
Fuis & respecte nos noeuds a
f
OCTOBRE. 1757. 67
Ton aveugle frénéfie
Ne fait que des malheureux.
L'amour , fans la confiance ,
Mérite-t'il ce doux nom ?
Le plaifir eft l'innocence ,
L'innocence eft fans foupçon.
J. M. A.
Le mot de l'Enigme du premier Mercure
d'Octobre eft l'Eternité. Celui du Logogryphe
eft Fievre , dans lequel on trouve
feu , fer , Eve , ver , feve , rêve , Fée , vie.
ENIGM E.
De l'efprit & du corps , je préſente un miroir :
Je fais ouvrir les yeux , & l'on ne peut me voir,
Pour ma production , ô merveille étonnante !
Un feul fexe fuffit , fans douleur il m'enfante .
Je ne puis exifter fans l'efprit & le corps ;
Sans être aucun des deux , ce font là mes refforts .
Des deux fexes en moi l'on préfere le mâle ,
Du féminin fouvent plus d'un fat fe régale.
Par mon rapide vol je pénetre les airs ;
Je préfide à la ville , & parcours les déferts.
68 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis agent d'amour , une fource de haine ,
Un gage précieux de la foi fouveraine.
Sur tous les animaux mon empire s'étend :
A mon ordre par fois homme & brute ſe rend.
J'accorde les humains , c'eft moi qui les divife.
A tous ces traits , Lecteur , connois- tu ma deviſe
LOGOGRYPHE.
A qui ne m'entend pas je parois un délire ,
Et bien des gens dédaignent de me lire.
Pour qui m'entend j'ai l'eſprit ſuperfin ,
Je fuis , mon cher Lecteur , du fexe féminin.
Mais je n'en eus jamais ni les lys , ni les roſes.
Je t'offrirai pourtant les attraits de Cypris ,
Ce fera le début de mes métamorphofes :
Tranſpoſe un de mes traits , & tes regards furpris
Ne verront qu'un objet fufceptible des charmes
A qui dans l'univers tout doit rendre les armes.
Je trouve cependant une difficulté ,
A cet éclat dont je me pique ,
De mon maître dépend l'excès de ma beauté.
Il ne faut pas que j'en ferve un ruftique.
Belle Déeffe , adoptez-moi ,
Et tous les coeurs font fous ma loi.
De tant de gloire triſte ſuite ,
Deux traits de moins , un autre arrangement ,
En un antre craffeux je me trouve réduite ,
OCTOBRE. 1757 . 69
Pourras- tu tu croire un fi grand changement ?
Fuyons ce mot désagréable ,
Il m'en vient un très- favorable
Pour délaffer le fatigué rameur.
Un autre lui fera peut- être fort contraire :
Voici celui qui du chaffeur
Termine bien la grande affaire.
Je lui fournis auffi cette liqueur
Flattenfe & néceffaire ,
Puis je lui donne de bon coeur
Le temps qu'il faut pour fe refaire.
Bien d'autres mots viennent ſe préſenter ;
Je ne prendrai qu'un jeu , deux notes de mufique ;
Le malheur des humains , des Prêtres la rubrique ,
Ce que les Dames ont du plaifir à brûler ,
Ce que tout homme fçait ne devoir pas caffer.
Un animal rampant , une liqueur utile ;
Des Dames la premiere , une fuperbe ville ;
Un bien rarement fonds , plus la deſtruction
De guinguette , château , comme de baftion :
Un fentiment affreux qu'on cache d'ordinaire ,
Un homme qui feroit des grands & du vulgaire
Refpecté , s'il vouloit , en tout temps , en tout lieu ;
Enfin , mon cher Lecteur, la parole de Dieu .
70 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON
A
Mlle B.... qui me
coupoit
quelques
cheveux
qui
paffoient
ma frifure
.
Air : Suivons
l'Amour , c'eft lui qui nous mene,
NON , Dalila ; non , cette
infidelle ,
N'a jamais eu tant
d'attraits
que vous ;
Je gagerois
qu'elle
fût moins
belle ,
Puifque
Samfon
dormit fur les genoux.
OCTOBRE . 1757 . 71
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE du moyen d'apprendre sûrement
&facilement les Langues .
Pour démontrer que les regles par lefquelles
on veut faire paffer les étudians de
leur langue nationale à la latine , font de
pures inventions fur quoi l'on ne doit pas
compter , prenons quelques échantillons
de notre langue' , tirés des fiecles dont il
nous en reste encore des monumens ; &
pour nous mettre à l'abri du foupçon qu'on
pourroit former contre nous , de vouloir
ajufter les choſes à nos idées , ouvrons le
petit traité de Paléographie qui eft entre
les mains de tout le monde , fpect. de la nat.
1. 7. On pourra appliquer à toute autre lanque
, ce que nous allons obferver fur l'étu
de de la langue latine par les regles qu'on
fait apprendre aux enfans . Nous verrons fi
les méthodes ont pu être en ufage , ſeulement
un peu plus haut qu'au commencement
du feizieme fiecle , où l'on fe mit à
fabriquer des fyntaxes , des concordances
72 MERCURE DE FRANCE.
contre lefquelles Bembe , Adrien , Sanc
tius & autres s'éleverent .
On fçait que notre langue vient originairement
de la langue gauloife , auffi bien
que de la langue latine mêlée avec la langue
grecque , répandues dans le bas Empire.
On l'appella alors Romance ou Romane,
c'est-à-dire romaine , parce que celleci
lui fervit en quelques façons de modele.
Le Gaulois aujourd'hui inintelligible ,
fe perdit peu à peu , ne laiffant que quelques
veftiges de fon antiquité. Nous ne
pouvons guere monter plus haut que fept
ou huit cens ans , pour démêler une forte
de forme que notre langue prenoit. Par
exemple ,
Dans le neuvieme fiecle , on difoit : por
Deu amor & por Chriftiano Poblo & noftro
commun falvament : c'eſt-à - dire , pour l'amour
de Dieu , pour le Peuple Chrétien &
pour notre commun falut . Nous demandons
fi les Grammairiens de ce fiecle avoient des
regles pour enfeigner à nos petits ancêtres
à mettre cette efpece de latin en latin ? On
ne connoiffoit pas encore les articles que
nous confondons aujourd'hui avec certains
pronoms ; ainfi on ne pouvoit point débiter
, que de , du , des entre deux fubftantifs
, marquoient qu'il falloit mettre le
fecond au génitif : le diſciple à qui l'on
auroit
OCTOBRE . 1757 .
auroit fait compofer un thême , n'auroit
pu changer Den en Dei , qu'en vertu de
l'ufage des Auteurs latins , où le cas poffeffeur
est toujours défigné , foit par un
fubftantif antécédent exprimé ou fous- entendu
, foit par la terminaifon qui lui eſt
particuliere , fuivant la huitieme des douze
maximes fondamentales , qu'on a rapportées
à la fin de l'introduction . Quant aux
autres mots , la prépofition fixoit leur cas
fuivant la douzicme maxime : par conféquent
, il étoit inutile d'enfeigner une
chofe qu'on fçavoit par ufage ; comme il
feroit ridicule d'enfeigner à un François 5
qu'on ne dit pas , du pain à moi donnez ;
mais qu'on dit , donnez - moi du pain. Les
mots & les tours des langues d'ufage alors
étant venus à changer ou à s'altérer , felon
le goût & la prononciation du fiecle , on
perdit peu à peu jufqu'aux terminaiſons ,
furtout celles des deux langues grecque &
latine, qui s'incorporerent, pour ainfi dire ,
avec la nationale. La latine qui étoit à l'Egliſe
réfiſta ſeule à la corruption , & il
n'y eut plus d'autre moyen , de même qu'il
n'y en a point encore aujourd'hui d'autre ,
pour apprendre sûrement cette langue, que
par la lecture fréquente des bons Ecrivains
latins , où font les véritables regles & le
véritable ufage .
II.Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Dansle dixieme fiecle , on traduifit ainfi
le Symbole de Saint Athanafe. Eft la communfei
qué uns ( 1 ) Deu en Trinitet , & la
Trinitet en unités aoruns ( 2 ) nemie confundans
le perfonnes..... Alire eft le
perfonne del Pere , altre del Fils , altre
del Sız. Efpiriz... Quel eft li Pere , tel eft li
Fils , tel eft li Saintz Efpiriz... Grandz eft
li Pere , grandz eft li Fils , grandz eft li
Saintz Efpiriz , & c. On entend ce langage
prefque tout latin , à la fouſtraction & à
l'addition près de quelques lettres dans le
génie de la nation . Voilà des articles qui
paroiffent fans diftinction de genres , ni
de nombres . On dut donc changer de méthode
dans ce fiecle , s'il y en eut dans le
précédent ; mais il n'en refte point de veftiges
: par conféquent on ne fongeoit guere
à faire mettre la langue nationale en grec ,
ou en latin par regles , comme on l'a fait
depuis, à mefure que la langue françoife
s'eft perfectionnée . Il y a eu , nous dira- ton
, de bons Ecrivains latins dans les derniers
fiecles c'est-à- dire de bons imitateurs ,
non des originaux , nous en convenons ;
mais ce n'eft pas par la compofition du françois
en latin qu'ils fe font formés ; nous
l'avons prouvé .
(1) D'unus.
(2) D'adoramus , adorons
4
OCTOBRE . 1757. 75
Dans le onzieme fiecle les traductions
reffembloient encore au latin , ce qui eft
conftaté
par les abréviations fréquentes ,
dont les manufcrits font hétiffes avant l'invention
de l'Imprimerie ; puifqu'on trouve
& qu'on prononçoit , par exemple : uns
vers fu ja en lantif Poblo Deu e out num Helcana
, &c. c'eft à - dire , il y eut jadis un
bomme de l'ancien Peuple de Dieu nommé
Helcana , &c. Rappellez les lettres qu'on
fupprimoit , & rétabliffez celles qui font
changées, foit par la prononciation d'ufage
alors , foit par le génie du patois ; c'eſt
du latin tout pur. Ūnus vir fuit jamdudum
in antiquo Populo Dei, & habuit nomen Helcana.
L. 1. des Rois. (1)
Il faudroit une méthode exprès pour
mettre encore cette forte de latin en latin ;
car aucune des nôtres n'y feroit parvenir.
Il n'eft pas poffible de bien apprendre une
langue fixe & immuable , telles que font
(1 ) Un pour unus. Vers pour vir dont l'i fe
prononçoit commé ei. Captivei anciennement
pour captivi : de la diphtongue ei , ôtez i dans
veir , vous direz ver on ajoutoit fouvent la lettres
, afin de rendre la finale plus doace. On prononçoit
anciennement abouit, pourkabuit; enfuite
on ne garda que les trois lettres out . Num , prono
cez les deux lettres um comme dans umbilicus ,
vous aurez le mot nom . Cette note fuffit pour ju
ger du rèfte.
Dij
76. MERCURE DE FRANCE.
aujourd'hui les anciennes , par des regles
tirées d'une langue moderne toujours variable
par laquelle on veut procéder.
Dans le douzieme fiecle , notre langue
encore en maillots , pour ainfi dire , commençoit
à fe former & à s'éloigner un peu
de ce latin barbare dont elle defcendoit ;
mais on ne s'avifa pas encore de mettre fous
fon joug la langue latine dont elle étoit ellemême
encore l'esclave , & à jufte titre ; les
regles qu'on auroit voula fabriquer n'auroient
pu durer long- temps , & d'ailleurs
par quelles regles fixes auroit- on dû exprimer
en latin Bernard demenés ou temps de
villece , pour dire : Bernard arrivé à la
vieilleffe ? &c. La Cor bi Roi c'est- à- dire La
Cour du Roi ? Et ainfi de toute autre phrafe.
La particule ou auroit eu befoin d'une
regle fort détaillée pour être connue , tantôt
comme article , tantôt comme adverbe
de lieu , puis comme conjonctive & fouvent
comme disjonctive . De telles obfervations
n'euffent pas fait fortune. Ce n'eft qu'à
force de temps & de fueur aujourd'hui ,
qu'on parvient à faire apprendre aux enfans
ces variations. Faites traduire aut , vel;
quò , quà , unde , ubi , en place dans un
bon Auteur , ils fçauroient toutes ces diftinctions
à la feconde fois tout au plus : ce
fera bien plutôt fait.
OCTOBRE. 1757 . 77
Dans le treizieme fiecle on difoit : Acui
mefchiet , len li meſoffre , pour , on ne fait
plus de bien à qui malheur arrive . Encore un
exemple : Dieus me pardoinft de quanque
(1 ) iou ai meffait ; pour , Dieu me pardonne
tout le mal que j'ai fait. Si l'on n'avoit
pas recours aux anciens Ecrivains pour
le tour & les expreffions propres à rendre
ces penfées , y arriveroit-on par le moyen
de ces regles , dont nous martelons la tête
des enfans ? On verra bientôt des échantillons
du fruit de ces regles , lorfqu'on
commença à les forger. Si avant ces inventions
, il y avoit des Grammairiens de profellion
, comme sûrement il y en avoit ,
ce n'étoit pas pour enfeigner à mettre en
latin la langue ou le jargon du temps ,
mais pour enfeigner les regles de la langue
latine même,que lesAuditeurs entendoient,
comme nous avons des grammaires françoifes
pour connoître les regles de la lanque
françoife. Qu'on enfeigne comment il
faut exprimer en françois certains tours
latins , à la bonne heure , encore ne trouvera-
t-on ces regles que dans l'ufage.
Dans le quatorzieme fiecle , on cultiva
la langue françoiſe avec plus de foin qu'on
ne l'avoit fait jufque- là ; elle s'éloigna auffi
(1) Quodcumque.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
de plus en plus des autres langues , & prit
une toute autre forme en defcendant. Charles
V , dir le Sage , prioit ainfi :- Jefuse
Chriſt , parfait de tous temps , mes Dieu ,
mes Sires & mes Rois .... Glorifiez foies tu
de tous les maux & de tous les biens qui me
vendront ( 1 ) , Sire , qui me as fait, & es poiffans
( 2 ) de me défaire ( 3 ) , fait ta volanté de
moi. Quoique cette priere foit d'une toute
autre diction que ce que nous avons vu ,
il n'y a cependant pas encore moyen d'employer
nos regles pour la mettre en latin ;
il faut néceffairement avoir recours au latin
même qui a été fait avant ce françois , ou
bien fe réfoudre à faire une langue latine
qui n'existe pas.
Dans le quinzieme fiecle : Si l'en veult
jouer aux échés l'en lefprend on en un fachiet,
&fait ou aujeu plufieurs perfonnaiges , Roys,
Reynes,Chevaliers , &c. Obfervez que la particule
on fi renommée , eft ici entendue fous
différens fons; ainfi la regle qui la concerne,
n'ayant pas été faite alors, elle aura été fabriquée
vraisemblablement dans le fiecle fuivant:
encore eft- elle abfolument fauffe ; cat
cette particule eft un vrai pronom de la troifiemeperfonne:
elle pourra fans doute éprou-
(1) Viendront.
(2 ) Puiffant , qui peut , qui a la puissance.
(3) De me détruire.
OCTOBRE , 1757. 79
ver d'autres viciffitudes par laps de temps.
Nous touchons enfin anx méthodes , anx
fyntaxes & à tous les rudimens dont on fut
inondé par le fecours de l'Imprimerie
inventée vers le milieu de ce fiecle. Les livres
néotériques fe multiplierent de plus
en plus à la fin ; & au commencement du
feizieme , on voulut affervir la langue latine
à la françoiſe on fit une nouvelle
langue compofée de gallicifmes , enfin un
jargon qui ne reffembloit à rien. On eut
beau s'élever contre ce défordre , l'ufage
l'emporta malgré la déclamation des gens
de goût , & furtout de l'Univerfité de Paris
, qui , dans fes ftatuts renouvellés en
1600 , indique les Auteurs anciens qu'il
faut faire lire continuellement , & qui ne
demande de compofitions que deux fois
tout au plus par femaines , encore n'eft- ce
que dans les hautes humanités , c'eft - à - dire
lorfqu'on fçait la langue.
On vit une multitude de petits Grammairiens
, la tête farcie de fyntaxes & de
méthodes nouvelles , fans connoiffance des
moindres Auteurs de l'antiquité , ouvrir
partout des écoles pour enfeigner leur prétendue
langue latine par la voie des thêmes.
Il y avoit avant la réforme , jufqu'à
vingt-deux petites écoles de grammaire
dans le feul College de Navarre. Soumis à
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
ces regles qu'on inventoit tous les jours ,
ils multiplierent fans fin les livres bleus ,
qu'on n'a pas moins continué de multiplier.
Mathurin Cordier fit imprimer en 1532
un recueil de phrafes du langage latin ,
qu'on fabriquoit à l'aide de ces inventions.
Ce Grammairien effaya de corriger ce langage.
Il rapporte que pour mettre en latin ,
quand il s'eft mis quelque chofe dans la tête ,
on ne fçauroit l'en faire revenir , on faifoit
dire fans fcrupule : poftquam pofuit aliquid
in capite fuo , numquam poffunt ab illo removere
; au lieu de , femel perfuafus , numquam
deducetur à fententia. Il lui a bien
chanté fa game , ou il lui a bien dit fon
fait , on écrivoit communément , & même
élégamment , felon quelques- uns : benè
cantavit illi fuam lectionem pour acerbiſſimè
illum objurgavit. Pour exprimer en latin ,
vous traînez votre robe , on difoit bravement
, tu trenas tuam veftem , au lieu de
toga verris humum , &c .
Il y a dans le recueil de Mathurin Cordier
, une multitude de phrafes de cette
efpece , qu'il prit la peine de raffembler
pour le ridicule. Les jeunes gens qu'on
n'occupoit que de regles , étoient bien excufables
, puifque la vraie latinité des Auteurs
anciens étant négligée , ils ne pouvoient
que produire de pareilles miferes.
OCTOBRE. 1757. 8i
Outre cette dépravation , on les châtioit
quand ils péchoient contre ces regles . Nous
pourrions rapporter beaucoup de proueffes
femblables de nos jours , que tous les enfans
en général font néceffairement dans
leurs compofitions journalieres , fans pour
cela qu'il faille leur en faire coûter une
larme : on auroit amplement de quoi ajouter
bien des volumes au recueil de Mathurin
Cordier. Qu'on y joigne les châtimens
pour autant de folléciſmes qui font inévitables
dans ces commencemens , & pour
autant de mots ou impropres ou forgés , ce
fera le vernis qui perfectionnera le tableau
hiftorique dont nous faifons la defcription .
Mais paffons légérement fur cet article par
refpect pour l'ufage des thêmes , dont il
réfulte de fi belles chofes.
L'Univerfité de Paris & plufieurs autres
, ayant fenti le ridicule d'obliger des
enfans à parler latin avant que de l'avoir
appris dans les bons Auteurs , ont aboli
peu à peu la mauvaiſe habitude qu'ils contractoient
de s'exprimer d'une façon toujours
baffe , & ont remis en vigueur la
culture des anciens . Celle de ce latin de
nouvelle fabrique , ne fubfifte plus que
chez les maîtres qui n'ouvrent pas
fur l'objet de leur état.
les
yeux
On demande à ces meffieurs ce qui cft
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
caufe , qu'après avoir enfeigné deux cens
fois une regle , les enfans y manquent deux
cens fois ? C'eft , dit-on communément ,
qu'ils ne veulent pas s'appliquer , qu'ils
jouent , qu'ils s'amufent , &c. lieux communs
tout cela eft de leur âge. Les réponfes
vagues ne remédient point au mal ;
convenons nettement qu'il n'y a rien de fi
faftidieux , ni de moins intére ffant
pour
eux , que de faire accorder l'adjectif avec
fon fubftantif , tandis que tout cela eft fait
en fa place dans les bons Auteurs qu'il ne
s'agit que d'apprendre. Que leur importe
de mettre un cas ou un autre , encore moins
d'en fçavoir ou d'en dire la raifon ? Ajoutez
à cette indifférence naturelle , les larmes
, les criailleries & les fupplices , voilà
les livres rendus odieux , ils les haïronti
toute leur vie , ils les détesteront.
On ne fçauroit fans être foupçonné
d'impéritie , fçavoir mauvais gré aux gens
qui communiquent au public leurs propres
expériences pour le bien & l'avancement
des bonnes lettres , dont le fuccès dépend
entiérement des premiers pas . Ceux qu'on
blâme trop légérement , nous ont tracé une
route agréable & efficace , en nous propofant
la voie de la traduction. Ils nous
ont prouvé , qu'il n'y en a point de plus
sûre. Il ne faut donc pas les condamner fans
OCTOBRE. 1757.
83
en avoir effayé . On a démontré que par ce
moyen , les enfans apprennent la langue
latine fans s'en appercevoir , comme ils ont
appris leur propre langue avec leurs parens .
Qu'on leur explique deux ou trois fois le
fens d'une phrafe , ils la retiennent .
On peut ajouter à ces preuves d'expérience
, que nous n'avons d'abord appris
notre langue que par la voie de la traduction
; & ce n'eft pas un paradoxe , fi l'on
y refléchit profondément. La connoiffance
de l'ufage d'une chofe , fans en fçavoir le
nom , eft un langage pour un enfant . Don--
nez-lui le mot grec pov , ou le mot latin
nux, qui fignifient une noix , dont il
connoit l'ufage , le nom lui en eft fort indifférent
en grec , ou en latin , ou en françois
, ou en chinois ; mais il retiendra ce--
lui de la langue que vous voulez qu'il ap--
prenne , à force de le lui répéter & de lui
montrer en même temps l'objet même.
Une mere commence par montrer à font
fils ce que c'eft que faluer , enfuite elle lui
fait traduire cette action par ces mots françois
je fuis votre ferviteur , parce qu'elle
veut que fon fils entende le françois . Cette
mere ne commence pas par lui expliquerque
je eft le pronom de la premiere per
fonne , que fuis vient du verbe êire , que
ce. verbe eft. au préfent & non au futur
D.vj
84 MERCURE DE FRANCE.
que votre eft un pronom adjectif , que ferviteur
est un fubftantif avec lequel il faut
accorder.... Elle lui dit fans verbiager ,
je fuis votre ferviteur ; l'enfant répete , &
retient la phrafe tout d'une piece avec fon
tour naturel. Quand il aura le jugement
formé , on lui expliquera le grammatical ;
mais en attendant , il apprendra & fçaura
enfin fa langue.
Pour enfeigner la langue latine , on
commence par des définitions méthaphyliques
, qu'on fait apprendre aux enfans fans
les comprendre ; faites-leur répéter fouvent
la fignification françoife des mots latins
d'une phrafe , c'eft aller au fait . Vous
leur apprendrez le grammatical chemin
faifant avec prudence & difcrétion ,
pour ne pas les rebuter. Ils réuffiffent en
plus grand nombre & incomparablement
mieux en verfion qu'en thême : tout le
monde en convient. C'est donc encore un
indice fans équivoque de la route qu'il
fau droit d'abord tenir ; mais pour marcher
sûrement par la traduction , il en faut exclure
abfolument celle de tout latin moderne
, & même des meilleurs Auteurs qu'on
a renverfés ; car quel avantage tirer de ce
bouleversement ? Changer un texte , c'eft
le défigurer.
La fuite au prochain Mercure.
OCTOBRE . 1757 . 85
Le fieur de la Tour , de la ville de Montpellier
, travaille au Nobiliaire du Languedoc
depuis plufieurs années .
Voici le Programme de fon Ouvrage :
Il contiendra un abrégé hiftorique de la
Province , les noms , furnoms , feigneuries
, qualités & armes de tous les Nobles ,
pareillement les noms , furnoms , feigneuries
, qualités & armes des Nobles qui
n'étant point nés dans le Languedoc , y
ont des terres & feigneuries.
On mettra aux articles des grandes maifons
& familles confidérables , les defcendances
d'où elles tirent leur origine , les
noms & furnoms de leurs Ancêtres qui
ont rempli des places diftinguées dans
l'églife , le militaire ou la magiftrature :
il y aura un détail de leurs actions mémorables.
11 fera auffi fait mention dans cet
ouvrage des Officiers Généraux d'armées
& Magiftrats de la Province actuellement
vivans , de leurs enfans , ainfi que des
Prélats.
Toutes les armes de ce Nobiliaire feront
gravées en taille - douce , & il formera
deux volumes in- quarto.
Meffieurs les Gentilshommes du Languedoc
, & les Nobles des autres Provinces
qui ont des terres en Languedoc , font
priés d'envoyer la copie de leur maintenue
de nobleffe , celle de leur généalogie ,
86 MERCURE DE FRANCE.
des extraits baptiftaires , & quelqu'autres
actes légalifés des Juges des lieux , pour
être inférés dans ce Nobiliaire.
Ces Meffieurs font auffi priés d'affranchir
les ports des lettres & paquets , adreffés
audit fieur de la Tour.
Il demeure à Paris , rue de la Juiverie
en la Cité , vis- à- vis la Tête-noire.
NOUVEAU traité de Diplomatique , où
l'on examine les fondemens de cet art , on
établit des regles fur le difcernement des
titres , & l'on expofe hiftoriquement les
caracteres des Bulles pontificales & des diplomes
donnés en chaque fiecle : avec des
éclairciflemens fur un nombre confidérable
de points d'Hiftoire , de Chronologie , de
Littérature , de Critique & de Difcipline ; -
& la réfutation des diverfes accufations intentées
contre beaucoup d'archives celé
bres , & furtout contre celles des anciennes
Eglifes . Par deux Religieux Bénédic
tins de la congrégation de S. Maur. Cinq
vol . in-4°. avec un très - grand nombre de.
planches & de figures en taille douce.`
Les planches très- nombreufes du troifieme
volume de cet Ouvrage n'en ont pas
feulement retardé la livraiſon ; mais elles
ont encore obligé le Libraire- Imprimeur à
faire des avances confidérables. La gravuredes
planches , qui entreront dans le qua
OCTOBRE. 1757. 87
trieme volume , eft achevée . On y traitera:
la matiere des Sceaux : objet non moins
curieux qu'intéreffant. Suivra la troifieme
partie de l'ouvrage , où l'on examinera le
tyle , les formules , les foufçriptions , les
dates & tous les autres caracteres intrinfeques
des diplomes . La compofition eft commencée
il y a fix ou fept mois. Le Libraire
compte être en état d'offrit auPublic ce nou :
veau travail vers la fin de l'année 175 8. En
conféquence il a pris la réfolution de faire
foufcrire pour le quatrieme tome , en li
vrant le troifieme..
A commencer au 15 Septembre 1757 .
le fieur Defprez , Imprimeur ordinaire du
Roi & duClergé de France , rue S.Jacques , à
Paris ,délivrera le tome troifieme en feuille ,
en recevant pour le petit papier 20 -liv . fçavoir
10 liv. pour la livraiſon du tome ze, &
10 liv. d'avance pour le tome quatrieme.
Et pour le grand papier 32 liv . fçavoir
16 liv. pour le tome troifieme , & 16 liv.:
d'avance pour le tome quatrieme , dont il
fera donné une reconnoiffance . Tous les
volumes fe vendent, pour ceux qui n'ont
pas fouferit , 24 liv. le volume relié en
petit papier , & 30 liv. en grand papier..
LA SARCOTHE'E ,. Poëme traduit du latin
du R. P. Mafenius de la Compagnie de
88 MERCURE DE FRANCE.
Jefus par M. l'Abbé Dinouart. A Londres,
& fe vend à Paris chez J. Barbon , rue St.
:
Jacques 1757.
Cette traduction nous a paru mériter des
éloges , & le poëme original qui la précé
de , eft un vrai préfent que M. l'Abbé Dinouard
vient de faire au public littérateur,
Les vers du P. Mafenius , font auffi beaux
que peuvent l'être des vers d'une latinité
moderne nous en jugeons nous-mêmes
autant que nous fommes en état de juger.
des beautés d'une langue morte . Le Traducteur
nous apprend que ce poëme parut
en 1661 , qu'il étoit tombé dans un parfait
oubli , & que c'eft l'accufation de plagiat
reproché à Milton par Guillaume Lauder
, Ecoffois , qui l'a tiré de fon obſcurité
( 1 ) . Il eft divifé en cinq livres. Pour donner
une idée détaillée de cet ouvrage , nous allons
tranfcrire & réunir les argumens que
M. L. D. a mis à la tête de chacun de ces
livres. C'eſt le meilleur extrait que nous
puiffions en faire. Nous y joindrons plufeurs
morceaux du poëme latin & de la.
traduction françoife , qui mettront le lecteur
mieux à portée de décider de la beauté
(1 ) Ceux qui voudront s'inftruire du fonds de
cette conteftation , la trouveront très- circonftanciée
dans les obfervations qui fuivent l'Avis du
Traducteur.
OCTOBRE. 1757. 89
de l'un & du mérite de l'autre.
Dans le premier livre , le Poëte comprend
Adam & Eve fous le feul nom de
Sarcothée , c'est -à-dire , la nature humaine,
qu'il confidere comme la fouveraine de
tout ce qui porte un corps. Antithée ou
l'ennemi de Dieu eft Lucifer ; fon contrafte
& les compagnes fideles de Sarcothée
font Arethée ou la vertu , Agapée ou la cha
rité , Thémis ou la juftice , Elpis ou l'efpérance
, Dianée ou la raifon , Metanée
ou la pénitence. Les furies , le dol , les maladies
, la vieilleffe , le travail , la pauvreté
, la faim , la mort accompagnent Antithée.
En introduifant ces perfonnages fur
la ſcene , le Poëte forme l'intrigue & le
dénouement de fon poëme ; il fe repréfente
d'abord comme ravi en efprit, & porté fur
les aftres , d'où il contemple l'univers , dans
le deffein de faire naître l'occafion de rechercher
l'origine du mal qu'il trouve dans
la défobéiffance de l'homme , & dans les
rufes du démon qui le féduit. Il décrit enfuite
ainfi le paradis & la création de Sarcothée
, à qui il affocie les vertus que nous
venons de nommer.
Eft locus auroram propter , rofeumque cubile
Tethyos , & nati clara incunabula phoebi ,
Protopatris natale folum , quo primus in agro !
90
MERCURE DE FRANCE.
Lufit , & innocua libavit gaudia vita.
Hortorum decus hîc , & ameni gratia ruris
Vernat , inoffenfo numquam fpoliata decore,
Quidquid achæmenio nares demulcet odore ,
Blanditurque oculis , verifque meretur honorem ;
Hoc Charites pofuêre loco : domus ipfa favoni eft
Plaudentes levibus per aprica filentia pennis .
Exfulat omnis hiems : nullis vexata procellis.
Hic rofa fuccumbit , nullo expalleſcit ab Euro
Nafcendo moriens , non Syrias ardor anhelam
Decoquit , aut rapto flaccefcit languida fucco.
Inviolatus honos violæ eft , & tota juventus
Chloridis æterno pandit labra florida rifu,
Nullus hyperboreo Boreas glacialis ab axe
Infeftas ventorum acies niviumque procellas
His infundit agris : nullis hîc cana pruinis
Arva rigent , nullo coalefcunt frigore lympha
Aurea perpetui furgunt palatia veris.
In medio lætatur humus , fontemque perennis
Spirat aquæ , lateque finum telluris inundat ,
Infundens avidis felicia balnea prætes.
Flumine quadruplici manat fons , divite ripâ ,
Quem vehit illimes complectens alveus undas.
His fecunda vadis , atque obftetricibus aris ,
Tellus lata parit ; nullifque exercita raftris ,
Refpuit agricolas , & duri vomeris ufum ,
Naturæ contenta bonis , zephyriqus favore.
Pomiferis latè filvis , & fructibus omnem
Amplet , ager campum , nec marcefcente vigore
OCTOBRE . 1757. 97
Foma fub æternis nutant argentea ramis.
Blanda voluptatis conceffaque munera , vitæ
Præfidium , facilifque neci medicina fugandæ
Hic indulta diis ; verum mortalibus arbor
Interdicta viret , pulchros habet aurea fructus
Præfagofque malique , bonique , omnifque futuri..
Heu comperta nimis memoro, dudumque probata.
Pofteritas mihi teftis erit , magnufque parentum
Ordo decet. Tantis etenim pulcherrima campis
Sarcothea , infelix virgo lachrymabile nomen ,
Sarcothea his præerat cuftos , hærefque perennis.
Ni male confultas pandiffet fraudibus aures ,
Hoftibus aufcultans , & fædera pacta relinquens
Hanc confanguineam tertæ, maſſamque rubentis
Informem limi , primo fapientia rerum
Artifici finxiffe manu , formamque dediffe
Creditur ipfa fuam , Dîs immortalibus unamt
Equaffe ut dignam patriæ tranfcriberet aula.
Traduction. Vers la région où l'aurore
annonce les feux renaiffans du foleil , qui
fort de la couche brillante de Therys , eft
le lieu qui voit Sarcothée formée par le
Créateur , goûter les plaifirs innocens de
la vertu . Ce féjour délicieux eft destiné à
fes plaifirs ; les Graces y font naître à l'envi
tout ce qui peut flatter la vue , l'odorat &
le goût . On entend les zéphyrs agiter leurs:
afies odoriférantes ; le Dieu des glaces &
92 MERCURE DE FRANCE.
des frimats , l'époux d'Orithie , n'ofe pénétrer
dans ce climat , où le printems feul
regne en Souverain . La rofe n'y pâlit jamais
à l'aſpect des orages , le fouffle d'un
vent ennemi ne la fait point mourir en
naiffant , & n'altere jamais le vif éclat de
fon teint ; la violette exhale toujours les
parfums les plus fuaves , & chaque fleur à
le coloris & la fraîcheur de l'aimable Cloris.
Au milieu de cette habitation , coule
une fource d'eau vive qui arrofe les plantes
& ferpente dans les prairies ; fon onde
claire & pure roule fur un fable d'or , &
fes bords font embellis par les mains de la
nature : elle fe divife en quatre grands
fleuves ; leurs eaux & un air toujours ferein
portent en tout lieu la fertilité. Riche
de fon propre fonds , contente des faveurs
dont la comble le zéphyr , la terre , pour
enrichir l'homme de fes bienfaits , n'attend
pas les voeux des humains & l'ordre des
faifons. Dans cette folitude fortunée , vous
trouvez des bocages dont les arbres fans
nombre , font toujours chargés de fleurs &
de fruits agréables qui vous invitent à les
cueillir. L'arbre de vie préfente le moyen
sûr de fe conferver dans la vigueur du bel
âge , & de s'affurer ici bas le privilege de
l'immortalité. Le Créateur s'eſt réſervé
l'arbre de la fcience du bien & du mal ,
OCTOBRE. 1757 . 93
& de la connoiffance du futur : coupable
poftérité d'Adam , vous n'éprouvez que
trop les triftes effets de la défobéiffance
dont je décris l'origine . Sarcothée étoit la
fouveraine de ce lieu de délices , la durée
de fon bonheur fut celle de fa fidélité.
L'ingrate ! Devoit- elle être rebelle aux ordres
de fon Dieu , & écouter la voix de
fon ennemi ? La fageffe forma du limon
de la terre Sarcothée l'image visible de fa
Divinité , & l'héritiere de fa gloire .
Le Poëte repréfente enfuite Antithée ,
animé par l'envie infpirant à tous les démons
par fes paroles le même efprit de fureur,
excitant les maladies , les foins , da
pauvreté , la faim & la mort ; concourant
avec lui à la vengeance qu'il médite , il
peint enfin leur irruption violente fur la
la terre après leur fortie du Tartare.
Au fecond livre , Antithée conduit fes
légions infernales dans le paradis terreftre,
dont le Poëte finit le tableau par ces beaux
traits.
Nondum fulmineis incanduit athra procellis ,
Tempeftas ignota fuir non horruit imber
Grandinis , aut madidam fubvertit aquarius ura
nam.
Aftra foam fusêre diem , fine nube , ferenum ,
Profcriptis coelo nebulis ; fibi bruma licere
94. MERCURE DE FRANCE.
Haud quidquam voluit , rigidas exofa pruinas ;
Artoafque nives Zephyrus borealia rector
Sceptra tulit , flavitque leves moderatius auras ,
Ver anni menfura fuit. Pax aurea mundum
Datalem tenuit ; nondum ſua ſpicula Mavors ,
Nec pallas galeam , nec fævos Mulciber ignes
Intulerant noftris , crudelia numina , fatis.
Non clypeus , non enfis erat , nec vulnera quifquam
Senferat , aut mediis vitam prodegerat armis,
Non valvis munita domus , non oppida vallis
Cincta , nec excubia infomnes , nec fubdolus
hoftis
Notus erat ; fed tuta quies poffederat orbem.
Nomina morborum nondum vulgata , nec ar :is
Inventor medicæ lectas diftinxerat herbas.
Nulla lues , nullo dives libitina fepulcro ,
Nec Radamanthæam tunc Groffius arbiter urnam
Excuffit , trepidante foro : nec parca refecto
Stamine divulfos abruperat improba fuſos.
Traduction. La foudre portée fur les ailes
des tempêtes & des éclairs , ne faifoit
point retentir la vafte concavité des rochers;
la grêle , les orages , la neige & la pluie
n'attritoient point la terre , & ne défiguroient
point les campagnes. Le firmament
uniforme en couleur n'étoit point
chargé de nuages ; un ciel pur & ferein ,
un printems conftant confervoit à la nature
OCTOBRE . 1757. 95
fon premier éclat. Mars , Pallas & Vulcain ,
Divinités cruelles , n'avoient point armé
les hommes les uns contre les autres : on
ne voyoit ni fortifications , ni foldats ; on
n'avoit pas d'ennemis à combattre . L'univers
repofoit dans le fein de la paix qui lui
procuroit les plus beaux jours. Les Médecins
n'habitoient pas cette région , où le
nom même des maladies étoit ignoré
& la parque n'avoit point encore envoyé
de triftes ombres au tribunal de Minos.
Le dol déguifé fous les traits de l'amour
pénetre le premier dans ce lieu de délices :
il conduit Sarcothée à l'arbre défendu , où
Antithée fe tient caché fous la peau du ferpent
: l'amour-propre bleffe d'une de fes
fleches Sarcothée ; le dol la porte à manger
le fruit , & Dianée ( la raifon ) qui la
flatte agréablemet par les prétendus avantages
qu'elle en dot recevoir , acheve de
la féduire. Trompée par leurs difcours &
par les promeffes du ferpent , elie fe rend
coupable de défobéiffance : au moment de
fon crime , la nature change , les élémens
fe confondent , les démons & tous les maux
à leur fuite , fe répandent fur la furface de
la terre. Arethé & la divine Pronée ( la
providence ) s'oppofent à Antithée qui veut
entraîner Sarcothée vaincue, dans le Tartare.
Thémis , après s'être élevée contre la
96 MERCURE DE FRANCE.
fureur d'Antithée & la perfidie de Sarcothée
, abandonne la terre & rentre dans le
ciel. Sarcothée & Dianée réduites à l'état
le plus déplorable , veulent fe fouftraire à
la préfence du Seigneur ; en vain Dianée ,
pour éviter fes reproches , change fon nom
en celui de Metanée ; les autres Nymphes
& particuliérement Agapée , font couvertes
de bleffures , chaffées du paradis , & pourfuivies
la faim: c'eft avec peine que
Sarcothée trouve un azilè chez la terre
par
qui , en la recevant , la condamne à la plus
dure fervitude.
Dans le troifieme livre , Antithée partage
entre les efprits infernaux , l'empire
de l'univers , il leur affigne différens noms
fous lefquels ils doivent être connus & honorés
; fon deffein eft d'abolir le culte du
vrai Dieu , & il exécute ce projet par le
mariage de Philaute ( l'amour propre ) avec
Sarcothée fa mere ; Sarcothée conçoit cet
enfant , en fe regardant dans le cryftal de
l'eau . Allégorie ingénieufe que le P. Mafenius
exprime par ces vers qui méritent
d'être cités .
Ipfa etiam propriæ fpectans ab imagine forma
Luditur , & niveum veneratur in ore decorem;
Seque fuumque probat vultum . Placuêre venukis
Picta labella rofis ; male placuêre rubentes ,
Admixtæque
OCTOBRE. 1757 . 97
Admixtæque rubore nives , & eburnea cervix ,
Membrorumque excelfus honos. Quid cætera
narrem ?
Tota placet , fenfimque fuo inflammatur amore
Ignorans animus , nutritque in flumine flammas.
O quoties vitreis fua porrigit ofcula lymphis ,
Et vacuis fe pafcit aquis , præludia debens
Ifta , Philaute , tibi : quoties tullit obvia dextras ,
Et dedit amplexus , umbra fugiente , caducos.
Quid fugis exclamat tandem : quid fallis amantem
?
Junge tuos vultus , noftrifque occurre lacertis :
Junge . Nec plura refert ; mox umbra moveri
Incipit , affufoque animatur imago Philauto.
Me petis ? ecce tuum , dixit ; vivamus amantes ,
Tuque tuufque fimul fato moriamur eodem
Una domus tumulufque ferat : quocumque præibis
,
Ipfe fequar : placuit nymphæ , placuitque Philauro.
Traduction . Frappée de fon image qu'elle
apperçoit , elle admire la majefté de fa
taille , la vivacité de fes yeux , la fleur de
la jeuneffe peinte fur fon vifage , la blancheur
de fon fein , où les lys fe confondent
avec les roſes, ſa beauté l'enchante ; l'eau allume
& nourrit en elle le feu qui la confume.
L'infenfée ignore qu'elle eft elle- même
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
pas
l'objet de fa paffion . O ! Philaute , le premier
mouvement de fon coeur la porte vers
toi ; combien de fois ne s'élance - t- elle
vers l'eau , n'étend - elle pas les bras pour
faifir ton image ! Vains efforts ! L'onde
tranfparente te déroboit à ſes embraſſemens .
Qui que vous foyez , s'écrie- t - elle , fortez
du fonds de l'eau , vous êtes tendrement
aimé. L'ombre fe meut , fe réalife , Philaute
fe préfente. Je réponds à vos defits ,
lui dit - il , vous m'aimez , je vous aime ;
que les liens les plus charmans & les plus
inviolables forment notre union ! Vivons
heureux , & que notre amour defcende
avec nous dans le tombeau . La Nymphe
applaudit , ils fe promettent une fidélité
éternelle.
Antithée Tifiphone nourrit Philaute
prend foin de fon éducation , il épouſe fa
mere & lui donne fix filles. L'aînée qui eft
la fuperbe , fait alliance avec les Rois ,
s'établit dans l'Orient , & delà étend fon
Empire fur les autres Pays . Le fafte , l'opiniâtreté
, la défobéiffance lui doivent
leur origine .
Le quatrieme livre commence par ce portrait
de l'avarice :
Antrum obfcurum , ingens , habitat Dea : livida
vultum ,
Squallenteſque impexa comas ; deformia turpi
OCTOBRE. 1757. 99
Membra tegit vultu : pallet miferabile corpus
Exefum curis mordacibus , afpera rugis .
Frons horret , ventremque fames , fitis aridafauces
Obfidet , ac tetricas peragunt infomnia noctes.
Nomen avaritia eft : foboles indigna parentis
Sarcotheæ , quæ fuffoffis immerfa cavernis
Abdita rimatur terræ fodicatque trementem
Unguibus ac lemures inter talpafque fenefcit
Faxiat ut loculos , vacuâque recondat in arca ;
Infelix , ruinas conflata in pondera glebas .
Traduction. On voit un antre obfcur &
profond habité par l'avarice , Déeffe pâle
& livide. Son extérieur eft négligé , fon
habillement eft celui de la plus vile indigence.
La faim & la foif qui la tourmentent
, caufent fon extrême maigreur. Les
noirs foucis cachés entre fes rides , la troublent
jufques dans les bras du fommeil.
Cette déteftable fille de l'amour propre &
indigne d'avoir Sarcothée pour mere , vieillit
dans les cavernes au milieu des ténebres
, occupée à chercher l'or renfermé
dans les entrailles de la terre , la paffion
des richeffes fait fon tourment.
La fraude , l'ufure , la rapine l'environnent
, elle déguiſe fon air & fon nom
pour pénétrer dans la Cour des Rois &
vexer leurs fujets ; les foins, la crainte , l'in-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
quiétude l'agitent ; ennemie de la pauvreté ,
fon abondance qui ne peut lui fuffire , eft
pour elle le principe de fon indigence. Areté
( la vertu ), après avoir inutilement tenté
de la corriger , fe tranfporte dans les jardins
de la volupté . Elle y trouve une multitude
de jeunes gens partagés entre la table
, la danſe , l'oifiveté & la lecture des
mauvais livres ; plufieurs inftruits par fes
difcours des dangers qu'ils courent , abandonnent
la volupté pour fuivre la vertu.
Dans le cinquieme & dernier livre ,
Areté qui protege Sarcothée , defcend dans
le Palais de la nuit pour y combattre l'envie
que Cupidon ou la volupté avoit animée
contre elle . Areté la pourfuit dans le
confeil des Princes comme dans les affemblées
du peuple , & placée fur une éminence
, attaque cette ennemie de la vertu.
Cette conduite d'Areté irrite la colere ,
compagne de l'envie : pour ſe venger elle
raffemblejles hommes les plus féroces , &
envahit les poffeffions de Sarcothée. L'injure
, la violence qui la fervent dans fa vengeance
, mettent le défordre dans les famil
les , divifent les Citoyens , excitent les
guerres civiles , &c. la colere fait marcher
fes troupes contre Areté , environne la
montagne fur laquelle elle s'est établie , lui
livre en pleine campagne une bataille fanOCTOBRE
. 1757. 101
glante ; mais Areté a l'avantage , fon armure
la rend invulnérable .
Talem ira aggreditur , propiufque accendere martem
Aufa , premit juncto divæ veftigia greffu ,
Audacemque manum capulo admovet , & rapít
enfem ,
Ore fuperfrendens ; dabis eu dabis , improba ,
pænam ;
Clamat & elatam librat furiofa machæram
Verticis in medium , atque audaci deſtinat ictu ,
Et cerebrum, & vitam ruituræ evertere Nymphæ.
Dura machæra quidem : tamen intractabile ferrum
Durior obnixo retudit galea icta metallo ,
Tinnitum reddens vacuum, chalybemque reveHens
A capulo , retroque adigens ferientis in ora.
Perdid t afflictum miferando vulnere lumen.
Inde ruit caffis oculorum orbata feneftris
Ira furens , triftemque refert poft prælia cladem.
Haud aliter taurus , mediis quem farmata paſtor
Eduxit campis , cum fe lupus obvius atra ,
Effundit ftimulante fame , fitienfque cruoris
Involat : obfiftit generofus , & impiger hofti.
Quâ fecumque ferat , caput objicit , ardua
Jactans cornua , luctantemque feram fpe ludit inani ,
Illa ruit , cornuque oculos elifa patentes
Caca ftupet, lumenque fuum, fpoliumque requirit ;
Aut etiam patulos diducens bellua rictus ,
Armati capitis præacutam cufpide frontem
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Faucibus immergit mediis , prædæque tenetur
Præda fuæ : fic ira ferox dum ringitur hoftem
Infractum contra , fubita fe cufpide fenfit
Perftringi , trepidoque hæfit perculſa timore ,
Excipiens collo laqueum , vinclifque furentes
Stricta manus, Areten fequitur captiva trahentem.
Sæpius illa tamen , quantumvis cæca , catenas
Rumpit , & effufas odiorum laxat habenas ,
Sarcotheamque agitat , verfifque incendia regnis
Excitat , & dubium quatit imo à cardine mundum.
Traduction. La colere irritée de fe voir
inférieure , aborde Areté le cimeterre en
main & l'appelle en duel . Imprudente , lui
dit- elle , fubis la peine dûe à ta réſiſtance.
A ces mots , elle leve le bras , frappe fur
le cafque d'Areté. L'airain retentit , la for
ce du coup détache le cimeterre de fa gar
de , & la lame qui revient contre le front
de la colere , lui creve les yeux . Tel qu'an
taureau qu'un berger Sarmate conduit dans
les pâturages , fe défend contre un loup
affamé , lui oppofe fes cornes , élude les
rufes & les détours qu'il emploie pour le
furprendre , lui perce le front ; l'animal
tombe à fes pieds privé de la lumiere , &.
regrette fa proie qui lui échappe ; quelque
fois même au moment où le loup ouvre une
large gueule pour déchirer fon ennemi , le
taureau pénètre d'un coup de corne juf
qu'au fond de fon gofier , & le tenant fufOCTOBRE
. 1757. 103
pendu, le fecoue & l'écrafe contre la terre :
le loup devient la victime du taureau qu'il
fe propofoit de dévorer dans fa faim : telle
la colere aux prifes avec fa rivale , fe fent
bleffée de fes propres armes. Areté la
charge de chaînes , & l'attache à fon char
pour honorer fon triomphe. La colere
quoiqu'aveugle depuis ce moment , rompt
quelquefois fes chaînes , fe livre à tous les
fentimens de haine & de vengeance que
fui infpire fon état , trouble Sarcothée ,
renverfe les Royaumes & ébranle l'univers.
On voit par cette analyſe , que le poëme
de Mafenius eft proprement un poëme allégorique
, & ne peut être comparé à celui
de Milton . La Sarcothée & le Paradis
perdu peuvent fe reffembler par les détails.
Le Poëte Anglois en a pu copier ou imiter
quelques-uns ; mais qu'ils différent par
l'enſemble & par l'ordonnance ! L'un eft
parvenu au plus haut point de l'épopée ,
& l'autre ne forme qu'une galerie de tableaux
ou qu'un recueil de defcriptions poétiques
, belles à la vérité , mais qui fentent
fouvent la déclamation collégiale ,
& qui font moins un tout bien lié , qu'un
affemblage de morceaux plus brillans qu'affortis
. Mafenius faifit vivement les objets ,
il les peint bien , mais il ne les peint qu'en
détail. C'eft un excellent colorifte . Milton
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
peint toujours dans le grand , il embraffe
tout , l'univers entier eft foumis à fon
pinceau , c'eſt un Peintre fublime .
Si nous avions plus de temps ou d'ef
pace pour nous étendre là- deffus , nous
ajouterions que le Poëte Anglois a traité
ce fujet dans toute fa fublimité , en fuivant
la noble fimplicité de la Genefe , &
que le Jéfuite Allemand , l'a pour ainfi dire ,
avili & même dénaturé en y mêlant l'allégorie
. Nous penfons qu'en transformant
deux perfonnages réels Adam & Eve , en
un feul être métaphyfique fous le nom pédantefque
de Sarcotis , il en a ôté tout l'intérêt.
Eh ! le moyen d'en prendre pour
cet étrange hermaphrodite, compofé monftrueux
qui veut tout réunir & qui ne repréfente
rien , c'eft la chimere de la fable ;
fiction de College qui ne peut prendre
dans le monde. Mafenius auffi ne l'avoit
imaginée que pour donner aux jeunes gens
le goût de la pocfie latine ; il a eu même
la modeftie de l'avouer dans fa préface.
Mais pour nous renfermer dans la feule
traduction , nous croyons qu'elle rend l'efprit
de l'original fans être fervilement attachée
à la lettre , & qu'elle doit fe faire
lire avec plaifir 'par fa préciſion ; mérite
rare dans une traduction en profe françoife
d'un ouvrage en vers latins ; mais un nouOCTOBRE
. 1757. 105
veau mérite dont on ne peut trop louer M.
l'Abbé Dinouart , c'eft de nous avoir enrichi
d'une auffi belle édition de ce poëme.
Elle eft auffi correcte qu'elle eft élégante ,
& fait honneur en général à la Tipogra
phie de Paris ; mais particuliérement à la
preffe du fieur Barbou , d'où elle eft fortie.
Nouvelles
obfervations fur le pouls par
rapport aux crifes : par M. Michel , Docteur
en Médecine de la Faculté de Montpellier
. A Paris, chez Debure l'aînée, à l'entrée
du quai des Auguftins, à S. Paul . Elles
font eftimées des Maîtres de l'art.
L'HISTOIRE , confidérée vis- à - vis de la
Religion , de l'état & des beaux arts , difcours
prononcé le 20 Mai 1757 , par M.
de Méhégan , imprimé à Vienne , & fe
vend à Paris , chez Paul- Denis Brocas ,
Libraire , rue S. Jacques , au Chef S. Jean.
Brochure de 38 pages..
M. de Méhégan , frappé de l'utilité de
l'Hiftoire , par rapport à ces trois objets
effentiels , en raffemble les avantages dans
un tableau bien fait ; la vérité y eft peinte
de couleurs vives : ces avantages innombrables
font préfentés avec ordre dans l'exorde
, & éclairés dans l'ouvrage par une
lumiere forte qui entraîne la conviction .
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
30
53
"
"
Jetter quelque jour fur le berceau de
»l'Univers , porter la lumiere dans la nuit
» de fon enfance , déployer la fucceffion
» des fiecles plus lumineux , marcher à
travers les débris des trônes & des em-
» pires , tirer du tombeau les hommes in-
» duftrieux qui ont cultivé la terre , les fa-
" ges qui l'ont éclairée , les génies qui
» l'ont illuftrée , les Héros qui l'ont défendue
, les grands Hommes qui l'ont
pacifiée , les tyrans , les barbares , les
conquérans qui l'ont ravagée ; citer cette
» foule d'humains dépouillés des preftiges
» de la pompe & de l'artifice , & les ju-
" ger au tribunal de l'inexorable vérité ;
» voilà le fpectacle magnifique qué vous
offre l'Hiftoire . Au milieu de cette foule
innombrable d'événemens , chercher
des raifons de chérir encore plus le cul-
» te que vous profeffez , démêler les traits
qui peuvent contribuer au bonheur des
» fociétés où vous vivez , fuivre le fil de
l'efprit humain , & trouver des moyens
» d'augmenter les connoiffances que vous
confidérer ce que poffédez en un mot ,
» peut l'Hiftoire pour la Religion , l'état
& les beaux arts . Voilà , Meffieurs , le
fpectacle utile que vous préfente cette
و و
30
93
30
و ر
>> fcience . ", "
Delà M. de Méhégan entre dans une
OCTOBRE . 1757.
107
carriere très-étendue , & marchant conftamment
avec ordre , quoiqu'avec rapidité
, parvient à perfuader l'utilité de l'Hif
toire ; & n'oubliant rien pour en infpirer
le goût , fon objet eft de la faire étudier ,
refpecter & chérir . Il réunit ce qu'il faut
pour y réuffir ; il joint au mérite des preuves
l'avantage du coloris. Quelques lecteurs
féveres lui reprocheront peut - être
le ton un peu trop déclamatoire ; mais il
nous paroît là à fa place . Ce difcours ,
quoique fur l'Hiftoire , n'en eft pas moins
un difcours d'apparat , un difcours oratoire
: il demande un ton plus élevé qu'elle ,
& ne doit pas avoir la même fimplicité .
SUITE de la Bibliotheque amufante &
inftructive , contenant des anecdotes intéreffantes
& des hiftoires curieufes , tirées
des meilleurs Auteurs , tome troifieme
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jacques ,
au deffous de la Fontaine S. Benoît , au
Temple du Goût.
Nous ne dirons qu'un mot fur ce livre ,
s'il en eft un . Ces fortes de recueils , faits
la plupart fans choix , & jettés dans le
même moule , fe copient les uns les autres
: tout s'y reffemble , jufqu'au titre : la
Bibliotheque des gens de Cour , la Bibliotheque
amufante celle- ci ne peut l'être
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
véritablement que pour ceux qui n'ont rien
lu , à qui tout paroît nouveau en conféquence
, dont le goût d'ailleurs peu difficile
, ne chicane fur rien , fait pâture de
tout ; pour ceux enfin que le médiocre , &
même le mauvais , amufent fouvent plus
que le bon , qu'ils n'ont pas l'honneur de
connoître. Cette Bibliotheque eft faite
pour eux ; nous leur confeillons de l'acheter
; s'ils déferent tous à notre avis , let
Libraire n'y perdra point , l'ouvrage aura:
nombre d'acheteurs..
INSTITUTES au Droit criminel , ou principes
généraux fur ces matieres , fuivant
le droit civil , canonique , & la Jurifprudence
du Royaume ; avec un traité particulier
des crimes : par M. Pierre - François
Muyart de Vouglans , Avocat au Parle
ment. A Paris , chez le Breton , Imprimeur
ordinaire du Roi , rue de la Harpe.
L'importance des matieres criminelles
eft fentié par tout le monde : la néceffité
des loix pofitives , à l'égard de ces matieres
, eft également reconnue. L'attention
de nos Rois & celle des Tribunaux , dépofitaires
de leur autorité , ont donné lieu
à cette multiplicité d'ordonnances & de
réglemens qui ont été faits à ce fujet. Mais
quelques fages & quelques multipliées que
OCTOBRE. 1757. 109
foient ces loix , comme leur application
dépend des circonftances , & que ces circonftances
, par leur complication , font
fouvent naître des inconvéniens inévita
bles , pour y remédier , il a fallu néceſſairement
changer , modifier ou augmenter
la difpofition de ces mêmes loix. Delà les
édits , déclarations qui ont été données
fucceffivement , en interprétation , ampliation
ou dérogation de ces premieres ordonnances.
La même caufe qui a fait varier les
loix fur ces matieres a auffi produit la diverfité
des ouvrages qui ont été faits fur
ce fujet ; elle fait en même-temps fentir l'a
vantage particulier qu'ont les modernes
fur les anciens , & furtout celui qui peut
donner une longue expérience fur la fimple
théorie à cet égard.
C'est ce double avantage que nous
croyons que M. de Vouglans fe fatte avec
raifon de pofféder, qui l'a déterminé à écrire
fur ces matieres , & à donner fon livre
au Public . L'étude affidue qu'il a faite depuis
plufieurs années de cette partie de
notre Jurifprudence , jointe aux fecours
particuliers qu'il a puifé dans les notes
de fes parens , qui ont rempli fucceffivement
, pendant l'efpace d'environ foixante
années , l'office de Lieutenant Criminel
?
fro MERCURE DE FRANCE.
fous les yeux d'un Parlement , l'ont mis
en état de donner , finon un ouvrage com.
plet fur ces matieres , qui n'en font guere
fufceptibles , du moins des facilités particulieres
à ceux qui veulent s'y exercer effentiellement
, furtout aux commençans ,
qu'il a eu particuliérement en vue .
Avant que M. de Vouglans conçût le
deffein de faire cet ouvrage , il en parut
fucceffivement deux fur le même fujet ,
l'un fous le titre de Traité de matieres criminelles,
par feu M. Rouffeau- de la Combe,
l'autre fans nom d'Aureur , fous le titre
de la maniere de poursuivre les crimes dans
les differens Tribunaux du Royaume , avee
les loix criminelles , & c.
L'Auteur parle de ces deux ouvrages
avec toute la justice qui leur eft dûe ; mais
il démontre qu'ils n'ont abfoiument rien
de commun avec le fien , & qu'ils ne peuvent
en diminuer l'utilité. Il a pris un
jufte milieu entre deux hommes habiles ,
qui avoient bien vu , mais qui n'avoient
pas tout dit , & il acheve de répandre
cette lumiere fi néceffaire à des Juges
qui prononcent fur la vie facrée des hom
mes. Les maximes les plus univerfellement
reçues , font celles qu'il a employées ;
il a confulté pour cet effet les fources les
plus pures du Droit , tant ancien que nou
OCTOBRE . 1757.
III
veau ; il a remonté d'abord au Droit Romain
, dont la connoiffance lui a paru néceffaire
, tant pour prévenir les erreurs &
les méprifes où l'étude de ce Droit pourroit
jetter ceux qui ne font point encore
affez verfés dans la pratique , que parce
que ce même Droit a fervi de fondement ,
comme l'on fçait , à la plupart des ordonnances
du Royaume , & qu'il fupplée même
encore tous les jours au défaut de celles-
ci , fur tout dans les Provinces où ce
Droit eft
principalement en vigueur.
L'Auteur a crú auffi ne devoir point négliger
les difpofitions du Droit Canonique
dans une matiere comme celle - ci ,
qui ne tient pas moins à la religion , qu'à
l'ordre public , furtout lorfqu'il s'agit de
déterminer la punition & la nature des
crimes . L'on fçait d'ailleurs que c'eft à ce
Droit que l'on eft principalement redevable
de l'inftruction , tant criminelle que
canonique. Enfin c'eft ici un livre que
nous croyons utile à tous les criminalif
tes : il a coûté des peines , des réflexions ,
des recherches , & nous croyons que M.
de Vouglans peut juftement prétendre à
l'eftime & à la reconnoiffance générale
puifque la vie de tous les hommes eft expofée
fouvent , par des malheurs , comme
par des crimes , à la févérité des loix. C'eft
112 MERCURE DE FRANCE.
fervir effentiellement l'humanité , que d'éclaircir
ces loix , dont la plus légere incertitude
est toujours un très - grand malheur
pour elle.
FAITS des Caufes célébres & intéreffantes
, augmentés de quelques cauſes .
Imprimés à Amfterdam , & le trouvent
à Paris , chez de Bure l'aîné , à Saint- Paul,
quai des Auguftins ; le Clerc , à la Toifon
d'or , même quai ; & Jombert , rue
Dauphine. Brochure de 408 pages, dont le
prix eft de 3 liv.
Ce font ici des Caufes tirées des vingt
volumes de Gayot- de Pittaval ; mais dépouillées
de toutes differtations : loix citées
, plaidoyers , apologies , lettres de
difcuffion , & enfin de toutes les chofes
qui alongent la narration , & qui fouvent
la rendent faftidieufe. Ce livre eft pour
ceux qui n'étant point deftinés à fuivre le
barreau , ne font curieux que du fimple
récit des aventures célebres & intéreffantes
qui ont occafionné les procès qui y font
contenus ,. & les jugemens des cours fupérieures
, par lefquels ils ont été terminés.
On trouve ici toutes les caufes qui renferment
la collection de Pittaval : on n'a
fupprimé que celles qui étoient connues
OCTOBRE . 1757. 113
précisément de tout le monde , par une
raifon quil eft inutile de dire . Nous
penfons que bien des perfonnes qu'elles ont
ennuyées dans le livre original , pourront
les relire avec quelque plaifir dans celui- ci .
La forme que le premier Auteur leur avoit
donnée , la prolixité infoutenable , le fatras
de réflexions , de raifonnemens , d'épifodes
dont il n'avoit pas fçu purger fon
ouvrage immenfe, ne pouvoient qu'y avoir
répandu un ennui mortel. L'abréviateur a
cru devoir conferver quelques narrations
qu'on lifoit dans Pittaval. Nous allons inférer
ici celles que nous avons préférées à
la lecture.
"Un jeune homme étoit amoureux d'u-
» ne fameufe courtifane ; mais elle met-
» toit ſes faveurs à un fi haut prix , qu'il
» ne pouvoit y atteindre. Cependant com-
» me il avoit l'efprit rempli de fon amour ,
>> un fonge lui tint lieu de la réalité. La
» Courtifane en fut inftruite : elle de-
» manda à l'Aréopage d'être payée , parce
que ce fonge étoit l'effet de fes charmes.
» Il fut ordonné que le jeune homme lui
» feroit entendre le fon de l'argent qu'elle
exigeoit .
» Un Couvreur tomba du haut d'un
» toit fur un homme , & le tua . Le fils
de cet homme pourfuivit criminelle114
MERCURE DE FRANCE.
" ment le Couvreur . Pierre le cruel , vou-
» lut juger cette affaire , & décida que le
pourfuivant fe laifferoit tomber du haut
» du toit fur le Couvreur qui l'attendroit
" en bas ; ce que l'autre ne voulut jamais
" effayer.
» Une femme vint fe plaindre à l'Empereur
Soliman , que fes foldats l'avoient
» volée pendant qu'elle dormoit. Il lui
" dit : Tu dormois donc bien fort , puif-
» que tu n'en as rien entendu ? Oui , répondit-
elle , parce que je croyois que
» ta Hauteffe veilloit pour moi . Le Sultan
" admita la jufteffe & la fermeté de cette
» femme dans fa réponſe. Il lui fit rendre
" le vol en entier , & y ajouta vingt fultanins
d'or ".
25
QUESTION de Médecine Quodlibéraire ,
qui doit être difcutée aux écoles de médecine
de la faculté de Paris , le vingt du
mois d'Octobre prochain , fous la préfidence
de M. Jean - François Clément Morand
, Ecuyer , Docteur , & ancien Profeffeur
de la faculté , Confeiller , Médecin
ordinaire du Roi de Pologne , Duc
de Lorraine , Agrégé honoraire au College
royal des Médecins de Nancy , ci- devant
Médecin des Camps de baffe- Notmandie
, à l'Hôpital Militaire de ValoOCTOBRE.
1757.
115
gnes , Membre de la Société royale de
Lyon , de l'Académie royale de Médecine
de Madrid , de la Société Botanique de
Florence , & de l'Académie royale des
Sciences de Suede.
L'HEROISME fe tranfmet- il des peres
aux enfans ? L'Auteur décide la question
par un fait. Il cite la maifon de Bourbon
& s'écrie «:France , cette question ne fçau-
» roit paroître frivole à une Nation civili-
» fée ; mais elle t'intéreffe plus qu'aucune
» autre. Ton fceptre héréditaire eft porté
depuis neuf fiecles fans
interruption ,
» par la maiſon la plus noble qui fût jamais
, & la plus féconde en héros : c'eft
"à cette maifon que tu dois l'affermiffement
, la grandeur de ton empire , &
» la gloire d'avoir donné des Souverains à
» tant de
Royaumes .
33
»
On ne prétend point prouver ici que
l'Héroïfme fe tranfmette
néceffairement
des peres aux enfans , & que l'Aigle fier
ne puiffe jamais enfanter un aigle timide &
lache. On veut fimplement démontrer la
poffibilité de cette tranfmiffion , par le
cours & les opérations graduelles de la nature.
L'Auteur eft obligé de raifonner en
Anatomiſte. Ses difcuffions font exactes ,
on y voit un tableau frappant , & la démonftration
s'y fait , pour ainsi dire , fen116
MERCURE DE FRANCE.
و د
tir au premier coup d'oeil . Comme un
" vafe conferve la premier odeur dont il a
» été imbu , dit - il , les qualités perfon-
» nelles d'un pere de famille ne fçauroient
» manquer d'affecter à un certain point
» l'embrion formé de fa propre fubftan-
» ce. Un pere vigoureux n'aura pas de pei-
» ne à engendrer un fils également bien
» conftitué un homme foible & mol ,
و د
و و
n'engendrera pas un fujet moins débile.
» La femence virile eft un extrait de toutes
و د
ود
ور
» les parties du corps de l'homme : c'eſt
» l'homme , en raccourci , & , pour ainfi
dire , en miniature. Les traits , la phyfio-
» nomie , la complexion des parens , fe
» trouvent deffinés , en petit , dans le ger-
» me conçu dans leur fein : ce germe, objer
» éternel de fpéculations & de controverfe
"pour le Phyficien oifif , eft incontefta-
» blement aux yeux du Médecin Phyfiologifte,
une émanation de toute la fubftance
» des parens ; c'eft la fécrétion la plus par-
» faite de leur propre fang, l'os de leur os, la
» chair de leur chair. ( 1 ) Toute la maffe de
» l'embrion a été jettée dans leurs moules ,
» & tous les fucs qu'il s'eft appropriés,
» ont été digérés , preparés , élaborés par
leurs organes. Un fouffle de vie étant
" une fois répandu fur cette petite créa
» ture , le coeur , ce précieux mobile des
(1) Genef. ch. 21 , V.2.3.
ود
1
OCTOBRE. 1757. 117
ود
"
و ر
» facultés animales , cette fource de fang
» commence à battre & à faire circuler le
liquide qu'il a reçu ; tout le fyftême.
» vafculeux participe bientôt aux mêmes
ofcillations ; de nouveaux organes ſe
développent graduellement & fucceffi-
» vement ; enfin le cerveau , dont le fanctuaire
impénétrable récele dans fes pro-
» fondeurs une précieuſe étincelle du
» feu céleste , élance fubitement par tout
"le corps , au moyen de canaux induf-
» trieufement diftribués , une roſée vivi-
» fiante , ces efprits animaux , ce fluide
» invifible qui , dès que l'enfant fera né ,
» doivent préfider à tous les mouvemens
» volontaites , entretenir la force , pro-
» duire les fenfations , recevoir les im-
» preffions des objets extérieurs , exécuter
» les ordres de l'ame.
33
33
و ر
» Ainfi le méchanifme admirable de
» cette machine vivante , fe forme peu 2
» peu fur le modele de celui de qui elle
»tient l'être : à mesure qu'elle pompe de
>> nouveaux fucs , elle les affimile aux an-
"ciens : elle ne ceffe de tout confirmer à
» fon prototype , & à proportion que l'en-
"fant fe fortifie , & commence à marcher
"ou à parler , il eft aifé de reconnoître à
» fon air , à fon port , à fes geftes , à fon
ton , à fon humeur & à fes inclinations ,
de qui il a reçu le jour , &c.
»
}
118 MERCURE DE FRANCE.
و د
» Tout cela eft tellement dans l'ordre de
la nature , elle affecte fi conftamment cette
» fimilitude , qu'elle l'étend jufqu'au taches
, aux difformités , aux maladies mê-
» me , & qu'elle aime mieux faire naître
» des enfans miférables que diffemblables
» à leurs parens , & c.
39
ود
» Véritablement , continue- t'il , l'a-
» me humaine eft une fubftance fpirituelle,
qui n'eft ni formée de femence , ou ti-
» rée du placenta , ni émanée d'une ſubf-
"tance génératrice , ou tranfmife du
33
33
33
pere
au fils , mais créée immediatement de
» Dieu , pour être attachée au corps maté-
" riel qu'elle doit régir. Cependant il
» n'eft pas poffible de fe diffimuler , com-
» bien dans fes opérations même purement
intellectuelles , cette ame eft depen-
» dante des organes corporels , & à quel
point toutes les fonctions languiffent ou
» fe dépravent dans un corps débile ou détraqué
. Quoique la nature de ces deux
» fubftances foit totalement différente ,
» & qu'il y ait entr'elles une forte de con-
» Alit perpétuel : il y a néanmoins un tel
99
و ر
"
و د
33
rapport de l'une à l'autre , une con-
» nexion fi intime , que la bonne ou la
» mauvaiſe difpofition de l'un influe
puiffamment & directement fur l'au-
» tre . Cette queftion eft dédiée au Roi
de Pologne Stanislas.
"3
OCTOBRE. 1757.
119
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQUE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , vous avez eu la bonté d'inférer
dans vos Mercures trois de mes pieces
fugitives , qui roulent également fur un
même principe.
Quoiqu'il foit aifé d'entrevoir par ces
effais , qu'une feule raifon fuffit pour expliquer
tous les refforts de la nature , fi
vous me continuez la même bienveillance,
elle me donnera lieu d'affermir de plus en
plus le triomphe général de l'éther , & le
mouvement perpétuel qu'il entretient conftamment
dans tout ce vafte univers
Les viciffitudes qu'il y occafionne , font
des preuves convaincantes du pouvoir
qu'il y exerce avec une égale facilité dans
tous les fens imaginables. Sa feule diftribut.
120 MERCURE DE FRANCE.
tion inégale qu'on ne peut me conteſter ,
préfente , au premier examen ces fupériorités
& infériorités réciproques &
fucceffives , feules dignes de notre admiration
.
Quelque inconteftable que doive paroître
ce principe univerfel de tous les changemens
, quelque naturelle que foit l'application
que j'en fais à tout ce que j'explique
, j'ai cru devoir choisir les effets les
plus oppofés , tels que font le jour & la
nuit , le calme & la tempête , la vie & la
mort , la progreffion
& le prétendu repos ,
pour mieux établir l'empire de l'é.her fur
les corps : c'eſt à lui feul qu'ils doivent
leur effence , & les différens rapports qu'ils
peuvent expofer à notre curiofité.
Je fuppofe , pour entrer en matiere , un
corps quel qu'il foit , qui tantôt nous paroît
fe maintenir dans une place , & qui
tantôt l'abandonne pour en acquérir une
autre cette fuppofition admife , comme
elle doit néceffairement l'être , je foutiens,
& l'on ne sçauroit me le nier , qu'il faut
autant de puiffance , de vertu , de force
ou de mouvement à ce corps , pendant qu'il
fe maintient dans un même état , pendant
qu'il conferve le même lieu , eu égard à
nos fens , que lorsqu'il paroît paffer à un
état nouveau , ou revendiquer les lieux
voifins
OCTOBRE. 1757 . 121
voifins de celui où il étoit précédemment.
Cette affirmative paroît un paradoxe
au premier coup d'oeil ; mais , tout bien
réfléchi , elle fe convertira en une démonf
tration folide , pourvu que , fans prévention
& fans préjugé , l'on confidere attentivement
ce corps dans tous les rapports
permanens ou fucceflifs qu'on lui fuppofe
dans des temps différens .
L'on conclura fans doute de cette affirmative
que l'homme endormi ou enchaîné
a autant de mouvement , que celui qui
veille ou qui , ayant un plein pouvoir de
marcher , met en ufage fa liberté ; qu'un
cheval , en apparence tranquille dans une
écurie , eft autant mu que loifqu'il court
la pofte ; que l'air a autant de mouvement
pendant la nuit que pendant le jour , qu'il
eft autant mu dans le calme que dans la
tempête.
Si tout cela fe trouve vrai , comme il
l'eft effectivement , l'on ne pourra plus
qualifier ma propofition de paradoxe , il
s'agit d'en démontrer la vérité.
L'homme , quoiqu'il dorme ou qu'il
foit dans les chaînes , n'a pas moins d'éther
animal pour entretenir toutes fes fonctions
animales , vitales & naturelles , que lorfqu'il
a la liberté de marcher & qu'il la
met en exercice . Tout le monde convien-
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
dra aifément que fa progreffion même ,
étant trop continuée , ne fe foutient qu'aux
dépens de toutes les autres fonctions.
Le cheval , qui paroît tranquille dans
l'écurie , a fon éther plus également , plus
régulièrement diftribué à toutes les parties
de fon corps ; au lieu que , lorfqu'il court -
la pofte , ce même éther eft fpécialement
employé à l'exercice des membres qui doivent
remplir fa courfe. Se trouvant enfin
forcé de s'arrêter par une trop grande &
trop longue fatigue , il eft vifible que les
courans progreffifs de fon éther ont été
pouffés à bout , & qu'ils font parvenus , en
fociété , au terme que les réfiftances oppofées
, caufes de leur difperfion , leur ont
permis d'atteindre ; que femblables aux
vents qui ceffent , font appaifés , & tombent
après un temps limité , ils prennent
également une fin , après avoir effuyé une
diffipation , une difperfion , qui ne pourra
être réparée qu'après que l'éther aura eu le
temps de s'accumuler de nouveau , pour
fournir à une nouvelle carriere . Les courans
même , qui font néceffaires pour
l'entretien de la vie du cheval , fe font
réunis en partie aux courans deftinés pour
fa courfe ; delà vient qu'on peut dire avec
raifon que toutes les forces du cheval ont
été épuifées, & réellement après une courfe
OCTOBRE . 1757. 123
l'éther
qui , pour l'ordinaire , n'eft pas trop longue
, ce cheval tombe roide & fouvent
mort ; parce que , comme je viens de le
démontrer , le principe de fa vie & de toutes
les fonctions , qui s'étoit diftribué en
plufieurs lignes vivifiantes , a été dévoyé ;
parce qu'au lieu de couler par les voies
particulieres qui répondent à chaque opération
, il s'eft échappé avec profufion par
les nouvelles routes qu'il s'eft frayées pour
fournir à ces exercices violens & exceffifs.
Ce n'est donc point affez que
pénetre un corps de toute part , pour l'organifer
& pour procurer la vie qu'exige
cette organiſation formée ; il faut un temps
pour que les courans vitaux fe diftribuent
& s'arrangent ; il faut un temps pour qu'ils
fe rétabliffent , lorfqu'ils ont été comme
anéantis ; il faut que le principe éthéré s'y
amaffe, s'y faffe des routes , s'y pratique des
pyramides victorieufes , capables de faire
luire les opérations , dont la vie animale
corporelle eft dépendante . Des ruiffeaux traverfans
ou aboutiffans , ne confervent plus
leurs qualités particulieres , dès qu'ils font
entraînés par une riviere principale avec
laquelle ils fe trouvent confondus.
L'on me dira fans doute que , fuivant
mon principe , le cheval mort doit avoir
autant de mouvement que lorfqu'il eſt
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vivant , qu'il ne lui a manqué pour conferver
fa vie , qu'un certain nombre de
déterminations fingulieres appropriées aux
différens refforts de fa machine : c'eft effectivement
ce qui n'eft que très -vrai , &
dont cependant l'on voudra difficilement
convenir ; il faut donc que je le prouve ,
afin que ma démonftration ait fon plein
effor , & qu'elle puiffe réfoudre toutes les
difficultés auxquelles ma premiere propofition
a pu donner lieu .
En attribuant au cheval mort autant de
mouvement qu'il en avoit pendant fa vie ,
je n'attaque qu'une opinion populaire , &
je ne dois craindre aucune contradiction
bien fondée. Accordons que le cheval mort
eft plus pefant que lorfqu'il vit , qué toutes
les parties de fon corps affectent un
même centre plus opiniâtrément qu'aufaravant
que peut - on conclure delà qui
puiffe énerver ma démonftration ?
Que le cheval foit plus pefant , qu'il
foit plus léger , cela ne donne ni plus , ni
moins de mouvement ; que les parties.
d'un corps foient affujetties à un centre fpé
cial , & conféquemment au centre qui lui
eft commun avec les autres corps qui lui
reffemblent , je n'y découvre pas moins
de mouvement que lorfque j'y obferve des
déterminations uniquement destinées à
"
OCTOBRE. 1757. 12.5
quelques opérations organiques fingulieres
: celles- ci font d'une néceffité indifpenfable
pour l'entretien de la vie animale
, laquelle ne fçauroit fubfifter fans la
circulation du fang , fans la diftribution
des humeurs qui en dérivent .
Ces directions , de réparties qu'elles
étoient pendant la vie , deviennent plus
fimples & plus uniques après la mort :
elles étoient en partie centrales , en partie
excentrales , & il falloit qu'elles fuffent
telles pour foutenir les rapports alternatifs
de la refpiration , de la circulation , des
fécrétions , de toutes les fonctions , en un
un mot de cette organiſation docile , qui
fait l'effence de la vie corporelle : elles
font devenues plus fpécialement centrales ;
les divers courans qu'on y obfervoit font
arrêtés , le cours du fang & des humeurs eſt
intercepté ces liquides ni ne s'épanouiffent
, ni ne dilatent leurs conduits comme
auparavant ils ne font plus portés du
centre à la circonférence , ni d'un horizon'
à l'autre avec la même régularité ; ils paroiffent
au contraire affujettis au centre
dont ils s'éloignoient , depuis qu'ils appartiennent
à un corps qui eft de niveau avec
les corps inanimés : leur fort va devenir
le même , il s'en fera une diffolution tacite
, l'incinération fera leur partage , &
Fiij
126 MER CURE DE FRANCE.
de corps qu'ils étoient , l'éther les fera
paffer par tous les degrés d'une putréfaction
incompatible avec le repos ; il en
triomphera pleinement , il les affociera à
l'air , qui eft de toutes les portions de la
matiere la plus docile à l'éthérifation .
fe
L'on fera fans doute furpris de voir que
je ne parle que de la métamorphofe qui
fait des corps en air & de l'air en corps ,
comme fi la matiere ne nous préfentoit
rien autre chofe à examiner , ou peut être
on me blâmera de ce que je diftingue l'an
de l'autre , comme fi toutes les parties de
la matiere n'étoient point des corps , comme
fi l'éther lui- même n'étoit point un
amas de corpufcules ou de petits corps.
Nos connoiffances quelque eftime
qu'elles méritent , ne font , à proprement
parler , que corpufculaires , lorfqu'elles dépendent
des fens. Si la faine phyfique permet
de diftinguer l'éther de l'air , l'air de
l'eau , l'eau de la terre , elle ne permettra
pas moins de confidérer féparément l'air
externe & l'air interne des corps , afin de
micux comprendre l'alternative de folidité
& de liquidité qui regne conftamment
dans toute l'étendue de la matiere..
Il faut que l'air externe des corps foit
mis en jeu , à caufe de fa plus grande docilité
à l'éther , avant qu'il puiffe tranfOCTOBRE
. 1757.
127
mettre à leur air interne les degrés de raréfaction
qu'il en a reçus : tout parle en
faveur de cette vérité , la clarté de la chandelle
fait toucher au doigt un air externe
raréfié , qui tranfmet fa raréfaction au fuif
juſqu'à le liquéfier , pour le rendre l'aliment
du feu , de la chaleur , de la lumiere.
L'air donc , lorfqu'il n'eft point trop
affujetti à un centre fpécial , & , avec centre
particulier , au centre commun des
graves ; lorfqu'il eft fuffifamment
dégagé
des chaînes corporelles , lorfqu'il eft deftiné
, foit en premier , foit en fecond , au
développement , à la production des qualités
matérielles , eft , fans contredit , raré.
fié du centre à la circonférence , & même
d'autant plus raréfiable que l'éther lui continue
fa furabondance , & le rend habile à
contracter différentes relations avec nos
organes.
C'eft ainfi que l'air externe , qui a in-
Aué dans les corps , fe charge dans fon
paffage avant d'effluer & en effluant , de
leurs qualités fenfibles , de leurs images
corporelles : c'eft ainfi qu'il les tranfmet
jufqu'à l'organe commun , d'où l'ame , en
vertu de fon union avec fon corps , en
devient le témoin fidele , l'admirateur curieux,
& en conféquence defireux de
por-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ter fes recherches d'un bout du monde à
l'autre bout .
Un corps ne peut donner des preuves
de fa plus grande , de fa nouvelle éthérifation
que par des effluences & des refluences
plus abondantes , & prefque extraordinaires
: celles ci préfuppofent des
affluences & des influences proportionnées
.
Les courans d'air éthéré ne font aucune
impreffion corporelle fur nos organes dans
le temps qu'ils les fuyent , en affluant ou
en influant , mais bien lorfqu'ils ont leurs
directions vers nos fens ; c'eft - à- dire , lorfqu'ils
effluent des corps , ou qu'ils en refluent.
C'eft une vérité cent fois rebattue
que je ne penfe point pouvoir être conteftée
; on doit néceffairement convenir
que les parties , de quelque corps que ce
puille être , n'ont que deux rapports fucceflifs
à leur centre ; fçavoir , celui de la
proximité & celui de la fuite .
Dans l'air il n'y a aucune molécule qui
ne pouffe & ne repouffe , qui n'agiffe &
ne réagiffe tout à la fois , toujours dans
la proportion de l'éther , qui l'anime en la
raréfiant , toujours dans la raifon de la
bafe pyramidale , où plus ou moins de
globules aériens éthérifés fe trouvent réunis
pour rendre leur vertu , leur force ,
OCTOBRE. 1757. 129
leur puiffance , leur mouvement plus ou
moins fenfibles.
L'exemple de plufieurs billes ou boules
qui fe touchent , dont il n'y a que la derniere
qui fe détache , parce qu'elle eft plus
puiffamment pouffée que repouffée , cet
exemple , dis-je , ne répand pas peu de jour
fur l'action & la réaction perpétuelles des
portions de la matiere.
Cette derniere boule ou bille ne fe fépareroit
point des autres , s'il furvenoit à
fa rencontre une force qui la repoufsât
auffi puiffamment qu'elle a été pouffée ,
en un mot , fi le courant de la force oppofée
étoit capable de l'arrêter.
Bien plus , fi ce dernier courant l'emportoit
de beaucoup fur le premier contraire
, il enleveroit toutes ces boules ou
billes dans un fens oppofé , l'une après
l'autre à la vérité , à caufe de la répulfion ,
de la réaction , de la réſiſtance , du reffort
qui leur eft réciproque ; mais cet enlévement
fe feroit peut- être avec tant de diligence
, & la fucceffion que je viens d'établir
, quelque incontestable qu'elle foit,
s'exerceroit avec tant de rapidité , qu'elle
s'échapperoit à nos organes , comme s'échappe
cette fucceffion rapide , qui fe
trouve certainement dans cette expérien
ce de l'électricité , dans laquelle cent per
r30 MERCURE DE FRANCE.
1
fonnes , qui fe tiennent par la main , paroiffent
recevoir la commotion électrique
dans le même intervalle de temps.
Il n'y a aucun choc , ou pour mieux
dire , aucune rencontre de corps à corps ,
qu'il ne s'enfuive des enfoncemens : une
bille procure un foible enfoncement à l'enclume
fur laquelle elle tombe , & elle en
reçoit un plus confidérable , puiſque ſouvent
elle fe partage en deux , ou pour le
moins , qu'elle en eft repouffée viſiblement.
Dans l'exemple des boules ou billes
contigues que je viens de propofer , lat
premiere eft d'abord enfoncée par le courant
aéréo - éthéré de la puiffance qui a été
employée pour la pouffer ; elle enfonce enfuite
la feconde , & elle en eft proportionnellement
enfoncée aux points de leur
rencontre , & ainfi de fuite juſqu'à la derniere
, en vertu de leurs forces réactives
& réfiftantes , qui paroiffent égales ; mais.
cette derniere ne rencontrant qu'une réfiftance
vincible dans l'air , doit répondre
à l'enfoncement de fes parties , qui eft le
plus confidérable : toutes fes parties ayant
ane adhérence fuffifante , fe prétent à cette
détermination victorieufe ; & fi la chaîne
des parties de quelqu'une de ces boules
ou billes venoit à fe rompre , la divifion
OCTOBRE. 1757.
qui s'enfuivroit , au lieu d'une progreffion
en avant , dévoileroit , à ne laiffer aucun
doute , tout le mystere que ces rencontres
operent , fur lequel les Philofophes
ont tant de peine à s'accorder.
Une feconde expérience de l'électricité
devient très favorable à cette explication .
Je préſente mon doigt à telle partie que
ce puiffe être d'une autre perfonne électrifée
il faut un temps aifé à eftimer ,
quoique très-court , avant que l'électricité
foit amaffée fuffifamment pour occafionner
une exploſion mutuelle de part &
d'autre.
Pouffons nos recherches plus loin. L'électricité
& l'électrifation naturelles , fo
néceffaires pour la confervation de la vie ,
ne font pas toujours au même degré dans
tous les corps animés. En hyver , le feu
nous réjouit pour l'ordinaire : mais le
bois , que nous avons foin d'électrifer pour
notre ufage , nous darde des rayons piquans
& cuifans , lorfqu'ayant trop grand
froid , nous nous en approchons trop près ,
&fans aucun ménagement. Cependant à la
même diſtance , fi le froid n'eft point ezceffif
en nous , le fentiment qui nous en
revient eft d'autant plus gracieux , que l'é
ect ricité ignée trouve dans nos corps une
difpofition à s'y répandre , à proportion
132 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle s'y préfente , fans être obligée de
s'y accumuler , au point d'y exciter une
explosion douloureuſe.
Le fuif d'une chandelle , qui fe fond
trop aifément , obéit avec trop de facilité:
à l'air raréfié qui l'environne , & ne darde
pas , à beaucoup près , des rayons auffi
lumineux ou auffi chauds que lorſqu'il eſtplus
ferré & moins fufible. Un fuif déja
à demi-liquéfié fe prête , fans affez de réfiftance
, & par conféquent trop vîte à une
liquéfaction ultérieure , au lieu qu'un fuif
plus ferme , & qui réfifte plus long- temps
à ce qu'il foit liquéfié , donne lieu à un
amas de rayons lumineux & échauffans
plus confidérable , par conféquent plus
propre à accroître la clarté que nous attendons
de la chandelle. Par la même raifon
le bois dur féché à propos , qui cependant
ne réfifte pas à fon électrifation par
trop de fermeté , répand une flamme plus
vive & plus échauffante que tous les autres
bois qui s'enflamment trop vîte &
trop facilement.
Je détaille tous ces défordres dans un ouvrage
latin & françois : il me refte à con--
clure que tous les effets ou phénomenes ,
quelque contraires qu'ils paroiffent , accufent
un mouvement toujours proportionnéà
l'amas d'air éthéré , qui le met en éyiOCTOBRE.
1757. 133
dence ; & comme l'on n'a aucune raifon
de juger que la quantité d'éther augmente
ou diminue dans cette vafte matiere ,
pendant qu'elle refte fujette à une infinité
de viciffitudes , je puis dire avec fondement
, que le mouvement qu'elle entretient
eft inaltérable , que l'éther jouit de
l'ubiquité , que fa diftribution inégale
étant la caufe de toutes les actions & réactions
, fi elle n'eft pas tous ces mouvemens
elle- même , on ne doit avoir égard
dans toutes les leçons fcholaftiques , qu'aux
différens temps & lieux où la préſence
de l'éther fe déclare avec plus de pouvoir
qu'aux diverfes déterminations qu'il trace
partout où il furabonde .:
Je me flatte que vous vous voudrez bien
rendre cette Lettre publique , & me croire
avec respect , & c .
OLIVIER-DE VILLENEUVE , Docteur ;
Médecin de la Faculté de Montpellier.
De Boulogne fur mer ,
ce
,
ce 20 Juin 1757.-
134 MERCURE DE FRANCE .
CHIRURGIE.
PROGRES de la Méthode du Lithotome
caché dans la Lithotomie.
M. Mufeux , Lieutenant du premier
Chirurgien du Roi , & Chirurgien Major
de l'Hôtel- Dieu de Rheims , continue de
tailler avec tout le fuccès poffible avec le
Lithotome caché. Parmi le grand nombre
des malades qu'il a guéri depuis quelques
années , il s'en eft rencontré cinq , dont
les circonftances fingulieres lui ont paru fi
intéreffantes , qu'il s'eft déterminé à les
rendre publiques , tant pour le falut des
pierreux , que pour donner la confiance
aux gens de l'art qui en manquent ; & en
même temps , fixer l'inconftance de ceux
que des viciffitudes inopinées auroient
ébranlés.
Premiere obfervation.
M. le Cointre , Curé de Ville en Tardenois
, à quatre lieues de Rheims , âgé de
foixante- huit ans , fouffroit depuis cinq
ans les douleurs les plus cruelles , fans ce
pendant avoir rien perdu de fon bon tem²
OCTOBRE. 1757. X-355
pérament. Enfin voulant fe délivrer du
poids douloureux qu'il portoit , il m'envoya
chercher pour le fonder , & l'affuter
de fon état. Les preuves furent bientôt
faites , & à l'inftant le malade fe détermina
à l'opération , à laquelle je le difpofai
avec les précautions ordinaires.
Après l'incifion faite par une coupe
de onze lignes du nouvel inftrument , j'ai
extrait de la veffie neufpierres ; une de la
groffeur d'une noix ordinaire, & huit , à peu
près comme des noix de galles . En promenant
mon doigt dans la veffie , j'en touchai
encore trois ; comme elles paroiffoient
chatonées , & que la vefkie le préfentoit
à la tenette , il ne m'a pas été poffible
de les charger ; mais par des mouvemens
doux & ménagés , je tachai de lest
ébranler & de les ramener dans le bas fond:
de la veffie , ces tentatives qui durerent
avec l'opération huit ou dix minutes , parurent
fatiguer le malade . Je le fis remettre
au lit , bien réfolu de les tirer quand la
veffie feroit relâchée par les boiffons abondantes
que je lui fis prendre. La nature
prévint mes recherches : ces pierres , trois
heures après l'opération , fortirent avec les
urines & quelque peu de fang. Le troifieme
jour après l'opération , les urines
reprirent leur cours ordinaire , & lema136
MERCURE DE FRANCE.
lade n'éprouva aucun accident ; mais le
cinquieme ces écoulemens fe firent par la
plaie , avec des douleurs infupportables , qui
m'annoncerent que la carriere n'étoit point
épuifée . Je fondai la veffie par la plaie ,
& fans aller bien loin , je fentis une pierre
qui fe préfentoit. Pour l'extraire , je dila
tai cette plaie qui commençoit à fe rapprocher.
Je fis cette dilatation avec le doigt :
je fentis encore une feconde pierre , & avec
une petite tenette je fis heureuſement l'extraction
de toutes les deux. Je crus enfuite
que je devois encore fonder fcrupuleufement
la veffie . Rien ne s'offrit à mes re-.
cherches , & le malade dormit au moins
huit heures après cette nouvelle opération .
Le lendemain de nouvelles douleurs fe firent
fentir , & les linges étoient marqués
de fang. Je repris la fonde , & fur le
champ elle tomba fur des pierres . Pour les
extraire , il fallut encore dilater la plaie
qui tendoit toujours à la réunion . Cinq
nouvelles pierres fortirent , deux du trajet
de la plaie , & trois de la veffie. Cette
extraction fe fit le fixieme jour d'après l'opération
. Je commençai à trembler pour
le fuccès ; mais le bon état du malade &
fa fermeté me raffuroient de jour en jour ,
quand le onzieme troubla toutes mes eſpé
rances. Des douleurs aiguës furent le figne
OCTOBRE . 1757. 137
d'une nouvelle pierre que je fis fortir comme
les autres , toujours en dilatant la
plaie , qui fe ferma enfin fans aucune
apparence de fiftule , & qui s'eft folidement
cicatrifée le vingt feptieme jour de
l'opération. Cette folidité exemte de tout
reffentiment de douleur , m'a annoncé que
la veffie ne renfermoit plus aucun corps
étranger.
Depuis ce temps , M. le Cointre jouit
d'une fanté parfaite. Il fait tous fes exercices
ordinaires fans aucun embarras : je l'ai
vu même fonner fes cloches fans qu'il ait
perdu une feule goutte d'urine. Je craignois
que cette plaie tant de fois r'ouverte
& refermée , ne refufât de fe rejoindre , &
qu'elle ne réftât fiſtuleuſe. Mais j'ai la confolation
de voir qu'une taille qui a produite
à différentes reprifes vingt pierres fur
un ſujet de foixante huit ans , dont la plus
petite eft comme une noix de galle , fe foi
terminée auffi heureuſement.
Seconde obfervation.
Pierre Catelin , fils de Richard Catelin
& de Marie- Jeanne Delpardenge de
Bastogne , petite Ville de la province de
Luxembourg , à quelques lieues de Liege ,
eft venu à l'Hôtel -Dieu de Rheims en Septembre
1756. Il avoit le ventre gros &
138 MERCURE DE FRANCE.
tendu , le refte du corps bouffi , & ne
pouvoit retenir fes urines. Il étoit âgé d'environ
quatorze ans , & ne fe reffouvenoit
pas d'avoir été fans fouffrir les douleurs ,
les plus cruelles. Lorfque je l'ai fondé , je
n'ai pas été fort avant , parce que la veffie
étoit toute remplie , fes parois étant exactement
collées fur la pierre. Malgré ces circonftances
défavorables , je l'ai taillé à la
coupe de fept lignes. Mon intention étoit
d'en mettre onze, fi mon inftrument eût été
plus à l'aife. Mais cette pierre étant avancée
dans le col de la veffie , fervoit de
point d'appui à mon Lithotome , & la
coupe de fept lignes a été fuffifante pour
faire la fection exacte de la proftate . Avant
d'extraire cette pierre , je me fuis trouvé
obligé d'y porter le doigt trempé dans
l'huile , pour dégager fon extrêmité du col
de la veffie . Je fuis enfuite entré, la tenette
étant ouverte , j'en ai chargé au moins
deux pouces de longueur ; mais lorfqu'il a
été queſtion de la faire fortir , elle s'eſt
brifée : c'étoit une efpece de fel blanc , tel
que celui que nous trouvons dans l'épaif-
Leur des reins de ceux qui meurent de ces
fortes de concrétions. En reportant le
doigt , je fentis que l'ouvrage n'étoit
fini . Je dégageai encore la pierre des parois
de la veffie , & je rentrai la tenette ouverte
pas
OCTOBRE. 1757. 139
jufqu'au profond de ce vifcere. Pour lors
je chargeai la vraie pierre qui fortit avec
facilité. Cette pierre qui pefe une once &
demie , avoit à fon extrêmité le refte de
certe concrétion que je faifis la premiere
fois ; enforte que le tout ne formoit qu'un
feul corps qui pouvoit avoir cinq pouces
de longueur.
Toutes ces circonftances raffemblées ,
me donnoient très - peu d'efpérance d'une
cure radicale : mais l'excellence de la méthode
l'a emporté fur le mauvais tempéra
ment & fur le facheux pronoftic qu'on
pouvoit faire, eu égard à fa mauvaiſe fitua
tion & à l'état de la veffie fatiguée depuis
long- temps. Ce malade n'a cependant eu
d'autres remedes que quelque purgatifs. Il
eft resté près de trois mois fans être cicatrifé
& fans reprendre fon embonpoint ; mais il
étoit maître de fon urine quand il eſt
parti de Rheims, & jouiffoit d'une parfaite
fanté.
-
Traificme obfervation.
Le trente mars 1757 , j'ai traité Nicolas
Antoine Mangin , fils de Pierre-
Mangin , de la paroiffe de Neuilli - Saint-
Frond , Diocefe de Soiffons , à la coupede
treize lignes . Je lui ai tiré une pierre de
trois onces quelquesgros. Il eft, à ce que je
140 MERCURE DE FRANCE.
crois , affez rare de trouver une pierre
murale de cette efpece. Elle eft remplie
dans toute fa fuperficie de mamelons , qui
approchent de la figure de l'extrêmité de
ceux d'une pomme de pin . Le bout de chaque
mamelon fe trouve garni de deux ,
trois & quatre pointes très- aiguës . Ce malade
âgé de 25 ans , portoit cette pierre
depuis fa plus tendre jeuneffe. Elle l'avoit
reduit dans un très - mauvais état , par les
douleurs fréquentes & vives qu'elle lui
avoit caufées jufqu'au jour de l'opération . A.
l'infpection de la pierre , auffitôt après l'o- .
pération , les affiftans Médecins & Chirurgiens
penferent qu'il n'étoit pas poſſible
que ce fujet guérît , parce qu'une pierre
de cette configuration devoit avoir occafionné
un déchirement confidérable : comme
j'avois porté le doigt dans la veffie , depuis
l'extraction de ce corps étranger , &
que je n'avois reconnu aucun déchirément
a fon col , je ne perdis pas l'efpérance de
voir guérir ce malade.
Je lui fis faire deux copieufes faignées le
jour de l'opération , pour prévenir l'inflammation
, & pour remédier à une légere
hémorragie occafionnée par le frottement
indifpenfable d'une pierre hériffée de
tant de pointe , l'agaric fut employé avec
quelque peu de charpie , & vingt quatre
OCTOBRE. 1757 . 141
heures après je retirai cet appareil . Le malade
n'a pas eu de fievre , prefque pas de
fuppuration , & il eft guéri fans aucun
panfement en fix femaines.
Lorfqu'il eft retourné chez lui , il retenoit
fon urine étant au lit ; mais étant de
bout , il en perdoit encore . Je n'ai pas eu
de fes nouvelles depuis fon depart de
Rheims.
7
i
Quatrieme obfervation .
Monfieur Baranger , Curé de Betheny,
à une petite lieue de Rheims , a ététaillé le
14 Avril 17579 à la coupe de onze lignes.
Je lui ai tiré quatre pierres , dont deux à
peu près comme des noix ordinaires , &
deux plus petites. L'une des quatre a été
écrafée en faifant l'extraction , parce que
j'en ai tiré deux à la fois. C'étoient les deux
groffes ; elles étoient à côté l'une de l'autre,
&lorfqu'elles ont été faifies par les tenettes ,
je croyois avoir affaire à une feule pie repar
la folidité avec laquelle elles étoient chargées.
Mais parvenu au détroit , une des
deux gliffa du côté du clou de la tenette ;
ce qui la fit brifer. La feconde demeura
entiere , parce qu'elle conferva fa pofition
avantageufe. Les deux autres furent auffi
tirées d'une feule fois , enforte que je ne
portai que deux fois les tenettes dans la
142 MERCURE DE FRANCE.
velfie pour tirer quatre pierres .
Il n'y auroit rien d'extraordinaire dans
cette taille , fi le fujer eût été paſſablement
bon ; mais l'état facheux dans lequel il s'eft
trouvé avant l'opération , mérite d'être
obfervé , & a fait regarder cette cure comme
miraculeuſe.
Il eft âgé de 69 ans ; les douleurs répétées
qu'occafionnoit la préſence des pierres
depuis trois ans , l'avoient mis dans le
marafme. Une defcente de l'inteftin dans
le fcrotum , fuivi de la veffie dans les
grandes douleurs , formoit une hernie
monstrueufe ; la dyffurie , l'hydropifie
univerfelle , la fievre , tous ces accidens
qui ont duré fix mois à ma connoiffance ,
l'avoient reduit dans un état fi facheux ,
que je fis faire une confultation par M.
Jofner , Médecin , MM . Chevalier , Orgelet
, & Caqué , mes confreres , pour
me mettre à l'abri du reproche que le Public
auroit pu me faire , fi jeuffe taillé fans
cette précaution , un homme menacé d'une
ruine prochaine. Je le vis pour la premiere
fois au mois de novembre dernier
1756. Les accidens que je viens de rapporter
, ont prefque toujours fubfifté jufqu'au
quatorze avril. Le trouvant moins mal
alors , je faifis cet heureux intervalle pour
faire l'opération. Il n'auroit eu aucun acOCTOBRE.
1757.
143
cident fans cette pierre qui s'eft briſée.
Quelques fragmens reftés dans la veffie , &
dans le trajet de la plaie occafionnerent
de la douleur dans le temps de leur fortie , &
une fuppuration plus abondante qu'à l'ordi
naire , conféquemment un peu de fievre,
Le regime , & quelques doux purgatifs
dans le cours de fix femaines qu'il fallut
pour cicatrifer totalement la plaie , ont
emporté tous les accidens qui ont
précédé & fuivi l'opération : il est actuellement
en parfaite fanté. Il n'eft pas tout
à fait maître de fes urines , n'y ayant pas
encore aſſez de temps écoulé.
Cinquieme obfervation .
Je fus mandé à Sedan , Ville frontiere à
vingt lieues de Rheims , pour tailler M. de
Soin l'aîné , âgé de 61 ans. Il fouffroit depuis
quatre ans , & la violence des douleurs
ne lui permit pas de fe tranſporter à
Rheims pour le faire opérer.
La conftitution du fujet qui eft très - gros
& des plus gras , a contribué à rendre l'opération
plus laborieufe , & l'infinuation
de la fonde très- difficile . Je l'attribuai auffi
à l'opération ancienne d'une fiftule confidérable
à l'anus , dont la cicatrice avoit
pu rendre plus refferré le paffage de l'algali
fous les pubis.
144 MERCURE DE FRANCE.
Je le raillai le 14 mai dernier , à onze
lignes de coupe. Il y avoit tant d'épaiffeur,
que j'employai toute la longueur du Lithotome
pour couper la proftate . Je ne pus
toucher les pierres avec le doigt , & ce ne
fut qu'en l'introduifant auffi loin qu'il
me fut poffible , que je trouvai l'entrée de
la veflie .
Les plus grandes tenettes m'ont fervi à
faire l'extraction de cinq pierres affez groffes
pour pefer toutes enfemble cinq onces
deux gros . Il s'en trouve deux plus fortes
que les trois autres.
Cette taille a demandé dix ou douze
minutes de travail , & quoique le malade
ait paru fatigué , il n'a pas été faigné après
l'opération , n'ayant pas eu le moindre accident
, pas même une fievre marquée
pour l'établiffement d'une fupuration trèsabondante.
Il avoit été faigné deux fois ,
quinze jours avant l'opération , je me
contentai de lui faire prendre un léger purgatif
la veille de la taille . Il l'a encore été
deux fois pendant la cure , qui fut parfaite
en fix femaines , au grand étonnement des
Chirurgiens de Sedan , qui fe perfuadoient
que je lui faifois faire des panfemens en
Lecret .
Un fimple débridement du col de la
weffie dans un fujet tel que je viens de décrire
,
OCTOBRE. 1757. 145
crire , m'auroit - t'il laiffé la liberté de rentrer
tant de fois , fans occafionner des contufions
confidérables , fuivies d'inflammation
, de la fievre , ainfi que le prétendent
les Antagonistes du Lithotome
caché.
En faudroit il davantage que ces exemples
frappans , appuyés d'une multitude
d'autres arrivés entre différentes mains , &
dans plufieurs contrées de ce Royaume ,
qui pourroient être cités , & d'autres qui
l'ont déja été , pour convaincre d'inhumanité
, d'ignorance ou de mauvaiſe foi
ceux qui ofent encore militer contre une
méthode , dont les fuccès nombreux déci
dent la fupériorité fur toutes les autres ?
11. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences , des Belles-
Lettres & des Arts de Rouen .
CETTE Séance , tenue le ; Août , a été
ouverte par M. le Cat , Secretaire perpétuel
de l'Académie pour la partie des
Sciences , lequel a rendu compte au Public
des travaux académiques de fa claffe
pendant cette année ; détail trop confidétable
pour trouver place ici . Il a dit enfuite
:
L'Académie a décerné le prix de Phyfique
, dont le fujet étoit , la caufe des tremblement
de terre , au Mémoire n° . 6 , qui a
pour devife ... Terrarum hinc fubitus` tremor,
horribilefque ruina.
L'Auteur eft M. Jonard , de Grace en
Provence , le même qui a remporté en
1733 le prix de Poéfie à l'Académie Françoife.
M. Jonard , dans un âge plus mûr ,
a paffé des fleurs aux fruits : il concourut
l'an paffé au même prix de Phyfique , qu'il
remporte aujourd'hui , & fon Mémoire
étoit encore un des meilleurs. Il a obtenu
cette année la palme que méritoient fa
conftance & fes nouveaux efforts.
OCTOBRE. 1757 . 147
Le Mémoire qui a le plus approché du
précédent eft le n° . 8 , qui a pour devife...
Vigilate , quia nefcitis diem
neque horam .
L'Académie propofe pour le fujet du
prix de l'année prochaine 1758 , de
Déterminer les affinités qui fe trouvent entre
les principaux mixtes , ainfi que l'a commencé
M. Geoffroy , & de trouver un fyfteme Phyfico
méchanique de ces affinités.
L'Académie fent toute la fublimité &
la difficulté du fujet qu'elle propofe ; mais
perfuadée avec tous les Sçavans des avantages
qu'il y auroit à étendre la doctrine
des affinités , & à l'éclairer d'une théorie
Phyfico-méchanique , feule capable de ſatisfaire
un efprit raifonnable ; elle n'a pas
jugé infurmontables les obftacles qui peuvent
fe rencontrer dans l'exécution de ce
projet elle réprouve , avec toutes les Académies
, les fyftêmes de pure imagination ;
mais elle recevra avec plaifir ceux qui feront
fondés fur des principes , des faits &
des obfervations , & la doctrine des affinirés
a déja un grand nombre de ces derniers
matériaux . Elle feroit charmée que
ce fujet pût réveiller en Europe le vrai &
bon efprit fyftématique qu'on s'efforce de
décourager & d'éteindre au grand défavantage
des fciences phyfiques.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
On invite les Sçavans de tous pays ,
même les Affociés étrangers & les Correfpondans
à travailler fur cette queftion . Le
prix eft de cent écus. Les Mémoires feront
remis , francs de port , à M. le Cat , Secretaire
pour les Sciences , jufqu'au dernier
Avril 1758.
Les Mémoires feront diftingués par une
devife. Si l'Auteur juge à propos d'y mettre
fon nom & fon adreffe , ils feront fcellés
, & ne feront découverts qu'à la publication
du Mémoire victorieux , laquelle
fe fera à la féance publique , le premier
mercredi d'Août 1758 .
Les diverfes écoles que protege l'Académie
, & dont fes membres font les Profeffeurs
, ont tenu leurs concours ordinaires
pour la diftribution des prix qui ont été
décernés aux Concurrens , par des Commiffaires
que la Compagnie avoit nommés.
Les prix de l'école de Mathématique
ont été remportés ; celui de la premiere
claffe , fur les courbes & la méchanique
par M. de Saint Pierre , du Havre ; celui
de la feconde claffe , fur l'algebre , les
équations du fecond degré , les élémens
de géométrie , par M. le Tellier , de
Rouen.
OCTOBRE . 1757. 14
M. Bernard de Fleury , du Dioccié de
Coutance , a le plus approché de ce dernier.
Les prix de l'école d'Anatomie donnés
par M. le Cat , Profeffeur , ont été remportés
; le premier , par Jofeph d'Aurignac
, de Rouen ; le fecond , par Jacques
le Coq , de Tinchebray ; & le troifieme ,
par Charles-Louis Doubleau , de Dernetal.
Les prix de l'école de Botanique donnés
par M. Pinard , Profeffeur , ont été remportés
; le premier , par M. Gigot , éleve
en pharmacie , né au Havre ; le fecord ,
par M. Rouffen , éleve en Chirurgie , de
Montreuil en Picardie ; le troisieme , par
M. Serjer , éleve en chirurgie , de Verneuil ,
en Perche.
Celui qui a le plus approché du prix
eft M. Victor Simon , éleve en chirurgie.
M. du Boullay , Secretaire des Belles-
Lettres , a lu l'extrait des travaux de fa
claffe , & a dit enfuite :
L'Académie avoit propofé pour fujet du
prix de Poéfie de cette année , la Conquête
de l'Angleterre par Guillaume , Duc de Normandie.
Le petit nombre de pieces qui lui
font parvenues , ne lui a point paru remplir
les vues , foit pour la richeffe des
idées , foit pour l'harmonie de la verfifica-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
tion. Ces raifons , & l'efpérance d'un fuccès
qui réponde davantage à la beauté du
fujet , la déterminent à remettre le prix à
l'année prochaine . Elle exhorte les Auteurs
à répandre plus de chaleur dans leurs compofitions
, & à ne pas croire atteindre au
but en mettant froidement l'hiſtoire en
rimes. Il s'agit de peindre avec feu un
événement fameux , la gloire de notre patrie.
Lorfque l'Académie preſcrit aux Auteurs
de donner à leurs ouvrages , au moins
l'étendue de cent vers , elle n'entend pas
donner de bornes à la fécondité de ceux
qui pourroient parcourir heureuſement
une plus longue carriere. Elle laiſſe même
la liberté de choisir entre la poéfie héroïque
& la poéfie lyrique. Bien loin d'interdire
la fiction , elle en recommande l'ufage , en
ne perdant pas de vue la néceffité d'affu
jettir l'imagination la plus brillante aux
loix du goût & de la raifon . On recommande
auffi de ne fe point négliger fur les
regles de la verfification & de l'harmonie ,
dont le charme ajoute un nouvel éclat aux
idées les plus heureuſes .
Le prix d'histoire étoit deſtiné à des
recherches fur les premieres navigations
des Normands , & fur leurs établiflemens
dans les deux mondes. Ce fujet bien traité
OCTOBRE. 1757 . 151
répandroit un grand jour fur l'origine de
nos poffeffions en Afrique & en Amérique.
L'Académie ſe trouvant auffi obligée
de remettre ce prix , elle efpere que les
Gens de Lettres citoyens , voudront bien
confacrer quelques momens à des recherches
qui ne peuvent qu'être utiles & glorienfes
pour la patrie.
Les ouvrages deftinés à concourir pour
ces deux prix , feront adreffés fous la forme
ordinaire , & francs de port , à M.
Maillet -du Boullay , Secretaire de l'Académie
de Rouen pour les Belles-Lettres ,
rue de l'Ecureuil .
M. du Boullay annonça enfuite les prix
de l'école du Deffein.
Celui de compofition fondé l'année
derniere par M. de Ciddeville , n'a pas
moins excité d'émulation cette année parmi
les jeunes Eleves .
L'intention du Fondateur étant que le
fujet fût tiré akernativement de l'hiftoire
facrée & profane , on a choifi cette année
le Sacrifice d'Abraham dans l'inſtant qui
précede ce facrifice , lorfque le Patriarche
déclare à fon fils que c'eft lui qui eſt la
victime que Dieu a choifie pour lui être
immolée . Ce prix a été remporté par
Emmanuel le Moyne. L'Académie a trouvé
M.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
dans fa compofition beaucoup de feu & de
fageffe. Ses deux figures ont une expreffion
touchante , qui marque du génie & du
fentiment dans ce jeune Auteur.
Les prix d'après- nature, fondés par Madame
de Marle , ont été remportés ; le premier
, par M. Barthélemi Lamoureux , de
Rouen ; le fecond , par Charles - Louis
Guyon , auffi de Rouen..
Les prix d'après la boffe & le deffein
fondé par Madame le Cat, ont été rempor-
τές par Jean-Baptifte Voyer , & par Thomas-
Louis le Fevre , tous deux de Rouen.
s prix , M. Defcamps , Profeffeur ,
en a ajouté un nouveau pour l'architecture
, qui a été remporté par Jean - Baptifte
Brument , de Rouen . Le fujet étoit une
'porte d'expreffion dorique pour le nouvel
-hôtel de l'Intendance à Rouen.
M. du Boullay lut enfuite le catalogue
des ouvrages préfentés à l'Académie pendant
l'année , dans la claffe des belleslettres
& des arts , lequel contenoit quinze
articles.
Enfuite M. le Cat a lu fes obfervations
météorologiques & nofologiques.
M. d'Ector , fon obfervation fur une
boule de feu vue dans les environs de
Rouen le 18 Février , à fix heures & demie
du foir.
1
OCTOBRE. 1757 . 153
M. Bouin a lu l'extrait de M. Pingré
fur la comete qui doit paroître à la fin de
1757 , ou au commencement de 1758 .
M. du Lagne a lu l'obfervation de l'éclipfe
de lune du 30 Juillet.
M. le Cat a lu l'éloge de M. du Bocagede
Bleville , affocié de l'Académie , né au
Havre les Mai 1707 , & mort le 9 Juin
1756. M. du Bocage eft Auteur du livre
intitulé , Mémoire fur le port , la navigation
&le commerce du Havre , & fur quelques
fingularités de l'hiftoire naturelle des environs,
imprimé en 1753.
M. du Boullay a lu . l'éloge d'Antoine-
Sébastien Slodz , Sculpteur , affocié regnicole
de l'Académie dans la claffe des Arts ,
né à Paris le premier Décembre 1695 , &
mort en la même ville le 24 Décembre 17 54.
M. le Cat a lu l'éloge de M. de Fontenelle
, né à Rouen le 11 Février 1657 , &
mort à Paris le 9 Janvier 1757 .
M. Pinard , Docteur - Médecin , & Profeffeur
royal de Botanique , a donné la
defcription & la figure d'un nouveau genre
de plante , connue à Paris fous le nom de
Monfeigneur le Duc Dayen ( Dayena ) . Il
a ajouté que fi on vouloit donner à cette
plante un nom qui en fixât bien le caractere
, on pourroit la défigner fous celui
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
de Pentemicyclanthus , à caufe de cinq demi
cercles qui foutiennent les petales.
M. Hoden a terminé la féance par la
lecture d'un Mémoire fur de nouvelles
perfections qu'il a ajoutées au cabeftan
qu'il avoit donné l'an paffé à la féance
publique. Les additions confiftent princi
palement à faire prendre au cylindre du
cabeftan différens diametres , & à le rendre
propre à recevoir des cables de différentes
groffeurs , felon le befoin. Ces avantages
ont été démontrés dans l'affemblée
fur la machine même exécutée en grand
า
OCTOBRE. 1757. 155
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
OBSERVATIONS fur les Tableaux
expofes au Louvre , par MM. de l'Académie
royale de Peinture & de Sculpture.
LE's écoles Italienne & Flamande ornoient
déja les Temples & Tes Palais de
leurs pays & de l'Europe entiere des productions
admirables de leurs célebres
nourriffons , lorfque l'école Françoife fortoit
à peine de fon berceau. On l'avoit vu
naître fous les regnes des Valois ; mais c'étoit
fous les aufpices des Bourbons qu'elle
devoit fe perfectionner , & fe montrer la
rivale des deux autres. L'amour des arts
eft héréditaire aux Princes de cette augufte
Maifon. Leurs libéralités , leurs largeffes ,
ont fait éclorre les fruits précieux du
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
génie ; les diftinctions qu'ils ont attribuées
aux talens , les faveurs dont ils les ont
récompenfés ont encouragé les Artiftes , &
en ont multiplié le nombre. L'école de
France est devenue fous le regne de Louis
XIV une académie floriffante , & fous celui
de Louis XV , elle remporte facilement
la palme qu'aucune Nation ne peut lui difputer.
L'école Flamande n'existe plus , &
T'Italie fe glorifie moins aujourd'hui des
ouvrages de fes Peintres vivans , que des
chefs -d'oeuvres des hommes illuftres qu'elle
a portés autrefois dans fon fein.
Mais il faut convenir que l'expofition
publique des tableaux ne contribue pas
peu à la perfection où la peinture , la
fculpture & la gravure fe trouvent portées
aujourd'hui. Qu'il en téfulte d'avantages ,
& pour les Artiftes , & pour le Public ! Une
noble émulation anime les premiers , &
les fuccès font toujours certains quand on
la prend pour guide . D'un autre côté cette
partie du Public intelligente & curieufe ,
faite pour voir les belles chofes & pour les
fentir , fortifie fon goût & augmente l'étendue
de fes connoiffances . C'eft ainfi
que cette expofition utile forme à la fois
des Peintres & des Amateurs.
M. de Silveftre , Directeur de l'Académie
, a fait voir dans un tableau repréfenOCTOBRE.
1757. 157
tant le Temple de Janus fermé par Augufte
, que l'âge n'éteint point toujours le feu
de l'imagination. Cet ouvrage appartient
à la fois à la poéfie & à la peinture. C'est
un beau poëme parfaitement bien peint.
Les caracteres , ainfi que les attributs propres
aux Mufes , à Apollon , à Mars & à la
paix , font bienfaits , & rendus avec autant
de juftelle que de nobleffe ; fcience du
coftume , fiction ingénieufe , figure bien
contraftées , belle pratique d'architecture ,
-pinceau gracieux & féduifant . Voilà ce
que le Public ne s'eft point laffé d'admirer.
Le nom de Vanloo eft un nom bien cher
à la peinture. Ceux qui le portent font infcrits
avec diftinction dans fes faftes. M.
Louis- Michel Vanloo , premier Peintre
du Roi d'Efpagne , a expofé trois tableaux
: dont l'un repréfentant la famille de M.
Carle Vanloo fon oncle , eft peint avec
cette facilité qui caractérife un Peintre
d'hiftoire. Les figures font bien grouppées,
elles agiffent toutes , & fans confufion .
Ce morceau préfente l'image agréable
d'une famille diftinguée par fes talens ,
unie & laborieufe . On fent en voyant ce
tableau qu'il eft l'ouvrage de l'amitié , &
que l'attachement tendre d'un neveu pour
fon oncle l'a infpité.
Le Sacrifice d'Iphigénie préfente une
158 MERCURE DE FRANCE.
ment ,
grande machine , où toute l'habileté de
M. Carle Vanloo s'eft développée . Iphigénie
eft plongée dans cet accablement
qui doit précéder le facrifice cruel auquel
elle eft destinée ; Chalchas s'avance pour
lui donner le coup mortel , tout annonce
en lui le défordre d'un enthouſiaſte , qui
s'imagine en répandant le fang obéir à la
voix du ciel & défarmer fon courroux .
Agamemnon & Clytemneftre font accablés
de douleur ; mais la trifteffe d'Agamemnon
n'eft point celle de Clytemneftre. La même
paffion eft rendue & exprimée différem-
M. Vanloo a bien fait de ne pas
fuivre l'exemple de Timante. Il n'a pas dû,
comme ce Peintre Grec , voiler la tête d'Agamemnon
, puiſqu'il a fçu fi bien allier
dans ce caractere la trifteffe & la majeſté.
Ce n'eft pas un homme ordinaire qui pleure
fa fille ; c'eft un pere , c'eft un Héros , c'eft
un Roi qui gémit fur fon fort . Quelques
Grecs font fur le devant du tableau. Ils
font ravis d'étonnement & d'admiration
de voir Diane defcendre des cieux pour
prendre en main la défenfe de l'innocence ,
& dérober Iphigénie à la mort. On peut
dire après avoir lu l'Iphigénie de Racine ,
& après avoir vu celle de M. Vanloo , que
Racine étoit Peintre , & que M. Vanloo eft
Poëte. Neptune & Amymone eft un fujet
(
OCTOBRE . 1757. 159
gracieuſement traité ; la compofition en
eft noble & fçavante , & on eft enchanté
de la beauté & de la fraîcheur du coloris.
On a vu auffi avec plaifir trois tableaux en
rond du même Auteur , & l'on ne peut
donner que des éloges à trois Deffeins exquiffés
remplis d'action , de feu & de
génie .
Le portrait de Madame la Marquife de
Pompadour , par M. Boucher , eft bien digne
de fon pinceau. Que de graces ! que
de richeffes ! que d'ornemens ! Des livres ,
des deffeins & autres acceffoires indiquent
le goût de Madame la Marquife de Pompadour
pour les fciences & pour les artsqu'elle
aime , qu'elle cultive avec fuccès ,
& à l'étude defquels elle fçait confacrer
des momens utiles. Le Peintre des Graces
n'a fait que rendre la nature , fans être
peiné du foin d'embellir ou de fatter fon
modele.
L'arrivée de Cléopâtre , Reine d'Egypte,
à Tarfe , où elle eft reçue par Marc- Antoine
, préſente un beau fujet . On rend juftice
depuis long- temps au génie , à la beauté du
deffein , & à la compofition fçavante de
M. Natoire.
Plufieurs ouvrages de M. Jeaurat préfentent
des détails agréables. Il y a beau
coup de vérité dans la maniere dont ils
160 MERCURE DE FRANCE.
font traités . C'eft une peinture naïve &
gracieufe des événemens de la vie populaire.
M. Pierre devoit expofer l'Enlèvement
d'Europe , pour calmer l'impatience du
Public à la curiofité duquel il n'avoit rien
préfenté depuis quatre ans. Le platfond de
S. Roch occupoit les travaux , vafte & épineufe
carriere qu'il a fournie avec gloire ,
& dans laquelle il laiffe un monument à
la postérité de l'étendue de fon génie & de
fes talens. L'Enlèvement d'Europe eft un
morceau d'une belle compofition . Jupiter
métamorphofé en taureau , y paroît glorieux
de fon fardeau , & fe félicite de fa
conquête. On a vu plufieurs portraits de
M. Nattier , bien peints & très-gracieux.
Celui de Madame de Maifonrouge & de
Mlle Balety , ont fait beaucoup de plaifir
aux Amateurs.
La Métamorphofe d'Io , de M. Hallé ,
forme un beau fujet d'hiftoire. Il eft d'une
touche légere , quoique extrêmement fini .
Deux petits tableaux du même Auteur ,
repréfentant deux repos d'Egypte , font
d'une compofition admirable & d'une exécution
précieuſe.
Proferpine ornant la ftatue de Cérès , eft
un tableau d'une grande compofition , &
Dédale attachant des aîles à Icare , eft un
OCTOBRE. 1757. 161
ouvrage de Chevalet , d'un beau faire ,
auffi précieux dans fon fini , que gracieux
dans les contours. Les autres morceaux de
M. Vien font dignes de lui & de fa réputation
.
Un grand tableau de M. Chardin , repréfentant
des fruits & des animaux , eſt
un morceau facilement peint , d'une touche
large , d'une grande maniere , d'une
belle couleur , & d'un effet étonnant . Il y
a plufieurs autres ouvrages du même Auteur.
Ils font tous d'une grande vérité &
d'un détail agréable : on a déja donné bien
des éloges à M. Chardin ; les nôtres ne
peuvent rien ajouter à une réputation auffi
grande, aufli générale & auffi bien méritée
que la fienne.
On ne peut accorder trop de louanges
aux portraits dont M. Aved a cette année
embelli le fallon . On doit en même temps
le féliciter d'avoir ſi bien choiſi ſes ſujets.
Le portrait de M. le Marquis de Mirabeau
( nous en parlons d'après les connoiſſeurs )
eft d'une grande vérité , & le Public a
pris plaifir à contempler les traits d'un bon
citoyen , qui mérite fi juftement d'être appellé
l'ami des hommes. Le titre de l'ouvrage
doit être à l'avenir le furnom de l'Auteur
; ouvrage infpiré par le génie, & dicté
par le fentiment , dont les grandes vues
162 MERCURE DE FRANCE.
égalent les bonnes intentions ; vrai pref
que partout , même dans fes plus forts paradoxes
; livre enfin immortel fait pour
être chicané par des Grammairiens qui
n'épluchent que les mots ou les phraſes ,
& pour être admiré de tous ceux qui n'apprécient
que les chofes , & n'eftiment que
celles qui tournent au bien de l'humanité.
Qu'on nous pardonne cette courte digreffion
en faveur d'un Ecrivain , dont on ne
peut plus prononcer le nom fans l'accompagner
d'an jufte éloge , furtout quand
on en parle pour la premiere fois. L'hommage
d'ailleurs qu'on rend au mérite fupérieur
, n'eft jamais déplacé quelque part
qu'il fe trouve. Il ne peut en conféquence
être un écart.
Deux autres portraits , dont l'un repréfente
M. Gilet , Avocat au Parlement , &
l'autre , M. de Calonne , Confeiller au
Parlement de Flandres , ont paru bien
peints , bien colorés , & faire un bel
effet. Ils font d'une grande reffemblance ,
& rendus avec beaucoup de préci
fion.
Plufieurs portraits de M. de la Tour
peints en paſtel , ont fixé fucceffivement
les regards du Public empreffé à voir les
ouvrages de cet Artifte. Le portrait d'un
Capucin eft d'une grande vérité , & doit
OCTOBRE. 1757. 163
être d'une reffemblance parfaite. On a cru
reconnoître dans un autre tableau M. Tronchin
, Médecin de Geneve. Il a l'air fin &
fpirituel , & femble s'applaudir intérieurement
de fes fuccès.
Le modele du chant , Mlle Fel fait tant
de plaifir à la voir fi bien repréſentée , qu'on
fe fent plus vivement preffé du defir de
l'entendre. M. Monet eft rendu à le prendre
pour lui - même .
La bataille de Fontenoy, de M. Lenfant ,
eft remplie de feu & de chaleur. Des militaires
ont rendu juftice à l'exactitude de
l'imitation ; M. Lenfant eft l'éleve , le
fucceffeur du célebre Parrocel, & l'héritier
de fa gloire , & de fon génie.
Une Urne de porcelaine ornée de bronzes
, par M. Antoine Lebel , fait illufion.
On a vu auffi avec plaifir deux pendans du
même Auteur , repréfentant deux buftes
de bronze . Les reflets du métal & du relief
font parfaitement rendus. On a admiré
dans une marine du même Maître la réverbération
du foleil fur les eaux de la mer..
Ce qui fait un bel effet.
Les talens de M. Venevault pour la miniature
, font bien rares . Ce genre dans fes
mains n'eft point un petit genre. On ne
lui reprochera pas de pointiller ; il a de
la touche.
164 MERCURE DE FRANCE.
Deux grands tableaux de M. Bachelier ,
pleins de hardieffe & de chaleur , ont été
admirés. L'un repréfente un lion d'Aftique
combattu par des dogues ; l'autre un
ours de Pologne arrêté par des chiens de
forte race. Nous avons perdu le fameux
Oudry ; mais M. Bachelier n'eft il pas égal
à fon devancier ? Qu'il y a de vigueur dans
.fon coloris !
L'Afcenfion de Jefus- Chriſt , par M.
Challe , eft un tableau bien compofé . On
a vu avec plaifir une forêt du même Auteur
, où l'on voit les ruines du tombeau
des Horaces & des Curiaces . On a trouvé
ce tableau dans le goût & dans la maniere
de Salvator Rofa.
M. Perronneau a expofé plufieurs portraits
en paſtel , peints avec facilité.
yeux
Il feroit difficile de décrire quatre
grands tableaux de M. Vernet ; les
font agréablement occupés dans toutes les
parties de trois de ces tableaux , qui préfentent
des Vues agréables ornées de détails
variés , & parfaitement bien rendus . Mais
fi l'on s'arrête au quatrieme d'entr'eux repréfentant
la Vue du port de Cetre , en
Languedoc , on eft effrayé du temps orageux
& de la tempête qui y eft admirablement
dépeinte. L'illufion fe trouve portée
fi loin , qu'on ne peut s'empêcher de crainOCTOBRE
1757. 165
dre pour les bâtimens qu'on voit en mer.
On éprouve des mouvemens de commifération
& de pitié à la vue de ce fpectacle
effrayant dont on partage l'horreur ; & en
effet le tableau , l'image difparoît , & la
nature refte dans un appareil bien terrible .
Un autre tableau du même Auteur , qui
repréſente un Payfage avec un grouppe de
pêcheurs & de lavandieres , eft un morceau
d'une grande beauté. Les tableaux de
Claude Lorrain ont des rivaux bien redoutables
dans les ouvrages de M. Vernet.
Il y a beaucoup d'autres ouvrages du même
Auteur , qui ne méritent pas moins d'applaudiffemens.
Le portrait de M. le Duc d'Orléans à
cheval , eft un très - beau morceau . Il femble
être l'ouvrage d'un Peintre d'hiftoire ,
tant il y a de légèreté dans la touche , &
de facilité dans la maniere dont les fonds
font traités . Le même en paſtel eft d'une
grande reffemblance . Ils font tous les deux
beaucoup d'honneur aux talens de M , Roflin.
Le même Auteur a faifi avec bien de
l'habileté dans le portrait de M. le Duc de
Nivernois , l'air fin & fpirituel de ce Seigneur.
Le portrait paroît penſer : il n'en
reffemble que davantage à fon illuftre
modele.
M. de la Grenée a expoſé plufieurs ta166
MERCURE DE FRANCE.
bleaux d'hiftoire d'une belle compoſition :
Pan & Syrinx eft un morceau plein de
vie & d'action ; fa Judith tient de la maniere
Italienne , & ne le cede point aux
meilleurs Maîtres de cette Ecole . Un petit
tableau de Chevalet du même Auteur ,
repréfentant une Vierge qui préfente des
fruits à l'Enfant Jefus , eft d'un beau fini
& d'un pinceau aimable. On a vu avec
plaifir trois tableaux de M. Jeaurat de
Bertry : ils font d'une belle imitation &
bien grouppés.
Une Charité Romaine de M. Baldrighi
eft un tableau d'une compofition grande &
noble ; on s'imagine voir un morceau du
Guide l'Italie revendique cet artiſte né
chez elle , & formé dans notre Ecole.
Qu'il eft glorieux pour Madame Vien
de voir fon nom affocié à ceux de tant
d'hommes célebres ! Les ouvrages d'hiſtoire
naturelle qu'elle a expofés font d'un
beau fini & d'une grande précifion .
Plufieurs payfages de M. Juliart préfentent
des fites agréables. M. Droüais le fils,
montre beaucoup de talent & de facilité
dans les différens portraits qu'il a expofés.
Celui dans lequel M. le Duc de Berry eft
repréfenté tenant des fruits , & M. le
Comte de Provence jouant avec un chien ,
a enlevé tous les fuffrages,
OCTOBRE. 1757. 167
M. Greuze eft un Artiſte diſtingué dans
le genre aimable auquel il s'eft livré. Ses
tableaux fpirituels & naïfs à la fois , font
d'une belle exécution & d'un beau coloris.
Le panier d'oeufs caffés & la jeune
Italienne qui congédie un cavalier Portugais
trayefti, font deux tableaux très- agréables.
Deux portraits en ovale du même
Auteur ont paru d'une touche auffi légere
que facile.
Trois ruines d'architecture de M. de
Machy méritent beaucoup d'éloges : on les
croiroit de Jean - Paul Panini ; les figures
en font parfaitement bien touchées.
M. Mettay a bien profité dans l'Ecole
dont il fort. Il eft éleve de M. Boucher
& s'en montre digne dans fon tableau repréfentant
Bacchus naiffant remis entre les
mains des Nymphes . La compofition de ce
tableau eft gracieuſe , les figures en font
charmantes , & le payfage eft très- beau .
La fculpture préfente peu de morceaux ,
mais prefque tous d'une beauté parfaite.
Le portrait du Roi par M. le Moine eſt
un beau buſte , où la légereté du cifeau ,
la régularité du deffein & la perfection
de la reffemblance fe font également admirer.
Un modele en terre cuite de M. Falconet,
représentant Jefus-Chrift au jardin des
168 MERCURE DE FRANCE.
Olives au moment de fon agonie , eft exécuté
en pierre de tonnerre dans l'Eglife
de S. Roch . La peine intérieure & l'état
de fouffrance font rendus avec une expreffion
qui attendrit le fpectateur . Une figure
en maibre du même Auteur eft d'une
grande beauté ; elle repréfente l'Amour :
on voit ce Dieu malin fourire de fes conquêtes
. Une autre figure en marbre repréfente
une Nymphe qui defcend dans le
bain cette figure , qui ne cede en rien
à la précédente , ſemble déja fentir , en entrant
dans le bain , ce frémiffement léger
qu'on y éprouve.
Il y a de très - beaux morceaux de M.
Vaffé . Les buftes de Mignard & de Girardon
font d'un marbre bien travaillé : le
bufte en plâtre du célebre Pierre Pithou ,
fçavant univerfel de la fin du feizieme
fiecle , ne leur eft pas inférieur.
La Venus endormie de M. Mignot eſt
digne de l'antique , auffi doit- elle fervir
de pendant à l'hermaphrodite . Pâris préfentant
la pomme à Venus eft une figure
bien deffinée & fort agréable. M. Gillet
en eft auteur. Une Nayade de M. Challe
& autres ouvrages du même auteur , indiquent
beaucoup de talens on connoît
la fécondité du génie de cet auteur dans
fes deffeins ou projets de jardins & places
publiques.
OCTOBRE . 1757. 169
publiques. Les talens de M. Caffieri ne méritent
pas moins d'éloges.
>
Plufieurs morceaux de gravure de MM.
Cars , Moyreau , Daullé & le Bas , juſtifient
la réputation diftinguée dont ils
jouiffent dans leur art. MM. Surugue
Tardieu , Feffart , Aveline & Flipart , ont
donné des traductions fideles des beaux
tableaux qu'ils ont gravés avec autant d'habileté
que d'exactitude. La Devideufe , la
Ménagere , & la Tricoteufe Hollandoife ,
font rendues avec ce fini & cet efprit qui
caractérisent les tableaux des Maîtres fameux
d'après lefquels ces planches ont été
gravées. Tout le monde a admiré la maniere
hardie dont M. Wille a travaillé le
cuivre , la profondeur & le bel effet de
fes tailles , la beauté , la délicateffe & la
précifion de fon burin. M. Guay Graveur
en pierre , a fuivi dans ce genre les traces
des beautés antiques qui nous reftent.
Dans les fiecles fuivans on ne diftinguera
peut- être point d'avec l'antique les ouvrages
de M. Guay.
Voila l'efquiffe légere & imparfaite de
ce qui a fait l'objet de l'admiration publique
au Sallon. L'excellence des ouvrages
des Artistes prouve l'excellence de
l'adminiftration des Arts , confiée avec tant
de juftice à M. le Marquis de Marigny :
II. Vol H
170 MERCURE DE FRANCE.
protecteur des Arts , ami de ceux qui les
exercent. Il ne fe borne pas à récompenfer
les talens fupérieurs & décidés , fa vigilance
& fes foins s'étendent fur la jeuneffe,
cette partie importante de l'Etat . Sa pénétration
lui fait preffentir dès les premiers
effais ce qu'un jeune Artifte peut devenir
, & la jufte difpenfation qu'il fait
des bienfaits du Roi , leve les obstacles
qu'oppose à l'étude l'indigence , cette cruelle
ennemie des talens , dont elle eſt fouvent
la compagne.
RÉFLEXIONS fur la Critique des
Ouvrages exposés au fallon du Louvre ,
qui a paru fous le titre d'Extrait des Obfervations
fur la Phyſique & les Arts.
QUOIQU'ON foit en droit de reprocher à
tout Auteur qui infere un écrit fatyrique
dans fes ouvrages , l'injuftice de l'avoir
adopté , néanmoins on n'examinera que
celle du véritable Auteur. C'eft un Artiſte
inconfideré , partial & rempli d'animofité.
Il feroit à fouhaiter pour lui , qu'il
fût plus éclairé ou qu'il le fût moins. Pluš
inftruit , il fentiroit mieux les divers mérites
qui compofent l'Académie ; plus ignorant
, il préfumeroit moins de lui- même ,
& ne hazarderoit pas fes décifions comme
OCTOBRE .
1757. 171
des oracles . Comment n'a -t'il pas douté de
la jufteffe de fon fentiment , en confidérant
combien il eft oppofé aux idées le plus
univerſellement reçues ? Le
jugement du
public fera-t-il moins folide que celui
d'un
particulier , &
l'approbation générale
obtenue pendant
longtemps , n'eft- elle pas
incontestablement le fceau du vrai mérite?
La fureur qui porte cet anonymie à déprimer
un des plus excellens Peintres de la
France , peut-elle altérer une réputation
que de longs travaux toujours couronnés
des fuccès les plus éclatans , ont fi folidement
établie ? Non , cette critique ne peut
nuire qu'à fon Auteur .
Il dit que ces principes feront avoués
des Artiftes dont la réputation eft méritée . Ce
principe général que le vrai eft le feul but,
fera fans doute
univerfellement reçu ; mais
l'indignation qu'a excité cet écrit , dans
ceux qu'on peut regarder comme défignés
par ce titre , lui doit faire connoître combien
ils rejettent les
conféquences qu'il en
a voulu tirer. Ces hommes vraiment connoiffeurs
, eftiment les grands talens de M.
Vanloo plus encore que le public , s'il eft
poffible : & d'autant mieux qu'ils fentent
davantage la difficulté d'arriver à ce haut
degré. Tout ce que l'Auteur en devoit inférer
, c'eft qu'ils ne s'en affectent pas au
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
point de ne plus voir les divers degrés de
mérite équivalens ou inférieurs que poffédent
ceux qui courent la même carriere.
La nature peut- être envifagée fous diverfes
faces , les uns la voient du côté de fa
régularité , les autres font émus des graces
qu'elle préfente , elle expofe toute la
vivacité de fes couleurs à ceux qui aiment
en elle cet agrément , quelques - uns s'occupent
de fes fineffes de détail , d'autres font
frappés de fon coup d'oeil général. C'est ce
qui a produit tant de grands maîtres qui fe
reffemblent fi peu , & dont les manieres
font fi variées. L'Auteur paffionné pour
une maniere qu'il a raifon de prifer , mais
qu'il ne devroit pas eftimer feule , n'apperçoit
point le mérite des autres façons
de faire. C'est ce qui arrive à ceux dont le
jugement n'eft pas encore fondé fur des
réflexions affez folides , qui n'ont vu que
peu de maîtres , & en ont adopté un exclufivement
; c'eft auffi ce qui produit toute
l'injuftice des demi-connoiffeurs , & les
rend fi pernicieux aux progrès des Arts. Il
en eft de même des Artiftes dont les yeux
ne font pas defillés . Mais ce n'eft pas ici
fimplement cette prévention : il y ade plus
une fureur qui fembleroit l'effet de l'envie
, fi l'Auteur artifte pouvoit prétendre
àquelque comparaifon ayec le Peintre célébre
qu'il attaque d'une maniere fi рец
J
OCTOBRE. 1757. 173
mefurée. Cet écrit n'eft point une critique
, mais un libelle contre les talens de
M. Vanloo , à qui l'Auteur revient à tout
propos , & avec tant d'acharnement , qu'il
s'en eft rendu odieux aux lecteurs même
qui fe plaifent le plus à la fatyre ; nonfeulement
M. Vanloo , mais toute fa famille
& même fes éleves font enveloppés
dans cette profcription générale.
Si quelqu'un a avancé que M. Vanloo
poffede toutes les parties de l'art dans le
degré le plus éminent qui foit connu ; c'eſt
une abfurdité , & il feroit facile de démontrer
qu'il y a des parties effentielles
qui s'excluent néceffairement l'une l'autre,
& qui demandent des génies directement
oppofés , pour être portées à leur plus haute
perfection ; fi l'on a dit fimplement qu'il
les a réunies , ce n'eft qu'une exagération
qui ne peut fignifier autre chofe , finon
qu'aucune ne lui manque au point de déparer
fes tableaux , & qu'il a porté au plus
haut degré celles qui lui font particulieres.
D'ailleurs fi l'Auteur de l'éloge a été
fortement affecté des beautés de ce tableau ,
comme il y a bien lieu de l'être , n'a t - il
pas autant de droit de fe livrer à fon goût,
& de faire l'éloge des circonftances qui le
touchent , que celui- ci en a pris d'en faire
la fatyre ? Quand il feroit vrai que le Pa-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
négyrifte n'auroit pas toujours touché également
jufte , quel inconvénient s'enfuivroit-
il Le public juge par fentiment &
non pas par infinuation. Le tableau de M.
Vanloo a été trouvé très -beau : comme il
l'eft en effet , indépendamment de toutes
les critiques ou de tous les éloges qu'on
en pourra faire. Autant il a de droit de
méprifer les critiques , autant il peut fe
paffer des éloges que l'affection particuliere
porteroit à l'excès. Il fuffit de l'approbation
générale.
Tout ce que le critique dit contre la compofition
poétique fe réduit à ceci , qu'il
auroit voulu qu'on eût fuivi la tragédie de
Racine. Mais qui ne voit que le Peintre
eft également le maître de fa fable , relativement
à fon art ( pourvu qu'elle ne cho
que point la raifon ) , comme le Poëte peut
l'être de l'affujettir aux regles du drame. La
queftion n'eft point d'examiner fi l'on peut
faire une fuppofition différente de celle
qu'a faite le Peintre , mais feulement s'il
a bien rendu la maniere dont il a conçu
fon fujet. Si cela n'étoit pas ainfi , rien ne
pourroit réunir les fuffrages du public s car
autant d'Artiftes ou de perfonnes réfléchiffantes
pour le former l'idée d'un fujet ,
autant de compofitions différentes & de
manieres de l'envifager. C'eft un défaut
dans lequel les critiques de tout genre tonOCTOBRE
. 1757. 175
bent prefque toujours , que de fubftituer
leur façon d'imaginer à la place de celle de
l'Auteur , fans avoir prouvé que celle qu'ils
attaquent foit faulle ou déraifonnable .
C'eft auffi le cas de ce critique : il auroit
fait, dit- il, Clytemnestre forcenée , au lieu
que M. Vanloo l'a repréfentée abattue par
l'excès de fa douleur. Qui a tort ou raiſon ?
Comment ne voit- il pas que ces deux fuppofitions
font également dans la raifon ,
que Clytemnestre a pu paffer fucceffivement
par ces deux états , & que M. Vanloo
a été le maître de choisir l'expreffion
qui convient le mieux au fentiment qu'il
excite dans fon tableau , qui eft l'attendriffement
? Ce feul exemple fuffit pour
prouver le peu de folidité de la plupart
des raifonnemens de l'Auteur. On n'entrera
dans aucun détail fur les critiques qu'il
fait ; quoiqu'il y ait beaucoup d'endroits
où il juge mal , ce feroit tomber dans la
même faute que lui & faire une critique ,
parce qu'on paroîtroit lui accorder ce qu'on
ne lui conteſteroit pas , & conftater ce
qu'on négligeroit de réfuter. D'ailleurs il
y a quelques vérités & même des chofes
vues avec affez de fagacité , furtout lorfqu'il
n'eft pas queftion du maître contre
lequel il s'eft déchaîné. Il y faudroit acquiefcer,&
peut-être défobliger quelqu'ur .
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Or , avec un peu de réflexion on fentira
combien la critique perfonnelle des Artiftes
vivans eft odieufe. Il paroit reçu comme
un principe , parce qu'on ne l'a pas
bien examiné , que les Belles- lettres ne
font point un état à la rigueur , & que la
critique en peut être permife. ( 1 ) Il n'en eft
(1) Nous croyons que la critique perfonnelle
n'eft permife dans aucun cas . Si elle pouvoit l'être
contre quelqu'un , ce feroit contre celui qui
T'exerce. Elle deviendroit alors un châtiment mérité
: il feroit trop jufte qu'on le battît de fes propres
armes , à moins qu'on ne craignît de s'avilir
en les employant , & qu'on ne regardât la victoire
comine honteufe. Hors delà il n'eft que la faine
& véritable critique qui eft non feulement permife
, mais qui eft même néceffaire pour perfectionner
les arts , ainfi que les fciences. Toujours
équitable , impartiale , exempte de perfonnalités ,
elle a pour objet l'avantage de l'art qu'elle analyfe
:fa lumiere qui n'éclaire que pour faire fructifier
& non pas pour détruire , ne porte jamais
fes rayons fur la médiocrité , qui ne peut être
citée pour exemple ; c'est toujours fur les ouvra
ges des plus grands Maîtres en tout genre , comme
étant faits pour fervir de modeles. Elle les examine
alors à charge & à décharge , c'est-à- dire qu'elle
en met les beautés dans leur plus grand jour , &
qu'elle en dévoile les défauts avec toute la circonfpection
& tous les égards que méritent les
hommes célebres , qu'on doit reſpecter même en
les cenfurant . La critique qui attaque l'illuftre
M. Vanloo , loin de porter ce noble caractere , eſt
marquée au coin de la fatyre la plus acharnée.
Quand même elle feroit fouvent vraie par le
OCTOBRE. 1757. 177
pas de même des arts , de tous autres motifs
que la vanité peuvent
engager
à peindre.
La médiocrité dans ces talens eft privée
d'éloges , mais elle n'eft point allujettie
au mépris ; & du confentement de
tout le monde , non -feulement on peut honorablement
tirer avantage de la portion
de talens qu'on a acquis , pour s'affurer
un état , mais même au plus bas degré ,
c'eſt une profeffion reçue dans la fociété
comme utile . On ne peut par conféquent
attaquer la réputation d'un Artifte fans
rifquer de nuire à fa fortune , ce qu'on ne
peut fe permettre fans inhumanité.
A la vérité , il n'en eft pas abfolument
de même de ces Artiftes du premier ordre ;
les avantages qui s'enfuivent de leur diftinction
en découlent fi naturellement ,
qu'ils ne les ont point pour objet , & que
Fhonneur de bien faire les occupe uniquement
leur primauté demeurant toujours
certaine , quelque diminution qu'on prérende
faire à leur gloire , il femble que les
atteintes qu'on leur porte ne peuvent influer
de même fur leur fortune , fi ce n'eft
dans quelques cas particuliers : mais en
fonds , elle auroit toujours tort par la forme , &
devroit fubir la peine dont on doit flétrir tout
belle . Nous penfons fur ce point comme l'Au
seur judicieux de ces Réflexions.
Hy
1
1
1
178 MERCURE DE FRANCE.
premier lieu , ces circonftances qui exigeroient
du critique plus de retenue , peuvent
ne lui être pas connues , & il rifque de
commettre cette injuftice fans le fçavoir.
Secondement en faiſant abſtraction de ces
cas , les Artiftes ne pourroient dans cette
fuppofition être expofés à la critique qu'autant
qu'ils auroient acquis par l'approbation
publique la prééminence dans leurs
talens ; mais comme ils auroient droit à
l'eftime du public & à jouir de leur tranquillité
, même dans la médiocrité , à plus
forte raifon leur font- elles dûes , lorſqu'à
force d'étude , ils ont acquis des talens fupérieurs.
Les critiques font d'autant plus odieufes
fur ces matieres , qu'elles ne peuvent jetter
que le découragement : elles font toujours
faites ou par des Auteurs peu inftruits
dans ces matieres , & par conféquent incapables
d'inftruire , qui la plupart ne fçavent
qu'injurier par de froides railleries ,
ou, comme dans le cas préfent , par un Artifte
partial & irrité , & par conféquent
injufte. Alors elles rebutent fans éclairer ,
elles font inutiles parce que les lumieres
de ceux qui les font , ne font point fuffifantes
pour déterminer un Artifte ſenſé à
s'y livrer . De plus , il y a des défauts qui
tiennent de fi près à des beautés , n'en étant
OCTOBRE. 1757. 179
que l'exagération , qu'il feroit dangereux
de vouloir les éviter avec trop de foin . Il
en eft qui font inféparables du caractere
du génie de l'Artifte : il pourroit en s'efforçant
de s'en éloigner , fans acquérir des
qualités qui ne lui feroient point naturelles
, perdre celles qui font fa diftinction .
Le Deffinateur voulant devenir colorifte
fera moins exact à fon deffein , & n'acquerra
jamais la couleur que dans un degré
médiocre de même le Colorifte s'affujettiffant
à la correction du trait , perdra
de cette facilité de pinceau & de cette
pureté de tons , qui font le plus grand
charme de fa couleur. L'un eft l'effet d'un
génie plein de feu , & l'autre d'un génie
attentif & exact. Si l'on vouloit fuppofer
que des critiques publiques puffent être
utiles aux arts , du moins conviendra - t'on
qu'il faudroit qu'elles fuffent faites par un
Artifte très- éclairé & nullement partial.
Mais il eft certain que quiconque aura ces
qualités fe refufera toujours à ce travail.
Plus il connoîtra les difficultés de ces arts ,
plus il fera fenfible aux beautés . Elles éclipferont
toujours à fes yeux de légers défauts
inévitables dans toutes les productions des
hommes . Une critique pour être recevable
, devroit être faite à l'imitation de celle
du Cid par l'Académie Françoife . Avec
1
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
quelle attention n'y a- t'on pas relevé les
moindres beautés , pefé les difficultés qui
avoient pu forcer l'Auteur à commettre
certaines fautes , & avec quelle modération
ne font elles pas expofées ! mais cet
exemple a été bien peu fuivi .
Toutes celles faites fur les arts n'ont fait
qu'importuner les Artiftes & les dégoûter
d'expofer leurs ouvrages , non pas au public
qui leur accorde toujours l'estime qui
leur est dûe , mais à cet effain de prétendus
connoiffeurs , dont toute l'intelligence fe
borne à la découverte de quelque défauts
dans les plus beaux ouvrages ; trifte avantage
qui ne les dédommage pas du plaific
dont ils fe privent en ne fe livrant pas au
fentiment. Il y a quelques années qu'un
ignorant dans ces matieres donna le ſignal
de cette guerre que l'on fait aux arts & aux
Artiftes les plus diftingués. Il fut bientôt
fuivi d'une troupe d'Auteurs plus ignorans
encore à cet égard : maintenant l'animofité
s'en mêle. C'en est trop.
Par les raifons que l'on a dit ci- deffus ,
on ne relevera point tous les jugemens
portés avec injuftice : cependant pour faire
voir combien cela feroit facile , on rapportera
un feul exemple. L'Auteur dit que
M. Hallé doit fe tenir en garde contre le ton
erud & la molleffe des formes. Cet avis qu'on
OCTOBRE. 1757. 181
peut donner en général à tous les Peintres ,
ne convient point d'une maniere particuliere
à M. Hallé. Tout le monde eft demeuré
d'accord que le tableau de la recon--
noiffance d'lo eft remarquable furtout par
une belle harmonie & par l'accord des couleurs.
Comment cette propriété peut elle:
fubfifter avec cette prétendue crudité de
tons. N'eft- il pas viſible que cela eft antipathique
? ( 1 )
On ne conçoit pas mieux en quoi on
peut lui reprocher la molleffe des formes :
mais un Artifte judicieux & impartial n'au--
roit-il trouvé que cela à dire fur M. Hallé ,
& certe fcene agréable & touchante , fi bien:
rendue , ne lui auroit- elle pas paru mériter
un autre éloge ? Croit- il avoir rendu
juſtice à M. Pierre , en difant qu'on y découvre
plus le germe de la bonne couleur , &
le haut degré de vérité & d'agrément , que:
cet Artiftea acquis dans cette brillante partie
de la peinture , peut- il n'être regardé
que comme un germe ? Mais il falloit que
M. Vien fût en poffeffion de la belle cou-
(1 ) Dans une critique fur l'expofition des tableaux
faite à Marſeille en cette même année , on
qualifie un Peintre de génie fougueux & indécis
& l'on ajoute que c'eft ce qui rend fes compofitions
timides monotones. Quelle foi peut - on ajouter
à un Auteur qui tombe dans des contradictions f
grollieres ?
2
1S2 MERCURE DE FRANCE.
leur à l'exclufion de tout autre. L'Auteur
fe montre fi vifiblement partial pour cet
Artifte , qu'il détruit toute la valeur de
fon éloge.
le
Ce n'eft pas que M. Vien n'ait en effet
le mérite qu'il lui accorde , il ne faut pour
prouver , que remarquer l'eftime & la
confidération que les Artiftes & l'Académie
lui témoignent dans toutes les occafions
; mais par la même raifon qu'aucun
ne poffede toutes les parties de l'art dans le
degré le plus éminent , il eſt certain qu'on
pourroit prendre fes ouvrages par leur
côté foible ; que feroit- ce fi quelque Artifte
touché des grands talens de M. Vanloo
, & de l'injuftice qu'on lui fait , entreprenoit
de le venger & perfécutoit M.
Vien avec la même obftination ! L'Auteur
qui s'eft fi fort irrité des éloges que l'on a
accordés à M. Vanloo , felon lui , peu mefurés
, n'auroit- il pas à fe reprocher de
lui avoir attiré cette repréfaille : Mais
qu'il ne le craigne pas , il n'y a point d'Artifte
connoiffant l'étendue & la difficulté
des arts , & fçachant combien M. Vien
mérite d'eftime, qui veuille fe charger d'un
procédé dont il fentiroit toute l'injustice.
Quels avantages peuvent fe propofer
ceux qui fous le voile de l'anonyme , hazardent
ces écrits ? Quelle gloire en attendent-
ils ? S'ils étoient connus , ne feroientOCTOBRE.
1757. 183
perils
pas expofés à l'animadverfion des
fonnes en place , qui par état protegent
ces expofitions pour la gloire de la nation ,
l'émulation des arts , & la fatisfaction du
public ? Pourroient- ils foutenir les reproches
de tous ceux qui par goût , aiment
les arts & les Artiftes ? Ils ne voient qu'avec
indignation les efforts que l'on fait pour
rebuter ceux qui en font principalement
l'honneur. Il n'eft que trop vrai que pluhieurs
Artiftes laffés de ces importunités ,
& dont la réputation folidement établie
n'a pas befoin de ce fecours , n'apportent
plus la même ardeur à expofer leurs ouvrages.
Delà s'enfuivra la privation de cet
agrément pour le public , & de l'avantage
qui en réfulte pour la gloire des arts en
France. Oferons - nous efpérer que par une
expofition volontaire , & qui n'eft point
néceffairement attachée à l'emploi de leurs
talens , des Artiftes diftingués veuillent
rifquer des défagrémens qu'ils peuvent éviter
? Il ne le femble pas. Cependant comme
la voix du public s'élève contre les contempteurs
de leur mérite , ce dédommagement
flatteur doit guérir toutes les bleffures que
ces vaines attaques ont pu faire ( 1 ) .
( 1 ) Il paroîtra fingulier , fi l'on y fait attention ,
que depuis que la peinture eft à Rome un des
objets importans de l'attention publique , & que
184 MERCURE DE FRANCE.
•
Ces critiques ont pris & fait prendre le
change à beaucoup de perfonnes fur le motif
des expofitions ; ils les ont fait regarder
comme un combat dans lequel des rivaux
ennemis tâchent de fe nuire , & d'attirer
la rifée fur ceux qui paroiffent vaincus.
Bien loin de cela , ce font des Artiftes
liés d'eftime & d'amitié de telle maniere
, que les injuftices faites à ceux dont
ils refpectent les talens , les affligent autant
que c'étoit à eux - mêmes. Avec des talens
tout différens quoique dans les mêmes
genres , ils n'expofent leurs ouvrages que
pour les faire connoître & en tirer le tribut
de gloire qu'ils peuvent mériter : ils
n'en défirent point au - delà de celle que les
divers degrés de l'approbation publique
leur accordera , ils fe jugent eux mêmes
avec plus de jufteffe & de févérité , que ne
le peuvent faire les faifeurs de brochu
res , & ne reconnoiffent point d'autres Juges
que le public , dont le cri fe fait entendre
plus haut & plus au loin que tous les
imprimés pour & contre.C'eft en effet le feul
jugement qui foit judicieux & impartial ;
il n'a pas befoin de truchemens infideles
pour être entendu .
Pon y fait plufieurs fois l'année de ces expofitions,
on n'y connoiffe point encore ce pernicieux ufage
des critiques. Ils aiment les Arts davantage , &
mieux que nous.
f
•
C
OCTOBRE. 1757.
GRAVURE.
LE fieur Daullé vient de mettre au jour
une nouvelle eſtampe d'après M. Pierre ,
intitulée , la lanterne magique . Le nom du
Graveur en fait l'éloge . On la trouve chez
lui , rue du Plâtre S. Jacques , attenant le
College de Cornouaille .
L'amour du Deffein , ou cours de deffein
dans le goût du crayon . A Paris , chez
François , Graveur , à l'Hôtel des Urfins ,
au Triangle d'or , derriere S. Denis de la
Chartre.
Le fieur François donna autrefois quelques
effais de gravure dans le goût du
crayon , par un livre àdeffiner , qu'il fit à
Lyon, & quelques parties d'un autre, qu'il.
commença pour un Profeffeur de Paris.
Ces premiers morceaux ne répondant .
qu'imparfaitement à ce qu'il s'étoit propofé
d'imiter le crayon , il difcontinua de
rendre publics fes différens effais , juſqu'à
ce qu'il fût parvenu à perfectionner cette
maniere de graver . Le Public jugera de la
réuffite par ce premier recueil d'échantillons
; il le préfente avec d'autant plus de
confiance , qu'il a déja reçu l'approbation
des premiers Académiciens .
186 MERCURE DE FRANCE.
Ce Recueil , qui fera fuivi de plufieurs
autres , fait voir qu'il rendra également
une tête comme une académie & une figure
drapée. On fçait que le coup de crayon
laiffe une efpece de grenu occafionné
par le grain du papier , qui en émouſſe la
pointe : il étoit donc néceffaire de l'imiter
dans la gravure , & c'est à quoi le fieur
François fe flatte d'avoir réuffi . Ceux qui
voudront avoir ces recueils , ne doivent
pas différer de fe les procurer à mesure
qu'ils paroiffent , s'ils veulent profiter de
la premiere beauté des épreuves. Le prix
modique qu'il a jugé à propos d'y mettre ,
pour donner aux jeunes gens qui apprennent
à deffiner plus de facilité de les acquérir
, eft une raifon pour que le débit
en foit confidérable , & que la gravure ne
fe foutienne pas long- temps.
Cette découverte eft en effet d'une grande
utilité pour perpétuer les deffeins des
grands Maîtres , & mettre aux mains des
éleves , tant à Paris que dans les Provinces
, les meilleurs originaux , rendus d'une
maniere beaucoup plus propre à les
former au bon goût du deffein , qu'ils ne
le pourroient être par la gravure ordinaire.
On ne peut trop encourager M. François à
en faire ufage.
OCTOBRE. 1757. 187
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
On a vu avec grand plaifir , dans les der- Na
nieres repréfentations des Amours des
Dieux , le début de Mlle Chaumard , jeune
Danfeuſe , dont on efpéroit beaucoup
fans attendre tout ce qu'elle a montré de
graces , de jufteffe & d'expreffion . Les
Amateurs & les Gens de l'art fe réuniffent
pour prononcer que depuis long- temps on
n'a reconnu dans une Danfeufe plus de
parties raffemblées pour le fuccès du genre
gracieux. Peut- être qu'une taille élégante
& une figure aimable ont féduit le public ;
il attend avec empreffement le moment de
revoir paroître Mile Chaumard , pour confirmer
, fans doute , les premieres idées
qu'elle a fait naître fur fon talent. Voilà
fur le début de cette aimable Danfeufe le
fentiment d'un Amateur éclairé que nous
avons adopté. A cet éloge en profe de
Mile Chaumard , nous ofons joindre le
188 MERCURE DE FRANCE.
nôtre en vers , & lui dire avec vérité :
Reparoiffez fans perdre temps ,
Tout vous promet des fuccès éclatans :
Souhaitez que la falle en fpectateurs abonde
Pour mieux célébrer vos talens .
Jeune & belle Chaumard , plus vous aurez de
monde ,
Plus vous aurez de partifans.
Dans l'acte de Co: onis , M. Pilau a repréfenté
plufieurs fois Adonis avec les applauditfernens
du Public. Ils nous ont paru
mérités , & nous croyons que perfonne ne
pouvoit mieux doubler M. Poirier dans un
rôle qui lui a fait tant d'honneur. Dans
la troifieme entrée , Mlle Davaux a chanté
celui d'Ariane avec beaucoup de fuccès.
Ses progrès deviennent fenfibles depuis
quelque temps , & le juge impartial eſt
charmé de voir que l'art commence à
perfectionner en elle les dons brillans
qu'elle a reçus de la nature.
Le mardi 4 de ce mois , l'Académie
royale de Mufique a repris Hippolyte &
Aricie , dont elle avoit donné plufieurs
repréſentations l'hyver dernier. C'eft le
premier Opera du grand Rameau , & peutêtre
fon chef- d'oeuvre. On n'a rien oublié
pour le remettre & pour l'exécurer comme
il mérite de l'être. Le rôle d'Aricie eft
OCTOBRE . 1757. 189
chanté par Mile Fel , pouvoit- il être en
de meilleures mains ? Mlle Davaux eft
très-bien dans le rôle de Phedre , & M.
Gelin parfaitement dans celui de Théfée . M.
Pilau rend le rôle d'Hippolyte de maniere
à devoir être encouragé. On peut même
dire qu'il parvient à le jouer , & qu'il fait
tous les efforts pour juftifier l'accueil favo
rable qu'il reçoit du Parterre .
COMEDIE FRANÇOISE.
L'ACTEUR nouveau ( le fieur Blainville )
qui avoit commencé fon début par le
Grand- Prêtre dans Athalie , l'a continué
avec la même réuffite par Palamede dans
Electre , & par Lufignan dans Zaïre. Il
nous a paru réunir les deux premieres parties
de l'Acteur , qui fe perfectionnent ,
mais qui ne s'acquierent pas , l'intelligence
& les entrailles . Quand on les poffede ,
on peut tout corriger ou tout fuppléer , &
parvenir par l'ufage & par le travail au
mérite du vrai Comédien .
Le mercredi 12 , les Comédiens François
ont donné Mithridate & le Legs. Le
Lieur Brizard qui a joué dans la premiere
piece le rôle de Mithridate , a réuni tous
les fuffrages. Il eft bien deffiné au théâtre ;
190 MERCURE DE FRANCE.
il a , comme le maintien , le débit noble &
fait. le
jeu
COMÉDIE ITALIENNE.
LESES Comédiens Italiens continuent les
repréſentations des Enforcelés , qu'on revoit
toujours avec le même plaifir.
OPERA COMIQUE.
CE Spectacle qui n'a rien donné de nouveau
depuis le Faux Dervis , a fait fa
clôture le jeudi 6 de ce mois , par le
Poëte amoureux de fon modele , &c. avec le
compliment à l'ordinaire.
SPECTACLE DE LA COUR ( 1 ) .
Lɛ 13 Septembre Madame de Marfan a
célébré l'anniverfaire de la naiffance de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne par
une Fête où préfidoient également le goût
& la magnificence : elle commença par un
Prologue , dont les paroles étoient em-
(1) Ceci eft extrait de la Gazette de France.
OCTOBRE. 1757. 191
pruntées de l'Opéra de Callirhoé . On exécuta
enfuite l'Acte d'Eglé de M. de la
Garde , Maître de Mufique des Enfans de
France , & Compofiteur de la Chambre .
Cet Acte fut fuivi du Ballet des Fleurs ,
des Indes Galantes. Pour donner une idée
de la maniere dont le rôle d'Eglé fut rempli
, il fuffit de dire qu'il le fut par
Mlle le Maure. Monfieur de la Garde
remplit celui de Mifs . Mademoiſelle le
Miere chanta dans le Prologue & dans le
divertiffement plufieurs Ariettes avec les
applaudiffemens auxquels elle eft accoutumée.
Après ce Spectale , qui fut dirigé ,
pour le chant , par MM .. Rebel & Francoeur
& pour
la danfe , par M. Laval
, on tira fur la terraffe , vis- à- vis de
l'apppartement de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , un très- beau feu d'artifice . La
décoration repréfentoit un Temple d'ordre
compofite. Toutes les parties de l'architecture
& les colonnes étoient feintes
de marbre breche violette . Les chapiteaux
& autres ornemens étoient en or. Dans le
centre du Temple , on voyoit la France
fur un grouppe de nuages . L'Education accompagnée
des Sciences , lui préfentoit
Monfeigneur le Duc de Bourgogne . Le
frontifpice de l'édifice étoit orné des armes
de France , foutenues par deux An-
>
192 MERCURE DE FRANCE.
ges. Sur les quatre corps avancés étoient
quatre grouppes d'enfans. L'Espérance &
Abondance , placées des deux côtés de la
porte du Temple , marquoient ce qu'on
devoit attendre un jour du jeune Prince.
Le feu , dont l'exécution n'a laiffé rien à
défirer , étoit de la compofition du fieur
Morel , Artificier ordinaire du Roi.
ARTICLE
OCTOBRE. 1757. 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE DANTZICK , le 16 Septembre.
UNE Relation qu'on a reçue de l'armée Ruffienne
, au fujet de la bataille qui s'eft donnée le
30 du mois d'Août entre cette armée & celle du
Roi de Pruffe commandée par le Feld - Maréchal
de Lehwald , contient les particularités fuivantes.
« Les Pruffiens ne pouvant être attaqués que
» très-difficilement dans leur pofition près de Veh-
» lau , le Feld -Maréchal Comte d'Apraxin quitta
» la rive du Prégel , & feignit de marcher à Ko-
» nifberg , pour engager les ennemis à fortir des
» bois qu'ils occupoient . Vers les cinq heures du
» matin , on eut avis qu'ils s'avançoient au nom-
» bre de trente- fix mille hommes de troupes réglées.
Lorfqu'ils furent près de Jagerfdorff , ils
» fe déployerent fur deux lignes , qu'ils reunirent
» bientôt en une feule , afin de nous préfenter un
>> front égal au nôtre. Leurs flancs , furtout le
>> gauche , étoient couverts par leur Cavalerie.
» L'action commença par un feu très-vif d'artil-
» lerie , & l'on s'apperçut que l'objet des Pruf-
» fiens étoit de s'emparer du bois de Narfitten , &
» de nous refferrer dans les défilés qui font der-
» riere ce bois. Pour prévenir le deffein du Feld-
» Maréchal de Lehwald , le Comte d'Apraxin ren
11.Vol. I
1
194 MERCURE
DE FRANCE.
força de plufieurs Régimens les troupes char-
» gées de la défenſe du bois , & établit des deux
» côtés plufieurs fortes batteries . Cependant les
» ennemis s'étoient approchés , & ils n'étoient
» plus qu'à fix cens pas de notre armée. Ils fon-
» dirent fur nous avec une impétuofité extraordi-
»> naire , & ils pénétrerent dans le bois ; mais notre
Infanterie leur oppofa une réſiſtance fi vi-
» goureuſe , qu'ils furent obligés de fe retirer.
» Pendant cette attaque , une partie de leur Ca-
» valerie eſſaya de tourner notre aîle droite. Le Gé-
» néral Comte de Browne chargea ces Eſcadrons ,
» & les mit dans la néceffité de rejoindre leur corps
de bataille. Jufqu'à neuf heures , les ennemis
» combattirent avec la plus grande valeur . Voyant
ils prirent
» qu'ils ne pouvoient nous entamer ,
» le parti de la retraite. On les pourfuivit jul-
» qu'à une licue & demie du champ de la bataille ,
& le foir notre armée alla camper près des bois
de Wehlau. La bataille a duré quatre heures ,
» & le feu,tant de l'artillerie, que de la moufquete
» rie , a été terrible de part & d'autre . Nous devons
principalement la victoire aux fages melu.
&i res prifes par le Feld -Maréchal d'Apraxin ,
l'activité avec laquelle il s'eft porté partout. Ha eu deux chevaux bleffés fous lui. Les Pruffiens
» ont laiffé fur le champ de bataille plus de deux
mille morts , Dans leur retraite , on leur a tué » fix ceas hommes. Le nombre de leurs bleffés eft
très-confidérable , & l'on prétend qu'il montei
plus de cinq mille. Le jour de la bataille , on fit
>>> mille ou onze cens prifonniers. On en a fairun
grand nombre d'autres les deux jours fuivans
Parmi les Officiers Pruffiens tués le trouvent le
» Comte de Dohna , Lieutenant - Feld- Maréchal ,
≫ & le Major Général Wellau. Nous avons enlevé
OCTOBRE. 1757.
195
» à l'ennemi vingt- cinq pieces de canon , dont il
» y en a trois de 24 livres de balle , & cinq de
» 12. De notre côté , il y a eu onze cens vingt-
>> quatre hommes tués , quatre mille fix cens cinv.
quante- neuf bleffés, & quatre cens foixante-
» fix égarés. Le Général Lapuchin , le Lieute-
» nant-Feld- Maréchal Sibin , le fieur Capinifta ,
» Brigadier , le Colonel Patkul , le Lieutenant-
» Colonel Centrowitz , le Major Gerſtorff , &
trente autres Officiers , font parmi les morts.
» Le Général Comte de Lieven , le Lieutenant-
» Feld-Maréchal Mathias de Lieven fon frere , le
» Lieutenant- Feld -Maréchal Tolstoy , les Majors
Généraux Villebois ; Manteuffel , Weymarhr
» & du Boufquet le Brigadier Plemenikow ; le
» Knés Profozosky , & les fieurs Jafikoff & Bof-
» fuet , Colonels ; quatorze Lieutenans - Colonels
ou Majors ; cent quatre-vingts , tant Capitai-
» nes , que Lieutenans , Sous- Lieutenans & Enfeignes
, ont été bleffés. L'armée Pruffienne
n rentra le foir dans fon camp retranché de Wehlau.
Elle décampa le lendemain , pourfe reti-
» rer à Tapiau. Le 7 de Septembre , nous mar-
» châmes à Wehlau , & nons occupâmes le camp,
» que l'eapemi avoit abandonné » .
Sur diverfes lettres venues depuis cette Relation
, on s'attendoit qu'il y auroit inceffamment
une feconde action entre les deux armées ; mais
on vient d'apprendre que les Ruffiens fe font retirés
de la Pruffe Ducale. On n'eft point encore informé
des cauſes de cette retraite imprévue.
DE HAMBOURG , le 16 Septembre.
1. V ..
>>Plufieurs lettres de Saxe annoncent qu'il y
déja vinge mille Autrichiens devant Drefde. On
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
mande de Poméranie , que les troupes Suédoifes
fe font emparées d'Anclam & de Demmin , Villes
qui étoient fous la puiffance du Roi de Pruffe.
; 1124
DU CAMP DE SCHONA , le 8 Septembre.·
3
On remarqua le 31 du mois d'août beaucoup
de mouvement parmi les troupes Pruffiennes. Elles
marcheren : jufqu'à Schonau , & Fon' crut
qu'elles avoient deflein de s'y arrêter ;; mais elles
fe retirerent dans les environs de Gorlitz , où elles
établirent leur camp fur deux lignes de l'autre
côté de la Neiff . Leur droite étoit couverte par
Landferon - Gifnitz , & une partie de leur gauche
par le village de Folge . Une forte artillerie défendoit
la montagne de Lands- Cronberg , qui
étoit devant leur front. Sur l'avis qu'elles avoient
abandonné le camp de Bornftadt , le Général Beck
envoya des détachemens prendre pofteà Javernick
, à Tauritz , à Neckeren & à Bernstorfft
& le fieur de Morocz occupa Schonau . Le Comte
de Colloredo , Général d'infanterie s'avança
avec fa réferve près de Nide , & le Comte de Na
dafty , après avoir pouffé un détachement à Lauban
, fe porta à Schonberg avecle corps de troupes
, qui eft fous fes ordres.
Le premier de feptembre, vingt compagnies de
Grenadiers , trente piquets & Gx cens chevaux ,
entrerent dans le camp que l'on avoit tracé entre
Bornftadt & Leube . Toute l'armée s'y rendit le 2
fur fix colonnes , & le Prince Charles de Lorraine
établit fon quartier à Oftritz. Quelques troupes
ennemies s'approcherent de Schonberg , dans le
deffein d'attaquer les poftes avancés du Comte de
Nadafty , mais ayant reconnu que ces poftes
avoient été renforcés , elles n'oferent rien entre
prendre .
OCTOBRE. 1757. 197
Le Prince Charles de Lorraine & le Feld-Maréchal
Comte de Daun firent le 3 diverfes difpofitions
, tendantes à former un cordon depuis la
rive droite de la Neiff jufqu'à Lauban , & depuis
la rive gauche de la même riviere jufqu'à Drefde.
Le lendemain , un détachement de notre
droite fe porta à Lauban. Les troupes légeres de
la gauche firent auffi un mouvement en avant.
Sept cens charriots chargés de farine étoient ar
rivés le 4 de Drefde à Baudiffin pour l'armée du
Roi de Pruffe. Ayant été joints à Baudiffin par
fept cens autres , ils pourfuivirent le s leur route
vers Gorlitz. Le Lieutenant-Feld- Maréchal Had.
dick , inftruit de la marche de ce convoi , fit
mettre feize cens , tant Huffards que Croates , en
embuſcade fur le chemin qui conduit à Wurfchen,
par lequel les convois des ennemis paffoient or
dinairement. Selon les apparences , les Pruffiens
en furent avertis . Ils pafferent par Baruth & par
Weigersdorff , afin d'éviter la rencontre des troupes
du Comte de Haddick.
Le cinq , les ennemis commencerent à fe
retrancher fur la montagne de Lands- Cronberg.
Larmée de l'Impératrice Reine s'approcha le même
jour de Bornftadt , & vint camper ici , plufieurs
Compagnies de Grenadiers s'étendant depuis
Tauchriz jufqu'à la Neiff , & occupant les hauteurs
de Javernick . Pour couvrir notre marche ,
le fieur de Morocz s'étoit avancé la veille à
Teutfch Pauls-dorff , & le Général Beck s'étoit
porté fur Javernick & fur Teutfch- Offig . Ce der
nier apprit le 6 , que trois à quatre mille Pruffiens
, qui couvroient la ville de Baudiffin , avoient
joint le gros de leur armée , & que cette Place
n'étoit plus gardée que par fept ou huit cens hommes.
Auffitôt il marcha de ce côté , pour empê-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
cher la Garnifon de fe retirer , ou pour lui rendre
du moins la retraite plus difficile .
Un corps de dix- huit à vingt mille Pruffiens ,
commandé par le Général Winterfeld , étoit retranché
de l'autre côté de la Neiff fur une montagne
de très -difficile accès. Nonobftant cette potion
avantageuse , le Prince Charles de Lorraine
fit attaquer hier ce Général. Le Comte de Nadafty
& le Duc d'Aremberg furent chargés de cette
expédition. On ne pouvoit déloger les ennemis de
a montagne, fans fe rendre maître d'une redoute.
Le Général Wurben , qui étoit à la tête des grenadiers
, & le Comte de Montazet , Brigadier dé
Dragons au fervice du Roi Très - Chrétien , fe
jetterent les premiers dans cette Redoute l'épée à
la main. Ils ne tarderent pas à être fuivis de tous
les Grenadiers qui , la bayonnette au bout du fufil
, chafferent les ennemis. Pendant affez longtemps
, les Pruffiens tinrent ferme fur le haut de
la montagne. Mais le Général Winterfeld ayant
été tué d'un coup de canon , fa mort les découragea
, & ils furent mis en déroute , après avoir perdu
quatre canons & fept drapeaux . Il y a eu du
côté des Autrichiens trois cens hommes tués ou
bleffés . Parmi les premiers, on compte le Marquis
d'Afque , Capitaine au régiment d'Arberg , & le
Comte de Groefberg , Capitaine dans le Régiment
de Ligne. Le Comte de Nadafty a reçu un
coup de feu à l'épaule . Le Marquis de Clerici ,
Lieutenant- Feld- Maréchal ; le fieur Elrichaufen ,
Colonel-Commandant du Régiment de Sprecheri
le Comte d'Arberg , Lieutenant- Colonel du même
Régiment, & le fieur de Kinflog, Lieutenant Colo .
nel du Régiment de Mercy, font auffi bleffés ; & le
dernier l'eft très - dangereufement. On eftime la pere
des ennemis à 1500 hommes , en y compre-
G
OCTOBRE. 1757. 159
nant les prifonniers & les déferteurs.Nous avons fait
prifonniers le Baron de Kamecke , Major Général
; le Comte d'Anholt , Colonel , & plufieurs
autres Officiers .
Peu après l'action , le prince Charles de Lorraine
fut informé qu'à midi le Lieutenant- Feld-
Maréchal Haddick s'étoit emparé de la ville de
Baudiffin ; que la Garnifon s'étoit rendue prifonniere
de guerre , & qu'on avoit trouvé dans la
Place un magafin confidérable de toute forte de
provifions , & quelques pieces de campagne. Les
ennemis , privés de ce pofte , auront beaucoup
de peine à foutenir leur communication avec la
Saxe.
On vient de détacher de notre armée un Corps
confidérable d'Infanterie & de Cavalerie , pour
marcher en avant par la droite de l'Elbe , & le
porter fur Drefde , Meiffen & Torgau , tandis que
les troupes légeres poufferont de leur côté vers la
lifere du Brandebourg.
Quelques efpions viennent de rapporter que le
Prince de Brunfwic- Beverne faifoit défiler des
troupes de fa gauche vers Buntzlau . Son objet eft
fans doute de renforcer le corps que commande le
Général Grumbkow , & de couvrir les Districts
de Lignitz & de Glogaw. Il deftinoit le corps
du Général Winterfeld à couvrir Schweidnitz & la
partie de la Silée , qui s'étend depuis cette Ville
jufqu'à la gauche de l'Oder.
Le Duc Wirtemberg , étant arrivé hier au matin
à notre camp , a voulu fe trouver à l'expédition
du Comte de Nadafty & du Duc d'Aremberg.
Pendant tout le combat , il s'eft exposé au plus
grand feu , ainfi que le Prince Louis fon frere , le
Prince de Deux-Ponts , & le Prince Camille de
Lorraine.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
DE VIENNE, le 4 Septembre .
L'Impératrice Reine , en confidération des fervices
importans que les Colonels Janhus & Laudon
ont rendus pendant cette campagne , a fait
expédier à ces Officiers des brevets de Majors
Généraux.
A l'occafion de la guerre qui agite l'Empire,
Sa Majesté Impériale a donné de nouveaux Avocatoires
, dont voici la teneur.
>> FRANÇOIS , & c. Sçavoir faifons à tous les
Electeurs , Princes , Etats , Vaffaux & Sujets
du Saint Empire , de même qu'à tous les Of-
» ficiers & Soldats , qui fe trouvent au ſervice du
Roi de Pruffe Electeur de Brandebourg , & à
ceux qui voudroient en quelque maniere que ce
» foit lui prêter ſecours & affiftance , que le Roi
de Prufie Electeur de Brandebourg , fans avoir
égard aux Mandemens ni aux Exhortatoires du
Juge Suprême de l'Empire , ayant continué fes
excès & fes violences en Saxe & en Boheme ,
» les Electeurs , Princes & Etats , auroient réfola
» le 17 Janvier dernier , que tous les Cercles de
» l'Empire devoient fournir les fecours néceffai-
» res , & nous auroient requis très - humblement
» de procéder , en vertu de notre autorité de
Chef Suprême de l'Empire , & fuivant le Traité
» de Weftphalie , l'Ordonnance d'Exécution , &
notre Capitulation : en conféquence de quoi
Nous aurions pris les mefures convenables pour
» réunir les fecours de l'Empire , & fait citer
» l'Electeur Frédéric de Brandebourg , pour le
» punir du Ban de l'Empire , & le priver des Fiefs,
» Priviléges , Dignités , Graces , Expectatives ,
» Immunités , Prérogatives , & de toutes les poffeflions
qu'il tient de Nous & du Saint - Empire.
1
1
1
OCTOBRE . 1757. 201
» Les Loix de l'Empire défendant donc que per-
» fonne , de quelque état & condition qu'il foit ,
» adhere à un pareil perturbateur du repos géné-
» ral de l'Empire , & lui accorde la moindre af-
» fiftance & retraite ; & Nous ayant déja fait pu-
» blier le 13 Septembre de l'année derniere un
» Mandement inhibitoire & avocatoire , lequel
» n'a cependant pas été exécuté en tous les points
» & étant néceffaire actuellement de les renou-
» veller , d'autant plus que l'Electeur Frédéric de
» Brandebourg a été cité judiciairement pour être
» mis au Ban de l'Empire : Nous ordonnons , en
» vertu de la plénitude de notre autorité Impériale
, à tous les Vaffaux & Sujets des Electeurs ,
>> Princes & Etats de l'Empire , & à tous les hauts
» & bas Officiers , Soldats , tant Cavaliers que
» Fantaffins , & Nous leur enjoignons très -fé-
» rieuſement , fous les peines portées par le Traité
de Weftphalie & par d'autres conftitutions de
» l'Empire portées contré les infracteurs de la paix
» publique , comme auffi fous des punitions cor-
» porel es , & fous la perte de tous leurs biens ,
» droits , priviléges , &c. , non- feulement de fe
» conformer à notredit Mandement Avocatoire ,
» & de quitter inceffamment le fervice militaire
» de l'Electeur de Brandebourg , mais auffi de ne
» point fe laiffer employer en aucune maniere ,
» foit pour le préfent , foit pour l'avenir , contre
» l'armée d'Exécution de l'Empire , contre les
» Electorats de Sare & de Boheme , contre nos
» autres Alliés & Auxiliaires , & encore moins
>> contre tous les autres Etats de l'Empire ; de ne
» prêter aucune affiftance aux partifans dudit Elec-
>> teur de Brandebourg ; de ne leur point fournir
» de munitions de guerre ni de bouche , & de ne
» point accorder de retraite , ni permettre de fé
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
>> jour à fes Confeillers , Agens & Serviteurs ; le
>> tout fous peine de notre indignation & de celle
» du Saint-Empire Romain , & fous les punitions
» fufmentionnées. A quel effet , nous avons déja
» ordonné à nos Fiſcaux & à notre Chambre Im-
» périale , de procéder après l'écoulement de deux
>> mois fuivant la rigueur des Loix contre les Con-
» trevenans , & contre ceux qui , étant fous la
» la domination de l'Empire , n'auront pas abandonné
après ledit terme le fervice dudit Elec-
» teur de Brandebourg . En foi de quoi Nous avons
» figné de notre main le préfent Mandement ; &
» afin que perfonne n'en prétende caufe d'igno-
» rance , Nous avons ordonné qu'il fût publié &
affiché fur les frontieres de l'Electorat de Bran-
"debourg , & généralement dans tout l'Empire .
A Vienne, le 22 Août 1757.
D
DE DRESDE , le 7 Septembre.
If paroît deux nouvelles Ordonnances du Commiffariat
de Guerre Pruffien. Par la premiere , il
eft enjoint aux cercles de l'Electorat , de fournir
fept cens cinquante-quatre mille huit cens quarante-
huit boiffeaux d'avoine , deux cens vingthuit
mille fix cens quatre- vingt-feize boiffeaux
d'orge , quatre cens mille quintaux de foin , &
trois millions de bottes de paille , dont le Roi de
Pruffe promet de bonnifier la valeur. La feconde
Ordonnance regarde l'établiffement de deux magafins
à Kohren & à Wilsdruff.
Sa Majesté Pruffienne , en partant de cette Ville
, lui a demandé un fubfide de cent vingt mille
écus.
Vingt mille Autrichiens , fous les ordres du
Lieutenant- Feld- Maréchal Comte de Haddick , &
OCTOBRE. 1757. 203
du Major Général Mitrowski , coupent la communication
entre cette Ville & la droite de l'Elbe.
Plufieurs partis des troupes de l'Impératrice Reine
fe font voir auffi de temps en temps à la gauche
du fleuve.
Malgré les nouvelles affurances que le Roi de
Pruffe a données pour la fûreté de la prochaine
foire de Léipfick , on craint qu'il ne s'y rende
aucun Marchand étranger.
ITALI E.
DE ROME , le 10 Septembre.
Un affreux ouragan a caufé de très- grands dontmages
à Monte-Pulciano & dans les environs . Le
Monaftere des Religieufes a été renversé de fond
en comble , & les deux tiers des perfonnes , qui
étoient dans cette maifon , ont été écrasées fous
les ruines des Bâtimens. Plufieurs autres maifons
ont été totalement détruites , & dans la campagne
la plupart des arbres ont été déracinés .
DE NAPLES , le 31 Août
.
Sur la recommandation du Grand Maître de
Malte , le Roi a diſpoſé de l'Evêché de cette ifle
en faveur du Grand Prieur de l'Eglife de Saint
Jean , un des trois Sujets qui avoient été préſen
tés à Sa Majefté.
Le Mont Véfuve jette depuis quelques jours beau
coup de flammes & de pierres embrafées . Il s'eft fair
dans cette montagne une nouvelle ouverture
d'où ilfort un torrent de matiere bitumineuſe ,
qui coule avec une rapidité extraordinaire.
99
On a reçu de Sicile la facheufe nouvelle , que
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
le 6 d'Août , on y a effuyé un affreux tremblement
de terre; que plus de la moitié de la Ville
de Syracufe a été renversée , & qu'environ douze
mille habitans ont été enfevelis fous les ruines de
leurs maifons.
DE GENES , le 4 Septembre.
Les Rebelles de Corfe ont cru les circonstances
favorables , pour attaquer les poftes que les troupes
de la République occupent dans le circuit de
I'Ifle. Neuf cens d'entr'eux tenterent le 19 du
mois d'Août , d'emporter d'affaut la Tour de San
Pelegrino , qui ne peut contenir qu'une garnison
d'environ quarante hommes. L'attaque n'ayant
pas réuffi , les Rebelles bloquerent ce pofte , dans
T'efpérance de le prendre par famine , & ils fe retrancherent
principalement du côté de la mer ,
afin d'empêcher les fecours .
Sur la nouvelle de l'entreprise de Paoli , la République
a envoyé en Corfe trois de fes Galeres ,
& un renfort de quatre cens hommes . Ces tronpes
y arriverent le 30. Elles defcendirent à terre
, malgré les obftacles qui s'oppofoient à leur
débarquement. La bayonnette au bout du fufil ,
elles chargerent les Rebelles , & les mirent en
fuite avec beaucoup de perte de la part de l'ennemi
. Elles étoient encore à fa pourfuite , dans
le moment du départ du courier que le Commiffaire
Général de l'Ile a dépêché à la Répu
blique. On ne fçauroit trop louer la conftance
& la fermeté des affiégés , qui ont réſiſté fi longtemps
à toutes les incommodités de leur fituasion
, particuliérement à la difette d'eau dont ils
ent manqué pendant une grande partie du fiége.
Les Galeres que le Gouvernement avoit enOCTOBRE
. 1757 : 205
voyées en Corſe , rentrerent avant- hier dans ce
port, & l'on eut à cette occafion le détail de tout
ce qui s'eft fait pour délivrer la Tour de San-
Pelegrino , fituée dans la partie de la Corfe , gardée
par les troupes de la République. Cette Relation
contient en fubftance , que les Rébelles font
dans la plus grande confternation ; plufieurs d'entr'eux
ayant été taillés en pieces , & nommément
quatre de leurs Chefs , parmi lesquels ſe trouve le
fameux Vincentelli Il s'eft élevé de grands différends
entre Paoli & les autres Chefs. Lorfque les
Galeres font parties de l'Ifle , on s'attendoit qu'ils
en viendroient aux mains.
I
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
E 17 Septembre , M. le Baron de Lichtenftein ,
Miniftre Plénipotentiaire du Duc de Saxe- Gotha ,
eut une audience particuliere du Roi , dans
laquelle it a préfenté à Sa Majefté fes Lettres de
Créance . Il a été conduit à cette audience , ainfi
qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin
, de Madame Infante , de Madame & de
Mefdames Victoire , Sophie & Louife , par le
même Introducteur .
Le Roi a difpofé de la charge de Premier Gentilhomme
de la Chambre , vacante par la mort
de M. le Duc de Gefvres , en faveur de M. le Duc
de Duras , & du Gouvernement de Paris , qui
vaquoit par la même mort , en faveur de M. le
Duc de Chevreuse.
206 MERCURE DE FRANCE.
Le Gouvernement de la Province de Piñe de
France , dont M. le Duc de Gefvres étoit pourvu
, paffe à M. le Comte de Trêmes qui , depuis
la mort de M. le Duc fon frere , a pris le titre de
Duc de Trêmes.
La place de Dame du Palais de la Reine , va~
cante par la mort de la Princeffe de Montauban,
a été donnée à Madame la Marquife d'Efcars.
M. le Duc de Duras arriva ici le 16 , & remit
au Roi une Convention , qui a été conclue le 10
entre le Maréchal Duc de Richelieu , Général des
armées de Sa Majefté en Allemagne , & le Duc
de Cumberland , Général de l'armée du Roi d'Angleterre
Electeur d'Hanovre. Cette convention
porte en fubftance : Que les hoftilités cefferont
de part & d'autre . Que les troupes auxiliaires ,
fçavoir , celles de Heffe , de Brunfwick , de Saxe-
Gotha , & même celles du Comte de la Lippe-
Buckemberg , feront renvoyées , & le rendront ,
avec des paffe ports de M. le Maréchal de Richelieu
, dans leurs pays refpectifs , où elles feront
placées & difperfées fuivant ce qui fera ultérieurement
réglé. Que le Duc de Cumberland paſſera
l'Elbe avec la partie de fon armée , qu'il ne pour
ra pas placer dans la Ville de Stade ou aux environs.
Que les troupes , qui formeront la Garnifon
de Stade , ou feront placées aux environs ,
& qui confifteront en 10 Bataillons & 18 Efcadrons
, ne pourront faire aucun acte d'hoftilité ,
ni être recrutées fous aucun prétexte , ou augmentées
dans aucun cas. Que ces troupes ne
pourront point fortir des limites qui leur feront
affignées , & qui feront marquées avec des poreaux.
Que les troupes Françoifes demeureront
dans le refte des Duchés de Bremen & de Verden,
jufques à une conciliation définitive des deux
OCTOBRE. 1757- 20
Souverains. Que le Maréchal de Richelieu accordera
les paffeports & les fûretés néceffaires
aux troupes Hanoveriennes , qui fe retireront au
delà de l'Elbe , & qui confiftent en 15 Bataillons
, 6 Efcadrons , & tout le Corps des Chaf
feurs. Il a été ftipulé auffi , que le Roi de Danemarck
, fous la garantie de qui cette Conventions
a été faite , s'obligera d'en affurer l'exécution:
pleine & entiere.
On a reçu avis que la flotte Angloife , qui a fait
voile de Portſmouth le 8 de Septembre , s'étoit
préfentée fucceffivement devant les Illes d'Oleron
& de Ré , & que le 23 elle avoit fait une
defcente dans l'Ifle Daix. Quoiqu'on ne croye
point avoir rien à craindre pour les côtes , vu les
meſures qui ont été priſes pour leur défenſe ; le
Roi , pour plus grande fûreté , a jugé à propos de
faire partir pour la Rochelle quatre bataillons des
Gardes Françoifes , deux Bataillons des Gardes
Suiffes , & un détachement de la Cavalerie de fa
Maiſon. Sa Majesté a envoyé ordre auffi à quelques-
uns des Régimens , dont les quartiers font
le plus à portée du pays d'Aunis , de fe rendre
dans cette Province.
M. de Maupeou , premier Préfident du Parle
ment ayant demandé la permiffion de fe demettre
de fa place , le Roi en a difpofé en faveur de M.
le Préfident Molé. Sa Majefté a gratifié M. de
Maupeou d'une penfion de quarante mille livres .
Le Roi a accordé à l'Abbé Salabery , Confeiller
de la Grand-Chambre , l'expectative d'une des
trois places de Confeillers d'Etat d'Eglife.
Le 6 Octobre, M. le Comte de Sartiranne , Am--
baffadeur du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , à laquelle il fut conduit par
M. de la Live, Introducteur des Ambaffadeurs..
208 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour , le Roi a tenu le Sceau pour la
quatorzieme & la quinzieme fois.
Le 2 , M. le Préſident Molé prêta ferment entre
les mains du Roi pour la place de premier Préfident
du Parlement..
L'Archevêque de Paris arriva de Conflans enfon
palais archiepifcopal le premier d'octobre au foir.
Ce Prélat fe rendit le 2 à Verfailles , où il eut
l'honneur de préfenter fes refpects au Roi , à la
Reine , & à la Famille Royale.
Le Capitaine Berrade , commandant le Corfaire
la Marquise de Salba , a pris le navire Anglois le
Prince d'Orange , allant de Rhode- Iſland à Lon
dres avec un chargement de bois de Campeche . Il
s'eft auffi rendu maitre d'un Senaw , qui portoit de
Dublin à Antigoa fept cens & quelques barrils de
boeuf d'Irlande.
Le Corfaire l'Etigny s'eft emparé du Senaw le
Mélange , dont la charge confiftoit principalement
en grains & en falaifons , & du Senaw la
Méditerranée , chargé de fel.
Deux navires Anglois ont été enlevés par le
corfaire la Favorite , que commande le Capitaine
Sopite. Il y avoit fur l'un de ces bâtimens deux
mille trois cens quintaux de morue. L'autre en
portoit quatorze cens quintaux. Ce dernier a été
conduit dans un port d'Espagne.
De trois prifes qu'a faites le Corfaire l'Amiral ,
aucune n'a eu le bonheur d'arriver à bon port.
Le fieur la Fuente , commandant ci- devant la
frégate la Bohémienne , écrit de Falmouth , qu'il a
été obligé de fe rendre au corfaire la Défiance , de
Londres.
Le fieur de l'Ile - Beauchefne , Capitaine de vailfeau
, commandant la frégate du Roi le Zéphyr
s'eft rendu maître de deux corfaires Anglois , qui
!
OCTOBRE . 1757. 209
tous deux font armés de 10 canons , 8 pierriers ,
& ont l'un 72 hommes d'équipage , l'autre 48 .
Selon les avis reçus de Dunkerque , la frégate
la Comteffe de la Serre , de ce port , commandée
par le Capitaine Robert , & montée de 18 canons
de 8 livres de balle , s'empara le 20 fept. de 3 navires
Anglois à la hauteur d'Edimbourg . Deux de
ces bâtimens étoient partis de Kiga , chargés de
lin , de chanvre , de planches & de poutres . Le
troifieme venoit de Petersbourg avec un chargement
de fer & de chanvre. On eſtime que ces trois
prifes montent à cent cinquante mille livres . La
frégate la Comteffe de la Serre étoit partie le 16 de
Dunkerque. Le lendemain elle eut à l'entrée de la
Tamife , un combat avec une frégate Angloiſe de
24 canons de huit livres de balle . Le Capitaine
Robert auroit enlevé la frégate ennemie , fi la vue
de plufieurs navires de force , qui venoient la fecourir
, ne l'eût obligé de fe retirer.
Le Capitaine de Cock , qui commande le corfaite
le Comte de Maurepas , de Dunkerque , s'eft
emparé des navires Anglois le Bon Marchand &
la Concorde , & d'un brigantin , dont étoit maître
Jofeph Forceſter, & il les a rançonnés pour 26640
livres. Il a fait une autre prife chargée de fucre ,
de café , de cuirs fecs & de bois de Campeche ,
qui a coulé bas en arrivant à Dunkerque , mais
on en a ſauvé la cargaiſon .
Le peu d'efpace qui nous refte nous
oblige de remettre au prochain Mercure
l'article de l'Hôpital de M. le Maréchal-
Duc de Biron . Ce n'est qu'un retard de
quinze jours.
210 MERCURE DE FRANCE.
BÉNÉFICES DONNÉS.
SA Majefté a donné l'Abbaye de Septfons , Or
dre de Cîteaux , Dioceſe d'Autun , vacante par le
décès de Dom Jofeph Alpheron , àDom Dorothée
Jaloutz , Religieux de cette Abbaye ; l'Abbaye
de Longpont , Ordre de Câteaux , Dioceſe
de Soiffons , à M. l'Abbé de Friſchmann , ci- devant
chargé des affaires de France à la Cour d'Efpagne
; celle de la Creft , même Ordre , Diocefe
de Langres , à M. l'Abbé de Chabannes , Aumonier
du Roi , & Vicaire Général de l'Evêché de
Clermont ; celle de Saint Crefpin en Chaye , Ordre
de Saint Auguftin , Diocefe de Soiffons , à M.
l'Abbé d'Heffelin , Vicaire Général de l'Archevêché
de Sens ; celle de Saint Urbain , Ordre de
Saint Benoît , Dioceſe de Châlons - fur - Marne ;
à M. l'Abbé du Quéilard , Archidiacre de l'Eglife
Cathédrale , & Vicaire Général de l'Evêché de
Digne ; celle de Maymac , même Ordre , Diocefe
de Limoges , à M. l'Abbé Barc , Chapelain
du Roi , & Chanoine de la Cathédrale de Noyon ;
& le Prieuré de Saint Rambert en Forez , Dioe
cefe de Lyon , à M. l'Abbé de Montjouvent ,
Comte de Lyon , & Vicaire Général du même
Diocefe ; l'Abbaye de Fonfroide , Ordre de Ci
teaux , Dioceſe de Narbonne , à M. l'Evêque de
Venca ; l'Abbaye Réguliere de Beaumont ,
dre de Saint Benoît , Dioceſe de Clermont , à la
Dame de Lentilhac , Religieufe de la même Abbaye
; & le Prieuré de Sainte Marie de Quingac
nevend , Dioceſe de Nantes , à M. le Loup de
la Biliais , Recteur de la Paroiffe de Blain , & Député
de la Chambre Eccléfiaftique du même Diocele.
OrOCTOBRE.
1757. 211
MARIAGE ET MORTS.
MESSIRE Louis-Marie-Athanafe de Lomenye",
Comte de Brienne , Colonel du Régiment d'Artois
, Infanterie , fut marié le 4 d'Octobre à Demoiſelle
Marie-Anne- Etiennette Fizeaux de Clémont
, fille de M. Eftienne- Claude Fizeaux- de
Clémont , & de Dame Marie- Anne Perrinet . La
Bénédiction nuptiale leur fut donnée dans l'Eglife
Paroiffiale de Saint Roch, par le Cardinal de Luynes.
Leur contrat de mariage avoit été figné le
deux par le Roi. Le Comte de Brienne eft fils
de Meffire Nicolas- Louis de Lomenye , Comte
de Brienne , & de Dame Gabrielle - Anne de Chamillard.
Melire Dominique - Jofephe - Marie d'Inguin
berti , Evêque de Carpentras , & Archevêque
Titulaire de Théodofie , mourut à Carpentras le
7 Septembre , dans fa foixante- quinzieme année.
Il a inftitué les pauvres fes légataires univerfels ..
De fon vivant , il leur a fait bâtir un Hôpital
magnifique dans fa Ville Epifcopale . Ce Prélat
étoit connu dans la République des Lettres par
plufieurs ouvrages.
Louis de Pardaillan de Gondrin , Duc d'Antin ,
Pair de France , Maréchal des Camps & Armées dur
Roi , Gouverneur & Lieutenant - Général de l'Or
léannois , Gouverneur particulier des Ville &
Chateau d'Amboife , eft mort de la petite vérole ,
à Bremen , la nuit du 13 au 14 , âgé de trente ans.
Par fa mort , fa Branche & fa Pairie font éteintes.
Meflire Efprit Dedons de Pierrefeu , Maréchal
des Cimps & Armées du Roi , eft mort le 14 à
Aix en Provence , âgé de cinquante- neufans.
212 MERCURE DE FRANCE.
Meffire François-Joachim Potier , Duc de Gefvres
, Pair de France , Chevalier des Ordres du
Roi premier Gentilhomme de la Chambre ,
Brigadier de Cavalerie , Gouverneur de la Ville ,
Prevôté & Vicomté de Paris , Gouverneur & Lieu.
tenant Général pour le Roi dans la Province de
l'Ile de France , Gouverneur particulier des Villes
& Châteaux de Laon , Soiffons & Noyon ,
Grand Bailli & Gouverneur de Crefpy & du Valois
, Capitaine & Gouverneur du Château & Capitainerie
Royale de Monceaux , mourut à Paris
le 19 , âgé de foixante- cinq ans , moins dix jours.
Son corps , après avoir été exposé pendant plufieurs
jours en fon Hôtel dans une Chapelle ardente
, fut porté le 27 à l'Eglife Paroiffiale de Saint
Roch , & enfuite à l'Eglife des Céleftins , où ce
Duc a été inhumé dans le tombeau de fa Maiſon .
Les Religieux des Ordres Mendians ont affifté à fon
Convoi , ainfi que le Corps de Ville , & le Régiment
de la Ville.
Meffire Gafton- Charles- Pierre de Levis , Duc
de Mirepoix , Maréchal de France , Maréchal
Héréditaire de la Foi , Chevalier des Ordres da
Roi , Capitaine d'une des Compagnies des Gardes
du Corps de Sa Majefté , Gouverneur de
Brouage , Lieutenant - Général & Commandant en
chef dans la Province de Languedoc , ainfi que fur
toutes les côtes de la Méditerranée , mourut à
Montpellier , le 25 , dans la cinquante- huitieme
année de fon âge,
Marie-Jeanne Olimpe de Bonnevie , épouse de
Marie- François- Henri de Franquetot , Duc de
Coigny , Mestre de Camp Général des Dragons
de France , & Gouverneur de Choify- le - Roi , mon
rut à Paris le 27 , âgée de vingt- un ans . Elle avoit
épousé en premieres noces Meffire Louis- Auguſte,
Vicomte deChabot.
OCTOBRE. 1757. 213
LE
AVIS.
E fieur Theveu Architecte , a fait plufieurs.
machines méchaniques pour curer les ports des
mers , rivieres & canaux , fans que perfonne ne ſe
mouille. Leur diligence & leur promptitude l'emportent
fur toutes celles qui ont parues juſqu'à
préfent. Il a fait faire des travaux à Rouen
pour curer les ports qui étoient remplis de pier.
res , vafes & pilots qu'il a enlevés avec promptirude
, fuivant les certificats qu'il a de M. l'Inten-'
dant , de MM. de l'Hôtel de Ville & des mariniers
: il vient de faire des curages au port faint
Paul à Paris , à la fatisfaction de tous les marchands
; l'enlérement de 70 milliers de fer qui
étoient perdus aux pieux du moulin de Conflans-
Charenton , à 20 pieds de profondeur d'eau , & ce
après que tous les mariniers , plongeurs , machiniftes
, y ont travaillé pendant un an fans aucun
fuccès : il les a enlevés en 24 jours , dans le mois
de Décembre , pendant un temps fort peu conve
nable & très-incommode pour les opérations.
Il a fait le curage des fables au moulin Dan-'
dé fur la Seine , qui combloient ledit moulin ; il
vient de faire faire une autre machine pour curer
les canaux d'Arcueil , qui font remplis , où il ne
faut que peu de monde pour la faire manoeuvrer.
Dans tous les ports des mers , rivieres , canaux ,
où il fera befoin de curer ou creufer , enlever des
blocs de pierres , marbres , pilots & lieux à telle
profondeur que ce foit , fuflent- ils récepés ou aralés
à fleur d'eau & du terrein , & fans prife de 20
à 24 pieds en fiche , & même davantage , il le feral
à la fatisfaction de tous les connoiffeurs , & des
perfonnes qui voudront l'employer à cet effet,
214 MERCURE DE FRANCE.
11 peut réceper les pilots ( comme il l'a fait exécuter
) à la hauteur demandée , entre la fuperficie
des eaux & celle du terrein , foit pour faciliter la
navigation , ou établir des ouvrages fur lesdits
pilots. Il demeure rue des Barres , derriere Saint
Gervais , à Paris.
AUTRE.
LE fieur Coquelin , maître Perruquier , vient
de parvenir à compofer parfaitement l'eau qu'il
annonce. Cette liqueur eft à un tel degré de perfection
, que loin d'altérer la peau , elle lui donne
une nouvelle fraîcheur. La rapidité avec laquelle
elle dépouille les parties velues , eft propre à latif
faire les plus impatiens. Les deux fexes en peuvent
tirer une égale utilité ; elle va à toutes les parties
du corps ; elle eft d'un merveilleux fecours pour
l'épilation du front. Les Chirurgiens pourront s'en
fervir dans les endroits où le razoir , quoique Dé
ceffaire , eft fouvent dangereux . Enfin , fans s'arrêter
à dire qu'elle furpafle tout ce qui a paru juf
qu'à préfent dans ce genre , le fieur Coquelin prie
les curieux d'en faire l'épreuve , & oſe déja ſe flatter
d'avoir leurs fuffrages. Il demeure rue de la
Heaumerie , à Paris.
ip
APPROBATION.
J'ai lu , pár ordre de Monſeigneur le Chancelier ,
le fecond volume du Mercure du mois d'Octobre ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
Fimpreffion. A Paris , ce 14 Octobre 1757-
GUIROY
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
1
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSI.
V ERS préfentés à Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, à l'occafion de fon anniverfaire , page s
Vers de M. de Voltaire à M. Senac - de Meilhan
,
6
L'Union de l'Amour & de la Philofophie , Anecdote
par M. de M ... Officier au Régiment
de B ...'
L'OEillet & la Rofe , Fable ,
7
22
Vers de Mlle Baptifte , Actrice de l'Opera Comique
, à l'occafion de fon départ pour la Hollande
,
Portrait d'Agricola ,
24
25
Remerciement de M. Langlois- du Bouchet , Lieutenant
général en la Sénéchauffée & fiege Préfidial
d'Auvergne , à Clermont- Ferrand ,
Penfées ,
28
32
Le Mifantrope corrigé , Dialogue. Air Polonois du
Prologue du Ballet des Indes , &c. Parodie , 41
Les Hommes unis par les talens , Poëme , 43
A Mile de R... fur la Réponse à l'Amour ,
Epitre à Mademoiſelle Bonté ; à Gifors ,
Le Retour de la Folie , Conte hiftorique ,
Vers de Madame Guibert à M. l'Abbé Mangenot
,
47
53
55
-$7
La Courſe finguliere , ou la nouvelle Athlante , 58
Stances à Madame ... 65
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Mercure d'Octobre ,
Enigme & Logogryphe ,
67
ibid.
Chanſon , 70
7216
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES:
Suite du Moyen d'apprendre fûrement & facilement
les Langues , 71
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux ,
Extrait de la Sarcothée ,
85
87
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Phyfique. Lettre à l'Auteur du Mercure , 119
Chirurgie. Progrès de la méthode du Lithotome
caché dans la Lithotomie , 134
Séance publique de l'Académie des Sciences , des
Belles- Lettres & des Arts de Rouen ,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
146
Peinture . Obfervations fur les Tableaux exposés
au Louvre , par Meffieurs de l'Académie royale
de Peinture & de Sculpture ,
Réflexions fur la critique des Ouvrages exposés
155
au Louvre , 170
Gravure. 185
ART. V. SPECT CLES.
Opera ,
187
Comédie Françoiſe ,
189
Comédie Italienne , 190
Opera Comique , - ibid.
Spectacle de la Cour , ibid.
ARTICLE VI:
Nouvelles étrangeres , 13
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 205
Bénéfices donnés , 210
Mariage & Morts ,
211
Avis ,
213
De l'Imprimerie de Ch . Ant. Jombert.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE . 1757.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
1213
Cochin
Stresim
A
PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
Chez
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftios.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
¡ LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece..
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
pays Les Libraires des provinces ou des
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, l'adreſſe écriront à Padreffe ci - deſſus.
A ij
OnSupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura tonjours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainſi que les Livres
, Eftampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure ies
Gravures de MM. Feffard & Marcenay,
榮機
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE. 1757 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE
A M. de C... qui m'a adreffe un Epure.
CESSEZ de vous féliciter
Du talent de plaire & d'écrire ;
Il vous eft aifé de chanter ,
Quand Phébus vous prête fa lyre.
On fçait , que pour nous abufer ,
Ce Dieu , fous votre nom , beau Sire ,
A iij
4 MERCURE DE FRANCE.
Parfois aime à fe déguifer.
D'autres pourront bien s'y méprendre ;
Mais moi , qui connois le fripon ,
Sans hésiter j'ai fçu comprendre
Que Ch... étoit Apollon .
Au Dieu qui m'adreffe un Epître ,
Je fçais qu'un cantique eft bien dé ;
'Mais , hélas ! par le mal vaincu,
Mon grabat me fert de pupitre.
La goutte de fon aiguillon
Me fait fentir la pointe amere ;
Je dois baiffer le pavillon
Et renoncer à la chimere
Des lauriers du facré vallon ,
Ainfi qu'aux myrthos de Cithere
Autrefois je n'avois pour but
Que de briller fur le Permeffe ;
Je me difois dans mon ivreffe :
Hors l'Helicon point de falut.
Rongé de peines inteftines ,
Je m'ennuie avec les neuf fours :
L'homme couché fur des épines ,
Songe- t'il à cueillir des fleurs ?
L'Amour & les vers que j'abjure ,
N'ont que des charmes impuillans .
Dont je reconnois l'imposture
A de plus nobles fentimens
Mon ame devient acceffible.
Quiconque avec vous est lié ,
NOVEMBRE . 1757 . 7
Ne doit avoir le coeur fenfible
Qu'aux délices de l'amitié .
TURPIN.
A Auteuil , ce 9 Septembre 1757 .
LE PROJET MANQUÉ ,
Conte bien vraisemblable.
CLORINDE ouvrit à peine les yeux , qu'ils
tomberent fur des embarras , fur le tracas
d'un négoce , fur un certain tumulte inféparable
des détails d'un commerce défagréable.
Son pere, homme de génie, changea fon
état : il étendit fes vues , accrut fes efpérances
& fes richeffes . Ses foins furent heureux
, il réuffit. Quoique fa fortune fût
rapide , elle vint par gradation. Clorinde
l'apperçut , elle avoit de l'efprit ; elle fentit
ce changement. Elle vit l'opulence & les
richeffes fuccéder à l'aifance , & fon pere,
avant tout cela , avoit connu le méfaife &
prefque la pauvreté . Elle penfa que les préfens
que la fortune faifoit à fon pere ,
étoient plus pour elle que pour lui . Il étoit
vieux , il avoit été élevé au travail , le
fuccès de ce travail faifoit fa récompenfe
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
& fon plaifir. Il feroit mort s'il у avoir
renoncé.
L'éducation de Clorinde avoit fuivi la
fortune de fon pere : d'abord vêtue ſimplement
, élevée dans le domeftique , &
par une mere qui lui avoit appris tout ce
qu'elle fçavoit , & ce tout fe bornoit à peu
de chofe , elle paffa bientôt dans un couvent
, un peu plus tard pourtant que les
filles d'un certain état . Elle y eut des maîtres
, elle en profita . Elle fut produite dans
le monde avec tout ce que les richeffes
donnent de diftinctions , & l'opulence de
confiance & de hardieffe. Elle fut recherchée.
Un million de bien fixe tous les yeux ,
Clorinde s'en promettoit davantage. Parmi
ceux qui s'emprefferent de lui faire la
cour , elle diftingua un jeune homme dont
les ancêtres depuis plus de deux fiecles
avoient des relations dans les quatre parties
du monde , & donnoient des ordres en
même tems à Surate , au grand Caire & à
Péquin , ordres mieux exécutés fouvent
que ceux des Souverains , parce que le
bien & l'utilité publique en font toujours
l'objet & le principe . Enfin c'eft du fils
d'un Négociant dont je parle.
Ce nom feul plairoit à des oreilles angloifes
; il eft prefque ignoble aux nôtres ,
NOVEMBRE . 1757. 9
du moins dans un certain monde dont ce
trait ne fait pas l'éloge : auffi ne le prononce-
t-on qu'avec un air de dédain & prefqu'avec
mépris .
Malgré ce faux préjugé dont fçavent rarement
ſe défendre , même ceux qui dans
cette condition ont fait fortune , Lifimond'
ne penfoit point à quitter l'état de fes ancêtres
: il vouloit jouir & même accroître
fa fortune par un travail fi digne d'un Citoyen
.
96
و د
L'exemple que lui donnoient nombre de
fes égaux , ne le touchoit point . Il ne vouloit
ni acheter une charge de Préfident
qui l'auroit fait refpecter au moins en fa
préfence par ceux qui auroient des Arrêts
à craindre ou des procès à gagner , encore
moins fe jetter dans le fervice
où fon argent eût pu lé faire paffer à un
grade qui l'eût mis tout d'un coup au
deffus du Gentilhomme ordinaire . Celuici
héritier du peu de bien & de l'exemple
de fes ancêtres , ne commence. de fervir
que dans un grade inférieur ; mais y porte:
une valeur & un courage digne des pre
miers emplois. Ce Gentilhomme , quoique
dans une espece d'indigence, n'eût pas changé
fon nom contre les tréfors & le grade
où pouvoit prétendre le riche Négociant..
Heureux l'état où l'honneur acquis eft cau
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
tion de celui qu'on doit acquérir , où le
nom & le mérite des ancêtres font un gage
affuré de la vertu des defcendans ! Plus'
heureux celui où toutes les conditions ont
leur nobleffe , & où le talent d'y exceller
eft au deffus de l'envie , fauve du mépris ,
& y procure même de l'eftime & de la
gloire . Sous le Prince bien - aimé qui nous
gouverne , nous ,touchons à ce bonheur.
Lifimond plaifoit à Clorinde . Il avoit
eu la plus heureufe éducation . Ses traits
étoient nobles , fes manieres fimples , fa
parure modefte & fes fentimens dignes d'un
Romain du premier âge.
Ceux qui le connoiffoient l'aimoient ,
& ne pouvoient ne pas l'eftimer : ceux dont
il n'étoit pas connu, & avec lefquels le hazard
le produifoit , s'il n'avoit eu foin de
les détromper , l'auroient pris pour un Seigneur
de la premiere qualité , tant il étoit
fimple & modefte. Il n'eft point de petit
maître qui n'eût rougi de lui appartenir ,
& qui n'eût affecté même de mal prononcer
fon nom : c'eſt du bel air .
Ce fut Lifimond qui fit connoître à Clorinde
les premieres douceurs de l'amour.
Il s'en expliqua fimplement. Il lui dit qu'il
l'aimoit , que fon caractere & fes charmes
méritoient fon eftime & fon coeur ; qu'il
lui offroit l'un & l'autre , & qu'il ne fe
NOVEMBRE. 1757. II
croiroit heureux qu'autant que ces fentimens
contribueroient à fon bonheur. Je
voudrois prefque , ajouta- t'il , que vos
biens fuffent moins confidérables. Vous ne
foupçonnez pas fans doute que c'eſt le motif
qui me détermine : en euffiez -vous dix
fois moins , je vous offrirois de partager
les miens avec vous.
Clorinde étoit née avec ces fentimens
de droiture , que la nature infpire aux
coeurs bien faits. Ce difcours la toucha ,
elle l'écouta avec plaifir. Ce ton de fincérité
n'eut pas de peine à la perfuader & à
lui plaire. Lifimond eut bientôt obtenu le
confentement du pere. La main de Clorinde
lui fut promife , il fe crut heureux : ils
l'auroient été tous deux par ce mariage , fi
la mort n'eût ravi dans cette circonftance
de cette amante.
le
pere
Les premiers inftans furent donnés à la
douleur. Lifimond effuya fes larmes & partagea
fon affliction : il étoit trop fage pour
parler d'hymen dans ces inftans de deuil
où la trifteffe de Clorinde l'affuroit de la
fenfibilité de fon coeur & de la bonté
de fon caractere : il refpectoit fa douleur.
Elle lui parla la premiere ; elle mit un
terme affez long à leur mariage : Lifimond
n'en murmura point , il aimoit tendrement
A vj
'12 MERCURE DE FRANCE.
& on ne fçait qu'obéir aux ordres de ce
qu'on aime.
Les détails d'un partage avec un frere
Occuperent quelques inftans Clorinde. Elle
vit fes biens monter plus haut qu'elle ne
l'avoit penfé , & fes droits s'étoient accrus
de moitié.
Son coeur nageoit dans la joie de pouvoir
partager une fortune auffi confidérable
, avec un amant aimé qui l'adoroit ;
elle fe croyoit infenfible à tout autre fentiment
; elle étoit femme , la vanité n'a que
trop d'empire fur le fexe , elle en fut la
victime..
Le bruit de fes grands biens lui avoit
attiré nombre de foupirans : elle n'en voulut
écouter aucun. Le Marquis de *** qui
tenoit un rang à la Cour , lui fit parler . Ce
titre la rendit attentive ; il vint , elle l'écouta
, mais il ne lui plut point. Une feconde
converfation ne la toucha pas davantage.
Il parla du commerce avec un
ton décidé , méprifa cet état , & fans penfer
que ce difcours devoit faire naturellement
un effet tout différent de celui qu'il
próduifit , il lâcha cent plaifanteries qui.
commencerent à perfuader Clorinde , &
rendirent à fes yeux , prefque mépriſable
un état à qui elle devoit fes biens & fon
opulence, Les détails des prérogatives attaNOVEMBRE.
1757. X3
chées à la qualité de Marquife , lui firent
faire de nouvelles réflexions : parlons plus
nettement , l'idée de ces vains honneurs
lui fit bientôt tourner la tête .
Déja elle n'eftimoit heureux que ceux
qui habitent la Cour : fon efprit s'enivroit
ces idées de grandeur ; mais fon coeur
tenoit encore pour Lifimond. Elle le vit ,
fa vue lui caufa un certain embarras. Lifimond
le démêla aifément , & le difcours
de Clorinde lui montra que fes conjectures
n'étoient pas fauffes . Il ne fe plaignit
point , il écouta. Elle parla du Marquis &
de fes richeffes , elle l'entretint des honneurs
qu'elle lui facrifioit , elle parut les
regretter , & termina fon difcours par
à Lifimond , qu'il devoit penfer à fe procurer
une charge à la Cour , qui le tirât
de l'état défagréable où ils étoient .
dire
Lifimond ne répliqua que par un foupir.
Il vit le délire de Clorinde , il n'y
oppola que peu de paroles , mais pleines
de fageffe & d'une modération qui auroit
dû lui ouvrir les yeux.
Quelle charge voulez - vous que j'ache--
te , dit- il , ô Clorinde ! & de quoi me
parlez- vous ? Je fçais que vos biens ajou
tés aux miens , nous feroient marcher
prefque de pair avec les grands Seigneurs ;
je fçais que ceux qui nous verroient de loin .
14 MERCURE DE FRANCE.
dans un équipage brillant & dans un palais
pompeux , nous croiroient égaux à ces Seigneurs
dont nous imiterions les airs , le
luxe , & dont nous pafferions peut-être la
dépenfe. Qui fçait fi nous ne viendrions
point à bout de nous le perfuader à nousmêmes.
Mais je fçais auffi que pour prix de notre
vanité , on nous prodigueroit le mépris
, & qu'à la quatrieme génération cette
tache ne feroit pas lavée ; non que c'en
foit une en effet : le grand Seigneur & le
Prince même nous eftimera , Clorinde
dans ce commerce où nos peres ont vécu ,
où ils ont été utiles à la patrie, & quelquefois
même affez heureux pour fervir l'Etat
& leur Roi.Ne penfons point à uneCour où
nous ferions fi longtemps étrangers , & où
on auroit raifon de nous regarder comme
tels.
Vous rougiffez Clorinde , que dois- je
penfer Rougiffez - vous du confeil que
vous me donniez tout à l'heure ? Rougiffez-
vous de mon état & du vôtre ? Vous
ne parlez point.
Je fens , dit- elle , avec dépit que j'ai
tort , & que vous avez raifon. Nous en
parlerons une autre fois : laiffez - moi à mes
reflexions & à mes idées.
Lifimond fe retira affligé. Il aimoit
NOVEMBRE. 1757. 15
3
éperduement Clorinde, il ne répliqua point
à ces derniers mots : il crut que le dif
cours qu'il avoit tenu avoit fait fon impreffion
, que la raiſon aidée par l'amour ,
détermineroit fes démarches , & que la
droiture qu'il lui connoiffoit acheveroit de
la détromper.
Les réflexions de Clorinde étoient bien
différentes. Elle balança d'abord ; mais
bientôt décidée par la vanité , elle traita
de baffeffe le goût & la fageffe de Lifimond
, elle fe reprocha prefque de l'avoir
aimé. Une vifite du Marquis acheva de la
perdre . Ne fortirez- vous point , dit- il ,
d'un pays où j'entends louer vos charmes &
vos bonnes qualités par des bouches qui
les profanent , & où mille gens qui ne
devroient paroître en votre préfence qu'en
baiffant les yeux , parlent de vous avec un
air de connoiffance qui vous avilit & vous
deshonore. Hier encore au gouvernement,
un certain ...... Limond..... Lifimond
fil eft bon de remarquer que Lifimond venoit
de prêter mille louis au Marquis à la
priere du Gouverneur ) , je me le fuis fait
nommer par curiofité , ce garçon vous
louoit avec une fatuité , un air gauche ....
Je fouffrois , je vous l'avoue ; je jouois ,
& fans le coup intéreffant qui fixoit mon
attention , je lui aurois impofé filence. Le
16 MERCURE DE FRANCE.
counoillez-vous ? ..... Clorinde héſita , elle
étoit embarrallée. Le Marquis charmé de
fon trouble , & fans lui laifler le temps de
répondre , reprit avec vivacité , Madame ,
la Cour eft le théatre qui vous convient ,
hâtons - nous , vous ne dépendez de perfonne
, vous devez compte des momens
que vous dérobez à cette Cour qui vous
attend ; je fors , décidez vous , & dans
une heure j'envoie ou je viens fçavoir votre
réponſe. Ce ton cavalier n'auroit pas dû la
lui rendre favorable .
Clorinde étoit troublée. Elle fentoit ce
qu'elle devoit faire , la raifon ne l'avoit
point abandonnée ; mais fa vanité parloit
plus haut une fille qu'elle avoit auprès
d'elle , acheva de la déterminer . Le Marquis
avoit fçu la gagner par des préfens ,
l'argent de Lifimond avoit fervi à la féduire
ce mot de Cour fubjuguoir cette
fille ainfi que fa maîtreffe. Point de motif
plus puiffant fur une femme que la vanité ,
fi ce n'eft peut être la curiofité , & ces deux
chofes fe trouvoient réunies.
Les difcours ne furent point épargnés.
Clorinde étoit déja déterminée , la femme
de chambre n'eut qu'à l'affermir : elle lui
perfuada furtout de ne plus voir Lifimond ,.
fon coeur en murmuroit , elle combattit le
penchant qu'elle y avoit , on lui en fit vois
t
NOVEMBRE. 1757. 17
les conféquences ; c'étoit un facrifice néceffaire.
Le Marquis ignoroit fes liaiſons
avec cet homme fans doute. S'il venoit à
en être inftruit , il romproit avec elle :
d'ailleurs elle devenoit trop grande Dame
pour penfer encore à un homme que la ti
midité inféparable d'une condition médiocre,
fixoit à cet état méprifable . Voilà comme
on peignoit la fage réfolution de Lifimond.
L'heure étoit paffée , le Marquis ne reparoiffoit
point , & Clorinde regretteit
( tant elle étoit aveuglée ) de ne s'être pas
déclarée fur le champ en fa faveur. Son
impatience fut fatisfaite. Il arriva ; fa parole
fut donnée , le Marquis ne trouva
que trop de facilité à brufquer l'affaire : ils
épouferent & partirent le furlendemain.
Clorinde avoit le coeur ferré d'une certaine
trifteffe dont elle fembloit ignorer la
caufe : le Marquis étoit fort content de
payer un million de dettes , & de pouvoir
retirer pour un autre million de terres aliénées
par les ancêtres.
Clorinde arriva à la Cour avec une timidité
, compagne ordinaire du mérite .
Elle y trouva les honneurs de fon rang , la
fervitude & l'étiquette attachées à la grandeur
; elle n'y trouva point le bonheur :
trop raisonnable pour ne pas prendre fom
18 MERCURE DE FRANCE .
parti , elle fe confola . Elle eut quelques
amies du premier rang dans un pays où
il eft fi rare d'en trouver ; elle leur conta
quelquefois fon aventure , elle ne rougiffoit
point de fon origine. L'amour peutêtre
m'eût rendue heureuſe , difoit- elle ;
j'ai cherché mon bonheur dans la grandeur
je ne l'y ai pas trouvée. Elle ajoutoit , c'eft
un projet manqué , & ce mot étoit devenu
une expreffion de fociété , lorfqu'on voyoit
quelqu'établiffement qui ne paroiffoit pas
devoir être heureux.
Par le Montagnard des Pyrénées.
Nous allons joindre à ce Conte le Quatrain
fuivant , qui eft à la louange de
l'Auteur.
VERS à l'aimable Montagnard des Py
rénées .
Des fleches de l'Amour tu formes tes pinceaux :
La vérité dans tes portraits éclate ;
Des graces la main délicate
D'un brillant coloris anime tes tableaux.
Ces vers font de M. Boulé l'aîné , écolier
au College de Vannes. Des Rimeurs
qui fe croient maîtres en font de plus
mauvais à Paris.
NOVEMBRE. 1757. 19
VERS
Sur la Naiffance de Monfeigneur le Comte
d'Artois .
DANS nos jours de calamité ,
Augufte & cher Enfant , tu n'as point reçu l'être
Tu ne vivras que pour connoître
La publique félicité.
Les fléaux de la terre à ton aſpect s'envolent :
Nos cruels deftins font changés .
Tu n'as point vu les maux qui nous ont affligés
Tu vois les biens qui nous confolent.
De la France en tous lieux les drapeaux triom
phans ,
La victoire au dehors & la paix au dedans ,
Prince , tout embellit l'aurore de ta vie :
Envain la difcorde ennemie
Reclame , en frémiſſant , fon empire fatal
Que du bonheur de la patrie
Ta naiffance foit le fignal !
Ces Vers heureux font de M. l'Abbé Por
quet , & nous les propofons pour modele
aux Rimeurs qui en font fi abondamment
fur chaque événement du jour . Qu'ils apprennent
de lui à faifir les circonftances
& à fortir du cercle ufé des lieux communs
, où ils font toujours renfermés.
20 MERCURE DE FRANCE.
Nous avertiffons , à ce fujet , que nous
allons être de plus en plus féveres fur les
vers qu'on adreffe aux Grands : nous n'en
mettrons plus qui ne nous paroiffent dignes
d'eux , ou qui ne préfentent au moins
un trait de louange qui les caracteriſe.
Nous prions en conféquence Meffieurs les
Auteurs , de les faire meilleurs à l'avenir ,
ou de ne plus fe plaindre fi nous fupprimons
leurs pieces : c'eft leur rendre
fervice que de n'en point faire ufage.
Des vers médiocres aviliffent non feulement
le fujet & dégradent le héros ,
mais ils rendent encore le poëte ridicule.
Il est vrai que nous avons inféré
dans ce volume ceux de la Mufe Limonadiere
, fur la Mort de M. le Duc de
Gefvres ; mais tout foibles qu'ils font ,
ils peignent ce Seigneur avec des traits
reffemblans , & nous avons pardonné le
défaut de coloris en faveur de la vérité.
MADRIGAL.
POURQUOI fuis-je toujours dupe de l'eſpérance ,
Victime de la crainte , eſclave du defir ?
Il faut , quand on ne peut arriver au plaiſir,
Retourner à l'indifférence,
NOVEMBRE. 1757. 21
MELANGES DE LITTÉRATURE .
Des Livres , des Auteurs , de la lecture &
du ftyle.
Si c'eft la vanité de produire plufieurs
volumes , & de paffer pour féconds , qui
femble animer quelques Ecrivains , & précipiter
de leur plume les ouvrages comme
par torrens , il eft bon de les avertir , & de
leur dire qu'un autre a pris les devans
il y a déja plufieurs fiecles . C'eft Dydimus,
Grammairien fans pitié , Auteur le plus
fécond qui fût jamais , & qui jadis a produit
quatre mille ( 1 ) volumes de compte
fair , dont il ne refte pas un.
Il faut être bien neuf dans le métier
d'Auteur ou d'Editeur , pour vouloir enfler
des livres de pur agrément , ou du
moins qu'on croit tels. Quels titres ridicules
que ceux- ci , par exemple : Bibliothe
que desgens de Cour ; Recueil choifi de bons
mots ; Amuſemens du coeur & de l'esprit, &c.
18 volumes , la fuite fous preffe.
Le mérite d'un ouvrage n'eft pas d'être
critiqué , mais de furvivre aux critiques.
( 1 ) Séneque eft un des Auteurs qui rapportent
se fait,
21 MERCURE DE FRANCE.
Un Auteur fait la moitié de fon ouvrage
, & le Lecteur fait l'autre.
Il faut qu'un Auteur fçache fe mettre
au deffus de fon fiecle : à plus forte raifon
de la parodie & des quolibets.
On lit parce qu'on penfe , & fouvent
parce qu'on craint de penfer.
La lecture reffemble au jeu : on eft bien
aife de s'amufer , & de gagner quelque
chofe en s'amufant.
Il ne faut beaucoup lire , que quand on
fçait beaucoup oublier.
Se peindre dans fes ouvrages , n'eft pas
un hazard , c'eſt un devoir . J'admire Montagne
, qui dit par une figure pleine de
force , qu'il voudroit qu'il lui fût permis
de fe peindre nu .
On rifque moins à mêler le bon au médiocre
dans un ouvrage , qu'à n'y mettre
que du bon. Un homme de goût doit rif
quet le plus.
On n'écriroit peut- être jamais fi l'on
craignoit les autres autant que foi-même.
Des Anciens.
Les anciens offrent d'excellens modeles
pour qui cherche à fe perfectionner en fait
de ftyle , non qu'il faille parler Grec ou
Latin ou François , mais parce que leur
langue fourmille de tours & d'expreffions,
1
NOVEMBRE. 1757. 23
qui ne peuvent qu'enrichir la nôtre entre
les mains d'un habile Ecrivain. Un Régent
de province , où l'éducation eft fort négligée
, demandoit à un de fes Ecoliers ,
qui eft- ce qui lui avoit appris à faire des
vers François ? Il lui repondit ( 1 ) c'eſt
Virgile.
Nous avons , fans contredit , de l'efprit
comme les anciens , pour imiter la nature,
& bien plus d'efprit fans doute des talens
, du feu, du génie-même , fi l'on veut ;
qui l'ignore mais ils avoient des yeux ou
un art que nous n'avons point , cela eſt
fûr. Cet art confifte , fi je ne me trompe,
à fe borner au gente que l'on entreprend,
Les habiles modernes qui ont fçu fe borner,
ont égalé les anciens.
En lifant les anciens , on eft prefque fûr
dé fçavoir ce qu'ont écrit les modernes ;
mais en lifant ceux- ci , on n'apprend pas
toujours ce qu'ont dit les autres , & la façon
dont ils l'ont dit.
Pourquoi néglige - t'on fi fort l'étude de
la nature & des anciens ? Par la même
raiſon qui fait , felon Martial , qu'on ne
paye point fes dettes.
Odiffe quàm amare vilius conftat.
(1 ) Cette réponſe eft de l'Auteur ,
La fuite pour un autre Mercure .
24 MERCURE DE FRANCE.
VERS
De M. Relongue de la Louptiere, de l'Acadé
mie royale des Sciences & Belles Lettres de
Villefranche en Beaujolois , & de la Société
Littéraire de Châlons fur Marne ; à une
Demoiselle qui difoit qu'elle n'aimoit pas
les petits hommes.
AINSI donc votre ame féduite
Dédaigne les Amans dont la taille eft petite :
Ah ! revenez de votre erreur.
Faut- il qu'un agrément vous bleffe !
Mon petit roi , mon petit coeur ;
Tous ces petits mots de tendreffe ,
Que les romans nous ont appris ,
Ne font- ils pas affez l'éloge des petits ?
Eux feuls connoiſſent la diſtance
Que la beauté met entre nous :
La nature à vos loix les foumet par avance
En les plaçant à vos genoux ;
L'amour leur doit la préférence ,
Et la main des plaifirs les comble de ſes dons.
Ce n'eft pas aux grands Aquilons
Que l'Aurore fe plaît à confier fes larmes ,
Et c'eft le plus petit des Dieux
Qui fait éclater en tous lieux
Le plus de puiffance & de charmes.
Mais
NOVEMBRE. 1757 28
Mais pour choifir votre vainqueur ,
Défiez-vous , Iris , de tout tant que nous fommes :
C'est par l'efprit & par le coeur
Qu'il importe furtout de mefurer les hommes.
RÉPONSE de M. d'Harnoncour aux
Vers de M. de la Louptiere , inférés dans
le Mercure de Mars.
AIMABLE IMABLE Académicien ,
Que tu reçus de talens en partage !
L'élégance de ton fuffrage
Fait ton éloge & non le mien ;
Elle me réduit au filence :
Mais il bleffe un coeur délicat :
Il vaut mieux manquer de prudence
Que de paffer pour être ingrat.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , un proverbe très - ancien
nous dit : il n'y a point de comparaiſon
qui ne cloche. Celle d'un Amant volage
à un Papillon feroit- elle abſolument juſte ?
Il y a quelques jours que je vis dans un
jardin deux papillons voltiger féparément
B.
S MERCURE DE FRANCE.
fe changent en cyprès , la tendre fauvette
& les roffignols amoureux ceffent leurs ramages
, un filence affreux fuccede à leurs
concerts agréables ; les plaifits abandonnent
ces afyles fuis-les , vole amour ,
cherche des cours plus capables de recevoir
tes impreffions : la trifteffe qui regne
dans le mien , ne me permet plus , ni
de t'offrir mes voeux , ni de brûler d'encens
fur tes autels.
O Mirtis objet adoré ! toi , par qui
j'appris à me connoître , à fentir mon exiftence.
Que font devenus ces momens précieux
, que leur douceur & leur pureté devoient
rendre éternels ? Ils ont disparu
comme un fonge agréable , qu'un prompt
reveil détruit , & dont il ne refte que le
fouvenir. Je jouiffois fans inquiétude du
plaifir d'aimer & d'être aimé ; le devoir
n'avoit fait que refferrer des noeuds formés
par l'amour , & fondés fur l'eftime .
nos jours couloient dans l'innocence , fans
crainte & fans defirs , notre tendreffe nous
fuffifoit. Rien ne manquoit à notre bonheur.
Hélas ! il étoit trop parfait pour durer
longtemps ! La mort m'a tout ravi.
C'en eft fait , un efpace immenfe nous
fépare. Ces bois retentiffent en.vain de
mes cris , en vain je cherche Mirtis , envain
je l'appelle de toutes parts , je ne la
NOVEMBRE. 1757. 29
F
verrai plus... Son ombre jouit maintenant
dans les champs élizées , des douceurs
promiſes aux coeurs vertueux. Séparation
cruelle ! fource éternelle de mes
larmes , vous ferez toujours préfente à
ma mémoire ! .. Depuis que l'amour nous
uniffoit , je ne voyois rien qui ne me parlât
d'aimer , la nature me paroiffoit plus
vive ,plus riante qu'auparavant.Depuis que
Mirtis n'eft plus , tout rentre à mes yeux
dans fon premier néant , tout me devient
odieux : l'air même , cer air que je reſpire,
m'eft infuportable, depuis que je ne le par
rage plus avec elle... Tout change ; &
mon coeur ne peut changer. L'image de
Mirtis y eft gravée avec des traits que ma
mort feule peut effacer.
Je ne puis faire un pas dans ce féjour ,
fans y trouver des monumens de ma félicité
paffée : tout me trace ces biens que j'ai
perdus... Tout entretient dans mon ame
Te chagrin qui la déchire. C'eft dans ces
jardins , ô Mirtis ! que je te vis pour la
premiere fois ; ils furent les témoins de notre
paisible enfance ; ils virent croître notre
tendreffe avec notre âge. C'eft dans cette
grotte , que j'ofai te déclarer mes fentimens
; je te peignis ma flamme , la nature
& l'amour étoient mes feuls interpretes ,
pouvois-je ne pas perfuader ! C'eft dans
B iij
36 MERCURE DE FRANCE.
ce même lieu que tu me fis l'aveu de ta
fenfibilité. Oui , cher Philémon , me distu
( avec certe aimable ingénuité qui charmoit
tous ceux qui te connoiffoient ) , oui ,
cher Philémon , fi ton bonheur dépend en
effet de mon fincere retour , quel mortel
eft plus heureux que toi ? Je t'aime . C'eſt
fous ce tilleul que nous réitérâmes les fermens
que nous venions de nous faire au
temple de l'Hymen , & que nous nous jurâmes
une conftance éternelle... Je porte
mes regards plus loin . .. j'y vois l'endroit
le plus cher à mon coeur... Ce bofquet
charmant s'offre à ma trifte vue... Jours
fortunés , jours purs & fereins que n'obfcurcit
jamais le moindre nuage de trifteffe,
vous ne luirez plus pour moi ! Vous avez
paffé avec la rapidité de l'éclair . Dieux.
cruels ! c'est vous qui m'en privez . Je ne le
verrai plus renaître , & vous ne m'en laiffez
le fouvenir fatal , que pour mieux
m'affliger & jouir de mon défefpoir !
Infenfé que je fuis ! j'ofe accufer les
Dieux mêmes de mes malheurs , & je fuis
le feul coupable : ils font juftes. Ils me puniffent
de la négligence que j'ai apportée à
leur culte que dis- je ! ils me puniffent
de mon impiété . Les ai - je implorés
une feule fois leur ai- je demandé quelque
confolation ? Non , loin deleur adref.
fer mes voeux , j'ai traîné jufqu'aux pieds
NOVEMBRE. 1757. 31
de leurs autels la douleur qui me dévore.
Je n'entre dans leurs temples que pour leur
reprocher leur injuftice ; je ne vois , je
n'entends , je ne cherche.que Mirtis , elle
feule a tous mes voeux , & je murmure
contre ces immortels qui ( s'ils étoient
moins pitoyables ) , devroient m'écrafer de
leurs foudres. Pardonnez , Dieux puiffans !
pardonnez à un infortuné qui fent tous fes
crimes , & qui les commet malgré lui ...
Arrachez moi de ce lieu funefte... Rendez
moi cette raifon , dont j'ai perdu l'ufage
, donnez moi la force de refifter aux
maux qui m'accablent , ou plutôt , fi ces
maux vous touchent , par pitié , daignez
en terminer le cours fatal , en m'ôtant la
vie ... Hélas ! .. ma priere , loin de les
fléchir , les irrite encore... Eh bien ... je
leur obéirai ... ils l'ordonnent... J'abandonnerai
ce cercueil ... je ne l'arroferai
plus de mes larmes . Je ferai plus... je bannirai
Mirtis de mon coeur , pour le remplir
de leur amour... Soumis à leurs décrets ,
je refpecterai la main qui me perce le
coeur... J'oublierai Mirtis ! ... Eft- il en
ma puiffance de l'oublier ? .. Non , les
Dieux ne font point affez barbares pour
exiger ce cruel facrifice ... Non , Mirtis ,
je penferai fans ceffe à toi... tu auras tous
mes voeux ... Malheureux Philémon , fe-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
!
ras-tu fourd à la voix de ces maîtres da
monde , qui font indignés de tes diſcours..
crains leur vangeance , Mirtis elle- même
t'en conjure... Il le faut- donc... Grands
Dieux que cette obéiffance me coûte à
remplir... qu'elle eft cruelle ! .. Je vais
abandonner des lieux où j'ai paffai les plus
beaux jours de ma vie... J'y laiffe la moi
tié de moi-même... Ils renferment tout
ce que j'aimai... Les cendres de Mirtis
repofent , & je les vois aujourd'hui pour la
derniere fois ! .. Mes regrets font légitimes...
pour la derniere fois ! .. Quoi!
Mirtis...je ne te verrai plus ... Quoi ! ces
noeuds facrés qui nous uniffoient font rompus
& je vis encore... Cette idée cruelle
me rend toute ma foibleffe... j'y fuccombe...
je fens la trifte néceffité de m'éloi
gner ; & je me plais à retarder mon départ...
Il le faut cependant... & j'obéis...
Je vais fuivre ma deftinée... Adieu....
bords chéris , demeure jadis charmante……
je ne goûterai plus vos douceurs... Vous
m'êtes infuportables .... adieu .... pour
jamais... Je m'approche en tremblant de
ce tombeau... je le mouille de mes pleurs..
Je voudrois y paffer les reftes d'une vie
languiffante.... Je le quitte... ç'en eft
fait... Mânes revérés d'une époufe adorable
, recevez auffi mes éternels adieux ,
jouiffez d'une paix profonde... Bientôt la
NOVEMBRE . 1757. 35
mort nous réunira ... Bientôt mes cendres
feront recueillies dans cette même urne ..
Encore quelque temps ... & je te rejoindrai...
Mirtis... chere & tendre Mirtis
! ..il n'eft plus de repos pour moi....
plus de plaifirs..tu faifois feule ma félicité...
tu n'eft plus.
LE BOUQUET CHAMPÊTRE ,
AU ROI ,
Par Mlle Thomaffin , d'Arc- en-Barois.
MUSE , laiffons paffer & la cour & la ville ;
Puis aux pieds de Louis volons à notre tour :
Quand ce Héros charmant fera libre & tranquille ,
Nous pourrons faire alors éclater notre amour .
Mais rendons , s'il fe peut , notre champêtre hommage
Digne d'être agréé du plus puiffant des Rois :
Puiffions- nous oppofer avec quelqu'avantage
Au faſte de la cour la franchiſe des bois !
Du plus clair des ruiffeaux coule une onde moins
pure ,
Que les voeux que pour lui forment nos tendres
coeurs ;
Il fçaura bien de l'art diſtinguer la nature ,
B▾
34 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft pas dans nos champs qu'habitent les
Aatteurs .
Quand fur fes pas les miens ( 1 ) couroient à la
victoire ,
Qu'ils étoient les témoins de fes fameux combats ,
Et que nous , par nos chants , nous exaltions fa
gloire ,
Quel gracieux accueil n'en reçûmes-nous pas
Qu'à jamais les exploits , fes bontés , fa clémence
Occupent tour à tour nos humbles chalumeaux !
Que nos Bergers heureux , pleins de reconnoiffance
,
Les gravent , à l'envi , fur de jeunes ormeaux !
Laiffons aux Courtifans , peut - être moins finceres
,
Lui rendre avec éclat les plus brillans honneurs :
Mais c'eft affez pour nous ; c'eft le droit des Bergeres
,
D'offrir aux Conquérans des chanfons & des fleurs:
(1 ) Mlle Thomaffin a cinq freres au ſervice.
VERS à Madame Bellet , jouant de la
Mufette.
DANS cet Inftrument Zéphyre
Vient le foumettre à vos Loix
NOVEMBRE. 1757 . 35
C'eft lui -même qui foupire ,
Qui s'exprime fous vos doigt :
Il les careffe , il les baife
A travers des chalumeaux ,
Et les fons qu'il en rend d'aife
Forment les airs les plus beaux.
L'ANON PETIT- MAISTRE ,
FABLE.
Pour la premiere fois on menoit au moulin
Un jeune Anon qui bégayoit encore.
On avoit peu chargé la petite pécore ,
De peur qu'il ne reftât au milieu du chemin .
N'allez pas croire au moins qu'il prit ainfi la
chofe.
O que nenni. Le drôle avoit trop bonne dofe
De cet amour fervent que chacun fent pour foi ,
Et qui nous fait traiter le prochain de canaille.
Il crut qu'on avoit peur de lui gâter la taille ;
Il le crut & de bonne foi.
J'ai vu bien des Anons encor plus fots en France,
Que leur foibleffe même a rendus glorieux.
Il n'eft pas jufqu'à l'ignorance ,
Qui les deux bras croifés , infultant la fcience ,
Ne penfe être ici - bas l'enfant gâté des Dieux.
B v j
36. MERCURE DE FRANCE.
APOLOGIE DE L'AMOUR ( 1 ) ,
Par une jeune Demoifelle de Grandville.
J₂ me promenois l'autre jour dans un
Bocage charmant , lorfque je vis venir à
moi un enfant d'une beauté éblouiffante.
Il avoit l'air trifte , & la démarche languiffante
; fes beaux yeux étoient mouillés
de quelques larmes. Hélas ! me dit- il en
m'abordant , devois - je m'attendre au traitement
rigoureux que je viens d'effuyer ?
Où irai- je déformais cacher ma honte ?
on vient de la rendre publique ; & par
qui fuis-je outragé par une ingrate à qui
j'ai voulu mille fois prodiguer mes faveurs.
Mais vous , qui avez toujours tenu le premier
rang parmi mes favorites , vous , qui
joignez au coeur le plus tendre l'ame la
plus reconnoiffante , ne repoufferez - vous
pas l'injure que l'on me fait ? A ces mots
l'Amour , car c'étoit lui , me fit lire la
lettre qu'il venoit de recevoir ; j'en frémis
de courroux .
Tranquillifez-vous , aimable enfant , lui
dis-je ; la calomnie ne prendra jamais dans
(1 ) La piece qui y donne lieu eft dans le Mercure
de Septembre , page 32.
C
0
D
NOVEMBRE. 1757 . 37
que
un fiecle auffi éclairé que le nôtre. Vous
voulez que je prenne votre défenſe ; je
n'ai rien à vous refufer , mais cela me
paroît affez inutile. Le nombre de vos fujets
fera toujours le même : foyez für
ce libelle féditieux n'aura point fait de
transfuges votre joug a trop de charmes
pour qu'on puiffe fe réfoudre à le ſecouer.
Raffuré par ces paroles , l'Amour effuya
fes larmes , un doux fourire m'annonça fa
fatisfaction ; mais il ne s'envola qu'après
m'avoir fait promettre que j'écrirois en fa
faveur. Je m'acquite de ma promeſſe .
L'amour eft la fource des vrais plaifirs :
tout ce qui vit , tout ce qui refpire eft
fujet à fes loix ; & quelles loix ? Y en eûtil
jamais de plus douces ! Qu'on ne me
dife pas qu'il eft cruel , ingrat , intéreffé ,
volage : ces qualités- là conviennent à un
fentiment bien différent qui en ufurpe
quelquefois le nom. L'amour de fa nature
eft tendre , délicat , timide , toujours empreffé
à plaire. Plairoit- il avec les défauts
qu'on lui attribue ? Je dis plus : lorfqu'il
regne dans une ame livrée à ces défauts ,
il les en chaffe bien vite ; l'avare devient
libéral ; l'ingrat , reconnoiffant ; il fixe le
volage , il adoucit l'homme féroce , en un
mot , il change les vices en vertus , & cela ,
l'expérience nous l'apprend. C'est lui qui
38 MERCURE DE FRANCE.
donne à cet époux infortuné la force de
fupporter les malheurs les plus terribles :
accablé par la plus affreufe mifere , il alloit
mourir la voix d'une époufe chérie ſe
fait entendre , il vole entre fes bras : dans
l'inftant il eft rappellé à la vie , l'espoir &
l'alégreffe renaiffent dans le fond de fon
coeur content d'aimer & d'être aimé , il
oublie tous les maux. Le croiroit- on ! il
trouve encore des charmes à fa fituation.
Amour , tels font vos effets ! quelles obligations
ne vous a pas la France ? n'eſt- ce
pas vous , qui retirâtes Charles VII de la
profonde léthargie dans laquelle il languiffoit
? Vous réveillâtes en lui l'amour
de la vraie gloire ; vous lui fîtes faire des
efforts qui raffermirent le fceptre chanchelant
dans fes mains.
Vos peines , dit-on , font réelles , & vos
plaifirs imaginaires : il ne faut qu'aimer
pour éprouver le contraire. L'amour ne
fait- il pas la félicité des coeurs fenfibles ?
eft -il rien de comparable aux délicates
émotions d'une paffion naiffante ? quels
plaifirs ne puife-t'on pas dans une tendref
fe réciproque ? Un gefte , un regard , un
mot de l'objet aimé caufe des tranfports
inexprimables.
La jaloufie , au moins cette efpece da
jalousie dont les effets font fi terribles , ne
0
C
C
NOVEMBRE . 1757- 39
dut jamais, fa naiffance à l'amour , elle eft
fille de la fureur : un Amant jaloux , l'eft
d'une façon délicate : la crainte de perdre
ce qu'il aime l'afflige ; mais fon affliction
eft douce , modérée , le feul fentiment
peut lever le voile qui la couvre un furieux
livré à la jaloufe eft capable des
plus grands excès. Saint Evremont l'a dit ,
& rien n'eft plus vrai , les peines de l'amour
font des plaifirs ; quiconque s'en
formera une vraie idée , fera de fon avis :
on le confond avec le goût pour les plaifirs
des fens ; delà vient l'erreur. Qu'on
démêle , qu'on faififfe les nuances qui en
font la différence , & l'on conviendra qu'il
n'eft point de vrai bonheur fans amour.
VERS
Sur la Mort de M. le Duc de Gefures.
AFFLIGE
+6
FFLIGE TOI , Paris , pleure ton Gouverneur ,
Gefvres dont le bon coeur égaloit la naiffance
Qui fçut avec fageffe , autant qu'avec honneus
Occuper ce rang d'importance ;.
Il faut mieux que perfonne agir en grand Seigneur
,
Joindre l'éclat de la grandeur
Aux charmes de la complaifance ,
46 MERCURE DE FRANCE.
Plaire & rendre fervice étoit fon feul defir ,
Un refus lui coûtoit cent fois plus qu'un plaifir :
Grand Dieu ! vous , qui formez pour les plus hautes
places
Les hommes bienfaifans & doux :
Celui qui dans fa vie accorda tant de graces,
Doit trouver grace auprès de vous.
Par la Mufe Limonadiere .
CONTE ALLEGORICO - MORAL ,
Dom le fujet eft tiré des penfees & réflexions
du C.... d'Oxenftirn.
RIEN ¸IEN ne vieillit plutôt que les bienfaits :
Je vais en citer un exemple ,
Entre maint autres que je tais :
On ne tarit point fur ces faits ,
La matiere en eſt toujours ample.
Mandrabule fit voeu d'offrir un mouton d'ør ,
En un annuel facrifice ,
A la Divinité propice ,
Qui lui feroit découvrir un tréfor.
Junon exauça fa demande ,
Il trouva ce qu'il defiroit ,
Et la premiere année il fit ce qu'il devoit
Pour une faveur auffi grande.
Mais la feconde , il crut que pour offrande
Un mouton d'argent fuffioit.
NOVEMBRE. 1757. 41
Il n'offrit la troisieme année
A l'épouse de Jupiter
Pour tribut qu'un mouton de fer.
Sur fa nouvelle deftinée
Faifant après réflexion ,
Il la crut affez fortunée
Pour mettre une preſcription
A fa reconnoiffance .
Mon homme , en conféquence ,
Conclut que pouvant fe paffer
D'avoir recours à la Déeffe ,
Il pouvoit bien fe difpenfér
De lui payer le droit qu'exigeoit fa promefle ,
( C'eft la logique des ingrats ).
Ce mouton de fer eft l'emblême
Dés coeurs auffi durs que lui - même .
Mortèls trop généreux ! ne vous y fiez pas ! ...
Aujourd'hui plus d'un Mandrabule ,
Dans tous les rangs & les états ,
Rompt des engagemens facrés & délicats
Avec encor moins de fcrupule.
Difigner Baroni del San- Domingo.
A M. DE BOISS r.
Left des circonftances , Monfieur , où la
retraite & la morale font les feuls plaifirs
que l'ame puiffe goûter. Dans un de ces
42 MERCURE DE FRANCE.
momens de mélancolie , je lifois l'autre
jour les maximes & les caracteres qu'un
Anglois , homme de qualité , a donné au
Public , & qui ont eu beaucoup de fuccès
dans fa patrie. Cet ouvrage eft le premier
de ce genre qu'on y ait fait paroître. J'en
connois l'Auteur , & je lui dois la juſtice
de dire que la fureur de compofer un livre,
a bien moins guidé fa plume que l'amour
de la vérité. Il penſe bien , il voit bien ,
il a beaucoup réfléchi , beaucoup vu , &
le fruit de fes lumieres & de fon loifir , ne
l'eft pas moins de fa candeur & de fon impartialité
. Il n'eft guere poffible de porter
l'une & l'autre plus loin que lui , & de
vouloir fe fouftraire de meilleure foi aux
préjugés qui offufquent la raifon. Peutêtre
n'acquiefceroit-on pas généralement ,
Monfieur , à toutes fes remarques , chacun
a fes propres lunettes ; mais du moins
il les fait fans paffion & fans malignité . Ce
caractere auffi rare qu'eftimable , & que
tout le monde lui accorde , m'engage à
prendre la défenfe de quelques fragmens
de fon ouvrage , traduits dans le Journal
étranger , d'une maniere capable d'indifpofer
nos Littérateurs contre fon efprit ,
fon goût & fon équité. Je préfume que le
Traducteur , qui m'eft inconnu , n'a tra
vaillé fans doute que d'après un extrait in-
1
C
NOVEMBRE . 1757. 43
fidele ; mais en me juftifiant ainfi fes méprifes
apparentes , je ne m'en crois pas
moins obligée à les redreffer. Je vous fupplie
donc , Monfieur , d'inférer dans votre
prochain Mercure , ces mêmes fragmens
qu'exprès je vous traduits prefqu'à
la lettre ; le texte Anglois que je mets à côté
,
pour
la fatisfaction de ceux qui poffedent
cette langue , & la traduction mutilée
, lâche & peu correcte du Journal étranger
, qui affoiblit , change ou fupprime
lés penfées de l'Auteur . J'ai eu l'honneur
de le voir , & de caufer affez fouvent avec
lui fur fon livre qu'il m'a fait la grace de
me donner , pour croire que je dérogerois.
aux loix de la fociété , de la reconnoiffance
& de l'exactitude , fi je ne rectifiois pas les
bévues qu'innocemment on lui fait faire.Je
me flatte que la droiture de mes intentions
ne bleffera perfone. Je vous fupplie encore,
Monfieur , de trouver bon que je garde
l'anonyme il ne me convient pas à tous
égards de figurer dans aucune difpute
littéraire . L'obfcurité eft mon lot & mon
voeu ; je ne la trouve défagréable qu'en ce
qu'elle me prive du plaifir de vous donner
un témoignage public de la confidération ,
avec laquelle j'ai l'honneur d'être , Monfieur
, votre très- humble & très-obéiffante
fervante
:
44 MERCURE DE FRANCE.
Maximes , caracterës , & réflèxions critiques,
fatyriques & morales.
It
femble
Ii
que l'on accorde
du mérite
à
de certaines
gens , comme
l'on fait l'aumône
à de certains
pauvres
, purement
parce
qu'on
eft las de les refufer
.
Le fuccès d'un projet bien concerté par
un homme fenfe , dépend fouvent de la
volonté d'un fot.
Les opinions des hommes d'une grande
habileté font refpectables avant qu'ils en
ayent donné les preuves de raifonnement ;
mais après les avoir ainfi appuyées , ces
opinions fe trouvent de niveau avec celle
des autres hommes , en ce qu'elles fe fondent
fur la force des raifons , & non pas
fur l'autorité des perfonnes.
.
Le courage de penfer eft infiniment
plus rare que le courage d'agir. Cependant
le danger dans le premier cas eft généra
lement imaginaire , & dans le dernier , il
eft réel .
Un orgueilleux ne montre jamais tant
fon orgueil que lorsqu'il eft affable.
Je m'étonne que la Rochefoucault n'ait
jamais dit que nous aimions la générofité
, parce qu'elle tourne à notre profit ;
M
;
Tea
the
NOVEMBRE . 1757- 45
Maxims , characters , and reflections critical,
Satyrical and moral .
Ir feams as if fome men ware allowed
merit , as beggars are relieved with money
, merely from having made people
weary of refufing.
The well- concerted project of a fenfible
man, muft of ten depend for fucceff on
the will of a fool.
The opinions of men of great abilities
are refpectable before they have given
their reafon for them , but afterwards
they are upon a level with the opinions
of other men , for they will then depend
upon the reaſons for fupport , not upon
the authority of the character.
Courage to think , is infinitely more
rare than courage to act and yet the
danger in the firft cafe is generally ima
ginary , in the laſt real.
A proud man never shews his pride
fomuch as when he is civil .
I wonder la Rochfaucault naver faid
that we loved generofity becauſe we got
by it ; it would have been methinks
46 MERCURE DE FRANCE.
cela auroit été conforme , à ce qu'il me
femble , au fyfteme de cet ingénieux &
agréable Ecrivain . Qu'il me foit permis
cependant au milieu de mon admiration
pour fon difcernement délicat, de cenfurer
la fubtilité outrée , qui dans fes recherches
fcrupuleufes fur la nature , le conduit
quelquefois à des fources auxquelles la nature
même femble n'avoir jamais remonté,
Il me paroît qu'il fuppofe en nous de
temps en temps des principes à des chofes
primitives en elles - mêmes , & qu'il a réellement
fait ce que Léibnitz croit fi déraifonnable
de demander , comme on en peut
juger par ce qu'il dit plaiſamment à´une
Reine curieufe :« Vous voulez , Madame ,
» que je vous donne le pourquoi du pour-
» quoi. "
Quel feu ! quelle facilité dans le langage
& les portraits de la Bruyere ! quelle main
de maître ! quels détails & quelle vivacité !
J'admire ces perfections ; je vois auffi des
marques de bon fens , & des idées juftes
dans les écrits : jufques - là j'approuve la
Bruyere ; mais je ne fouffre pas que ces
avantages m'éblouiffent ou me déguiſent
Les défauts fous un faux luftre. Je ne regle
jamais mon opinion par celle des autres ,
& je déclare hardiment que j'apperçois en
NOVEMBRE. 1757. 47
agreable to the fyftem of that ingenious
and pleafing writer. And let me , in the
midit of my admiration of his delicate
difcernment , cenfure that overftraining
keeneff in him , wich in is difquifitions
into Nature went fometimes to fources
to which she does not feem to have
aſcended herſelf. I appears to me , that
he fometimes gives us caufes for things
which are primary in themfelves , and
that he really did what Leibnitz thought
it unreaſonable to require , as appears
by his pleafant queftion to fome curious
Queen , when he faid : « Vous voulez
Madame , que je vous donne le pourquoi
du pourquoi.
บ
What fire and what eafe in the language
and painting of la Bruyere ! How
mafterly , how minute , aud yet how
fpirited ! I admire thefe excellencies ; i
fee alfo marks of good fenfe and fight
thinking in his writings , and thus far
i approve la Bruyere but i fuffer not
his excellencies to dazzle my fight or
difguife his faults with a falfe luftre :
i never regulate my opinion by that of
others , and i boldy declare that i fee
:
48 MERCURE
DE FRANCE
.
lui peu de pénétration & peu d'étendue,
Je penfe qu'il s'arrête fur des bagatelles ,
& qu'il s'y est trop attaché , pour avoir
contempler les objets vraiment feuls dignes
de l'attention d'un génie. « Il ne pépu
1
netre que l'écorce des hommes » eft une
remarque d'un de mes amis , qui me plaît
beaucoup. Quelle différence entre la
Bruyere & la Rochefoucault ! Je vois quel .
quefois , ou du moins je crois voir dans la
Bruyere une fatyre dictée par l'animofité ,
& dans la Rochefoucault une pénétration
aiguifée par l'étude & l'amour de la vérité.
Quelquefois la Brayere adopte un prin
cipe douteux , uniquement parce qu'il eft
défavantageux au genre humain. Quelquefois
la Rochefoucault fait tort en effet
à l'humanité ; mais ce tort réfulte toujours
d'une chaîne de conféquences juftes ,
tirées de fon propre principe , & eft aufli
toujours la branche naturelle d'une méprife
radicale. Selon moi , la Rochefou
cault eft fouvent pénétrant , profond , fpéfe
culatif, grand ; & la Bruyere , en général ,
n'a qu'un difcernement médiocre & fuperficiel.
2
little
NOVEMBRE . 1757. 49
little penetration , litle compaff of
thought in la Bruyere : i think he dwels
upon trifles , and feems too much taken
up with them to have contemplated fuch
objects as alone are worthy the attention
of a genius , il ne penetre que
l'écorce des hommes " is a remark uponhim
by a friend of mine which pleaſe
mé much. What a difference between la
Bruyere and la Rochfaucault ! I fee methinks
, fometimes at least i think i fee
in la Bruyere a fatyr produced by spleen ;
in la Rochfaucault keenneff arifing from
real curiofity and truth la Bruyere fometimes
adopts a dubious principle
merely becauſe it is difadvantageous to
mankind ; la Rochfaucault indeed fometimes
does wrong to humanity , but it
always follows by juft confequence from
his own principle , and is always the
genuine branch of one radical mistake.
In my opinion la Rochfaucault is often
fearching , deep , intuitive and great ; la
Bruyere generally half difcerning , and
little.
C
50. MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION des mêmes morceaux , inférée
dans le Journal Etranger , du mois de
Septembre 1757.
'Maxims , caractèrs , and reflections critical ,
Satyrical and moral , &c .
Il y a une claffe de gens à qui l'on n'accorde
du mérite , que parce qu'on eft las
de leur en avoir refufé : ils obtiennent leurréputation
, comme les pauvres obtiennent
l'aumône à force d'importunité.
Les projets les mieux concertés d'un
homme fage dépendent fouvent , pour le
fuccès , de la volonté & de la manoeuvre
d'un fou .
L'opinion des gens à réputation eft ref
pectable avant qu'ils l'ayent appuyée d'aucune
raifon ; mais enfuite elle eſt au niveau
de l'avis des autres hommes , parce que
le raifonnement en devient alors l'unique
balance , & que l'autorité n'y fait plus
rien .
Le courage dans la façon de penfer eft
beaucoup plus rare que celui qui s'appelle
bravouve cependant dans le premier cas
le danger n'eft qu'imaginaire , & dans le
fecond il eft réel.
L'orgueil d'un homme fier ne fe montre
NOVEMBRE. 1757.
jamais plus à découvert , que lorfqu'il veut
affecter d'être fort honnête.
Je m'étonne que la Rochefoucault n'ait
jamais dit que nous aimons la générosité ,
parce que nous gagnons avec elle . Cette
réflexion auroit été , à ce qu'il me femble ,
digne de cet ingénieux & agréable Ecrivain.
Au milieu de mon admiration , je
me permets cependant de lui reprocher trop
de raffinement , qui le fait aller quelquefois
jufqu'à des fources auxquelles il n'auroit
pas dû remonter . On pourroit lui appliquer
ce que Léibnitz dit à une grande
Reine qui le pouffoit à force de queſtions :
Vous voulez , Madame , que je vous
» donne le pourquoi du pourquoi .
رو
Quel feu ! quelle facilité dans le langage
& dans les portraits de la Bruyere !
Je ne me laiffe cependant point aveugler
fur ces défauts. Il eft très -fuperficiel , &
n'entame , pour ainfi dire , que l'écorce
des hommes . Quelle différence entre lui
& la Rochefoucault ! Je ne vois fouvent
dans le premier qu'une fatyre mélancolique
, produite par la bile & le fiel . Dans
le fecond , c'est toujours le fruit de fes
recherches fur la vérité. Quelquefois la
Bruyere n'adopte un principe , que parce
qu'il eft défavantageux à l'humanité : chez
la Rochefoucault tout coule néceffaire-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
ment de fes principes. Enfin , à mon avis ,
ce dernier eft toujours profond & grand:
la Bruyere ne fait qu'effleurer , & quelquefois
il eſt petit .
PORTRAITS.
Air : Ne v'la- i'il pas que j'aime.
QuUAND d'un air noble & citoyen ,
Prêt à tout entreprendre ,
L'on offre pour ne faire rien ,
N'eft-ce pas là Clitandre
*
Sans les talens , les traits flatteure
D'une femme jolie ,,
Croire éblouir , charmer les coeurs ,
N'est-ce pas là Julie ?
*
N'être attaché qu'à ſon tréfor ,
Son feul plaifir , fa crainte ,
Mourir de faim fur un tas d'or ,
N'est- ce pas là Philinte
*
Plus recherché dans fes atours ,
Que fille qui veut plaire ,
Geftes outrés & fots difcours ,
N'eft - ce pas là Valere
NOVEMBRE . 1757 . 53
Les yeux baiffés , de la pudeur
Feignant un air novice ,
De la fineffe dans le coeur ,
N'eft- ce pas là Clarice a
Fier d'être riche , bien vêtu ,
D'avoir maifon brillante ,
Cent vices , pas une vertu ,
N'eft- ce pas là Cléante a
܀
Un parler plus doux que le miel,
Un minois hypocrite ,
Sans y fonger parler du ciel ,
N'eft- ce pas là Melite e
Pour la vertu fe déclarer ,
Sans fe montrer ſauvage ,
Goûter de tout , ne rien outrer ,
N'eft- ce pas là le Sage
Par M. FUZILLIER , à Amiens.
Le mot de l'Enigme du fecond Mercure
d'Octobre eft la Parole. Celui du Logogryphe
eft Centurie , dans lequel on trouve
seinture , écurie , rive , vent , curée , vin ,
nuit , tri , ré , ut , vice , rit , cire , vitre ,
ver , encre , Reine , tir , rente , ruine , envie
, Curé , vérité.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
UN être inné
Sans coeur , fans fentiment , fans ame
Au repos toujours condamné
Souvent qualifié d'infâme.
Encore un pas ,
Et tu me trouveras peut- être.
Turenne me traitoit en maître ,
Ou , comme on dit , du haut en bas :
Autant enfont , en pareil cas ,
Les François , quand je veux paroître...
Hé pour leur Roi que ne feroient- ils pas
Al'Anglois ils me font connoître.
LOGOGRYPHE.
Ja ne fuis point enfant de la triſteſſe ,
Rarement je fuis de fa cour ;
J'amufe fouvent la jeuneſſe ,
Fait pour infpirer l'alegreffe
Et quelquefois auffi l'amour.
De cet enfant je ne crains point les armes
Que pourroient - elles fur mon coeur ?
L'inconftance fait mon bonheur ;
De la vivacité je tire tous mes charmes.
NOVEMBRE . 1757 . 35
Entre les mains d'une jeune beauté
Mon inconſtance augmente encore :
De l'aimable Zéphyr j'ai la légèreté ,
Et fort fouvent l'ombrage me décore.
Quel Amant n'envieroit mon fort !
Mais cependant hélas ! quoique je fois volage ,
Ainfi que les forçats , je vis dans l'eſclavage ;
Tout ce qui reluit n'eſt pas or.
A tous ces traits , Lecteur , tu dois me reconnoître
:
Je fuis facile à deviner.
Tu trouveras en moi , fi tu veux combiner ,
Un ornement fait pour un Prêtre ;
Une plante , un poiffon , un Peintre très-fameux '
Un lieu public ; un métal précieux ;
Un péché capital ; un ancien Patriarche
Qui , tout faint qu'il étoit , craignoit beaucoup
le feu ,
Et dont la femme fit une fotte démarche :
Ce qui fait la bafe du jeu ;
Du corps humain la plus belle partie :
Une arme deftinée à défendre la vie ;
Un inftrument de Jardinier ;
Ce qui fe confie au papier ;
Ce qui joint le corfet de l'aimable Sylvie :
Une oraifon qu'un Chrétien doit fçavoir :
Ce qu'un enfant doit aimer par devoir :
Un endroit où le fait très -fouvent des miracles ,
Où la Reine des cieux rend , dit- on , des oracles :
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Un fleuve d'Italie ; un grand coup au piquet :
Ce qui n'eft fait que pour le rang fuprême:
Une eau qui fait éclorre , & jonquille , & muguer:
Deux vents très- oppofés ; de la beauté qu'on aime
Ce qui fert à peindre les traits
Ce qui des yeux d'Iris augmente les attraits :
Un adverbe , un pronom , trois notes de mus
que
Un mal contagieux pire que la colique ;
Un objet éclatant , & même radieux.
C'est ainsi qu'en partant je vous fais mes adieux.
CHANSON.
UN matin fur fon chalumeau ,
Daphnis , près d'un buiffon , jouoit un air nouë
veau ;
La jeune Cloé pour l'entendre ,
Près du Berger doucement s'approcha ,
Et dans le buiffon fe cacha .
Averti par l'Amour , Daphnis va l'y furprendre:
Je ne fçais ce qui fe paffa ;
Mais Cloé fit un cri que l'écho répéta
Air,
De M. Légat de Furcy.
matin sur son chalumeau Daphnisprèsdunbu
+
ouoitunair nouveau,LajeuneCloep l'entendre,
du bergerdoucements'aprochaEt dans le buis
valy sur se cachaaverti par l'amour Daphn va
rejene sais ce qui se passa,Mais Clo
fit un cri que lecho repeta,MaisCloéfit un
a demivor W
que L'echo repeta,que
par MelleLabassée.
meverTournelle.
l'echo répe ta. ta.
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS .
244
༢
NOVEMBRE . 1757. 57
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
TRAITÉ RAITÉ de la culture des terres , par
M. du Hamel du Monceau , de l'Académie
Royale des Sciences , de la Société
royale de Londres , des Académies de Palerme
& de Befançon ; honoraire de la Société
d'Edimbourg , & de l'Académie de
Marine , Infpecteur général de la marine.
Avec figures en taille- douce. Tome cinquieme
, contenant les expériences & les
réflexions fur la culture des terres , & fur
la confervation des grains , faites pendant
les années 1755 & 1756. A Paris , chez
Hippolyte - Louis Guerin & Louis François
de Latour , rue S. Jacques , à S. Thomas
Daquin.
L'Auteur a expofé dans le 1er tome , les
principes fondamentaux d'une nouvelle façon
de cultiver la terre. On trouvé dans le
fecond tome les épreuves de cette nouvelle
culture , faites dans différentes provinces ,
pendant les années 17 50 , 1751 & 1752,
avec la defcription d'un fémoir de fon invention
, & celles de différentes ' charrues
CY
58 MERCURE DE FRANCE.
ou cultivateurs de l'invention de M. Lullin
de Châteauvieux. Le troifieme volume
renferme la continuation des mêmes expériences
faites dans l'année 1753 , avec des
applications de cette nouvelle culture aux
légumes , & la maniere de cultiver le maïs
& le millet on y a joint une defcription
des fémoirs inventés par MM. de Châteauvieux
& de Montefui . Le quatrieme contient
une fuite d'expériences femblables ,
exécutées dans le courant de 1754 ; des
perfections ajoutées aux inftrumens propres
à cette nouvelle culture ; des inftructions
fur les labours ; un détail des maladies
qui attaquent les grains , & des remedes
que l'on y oppofe ; la nouvelle culture
appliquée avec fuccès à la vigne. On trouve
dans ce cinquieme volume les expérien
ces des années 1755 & 1756 dont voici le
précis.
A Péthiviers en Gatinois , une piece de
terre qui avoit été mal labourée en 1714 ,
a mal réuffi en 1755. Il n'en a pas été de
même d'une autre qui avoit été bien préparée.
On a été fatisfait de la récolte de
ces deux pieces en 1756 , par comparai
fon aux terres cultivées à l'ordinaire ; car
en général les fromens ont mal réuffi
A Montfort Lamaury , les pieces cultipar
fangées , ont produit l'une dans
vées
lie
bo
to
NOVEMBRE. 1757. 52
l'autre autant de gerbes que les terres culti
vées à l'ordinaire : mais il ne falloit que
vingt gerbes pour faire un fetier , au
lieu de 25 qu'il faut ordinairement : il s'eft
trouvé des épis finguliers pour leur groffeur.
A Avignac en Bretagne , du Bled de
mars , quoique beaucoup endommagé par
la rouille , dans le mois Juillet , a produit
en 1755 , huit pour un.
Près Bayeux en Normandie , quoique
des pluies très - fréquentes n'euffent pas.
permis d'exécuter les labours à temps , les
apparences devenoient cependant favorables
, lorfque de furieux ouragans ont
bouleversé tout , & détruit abfolument
toute efpérance. L'orge & le farrafin ont
eu un fuccès plus heureux. Depuis trois
ans , le farrafin a produit chaque année
dixmes & tous frais déduits , huit francs
par vergée. Le propriétaire affure que ce
produit eft très- confidérable relativement à
la qualité des terres de fon pays.
En Lorraine , on n'a encore fait que de
petites épreuves , & Sa Majefté le Roi de
Pologne a voulu qu'elles fuffent faites fous
fes yeux. L'économie de la femence a été
portée à un trop - grand excès , puifqu'on
n'a placé qu'un feul grain à chaque endroit,
& qu'il y avoit un pied de diftance d'un
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
grain à l'autre. Chaque grain a le plus
communément produit quatre tuyaux ,
d'autres moins , & plufieurs plus de 60.
Quantité d'épis contenoient 60 grains , &
le produit de ces grains réduit à un calcul
commun a été de 960 pour un.
Près Duretal en Anjou , un champ femé
avec un demi - boiffeau , en a produit qua
torze & demi : dans l'ufage de la culture
ordinaire , on y employoit cinq boiffeaux,
qui ne produifoient dans les meilleures années
que 12 à 13 boiffeaux.
A Bergerac près Bordeaux , un champ
qui dans les meilleures années produifoit ,
cultivé à l'ordinaire , 245 mefures tout au
plus , en a produit en 1755 , 350 , parce
qu'il avoit été cultivé par rangées .
Près S. Dizier , du froment par rangées
, a produit , à raifon de 22 boiffeaux
par journal : les terres de ce canton cultivées
à l'ordinaire , n'en donnent communément
que 20.
Près Varfovie , l'épreuve de la nouvelle
culture y a été faite fur de l'orge : malgré
plufieurs accidens qui l'ont endommagée
pendant qu'elle étoit fur pied , & encore
après qu'elle a été fauchée , M. le grand
Maréchal marque à l'Auteur , que la récolte
a égalé celle des années communes.
Auprès de Verdun fur Meule , la terre
NOVEMBRE. 1757. 65
cultivée à l'ordinaire , a produit 417 pefant
la même étendue femée en plein
avec le femoir , 474d'un plus beau
- bled : enfin la même étendue femée par
rangées , 660 pefant , d'un bled encore
plus beau que le précédent.
Dans le Lyonnois , un champ femé par
rangées a fourni dans les deux années 1755
& 1756 , 530 livres pefant de feigle , &
un champ de pareille étendue cultivé à
T'ordinaire , n'a produit que 174 pefant ,
parce que, fuivant l'ancien ufage, il ne devoit
être femé que de deux années l'une
un autre champ femé par rangées , a donné
207 livres pefant , & fuivant l'ufage
ordinaire , 73 : c'eft un bénéfice de deux
cens pour cent , non compris l'économie
des engrais.
A Geneve , les expériences y ont été tellement
multipliées , que l'Auteur ſe borne
à affurer les cultivateurs , qu'elles confirment
de plus en plus ce qui a été prouvé
les années précédentes.
Il nous femble que des fuccès fi marqués,
doivent affurer äM.Duhamel la confiance la
plus générale. Pour achever de la mériter,
il avoue modeftement que la nouvelle culture
n'a pas eu un fuccès favorable à Trianon
, ni au Trou d'enfer , dans le parc de
Marli ; l'abondance du gibier en a été la
caufe.
62 MERCURE DE FRANCE.
INTRODUCTION abrégée à l'hiftoire des
différens Peuples anciens & modernes ,
contenant les principaux événemens de
chaque fiecle , & quelques traits de la vie
des perfonnages illuftres , depuis la création
du monde , jufqu'à préfent ; pour fervir
principalement d'explication à la carte
chronographique de M. Barbeu du Bourg.
A Paris , chez Babuti fils , quai des Auguftins
; Valleyre , rue S. Jacques ; Cuiſſart
quai de Gèvres .
pour
le
On ne donne point ici une Hiftoire Univerfelle
. Le titre fimple de cet ouvrage
annonce fon objet . Il ne s'agit que d'expofer
la méthode qu'on a fuivie
remplir; la carte fi connue de M: Dubourg,
l'a déterminée . Cette carte eft divifée en
trois grandes époques . Depuis la création
jufqu'à Rome , depuis Rome jufqu'à Jeſus-
Chrift , & depuis Jefus Chrift juſqu'à
nous ; mais ces époques étant fort éloignées
l'une de l'autre , & laiffant entr'elles
plus d'efpace qu'il n'en faut , pour faire
plus d'un anachroniſme , on a pris ici le
parti de divifer l'hiftoire par fiecle. L'Auteur
a cru cette maniere de fixer les dates
plus commodes pour les commençans . « Ils
» ont plutôt dit , telfait eft arrivé au mi-
» lien du vingt huitieme fiecle , qu'ils n'au-
>> roient pu dire en 2750. » L'Auteur préNOVEMBRE
. 1757. 63
"
vient une objection qu'on ne manqueroit
pas de lui faire. On peut dire qu'un fait
s'eft paffé au milieu du vingt- huitieme fiecle
, fans que ce foit jufte en 2750. « Ce-
» la eft vrai , répond- il : ceux qui n'auront
» que l'époque vague du fiecle , ne fçau-
» ront pas au jufte l'année dans laquelle
» eft arrivé l'événement qu'on rapporte :
» mais fi l'on n'en eft pas fûr , du moins.
» n'en eft- t'on pas bien loin. Cependant
» que ceux qui étudient , ayent cette con-
»noiffance vague par rapport à l'hiftoire de
chaque royaume : voilà déja un fynchroniſme
établi . On fçait que dans tel ou tel
» état , tels Princes étoient à peu près
» contemporains ; car ils vivoient dans le
"
"
vingt-huitiene fiecle . Quand les com-
»mencans pofféderont ce rapport des fie-
» cles , il leur fera plus aifé d'apprendre
» ces époques par année » . Voilà pour l'ordre
des époques , & le rapport des temps ,
paffons à la diftribution des matieres. Ceux
qui connoiffent la carte dont il eft ici queftion
, fçavent que les Empires y font pla
cés plus ou moins près de l'époque de la
création , fuivant qu'ils en font plus ou
: moins éloignés. Ce même ordre fe préfentoit
naturellement à l'efprit pour la méthode
que l'on devoit fuivre ici en expofant
l'hiftoire de chaque Royaume. Ainſ
64
MERCURE DE FRANCE.
P'Hiftoire Sainte occupe la premiere place ,
celle de l'Egypte paroît enfuite , elle eſt
fuivie de celle de la Chine , à laquelle fuccede
celle de l'Affyrie ; viennent enfin les
états de la Grece , & c,
Au bas de la carte , on trouve les événemens
mémorables , & les Hommes Illuftres.
L'Auteur de certe introduction a regardé
comme néceffaire & très- utile , de
faire auffi dans fon ouvrage une partie féparée
pour les grands événemens , & une
autré pour les grands hommes. « Cela m'a
donné dit - t'il , plus de commodité
» pour détailler certains faits , & pour y
répandre le plus de lumieres qu'il m'a été
poffible . Ce n'est pas affez de fçavoir ,
qu'au
commencement du trente- unieme
» fiecle , c'eſt-à - dire en 3000 , on infti-
20
و د
30
,
tua les mysteres d'Eleufines ; on veut en-
» core apprendre quels étoient ces myſte-
» res , en l'honneur de qui on les célébroit,
» & qui les avoit inftitués »,
Nous penfons qu'en lifant l'ouvrage ,
on rendra la même juftice que nous à un
ordre fagement imaginé & fidélement fuivi.
L'Auteur avoue qu'il s'eft contenté de
raconter. Un narré fimple , une oppofition
jufte des faits lui ont paru préférables
aux agrémens d'un ftyle recherché &
fleuri , que la vérité de l'hiftoire ne femble
point admettre .
F
NOVEMBRE . 1757 . 64
ETAT abrégé des Loix , revenus , ufages
& productions de la Grande - Bretagne .
A Londres , & fe vend à Paris , chez la
veuve Delormel & fils , rue du Foin , à l'Image
Sainte Génevieve . Nous nous contenterons
d'en citer quelque traits particuliers.
Le Roi d'Angleterre n'a aucun droit fur
la vie , fur la liberté , ni fur les biens de
fes fujets s'il en fait arrêter un , ce n'eſt
que pour vingt- quatre heures , après lefquelles
il doit le faire fortir , fi le prifonnier
fournit caution , ou lefaire juger dans
le cours de fix femaines au plus , s'il n'en
peut fournir. Il n'a pas plus de privilege à
cet égard que tous les particuliers de fon
Royaume. Il en faut cependant excepter les
prifonniers pour dettes ou pour crimes ; les
premiers ne peuvent être relâchés qu'ils
n'ayent fatisfait à leurs dettes , ou prouver
qu'ils font infolvables , & les autres ne
peuvent être jugés qu'après que les informations
qui fe font de vive voix , & dans le
temps même du jugement , ont été faites
avec l'attention convenable à un point fi
important.
Il y a en Angleterre trois tribunaux de
juftice , & quatre Juges par tribunal. Le
premjer eft la cour du banc du Roi , qui
connoît de toutes les difcuffions entre le
66 MERCURE DE FRANCE:
Roi & fes fujets. Le fecond s'appelle la
cour des plaids communs , il juge des conteftations
qui furviennent entre particu
liers . Et le troifieme eft l'échiquier , qui
connoît de tout ce qui concerne les revenus
de l'état. Les affaires civiles s'inftruifent
à peu près comme dans les juriſdictions
de France , & elles fe terminent dans
chaque tribunal par les quatre Juges ; il
n'en eft pas de même des affaires criminelles
: le délit fe décidant toujours par le fait,
les coupables ne peuvent être jugés que par
douze Jurés de la même condition que l'accufé
, tirés au fort parmi les habitans du
lieu. Le grand Juge les inftruit feulement
des circonstances du crime , & après leur
avoir expofé les différens points des loix du
pays qui y font relatifs , il les laiffe déci
der. Comme il faut que le jugement foit
unanime , on enferme ces douzes Jurés
dans une chambre fans aucune nourriture ,
& il n'en fortent que quand ils font tous
d'accord. Si l'un d'eux vient à mourir pendant
qu'ils font ainfi affemblés , le prifonnier
eft abſous , ipfo facto.... Il n'y a que
deux fortes de fupplices en Angleterre , la
potence pour les hommes dans tous les cas,
& le feu pour les femmes coupables du
meurtre de leur mari , & convaincues de
forcellerie ; mais on ne pourfuit plus pour
F
t
NOVEMBRE . 1757. 67
ce prétendu crime.Les Pairs criminels font
eux - mêmes condamnés à la potence : mais
il est au pouvoir du Roi de les faire décapiter;
ce qui fe pratique ordinairement .
Le Roi ne peut entrer dans la Ville fans
la permiffion du gouverneur , & même
dans ce cas , il faut qu'il la traverſe en
particulier , c'eft à dire fans fuite.
On affure qu'il fe trouve en Angleterre,
outre les Grands Seigneurs , plus de 6000
Gentilshommes qui jouiffent l'un portant
l'autre de 400 livres fterlings de rente. Il y
en a plufieurs qui en ont 2 , 3 , 6 , &
même jufqu'à 10 mille par an. Le nombre
des Laboureurs qui ont so , 100 & 200
liv. fterlings de rente eft prefque incroyable
. On en voit dans la province de
Kent qui tirent de leurs terres un revenu
annuel de 1000 liv . fterlings. Enfin tout
le Peuple y eft dans la plus grande aifance.
Il feroit impoffible de trouver dans
toute l'Angleterre un feul homme en fabots.
·
"'
CALCULS tout faits , depnis 1 denier
jufqu'à 59 fols 11 59 deniers , & depuis 3 livres
jufqu'à 50000 livres ; avec le tarif
par jours & par mois pour les penfions ,
depuis une livre jufqu'à 100000 livres ;
& des tarifs pour les intérêts , l'efcompts ,
68 MERCURE DE FRANCE.
le change & la vente des marchandiſes à
tant pour cent de gain ; on y a joint d'autres
tarifs pour le fol ou marc la livre ,
avec le pair des aunages & des poids de
l'Europe , la réduction des louis d'or &
des écus de trois livres , & c. Par Mathias
Mefange, nouvelle édition , volume in . Iz
de 600 pages , qui fe trouve , à Paris , chez
Vincent , Imprimeur- Libraire , rue Saint
Severin.
Nous nous fommes contentés de donner
le titre de ce livre dans le temps que la
premiere édition en a paru . La prompte
réimpreffion qu'on en vient de faire , eft
le témoignage de l'applaudiffement que le
Public lui donne . Le fuccès au refte lui eft
bien dû. L'utilité dont il eft à toute forte
de perfonnes , l'exactitude des comptes ,
l'ordre , l'arrangement , la précifion dans
les calculs qui y font faits , & la multitude
qu'on en donne fans interruption, depuis le
plus bas prix jufqu'au plus fort , en rendent
l'ufage indifpenfable. Il n'eft pas be
foin de donner le plan de fa direction , il
eft fenfible : à l'ouverture du livre , on en
voit l'ordre clair qui rend les calculs faillans
, & le plus intelligibles qu'il eft poffble.
D'un coup d'oeil on apperçoit fix calculs
de différens prix , chaque page en por
zant trois.
L
NOVEMBRE. 1757 . 69
Outre la belle exécution de l'impreffion ,
on peut regarder comme furprenant , d'ades
perprès
ce qui nous a été affure par
fonnes fort au fait , qu'un ouvrage fi fufceptible
de fautes , à en juger par celles
qui fe trouvent dans les livres que nous
avons en ce genre , foit cependant auffi
correct . Il femble qu'à l'envi l'un de
l'autre , & l'Auteur & l'Imprimeur ayent
fait autant ufage de leur zele que de leurs
talens , pour conduire cet ouvrage à toute
la perfection dont il étoit fufceptible.
Après la partie des calculs tout-faits ,
dans laquelle il y a le double plus de comptes
faits que dans le Barême , on trouve
toute forte de tarifs dont on a befoin tous
les jours , & qui ne fe trouvent en aucun
autre livre de cette efpece . Chaque calcul
ou tarif eft précédé d'une courte explication
qui par des exemples fenfibles , met
aifément le Lecteur au fait. La préface ,
qu'il eft important de lire , donne le détail
de ce qui eft contenu dans l'ouvrage ,
& eftfort inftructive.
RECHERCHES hiftoriques fur les cartes
à jouer , avec des notes critiques & intéreffantes
, par l'auteur des Mémoires fur
la langue Celtique. A Lyon , chez J. Deville
, Libraire , rue Merciere , au grand
Hercule , 1757 .
70 MERCURE DE FRANCE. 7 °
Ces recherches nous ont paru auffi curieufes
que fçavantes , & dignes de M.
Bullet , qui en eft l'auteur. Le jeu de cartes
eft devenu un amufement fi général ,
ou plutôt une occupation fi férieufe , puifqu'il
forme fouvent un état , qu'il eſt peu
de nos lecteurs que cette brochure n'intéreffe
, & qui ne doivent s'empreffer à
l'acheter. La matiere y eft parfaitement
traitée & plus approfondie que la frivolité
du fujet ne paroît le permettre. Les détails
qu'on va lire vont le prouver.
L'auteur place l'invention des cartes
quatre ou cinq ans avant la mort de Charles
V , Roi de France ; & il appuie fon
opinion fur ce qu'il a lu dans la chronique
de Petit- Jehan de Saintré , que les
pages de ce Prince jouoient aux dez &
aux cartes. Il penfe en même temps qu'elles
ont été trouvées en France. La preuve
qu'il en apporte eft que les couronnes & les
fceptres fleurdelifes que portent les Rois , les
fleurs de lys dont leurs robes & celles des
Reines fontfemées , décelent un François . Le
Roi de pique , continue l'Auteur , porte
le nom de David ; celui de treffle , le nom
d'Alexandre ; celui de carreau , le nom de
Céfar ; celui de coeur , le nom de Charle
magne. Un étranger ne feroit probablement
pas venu chercher parmi nos Souve-
2
C
દ
NOVEMBRE. 1757. 71
=
rains un monarque pour figurer avec les
plus grands Princes de l'antiquité : il ne
lui eût pas donné le plus noble fynbole
qui eft celui de coeur. Le valet de pique
eft appellé Ogier , celui de treffle Lancelot
, celui de carreau Hector , celui de
coeur la Hire. M. Bullet ajoute que les
noms des Rois , des Dames & des valets
fe font confervés jufqu'à préfent fur les
cartes de Paris , à l'exception de celui de
Lancelot , en place duquel chaque Cartier
a coutume de mettre le fien. Selon lui ,
Hector eft le fils de Priam , duquel dans
les XI , XII , XIII , XIV , XV® & XVI¢
fiecles , on faifoit deſcendre nos Rois par
fon fils Aftyanax , qu'on appelloit Francion.
Auffi fur les anciennes cartes on lifoir
, Hector de Troye , ce font les termes
de l'auteur , ainfi que les fuivans. Lancelot
du Lac , eft un des chevaliers du Roi
Arthus , un chevalier de la Table ronde.
On le mettoit au premier rang des braves ,
&c. Ogier est un des preux de Charlemagne.
La Hire eft le fameux Etienne de
-Vignoles , furnommé la Hire , qui contribua
tant par fa valeur, à affermir le trô
ne chancelant de Charles VII. Il n'y a
qu'un François , qui en compofant le jeu
de cartes , ait voulu choifir fes braves dans
notre nation. Je dis fes braves , car c'eſt
72 MERCURE DE FRANCE:
ce que ce nom de valet défignoit alors
L'auteur nous apprend que valet eft un
mot François que Was en Celtique ,
fignifie en général un homme de fervice ;
qu'on l'a donné longtemps indifféremment
aux domeftiques & aux gens de guer
re ; que lorfqu'on eut inftitué la Chevalerie
, on qualifia Chevaliers , les valfaux
qui l'avoient reçue , & qu'on appella vaffelets
, vallets , valets , varlets , vallez , les
fils des vaffaux , des plus grands feigneurs,
des fouverains mêmes qui n'avoient pas
encore été armés chevaliers . On donnoit
auffi à ces valets le nom d'écuyers , Scutarii
, parce qu'ils portoient l'écu ou le bouclier
du chevalier auquel ils s'attachoient
pour faire leurs premieres armes.
Dame , eft un terme François : il vient
du Celtique , Dam , qui fignifioit une perfonne
diftinguée de l'un ou de l'autre fexe :
Sieur , Dame , &c.
As , nom d'une des cartes , n'a de fignification
qui puiffe convenir à ce jeu en
aucune langue qu'en Celtique , où il fignifie
commencement , premier : c'eſt effectivement
pour llee nnoommbbrree que l'as eft mis ,
puifque le deux , le trois jufqu'à dix le
fuivent. D'après cet hiftorique l'auteur
conclut par ces paroles : La chronique de
Petit- Jehan de Saintré nous fait voir les
cartes
7
C
t
F
C
NOVEMBRE. 1757: 73
cartes en ufage dans le temps qu'il étoit
page de Charles V. On ne trouve en Eſpagne
, en Italie , en Allemagne , en Angleterre
aucun monument plus ancien que
cette chronique , où il foit parlé de ce jeu :
on eft donc en droit de conclure que les
cartes ont été inventées en France , & que
nos voisins les ont empruntées de nous. Il
ajoute pour derniere raifon que l'on connoît
de quelle nation eft un homme par
fon langage , & que la langue Françoife
des cartes montre que ce jeu eft né parmi
nous.
DICTIONNAIRE des regles de la compofition
latine , à l'ufage des enfans. Se vend
à Paris , chez Defpilly , Libraire , près la
vieille Pofte ; & à Rouen , chez Pierre le
Boucher , Libraire , fous la voûte du Palais ,
1757.
L'auteur nous a paru très bien juftifier ,
dans fon avertiffement , la forme de Dictionnaire
qu'il a donnée à fon ouvrage ,
ainsi que la nature des exemples qu'il a
choifis ; l'accent grave qu'il a rifqué fur
quelques finales , & l'efpece d'ordre qu'il
s'eft preferit. La forme de Dictionnaire a
un double mérite , felon lui , le premier
eft de mettre chaque chofe à fa place ; le
fecond eft d'abréger la formule des regles
D
74 MERCURE DE FRANCE.
fans les obfcurcir , & de les rendre plus
faciles à retrouver & à retenir. A l'égard
des exemples dont il a fait choix , il les
a cru propres à inftruire les enfans , prefqu'à
leur infçu , d'une partie de la littérature
des plus intéreffantes. Chacun de ces
exemples leur apprend un trait de fable ,
ou leur donne occafion de confulter leur
Dictionnaire de la Fable.
Quant à l'accent grave , l'auteur en a
marqué tous les indeclinables latins polyfillabes
, comme fortaffe , vulgò , & c. &
les monofyllabes amphibologiques , quand
ils font adverbes , comme qui , quàm, quòd,
&c. un qui adverbe confondu avec un qui
relatif, jette les enfans dans l'embarras ,
un accent les en tire. Il a employé le même
accent fur les adverbes François terminés
en alt & en eit , comme devant & dernierement
; dans le premier ( devait ) pour
ôter l'équivoque qui le confond avec devant
, participe du verbe devoir , & dans
le fecond ( dernierement ) , pour avertir le
lecteur d'en prononcer la derniere fyllabe
autrement que celle de la troifieme perfonne
du pluriel, qui a fouvent la même ortographe
, comme , ils aiment , ils charment.
L'auteur ne rend pas un compte moins fatisfaifant
de l'ordre qu'il a fuivi , comme
on pourra le voir dans l'avertiffement . Ce
NOVEMBRE. 1757. 75
qui nous paroît particuliérement louable
en lui , eit fon ton de modeftie , & fon
air de doute , qui annoncent prefque toujours
le bon efprit . On en jugera par cet
endroit que nous avons tranfcrit exprès &
qui finira ce précis. La compofition Latine
& la traduction fe difputent , dit- il , depuis
longtemps la préférence dans nos écoles.
Les Grammairiens partagés fur le mérite
de ces deux méthodes , en rendent le
choix embarraſſant. Des regles de compofition
Latine n'annoncent point un parti
pris de ma part , ni une voix de plus pour
les thêmes ; l'expérience apprend à douter,
& depuis longtemps je ne décide point ,
mais il eft, de l'aveu de tout le monde , un
temps où les thèmes font néceffaires ; &
c'eft pour ce temps que je travaille , foit
qu'il devance , qu'il accompagne , ou qu'il
fuive celui de la compofition.
LE tome fixieme du Mercure de Vittorio
Siri , contenant l'hiftoire générale de
l'Europe depuis 1640 jufqu'en 1655 , traduit
de l'Italien , par M. Requier , à Paris
chez Durand , rue du Foin , vient de paroître
, & fe diftribue préfentement.
On ne peut trop louer l'exactitude de
l'Auteur , qui eft ordinairement
la marque
la plus sûre du débit de l'ouvrage .
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
L'USAGE des Eaux de Barreges & du
Mercure pour les écrouelles , ou differtation
fur les tumeurs fcrophukufes , qui a
remporté un prix à l'Académie Royale de
Chirurgie en 1752. Gratuler Baïs noftris ,
fi quidem falubres facta funt. Cicer . Ep. famil.
lib. 9. A Paris chez Debure l'aîné quai
des Auguftins 1757.
On attaque dans cette differtation deux
préjugés qui fe font malheureuſement gliffés
dans la Médecine & dans la Chirurgie ;
le premier que le mercure ne convient pas
pour les écrouelles , ni pour les tumeurs
fcrophuleufes ; le fecond , que les eaux
minérales telles que celles de Barreges , font
nuifibles à cette maladie & à fes fymptômes
extérieurs. Ces deux préjugés nous
ont paru folidement combattus , & l'approbation
des premiers maîtres de l'art qui
ont couronné la piece en devient un bien
favorable pour le fentiment de l'Auteur.
Nous nous empreffons d'annoncer le
tome premier de la Topographie de l'Univers
, par M. l'Abbé d'Expilly , ci - devant
Secretaire d'Ambaffade de Sa Majefté Sici
lienne , & enfuite examinateur & auditeur
général de l'Evêché de Sagone. Premiere
partie. Ce volume fe délivre à Paris,
chez Bauche , quai des Auguftins , 1757;
NOVEMBRE. 1757 . 77
Nous allons joindre à cette indication le
profpectus de ce grand ouvrage qui formera
25 ou 30 volumes , & contiendra
400 cartes ou environ.
Il eft de l'homme de chercher à fe connoître.
Cette étude eft un devoir d'Etat.
L'homme penfe , il juge , il décide. Et
fur quoi ? Sur autrui . Mais quel jugement,
quelle décifion portera- t'il , s'il ne fe connoît
point lui- même ?
Inutilement l'homme cherchera - t'il à fe
connoître , s'il ne réfléchit que fur luimême
, s'il n'établit point une comparaifon
entre la fupériorité qu'il s'attribue , &
l'infériorité qu'il dédaigne.
Le tableau que je poffede eft admirable
à mes yeux , parce que je le trouve infiniment
plus beau que beaucoup d'autres dont
le degré de perfection enlevoit le fuffrage
du public & le mien .
Il n'eft point de jugement qui ne fe faffe
par comparaiſon . La vertu ne nous paroît
telle , que parce qu'elle eft à préférer en la
comparant au vice.
Par conféquent pour nous connoître
nous-mêmes en particulier , cherchons à
connoître les autres en général . Mais quels
moyens plus propres pour remplir cet objet
, que de voir , de confidérer le plus
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft poffible des tableaux où foient repréfentés
nos femblables ?
La Galerie de l'Univers , où font expo→
fés les tableaux des différens individus qui
compofent le Genre humain , eft ouverte
à tout le monde ; mais il n'eft pas donné
à un chacun de la parcourir.
Des Citoyens utiles , dont le zele eſt à
louer , fe font donné la peine de copier
ces différens tableaux , & les ont exposés
aux yeux du Public , afin que chacun pût
s'y reconnoître , & y difcerner la prééminence
à laquelle il prétend. Ce travail
a-t- il eu le fuccès auquel on s'attendoit ?
Il n'eftpoint en Europe de Nation où ne
fe foient trouvés des fujets qui ont entrepris
de peindre les avantages & les contraires
de chaque pays , les vertus & les
vices de leurs habitans . Quel eft celui qui
y a bien réuffi ?
Une foule de Géographies ( defcriptions
de la Terre ) ont inondé l'Europe , furtout
dans ces derniers , temps. Quelle est
celle qui eft à préférer ? Quelle eft la
bonne ?
Eh y en a t'il aucune de ces Géographies
fur laquelle on puiffe compter ? Quelle
eft-elle ? Pour moi , je trouve qu'elles
fe font prefque toutes copiées les unes les
NOVEMBRE. 1757. 79
autres. Par conféquent les premieres étant
remplies d'erreurs , celles qui les ont fuivies
n'en font pas exempres non- plus. A
cela on doit ajouter que les dernieres font
d'autant moins exactes , qu'en nous repréfentant
, d'après les premieres , l'Europe
par exemple , telle qu'on la peignoit , il
y a cinquante ans , c'est la métamorphofer
d'une maniere encore plus étrange
qu'on ne faifoit alors , parce que depuis
cinquante ans la face de l'Europe a totalement
changé.
En effet , quel eft l'homme inftruit qui
reconnoîtroit l'Italie & l'Espagne , la France
même dans la Géographie de D. Vaiffette
, & dans celle de Hubner ?
Mais ce n'eft point une critique qui fait
mon objet. Je laiffe ce foin à ceux qui ont
un intérêt particulier de le prendre. Avertir
que l'on ſe tienne fur fes gardes , c'eft
tout ce que je puis faire. Quelque perfuadé
que je fois des devoirs de fociété qui lient
tous les hommes les uns aux autres , je ne
vois rien qui m'oblige plus qu'au confeil :
trop heureux d'ailleurs , fi ma propre expérience
peut être de quelque utilité au
Public qui m'eft cher.
Des voyages réitérés que j'ai faits dans
prefque toutes les parties de l'Europe , fur
les côtes d'Afrique & ailleurs , m'ont mis
Div
80 MERCURE DE FRANCE:
à même de voir bien des chofes , & de
pouvoir enfuite les rapporter avec affurance..
Delà je formai le projet que j'exécute
aujourd'hui .
Je ne m'étendrai point fur le plan que
je me fuis propofé , parce que je ne fçaurois
mieux le faire connoître qu'en indiquant
la premiere partie de mon Ouvrage
, qui vient d'être imprimée. D'ailleurs
le titre de mon Livre annonce affez. Il me
fuffica de dire que toutes les autres parties
de ma TOPOGRAPHIE feront traitées de la
même maniere que la partie d'Allemagne
& l'Evêché de Munfter , qui paroiffent en
même temps que mon avertiffement . Je
fuivrai conftamment la même méthode .
Des cartes devoient accompagner cette
premiere partie. Elles n'ont pu être prêtes .
Je les joindrai à la feconde partie qui ter
minera le premier volume .
Chaque volume fera de 500 pages d'impreffion
ou environ , même format , même
papier & même caractere que le premier.
Dix cartes au moins ( toutes de ma
façon ) fe trouveront à la fin de chaque volume
. En achevant le premier , je donnerai
la préface qui eft d'ufage , & j'y ajouterai
une introduction très étendue , qui
comprendra toutes les définitions qui appartiennent
à la Géographie , &c.
0:
Fer
T20
PIE
NOVEMBRE . 1757 .
La feconde partie paroîtra inceffam :ment ,
On ne languira point après les autres.
·
RÉFLEXIONS chrétiennes fur les grandes
vérités de la foi , & fur les principaux
Myſteres de Notre Seigneur. Nouvelle
édition augmentée de deux méditations
l'une fur la confeffion , l'autre fur la communion
pafcale. A Paris , chez Debure l'aîné
, quai des Auguftins , 1757. Prix 3 liv.
8 f. relié.
LA pratique univerfelle pour la réno
vation des terriers & des droits feigneuriaux
, tome cinquieme, chez Giffey, rue de
la vieille Bouclerie , à l'arbre de Jeffé .
Nous avons annoncé dans nos journaux
précédens , l'utilité des quatre premiers
volumes de cet ouvrage , qui eſt également
néceffaire aux Seigneurs ainſi qu'à
leurs Vaffaux , jufticiables & cenfitaires ,
parce qu'ils établiffent les droits des Premiers
, & les cas où ils leur font dûs , &
enfeignent aux derniers ce qu'ils doivent
& ne doivent pas , en leur fourniffant les
éclairciffemens fuffifans pour éviter ce qui
leur eft demandé , fouvent par des Fermiers
avides , en voulant faire revivre des
droits éteints par prefcription , affranchif
fement ou autrement , & ce , à l'infçu des
Seigneurs mêmes ..
DV
82 MERCURE DE FRANCE.
. Ce dernier volume raffemble parfaite
ment les inftructions qu'il eft néceffaire de
fçavoir & de pratiquer pour le gouvernement
d'une terre feigneuriale , foit pour la
régie d'icelle , en choififfant un régiffeur tel
qu'il eft enfeigné , ou foit que l'on l'afferme
à un Fermier général , & dans l'un & l'autre
cas ce qu'il convient faire pour les
améliorations de la culture des héritages ,
qui compofent la Seigneurie tant en prés
qu'en eaux , ééttaannggss , terres , vignes &
bois.
Et afin qu'un Seigneur ou fon Fermier
profite de tous les avantages de fa terre ,
l'Auteur a traité dans ce cinquieme tome
des baux à ferme , tant des baux généraux
que des particuliers & baux à loyer en tout
genre ; objet d'autant plus utile , qu'au
cun Auteur n'a jufqu'ici traité cette matiere
intéreffante pour le public , & qu'il
a diftribuée par queftions féparées , enforte
que chacune fe trouve décidée par
la jurifprudence des Arrêts les plus récens
; ce qui fera d'un très- grand fecours ,
& évitera les conteftations qui peuvent
naître à ce fujet. Le premier chapitre traite
des baux généraux , des terres feigneuriales.
Le fecond contient les obligations du
Seigneur propriétaire envers fon Fermier ;
Sa
10
CL
と
NOVEMBRE. 1757. $ 3
les hypotheques à lui acquifes fur fes biens;
fa préférence pour le paiement du prix de
fon bail & fes priviléges.
Le troifieme chapitre fait le détail des
obligations du propriétaire envers le locataire
, enſemble de fa préférence & de
fes privileges pour les loyers , & les cas
où il a droit de reprendre fa maifon pour
l'occuper lui- même .
Le quatrieme chapitre contient les engagemens
& obligations d'un Fermier &
locataire ; le détail des entreriens & ré- .
parations locatives ; à quoi chacun d'eux
eft tenu pour les maifons, bâtimens & tous
autres genres de biens , foit à la ville , foit
à la campagne ; & dans ce même chapitre
l'Auteur a traité des baux à chetel de beftiaux
, & des cas où le Fermier eft réf
ponfable de la perte d'iceux par cas fortuit
, mortalité & autrement.
Le régiffeur & le fermier trouveront
dans le chapitre V tout ce qui leur eft néceffaire
pour faire une perception exacte
des droits feigneuriaux tant annuels que
cafuels , & la maniere de tenir réguliérement
une liéve , cuilloir , ou regiftre de
recette capable de faire foi dans tous les
temps , d'affurer les droits du Seigneur , &
d'en empêcher la prefeription.
Le chapitre VI eft compofé du droit
Dvj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
fingulier qu'ont les Seigneurs en différens
cas de percevoir fur leurs vaffaux & cenfitaires
, une année du revenu des héritages.
tenus en fief ou en cenfives de leurs feigneuries
, tels que le droit de rachat , relief
, marciage , déport , & autres de différens
noms ; les terres où ces droits font
dûs , & la maniere de les percevoir.
Enfin le dernier chapitre contient une
inftruction générale fur les différens droits
généraux des feigneuries pour pouvoir les
exercer bien exactement , à laquelle eft
jointe une pareille inftruction fur les lods
& ventes dans tous les cas où ils font dûs.
& où ils ne font pas dûs , avec un état des
privilégiés qui en font exempts dans les
mouvances du Roi , ainfi que pour ce qui
concerne les échanges & permutations : letout
eft accompagné de modeles de toutes
fortes d'actes néceffaires pour tous les dif-.
férens objets que renferme ce volume ,
& qui paroît ne rien laiffer à defirer foir
aux Seigneurs, foit aux vaffaux cenfitaires ,.
jufticiables & particuliers , & même au
Public.
DICTIONNAL RE , ou Traité de la police
générale des Villes , Bourgs , Paroifles &
Seigneuries de la campagne ; par Mc Edme
de la Poix - Fré minville , Bailli du Marqui
NOVEMBRE . 1757:
Eat de la Pailliffe , chez le même Libraire.
Cet ouvrage eft d'un Auteur connu par
le Praticien univerfel des terriers & droits
feigneuriaux , dont il vient de mettre au
jour le cinquieme tome , Auteur dont on
ne peut affez faire l'éloge par les inftructions
qu'il a données aux Seigneurs & au
Public , fur les droits de chacun d'eux . Ce
Dictionnaire eft un affemblage de tout ce
qui eft néceffaire d'obferver & faire pratiquer
dans tout le Royaume pour le bon
ordre ; ouvrage concis fur chaque mot &
terme , qui en expliquant ce qui eft ordonné
ou défendu , rapporte les ordonnances ,
arrêts & réglemens qui le prefcrivent , da
maniere que les Officiers chargés de cette
partie, ayant cet ouvrage , n'auront pas befoin
de recourir à d'autres livres , ni de
faire aucunes recherches pour s'autorifer à
fe mettre en regle fur tout ce qui leur eft
dévolu . Les pieces que cet Auteur y a
rapportées , ferviront à tous les Officiers
de Police de modeles foffifans & bien épurés
pour tout ce qu'ils auront à faire , foir
dans les plaintes & remontrances ,
& prononcés
fur chaque différent objet , ce qui
ne peut être qu'infiniment utile , furtoutà
des Officiers de Police fouvent éloignés»
des grandes villes , & fans fecours de livres
& de confeils .;. enforte que cet ouvrage
86 MERCURE DE FRANCE.
qui fe trouve unique fur cette matiere , par
la précifion & la pratique qu'il enfeigne ,
eft un livre des plus intéreffans par le raffemblage
des réglemens de police fur la
religion , la juftice , la fociété & le commerce
; objets des plus intéreffans pour
l'état , dans lequel cet Auteur n'a rien obmis
pour prouver combien les Seigneurs
grands & petits , font intéreffés à faire exécuter
rigidement la police dans leurs terres
pour y maintenir le bon ordre , y faire ré- ›
gner & refpecter la religion , la paix , la
juftice ; y entretenir la fubordination , &
à faire fleurir le commerce & les arts.
SUITE du moyen d'apprendre sûrement
&facilement les Langues.
QUELQUES-UNS de ceux qui ont confeillé
la voie de la traduction , n'ont pas
été affez refervés fur le choix des livres
dont il faut fe fervir. Le latin des Anciens
eft fixe , immuable , beau. Le nôtre eft fi
peu sûr. Pourquoi lui préférer ce dernier ?
Quand on a befoin de modeles , & qu'on en
a à choisir , il eft naturel de s'attacher aux
plus parfaits. Stultiſſimum credo ad imitandum
non optima quaque exemplaria proponere.
Plin. l. 1 , ep. s ad Voconium .
Les tours latins d'Erafme , de Manuce ,
NOVEMBRE. 1757 . 87
de Cordier & d'autres Ecrivains modernes
font eftimés : cependant ce ne font jamais
que des copies.Le ftyle le plus parfait d'un
Auteur qui écrit dans une autre langue que
la fienne propre , ne fera jamais un modele
pour bien enfeigner la langue qui lui
eft étrangere ; ce ne fera toujours qu'une
copie , & les copies des copies vont toujours
en baiffant. Il en eft des langues comme
de la peinture : on n'apprend bien la
peinture qu'en s'exerçant d'après les originaux
mêmes. Quand il s'agit de mettre
des Auteurs dans les mains des jeunes
gens , non feulement il faut choifir les
meilleurs ; mais il faut encore choifir les
endroits de leurs ouvrages , fuivant l'avis
de Quintilien , liv. 1 , c. v : Non Autores
modo , fed etiam partes operis elegeris .
き
Autres abus lorfque nous exigeons
d'un enfant , d'étudier une leçon de rudiment
, ou une demi- page d'Auteur qu'il
n'entend point , ou il ne l'apprend pas ,
parce qu'il n'y a rien de fi difficile & de
fi dégoûtant que d'étudier par coeur ce
qu'on n'entend pas , ou il l'apprend de
travers ; ce qui lui fait beaucoup plus de
mal que de bien. Pour avancer par la méthode
propofée , il ne s'agit que de faire
lire comme il eft marqué dans l'avertiffement
de l'introduction. Ce n'eft qu'à force
88 MERCURE DE FRANCE .
de lectures réitérées , que les enfans retiennent
par coeur ; ils apprennent par-là
fans répugnance tout ce qu'on veut.
Quand on eft affez heureux pour infpirer
le goût du travail & de l'application
aux jeunes gens , tout eft gagné ; & pour
arriver à ce point , il y a divers moyens
entre lefquels on met avec fuccès le plaifir
à la place de la trifteffe , en leur applaniffant
le chemin , & en écartant de leur
étude tout ce qui peut les chagriner . Ce
feroit une barbarie que de les condamner
à avoir continuellement de la peine , fans
quelque récompenfe qui les foutienne dans
leur travail , & le leur rende agréable . On
peut affurer que c'eft-là le moyen le plus
efficace ; mais il faut les mettre à portée
de mériter ce falaire : demandez- leur plus
qu'ils ne peuvent fournir , ils fe découragent
.
On leur promet des récompenfes pour la
fin d'une année , il eft vrai ; mais ils ne
voient pas les chofes de fi loin . Le bien
préfent ou qui eft proche , a bien un autre
pouvoir fur eux . Ceux qui fentent leur
foibleffe défefperent & ne font plus d'effort,
& c'eft communément le plus grand nombre
: il faudroit donc faire jouer ce reffort
préférablement à tout autre. Un maître
adroit en emploie de toutes les efpeces , &
CO
to
D
fa
ta
DO
te
2
1
NOVEMBRE. 1757. So
il eft aifé d'animer fon auditoire en récompenfant
les efforts fur le champ , tantôt
par de petits éloges , tantôt
par de bonnes
notes dont le nombre étant reglé , celui
qui y parvient reçoit un témoignage
fur un petit quarré de papier , dont il fe
fait honneur auprès de fes parens ; on attache
à ce petit témoignage , des prérogatives
qui en augmentent le prix ; enfin tout
cela peut fe faire fans aucuns frais . Ung
leçon bien récitée doit faire mériter und
bonne note , un devoir bien travaillé , de
même ; une conduite fage & modefte à la
fin de chaque claffe ou d'une femaine pour
plus long délai , ne doit pas refter dans
l'obfcurité. Le maître ayant toujours le
crayon à la main & la lifte de fes auditeurs
par ordre alphabétique , prêt à diftribuer
ce bienfait, aura de la tranquillité ,
& le plaifir de voir les enfans s'animer à
le fatisfaire : ne marquer perfonne que
pour lui faire du bien , & jamais pour des
châtimens que pour des fautes graves. Sur
ce dernier article fi important , il faut lite
avec attention l'admirable morceau que
nous a laiffé un maître du premier ordre
dans le 4º. vol . de fon traité des études.
Un enfant n'a pas rempli fa petite tâche
, on l'oblige à la rapporter par écris
jufqu'à ce qu'elle foit dans l'ordre. Il a
go MERCURE DE FRANCE.
forgé des mots par pareffe , on en rit un
moment, & cette punition fuffit. D'ailleurs
il étoit facile d'éviter cet inconvénient
en les lui enfeignant à haute & intelligible
voix. Quand il fçait tous les mots de fa
compofition , il la travaille avec plaifir. Il
ne faut pas qu'une claffe foit regardée
comme un lieu de fupplice : Ludus eft , non
fupplicii locus. Quoi qu'il en foit , tout maî
tre peut fuppléer à tout ce que nous pourrions
dire fur une telle mariere.
Cette introduction plus courte qu'aucuns
rudimens qui ayent jamais paru , précédée
des premieres notions de la grammaire
françoife , renferme ce qu'il y a de
plus effentiel , pour commencer l'étude de
la langue latine par la voie de la traduc
tion . Elle peut être apprife en peu de tems
fi l'on en fait un exercice fuivi . Un jeune
maître qui n'a pas encore tout l'acquit
qu'on doit fouhaiter pour être utile à des
enfans , fe formera lui- même de jour ent
jour à leur avantage & au fien par cette
méthode. Il n'y a point de charlatanerie :
tout le monde entend , fans aucun effort ,
ce que nous difons . » Se familiarifer avec
les bons Auteurs , à force de les tradui-
>> re , & commencer furtout par la profe ,
qu'il faut cultiver conftamment avant
que d'entamer la poéfie , quelle qu'elle
33
0
F
PE
f
NOVEMBRE. 1757. SI
»foit voilà tout le myftere.
Nous ne prétendons pas pour cela blâmer
ceux qui font affujettis à une pratique
que l'ufage autorife. Il nous en a coûté
pour furmonter nos préjugés , mais quoiqu'on
foit entraîné par le torrent ,
peut , en examinant de près , effayer du
moins de fe mettre en liberté pour un plus
grand bien.
on
La méthode dont il s'agit , n'eft pas
encore une fois une méthode nouvelle ;
ainfi nous ne propofons rien qui ne ſoit
connu , nous préfentons feulement quelques
nouveaux moyens d'en multiplier les
expériences. Ce qu'il y a de certain , fans
fixer le terme des progrès ( car qui peut
fixer ce qui dépend du temps où l'on commence
, & des difpofitions naturelles ? )
c'eft qu'entre un grand nombre d'enfans
différens d'âge , les uns en dix-huit mois
ont été en état d'entrer dans les hautes humanités
, dans les plus célebres colléges ,
& de s'y diftinguer aux compofitions publiques
& particulieres ; les autres en deux
ans ou deux ans & demi , ont franchi toutes
les baffes claffes jufqu'en réthorique , d'où ils
fe font tirés avec honneur , & en fuivant la
même route pour la langue grecque , ils s'y
font trouvés plus avancés que ceux qui
avoient fait jufques -là le tour des claffes,
92 MERCURE DE FRANCE:
Quand les exercices journaliers ne roulent
que fur les bons Auteurs , il faut ab
folument imiter leur langage , & c'eſt un
moyen infaillible de l'entendre & de le
fçavoir. Il n'y a ici ni pleurs , ni fangiots ,
parce que tout ſujet en eft écarté .
Quoi qu'il en foit , les fuccès dont nous
parlons , arrivés dans une infinité d'endroits
, ne permettent plus de douter de
l'efficacité de cette méthode , & l'on feroit
encore bien d'autre chemin dans la
durée du temps des études ordinaires , fi
l'on s'en tenoit à ce feul exercice dès les baf
fes claffes , où les compofitions prématu
rées de françois en latin emportent un
temps infini en pure perte.
Un moyen encore plus court d'apprendre
une langue , feroit de fréquenter ceux
qui la parlent naturellement . Les Romains
alloient à Athenes pour fe perfectionner
dans la langue grecque , après avoir commencé
à l'étudier par la traduction des
bons Ecrivains grecs . On apprend bientôt
l'italien à Rome & le françois à Paris ;
mais on ne parle plus les langues mortes ,
ou bien on les parle mal. Il ne nous refte
donc que les livres avec lefquels nous puiffions
avoir commerce : préférons toujours
les anciens aux modernes , & nous apprendrons
sûrement leurs langues . Nous
évi
le
La
1
E
ta
2
S
cl
NOVEMBRE . 1757.
éviterons aux enfans ce jargon des fervantes
d'hôtelleries dans certains cantons d'Allemagne.
Ce n'eft cependant pas à dire qu'on
puiffe apprendre par la voie propoſée ,
non plus que par aucune autre , la langue
latine en fix mois , en un an , comme quel
ques écrivains fans expérience l'ont avancé.
Il ne faut pas s'imaginer que des raiſonnemens
ou de vaines fpéculations tiendront
lieu de pratique. La pratique eft le
feul moyen de réuffit en fait de langue :
tant qu'on ne fera marcher que des regles ,
avant que de traduire , le chemin fera toujours
long ; on n'arrivera pas , ou l'on
n'arrivera de longtemps : longum iter eft
per præcepta , breve & efficax per exempla.
Sen. Ep. VI Lucilio.
Comme l'étude des langues eft un méchaniſme
, car c'eft ainfi qu'il faut entendre
la méchanique des langues , qu'on
nous permette une comparaifon prife dans
les arts & métiers. Un menuifier ne commence
pas par enfeigner la définition d'une
moulure à fon apprentif : il lui montre
une moulure , il exécute devant lui , & lui
met de fuite le bois & le rabot entre les
mains : l'apprentif d'abord s'y prend mal ,
puis mieux , puis enfin il n'y manque rien,
Telle eft la progreffion de la nature,
94 MERCURE DE FRANCE.
On peut avoir beaucoup de mérite
fans fçavoir le latin ; mais comme la connoiffance
de cette langue fait aujourd'hui
une différence entre ceux qui ont eu cette
portion d'éducation , & ceux qui ne l'ont
pas eue , iill nn''eenn ccooûûttee pas plus de s'y prendre
bien , que de s'y prendre mal pour
l'acquérir.
Les Militaires , dit un grand homme
» dans un mémoire qu'il a compofé pour le
réglement des études humaines , les Jurifconfultes
, les Eccléfiaftiques 33 les
» Médecins , les Financiers , les Commer-
» çans & bien d'autres n'ont pas beſoin de
» faire des thèmes , des vers , ou des am-
ور
plifications. L'ufage de ces chofes eft renfermé
dans les Colléges , & ne s'étend
" guere hors delà. La plupart de ceux qui
» étudient , en font incapables : à peine en
» trouve - t- on dans cent deux ou trois qui
» réuffiffent. Les autres s'y rompent la tête
5≫0 inutilement , au lieu que les uns pour
30
remplir leur état convenablement , &
» les autres pour leur plaifir , ou pour s'occuper
utilement , ont befoin de fçavoir
»,le latin , & que c'eft la chofe dont ils font
tous le plus généralement capables . »
Pour y arriver , la traduction eft de tou
tes les routes la plus courte & la plus sûre :
on l'a dit & redit cent fois, on l'a démontré,
€2 LS
de
a
de
de
NOVEMBRE. 1757.
95.
on l'a toujours éprouvé avec fuccès . Cicéron,
Pline le jeune & Quintilien , nous apprennent
qu'au défaut de voyager dans la
Grece , pour en fçavoir la langue , on s'occupoit
uniquement à la traduire en latin ,
& à lire continuellement les bons livres ,
par le moyen defquels non - feulement on
l'apprenoit sûrement , mais dans lefquels
encore on fe formoit le goût. Vos, exemplaria
graca nocturnâ verfate manu , verfate
diurna , dit Horace , & ce confeil eft au- .
jourd'hui auffi bon pour la langue latine
que pour la langue grecque.
On ne s'avife pas de dicter des thèmes
pour enfeigner l'hébreu , le fyriaque , ni
même les langues vivantes ; dès qu'on a
quelques idées de la marche des noms ,
des pronoms , des verbes , on fe met à les
traduire. Par quelle fatalité ce joug eft- il
refervé pour la langue latine feule ? Les
larmes , les dégoûts des enfans font autant
de réclamations contre cet ufage , qui les .
oblige de compofer en une langue qu'ils
ne fçavent pas .
Encore deux petites obfervations : la
premiere fur l'art d'enfeigner à traduire.Il y
a , ce femble , quelque inconvénient à faire
faire la conftruction du latin aux enfans :
c'eft fuppofer qu'ils fçavent la fignification
des mots , & qu'ils ont une pleine
6 MERCURE DE FRANCE.
connoiffance de la grammaire , fans quoi
il leur eft impoffible de faire cette prétendue
conftruction . On demande donc
encore plus qu'ils ne peuvent.
Une phrafe latine d'un Auteur ancien ,
encore une fois , eft un petit monument
d'antiquité. Si vous décompofez ce petit
monument pour le faire entendre , au lieu
de le conftruire , vous le détruiſez : ainſi
ce que nous appellons conftruction , eft
réellement une destruction ; car comme
il n'eft pas indifférent de dire en profe
françoife , une fanté bonne , pour une bonne
fanté , de niêine on ne difoit pas indifféremment
en profe latine à Rome : va
letudo integra , pour integra valetudo . Nous
ne difons pas indifféreniment , de vos nou
velles avec impatience j'attends , pour j'atrends
de vos nouvelles avec impatience : auffi
ne difoit- on pas indifféremment à Rome ,
expecto vehementer tuas litteras , pour tuas
litteras vehementer expecto . Cic. &c.
Un jeune François bien affuré de la fignification
des mots , rétablira fans fecours
ces phrafes dans le genre de fa langue ,
& dira fans hésiter : une bonne fanié : j'atrends
de vos nouvelles avec impatience , &
celui qui fera familiarifé avec les Auteurs
de la belle latinité dira de même , fuivant
le génie de la langue latine , au ton de
laquelle
1
Ε
J
NOVEMBRE . 1757 .
laquelle fon oreille fera montée , integra
valetudo : tuas litteras vehementer expecto.
La langue latine eft faite : on doit donc
commencer par l'entendre & l'apprendre
telle qu'elle eft ; on n'y arrivera pas en la
bouleverfant. Ce n'eft pas à dire qu'il ne
faille pas accoutumer les enfans à connoître
le nominatif d'une phrafe , le verbe ,
le régime , & ce qui tient à ces trois termes
principaux , mais fans les déranger
de leur place , parce que tel eft le génie
de la langue . On n'écrira , ni on ne parlera
jamais bien latin , qu'autant qu'on
imitera les bons Ecrivains des beaux fiècles.
Pour cela il faut , pour ainfi dire , s'identifier
avec eux à force de les lire , de les
relire & de les feuilleter. Avancer qu'on
écrit & qu'on peut parler en leur langue
auffi bien & même mieux qu'eux , eft une
propofition infoutenable ; mais laiffons-là
cette question qui nous eft étrangere , il
s'agit ici du moyen le plus propre pour
apprendre la langue latine , ou par les regles
ou par la voie de la traduction .
Par la premiere voie , outre la fauffeté
de ces règles dont nous avons apporté
quelques preuves , auxquelles nous nous
fommes bornés pour éviter une lecture
trop ennuyeufe , nous avons compté dans
la fyntaxe du rudiment deux cens de ces
E
98 MERCURE DE FRANCE.
regles , & quatre cens dans la méthode ;
ce qui en fait fix cens non comprifes les
exceptions qui montent à prefque autant.
Eft- ce tenir à la raifon , que de demander
à des enfans l'étude d'une logique auffi
compliquée ? Par la feconde voie , c'eſtà
dire par la traduction , il n'y a qu'une
douzaine de maximes par le moyen defquelles
on rend compte de la ftructure
grammaticale de toute la langue latine ,
comme l'ont démontré Sanctius dans fa
minerve & Scioppius dans fon mercure.
Qu'on juge après cela quel eft le chemin
le plus court.
La derniere obfervation qui nous refte
à faire en conféquence de ce que nous
avons éprouvé , c'eft de fe garder ſurtout
d'employer les interlinéaires. L'expérience
en a montré l'abus . Les enfans jettant les
yeux fur la traduction toute faite , ne tienment
plus compte de rien , & d'ailleurs
le texte étant difloqué , comme il l'eft dans
ces fortes de livres , il n'y a plus moyen
de former le goût , ni de procurer le ſentiment
qu'on doit avoir de l'harmonie de
la langue qu'on veut enſeigner.
Quoi qu'il en foit , il paroît conſtant
par ce qu'on vient de voir , qu'on peut apprendre
les langues mortes par la voie de
la traduction , plus facilement , plus agréa
blement & en moitié moins de temps qu'on
NOVEMBRE . 1757. ୨୭
n'en met à les apprendre par la voie de
la compofition . Les maîtres des hautes humanités
, au lieu de paffer le temps à corriger
des follécifies , enfeigneroient nonfeulement
l'éloquence avec plus de fuccès ,
mais encore tant d'autres chofes utiles , fi
on ne leur envoyoit que des jeunes gens
qui entendiffent bien les langues grecque
& latine ; ce qui eft très - poffible en les
commençant dès les premiers pas par la
voie de la traduction.
Cette introduction & les autres ouvrages
qui la précédent & qui la fuivent , ont
un tel rapport les uns avec les autres , qu'ils
forment un cours d'étude complet depuis
l'ABC jufqu'aux humanités , dont on peut
faire fucceffivement l'expérience , en commençant,
pour enfeigner à lire, par une boîte
compofée de quatre jeux élémentaires de cartes
à jouer, imprimées, & de l'expofition de la
méthode & de la maniere de s'en fervir , qui
fe vend à Paris 6 liv . chez M. Chompré ,
des Carmes .
Le Bureau d'Imprimerie de la groffeur &
de la forme d'un volume in -folio , relié en
parchemin verd , fous le titre de Bibliotheque
des Enfans , contenant auffi l'expofition
de la méthode & les jeux élémentaires cideffus
, fe vend 24 liv . chez le même.
Quant à ce qui concerne les études
E ij
FOO MERCURE DE FRANCE.
latines , on trouve chez Guerin & Dela
tour , Libraires Imprimeurs à Paris , rue
Saint Jacques , à S. Thomas d'Aquin , le
moyen d'apprendre sûrement & facilement
les Langues. Brochure in - 12 , qui fe vend
12 fols . Enfuite l'Introduction à la Langue
Latine par la voie de la traduction , qui a
donné lieu à ce qu'on vient de lire , reliée
en parchemin , 18. fols.
Chez les mêmes , le Recueil des extraits
des Auteurs Latins , in- 12 en fix parties ,
fous le titre de Selela Latini fermonis exemplaria
, &c. Chaque partie féparément reliée
en parchemin , 1 liv. 10fols . La Traduction
Françoife de chaque partie de
ces modeles de latinité , auffi féparément
en brochure , liv. 16 fols.
*
Le Vocabulaire univerfel , Latin- François,
contenant tous les mots de la latinité des différens
fiecles , & c. in- 8 ° . relié en veau ,
1 liv , 10 fols.
< Chez Defaint & Saillant , Libraires , rue
S. Jean de Beauvais , le Dictionnaire abrégé
de la Bible , petit volume in - 12 ; & le Dictionnaire
abrégé de la Fable pour l'intelligence
des Poëtes , & pour la connoiffance des rableaux
& desftaincs , &c. auffi petit volume
-12. Chaque vol. féparément 2 1. 10fols.
Toute cette collection eft affez connue
pour engager les Maîtres à joindre la prati
e à la théorie.
F
t
S
E
f
0
NOVEMBRE. 1757. 101
MEMOIRES pour fervir à l'hiftoire unierfelle
de l'Europe , depuis 1600 jufqu'en
1716 , avec des réflexions & remarques
critiques ; par le P. d'Avrigny, de la Com-.
pagnie de Jefus : nouvelle édition , cinq
volumes. A Paris , chez Guerin , & Delatour
, rue S. Jacques , 1757.
Dans cette nouvelle édition , outre plufieurs
additions confidérables , l'on a fuppléé
à quelques omiffions qui étoient
échappées à l'auteur , & l'on a corrigé fon
texte lorfqu'il s'eft trouvé défectueux ; car
quoiqu'il foit ordinairement très- exact , il
s'eft trompé quelquefois , ainfi que l'a remarqué
l'auteur de la nouvelle hiftoire de
Louis XIII , imprimée en 1756. On a profité
de fes remarques pour corriger quel
ques fautes qu'il a eu occafion de relever
dans fes Mémoires.
f
Les tomes X , XI & XII de l'Hiftoire
du Dioceſe de Paris , contenant les paroiffes
du Doyenné de Montlhery , avec un
détail circonftancié de leur territoire , &
le dénombrement de toutes celles qui y font
comprifes enfemble ; quelques remarques
fur le temporel defdits lieux; par M. l'Abbé
le Beuf, de l'Académie des Infcriptions &
Belles- Lettres , fe debitent actuellement ,
à Paris, chez Pranlı pere , quay de Gêvres.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE PUBLIQUE
Del'Académie des Belles Lettres de Marfeille
, tenue dans la grande falle de l'Hôtel
de Ville , le 25 Août , jour de Saint
Louis 1757-
L'AC ' ACADÉMIE des Belles - Lettres de Marfeille
a tenu fon Affemblée Publique dans
la grande falle de l'Hôtel de Ville , le 25
Août , jour de S. Louis 1757 , à laquelle
a préfidé :
M le Duc de Villars , fon protecteur
Pair de France , Grand d'Efpagne , Gouverneur
de Provence , Brigadier des Armées
du Roi , l'un des quarante de l'Académie
Françoife..
Il a ouvert la féance par un difcours
abrégé , qui a amené celui de M. le Directeur.
M. de Porrade , Directeur , a prononcé
un difcours fur l'hiftoire de Marſeille ,
fur les inconvéniens à éviter , & les
moyens à prendre pour la compofer avec
fuccès.
On a lu l'Ode couronnée , .dont le fujer
eft la conquête de l'Ifle Minorque , &
l'Auteur , M. Barthe fils , de Marfeille ,
étudiant en droit en l'univerfité de Paris ,
NOVEMBRE. 1757. 103
qui avoit déja remporté le prix de poéfie
en l'année 1755 +
M. Barthe , Pere de l'Auteur , s'eft préfenté
à l'Académie , a prononcé un remerciment
, & a reçu le prix , pour fon fils , de
M. le Duc de Villars.
M. Raimond , Docteur & Médecin
agrégé au College de la faculté de cette
Ville , & l'un des Membres de l'Académie
, a lu une differtation fur les effets que
la différence des climats , produit fur le
tempérament , & en particulier fur ceux
qu'y produit celui de Marfeille.
La Séance a été terminée par la lecture
d'un difcours en vers , fur la générosité ,
compofé par un des Affociés de l'Académie.
L'Académie a donné pour fujet d'éloquence
de l'année prochaine 1758 : PESprit
dejuftice affure la gloire & la durée des
Empires.
Le prix qu'elle décerne , eft une médaille
d'or de la valeur de 300 liv . portant
d'un côté le Bufte de M. le Maréchal
Duc de Villars , fondateur & premier prorecteur
de l'Académie , & furle revers ces
mots environnés d'une couronne de laurier
: Premium Academie Maffilienfis.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages ; mais une fentence tirée
E iy
104 MERCURE DE FRANCE.
de l'écriture fainte , des Peres de l'Eglife ,
ou des Auteurs profanes : ils marqueront à
M. le Secretaire une adreffe à laquelle il
enverra fon récépiffé .
On les prie de prendre les mesures néceffaires
pour n'être point connus avant la
décifion de l'Académie , de ne point ûgner
les lettres qu'ils pourront écrire à M.
le Secretaire , de ne point lui préſenter
eux- mêmes leurs ouvrages , en feignant de
n'en être point les Auteurs , ni fe faire
connoître à eux ou à quelqu'autre Académicien
, & on les avertit que s'ils font
connus par leur faute , leurs ouvrages
feront exclus du concours , auffi bien
que tous ceux en faveur defquels on aura
follicité , & tous ceux qui contiendront
quelque chofe d'indécent , de fatyrique ,
de contraire à la Religion ou au gouvernement.
L'Académie en priant les Auteurs de ne
pas fe faire connoître , doit auffi les avertir
de fe précautionner contre le zele indif
cret , qui , en follicitant pour de bons ouvrages
, les expofe à être exclus du concours.
C'eſt trahir un ami que de le nommer
dans cette occafion , & il fuffira qu'un
Auteur , avant la décifion de l'Académie ,
foit connu dans le Public , par la dévife
qu'il aura prife , pour qu'on fuive à fon
NOVEMBRE . 1757. ·105
égard avec rigueur , la loi qu'on s'eft impofée.
On en ufera de même envers les Auteurs
plagiaires lorfqu'ils feront decouverts
; & à moins que l'ouvrage ne foit
abfolument mauvais , l'Académie le fera
imprimer en défignant les endroits qui auront
été pillés. Elle s'eft contentée jufqu'à
préfent d'exclure ces ouvrages du concours
, & elle feroit obligée à regret de
les traiter à l'avenir avec moins d'indulgence.
On adreffera les ouvrages à M. de Chalamont-
de la Vifclede, Secretaire perpétuel
de l'Académie des Belles- Lettres de Marfeille
, rue de l'Evêché. On affranchira les
paquets à la pofte , fans quoi ils ne feront
point retirés. Ils ne feront reçus que jufqu'au
premier Mai inclufivement,
L'Académie n'exige qu'une feule copie
des ouvrages qu'on lui envoie ; mais elle
la fouhaite en caracteres bien lisibles , &
point trop menus' , & avertit les Auteurs
qu'ils perdent beaucoup , quand l'efprit
eft obligé de fe partager entre l'attention
qu'exige une lecture pénible , & l'impreffion
que doit faire fur lui ce qu'il lit.
S'ils fouhaitent que leur nom foit imprimé
à la tête de leurs ouvrages , ils doivent
l'envoyer, avec leurs titres , à une per-
Ev
106 MERCURE DE FRANCE
fonne domiciliée à Marfeille , qui les
remettra à M. le Secretaire , dès qu'on apprendra
que le prix eft adjugé.
L'Auteur qui aura remporté le prix ,
viendra,s'il eft à Marſeille, le recevoir dans
la falle de l'Académie , le 25 Août , fère de
Saint-Louis , jour de la féance publique ,
dans laquelle il eft adjugé ; & s'il eft abfent
, il enverra à une perfonne domiciliée
en cette Ville , le récépiffé de M. le Secretaire
, moyennant lequel le prix fera
livré à cette perfonne.
&&
NOVEMBRE . 1757. 107
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQUE.
LETTRE de M. l'Abbé Jacquin , de
l'Académie des Sciences , Belles- Lettres &
Arts de Rouen ; à M. le Comte de B ***
fur les pétrifications d'Albert , & fur la
carriere de Veaux fous Corbie . ·
?
MONSIEUR ,
ONSIEUR , je croyois avoir épuifé ,
pour ainfi dire , la fameufe carriere d'Al-
, dans les deux Lettres que j'ai eu
l'honneur de vous écrire en 1755 ( 1 ). Je
n'avois même , dans le voyage que je fis
il y a quelque temps dans cette petite
ville , d'autres motifs que d'y choifir quelques
morceaux de pétrifications pour mes
correfpondans : mais quelque perçant que
foit l'oeil d'un curieux attentif , ce n'eft
que par degrés qu'il pénetre les productions
(1 ) Mercure de France , premier volume de
Juin , & fecond volume de Décembre.
Evi
408 MERCURE DE FRANCE.
de la nature. Le moindre objet examiné
de nouveau , ajoute toujours à ces premieres
connoiffances ; les découvertes naiffent
les unes des autres . Quelques fimples que
foient les opérations de la nature , l'enveloppe
dont fon Auteur les a couverts, ne ſe
leve , pour ainfi dire , que par feuillets &
par couches. L'ouvrage d'un inftant pour
le Créateur apprête fouvent des années
d'étude & de travaux à ceux qui , non contens
d'en donner une defcription exacte ,
en veulent encore fonder la caufe & découvrir
l'origine. La patience fera toujours
la vertu du naturalifte : fans elle fes recherches
ne feront que fuperficielles , fes
découvertes incertaines & fes fyftêmes hazardés
avec elle il examinera avec un
nouveau plaifir les objets qui avoient déja
attiré fon attention ; il y retrouvera de
nouvelles faces , il y appercevra des nuances
qui lui avoient échappé . Alors affez
philofophe pour préférer les intérêts de la
vérité à la défenfe de fes propres erreurs ,
il fe fera gloire d'avouer qu'il s'eft trompé
, & il réformera fes premieres opinions.
C'est avec cet efprit philofophique que
je fuis defcendu pour la troifieme fois dans
la carriere d'Albert : toujours prêt à chanyer
le premier fyltême que je vous ai déja
G
C
C
C
C
C
2
F
NOVEMBRE. 1757 . 109
communiqué fur l'origine & fur la caufe
des pétrifications qui y attirent les curieux
de toute part , j'ai tout examiné avec une
nouvelle exactitude : deux découvertes ont
été le fruit , & la récompenfe de mes foins
& de mes recherches . L'accueil favorable
que vous avez fait aux premieres , vous
donne , Monfieur , trop de droit fur cellesci
, pour ne pas vous les offrir : vous jugerez
facilement du nouveau degré de lumiere
qu'elles donnent à mes premieres
differtations.
10. Depuis mon dernier voyage d'Albert
, le propriétaire de la carriere y a fait
creufer vers le milieu une petite piece.
d'eau . Partons de cette nouvelle opération
, pour examiner les différens objets
qu'elle nous préfente. Premiérement cette
piece d'eau a environ fix pieds de profondeur
, & l'eau y eft à peu près à deux pieds
au deffous du rez- de- chauffée de cet endroit
de la carriere . Par- là , il eft facile de
voir que l'eau s'y trouve au même niveau
que dans le puits du fieur Décalogne , &
que , par une conféquence naturelle , cette
carriere a environ 35 pieds de profondeur,
comme je l'ai prouvé ailleurs .
Secondement , l'eau y eft très - belle &
très - limpide les poiffons s'y dégorgent
parfaitement , mais fans y prendre d'ac-
D
110 MERCURE DE FRANCE,
croiffement. Le fieur Décalogne y a même
confervé pendant plus d'un mois des écreviffes
renfermées dans un panier ; cependant
cette eau eft chargée d'une infinité de
corpufcules pierreux. Deux expériences
m'en ont affuré ; la premiere , c'eft l'ébullition
qui donne autour d'un vaſe verniffé
, une couche de pierre affez confidérable
. J'ai tiré la feconde du panier d'ofier ,
dans lequel le propriétaire avoit mis les
écreviffes dont nous venons de parler.
Quoique ce panier ne foit refté dans cette
eau qu'environ un mois , il fe trouve couvert
& incrufté dans toute fa furface d'une
petite pellicule pierreufe adhérente aux
pores de l'ofier.
Troifiémement , cette eau contient auffi
plufieurs parties d'un fel terreftre , qui fe
manifefte au goût , & qui fe découvre par
fa décompofition .
En quatrieme lieu , en examinant dans
la tranchée qu'il a fallu ouvrir pour for
mer cette piece d'eau , les différentes couches
de terres , j'ai trouvé un lit de tourbe
d'une condenfité particuliere , & beaucoup
meilleure que celle qu'on tire plus
près de la furface de la terre . Cette tourbe
eft cependant de la même nature que celle
qui croît ( comme je le dirai dans une
Differtation particuliere ) dans les marais
To
Co
de
Ce
P
1ed
f
ce
Cu
F2
P
6
NOVEMBRE . 1757. FIT
qui avoifinent la plupart des rivieres.
Toute la différence qui caractériſe celle- ci
confifte dans fa maturité & dans fa condenfité.
Cette derniere qualité n'eft même
que l'effet de fa fituation : placée à plus
de 36 pieds de profondeur , la charge fupérieure
des pierres & des terres l'a affaiffée
, & lui a donné cette dureté qui fera
toujours pour la tourbe un degré de perfection
.
Mais quelle preuve pour mon fyftême
fur l'origine des pétrifications d'Albert que
ce lit de tourbe ! qui peut nier à préfent
que le marais ne régnât autrefois fous la
maifon du fieur Décalogne ! qui n'apperçoit
parconféquent que la carriere eft l'ouvrage
d'un remuement confidérable de terre , &
qu'elle date du temps où l'on ajetté une
partie de la colline fur cet endroit du marais
, afin de bâtir le fort & la ville d'Albert
? Ce n'eft que dans les vallées les plus
baffes , ou , pour mieux dire , dans les ma
rais feuls qu'on trouve la tourbe ; jamais
il n'y en eut fous les montagnes , & à plus
forte raifon dans les carrieres ordinaires . Il
y en a cependant dans celle du fieur Décalogne
: parconféquent fous cette carriere
exiftoit autrefois une continuation du marais
, qui s'étendoit jufqu'au bord de la
colline. La carriere du fieur Décalogne:
112 MERCURE DE FRANCE .
n'est donc , ou que l'ancien lit de la riviere
, ou qu'un foffé creufé dans le marais
, qui a été comblé depuis par le tranfport
des terres. Les rofeaux & les autres
herbes pétrifiées qui s'y trouvent , ne font
que les mêmes rofeaux qui couvroient , ou
du moins qui bordoient cette riviere on
ce foffé. C'est ce qu'on peut facilement
remarquer par leur fituation , & par la brifure
que ces rofeaux ont foufferte dans l'affaiffement
des terres. Les eaux chargées de
corpufcules pierreux qu'elles détachoient
des terres blanches nouvellement remuées ,
en parcourant tout cet efpace , fe font dépofés
dans les pores de ces herbes ; ce qui
les a ainfi métamorphofés en pierres.
Mon opinion acquerra encore de nouveaux
degrés de folidité & de clarté , fi ,
après l'examen de la carriere de pétrification
du fieur Décalogne , on paſſe dans les
foffés de la ville . On y découvrira , furtout
derriere la maifon de M. Bertrand ,
des rofeaux & d'autres herbes pétrifiées ,
d'une auffi belle confervation que les pétrifications
du fieur Décalogne . D'où il eft
aifé d'inférer que partout où il y a eu dans
l'ancien marais des rofeaux , foit dans l'ancien
lit de la riviere , foit dans quelque
foffé particulier , partout ils fe font pétrifiés
par le même jeu de la nature. Cette
déc de
cea
CO
pe:
JKIEJ JERSA
fai
13
S
NOVEMBRE. 1757. 113
découverte ne fera pas au refte inutile à
ceux qui voudront fe procurer , fans beaucoup
de dépenfe , des morceaux de ces
pétrifications , fans paffer par la monopole
du fieur Décalogne . Il eft donc conſtant à
préfent , Monfieur , par les nouvelles lumieres
que nous fournit la découverte de
la tourbe fous les pétrifications d'Albert ,
que cet effet fingulier n'a d'autre caufe
que le remuement des terres , que les premiers
Seigneurs d'Albert ont été obligés de
faire environ en ( 1 ) 1100 , pour voir la
colline , y élever le fort , & y conftruire
la ville.
2º. La feconde découverte n'eft pas
moins intéreſſante que la premiere : j'ofe
même avouer qu'elle peut devenir pour les
curieux une fource de plaifirs qu'il n'eft , il
eft vrai , donné de goûter qu'à ceux qui ,
véritablement touchés des merveilles de la
nature , éprouvent une volupté pure &
innocente , toutes les fois qu'elle veut
bien fe communiquer à eux. A l'entrée de
la carriere , vers l'endroit où le fieur De-
( 1 ) Albert eft au moins du douzieme fiecle ,
puifqu'en 1115 , elle étoit déja en état de fouffric
un fiege , & qu'elle fut prife par Baudouin , Comte
de Flandre , fur Enguérand d'Ancre , qui en étoit
Seigneur , & qui l'avoit fans doute fait bâtir &
fortifier.
114 MERCURE DE FRANCE.
par
Ter
pet
calogne a tiré de la pierre , j'ai entendu un
bruit fourd & régulier. Ayant porté mon
attention du côté d'où venoit le bruit ,j'ai de
apperçu des gouttes d'eau qui , filtrant à
travers toute l'épaiffeur de la carriere ,
coulerent de la partie fupérieure du rocher.
Cette eau eft limpide. Je la foupçonne cependant
d'être la caufe des pétrifications.d
C'eft- elle , fans doute qui , après s'être
chargée pendant tout l'efpace qu'elle eft
obligée de parcourir , d'une infinité de
particules pierreufes , les a dépofées dans
les
corps qui fe font trouvés propres à les
recevoir , tels que les rofeaux , l'argen- de
tine , & c.
Ceux qui font defcendus dans les fouterreins
fameux de l'obfervatoire de Paris,
ont dû remarquer que c'est par une fembla
ble opération , c'est -à -dire par le véhicule
de ces eaux , chargées de corpufcules pierreux
, que le roc dans lequel ces fouterreins
font pratiqués , recroît infenfiblement
par la partie fupérieure , de telle
forte que les routes fe boucheroient , fi de
temps en temps on n'avoit pas le foin d'enlever
ces nouvelles croûtes pierreufes qui
s'y forment par enhaut.
Le peu de temps que je féjournai à Albert
, ne me permit pas d'amaffer aſſez de
ces gouttes d'eau , dont je viens de vous
de
fo
P
NOVEMBRE. 1757. 115
, pour en faire l'analyfe. On en tireroit
certainement une abondance confiparler
,
dérable de particules pierreufes.
Voilà fans doute , Monfieur , le myſtere
découvert voilà la caufe des différentes
pétrifications qui fe trouvent dans la carriere
du fieur Decalogne , & aux environs
d'Albert. J'ai confeillé au propriétaite d'enterrer
fous l'égoût de ces eaux , des morceaux
de bois , des rofeaux & des noyaux
de fruits , &c. Je ferois bien trompé fi
l'on n'appercevoit pas dans un certain efpace
de temps , quelque commencement
de pétrifications fur ces différens corps.
Peut- être feroit- il mieux de placer fous ces
écoulentens un baffin , dans lequel on
mettroit les matieres qu'on voudroit faire
pétrifier en aidant ainfi la nature , combien
ne varieroit- on pas fes productions ?
:
Ces deux obfervations ne font pas au
refte , Monfieur , le feul fruit de mon
ouvrage d'Albert. En revenant de cette
petite ville, une nouvelledécouverte fixa encore
mon attention : fi les digreffions font
auffi permiſes aux Naturaliftes qu'aux autres
Ecrivains , vous ne ferez pas fâché
qu'elle trouve ici fa place : l'ecart me paroît
même très- pardonnable , puifqu'il s'agit
encore ici de carriere .
Paſſant , en revenant d'Albert , quel116
MERCURE DE FRANCE.
ne
res
POL
ques jours dans une des plus aimables maifons
de la province , la curiofité me conduifit
dans une carriere fituée environ à
quelque portées de fufil du château. Cette
terre , qui s'appelle Veaux fous Corbie ,
appartient à Madame de Villevielle . Enfeveli
fous les grottes immenfes de cette card
riere , je ne perdois une partie de la lumiere
du jour , que pour prêter plus d'at
tention à la voix de la nature . L'obſcurité
fera toujours en tout la compagne du myſtere
& du merveilleux. Parlons fans figare
: rien ne me fit plus de plaifir , que de
découvrir dans cette carriere plufieurs cailloux
, dont le dedans renferme de belles
cryftallifations , & dont les dehors font
couverts de ftalactite. Ce n'étoit au refle
que le prélude du fpectacle enchanteur qui
m'étoit réfervé. Avançant toujours avet
une nouvelle avidité , j'apperçus dans la
pierre de petites grottes admirablement
travaillées. Mammelonnées en dedans ,
elles laiffent un intervalle , dans lequel
fe trouve une forte de ftalactite cryftalline,
Cette ftalactite n'en remplit pas exactenient
toute la capacité. Elle en eft même ordinai
rement totalement détachée : rien n'eft fi
furprenant que cette ftalactite. Elle ref
femble affez à un maffepain qui feroit à
jour de tout côté. Il y en a de différentes
NOVEMBRE. 1757. 117
groffeur : j'en ai d'auffi groffes qu'une noix ;
: rien de fi curieux , Monfieur , que cette
efpece de maffepain cryſtaliſé. Quel régal
pour un naturaliſte !
La carriere de Veaux renferme encore
plufieurs congellations & ftalagmites
d'une grande beauté , mais plus ordinaires
& plus connues des curieux . Je n'y ai
point trouvé de coquillages. Cependant il
eft probable qu'il y en a . En faifant ramaffer
des cailloux cryftallifés qui fe trouvent
en affez grande abondance dans la riviere
près du Moulin , on m'a rapporté un
ourfin beaucoup endommagé par le roulement
des eaux. Le dedans de l'ourfin eft
rempli d'une matiere de cailloux ; fon
épaiffeur eft changée en une matiere reluifante
, & femblable au talc , mais un peu
plus dure. Cer ourfin , ainfi que les cailloux
cryftallifés qui roulent dans cette partie
de la riviere , viennent de la carriere :
par conféquent cette carriere renferme
auffi des coquillages , mais en petite quantité.
Si l'agréable étoit le feul motif de mes
voyages philofophiques , je m'en ferois tenu
à ces découvertes : mais le defir d'êtré
atile , furtour à ma patrie , m'a fait pouf
fer plus loinmes recherches. Après un examen
férieux de la carriere de Veaux , j'y
IS MERCURE DE FRANCE.
CI
ai trouvé deux efpeces de pierres d'un
grain parfait. La premiere qui eft plus unie
& plus fuivie , eft moins dure : fa compofition
analogue dans toutes les parties , la
rend plus propre pour les ornemens extérieurs
des bâtimens, & même pour la ſculp
ture. Quoiqu'elle foit moins dure que
l'autre efpece , elle n'en refifte pas moins
à la pluie & aux autres injures de l'air .
La feconde efpece eft plus dure , moins
fuivie dans fes parties , & fe trouve remplie
de filamens & de noeuds , qui tiennent
de la dureté du marbre. Cette inégalité
la rend plus propre à recevoir le mortier , d
& à fe l'incorporer. Elle eft bonne furtout
pour les pavages des galeries découvertes , ri
& pour tout ouvrage expofé à la pluie ba
& à un grand frottement. On peut voirces
deux fortes de pierres employées dans le
nouveau bâtiment de la célebre Abbaye de
Corbie. La feule vue de te fuperbe édifice
vaut une démonſtration .
Convaincu des qualités de ces deux fortes
de pierres, j'ai été furpris que les habitans
d'Amiens n'ayent pas encore effayé
d'en faire ufage. Quelle richeffe pour cette
Ville , fi , au lieu de tirer à grands frais ,
c'est- à - dire par terre , des pierres de Conti,
elle les faifoit venir de Veaux ! Le village
de Conti eft à fix lieues d'Amiens : jugez
こ
f
C
C
NOVEMBRE . 1757 rry
par - là des frais de voiture. Veaux eft bien
à cinq lieues de cette Ville ; mais la Somme
paffant tout au plus à une demi- lieue
de la carriere , il feroit d'autant plus facile
d'en tranfporter les pierres par eau , que la
riviere defcend delà à Amiens . Quelle différence
par conféquent pour le prix ! S'il
eft étonnant que ce calcul n'ait pas encore
été fait , combien le feroit- il davantage
que les Architectes & les perfonnes qui
font bâtir , fe refufaffent à une réflexion
auffi utile !
Vous voyez , Monfieur , que la Picardie
manque plutôt d'obfervateurs que de
curiofités naturelles. Avides de tout ce qui
vient de loin , nous dédaignons de nous
baiffer , pour chercher fous nos pas des
merveilles qu'on préféreroit ailleurs . Ceux
même qui feroient le plus en état de faire
des recherches , en font quelquefois détournés
par une fauffe honte. A combien
de mauvaiſes plaifanteries un Naturaliſte
fetrouve t'il expofé , furtout en province ,
lorfqu'il revient chargé d'oftévroles , de
coquillages , de tourbes & de cailloux !
Combien peu d'ames affez fortes pour méprifer
les idées étroites d'un ignorant vulgaire
? Combien même › par rapport à
l'hiſtoire naturelle , ce vulgaire ne s'étendil
pas loin ?
120 MERCURE DE FRANCE.
Je voudrois que mes occupations puffent
me permettre de parcourir toutes les parties
de ma province avec les mêmes yeux.
Un catalogue raifonné de nos curiofités,
deviendroit fans doute auffi intéreffant
pour les Naturaliftes , qu'utile pour mes
compatriotes. J'ai l'honneur d'être , &c.
A Amiens , ce 18 Mai 1757 .
MEDECINE.
Ont
for
--
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie &
royale des Sciences , du 18 Mai 1755 .
MESSIEURS Baron & la Sone ayant été
nommés pour examiner une Lettre de M.
Rohault , Médecin à Amiens , contenant
des obfervations & expériences qu'il a fai
tes fur l'antimoine , ont dit dans le rapport
qu'ils en ont fait à l'Académie.
APUZILEAMBE-98
Cro
tio
gu
Nous ne pouvons nous difpenfer , afin
de rendre à M. Rohault toute la juftice
qui lui eft dûe , de faire obferver que fa
falo
Lettre contient une véritable découverte , t
que nous avons eu foin de vérifier avec
toute la fatisfaction poffible. Il s'agit de
la réduction des fleurs de régale d'antimoine
, fur laquelle quantité d'Auteurs
ont
NOVEMBRE. 1757: 121
ont gardé un profond filence , ou dont
plufieurs autres n'ont parlé que pour avancer
qu'elle étoit impoffible ; mais nous
formes convaincus par expérience non
feulement de la poffibilité de cette réducrion
, mais encore de la facilité extrême
avec laquelle elle l'opere. M. Rohault
femble dans fa Lettre encore établir une
différence entre les fleurs de régale ordinaires
& celles qui font fublimées par
fa
méthode , & c'eſt à cette différence qu'il
veut attribuer l'irréductibilité des prononcés
; mais nous avons reconnu que les unes
& les autres fe réduifent avec la même facilité
à l'aide d'un peu de matiere charbonneufe
, & d'une petite portion d'alkali
fixe , pour fervir de fondant.... Nous
croyons qu'il feroit à propos de faire mention
dans l'hiftoire de l'Académie de la
réduction qu'il eft parvenue à faire des
fleurs de régale d'antimoine , réduction
qu'on avoit regardée jufqu'alors comme
impraticable. Signé , la Sone & Baron .
Je certifie l'extrait ci - deffus conforme à
fon original , & au jugement de l'Académie.
A Paris , ce 11 Mai 1742.
Grand Jean de Fouchy , Secretaire perpétuel
de l'Académie royale des Sciences.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
la
ch
CHIRURGIE.
LETTRE à M. Bagieu, Ecuyer, Mem
bre de l'Académie Royale de Chirurgie ,
Chirurgien-Major de la Compagnie
des Gendarmes de la Garde du Rei , an
fujet du fixieme Mémoire de fon livre ( 1 ) ,
concernant l'Examen du chapitre feptieme
des recherches critiques fur l'étar
préfent de la Chirurgie , de M. Sharp ;
(2) par M. Boucher , Médecin du Roi
à la Gouvernance du Souverain Bailliage
de Lille en Flandre , penfionné par l
Magiftrat de cette Ville , pour les leçons
& demonftrations publiques d'Anatomic &
de Chirurgie , affocié à l'Académie Royale
de Chirurgie , & Correſpondant de l'Académie
Royale des Sciences.
21
d
Le
ef
MONSIEUR ,
ONSIEUR , j'ai lu avec beaucoup de
dplaifir
votre Examen de plufieurs parties de
(1 ) Examen de plufieurs parties de la Chirurgie,
d'après les faits qui peuvent y avoir rapport.
(2) C'est là traduction d'un livre de M. Sharp,
membre de la Société royale de Londres , &c. par
M. Jault , Docteur en Médecine , & Profeffeur au
College royal.
S
NOVEMBRE. 1757. 123
la Chirurgie , qui me paroît renfermer des
chofes utiles & intéreffantes ; & j'ai été
flatté du ton de politeffe , dont vous avez
affaifonné la critique que vous avez faite
d'un endroit de mes Mémoires inférés
dans le fecond tome du Recueil de l'Académie
Royale de Chirurgie ( 1 ) . Je tâcherai
d'y répondré d'une maniere , qui ne
Vous faffe pas juger que j'étois peu digne
des égards que vous avez eus pour moi.
Le bien public & la perfection de la Chirurgie
ont été l'unique but que vous vous
êtes propofé dans cette critique : le même
efprit animera auffi ma réponſe. C'eft dans
cet efprit que j'ai fait les recherches qui
me devoient décider définitivement fur
la queftion qui partage nos fentimens. Elles
portent l'empreinte de cette bonne foi ,
que vous voulez bien reconnoître en moi
= (2).
Dans la gangrene , foit de caufe interne,
foit de caufe externe , vaut-il mieux attendre
, pour en venir à l'amputation du
membre gangréné , que la maladie foit
décidemment bornée , comme le veut M.
Sharp ( 3 ) , que de faire cette opération
(1) P. 287461 .
( 2 ) P. 761 , de l'Examen , & c.
(3) Traité des opérations de Chirurgie , ¿e.
chap. 27 de l'amputation , P. 374 , & Recherches
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
lorfque la gangrene menace encore de s'étendre
? Voilà le point de la difcuffion.
:
Permettez d'abord , Monfieur , que je
vous rappelle une partie de nos entretiens
fur cette matiere , au voyage dont vous
faites mention ( 1 ) . J'eus l'honneur de vous
dire alors que je mettois une grande différence
entre l'une & l'autre efpece de
gangrene que fi je parlois très-pofitivement
fur la néceffité de différer l'amputation
dans la gangrene de caufe interne , il
n'en étoit pas de même de la gangrene
de caufe externe , par la raifon qu'il me
paroiffoit bien décidé que la premiere efpece
ne s'étend point par contagion , comme
on le croit affez communément de la
feconde efpece . Je vous fis obferver à cette
occafion , qu'il s'en falloit bien que je me
fuffe énoncé fur cette derniere efpece de
gangrene auffi affirmativement & auffi généralement
que fur l'autre , dans le Mémoire
où il eft queftion de cet objet ( 2 ).
critiques fur l'état préfent de la Chirurgie , chap.72
P. 324.
(1 ) P. 761 de l'Examen , & c.
(2) Voici comme je me fuis exprimé au ſujet
de la mortification qui s'empare d'une plaie d'armes
à feu. Il nous femble auffi qu'un état de mertification
non bornée doit être un ſujet de retardement,
furtout lorsqu'il y a une tumefaction phlogisti
que au deffus de la partie gangrenée , qui s'étend an
d
Ca
T
av
ti
b
2=
le
f
F
NOVEMBRE. 1757 . 125
Examinons cependant de quel poids eft
votre critique fur l'opinion du retardement
de l'amputation dans la gangrene qui
s'empare d'une plaie d'arme à feu , relativement
à l'obſervation que j'ai fait venit
à l'appui de ce fyftême. Il y eft queftion
d'une amputation de la cuiffe , faite à un
jeune homme , à l'occafion de la mortification
qui s'étoit emparée d'une jambe
écrasée par un éclat de bombe. L'opération
avoit été faite promptement , dans la
vue d'arrêter le progrès de la mortification
le fujet mourut deux jours après
avec la gangrene au moignon ( 1 ).
:
:
Je n'ai point prétendu que la gangrene
établie dans le moignon , ait dû être le produit
feul ou l'effet exclufif de l'amputation
mais j'ai cru que la difpofition à la
gangrene ayant lieu dans une certaine
étendue du membre , & très- vraisemblablement
dans toute fon étendue , par
ftupeur ou par l'effet de l'ébranlement viola
delà de l'endroit où doit fe faire la fection des
chairs , &c. ( p. 475 du fecond tome des Mémoires
de l'Académie royale de Chirurgie ) . Je dis ailleurs
: Il eft abfolument néceffaire dans les gangrenes
de caufe interne & critique , d'attendre qu'elles
foient bornées , &c . ( Ibidem , p . 477. note a. )
(1 ) Tome fecond des Mémoires de l'Académie
royale de Chirurgie, p. 476 & 477. Examen , &c,
P. 756.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
de
dir
fas
te
lent , communiqué par le coup ; j'ai cru ,
dis-je , que l'amputation faite dans le
temps que l'état de ftupeur fubfiftoit encore
, ne pouvoit que contribuer beaucoup
à développer le germe de gangrene que la
ftupeur renferme , ou entretient de votre
aveu même (1 ) . En effet , s'il eft vrai que
la nature , dans l'état ordinaire des chofes
, trouve deux difficultés prefque infur
montables par le fuccès des amputations en
général ; la premiere , de la part de l'établiffement
d'un nouveau méchanifme de
circulation qui doit avoir lieu dans le
moignon ; la feconde , du côté de la fupputation
à y obtenir ( 2 ) , quelle apparence
d'efpérer l'accompliffement de ces deux
objets dans le cas où les chairs font dans
un état de foibleffe & de détérioration ,
telles que nous devons ici le fuppofer : ou
la maffe du fang eft dans l'appauvriffement ,
comme elle l'eft toujours dans des gangrenes
confidérables , ou toute l'économie
animale paroît finguliérement affectée par
l'abattement du fujet , par les angoiffes , c
par la concentration & l'inégalité du pouls ,
& c.
Que peut-on perdre en temporifant dans
( 1 ) Examen , &c. p . 757.
(2 ) Examen , &c. p. 383 & 384.
tra
V
fer
VO
A
C
NOVEMBRE. 1757 . 127
de telles circonftances ? La gangrene , me
dira-t'on , gagnera par contagion . Mais en
fuppofant cette crainte auffi fondée qu'on
le croit communément , peut- elle contrebalancer
les grands inconvéniens de l'amputation
faite dans ces circonftances , ajou
tés aux inconvéniens naturels de l'amputation
en général ? Je le demande avec
confiance aux maîtres de l'art. A- t'on plus
à efpérer de l'amputation faite dans le
temps que la nature n'offre que des fignes
d'abattement & d'inertie , qu'après avoir
travaillé à relever la nature de cet état ?
Vous même , Monfieur , êtes- vous bien
réellement à cet égard d'un fentiment différent
de M. Sharp & du mien , lorfque
vous m'adreffez ces paroles ? M. Faure ,
dont il (moi) n'approuve pas la méthode ( 1 ) ,
pourroit lui dire : J'aurois fufpendu l'amputation
à ce bleffe ; j'aurois attendu pour juger
les fuites de la commotion ; à quoi j'ajoute :
Non pour luifaire cette opération fixfemaines
après , felon la nouvelle méthode de ce
Chirurgien , mais , ou pour laiffer mourir le
bleffe en paix , ou pour l'amputer après avoir
donné le temps à la nature de fe reconnoître =
( 1 ) Voyez mon fecond Mémoire dans le Recueil
de l'Académie royale de Chirurgie , tome 2 ,
P. 461 , &ſuivantes.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ou enfin pour lâcher de le guérir fans en venir
à cette extrêmité ( 1 ).
Il ne falloit donc pas , felon vous-même
, Monfieur , amputer le fujet dont il eft
queftion , avant que la nature ne fe fût
révivifiée ; c'est - à- dire , avant qu'on n'eût
des fignes indicatifs , que l'économie animale
fe trouvoit dans une pofition propre
à feconder les vues du Chirurgien dans
l'opération : fuppofé que cette attente ne
dût pas être pouffée précisément aufli loin
que le fouhaite en général, M. Sharp' , il
falloit du moins que la nature fe trouvât
dans un état équivalent , pour eſpérer
quelque chofe de l'amputation. Au refte
ne croyez point que je veuille , à quelque
prix que ce foit , tirer avantage de votre
texte en faveur de ce que j'ai pu avancer.
Tout homme qui écrit fur des matieres
qui intéreffent autant l'humanité que celleci
, ne doit que chercher la vérité , & s'il
vient à
reconnoître qu'il a pris un peu trop
légérement un parti , il ne doit pas rougit
d'en faire l'aveu . C'eft en partant de ce
principe , que je vous déclare de nouveau ,
Monfieur , qu'en adhérant, fans reſtriction,
à la doctrine de M. Sharp , fur le retardement
de l'amputation dans la gangrene de
(1 ) Examen , &c. p. 757 & 75 &
F
3
f
NOVEMBRE. 1757. 129
caufe interne , je crois le fentiment de cet
auteur fufceptible de reſtriction ou de modification
, quant
, quant à la gangrene de caufe
externe .
Voyons à préfent fi c'eft à tort que j'ai
étayé la doctrine du retardement à l'égard
de la gangrene de cauſe interne , de ce qui
a été obfervé dans la gangrene épidémique
, dont j'ai parlé dans une note faifant
partie du Mémoire mentionné ci- deſſus
(1) , & que vous avez pris la peine de
rapporter en entier ( 2 ) . Il y eft dit que
cette gangrene , qui avoit attaqué furtout
les habitans des marais de notre Flandre ,
prenoit le plus fouvent par les pieds , &
gagnoit plus ou moins la jambe ; que le
membre fe trouvant fphacélé en peu de
temps , l'amputation prompte avoit paru
la feule reffource indiquée ; qu'elle avoit
été cependant infructueufe dans plufieurs
fujets , auxquels on s'étoit pieffé de la
faire avant que la gangrene ne fût bornée
; que d'un autre côté , la nature abandonnée
à elle -même , avoit quelquefois
féparé en entier le membre fphacélé , &
que cette féparation avoit été fuivie de la
guérifon ; que le fieur Pyaloux , Chirur
gien d'un bourg voifin de Lille & des
(1 ) Notesg & 1 , p. 3 & 4.
(2) Examen , &c . p. 758 & 759.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
lieux infectés , ayant réfléchi fur ces circonftances
, avoit pris le parti de ne plus
faire d'amputation, que la mortification ne
parût abfolument bornée par une ligne
circulaire de féparation bien profonde ;
qu'enfin il en avoit fait plufieurs dans
cette circonstance, & que toutes lui avoient
réuffi , même deux amputations de la
cuiffe.
Les réflexions de votre part , qui fuivent
immédiatement ce récit , répandent
des foupçons fur l'exactitude & la fidélité
des faits qui lui fervent de baſe. Voici vos
expreffions : Ceux qui ne donnent leur confiance
qu'à bonnes enfeignes , peuvent croire
fans peine qu'un récit de ceue importance
méritoit d'être conftaté dans les formes ; que
c'est une faute d'y avoir manqué , parce qu'ou
peut croire que M. Boucher ne parlant que
d'après d'autres , on peut lui en avoir impo
Lé (1).
M'eft- il permis de vous obferver, Monfieur
, que vous vous trouvez très - fouvent
dans le cas de ne parler qu'après le témoignage
d'autrui ; que vous n'avez point
ordinairement en pareil cas d'autre garant
de ce que vous avancez , que la bonne foi
de ceux dont vous rapportez le texte ou
(1) Examin , &c. p. 719.760.
NOVEMBRE. 1757. 131
que
les obfervations. Que les perfonnes qui
vous ont fourni ces obfervations , n'ont
peut-être point autant mérité la confiance
du public & la vôtre , que les Paré , les Delamotte
, les Queſnai , dont vous vous faites
, à juste titre , des appuis refpectables ?
Au refte je n'en fuis pas moins en général
de votre avis fur les précautions à pren-:
dre à l'égard des obfervations qui nous
font communiquées , furtout lorfque nous
voulons les faire fervir de bafe à un point'
de doctrine auffi intéreffant celui qui
fait l'objet de la préfente difcuffion . Vous
pouvez vous reffouvenir de ce que je vous
répondis , lorfqu'étant en cette ville vous
me fites part de vos doutes fur cet article :
après vous avoir promis de faire toutes
les recherches poffibles pour les éclaircir
d'une maniere non-équivoque , je vous
affurai que je n'hésiterois pas un moment
à paffer publiquement condamnation fur
moi -même , fi je venois à reconnoître que
je me fuffe trompé , ou que j'euſſe été
induit en erreur.
Malheureuſement le Sieur Pyaloux n'étoit
plus alors , & l'on n'a rien trouvé dans
fes manufcrits fur cet important objet. Je
n'avois pas eu la précaution d'exiger de
lui le détail des faits que vous paroiffez,
fouhaiter ; parce que cet objet n'étant
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
qu'indirectement relatif au texte de mon
Mémoire , ce détail m'étoit inutile , & il
eût paru déplacé dans le Mémoire. D'ailleurs
le témoignage de ceux qui avoient
été les témoins ou les dépofitaires de ces
faits , ne vous ayant point paru fuffifant ,
celui du Sieur Pyaloux lui-même n'eût
peut-être point été auprès de vous d'un
plus grand poids ( 1 ) . J'ai préſumé en conféquence
que mes recherches ne devoient
pas le borner à ce que ce Chirurgien avoid
fait & obfervé , mais qu'elles devoient
s'étendre à tout ce qui avoit été obſervé
dans les divers cantons où la maladie avoit
regné.
L'obfervation & le certificat , dont vous
faites mention , ( p . 762. ) ont été ramaffés
à la hâte pendant votre féjour en cette
ville : il s'en faut bien qu'ils aient été les
feuls fruits de ces perquifitions. L'obfervation
qui concerne un vieillard , auquel
on ne fit l'amputation que lorsqu'on vit la
gangrene décidemment bornée ( 2) , eſt
confidérée par vous , Monfieur , comme
#out- à-fait inutile à mon fentiment & à celui
(1 ) C'est ce qu'on peut inférer des expreffions
de M. Bagieu , p. 763 de l'Examen , &c.
(2 ) Il fe trouve une faute d'impreffion dans le
détail de cette obfervation , P, 763 , 1.6 , lifez am
deffus au lieu d'au deffous
NOVEMBRE . 1757. 1 } }
de M. Sharp , & même , ajoutez-vous ,
inutile à tout autre point de théorie & de
pratique ( 1 ) . Elle auroit donc un fort moindre
que les obfervations les plus communes
, qui viennent toujours à l'appui de
quelque point de théorie . Quant au certificat
, vous avez cru y obferver un anachroniſme
humiliant fur ce qui y eft énoncé
, que la lecture du traité de M. Sharp
contribua à déterminer le Sieur Pyaloux
au parti du retardement de l'amputation .
M. Vandergrachi ( 2 ) n'a pas pris garde ;
dites- vous , que ce Chirurgien ( le Sieur Pyaloux
) mort en 1751 , n'a pu lire l'excellent
Traité du Chirurgien Anglois en 1749 ni
1750 , puifqu'il n'eft imprimé qu'en 1751 .
Vous ne vous êtes apparemment pas reffouvenu
, Monfieur , de ce que je vous répondis
, lorfque vous me fîtes cette objection
de vive voix il y a trois ans' ; que M.
Vandergracht n'avoit pas entendu par
Traité de M. Sharp, celui qui a pour titre,
Recherches critiques , &c . mais bien le Traité
d'opérations de Chirurgie , où ce praticiens
avoit également établi fa doctrine du retardement
de l'amputation dans la gangre-
(1 ) Examen , & c. p. 763 .
le
(2) Chirurgien Lithotomifte , ' penfionnaire de
Lille , qui étoit en relation avec M. Pyaloux , &
qui m'a donné le certificat en queftion.
134 MERCURE DE FRANCE.
ne. Or la traduction de ce dernier Traité
a étéimprimée en 1741 ; ainfi M. Pyaloux ,
mort dix ans après , a été très- à- portée de
le connoître & d'en profiter pour le traitement
de notre gangrene épidémique.
L'explication de cette petite ambiguite
fe trouve dans un petit difcours que j'ai
adreffé , peu de temps après votre départ
de Lille , à l'Académie Royale de Chirurgie.
C'est le réſultat de mes reflexions fur
les obfervations que M. Chaſtanet vous a
fourni contre moi . Ce difcours vous a-t'il
été inconnu , Monfieur ? je dois le croire ,
puifque vous n'avez fait aucu ufage de
mes réflexions , qui font les premiers fruits
des recherches que je vous avois promifes :
je vais y fuppléer le plus brièvement qu'il
me fera poffible.
Les deux obfervations de M. Chaftanet
que vous m'oppoſez ( p . 764 & 770 ) ,
n'ont rien qui doive ébranler ma doctrine.
Quand même elles fe trouveroient contradictoirement
oppofées aux faits que j'ai
dit lui fervir d'appui , peut-on tirer de
deux faits ifolés , de quoi fapper un point
de doctrine ? Je n'ai jamais avancé ni prétendu
que toutes les amputations quelconques
, faires dans notre maladie avant que
la mortification ne fût bornée , euffent été
généralement infructueufes : j'ai dit feuNOVEMBRE
. 1757. 135
lement que l'amputation fat infructueuse
dans plufieurs fujets , auxquels on fe preffa
de la faire avant que la mortification ne fût
bornée . ( 1 ) Mais il y a plus , c'eft qu'en
refléchiffant mûrement fur les diverfes circonftances
des obfervations en queftion ,
l'on trouve qu'elles ne portent nullement
coup contre mon fentiment .
Il eſt queſtion dans la premiere , d'une
jeune fille de la campagne , à qui M. Chaftanet
maître Chirurgien en cette ville ,
ayant trouvé une partie du pied dans le
cas de la gangrene épidémique , fit de profondes
incifions, non - feulement fur la partie
attaquée de gangrene , mais auffi fur
les parties faines , voifines de celles qui
étoient affectées : il n'en retira aucun fruit,
la mortification s'étant bientôt communiquée
au cou de pied & autour de l'articulation
de la jambe avec le pied. Elle avoit
gagné la jambe & menaçoit de s'étendre
plus loin , quand M. Chaftanet dans la
vue de la borner , fe détermina à l'amputation
: il fut bien furpris , lorfqu'après
avoir lâché le tourniquet pour faire la ligature
des vaiffeaux , il n'en vit pas fortir
une goutte de fang ; l'état des chairs qui
(1 ) Voyez la note a de mon Mémoire dans le
Recueil de l'Académie royale de Chirurgie , t. 23
P- 477 , & ci - deſſus la p. s.
136 MERCURE DE FRANCE.
étoient rouges & vermeilles , & leur fenfibilité
dont il avoit eu des preuves dans
l'opération , ne fervirent qu'à ajouter à fa
furprife. En vain il fit des frictions & il
introduifit un filet dans l'ouverture defdits
vaiffeaux ; il n'en put retirer que quelques
gouttes d'un fang noir & polypeux ,
ce qui lui fit abandonner le deffein de faire
la ligature . Quoique fon panfement eût été
fort animé , tout l'appareil ayant été trempé
dans l'eau de vie , ce Chirurgien trouva
le lendemain plufieurs points de gangrene
dans le moignon ; en conféquence il
chargea fes panfemens d'effence de thérébentine
& de fomentations aromatiques
avec de l'eau de vie camphrée : ce ne fut
qu'au fixieme jour qu'il s'apperçut que les
efcarres gangreneufes commençoient à fe
détacher , & au douzieme qu'elles furent
totalement enlevées. ( 1 )
Je ne m'arrête point dans les réflexions
que j'ai à faire fur cette obfervation , à la
manoeuvre du Chirurgien , au fujet des
incifions profondes qu'il fit fur les parties
faines ; manoeuvre qui , au fentiment des
meilleurs Auteurs , eft bien plus propre à
accélérer l'extenfion d'une gangrene fèche,
(( 1 ) Examen , &c . P 764 &ſuiv.
C
C
e
NOVEMBRE . 1757. 137
qu'à contribuer à la borner : auffi M. Chaftanet
avoue- t'il qu'il n'en retira aucun
fruit je m'en tiens à ce qui eft relatif au
point contesté. Quel étoit le but de ce Chirurgien
lorfqu'il s'eft déterminé à l'amputation
? De mettre des bornes à la mortification
qui menaçoit de s'étendre ; mais
étoit-il en droit de fe flatter qu'il atteindroit
ce but ? Eh ! ne devoit-il pas s'en
ctoire plus éloigné que jamais , lorfqu'il
trouva les arteres du moignon dans l'état
défigné ? Quelque furprife que lui ait caufé
cet état , il devoit s'y attendre ; cette circonftance
ayant été obfervée nombre de
fois en pareil cas , & étant regardée par
les Auteurs comme la caufe immédiate de
la gangrene féche ( 1 ) . M. Chaſtanet avoir
effectivement fi peu atteint fon but , qu'il
trouva le lendemain de l'opération cinq à
fix points gangréneux dans le moignon :
pouvoit- il affez compter fur l'efficacité de
fes topiques , pour croire qu'ils arrêteroient
le progrès de ce renouvellement de
gangrene ? On conviendra fans peine que
cela dépendoit de l'étendue plus ou moins
confidérable de l'état paralytique des arteres
; mais comment s'affurer fi cet état
ne s'étendoit pas au delà du terme où l'ef-
( 1 ) M. Quefnay , Traité de la gangrene fecho
138 MERCURE DE FRANCE.
fet des topiques pût atteindre ? Auquel cas
le progrès de la gangrene étoit inévitable ,
& il eût fallu en conféquence recourir à
une feconde amputation , dont le fuccès
n'étoit pas plus sûr que dans la premiere ,
les circonftances étant les mêmes. Loin
donc que cette cure puiffe fervir de regle
& de modele pour des faits de cette nature
, j'ofe avancer qu'elle ne peut être confidérée
que comme une exception à la regle.
C'est ce que l'on doit naturellement
inférer , Monfieur , de vos expreffions
même , ( p. 772. ) & de l'embarras que
vous donne la nouveauté du cas pour une
explication fatisfaifante.
La feconde obfervation de M. Chaftanet
prouve t'elle réellement qu'on a eu
quelquefois à fe repentir d'avoir adhéré à
la doctrine du retardement de l'amputation
dans notre gangrene ? C'eft ce que
nous allons examiner. Obfervez d'abord
Monfieur , que le retardement propofé a
des bornes ; que quoiqu'il foit arrivé que
la nature abandonnée à elle même en partil
cas , ait quelquefois féparé en entier le membre
fphacelé ( 1 ) , nous n'avons point ,
plus que M. Pijaloux , affez compté fur
ces exemples rares , pour croire qu'on doi
(1) Voyez ci-deffus la page 6.
non
NOVEMBRE . 1757 . 139
ve laiffer tranquillement à la nature le foin
d'achever un pénible ouvrage , furtout
lorfqu'il eft queftion d'un membre confidérable
, comme du bras , de la jambe ,
&c , mais nous avons conçu l'un & l'autre
par analogie , que le fuccès de l'amputation
feroit plus sûr , fi l'on attendoit que
la mortification fut décidemment bornée par
une ligne circulaire de féparation bien profonde
( 1 ) . Vous m'avez prévenu , Monfieur
, fur les raifons qui viennent à l'appui
de cette façon de penfer : vous convenez
(p . 801 ) que c'est un avantage ( vous
auriez pu dire un très grand avantage )
de finir une amputation commencée par la
nature : la raison en paroit fimple , fi l'on fe
rappelle les deux grands inconvéniens qui fe
rencontrent dans les amputations ordinaires ,
le rétabliſſement de la circulation & l'établiffement
de la fuppuration, Ces deux inconvé
niens fe rencontrent peu dans l'amputation
déja commencée par la nature. On peut dire
qu'ils ne fubfiftent plus , ou qu'ils font réduits
prefqu'à rien dans le cas de la féparation
bien avancée , comme nous l'exigeons
avec M. Sharp : la fuppuration pour
lors eft vraiement établie & la circulation
eft arrangée. C'est donc avec raifon que
(1) Ibidem.
140 MERCURE DE FRANCE.
vous ajoutez , que l'on peut avoir en toutė
sûreté les inftrumens tout-prêts.
TO
CH
de
Après avoir fi bien fenti les avantages
de la féparation fpontanée , comment avezvous
pu être furpris que les amputations
de M. Pyaloux , faites dans ces circonftances
, lui ayent toutes réuffi? Ces exemples
fint rares , dites-vous ( ibid) : il eft vrai que
dans le cours ordinaire des chofes , les amputations
faites à l'occafion de la gangrene
féche dans les circonftances que nous requérons
, ne font pas bien communes.
Les faits propres à conftater l'utilité & les
avantages du retardement , ont toujours
été d'autant plus rares , que l'on étoit co
prefque dans la prévention générale que le
progrès de la mortification devoit être pré- tre
venu par l'extirpation de la partie fphacélée.
D'ailleurs , il y a peu d'exemples de
gangrenes épidémiques pareilles à la nôtre
; mais dans celles qui ont eu lieu , il
s'eft trouvé des Praticiens- obfervateurs, qui
ayant remarqué que la nature non violentée
, avoit des reffources auxquelles la
prévoyance de l'art ne pouvoit fuppléer ,
ont mis à profit cette découverte , en prenant
le parti d'attendre que la nature victorieufe
donnât des marques évidentes
de ſes difpofitions à ſe prêter au ſuccès de
NOVEMBRE. 1757. 141
l'opération ( 1 ) . M. Pyaloux n'eft pas le
feul qui ait fuivi ce plan dans le traitement
de notre gangrene épidémique : vous
verrez , Monfieur , dans un mémoire détaillé,
que je me propofe de donner au public
, que plufieurs Praticiens ont penfe &
agi comme ce Chirurgien .
Mais aucun d'eux n'a prétendu que le
retardement dût être pouffé auffi loin qu'il
l'a été dans la feconde obfervation de M ..
Chaftanet , ( pag. 770. ) & encore moins
que le fuccès dût toujours s'enfuivre en
dépit de la négligence de toutes les précautions
requifes ; ce qui nous fait décider
que cette obfervation ne peut être
compriſe dans le cercle de celles qui doivent
concourir à faire preuve pour ou contre
la doctrine du retardement .
Le fujet de cette obfervation étoit un
vieillard abandonné à lui - même , manquant
de tout , & à l'égard de qui les efforts
d'une nature défaillante , loin d'être
fécondés par les fecours requis , furent
au contraire traverfés par le défaut de
fement , par un très - mauvais régime &
par une négligence affreufe fur toutes chopan-
(1 ) Voyez les Mémoires de l'Académie royale
des Sciences , année 1710 ; & une Lettre de M.
Noël , Chirurgien d'Orléans , rapportée par M.
Quefnay dans fon Traité de la gangrene , p . 497 .
142 MERCURE DE FRANCE.
fes . L'Obfervateur auroit dû énoncer toutes
ces circonstances ; il fe contente de dire
en rendant compte de l'état de la partie
malade , que le cercle de la partie fupérieure
de la jambe ( où la mortification s'étoit
bornée ) fuppuroit ; qu'il n'y avoit point de
douleur au genou ni à la cuiffe. Il auroit dû
ajouter que cette fuppuration n'étoit pas
d'un bon caractere ; que les chairs de l'ulcere
étoient blafardes du moins en grande
partie ; qu'il découvrit deux trous fiftuleux
pénétrans dans le genou , &c. Il auroit
dû dire encore qu'il avoit trouvé le ſujet
émacié & dans un état d'affaiffement , ayant
la jambe dans le foyer de fa cheminée , &
tout ce qui l'entouroit ne refpirant que
la craffe & l'indigence. Ces circonstances
jointes à l'âge , laiffoient- elles quelqu'apparence
d'espoir pour le fuccès de l'opération
? D'un autre côté , n'eft il pas plus
que probable que ce fuccès eût été tel
que l'ont obtenu M. Pyaloux & d'autres
Praticiens dans des cas de même nature ,
fi le fujet eût été fecouru à propos , &
l'amputation faite dans le temps que la ligne
de féparation étoit au point que nous
le demandons ?
Cette obfervation , telle que vous la
préfentez , Monfieur , d'après M. Chaftanet
, préſente une circonftance qui dois
t:
P
La
d
01
9
C
P
L
C
d
P
NOVEMBRE . 1757. 143
encore contribuer à la faire confidérer comme
étrangere à la queftion qui nous partage.
Il y eft dit que la ligne circulaire qui
marqua les bornes de la mortification à la
partie fupérieure de la jambe , pénétra, en
moins de huit jours , juſqu'aux os , & que
toutes les chairs comprises au deffous de cette
ligne jufqu'à l'articulation du pied avec la
jambe tomberent , & laifferent les deux os de
la jambe à nu. Cette circonftance , la feule
de même nature que je fçache avoir été
obfervée dans notre gangrene épidémique
, annonce bien plutôt une gangrene
avec pourriture , qu'une gangrene féche.
C'eft d'après cette confidération & le rapport
d'un Chirurgien du lieu , ( 1 ) qui
avoit eu occafion de voir quelquefois le
fujer , que j'ai cru devoir m'informer
moi-même de ce qui en étoit .
par
J'appris de fa veuve- même (2 ) , que la
mortification avoit été précédée d'un ulcere
au bas de la jambe , au deffus de la
cheville externe , que cet homme portoit
depuis plus de deux ans , à la fuite d'une
plaie faite
par un éclat d'une groſſe gaule ,
(1 ) M. Ramette , Chirurgien à Sengheen , en
: Weppe.
(2 ) La déclaration de cette femme a été faite
pardevant un Notaire royal de la réfidence de
Lille , en préſence de deux Médecins , & de deux
Maîtres Chirurgiens.
144 MERCURE DE FRANCE.
fur laquelle il avoit gliffé en voulant l'arracher
de fon potager ; que cette plaie le
fit beaucoup fouffrir les premiers jours
qu'un Chirurgien appellé l'avoit abandonné
peu de temps après fans y avoir rien avancé
( 1 ) ; que depuis , le bleffé avoit employé
diverfes efpeces de topique , que
des gens fans aveu lui avoient confeillés ;
que l'ulcere eſt toujours resté à peu près
dans le même état pendant deux années ,
& qu'enfin au mois de feptembre 1749 ,
cet homme travaillant à ſon ordinaire s'apperçut
que la jambe noirciffoit autour de
l'ulcere ; que cette noirceur a toujours
augmenté jufqu'à ce qu'une grande partie
des chairs fe foit féparée de la jambe &
ait découvert les os ; qu'en cet état le fu
jet étoit très- maigre & très-foible , n'ayant
ni Chirurgien , ni autre perfonne que la
déclarante qui eût foin de lui ; qu'enfin le
20 décembre 1749 le fieur Chaftapet ayant d
été conduit par le Caré de la Paroiffe chez
le bleffé , il fe détermina fur le champ à
l'amputation , & que celui-ci mourut le
lendemain ( 2 ) .
( 1 ) M. Ramette m'a dit que les tendons avoient
été en partie coupés dans la chute.
(2 ) Cette circonftance ne quadre pas avec ce
qu'avance M. Chaftanet , qu'il eût des fuppurations
, & que le fujet ne mourût que le fixieme
jour de l'opération,
Vous
C
te
P
La
d
C
NOVEMBRE. 1757. 145 1
Vous voyez , Monfieur , dans ce détail
une complication qui , en admettant
même que la gangrene furvenue à l'endroit
de l'ulcere mentionné , étoit précisément
notre gangrene épidémique , rend viſiblement
l'obfervation infuffifante pour décider
le point de notre difcuffion . Vous vous
êtes abftenu avec raifon de faire ufage de
quelques autres faits , qu'on vous avoit
fourni comme venant à l'appui de votre
fentiment , mais dont vous avez fans doute
jugé autrement. Il en eft un qui , loin de
remplir ce but , lui eft diamétralement
contraire : vous me permettrez que je l'oppofe
à ceux que l'on pourroit plus légitimement
me propofer que ceux que nous venons
d'analyfer. En voici l'extrait tiré du
narré même de M. Chaftanet.
Une femme de foixante- treize ans fut
attaquée d'un froid & d'un fourmillement
douloureux ( 1 ) aux doigts de la main gauche.
M. Chuffart , Médecin au bourg de
Lannoi , ayant été appellé , trouva la peau
de cette main d'un noir livide , & la main
privée de fentiment ; le pouls étoit petit
& concentré , mais fans fievre apparente .
Ce Médecin ayant jugé qu'il étoit queſtion
d'une gangrene de caufe interne , travailla
(1 ) Symptômes , qui étoient les précurseurs de
notre gangrene.
G
1
I
1
1
1
·
.
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1
1
£ 46 MERCURE DE FRANCE:
pour
ent
5f
tre c
Rece
à ranimer l'intérieur du corps , ainſi que
la partie malade , par les remedes & le régime
convenables , que la malade négligea
bientôt fe livrer à l'empirifme ;
mais peu de jours après elle revint à M.
Chuffart , qui s'appercevant que la gangrene
avoit gagné le poignet , & que les
doigts étoient fphacélés , opina avec le
Chirurgien du lieu , à faire des ſcarifications.
On appliqua fur les plaies des digeftifs
& des teintures animées , qui n'empêcherent
point la gangrene de s'étendre
jufqu'à la partie fupérieure de l'avant- bras;
on y fit des taillades , on employa les topiques
les plus animés , on fit tout ce qui
étoit poffible pour ranimer par des cordiaux
la malade , qui étoit trop affaiffée
pour que l'on ofât entreprendre l'amputa
tion. Cependant on apperçut quelques
jours après un commencement de fuppuration
aux taillades de l'avant - bras , & au
bout de huit jours , la mortification parut
décidemment bornée aux environs du carpe
, une fuppuration louable s'y établit , la
malade reprit des forces , & pour lors on
fépara la main dans fon articulation avec
les os du carpe. Peu à peu les chairs fe
refer
générerent , & cette femme fut parfaite
ment guérie au bout de quatre mois. .
Les bornes d'une lettre ne me permet
Ca
Rai
NOVEMBRE.
1757:
147
tent point de
rapporter
plufieurs autres
obfervations , qui viennent
évidemment
à l'appui de la doctrine du
retardement :
je les réferve pour
l'ouvrage que j'ai annoncé
ci - deffus. ( 1 )
Lafe
> nous
Au refte , je remarque avec fatisfaction
que nous ne fommes point
entiérement
oppofés dans la façon de penfer . On peut
attendre , dites -vous , ( pag. 801. ) que la
gangrene s'arrête , quand fes progrès fone
tardifs , que la mauvaise odeur ne s'en mêle
pas , que le gonflement & la tuméfaction ne
fe mettent pas de la partie... Mais d'un autre
côté , s'il eft vrai que dans toute efpece
de gangrene de cauſe interne
ignorons fi elle le fixera & où elle fe fixera ,
de quelle utilité fera certe
diftinction pour
léterminer le lieu de
l'amputation , dans
e cas où les
circonftances
s'éloigneront
lus ou moins de votre énoncé ? S'il eft
rai , comme nous en fommes perfuadés ,
que ce genre de gangrene ne s'étend qu'en
aifon de la force ou de l'intensité d'une
aufe
préexiftente , que gagnera t-on en
mportant un membre fur lequel cette
aufe n'aura produit qu'une partie de fon
ffet ? En
attendant que je revienne d'une
aniere plus étendue à cet objet , perettez
, Monfieur , que je vous renvoie
(1 ) Page 141..
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
à l'excellent traité de la gangrene féche ,
dont l'illuftre Auteur ( 1 ) paroit entiérement
de mon avis .
J'ai l'honneur d'être , &c.
BOUCHER , Médecin.
ne
de
no
le
( 1 ) M. Quefnay.
SÉANCE PUBLIQUE
Belles-Lettres
De l'Académie des Sciences , Belles Lettres
& Aris d'Amiens , du 25 Août 1757-
op
de
pa
LESSI3LU 29 8-7 LE
Pr
M. Leblanc- des Meillarts , Directeur ,
ouvrit cette féance , par un difcours fur C
l'utilité & la gloire des arts.
M. Baron Secretaire perpétuel , fit l'éloge
de M. Bruier Académicien honoraire,
& de M. le Picart Académicien réfident ,
morts pendant le cours de cette année.
M. Bifet lut un mémoire fur les avantages
qu'on pourroit tirer pour l'engrais
des terres , des matieres dont les vents &
les pluies rempliffent les vallées.
La féance fut terminée par la lecture
que M. de Bellery fit d'un mémoire fu
la caufe des tremblemens de terre.... L'Au
teur , après avoir expofé en peu de mou
les différentes opinions fur ces mouvemens
convulfifs de la nature , annonce la fienfo
f
I
f
NOVEMBRE
. 1757. 149
ne ; mais avant l'expofition de fon fentiment,
il prépare les lecteurs à l'intelligence
de fon ſyſtême ( fi l'on peut lui donner ce
nom ) , par un détail de tout ce qui peut
fervir de preuves à ce qu'il vient d'annoncer
.
pro-
La phyfique , dit M. de B. n'étant
prement que conjecturale , on ne peut trop
ramaffer de faits qui puiffent appuyer une
opinion . Ne pouvant découvrir du premier
coup d'oeil la caufe que la nature prend
tant de foin de nous cacher , on eft obligé
de marcher comme en tâtonnant , & de
parvenir aux inconnues par les connues.
C'eft la feule voie que nous laiffe la nature
pour parvenir à dévoiler fes myfteres. Ce
font donc les effets que l'on doit dabord
confidérer : on compare enfuite ces effets
à d'autres qui font les mêmes , ou à peu
près les mêmes , & dont les caufes font
connues cela conduit néceffairement à
une conféquence à pari, pour découvrir ce
qui nous eft caché .
C'eft la route qu'a fuivie l'Auteur , &
qui lui a paru la plus fimple & la plus raifonnable
: il a donc commencé par préfenter
le trifte tableau des maux caufés par
lės tremblemens de terre & les volcans.
Delà il paffe à un détail des principes chimiques
, & va puifer dans les mémoires
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
de l'Académie royale des Sciences , comme
dans une fource abondante , les matériaux
dont il a befoin pour conftruire ce
nouvel édifice . Les expériences fe joignent
aux principes & deviennent elles-mêmes
principes ; c'eft ainfi que dans les mathématiques
, une propofition démontrée par
une vérité inconteftable , devient elle- même
principe pour en démontrer d'autres.
Enfin l'Auteur propofe fon fentiment.
Il prétend que les tremblemens de terre
ne proviennent que des foufres enflammés
dans les entrailles de la terre auxquels fe
joint l'eau , c'est- à - dire que l'eau entrant
dans le volcan fe réduit en vapeurs par l'activité
des flammes : ces vapeurs jointes
la dilatation des matieres inflammables , à
la raréfaction de l'air qui y eft entré avec
le courant d'eau , font enfemble un fi violent
effort , qu'il n'eſt pas étonnant qu'une
caufe auffi puiffante produife de fi terribles
effets .
Pour rendre la choſe plus fenfible , M.
de B. fait une fuppofition : il donne une
certaine capacité à la caverne du Volcan ,
ily fuppofe une certaine quantité de matiere
enflammée , y fait entrer l'eau peadant
quatre minutes, par une ouverture de
trois pieds quarrés , à quatre cens pieds de
profondeur en terre , & il examine quel
NOVEMBRE. 1757. Ist
Teroitdans cet état l'effet de toutes les combinaiſons.
Après les calculs , l'imagination
fe trouve comme effrayée de l'énorme effort
de ces différentes caufes réunies ;il expoſe la
chofe avec tant de clarté & d'une maniere fi
frappante, qu'on pourroit la regarder comme
une démonstration , fi la phyſique en
étoit fufceptible. Il réfute en paffant l'opinion
de ceux qui prétendent que la feule
dilatation de l'air fuffit pour faire trembler
une partie du continent , telle que l'expofa
un Auteur dans les journaux de Verdun
du mois de novembre en décembre
1756. Il entre dans un petit détail qui
rend la chofe fi palpable , qu'on ne peut
fe refufer à fon idée comme la plus vraifemblable.
Il termine fon mémoire par un
confolant pronoftic pour les climats que
nous habitons , en nous faifant entrevoir
que nous n'avons rien à craindre des violentes
commotions de la terre. Il entre pour
cela dans l'examen des parties du globe
terreftre , qui doivent être fujettes à ces
funeftes révolutions . La Zone torride , felon
les principes qu'il établit , doit être la
partie du monde la plus agitée ; & chofe
affez finguliere , les mêmes principes le conduifent
à découvrir que la Zone glaciale
doit y être également fujette , & que
partie du globe contenue entre les 45 &
la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
!
60 degrés de latitude à peu près , doit y
être moins expofée que toute autre.
L'Académie avoit propofé pour fujet du
prix , les avantages les moyens de fupprimer
les Communautés d'arts & métiers. Elle
a couronné le mémoire n° . 4. ayant pour
Epigraphe , falus populi fuprema lex efto ,
dont l'Auteur eſt M. de l'IДe .
Le fecond fajet propofé étoit l'économie
des matieres combustibles . Quoiqu'il y ait eu
dans quelques- uns des ouvrages envoyés
au concours , de fort bonnes chofes , l'objet
n'en a cependant point paru exactement
rempli , & comme ce fajet eft de la plus
grande importance , l'Académie a décidé
de propofer encore pour l'année 175 8.
« L'économie des matieres combustibles
» dans l'ufage des fourneaux , des foyers
» & des poêles , fans diminuer , ni ralen-
»tir les effets du feu , furtout dans les
» fourneaux , & pour fujet du prix refervé
, les moyens de naviger dans les mers
du nord avec les mêmes avantages que
» les autres peuples voifins , & par- là d'y
» augmenter le commerce.
و د
"3
39
33
Les ouvrages ne feront reçus que juf
qu'au 1. juin exclufivement : ils feront affranchis
de port , & adreffés à M. Baron,
Secretaire perpétuel de l'Académie .
A Amiens , ce 27 Septembre 1757 .
L
F
NOVEMBRE . 1757. 153
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE de M. Touffaint, à M. Carle-
Vanloo.
MONSIEUR , je ne crains rien , ou crois
ne devoir rien craindre de la part du gouvernement
: mais comme je fais profellion
d'être un galant homme , je n'en fuis pas
moins défefpéré d'avoir fervi d'inftrument
à la publication d'une lettre dont j'apprends
que vous vous tenez pour offenfé ;
car quoique je ne l'aie point faite moimême
, comme fans doute vous en êtes
perfuadé , Monfieur , je fens bien que
vous me pouvez rendre refponfable de
quelques expreffions peu ménagées , qui y
font restées , malgré le foin que j'ai pris
d'en adoucir le ton . Comme je n'avois pas
le deffein d'offenfer , je ne ferai point
Gv
54 MERCURE DE FRANCE.
chiche de réparations. Il n'y en a pas à
quoi je ne confente , pourvu que ce ne
foit point une baſſeſſe . J'ai inféré une critique
, j'inférerai une apologie , & ce ne
fera point de ma part chanter la palinodie ;
car moi , je n'ai point de rôle là- dedans .
Remarquez , s'il vous plaît , Monfieur ,
que je n'ai pas mis un mot de réflexion
pour mon compte. Voici le fait raconté
très fincérement. Pour jetter quelque intérêt
dans mon journal, j'avois prié quelques
uns de Meffieurs vos confreres de
m'efquiffer une expofition raifonnée des
tableaux du fallon : je ne quêtai pas une
critique. Quoi qu'il en foit , chacun s'en
défendit , & ne me promit rien : mais à
quelque jour delà , lorfque je ne m'y attendois
plus , & que j'avois même ébauché
de mon crû une expofition telle qu'elle ,
il m'arriva un paquet cacheté , contenant
la lettre en queftion . Je la parcourus ; j'y
trouvai le ton d'un écrivain au fait de
Part ; les expreffions feulement me parurent
dures ; je les adoucis beaucoup : mais
enfin , comme l'éloge y étoit mêlé à la crisique
, circonstance à quoi on n'a pas affez
pris garde , je crus , Monfieur
Monfieur , votre
gloire fauvée par les hommages qu'on
vous y rendoit ; & comptant ce morceau
meilleur que le mien , parce qu'il étoit de
NOVEMBRE. 1757 . 155
main d'artiſte , je le lâchai au Public niaifement
, & fans vouloir mal à perfonne.
S'il vous plaît , Monfieur , me fournir des
occafions de vous donner fatisfaction , en
m'adreffant les contre- critiques qui pourront
être faites , je les recevrai avec em
preffement, & les inférerai dans mon journal
.
, ou fi vous négligez de le faire , j'irai
moi-même au devant. Je veux mal à l'Auteur
de la lettre de m'avoir attiré le mécontentement
d'un homme de bien , &
d'un grand artiſte , dont je me ferois fait
gloire d'être l'ami . Faites à mon égard ,
Monfieur, un effort de chriftianifme, pour
nepoint garder contre moi de reffentiment,
& comptez , malgré ce qui eft arrivé , fus
la fincérité de l'eftime & du refpect avec
lequel j'ai l'honneur d'être , &c.
TOUSSAINT,
A Paris , ce 10 Octobre 1757-
Cette Lettre marque au moins de la
bonne foi. On voit que les expreffions
partent , comme on dit , d'abondance de
coeur , & que l'efprit n'y a point de pass..
G.vj,
136 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
LUCIEN , dans le Toxaris , rapporte un
trait d'histoire , qui , en honorant l'humanité
, donne une haute idée des amis
de ce temps - là.
Eudamidas , citoyen vertueux , mais
pauvre , de la ville de Corinthe , fur le
point de mourir , dicta ainfi fes dernieres
volontés. Je legue ma mere à Arétée , pour
en avoirfoin dans fa vieilleffe . Je legue ma
fille à Charixene , pour la marier avec une
auffi grande dot qu'il pourra lui donner ; &
fi l'un ou l'autre vient à mourir , j'entends
que le legs que je lui aifait , paſſe an ſurvivant.
Le fublime de cet acte célebre faifit les
coeurs bien placés ; il y produit cette ſenfation
délicieufe , qui les affocie au mérite
de l'action ; c'eft pour eux feuls qu'èft réfervée
cette volupté pure, & le même principe
qui les porte aux plus beaux procédés,
les rend auffi fenfibles à tout ce qui les retrace
.
Ce fujet fi propre à la peinture , & ĥ
digne en même temps d'un pinceau ſçavant
, a été traité par le Pouffin d'une maniere
fublime. Ce Peintre profond dans
NOVEMBRE . 1757. 157
:
A
l'art (qui tient tout du génie ) de manier
les paffions à fon gré , paroît s'être furpaffé
dans ce tableau , dont la fimplicité raiſonnée
dans l'ordonnance , y répand une tranquillité
qui laiffe aux expreffions toute leur
valeur. On ofe dire qu'on n'en traca já
mais de plus juftes ( c'eft affez les louer ).
La fcene, comme on fe l'imagine aifément,
fe paffe dans l'intérieur d'une chambre ,
où les murs répondant à l'état du teftateur,
n'offrent pour tout ornement que fes armes .
Eudamidas eft fur fon lit , dans l'attitude
d'un homme épuiſé par la maladie. Il femble
qu'à travers les douleurs qu'il reffent ,
on y diftingue celle de quitter pour jamais
des objets qui l'attachent à la vie . Le Médecin
eft à côté de lui , de bout , la tête
inclinée ( pour marquer fon attention );
de la main droite il calcule, par les mouvepeu
mens appéfantis de fon coeur , le d'inf
tans qui lui reftent : on lit le cruel arrêt
dans fes traits. Le Notaire écrit fes dernieres
volontés , & par fon étonnement
fai: fentir le fublime qu'elles renferment.
Ce grouppe , qui dit précisément ce qu'il
faut ( qu'il est bien peu de tableaux à qui
on puiffe appliquer cette louange ! ) , fe
lie naturellement à un autre , dont les
expreffions vont droit au coeur . Il eft for
mé de la mere du mourant , & de fa fille.
158 MERCURE DE FRANCE.
La premiere affife fur le pied du lit , &
baignée de fes larmes , foutient fur fes
genoux fa fille abattue fous le poids de fa
douleur.
Que ce tableau eft touchant ! Un fils
au milieu des maux qui l'accablent , s'occupe
uniquement des foins que fa piété
fa tendrelle lui dictent , & pour celle qui
lui a donné l'être , & pour celle à qui il
l'a donné. Une tendre mere voit mourir
ce cher fils, l'unique efpoir de fa vieilleſſe,
au moment que fes infirmités ne lui laiffent
que la trifte confolation d'en attendre les
derniers devoirs. Une jeune perfonne enfin
perd celui dont elle tient la vie , l'éducation
, fon appui , l'objet de fa tendreffe ,
fon pere en un mot. Il meurt , eh dans
quel temps ! A la veille d'être ifolée fur la
Berre , où fans avoir déformais rien à cípérer
, elle a tout à craindre.
A la vue de ce beau poëme , on fentira
bien mieux que je ne puis l'exprimer, avec
quelle intelligence le Pouffin a rendu ces
différentes expreffions. La nature a guidé
fon génie, & le bon fens lui en a ſauvé les
écarts. Tout eft en place , & foutenu de
plus par la magie d'un clair obfcur , qui
approche de celui de Rembrand , tant il
piquant.
La fcene eft éclairée par une fenêtre
NOVEMBRE. 1757. 159
affez élevée , pour produire ces belles dégradations
, fi néceffaires quand on veur
fixer la lumiere dans la partie fupérieure
des objets , où le repos de la vifion exige
ordinairement qu'elle domine. L'incidene
étant parallele à la muraille du fond,
la laiffe dans une demi-teinte, qui détache
également bien , & les endroits des figures
que la lumiere frappe , & ceux qui en font
privés.
Ce beau tableau , dont la plus légere expofition
fait l'éloge , vient d'être gravé
par M. de Marcenay , après l'avoir copié
à gouaffe , pour fa propre fatisfaction. Il a
dédié cette nouvelle planche , la quinzieme
de fon oeuvre , à M. Micault d'Harve
lay , Garde du tréfor royal , qui par la
bonté de fon coeur feroit digne en pareil
cas d'être Légataire univerfel : c'eft ce
qu'expriment les deux vers fuivans , qui
lient heureufement la dédicace au fujet .
Heredes geminos fibi fcripfit , at unicus hares,
Si nunc Eudamidas vixerit , ipfe fores.
Ufer noblement des faveurs de la for
eune , c'eft prouver qu'on en étoit digne..
Cette eftampe fe trouve chez l'Auteur,
quai de Conti , la feconde porte cochere
après la rue Guénégaud, & chez M. Lutton,
commis au recouvrement du Mercure, rus
160 MERCURE DE FRANCE.
Sainte-Anne , butte Saint Roch . Le tableau
original fe voit chez M. Beauchamp , rue
des Follés Montmartre.
Le Chevalier de Beaurain , Géographe
ordinaire du Roi , ci- devant de l'éduca
tion de M. le Dauphin , annonce qu'il a
mis au jour les cartes & plans qui fuivent
, fçavoir :
C
C
cal
CO
dis
Le Royaume de Bohême en une feuille
d'Atlas , très- détaillé & divifé en quinze
cercles au lieu de douze ,comme l'ont donné
, même des Géographes Allemands qui
en cela fe font trompés , avec le Comté de
Glatz & le pays d'Egra. Cette carte faite
d'après celle en 25 feuilles, de Muller, Ingénieur
du feu Empereur Charles VI , &
plufieurs autres cartes & mémoires faits
fur les lieux. On y trouvera réparées plu
hieurs fautes & omiffions remarquables ,
commiſes , tant par les Géographes Allemands
, que par les François qui les ont
fuivis. L'Auteur l'a augmentée de plufieurs
remarques qui regardent l'hiftoire naturelle
de ce Royaume .
Le Marquifar de Moravie auffi en une
feuille , & travaillé de même d'après la
carte en 8 feuilles de Muller , avec des
remarques relatives à l'hiftoire naturelle du
pays.
(
tig
Chak
Oa
cient
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Scie
FRIK
NOVEMBRE. 1757. 161
Le Duché de Siléfie en deux feuilles ,
dreffé fur les vingt feuilles de l'Atlas Siléfien
, fait par ordre des Etats du Pays , en
l'année 1736 & fuivantes , ouvrage qui
ne fe vend point étant dans le dépôt du
Cabinet du Roi de Pruffe , & dont il ne
fe trouve d'exemplaires que dans quelques
cabinets particuliers . La carte qu'on annonce
, contient toutes les divifions & fubdivifions
marquées dans l'Atlas ci- deffus ,
& quantité de détails intéreſſans avec des
remarques fur l'hiftoire naturelle du Pays.
Carte générale des ifles Grenefey , Jerfey
, Aurigny & Chanfey.
>
Cartes topo hydrographiques de chacune
des ifles de Grenefey , Jerfey & Aurigny
, avec plufieurs petites ifles qui en
dépendent , appartenantes aux Anglois &
levées fur les lieux , par ordre de la Cour
Angloife . On y trouve marqués les forts ,
châteaux batteries qui défendent les
abords de ces ifles , baies , paffages ,
bancs , écueils & rochers , avec leurs noms.
On y a joint une ample defcription hiftorique
, géographique & politique de ces
ifles , faite fur manufcrits & hiftoires anciennes
& modernes ; le tout affujetti à
plufieurs obfervations combinées avec celles
de Meffieurs de l'Académie Royale des
Sciences.
162 MERCURE DE FRANCE.
Plan du camp retranché du Roi de Pologne
entre Pyrna & Conigftein , & le
blocus des troupes Pruffiennes , levés fur
les lieux.
Plan de la bataille de Haftenbeck , gagnée
le 26 juillet 1757 , par les troupes
Auxiliaires de France , jointes à celles de
l'Impératrice Reine, contre les troupes Hanovriennes.
Le 10 du mois prochain , le même Auteur
donnera une carte des côtes du Poitou
, de l'Aunis & du Brouageais , en une
feuille qui fera accompagnée d'une autre
grande carte topographique de l'ifle
d'Aix & de celle de l'ifle Madame. Le
plan très - détaillé de Rochefort , ainſi que
le plan du fort Fourras , auxquels fera
jointe une ample defcription des lieux les
plus confidérables du Gouvernement gé
néral d'Aunis. Autre grande carte de la
Rochelle & des environs , dans l'étendue
de deux lieues , en une grande feuille d'At
las. Carte du Marquifat & Electorat de
Brandebourg , avec beaucoup d'augmen
tations , qui ne fe trouvent point dans les
autres cartes de ce Pays.
L'Auteur de qui les travaux ont toujours
été favorablement accueillis du pablic
, n'a rien laiffé à défirer dans ces cartes
, tant pour la beauté de la gravure ,
P
t
to
1
P
le
ta
P
g
P
P
1
C
C
NOVEMBRE. 1757. 165
que pour l'exactitude des corrections. Si
comme certains Géographes , il ne prémature
point fes ouvrages , le défaut d'empreffement
à fatisfaire celui quelquefois
trop précipité du public , ne doit pas pour
cela lui être imputé. Il a mis en oeuvre
toute la diligence qui a dépendu de lui.
Les ouvrages que l'on défire pouffer à leur
perfection , exigent du temps . Le Chevalier
de Beaurain aime mieux s'attirer du
public , le reproche d'en avoir un peu trop
employé ,
, que celui de lui avoir mis fous
les yeux des chofes qui n'auroient rien de
conforme à la réalité. Son plan de la bataille
de Haftenbeck lui a mérité l'approbation
des perfonnes les plus diftinguées
à la Cour & dans le Militaire , &
particuliérement de celles qui ont été témoins
oculaires de l'action . Il peut ici
avancer avec pleine confiance , que ce plan
ne reffemble en aucune maniere à ceux de
la même bataille qui ont eu cours dans l'e
public avant qu'il ait paru . Il n'eft pas
donné
à tout le monde de créer, pour ainsi dire,
comme quelques Géographes , & le Chevalier
de Beaurain en particulier eft bien
éloigné d'être de ceux à qui il fuffit de
dire fiat charta , pour qu'incontinent une
carte voye le jour. Lorfque les originaux
qui ont fervi à l'Auteur lui ont paru fuf
164 MERCURE DE FRANCE:
ceptibles de quelques réformes , il les a
faites d'office , prenant toujours pour guides
des mémoires sûrs , les obfervations
aftronomiques les plus exactes & les meilleurs
itinéraires. La collection précieuſe &
confidérable qu'il poffede , tant en livres
& manufcrits rares fur la géographie &
l'hiftoire , qu'en cartes géographiques , le
met en état de produire des morceaux dignes
de la faveur du public & du fuffrage
des amateurs les plus éclairés. C'est à quoi
l'Auteur travaille de tout fon pouvoir.
MUSIQUE.
Avis aux Amateurs du chant .
IL paroît actuellement la premiere feuille
des récréations chantantes , intitulée l'Inconftance
, ariette dont la mufique eft de
la compofition de M. de Mongaultier, maître
de mufique & de violon. Le prix de
chaque feuille eft de 6 f. à l'ordinaire.
L'Auteur continuera de fournir de nouvelles
feuilles dont il fera des recueils par la
fuite auffi tôt qu'il y en aura une quantité
de gravées ; on les aura toujours en
( 1 ) Nota. Que ces feuilles font compofées de
C
P
V
20
R
N
1
fi
01
2
P
NOVEMBRE . 1757 .
165
feuilles féparées, fi l'on veut . On trouvera
cette premiere feuille & les fuivantes , à
Paris , chez l'Auteur , rue S. Honoré , visvis
l'Oratoire , chez un Parfumeur, & aux
adreſſes ordinaires de muſique.
M. Daquin Organiſte de la Chapelle du
Roi , fait graver actuellement un livre de
Noëls pour l'orgue & le clavecin , dont la
plûpart peuvent s'exécuter fur les violons,
flûtes & haubois. Il paroîtra à la Saint
Martin.
Le Sr. Bordet , maître de flûte traverfiere
, déja connu du public par deux recueilsqu'il
a donnés précédemment, & qui
ont eu le plus brillant fuccès , fait
graver
actuellement fix fonates de fa compofition ,
pour deux flûtes , violons & pardeſſus de
viole. Elles paroîtront à la Saint Martin.
petites Ariettes , fans accompagnement de Duo ;
Air , Gavotte, Romance & Vaudeville chantans."
I
16% MERCURE DE FRANCE:
4
ON
ARTS UTILES.
HORLOGERIE.
Na fait , depuis plufieurs années ,
différentes tentatives en horlogerie , pour.
Amplifier les pendules , & particuliérement
celles d'obfervation : mais le haut
prix auquel on étoit obligé de les mettre ,
a toujours affez prouvé au Public , & fait
fentir à leurs auteurs mêmes , qu'elles n'étoient
rien moins que fimples.
L'embarras de les tranfporter , l'impof
fibilité de les fixer dans leur emplacement
à une folidité convenable , la difficulté de
les mettre dans leur échappement , les
variations continuelles que leur caufent
la les boîtes de bois où on les enferme ,
néceffité de recourir aux ouvriers les plus
intelligens pour les remettre en état au
moindre dérangement
l'incommodité
d'un pendule qu'il n'eft point permis de
brifer fans féparation , & qui perd prefque
toujours la longueur fixe qui lui eft fi néceffaire
; la polition des aiguilles qui n'a
fouvent rien d'apparent , ni de commode
pour les yeux , & qu'on ne peut guere faire
རན་
C
M
L
FRAN NOVEMBRE
. 1757.
167
2193
1
RIE
113470
avancer ni rétrograder , fans leur caufer
quelque défordre ; le défaut de jufteſſe enfin
qu'on peut reprocher , à bon droit , à la
plupart de ces pendules , font autant d'inconvéniens
qui ne fe rencontrent point
dans la conftruction de celle qu'on annon
ce ici..
Sa précision & fa folidité font à toute
épreuve , & on n'a voulu en faire part au
Public qu'après des expériences réitérées
depuis environ dix années, par des Aftronomes
& autres Connoiffeurs en ce genre,
Son exécution, en offrant l'avantage d'une
machine perfectionnée principalement par
des voies très- peu difpendieufes , prouve
encore fa fimplicité , qui certainement
n'échappera point à quiconque voudra
l'examiner , & faire attention à la modicité
du prix de ces pendules , qui n'eft que
de vingt piftoles , toute-ajuftées dans leurs
caiffes de tranfport . Ce motif d'économie,
joint à leur exactitude , en a fait débiter
un affez grand nombre.
Ces pendules font renfermées dans des
boîtes de cuivre , ajustées d'une façon nouvelle
, par des vis qui les font mouvoir &
qui fervent à les fixer dans leur échappement
d'une maniere auffi fimple que folide.
On les place à cinq pieds & demi environ
de hauteur ; ce qui fuffit pour les
168 MERCURE DE FRANCE.
faire aller à peu près quinze jours. Elles
marquent les heures , les minutes & les
fecondes , & toutes leurs aiguilles font
placées concentriquement. Elles ne fonnent
point ; mais on fçait d'ailleurs qu'une
fonnerie eft inutile aux pendules d'obfer
vation. Le pendule ſe briſe en trois parties
, d'une façon nouvelle , & cela fans fe
féparer , afin de diminuer le volume de la
caiffe , & rendre par- là ces machines plus
portatives. La caiffe qui leur fert d'enve
loppe a environ dix- huit pouces de lon
gueur , fur fept à huit de largeur & dé
paiffeur.
pr
acte
On donne à ceux qui prennent de ces
pendules une petite inftruction fur la farc
çon de les conduire & de les placer , &
ces pendules fe trouvent chez leur Auteur
M. Gallonde , Horloger du Roi , rue
Quincampoix , vis-à-vis le bureau des
Marchands Merciers.
Σας
dern
Me
T
ARTICLE
cn
rec
NOVEMBRE. 1757. 169
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
Oc-
L'ACADÉMIE
'ACADÉMIE royale de Mufique continue
Hippolyte & Aricie. Le mardi 25
tobre , Mademoiſelle Sixte a chanté pour
la premiere fois dans la fête du quatrieme
acte , un air détaché d'fe , qui commence
par ces paroles , Beaux lieux , &c. Elle a eu
un plein fuccès , & donne les plus grandes
efpérances. On doit l'encourager d'autant
plus , qu'elle joint à une très belle voix
& à une figure auffi noble qu'intéreffante ,
une grande timidité . Cette timidité qui
fuit prefque toujours le vrai talent , en
dérobe d'abord une partie , & pour raffurer
Mlle Sixte , on ne peut trop redoubler les
applaudiffemens
qu'elle mérite.
L'Académie de Mufique fe prépare à
lonner inceffamment l'Opera d'A'cefte ,
ivec tout le foin & tous les ornemens
qu'un fi grand Spectacle demande.
H
170 MERCURE DE FRANCE:
NO
COMEDIE FRANÇOISE
E
TOF
qui
Blai
aut
Le mardi 11 Octobre , les Comédiens
François ont donné gratis Iphigénie enTauride
, fuivie du Mari retrouvé , à l'occa
fion de la naiffance de Monfeigneur le
Comte d'Artois. Cette Tragédie a fait un fon
grand plaifir au peuple , qui a applaudi
jufte aux plus beaux endroits. La belle
PO
fcene d'amitié du troifieme acte a été
I
fentie de cette multitude avec le même
goût & le même tranfport qu'elle l'avor
été des fpectateurs les plus diftingués &
même les plus inftruits ; ce qui prouver c
que la nature eft la même dans tous les
MS
états , & qu'elle ne differe que par quel
plus
ques nuances d'éducation qui parent
dehors , mais qui n'ajoutent rien au fonds
du fentiment. Les Acteurs avoient ét C
jufqu'ici dans l'ufage de ne donner a
peuple que des farces , perfuadés qu'elles s
étoient les feules pieces à fa portée. Voil
qui les défabufe. Nous avons été nous
mêmes , il y a
les
Enfor
sou quatre ans ,
témoinstali
d'un trait qui nous avoit détrompés
à di
fujet. La curiofité
nous ayant conduit
à
bien
Spectacle
un jour de gratis , qu'on y re
préfentoit
l'Avocat
paulin
& les Pla
NOVEMBRE. 1757.
171
deurs , nous entendîmes , en fortant , plu
fieurs Dames de la Halle fe plaindre tout
haut qu'on fe moquoit d'elles , qu'elles
n'étoient pas venues à la Comédie pour
entendre plaider , & qu'il falloit renvoyer
toutes ces chicanes au Palais.
L'Opera a fuivi à cet égard l'exemple de
la Comédie Françoife , & a donné pour
fon gratis la Tragédie d'Hippolyte & Aricie,
qui n'a pas moins réuffi aux yeux de la
populace , que celle d'Iphigénie en Tauride.
Le lundi 24 , on a donné Cénie . Le fieur
Blainville y a joué le rôle de borimont avec
beaucoup de vérité. Il a été applaudi avec
d'autant plus de raifon , qu'on doit lui te
nir compte de l'avoir ainfi rendu , après.
M. Sarrazin , l'Acteur le plus vrai & le
plus parfait dans ce genre .
COMÉDIE
ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens continuent les
Enforcelés , qu'ils ont donnés pour gratis
avec le Chinois , parodie de l'intermede
Italien , & la Noce Chinoife , ballet pantomime.
On peut dire que le peuple a été
bien fervi à tous les Théâtres.
La Petite Maifon , parodie d'Anacreon
Hij
172 MERCURE DE FRANCE,
troifieme acte de l'Opera des Surprises de
Amour , repréſentée pour la premiere fois
par les Comédiens Italiens ordinaires du
Roi , le jeudi 30 Juin 1757 , par M. de
Marcouville. Le prix eft de 24 fols avec
la mufique . Se vend à Paris , chez D
chefne , Libraire , rue S. Jacques.
Le Mauvais plaifant ou le Drôle de Corps,
Opera- comique en un acte , par M. Vadé ,
repréfenté pour la premiere fois fur le
théâtre de l'Opera - comique de la Foire S.
Laurent , le mercredi 17 Août 1757. Se
débite à Paris , chez le même Libraire . Le
prix eft de 24 fols avec la mufique.
1
NOVEMBRE . 1757.
173
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 30 Septembre.
LES nouvelles de Drefde portent que le 26
du même mois , la Princeffe épouse du Prince Electoral
de Saxe eft accouchée d'une Princeffe . Selon
les avis reçus de Poméranie , le fort de Pénamunde
a capitulé le 23. La garnifon a mieux
aimé être prifonniere de guerre , que de fe foumettre
à la condition de ne point fervir pendant
deux ans. Les Suédois ont trouvé dans le fort
vingt pieces de canon . On mande de Warfovie ,
que la diette particuliere de Szroda s'eft féparée
le 14 , fans avoir pris aucune réfolution .
Du Quartier général de l'armée Impériale à
Greibnig , le 27 Septembre 1757.
L'Armée Impériale , après avoir détaché quelques
Troupes vers Strigau , quitta le 24 du même
mois le camp de Jawer , pour venir camper
à
Nicolstadt .
Le 25 , le Prince Charles de Lorraine & le
Feld -Maréchal Comte de Daun allerent à la pointe
du jour reconnoître la fituation de l'ennemi , &
obferverent que , pour mieux s'étendre aux envi
rons de Lignitz , il ne formoit qu'une feule li
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
Son
gne qu'il avoit jetté beaucoup de monde dans
les Villages de Barfchdorff & de Koifchwitz fitués
devant fon front , & que ces Villages étoient
garnis de canons . D'après ces difpofitions ,
Alteffe Royale jugea à propos , pour s'approcher
de Lignitz , de faire marcher l'aile droite de l'ar
mée Impériale par Seyfersdorff , l'aile gauche fe !
porta à une lieue au-delà de Wohlftadt , & le
Quartier Général fut établi à Greibnig.
་f
C
le m
Comme les Pruffiens avoient beaucoup de monde
dans le Village de Koifchwitz & pouvoient
incommoder la premiere ligne de l'armée , le
Comte de Sprecher , Lieutenant- Général , fut | k
commandé avec les Grenadiers , pour en déloger
l'ennemi , & après une canonnade d'environ
une heure & demie , les Pruffiens furent obligés
d'abandonner ce pofte..
Le 22 de grand matin , le Prince Charles & le
Feld-Maréchal Comte de Daun , ayant remar
qué que
les tentes de l'Infanterie ennemie étoient
encore tendues , & que celles de la Cavalerie
étoient pliées , réfolurent de les déloger de Barf
chdorff , pofte qui étoit occupé par quatre
taillons & par quelques Efcadrons de Huffards
On fit pour cet effet travailler cinq cens hommes.
à des fafcines ; on tira de tous les Régimess
huit cens Volontaires , & tous les Grenadiers eurent
ordre de fe tenir prêts . Vers les trois heu
res après- midi , l'artillerie commença à tirer fur
Barfchdorff. Les ennemis qui étoient campés fur
des hauteurs derriere ce Village , fe mirent en
bataille , établirent quelques batteries pour les
oppofer aux nôtres , & firent fans fuccès un feu
très -vif. Un de nos obus fit fauter en l'air un
charriot de munitions de guerre , & deux Canonpiers
Pruffiens. On tira de part & d'autre juf
Ch
NOVEMBRE. 1757. 171
qu'à fix heures du foir , & les ennemis décam
perent , après avoir mis le feu à Barfchdorff. Ils
ont fait marcher leur artillerie , leurs pontons
& leurs bagages vers Merfchwitz , & ont enfuite
abandonné Lignitz , où l'on a trouvé beau→
coup de bleffés . Le Prince Charles a mis dans
Lignitz une garnifon de deux mille hommes d'Infanterie
& cent chevaux. Les Pruffiens y ant
laiffé quatre cens mille rations de foin , trente
tonneaux de farine , trente muids d'avoine , &
environ cent trente tonneaux de fel. Les Généraux
de Haddick & de Beck ont été chargés de
harceler l'ennemi dans fa retraite . Le dernier
avec un Corps de mille hommes d'Infanterie ,
deux cens Huffards & quelques pieces de canon ,
leur a pris foixante - douze charriots d'ordonnance
chargés d'avoine , quatre charriots remplis des
bagages de divers Officiers , & un charriot d'eaude-
vie. Il leur a fait auffi quelques prifonniers , &
il n'a perdu que huit hommes & cinq chevaux
tués ou bleffés.
DE STADE , le 8 Septembre.
Le Dac de Cumberland s'eft embarqué le 6
d'octobre fur une frégate Angloife , pour le rendre
à Londres . Il a été joint au Cuxhaven , ૩
Pembouchure de l'Elbe , par des vaiffeaux de
guerre Anglois , qui doivent l'efcorter.
Le fieur de Gevigland Docteur , & ancien
Profeffeur de Médecine en l'Univerfité de Paris ,
Médecin des Armées du Roi , eut ordre de fe
détacher de l'Hôpital ambulant de l'armée vers
la fin du mois d'août , pour fe rendre à Hanovre
à l'effet d'y prendre foin de plufieurs Officiers
qui refterent malades à la fuite du quartier gé
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
néral . Le zele & l'activité de ce Médecin ne k
font jamais ralentis , la méthode avec laquelle
il a adminiftré l'hypécacuana pour les dytente
ries qui régnoient alors , lui ayant toujours
parfaitement réuffi , il s'eft acquis l'eftime & la
confiance d'une grande partie des Officiers de
l'armée , autant par fon exactitude défintéreflét
que par la sûreté de la pratique.
LE
FRANCE.
De la Rochelle , le 2 Octobre .
E 20 Septembre , on apperçut dans l'aprèsdînée
, par le travers de la tour des Baleines ,
fur l'ile de Ré , une flotte angloife forte de
80 à 100 voiles , qui entra vers les fix heures
dans le Pertuis d'Antioche , & mouilla du côté
du Platin d'Ars . Cette flotte ne fit que louvoyer
pendant la journée du 21. Le 22 au foir , rat
partie vint mouiller dans la rade des Bafan,
& l'autre partie refta dans le Pertuis. Le 23
fur les huit heures du matin , huit Vaiffeaux fe
détacherent de la flotte , pour venir fur Pe
Daix . A midi , deux de ces vaiffeaux s'étan
avancés à portée du petit fort de cette ill ,
dont les ouvrages n'étoient encore que très - imparfaitement
ébauchés , commencerent à le canonner
vivement le fort y répondit pendant
trois quarts d'heure , au bout defquels il fe rendit.
Trois cens hommes du batillon des Mi
..ces de Poitiers , qui en compofoient la garni
fon , furent faits prifonniers de guerre. Le
NOVEMBRE . 1757. 177
chaloupes de la flotte furent employées les 24 ,
25 , 26 & 27 , à fonder en différens parages ;
quelques- unes s'étant approchées des côtes de
Fifle de Ré & de celle d'Oleron , en furent repouffées.
Le 30 , les Anglois , après avoir jetté
quelques bombes fur le fort Fouras & Pille
Madame , & fait fauter les fortifications de l'ifle
Daix , mirent le feu au corps des cafernes du
fort , ainfi qu'à une maifon au -delà du Village
appellée Beauséjour , qui fut brûlée avec tous
fes meubles & effets. Enfin le 1. octobre la
fotte ayant levé l'ancre fur les neuf heures du
matin , a paffé tout de faite le Pertuis d'Antio
che, & à cinq heures après - midi on l'avoit entiérement
perdue de vue. Les dommages faits par
les Anglois dans l'ifle Daix , fe réduisent à la
démolition du Donjon & d'une partie des fortifications
commencées , qui ont été endommagées
par les mines. Des vingt- quatre pieces de
canon & des huit mortiers qui étoient en batterie
, ils ont emporté deux canons , quatre
mortiers de fonte , & caffé les tourillons des autres
. L'habitant a été pillé , & les Anglois ont
brifé tout ce qu'ils n'ont point emporté. Ils
n'ont pas refpecté les lieux faints : ils ont abattu
le clocher , enlevé les cloches , mis en pieces
le tableau de l'autel , le tabernacle & une ftatue
de la Vierge. Après avoir promené dans le Village
la banniere & la croix , ils les ont brifées
& jettées à la mer.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
I
E 9 Octobre , fur les cinq heures de l'aprèsmidi
, Madame la Dauphine commença à fentir
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
des douleurs. Vers les fept heures du foir , cette
Princeffe accoucha d'un Prince , que le Roi a nom.
mé Comte d'Artois. M. l'Abbé de Bouillé , Comtede
Lyon , & premier Aumônier de Sa Majeſté ,
fit , à fept heures un quart , la cérémonie de l'ondoyement
, en préfence du Curé de la Paroiffe da
Château . Monfieur Rouillé , Miniftre d'Etat , Sur
Intendant général des Poftes , & grand Tréforier
de l'Ordre du S. Elprit , ayant apporté le Cordon
de cet Ordre , eut l'honneur de le paffer au col
du Prince . Monfeigneur le Comte d'Artois fut enfuite
remis à la Comteffe de Marfan , Gouvernante.
des Enfans de France ; & elle le porta à l'appartement
qui lui étoit deſtiné . Ce Prince y fut conduit
par le Maréchal Duc de Luxembourg , Capitaine
des Gardes du Corps.
Le Roi & la Reine , accompagnés de la Famille
Royale , ainfi que des Princes & Princeffes du
Sang , des grands Officiers de la Couronne , des.
Miniftres , des Seigneurs & Dames de la Cour
& précédés des deux Huiffiers de la Chambre quis
portoient leurs maffes , fe rendirent le lendemain
à la Chapelle. Leurs Majeftés y entendirent la
Meffe , pendant laquelle M. Colin de Blamont ,
Chevalier de l'Ordre de S. Michel , & Sur- Intendant
de la Mufique de la Chambre , fit exécuter le
Te Deum en mufique , de fa compofition . Cette
Hymne fut entonnée par M. l'Abbé Gergois, Chapelain
ordinaire de la Chapelle- Mufique.
Après la Meffe , le Roi & la Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monfeigneur le Duc de Berry , Monfeigneur le
Comte de Provence , Madame Infante Duchellede
Parme , Madame ,. & Mefdames Victoire , Sophie
& Louife , reçurent dans leurs appartemens
les révérences des Dames de la Cour , à l'occafion
NOVEMBRE. 1757 179
des couches de Madame la Dauphine , & de la
naiffance du Prince.
On tira le foir un bouquet d'artifice devant les
fenêtres du Roi.
Sa Majefté a fait partir Monfieur Pernot- du
Buat , un de fes Gentilshommes ordinaires
pour aller à Luneville donner part de la naiffance
de Monfeigneur le Comte d'Artois au Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar.
Madame la Dauphine & le jeune Prince fe por--
tent auffi bien qu'on puiffe le défirer.
9"
Sur le premier avis que Madame la Dauphine:
avoit reffenti quelques douleurs , le Corps - de-Ville
s'étoit affemblé. A huit heures & demie du foir
le fieur d'Amfreville , Chefde Brigade des Gardes.
du Corps , vint lui apprendre , de la part du Roi,.
la naiffance d'un Prince. Auffi -tôt les Prevôt des
Marchands & Echevins firent annoncer à toute la
Ville , par une falve générale de l'artillerie , & par
la cloche de l'Hôtel- de-Ville , qui a fonné jufqu'au
lendemain minuit , la nouvelle faveur qu'il
a plu à Dieu d'accorder au Roi & à la Nation. On
tira le même foir dans la place de l'Hôtel - de-Ville :
un grand nombre de fufées volantes,
Le ro , les officiers des cérémonies étant ab--
fens , le fieur Ourfin de Soligny , Maître d'hôtel
du Roi , remit au Corps - de- Ville une lettre de Sa
Majefté. Il fut fait deux falves générales de l'artil
lerie , l'une dès le matin , l'autre vers les fix heu--
res du foir , après laquelle les Prevôt des Marchands
& Echevins allumerent,avec les cérémonies
accoutumées , le bucher qui avoit été dreffé dans
la place devant l'Hôtel- de- Villé . Ce feu fut accom.-
pagné d'une grande quantité d'artifice : On fit couler
dans la place plufieurs fontaines de vin , & l'on
diftribua du pain &. des. viandes au peuple . Des.
H.vj.
180 MERCURE DE FRANCE.
orcheftres remplis de muficiens , mêlerent le foa
de leurs inftrumens aux acclamations dictées paa
Palégretle publique. La façade de l'Hôtel- de-
Ville fut illuminée par plufieurs filets de terrines ,
ainfi que l'hotel du Prevôt des Marchands , & les
mailons des Echevins & Officiers du Bureau de la
Ville.
Le Roi a accordé à M. le Marquis de la Tour-
Dupin de Paulin le régiment de Guyenne , vacant
par la mort de M. le Conte de Montmorenci-
Laval , tué à la bataille de Haftembecke .
a
Le Roi ayant admis dans fon Confeil des Dépêches
les fieurs Gilber de Voyfins & Berryer , Confeillers
d'Etat , le 16 octobre ils eurent l'honneur
de faire leurs remerciemens à Sa Majeſté.
Sa Majesté a donné le gouvernement général de
l'Orléanois , vacant par la mort de M. le Duc d'Antin
, au Comte de Rochecouart , fon Miniftre
Plénipotentiaire à la Cour de Parme.
Le 19 , M. le Duc de Duras prêta ferment entre
les mains du Roi pour la charge de premier Gentilhomme
de la Chambre , vacante par la mort du
Duc de Gefvres.
Le même jour, M. le Marquis de Gontaut prêta
ferment entre les mains de Sa Majeſté , pour la
Lieutenance générale du Languedoc , vacante par
la mort de M. le Maréchal Duc de Mirepoix.
Le Roi a difpofé en faveur du Prince de Beauveau
, de la charge de Capitaine des Gardes du
Corps , qu'avoit auffi le feu Maréchal Duc de Mirepoix
Sa Majesté a accordé au Vicomte de Noë,
Chambellan du Duc d'Orléans , & Capitaine de
vaiffeau , un brevet de Colonel à la ſuite du régiment
d'Orléans cavalerie.
M. de Lamoignon de Bafville a obteau da
A
a.
I
fo
P
ve
G
M
G:
NOVEMBRE . 1757. 181
Roi l'agrément de la charge de Préſident du Par
lement , dont le fieur Molé , premier Préfident ,
étoit revêtu.
Le Roi a nommé M. le Comte des Salles, Capitaine
de Cavalerie dans le régiment d'Harcourt ,
à la place deColoneldans lesGrenadiers de France,
vacante par la nomination de M. le Marquis de la
Tour - Dupin de Paulin au régiment de Guyenne.
Les troupes de la Maiſon du Roi , qui avoient
été détachées pour la défenſe de nos côtes , ne
font point arrivées à leur deftination , par la
prompte retraite des Anglois , & ont eu ordre de
revenir. Les Gardes Françoifes & les Gardes Suiffes
qui étoient reftées à Tours , à Saumur & à
Blois , doivent fe rendre ici fucceffivement dans
Fla fin d'octobre , & au commencement de novembre.
Les détachemens des Gardes du Corps ,
Gendarmes de la Garde , Chevaux- Légers , &
Moufquetaires de la premiere Compagnie , font
tous partis le 19 octobre , d'Orléans , d'Eftampes ,
d'Arpajon & de Chartres , où ils étoient reftés. La
feconde Compagnie des Moufquetaires , & les
Grenadiers à cheval , qui avoient reçu des contreordres
à temps , n'ont point quitté leurs quartiers.
Madame la Dauphine étant accouchée d'un
Prince le 9 d'octobre , M. le Marquis de Paulmy ,
Miniftre & Sécretaire d'Etat , expédia fur le champ.
un courier aux Députés des Etats de la Province
d'Artois
, pour leur faire fçavoir que le Roi avoit
nommé le nouveau Prince , Comte de cette Pro-,
vince. Auffitôt que cette nouvelle fut portée à
Arras , Capitale de l'Artois , toutes les cloches de
la Ville fonnerent , les habitans fermerent d'euxmêmes
leurs boutiques , & coururent en foule à
P'Eglife , pour y rendre à Dieu des actions.de.gra
182 MERCURE DE FRANCE.
ees de l'heureuſe délivrance de Madame la Dau
phine , & lui demander la conſervation d'un
Prince qui leur eft d'autant plus cher , que la
Province , depuis cinq hecles , a été privée de
Phonneur de voir fon nom porté par un Prince
de la Maiſon Royale. Ces actes de piété furent
fuivis des démonftrations de la joie la plus vive.
La nouvelle fut bientôt répandue jufqu'aux extrê
mités de l'Artois ; & tous les peuples , à l'envi de
la Capitale , s'emprefferent de faire éclater lear
reconnoiffance & leur alegreffe . Les Etats de la
province s'affemblerent extraordinairement , &
éfolurent de nommer une députation folemnelle,
formée de trois perfonnes de chaque ordre , pour
aller , conjointement avec les députés ordinaires
qui réfident cette année à la fuite de la Cour , remercier
le Roi de lafaveur fignalée que Sa Majesté
vient d'accorder à l'Artois , & pour la féliciter ,
ainfi que la Famille royale , fur cet heureux évé
nement. Cette députation s'étant rendue à Verfailles
le Dimanche 16 d'octobre , elle fut admife
à l'audience du Roi , de la Reine , de Monseigneur
le Dauphin , de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, de Monfeigneur le Duc de Berry , de Mon
feigneur le Comte de Provence , de Monfeigneur
le Comte d'Artois , de Madame Infante Ducheffe
de Parme , de Madame , & de Meſdames Victoire ,
Sophie & Louife. Les Députés furent préfentés
par M. le Marquis de Paulmy , Miniftre & Secresaire
d'Etat , ayant le département de la Province,
& conduits par M. Defgranges , Maître des Céré
monies. La députation étoit compofée de MM. les
Evêques d'Arras , de Saint - Omer , l'Abbé de
Saint-Waak & l'Abbé de Cry , Chanoine de is
Cathédrale d'Arras , pour le Clergé ; de MM. le
Marquis de Creny , le Comte d'Houchin , k
Bar
記
acc
Co
On
La
Pa
4
#1
NOVEMBRE . 1757. 183:
Baron de Wifmes , & le Baron d'Haynin , pour la
Nobleffe ; de MM. de Canchy , Echevin de la ville
de Saint - Omer ; Cornuel & Goffes , Echevins de
la ville d'Arras , & de Gouves , Procureur du Roi
de la même ville , pour le Tiers - Etat. Elle étoit
accompagnée de M. le Premier Préfident & du .
Confeil Provincial d'Artois . M. l'Evêque de Saint-
Omer porta la parole , & exprima d'une maniere:
touchante les fentimens de joie , d'amour , de
refpect & de reconnoiffance, communs à tous les
habitans de l'Artois. Cette Province fut réunie à
la Couronne en 1199 , par Philippe Augufte. Il
Périgea en Comté , & la donna à fon fils aîné , depuis
Louis VIII . Ce Comté paffa enfuite à Robert,.
fecond fils de Louis , qui porta le nom de Comte:
d'Artois , & fut tué à la bataille de la Maffoure,
Philippe le Bel en 1297 érigea l'Artois en Comté
Pairie.
La Princeffe de Condé eft accouchée heureufe--
ment les d'Octobre d'une Princeffe.
Les mauvais fuccès que les Anglois ont éprouvés
dans les entreprifes qu'ils ont tentées , foit dans le
fein de la paix , foit depuis la déclaration de la
guerre , pour envahir le Canada , ne les ont point
rebutés . Perfonne n'ignore les préparatifs im
menfes qu'ils avoient faits pour l'attaquer cette
année tout à la fois par mer & du côté des
terres. Les forces navales , que le Roi a deſtinées
pour la défenſe de cette colonie , ont fait échouer
leur projet du côté de la mer; & les difpofitions:
qui ont été faites dans le pays , les ont mis éga
lement hors d'état de faire aucune tentative fur les
frontieres.
Dès la fin de la campagne de l'année derniere ,,
M. le Marquis de Vaudreuil, Gouverneur & Lieute
pant-Général de la Nouvelle France , s'occupa de
184 MERCURE DE FRANCE.
tous les arrangemens qu'il pouvoit y avoir à pren
dre pour le mettre en état de les repouffer de toutes
parts.
Il prit des mefures pour avoir des partis de Canadiens
& de Sauvages continuellement en cam.
pagne durant l'hyver. Les incurfions que ces détachemens
ont faites fur les ennemis leur ont ré
beaucoup de monde , & donné l'alarme à leurs
colonies, où ils ont fait beaucoup de ravages.
M. le Marquis de Vaudreuil s'eft appliqué authà
ménager les bonnes difpofitions des Nations Sauvages
, qui en général font foulevées contre l'iajuftice
des prétentions & la violence des procédés
des Anglois. Celles qui font anciennement alliées
de la France n'ont point ceffé de donner de nouvelles
preuves de leur fidélité , & ont été continuellement
en parti contre les ennemis. D'autres
Nations nombreuſes font entrées dans cette alliance
, & ont pris part à la guerre. Les Iroquois
eux-mêmes , ces Nations que les Anglois repréſen
tent à l'Europe comme leurs fujettes , animés des
mêmes motifs que les autres Sauvages , ont pris le
même parti , malgré les efforts de toute espece
que les Gouverneurs Anglois ont faits pour obtenir
d'eux qu'ils s'en tinffent à la neutralité qu'ils
avoient obfervée dans les guerres précédentes
d'entre la France & l'Angleterre.
C'eſt relativement aux avantages que M. le Marquis
de Vaudreuil s'eft vu en état de tirer des difpofitions
de toutes ces Nations , qu'il a réglé fes
opérations.
Il avoit jugé que les ennemis tourneroient leurs
principaux efforts du côté du Lac Saint- Sacrearent
& du Lac Champlain ; & il a donné une
attention particuliere à munir les Forts qui défendent
cette frontiere. Les ennemis ayant été infor
NOVEMBRE. 1757 . 185
més qu'on devoit faire pafler du Fort Saint-Fre
déric au Fort de Carillon quelques provifions fous
l'escorte d'un petit détachement , en envoyere t
un de quatre-vingts hommes d'élite , qui enleva les
premieres traînes de ce convoi & fept Soldats ;
mais le Commandant du Fort Saint- Frédéric fit
marcher un nouveau détachement qui coupa celui
des ennemis dans fon chemin , le défit entiérerement
, à l'exception de trois hommes qui fe
fauverent , & reprit les traînes dont les ennemis
s'étoient emparés , & trois Soldats qui reftoient
de ceux qui avoient été enlevés . Cette action fe
pafla au mois de Janvier. MM . de Bafferode & de
la Grandville , Capitaines aux Régimens de Languedoc
& de la Reine , y eurent la principale
part.
M. le Marquis de Vaudreuil apprit dans le même
temps que les ennemis avoient raflemblé au
Fort Georges fitué fur le Lac Saint -Sacrement ,
des approvifionnemens confidérables de toures
les efpeces , & qu'ils avoient fait conftruire fous
le canon de ce Fort un très -grand nombre de barques
, de bateaux & d'autres bâtimens , non-feulement
pour le tranfport de ces approvifionnemens
, mais encore pour s'affurer la navigation de
ce Lac. Il jugea que tous ces préparatifs étoient
deftinés pour des entreprifes que les ennemis fe
propofoient d'exécuter au printems. Pour leur en
ôter les moyens , il fit , matcher au mois de Mars
un détachement de quinze cens hommes de troupes
réglées , Canadiens & Sauvages , fous les ordres
de M. Rigaud- de Vaudreuil , Gouverneur
des Trois - Rivieres , qui réuffit fi bien dans fon
expédition , qu'il parvint à brûler tous les bâtimens
de mer , tous les magafins qui étoient rem➡
plis de toutes fortes de munitions & d'uftenfiles
186 MERCURE DE FRANCE.
pour une armée de quinze mille hommes , & généralement
tout ce que les ennemis avoient raſ◄
femblé fous le Fort , lequel refta ifolé.
M. le Marquis de Vaudreuil ne fe contenta
pas des obftacles qu'il oppofoit par- là à l'exécution
des projets des ennemis du côté du Lac Saint-Sacrement
, il fortifia de nouveau les garnifons des
poftes qui font fur cette frontiere ; & au moyen
du renfort de troupes & des autres fecours que le
Roi a fait paffer en Canada , ce Gouverneur s'eft
trouvé en état d'agir offenfivement contre les ennemis.
Du côté de la Belle Riviere , il a fait détruire
plufieurs petits Forts qu'ils y avoient établis .
Pour profiter efficacement des avantages de
Pexpédition de M. Rigaud , & de ceux de la fituation
où le trouvoit la colonie du côté de la mer ,
il a formé le projet de s'emparer du Fort Georges.
L'établiffement de ce Fort , qui n'avoit été fait
que depuis peu de temps, étoit une de ces invaſions
que les Anglois font dans l'ufage de faire en tems
de paix fur les poffeflions de leurs voisins ; & il
leur donnoit les plus grandes facilités pour atta
quer le Canada par fon centre.
M. le Marquis de Vaudreuil a chargé de cette
importante expédition M. le Marquis de Montcalm
, Maréchal de Camp. Le corps de troupes
qu'il y a deftiné , étoit compofé de fix bataillons
de troupes de terre , d'un détachement des
troupes réglées de la colonie , de plufieurs détachemens
de milices , & de plufieurs partis de
Sauvages. Toutes ces troupes ont été raſſemblées
le 20 Juillet à Carrillon , où M. de Bourlamaque
, Colonel d'Infanterie , avoit déja fait les dif
pofitions préliminaires pour la marche de l'armée.
M. le Marquis de Montcalm s'y étoit rende
Σ
&
C
C
f
C
་
NOVEMBRE. 1757. 187
quelque temps auparavant. En attendant que l'armée
pût le mettre en marche , il avoit détaché
M. de Rigaud- de Vaudreuil , pour s'emparer de
la tête du portage du Lac Saint- Sacrement , avec
un corps de troupes de la colonie , de Canadiens
& de Sauvages.
M. Kigaud- de Vaudreuil s'étant établi dans ce
pofte , il envoya trois détachemens à la découverte.
Le premier , qui n'étoit que de dix hommes ,
fut attaqué fur le Lac Saint- Saciement par plufieurs
canots , dans lefquels il y avoit cent vinge
à cent trente Anglois . Quoique M. de Saint-
Ours , Lieutenant des troupes de la Colonie ,
qui le commandoit , fût bleffé à la premiere décharge
, il fe défendit avec tant de fermeté , qu'il
obligea les ennemis à fe retirer.
Le fecond , qui étoit affez confidérable , fut
commandé par M. Marin , autre Lieutenant , quis
fe fit précéder par huit Sauvages qui faifoient fon
avant-garde , lefquels fe trouverent vis - àvis quarante
Anglois. Dès le premier abord , ils firent :
leur décharge fur les ennemis , tuerent leur Com
mandant , & mirent le refte en fuite. M. Marin ,,
ayant rejoint fon avant-garde , réduifit fon détachement
à cent cinquante hommes d'élite . Il fe
porta près du Fort Edouard , éloigné de quelques.
lieues du Fort Georges , fans être découvert. Il défit
d'abord une patrouille de dix hommes , enfuite
une garde ordinaire de cinquante hommes ,
& plufieurs travailleurs. Il fe préfenta à la vue da
camp des ennemis , qui fortirent au nombre de
trois mille hommes faifant feu fur lui . Il le foutine
pendant deux heures. Ce ne fut même qu'avec
peine qu'il obligea les Sauvages qui étoient avec
ui , à fe retirer, Il tua dans certe action plus de
"
H
188 MERCURE DE FRANCE. Re
*
cent cinquante hommes , à quarante defquels les
Sauvages leverent la chevelure. Il n'en perdit pas
un feul & il n'y eut de bleffés que deux Sauvages.
Le troifieme détachement , commandé par M.
Corbiere , autre Officier de la Colonie , fe tint
embufqué pendant une journée. Au commencement
de la nuit , il apperçut fur le Lac vingt Berges
& deux Efquifs , dans lefquels il y avoit plus
de trois cens cinquante Anglois , commandés par
le Colonel Parker , cinq Capitaines , & fix autres
Officiers. Les Sauvages qui étoient avec lui firent
leur cri & leur décharge en même temps. Les
ennemis firent une foible réſiſtance. Deux feules
Berges fe fauverent , les autres furent prifes ou
coulées à fond. M. Corbier revint avec ceat
foixante-un prifonniers . Il y eut plus de cent cinquante
Anglois tués ou noyés ; & dans le détachement
François , il n'y eut qu'un Sauvage blee
affez légèrement .
M. le Marquis de Montcalm s'occupoit cependant
des difpofitions de fa marche . Il diftribua les
miliciens en plufieurs bataillons , dont il donnale
commandement à des Officiers des troupes de la
Colonie ; & des compagnies détachées de ces treapes
, il compofa un bataillon pour rouler avec
ceux des troupes de terre . H donna auffi à M. de
Villiers , Capitaine de celles de la Colonie , &
connu par plufieurs expéditions qu'il a exécutées
dans cette guerre , un corps de trois cens volontaires
Canadiens ; de maniere que l'armée le
trouva compofée de trois brigades de troupes ré-
'glées , qui étoient la brigade de la Reine , formée
des bataillons de la Reine & Languedoc , &
de celui des troupes de la Colonie ; la Brigade de
Sarre , des bataillons de la Sarre & de Guyen
d
Po
Sa
fa:
Ca
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Sa
ג
&
Ac
སྒོ་
de
C'e
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9-
E
NOVEMBRE . 1757. 189
celle de Royal- Rouffillon , des bataillons de
Royal- Rouffillon & Bearn ; de fix brigades de
milices , des trois cens volontaires de Villiers , &
d'un détachement d'artillerie & de génie , compofé
de fept Officiers , & d'environ cent vingt
canonniers , bombardiers ou ouvriers . Tous ces
corps ne faifoient cependant enſemble que cinq
mille cinq cens combattans , non compris les
Sauvages qui étoient au nombre d'environ dixhuit
cens , parce que M. le Marquis de Montcalm
fut obligé de prendre dans les troupes quelques
détachemens , tant pour la garnifon du Fort de
Carillon , que pour quelques autres poftes .
Il étoit queftion de tranfporter par terre & à
bras d'hommes , depuis Carillon jufqu'au Lac
Saint-Sacrement , non feulement l'artillerie & les
munitions de guerre & de bouche de toute espece,
mais encore plus de quatre cens bateaux & canots ;
& cette opération fut fuivie avec tant de foin ,
qu'elle fut achevée la nuit du 31 Juillet au premier
Août.
Dès le 30 Juillet M. le Marquis de Montcalm
avoit fait partir M. le Chevalier de Levis , Brigadier
, à la tête d'un corps de deux mille cinq cens
hommes compofé de fix compagnies de Grenadiers
, huit piquets des volontaires de Villiers ,
d'environ mille Canadiens , & cinq cens Sauvages
, pour marcher au travers des bois , affurer
la navigation de l'armée , reconnoître & couvrir
fes débarquemens. Malgré les difficultés & les
fatigues de cette marche , cet Officier prit pofte
dès le lendemain au foir à la Baie de Ganaouské ,
qui n'eft qu'à quatre lieues du Fort Georges.
Le premier Août l'armée s'embarqua , & arriva
le 2 à trois heures du matin dans cette même
Baic. M. le Chevalier de Levis en repartit avec
190 MERCURE DE FRANCE.
fon détachement à dix heures , fe porta à une anfe
éloignée du Fort Anglois d'environ une lieue , &
fut reconnoître le Fort , la pofition des ennemis ,
& le débarquement propre à l'artillerie L'armée
arriva fur les onze heures du foir à cette même
anfe , & tout le monde reſta au bivouac .
Des prifonniers , qui furent faits pendant la
nuit des Canadiens & des Sauvages , rappor
par
terent que le nombre des ennemis pouvoit monter
à trois mille hommes , dont cinq cens étoient actuellement
dans le Fort , & le refte dans un camp
retranché qui étoit placé fur une hauteur à deux
cens toiles du Fort & à portée d'en rafraîchir continuellement
la garnifon. Ils ajouterent qu'au fignal
d'un coup de canon , toutes les troupes devoient
prendre les armes.
Sur ce rapport , qui s'accordoit avec les connoiffances
que M. le Chevalier de Levis avoit pri
fes fur la polition des ennemis , M. le Marquis de
Montcalm donna fur le champ l'ordre de marche
de l'armée , dont la difpofition fut faite pour recevoir
les ennemis , en cas qu'ils vinfſent à fa rencontre
, & pour , dans le cas où ils ne viendroient
pas , inveftir la place , & même attaquer le camp
retranché , s'il étoit jugé fufceptible d'une attaque
de vive force .
Le 3 à la pointe du jour , l'armée ſe mit en
marche.
M. le Chevalier de Levis faifoit l'avant-garde
avec fon corps , une partie des milices & tous les
Sauvages. Les bataillons & le refte des milices
marchoient enfuite en colonne , M. Rigaud-de
Vaudreuil à la droite , M. de Bourlamaque à la
gauche , & M. le Marquis de Montcalm dans le
centre. M. de Privat , Lieutenant- Colonel , avoit
été placé avec cinq cens hommes de troupes &
NOVEMBRE. 1757. 198
ane brigade de milices à la garde des bateaux &
de l'artillerie.
A midi , l'inveſtiſſement fut entierement formé
M. le Marquis de Montcalm , qui s'étoit porté à
l'avant -garde , ayant reconnu qu'il ne pouvoit at
taquer les retranchemens des ennemis , fans trop
compromettte fes forces , envoya ordre à M. de
Bourlamaque d'affeoir le camp de l'armée , la
gauche au Lac , la droite à des ravines preſque
inacceffibles , & d'y conduire fur le champ les
brigades de la Sarre & de Royal- Rouffillon . Pour
lui , avec la brigade de la Reine & une brigade de
milices , il paffa la nuit au bivouac , à portée de
foutenir le camp que M. le Chevalier de Levis occupoit
avec l'avant-garde fur le chemin du Forg
Gorges au Fort Edouard.
Comme ce pofte de l'avant -garde étoit trop
éloigné du ſiege , des bateaux & des vivres , elle
fe rapprocha le 4 au matin. M. le Marquis de
Montcalm ramena les deux brigades qu'il avoit
avec lui , prendre leur place dans le camp. L'ar
mée deſtinée à faire le fiege fe trouva alors poſtée ,
& compofée de fept bataillons de troupes , & de
deux brigades de milices. M. le Chevalier de Le
vis & M. Rigaud- de Vaudreuil , avec le refte des
milices , les volontaires de Villiers , & tous les
Sauvages , furent chargés de couvrir la droite du
camp , d'obferver les mouvemens des ennemis du
côté du chemin du Fort Edouard , & de leur don
ner à croire , par des mouvemens continuels , que
cette communication étoit encore occupée.
Dans l'après- midi du même jour 4 , on mar
qua le dépot de la tranchée. On fit le chemin de
ce dépôt au camp , les fafcines , gabions & fauciffons
néceffaires pour le travail de cette premiere
nuit ; & l'on mit en état une anfe , à laquelle le
192 MERCURE DE FRANCE.
dépôt aboutifloit , pour y pouvoir débarquer dans
la nuit l'artillerie à mesure qu'on en auroit befoin.
La nuit du 4 aus , on ouvrit la tranchée à 350
toiles du Fort d'attaque , embraffant le front du
Nord-Oueſt : cette tranchée étoit une espece de
premiere parallele. On commença auffi deux batteries
avec leur communication à la parallele.
Dans la journée dus , les travailleurs de jour
perfectionnerent les ouvrages de la nuit. Mais on
fut obligé de retirer un peu plus en arriere la gauche
du camp de l'armée , laquelle fe trouvoit trop
expofée au feu de la Place.
Le même jour , les Sauvages intercepterent
une lettre du Général Webb , écrite du Fort
Edquard en date du 4 à minuit . Il mandoit au
Commandant du Fort Georges , qu'auffitôt après
J'arrivée des milices des provinces auxquelles il
avoit envoyéordre devenir le joindre fur le champ,
il s'avanceroir pour combattre l'armée Françoife ;
que cependant , fi ces milices arrivoient trop tard
le Commandant fît enforte d'obtenir les meilleures
conditions qu'il pourroit. Cette lettre détermina
M. le Marquis de Montcalm à accélérer encore
la construction des batteries ; & le nombre
des travailleurs fut augmenté.
La nuit dus au6 , on acheva la batterie de la
gauche qui fut en état de tirer à la pointe du jour ;
elle étoit de huit pieces de canon & d'un mortier,
& elle battoit le front d'attaque & la rade des barques.
On acheva auſſi la communication de la batterie
de la droite avec la parallele , & l'on avança
confidérablement cette batterie.
La nuit du 6 au7 , on conduifit un boyau de
Iso toifes en avant fur la capitale du Baftion de
P'Ouest , & l'on acheva la batterie de la droite.
Elle étoit de huit pieces de canon , d'un mortier
&
te
fe
NOVEMBRE . 1757. 193
& de deux obufiers : elle battoit en écharpant le
front d'attaque , & à ricochet le camp retranché.
Elle fut démafquée à fept heures du matin ; &
après une double falve des deux batteries , M. le
Marquis de Montcalm jugea à propos de faire porter
au Commandant de la Place la lettre du Général
Webb , par M. de Bougainville un de fes Aides
de camp.
La nuit du 7 au 8 , les travailleurs cheminant
fur la Place , en continuant le boyau commencé
la veille , lequel fut conduit à 100 toifes du foffé,
ouvrirent auffi à l'extrêmité de ce boyau , un cro
chet pour y établir une troifieme batterie , & y
loger de la moufqueterie . Vers minuit , les enne
mis firent fortir trois cens hommes du camp retranché
. M. de Villiers tomba fur eux avec un
petit nombre de Canadiens & de Sauvages , leur
tua foixante hommes , fit deux prifonniers , &
força le refte à rentrer dans le camp.
Le travail de la nuit avoit conduit à un marais
P'environ so toifes de paffage , qu'un côteau qui
e bordoit mettoit à couvert des batteries de la
Place , à l'exception de 10 toifes de longueur ,
bendant lefquelles on étoit expoſé au feu de ces
batteries. Quoiqu'en plein jour , M. le Marquis
le Montcalm fit faire ce paffage comme celui
l'un foffé de place rempli d'eau , les fappeurs s'y
orterent avec tant de vivacité , que , malgré le
eu du canon & de la moufqueterie des ennemis ,
I fut achevé dans la matinée même , & qu'avant
a nuit une chauffée capable de fupporter l'artilleie
fe trouva pratiquée dans le marais. La moufueterie
des Canadiens & des Sauvages , qui tisient
aux embrafures du Fort , diminua beauoup
durant cette journée le feu des ennemis .
A quatre heures du foir , les Sauvages- Décou
I
194 MERCURE DE FRANCE.
vreurs rapporterent qu'un gros corps d'armée
marchoit au fecours de la place par le chemin du
Fort Edouard . M. le Chevalier de Levis s'y por
fur le champ avec la plus grande partie des Canadiens
& tous les Sauvages. M. le Marquis de
Montcalm ne tarda pas à le joindre avec la brigade
de la Reine & une brigade de milices . Il s'avançoit
en bataille prêt à recevoir l'ennemi ; les
bataillons en colone fur le grand chemin , les
Canadiens & les Sauvages fur les aîles dans les
bois , lorfqu'il apprit que la nouvelle étoit faufle.
Il fit rentrer les troupes dans leur camp . Ce mor
vement ne caufa aucun dérangement aux travar
du fiege ; & la promptitude avec laquelle il f
exécuté , fit un très -bon effet dans l'efprit des
Sauvages.
La nuit du 8 au 9 , on déboucha du marais pur
un boyau fervant de communication à la feconde
parallele qui fut ouverte fur la crête du côteau, &
fort avancée dans la nuit. C'eft de cette parallele
qu'on devoit partir pour établir les batteries de
breche , & en la prolongeant , envelopper le Fort
& couper la communication avec le retranche
ment , laquelle jufqu'alors avoit été libre. L
affiégés n'en donnerent pas le temps à huit he
res du matin ils arborerent pavillon blanc .
201
tro
le
fet
M. le Marquis de Montcalm dit au Colonel Co
Yong , envoyé par le Commandant pour trait
de la capitulation , qu'il ne pouvoit en fignera
cune fans en avoir auparavant communiqué les
ticles aux Sauvages. Deux motifs l'engageoiesti
ce ménagement pour eux : il croyoit le devoir
confiance & à la foumiffion avec lesquelles ils s
toient prêtés depuis le commencement de l'exp
dition à l'exécution des ordres qu'il leur avoit do
nés , & de toutes les propofitions qu'il leur apo
la
M
NOVEMBRE. 1757. 195
faites ; & il vouloit les mettre par -là dans l'obli
gation de ne rien faire de contraire à la capitulation
qui feroit arrêtée. Il convoqua donc fur le
champ un Confeil Général de tous les Sauvages.
Il expofa aux Chefs les conditions auxquelles les
Anglois offroient de fe rendre , & celles qu'il
étoit réfolu de leur accorder. Les Chefs s'en rapporterent
à tout ce qu'il feroit , & lui promirent
de s'y conformer , & d'empêcher que leurs jeunes
gens n'y contrevinffent directement ni indirectement.
M. le Marquis de Montcalm envoya immédia
tement après ce confeil , M. de Bougainville ,
pour rédiger la capitulation avec le Colonel Monro
, Commandant de la Place & du camp retran,
ché. Les principaux articles furent :
Que les troupes , tant de la garniſon que du
retranchement , fortiroient avec leurs bagages &
les honneurs de la guerre , & qu'elles fe retiroient
au Fort Edouard .
Que pour les garantir contre les Sauvages ,
elles feroient eſcortées par un détachement de
troupes Françoifes , & par les principaux Officiers
& interprêtes attachés aux Sauvages .
Qu'elles ne pourroient fervir de 18 mois , ni
contre le Roi , ni contre fes Alliés ;
Et que , dans l'efpace de trois mois , tous les
prifonniers François , Canadiens & Sauvages , faits
par terre dans l'Amérique feptentrionale , depuis
le commencement de la guerre par les Anglois ,
feroient conduits aux forts François de la frontiere.
Cette capitulation fut fignée à midi , & auffitôt
la garnifon fortit du fort pour joindre les troupes
du retranchement ; & M. de Bourlamaque prit
poffeffion du fort avec les troupes de la tranchée.
M. le Marquis de Montcalm envoya en même
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
temps au camp retranché , une garde que le Colo:
nel Monro lui avoit demandée , & il ordonna aux
Officiers & Interprêtes attachés aux Sauvages , dy
demeurer jufqu'au départ des Anglois , qui fe
trouvoient au nombre de 2264 hommes effectifs.
Malgré toutes ces précautions , & malgré les affu
rances que les Chefs Sauvages avoient données ,
lorfqu'il fut queftion de la capitulation , les Sauvages
firent du défordre dans le camp des Anglois.
M. le Marquis de Montcalm y accourut avec un
détachement de fes troupes. Les Sauvages avoient
déja fait un affez grand nombre de prifonniers ,&
en avoient même amené quelques-uns. Il fit rea
dre ceux qui reftoient , & M. le Marquis de Vaudreuil
a fait renvoyer les autres .
M. le Marquis de Montcalm a fait rafer le fort,
& détruire tout ce qui en dépendoit , conformé
ment aux inftructions qui lui avoient été données
par M. le Marquis de Vaudreuil. Il s'eft trouvé ,
tant dans le fort que dans le camp retranché , 23
pieces de canon , dont plufieurs de 32 livres , quatre
mortiers , un obufier , dix- fept pierriers , en
viron trente- fix milliers de poudre , beaucoup de
boulets , bombes , grenades , balles , avec tou
tes fortes de munitions & uftenfúles d'artillerie . On
y a trouvé auffi une provifion affez confidérable de
vivres , malgré le pillage que les Sauvages en ont
fait.
Les François n'ont eu que treize hommes de
tués & quarante de bleffés dans ce fiege. M. le
Febvre , Lieutenant des Grenadiers du régiment
Royal Rouflillon , eft du nombre des derniers par
un éclat de bombe : fa bleffure eft à la main. liby
point eu d'autres officiers tués ni bleſſés. Les enne .
mis y ont perdu cent huit hommes , & en ont eu
deux cens cinquante de blefiés,
Επ
le
C
tre
Aqde
B
NOVEMBRE. 1757. 197
"
Durant tout le fiége , l'armée a été prefque toute
entiere jour & nuit de fervice , foit à la tranchée ,
foit au camp , foit dans les bois , pour faire les
fafcines , gabions & fauciffons néceflaires . On a
fait avec la pioche , la hache & la fcie fix cens toifes
de tranchée aflez large pour y charroyer de
front deux pieces de canon les abattis , dont
tout le terrein étoit embarraffé, empêchant de les
faire paffer fur les revers. C'eſt à la fageffe des
difpofitions que M. le Marquis de Montcalm a
faites , & à l'activité avec laquelle il en a fuivi
l'exécution , que le fuccès de cette expédition eft
principalement dû. Il a été parfaitement fecondé
dans toutes les opérations par M. le Chevalier de
Levis , par M. Rigaud- de Vaudreuil , & par M,
de Bourlamaque. Les détails particuliers de l'artillerie
& du génie ont été très -bien remplis par M.
le Chevalier le Mercier , qui commandoit l'artillerie
, & par MM . Defaidouin & Lotbiniere ,
Ingénieur . Les Officiers & Soldats des troupes de
terre & de la colonie , ainfi que les milices & les
Officiers qui les commandoient , ont donné les
plus grandes marques de valeur & de bonne volonté
; & jamais les Sauvages n'avoient fait paroître
tant de fermeté & de conftance : ils avoient demandé
à monter à l'affaut avec les grenadiers , &
ils en attendoient le moment avec impatience.
Ce nouveau fuccès , qui a répandu une joie
générale dans la colonie de Canada , a animé
de plus en plus le zele avec lequel les habitans
s'efforcent de répondre aux mefures dont le Roi a
la bonté de s'occuper pour la défenfe de cette colonie
, & de feconder les foins que M. le Marquis
de Vaudreuil ne ceffe point de fe donner pour tout
ce qui peut y avoir rapport.
·
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
vent
trol
de
L
des
Le Roi ayant été informé que les paroiffesel
de Piriac & de Mefquer au Diocefe de Nantes
avoient été prefque entiérement ravagées le
27 juin dernier , par un orage mêlé de grêle
d'une groffeur extraordinaire , a fait toucher
aux Recteurs de ces deux paroiffes , la fomme de
fix mille livres pour être par eux employées en
achat de grains , & diftribuées fous l'inſpection
de M. le Comte de la Bourdonnaye- du Bois- Hullin
, Procureur- Général , Syndic des Etats de Bre- pe
tagne , tant pour enfemencer les terres , que pour
la nourriture des habitans dont les recoltes ont
été défolées par ce fléau . Cette nouvelle caracterife
notre Monarque plus glorieux encore par
fon humanité que par les victoires.
Co
I
M. Paffemant Ingénieur du Roi au Louvre ,
étoit déja connu pour Auteur de la fameufe
pendule couronnée d'une fphere mouvante , pla
cée en 1753 dans le cabinet du Roi à Verfailles
; fphere dont les révolutions font fi juftes , ue
qu'au jugement de l'Académie où l'on voit l'ertrait
page 183 de l'année 1749 de fes mémoires
, il n'y a pas en trois mil ans un feul degré
de différence avee les tables aftronomiques.
11 vient encore de finir pour le Roi deur
piéces uniques qu'on peut regarder comme chefd'oeuvres
, c'eft premiérement un grand miroir
de 45 pouces
de diametre qu'il a eu l'honneur
de préfenter au Roi le 13 août dernier , avec M.
de Bernieres , dans le pavillon conftruit par ordre
de Sa Majesté à la meute , pour le télescope ,
les ouvrages & les obfervations du pere Noël.
La glace de ce miroir a été courbée , par les
foins de M. de Buffon , dans un fourneau qu'i
avoit fait conftruire au Jardin Royal. M , Palle
mant l'a fait travailler au Louvre fous les yeur ,
M
174
Le
les
NOVEMBRE . 1757 . 199
& elle a été étamée d'une façon nouvelle , inventée
par M. de Bernieres , un des quatre Controlleurs
des ponts & chauflées.
Le Roi parut très - content des grands effets
de ce miroir. Si on y préfente des tableaux
même de fix pieds de grandeur , repréfentans
des vues de Paris , de Venife , des ports de
mer , des bâtimens , on croit voir de véritables
objets de grandeur naturelle : ainfi avec un fimple
deflein , on voit un bâtiment dans toute
la grandeur où il fera , & on juge de fon apparence
future. Un Peintre qui travaille à une
petite miniature , quelque petite qu'elle foit ,
peut la voir de grandeur naturelle , & peut par
conféquent fentir & corriger les moindres dé
fauts.
A
La chimie n'en tirera pas de moindres avantages.
On peut juger des grands effets de ce miroir
fur les métaux par la promptitude avec laquelle
il agit , l'argent a été fondu en trois fecondes.
M. Paffemant eut encore l'honneur de préfenter
au Roi un télescope aftéroftatique de fon invention
, dont il avoit lu un projet à l'Académie en
1746 , & qui avoit mérité fon approbation. Ce
télescope eft garni d'un midiometre : il fuit le
mouvement du ciel . Si on le met fur la lune , il
femble qu'elle foit fans mouvement ; fi on veut
voir enfuite une autre planete , il y a un ajuftement
qui le regle dans le moment pour cet aftre.
Il eft conduit par une mécanique toute nouvelle ,
fans aucun tremblement , ni agitation . Comme
les aftres paroiffent fixes , on peut obferver avec
une grande facilité : on peut placer les fils du midiometre
fur fes objets avec toute l'exactitude
poffible. Il eft propre à prendre la parallaxe de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Mars en fecondes de degrés au lieu de fecondes
de temps ainfi au lieu de deux fecondes , on
aura trente fecondes de degrés ; on obfervera facilement
la route des cometes : il fera d'une
grande utilité pour les paffages de Mercure fut
le difque du foleil, en l'année 1761 ; obſervation
qui n'a été faite qu'une feule fois , & par un
feul Obfervateur en l'année 1639.
Le Pere Noël repéta devant Sa Majefté les erpériences
d'une machine pneumatique nouvelle ,
& de plufieurs autres inftrumens qu'il avoit eu
P'honneur de lui préfenter au mois de mars dernier.
Le Roi parut fatisfait de tous ces ouvrages ,
qu'il examina pendant une heure .
Mefdames de France vinrent enfuite , & paffe
rent près de trois heures pendant lefquelles les
mêmes chofes furent répétées en leur préfence *
à leur fatisfaction .
Le corfaire le Romieu , de Saint - Malo , com
mandé par le Capitaine Morel , a conduit en ce
port le navire Anglois la Pensilvanie de 250 ton
neaux , qui alloit de Philadelphie à Londres, avec
une cargaifon de bois de Campêche , de pellete
zies , de café & d'autres marchandiſes.
Un navire Anglois de 300 tonneaux , chargé de
tabac , a été pris par le corfaire Entreprenant ,
qui l'a fait conduire å Morlaix.
Le Capitaine la Lande , commandant un corfaire
de Bordeaux , appellé le Prevêt de Paris , s'eft
rendu maître du corfaire le Hazard de Grenezey,
ayant 6 canons , 8 pierriers & 37 hommes d'équi
page , & il a repris le navire l'Aimable Jolie de
Bordeaux , & un autre bâtiment du même port ,
dont les Anglois s'étoient emparés.
Les navires Anglois le Prince d'Orange , chargé
de bois de Campeche , & le Saint - Eustache , de
NOVEMBRE . 1757. 201
Saint-Eustache , dont la cargaifon confifte en fucre
& en café , ont été pris par les corfaires la
Marquise de Salba & le d'Etigny de Bayonne , ou
ils font arrivés .
Les corfaires la Favorite & la Providence , de
Saint-Jean -de-Luz , fe font rendus maîtres , Pun
du navire Anglois la Sufanne , de Malblebard ,
chargé de 2200 quintaux de morue , l'autre d'un
Senaw , qui a pour cargaifon 334 barriques de
fardines.
Le Capitaine Papin , commandant le corfaire
la Marquise de Beringhen , de Boulogne , s'eft
emparé à la côte d'Angleterre du navire Anglois
l'Endeavour , de 100 tonneaux , deftiné pour la
Barbade , où il portoit un chargement compofé
de cire blanche , de farine , de boeuf falé & de
fromage.
Le même corfaire a pris un bateau de 25 à 39
tonneaux , chargé de caffonnade , de poudre à
canon , de chanvre & de fuif.
Le corfaire Anglois l'Epervier , armé de 10 canons
, 12 pierriers , & so hommes d'équipage , a
été pris par le Capitaine Berlamont , commandant
le corfaire l'Afie , de Dunkerque , & il a été conduit
au Havre.
On mande de Nantes , qu'il y eft arrivé un
fenaw Anglois appellé le Caton , de Vhul , armé
de 6 canons & de 4 pierriers , & chargé pour la
Jamaïque de munitions de guerre & de bouche ,
d'armes & de marchandifes feches . Ce bâtiment
a été pris par le Capitaine Poitevin , commandant
le navire la France.
1 y
202 MERCURE DE FRANCE.
I a
MARIAGE ET MORT.
La été oublié dans l'article des Mariages da
mo's de Septembre dernier de mettre les qualités
de Mademoiſelle Boucher , qui eft fille de feu M.
Boucher , Ecuyer , Tréforier général des Colonies
Françoifes de l'Amérique , & qui a épouſé le 23
Juin , M. le Vicomte de Rochechouart - Pontville.
Meffire François le Tellier , Marquis de Lou
vois , fils du Marquis de Souvré , Lieutenant- Général
des armées du Roi , Maître de la Garderobbe
, & Chevalier des Ordres de Sa Majesté , eft
mort à l'armée du Maréchal de Richelieu, le 29 du
mois dernier , âgé de dix - huit ans..
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Hôpital de M. le Maréchal- Duc de Biron.
Septieme traitement depuis fon établiſſement.
I. LE nommé Laplante , Compagnie de la Fériere
, avoit les amygdales ulcérées , une dureté confidérable
, & plufieurs excoriations . Il eft fortile
13 Août parfaitement guéri.
2. Le nommé Vandeuil , Compagnie Dutrévoux
, outre les fymptômes ordinaires , avoit
une inflammation confidérable aux amygdales , &
une ulcération à la partie poftérieure de l'afopha
NOVEMBRE. 1757. 203
ge. Il eft entré le 28 Juillet , & eft fortile 6 Septembre
parfaitement guéri.
3. Le nommé Guiot , Compagnie de Guer , outre
les fymptômes ordinaires , avoit un phimofis ,
& un gonflement aux glandes inguinales des deux
côtés. Il est entré le 9 Août , & eft forti le 13
Septembre parfaitement guéri .
4. Le nommé Belfleur , Compagnie de Guer
outre les fymptômes ordinaires , avoit une gonorrhée
, un phimofis , & un engorgement aux
glandes inguinales . Il eft entré le 4 Août , & eft
forti le 13 Septembre parfaitement guéri. De la
maladie vénérienne , ce foldat en entrant dans
P'Hôpital , avoit la poitrine extrêmement affectée
, & comme il a été jugé que cet accident
pouvoit lui être venu pour caufe du virus , après le
traitement , il lui a été ordonné de prendre le
lait , dont il fe trouve très - bien.
5. Le nommé Laîné , Compagnie d'Eaubonne ,
outre les fymptômes ordinaires , avoit un phimofis
, & étoit couvert de puftules à la tête , au vifage
& dans toute l'habitude du corps : il avoit des foibleffes
dans toutes les extrêmités , & un gonflement
à l'articulation du pied gauche. Il est entré
le 4 Août , & eft forti le 20 Septembre parfaitement
guéri.
6. Le nommé Saint- Germain , Compagnie de
Pondeux , avoit les fymptômes ordinaires en
grande quantité. Il eft entré le 11 Août , & eft forti
le 17 Septembre parfaitement guéri .
7. Le nommé Leveillé , Compagnie de Voifenon
, avoit également beaucoup de fymptômes
ordinaires. Il eft entré le 18 Août , & eft forti le
27 Septembre parfaitement guéri.
8. Le nommé fans Chagrin , Compagnie Dela
toar , étoit dans un très-mauvais état : outre les
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
fymtômes ordinaires , il avoit un engorgement
général dans toutes les glandes inguinales , des
douleurs & un accablement inexprimable. Il eft
entré le 20 Août , & eft forti le 20 Septembre parfaitement
guéri.
9. Le nommé Billy , Compagnie de la Ferriere
, outre les fymptômes ordinaires , avoit un
paraphimofis , & une ulcération conſidérable à
l'endroit de l'étranglement. 11 eft entré le 16
Août , & eft forti le 13 Septembre parfaitement
guéri .
10. Le nommé Marne , Compagnie Datréyoux
, avoit les fymptômes ordinaires. Il eft entré
le 17 Août, & eft forti le 4 Septembre parfaitement
guéri.
11. Le nommé Laverdiere , idem.
12. Le nommé Cleret , fcorbutique , qui n'eft
pas encore forti ; mais qui va de mieux en mieux.
Comme Sa Majefté a bien voulu accorder à
Phôpital de M. le Maréchal de Biron des Lettres
patentes pour l'acquifition des terreins qui font
néceffaires , M. le Maréchal Duc de Biron ,
vient d'augmenter les lits du dit hôpital , au moyen
de quoi , le nombre des Soldats qui y pafferont ,
augmentant chaque jour , & excédant l'efpace
que M. de Boiffy peut & veut bien donner dans le
Mercure de chaque mois , on fe contentera déformais
de nommer feulement les Soldars , leurs
compagnies , & quelques maladies des plus graves
, fans plus entrer dans les détails de celles qui
font ordinaires , comme par le paffé. D'ailleurs
dix traitemens confécutifs , tant au faubourg Saint
Jacques qu'à l'Hôpital , & annoncés avec la plus
grande vérité , paroiffent fuffire pour perfuader
& convaincre .
M. Keyfer n'ignorant aucun des propos que fes
P
21
to
fe
£
2
C
Σ
F
NOVEMBRE . 1757.
ennemis tiennent chaque jour , propos qui aug-
2༠ ༔
mente à fur & mefure que fes fuccès fe multi-
Plient, prie inftamment toutes les perfonnes qui au-
Font quelques doutes ou méfiances fur des faits inventés
& repandus avec malice , de vouloir bien ,
avant d'y ajouter foi , s'en faire informer , foiz
à l'hôpital , foit en lui écrivant directement , ou en
anonyme , parce qu'il les fatisfera à tous égards ,
& leur prouvera d'une façon bien authentique
toute la fauffeté de ces imputations .
Ces propos qui ont varié tant de fois , fe réduifent
aujourd'hui à dire que fon remede excite une
falivation pareille à celle des frictions. Un Soldat
qui eft à la Charité , a , dit- on , dit tout haut ,
avoir pris 30 dragées , & ſalivé 25 jours. Delà ,
MM. les Antidragiftes s'applaudiffant d'avoir fait
cette belle trouvaille , vont criailler partout , &
répandre leur triomphe imaginaire .
A cela , M. Keyfer répond. 1 ° . Que fon reme
de n'excitera jamais de falivation à aucun malade
qui voudra donner le temps néceffaire , & que
cet incident n'arrive qu'en voulant preffer le traitement
, & donner des doſes trop fortes, pour
terminer en un mois une cure qui en exigeroit
deux ; ce qui alors feroit tout fimple , puifque fon
remede n'eft autre chofe , qu'un mercure plus
fubtil , & plus épuré qu'aucun autre connu jufqu'ici.
2°. Que cette falivation telle qu'elle foit , n'ap
proche pas à cent degrés près de celles que les frictions
occafionnent , puifque jamais les malades
ne ceffent de manger , & qu'il défie qu'on lui
prouve le contraire .
Qu'enfin à l'égard du Soldat en question , chacun
fçait que l'incident de cette falivation n'eft prévenu
que par la délicateffe & la fingularité de fon
1
206 MERCURE DE FRANCE.
tempérament ; puifqu'en entrant à l'Hôpital , il
a prévenu lui- même , qu'une fois pour une feule
friction qu'on lui avoit donnée , d'un ou deux gros
au plus de mercure , il avoit falivé pendant un
mois entier , & qu'en dernier lieu , ayant eu be
foin de fe frotter d'onguent gris , pareille chofe
lui étoit arrivé. Ce Soldat exifte ; il eſt , dit- on , à
la Charité , qu'on le queftionne ? D'ailleurs la
vérité de ce raifonnement fe prouve par le peu du
remede qu'il a pris , puifque 30 dragées ne font
- pas la dixieme partie de ce qu'il en faut pour un
traitement.
Au furplus qui oferoit fe flatter de contenter
tout le monde ? & furtout , des Soldats , qui quelquefois
font impatiens de fe voir retenus , & qui
voyant les fymptômes de leur maladies difparus ,
fe croyent guéris , & crient de ce que l'on les retient
encore 8 ou 15 jours après . Heureufement
que la plus grande partie eft raifonnable , & íçait
connoître combien eft grande la différence du trastement
avec les dragées , à celui des frictions.
LETTRE de M. Naudinat, Administrateur des
dragées , antivéneriennes , à Marseille , à M.
Keyfer , en date du 25 Septembre 1757.
Les bontés & la protection particuliere dont il
a plu , Monfieur , à M. le Duc de Villars de
m'honorer , celles de MM . les Magiftrats &
Echevins de cette Ville , le zele & l'amour da
bien public , qui a animé MM . les Recteurs de
l'Hôtel - Dieu & de l'Hôpital , les bons offices
& l'impartialité de M. le Médecin de quartier , &
de M. le Chirurgien Gagnant maîtrife ; tout a
concouru ici , Monfieur , à faire mes épreuves
avec tout l'agrément & l'authenticité poffibles
Fo
ΣΟ
E
27
C
C
E
NOVEMBRE. 1757. 207
Point de brigue point de jaloufie aidé par
tout , & éclairé cependant , tous les fecours
m'ont été procurés. Les malades m'ont été donnés
: mes traitemens ont été fuivis , la vérité s'eft
montrée dans tout fon jour . Chacun a voulu voir,a
été fatisfait de mes épreuves , & c'eft avec le plus
grand empreffement qu'il m'a été donné , Monheur
, les certificats authentiques que j'ai l'honneur
de vous envoyer , avec le compte des dix
malades ci joints . Permettez moi de vous ajouter
en même temps , que plus ces temoignages font
flatteurs pour vous , pour votre remede & pour
moi , plus nous en devons rendre les hommages les
plus refpectueux aux illuftres protecteurs qui nous
honorent , & plus nous devons redoubler de
zele ; vous , pour m'aider de vos confeils , & me
fournir les moyens d'être de plus en plus utile à
l'humanité , & moi , pour en profiter , en confacrant
mes jours au fervice des pauvres & de tous
ceux qui auront befoin de mes fecours .
ETAT de dix malades traités à l'Hôtel- Dieu da
Marfeille , avec les dragées de M. Keyfer , fuivant
l'état conftaté par M. Montagnier , Medecin
de quartier , & M. Melicy , Chirurgien
dudit Hopital ygagnant maitrife.
1º. Jean Baptifte Neton , âgé de 10 ans , né
avec la maladie vénérienne , avoit un ulcere au
gofier , large d'environ un écu de trois livres ,
lequel avoit détruit une partie de la cloifon de la
luette & de la glande amygdale droite ; il avoit
plufieurs autres ulceres dans la bouche : cet enfant
a été parfaitement guéri .
2º. Jean Arge , âgé de 22 ans , outre plufieurs
fymptômes bien caractérisés , avoit des douleurs
4
208 MERCURE DE FRANCE.
nocturnes à prefque toutes les parties du corps,
& une entr'autres très- vive au bras droit , avec
un gonflement fur la partie latérale externe de l'avant
bras , qui empêchoit de faire aucune fonction
de fon bras depuis 3 mois. Vers le quinzieme
jour de fon traitement , ce malade fut attaqué de
la petite vérole , & il a été délivré de ces deux ma
ladies fans aucune incommodité.
3. Chriftophe Jourdan âgé de 20 ans , à la
fuite de graves fymptômes qui lui avoient paru il
y a7 à 8 mois , avoit des puftules feches au front,
une dureté confidérable & d'un pouce d'épaiffeur,
des douleurs de tête affreufes , & qui lui occafion.
noient des infomnies perpétuelles. Ce malade a été
parfaitement guéri .
4°. Catherine Canonge , âgée de 18 ans , ou
tre des fymptômes bien caractérités , avoit des
douleurs nocturnes aux extrêmités fupérieures
& inférieures : elle a été parfaitement guérie.
5. Marie Audibert , âgée de 22 ans , outre
des fymptômes bien caractérisés , avoit une ulcération
dans l'aîne , & une dureté confidérable à
une des glandes inguinales de la groffeur de
noix , elle avoit de plus des douleurs très-aigués à
la cuiffe droite. Elle a été parfaitement guérie.
6. Agnès Roche , âgée de 25 ans , avoit gagné
la maladie vénérienne , d'un enfant qu'elle
avoit nourri . Ses mammelles étoient à moitié rongées
par le virus , & elle y avoit deux chancres de
la largeur d'une piece de 24 fols chacun : elle avoit
de plus des douleurs fi aiguës , qu'elle ne pouvoit
dormir la nuit. Elle a été parfaitement guérie.
Les quatre malades qui fuivent , font encore
dans les remedes ; mais fur la fin de leurs traitemens
, & dans le meilleur état du monde.
7°. Honoré Mouton, âgé de 18 ans, eft atteint de
NOVEMBRE. 1757. 209
Tymptômes bien caractérisés à chaque côté des al
nes & autres. La fuppuration s'eft bien établie , &
fa guérifon eft très prochaine.
8. Marguerite Michel , âgée de 32 ans , à la
fuite d'un mal contidérable , fe trouve atteinte de
deux ulceres au gofier , un à chaque glande amygdale
, de la largeur d'une piece de 24 fols chacun.
Ces deux ulceres font prefque cicatrifes & fa guézifon
très - prochaine.
9. Marie Caftellant , âgée de 26 ans, étoit atreinte
d'une quantité de fymptômes bien caractérifés
, & entr'autres de dix à douze puftules fuppurées.
Tout eft féché, & fa guérifon très prochaine.
10°. Marie Rochet , eft auffi atteinte , d'une
quantité de fymptômes , & entr'autres de plufieurs
puftules durcies. Sa guérifon cit de même trèsprochaine.
J'aurai l'honneur de vous envoyer par le premier
Courier , la confirmation de ces quatres guérifons
, & j'ai celui d'être bien fincérement
Monfieur , votre & c. NAUDINAT
Certificat de M.le Médecin de quartier , de l'Hôtel-
Dieu de Marfeille.
En qualité de Médecin de quartier actuellement
de fervice , j'attefte que les fix premiers malades
ei - deffus , font fortis , qu'ils nous ont paru
bien guéris , & que les quatre autres font en voie
de guérifon. A Marseille , le 22 Septembre 1797-
Montagnier , Médecin .
Certificat de M. Mélicy , Chirurgiengagnant mak
trife à l'Hôtel-Dieu de Marfeille.
Je, fouffigné Chirurgien gagnant maîtriſe à l'Hô
el- Dieu de Marſeille attefte avoir vifité les mala
210 MERCURE DE FRANCE.
des denoncés dans cet état , & les avoir trouvé
tous atteints des fymptômes y mentionnés , &
qu'ayant fuivi le traitement du fieur Naudinat , je
déclare qu'il ne s'eft fervi que des dragées antivénériennes
de M. Keyfer , que les fix premiers malades
font fortis guéris , & que les quatre autres
font en voie d'une heureuſe guériſon , attendu
qu'il n'ont commencé à uſer du remede , que
quelque jours après les autres . A Marseille , le 22
Septembre 1757. Melicy.
Certificat de MM. les Directeurs de l'Hôtel - Dien
de Marſeille.
Nous , Directeurs dudit Hôtel- Dieu , certifions
le contenu des deux certificats ci- deffus , & atteftons
à tous qu'il appartiendra , que ceux qui les
ont fignés , font tels qu'ils fe qualifient . En foi de
quoi , nous avons figné le prefent , & à icelui fait
appofer le fceau des armes de cet Hôpital . Fait à
Marseille , le 22 Septembre 1757. Nouvil , Orry ,
Granier , Boiffon , Daller , Arnaud , Gouffet.
Certificat de MM. les Echevins de Marſeillle.
Nous , Echevins , Confeillers du Roi , Lieutenants
Généraux de police de cette ville de Marfeille
, certifions & atteftons à tous qu'il appartiendra
, que le fieur Naudinat , Chirurgien,
éleve de M. Keyfer pour adminiftrer les dragées
antivénériennes , s'eft préfenté à nous , & nous
a requis de lui indiquer des perfonnes pauvres de
l'un & de l'autre fexe , atteintes du mal vénérien ,
pour les traiter gratis , à quoi adhéraus , & informés
de l'efficacité de ce remede , nous lui avons
affigné les dix pauvres malades dénommés dans l'état
ci-deffus , dont fix ont été parfaitement guéris
fous nos yeux , & les quatre autres font en vois
NOVEMBRE: 1757. 211
de guériſon , conformément à ce qui nous eft
porté par les certificats des fieurs Directeurs de
Î'Hôtel- Dieu , du Médecin de quartier , & du
Chirurgien gagnant maîtrife . En foi de quoi nous
avons figné les préfentes , & à icelles ,
fait appofer
le fceau & armes de la Ville , pour fervir & valoir
ce que de raifon. Fait & donné , dans l'Hôtel
de Ville de Marfeille , le 24 Septembre 1757.
Mennicard , Ricaud , Couturier , la Force.
AVIS.
JE, fouffigné , Docteur en Médecine , ancien
Médecin , Penfionnaire de la Venerie du Roi ,
& Médecin de l'infirmerie royale de Verſailles ,
certifie qu'il m'a été remis par Monfieur le Premier
Médecin du Roi , un remede antidyfentérique
, attribué à M. Nivard , & que je m'en fuis
fervi en quelques occafions avec fuccès ; mais
principalement dans deux cas graves : le premier
à l'égard d'un homme âgé de 24 à 25 ans , qui
me vint à l'infirmerie attaqué d'une violente
dyfenterie , avec fievre aigue , & tous les fymptômes
& accidens qui caractérisent cette maladie.
Je l'ai donné en fecond lieu à une Dame Religieufe
Bénédictine de l'Abbaye royale de S. Cyr , que
je trouvai à toute extrêmité lorfque je la vis ; elle
étoit malade depuis 7 à 8 jours , je la trouvai
ayant les extrêmités froides , des vomiffemens &
un hoquet fatiguant elle fe préfentoit dix fois.
par heure au baffin avec des douleurs inexprimables
& des défaillances continuelles , & toujours
prefque inutilement. Il ne fortoit que quelques
mucofités glaireufes & fanglantes : fa maladie
étoit en outre accompagnée de perte . Elle
212 MERCURE DE FRANCE.
yomifloit tout , & d'ailleurs elle n'étoit pas ch
état de prendre un vomitif. Je lui donnai le remede
de M. Nivard, à de très -petites doles répétées
de temps en temps , & j'eus la fatisfaction de voir
peu à peu les accidens ceffer , & l'efpérance renaître
car j'avoue que je la crus perdue. Ce remede
me paroît agir , comme fondant , anodin &
diaphorétique. En foi de quoi j'ai délivré le préfent
certificat , pour fervir on befoin fera , &
pour engager le poffeffeur de ce remede à nous en
procurer , afin d'en tirer parti & le mieux connoître.
A Verfailles , ce 10 Février 1757. Le
Gagneur.
Le fieur Nivard , demeure rue Saint Louis au
Marais , au coin de la rue Saint François. On le
trouve tous les matins jufqu'à midi . S'il y a
quelqu'un en province qui veuille du remede , ila
n'auront qu'à affranchir leur lettre , on leur ea
enverra.
AUTRE .
A L'AUTEUR DU MERCURE
La veuve A veuve Fauvel continue de faire par eile-mê
me les bondages d'yvoire , dont fon mari étoit
F'auteur . Je vous prie , Monfieur , de l'annoncer
dans votre Mercure , pour défabufer le Public qui
croit ce talent anéanti . Plufieurs de mes prati
ques & de celles de mes confreres qui en portent
de fa préparation , s'en trouvent bien . Rien
n'eft plus vrai que le témoignage que je lui reads
ici , & plus fincere que la parfaite confidération
avec laquelle j'ai l'honneur d'être , & c. Enifa ,
Docteur- Régent de la Faculté de Médecine de
Paris.
NOVEMBRE.
1757. 213
AUTRE.
Le feur Sybille , Maître- ès-Arts en la Faculté
de Paris , donne avis au Public qu'il s'eft retiré à
Chaumont en Vexin depuis quelques années ; que
pendant le féjour qu'il y a fait , il a trouvé à
Pespace de plus de dix lieues de circonférence
dans les montagnes voisines , une nombreuſe
collection dans la minéralogie ( objet d'histoire
naturelle ) , & que les recherches continuelles , &
Paffortiment auffi précieux que curieux dont fon
cabinet eft compofé , ont fait l'attention & mérité
les voyages de plufieurs Sçavans Naturaliftes
tant du royaume qu'étrangers ; qu'en conféquence
de cet affortiment double & triple en répéti
tion , il l'annonce en vente ou en entier , ou par
diftribution , étant à portée de le remonter fuc
ceffivement. Les Amateurs qui voudront faire les
frais du voyage & l'honorer d'une viſite , ſeront
fatisfaits & dédommagés par l'emplette des ma¬
tieres qu'il diftribue à bon compte.
Nota. Ceux qui ne voudront point faire le voya
ge fans auparavant être inftruits par un détail exact
de ce qui compofe a collection , s'adrefferont à
Paris à M. Bomare- de Valmont , Apothicaire-
Droguifte , rue de la Verrerie , à la Role blanche.
Cette perfonne verfée dans cette partie d'hiftoire
naturelle , & dont l'étude continuelle ( rela
tive à fa profeffion ) fait fon capital des autres
fciences , donnera une idée jufte par divifion &
fubdivifion de cette collection . Il aura même par
correfpondance chez lui un affortiment à l'ordre
& compte du fieur Sybille.
214
Errata du premier volume d'Octobre.
PAGE 97 , ligne 13 & 14 , les Turnebres , &c.
les Sannarards , lifez , les Turnebes , &c. les .
Sannazars.
Page 102 , lig. 24 , à la bonheure , lifez , à la bonne
heure.
Page 109 , lig. 19 , toutes perfonnes ...feront reçus
, lifez , reçues.
Page 117 , lig. 910 , parce qu'elle a emprunté
nos termes , ceux des Eſpagnols , lifez , de ceux
des Efpagnols.
Page 157 , lig. 9 , Acamie , lifez , Académie .
Page 203 , lig. 9 & 10 , d'un village nommé Sau
dra , lifez , Saudru.
Errata du fecond Volume.
Page 58 , lig. 2 , 61 , lig. 28 , Athlante , lifez ;
Athalante.
Page 146 , lig. 16 , l'Auteur eft M. Ionard , lifez,
M. Inard.
J'ai lu ,
APPROBATION.
'Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier;
le Mercure du mois de Novembre, & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 29 Octobre 1757.
GUIROY
L
"
A
A
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE à M. de C.…….qui m'a adreſſé une
Epître , page s
Le Projet manqué , Conte bien vraiſemblable , 7
Vers fur la naiffance de Monſeigneur le Comté
d'Artois ,
Madrigal ,
Mêlange de Littérature ,
19
20
21
Vers de M. Relongue- de la Louptiere , à une Demoifelle
qui difoit qu'elle n'aimoit pas les petits
hommes , 24
Réponse de M. d'Harnoncour aux Vers de M. la
Louptiere , inférés dans le Mercure de Mars , 25
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Le Tourtereau & le Papillon , Fable ,
Elégie en profe ,
ibid.
26
27
Le Bouquet champêtre au Roi , par Mlle Thomaffin
,
Vers à Madame Bellet jouant de la Mufette ,
L'Anon & le petit- Maître , Fable ,
33
34
35
36
39
40
Apologie de l'Amour , par une jeune Demoiſelle
de Grandville ,
Vers fur la Mort de M. le Duc de Gefvres ,
Conte allegorico - moral ,
Maximes , caracteres , & réflexions critiques , fatyriques
& morales ,
Portraits ,
44
52
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure du mois de Novembre ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
53
345
116
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES,
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux,
57
Suite du Moyen d'apprendre fûrement & facilement
les Langues ,
86
Séance publique de l'Académie des Belles - Lettres
de Marſeilles ,
102
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Phyfique. Lettre de M. l'Abbé Jacquin , à M. le
Comte de B... fur les pétrifications d'Albert &
la carriere de Veaux ,
Médecine.
Chirurgie. Lettre à M. Bagieu , &c.
107
120
122
Séance publique de l'Académie des Sciences , des
Belles - Lettres & Arts d'Amiens ,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
148
Peinture. Lettre de M. Touffaint à M. Carle-
Vanloo , 153
Gravure. 156
Mufique.
164
Horlogerie. 166
ART. V. SPECTACLES.
Opera ,
169
Comédie Françoiſe , 170
Comédie Italienne , 171
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
173
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 177
Mariage & Mort , 202
ibid. Supplément à l'Article Chirurgie ,
Avis divers ,
La Chanson notée doit regarder la page 56.
De l'Imprimerie de Ch . Ant. Jombert.
211
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1757.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Coshin
Stores im
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix à
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques
CAILLEAU , quai des Auguitins.
CELLOT, grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT.
Le Bureau du Mercure eſt chez M. E
an
LUTION , Avocat , & Greffier-Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis
vecouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci- deffus.
A ij
Onfupplie lesperfonnes des provinces d'en
voyerpar la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ;
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, après
midi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Muſique à annoncer ;
d'en marquer le prix.
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Eflampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM . Feffard & Marcenay.
Au commencement de chaque mois , on
délivre au Bureau du Mercure un volume
du Choix des meilleures pieces des anciens
Mercures , précédées d'un extrait du Mercure
François , dans le format du Mercure
de France , & aux mêmes conditions,
COC DE DO
MERCURE
DE FRANCE.
DECEMBRE . 1757.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE.
EGLE , loin de brifer ma chaîne ,
Chaque inftant va ferrer mes nauds ;
Je vais au charme qui m'entraîne
Céder fans être malheureux.
Quoique d'une vaine espérance.
L'Amour n'ofe plus me flatter ;
Le prix qu'il met à ma conftance
EL affez doux pour m'arrêter.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Heureux de voir briller fa flamme
Sans qu'elle faffe mon tourment ,
Ce Dieu n'éteint point dans mon ame
Les defirs & le fentiment.
Mais fur mes défauts il m'éclaire :
Toujours trop prompt à t'alarmer ,
Frémis , dit- il , de lui déplaire :
Que tu connais peu l'art d'aimer &
On n'excufe plus à ton âge
Les tranfports des jeunes Amans
Il fied mal d'avoir leur langage
Quand on n'a plus leurs agrémen
Ridicule dans fon délire ,
Trop pefant , s'il eft férieux ;
Un Philofophe qui foupire ,
Devient aifément ennuyeux.
Un rien l'émeut ou l'embarraffe :
Il veut tout prévoir , tout parer;
Mais il ne fait rien av c grace
L'efprit ne fert qu'à Pégarer.
C'est ainsi que l'Amour lui -même
Vient de n'arracher fon bandeau ;
Mais je vois toujours ce que j'aime
A la lueur de fon flambeau .
D'une ilufion trop charmante
Je ne veux bannir que l'erreur
DECEMBRE . 1757:
Belle Eglé , tout ce qui m'enchante
Ne fortira point de mon coeur.
Cacher mon trouble & ma foibleffe ;
Si vous formez quelque lien
Vous voir , vous écouter fans ceffe ;
Vous aimer fans exiger rien ;
Quand le matin dans la prairie ,
Je vais pour vous cueillir des fleurs ;
Dans une douce vêverie ,
Si mes yeux le couvrent de pleurs ;
Avoir foin d'effacer leurs traces
Pour me trouver à ce réveil ,
Qu'Hébé , les Amours & les Graces
Parent après un doux fommeil;
Dans vos yeux
Que tout ce qu'un efprit
divin ,
Pour nous
éclairer , vous
infpire ,
Et n'y plus chercher
mon deftin ;
n'avoir l'air de lire
Bannir la douleur qui m'accable ,
Plaifanter fans en abufer ;
Ne prétendre à paroître aimable ,
Qu'autant qu'il faut pour amufer ;
Belle Eglé , tel eft le fyſtême
Que je vais fuivre dès ce jour :
Auprès de vous la raifon même
Dicte les leçons de l'Amour.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
E
TROP LONG.
Conte très - court.
Le fieut de Ratonville , dit le Bref, eut tant
d'amour pour le laconifme , qu'il abrégea
jufqu'à fon nom , & fe fit appeller Raton ,
ou Bref tout court . On peut dire qu'il
étoit né au fein de la précifion. Son pere
étoit un riche négociant toujours renfermé
dans les bornes exactes du calcul , &
fa mere qui devoit le jour & l'éducation
à un Géometre , régloit tout au compas.
Le petit Raton dès l'enfance ne parloit
& n'achevoit
que par monofyllabes ,
jamais fes phrafes . Il ne lifoit que des
abrégés , des extraits , des précis : Bref en
étoit un lui-même par fa taille. On le preffa
de prendre un état. Il n'embraffa point le
parti du commerce ni celui de la finance ,
par le dégoût fi commun que les enfans
ont pour la profeffion de leur pere , &
pour celle femble
qui y avoir le plus de
rapport . Il parcourut tous les autres états.
Il fut homme de robe un jour ; les formalités
& l'éloquence prolixe du barreau l'impatienterent.
Il fut Abbé une ſemaine ; le
verbiage de l'école l'excéda . Il fut mili
DECEMBRE . 1757 .
taire deux mois entiers. Cet état lui
parut
charmant. Il y trouva d'abord dans les
procédés & dans les propos cette aimable
précifion qu'on cherche en vain ailleurs ,
& qu'on ne rencontre que là . Il y feroit
demeuré ; mais il falloit trop attendre pour
parvenir aux premiers grades. L'ordre
vint d'ailleurs de partir pour la Weftphalie
: le trajet lui parut trop long. Bref, il
effaya de tout , & ne fut rien. Quand on a
le bonheur de naître riche , on peut vivre
inutile impunément. Raton jugea donc
l'indépendance le parti le plus commode.
Il s'y fixa : mais du caractere dont la nature
L'avoit formé , il n'y put éviter l'ennui
qu'il fuyoit , & qu'il rencontroit partout ..
H ne trouvoit le point de préciſion nulle
part Dans un cercle quelqu'un contoit- il
la nouvelle du jour ? il interrompoit l'Hif
rorien au milieu de fon récit , en fe récriant
trop long ! Dans un fouper fervoiron
l'entremets , il fe levoit brufquement
de table , en répétant toujours trop long.
A la Comédie , il n'arrivoit qu'à la petite
piece , ou qu'au cinquieme acte de las
grande ; le débit lent de la tragédie le défoloit.
A peine l'Acteur avoit- il prononcé
dix vers de fuite , que Raron fortoir du
théâtre en murmurant tout haut , trop long,
vingt fois , trop long. Al'Opera , il n'ene
Av
o MERCURE DE FRANCE.
tendoit jamais que le dernier air , & à
chaque reprife il chantoit conftamment ,
trop long! c'étoit fon refrein . Un mardı il
entra au parterre ; il eut pour la premiere
fois la patience de voir un ballet entier ;
mais comme il étoit petit & précis en tout,
il trouvoit tous les fpectateurs trop grands,.
& toutes les danfes trop longues. Dès
qu'un voifin lui mafquoit la vue d'une
Danfeufe qu'il lorgnoit , il répétoit fans.
ceffe , trop grand ! morbleu , irop grand !
Et chaque fois qu'on recommençoit le
même pas , il cricit impitoyablement trop
long ! encore un coup trop long ! Un grand
Officier de Dragons qui étoit près de lui ,
impatienté de fes exclamations , lui répliqua
en colere , trop grand ! trop long ! finilez
. Quand on a le corps fi petit & l'efprit
fi court , on doit fe taire , ou fe tenir
tapi dans fa boîte . Raton qui étoit auffi
brave que concis , lui dit tout bas : fortons.
Il par it en même temps , & fut fuivi de
l'Officier. Dans la premiere rue détournée
il mit l'épée à la main ; mais par malheur
il avoit le bras trop court pour atteindre
fon adverfaire , dont le fer proportionné
à la longueur de fa taille , le renverfa du
pemier coup. Raton en tombant s'écria :
trop long ! On le remporta chez lui . La
bieffure étoit peu dangereufe ; mais le
DECEMBRE . 1757 . II
Chirurgien eut l'art de la rendre longue ,
& de défefpérer notre petit homme qui
ne ceffoit de lui crier fon refrein . Il guérit
enfin au bout de fix femaines. Dès qu'il
fut parfairement rétabli , il lui prit fantaifie
de fe marier. Le choix étoit plus difficile
pour lui que pour un autre. Quoique
petit , il n'aimoit pas les grandes femmes.
il en vouloit une dont la taille , ainfi que
l'humeur , fût affortie à la fienne , qui parlât
peu , mais jufte , & qui fût préciſe , à
tous égards , comme lui. Pour la trouver
telle plus fûrement , après plufieurs vaines
recherches , il fit choix d'une jeune perfonne
de ſeize ans , qu'on pouvoit appeller
une vraie miniature. Faite à peindre dans
fa briéveté, & jolie, faute d'étoffe pour être
belle , elle y gagnoit , elle en étoit plus
piquante , elle en avoit plus de graces. Ses
yeux pleins d'efprit en cachoient la moitié
par modeftie , & fa bouche encore plus
réfervée ne répondoit qu'oui ou non ,
mais toujours à propos. Cela lui feyoit.
Elle étoit dans l'âge du filence , où l'on
doit écouter pour apprendre. Un fouris
fin d'ailleurs fuppléoit à fa réferve . Raton
crut avoir rencontré , comme on dit familiérement,
chauffure à fon pied ; mais il n'y
trouva pas la préciſion qu'il attendoit , ni
la conformité d'efprit dont il s'étoit flatté.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Cloé dével pa fes fentimens. Il vit avec
douleur qu'ils formoient un parfair contrafte
avec les fiens . Raton ou Bref ( on
lui donnoit les deux noms indifféremment )
examinoit tous les objets avec un microfcope
qui les lui groffiffoit , & Cloé les regardoit
au contraire à travers un verre
qui les lui rapetifoit ; de forte que l'un
voyoit tout trop long ou trop grand , &
que l'autre voyoit tout trop court ou trop
perit. Bref aimoit les petits foupers , les
Courtes fètes , les petits chiens , les petits
ferins , les petits coureurs. Cloé préféroit
les grands repas , les longs bals , les gros
perroquets , les grands lévriers , les grands
laquais. Elle avoit en ce point le goût des
femmes de fa taille. A force de paffer les
nuits , elle devint vaporeufe. Elle eut recours
à un grand jeune Médecin fait exprès
pour guérir les vapeurs des jeunes
mariées. Il s'exprimoit avec une facilité
& une abondance de termes qui faifoient
extafier la femme , & mourir le mari. Cloć
avoit une inclination marquée pour la
grande éloquence , pour les périodes nombreufes
, & Bref une averfion mortelle
pour les phrafes. L'entretien du Médecin
oratear occafionnoit toujours entr'eux un
duo contradictoire. A chaque propos da
Docteur, Raton, fe récrioit : Eh trop long,
DECEMBRE. 1757.
Monfieur , trop long de moitié. Abregez.
Non , trop court , Monfieur , difoit - elle ,
trop court des trois quarts. Plus vous alongerez
, plus j'aurai de plaifir. Le bouillant
petit homme ne put foutenir la contradic- .
tion éternelle de fa femme. Il s'en fépara
brufquement , & l'abandonna à l'éloquence
verbeufe de fon Galien qui l'eût obligé
de l'en étouffer , pour l'en délivrer. Dans.
le befoin de fe confoler ou de s'étourdir ,
il effleura la connoiffance de toutes les
filles de fpectacle. En parcourant leur cercle
féducteur , il fixa un jour fes regards:
fur une perite Danfeufe qui formoit fes
pas avec une précifion admirable , qui
parloit & qui fe conduifoit de même . La
jeune Souris avoit appris à calculer fa
danfe & fes alures dans la finance , don
elle avoit fucceffivement mis les chefs à
contribution . Mais malgré la jufteffe de
fes calculs , elle avoit des goûts & des
fantaifies fans nombre , qui la rendoient
fouvent pauvre au fein de l'opulence.
Raton la prit dans un de ces inftans fâcheux
, qui la laiffoient libre , mais indigente.
Il en devint amoureux fou , & crut
avoir trouvé un vrai bijou pour lui . Elle
crut de fon côté avoir rencontré un petit
tréfor pour elle. Leur union fut d'abord
parfaite. Tout paroiffoit conforme en eux ,
I
I
I
14 MERCURE DE FRANCE.
"
leur taille , leur caractere , leur nom même.
Souris étoit faite pour Raton , & Katon
fait pour Souris. Elle ne reflembloit point
à celles de fon talent dont toutes les faillies
font dans le brillant de leurs pas . Une
loure , un menuet , un tambourin font
leur converfation , & trois entrechats leurs
épigrammes. Souris penfoit , elle avoit de
l'efprit , elle l'aimoit , l'applaudiffoit dans
les autres ; elle avoit pris en affection un
petit Abbé qui faifoit de petits jolis vers.
Elle l'engagea à rimer un opera ; il en fit
un en cinq actes. Elle préfenta l'Auteur &
le Poëme à fon nouvel Amant , qui fit politeffe
à l'Abbé par vanité ; car il avoit la
manie des gens riches de s'ériger en petit
Mécene. Il le protégea donc ; mais en jettant
les yeux fur fon poëme , il le trouva
quatre fois trop long , & condamna l'Auteur
à le mettre en un acte. L'Abbé furpris
de l'arrêt , lui repréfenta que c'étoit un
opera férieux , qui demandoit cinq actes.
Bref lui dit que la précision n'en vouloit
qu'un. L'Auteur infifta , Raton s'obſtina.
Les petits hommes font têtus. Pour les
mettre d'accord , Souris fe rendit médiatrice
, & opina pour trois. Bref y foufcrivit
, mais à condition que chaque acte
n'auroit au plus que deux fcenes pour
amener un ballet , & que tout Fouvrage
Fi
ER
le
Es
de
Ls
DECEMBRE. 1757. If
ne contiendroit que foixante vers . Eh ! le
moyen , interrompit l'Auteur effrayé ? Le
voici , répondit Bref. En difant cela , il
prend une plume , & crac , il fait mainbaffe
inhumainement fur plus de fix cens
vers. Arrêtez , Monfieur , s'écria douloureufement
l'Abbé , les larmes aux yeux ::
arrêtez , vous me déchirez les entrailles..
Brûlez plutôt mon enfant que de le mettre
ainfi cruellement en piece. Tout ou rien.
Rien , repliqua méchamment le petic
homme en jettant le poëme au feu . L'Auteur
fit les hauts cris ; la Danfeufe rioit
comme une folle , & Raton s'applaudiffoit.
Cependant comme il étoit foncierement
bon , il eut pitié de l'Abbé , & pour
le dédommager , il lui fit une penfion de
quinze cens livres , dont chaque quartier
lui fut payé d'avance. Certe fcene fingu
liere que la piece avoit occafionnée , fut
la meilleure pour l'Auteur , qu'elle mit
prefqu'à fon aife , & qu'elle guérit de la
fureur des grands ouvrages . Il fe renferma
fagement dans le cercle étroit de fon talent
, & pour mieux faire fa cour , il ne
fit plus que des chanfons , des petits airs
détachés , des bouquets & des madrigaux..
Le protégé fe rendit par là très - agréable
au protecteur , qui redoubla fes bienfaits..
16 MERCURE DE FRANCE.
La maison de Souris & de Raton ( car ils
vivoient enſemble) devint l'aſyle de tous les
plaifies en raccourci . On y donnoit de fêtes
courtes, mais charmantes, dont elle étoit la
reine , & des petits foupers délicieux , dont
elle faifoit tout le charme . Ils étoient accompagnés
de mille petits jeux variés , que
P'aimable gaieté faifoit naître, que la bonne
plaifanterie alfaifonnoit , & dont l'efprit
étoit le premier à faire toujours les frais.
Un bon mot fuivoit une faillie , qui finiffoit
par un trait ; & ce qui flattoit le plus
le maître du logis , on y contoit l'hiftoire
du moment en trois minutes. Entin le ther
petit Raton étoit idolâtre de fa jolie petite
Souris , & croyoit avoir fait fon vrai
bonheur , le point de précifion qu'il défiroit.
Cette félicité dura trois mois , & finit
auffi rapidement qu'elle avoit com
mencé. Une affaire importante appella
Raton ailleurs. L'Amour impatient la lui
fit gâter , il le confulta plus que fes interêts
, & facrifia cent mille francs au defir
de revoir ce qu'il aimoit huit jours plutôt.
Il en fut bien payé ; en arrivant , il troava
la Souris délogée . Il ne re ftoir chez lui
que les quatre murs , avec ce biller qu'il
Trouva fur l'unique table qu'on y avoit
Jaillée. Je vous quitte pour des raifons trap
longues à dire. Bref, j'emporte tout , pourêtre
ន
F
fo
fi
d
d
2
DECEMBRE. 1757. 17
mieux dans votre fouvenir. Vous voulez de
la précifion ; en voilà.
Ah ! La feciérate , s'écria-r'il ! Mais
dois -je en être furpris ? Toutes ces Sourislà
font faires pour ronger & pour detruire
tous les lieux où elles s'établiffent . Il eut
beau s'arner de philofophie , ce coup fit
fur tous fes fens une révolution fi forte ,
que la ficvié le prit . Les remedes l'augmenterent
, l'impatience l'artifa . Le Médecin
, la garde , & qui pis eft , fa femme
dont la vifite lui caufa le tranfport , fe
donnerent tous le mot pour le réduire à l'agonie.
On vint alors l'exhorter à la mort
par un difcours très - édifiant ; mais dont la
prolixité l'acheva. Le pauvre petit Raton
rendit le dernier foupir en proférant trois
fois , trop long , trop long , trop long. Cloé
fuivit Raton de près . Il expira d'impatience
. Elle mourut de langueur. Les deux
extrêmités font mortelles. La paffion du
trop emporta la femme fans relâche au delà
du vrai point de précifion , & l'Amour
du trop peu , retint le mari toujours en
deçà . Ce point eft le point moyen , & qui
veut le faifir , doit adopter pour maxime ,
ni trop , ni trop peu.
"
1
18 MERCURE DE FRANCE,
EPITRE
AM. de Boullongne , Contrôleur Général
des Finances.
a« Cette Epître a déja paru dans l'Année
Littéraire ; mais des vers de M. Greffet ,
» & qui font l'éloge de M. de Boullongne,
ne peuvent trop être publiés. iis doivent
» être confacrés dans tous nos Journaux ,
& particuliérement
dans le Mercure de
» France , qu'on doit regarder comme
les faftes littéraires de la nation. Nous
»avons cru d'ailleurs qu'il valoit mieux
» l'enrichir d'excellens vers qu'on a lus
autre part, que de le groffir, malgré nous,
» le vers médiocres qu'on ne trouve que
dans norre recueil , & qui n'en font pas
plus neufs pour être nouveaux. » ม
MINIINSITSTRREE aimable , heureux génie¿
Que le bonheur de la patrie
Appelle aux travaux de Colbert ,
Dans cette Cour , qui de concert
Vous félicite & vous implore ,
Pourrez-vous reconnoître encore
Une voix qui vient du défert ?
Depuis l'inftant où la puiſſance
DECEMBRE . 1757.
Du plus chéri des Souverains ,
A remis dans vos fages mains
L'urne heureufe de l'abondance
Pour la fplendeur de nos deftins ,
Des importuns de toute efpece ,
Des ennuyeux de tous les rangs ,
Des gens joyeux avec trifteffe ,
Des machines à complimens ,
Vous auront excédé fans eeffe
De fadeurs , de propos charmans ;
Déployant avec gentilleffe
L'ennui dans tous les agrémens.
Vous avez effoyé fans doute
Le poids des difcours arrangés ;
Les protecteurs , les protégés ,
Tout s'eft courbé fur votre route,
Les grands entourent la faveur ;
La foule vole à l'espérance ,
Tout environne , tout encenfe
Le temple brillant du bonheur
Vous aurez vu toute la France.
Moi , qui féparé des vivans ;
Dans ma profonde folitude
Ignore le jargon des grands
Et celui de la multitude ,
Je ne viens point d'un vain encens
Surcharger votre laffitude
De gloire & d'applaudiffemens s
MERCURE DE FRANCE.
{
Je déplorerois , au contraire ,
Les travaux toujours renaiſſans ,
Et le joug où le miniftere
Vient attacher tous vos momcns ,
Si je n'aimois trop ma patrie
Pour plaindre les brillans liens
Dont elle enchaîne votre vie :
Elle parle , il faut que j'oublie
Tous vos intérêts pour les fiens.
Pardonnez ce brufque langage
Aux moeurs fianches de mon féjour ;
C'est le compliment d'un fauvage
Qui , loin de la langue du jour ,
Loin des foupleffes de l'uſage ,
Et trouvant pour vous fon hommage
Gravé dans un coeur fans détour ,
N'en veut point fçavoir davantage.
Si je mêle fi tard ma voix
A Palégreffe gér érale ,.
L'ignorance provinciale
N'excule pas les triftes droits :
Réduit pour toute nourriture
A m'inſtruire , & m'orner l'efpric
Dans la Gazette & le Mercure ,
Sur ce qui fe fait & le dit ,
Je ne fçais rien qu'ì l'aventure ;
Je parle quand il n'eſt plus temps
E: les nouvelles ont mille ang
DECEMBRE . 1757.
21
Quand l'Imprimeur me les affure.
Ce n'est que dans ces lieux brillans
Qu'enrichit la Seine féconde
Des heureux tributs de fon onde ,
Que l'on fçait tout , que l'on fçait bien;
Ailleurs on n'eft plus de ce monde ;
On fçait trop tard , on ne fçait rien.
O Province ! que ta lumiere
Languit fous des brouillards épais
Et fur les plus fimples objets
Quelle ftupidité pléniere !
Un feul trait , parmi les Journaux
De l'imbécillité profonde
De nous autres Provinciaux ,
Montre combien dans nos propos
Nous fommes au fait de ce monde ,
Et préfentant dans tout leur jour
Notre force & nos connoiffances
Sur l'ufage & fes dépendances ,
Sur les nouvelles & la Cour ,
Ce trait excufera mon zele
De vous être fi tard offert,
Grace à l'éclypfe habituelle
Dont notre mér te cft couvert.
Mon anecdote n'est pas neuve ;
Mais les Provinciaux paffés
Sont trop dgnement remplacés
Pour que le temps nuile à ma preuve ,
1
22 MERCURE DE FRANCE.
Quand Vardes revint à la Cour ,
Rappellé par la bienfaifance ,
Après un long mortel féjour
De Province & de pénitence ,
Louis quatorze avec bonté
S'informant du genre de vie
Qu'il avoit mené , du génie ,
Du ton de la fociété
Au lieu qu'il avoit habité :
Sire , excellente compagoie !
De l'efprit comme on n'en a point !
Gens charmans , inftruits de tout point ,
Et d'une reffource infinie !
Ce font des converfations
Incroyables , fort amulantes ;
Il s'y traite des questions
Très-neuves , très-intéreffantes.
Par exemple , quand je partis ,
On avoit mis fur le tapis
Un problême affez difficile ,
Et fur lequel toute la ville
Parloit fans pouvoir s'accorder.
La question étoit critique :
Il s'agiffoit de décider.
Une matiere politique ,
Et qui de Votre Majefté
Ou de Monfieur étoit l'aîné.
Sur notre Gauloiſe ineptie ,
C'est trop arrêter vos regards
DECEMBRE.
1757. 23
Tandis que la gloire , les arts,
Et le bonheur de la patrie
Vous occupent de toutes parts ;
Tandis que votre main féconde
Soutient, dans leurs brillans travaux ,
Les pavillons & les drapeaux
Du pacificateur du monde.
Puiffent mon hommage & mes vers
Vous être heureuſement offerts
Loin du bruit de la galerie ,
Loin du cahos des fupplians ,
Quand vous viendrez quelques inftans
Refpirer à la Tuilerie ( 1 ) !
C'eft dans ce féjour enchanteur ,
Palais de Flore & de Minerve ,
Que le prem er fruit de ma verve
Reçut le prix le plus flatteur ,
Des fuffrages dont je conferve
Un fouvenir cher à mon coeur ;
C'eſt dans ces beaux lieux que j'efpere
Aller quelque jour vous offrir
Le pur encens d'un ſolitaire
Avec les fruits de fon loifir ;
Et dans les différentes claffes
D'originaux valant de l'or ,
(i ) Maison decampagne de M. de Boullongne ;
près d'Auteuil,
24
MERCURE DE FRANCE,
Dont j'ai peint dans un libre effor
L'efprit , la fottife & les graces ,
Vous trouverez peut - être encor
Que , même fous un ciel barbare ,
J'ai fauvé de l'obſcurité
Un rayon de cette gaîté
Qui devient aujourd'hui fi rare ,
Quoique fi bonne à la fanté.
LE SOUPIR ,
A Madame L *** , qui m'en demandoit
l'explication.
Vous me demandez , Madame , ce que
c'eſt que le foupir. Ce feroit à qui l'éprou
ve , à l'expliquer : fa définition part da
fentiment , & le fentiment eft- il fi facile à
pénétrer ? C'eft une enigme gracieufe qu'il
s'agit de dévoiler , un tableau délicat qu'il
faut peindre , en le traçant. Je voudrois
intéreffer ; des nuances fines & impercep
tibles demandent un pinceau leger : je
le prends dans vos yeux : l'efpoir du fuccès
, ou plutôt l'envie de vous plaire , me
rend hardi . Soyez attentive .
Le foupir annonce le defir ; l'un voit
le jour à l'aide de l'autre , & fans le fecond,
le premier feroit inconnu. Quand ce défir
Le
C
P
tra
rel
ze
Pa8.- 3
de
ة م
DECEMBRE. 1757. 25'
pas
Te fait fentir , la crainte de n'avoir
fon effet , produit un mouvement fur le
coeur : étonné & en fufpens , il s'arrête :
le mouvement fixé , les fibres voisines s'en
apperçoivent , & alors il fe manifefte aut
dehors par un hélas inarticulé & feulement
familier avec le coeur.
Voilà le foupir felon la phyfique. Le
peindrai je dans le fens moral ? Il annonce
le befoin du coeur. Life foupire , l'oeillet
lui plaît , fa maman s'y oppote , fon coeur
contredit l'oppofition. Maigré les avis ,
elle defire. Quel peut être le motif qui la
fait languir Soyez tranquille , Lite foupire
, l'oeillet triomphe , tout eft dit .
L'Amant foupire auprès de fa maîtreffe ,
la Maîtreffe auprès de fon Amant . Eft- ce
un problême ? Tous deux tendent au même
but. La pudeur dit à celle ci de voiler
cette fenfation , le refpect arrête les
tranſports de celui là. Laiffez les prendre
leur effor , la pudeur a été trahie par le
foupir ; le defir s'eft alarmé à la voix du
respect . Au comble des defits , s'ils foupirent
, l'Amour en badinera.
Ces premiers traits ne vous fatisfont
pas encore : il vous faut un tableau plus fidele
, approchez & voyez .
Climene eft au comble de fes voeux , elle
doit ce foir s'immoler au gré de l'Amour.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
L'Autel lui plaît ! fûre du plaifir , elle offre
la victime , l'Amour l'immolera . Climene
fera contente : fa joie , loin de s'altérer
, applaudira en fecret à fon fupplice;
mais elle foupirera ; pourquoi ? C'est que
les chaînes qui l'uniffent à fon amant ,
quoique gracieuſes , font trop légeres pour
ne pas craindre qu'il ne lui échappe . Voilà
le foupir dans la joie.
Au faîte du plaifir , je touche à l'amertume.
Les rofes que j'ay cueillies , s'évanouiffent
; il ne reste plus que les épines.
Quelle douleur ! Si je foupire , c'eft le
Dieu du printems qui me fait fentir les attraits
de la rofe . Elle fuit , nouveau foupir.
Si l'hyver ne m'offre que fes rigueurs ,
le foupir continue. J'ai recours à l'art , c'eft
en vain . Il ne me refte dans mon chagrin
aucune reffource. Quel parti prendre ?
Soupirer : de quelque côté que l'homme fe
tourne , le foupir eft un fuplice , il le
fubira dans la joie comme dans la trifteffe ,
c'eft fon partage. Heureux celui qui dans
mille foupirs , en voit un remplir fon at
tente !
A Limoges , le 15 Août 1757 .
DECEMBRE . 1757. 27
LA PERDRIX ET SES PETITS .
Fable , adreffée par M. l'Abbé Aubert àfa
mere.
UNE Perdrix fe promenoit un jour
Avec fa petite famille :
Mere & Perdrix , la jeune volatille ,
Comme on croit bien , ne manquoit pas d'a◄
mour.
Elle inftruifoit cette troupe chérie
A fendre l'air , à parcourir les champs.
Il étoit temps que les pauvres enfans
Appriffent à chercher leur vie.
Jufqu'à préfent j'ai veillé fur vos jours.
Je vous ai donné la pâture ;
Je vous ai mis à l'abri des vautours ,
Et des humains , efpece encor plus dure.
Mais vous ne m'aurez pas toujours.
A peine a- t'elle achevé ce difcours ,
Que d'un Chaffeur elle entend le tonnerre,
Fuyez , dit-elle à fes Petits tremblans .
Le ciel encor réſerve à votre mere ,
De vous fauver aujourd'hui de ces gens.
Eux , de s'aider de la plume nouvelle ,
Pour éviter le foudre deftructeur.
Elle , d'aller au devant du Chaffeur ,
Geignant , boitant , traînant de l'afle ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
Pour détourner fa barbare fureur.
Notre homme la croyant du plomb mortel at
teinte ,
De la piller à Brifaut donne foin.
Alors la Perdrix part. L'homme admire la feinte ;
Et cependant les Petits font bien loin.
Dans l'artifice heureux que la nature fage ,
Pour fauver les enfans , infpire à cet oiſeau ,
De vos généreux foins j'ai crayonné l'image ,
Tendre mere : daignez ſourire à ce tableau .
On dit qu'Amour n'eft plus , qu'il a quitté la terre
Au coeur des Amans , des époux ,
Il en faut convenir , il ne féjourne guere.
Il habite au fein d'une mere :
Mais toutes ne font pas auffi tendres que vous.
STANCES
A MM. les Gardes du Corps du Roi , fur
la fête qu'ils ont donnée à Orléans le 16
Octobre , à l'occafion de la Naiffance de
Monfeigneur le Comte d'Artois .
QuUEL jour nouveau brille en ces lieux !
Que de plaifir il fait éclorre !
Mais l'éclat qui charme nos yeux ,
Des plus beaux jours n'eft que l'aurore .
Déja les douceurs de la paix
DECEMBRE . 1757. 29
Semblent fuccéder aux alarmes :
Déja de fi brillans apprêts
Nous en font goûter tous les charmes,
Vous , qui voliez aux champs de Mars
Avec le plus ardent courage ,
A courir de plus doux hazards
Le zele aujourd'hui vous engage.
Pour enchaîner vos libertés ,
Les Ris , les Amours & les Graces
Bientôt de cent jeunes Beautés
Vont , à l'envi , fuivre les traces.
Changez en de tendres defirs
L'ardeur que vous faifiez paroître ;
Et qu'on juge par vos plaifirs ,
Qu'un nouveau Bourbon vient de naître
Sufpendez , généreux Héros ,
Votre paffion pour la gloire :
Ces fêtes & ce doux repos
Valent bien mieux qu'une victoire.
Mêlez le myrte à vos lauriers ;
Il est fait pour orner vos têtes :
Vous ferez toujours les premiers
Dans les combats & dans les fêtes.
Par vos danfes , par vos concerts ,
A Lucine ( 1 ) rendez hommage ;
(1) Déeffe qui préſide aux accouchemens:
B iij
30 MERCURE DE FRANCE,
Qu'épris de vos jeux , l'Univers
Les applaudiffe & les partage.
Que votre zele en ce grand jour
Annonce à Louis , à la France ,
Que vous n'avez pas moins d'amour
Que de grandeur & de vaillance .
Envoi aux Dames.
Heureux , fi d'un regard flatteur ,
Vous daignez voir ce foible ouvrage !
Puis- je craindre quelque cenfeur
En obtenant votre fuffrage ?
Par M. Thomaffin, Garde du Corps du Roi.
SUITE des Réflexions fur l'efprit humain,
à l'occafion de Corneille & de Racine.
DANS le Mercure d'Avril 1755 , nous
inferâmes un fragment d'ouvrage de M.
de Marivaux , qui a pour titre , Reflexions
fur l'efprit humain , à l'occafion de Corneille
& de Racine.
Il y établit , qu'il y a deux fortes de
grands hommes en fait d'efprit.
Il y en a à qui , de leur vivant même ,
on donne le nom refpectable de Philofo
phes. Ce font ceux qui ont pénétré dans la
connoiffance de la vérité , dans les proDECEMBRE.
1757. 3 г
fondeurs des fciences , des mathématiques
, & dont les lumieres fublimes ont
avancé le progrès des fciences , & la vénération
qu'on a pour eux leur eft dûe .
Il dit que les autres font ceux à qui on
donne affez communément le titre familier ,
frivole , peut- être moqueur de beaux efprits
, pendant qu'ils vivent , & qu'on
traite enfuite de grands génies , quand ils
ne font plus , & l'Auteur du fragment
dont nous donnons la fuite , examine
pourquoi ces derniers , quoiqu'admirés à
leur tour , ne le font pourtant pas auffi
férieufement que les Philofophes . Par
quelle raifon , dit'il , l'opinion leur fait
elle moins d'honneur ? La capacité dont ils
ont befoin dans leur genre , eft elle d'un
mérite inferieur ? Est - ce qu'il eft moins
difficile de bien connoître le coeur humain,
de percer dans les profondeurs de l'ame
humaine , que dans les profondeurs de
quelque autre fcience que ce foit ?
Oui fans doute , s'imaginent les hommes
eni général. Les ouvrages des grands
hommes qu'on a d'abord appellés beaux efprits
, ne font une enigme pour perfonne.
Le fujet fur lequel ils travaillent , eft plus
ou moins à la portée de tous les hommes
de ceux même qui font les plus bornés . La
connoiffance des hommes fur laquelle ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
availlent eft affurément une fcience ; mais
une fcience fi naturelle, qu'on y avance fans
avoir befoin de maître qui vous l'enſeigne.
Il n'en eft pas de même des autres fciences
, on n'y entend rien , fi on ne les apprend
pas , & on n'y devient habile qu'avec
un aptitude d'efprit très- rate , qu'a
vec un don d'intelligence que la nature accorde
à peu d'hommes.
.
D'accord , dit l'Auteur , mais tout cela
ne prouve rien. Pourquoi faut-il des maitres
pour ces fciences ? c'eft que la fociété
qui n'exige pas que vous les entendiez ,
ne vous les enfeigne pas. Pourquoi ne fautil
point de maître pour la fcience des beaux
efprits , c'eft à dire , pour la connoiffance
des hommes ? C'est que la fociété vous
l'enfeigne inévitablement , & que vous ne
fçauriez échapper aux inftructions qu'elle
vous en donne : mais vous n'excellez dans
cette fcience , non plus que dans les autres
qu'avec un génie très- privilégié , & dont
la fublimité ne le cede à aucune fublimité
de génie poffible.
Nous avons cru devoir rappeller tout ce
que nous venons de dire , pour mettre un
peu au fait ceux qui n'ont point lu le commencement
du fragment dont voici la fuite,
Il est donc indifpenfable à tout homme
dans le monde de connoître un peu les
DECEMBRE . 1757. 33
hommes il y va toujours de fa fortune ,
toujours de fon repos , fouvent de fon
honneur , quelquefois de fa vie ; quelquefois
du repos , de l'honneur , de la fortune
& de la vie des autres.
Il lui importe de tout ce que je dis là
qu'il foit inftruit .
Mais comment fe pourroit- il qu'il ne le
fût pas , avec le befoin toujours urgent
qu'il a de l'être , avec cette extrême
& prefque inévitable commodité qu'il a
d'apprendre une fcience qui lui eft enfeignée
par autant de maîtres qu'il y a
d'hommes qui l'environnent..
Auffi en arrive-t'il qu'il ne fent ni la
continuité , nila fatigue de l'étude fecrette
qu'il en fait , auffi l'apprend-il comme à
fon infça , fans qu'il y penfe , fans que
fon expreffe réflexion s'en mêle.
Ce feroit une distraction à lui , que de
fonger qu'il étudie.
Ce n'est donc ni au caractere , ni à la
foibleffe de la fcience , ni à fon peu de
profond ur qu'il faut attribuer l'apparente
facilité qu'il trouve à l'apprendre ; mais à la
force de l'état où je le mers , mais à la maniere
unique dont il l'étudie , mais aux leçons
continuelles , inévitables & toujours
aéceffaires qu'on lui en donne , enfin à la
nature de la fociété qui , comme je l'ai dé-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
par
ja dit , en tient une école ouverte , & qui
là le difpenfe des efforts pénibles & fatiguans
dont il eft impoffible de l'exempter
dans l'étude des autres fciences , parce que
la fociété qui nous laiffe parfaitement libres
d'ignorer ou de fçavoir ces fciences ,
ne fe mêle plus de nous alors , & ne fait
plus les frais de notre instruction , dès qu'il
s'agit d'elles & de toute fcience qui n'eſt
pas dans le cas de la nôtre , & je ne fçache
que la nôtre qui y foit.
J'en excepte pourtant la langue nationale
de chaque pays qui s'infinue dans l'efprit
auffi aifément , auffi infailliblement
que notre fcience , & d'une maniere peutêtre
encore plus finguliere.
Car, qu'on me permette de le dire en paffant
, ni l'intérêt qu'un enfant a de fçavoir
fa langue , & que je ne crois pas qu'il fente
d'abord, ni la commodité qu'il a de l'apprendre
au milieu de tant d'hommes qui
la parlent , qui font fes maîtres fans y fonger
, & dont il eft le difciple fans qu'il y
penſe ; rien de tout cela , qui cependant
lui fert beaucoup , n'eft le véhicule le plus
immédiat des inftructions qu'il commence
à recevoir.
Que cet enfant retienne tous les mots
qu'il entend dire , on le comprend ; mais
que de chaque mot qui ne va jamais ſeul ,
DECEMBRE . 1757. 35.
& que nous mettons toujours avec d'autres
, il parvienne à en faifir le fens que
nous ne lui difons jamais , il entre dans
cette opération -là plus de façon qu'on ne ſe
l'imagine : c'eft prefque deviner , & non
pas apprendre , c'eft un fecret entre la nature
& lui , qui n'eft guere explicable.
Un cerveau tendre , une ame neuve ,
vuide d'idées , plus étonnée qu'elle ne le fera
jamais des fons que nous articulons , &
qui la frappent , par conféquent plus atentive
qu'on ne peut le dire à l'air & à la
maniere dont nous prononçons les mots ,
cherchant à fçavoir à quoi ils aboutiffent ,
& ce qu'ils fignifient , & le cherchant
avec une curiofité , dont l'exactitude , la
fineſſe & l'activité ne fe retrouvent plus
& ne font jamais attachées qu'aux premiers
étonnemens que l'ame éprouve ; voilà vraifemblablement
ce qui met encore un enfant
en état de s'éclairer fur les mots de fa
langue , voilà ce qui lui en revele la fignification
, dont la connoiffance , à mefure
qu'il l'acquiert , l'introduit tout de fuite
dans l'étude imperceptible de notre fcience
, ou de la connoiffance des hommes,
Mais revenons où nous en étions , fans
pourtant renoncer à la liberté de m'interrompre
quelquefois .
Je difois donc , en exceptant la langue
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
nationale , que parmi le refte des con
noiffances humaines , à remonter des plus
petites , jufqu'aux plus gran tes , on n'en
trouvera pas une qui foit dans le cas de
la fcience de nos grands génies , pas
une dont l'ignorance nous retranche
du commerce des hommes , pas une ,
je le répete encore , qui foit inévitable
& abfolument néceffaire ; deux conditions
fans lefquelles on n'apprend rien , pas même
à lire , fans une étude expreffe , & par la ma
gie defquelles il n'y a rien dont on ne puiffe
être inftruit fans qu'on s'en apperçoive.
Voilà tout le myftere du pen d'effort qu'on
croit faire en apprenant plus ou moins
notre fcience , qui n'eft la nôtre , qui n'eft
celle de tout le monde , qui ne s'infinue fi
aifément dans l'efprit , que par un por bénéfice
de la fociété , quoique l'étude
en foit plus continue , beaucoup plus
intérieure , mais fi involontaire , qu'elle
n'avertit pas. de ce qu'elle coûte ;
tandis qu'il n'eft fi difficile d'acquérir
plus ou moins les fciences des philofophes,
que parce qu'elles font l'objet d'une étude
particuliere , que la fociété ne ſecourt
point.
Voilà auffi tout le mystere de l'extrême
réfiftance qu'elles nous font ; il n'y faut
pas entendre plus de fineffe ..
1
DECEMBRE . 1757. 37
Et cependant c'eft de cette réfiftance dont
on n'obferve pas la fource ; c'eft de cette
fatigue accidentelle qu'elles exigent , que
dans le monde on infere qu'elles font bien
fupérieures à notre fcience , & qu'on va
même jufqu'à les regarder comme plus
étrangeres à l'efprit humain : autre diftinc
tion chimérique qui ne les honore point)
& dont elle n'ont pas befoin pour être vraiment
fublimes .
Ce n'eft pas plus étrangeres , c'eft plus
inufitées qu'il faut dire , & notre imagination
fe méprend de terme.
Car enfin , nous ne les avons pas crées,
il n'y en a pas une qui , à la prendre dans
fon origine , & à remonter à fes premieres
notions ne foit auffi naturelle
à l'efprit humain que notre fcience ..
>
Nous mefurons , nous calculons , nous
comparons , nous obfervons tous d'après
les objets matériels qui nous environnent
& dont nous ne pourrions pas nous démê
ler fans cela , qui fouvent expoferoient
notre exiſtence , fans ces différentes fortes
de jugemens que nous portons d'eux , que
nous avons à tout moment befoin d'en
porter , & qui font effentiellement partie
des conditions de notre état , & de cette
efpece d'affociation que nous avons avec
ces mêmes objets.
18 MERCURE DE FRANCE.
Or toutes les fciences émanent delà : en
voilà les principes jettés dans tous les efprits
Elles ne font devenues des fciences que par
le déployement de ces principes; de forte que
tout homme eft néceffairement un Philofophe
commencé , qui n'en demeureroit pas
là dans un befoin urgent , & qui , moyen,
nant fes commencemens , & par le fecours
de l'étude , auroit eu droit à toute efpece
de connoiffance, proportionnément à ſa capacité
plus ou moins bornée ; car il y a des
efprits plus forts , il y en a de plus foibles,
de plus ou moins faits pour chacune des
fciences humaines , fans en excepter la
nôtre. De toutes les routes que l'efprit humain
peut fuivre , aucune ne m'eft interdite.
Un autrey va mille fois plus loin que
moi ; mais j'y entre de droit , & la fuis
comme lui .
>
La force d'y aller loin , & en peu de
temps , appartient à peu ; mais le pouvoir
d'y entrer , & d'y avancer lentement
difficilement & à certain point,
appartient à tous & ne fçauroit , ce me
femble, n'y pas appartenir , à moins que la
nature ne manque ordinairement la formation
des créatures de notre espece ; mais
pourquoi la manqueroit - elle , pourquoi ne
feroit -elle fi fouvent en défaut que fur
nous ?
DECEMBRE. 1757. 39.
Entre-t'il plus de fortes de chofes dans
notre formation , & lui feroit- il plus difficile
de l'arranger que celle d'un oifeau ,
d'un lion , d'un poiffon , d'un arbre ,
d'une fourmi même ?
Il n'y a pas d'apparence ; car, auffi bien
que dans la formation de la créature humaine
, il entre de tout , dans tout ce qui
végete & ce qui refpire , & cependant
la formation des autres êtres n'eft preſque
jamais manquée , & fe trouve toujours
fuffifamment ce qu'elle doit- être.
Entrons dans un examen de cette formation
, dont je crois avoir befoin pour bien
établir ce que je vais dire.
>
Je commence par dire qu'il y a une formation
permanente & fixement arrêtée
pour chaque efpece d'être , & je vais developper
ce que je dis - là . Suppofons que
la nature qu'à la vérité nous ne connoiffons
pas bien , mais dont le nom nous
fert du moins de point d'appui dans nos
conceptions , & dont nous pouvons d'ailleurs
obferver le procédé invariable &
conftant ; fuppofons , dis-je , qu'elle n'ait
jamais agi que fur des préparations primordiales
& antérieures , que fur des difpofitions
générales qui attendoient fon action
; c'eſt - à - dire , fuppofons que les différens
principes qui la compofent , fe
4 MERCURE DE FRANCE.
foient, en fe développant, rangés & diftribués
, unis & feparés d'une maniere fi invariable
, qu'en conféquence , la premiere
production d'un nombre infini d'êtres une
fois faite , cette nature , fur quoi qu'elle
ait agi depuis , & qu'elle agiffe encore aujourd'hui
, ait été & foit jufqu'ici affujettie
à une repétition des mêmes êtres , &
trouve partout des modeles , ou des deftinations
établies qui la contiennent dans
un plan qu'elle ne peut franchir , qui ſe
prête pourtant à fes écarts , à ce qu'elle
produit quelquefois d'irrégulier ou d'excédant
; mais qui s'y prête comme à des accidents
fans conféquence. Quoi qu'il en
foit de toutes ces fuppofitions , nous la
voyons dans tous les temps ramener fidélement
les mêmes fortes de productions ,
Foujours retrouver dans les différens êtres
qu'elle produit , tous les points ou tous les
principes affignés , dont elle a befoin pour
reproduire de femblables êtres , & pour
perpétuer les efpeces , qui de leur côtéfond
comme invinciblement inclinés à les reftituer
, je ne dis pas toujours fi bien conditionnés
, fi complets , ou fi fort à l'abri de
tout accident dans leur développement ,
qu'ils arrivent toujours à bien , mais du
moins à les reftituer dans leur caractere fr
diftinct , qu'aucun de ces points , ou de
ou.de
P
9
d
C
P
C
f
P
&
·
DECEMBRE . 1757.
ces principes bien entiers, ne peut être em
ployé , ni mis en mouvement , qu'il n'en
arrive , fi aucun accident ne s'en mêle ,
qu'il n'en arrive invariablement une créature
ou un être d'une certaine efpece , &
non pas d'une autre , & un être qui , en
vertu de la forte d'organifation qu'il acquiert
, & de fa formation complette &
commune aux êtres de fon efpece , ne peut
manquer d'être doué , non d'une partie
feulement , mais de la généralité des attributs
attachés à la formation complette &
commune de cette même efpece . Je dis
doué de la généralité des attributs ; car
comme il feroit abfurde de penfer qu'une
caufe à qui rien ne manqueroit pour
produire plus ou moins fortement ou foiblement
, un certain nombre d'effets , ne
produifit pourtant que les deux tiers , out
que la moitié , ou que le quart du nombre
de ces effets forts ou foibles , de même il
feroit abfurde de penfer qu'une formation ,
telle que je la fuppofe pour chaque efpeco·
d'être , n'entraînât qu'une partie , ou des
propriétés , ou des attributs inféparables
d'une pareille formation ; forte d'accident
qui ne peut jamais réfulter que d'une formation
qui n'eft pas diftincte , commune
& complette.
Il n'y auroit qu'une lacune ou qu'une
42 MERCURE DE FRANCE.
tournure totalement étrangere dans quelque
partie de cette formation particuliere , je
qui pût interrompre , faire ceffer la géné- an
ralité de propriétés ou d'attributs particu- re
liere à chaque efpece , & y mettre un vui- p
de ; ce qui feroit des monftres , & les & les m
monftres font rares dans toutes les efpeces. qu
Je n'entends pas au refte que cette formation
particuliere à chaque efpece d'être
foit toujours exactement la même , & n'ait
qu'une feule maniere d'être complette &
commune ; elle devient au contraire ce
que je dis là en autant de diverſes manieres
, & avec autant de fortes d'uniformités
variées , qu'il y a d'êtres de la même efpece g
qui la reçoivent.
CO
3)
fe
Pr
to
te
Ainfi les oifeaux volent , font leur nid,
ont d'autres attributs que nous ne fçavons a
pas ; le tout en vertu de leur formation
uniforme, complette & commune entr'eux,
infailliblement fuivie dans chacun d'eux
de cette généralité d'attributs particuliere
à leur efpece .
Mais chacun d'eux jouit de fa généralité
plus ou moins bien , ou plus ou moins mal,
chacun deux vole d'une aîle plus ou moins
forte ou foible , fait fon nid dans une perfection
plus ou moins délicate , ou groffiere
, fuivant la tournure particuliere dans
laquelle la formation eft devenue com-
Re
12
to
DECEMBRE. 1757. 43
lette , uniforme & commune , & ce que
e dis ici de l'oifeau , je le dis de tous les
animaux , de tout ce qui végete & ce qui
refpire ; je le dis enfin de la créature qu'on
appelle homme , & pour qui tout va de
même à certain point , toute diftinguée
qu'elle eft des autres créatures .
Il y a pour nous une formation auffi invariablement
arrêtée , auffi diverſement
commune & complette que celle de chacun
des autres êtres ; mais qui toute diverfe
qu'elle eft , ne fortant jamais d'un certain
cercle de variété convenable & propre
à notre être , & qui par là toujours
générale , toujours uniforme , quoique
toujours différente , fe rapproche ou s'écarte
plus ou moins dans chacun de nous , de
la meilleure maniere de formation commune
& complette , de la meilleure espece
de conformité générale de figure & d'organes
intérieurs qu'on puiffe recevoir , &
produit conféquemment autant de fortes
de généralités d'attributs communs
qu'elle prend de formes différemment communes
; généralités qui , comme diverfes
amenent toutes les différences plus ou
moins confidérables , fouvent énormes qui
nous diftinguent , & comme généralités
communes , nous confervent toutes les
reffemblances qui nous rejoignent.
?
44 MERCURE DE FRANCE.
Tout homme relfemble donc à un a
tre , en ne reffemblant pourtant qu'à lui.
Il n'y a donc point d'homme qui , en Ice de
qualité de créature humaine , ne doive être
& ne foit en effet partagé à fa maniere de
tous les attributs qu'on voit dans les autres
hommes ; attributs au refte bien plus éten
dus que ceux des autres êtres , & d'un
ordre bien fupérieur , comme résultant de
l'union de deux fubftances très diftinctes ,
mais deftinées à former un enfemble.
par
Ope
Men
quet
Point d'homme donc , quelque pefant , pi
quelque foible & mal adroit que vous le
fuppofiez , qui ne foit pourtant plus os
moins propre & pliable à tous les exercices
ponibles de corps , qui n'ait fon univerſa
ou fa totalité d'attributs à cet égard
J'entends par - là qui n'ait fa part de force ,
d'agilité , d'adre ffe , & c.
Quant aux affections de l'ame humaine,
à toutes les façons de fentir , à tous les
mouvemens d'intérêt dont elle eft capable
ici bas , & qu'on peut tous enfermer fous
le nom d'amour - propre ; point d'homme
qui n'aime ſa vie , fon bien , fon plaifir ,
fa gloire , fes avantages , qui ne tende à
fon bonheur quelconque , & qui , en vertü
de ces principaux penchans que nous venons
de nommer , ne foit plus ou moins
fufceptible d'une infinité de fenfibilités
Sou
pr
P
e
DECEMBRE. 1757. 45
i en dérivent , & qui n'ait en lui de
uoi fe plaire à l'eftime & à la bienveillane
des hommes ; de quoi fe plaire à faire
me action dè bonté , d'humanité , de géérofité
, de juftice , de fidélité , de reconoiffance
; de quoi préférer d'être vrai à
re faux , s'il y voit le même avantage
affager ou durable ; car on ne ment point
ar amour du menfonge , mais par quelue
intérêt d'inftant férieux où frivole.
Mentir , c'eft fouvent vouloir étonner ou
laire ; c'eſt craindre le mépris ou le blâne
; c'eft aimer fa gloire , fon bien , quel
quefois même fa vie ; c'eft céder à quelqu'une
de ces diverfes fenfibilités que
ous avons dites , & dont l'une , en de cerains
momens , l'emporte à propos ou mal
propos fur les autres.
Point d'homme enfin dont la fornation
commune & complette de quelqu'étrange
façon qu'elle foit , n'entraîie
fortement ou foiblement en lui une
offibilité , une difpofition univerſelle
l'être remué par tous les penchans
qu'on voit dans les autres hommes , &
que j'appelle attributs , parce qu'en euxnêmes
, & tout vicieux qu'ils déviennent ,
ils n'ont rien que de bon & d'utile , rien
que de néceffaire , & que chacun d'eux
peut être très-bien placé dans ce tourbillon
46 MERCURE DE FRANCE.
002
de dépendances & de circonftances où
notre condition d'homme nous jette idbas
, & que tantôt ils font nos moyens lé- el
gitimes de confervation perfonnelle , &
fantôt les liens du commerce inévitable
que nous contractons les uns avec les
autres.
pa
de
1:
Point d'homme enfin , & voici de
quoi
il s'agit ici ; car je n'ai parlé des attributs da
du corps , & de ceux de l'ame confidérée
comme fenfible , que pour mieux montrer
la reffemblance qui fe trouve en notis à
tous égards.
Point d'homme qui n'ait fa part univerfelle
d'intelligence & de capacité , autrement
dit fon aptitude générale pour
tout ce qui peut occuper & exercer l'efprit
humain.
F
Il doit fuffire de voir une ſcience ou un c
art parmi les hommes , pour en conclure
chacun d'eux eft néceffairement né
avec la poffibilité plus ou moins courte ou
étendue d'y faire un certain progrès.
que
Voilà donc les trois fortes d'attributs t
que nous avons tous , & qu'il eft impoffible
que nous n'ayons pas avec une forma
tion commune , uniforme & complette ; & | 9
voilà ce qu'on peut appeller la fource ou
l'origine , ou , fi vous voulez , la matiere
commune de nos avantages ou de nos
DECEMBRE. 1757. 47
qualités de tout genre. Mais cette fource
Ou cette matiere , dira- t'on , dira- t'on , que devientelle
donc dans la plupart des hommes qui
paroiffent fi différens de ce qu'ils devroient
Etre en tout fens ? D'où leur viennent tant
de miferes qui deshonorent furtout leur
ame & leur efprit ? & quelle en eft la fource ?
Il n'y en a pas deux , c'eft la même , celle
dont on vient de parler , & que j'ai appellée
la matiere de nos avantages ; car d'iniquité
, de baffeffe & de petiteffe d'ame , de
ftupidité ou d'infériorité d'efprit pofitives ,
primitives , diftinctes & proprement dites
il n'y en a point : rien de pareil n'a été créé
pour nous.
Toutes les ames fe valent , il n'y en a
ni de différentes efpeces , ni d'originellement
plus fottes , plus médiocres , ou plus
corrompues les unes que
les autres par
leur nature , ou par leur création , * &
nous n'avons befoin que de nos attributs ,
que de cette matiere , ou de cette origine ,
ou de cette fource commune de nos qualités
même pour tout expliquer.
Et à commencer par ce que j'ai appellé
les attributs du corps , la formation , telle
qu'on l'a reçue , ne leur permet-elle d'agir
ni de fe répartir autant qu'il faut , ni comme
il faut ? Nous voilà foibles , pefans &
maladroits, cettemême formation ne laiffe
•
1
48 MERCURE DE FRANCE
f'elle fuffisamment percer aucune des fenfibilités
, aucun des penchans dont notre ame
eft généralement fufceptible ? ne leur donne-
t'elle ni affez de liberté, ni affez d'ellor ?
Nous voilà de nutte valeur en fait d'ame ,
& d'une telle foibleffe ou médiocrité de
caractere , foit en bien , foir en mal , que
nous ne méritons pas d'être définis .
Ou bien parmi les affections , ou les penchans
que j'ai appellés attributs , y en a-t'il
quelques- uns , & feulement un ou deux ,
comme l'amour de notre intérêt , ou de
notre plaifir , ou de notre gloire quelconque
, à qui notre forte de formation accorde
une activité exceffive & bien fupérieure
à celle qu'elle laiffe à d'autres affec
tions qui pourroient leur fervir de frein ,
& nous folliciter avec fuccès , fi elles
avoient plus de fortie en nous ? Comme
alors cela rompt l'harmonie , l'économie ,
je dirois volontiers la police intérieure
qui doit le trouver entre les penchans de
notre ame , & qui , lorfqu'elle y eft , fair
qu'ils fe corrigent , qu'ils fe temperent ,
qu'ils fe balancent , qu'ils fe fecourent , &
qu'ils font tour à tour & dans l'occaſion , le
remede du défordre que tour à tour ils
peuvent exciter en nous. Voilà notre ame
livrée à l'irruption de ces penchans , trop
dominans , trop fortans , qui difpofent
d'elle ,
F
fo
te
02
tor
tou
&
fo
Է
DECEMBRE. 1757 . 49
d'elle , & qui deviennent ou des vices , ou
des foibletles , ou des paffions , ou des vertus
vicieuſes à force d'être outrées.
Il en eft de même des attributs ou des
aptitudes de l'ame confidérée comme intelligente
, autrement dit de l'efprit.
Cette formation ne leur fait - elle pas affez
de jour ; l'impulfion de chacune de ces
aptitudes trouve t'elle trop d'obſtacle , eſtelle
trop ralentie nous voilà courts d'efprit
, & d'une intelligence très bornée.
Enfin tous ces degrés de force ou de
foibleffe , d'agilité ou de pefanteur de
corps ; tout ce qu'on peut imaginer de fortes
de mérite ou d'indignité , de hauteur
ou de petiteffe , d'orgueil ou de baffeffe ,
d'audace ou de timidité de l'ame humaine;
tous ces degrés de capacité ou d'incapacité
, d'engourdiffement , de pareffe ou de
vivacité , de jufteffe & de netteté d'efprit ;
tout ce que nous remarquons de vices
& de vertus quelconques , & tous ces mêlanges
infinis , incroyables , inexplicables ,
fouvent contradictoires de bonnes & de
mauvaiſes qualités qu'on voit en nous ;
tout vient de cette matiere ou de cette
origine que nous avons dite ; tout fe con
pole de ces différens attributs qui , quoque
très-bons & très nécellaires en euxmêmes
, comme nous l'avons déja remar
C
so MERCURE DE FRANCE.
qué , nous font pourtant plus ou moins
d'honneur ou de tort , fuivant le jeu qu'ils
ont en nous , fuivant la maniere dont ils
percent à travers notre førte de formation,
& qui non feulement fert de paffage à
l'action de chacun d'eux fur nous , mais
qui communique encore à cette action
toutes les perfections & tous les défauts
des iffues qu'elle fui offre : iffues quelquefois
heureuſes , aifées & favorables , mais
très- ſouvent embarraſſées , étroites , difficiles
, tortueufes , bizarres , & trop inéga
les entr'elles , furtout dans l'intérieur ; je
veux dire dans ces organes inviſibles , & à
nous inconnus , dont la conformité plus
ou moins hétéroclite ou réguliere , recele
ordinairement la caufe de ce qu'il ya de
fort ou de foible , de bon ou de mauvais
dans l'ame & dans l'efprit de tous les
hommes . Je dis de tous , fans en excepter
un feul ; car qui de nous eſt exempt
mêlange , & peut fe vanter d'avoir une
formation fi heureufe , qu'elle n'oppole.
encore quelque obftacle au meilleur jeu,
poffible de nos trois fortes d'attributs , &
parconféquent qu'elle n'altere , ou ne di
minue plus ou moins les trois fortes de
bénéfice que nous en pourrions tirer !
de ce
Mais auffi n'y a-t'il point d'homme å
qui fa formation , quelque bizarrement
DECEMBRE. 1757. fr
>
ommune & complette qu'elle foit , ne
iffe le droit de dire : J'ai pourtant une
etite , une infenfible portion de tout ce
u'on appelle bonne qualité. Les autres
Commes tirent plus de bénéfice que moi
de chacune de leurs trois fortes d'attributs,
urs avantages font beaucoup plus étenlus
que les miens ; mais ils n'en ont pas
un qui me foit étranger , pas un dont l'efece
me manque , & paiffe totalement me
manquer avec la formation que j'ai . Ainfi
os vices , nos défau's nos mauvaiſes
qualités de tout genre , ne marquent en
ous la privation d'aucun des attributs
umains , & ne fignifient que l'emploi
éfavantageux que notre forte de formaion
peut faire de ces attributs qui font inailliblement
en nous , qui réfultent de
otre enfemble , & dont même jamais le
énéfice ne difparoît tout entier dans
ui que ce foit de nous. Où eft en effet
homme foible , pefant & mal adroit de
orps , en qui vous ne démêlerez pas la
art de force , d'agilité & d'adreſſe que j'ai
it qu'il avoit , & dont , en l'examinant ,
ous le verrez faire en mille manieres
yurdes & fecrettes , un ufage journalier
ont il ne s'apperçoit pas lui même , &
ont très-fouvent la propre confervation
épend 2
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
o
Quant aux attributs les plus eftimables
de l'ame fenfible , & qu'on foupçonneroit te
le moins dans de certaines gens , où eft
l'homme vil , mépriſable & pervers , en qu
qui dans le cours de fa vie , & indépen- par
demment de tout artifice , vous ne fur- ce
prendrez pas des apparitions momentanées
de toutes les fortes de vertus , de fen- tion
timens , ou de mouvemens louables qu'on dre
peut avoir ? Et qui plus eft ; c'eſt qu'il n'eft trou
fouffert dans la fociété des autres hommes, qu '
dans la fociété de ceux qui lui reffemblent , Ce
& qui ne valent pas mieux que lui ; il ne dan
s'y foutient que par cette teinte , que par apri
cette portion imperceptible qu'il y met de
toutes ces fortes de mouvemens dont je
parle , qui à la vérité ne parviennent à fe oud
montrer , qui ne font en lui de ces appari- le
tions que j'appelle momentanées , qu'à la leane
faveur du filence & de l'inaction où reftent dans
quelquefois les mouvemens habituels aux tr
quels il eft fujet , qui ne font devenus emb
mauvais & fupérieurs à ceux qui les régle out
roient , que par l'excès démesuré avec le ent
quel ils percent en lui .
tous
brill
arbi
A Quoi qu'il en foit, ce pervers lui-même
ne fupporteroit pas la fociété de fes fem
blables , fans ce léger & prefqu'infenfible trois
contingent de vertus que chacun
d'eureUT
porte , & qui tout léger qu'il eft , empêcrem
DECEMBRE . 1757: 53
qu'ils ne fe défuniffent , & fait la balance
réciproque de la perverfité de leurs moeurs .
Je dis enfin qu'il n'y a point d'homme ,
quelque défaillant d'intelligence qu'il nous
paroiffe , en qui pourtant on ne découvre
cette aptitude générale d'efprit dont nous
avons parlé. Imaginez l'emploi , la fonction
où l'exercice d'efprit que vous voudrez
, & montrez- nous un homme qui ſe
trouve auffi incapable de s'en occuper ,
qu'un aveugle l'eft de voir les couleurs.
C'eſt cependant ce qui devroit arriver
dans la plupart des hommes , fans cette
aptitude générale d'efprit que nous avons
tous , & dont ils tirent , non pas de quoi
briller , mais de quoi fe foutenir dans l'art
ou dans la fcience , dans le métier ou dans
l'emploi où l'on les a mis , comme ils en
euffent tiré de quoi fe rendre fupportables
dans toute autre fonction , ou dans tout
tutre exercice d'efprit qu'on leur cût fait
embraffer , & c'eft ce dont on ne sçauroit
louter à voir comment les chofes fe pafent
dans ce monde , & vu la deftination
arbitraire & fouvent fortuite qu'on fait
l'eux .
Allons plus loin , l'homme à qui ces
rois fortes d'attributs font le moins d'honeur
ou le plus de tort , & en qui on les
emarque le moins , ne peut- il vous les
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
rendre plus reconnoiffables , ne peut - il
vous montrer qu'il les a que par cette pe
tite & prefque inappercevable portion de
bénéfice que j'ai dit qu'il en tire ? Eft-il
condamné fans retour à n'être que ce que
la bizarrerie ou la malignité de fa forma
tion veut qu'il foit ? L'expérience nous
prouve fouvent le contraire. Il faut bien
que la formation la plus ingrate & la plus
défectueufe ne foit pas irrémédiable , &
puiffe devenir meilleure ou moins mali
gne , fi nous le voulons . Il faut bien , mal
gré fa peu favorable ou fa trop dangereufe
tournure , qu'il y ait en elle une flexibilité
qui la foumette elle- même à la force de
l'éducation , aux efforts de notre volonté,
& qui la rende encore fufceptible de notre
part d'une derniere façon , & commé d'un
dernier pli qui la corrige , ou qui diminue
confidérablement fes défauts ; & ce qui
prouve qu'elle obéit à fon tour , & qu'on
peut
infenfiblement , je ne dis pas la cor
rompre ou l'altérer , ce qui n'eſt que trop
vrai , mais la difpofer à donner un jea
plus favorable à chacune des trois fortes t:
d'attributs que nous avons tous ,
tout fils de fauteur , bien ou mal fait , for
ble ou fluet , & en apparence le plus def
titué de force , d'agilité & d'adreffe , &
qui en effet , fi on ne l'avoit pas exerce
c'eft qu
D
C
DECEMBRE. 1757 35
ces attributs là comme captifs , n'euffent
jamais rapporté qu'un bénéfice prefque
inappercevable : c'eft , dis je , que ce fils de
fauteur , élevé dans le métier de fon pere ,
peut devenir & devient en effet un fauteur
lui-même , à la vérité médiocre , parce qu'il
a de grands obftacles de formation à diminuer
ou à vaincre ; mais il paffera dans le
nombre , & peut- être n'auroit- il befoin
que d'une jeuneffe extrêmement prolongée
pour pouvoir un jour fe mettre au pair des
meilleurs fauteurs : c'eft qu'un méchant
homme , un homme fans moeurs , un débauché
à toute outrance ; c'eft qu'un homme
fans honneur , en un mot un malhonnêre
homme fe réforme : on en a des exemples
, & on en aura toujours , je ne parle
pas de converfion , c'eft une autre affaire ;
mais d'un changement moral auquel il
arrive , ou par des attentions réitécées &
victorieufes fur fon propre intérêr mieux
connu , ou fur la douceur de mener une
vie dont le repos & l'innocence lui paroif
fent préférables aux fatisfactions inquietes
, brutales , périlleufes ou criminelles
qu'il avoit coutume de fe permettre , ou
fur le plaifir auffi utile que flatteur d'acquérir
l'eftime & la bienveillance des
hommes.
Enfin
pour nous arrêter à notre objet
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
principal , n'y a-t'il pas des hommes qu'on
croyoit être très - bornés & fans efprit ,
qu'on regardoit comme incapables d'une
fcie: ce , d'un art , ou d'un emploi quelconque
, & qu'on a pourtant vu le révolter
contre leur incapacité prétendue abfolue ,
qu'on a vu paff blement s'avancer , quelquefois
même devenir affez habiles ?"& à
force de temps , de defir , d'obftination &
de patience , vaincre en partie les difficultés
d'une formation rébelle , qui refuſoit de
laiffer fuffifamment percer l'action des attriburs
d'efprit qu'ils avoient befoin d'avoir
plus actifs pour réuffir , & qui étoient comme
enfouis en eux.
1
f
t
h
e
ta
&
C
Pourfuivons . Nous avons donc en nous
une vocation , une poffibilité plus ou moins
déterminée pour tout ce qu'on veut que
nous foyons , ou pour tout ce que nous
avons befoin d'être. Nous naiffons donc
commencés pour tout , & il ne tient donc
qu'à nous de partir delà pour nous avancer
plus ou moins en tout. Ainfi de ce que
d'habiles livrés à certaines études , à
gens
certains exercices d'efprit où ils excellent ,
font encore , quand il leur plaît , un peu de
progrès dans d'autres exercices d'efprit ,
dans les mathématiques , dans la géométrie
, ce n'eft pas qu'ils ayent le don parti- fo
culier d'être univerfels ; car , univerfel , se
9
รูป
รูป
DECEMBRE. 1757 .
57
qui eft- ce qui ne l'eft pas plus ou moins ,
en vertu de la formation , & de l'union de
l'ame & du corps ? Cette preuve de force
qu'on croit qu'ils donnent , & qui paroît
unique , n'eft à cet égard qu'une preuve
de leur univerfalité d'attributs , de leur
généralité d'aptitudes , & de leur reffemblance
générale avec tous les êtres de leur
efpece. Excellent - ils dans cette nouvelle
fcience à laquelle ils fe livrent il eft certain
qu'alors ce font des hommes très - rares,
à qui les attributs ou les aptitudes d'efprit
que nous avons tous font beaucoup d'honneur
, & qui en jouiffent plus heureufement
& par plus de côtés que les autres
hommes. Au furplus , quand un homme
extrêmement fupérieur dans d'autres
talens , & fort de cette fupériorité de génie
qu'il y montre , vous dit hardiment
& fans façon , comme je l'ai vu arriver
quelquefois , ( car que ne voit- on pas ) !
qu'il n'a nulle aptitude pour les mathématiques
, pour la géométrie , ou pour quelque
fcience de ce genre ; quand il parle
gaiement , du plus ou moins de difpofition
qu'il y faut , comme il parleroit d'un fens
qui lui auroit été refufé , & dont il ne fe
foucie guere ; car vraisemblablement il ne
s'explique ainsi qu'avec la vanité d'efpérer
que , vu tout l'efprit qu'il a d'ailleurs , il
Cv
5S MERCURE DE FRANCE:
n'en paroîtra que plus fingulier , fans qu'il
y perde ; je lui réponds à mon tour qu'il
ne juge pas bien de lui , qu'il n'a pas l'honneur
d'être un monftre , qu'il prend fa pareffe
pour de l'impoffibilité , que cette
lacune dont il fe vante n'eft pas en lui ,
qu'il a comme nous fon aptitude particuliere
pour chacune de ces fciences ; que
tous les jours il l'exerce , ainfi que je l'ai
déja dit ailleurs , qu'il ne tient qu'i
lui de fe furprendre , ufant de tous les
commencemens qu'il en a , mefurant
, calculant , comparant , obfervant ,
voyant les rapports prochains d'une infinité
de chofes , fuivant l'exigence de mille
cas inévitables , dont il ne le tireroit pas
fans cette aptitude qu'il nie d'avoir , fans
ce commencement qu'il faut qu'il air de
toutes les fciences : commencement où il
en demeure , & qui ne fait nul progrès
chez lui , non plus que chez la plupart de
tous les hommes qui , loin de l'employer
pour aller plus loin par l'étude , ne font
pas feulement réflexion qu'ils l'ont , & s'en
fervent fans foupçonner qu'il eft en eux.
Pour achever de prouver qu'il eft dans
tout le monde comme la poffibilité plus
ou moins forte ou foible , de connoître les
hommes à certain point , imaginons un
peuple très - nombreux chez qui par hazard
C
t
f
P
C
Π
V
C
f
DECEMBRE . 1757 . 59
les mathématiques , & furtout la géométrie,
fiffent le bien unique de la fociété : prenons
qu'on ne peut y être utile que parlà
; qu'on ne peut ni obéir , ni commander,
aux autres , ni avoir d'état ou de condition
qu'avec plus ou moins de connoiffance de
ces fortes de fciences ou de cette géométrie
; fuppofons en un mot qu'il n'y fûr
queftion que de ces fciences , & que fans
elles on y fût condamné à n'avoir de com
merce & de liaifon avec qui que ce foit
de ce peuple , à n'y être entendu de perfonne
: doute - t'on que chez ce peuple
nombreux la fociété n'enſeiguât inévitablement
& néceffairement à devenir dès le
berceau plus ou moins fort ou foible Mathématicien
, à devenir Aftronome , Géometre
, Phyficien , de même que notre
fociété , montée comme elle l'eft , nous
apprend à tous à devenir dès le berceau
plus ou moins forts ou foibles connoiffeurs
d'hommes ? Ce feroit la même
chofe.
Suppofons à préfent qu'à côté de cette
nation toute fçavante , il y eût dans une
ville ou dans un petit canton à part , un
certain nombre de gens dont la fociété
reffemblât précisément à la nôtte , & roulât
fur les objets & fur les paffions qui nous
remuent.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
La nation toute géometre , toute aftronome
, toute phyficienne , en parlant de
fes propres fçavans les plus diftingués ,
jugeroit- elle bien d'eux , fi fous prétexte
que leurs ouvrages rouleroient fur des
fciences fi faciles , qu'elles ne feroient chez
elle une énigme pour perfonne , & y⋅ leroient
plus ou moins celles de tout le
monde , elle n'accordoit à ces fçavans
qu'une forte de capacité d'efprit , bien
inférieure à celle des grands génies qu'elle
verroit dans le petit canton , & qu'elle
croiroit doués d'un don d'eſprit beaucoup
plus rare , parce qu'ils excelleroient dans
ane fcience, à fon avis, bien plus étrangere
à l'efprit humain , dans une ſcience fi fublime
, fi mystérieuse , diroit- elle , & fi
difficile , qu'on ne pourroit y rien entendre
, fans aller l'étudier péniblement fous
eux & dans leurs livres. Je demande fi co
raifonnement feroit bon : nous n'en faifons
pas un meilleur , & nous nous trompons
de même dans notre façon d'eftimer
nos plus beaux efprits. Ce qui contribue
encore à rendre notre eftime pour eux
moins férieufe qu'elle ne devroit l'être ,
c'eft le nombre infini d'Auteurs médiocre
que nous avons dans notre ſcience :
mais il n'en faut pas conclure qu'il foic
plus aifé ni moins admirable d'y exceller.
DECEMBRE. 1757. < !
Souvenons - nous donc que notre Public
en tient une école inévitable & toujours
ouverte , & qu'à la faveur de cette école ,
où tout le monde s'inftruit un peu , beaucoup
de gens , comme je le fais , peut - être
s'imaginent en fçavoir affez pour pouvoir
s'aventurer à écrire , & que plus il y aura
de ces gens là , plus il y aura auffi d'Auteurs
plats & médiocres. La nation toute
fçavante en auroit autant que nous ; &
pourquoi en feroit il de même chez elle ?
En voici la raison , qui eft fort fimple.
C'est que la variété poffible des formations
qui ne nous donnent que des aptitudes
plus ou moins médiocres pour tout exercice
d'efprit , eft immenfe. Auffi en toute
fcience , en tout art quelconque , en tout
ce qui demande de l'intelligence , ne voit
on prefque que des médiocrités de différens
degrés parmi les hommes. C'eft à
quoi en général les opérations de la nature
aboutiffent pour nous à cet égard , & autant
qu'on en peut juger : médiocrité diverfe
de bonnes & de mauvaifes qualités
eft , foit dit en paffant , notre lot le plus
ordinaire , comme celui de tous les êtres.
61 MERCURE DE FRANCE.
VERS à Olympe.
J fuis aujourd'hui condamné
A garder près d'Olympe un filence obtiné.
J'obéis à regret à l'objet qui me touche :
Mon refpect pour Olympe égale mon ardeur :
Heureux fi ce refpect qui commande à ma bou
che ,
Hélas ! pouvoit auffi commander à mon coeur.
MADRIGAL ,
Du même Auteur.
La flambeau de la nuit brille fur l'horizon ;
Et du jour qui n'eft plus nous rappelle l'image :
Iris , qui redoutoit l'ardeur de la faiſon ,
A pris ce temps pour fon voyage.
Morphée a dans ces champs répandu fes pavots :
Tout cede à la douceur du pouvoir qu'il exerce ;
Un char flexible qui nous berce ,
Nous invite encore au repos.
Mais à côté d'Iris , jugez fi je fommeille;
Comment fermer les yeux auprès de tant d'appas?
Eh ! trop heureux quand mon coeur veille ,
Si ma raiſon ne dormoit pas,
DECEMBRE. 1757
Autre du même.
L'AMOUR 'AMOUR naïf ignore l'éloquence ;
Il parle peu , fait peu de complimens ,
Et l'embarras d'un timide filence
Prouve l'ardeur de fes vrais fentimens.
Je ne dis pas que j'afpire à vous plaire :
Eft- ce pour moi qu'eft fait un fort fi doux ?
Toutefois , jeune Iris , j'ai long- temps fçu me
taire ,
Jugez d'un coeur fi réſervé pour vous.
VERS
1757
A M. le Contrôleurgénéral , 25 Août 17 57%
La Public eft content , le Monarque a parlé
E
Réuniffant tous les fuffrages ,
Vous voilà , Seigneur , inftallé
Pilote d'un vailleau fameux par fes naufrages &
Mais dans vos mains je réponds de fon fort.
Oui , conjurant tous les orages ,
Vous fçaurez le conduire au port.
J'ai pour garant de ma parole
Cette invariable bouffole ,
Ce Guide que jadis vous avez recueilli
Et de Colbert & de Sully.
M. TANEFOT.
64 MERCURE DE FRANCE!
VERS
A Madame de M.... qui m'habilloit en
femme.
Di moi , comme de Caprice ( 1 ).
Vous vous amuſez , Clarice ;
Mais vous perdez , & vos foins , & votre art.
Ne défigurez point encor plus la nature :
Reprenez, s'il vous plaît , jupe , robe , coëffure,
Ou donnez-moi ce modefte regard
Qui fait tant de plaifir , quoique plein de ſageſſe ;
Ce fourire ingénu , qui toutefois nous bleffe ,
Ce port qu'on ne voit qu'en tremblant ,
Cette démarche de Déeſſe ,
Ces bras , ce tout enfin de lui- même brillant ,
Qui triomphe fi bien d'une ame ;
Car ce n'eft qu'en vous reffemblant
Qu'il eft , ma foi , doux d'être femme.
( 1 ) Son chien.
Par l'Anonyme de Chartrait , près Melum
DECEMBRE. 1757. by
Le mot de l'Enigme du Mercure de
Novembre eft la Mort. Celui du Logogryphe
eft Eſcarpolente , dans lequel on
trouve étole ,ferpolet , fol , Calot , place , or ,
solere , lot , carte , tête , épée , ferpette , lettre
ou fecret , lacet , pater , pere , Lorette , Pa ,
capot , fceptre , rofee , pet , rot , éclat , car ,
Sa , ré , fol , la , pastel , pefte , aftre.
ENIGM E
A Madame de B ***.
Ox vante mes attraits , & j'en vaux bien la
peine ;
J'ai de l'éclat , de la fraîcheur ;
Mais je ne fuis point affez vaine
Pour m'égaler à vous : ce feroit en blancheur
Aux Cignes comparer les Merles.
Je n'ai point ces beaux yeux , ni ce divin ſouris ,
Qui préfente aux regards furpris ,
A travers le corail , un double rang de perles
Vous êtes grande , faite au tour :
Je fuis petite & rondelette.
Les graces , vos Dames d'atour ,
Préfident à votre toilette
66 MERCURE DE FRANCE.
Et quelque main mauffade affez communément
Prend foin d'arranger ma coëffure.
Vous devez tout votre agrément
A la fimple & pure nature :
Je n'oſe en dire autant de moi !
Si j'en ai , c'eſt ſouvent à l'art que je le doi:
Non , je n'ai point , belle Thémire ,
Ces graces , ces talens qu'en vous chacun admire
J'exprime des fons affez doux ;
Mais je croaffe au prix de vous.
Eft- il quelqu'un qui ne vous aime
Ingénue & naïve . avec beaucoup d'efprit :
Oui , vous êtes la douceur même,
Et très peu de chofe m'aigrit .
Ne parlant qu'à propos , vous êtes très- ſenſée ;
Et je fuis au contraire un vrai brife-raifon.
Pour la décence , hélas ! quelle comparaiſon !
Par moi fouvent elle eft bleffée :
En roug ffat j'en fais l'aveu ;
Si je réfute , c'eft bien peu :
De ma nature très - fragile ,
De mes adorateurs je fais autant d'heureux.
Les vôtres n'éprouvant que des tourmens affreux ,
Prennent pour vous fléchir une peine inutile.
Quelle folie ! y pensez- vous
D'être fi belle & fi farouche ?
Vous fentez , foit dit entrenous,
Votre Province à pleine bouche.
Au férail fi vous entriez ,
DECEMBRE. 1757. 67
Vrai morceau de Sultan , fans doute vous feriez
En dépit des jaloux , Sultane favorite :
Je n'oferois prétendre à femblable faveur ;
Car de ce lieu je fuis profcrite.
2
Comme vous , cependant rappellant mon buveur ;
Comme vous, chaque jour je fais mainte conquête
Oui , je fais , comme vous , tourner plus d'une tête,
Pour le coup vous me devinez :
Point encore : eh bien , apprenez
Qu'on célebre aujourd'hui ma fête.
AParis , le 11 Novembre.
LOGOGRYPHE..
Aux foins d'un Jardinieg , mon exiſtence ef
dûe ;
Par-là , je fuis fi clair , que je faute à la vue :
Mais il ne fuffit pas de connoître mon nom ,
Il faut avoir recours à la combinaiſon.
Neufpieds compofent ma ftructure .
Je t'offre en premier lieu , cher Lecteur , une
armure
Propre à lancer un trait , un ſubtil élément.
Des rives du Bofphore , un grand peuple habitanta
Un double mot latin : le premier fignifie
L'endroit devant lequel un Chrétien s'humilies
Le fecond , cet afyle heureux ,
Où Dieu fauva des eaux un mortel vertueux.
68 MERCURE DE FRANCE.
Une Ville en Gascogne , une autre en Auſtralieș-
Un terme fynonime au mot cérémonie.
Pourfuis , tu trouveras une interjection ,
Qui marque la furpriſe & l'admiration.
La pompeufe voiture où tout brillant de gloire ;
A Rome le vainqueur promenoit fa victoire.
Une voix lamentable , un rongeur animal ,
Avec le nom latin d'un péché capital.
Un autre animal domestique ;
Un pronom perfonnel , un ton dans la mufique
Tu vas me deviner , c'eft trop me découvrir :
Adieu donc , chez Lecteur , il'eft temps de finir.
THIERRIAT , Profeffeur des Humaniés,
à Saint Florentin .
CHANSON.
AGREABLE féjour , où mon ame charmée
Reçoit les voeux de mon Berger ,
Redoublez les tranſports de fon ame eoßammée ;
Et faites que jamais il ne puiffe changer.
It vous , charmans ruffeaux , dont l'onde claire &
pure ,
Embellit les prés d'alentour ,
S'il vient fe plaindre ici des perpes qu'il endure ,
Exprimez-lui l'excès de mon ainour.
Faute à corriger dans le Conte.
Page 10, lig. 29, on le remporta chez lui , lijez , on l'em ?
porta chez lui.
TRUS TRUDS
SITNI CONT
Air tendre,
de M Noblet.
f
tw
Agréable séjour, ou mon ame char-
乘
mée Reçoit les voeux de mon Ber =
+
= ger, ger, Redoublés les transports de son
ameenflamée Redoubles les transportsdeson
ame enflamée;Etfaitesquejamaisilne
+
puisse changer, Et faites que ja
F
mais,quejamais il ne puisse changer.
Fin.
ger. Et vous charmans Ruisseaux, dont
l'onde claire etpure Embellit lesprés dalen
=tour: S'il vient se plaindre i ci des
peines qu'il en-dure, Exprimés lui l'ex
+
- ces de mon amour: S'il vient seplaindre
-cidespeinesqu'il en - dure, Exprimés lules
=cès de mon amour. Agréable séjour,
Gravépar MelleLabassée.
ImpriméparTournelle.
DECEMBRE, 1757. 69
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. de Boiffy , fur la mort
du R. P. Dom Augustin Calmet , Abbé
de Senones.
MONSIEUR , le foin que vous prenez
de tranfmettre à la poftérité les ouvrages
& la mémoire des grands hommes de notre
fiecle , m'engage à vous apprendre la nouvelle
de la mort du R. P. Dom Auguftin
Calmer , Abbé de Senones , arrivée le
TH
d'Octobre , vers les fix heures du foir ,
après une longue & fâcheufe maladie . Ce
pieux & fçavant Abbé , étoit né à Ménil la
Horgne , proche Commerci au Diocefe
de Toul , le 26 Février 1672. Il fit
profeffion de la vie religieufe dans la Congrégation
de S. Vanne & de S. Hidulphe ,
Ordre de S. Benoît , le 23 Octobre 1689.
Après avoir rempli les premieres places dans
fa Congrégation , il en fut élu Préfident
ou Supérieur général , en 1727 , & il occupa
cette place encore en 1729 , 1732 ,
1734 & 1736. Il étoit Abbé de S. Léopold
70 MERCURE DE FRANCE .
de Nancy , lo fque l'Abbaye de Senones
fituée dans les Võges , dans la Principauté
de Salen , étant venue à vaquer par la
mort du R. P. D. Mathieu Petitdidier ,
Evêque de Macra , il en fut élu Abbé en
1728. Il a employé prefque tous les revenus
de fa menfe abbatiale , ou à foulager
les pauvres , ou à embellir ſon abbaye ,
qu'il a prefque renouvellée , par les bâtimens
qu'il y a ajoutés , les riches ornemens
qu'il a donnés à la facriftie , la nombreuſe
ibliotheque qu'il y a formée , qui la rend
ne des plus confidérables de la province ,
e fe réfervant rien pour lui- même . Attahé
aux dévoirs de fon état , il les a touours
remplis avec la plus fcrupuleufe exacitude.
Rien négaloit fon zele pour l'affifnce
à l'office divin , auquel il n'a ja
ais manqué jour & nuit , que lorfque
es affaires très preffantes , ou quelque
aladie confidérable l'en ont empêché . Son
imilité éclatoit dans tout fon extérieur,
n'a jamais affecté aucune diftinction pari
fes confieres , dont il n'étoit diftingué
e par une grande fimplicité. Il ne foufoit
même dans fa vieilleffe & dans fes
aladies , qu'avec peine d'être fervi par un
meftique de la maifon . Je ne parle pas de
5 ouvrages , l'honneur que j'ai de lui
ppartenir en qualité de neven , & de lui
DECEMBRE. 1757. 7!
fuccéder dans fon Abbaye , ne me permet
pas de faire fon éloge . Je devois à la mémoire
, qui me fera toujours précieuſe ,
de profiter de l'avantage que vous donnez
au Public , Monfieur , par votre Mercure,
de tranfmettre par ce canal à la postérité
une partie des vertus de cet illuftre défunt,
& les perfonnes équitables pardonneront
à ma reconnoiffance , & à l'amour que je
dois à un oncle auffi cher & auffi refpectable
d'employer une voie auffi légitime de
contribuer à fa gloire. J'ai l'honneur d'être
avec beaucoup d'eftime & de reſpect ,
votre très- humble &c, D. Auguftin
Fangé , Abbé de Senones.
9
Senones en Lorraine , le 27 Octobre 1757.
Nous nous fommes hâtés de rendre cette
lettre publique. Elle honore également
l'oncle & le neveu. Elle eft écrite avec
autant de modeftie que de fentiment . Cette
modeftie qu'on peut appeller ici une vertu
de familie , a retenu D. Fangé au milieu
de l'éloge . Il n'a ofé rendre publiquement
aux grands talens de D. Calmet la justice
qu'il a rendue à fes rares vertus . Nous allons
tâcher d'y fuppléerfoiblement endeux mots,
Nous croyons être fondés à dire quela bonté
des ouvrages de ce grand homme en égale
le nombre , & qu'il doit- être mis à jufte
1
72 MERCURE DE FRANCE:
titre , non feulement à la tête de nos Sca
vans les plus laborieux , mais encore au
rang de nos meilleurs écrivains . Si les commentaires
fur l'écriture fainte font recommendables
par l'étendue & par la profondeur
des recherches , les differtations dont
il les a enrichis , ne le font pas moins moins par
l'élégance du ftyle, & par cette noble fimpli
cité qu'on devroit toujours prendre pour
modele . Pour finir par un trait de louange
qui le caracterife , perfonne n'a plus ni
mieux écrit que lui , & fa mémoire doitêtre
auffi précieufe à tous les gens de lettres
dont il a fait la gloire , qu'à tous les gens
de bien dont il a été l'exemple.
DISCOURS de M. du Saulx , Commiffaire
de la Gendarmerie , prononcé en préfence
de S. M. le Roi de Pologne, dans une féance
pablique & extraordinaire , pour fa ré
ception à l'Académie royale des Sciences
& Belles Lettres de Nancy , le 30 Juin
1757.
Ce difcours fait honneur à M. du Saulx.
Sa modeſtie y brille de couleurs fimples ;
il est étonné de fe trouver parmi des hommes
couronnés , au même rang qu'eux :
ne fe connoiffant d'autre titre que fon
amour pour les lettres , il rapporte toute
fa gloite & tout fon bonheur au bienfait
particulier
3
t
B
DECEMBRE. 1757. 73
particulier d'un grand Roi , qui ne fe plaît
qu'à faire des heureux. L'éloge d'une fondation
augufte fuit naturellement : plus il
loue , plus il fent qu'il ne peut
ne peut reconnoître
que par le fentiment l'honneur qu'on
lui a fait. Cependant M. du Saulx a d'autres
moyens , & fa modeftie voudroit en
vain les diffimuler. Il a traduit Juvénal :
il ne veut regarder fa traduction jufqu'à
préfent que comme un effai ; mais il l'a
préfentée à l'Académie , & l'Académie y
a applaudi généralement. Il a donc commencé
à payer avant que de devoir : il a
de plus , de quoi s'acquitter entiérement ,
en revoyant & perfectionnant l'ouvrage
qu'il ne croit qu'ébauché . C'eft fon deffein.
39
" Je fens renaître mon ardeur , dit- il ,
» pour ranimer des traits trop languiffans
» à mon gré. C'eft dans vos écrits , Mef-
» fieurs , dans vos fçavantes conférences
que je vais me hâter de puifer cette
élégance , ce goût , cette juftefle fi né-
» ceffaires dans l'ouvrage que j'ai entre-
» pris ». Nous ne doutons point qu'il n'y
réuffiffe. fon difcours prouve qu'il eſt né
avec des talens , & qu'il fçait auffi bien
penfer que fentir.
M. d'Heguerry , Directeur de l'Académie
, a répondu à ce difcours avec beaucoup
de nobleffe. Il a faifi un trait parti-
D
Fin.
Etvous
charmans
Ruisseaux
, d
l'onde claire etpureEmbellitlesprésdalen
-tour, S'ilvient se plaindre i ci des
t
peines qu'il en - dure, Exprimésluilex
= cès de mon amour: S'il vient seplaindre
cidespeinesqu'ilen - dure,Exprimés luiles
- cès de mon amour. Agréable séjour,
Gravepar MelleLabassée.
ImpriméparTournelle.
1
N
DECEMBRE . 1757. 7 !
fuccéder dans fon Abbaye , ne me permet
pas de faire fon éloge . Je devois à fa mémoire
, qui me fera toujours précieuſe ,
de profiter de l'avantage que vous donnez
au Public , Monfieur , par votre Mercure,
de tranfmettre par ce canal à la poftérité
une partie des vertus de cet illuftre défunt,
& les perfonnes équitables pardonneront
à ma reconnoiffance , & à l'amour que je
dois à un oncle auffi cher & auffi refpectable
d'employer une voie auffi légitime de
contribuer à fa gloire. J'ai l'honneur d'être
avec beaucoup d'eftime & de reſpect ,
votre très- humble &c, D. Auguftin
Fangé , Abbé de Senones .
Senones en Lorraine , le 27 Octobre 1757.
Nousnous fommes hâtés de rendre cette
lettre publique. Elle honore également
l'oncle & le neveu . Elle eft écrite avec
autant de modeftie que de fentiment . Cette
modeftie qu'on peut appeller ici une vertų
de familie , a retenu D. Fangé au milieu
de l'éloge. Il n'a ofé rendre publiquement
aux grands talens de D. Calmet la justice
qu'il a rendue à fes rares vertus. Nous allons
tâcher d'y fuppléerfoiblement en deux mots,
Nous croyons être fondés à dire que la bonté
des ouvrages de ce grand homme en égale
le nombre & qu'il doit-être mis à jufte
74 MERCURE DE FRANCE.
culier qui fait autant d'honneur à M. du C
Saulx , que fes talens & fon adoption , &
ce trait devient encore une occaſion natu
relle de renouveller les juftes éloges tant
de fois prodigués à un corps illuftre ( 1 ) ,
à qui la France entiere doit dès longtemps
une éternelle reconnoiffance.
Après avoir rendu juftice à M. du Saulx
comme homme de lettres , il ajoute : Mais
votre goût pour les lettres , votre ardent
pour l'étude , vos fuccès dans l'art diffi
cile de faire revivre dans notre langue tou
tes les beautés des anciens ; ce ne font
pas là , Monfieur , les feuls motifs qui
nous ont engagés à vous ouvrir d'une voir
unanime les portes de ce fanctuaire des
Mufes . Attaché à ce corps illuftre de &
guerriers privilégiés , cher à la France par
la haute nobleffe de ceux qui le comman
dent , & par la valeur intrépide de ceux
qui le compofent , vous avez fçu , Monfieur
vous concilier leur eftime : voilà
ce qui vous a valu l'honorable diftinction
d'être reçu parmi nous dans une féance extraordinaire
, en préfence de notre augufte
fondateur. Il connoît , ce grand Prince ,
tout le cas qu'on doit faire d'un corps
militaires
, qui doit fon inftitution à
,
(1 ) La Gendarmerie dont M. du Saulx eft Com
miflaire.
de
DECEMBRE .
1757. 75
Charles VII , qui depuis plufieurs fiecles
eft habitué à combatre , àvaincre. C'est à
lui que le brave & prudent Catinat dut les
lauriers qu'il moiffonna à la mémorable
journée de la Marfaille . Vous vous rappellez
, Meffieurs , avec quelle diftinction il
fe montra à la bataille de Fontenoy , il y
mérita l'attention particuliere du Roi , &
fes éloges. Toutes nos Annales vantent fes
hauts faits d'armes. La grace que le Roi
vient d'attacher aux fervices de cette brillante
troupe , & que le Miniftre de la
guerre
lui a fait annoncer , redoublera fans doute
fon zele , pour en mériter de nouvelles .
LE Chrétien dirigé dans les exercices
d'une retraite fpirituelle , en deux volumes
, par le R. P. Gabriel Martel , de la
Compagnie de Jefus , nouvelle édition ,
augmentée de lectures pour chaque jour de
la retraite. A Lyon , chez J. de Ville , Libraire
, rue Merciere , au grand Hercule .
Cet ouvrage , déja connu & eftimé , eſt
différent de tant d'autres qui ont paru fur
cette matiere, en ce que l'on ne fe contente
pas d'y tracer les méditations & les autres
exercices. L'Auteur s'y eft attaché à les concevoir
de telle maniere , que tout y eft
perfonnellement appliqué à celui qui fait la
retraite . On lui fait naître, pour ainfi dire ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Les propres pensées dans l'efprit , fes fentimens
& fes mouvemens dans le coeur ,
fes paroles-même , & fes expreffions dans
la bouche. C'est lui qui médite , qui confidere
, qui s'examine , lui qui parle à Dieu,
qui l'écoute , contemple fes grandeurs ,
fes jugemens & fes loix ; lui qui fe forme
un plan de vie , un ſyſtême de conduite ,
de forte qu'on pourroit appeller cet ouvrage
, une retraite pratique & directive ,
comme le dit l'Auteur , parce qu'en effet
c'eft le chrétien dirigé dans les exercices
d'une retraite fpirituelle , qu'on y expoſe,
CODE de la police , ou Analyfe des réglemens
de police , divifé en douze titrès.
Par M. D. Conſeiller du Roi , Lieutenant
Général de police de la Ville de..... en
Champagne. A Paris , chez Prault , Im
primeur des fermes du Roi , quai de Gêvres
, au Paradis.
bi
71
ei
M
C
Cet ouvrage nous a paru auffi utile pour
le Public , que bien entendu & bien exécuté.
Il feroit à fouhaiter qu'il excitât tous
ceux qui ont déja fait des études & des
reflexions relatives à ce genre , à doubler,
le travail de l'Auteur , & à concourir à la
perfectionner fur un grand nombre de
matieres concernant la police. Nous manquons
encore , non feulement d'ouvrages
to
de
do
les
Bli
ן י
met
& 1
cier
tal
vell
Pes
Bri
DECEMBRE . 1757.
77
bien approfondis , mais même de bons
élémens. Le grand recueil commencé par
M. de la Marre , & continué par M. le
Clerc- du Brillet , n'eft pas à la portée de
tous ceux qui concourent à l'adminiftration
de la police dans la province. D'ailleurs des
douze livres qui doivent former ce traité ,
les fix derniers font encore defirés du Public.
« Dans ces circonftances , dit l'Au-
» teur , on a cru que cette analyfe pourroit
avoir fon utiliré ( & il a raifon de
» le croire ) : l'ordre général y eft le même
» que dans le traité de la police ; on a mê-
» me fouvent confervé les expreffions des
» Auteurs. Ce que l'on trouvera de plus
» dans cet abrégé , c'eft que les titres reftés
» en fouffrance , y font remplis , & que
"l'on a eu le foin , fur chaque matiere ,
d'ajouter les réglemens qui font interve-
» nus depuis.
"8
TRAITÉ des écrouelles , par M. Charmetton
, Chirurgien gradué , Profeffeur,
& Démonſtrateur d'anatomie à Lyon , ancien
Chirurgien en chef de l'Hôpital général
de la Charité de la même Ville . Nouvelle
édition , imprimée à Lyon , chez
Regnault , & fe trouve , à Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques , à la Science &
à l'Ange- Gardien ,
I
1
Diij
78 MERCURE DE FRANCE
La premiere édition de ce livre utile , a
été débitée promptement . Nous penfors
que cette nouvelle édition ne doit pas être
reçue avec moins de faveur . L'Auteur n'a
voit d'abord écrit que pour les fçavans de
fa profeffion : il a voulu depuis fe faire
entendre de tout le monde , & rendre
furtout fes idées familieres aux Chirur
giens de la campagne . Les changemens
qu'il a faits , ne touchent que la partie
pratique , car la théorique ayant été géné
ralement adoptée , il a cru devoir la laiffer
fubfifter en fon entier. Il n'a pas néan
moins altéré le fonds du traitement ; des
expériences heureufes & récentes l'ont convaincu
qu'il n'en eft pas de plus für &
de plus efficace. Cet ouvrage eft le fruit
d'une longue fuite d'obfervations , faites
dans différens Hôpitaux , & principalement
dans l'Hôpital général de la charité de
Lyon. Le nombre des fcrophuleux que
l'Auteur y a vus , les faces diverſes , ſous le ſquelles
le virus dont il eſt queſtion , fema
nifeftoit , ſes fuites , fes gradations étornantes
, & plus ou moins finiftres , ont
été le fujet de fes plus férieufes réflexions,
& ce font ces mêmes réflexions reduites en
principes , qui forment le tiffu de ce traité .
Toutes les recherches qui ne conduifent à
rien , n'ont ici aucune place : l'Auteur ne
t
D
33
D
ร
Σ
C
DECEMBRE . 1757. 79
و ر
s'eft attaché qu'à ce que fon objet a de véritablement
important.«Les citations multipliées
, dit-il , le rapport des opinions
» des Auteurs , annoncent dans nos écrits
» le mérite des autres , & non notre fça-
» voir , à moins que des combinaifons
» exactes , & une appréciation jufte , ne
» montrent un fonds réél , & qui nous ap-
» partienne ». L'on fçait que les écrouelles
font une des maladies qui affligent & humilient
le plus l'art de la chirurgie : un livre
qui eft le fruit de l'expérience la plus
continue , peut donc être regardé comme
une fource de bons principes , & de bons
remedes , & ne fçauroit-être trop promp
tement acheté par ceux qui traitent dans
les Hôpitaux , dans les Villes ou dans la
campagne , cette maladie cruelle & prefque
incurable.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , vous avez déja porté un
jugement favorable fur un petit Ouvrage
intitulé , Le Géographe manuel , forti de la
plume de M. l'Abbé Exp ... il en fort actuellement
un autre de la même plume ,
qui embraffe le même objet , mais bien
•
Div .
So MERCURE DE FRANCE .
:
plus en grand , & qui , certes , mérite ,
Monfieur , que vous recommenciez fur
nouveaux frais c'eft la Topographie de
Univers. On ne nous en donne encore
que la premiere Partie qui fournit une
idée des plus avantageufes de celles qui
doivent fuivre. L'ordre & la difpofition
qui s'annoncent dans ce nouvel Ouvrage ,
les détails neufs & intéreffans qui s'y trou
vent déja , & qui probablement en rempliront
la fuite , lui affurent , auprès du
public , & de tout amateur éclairé , `un fuccès
qui ne peut qu'être conftant . Eft - il
fujet auquel la belle méthode de M. le
Préfi lent Hénault , foit plus applicable
qu'à la Géographie ? Il n'y a que de la
gloire à fuivre de tels modeles : fuivre ,
com ne M. l'Abbé Exp ... c'eſt être inventeur.
Beaucoup d'écrivains , de Géographie
furtout , ne font qu'écrivains ; M. l'Abbé
Exp... eft voyageur , obfervateur , fçavant.
Jefuis venu , j'ai vu‚j'ai vaincu , difoit
autrefois le vainqueur des Gaules . Celui
qui nous donne aujourd'hui l'analyſe
de tous les pays du monde , peut dire : J'ai
parcouru , j'ai vu , j'inftruis. La critique la
plus févere , s'attachant au fonds de l'Ouvrage
, ne pourra que louer beaucoup l'excellence
& l'utilité du travail de fon Auteur.
J'ai l'honneur d'être , &c . Maclot.
C
t
DECEMBRE. 1757. 81
Cet éloge tiendra lieu de celui que
nous aurions fait nous- mêmes de l'Ouvrage
, & que nous ajoutons à l'extrait que
nous en avons déja donné.
HISTOIRE univerfelle facrée & profane,
compofée par ordre de Mefdames de France.
Tomes neuf & dix , par M. Hardion ,
de l'Académie Françoife , de celle des Infcriptions
, & Garde des livres du cabinet
du Roi . Chez Defprez , rue S. Jacques
1757 , deux vol . in - 12 , prix 5 liv.
Cette fuite eft dédiée à Madame Sophie.
Le neuvieme volume renferme l'hiftoire
du fixieme fiecle , & une partie du feptieme
, où font compris les Empereurs
d'Orient , depuis Anaftafe jufqu'à Léonce ;
les Rois de France , depuis Clovis jufqu'à
Thieri II Roi d'Orléans & de Bourgogne ;
le royaume des Vifigots en Efpagne & dans
le Languedoc ; l'Heptarchie d'Angleterre ,
& l'établiffement du Mahométifme. Le
dixieme volume contient le refte de l'hiftoire
du feptieme fiecle , qui offre la fuite
des Rois de France , une partie de l'histoire
d'Efpagne , & de l'Heptarchie , avec toute
Phiftoire facrée & profane du huitieme
fiecle .
Ces nouveaux volumes ne démentent
point les premiers. Nous ne pouvons que
d
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
répéter le même éloge , & propofer l'Auteur
pour modele en ce genre . Sa narration
marche toujours avec le même ordre , la
même exactitude & la même précifion.
Elle n'admet que les ornemens néceffaires ,
& prend foin d'écarter tout ce qui ne va
point à l'intérêt. Son ftyle eft noble , pur ,
concis & clair. En un mot M. Hardion
écrit avec cette élegante fimplicité qu'on
doit toujours fuivre pour plaire autant que
pour inftruire. Un feul morceau fuffira
pour juftifier cette louange , nous le prenons
au hazard dans le neuvieme volume.
C'eſt le portrait de Bélifaire.
Juftinien n'étoit pas tellement occupé
de fes Toins pour l'adminiſtration de l'intérieur
de l'empire , qu'il ne penfât à l'étendre
par des conquêtes. 11 jetta principalement
les yeux fur Bélifaire qui , dès
fa jeuneffe , avoit donné des preuves fgnalées
de fes talens fupérieurs pour l'art
militaire, & qui par fes exploits , a mérité
d'être placé au deffus ou du moins à côté
des plus grands Capitaines dont l'hiftoire
faffe mention. Il étoit grand , bien fait ,
& d'une figure prevenante , doux , affable
, généreux , libéral. Il fe fit adorer de
fes foldats , & tout attentif qu'il étoit à
leur faire obferver une exacte difcipline ,
ils lui obéiffoient moins par la crainte des
DECEMBRE. 1757 8.;
châtimens , que par refpect pour fa vertu .
Il ne fouffroit jamais que dans leurs marches
ils commiffent le moindre défordre ;
& partout fur fon paffage , au lieu de
plaintes & de murmures , il n'entendoit
que des louanges & des bénédictions . Actif
& prudent , vif & modéré , il ufoit
fuivant le befoin des affaires , de diligence
ou de lenteur ; intrépide dans les dangers,
toujours égal , toujours tranquille , &
de fens froids dans les momens les plus critiques
, fécond en reffources & en expédiens
, auffi modéré dans la profpérité
qu'il montroit de courage & de fermeté
dans les revers. Enfin ce qui met le comble
à fa gloire , au milieu des triomphes les
plus éclatans , il fçut contenir fon ambition
dans de juftes bornes , & ni les offres
les plus féduifantes , ni les plus mauvais
traitemens ne purent jamais ébranler la fidélité
qu'il devoit à ſon ſouverain .
ETRENNES militaires , tirées du dictionnaire
militaire , corrigées & augmentées
utiles à toutes les perfonnes , qui fe deftinent
àprendre le parti des armes , année
1758. A Paris , chez Giffer , rue de la
Bouclerie ; la veuve Bordelet , rue S. Jacques
; la veuve David , quai des Auguf
tins ; & chez Duchefne , rue S. Jacques
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
ALMANACH des curieux pour l'année
1758 , les Etrennes hiftoriques, ou mêlange
curieux pour 1758 , contenant plufieurs remarques
de chronologie & d'hiftoire , &c.
chez Giffey.
ALMANACH OU Calendrier d'Anjou ,
pour 1758 , augmenté d'une fuite Chronologique
de l'hiftoire des Comtes d'Anjou .
A Angers , chez A. J. Jahyer , Libraire ,
rue S. Michel , & fe vend à Paris , chez
Ganeau , rue S. Severin .
ORAISONS Choifies de Ciceron , traduction
nouvelle avec le latin à côté , fur l'édition
de Grævius , & des notes en trois
volumes in - 12 . A Paris , chez Barbon , rue
S. Jacques.
Les deux premiers volumes furent imprimés
il y a plufieurs années , le Public
parut defirer la traduction des Oraifons
pour Murena , & celles contre Verres
touchant les Statues.
Pour completter ce choix , on donne ces
trois Oraifons qui compofent le troifieme
volume , qui fe débite actuellement : on les
vend enſemble ou ſéparément.
On trouve , chez le même Libraire , la
Philofophie de Dagoumer , 6 vol. in- 12.
DECEMBRE. 1757. 8
Lyon , 1757. Nouvelle édition augmentée
d'une Phyfique particuliere , & divers autres
Traités qui ont été trouvés dans les
papiers de feu M. Dagoumer , & toute la
philofophie qui a été refondue par l'Auteur.
OEUVRES pofthumes de M. de Glatigny,
Avocat Général , contenant fes Harangues
au Palais , fes Difcours académiques , & c.,
Lyon , 1757 , in- 8 ° .
LES Origines ou l'ancien gouvernement
de la France , de l'Allemagne & de l'Italie::
ouvrage hiftorique , où l'on voit , dans
leur origine , la royauté & fes attributs ,
la Nation & fes différentes claffes , les
fiefs & le vaffelage , les dignités , la
hierarchie , les immunités Ecléfiaftiques ,
& les domaines ; la milice & la chevalerie;
la justice diſtributive ; la compétence des
tribunaux , leur forme ; les parlemens ,
les autres cours fouveraines , les états généraux
, la pairie , la légiflation & les
coutumes.
Cet ouvrage en quatre volumes de près
de quatre cens pages chacun, fe vend sliv.
broché. A Paris , chez Rollin , & Bauche ,
Libraires , quai des Auguftins .
Pour remplir fon projet dans toute fon
86 MERCURE DE FRANCE:
étendue , l'Auteur a dû embraffer toutes
les parties du gouvernement . C'est ce qu'il
a fait. Nous ne croyons pas qu'il ait rien
omis d'effentiel . Il a diftribué les matieres
, de façon que toutes les nations qui
peuvent être néceffaires pour l'intelligence
d'un chapitre , ou d'un livre , fe trouvaffent
dans les chapitres ou dans les livres
précédens .
Tour fon ouvrage eft divifé en douze livres
. Dans le premier il décrit l'origine de
la nation & de la royauté , & il s'arrête
fur les loix qui régloient la fucceffion au
trône . Dans le fecond , it confidere quels
noeuds uniffoient en un feul corps le chef
& les membres , le Roi & la Nation : quels
engagemens réfultoient de cette union ,
& quelle étoit la nature de ces engagemens.
Avant de dire comment les contractans
rempliffoient les conditions de leurs
contrats , il nous fait connoître quels
étoient ces contractans. Le premier livre
avoit fatisfait en partie à cette queftion
par les détails qu'il contient fur la fucceffon
au trône , & fur l'origine de la nation
en général . Les livres fuivans juſqu'au
fixieme inclufivement , traitent des différens
fujets qui compofoient la nation , ou
qui pouvoient en devenir partie : il y développe
l'origine de la liberté & de la proDECEMBRE.
1757 ST
priété , l'origine du vaffelage & des fiefs ;
l'origine des dignités , & leurs attributs ,
l'origine enfin de la bourgeoifie & des gouvernemens
municipaux , la nature de la
fervitude , & fes différentes efpeces . Chacun
des fix premiers livres prepare aux fix
derniers , & chacun de ceux ci , épuife les
matieres préparées dans les autres . Tout ce
qu'il avoit dit fur les différens membres de
l'état auroit été imparfait , s'il n'avoit pas
parlé des biens d'où ils tiroient leur fubfiftance
, & à raifon defquels ils étoient
obligés de fervir l'état. I laiffe peu de
chofe à défirer fur cet article. Dans le fepsieme
livre, oâ il traite des domaines du
Roi , du Clergé & des particuliers , il
explique en même temps comment les ferfs,
les colons , & les cenfiers avoient part à la
défenfe de l'état , & contribuoient au
bonheur de la fociété , par où il termine
tout ce qu'il avoit à dire fur la fervitude &
la roture. Dans le huitieme livre il reprend
les obligations réciproques du Roi &
des fujets , au point précis où le fecond li
vre avoit laiffé cette importante matiere : ib
explique quels étoient les devoirs du Roi ,
par rapport à l'adminiftration générale ;
quels étoient les devoirs & les droits des
fujets , par rapport à cette même adminiftration,
Dans le neuvieme livre il traite
88 MERCURE DE FRANCE.
des devoirs du Roi & de la Nation , par
rapport à la défenſe commune , & à cette
occafion il s'étend fur tout ce qui a rapport
à la guerre. Il paffe delà aux devoirs &
aux droits de la Nation , relativement à
l'adminiſtration intérieure , autant qu'elle
concerne la paix & le bon ordre , ou la police
en général : il examine où refidoit la
puillance coactive , & comment elle s'exerçoit
; comment on amenoit les délinquans
aux pieds de la juftice diftributive. Tel eft
le fujet du dixieme livre. Il nous apprend
dans le fuivant , quels tribunaux étoient
chargés de rendre la juftice ; quelle étoit
leur forme & leur compétence . Dans le
douzieme livre il fait quelques remarques
fur les loix , dans lefquelles les Juges devoient
puifer leurs fentences : il y décrit la
maniere dont on en faifoit de nouvelles ,
& il fait voir à qui en appartenoit le droit.
Tel eft , en général , le plan de cet ouvrage
: quant aux détails , l'Auteur ne s'eſt
refufé à aucun de ceux qui peuvent jetter
quelques lumieres fur notre jurifprudence
moderne , ou fur celle de l'empire.
Il a placé , à la fuite de chaque difcuffion ,
une réflexion qui indique la maniere dont
chaque chofe s'eft modifiée , & ce qui a
réfulté de fa modification . Lorfque le gouvernement
François ne lui fournit rien de
DECEMBRE. 1757. $9
femblable à ce qu'il trouve avoir été en
ufage fous la feconde race de nos Rois , il
dit comment & pourquoi s'eft opéré ce
changement total , & il fait alors une feconde
réflexion fur ce qui s'eft paffé à ce ſujet
, en Allemagne & en Italie.
Voilà un grand ouvrage , & certainement
un ouvrage très- utile : l'Auteur montre
pourtant beaucoup de modcftie. « Mon
ftyle eft fans ornement , dit- il : je n'ai
» travaillé qu'à éviter l'obfcurité : lorique
"
j'ai cru devoir traduire , j'ai été littéral
» à l'excès, furtout dans l'endroit de chaque
paffage qui me le faifoit citer. J'ai employé,
par une raifon femblable , des mots
qui ne font pas françois : j'ai eu peur d'al-
» térer les idées , en les préfentant fous des
expreffions qui ont un autre ufage dans
» notre langue. J'ai ufé du droit qu'ont les
» voyageurs de donner aux pays qu'ils dé-
» couvrent tel nom qu'il leur plaît . Je ne
» me fuis pas contenté de cette précaution :
» lorsque j'ai cru qu'un mot étoit décifif
» ou intéreffant , je l'ai écrit en lettres Italiques
, & j'y ai joint le mot latin dont
il est la traduction . Enfin j'ai cité mes
» Auteurs avec toute l'exactitude dont je
» fuis capable. Voilà ce que j'ai cru pouvoir
faire de mieux pour être utile à ma
patrie . Je ne me juftifierai point de la
33
ود
"
و د
"
90 MERCURE DE FRANCE.
❞
hardieffe que j'ai eue d'entreprendre un
» auffi grand ouvrage . Il eft de nature à
être utile , fût- il abfolument mauvais.
» Cette raifon a été fuffifante pour me
» faire affronter les dangers de l'impref-
"
» fion » .
Nous ofons l'affurer qu'il ne court aucun
rifque , & que fi un projet qui porte
un caractere d'utilité évident , mérite la
reconnoiffance de tout bon Citoyen , une
exécution auffi pénible , auffi recherchée,
eft fûre du fuffrage de tout bon Juge.
HISTOIRE Eccléfiaftique, avec l'Hiftoire
des Empereurs , par M. le Nain de Tillemont,
vingt- deux volumes in4° . enrichis
de citations critiques , &c . A Paris , chez
J. Rollin , Quai des Auguftins , près la rue
Git -le-Coeur , au Palmier .
Il n'eft pas néceffaire de faire ici l'éloge
de M. de Tillemont , pour rendre ſon ouvrage
recommandable. Il eſt connu de tous
les Sçavans de l'Europe , qui en ont toujours
fait beaucoup de cas , & qui s'en
font pourvus avec tant d'empreffement ,
qu'il eft impoffible d'en avoir actuellement
des exemplaires complets , ou du moins
qu'à un prix fort haut.
Le fieur Rollin , Libraire à Paris , propriétaire
de ce Livre , ayant déja vendu les
DECEMBRE . 1757 :
1
deux tiers de fon fonds , & voulant quitter
totalement le commerce , a cru devoir
auparavant faire les frais de la réimpreffion
du premier volume qui manquoit abfolument
, & par ce moyen fe mettre en état
de pouvoir encore offrir au public , & à
un prix modique , 60 corps complets de
l'Histoire Ecclefiaftique , & de l'Hiftoire des
Empereurs.
Les curieux qui voudront s'affurer de
ces exemplaires avant le premier Avril
1758 , les auront pour 117 liv. en feuilles ,
payables actuellement , ou en deux fois ;
fçavoir 72 liv. qu'ils donneront d'avance ,
en fe faifant infcrire , & 45 liv . en retirant
les 22 volumes au premier Avril :
s'il en refte quelques -uns après ce temps ,
on ne les donnera abfolument pas à moins
de 180 livres en feuilles , & il y a même
lieu de croire qu'ils vaudront davantage ,
cet Ouvrage ne devant , felon les apparences
, être jamais réimprimé , à caufe
des frais confidérables qu'il occafionneroit.
Comme il y a beaucoup de perfonnes
qui ont les premiers tomes de l'Hiftoirs
Ecclefiaftique , & qu'elles ont négligé d'acheter
les fuivans , ou ont été arrêtées par
leur cherté , le Libraire offre , pour les engager
à completter , de leur fournir les
92 MERCURE DE FRANCE.
autres volumes de cette Hiftoire Ecclefiafti
que , depuis le troifieme , à un prix railonnable.
Ceux qui ne voudroient avoir que les
fix volumes de l'Hiftoire des Empereurs ,
pourront auffi fe les procurer d'ici au premier
Mars prochain , par forme de foufcription
, & pour le prix de 36 livres en
feuilles , payables en une feule fois , ou
en deux fçavoir 21 liv. qu'on payera en
fe faifant inferire , & 15 liv. en retirant
l'Ouvrage audit premier Mars . On donnera
niême actuellement les Tomes III &
VI , féparément , à raifon de 6 liv. piece ,
en feuilles . Les exemplaires complets qui
pourront refter de cette Hiftoire , ne fe
donneront pas , après le premier Mars , au
deffous de 54 liv. en feuilles.
HISTOIRE Romaine , depuis la fondation
de Rome , avec des citations & notes
hiftoriques , géographiques & critiques ,
des gravures en taille- douce , des cartes
géographiques , & nombre de médailles
authentiques , 16 volumes in- 4°. & les
Empereurs volumes in- 4° . en tour 21
volumes , par les RR. PP. Catron & Rouillé,
de la Compagnie de Jefus. ( 1 )
(1) Le tome 21 , qui contient Caligula & Clande
, eft du P. Rothe , de la même Compagnie ,
e
01
le
q
fe
O
tit
pic
liv
en
&
pro
11
Ou
d'a
les
qui
cet
Vol
DECEMBRE . 1757. 98
Malgré la critique que l'Abbé Desfontaines
fit , dans fon temps , de l'Ouvrage
des PP. Catrou & Rouillé , dont il n'étoit
pas l'ami , on ne fçauroit difconvenir qu'il
n'ait un vrai mérite ; la preuve eft que
les Anglois fe font empreffés de le traduire
dans leur Langue , & l'ont publié
en quatre volumes in folio : ils ont été imi-
τές par les Italiens & les Hollandois qui
ont donné cette Hiftoire in-4°. & toutes
les autres Nations fe font procuré quelqu'une
de ces quatre verfions.
Ce n'est donc pas faire un mauvais préfent
au public , que de lui offrir , par forme
de foufcription , d'ici au premier Avril
1758 , 50 exemplaires complets de cet
Ouvrage , qui restent au Libraire , en petit
papier , & 20 exemplaires en grand papier.
On payera ceux en petit papier , 90
liv. en feuilles , en un feul paiement , ou
en deux : fçavoir 54 liv. préfentement ,
& 36 liv. en retirant les 21 volumes au
premier Avril. Le grand papier coûtera
110 liv. payables de même tout à la fois ,
ou en deux , dont 72 liv. fe donneront
d'avance , & 38 liv . en retirant également
les 22 volumes. Paffé le premier Avril ,
qui doit continuer les Empereurs pour completter
cet Ouvrage ; il y aura tout au plus deux ou trois
volumes encore .
94 MERCURE DE FRANCE.
les exemplaires qui pourront refter , vaudront
, en petit papier , 160 liv. & 220
liv. en grand papier.
Les perfonnes qui ont déja les 12 premiers
volumes de cet Ouvrage , pourront
fe procurer la fuite à raifon de 4 liv. 10 f.
chaque volume , en petit papier , & de
6 liv. en grand papier , jufqu'au premier
Avril.
Il reste encore 90 exemplaires de l'édition
in - 12 , en 20 volumes qui renferment
la République Romaine en entier ,
avec 106 planches en taille - douce ; le
fieur Rollin les donnera à 15S liv. en feuilles
jufqu'au mois de Mars prochain : paſſé
ce temps , on les paiera 38 livres .
INSTRUCTIONS Chrétiennes fur les
Myfteres de N. S. J. C. & fur les principales
Fêtes , où font expliquées les Epîtres
& Evangiles des Dimanches de l'année ,
par M. de Singlin ( 1 ) , fix volumes in- 12 .
Si plusieurs éditions nombreufes d'un
ouvrage en beaucoup de volumes , fuffifent
affurer fa célébrité , & prouver
fon excellence , peu de Livres doivent être
recherchés avec plus d'empreffement que
pour
( 1 ) M. Blaiſe Paſcal avoit tant d'eftime pour
M. de Singlin , qu'il le mit fous fa conduite , &
l'engagea à recevoir les écrits.
DECEMBRE . 1757. 95
celui de M. de Singlin . En effet , malgré
trois éditions in- 8°. l'une faite chez Savreux
, & les deux autres chez Pralard ,
celle en douze volumes in - 12 , que l'on
donna en 1734 , fut enlevée en très- peu
de temps , & fur les follicitations que l'on
fit au Libraire , il fe réfolut d'en faire une
nouvelle en 6 volumes auffi in- 12 , mais
d'un caractere plus petit , afin de la pouvoir
donner à meilleur compte , & de faciliter
par- là aux perfonnes charitables , les
moyens d'en gratifier les jeunes gens , ou
les pauvres familles , pour leur inftruction.
C'eſt encore dans la même vue que le fieur .
Rollin , Libraire , offre actuellement ce
qui lui refte d'exemplaires de cet excellent
Livre , qui peut fervir comme une Année
Chrétienne , às liv . l'exemplaire en feuilles
, & il donnera même le feptieme exemplaire
gratis , à ceux qui en acheteront une
demi- douzaine à la fois. Si tout ne fe
trouve pas vendu au premier Avril 1758 ,
on ne les donnera pas alors à moins de
12 liv. en feuilles.
DESPILLY , Libraire , rue S. Jacques , à
la vieille Pofte , donne avis qu'il vient
d'acheter de Prault pere , le privilege entier
des Ouvrages de M. Ballet , Prédica
teur de la Reine , ci - devant Curé de Gif ;
96 MERCURE DE FRANCE.
fçavoir , fes Panégyriques , in- 12 , 4 vol.
10 liv. fes Prônes , in- 12 , 5 vol . 12 liv.
10 fols traité de la Dévotion à la Sainte
Vierge , in 12 , 2 liv. 10 fols. Traité de
la Pénitence du Carême , in - 12 , 2 liv.
10 fols.
:
On trouve chez le même Libraire ,
Thefaurus Sacerdotum & Clericorum, in- 12 ,
2 livres.
ON prépare une nouvelle édition du
Dictionnaire portatif des Théâtres , avec des
corrections & des augmentations confidérables.
Comme l'Auteur de cet Ouvrage
voudroit le rendre le plus exact qu'il fera
poffible , il fupplie les perfonnes qui auront
fait quelques obfervations à ce fujet
, ou qui défireroient qu'on y changeât
quelques articles , de vouloir bien lui en
faire part , & d'adreffer leurs réflexions ,
le plutôt qu'il fe pourra , chez Jombert ,
Libraire , rue Dauphine.
Comme , dans quelques petits ouvrages
qui ont paru depuis trois ans , fur les Theatres
& fur les Belles- Lettres , on attribue
fouvent la même Piece à différentes perfonnes
, on fupplie les Auteurs de vouloir
bien envoyer un catalogue exact de leurs
ouvrages dramatiques , & d'y indiquer
pofitivement les Pieces qu'ils ont compofées
9
CS
00
for
271
DECEMBRE . 1757. 97.
fées feuls , & celles qu'ils ont faites en fociété
. S'ils jugent auffi à propos de donner
quelques particularités fur leur vie , on les
inférera fidélement à leur article.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
La république des lettres eſt inondée ,
Monfieur , d'une foule de critiques auxquelles
on ferait fouvent trop d'honneur
de répondre on y eft pourtant quelquefois
obligé , lorfqu'elles touchent à
certaines matieres délicates , fur lefquelles
on ne doit fouffrir ni imputation , ni foupçon.
C'est le cas où je me trouve aujour
d'hui. Voici le fait. Dans un recueil périodique
qui s'imprime à Geneve , & qui
a pour titre , Choix Littéraire , on a inféré
un écrit contre l'Encyclopédie. L'Auteur
après avoir avancé que ce Dictionnaire eſt
prefque partout une compilation ( fur quoi
je m'en rapporte aux lecteurs équitables ) ,
fe propofe de faire voir que les articles
font quelquefois contradictoires les uns
aux autres , & voici comment il le
prouve.
On dit dans l'Encyclopédie que l'anatocisme
eft un contrat ufuraire , où l'on
ftipule l'intérêt de l'intérêt uni au prin-
E
93 MERCURE DE FRANCE.
33
03
"3
cipal , & que c'eft la plus criminelle
efpece d'ufure ; & à l'article arrérages ,
» M. d'Alembert prouve géométriquement
» que l'intérêt de l'intérêt eft auffi bien dû
» & légitimement exigé que l'intérêt
même. Me voilà , Monfieur , bien
clairement accufé de favorifer expreffément
la plus criminelle espece d'ufure ; je ne
m'en ferois jamais douté. En effet , croiriez-
vous qu'à l'article arrérages , il n'y a
pas un mot de ce qu'on m'impute ? J'y
examine feulement différentes queftions
de calcul fur l'intérêt fimple & l'intérêt
compofé : ceux qui ont ouvert des livres
d'arithmétique & d'algebre , fçavent qu'on
y traite tous les jours de pareilles queftions
, fans qu'on foit accufé pour cela de
prêcher en faveur de l'ufure . On examine
ce que le débiteur doit au créancier , rela
tivement aux conventions faites entr'eux ,
& on laiffe aux Théologiens à juger ces
conventions du côté moral . Les Sçavans
qui liront l'article arrérages , & qui font
au fait de la matiere , n'y verront pas autre
chofe. Qu'il me foit permis d'exhorter le
Critique à parler de ce qu'il entend , &
l'Editeur Genevois à mettre plus de chai
dans ce qu'il imprime.
Je fuis , &c,
D'ALEMBERT.
DECEMBRE . 1757. ୨୬
Dans ce même Choix ( 1 ) on a inféré
une Defcription géographique du royaume
de la poéfie , traduite de l'anglois , qui
mérite une obfervation de notre part. Le
Traducteur de ce morceau pouvoit s'épargner
la peine de le mettre en françois.
L'Auteur original eft M. de Fontenelle , fon
françois n'avoit pas befoin d'être traduit . Il
étoit plus fimple & plus court de redonner
la piece telle qu'elle a été imprimée dans le
Mercure galant , de Janvier 1678 , p. 147 ,
& dans le Choix des anciens Mercures .
1757 , fous le titre de Defcription de l'Empire
de la Poéfie. Pour mieux convaincre
nos Lecteurs de la vérité de ce plagiat
nous allons tranfcrire ici la premiere page
de ces deux écrits . Ceux qui feront curieux
de lire tout le morceau de M. de Fontenelle
, pour le comparer avec la traduction
de l'anglois , le trouveront dans le Choix
des anciens Mercures , tome fecond , pages
41 & 42 .
Defcription de l'Empire de la Poésie , par,.
M. de Fontenelle.
Cet empire eft un grand pays très-peu
plé. Il eft divifé en haute & baffe poéfie ,
comme le font la plupart de nos Provinces.
La haute poéfie eft habitée par des des gens
(1 ) Ce Choix fe vend chez Lambert , rue de la
Comédie.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
graves , mélancoliques , refrognés , & qui
parlent un langage qui eft à l'égard des
autres provinces de la poéfie , ce qu'eft
le bas-Breton pour le refte de la France .
Tous les arbres de la haute poéfie portent
leurs têtes jufques dans les nues. Les chevaux
y valent mieux que ceux qu'on nous
amene de Barbarie , puifqu'ils vont plus
vite que les vents ; & pour peu que les
femmes y folent belles , il n'y a plus de
comparaison entr'elles & le foleil . Cette
grande ville que la carte vous repréfente
au delà des hautes montagnes que vous
voyez , c'eſt la capitale de cette province :
elle s'appelle le Poème épique . Elle eft bâtie
fur une terre fablonneufe & ingrate ,
qu'on ne fe donne prefque pas la peine de
cultiver. La ville a plufieurs journées de
chemin , & elle eft d'une étendue ennuyeufe.
On trouve toujours à la fortie
des gens qui s'entreruent , au lieu que
quand on paffe par le roman qui eft le
fauxbourg du poème épique , & qui eft
cependant plus grand que la ville , on ne
va jamais jufqu'au bout fans rencontrer
gens dans la joie , & qui fe préparent
à fe marier , & c.
des
Defcription Géographique du Royaume de
Poésie , traduite de l'Anglois .
La Capitale de la haute- Poéfie s'appelle C
DECEMBRE. 1757. 101
·
Poëme Epique . Elle eft fituée dans un terrein
fablonneux & ingrat , que peu de gens
ont effayé de cultiver ( 1 ) ... Cette région
eft habitée par une forte de perfonnages
graves , à l'air impofant , à la mine refro
gnée , dont le langage , comparé à celui
des autres Provinces , eft comme l'Efpagnol
par rapport au François. Les hommes
y font d'ordinaire , héros de profeffion
Pour les femmes , le foleil luimême
ne mérite pas d'être mis en parallele
avec la plus laide d'entr'elles les
chevaux de cette contrée courent plus vite
que le vent , & les arbres portent leurs
têtes jufques dans les nues ..... Ce qu'il
y a de défagréable dans cette ville , ce
font les querelles , les défis , les combats
& les maffacres , qu'on rencontre à chaque
pas mais la trifteffe que cette vue
infpire , fe diffipe dès qu'on a mis le pied
dans le grand fauxbourg , que l'on nomme
les Romans. Il furpaffe en étendue la
ville elle - même. Le fang y eft parfaitement
beau , & toutes les perfonnes de
l'un & de l'autre fexe font les plus accomplies
qu'on puiffe imaginer. Ils ont
tous été grands voyageurs , & font amans
( 1 ) Nous avons fupprimé de cette page tout
ce qui n'eft qu'amplification , & nous l'avons
marqué par des points.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE:
paffionnés :tout leur temps fe paffe dans
des plaifirs & des fêtes continuelles , &
ils ne permettent prefque jamais qu'un
étranger s'en retourne chez lui fans avoir
affifté à cinq ou fix mariages des plus brillans
, & c.
On voit par cette traduction que l'Auteur
Anglois n'a fait qu'amplifier l'ouvra
ge François , qu'il a d'ailleurs copié prefque
mot à mot. S'il eût été de bonne - foi ,
il eût dû intituler fa Defcription : Paraphrafe
du françois de M. de Fontenelle.
Nous nous empreffons d'annoncer le
danger des Paffions , ou les Anecdotes Syriennes
& Egyptiennes , traduction nouvelle
, en deux parties in- 12 , par l'Auteur
de l'Ecole de l'Amitié.
›
Ce nouveau Roman nous paroît auffi
moral & auffi bien écrit que le premier
fon ton même eft plus élevé ;
il est conforme aux événemens qui
font du plus grand tragique. Nous voudrions
nous étendre davantage , mais l'ouvrage
nous eft parvenu trop tard pour en
donner aujourd'hui l'extrait. Nous fommes
obligés de le remettre au mois de
Janvier. Ces anecdotes fe trouvent à Paris
, chez Rollin , Libraire , fur le quai des
Auguftins , & fe vendent 3 liv . brochées.
C
I
C
DECEMBRE . 1757. 103
AVIS aux Soufcripteurs du livre intitulé
: Nouveau Traité de Diplomatique ,
où l'on examine les fondemens de cet art ,
on établit des regles fur le difcernement des
titres , & l'on expofe hiftoriquement les
caracteres des Bulles pontificales & des diplomes
donnés en chaque fiecle : avec des
éclairciffemens fur un nombre confidérable
de points d'hiſtoire , de chronologie , de
littérature , de critique & de difcipline ;
& la réfutation des diverſes accufations intentées
contre beaucoup d'archives célebres
, & furtout contre celles des anciennes
Eglifes. Par deux Religieux Bénédictins
de la Congrégation de Saint Maur
cinq volumes in - 4° . avec un très -grand
nombre de planches & de figures en taille'
douce .
Les planches très - nombreufes du troifieme
volume de cet ouvrage n'en ont pas
feulement retardé la livraiſon ; mais elles
ont encore obligé le Libraire-Imprimeur à
faire des avances confidérables. La gravure
des planches , qui entreront dans le quatrieme
volume , eft achevée . On y traitera
la matiere des Sceaux ; objet non moins
curieux qu'intéreffant. Suivra la troifieme
partie de l'ouvrage , où l'on examinera le
ftyle , les formules , les foufcriptions ,
les dates & tous les autres caracteres in-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
trinfeques des diplomes. La compofition
eft commencée il y a fix ou fept mois . Le
Libraire compte être en état d'offrir au Public
ce nouveau travail vers la fin de l'année
1758. En conféquence il a pris la réfolution
de faire foufcrire pour le quatrieme
tome en livrant le troifieme.
Au 15 Septembre 1757 , le fieur Defprez
, Imprimeur ordinaire du Roi & du
Clergé de France , rue S. Jacques à Paris ,
a délivré le tome troisieme en feuilles , en
recevant pour le petit papier 20 liv . fçavoir
10 liv . pour la livraiſon du tome troifieme
, & 10 livres d'avance pour le tome
quatrieme .
Et pour le grand papier 32 liv. fçavoir
16 livres pour le tome troifieme, & 16 liv.
d'avance pour le tome quatrieme , dont il
fera donné une reconnoiffance. Tous les
volumes fe vendent,pour ceux qui n'ont pas
fouferit , 24 liv . le volume relié en petit
papier , & 30 liv . en grand papier.
NOUVEAUX Commentaires fur les or
donnances du mois d'Avril 1667 , du mois
d'Août 1669 , du mois d'Août 1670 , de
mois de Mars 1673 , fur l'édit des épices
du mois de Mars 1673 , & fur l'édit da
mois d'Avril 1695 , concernant la jurif
diction Eccléfiaftique : par M*** Con-
C
C:
E
DECEMBRE . 1757. 105
feiller au Préfidial d'Orléans . A Paris ,
chez le même Libraire,
Cette nouvelle édition a trois grands
avantages fur celle qui l'a précédée.
10. Par rapport au commentaire fur
l'ordonnance civile de 1667 , qui eft confidérablement
augmentée . A la fuite de la
préface qui eft à la tête , on trouvera , de
plus que dans la premiere édition, des ob .
fervations intéreffantes fur la nouvelle procédure
établie en Pruffe : obfervations qui
prouvent , que quoique puiffent en penfer
des perfonnes peu inftruites & féduites
par le préjugé , cette procédure eft moins
fimple en effet , que celle qui eft établie
pour la France par l'ordonnance de 1667 .
2 °. En général cette feconde édition a
été travaillée de nouveau par l'Auteur ,
augmentée , corrigée & perfectionnée ſur
les réflexions d'un fçavant Magiftrat ( H) .
On trouvera ent'autres dans la nouvelle
édition du commentaire fur l'ordonnance
criminelle de 1670 , plufieurs augmentations
importantes , principalement fur les
cas préfidiaux & prévôtaux , & fur la maniere
d'inftruire les procès criminels des
Eccléfiaftiques pour les cas privilégiés ; &
( 1 ) Feu M. Joly-de Fleury , Procureur général
an Parlement de Paris.
E v
10% MERCURE DE FRANCE:
l'on y a ajouté auffi à la tête du titre XIV
des regles touchant la maniere de bien interroger
un accufé , qui ne feront pas peu
utiles aux Juges & à ceux qui font chargés
de l'inftruction des procès criminels.
3 °. Enfin dans cette nouvelle édition
ces commentaires font tous accompagnés
de tables alphabétiques des matieres fort
utiles & très- étendues , qui ne fe trouvent
point dans la premiere , & par le moyen
defquelles on eft à portée de trouver dans
le moment , fur quelque matiere que ce
foit , tout ce que l'on croit avoir befoin de
confulter dans les commentaires.
A l'égard du nouveau commentaire fur
l'édit du mois d'Avril 1695 , concernant
la jurifdicton Eccléfiaftique , il n'a paru
qu'au commencement de la prefente année
1757. Il eft précédé d'une préface raifonnée,
qui mérite d'être lue , pour les principes
exacts qu'elle renferme . Ces principes
fe trouvent établis , pour la plus grandepartie,
dans les différens articles de l'édit dont
il s'agit : mais cet édit contient encore plufieurs
autres difpofitions , qui regardent
les Evêques , ainsi que les autres Eccléfialtiques
du royaume , & qui concernent leurs
droits & jurifdiction , de même que ceux
des Archidiacres , Officiaux , & c. Cett
ce
que l'on
peut
voir
par
le précis
que
DECEMBRE . 1757.
107
l'Auteur a donné de cet édit dans fa préface.
EXTRAIT d'un Mémoire fur les avantages
qu'on pourroit tirer pour l'engrais des
terres , des matieres dont les pluies & les
vents rempliffent les vallées . Ce Mémoire
a été lu à la Séance publique de l'Académie
d'Amiens , inférée dans le Mercure
précédent. Il eft de M. Biſet.
L'Auteur fait obferver d'abord que les
*terres cultivées perdent peu à peu le principe
de leur fécondité , que les fucs qu'elles
font paffer dans la fubftance de leurs
fruits conftituent effentiellement ce principe
, & que fi on tarde trop à les leur
rendre , elles ne fçauroient continuer à
fervir que très- imparfaitement nos befoins
.
Il ajoute que les terres rie font pas feulement
épuisées , par ce qu'elles dépensent
de fucs pour produire leurs fruits ; mais
qu'elles le font auffi par la perte de ceux
que les pluies & les vents ne ceffent de leur
enlever. Cette vérité dont il feroit trop
long de détailler ici les preuves , qu'il tire
de la légèreté fpécifique des parties fécondantes
de nos terres , devient fenfible em
confidérant la peine extrême qu'on a à
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
entretenir la fertilité des endroits de nos
campagnes , d'où les pluies & les vents
emportent beaucoup de matieres , & au
contraire la fécondité inépuisable & comme
néceffaire de ceux ( tels que les fonds)
où ils les tranfportent.
que
Pour réparer la fertilité des terres , on
n'employe communément d'autre moyen
celui de leur rendre les fruits qu'elles
ont produits ; on fe contente de leur rapporter
des fumiers , ou d'autres engrais
pareils , qui ne font précisément que les
débris de ces fruits , ou des animaux qui
s'en font nourris. Il eft aifé qu'on ne répare
ainſi qu'une partie du mal : on leur rend
tout au plus ce qu'il leur a coûté pour
fournir à la fubftance des plantes ; tous les
fucs féconds que les pluies & les vents leur
ont enlevés , & qu'ils leur enlevent continuellement
, font pour elles de pures
pertes.
De-là il conclut que les terres en général
doivent s'épuifer de plus en plus , puif
qu'elles perdent plus de fucs féconds qu'il
ne leur en eft rendu , & que cependant elles
ne produifent qu'à proportion de ce qu'el
les en contiennent. L'Auteur prévient une
objection qui fe préſente d'elle- même : ſi les
terres s'épuifent , les efpaces cultivés doiyent
fe refferrer de plus en plus , loin de
DECEMBRE. 1757. 109
s'étendre , comme il le paroît d'abord par
les nouveaux défrichemens qu'on fait tous
les jours ; mais il montre que ces défrichechemens
n'indiquent rien de contraire à
cet épuisement général des terres , en faifant
obferver que les efpaces qu'on défriche
font des terres qui étoient autrefois en
valeur , dont on n'a abandonné la culture
que quand elles fe font trouvées épuisées.
Celles de ces terres abandonnées ( fituées
ordinairement fur des pentes ) fur lefquelles
il ne fe forme point de gazon affez
épais pour arrêter & retenir les fucs féconds
que les pluies & les vents leur rapportent
, font celles par lefquelles fe font
fentir les progrès de cet épuifenient général
, auquel l'Auteur penfe qu'on ne ſçauroit
s'empêcher de reconnoître que nos
terres font exposées.
Mais feroit- il abfolument befoin , pourfuit-
il, d'avoir à prévenir les effets funeftes
d'un pareil épuiſement, pour chercher à tirer
parti des matieres que les pluies & les
vents enlevent aux terres cultivées ? Si ces
matieres font propres à rétablir la fécondité
des terres , elles méritent par ellesmêmes
les foins qu'on prendroit à les leur
rendre .
Rien n'eft plus ordinaire que d'entendre
nos Cultivateurs fe plaindre de la ra110
MERCURE DE FRANCE.
reté des engrais , de leur prix exceffif , &
de la difficulté qui en réfulte , de mettre en
valeur quantité de terres qu'ils fe croyent
obligés d'abandonner ou de laiffer dans
un état de maigreur qui ruine très-fouvent
l'efpérance des récoltes. Tous les fonds ,
toutes les vallées en font remplis , toute
la graiffe des terres voisines , tous les fucs
féconds que les pluies & les vents entraînent
, y font tombés , & nous y offrent
une fource de richeffes d'autant moins à
négliger , qu'il ne doit coûter que des
frais de transport pour en rétablir nos
terres.
L'Auteur raffure enfuite ceux qui pourroient
fe laiffer aller à la crainte de voir
ruiner les vallées , fi on leur enlevoit ces
matieres que les pluies & les vents leur
ont apportées , en faifant confidérer que
les dépôts qui fe forment dans ces vallées
font commencés depuis les premiers temps
du monde , qu'ils en ont rehauffé le tetrein
de 10 , 20 à 30 pieds , & qu'un demipied
, ou un pied qu'on laifferoit dans le
fonds de celles qu'on pourroit creufer ſans
trop d'inconvénient , fuffiroit pour produire
autant de fruits qu'on en retire aujourd'hui.
L'Auteur termine fon Mémoire en faifant
voir qu'on employe avec le plus grand
DECEMBRE . 1757. III
faccès pour l'engrais des terres , des matieres
entiérement femblables à celles dont
il recommande l'ufage ; telles font celles
qui proviennent du curement des rivieres.
Čes matieres font , comme celles qui font
venu remplir les vallées , le produit de ce
que les pluies & les vents ont enlevé aux
terres cultivées : ou s'il fe trouve entr'elles
quelque différence , c'eft à l'avantage de
celles qui font dépofées dans les vallées ,
puifque celles du fonds des rivieres ont
été lavées & comme dégraiffées dans l'eau
courante qui les a reçues , & que les autres
au contraire confervent encore tous les
fucs féconds qu'elles ont apportés des
plaines.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles Lettres de Montauban
, du 25 Août 1757.
L'A'Accaaddémie des Belles Lettres de Montauban
, a célébré la fête de S. Louis , felon
fon ufage ; & après avoir affifté le
matin à une Meffe fuivie de l'Exaudiat
pour le Roi , & au Panégyrique du Saint ,
prononcé par le R. P. Trebofe , religieux
de l'ordre de S. François , de la grande
Obfervance , elle a tenu , après midi , unc
112 MERCURE
DE FRANCE .
affemblée publique dans la falle de l'hôtelde-
ville.
M. de S. Hubert de Gaujac , Chevalier
de l'ordre militaire de S. Louis , Directeur
de quartier , a ouvert la féance en annonçant
au public les divers objets dont l'Académie
alloit s'occuper.
M. l'Abbé Bellet a lu enfuite l'Eloge
hiftorique de feu M. de la Mothe , Doyen
de l'Académie & de la Cour des Aydes ,
& il a tracé le vrai caractere de fes moeurs
& de fon talent.
M. de la Galaifiere , Intendant de cette
Généralité , qui avoit été élu à la place
de feu M. de la Mothe , a prononcé alors
fon Difcours de remerciement . Ce n'eft
point un fimple tiffu de louanges fines &
délicates ; c'eft de plus un ouvrage folide ,
nerveux , plein de fentiment & de chofes ,
& écrit avec beaucoup d'élégance. Le nouvel
Académicien y a démontré que les
Belles Lettres font également propres à
rendre le Magiftrat utile & aimable , en
l'éclairant & en adouciffant fes moeurs ; il
a fait obferver tout ce que l'humanité a
gagné par le progrès des fciences & des
arts . Autrefois , difoit-il , la Philofophie
fe bornoit à nous apprendre à chercher
norre bonheur en nous - mêmes ; elle nous
apprend aujourd'hui à rendre les autres
C
1
t
T
a
24
11
0
DECEMBRE. 1757. 113
heureux.... Chaque individu eft cher à
la patrie... Si nous avons une foule d'excellens
ouvrages fur les parties économiques
du Gouvernement , ce font tous des
écrits enfantés par les Belles- Lettres , &c.
M. de la Galaifiere en a caractérisé un ,
en particulier , mais il l'a fait en maître
qui , d'un feul coup de pinceau , fçait peindre
fortement & avec vérité. Du refte l'éloge
du Roi & celui du Miniftre , protecteur
de l'Académie , fe font placés na
turellement, & comme d'eux- mêmes, dans
fon Difcours ; & en parlant des membres
de la Compagnie , que l'ufage ou une attention
obligeante lui a offerts dans fa
marche , il a prouvé l'intérêt fenfible qu'il
prend déja au corps littéraire qui l'a
adopté , & fon habileté à tracer en peu de
mots des portraits reffemblans. Ces divers
tableaux réunis auroient fuffi pour compofer
un tribut académique fort ingénieux
, fi , relativement au fujet qu'il avoit
choifi , il ne s'étoit pas fait un devoir de
prêcher , pour ainfi dire , d'exemple , en
joignant lui-même , dans cette occafion ,
l'utile à l'agréable .
M. de S. Hubert , en lui répondant , a
pris ce ton libre & ailé , qui fed fi bien
à un Militaire ; mais il n'en a pas moins
obfervé toutes les regles de l'exactitude
114 MERCURE DE FRANCE.
de l'élégance & de la politeffe , qui diftin
guent un véritable Académicien . Quoiqu'il
ait prétendu être peu verfe dans l'art
de louer, il n'a pas laiffé d'en mettre beaucoup
dans les divers traits qu'il a raffemblés
, foit en parlant du Roi , foit en adreffant
la parole au nouvel Académicien.
Sans s'appefantir fur rien , fans rechercher
rien en apparence , il a faifi & embraffé
tout ce que fon fujet pouvoit lui préfenter
: il en a réfulté un enfemble délicat ,
qu'on affoibliroit en le décompofant dans
un extrait ordinaire .
Ici M. Bernoi , Secretaire perpétuel , ▲
adreffé des vers à M. de la Galaifiere , où ,
fous prétexte de lui expliquer les loix &
les ftatuts de l'Académie , il l'a peint adroitement
lui- même , en faifant femblant de
lui préfenter le tableau des obligations
d'un Académicien .
M. Carrere , fils , qui a entrepris un ouvrage
confidérable fur l'Union de l'efprit
des Lettres avec l'esprit du Gouvernement ,
a fait
part de fon plan à l'Académie. Il fe
propofe de prouver dans le plus grand détail
, que les connoiffances les plus vaftes
font néceffaires à l'homme d'Etat ; que
toutes les connoiffances font renfermées
dans les tréfors de la littérature ; que c'eft
là qu'on puife la fupériorité des lumieres ;
DECEMBRE . 1757. 119
que chez tous les peuples , la fageffe & la
fupériorité du gouvernement , ont été l'ouvrage
de l'efprit des Lettres ; que la France
, en particulier , dans l'oubli général
des Sciences , fut une nation fans ordre &
fans gouvernement ; & que l'époque de la
renaiffance des arts parmi nous , eft celle
de la grandeur & de la gloire où eft enfin
parvenue la Monarchie Françoife. L'Auteur
s'eft contenté de lire un chapitre de
fon ouvrage , qui , à en juger fur cette
premiere ébauche , deviendra auffi intéreffant
par la forme qu'il lui donne , que
par le fonds des matieres qu'il y traite.
Pour varier les lectures , M. l'Abbé Beller
a lu une Ode fur les fervices que les talens
ent rendus aux hommes , par l'invention des
arts. En voici la derniere ftrophe , où
l'Auteur , en s'adreffant au nouvel Acadé
micien , lui rappelle le fujet de fon Difcours
, & la maniere dont il l'a traité.
>
Loin d'ici ce dogme cinique ,
Où , pour dégrader les beaux Arts,
On veut qu'ils foient la fource uniqus
De nos plus coupables écarts .
La gloire de cette journée
Eft vifiblement destinée
A venger l'honneur d'Apollon :
Il fe prévaudra de l'hommage
116 MERCURE DE FRANCE.
Dont vous lui payez fon fuffrage ,
En entrant au facré vallon.
Comme l'Académie avoit encore à remplacer
feu M. de Caulet , Préfident da
Parlement de Touloufe , Académicien affocié
, M. l'Abbé Bellet a lu fon Eloge hiftorique
, où il l'a peint comme Académicien
& comme Magiftrat ; & M. le Directeur
a proclamé l'élection de M. le Chevalier
Chauvelin , Grand- croix de l'ordre
de S. Louis, Lieutenant- général des armées
du Roi , & fon Ambaffadeur à la Cour de
Turin.
Enfin M. le Secretaire perpétuel a lu le
Programme de l'Académie ; M. Largues ,
Tréforier de France à Toulouſe , couronné
plufieurs fois par l'Académie des Jeux Floraux
, a fait réclamer le prix de l'Ode qui
lui avoit été adjugé , & la féance a été
terminée par la lecture de cette Ode.
M. l'Evêque de Montauban ayant deftiné
la fomme de deux cens cinquante
livres , pour donner un prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles Lettres de cette ville , fe
trouvera avoir fait le meilleur Difcours
fur un fujet relatif à quelque paint de
morale tiré des Livres faints , l'Académie
diftribuera ce prix le 25 août prochain ,
fête de Saint Louis Roi de France.
C
P
21
Ca
DECEMBRE.
1757.
117
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1758 , Les grandes ames font capables
d'émulation ,fans être fufceptibles de jalousie ,
conformément à ces paroles de l'Ecriture
fainte : Quam ( fapientiam ) fine fictione
didici , fine invidia communico . Sap .
VII. 13.
L'Académie , en propofant une ſeconde
fois le même fajet aux Orateurs , les avertit
d'en bien prendre le fens , d'éviter le
ton de déclamateur , de ne point s'écarter
de leur plan , & d'en remplir toutes les
parties avec jufteffe & avec précision.
Les Difcours ne feront , tout au plus ,
de demi- heure , & finiront toujours
par une courte priere à Jefus-Chrift ."
que
On n'en recevra aucun qui n'ait une
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs ouvrages , mais feulement
une marque ou un paraphe , avec un paffage
de l'Ecriture fainte , ou d'un Pere de
l'Eglife , qu'on écrira auffi fur le regiſtre
du Secretaire de l'Académie.
L'Académie ayant réfervé le prix de
cette année , elle l'a deftiné à une Ode ou
à un Poëme dont le fujet fera , pour l'année
1758 , Les reffources de la France contre
fes ennemis.
118 MERCURE DE FRANCE.
Il aura ainfi deux prix à diftribuer ,
l'année 1758 , un prix d'éloquence & un
prix de poésie.
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
, dans le courant du mois de Mai
prochain, entre les mains de M. de Bernoy,
Secretaire perpétuel de l'Académie , en fa
maifon , rue Montmurat , ou , en fon abfence
, à M. l'Abbé Beller, en fa maiſon, rue
Cour- de-Toulouſe.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préſente en
perfonne , ou par Procureur , pour le receyoir
& pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secretaire trois copies bien lifibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte . Sans ces deux
conditions les ouvrages ne feront point
admis au concours.
Le Prix de Poéfie a été adjugé à l'Ode
qui a pour ſentence :
Vixêre fortes ignotique longá
Nocte carent , quia vate facro. Hor. Od . 9. L4
Le Poëme qui a pour fentence ( Carmen
amet quifquis carmine digna facit. OVID.)
a balancé les fuffrages.
DECEMBRE . 1757 . 119
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES,
PHYSIQUE,
LETTRE à l'Auteur du Mercure,
MONSIEUR ,
perfuadé que vous vous
prêtez autant que vous le pouvez à toutes
les chofes qui peuvent jetter de la lumiere
dans les ſciences , & qui peuvent tourner
à l'avantage de la fociété , j'efpere que
vous voudrez bien examiner les effets d'un
coup de tonnerre
& quelques
réflexions
que j'ai faites à ce fujet , & que vous les
inférerez dans votre Mercure , fi vous les
jugez dignes d'y occuper une place.
Le tonnerre eft tombé le 14 Juillet dans
un jardin du fauxbourg S. Marceau , fitué
un peu au- delà de la rue du Banquier , appartenant
à M. Defmet , Concierge du Jardin
des Apothicaires. Le tonnerre tomba
d'abord fur le faîte du pignon de l'orangerie
, où il fit tomber cinq ou fix pierres
& autant de tuiles ; il defcendit le long du
120 MERCURE DE FRANCE.
bord du pignon qui eft à l'oueft , & fit un
trou confidérable cinq ou fix pieds plus bas
que le précédent ; il y exerça même un tel
effort , que tous les environs du trou font
crevaffés : il fuivit toujours la même direction
, & fit une échancrure confidérable
à l'angle de l'entablement qui fe trouve
fept ou huit pieds plus bas que le trou
précédent. Ces effets qui n'ont rien que de
commun avec ceux que le tonnerre produit
ordinairement , ne mériteroient pas la peine
d'être obfervés , s'il n'en eût produit de
plus remarquables . Environ deux pieds
plus bas que l'entablement , le tonnerre
rencontra un fupport de fer qui fervoit à
foutenir un fil de fer qui commençoit à
porte du jardin , qui eft à l'ouest du pignon
, & fe terminoit à la fonnette qui fe
trouve attachée à l'eft de ce pignon . Le
tonnere arrivé à ce fupport fe divifa en
deux parties , dont une alla jufqu'à la
fonnette , & l'autre jufqu'au pied de biche
qui fervoit de poignée pour tirer la fonnette.
Le tonnerre fuivit exactement ce fil ,
qui peut avoir environ 60 ou 65 pieds de
longueur ; fçavoir, depuis ce pied de biche
jufqu'au fupport dont j'ai parlé , 45 pieds,
& depuis ce même fupport jufqu'à la fonnette
, environ 18 ou 20 pieds. La partic
du tonnerre qui alla à la porte , fuivit exacla
tement
&
c
c
de
DECEMBRE. 1757. 1218
tement le fil de fer ; ce que je jugeai par
la fufion du fer qui étoit double depuis:
le fupport jufqu'à la porte. Ce qui me parut
affez remarquable , c'eft que ces deux
fils qui étoient entortillés & cordés imparfaitement
, fe font trouvé foudés dans
les endroits où ils étoient les plus diftans
l'un de l'autre , tandis que dans les en-
- droits où ils étoient les plus approchés , la
fufion du fer étoit moins parfaire je n'y
trouvai que des petites mollécules de fer
réduites en gouttes prêtes à tomber , mais
qui ont été retenues par un prompr refroidiffement
. Le tonnerre arrivé à la porte ,
paffa au- delà en partie par le trou pratiqué
pour ce fil de la fonnette , & par un
autre petit trou déja fait , mais qui étoit
noirci d'une tache femblable à celles que.
la poudre à canon laiffe après la combuftion
. Paffé par ces deux endroits , diftans
l'un de l'autre d'un pouce & demi , il arriva
au levier de la fonnette ( ce qu'on
appelle communément le mouvement ) ,
& continua jufqu'au pied de biche , qu'il
noircit comme le trou précédent. Enfin
un demi pied plus bas que le pied de biche
, il fit une impreffion noire fur un
clou à large tête , & paffa , à deux pouces
delà , entre la porte & la muraille , pour
retourner dans le jardin , & fe précipiter
F
122 MERCURE DE FRANCE.
dans la terre ; ce que je jugeai par une
impreffion noirâtre qu'il laiffa à la porte
& à la muraille , qui n'avoit pas coutume
d'y être , & par un pied de vigne planté
contre la porte , dont les feuilles étoient
defféchées depuis cet endroit jufqu'à terre.
L'autre partie du tonnerre qui alla depuis
ce fupport jufqu'à la fonnette , ne fit
pas de fivives impreffions fur ce fil qui
étoit fimple , je remarquai feulement des
petites portioncules de fer à peine perceptibles,
qui étoient entrées en fufion ; ce que
je jugeai par la figure fphérique qu'elles
avoient adoptée : il n'y eut que la partie
du fil qui étoit attachée au tourillon de la
fonnette qui fut entiérement fondue . Le
tonnerre ne fit aucune impreffion à la fonnette
ni à la muraille , quoiqu'il l'ait
côtoyée dans une efpace d'environ vingt
pieds ; car cette partie du fil paffoit parallélement
au pignon , & n'en étoit éloignée
que de trois ou quatre pouces. Cette
partie du tonnerre ne fe borna point à la
fonnette : elle defcendit le long du bord
faillant du pignon jufqu'à terre ; ce qu'il
étoit aifé de remarquer par une vigne qui
fe levoit jufqu'à la fonnette, dont une partie
des feuilles ont été defféchées juſqu'au
pied.
Il y a lieu de croire que la plus forte
de
Pa
ga
jou
&
DECEMBRE.
1757.
123
ف
partie du tonnerre s'eft déterminée à enfiler
la partie du fil de fet, qui étoit double,
parce qu'il y avoir plus de matiere . Je n'en
juge pas , parce qu'il parcourut un plus
long efpace que la portion qui alla à la
"fonaette , mais par la grande différence
des effets ; car la fufion du fil qui étoit
double , fut bien plus parfaite que celle
du fil qui éton fimple. Il n'y a point lieu
de douter que , fi le tonnerre cut d'abord
rencontré le fil de fer , il auroiti épargné
le pignon , qu'il n'a point du tout ménagé ;
car dès qu'il eut une fois enfilé le fer de
part & d'autre , il ne produifit aucun effet
far les corps volfins , excepté quelques
feuilles de vignes & de poirier , qui fe
font trouvées dans fon paffage , & qui ont
éré
defléchées mais la feule vapeur aura
pu produire cet effer. ~-
•
En
confidérant tous ces effets un peu de
près , on doit paroître
difpofé à faire ref-'
fufciter l'ufage des
pyramides
décréditées
dès
l'inftant de leur
naiffance. Ce n'efti
pas , à la vérité , fans raifon qu'on a regardé
comme zero les effets qu'on leur
avoit affignés
gratuitement . On eft aujourd'hui
convaincu que le tonnerre eft
une
modification de la matiere
électrique ,
& que notre
atmosphere, & peut-être tout'
l'univers , font
remplis de cette
matiere."
F ij
126 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE NATURELLE!
OBSERVATIONS d'anatomie & d'hiftoire
naturelle , faites fur une espece de chien de
mer pris à Cette p✪ porté à Montpellier
1be5 Avril 1737 , préfentées à Meſſieurs
de la Société royale des Sciences de MontpelliersparM
Gayeau , Docteur en Médecine
de la même ville no h.1 :
1 Defcription des parties externes.
1. Ce poiffon eft appellé par Artedi
Squalus Cinereus ; M. Clin F'appelle Chat
de rocher : fa figure reflemble à celle du
Galens Glaucus qu'a donné Rondelet.
Il a 16 pieds de long depuis la tête juf
qu'à la queue , huit pieds de circonférence.
La peau eft de couleur gris cendrée
& un peu rude , ce qu'on apperçoit , en
portant feulement la main de la queue
vers la tête , il a huit pinces ou nageoires
, defquelles deux font placées après les
ouies , deux fur le dos , deux au ventre ,
une autre plus loin que l'anus , & une
termine la que queue.
2º. Les deux premieres appellées pec- 1
DECEMBRE. 1757. 127
torales , ont trois pieds de long , & font
placées une de chaque côté , après la derniere
ouie : elles reffemblent à des aîles
d'oifeau , & font adhérentes au corps par
un pédicule petit relativement à leur
grandeur.
3. Les ventrales font placées fous le
ventre , chacune à côte de l'anus ; elles y
forment un rebord femblable à celui des
grandes levres ; elles ont un pied de grandeur
, & font placées à trois pieds & demi
de diftance des pectorales ; leur figure eft
thomboïdale .
4°. L'efpace qui fe trouve entre ces
deux nageoires & la queue , eft occupé
par la nageoire de l'anus , qui eft impaire
; elle eft de la même figure que les
ventrales , & a un peu plus d'un demipied
de grandeur.
5 °. Sur le dos il y en a deux de la même
figure que les précédentes , & elles
n'en différent que par le bord fupérieur
& poftérieur , qui eft un peu frangé.
La premiere placée à trois pieds de diftance
du bout du mufeau , répond à l'efpace
intermédiaire des nageoires pectorales
& ventrales , & a vingt & un pouce do
grandeur.
La deuxieme placée à fept pieds de diftance
de la premiere , répond à la nageoi-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
re de l'anus , & a près d'un demi pied de
grandeur ; elles font toutes les huit cartilagineufes
, & n'ont dans leur épaiffeur
ni os , ni arête .
Na. Les nageoires ventrales & celles de
l'anus , comparées à celles du dos , fuivent
une espece de raifon renversée de
grandeur , enforte que la premiere dorfale
eft plus grande que les deux ventrales
, & la feconde dorfale eft plus petite
que celle de l'anus .
6º . La queue eft quarrée & fe termine
par une nageoire oblique , divifée en deux
parties : la fupérieure eft plus grande que
l'inférieure , & a environ deux pieds &
demi de longueur . Les quatre angles de
la queue fembloient être formés par des
apophifes des vertebres ; mais ces parties
étant difféquées , ne nous ont laiffé voir
qu'un cartilage qui fe prolongeoit dans
' les deux parties de la nageoire de la
queue .
Defcription des parties internes.
Ces poiffons manquent fouvent de
beaucoup de parties , que l'on trouve dans
les quadrupedes & dans les oifeaux ; c'eft
la raifon qui m'empêche de garder un ordre
méthodique dans la defcription interne
du chien de mer , dont il eft ici
C
DECEMBRE . 1757. 129
queftion. Je décrirai ces parties dans l'ordre
qu'elles fe font préſentées à l'ouverture
de l'animal .
:
1º. La tête commence au bout du mufeau
, & finit d'abord après la derniere
ouie elle reffemble à celle d'un cochon ;
mais elle a le muſeau plus pointa , ayant
deux pieds de long & quatre de circonférence
; à les mefurer après la derniere quie ,
revêtue de la même peau que le refte du'
corps , le mufeau eft mobile , & s'élève affez
haut pour que l'animal puiffe avaler fa
proie. Voyez page 132 , n°. 8 .
2°. Le cerveau eft fort petit , relative--
ment à la groffeur du poiffon ; il eſt de :
figure ovale , & il égale la groffeur du
poing , fitué dans la partie moyenne &
fupérieure de la tête , renfermé dans une
cavité , & enveloppé de matieres mucilagineufes
; il donne pour la moëlle alongée
deux branches groffes comme le doigt , qui
fortent du crâne & defcendent , une de
chaque côté, dans un demi canal , qui tient
la place des apophifes tranfverfes des vertebres
de l'homme , & que je décrirai plus
bas. Page 138 , no . 18 .
3. Les yeux font de là groffeur d'un
auf de poule , reconverts d'une membrane
circulaire affez épaiffe , attachée autour de
Forbite , & qui faifant fonction de pau-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
pieres , laiffe cependant la prunelle toujours
découverte ; la cornée eft fort dure ,,
épaiffe d'environ deux lignes , & diminue
d'épaiffeur en s'approchant de la circonférence
au centre, où elle devient plus molle
& plus claire. Les autres tuniques n'ont
rien de particulier.
La rétine eft blanchâtre , & de confiftance
gélatineufe ; le cryftallin eft allez
tranfparent , & égale la groffeur d'un oeuf
de moineau ; l'humeur aqueufe eft en partie
lymphatique , le corps vitré n'a rien
d'extraordinaire.
Les différens mouvemens de l'ail s'operent
par le fecours de fix mufcles , gros.
comme le petit doigt , & de la même longueur
; ils font adhérens par une extrêmité
autour du globe de l'oeil , & fe recouvrent
réciproquement ; l'autre extrêmité eft adhérente
autour d'un cartilage prefque auffi
gros : ce cartilage prend le nerf optique à
fa fortie du crâne , & l'accompagne dans
l'orbite jufqu'à fon adhérence au globe
de l'oeil ; le nerf eft de la groffeur d'une
plume à écrire ces fix mufcles , le nerf &
le cartilage forment enfemble ,un paquet
affez gros , qui eft enveloppé de matieres
glaireufes , & qui remplit exactement tout
l'orbite.
L'eil ainfi porté fur ce cartilage ( auDECEMBRE.
1757. 131
quel eft adoffé le nerf ) comme un globe
fur un pédicule , ne peut preffer le nerf
optique , ni empêcher les mouvemens des
mufcles qui , ayant leurs mouvemens libres
, peuvent l'attirer en différens fens.
Ce cartilage femble fervir d'antagoniſte
aux fix mufcles qui , dans leur action fimultanée
, éloigneroient l'oeil des paupieres.
Gefner a erré dans la defcription de
l'oeil de la lamie : il a dit qu'à la place du
nerf optique qu'on trouve dans les animaux
, il n'a trouvé qu'un cartilage affez
dur. De Pif. pag. de lamia.
4°. Les narines font deux trous capables
de recevoir une feve de marais , placés
à un demi-pied du bout du mufeau , inférieurs
& antérieurs aux yeux ; ces trous
font intérieurement revêtus d'une membrane
très fine, qui donne nombre des filets
qui , s'entrelaffant vers le milieu , laiſſent
appercevoir un plexus admirable dans le
fonds de la cavité : je n'ai pu découvrir la
communication de ces trous avec le cerveau
, quoique Valfal affure l'avoir vue..
Epift . anat. xvij , art. 41 %
5. Cette efpece de poiffon n'a point de
trou auditif , & dans les poiffons du même
genre qui en ont , on les trouve placés à la
partie inférieure & poftérieure aux yeux
comme dans le centrina ou truye de mer.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE:
6°. La gueule eft la partie la plus pro
portionnée à la grandeur de l'animal ; elle
s'ouvre en deffous , & eft à un demi- pied
de diſtance du bout du mufeau , & à près
de trois pieds & demi d'ouverture.
7°. Les mâchoires font garnies antérieurement
de deux rangées de dents ; mais
devenant plus larges , & avançant vers le
fond du gofier , elles en reçoivent jufqu'à
fept rangs ; les os des mâchoires ne font
pas proprement des os , & font cependant
plus que cartilagineux.
So. Les dents font les feuls os qui fe
trouvent dans cet animal : elles font touteségales
en groffeur & en figure , reffemblant
à des cardes à carder la laine , ayant
leur crochet tourné vers le fond de la
gueule , & font un peu mobiles , n'étant
attachées fur les mâchoires que par une
efpece de cuir noirâtre. Leur groffeur n'ex
cede pas
celle des graines de lin ; elles font
entieres , & ne font pas faites en fcie comme
celles de la lamie..
Na. Les défavantages que pourroit tirer
ce poiffon de la configuration de fes parties
, feroient bien grands fi la nature n'y
eût pourvu de plufieurs manieres. 1º . Si ce
mufeau étoit immobile , bien loin d'avaler
fa proie , il la poufferoit & l'éloigneroit.
2. Si les dents étoient fixes dans la mâDECEMBRE
. 1757. 135
choire', qu'elles fuffent plas groffes & même
qu'elles euffent leurs crochets tournés
en dehors , la proie parvenant dans la
gueule les feroit toutes relever , & ne.
pourroient pénétrer ; mais la providence a
fauvé à cet animal les inconvéniens qui
pourroient naître de la configuration de
fes parties en leur donnant des mouvemens
contraires , puifque le mufeau pouvant fe
relever , fa proie trouve un libre accès dans
la gueule ; & les dents pouvant fe fléchir à
fon approche , la laiffent paffer , ou fe relevent
pour la foutenir , comme feroient de
véritables valvules.
9. Sa langue eft fort grande , toute
cartilagineufe , liffe & polie , & femble
recouverte d'un parchemin jufqu'au fond
du gofier , où elle eft garnie de nombre
de mammellons affez gros elle a en
fon total un pied de longueur , demipied
de largeur , & un pouce d'épaiffeur
, depuis le bout jufqu'au frein ; elle
eft mobile dans fa circonférence , à fa bafe
ou racine : elle donne de chaque côté cinq
ramifications , qui font cinq pieces carti
lagineufes , comme la langue , de la longueur
& de la groffeur du bras d'un jeune
enfant ; elles vont directement au fond
du gofier , où étant parvenues , elles fe
zéfléchiffent antérieurement , & viennent
134 MERCURE DE FRANCE.
s'articuler au bord antérieur de la ma
choire fupérieure. Ces cartilages , étant
mobiles , détachés du palais à un peu de
diftance les uns des autres , revêtus de la
même peau que le corps de la langue ,
font ornés , à la face externe , de cils offeux ,
rangés les uns à côté des autres : ces cils
font des offelets , de la longueur du doigt ,
& grêles , noirs & caffans comme du verre
, rangés les uns à côté des autres , larges
à leur bafe , & adoffés par des ſurfaces
plattes ; les cartilages ainfi armés , ſe
trouvent à découvert lorsqu'on écarte les
levres des ouies..
10. Les ouies font des fentes de deux
pieds de long , qui terminent la tête ; elles
partent de la nuque , & fe portent en de☛
vant & en deffous jufques fous l'afophage,
placées au nombre de cinq de chaque côté,
à un pouce de distance les unes des autres ,
paralleles entr'elles. Les levres fupérieures
de chaque ouie font toutes ridées intérieurement
; elles font foutenues par des cartilages
coniques de la groffeur & de la lone
gueur du petit doigt , placés en grand nombre
dans leur épaiffeur , à deux pouces de
distance les uns des autres : on voit leur
extrêmité quand on écarte les levres des
Quies .
N. Les ouies répondent au fonds de la
DECEMBRE: 1757. 1356
gueule , & paroiffent fervir à évacuer l'eau
que peut avaler le poiffon ; les cils offeux
qui font attachés aux cinq cartilages ou
rameaux de la langue , font détachés de
toute leur longueur , & repréfentent des
peignes je penfe que leur ufage eft de
rejetter l'eau , & de retenir les alimens
néceffaires à la vie de l'animal ..
11° . Le coeur eft plus gros que celui d'un
bouf; il eft à peu près conique , n'ayant
qu'un feul ventricule & une feule oreillette
: on découvre à la naiffance de l'aorte.
une dilatation confidérable qui reffemble.
à un fecond petit coeur , ne perdant jamais
fa figure ni dans la diaftole , ni
dans la fiftole ; il eft logé dans une cavité
particuliere , fitué derriere l'ofophage , &
fous la nuque féparé des autres parties par
un diaphragme fort épais ; il ne differe de
celui du thon que par la figure , celle du
dernier étant tétraëdre ; il ne m'a pas été,
poffible de l'examiner plus févérement , ne
l'ayant pas eu en ma difpofition.
12. L'ofophage eft large , épais & enduit
de glaires fort épaiffes ; l'orifice qui
refulte de la connexion de l'eftomac à
l'ofophage eft fort étroit.
13 °. L'eftomac eft fort grand , étran-.
glé en fon milien , femblable à une courde
pélerin , épais , prefque ovalaire :
136 MERCURE DE FRANCE:
le pilore eft grand à pouvoir introduire
deux doigts. Le canal inteftinal eft d'une
ftructure bien curieufe , & affez difficile
à décrire ; je le divife , autant qu'il m'a
paru poffible , en deux grêles & un gros
inteftin ; le premier en partant du pilore
, fe réfléchit derriere l'eftomac fur le
corps des vertebres : fa longueur , juſques
à l'endroit où il forme un coude avec lefecond
, eft d'un pied ; le fecond fe réfléchit
fous le premier , & fe porte vers l'efromac
étant parvenu à fa convexité : il
communique avec le rectum par une petite
ouverture. Ce rectum eft trés- confidérable :
il est long d'un pied & demi , & a un
demi-pied de diametre , fort épais , liffe &
poli extérieurement , intérieurement fait
en fpirale ; mais à quelques pouces de diftance
de l'anus , il ceffe d'être fpiral , &
devient fimple canal . Il donne par côté
une valvule auffi confidérable que ta veffie
urinaire , à laquelle il communique
par un petit trou ; cette veffie eft attachée
aux vertebres par un ligament très fort
qui y eft adhérent depuis fon col jufq
fa convexité ou bafe . On trouve tout au
près une papille auffi groffe qu'une noifette
, percée en fon milieu l'anus fe
trouve placé entre deux nageoires du ventre
; fon ouvertute eft affez grande pour
recevoir le bras d'un homme.
DECEMBRE. 1757. *
137
Na. Cette valvule fe trouvant placée
entre le rectum & les vertebres , l'ufage de
ce ligament paroît être celui de foutenir
Ia veffie ou valvule , de l'empecher de
preffer par fon propre poids la maffe inteftinale
, de permettre aux excrémens un
libre paffage vers l'anus , ou même celui
de cette valvule , eft de fournir une liqueur
qui facilite l'excrétion de matieres
fécales .
14°. Les reins font plus gros que ceux
de l'homme ; les uréteres gros comme une
groffe plume à écrire : j'ai bien vu une veffie
, mais n'étant pas feul à travailler à
l'ouverture de ce poiffon , & l'ayant trouvée
detachée , fans doute par un coup
d'inftrument donné mal à propos , je n'oſe
affurer qu'elle foit la veffie urinaire.
15°. La ratte faite en fer de lance , eft
affez groffe ; une de fes extrêmités ( vers
la baze ) eft plus longue & plus grêle que
l'autre.
16 ° . Le pancréas eft un corps glanduleux
, reffemblant à une groffe grape de
raifin , terminé par un efpece de chapelet
fort long , & qui fe réflechiffoit fur le
corps du pancréas . Il eft de la groffeur du
foie humain , fa face fupérieure convexe ,
& fon inférieure applatie . Quelques - uns:
le prirent pour la ratte , d'autres le
138 MERCURE DE FRANCE.
foupçonnerent être les ovaires .
17°. Le foie elt le vifcere le plus confidérable.
Il occupe exactement toute la cavité
du ventre , depuis la tête jufqu'à l'anus.
Il eft fait de deux lobes , qui dans
feur milieu portent & recouvrent tous les
vifceres du ventre , excepté les reins ; toute
la maffe inteftinale eft portée par un ligament
confidérable , qui paffant entre deux
globes du foie , va s'attacher aux vertebres
du dos.
18°. Les vertebres font des corps cartilagineux
, de la figure des dames à jouer ,
ayant deux pouces de diametre , & autant
de hauteur, exactement ronds, leurs furfaces
fupérieures & inférieures concaves ;
étant feches , elles reffemblent à un tronc
d'arbre coupé en travers , & laiffent appercevoir
des cercles concentriques , ou
des différentes couches , tomme les traînées
des arbres. Elles font articulées entr'elles
par un ligament très-fort , qui les
fépare à un demi pouce les unes des autres
ce ligament retient une liqueur qui
facilite les mouvemens des vertebres.
Ces vertebres , quoiqu'ainfi articulées ,
céderoient facilement aux moindres efforts ,
fi elles n'étoient foutenues par deux pieces
longitudinales, une de chaque côté , à l'endroit
où font ordinairement placées les
DECEMBRE. 1757. 139
apophiles tranfverves. Ces deux corps reffemblent
à un cylindre creux , qu'on auroit
Coupé dans fa longueur, & dont on auroit
une partie , d'un côté des vertebres , &
l'autre du côté oppofé , obfervant que la
concavité regardât la convexité ou le corps
des vertebres : c'eft dans la cavité femi
circulaire qui réfulte de l'adoffement de ce
cylindre , que font placés de chaque côté
les deux filets de la moëlle alongée , &
qui , partant du cerveau , fe prolongent
jufqu'à la queue : ces deux pieces font de
toute la longueur du corps,& d'une nature
différente des vertebres ; ce qui m'empê
che de pouvoir les appeller apophifes.
Na Ces deux corps placés un de chaque
côté à la colonne vertébrale , garantiffent
les vertebres & la moëlle alongée de
tout fâcheux accident , & capables par leur
élasticité de réprimer les efforts dangereux,
ils empêchent les vertebres de s'écarrer les
unes des autres. Les nageoires du dos fontl'une
plus grande que les deux du ventre ,
& l'autre plus petite que celle de l'anus ::
ce jeu de la nature femble uniquement
ménagé pour contrebalancer leur action
afin que les parties fupérieures n'étant pas
plus fortes que les inférieures , l'animal
puiffe, en nageant , garder l'équilibre : les
pectorales femblent lui fervir de balancier
140 MERCURE DE FRANCE.
celles de la queue doivent auffi fervir à
diriger fes courfes.
Il m'a été impoffible de découvrir les
parties de la génération dans cette espece
de fqualus , mais je rapporterai ailleurs ce
que j'ai vu fur un poiffon du même genre
appellé petit chien de mer.
CHIRURGIE.
LETTRE à M. *** Chirurgien- Dé
monſtrateur , &c, par M. Cambon , Chirurgien-
Major , &c.fur les tailles faites à
l'hôtel- Dieu de Paris , le 20 Juin 1757.
MONSIEUR , les converſations que nous
avons eues , fur les différentes méthodes
de tailler , la nature des pierres , le tempérament
des malades , & plufieurs autres
chofes relatives à cette grande opération ,
me perfuadent que vous ferez charmé d'ap
prendre ce qui s'est paffé à la taille de l'Hô
tel- Dieu de Paris , à laquelle j'ai affifté le
jour de mon départ pour l'armée . Voici ce
que j'ai vu & obfervé très- attentivement.
M. Moreau, chirurgien Major de cer ho
pital, commença cet important ouvrage, les
pierreux étoient au nombre de 6, il en tailla
ན་ན DECEMBRE. 1757. 140
L
deux , & tira au premier , après d'affez
longues recherches , une pierre très- peti-'
te, & aut fecond une autre de la groffeur
d'une dragée platre. Les fecondes & les
minutes que l'on a profcrit avec raifon de
cette opération , n'auroient pas brillé à ces
deux tailles. M. Detrufy , premier gagnant
maîtriſe de cet Hôpital , aidé de la
main , & des confeils de M. Moreau , en
tailla deux autres. Il leur fira à chacun.
une pierre ; l'une étoit moyenne , & l'autre
petite. Les deux derniers furent taillés
par M. Gille , fecond gagnant maîtriſe au
même hôpital. Son premier étoit âgé de
douze à treize ans. Il faifit la pierre::
mais quelque effort qu'il fit , à plufieurs
tentatives réitérées , il ne put l'extrairè ;
ce qui engagea fans doute M. Detrufy a
venir à fon fecours. M. Gille tenoit les
branches de tenettes fortement ferrées
avec les mains , pendant que celles de M.
Detrufy étoient placées aux anneaux , ils
tiroient tous les deux de toutes leurs forces,
la tenette échappa plufieurs fois hors de la
veffie fans pierre. M. Moreau toujours at
tentifà l'état du malade , & aux manoeuvres
de l'opération , jugea auffi prudemment
qu'à propos , qu'il étoit temps de
remettre le malade dans fon lit , & de lui
laiffer le corps étranger dans la veffie .
T42 MERCURE DE FRANCE,
00
On porta le fixieme & le dernier ma
lade , qui fut taillé par la même méthodes
on chercha pendant longtemps la pierres
ne pouvant la rencontrer avec la tenetic y
on le fit remettre au lit , en difant que la
pierre fortiroit pendant la fuppuration.
Il n'eft pas douteux qu'on n'eut reconnu
une pierre à cet enfant avant de le deftinet
à l'opération , quoiqu'on n'ait pu la trouver
avec la tenettel m
· Vous ne ferez pas furpris , Monfieur ,
de ces événemens fâcheux , lorfque vous
fçaurez que l'on pratique le grand appareil
je vous avouerai que cette manoeu
vre furannée me furprit beaucoup , furtout
après avoir lu le troifieme volume des
mémoires de l'Académie de Chirurgie ;
car je m'attendois que le chef du premier
hôpital de France , Membre de cette Académie
, fe feroit rendu à l'évidence , &
auroit abandonné une méthode qui , du
propre aveu de l'Académie , eft mal imagi
née , &meurtriere parfa nature.
On lit dans ces mémoires , en parlane
des partifans du grand appareil Nous
n'adoptons point leur prévention : bien
» inftruits du fond de la méthode du grand
appareil , nous jugeons qu'il n'eft pas
prudent de fuivre une route difli dángereufe
, & qu'on ne peut fans témérité
19
39
DECEMBRE. 1757 143
"
s'expofer à une opération qui a des fui-
» tes fi fâcheufes , dont les lumieres & la
dextérité du meilleur Lithotomifte ne
pourroient pas garantir.
و ر
33 22
Après cet anatheme prononcé par l'Académie
, contre le grand appareil , & rapporté
dans fes faftes, je vous avouerai franchement
que je m'attendois à voir pratiquer
dans ce fameux hôpital , & furtout
entre les mains d'un Académicien , quelqu'une
des méthodes latérales , pour leſquelles
cette Académie s'eft décidée.
J'ai appris pendant mon féjour à Paris ,
que les Chirurgiens Majors de l'Hôpital
de la Charité Académiciens auffi ) ont
taillé encore cette année par le grand
apareil.
Vous m'avez objecté plufieurs fois , en
parlant des lithotomiftes de l'Hôtel - Dieu
qu'ils latéralifoient un peu leur grand appareil
par leur prétendu coup de maître,
Cependant l'attention fcrupuleufe que j'ai
porté à toutes leurs manoeuvres, m'a prou
vé que non feulement il n'en eft rien ,
mais encore qu'ils n'ont nullement appro
ché ,
, par ce coup de maître , de la glande
proftate. L'effort confidérable qu'ils ont
été obligés de faire chaque fois pour entrer
leur inftrument dans la veffie , m'en a entiérement
convaincu : d'ailleurs leur coupe
144 MERCURE DE FRANCE.
extérieure m'a fait juger , qu'ils ne pouvoient
atteindre le col de la veffie : ils ont
employé toutes leurs forces pour le franchir
, & dilater la proftrate avec le doigt
conduit fur le conducteur. Malgré cet effort
dangereux , M. Gilles n'a pu introduire
la tenette dans la veffie à ſon premier
malade. Comme fa tête conduifoit fes
inftrumens , il s'apperçut qu'il alloit faire
faire une fauffe route , il quitta ſa tenette,
prit fon conducteur femelle , & l'introduifit
dans la veffie à la faveur du conducteur
mâle , qui y étoit déja , & à l'aide de
ces deux inftrumens , il pouffa fa tenette
avec tant d'effort , qu'il parvint enfin dans
la veffie . Il chargea promptement la pierre
; mais fa groffeur (de laquelle on pouvoit
aifément juger par l'écartement des branches
de la tenette , & qui ne paroiffoit être
médiocre ) lui oppoſa tant de reſiſtance
, qu'il ne put la vaincre ; ce qui l'obligea
à demander fon lithotome à ceux qui
l'affiftoient , pour faire fans doute un debridement
capable d'en faciliter l'extraction.
On lui refufa , en lui difant que cela
n'étoit point néceffaire. Nonobftant ce refus
, & le défaut effentiel de dilatation ,
il chargea plufieurs fois la ' pierre : mais .
fes forces , jointes à celles de M. Detrufy,
furent épuisées , & infuffifantes , puif
qu'il
que
1
te
DECEMBRE . 1757. 145
qu'il fallut laiffer le corps étranger dans la
veffie , comme je vous l'ai dit plus haut.
Il eſt malheureux pour M. Gilles qu'on
n'ait pas voulu , malgré les inftances , lui
accorder fon lithotome. La prolongation
qu'il vouloit faire de l'incifion , lui auroit
indubitablement facilité l'extraction de la
pierre ; en même temps il eût évité les
tiraillemens & les fouffrances affreufes
qu'il occafionna , & qui conduifent prefque
toujours les malades à la mort.
Je viens d'apprendre que le malade a été
remis fur la table , & qu'on a répété la même
manoeuvre , plus de huit jours après ,
fans autre fuccès , que celui d'en emporter
un petit morceau , & qu'il eft enfin mort
quelque jours après , avec le refte de la
pierre. L'oftention de cette pierre à tous les
Chirurgiens de l'Hôtel - Dieu , qui avoient
été préfens à l'opération , auroit fans doute
fait connoître que la groffeur de fon volume
avoit eu autant de part à la difficulté de
fon extraction que le défaut d'incifion fufffante
, annexé au grand appareil : mais on
m'a affuré de très-bonne part , qu'on y
avoit manqué , quoiqu'on eût ouvert fon
cadavre. Cette omiſſion fuppofée veritable,
ne deviendroit-elle pas une preuve fans
replique de la médiocrité du volume de ce
Corps étranger.
146 MERCURE DE FRANCE.
Je crois ne vous rien avancer de trop ;
Monfieur , quand je vous dis que la pierre
reftée dans la veffie , étoit d'un volume
moyen je puis vous affurer avoir taillé
plufieurs malades avec l'excellent lithotome
caché du Frere Côfme ; & quoique
l'écartement des branches de la tenette me
fit eftimer fort fouvent des pierres plus
groffes que celle - là ne le paroiffoit , je les ai
toujours extraites avec une grande facilité.
Cette vérité ne fçauroit m'être conteſtée
parce que je n'ai jamais opéré qu'en préfence
des plus grands maîtres qui fe ſont
trouvés à portée des différens endroits où jai
taillé. Ces malades n'ont eu aucun accident
, & font tous parfaitement guéris.
Je finis ma lettre par un trait qui devroit
fervir de modele à tous les grands hommes
pour le bien de l'humanité.
M. Boullard , fameux Chirurgien à
Caën , & éleve de l'Hôtel - Dieu de Paris ,
tailloit dans la Baffe Normandie , par le
grand appareil. Malgré fes fuccès , il redoutoit
tous les défauts de cette méthode .
Il vit tailler avec le lithotome caché du
Frere Côme. La facilité de faifir les pierres
, & d'en faire l'extraction , quoique
groffes , jointe à la préciſion & à l'inva
riabilité de l'inciſion , lui firent fur le
champ abandonner le grand appareil , pour
DECEMBRE. 1757. 147
ne plus fe fervir que du lithotome caché.
On lui adreffa en 1753 , le nommé Etien-
Mariguy , 1 boureur du village d'Angerny
, âgé de 26 à 27 ans comme il n'avoit
pas fait avec cet inftrument pour lors
affez d'expériences fur le cadavre pour fe
mettre au fait du manuel , il me preffa de
le tailler en fa préfence : je lui tirai , avec
beaucoup d'aifance , une pierre affurément
plus groffe que celle qu'on n'a pu arracher
à l'Hôtel- Dieu de Paris . Dix jours après ,
en allant faire d'autres tailles dans ce canton
avec MM. Aubert & Mingot , Maîtres
en Chirurgie à Caën , nous vîmes le malade
qui fe promenoit dans fon jardin , parfaitement
guéri .
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Halberstadt.
SÉANCE
PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences.
Le Samedi 12 Novembre , cette Compagnie
tint fa féance publique d'après les
vacances , M. de Séchelles , ancien Contrôleur
Général des finances y préſida .
Plufieurs mémoires y furent lus . Le premier
fur les moyens de mefurer la lumiere,
avec des applications de quelques uns de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ces moyens , par M. Bouguer. ( Nous
en donnerons l'extrait dans le Mercure
prochain ) . Le fecond mémoire fur les
variations apparentes dans l'inclinaifon
du plan de l'orbite du cinquieme fatellite
de Saturne , & fur les lin.ites des athmofpheres
, par M. le Monnier, Le troifieme
fur la comete qui a paru au mois de Septerabre
dernier , par le Pere Pingré, Le
quatrieme fur la tranfmutation des acides,
& fur leur identité fondamentale , par M.
de la Sone, Le cinquieme & dernier mémoire
contenoit des obfervations géograph.
ques & phyfiques , où l'on donne une
idée des terres auftrales , & de leur mer
glaciale , par M. Buache.
AVIS aux Soufcripteurs de l'Encyclopédie ,
1757.
Les Avertiſſemens qui fe trouvent au
commencement de plufieurs volumes de
l'Encyclopédie , ont informé le Public des
augmentations dont elle a été enrichie par
un grand nombre de Gens de Lettres .L'intérêt
qu'ils ont bien voulu prendre à une
entreprife qui fait honneur à la Nation ,
a néceffairement procuré une plus grande
étendue à l'ouvrage , en même temps qu'il
DECEMBRE. 1757: 149 .
contribué à fa perfection . C'est ce qui
nous met dans la néceffité de prévenit
MM. les Soufcripteurs , que cet ouvrage
contiendra plus de volumes que nous n'en
avonsannoncé par le projet de foufcription.
Nous le faifons avecd'autant plus de confiance
, que le public nous a paru le rece
voir avec fatisfaction . Cependant nous ne
pouvons rien ftatuer fur le nombre de's
volumes ; mais nous pouvons affurer
qu'il en reſte moins à paroître que nous
n'en avons publié.
La matière des Arts en particulier , cette
partie fi intéreffante & fi précieufe , s'eſt
tellement enrichie, qu'au lieu de 600 planches
que nous avons d'abord annoncés ,
nous en aurons mille que nous diftribuerons
en quatre volumes de 2 so planches
chacun , fans compter leur explication.
Quoique le prix du papier , de l'impreffion
, & de la gravure , foit aujourd'hui
beaucoup plus haut qu'il ne l'étoit , forf
que nous avons publié le projet de foufcription
au mois d'octobre 1750 ,nous nous
fommes cependant fait une loi de fuivre à
la rigueur les conditions qu'il contient ,
pour le cas où l'ouvrage auroit plus de volumes
que nous n'en annoncions .
Pour cet effet nous évaluons les 400
planches furnuméraires fur le pied des Goo
Giij
Jo
MERCURE DE FRANCE.
reiros , & nous répandons une partie
u prix de ces 400 planches fur les volunes
de difcou s qui fuivront le huitieme ;
omme nous avions porté une partie du
ix des 600 premieres planches fur les
air premiers volumes de difcours annon-
S.
Le prix fixé aux huit volumes de difurs
, & aux fix cens planches , faifant
dix volumes promis par le projet de
fcription , publié en Octobre 1750 ,
it de 280 liv. fçavoir , pour les huit
umes de difcours , à 18 liv. 144 liv.
r les fix cens planches 136 liv.
Les 400 planches nouvelles feront
ées au prorata des fix cens premieres ,
-à-dire 8o liv. & les nouveaux volude
difcours à 18 liv . Mais pour nous
Former à ce qui s'eſt déja fait , & afin
ivifer les paiemens en parties égales ,
continuerons de recevoir 24 liv. par
ue volume d'impreffion jufqu'à la fin
ouvrage ; & de chacun de ces paie-
, il en fera imputé fix liv. à valoir
s nouvelles planches : enforte qu'en
ant le dernier volume avec les figures,
ufcripteurs n'auront à payer que 18
our le volume d'impreffion , & le
- du prix des figures , ce qui fera
cile à régler,
de
DECEMBRI
Cet arrangement ne cha
des Soufcripteurs qui ne
qu'après le premier Juil
les foufcriptions étoient
quelsl'ouvrage revient a
fuivant l'avis publié 1
Juillet 1751 .
Les Soufcripteurs fon
venir avantfix mois aux
le
dernier coupon
fur lequel le huitieme
devoit leur être délivi
fourni une nouvelle
re
laquelle ils recevront
le
mes de difcours
& ceux
formément
aux engage
nons par le préfent avis
n'ont pas
pas fonferit , lep
conditions anciennes
en
feuille
, & au prora
gures à 86 liv.
A
l'occafion de
cett
nous
propofons
de fai
remédier à
l'inconvé
tions
égarées.
Pour
qu'il fe
pourra ,
nous
trouvent
dans ce cas
former
d'ici à
trois
nant
toutes
les
inftru
fujet ,
avec
leurs no
DECEMBRE . 1757. TSI
Cet arrangement ne change en rien le fort
des Soufcripteurs qui ne fe font préfentés
qu'après le premier Juillet 1751 , lorfque
les foufcriptions étoient fermées , & auxquels
l'ouvrage revient à 24 liv. de plus ,
fuivant l'avis publié ledit jour premier
Juillet 1751 .
Les Soufcripteurs font priés de faire parvenir
avant fix mois aux Libraires Affociés
le dernier coupon de leur foufcription ,
fur lequel le huitieme volume de difcours
devoit leur être délivré ; & il leur fera
fourni une nouvelle reconnoiffance , fur
laquelle ils recevront les nouveaux volu
més de difcours & ceux des planches , conformément
aux engagemens que nous prenons
par le préfent avis. Quant à ceux qui
n'ont pas ffoonnffeerriitt ,, le prix eft réglé par les
conditions anciennes à 25 liv. le volume
en feuille , & au prorata le volume de figures
à 86 liv.
A l'occafion de cette opération , nous
nous propofons de faire nos efforts pour
remédier à l'inconvénient des foufcriptions
égarées. Pour y parvenir , autant
qu'il fe pourra , nous prions ceux qui fe
trouvent dans ce cas de nous en faire informer
d'ici à trois mois , en nous donnant
toutes les inftructions poffibles à ce
fujet , avec leurs noms & demeures .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Et pour prévenir de pareils inconvé
niens dans ce nouvel arrangement , nous
prions MM. les Soufcripteurs de trouver
bon que nous ne leur délivrions les quirtances
nouvelles , qu'en nous faifant donner
leur nom , qui fera infcrit fur leur
quittance & fur nos regiftres , afin de les
foulager dans la recherche, s'il arrivoit en
core qu'il s'en perdît.
LES LIBRAIRES ASSOCIÉS A L'ENCYCLOPÉDIE.
A Paris , ce premier Novembre 1757.
1
f
P
DECEMBRE. 1757. 155
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
E
MUSIQUE.
PROSPECTUS.
Le goût du Public pour la mufique eft
devenu trop épuré & trop général , pour
ne pas s'empreffer de varier & de multiplier
fes amuſemens.
Le fieur de la Garde , Maître de Muftque,
en furvivance, des Enfans de France
Compofiteur de la Chambre de Sa Majeſté,
& Ordinaire de fa Mufique , qui a eu le
bonheur d'éprouver les bontés du Public
pour fes Duo & pour fes autres ouvrages ,
préfumeroit-il trop de fon zele & de fes
talens , s'il fe flattoir de mériter de nouveau
les mêmes fuffrages ? C'eft dans la
feule vue de plaire au Public qu'il' entre
prend de lui donner tous les mois , à com
mencer au mois de Janvier 1758 , un
Gyi
154 MERCURE DE FRANCE.
R.cueil de fa compofition , qu'il aura foin
de mêler de différens genres de mufique ,
comme Cantatilles avec fymphonie , Duo ,
Chanfons & Brunettes avec accompagnemens
de guitarre . Cet inftrument femble
fait pour la fociété , & pour les perſonnes
dont la voix eft douce & légere ; le
naturel qu'il exige , le fentiment qu'il exprime
, la facilité que l'on a de s'accompa
gner foi- même en font le charme : c'eft ce
qui a engagé particuliérement le fieur de la
Garde , à travailler les accompagnemens
de fes chanfons & de fes brunettes pour
guitarre. Il ne négligera rien pour que ce
Recueil foit agréable , tant du côté de la
mufique , que du côté des paroles .
la
Plufieurs perfonnes qui ne cultivent les
mufes que pour leur fimple délaffement ,
lui ont ouvert leurs porte- feuilles , charmés
de pouvoir concourir au fuccès de
fon projet : enfans de la gaieté , du plaifir &
du fentiment , leurs ouvrages font faits
pour être chantés. Le fieur de la Garde invite
donc tous ceux qui poffedent le talent
de compofer , foit à Paris , foit dans la
Province , de lui envoyer , à l'adreffe du
Mercure ci- après , leurs ouvrages ( francs
port ) . Il les recevra avec reconnoillan
ce , & nommera les Auteurs qui fouhaitede
Iont être nommés.
C
P
C
d.
D
ea
DECEMBRE. 1757. 155
La poéfie & la mufique font foeurs , &
quoiqu'elles puiffent marcher feules , leurs
charmes réunis font beaucoup plus piquans
, d'ailleurs c'eft un moyen für de
garantir , de tirer même de l'oubli quantité
de productions infpirées par les Graces &
par l'Amour , que de les recueillir pour les
offrir au Public , parées des agrémens du
chant.
Le prix de chaque Recueil fera de 3 liv
pour les perfonnes qui ne s'abonneront
point, & celles qui s'abonneront , ne paye
ront que 24 liv. d'avance pour douze Recueils
, à raifon de 40 fols piece , en s'adreffant
à M. Lutton , au Bureau du Mercure
, rue Sainte Anne , Butte Saint Roch.
On trouvera des Recueils détachés aux
adreffes ordinaires de Mufique. Le prix
pour les perfonnes de Province qui vou
droni faire venir ces Recueils par la pofte
fera de o liv. nets pour les douze affranchis
; celles qui auront d'autres voies pour
les faire venir , & qui fe chargeront des
porrs , ne payeront , comme à Paris , que
24 liv. pour douze Recueils; le tout en s'adreffint
audit fieur Lutton .
Nous croyons que l'Auteur d'Eglé & des
Dus que , tout le monde chante ,, eft-bien
en état de remplir le projet d'un Ouvrage
G
vj
156 MERCURE DE FRANCE.
périodique de Mufique , & de tenis tour
ce qu'il promettra au Public.
CEIX & Alcione , Cantatille nouvelle à
voix feule & fymphonie , dédiée à Madame
la Vicomteffe de Caftellane , compofée
par M. Legac de Turcy , Maître de Mufique
& de Clavecin. Prix 36 fols : aux
adreffes ordinaires de Mufique.
RECUEIL de pieces Françoiſes & Italiennes
, petits. Airs , Menuets , Brunettes ,
Vaudevilles , & c. avec des doubles & variations
, accommodés pour deux flûtes
traverfieres , violons , hautbois , ou pardeffus
de viole, par M. Mahaut. Prix 6 liv.
NOUVELLE méthode pour apprendre en
peu de temps la mufique & l'art de chanter,
avec un nombre de leçons dans plufieurs
genres , compofée par M. Denis . Seconde
edition revue & corrigée. Prix 7 liv .
Six. Trietti , pour flûte , violon & baffe,
compofés par Giafepe- S. Martini, Milanefe .
Prix 6 liv. Chez le Clerc , rue du Roule ,
à la Croix d'or.
SONATES à violon feul & baffe , par le
fieur Touly, premier Violon du Concert ,
DECEMBRE . 1757 197
de Moulins en Bourbonnois , élève du cé
lebre Tartini. OEuvre premier , dédié à
M. Chicoyneau , Baron de la Vallette ,
Confeiller du Roi , & l'un de fes Fermiers
Généraux. Gravé par Mademoiſelle Bertin,
avec privilege du Roi . Prix 6 liv.
On trouve ce livre chez le fieur Gavi
gniés , Maître Luthier , rae S. Thomas du
Louvre
, & aux adreffes ordinaires de
Mufique ..
SONATES à violon feul & baffe ,
par le
Leur Romain de Braffeur. OEuvre premier,
dédié à M. Gavigniés , gravé par Mademoifelle
Bertin , avec privilege du Roi..
Prix 6 liv. Chez le même , & aux adreſſes
ordinaires.
PROSPECTUS , où l'on propofe au Pu-
Blic , par voie de foufcription , un Code
de mufique - pratique , compofé de fept
Méthodes , par M. Rameau.
L'étendue de ce Profpectus & le peu
d'efpace qui nous refte , ne nous permettent
pas de l'inférer ici dans fon entier ,.
comme nous l'aurions vivement defiré ,
perfuadés que tout ce qui vient de ce
grand homme fur cette partie , doit être
précieux & confacré dans les archives des
beaux Arts : nous fommes forcés , malgré
158 MERCURE DE FRANCE.
nous , de nous borner à une fimple annon
ce , & d'avertir feulement le Public amateur
, que le Code de Mufique- pratique
compofé de fept Méthodes , formera deux
volumes in 4° , dont un imprimé en beau
caractere & fur beau papier , l'autre gravé
& imprimé fur papier pareil à celui
des Opera . Le prix des deux volumes fera ,
pour les Soufcripteurs , de 24 livres , & de
30 liv. pour ceux qui n'auront pas fouferit.
Les exemplaires feront livrés aux Soufcripteurs
à la Saint Martin 1758 .
Quoique cette entrepriſe foit de nature
à exiger beaucoup de dépenfe , on ne demande
aucune avance de la part des Soufcripteurs
; ils auront feulement la bonté
d'envoyer, ou chez l'Auteur , rue des Bons-
Enfans , près le Palais royal , ou chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , leur
foufcription , fuivant la formule ci- après ,
avec leur adreffe exactement écrite.
Je promets payer la fomme de vingtquatre
livres pour un exemplaire du Code
de Mufique pratique , par M. Rameau ,
pour lequel j'ai fouferit , & ce , en remettant
ledit exemplaire.
·
DECEMBRE. 1757. 199
PEINTURE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSTEUR , ONSIEUR , qu'il eft fatisfaifant d'aimer
les beaux arts ! Ils font la gloire &
l'ornement des Etats : mais qu'il eft heureux
en même-temps de trouver d'habiles
Artiftes verfés dans l'Hiftoire , foit facrée
, foit profane ! Studieux imitateurs
des célebres Ecrivains qui tranfmettent à
la poftérité les événemens finguliers des
différens fiecles , plus ils s'efforcent de les
copier , d'en approcher , de les furpaſſer
même , plus ils charment les yeux des Connoiffeurs
qui rendent juftice à leur capacité.
Il eft donc de leur intérêt , & on leur
eft redevable de contenter le Public naturellement
curieux , amateur , & avide du
fimple , de l'élégant , du fublime .
C'est ce qu'il voit actuellement , ce qui
le frappe , ce qu'il admire dans l'Eglife
des Auguftins réformés , établis à Paris
près la place des Victoires , Eglife fondée
par
le Roi Louis XIII , furnommé le Jufte,
fous l'invocation de Notre - Dame des Victoires.
160 MERCURE DE FRANCE.
En conféquence de fon voeu pour lโaร
prife de la Rochelle , cet augufte Monarque
en pofa lui-même la premiere pierre
avec grande célébrité le 1r Décembre
1629. Pat fes lettres patentes Sa Majesté
fe déclara Fondateur de leur Couvent ,
accorda des armes vraiment royales à leur
Congrégation & à leurs trois Provinces ,
avec permiffion d'en établir pour leurs différens
Couvens , écartelant fuivant les regles
du blazon , & en outre de magnifiques
privileges par forme d'aumônes .
Faute de fonds , parce qu'ils font pauvres
& mandians , leur Eglife refta imparfaite
jufqu'au mois de Juillet 1736, qu'elle
menaça ruine en quelques endroits . La
néceffité de la rétablir les rendit hardis. Ils
s'affemblerent donc , & conclurent , non
de la rétablir imparfaite , mais de la finir
en entier. Ce fut du confentement des Magiftrats
& de la Cour , qui leur accorda la
permiffion d'emprunter.
On mit la main à l'oeuvre : on emprunta
, le temps fut favorable. Il n'y avoir
point de guerre. Ils choifirent pour Archirecte
le célebre M. Carto. On commença
de bâtir ; leurs foins pendant quatre ans
la conduifirent à fa perfection. M. l'Evêque
de Joppé , Hyacinthe le Blanc , y pofa
une nouvelle premiere pierre avec folem
C
d
&
au
A
DECEMBRE .
1757.
161
hité.
Lorfqu'elle fut élevée telle qu'elle eft
aujourd'hui , le même Prélat la dédia fo
lemnellement le 13
Novembre 1740 .
L'Eglife ornée de bafes , de
pilaftres
d'architraves , de corniches , & d'arcs doubleaux
, étoit décorée d'une Orgue magnifique
au bas de la nef ; mais le choeur ne
répondoit point à cette
décoration . Il étoit
abſolument nu , faute de pilaftres & d'arcs
doubleaux ; défaut effentiel à la
perfection
de
l'édifice ,
d'ailleurs affez
complet &
gracieux.
Quelques années écoulées , pour y remédier
on choifit M. Carlo Wanloo ,
commençoit à avoir de la
réputation par
qui
fon titre de Peintre du Roi , & l'on réfolut,
pour le garnir , d'y mettre fept tableaux,
non de l'hiſtoire fainte , mais de l'hiftoire
eccléfiaftique .
Voici en ftyle
lapidaire la
defcription
des fept tableaux pofés dans notre choeur
& dans l'ordre où M. Carlo Wanloo les
a faits de fa propre main , fans aucun
autre aide.
D. O. M.
Perennique memória
Quas
Ab Ann. M. DCCXLV. ad. Ann , M. DCCLV.
Tabulas
162 MERCURE DE FRANCE.
A
Carlo Wanloo
Pictas
Votum Lud. XIII . Franc. Regis
&
Divi Auguftini Hipponenfis Epifcopi
Deceffum :
Tranflationem :
Confecrationem :
Cum Donatiftis Congreffum :
Prædicationes :
Baptifmum :
Quam infupèr
Marmoream ejufdem ftatuam
A
Joanne Baptiftâ Pigalle ,
Parifino ,
Sculptum ,
ann. 1794.
In decorem Templi fummi Dei vivi
Erexit , dedicavit , perficiendafque
Curavit
Amicorum munificentiâ ,
R. P. Felix à St. Domitillâ
Olim
Hujufce Parifienfis domûs Prior
F. Felix.
C
C
DECEMBRE . 1757. 163
Le premier repréfente le voeu du Roi
Louis XIII , lors de la prife de la Rochelle.
Les fix autres expofent les fix
principaux événemens de la vie de S. Auguftin
, Evêque d'Hipponne. On commença
par le ford du coeur pour fatisfaireles
yeux du Public entrant dans l'Eglife ,
fçavoir , la prife de la Rochelle , la mort
du Saint , la tranflation de fes Reliques ,
fon ordination à l'épifcopat , fes conférences
contre les hérétiques , fes predications
& fon baptême : tei eft l'ordre dans
lequel ils furent faits & pofés par M. Wanloo
lui-même.
Rien négale la compofition , le deffein ,
le pinceau de cet homme célebre. Ces fept
tableaux originaux abfolument de lui feuk
( je les lui ai vus travailler ) , font parfaitement
remplis. De quelque côté qu'on les
regarde , l'oeil eft entiérement fatisfait ,
parce qu'il n'y trouve aucun vuide.Dans les
quatre derniers il s'eft furpaffé par le brillant
du coloris , au lieu que celui des trois
premiers eft trop gris , trop brun , trop
fombre , & les figures trop coloffales . Le
Public en porte pareil jugement. M. Wanloo
lui-même avoue qu'ils l'oppriment ,
& l'accabient. A quoi l'on peut ajouter
qu'il s'eft poignardé par fon propre pinceau.
164 MERCURE DE FRANCE.
Quant à la ftatue de marbre blanc de
Genes fans aucune tache , repréſentant le
même S. Auguftin , pofée à la chapelle de
la croisée en entrant à gauche , faite par
Jean- Baptifte Pigalle , Sculpteur du Roi ,
il eft inutile de répéter ici ce qu'on en a
écrit dans le Mercure de 1754-
Il fuffit de dire , que les deux célebres
maîtres fe font furpaffés pour embellir le
temple du Seigneur , fallon continuellement
ouvert aux étrangers , & aux coerieux
qui y abondent de toutes parts pour
admirer leurs ouvrages.
La générofité , les préfens , ou plutôt
les aumônes de plufieurs particuliers , gens
aifés , pieux , chrétiens , mes amis , leur
ont donné l'être pour la gloire du Dieu vivant
, & pour la décoration de fon augufte
temple depuis 1745 jufqu'en 17ƒƒ«
Il y a deux ans , Monfieur , que je bafance
à compofer cette lettre : je ne cherche
pas ma propre gloire ; l'efpoir que
quelqu'un feroit affez charitable pour vous
en écrire , a fufpendu fa compofition &
fort envoi pour l'inférer dans votre Mercure.
Il est temps , à ce que je crois , dy
pourvoir pour l'inftruction des étrangers,
& la fatisfaction de ceux qui y ont contribué.
Si vous la jugez digne d'y trouver
place , vous obligerez infiniment celdi
DECEMBRE. 1757. 165
qui eft très - parfaitement , Monfieur
Votre , & c.
F. FELIX , de Sainte Domitille , ancien
Prieur des Auguftins réformés , de la
place des Victoires,
Paris , le 21 Août 1757.
A M. DE BOISSr.
MONSIEUR , dans une lettre
à M.
Carle
- Vanloo
, imprimée
dans
le Mercure
, M. Touffaint
s'eft expliqué
fur l'Auteur
de la critique
inférée
dans fon Journal
, d'une
maniere
indécife
, & qui femble
indiquer
qu'il croit que cette piece injurieufe
à M. Vanloo
, vient de quelqu'un
de fes confreres
(1 ) ; c'est-à-dire d'un Ar
tifte de l'Académie
. Difficilement
fe perfuadera
- t'on qu'il en ignore
affez l'Auteur
pour
tomber
dans
cette
méprife
; mais
comme
il eft certain
qu'il eft engagé
d'hon-
(1 ) Pour jetter quelque intérêt dans mon Journal
, j'avois prié quelques- uns de Meffieurs vos
Confreres de m'efquiffer une expofition raiſonnée
des tableaux du fallon : je ne quêtai pas une critique
. Quoi qu'il en foit , chacun s'en défendit , &
ne me promit rien : mais à quelques jours de-là ,
lorfque je ne m'y attendois plus.... il m'arriva
un paquet cacheté contenant la lettre en question,
Lettre de M. Touffaint à M. Carls-Vanloo
165 MERCURE DE FRANCE.
neur à le céler , tout ce que l'on a droit
d'exiger de lui , c'est qu'il ne donne point
lieu à des foupçons dont il doit connoître
la fauffeté. Il eft vrai que M. Touffaint a
fait demander à des perfonnes de l'Acadé
mie une expofition raifonnée des tableaur
du fallon ; il eft pareillement vrai qu'il ne
quetoit point une critique : mais il eft vrai
auffi ( ce qu'il ne dit pas ) qu'il a fait la
même demande à des Artiftes qui ne font
pas de l'Académie.
Egalement engagé par les loix de l'honneur
, quoique dans des circonftances différentes
, à ne point dire qui c'eft , je crois
dans cette occafion devoir dire qui ce n'e
pas , & j'affirme que cet écrit ne part en
aucune maniere d'aucun des membres de
l'Académie . Je fuis , & c.
Ce 4 Novembre 1757 .
COCHIN .
'
DECEMBRE. 1757. 167
GRAVURE.
PROJET de foufcription pour l'augmen
tation de lagravure des tableaux du cabinet
du Roi , qui n'ont pas encore été gravés,
fous les ordres de M. le Marquis dé
Marigny.
Le fieur Feffard , Graveur du Roi & de
la bibliotheque , annonce aux Soufcripteurs
de la chapelle des enfans trouvés de
Paris ,
ainfi qu'aux Amateurs & à ceux
qui ont le commencement de ces gravures
, qu'il va commencer le grand projet
qu'il médite depuis longtemps , de continuer
la collection des planches gravées du
cabinet du Roi , d'après les tableaux qui
ne l'ont pas encore été . Sa Majesté qui fe
plaît à faire fleurir les arts dans fon royaume
, lui a fait donner fes ordres pour la
retenue des premiers cinquante exemplaires.
L'Artifte animé du défir de plaire aux
yeux de fon Prince , efpere trouver des
forces qu'il ne s'eft jamais connues.
La fatisfaction que les Soufcripteurs lui
ont marqué à chaque livraifon de la gravure
de la chapelle des enfans trouvés , dont il
168 MERCURE DE FRANCE:
doit délivrer la derniere générale dans le
courant de 1758, jointe à la grace que le Roi
lui a accordée , l'encourage à fuivre ce grand
projet mais ce qui l'a déterminé , font
d'habiles éleves qu'il a formés pour l'aider,
& qui feront en état , au cas qu'il lui arrive
quelque accident , foit par maladie
ou autrement , de le continuer avec fuccés,
Cette entrepriſe demandant qu'il renonce
à tout autre engagement avec des particuliers
, & exigeant beaucoup de dépenfes
il n'a pu fe difpenfer de recourir à la voie
de la foufcription , d'autant mieux que
l'Artiste plus occupé de fon avancement
dans fon art , que de ſon intérêt , a beſoin
d'être fecondé. Il commencera cette entreprife
par fix grandes planches de 30 pouces
de hauteur , & d'une longueur proportionnée
, dont deux feront pour la Flore du
Pouffin , & la noce Flamande de Rubens ,
qui ont été expofées au Palais du Luxembourg
, & les quatre autres pour l'Apothéofe
d'Hercule , qui eft dans le premier
fallon de Verfailles , entrant par la chapelle
, grandeur à laquelle il s'eft fixé , afin
de pouvoir rendre avec plus d'exactitude
tous les détails de ce riche morceau qu'il
fuffit de nommer pour faire l'éloge de feu
M. le Moine , premier Peintre du Roi ;
DECEMBRE. 1757 . 169
ce qui fera fuivi pour la fuite de l'ouvrage
, & lorfqu'il fe trouvera des planches
plus petites , il en fera mis deux fur la
même feuille, ainfi que toute la fuite , pour
que l'on puiffe relier uniformément.
Conditions.
Il n'y aura que 500 foufcriptions , &
deux cens au deffus : les planches , après les
700 exemplaires tirés , feront déposés au
cabinet du Roi , & le prix de deux cens
au deffus des 500 Soufcriptions fera au
moins du tiers , ne lui reftant que ces deux
cens pour fon bénéfice.
Le prix de chaque Soufcription pour
les fix premieres eftampes fera de 54 liv.
en quatre paiemens , dont le premier fera
de 30 liv. ( à caufe des grandes dépenfes
quil eft obligé de faire en commençant) en
prenant la reconnoiffance de foufcription
au 14 Novembre de la prefente année
1757 , jufques & compris au 14 Mai
1758 , & trois mois par delà pour le pays
étranger : le deuxieme paiement de 8 liv.
en recevant la noce Flamande de Rubens ,
au mois de Decembre 1758. Le troiſieme
paiement de 8 liv. en recevant la Flore du
Pouffin au mois de Decembre 1759. Le
quatrieme & dernier paiement de 8 liv . en
recevant les quatre de l'Apotheofe d'Her
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cule au mois de Decembre 1760 ( 1).
On a commencé à foufcrire , comme il
eſt dit , au 14 du mois de Novembre 1757,
chez M. Bulder Marchand d'eftampes , rue
de Gêvres ; & chez M. Feffard , 'Graveur
du Roi & de fa bibliotheque , rue Saint
Thomas du Louvre , & à la bibliotheque
du Roi , rue de Richelieu , où l'on pourra
voir le progrès de l'ouvrage , les mardis
& vendredis de chaque femaine , à commencer
au mois de Février prochain.
Cela une fois établi , l'on ne fera plus
tenu de faire d'avance : l'on ne payera
qu'en recevant les eftampes , à meſure
qu'elles paroîtront , dont le prix fera proportionné
aux fix premieres , & aux dépenfes
qu'elles occafionneront , tant pour
les Soufcripteurs , que pour ceux qui n'au
ront pas
foufcrit.
Venus fur les eaux , nouvelle eftampe ;
gravée d'après le deffein original de M.
Bouchardon , Sculpteur du Roi , par
L. L. D. & terminé au burin par Auguftede
Saint Aubin 1757. Elle fe vend , chez
le fieur Feffard , dont nous venons d'indiquer
l'adreffe . Vers la fin de ce mois , le
même Graveur donnera la Fontaine de
(1 ) Si les fouferiptions rentrent promptement,
il fera fon poffible pour accélérer l'Ouvrage.
DECEMBRE. 1757. 171
Grenelle , de M. de Bouchardon , en quatre
planches.
L'Aveugle dupé , gravé par M. Cars ,
d'après le tableau de M. Greufe , expofé
cette année au fallon . Le burin n'a rien fair
perdre au pinceau . Cet habile Graveur a
l'art auffi rare qu'eftimable, de varier fi bien
fes travaux , & de faifir fi parfaitement la
maniere de chaque différent Peintre qu'il
traduit , qu'on croiroit que chacune de
fes gravures , eft l'ouvrage d'une main différente
; mais toujours d'une main de
maître. Cette jolie eftampe fe trouve chez
l'Auteur , rue Saint Jacques , vis - à- vis le
College du Pleffis.
La Devidenfe & le Deffinateur , l'une &
l'autre gravés par le fieur Flipart , d'après
M. Chardin. Ces deux nouvelles eftampes
qui méritent des éloges , fe vendent , chez
M. Cars.
NOUVELLE Eglife de Sainte Géneviève .
On vient de mettre au jour fix Eftampes
qui repréfentent les plans , élevations ,
coupes , profils , & vue perpective de la
nouvelle Eglife de Sainte Géneviève de
Paris , fuivant le dernier projet préſenté
au Roi par M. le Marquis de Marigny. Ce
Temple eft de l'invention & du deffein.de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
M. Souflot. Ces Estampes fe trouvent chez
M. Bellicard Inspecteur des Bâtimens du
Roi , au Palais du Luxembourg,
TABLEAUX généalogiques , hiftoriques
& chronologiques des maifons fouveraines
de l'Europe , & premiérement de la
maifon de France. Propofés par foufcription
.
Ces Tableaux font divifés en planches ,
d'égale hauteur & largeur , au moyen de
quoi ils peuvent fe ployer facilement , de
maniere à être portatifs , fans embarras ;
être inférés dans un grand in - 4° . ou un
petit in folio , ou être réunis enſemble pour
ne former qu'un feul tableau.
Comme beaucoup de perfonnes ne fe
livrent point affez à l'étude de l'hiftoire ,
ou par diffipation volontaire , ou parce
qu'elles en font détournées par les affaires
domestiques , l'on a lieu de croire que les
tableaux généalogiques leur procureront
l'avantage de connoître , de diftinguer ,
& par conféquent de retenir plus aifément
les degrés de générations des Princes qui
compofent les Maifons Souveraines de
l'Europe , & fingulierement celle de
France.
Malgré les foins qu'on s'eft donné pour
rendre ces tableaux corrects ? on n'ofe
DÉCEMBRE . 1757 : 173
Cependant affurer qu'il ne s'y foit gliffé
quelque fautes : ainfi l'on aura une véri
table obligation à ceux qui voudront bien.
les faire connoître ( Port franc ) par la
voie du Libraire chargé de la vente de ces
tableaux , ou par celles des Journaux , ou
autres ouvrages littéraires .
Les Ecuffons de différentes formes , les
abréviations dont on fait ufage , & quelques
obfervations nouvelles propofées dans
l'avertiffement qui paroîtra avec les premiers
tableaux Généalogiques , détermineront
fans doute les curieux à en faire
l'acquifition .
Les planches feront au nombre de onze.
Le prix de chacune fera de trente fols ,
pour les Soufcrivans , & de quarante fols ,
pour ceux qui n'auront pas foufcrit .
Il fera payé en foufcrivant fix livres d'a
vance ; fix livres lors de la livraifon des
deux premieres planches , & de l'avertiſſement
, & quatre livres dix fols lors de la
diftribution de la troifieme planche , aut
moyen de quoi les fept autres planches feront
délivrées gratis fucceffivement.
L'Auteur donnera dans le mois de Dé
cembre 1757 , avec Favertiffement , les
deux premieres planches , qui contiennent
les Princes de la premiere race ; & les autres
huit planches , qui contiendront toutes
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
les branches de la feconde & troisieme race ,
fe donneront enfuite deux à deux , de deux
mois en deux mois.
On avertira le Public lorfque les planches
des autres Maifons Souveraines paroitront
.
Les foufcriptions fe délivrent à Paris ,
chez Laurent - Charles d'Houry , feul Imprimeur-
Libraire de Monfeigneur le Duc
d'Orléans , rue de la Vieille Bouclerie.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
RIEN n'eft plus propre à contribuer aux
progrès des Peintres , que les difcours qui
fe prononcent de temps en temps dans les
affemblées de l'Académie de Peinture , fur
les principes & les fineffes de ce bel Art.
Comment un fi bel exemple n'eft - il pas
fuivi pour l'architecture ?
La peinture imite : elle a dans l'imitation
des principes certains.
La mufique qui n'imite que de loin , parle
à un organe fi jufte , qu'il en résulte
pour elle la même certitude . Il n'y a pas à
douter fur un ton jufte ou fur un ton faux.
DECEMBRE. 1757. 175
Il n'en eft pas de même de l'architec
ture.
Quelque néceffaire , quelque exercé que
foit cet art , & malgré tant de chefs - d'oeuvres
qu'il a produits , on ne lui connoît
point de modele primitif dans la nature.
Il ne doit point y entrouver.
n'étoit né
L'homme créé dans l'état d'innocence ,
habiter fous un toit. pas pour
Sa dégradation volontaire la affujetti à
Finclémence du ciel , à l'intempérie des
faifons , & la dure néceffité lui a fait inventer
l'art de bâtir . Les maux de l'homme,
origine de l'architecture.
1
Les feuls principes néceffaires de cet
art , font donc l'utilité , la folidité ; & depuis
que la molleffe a gagné l'homme , la
commodité.
Le luxe , plus impérieux que la molleffe ,
a demandé des ornemens , & a mis par- là la
bienséance en droit de les exiger. Ici non
feulement la nature , mais la néceffité nous
manque : Où chercher des principes ?
Les plus célebres Artiftes fe font efforcés
d'y fuppléer. Les uns ont fait confiſter
l'art des ornemens dans l'emploi fimple ,
mais agréable des parties effentielles . Les
autres , fans s'écarter abfolument de cette
regle , ont cherché dans la cabane du premier
homme & dans l'afyle de fa mifere ,
Hiv
77 MERCURE DE FRANCE.
le modele des plus riches palais : principe
humiliant , mais principe étendu & fécond
, d'où le génie a fçu tirer des inductions
fublimes .
Mais quelques regles primordiales qu'on
ait voulu établir , aucune n'a fubfifté fans
contradiction : combien les autres qui ne
font que des conféquences ont- elles dû en
effuyer !
Les Grecs ont inventé pluſieurs ordres
d'architecture , qu'on admire encore aujourd'hui.
Ils admiroient eux- mêmes la
fimplicité , la nobleffe , & la grandeur des
bâtimens de l'Egypte & de Babylone ; édi
fices immenfes dont nous ne parlons qu'avec
étonnement. Nous imitons encore
leurs fphinx , leurs obélifques. A cela près,
& malgré tant d'éloges , il n'eft plus quefzien
de chercher dans leurs ruines des regles
ou des modeles.
Le Tabernacle des Hébreux fut conftruit
fous la direction de Dieu même. Salomon
fit élever depuis un Temple , qui épuisa
l'admiration de tout l'univers . Les dimenfions
de ces deux merveilles , leurs propor
tions , leurs ornemens , l'ordre de leurs colonnes
( le premier objet de la grande architecture
) font confignés en détail dans
les livres faints. Toutes les hiftoires en
retentiffent. Les livres de nos Architectes
font les feuls qui n'en parlent pas.
DECEMBRE. 1757. 179
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
SPECTACLE D'ALCESTE.
«L'article qu'on va lire nous a été en-
"voyé comme il eft d'un homme inftruit
» dans cette partie , nous l'inférons ici tel
qu'il nous eft parvenu , fans rien changer
» au fonds ni même au ftyle. »
"3
L'ACADÉMIE royale de Mufique , en remettant
l'Opera d'Alceste ( 1 ) à Paris , conformément
à l'ingénieufe magnificence
avec laquelle il fut repréfenté devant le
Roi à Fontainebleau en 1754 , vient de
nous faire voir combien le théâtre lyrique
depuis fon établiffement étoit encore loin ,
je ne dis pas de la perfection , mais même
de la bienféance théâtrale , quant à ce qui
regarde l'ordre & les vraisemblances d'un
fpectacle.
( 1 ) Elle a remis cet Opera le Mardi 15 Noyembre.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE:
Ici tout eft grand , tout eft pompeux ,
& , ce que l'on ne peut trop louer , prefque
tout eft dans l'exactitude du coftume. Les
panniers mêmes des femmes , ce ridicule
& cher ornement du beau fexe de notre
fiecle , font relégués aux grandes Actrices
- & aux Danfeufes , les dernieres fans doute
qui renonceront à cette mode bizarre.
Cette charmante claffe d'êtres eft douée
de trop de graces pour qu'il n'en coûte
pas quelque chofe à la raifon.
De tous les chef- d'oeuvres que nous one
Jaiffés les Créateurs de l'Opera François ,
Alceffe eft le drame qui paroît le plus réguliérement
coupé fur les grands fpectacles
des Grecs , où ils admettoient toutes
les actions , toutes les pompes acceffoires
qui pouvoient concourir à l'énergie du
fujet , & à l'intérêt principal de la piece.
Mais foibles copistes jufqu'à préfent de
ces fuperbes fpectacles de l'antiquité , on
s'étoit contenté d'en indiquer les plus gros
traits , & , pour ainfi dire , par des chiffres
ou des lignes bizarres de convention , on
réduifoit dans une petite & miſérable
image ces fameux tableaux animés , qui
émouvoient les peuples les plus célebres
de l'antiquité , & pour lefquels nous confervons
encore tant de vénération. C'eft
de ce vil état d'ignorance & d'engourdif
DECEMBRE . 1757. 185
fement dont on a ofé fortir depuis quelques
années , pour offrir aux yeux de la
Cour de France des fpectacles dignes de
ceux auxquels ils étoient deftinés. Des
gens de Lettres , éclairés d'ailleurs fur les
Arts , fe chargerent alors de ce qui étoit
abandonné au goût aveugle des Artifans
de théâtre.
Le Souverain daigna regarder un mo
ment les talens agréables : ce moment fuffit
pour les éclairer , & pour les élever au
plus haut degré où puiffent les porter les
fecours du goût muni des connoiffances
que donne l'étude de tous les Arts .
Voilà ce que les nouveaux Directeurs
de l'Opera ont eu l'ambition d'imiter. Ils
ne pouvoient mieux commencer que par
Alcefte. Le pathétique du fujet eft foutenu
de tout ce que l'antiquité peut fournir de
fpectacles curieux ; tout l'univers s'y vient
peindre en détail ſur la ſcene.
Le premier acte préfente la mer & fes
Divinités . Thétis fouleve les flots ; par une
intérêt oppofé , Eole en perfonne réprime
les aquilons ; ils combattent , ils cédent
aux Zéphyrs. La mer & les airs fourniſſent
aux fpectateurs des ſcenes animées.
Le fecond acte va au- delà des preftiges
ordinaires du théâtre. Ce n'eft plus illufion
, c'eſt la réalité d'un fiege & des com
182 MERCURE DE FRANCE.
bats exactement conformes à l'art militaire
des anciens : non feulement les habillemens
& les armes , exécutés fcrupuleufement
d'après les monumens antiques , mais
les évolutions , les marches , la phalange
macédonienne , les différentes formes que
les anciens donnoient à leurs bataillons ,
les divers moyens d'attaque & de défenſe
des places , l'ordre & le courage de ces
guerriers dans les mêléos qu'occafionnent
les forties ; tout , en un mot , réaliſe au
fpectateur les idées que nous ont imprimées
les Hiftoriens & les Auteurs qui ont
traité de la taclique des anciens. Ce qui
doit paroître miraculeux , eft l'ordre & la
netteté du tableau dans un efpace aufli
refferré , où plus de cent quarante foldats ,
en manoeuvrant tous enfemble , loin de
fermer cet efpace aux yeux du fpectateur
, femblent le prolonger au triple de
fon étendue réelle . Ce prodige eft dû aux
foins ingénieux d'un ancien Acteur * , qui
avoit déja prouvé ſi ſouvent par lui-même
l'ufage avantageux que l'on peut faire du
plus petit efpace pour y rendre les plus
belles actions , & pour y former les tableaux
de la plus grande ordonnance .
Au troifieme acte , l'ame déja fi tendrement
émue par le péril d'Admete ,
M. de Chaffé.
DECEMBRE . 1757. 183
étonnée & ravie douloureufement par la
mort généreufe d'Alcefte , eft déchirée
par le fpectacle de fa pompe funebre.
Les plaintes exprimées fi fenfiblement
par le chant des choeurs , concourent à
pénétrer tous les fens de l'impreſſion la
plus touchante . En vain les froids amareurs
de mufique en reclameront ici les
combinaiſons travaillées : tous les amateurs
de goût , tous les partifans du vrai
en un mot , tout être fenfible verfera ,
fur le tombeau d'Aicefte , ces pleurs que
l'on pardonne fi voluptueufement à l'illufion
des fpectacles. En vain auffi l'ignorance
indifcrette comparera- t'elle l'augufte
repréſentation de cette pompe à quelque
cérémonie refpectable de nos jours. Il
faudra lui répondre , en premier lieu ,
que les comparaifons difparates font ordinairement
les épigrammes des fots ;
en fecond lieu , qu'une vue bornée dans
la petite fphere de fon âge & de fa patrie
, ne peut appercevoir les origines d'une
infinité d'ufages , dont la fimilitude
lui paroît déplacée hors des limites de
fa courte portée . Des Prêtres vêtus &
drapés dans la plus grande maniere , couronnés
de cyprès , & portant des branches
de ce même arbre , ainfi que des branches
de lauriers , dont on fçait que les
184 MERCURE DE FRANCE.
anciens tapiffoient même les portes des
perfonnes qui venoient de mourir , d'autres
tenant des buires , des caffolettes &
des urnes de parfums , forment d'une pare
une marche grave & impofante , tandis
que d'un autre côté des pleureufes drapées
à l'antique par de grands voiles noirs fur
des tuniques blanches , achevent de donner
à cette cérémonie l'afpect & le ton lugubres
qui lui conviennent. Ces deux troupes
triftes & majestueufes retracent parfaitement
aux amateurs de l'antiquité les coutumes
& les rits pompeux des anciens.
Tout funebre que foit ce fpectacle , il n'eſt
pas dénué des ornemens qui lui font propres.
Les formes & la richeffe des vafes
qui fervent aux libations que les Prêtres
font fur ce tombeau , les guirlandes de
Aeurs , les palmes que les pleureufes vont
dépofer aux pieds de la ftatue d'Alcefte ,
tout cela compofe un tableau riche , varié,
& dont les graces mêmes contribuent à le
rendre encore plus touchant.
Par une tranfition très- convenable du
tombeau d'Alcefte , on fe trouve à l'entrée
formidable des enfers ; ce qui ouvre le
fpectacle du cinquieme acte. Caron y paroît
dans fa barque : il admet les ombres
qui paient le tribut , il repouffe celles qui
par leur indigence , font condamnées à er
DECEMBRE. 1757 185
rer fur les bords de ce trifte paffage ; il eft
enfin forcé lui même de paffer Alcide avec
lequel le fpectateur eft tranfporté en un
inftant au milieu du palais de Pluton ;
nouveau fpectacle d'un genre différent de
tous les précédens . Les ombres heureuſes
d'un côté , les divinités infernales de l'au
tre , le fouverain des enfers affis avec Proferpine
fur un trône , d'où ces divinités
paroiffent dominer tout l'empire des morts;
telles font les images frappantes que cer
acte fournit au fpectateur.
L'acte fuivant termine l'opera par le triomphe
d'Alcide.Des arcs triomphaux , des por
tiques ornés de grouppes relatifs à la gloire
du héros , un concours de peuples & de
bergers , parmi lefquels la magnificence &
la galanterie fe difputent l'avantage de fixer
les regards du public ; enfin la fcene la
plus riche & la plus éclatante en tous genres
, couronne le plus beau fpectacle que
= l'on ait encore vu en France fur aucun
théâtre.
Le détail des décorations , qui , au mérite
d'être neuves dans chaque acte , joignent
celui du goût le plus exempt de critique
dans l'ordonnance & dans l'exécution ;
celui des habits , dont la plus grande partie
avoit fervi aux repréſentations de la
Cour , tous analogues aux fujets & aux
186 MERCURE DE FRANCE.
perfonnages qu'ils doivent défigner , ainfi
que la defcription des ballets , entraîneroient
dans une prolixité peut- être fatiguante
pour ceux qui ne jouiront que par
relation des beautés de cet Opera. Il ſuffira
, en prenant tout ce qui aura vu ce
fpectacle pour garant , d'affirmer que jamais
tant d'attentions , de lumieres & de
foins , ne feconderent plus heureuſement
une grande dépenfe . Cette entrepriſe étoit
réfervée aux nouveaux Administrateurs
de l'Académie de Mufique , & peut- être
ne pouvoit réuffir que par eux. il femble
que tous les arts & tous les talens fe
foient affociés pour ce magnifique Spectacle
.
L'impreffion d'un Opera fi finguliérement
repréfenté , nous a diftrait des
éloges très - légitimement dûs à ceux qui
en font l'ame ; c'est- à - dire que nous ne
nous fommes pas laiffé l'efpace néceffaire
pour placer le tribut de louanges que
chacun d'eux mérite en particulier : mais
ils doivent nous le pardonner en cette
occafion , d'autant plus que les applau
diffemens qu'ils reçoivent journellement ,
les en dédommage bien amplement.
}
F
DECEMBRE. 1757. 187
COMEDIE FRANÇOISE.
Le lundi 21 Novembre les Comédiens
François ont donné pour la premiere fois
Adelle de Ponthieu , Tragédie remiſe de M.
de la Place ; elle n'a pas moins réuffi à la
reprife que dans la nouveauté, Elle eft parfaitement
jouée ; on peut dire qu'à cet
avantage , elle joint un mérite qui ne s'ufe
point ; c'eft celui de l'intérêt & des fituations
, qui nous ont paru traitées avec
autant d'intelligence qu'elles font amenées
avec art. Nous attendons l'impreffion de
la Piece pour en faire l'extrait & l'éloge
détaillé qu'elle mérite.
COMÉDIE ITALIENNE. ·
LES Comédiens Italiens n'ont rien donné
de nouveau depuis les Enforcelés. Ils
préparent une Comédie nouvelle de M.
de Moiffi , Auteur du Provincial à Paris ,
qui a beaucoup réuffi à ce théâtre. Nous
en rendrons compte au Public dès qu'elle
paroîtra.
188 MERCURE DE FRANCE.
CONCERT SPIRITUEL
La mardi premier Novembre , fère de
tous les Saints ; l'affemblée fut nombre
fe , & le Concert très - beau . Il commença
par une fymphonie del Signor Beck , fuivie
de Requiem aternam , Melle de Giles ,
où Mademoiſelle Sixte chanta . Enfuite
M. Moria joua un Concerto de violon
Mademoiſelle le Miere chanta un perit
Motet tiré des fecondes pieces de clavecin
de M. Mondonville. Mademoiſelle Duzès
joua fur l'orgue un Concerto de M. Balbaftre,
avec l'applaudiſſement général. Mademoiſelle
Fel chanta un petit Moter pour
la Fête du jour. Le Concert finit par D
profondis , Motet à grand choeur de M.
Mondonville.
DECEMBRE . 1757 , 18.4
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 13 Octobre,
Tous les avis qu'on reçoit de la Pomeranie Citérieure
& en particulier de Stralfund , marquent
que le Feld. Maréchal Urgern de Sternberg eft arrivé
le 8 à Anclam , que les troupes Suédoifes fe
font emparées d'un magafin confidérable dans la
Marche-Uckeraine , petite province limitrophe ,
qu'elles y levent des contributions , & qu'elles fe
raffemblent du côté de Stettin pour en faire le
fége.
L'interruption des lettres de Breflau qui mang
quent ici depuis quelques jours , fait croire que
cette Ville eft bloquée , ou du moins ferrée de
très-près par les Troupes Impériales.
DE BERLIN , le 19 Octobre.
Dès qu'on eut appris que le Général Haddick
Savançoit vers la Sprée avec fon corps de Huffards
, de Croates & de Pandoures , l'allarme fe,
répandit auffitôt partout , & la plupart des habi
tans établis dans les Fauxbourgs , s'enfuirent avec
ce qu'ils purent emporter. Le 16 dans l'après- cinée
, une troupe de Huffards ennemis parut dans
les Fauxbourgs de Strablau & de Copenick. Avants
190 MERCURE DE FRANCE.
hier 17 vers le midi , le Général Haddick lui-même
, à la tête d'un corps d'environ fix mille hommes
de troupes légeres , entra dans la Ville par
la rive gauche de la Sprée . La garnifon prit d'abord
les armes ; mais l'ennemi ayant culbuté
deux bataillons , le refte prit la fuite , & fe renferma
dans la Fortereffe de Spandau , où la Reine
s'étoit retirée pendant le combat . Le Général
Haddick demanda cinq cens mille écus de
contribution : après en avoir reçu une partie , il
fe retira avec fon détachement , & emmena quatre
cens prifonniers .
DE NAUMBOURG , le 26 Octobre.
L'armée combinée , dont le quartier général eft
ici , ſe diſpoſe à pouffer vigoureufement les Pruffiens.
Le 24 , le Prince de Saxe- Hildburghasfen
envoya un Trompette au Major Général Haulfen
, Commandant pour le Roi de Pruffe à Leipfick
, avec une lettre par laquelle il le fommoit
d'évacuer cette Ville. On garda le Trompette cinq
ou fix heures , & la réponſe qu'il rapporta , fut
un refus formel de quitter Léipfick. Deux heures
après , on fit partir un autre Trompette pour rétérer
la fommation . Celui- ci fut renvoyé fur le
champ , avec la confirmation du premier refus.
Le lendemain , le Prince de Sare - Hildburghaufen
envoya fommer pour la troifieme fois le Commandant
Pruffien de lui remettre la Place , aur
offres de laiffer retirer librement fes troupes , &
cette troisieme fommation fut rejettée comme les
deux autres. On apprit de plus que ce même jour
25 au matin , le Maréchal Keith , chargé de la
défenſe de cette Ville , avoit mandé les principaux
Magiftrats , & leur avoit tenu ce difcours : « Je
DECEMBRE . 1757. 191
vous ai fait venir , Meffieurs , pour vous ap
» prendre que M. le Prince de Saxe-Hildburg-
» hauſen , m'a envoyé une fommation de lui re-
>> mettre la Ville , à quoi je ne fuis nullement dif
pofé. Il ménage en cas de refus d'en venir à des
» extrêmités : il me donnera donc l'exemple pour
» en agir de même , & ce fera à lui qu'il faudra
imputer les malheurs auxquels votre Ville fera
» expofée. Si vous voulez les prévenir , je vous
» confeille d'aller le trouver , & de l'engager à
» ménager la Ville par rapport à vous & à vos
» Bourgeois , parce qu'au premier avis que je re
» cevrai que les troupes de l'Empire & de France
» s'avancent ici pour m'attaquer , je commence-
» rai par brûler les Fauxbours , & fi cela ne fuffic
>> pas pour obliger l'ennemi à fe défifter de fon en-
» trepriſe , j'irai plus loin , & la Ville même
ne fera pas égargnée. Je ne m'y porterai qu'a
vec le plus grand regret ; mais ce fera la feule
> extrêmité qui m'aura forcé de prendre ce partia
DE LEIPSICK , le 27 Octobre.
Le Roi de Pruffe , en quittant cette Ville , y a
laiffé le Maréchal Keith avec environ cinq à fix
mille hommes. On a eu avis que ce Prince étoit
le 23 à Krachwitz , terre du Comte de Brulh
fituée fur l'Elfter . Cette terre , ainfi que tous les
lieux où a paffé larmée ennemie , a , dit- on , été
pillée , ravagée , détruite , & ces excès font attribués
principalement aux troupes du Prince
d'Anhalt- Deffau . Plufieurs lettres de la Luface
marquent , que les Pruffiens ont forcé les payfans
du plat pays de leur apporter leurs charrues , leurs
Réaux & les autres inftrumens d'Agriculture , &
qu'ils les ont tous brûlés.
192 MERCURE DE FRANCE.
Suivant la convention du 15 de ce mois , arrêtée
par le Roi de Pruffe en perfonne , les ôtages retenus
à Magdebourg , devoient être renvoyés auffitôt
que les Négocians de cette Ville auroient four.
ni des lettres de change pour la fomme de foixante-
quinze mille écus . On ne veut plus aujour
d'hui rendre ces ôrages , que toute la fomme ne
foit réellement acquittée , & l'éxécution militaire,
qui devoit ceffer , continue arbitrairement dans
les plus riches maifons . Les Négocians ont pris le
parti d'envoyer à Berlin traiter avec le Banquier
de la Cour pour acheter leur tranquillité à quelque
prix que ce foit.
Le 19 , les Pruffiens ont pris tout l'argent qui
a pu fe trouver dans les caiffes.
On a conduit ici les Magiftrats de Naumbourg,
que le Roi de Pruffe a fait enlever , pour s'affurer
le paiement des cent cinquante mille écus qu'il s
Exigés de cette Ville,
DE LISBONNE , le 1 Octobre.
Cette Ville affligée de tant de maux , fembloit
goûter enfin quelque calme ; les fecouffes de la
terre étoient moins fréquentes ; on commençoit
à refpirer, lorfqu'on a reçu le détail de l'horrible
bouleversement caufé dans quelques- unes de nos
Ifles par un nouveau tremblement de terre . Le 9
Juillet dernier à onze heures quarante-cinq minu◄
tes de la nuit , une fecouffe affreuſe , dont la durée
fut d'environ deux minutes , fut reffentie dans
la plupart des Açores. Toutes les maifons de l'lfle
d'Angra furent violemment ébranlées . L'impul
fion du tremblement qui d'abord étoit verticale ,
devint bientôt horifontale , & fuivit la direction
de l'Ouest à l'Et. Pendant ces deux minutes , ļa
SPETS
DECEMBRE. 1757.
195
ferre fut agitée d'une telle force , que fi la fecouffe
eût duré quelques inftans de plus , tous les bâtimens
s'écrouloient , étoient engloutis . Le 10 vers
les dix heures du matin , il y eut une nouvelle fecouffe
, qui reprit à4 heures après midi , avec autant
de violence que la veille ; mais dont la durée
fut plus courte. Dans l'Ile Saint - Georges , à 12
lieues d'Angra , la terre trembla le même jour &
aux mêmes heures ; mais la fecouffe fut fi furieufe,
que 1043 perfonnes furent écraſées fous les
ruines des maifons. La frayeur des habitans redoubla
le 10 au matin , à la vue de dix -huit nouvelle
Ifles qui s'éleverent à la diſtance de cent
braffes & au Nord de l'Ifle. Aux Fayans des Vimes
, la même ſecouffe renverfa tous les édifices ;
on n'y reconnoît plus ni maiſons , ni temples ,
ni rues : on ne voit que des décombres & des
monceaux de pierres. La terre en quelque endroits
s'eft détachée du fol , & a roulé dans la mer. On
voit encore des langues de terre éloignées du rivage
, & entourées d'eau , conferver leur forme
avec tout ce qu'elles contenoient. Sur une de ces
Illes flotantes , eft une maison entourée d'arbres ,
qui n'eft point du tout endommagée . Monte- Formofo
, fitué à P'Eſt - Sud- Eſt de cette Ifle , s'eft
féparé en deux parties : l'une a croulé dans la
Mer , & fe trouve éloignée de l'autre de près de
cent braffes. Depuis la pointe de l'Eft de l'ile de
Topo , jufqu'au Bourg de la Caletha , on ne voit
encore que des ruines ; aucun bâtiment n'a réfifté.
La terre s'eft même ouverte en plufieurs endroits,
& un terrein de près d'un quart de lieue d'étendue
s'eft précipité dans la Mer. Quelques montagnes
ont changé de place ; d'autres ont entièrement
difparu , en forte que la
communication entre
Quelque- unes de ces Illes , qui étoit impraticable
I
194 MERCURE DE FRANCE.
autrefois par l'à plomb ou l'efcarpement des ro
chers , eft maintenant libre ; une plaine a fuccédé
aux montagnes. Une partie du village de Norte-
Grande s'eft auffi ſéparée du refte , & a été former
une Iſle nouvelle à la diſtance de 1 so braffes . Tous
les habitans de ces Ifles , confternés , remplis de
terreur , vivent dans les bois , & l'épouvante les
fuit partout , la terre toujours agitée leur montrant
de tous côtés des tombeaux. D'énormes
maffes de pierre fe détachent continuellement des
rochers ; il s'eft ouvert de toutes parts des gouffres
profonds qui les engloutiffent , & l'on voit
prefque tous les jours des rochers entiers s'affaiffer
, ou s'anéantir. L'Ifle du Pic a foiblement fenti
ces diverfes fecouffes , fi ce n'eft dans la partie
qui répond à l'Ile Saint- Georges. Ce quartier a
beaucoup fouffert , & onze perfonnes y ont péri.
Le jour de la premiere fecoufle , la Mer étoit dans
une agitation extraordinaire : les flots entrerent
avec fureur dans l'Ile Saint - Georges , en fuivant la
direction de l'Oueſt à l'Eft ; dans l'Ile du Pic ,
leur direction fut de l'Eſt à l'Oueft , & du Sud à
l'Queſt dans l'Ifle Gracieuſe. L'ifle du Fayal n'a
éprouvé qu'une légere fecouffe , & le mouvement
de la Mer y a été prefqu'infenfible. Dans les lies
de Saint-Michel & de Sainte-Marie , on a fenti
feulement l'effet d'une fecouffe ordinaire : les
Inles des Fleurs & du Corbeau ont été ſeules entiérement
exemptes du malheur général.
On apprend par un Vaiffeau qui vient d'arriver
du Cap Verd , qu'au mois d'Avril dernier , un
Volcan de l'Ifle du Feu , qui vomiffoit fans ceffe
des flammes , s'eft fubitement affaiffé , & que le
village Dos Mofteiros a été enseveli fous les
débris du mont. Les habitans ayant été avertis de
l'événement par plufieurs fignes, fe font heureu
DECEMBRE. 1757.
195
fement fauvés. Deux Bergers feulement ont perda
la vie avec leurs troupeaux .
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 30 Octobre.
La démiffion du Duc de Cumberland qui a
quitté tous fes emplois , eft une chofe réglée. Ce
Prince a même déclaré qu'il ne reparoîtroit à la
tête des armées du Roi , que dans les cas d'invafion
ou de rébellion . Sa place de Colonel du premier
régiment des Gardes à pied , a été donnée
au Prince Edouard , qui doit être inceflamment
déclaré Duc de Gloceftre . Le Général Ligonier &
par interim le commandement en chef de toutes
les troupes.
"
Le Vaiffeau du Roi le Winchester , venant d'Antigoa
, a rapporté qu'il y avoit eu le 29 Août
dernier une forte ſecouffe de tremblement de terre
dans l'Ifle des Barbades , qui avoit caufé peu de
dommage , & quelle avoit été fuivie d'une violente
tempête , qu'on a fentie dans les Illes fous
le vent.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LAJA Cornette des Chevaux- Légers de la Garde
ordinaire du Roi , revint ici d'Arpajon le 19
d'Octobre. Comme la Compagnie , qui ne fert
que par quartiers , eft rarement raffembleé , les
Chevaux- Légers ont faifi le moment de leur réu
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
nion , pour célébrer en corps l'augufte naiſſance
de Monfeigneur le Comte d'Artois . Le Duc de
Chaulnes , leur Commandant , eft Gouverneur
de cette Province nouveau motif pour faire éclater
leur joie dans cette heureufe occafion. Ils devoient
fe féparer , après avoir porté leurs étendards
au Roi ; ils n'ont eu par conféquent que deux
fois vingt-quatre heures , pour faire leurs prépa
ratifs , ainfi que pour inviter la Cour , la Ville ,
& tous les corps de la maiſon du Roi.
Le fête commença le 21 , à dix heures du foir,
par un feu d'artifice , qui fut tiré dans l'avenue de
Sceaux , vis-à- vis de l'Hôtel des Chevaux-Légers ,
& dont l'exécution fut parfaite. Toutes les perfonnes
invitées le rendirent enfuite au bal , paré
& malqué. La façade & la cour de l'Hôtel étolent
très-bien illuminées. La falle où l'on danſoit , a
105 pieds de longueur fur 36 de large. Elle étoit
ornée richement , & avec autant d'art que de
goût : elle étoit éclairée par un grand nombre de
luftres & de girandoles. Les fonds oppofés de cette
falle , qui dans toute leur étendue , étoient gare
nis de grandes glaces , en multipliant les objets ,
formoient un fpectacle charmant. La Comteffe
de Marfan , Gouvernante des Enfans de France ,
s'étant excufée d'ouvrir le bal , la jeune Princeffe
de Soubife , fa niece , danfa le premier menuer
avec le Marquis d'Efquelbec , premier Enfeigne
de la compagnie. Le Bal dura jufqu'à huit heures
du matin. Il y eut la plus nombreuſe affemblée ,
& l'on y diftribua avec profufion toutes fortes de
rafraîchiffemens. Le bon ordre qui a régné dans
cette fête , joint à la politeffe & aux attentions
des Chevaux- Légers , n'en a pas fait le moindre
agrément.
La naifance de Monfeigneur le Comte d'Are
DECEMBRE. 1757: 197
tois exigeant des peuples , dont elle affure le
bonheur , un nouveau tribut de reconnoiffance ,
le Roi écrivit le 9 d'Octobre à M. l'Archevêque de
Paris , pour faire rendre à Dieu dans la Capitale
de folemnelles actions de graces. En conféquence,
le Dimanche 13 , le Te Deum fut chanté dans
P'Eglife Métropolitaine , & M. l'Archevêque de
Paris y officia . M. le Chancelier accompagné de
plufieurs Confeillers d'etat & Maîtres des Requê
tes , le parlement , la Chambre des Comptes , la
Cour des Aydes & le Corps de Ville , y affifterent
après y avoir été invités de la part du Roi par M.
Defgranges , Maîtres des Cérémonies .
Le même jour , M. le Prevôt des Marchands
& les Echevins firent tirer dans la place de l'Hôtel
de Ville un feu d'artifice , décoré relativement à
l'objet de l'alegreffe publique. La façade de
l'Hôtel de Ville fut enfuite illuminée par des filets
de terrines, qui régnoient le long des entablemens,
& par des luftres formés de lanternes de verre.
Des ifs portant chacun plus de cent cinquante lu
mieres , entouroient la place .
L'Hôtel du Duc de Chevreufe , nommé au Gou
vernement de Paris , fut orné d'une magnifique
décoration en architecture , éclairée avec un
goût infini. Il y eut auffi des illuminations à l'Hôtel
du Prevôt des Marchands , aux maiſons des
Echevins , & à celles des principaux Officiers du
corps de Ville.
Aux quatre coins de la place de l'Hôtel de
Ville , ainfi qu'à celle de Louis XV , étoient des
fontaines de vin , qui coulerent une partie de la
nuit. On y diftribuoit du pain & des viandes au
peuple , & on avoit placé des orqueftres dans tous
les endroits où fe faifoient ces diftributions .
La cloche de l'Hôtel de ville fonna pendan
I iij
498 MERCURE DE FRANCE.
Toute la journée en tocfin . Il y eut quatre falves
d'artillerie ; la premiere à cinq heures du matin ,
la feconde à midi , la troifieme pendant le Te
Deum , & la derniere avant le feu d'artifice.
Le 24 , le corps de Ville alla à l'Eglife paroif-
Hale de Saint Jeanen Greve , pour rendre les actions
de graces particulieres , & il affifta au Te
Deam qu'il fit chanter en mufique. Ce même
jour , l'Hôtel de Ville , P'Hôtel du Prevôt des
Marchands , les maiſons des Echevins & des principaux
Officiers du corps de Ville , furent illuminés
de nouveau .
Le Roi a difpofé du commandement en Chef
de la province de Languedoc , vacant par la mort
de M. le Maréchal Duc de Mirepoix , en faveur
de M. le Maréchal de Thomond .
Le 3 Novembre , M. le Comte de Sartirane ,
'Ambaffadeur du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il complimenta
Sa Majefté , au nom du Roi fon Maître,
fur l'heureux accouchement de Madame la Dauphine
, & fur l'heureufe naiffance de Monftigneur
le Comte d'Artois. Cet Ambafladeur fut
enfuite admis à l'audience de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , & de Madame la Dauphine.
M. Bertin , latendant de Lyon , a été nommé
Lieutenant-Général de Police , à la place de M.
Berryer.
Le Roi a nommé M. le Marquis du Mefnil ,
Lieutenant Général de fes armées , Infpecteur Général
de la Cavalerie & des Dragons , au Gouver
nement de Brouage , vacant par la mort de M. le
Maréchal Duc de Mirepoix.
Sa Majesté a auffi accordé à M. le Comte de
Montazet , Brigadier de fes armées , Mestre de
Camp réformé à la fuite du Régiment de Dragons
DECEMBRE. 1757. 199
d'Orléans , & Gouverneur du Fort de Scarpe ,
l'Expectative d'une place de Commandeur dans
P'Ordre Militaire de Saint Louis , avec la permiffion
d'en porter dès - à - préfent les honneurs.
Les 27 & 28 d'Octobre , on a reffenti au Havre
deux fecouffes de tremblemens de terre. La
premiere a duré trois minutes , & l'autre deux.
Les habitans effrayés, font fortis de leurs maiſons
pour fe retirer fur la place, Ces mêmes ſecouffes
Te font auffi fait fentir à la même heure au Pontl'Evêque
, fur la rive gauche de la Seine.
Le 6 de Novembre , M. le Chevalier Archinto
arriva ici de Parme , pour complimenter le Roi ,
de la part de l'Infant Duc de Parme , fur la naiffance
de Monfeigneur le Comte d'Artois.
Le Roi a nommé à l'Intendance de Lyon M. de
la Michodiere , Intendant d'Auvergne ; & M.
Bernard de Ballainvilliers , Maître des Requêtes ,
à celle d'Auvergne.
Sa Majefté a tenu le Sceau pour la feizieme &
dix-feptieme fois.
Le même jour , M. le Prince de Beauvau prêta
ferment entre les mains du Roi pour la charge
de Capitaine des Gardes , & Sa Majefté reçut celui
de l'Evêque de Senez.
Le Roi accorda ce même jour un brevet d'honneur
à Madame la Comteffe de Lillebonne , &
elle prit en conféquence le Tabouret chez la
Reine.
Sa Majesté a donné à M. le Comte de Talaru ,
Sous-Lieutenant des Gendarmes de Flandres ,
l'Aide-Majorité de la Gendarmerie , vacante par
la promotion du Vicomte de Sabran , à la Majo
rité de ce corps,
Les entrées de la Chambre ont été accordées
par le Roi à M. le Chevalier Archinto , Gentil-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
homme de la Chambre de l'infant Duc de Parme
Le is , M. Erizzo , Ambaſſadeur de la Répu
blique de Venife , eut une audience particuliere
du Roi,dans laquelle il complimenta Sa Majesté au
nom de la République , fur l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine , & fur la naiſſance
de Monfeigneur le Comte d'Artois . Cet Ambaffadeur
fut conduit à cette audience par M. de la
Live , introducteur des Ambafladeurs .
M. le Baron de Lichtinſtein , Miniftre Plénipotentiaire
du Duc de Saxe- Gotha , eut le même
jour une audience de Madame la Dauphine. Il y
fut conduit ainfi qu'à celles de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , de Monfeigneur le Duc de
Berry , & de Monſeigneur le Comte de Provence
, par le même Introducteur .
M. de Bompar , Chefd'Eſcadre des Armées Navales
, à fon retour de la Martinique , où il a réfidé
pendant fept ans en qualité de Gouverneur
Général des Inles du Vent , a été préfenté au Roi,
Sa Majefté lui a accordé une penfion de trois mille
livres fur le Tréfor Royal , avec le Cordon rouge
honoraire.
L'ouverture du Parlement fe fit le r2 de ce
mois avec les cérémonies ordinaires , par une
Mefle folemnelle . Elle fut célébrée par M. l'Abbé
de Sailly , Chantre de la Sainte Chapelle , & Aumônier
de Madame la Dauphine . M. Mollé ,
premier Préfident , ayant été reçu & inftallé par
M. Pelletier de Rofambo , Préfident du Parlement
, y affifta avec toutes les Chambres.
Il y a eu le 5 Novembre une action entre l'armés
commandée par M. le Prince de Soubife & celle
du Roi de Pruffe : la premiere ayant été obligée de
faire fa retraite , elle s'eft retirée à Freyburg ,
d'où elle a repaffé l'Unftrutt , & ſe raffemble der
DECEMBRE. 1757 : 201
riere cette riviere . M. le Maréchal Duc de Richelieu
, à qui M. le Prince de Soubife avoit dépêché
un Officier après l'action , s'eft mis en marche à
la tête de foixante bataillons & de foixante- quatre
efcadrons , pour fe porter fur Duderſtatt , où il
fera à portée de recevoir & de foutenir l'armée de
M. le Prince de Soubife , s'il eft néceffaire.
Nous retardons la lifte des Officiers tués ou
bleffés , pour la donner plus exacte le mois pro
chain.
Le Corfaire Anglois le Hancelot , de Jerzey ;
armé de 10 canons , & de 70 hommes d'équipage ,
a été pris par les Vaiffeaux du Roi l'Entreprenant
& le Dragon , qui l'ont fait conduire à Brest.
Les fieurs Bart , Capitaine de Brûlot , & Juin ,
Lieutenant de Frégate , commandant les Frégates
du Roi la Valeur & la Mignonne , fe font rendus
maîtres des Navires Anglois l'Induftrie , l'Eclair
la Marie-Sara & la Satisfaction. Ces quatre bâtimens
, qui alloient de Sunderland à Rotterdam ,
chacun avec un chargement de charbon de terre
étoient tous armés de quelques canons , & ils font
arrivés à Dunkerque.
Le Corfaire le Vengeur , de ce Port , ya remis
Pôtage d'une rançon de 290 guinées , moyennant
laquelle il a relâché un Navire Anglois ,
dont il s'étoit emparé .
On mande de la Rochelle , que le Navire le Titon
l'Africain , de Bordeaux , venant de Saint-
Domingue , a enlevé le Navire Anglois le Thos
mas , de Londres dont la cargaiſon eft compo
fée de 500 barrils de poudre , de so caiffes d'armes
, de toiles , de foieries , & d'autres muni
tions & marchandiſes.
Une Lettre du Capitaine Robert , comman
1 v
202 MERCURE DE FRANCE.
dant la Frégate la Comteffe de la Serre , datée de
20 Octobre dernier , marque qu'il eft arrivé à
Bergue en Norwege, & qu'il y a conduit fept prifes
Angloifes ; que fix de ces prifes font chargés
de chanvre , de lin & de fer , la feptieme , d'uce
petite partie de chanvre & de bois , & qu'il en
attendoit une huitieme qu'il a laiffée au Nord
d'Ifland , le mauvais temps l'ayant obligé de s'en
féparer. Cette derniere eft un Senaw du port de
220 tonneaux , armé de 14 canons , & de 36
hommes d'équipage , qui vient de la Virginie , fa
cargaison confifte en 380 boucauts de tabac.
BÉNÉFICES DONNÉS.
SA Majefté a donné l'Abbaye de Bonnefond ,
Ordre de Cîteaux , Diocefe de Comminges , à
M. l'Abbé Marquet - de Villefond , chargé des
affaires de Sa Majesté à Venife ; l'Abbaye de
Meymac , Ordre de S. Benoît , Diocefe de Limoges
, à M. l'Abbé de Saint - Val ; celle de Sainte
Aufonne , même Ordre , Dioceſe d'Angoulême ,
à la Dame de Durfort de Civerac , Religieufe de
Saint Emilion , Dioceſe de Bordeaux ; & le
Prieuré de Saint Pierre de Langon , Dioceſe de
la Rochelle , à M. l'Abbé Jalouts , Vicaire Général
de l'Archevêché de Cambray.
MARIAGE ET MORTS.
M58SIRE Paul- Hippolyte de Beauvillier , Duc.
de Saint-Aignan , Pair de France , Chevalier des
Ordres du Roi , Lieutenant-Général, de fes arDECEMBRE
. 1757. 203
mées , Gouverneur du Havre , ci devant Ambaffadeur
du Roi à la Cour d'Efpagne & près le
Saint Siege , époufa le 9 de Novembre Demoiſelle
Françoile-Helene - Etienne Turgot , fille de feu-
Mefire Michel Etienne Turgot , Marquis de
Soubfmons , Confeiller d'Etat ordinaire & Prevôt
des Marchans , & de Dame Magdelene-Françoife
Martineau. La célébration ſe fit dans la Chapelle
de l'Hôtel de la Dame Turgot , Douairiere.
Leurs Majeftés & la Famille Royale avoient figné
le 7 le contrat de mariage.
Meffire Emanuel-Henri-Timoléon - de Coffé- de
Briffac , né jumeau avec fon frere , Jean- Paul-Timoléon
-de Coffé , Duc de Briffac , le 12 Octobre
1698 , Abbé de l'Abbaye de Fonfroide , Ordre de
Citaux , Dioceſe de Narbonne en 1717 ; & de
celle de Saint Urbain , Ordre de Saint Benoît en
en 1732 , Grand- Vicaire de l'Archevêché de
Lyon , Aumônier du Roi , Agent général du
Clergé , nommé Evêque de Condon en 1735 ,
facré le 22 Janvier 1736 , eft mort à Paris , rue
Caffette , fauxbourg Saint Germain , le 27 Août
1757 , dans la foixantieme année de fon âge. Il fat
préfenté le 29 à Saint Sulpice , & tranfporté aux
Céleftins dans la Chapelle d'Orléans , lieu de la
fépulture de fa maiſon.
Meffire Aymeric Charles de Gontaut de Biron ,
Marquis de Saint - Blancard , Meftre de Camp de:
Cavalerie , mourut le 16 Septembre dernier dans
fa terre de Laborthe , en Gascogne , au Dioceſe
d'Aufch , âgé de foixante - dix-fept ans.
Dame Henriette - Emilie de Bautru , Comteffe
de Nogent - le- Roi , femme du Marquis de Melun,
eft morte ici le 27 Septembre, âgée de cinquanteneuf
ans.
Mellire René-Antoine Ferchaud - de Réaumur
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE
de l'Académie royale des Sciences , de la Société
royale de Londres , des Académies de Péterf
bourg , de Berlin , de Stockholm , & de l'Inftitut
de Bologne , Intendant & Commandeur de l'Ordre
Militaire de S. Louis , eft mort le 18 Octobre,
âgé de foixante-feize ans.
Demoiselle Eléonor Thenay de Saint- Christophe,
eft morte le 19 Octobre dans la Communauté de
P'Inftruction Chrétienne , âgée de quatre- vingtquatre
ans , & elle a été inhumée le 30 à S. Sulpice
, fa Paroifle.
Meffire N. de Savines , Abbé Commendataire
de l'Abbaye royale de Bofcaudon , Ordre de Saint
Benoît , Diocefe d'Embrun , eft mort dans fon
Abbaye , vers la fin du mois d'Oftobre , âgé de
cent ans accomplis.
Il eft mort à Aberdeen , en Ecoffſe , un homme
âgé de cent trente- deux ans , nommé Alexandre
Mac-Cullock , qui a joui jufqu'à la fin de ſa vie
du jugement le plus fain . Il avoit fervi en qualité
de foldat du temps de Cromwel , fous le Général
Monk.
L'abondance des matieres nous oblige
de remettre au prochain Mercure l'article
de l'Hôpital de M. le Maréchal- Duc de
Biron , ainfi que le Mémoire Généalogique
de la branche des Caumont de Picardie.
DECEMBRE. 1757% 205
LETTRE de l'Auteur du Dictionnaire béraldique
, chronologique & hiftorique, à l'Auteur
du Mercure , fur la Maifon du Chaftel.
L'OUVRAG
' OUVRAGE que j'ai donné au Public , Mon
fieur , eft trop érendu pour qu'il ne s'y trouve pas
beaucoup de fautes , & trop intéreffant pour que
je ne m'empreffe pas de les réparer. C'est pour
remplir cette vue , que je vais faire imprimer un
fupplément , qui contiendra un nombre affez confidérable
de corrections néceffaires , & de nouveaux
articles de beaucoup de familles Nobles de
différens endroits du Royaume , qui me font
parvenus par la voie du Libraire . Mais comme
Pédition demande encore quelque temps pour
être achevée , je ne dois pas attendre jufques- là à'
reconnoître publiquement entr'autres erreurs ,
celle dans laquelle je fuis tombé fur une des plus
illuftres Maifons du Royaume , que j'avois crue
éteinte fur la foi de quelques mauvais Mémoires,
Celui que j'ai l'honneur de vous envoyer eft plus
correct ; il eft prouvé fur des titres dont il feroit
aifé de prouver l'authenticité. Je vous prie de l'inférer
dans le Mercure prochain .
J'ai l'honneur d'être , &c.
· A Paris , ce 21 Novembre 1757-
LA
D....
Mémoire fur la Maison du Chaftel.
A Maifon du Chaftel eft d'ancienne Chevale
rie. L'hiftoire de Bretagne eft remplie de monumens
qui conftatent ſon ancienneté , fes fervices
militaires , & fes grandes alliances,
206 MERCURE DE FRANCE.
Bernard du Chaftel , Chevalier , fcella de fon
fceau un acte de l'an 1174. Il y eft repréſenté à
cheval , tenant l'épée haute de la main droite , &
foutenant de la gauche un écu chargé de fafces ;
le cheval caparaçonné aux mêmes armes. Il époufa
Anne de Léon de grande lignée , dont il eut Hervé
du Chaſtel , Chevalier , vivant en 1296 .
Bernard II , du nom , fire du Chaſtel , fils de
celui- ci , époufa Eléonore de Rofmadec , & en eut
Tanneguy, premier du nom , fire du Chaſtel ,
Lieutenant général des armées du Comte de
Montfort , contre CHARLES de Blois , fur lequel
il gagna la bataille de la Roche - de Rien en 1347 ,
& qui gagna encore celle de Mauron en 1352 .
Ce Tanneguyfut pere, entr'autres enfans , de Guillaume
, fire du Chaftel , qui fuit ; de Tanneguy,
Seigneur de la Roche- Dronion , chef de la branche
des Seigneurs de Melle , éteinte ; de Garfin
ou Garfis du Chaftel , Seigneur du Bois , appellé ,
à caufe de lui , le Bois de Garfis ( en Breton Coetangars
) Maréchal & Général d'armée du Duc d'An.
jou , mort fans alliance ; & Marguerite , femme
de Guillaume , fire de Rofmadec.
Guillaume , fire du Chaftel , de Leſlein ( & de
Coetangars , par la mort de fon frere Garfin )
rendit de grands fervices à JBAN , dit le vaillant ,
Duc de Bretagne , pour lequel il demeura prifonnier
en une rencontre , & paya 6000 écus d'or
pour fa rançon ; il mourut en 1370 , laiſſant pour
fils & héritier, Hervé , qui porta les armes pour le
Roi CHARLES V. Celui - ci fut pere de quatre fils ;
fçavoir :
1º. Guillaume du Chaftel , Chambellan du Roi
CHARLES V , & du Duc d'Orléans , qui fut l'un
des fept Champions du. Seigneur de Barbazan ,
contre fept Anglois en 1402 , gagna un combatDECEMBRE
. 1757. 207
naval contre les Anglois en 1403 ; pilla l'Ile de
Gerzé , où il fut tué l'année ſuivante , fans laiffer
de postérité .
2º. Olivier, fire du Chaſtel , &c. qui fuit .
3°. Hervé du Chaftel , tige des Seigneurs de
Coetelez , éteinte.
4°. Tanneguy , Chevalier , Confeiller & Cham
bellan du Roi , Grand Maître de fa Maifon , Prevôt
de Paris , Gouverneur & Sénéchal de Provence
, fi renommé dans l'hiftoire de France par fon
attachement à la perfonne du Dauphin depuis
Charles VII . Il mourut en Provence en 1449 ,
fans postérité.
Olivier , fire ou Seigneur du Chaftel , de Leſlein
, Chevalier Banneret , Chambellan du Duc de
Bretagne , Capitaine de Dinan & de Breft , Sénéchal
de Saintonge , donna quittance de fes gages.
comme Chevalier Banneret , le 20 Novembre.
1415 , & la fcella de fon fceau qui eft fafcé de
fix pieces d'or & de gueules . Il mourut en 1455 ,
ayant eu pour fils :
1° François , fire du Chaftel , qui continua la
poftérité.
2. Guillaume du Chaftel , Pannetier du Roi ,
& Ecuyer du Dauphin , depuis Louis XI , tué en
1441 au fiege de Pontoife en préſence du Roi
qui , pour récompenfer fa valeur & fes fervices, le
fit enterrer dans l'Eglife de Saint Denis , avec les
Rois ( Hift. de S. Denis , par Eelibien , pages 3.52.
562.)
3. Jean du Chaftel , Evêque de Carcaffonne ,
en 1457.
4°. Tanneguy du Chaſtel , Vicomte de la Belliere
, Confeiller & Chambellan du Roi CHARLES
VII, Grand Ecuyer de France , Grand Maître
'Hôtel du Duc de Bretagne , Gouverneur du
108 MERCURE DE FRANCE.
Rouffillon & de Cerdagne , Chevalier de l'Ordre
de S. Michel , lequel fut bleffé d'un coup de fauconneau
, au siege de Bouchain , en 1477, & mourut
de cette bleffure , au grand regret du Roi , qui
envoya offrir cent marcs d'argent à l'Eglife de
Notre-Dame de la Victoire , qu'il avoit voué pour
be falut de l'ame de ce Seigneur ( compte de Pierre
de Lailly ) . Il avoit marqué fon zele & ſa fidélité
au fervice du Roi CHARLES VII , en ſe tenant auprès
de lui jufqu'au dernier foupir , avoit fait faire
fes funérailles , & y avoit employé une fomme de
30 mille écus. Il ne laiffa de Jeanne de Raguenel ,
Vicomteffe de la Belliere & de Combour , fa
femme , qu'une fille nommée Jeanne , mariée à
Louis , Seigneur de Montejan.
François , fire du Chaftel , de Leſlein , de Le
zourny , &c. fut fait Chevalier Banneret ( Baron )
aux Etats de Bretagne de l'année 1495. Il eut de
Jeanne de Kerman , Olivier, fire du Chaftel , de
Leflein , de Lezourny & de Lefcoet. Celui- ci fut
pere de trois fils , Tanneguy , fire du Chaftel , qui
continua la branche aînée ; Gabriel , Seigneur de
Coetangars , dont la poftérité fera rapportée ciaprès
, & Olivier , Evêque de Saint- Brieu , mort
en 1523 .
Tanneguy , fire du Chaftel , de Poulmie , &c
époufa 1 ° . en 1492 , Louife du Pont , fille de
Pierre , Seigneur du Pont-l'Abbé , & d'Helene de
Rohan ; 20. en 1901 , Marie , Dame de Juch.
Du premier mariage vint Gillette du Chaftel ,
Dame du Pont-l'Abbé , de Roftrenen , &c. qu'elle
porta en dotte à Charles du Guellenée , Vicomte
du Fou; & du fecond , François , fire du Chaftel ,
de Lefcoet & du Jueh : celui- ci eut pour fils & héritier
Claude , Baron du Chaftel , &c. qui ne laisa
de Claude d'Acigné , Vicomteffe de la Belliere
DECEMBRE . 1757. 209
fa femme , que deux filles , nommées Anne &
Jeanne: la premiere héritiere de la Baronie du
Chaftel , épousa Guy de Rieux , Seigneur de Châteauneuf
, & l'autre , Charles Goyon , Baron de la
Mouffaye.
Branche des Seigneurs de Coetangars.
Gabriel du Chaftel , fecond fils d'Olivier , fire
du Chaftel , comme il a été dit ci - devant , eut en
partage la terre de Coetangars ; il fut pere de
Tanneguy du Chaftel , Seigneur de Coetangars ,
qui de Marie de Kerguiziau , fille & héritiere du
Seigneur de Kerguiziau , eut un fils nommé Guillaume
, qui fut auffi Seigneur de Coetangars & de
Kerivant , & époufa Léventze de Kermeno , qui
le rendit pere de Jean qui fuit :
Jean du Chaftel , Seigneur de Coetangars , de
Kerivant & de Bruillac , Chevalier de l'Ordre du
Roi , dit de S. Michel , Gentilhomme ordinaire
de fa chambre , fe qualifia chef du nom & d'armes
de la maifon du Chaftel , qualification que
fes fucceffeurs ont prife jufqu'aujourd'hui. Il
époufa 1 °. Marguerite de Cofquier , dont il n'eut
que des filles ; 2. en 1625 , Marie le Long- de
Keranroux , Dame de Mefaurun , qui le rendit
pere entr'autres de trois fils ; fçavoir 1 ° . Ignace-
François , appellé le Marquis du Chaſtel , dont la
petite-fille époufa en 1716 Hugues Humbert Huchet
, Comte de la Bedoyere ; 2 °. Marc-Antoine
du Chaftel , Seigneur de Kéranroux , mort fans
postérité ; 3 °. Tanneguy du Chaftel , Baron de
Bruillac , qui fuit :
Tannegny du Chaftel , Baron de Bruillac ,
époufa en 1659 Françoise de Kerprijan , Dame de
Parcaric , & en eut trois fils & une fille ; fçavoir
MERCURE DE FRANCE.
DE
acques-Claude du Chaftel , Baron de Braila
qui fuit ; 2 °. Tanneguy- Querian du Chaſtel ,
eur de Parcaric , mort fans poftérité ; 3 °,
-Jonathas du Chaftel , Infpecteur général
oupes du Roi en Amérique , Chevalier de
ais , Lieutenant de Roi de Marie- Galante ,
a laiffé des enfans établis en Amérique , &
le petit- fils nommé Claude Tanneguy eft
gne des Vaiffeaux du Roi ; & 4° . Mariee
du Chaftel , mariée en 1680 , àFrançois
Fer de Locrift , Seigneur de Kergariou.
ques - Claude du Chaftel , Chevalier , Sei-
Baron de Bruillac , de Parcarie , de Coal
i , & c . Maréchal des Logis de la compaolonelle
des Gentilshommes de l'Evêché de
Her , épouſa en 1691 , Marguerite de la Por
me de Guerdevollée ; de ce mariage font
plufieurs enfans , dont les trois ci deffous
és font vivans ; fçavoir , Hyacinthe-Marie du Chaftel , Chevalier ,
ar de Parcaric , Guerdevollée
, &c. chefde
d'armes , Chevalier de S. Louis ; il époufa
Françoife-Mauricette de Kergariou , Da-
Keruegant , dont deux filles.
arques-Thomas du Chaftel , Chevalier de
s , Lieutenant des Vaiffeaux du Roi.
Tanneguy du Chaftel , Aumonier du Roi ,
de l'Abbaye de Samer aux Bois.
armes , fafcé d'or & de gueules de fix
JEAN EAN Senac
fes Confeils
de Sa Majesté
Bains & For
du
Royaume
pecteur des
dans des trav
qu'il s'occupe
vé une poud
connoillant C
fa probité &
être utile au
la délibératio
Commiffion
vingt-trois F
autorifons
e
Sieur
Privat
niftrer dans t
poudre
apérit
priétés du M
le
tout conf
d'Etat du R
Septembre 11
délivré le pr
trefigné de
fceau de no
y
étant , le
fix.
Senac.
Un
grand
de
ce
remed
fieurs
étrang
confidérable
perfonnes
d
DECEMBRE. 1757. 211
AVIS.
JEAN Senac , Confeiller ordinaire du Roi en
fes Confeils d'Etat & privé , premier Médecin
de Sa Majesté , Surintendant Général des Eaux ,
Bains & Fontaines minérales & médecinales
du Royaume , &c. Le Steur Privat , ancien Infpecteur
des Mines , nous ayant repréfenté que
dans des travaux chimiques , dont nous fçavons
qu'il s'occupe depuis long- temps , il avoit trouvé
une poudre blanche qu'il tire du Mars ;
connoiffant d'ailleurs fes lumieres diftinguées ,
fa probité & fon zele pour tout ce qui peus
être utile au public ; Nous , en conféquence de
la délibération prife dans notre bureau de la
Commiffion royale de médecine affemblée le
vingt- trois Février dernier , avons autorifé &
autorifons exclufivement à tout autre , ledit
Sieur Privat , de vendre , diftribuer & adminiftrer
dans toute l'étendue du Royaume , ladite
poudre apéritive & defobftruante , qui a les propriétés
du Mars , fans en avoir les inconvéniens ;
le tout conformément aux Arrêts du Confeil
d'Etat du Roi , & nommément à celui du 10
Septembre 1754 ; en foi de quoi nous lui avons
délivré le préfent figné de notre main & contrefigné
de notre Secretaire qui y a appofé le
fccau de nos armes. Donné à Verſailles , le Roi
y étant , le 17 Mars mil fept cent cinquante
fix. Senac.
Un grand nombre de perfonnes ont déja ufé
de ce remede avec beaucoup de fuccès , & plufieurs
étrangers en ont pris pour des fommes
confidérables. Nous en fommes inftruits par des
perfonnes dont l'affertion eft une autorité.
212 MERCURE DE FRANCE:
AUTRE.
Mademoiselle Collet , continue de vendre ;
pour l'utilité du Public , une Pommade de fa
compofition, qui appaiſe ; dans l'inſtant , les grandes
douleurs des hémorroides , tant internes ,
qu'externes , fuffent - elles ulcéreufes & fiftuleufes
; foulage auffi dans l'instant ceux qui en
font attaqués , & les en guérit radicalement.
Cette Pommade eft fi connue qu'elle n'a pas
befoin d'autre recommandation.
Elle fe garde autant de temps que l'on veut , &
fe peut tranfporter par tout , pourvu qu'on ait
foin de la garantir de la chaleur & du feu. Les
moindres pots font de 3 , de 6 , de 10 , de 12 ,
de 18 & de 20 liv. & de tous les prix que l'on
fouhaitera . On donnera la façon de s'en fervir.
Des perfonnes étrangeres qui en voudront faire
ufage , auront la bonté d'affranchir les ports
de lettres .
Mademoiselle Collet , demeure à préfent , rue
des Petits Champs , vis - à- vis la petite porte S.
Honoré , dans la maifon de M. Jollivet , mare
chand Papetier , à l'enſeigne de l'Eperance.
AUTRE.
L Sieur Rochefort , Maitre Pèrruquier , dont
il a été fait mention dans le Mercure du mois
de Décembre 1756 , continue de monter les
Perruques nouées , les Bonters & les Perraques
à bourfe par le moyen des têtes artificielles ,
qu'il a inventées , enforte qu'elles prennent naturellement
d'elles - mêmes le tour du visage ,
DECEMBRE. 1757. 213
fans avoir befoin de boucles , de cordons , de
refforts , ni même de l'accommodage , pour être
affujetties à coller fi parfaitement : & les che
veux femblent y avoir pris racine . On ne répé,
tera point l'éloge de l'approbation que lui ont
fait les Officiers de fa Communauté , dans le
certificat , en bonne forme , qu'ils lui ont accor
dé : mais on donne avis aux perfonnes qui demeurent
en Province , & même hors du royaume
, qui voudront avoir des Perruques de fa
façon de lui écrire . Il leur enverra un modele
de mefure très - facile à prendre , & tel qu'il le
faut pour pouvoir y rapporter exactement fes
proportions , & avec la facilité du modele , où
tout est bien expliqué . Les perfonnes pourront
fe faire prendre la mefure de leur tête aifément
par qui bon leur femblera. Elles font priées
d'affranchir leurs lettres . Le Sieur Rocheforg
demeure , à Paris , rue de la Verrerie , près la
rue des Billettes .
>
ERRATA pour l'extrait de la feconde para
tie du Mémoire de M. de la Condamine ,
imprimé dans le volume de Septembre
dernier.
Il s'eft gliffé plufieurs fautes d'impreffion
dans ce Mémoire . Voici les plus confidé-
Erables auxquelles il n'eft pas poffible de
fuppléer.
PAGE 123 , ligne 7 , je tiens ce fait d'une perſonne
qui afouvent parié des paris , corrigez a
parié & gagné des paris.
214
Ibid. lig. 22 , coureur Anglois , corrigez , cheval
de courfe Anglois.
Page 126 , lig. 15 , plus de 500 pieds de profondeur,
corrigez , une grande profondeur.
Page 138 , ligne derniere & la premiere de la page
fuivante , Mémoire publié en mon nom , corrigez
, Mémoire publié en mon abfence.
Errata du Mercure de Novembre.
Page 22 , lig. 27 28 , non , qu'il faille parler
grec ou latin ou françois , lifez , ou latin en
françois.
Page 27 28 , lig. 22 & 23 , ces fleurs perdens ,
lifez , perdent. Les mirthet , corrigez , les mirthes.
Page 33 , lig. 7 , tu n'eft plus , lifez , tu n'es plus.
Page 35 , lig. 2 , fous vos doigt , lifez , doigts.
Page 40 , lig. 13 , entre maint autres que je tais ,
lifez , entre maints autres.
Page 70 , lig. 3 , le jeu de cartes , lifez , le jeu des
caries.
Page 87 , à la fin de l'alinea , Autores , lifez , Anttores.
>
Page 96 , lig. 6 , en montant , genre , lifez , génie.
Page 99 , lig. 8 , en montant lifez , rue des
Carmes.
Page 100 , lig. 11 , en montant , au lieu d'une livre
dix fols , lifez , 4 liv. 10fels.
Page 108 , lig. 2 , ces , lifez , fes.
Page 113 , lig. 4 , la monopole , lifez , le monopole.
Ibid. lig. 12 , voir , lifez , unir.
Page 114 , lig. 6 , coulerent , lifez , couloient.
Page 119 , g. 18 , préféteroit , lifez , puiſeroit.
Ibid. lig, 24 , d'oftevroles , lifex , d'oftéocales,
215
5
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le Mercure du mois de Décembre , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion,
A Paris , ce 29 Novembre 1757. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES IN VERS AT EN PROSE
EPITRE,
Trop long , Conte très- court ,
page s
8
Epître à M. de Boulogne , Contrôleur général des
Finances 18
Le Soupir , à Madame L *** , qui m'en demandoit
l'explication ,
La Perdrix & fes Petits , Fable ,
24
27
Stances à MM. les Gardes du Corps du Roi , fur la
fête qu'ils ont donnée à Orléans le 16 Octobre ,
à l'occafion de la Naiffance de Monfeigneur le
Comte d'Artois ,
Suite des Réflexions fur l'Efprit humain
28
30
Vers à Olympe , & Madrigaux du même Auteur
,
Vers à M. le Contrôleur général ,
62
83
Vers à Madame de M... qui m'habilloit en femme
, 64
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure du mois de Novembre,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfen ,
65
ibid.
68
216
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES:
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveant;
Lettres à l'Auteur du Mercure ,
72
796 97
Séance publique de l'Académie des Belles - Lettres
de Montauban ,
111
119
ART. III. SCIENCES ET BELLEs Lettres,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Hiftoire naturelle. Obſervations d'anatomie & d'hiltoire
naturelle , faites fur un chien de met , 116
Chirurgie. Lettre à M *** , 140
Séance publique de l'Académie des Sciences , 147
Avis aux Soulcripteurs de l'Encyclopédie ,
Mufique.
ART. IV. BEAUX- ARTS.
148
153
Peinture. Lettres à l'Auteur du Mercure, 159, 165
Gravure, 167
Archite&ure. 174
ART. V. SPECTACLES
Opera ; 179
Comédie Françoife , 187
Comédie Italienne , ibid.
Concert fpirituel . 183
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
189
Nouvelles de la Cour , de Paris &c , 195
Bénéfices donnés , 203
ibid
Mariage & Morts ,
Mémoire généalogique de la maifon du Chaftel ,
Avis divers ,
La Chanson notée doit regarder la page 68.
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert,
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE. 1757.
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife. La Fontaine.
Cestin
Filurins
Full Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Anguftins.
CELLOT , grande Salle da Balais
Avec Approbation & Privilege du Roi.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
325807
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
4005
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt cher M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure .
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant
16 volumes.
pour
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
cure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
Aij
On Supplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi& Jeudi de chaque semaine, aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ;
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
**
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1757 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE TORRENT,
FABLE.
UN ruiffeau dans fon cours foible, mais fortuné,
Régnoit fur un vallon fertile
Où les deftins l'avoient borné.
Il dédaigna bientôt un bonheur ſi tranquille ;
Et contemplant l'éclat majeftueux
De ces fleuves puiffans , dont la courſe féconde
A iij
6 MERCURE DE FRANCE :
Enrichit & parcourt le monde ,
L'ambition faifit fon coeur préfomptueux.
Eh quoi dit- il , dans un coin de la terre ;
A jamais rampant , ignoré ,
Verrai-je mon cours refferré ?
Portons plutôt partout & le trouble & la guerre ;
Que le bruit de mes flots foit égal au tonnerre.
Il dit, & ferpentant par cent détours divers ,
Il s'approche du pied des montagnes voisines ,
Au moment qu'un orage éclatoit dans les airs
Les bouillons écumans qui tombent des ravines
Viennent groffir fon onde à flots précipités.
Il franchit à l'inftant fes bords épouvantés :
Torrent impétueux dans fa fureur foudaine ,
Il pourfuit, il renverfe , il fubmerge, il entraîne
Les arbres , les moiffons & les humbles hameaux ,
Et les Bergers & les troupeaux :
Il ofe porter le ravage
Jufqu'aux palais des Rois , juſqu'aux temples des
Dieux :
Tout périt , & lui feul s'applaudit de fa rage;
Les plaintes des mourans , les cris des malheureux
Sont pour lui des chants de victoire :
Sur les maux de la terre il meſure ſa gloire.
Mais les voeux des humains aux cieux font entendus
:
Il triomphe , il n'eft déja plus :
Déja fon onde divifée
OCTOBRE. 1757 .
S'affoiblit , fe difperfe , & fon cours expirant
S'abîme dans le fein de la terre appaiſée .
Vous ,Prince, qui briguez le nom de Conquérant;
Redoutez le fort du Torrent.
SANS Y PENSER ,
Conte plus vrai qu'une histoire.
SANS y penſer , c'eſt la deviſe des gens
du monde on parle , on agit , on fe lie ,
on fe brouille , on rit , on s'afflige , on eft
poli , impertinent , amufant , ennuyeux
fans y penfer. Vous remarquerez pourtant
que ces fans y penfer- là ont fouvent des
fuites fâcheufes , & l'hiftoire de Dorante
fuffira pour vous convaincre que les chofes
les plus ordinaires faires fans y penſer ,
peuvent empêcher un homme d'être heureux
toute la vie.
Dorante avoit paffé fon enfance à la
campagne auprès d'une foeur de fon pere ,
nommée Eliante , qui lui donna toute l'éducation
dont un efprit léger & inconfé
quent eft fufceptible . Il fortit des mains
de cette femme eftimable pour entrer dans
le monde , & il y débuta avec tout ce qu'il
faut pour y être aimé. Il étoit , fans y
penfer , fuperficiel , capricieux , extrava-
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
gant , gros joueur ; il avoit des manieres
agréables , un abord prévenant , un eſprit
aifé , & une fort jolie figure fans y penfer ;
ce qui eft rare . Cette figure fervoit de vernis
à fes bonnes qualités , & de voile à fes
défauts. Dorante , tel que je le peins , intéreffa
, fe fit aimer , & eut des aventures.
Il fe dégoûta bientôt de ce train de vie , &
il en choifit un autre dont il fe trouva plus
mal : il fe livra à trois ou quatre jeunes
gens qui vécurent quelque temps à fes dépens
, & qui l'entraînerent dans des tripots
, où il perdit tout fon bien fans y
penfer.
Il connut alors que les liaiſons qu'on
forme fans y penfer, fe rompent de même :
ces amis qui s'étoient fi vivement attachés
à lui , l'abandonnerent dès qu'il fut ruiné.
Il refta feul & fans bien au milieu d'un
monde , où l'on ne trouve que les agrémens
qu'on y achete.
Il s'agiffoit de fe marier , d'obtenir un
régiment , & de foutenir un nom. Dorante
n'y penfa que lorsqu'il fut hors d'état d'y
réuffir ; il ne put fupporter fa mifere aux
yeux des gens qui avoient été témoins de
fon éclat. Il retourna chez fa tante pour
fe confoler , au fein de la retraite , des malheurs
qu'il avoit effuyés dans la fociété .
Un air accablé, unabord trifte, un équipage
OCTOBRE. 1757. 9
fimple , annoncerent à Eliante le défaftre
de fon neveu . Elle lui épargna l'aveu de
fes torts , lui parla avec tendreffe , & lui
demanda uniquement s'il n'avoit point fait
de dettes . Dorante avoua qu'il devoit dix
mille écus. Vos fautes , répondit Eliante ,
n'ont d'autre caufe que la légèreté de
votre efprit ; elles font pardonnables
puifque le coeur n'y a point de part . Je
payerai les dix mille écus , & je rétablitai
votre fortune : mais promettez- moi de ne
rien faire déformais fans y penfer il le
promit fans y penſer .
Il y avoit dans le château une jeune
femme , parente affez éloignée d'Eliante.
Bélife , c'étoit fon nom , avoit le teint frais,
la taille légere , l'air animé , les yeux pleins
de feu , l'efprit vif, le caractere gai ; il
n'en falloit pas tant pour faire manquer
Dorante à fa parole . Il devint amoureux
de Bélife , fans y penfer : ( Y penfe - s'on
quand on aime ? ) Eliante approuva cette
inclination : Bélife y répondit , aucun des
trois n'y penfa.
Les deux Amans ne tarderent pas à s'époufer.
Eliante leur donna de quoi vivre
agréablement enfemble , mais fans luxe.
Ils vinrent à Paris , & c'éroit où Dorante
devoit reconnoître qu'il s'étoit marié fans
y penfer. Il n'avoit encore vu que les agré-
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
mens de fa femme , & n'y avoit point apperçu
un germe de coquetterie , qui fſe développa
trop fenfiblement à Paris . Bélife
fe refroidiffoit pour fon mari à vue d'oeil :
elle montroit de jour en jour un goût plus
violent pour la parure & les frivolités , &
ce grief n'étoit pas le plus fort que Dorante
eût contr'elle . Il fut jaloux , parce
qu'il avoit aimé ; il ceffa d'aimer , parce
qu'il avoit raifon d'être jaloux , & il voulut
fe féparer , parce qu'il n'aimoit plus.
Il ne lui fut permis de rompre avec Bélife
qu'à condition qu'il payeroit fes dettes ,
& qu'il lui feroit une penfion honnête . Il
fit affembler chez lui les créanciers de fa
femme. La Marchande de modes lui donne
un mémoire de quarante mille francs , la
Couturiere de trente , le Marchand d'étoffes
de quatre-vingts , le Bijoutier de
cent , & c. Il aima mieux garder fa femme
que de payer. Dès-lors Bélife ne connut
plus de bornes ; Dorante étoit avili à fes
yeux par la démarche qu'il venoit de faire .
Elle devint à fon égard capricieufe & tyrannique
par étude ; elle pouffa les outrages
jufqu'à l'expreffion du mépris le plus
humiliant. Dorante laffé de ce traitement ,
fe retira chez fa tante , qui partagea fon
malheur , & fe reprocha amérement de
l'avoir caufé.
OCTOBRE . 1757. II
Bélife mourut, quelque temps après, d'une
fievre maligne occafionnée par fes veilles
exceffives. Dorante apprit en même
temps que les dettes de fa femme avoient
été payées avant fa mort par un Financier
de fes amis. Par- là , il fe trouva heureux
fans y penſer ; mais il ne penfa plus à profiter
de fon bonheur.
Il alloit fouvent chez une femme d'environ
cinquante ans , qui avoit de grands
biens , & une figure encore aimable fans
avoir jamais été belle. Son efprit & fon
caractere plurent à Dorante ; fes agaceries
l'entraînerent , & il l'époufa fans penfer
à fon âge. Il fe conduifit avec elle
comme un honnête homme. Egards , affiduités
, careſſes , il mit en ufage tour
ce qui contrefait l'amour. Mais il en
infpiroit trop pour fa tranquillité . Il fentit
bientôt qu'il s'étoit engagé une feconde
fois fans y penfer. Cette contrainte ne dura
pas long- temps. Il eut le bonheur de
perdre encore fa femme . Elle lui laiffa une
belle fucceffion qui lui fut conteſtée . Il
plaida ; fes juges prononcerent fans y
penfer , & il perdit avec les plus juſtes eſpérances
de gagner.
Dorante revint une troifieme fois chez
cette fublime Eliante , qui l'avoit aimé
dans fon enfance , dans fes égaremens &
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
dans fes malheurs . Il vouloit fe confoler
dans la fociété de cette femme folide des
perfidies de fes amis , des coquetteries de
La premiere femme , des importunités de
la feconde , & de la perte de fon procés :
mais Eliante étoit à l'extrêmité quand il
arriva un foupir de tendreffe pour fon neveu
précéda immédiatement fon dernier
foupír. Elle mourut entre les bras de Dorante
, le laiffant fon unique héritier.
Dorante penfoit rarement ; mais il fentoit
toujours. Sa douleur fut proportionnée
à la perte qu'il faifoit. Quand les premiers
torrens des larmes furent verfés , il
fongea à prendre des arrangemens pour
રે
le refte de fa vie. Dégoûté du monde avec
raifon , il voulut fe fixer dans fa terre ;
mais il y étoit mal logé. On lui propofa
un plan qui lui plut : il employa , fans y
penfer, le fonds de fa terre à y bâtir un châreau.
Il laiffa après la terre & le château à
fon Architecte pour le payer , & fe retira
dans une ville de province avec une foible
penfion. Le peu de convenance qu'il
y avoit entre lui & la compagnie qu'il pou
voit voir dans ces endroits , lui donna le
goût de la folitude ; le goût de la folitude.
amena celui de la réflexion . Il devint Philofophe
, & il penfa tout le refte de fa vie
au temps qu'il avoit perdu , au bien qu'il
OCTOBRE . 1757 . 13
avoit diffipé , aux occafions d'être heureux
, qu'il avoit manquées fans y penfer.
Quand on achete ainfi la fageffe aux dépens
des fatisfactions paffageres , on fait
un bon marché fans y penfer.
*
9
VERS
AM qui a la manie de fe plaindre
toujours à tout propos , & qui fe plaignoit
en particulier très-amérement de ce
que Madame la Marquise de *** jouant
avec lui au triɛtrac , lui avoit donné par
gaieté quelques légers coups de cornet fur
les doigts.
ENFANT gâté de la nature ,
Aimable & foible créature ,
Cher P... pourquoi te plains -ta
Par Thémire d'être battu è
Dis-nous quelle injufte manie
Veut fur chaque inftant de ta vie
Faire gémir notre amitié :
Pourquoi , lorfque ton fort à tous doit faire envie,
Vouloir à tous faire pitié ?
De la Bourgeoife & la Marquiſe
Tu triomphes également :
fi n'eft belle dans un moment
Qui près de toi ne foit foumife.
4 MERCURE DE FRANCE.
A l'envi chaque Dieu t'a comblé de fes dons ;
Tu tiens d'Amour fes traits, d'Apollon fes crayons?
On te voit avec joie , on fe plaît à t'entendre :
Tu poffedes , fans y prétendre ,
Tous les talens & tous les tons.
Bel-efprit à la cour & commere à la ville ,
Qui , comme toi , d'un air agréable & facile ,
Sçait occuper autrui de fon oifiveté ,
Minauder , diſcuter , compoſer vers ou profe ;
Et néceffaire enfin par ſa frivolité ,
Par des riens valoir quelque chofe ?
Supprime donc des pleurs qu'on effuie en riant :
Dans ton courage , ami , mets un peu plus d'étoffe ;
A tout l'efprit d'un Philofophe ,
Ne joins plus le coeur d'un enfant.
VERS
A Madame Che... en lui donnant fon collier;
à fa toilette.
QUEL fein ! quelle aimable tournure !
Qu'il eft blanc ! jamais la nature
N'en a fait un plus régulier .
Je préférerois , belle Blonde ,
D'être un rang de votre collier
A tous les plus beaux rangs du monde
OCTOBRE . 1757 .
AVIS UTILE.
VERS
ERS le quarante -huitieme degré dè
latitude feptentrionale , on a découvert
nouvellement une Nation de Sauvages ,
plus féroce & plus redoutable que les Caraïbes
ne l'ont jamais été. On les appelle
Caconacs (1 ) : ils ne portent ni fleches , ni
maſſues : leurs cheveux font rangés avec
art ; leurs vêtemens brillans d'or , d'argent
& de mille couleurs , les rendent femblables
aux fleurs les plus éclatantes , ou aux
oifeaux les plus richement pannachés : ils
femblent n'avoir d'autre foin que de fe
parer , de fe parfumer & de plaire : en les
voyant , on fent un penchant fecret qui
vous attire vers eux les
dont ils
graces
vous comblent , font le dernier piege qu'ils
emploient.
Toutes leurs armes confiftent dans un
venin caché fous leur langue ; à chaque
parole qu'ils prononcent , même du ton le
plus doux & le plus riant , ce venin coule ,
s'échappe & fe répand au loin. Par le fecours
de la magie qu'ils cultivent foigneu-
(1 ) Il eft à remarquer que le mot Grec xaos ,
qui reffemble à celui de Caconacs , fignifie mé
shant.
16 MERCURE DE FRANCE.
fement , ils ont l'art de le lancer à quelque
diſtance que ce foit. Comme ils ne font
pas moins lâches que méchans , ils n'attaquent
en face que ceux dont ils croient
n'avoir rien à craindre : le plus fouvent ils
lancent leur poifon parderriere.
Parmi les malheureux qui en font atteints
, il y en a qui périffent fubitement :
d'autres confervent la vie ; mais leurs
plaies font incurables , & ne fe referment
jamais ; tout l'art de la médecine ne peut
rien contr'elles d'ailleurs on les prend
fouvent pour être naturelles ; ceux qui en
font frappés deviennent des objets d'horreur
, de mépris , & le plus fouvent d'une
dérifion qui n'eft pas moins cruelle : tout
le monde les fuit ; leurs meilleurs amis
rougiffent de les connoître & de prendre
leur défenſe.
Les Cacouacs ne refpectent aucune liaifon
de fociété , de parenté , d'amitié , ni
même d'amour : ils traitent tous les hommes
avec la même perfidie ; on remarque
feulement en eux un plaifir un peu plus vif
à répandre leur poifon fur ceux dont ils
ont éprouvé l'amitié ou les bienfaits en
ce cas , ils ont pourtant foin de l'affaifonner
du fuc de quelques fleurs ; car , malgré
leur cruauté , ils ne perdent jamais de vue
l'envie de plaire , d'amufer & de féduire,
OCTOBRE. 1757. 17
Ils paroiffent d'abord les plus fociables
de tous les hommes ; ils les recherchent &
veulent en être recherchés : mais tout ce
qu'ils en font , n'eft que dans le deſſein
d'exercer leur méchanceté , qui ne peut
avoir aucune prife fur ceux qui ont le
bonheur de n'être pas connus d'eux . Plus
vous les voyez affecter de graces , de
gaieté , de vivacité , plus vous devez vous
en défier ; c'eft ordinairement- là l'inftant
qu'ils choififfent pour darder leur venin :
Vous vous livrez à l'enjouement qu'ils
vous infpirent , & vous êtes tout - étonnés
de l'abondance du poifon qui s'eft infinué
dans vos oreilles , & qui vous a porté à la
tête les idées les plus finiftres & les plus
cruelles. Malheur à ceux qui fe plaiſent à
les voir & à les entendre ! Quelques précautions
qu'ils prennent , quelques proteftations
que les Cacouacs leur faffent de
les épargner , ils n'ont pas plutôt le dos
tourné qu'ils éprouvent leur rage.
Cependant ces Barbares , tout barbares
qu'ils font, fe craignent mutuellement ,& ne
s'attaquent guere entr'eux : mais quand ils
rencontrent quelqu'un qui n'eft pas initié
dans les myfteres de leur magie , ils le
pourfaivent impitoyablement du refte ,
parce qu'ils déteftent toute vertu , ils n'en
admettent aucune fur la terre , & affectent
1S MERCURE DE FRANCE:
de croire tous les hommes pervers : il fuffic
d'être modefte , honnête , bienfaiſant pour
être en butte à leurs traits .
On exhorte ceux qui voyageront vers
cette contrée , à fe munir de bonnes armes
offenfives. On a obfervé que ces Sauvages
les craignent beaucoup : à leur fimple vue ,
ils ceffent de rire & de faire rire ; ce qui
eft un figne affuré qu'ils font forcés de
retenir leur venin : il reflue alors fur eux ,
même avec tant de violence , qu'ils périroient
bientôt , s'ils ne s'échappoient
promptement pour aller chercher des objets
fur lefquels ils puiffent le dégorger :
c'eft - là leur unique occupation . On les
voit courir ça & là , & roder fans ceffe
dans cette vue.
Les hommes les plus barbares que l'on
ait découverts jufqu'ici , ne font point
fans quelques qualités morales ; les infectes
les plus déplaifans , les reptiles les
plus venimeux , ont quelques propriétés
utiles. Il n'en eft pas de même des Cacouacs
: toute leur fubftance n'eft que venin
& corruption ; la fource en eft intariffable
& coule toujours . Ce font peut-être
les feuls êtres dans la nature qui faffent le
mal précisément pour le plaifir de faire
du mal.
On a des avis fürs que quelques- uns de
OCTOBRE . 1757. 19
ces monftres font venus en Europe ; ils
fe font appliqués à contrefaire le ton de la
bonne compagnie , pour s'y introduire &
s'y mieux cacher on les rencontre dans
les cercles les plus agréables. Ils recherchent
particulièrement la fociété des femmes
, qu'ils affectent d'aimer ; mais c'eft
contr'elles qu'ils exhalent leur venin de
préférence. Il feroit difficile de fixer des
indices certains pour les reconnoître : on
confeille feulement de fe défier des gens
qui plaifantent fur tout ; on découvre tôt
ou tard que ce font des Cacouacs.
VERS
A Mademoiselle ... fur fon voyage de Paris.
ENFIN NFIN Vous voilà parvenue
Dans ce pays délicieux ,
Ce féjour des fous & des Dieux.
Avouez que votre ame émue ,
Tout à coup au premier afpect ,
N'a pu contempler fans refpect
Ce fracas & cette étendue ,
Et ces dômes perçans la nue
Et ce peuple immenſe , pareil ,
Dans fa bruyante fourmilliere ,
A des atômes de pouffiere ,
•
to MERCURE DE FRANCE.
Mûs dans un rayon du ſoleil.
1
En entrant dans ce vafte empire ,
Des plaifirs , des arts , des talens ,
Vous vous traciez avec délire
Les plus divins enchantemens.
Que d'émotions renaiffantes !
Ce n'eft point affez de cinq fens ,
Les jours n'ont point affez d'inftans
Pour tant de ſcenes raviffantes .
Lorfqu'on vient à réalifer
Cette divine façon d'être ,
De jouir , de voir , de connoître ,
Qu'on eft tenté de mépriſer
La province à peine exiftante ,
Avec fa langueur végétante !
Mais ces premiers momens paffés
Dans l'enchantement des prodiges ,
Dans l'illufion des preſtiges ,
Lorfque dans ces murs inſenſés ;
Vous verrez ces fous empreffés ,
Qu'on nomme bonne compagnie ,
Dans l'infipide tourbillon ,
Et de la mode , & du jargon ,
Pirouetter toute leur vie ;
Lorfqu'évidemment vous verrez
Tant de ridicules titrés ,
De tant de vices décorés ,
Que tout eft chiffon juſqu'aux ames ;
Tout pompon jufqu'aux vieilles femmes ;
OCTOBRE. 1757 . 25
Qu'en ces cercles de fauffeté ,
Qu'ils appellent fociété ,
Tout agrément eft perfidie ,
Et tout fentiment parodie ,
Vous conclurez dans votre coeur ,
Que, pour avoir plus de bonheur ,
Moins de plaifir eft néceffaire :
Préférant loin de ces faux biens
Le fage emploi de ne rien faire ,
Au travail de faire des riens ,
Et chériflant la bonhommie ,
Qui , faute d'autre amuſement ,
En ces lieux remplit notre vie ,
Pour le plaifir du fentiment ,
Libre d'un charme imaginaire ,
Sans peine on vous verra quitter
Ces gens qui fçavent fi bien plaire ,
Pour ceux qui fçavent mieux aimer.
VERS
A Madame ..fur fa petite-vérolle .
LAs des caprices de Vénus ,
L'Amour avoit quitté Cythere ;
Se promettant des triomphes de plus ;
Il fe fixa chez l'aimable Glicere :
Vénus jura de s'en venger ,
Et de l'en faire déloger,
12 MERCURE DE FRANCE.
L'effet fuit bientôt les menaces .
Par un fouffle contagieux ,
Elle voulut chafler , & l'Amour , & les Graces :
Le petit Dieu s'eft ſauvé dans les yeux ,
Les Graces ont gardé leurs places .
SUITE fur M. de Fontenelle ,
t M. l'Abbé Trublet.
par
J'Ax indiqué dans le Mercure du mois
dernier plufieurs petis écrits imprimés de
M. de F , & repandus dans différens Journaux
& différens recueils. Je viens maintenant
au peu de manufcrits qu'il a laiffés.
J'ai déja parlé de quelques- uns dans les
Mercures précédens ; je vais faire connoître
les autres.
1º.Un difcours affez érendu fur l'hiftoire.
J'y ai trouvé quelques morceaux de celui ,
fur l'origine des fables . ( 1 ) Mais il paroît
que ce fecond difcours n'eft qu'un détachement
du premier , & ne devoit faire que
la moindre partie d'un ouvrage plus confidérable
fur l'hiftoire. Je penfe donc , du
moins jufqu'à préfent , qu'il faudra imprimer
ce difcours tel qu'il eft , & fans
en retrancher les endroits déja imprimés
(1 ) Tome 3 , p. 270 , de l'édition de 1742.
OCTOBRE. 1757. 23
dans l'origine des fables . Par-là , on fera
plus en état de fe faire quelque idée de
l'ouvrage que M. de F. avoit projetté fur
l'hiftoire.
2°. Quelques fragmens fur les Philofophes
Grecs , & fur les Poëtes Dramatiques
de la même Nation.
MM. a'Alembert & Diderot ayant paru
defirer d'avoir quelque chofe de M. de F.
pour l'Encyclopédie , je fis remettre au fecond
les fragmens fur les Poëtes Dramatiques
Grecs , le feul manufcrit que j'euffe alors
de M. de F. Quelque temps après , je demandai
à M. Diderot s'il en feroit ufage.
Il me répondit avec vivacité qu'il fe garderoit
bien de mettre dans l'Encyclopédie
un écrit où Efchille étoit traité de fou ; &
il eft vrai que M. de F. le difoit à peu près,
quoique moins cruement . Voici le paffage :
" On ne fçait ce que c'eft que le Prométhée
d'Efchille. Il n'y a ni fujet , ni def-
» fein , mais des emportemens fort poéti-
"ques & fort hardis. Je crois qu'Efchille
» étoit une maniere de fou qui avoit l'ima-
» gination très- vive & pas trop réglée.
ود
Quand M. D. refufe de faire ufage des
fragmens de M. de F. fur les Poëtes Grecs ,
à caufe de cet endroit , il me femble voir
le Roi de Suede ( la comparaiſon n'offensera
pas M. D. elle eft affez noble ) qui
24 MERCURE DE FRANCE
déchire le feuillet de la Satyre huitieme de
Boileau , où ce Poëte traite Alexandre de
fou.
3 °. Le commencement , & quelques
fragmens d'un traité de la raison humaine.
°. Un autre commencement d'un écrit
intitulé , De la connoiſſance de l'efprit bur
main.
50
07
Il paroît que cet ouvrage devoit avoir
au moins deux parties , dont la premiere
traiteroit de l'origine des idées. « Nous les
regarderons enfuite , dit M. de F. fous
» deux rapports principaux qu'elles ont ,
» l'un aux objets extérieurs , ce qui fait
qu'on les appelle vraies ou fauffes , l'au-
» tre à l'efprit même , ce qui fait qu'on
les appelle agréables ou défagréables . En-
» fin des diverſes efpeces d'idées, & de di-
» verſes choſes qui regardent leur nature ,
» nous tirerons les principales différences
» qui font entre les efprits , c'eft - à dire ,
» les différens caracteres qui diftinguent
» les hommes , quant à ce qui regarde l'ef-
»prit. »
>>
ور
"
"
Si je juge des autres par moi- même , &
dans cette occafion je crois pouvoir le faire
fans craindre de me tromper , j'excite
de grands regrets en apprenant au Public
que M. de F. a laiffé imparfaits de pareils
ouvrages , ou plutôt , n'a fait que les
commencer ,
OCTOBRE . 1757. 25
commencer , & qu'on n'en aura que des
fragmens.
Je foupçonne que M. de F. s'en eft degoûté
, & ne les a point achevés , par le
peu de fuccès qu'il en efpéroit. Peu de
François , je l'ai dit ailleurs ( 1 ) , aiment
la métaphyfique ; & il faut convenir que
nous n'avons pas le génie de cette fcience
autant que les Allemands & les Anglois ( 2 ) :
pas
(1 ) Dans le Journal Etranger , de Janvier 1755 ,
Extrait de l'ecrit Italien de M. l'Abbé Buondelmonti
, mort depuis , fopra la mifura ed il calcolo
dei dolori edei piaceri. Cet extrait n'a été imprimé
abfolument comme je l'avois fait. M.
P'Abbé Prevoft , alors chargé de la direction de ce
Journal , le crut d'un It lien , & fur cela en loua
trop le ftyle , en y faifant néanmoins quelques
changemens , & même des retranchemens auxquels
j'ai eu regret. Je rapprochois des idées de
M. Buondelmonti , quelques unes de celles de M.
de Fontenelle , dans fon Traité du Bonheur ; quelques-
unes de celles de M. de Maupertuis , dans fon
Efai de philofophie morale & dans fes Lettres ; &
même quelques- unes des miennes , dans ce que
j'ai écrit aufli fur le bonheur & fur le plaifir. Il
me femble qu'il en réfultoit un nouveau jour pour
les unes & pour les autres M. l'Abbé Prevôt
trouva fans doute que l'extrait feroit trop long
avec toutes ces comparaifons d'idées & les citations
qu'elles entraînoient ; il eut raifon .
(2) Il feroit fuperflu d'avertir que je ne parle
ici qu'en général . Nous avons eu le P. Malebran
che , & nous avons encore MM. de Maupertuis ,
deCondillac , Diderot , &c .
I. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
de plus , M. de F. avoit accoutumé le Pu
blic à des agrémens , dont elle n'eſt pas
auffi fufceptible que la phyfique. Beaucoup
de lecteurs néanmicins les auroient exigés
de lui , pendant que d'autres les auroient
trouvé déplacés. Il penfoir comme ceuxci
; mais ils ne font que le petit non.bre
& j'avoue qu'il n'étoit pas fâché de plaire
au grand , furtout à ceux qui n'ont que
de l'epit , pourvu , comme il difoit ,
qu'il le pût en confcience , & fans fe déplaire
à lui même.
5 °. Quelques extraits qui ne font point
imprimés dans l'hiftoire de l'Académie des
fciences.
6°. Quelques fragmens de fa République
( 1 ) .
Au refte , M. de F. n'eftimoit pas le P. Males
branche comme Philofophe , autant qu'on pour
roit le croire fur l'éloge qu'il en a compofé. Mais
c'est un éloge , fait au nom de l'Académie des
Sciences , & quelques mois après la mort du
Héros . Ce n'étoit ni le lieu , ni le temps d'être
parfaitement fincere ; & d'ailleurs il ne s'agiffoit
pas là du fentiment particulier du Panégyrille ou
de l'Hiftorien . Jamais Auteur ne fut moins
Egoifle que
lui dans fes écrits . Cette conduite eſt
fort lage , & fauve de bien des ridicules ; mais
avec des Ecrivains tels que M. de Fontenelle le
Lecteur , même contemporain , y perd beaucoup,
& la poftér té y perdra encore davantage.
(1) V. le premier vel. du Merc, d'Avril , p. 68.
OCTOBRE. 1757. 27
C'eft peu de chofe , dans les deux fens
de cette façon de parler : cela eft court ; &
d'ailleurs M. de F. n'a pas cru devoir confier
même au papier ce qu'il penfoit fur certains
points importans , mais délicats , du
gouvernement.Jamais homme ne fut moins
frondeur ni de parole , ni même de penſée :
il fçavoit trop combien il eft difficile à des
hommes de gouverner des hommes.
Son ami l'Abbé de Saint Pierre , auroit
bien voulu , à ſon exemple , le tourner du
côté de la politique , & lui faire prêter à
certe grande fcience , ou , pour mi ux dire
peut- être , à ce grand art , la netreté &
les agrémens de fon ftyle. Mais M. de F.
les avoit engagés à la phyfique & aux mathématiques
, moins difficiles que la politique
, quoique plus épinenfes , & furtout
moins dangereufes. L'Abbé de S. P.
éprouva ce danger d'écrire fur les matieres
du gouvernement . Un des rêves de ce
bon Citoyen ( ) , quoiqu'adopté par le
Prince , chargé alors de l'a miniflration
du Royaume , lui fit perdre fa place à l'Académie
Françoife ( 2 ) , & la perdre , tout
( 1 ) C'eſt ainfi que le Cardinal du Bois appelloit
les projets de l'Abbé de S. P.
(2 ) On fçait que l'Abbé de S. P. s'attira cette
petite difgrace par fon livre de la Polyfynodic , on
de la pluralité des Confeils . M. le Régent qui ne
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
ور
d'une voix , à l'exception de celle de M. de
F. de qui je tiens cette derniere circonftance.
Il m'ajoûta que quelques années après ,
le Duc de la Force avoit dit , en fa préfence
même , à l'Abbé de S. P. : « Vous
» vous fouvenez bien , Monfieur l'Abbé ,
qu'il y eut une voix , une feule voix ,
» contre votre exclufion . Eh bien ! ce fut
», la mienne . » M. de F. ne laiffa pas d'être
étonné de la hardieffe du menfonge ;
car , me dit- il , en me contant cette petite
anecdote , le Duc de la Force qui fçavoit
bien que ce n'étoit pas lui qui avoit donné
la voix favorable , avoit de fortes raifons
de croire que c'étoit moi .
7°. Le prologue en vers libres d'une Comédie
intitulée Pigmalion , Prince de Tyr.
C'est le Pigmalion qui devint amoureux
d'une ftatue, & dont M. de F. fait un Prince,
d'après quelques Mythologiftes. Les Acteurs
de ce prologue font , l'Amour , l'Hi.
ménée , la Gloire & la Folie. Les deux premiers
s'adreffent au quatrieme , à la Folie,
crut pas devoir empêcher la délibération de l'Académie
, ni l'exclufion qui y fut décidée , ne voulut
pas que la place de l'Abbé de S. P. fût remplie.
Elle ne l'a été qu'à la mort en 1743 , par M. de
Maupertuis.
On peut voir fon article dans M. de Voltaire ,
catalogue des Ecrivains François , &c. à la fin dẹ
fon Siecle de Louis XIV.
OCTOBRE . 1757. 29
afin qu'elle les venge d'un Prince qui les
néglige, pour ne s'occuper que de la fculp
ture , & c'est l'Amour qui ouvre cet avis ,
parce qu'autrefois la Folie l'avoit vengé de
Narciffe qui n'aimoit point , en le rendant
amoureux de lui même. Quant à la Gloire,
elle est trop glorienfe , pour recourir à la
Folie ; mais elle n'en eft que plus folle d'être
fi glorienfe. Il y a dans ce prologue des
chofes fines & plaifantes fur les fous que
fait l'amour- propre.
J'ignore fi M. de F. avoit fait la Comédie
de Pigmalion. Je ne me fouviens pas
même de lui en avoir entendu parler.
8°. Enone , paftorale en trois actes , faite
pour être mise en mufique. Elle est trèscourte.
Il n'y a du troisieme acte que la
premiere Scene entre Hector & Pâris , encore
n'eft-elle pas entiere. C'est dommage.
L'idée de cette paftorale m'a paru neuve &
heureuſe . Il feroit fuperflu d'ajouter que.
les détails en font ingénieux . C'est vraisem
blablement un ouvrage de la premiere jeuneffe
de M. de F. Il eft certain du moins
qu'il a précédé Thétis & Pelée On y trouvera
les deux vers fi connus :
Dans l'empire d'amour on tient le rang fuprême ,
Dès que l'on fçait charmer.
Je ne puis guere douter que M. de F.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
n'eût achevé ce petit poëme ; mais je n'eſpere
plus recouvrer ce qui manque.
9° . Un affez grand nombre de petites
pieces de poéfie , dont la plus grande partie
avoit parue dans les Mercures de M. de Vife
1677 , & fuivans , & vient de reparoître
dans le porte -feuille trouvé , & enfuite dans
le Choix des anciens Mercures. Mais , comme
j'en ai déja averti , toutes celles qui
font de M. de F. dans les anciens Mercures ,
ne portent pas fon nom ; & parmi celles
qui ne le portent pas , les unes font abfolument
anonymes ; les autres ont des lettres
initiales qui ont trompé les Editeurs de
quelques uns de nos Poëtes , & par exemple
, ceux de M. Pavillon ( 1 ).
་
Voilà , outre ce que j'ai déja indiqué
dans les Mercures précédens , tout
ce que je connois d'imprimés & de ma.
nufcrits de M. de F , dont on pourra former
un fupplément aux 8 volumes de fes
OEuvres. Je prie ceux qui connoîtroient
( 1 ) Je pourrai entrer là deffus dans un plus
grand détail , dans la préface du Supplément des
Euvres de M. de F. fi pourtant cela en vaut la
peine. J'avertis d'avance que la jolie fable du
Moineau , du Roignol & de la Fauvette , imprimée
dans les OEuvres de M. Pavillon , t . 2 , p. 66.
de l'édition de M. de Saint Marc , eft certainement
de M. de F.
OCTOBRE. 1757. 31
d'autres imprimés , & qui poffederoient
d'autres manufcrits , ne fût- ce que quel ,
ques lettres , de m'indiquer les uns & de
me communiquer les autres . Tout est précieux
d'un homme comme M. de F.
On ne pourra guere fe difpenfer de
réimprimer ce qui a déja été imprimé ,
parce que fi M. Brunet ne le faifoit pas ,
un autre Libraire le feroit , du moins dar s
les pays étrangers . A l'égard des manufcrits
, on fera un choix , & l'on y fera févere
, non pas néanmoins autant que l'Auteur
vouloit qu'on le fût, & l'auroit été luimême
; ce feroit l'être trop.
Le Pere Brotier , Bibliothécaire du
College de Louis le Grand , m'a fait lire
quelques Lettres de M. de F. au feu Pere
Caftel. Elles méritent d'être confervées , &
elles le feront. Il y en a auffi plufieurs de
M. de Montefquieu au même Jéfuite , qui
ne le méritent pas moins. Quoique M. de
F. écrivit peu de lettres , il eft impoffible .
que pendant le cours d'une fi longue vie ,
il n'en ait pas écrit un très - grand nombre ,
& de toute efpece.
J'ai quelques- unes de celles qu'il avoit
écrites à Mademoiſelle d'Achy , qui époufa
depuis le marquis de Mimeure , de l'Académie
Françoife. M. de F. l'avoit aimée
autant qu'il étoit capable d'aimer , & fait
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
pour elle plufieurs de fes petites pieces de
poéfie. Madame de Mimeure qui avoit
long temps confervé les lettres de fon
Amant , les brûla prefque toutes quelques
années avant la mort. Une de celles qui
échapperent au feu , tomba entre les mains.
de feu M. Mairault , Auteur d'une traduction
des Paſtorales de Neméfien & de Calpurnius
, précédée d'une Préface , & fuivie
d'un Difcours fur l'Eglogue , dans lefquels
M. de F. eft fort maltraité. Il fit imprimer
une partie de cette Lettre , qui affurément
n'avoit jamais été écrite pour être imprimée.
C'étoit l'exécution d'une idée folle ,
fi l'on veut , mais plaifante , qui avoit
paffé par la tête de Mlle d'Achy , & à laquelle
M. de F. s'étoit prêté par complaifance.
La Lettre donnoit donc prife à la
raillerie , quoiqu'ingénieufe , & il fallut
moins d'efprit pour la tourner en ridicule ,
qu'il n'en avoit fallu pour l'écrire . M.
Mairault étoit fort lié avec l'Abbé Desfontaines
, & travailloit quelquefois à fes
feuilles. Comme il étoit connu auffi de
M. l'Abbé d'Olivet , j'en parlai à cet Académicien
, qui convenant avec moi du
procédé malhonnête de M. M. m'ajouta
qu'il lui avoit dit à lui - même ces propres
paroles Je ne voudrois pas avoir fait la
Lettre , ou du moins l'endroit cité ; mais
OCTOBRE . 1757. 33
je voudrois encore moins l'avoir fait imprimer.
Je dois à M. l'Abbé d'Olivet la juftice
qu'à peu de choſe près , il a toujours rendu
à M. de F. toute celle que je crois lui être
dûe , quoique , pour me fervir de l'expreffion
ordinaire , ils ne fuffent pas du même
parti.
M. de F. fçavoit bien qu'il avoit des
ennemis. J'ajouterai même qu'il fçavoit
bien les diftinguer de fes amis , & que le
traitement n'étoit pas égal . M. de la Motte,
qui d'une certaine façon en méritoit encore
plus , en avoit pourtant moins ; il fe
flattoit même de n'en avoir aucun , & il
alla un jour juſqu'à dire à M. de F. qu'il
croyoit avoir pour amis tous les Gens de
Lettres. Si cela étoit vrai , lui répondit il ,
ce feroit un terrible préjugé contre vous ;
mais vous leur faites trop d'honneur , & vous
ne vous en faites pas affez.
Parmi les Lettres de M. de F. on en
trouvera une pour feue Mile Sallé à feu M.
de Montefquieu. Je la tiens de M. Thiriot ,
qui pria M. de F. de l'écrire. Mlle Sallé
alloit en Angleterre où M. de Montesquieu
étoit alors M. de F. conta à cette occafion
à M. Thiriot qu'une autre célebre Danfeufe
de l'Opera , Mlle Sulligny , étant allée
auff en Angleterre , avoit cherché des
By
34 MERCURE DE FRANCE.
lettres de recommandation , & que lui &
l'Abbé Dubos lui en avoient donné pour
M. Locke. L'illuftre Métaphyficien peu
fenfible vraisemblablement au talent de la
Recommandée , mais rempli d'eftime pour
les Recommandeurs , devint l'homme d'affaires
de Mlle Subligny : ce fut l'expreffion
de M. de F.
Sa Lettre pour Mlle Salle à M. de Montefquieu
convient également, & à celle pour
qui elle étoit écrite , & à celui qui devoit
la recevoir : mais Mlle S. ayant différé fon
voyage , ne trouva plus M. de M. à Londres
, lorfqu'elle y arriva ; il venoit d'en
partir.
La fageffe de Mlle Sallé eft auffi connue
, & , pour ainfi dire , auffi célebre que
fon talent ; fageffe d'autant plus eftimable ,
que fon talent l'expofoit davantage . M. de
Voltaire célébra l'une & l'autre par les vers
fuivans qui devoient être placés au bas de
fon portrait , & que je ne crois pas imprimés.
De tous les coeurs & du fien la maîtreffe ;
Ede allume des feux qui lui font inconnus.
De Diane c'eft la Prêtreffe
Danfant fous les traits de Vénus (1 ).
( 1 ) Plufieurs Dames auffi refpectables par leur
yertu que par leur naiffance , honoroient Mlle
OCTOBRE. 1757. 35
On voit par tant d'Ouvrages de M. de F.
qu'il aimoit le travail de la compofition .
Auffi m'a- t'il répété plufieurs fois qu'il
auroit été Auteur , quand même il n'eût
pas eu befoin de l'être pour faire quelque
fortune. Un jour entr'autres , il me dit
que lorfqu'il avoit réfléchi fur la maniere
la plus heureuſe pour lui de naître & d'êrelativement
à fon caractere , il auroit
voulu naître avec cinquante mille livres
de rente , & être Président de la Chambre
des Comptes ; car , ajouta-t'il , il faut
être quelque chofe , & que ce quelque
chofe ne vous oblige à rien ; que comme
Sallé de leurs bontés. Je me contenterai de nommer
Madame la Marquiſe du Tort , foeur de M. le
Comte de Nocé. Ils avoient pour pere M. le Comte
de Fontenay , fous- Gouverneur de M. le Duc de
Chartres , depuis Duc d'Orléans & Régent du
Royaume. C'étoit un homme de beaucoup d'efprit
& de probité , mais auffi mifanthrope que M.
le Duc de Montaufier. On a imprimé il y a quel
ques années quelques- unes de fes Lettres à fon
augufte Eleve. Madame du Tort étoit une des
meilleures amies de M. de F. On connoît la galanterie
badine qu'ilfit pour elle :
C'est ici Madame du Tort ,
Qui la voit & ne l'aime , a tortj
Mais qui l'entend & ne l'adore ,
A mille fois plus tort encore.
Pour celui qui fit ces vers-ci ,
Il n'eut aucun tort , Dieu merci.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fon goût le portoit à la compofition , il
auroit compofé , nrais fans fe nommer ;
qu'il auroit donné fouvent à manger , mais
fans fuperfluité ni délicateffe recherchée ,
à un petit nombre d'amis choifis , jamais
plus de cinq ou fix à la fois ; qu'il leur :
auroit lu fes Ouvrages , comme lui ayant
été confiés par l'Auteur pour les faire voir
à des gens d'efprit , & avoir leur avis , &c .
Le travail de M. de F. étoit affidu , fans
être opiniâtre ni forcé. Il y confacroit réguliérement
toute la matinée , & donnoit
le refte de la journée à la fociété. Il ſe levoit
& fe couchoit de très- bonne heure ,
& ne connoiffoit point à cet égard la différence
des faifons . Rien de plus uniforme
que fa vie .
Travaillant fans beaucoup d'effort , avec.
application , mais fans contention ( 1 ) , il·
portoit dans les compagnies , comme dans
fon lit , une tête bien libre & bien dégagée:
des idées qui l'avoient occupé dans fon
(1) Il faut excepter de ce travail fans contention,.
fes Elémens de la géométrie de l'infini , & peut-être.
quelques-uns de fes extraits de l'Académie des
Scences. Voyez le Mercure de Juin , p. 58.
Le premier volume de l'Hiftoire de cette Compagnie
, depuis le renouvellement de 1699 , ne
parut qu'au commencement de 1702. L'Hiftorien
gagna bientôt une année , & tous les volumes fe
fuccéderent enfuite fans interruption,
OCTOBRE . 1757 . 37
cabinet ; il en fortoit , fi je puis m'exprimer
ainfi , tout entier , & il n'éprouvoit
ni ces diftractions , ni ces infomnies fi ordinaires
aux Auteurs toujours remplis de
l'Ouvrage qu'ils ont fur le métier. On dit
que les unes & les autres font une preuve
de génie. J'ai pourtant vu de ces diftractions
à beaucoup d'Auteurs médiocres , &
je les ai entendus fe vanter de leurs infomnies
(1 ).
rapport
de
Un des plus beaux chapitres des Confidérations
, &c. de M. Duclos , & peut-être
le plus finement penſé de tout le livre , eſt
celui qui a pour titre , Sur le
Besprit & du caractere . Ce rapport i rare
dans la plupart des hommes , étoit preſque
parfait dans M. de F. feulement pourroiton
dire , pour me fervir de l'expreffion de:
M. Duclos , qu'il n'avoit pas aſſez de caractere
, affez d'ame pour fon efprit. Mais il lefçavoit
, il fe connoiffoit , il s'étoit conduit
en conféquence , & , pour m'exprimer
encore avec M. du C , il avoit compié avec:
Jan caractere.
(1 ) Dans la petite piece de vers intitulée , Au
tres Etrennes , ( t 4 , p. 368 ) M. de F. dit :
En ce jour folemnel , où de voeux redoublés ,
Plus qu'en tout autre temps les Dieux font accablés ,
J'ai fait des voeux · ...
Tai demandé des jours occupés & paifibles , & c..
38 MERCURE DE FRANCE.
« Le plus grand avantage pour le bon-
» heur , dit plus bas l'Auteur que je viens de
" citer , eft une efpece d'équilibre entre
» les idées & les affections , entre l'efprit &
» le caractere . »
A cet égard , & par rapport au bonheur,
l'équilibre étoit parfait dans M. de F. Auffi
a -t'il été très - heureux pendant le cours de
la plus longue vie , à l'exception peut -être
des deux ou trois dernieres années ; encore
n'auroient- elles pas été exceptées de cette
félicité conftante , fans la furdité qui augmentant
de jour en jour , comme je l'ai
déja dit , le priva enfin prefqu'entiérement
du plaifir de la converfation . Ce plaifir
avoit été fon principal & prefque fon unique
délaffement ( on fçait qu'il ne jouoit
point ) , & il y étoit prefqu'auffi fenfible
que s'il eût été grand parleur , pourvu
néanmoins que la converfation fût entre
gens d'efprit , fans quoi il s'ennuyoit ,
mais très-poliment ; on ne s'en appercevoit
jamais.
Un de fes dons les plus marqués , car
c'en eſt un , & il eft rare , furtout parmi
ceux qui ont plus d'efprit que de politeffe
naturelle , ou acquife par l'ufage du monde
; c'étoit le don d'écouter & de bien
écouter. Il fe plaifoit à entendre d'excellentes
chofes autant & plus qu'à en dire ;
OCTOBRE. 1757. 39
car alors il s'inftruifoit ou s'amufoit
en repofant fa poitrine ( c'étoit fon expreffion
) naturellement affez foible , pour le
remarquer en paffant ; au lieu que fon
eftomac étoit très- fort. Auffi mangeoit- il
beaucoup , & même peu fainement. Il eft
vrai que depuis un très - grand nombre
d'années , il ne faifoit que dîner , & ne
foupoit point. Il n'a jamais eu qu'une maladie
, vers l'âge de so ans , & ce fut une
fluxion de poitrine. Auparavant , il prenoit
du café à l'eau tous les matins ; il n'en
prit plus qu'après le dîner , & il y mettoit
beaucoup de fucre.
Mais pour revenir à fon don de bien
écouter , je fus un jour fi frappé de l'air
de plaifir avec lequel il écoutoit quelqu'un
quí , à la vérité , parloit fort bier , mais
qui parla long- temps , & dès - lors n'amufa
guere que M. de F. & moi , que je le comparai
à cet Acteur célebre ( 1 ) dont le jeu
muet égaloit celui dont il accompagnoit
fa déclamation.
Après avoir fait fi long- temps un ufage
fi honnête & fi poli du fens de l'ouie , M.
de F. eût bien mérité de le conferver toujours.
M. de F. écoutoit d'autant plus & parloit
d'autant moins dans une compagnie ,
(1) Baron
40 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle étoit moins bien compofée. C'eſt
d'une part , part , qu'il n'aimoit pas à dire des
chofes trop communes, de pures inutilités ,
& que de l'autre , lorfqu'il parloit , il vouloit
être entendu & fenti . La politeffe ordinaire
d'un efprit fupérieur , eft de fe
mettre au niveau de ceux à qui il parle.
A l'égard de quelques perfonnes , c'en eft
une auffi de fe tenir au deffus de leur portée.
Par là , on flatte leur amour- propre.
Elles feignent d'entendre , & fe perfuadent
qu'on croit qu'elles entendent en effet.
Mais cette forte de politeffe a quelque
chofe de faux , & M. de F. étoit trop vrai
pour s'y prêter. On a pourtant dit qu'il
parloit volontiers de philofophie aux jolies
femmes Oui , pourvu qu'elles enffent de
l'efprit . Il y en a de charmantes à qui il
n'auroit voulu effayer de faire concevoir
les Antipodes , cuffent- elles dû l'admirer
,
pas
« Et fe pâmer à fa douce façon de , &c . ( 1 ) »
(1) Eigramme de Rousseau.
Et n'eft caillette en honnête maiſon ,
Qui ne fe pâme , &c.
fer-
Je la cite pour la feconde fois ; mais que
viroit de diffimuler ce que perfonne n'ignore
J'ajouterai même , quoique cela ne foit pas fi généralement
connu , que fous le nom de Cydias .
OCTOBRE. 1757. 41
Il feroit fuperflu d'ajouter que M. de F.
étoit bon entendeur. Je dis fuperflu pour
ceux qui l'ont connu ; car les autres pourroient
abfolument en douter , & il eft
d'expérience que tous ceux qui fçavent
bien parler , ne fçavent pas bien entendre.
J'avoue que dans quelques - uns cela vient
de vanité & d'inattention à ce qu'on leur
dit. Mais j'ai cru remarquer que cela venoit
auffi dans plufieurs d'un défaut réel
dans l'efprit ; défaut que je n'ofe appeller
un manque de fineffe & de promptitude
M. de la Bruyere paroît avoir voulu peindre M.
de F. ( chap. de la fociété de la conversation ) ,
& c'eft vraisemblablement d'après ce portrait
malin , que Rouſſeau fit fon Epigramme. Je dois
pourtant dire que je n'ai trouvé le nom de M.
de F. dans aucune des clefs du livre des Caracteres,
pendant qu'on y trouve une foule d'autres noms
très- refpectables , & furtout bien plus redoutables
que celui de M. de F. qui ne l'étoit point du tout.
Mais je ne me prévaudrai point du filence des
clefs , pour jetter du doute fur le véritable original
du portrait ; la charge , pour être très -forte
n'en ôte pas la reflemblance ; j'en parlerai
une autre fois plus amplement. J'ai plufieurs cho
fes à dire fur M. de F. relativement à M. de la B ,
& j'efpere les dire fans partialité . J'aimois bien le
premier ; mais j'eftime beaucoup le fecond. Je
trouve même qu'on ne l'eftime pas affez aujourd'hui
, & , pour tout dire , je n'étois pas abfolument
content de M. de F. fur cet article . Il ef
yrai qu'il avoit été cruellement offenfé.
42 MERCURE DE FRANCE.
d'intelligence ; car ils diroient auffi - bien
& mieux , que ce qu'on dit de mieux en
leur préfence , & cependant ils ne l'entendent
pas , ils ne le fentent pas , ou ne le
fentent qu'imparfaitement . Ils ont , ſi je
puis m'exprimer ainfi , une fineffe active ,
& n'ont pas une fineſſe paſſive. Ils ont ce
qui femble être le plus , & n'ont pas ce
qui femble être le moins. Quoi qu'il en
foit de la caufe qui fépare deux chofes fi
faites en apparence pour être toujours
réunies , M. de F. poffédoit l'un & l'autre
dans un égal degré. ( 1 )
Un jour Madame d'Argenton foupant en
grande compagnie chez M. le Duc d'Orléans
( le Régent ) , & ayant dit quelque
chofe de très-fin qui ne fut point fenti ,
s'écria : Ah! Fontenelle , où es tu ? Elle
faifoit allufion au mot fi connu . Où étoistu
, Crillon ?
Les beaux parleurs , foit gens d'efprit &
(1 ) Dans le chapitre des Confidérations , &c. déja
cité , l'Auteur dit qu'on doit diftinguer la fineſſe de
l'efprit , de celle du caractere. M. de F. eft un
exemple très-marqué de la jufteffe de cette diftinction.
C'étoit affurément un efprit très fin , mais
ce n'étoit point un homme fin , & par cela même
il étoit un peu défiant , du moins précautionné.
Sans de fortes preuves , il ne jugeoit mal de perfonne
en particulier ; mais il avoit affez mauvaiſe
opinion des hommes en général.
1
OCTOBRE . 1757. 43
à penfées , foit gens d'imagination & à
faillies , fe plaifoient beaucoup avec M.
de F. parce que , outre , comme je l'ai dit ,
qu'il les écoutoit autant qu'ils vouloient ,
ils ne perdoient rien avec lui.
M. Duclos n'étant encore que de l'Académie
des Belles Lettres , & n'ayant donné
que les Confeffions , &c. & Madame de Luz
qu'il n'avoit pas même encore avouées, eur
une affez longue converfation avec M.
de F. fur un point de littérature , & la
matiere fut traitée très philofophiquement.
Quand M. D. eût ceffé de parler ,
M. de F. fut fi content de ce qu'il venoit
d'entendre , qu'il lui dit : Vous devriez
écrire , faire quelque Ouvrage. Et fur quoi ,
Ini demanda M. Duclos ? M. de F. répondit
: Sur ce que vous venez de me dire.
Il excitoit volontiers à compofer , ceux
en qui il appercevoit du talent , & un talent
original ; mais furtout de la lumiere ,
de l'efprit proprement dit , le grand don
de penfer de foi - même & d'après foimême
, de voir dans les chofes ce qu'on
n'y avoit pas encore vu . Lorsqu'on lifoit
en fa préfence un Ouvrage nouveau ,
fi
quelques traits venoient à le frapper , fa
grande louange étoit : Cela eft neuf, ou
cela eft bien vu (1. Voilà ce qu'il appelloit
( 1) Je le crois même auteur de cette derniere
44 MERCURE DE FRANCE.
de l'efprit & du génie. Il en trouvoit à
l'Auteur à proportion que ces traits neufs
& lumineux étoient en plus grand nombre
dans fon ouvrage , & en même temps plus
fins , plus profonds , & c. à proportion de
la quantité & de la qualité. Si de plus cet
Ecrivain penfeur & original , penfoit , non
en quelque forte au hazard , mais , pour
ainfi dire , de fyftême ; fi fon ouvrage préfentoit
un deffein , un plan ; s'il formoit
un bel enfemble , un beau tout ; en un
mot , fi la forme égaloit la matiere , & fi
le créateur étoit architecte ; alors l'Auteur
étoit pour M. de F. un efprit & un génie
parfait , un Descartes en philofophie , un
Corneille en poésie , un la Morte en littérature.
Ce font là les trois hommes dont
je l'ai entendu parler avec le plus d'eftime ,
& à qui il donnoit plus de fonds d'efprit .
On fçait affez comment il en a parlé dans
fes Ouvrages , toutes les fois qu'il a eu
occafion de le faire .
Son Hiftoire de l'Académie des Sciences
eft remplie des louanges de Descartes.
Voici ce qu'il en difoit encore dans l'extrait
non imprimé ( j'ignore pourquoi il
ne le fut pas ) d'un Mémoire de M. Saurin
façon de parler , devenue aujourd'hui fort ordinaire
; ce qui fait honneur à notre fiecle,
OCTOBRE. 1757. 45
fur la caufe de la pefanteur , qu'on trouve
dans le volume de 1709 .
« M. Defcartes , dit M. de F , Auteur le
plus original qui ait peut- être jamais été,
» eft le premier qui ait confidéré les for-
» ces centrifuges des corps mus en rond ,
» & le premier qui en ait prétendu tirer
» la pefanteur. Cette idée eft fi belle , fi
» ingénieufe , fi conforme au plan général
» de la nature , fi agréable même pour
» ceux qui ont un certain goût de phyfique
, qu'elle mérite de n'être abandon-
» née que pour des difficultés invincibles
» & qu'à la derniere extrêmité ; & d'au-
» tant plus qu'il eft fort à craindre qu'en y
» renonçant , il ne faille auffi renoncer
» pour jamais à fçavoir ce que c'eſt que la
pefanteur des corps. »
و د
33
Quant à M. de la Motte , les amis de
M. de F. fe fouviendront de lui avoir
entendu dire plus d'une fois : Un des plus
beaux traits de ma vie , c'eft de n'avoir pas
été jaloux de M. de la Motte.
Comme ils vivoient dans les mêmes fociétés
, M..de F. avoit eu de fréquentes
occafions de connoître par la converfation
de M. de la M. auffi - bien que par fes Ouvrages
, tout ce qu'il a dit de la jufteffe , de'
l'agrément & de l'étendue de fon efprit ,
dans fa réponse à M. l'Evêque de Luçon ,
46 MERCURE DE FRANCE.
fucceffeur de M. de la Motte dans l'Acadé
nie Françoife. (1 )
Voilà les deux hommes de Lettres que ,
dès ma premiere jeuneffe , j'ai le plus defité
de connoître , quoi que pût me dire
contr'eux , mon Régent de Rhétorique, le
P. Guyot , alors Jéfute , & fi fameux de
puis fous le nom de l'Abbé Defontaines
car je lui dois la juftice qu'il en penfoit
dès lors comme il en a penfé depuis . Je
les connus l'un & l'autre peu après mon
arrivée à Paris ; & plus je les ai connus ,
plus je les ai eftimés , admirés , aimés . Le
premier écrit auquel j'aie mis mon nom ,
eft ma Lettre fur M de la Motte , en Janvier
1732. Il étoit mort le 26 du mois
précédent. L'Abbé Desfontaines ne fut pas
trop mécontent de la maniere dont j'avois
parlé dans cette Lettre de mon illuftre ami .
J'y faifois , difoit - il , des avenx hardis &
finceres , qui n'avoient pas plu au perit tron
pean de fes aveugles pariifans (… ). Mais
d'autres endroits de ma Lettre lui déplurent
(1) Je ne puis m'empêcher de citer un trait de
cette réponſe , dans lequel , en peignant fon ami ,
M. de F. s'eft peint lui- même , fans y penter. Un
efprit nourri de reflexions , plein d'idees bien faines
bien ordonnées , &c.
(2 ) Nouvellifte du Parnaſſe , t . 4 , p. 66. Eſprit
del'Abbé Desfontaines , t. 3 , P. 93.
OCTOBRE. 1757. 47
fort. Selon lui , j'y confondois partout la
critique avec la fatyre. Mais ne les avoit- il
point quelquefois confondues lui- même ?
Dans la feuille cirée de fon Nouvellifte
du Parnaffe , l'Abbé Desfontaines avoit aufli
parlé de la réponsede M. de r . à M. l'Evêque
de Luçon , & avec bien plus d'amertume
que de ma Lettre. J'étois infiniment moins
digne de fa colere . D'ailleurs , il avoit
confervé pour moi de l'amitié , comme
j'avois confervé pour lui de la reconnoiffance
. Enfin j'avoue que M. de F. l'avoit
traité lui- même un peu durement dans cette
réponse ; & je ne reconnus point fa douceur
ordinaire , lorfque je lui entendis dire.
33
« Parlerai je ici de cette foule de Cen-
» feurs que fon mérite lui a faits ? Secon-
» derai- je leurs intentions , en leur aidant
» à fortir de leur obfcurité ? Non , Meffieurs
, non , je ne puis m'y réfoudre ;
» leurs traits partoient de trop bas pour
» aller jufqu'à lui . Laiffons- les jouir de la
gloire d'avoir attaqué un grand nom ,
puifqu'ils n'en peuvent avoir d'autre ;
laiffons les jouir du vil profit qu'ils en
» ont efpéré , & que quelques - uns cher-
» choient à accroître par un retour réglé de
critiques injurieufes. Je fçais cependant
» que même en les méprifant , car on ne
48 MERCURE DE FRANCE.
"
pas
de
peut s'en empêcher , on ne laiffe
» recevoir d'eux quelques impreffions ; on
les écoute , quoiqu'on ne l'ofe le plus
fouvent , du moins fi l'on a quelque
pudeur , qu'après s'en être juftifié par
» convenir de tous les titres odieux qu'ils
» méritent. "
2
23
Cela eft affurément très-beau & trèséloquent.
Ifocrate étoit devenu Demofthenes
, pour vanger fon ami ; mais , encore
une fois , cela étoit dur. L'Abbé Def.
très fenfible aux traits qu'on lui lançoit ( &
cette fenfibilité lui fait une forte d'honneur
) , le fut infiniment à ceux de M. de F.
H voulut s'en vanger à fon tour ; il compofa
une feuille très maligne. Elle fut arrê
tée fur l'épreuve même , & le privilege
retiré. Elle ne parut donc point , & on
ne l'a vue que plufieurs années après : mais
alors le plaifir de la vangeance étoit émouffé
, ou plutôt , une vangeance fi tardive
n'en étoit plus une ; & la feuille qui eût
été lue dans le temps avec avidité par un
certain public , eft vraiſemblablement inconnue
à la plupart de mes Lecteurs.
Environ trois ans après , en 1735 s
l'Abbé des F. obtint un nouveau privilège
pour des feuilles périodiques. Ce font celles
qu'il intitula : Obfervations fur les écrits
modernes. On les fupprima encore en 1743 ·
Cependant
OCTOBRE. 1757. 49
Cependant l'année fuivante il donna de
nouvellesfeuilles fous le titredejugemensfur
les Ouvrages nouveaux. M. de F. tut encore
attaqué , mais loué auffi , dans les unes &
les autres. Il n'y auroit rien à dire , fi ces
critiques & ces louanges ne fe contredifoient
pas fouvent. L'Abbé des F. n'étoit pas
feulement partial : il étoit homme d'humeur
& de paffion , & chaque feuille dépendoit
beaucoup de fon humeur actuelle.
Difons tout. L'Abbé des F. n'avoit pas
affez d'efprit pour fentir tout celui de M.
de F. Son goût étoit plus jufte que fin ; &
dès- lors il n'étoit pas toujours jufte . Il
a quelquefois critiqué , faute d'entend é
ce qu'il critiquoit . M. l'Abbé de Pontbriant
, M. de Gennes de la Motte ( 1 ) , &
(1 ) Le premier eft Auteur du livre intitulé ,
Nouvelles vues fur le fyflême de l'Univers , 1751 .
M. de F. y eft-ſouvent loué , & très- bien loué , je
ne citerai que cet endroit de la page 2. Comme
P'ouvrage eft divifé en fix entretiens entre l'Auteur
& une Marquife : « Qu'on ne pense pas
» dit-il , à ce mot de Marquise , qu'il me foit venu
» dans l'idée d'attenter aux droits de l'homme
» unique , à qui feul il appartient de dérider dé-
» cemment le front de la philofophie , & de lui
» faire rirer avantage d'un refte de contraste avec
>
les Graces & les Ris Trop d'exemples font crain-
» dre qu'en inventant l'art , il n'en ait épuisé les
reffources , ainfi que les fineffes . L'inconvénient
d'être copifte & de lui trop reffembler , ne peut
1. Vol. C
༨༠
MERCURE
DE FRANCE.
moi , ( fi j'ofe me citer ) tous trois fes difciples
à Rennes , nous l'en avons fait convenir
plus d'une fois ; car , malgré fon
impétuofité naturelle , il fe rendoit , lorfqu'on
fçavoit le prendre comme il faut , &
lui parler avec douceur ; ou s'il ne fe rendoit
pas , ce n'étoit point comme tantd'autres
, par vanité & par préfomption
( fur le ton impérieux & magiftral qu'il
prenoit fouvent , on lui en a cru plus qu'il
n'en avoit ) , c'étoit , je le répete , faute
de lumieres affez étendues , & d'une certaine
fineffe de goût.
Je ne diffimulerai point qu'un autre de
fes difciples, (le Pere Berthier) mais dans
une autre ville , à Bourges , lui eft beaucoup
plus favorable que moi , & peutêtre
plus que fon abbréviateur même ,
quelque intéreffé que celui - ci fût à l'être.
Il lui accorde ( 1 ) , « l'avantage de faire
toujours appercevoir beaucoup de goût ,
d'intelligence & de fineffe ; avantage
93
» être que très- voifin de celui de l'imiter mal ,
» & de ne lui point reffembler. v
M. Degennes-de la Motte eft Avocat aux Confeils
, & ea cette qualité Avocat des Etats de Bretagne.
Je ne connois perfonne qui ait l'efprit plus
jufte & le goût plus délicat.
( 1 ) Journal de Trévoux , dans le mois d'Août
dernier , extrait de l'esprit de l'Abbé Desfontaines
OCTOBRE. 1757 .
SI
»
qui n'eft pas donné à tout le monde , &
que cette homme rare , poffédoit dans
»un degré très éminent . »
Je n'ai encore vu aucun homme de lettres
, je dis de ceux que l'Abbé des F. a le
plus loués lui - même , à qui ces louanges
n'aient paru trop fortes.
On peut diftinguer deux fortes de fineffe
dans un critique . L'une confifte dans la
fagacité à appercevoir les défauts & les
beautés des ouvrages ; l'autre dans une
maniere fine d'expofer & de faire fentir
ces beautés & ces défauts , de louer & de
cenfurer. Ces deux fortes de fineffe ne fe
trouvent pas toujours enſemble . Une critique
pourroit- être écrite finement , ſans
être fine , & fine , fans être écrite finement.
L'Abbé des F. étoit médiocre à ces
deux égards , furtout à l'égard de la fineffe
du ftyle . En général , fon ftyle eft clair ,
vif& naturel , mais négligé , peu correct ,
& fans élégance. Loue t'il ? C'eſt d'ordinaire
par des louanges communes & fans
délicateffe . Cenfure- t'il ? C'eft par des
railleries plus fortes qu'ingénieufes , fouvent
ameres & groffieres , & plutôt des injures
que des railleries . Il n'avoit pas le ton
de la bonne plaifanterie .
Mais quand même il eût eu tout le goût,
toute l'intelligence , toute la fineffe , que le
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE.
Pere B. lui attribue , avoit - il de l'équité
de la fincerité , de la bonne foi ? Ne vouloit-
il louer que le bon , & cenfurer que
le mauvais ? En un mot , le critique étoitil
honnête homme , comme critique ? Il n'y a
que la réponſe de Scaron à faire . Ob non,
Le Pere B. me permettra donc de le lui
dire . Tout bon critique qu'il eft lui même ,
la reconnoiffance
l'a féduit en faveur de
fon ancien maître , & cela lui fait honneur.
J'ajoûterois bien encore une autre
cauſe de féduction . Le Pere B , eſt Jéſuite, -
& l'Abbé des F. l'avoit été pendant près de
17 ans.
M. Fréron qui partagea quelque temps le
travail & lagloire desjugemens fur les ouvra
ges nouveaux ( 1 ) , qui après avoir été l'affocié
de l'Abbé des F , fut fon fucceffeur ,
l'eft encore , & marche fi fidélement fur
fes traces , M. Fréron , dis- je , ne pouvoit
guere être plus favorable à M. de F.
que fon Maître & fon Ami ( 2 ) . Il l'a dorç
traité à peu près de même. Il l'a quelquefois
loué , & plus fouvent critiqué . Sa
derniere critique ( 1 ) a paru fi outrée &
(1 ) Préface de l'Esprit de l'Abbé Desfontaines ,
page 24.
(2 ) Lettre à M. Lefranc , fur la mort de l'Abbé
Desfontaines , t. 1 , p. 278 , des Opufcules de M. F.
(3) Année Littéraire 1757 , tome 1 , P , 113 ,
OCTOBRE . 1757: 33
même fi maligne , que je ne crains point
de la mettre fous les yeux de mes Lecteurs .
Après avoir diftingué dans M. de F. le bel
efprit de l'Académie Françoife , & le Secretaire
de l'Académie des Sciences , M. F. dit :
" Comme bel efprit , l'audace de ſa ré-
>> volte contre les anciens , la méthaphyfi-
» que de fes idées , la fubtilité de fes re-
» flexions , fes recherches trop curieufes
» des invifibles refforts du coeur humain
» la tournure alambiquée de fon langage
» les petites chûtes épigrammatiques de
» fes phrafes , la politique raffinée defonftyle,
» fi je puis parler ainfi , ne lui ont pas fait
» des admirateurs parmi les gens de goût ».
Il feroit auffi ennuyeux qu'inutile de
difcuter en particulier chacun des traits de
ce portrait. J'avoue même qu'ils expriment
affez bien tous les vices voifins des vertus de
M. de F , & que , fi comme l'Abbé des F.
on avoit le goût plus jufte que fin , on pourroit
de la meilleure foi du monde confondre
les uns avec les autres. Je demanderai
feulement à M. F. ce qu'il a entendu par la
politique raffinée du fyle de M. de F. J'ai
foupçonné d'abord une faute d'impreffion ,
& qu'il falloit lire politeffeau lieu de politi
que. Mais fi cela étoit , M. F. n'auroit pas
ajouté , fi je puis parler ainfi. Politeffe raffi
article intitulé , mort de M. de Fontenelle.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
née est une expreffion fimple & ordinaire
pour laquelle on n'a point de permiffion
à demander. Il faut donc lire politique .
Mais alors , à quoi bon , fi je puis parler
ainfi Ce feroit peut -être un patfeport
pour une expreffion trop hardie ,
hardie
, trop
rep finguliere
, ou même d'une tournure alambiquée
, pour une chûte épigrammatique , en
mot pour quelque phrafe à la Fonte
nelle , mais il n'y a point de paffeport pour
une expreffion inintelligible.
Au refte , on n'en trouve guere de pareilles
dans M. Fréron ; l'obfcurité n'eft
point fon défaut . Auffi loue t'il plus bas
M. de F. fur la netteté de fes idées , &
fur la clarté de fon ftyle. Je ne fçais pourtant
s'il a fenti tout le prix de cette louange y
& toute la valeur qu'elle tire des critiques
qui l'ont précédée . La clarié du ftyle n'eft pas
un petit mérite dans M. de F. avec la métaphyfique
defes idées , lafubtilité defesreflexions,
fes recherches trop curieufes des plus inviſibles
refforts du coeur humain , la tournure alambiquée
de fon langage , la politique raffinée de
fon style , &c.
Quoi qu'il en foit de toutes ces accufations
, auxquelles on pourroit répondre ,
tantôt en niant le fait , tantôt en niant le
droit , j'avouerai encore à M. F. qu'il
n'eſt pas le premier qui les ait faites contre
OCTOBRE . 1757.
M. de F : mais qui jamais avoit dit avant lui:
« Sa Pluralité des mondes , fes Dialogues
» des morts , les églogues , font des ouvra-
" ges très ingénieux fans doute , mais fi
remplis d'affectation & de faux brillans ,
qu'il eft difficile d'en foutenir la lecture ,
23
و ر
" & c ".
Ce n'eft pas ainfi que Quintilien , affez
bon juge , fi je ne me trompe ( 1 ) , parloit
de ce Romain célebre , auquel on a quelquefois
comparé M. de F , de l'ingénieux
Seneque ; ce n'eft pas ainfi qu'il le cenfuroit.
Bien loin , felon lui , qu'il fût difficile
de foutenir la lecture de les ouvrages ,
cela n'étoit malheureuſement que trop facile.
Il lui reprochoit des vices ; il l'en
trouvoit plein ; mais c'étoit des vices agréables
: dulcibus abundat vitiis. Voilà comme
il falloit critiquer M. de F. Par là on ſe ſeroit
du moins accordé avec foi- même , &
on auroit expliqué comment il eft un écrivain
dangereux en fait de goût ; car il ne
l'eft point , fi on ne peut le lire.
M. F. a rendu pleine & entiere juſtice
M. de F. comme Secretaire de l'Académic
( 1 ) « Faut-il s'étonner que M. de Fontenelle
» fe foit vu en butte aux traits de Defpreaux , de
» Racine , de Rouffeau , & aux critiques de Féné-
» lon , de la Bruyere , de Rollin , de Desfontaines ,
» & c. tous partifans zélés de l'antiquité , & affez
bons juges , fi je ne me trompe ? » ibid.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
des Sciences : ce qu'il dit enfuite fur ce
que M. de F. étoit dans la fociété , n'eft
pas fi pur & fi net de toute cenfure & de
toute ironie.
Il parle de ces jolies réparties , de ces mots
fins , que lui infpiroient fur le champ la délicareffe
& la galanterie de fon efprit ; mais il
ne dit pas que M.de F. le même dans fa con-
- verfation que dans fes écrits , y étoit fouvent
auffi folide & auffi lumineux qu'ingénieux
& agréable.
Il dit que ces riens agréables viennent rarement
à un homme de cabinet ; & par là il
donne une louange rare à M. de F ; mais
en ajoutant , & même à un homme de génie,
il lui refufe une autre louange bien plus
précieufe. Mais je l'ai dit ailleurs , & je
n'y reviendrai point : comment peut-on refufer
le génie à un écrivain qui penfe autant
que M. de F.
C'eft , dit-on , que penſer , n'eſt que de
l'efprit.
Je ne difputerai point fur les mots ;
mais je déclare une fois pour toutes , que
fi je donnne legénie à M. de F , c'eſt que
j'appelle de ce nom toute grande & importante
qualité de l'efprit poffédée dans un
degré éminent. En ce fens , je regarde M.
Nicole , quoique Ecrivain fans graces , &
fans chaleur , comme un homme de génie.
C'eſt un penfeur.
OCTOBRE . 1757. 57
M. Fréron dit tout de fuite ironiquement
: le grand Corneille fon oncle n'avoit pas
affurément ces graces & ces gentilleffes.
Non , il ne les avoit pas ; mais ce n'eſt
pas parce qu'il étoit homme de génie ; c'eft
parce qu'il étoit homme de tel génie . Il n'avoit
pas le génie des graces & de l'enjouement
, parce qu'il avoit celui de la force
& du fublime.
Mais je dis trop . Aucune forte de génie
n'eft incompatible avec une autre. MM . de
Fontenelle & de Voltaire en font la
preuve.
Le premier a fait un grand ouvrage de
Géométrie , & il avoit des graces : le fecond
a fait des tragédies fortes & fublimes
; plufieurs morceaux de ce caractere
font répandus dans fes autres ouvrages ; &
il est plein de graces . Mais Lafontaine qui
en avoit tant dans fes écrits , & dont ces
graces naïves & enjouées étoient prefque
l'unique don , n'en avoit pourtant pointdans
la fociété . Toutes ces unions & léparations
, fi je puis m'exprimer ainfi , de
talens & de qualités bonnes ou mauvaiſes ,
tiennent à quelque chofe qui ne fera jamais
bien connu , & elles nous étonneront toujours.
A force de combinaifons difoit
quelquefois M. de F , la nature réunit tout
& fépare tout. Elle n'eft bifarre que parce
qu'elle eft féconde .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
J'en demeurerai là aujourd'hui ; je
crains de lafler le Public , non de M. de
F , mais de moi. Dans quelques mois peutêtre
, car il me refte encore beaucoup
dire , je reprendrai mes Fontenelliana , furtout
s'il me paroît qu'on le fouhaite.
Quant à une vie en forme de M. F.
je ne l'ai point promife abfolument , &
je ne la promets point encore. Plus j'y
penfe , plus je trouve de difficultés &
même d'inconvéniens à la faire , comme
je voudrois la faire , c'eſt - à - dire , bien
fincere & bien complette , ou du moins
à la donner , fi ce n'eft dans quelques
années . M. de F , je l'ai déja dit ailleurs , a
connu particuliérement un grand nombre
de perfonnes de tout rang & de tout état.
Il m'en a parlé ; il m'a appris beaucoup de
chofes qui les regardoient ; il m'a dit ce
qu'il penfoit lui-même de ces perfonnes ;
de leurs ouvrages , fi c'étoit des Auteurs ;
de la maniere dont ils ont rempli leurs emplois
, fi c'étoit des hommes en place , & c .
Or je voudrois redire tout cela d'après lui,
parce que les jugemens & les réflexions
d'un homme tel que M. de F. font une partie
auffi utile que curieufe de fon hiftoire.
Mais , avec quelque circonfpection qu'il
jugeât , & fur- tout qu'il parlât , il y auroit
peut - être encore , à publier ce qu'il
OCTOBRE. 1757 . $9
n'a dit & comme il me l'a dit , de quoi
bleffer beaucoup de gens . Je ne veux pourtant
bleffer perfonne ; & fi peut-être cela
m'eft déja arrivé , c'eft bien contre mon
intention affurément . Il faut donc attendre.
VERS
A M. le Comte de Saint - Florentin , le jour
de S. Louis , fa fête .
Sur l'air : Vous qui du vulgaire ftupide
Voulez écarter le bandeau ,
QUE
Prenez Epicure pour guide , &c
UE ce nom cher à la patrie
Eft encor plus cher en ces lieux !
Il offre à notre ame attendrie
Les deux plus beaux préfens des Cieux,
D'un Héros , Miniftre fidele ,
Que tu remplis bien fes projets !
Des Ro's Louis eft le modele ,
Et toi l'exemple des fujets.
La fageffe éclaire tes veilles ;
Infenfible aux bruits de la Cour ,
La voix du peuple à tes oreilles
Parvient fans peine & fans détour :
C vj
60
MERCURE DE
FRANCE.
De ton Prince ami plein de zele ,
Le vrai , le bien font tes objets :
Des Rois Louis , & c ..
*
Tout en lui ne peint , ne reſpire
Que la clémence & la candeur ;
C'est la belle ame qui t'inſpire ,
Tu prends tes vertus dans fon coeur.
Sa grandeur eft fi naturelle !
La tienne eft d'un fi doux accès !
Des Rois Louis , & c.
Il a fait fa gloire fuprême
D'être aimé d'un peuple foumis :
Comme lui tu veux que l'on t'aime ;
Tous fes fujets font tes amis.
Paris , à l'ombre de ton aîle ,
Goûte
l'abondance & la paix 2
Des Rois Louis , &c..
>.
Sans la pourpre & le diadême ,
Il feroit encore adoré :
Moins par ton rang , que par toi-même
Tu feras toujours honoré :
Le refpect que ton nom rappelle
Redouble à te voir de plus près :
Des Rois Louis , &c.
OCTOBRE . 1757. Gr
L'Italie a fait à Madame Dubocage tous
les honneurs que mérite fon talent diftingué.
L'Académie de Bologne s'eft empreffée
à la recevoir , & Rome vient de l'admettre
au nombre de fes Arcades , fous le
nom de la Bergere Doriclée , avec l'applaudiffement
univerfel . Nous l'apprenons par
une Lettre que M. Pizzi , l'un de ces illuftres
Académiciens , nous a écrite dans fa.
langue. Nous nous hâtons de l'inférer ici
avec le Remerciement que Madame Dubocage
a fait en vers François à cette célebre
compagnie.
Roma , 3 Agosto 1757.
MONSIEUR , l'inclita , ed erudita Madame
Dubocage , dopo effere ftata ammeſſa
all' Accademia delle Scienze in Bologna ,.
viene ora aggregata con plaufo univerfale
à quefta noftra Adunanza degli Arcadi fotto
Rome della Paftorella Doriclea.
fenfibile Quefta maravigliofa Donna ,
ad un tal veridica teftimonianza di ftima
( dovuta per altro al fuo merito diftintiffimo
) ha fubito compofto in ringraziamento
i qui aggionti leggiadri verfi diretti agli
Arcadi illuftri.
Mi permetterete
pertanto , Monfieur
6
MERCURE DE FRANCE:
ch' io , come uno de' XII Colleghi d' Arcadia
mi dia l' onore di trasmetterli à voi
qui acclufi per non defraudare la fuda .
Dama da quella accreditata menzione ,
che voi farete per farne nel voftro celebre
Mercurio.
Tanto mi riprometto dalla voftra ben
nota gentilezza ; me'ntre fon' io doppiamente
tenuto di cofi favorevol congiontura
, che mi dà anche il vantaggio di
proteftarmi. Monfieur ,
Dedmo obligmo fervre .
GIOACCHINO PIZZI.
VERS de Remerciement.
QUEL
UELLE puiffance enchantereffe
Mit dans l'empire des Céfars , -
Tous les arts brillans de la Grece !
Un Licée offre à mes regards
Les fçavantes foeurs du Permeffe.
Que vois - je où fut un champ de Mars ;
Un bofquet fait pour la molleffe
Invite au repos de Lucrece !
En ces lieux ou de toutes parts
L'étude & la délicateffe ,
Du Dieu du goût font la richeffe :
Un Roi ( 1 ) du Tage , ami des Arts ,
(1) Jean V , Roi de Portugal , bienfaiteur des
Arcades .
OCTOBRE. 1757. 6 2
De tréfors orna la fageffe.
Chriſtine ( 1 ) qu'encenfa Lutece ,
Quittant fon trône & fes remparts ,
De ces gazons fut la Déeffe :
Une fille (2 ) de cent Héros
A la fuivre en ces champs s'empreffe
Cyrene ( 3 ) y goûte un doux repos :
Euridice (4) dès fa jeuneſſe
Y chante fur fes chalumeaux
L'âge d'or qui nous fuit fans ceffe:
Des vers gravés fur ces ormeaux
M'apprennent ces faits que j'admire
Puis- je par des efforts nouveaux
Du Pinde ici m'ouvrir l'empire è
Oui , dit le Dieu de ces côteaux ,
La faveur où ton ame aſpire
Sera le prix de tes travaux ,
( 1 ) Cette Reine de Suede donna aux Arcades
un bofquet dans fon jardin pour tenir leurs Af-
Semblées.
(2 ) La Princeffe Royale de Pologne a fait l'bonneur
à cette Académie de lui envoyer des vers
qu'elle avoit compofés.
(3 ) La Ducheffe de Bracciano , fille du Prince
Corfini , amatrice des Beaux Arts.
(4) Jacinte, fille du Cardinal des Urfins , mariée
au Duc Darcé , fils du Prince de Piombino , Dame
auffi célebre par fes attraits & fes talens , que
par fa naiffance. Les vers de fa compofition qu'elle
vient de réciter dans l'Affemblée des Arcades
l'âge de 15 ans , ont fait l'admiration de Rome.
64 MERCURE DE FRANCE.
De mon bonheur que les échos ,
Raiſonnent de Londre à Palmire :
Tant que Flore aimera Zéphyre ,
Qu'on chante aux bords de ces ruiffeaux
Ma gloire & les fons de ma lyre.
Le mot de l'Enigme du Mercure de
Septembre eft l'Appétit . Celui du Logogryphe
eft Sac , dans lequel on trouve cas
de confcience , As riviere de Sologne , les
deux lettres du mot Pallas ; Sa , Religieux
Portugais.
ENIGM E.
Je fais la mere inconcevable
De ce qu'un Philofophe a peine à définir ;
Et de ce fils inexplicable ,
Il en fort trois qu'on ne peut bien unir.
Rien moins qu'eux trois ne fe reffemble :
Jamais on ne les vit un feul inftant enſemble ;
Car l'un s'enfuit , quand l'autre il apperçoit =
Mais laiffons les courir , & revenons à moi
Je porte un nom effrayant & fublime ,
Je fuis pour tous l'impénétrable abyfme :
Prends garde en téméraire à ne t'y point plonger ;
Sans ceffe , ami Lecte ur , je t'en vois approcher.
Par l'Hermite de Bufucil.
OCTOBRE. 1757 65
LOGOGRYPHE.
JE fuis cet ennemi fecret
Redouté fur toute la terre ;
Je brûle , agite & fais la guerre
Aux Rois comme au plus vil fujet .
Cher Lecteur , de mon nom fix pieds font l'aſſem→
blage :
Prends -en deux , & ma tête , on t'offre un élément ,
Ou le métal deſtiné d'âge en âge ,
Au combat , au labeur , à punir le méchant :
Avec trois je ferai cette femme crédule ,
Source du crime originel :
Même nombre , c'eft moi qui dans la canicule
Corrompt toute matiere & ronge tout mortel.
Veux-tu m'en donner deux fois deux ,
Je deviens certaine légume :
Pour m'obtenir fouvent on fait des voeux ,
Un certain jour furtout où, mis en gros volume ,
Je fuis le prix du plus heureux :
Ne m'en retranche point ? que fuis-je ? un vain
preftige
Qui trouble fouvent le fommeil :
Si tu m'en ôtes un , j'enfante le prodige :
Mon art eft fans pareil ;
Laiffe m'en trois encor pour terminer ma courſe ,
Je fuis ainfi que l'ombre , & ne fuis jamais vu ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Sous la faulx d'un tyran je tombe fans reffource:
A ce trait, cher Lecteur, puis- je être méconnu ?
L
CHANSON.
E vieux Lucas , d'une tremblante main ,
A fon ami Grégoire un jour verfoit du vin :
Pourquoi trembler , lui dit le Buveur intrépide ,
En me verfant cette douce liqueur ?
Je tremble , dit Lucas , ah ! je tremble de peur
Que ma bouteille ne fe vuide,
602
OCTOBRE . 1757 :
67
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
Nous allons enrichir cet article du difcours
de M. Durey- de Morfan , Receveur
général des finances de Franche- Comté ,
Secretaire du Cabinet & des commandemens
de S. M. le Roi de Pologne , Duc
de Lorraine , & de Bar , pour fa réception
à l'Académie Royale des Sciences & Belles
- Lettres de Nancy , le 7 Mai 1757.
L'ouvrage mérite cette diftinction à trois
titrés , par fa préciſion , par fon élégance
& par le ton de modeftie , qui caracteriſe
l'Auteur. Il a pour objet les fociétés Littéraires.
La matiere a été fouvent traitée ;
mais il nous paroît que perfonne jufqu'ici
n'a mieux développé leurs avantages ,
mieux faifi leur côté favorable.
ni
Meffieurs , l'honneur d'être admis parmi
vous , l'avantage de vous avoir été préfenté
par les mains de l'amitié , l'idée
que j'ai conçue des talens qu'exige une pareille
diftinction , & la conviction de ma
médiocrité , tout vient à la fois frapper
68 MERCURE DE FRANCE.
mon efprit , partager mon coeur , & me
laiffe à peine la liberté néceflaire pour épancher
ma reconnoiffance. Inftruit de vos
ufages , Meffieurs , je fçais qu'en ce jour
folemnel on ne doit pas donner tout au fentiment.
Il faut , par un tribut Littéraire ,
juftifier ce que votre choix fait préſumer
d'un Candidat. On ne s'acquitte point avec
vous par des éloges : vous voulez qu'on vous
faffe part de quelques vérités neuves qui
foient utiles ou agréables , & celui qui
vous dit les meilleures chofes , vous fait
le meilleur remerciement.
Pour moi , Meffieurs , je n'apporte ici
qu'une ame pénétrée de vos bontés , & j'ai
feulement à vous offrir quelques réflexions
qui m'ont fait fentir tout le prix de l'adoption
dont vous m'honorez.
L'expérience , mieux que tous les taifonnemens
, a démontré les avantages des
Sociétés Littéraires . Perfonne ne doute
qu'elles ne contribuent plus que tout autre
moyen , au progrès des Lettres , à la perfection
des Arts , aux charmes & aux douceurs
de la fociété civile . On l'a fouvent dit
avant moi ; mais il me femble qu'on n'a
point fuffifamment analyfé les effets généraux
ou particuliers que produit ce commerce
réciproque , ce concert mutuel des
efprits .
OCTOBRE . 1757.
69
C'est ce développement que j'effaye de
tracer à vos yeux , Meffieurs ; je le confie à
votre indulgence , & je le foumets à vos
lumieres .
Premiere Partie.
L'homme eft né communicatif , & la
nature l'a formé avec toutes les facultés propres
à faire naître en lui , à entretenir & à
ranimer de plus en plus le defir de fe communiquer
aux autres. Le premier homme
qui a penfé , qui a combiné des idées , qui
a fenti des perceptions , a voulu auffi-tôt
les verfer dans l'ame de fes femblables. Les
befoins naturels ont fans doute commencé
à rapprocher les hommes : mais dès qu'ils
eurent reconnu les propriétés de l'organe de
la parole , on vit difparoître infenfiblement
ces Pantomimes imparfaits de l'ef
prit & du coeur , ces fignes muets, qui juf
qu'a
'alors avoient été les Interpretes naturels
des pensées & des fentimens. On leur fub-
Bitua les inflexions de la voix , d'où fe
forma le premier idiôme , inftrument plus
fûr & plus commode de la communication
intellectuelle. La facilité du langage , pour
exprimer fes fentimens , & pour produire
fes penfées , étendit la fphere de l'entendement
, multiplia les connoiffances & les
éclaircit ; les idées morales fe développe
70 MERCURE DE FRANCE.
rent & firent naître les premieres loix . Des
hommes plus éclairés que les autres ,
vinrent Légiflateurs.
de-
Les plus anciens peuples du monde remontent
tous à quelque fage , qui plus
habile à faifir le génie particulier des hommes
au milieu defquels ils vivoient , s'éleva
parmi les concitoyens , & apprit d'euxmêmes
à les gouverner. Hermès en Egyp
te , Confucius à la Chine , Minos en
Crete , Solon & Licurgue dans la Grece ,
Numa Pompilius à Rome , perfectionnerent
les Sociétés , & les affermirent par de
fages Loix. Souvent la raifon d'un feul développa
celle des autres, & la fit fi heureufement
germer, que de ce feul point de lumiere
il s'en répandit de toutes parts une
infinité de rayons. L'expérience donna
plus d'étendue , & l'obfervation plus de
jour aux principes déja connus , & en fit
éclorre de nouveaux ; de forte qu'à partir
de certains points hiftoriques , on voit que
dans l'efpace de quelques fiecles , la raifon
humaine a fait des progrès rapides
fans qu'on démêle tous les degrés par lefquels
elle a paffé de la barbarie à la politeffe.
Bien-tôt par la communication , non
plus d'hommes à hommes mais de
peuples à peuples , toute la face du
monde eft changée. Les migrations , les
>
>
OCTOBRE. 1757. 71
voyages , le commerce , les guerres , l'intérêt
, l'ambition , la curiofité , tout fert
à ouvrir une infinité de canaux , qui rapprochant
les extrêmités de la terre , mettent
tous les hommes en état de fe communiquer
leurs lumieres , leurs opinions .
leurs découvertes. Des efprits profonds ,
préparés par quelque notions fimples , fe
livrent à la méditation , & les voilà créateurs
de la Philofophie. Ces fages vont en
Egypte , & par eux les Egyptiens deviennent
les Précepteurs de la Grece la Grece
polie , éclairée , éclaire & polit à fon
tour prefque tous les autres peuples , &
les Romains deviennent les difciples des
Grecs .
Les premieres Poéfies , auffi fimples que
le fentiment qui les faifoit naître , n'étoient
que de légeres peintures des objets
naturels , de tendres chanfons qu'un Pâtre
Arabe ou Chaldéen adreffoit à la Bergere
ingénue qui partageoit fes travaux ruftiques
. Ce langage s'éleva peu à peu la
poéfie , fans quitter les campagnes , vint
dans les villes , s'y perfectionna , célébra
les Héros , déplora l'infortune de la vertu
opprimée , ou fit rire les hommes de leurs
propres ridicules.
:
Quelle diſtance du premier Berger qui
chanta fans art ce qu'il fentoit fans artifice,
72 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'au fublime chantre d'Achille ! Quelle
différence de ton , de goût , de langage
!
Le fouvenir des événemens fameux , des
belles actions , des faits mémorables ,
ne fe gravoit d'abord que dans la mémoire,
& fe tranfmettoit par la parole des peres
aux enfans ; mais cette tradition , en s'éloignant
de fa fource , fe brouille , fe confond.
L'écriture eft inventée chez les Phéniciens
, ou plus probablement en Chaldée.
Les arbres , les rochers deviennent
auffitôt les premiers monumens de l'hiftoire
, les premieres archives de l'humanité.
Cet art divin de parler aux yeux , multiplie
& perpétue la communication intellectuelle.
La parole fugitive , inconftante ,
fe fixe fur l'écorce d'un arbre ; on l'attache
enfuite aux fibres d'une plante ( 1 )
aquatique ; on la peint fur la d'un
animal. Ce fupplément du langage , cette
raifon écrite , plus réfléchie , eft portée
partout , & commence à diftinguer feule
le peuple humanifé du peuple barbare . ( 2 )
En même temps l'art de la parole fe perfectionne
par l'uſage , par l'habitude , par
l'exercice , & par une communication plus
(1) Le Papirus d'Egypte .
peau
(2 ) Hominum veftigia confpicio , s'écrie Ariſtippe
à la vue de quelques caracteres .
intime
OCTOBRE . 1757. 73
intime & plus générale entre les hommes.
L'éloquence ( dirai- je la fille ou la mere
de la fociété ? ) l'éloquence fe fortifie , &
prend tous les jours de nouvelles formes.
Produite par la communication , elle ne
pouvoit fubfifter fans elle , & c'eft la communication
qui l'anime , qui l'entretient
& qui l'applique à fon véritable ufage :
car à quoi ferviroit d'être éloquent , fi
on ne l'étoit que pour foi ? En général , la
perfection de nos facultés & de nos talens
ne regarde effentiellement que les autres.
On n'eft point éloquent pour le feul mérite
de l'être ; on n'écrit pas avec quelque
foin pour foi feul : tout fe rapporte à l'objer
général de la fociété. C'eft pour les
autres autant que pour foi qu'on penſe , &
qu'on produit fes penfées . Enfin toutes nos
facultés , toutes nos connoiffances fe perfectionnent
par les moyens qui les ont
formées , & par conféquent leurs progrès
fuivent ceux de la communication ."
Si Théfée n'eût pas raffemblé les peuples
épars dans les campagnes de l'Attique ; s'il
n'eût pas réuni toutes ces bourgades ifolées
pour n'en faire qu'une grande ville
il n'y auroit jamais eu dans la Grece ni
d'Ifocrate , ni de Démofthene . Mais dès
que les fociétés politiques ont eu leur confiftance
, la Langue Grecque s'eft polie &
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
s'eft étendue. Les paffions devenant de
jour en jour plus vives & les intérêts plus
actifs , par la préfence , ou par la multiplicité
des objets , le langage a infenſiblement
acquis de nouvelles inflexions : on
s'eft fait un art de la parole ; l'éloquence
enfin s'eft formée. Et depuis le premier
Laboureur qui fe diftingua de fes femblables
par un peu plus de facilité à manier
la parole jufqu'au foudroyant Périclès ,
jufqu'à l'Orateur fi redouté des Rois , quels
progrès cette éloquence n'avoit- elle point
faits ?
Chaque génération a profité des lumieres
de celle qui l'a précédée , & en a tranſmis
de nouvelles à la génération qui l'a
fuivie. Ainfi s'eft formé cet amas de connoiffances
dont nous jouiffons. Tous les
hommes & tous les fiecles y ont fucceffivement
contribué , & il circule parmi
nous , comme un patrimoine inépuisable
où chacun a fa légitime .
A
- Je me repréfente cette communication
générale comme un de ces grands fleuves
qu'on voit rouler majeftueufement fes
ondes dans un vafte canal. Si l'on veut
remonter à fa fource , ce n'eft qu'un filet
d'eau échapé d'une roche ; mais qui dans
fon cours s'eft groffi par une infinité de
ruiffeaux qu'il a reçus & qui s'y confon
OCTOBRE . 1757. 75
dent. Tele a été la pogreffion des Sciences
, des Lettres & des Arts , depuis les
Egypriens jufqu'aux Grecs , depuis les
Grecs ( Difciples ingrats qui fen bient avoir
méconnu leurs Maîtres ) , jufqu'aux Romains
, & depuis les Romains qui ont confervé
foigneufement les écrits des Grecs ,
ou qui font prefque tous Gr.cs eux mêmes
jufqu'à nous. La communication a tout
fait , & fi l'on confidere bien la façon
dont vivent encore aujourd'hui ces peuples
incultes qui nous retracent les premiers
Sauvages de l'Attique , c'eft au peu
de communication qu'ils ont avec les autres
peuples qu'il faut principalement attribuer
leur ignorance & leur ftupidité.
On reproche aux Orientaux comme un
refte de barbarie de ne pas connoître encore
les douceurs de la converfation . Cette
communication fociale , ce commerce de
fentimens , de penfées , de fantaiſies même,
où chacun met quelque chofe du fien , &
qui eft l'ame des liaiſons , les Grecs & les
Romains l'entendoient fi bien , & en faifoient
tellement leurs délices , qu'ils ont
laiffé des traces de leur goût pour la converfation
dans un grand nombre de Dialogues
dont nous n'avons plus qu'une trèspetite
partie. Quel avantage ne tire t'on
pas en effet des hommes , par l'agréable
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
épanchement des fociétés particulieres !
Nous éprouvons combien nos efprits ont
fouvent de peine à mettre au jour leurs
propres penfées. Il eft des génies trèscapables
de faire l'agrément d'un cercle
choifi , mais dont la trempe flegmatique
les fait reffembler à ces corps durs &
froids , dont on ne peut tirer du feu que
par le choc. C'est l'heureux choc de la
converfation qui eft néceffaire à ces efprits ,
ou pareffeux ou glacés . Il faut en quelque
façon les électrifer , pour faire paffer leurs
perceptions du centre à la circonférence ,
& alors qu'en réfulte- t'il ? D'heureuſes
étincelles , de brillantes faillies , des traits
de lumiere , foudains , inattendus , &
d'autant plus vifs , qu'ils ne font point refroidis
la réflexion . Je ne crains point par
de l'avancer : il s'eft dit de meilleures chofes
dans le feu des entretiens familiers
qu'il n'y en a d'écrites. Il n'eft pas rare de
voir des hommes qui paroiffent flupides ,
s'échauffer par la converfation , devenir
très -fupérieurs à eux-mêmes , & produire
enfin fans effort , ce que l'application du
cabinet leur refufe.
Mais les fociétés Littéraires qui dans la
fociété générale forment la République des
Lettres , font la preuve la plus fenfible des
avantages qui résultent de la communicaOCTOBRE
. 1757. 77
tion des pensées & du commerce des efprits
; & partout où l'on aimera les Lettres
, les Arts , l'union , la paix , l'amour
de l'ordre & de la fubordination , on fe
plaira toujours à voir ces utiles établiſſemens
fe multiplier pour le bonheur des
peuples & pour l'illuftration des empires.
C'eft ce qu'a bien compris un Sage , qui
eût été Législateur en Egypte , & qui auroit
poli la Grece ; un Monarque tel que
l'imaginoit Platon , deftiné à faire affeoir
la philofophie fur le trône . Vous êtes fon
ouvrage , Meffieurs : votre augufte Fondateur
, en vous reffemblant , a fenti combien
la réunion de vos lumieres contribueroit
à perfectionner les connoiffances ,
les talens , les vertus , le génie &le goût
d'une Nation diftinguée par fa valeur , fa
Religion & fon inviolable fidélité pour
fes Maîtres .
Le Monument ( 1 ) qu'il vient d'élever
pour éternifer le fouvenir d'une augufte
Alliance , ce Monument fi digne d'un
Prince qui fait honneur à l'humanité ,
nous montre ce qu'il voudroit faire pour
( 1 ) Pyramide ornée de trophées & de ſymboles
relatifs au Traité d'Alliance entre Sa M. T. C.
& l'Impératrice Reine de Boheme & de Hongrie ,
que le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , a fait élever dans fa Capitale .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
rapprocher tous les hommes , & n'en compofer
qu'une fociété , ou qu'un peuple de
freres.
Vous le voyez , Meffieurs , je n'ai fait
que crayonner rapidement les biens que
produit généralement la communication
des efprits. Il me refte à fuivre avec plus
de précifion fes effets particuliers fur chacun
de nous .
Seconde Partie.
Un célebre Métaphyficien ( 1 ) , rival
heureux de Prométhée , a expofé en public
une belle Statue qu'il fait fucceffivement
voir , entendre , goûter , flairer , toucher ,
& l'automate finit par être un grand Philofophe.
J'ai à vous préfenter , Meffieurs ,
une autre Statue , qui au contraire commencera
par être une forte de Philofophe ,
dégénérera en efpece d'automate , & reprendra
infenfiblement fes efprits , fes lumieres
& fa philofophie.
Le problême va s'expliquer. Je fuppofe
un homme très inftruit , & bien pourvu
de toutes les connoiffances qui font les
Sçavans , mais enfeveli dans fon cabinet
vivant avec fa bibliotheque qu'il fçait par
(1) M l'Abbé de Condillac , Auteur du livre
Métaphyfique , qui a pour titre : la Statue animée.
OCTOBRE. 1757. 79
coeur , & fuyant le monde qu'il ne connoît
pas. A ce portrait , qui n'eſt pas de fantaifie
, & dont il y a plus d'un modele , on
conçoit que mon Sçavant a toujours lu
pour lire , qu'il s'eft beaucoup plus occupé
de tout ce qu'ont penfé les Anciens , que
de ce qu'on penfe dans fon fiecle , qu'il
n'a jamais penſé lui - même que d'après fes
Maîtres , & qu'il n'eft ni communicatif
ni communicable. Effayons de faire mouvoir
cette machine organifée , c'eft - à- dire
de mettre en action quelqu'une de fes
facultés. Voyons fi ce cabinet vivant , enrichi
des productions d'autrui , pourra produire
quelque chofe. J'exige de lui , non
qu'il écrive en une Langue morte ou fçavante
( ce qu'il feroit peut- être aifément ) ,
mais qu'il puiffe être entendu de tout le
monde , & qu'il nous parle fa Langue naturelle.
Je l'obferve , & je remarque d'abord
que fon premier & fon plus grand
embarras eft précisément d'écrire en cette
Langue , qui de toutes les Langues eſt la
plus étrangere pour lui. Il l'a pourtant
parlée dès l'enfance ; il a lu Vaugelas ,
Bouhours & tous les bons Maîtres du langage.
Voyez- le dans la criſe du travail : à
peine il peut arracher de fa tête une phraſe
lourde , pédantefque & traînante ; l'expreffion
pour habiller les idées même les
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
plus communes , fe refufe à la lenteur de
fa plume : il ne fçait ni choifit , ni placer
les termes que lui fuggere fon fujet . Cet
homme cependant penfe admirablement
en Latin , & même en Grec. Qui lui rend
donc fi difficile l'ufage de fa propreLangue ?
Le défaut de communication.
S'il n'eût pas négligé le commerce des
perfonnes polies ; s'il fe fût partagé du
moins entre fon cabinet & la fociété ; fi
de temps en temps il eût converfé avec ces
aimables ignorans qui ne fçavent que plaire
& parler agréablement leur langue ;
enfin s'il eût refpiré l'air des cercles , où
l'on fe pique plus d'orner l'efprit que de
charger la mémoire , il auroit infenfible.
ment contracté cette facilité d'expreffion
que le travail donne encore moins , qu'un
peu de lecture & beaucoup de monde.
Mais en fe bornant à fes livres , ne con
verfant qu'avec les Morts , préférant une
étude obfcure & muette , aux leçons vivantes
d'une aimable fociété , & n'exerçant
que fa mémoire , il a laiffé deffécher
ou languir les autres facultés de fon efprit;
il n'a pas compris que l'étude peut les exciter
à un certain point, mais ne peut feule les
perfectionner , & que la véritable clef des
livres eft la connoiffance des hommes.
Ainfi réduit à fes feules lumieres , fans
OCTOBRE. 1757.
81
goût ou naturel ou acquis , privé de ce
difcernement , de ce tact fin que donne
l'habitude de voir , d'entendre & de comparer
, ce n'eft plus qu'une espece d'automate.
Ranimons préfentement la ſtatue. J'ai
fuppofé mon Erudit bien préparé par l'étu
de. Qu'il forte de fa fphere étroite & obfcure
, qu'il entre dans un plus grand tourbillon
; qu'il foit admis dans ces fociétés ,
où tous les agrémens de l'efprit , la politeffe
, le fel Attique , les graces de la converfation
, & la fcience du monde viennent
affaifonner la raifon ; qu'il prenne
feulement une teinture , un léger coloris
de l'urbanité qui regne dans ces fociétés
qu'on le verra bientôt différent de lui-mê
me ! Son imagination développée , embellie
, rendue plus active , répandra fur ces
productions cette fraîcheur , ce vernis naturel
, cette fleur d'expreffion qui font valoir
les moindres chofes. En donnant à la
fociété ce qu'il paroîtra dérober à fon cabinet
, il fçaura peut-être un peu moins
mais il fçaura beaucoup mieux ; & ce qui
eft plus important , il apprendra le vérita
ble ufage du fçavoir.
Vous l'avouerai- je , Meffieurs ? Je ref
femble peut-être en quelque chofe à l'homme
que je viens de vous peindre ; mais le
D v
82 MERCURE DE FRANCE:
goût que j'ai toujours eu pour les Lettres
& pour la retraite du cabinet ne m'a point
fait renoncer à la fociété. Convaincu plus
que perfonne de l'utilité de la communication
, perfuadé qu'on ne peut trop l'étendre
, j'ai commencé par les voyages , &
pour mieux connoître les hommes , j'ai
toujours tâché de joindre la pratique à la
théorie.Cependant , après avoir vu d'autres
climats , d'autres Peuples , d'autres moeurs ,
tous mes befoins n'étoient pas remplis , ni
tous mes defirs fatisfaits. L'attrait perfévé
rant des lettres me faifoit fouhaiter de
pouvoir tenir à quelque Société Littéraire ,
où je puffe épurer & former mon goût ,
dans le fein de laquelle enfin , fi je ne
pouvois lui communiquer aucunes lumieres
, il me fût au moins permis de puifer
celles qui me manquent.
Mes voeux font comblés aujourd'hui ,
Melfieurs : je connois tous les avantages de
l'honorable affociation qui en étoit le plus
cher objet ; il ne me refte plus qu'à mettre
à profit tous les moyens que vous me fournirez
de m'en rendre digne .
ARMORIAL des principales Maifons &
familles du Royaume , particuliérement de
celles de Paris & de l'ifle de France.
Cet ouvrage enrichi de près de 4000
OCTOBRE . 1757 .
83
Ecuffons en taille- douce , eft d'autant plus
intéreffant , que le fieur Dubuiffon , qui l'a
compofé , n'a rien épargné pour rendre les
Ecuffons corrects & en perfectionner la
gravure. Non feulement il a eu l'attention
d'y marquer les griffes des lions & autres
animaux ; mais il a eu encore foin d'y
diftinguer leurs langues , lorfqu'elles fe
font trouvées d'un autre émail que le
corps.
Quoique ce livre ne foit que de forme
in-12 , il renferme les Armoiries des Princes
, des Ducs & Pairs , Grands Officiers
de la Couronne , & autres Seigneurs les
plus qualifiés du Royaume & des Cours
Souveraines . On y trouve auffi les Armes
des perfonnes Nobles qui font leur demeure
à Paris , & de celles qui font établies
dans toute l'étendue de l'Ile de
France. La netteté & la préciſion avec lefquelles
on a compofé cet Ouvrage , le mer
a la portée de tout le monde ; & pour la
facilité de ceux qui n'ont aucune connoiffance
de l'art héraldique , le fieur Dubuiffon
y a inféré en tête un abrégé des principes
qui, joints à la quantité & à la variété
des Armoiries expliquées , pourront les ur -
truire dans cet art dont tous les termes
font raffemblés fous un même point de
vue.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur nous annonce dans fa préface
qu'il a nombre de matériaux qui le mettent
en état de donner encore plufieurs volumes
au public ; mais que l'accueil avec lequel
cet Ouvrage fera reçu décidera de
fon travail.
A notre égard nous ne pouvons qu'applaudir
à fon zele , & l'encourager à mettre
au jour la fuite d'un Ouvrage dont les
premiers volumes que nous annonçons
méritent d'être favorablement accueillis.
A Paris , deux volumes in - 12 , chez
H. L. Guérin & L. F. Delatour , rue S.
Jacques ; Laurent Durand , rue du Foin ,
& la veuve J. B. T. Legras , au Palais.
L'EUROPE Eccléfiaftique , ou Etat du
Clergé contenant premiérement l'Eglife
Univerfelle , la Cour de Rome , les Archevêques
& Evêques des Etats Catholiques
; les Ordres Religieux , les Univerfités
de l'Europe . II . Le Clergé de France ,
les Evêques , les Vicaires Généraux , les
Dignitaires des Cathédrales , le Gouver
nement temporel du Clergé , les Abbés
Commandataires , les Chapitres nobles ,
les Collégiales , le Clergé régulier , les
Univerfités. III . Le Clergé de Paris , le
Séculier , le Régulier ; les Chapitres , les
Paroiffes , les Monafteres , la Faculté de
OCTOBRE. 1757. 8$
Théologie , tous fes Decteurs , celle des
Arts. IV. La Chapelle du Roi , fes dignités
, la chronologie de fes principaux Officiers
; les Prédicateurs du Roi , les maiſons
royales , avec toutes les notions d'hiftoire ,
de chronologie & de géographie , qui
concernent chaque objet , in 12. petit format
, d'environ 540 pages. A Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques , 1757 .
Le titre de cet ouvrage eft fi bien détaillé
, qu'il peut tenir lieu d'un précis.
Nous annonçons la troifieme édition des
inftitutions de Géométrie , enrichies de notes
critiques & philofophiques fur la nature
, & les développemens de l'efprit humain
: avec un difcours fur l'étude des mathématiques,
où l'on effaye d'établir que les
enfans font capables de s'y appliquer ,
augmenté d'une réponse aux objections
qu'on y a faites. Ouvrage utile , non
feulement à ceux qui veulent apprendre
ou enfeigner les mathématiques par la voie
la plus naturelle ; mais encore à toutes les
perfonnes qui font chargées de quelque
éducation . Par M. de la Chapelle , Cenfeur
Royal . de l'Académie de Lyon , & de
la Société Royale de Londres , 2 vol . A
Paris , chez Debure l'aîné , quai des Auguftins
, 1757. Cette édition eft confidé
86 MERCURE DE FRANCE.
rablement augmentée par l'Auteur . Le
Profpectus que nous avons inféré dans le
Mercure de Mai , page 113 , nous difpenfe
d'un extrait.
LE tome cinquieme du Mercure de Vit
torio Siri , contenant l'Hiftoire Générale
de l'Europe , depuis 1640 , jufqu'en
1655 , traduit de l'Italien par M. Requier,
fe délivre actuellement chez Durand , rue
du Foin , 1757.
VUES d'un Citoyen , deux parties. A
Paris , chez Lambert , rue de la Comédie
Françoiſe , 1757 .
La premiere partie contient le plan d'une
maifon d'affociation , dans laquelle , au
moyen d'une fomme très- modique , chaque
affocié s'affurera , dans l'état de maladie,toutes
les fortes de fecours qu'on peut defirer.
Des additions & éclairciffemens , à ce même
plan , une Lettre à l'Auteur de la critique
du plan d'une maison d'affociation , &
l'expofition d'un plan propofé pour les malades
de l'Hôtel-Dieu .
La deuxieme partie comprend deux Mémoires
: le premier fur la confervation des
enfans , & une deftination avantageufe des
enfans trouvés. Le fecond , fur les biens de
'Hôpital S. Jacques , leur état actuel , &
OCTOBRE. 1757 : 87
leur véritable deftination , avec un plan
général pour l'adminiſtration des Hôpitaux
du Royaume , & pour le banniffement
de la mendicité.
MALADIES traduites du Latin de Bagliri,
auxquelles on a ajouté des remarques &
des obfervations fondées fur la théorie la
plus claire & la plus reçue , & fur la plus
faine pratique ; par M. G. d'Aignan , Locteur
en Médecine . A Paris , chez la veuve
Delaguette , rue S. Jacques, 1757. Ouvrage
excellent au jugement des Connoiffeurs.
CUISINE & Office de fanté , propre à
ceux qui vivent avec économie & régime ,
vol. in 12 , 50 fols relié. A Paris , chez
Le Clerc , quai des Auguftins ; Prault pere ,
quai de Gêvres , & Babuty pere , rue Saine
Jacques , 1757.
LA TRIGONOMETRIE SPHÉRIQUE , réfolue
par le moyen de la regle & du compas
, d'où l'on tire une maniere très- aifée
& très-lumineufe de la réfoudre par les
finus ; par M. Siméon Valette. A Bourges ,
chez la veuve de Jacques Boyer, Imprimeur
du Roi , & à Paris , chez I. Barbon , rue
S. Jacques , 1757.
SUPPLEMENT aux Tablettes dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy , de l'AcaSS
MERCURE DE FRANCE.
démie des Belles - Lettres de Dijon , depuis
la rentrée du théâtre jufqu'à la clôture ,
pour les années 1756 & 1757 , contenant
les pieces nouvelles , les pieces remifes ,
les pieces imprimées , les débutans , les
ballets , les anecdotes du théâtre depuis le
dernier fupplément , & les morts des Auteurs
& des Acteurs. A Paris , chez Jorry ,
quai des Auguftins ; Lambert , rue de la
Comédie Françoife , & Duchefne , rue S.
Jacques , 1757.
HARDI , Libraire , rue S. Jacques , au
deffus de celle de la Parcheminerie , à la
Colonne d'or ; donne avis au Public qu'il
vient d'acquérir le privilege , & tous les
les exemplaires d'un livre qui a pour titre ,
Pélerinage du Calvaire fur le Mont Valerien
, & les fruits qu'on doit retirer de cette
dévotion ; par M. de Pontbriand , Prêtre
agrégé du Mont Valérien : petit in. 12. enrichi
de figures en taille- douce , qui fe
vend trente fols relié.
TILLIARD , Libraire , fur le quai des
Auguftins , à Saint Benoît , diftribue aux
Soufcripteurs le premier volume de Virgile
, gravé & donné par les foins de M.
Henri Juftice. L'ouvrage eft bien exécuté ,
avec de belles vignettes, culs- de - lampe, & c.
OCTOBRE . 1757 . 89
Ceux qui voudront foufcrire pour ledit
Ouvrage , feront admis à la foufcription
chez le même Libraire.
MANUALE Rhetorices ad ufum artis
difcendi Candidatorum , &c. quod vovet
Cl. viro D. D. Paris de Meyzieu , regiæ
Schole militaris ftudiorum præfecto generali
, P. T. N. Hurtaut , Univerfitatis Parifienfis
artium Magifter , & Collegii Magiftrorum
deputatus . A Paris , chez Lanrent
Prault , quai des Auguſtins , 1757 .
LETTRE de M. Keyfer à M *** , Docteur
en Médecine , fervant de réponſe à
un faux article inféré dans le Journal économique.
A Paris , 1757.
Nous nous trouvons fi refferrés par l'abondance
des matieres , que nous fommes
obligés de nous borner à ces fimples annonces
, & de remettre les extraits au prochain
Mercure , ainfi que plufieurs autres
indications de Livres.
Moyens d'apprendre sûrement & facilement
les Langues.
Les enfans , pour être enfeignés , s'embarraffent
peu des moyens qu'on choifit ;
c'est pourquoi l'on a féparé ceci , dont ils
n'ont que faire , d'avec l'Introduclion à la
go MERCURE DE FRANCE.
Langue Latine par la voie de la traduction ;
nouvellement réimprimée à Paris , chez Gué
rin & Delatour , rue S. Jacques , à Saint
Thomas d'Aquin , 1757. On's'eft restraint
dans l'avertiffement de la nouvelle édition ,
à indiquer feulement la maniere de faire
ufage de cette Introduction , & l'on aura
ainfi la fpéculation d'un côté & la pratique
de Dautre .
Quoiqu'on ait beaucoup écrit fur l'art
d'enfeigner , on peut dire cependant que
la matiere n'eft pas encore tout à fait épuifée
, & ce n'eſt point ici une nouveauté.
Cette matiere a été traitée fous une infinité
de formes différentes , & nous efpérons
que ce que nous ofons y ajouter n'y
paroîtra pas étranger .
En parcourant l'hiftoire des enfans doctes
de M. Baillet , on apprend qu'ils n'étoient
parvenus à bien fçavoir les Langues
que par la lecture affidue & la traduction
continuelle des meilleurs Auteurs . Cela
étant , il s'agit de connoître quels font les
premiers pas qu'il faut faire relativement
à cette voie. Perfonne , qu'on fçache , ne
les a encore indiqués affez clairement ,
puifqu'on n'eft pas d'accord là- deffus .
Ce fut vers le regne de François premier
, que la compofition du Latin fur la
Langue maternelle, c'eft-à - dire la voie des
OCTOBRE. 1757. 91
thêmes , commença à s'introduire dans
prefque toutes les écoles. La Langue Françoife
prenoit le deffus : on perdoit peu à
peu de vue la Latine , & l'on s'avifa de
faire des regles , au moyen de quoi l'on
remplir cette route de ronces & d'épines .
Cette route a beau caufer de la torture aux
enfans , les retarder , les dégoûter ; elle
fubfifte , elle prévaut , tant la coutume a
de force , quand une fois elle eft établie.
N'y a t'il done point quelque chemin plus
aifé que celui - là , pour arriver à une Langue
qu'on ne fçait pas ?
Les enfans doctes dont parle M. Baillet,
étoient arrivés à l'inteiligence des Langues
dans un âge où le commun des enfans
commence à peine à fçavoir lire & écrire ,
& l'on ne comprend pas pourquoi les
exemples & les cris de tant de fçavans
n'ont prefque pas fait d'impreffion fur
l'efprit de ceux qui enfeignent. On éprouve
tous les jours que les enfans ne font ordinairement
rien qui vaille par ces exercices,
où l'on exige d'eux d'écrire en une Langue
dont ils n'ont aucune connoiffance . S'il
s'en trouve quelques-uns à qui l'on aura
inculqué avec des peines inexprimables un
nombre de regles , dont il y en a plus de
fauffes que de vraies , il eft conftant qu'ils
ne fçavent pas pour cela la Langue Latine ?
92 MERCURE DE FRANCE.
Eft-il naturel qu'il faffent une jufte ap
plication de regles qui induifent communément
en erreur , comme nous l'allons
voir ci- après ? Comment peuvent- ils choifir
les termes & les tours de cette Langue ,
qui leur eft totalement inconnue ? Une
regle eft un inftrument , fans matiere : fur
quoi l'employer ? Pour ranger du Latin ,
en faut avoir . Les enfans n'en ont , ni
n'en connoiffent point ; cependant on
veut qu'ils en faffent. Un très petit nombre
y tâche : mais quel langage ! Le Pere
Lamy raconte que quand il commença
par la pratique de ces regles , fans avoir
fait auparavant une provifion de mots &
de tours Latins , c'étoit comme fi on lui eût
mis la tête dans un fac pour marcher fans
s'égarer .
Un autre , c'eft M. le Fevre , a écrit à
ce fujet , que ce n'eft pas tenir à la raifon
que de demander à des enfans ce qu'on
fçait qu'ils n'ont pas. On ne s'avife point
en effet de tirer une lettre de change fur
un Banquier qu'on fçait qui n'a point de
fonds ; c'eft cependant ce qu'on demande
des enfans , quand on commence par leur
faire traduire leur Langue en celle qu'ils
ne fçavent pas. Les fautes qu'ils font néceffairement
deviennent le langage qu'ils
apprennent malgré eux , en le portant
OCTOBRE. 1757. 93
d'abord fur un brouillon , enfuite fur une
copie , puis enfin dans leur mémoire , où
ils le gravent fi profondément , qu'on ne
peut plus l'en extirper . On ne parle ni
l'on n'écrit point en Langue Ruftique à la
cour , parce que ce langage y eft inconnu .
Hé ! pourquoi donner lieu aux enfans de
connoître des fautes qu'il eft inutile de
connoître Difons donc avec le même
M. le Fevre , que de tous les exercices que
l'ufage a autorifés , il n'y en a peut - être
point qui faffe moins d'honneur à l'efprit
humain que celui - là.
Les jeunes gens ne feroient-ils pas heu
reux d'arriver à la connoiffance des Langues
fçavantes auffi agréablement , & avec
autant de certitude que la célebre Madame
Dacier , fa fille ? Elle y arriva promptement
& avec fuccès , en commençant &
en continuant fon travail uniquement par
la voie de la traduction . Ce fçavant homme
, fon pere & fon maître , avoit pour
maxime que tout ce que l'on compofe de
foi- même dans une Langue qu'on ne fçait
pas , ne peut- être que faux & directement
contraire à l'ufage de cette Langue , &
que c'est le moyen de reculer au lieu d'avancer.
On fçait jufqu'où , par la même
voie , il conduifit fon fils , qui entendoit
tous les Auteurs Grecs & Latins à l'âge
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
de 12 ans. Dans le temps qu'on parloit
univerfellement la Langue Latine , on fe
préfentoit aux écoles pour y apprendre des
chofes on entendoit les leçons publiques,
comme le peuple entend un fermon , fans
fçavoir la grammaire . On ne l'étudioit
que dans un âge mûr. Mais quand les
Langues nationales commencerent à s'éloigner
de la Latine , celle- ci fut abandonnée
. On en conferva quelques reftes
dans les écoles de Droit & de Médecine ;
mais chez les Théologiens , chez les Philofophes
, chez les Grammairiens , elle
alla coujours en baiffant , parce qu'on n'y
cultivoit prefque plus les Auteurs anciens.
Les Grammairiens crurent remédier au
mal en mariant la nouvelle Langue avec
l'ancienne , par des regles que Laurent
Valle & quelques autres , inventerent avec
la meilleure intention du monde , au milieu
du quinzieme fiecle : qu'arriva t'il ?
La Langue changeant confidérablement
d'un demi fiecle à un autre , il fallut aufli
changer les regles . Delà les rudimens ,
les fyntaxes , les concordances , les métho
des . On fit même du Latin , qui fut une
autre Langue , parce que les regles inventées
mettoient une diftance infinie entre
la Langue nationale & la Langue Latine.
Le mal devint encore plus grand , parce
OCTOBRE, 1757. 95
qu'on vouloit que la maternelle fervît de
moule à la Latine. On attribua du mérite
àfçavoir les regles , fans entendre le langage
des bons Auteurs Latins . Le moindre
Maître qui fçavoit les regles Deus Sanētus:
Urbs Roma : ego , qui : liber Petri : vapulo à
Praceptore : eo lufum , & quelques autres
auffi
importantes, paffoit pour un fçavant ,
& enfeignoit des regles , mais rien de
plus.
Ceux qui cultivoient encore les bons
Auteurs , s'éleverent contre ce défordre,
" Les foins merveilleux , dit un célebre
Ecrivain , que le Cardinal Bembe pric
pour rétablir le goût des Anciens , qu'on
» ne lifoit prefque plus à la fin du quin-
» zieme fiecle , font une partie de la gloire
de fon adoleſcence , quoiqu'il n'ait qu'é-
» bauché à cet âge ce qu'il porta plus loin
"3
33
» dans la fuite. »"
Aubert le Mire raconte avec amertume
que Lipfe fut balotté à Bruxelles & dans la
ville d'Ath , jufqu'à l'âge de treize ans ,
avec les rudimens & les fyntaxes , par les
différens maîtres fous lefquels il paffa fucceffivement
, & Lipfe lui- même traite de
bagatelles dégoûtantes ces regles dont on
l'occupa jufqu'à cet âge , qu'il eût le bonheur
d'être envoyé en penfion à Cologne
1chez les Jéfuites,
96 MERCURE DE FRANCE.
Quelques-uns de ces Peres eurent la
générolité de quitter le préjugé vulgaire ,
Se de faire lire les bons Auteurs au jeune
Lipfe , qui commença par des morceaux
chaifis de Ciceron . Ils le rendirent capable
en peu de temps de compofer des Orai
fons & des Harangues , qui paroiffoient
beaucoup au deffus de fon âge. On lui
avoit fait apprendre le François par la lec
ture des bons livres.
Aubert le Mire s'éleve , à ſon occafion ,
contre l'ufage de retenir fi long- temps les
enfans à l'entrée des fciences , où naiffent
les dégoûts fans remede. Magiftelli , dit- il ,
torquent ,
imò detorquent rectiſſima ingenia ;
quo fit ut adolefcentes fugiant , cùm advenerint
. Il faut remarquer que ces grands
hommes , dans leurs plaintes , parlent furtout
des Maîtres des petites écoles de
Grammaire , qu'Aubert appelle magiftelli.
Le pere de Scaliger retira fon fils de
Bordeaux à caufe de la pefte. Il lui crut
l'efprit bouché & pefant , parce qu'il fut
trois ans entiers à apprendre inutilement
les rudimens de la Langue Latine , n'ayant
commencé qu'à l'âge de 11 ans à étudier.
Le pere retint fon fils auprès de lui ; & au
lieu de lai faire continuer fes études par
la compofition , il prit la voie la plus
courte & la plus facile ( c'eft- à-dire la traduction).
OCTOBRE. 1757. 97
duction ) . Le jeune Scaliger fçut douze ou
treize Langues , pour lefquelles il ne s'étoit
jamais fervi de Dictionnaires , ni de
Grammaires.
M. Valois fait l'éloge de la route admimable
qu'on fit prendre au P. Pétau dans
fon enfance , pour le conduire à cette érudition
, à laquelle il parvint , fans fe laſfer
; & cette route fût la même voie de la
lecture affidue des bons Auteurs de l'antiquité.
Ce n'eft pas - là certainement une
magie noire.
preÖn
lit dans la même hiftoire des enfans
célebres par leurs études , que les Murets ,
les Turnébres , les Cafaubons , les Manuces,
les Lambins , les Sannarards , les Rapins ,
& tant d'autres , ne fe font formés qu'avec
les bons Auteurs anciens . La plupart de ces
Sçavans , lorfqu'ils parlent de leurs
mieres études , donnent les marques les
plus fenfibles de leurs regrets d'avoir perdu
leur temps à des compofitions faftidieuſes ,
qui ne leur avoient rien appris ; quoiqu'ils
y puffent briller. Les uns eurent le bonheur
de trouver des gens qui les conduisirent
par la vraie route , & les autres curent celui
de la trouver eux- mêmes .
Enfin l'univerfité de Paris dans fes ftatuts
renouvellés en 1600 , art . 24 , 27 , &c.
ne demande de compofition de François
1.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
en Latin , que dans les hautes humanités,
& feulement deux fois par femaine. L'antiquité
n'a pas connu l'ufage des thèmes ,
comme nous le pratiquons : auffi tient t'il
fa place fur la lifte des erreurs populaires,
L'univerfité dans les endroits cités , bien
Join d'approuver cette invention , recommande
au contraire la lecture des anciens ,
& marque même fpécialement ceux dont
il y a à profiter , pour bien fçavoir leur
langue . Elle s'éleve furtout fortement contre
les livres de Latin moderne , dont on
étoit inondé , & qu'on a encore multipliés
de nos jours.
La voie des thêmes , pour commencer,
étoit fi défapprouvée , que cette univerfité
dans fes ftatuts , n'indique pas une feule
méthode qui y eut rapport. Il n'eft pas
concevable comment cet ufage , malgré
l'oppofition des hommes les plus éclairés
du dernier fiecle , a pu prévaloir au point
où il a prévalu , n'étant furtout fondé
que fur une infinité de regles fauffes , &
réfutées par les meilleurs Grammairiens .
(1 ) Mais pour montrer la fauffeté de ces regles
, prenons- en quelques- unes au hazard
dans les rudimens , ou dans les fyntaxes , ou
(1 ) Voyez la Minerve de Sanctius , avec les
Remarques de Perizonis , & le Mercure de Scioppius.
OCTOBRE. 1757. 99
dans les méthodes ordinaires , afin de ne
nous pas faire illufion . Sanctius nous fournira
les réponſes .
Par exemple , où a ton pris qu'il y a , des
adjectifs , qui régiffent le génitif ? Le génitif
marque le nom ou l'objet qui exerce
une forte de poffeffion à l'égard d'un autre
nom , & alors il dépend de ce nom exprimé
, ou fous - entendu . Juftitia tenax : ce
n'eft pas que tenax , regiffe le génitif , c'eſt
comme s'il y avoit tenax in ordine juftitia
ou in viâ juftitia .
On débite férieufement que tel & tel
verbe , quoiqu'actif , régit d'autres cas
que l'accufatif , que ftudeo , par exemple ,
régit le datif ; mais ce cas n'eft pas autre
chofe , que le cas d'acquifition ou d'attribution
, ou de fimilitude ou comme
derniere fin , eft un cas abfolument indépendant
: ftudeo eft actif de fa nature.
Et hac tamen omnia ftudebat mediocriter , dit
Terence : hoc ftudet unum , dit Horace .
Cum vero literasftudere capit : unum ftudetis,
illud quod ftudes , dit Cicéron. Il y a mille
exemples femblables dans tous les meilleurs
Auteurs des bons fiecles de Rome ?
Quand ce verbe eſt ſuivi du génitif , c'eſt
en conféquence du nom verbal , qui eft
fousentendu . Studere alicujus rei , c'eſt- àdire
, ftudere ftudium alicujus rei : comme ,
$36297
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
pugnare pugnam , vivere vitam , & tant
d'autres. S'il eft fuivi d'un datif , ce n'eft
pas qu'il le gouverne. Ce cas entiérement
indépendant de tout nom , de tout verbe ,
& de toutes prépofitions , marque , comme
nous venons de dire , la fin qu'on fe
propofe . Quand les Romains difoient :
veniam alicui petere , c'eſt-à- dire , demander
grace pour quelqu'un , prétendoient- ils
qu'alicui étoit au datif, parce qu'il étoit
précédé de la particule pour ? Ils ne connoiffoient
ni nos articles , ni nos particules
.
On enfeigne que , celo , rogo , doceo ,
moneo , gouvernent deux accufatifs , l'un
de la chofe , & l'autre de la perfonne ,
tandis qu'étant verbes actifs , ils n'en peuvent
abfolument régir qu'un , & que l'autre
dépend d'une prépofition fous entendue.
Docco te artes , c'est- à -dire , doceo te
juxta oufecundum , ou ad artes. On ne voit
pas pourquoi les Grammairiens fe font
bornés à ces quatre verbes , pour fabriquer
la prétendue regle du régime des deux accutifs
.
Prafto , capio , do , & une infinité d'autres
fur ce pied-là , régiroient donc auffi
deux accufatifs ? Car on dit très-bien fur
l'autorité des meilleurs Auteurs anciens
prafta te virum , cepimus te arbitrum , deOCTOBRE.
1757 . 101
dit agrum dotem , & c. mais cette regle feroit
encore auffi fauffe ; car ces feconds accufatifs
font pour des adjectifs. Que cette
confufion caufe de fupplices aux pauvres
enfans ! Faut- il après cela s'étonner , s'ils
manquent fi fouvent à des regles auffi contradictoires
& auffi oppofées au vraie génie
de la langue latine ?
C'est encore pis , quand il s'agit des
questions de lieu , des noms de ville , qui
ne marchent jamais qu'avec des prépofitions
exprimées , ou fous- entendues , ainfi
que des ablatifs prétendus abfolus , dont
la regle qu'on en donne , eft auffi chimérique
que celle du que, qu'on dit qui fe rétranche
, & de celui qui ne fe retranche pas.
Quand on a mis dans la tête d'un enfant
que les noms de villes ne doivent jamais
avoir de propolitions devant eux , que
penfera t- il , lorfqu'il lira dans les bons auteurs
ad Genevam, in Ephefum, ex Ephefo , &
mille autres exemples fembables ? Que dira-
t'il de Cicéron , où il trouvera, contre fes
regles, ad Brundufium , ab Athenis , ad Capuam
, &c. (1 )
Les faifeurs de méthodes & de rudimens ,
(1 ) Voyez les douzes maximes de la vraie fyntaxe
, pag. 70 , de l'introduction , & les exemples
des Ellipfes qui font à la fuite de ces maximes.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
dans leurs fyntaxes , ont- ils encore bien
raifonné en propofant leurs regles , avant
les exemples : elles ne font fouvent que
des exceptions plutôt que des regles . Enfeignez
des regles , tant qu'il vous plaira ,
vous n'avancerez jamais d'un pas. Cela
eft fi vrai que tous les hommes en général ,
quand il s'agit de raiſonnemens, attendent
toujours l'exemple pour fe fixer, & d'où en
tirera-t'on de plus fürs en fait de langage
que des bons Auteurs anciens ? C'eft donc
l'ufage qui eft le grand maître , qui l'a toujours
été , & qui le fera toujours.
Commencez par montrer des modeles
parfaits qui fervent de texte , & les plus
furs font ceux des bons Auteurs anciens ,
comme tout le monde en convient ; raifonnez
alors , & faites raifonner les enfans
fur la ftructure de ce texte , enfin fur les
cauſes grammaticales de cet ordre & de cet
arrangement s'ils en font capables , à la
bonheure ; mais évitez la longueur fur
cette matiere. Si les exemples ne font pas
à leur portée , ou fi vous en fabriquez qui
n'exiftent pas , vous frappez l'air inutilement
du bruit de votre voix . La regle avant
l'exemple eft infiniment plus obfcure que
les queſtions philofophiques les plus épineufes
; & nous voulons que des enfans de
Lept , huit , neuf , dix , ou douze ans ſe
OCTOBRE . 1757 : 103
demêlent dans des combinaiſons intellec
tuelles pour en faire les applications ?
Prenons encore dans un des rudimens ,
ou dans une des méthodes d'ufage , quelques
regles de cette métaphyfique grammaticale
, en voici une : * Si me , tes
23
و د
,
fe , nous , vous , joints à un verbe , fe
» rapportent au nominatif d'une chofe
» animée , qui faffe fur elle- même l'action
» dont il s'agit on laiffe le verbe à
» l'actif , & on met les pronons aux cas
» du verbe ». Voilà une de ces regles de
méthode , dont l'intelligence exige préala
blement des connoiffances de la logique la
plus fubtile. Qu'on en faffe l'épreuve : de
cent enfans il n'y en aura peut-être pas
un qui s'y demêle , avant qu'il n'ait atteint
l'âge où la raifon doit être développée, ou
qu'il n'ait recu quelques principes de logique
en François. Une autre regle en apparence
plus praticable. Fruor , funger
utor , & quelques autres verbes , dir ou ,
comme potior , vefcor , glorior , lator , attirent
après eux l'ablatif. Non feulement
on donne une raifon fauffe de ces ablatifs
• mais on défend encore , à peine de punition ,
aux enfans des baffes claffes d'imiter les
bons Auteurs , qui fe font fervi d'un autre
cas. Cette défenfe eft finguliere ; car alors
que devient la regle? Cesverbes ont tous lear
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
nom verbal fous- entendu en confequence
duquel vient un génitif, s'il y en a un ; ou
un ablatif qui dépend de fa prépofition auffi
fous- entendue ; car il n'y a point d'ablatif
, qu'en conféquence d'une prépofition
exprimée ou fous entendue , abfolue &
autre .
Si après de telles obfervations , dont
prefque toutes les regles font fufceptibles
on eft encore attentif aux manieres de s'exprimer
, qu'on emploie pour les definir ,
& pour les expliquer , notre langue y fait
une trifte figure : par exemple, le qui relatif,
eft un qui qui , &c. Celui -ci est un que que ,
&c. cet autre eft un qui que , &c . Si dont
ou , de qui , eft devant un verbe de tells
efpece , ou s'il n'eft fuivi d'aucun fubftantif
, vous exprimerez , ce dont , ou ce de
qui , & c. comme fi les Latins connoiffoient
des
que , des qui , des dont , ou des de
qui. . . . .
....
Quel langage ! non feulement les enfans
n'acquièrent par-là aucun fentiment de
la beauté de leur propre langue , mais ils
perdent encore le peu du bel ufage qu'ils
peuvent en avoir eu dans le fein de leurs
familles. Tranfportons nous un inftant
avec notre langue dans un des plus beaux
fiecles de l'ancienne Rome , & fuppofons
qu'un de nos Grammairiens fe préſente à
OCTOBRE. 1757. 105
Rome même pour y enfeigner les regles de
la langue Latine , comme fi un ancien Romain
venoit s'afficher à Paris pour y enfeigner
aujourd'hui les regles de la langue
Françoife , l'un fuivant fa propre langue ,
& l'autre fuivant la fienne , iroit- on dans
leur auditoire pour y être inftruit ou pour
y rire ?
Le Grammairien François qui débiteroit
en fa langue inconnue à Rome que lefubftantif
& l'adjectif s'accordent en genre en
nombre en cas , ne feroit fûrement pas
entendu ; & le Grammairien latin qui viendroit
débiter en la fienne inconnue à nos
petis difciples François , que fubftantivum
& adjectivum concordant in genere , numero
cafu , ne le feroit certainement pas davantage
, quoiqu'il n'y ait encore guere
que cinquante ans que cette étrange maniere
d'enfeigner fubfiftoit prefque partout
: elle fubfifte encore , dit-on , en
quelques endroits , tant le préjugé a de
force , une fois établi : l'on ne craint pas
de dire que le nombre des difciples fçavans
qui ont percé par cette pénible carriere, eft
de beaucoup inférieur au hombre de ceux
que la voie de la traduction feule auroit
produit. La langue Grecque ne s'introduifit
dans tout l'Empire Romain , que par
cette voie :& c'eft par cette voie que notre
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
langue est établie dans toute l'Europe aujourd'hui
, & qu'elle penetre tous les
jours dans tout le monde connu. Mais revenons
à notre étude de la langue Latine ,
à laquelle on procede par des regles avant
de l'entendre.
que
Vous avez beau prêcher à vos difciples ,
qu'il faut dans telle & telle occafion tourner
, & retourner le verbe d'actif en paſfif,
ou le paffif en actif ; outre le mauvais
ufage qu'ils feront fouvent de cette
doctrine , ce que vous dites , n'eft qu'un
vain bruit qui paffe. Deux ou trois exemples
d'un petit Auteur que vous ferez traduire
, vous ferviront à coup fûr plus
promptement , & fans rifquer de leur donner
de fauffes idées. C'eft fur ce texte pur
qu'il faut leur débiter tout le grammatical .
Toutes les fyntaxes , & les méthodes bleues
noirciffent les doigts , & ne fervent aux
enfans qu'à couvrir des balles à jouer.
Nous verrons dans la fuite ce qu'on a
du pratiquer chez nos bons ayeux , avant
l'invention de ces regles.
La fuite au prochain Mercure.
LA MILICE des Grecs , ou tactique
d'Elien ; ouvrage traduit du Grec , avec
des notes & des figures , auquel on a joint
un Difcours fur la Phalange & fur la MiOCTOBRE.
1757. 107
lice des Grecs en général ; ſuivi d'une differtation
fur le coin des Anciens. Par M.
Bouchaud- de Buffy , Major d'un Régiment
de Grenadiers Royaux. A Paris ,
chez Ch. Ant. Jombert , Imprimeur Libraire
du Roi , pour l'artillerie & le génie
, rue Dauphine 1757 , 2 vol . in 12 ,
avec planches. Prix 5 livres relié.
NOUVEAUX principes de la Perfpective
linéaire , traduction de deux ouvrages
, l'un Anglois , du Docteur Brook Tayford
, l'autre Latin , de M. Patrice Murdoch
; avec un Effai fur le Mêlange des
couleurs par Newton . 1 vol. octavo avec
figures , imprimé à Amfterdam , chez
Weftein 1757. Se vend à Paris chez le
même Libraire , 4 liv . relié .
I
NOUVEAU Cours de Mathématiques , à
l'ufage de l'Artillerie & du Génie , où l'on
applique les parties les plus utiles de cette
fcience à la théorie & à la pratique des
différens fujets qui peuvent avoir rapport à
la guerre. Nouvelle édition corrigée &
confidérablement augmentée . Par M. Belidor
, Colonel d'Infanterie , Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , Membre des Académies Royales
des Sciences , de France , d'Angleterre
& de Pruffe. A Paris , chez le même Li-
E vj
10S MERCURE DE FRANCE.
braire. Prix 15 liv. en papier ordinaire ,
& 24 liv. en grand papier , dont il y a quelques
exemplaires .
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Françoife.
les
Le 25 d'Août , fête de Saint- Louis , l'Académie
Françoife s'eft affemblée publiquement
l'après-midi pour la diftribution de
fes prix. Elle a remis celui d'éloquence à
l'année prochaine. Le prix de poéfie a été
remporté par M. le Miere , qu'elle a couronné
pour la quatrieme fois. Son Poëme
avoit pour titre , les Hommes unis par
talens. M. Séguier , Avocat Général au Parlement
, termina cette Séance par la lecture
d'un excellent difcours de fa compofition
fur les qualités néceffaires à la criti-
Il feroit à fouhaiter pour l'avantage
des lettres qu'elle fût exercée avec l'efprit
de fageffe de lumiere & d'équité qu'il y
prefcrit , & dont on s'eft fait une habitude
de s'écarter.
que.
Cette Compagnie donnera deux prix l'année
prochaine 1758 ; un d'éloquence ( 1 ),
(1) Les prix de l'Académie font formés des fondations
de MM. de Balzac , de Clermont-Tonne,
te , Evêque de Noyon , & Gaudron.
OCTOBRE. 1757.. ICO
& un de poéfie , qui feront chacun une médaille
d'or de la valeur de fix cens livres.
Elle propofe pour fujet du prix d'éloquence:
qu'il n'y a point de paix pour les méchans .
Conformément à ces paroles de l'Ecriture :
non eftpax impiis. Ifaie , ch. 57 , . 21 .
Il faudra que le difcours ne foit que d'une
demi- heure de lecture au plus , & qu'il
finiffe par une courte priere à Jefus - Chrift .
On ne recevra aucun difcours fans une approbation
fignée de deux Docteurs de la faculté
de Théologie de Paris , & y réfidans
actuellement. Le même jour ( 25 d'Août )
l'Académie donnera le prix de poéfie à un
Ode d'environ cent vers , dont le fujer fera
au choix des Auteurs . Mais en mêmetemps
elle avertit que les pieces connues
de quelque maniere que ce foit , feront
mifes au rebut. Toutes perfonnes , excepté
les quarante de l'Académie , feront reçus
à compofer pour ce prix . Les Auteurs
ne mettront point leurs noms à leurs ouvrages
; mais ils y mettront un parafe
avec une fentence ou devife , telle qu'il
leur plaira . Ceux qui prétendent au prix ,
font avertis que les pieces des Auteurs qui
fe feront fair connoître foit par eux - mêmes
, foir par leur amis , ne concourront
point ; & que Meffieurs les Académiciens
ont promis de ne point opiner fur celles
110 MERCURE DE FRANCE.
dont les Auteurs leur feront connus.
Les Auteurs feront obligés de faire remerre
leurs ouvrages avant le premier du
mois de Juillet prochain à M. Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoife, au Palais
, & d'en affranchir le port : autrement
ils ne feront point retirés.
Ceux qui fe plaignent d'être avertis trop
tard par la voie des Journaux , des fu ets
propofés pour les prix , ne peuvent , fans
injuftice , faire ce reproche à l'Académie
Françoife. Elle a foin de faire afficher , ou
de diftribuer chaque année fon Programme
imprimé le jour de S. Louis. La Gazette
en fait alors mention , & nous l'inférons
exactement dans le premier Mercure d'Octobre.
Qu'on fe donne donc la peine de
lire l'un ou l'autre dans le temps , & l'on
s'épargnera celle de former une plainte
augi mal fondée , du moins à l'égard de
cette Compagnie.
OCTOBRE. 1757. II!
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GRAMMAIRE.
RÉPONSE à la lettre de M. l'Evêque
de la Ravaliere imprimée dans le Mercure
du mois d'Août 1757.
J''AAII lu , Monfieur , dans le Mercure
du mois d'Août dernier , la lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'adreffer au fujet
de mon difcours fur l'origine de la langue
Françoife. Vous n'avi z pas befoin d'avertir
le Public que ce difcours vous étoir
inconnu , lorsque vous avez compofé vos
Ouvrages. Votre réputation eft trop bien
fondée , pour qu'on ofe imaginer que
vous ayez recours aux lumieres d'autrui ,
& furtout aux miennes , qui font en toutes
manieres bien inférieures aux vôtres.
Lorfque j'ai fait mon difcours , j'avois
lu , il y avoit long- temps , cette fçavante
differtation que vous avez mife à la tête de
votre édition des Poéfies du Roi de Na112
MERCURE DE FRANCE.
varre mais je n'avois nulle connoiſſance
de votre lettre inférée en 1746 dans le
Journal des Sçavans , foit que je ne l'aye
point lue dans le temps ( car j'ai fuivi
peu exactement les journaux ) , foit que je
n'y aye point fait affez d'attention , n'ayant
alors aucun deffein d'écrire fur ces matieres.
Je n'étois pas mieux informé que vous
euffiez achevé l'hiftoire entiere de notre
Langue, que vous avez annoncée dans cette
lettre. Votre hiftoire n'a été connue du
Public , que par l'extrait qui s'en trouve
dans les Mémoires de l'Académie des Belles-
Lettres imprimés en 1756 , & mon
Difcours a été lu dès le mois de mars 1755,
dans une féance publique de la Société littéraire
d'Arras. Je l'ai envoyé au Mercure
dans le mois d'août ou de feptembre de
l'année derniere , & je crois y avoir marqué
à la marge ou en tête , le jour qu'il a
été lu ici ; c'eft apparemment une inattention
de l'Imprimeur
d'avoir omis cette
note dans le Mercure.
Vous affurez , Monfieur , que vous
avez lu votre hiftoire à l'Académie , &
que vous en avez communiqué le manuf
crit à plufieurs perfonnes : mais je n'ai
point été à Paris depuis 1736 ; & n'y
ayant aucune relation littéraire , la conOCTOBRE.
1757. 113
noiffance de cet ouvrage n'eft point parvenuejufqu'à
moi , je n'en ai pas même vu
l'extrait dans les mémoires de l'Académie
dont les Libraires d'Arras n'ont point encore
tiré d'exemplaires. Vous m'apprenez
cependant que je me fuis rencontré en
tout avec vous , & j'en dois être infiniment
flatté. C'est le plus bel éloge qu'on
puiffe faire de mon ouvrage , mais je vous
protefte en même temps , que fi j'avois eu
la moindre notion que vous étiez occupé
à traiter à fonds ce fujet , je ne me ferois
pas avifé de tracer la légere efquiffe dont
il est question.
Vous y avez remarqué fans doute , qu'il
y a bien des chofes que je n'ai dites qu'à
demi-mot , dans l'efpérance que d'autres
plus habiles & moins occupés que moi , fe
chargeroient de les approfondir. Je fuis
: charmé que cette entrepriſe foit tombée
dans vos mains , cela m'en garantit le
fuccès.
Je reviens , Monfieur , à la differtation
que vous avez publiée avec les poéfres du
Roi de Navarre . J'ai dit après vous , qu'il
avoit toujours exifté dans les Gaules une
langue vulgaire ; mais à cela près , il me
femble que nos objets font différens . Vous
n'avez voulu commencer cet ouvrage qu'aur
regne de Charlemagne : mon fujet m'a
114 MERCURE DE FRANCE.
fait remonter à la conquête de Jules Céfar.
Votre principal deffein , à ce qu'il me
paroît , s'eft fixé alors à compofer l'hiftoire
de la langue , depuis Charlemagne
jufqu'à S. Louis , plutôt qu'à rechercher
fon origine dont vous n'avez pas jugé à
propos de parler , non plus que de fes rapports
avec le Latin & le Tudefque . Ce font
au contraire les objets que j'ai principalement
difcutés. Il eft vrai qu'ils m'ont obligé
de citer une partie des Hiftoriens & des
monumens dont vous vous êtes fervi avant
moi ; mais j'efpere que vous ne trouverez
pas mauvais , que j'aye puifé dans une
fource commune à tout le monde.
Nos fentimens different auffi quelquefois
, par exemple , fur le temps où l'uſage
du Latin s'eft introduit dans nos Tribunaux
, & fur celui où il a été plus en vogue
parmi nos Ancêtres. Vous croyez que
le Tudefque n'a jamais été la langue des
François , & qu'ils parloient le Roman .
J'ai pensé autrement , & j'ai dit qu'ils
avoient apporté la langue des Germains
dans les Gaules , où le Peuple parloit le
Roman qui n'étoit autre que le Gaulois.La
diftinction de ces deux idiomes , remplit
une grande partie de mon difcours.
Je fuis entré dans un plus grand détail
fur toutes ces différences , dans une lettre
OCTOBRE. 1757. IIS
que j'ai eu l'honneur d'écrire à M. de Guignes
, qui vous l'aura fans doute communiquée
; mais il me refte l'avantage d'être
d'accord avec vous fur la confervation
d'une langue toujours exiftante parmi les
Gaulois. Fauchet & Pafquier l'auroient
penfé de même , s'ils avoient tiré tout fimplement
la conféquence naturelle des faits
qu'ils ont rapportés ; au lieu qu'ils le font
embrouillés & contredits eux- mêmes , en
voulant deviner des chofes que les Hiftoriens
n'ont pas écrites , & en ſubſtituant
des fuppofitions au défaut des monumens.
Vous m'annoncez que nous avons encore
d'autres adverfaires bien refpectables .
Mais peut-on anéantir les témoignages de
T'hiftoire qui attefte la continuation du
Gaulois jufqu'au regne de Clovis ? Le filence
des anciens Auteurs par rapport à
l'état de cette langue fous la premiere race
de nos Rois , ne prouvera point fans doute
qu'elle ait été détruite , ni même qu'elle
ait changé. Le filence ne prouve jamais
rien , ou plutôt on peut en conclure ,
que les chofes ont continué , à quelques
variations près , d'être ce qu'elles étoient
auparavant.
Sous la feconde race , les Hiftoriens
font mention d'une langue qu'ils nomment
116 MERCURE DE FRANCE.
Romaine , & j'ai tâché de prouver que
c'étoit la Gauloife , parce que long- temps
auparavant on avoit donné le nom de Romains
aux Gaulois. Cela n'eft- il pas plus
vraisemblable , que d'imaginer une langue
nouvelle dont on ne peut affigner le
commencement ( qui ne pourroit être
que depuis Clovis ) & dont la fource eft ,
dit- on , dans le Latin ? Mais quand même
elle reffembleroit encore plus à cette langue
dont je conviens qu'elle a beaucoup
emprunté, d'où lui vient tout ce qu'ellen'en
a pas tiré? N'eft-ce pas toujours du Gaulois,
plutôt que de tout autre idiome ?
A l'égard de cette baſſe latinité dont on
prétend le faire dériver , je crois, comme
vous , Monfieur , que ce ne peut être autre
chofe que le Latin corrompu . Il me femble
même que ceux qui l'ont nommée ainfi
, n'ont point penfé différemment ; &
s'ils en ont fait deux langues , c'eft qu'ils
ont divifé la même , fuivant les temps , en
haute & baffe latinité , en bonne & en
mauvaife. Nous aurions beau chercher ce
terme de baffe latinité dans les Auteurs anciens
car , ou ils ont précédé les temps
où le Latin a mérité ce nom de mépris , &
ils ne pouvoient pas le prévoir , où ils ont
vécu pendant qu'il s'eft corrompu . En ce
cas ils ont contribué eux-mêmes à le corOCTOBRE.
1757 . 117
rompre , & n'ont eu garde par conféquent
de s'appercevoir de la corruption. Ils ont
cru vraisemblablement s'énoncer en trèsbon
latin , & même mieux que leurs prédéceffeurs
. Ce font donc en effet les Modernes
qui fe font fervis du terme de baſſe
latinité , pour fignifier l'altération de la véritable
latinité , & pourquoi s'eft- elle altérée
? Parce qu'elle a emprunté nos termes
, ceux des Efpagnols , des Oftrogoths,
des Lombards , & c.
Mais croyez- vous , Monfieur , comme
vous l'avez dit dans votre lettre , que les
premiers Gaulois qui fe piquerent d'écrire
en latin , commencerent à le gâter , en af
fectant de donner aux mots de leur langue
naturelle un vernis de latinité ? Il me paroît
que les Gaulois qui compoferent en
latin dans les premiers fiecles qui fuivirent
la conquête de Céfar , manierent trèsbien
cette langue ; du moins par compa
raifon avec les Romains , dont le langage,
depuis l'Empire d'Augufte , perdit beaucoup
de fa premiere pureté.
C'eft même à ces Gaulois , qu'on accorde
la gloire d'avoir foutenu pendant
quelque temps la bonne littérature , & j'ai
cité Juftin , qui dit à leur honneur que la
Gaule fembloit tranſportée au ſein même
de la Grece : ce feroit donc dans des temps
118 MERCURE DE FRANCE.
J
poftérieurs que les Gaulois auroient contribué
, ainfi que les autres , à dénaturer
l'ancienne langue des Romains.
Au refte , Monfieur , vous êtes plus inftruit
que moi fur tous ces objets , & bien
loin de pouvoir vous être de quelque fecours
, c'eſt à vos lumieres que je voudrois
m'en rapporter. Je ne puis qu'applaudir à
la grande & belle entreprife que vous avez
faite de nous donner une hiftoire complette
de notre langue , c'eft l'ouvrage d'un
Citoyen auffi zélé que fçavant. Hâtez- vous
de la mettre au jour pour remplir les voeux
du Public , & pour nous éclairer . J'ai
l'honneur d'être , Monfieur , votre & c.
A Arras , ce 6 Septembre 1757.
MEDECINE.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences.
Du 8 Juin 1747.
Nous,Commiffaires nommés par l'Académie
, avons examiné un écrit qui a pour
titre : Mémoire concernant l'effetfingulier de
Fleurs de Pavot rouge , obfervé fur les entrailles
d'une perfonnefrappée de mortfubite ;
OCTOBRE. 1757. 119
avec quelques Réflexions fur la caufe de cette
mort ; le tout accompagné d'expérience & de
recherches anatomiques relatives aux circonf
tances. Par M. Navier , Docteur en Médecine
, & Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences.
Un Citoyen de Châlons - fur -Marne ,
fort confidéré dans cette ville , paroiffant
être en pleine convalefcence à la fuite d'u-
3. ne maladie vive qu'il venoit d'effuyer
mourut prefque fubitement quelques heures
après qu'une médecine qu'il avoit prife
le matin , eat éntiérement fait fon opéstration
d'une maniere douce , & fans avoir
produit le moindre fymptôme d'irritation
dans les entrailles. Cet événement impréyu
fit beaucoup de bruit : on ne manqua
pas d'imputer cette mort à l'effet du purgatif.
Mais après avoir confidéré les
drogues prefcrites pour la médecine n'étoient
que ce que l'on nomme des minoratifs
, c'est-à -dire des drogues purgatives
très- douces , qui avoient encore été adoucies
par la clarification de la médecine , on
penfa que l'Apothicaire par inadvertence &
par un qui - pro-quo funefte , avoit pu ſubftituer
dans cette potion purgative quelque
fel dangereux , au lieu d'un gros de fel de
Seignette qui devoit y entrer. Les circonf
tances de cette mort dont le public ne
que
110 MERCURE DE FRANCE.
cherchoit pas à approfondir les cauſes les
plus éloignées , commencerent à fortifier
ce foupçon ; mais ce qui acheva de confirmer
dans cette opinion , & qui effectivement
paroiffoit être une preuve démonf
trative du poifon , fut l'examen du cadavre.
Après avoir ouvert le bas ventre par
lequel on crut devoir commencer , on
trouva l'ofophage & particuliérement l'ef
tomac , rouges. & comme livides en diffé
rens endroits , c'est- à- dire , dans un état
apparent de phlogoſe ou d'inflammation.
gangreneufe. On s'en tint là , parce qu'on
n'imagina pas qu'il pût fe trouver ailleurs
d'autre caufe évidente de cette mort impré
vue . Dès - lors le Public crut que le malade
avoit été empoisonné . Mais M. Navier ,
fans être particuliérement intéreffé dans
cette affaire , puifqu'il n'étoit pas le Médecin
du malade , crut qu'il étoit de la
probité , & qu'il importoit à un Phyficien
avifé de tout examiner dans le plus grand
détail , & avec une forte de fcrupule ,
avant que de conformer fon jugement à
celui de bien des gens , qui fur ces matieres
ne décident que trop fréquemment avec
précipitation d'après les premieres apparences
fouvent trompeufes , quand on
n'approfondit pas toutes les circonstances.
1°. Il connoiffoit l'exactitu le & l'attention
de
OCTOBRE . 1757. 121
N
de l'Artiſte qui avoit préparé la potion purgative.
2. Etant remonté jufqu'au temps
qui avoit précédé la grande maladie , dont
la terminaifon fembloit établie par une
convalefcence , ayant enfuite rapproché
les accidens obfervés dans le période de la
maladie , & les fymptômes qui ont accompagné
& précédé les derniers momens de
la vie , il tire de ces faits combinés de trèsfortes
preuves d'un dépôt qui s'étoit fait
fourdement dans le cerveau , & qui a été
la vraie caufe de la mort prefque fubite.
Mais comme ces preuves font deftituées
de ce qui en auroit été le vrai complément,
c'eft-à - dire de l'obfervation immédiate du
cerveau , qui n'a pas été examiné fur le
cadavre , parce qu'on n'a fongé qu'à confulter
les vifceres du bas ventre , où l'on
a cru avoir trouvé ce que l'on recherchoit
, M. Navier tâche de donner à ces
inductions un nouveau genre d'évidence
, en démontrant que cette couleur
ronge livide obfervée fur l'ofophage & fur
l'eftomac du cadavre , n'étoit rien moins
qu'une phlogofe , ou inflammation gangreneufe
. Il fonde les preuves de certe efpece
de paradoxe fur deux points principaux.
1° . Comparant d'après les faits bien
certains & bien conftatés l'action douce &
lente du purgatifque le malade avoit pris
1. Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE:
fans en éprouver ni tranchées , ni nauſée ,
ni vomiffement pendant cinq heures de
fuite , avec les effets terribles & inftantanés
que produiroient fur l'ofophage & fur
l'eftomac d'un homme vivant , les poiſons
dont on fuppofoit la potion purgative chargée
à la dofe d'un gros , au lieu de fel de
feignette , il commence ainfi à détruire le
foupçon d'un pareil poifon inféré dans le
purgatif. 2 ° . Ayant appris que le malade ,
environ une heure avant fa mort , avoit pris
une once de firop de coquelicot ou de pavot
rouge , M. Navier préfuma que ce firop
avoit profondément imprimé fa couleur
rouge foncée & livide fur les parties
où il avoit féjourné. Il fentit de quelle
importance il étoit pour la circonstance
préfente & pour l'avenir , de vérifier cette
conjecture. Il fit donc une fuite d'expériences
fur des portions d'inteftins & fur
l'eftomac tiré du cadavre de divers animaux.
Il introduifit dans les uns le firop
de coquelicot ; dans d'autres la teinture des
mêmes fleurs de coquelicot ; il les y laiſſa
féjourner pendant vingt-quatre heures , en
plongeant ces parties dans l'eau chauffée au
degré de la chaleur des animaux vivans ;
& entretenant cette chaleur au même dégré
, il fit avaler le même firop , toujours
à la dofe d'une once , à différens animaux,
& environ une heure après il les fit mouOCTOBRE.
1757. 123
rir pour les examiner . Le réfultat conftant
de ces expériences a été que le firop á ímprimé
une couleur rouge livide , précisé
ment comme on l'avoit obfervé ſur la
parois
intérieure de l'eftomac de la perfonne
dont il s'agit dans le mémoire. La couleur
communiquée par la teinture des fleurs de
coquelicot , offroit abfolument le même
phénomene ; elle paroiffoit de plus avoir
pénétré toute l'épaiffeur des tuniques ; mais
comme le malade n'avoit pas pris le firop
de coquelicot pur ; qu'on le lui avoit don
né mêlé avec l'huile d'amandes douces , il
reftoit encore à éprouver l'effet de ce mêlange
par des expériences femblables aux
précédentes ; elles ont été faites , & ont
donné les mêmes réfultats ; tous ces faits
ont été vérifiés plufieurs fois en préſence
de perfonnes éclairées . Il faut obferver que
la couleur rouge avoit tellement pénétré &
teint les parties foumifes aux expériences ,
que les lotions répétées avec l'eau , n'ont
point détruit cette couleur , ne l'ont pas
même altérée ; car ces organes n'ont jamais
été examinés qu'après les lotions.
Nous n'entrerons point ici dans un plus
grand détail ; le fimple énoncé de ces expériences
& de leur réfultat fuffit pour en
faire fentir toutes les conféquences. M.
Navier , déja fort éclairé par ces obſerva-
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE .
tions , paffe à d'autres recherches , pour
continuer à prouver que la mort imprévue
dont il s'agit ici , n'eft point l'effet d'un
poifon pris avec le purgatif. D'abord ,
confidérant les trois efpeces de fels dange- ⚫
reux , le fublimé corrofif , l'arfenic , &
le tartre émétique , qui auroient pu être
fubftitués au fel de feignette prefcrit à la
dofe d'un gros dans la potion purgative ,
il fait voir que le foupçon ne fçauroit tomber
fur le tartre émerique , puifque ce fel
à la dofe de foixante- douze grains auroit
procuré fur le champ les plus terribles vomiffemens
. L'arfenic n'a pu être fubftitué
; car l'Apothicaire qui a préparé la potion
purgative , s'eft fait une loi depuis
vingt cinq ans de n'avoir point ce minéral
dans fa boutique. Il reftoit donc à
éxaminer fi le ſublimé corrofif, qui doit
être tenu en réſerve dans les Pharmacies
été em- pour différens ufages , n'auroit pas
ployé. M. Navier , par les mêlanges qu'il
a fait de cette drogue avec celles qui entroient
dans la compofition du purgatif ,
a obfervé des phénomenes finguliers &
trop marqués pour ne pas décéler une méprife
ou qui - pro - quo fâcheux aux yeux de
l'Artifte , & l'avertir de fon erreur . Mais
en fuppofant que l'Artifte eût été affez peu
attentif pour ne pas prendre garde à ces
OCTOBRE . 1757. 125
phénomenes , M. Navier prouve par une
fuite d'expérience bien faites , que le fublimé
corrofif combiné par l'ébullition
avec les autres drogues purgatives , comme
effectivement il l'eût été par la maniere
dont on avoit préparé la médecine , auroit
fouffert une telle décompofition , que
fon action , dangereufe fe feroit trouvé
émouffée & comme abfolument détruite . Il
y a dans le détail de toutes ces expériences
des faits curieux & remarquables qu'il faut
voir dans le mémoire. Enfin M. Navier
voulant achever de détruire tout foupçon
de poifon inféré dans la potion purgative ,
croit qu'il eft néceffaire de mettre fous les
yeux de nouvelles pieces de comparaiſon ,
en donnant le détail des accidens terribles
produits fur les animaux vivans par l'impreffion
des poifons tels que le verd - degris
, l'arfenic & le fublimé corrofif qu'il
a fait prendre à des animaux. Quoique
nous ayons déja de femblables obfervations
dans quelques ouvrages qui traitent
de l'effet des poifons , nous regardons
pourtant les expériences de M. Navier comme
intéreffantes , par l'exactitude avec laquelle
elles ont été faites , par la façon
dont elles font détaillées , & parce qu'elles
ont donné lieu à de bonnes remarques anatomiques
fur les tuniques internes de l'ef-
F iij
126
MERCURE DE
FRANCE.
par
tomac & des
inteftins grêles ,
principalement
fur la
maniere dont elles font organifées.
L'Auteur
termine fon
mémoire
cette
queſtion : Quelle peut donc être la
caufe de cette mort
prefque fubite , & des
fymptômes
violens qui font précédée ? Il
fair
obferver que le
malade avoit eu aux
jambes deux ulceres , qui ayant fourni
abondamment une
matiere
ichoreufe , s'étoient
féchés tout à coup. Cette feule circonftance
, jointe à la maladie aiguë qui
avoit
précédé , & dont les fignes avoient
caractérisé
l'embarras &
l'engorgement du
cerveau , lequel
embarras n'étant pas détruit
,
quoique le malade , après la rémiffion
des
accidens , parût être en
convalefcence
, a été
probablement la vraie cauſe
de cette mort
imprévue qui a été accélérée
par l'effet du
purgatif ,
quelque douce
qu'en ait été
l'opération . M. Navier donne
en
conféquence
plufieurs
obfervations de
femblables morts fubites arrivées fous fes
yeux dans des
circonftances toutes pareilles
à celles ci , & dont la caufe ne pouvoit
être
attribuée à aucun poifon . D'où M.
Navier
conclut que le
purgatif le plus
doux agiffant
toujours comme
ftimulant ,
eft capable de
produire
quelquefois des métaftafes
ou
d'autres
révolutions qui peuvent
être fuivies des
accidens les plus redoutables
& les plus
imprévus.
OCTOBRE. 1757 . 127
Nous penfons que ce Mémoire , dont le
principal objet & le plus louable fans doute
eft de rétablir la réputation d'un homme
injuftement accufé , où nous trouvons
d'ailleurs un grand nombre d'obſervations
intéreffantes & utiles , mérite d'être imprimé
dans le recueil des Sçavans Etrangers.
Signés Lafone & Macquer .
CHIRURGIE
.
SUITE de la Séance Publique de l'Académie
royale de Chirurgie , du 21 Avril
1757.
M. Louis lut un Mémoire ſur l'extirpation
de l'oeil. Son premier objet dans cet
Ouvrage eft de déterminer précisément
quels font les cas où il convient d'extirper
Fail :dans la feconde partie , il examine
les différentes méthodes de faire cette opération
, & donne des regles fur la maniere
la plus avantageufe de la faire.
Dans la chûte de l'oeil lorfque le
globe eft entiérement forti de l'orbite
ou boîte offeufe dans laquelle il eſt
logé , & qu'il pend fur la joue , il ne
femble pas qu'on puiffe fe difpenfer
1
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
-
d'en faire l'amputation . Il y a cependant
des faits qui montrent qu'on ne
doit pas fe porter précipitamment à fuivre
cette indication , furtout lorfque l'accident
eft récent , & l'effet d'une cauſe violente.
Covillard affure avoir replacé dans
l'orbite un oeil qui en étoit féparé à l'occafion
d'un coup de balle de raquette , &
qu'on étoit fur le point de couper avec des
cizeaux. Antoine Maître Jean , célebre
Auteur fur les maladies des yeux , regarde
cette obfervation comme un fait faux &
exagéré par oftentation . M. Louis expoſe
toute cette difcuffion qui lui paroît mériter
beaucoup d'attention , pour fe tenir en
garde , & faire apprécier les hiftoires ou
faits de pratique rapportés par les Auteurs,
afin de ne les point admettre légèrement ,
& en faire des regles , fi par un examen
judicieux , on ne les reconnoît conformes
à la raifon & à l'expérience. Lamzwerde
rapporte une cure toute femblable à celle
de Covillard ; le fameux Spigelius , fi habile
Anatomiſte , fe fert d'un exemple pareil
, dont il a été témoin , pour prouver ,
par la grande extenfion qu'a foufferte le
nerf optique , que les nerfs font des parties
lâches.Guillemeau admet la poffibilité de la
réduction de l'oeil pouffé hors de l'orbite par
une caufe violente. Après des témoignages
OCTOBRE. 1757 . 129
i
,
auffi authentiques , il ne paroît pas permis
de douter qu'on n'ait replacé l'oeil avec fuccès.
Ce principe paroîtra abfurde à ceux qui
prendroient à la lettre le terme de réduction
employé par les Auteurs , comme ſi la
chûte de l'oeil étoit implement une maladie
par fituation viciée , pour fe fervir de
l'expreffion des anciens Pathologiftes , &
qu'on parlât de le remettre comme on réduit
une luxation. M. Louis prétend que
ceux qui , à l'imitation de Maître - Jean ,
n'admettent dans ces faits que ce qu'ils y
entrevoient de vraisemblable auroient
moins douté des circonftances qu'on rapporte
, s'ils euffent connu bien précitément
la difpofition de l'oeil & de l'orbite
dans l'état naturel . M. Winflow en a donné
une defcription bien exacte dans les mémoires
de l'Académie royale des Sciences ,
année 1721 , & M. Louis tire de cette
recherche anatomique les principes par lefquels
on doit juger l'affertion des Auteurs
fur la chûre de l'oeil . Le plan du bord de
chaque orbite étant oblique , & plus reculé
ou plus en arriere vers la tempe que
vers le nez , il eft manifefte par la feule
infpection , que le globe de l'oeil dans l'état
naturel de l'homme vivant eft en partie hors
de l'orbite : ainfi il n'eft pas étonnant qu'au
moindre gonflement de tout le globe ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
l'oeil ne paroiffe faillir d'une maniere extraordinaire
, & qu'il ne faut pas un auffi
grand défordre qu'on pourroit fe l'imaginer
pour le faire paroître tout à fait hors
de l'orbite , fans que le nerf optique foit
rompu ni déchiré.
pur-
L'oeil peut être pouffé peu -à- peu ſur la
joue , par des tumeurs contre nature qui
prennent naiffance dans le fond de la foffe
orbitaire. Lorfque cette maladie ne cede
point aux remedes généraux & particuliers
,
à l'ufage continué des fondans & des
gatifs , à l'application des cauteres ou fttons
, &c. elle exige néceffairement l'extirpation
de l'oeil. M. Louis rapporte des
exemples anciens & modernes , de cures
obtenues par les médicamens
& par l'opération
, dans le cas où les remedes avoient
été inutiles.
Le principe du mal fe trouve quelquefois
hors de l'orbite près des lames offeufes
qui forment les parois de cette cavité. M.
Louis a vu un homme de 40 ans à qui un
fongus carcinomateux dans le finus maxillaire
avoit détruit la lame offenfe qui fait
le plancher de l'orbite. Le globe de l'oeil
étoit prefqu'entiérement fur la joue : ily
avoit carie à l'os maxillaire du côté des
foffes palatine & nazale. Le malade mourut
par les accidens de l'ulcération canceOCTOBRE
. 1757. 131
reufe de toutes ces parties. La chûte de
l'oeil étoit l'effet du volume exceffif de la
tumeur à laquelle les os n'ont pu oppoſer
une réfiftance capable d'en borner les progrès.
On les auroit prévenus en attaquant
à propos & convenablement la maladie du
côté de la bouche : car la végétation carcinomateuse
étoit un accident de la maladie
de l'os , caufée elle-même par un principe
vénérien qui n'avoit été combattu que par
des traitemens peu méthodiques , dont
l'effet eft toujours incertain . M. Louis rappelle
à cette occafion , d'après Ruiſch , les
fuccés des fecours locaux convenables à
ces caries de l'os maxillaire avec excroiffance
fongueufe. Il y a des cas où l'amputation
de l'oeil feroit fpécialement indiquée
dès les premiers temps. Paaw parle d'un
enfant de 3 ans , dont l'oeil gauche entiérement
forti de fa cavité , avoit acquis le
volume de deux poings . Il mourut de cette
maladie qui n'avoit commencée à fe manifefter
que quelques mois auparavant. On
découvrit àl'ouverture du crâne , une tumeur
fongueufe, dont la baſe tenoit à la dure-
mere au deffus de l'orbite , fans aucune
altération du cerveau . Dans un cas femblable
, après l'extirpation de l'oeil , on
pourroit confumer la tumeur jufqu'à fa racine.
L'abandon du maladene laiffe aucu-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
ne refource . L'opération propofée pourroit
être tentée avec efpérance de fuccès.
L'on a fouvent confondu la chûte de
l'oeil avec la dilatation du globe qui lui fait
faire pareillement faillie hors de l'orbite.
Ces deux maladies fi différentes par leur
nature , ont été défignées par différens
Auteurs fous les mêmes noms ; cette confufion
n'a pas peu contribué à jetter de
l'obfcurité fur les préceptes , & par confequent
à rendre la pratique incertaine . M.
Louis expofe les fignes , les fymptômes &
les accidens de l'hydrophtalmie ; il examine
la théorie & la pratique recues fur
cette maladie il adopte le précepte de
Bidloo qui ne recommande qu'une petite
incifion , laquelle ne doit pas s'étendre
pardelà le bord inférieur de la cornée
tranfparente ; & il rapporte le fuccès de
deux opérations qu'il a faites , & qui prouvent
par des circonftances particulieres la
folidité de cette doctrine.
Les excroiffances fongueufes qui s'élevent
fur la furface de l'oeil , n'exigent
pas toujours qu'on faffe l'extirpation du
globe , comme des Auteurs l'ont confeillé.
Il eft effentiel d'apporter la plus grande
attention à bien difcerner la nature du
mal ; car les indications fe tirent moins
du volume de la tumeur que de fon carac
OCTOBRE . 1757. 133
tere & de fes racines plus ou moins profondes.
C'eft par des inftructions commémoratives
fur la naiffance & les progrès de la
tumeur , qu'on fera éclairci fur cette derniere
circonftance. Les connoiffances pathologiques
indiqueront le genre & l'efpece
particuliere de la tumeur. Ces principes
réfléchis doivent être la bafe du jugement
par lequel on décide s'il faut &
comment il faut opérer. M. Louis donne
une fuite de faits de pratique pour établis
la doctrine fuivant laquelle il convient de
fe conduire dans les différens cas de cette
efpece. On examine ici les raifons de préférence
que méritent l'excifion , la ligature
& les cathérétiques."
Lorfque l'oeil eft cancéreux , il n'y a de
reffource que dans l'extirpation. Ce principe
établi , l'Auteur paffe aux moyens de
faire cette opération . Les fentimens font
partagés à cet égard . La doctrine que les.
Médecins avoient adopté fur les cancers.
confirmés , qu'ils regardoient comme incurables
, n'a jamais été généralement admife
par les Chirurgiens. Les cancers de
la face avoient néanmoins paru mériter une
exception : on leur a donné un nom particulier
, qui marque l'impoffibilité où l'on
fe croyoit de les guérir ; noli me tangere .
Dans cette opinion , le cancer des yeux.
134 MERCURE DE FRANCE.
3
"
devoit paroître plus formidable encore , &
par la nature du mal , & par la difficulté
d'ufer des fecours applicables en toute autre
partie. De grands Chirurgiens ont furmonté
ces obftacles ; ils ont laiffé dans
leurs ouvrages des exemples de leur fçavoir
& de leur habilité dans les cas épineux.
« Je m'attacherai , dit M. Louis ,
» à fuivre l'ordre des temps dans l'expofition
de la doctrine des Auteurs fur l'ex- 1
tirpation de l'oeil. L'hiftoire des arts eft
» toujours intéreffante ; par elle on raffem-
» ble les traits de lumiere qui ont éclairé
chaque âge , & l'on diffipe les ténebres
qui ont de temps à autre obcurci les
meilleurs principes. On n'eft pas obligé
» de remonter fort loin pour trouver les
premieres notions de l'opération dont il
s'agit ; & contre la marche naturelle des
» Arts & des Sciences qui vont ordinaire-
» ment d'un pas plus ou moins rapide vers
» leurs perfection , on verra que ceux à
qui nous fommes redevables des premiers
› details , ont travaillé plus utilement
» qu'aucun de leurs fucceffeurs. On juge-
» ra par là , combien il eft convenable d'é-
» tudier les anciens , & de ne pas ignorer
» leurs découvertes. >>
ور
"
"
و د
99
و د
33
C'eft dans un traité Allemand fur les
maladies des yeux , publié à Drefde en
OCTOBRE. 1757 : 135
>
1583 , par Georges Bartifch , qu'on trouve
la premiere époque de la pratique d'extirper
l'oeil . Il propofe un inftrument en
forme de cuillier tranchante à fon bec
pour cerner l'oeil , & le tirer de l'orbite .
13 ans après la publication de cet ouvrage ,
Fabrice de Hilden ent occafion de faire
l'extirpation d'un oeil carcinomateux. Il fit
l'effai de l'inftrument de Bartisch fur des
animaux , le trouva plein de défaut , &
en imagina un autre dont il fe fervit avec
le plus grand fuccès. L'obfervation de la
maladie en très- importante. M. Louis la
rapporte d'une maniere moins prolixe
qu'elle n'eft dans l'Auteur même ; ce qui
la rend plus lumineufe & en quelque forte
plus intéreffante .
Job à Meckren a extirpé l'oeil avec l'inftrument
de Bartifch. Bidloo rapporte quatre
exemples de cette opération faite avec
fuccés. Ces quatre cures méritent d'être remarquées,
parce que la réuffite eft un grand
argument en faveur de l'opération . Mais M.
Louis obferve que la maniere dont on la
fit , n'eft expofée que dans un feul cas ,
& il prouve que le procédé qu'on a fuivi
n'a point été méthodique.
Jufqu'ici ce font des étranges qui ont
fourni aux recherches hiftoriques : la Vauguyon
eft le premier des Auteurs François
136 MERCURE DE FRANCE.
qui ait prefcrit l'extirpation de l'oeil cancéreux
, dans un traité des opérations de chirurgie
, imprimé en 1696. Mais il ne donne
pas le procédé . Verduc dans fa pathologie de
chirurgie ne confeille que la cure palliative.
Dionis ne fait aucune mention de l'extirpation
de l'oeil. M. S. Yves eft entré dans
quelques détails fur la pratique de cette
opération . M. Heifter en parle fort fuccinctement.
Ainfi il faut remonter à- Fabrice
de Hilden ; c'eft le feul qui ait décrit
fon procédé avec quelque attention .
La perte infaillible des malades à qui l'on
n'a point fait cette opération , les cures
heureufes qu'on lui doit , tout devoit animer
les Chirurgiens modernes à la rendre
auffi fimple & facile qu'elle eft utile. M.
Louis confulté plufieurs fois dans des cas
qui exigoient cette opération , s'eft fait une
méthode que la ftructure de l'oeil , fes attaches
& fes rapports avec les parties circonvoisines
, auroient fait , dit- il , concevoir
à tous ceux qui fe feroient occupés de
cet objet. Elle confifte à incifer le pli de
la conjonctive avec la membrane interne
des paupieres , & à porter des cizeaux
courbes fur le plat des lames , dans le fond
de l'orbite, pour y couper d'un feul coup le
nerf optique avec les mufcles qui l'environnent.
M. Louis joint à l'expofition bien
OCTOBRE. 1757. 137
détaillée des raifons fur lefquelles cette
méthode eft fondée , des faits de pratique
qui juftifient tous les avantages qu'il a décrits.
M. Bordenave termina la féance par la
lecture d'un mémoire fur quelques maladies
du finus maxillaire . La mâchoire fuperieure
ett formée principalement de deux
os/nommés maxillaires . Le long de la partie
inférieure de chacun de ces os regne
une arcade creusée de fept à huit foffes ou
alvéoles qui reçoivent les dents d'en haut .
L'os maxillaire répond antérieurement à la
partie moyenne de la joue , fa partie fuperieure
forme le plancher de l'orbite ou
cavité dans laquelle l'ail eft logé ; & fa
face interne regarde la cloifon des narines.
On fent par cette defcription fommaire
que l'os maxillaire fupérieur a une grande
étendue. Il eft fort léger , parce qu'il y a
une grande cavité creufée dans fon épaiffeur
, au point que l'on diroit prefque que
l'os auroit été foufflé pour la former. C'eſt
à cette cavité qu'on a donné le nom de finus
maxillaire . Les racines des dents pénetrent
quelquefois jufques dans le finus ,
dont les parois font tapiffées d'une membrane
fufceptible d'inflammation , de fuppuration
, d'excroiffance fonguenfe , polypeufe
, &c. Les lames offeufes de ce finus
138 MERCURE DE FRANCE.
peuvent être attaquées d'exoftofe & de
carie toutes ces maladies ont des fignes
qui les manifeſtent , & elles exigent des
traitemens particuliers . M. Bordenave s'étend
fur tous ces détails dans un mémoire ,
dont il n'a lu qu'un extrait à la féance publique
; les bornes du temps ne lui
permis d'expofer que la partie de fon travail
qui a pour objet la fuppuration & la
carie du finus maxillaire.
:
ayant
Il a établi d'abord les fignes généraux &
particuliers , qui caractérisent l'inflammation
du finus maxillaire , & quels font les
accidens qui résultent de la fuppuration
qui en eft la fuite . Si l'ouverture du finus
dans la narine eft libre , le pus peut s'écouler
en partie lorfque le malade eft couché
du côté fain de fortes expirations contribuent
auffi à l'expulfion de la matiere purulente
. Elle agit fort fouvent fur les parois
du finus , & fe fait jour en détruiſant l'os
vers l'orbite ; mais plus communément
du côté de la joue , & même près des alvéoles
; ce qui produit une fiftule avec carie.
La différence de ces cas exige des procédés
différens pour obtenir la guérifon.
M. Bordenave fait connoître les différens
moyens auxquels on doit recourir ; les anciens
ne nous ont laiffé aucun précepte fur
ces maladies. M. Gunz, Profeffeur de
OCTOBRE. 1757. 139
Leipfick , a remarqué , que Henry Meibomius
étoit le premier qui avoit propofé
une méthode curative de l'ozêne maxillai-
E re ; elle confifte à faire l'extraction d'une
ou de plufieurs dents , pour procurer l'écoulement
du pus retenu dans le finus.
Cowper célebre Chirurgien Anglois , a perfectionné
cette opération. Il rapporte
qu'un homme rendoit depuis quatre ans
par la narine , beaucoup de matiere ichoreufe
, fétide , produite par un ulcere
dans le finus maxillaire. Pour procurer
une iffue libre au pus , il fit l'extraction de
la premiere dent molaire : mais le finus ne
communiquoit pas avec l'alvéole , ce qui
probablement ne s'étoit point trouvé dans
les cas rapportés par Meibomius : Cowper
perça avec un inftrument convenable la
cloifon offeufe qui retenoit encore les matieres
; cette perforation du fond de l'alvéole
permit l'ufage facile des injections ,
par le moyen defquelles on détergea l'ulcere
, & l'on obtint une parfaite guérifon.
Dracke à qui M. Heifter fait honneur de
cette invention , a fait des cures tout auffi
heureufes par le même procédé , lequel eft
fouvent inutile , parce que la carie de l'os
ouvre ordinairement une voie plus fuffifante.
M. Bordenave rapporte quelques
obfervations qui ont été communiquées à
140 MERCURE DE FRANCE.
l'Académie , fur de femblables cas , par
MM. de Jean , Chirurgien à Orleans , &
Lamorier , Profeffeur de Chirurgie à
Montpellier , & affocié de l'Académie .
Celui-ci a eu occafion de donner effor à fon
génie dans une circonftance particuliere ,
& il en a réfulté une méthode nouvelle
qui convient particuliérement à certains
cas. La carie d'une dent indique naturellement
celle qu'on doit tirer : fi elles étoient
toutes faines en apparence , ce qui est trèsrare
,& que l'on fût affuré d'une fuppuration
dans le finus , on pourroit découvrir celle
dont la racine répondroit plus directement
au mal , en les frappant les unes après les autres,
avec une fonde d'acier . Dans le cas où il
n'y auroit aucune raiſon qui déterminât à
l'extraction d'une dent, plutôt que d'une autre
, M. Bordenave fait obferver qu'il faut
tirer la troifieme molaire par préférence ,
parce qu'elle répond plus directement au
milieu du bas fonds du finus. M. Bertin
confeille dans fon oftéologie d'arracher la
premiere , ce qui feroit moins utile .
Mais fi la maladie du finus furvenoit à
une perfonne qui auroit perdu toutes les
dents , & en qui les alvéoles feroient entiérement
effacées , il faudroit procurer
une iffue au pusfur les parties latérales . M.
Lamorier détermine le lieu de la perfora-
"
i
OCTOBRE. 1757. 141
tion de l'os au deffus de la troifieme dent
molaire , fur une éminence que l'on fent
aifément , lorfqu'ayant fermé les mâchoires
, on porte le doigt auffi haut qu'il eft
poffible , fous la levre fupérieure. C'eft la
partie la plus baffe de cette éminence ,
nommée par quelques anatomiftes apophyfe
malaire , que M. Lamorier , confeille
de percer. Il a pratiqué cette opération
dans un cas fort grave , dont il a donné
le détail. Une Demoiſelle avoit une
fuppuration dans le finus maxillaire pour
laquelle on avoit déja facrifié deux dents qui
fe trouverent fort faines ; leur extraction
avoit procuré un écoulement de pus dont
on ne parvenoit point à tarir la fource . On
propofoit d'arracher une troifieme dent ,
lorfque la malade fit appeller M. Lamorier.
Perfuadé par tout ce qui s'étoit paffé ,
qu'il falloit, pour guérir cette maladie , une
ouverture beaucoup plus fpacieufe qu'on
ne pouvoit l'obtenir par la perforation du
fond des alvéoles , il imagina fa méthode.
Le malade affis , fa tête fixée , & les mâchoires
rapprochées , pour relâcher les levres
, on releve la commiffure en haut &
en arriere avec un crochet mouffe . On fait
tranfverfalement avec un biftouri droit ,
fur le bas de l'apophyfe malaire , une incifion
à la gencive & au périofte : on perce
142 MERCURE DE FRANCE:
l'os découvert avec un perforatif fait en
langue de ferpent , monté fur un petit vilbrequin
, & l'on ouvre plus ou moins le
finus , fuivant l'exigence du cas . La malade
à qui M. Lamorier fit cette opération ,
l'affura qu'elle avoit bien moins fouffert
que dans l'extraction d'une dent. Il ne furvint
aucun accident ; on détargea facilement
l'ulcere par des injections convenables.
Toutes ces différentes pratiques prouvent
les reffources de l'art : ce font des
exemples fort utiles , qui apprendront aux
jeunes Chirurgiens à varier les fecours de
chirurgie , fuivant le befoin.
OCTOBRE . 1757. 143
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLE S.
PEINTURE.
s.
VERS à M. Carlo- Vanloo , fur ſon Tableau
repréfentant le Sacrifice d'Iphigénie.
O d'un accord parfait , merveilleuſe harmonie
Deffein , couleur , élégance , génie ,
Vous m'enflammez , tout m'annonce Vanlo.
Je tremble pour Iphigénie ;
Je voudrois à Calchas arracher le coûteau.
Quel intérêt ! ... quel feu te pénetre & t'anime !
La douleur elle -même a conduit ton pinceau :
Je la vois , je la fens , partout elle s'exprime ;
J'admire en frémiflant ton immortel Tableau.
Par l'Anonyme de Chartrait , près Melun,
A Paris , le 2 Septembre 1757.
144 MERCURE DE FRANCE .
SENTIMENT d'un Amateur fur les
Forges de Vulcain , nouveau tableau de
M. Boucher , qui vient d'être expose an
Louvre.
AMIMON MIMONE ( 1 ) , Europe ( 2 ) & Proferpine
( 3 ) , tous fujets destinés à être exécutés
en tapifferie aux Goblins , & ordonnés
par M. le Marquis de Marigny , attendoient
Venus avec fa cour , recevant de
Vulcain les armes qu'elle avoit demandées
pour Enée , quatrieme fujet de même
grandeur que les précédens , & deftiné au
même objet. Ce vuide qui reftoit au falon
a été rempli par M. Boucher. Ce tableau
peut- être regardé., fans partialité & fans
adulation , comme le fceau de la réputa i
tion de ce Peintre , déja fi juftement méritée
dans plufieurs genres , & généralement
acquife dans celui des compofitions poétiques
& agréables . Il feroit difficile de
trouver un enfemble plus lumineux que
l'effet général de ce tableau ; & les lumieres
y font fi fçavamment & fi harmonieufement
diftribuées › que la vue attirée
( 1 ) De M. Carlo Vanloo.
( 2 ) De M. Pierre.
(3) De M. Vien,
vers
SEPTEMBRE . 1757. 145
CHIRURGIE.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale de Chirurgie , du 1
Avril 1757 .
M. Morand , Secretaire perpétuel , a lu
ce qui fuit :
L'Académie avoit propofé pour le prix
de cette année le fujet fuivant : Dans le
cas où l'amputation de la cuiffe dans l'article
paroîtroit l'unique reſſource pour fauver la
vie à un malade , déterminer fi on doit pratiquer
cette opération , & quelle feroit la
méthode la plus avantageuse de lafaire.
L'Académie a reçu douze Mémoires fur
ce fujet , & n'en a point trouvé qui fûr
digne du prix : parmi ces Mémoires , il en
eft un dans lequel l'Auteur a eu en vue de
prouver que l'opération propofée n'eſt
praticable en aucun cas. S'il eût établi cette
affertion de façon à lever tous les doutes
fur cela , le prix lui auroit été décerné , &
le feroit encore à celui qui prouveroit inconteſtablement
cette propofition ; parce ,
qu'il feroit cenfé avoir démontré que cette
G
146 MERCURE DE FRANCE.
opération ne peut jamais être une reffource
pour fauver la vie à un malade , contre la
fuppofition fuivant laquelle l'Académie
demande fi on doit la faire , & quelle
feroit la meilleure méthode de la faire.
Le même fujet eft remis pour 1759 ,
avec un prix double.
L'Académie ayant établi qu'elle donneroit
tous les ans fur les fonds qui lui
ont été légués par M. de la Peyronie , une
Médaille d'or de deux cens livres à celui
des Chirurgiens étrangers ou regnicoles ,
non Membres de l'Académie , qui l'aura
méritée par un ouvrage fur quelque matiere
de chirurgie que ce foit , au choix de
l'Auteur ; & ce prix d'émulation n'ayant
point été remporté l'année derniere , l'Académie
en avoit promis deux pour cette
année , s'il fe trouvoit deux bons Ouvra
ges. Parmi ceux qui ont été envoyés en
1756 , elle n'en a adjugé qu'un à M. Caqué
, fon Correfpondant à Rheims .
L'Académie ne peut donner une plus
grande marque d'impartialité , qu'en annonçant
que le Mémoire de M. Caqué a
pour objet de perfectionner la taille latérale
exécutée avec le lithotome caché.
Elle a fait fur cet inftrument l'examen le
plus approfondi ; elle n'a écouté ni les
préventions du Public qui court légèrement
SEPTEMBRE. 1757. 147
,
après les nouveautés , ni celle des Artiſtes
fervilement attachés aux anciennes méthodes.
Comptable à la fociété de tout ce qui
fe fait pour les progrès de l'art elle
en eft occupée de bonne foi ; elle ne
cherche que la vérité , & ce qu'elle fait
aujourd'hui en eft une preuve éclatante .
L'Académie ne diffimule pas qu'elle a trouvé
de grands défauts dans le lithotome
caché ; mais elle n'auroit pas couronné
celui qui fe feroit contenté de les expofer
: au contraire , elle récompenſe celui
qui propofe des moyens de les corriger.
L'on ne tardera pas à voir le jugement
qu'elle a porté de cet inftrument tel qu'il
eft , dans un parallele fur les différentes
méthodes de faire la taille.
Des cinq Médailles de cent francs chacune
deftinées à cinq Chirurgiens , foit
Académiciens de la claffe des libres , foit
fimplement regnicoles , qui auront fourni
dans le cours de l'année précédente un
Mémoire ou trois Obfervations intéreffantes
, l'Académie en adjuge quatre ; fçavoir
à MM. Recolin & Pipelet, Académiciens
libres ; M. Piplet le jeune , Candidat du College
, & M. Lefferé , Maître en Chir rgie
à Auxerre , & Membre de la Société ces
Sciences & Belles Lettres de la mêmeVille.
M. Suë, le jeune, lut enfuite un Mémoire
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE.
fur la cataracte membraneufe & fon extraction
. Avant les découvertes de MM .
Antoine- Maître -Jean & Briffeau fur la
cataracte , on penfoit qu'elle étoit formée
par une pellicule membraneufe : ils démontrerent
que c'étoit une affection du crystallin
qui perdoit fa tranfparence naturelle,
Ce fentiment prouvé par un grand nombre
d'expériences inconteftables , cut affez de
peine à s'établir , parce qu'il ne s'accordoit
point avec l'opinion des Phyficiens , qui
regardoient le cryftallin comme l'organe
immédiat de la vue . On la rendoit
par l'opération de la cataracte , & cette
opération n'auroit jamais eu de fuccès , fi
l'on eût abattu le corps , fans lequel il
feroit impoffible de voir. La chirurgie a
fervi utilement en cette occafion aux progrès
de la phyfique. Malgré les obfervations
qui firent admettre l'opacité du cryſtallin
comme caufe formelle de cataracte ,
l'existence de la pellicule fut conſtatée par
quelques faits non équivoques. M. Littre
l'a fait voir dans un oeil qu'il difféqua à l'Académie
des ſciences ; & quoique MM. de
la Peyronie & Morand fuffent bien convaincus
que le cryftallin étoit communément
le fiege de la cataracte , ils penfoient
que les membranes de l'oeil pouvoient ,
auffi bien que le cryftallin , perdre leur
SEPTEMBRE . 1757. 149
transparence naturelle , & produire par-là
une vraie cataracte membraneufe. M. Hoin
affocié de l'Académie , à Dijon , a jetté
un nouveau jour fur cette matiere. Il a eu
occafion de difféquer l'oeil d'un homme
mort à la fuite d'une opération , qui avoit
été faite par un de ces Oculiftes qui courent
de Province en Province. L'opération
avoit eu d'abord du fuccès , le malade
avoit vu ; la cataracte reparut au bout de
quelque temps , & fuivant les notions ordinaires
fur ces fortes de cas , on jugeoit
que le crystallin étoit remonté. A l'ouverture
du globe , on le trouva dans le fonds
de l'oeil ; c'étoit une pellicule qui s'oppofoit
au paffage de la lumiere ; & ce voile
nouvellement formé derriere la prunelle ,
étoit une cataracte membraneufe fecondaire.
Cette obfervation donne lieu à une
conféquence toute fimple , qui n'a pas
échappé à l'Auteur , c'eft qu'il eft poffible
qu'on fe foit quelquefois trompé dans le
jugement qu'on a porté fur les cataractes
qu'on a cru remontées. Un feul fait ne
permettoit de tirer cette conféquence que
comme une conjecture , qui préfente néanmoins
la plus grande probabilité. M. Suë
vient de la vérifier par plufieurs faits de
pratique , qui lui ont fait voir la cataracte
membraneufe fecondaire . Ses obfervations
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ne ferviront pas feulement à la confirmation
d'une vérité qui étend nos connoiffances
fur la nature de cette maladie ; elles
ont une utilité plus étendue : il a rendu
la vue à ceux en qui il reconnut cette pellicule
; & d'après ces mêmes obfervations ,
il indique les moyens de prévenir cette
maladie confécutive .
M. Sue a opéré à Angers , au printemps
de l'année 1756 , plufieurs perfonnes qui
avoient fouffert précédemment l'opération
par abaiffement au moyen de l'aiguille ,
fuivant l'ancienne méthode. Il fe propofoit
de faire l'extraction de cataractes
remontées. L'examen des yeux lui faifoit
voir fur chacun , que la cataracte étoit
très-enfoncée , plus mince & plus plate
qu'à l'ordinaire. Après l'incifion convenable
de la cornée tranfparente , il eut en
vain recours à la preffion méthodique du
globe de l'oeil pour procurer la fortie du
cryftallin ; il fut obligé de porter des
pincettes dans la prunelle , il tira par ce
moyen une pellicule très diftincte . La premiere
opération lui fervit de guide pour
les autres , qui réuffirent toutes également
bien. Ces cas étoient la fuite de l'opération
par l'ancienne méthode. Mais M. Suc
fait remarquer que fans une certaine précaution
effentielle , la méthode de l'exSEPTEMBRE
. 1757. 15t
traction ne mettroit pas à l'abri d'une cataracte
fecondaire. Il l'a reconnue dans la
diffection des deux yeux d'une femme
morte aux Incurables , à qui M. Daviel
avoit ôté les cryftallins cataractés , un an
auparavant. L'opération fut d'abord fuivie
du plus grand fuccès ; ce ne fut qu'au bout
de fix mois que les yeux s'obfcurcirent , &
que la perfonne redevint aveugle.
Pour prévenir cet inconvénient , contre
lequel l'art n'eft pas fans reffources efficaces
, comme le prouvent les obfervations
de M. Sue , il faut emporter la membrane
crystalline avec le cryftallin on y
parvient très-aifément , fi l'on incife circulairement
la capfule fur le corps qu'on
doit extraire. M. Daviel le fait préfentement
avec fuccès , M. Suë n'y manque
jamais , & l'on fent affez combien cette
pratique eft néceffaire à la perfection de
la nouvelle méthode d'opérer la cataracte
par l'extraction du crystallin .
Après ce Mémoire , M. Morand fit la
lecture d'une obfervation fur , un abfcès
au cerveau. Un Religieux Bénédictin
agé de 1 ans , fujet à des rhumatiſmes ,
fentit tout-à- coup des violentes douleurs
de tête , principalement vers l'oreille gauche
, avec élancemens , fievre , infomnie
, &c. on employa inutilement tous les
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
fecours qu'on crut convenables : au bout
de fix mois , il fe forma un abfcès derriere
l'oreille ; l'ouverture qu'on en fit , procura
quelque foulagement. Il refta un finus
fiftuleux , qui alloit vers la tempe de bas
en haut. Le malade avoit des douleurs
dans toute cette partie : elles augmentoient
aux changemens de temps , & furtout dans
les temps froids. Il vint à Paris . M. Morand
trouva , en fondant le finus , qu'il y
avoit carie à l'os temporal vers fa partie
inférieure. Il fit une incifion , & traita la
maladie de l'os fuivant les regles de l'art.
L'eau mercurielle n'ayant pu détruire les
chairs baveufes qui fe reproduifoient toujours
fur l'os malade , on y porta le feu à
différentes fois ; on obtint une exfoliation
d'une lame affez large de la table externe.
Monfieur Morand fe flattoit d'obtenir
une prompte guérifon : tout fembloit la
promettre , fi ce n'eft que la plaie fourniffoit
beaucoup plus de pus que fon étendue
apparente n'en devoit donner.
De nouvelles recherches firent connoître
un autre finus qui s'étendoit vers la
partie fupérieure de la tempe . Comme l'os
n'étoit point dénué dans le fonds de ce
finus , on eſpéra en obtenir facilement la
confolidation par l'effet des injections vulnéraires.
On fe fervit du beaume de Fio-
1
SEPTEMBRE. 1757. 153
raventi. Le malade en reffentit les donleurs
les plus vives ; elles furent fuivies
d'une espece de fureur qui dura quelque
temps. L'irritation des parties extérieures
ne pouvant caufer un effet auffi violent ,
M.Morand imagina qu'un peu d'injection
pouvoit s'être communiquée à quelque .
partie membraneufe de l'intérieur de la
tête. La plaie fut fondée de nouveau : on
découvrit un trou dans toute l'épaiffeur
de l'os temporal , & la fonde pénétra d'un
bon pouce dans l'intérieur de la tête. Il
eft aifé de voir que tout ce qui avoit été
fait jufques là pour la guérifon du malade
étoit en pure perte , & que jufqu'à préfent
la vraie fource du mal avoit été méconnue.
On fit les incifions convenables
pour mettre à nu une grande portion de
l'os temporal , & établir la place d'une
couronne de trépan, dans l'intention d'emporter
toute la partie de l'os altéré , & de
déterger l'ulcere de la tête.
dit
" Ici fe préfente naturellement
» M. Morand , la queftion ; fçavoir fi le
trou étoit fait par la carie de l'os de
» dehors au dedans , ou fi la matiere d'un
» abfcès formé dans la tête s'étoit fait jour
»à travers le crâne de dedans en dehors .
auroit bien des raifons de croire
و د
11
Y
» que cette communication étoit la fuite
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
d'un abfcès extérieur , en ce que l'état
» du malade ne l'empêchoit point d'aller
& de venir , ni même de remplir les
» fonctions de fon miniftere . Je crus réfoudre
la queftion en bouchant exacte-
» ment le trou avec une cheville de bois
»faite comme un fauffet, & groffe comme
une plume à écrire . Le lendemain en
» ôtant le fauffet , la matiere ruiffela de
» l'intérieur de la tête. »
"
Le trépan fut appliqué , & à la levée
du premier appareil , il fortit du pus
abondamment. La fonde pénétroit dans
le cerveau . Pour en dilater le finus , on
y introduifit pendant plufieurs jours une
tente faite avec la plus groffe corde à
boyau. Le quatorzieme jour , on jugea
qu'il étoit convenable d'incifer les membranes
en croix vis - à- vis le trou du trépan.
M. Morand porta enfuite le bour
de fon petit doigt dans le cerveau , réduit
dans cet endroit en une espece de
bouillie ; il en fortit beaucoup de pus.
On fit des injections avec l'eau vulnéraire
animée de quelques gouttes d'efprit
de térébenthine & de baume de Fioraventi
. Le malade , qui donna d'abord des
marques de fenfibilité , s'y accoutuma peu
peu. Quoique l'ouverture fût affez grande
pour l'iffue des matieres , & qu'on
SEPTEMBRE. 1757. 155
continua les injections , le pus féjournoit
encore d'un panfement à l'autre : il fortoit
à la quantité d'une petite cuillerée. Certe
circonftance détermina M. Morand à placer
dans le cerveau même une canule d'argent
groffe comme une plume à écrire
& longue de plus d'un pouce ,
› fans
fans y
comprendre le chaperon. Le pus ne féjourna
plus , & l'on ne devoit plus attendre
la parfaite guérifon que du temps &
de la nature. « Ce qu'il y a d'admirable ,
» dit M. Morand , c'eft que le malade fe
portoit bien d'ailleurs , qu'il fuivoit une
partie des exercices de la maifon ; płu-
»fieurs perfonnes qui ne vouloient pas
»croire ce que je leur en difois , revenoient
de fon monaftere fort étonnées
» de ce qu'ayant demandé à voir le Religieux
qui portoit une canule dans le
» cerveau , on étoit obligé de le chercher
» dans la maiſon. Il montroit fa plaie ,
» on ôroit la canule pour fatisfaire leur
» curiofité , & on la remettoit. »
"3
"3
و ر
33
Après environ quarante jours , on diminua
par degrés la canule de longueur :
Ja quantité du pus diminuoit en properla
tion , & l'on obtint , après la fuppreffion
de la canule , en peu de temps , la parfaite
guérifon.
M. Morand tire des phénomenes de ce
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
fait de pratique , des preuves qui confitment
les idées qu'on a de l'infenfibilité du
cerveau & de la fenfibilité des meninges.
Il préfente l'obfervation comme une des
plus grandes maladies dont le cerveau
puiffe être attaqué , & il n'a tardé à la
communiquer à l'Académie pour faire voir
les reffources de l'art dans les cas les plus
graves , que pour attendre que la guérifon
fût bien affurée. Il y a cinq ans , & le Religieux
, qui en eft le fujet , continue de
jouir de la meilleure fanté.
Lafuite au prochain Mercure.
SEPTEMBRE. 1757.
157 '
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
A M. DE BOISS r.
MONSIEUR , comme ma diſpute avec
M. de Morambert n'intéreffe aucunement
le Public , j'ai renoncé à faire paroître à
part la Replique que j'avois annoncée . Je
fais réflexion d'ailleurs que les ouvrages de
M. Rameau , fur l'harmonie , étant en affez
grand nombre, & fes principes affez démontrés,
M. de M. pourroit y voir la condamnation
des erreurs répandues dans fa réponſe .
Cependant je profite volontiers , Monfieur
, de la place que vous voulez bien
m'accorder encore dans votre article de
mufique. J'ai refondu , pour ainfi dire ,
mon ouvrage je me reftrains à ce qui
fuit , crainte d'abuferide vos bontés .
Paris , ce 20 Juin 1757.
1
158 MERCURE DE FRANCE.
Replique de M. Rouffier , à la réponse de
M. de Morambert , inférée dans le premier
volume du Mercure de Janvier ,
Article IV.
Si M. de M. a relu ma premiere Lettre,
comme je l'en ai prié dans celle du premier
volume d'Avril , il aura vu fans doute qu'en
6X 6
affignant aux accords las , & res (1),
leur vraie baffe fondamentale , j'étois bien
éloigné d'en rejetter la fucceffion , & que
mon ironie tomboit feulement fur les fi-
7 7
gnes F & B qui ne préfentant point ces
accords par l'ordre direct , les confondent
avec les dominantes.
Il auroit pu fe difpenfer de recourir à des
autorités pour me conftater la bonté d'une
fucceffion contre laquelle il a cru bonnement
que je me déclarois. Je l'avois employée
, cette fucceffion , page 177 de
ma lettre ( 2 ). M. de M. peut y voir ( dans
(1 ) Les fignes des accords , placés au deffus du
nom des notes , occupant trop d'eſpace dans l'impreffion
, je me fuis déterminé à les écrire dans
le fens horizontal , qui eft d'ailleurs celui qu'on a
accoutumé en lifant.
(2) Voyez le fecond volume d'Octobre 1756 ,
depuis la page 171.
SEPTEMBRE. 1757 .
159
l'exemple ) que fa & , ut 6 , n'eſt point
6
une harmonie différente de re 5 ›
6
6
mi 4 ,
l'une & l'autre venant de D , A , ou , fe-
7
lon lui , de B , A.
Mais comment M. de M. a- t'il pu prendre
le change au fujet du fens de ma lettre ?
En
annonçant d'abord dans la fienne ( page
182 ) , que j'ai cru appercevoir des faures
dansfa Méthode , comment a-t'il oublié
dans la fuite que ce n'étoit qu'à ce qui a
trait à cette Méthode , qu'à fes fignes que
j'en voulois
6
>
6
6*
& non aux paffages la 5 ,
6
fi 4 , & re 5 , mi 4 , qui font de fon
Ariette ?
Je n'avois attaqué de cette Ariette , &
4
par occafion , que la faute fa 6 , ut 3 ,
• 7
répétée dans les nouveaux fignes D , F ,
n'imaginant pas cependant alors d'avoir à
faire à fon Graveur. Quoi qu'il en foit , je
reçois de bon coeur les raifons de M. de
Morambert fur ce paffage : j'aurois fouhaité
qu'il m'eût à peu près autant fatisfait
à l'égard de fon figne dans les deux autres ,
160 MERCURE DE FRANCE.
& fur les preuves de fa co- invention.
Au refte , je lui dois un remerciment au
fujet du début par où il entreprend férieufement
la juftification de fa diffonnance.
Si M. Rouffier , dit- il › page 183 ,
connoiffoit mieux la fucceffion des accords ,
la liaison harmonique qui en résulte , il
verroit , &c. ...
M. de M. me fait bien de l'honneur à
l'égard de fa liaifon harmonique : j'avoue
franchement que je n'en connois point qui
réfulte de la fucceffion des accords . Je connois
feulement , dans l'harmonie , une
liaifon fur laquelle eft établie la fucceffion
des fons fondamentaux , de laquelle fucceffion
réſulte enfin celle des accords . C'eſt
M. Rameau qui me l'apprend dans fon
nouveau fystéme , chap. IV & VI , de fa génération
harmonique , à l'article de la liai
fon , pag. 69 ; mais plus expreffément encore
dans fa Differtation fur les differentes
méthodes d'accompagnement , page 35 ( 1 );
Ce qui me confole , c'eft que tous ceux qui
ont adopté la doctrine de M. Rameau , ne
connoîtront pas mieux que moi de liaiſon
harmonique réſultante de la fucceffion des accords.
Il faut efpérer que M. de M. nous
(1 ) En outre , le chap. 4 de la Gener, harm. &
Particle premier du chap. 10 , contiennent de bonnes
inftructions à ce sujet.
SEPTEMBRE. 1757 . 161
éclairera là deffus , afin que nous puiffions
voir fon mi diffonnance , & fauvé ſur reX.
Peut être verrons nous encore alors cette
autre note quiforme la diffonnance dans l'accord
de quinte & fixie des deux paſſages
de Pigmalion & de Caftor & Pollux , &
qui , dans les principes de M. Rameau ,
n'eft encore que la plus parfaite de toutes les
confonnances ( 1 )..
> Qu'auroit-ce donc été , s'écrie M. de M.
fi après l'accord de fixie quarte , j'euffe employé
celui de quarte & quinte ? .. M. Ronf
fier n'eût pas manqué de me táxer d'ineptie .
Non , Monfieur , lui répondrai -je , je
ne vous en aurois pas taxé , pas pas même
quand vous cuffiez inféré encore l'accord
de feconde entre ceux de fixte- quarte ,
& de quarte & quinte , fi la valeur des notes
, ou la tournure du chant vous l'euffent
permis y inféraffiez -vous de plus
dans une autre occafion , celui de feptieme
fuperflue , je n'en ferai aucunement
effrayé ; mais je ne regarderai jamais votre
tôt
( 1) Termes de M. Rameau au fujet de la quinte,
dans les Obferv. fur notre instinct pour la musique,
&c. p. 6 , & la Gener, harm . p . 57. On verra bienque
la note que M. de M. a cru diffonnance ,
foit dans les deux paffages de fon Ariette , ſoit
dans ceux qu'il cite de M. Rameau ; que cette
note , dis-je , eft la quinte du fon fondamental de
l'accord , la quinte d'une foudominante.
162 MERCURE DE FRANCE.
mi comme diffonnance , qu'à l'endroit où
il formera onzieme dans l'accord propofé ,
ou dans celui de Quarte. C'eft la baffe fondamentale
qui me donne ce courage : j'ofe
vous la préfenter.
Partie Supérieure.
S ste Sve 3ce 7 me
ce
3
8ve
Mi , mi , mi , mi- , rex , rex, mi.
Baffe-Continue.
6 6 7
S 4
2 * 7 4 x X
La , fi , fi , fi , fi , fi , fi , mi.
BASSE -FONDAMENTALE .
6
7
7 *
7
X X
---
> fi , fi , mi. La , mi , ut , fax
Nouveaux fignes.
X6
7
7 X X 7
E.
A, E , C , FX— , B
Les intervalles exprimés par des chiffres
dans la partie fupérieure , font relatifs à
11 baffe-fondamentale. Ils feront connoître
à M. de M. que le premier mi n'eft point
diffonnance , qu'il ne fait que fuivre fa
progreffion naturelle, en reftant fur le même
SEPTEMBRE . 1757 . 163
'degré , & n'a nul befoin d'être fauvé , ni
médiatement , ni immédiatement , ni en
montant , ni en defcendant.
S'il reftoit à M. de M. quelque fcrupule
au fujet de cette note , ou quelque doute
à l'égard du fon fondamental que j'affigne,
dans la fucceffion préfente , à l'accord dont
elle fait partie , il peut confulter le chapitreVII,
du fecond Livre du Traité de l'harm .
( au fupplément , pag. 3 ) , & le XVIme du
troifieme Livre du même Ouvrage. L'exemple
de la page 222 doit être vu auffi dans
le fupplément , p. 14. Enfin la baffe - fondamentale
de l'exemple 67 , planche 4 , des
Elém.de Mufiq. décide encore la difficulté .
Puifque nous en fommes fur les exemples
, M. de M. feroit- il curieux de voir
la finale de fon Ariette , mêmes notes dans
le chant , même baffe ? Il la trouvera dans
celle de l'exemp. 172 , du Livre intitulé ,
Expofition de la théorie & de la pratique de
la Musique , &c. par M. de Béthizy . Paris ,
1754, p. 45 des planch . gravées. L'Auteur a
joint à cet exemple la baffe fondamentale ,
7
qui n'eft point du tout en faveur de B , A :
6
elle dit , & eft chiffrée re 5 , la. L'exemple
qui termine la même page porte encore
une femblable cadence , & c'est toujours
164 MERCURE DE FRANCE.
le même fondement affigné , c'est - à - dire
6 6 6
res , la , pour l'harmonie re 5 , mi 4.
L'exemple 17 en préfente un autre dans
le ton d'ut , toujours avec fa baffe fondamentale
( feroit- ce la peine d'en citer autrement
) ? Le deffus y a la même tournure
que celui de l'Ariette dans les trois dernie
res mefures. Les exemples raffemblés , 100
( aux mots cadence imparfaite ) 101 , 102
( aux notes marquées d'un B ) & 103 ( à la
cadence finale ) , ne font pas moins décisifs
que les précédens. Ce dernier fera peutêtre
du goût de M. de M. ( il eft tiré de
Pigmalion ) ; du moins lui fera - t'il aife de
voir , par la baffe fondamentale , quelle
étoit dans l'efprit de M. Rameau la note
qui forme la diffonnance dans l'accord de
quinte & fixte.
S'il étoit d'ufage qu'on joignît aux ouvrages
de mufique une baffe fondamentale
en faveur de ceux qui ne connoiffent
pas affez l'harmonie , pour retrouver cette
BASSE , CE FOND d'harmonie qui a guidé le
Compofiteur dans fes productions , M. de
M. n'auroit eu garde de s'autorifer des
deux paffages de Pigmalion , & de Caftor &
Pollux (1 ).
(1 ) Les fignes dont j'ai déja donné une idée
( voyez fecond vol . d'Octobre 1756 , p. 175 ) , &
SEPTEMBRE. 1757 .
165
On fçait que c'eſt par la baffe fondamentale
qu'on découvre pofitivement ce qu'il
ya de confonnant ou de diffonnant dans
un accord . On fçait encore que dans la
foudominante la feule diffonnance eſt cette
fixte majeure , que l'art a ajouté à ſon
6
accord parfait. Or les deux accords la 5 ,
6
& res , des paffages de M. de M. étant
fondamentaux ( j'aurois honte de le prouver
davantage ) & acconds de foudominante
, accords de fixte- ajoutée , leur diffonnance
n'eft donc autre chofe que cette
même fixte , c'est- à-dire fax dans l'un , &
fi dans l'autre , & non leur quinte mi & la ,
comme l'a cru M. de M.
Je ne penfe pas , au refte , qu'il veuille
objecter que parce que dans l'accord
la 3e , ut 6te , mi 7me, fax 8ve renversé
ce
que je ne deftine pas au feul accompagnement ;
ces fignes , pour le dire en paffant , pourroient
peut- être , s'il étoient une fois en ufage , empêcher
bien des méprifes , des fauffes applications ,
des interprétations détournées , puifqu'ils repréfentent
précisément , & , j'ofe dire , affez clairement
, cette Baffe fondamentale , que M , Rameau,
dans la préface de la Gener . harmon . appelle le
guide invifible du Muficien , l'unique bouffole de
Poreille ; j'ajoute, & la vraie pierre de touche pour
s'affurer des confonnances ou des diffonnances,
166 MERCURE DE FRANCE.
се
d'une fimple dominante , la diffonnance
eft mi , il s'enfuive que ce même mi foit
auffi la diffonnance dans l'accord direct
de foudominante la , ut 3ce , mi s ™,fa 6 "?
Il faudroit que M. de Morambert me
prouvât auparavant qu'une feptieme &
une fixte ( en comptant du fon fondamental
) font la même chofe , ou que , être fondamental
, être dérivé , direct ou renverse ;
tout cela foit fynonime.
Si la pratique , à cauſe de l'identité des
notes qui compofent ces deux accords , les
confond encore aujourd'hui fous le même
nom & le même figne , & n'en fait , pour
ainfi dire , qu'un feul & même accord ,
cette pratique reconnoît néanmoins , dans
fon unique accord , un double emploi ,
une double acception , des marches différentes
dans les notes qui le compofent.
Or ces marches différentes font fondées
fur le rapport que les notes peuvent avoir
à divers fons fondamentaux , à diverfes
baffes fondamentales , dont les confonnances
ou les diffonnances n'ont rien de
commun.
Il ne manquoit à M. de M. lorfqu'il
me fait remarquer lui- même ( page 184
de fa Lettre les deux manieres dont s'em
ploie l'accord en queftion ; il ne lui manquoit
, dis-je , que de connoître le prinSEPTEMBRE.
1757.
167
cipe que je viens d'affigner , pour s'appercevoir
que dans le cas où la quinte doit def
cendre
diatoniquement , c'est parce qu'elle
eft dans fon origine la diffonnance mineure
de ce fon
fondamental qui refte fur le
même degré , qu'elle eft , veux je dire , la
feptieme d'une fimple
dominante ; & que
dans cet autre cas où la quinte refte fur le
même degré , tandis que la fixte monte , c'eſt
que cette fixte, bien loin d'être fondamentale
alors , n'eſt au contraire que la diffonnance
majeure d'un autre fon fondamental ,
d'une
foudominante ( 1 ) .
Il faut efpérer que M. de M. adoptera
enfin , foit dans fes écrits , foit dans fes
fignes , cette
SOUDOMINANTE que l'oreille
lui a déja fait pratiquer dans fon Ariette ,
& qu'il fera lui- même , avec M. Rameau
& tous ceux qui fuivent fes principes , la
diftinction qu'il me reproche des dominantes
avec les
fondominantes ( 2 ) ,
(1 ) M. de M. trouvera , page 215 de la Gener.
harmon . la
confirmation de ce que j'ai l'honneur
de lui dire ici , & la réfutation de ce qu'il avance
au fujet de l'accord de feconde , p. 186 & 187 de
fa Lettre. ( La diffonnance , la note qui devroit def
cendre , &c. &c. )
(2 ) « Il faut chiffrer la baffe
fondamentale ( dit
» M. Rameau , Gener. harm. page 210 ) avec un
6 pour les
foudominantes , un 7 pour les dominantes,
& rien pour les toniques. » C'eſt -là
168 MERCURE DE FRANCE.
L'idée lui en étoit bien venue , nous dit- il
dans fa Lettre ( p . 185 ) , & c'eſt déja beaucoup.
Il ne lui refte plus que de fçavoir ,
dans l'occafion , difcerner ces foudominan
tes , pour ne pas préférer de réduire tout en
accords parfaits & en accords de feptieme ;
préférence qui lui a fait fans doute traiter
de diffonnances des notes qui font pures
confonnances , & qui pourroit induire
dans la même erreur , & dans une infinité
de conféquences qui en découlent , ceux
qui s'en tiendroient à fes fignes.
·
Au refte, fi M. Rameau dans fa Méthode
exprime par 2 l'accord de fixte quinte ,
foit qu'il foit fondamental ou dérivé , c'eſt
que les fignes repréfentent , comme on
fçait , la méchanique des doigts , ou leur arrangement
relatif à la tonique . Or dans
l'accord fondamental & dans le dérivé ,
cette méchanique , cet arrangement des
doigts par rapport à la tonique étant les
mêmes , il n'a donc fallu à M. Rameau
qu'un même figne pour les exprimer.
D'un côté & d'autre , la tonique eft
La fource où j'ai puifé pour ma méthode : j'ai
appliqué aux lettres de la gamme ce que Monfieur
Rameau prefcrit ici pour les notes. Je ne vois
pas de différence entre un la , par exemple , chiffré
d'un 7 ou d'un 6 , & un A chiffré de même :
P'un eft noté , l'autre eft écrit.
jointe
OCTOBRE. 1757. 169
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPER A.
L'Académie Royale de Muſique continue
les répréfentations des Amours des Dieux ,
qu'on revoit avec le même plaifir. L'agrément
des ballets ajoute à celui des paroles
& de la mufique . Dans le premier acte ,
M. Laval & Mademoiſelle Carville danfent
un pas justement applaudi . Tous deux
l'exécutent avec autant de précifion que de
nobleffe . Le premier fait chaque jour de
nouveaux progrès , & Mademoiſelle Carville
ſe montre une digne éleve du célebre
M. Dupré. Dans la fête de l'acte charmanţ
de Coronis , M. Veftris & Mademoiſelle
Veftris fa foeur , forment un pas figuré
d'un goût , d'une expreffion , d'une grace
& d'un accord qui charment le fpectateur.
M. Veftris ne brille pas moins , quand il -
danfe feul dans le divertiffement du dernier
acte. On peut dire fans flatterie qu'il
en fait les honneurs.
I. Vol,
H
170 MERCURE DE FRANCE
COMEDIE FRANÇOISE.
E Le famedi 3 Septembre , les Comédiens
François ont repréſenté Athalie , dans laquelle
un Acteur nouveau a joué le rôle du
Grand-Prêtre au gré du Public . On lui
trouve de l'intelligence & de l'ame . On
lui fouhaiteroit plus de nobleffe dans la fi- !
gure & dans le jeu .
COMÉDIE
ITALIENNE.
LBLe lundi 19 Septembre , les Comédiens
Italiens ont donné la neuvieme repréſentation
des Enforcelés , ou de la Nouvelle
furprise de l'Amour , parodie en un acte ,
mêlée de chants , avec un divertiffement
nouveau . Elle a beaucoup réuffi . C'eſt la
piece , où le roman de Daphnis & Chloé
nous a paru mis le plus heureuſement
au Théâtre. Si le fonds n'eft pas neuf ,
les détails en font fi agréables , & le jeu
des Acteurs le rajeunit fi fort , qu'il reçoit
fur la fcene toutes les graces & tout le
piquant de la nouveauté. Mlle Catinon
fous le nom de Jeannot , offre un Daphnis
charmant , & Madame Favart , fous celui
OCTOBRE . 1757. 171
de Jeannette , eft une Chloé qui enforce le
elle-même tous les Spectateurs. Elle n'oublie
rien pour combler la féduction . On voit
qu'elle joue en mere ( 1 ) . On retrouve dans
Jeannette les charmes ingénus de Baftienne
: elle a un air de famille qui frappe ;
mais avec des nuances qui la diftinguent.
La naïveté de l'une n'eft pas l'ingénuité
le l'autre . Elle reffemble fans être la
même.
(1 ) Madame Favart eft l'Auteur de la piece, avec
1. Guerin & M. H * *.
OPERA COMIQUE.
ON a exécut
Na exécuté fur ce Théâtre un très- joli
allet pantomime , qui a pour titre , Le
uile dupé ; il eft de la compofition du
eur Rey , frere de Mlle Rey qui danſe
Etuellement à la Comédie Françoiſe. On
joué au même Spectacle une petite piece
ouvelle en un acte , intitulée , Le Faux
Jervis , dont nous dirons un mot au prohain
Mercure.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
CONCERT SPIRITUEL.
Le jeudi 8 Septembre , jour de la Nativité
de la Sainte Vierge , le Concert a
commencé par une Symphonie del Signor
Beck , fuivie de Cantate Domino , Moret
à grand choeur de M. Davefne . Enfuite
Mile Sixte a chanté Ufquequò , petit Motet
de Mouret . M. Moria a joué un Concerto
de M. Gaviniés . Mlle Fel a chanté un petit
Motet pour la fête du jour . M. Balbâtre
a joué fur l'orgue l'ouverture de l'Opera
Languedocien. Le Concert a fini par Laudate
Dominum , quoniam bonus
d'orgue de M, Mondonville ,
Motet
OCTOBRE. 1757 : 173
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE DANTZICK , le 33 Acût.
LE Feld- Maréchal Comte d'Apraxin a commencé
d'exiger des contributions du Royaume
de Pruffe. Ayant mandé les Magiftrats de Tylfit ,
il leur a fignifié les ordres pour la livraiſon d'une
certaine quantité de vivres & de fourrages.
La Colonne des troupes Ruffiennes , qui a pris
fa route par la Samogitie , arriva le 28 Septembre
fur la frontiere de la Pruffe Brandebourgeoife.
Le 29 , elle fut jointe par une autre Colonne ,
qui a traversé la Lithuanie. Le même jour ,
Feld-Maréchal Comte d'Apraxin fit occuper la
Ville de Tilfit , dont les Magiftrats furent confirmés
dans leurs emplois , après avoir prêté ferment
à l'Impératrice de Ruffie. Une partie de l'armée
de cette Princeffe a déja paffé la Niémen.
Le Feld- Maréchal de Lehwald a abandonné les
bords de cette riviere , & s'eft replié ſur la Prégel
. Il eft actuellement campé à Welau dans une
pofition avantageufe , fon centre couvert par un
ravin , fa gauche appuyée à Konigsberg , & fa
droite tirant vers Georgebourg , où elle eft flanquée
par des bois & par des marais . Ce Général a
retiré de Marienwerder le Bataillon qui y étoit
en garniſon. Chaque jour , il y a quelque efcar-
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
mouche entre les poftes avancés des deux ar
mées.
On n'eft point informé que la Flotte Ruffienne
ait paru fur les côtes de Poméranie. Cela donne
lieu de préfumer qu'elle eft retournée à Cronstadt
Depuis que l'armée commandée par le Feld-
Maréchal Apraxin eft entrée dans la Pruffe Du
cale , le Confeil de Régence , qui étoit établi
Konigsberg , s'en eft retiré. Il n'y eft refté que
les Magiftrats chargés de la police de la Ville
Les Archives qu'on y tenoit en dépôt , ont été
envoyées à Cuftrin. On fait monter à une fomme
très- confidérable les contributions que les Ruffiens
ont exigées du pays . Ils ont demandé qua
rante mille écus à la ville de Memel , & les habi
tans fe font preffés de payer cette taxe , pour n'è
tre pas exposés aux rigueurs d'une exécution .
DE VIENNE , le premier Août .
Un Officier dépêché par le Prince Charles de
Lorraine , a apporté dix drapeaux pris fur les
Pruffiens à Gabel & à Zittau . Cette derniere Ville
qui eft de la Luface , & fous la domination du
Roi de Pologne Electeur de Saxe , a beaucoup
fouffert des bombes & des boulets rouges. Plu
fieurs édifices publics ont été détruits . Un grand
nombre de maiſons ont été renversées , ou réduites
en cendres. La néceffité de ruiner divers magazins
, que les ennemis avoient dans la place ,
s'eft oppofée aux ménagemens qu'on auroit defiré
d'avoir pour les habitans. Lorfque les troupes de
l'Impératrice Reine fe font emparées de la Ville ,
il n'y reftoit plus qu'environ quatre cens foldats.
Le refte de la garnifon avoit trouvé le moyen
d'en fortir , & de fe retirer au camp du Prince
de Prufle.
OCTOBRE . 1757. 175
Dès le mois d'Avril dernier , le Fifcal de l'Empire
avoit demandé qu'on citât les Magiftrats de
Francfort , pour n'avoir pas fatisfait dans le temps.
preferit aux Avocatoires Impériaux. Le Confeil
Aulique rendit il y a quelques jours un Décret ,
qui ordonne à ces Magiftrats de répondre dans le
terme de deux mois fur l'objet de cette citation .
Le Chevalier Robert Keith , ci- devant Miniftre
plénipotentiaire du Roi de la Grande - Bretagne
auprès de Leurs Majeftés Impériales , vient de
reprendre la route de Londres.
Le Comte de Stainville , nouvel Ambaffadeur
de France auprès de cette Cour , arriva ici le 20
d'Août. Le 24 , il eut fes premieres audiences
particulieres de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine. Leurs Majeftés Impériales font parties
pour Hollitſch , où elles doivent paffer quelques
jours. Elles ont reçu au fujet de deux actions qui
fe font paffées le 13 & le 14 en Siléfie , une Relation
dont voici l'extrait.
Pendant plufieurs jours les Pruffiens n'avoient
fait aucun mouvement. Le 13 , un Caporal , qui
étoit en fauve-garde à Gimansdorff , vint donner
avis qu'ils s'avançoient en force . Auffi - tôt le Colonel
Jahaus doubla toutes fes gardes avancées.
Il fit en même temps plier les tentes & charger le
bagage . On avoit lieu de croire que le deffein des
ennemis étoit de furprendre Landshut , & de nous
contraindre d'abandonner la Siléfie. Ainfi il falloit
prendre une réſolution d'autant plus vigoureuſe ,
qu'on devoit s'attendre à être attaqué par la
droite & par la gauche. Les Pruffiens firent diverfes
feintes , pour engager le Colonel Jahnus à
quitter fa pofition ; mais il fe contenta de faire
manoeuvrer fon avant-garde . Sur les dix heures &
demie du foir , il fit donner l'alarme au camp
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
ennemi par cinquante Volontaires . Ce détache
ment y caufa d'abord tant de défordre , que les
Pruffiens firent feu les uns fur les autres , & qu'il
fe paffa plus d'une demi-heure avant qu'ils puffent
fe reconnoître. On leur enleva trente chevaux ,
& cent déferteurs fe rendirent à notre camp. Le
lendemain à la pointe du jour , on s'apperçut que
les ennemis avoient changé de pofition . Leur Infanterie
s'étoit avancée jufqu'au fauxbourg de
Landshut , & formoit un bataillon quarré . La
nôtre commença à donner par petits pelotons.
Quatre de nos pieces de campagne incommodant
confidérablement les Pruffiens , ils fe replierent
fur leur gauche. Leur premiere attaque fut contre
un bois , où le Capitaine Lakupith étoit avec un
bataillon de Warafdins. Cette attaque fut trèsvive
, & foutenue du feu de feize pieces de canon.
Le fieur Lakupith tint ferme pendant une heure ;
mais il fe vit enfin dans la néceffité de céder au
nombre , & il rejoignit le gros de nos troupes.
Alors l'action devint générale. Les ennemis , vu
la fupériorité de leurs forees , pouvoient déborder
notre droite . Pour remédier à cet inconvénient ,
le Colonel Jahnus avoit couvert de ce côté fon
flanc par plufieurs abattis d'arbres , & y avoit éta
bli deux batteries. Après un combat très- long &
très-opiniâtre , dans lequel notre artillerie chargée
à cartouches fit beaucoup de ravage parmi les
troupes ennemies , les Pruffiens fe retirerent avec
précipitation. Nos troupes les pourſuivirent à
droite au-delà de Reichenau , & à gauche pardelà
Richebanck. Elles fe font emparées de fix
pieces de canon , dont une de quatre livres de
balle , & les autres de trois. On a pris auffi une
grande quantité d'autres armes , plufieurs tambours
, un charriot & deux caiffons de munitions.
OCTOBRE . 1757. 177
Les Pruffiens compofoient un corps d'environ
huit mille hommes , & étoient commandés par le
Général Creutzer . Trois jours après l'action , on
n'avoit pu encore enterrer tous leurs morts. Ils
ont perdu trois milles hommes , en y comprenant
les déferteurs & quatorze cens prifonniers. Parmi
ces derniers , on compte dix-fept Officiers , dont
un eft mort le 16 de fes bleffures . Du côté des
troupes de l'Impératrice Reine , il n'y a eu que
dix-fept hommes tués , quatre- vingt- un bleffès ,
deux faits prifonniers , deux chevaux tués , & deux
autres pris. Da nombre des morts font les fieurs
Ummerhoffer & Liczeni , Capitaines dans les Régimens
de Saint-Georges & de Gradiska. Le Baron
de Jahnus a eu un cheval tué fous lui d'un boulet
de canon. Ce Colonel mande qu'il a fait
occuper
de nouveau les hauteurs de Zeifchenberg auprès
de Freyberg.
DE PRAGUE , le 30 Juillet.
Le 23 de Juillet , le Comte de Nadafty s'avança
de Leitmeritz à Levin . Un détachement de fes
troupes , commandé par le Comte de Draskowitz,
Major général , a fait prifonniers à Schrekenſtein
un Major , un Capitaine , fix autres Officiers , &
deux cens vingt foldats. Mille Pruffiens qui étoient
dans Tetſchen , ont abandonné ce pofte .
L'armée de l'Impératrice Reine marcha le 25
en avant. L'aile gauche a paffé la Neiff , ainfi
qu'avoit fait l'aile droite. Le corps de réſerve eft
refté à Ullersdorff , pour affurer la communication
avec la Boheme. Le Prince Charles de Lorraine
& le Feld-Maréchal Comte de Daun , ont
détaché un nouveau corps de troupes vers la
Siléfie.
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
DE DRESDE, le 31 Août .
·
Le Colonel Laudon continue d'inquiéter les
Pruffiens. Ces jours derniers il marcha avec
foixante Huffards à Liefnig , où il y avoit cinquante
hommes. Ils fe retirerent à ſon approche ,
& il les pourfuivit jufqu'à Querbitz . S'y voyant enveloppés
, il fe jetterent dans une maifon , d'où
ils firent un feu très- vif. Les Huffards mirent pied
à terre , attaquerent la maifon , & obligerent le
dêtachement ennemi de fe rendre à difcrétion.
DE FRANCFORT , le 3 Août.
Avant-hier, M. le Prince de Soubize vint en cette
Ville. Il fut falué par le canon des remparts , &
complimenté par une députation des Magiftrats ,
qui lui préfenta le vin d'honneur. Le foir , il re
tourna à Hanau. La Gendarmerie de France , qui
eft de l'armée de ce Général , s'avance vers ces
quatiers, Le corps de Fifcher doit être entré actuellement
dans la Turinge.
Les troupes de l'Empire
continuent
de s'affembler
entre Furth & Farrenbach
. On ne croit pas
qu'elles puiffent être réunis avant le 7 ou le 8 du
mois de Septembre.
On écrit de Minden , que M. le Maréchal- Duc
de Richelieu y a fait entrer un régiment Suiffe ,
pour renforcer la garn fon , & que M. le Marquis
de Berville, Maréchal de Camp, qui y commande,
fait réparer les fortifications de cette Place.
DE HAMBOURG , le 26 Août.
Quatre Vaiffeaux de guerre Anglois , & deur
Frégates de la même Nation , mouillerent hier à
l'embouchure de l'Elbe près d'Oldinbroek. Ces
OCTOBRE . 1757.
179
Bâtimens doivent remonter le fleuve jufqu'à Stade,
afin d'embarquer les effets retirés de Hanovre.
Les lettres de Siléfie marquent que le 15 du mois
d'Août le Colonel Jahnus a remporté un avantage,
confiderable fur un Corps de cinq mille Pruffiens .
Selon les avis reçus de Koniſberg , le Général Sibilski
, commandant les troupes légeres du Roi de
Polongne Electeur de Saxe , eft entré en Pruffe
avec ces troupes par le Palatinat de Trock. On
mande de Petersbourg , que le Chevalier Douglas
, qui a été chargé des affaires de Sa Majeſté
très-Chrétienne auprès de l'Impératrice de Rufke ,
doit reprendre inceffamment la route de Paris.
DE HANOVRE , le 10 Août.
Suivant la répartition des contributions , auxquelles
cet Electorat eft taxé , la Principauté de
Ĉalemberg doit fournir un million quatre-vingt
mille rations de foin , chacune du poids de dixbuit
livres ; trente- trois mille facs de froment ,
une pareille quantité de feigle , & autant d'avoine
, chaque fac pefant deux quintaux . La Principauté
de Grubenhagen fournira cent mille rations
de fourrage , & la Ville de Gottingen donnera
vingt-quatre mille facs , tant de froment & de
feigle que d'avoine . Ces livraifons doivent être
faites en deux termes , fçavoir une moitié avant le
premier du mois de Septembre , l'autre moitié
avant le premier Octobre , fous peine d'exécution
militaire.
Le ,, vers les dix heures du matin , un détachement
de Grénadiers de France vint prendre
poffeffion des portes de cette Capitale. Peu après ,
M.le Duc de Chevreule, nommé pour commander
ici , entra dans la Ville avec les troupes , qui doi-
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
vent en compofer la Garnifon . Celle de l'ancienne
Garnifon ont été défarmées , & on leur a permis de
fe retirer au bon leur fembleroit . MM . le Duc de
Chevreule , & le Marquis de Saint- Pern qui commande
fous lui , ont pris leurs logemens , le premier
à l'Hôtel du Baron de Dieden , Miniftre
d'Etat , le fecond chez le Comte de Kielmanfegg.
Après le dîner, MM . le Duc de Chevreufe & le Mar
quis de Saint- Pern fe promenerent à cheval dans
les rues , pour raffurer les habitans . Ces Lieutenans
- Généraux leur déclarerent que la Bourgeoi-
He devoit être parfaitement tranquille , & que ,
s'il arrivoit à des Soldats de commettre quelques
excès , on en feroit fur le champ une punition
exemplaire.
Brunswic & Wolfenbuttel ont ouvert leurs
portes aux François. Un Détachement des troupes
de cette Nation vient d'occuper auffi Zell . M.
le Maréchal Duc de Richelieu fe diſpoſe à paffer
la Leine , pour s'approcher de l'Electorat de
Brandebourg. On prépare à Hambourg , à Altena
, & dans quelques autres Villes voifines
foixante mille paires de fouliers , & vingt- deux.
mille paires de bottes , pour l'armée de Sa Majefté
Très Chrétienne. M. le Duc de Chevreuse qui
commandoit ici avant l'arrivée du Général , voulant
prévenir tout ce qui pourroit y troubler la
tranquillité publique , a exigé que tous les Bourgeois
dépofaffent leurs armes à l'Hôtel de Ville.
Une indifpofition a obligé M. le Duc d'Orléans
de fe rendre à Aix - la-Chapelle , pour y prendre
les eaux.
L'armée du Duc de Cumberland est toujours
campée à Ferden , Ville Capitale du Duché de ce
nom. Ce Prince fait travailler à applanir les rouses
qui conduifent de-là à Stade , & à en pratiOCTOBRE
. 1757. 181
quer de nouvelles à travers des bois dont le pays
eft entrecoupé.
M. le Maréchal Duc de Richelieu vient de recevoir
un courier de M. le Comte de Beauffobre ,
Maréchal de Camp , commandant le blocus de
Gueldre , avec nouvelle que le Gouverneur de
cette place demandoit à capituler & à fortir , lai
& fa garnifon , avec les honneurs de la guerre.
Notre Général a approuvé cette difpofition , &
en conféquence cette Garnifon doit être renvoyée
à Berlin par la route de Cologne & de Francfort.
DU CAMP D'INSTERBOURG , le 1 z Août.
L'armée de l'impératrice de Ruffie campa le
deuxd'Août près de Scaluponen. Il y eut le même
jour une efcarmouche entre l'avant - garde de cette
armée & un détachement de Huffards Pruffiens.
La perte fut à peu près égale de part & d'autre. Le
4 , le Feld- Maréchal Apraxin s'avança jufqu'à .
Buduponen. Il marcha le 6 à Gumbingen , où il
laiffa repofer les troupes pendant deux jours . La
nuit du 7 au 8 , le Colonel Malachowsky s'étant
avancé avec quelque Cavalerie du Roi de Pruffe ,
pour reconnoître notre camp , cer Officier fut
chargé dans fa retraite. De chaque côté , il y eut
environ trente hommes tués ou bleffés . Le 9 l'armée
ne fit qu'une marche de deux milles . Sur l'avis
que le Général Biaden venoit à nous avec dix-
Efcadrons tant de Dragons que de Huffards , on
envoya contre lui un détachement de Cavalerie
légere. Les deux troupes fe rencontrerent près de
Gerwiskene. A l'approche du détachement Ruffien
, le Général Bladen fe pofta dans le bois de
Piczkemsky . On attaqua les ennemis malgré leur
pofition avantageufe , & on les délogea du bois,
182 MERCURE DE FRANCE.
Ils perdirent cinquante- deux hommes , & nous flmes
vingt-fept prifonniers. Avant- hier , le Feld-
Maréchal Apraxin affit fon camp 3 peu de
diſtance de l'endroit , où cette action s'étoit paffée.
Quelques efpions ayant rapporté qu'un corps
d'Infanterie & de Cavalerie Pruffienne fe formoit
en bataille dans la plaine , on fe mit en marche
vers les dix heures du foir , pour attaquer cette
tête de troupes ennemies. Dès qu'elle fut informée
de notre mouvement , elle fe replia fur le camp
du Feld-Maréchal de Lehwald. Hier , nous continuâmes
de nous porter en avant. Nous fumes
joints par la divifion du Général Fermer , & nous
vînmes camper fous Infterbourg , dont les Magiftrats
ont apporté les clefs au Feld - Maréchal
Apraxin. Ce Général a envoyé des détachemens
dans les Bailliages de Centwallen , de Dittlacken ,
de Naffaven , de Caffouben & de Frackenen. Il a
mis des Garnifons à Schwarpelen , à Trezacken ,
à Cubarthen , à Sodargen , à Plathen , à Dorskabnen
& dans Althoff. On apprend que le Général
Sibilsky avec les troupes légeres du Roi de Pologne
Electeur de Saxe, a pénétré jufqu'à Oletsko .
DU CAMP DU PR. CHARLES DE LORRAINE,
le 17 Août.
Un corps de Bannaliſtes , de Lycaniens & d'Oguliniens
, commandé par le Colonel Laudon ,
ayant paffé l'Elbe , a pénétré en Saxe , & a pris
pofte à Hellendorff. Sur l'avis que le Général
Itzemplitz étoit à Gottluben avec un détachement
des troupes de Pruffe , le Colonel Laudon y marcha
le 8 d'Août. Ayant mis en fuite quelques
Gardes avancés , il attaqua les ennemis , quoique
couverts d'un triple retranchement. Cette atOCTOBRE.
1757. 183
taque fe fit avec tant de vivacité & de fuccès ,
qu'ils furent contraints d'abandonner leurs lignes,
& même la Ville , où ils ont laiffé trois canons de
douze livres de balle & une piece de campagne.
Dans leur retraite , qu'ils firent en un fort grand
défordre , ils furent joints par trois bataillons de
Grenadiers , qui vinrent de Gishubel à leurs fecours.
Alors ils fe rallierent , & le Colonnel Laudon
fe retira. Il a conduit à Hellendorff la piece
de campagne , dont il s'eft emparé. Faute de chevaux
, il n'a pu emmener les trois autres canons.
On a pris les équipages & tous les domestiques du
Général Itzemplitz . La perte des Pruffiens eft eftimée
à cinq cens hommes , en y comprenant les
prifonniers & les déferteurs. Plus de cent de ces
derniers fe rendirent à Hellendorff le jour même
de l'action . Le Colonel Laudon mande au Prince
Charles de Lorraine , que les Officiers , qui fe
font le plus diftingués à l'attaque des retranchemens
, font les fieurs d'Ofchen , Stupiniany
Jegerman , Meffig , Rollag , Millnoufnick ,
Berzinger , Gerlichib & Juftini.
Il arriva le 9 à l'armée du Roi de Pruffe un convoi
de mille charriots chargés de farine & de munitions
de guerre. Le 13 , le Feld-Maréchal Keith
décampa de Tumitz , & fe rendit avec les troupes
au camp que le Prince de Brunſwic - Bevern occupoit
ci-devant près de Baudiffin. Il fe porta le 14
à Hochkirchen. Avant hier , le Roi de Pruffe &
ce Général , ayant réuni leurs deux armées , maxcherent
à Bornstadt . Sa Majeſté Pruffienne s'avança
hier jufqu'aux environs de Hirschfeld . Le
Prince Charles de Lorraine a fait de fon côté un
mouvement , moyennant lequel nous ne fommes
féparés des ennemis que par le village de Witgendorff.
Toute la nuit , on s'eft canonné très - vive.
184 MERCURE DE FRANCE.
ment de part & d'autre. Aujourd'hui , les Pruffiens
ont attaqué le village de Witgendoff à deux
différentes reprifes , mais on les a repouffés.
Ils font tranfporter à Baudiffin une grande quantité
de paliffades. On dit que l'Officier Général ,
qui y commande a ordonné aux habitans ,
en cas d'alarme , non feulement de s'enfermer
dans leurs maifons , mais même de ne point regarder
par les fenêtres , & qu'il a défendu à tous
ceux qui ne font point Gentilshommes , de porter
l'épée.
>
Les avis de Siléfie portent que le Colonel Jahnus
s'eft porté de Hohenfriedberg dans les environs
de Landshut , afin de mettre la garniſon de cette
ville à l'abri des entrepriſes des ennemis . Le Prince
Charle de Lorraine a envoyé à cette Officier
un renfort d'Infanterie & de Cavalerie légere ,
avec quelques pieces d'artillerie de campagne.
Par une convention faite depuis peu entre l'Impératrice
Reine & l'Electeur de Baviere , il a été
ftipulé que tous les foldats , qui ont défesté de
part & d'autre avant le premier d'Août , pour
s'engager au fervice de l'une ou de l'autre Puiffance
, peuvent demeurer dans les corps où ils ont
pris parti ; mais que ceux qui déferteront à
l'avenir , feront punis fuivant la rigueur des loix
militaires.
DU CAMP DE VALLE , le premier Septembre.
Les ennemis gardant toujours leur poſition entre
Rothembourg & Otterberg , M. le Maréchal
Duc de Richelieu s'étoit determiné à les y attaquer.
Le 30 d'Août , il fit partir M. le Marquis
de Monteynard , pour s'approcher de leur
camp , & pour reconnoître le pays. Ce Maréchal
1
OCTOBRE . 1757 .
185
de Camp avoit fous fes ordres vingt Compagnies
de Grenadiers , quatre troupes de Carabiniers ,
deux de Cavalerie , un Détachement des Volontaires
de Flandre & de Haynault , & quatre pie.
ces de canon. Il fe porta fur Everfen à quatre
lieues environ de Werden , & il découvrit le camp
des ennemis encore tendu à un quart de lieue audelà
de Rothembourg. La Brigade d'Alface avoit
marché en même temps à Walle , pour foutenir
le détachement de M. le Marquis de Monteynard,
qui fut joint auffi à Everfen par trois cens Dragons
aux ordres de M. le Marquis de Caraman , que
M. le Marquis de Guerchy , campé à Withoé, avoit
envoyés fur la droite d'Everfen .
M. le Marquis de Monteynard employa la journée
du 30 à reconnoître le pays qui étoit deyant
lui , & à examiner les bords de la Wurm . II
fut inquiété par quelques Huffards & quelques
Chaffeurs fortis de Rothembourg , qui firent le
coup de fufil contre fes poftes avancés . Ayant
paflé la nuit en bataille , il s'avança le lendemain
à la pointe du jour fur le Village de Wderſchled ,
d'où il déboucha & marcha en colonne juſqu'à
une lieue de Rothembourg fur le grand chemin
ayant des marais à droite & à gauche. Alors il
s'apperçut que les ennemis avoient fait décamper
le centre de leurs lignes , & qu'ils n'avoient laiſſé
que des Détachemens dans les Forts de Rothembourg
& d'Otterberg. Comme on avoit lieu de
croire que ces Détachemens n'étoient reftés que
pour favorifer la retraite de leur armée , le Marquis
de Monteynard envoya fur le champ fommer
les deux Commandans. Ils répondirent qu'ils
avoient ordre de fe défendre . M. le Marq . de Monteynard
en informa le Maréchal de Richelieu ,
qui s'étoit déja mis en marche pour le joindre , &
186 MERCURE DE FRANCE.
qui fur cet avis envoya chercher quarante Compagnies
de Grenadiers de l'armée , tous les Gre
nadiers Royaux , les Carabiniers , & douze pieces
de canon d'augmentation.
Afept heures du matin , M. le Maréchal arriva
devant Rothembourg , qu'il alla reconnoître luimême.
On lui tira quelques coups de canon du
Fort , derriere lequel on voyoit une colonne d'Infanterie,
dont on ignoroit la force. M. le Maréchal
fit fes difpofitions , pour entourer le pofte de
droite & de gauche , & pour faire rétablir ſur la
Wurm les ponts que les ennemis avoient rompus.
En même temps , il fit paffer fur une éclufe
douze compagnies de Grenadiers, commandées par
M. le Comte de Wurmfer. Les ennemis , les ayant
apperçues , craignirent d'être coupés , & ils évacuerent
le Fort. Leur appréhenfion étoit d'autant
plus fondée , que M. le Marquis de Caraman avoit
déja paffé par fa droite une partie des marais &
une branche de la Wurm avec les Dragons de fon
Régiment. On vint avertir nos Sentinelles de la
retraite précipitée des ennemis. Mais il ne fut pas
poffible de s'y oppofer , parce qu'il n'y avoit dans
le voisinage aucun gué praticable , & que tous les
ponts fur la Wurm étoient rompus. D'ailleurs on
ne peut arriver à Rothembourg que par une feule
chauffée , & de tous côtés ce pofte eft environné
de marais.
M. le Maréchal de Richelieu fit occuper un des
Fauxbourgs de la Ville par quelques Compagnies
de Grenadiers , en attendant que le pont du Fort
fût rétabli . Les ennemis ont laiffé dans ce Fort
dix-fept pieces de canon de fer enclouées , dont
ils ont brifé les affûts . Quoique ce foit un pofte
très avantageux , qu'il étoit aifé de défendre longtemps,
on n'y a trouvé aucune forte de munitions.
OCTOBRE . 1757. 187
Pendant que le M. Maréchal de Richelieu s'étoit
avancé à Rothembourg, M. le Duc de Broglie avoit
marché avec la réſerve à Baffant , pour déboucher
fur Otterberg. Le Commandant de ce Fort avoit
fait tirer quelques coups de canon à cartouches fur
des Officiers & des Grenadiers , qui étoient allés
le reconnoître. Ayant été fommé de fe rendre , il
fit réponſe qu'il étoit dans l'intention de foutenir.
P'attaque . En conféquence il fit rompre les ponts
qui étoient dans cette partie. Mais M. le Duc de
Broglie ayant fait paffer des Grenadiers au gué , &
ayant fait la même manoeuvre que le Maréchal de
Richelieu avoit fait à Rothembourg , le Commandant
fe retira avec précipitation , laiffant
feize pieces de canon dans le Fort.
Hier , toute l'armée fe rendit de Werden à
Walle , où elle eft campée fur deux lignes . M. le
Marquis de Monteynard s'eft porté environ à trois
lieues en avant de Rothembourg . Les ennemis fe
font d'abord retirés à Gilhum . Leur pofition entre
Otterberg & Rothembourg , qui font des poftes
de la plus grande importance , étoit fi avantageufe,
qu'on eft fort furpris qu'ils l'aient abandonnée
fi précipitamment.
Ils étoient entourés à Gilhum de marais impraticables
, & ils avoient rompu la chauffée qui
étoit le feul chemin par lequel on pût y arriver.
Cependant ils ont levé leur camp avant le jour.
Ils continuent leur retraite fur Stade, & ils ont fait
une marche forcée de fix lieues . La tête de nos
détachemens a pouffé jufqu'à une demi-lieue au
de-là de Gilhum.
188 MERCURE DE FRANCE.
DU CAMP DE CLOSTER- SEVEN ,
les Septembre.
Le 3 du même mois , M. le Maréchal de Richelieu
apprit que les ennemis étoien impés à Emerfem,
& partit d'Otterberg avec tous les Grenadiers
qui étoient à Rothembourg , & avec la Brigade
d'Alface , pour fe porter à Clofter- Seven. Il manda
à M. le Duc de Broglie , de venir l'y joindre avec
fa réſerve , & cependant il pouffa en avant M. le
Marquis de Poyanne avec un détachement de
Carabiniers & de troupes légeres.
Le 4 au matin , fur l'avis que les ennemis
avoient décampé , il fe porta au détachement de
M. le Marquis de Poyanne , & fit attaquer pat
MM les Comtes de Berchiny & de Chabot , &
par deux cens Dragons à pied du Régiment d'Harcourt
, le village de Bevern qui fut emporté. Les
ennemis ayant alors fait avancer un corps confidé .
rable de troupes , le détachement de M. le Marquis
de Poyanne eut ordre de fe replier vers le village
de Selfen. Pendant ce temps , une colonne d'Infanterie
de quinze cens Heffois , commandée par
Je fieur de Saftro , qui pourfuivoit M. le Marquis
de Poyanne avec plufieurs troupes de Cavalerie ,
fut arrêtée par le feu de douze compagnies de
Grenadiers, commandées par le Prince de Chimay
qui avoient été embufquées dans un bois avec
quatre pieces de canon . Les Grenadiers de Chabot
chargerent la tête de cette Infanterie , qui fe retira
fort en défordre , & fut pourfuivie par les Volonsaires
du même corps & par les Huffards.
OCTOBRE.
1757 .
189
PAYS - BAS.
DE
BRUXELLES , le 26 Août.
Par des lettres de Bohême du 11 d'Août , on a
été informé d'une
expédition du Colonel Laudon.
Le 8 du même mois , cet Officier qui étant entré
en Saxe avec un Corps de
Bannaliftes , de Lycaniens
&
d'Oguliniens , a pris pofte à
Hellendorff ,
attaqua la petite Ville de Gottluben , où le Général
Itzemplitz étoit avec un
Détachement des
troupes
Pruffiennes. Les ennemis ont été contraints
d'abandonner ce pofte. Ils y ont laiffé
quatre canons , dont trois de douze livres de
balle. On s'eft emparé de tout le bagage du Général
Itzemplitz , & l'on a pris tous les domeftiques.
Du côté des
Autrichiens , il n'y a eu que
onze hommes tués , & foixante - deux bleffés . Six
Officiers font du nombre des derniers.
Un Officier du Régiment de Los Rios arriva
içi le 23 du mois d'Août , avec la nouvelle que la
garnifon de Gueldres avoit capitulé le 22 , & que
La Place devoit être remife le
lendemain aux
troupes de l'Impératrice Reine.
Voici l'extrait des lettres de l'armée de l'Impé
rátrice Reine , datées du 20 Août : « Le 18 , les
» ennemis
travaillerent à établir fur les hauteurs ,
» qui font à la droite & à la gauche de la Neiff ,
» plufieurs batteries dont chacune
paroiffoit être
» de quinze à vingt pieces de canon .
Cependant
» les deux armées
demeurerent dans la même
D
fition fur la gauche de la riviere. Les Pruffens
po-
»
continuerent le 19
l'établiffement de leurs batteries.
Il
paroiffoient méditer quelque entre-
‣ priſe
d'importance , & fur le foir ils
marquerent
190 MERCURE DE FRANCE.
» devant le front de leur camp un terrein , comme
» s'ils avoient deffein de s'y former en bataille.
>> Leur projet étoit fort différent . Pendant la nuit ,
» ils firent partir d'avance tout ce qui pouvoit les
» embarraffer dans leur retraite , & aujourd'hui
» 20 , ils font décampés avant le jour , marchant
»` vers Oftritz. Nos troupes légeres font à leur
» pourfuite. »
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LB16 B 16 d'Août , M. le Comte de Beftuchef , Amballadeur
Extraordinaire de l'Impératrice de Ruffie
, eut audience de Madame la Dauphine , de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de Monfeigneur
le Duc de Berry , de Monfeigneur le
Comte de Provence . Il y fut conduit par le fieur
de la Live , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le Roi alla le même jour ſouper à Montrouge
chez M. le Duc de la Valliere.
Le Roi ayant écrit à M. l'Archevêque de Paris ,
pour faire rendre à Dieu de folemnelles actions
de graces , à l'occafion de la victoire remportée
à Haftembecke , on chanta le 14 du même mois
dans l'Eglife Métropolitaine de cette Ville le Te
Deum, auquel M. l'Abbé de Saint- Exupery, Doyen
du Chapitre , officia. M. le Chancelier de France ,
accompagné de plufieurs Confeillers d'Etat &
Maîtres des Requêtes , y affifta , ainfi que le Cler
gé , le Parlement , la Chambre des Comptes ,
La Cour des Aides , & le Corps de Ville , qui y
OCTOBRE. 1757. 191
avoient été invités de la part
du Roi par M. de
Gifeux , Maître des Cérémonies .
On tira le même jour dans la Place de l'Hôtel
de Ville , par ordre de MM. Ics Prevôt des Marchands
& Echevins , un feu d'artifice , dont l'exé
cution ne laiffa rien à defirer.
Au feu d'artifice fuccéda une magnifique illu
mination , tant à la façade de l'Hôtel de Ville ,
que dans l'enceinte de la Place. Il y eut auffi de
très-belles illuminations aux hôtels de M. le Duc de
Gefvres & du Prevôt des Marchands , & des maifons
des Echevins & des principaux Officiers de
l'Hôtel de Ville. Des fontaines de vin coulerent
dans la Place de cet Hôtel , de même que dans
celle de Louis XV , & l'on y diftribua du pain
& des viandes au peuple. On y avoit mis des orcheftres
, & le peuple témoigna fon alégreffe
par fes danfes pendant la plus grande partie de
la nuit.
Le 15 Août , Fête de l'Affomption de la Sainte
Vierge , la Proceffion folemnelle qui ſe fait tous
les ans à pareil jour en exécution du voeu de
Louis XIII , fe fit avec les cérémonies accoutumées.
M. l'Abbé de Saint-Exupery y officia. Le
Parlement , la Chambre des Comptes , la Cour
des Aides , & le Corps de Ville , y affifterent.
Dans l'affemblée générale que le Corps de
Ville tint le 16 , MM. Brallet & Vernay y ont
été élus Echevins.
Un Paylan , travaillant dans fon champ , à
deux lieues de Toulon , a découvert une cavité ,
par laquelle à la faveur d'une corde il eft defcendu
dans une grotte extrêmement profonde . Plufieurs
perfonnes depuis ont vifité cette grotte. On
y voit diverfes fortes de plantes & de fruits pétrifiés
, & des pierres tranfparentes de toutes cou192
MERCURE DE FRANCE.
leurs. L'extrême fraîcheur qu'on y éprouve , ne
permet pas de s'y arrêter longtemps.
On mande de Manfeille , que le 21 Août un
Navire François , venant de Smirne , ayant été
chaffé pendant deux jours par un Vaiffeau de
guerre Anglois , de 74 canons , a été obligé de
fe jetter fur la côte de Sardaigne , où il s'eft
amarré à terre. Les ennemis fans égard pour une
côte neutre , ont continué de canonner le bâtiment
, dans la vue de le couler à fond. Impatiens
de le détruire , ils ont envoyé leurs Chaloupes
avec cent cinquante hommes , pour y
mettre le feu ; ce qu'ayant exécuté , ils ont affailli
l'équipage François qui n'avoit ofé s'éloigner du
rivage. Ils ont tué cinq hommes , en ont bleffé
plufieurs , & ont dépouillé fans aucune diſtinction
matelots & paffagers.
Le Comte de Starhenberg , Confeiller d'Etat ,
Chambellan de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme , & Ambaſſadeur
de Leurs Majeftés Impériales , a eu fa premiere
audience particuliere du Roi , dans laquelle
il a préfenté à Sa Majefté fes Lettres de Créance.
Il a été conduit à cette audience , ainfi qu'à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monseigneur le
Duc de Bourgogne , de Monfeigneur le Duc de ;
Berry , de Monfeigneur le Comte de Provence ,
de Madame & de Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , par M. de la Live , Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le 24 d'Août , les Députés des Etats de Langue
doc eurent audience du Roi . Ils furent préfentés
par M. le Comte d'Eu , Gouverneur de la Province ,
& par M. le Comte de Saint- Florentin , Miniftre &
Secretaire d'Etat , & conduits par M. de Gizeux
Maître de Cérémonie en furvivance, La
OCTOBRE . 1757. 193
Le 21 d'Août , M. le Marquis de Paulmy , Miniftre
& Secretaire d'Etat ayant le Département
de la Guerre , & Grand Croix Chancelier Garde
des Sceaux de l'Ordre de Saint Louis , fut reçu
Chevalier des Ordres Royaux , Militaires & Hofpitaliers
de Notre - Dame du Mont - Carmel , & de
Saint Lazare de Jérufalem. M. le Comte de Saint
Florentin , Miniftre & Secretaire d'Etat , Gérent
& Adminiftrateur de ces Ordres , fit la cérémonie
dans l'appartement & en préfence de Monfeigneur
le Duc de Berry , Grand- Maître. Enfuite
M. le Marquis de Paulmy prêta ferment pour la
dignité de Chancelier Garde des Sceaux desdits
Ordres . Les Grands Officiers & plufieurs Chevaliers
affifterent à cette cérémonie .
Le Corps de Ville alla le 25 d'Août à Verſailles
, & il eut audience du Roi . Il fut préſenté à
Sa Majefté par M. le Comte de Saint-Florentin ,
Miniftre & Secretaire d'Etat , & conduit par le
fieur de Gizeux , Maître des Cérémonies , en
furvivance. Les fieurs Brallet & Vernay , nouveaux
Echevins , prêterent entre les mains du
Roi le ferment de fidélité , dont M. le Comte de
Saint- Florentin fit la lecture , ainfi que du Scrutin
, qui fut préſenté par le fieur de Pomereu ,
Confeiller au grand Confeil.
Après cette audience , le Corps de Ville eut
l'honneur de rendre fes refpects à la Reine & à la
Famille Royale.
Le jour de la Fête de Saint Louis , la Procef
fion des Carmes du Grand Couvent , à laquelle
le Corps de Ville aflifta , fe rendit , felon la coutume
, à la Chapelle du Palais des Tuilerics ,
où ces Religieux chanterent la Meffe .
L'Académie Françoife célébra cette Fête dans
la Chapelle du Louvre. On exécuta un Motet
I.Vol. 1
194 MERCURE DE FRANCE.
pendant la Meffe , après laquelle le Panégyrique
du Saint fut prononcé par l'Abbé Rouveyre- Duplan
, Chanoine de l'Eglife de Valence.
La même Fête fut célébrée par l'Académie
Royale des Belles - Lettres , & par celle des Sciences
, dans l'Eglife des Prêtres de l'Oratoire . Le
Pere de Neufville , de la Compagnie de Jeſus ,
prononça le Panégyrique du Saint.
On célébra le de Septembre , dans l'Eglife de
l'Abbaye royale de Saint Denis , le Service folemnel
, qui s'y fait tous les ans pour le repos de
l'ame de Louis XIV. L'Evêque de Dol y officia
pontificalement. Le Comte d'Eu & le Duc de
Penthievre y affifterent , ainfi que plufieurs perfonnes
de diftinction .
Sur la démiffion que le fieur Peyrene de Moras
, Miniftre & Secretaire d'Etat ayant le Département
de la Marine , a donnée de la place
de Contrôleur Général des Finances , le Roi en
a difpofé en faveur du ficar de Boullongne. La
charge d'Intendant des Finances , qu'avoit le fieur
de Boullongne , paffe au fieur de Boullongne fon
fils , qui en avoir la furvivance .
Le Roi ayant jugé à propos de raſſembler fon
Parlement le premier Septembre , les Gens du Roi
entrerent aux Chambres affemblées , & y apporterent
l'ordre de Sa Majefté aux Préfidens du Parlement
aux quatorze anciens Confeillers de la
Grand'Chambre , & aux quatorze anciens Confeillers
des Enquêtes & Requêtes , de fe rendre
fur le champ à Verfailles pour recevoir les ordres ;
ce qui fut exécuté. Le Roi donna audience aux
Députés du Parlement , qui furent préfentés par
M.le Comte de Saint- Florentin , Secretaire d'Etat
ayant le Département de Paris , & conduits à l'ordinaire
par les Officiers des Cérémonies. Le Roi
OCTOBRE. 1757 195
lear dit que fon Chancelier alloit leur expliquer
fes intentions. Sur quoi M. de Lamoignon , Chancelier
de France , prit la parole , & dit :
« Les fentimens qui animoient vos prédécel
» feurs ne leur auroient pas permis de faire la dé-
» marche à laquelle s'eft portée la plus grande
» partie des Officiers du Parlement.
» Le Roi vous ordonne d'avoir toujours préfentes
les obligations que votre ferment vous impo-
» fe : nul motifne peut vous difpenfer de rendre la
» juftice que vous devez aux Sujets de Sa Majeſté.
Les Magiftrats , prépofés pour l'adminiftrer ,
» ne peuvent la refufer , fans être refponfables de
» tous les maux qui font la fuite néceſſaire de ce
> refus.
» Sur les témoignages répétés qui ont été don-
» nés à Sa Majesté de votre foumiffion & de votre
fidélité , Elle veut bien n'interroger aujourd'hui
D que vos coeurs , & chercher dans vos fenti-
> mens des motifs de confiance pour l'avenir .
>> Elle efface donc pour jamais le fouvenir de
» ce qui lui a déplu dans votre conduite paflée
> en regardant comme non-avenues toutes les démiffions
qui lui ont été données. Sa Majeſté vous
» a appris Elle-même par les Lettres qui vous ont
» été adreffées , qu'Elle veut bien conferver dans
>> leurs Offices tous ceux qui s'en étoient démis.
A l'égard de ceux de vos Confreres qu'Elle a
crudevoir éloigner pour des raifons particulieres,
» Sa Majefté , en les confervant dans leur état ,
»n'a pas encore fixé le temps de leur rappel .
» Quand le Roi fera obéi , quand vous aurez
» repris l'exercice entier de vos fonctions ordinaires
, & que Sa Majeſté ſera fatisfaite de la fa-
» geffe de votre conduite , Elle écoutera favorablement
vos inftances à cet égard.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
» Pour ce qui concerne la feconde déclaration ,
»le Roi defire que l'ufage en devienne auffi inutile,
qu'il l'avoit jugé néceflaire ; mais avant tout ,
» Sa Majefté ne refufera point d'écouter ce que
» fon Parlement croira devoir lui repréſenter fur
» cet objet . Elle veut que la fuppreffion ordonnée
» par fon édit du mois de Décembre dernier foit
» exécutée & Elle enverra à fon Parlement
>> une déclaration interprétative , à l'enrégiftre-
» ment de laquelle Elle vous ordonne de procéder
>> fans délai .
» Le Roi vous ordonne de reprendre vos foncntions
ordinaires : conformez - vous à les inten-
» tions.
» Sa Majeſté n'a rien tant à coeur que de faire
» régner dans fon Royaume le filence qu'Elle a
» préferit de part & d'autre ; & la paix qu'Elle
» defire depuis fi long-temps de voir rétablie.
Si Sa Majefté , par des raifons fupérieures , &
» dans la vue du bien général , a cru devoir s'éle-
» ver au deffus de regles ordinaires , fon Parle-
>> ment ne doit point en appréhender lesfuites pour
> l'avenir.
» Le Roi vous ordonne donc de faire exécuter
conformément aux
» fa premiere déclaration ,
>> Canons reçus dans le Royaume , aux Loix & aux
» Ordonnances.
» C'eſt en entrant dans ces vues , que vous de-
» vez toujours vous fouvenir qu'il eft des confidérations
de fagefle & de modération , ſur leſ-
» quelles vous devez régler vos démarches.
» Donnez vous - mêmes l'exemple du refpect que
» Sa Majefté veut qui foit rendu à la Religion & à
» fes Miniftres. C'eſt ainfi que vous ferez un ufa-
» ge légitime de l'autorité que le Roi a bien vou-
>> lu vous confier,
OCTOBRE . 1757. 197
» Que ces fentimens demeurent toujours gra-
» vés dans vos coeurs , & fouvenez - vous que
» votre Souverain vous traite en ce moment en
>> Pere » .
" Le lendemain 2 les Dépurés de retour rendirent
compte aux Chambres affemblées de ce qui
s'étoit paſſé à Verſailles ; & les Officiers du Parlement
, qui avoient donné l'année derniere la démiffion
de leurs Offices , ayant déclaré qu'ils en
reprenoient les fonctions , le Parlement procéda
à l'enrégiftrement de la déclaration interprétative
de l'Edit du mois de Décembre dernier , & arrêta
une députation pour remercier le Roi , & pour
lui demander le retour de fes Confreres , qui font
éloignés par des ordres particuliers.
Le Roi a reçu le 3 Septembre cette députation ,
& a fait aux Députés la réponſe fuivante.
« Je reçois avec fatisfaction les témoignages que
> vous venez de me donner de votre zele , de votre
» fidélité & de votre foumiffion à mes volontés.
>> Jouiffez du bonheur de plaire à un Maître qui
» vous aime , & de l'avantage de contribuer au
>> bien de mes sujets , en rempliffant vos devoirs.
» Achevez de répondre aux vues & aux inten-
» tions que je vous ai fait connoître pour le ré-
» tabliffement de la Paix , & je ne tarderai pas à
» réaliſer les espérances que je vous ai données
par rapport à ceux de vos Confrères , dont vous
» follicitez le retour . ,
» Ayez une entiere confiance en més bontés :
> fi vous pouviez en douter , vous cefferiez d'en
» être dignes ».
Le 5 Septembre , les Chambres affemblées ont
rendu un Arrêt , pour faire exécuter la Déclarátion
du 10 Décembre dernier , concernant les affaires
de l'Eglife , & ce conformément aux explica
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
tions portées aux réponses du Roi.
Elles ont auffi chargé le premier Préfident , &
deux Préfidens , de fe rendre à Choify , pour remercier
de nouveau le Roi , & l'affurer de l'entiere
confiance du Parlement dans les bontés de Sa
Majesté .
Le Roi a répondu en ces termes à cette derniere
députation : « Je crois que je puis compter fur les
» nouvelles affurances que vous donnez de votre
foumiffion & de votre zele , par la promptitude
» avec laquelle vous m'avez obéi , par la reconnoiffance
refpectueufe dont vous êtes pénétrés ,
»& par votre confiance dans ma Pertonne.
» Continuez à remplir vos fonctions avec cet
» eſprit de paix , de fageſſe & de modération , que
» je vous ai fi ſouvent & très - expreffément recom-
> mandé.
Vos Confreres vous feront rendus pour la
Saint-Martin ; & je vous difpenfe de me donner
à leur égard de nouveaux témoignages de
la reconnoiffance que vous devez à mes bontés .»
On avoit, dès le sau matin, enrégiftré la commiffion
pour la Chambre des Vacations , qui fera
tenwe par quatorze Conſeillers de la Grand Chambre
, & douze Confeillers des Enquêtes. M. Turgot
, Préfident du Parlement , eft nommé par le
Roi poury préfider.
Le Roi a tenu le Sceau pour la douzieme &
treizieme fois.
Madame Ducheffe de Parme arriva d'Italie à
Choify le 3 de Septembre , & à Versailles le 4.
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont reçu cette.
Princeffe avec les démonftrations de la plus vive
endreffe. 1
Le Roi fe rendit le 4 à Choify , avec Madame
Ducheffe de Parme & Mefdames de France.
OCTOBRE . 1757. 199
Le même jour , la Reine eft arrivée de Verſailles .
Les , le Roi de Pologne Duc de Lorraine &
de Bar eft parti de ce dernier Château , pour retourner
à Luneville .
On mande de Fécamp , que le Corfaire l'Hirondelle
, de Dunkerque , a fait conduire dans ce
premier port un quatrieme Navire Anglois , appellé
le Lyon , de Liverpool , de 250 tonneaux
armé de 4 canons , 25 efpingolles , & chargé de
bled & de ballotteries.
Le Brigantin Anglois le Marmaid, chargé d'hui
le , pris par le Corfaire le Vainqueur , de Marfeille
, est arrivé en ce port .
Les fieurs Chevalier de Glandevez & de Graſſe ,
qui commandent les Galeres la Brave & la Du→
cheffe , fe font rendus maîtres d'un Corfaire Anglois
, armé de 16 canons & de 110 hommes d'équipage
, qu'ils ont fait conduire à Cette .
Il est arrivé à Boulogne un Brigantin Anglois ,
de 120 tonneaux , chargé d'avoine , de cidre ,
de brai , & de plufieurs ballots de marchandifes.
Cette prife a été faite par le Corſaire la Marquife
de Beringhen.
Le Corfaire la Princeffe de Soubize a pris &
conduit à Brest le Navire Anglois le Duc d'Argile ,
de 250 tonneaux , armé de 4 canons & 4 pierriers
, allant de Liverpool à la Caroline avec un
chargement compofé de draps , d'étoffes , de toiles
& de quincaillerie .
Le Navire Anglois le Pacquet de Porto , de 80
tonneaux , chargé de fel , & qui a été pris par le
Corfaire la Mutine , de S. Jean -de-Luz , eft arrivé.
par relâche à Vigo en Galice.
Le Corfaire le Comte de Saint -Germain , de
Dunkerque , s'eft emparé des Navires Anglois le
Crownpoint chargé de toiles , de fucre en pain , &.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
d'autres marchandiſes , & l'Arlequin dont le chargement
eft compofé de fucre , de café , de thubarbe
, de cacao , de bois de Campeche. Ces
deux prifes ont été conduites , l'une à Eggrefund ,
l'autre à Bergues en Norwege.
Le même Corfaire a rançonné pour 15240 livres
trois autres Bâtimens Anglois , dont il s'étoit
rendu maître ; & il en a remis les ôtages à
Dunkerque.
Le Navire Anglois l'Ofgood , de 300 tonneaux ,
armé de 12 canons , allant de la Jamaïque à Londres
avec une cargaifon compofée de fucre , de
taffia , de maniguette & de bois rouge , a été pris
par le Corfaire la Victoire , de Saint - Malo , où
il a été conduit.
Il est arrivé dans la rade de l'Ile de Bas un Navire
de 450 tonneaux , pris par le Corfaire le
Comte d'Herouville , de Bordeaux , & qui eft
chargé de fix cens milliers de poudre à tirer , de
boulets , d'armes , & d'autres munitions de guerre.
SA
BÉNÉFICES DONNÉS.
A Majefté a nommé à l'Archevêché de Bourges ,
vacant par la mort du Cardinal de la Rochefoucauld
, M. l'Abbé de Phelypeaux , Vicaire Général
de cet Archevêché ; l'Abbaye de Notre- Dame
de Châtillon- fur - Seine , Ordre de S. Auguftin ,
Dioceſe de Langres , à M. l'Abbé d'Argenteuil
Vicaire Général du Dioceſe de Tours ; le Prieuré
du Pleffis - Grimault , même Ordre , Diocefe de
Bayeux , à M. l'Abbé Mercier , Chanoine de la
Sainte Chapelle de Paris ; & l'Abbaye réguliere
de Flines , Ordre de Câteaux , Dioceſe d'Arras , à
la Dame de Berchiny : l'Abbaye de Sainte Trinité
OCTOBRE. 1757. 201
de Beaulieu , Ordre de Saint Benoît , Dioceſe de
Tours , à M. l'Abbé Parchappe de Vinay , Prevot
de l'Eglife Métropolitaine , & Vicaire Général de
l'Archevêché de Rheims ; celle de Saint Cheron ,
Ordre de S. Auguftin , Dioceſe de Chartres , à
M. l'Abbé Matherot de Pregny , Prêtre du Diocefe
de Langres ; celle de Notre Dame de Flaran ,
Ordre de Citeaux , "Dioceſe d'Auch , à M. l'Abbé
de Beauffet- Roquefort , Vicaire Général de l’Evêché
de Béziers ; celle de Notre - Dame de Fontguillem
, même Ordre , Dioceſe de Bazas , à M.
P'Abbé Calture , Vicaire Général de ce Dioceſe ;
celle de S. Jean de Falaife , Ordre de Prémontré
réformé , Dioceſe de Seez , à M. l'Abbé de Gauchat
, Directeur des Carmelites de Saint - Denis ;
P'Abbaye réguliere de Barberie , Ordre de Ci
teaux , Diocese de Bayeux , à Dom Bernard du
Cayron , Prieur de cette Abbaye ; celle de Notre-
Dame du Lys , même Ordre , Diocefe de Sens , à
la Dame de Siougeat , Religieufe de l'Eclaches ,
ville & Dioceſe de Clermont ; celle de Bertaucourt
, Ordre de S. Benoît , Dioceſe d'Amiens , à
Dame Françoife de Montmorency , Religieufe
du même Ordre dans l'Abbaye d'Avefnes ; & celle
de Lieu- Dieu , Ordre de Cîteaux , Dioceſe d'Autún
, à la Dame de Pignerol , Prieure de ladite
maiſon.
MORT S.
La 7 Juin dernier eft mort dans la maifon de
P'Oratoire , rue S. Honoré , Meffire Henry Pajon ,
Prêtre de cette Congrégation , ancien Curé de
Notre- Dame, à la Rochelle. Il étoit le frere de
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Claud Pajon , dont la mort eft annoncée dans le
Mercure de Fevrier 1748.
Madame Anne- Marie Pajot de Villers , veuve
de Meffire Pierre Delpech , Marquis de Cailly ,
eft décédée le 17 Juillet , âgé de quarante- trois ans,
en fon hôtel à Paris , Paroiffe de la Magdelaine
de la Ville - l'Evêque .
Dame Claude-Elifabeth de Harlay , veuve de
Meffire Adrien - Alexandre de Hannivel , Préſident
du Parlement , eft morte le 20 Août en cette ville
dans la quatre- vingt - deuxieme année de fon âge.
Elle étoit la derniere du nom de Harlay.
Meffire Emanuel- Henri-Timoléon de Coffé- de
Briffae , Evêque de Condom , Abbé de l'Abbaye
de Fontfroide , Ordre de Cîteaux , Dioceſe de
Narbonne , & de celle de Saint Urbain , Ordre de
de Saint Benoît , Dioceſe de Châlons-fur- Marne ,
mourut à Paris le 27 de ce mois , âgé de cinquanteneuf
ans.
Meffire N. Roche Docteur de Sorbonne ,
Grand Pénitencier de l'Eglife Métropolitaine de
Paris , & Abbé de l'Abbaye de Saint Crefpin en
Chaye , Ordre de S. Auguftin , Dioceſe de Soiffons
, mourut à Paris le 12 Septembre , dans la
cinquante- quatrieme année de fon âge.
Meffire N. Parquet , Docteur de Sorbonne
Chanoine honoraire de l'Eglife de Paris , Abbé de
P'Abbaye royale de la Crefte , Ordre de Câteaux ,
Dioceſe de Langres , & ancien Curé de S. Nicolas
des Champs , eft mort en cette ville le 15 de ce
mois , âgé de faixante-huit ans,
OCTOBRE. 1757. 203
ADDITION A LA PARTIE FUGITIVE.
VERS
Au Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar.
VOTRE péril ( 1 ) nous livre aux plus juftes terreurs
,
Vous feul l'envifagez fans crainte !
( 1 ) Le Roi de Pologne en s'en retournant de
Versailles à Lunéville , vient de courir un danger
qui a allarmé tous ceux qui aiment les arts in
l'humanité dont il eft le bienfaiteur le protecteur.
A deux lieues en deçà d'un village nommé
Sandra , fur les frontieres de la Champagne & de
la Lorraine , la voiture dans laquelle Sa Majesté
étoit feule fe renversa dans une defcente . Toutes les
glaces du carroffe furent brifées. M. le Comte de
Treffan , M. le Chevalier de Liftenois , & plufieurs
autres Officiers qui étoient à la fuite du Roi , ayant
volé à fon fecours, le trouverent dans une poſture
très-contrainte , malgré cela tranquille & leur
Souriant avec son air de bonté ordinaire. Après
l'avoir débarraffe des morceaux de glace qui l'environnoient
, & l'avoir dégagé de la voiture , ils le
Supplierent , en embroffant fes genoux , de leur dire
s'il avoit reffenti quelque commotion , ce qui aurait
exigé des précautions. Sa Majefté les raffure , &
defcendit à pied , aidé du bras d'un de fes Officiers,
la montagne fur le penchant de laquelle cet accident
lui étoit arrivé , monta enfuite dans un autre
carroffe , acheva fon voyage auffi gaiement
qu'heureusement.
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Avec un doux fouris vous condamnez nos pleurs ,
Et la férénité fur votre front eft peinte !
Vos fujets font encor d'épouvante glacés.
Grand Roi ! leur deftinée à la vôtre eft unie.
Si vous aimez fi peu la vie ,
Vous ne les aimez pas affez.
Ces vers nous paroiffent fi heureuſement
faits pour le fujet , que nous croyons
faire honneur à l'Auteur de le nommer.
C'eft M. l'Abbé Porquet , qui ufe trop fobrement
du talent de faire de bons vers ,
pendant que tant d'autres abufent trop
fouvent de celui d'en faire de médiocres.
SUPPLÉMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Hôpital de M. le Maréchal- Duc de Biron.
Sixieme traitement depuis fon établiſſement.
B La nommé Saint - Martin , de la Compagnie
Deaubonne , de la guérifon duquel nous avions
douté , pour n'avoir pas voulu fur la fin du traitement
, continuer encore de prendre quelque dra
gés que nous avions cru néceffaires , fe trouvant
néanmoins bien & radicalement guéri , n'eſt pas
rentré dans l'hôpital , ainfi que nous l'avions an
noncé.
OCTOBRE , 1757 . 205
1. Le nommé la Roche , de la Compagnie Colonelle
, après avoir eu plufieurs gonorrhées
avoit deux exoftofes à l'extrêmité antérieure des
troifiemes côtes , & depuis trois femaines , il lui
étoit furvenu des fymptomes qui denoncoient la
maladie la plus grave. Il eft entré le 16 Juin ,
eft forti le 18 Juillet parfaitement guéri.
&
2. Le nommé Lemaret , de la Compagnie Delatour
, avoit des douleurs aiguës dans toutes les
extrêmités , & des puftules répandues dans toutes
les parties du corps , la plupart en fuppuration . Il
eft entré le 16 Juin , & eft forti le 26 Juillet parfaitement
guéri.
3. Le nommé Debaude , de la Compagnie de
Bragelongne s'étant fait paffer plufieurs fymptômes
véroliques avec la pierre de vitriol , il lui étoit
furvenu à l'aine droite un bubon confidérable qui
s'eft terminé par la fupuration. Il eft entré le 16
Juin , & eft forti le 2 Août parfaitement guéri..
4. Le nommé Marchand , de la Compagnie de
Bragelongne , avoit également un bubon à l'aine
gauche , avec quantité d'autres fymptomes bien
cara térifés , le bubon s'eft terminé par la fuppuration
, & il eft forti le même jour 2 Août parfaitement
guéri .
5. Le nommé Pointé , de la Compagnie de
Lautrec , étoit dans un état horrible , & cou
vert de puftules repandues dans toute l'habitude
du corps , lefquelles lui formoient une véri
table lepre.. Il eft entré le 23 Juin , & eft forti le 2
Août parfaitement guéri .
6. Le nommé Thibaut , de la Compagnie
d'Eaubonne , eft forti fans traitement , n'ayant
jamais voulu fouffrir l'adminiftration des bougies
qui lui étoient indifpenfablement néceffaires pour
guérir une fiftule qu'il avoit au periné.
206 MERCURE DE FRANCE.
7. Le nommé Bellerofe , de la Compagnie de
Voifinon , étoit dans un état très cruel : outre une
tumeur groffe comme un oeuf à la baſe de la mâil
choire , avec gonflement confidérable à l'os ,
avoit deux bubons dans les aines de droite , & de
gauche. Celui du côté droit s'eft terminé par réfolution
, & l'autre par fuppuration . Il eft entré le
23 Juin , & eft forti le 16 Août parfaitement.
guéri.
8. Le nommé Verly , de la Compagnie de Chevalier
, outre toutes fortes de fymptomes véroliques
très- confidérables , & en quantité , avoit un
phimofis , & un engorgement monftrueux aux
glandes jugulaires du côté gauche ; il avoit de
plus des douleurs de tête fi violentes , qu'il ne
pouvoit prendre de repos. Il est entré le 23 Juin ,
& eft forti le 16 Août parfaitement guéri .
9. Le nommé Senlis , de la compagnie de la
Vieuville , outre beaucoup de fymptomes bien ca
ractérisés , qu'on ne nomme plus , avoit un bubon
très - confidérable dans l'aine gauche , lequel
s'eft terminé par la fuppuration. Il eft entré le 23
Juin , & eft forti le 16 Août parfaitement guéri.
10. Le nommé Vincent , de la compagnie de
Sinety , avoit un phimofis & une quantité de puf
tules en fuppuration. Ileft entré le 30 Jain , & eft
forti le 9 Août parfaitement guéri .
11. Le nommé Bellecroix , de la Compagnie
d'Eaubonne avoit , outre les fymptomes les plus
caractérifés, un ulcere très-profond à la gorge, lequel
lui avoit occafionné une extinction de voir
totale , & empêchoit la déglutition des boiffons.
Il est entré le 30 Juin , & eft forti le 9 Août parfaitement
guéri.
12. Le nommé Cleret , annoncé dans le deraier
Mercure être refté à l'hôpital pour cauf
OCTOBRE. 1757. 207
d'une maladie fcorbutique des plus graves , fe
trouve dans le meilleur état du monde , & va fortir
inceffamment.
Il est entré douze autres malades , dont nous
rendrons compte dans le volume fuivant.
Le.fieur Keyfer fupplie le Public d'obferver :
1°. Que toutes les maladies qu'il détaille depuis
Pétabl ffement de l'hôpital , font presque toutes
des efpeces les plus graves & les plus difficiles
à traiter.
2°. Que ce dernier traitements'eft fait pendant
les chaleurs exceffives de la faifon , & lefquelles les
perfonnes jouillant de la meilleur fanté , avoient
peine à fupporter.
3°. Qu'il n'a employé ni bains , ni autres
moyens que fes feules dragées , pour parvenir à la
guérifon générale , fon remede n'ayant pour l'or
dinaire befoin d'aucun autre acceffoire.
Il prévient en même-temps le Publi :, qu'il a
répondu d'une façon authentique , & capable de
faire rougir fes advertaires à des fauffes imputa
tions inférées contre lui dans un volume du
Journal Economique , dont le titre la date du
mois de Janvier , quoiqu'il n'ait paru que dans le
mois de Juillet ; & que les démentis ont été formels
, même de la part des foldats qu'on a ofe
citer. Sa réponse que l'on diftribue gratis , fe
trouve chez la veuve de Lormel , & fils , Marchand
Libraire- Imprimeur , rue du Foin.
Comme fon unique but eft de faire voir de
plus en plus la vérité dans tout ſon jour , que d'ail
leurs il a promis de rendre un compte exact des
différens traitemens qui fe feroient par les éleves
déja répandus dans quelques provinces , il débute
aujourd'hui par rendre celui qui vient de lui être
envoyé de la part de M. Rey, Maître en chirurgie,
demeurant rue Tupin à Lyon.
208 MERCURE DE FRANCE:
LETTRE de M. Reg , à M. Keyfer , en date
du 29 Août .
Depuis que nous nous fommes quittés, Monfieur,
& que vous avez bien voulu me confier l'adminif
tration de votre remede , j'ai eu occafion de traiter
& de guérir cinq malades . Le hazard m'a fait
rencontrer les maladies les plus épineules , & quoi
qu'après tout ce que j'avois vu à l'hôpital de M.
le Maréchal de Biron , je ne fille aucun doute de
réuffir , je vous avouerai que fi j'ai été un peu hardi
d'entreprendre tout ce qu'il y avoit de plus grave
& de plus invétéré en maladies vénériennes , je
vous dois la juftice d'avouer qu'il faut abfolument
que votre remede ait bien de la vertu , & que malgré
vos ennemis & les miens , car je m'en fuis
fait un bon nombre , je ne puis n'empêcher de
dire hautement que ce remede eft fans contredit
le plus grand qui foit aujourd'hui dans la nature ;
& dans la médecine . C'eft un tribut qu'un galant
homme doit à la vérité ; & comme cette profesion
eft la premiere de toutes , je ne craindrai jamais
de lui donner la préférence .
Voici l'état & la guérifon de ces cinq malades ,
en attendant celle de plufieurs autres qui font entre
mes mairs,
Le premier avoit paffé , il y a huit ans , par les
grands remedes ; felon le récit du malade & des
parens dignes de foi , on l'avoit adminiftré dans
toutes les formes , en excitant une ample ſalivation
, & employant tous les moyens que des gens
habiles mettent en ufage pour parvenir à une gué
rifon radicale. Il avoit prefque tout ce que l'on
peut avoir en fymptomes , que ce premier traite
ment fit difparoître , & il fur jugé alors guéri par
OCTOBRE. 1757. 209,
les perfonnes qui l'avoient traité. Ces fymptomes
étant revenus quelque mois après , même avec
plus d'accidens , on le repaffa par extinction , &
ce fut encore inutilement . On lui a fait prendre
enfuite pendant des années des bols fondans ;
des panacées , des pillules de toutes façons , rien.
ne mordit , & il étoit dans un état affreux quand
il vint le préfenter à moi . Outre une immenfité de
fymptomes qu'on ne peut nommer , il avoit des
bubons à chaque aine , & des obftructions fi confidérables
dans les glandes axillaires & les ingui
nales, que je craignis d'abord qu'il n'y eût plus de
reffources . Je l'entrepris : vos feules dragées pouvoient
en faire la guérifon . Elle eft authentique ,
& j'en ai de bons certificats. Ce malade n'a ceflé
de vaquer à fes affaires : fon embonpoint eft
revenu , & fon teint qui étoit jaune & noir , a repris
la couleur naturelle . Il jouit enfin d'une fanté
qu'il n'avoit pas depuis huit années. Je l'ai tenu
près de deux mois , & fon état ne permettoit pas
d'être mené plus promptement.
Le fecond avoit pour fymptomes une chûte de
cheveux prefque totale , la voûte du palais dans un
défordre affreux , des ulcérations chancreufes , les
amygdales gonflées & ulcérées , enfin un mal de
tête fi cruel , que la chaleur du lit lui étoit devenue
infupportable , & qu'il ne pouvoit prendre aucun
repos . Je fuis obligé de vous dire qu'au bout de
15 jours de l'ufage de vos dragées , les ulceres fe
font cicatrifés , les obftructions fe font fondues
la chute des cheveux s'eft arrêté , & qu'enfin au
bout de 45 jours , la guériſon a été totale , &
qu'il jouit aujourd'hui de la meilleure fanté .
Le troifieme avoit une gonorrhée virulente de ,
la plus grave efpece qui lui occafionnoit une difurie
des plus mordicantes , & lui interdifoit toute
210 MERCURE DE FRANCE.
efpece de repos , quantité d'autres ſymptomes ;
dont un traverſoit dans la foffe naviculaire juſqu'à
P'extérieure , & s'étendoit vers le filet , un bubon
confidérable dans l'aine droite , & un tempérament
on ne peut pas plus délicat : l'ufage de vos
dragées en 25 jours a cicatrifé les ulceres , a enlevé
les maux de tête , le bubon s'eft terminé par
réfolution , & cela va vous paroître fort plaifant ,
mais quoique ce malade à mon infcu ait fait pendant
fon traitement à diverfes repriſes plus de
cent lieues en pofte pour des affaires indifpenfable
, le remede n'en a pas agi avec moins de vivacité
, & enfin il jouit de la meilleure fanté du
monde.
Le quatrieme étoit dans un état digne de pitié.
Tous les fymptomes étoient fi invétérés , que la premiere
fois que je le vis , je me crus dans l'obligation
indifpenfable de lui faire l'opération , tant la gangrene
menaçoit les parties attaquées. La guérifon
fuccéda cependant plus promptement & plus heureufement
que je ne pouvois l'imaginer , & après
les fympromes bien effacés , j'obfervai de continuer
encore quinze jours ou trois semaines , afin
de bien affurer le traitement .
Le cinquieme avoit une très - petite maladie ,
c'eft-à- dire fort peu de choſe Il a voulu abfolument
prendre le remede , malgré que je lui difois qu'il
pouvoit s'en paffer , & qu'il guériroit par le moindre
remede ordinaire . Toute fa maladie confiftoir
en un écoulement que je regardois de très - petite
conféquence. Il apris le remede pendant fix femaines
, & fon écoulement qui effectivement
avoit refifté à beaucoup de remedes que différentes
perfonnes de l'art lui avoit fuggetés inutilement ,
s'eft terminé , & il fe porte à merveille .
Voilà , Monfieur , le détail auffi vrai que fimOCTOBRE
. 1757. 211
ple & fuccinct des cures que j'ai déja faites . J'aurai
foin dans la fuite de vous apprendre les nouveaux
fuccès de vos dragées.
J'ai l'honneur d'être , &c.
REY.
AVIS.
EQUIPACE militaire & de campagne , ou toilette
de Mars. Elle confifte en deux petits coffrets , qu'on
peut mettre dans les deux facoches du cheval ,
fans qu'elles en foient trop enflées. Voici un détail
abrégé de ce quelles contiennent : un fourneau
d'une invention finguliere , par le moyen duquel
on peut apprêter fon chocolat , fon bouillon , café
, thé &c dans la moitié moins de temps que
fur un grand feu de bois ou de charbon : c'eft au
moyen d'une petite quantité d'efprit de vin , qu'on
allume le fourneau , qu'on en entretient le feu , &
qu'on le rend fuffifant pour apprêter ce que l'on
veut. Le même coffre renferme un cafetiere , une
thétiere , quatre taffes : l'on peut faire le thé & le
café tout à la fois par la même lampe & le même
fourneau , ou préparer un bouillon & du chocolat
en même temps : l'on peut le faire du lit , fans (e
lever , que pour battre le briquet , & allumer le
fourneau ; on peut même l'allumer à cheval , à
table , partout ou l'on veut , l'on peut maintenir
par fon moyen un bouillon chaud pendant la
nuit , la lumiere n'incommode point & ne fait
pas de fumée. Pour prendre le café , &c. il y a
quatre cueillers de compofition , quatre fous- taffes
qui peuvent fervir d'affiettes au befoin ; deux
boites qui s'emboîtant , font une tourtiere pour
faire une grillade , cuire un poulet , une rouelle
212 MERCURE DE FRANCE.
&c. Une boîte pour mettre les affaifonnemens &
épiceries , poivre , fel &c . Deux bouteilles pour
P'huile & vinaigre , une troifieme pour la liqueur,
un moulin à café , quatre fourchettes , quatre
gobelets , une boîte à mettre 28 onces d'efprit
de vin , laquelle quantité fuffit pour quinze apprêts
, une poéle à brûler le café , quatre petits facs
de peau pour mettre le café , thé , fucre & chocolat
; un fac pour faire manger l'avoine , &c . On
trouvera dans l'autre boîte , briquet , pierre à
fufil , amadou , bougie ; boîte à encre , chandelier
, mouchettes , un étui fourni de plufieurs
fils ou foies , aiguilles , épingles , dé à coudre , &c .
un grand fer à frifer & un petit à toupet , rafoir ,
favonnette , cuir pour le rafoir , cifeau & peigne.
On peut faire chauffer l'eau pour fe rafer , par le
moyen de la thétiere du premier coffre , plus pommade
liquide , pommade forte , poudre à poudrer
au moins demi - livre , avec une houpe ,
un miroir de fuffifante grandeur , vergette & décrottoire
; papier , plumes , canif , fablier, cachet,
cire ou pains à cacheter , une équerre , une regle ,
un compas , un pied de Koi , un plomb à ni
veler , boîte à poudre , à tirer , pierre à fufil ,
tire-bourre , pierre à lever les taches , alêne pour
accommoder , dans le befoin , botte , fangles ou
courroies , un marteau , percerettes , tenailles ,
clous à ferrer le cheval , fers à tout chevaux ;
une pipe , du tabac à fumer , &c. Tout ce que l'on
vient de detailler eft renfermé dans deux coffres
fermant à clefs , que l'on met dans une facoche
ordinaire ;ils ont en longueur 10 pouces & demi ,
en l'argeur 7 pouces , en hauteur 4 pouces ; les
facohes qui les renferment , fe peuvent paffer facilement
& s'ôter dans l'inftant par le moyen de
deux crochets.
OCTOBRE . 1757.
213
Le fieur Fourneron l'aîné , inventeur defdits coffrets
, dans lesquels il a renfermé avec un art
admirable tout ce qui eft mentionné ci- devant ,
& plufieurs autres petites commodités dont on a
fupprime le detail pour n'être pas trop long , don
nera à ceux qui lui feront l'honneur de lui écrire
les éclairciffemens qu'on lui demandera . Ses coffrets
font de plufieurs prix , fuivant la richeffe de
la matiere dont on voudra les cuillers à café , talfes
, la propreté des coffrets , &c. Il prie ceux
qui lui feront l'honneur de lui écrire , d'affranchir
leurs lettres , & de les adreffer au fieur Fourne
ron l'aîné , à Aunonay , Vivaret,
AUTRE.
La fieur Arnaud Matges , Chirurgien- Dentiſte
ordinaire de S. A. S. Monfeigneur le Comte de
Clermont , Prince du Sang , a une connoiffance fi
parfaite des dents , opere d'une façon fi adroite &
avec tant de fuccès , qu'il faut l'avoir vu ou le voir
pour le croire. Il ôre avec une facilité inexprimable
les racines ou chicots les plus difficiles , même
ceux qui jufqu'à lui avoient été regardés comme
ne pouvant être ôtés , fans qu'il s'enfuive jamais
ni hémorragie, ni fluxion ; il redrefle les dents qui
font hors de rang , fans les ébranler & fans fil ; il
transporte celles d'une bouche étrangere dans une
autre , pourvu que les chicots y foient , & elles
font attachées pendant huit jours feulement , fans
être obligé de garder la chambre ; après quoi elles
tiennent d'elles - mêmes , comme fi elles avoient
pris racine dans la bouche où étoient les chicors .
İl a auffi un excellent remede pour faciliter la
fortie des dents aux enfans .
214 MERCURE DE FRANCE.
Pour la commodité du Public , attendu qu'il
étoit logé trop haut dans le Palais abbatial , il
demeure à préfent à l'hôtel de Suede , rue de Bourbon
le château , entre celle de Buffy & l'abbaye
de Saint Germain- des -Prés , au premier fur le
devant.
Errata du Mercure de Septembre.
PAGE 90 , ligne 23 , brochure de 27 pages , lifez,
de 207 pages.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier;
le premier volume du Mercure du mois d'Octobre,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 28 Septembre 1757.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PINCES FUGITIVES EN VERS AT EN PROSE;
Le Torrent , Fable > pages
Sans y penfer , conte plus vrai qu'une hiftoire , 7
Vers à M. *** , &c. 13
Vers à Madame Che ... en lui donnant fon collier
à fa toilette ,
Avis utile ,
14
IS
Vers à Mademoiſelle ... fur fon voyage de Paris
,
19
215
211
22
Vers à Madame ... fur fa petite vérole ,
Suite fur M. de Fontenelle , par M. Trublet ,
Vers à M. le Comte de Saint- Florentin , le jour
de S. Louis , fa fête ,
61
59
Lettre de M. Pizzi , au fujet de la réception de
Madame Dubocage à l'Académie de Bologne
,
Vers de remerciement de Madame Dubocage , 62
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure de Septembre ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
64
65
66
Difcours de M. Durey- de Morfan , pour la récep
tion à l'Académie royale des Sciences & Belles-
Lettres de Nancy ,
67
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux ,
82
Méthode d'apprendre fûrement & facilement les
Langues ,
Séance publique de l'Académie Françoiſe ,
89
108
III
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Grammaire. Réponse à la Lettre de M. l'Evêque
de la Ravaliere , imprimée dans le Mercure du
mois d'Août 1757 ,
Médecine. Extrait des regiftres de l'Académie
royale des Sciences , du 8 Juin 1757.
Chirurgie. Suite de la Séance publique de l'Académie
royale de Chirurgie , du 21 Avril 1757,
ART. IV . BEAUX-ARTS.
118
127
Peinture. Vers à M. Carlo Vanloo , fur fon tableau
représentant le Sacrifice d'Iphigénie , 143,
216
Sentiment d'un Amateur fur les Forges de Vul
cain , nouveau tableau de M. Boucher , 144
Lettre au fujet de l'expofition des ouvrages de
Peinture & de Sculpture faite dans la falle de
l'Académie des Beaux Arts de Marſeille , 146
Gravure,?
Architecture.
154
158
ART. V. SPECTACLES.
Opera , 169
Comédie Françoiſe , 170
Comédie Italienne , ibid.
Opera Comique. 171
Concert Spirituel , 172
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 173
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 190
Bénéfices donnés , 200
Morts , 201
Addition à la partie Fugitive . Vers au Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar ,
Supplément à l'Article Chirurgie ,
Avis divers ,
La Chanfon notée doit regarder la page 66.
203
204
211
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
rgest
MERCURE
остта
(eve
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1757.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
C
JuRai
Cochin
Slinein
Dee
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
Chez
Tomie
1
AVERTISSEMENT
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Cornmis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raifon
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du porifur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
pays Les Libraires des provinces ou des
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
eure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
A ij
"On Supplie les perfonnes des provinces d'ent
voyerpar la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à ſon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mer
cure , les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Burean du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Mareenay.
Au commencement de chaque mois , on
délivre au Bureau du Mercure un volume
du Choix des meilleures pieces des anciens
Mercures , précédées d'un extrait du Mercure
François , dans le format du Mercure
de France , & aux mêmes conditions.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1757.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Préfentés à Monseigneur le Duc de Bourgogne,
à l'occafion de fon Anniverſaire.
A pareil jour votre heureuſe naiſſance
Mit enfin le comble à nos voeux ;
Vous vintes affurer le bonheur de la France ,
Qui , tranquille pour nous , craignoit pour nos
neveux.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Elle vous voit , dès l'âge le plus tendre ,
Vous former aux vertus dignes de votre rang
Déja vous annoncez tout ce qu'on peut attendre
D'un Prince iffu d'un fi beau ſang,
A vos progrès la fageffe attachée ,
Sous le nom de Marfan , dirige votre effor :
Ainsi , pour Télémaque , elle s'étoit cachée ,
Sous la figure de Mentor.
Inftruit par elle à marcher fur les traces
De ces Héros dont vous tenez le jour ,
Vous marquerez vos inftans par des graces,
Votre regne par notre amour.
Croiffez , Prince ! vos deftinées
Fixeront celles des François ;
Il ne vous faut que des années ,
Pour éternifer leur fuccès.
L'Auteur eft M. l'Abbé Batanchon.
VERS
De M. Voltaire à M. Senac - de Meilban .
ELIVE LIVE du jeune Apollon ,
Et non pas de ce vieux Voltaire ;
Eleve heureux de la raifon
Et d'un Dieu plus charmant , qui t'inftruit à
plaire ;
OCTOBRE. 1757 .
J'ai lu tes vers brillans & ceux de ta Bergere
Ouvrages de l'efprit , embellis par l'amour ;
J'ai cru voir la belle Glycere
Qui chantoit Horace à fon tour.
Que fon efprit me plaît ! que fa beauté te touche :
Elle a tout mon fuffrage , elle a tous tes defirs :
Elle a chanté pour toi ; je vois que fur la bouche
Tu dois trouver tous les plaiſirs.
Je réponds bien mal , Monfieur , aux
chofes charmantes que vous m'envoyez ;
mais à mon âge on a la voix un peu rauque.
Lupi Marim vidêre priores , vox quoquè
Marim deficit.
L'UNION DE L'AMOUR
ET DE LA PHILOSOPHIE ,
ANECDOTE.
Par le Comte de M.... Officier au Régimen
de B....
Le Marquis de Merville avoit paffé les
premieres années de fa jeuneffe dans ce
tourbillon de plaifirs & de peines que le
grand monde traîne toujours après foi ,
lorfqu'il prit tout à coup la réfolution de
fe retirer dans une maifon de plaifance
A iv
MERCURE DE FRANCE.
qu'il avoit en Touraine. La pêche , la
chaffe , la promenade , l'étude des belleslettres
y partagegjent agréablement fon
temps. Avec quel plaifir n'arrêtoit- il pas
fes regards fur cette mer orageufe dont il
ne redoutoit plus les écueils ! qu'il ſe ſçavoit
gré d'avoir eu affez de fermeté pour
entrer dans le port ! Libre de préjugés ,
affranchi du joug tyrannique des paffions ,
il voyoit alors les chofes dans leur vrai
point de vue. Le mafque fous lequel fe
cachent la mauvaiſe foi , la trahiſon , le
parjure , les fauffes amitiés , étoit tombé ,
il en appercevoit toute la difformité , &
gémiffoit fur le fort de ceux qui y étoient
expofés. Charmé des attraits de la philofophie
, il en faifoit fes plus cheres délices.
Comment peut- on , s'écrioit- il quelquefois
, préférer les plaifirs tumultueux &
brillans à la tranquillité du fage ! Par
combien de peines , de regrets , de tourmens
, de remords n'achete -t'on pas dans
le monde un moment de plaifir ! De quelles
épaiffes ténebres ce foible crépuscule
n'eft- il pas précédé & fuivi ! Le fage au
contraire eft toujours content , toujours
heureux fes plaifirs font moins vifs , mais
ils font bien plus purs & bien plus durables .
Il ne doit fon bonheur qu'à fes réflexions ,
peut- il craindre de le voir renverfer ?
OCTOBRE. 1757: ༡
Quelques douceurs que trouvât le Marquis
à l'étude de la fageffe , il ne fut pas
long- temps à s'appercevoir qu'il manquoit
quelque chofe à fa félicité. Naturellement
tendre , il avoit renoncé à l'amour bien
plus par dépit que par tempérament , les
infidélités réitérées qu'il avoit effuyées de
quelques- unes de fes maîtreffes avoient
beaucoup contribué à ſa retraite , & dans
la perfuafion où il étoit , que la légèreté
eft l'appanage de ce fexe charmant , il évitoit
avec foin tout ce qui auroit pu le conduire
à un engagement : mais l'amour qui
fe rioit de fes précautions , fçut bien les
rendre inutiles.
A quelque diftance du château où
le Marquis avoit fixé fon féjour , demeuroit
une jeune veuve à qui la nature
avoit prodigué fes tréfors. Emilie ( c'eft
fon nom ) joignoit à la figure la plus féduifante
tous les charmes de l'efprit . La
mort d'un mari tendrement aimé , la crainte
de ne pouvoir réprimer les mouvemens
d'un coeur fait pour recevoir les plus tendres
impreffions de l'amour l'avoient
conduite dans une folitude où tout retracoit
à fes yeux l'image de l'époux chéri
qu'elle regrettoit. Quelque retirée qu'elle
fût , l'arrivée du Marquis avoit fait trop
bruit pour qu'elle l'ignorât . Sa réfolution
de
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
dans un homme de fon âge , avoit quelque
chofe de fi extraordinaire , qu'Emilie
fouhaita de le connoître ; elle ne tarda pas
à être fatisfaite.
>
Un violent orage ayant furpris le Marquis
de Merville à la chaffe , il fut obligé
de fe réfugier chez Emilie : c'étoit la premiere
fois qu'il la voyoit . Qu'elle lui parut
charmante Tous les projets s'évanouirent
dans un inftant ; fon coeur vola au devant
du trait. Etonné , faifi , immobile il
proféra quelques paroles fans ordre & fans
liaifon. Emilie fur qui une tendre fympathie
agiffoit déja , s'apperçut avec un fecret
plaifir de l'effet de fes charmes . Après les
premiers propos , elle fit tomber la converfation
fur les douceurs de la vie champêtre.
Remis de fon trouble , le Marquis
parla en homme d'efprit qui a du monde :
il ne prit congé de l'aimable Veuve , qu'après
qu'elle lui eut permis de venir quelquefois
lui faire la cour .
Retiré dans fon appartement , Merville
fe mit à rêver profondément à tout ce qui
s'étoit paffé dans cette journée. Il fouilla
jufques dans les replis les plus fecrets de
fon coeur. Ses recherches ne fervirent qu'à
le convaincre de la vivacité du feu qui
le dévoroit. La philofophie fit en vain
quelques foibles efforts pour étouffer une
OCTOBRE . 1757. IZ
paffion , qui dans un caractere de la trenpe
de celui du Marquis , ne pouvoit manquer
de faire en peu de temps des progrès
très rapides ; fa fituation lui paroiffoit délicieufe
; ce vuide affreux que l'étude la
plus affidue n'avoit pu remplir , avoit difparu
; les befoins de fon coeur étoient fatisfaits
; fon imagination le tranfportoit
dans un bofquet charmant ; il y voyoit
Emilie affife fur un lit de fleurs ; les graces
, les amours , la tendre volupté , formoient
un cercle autour d'elle , il étoit à
fes genoux dans l'attitude la plus paffionnée
; elle laiffoit tomber fur lui des regards
languiffans ; fa belle bouche ne s'ouvroit
que pour lui dire , je vous aime :
que de plaifirs ne goûtoit - il pas !
aimable :
Emilie de fon côté n'étoit pas plus tranquille.
Le Marquis lui avoit paru
fes graces , fon efprit , fa figure avoient fait
fur fon coeur la plus vive impreffion ; elle
ne put fe le diffimuler ; la douce agitation.
de fon ame avoit pour elle des charmes
inexprimables : la mémoire de fon mari ,
les réflexions les plus fenfées fur les dangers
de l'amour , ne purent tenir un inftant
contre les délicates émotions d'une paffion
naiffante. Avec quel plaifir ne vit - elle pas
les empreffemens flatteurs , les foins délicats
, les tendres affiduités de fon amant.
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
Ils alloient fouvent fe promener dans
une allée de charmille qui formoit une
des avenues de la demeure d'Emilie. Il me
paroît fi extraordinaire , dit un jour cette
jeune perfonne à ſon amant , qu'un homme
de votre âge & de votre mérite ait
rompu tout commerce avec le monde ,
que je vous aurois de l'obligation fi vous
vouliez m'apprendre les raifons qui vous y
ont porté. Aurois - je jamais de fecret pour
vous , Madame , repondit le Marquis . Je
vais vous inftruire de ce qui a toujours été
un myftere pour le Public ; nos deux
amans s'étant affis fur un fiege de gazon ,
le Marquis prit la parole en ces termes :
Maître d'un bien confidérable , je parus
dans le monde avec affez d'éclat pour fixer
fur moi les regards de la multitude . J'étais
défiré dans plufieurs maifons : celle de la
Comteffe de .. eut la préférence , les plus
jolies femmes de Paris s'y raffembloient ,
par vanité, bien plus que par goût . Il y
eut quelques- unes qui me firent les
avances les plus marquées : j'étois jeune ,
& fans expérience , mon coeur avoit des
befoins , il falloit les fatisfaire ; auffi ne
fus-je pas long- temps fans former un attachement.
Celle que je choifis pour l'objet
de mes foins , fans être de la premiere
jeuneffe , confervoit encore mille agréOCTOBRE
. 1757. 13
mens. Des petits yeux noirs , pleins de
feu , le plus beau teint du monde , un fourire
fin & fpirituel , des graces inexprimables
dans le moindre de fes mouvemens
, de la taille , du jargon ; tout cela
formoit un enfemble que bien des gens
trouvoient joli . Ma conquête parut d'abord
la flatter ; mais trop frivole pour s'attacher
, elle paya ma tendreffe avec une
monnoie qui n'aura jamais cours chez les
gens délicats . Je m'en dégoûtai bientôt :
plufieurs autres à qui j'offris fucceffivement
mes hommages dans très - peu de
tems , ne me parurent mériter que le mépris
d'un galant homme ; enfin défefpérant
de trouver ce que je cherchois , je me retirai
chez moi pour m'y livrer entiérement
à l'étude des belles lettres.
Etant allé un jour me promener aux
Tuileries, j'apperçus au détour d'une allée
une jeune perfonne dont la figure me
frappa. Elle avoit dans la phyfionomie
quelque chofe de fi noble & de fi intéreffant
, qu'il étoit impoffible de la voir fans.
en être touché. Je me fentis ému à cette
vue , un , trouble fecret s'empara de mest
fens , mes yeux ne pouvoient quitter l'aimable
objet qui fixoit toute mon attention
: une femme d'un certain âge l'accompagnoit
; je voulois les aborder , mais je
14 MERCURE DE FRANCE.
n'ofois ; j'étois flottant , irréfolu ; l'amour
me pouffoit , la crainte de déplaire me
rerenoir ; elles partirent fans que je me
fulle décidé je voulus les fuivre ; mais le
carroffe dans lequel elles étoient montées
s'éloigna avec tant de vîteffe , que je fus
obligé de retourner chez moi fans avoir
fatisfait ma curiofité . C'eft pour le coup
que je commençai à mettre de la différence
entre une paffion réelle , & ces goûts paffagers
& fantafques qui doivent la naiſfance
à la vanité & au plaifir des fens .
L'image de mon inconnue me fuivoit
partout. Les endroits les plus déferts , les
plus écartés étoient ceux qui avoient pour
moi le plus de charmes .... Vous aimiez
donc , interrompit Emilie avec un trouble
dont elle ne fut pas la maîtreffe ? .. Oui ,
Madame , j'aimois , & c'eft à cet amour
que je dois impurer tous les malheurs de
ma vie. Non , je lui dois tout ; c'eft lui
qui m'a conduit dans cette folitude .
Charmante retraite , ne vous devrai- je pas
mon bonheur , & je puis toucher l'objet
eftimable qui vient de me foumettre ? l'aurois-
je connu fans vous ? Mais continuons
un récit qui paroît vous intéreffer , Madame
.
Il fe paffoit peu de jours que je n'allaſſe
aux Tuileries dans l'efpérance d'y revoir
OCTOBRE. 1757. 15
mon inconnue. Une douce rêverie m'y
avoit retenu un jour plus tard qu'à l'ordinaire.
La nuit m'y furprit , & il étoit
plus de onze heures quand je penfai à me
retirer. En pallant devant une maiſon de
médiocre apparence , j'entendis des fanglots
redoublés. Je m'approche , & je vois
à travers les vitres d'une falle balle le
fpectacle le plus attendriffant. Une Dame
d'un âge avancé , le vifage couvert de
larmes , étoit alongée fur un fauteuil entre
deux jeunes filles , dont l'une ( jugez de
ma furprife ) étoit l'aimable inconnue.
Que devins-je à cette vue ! Ce n'eſt pas
moi qui fuis à plaindre , difoit de temps
en temps cette Dame en redoublant fes
pleurs. La mort va bientôt me rendre infenfible
à mon malheur ; mais vous , mes
cheres enfans , qu'allez vous devenir ?
c'eft fur votre fort que je répands les larmes
les plus ameres Qui vous garantira
des dangers affreux dont vous êtes menacées
? La mifere n'eft- elle pas ordinairement
l'écueil le plus redoutable de la
vertu ?
-
Ne prenant confeil que des divers mouvemens
qui m'agitoient , j'ouvre brufquement
la porte , & m'élance aux genoux de
cette Dame : effrayée d'un fpectacle auffi
nouveau qu'imprévu , elle pouffe d'abord
16 MERCURE DE FRANCE.
•
un cri ; mais bientôt remife par tout ce
que je lui difois de touchant , elle me fait
relever. Vous , Madame , lui dis- je , quand
je fus affis , réduite à éprouver avec votre
aimable famille tout ce que la fortune a
de plus accablant ! Sur qui le deftin exercet'il
fa rage ? la vertu réunie à la beauté
méritoit- elle un fort fi rigoureux ? mais
enfin vos maux font- ils fi grands qu'on ne
puiffe y remédier ?
Mon air pénétré , la douceur extrême
que l'on trouve à ouvrir fon coeur aux gens
que l'on croit dans fes intérêts , m'attirerent
la confiance de cette Dame : après
m'avoir regardé quelques inftans , elle me
parla ainfi : Quoique je n'aie pas l'honneur
de vous connoître , Monfieur , je me
fens fi prévenue en votre faveur , que je
crois ne pouvoir payer ce qu'il y a de flatteur
& d'obligeant dans votre procédé que
par une confiance fans bornes .
Le pere de ces enfans, après avoir exercé
pendant plufieurs années une des premieres
charges du barreau, mourut avec beaucoup
de réputation & fort peu de bien , effer
ordinaire d'une rare probité. Il ne me
laiffa que dix mille écus placés chez un
riche Banquier. J'ai vécu pendant quelques
années dans cette douce tranquillité ,
qui n'eft connue que de ceux dont la forOCTOBRE.
1757 . 17
tune médiocre oblige à cette modération
dans les defirs , qu'on peut regarder comme
la fource du vrai bonheur. Pourquoi ma
félicité a-t'elle été fi -tôt & fi cruellement
troublée ? Le Banquier fur qui tout mon
bien étoit placé vient de faire banqueroute
; je tombe par - là dans la plus affreufe
mifere ; plus d'efpoir , plus de reffource :
y eut-il jamais une fituation plus affreuſe ?
A ces mots les pleurs redoublerent.
J'avoue , lui dis je , Madame , que vos
maux font grands ; mais le fuffent - ils encore
plus , ils n'autorifent pas le défefpoir
; la vertu que vous avez pratiquée
toute votre vie vous offre une reffource
dans cette occafion ; elle feule peut nous
mettre au deffus des coups terribles que
la fortune nous porte ; c'eft dans les revers
les plus fubits, les plus affreux qu'elle brille
avec le plus d'éclat ; d'ailleurs je fuis affez
heureux pour pouvoir vous être de quelque
utilité oferois - je vous offrir dix
mille francs que mes Fermiers ont apporté
hier ?
Tant de générosité me charme , me répondit
Madame Brunet ( c'eſt ainfi que fe
nommoit cette infortunée ) ; mais je la
mériterois bien peu fi j'acceptois vos offres
; dans quelqu'abaiffement que le fort
nous réduife , nous ne ferons jamais à
18 MERCURE DE FRANCE.
charge à perfonne : mes filles fçavent broder
, leur travail pourvoira à notre ſubfiftance...
Que ces fentimens font beaux ,
repliquai - je mais voudriez - vous me
mortifier au point de ne pas recevoir ce
que j'ai l'avantage de vous offrir ? doit- on
fe faire une délicateffe de prendre à titre
de prêt une médiocre fomme d'argent ? ...
Que votre générofité eft ingénieufe , Monfieur
, me répondit- on ! fongez qu'il ne
nous reste que notre vertu ... Eh ! Madame
, interrompis je , la fortune peut fe
laffer de vous perfécuter , les affaires de
votre Banquier peuvent fe raccommoder :
Quoi cette aimable enfant feroit réduite
à vivre du travail de fes mains ? Dieux !
l'idée feule m'en fait frémir.. Vous ! ajoutai
- je en me précipitant aux genoux de
cette jeune perfonne , vous ! l'ouvrage le
plus parfait qui foit forti des mains de la
Divinité , vous ! qui êtes faite pour donner
des loix à toute la terre , vous feriez confondue
dans la foule de ces malheureufes
à qui lindigence ne laiffe pour fubfifter
d'autre reffource que le travail ! Je ne le
fouffrirai jamais , repris- je en me relevant.
Madame , continuai - je en me tournant
du côté de la mere je demande votre indulgence
pour des tranfports dont je n'ai
pu être le maître. J'aime votre aimable
OCTOBRE. 1757. 19
fille ; quand je voudrois le nier , tout me
trahiroit ; mais je l'aime avec tout le refpect
dû à fa fageffe. Fondé fur l'eftime la
plus parfaite , mon amour n'afpice qu'après
le moment qui nous unira par des
liens indiffolubles : fi je ne fuis point encore
votre fils , j'en ai au moins les fentimens.
Je fortis en finiflant ces mots , &
dès le lendemain j'envoyai à Madame Brunet
dix mille francs : c'étoit tout ce que
j'avois d'argent comptant.
Depuis ce jour- là je n'eus plus d'autre
maifon que la fienne , fa fille paro : ffoit
recevoir avec reconnoiffance mes foins ;
elle me difoit quelquefois que mon amour
la touchoit , que fon coeur en fentoit tout
le prix ; mais il m'étoit aifé de connoître
qu'elle fe faifoit violence pour me tenir
ce langage, Tant d'indifférence me défefpéroit
fans me rebuter ; je me flattois d'en
triompher par ma perfévérance , quand
mon efpoir s'évanouir tout d'un coup de
la maniere la plus cruelle.
Etant allé un jour à mon ordinaire chez
Madame Brunet , je la trouvai dans le dernier
abattement : inquiet & furpris , je lui
demande ce qui peut l'occafionner ; elle
me répond que fa fille avoit difparu le
jour précédent , & qu'elle avoit mille raifons
pour appréhender qu'elle n'eût été
20 MERCURE DE FRANCE.
enlevée par un jeune homme pour qui
elle avoit depuis long - temps la paffion la
plus vive , paffion au refte dont elle lui
avoit toujours fait un myftere . Quelle
nouvelle quel coup de foudre pour un
amant tendre & délicat ! Je me retire chez
moi dans un état plus aifé à imaginer qu'à
décrire. Peu d'heures après Madame Brunet
me renvoya la fomme qu'elle m'avoit
empruntée , avec une lettre qui ne me
laiffa plus lieu de douter de mon malheur.
Je fus long- temps inconfolable ; mais en-
' fin la raifon reprenant le deffus , & le mépris
fuccédant peu à peu à la fureur , je
me retirai dans cette folitude , bien réfolu
de renoncer pour toujours à l'amour.
J'afpirois après cette tranquillité intérieure
, l'objet des defirs du fage ; je n'en
étois même pas éloigné , lorfque vous êtes
venu renverfer mes projets , détruire mes
réfolutions , & m'apprendre que l'amour
triomphera toujours de la philofophie.
Emilie ne répondit à ce que ces dernieres
paroles renfermoient de tendre , que
par un fourire flatteur qui fit naître l'ef
poir dans le coeur du Marquis . Quoi !
Madame , s'écria- t'il ! ferois- je affez heureux
pour que l'amour le plus vif vous
eût touchée ! Vous êtes fenfible , vos beaux
yeux me le difent , dans quels raviflemens
OCTOBRE. 1757 . 21
leur langage ne me jette- t'il pas ! où trouver
des expreffions pour vous rendre ce
que ma fituation a de délicieux !
Merville s'énonçoit avec tant de graces
, ces graces étoient fi touchantes , il
avoit dans le gefte & dans l'expreffion
quelque chofe de fi naturel , de fi tendre
& de fi paffionné , qu'Emilie ne put lui
refufer un aveu que fon coeur ne pouvoit
plus différer. Ah ! Marquis , dit- elle en
lui jettant un regard dont le feul fentiment
pouvoit connoître le prix , pourquoi
êtes-vous fi aimable ? & pourquoi fuis- je
fi foible ? dois - je vous avouer ma défaite ?
dois - je vous dévoiler le fonds d'un coeur
qui n'est que trop fenfible à votre mérite ?
Elle fe tut à ces mots , une aimable rougeur
donna à fon teint un nouvel éclat ;
la pudeur & le defir fe retracerent dans fes
yeux. Prêts à fe combattre , l'amour vertueux
qui doit la naiffance au fentiment
vint les mettre d'accord ; ce fut lui qui
peu de jours après alluma le flambeau de
l'hymen en faveur de ces deux Amans .
Poffeffeur d'une femme auffi aimable
que vertueufe , Merville fe trouva au
comble de fes defirs. Il éprouva alors que
les lettres fans l'amour , ne pouvoient fuffire
au bonheur d'un homme délicat , &
qu'il n'y avoit que leur réunion qui pût le
rendre heureux,
22 MERCURE DE FRANCE.
Nous donnerons fans faure le mois
prochain
le Projet manqué , Conte du Montagnard
de Pyrénées. Nous prions l'Auteur
de nous excufer d'avoir différé fi longtemps
à le faire paroître ; mais nous ne
mettons chaque morceau que par ordre
de date. Si nous inférions les pieces par
ordre de bonté , les fiennes auroient fouvent
la préférence.
L'OEILLET ET LA ROSE ,.
FABLE.
SEXE fait pour régner , ma plume quelquefois
T'a peint avec des traits que mon coeur défavoue.
Eloignés de tes yeux , les hommes font tes Rois ;
Contre toi leur orgueil éleve alors la voix ;
Mais bientôt à tes pieds ce même orgueil échoue.
Leurs difcours t'attaquoient , leur hommage te
loue :
Pour te juftifier tu leur donnes des loix.
L'OEillet un jour parloit mal de la Roſe :
Elle a , difoit- il , des attraits ;
Mais flétrie auffi- tôt qu'éclofe ,
Et cependant vaine à l'excès ,
Les tributs qu'on lui doit , lorfqu'aux yeux de
l'aurore
Elle étale en naiffant les trafors de fon fein ,
Le foir elle prétend les mériter encore ;
OCTOBRE . 1757.
23
Le foir elle a perdu tout l'éclat du matin.
Le temps alors , avec ſa faulx barbare ,
En vain mutile ſes appas :
Prête d'aller border les rives du Tenare ,
La Coquette ne fe rend pas .
Encor fi dans l'inftant que brille cette belle ;
Son abord étoit fans danger !
Mais la perfide cache une épine cruelle ,
Et nuit à qui l'ofe approcher.
D'où vient cet importun murmure ,
Dit à l'OEillet la jeune Déité.
Qui du printemps peint la riche parure ?
Pour l'intérêt de votre vanité ,
La Rofe fans défauts eût été trop brillante ?
Ils vous vengent de la beauté.
Ainfi la nature prudente
Partagea tous les dons avec égalité.
L'éclat de cette fleur difparoît comme un ſonge :
Hé bien faut- il être irrité
Que jufqu'au foir fa vanité prolonge
Le cours d'un regne , hélas ! fi limité ?
Eillet , que votre plainte eft vaine !
Malgré l'épine & les noires couleurs
Dont vous peignez la plus belle des fleurs ,
Vous la reconnoiffez enfin pour votre Reine,
Cillet , oeillet , difons tout en deux mots ;
C'est l'orgueil qui produit vos injuftes querelles.
Si les Roſes étoient moins belles ,
Vous leur verriez moins de défauts .
Cette Fable eft de M. l'Abbé Aubert.
24 MERCURE DE FRANCE:
VERS à Mlle Baptifte, Actrice de l'Opera
Comique , à l'occafion de fon départ pour
la Hollande.
DIGN IGNE organe des jeux de la folle Thalie ;
Toi , dont la voix fut embellie
Par les amours , les graces & les ris ,
Toi , qui paffes fi bien du tendre à la faillie ;
Et des fons brillantés des ferins d'Italie ›
Aux fons mélodieux des Cygnes de Paris ;
Baptifte , quel deftin t'enleve à ta patrie ?
Tandis que le François , de la Saxe flétrie ,
Prompt miniftre des cieux, court vanger les débrist
Quel preftige de gloire entraîne les efprits ?
Voudrois-tu , rivale d'Orphée ,
Déployer le pouvoir de tes airs fi touchants ;
Et du lion belgique immobile à tes chants ,
Dreffer à tes talens un immortel trophée ?
Mais dans fon coeur la haine eft étouffée ;
Il ne peut s'irriter qu'à la voix de Thémis ;
Des traîtres Léopards , il n'eſt point le complice;
L'aigle , les Lys , armés par la Juſtice ,
Peuvent-ils le compter parmi leurs ennemis ?
Que ton ambition ſe borne à notre hommage ,
Reviens , fille du goût , reviens fur ce rivage :
Qui forma tes talens a bien des droits fur eux.
D'un peuple connoiffeur , le glorieux ſuffrage
Suffit à ton triomphe & doit remplir tes voeux.
PORTRAIT
OCTOBRE. 1757. 25
PORTRAIT D'AGRICOLA.
AGRICOLA
GRICOLA a un extérieur qui écarte la
confiance ; mais dès qu'on a pénétré fa
droiture & fa candeur , on fe familiarife
avec fon ton & fes manieres. Le premier
inftant dépofe contre lui , l'habitude le
juftifie .
Un efprit jufte , un coup d'oeil fûr ,
une logique naturelle , cachent chez lui le
défaut d'une étude férieufe & fuivie. Dès
qu'il a faifi le vrai , il procede avec tant
de jufteffe , qu'il femble toujours guidé
par le compas géométrique : une intempé
rance de lecture l'a mis en état de parler
de tout , fans être véritablement éclairé fur
rien : fa converſation eft plus instructive
qu''amufante ; tout ce qui eft du domaine
de l'imagination lui échape : il ne parle
que pour le faire entendre , & ne fçait
point farder la vérité pour l'embellir , non
qu'il n'ait des graces , mais il n'en a que
d'aufteres. Amateur de la mufique , les
charmes de la poéfie l'affectent foiblement.
Sa fagacité dans les affaires eft vive & perçante
; dans les chofes de goût , fes décifions
font moins fûres. Attaché aux premieres
impreffions , ce qu'il a fait , ce
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
qu'il a vu dans fon enfance , eft toujours
cher à fon coeur . Il rougiroit d'avoir des
préjugés , & eft le jouet de fes préventions.
Ennemi de la Aatterie , il tombe aifément
dans le piege des fimples & des
fots , les perfonnes d'efprit ne pourroient
réuffit à le tromper. Séduit par les penchans
de fon coeur , il eft quelquefois
aveugle dans fon eftime , & injufte dans
fes mépris. Prévenu contre les Sçavans ,
il préfère à leur commerce qui pourroit l'amufer
, la fociété des ignorans , qui l'ennuient.
Telles font les qualités de fon efprit
, examinons la trempe de fon coeur.
Egalement éloigné de la fuperftition
& de l'incrédulité , il fait le bien , & ne
pratique point la pénitence ; il va au temple
les jours prefcrit par la loi , & au théâtre
quand le plaifir l'y attire. Ennemi des
queftions contentieufes , il excufe les préjugés
des foibles , fans adopter les fophifmes
des incrédules . Jamais il n'applaudit
tout haut ce qu'il fronde tout bas . Son
exemple bannit de fa maifon le vaudeville
cynique , la fatyre clandeftine , & les faillies
de la malignité. Chez lui les abfens
n'ont jamais tort. Il fe défend la raillerie ;
peut être craint- il d'en être l'objet , peut
être n'a t'il pas ce talent dangereux . Bon
parent , fes richeſſes font une fource ouOCTOBRE
. 1757. 27
verte à fa famille. Il dépenfe aifém: nt ,
furtout pour les chofes relatives à fon être
particulier. Maître févere , il commande
'd'un coup d'oeil à de nombreux Efciaves
qui vivent fans befoins , & qui languiffent
fans récompenfe. Une continuité de bonheur
a émouffé la fenfibilité de fon coeur.
Les ingrats qu'il a faits l'ont rendu dur par
la crainte d'être dupé . Le malheureux qui
chercheroit à exciter fa pitié , pourroit
éprouver les mépris. Le fpectacle des miferes
d'autrui offenfe fes yeux . Il les detourne
, peut- être fe défie t'il de la bonté
de fon coeur. Quelques perfonnes peuvent
vanter fa générofité , nul ne peut fe plaindre
de fes injuftices . Rangé fans avarice ,
& jouiffant fans diffipation , il eft élégant
dans fes meubles , décent dans fes habits ,
& magnifique à fa table. C'est là que les
plus indifférens deviennent fes amis . C'eſt
là qu'il étale cette profufion plus propre à
exciter l'ennui , qu'à faire naître l'amitié :
l'austérité de fes moeurs fe communique à
tout ce qui l'environne . On rit mal chez
lui , parce qu'on s'efforce de rire en bâillant.
Moins propre à infpirer la joie qu'à
s'attirer l'eftime , il fait préfider la raifon
où doit régner le fentiment. Le compas &
l'équerre reglent tous fes plaifirs. Jamais
d'effufion de coeur , jamais de cette gaieté
Bij
30 MERCURE DE FRANCE
Déja faifoit voir la ruine
Que fuivoit la triste famine.
Senfible à nos juftes douleurs ,
De ma famille défolée
Vos mains ont effuyé les plears ;
Et loin de mon ame troublée ,
Chaffant les chagrins dévorans ,
De ma maiſon prefqu'ébranlée
Ont raffermi les fondemens.
C'est vous , ô mortel adorable !
C'est vous dont les foins généreux ;
Dont la main prompte & ſecourable
A daigné combler tous nos voeux.
Secondant l'ardeur qui m'enflamme ;
Que par d'ineffaçables traits
Un Dieu grave au fonds de mon ame,
Et votre nom & vos bienfaits :
Non , non , fur fon aîle légere ,
Le temps n'emportera jamais
Une image qui m'eft fi chere.
Ah ! pourſuivez une carriere
Où vos vertus & vos talens
Vous ont rendu fi néceſſaire.
Que toujours votre voix févere ,
Par des oracles fondroyans ,
Dompte l'audace téméraire
Du coupable fier & puiffant :
Que de l'orphelin gémiffant
Vos mains foulagent la mifere a
OCTOBRE. 1757.
31
Aux malheureux ſervez de père ,
De protecteur à l'innocent.
Qu'ainfi vos nobles destinées ,
Dans leur cours paifible & brillant,
Toujours de gloire environnées ,
Et par les plaifirs couronnées ,
D'aucun finiftre événement
Ne foient jamais empoisonnées ,
Et marquent toutes vos journées
Des traits heureux de l'enjouement.
Que pour vous , levé fans
nuage ,
Chaque foleil pur & ſerein ,
Fourniffe fon cours fans orage ,
Et joigne aux rofes du matin
Les fruits heureux du dernier âge.
Exempt d'ennuis & de chagrin ,
Que jamais la cruelle envie
Sur vous diftillant fon venin ,
N'ofe de fa rage ennemie
Troubler la paix de votre vie.
Qu'agitant les ferpens affreux ,
Jamais l'infame calomnie ,
De fes miniftres ténébreux ,
Contre vous n'arme la furie :
Oa fi , contre votre repos ,
Jamais ces deux monftres horribles;
Des vertus tyrans inflexibles ,
Tramoient de perfides complots ,
Soudain pour les réduire en poudre ;
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
A
Que Thémis vous prete fa foudre ,
Que leurs projets foient confondus ;
De leurs cabales frémiflantes ,
Bravez les fureurs impuiſſantes
Et que fous vos pieds abattus ,
Leurs bouches de rage écumantes
Rendent hommage à vos vertus.
Par M.... THOMAS.
PENSÉE S.
La Loi eft un tonnerre, qui rafant la furface
de la terre , ne frappe que le chaume
& le rofeau : on le voit rarement porter
fes feux timides fur les tours des palais &
la cime des chênes .
La difpute, quand elle eft modérée , eft
une fecouffe utile , qui développe le germe
des idées , & fait tomber les fruits de
l'efprit.
L'oeil de la fageffe s'ouvre quelquefois
fur le plaifir , & daigne lui fourire en paffant.
Celui de la paffion le fixe , s'en pénetre
, & y trouve le poifon du bafilic ;
on voit bien que l'ufage eft pour la fageffe ,
& l'excès pour la folie.
Une lecture rapide reffemble au voyage
de cet Anglois qui crut connoître la France
, parce qu'il l'avoit traversée en pofte.
OCTOBRE. 1737. 33 *
Lafpéculation eft le hochet de l'efprit
humain ; un échaffaudage frivole que la
pratique renverfe prefque toujours ; un
feu boréal qui fe joue dans le vuide du cerveau
; un phantôme enfin qui voltige fans
ceffe dans le cabinet des foi difants philofophes,
& qui , en matiere de vertus & debien
public , fe réalife rarement fur la
fcene du monde.
Il y a des vertus , ou , fi l'on veut , des
degrés dans les vertus qui n'appartiennent
pas à tous les hommes , il faut dans l'ame
cette vigueur fublime , feule capable de
porter un poids fi noble , & le vulgaire
des gens vertueux eft tel , que pour le repos
de l'humanité , on devroit prefqu'autant
prêcher la modération des vertus ,
que la correction des vices.
Cette penſée eft une fuite de la précedente
: je plains l'humanité , fi l'on permet
aux vertus qui ont leur racine dans la religion
, de juftifier le danger de leur excès
par la fainteté de leur fource.
Les vérités fommaires font le privilege
dugénie: l'efprit dont la vue eft plus foible,
fe contente de tournoyer au milieu de
quelques vérités intermédiaires , & ne
voit rien audelà . Malheur à lui , s'il effaye
de franchir fes limites ! Chaque pas
eſt une erreur.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Le peu de fuccès des louanges & des
confeils , décele fouvent la maladreſſe
de celui qui les donne , plutôt que le caprice
ou l'indocilité de celui qui les reçoit.
La honte d'ignorer eft le contre- poids
de la peine d'apprendre.
Les amis qui fe brouillent pour des bagatelles
, reffemblent à ces Rois qui fe firem
la guerre pour la querelle des chiens
de leurs ambaffadeurs .
Le bonheur est une injuftice qui trouve
rarement grace ; l'oftentation du bonheur,
une barbarie , une infulte capable d'armer
le genre humain.
Les tombeaux des morts font un tribunal
, d'où les vivans ne prononcent que
des fentences rigoureuſes ; c'eft le théâtre
où la petiteffe vient braver la grandeur ,
où le foible triomphe du puiffant , où l'ingratitude
ôte fon mafque d'une main , & le
déchire de l'autre , où le fage enfin , unique
appréciateur des actions des hommes
vient les pefer au poids de l'équité & de
l'indulgence inféparable de la nature
humaine.
La main qui veut repouffer une louange
délicate , y refte elle- même attachée
comme à un filtre : les mouvemens qui
la retiennent font bien plus vifs que ceux
qui la rejettent.
OCTOBRE. 1757.
35
Les efforts les plus pénibles de l'efprit,
font les jeux légers du génie.
Dans la févérité de les loix , la vertu ne
fçait que rétrecir les limites que la nature
elle- même a mifes aux penchans pour fa
confervation .
Tout ce que l'imagination prere à la
nature , eft une fuperfluité artificielle, qui
l'accable au lieu de l'enrichir , & l'appauvrit
fans retour , en lui arrachant tout ce
qu'elle poffede.
L'efprit humain eſt toujours enfant dans
la vérité , le génie la paffe , parce qu'il la
trouve trop fimple ; l'efprit médiocre ne
cherche pas à y arriver , parce qu'il la croir
cachée fous une enveloppe invincible ; le
philofophe la déchire à force de l'analifer ;
la plupart des Théologiens la laiffent
échapper dans une mer de fubtilités métaphyfiques;
l'incrédule croit la voir au fommet
de fa raifon , & n'embraffe qu'une
nue d'orgueil ; chacun enfin y répand les
taches dont le concours des diverfes circonftances
forme le nuage.
La modeftie eft un tiffù délicat qui demande
un main légere & adroite : le fot ne
le touche que pour le déchirer.
Le Cardinal de Richelieu s'amufoit à
abattre les plus grandes têtes de l'état ,
comme Tarquin le fuperbe à couper celles
B vj
36 MERCURE DE FRANCE:
des pavots les plus élevés : l'un fut le fimulacre
, dont l'autre fut la réalité.
Les confeils & les leçons font dans le
monde moral , ce que font les étoiles dans
le monde phyfique. On les voit tous les
jours avec la même régularité : les grands
exemples en font comme les cometes qui
ne fe montrent que tous les deux fiecles.
Ceux qui fe croient fideles au fecret ,
quand ils ne l'ont pas ouvertement révélé ,
reffemblent à l'autruche qui fe croit en fûreté
, quand elle a la tête derriere un arbre.
Les vertus mâles font le partage des nations
civilifées ; les qualités brillantes font
celui des nations polies.
La mort n'eft que la réalité du fommeil ,
dont le commencement de notre exiftence
eft l'image .
La mifanthropie n'éteint les vertus fociales
, que parce que fe croyant fondée fur
la connoiffance du coeur humain , elle regarde
ces vertus comme les erreurs de
l'inexpérience .
La fageffe n'eft que le repentir ou la
crainte des abus du coeur. Ainfi le plus
grand bien de l'homme eft une humiliation
, ou une inquiétude.
Qu'est- ce qui peut tenir de fang froid
la balance du plaifir ou de la douleur ?
l'orgueil flegmatique d'un Stoïcien , on
OCTOBRE . 1737. 37
le mépris fublime d'un chrétien parfait ,
c'eſt- à- dire , l'extrême folie , ou l'extrême
fageffe.
Le fort des gens fauffement vantés ,
reffemble à celui des Efpagnols de l'Araucna
( 1 ) , que les Indiens prirent d'abord
pour des Dieux , & fur qui ils vengerent
leur erreur , après avoir reconnus à leur
vices , qu'ils n'étoient que des hommes .
Le titre de Philofophe a fes différens
âges dans l'hiftoire de l'efprit humain :
dans le fiecle des génies , il donne une
forte de fuprématie ; il eft l'éclipfe de la
grandeur mais dans le fiecle de l'efprit
qui fuccede toujours à celui des génies , le
manteau de philofophe eft la livrée du
ridicule & fouvent du vice ; c'eft un
vêtement proftitué , qu'on fe fait un point
d'honneur de fouler aux pieds.
Etre la dupe d'un fourbe adroit , c'eſt
n'avoir plus qu'un pas à faire pour être fa
victime.
Qu'est- ce que la difpute ? Une offrande
portée dans le temple de l'orgueil , pluque
dans celui de la vérité ? tôt
Quelle eft la reffource de la grandeur
quand elle feroit , pour ainfi dire , coudoyée
par la petiteffe ? C'eft de paroître la
protéger en public pour conferver la di-
(1 ) Poëme Espagnol
38 MERCURE DE FRANCE.
gnité , & de lui nuire en fecret , pour
fatisfaire fa vengeance.
Malgré la multiplicité des ouvrages ,
on ne nous apprend que la moitié des chofes
que nous devrions fçavoir. On a bien
écrit fur l'art de parler , on n'a prefque
rien dit fur l'art d'écouter.
Qu'est ce que l'efprit de parti Un ferment
de fidélité à la perfécution de tout
ce qui le contredit .
Le flambeau de la critique s'allume plus
fouvent pour détruire , que pour éclairer.
L'efprit doit prendre le compas de la
modeftie pour mefurer fes propres dimenfions
; fans quoi c'eft un être vagabond ,
qui s'agite dans le vague des idées , & qui
n'a d'autre pivot que l'erreur.
Quand Méhémet Effendi porta l'art
typographique en Conftantinople , il s'entendoit
très - bien au bonheur de l'humanité
, mais point du tout à la nature , &
à la confervation du defpotifme ; les fciences
élevent l'ame ; l'intérêt du defpote
eft qu'elle ait à peine le fentiment de fon
exiftence.
Il en eft des Rois comme des Dieux. Il
ne fuffit pas de les refpecter , on n'eft heureux
que par la douceur de les aimer.
Que gagne le fatyrique à répandre fon
fiel ? Il éleve lui - même le retranchement ,
OCTOBRE. 1757 Jy
dersiere lequel tout le monde eft fous les
armes pour le défendre , lui nuire & fe
venger.
L'amitié reçoit les confidences de l'amour
, l'amour reçoit - il les confeils de
l'amitié .
Si l'amour eft le fentiment le plus délicieux
de la nature , cela décidé , les femmes
en font le plus bel ouvrage.
Qu'est- ce que le féjour des hommes fur
la terre ? Un crépufcule ténébreux & momentané
, où on a à peine le temps de décider
le fort d'une nouvelle vie.
Les révolutions littéraires ont cela de
différent des révolutions polítiques ; qu'on
les voit venir de loin , parce qu'elles font
attachées à des chofes qui les préparent ,
au lieu que les autres reffemblent à la fondre
qui marche rapidement fur les pas de
l'éclair.
Jeunes gens ! la fureur de fçavoir abforbe
tout votre être ; vous faites un pas en
avant , vous en voyez mille dans le miroir
trompeur de l'amour propre ; votre imagi- l'amour - propre ;
nation s'embrafe & vous emporte fur les
aîles de l'aigle : viendra bientôt l'inftant
où le bon fens de l'âge enchaînera fon vol,
vous ouvrira les yeux fur l'immenfité des
objets , leur inutilité pour le bonheur , &
l'infuffifance humaine : là s'éteindra lafoif
40 MERCURE DE FRANCE.
ardente & dangereufe des connoiffances.
Qu'est - ce que l'ennui ? L'inclination
douloureufe d'une ame qui a eu des plaifirs
& qui a des befoins .
Celle- ci eft une fuite de l'autre : eft- on
heureux quand le fouvenir du paffé ufurpe
fur le fentiment du préfent ?
Bonheur , vérité , vertu , trois chofes,
dont l'une eft une chimere , la feconde une
pomme de difcorde , & la derniere une
apparence .
Je finis ; l'amour -propre ne m'a peutfoutenu
contre l'ennui de ces
être que trop
penſées.
Les François font dans la fociété des nations
ce qu'eft une coquette aimable dans
le monde galant. Vive , fémillante & légere
, pleine de graces , d'efprit & de charmes
, elle porte d'un côté la féduction , &
de l'autre ne laiffe à fes rivales que la
reffſource amere du dépit & de la haine.
Les reflexions qui ont pour titre ; Milanges
de Littérature , des Livres , des Auteurs
, de la lecture & du ftyle , paroîtront
dans le Mercure de Novembre . Ce n'eft
qu'un retard de quinze jours.
OCTOBRE. 1757:
AIR POLONOIS
Du Prologue du Ballet des Indes galantes ;
PAROD 1 E.
LE MISANTROPE
CORRIGÉ ,
DIALOGUE.
Cours à Manon ,
Non.
Prends du vin ,
Quel venin !
Suis nos jeux ,
Choix coûteux.
Vois ,
Crois
Gens d'un aimable entretien ;
Rien .
Mais , comme un ours
Vivant toujours ,
As tu joui
Oui.
Je me plains
Des humains ,
Et je crains
Leurs deffeins
42 MERCURE DE FRANCE .
Pleins
De mauvais
Traits :
Sans honneur ,
Sans pudeur
Foux
Et jaloux.
>
Quel portrait grands Dieux !
Penfe- mieux.
Ne crois -tu
La vertu
Qu'en ton coeur ↑
Erreur.
Vois les hommes ,
Comble - les
De bienfaits :
Pour s'aimer tous ils font faits .
Tu me fommes
D'être heureux.
Tu le peux ,
Fuis ce qui deçoit.
Soit.
Par M. FUZILLIER , à Amiens.
Les Portraits du même Auteur au prochain
Mercure.
OCTOBRE 1757. 43
LES HOMMES UNIS
PAR LES TALENS ,
POEM Z. ( 1)
Aux cris que le befoin & l'intérêt formerent ;
L'an vers l'autre attirés les humains s'affemblerent
:
Mais de cette union les premiers fondemens
Ne pouvoient s'affermir fans l'appui des talens,
A l'aſpect du génie auffi puiffant que rare ,
Ne dites plus , ingrats , la nature eft avare :
S'il fut dans tous les temps peu d'efprits lumineux,
La race humaine au moins s'éleve entiere en eux.
Ils ont créé les arts dont le monde s'honore ,
Et la fociété plus précieuſe encore.
Les célestes préfens , dont vous êtes jaloux ,
Entre quelques mortels font partagés pour tous
C'eſt un heureux lien qui s'étend & fe ferre ,
Formé par peu de mains pour embraffer la terre
Au deffus des talens fous ces traits préfentés ,
Brille celui qui fonde ou régit les cités ,
L'art du Législateur , l'augufte politique ,
Non cet art d'opprimer , fourdement tyrannique ;
( 1 ) Ce Poëme de M. Lemiere , a remporté lé prix
de l'Académie Françoife , en cette année 1757-
44 MERCURE DE FRANCE.
Sous un nom refpecté , taient vil & cruel ,
Mais cette autre fcience , à l'exemple du Ciel ,
Secrette quelquefois , & toujours bienfaiſante ,
Qui confacre aux humains ſa vertu vigilante ,
Que le pouvoir feconde & jamais ne corrompt.
Je la vois en filence , une main fur le front ,
L'autre en figne d'appui fur un peuple étendue ,
La barbarie expire à ſes pieds abattue.
L'homme étoit fans les loix , ou fauvage , ou pervers
,
"
Ou le tyran de l'homme , ou feul dans l'univers :
Tout rentroit dans l'oubli , politique profonde.
Tu parus , on compta les premiers jours du monde ;
On te vit commencer tes heureuſes leçons
Par la double harmonie & des vers & des fons. ( 1 )
Sous la loi du plaifir la terre alors crut vivre :
Chantant l'amour de l'ordre , elle apprit à le
fuivre :
Il fut des moeurs , il fut des temps plus fortunés;
C'eſt à l'ombre des loix que tous les arts font nés-
Mais quels troubles civils ! quel effroyable orage
Va de la politique anéantir l'ouvrage !
On fe menace , on court à pas précipités ;
Le fer brille , on fe mêle : ah ! cruels , arrêtés.
Société fatale imprudente fageffe !
Solons , qu'avez-vous fait trop heureuſe rudeſſe ,
(1 ) Les premieres loix étoient en vers , & fe
chantoiens.
OCTOBRE. 1757. 45
Pour l'homme errant encor premier préfent des
Cieux !
Il n'étoit que farouche , il eft féditieux .
L'éloquence commande , & reffource imprévue !
Pardeffus tous les cris la voix eft entendue ;
Le fer tombe , tout cede , & ces coeurs égarés ,
Emportés loin de l'ordre , y font déja rentrés .
Ainfi donc à la fois & les talens fe fervent ,
Et par eux des mortels les liens fe confervent ;
Liens toujours plus doux & toujours plus ferrés
Dans les lieux par les arts de plus près éclairés,
Jettez au loin les yeux fur l'Egypte leur mere ,
L'union des efprits fut fon grand caractere :
On vit s'étendre ainfi ce peuple d'inventeurs ;
Il dut fes moeurs aux arts , & fon empire aux
moeurs,
Quand l'Alphée orgueilleux voyoit à chaque
luftre
Les peuples affemblés couvrir la rive illuftre ,
Ces jeux où triomphoient les talens excités , (1 )
Etoient l'art de la Grece & le noud des cités .
Les talens en des jours plus féconds en miracles ,
Pour unir les mortels n'ont point connu d'obfta
cles ;
Sagement inquiete en fes nobles deffeins,
La phyfique s'eft dit : il eft d'autres humains.
(1 ) On envoyoit des Poëmes aux Jeux Olyma
piques.
46 MERCURE DE FRANCE.
Soudain nouvel arbitre , & de l'onde , & d'Eole ;
L'aimant qui s'ignoroit , interroge le pole :
Sous des cieux inconnus un monde au nôtre
offert ,
S'ouvre , s'unit à nous , nous imite & nous fert.
Il n'eft plus de long cours fur l'élément humide ,
Il n'eft plus ni d'erreurs , ni de nocher timide :
L'oeil fixe fur l'aimant , on court toutes les mers ;
Le commerce a peuplé les liquides déſerts :
Chaque route eft connue , & l'onde , où tout s'ef
face ,
De la pouppe qui fuit femble garder la trace.
O vous ! peuples nombreux de ces vaſtes pays ,
Découverts par l'Europe , & par elle conquis ,
La force vous dompta , mais nos moeurs vous four
mirent ;
Le fer fit la conquête , & les arts l'adoucirent :
L'Américain changé s'unit à les vainqueurs.
Ailleurs du vaincu même un vainqueur prend les
moeurs ;
Le Catay s'affervit fon conquérant barbare :
Tout périt , hors les loix , fous l'effort du Tar
tare ;
Et ce long mur franchi par fes incurfions ,
Sépare deux pays , & non deux nations.
Du rapide Wolga parcourons les rivages :
Cet Empire du Nord , ces régions fauvages ,
Des arts n'avoient reçu ni cherché les clartés :
OCTOBRE . 1757 . 47
Là tout étoit déſert , même aux lieux habités ,
Le Ruffe fans commerce , & fans loix & fans
villes ,
Dans les huttes caché perdoit fes jours stériles ;
Sur la terre à lui- même il étoit étranger.
Pierre amene les arts , Pierre vient tout changer
Des fanges d'un marais fort une ville immenſe ,
De la fociété le regne heureux commence :
Les Ruffes font unis quand leurs yeux font ou
verts ;
L'Univers naît pour eux , comme eux pour l'Univers
;
Et réparant ainfi tant de fiecles de honte ,
Au rang des Nations le monde enfin les compte.
Qui l'auroit cru ? des feux par la guerre allumés ,
Ces noeuds , fruit des talens , ne font point confumés.
L'intérêt s'arme encor , l'ambition divife :
Mais cette haine aveugle aux Nations tranfmife ,
Ces préjugés honteux déformais font bannis ,
Les peuples font en guerre , & les hommes unis.
A Mademoiſelle de R.... ſur ſa Réponfe
à l'Amour.
Ex lifant votre réponſe à l'amour , Mademoiselle
, je fus fi frappée des motifs qui
48 MERCURE DE FRANCE.
vous animoient contre lui , que je fus prê
te à jurer de ne jamais aimer ; c'est l'effet
naturel d'un ſtyle féducteur. Je partageois
l'indignation qui femble avoir conduit vorre
pinceau , l'orfqu'une voix douce &
touchante pénétra jufqu'au fond de mon
coeur. A quoi penfes-tu , Thémire , me
dit-elle ? Quoi ! fans m'entendre , tu vas me
condamner : fufpends ton jugement , apprends
à me connoître , je ne puis qu'y
gagner..... J'allois me récrier contre fa
propofition , il me paroiffoit trop dangereux
de m'inftruire aux dépens de ma liberté.
Raffure- toi , reprit l'amour après un
moment de filence , je refpecte ton repos,
tu le dois à la noble idée que tu t'es formée
de moi : il m'est trop avantageux pour le
troubler : c'eft dans le calme de l'indifférence
, c'eſt à l'abri des impreffions d'une
paffion vive & féduifante , que je veux
t'engager dans un examen judicieux de la
nature de mon être , & de la véritable cauſe
des effets qu'on a l'injuftice de m'attribuer.
L'amour fe tut ; mais comme il n'eft guere
poffible de l'écouter impunément , il avoit
fait naître dans mon ame la plus fenfible
émotion , fes plaintes m'avoient touchée ,
elles me parurent fondées . En effet , fi nos
plus grands Philofophes n'ont pas dédaigné
de traiter de l'amour avec autant de
zele
OCTOBRE.
1757 .
49
zele &
d'application qu'ils ont traité des
fciences les plus
profondes , fi
quelquesuns
mêmes ont prétendu qu'il étoit l'ame
du monde , qui peut nous autoriſer à le
dégrader au point de lui imputer tous les
maux , dont l'univers eft affligé ? Paroît - il
vraisemblable qu'un être qui , felon eux ,
entretient l'ordre &
l'harmonie dans la nature
, foit le pere du vice , la cauſe du
trouble & du malheur ? Rendons - lui plus
de juftice : l'Amour eſt un don du ciel ,
dont l'ufage fixe le prix . Il devoit entretenir
la
confiance & la paix parmi nous ,
adoucir nos moeurs , & par le fecours du
plaifir , adoucir les peines auxquelles l'humanité
eſt affujettie : il devoit enfin établir
entre nous une
communication vive &
délicieufe , de foins , d'intérêts & de
fentimens néceffaires au bonheur de la fociété.
Voilà dans quelles vues il nous fut
accordé ne nous en
prenons qu'à nous ,
fi elles ne font pas remplies.
Le vice a befoin
d'excufe : on en connoît
la
difformité , par le foin qu'on prend
de le couvrir.
L'Amour nous paroî d'autant
plus propre à cet ufage , qu'il y a plus
d'êtres
intéreffés à le rendre
refponfable de
leurs torts. Ce n'eſt pas à ſon occaſion ſeule
que
l'aveuglement de l'homme fe fait remarquer
on ne peut
difconvenir que
II.Vol.
C
50
MERCURE
DE FRANCE.
toutes les paffions en général , n'aient été
introduites dans le monde pour le bien
commun : l'ambition ne devoit produite
qu'une noble émulation , pour exciter nos
coeurs à la vertu : la haine ne devoit être
confacrée qu'à fuir & à détefter le vice.
Quel ufage en faifons-nous ? Nous employons
les matériaux qui nous furent confiés
pour conftruire l'édifice de notre bonheur
, à élever celui de notre infortune ;
quelle dépravation ! Cet exemple ne fuffit.
pas pour juftifier l'Amour ? il
Suivons deux Amans fortant des mains
de la nature , dont le commerce du monde
n'a point encore altéré l'inocence , qui
jouiffent pour la premiere fois du plaifir
de fe connoître fenfibles . Quelle candeur
! quelle fimplicité ! quelle délicateffe
dans leur façon d'agir & de penfer :
fe voir , s'aimer , fe le dire , c'eſt où le
bornent leurs voeux les plus ardens ; l'idée
du crime ne s'offre point à leur imagination
, & n'entre dans aucun de leurs projets
; plus ils font vertueux & fages , plus
ils font heureux. Voilà l'Amour dans fon
principe , & tel qu'il fortit du ciel pour
notre félicité. Que ne devroit- on pas efpérer
d'une union formée fous de fi doux
aufpices , fi le préjugé ne lui étoit pas contraire
mais l'inégalité d'état & de fortu
OCTOBRE. 1757:
SI
ne , & fouvent des motifs plus condamnables
encore , font les obftacles qu'on lui
oppofe. De cette innovation naiffent la
féduction , l'oubli du devoir , la honte ,
les remords, le défefpoir , & quelquefois la
quine totale des familles les plus refpectables.
Voilà , fécrie- t'on enfuite , voilà les
fruits de l'Amour . Soyons juftes , ne ſontce
pas plutôt ceux du préjugé de quel
droit, prétend t'on lui affujettir le plus indépendant
des êtres.
Jettons un voile fur les paffions qui occupent
l'homme dans des temps moins
heureux. L'imprudente jeuneffe croit reconnoître
les impreffions de l'Amour , dans *
les honteux effets du défordre des fens.
Non , des goûts fi coupables ne peuvent fortir
d'un principe auffi pur , non , je ne retrouve
pas l'Amour dans l'empire du vice :
cherchons - le dans celui de la raiſon.
Le regne de l'erreur eft de peu de durée
. Heureux ceux qui ont pu garantir
leurs coeurs de fon poifon , ou qui dans
l'âge mur , confervent encore affez de délicateffe
& de goût , pour gémir de la préférence
qu'ils lui ont donnée fur le plus noble
des fentimens ! C'eft dans des ames épurées
par le temps & par l'expérience , qu'il
reclame fes droits. Voyons-le plus aimable
que jamais s'occuper de leur bonheur , les
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
exciter , les guider lui- même dans la pratique
des vertus les plus utiles à la fociété ,
& emprunter les fecours de la raifon , pour
leur tracer la route des vrais plaifirs.
Vous, qui bornez vos defirs à mériter un
fort fi doux , amans tendres & délicats
c'eft votre caufe que je plaide : venez apappuyer
mon fyftême ; je peins l'Amour tel
que je crois qu'il doit être fenti. Ajoutez
au tableau les traits fous lefquels il brille
dans vos ames ; prouvez qu'il en eſt encore
d'affez pures , pour n'avoir point à rougir
de leurs chaînes.
Cette apologie eft d'une jeune perfonne
auffi fage que belle. Nous en donnerons
le Mercure prochain une feconde
compofée par une Demoiſelle de dix-huit
ans . Le véritable amour , ce ſentiment deyenu
auffi rare qu'il eft pur , trouve encore
plus d'un défenfeur dans ce fexe aimable,
fait pour le protéger , puifqu'il eft né
pour l'infpirer & pour le fentir avec plus
de délicateffe que le nôtre. Nous penfons
que l'Amour ne pouvoit rencontrer deux
plus charmantes Apologiftes. Il nous paroît
d'autant mieux juftifié par leur fentiment ,
que ce fentiment n'eft pas le fruit de l'art ,
qu'il eft l'ouvrage feul de la nature , &
que l'air contagieux du monde n'en a pas
encore altéré la pureté.
OCTOBRE, 1757.
53
EPITRE
A Mademoiselle Bonté , à Giors.
Iz eft temps , aimable Emilie ,
De difpofer de votre coeur ;
C'eft un tréfor que l'on envie ,
Et qu'on recherche avec ardeur.
Aux noeuds d'Hymen il faut ſouſcrire ;
Mais gardez-vous bien de l'erreur
Qui peut aisément vous féduire
En reconnoiffant un vainqueur.
Songez que l'Hymen a fes charmes ,
Mais fongez qu'il a fes rigueurs ;
Il peut n'avoir que des douceurs ,
Il peut n'avoir que des alarmes .
L'amour qui devance ſes pas ,
Couvre les bords du précipice ,
Et des plus innocens appas
Lui fait fouvent un facrifice
Qu'il devroit ne lui faire pas."
On le voit , ce charmant volage ,
Sous les traits les plus féduifans ,
Auprès des Belles qu'il engage ,
Porter fes fleurs & fon encens.
Craignez les yeux & fon langage ,
Craignez les moindres mouvemens.
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE
Défiez - vous de l'artifice
Qu'il met en oeuvre pour charmer ,
Sous le fard démafquez le vice ,
Connoiffez bien avant d'aimer.
Sans vertu tout titré eft chimere ;
Les biens ne font rien fans l'honneur
La beauté fans le caractere ,
L'efprit fans la bonté du coeur.
Ne croyez pas la fympathie
Toujours la regle du bonheur :
Notre penchant le plus flatteur
N'eft fouvent qu'une douce erreur ;
Et de cette ivreffe remplie ,
L'Amante accordant fa faveur
A l'objet qui furprend fon coeur ,
Ne fait fouvent , pour fon malheur ;
Qu'un ingrat de plus dans la vie.
N'écoutez point les faux avis
Qui flatteroient votre foibleffe ,
N'écoutez que de vrais amis
Dont le coeur pour vous s'intéreffe.
De parens fages & chéris
Confultez furtout la tendreſſe.
Enfin pour ne point s'égarer
Dans le choix que le coeur doit faire ,
C'eft à la raifon d'éclairer
L'amour aveugle & téméraire.
Suivez pas à pas fa lueur :
De votre bonheur qu'elle ordonne ;
OCTOBRE . 1757. 55
Qu'elle nomme votre vainqueur ,
Et que votre main le couronne.
Alors l'Hymen fi redouté ,
Sera pour vous exempt d'alarmes ,
Et de votre félicité
Chaque jour accroîtra les charmes.
D'un époux avec vous lié
Par l'eftime & par l'amitié ,
Vous captiverez la tendreffe.
Toujours de vous- même maîtreffe ,
Et plus maîtreffe encor de lui ,
Vos jours couleront fans trifteffe ;
Sans amertume & fans ennui .
Vous aurez cette paix profonde ,
Rare bonheur , préſent des cieux ,
Tréfor cent fois plus précieux
Que les plus grands tréfors du monde.
Par M. DUTHIL , Avocat en Parlement .
D'Eftrepagny , vexin - Normand.
LE RETOUR DE LA FOLIE ,
Conte historique.
A cet âge , où une femme n'éprouve
plus de fentimens que le regret de fes
charmes , & le dépit de les voir paffer fur
le teint de fa fille , Cephife régnoit encore
Civ
16 MERCURE DE FRANCE .
fur une petite fociété le jeu gauche des
minauderies provinciales la rendoit prefqu'aimable
au milieu d'un cercle de rivales
décrépites : la comparaifon plutôt que
le mérite , affuroit le triomphe de fes prétentions.
Céphife fentoit tout l'avantage
de fa pofition : quelques jeunes gens nouvellement
arrivés , fe donnerent la peine
de le lui confirmer par indigence , & par
oifiveté : l'indolence de leurs hommages
en laiffoit cependant échapper l'humiliation.
Elle crut devoir leur prêter le ſecours
de la pérulance, & de l'agacerie . Un vieux
amant plus utile par l'entretien de l'émulation
, que par la folidité du plaifir , fervit
à Céphife , pour animer les foins de
fes dédaigneux fectateurs. Quelques préférences
affectées fembloient quêter l'éloge
de fa conſtance , & la complaifance de la
combattre . Céphife frappa , pour ainfi
dire , à tous les coeurs, & ne trouva que des
tiédeurs . Enfin Lifis excédé de cette inaction
douloureuſe d'une ame qui a eu des
plaifirs , & qui a des befoins , s'encouragea
à des lueurs . Des demi-frais lui
rent fuffifans pour fubjuguer Céphife : il
ne fe trompoit pas. Un de ces jours où la
nature femble, par l'éclat vif & doux de fa
parure , donner des leçons de fentiment
aux jeunes coeurs , & défefpérer les vieux
paruOCTOBRE
. 1757. 37
par des fouvenirs , Céphife enivrée de fa
conquête , voulut prouver fa reconnoiffance
par fa gaieté. Des étourderies ridicules
, des éclats de rire funeftes à la nudité
de fa bouche , jetterent Lifis dans des
rêveries qui allarmerent Céphife. Lifis ,
dit- elle , avec une inquiétude pétulante
ne pas partager la joie que vous m'infpirez
, c'eft prefque m'en arracher le principe.
Heureufe par l'aveu de vos fentimens
, j'éprouve que le retour du bonheur
peut faire naître celui de la folie. Ah !
Madame répondit gravement Lifis , je fens
que c'eft la fin de la mienne, & je me retire.
VERS de Madame Guibert , à M. l'Abbé
Mangenot, qui lui avoit envoyé ce Diſtique.
Croyez-en mon expérience ,
Le coeur va plus loin qu'on ne pense.
Na craignez rien , mon cher Mentor ,
Pour être dangereux l'Amour eft trop frivole ;
Une ombre de vertu l'effarouche , il s'envole.
Si dans votre printemps il en étoit encor
Qui fuffent animés d'une flamme durable ,
Il n'en eft plus , le vice épuifa ce tréfor.
Vertueux , délicat , tendre , furtout aimable ;
Qu'un Amant tel que vous m'eût été redoutable }
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
LA COURSE SINGULIERE,
OU LA NOUVELLE ATHLANTE ,
Aventure qui n'est pas un conte , puiſqu'elle
vient d'arriver près de Dinan . Toute la
ville en a été témoin , ainsi que l'anefte la
Lettre qu'on va lire , & qui nous eft
adreſſée.
MONSIEUR , on a vu parier , & même
parier gros pour des courfes : quelquefois
ces courfes fe font faites par des Coureurs
de profeffion & par état , quelquefois
auffi , & même plus fouvent par des gens
de qualité , à cheval . Les Anglois paroiffent
exceller de préférence dans celles - ci.
Nous n'avons point de goût ici pour de.
venir leurs émules , & furtout dans un
temps où leurs allures ne doivent point
être imitées . Il s'agit d'une autre efpece de
courfe qui s'eft faite en cette Ville , courfe
à pied , mais entre deux perfonnes de fexe
différent ; circonftance qui fait tout le
mérite & le fingulier de la chofe.
Le Héros de cette courfe , eft un Gentilhomme
de cette Ville , nommé M. le
Chevalier de la Houffaye , grand , jeune ,
OCTOBRE. 1757 .
59
bien fait & alerte ; l'Héroïne , une jeune
Demoiſelle , nommée Mademoiſelle de
la Pilaye , jolie , fpirituelle , & dont les
graces de l'ame furpaffent encore celles de
la figure . Nos deux athletes étoient euxmêmes
les parieurs ; perfonne ne s'en mêloit
; il ne s'agifloit que de deux louis de
chaque côté. Un air de pitié pour le fexe ,
pouffé jufqu'à l'ironie de la part de M. le
Chevalier de la Houffaye , occafionna le
défi. Il prérendoit que toute femme mettoit
deux heures de temps pour aller à
pied d'ici au chateau de la Garaye , qui
n'en eft éloigné que d'un grand quart de
lieu Mlle. de la Pilaye qui étoit préfente ,
ne put fouffrir une telle exagération , enforte
que
de parole en parole , on en vint
au défi , & enfin au pari , à qui des deux
y feroit le plutôt rendu . On fit plus , c'eft
que le jour fut pris au vendredy 9 de ce
mois , pour l'exécution , & que le même
jour, à deux heures après midi , on vit nos
deux aimables champions au lieu du rendez
- vous pour le départ , Mlle. de la Pilaye
, fans autre préparation que des vêremens
ordinaires de la faifon , mais légers ,
& M. de la Houffaye en petit bonnet de coton
& en vefte. Ses préparatifs déplurent
à l'affemblée , & redoublerent encore l'intérêt
qu'elle prenoit dans la jeune De-
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
:
moiſelle : tout le monde défiroit pour elle ;
mais perfonne n'eût voulu parier ; on n'ofoit
même efpérer . Un monde infini étoit
au lieu du départ , d'autres en grand nombre
s'étoient déja rendu au château de la
Garaye , & un plus grand nombre encore
bordoit le chemin par où ils devoient paffer
. Nos champions partent enfin , & les
voeux de tout le Public fuivent notre aimable
parieufe . M. de la Houffaye fait
d'abord des entrechats badins : il s'en
amufe pendant quelque temps ; mais il
s'apperçoit qu'il s'eft mépris , & que s'il ne
veut avoir un affront , il faut employer
tout fon fçavoir- faire les gambades inutiles
lui avoient fait perdre du terrein ,
étoit effoufflé , & il s'agiffoit de regagner:
il y parvient ; mais c'eft avec peine. La
charmante Pilaye de fon côté , avoit commencé
d'un pas léger , mais avec modération
, enforte que lorfque fon concurrent
la rejoignit , elle jouiffoit encore de toute
fa fraîcheur il s'agiffoit alors de ne fe
point laiffer dépaffer , elle y parvient , &
c'est beaucoup. Ceux qui avoient vu le
départ, ne voyent bientôt plus rien, & ceux
qui avoient devancé au tiers du chemin ,
ne voient déja plus qu'une pouffiere que
les pieds du Chevalier faifoit élever : car
les pas légers de fa concurrente n'en met
il
OCTOBRE. 1757. 61
toient point en mouvement. Perfonne ne
pouvoit la fuivre ; les Zéphyrs feuls
avoient droit de l'accompagner. On dit ,
& il y a bien de l'apparence qu'ils la foutenoient
de leurs aîles , & la pouffoient légérement
, enforte qu'elle figuroit des pas
fans en faire ; car elle ne touchoit point à
terre. Un mantelet de gaze voltigeoit derriere
elle , & fembloit être entraîné malgré
lai ; les voeux du Public paroiffent aider
au Zéphirs , & les forces femblent
augmenter , lorfqu'on s'apperçoit que celles
du Cavalier diminuent ; il perd quelquefois
, mais il regagne le terrein perdu :
les fpectateurs font agités de crainte & d'efpérance
ils défirent encore bien plus
qu'ils n'ofent efpérer le Héros paroît enfin
fe fatiguer ; l'Héroïne s'en apperçoit ,
& par un dernier effort , met le Chevalier
derriere elle la refpiration lui manque ;
déja le dépit paroît dans fes yeux , il aban
donne la partie , s'affied , puis s'en retourne
à la ville par des chemins détournés ,
afin de cacher fa honte. Il arrive chez fon
hôreffe , un filence fombre annonce fa
défaite. Il cherche fon lit & s'y couché ;
c'est là que je l'abandonne pour revenir à
notre moderne Athlante.
Elle ne s'appercevoit pas d'abord de fa
victoire . Se retourner pour y voir , cût
62 MERCURE DE FRANCE.
été une perte de temps dangereufe : mais
enfin n'entendant plus courir ni fouffler ,
elle foupçonne qu'elle a gagné , & un regard
derriere elle , la rend certaine de fes
avantages ; elle pouvoit alors prendre du
repos fans danger : mais elle le méprife &
fe contente de ralentir fes pas , une démarche
douce & aifée , fuccede à la courfe
, & c'eft ainfi qu'elle approche de la Garaye
, où ceux qui s'y étoient rendus auparavant
, jettent des cris de joie , qui font
répétés de diftance en diftance par ceux qui
l'avoient fuivie. On les entend de la Ville ,
& le triomphe n'eft plus douteux : tout le
monde veut y affifter , les chevaux font
bientôt mis au peu de carroffes qu'il y a
dans cette Ville , ces carroffes s'empliffent
& volent vers la Garaye , on s'y difpute
l'avantage de ramener notre aimable vainqueur
, elle refifte tranquillement aux follicitations
& aux empreffemens ; elle
répond modeftement , que la même
voiture qui la fait vaincre , fervira pour
fon triomphe . Elle fe met en chemin pour
revenir , elle eft accompagnée de toutes les
perfonnes de diftinction de cette Ville de
l'un & de l'autre fexe , une multitude de
peuple marche devant & derriere , & des
carroffes vuides ferment la marche . Pendant
qu'elle fe fait ; les Officiers qui com
OCTOBRE. 1757. 63
mandent les différens détachemens de troupes
qui compofent la garnifon de cette
Ville , s'affemblent pour honorer l'entrée,
leurs tambours , fifres & hautbois marchent
devant eux , & c'eft ainfi qu'ils reçoivent
cette Demoiſelle aux portes de la Ville .
La marche continue au fon de ces inftruments
guerriers , jufqu'à fa porte , où elle
reçoit encore beaucoup de complimens.
On la laiffa repofer jufqu'au foir , & pour
célébrer un événement qui flatte fon fexe
encore plus que le nôtre , Madame la
Comteffe de la Brétonniere , mere de notre
Gouverneur , donna un grand fouper à toute
la compagnie ; il fut fuivi d'un bal qui du
ra jufqu'au jour , & où notre Héroïne retraça
à la danfe des pas auffi légers que ceux
qui l'avoient fait vaincre ; il s'eft donné
plufieurs autres fêtes depuis, & on les continue.
J'oubliois de dire que le premier foin
de Mlle. de la Pilaye , en arrivant à Dinan ,
à été d'envoyer les quatre louis à une Communauté
de fille de cette Ville , qui n'eft
point riche : on n'en attendoit pas moins
de fa façon de penfer.
Voilà mon récit ; il eft , Monfieur , dans
la plus exacte vérité : il occafionne un autre
pari de deux louis ; vous pouvez me le
faire gagner , ou , pour mieux dire , aux
Religieufes qui ont profité de l'autre ; car
64 MERCURE DE FRANCE.
on parie que ma Lettre ne paroîtra point
dans votre Journal : quelle douleur pour
moi , qui n'ai mis la main à la plume qu'à
la priere d'une amie intime de Mademoifelle
de la Pilaye , jeune perfonne auffi
charmante qu'elle , & à qui je fais gloire
d'obéir en toute humilité !
Je fuis avec refpect , & c.
DE LA MARRE- DURAND ;
Licencié en Droit.
A Dinan , en Bretagne , ce 25 Septembre
1757.
Nous nous fommes empreffés de rendre
cette Lettre publique pour faire gagner le
pari au galant homme qui nous l'adreffe.
Il l'a trop bien mérité par le plaifir qu'elle
nous a fait , & nous croyons que le Public
ne la trouvera pas moins intéreffante ,
qu'elle nous l'a parue par fa nouveauté , &
par la maniere agréable dont elle eft écrite.
Mademoiſelle de la Pilaye attache plus
qu'une Héroïne de Roman , & tout Lecteur
fenfible doit applaudir à fon triomphe.
OCTOBRE. 1757 : 65
STANCES à Madame ....
Ls tendre objet de ma famme
Daigne rentrer fous mes loix :
Si mes yeux parlent , fon ame
Entend leur timide voix.
Le plaifir féche mes larmes ,
Le trouble amene la pi !
Plus l'hyver cauſe d'alarmes ,
Plus le printemps a d'attraits.
Dans fes bras la jeune Flore
Reçoit fon Zéphyr léger ;
Pour un Amant qui t'adore
Craindrois-tu de t'engager ?
Une Déeffe fidelle
Ne peut fixer fon ardeur ;
Une inconftante mortelle
N'a pu fortir de mon coeur.
Ma plainte eft une injuſtice ,
Ne penfons qu'à ſon retour :
En retraçant fon caprice ,
J'offenferois fon amour.
66 MERCURE DE FRANCE.
La fouffrance eft un paſſage ;
Le bonheur fort de fon fein :
On doit oublier l'orage
Lorfque le ciel eft ferein .
*
Protecteurs de la jeuneffe ,
Ris , défendez mes beaux jours :
Que la ſtérile trifteffe
Jamais n'en fane le cours.
Chere faifon d'alegreſſe :
Ah ! tu vas t'évanouir :
Ta couronne eft la fageffe
La fageffe eft de jouir.
*
Tu foupires , ma Sylvie ;
Tes pleurs m'affurent ta foi :
Que je chérirai la vie !
Si je la paffe avec toi.
Amour , que ta douce haleine
Conferve l'éclat des fleurs
Dont la précieufe chaîne
Unit & charme nos coeurs,
Outrageante jalousie ,
Fuis & respecte nos noeuds a
f
OCTOBRE. 1757. 67
Ton aveugle frénéfie
Ne fait que des malheureux.
L'amour , fans la confiance ,
Mérite-t'il ce doux nom ?
Le plaifir eft l'innocence ,
L'innocence eft fans foupçon.
J. M. A.
Le mot de l'Enigme du premier Mercure
d'Octobre eft l'Eternité. Celui du Logogryphe
eft Fievre , dans lequel on trouve
feu , fer , Eve , ver , feve , rêve , Fée , vie.
ENIGM E.
De l'efprit & du corps , je préſente un miroir :
Je fais ouvrir les yeux , & l'on ne peut me voir,
Pour ma production , ô merveille étonnante !
Un feul fexe fuffit , fans douleur il m'enfante .
Je ne puis exifter fans l'efprit & le corps ;
Sans être aucun des deux , ce font là mes refforts .
Des deux fexes en moi l'on préfere le mâle ,
Du féminin fouvent plus d'un fat fe régale.
Par mon rapide vol je pénetre les airs ;
Je préfide à la ville , & parcours les déferts.
68 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis agent d'amour , une fource de haine ,
Un gage précieux de la foi fouveraine.
Sur tous les animaux mon empire s'étend :
A mon ordre par fois homme & brute ſe rend.
J'accorde les humains , c'eft moi qui les divife.
A tous ces traits , Lecteur , connois- tu ma deviſe
LOGOGRYPHE.
A qui ne m'entend pas je parois un délire ,
Et bien des gens dédaignent de me lire.
Pour qui m'entend j'ai l'eſprit ſuperfin ,
Je fuis , mon cher Lecteur , du fexe féminin.
Mais je n'en eus jamais ni les lys , ni les roſes.
Je t'offrirai pourtant les attraits de Cypris ,
Ce fera le début de mes métamorphofes :
Tranſpoſe un de mes traits , & tes regards furpris
Ne verront qu'un objet fufceptible des charmes
A qui dans l'univers tout doit rendre les armes.
Je trouve cependant une difficulté ,
A cet éclat dont je me pique ,
De mon maître dépend l'excès de ma beauté.
Il ne faut pas que j'en ferve un ruftique.
Belle Déeffe , adoptez-moi ,
Et tous les coeurs font fous ma loi.
De tant de gloire triſte ſuite ,
Deux traits de moins , un autre arrangement ,
En un antre craffeux je me trouve réduite ,
OCTOBRE. 1757 . 69
Pourras- tu tu croire un fi grand changement ?
Fuyons ce mot désagréable ,
Il m'en vient un très- favorable
Pour délaffer le fatigué rameur.
Un autre lui fera peut- être fort contraire :
Voici celui qui du chaffeur
Termine bien la grande affaire.
Je lui fournis auffi cette liqueur
Flattenfe & néceffaire ,
Puis je lui donne de bon coeur
Le temps qu'il faut pour fe refaire.
Bien d'autres mots viennent ſe préſenter ;
Je ne prendrai qu'un jeu , deux notes de mufique ;
Le malheur des humains , des Prêtres la rubrique ,
Ce que les Dames ont du plaifir à brûler ,
Ce que tout homme fçait ne devoir pas caffer.
Un animal rampant , une liqueur utile ;
Des Dames la premiere , une fuperbe ville ;
Un bien rarement fonds , plus la deſtruction
De guinguette , château , comme de baftion :
Un fentiment affreux qu'on cache d'ordinaire ,
Un homme qui feroit des grands & du vulgaire
Refpecté , s'il vouloit , en tout temps , en tout lieu ;
Enfin , mon cher Lecteur, la parole de Dieu .
70 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON
A
Mlle B.... qui me
coupoit
quelques
cheveux
qui
paffoient
ma frifure
.
Air : Suivons
l'Amour , c'eft lui qui nous mene,
NON , Dalila ; non , cette
infidelle ,
N'a jamais eu tant
d'attraits
que vous ;
Je gagerois
qu'elle
fût moins
belle ,
Puifque
Samfon
dormit fur les genoux.
OCTOBRE . 1757 . 71
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE du moyen d'apprendre sûrement
&facilement les Langues .
Pour démontrer que les regles par lefquelles
on veut faire paffer les étudians de
leur langue nationale à la latine , font de
pures inventions fur quoi l'on ne doit pas
compter , prenons quelques échantillons
de notre langue' , tirés des fiecles dont il
nous en reste encore des monumens ; &
pour nous mettre à l'abri du foupçon qu'on
pourroit former contre nous , de vouloir
ajufter les choſes à nos idées , ouvrons le
petit traité de Paléographie qui eft entre
les mains de tout le monde , fpect. de la nat.
1. 7. On pourra appliquer à toute autre lanque
, ce que nous allons obferver fur l'étu
de de la langue latine par les regles qu'on
fait apprendre aux enfans . Nous verrons fi
les méthodes ont pu être en ufage , ſeulement
un peu plus haut qu'au commencement
du feizieme fiecle , où l'on fe mit à
fabriquer des fyntaxes , des concordances
72 MERCURE DE FRANCE.
contre lefquelles Bembe , Adrien , Sanc
tius & autres s'éleverent .
On fçait que notre langue vient originairement
de la langue gauloife , auffi bien
que de la langue latine mêlée avec la langue
grecque , répandues dans le bas Empire.
On l'appella alors Romance ou Romane,
c'est-à-dire romaine , parce que celleci
lui fervit en quelques façons de modele.
Le Gaulois aujourd'hui inintelligible ,
fe perdit peu à peu , ne laiffant que quelques
veftiges de fon antiquité. Nous ne
pouvons guere monter plus haut que fept
ou huit cens ans , pour démêler une forte
de forme que notre langue prenoit. Par
exemple ,
Dans le neuvieme fiecle , on difoit : por
Deu amor & por Chriftiano Poblo & noftro
commun falvament : c'eſt-à - dire , pour l'amour
de Dieu , pour le Peuple Chrétien &
pour notre commun falut . Nous demandons
fi les Grammairiens de ce fiecle avoient des
regles pour enfeigner à nos petits ancêtres
à mettre cette efpece de latin en latin ? On
ne connoiffoit pas encore les articles que
nous confondons aujourd'hui avec certains
pronoms ; ainfi on ne pouvoit point débiter
, que de , du , des entre deux fubftantifs
, marquoient qu'il falloit mettre le
fecond au génitif : le diſciple à qui l'on
auroit
OCTOBRE . 1757 .
auroit fait compofer un thême , n'auroit
pu changer Den en Dei , qu'en vertu de
l'ufage des Auteurs latins , où le cas poffeffeur
est toujours défigné , foit par un
fubftantif antécédent exprimé ou fous- entendu
, foit par la terminaifon qui lui eſt
particuliere , fuivant la huitieme des douze
maximes fondamentales , qu'on a rapportées
à la fin de l'introduction . Quant aux
autres mots , la prépofition fixoit leur cas
fuivant la douzicme maxime : par conféquent
, il étoit inutile d'enfeigner une
chofe qu'on fçavoit par ufage ; comme il
feroit ridicule d'enfeigner à un François 5
qu'on ne dit pas , du pain à moi donnez ;
mais qu'on dit , donnez - moi du pain. Les
mots & les tours des langues d'ufage alors
étant venus à changer ou à s'altérer , felon
le goût & la prononciation du fiecle , on
perdit peu à peu jufqu'aux terminaiſons ,
furtout celles des deux langues grecque &
latine, qui s'incorporerent, pour ainfi dire ,
avec la nationale. La latine qui étoit à l'Egliſe
réfiſta ſeule à la corruption , & il
n'y eut plus d'autre moyen , de même qu'il
n'y en a point encore aujourd'hui d'autre ,
pour apprendre sûrement cette langue, que
par la lecture fréquente des bons Ecrivains
latins , où font les véritables regles & le
véritable ufage .
II.Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Dansle dixieme fiecle , on traduifit ainfi
le Symbole de Saint Athanafe. Eft la communfei
qué uns ( 1 ) Deu en Trinitet , & la
Trinitet en unités aoruns ( 2 ) nemie confundans
le perfonnes..... Alire eft le
perfonne del Pere , altre del Fils , altre
del Sız. Efpiriz... Quel eft li Pere , tel eft li
Fils , tel eft li Saintz Efpiriz... Grandz eft
li Pere , grandz eft li Fils , grandz eft li
Saintz Efpiriz , & c. On entend ce langage
prefque tout latin , à la fouſtraction & à
l'addition près de quelques lettres dans le
génie de la nation . Voilà des articles qui
paroiffent fans diftinction de genres , ni
de nombres . On dut donc changer de méthode
dans ce fiecle , s'il y en eut dans le
précédent ; mais il n'en refte point de veftiges
: par conféquent on ne fongeoit guere
à faire mettre la langue nationale en grec ,
ou en latin par regles , comme on l'a fait
depuis, à mefure que la langue françoife
s'eft perfectionnée . Il y a eu , nous dira- ton
, de bons Ecrivains latins dans les derniers
fiecles c'est-à- dire de bons imitateurs ,
non des originaux , nous en convenons ;
mais ce n'eft pas par la compofition du françois
en latin qu'ils fe font formés ; nous
l'avons prouvé .
(1) D'unus.
(2) D'adoramus , adorons
4
OCTOBRE . 1757. 75
Dans le onzieme fiecle les traductions
reffembloient encore au latin , ce qui eft
conftaté
par les abréviations fréquentes ,
dont les manufcrits font hétiffes avant l'invention
de l'Imprimerie ; puifqu'on trouve
& qu'on prononçoit , par exemple : uns
vers fu ja en lantif Poblo Deu e out num Helcana
, &c. c'eft à - dire , il y eut jadis un
bomme de l'ancien Peuple de Dieu nommé
Helcana , &c. Rappellez les lettres qu'on
fupprimoit , & rétabliffez celles qui font
changées, foit par la prononciation d'ufage
alors , foit par le génie du patois ; c'eſt
du latin tout pur. Ūnus vir fuit jamdudum
in antiquo Populo Dei, & habuit nomen Helcana.
L. 1. des Rois. (1)
Il faudroit une méthode exprès pour
mettre encore cette forte de latin en latin ;
car aucune des nôtres n'y feroit parvenir.
Il n'eft pas poffible de bien apprendre une
langue fixe & immuable , telles que font
(1 ) Un pour unus. Vers pour vir dont l'i fe
prononçoit commé ei. Captivei anciennement
pour captivi : de la diphtongue ei , ôtez i dans
veir , vous direz ver on ajoutoit fouvent la lettres
, afin de rendre la finale plus doace. On prononçoit
anciennement abouit, pourkabuit; enfuite
on ne garda que les trois lettres out . Num , prono
cez les deux lettres um comme dans umbilicus ,
vous aurez le mot nom . Cette note fuffit pour ju
ger du rèfte.
Dij
76. MERCURE DE FRANCE.
aujourd'hui les anciennes , par des regles
tirées d'une langue moderne toujours variable
par laquelle on veut procéder.
Dans le douzieme fiecle , notre langue
encore en maillots , pour ainfi dire , commençoit
à fe former & à s'éloigner un peu
de ce latin barbare dont elle defcendoit ;
mais on ne s'avifa pas encore de mettre fous
fon joug la langue latine dont elle étoit ellemême
encore l'esclave , & à jufte titre ; les
regles qu'on auroit voula fabriquer n'auroient
pu durer long- temps , & d'ailleurs
par quelles regles fixes auroit- on dû exprimer
en latin Bernard demenés ou temps de
villece , pour dire : Bernard arrivé à la
vieilleffe ? &c. La Cor bi Roi c'est- à- dire La
Cour du Roi ? Et ainfi de toute autre phrafe.
La particule ou auroit eu befoin d'une
regle fort détaillée pour être connue , tantôt
comme article , tantôt comme adverbe
de lieu , puis comme conjonctive & fouvent
comme disjonctive . De telles obfervations
n'euffent pas fait fortune. Ce n'eft qu'à
force de temps & de fueur aujourd'hui ,
qu'on parvient à faire apprendre aux enfans
ces variations. Faites traduire aut , vel;
quò , quà , unde , ubi , en place dans un
bon Auteur , ils fçauroient toutes ces diftinctions
à la feconde fois tout au plus : ce
fera bien plutôt fait.
OCTOBRE. 1757 . 77
Dans le treizieme fiecle on difoit : Acui
mefchiet , len li meſoffre , pour , on ne fait
plus de bien à qui malheur arrive . Encore un
exemple : Dieus me pardoinft de quanque
(1 ) iou ai meffait ; pour , Dieu me pardonne
tout le mal que j'ai fait. Si l'on n'avoit
pas recours aux anciens Ecrivains pour
le tour & les expreffions propres à rendre
ces penfées , y arriveroit-on par le moyen
de ces regles , dont nous martelons la tête
des enfans ? On verra bientôt des échantillons
du fruit de ces regles , lorfqu'on
commença à les forger. Si avant ces inventions
, il y avoit des Grammairiens de profellion
, comme sûrement il y en avoit ,
ce n'étoit pas pour enfeigner à mettre en
latin la langue ou le jargon du temps ,
mais pour enfeigner les regles de la langue
latine même,que lesAuditeurs entendoient,
comme nous avons des grammaires françoifes
pour connoître les regles de la lanque
françoife. Qu'on enfeigne comment il
faut exprimer en françois certains tours
latins , à la bonne heure , encore ne trouvera-
t-on ces regles que dans l'ufage.
Dans le quatorzieme fiecle , on cultiva
la langue françoiſe avec plus de foin qu'on
ne l'avoit fait jufque- là ; elle s'éloigna auffi
(1) Quodcumque.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE .
de plus en plus des autres langues , & prit
une toute autre forme en defcendant. Charles
V , dir le Sage , prioit ainfi :- Jefuse
Chriſt , parfait de tous temps , mes Dieu ,
mes Sires & mes Rois .... Glorifiez foies tu
de tous les maux & de tous les biens qui me
vendront ( 1 ) , Sire , qui me as fait, & es poiffans
( 2 ) de me défaire ( 3 ) , fait ta volanté de
moi. Quoique cette priere foit d'une toute
autre diction que ce que nous avons vu ,
il n'y a cependant pas encore moyen d'employer
nos regles pour la mettre en latin ;
il faut néceffairement avoir recours au latin
même qui a été fait avant ce françois , ou
bien fe réfoudre à faire une langue latine
qui n'existe pas.
Dans le quinzieme fiecle : Si l'en veult
jouer aux échés l'en lefprend on en un fachiet,
&fait ou aujeu plufieurs perfonnaiges , Roys,
Reynes,Chevaliers , &c. Obfervez que la particule
on fi renommée , eft ici entendue fous
différens fons; ainfi la regle qui la concerne,
n'ayant pas été faite alors, elle aura été fabriquée
vraisemblablement dans le fiecle fuivant:
encore eft- elle abfolument fauffe ; cat
cette particule eft un vrai pronom de la troifiemeperfonne:
elle pourra fans doute éprou-
(1) Viendront.
(2 ) Puiffant , qui peut , qui a la puissance.
(3) De me détruire.
OCTOBRE , 1757. 79
ver d'autres viciffitudes par laps de temps.
Nous touchons enfin anx méthodes , anx
fyntaxes & à tous les rudimens dont on fut
inondé par le fecours de l'Imprimerie
inventée vers le milieu de ce fiecle. Les livres
néotériques fe multiplierent de plus
en plus à la fin ; & au commencement du
feizieme , on voulut affervir la langue latine
à la françoiſe on fit une nouvelle
langue compofée de gallicifmes , enfin un
jargon qui ne reffembloit à rien. On eut
beau s'élever contre ce défordre , l'ufage
l'emporta malgré la déclamation des gens
de goût , & furtout de l'Univerfité de Paris
, qui , dans fes ftatuts renouvellés en
1600 , indique les Auteurs anciens qu'il
faut faire lire continuellement , & qui ne
demande de compofitions que deux fois
tout au plus par femaines , encore n'eft- ce
que dans les hautes humanités , c'eft - à - dire
lorfqu'on fçait la langue.
On vit une multitude de petits Grammairiens
, la tête farcie de fyntaxes & de
méthodes nouvelles , fans connoiffance des
moindres Auteurs de l'antiquité , ouvrir
partout des écoles pour enfeigner leur prétendue
langue latine par la voie des thêmes.
Il y avoit avant la réforme , jufqu'à
vingt-deux petites écoles de grammaire
dans le feul College de Navarre. Soumis à
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
ces regles qu'on inventoit tous les jours ,
ils multiplierent fans fin les livres bleus ,
qu'on n'a pas moins continué de multiplier.
Mathurin Cordier fit imprimer en 1532
un recueil de phrafes du langage latin ,
qu'on fabriquoit à l'aide de ces inventions.
Ce Grammairien effaya de corriger ce langage.
Il rapporte que pour mettre en latin ,
quand il s'eft mis quelque chofe dans la tête ,
on ne fçauroit l'en faire revenir , on faifoit
dire fans fcrupule : poftquam pofuit aliquid
in capite fuo , numquam poffunt ab illo removere
; au lieu de , femel perfuafus , numquam
deducetur à fententia. Il lui a bien
chanté fa game , ou il lui a bien dit fon
fait , on écrivoit communément , & même
élégamment , felon quelques- uns : benè
cantavit illi fuam lectionem pour acerbiſſimè
illum objurgavit. Pour exprimer en latin ,
vous traînez votre robe , on difoit bravement
, tu trenas tuam veftem , au lieu de
toga verris humum , &c .
Il y a dans le recueil de Mathurin Cordier
, une multitude de phrafes de cette
efpece , qu'il prit la peine de raffembler
pour le ridicule. Les jeunes gens qu'on
n'occupoit que de regles , étoient bien excufables
, puifque la vraie latinité des Auteurs
anciens étant négligée , ils ne pouvoient
que produire de pareilles miferes.
OCTOBRE. 1757. 8i
Outre cette dépravation , on les châtioit
quand ils péchoient contre ces regles . Nous
pourrions rapporter beaucoup de proueffes
femblables de nos jours , que tous les enfans
en général font néceffairement dans
leurs compofitions journalieres , fans pour
cela qu'il faille leur en faire coûter une
larme : on auroit amplement de quoi ajouter
bien des volumes au recueil de Mathurin
Cordier. Qu'on y joigne les châtimens
pour autant de folléciſmes qui font inévitables
dans ces commencemens , & pour
autant de mots ou impropres ou forgés , ce
fera le vernis qui perfectionnera le tableau
hiftorique dont nous faifons la defcription .
Mais paffons légérement fur cet article par
refpect pour l'ufage des thêmes , dont il
réfulte de fi belles chofes.
L'Univerfité de Paris & plufieurs autres
, ayant fenti le ridicule d'obliger des
enfans à parler latin avant que de l'avoir
appris dans les bons Auteurs , ont aboli
peu à peu la mauvaiſe habitude qu'ils contractoient
de s'exprimer d'une façon toujours
baffe , & ont remis en vigueur la
culture des anciens . Celle de ce latin de
nouvelle fabrique , ne fubfifte plus que
chez les maîtres qui n'ouvrent pas
fur l'objet de leur état.
les
yeux
On demande à ces meffieurs ce qui cft
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
caufe , qu'après avoir enfeigné deux cens
fois une regle , les enfans y manquent deux
cens fois ? C'eft , dit-on communément ,
qu'ils ne veulent pas s'appliquer , qu'ils
jouent , qu'ils s'amufent , &c. lieux communs
tout cela eft de leur âge. Les réponfes
vagues ne remédient point au mal ;
convenons nettement qu'il n'y a rien de fi
faftidieux , ni de moins intére ffant
pour
eux , que de faire accorder l'adjectif avec
fon fubftantif , tandis que tout cela eft fait
en fa place dans les bons Auteurs qu'il ne
s'agit que d'apprendre. Que leur importe
de mettre un cas ou un autre , encore moins
d'en fçavoir ou d'en dire la raifon ? Ajoutez
à cette indifférence naturelle , les larmes
, les criailleries & les fupplices , voilà
les livres rendus odieux , ils les haïronti
toute leur vie , ils les détesteront.
On ne fçauroit fans être foupçonné
d'impéritie , fçavoir mauvais gré aux gens
qui communiquent au public leurs propres
expériences pour le bien & l'avancement
des bonnes lettres , dont le fuccès dépend
entiérement des premiers pas . Ceux qu'on
blâme trop légérement , nous ont tracé une
route agréable & efficace , en nous propofant
la voie de la traduction. Ils nous
ont prouvé , qu'il n'y en a point de plus
sûre. Il ne faut donc pas les condamner fans
OCTOBRE. 1757.
83
en avoir effayé . On a démontré que par ce
moyen , les enfans apprennent la langue
latine fans s'en appercevoir , comme ils ont
appris leur propre langue avec leurs parens .
Qu'on leur explique deux ou trois fois le
fens d'une phrafe , ils la retiennent .
On peut ajouter à ces preuves d'expérience
, que nous n'avons d'abord appris
notre langue que par la voie de la traduction
; & ce n'eft pas un paradoxe , fi l'on
y refléchit profondément. La connoiffance
de l'ufage d'une chofe , fans en fçavoir le
nom , eft un langage pour un enfant . Don--
nez-lui le mot grec pov , ou le mot latin
nux, qui fignifient une noix , dont il
connoit l'ufage , le nom lui en eft fort indifférent
en grec , ou en latin , ou en françois
, ou en chinois ; mais il retiendra ce--
lui de la langue que vous voulez qu'il ap--
prenne , à force de le lui répéter & de lui
montrer en même temps l'objet même.
Une mere commence par montrer à font
fils ce que c'eft que faluer , enfuite elle lui
fait traduire cette action par ces mots françois
je fuis votre ferviteur , parce qu'elle
veut que fon fils entende le françois . Cette
mere ne commence pas par lui expliquerque
je eft le pronom de la premiere per
fonne , que fuis vient du verbe êire , que
ce. verbe eft. au préfent & non au futur
D.vj
84 MERCURE DE FRANCE.
que votre eft un pronom adjectif , que ferviteur
est un fubftantif avec lequel il faut
accorder.... Elle lui dit fans verbiager ,
je fuis votre ferviteur ; l'enfant répete , &
retient la phrafe tout d'une piece avec fon
tour naturel. Quand il aura le jugement
formé , on lui expliquera le grammatical ;
mais en attendant , il apprendra & fçaura
enfin fa langue.
Pour enfeigner la langue latine , on
commence par des définitions méthaphyliques
, qu'on fait apprendre aux enfans fans
les comprendre ; faites-leur répéter fouvent
la fignification françoife des mots latins
d'une phrafe , c'eft aller au fait . Vous
leur apprendrez le grammatical chemin
faifant avec prudence & difcrétion ,
pour ne pas les rebuter. Ils réuffiffent en
plus grand nombre & incomparablement
mieux en verfion qu'en thême : tout le
monde en convient. C'est donc encore un
indice fans équivoque de la route qu'il
fau droit d'abord tenir ; mais pour marcher
sûrement par la traduction , il en faut exclure
abfolument celle de tout latin moderne
, & même des meilleurs Auteurs qu'on
a renverfés ; car quel avantage tirer de ce
bouleversement ? Changer un texte , c'eft
le défigurer.
La fuite au prochain Mercure.
OCTOBRE . 1757 . 85
Le fieur de la Tour , de la ville de Montpellier
, travaille au Nobiliaire du Languedoc
depuis plufieurs années .
Voici le Programme de fon Ouvrage :
Il contiendra un abrégé hiftorique de la
Province , les noms , furnoms , feigneuries
, qualités & armes de tous les Nobles ,
pareillement les noms , furnoms , feigneuries
, qualités & armes des Nobles qui
n'étant point nés dans le Languedoc , y
ont des terres & feigneuries.
On mettra aux articles des grandes maifons
& familles confidérables , les defcendances
d'où elles tirent leur origine , les
noms & furnoms de leurs Ancêtres qui
ont rempli des places diftinguées dans
l'églife , le militaire ou la magiftrature :
il y aura un détail de leurs actions mémorables.
11 fera auffi fait mention dans cet
ouvrage des Officiers Généraux d'armées
& Magiftrats de la Province actuellement
vivans , de leurs enfans , ainfi que des
Prélats.
Toutes les armes de ce Nobiliaire feront
gravées en taille - douce , & il formera
deux volumes in- quarto.
Meffieurs les Gentilshommes du Languedoc
, & les Nobles des autres Provinces
qui ont des terres en Languedoc , font
priés d'envoyer la copie de leur maintenue
de nobleffe , celle de leur généalogie ,
86 MERCURE DE FRANCE.
des extraits baptiftaires , & quelqu'autres
actes légalifés des Juges des lieux , pour
être inférés dans ce Nobiliaire.
Ces Meffieurs font auffi priés d'affranchir
les ports des lettres & paquets , adreffés
audit fieur de la Tour.
Il demeure à Paris , rue de la Juiverie
en la Cité , vis- à- vis la Tête-noire.
NOUVEAU traité de Diplomatique , où
l'on examine les fondemens de cet art , on
établit des regles fur le difcernement des
titres , & l'on expofe hiftoriquement les
caracteres des Bulles pontificales & des diplomes
donnés en chaque fiecle : avec des
éclairciflemens fur un nombre confidérable
de points d'Hiftoire , de Chronologie , de
Littérature , de Critique & de Difcipline ; -
& la réfutation des diverfes accufations intentées
contre beaucoup d'archives celé
bres , & furtout contre celles des anciennes
Eglifes . Par deux Religieux Bénédic
tins de la congrégation de S. Maur. Cinq
vol . in-4°. avec un très - grand nombre de.
planches & de figures en taille douce.`
Les planches très- nombreufes du troifieme
volume de cet Ouvrage n'en ont pas
feulement retardé la livraiſon ; mais elles
ont encore obligé le Libraire- Imprimeur à
faire des avances confidérables. La gravuredes
planches , qui entreront dans le qua
OCTOBRE. 1757. 87
trieme volume , eft achevée . On y traitera:
la matiere des Sceaux : objet non moins
curieux qu'intéreffant. Suivra la troifieme
partie de l'ouvrage , où l'on examinera le
tyle , les formules , les foufçriptions , les
dates & tous les autres caracteres intrinfeques
des diplomes . La compofition eft commencée
il y a fix ou fept mois. Le Libraire
compte être en état d'offrit auPublic ce nou :
veau travail vers la fin de l'année 175 8. En
conféquence il a pris la réfolution de faire
foufcrire pour le quatrieme tome , en li
vrant le troifieme..
A commencer au 15 Septembre 1757 .
le fieur Defprez , Imprimeur ordinaire du
Roi & duClergé de France , rue S.Jacques , à
Paris ,délivrera le tome troifieme en feuille ,
en recevant pour le petit papier 20 -liv . fçavoir
10 liv. pour la livraiſon du tome ze, &
10 liv. d'avance pour le tome quatrieme.
Et pour le grand papier 32 liv . fçavoir
16 liv. pour le tome troifieme , & 16 liv.:
d'avance pour le tome quatrieme , dont il
fera donné une reconnoiffance . Tous les
volumes fe vendent, pour ceux qui n'ont
pas fouferit , 24 liv. le volume relié en
petit papier , & 30 liv. en grand papier..
LA SARCOTHE'E ,. Poëme traduit du latin
du R. P. Mafenius de la Compagnie de
88 MERCURE DE FRANCE.
Jefus par M. l'Abbé Dinouart. A Londres,
& fe vend à Paris chez J. Barbon , rue St.
:
Jacques 1757.
Cette traduction nous a paru mériter des
éloges , & le poëme original qui la précé
de , eft un vrai préfent que M. l'Abbé Dinouard
vient de faire au public littérateur,
Les vers du P. Mafenius , font auffi beaux
que peuvent l'être des vers d'une latinité
moderne nous en jugeons nous-mêmes
autant que nous fommes en état de juger.
des beautés d'une langue morte . Le Traducteur
nous apprend que ce poëme parut
en 1661 , qu'il étoit tombé dans un parfait
oubli , & que c'eft l'accufation de plagiat
reproché à Milton par Guillaume Lauder
, Ecoffois , qui l'a tiré de fon obſcurité
( 1 ) . Il eft divifé en cinq livres. Pour donner
une idée détaillée de cet ouvrage , nous allons
tranfcrire & réunir les argumens que
M. L. D. a mis à la tête de chacun de ces
livres. C'eſt le meilleur extrait que nous
puiffions en faire. Nous y joindrons plufeurs
morceaux du poëme latin & de la.
traduction françoife , qui mettront le lecteur
mieux à portée de décider de la beauté
(1 ) Ceux qui voudront s'inftruire du fonds de
cette conteftation , la trouveront très- circonftanciée
dans les obfervations qui fuivent l'Avis du
Traducteur.
OCTOBRE. 1757. 89
de l'un & du mérite de l'autre.
Dans le premier livre , le Poëte comprend
Adam & Eve fous le feul nom de
Sarcothée , c'est -à-dire , la nature humaine,
qu'il confidere comme la fouveraine de
tout ce qui porte un corps. Antithée ou
l'ennemi de Dieu eft Lucifer ; fon contrafte
& les compagnes fideles de Sarcothée
font Arethée ou la vertu , Agapée ou la cha
rité , Thémis ou la juftice , Elpis ou l'efpérance
, Dianée ou la raifon , Metanée
ou la pénitence. Les furies , le dol , les maladies
, la vieilleffe , le travail , la pauvreté
, la faim , la mort accompagnent Antithée.
En introduifant ces perfonnages fur
la ſcene , le Poëte forme l'intrigue & le
dénouement de fon poëme ; il fe repréfente
d'abord comme ravi en efprit, & porté fur
les aftres , d'où il contemple l'univers , dans
le deffein de faire naître l'occafion de rechercher
l'origine du mal qu'il trouve dans
la défobéiffance de l'homme , & dans les
rufes du démon qui le féduit. Il décrit enfuite
ainfi le paradis & la création de Sarcothée
, à qui il affocie les vertus que nous
venons de nommer.
Eft locus auroram propter , rofeumque cubile
Tethyos , & nati clara incunabula phoebi ,
Protopatris natale folum , quo primus in agro !
90
MERCURE DE FRANCE.
Lufit , & innocua libavit gaudia vita.
Hortorum decus hîc , & ameni gratia ruris
Vernat , inoffenfo numquam fpoliata decore,
Quidquid achæmenio nares demulcet odore ,
Blanditurque oculis , verifque meretur honorem ;
Hoc Charites pofuêre loco : domus ipfa favoni eft
Plaudentes levibus per aprica filentia pennis .
Exfulat omnis hiems : nullis vexata procellis.
Hic rofa fuccumbit , nullo expalleſcit ab Euro
Nafcendo moriens , non Syrias ardor anhelam
Decoquit , aut rapto flaccefcit languida fucco.
Inviolatus honos violæ eft , & tota juventus
Chloridis æterno pandit labra florida rifu,
Nullus hyperboreo Boreas glacialis ab axe
Infeftas ventorum acies niviumque procellas
His infundit agris : nullis hîc cana pruinis
Arva rigent , nullo coalefcunt frigore lympha
Aurea perpetui furgunt palatia veris.
In medio lætatur humus , fontemque perennis
Spirat aquæ , lateque finum telluris inundat ,
Infundens avidis felicia balnea prætes.
Flumine quadruplici manat fons , divite ripâ ,
Quem vehit illimes complectens alveus undas.
His fecunda vadis , atque obftetricibus aris ,
Tellus lata parit ; nullifque exercita raftris ,
Refpuit agricolas , & duri vomeris ufum ,
Naturæ contenta bonis , zephyriqus favore.
Pomiferis latè filvis , & fructibus omnem
Amplet , ager campum , nec marcefcente vigore
OCTOBRE . 1757. 97
Foma fub æternis nutant argentea ramis.
Blanda voluptatis conceffaque munera , vitæ
Præfidium , facilifque neci medicina fugandæ
Hic indulta diis ; verum mortalibus arbor
Interdicta viret , pulchros habet aurea fructus
Præfagofque malique , bonique , omnifque futuri..
Heu comperta nimis memoro, dudumque probata.
Pofteritas mihi teftis erit , magnufque parentum
Ordo decet. Tantis etenim pulcherrima campis
Sarcothea , infelix virgo lachrymabile nomen ,
Sarcothea his præerat cuftos , hærefque perennis.
Ni male confultas pandiffet fraudibus aures ,
Hoftibus aufcultans , & fædera pacta relinquens
Hanc confanguineam tertæ, maſſamque rubentis
Informem limi , primo fapientia rerum
Artifici finxiffe manu , formamque dediffe
Creditur ipfa fuam , Dîs immortalibus unamt
Equaffe ut dignam patriæ tranfcriberet aula.
Traduction. Vers la région où l'aurore
annonce les feux renaiffans du foleil , qui
fort de la couche brillante de Therys , eft
le lieu qui voit Sarcothée formée par le
Créateur , goûter les plaifirs innocens de
la vertu . Ce féjour délicieux eft destiné à
fes plaifirs ; les Graces y font naître à l'envi
tout ce qui peut flatter la vue , l'odorat &
le goût . On entend les zéphyrs agiter leurs:
afies odoriférantes ; le Dieu des glaces &
92 MERCURE DE FRANCE.
des frimats , l'époux d'Orithie , n'ofe pénétrer
dans ce climat , où le printems feul
regne en Souverain . La rofe n'y pâlit jamais
à l'aſpect des orages , le fouffle d'un
vent ennemi ne la fait point mourir en
naiffant , & n'altere jamais le vif éclat de
fon teint ; la violette exhale toujours les
parfums les plus fuaves , & chaque fleur à
le coloris & la fraîcheur de l'aimable Cloris.
Au milieu de cette habitation , coule
une fource d'eau vive qui arrofe les plantes
& ferpente dans les prairies ; fon onde
claire & pure roule fur un fable d'or , &
fes bords font embellis par les mains de la
nature : elle fe divife en quatre grands
fleuves ; leurs eaux & un air toujours ferein
portent en tout lieu la fertilité. Riche
de fon propre fonds , contente des faveurs
dont la comble le zéphyr , la terre , pour
enrichir l'homme de fes bienfaits , n'attend
pas les voeux des humains & l'ordre des
faifons. Dans cette folitude fortunée , vous
trouvez des bocages dont les arbres fans
nombre , font toujours chargés de fleurs &
de fruits agréables qui vous invitent à les
cueillir. L'arbre de vie préfente le moyen
sûr de fe conferver dans la vigueur du bel
âge , & de s'affurer ici bas le privilege de
l'immortalité. Le Créateur s'eſt réſervé
l'arbre de la fcience du bien & du mal ,
OCTOBRE. 1757 . 93
& de la connoiffance du futur : coupable
poftérité d'Adam , vous n'éprouvez que
trop les triftes effets de la défobéiffance
dont je décris l'origine . Sarcothée étoit la
fouveraine de ce lieu de délices , la durée
de fon bonheur fut celle de fa fidélité.
L'ingrate ! Devoit- elle être rebelle aux ordres
de fon Dieu , & écouter la voix de
fon ennemi ? La fageffe forma du limon
de la terre Sarcothée l'image visible de fa
Divinité , & l'héritiere de fa gloire .
Le Poëte repréfente enfuite Antithée ,
animé par l'envie infpirant à tous les démons
par fes paroles le même efprit de fureur,
excitant les maladies , les foins , da
pauvreté , la faim & la mort ; concourant
avec lui à la vengeance qu'il médite , il
peint enfin leur irruption violente fur la
la terre après leur fortie du Tartare.
Au fecond livre , Antithée conduit fes
légions infernales dans le paradis terreftre,
dont le Poëte finit le tableau par ces beaux
traits.
Nondum fulmineis incanduit athra procellis ,
Tempeftas ignota fuir non horruit imber
Grandinis , aut madidam fubvertit aquarius ura
nam.
Aftra foam fusêre diem , fine nube , ferenum ,
Profcriptis coelo nebulis ; fibi bruma licere
94. MERCURE DE FRANCE.
Haud quidquam voluit , rigidas exofa pruinas ;
Artoafque nives Zephyrus borealia rector
Sceptra tulit , flavitque leves moderatius auras ,
Ver anni menfura fuit. Pax aurea mundum
Datalem tenuit ; nondum ſua ſpicula Mavors ,
Nec pallas galeam , nec fævos Mulciber ignes
Intulerant noftris , crudelia numina , fatis.
Non clypeus , non enfis erat , nec vulnera quifquam
Senferat , aut mediis vitam prodegerat armis,
Non valvis munita domus , non oppida vallis
Cincta , nec excubia infomnes , nec fubdolus
hoftis
Notus erat ; fed tuta quies poffederat orbem.
Nomina morborum nondum vulgata , nec ar :is
Inventor medicæ lectas diftinxerat herbas.
Nulla lues , nullo dives libitina fepulcro ,
Nec Radamanthæam tunc Groffius arbiter urnam
Excuffit , trepidante foro : nec parca refecto
Stamine divulfos abruperat improba fuſos.
Traduction. La foudre portée fur les ailes
des tempêtes & des éclairs , ne faifoit
point retentir la vafte concavité des rochers;
la grêle , les orages , la neige & la pluie
n'attritoient point la terre , & ne défiguroient
point les campagnes. Le firmament
uniforme en couleur n'étoit point
chargé de nuages ; un ciel pur & ferein ,
un printems conftant confervoit à la nature
OCTOBRE . 1757. 95
fon premier éclat. Mars , Pallas & Vulcain ,
Divinités cruelles , n'avoient point armé
les hommes les uns contre les autres : on
ne voyoit ni fortifications , ni foldats ; on
n'avoit pas d'ennemis à combattre . L'univers
repofoit dans le fein de la paix qui lui
procuroit les plus beaux jours. Les Médecins
n'habitoient pas cette région , où le
nom même des maladies étoit ignoré
& la parque n'avoit point encore envoyé
de triftes ombres au tribunal de Minos.
Le dol déguifé fous les traits de l'amour
pénetre le premier dans ce lieu de délices :
il conduit Sarcothée à l'arbre défendu , où
Antithée fe tient caché fous la peau du ferpent
: l'amour-propre bleffe d'une de fes
fleches Sarcothée ; le dol la porte à manger
le fruit , & Dianée ( la raifon ) qui la
flatte agréablemet par les prétendus avantages
qu'elle en dot recevoir , acheve de
la féduire. Trompée par leurs difcours &
par les promeffes du ferpent , elie fe rend
coupable de défobéiffance : au moment de
fon crime , la nature change , les élémens
fe confondent , les démons & tous les maux
à leur fuite , fe répandent fur la furface de
la terre. Arethé & la divine Pronée ( la
providence ) s'oppofent à Antithée qui veut
entraîner Sarcothée vaincue, dans le Tartare.
Thémis , après s'être élevée contre la
96 MERCURE DE FRANCE.
fureur d'Antithée & la perfidie de Sarcothée
, abandonne la terre & rentre dans le
ciel. Sarcothée & Dianée réduites à l'état
le plus déplorable , veulent fe fouftraire à
la préfence du Seigneur ; en vain Dianée ,
pour éviter fes reproches , change fon nom
en celui de Metanée ; les autres Nymphes
& particuliérement Agapée , font couvertes
de bleffures , chaffées du paradis , & pourfuivies
la faim: c'eft avec peine que
Sarcothée trouve un azilè chez la terre
par
qui , en la recevant , la condamne à la plus
dure fervitude.
Dans le troifieme livre , Antithée partage
entre les efprits infernaux , l'empire
de l'univers , il leur affigne différens noms
fous lefquels ils doivent être connus & honorés
; fon deffein eft d'abolir le culte du
vrai Dieu , & il exécute ce projet par le
mariage de Philaute ( l'amour propre ) avec
Sarcothée fa mere ; Sarcothée conçoit cet
enfant , en fe regardant dans le cryftal de
l'eau . Allégorie ingénieufe que le P. Mafenius
exprime par ces vers qui méritent
d'être cités .
Ipfa etiam propriæ fpectans ab imagine forma
Luditur , & niveum veneratur in ore decorem;
Seque fuumque probat vultum . Placuêre venukis
Picta labella rofis ; male placuêre rubentes ,
Admixtæque
OCTOBRE. 1757 . 97
Admixtæque rubore nives , & eburnea cervix ,
Membrorumque excelfus honos. Quid cætera
narrem ?
Tota placet , fenfimque fuo inflammatur amore
Ignorans animus , nutritque in flumine flammas.
O quoties vitreis fua porrigit ofcula lymphis ,
Et vacuis fe pafcit aquis , præludia debens
Ifta , Philaute , tibi : quoties tullit obvia dextras ,
Et dedit amplexus , umbra fugiente , caducos.
Quid fugis exclamat tandem : quid fallis amantem
?
Junge tuos vultus , noftrifque occurre lacertis :
Junge . Nec plura refert ; mox umbra moveri
Incipit , affufoque animatur imago Philauto.
Me petis ? ecce tuum , dixit ; vivamus amantes ,
Tuque tuufque fimul fato moriamur eodem
Una domus tumulufque ferat : quocumque præibis
,
Ipfe fequar : placuit nymphæ , placuitque Philauro.
Traduction . Frappée de fon image qu'elle
apperçoit , elle admire la majefté de fa
taille , la vivacité de fes yeux , la fleur de
la jeuneffe peinte fur fon vifage , la blancheur
de fon fein , où les lys fe confondent
avec les roſes, ſa beauté l'enchante ; l'eau allume
& nourrit en elle le feu qui la confume.
L'infenfée ignore qu'elle eft elle- même
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
pas
l'objet de fa paffion . O ! Philaute , le premier
mouvement de fon coeur la porte vers
toi ; combien de fois ne s'élance - t- elle
vers l'eau , n'étend - elle pas les bras pour
faifir ton image ! Vains efforts ! L'onde
tranfparente te déroboit à ſes embraſſemens .
Qui que vous foyez , s'écrie- t - elle , fortez
du fonds de l'eau , vous êtes tendrement
aimé. L'ombre fe meut , fe réalife , Philaute
fe préfente. Je réponds à vos defits ,
lui dit - il , vous m'aimez , je vous aime ;
que les liens les plus charmans & les plus
inviolables forment notre union ! Vivons
heureux , & que notre amour defcende
avec nous dans le tombeau . La Nymphe
applaudit , ils fe promettent une fidélité
éternelle.
Antithée Tifiphone nourrit Philaute
prend foin de fon éducation , il épouſe fa
mere & lui donne fix filles. L'aînée qui eft
la fuperbe , fait alliance avec les Rois ,
s'établit dans l'Orient , & delà étend fon
Empire fur les autres Pays . Le fafte , l'opiniâtreté
, la défobéiffance lui doivent
leur origine .
Le quatrieme livre commence par ce portrait
de l'avarice :
Antrum obfcurum , ingens , habitat Dea : livida
vultum ,
Squallenteſque impexa comas ; deformia turpi
OCTOBRE. 1757. 99
Membra tegit vultu : pallet miferabile corpus
Exefum curis mordacibus , afpera rugis .
Frons horret , ventremque fames , fitis aridafauces
Obfidet , ac tetricas peragunt infomnia noctes.
Nomen avaritia eft : foboles indigna parentis
Sarcotheæ , quæ fuffoffis immerfa cavernis
Abdita rimatur terræ fodicatque trementem
Unguibus ac lemures inter talpafque fenefcit
Faxiat ut loculos , vacuâque recondat in arca ;
Infelix , ruinas conflata in pondera glebas .
Traduction. On voit un antre obfcur &
profond habité par l'avarice , Déeffe pâle
& livide. Son extérieur eft négligé , fon
habillement eft celui de la plus vile indigence.
La faim & la foif qui la tourmentent
, caufent fon extrême maigreur. Les
noirs foucis cachés entre fes rides , la troublent
jufques dans les bras du fommeil.
Cette déteftable fille de l'amour propre &
indigne d'avoir Sarcothée pour mere , vieillit
dans les cavernes au milieu des ténebres
, occupée à chercher l'or renfermé
dans les entrailles de la terre , la paffion
des richeffes fait fon tourment.
La fraude , l'ufure , la rapine l'environnent
, elle déguiſe fon air & fon nom
pour pénétrer dans la Cour des Rois &
vexer leurs fujets ; les foins, la crainte , l'in-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
quiétude l'agitent ; ennemie de la pauvreté ,
fon abondance qui ne peut lui fuffire , eft
pour elle le principe de fon indigence. Areté
( la vertu ), après avoir inutilement tenté
de la corriger , fe tranfporte dans les jardins
de la volupté . Elle y trouve une multitude
de jeunes gens partagés entre la table
, la danſe , l'oifiveté & la lecture des
mauvais livres ; plufieurs inftruits par fes
difcours des dangers qu'ils courent , abandonnent
la volupté pour fuivre la vertu.
Dans le cinquieme & dernier livre ,
Areté qui protege Sarcothée , defcend dans
le Palais de la nuit pour y combattre l'envie
que Cupidon ou la volupté avoit animée
contre elle . Areté la pourfuit dans le
confeil des Princes comme dans les affemblées
du peuple , & placée fur une éminence
, attaque cette ennemie de la vertu.
Cette conduite d'Areté irrite la colere ,
compagne de l'envie : pour ſe venger elle
raffemblejles hommes les plus féroces , &
envahit les poffeffions de Sarcothée. L'injure
, la violence qui la fervent dans fa vengeance
, mettent le défordre dans les famil
les , divifent les Citoyens , excitent les
guerres civiles , &c. la colere fait marcher
fes troupes contre Areté , environne la
montagne fur laquelle elle s'est établie , lui
livre en pleine campagne une bataille fanOCTOBRE
. 1757. 101
glante ; mais Areté a l'avantage , fon armure
la rend invulnérable .
Talem ira aggreditur , propiufque accendere martem
Aufa , premit juncto divæ veftigia greffu ,
Audacemque manum capulo admovet , & rapít
enfem ,
Ore fuperfrendens ; dabis eu dabis , improba ,
pænam ;
Clamat & elatam librat furiofa machæram
Verticis in medium , atque audaci deſtinat ictu ,
Et cerebrum, & vitam ruituræ evertere Nymphæ.
Dura machæra quidem : tamen intractabile ferrum
Durior obnixo retudit galea icta metallo ,
Tinnitum reddens vacuum, chalybemque reveHens
A capulo , retroque adigens ferientis in ora.
Perdid t afflictum miferando vulnere lumen.
Inde ruit caffis oculorum orbata feneftris
Ira furens , triftemque refert poft prælia cladem.
Haud aliter taurus , mediis quem farmata paſtor
Eduxit campis , cum fe lupus obvius atra ,
Effundit ftimulante fame , fitienfque cruoris
Involat : obfiftit generofus , & impiger hofti.
Quâ fecumque ferat , caput objicit , ardua
Jactans cornua , luctantemque feram fpe ludit inani ,
Illa ruit , cornuque oculos elifa patentes
Caca ftupet, lumenque fuum, fpoliumque requirit ;
Aut etiam patulos diducens bellua rictus ,
Armati capitis præacutam cufpide frontem
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Faucibus immergit mediis , prædæque tenetur
Præda fuæ : fic ira ferox dum ringitur hoftem
Infractum contra , fubita fe cufpide fenfit
Perftringi , trepidoque hæfit perculſa timore ,
Excipiens collo laqueum , vinclifque furentes
Stricta manus, Areten fequitur captiva trahentem.
Sæpius illa tamen , quantumvis cæca , catenas
Rumpit , & effufas odiorum laxat habenas ,
Sarcotheamque agitat , verfifque incendia regnis
Excitat , & dubium quatit imo à cardine mundum.
Traduction. La colere irritée de fe voir
inférieure , aborde Areté le cimeterre en
main & l'appelle en duel . Imprudente , lui
dit- elle , fubis la peine dûe à ta réſiſtance.
A ces mots , elle leve le bras , frappe fur
le cafque d'Areté. L'airain retentit , la for
ce du coup détache le cimeterre de fa gar
de , & la lame qui revient contre le front
de la colere , lui creve les yeux . Tel qu'an
taureau qu'un berger Sarmate conduit dans
les pâturages , fe défend contre un loup
affamé , lui oppofe fes cornes , élude les
rufes & les détours qu'il emploie pour le
furprendre , lui perce le front ; l'animal
tombe à fes pieds privé de la lumiere , &.
regrette fa proie qui lui échappe ; quelque
fois même au moment où le loup ouvre une
large gueule pour déchirer fon ennemi , le
taureau pénètre d'un coup de corne juf
qu'au fond de fon gofier , & le tenant fufOCTOBRE
. 1757. 103
pendu, le fecoue & l'écrafe contre la terre :
le loup devient la victime du taureau qu'il
fe propofoit de dévorer dans fa faim : telle
la colere aux prifes avec fa rivale , fe fent
bleffée de fes propres armes. Areté la
charge de chaînes , & l'attache à fon char
pour honorer fon triomphe. La colere
quoiqu'aveugle depuis ce moment , rompt
quelquefois fes chaînes , fe livre à tous les
fentimens de haine & de vengeance que
fui infpire fon état , trouble Sarcothée ,
renverfe les Royaumes & ébranle l'univers.
On voit par cette analyſe , que le poëme
de Mafenius eft proprement un poëme allégorique
, & ne peut être comparé à celui
de Milton . La Sarcothée & le Paradis
perdu peuvent fe reffembler par les détails.
Le Poëte Anglois en a pu copier ou imiter
quelques-uns ; mais qu'ils différent par
l'enſemble & par l'ordonnance ! L'un eft
parvenu au plus haut point de l'épopée ,
& l'autre ne forme qu'une galerie de tableaux
ou qu'un recueil de defcriptions poétiques
, belles à la vérité , mais qui fentent
fouvent la déclamation collégiale ,
& qui font moins un tout bien lié , qu'un
affemblage de morceaux plus brillans qu'affortis
. Mafenius faifit vivement les objets ,
il les peint bien , mais il ne les peint qu'en
détail. C'eft un excellent colorifte . Milton
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
peint toujours dans le grand , il embraffe
tout , l'univers entier eft foumis à fon
pinceau , c'eſt un Peintre fublime .
Si nous avions plus de temps ou d'ef
pace pour nous étendre là- deffus , nous
ajouterions que le Poëte Anglois a traité
ce fujet dans toute fa fublimité , en fuivant
la noble fimplicité de la Genefe , &
que le Jéfuite Allemand , l'a pour ainfi dire ,
avili & même dénaturé en y mêlant l'allégorie
. Nous penfons qu'en transformant
deux perfonnages réels Adam & Eve , en
un feul être métaphyfique fous le nom pédantefque
de Sarcotis , il en a ôté tout l'intérêt.
Eh ! le moyen d'en prendre pour
cet étrange hermaphrodite, compofé monftrueux
qui veut tout réunir & qui ne repréfente
rien , c'eft la chimere de la fable ;
fiction de College qui ne peut prendre
dans le monde. Mafenius auffi ne l'avoit
imaginée que pour donner aux jeunes gens
le goût de la pocfie latine ; il a eu même
la modeftie de l'avouer dans fa préface.
Mais pour nous renfermer dans la feule
traduction , nous croyons qu'elle rend l'efprit
de l'original fans être fervilement attachée
à la lettre , & qu'elle doit fe faire
lire avec plaifir 'par fa préciſion ; mérite
rare dans une traduction en profe françoife
d'un ouvrage en vers latins ; mais un nouOCTOBRE
. 1757. 105
veau mérite dont on ne peut trop louer M.
l'Abbé Dinouart , c'eft de nous avoir enrichi
d'une auffi belle édition de ce poëme.
Elle eft auffi correcte qu'elle eft élégante ,
& fait honneur en général à la Tipogra
phie de Paris ; mais particuliérement à la
preffe du fieur Barbou , d'où elle eft fortie.
Nouvelles
obfervations fur le pouls par
rapport aux crifes : par M. Michel , Docteur
en Médecine de la Faculté de Montpellier
. A Paris, chez Debure l'aînée, à l'entrée
du quai des Auguftins, à S. Paul . Elles
font eftimées des Maîtres de l'art.
L'HISTOIRE , confidérée vis- à - vis de la
Religion , de l'état & des beaux arts , difcours
prononcé le 20 Mai 1757 , par M.
de Méhégan , imprimé à Vienne , & fe
vend à Paris , chez Paul- Denis Brocas ,
Libraire , rue S. Jacques , au Chef S. Jean.
Brochure de 38 pages..
M. de Méhégan , frappé de l'utilité de
l'Hiftoire , par rapport à ces trois objets
effentiels , en raffemble les avantages dans
un tableau bien fait ; la vérité y eft peinte
de couleurs vives : ces avantages innombrables
font préfentés avec ordre dans l'exorde
, & éclairés dans l'ouvrage par une
lumiere forte qui entraîne la conviction .
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
30
53
"
"
Jetter quelque jour fur le berceau de
»l'Univers , porter la lumiere dans la nuit
» de fon enfance , déployer la fucceffion
» des fiecles plus lumineux , marcher à
travers les débris des trônes & des em-
» pires , tirer du tombeau les hommes in-
» duftrieux qui ont cultivé la terre , les fa-
" ges qui l'ont éclairée , les génies qui
» l'ont illuftrée , les Héros qui l'ont défendue
, les grands Hommes qui l'ont
pacifiée , les tyrans , les barbares , les
conquérans qui l'ont ravagée ; citer cette
» foule d'humains dépouillés des preftiges
» de la pompe & de l'artifice , & les ju-
" ger au tribunal de l'inexorable vérité ;
» voilà le fpectacle magnifique qué vous
offre l'Hiftoire . Au milieu de cette foule
innombrable d'événemens , chercher
des raifons de chérir encore plus le cul-
» te que vous profeffez , démêler les traits
qui peuvent contribuer au bonheur des
» fociétés où vous vivez , fuivre le fil de
l'efprit humain , & trouver des moyens
» d'augmenter les connoiffances que vous
confidérer ce que poffédez en un mot ,
» peut l'Hiftoire pour la Religion , l'état
& les beaux arts . Voilà , Meffieurs , le
fpectacle utile que vous préfente cette
و و
30
93
30
و ر
>> fcience . ", "
Delà M. de Méhégan entre dans une
OCTOBRE . 1757.
107
carriere très-étendue , & marchant conftamment
avec ordre , quoiqu'avec rapidité
, parvient à perfuader l'utilité de l'Hif
toire ; & n'oubliant rien pour en infpirer
le goût , fon objet eft de la faire étudier ,
refpecter & chérir . Il réunit ce qu'il faut
pour y réuffir ; il joint au mérite des preuves
l'avantage du coloris. Quelques lecteurs
féveres lui reprocheront peut - être
le ton un peu trop déclamatoire ; mais il
nous paroît là à fa place . Ce difcours ,
quoique fur l'Hiftoire , n'en eft pas moins
un difcours d'apparat , un difcours oratoire
: il demande un ton plus élevé qu'elle ,
& ne doit pas avoir la même fimplicité .
SUITE de la Bibliotheque amufante &
inftructive , contenant des anecdotes intéreffantes
& des hiftoires curieufes , tirées
des meilleurs Auteurs , tome troifieme
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jacques ,
au deffous de la Fontaine S. Benoît , au
Temple du Goût.
Nous ne dirons qu'un mot fur ce livre ,
s'il en eft un . Ces fortes de recueils , faits
la plupart fans choix , & jettés dans le
même moule , fe copient les uns les autres
: tout s'y reffemble , jufqu'au titre : la
Bibliotheque des gens de Cour , la Bibliotheque
amufante celle- ci ne peut l'être
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
véritablement que pour ceux qui n'ont rien
lu , à qui tout paroît nouveau en conféquence
, dont le goût d'ailleurs peu difficile
, ne chicane fur rien , fait pâture de
tout ; pour ceux enfin que le médiocre , &
même le mauvais , amufent fouvent plus
que le bon , qu'ils n'ont pas l'honneur de
connoître. Cette Bibliotheque eft faite
pour eux ; nous leur confeillons de l'acheter
; s'ils déferent tous à notre avis , let
Libraire n'y perdra point , l'ouvrage aura:
nombre d'acheteurs..
INSTITUTES au Droit criminel , ou principes
généraux fur ces matieres , fuivant
le droit civil , canonique , & la Jurifprudence
du Royaume ; avec un traité particulier
des crimes : par M. Pierre - François
Muyart de Vouglans , Avocat au Parle
ment. A Paris , chez le Breton , Imprimeur
ordinaire du Roi , rue de la Harpe.
L'importance des matieres criminelles
eft fentié par tout le monde : la néceffité
des loix pofitives , à l'égard de ces matieres
, eft également reconnue. L'attention
de nos Rois & celle des Tribunaux , dépofitaires
de leur autorité , ont donné lieu
à cette multiplicité d'ordonnances & de
réglemens qui ont été faits à ce fujet. Mais
quelques fages & quelques multipliées que
OCTOBRE. 1757. 109
foient ces loix , comme leur application
dépend des circonftances , & que ces circonftances
, par leur complication , font
fouvent naître des inconvéniens inévita
bles , pour y remédier , il a fallu néceſſairement
changer , modifier ou augmenter
la difpofition de ces mêmes loix. Delà les
édits , déclarations qui ont été données
fucceffivement , en interprétation , ampliation
ou dérogation de ces premieres ordonnances.
La même caufe qui a fait varier les
loix fur ces matieres a auffi produit la diverfité
des ouvrages qui ont été faits fur
ce fujet ; elle fait en même-temps fentir l'a
vantage particulier qu'ont les modernes
fur les anciens , & furtout celui qui peut
donner une longue expérience fur la fimple
théorie à cet égard.
C'est ce double avantage que nous
croyons que M. de Vouglans fe fatte avec
raifon de pofféder, qui l'a déterminé à écrire
fur ces matieres , & à donner fon livre
au Public . L'étude affidue qu'il a faite depuis
plufieurs années de cette partie de
notre Jurifprudence , jointe aux fecours
particuliers qu'il a puifé dans les notes
de fes parens , qui ont rempli fucceffivement
, pendant l'efpace d'environ foixante
années , l'office de Lieutenant Criminel
?
fro MERCURE DE FRANCE.
fous les yeux d'un Parlement , l'ont mis
en état de donner , finon un ouvrage com.
plet fur ces matieres , qui n'en font guere
fufceptibles , du moins des facilités particulieres
à ceux qui veulent s'y exercer effentiellement
, furtout aux commençans ,
qu'il a eu particuliérement en vue .
Avant que M. de Vouglans conçût le
deffein de faire cet ouvrage , il en parut
fucceffivement deux fur le même fujet ,
l'un fous le titre de Traité de matieres criminelles,
par feu M. Rouffeau- de la Combe,
l'autre fans nom d'Aureur , fous le titre
de la maniere de poursuivre les crimes dans
les differens Tribunaux du Royaume , avee
les loix criminelles , & c.
L'Auteur parle de ces deux ouvrages
avec toute la justice qui leur eft dûe ; mais
il démontre qu'ils n'ont abfoiument rien
de commun avec le fien , & qu'ils ne peuvent
en diminuer l'utilité. Il a pris un
jufte milieu entre deux hommes habiles ,
qui avoient bien vu , mais qui n'avoient
pas tout dit , & il acheve de répandre
cette lumiere fi néceffaire à des Juges
qui prononcent fur la vie facrée des hom
mes. Les maximes les plus univerfellement
reçues , font celles qu'il a employées ;
il a confulté pour cet effet les fources les
plus pures du Droit , tant ancien que nou
OCTOBRE . 1757.
III
veau ; il a remonté d'abord au Droit Romain
, dont la connoiffance lui a paru néceffaire
, tant pour prévenir les erreurs &
les méprifes où l'étude de ce Droit pourroit
jetter ceux qui ne font point encore
affez verfés dans la pratique , que parce
que ce même Droit a fervi de fondement ,
comme l'on fçait , à la plupart des ordonnances
du Royaume , & qu'il fupplée même
encore tous les jours au défaut de celles-
ci , fur tout dans les Provinces où ce
Droit eft
principalement en vigueur.
L'Auteur a crú auffi ne devoir point négliger
les difpofitions du Droit Canonique
dans une matiere comme celle - ci ,
qui ne tient pas moins à la religion , qu'à
l'ordre public , furtout lorfqu'il s'agit de
déterminer la punition & la nature des
crimes . L'on fçait d'ailleurs que c'eft à ce
Droit que l'on eft principalement redevable
de l'inftruction , tant criminelle que
canonique. Enfin c'eft ici un livre que
nous croyons utile à tous les criminalif
tes : il a coûté des peines , des réflexions ,
des recherches , & nous croyons que M.
de Vouglans peut juftement prétendre à
l'eftime & à la reconnoiffance générale
puifque la vie de tous les hommes eft expofée
fouvent , par des malheurs , comme
par des crimes , à la févérité des loix. C'eft
112 MERCURE DE FRANCE.
fervir effentiellement l'humanité , que d'éclaircir
ces loix , dont la plus légere incertitude
est toujours un très - grand malheur
pour elle.
FAITS des Caufes célébres & intéreffantes
, augmentés de quelques cauſes .
Imprimés à Amfterdam , & le trouvent
à Paris , chez de Bure l'aîné , à Saint- Paul,
quai des Auguftins ; le Clerc , à la Toifon
d'or , même quai ; & Jombert , rue
Dauphine. Brochure de 408 pages, dont le
prix eft de 3 liv.
Ce font ici des Caufes tirées des vingt
volumes de Gayot- de Pittaval ; mais dépouillées
de toutes differtations : loix citées
, plaidoyers , apologies , lettres de
difcuffion , & enfin de toutes les chofes
qui alongent la narration , & qui fouvent
la rendent faftidieufe. Ce livre eft pour
ceux qui n'étant point deftinés à fuivre le
barreau , ne font curieux que du fimple
récit des aventures célebres & intéreffantes
qui ont occafionné les procès qui y font
contenus ,. & les jugemens des cours fupérieures
, par lefquels ils ont été terminés.
On trouve ici toutes les caufes qui renferment
la collection de Pittaval : on n'a
fupprimé que celles qui étoient connues
OCTOBRE . 1757. 113
précisément de tout le monde , par une
raifon quil eft inutile de dire . Nous
penfons que bien des perfonnes qu'elles ont
ennuyées dans le livre original , pourront
les relire avec quelque plaifir dans celui- ci .
La forme que le premier Auteur leur avoit
donnée , la prolixité infoutenable , le fatras
de réflexions , de raifonnemens , d'épifodes
dont il n'avoit pas fçu purger fon
ouvrage immenfe, ne pouvoient qu'y avoir
répandu un ennui mortel. L'abréviateur a
cru devoir conferver quelques narrations
qu'on lifoit dans Pittaval. Nous allons inférer
ici celles que nous avons préférées à
la lecture.
"Un jeune homme étoit amoureux d'u-
» ne fameufe courtifane ; mais elle met-
» toit ſes faveurs à un fi haut prix , qu'il
» ne pouvoit y atteindre. Cependant com-
» me il avoit l'efprit rempli de fon amour ,
>> un fonge lui tint lieu de la réalité. La
» Courtifane en fut inftruite : elle de-
» manda à l'Aréopage d'être payée , parce
que ce fonge étoit l'effet de fes charmes.
» Il fut ordonné que le jeune homme lui
» feroit entendre le fon de l'argent qu'elle
exigeoit .
» Un Couvreur tomba du haut d'un
» toit fur un homme , & le tua . Le fils
de cet homme pourfuivit criminelle114
MERCURE DE FRANCE.
" ment le Couvreur . Pierre le cruel , vou-
» lut juger cette affaire , & décida que le
pourfuivant fe laifferoit tomber du haut
» du toit fur le Couvreur qui l'attendroit
" en bas ; ce que l'autre ne voulut jamais
" effayer.
» Une femme vint fe plaindre à l'Empereur
Soliman , que fes foldats l'avoient
» volée pendant qu'elle dormoit. Il lui
" dit : Tu dormois donc bien fort , puif-
» que tu n'en as rien entendu ? Oui , répondit-
elle , parce que je croyois que
» ta Hauteffe veilloit pour moi . Le Sultan
" admita la jufteffe & la fermeté de cette
» femme dans fa réponſe. Il lui fit rendre
" le vol en entier , & y ajouta vingt fultanins
d'or ".
25
QUESTION de Médecine Quodlibéraire ,
qui doit être difcutée aux écoles de médecine
de la faculté de Paris , le vingt du
mois d'Octobre prochain , fous la préfidence
de M. Jean - François Clément Morand
, Ecuyer , Docteur , & ancien Profeffeur
de la faculté , Confeiller , Médecin
ordinaire du Roi de Pologne , Duc
de Lorraine , Agrégé honoraire au College
royal des Médecins de Nancy , ci- devant
Médecin des Camps de baffe- Notmandie
, à l'Hôpital Militaire de ValoOCTOBRE.
1757.
115
gnes , Membre de la Société royale de
Lyon , de l'Académie royale de Médecine
de Madrid , de la Société Botanique de
Florence , & de l'Académie royale des
Sciences de Suede.
L'HEROISME fe tranfmet- il des peres
aux enfans ? L'Auteur décide la question
par un fait. Il cite la maifon de Bourbon
& s'écrie «:France , cette question ne fçau-
» roit paroître frivole à une Nation civili-
» fée ; mais elle t'intéreffe plus qu'aucune
» autre. Ton fceptre héréditaire eft porté
depuis neuf fiecles fans
interruption ,
» par la maiſon la plus noble qui fût jamais
, & la plus féconde en héros : c'eft
"à cette maifon que tu dois l'affermiffement
, la grandeur de ton empire , &
» la gloire d'avoir donné des Souverains à
» tant de
Royaumes .
33
»
On ne prétend point prouver ici que
l'Héroïfme fe tranfmette
néceffairement
des peres aux enfans , & que l'Aigle fier
ne puiffe jamais enfanter un aigle timide &
lache. On veut fimplement démontrer la
poffibilité de cette tranfmiffion , par le
cours & les opérations graduelles de la nature.
L'Auteur eft obligé de raifonner en
Anatomiſte. Ses difcuffions font exactes ,
on y voit un tableau frappant , & la démonftration
s'y fait , pour ainsi dire , fen116
MERCURE DE FRANCE.
و د
tir au premier coup d'oeil . Comme un
" vafe conferve la premier odeur dont il a
» été imbu , dit - il , les qualités perfon-
» nelles d'un pere de famille ne fçauroient
» manquer d'affecter à un certain point
» l'embrion formé de fa propre fubftan-
» ce. Un pere vigoureux n'aura pas de pei-
» ne à engendrer un fils également bien
» conftitué un homme foible & mol ,
و د
و و
n'engendrera pas un fujet moins débile.
» La femence virile eft un extrait de toutes
و د
ود
ور
» les parties du corps de l'homme : c'eſt
» l'homme , en raccourci , & , pour ainfi
dire , en miniature. Les traits , la phyfio-
» nomie , la complexion des parens , fe
» trouvent deffinés , en petit , dans le ger-
» me conçu dans leur fein : ce germe, objer
» éternel de fpéculations & de controverfe
"pour le Phyficien oifif , eft incontefta-
» blement aux yeux du Médecin Phyfiologifte,
une émanation de toute la fubftance
» des parens ; c'eft la fécrétion la plus par-
» faite de leur propre fang, l'os de leur os, la
» chair de leur chair. ( 1 ) Toute la maffe de
» l'embrion a été jettée dans leurs moules ,
» & tous les fucs qu'il s'eft appropriés,
» ont été digérés , preparés , élaborés par
leurs organes. Un fouffle de vie étant
" une fois répandu fur cette petite créa
» ture , le coeur , ce précieux mobile des
(1) Genef. ch. 21 , V.2.3.
ود
1
OCTOBRE. 1757. 117
ود
"
و ر
» facultés animales , cette fource de fang
» commence à battre & à faire circuler le
liquide qu'il a reçu ; tout le fyftême.
» vafculeux participe bientôt aux mêmes
ofcillations ; de nouveaux organes ſe
développent graduellement & fucceffi-
» vement ; enfin le cerveau , dont le fanctuaire
impénétrable récele dans fes pro-
» fondeurs une précieuſe étincelle du
» feu céleste , élance fubitement par tout
"le corps , au moyen de canaux induf-
» trieufement diftribués , une roſée vivi-
» fiante , ces efprits animaux , ce fluide
» invifible qui , dès que l'enfant fera né ,
» doivent préfider à tous les mouvemens
» volontaites , entretenir la force , pro-
» duire les fenfations , recevoir les im-
» preffions des objets extérieurs , exécuter
» les ordres de l'ame.
33
33
و ر
» Ainfi le méchanifme admirable de
» cette machine vivante , fe forme peu 2
» peu fur le modele de celui de qui elle
»tient l'être : à mesure qu'elle pompe de
>> nouveaux fucs , elle les affimile aux an-
"ciens : elle ne ceffe de tout confirmer à
» fon prototype , & à proportion que l'en-
"fant fe fortifie , & commence à marcher
"ou à parler , il eft aifé de reconnoître à
» fon air , à fon port , à fes geftes , à fon
ton , à fon humeur & à fes inclinations ,
de qui il a reçu le jour , &c.
»
}
118 MERCURE DE FRANCE.
و د
» Tout cela eft tellement dans l'ordre de
la nature , elle affecte fi conftamment cette
» fimilitude , qu'elle l'étend jufqu'au taches
, aux difformités , aux maladies mê-
» me , & qu'elle aime mieux faire naître
» des enfans miférables que diffemblables
» à leurs parens , & c.
39
ود
» Véritablement , continue- t'il , l'a-
» me humaine eft une fubftance fpirituelle,
qui n'eft ni formée de femence , ou ti-
» rée du placenta , ni émanée d'une ſubf-
"tance génératrice , ou tranfmife du
33
33
33
pere
au fils , mais créée immediatement de
» Dieu , pour être attachée au corps maté-
" riel qu'elle doit régir. Cependant il
» n'eft pas poffible de fe diffimuler , com-
» bien dans fes opérations même purement
intellectuelles , cette ame eft depen-
» dante des organes corporels , & à quel
point toutes les fonctions languiffent ou
» fe dépravent dans un corps débile ou détraqué
. Quoique la nature de ces deux
» fubftances foit totalement différente ,
» & qu'il y ait entr'elles une forte de con-
» Alit perpétuel : il y a néanmoins un tel
99
و ر
"
و د
33
rapport de l'une à l'autre , une con-
» nexion fi intime , que la bonne ou la
» mauvaiſe difpofition de l'un influe
puiffamment & directement fur l'au-
» tre . Cette queftion eft dédiée au Roi
de Pologne Stanislas.
"3
OCTOBRE. 1757.
119
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQUE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , vous avez eu la bonté d'inférer
dans vos Mercures trois de mes pieces
fugitives , qui roulent également fur un
même principe.
Quoiqu'il foit aifé d'entrevoir par ces
effais , qu'une feule raifon fuffit pour expliquer
tous les refforts de la nature , fi
vous me continuez la même bienveillance,
elle me donnera lieu d'affermir de plus en
plus le triomphe général de l'éther , & le
mouvement perpétuel qu'il entretient conftamment
dans tout ce vafte univers
Les viciffitudes qu'il y occafionne , font
des preuves convaincantes du pouvoir
qu'il y exerce avec une égale facilité dans
tous les fens imaginables. Sa feule diftribut.
120 MERCURE DE FRANCE.
tion inégale qu'on ne peut me conteſter ,
préfente , au premier examen ces fupériorités
& infériorités réciproques &
fucceffives , feules dignes de notre admiration
.
Quelque inconteftable que doive paroître
ce principe univerfel de tous les changemens
, quelque naturelle que foit l'application
que j'en fais à tout ce que j'explique
, j'ai cru devoir choisir les effets les
plus oppofés , tels que font le jour & la
nuit , le calme & la tempête , la vie & la
mort , la progreffion
& le prétendu repos ,
pour mieux établir l'empire de l'é.her fur
les corps : c'eſt à lui feul qu'ils doivent
leur effence , & les différens rapports qu'ils
peuvent expofer à notre curiofité.
Je fuppofe , pour entrer en matiere , un
corps quel qu'il foit , qui tantôt nous paroît
fe maintenir dans une place , & qui
tantôt l'abandonne pour en acquérir une
autre cette fuppofition admife , comme
elle doit néceffairement l'être , je foutiens,
& l'on ne sçauroit me le nier , qu'il faut
autant de puiffance , de vertu , de force
ou de mouvement à ce corps , pendant qu'il
fe maintient dans un même état , pendant
qu'il conferve le même lieu , eu égard à
nos fens , que lorsqu'il paroît paffer à un
état nouveau , ou revendiquer les lieux
voifins
OCTOBRE. 1757 . 121
voifins de celui où il étoit précédemment.
Cette affirmative paroît un paradoxe
au premier coup d'oeil ; mais , tout bien
réfléchi , elle fe convertira en une démonf
tration folide , pourvu que , fans prévention
& fans préjugé , l'on confidere attentivement
ce corps dans tous les rapports
permanens ou fucceflifs qu'on lui fuppofe
dans des temps différens .
L'on conclura fans doute de cette affirmative
que l'homme endormi ou enchaîné
a autant de mouvement , que celui qui
veille ou qui , ayant un plein pouvoir de
marcher , met en ufage fa liberté ; qu'un
cheval , en apparence tranquille dans une
écurie , eft autant mu que loifqu'il court
la pofte ; que l'air a autant de mouvement
pendant la nuit que pendant le jour , qu'il
eft autant mu dans le calme que dans la
tempête.
Si tout cela fe trouve vrai , comme il
l'eft effectivement , l'on ne pourra plus
qualifier ma propofition de paradoxe , il
s'agit d'en démontrer la vérité.
L'homme , quoiqu'il dorme ou qu'il
foit dans les chaînes , n'a pas moins d'éther
animal pour entretenir toutes fes fonctions
animales , vitales & naturelles , que lorfqu'il
a la liberté de marcher & qu'il la
met en exercice . Tout le monde convien-
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
dra aifément que fa progreffion même ,
étant trop continuée , ne fe foutient qu'aux
dépens de toutes les autres fonctions.
Le cheval , qui paroît tranquille dans
l'écurie , a fon éther plus également , plus
régulièrement diftribué à toutes les parties
de fon corps ; au lieu que , lorfqu'il court -
la pofte , ce même éther eft fpécialement
employé à l'exercice des membres qui doivent
remplir fa courfe. Se trouvant enfin
forcé de s'arrêter par une trop grande &
trop longue fatigue , il eft vifible que les
courans progreffifs de fon éther ont été
pouffés à bout , & qu'ils font parvenus , en
fociété , au terme que les réfiftances oppofées
, caufes de leur difperfion , leur ont
permis d'atteindre ; que femblables aux
vents qui ceffent , font appaifés , & tombent
après un temps limité , ils prennent
également une fin , après avoir effuyé une
diffipation , une difperfion , qui ne pourra
être réparée qu'après que l'éther aura eu le
temps de s'accumuler de nouveau , pour
fournir à une nouvelle carriere . Les courans
même , qui font néceffaires pour
l'entretien de la vie du cheval , fe font
réunis en partie aux courans deftinés pour
fa courfe ; delà vient qu'on peut dire avec
raifon que toutes les forces du cheval ont
été épuifées, & réellement après une courfe
OCTOBRE . 1757. 123
l'éther
qui , pour l'ordinaire , n'eft pas trop longue
, ce cheval tombe roide & fouvent
mort ; parce que , comme je viens de le
démontrer , le principe de fa vie & de toutes
les fonctions , qui s'étoit diftribué en
plufieurs lignes vivifiantes , a été dévoyé ;
parce qu'au lieu de couler par les voies
particulieres qui répondent à chaque opération
, il s'eft échappé avec profufion par
les nouvelles routes qu'il s'eft frayées pour
fournir à ces exercices violens & exceffifs.
Ce n'est donc point affez que
pénetre un corps de toute part , pour l'organifer
& pour procurer la vie qu'exige
cette organiſation formée ; il faut un temps
pour que les courans vitaux fe diftribuent
& s'arrangent ; il faut un temps pour qu'ils
fe rétabliffent , lorfqu'ils ont été comme
anéantis ; il faut que le principe éthéré s'y
amaffe, s'y faffe des routes , s'y pratique des
pyramides victorieufes , capables de faire
luire les opérations , dont la vie animale
corporelle eft dépendante . Des ruiffeaux traverfans
ou aboutiffans , ne confervent plus
leurs qualités particulieres , dès qu'ils font
entraînés par une riviere principale avec
laquelle ils fe trouvent confondus.
L'on me dira fans doute que , fuivant
mon principe , le cheval mort doit avoir
autant de mouvement que lorfqu'il eſt
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vivant , qu'il ne lui a manqué pour conferver
fa vie , qu'un certain nombre de
déterminations fingulieres appropriées aux
différens refforts de fa machine : c'eft effectivement
ce qui n'eft que très -vrai , &
dont cependant l'on voudra difficilement
convenir ; il faut donc que je le prouve ,
afin que ma démonftration ait fon plein
effor , & qu'elle puiffe réfoudre toutes les
difficultés auxquelles ma premiere propofition
a pu donner lieu .
En attribuant au cheval mort autant de
mouvement qu'il en avoit pendant fa vie ,
je n'attaque qu'une opinion populaire , &
je ne dois craindre aucune contradiction
bien fondée. Accordons que le cheval mort
eft plus pefant que lorfqu'il vit , qué toutes
les parties de fon corps affectent un
même centre plus opiniâtrément qu'aufaravant
que peut - on conclure delà qui
puiffe énerver ma démonftration ?
Que le cheval foit plus pefant , qu'il
foit plus léger , cela ne donne ni plus , ni
moins de mouvement ; que les parties.
d'un corps foient affujetties à un centre fpé
cial , & conféquemment au centre qui lui
eft commun avec les autres corps qui lui
reffemblent , je n'y découvre pas moins
de mouvement que lorfque j'y obferve des
déterminations uniquement destinées à
"
OCTOBRE. 1757. 12.5
quelques opérations organiques fingulieres
: celles- ci font d'une néceffité indifpenfable
pour l'entretien de la vie animale
, laquelle ne fçauroit fubfifter fans la
circulation du fang , fans la diftribution
des humeurs qui en dérivent .
Ces directions , de réparties qu'elles
étoient pendant la vie , deviennent plus
fimples & plus uniques après la mort :
elles étoient en partie centrales , en partie
excentrales , & il falloit qu'elles fuffent
telles pour foutenir les rapports alternatifs
de la refpiration , de la circulation , des
fécrétions , de toutes les fonctions , en un
un mot de cette organiſation docile , qui
fait l'effence de la vie corporelle : elles
font devenues plus fpécialement centrales ;
les divers courans qu'on y obfervoit font
arrêtés , le cours du fang & des humeurs eſt
intercepté ces liquides ni ne s'épanouiffent
, ni ne dilatent leurs conduits comme
auparavant ils ne font plus portés du
centre à la circonférence , ni d'un horizon'
à l'autre avec la même régularité ; ils paroiffent
au contraire affujettis au centre
dont ils s'éloignoient , depuis qu'ils appartiennent
à un corps qui eft de niveau avec
les corps inanimés : leur fort va devenir
le même , il s'en fera une diffolution tacite
, l'incinération fera leur partage , &
Fiij
126 MER CURE DE FRANCE.
de corps qu'ils étoient , l'éther les fera
paffer par tous les degrés d'une putréfaction
incompatible avec le repos ; il en
triomphera pleinement , il les affociera à
l'air , qui eft de toutes les portions de la
matiere la plus docile à l'éthérifation .
fe
L'on fera fans doute furpris de voir que
je ne parle que de la métamorphofe qui
fait des corps en air & de l'air en corps ,
comme fi la matiere ne nous préfentoit
rien autre chofe à examiner , ou peut être
on me blâmera de ce que je diftingue l'an
de l'autre , comme fi toutes les parties de
la matiere n'étoient point des corps , comme
fi l'éther lui- même n'étoit point un
amas de corpufcules ou de petits corps.
Nos connoiffances quelque eftime
qu'elles méritent , ne font , à proprement
parler , que corpufculaires , lorfqu'elles dépendent
des fens. Si la faine phyfique permet
de diftinguer l'éther de l'air , l'air de
l'eau , l'eau de la terre , elle ne permettra
pas moins de confidérer féparément l'air
externe & l'air interne des corps , afin de
micux comprendre l'alternative de folidité
& de liquidité qui regne conftamment
dans toute l'étendue de la matiere..
Il faut que l'air externe des corps foit
mis en jeu , à caufe de fa plus grande docilité
à l'éther , avant qu'il puiffe tranfOCTOBRE
. 1757.
127
mettre à leur air interne les degrés de raréfaction
qu'il en a reçus : tout parle en
faveur de cette vérité , la clarté de la chandelle
fait toucher au doigt un air externe
raréfié , qui tranfmet fa raréfaction au fuif
juſqu'à le liquéfier , pour le rendre l'aliment
du feu , de la chaleur , de la lumiere.
L'air donc , lorfqu'il n'eft point trop
affujetti à un centre fpécial , & , avec centre
particulier , au centre commun des
graves ; lorfqu'il eft fuffifamment
dégagé
des chaînes corporelles , lorfqu'il eft deftiné
, foit en premier , foit en fecond , au
développement , à la production des qualités
matérielles , eft , fans contredit , raré.
fié du centre à la circonférence , & même
d'autant plus raréfiable que l'éther lui continue
fa furabondance , & le rend habile à
contracter différentes relations avec nos
organes.
C'eft ainfi que l'air externe , qui a in-
Aué dans les corps , fe charge dans fon
paffage avant d'effluer & en effluant , de
leurs qualités fenfibles , de leurs images
corporelles : c'eft ainfi qu'il les tranfmet
jufqu'à l'organe commun , d'où l'ame , en
vertu de fon union avec fon corps , en
devient le témoin fidele , l'admirateur curieux,
& en conféquence defireux de
por-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ter fes recherches d'un bout du monde à
l'autre bout .
Un corps ne peut donner des preuves
de fa plus grande , de fa nouvelle éthérifation
que par des effluences & des refluences
plus abondantes , & prefque extraordinaires
: celles ci préfuppofent des
affluences & des influences proportionnées
.
Les courans d'air éthéré ne font aucune
impreffion corporelle fur nos organes dans
le temps qu'ils les fuyent , en affluant ou
en influant , mais bien lorfqu'ils ont leurs
directions vers nos fens ; c'eft - à- dire , lorfqu'ils
effluent des corps , ou qu'ils en refluent.
C'eft une vérité cent fois rebattue
que je ne penfe point pouvoir être conteftée
; on doit néceffairement convenir
que les parties , de quelque corps que ce
puille être , n'ont que deux rapports fucceflifs
à leur centre ; fçavoir , celui de la
proximité & celui de la fuite .
Dans l'air il n'y a aucune molécule qui
ne pouffe & ne repouffe , qui n'agiffe &
ne réagiffe tout à la fois , toujours dans
la proportion de l'éther , qui l'anime en la
raréfiant , toujours dans la raifon de la
bafe pyramidale , où plus ou moins de
globules aériens éthérifés fe trouvent réunis
pour rendre leur vertu , leur force ,
OCTOBRE. 1757. 129
leur puiffance , leur mouvement plus ou
moins fenfibles.
L'exemple de plufieurs billes ou boules
qui fe touchent , dont il n'y a que la derniere
qui fe détache , parce qu'elle eft plus
puiffamment pouffée que repouffée , cet
exemple , dis-je , ne répand pas peu de jour
fur l'action & la réaction perpétuelles des
portions de la matiere.
Cette derniere boule ou bille ne fe fépareroit
point des autres , s'il furvenoit à
fa rencontre une force qui la repoufsât
auffi puiffamment qu'elle a été pouffée ,
en un mot , fi le courant de la force oppofée
étoit capable de l'arrêter.
Bien plus , fi ce dernier courant l'emportoit
de beaucoup fur le premier contraire
, il enleveroit toutes ces boules ou
billes dans un fens oppofé , l'une après
l'autre à la vérité , à caufe de la répulfion ,
de la réaction , de la réſiſtance , du reffort
qui leur eft réciproque ; mais cet enlévement
fe feroit peut- être avec tant de diligence
, & la fucceffion que je viens d'établir
, quelque incontestable qu'elle foit,
s'exerceroit avec tant de rapidité , qu'elle
s'échapperoit à nos organes , comme s'échappe
cette fucceffion rapide , qui fe
trouve certainement dans cette expérien
ce de l'électricité , dans laquelle cent per
r30 MERCURE DE FRANCE.
1
fonnes , qui fe tiennent par la main , paroiffent
recevoir la commotion électrique
dans le même intervalle de temps.
Il n'y a aucun choc , ou pour mieux
dire , aucune rencontre de corps à corps ,
qu'il ne s'enfuive des enfoncemens : une
bille procure un foible enfoncement à l'enclume
fur laquelle elle tombe , & elle en
reçoit un plus confidérable , puiſque ſouvent
elle fe partage en deux , ou pour le
moins , qu'elle en eft repouffée viſiblement.
Dans l'exemple des boules ou billes
contigues que je viens de propofer , lat
premiere eft d'abord enfoncée par le courant
aéréo - éthéré de la puiffance qui a été
employée pour la pouffer ; elle enfonce enfuite
la feconde , & elle en eft proportionnellement
enfoncée aux points de leur
rencontre , & ainfi de fuite juſqu'à la derniere
, en vertu de leurs forces réactives
& réfiftantes , qui paroiffent égales ; mais.
cette derniere ne rencontrant qu'une réfiftance
vincible dans l'air , doit répondre
à l'enfoncement de fes parties , qui eft le
plus confidérable : toutes fes parties ayant
ane adhérence fuffifante , fe prétent à cette
détermination victorieufe ; & fi la chaîne
des parties de quelqu'une de ces boules
ou billes venoit à fe rompre , la divifion
OCTOBRE. 1757.
qui s'enfuivroit , au lieu d'une progreffion
en avant , dévoileroit , à ne laiffer aucun
doute , tout le mystere que ces rencontres
operent , fur lequel les Philofophes
ont tant de peine à s'accorder.
Une feconde expérience de l'électricité
devient très favorable à cette explication .
Je préſente mon doigt à telle partie que
ce puiffe être d'une autre perfonne électrifée
il faut un temps aifé à eftimer ,
quoique très-court , avant que l'électricité
foit amaffée fuffifamment pour occafionner
une exploſion mutuelle de part &
d'autre.
Pouffons nos recherches plus loin. L'électricité
& l'électrifation naturelles , fo
néceffaires pour la confervation de la vie ,
ne font pas toujours au même degré dans
tous les corps animés. En hyver , le feu
nous réjouit pour l'ordinaire : mais le
bois , que nous avons foin d'électrifer pour
notre ufage , nous darde des rayons piquans
& cuifans , lorfqu'ayant trop grand
froid , nous nous en approchons trop près ,
&fans aucun ménagement. Cependant à la
même diſtance , fi le froid n'eft point ezceffif
en nous , le fentiment qui nous en
revient eft d'autant plus gracieux , que l'é
ect ricité ignée trouve dans nos corps une
difpofition à s'y répandre , à proportion
132 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle s'y préfente , fans être obligée de
s'y accumuler , au point d'y exciter une
explosion douloureuſe.
Le fuif d'une chandelle , qui fe fond
trop aifément , obéit avec trop de facilité:
à l'air raréfié qui l'environne , & ne darde
pas , à beaucoup près , des rayons auffi
lumineux ou auffi chauds que lorſqu'il eſtplus
ferré & moins fufible. Un fuif déja
à demi-liquéfié fe prête , fans affez de réfiftance
, & par conféquent trop vîte à une
liquéfaction ultérieure , au lieu qu'un fuif
plus ferme , & qui réfifte plus long- temps
à ce qu'il foit liquéfié , donne lieu à un
amas de rayons lumineux & échauffans
plus confidérable , par conféquent plus
propre à accroître la clarté que nous attendons
de la chandelle. Par la même raifon
le bois dur féché à propos , qui cependant
ne réfifte pas à fon électrifation par
trop de fermeté , répand une flamme plus
vive & plus échauffante que tous les autres
bois qui s'enflamment trop vîte &
trop facilement.
Je détaille tous ces défordres dans un ouvrage
latin & françois : il me refte à con--
clure que tous les effets ou phénomenes ,
quelque contraires qu'ils paroiffent , accufent
un mouvement toujours proportionnéà
l'amas d'air éthéré , qui le met en éyiOCTOBRE.
1757. 133
dence ; & comme l'on n'a aucune raifon
de juger que la quantité d'éther augmente
ou diminue dans cette vafte matiere ,
pendant qu'elle refte fujette à une infinité
de viciffitudes , je puis dire avec fondement
, que le mouvement qu'elle entretient
eft inaltérable , que l'éther jouit de
l'ubiquité , que fa diftribution inégale
étant la caufe de toutes les actions & réactions
, fi elle n'eft pas tous ces mouvemens
elle- même , on ne doit avoir égard
dans toutes les leçons fcholaftiques , qu'aux
différens temps & lieux où la préſence
de l'éther fe déclare avec plus de pouvoir
qu'aux diverfes déterminations qu'il trace
partout où il furabonde .:
Je me flatte que vous vous voudrez bien
rendre cette Lettre publique , & me croire
avec respect , & c .
OLIVIER-DE VILLENEUVE , Docteur ;
Médecin de la Faculté de Montpellier.
De Boulogne fur mer ,
ce
,
ce 20 Juin 1757.-
134 MERCURE DE FRANCE .
CHIRURGIE.
PROGRES de la Méthode du Lithotome
caché dans la Lithotomie.
M. Mufeux , Lieutenant du premier
Chirurgien du Roi , & Chirurgien Major
de l'Hôtel- Dieu de Rheims , continue de
tailler avec tout le fuccès poffible avec le
Lithotome caché. Parmi le grand nombre
des malades qu'il a guéri depuis quelques
années , il s'en eft rencontré cinq , dont
les circonftances fingulieres lui ont paru fi
intéreffantes , qu'il s'eft déterminé à les
rendre publiques , tant pour le falut des
pierreux , que pour donner la confiance
aux gens de l'art qui en manquent ; & en
même temps , fixer l'inconftance de ceux
que des viciffitudes inopinées auroient
ébranlés.
Premiere obfervation.
M. le Cointre , Curé de Ville en Tardenois
, à quatre lieues de Rheims , âgé de
foixante- huit ans , fouffroit depuis cinq
ans les douleurs les plus cruelles , fans ce
pendant avoir rien perdu de fon bon tem²
OCTOBRE. 1757. X-355
pérament. Enfin voulant fe délivrer du
poids douloureux qu'il portoit , il m'envoya
chercher pour le fonder , & l'affuter
de fon état. Les preuves furent bientôt
faites , & à l'inftant le malade fe détermina
à l'opération , à laquelle je le difpofai
avec les précautions ordinaires.
Après l'incifion faite par une coupe
de onze lignes du nouvel inftrument , j'ai
extrait de la veffie neufpierres ; une de la
groffeur d'une noix ordinaire, & huit , à peu
près comme des noix de galles . En promenant
mon doigt dans la veffie , j'en touchai
encore trois ; comme elles paroiffoient
chatonées , & que la vefkie le préfentoit
à la tenette , il ne m'a pas été poffible
de les charger ; mais par des mouvemens
doux & ménagés , je tachai de lest
ébranler & de les ramener dans le bas fond:
de la veffie , ces tentatives qui durerent
avec l'opération huit ou dix minutes , parurent
fatiguer le malade . Je le fis remettre
au lit , bien réfolu de les tirer quand la
veffie feroit relâchée par les boiffons abondantes
que je lui fis prendre. La nature
prévint mes recherches : ces pierres , trois
heures après l'opération , fortirent avec les
urines & quelque peu de fang. Le troifieme
jour après l'opération , les urines
reprirent leur cours ordinaire , & lema136
MERCURE DE FRANCE.
lade n'éprouva aucun accident ; mais le
cinquieme ces écoulemens fe firent par la
plaie , avec des douleurs infupportables , qui
m'annoncerent que la carriere n'étoit point
épuifée . Je fondai la veffie par la plaie ,
& fans aller bien loin , je fentis une pierre
qui fe préfentoit. Pour l'extraire , je dila
tai cette plaie qui commençoit à fe rapprocher.
Je fis cette dilatation avec le doigt :
je fentis encore une feconde pierre , & avec
une petite tenette je fis heureuſement l'extraction
de toutes les deux. Je crus enfuite
que je devois encore fonder fcrupuleufement
la veffie . Rien ne s'offrit à mes re-.
cherches , & le malade dormit au moins
huit heures après cette nouvelle opération .
Le lendemain de nouvelles douleurs fe firent
fentir , & les linges étoient marqués
de fang. Je repris la fonde , & fur le
champ elle tomba fur des pierres . Pour les
extraire , il fallut encore dilater la plaie
qui tendoit toujours à la réunion . Cinq
nouvelles pierres fortirent , deux du trajet
de la plaie , & trois de la veffie. Cette
extraction fe fit le fixieme jour d'après l'opération
. Je commençai à trembler pour
le fuccès ; mais le bon état du malade &
fa fermeté me raffuroient de jour en jour ,
quand le onzieme troubla toutes mes eſpé
rances. Des douleurs aiguës furent le figne
OCTOBRE . 1757. 137
d'une nouvelle pierre que je fis fortir comme
les autres , toujours en dilatant la
plaie , qui fe ferma enfin fans aucune
apparence de fiftule , & qui s'eft folidement
cicatrifée le vingt feptieme jour de
l'opération. Cette folidité exemte de tout
reffentiment de douleur , m'a annoncé que
la veffie ne renfermoit plus aucun corps
étranger.
Depuis ce temps , M. le Cointre jouit
d'une fanté parfaite. Il fait tous fes exercices
ordinaires fans aucun embarras : je l'ai
vu même fonner fes cloches fans qu'il ait
perdu une feule goutte d'urine. Je craignois
que cette plaie tant de fois r'ouverte
& refermée , ne refufât de fe rejoindre , &
qu'elle ne réftât fiſtuleuſe. Mais j'ai la confolation
de voir qu'une taille qui a produite
à différentes reprifes vingt pierres fur
un ſujet de foixante huit ans , dont la plus
petite eft comme une noix de galle , fe foi
terminée auffi heureuſement.
Seconde obfervation.
Pierre Catelin , fils de Richard Catelin
& de Marie- Jeanne Delpardenge de
Bastogne , petite Ville de la province de
Luxembourg , à quelques lieues de Liege ,
eft venu à l'Hôtel -Dieu de Rheims en Septembre
1756. Il avoit le ventre gros &
138 MERCURE DE FRANCE.
tendu , le refte du corps bouffi , & ne
pouvoit retenir fes urines. Il étoit âgé d'environ
quatorze ans , & ne fe reffouvenoit
pas d'avoir été fans fouffrir les douleurs ,
les plus cruelles. Lorfque je l'ai fondé , je
n'ai pas été fort avant , parce que la veffie
étoit toute remplie , fes parois étant exactement
collées fur la pierre. Malgré ces circonftances
défavorables , je l'ai taillé à la
coupe de fept lignes. Mon intention étoit
d'en mettre onze, fi mon inftrument eût été
plus à l'aife. Mais cette pierre étant avancée
dans le col de la veffie , fervoit de
point d'appui à mon Lithotome , & la
coupe de fept lignes a été fuffifante pour
faire la fection exacte de la proftate . Avant
d'extraire cette pierre , je me fuis trouvé
obligé d'y porter le doigt trempé dans
l'huile , pour dégager fon extrêmité du col
de la veffie . Je fuis enfuite entré, la tenette
étant ouverte , j'en ai chargé au moins
deux pouces de longueur ; mais lorfqu'il a
été queſtion de la faire fortir , elle s'eſt
brifée : c'étoit une efpece de fel blanc , tel
que celui que nous trouvons dans l'épaif-
Leur des reins de ceux qui meurent de ces
fortes de concrétions. En reportant le
doigt , je fentis que l'ouvrage n'étoit
fini . Je dégageai encore la pierre des parois
de la veffie , & je rentrai la tenette ouverte
pas
OCTOBRE. 1757. 139
jufqu'au profond de ce vifcere. Pour lors
je chargeai la vraie pierre qui fortit avec
facilité. Cette pierre qui pefe une once &
demie , avoit à fon extrêmité le refte de
certe concrétion que je faifis la premiere
fois ; enforte que le tout ne formoit qu'un
feul corps qui pouvoit avoir cinq pouces
de longueur.
Toutes ces circonftances raffemblées ,
me donnoient très - peu d'efpérance d'une
cure radicale : mais l'excellence de la méthode
l'a emporté fur le mauvais tempéra
ment & fur le facheux pronoftic qu'on
pouvoit faire, eu égard à fa mauvaiſe fitua
tion & à l'état de la veffie fatiguée depuis
long- temps. Ce malade n'a cependant eu
d'autres remedes que quelque purgatifs. Il
eft resté près de trois mois fans être cicatrifé
& fans reprendre fon embonpoint ; mais il
étoit maître de fon urine quand il eſt
parti de Rheims, & jouiffoit d'une parfaite
fanté.
-
Traificme obfervation.
Le trente mars 1757 , j'ai traité Nicolas
Antoine Mangin , fils de Pierre-
Mangin , de la paroiffe de Neuilli - Saint-
Frond , Diocefe de Soiffons , à la coupede
treize lignes . Je lui ai tiré une pierre de
trois onces quelquesgros. Il eft, à ce que je
140 MERCURE DE FRANCE.
crois , affez rare de trouver une pierre
murale de cette efpece. Elle eft remplie
dans toute fa fuperficie de mamelons , qui
approchent de la figure de l'extrêmité de
ceux d'une pomme de pin . Le bout de chaque
mamelon fe trouve garni de deux ,
trois & quatre pointes très- aiguës . Ce malade
âgé de 25 ans , portoit cette pierre
depuis fa plus tendre jeuneffe. Elle l'avoit
reduit dans un très - mauvais état , par les
douleurs fréquentes & vives qu'elle lui
avoit caufées jufqu'au jour de l'opération . A.
l'infpection de la pierre , auffitôt après l'o- .
pération , les affiftans Médecins & Chirurgiens
penferent qu'il n'étoit pas poſſible
que ce fujet guérît , parce qu'une pierre
de cette configuration devoit avoir occafionné
un déchirement confidérable : comme
j'avois porté le doigt dans la veffie , depuis
l'extraction de ce corps étranger , &
que je n'avois reconnu aucun déchirément
a fon col , je ne perdis pas l'efpérance de
voir guérir ce malade.
Je lui fis faire deux copieufes faignées le
jour de l'opération , pour prévenir l'inflammation
, & pour remédier à une légere
hémorragie occafionnée par le frottement
indifpenfable d'une pierre hériffée de
tant de pointe , l'agaric fut employé avec
quelque peu de charpie , & vingt quatre
OCTOBRE. 1757 . 141
heures après je retirai cet appareil . Le malade
n'a pas eu de fievre , prefque pas de
fuppuration , & il eft guéri fans aucun
panfement en fix femaines.
Lorfqu'il eft retourné chez lui , il retenoit
fon urine étant au lit ; mais étant de
bout , il en perdoit encore . Je n'ai pas eu
de fes nouvelles depuis fon depart de
Rheims.
7
i
Quatrieme obfervation .
Monfieur Baranger , Curé de Betheny,
à une petite lieue de Rheims , a ététaillé le
14 Avril 17579 à la coupe de onze lignes.
Je lui ai tiré quatre pierres , dont deux à
peu près comme des noix ordinaires , &
deux plus petites. L'une des quatre a été
écrafée en faifant l'extraction , parce que
j'en ai tiré deux à la fois. C'étoient les deux
groffes ; elles étoient à côté l'une de l'autre,
&lorfqu'elles ont été faifies par les tenettes ,
je croyois avoir affaire à une feule pie repar
la folidité avec laquelle elles étoient chargées.
Mais parvenu au détroit , une des
deux gliffa du côté du clou de la tenette ;
ce qui la fit brifer. La feconde demeura
entiere , parce qu'elle conferva fa pofition
avantageufe. Les deux autres furent auffi
tirées d'une feule fois , enforte que je ne
portai que deux fois les tenettes dans la
142 MERCURE DE FRANCE.
velfie pour tirer quatre pierres .
Il n'y auroit rien d'extraordinaire dans
cette taille , fi le fujer eût été paſſablement
bon ; mais l'état facheux dans lequel il s'eft
trouvé avant l'opération , mérite d'être
obfervé , & a fait regarder cette cure comme
miraculeuſe.
Il eft âgé de 69 ans ; les douleurs répétées
qu'occafionnoit la préſence des pierres
depuis trois ans , l'avoient mis dans le
marafme. Une defcente de l'inteftin dans
le fcrotum , fuivi de la veffie dans les
grandes douleurs , formoit une hernie
monstrueufe ; la dyffurie , l'hydropifie
univerfelle , la fievre , tous ces accidens
qui ont duré fix mois à ma connoiffance ,
l'avoient reduit dans un état fi facheux ,
que je fis faire une confultation par M.
Jofner , Médecin , MM . Chevalier , Orgelet
, & Caqué , mes confreres , pour
me mettre à l'abri du reproche que le Public
auroit pu me faire , fi jeuffe taillé fans
cette précaution , un homme menacé d'une
ruine prochaine. Je le vis pour la premiere
fois au mois de novembre dernier
1756. Les accidens que je viens de rapporter
, ont prefque toujours fubfifté jufqu'au
quatorze avril. Le trouvant moins mal
alors , je faifis cet heureux intervalle pour
faire l'opération. Il n'auroit eu aucun acOCTOBRE.
1757.
143
cident fans cette pierre qui s'eft briſée.
Quelques fragmens reftés dans la veffie , &
dans le trajet de la plaie occafionnerent
de la douleur dans le temps de leur fortie , &
une fuppuration plus abondante qu'à l'ordi
naire , conféquemment un peu de fievre,
Le regime , & quelques doux purgatifs
dans le cours de fix femaines qu'il fallut
pour cicatrifer totalement la plaie , ont
emporté tous les accidens qui ont
précédé & fuivi l'opération : il est actuellement
en parfaite fanté. Il n'eft pas tout
à fait maître de fes urines , n'y ayant pas
encore aſſez de temps écoulé.
Cinquieme obfervation .
Je fus mandé à Sedan , Ville frontiere à
vingt lieues de Rheims , pour tailler M. de
Soin l'aîné , âgé de 61 ans. Il fouffroit depuis
quatre ans , & la violence des douleurs
ne lui permit pas de fe tranſporter à
Rheims pour le faire opérer.
La conftitution du fujet qui eft très - gros
& des plus gras , a contribué à rendre l'opération
plus laborieufe , & l'infinuation
de la fonde très- difficile . Je l'attribuai auffi
à l'opération ancienne d'une fiftule confidérable
à l'anus , dont la cicatrice avoit
pu rendre plus refferré le paffage de l'algali
fous les pubis.
144 MERCURE DE FRANCE.
Je le raillai le 14 mai dernier , à onze
lignes de coupe. Il y avoit tant d'épaiffeur,
que j'employai toute la longueur du Lithotome
pour couper la proftate . Je ne pus
toucher les pierres avec le doigt , & ce ne
fut qu'en l'introduifant auffi loin qu'il
me fut poffible , que je trouvai l'entrée de
la veflie .
Les plus grandes tenettes m'ont fervi à
faire l'extraction de cinq pierres affez groffes
pour pefer toutes enfemble cinq onces
deux gros . Il s'en trouve deux plus fortes
que les trois autres.
Cette taille a demandé dix ou douze
minutes de travail , & quoique le malade
ait paru fatigué , il n'a pas été faigné après
l'opération , n'ayant pas eu le moindre accident
, pas même une fievre marquée
pour l'établiffement d'une fupuration trèsabondante.
Il avoit été faigné deux fois ,
quinze jours avant l'opération , je me
contentai de lui faire prendre un léger purgatif
la veille de la taille . Il l'a encore été
deux fois pendant la cure , qui fut parfaite
en fix femaines , au grand étonnement des
Chirurgiens de Sedan , qui fe perfuadoient
que je lui faifois faire des panfemens en
Lecret .
Un fimple débridement du col de la
weffie dans un fujet tel que je viens de décrire
,
OCTOBRE. 1757. 145
crire , m'auroit - t'il laiffé la liberté de rentrer
tant de fois , fans occafionner des contufions
confidérables , fuivies d'inflammation
, de la fievre , ainfi que le prétendent
les Antagonistes du Lithotome
caché.
En faudroit il davantage que ces exemples
frappans , appuyés d'une multitude
d'autres arrivés entre différentes mains , &
dans plufieurs contrées de ce Royaume ,
qui pourroient être cités , & d'autres qui
l'ont déja été , pour convaincre d'inhumanité
, d'ignorance ou de mauvaiſe foi
ceux qui ofent encore militer contre une
méthode , dont les fuccès nombreux déci
dent la fupériorité fur toutes les autres ?
11. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences , des Belles-
Lettres & des Arts de Rouen .
CETTE Séance , tenue le ; Août , a été
ouverte par M. le Cat , Secretaire perpétuel
de l'Académie pour la partie des
Sciences , lequel a rendu compte au Public
des travaux académiques de fa claffe
pendant cette année ; détail trop confidétable
pour trouver place ici . Il a dit enfuite
:
L'Académie a décerné le prix de Phyfique
, dont le fujet étoit , la caufe des tremblement
de terre , au Mémoire n° . 6 , qui a
pour devife ... Terrarum hinc fubitus` tremor,
horribilefque ruina.
L'Auteur eft M. Jonard , de Grace en
Provence , le même qui a remporté en
1733 le prix de Poéfie à l'Académie Françoife.
M. Jonard , dans un âge plus mûr ,
a paffé des fleurs aux fruits : il concourut
l'an paffé au même prix de Phyfique , qu'il
remporte aujourd'hui , & fon Mémoire
étoit encore un des meilleurs. Il a obtenu
cette année la palme que méritoient fa
conftance & fes nouveaux efforts.
OCTOBRE. 1757 . 147
Le Mémoire qui a le plus approché du
précédent eft le n° . 8 , qui a pour devife...
Vigilate , quia nefcitis diem
neque horam .
L'Académie propofe pour le fujet du
prix de l'année prochaine 1758 , de
Déterminer les affinités qui fe trouvent entre
les principaux mixtes , ainfi que l'a commencé
M. Geoffroy , & de trouver un fyfteme Phyfico
méchanique de ces affinités.
L'Académie fent toute la fublimité &
la difficulté du fujet qu'elle propofe ; mais
perfuadée avec tous les Sçavans des avantages
qu'il y auroit à étendre la doctrine
des affinités , & à l'éclairer d'une théorie
Phyfico-méchanique , feule capable de ſatisfaire
un efprit raifonnable ; elle n'a pas
jugé infurmontables les obftacles qui peuvent
fe rencontrer dans l'exécution de ce
projet elle réprouve , avec toutes les Académies
, les fyftêmes de pure imagination ;
mais elle recevra avec plaifir ceux qui feront
fondés fur des principes , des faits &
des obfervations , & la doctrine des affinirés
a déja un grand nombre de ces derniers
matériaux . Elle feroit charmée que
ce fujet pût réveiller en Europe le vrai &
bon efprit fyftématique qu'on s'efforce de
décourager & d'éteindre au grand défavantage
des fciences phyfiques.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
On invite les Sçavans de tous pays ,
même les Affociés étrangers & les Correfpondans
à travailler fur cette queftion . Le
prix eft de cent écus. Les Mémoires feront
remis , francs de port , à M. le Cat , Secretaire
pour les Sciences , jufqu'au dernier
Avril 1758.
Les Mémoires feront diftingués par une
devife. Si l'Auteur juge à propos d'y mettre
fon nom & fon adreffe , ils feront fcellés
, & ne feront découverts qu'à la publication
du Mémoire victorieux , laquelle
fe fera à la féance publique , le premier
mercredi d'Août 1758 .
Les diverfes écoles que protege l'Académie
, & dont fes membres font les Profeffeurs
, ont tenu leurs concours ordinaires
pour la diftribution des prix qui ont été
décernés aux Concurrens , par des Commiffaires
que la Compagnie avoit nommés.
Les prix de l'école de Mathématique
ont été remportés ; celui de la premiere
claffe , fur les courbes & la méchanique
par M. de Saint Pierre , du Havre ; celui
de la feconde claffe , fur l'algebre , les
équations du fecond degré , les élémens
de géométrie , par M. le Tellier , de
Rouen.
OCTOBRE . 1757. 14
M. Bernard de Fleury , du Dioccié de
Coutance , a le plus approché de ce dernier.
Les prix de l'école d'Anatomie donnés
par M. le Cat , Profeffeur , ont été remportés
; le premier , par Jofeph d'Aurignac
, de Rouen ; le fecond , par Jacques
le Coq , de Tinchebray ; & le troifieme ,
par Charles-Louis Doubleau , de Dernetal.
Les prix de l'école de Botanique donnés
par M. Pinard , Profeffeur , ont été remportés
; le premier , par M. Gigot , éleve
en pharmacie , né au Havre ; le fecord ,
par M. Rouffen , éleve en Chirurgie , de
Montreuil en Picardie ; le troisieme , par
M. Serjer , éleve en chirurgie , de Verneuil ,
en Perche.
Celui qui a le plus approché du prix
eft M. Victor Simon , éleve en chirurgie.
M. du Boullay , Secretaire des Belles-
Lettres , a lu l'extrait des travaux de fa
claffe , & a dit enfuite :
L'Académie avoit propofé pour fujet du
prix de Poéfie de cette année , la Conquête
de l'Angleterre par Guillaume , Duc de Normandie.
Le petit nombre de pieces qui lui
font parvenues , ne lui a point paru remplir
les vues , foit pour la richeffe des
idées , foit pour l'harmonie de la verfifica-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
tion. Ces raifons , & l'efpérance d'un fuccès
qui réponde davantage à la beauté du
fujet , la déterminent à remettre le prix à
l'année prochaine . Elle exhorte les Auteurs
à répandre plus de chaleur dans leurs compofitions
, & à ne pas croire atteindre au
but en mettant froidement l'hiſtoire en
rimes. Il s'agit de peindre avec feu un
événement fameux , la gloire de notre patrie.
Lorfque l'Académie preſcrit aux Auteurs
de donner à leurs ouvrages , au moins
l'étendue de cent vers , elle n'entend pas
donner de bornes à la fécondité de ceux
qui pourroient parcourir heureuſement
une plus longue carriere. Elle laiſſe même
la liberté de choisir entre la poéfie héroïque
& la poéfie lyrique. Bien loin d'interdire
la fiction , elle en recommande l'ufage , en
ne perdant pas de vue la néceffité d'affu
jettir l'imagination la plus brillante aux
loix du goût & de la raifon . On recommande
auffi de ne fe point négliger fur les
regles de la verfification & de l'harmonie ,
dont le charme ajoute un nouvel éclat aux
idées les plus heureuſes .
Le prix d'histoire étoit deſtiné à des
recherches fur les premieres navigations
des Normands , & fur leurs établiflemens
dans les deux mondes. Ce fujet bien traité
OCTOBRE. 1757 . 151
répandroit un grand jour fur l'origine de
nos poffeffions en Afrique & en Amérique.
L'Académie ſe trouvant auffi obligée
de remettre ce prix , elle efpere que les
Gens de Lettres citoyens , voudront bien
confacrer quelques momens à des recherches
qui ne peuvent qu'être utiles & glorienfes
pour la patrie.
Les ouvrages deftinés à concourir pour
ces deux prix , feront adreffés fous la forme
ordinaire , & francs de port , à M.
Maillet -du Boullay , Secretaire de l'Académie
de Rouen pour les Belles-Lettres ,
rue de l'Ecureuil .
M. du Boullay annonça enfuite les prix
de l'école du Deffein.
Celui de compofition fondé l'année
derniere par M. de Ciddeville , n'a pas
moins excité d'émulation cette année parmi
les jeunes Eleves .
L'intention du Fondateur étant que le
fujet fût tiré akernativement de l'hiftoire
facrée & profane , on a choifi cette année
le Sacrifice d'Abraham dans l'inſtant qui
précede ce facrifice , lorfque le Patriarche
déclare à fon fils que c'eft lui qui eſt la
victime que Dieu a choifie pour lui être
immolée . Ce prix a été remporté par
Emmanuel le Moyne. L'Académie a trouvé
M.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
dans fa compofition beaucoup de feu & de
fageffe. Ses deux figures ont une expreffion
touchante , qui marque du génie & du
fentiment dans ce jeune Auteur.
Les prix d'après- nature, fondés par Madame
de Marle , ont été remportés ; le premier
, par M. Barthélemi Lamoureux , de
Rouen ; le fecond , par Charles - Louis
Guyon , auffi de Rouen..
Les prix d'après la boffe & le deffein
fondé par Madame le Cat, ont été rempor-
τές par Jean-Baptifte Voyer , & par Thomas-
Louis le Fevre , tous deux de Rouen.
s prix , M. Defcamps , Profeffeur ,
en a ajouté un nouveau pour l'architecture
, qui a été remporté par Jean - Baptifte
Brument , de Rouen . Le fujet étoit une
'porte d'expreffion dorique pour le nouvel
-hôtel de l'Intendance à Rouen.
M. du Boullay lut enfuite le catalogue
des ouvrages préfentés à l'Académie pendant
l'année , dans la claffe des belleslettres
& des arts , lequel contenoit quinze
articles.
Enfuite M. le Cat a lu fes obfervations
météorologiques & nofologiques.
M. d'Ector , fon obfervation fur une
boule de feu vue dans les environs de
Rouen le 18 Février , à fix heures & demie
du foir.
1
OCTOBRE. 1757 . 153
M. Bouin a lu l'extrait de M. Pingré
fur la comete qui doit paroître à la fin de
1757 , ou au commencement de 1758 .
M. du Lagne a lu l'obfervation de l'éclipfe
de lune du 30 Juillet.
M. le Cat a lu l'éloge de M. du Bocagede
Bleville , affocié de l'Académie , né au
Havre les Mai 1707 , & mort le 9 Juin
1756. M. du Bocage eft Auteur du livre
intitulé , Mémoire fur le port , la navigation
&le commerce du Havre , & fur quelques
fingularités de l'hiftoire naturelle des environs,
imprimé en 1753.
M. du Boullay a lu . l'éloge d'Antoine-
Sébastien Slodz , Sculpteur , affocié regnicole
de l'Académie dans la claffe des Arts ,
né à Paris le premier Décembre 1695 , &
mort en la même ville le 24 Décembre 17 54.
M. le Cat a lu l'éloge de M. de Fontenelle
, né à Rouen le 11 Février 1657 , &
mort à Paris le 9 Janvier 1757 .
M. Pinard , Docteur - Médecin , & Profeffeur
royal de Botanique , a donné la
defcription & la figure d'un nouveau genre
de plante , connue à Paris fous le nom de
Monfeigneur le Duc Dayen ( Dayena ) . Il
a ajouté que fi on vouloit donner à cette
plante un nom qui en fixât bien le caractere
, on pourroit la défigner fous celui
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
de Pentemicyclanthus , à caufe de cinq demi
cercles qui foutiennent les petales.
M. Hoden a terminé la féance par la
lecture d'un Mémoire fur de nouvelles
perfections qu'il a ajoutées au cabeftan
qu'il avoit donné l'an paffé à la féance
publique. Les additions confiftent princi
palement à faire prendre au cylindre du
cabeftan différens diametres , & à le rendre
propre à recevoir des cables de différentes
groffeurs , felon le befoin. Ces avantages
ont été démontrés dans l'affemblée
fur la machine même exécutée en grand
า
OCTOBRE. 1757. 155
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
OBSERVATIONS fur les Tableaux
expofes au Louvre , par MM. de l'Académie
royale de Peinture & de Sculpture.
LE's écoles Italienne & Flamande ornoient
déja les Temples & Tes Palais de
leurs pays & de l'Europe entiere des productions
admirables de leurs célebres
nourriffons , lorfque l'école Françoife fortoit
à peine de fon berceau. On l'avoit vu
naître fous les regnes des Valois ; mais c'étoit
fous les aufpices des Bourbons qu'elle
devoit fe perfectionner , & fe montrer la
rivale des deux autres. L'amour des arts
eft héréditaire aux Princes de cette augufte
Maifon. Leurs libéralités , leurs largeffes ,
ont fait éclorre les fruits précieux du
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
génie ; les diftinctions qu'ils ont attribuées
aux talens , les faveurs dont ils les ont
récompenfés ont encouragé les Artiftes , &
en ont multiplié le nombre. L'école de
France est devenue fous le regne de Louis
XIV une académie floriffante , & fous celui
de Louis XV , elle remporte facilement
la palme qu'aucune Nation ne peut lui difputer.
L'école Flamande n'existe plus , &
T'Italie fe glorifie moins aujourd'hui des
ouvrages de fes Peintres vivans , que des
chefs -d'oeuvres des hommes illuftres qu'elle
a portés autrefois dans fon fein.
Mais il faut convenir que l'expofition
publique des tableaux ne contribue pas
peu à la perfection où la peinture , la
fculpture & la gravure fe trouvent portées
aujourd'hui. Qu'il en téfulte d'avantages ,
& pour les Artiftes , & pour le Public ! Une
noble émulation anime les premiers , &
les fuccès font toujours certains quand on
la prend pour guide . D'un autre côté cette
partie du Public intelligente & curieufe ,
faite pour voir les belles chofes & pour les
fentir , fortifie fon goût & augmente l'étendue
de fes connoiffances . C'eft ainfi
que cette expofition utile forme à la fois
des Peintres & des Amateurs.
M. de Silveftre , Directeur de l'Académie
, a fait voir dans un tableau repréfenOCTOBRE.
1757. 157
tant le Temple de Janus fermé par Augufte
, que l'âge n'éteint point toujours le feu
de l'imagination. Cet ouvrage appartient
à la fois à la poéfie & à la peinture. C'est
un beau poëme parfaitement bien peint.
Les caracteres , ainfi que les attributs propres
aux Mufes , à Apollon , à Mars & à la
paix , font bienfaits , & rendus avec autant
de juftelle que de nobleffe ; fcience du
coftume , fiction ingénieufe , figure bien
contraftées , belle pratique d'architecture ,
-pinceau gracieux & féduifant . Voilà ce
que le Public ne s'eft point laffé d'admirer.
Le nom de Vanloo eft un nom bien cher
à la peinture. Ceux qui le portent font infcrits
avec diftinction dans fes faftes. M.
Louis- Michel Vanloo , premier Peintre
du Roi d'Efpagne , a expofé trois tableaux
: dont l'un repréfentant la famille de M.
Carle Vanloo fon oncle , eft peint avec
cette facilité qui caractérife un Peintre
d'hiftoire. Les figures font bien grouppées,
elles agiffent toutes , & fans confufion .
Ce morceau préfente l'image agréable
d'une famille diftinguée par fes talens ,
unie & laborieufe . On fent en voyant ce
tableau qu'il eft l'ouvrage de l'amitié , &
que l'attachement tendre d'un neveu pour
fon oncle l'a infpité.
Le Sacrifice d'Iphigénie préfente une
158 MERCURE DE FRANCE.
ment ,
grande machine , où toute l'habileté de
M. Carle Vanloo s'eft développée . Iphigénie
eft plongée dans cet accablement
qui doit précéder le facrifice cruel auquel
elle eft destinée ; Chalchas s'avance pour
lui donner le coup mortel , tout annonce
en lui le défordre d'un enthouſiaſte , qui
s'imagine en répandant le fang obéir à la
voix du ciel & défarmer fon courroux .
Agamemnon & Clytemneftre font accablés
de douleur ; mais la trifteffe d'Agamemnon
n'eft point celle de Clytemneftre. La même
paffion eft rendue & exprimée différem-
M. Vanloo a bien fait de ne pas
fuivre l'exemple de Timante. Il n'a pas dû,
comme ce Peintre Grec , voiler la tête d'Agamemnon
, puiſqu'il a fçu fi bien allier
dans ce caractere la trifteffe & la majeſté.
Ce n'eft pas un homme ordinaire qui pleure
fa fille ; c'eft un pere , c'eft un Héros , c'eft
un Roi qui gémit fur fon fort . Quelques
Grecs font fur le devant du tableau. Ils
font ravis d'étonnement & d'admiration
de voir Diane defcendre des cieux pour
prendre en main la défenfe de l'innocence ,
& dérober Iphigénie à la mort. On peut
dire après avoir lu l'Iphigénie de Racine ,
& après avoir vu celle de M. Vanloo , que
Racine étoit Peintre , & que M. Vanloo eft
Poëte. Neptune & Amymone eft un fujet
(
OCTOBRE . 1757. 159
gracieuſement traité ; la compofition en
eft noble & fçavante , & on eft enchanté
de la beauté & de la fraîcheur du coloris.
On a vu auffi avec plaifir trois tableaux en
rond du même Auteur , & l'on ne peut
donner que des éloges à trois Deffeins exquiffés
remplis d'action , de feu & de
génie .
Le portrait de Madame la Marquife de
Pompadour , par M. Boucher , eft bien digne
de fon pinceau. Que de graces ! que
de richeffes ! que d'ornemens ! Des livres ,
des deffeins & autres acceffoires indiquent
le goût de Madame la Marquife de Pompadour
pour les fciences & pour les artsqu'elle
aime , qu'elle cultive avec fuccès ,
& à l'étude defquels elle fçait confacrer
des momens utiles. Le Peintre des Graces
n'a fait que rendre la nature , fans être
peiné du foin d'embellir ou de fatter fon
modele.
L'arrivée de Cléopâtre , Reine d'Egypte,
à Tarfe , où elle eft reçue par Marc- Antoine
, préſente un beau fujet . On rend juftice
depuis long- temps au génie , à la beauté du
deffein , & à la compofition fçavante de
M. Natoire.
Plufieurs ouvrages de M. Jeaurat préfentent
des détails agréables. Il y a beau
coup de vérité dans la maniere dont ils
160 MERCURE DE FRANCE.
font traités . C'eft une peinture naïve &
gracieufe des événemens de la vie populaire.
M. Pierre devoit expofer l'Enlèvement
d'Europe , pour calmer l'impatience du
Public à la curiofité duquel il n'avoit rien
préfenté depuis quatre ans. Le platfond de
S. Roch occupoit les travaux , vafte & épineufe
carriere qu'il a fournie avec gloire ,
& dans laquelle il laiffe un monument à
la postérité de l'étendue de fon génie & de
fes talens. L'Enlèvement d'Europe eft un
morceau d'une belle compofition . Jupiter
métamorphofé en taureau , y paroît glorieux
de fon fardeau , & fe félicite de fa
conquête. On a vu plufieurs portraits de
M. Nattier , bien peints & très-gracieux.
Celui de Madame de Maifonrouge & de
Mlle Balety , ont fait beaucoup de plaifir
aux Amateurs.
La Métamorphofe d'Io , de M. Hallé ,
forme un beau fujet d'hiftoire. Il eft d'une
touche légere , quoique extrêmement fini .
Deux petits tableaux du même Auteur ,
repréfentant deux repos d'Egypte , font
d'une compofition admirable & d'une exécution
précieuſe.
Proferpine ornant la ftatue de Cérès , eft
un tableau d'une grande compofition , &
Dédale attachant des aîles à Icare , eft un
OCTOBRE. 1757. 161
ouvrage de Chevalet , d'un beau faire ,
auffi précieux dans fon fini , que gracieux
dans les contours. Les autres morceaux de
M. Vien font dignes de lui & de fa réputation
.
Un grand tableau de M. Chardin , repréfentant
des fruits & des animaux , eſt
un morceau facilement peint , d'une touche
large , d'une grande maniere , d'une
belle couleur , & d'un effet étonnant . Il y
a plufieurs autres ouvrages du même Auteur.
Ils font tous d'une grande vérité &
d'un détail agréable : on a déja donné bien
des éloges à M. Chardin ; les nôtres ne
peuvent rien ajouter à une réputation auffi
grande, aufli générale & auffi bien méritée
que la fienne.
On ne peut accorder trop de louanges
aux portraits dont M. Aved a cette année
embelli le fallon . On doit en même temps
le féliciter d'avoir ſi bien choiſi ſes ſujets.
Le portrait de M. le Marquis de Mirabeau
( nous en parlons d'après les connoiſſeurs )
eft d'une grande vérité , & le Public a
pris plaifir à contempler les traits d'un bon
citoyen , qui mérite fi juftement d'être appellé
l'ami des hommes. Le titre de l'ouvrage
doit être à l'avenir le furnom de l'Auteur
; ouvrage infpiré par le génie, & dicté
par le fentiment , dont les grandes vues
162 MERCURE DE FRANCE.
égalent les bonnes intentions ; vrai pref
que partout , même dans fes plus forts paradoxes
; livre enfin immortel fait pour
être chicané par des Grammairiens qui
n'épluchent que les mots ou les phraſes ,
& pour être admiré de tous ceux qui n'apprécient
que les chofes , & n'eftiment que
celles qui tournent au bien de l'humanité.
Qu'on nous pardonne cette courte digreffion
en faveur d'un Ecrivain , dont on ne
peut plus prononcer le nom fans l'accompagner
d'an jufte éloge , furtout quand
on en parle pour la premiere fois. L'hommage
d'ailleurs qu'on rend au mérite fupérieur
, n'eft jamais déplacé quelque part
qu'il fe trouve. Il ne peut en conféquence
être un écart.
Deux autres portraits , dont l'un repréfente
M. Gilet , Avocat au Parlement , &
l'autre , M. de Calonne , Confeiller au
Parlement de Flandres , ont paru bien
peints , bien colorés , & faire un bel
effet. Ils font d'une grande reffemblance ,
& rendus avec beaucoup de préci
fion.
Plufieurs portraits de M. de la Tour
peints en paſtel , ont fixé fucceffivement
les regards du Public empreffé à voir les
ouvrages de cet Artifte. Le portrait d'un
Capucin eft d'une grande vérité , & doit
OCTOBRE. 1757. 163
être d'une reffemblance parfaite. On a cru
reconnoître dans un autre tableau M. Tronchin
, Médecin de Geneve. Il a l'air fin &
fpirituel , & femble s'applaudir intérieurement
de fes fuccès.
Le modele du chant , Mlle Fel fait tant
de plaifir à la voir fi bien repréſentée , qu'on
fe fent plus vivement preffé du defir de
l'entendre. M. Monet eft rendu à le prendre
pour lui - même .
La bataille de Fontenoy, de M. Lenfant ,
eft remplie de feu & de chaleur. Des militaires
ont rendu juftice à l'exactitude de
l'imitation ; M. Lenfant eft l'éleve , le
fucceffeur du célebre Parrocel, & l'héritier
de fa gloire , & de fon génie.
Une Urne de porcelaine ornée de bronzes
, par M. Antoine Lebel , fait illufion.
On a vu auffi avec plaifir deux pendans du
même Auteur , repréfentant deux buftes
de bronze . Les reflets du métal & du relief
font parfaitement rendus. On a admiré
dans une marine du même Maître la réverbération
du foleil fur les eaux de la mer..
Ce qui fait un bel effet.
Les talens de M. Venevault pour la miniature
, font bien rares . Ce genre dans fes
mains n'eft point un petit genre. On ne
lui reprochera pas de pointiller ; il a de
la touche.
164 MERCURE DE FRANCE.
Deux grands tableaux de M. Bachelier ,
pleins de hardieffe & de chaleur , ont été
admirés. L'un repréfente un lion d'Aftique
combattu par des dogues ; l'autre un
ours de Pologne arrêté par des chiens de
forte race. Nous avons perdu le fameux
Oudry ; mais M. Bachelier n'eft il pas égal
à fon devancier ? Qu'il y a de vigueur dans
.fon coloris !
L'Afcenfion de Jefus- Chriſt , par M.
Challe , eft un tableau bien compofé . On
a vu avec plaifir une forêt du même Auteur
, où l'on voit les ruines du tombeau
des Horaces & des Curiaces . On a trouvé
ce tableau dans le goût & dans la maniere
de Salvator Rofa.
M. Perronneau a expofé plufieurs portraits
en paſtel , peints avec facilité.
yeux
Il feroit difficile de décrire quatre
grands tableaux de M. Vernet ; les
font agréablement occupés dans toutes les
parties de trois de ces tableaux , qui préfentent
des Vues agréables ornées de détails
variés , & parfaitement bien rendus . Mais
fi l'on s'arrête au quatrieme d'entr'eux repréfentant
la Vue du port de Cetre , en
Languedoc , on eft effrayé du temps orageux
& de la tempête qui y eft admirablement
dépeinte. L'illufion fe trouve portée
fi loin , qu'on ne peut s'empêcher de crainOCTOBRE
1757. 165
dre pour les bâtimens qu'on voit en mer.
On éprouve des mouvemens de commifération
& de pitié à la vue de ce fpectacle
effrayant dont on partage l'horreur ; & en
effet le tableau , l'image difparoît , & la
nature refte dans un appareil bien terrible .
Un autre tableau du même Auteur , qui
repréſente un Payfage avec un grouppe de
pêcheurs & de lavandieres , eft un morceau
d'une grande beauté. Les tableaux de
Claude Lorrain ont des rivaux bien redoutables
dans les ouvrages de M. Vernet.
Il y a beaucoup d'autres ouvrages du même
Auteur , qui ne méritent pas moins d'applaudiffemens.
Le portrait de M. le Duc d'Orléans à
cheval , eft un très - beau morceau . Il femble
être l'ouvrage d'un Peintre d'hiftoire ,
tant il y a de légèreté dans la touche , &
de facilité dans la maniere dont les fonds
font traités . Le même en paſtel eft d'une
grande reffemblance . Ils font tous les deux
beaucoup d'honneur aux talens de M , Roflin.
Le même Auteur a faifi avec bien de
l'habileté dans le portrait de M. le Duc de
Nivernois , l'air fin & fpirituel de ce Seigneur.
Le portrait paroît penſer : il n'en
reffemble que davantage à fon illuftre
modele.
M. de la Grenée a expoſé plufieurs ta166
MERCURE DE FRANCE.
bleaux d'hiftoire d'une belle compoſition :
Pan & Syrinx eft un morceau plein de
vie & d'action ; fa Judith tient de la maniere
Italienne , & ne le cede point aux
meilleurs Maîtres de cette Ecole . Un petit
tableau de Chevalet du même Auteur ,
repréfentant une Vierge qui préfente des
fruits à l'Enfant Jefus , eft d'un beau fini
& d'un pinceau aimable. On a vu avec
plaifir trois tableaux de M. Jeaurat de
Bertry : ils font d'une belle imitation &
bien grouppés.
Une Charité Romaine de M. Baldrighi
eft un tableau d'une compofition grande &
noble ; on s'imagine voir un morceau du
Guide l'Italie revendique cet artiſte né
chez elle , & formé dans notre Ecole.
Qu'il eft glorieux pour Madame Vien
de voir fon nom affocié à ceux de tant
d'hommes célebres ! Les ouvrages d'hiſtoire
naturelle qu'elle a expofés font d'un
beau fini & d'une grande précifion .
Plufieurs payfages de M. Juliart préfentent
des fites agréables. M. Droüais le fils,
montre beaucoup de talent & de facilité
dans les différens portraits qu'il a expofés.
Celui dans lequel M. le Duc de Berry eft
repréfenté tenant des fruits , & M. le
Comte de Provence jouant avec un chien ,
a enlevé tous les fuffrages,
OCTOBRE. 1757. 167
M. Greuze eft un Artiſte diſtingué dans
le genre aimable auquel il s'eft livré. Ses
tableaux fpirituels & naïfs à la fois , font
d'une belle exécution & d'un beau coloris.
Le panier d'oeufs caffés & la jeune
Italienne qui congédie un cavalier Portugais
trayefti, font deux tableaux très- agréables.
Deux portraits en ovale du même
Auteur ont paru d'une touche auffi légere
que facile.
Trois ruines d'architecture de M. de
Machy méritent beaucoup d'éloges : on les
croiroit de Jean - Paul Panini ; les figures
en font parfaitement bien touchées.
M. Mettay a bien profité dans l'Ecole
dont il fort. Il eft éleve de M. Boucher
& s'en montre digne dans fon tableau repréfentant
Bacchus naiffant remis entre les
mains des Nymphes . La compofition de ce
tableau eft gracieuſe , les figures en font
charmantes , & le payfage eft très- beau .
La fculpture préfente peu de morceaux ,
mais prefque tous d'une beauté parfaite.
Le portrait du Roi par M. le Moine eſt
un beau buſte , où la légereté du cifeau ,
la régularité du deffein & la perfection
de la reffemblance fe font également admirer.
Un modele en terre cuite de M. Falconet,
représentant Jefus-Chrift au jardin des
168 MERCURE DE FRANCE.
Olives au moment de fon agonie , eft exécuté
en pierre de tonnerre dans l'Eglife
de S. Roch . La peine intérieure & l'état
de fouffrance font rendus avec une expreffion
qui attendrit le fpectateur . Une figure
en maibre du même Auteur eft d'une
grande beauté ; elle repréfente l'Amour :
on voit ce Dieu malin fourire de fes conquêtes
. Une autre figure en marbre repréfente
une Nymphe qui defcend dans le
bain cette figure , qui ne cede en rien
à la précédente , ſemble déja fentir , en entrant
dans le bain , ce frémiffement léger
qu'on y éprouve.
Il y a de très - beaux morceaux de M.
Vaffé . Les buftes de Mignard & de Girardon
font d'un marbre bien travaillé : le
bufte en plâtre du célebre Pierre Pithou ,
fçavant univerfel de la fin du feizieme
fiecle , ne leur eft pas inférieur.
La Venus endormie de M. Mignot eſt
digne de l'antique , auffi doit- elle fervir
de pendant à l'hermaphrodite . Pâris préfentant
la pomme à Venus eft une figure
bien deffinée & fort agréable. M. Gillet
en eft auteur. Une Nayade de M. Challe
& autres ouvrages du même auteur , indiquent
beaucoup de talens on connoît
la fécondité du génie de cet auteur dans
fes deffeins ou projets de jardins & places
publiques.
OCTOBRE . 1757. 169
publiques. Les talens de M. Caffieri ne méritent
pas moins d'éloges.
>
Plufieurs morceaux de gravure de MM.
Cars , Moyreau , Daullé & le Bas , juſtifient
la réputation diftinguée dont ils
jouiffent dans leur art. MM. Surugue
Tardieu , Feffart , Aveline & Flipart , ont
donné des traductions fideles des beaux
tableaux qu'ils ont gravés avec autant d'habileté
que d'exactitude. La Devideufe , la
Ménagere , & la Tricoteufe Hollandoife ,
font rendues avec ce fini & cet efprit qui
caractérisent les tableaux des Maîtres fameux
d'après lefquels ces planches ont été
gravées. Tout le monde a admiré la maniere
hardie dont M. Wille a travaillé le
cuivre , la profondeur & le bel effet de
fes tailles , la beauté , la délicateffe & la
précifion de fon burin. M. Guay Graveur
en pierre , a fuivi dans ce genre les traces
des beautés antiques qui nous reftent.
Dans les fiecles fuivans on ne diftinguera
peut- être point d'avec l'antique les ouvrages
de M. Guay.
Voila l'efquiffe légere & imparfaite de
ce qui a fait l'objet de l'admiration publique
au Sallon. L'excellence des ouvrages
des Artistes prouve l'excellence de
l'adminiftration des Arts , confiée avec tant
de juftice à M. le Marquis de Marigny :
II. Vol H
170 MERCURE DE FRANCE.
protecteur des Arts , ami de ceux qui les
exercent. Il ne fe borne pas à récompenfer
les talens fupérieurs & décidés , fa vigilance
& fes foins s'étendent fur la jeuneffe,
cette partie importante de l'Etat . Sa pénétration
lui fait preffentir dès les premiers
effais ce qu'un jeune Artifte peut devenir
, & la jufte difpenfation qu'il fait
des bienfaits du Roi , leve les obstacles
qu'oppose à l'étude l'indigence , cette cruelle
ennemie des talens , dont elle eſt fouvent
la compagne.
RÉFLEXIONS fur la Critique des
Ouvrages exposés au fallon du Louvre ,
qui a paru fous le titre d'Extrait des Obfervations
fur la Phyſique & les Arts.
QUOIQU'ON foit en droit de reprocher à
tout Auteur qui infere un écrit fatyrique
dans fes ouvrages , l'injuftice de l'avoir
adopté , néanmoins on n'examinera que
celle du véritable Auteur. C'eft un Artiſte
inconfideré , partial & rempli d'animofité.
Il feroit à fouhaiter pour lui , qu'il
fût plus éclairé ou qu'il le fût moins. Pluš
inftruit , il fentiroit mieux les divers mérites
qui compofent l'Académie ; plus ignorant
, il préfumeroit moins de lui- même ,
& ne hazarderoit pas fes décifions comme
OCTOBRE .
1757. 171
des oracles . Comment n'a -t'il pas douté de
la jufteffe de fon fentiment , en confidérant
combien il eft oppofé aux idées le plus
univerſellement reçues ? Le
jugement du
public fera-t-il moins folide que celui
d'un
particulier , &
l'approbation générale
obtenue pendant
longtemps , n'eft- elle pas
incontestablement le fceau du vrai mérite?
La fureur qui porte cet anonymie à déprimer
un des plus excellens Peintres de la
France , peut-elle altérer une réputation
que de longs travaux toujours couronnés
des fuccès les plus éclatans , ont fi folidement
établie ? Non , cette critique ne peut
nuire qu'à fon Auteur .
Il dit que ces principes feront avoués
des Artiftes dont la réputation eft méritée . Ce
principe général que le vrai eft le feul but,
fera fans doute
univerfellement reçu ; mais
l'indignation qu'a excité cet écrit , dans
ceux qu'on peut regarder comme défignés
par ce titre , lui doit faire connoître combien
ils rejettent les
conféquences qu'il en
a voulu tirer. Ces hommes vraiment connoiffeurs
, eftiment les grands talens de M.
Vanloo plus encore que le public , s'il eft
poffible : & d'autant mieux qu'ils fentent
davantage la difficulté d'arriver à ce haut
degré. Tout ce que l'Auteur en devoit inférer
, c'eft qu'ils ne s'en affectent pas au
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
point de ne plus voir les divers degrés de
mérite équivalens ou inférieurs que poffédent
ceux qui courent la même carriere.
La nature peut- être envifagée fous diverfes
faces , les uns la voient du côté de fa
régularité , les autres font émus des graces
qu'elle préfente , elle expofe toute la
vivacité de fes couleurs à ceux qui aiment
en elle cet agrément , quelques - uns s'occupent
de fes fineffes de détail , d'autres font
frappés de fon coup d'oeil général. C'est ce
qui a produit tant de grands maîtres qui fe
reffemblent fi peu , & dont les manieres
font fi variées. L'Auteur paffionné pour
une maniere qu'il a raifon de prifer , mais
qu'il ne devroit pas eftimer feule , n'apperçoit
point le mérite des autres façons
de faire. C'est ce qui arrive à ceux dont le
jugement n'eft pas encore fondé fur des
réflexions affez folides , qui n'ont vu que
peu de maîtres , & en ont adopté un exclufivement
; c'eft auffi ce qui produit toute
l'injuftice des demi-connoiffeurs , & les
rend fi pernicieux aux progrès des Arts. Il
en eft de même des Artiftes dont les yeux
ne font pas defillés . Mais ce n'eft pas ici
fimplement cette prévention : il y ade plus
une fureur qui fembleroit l'effet de l'envie
, fi l'Auteur artifte pouvoit prétendre
àquelque comparaifon ayec le Peintre célébre
qu'il attaque d'une maniere fi рец
J
OCTOBRE. 1757. 173
mefurée. Cet écrit n'eft point une critique
, mais un libelle contre les talens de
M. Vanloo , à qui l'Auteur revient à tout
propos , & avec tant d'acharnement , qu'il
s'en eft rendu odieux aux lecteurs même
qui fe plaifent le plus à la fatyre ; nonfeulement
M. Vanloo , mais toute fa famille
& même fes éleves font enveloppés
dans cette profcription générale.
Si quelqu'un a avancé que M. Vanloo
poffede toutes les parties de l'art dans le
degré le plus éminent qui foit connu ; c'eſt
une abfurdité , & il feroit facile de démontrer
qu'il y a des parties effentielles
qui s'excluent néceffairement l'une l'autre,
& qui demandent des génies directement
oppofés , pour être portées à leur plus haute
perfection ; fi l'on a dit fimplement qu'il
les a réunies , ce n'eft qu'une exagération
qui ne peut fignifier autre chofe , finon
qu'aucune ne lui manque au point de déparer
fes tableaux , & qu'il a porté au plus
haut degré celles qui lui font particulieres.
D'ailleurs fi l'Auteur de l'éloge a été
fortement affecté des beautés de ce tableau ,
comme il y a bien lieu de l'être , n'a t - il
pas autant de droit de fe livrer à fon goût,
& de faire l'éloge des circonftances qui le
touchent , que celui- ci en a pris d'en faire
la fatyre ? Quand il feroit vrai que le Pa-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
négyrifte n'auroit pas toujours touché également
jufte , quel inconvénient s'enfuivroit-
il Le public juge par fentiment &
non pas par infinuation. Le tableau de M.
Vanloo a été trouvé très -beau : comme il
l'eft en effet , indépendamment de toutes
les critiques ou de tous les éloges qu'on
en pourra faire. Autant il a de droit de
méprifer les critiques , autant il peut fe
paffer des éloges que l'affection particuliere
porteroit à l'excès. Il fuffit de l'approbation
générale.
Tout ce que le critique dit contre la compofition
poétique fe réduit à ceci , qu'il
auroit voulu qu'on eût fuivi la tragédie de
Racine. Mais qui ne voit que le Peintre
eft également le maître de fa fable , relativement
à fon art ( pourvu qu'elle ne cho
que point la raifon ) , comme le Poëte peut
l'être de l'affujettir aux regles du drame. La
queftion n'eft point d'examiner fi l'on peut
faire une fuppofition différente de celle
qu'a faite le Peintre , mais feulement s'il
a bien rendu la maniere dont il a conçu
fon fujet. Si cela n'étoit pas ainfi , rien ne
pourroit réunir les fuffrages du public s car
autant d'Artiftes ou de perfonnes réfléchiffantes
pour le former l'idée d'un fujet ,
autant de compofitions différentes & de
manieres de l'envifager. C'eft un défaut
dans lequel les critiques de tout genre tonOCTOBRE
. 1757. 175
bent prefque toujours , que de fubftituer
leur façon d'imaginer à la place de celle de
l'Auteur , fans avoir prouvé que celle qu'ils
attaquent foit faulle ou déraifonnable .
C'eft auffi le cas de ce critique : il auroit
fait, dit- il, Clytemnestre forcenée , au lieu
que M. Vanloo l'a repréfentée abattue par
l'excès de fa douleur. Qui a tort ou raiſon ?
Comment ne voit- il pas que ces deux fuppofitions
font également dans la raifon ,
que Clytemnestre a pu paffer fucceffivement
par ces deux états , & que M. Vanloo
a été le maître de choisir l'expreffion
qui convient le mieux au fentiment qu'il
excite dans fon tableau , qui eft l'attendriffement
? Ce feul exemple fuffit pour
prouver le peu de folidité de la plupart
des raifonnemens de l'Auteur. On n'entrera
dans aucun détail fur les critiques qu'il
fait ; quoiqu'il y ait beaucoup d'endroits
où il juge mal , ce feroit tomber dans la
même faute que lui & faire une critique ,
parce qu'on paroîtroit lui accorder ce qu'on
ne lui conteſteroit pas , & conftater ce
qu'on négligeroit de réfuter. D'ailleurs il
y a quelques vérités & même des chofes
vues avec affez de fagacité , furtout lorfqu'il
n'eft pas queftion du maître contre
lequel il s'eft déchaîné. Il y faudroit acquiefcer,&
peut-être défobliger quelqu'ur .
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Or , avec un peu de réflexion on fentira
combien la critique perfonnelle des Artiftes
vivans eft odieufe. Il paroit reçu comme
un principe , parce qu'on ne l'a pas
bien examiné , que les Belles- lettres ne
font point un état à la rigueur , & que la
critique en peut être permife. ( 1 ) Il n'en eft
(1) Nous croyons que la critique perfonnelle
n'eft permife dans aucun cas . Si elle pouvoit l'être
contre quelqu'un , ce feroit contre celui qui
T'exerce. Elle deviendroit alors un châtiment mérité
: il feroit trop jufte qu'on le battît de fes propres
armes , à moins qu'on ne craignît de s'avilir
en les employant , & qu'on ne regardât la victoire
comine honteufe. Hors delà il n'eft que la faine
& véritable critique qui eft non feulement permife
, mais qui eft même néceffaire pour perfectionner
les arts , ainfi que les fciences. Toujours
équitable , impartiale , exempte de perfonnalités ,
elle a pour objet l'avantage de l'art qu'elle analyfe
:fa lumiere qui n'éclaire que pour faire fructifier
& non pas pour détruire , ne porte jamais
fes rayons fur la médiocrité , qui ne peut être
citée pour exemple ; c'est toujours fur les ouvra
ges des plus grands Maîtres en tout genre , comme
étant faits pour fervir de modeles. Elle les examine
alors à charge & à décharge , c'est-à- dire qu'elle
en met les beautés dans leur plus grand jour , &
qu'elle en dévoile les défauts avec toute la circonfpection
& tous les égards que méritent les
hommes célebres , qu'on doit reſpecter même en
les cenfurant . La critique qui attaque l'illuftre
M. Vanloo , loin de porter ce noble caractere , eſt
marquée au coin de la fatyre la plus acharnée.
Quand même elle feroit fouvent vraie par le
OCTOBRE. 1757. 177
pas de même des arts , de tous autres motifs
que la vanité peuvent
engager
à peindre.
La médiocrité dans ces talens eft privée
d'éloges , mais elle n'eft point allujettie
au mépris ; & du confentement de
tout le monde , non -feulement on peut honorablement
tirer avantage de la portion
de talens qu'on a acquis , pour s'affurer
un état , mais même au plus bas degré ,
c'eſt une profeffion reçue dans la fociété
comme utile . On ne peut par conféquent
attaquer la réputation d'un Artifte fans
rifquer de nuire à fa fortune , ce qu'on ne
peut fe permettre fans inhumanité.
A la vérité , il n'en eft pas abfolument
de même de ces Artiftes du premier ordre ;
les avantages qui s'enfuivent de leur diftinction
en découlent fi naturellement ,
qu'ils ne les ont point pour objet , & que
Fhonneur de bien faire les occupe uniquement
leur primauté demeurant toujours
certaine , quelque diminution qu'on prérende
faire à leur gloire , il femble que les
atteintes qu'on leur porte ne peuvent influer
de même fur leur fortune , fi ce n'eft
dans quelques cas particuliers : mais en
fonds , elle auroit toujours tort par la forme , &
devroit fubir la peine dont on doit flétrir tout
belle . Nous penfons fur ce point comme l'Au
seur judicieux de ces Réflexions.
Hy
1
1
1
178 MERCURE DE FRANCE.
premier lieu , ces circonftances qui exigeroient
du critique plus de retenue , peuvent
ne lui être pas connues , & il rifque de
commettre cette injuftice fans le fçavoir.
Secondement en faiſant abſtraction de ces
cas , les Artiftes ne pourroient dans cette
fuppofition être expofés à la critique qu'autant
qu'ils auroient acquis par l'approbation
publique la prééminence dans leurs
talens ; mais comme ils auroient droit à
l'eftime du public & à jouir de leur tranquillité
, même dans la médiocrité , à plus
forte raifon leur font- elles dûes , lorſqu'à
force d'étude , ils ont acquis des talens fupérieurs.
Les critiques font d'autant plus odieufes
fur ces matieres , qu'elles ne peuvent jetter
que le découragement : elles font toujours
faites ou par des Auteurs peu inftruits
dans ces matieres , & par conféquent incapables
d'inftruire , qui la plupart ne fçavent
qu'injurier par de froides railleries ,
ou, comme dans le cas préfent , par un Artifte
partial & irrité , & par conféquent
injufte. Alors elles rebutent fans éclairer ,
elles font inutiles parce que les lumieres
de ceux qui les font , ne font point fuffifantes
pour déterminer un Artifte ſenſé à
s'y livrer . De plus , il y a des défauts qui
tiennent de fi près à des beautés , n'en étant
OCTOBRE. 1757. 179
que l'exagération , qu'il feroit dangereux
de vouloir les éviter avec trop de foin . Il
en eft qui font inféparables du caractere
du génie de l'Artifte : il pourroit en s'efforçant
de s'en éloigner , fans acquérir des
qualités qui ne lui feroient point naturelles
, perdre celles qui font fa diftinction .
Le Deffinateur voulant devenir colorifte
fera moins exact à fon deffein , & n'acquerra
jamais la couleur que dans un degré
médiocre de même le Colorifte s'affujettiffant
à la correction du trait , perdra
de cette facilité de pinceau & de cette
pureté de tons , qui font le plus grand
charme de fa couleur. L'un eft l'effet d'un
génie plein de feu , & l'autre d'un génie
attentif & exact. Si l'on vouloit fuppofer
que des critiques publiques puffent être
utiles aux arts , du moins conviendra - t'on
qu'il faudroit qu'elles fuffent faites par un
Artifte très- éclairé & nullement partial.
Mais il eft certain que quiconque aura ces
qualités fe refufera toujours à ce travail.
Plus il connoîtra les difficultés de ces arts ,
plus il fera fenfible aux beautés . Elles éclipferont
toujours à fes yeux de légers défauts
inévitables dans toutes les productions des
hommes . Une critique pour être recevable
, devroit être faite à l'imitation de celle
du Cid par l'Académie Françoife . Avec
1
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
quelle attention n'y a- t'on pas relevé les
moindres beautés , pefé les difficultés qui
avoient pu forcer l'Auteur à commettre
certaines fautes , & avec quelle modération
ne font elles pas expofées ! mais cet
exemple a été bien peu fuivi .
Toutes celles faites fur les arts n'ont fait
qu'importuner les Artiftes & les dégoûter
d'expofer leurs ouvrages , non pas au public
qui leur accorde toujours l'estime qui
leur est dûe , mais à cet effain de prétendus
connoiffeurs , dont toute l'intelligence fe
borne à la découverte de quelque défauts
dans les plus beaux ouvrages ; trifte avantage
qui ne les dédommage pas du plaific
dont ils fe privent en ne fe livrant pas au
fentiment. Il y a quelques années qu'un
ignorant dans ces matieres donna le ſignal
de cette guerre que l'on fait aux arts & aux
Artiftes les plus diftingués. Il fut bientôt
fuivi d'une troupe d'Auteurs plus ignorans
encore à cet égard : maintenant l'animofité
s'en mêle. C'en est trop.
Par les raifons que l'on a dit ci- deffus ,
on ne relevera point tous les jugemens
portés avec injuftice : cependant pour faire
voir combien cela feroit facile , on rapportera
un feul exemple. L'Auteur dit que
M. Hallé doit fe tenir en garde contre le ton
erud & la molleffe des formes. Cet avis qu'on
OCTOBRE. 1757. 181
peut donner en général à tous les Peintres ,
ne convient point d'une maniere particuliere
à M. Hallé. Tout le monde eft demeuré
d'accord que le tableau de la recon--
noiffance d'lo eft remarquable furtout par
une belle harmonie & par l'accord des couleurs.
Comment cette propriété peut elle:
fubfifter avec cette prétendue crudité de
tons. N'eft- il pas viſible que cela eft antipathique
? ( 1 )
On ne conçoit pas mieux en quoi on
peut lui reprocher la molleffe des formes :
mais un Artifte judicieux & impartial n'au--
roit-il trouvé que cela à dire fur M. Hallé ,
& certe fcene agréable & touchante , fi bien:
rendue , ne lui auroit- elle pas paru mériter
un autre éloge ? Croit- il avoir rendu
juſtice à M. Pierre , en difant qu'on y découvre
plus le germe de la bonne couleur , &
le haut degré de vérité & d'agrément , que:
cet Artiftea acquis dans cette brillante partie
de la peinture , peut- il n'être regardé
que comme un germe ? Mais il falloit que
M. Vien fût en poffeffion de la belle cou-
(1 ) Dans une critique fur l'expofition des tableaux
faite à Marſeille en cette même année , on
qualifie un Peintre de génie fougueux & indécis
& l'on ajoute que c'eft ce qui rend fes compofitions
timides monotones. Quelle foi peut - on ajouter
à un Auteur qui tombe dans des contradictions f
grollieres ?
2
1S2 MERCURE DE FRANCE.
leur à l'exclufion de tout autre. L'Auteur
fe montre fi vifiblement partial pour cet
Artifte , qu'il détruit toute la valeur de
fon éloge.
le
Ce n'eft pas que M. Vien n'ait en effet
le mérite qu'il lui accorde , il ne faut pour
prouver , que remarquer l'eftime & la
confidération que les Artiftes & l'Académie
lui témoignent dans toutes les occafions
; mais par la même raifon qu'aucun
ne poffede toutes les parties de l'art dans le
degré le plus éminent , il eſt certain qu'on
pourroit prendre fes ouvrages par leur
côté foible ; que feroit- ce fi quelque Artifte
touché des grands talens de M. Vanloo
, & de l'injuftice qu'on lui fait , entreprenoit
de le venger & perfécutoit M.
Vien avec la même obftination ! L'Auteur
qui s'eft fi fort irrité des éloges que l'on a
accordés à M. Vanloo , felon lui , peu mefurés
, n'auroit- il pas à fe reprocher de
lui avoir attiré cette repréfaille : Mais
qu'il ne le craigne pas , il n'y a point d'Artifte
connoiffant l'étendue & la difficulté
des arts , & fçachant combien M. Vien
mérite d'eftime, qui veuille fe charger d'un
procédé dont il fentiroit toute l'injustice.
Quels avantages peuvent fe propofer
ceux qui fous le voile de l'anonyme , hazardent
ces écrits ? Quelle gloire en attendent-
ils ? S'ils étoient connus , ne feroientOCTOBRE.
1757. 183
perils
pas expofés à l'animadverfion des
fonnes en place , qui par état protegent
ces expofitions pour la gloire de la nation ,
l'émulation des arts , & la fatisfaction du
public ? Pourroient- ils foutenir les reproches
de tous ceux qui par goût , aiment
les arts & les Artiftes ? Ils ne voient qu'avec
indignation les efforts que l'on fait pour
rebuter ceux qui en font principalement
l'honneur. Il n'eft que trop vrai que pluhieurs
Artiftes laffés de ces importunités ,
& dont la réputation folidement établie
n'a pas befoin de ce fecours , n'apportent
plus la même ardeur à expofer leurs ouvrages.
Delà s'enfuivra la privation de cet
agrément pour le public , & de l'avantage
qui en réfulte pour la gloire des arts en
France. Oferons - nous efpérer que par une
expofition volontaire , & qui n'eft point
néceffairement attachée à l'emploi de leurs
talens , des Artiftes diftingués veuillent
rifquer des défagrémens qu'ils peuvent éviter
? Il ne le femble pas. Cependant comme
la voix du public s'élève contre les contempteurs
de leur mérite , ce dédommagement
flatteur doit guérir toutes les bleffures que
ces vaines attaques ont pu faire ( 1 ) .
( 1 ) Il paroîtra fingulier , fi l'on y fait attention ,
que depuis que la peinture eft à Rome un des
objets importans de l'attention publique , & que
184 MERCURE DE FRANCE.
•
Ces critiques ont pris & fait prendre le
change à beaucoup de perfonnes fur le motif
des expofitions ; ils les ont fait regarder
comme un combat dans lequel des rivaux
ennemis tâchent de fe nuire , & d'attirer
la rifée fur ceux qui paroiffent vaincus.
Bien loin de cela , ce font des Artiftes
liés d'eftime & d'amitié de telle maniere
, que les injuftices faites à ceux dont
ils refpectent les talens , les affligent autant
que c'étoit à eux - mêmes. Avec des talens
tout différens quoique dans les mêmes
genres , ils n'expofent leurs ouvrages que
pour les faire connoître & en tirer le tribut
de gloire qu'ils peuvent mériter : ils
n'en défirent point au - delà de celle que les
divers degrés de l'approbation publique
leur accordera , ils fe jugent eux mêmes
avec plus de jufteffe & de févérité , que ne
le peuvent faire les faifeurs de brochu
res , & ne reconnoiffent point d'autres Juges
que le public , dont le cri fe fait entendre
plus haut & plus au loin que tous les
imprimés pour & contre.C'eft en effet le feul
jugement qui foit judicieux & impartial ;
il n'a pas befoin de truchemens infideles
pour être entendu .
Pon y fait plufieurs fois l'année de ces expofitions,
on n'y connoiffe point encore ce pernicieux ufage
des critiques. Ils aiment les Arts davantage , &
mieux que nous.
f
•
C
OCTOBRE. 1757.
GRAVURE.
LE fieur Daullé vient de mettre au jour
une nouvelle eſtampe d'après M. Pierre ,
intitulée , la lanterne magique . Le nom du
Graveur en fait l'éloge . On la trouve chez
lui , rue du Plâtre S. Jacques , attenant le
College de Cornouaille .
L'amour du Deffein , ou cours de deffein
dans le goût du crayon . A Paris , chez
François , Graveur , à l'Hôtel des Urfins ,
au Triangle d'or , derriere S. Denis de la
Chartre.
Le fieur François donna autrefois quelques
effais de gravure dans le goût du
crayon , par un livre àdeffiner , qu'il fit à
Lyon, & quelques parties d'un autre, qu'il.
commença pour un Profeffeur de Paris.
Ces premiers morceaux ne répondant .
qu'imparfaitement à ce qu'il s'étoit propofé
d'imiter le crayon , il difcontinua de
rendre publics fes différens effais , juſqu'à
ce qu'il fût parvenu à perfectionner cette
maniere de graver . Le Public jugera de la
réuffite par ce premier recueil d'échantillons
; il le préfente avec d'autant plus de
confiance , qu'il a déja reçu l'approbation
des premiers Académiciens .
186 MERCURE DE FRANCE.
Ce Recueil , qui fera fuivi de plufieurs
autres , fait voir qu'il rendra également
une tête comme une académie & une figure
drapée. On fçait que le coup de crayon
laiffe une efpece de grenu occafionné
par le grain du papier , qui en émouſſe la
pointe : il étoit donc néceffaire de l'imiter
dans la gravure , & c'est à quoi le fieur
François fe flatte d'avoir réuffi . Ceux qui
voudront avoir ces recueils , ne doivent
pas différer de fe les procurer à mesure
qu'ils paroiffent , s'ils veulent profiter de
la premiere beauté des épreuves. Le prix
modique qu'il a jugé à propos d'y mettre ,
pour donner aux jeunes gens qui apprennent
à deffiner plus de facilité de les acquérir
, eft une raifon pour que le débit
en foit confidérable , & que la gravure ne
fe foutienne pas long- temps.
Cette découverte eft en effet d'une grande
utilité pour perpétuer les deffeins des
grands Maîtres , & mettre aux mains des
éleves , tant à Paris que dans les Provinces
, les meilleurs originaux , rendus d'une
maniere beaucoup plus propre à les
former au bon goût du deffein , qu'ils ne
le pourroient être par la gravure ordinaire.
On ne peut trop encourager M. François à
en faire ufage.
OCTOBRE. 1757. 187
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
On a vu avec grand plaifir , dans les der- Na
nieres repréfentations des Amours des
Dieux , le début de Mlle Chaumard , jeune
Danfeuſe , dont on efpéroit beaucoup
fans attendre tout ce qu'elle a montré de
graces , de jufteffe & d'expreffion . Les
Amateurs & les Gens de l'art fe réuniffent
pour prononcer que depuis long- temps on
n'a reconnu dans une Danfeufe plus de
parties raffemblées pour le fuccès du genre
gracieux. Peut- être qu'une taille élégante
& une figure aimable ont féduit le public ;
il attend avec empreffement le moment de
revoir paroître Mile Chaumard , pour confirmer
, fans doute , les premieres idées
qu'elle a fait naître fur fon talent. Voilà
fur le début de cette aimable Danfeufe le
fentiment d'un Amateur éclairé que nous
avons adopté. A cet éloge en profe de
Mile Chaumard , nous ofons joindre le
188 MERCURE DE FRANCE.
nôtre en vers , & lui dire avec vérité :
Reparoiffez fans perdre temps ,
Tout vous promet des fuccès éclatans :
Souhaitez que la falle en fpectateurs abonde
Pour mieux célébrer vos talens .
Jeune & belle Chaumard , plus vous aurez de
monde ,
Plus vous aurez de partifans.
Dans l'acte de Co: onis , M. Pilau a repréfenté
plufieurs fois Adonis avec les applauditfernens
du Public. Ils nous ont paru
mérités , & nous croyons que perfonne ne
pouvoit mieux doubler M. Poirier dans un
rôle qui lui a fait tant d'honneur. Dans
la troifieme entrée , Mlle Davaux a chanté
celui d'Ariane avec beaucoup de fuccès.
Ses progrès deviennent fenfibles depuis
quelque temps , & le juge impartial eſt
charmé de voir que l'art commence à
perfectionner en elle les dons brillans
qu'elle a reçus de la nature.
Le mardi 4 de ce mois , l'Académie
royale de Mufique a repris Hippolyte &
Aricie , dont elle avoit donné plufieurs
repréſentations l'hyver dernier. C'eft le
premier Opera du grand Rameau , & peutêtre
fon chef- d'oeuvre. On n'a rien oublié
pour le remettre & pour l'exécurer comme
il mérite de l'être. Le rôle d'Aricie eft
OCTOBRE . 1757. 189
chanté par Mile Fel , pouvoit- il être en
de meilleures mains ? Mlle Davaux eft
très-bien dans le rôle de Phedre , & M.
Gelin parfaitement dans celui de Théfée . M.
Pilau rend le rôle d'Hippolyte de maniere
à devoir être encouragé. On peut même
dire qu'il parvient à le jouer , & qu'il fait
tous les efforts pour juftifier l'accueil favo
rable qu'il reçoit du Parterre .
COMEDIE FRANÇOISE.
L'ACTEUR nouveau ( le fieur Blainville )
qui avoit commencé fon début par le
Grand- Prêtre dans Athalie , l'a continué
avec la même réuffite par Palamede dans
Electre , & par Lufignan dans Zaïre. Il
nous a paru réunir les deux premieres parties
de l'Acteur , qui fe perfectionnent ,
mais qui ne s'acquierent pas , l'intelligence
& les entrailles . Quand on les poffede ,
on peut tout corriger ou tout fuppléer , &
parvenir par l'ufage & par le travail au
mérite du vrai Comédien .
Le mercredi 12 , les Comédiens François
ont donné Mithridate & le Legs. Le
Lieur Brizard qui a joué dans la premiere
piece le rôle de Mithridate , a réuni tous
les fuffrages. Il eft bien deffiné au théâtre ;
190 MERCURE DE FRANCE.
il a , comme le maintien , le débit noble &
fait. le
jeu
COMÉDIE ITALIENNE.
LESES Comédiens Italiens continuent les
repréſentations des Enforcelés , qu'on revoit
toujours avec le même plaifir.
OPERA COMIQUE.
CE Spectacle qui n'a rien donné de nouveau
depuis le Faux Dervis , a fait fa
clôture le jeudi 6 de ce mois , par le
Poëte amoureux de fon modele , &c. avec le
compliment à l'ordinaire.
SPECTACLE DE LA COUR ( 1 ) .
Lɛ 13 Septembre Madame de Marfan a
célébré l'anniverfaire de la naiffance de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne par
une Fête où préfidoient également le goût
& la magnificence : elle commença par un
Prologue , dont les paroles étoient em-
(1) Ceci eft extrait de la Gazette de France.
OCTOBRE. 1757. 191
pruntées de l'Opéra de Callirhoé . On exécuta
enfuite l'Acte d'Eglé de M. de la
Garde , Maître de Mufique des Enfans de
France , & Compofiteur de la Chambre .
Cet Acte fut fuivi du Ballet des Fleurs ,
des Indes Galantes. Pour donner une idée
de la maniere dont le rôle d'Eglé fut rempli
, il fuffit de dire qu'il le fut par
Mlle le Maure. Monfieur de la Garde
remplit celui de Mifs . Mademoiſelle le
Miere chanta dans le Prologue & dans le
divertiffement plufieurs Ariettes avec les
applaudiffemens auxquels elle eft accoutumée.
Après ce Spectale , qui fut dirigé ,
pour le chant , par MM .. Rebel & Francoeur
& pour
la danfe , par M. Laval
, on tira fur la terraffe , vis- à- vis de
l'apppartement de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , un très- beau feu d'artifice . La
décoration repréfentoit un Temple d'ordre
compofite. Toutes les parties de l'architecture
& les colonnes étoient feintes
de marbre breche violette . Les chapiteaux
& autres ornemens étoient en or. Dans le
centre du Temple , on voyoit la France
fur un grouppe de nuages . L'Education accompagnée
des Sciences , lui préfentoit
Monfeigneur le Duc de Bourgogne . Le
frontifpice de l'édifice étoit orné des armes
de France , foutenues par deux An-
>
192 MERCURE DE FRANCE.
ges. Sur les quatre corps avancés étoient
quatre grouppes d'enfans. L'Espérance &
Abondance , placées des deux côtés de la
porte du Temple , marquoient ce qu'on
devoit attendre un jour du jeune Prince.
Le feu , dont l'exécution n'a laiffé rien à
défirer , étoit de la compofition du fieur
Morel , Artificier ordinaire du Roi.
ARTICLE
OCTOBRE. 1757. 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE DANTZICK , le 16 Septembre.
UNE Relation qu'on a reçue de l'armée Ruffienne
, au fujet de la bataille qui s'eft donnée le
30 du mois d'Août entre cette armée & celle du
Roi de Pruffe commandée par le Feld - Maréchal
de Lehwald , contient les particularités fuivantes.
« Les Pruffiens ne pouvant être attaqués que
» très-difficilement dans leur pofition près de Veh-
» lau , le Feld -Maréchal Comte d'Apraxin quitta
» la rive du Prégel , & feignit de marcher à Ko-
» nifberg , pour engager les ennemis à fortir des
» bois qu'ils occupoient . Vers les cinq heures du
» matin , on eut avis qu'ils s'avançoient au nom-
» bre de trente- fix mille hommes de troupes réglées.
Lorfqu'ils furent près de Jagerfdorff , ils
» fe déployerent fur deux lignes , qu'ils reunirent
» bientôt en une feule , afin de nous préfenter un
>> front égal au nôtre. Leurs flancs , furtout le
>> gauche , étoient couverts par leur Cavalerie.
» L'action commença par un feu très-vif d'artil-
» lerie , & l'on s'apperçut que l'objet des Pruf-
» fiens étoit de s'emparer du bois de Narfitten , &
» de nous refferrer dans les défilés qui font der-
» riere ce bois. Pour prévenir le deffein du Feld-
» Maréchal de Lehwald , le Comte d'Apraxin ren
11.Vol. I
1
194 MERCURE
DE FRANCE.
força de plufieurs Régimens les troupes char-
» gées de la défenſe du bois , & établit des deux
» côtés plufieurs fortes batteries . Cependant les
» ennemis s'étoient approchés , & ils n'étoient
» plus qu'à fix cens pas de notre armée. Ils fon-
» dirent fur nous avec une impétuofité extraordi-
»> naire , & ils pénétrerent dans le bois ; mais notre
Infanterie leur oppofa une réſiſtance fi vi-
» goureuſe , qu'ils furent obligés de fe retirer.
» Pendant cette attaque , une partie de leur Ca-
» valerie eſſaya de tourner notre aîle droite. Le Gé-
» néral Comte de Browne chargea ces Eſcadrons ,
» & les mit dans la néceffité de rejoindre leur corps
de bataille. Jufqu'à neuf heures , les ennemis
» combattirent avec la plus grande valeur . Voyant
ils prirent
» qu'ils ne pouvoient nous entamer ,
» le parti de la retraite. On les pourfuivit jul-
» qu'à une licue & demie du champ de la bataille ,
& le foir notre armée alla camper près des bois
de Wehlau. La bataille a duré quatre heures ,
» & le feu,tant de l'artillerie, que de la moufquete
» rie , a été terrible de part & d'autre . Nous devons
principalement la victoire aux fages melu.
&i res prifes par le Feld -Maréchal d'Apraxin ,
l'activité avec laquelle il s'eft porté partout. Ha eu deux chevaux bleffés fous lui. Les Pruffiens
» ont laiffé fur le champ de bataille plus de deux
mille morts , Dans leur retraite , on leur a tué » fix ceas hommes. Le nombre de leurs bleffés eft
très-confidérable , & l'on prétend qu'il montei
plus de cinq mille. Le jour de la bataille , on fit
>>> mille ou onze cens prifonniers. On en a fairun
grand nombre d'autres les deux jours fuivans
Parmi les Officiers Pruffiens tués le trouvent le
» Comte de Dohna , Lieutenant - Feld- Maréchal ,
≫ & le Major Général Wellau. Nous avons enlevé
OCTOBRE. 1757.
195
» à l'ennemi vingt- cinq pieces de canon , dont il
» y en a trois de 24 livres de balle , & cinq de
» 12. De notre côté , il y a eu onze cens vingt-
>> quatre hommes tués , quatre mille fix cens cinv.
quante- neuf bleffés, & quatre cens foixante-
» fix égarés. Le Général Lapuchin , le Lieute-
» nant-Feld- Maréchal Sibin , le fieur Capinifta ,
» Brigadier , le Colonel Patkul , le Lieutenant-
» Colonel Centrowitz , le Major Gerſtorff , &
trente autres Officiers , font parmi les morts.
» Le Général Comte de Lieven , le Lieutenant-
» Feld-Maréchal Mathias de Lieven fon frere , le
» Lieutenant- Feld -Maréchal Tolstoy , les Majors
Généraux Villebois ; Manteuffel , Weymarhr
» & du Boufquet le Brigadier Plemenikow ; le
» Knés Profozosky , & les fieurs Jafikoff & Bof-
» fuet , Colonels ; quatorze Lieutenans - Colonels
ou Majors ; cent quatre-vingts , tant Capitai-
» nes , que Lieutenans , Sous- Lieutenans & Enfeignes
, ont été bleffés. L'armée Pruffienne
n rentra le foir dans fon camp retranché de Wehlau.
Elle décampa le lendemain , pourfe reti-
» rer à Tapiau. Le 7 de Septembre , nous mar-
» châmes à Wehlau , & nons occupâmes le camp,
» que l'eapemi avoit abandonné » .
Sur diverfes lettres venues depuis cette Relation
, on s'attendoit qu'il y auroit inceffamment
une feconde action entre les deux armées ; mais
on vient d'apprendre que les Ruffiens fe font retirés
de la Pruffe Ducale. On n'eft point encore informé
des cauſes de cette retraite imprévue.
DE HAMBOURG , le 16 Septembre.
1. V ..
>>Plufieurs lettres de Saxe annoncent qu'il y
déja vinge mille Autrichiens devant Drefde. On
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
mande de Poméranie , que les troupes Suédoifes
fe font emparées d'Anclam & de Demmin , Villes
qui étoient fous la puiffance du Roi de Pruffe.
; 1124
DU CAMP DE SCHONA , le 8 Septembre.·
3
On remarqua le 31 du mois d'août beaucoup
de mouvement parmi les troupes Pruffiennes. Elles
marcheren : jufqu'à Schonau , & Fon' crut
qu'elles avoient deflein de s'y arrêter ;; mais elles
fe retirerent dans les environs de Gorlitz , où elles
établirent leur camp fur deux lignes de l'autre
côté de la Neiff . Leur droite étoit couverte par
Landferon - Gifnitz , & une partie de leur gauche
par le village de Folge . Une forte artillerie défendoit
la montagne de Lands- Cronberg , qui
étoit devant leur front. Sur l'avis qu'elles avoient
abandonné le camp de Bornftadt , le Général Beck
envoya des détachemens prendre pofteà Javernick
, à Tauritz , à Neckeren & à Bernstorfft
& le fieur de Morocz occupa Schonau . Le Comte
de Colloredo , Général d'infanterie s'avança
avec fa réferve près de Nide , & le Comte de Na
dafty , après avoir pouffé un détachement à Lauban
, fe porta à Schonberg avecle corps de troupes
, qui eft fous fes ordres.
Le premier de feptembre, vingt compagnies de
Grenadiers , trente piquets & Gx cens chevaux ,
entrerent dans le camp que l'on avoit tracé entre
Bornftadt & Leube . Toute l'armée s'y rendit le 2
fur fix colonnes , & le Prince Charles de Lorraine
établit fon quartier à Oftritz. Quelques troupes
ennemies s'approcherent de Schonberg , dans le
deffein d'attaquer les poftes avancés du Comte de
Nadafty , mais ayant reconnu que ces poftes
avoient été renforcés , elles n'oferent rien entre
prendre .
OCTOBRE. 1757. 197
Le Prince Charles de Lorraine & le Feld-Maréchal
Comte de Daun firent le 3 diverfes difpofitions
, tendantes à former un cordon depuis la
rive droite de la Neiff jufqu'à Lauban , & depuis
la rive gauche de la même riviere jufqu'à Drefde.
Le lendemain , un détachement de notre
droite fe porta à Lauban. Les troupes légeres de
la gauche firent auffi un mouvement en avant.
Sept cens charriots chargés de farine étoient ar
rivés le 4 de Drefde à Baudiffin pour l'armée du
Roi de Pruffe. Ayant été joints à Baudiffin par
fept cens autres , ils pourfuivirent le s leur route
vers Gorlitz. Le Lieutenant-Feld- Maréchal Had.
dick , inftruit de la marche de ce convoi , fit
mettre feize cens , tant Huffards que Croates , en
embuſcade fur le chemin qui conduit à Wurfchen,
par lequel les convois des ennemis paffoient or
dinairement. Selon les apparences , les Pruffiens
en furent avertis . Ils pafferent par Baruth & par
Weigersdorff , afin d'éviter la rencontre des troupes
du Comte de Haddick.
Le cinq , les ennemis commencerent à fe
retrancher fur la montagne de Lands- Cronberg.
Larmée de l'Impératrice Reine s'approcha le même
jour de Bornftadt , & vint camper ici , plufieurs
Compagnies de Grenadiers s'étendant depuis
Tauchriz jufqu'à la Neiff , & occupant les hauteurs
de Javernick . Pour couvrir notre marche ,
le fieur de Morocz s'étoit avancé la veille à
Teutfch Pauls-dorff , & le Général Beck s'étoit
porté fur Javernick & fur Teutfch- Offig . Ce der
nier apprit le 6 , que trois à quatre mille Pruffiens
, qui couvroient la ville de Baudiffin , avoient
joint le gros de leur armée , & que cette Place
n'étoit plus gardée que par fept ou huit cens hommes.
Auffitôt il marcha de ce côté , pour empê-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
cher la Garnifon de fe retirer , ou pour lui rendre
du moins la retraite plus difficile .
Un corps de dix- huit à vingt mille Pruffiens ,
commandé par le Général Winterfeld , étoit retranché
de l'autre côté de la Neiff fur une montagne
de très -difficile accès. Nonobftant cette potion
avantageuse , le Prince Charles de Lorraine
fit attaquer hier ce Général. Le Comte de Nadafty
& le Duc d'Aremberg furent chargés de cette
expédition. On ne pouvoit déloger les ennemis de
a montagne, fans fe rendre maître d'une redoute.
Le Général Wurben , qui étoit à la tête des grenadiers
, & le Comte de Montazet , Brigadier dé
Dragons au fervice du Roi Très - Chrétien , fe
jetterent les premiers dans cette Redoute l'épée à
la main. Ils ne tarderent pas à être fuivis de tous
les Grenadiers qui , la bayonnette au bout du fufil
, chafferent les ennemis. Pendant affez longtemps
, les Pruffiens tinrent ferme fur le haut de
la montagne. Mais le Général Winterfeld ayant
été tué d'un coup de canon , fa mort les découragea
, & ils furent mis en déroute , après avoir perdu
quatre canons & fept drapeaux . Il y a eu du
côté des Autrichiens trois cens hommes tués ou
bleffés . Parmi les premiers, on compte le Marquis
d'Afque , Capitaine au régiment d'Arberg , & le
Comte de Groefberg , Capitaine dans le Régiment
de Ligne. Le Comte de Nadafty a reçu un
coup de feu à l'épaule . Le Marquis de Clerici ,
Lieutenant- Feld- Maréchal ; le fieur Elrichaufen ,
Colonel-Commandant du Régiment de Sprecheri
le Comte d'Arberg , Lieutenant- Colonel du même
Régiment, & le fieur de Kinflog, Lieutenant Colo .
nel du Régiment de Mercy, font auffi bleffés ; & le
dernier l'eft très - dangereufement. On eftime la pere
des ennemis à 1500 hommes , en y compre-
G
OCTOBRE. 1757. 159
nant les prifonniers & les déferteurs.Nous avons fait
prifonniers le Baron de Kamecke , Major Général
; le Comte d'Anholt , Colonel , & plufieurs
autres Officiers .
Peu après l'action , le prince Charles de Lorraine
fut informé qu'à midi le Lieutenant- Feld-
Maréchal Haddick s'étoit emparé de la ville de
Baudiffin ; que la Garnifon s'étoit rendue prifonniere
de guerre , & qu'on avoit trouvé dans la
Place un magafin confidérable de toute forte de
provifions , & quelques pieces de campagne. Les
ennemis , privés de ce pofte , auront beaucoup
de peine à foutenir leur communication avec la
Saxe.
On vient de détacher de notre armée un Corps
confidérable d'Infanterie & de Cavalerie , pour
marcher en avant par la droite de l'Elbe , & le
porter fur Drefde , Meiffen & Torgau , tandis que
les troupes légeres poufferont de leur côté vers la
lifere du Brandebourg.
Quelques efpions viennent de rapporter que le
Prince de Brunfwic- Beverne faifoit défiler des
troupes de fa gauche vers Buntzlau . Son objet eft
fans doute de renforcer le corps que commande le
Général Grumbkow , & de couvrir les Districts
de Lignitz & de Glogaw. Il deftinoit le corps
du Général Winterfeld à couvrir Schweidnitz & la
partie de la Silée , qui s'étend depuis cette Ville
jufqu'à la gauche de l'Oder.
Le Duc Wirtemberg , étant arrivé hier au matin
à notre camp , a voulu fe trouver à l'expédition
du Comte de Nadafty & du Duc d'Aremberg.
Pendant tout le combat , il s'eft exposé au plus
grand feu , ainfi que le Prince Louis fon frere , le
Prince de Deux-Ponts , & le Prince Camille de
Lorraine.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
DE VIENNE, le 4 Septembre .
L'Impératrice Reine , en confidération des fervices
importans que les Colonels Janhus & Laudon
ont rendus pendant cette campagne , a fait
expédier à ces Officiers des brevets de Majors
Généraux.
A l'occafion de la guerre qui agite l'Empire,
Sa Majesté Impériale a donné de nouveaux Avocatoires
, dont voici la teneur.
>> FRANÇOIS , & c. Sçavoir faifons à tous les
Electeurs , Princes , Etats , Vaffaux & Sujets
du Saint Empire , de même qu'à tous les Of-
» ficiers & Soldats , qui fe trouvent au ſervice du
Roi de Pruffe Electeur de Brandebourg , & à
ceux qui voudroient en quelque maniere que ce
» foit lui prêter ſecours & affiftance , que le Roi
de Prufie Electeur de Brandebourg , fans avoir
égard aux Mandemens ni aux Exhortatoires du
Juge Suprême de l'Empire , ayant continué fes
excès & fes violences en Saxe & en Boheme ,
» les Electeurs , Princes & Etats , auroient réfola
» le 17 Janvier dernier , que tous les Cercles de
» l'Empire devoient fournir les fecours néceffai-
» res , & nous auroient requis très - humblement
» de procéder , en vertu de notre autorité de
Chef Suprême de l'Empire , & fuivant le Traité
» de Weftphalie , l'Ordonnance d'Exécution , &
notre Capitulation : en conféquence de quoi
Nous aurions pris les mefures convenables pour
» réunir les fecours de l'Empire , & fait citer
» l'Electeur Frédéric de Brandebourg , pour le
» punir du Ban de l'Empire , & le priver des Fiefs,
» Priviléges , Dignités , Graces , Expectatives ,
» Immunités , Prérogatives , & de toutes les poffeflions
qu'il tient de Nous & du Saint - Empire.
1
1
1
OCTOBRE . 1757. 201
» Les Loix de l'Empire défendant donc que per-
» fonne , de quelque état & condition qu'il foit ,
» adhere à un pareil perturbateur du repos géné-
» ral de l'Empire , & lui accorde la moindre af-
» fiftance & retraite ; & Nous ayant déja fait pu-
» blier le 13 Septembre de l'année derniere un
» Mandement inhibitoire & avocatoire , lequel
» n'a cependant pas été exécuté en tous les points
» & étant néceffaire actuellement de les renou-
» veller , d'autant plus que l'Electeur Frédéric de
» Brandebourg a été cité judiciairement pour être
» mis au Ban de l'Empire : Nous ordonnons , en
» vertu de la plénitude de notre autorité Impériale
, à tous les Vaffaux & Sujets des Electeurs ,
>> Princes & Etats de l'Empire , & à tous les hauts
» & bas Officiers , Soldats , tant Cavaliers que
» Fantaffins , & Nous leur enjoignons très -fé-
» rieuſement , fous les peines portées par le Traité
de Weftphalie & par d'autres conftitutions de
» l'Empire portées contré les infracteurs de la paix
» publique , comme auffi fous des punitions cor-
» porel es , & fous la perte de tous leurs biens ,
» droits , priviléges , &c. , non- feulement de fe
» conformer à notredit Mandement Avocatoire ,
» & de quitter inceffamment le fervice militaire
» de l'Electeur de Brandebourg , mais auffi de ne
» point fe laiffer employer en aucune maniere ,
» foit pour le préfent , foit pour l'avenir , contre
» l'armée d'Exécution de l'Empire , contre les
» Electorats de Sare & de Boheme , contre nos
» autres Alliés & Auxiliaires , & encore moins
>> contre tous les autres Etats de l'Empire ; de ne
» prêter aucune affiftance aux partifans dudit Elec-
>> teur de Brandebourg ; de ne leur point fournir
» de munitions de guerre ni de bouche , & de ne
» point accorder de retraite , ni permettre de fé
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
>> jour à fes Confeillers , Agens & Serviteurs ; le
>> tout fous peine de notre indignation & de celle
» du Saint-Empire Romain , & fous les punitions
» fufmentionnées. A quel effet , nous avons déja
» ordonné à nos Fiſcaux & à notre Chambre Im-
» périale , de procéder après l'écoulement de deux
>> mois fuivant la rigueur des Loix contre les Con-
» trevenans , & contre ceux qui , étant fous la
» la domination de l'Empire , n'auront pas abandonné
après ledit terme le fervice dudit Elec-
» teur de Brandebourg . En foi de quoi Nous avons
» figné de notre main le préfent Mandement ; &
» afin que perfonne n'en prétende caufe d'igno-
» rance , Nous avons ordonné qu'il fût publié &
affiché fur les frontieres de l'Electorat de Bran-
"debourg , & généralement dans tout l'Empire .
A Vienne, le 22 Août 1757.
D
DE DRESDE , le 7 Septembre.
If paroît deux nouvelles Ordonnances du Commiffariat
de Guerre Pruffien. Par la premiere , il
eft enjoint aux cercles de l'Electorat , de fournir
fept cens cinquante-quatre mille huit cens quarante-
huit boiffeaux d'avoine , deux cens vingthuit
mille fix cens quatre- vingt-feize boiffeaux
d'orge , quatre cens mille quintaux de foin , &
trois millions de bottes de paille , dont le Roi de
Pruffe promet de bonnifier la valeur. La feconde
Ordonnance regarde l'établiffement de deux magafins
à Kohren & à Wilsdruff.
Sa Majesté Pruffienne , en partant de cette Ville
, lui a demandé un fubfide de cent vingt mille
écus.
Vingt mille Autrichiens , fous les ordres du
Lieutenant- Feld- Maréchal Comte de Haddick , &
OCTOBRE. 1757. 203
du Major Général Mitrowski , coupent la communication
entre cette Ville & la droite de l'Elbe.
Plufieurs partis des troupes de l'Impératrice Reine
fe font voir auffi de temps en temps à la gauche
du fleuve.
Malgré les nouvelles affurances que le Roi de
Pruffe a données pour la fûreté de la prochaine
foire de Léipfick , on craint qu'il ne s'y rende
aucun Marchand étranger.
ITALI E.
DE ROME , le 10 Septembre.
Un affreux ouragan a caufé de très- grands dontmages
à Monte-Pulciano & dans les environs . Le
Monaftere des Religieufes a été renversé de fond
en comble , & les deux tiers des perfonnes , qui
étoient dans cette maifon , ont été écrasées fous
les ruines des Bâtimens. Plufieurs autres maifons
ont été totalement détruites , & dans la campagne
la plupart des arbres ont été déracinés .
DE NAPLES , le 31 Août
.
Sur la recommandation du Grand Maître de
Malte , le Roi a diſpoſé de l'Evêché de cette ifle
en faveur du Grand Prieur de l'Eglife de Saint
Jean , un des trois Sujets qui avoient été préſen
tés à Sa Majefté.
Le Mont Véfuve jette depuis quelques jours beau
coup de flammes & de pierres embrafées . Il s'eft fair
dans cette montagne une nouvelle ouverture
d'où ilfort un torrent de matiere bitumineuſe ,
qui coule avec une rapidité extraordinaire.
99
On a reçu de Sicile la facheufe nouvelle , que
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
le 6 d'Août , on y a effuyé un affreux tremblement
de terre; que plus de la moitié de la Ville
de Syracufe a été renversée , & qu'environ douze
mille habitans ont été enfevelis fous les ruines de
leurs maifons.
DE GENES , le 4 Septembre.
Les Rebelles de Corfe ont cru les circonstances
favorables , pour attaquer les poftes que les troupes
de la République occupent dans le circuit de
I'Ifle. Neuf cens d'entr'eux tenterent le 19 du
mois d'Août , d'emporter d'affaut la Tour de San
Pelegrino , qui ne peut contenir qu'une garnison
d'environ quarante hommes. L'attaque n'ayant
pas réuffi , les Rebelles bloquerent ce pofte , dans
T'efpérance de le prendre par famine , & ils fe retrancherent
principalement du côté de la mer ,
afin d'empêcher les fecours .
Sur la nouvelle de l'entreprise de Paoli , la République
a envoyé en Corfe trois de fes Galeres ,
& un renfort de quatre cens hommes . Ces tronpes
y arriverent le 30. Elles defcendirent à terre
, malgré les obftacles qui s'oppofoient à leur
débarquement. La bayonnette au bout du fufil ,
elles chargerent les Rebelles , & les mirent en
fuite avec beaucoup de perte de la part de l'ennemi
. Elles étoient encore à fa pourfuite , dans
le moment du départ du courier que le Commiffaire
Général de l'Ile a dépêché à la Répu
blique. On ne fçauroit trop louer la conftance
& la fermeté des affiégés , qui ont réſiſté fi longtemps
à toutes les incommodités de leur fituasion
, particuliérement à la difette d'eau dont ils
ent manqué pendant une grande partie du fiége.
Les Galeres que le Gouvernement avoit enOCTOBRE
. 1757 : 205
voyées en Corſe , rentrerent avant- hier dans ce
port, & l'on eut à cette occafion le détail de tout
ce qui s'eft fait pour délivrer la Tour de San-
Pelegrino , fituée dans la partie de la Corfe , gardée
par les troupes de la République. Cette Relation
contient en fubftance , que les Rébelles font
dans la plus grande confternation ; plufieurs d'entr'eux
ayant été taillés en pieces , & nommément
quatre de leurs Chefs , parmi lesquels ſe trouve le
fameux Vincentelli Il s'eft élevé de grands différends
entre Paoli & les autres Chefs. Lorfque les
Galeres font parties de l'Ifle , on s'attendoit qu'ils
en viendroient aux mains.
I
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
E 17 Septembre , M. le Baron de Lichtenftein ,
Miniftre Plénipotentiaire du Duc de Saxe- Gotha ,
eut une audience particuliere du Roi , dans
laquelle it a préfenté à Sa Majefté fes Lettres de
Créance . Il a été conduit à cette audience , ainfi
qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin
, de Madame Infante , de Madame & de
Mefdames Victoire , Sophie & Louife , par le
même Introducteur .
Le Roi a difpofé de la charge de Premier Gentilhomme
de la Chambre , vacante par la mort
de M. le Duc de Gefvres , en faveur de M. le Duc
de Duras , & du Gouvernement de Paris , qui
vaquoit par la même mort , en faveur de M. le
Duc de Chevreuse.
206 MERCURE DE FRANCE.
Le Gouvernement de la Province de Piñe de
France , dont M. le Duc de Gefvres étoit pourvu
, paffe à M. le Comte de Trêmes qui , depuis
la mort de M. le Duc fon frere , a pris le titre de
Duc de Trêmes.
La place de Dame du Palais de la Reine , va~
cante par la mort de la Princeffe de Montauban,
a été donnée à Madame la Marquife d'Efcars.
M. le Duc de Duras arriva ici le 16 , & remit
au Roi une Convention , qui a été conclue le 10
entre le Maréchal Duc de Richelieu , Général des
armées de Sa Majefté en Allemagne , & le Duc
de Cumberland , Général de l'armée du Roi d'Angleterre
Electeur d'Hanovre. Cette convention
porte en fubftance : Que les hoftilités cefferont
de part & d'autre . Que les troupes auxiliaires ,
fçavoir , celles de Heffe , de Brunfwick , de Saxe-
Gotha , & même celles du Comte de la Lippe-
Buckemberg , feront renvoyées , & le rendront ,
avec des paffe ports de M. le Maréchal de Richelieu
, dans leurs pays refpectifs , où elles feront
placées & difperfées fuivant ce qui fera ultérieurement
réglé. Que le Duc de Cumberland paſſera
l'Elbe avec la partie de fon armée , qu'il ne pour
ra pas placer dans la Ville de Stade ou aux environs.
Que les troupes , qui formeront la Garnifon
de Stade , ou feront placées aux environs ,
& qui confifteront en 10 Bataillons & 18 Efcadrons
, ne pourront faire aucun acte d'hoftilité ,
ni être recrutées fous aucun prétexte , ou augmentées
dans aucun cas. Que ces troupes ne
pourront point fortir des limites qui leur feront
affignées , & qui feront marquées avec des poreaux.
Que les troupes Françoifes demeureront
dans le refte des Duchés de Bremen & de Verden,
jufques à une conciliation définitive des deux
OCTOBRE. 1757- 20
Souverains. Que le Maréchal de Richelieu accordera
les paffeports & les fûretés néceffaires
aux troupes Hanoveriennes , qui fe retireront au
delà de l'Elbe , & qui confiftent en 15 Bataillons
, 6 Efcadrons , & tout le Corps des Chaf
feurs. Il a été ftipulé auffi , que le Roi de Danemarck
, fous la garantie de qui cette Conventions
a été faite , s'obligera d'en affurer l'exécution:
pleine & entiere.
On a reçu avis que la flotte Angloife , qui a fait
voile de Portſmouth le 8 de Septembre , s'étoit
préfentée fucceffivement devant les Illes d'Oleron
& de Ré , & que le 23 elle avoit fait une
defcente dans l'Ifle Daix. Quoiqu'on ne croye
point avoir rien à craindre pour les côtes , vu les
meſures qui ont été priſes pour leur défenſe ; le
Roi , pour plus grande fûreté , a jugé à propos de
faire partir pour la Rochelle quatre bataillons des
Gardes Françoifes , deux Bataillons des Gardes
Suiffes , & un détachement de la Cavalerie de fa
Maiſon. Sa Majesté a envoyé ordre auffi à quelques-
uns des Régimens , dont les quartiers font
le plus à portée du pays d'Aunis , de fe rendre
dans cette Province.
M. de Maupeou , premier Préfident du Parle
ment ayant demandé la permiffion de fe demettre
de fa place , le Roi en a difpofé en faveur de M.
le Préfident Molé. Sa Majefté a gratifié M. de
Maupeou d'une penfion de quarante mille livres .
Le Roi a accordé à l'Abbé Salabery , Confeiller
de la Grand-Chambre , l'expectative d'une des
trois places de Confeillers d'Etat d'Eglife.
Le 6 Octobre, M. le Comte de Sartiranne , Am--
baffadeur du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , à laquelle il fut conduit par
M. de la Live, Introducteur des Ambaffadeurs..
208 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour , le Roi a tenu le Sceau pour la
quatorzieme & la quinzieme fois.
Le 2 , M. le Préſident Molé prêta ferment entre
les mains du Roi pour la place de premier Préfident
du Parlement..
L'Archevêque de Paris arriva de Conflans enfon
palais archiepifcopal le premier d'octobre au foir.
Ce Prélat fe rendit le 2 à Verfailles , où il eut
l'honneur de préfenter fes refpects au Roi , à la
Reine , & à la Famille Royale.
Le Capitaine Berrade , commandant le Corfaire
la Marquise de Salba , a pris le navire Anglois le
Prince d'Orange , allant de Rhode- Iſland à Lon
dres avec un chargement de bois de Campeche . Il
s'eft auffi rendu maitre d'un Senaw , qui portoit de
Dublin à Antigoa fept cens & quelques barrils de
boeuf d'Irlande.
Le Corfaire l'Etigny s'eft emparé du Senaw le
Mélange , dont la charge confiftoit principalement
en grains & en falaifons , & du Senaw la
Méditerranée , chargé de fel.
Deux navires Anglois ont été enlevés par le
corfaire la Favorite , que commande le Capitaine
Sopite. Il y avoit fur l'un de ces bâtimens deux
mille trois cens quintaux de morue. L'autre en
portoit quatorze cens quintaux. Ce dernier a été
conduit dans un port d'Espagne.
De trois prifes qu'a faites le Corfaire l'Amiral ,
aucune n'a eu le bonheur d'arriver à bon port.
Le fieur la Fuente , commandant ci- devant la
frégate la Bohémienne , écrit de Falmouth , qu'il a
été obligé de fe rendre au corfaire la Défiance , de
Londres.
Le fieur de l'Ile - Beauchefne , Capitaine de vailfeau
, commandant la frégate du Roi le Zéphyr
s'eft rendu maître de deux corfaires Anglois , qui
!
OCTOBRE . 1757. 209
tous deux font armés de 10 canons , 8 pierriers ,
& ont l'un 72 hommes d'équipage , l'autre 48 .
Selon les avis reçus de Dunkerque , la frégate
la Comteffe de la Serre , de ce port , commandée
par le Capitaine Robert , & montée de 18 canons
de 8 livres de balle , s'empara le 20 fept. de 3 navires
Anglois à la hauteur d'Edimbourg . Deux de
ces bâtimens étoient partis de Kiga , chargés de
lin , de chanvre , de planches & de poutres . Le
troifieme venoit de Petersbourg avec un chargement
de fer & de chanvre. On eſtime que ces trois
prifes montent à cent cinquante mille livres . La
frégate la Comteffe de la Serre étoit partie le 16 de
Dunkerque. Le lendemain elle eut à l'entrée de la
Tamife , un combat avec une frégate Angloiſe de
24 canons de huit livres de balle . Le Capitaine
Robert auroit enlevé la frégate ennemie , fi la vue
de plufieurs navires de force , qui venoient la fecourir
, ne l'eût obligé de fe retirer.
Le Capitaine de Cock , qui commande le corfaite
le Comte de Maurepas , de Dunkerque , s'eft
emparé des navires Anglois le Bon Marchand &
la Concorde , & d'un brigantin , dont étoit maître
Jofeph Forceſter, & il les a rançonnés pour 26640
livres. Il a fait une autre prife chargée de fucre ,
de café , de cuirs fecs & de bois de Campeche ,
qui a coulé bas en arrivant à Dunkerque , mais
on en a ſauvé la cargaiſon .
Le peu d'efpace qui nous refte nous
oblige de remettre au prochain Mercure
l'article de l'Hôpital de M. le Maréchal-
Duc de Biron . Ce n'est qu'un retard de
quinze jours.
210 MERCURE DE FRANCE.
BÉNÉFICES DONNÉS.
SA Majefté a donné l'Abbaye de Septfons , Or
dre de Cîteaux , Dioceſe d'Autun , vacante par le
décès de Dom Jofeph Alpheron , àDom Dorothée
Jaloutz , Religieux de cette Abbaye ; l'Abbaye
de Longpont , Ordre de Câteaux , Dioceſe
de Soiffons , à M. l'Abbé de Friſchmann , ci- devant
chargé des affaires de France à la Cour d'Efpagne
; celle de la Creft , même Ordre , Diocefe
de Langres , à M. l'Abbé de Chabannes , Aumonier
du Roi , & Vicaire Général de l'Evêché de
Clermont ; celle de Saint Crefpin en Chaye , Ordre
de Saint Auguftin , Diocefe de Soiffons , à M.
l'Abbé d'Heffelin , Vicaire Général de l'Archevêché
de Sens ; celle de Saint Urbain , Ordre de
Saint Benoît , Dioceſe de Châlons - fur - Marne ;
à M. l'Abbé du Quéilard , Archidiacre de l'Eglife
Cathédrale , & Vicaire Général de l'Evêché de
Digne ; celle de Maymac , même Ordre , Diocefe
de Limoges , à M. l'Abbé Barc , Chapelain
du Roi , & Chanoine de la Cathédrale de Noyon ;
& le Prieuré de Saint Rambert en Forez , Dioe
cefe de Lyon , à M. l'Abbé de Montjouvent ,
Comte de Lyon , & Vicaire Général du même
Diocefe ; l'Abbaye de Fonfroide , Ordre de Ci
teaux , Dioceſe de Narbonne , à M. l'Evêque de
Venca ; l'Abbaye Réguliere de Beaumont ,
dre de Saint Benoît , Dioceſe de Clermont , à la
Dame de Lentilhac , Religieufe de la même Abbaye
; & le Prieuré de Sainte Marie de Quingac
nevend , Dioceſe de Nantes , à M. le Loup de
la Biliais , Recteur de la Paroiffe de Blain , & Député
de la Chambre Eccléfiaftique du même Diocele.
OrOCTOBRE.
1757. 211
MARIAGE ET MORTS.
MESSIRE Louis-Marie-Athanafe de Lomenye",
Comte de Brienne , Colonel du Régiment d'Artois
, Infanterie , fut marié le 4 d'Octobre à Demoiſelle
Marie-Anne- Etiennette Fizeaux de Clémont
, fille de M. Eftienne- Claude Fizeaux- de
Clémont , & de Dame Marie- Anne Perrinet . La
Bénédiction nuptiale leur fut donnée dans l'Eglife
Paroiffiale de Saint Roch, par le Cardinal de Luynes.
Leur contrat de mariage avoit été figné le
deux par le Roi. Le Comte de Brienne eft fils
de Meffire Nicolas- Louis de Lomenye , Comte
de Brienne , & de Dame Gabrielle - Anne de Chamillard.
Melire Dominique - Jofephe - Marie d'Inguin
berti , Evêque de Carpentras , & Archevêque
Titulaire de Théodofie , mourut à Carpentras le
7 Septembre , dans fa foixante- quinzieme année.
Il a inftitué les pauvres fes légataires univerfels ..
De fon vivant , il leur a fait bâtir un Hôpital
magnifique dans fa Ville Epifcopale . Ce Prélat
étoit connu dans la République des Lettres par
plufieurs ouvrages.
Louis de Pardaillan de Gondrin , Duc d'Antin ,
Pair de France , Maréchal des Camps & Armées dur
Roi , Gouverneur & Lieutenant - Général de l'Or
léannois , Gouverneur particulier des Ville &
Chateau d'Amboife , eft mort de la petite vérole ,
à Bremen , la nuit du 13 au 14 , âgé de trente ans.
Par fa mort , fa Branche & fa Pairie font éteintes.
Meflire Efprit Dedons de Pierrefeu , Maréchal
des Cimps & Armées du Roi , eft mort le 14 à
Aix en Provence , âgé de cinquante- neufans.
212 MERCURE DE FRANCE.
Meffire François-Joachim Potier , Duc de Gefvres
, Pair de France , Chevalier des Ordres du
Roi premier Gentilhomme de la Chambre ,
Brigadier de Cavalerie , Gouverneur de la Ville ,
Prevôté & Vicomté de Paris , Gouverneur & Lieu.
tenant Général pour le Roi dans la Province de
l'Ile de France , Gouverneur particulier des Villes
& Châteaux de Laon , Soiffons & Noyon ,
Grand Bailli & Gouverneur de Crefpy & du Valois
, Capitaine & Gouverneur du Château & Capitainerie
Royale de Monceaux , mourut à Paris
le 19 , âgé de foixante- cinq ans , moins dix jours.
Son corps , après avoir été exposé pendant plufieurs
jours en fon Hôtel dans une Chapelle ardente
, fut porté le 27 à l'Eglife Paroiffiale de Saint
Roch , & enfuite à l'Eglife des Céleftins , où ce
Duc a été inhumé dans le tombeau de fa Maiſon .
Les Religieux des Ordres Mendians ont affifté à fon
Convoi , ainfi que le Corps de Ville , & le Régiment
de la Ville.
Meffire Gafton- Charles- Pierre de Levis , Duc
de Mirepoix , Maréchal de France , Maréchal
Héréditaire de la Foi , Chevalier des Ordres da
Roi , Capitaine d'une des Compagnies des Gardes
du Corps de Sa Majefté , Gouverneur de
Brouage , Lieutenant - Général & Commandant en
chef dans la Province de Languedoc , ainfi que fur
toutes les côtes de la Méditerranée , mourut à
Montpellier , le 25 , dans la cinquante- huitieme
année de fon âge,
Marie-Jeanne Olimpe de Bonnevie , épouse de
Marie- François- Henri de Franquetot , Duc de
Coigny , Mestre de Camp Général des Dragons
de France , & Gouverneur de Choify- le - Roi , mon
rut à Paris le 27 , âgée de vingt- un ans . Elle avoit
épousé en premieres noces Meffire Louis- Auguſte,
Vicomte deChabot.
OCTOBRE. 1757. 213
LE
AVIS.
E fieur Theveu Architecte , a fait plufieurs.
machines méchaniques pour curer les ports des
mers , rivieres & canaux , fans que perfonne ne ſe
mouille. Leur diligence & leur promptitude l'emportent
fur toutes celles qui ont parues juſqu'à
préfent. Il a fait faire des travaux à Rouen
pour curer les ports qui étoient remplis de pier.
res , vafes & pilots qu'il a enlevés avec promptirude
, fuivant les certificats qu'il a de M. l'Inten-'
dant , de MM. de l'Hôtel de Ville & des mariniers
: il vient de faire des curages au port faint
Paul à Paris , à la fatisfaction de tous les marchands
; l'enlérement de 70 milliers de fer qui
étoient perdus aux pieux du moulin de Conflans-
Charenton , à 20 pieds de profondeur d'eau , & ce
après que tous les mariniers , plongeurs , machiniftes
, y ont travaillé pendant un an fans aucun
fuccès : il les a enlevés en 24 jours , dans le mois
de Décembre , pendant un temps fort peu conve
nable & très-incommode pour les opérations.
Il a fait le curage des fables au moulin Dan-'
dé fur la Seine , qui combloient ledit moulin ; il
vient de faire faire une autre machine pour curer
les canaux d'Arcueil , qui font remplis , où il ne
faut que peu de monde pour la faire manoeuvrer.
Dans tous les ports des mers , rivieres , canaux ,
où il fera befoin de curer ou creufer , enlever des
blocs de pierres , marbres , pilots & lieux à telle
profondeur que ce foit , fuflent- ils récepés ou aralés
à fleur d'eau & du terrein , & fans prife de 20
à 24 pieds en fiche , & même davantage , il le feral
à la fatisfaction de tous les connoiffeurs , & des
perfonnes qui voudront l'employer à cet effet,
214 MERCURE DE FRANCE.
11 peut réceper les pilots ( comme il l'a fait exécuter
) à la hauteur demandée , entre la fuperficie
des eaux & celle du terrein , foit pour faciliter la
navigation , ou établir des ouvrages fur lesdits
pilots. Il demeure rue des Barres , derriere Saint
Gervais , à Paris.
AUTRE.
LE fieur Coquelin , maître Perruquier , vient
de parvenir à compofer parfaitement l'eau qu'il
annonce. Cette liqueur eft à un tel degré de perfection
, que loin d'altérer la peau , elle lui donne
une nouvelle fraîcheur. La rapidité avec laquelle
elle dépouille les parties velues , eft propre à latif
faire les plus impatiens. Les deux fexes en peuvent
tirer une égale utilité ; elle va à toutes les parties
du corps ; elle eft d'un merveilleux fecours pour
l'épilation du front. Les Chirurgiens pourront s'en
fervir dans les endroits où le razoir , quoique Dé
ceffaire , eft fouvent dangereux . Enfin , fans s'arrêter
à dire qu'elle furpafle tout ce qui a paru juf
qu'à préfent dans ce genre , le fieur Coquelin prie
les curieux d'en faire l'épreuve , & oſe déja ſe flatter
d'avoir leurs fuffrages. Il demeure rue de la
Heaumerie , à Paris.
ip
APPROBATION.
J'ai lu , pár ordre de Monſeigneur le Chancelier ,
le fecond volume du Mercure du mois d'Octobre ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
Fimpreffion. A Paris , ce 14 Octobre 1757-
GUIROY
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
1
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSI.
V ERS préfentés à Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, à l'occafion de fon anniverfaire , page s
Vers de M. de Voltaire à M. Senac - de Meilhan
,
6
L'Union de l'Amour & de la Philofophie , Anecdote
par M. de M ... Officier au Régiment
de B ...'
L'OEillet & la Rofe , Fable ,
7
22
Vers de Mlle Baptifte , Actrice de l'Opera Comique
, à l'occafion de fon départ pour la Hollande
,
Portrait d'Agricola ,
24
25
Remerciement de M. Langlois- du Bouchet , Lieutenant
général en la Sénéchauffée & fiege Préfidial
d'Auvergne , à Clermont- Ferrand ,
Penfées ,
28
32
Le Mifantrope corrigé , Dialogue. Air Polonois du
Prologue du Ballet des Indes , &c. Parodie , 41
Les Hommes unis par les talens , Poëme , 43
A Mile de R... fur la Réponse à l'Amour ,
Epitre à Mademoiſelle Bonté ; à Gifors ,
Le Retour de la Folie , Conte hiftorique ,
Vers de Madame Guibert à M. l'Abbé Mangenot
,
47
53
55
-$7
La Courſe finguliere , ou la nouvelle Athlante , 58
Stances à Madame ... 65
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Mercure d'Octobre ,
Enigme & Logogryphe ,
67
ibid.
Chanſon , 70
7216
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES:
Suite du Moyen d'apprendre fûrement & facilement
les Langues , 71
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux ,
Extrait de la Sarcothée ,
85
87
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Phyfique. Lettre à l'Auteur du Mercure , 119
Chirurgie. Progrès de la méthode du Lithotome
caché dans la Lithotomie , 134
Séance publique de l'Académie des Sciences , des
Belles- Lettres & des Arts de Rouen ,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
146
Peinture . Obfervations fur les Tableaux exposés
au Louvre , par Meffieurs de l'Académie royale
de Peinture & de Sculpture ,
Réflexions fur la critique des Ouvrages exposés
155
au Louvre , 170
Gravure. 185
ART. V. SPECT CLES.
Opera ,
187
Comédie Françoiſe ,
189
Comédie Italienne , 190
Opera Comique , - ibid.
Spectacle de la Cour , ibid.
ARTICLE VI:
Nouvelles étrangeres , 13
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 205
Bénéfices donnés , 210
Mariage & Morts ,
211
Avis ,
213
De l'Imprimerie de Ch . Ant. Jombert.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE . 1757.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
1213
Cochin
Stresim
A
PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
PISSOT , quai de Conty.
Chez
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftios.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
¡ LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets lettres , pour remettre ,
quant à lapartie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece..
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront comme à Paris
qu'à raifon de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
pays Les Libraires des provinces ou des
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, l'adreſſe écriront à Padreffe ci - deſſus.
A ij
OnSupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , enpayant le droit , le prix
deleur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura tonjours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainſi que les Livres
, Eftampes & Muſique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure ies
Gravures de MM. Feffard & Marcenay,
榮機
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE. 1757 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE
A M. de C... qui m'a adreffe un Epure.
CESSEZ de vous féliciter
Du talent de plaire & d'écrire ;
Il vous eft aifé de chanter ,
Quand Phébus vous prête fa lyre.
On fçait , que pour nous abufer ,
Ce Dieu , fous votre nom , beau Sire ,
A iij
4 MERCURE DE FRANCE.
Parfois aime à fe déguifer.
D'autres pourront bien s'y méprendre ;
Mais moi , qui connois le fripon ,
Sans hésiter j'ai fçu comprendre
Que Ch... étoit Apollon .
Au Dieu qui m'adreffe un Epître ,
Je fçais qu'un cantique eft bien dé ;
'Mais , hélas ! par le mal vaincu,
Mon grabat me fert de pupitre.
La goutte de fon aiguillon
Me fait fentir la pointe amere ;
Je dois baiffer le pavillon
Et renoncer à la chimere
Des lauriers du facré vallon ,
Ainfi qu'aux myrthos de Cithere
Autrefois je n'avois pour but
Que de briller fur le Permeffe ;
Je me difois dans mon ivreffe :
Hors l'Helicon point de falut.
Rongé de peines inteftines ,
Je m'ennuie avec les neuf fours :
L'homme couché fur des épines ,
Songe- t'il à cueillir des fleurs ?
L'Amour & les vers que j'abjure ,
N'ont que des charmes impuillans .
Dont je reconnois l'imposture
A de plus nobles fentimens
Mon ame devient acceffible.
Quiconque avec vous est lié ,
NOVEMBRE . 1757 . 7
Ne doit avoir le coeur fenfible
Qu'aux délices de l'amitié .
TURPIN.
A Auteuil , ce 9 Septembre 1757 .
LE PROJET MANQUÉ ,
Conte bien vraisemblable.
CLORINDE ouvrit à peine les yeux , qu'ils
tomberent fur des embarras , fur le tracas
d'un négoce , fur un certain tumulte inféparable
des détails d'un commerce défagréable.
Son pere, homme de génie, changea fon
état : il étendit fes vues , accrut fes efpérances
& fes richeffes . Ses foins furent heureux
, il réuffit. Quoique fa fortune fût
rapide , elle vint par gradation. Clorinde
l'apperçut , elle avoit de l'efprit ; elle fentit
ce changement. Elle vit l'opulence & les
richeffes fuccéder à l'aifance , & fon pere,
avant tout cela , avoit connu le méfaife &
prefque la pauvreté . Elle penfa que les préfens
que la fortune faifoit à fon pere ,
étoient plus pour elle que pour lui . Il étoit
vieux , il avoit été élevé au travail , le
fuccès de ce travail faifoit fa récompenfe
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
& fon plaifir. Il feroit mort s'il у avoir
renoncé.
L'éducation de Clorinde avoit fuivi la
fortune de fon pere : d'abord vêtue ſimplement
, élevée dans le domeftique , &
par une mere qui lui avoit appris tout ce
qu'elle fçavoit , & ce tout fe bornoit à peu
de chofe , elle paffa bientôt dans un couvent
, un peu plus tard pourtant que les
filles d'un certain état . Elle y eut des maîtres
, elle en profita . Elle fut produite dans
le monde avec tout ce que les richeffes
donnent de diftinctions , & l'opulence de
confiance & de hardieffe. Elle fut recherchée.
Un million de bien fixe tous les yeux ,
Clorinde s'en promettoit davantage. Parmi
ceux qui s'emprefferent de lui faire la
cour , elle diftingua un jeune homme dont
les ancêtres depuis plus de deux fiecles
avoient des relations dans les quatre parties
du monde , & donnoient des ordres en
même tems à Surate , au grand Caire & à
Péquin , ordres mieux exécutés fouvent
que ceux des Souverains , parce que le
bien & l'utilité publique en font toujours
l'objet & le principe . Enfin c'eft du fils
d'un Négociant dont je parle.
Ce nom feul plairoit à des oreilles angloifes
; il eft prefque ignoble aux nôtres ,
NOVEMBRE . 1757. 9
du moins dans un certain monde dont ce
trait ne fait pas l'éloge : auffi ne le prononce-
t-on qu'avec un air de dédain & prefqu'avec
mépris .
Malgré ce faux préjugé dont fçavent rarement
ſe défendre , même ceux qui dans
cette condition ont fait fortune , Lifimond'
ne penfoit point à quitter l'état de fes ancêtres
: il vouloit jouir & même accroître
fa fortune par un travail fi digne d'un Citoyen
.
96
و د
L'exemple que lui donnoient nombre de
fes égaux , ne le touchoit point . Il ne vouloit
ni acheter une charge de Préfident
qui l'auroit fait refpecter au moins en fa
préfence par ceux qui auroient des Arrêts
à craindre ou des procès à gagner , encore
moins fe jetter dans le fervice
où fon argent eût pu lé faire paffer à un
grade qui l'eût mis tout d'un coup au
deffus du Gentilhomme ordinaire . Celuici
héritier du peu de bien & de l'exemple
de fes ancêtres , ne commence. de fervir
que dans un grade inférieur ; mais y porte:
une valeur & un courage digne des pre
miers emplois. Ce Gentilhomme , quoique
dans une espece d'indigence, n'eût pas changé
fon nom contre les tréfors & le grade
où pouvoit prétendre le riche Négociant..
Heureux l'état où l'honneur acquis eft cau
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
tion de celui qu'on doit acquérir , où le
nom & le mérite des ancêtres font un gage
affuré de la vertu des defcendans ! Plus'
heureux celui où toutes les conditions ont
leur nobleffe , & où le talent d'y exceller
eft au deffus de l'envie , fauve du mépris ,
& y procure même de l'eftime & de la
gloire . Sous le Prince bien - aimé qui nous
gouverne , nous ,touchons à ce bonheur.
Lifimond plaifoit à Clorinde . Il avoit
eu la plus heureufe éducation . Ses traits
étoient nobles , fes manieres fimples , fa
parure modefte & fes fentimens dignes d'un
Romain du premier âge.
Ceux qui le connoiffoient l'aimoient ,
& ne pouvoient ne pas l'eftimer : ceux dont
il n'étoit pas connu, & avec lefquels le hazard
le produifoit , s'il n'avoit eu foin de
les détromper , l'auroient pris pour un Seigneur
de la premiere qualité , tant il étoit
fimple & modefte. Il n'eft point de petit
maître qui n'eût rougi de lui appartenir ,
& qui n'eût affecté même de mal prononcer
fon nom : c'eſt du bel air .
Ce fut Lifimond qui fit connoître à Clorinde
les premieres douceurs de l'amour.
Il s'en expliqua fimplement. Il lui dit qu'il
l'aimoit , que fon caractere & fes charmes
méritoient fon eftime & fon coeur ; qu'il
lui offroit l'un & l'autre , & qu'il ne fe
NOVEMBRE. 1757. II
croiroit heureux qu'autant que ces fentimens
contribueroient à fon bonheur. Je
voudrois prefque , ajouta- t'il , que vos
biens fuffent moins confidérables. Vous ne
foupçonnez pas fans doute que c'eſt le motif
qui me détermine : en euffiez -vous dix
fois moins , je vous offrirois de partager
les miens avec vous.
Clorinde étoit née avec ces fentimens
de droiture , que la nature infpire aux
coeurs bien faits. Ce difcours la toucha ,
elle l'écouta avec plaifir. Ce ton de fincérité
n'eut pas de peine à la perfuader & à
lui plaire. Lifimond eut bientôt obtenu le
confentement du pere. La main de Clorinde
lui fut promife , il fe crut heureux : ils
l'auroient été tous deux par ce mariage , fi
la mort n'eût ravi dans cette circonftance
de cette amante.
le
pere
Les premiers inftans furent donnés à la
douleur. Lifimond effuya fes larmes & partagea
fon affliction : il étoit trop fage pour
parler d'hymen dans ces inftans de deuil
où la trifteffe de Clorinde l'affuroit de la
fenfibilité de fon coeur & de la bonté
de fon caractere : il refpectoit fa douleur.
Elle lui parla la premiere ; elle mit un
terme affez long à leur mariage : Lifimond
n'en murmura point , il aimoit tendrement
A vj
'12 MERCURE DE FRANCE.
& on ne fçait qu'obéir aux ordres de ce
qu'on aime.
Les détails d'un partage avec un frere
Occuperent quelques inftans Clorinde. Elle
vit fes biens monter plus haut qu'elle ne
l'avoit penfé , & fes droits s'étoient accrus
de moitié.
Son coeur nageoit dans la joie de pouvoir
partager une fortune auffi confidérable
, avec un amant aimé qui l'adoroit ;
elle fe croyoit infenfible à tout autre fentiment
; elle étoit femme , la vanité n'a que
trop d'empire fur le fexe , elle en fut la
victime..
Le bruit de fes grands biens lui avoit
attiré nombre de foupirans : elle n'en voulut
écouter aucun. Le Marquis de *** qui
tenoit un rang à la Cour , lui fit parler . Ce
titre la rendit attentive ; il vint , elle l'écouta
, mais il ne lui plut point. Une feconde
converfation ne la toucha pas davantage.
Il parla du commerce avec un
ton décidé , méprifa cet état , & fans penfer
que ce difcours devoit faire naturellement
un effet tout différent de celui qu'il
próduifit , il lâcha cent plaifanteries qui.
commencerent à perfuader Clorinde , &
rendirent à fes yeux , prefque mépriſable
un état à qui elle devoit fes biens & fon
opulence, Les détails des prérogatives attaNOVEMBRE.
1757. X3
chées à la qualité de Marquife , lui firent
faire de nouvelles réflexions : parlons plus
nettement , l'idée de ces vains honneurs
lui fit bientôt tourner la tête .
Déja elle n'eftimoit heureux que ceux
qui habitent la Cour : fon efprit s'enivroit
ces idées de grandeur ; mais fon coeur
tenoit encore pour Lifimond. Elle le vit ,
fa vue lui caufa un certain embarras. Lifimond
le démêla aifément , & le difcours
de Clorinde lui montra que fes conjectures
n'étoient pas fauffes . Il ne fe plaignit
point , il écouta. Elle parla du Marquis &
de fes richeffes , elle l'entretint des honneurs
qu'elle lui facrifioit , elle parut les
regretter , & termina fon difcours par
à Lifimond , qu'il devoit penfer à fe procurer
une charge à la Cour , qui le tirât
de l'état défagréable où ils étoient .
dire
Lifimond ne répliqua que par un foupir.
Il vit le délire de Clorinde , il n'y
oppola que peu de paroles , mais pleines
de fageffe & d'une modération qui auroit
dû lui ouvrir les yeux.
Quelle charge voulez - vous que j'ache--
te , dit- il , ô Clorinde ! & de quoi me
parlez- vous ? Je fçais que vos biens ajou
tés aux miens , nous feroient marcher
prefque de pair avec les grands Seigneurs ;
je fçais que ceux qui nous verroient de loin .
14 MERCURE DE FRANCE.
dans un équipage brillant & dans un palais
pompeux , nous croiroient égaux à ces Seigneurs
dont nous imiterions les airs , le
luxe , & dont nous pafferions peut-être la
dépenfe. Qui fçait fi nous ne viendrions
point à bout de nous le perfuader à nousmêmes.
Mais je fçais auffi que pour prix de notre
vanité , on nous prodigueroit le mépris
, & qu'à la quatrieme génération cette
tache ne feroit pas lavée ; non que c'en
foit une en effet : le grand Seigneur & le
Prince même nous eftimera , Clorinde
dans ce commerce où nos peres ont vécu ,
où ils ont été utiles à la patrie, & quelquefois
même affez heureux pour fervir l'Etat
& leur Roi.Ne penfons point à uneCour où
nous ferions fi longtemps étrangers , & où
on auroit raifon de nous regarder comme
tels.
Vous rougiffez Clorinde , que dois- je
penfer Rougiffez - vous du confeil que
vous me donniez tout à l'heure ? Rougiffez-
vous de mon état & du vôtre ? Vous
ne parlez point.
Je fens , dit- elle , avec dépit que j'ai
tort , & que vous avez raifon. Nous en
parlerons une autre fois : laiffez - moi à mes
reflexions & à mes idées.
Lifimond fe retira affligé. Il aimoit
NOVEMBRE. 1757. 15
3
éperduement Clorinde, il ne répliqua point
à ces derniers mots : il crut que le dif
cours qu'il avoit tenu avoit fait fon impreffion
, que la raiſon aidée par l'amour ,
détermineroit fes démarches , & que la
droiture qu'il lui connoiffoit acheveroit de
la détromper.
Les réflexions de Clorinde étoient bien
différentes. Elle balança d'abord ; mais
bientôt décidée par la vanité , elle traita
de baffeffe le goût & la fageffe de Lifimond
, elle fe reprocha prefque de l'avoir
aimé. Une vifite du Marquis acheva de la
perdre . Ne fortirez- vous point , dit- il ,
d'un pays où j'entends louer vos charmes &
vos bonnes qualités par des bouches qui
les profanent , & où mille gens qui ne
devroient paroître en votre préfence qu'en
baiffant les yeux , parlent de vous avec un
air de connoiffance qui vous avilit & vous
deshonore. Hier encore au gouvernement,
un certain ...... Limond..... Lifimond
fil eft bon de remarquer que Lifimond venoit
de prêter mille louis au Marquis à la
priere du Gouverneur ) , je me le fuis fait
nommer par curiofité , ce garçon vous
louoit avec une fatuité , un air gauche ....
Je fouffrois , je vous l'avoue ; je jouois ,
& fans le coup intéreffant qui fixoit mon
attention , je lui aurois impofé filence. Le
16 MERCURE DE FRANCE.
counoillez-vous ? ..... Clorinde héſita , elle
étoit embarrallée. Le Marquis charmé de
fon trouble , & fans lui laifler le temps de
répondre , reprit avec vivacité , Madame ,
la Cour eft le théatre qui vous convient ,
hâtons - nous , vous ne dépendez de perfonne
, vous devez compte des momens
que vous dérobez à cette Cour qui vous
attend ; je fors , décidez vous , & dans
une heure j'envoie ou je viens fçavoir votre
réponſe. Ce ton cavalier n'auroit pas dû la
lui rendre favorable .
Clorinde étoit troublée. Elle fentoit ce
qu'elle devoit faire , la raifon ne l'avoit
point abandonnée ; mais fa vanité parloit
plus haut une fille qu'elle avoit auprès
d'elle , acheva de la déterminer . Le Marquis
avoit fçu la gagner par des préfens ,
l'argent de Lifimond avoit fervi à la féduire
ce mot de Cour fubjuguoir cette
fille ainfi que fa maîtreffe. Point de motif
plus puiffant fur une femme que la vanité ,
fi ce n'eft peut être la curiofité , & ces deux
chofes fe trouvoient réunies.
Les difcours ne furent point épargnés.
Clorinde étoit déja déterminée , la femme
de chambre n'eut qu'à l'affermir : elle lui
perfuada furtout de ne plus voir Lifimond ,.
fon coeur en murmuroit , elle combattit le
penchant qu'elle y avoit , on lui en fit vois
t
NOVEMBRE. 1757. 17
les conféquences ; c'étoit un facrifice néceffaire.
Le Marquis ignoroit fes liaiſons
avec cet homme fans doute. S'il venoit à
en être inftruit , il romproit avec elle :
d'ailleurs elle devenoit trop grande Dame
pour penfer encore à un homme que la ti
midité inféparable d'une condition médiocre,
fixoit à cet état méprifable . Voilà comme
on peignoit la fage réfolution de Lifimond.
L'heure étoit paffée , le Marquis ne reparoiffoit
point , & Clorinde regretteit
( tant elle étoit aveuglée ) de ne s'être pas
déclarée fur le champ en fa faveur. Son
impatience fut fatisfaite. Il arriva ; fa parole
fut donnée , le Marquis ne trouva
que trop de facilité à brufquer l'affaire : ils
épouferent & partirent le furlendemain.
Clorinde avoit le coeur ferré d'une certaine
trifteffe dont elle fembloit ignorer la
caufe : le Marquis étoit fort content de
payer un million de dettes , & de pouvoir
retirer pour un autre million de terres aliénées
par les ancêtres.
Clorinde arriva à la Cour avec une timidité
, compagne ordinaire du mérite .
Elle y trouva les honneurs de fon rang , la
fervitude & l'étiquette attachées à la grandeur
; elle n'y trouva point le bonheur :
trop raisonnable pour ne pas prendre fom
18 MERCURE DE FRANCE .
parti , elle fe confola . Elle eut quelques
amies du premier rang dans un pays où
il eft fi rare d'en trouver ; elle leur conta
quelquefois fon aventure , elle ne rougiffoit
point de fon origine. L'amour peutêtre
m'eût rendue heureuſe , difoit- elle ;
j'ai cherché mon bonheur dans la grandeur
je ne l'y ai pas trouvée. Elle ajoutoit , c'eft
un projet manqué , & ce mot étoit devenu
une expreffion de fociété , lorfqu'on voyoit
quelqu'établiffement qui ne paroiffoit pas
devoir être heureux.
Par le Montagnard des Pyrénées.
Nous allons joindre à ce Conte le Quatrain
fuivant , qui eft à la louange de
l'Auteur.
VERS à l'aimable Montagnard des Py
rénées .
Des fleches de l'Amour tu formes tes pinceaux :
La vérité dans tes portraits éclate ;
Des graces la main délicate
D'un brillant coloris anime tes tableaux.
Ces vers font de M. Boulé l'aîné , écolier
au College de Vannes. Des Rimeurs
qui fe croient maîtres en font de plus
mauvais à Paris.
NOVEMBRE. 1757. 19
VERS
Sur la Naiffance de Monfeigneur le Comte
d'Artois .
DANS nos jours de calamité ,
Augufte & cher Enfant , tu n'as point reçu l'être
Tu ne vivras que pour connoître
La publique félicité.
Les fléaux de la terre à ton aſpect s'envolent :
Nos cruels deftins font changés .
Tu n'as point vu les maux qui nous ont affligés
Tu vois les biens qui nous confolent.
De la France en tous lieux les drapeaux triom
phans ,
La victoire au dehors & la paix au dedans ,
Prince , tout embellit l'aurore de ta vie :
Envain la difcorde ennemie
Reclame , en frémiſſant , fon empire fatal
Que du bonheur de la patrie
Ta naiffance foit le fignal !
Ces Vers heureux font de M. l'Abbé Por
quet , & nous les propofons pour modele
aux Rimeurs qui en font fi abondamment
fur chaque événement du jour . Qu'ils apprennent
de lui à faifir les circonftances
& à fortir du cercle ufé des lieux communs
, où ils font toujours renfermés.
20 MERCURE DE FRANCE.
Nous avertiffons , à ce fujet , que nous
allons être de plus en plus féveres fur les
vers qu'on adreffe aux Grands : nous n'en
mettrons plus qui ne nous paroiffent dignes
d'eux , ou qui ne préfentent au moins
un trait de louange qui les caracteriſe.
Nous prions en conféquence Meffieurs les
Auteurs , de les faire meilleurs à l'avenir ,
ou de ne plus fe plaindre fi nous fupprimons
leurs pieces : c'eft leur rendre
fervice que de n'en point faire ufage.
Des vers médiocres aviliffent non feulement
le fujet & dégradent le héros ,
mais ils rendent encore le poëte ridicule.
Il est vrai que nous avons inféré
dans ce volume ceux de la Mufe Limonadiere
, fur la Mort de M. le Duc de
Gefvres ; mais tout foibles qu'ils font ,
ils peignent ce Seigneur avec des traits
reffemblans , & nous avons pardonné le
défaut de coloris en faveur de la vérité.
MADRIGAL.
POURQUOI fuis-je toujours dupe de l'eſpérance ,
Victime de la crainte , eſclave du defir ?
Il faut , quand on ne peut arriver au plaiſir,
Retourner à l'indifférence,
NOVEMBRE. 1757. 21
MELANGES DE LITTÉRATURE .
Des Livres , des Auteurs , de la lecture &
du ftyle.
Si c'eft la vanité de produire plufieurs
volumes , & de paffer pour féconds , qui
femble animer quelques Ecrivains , & précipiter
de leur plume les ouvrages comme
par torrens , il eft bon de les avertir , & de
leur dire qu'un autre a pris les devans
il y a déja plufieurs fiecles . C'eft Dydimus,
Grammairien fans pitié , Auteur le plus
fécond qui fût jamais , & qui jadis a produit
quatre mille ( 1 ) volumes de compte
fair , dont il ne refte pas un.
Il faut être bien neuf dans le métier
d'Auteur ou d'Editeur , pour vouloir enfler
des livres de pur agrément , ou du
moins qu'on croit tels. Quels titres ridicules
que ceux- ci , par exemple : Bibliothe
que desgens de Cour ; Recueil choifi de bons
mots ; Amuſemens du coeur & de l'esprit, &c.
18 volumes , la fuite fous preffe.
Le mérite d'un ouvrage n'eft pas d'être
critiqué , mais de furvivre aux critiques.
( 1 ) Séneque eft un des Auteurs qui rapportent
se fait,
21 MERCURE DE FRANCE.
Un Auteur fait la moitié de fon ouvrage
, & le Lecteur fait l'autre.
Il faut qu'un Auteur fçache fe mettre
au deffus de fon fiecle : à plus forte raifon
de la parodie & des quolibets.
On lit parce qu'on penfe , & fouvent
parce qu'on craint de penfer.
La lecture reffemble au jeu : on eft bien
aife de s'amufer , & de gagner quelque
chofe en s'amufant.
Il ne faut beaucoup lire , que quand on
fçait beaucoup oublier.
Se peindre dans fes ouvrages , n'eft pas
un hazard , c'eſt un devoir . J'admire Montagne
, qui dit par une figure pleine de
force , qu'il voudroit qu'il lui fût permis
de fe peindre nu .
On rifque moins à mêler le bon au médiocre
dans un ouvrage , qu'à n'y mettre
que du bon. Un homme de goût doit rif
quet le plus.
On n'écriroit peut- être jamais fi l'on
craignoit les autres autant que foi-même.
Des Anciens.
Les anciens offrent d'excellens modeles
pour qui cherche à fe perfectionner en fait
de ftyle , non qu'il faille parler Grec ou
Latin ou François , mais parce que leur
langue fourmille de tours & d'expreffions,
1
NOVEMBRE. 1757. 23
qui ne peuvent qu'enrichir la nôtre entre
les mains d'un habile Ecrivain. Un Régent
de province , où l'éducation eft fort négligée
, demandoit à un de fes Ecoliers ,
qui eft- ce qui lui avoit appris à faire des
vers François ? Il lui repondit ( 1 ) c'eſt
Virgile.
Nous avons , fans contredit , de l'efprit
comme les anciens , pour imiter la nature,
& bien plus d'efprit fans doute des talens
, du feu, du génie-même , fi l'on veut ;
qui l'ignore mais ils avoient des yeux ou
un art que nous n'avons point , cela eſt
fûr. Cet art confifte , fi je ne me trompe,
à fe borner au gente que l'on entreprend,
Les habiles modernes qui ont fçu fe borner,
ont égalé les anciens.
En lifant les anciens , on eft prefque fûr
dé fçavoir ce qu'ont écrit les modernes ;
mais en lifant ceux- ci , on n'apprend pas
toujours ce qu'ont dit les autres , & la façon
dont ils l'ont dit.
Pourquoi néglige - t'on fi fort l'étude de
la nature & des anciens ? Par la même
raiſon qui fait , felon Martial , qu'on ne
paye point fes dettes.
Odiffe quàm amare vilius conftat.
(1 ) Cette réponſe eft de l'Auteur ,
La fuite pour un autre Mercure .
24 MERCURE DE FRANCE.
VERS
De M. Relongue de la Louptiere, de l'Acadé
mie royale des Sciences & Belles Lettres de
Villefranche en Beaujolois , & de la Société
Littéraire de Châlons fur Marne ; à une
Demoiselle qui difoit qu'elle n'aimoit pas
les petits hommes.
AINSI donc votre ame féduite
Dédaigne les Amans dont la taille eft petite :
Ah ! revenez de votre erreur.
Faut- il qu'un agrément vous bleffe !
Mon petit roi , mon petit coeur ;
Tous ces petits mots de tendreffe ,
Que les romans nous ont appris ,
Ne font- ils pas affez l'éloge des petits ?
Eux feuls connoiſſent la diſtance
Que la beauté met entre nous :
La nature à vos loix les foumet par avance
En les plaçant à vos genoux ;
L'amour leur doit la préférence ,
Et la main des plaifirs les comble de ſes dons.
Ce n'eft pas aux grands Aquilons
Que l'Aurore fe plaît à confier fes larmes ,
Et c'eft le plus petit des Dieux
Qui fait éclater en tous lieux
Le plus de puiffance & de charmes.
Mais
NOVEMBRE. 1757 28
Mais pour choifir votre vainqueur ,
Défiez-vous , Iris , de tout tant que nous fommes :
C'est par l'efprit & par le coeur
Qu'il importe furtout de mefurer les hommes.
RÉPONSE de M. d'Harnoncour aux
Vers de M. de la Louptiere , inférés dans
le Mercure de Mars.
AIMABLE IMABLE Académicien ,
Que tu reçus de talens en partage !
L'élégance de ton fuffrage
Fait ton éloge & non le mien ;
Elle me réduit au filence :
Mais il bleffe un coeur délicat :
Il vaut mieux manquer de prudence
Que de paffer pour être ingrat.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , un proverbe très - ancien
nous dit : il n'y a point de comparaiſon
qui ne cloche. Celle d'un Amant volage
à un Papillon feroit- elle abſolument juſte ?
Il y a quelques jours que je vis dans un
jardin deux papillons voltiger féparément
B.
S MERCURE DE FRANCE.
fe changent en cyprès , la tendre fauvette
& les roffignols amoureux ceffent leurs ramages
, un filence affreux fuccede à leurs
concerts agréables ; les plaifits abandonnent
ces afyles fuis-les , vole amour ,
cherche des cours plus capables de recevoir
tes impreffions : la trifteffe qui regne
dans le mien , ne me permet plus , ni
de t'offrir mes voeux , ni de brûler d'encens
fur tes autels.
O Mirtis objet adoré ! toi , par qui
j'appris à me connoître , à fentir mon exiftence.
Que font devenus ces momens précieux
, que leur douceur & leur pureté devoient
rendre éternels ? Ils ont disparu
comme un fonge agréable , qu'un prompt
reveil détruit , & dont il ne refte que le
fouvenir. Je jouiffois fans inquiétude du
plaifir d'aimer & d'être aimé ; le devoir
n'avoit fait que refferrer des noeuds formés
par l'amour , & fondés fur l'eftime .
nos jours couloient dans l'innocence , fans
crainte & fans defirs , notre tendreffe nous
fuffifoit. Rien ne manquoit à notre bonheur.
Hélas ! il étoit trop parfait pour durer
longtemps ! La mort m'a tout ravi.
C'en eft fait , un efpace immenfe nous
fépare. Ces bois retentiffent en.vain de
mes cris , en vain je cherche Mirtis , envain
je l'appelle de toutes parts , je ne la
NOVEMBRE. 1757. 29
F
verrai plus... Son ombre jouit maintenant
dans les champs élizées , des douceurs
promiſes aux coeurs vertueux. Séparation
cruelle ! fource éternelle de mes
larmes , vous ferez toujours préfente à
ma mémoire ! .. Depuis que l'amour nous
uniffoit , je ne voyois rien qui ne me parlât
d'aimer , la nature me paroiffoit plus
vive ,plus riante qu'auparavant.Depuis que
Mirtis n'eft plus , tout rentre à mes yeux
dans fon premier néant , tout me devient
odieux : l'air même , cer air que je reſpire,
m'eft infuportable, depuis que je ne le par
rage plus avec elle... Tout change ; &
mon coeur ne peut changer. L'image de
Mirtis y eft gravée avec des traits que ma
mort feule peut effacer.
Je ne puis faire un pas dans ce féjour ,
fans y trouver des monumens de ma félicité
paffée : tout me trace ces biens que j'ai
perdus... Tout entretient dans mon ame
Te chagrin qui la déchire. C'eft dans ces
jardins , ô Mirtis ! que je te vis pour la
premiere fois ; ils furent les témoins de notre
paisible enfance ; ils virent croître notre
tendreffe avec notre âge. C'eft dans cette
grotte , que j'ofai te déclarer mes fentimens
; je te peignis ma flamme , la nature
& l'amour étoient mes feuls interpretes ,
pouvois-je ne pas perfuader ! C'eft dans
B iij
36 MERCURE DE FRANCE.
ce même lieu que tu me fis l'aveu de ta
fenfibilité. Oui , cher Philémon , me distu
( avec certe aimable ingénuité qui charmoit
tous ceux qui te connoiffoient ) , oui ,
cher Philémon , fi ton bonheur dépend en
effet de mon fincere retour , quel mortel
eft plus heureux que toi ? Je t'aime . C'eſt
fous ce tilleul que nous réitérâmes les fermens
que nous venions de nous faire au
temple de l'Hymen , & que nous nous jurâmes
une conftance éternelle... Je porte
mes regards plus loin . .. j'y vois l'endroit
le plus cher à mon coeur... Ce bofquet
charmant s'offre à ma trifte vue... Jours
fortunés , jours purs & fereins que n'obfcurcit
jamais le moindre nuage de trifteffe,
vous ne luirez plus pour moi ! Vous avez
paffé avec la rapidité de l'éclair . Dieux.
cruels ! c'est vous qui m'en privez . Je ne le
verrai plus renaître , & vous ne m'en laiffez
le fouvenir fatal , que pour mieux
m'affliger & jouir de mon défefpoir !
Infenfé que je fuis ! j'ofe accufer les
Dieux mêmes de mes malheurs , & je fuis
le feul coupable : ils font juftes. Ils me puniffent
de la négligence que j'ai apportée à
leur culte que dis- je ! ils me puniffent
de mon impiété . Les ai - je implorés
une feule fois leur ai- je demandé quelque
confolation ? Non , loin deleur adref.
fer mes voeux , j'ai traîné jufqu'aux pieds
NOVEMBRE. 1757. 31
de leurs autels la douleur qui me dévore.
Je n'entre dans leurs temples que pour leur
reprocher leur injuftice ; je ne vois , je
n'entends , je ne cherche.que Mirtis , elle
feule a tous mes voeux , & je murmure
contre ces immortels qui ( s'ils étoient
moins pitoyables ) , devroient m'écrafer de
leurs foudres. Pardonnez , Dieux puiffans !
pardonnez à un infortuné qui fent tous fes
crimes , & qui les commet malgré lui ...
Arrachez moi de ce lieu funefte... Rendez
moi cette raifon , dont j'ai perdu l'ufage
, donnez moi la force de refifter aux
maux qui m'accablent , ou plutôt , fi ces
maux vous touchent , par pitié , daignez
en terminer le cours fatal , en m'ôtant la
vie ... Hélas ! .. ma priere , loin de les
fléchir , les irrite encore... Eh bien ... je
leur obéirai ... ils l'ordonnent... J'abandonnerai
ce cercueil ... je ne l'arroferai
plus de mes larmes . Je ferai plus... je bannirai
Mirtis de mon coeur , pour le remplir
de leur amour... Soumis à leurs décrets ,
je refpecterai la main qui me perce le
coeur... J'oublierai Mirtis ! ... Eft- il en
ma puiffance de l'oublier ? .. Non , les
Dieux ne font point affez barbares pour
exiger ce cruel facrifice ... Non , Mirtis ,
je penferai fans ceffe à toi... tu auras tous
mes voeux ... Malheureux Philémon , fe-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
!
ras-tu fourd à la voix de ces maîtres da
monde , qui font indignés de tes diſcours..
crains leur vangeance , Mirtis elle- même
t'en conjure... Il le faut- donc... Grands
Dieux que cette obéiffance me coûte à
remplir... qu'elle eft cruelle ! .. Je vais
abandonner des lieux où j'ai paffai les plus
beaux jours de ma vie... J'y laiffe la moi
tié de moi-même... Ils renferment tout
ce que j'aimai... Les cendres de Mirtis
repofent , & je les vois aujourd'hui pour la
derniere fois ! .. Mes regrets font légitimes...
pour la derniere fois ! .. Quoi!
Mirtis...je ne te verrai plus ... Quoi ! ces
noeuds facrés qui nous uniffoient font rompus
& je vis encore... Cette idée cruelle
me rend toute ma foibleffe... j'y fuccombe...
je fens la trifte néceffité de m'éloi
gner ; & je me plais à retarder mon départ...
Il le faut cependant... & j'obéis...
Je vais fuivre ma deftinée... Adieu....
bords chéris , demeure jadis charmante……
je ne goûterai plus vos douceurs... Vous
m'êtes infuportables .... adieu .... pour
jamais... Je m'approche en tremblant de
ce tombeau... je le mouille de mes pleurs..
Je voudrois y paffer les reftes d'une vie
languiffante.... Je le quitte... ç'en eft
fait... Mânes revérés d'une époufe adorable
, recevez auffi mes éternels adieux ,
jouiffez d'une paix profonde... Bientôt la
NOVEMBRE . 1757. 35
mort nous réunira ... Bientôt mes cendres
feront recueillies dans cette même urne ..
Encore quelque temps ... & je te rejoindrai...
Mirtis... chere & tendre Mirtis
! ..il n'eft plus de repos pour moi....
plus de plaifirs..tu faifois feule ma félicité...
tu n'eft plus.
LE BOUQUET CHAMPÊTRE ,
AU ROI ,
Par Mlle Thomaffin , d'Arc- en-Barois.
MUSE , laiffons paffer & la cour & la ville ;
Puis aux pieds de Louis volons à notre tour :
Quand ce Héros charmant fera libre & tranquille ,
Nous pourrons faire alors éclater notre amour .
Mais rendons , s'il fe peut , notre champêtre hommage
Digne d'être agréé du plus puiffant des Rois :
Puiffions- nous oppofer avec quelqu'avantage
Au faſte de la cour la franchiſe des bois !
Du plus clair des ruiffeaux coule une onde moins
pure ,
Que les voeux que pour lui forment nos tendres
coeurs ;
Il fçaura bien de l'art diſtinguer la nature ,
B▾
34 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft pas dans nos champs qu'habitent les
Aatteurs .
Quand fur fes pas les miens ( 1 ) couroient à la
victoire ,
Qu'ils étoient les témoins de fes fameux combats ,
Et que nous , par nos chants , nous exaltions fa
gloire ,
Quel gracieux accueil n'en reçûmes-nous pas
Qu'à jamais les exploits , fes bontés , fa clémence
Occupent tour à tour nos humbles chalumeaux !
Que nos Bergers heureux , pleins de reconnoiffance
,
Les gravent , à l'envi , fur de jeunes ormeaux !
Laiffons aux Courtifans , peut - être moins finceres
,
Lui rendre avec éclat les plus brillans honneurs :
Mais c'eft affez pour nous ; c'eft le droit des Bergeres
,
D'offrir aux Conquérans des chanfons & des fleurs:
(1 ) Mlle Thomaffin a cinq freres au ſervice.
VERS à Madame Bellet , jouant de la
Mufette.
DANS cet Inftrument Zéphyre
Vient le foumettre à vos Loix
NOVEMBRE. 1757 . 35
C'eft lui -même qui foupire ,
Qui s'exprime fous vos doigt :
Il les careffe , il les baife
A travers des chalumeaux ,
Et les fons qu'il en rend d'aife
Forment les airs les plus beaux.
L'ANON PETIT- MAISTRE ,
FABLE.
Pour la premiere fois on menoit au moulin
Un jeune Anon qui bégayoit encore.
On avoit peu chargé la petite pécore ,
De peur qu'il ne reftât au milieu du chemin .
N'allez pas croire au moins qu'il prit ainfi la
chofe.
O que nenni. Le drôle avoit trop bonne dofe
De cet amour fervent que chacun fent pour foi ,
Et qui nous fait traiter le prochain de canaille.
Il crut qu'on avoit peur de lui gâter la taille ;
Il le crut & de bonne foi.
J'ai vu bien des Anons encor plus fots en France,
Que leur foibleffe même a rendus glorieux.
Il n'eft pas jufqu'à l'ignorance ,
Qui les deux bras croifés , infultant la fcience ,
Ne penfe être ici - bas l'enfant gâté des Dieux.
B v j
36. MERCURE DE FRANCE.
APOLOGIE DE L'AMOUR ( 1 ) ,
Par une jeune Demoifelle de Grandville.
J₂ me promenois l'autre jour dans un
Bocage charmant , lorfque je vis venir à
moi un enfant d'une beauté éblouiffante.
Il avoit l'air trifte , & la démarche languiffante
; fes beaux yeux étoient mouillés
de quelques larmes. Hélas ! me dit- il en
m'abordant , devois - je m'attendre au traitement
rigoureux que je viens d'effuyer ?
Où irai- je déformais cacher ma honte ?
on vient de la rendre publique ; & par
qui fuis-je outragé par une ingrate à qui
j'ai voulu mille fois prodiguer mes faveurs.
Mais vous , qui avez toujours tenu le premier
rang parmi mes favorites , vous , qui
joignez au coeur le plus tendre l'ame la
plus reconnoiffante , ne repoufferez - vous
pas l'injure que l'on me fait ? A ces mots
l'Amour , car c'étoit lui , me fit lire la
lettre qu'il venoit de recevoir ; j'en frémis
de courroux .
Tranquillifez-vous , aimable enfant , lui
dis-je ; la calomnie ne prendra jamais dans
(1 ) La piece qui y donne lieu eft dans le Mercure
de Septembre , page 32.
C
0
D
NOVEMBRE. 1757 . 37
que
un fiecle auffi éclairé que le nôtre. Vous
voulez que je prenne votre défenſe ; je
n'ai rien à vous refufer , mais cela me
paroît affez inutile. Le nombre de vos fujets
fera toujours le même : foyez für
ce libelle féditieux n'aura point fait de
transfuges votre joug a trop de charmes
pour qu'on puiffe fe réfoudre à le ſecouer.
Raffuré par ces paroles , l'Amour effuya
fes larmes , un doux fourire m'annonça fa
fatisfaction ; mais il ne s'envola qu'après
m'avoir fait promettre que j'écrirois en fa
faveur. Je m'acquite de ma promeſſe .
L'amour eft la fource des vrais plaifirs :
tout ce qui vit , tout ce qui refpire eft
fujet à fes loix ; & quelles loix ? Y en eûtil
jamais de plus douces ! Qu'on ne me
dife pas qu'il eft cruel , ingrat , intéreffé ,
volage : ces qualités- là conviennent à un
fentiment bien différent qui en ufurpe
quelquefois le nom. L'amour de fa nature
eft tendre , délicat , timide , toujours empreffé
à plaire. Plairoit- il avec les défauts
qu'on lui attribue ? Je dis plus : lorfqu'il
regne dans une ame livrée à ces défauts ,
il les en chaffe bien vite ; l'avare devient
libéral ; l'ingrat , reconnoiffant ; il fixe le
volage , il adoucit l'homme féroce , en un
mot , il change les vices en vertus , & cela ,
l'expérience nous l'apprend. C'est lui qui
38 MERCURE DE FRANCE.
donne à cet époux infortuné la force de
fupporter les malheurs les plus terribles :
accablé par la plus affreufe mifere , il alloit
mourir la voix d'une époufe chérie ſe
fait entendre , il vole entre fes bras : dans
l'inftant il eft rappellé à la vie , l'espoir &
l'alégreffe renaiffent dans le fond de fon
coeur content d'aimer & d'être aimé , il
oublie tous les maux. Le croiroit- on ! il
trouve encore des charmes à fa fituation.
Amour , tels font vos effets ! quelles obligations
ne vous a pas la France ? n'eſt- ce
pas vous , qui retirâtes Charles VII de la
profonde léthargie dans laquelle il languiffoit
? Vous réveillâtes en lui l'amour
de la vraie gloire ; vous lui fîtes faire des
efforts qui raffermirent le fceptre chanchelant
dans fes mains.
Vos peines , dit-on , font réelles , & vos
plaifirs imaginaires : il ne faut qu'aimer
pour éprouver le contraire. L'amour ne
fait- il pas la félicité des coeurs fenfibles ?
eft -il rien de comparable aux délicates
émotions d'une paffion naiffante ? quels
plaifirs ne puife-t'on pas dans une tendref
fe réciproque ? Un gefte , un regard , un
mot de l'objet aimé caufe des tranfports
inexprimables.
La jaloufie , au moins cette efpece da
jalousie dont les effets font fi terribles , ne
0
C
C
NOVEMBRE . 1757- 39
dut jamais, fa naiffance à l'amour , elle eft
fille de la fureur : un Amant jaloux , l'eft
d'une façon délicate : la crainte de perdre
ce qu'il aime l'afflige ; mais fon affliction
eft douce , modérée , le feul fentiment
peut lever le voile qui la couvre un furieux
livré à la jaloufe eft capable des
plus grands excès. Saint Evremont l'a dit ,
& rien n'eft plus vrai , les peines de l'amour
font des plaifirs ; quiconque s'en
formera une vraie idée , fera de fon avis :
on le confond avec le goût pour les plaifirs
des fens ; delà vient l'erreur. Qu'on
démêle , qu'on faififfe les nuances qui en
font la différence , & l'on conviendra qu'il
n'eft point de vrai bonheur fans amour.
VERS
Sur la Mort de M. le Duc de Gefures.
AFFLIGE
+6
FFLIGE TOI , Paris , pleure ton Gouverneur ,
Gefvres dont le bon coeur égaloit la naiffance
Qui fçut avec fageffe , autant qu'avec honneus
Occuper ce rang d'importance ;.
Il faut mieux que perfonne agir en grand Seigneur
,
Joindre l'éclat de la grandeur
Aux charmes de la complaifance ,
46 MERCURE DE FRANCE.
Plaire & rendre fervice étoit fon feul defir ,
Un refus lui coûtoit cent fois plus qu'un plaifir :
Grand Dieu ! vous , qui formez pour les plus hautes
places
Les hommes bienfaifans & doux :
Celui qui dans fa vie accorda tant de graces,
Doit trouver grace auprès de vous.
Par la Mufe Limonadiere .
CONTE ALLEGORICO - MORAL ,
Dom le fujet eft tiré des penfees & réflexions
du C.... d'Oxenftirn.
RIEN ¸IEN ne vieillit plutôt que les bienfaits :
Je vais en citer un exemple ,
Entre maint autres que je tais :
On ne tarit point fur ces faits ,
La matiere en eſt toujours ample.
Mandrabule fit voeu d'offrir un mouton d'ør ,
En un annuel facrifice ,
A la Divinité propice ,
Qui lui feroit découvrir un tréfor.
Junon exauça fa demande ,
Il trouva ce qu'il defiroit ,
Et la premiere année il fit ce qu'il devoit
Pour une faveur auffi grande.
Mais la feconde , il crut que pour offrande
Un mouton d'argent fuffioit.
NOVEMBRE. 1757. 41
Il n'offrit la troisieme année
A l'épouse de Jupiter
Pour tribut qu'un mouton de fer.
Sur fa nouvelle deftinée
Faifant après réflexion ,
Il la crut affez fortunée
Pour mettre une preſcription
A fa reconnoiffance .
Mon homme , en conféquence ,
Conclut que pouvant fe paffer
D'avoir recours à la Déeffe ,
Il pouvoit bien fe difpenfér
De lui payer le droit qu'exigeoit fa promefle ,
( C'eft la logique des ingrats ).
Ce mouton de fer eft l'emblême
Dés coeurs auffi durs que lui - même .
Mortèls trop généreux ! ne vous y fiez pas ! ...
Aujourd'hui plus d'un Mandrabule ,
Dans tous les rangs & les états ,
Rompt des engagemens facrés & délicats
Avec encor moins de fcrupule.
Difigner Baroni del San- Domingo.
A M. DE BOISS r.
Left des circonftances , Monfieur , où la
retraite & la morale font les feuls plaifirs
que l'ame puiffe goûter. Dans un de ces
42 MERCURE DE FRANCE.
momens de mélancolie , je lifois l'autre
jour les maximes & les caracteres qu'un
Anglois , homme de qualité , a donné au
Public , & qui ont eu beaucoup de fuccès
dans fa patrie. Cet ouvrage eft le premier
de ce genre qu'on y ait fait paroître. J'en
connois l'Auteur , & je lui dois la juſtice
de dire que la fureur de compofer un livre,
a bien moins guidé fa plume que l'amour
de la vérité. Il penſe bien , il voit bien ,
il a beaucoup réfléchi , beaucoup vu , &
le fruit de fes lumieres & de fon loifir , ne
l'eft pas moins de fa candeur & de fon impartialité
. Il n'eft guere poffible de porter
l'une & l'autre plus loin que lui , & de
vouloir fe fouftraire de meilleure foi aux
préjugés qui offufquent la raifon. Peutêtre
n'acquiefceroit-on pas généralement ,
Monfieur , à toutes fes remarques , chacun
a fes propres lunettes ; mais du moins
il les fait fans paffion & fans malignité . Ce
caractere auffi rare qu'eftimable , & que
tout le monde lui accorde , m'engage à
prendre la défenfe de quelques fragmens
de fon ouvrage , traduits dans le Journal
étranger , d'une maniere capable d'indifpofer
nos Littérateurs contre fon efprit ,
fon goût & fon équité. Je préfume que le
Traducteur , qui m'eft inconnu , n'a tra
vaillé fans doute que d'après un extrait in-
1
C
NOVEMBRE . 1757. 43
fidele ; mais en me juftifiant ainfi fes méprifes
apparentes , je ne m'en crois pas
moins obligée à les redreffer. Je vous fupplie
donc , Monfieur , d'inférer dans votre
prochain Mercure , ces mêmes fragmens
qu'exprès je vous traduits prefqu'à
la lettre ; le texte Anglois que je mets à côté
,
pour
la fatisfaction de ceux qui poffedent
cette langue , & la traduction mutilée
, lâche & peu correcte du Journal étranger
, qui affoiblit , change ou fupprime
lés penfées de l'Auteur . J'ai eu l'honneur
de le voir , & de caufer affez fouvent avec
lui fur fon livre qu'il m'a fait la grace de
me donner , pour croire que je dérogerois.
aux loix de la fociété , de la reconnoiffance
& de l'exactitude , fi je ne rectifiois pas les
bévues qu'innocemment on lui fait faire.Je
me flatte que la droiture de mes intentions
ne bleffera perfone. Je vous fupplie encore,
Monfieur , de trouver bon que je garde
l'anonyme il ne me convient pas à tous
égards de figurer dans aucune difpute
littéraire . L'obfcurité eft mon lot & mon
voeu ; je ne la trouve défagréable qu'en ce
qu'elle me prive du plaifir de vous donner
un témoignage public de la confidération ,
avec laquelle j'ai l'honneur d'être , Monfieur
, votre très- humble & très-obéiffante
fervante
:
44 MERCURE DE FRANCE.
Maximes , caracterës , & réflèxions critiques,
fatyriques & morales.
It
femble
Ii
que l'on accorde
du mérite
à
de certaines
gens , comme
l'on fait l'aumône
à de certains
pauvres
, purement
parce
qu'on
eft las de les refufer
.
Le fuccès d'un projet bien concerté par
un homme fenfe , dépend fouvent de la
volonté d'un fot.
Les opinions des hommes d'une grande
habileté font refpectables avant qu'ils en
ayent donné les preuves de raifonnement ;
mais après les avoir ainfi appuyées , ces
opinions fe trouvent de niveau avec celle
des autres hommes , en ce qu'elles fe fondent
fur la force des raifons , & non pas
fur l'autorité des perfonnes.
.
Le courage de penfer eft infiniment
plus rare que le courage d'agir. Cependant
le danger dans le premier cas eft généra
lement imaginaire , & dans le dernier , il
eft réel .
Un orgueilleux ne montre jamais tant
fon orgueil que lorsqu'il eft affable.
Je m'étonne que la Rochefoucault n'ait
jamais dit que nous aimions la générofité
, parce qu'elle tourne à notre profit ;
M
;
Tea
the
NOVEMBRE . 1757- 45
Maxims , characters , and reflections critical,
Satyrical and moral .
Ir feams as if fome men ware allowed
merit , as beggars are relieved with money
, merely from having made people
weary of refufing.
The well- concerted project of a fenfible
man, muft of ten depend for fucceff on
the will of a fool.
The opinions of men of great abilities
are refpectable before they have given
their reafon for them , but afterwards
they are upon a level with the opinions
of other men , for they will then depend
upon the reaſons for fupport , not upon
the authority of the character.
Courage to think , is infinitely more
rare than courage to act and yet the
danger in the firft cafe is generally ima
ginary , in the laſt real.
A proud man never shews his pride
fomuch as when he is civil .
I wonder la Rochfaucault naver faid
that we loved generofity becauſe we got
by it ; it would have been methinks
46 MERCURE DE FRANCE.
cela auroit été conforme , à ce qu'il me
femble , au fyfteme de cet ingénieux &
agréable Ecrivain . Qu'il me foit permis
cependant au milieu de mon admiration
pour fon difcernement délicat, de cenfurer
la fubtilité outrée , qui dans fes recherches
fcrupuleufes fur la nature , le conduit
quelquefois à des fources auxquelles la nature
même femble n'avoir jamais remonté,
Il me paroît qu'il fuppofe en nous de
temps en temps des principes à des chofes
primitives en elles - mêmes , & qu'il a réellement
fait ce que Léibnitz croit fi déraifonnable
de demander , comme on en peut
juger par ce qu'il dit plaiſamment à´une
Reine curieufe :« Vous voulez , Madame ,
» que je vous donne le pourquoi du pour-
» quoi. "
Quel feu ! quelle facilité dans le langage
& les portraits de la Bruyere ! quelle main
de maître ! quels détails & quelle vivacité !
J'admire ces perfections ; je vois auffi des
marques de bon fens , & des idées juftes
dans les écrits : jufques - là j'approuve la
Bruyere ; mais je ne fouffre pas que ces
avantages m'éblouiffent ou me déguiſent
Les défauts fous un faux luftre. Je ne regle
jamais mon opinion par celle des autres ,
& je déclare hardiment que j'apperçois en
NOVEMBRE. 1757. 47
agreable to the fyftem of that ingenious
and pleafing writer. And let me , in the
midit of my admiration of his delicate
difcernment , cenfure that overftraining
keeneff in him , wich in is difquifitions
into Nature went fometimes to fources
to which she does not feem to have
aſcended herſelf. I appears to me , that
he fometimes gives us caufes for things
which are primary in themfelves , and
that he really did what Leibnitz thought
it unreaſonable to require , as appears
by his pleafant queftion to fome curious
Queen , when he faid : « Vous voulez
Madame , que je vous donne le pourquoi
du pourquoi.
บ
What fire and what eafe in the language
and painting of la Bruyere ! How
mafterly , how minute , aud yet how
fpirited ! I admire thefe excellencies ; i
fee alfo marks of good fenfe and fight
thinking in his writings , and thus far
i approve la Bruyere but i fuffer not
his excellencies to dazzle my fight or
difguife his faults with a falfe luftre :
i never regulate my opinion by that of
others , and i boldy declare that i fee
:
48 MERCURE
DE FRANCE
.
lui peu de pénétration & peu d'étendue,
Je penfe qu'il s'arrête fur des bagatelles ,
& qu'il s'y est trop attaché , pour avoir
contempler les objets vraiment feuls dignes
de l'attention d'un génie. « Il ne pépu
1
netre que l'écorce des hommes » eft une
remarque d'un de mes amis , qui me plaît
beaucoup. Quelle différence entre la
Bruyere & la Rochefoucault ! Je vois quel .
quefois , ou du moins je crois voir dans la
Bruyere une fatyre dictée par l'animofité ,
& dans la Rochefoucault une pénétration
aiguifée par l'étude & l'amour de la vérité.
Quelquefois la Brayere adopte un prin
cipe douteux , uniquement parce qu'il eft
défavantageux au genre humain. Quelquefois
la Rochefoucault fait tort en effet
à l'humanité ; mais ce tort réfulte toujours
d'une chaîne de conféquences juftes ,
tirées de fon propre principe , & eft aufli
toujours la branche naturelle d'une méprife
radicale. Selon moi , la Rochefou
cault eft fouvent pénétrant , profond , fpéfe
culatif, grand ; & la Bruyere , en général ,
n'a qu'un difcernement médiocre & fuperficiel.
2
little
NOVEMBRE . 1757. 49
little penetration , litle compaff of
thought in la Bruyere : i think he dwels
upon trifles , and feems too much taken
up with them to have contemplated fuch
objects as alone are worthy the attention
of a genius , il ne penetre que
l'écorce des hommes " is a remark uponhim
by a friend of mine which pleaſe
mé much. What a difference between la
Bruyere and la Rochfaucault ! I fee methinks
, fometimes at least i think i fee
in la Bruyere a fatyr produced by spleen ;
in la Rochfaucault keenneff arifing from
real curiofity and truth la Bruyere fometimes
adopts a dubious principle
merely becauſe it is difadvantageous to
mankind ; la Rochfaucault indeed fometimes
does wrong to humanity , but it
always follows by juft confequence from
his own principle , and is always the
genuine branch of one radical mistake.
In my opinion la Rochfaucault is often
fearching , deep , intuitive and great ; la
Bruyere generally half difcerning , and
little.
C
50. MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION des mêmes morceaux , inférée
dans le Journal Etranger , du mois de
Septembre 1757.
'Maxims , caractèrs , and reflections critical ,
Satyrical and moral , &c .
Il y a une claffe de gens à qui l'on n'accorde
du mérite , que parce qu'on eft las
de leur en avoir refufé : ils obtiennent leurréputation
, comme les pauvres obtiennent
l'aumône à force d'importunité.
Les projets les mieux concertés d'un
homme fage dépendent fouvent , pour le
fuccès , de la volonté & de la manoeuvre
d'un fou .
L'opinion des gens à réputation eft ref
pectable avant qu'ils l'ayent appuyée d'aucune
raifon ; mais enfuite elle eſt au niveau
de l'avis des autres hommes , parce que
le raifonnement en devient alors l'unique
balance , & que l'autorité n'y fait plus
rien .
Le courage dans la façon de penfer eft
beaucoup plus rare que celui qui s'appelle
bravouve cependant dans le premier cas
le danger n'eft qu'imaginaire , & dans le
fecond il eft réel.
L'orgueil d'un homme fier ne fe montre
NOVEMBRE. 1757.
jamais plus à découvert , que lorfqu'il veut
affecter d'être fort honnête.
Je m'étonne que la Rochefoucault n'ait
jamais dit que nous aimons la générosité ,
parce que nous gagnons avec elle . Cette
réflexion auroit été , à ce qu'il me femble ,
digne de cet ingénieux & agréable Ecrivain.
Au milieu de mon admiration , je
me permets cependant de lui reprocher trop
de raffinement , qui le fait aller quelquefois
jufqu'à des fources auxquelles il n'auroit
pas dû remonter . On pourroit lui appliquer
ce que Léibnitz dit à une grande
Reine qui le pouffoit à force de queſtions :
Vous voulez , Madame , que je vous
» donne le pourquoi du pourquoi .
رو
Quel feu ! quelle facilité dans le langage
& dans les portraits de la Bruyere !
Je ne me laiffe cependant point aveugler
fur ces défauts. Il eft très -fuperficiel , &
n'entame , pour ainfi dire , que l'écorce
des hommes . Quelle différence entre lui
& la Rochefoucault ! Je ne vois fouvent
dans le premier qu'une fatyre mélancolique
, produite par la bile & le fiel . Dans
le fecond , c'est toujours le fruit de fes
recherches fur la vérité. Quelquefois la
Bruyere n'adopte un principe , que parce
qu'il eft défavantageux à l'humanité : chez
la Rochefoucault tout coule néceffaire-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
ment de fes principes. Enfin , à mon avis ,
ce dernier eft toujours profond & grand:
la Bruyere ne fait qu'effleurer , & quelquefois
il eſt petit .
PORTRAITS.
Air : Ne v'la- i'il pas que j'aime.
QuUAND d'un air noble & citoyen ,
Prêt à tout entreprendre ,
L'on offre pour ne faire rien ,
N'eft-ce pas là Clitandre
*
Sans les talens , les traits flatteure
D'une femme jolie ,,
Croire éblouir , charmer les coeurs ,
N'est-ce pas là Julie ?
*
N'être attaché qu'à ſon tréfor ,
Son feul plaifir , fa crainte ,
Mourir de faim fur un tas d'or ,
N'est- ce pas là Philinte
*
Plus recherché dans fes atours ,
Que fille qui veut plaire ,
Geftes outrés & fots difcours ,
N'eft - ce pas là Valere
NOVEMBRE . 1757 . 53
Les yeux baiffés , de la pudeur
Feignant un air novice ,
De la fineffe dans le coeur ,
N'eft- ce pas là Clarice a
Fier d'être riche , bien vêtu ,
D'avoir maifon brillante ,
Cent vices , pas une vertu ,
N'eft- ce pas là Cléante a
܀
Un parler plus doux que le miel,
Un minois hypocrite ,
Sans y fonger parler du ciel ,
N'eft- ce pas là Melite e
Pour la vertu fe déclarer ,
Sans fe montrer ſauvage ,
Goûter de tout , ne rien outrer ,
N'eft- ce pas là le Sage
Par M. FUZILLIER , à Amiens.
Le mot de l'Enigme du fecond Mercure
d'Octobre eft la Parole. Celui du Logogryphe
eft Centurie , dans lequel on trouve
seinture , écurie , rive , vent , curée , vin ,
nuit , tri , ré , ut , vice , rit , cire , vitre ,
ver , encre , Reine , tir , rente , ruine , envie
, Curé , vérité.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
UN être inné
Sans coeur , fans fentiment , fans ame
Au repos toujours condamné
Souvent qualifié d'infâme.
Encore un pas ,
Et tu me trouveras peut- être.
Turenne me traitoit en maître ,
Ou , comme on dit , du haut en bas :
Autant enfont , en pareil cas ,
Les François , quand je veux paroître...
Hé pour leur Roi que ne feroient- ils pas
Al'Anglois ils me font connoître.
LOGOGRYPHE.
Ja ne fuis point enfant de la triſteſſe ,
Rarement je fuis de fa cour ;
J'amufe fouvent la jeuneſſe ,
Fait pour infpirer l'alegreffe
Et quelquefois auffi l'amour.
De cet enfant je ne crains point les armes
Que pourroient - elles fur mon coeur ?
L'inconftance fait mon bonheur ;
De la vivacité je tire tous mes charmes.
NOVEMBRE . 1757 . 35
Entre les mains d'une jeune beauté
Mon inconſtance augmente encore :
De l'aimable Zéphyr j'ai la légèreté ,
Et fort fouvent l'ombrage me décore.
Quel Amant n'envieroit mon fort !
Mais cependant hélas ! quoique je fois volage ,
Ainfi que les forçats , je vis dans l'eſclavage ;
Tout ce qui reluit n'eſt pas or.
A tous ces traits , Lecteur , tu dois me reconnoître
:
Je fuis facile à deviner.
Tu trouveras en moi , fi tu veux combiner ,
Un ornement fait pour un Prêtre ;
Une plante , un poiffon , un Peintre très-fameux '
Un lieu public ; un métal précieux ;
Un péché capital ; un ancien Patriarche
Qui , tout faint qu'il étoit , craignoit beaucoup
le feu ,
Et dont la femme fit une fotte démarche :
Ce qui fait la bafe du jeu ;
Du corps humain la plus belle partie :
Une arme deftinée à défendre la vie ;
Un inftrument de Jardinier ;
Ce qui fe confie au papier ;
Ce qui joint le corfet de l'aimable Sylvie :
Une oraifon qu'un Chrétien doit fçavoir :
Ce qu'un enfant doit aimer par devoir :
Un endroit où le fait très -fouvent des miracles ,
Où la Reine des cieux rend , dit- on , des oracles :
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Un fleuve d'Italie ; un grand coup au piquet :
Ce qui n'eft fait que pour le rang fuprême:
Une eau qui fait éclorre , & jonquille , & muguer:
Deux vents très- oppofés ; de la beauté qu'on aime
Ce qui fert à peindre les traits
Ce qui des yeux d'Iris augmente les attraits :
Un adverbe , un pronom , trois notes de mus
que
Un mal contagieux pire que la colique ;
Un objet éclatant , & même radieux.
C'est ainsi qu'en partant je vous fais mes adieux.
CHANSON.
UN matin fur fon chalumeau ,
Daphnis , près d'un buiffon , jouoit un air nouë
veau ;
La jeune Cloé pour l'entendre ,
Près du Berger doucement s'approcha ,
Et dans le buiffon fe cacha .
Averti par l'Amour , Daphnis va l'y furprendre:
Je ne fçais ce qui fe paffa ;
Mais Cloé fit un cri que l'écho répéta
Air,
De M. Légat de Furcy.
matin sur son chalumeau Daphnisprèsdunbu
+
ouoitunair nouveau,LajeuneCloep l'entendre,
du bergerdoucements'aprochaEt dans le buis
valy sur se cachaaverti par l'amour Daphn va
rejene sais ce qui se passa,Mais Clo
fit un cri que lecho repeta,MaisCloéfit un
a demivor W
que L'echo repeta,que
par MelleLabassée.
meverTournelle.
l'echo répe ta. ta.
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS .
244
༢
NOVEMBRE . 1757. 57
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
TRAITÉ RAITÉ de la culture des terres , par
M. du Hamel du Monceau , de l'Académie
Royale des Sciences , de la Société
royale de Londres , des Académies de Palerme
& de Befançon ; honoraire de la Société
d'Edimbourg , & de l'Académie de
Marine , Infpecteur général de la marine.
Avec figures en taille- douce. Tome cinquieme
, contenant les expériences & les
réflexions fur la culture des terres , & fur
la confervation des grains , faites pendant
les années 1755 & 1756. A Paris , chez
Hippolyte - Louis Guerin & Louis François
de Latour , rue S. Jacques , à S. Thomas
Daquin.
L'Auteur a expofé dans le 1er tome , les
principes fondamentaux d'une nouvelle façon
de cultiver la terre. On trouvé dans le
fecond tome les épreuves de cette nouvelle
culture , faites dans différentes provinces ,
pendant les années 17 50 , 1751 & 1752,
avec la defcription d'un fémoir de fon invention
, & celles de différentes ' charrues
CY
58 MERCURE DE FRANCE.
ou cultivateurs de l'invention de M. Lullin
de Châteauvieux. Le troifieme volume
renferme la continuation des mêmes expériences
faites dans l'année 1753 , avec des
applications de cette nouvelle culture aux
légumes , & la maniere de cultiver le maïs
& le millet on y a joint une defcription
des fémoirs inventés par MM. de Châteauvieux
& de Montefui . Le quatrieme contient
une fuite d'expériences femblables ,
exécutées dans le courant de 1754 ; des
perfections ajoutées aux inftrumens propres
à cette nouvelle culture ; des inftructions
fur les labours ; un détail des maladies
qui attaquent les grains , & des remedes
que l'on y oppofe ; la nouvelle culture
appliquée avec fuccès à la vigne. On trouve
dans ce cinquieme volume les expérien
ces des années 1755 & 1756 dont voici le
précis.
A Péthiviers en Gatinois , une piece de
terre qui avoit été mal labourée en 1714 ,
a mal réuffi en 1755. Il n'en a pas été de
même d'une autre qui avoit été bien préparée.
On a été fatisfait de la récolte de
ces deux pieces en 1756 , par comparai
fon aux terres cultivées à l'ordinaire ; car
en général les fromens ont mal réuffi
A Montfort Lamaury , les pieces cultipar
fangées , ont produit l'une dans
vées
lie
bo
to
NOVEMBRE. 1757. 52
l'autre autant de gerbes que les terres culti
vées à l'ordinaire : mais il ne falloit que
vingt gerbes pour faire un fetier , au
lieu de 25 qu'il faut ordinairement : il s'eft
trouvé des épis finguliers pour leur groffeur.
A Avignac en Bretagne , du Bled de
mars , quoique beaucoup endommagé par
la rouille , dans le mois Juillet , a produit
en 1755 , huit pour un.
Près Bayeux en Normandie , quoique
des pluies très - fréquentes n'euffent pas.
permis d'exécuter les labours à temps , les
apparences devenoient cependant favorables
, lorfque de furieux ouragans ont
bouleversé tout , & détruit abfolument
toute efpérance. L'orge & le farrafin ont
eu un fuccès plus heureux. Depuis trois
ans , le farrafin a produit chaque année
dixmes & tous frais déduits , huit francs
par vergée. Le propriétaire affure que ce
produit eft très- confidérable relativement à
la qualité des terres de fon pays.
En Lorraine , on n'a encore fait que de
petites épreuves , & Sa Majefté le Roi de
Pologne a voulu qu'elles fuffent faites fous
fes yeux. L'économie de la femence a été
portée à un trop - grand excès , puifqu'on
n'a placé qu'un feul grain à chaque endroit,
& qu'il y avoit un pied de diftance d'un
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
grain à l'autre. Chaque grain a le plus
communément produit quatre tuyaux ,
d'autres moins , & plufieurs plus de 60.
Quantité d'épis contenoient 60 grains , &
le produit de ces grains réduit à un calcul
commun a été de 960 pour un.
Près Duretal en Anjou , un champ femé
avec un demi - boiffeau , en a produit qua
torze & demi : dans l'ufage de la culture
ordinaire , on y employoit cinq boiffeaux,
qui ne produifoient dans les meilleures années
que 12 à 13 boiffeaux.
A Bergerac près Bordeaux , un champ
qui dans les meilleures années produifoit ,
cultivé à l'ordinaire , 245 mefures tout au
plus , en a produit en 1755 , 350 , parce
qu'il avoit été cultivé par rangées .
Près S. Dizier , du froment par rangées
, a produit , à raifon de 22 boiffeaux
par journal : les terres de ce canton cultivées
à l'ordinaire , n'en donnent communément
que 20.
Près Varfovie , l'épreuve de la nouvelle
culture y a été faite fur de l'orge : malgré
plufieurs accidens qui l'ont endommagée
pendant qu'elle étoit fur pied , & encore
après qu'elle a été fauchée , M. le grand
Maréchal marque à l'Auteur , que la récolte
a égalé celle des années communes.
Auprès de Verdun fur Meule , la terre
NOVEMBRE. 1757. 65
cultivée à l'ordinaire , a produit 417 pefant
la même étendue femée en plein
avec le femoir , 474d'un plus beau
- bled : enfin la même étendue femée par
rangées , 660 pefant , d'un bled encore
plus beau que le précédent.
Dans le Lyonnois , un champ femé par
rangées a fourni dans les deux années 1755
& 1756 , 530 livres pefant de feigle , &
un champ de pareille étendue cultivé à
T'ordinaire , n'a produit que 174 pefant ,
parce que, fuivant l'ancien ufage, il ne devoit
être femé que de deux années l'une
un autre champ femé par rangées , a donné
207 livres pefant , & fuivant l'ufage
ordinaire , 73 : c'eft un bénéfice de deux
cens pour cent , non compris l'économie
des engrais.
A Geneve , les expériences y ont été tellement
multipliées , que l'Auteur ſe borne
à affurer les cultivateurs , qu'elles confirment
de plus en plus ce qui a été prouvé
les années précédentes.
Il nous femble que des fuccès fi marqués,
doivent affurer äM.Duhamel la confiance la
plus générale. Pour achever de la mériter,
il avoue modeftement que la nouvelle culture
n'a pas eu un fuccès favorable à Trianon
, ni au Trou d'enfer , dans le parc de
Marli ; l'abondance du gibier en a été la
caufe.
62 MERCURE DE FRANCE.
INTRODUCTION abrégée à l'hiftoire des
différens Peuples anciens & modernes ,
contenant les principaux événemens de
chaque fiecle , & quelques traits de la vie
des perfonnages illuftres , depuis la création
du monde , jufqu'à préfent ; pour fervir
principalement d'explication à la carte
chronographique de M. Barbeu du Bourg.
A Paris , chez Babuti fils , quai des Auguftins
; Valleyre , rue S. Jacques ; Cuiſſart
quai de Gèvres .
pour
le
On ne donne point ici une Hiftoire Univerfelle
. Le titre fimple de cet ouvrage
annonce fon objet . Il ne s'agit que d'expofer
la méthode qu'on a fuivie
remplir; la carte fi connue de M: Dubourg,
l'a déterminée . Cette carte eft divifée en
trois grandes époques . Depuis la création
jufqu'à Rome , depuis Rome jufqu'à Jeſus-
Chrift , & depuis Jefus Chrift juſqu'à
nous ; mais ces époques étant fort éloignées
l'une de l'autre , & laiffant entr'elles
plus d'efpace qu'il n'en faut , pour faire
plus d'un anachroniſme , on a pris ici le
parti de divifer l'hiftoire par fiecle. L'Auteur
a cru cette maniere de fixer les dates
plus commodes pour les commençans . « Ils
» ont plutôt dit , telfait eft arrivé au mi-
» lien du vingt huitieme fiecle , qu'ils n'au-
>> roient pu dire en 2750. » L'Auteur préNOVEMBRE
. 1757. 63
"
vient une objection qu'on ne manqueroit
pas de lui faire. On peut dire qu'un fait
s'eft paffé au milieu du vingt- huitieme fiecle
, fans que ce foit jufte en 2750. « Ce-
» la eft vrai , répond- il : ceux qui n'auront
» que l'époque vague du fiecle , ne fçau-
» ront pas au jufte l'année dans laquelle
» eft arrivé l'événement qu'on rapporte :
» mais fi l'on n'en eft pas fûr , du moins.
» n'en eft- t'on pas bien loin. Cependant
» que ceux qui étudient , ayent cette con-
»noiffance vague par rapport à l'hiftoire de
chaque royaume : voilà déja un fynchroniſme
établi . On fçait que dans tel ou tel
» état , tels Princes étoient à peu près
» contemporains ; car ils vivoient dans le
"
"
vingt-huitiene fiecle . Quand les com-
»mencans pofféderont ce rapport des fie-
» cles , il leur fera plus aifé d'apprendre
» ces époques par année » . Voilà pour l'ordre
des époques , & le rapport des temps ,
paffons à la diftribution des matieres. Ceux
qui connoiffent la carte dont il eft ici queftion
, fçavent que les Empires y font pla
cés plus ou moins près de l'époque de la
création , fuivant qu'ils en font plus ou
: moins éloignés. Ce même ordre fe préfentoit
naturellement à l'efprit pour la méthode
que l'on devoit fuivre ici en expofant
l'hiftoire de chaque Royaume. Ainſ
64
MERCURE DE FRANCE.
P'Hiftoire Sainte occupe la premiere place ,
celle de l'Egypte paroît enfuite , elle eſt
fuivie de celle de la Chine , à laquelle fuccede
celle de l'Affyrie ; viennent enfin les
états de la Grece , & c,
Au bas de la carte , on trouve les événemens
mémorables , & les Hommes Illuftres.
L'Auteur de certe introduction a regardé
comme néceffaire & très- utile , de
faire auffi dans fon ouvrage une partie féparée
pour les grands événemens , & une
autré pour les grands hommes. « Cela m'a
donné dit - t'il , plus de commodité
» pour détailler certains faits , & pour y
répandre le plus de lumieres qu'il m'a été
poffible . Ce n'est pas affez de fçavoir ,
qu'au
commencement du trente- unieme
» fiecle , c'eſt-à - dire en 3000 , on infti-
20
و د
30
,
tua les mysteres d'Eleufines ; on veut en-
» core apprendre quels étoient ces myſte-
» res , en l'honneur de qui on les célébroit,
» & qui les avoit inftitués »,
Nous penfons qu'en lifant l'ouvrage ,
on rendra la même juftice que nous à un
ordre fagement imaginé & fidélement fuivi.
L'Auteur avoue qu'il s'eft contenté de
raconter. Un narré fimple , une oppofition
jufte des faits lui ont paru préférables
aux agrémens d'un ftyle recherché &
fleuri , que la vérité de l'hiftoire ne femble
point admettre .
F
NOVEMBRE . 1757 . 64
ETAT abrégé des Loix , revenus , ufages
& productions de la Grande - Bretagne .
A Londres , & fe vend à Paris , chez la
veuve Delormel & fils , rue du Foin , à l'Image
Sainte Génevieve . Nous nous contenterons
d'en citer quelque traits particuliers.
Le Roi d'Angleterre n'a aucun droit fur
la vie , fur la liberté , ni fur les biens de
fes fujets s'il en fait arrêter un , ce n'eſt
que pour vingt- quatre heures , après lefquelles
il doit le faire fortir , fi le prifonnier
fournit caution , ou lefaire juger dans
le cours de fix femaines au plus , s'il n'en
peut fournir. Il n'a pas plus de privilege à
cet égard que tous les particuliers de fon
Royaume. Il en faut cependant excepter les
prifonniers pour dettes ou pour crimes ; les
premiers ne peuvent être relâchés qu'ils
n'ayent fatisfait à leurs dettes , ou prouver
qu'ils font infolvables , & les autres ne
peuvent être jugés qu'après que les informations
qui fe font de vive voix , & dans le
temps même du jugement , ont été faites
avec l'attention convenable à un point fi
important.
Il y a en Angleterre trois tribunaux de
juftice , & quatre Juges par tribunal. Le
premjer eft la cour du banc du Roi , qui
connoît de toutes les difcuffions entre le
66 MERCURE DE FRANCE:
Roi & fes fujets. Le fecond s'appelle la
cour des plaids communs , il juge des conteftations
qui furviennent entre particu
liers . Et le troifieme eft l'échiquier , qui
connoît de tout ce qui concerne les revenus
de l'état. Les affaires civiles s'inftruifent
à peu près comme dans les juriſdictions
de France , & elles fe terminent dans
chaque tribunal par les quatre Juges ; il
n'en eft pas de même des affaires criminelles
: le délit fe décidant toujours par le fait,
les coupables ne peuvent être jugés que par
douze Jurés de la même condition que l'accufé
, tirés au fort parmi les habitans du
lieu. Le grand Juge les inftruit feulement
des circonstances du crime , & après leur
avoir expofé les différens points des loix du
pays qui y font relatifs , il les laiffe déci
der. Comme il faut que le jugement foit
unanime , on enferme ces douzes Jurés
dans une chambre fans aucune nourriture ,
& il n'en fortent que quand ils font tous
d'accord. Si l'un d'eux vient à mourir pendant
qu'ils font ainfi affemblés , le prifonnier
eft abſous , ipfo facto.... Il n'y a que
deux fortes de fupplices en Angleterre , la
potence pour les hommes dans tous les cas,
& le feu pour les femmes coupables du
meurtre de leur mari , & convaincues de
forcellerie ; mais on ne pourfuit plus pour
F
t
NOVEMBRE . 1757. 67
ce prétendu crime.Les Pairs criminels font
eux - mêmes condamnés à la potence : mais
il est au pouvoir du Roi de les faire décapiter;
ce qui fe pratique ordinairement .
Le Roi ne peut entrer dans la Ville fans
la permiffion du gouverneur , & même
dans ce cas , il faut qu'il la traverſe en
particulier , c'eft à dire fans fuite.
On affure qu'il fe trouve en Angleterre,
outre les Grands Seigneurs , plus de 6000
Gentilshommes qui jouiffent l'un portant
l'autre de 400 livres fterlings de rente. Il y
en a plufieurs qui en ont 2 , 3 , 6 , &
même jufqu'à 10 mille par an. Le nombre
des Laboureurs qui ont so , 100 & 200
liv. fterlings de rente eft prefque incroyable
. On en voit dans la province de
Kent qui tirent de leurs terres un revenu
annuel de 1000 liv . fterlings. Enfin tout
le Peuple y eft dans la plus grande aifance.
Il feroit impoffible de trouver dans
toute l'Angleterre un feul homme en fabots.
·
"'
CALCULS tout faits , depnis 1 denier
jufqu'à 59 fols 11 59 deniers , & depuis 3 livres
jufqu'à 50000 livres ; avec le tarif
par jours & par mois pour les penfions ,
depuis une livre jufqu'à 100000 livres ;
& des tarifs pour les intérêts , l'efcompts ,
68 MERCURE DE FRANCE.
le change & la vente des marchandiſes à
tant pour cent de gain ; on y a joint d'autres
tarifs pour le fol ou marc la livre ,
avec le pair des aunages & des poids de
l'Europe , la réduction des louis d'or &
des écus de trois livres , & c. Par Mathias
Mefange, nouvelle édition , volume in . Iz
de 600 pages , qui fe trouve , à Paris , chez
Vincent , Imprimeur- Libraire , rue Saint
Severin.
Nous nous fommes contentés de donner
le titre de ce livre dans le temps que la
premiere édition en a paru . La prompte
réimpreffion qu'on en vient de faire , eft
le témoignage de l'applaudiffement que le
Public lui donne . Le fuccès au refte lui eft
bien dû. L'utilité dont il eft à toute forte
de perfonnes , l'exactitude des comptes ,
l'ordre , l'arrangement , la précifion dans
les calculs qui y font faits , & la multitude
qu'on en donne fans interruption, depuis le
plus bas prix jufqu'au plus fort , en rendent
l'ufage indifpenfable. Il n'eft pas be
foin de donner le plan de fa direction , il
eft fenfible : à l'ouverture du livre , on en
voit l'ordre clair qui rend les calculs faillans
, & le plus intelligibles qu'il eft poffble.
D'un coup d'oeil on apperçoit fix calculs
de différens prix , chaque page en por
zant trois.
L
NOVEMBRE. 1757 . 69
Outre la belle exécution de l'impreffion ,
on peut regarder comme furprenant , d'ades
perprès
ce qui nous a été affure par
fonnes fort au fait , qu'un ouvrage fi fufceptible
de fautes , à en juger par celles
qui fe trouvent dans les livres que nous
avons en ce genre , foit cependant auffi
correct . Il femble qu'à l'envi l'un de
l'autre , & l'Auteur & l'Imprimeur ayent
fait autant ufage de leur zele que de leurs
talens , pour conduire cet ouvrage à toute
la perfection dont il étoit fufceptible.
Après la partie des calculs tout-faits ,
dans laquelle il y a le double plus de comptes
faits que dans le Barême , on trouve
toute forte de tarifs dont on a befoin tous
les jours , & qui ne fe trouvent en aucun
autre livre de cette efpece . Chaque calcul
ou tarif eft précédé d'une courte explication
qui par des exemples fenfibles , met
aifément le Lecteur au fait. La préface ,
qu'il eft important de lire , donne le détail
de ce qui eft contenu dans l'ouvrage ,
& eftfort inftructive.
RECHERCHES hiftoriques fur les cartes
à jouer , avec des notes critiques & intéreffantes
, par l'auteur des Mémoires fur
la langue Celtique. A Lyon , chez J. Deville
, Libraire , rue Merciere , au grand
Hercule , 1757 .
70 MERCURE DE FRANCE. 7 °
Ces recherches nous ont paru auffi curieufes
que fçavantes , & dignes de M.
Bullet , qui en eft l'auteur. Le jeu de cartes
eft devenu un amufement fi général ,
ou plutôt une occupation fi férieufe , puifqu'il
forme fouvent un état , qu'il eſt peu
de nos lecteurs que cette brochure n'intéreffe
, & qui ne doivent s'empreffer à
l'acheter. La matiere y eft parfaitement
traitée & plus approfondie que la frivolité
du fujet ne paroît le permettre. Les détails
qu'on va lire vont le prouver.
L'auteur place l'invention des cartes
quatre ou cinq ans avant la mort de Charles
V , Roi de France ; & il appuie fon
opinion fur ce qu'il a lu dans la chronique
de Petit- Jehan de Saintré , que les
pages de ce Prince jouoient aux dez &
aux cartes. Il penfe en même temps qu'elles
ont été trouvées en France. La preuve
qu'il en apporte eft que les couronnes & les
fceptres fleurdelifes que portent les Rois , les
fleurs de lys dont leurs robes & celles des
Reines fontfemées , décelent un François . Le
Roi de pique , continue l'Auteur , porte
le nom de David ; celui de treffle , le nom
d'Alexandre ; celui de carreau , le nom de
Céfar ; celui de coeur , le nom de Charle
magne. Un étranger ne feroit probablement
pas venu chercher parmi nos Souve-
2
C
દ
NOVEMBRE. 1757. 71
=
rains un monarque pour figurer avec les
plus grands Princes de l'antiquité : il ne
lui eût pas donné le plus noble fynbole
qui eft celui de coeur. Le valet de pique
eft appellé Ogier , celui de treffle Lancelot
, celui de carreau Hector , celui de
coeur la Hire. M. Bullet ajoute que les
noms des Rois , des Dames & des valets
fe font confervés jufqu'à préfent fur les
cartes de Paris , à l'exception de celui de
Lancelot , en place duquel chaque Cartier
a coutume de mettre le fien. Selon lui ,
Hector eft le fils de Priam , duquel dans
les XI , XII , XIII , XIV , XV® & XVI¢
fiecles , on faifoit deſcendre nos Rois par
fon fils Aftyanax , qu'on appelloit Francion.
Auffi fur les anciennes cartes on lifoir
, Hector de Troye , ce font les termes
de l'auteur , ainfi que les fuivans. Lancelot
du Lac , eft un des chevaliers du Roi
Arthus , un chevalier de la Table ronde.
On le mettoit au premier rang des braves ,
&c. Ogier est un des preux de Charlemagne.
La Hire eft le fameux Etienne de
-Vignoles , furnommé la Hire , qui contribua
tant par fa valeur, à affermir le trô
ne chancelant de Charles VII. Il n'y a
qu'un François , qui en compofant le jeu
de cartes , ait voulu choifir fes braves dans
notre nation. Je dis fes braves , car c'eſt
72 MERCURE DE FRANCE:
ce que ce nom de valet défignoit alors
L'auteur nous apprend que valet eft un
mot François que Was en Celtique ,
fignifie en général un homme de fervice ;
qu'on l'a donné longtemps indifféremment
aux domeftiques & aux gens de guer
re ; que lorfqu'on eut inftitué la Chevalerie
, on qualifia Chevaliers , les valfaux
qui l'avoient reçue , & qu'on appella vaffelets
, vallets , valets , varlets , vallez , les
fils des vaffaux , des plus grands feigneurs,
des fouverains mêmes qui n'avoient pas
encore été armés chevaliers . On donnoit
auffi à ces valets le nom d'écuyers , Scutarii
, parce qu'ils portoient l'écu ou le bouclier
du chevalier auquel ils s'attachoient
pour faire leurs premieres armes.
Dame , eft un terme François : il vient
du Celtique , Dam , qui fignifioit une perfonne
diftinguée de l'un ou de l'autre fexe :
Sieur , Dame , &c.
As , nom d'une des cartes , n'a de fignification
qui puiffe convenir à ce jeu en
aucune langue qu'en Celtique , où il fignifie
commencement , premier : c'eſt effectivement
pour llee nnoommbbrree que l'as eft mis ,
puifque le deux , le trois jufqu'à dix le
fuivent. D'après cet hiftorique l'auteur
conclut par ces paroles : La chronique de
Petit- Jehan de Saintré nous fait voir les
cartes
7
C
t
F
C
NOVEMBRE. 1757: 73
cartes en ufage dans le temps qu'il étoit
page de Charles V. On ne trouve en Eſpagne
, en Italie , en Allemagne , en Angleterre
aucun monument plus ancien que
cette chronique , où il foit parlé de ce jeu :
on eft donc en droit de conclure que les
cartes ont été inventées en France , & que
nos voisins les ont empruntées de nous. Il
ajoute pour derniere raifon que l'on connoît
de quelle nation eft un homme par
fon langage , & que la langue Françoife
des cartes montre que ce jeu eft né parmi
nous.
DICTIONNAIRE des regles de la compofition
latine , à l'ufage des enfans. Se vend
à Paris , chez Defpilly , Libraire , près la
vieille Pofte ; & à Rouen , chez Pierre le
Boucher , Libraire , fous la voûte du Palais ,
1757.
L'auteur nous a paru très bien juftifier ,
dans fon avertiffement , la forme de Dictionnaire
qu'il a donnée à fon ouvrage ,
ainsi que la nature des exemples qu'il a
choifis ; l'accent grave qu'il a rifqué fur
quelques finales , & l'efpece d'ordre qu'il
s'eft preferit. La forme de Dictionnaire a
un double mérite , felon lui , le premier
eft de mettre chaque chofe à fa place ; le
fecond eft d'abréger la formule des regles
D
74 MERCURE DE FRANCE.
fans les obfcurcir , & de les rendre plus
faciles à retrouver & à retenir. A l'égard
des exemples dont il a fait choix , il les
a cru propres à inftruire les enfans , prefqu'à
leur infçu , d'une partie de la littérature
des plus intéreffantes. Chacun de ces
exemples leur apprend un trait de fable ,
ou leur donne occafion de confulter leur
Dictionnaire de la Fable.
Quant à l'accent grave , l'auteur en a
marqué tous les indeclinables latins polyfillabes
, comme fortaffe , vulgò , & c. &
les monofyllabes amphibologiques , quand
ils font adverbes , comme qui , quàm, quòd,
&c. un qui adverbe confondu avec un qui
relatif, jette les enfans dans l'embarras ,
un accent les en tire. Il a employé le même
accent fur les adverbes François terminés
en alt & en eit , comme devant & dernierement
; dans le premier ( devait ) pour
ôter l'équivoque qui le confond avec devant
, participe du verbe devoir , & dans
le fecond ( dernierement ) , pour avertir le
lecteur d'en prononcer la derniere fyllabe
autrement que celle de la troifieme perfonne
du pluriel, qui a fouvent la même ortographe
, comme , ils aiment , ils charment.
L'auteur ne rend pas un compte moins fatisfaifant
de l'ordre qu'il a fuivi , comme
on pourra le voir dans l'avertiffement . Ce
NOVEMBRE. 1757. 75
qui nous paroît particuliérement louable
en lui , eit fon ton de modeftie , & fon
air de doute , qui annoncent prefque toujours
le bon efprit . On en jugera par cet
endroit que nous avons tranfcrit exprès &
qui finira ce précis. La compofition Latine
& la traduction fe difputent , dit- il , depuis
longtemps la préférence dans nos écoles.
Les Grammairiens partagés fur le mérite
de ces deux méthodes , en rendent le
choix embarraſſant. Des regles de compofition
Latine n'annoncent point un parti
pris de ma part , ni une voix de plus pour
les thêmes ; l'expérience apprend à douter,
& depuis longtemps je ne décide point ,
mais il eft, de l'aveu de tout le monde , un
temps où les thèmes font néceffaires ; &
c'eft pour ce temps que je travaille , foit
qu'il devance , qu'il accompagne , ou qu'il
fuive celui de la compofition.
LE tome fixieme du Mercure de Vittorio
Siri , contenant l'hiftoire générale de
l'Europe depuis 1640 jufqu'en 1655 , traduit
de l'Italien , par M. Requier , à Paris
chez Durand , rue du Foin , vient de paroître
, & fe diftribue préfentement.
On ne peut trop louer l'exactitude de
l'Auteur , qui eft ordinairement
la marque
la plus sûre du débit de l'ouvrage .
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
L'USAGE des Eaux de Barreges & du
Mercure pour les écrouelles , ou differtation
fur les tumeurs fcrophukufes , qui a
remporté un prix à l'Académie Royale de
Chirurgie en 1752. Gratuler Baïs noftris ,
fi quidem falubres facta funt. Cicer . Ep. famil.
lib. 9. A Paris chez Debure l'aîné quai
des Auguftins 1757.
On attaque dans cette differtation deux
préjugés qui fe font malheureuſement gliffés
dans la Médecine & dans la Chirurgie ;
le premier que le mercure ne convient pas
pour les écrouelles , ni pour les tumeurs
fcrophuleufes ; le fecond , que les eaux
minérales telles que celles de Barreges , font
nuifibles à cette maladie & à fes fymptômes
extérieurs. Ces deux préjugés nous
ont paru folidement combattus , & l'approbation
des premiers maîtres de l'art qui
ont couronné la piece en devient un bien
favorable pour le fentiment de l'Auteur.
Nous nous empreffons d'annoncer le
tome premier de la Topographie de l'Univers
, par M. l'Abbé d'Expilly , ci - devant
Secretaire d'Ambaffade de Sa Majefté Sici
lienne , & enfuite examinateur & auditeur
général de l'Evêché de Sagone. Premiere
partie. Ce volume fe délivre à Paris,
chez Bauche , quai des Auguftins , 1757;
NOVEMBRE. 1757 . 77
Nous allons joindre à cette indication le
profpectus de ce grand ouvrage qui formera
25 ou 30 volumes , & contiendra
400 cartes ou environ.
Il eft de l'homme de chercher à fe connoître.
Cette étude eft un devoir d'Etat.
L'homme penfe , il juge , il décide. Et
fur quoi ? Sur autrui . Mais quel jugement,
quelle décifion portera- t'il , s'il ne fe connoît
point lui- même ?
Inutilement l'homme cherchera - t'il à fe
connoître , s'il ne réfléchit que fur luimême
, s'il n'établit point une comparaifon
entre la fupériorité qu'il s'attribue , &
l'infériorité qu'il dédaigne.
Le tableau que je poffede eft admirable
à mes yeux , parce que je le trouve infiniment
plus beau que beaucoup d'autres dont
le degré de perfection enlevoit le fuffrage
du public & le mien .
Il n'eft point de jugement qui ne fe faffe
par comparaiſon . La vertu ne nous paroît
telle , que parce qu'elle eft à préférer en la
comparant au vice.
Par conféquent pour nous connoître
nous-mêmes en particulier , cherchons à
connoître les autres en général . Mais quels
moyens plus propres pour remplir cet objet
, que de voir , de confidérer le plus
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft poffible des tableaux où foient repréfentés
nos femblables ?
La Galerie de l'Univers , où font expo→
fés les tableaux des différens individus qui
compofent le Genre humain , eft ouverte
à tout le monde ; mais il n'eft pas donné
à un chacun de la parcourir.
Des Citoyens utiles , dont le zele eſt à
louer , fe font donné la peine de copier
ces différens tableaux , & les ont exposés
aux yeux du Public , afin que chacun pût
s'y reconnoître , & y difcerner la prééminence
à laquelle il prétend. Ce travail
a-t- il eu le fuccès auquel on s'attendoit ?
Il n'eftpoint en Europe de Nation où ne
fe foient trouvés des fujets qui ont entrepris
de peindre les avantages & les contraires
de chaque pays , les vertus & les
vices de leurs habitans . Quel eft celui qui
y a bien réuffi ?
Une foule de Géographies ( defcriptions
de la Terre ) ont inondé l'Europe , furtout
dans ces derniers , temps. Quelle est
celle qui eft à préférer ? Quelle eft la
bonne ?
Eh y en a t'il aucune de ces Géographies
fur laquelle on puiffe compter ? Quelle
eft-elle ? Pour moi , je trouve qu'elles
fe font prefque toutes copiées les unes les
NOVEMBRE. 1757. 79
autres. Par conféquent les premieres étant
remplies d'erreurs , celles qui les ont fuivies
n'en font pas exempres non- plus. A
cela on doit ajouter que les dernieres font
d'autant moins exactes , qu'en nous repréfentant
, d'après les premieres , l'Europe
par exemple , telle qu'on la peignoit , il
y a cinquante ans , c'est la métamorphofer
d'une maniere encore plus étrange
qu'on ne faifoit alors , parce que depuis
cinquante ans la face de l'Europe a totalement
changé.
En effet , quel eft l'homme inftruit qui
reconnoîtroit l'Italie & l'Espagne , la France
même dans la Géographie de D. Vaiffette
, & dans celle de Hubner ?
Mais ce n'eft point une critique qui fait
mon objet. Je laiffe ce foin à ceux qui ont
un intérêt particulier de le prendre. Avertir
que l'on ſe tienne fur fes gardes , c'eft
tout ce que je puis faire. Quelque perfuadé
que je fois des devoirs de fociété qui lient
tous les hommes les uns aux autres , je ne
vois rien qui m'oblige plus qu'au confeil :
trop heureux d'ailleurs , fi ma propre expérience
peut être de quelque utilité au
Public qui m'eft cher.
Des voyages réitérés que j'ai faits dans
prefque toutes les parties de l'Europe , fur
les côtes d'Afrique & ailleurs , m'ont mis
Div
80 MERCURE DE FRANCE:
à même de voir bien des chofes , & de
pouvoir enfuite les rapporter avec affurance..
Delà je formai le projet que j'exécute
aujourd'hui .
Je ne m'étendrai point fur le plan que
je me fuis propofé , parce que je ne fçaurois
mieux le faire connoître qu'en indiquant
la premiere partie de mon Ouvrage
, qui vient d'être imprimée. D'ailleurs
le titre de mon Livre annonce affez. Il me
fuffica de dire que toutes les autres parties
de ma TOPOGRAPHIE feront traitées de la
même maniere que la partie d'Allemagne
& l'Evêché de Munfter , qui paroiffent en
même temps que mon avertiffement . Je
fuivrai conftamment la même méthode .
Des cartes devoient accompagner cette
premiere partie. Elles n'ont pu être prêtes .
Je les joindrai à la feconde partie qui ter
minera le premier volume .
Chaque volume fera de 500 pages d'impreffion
ou environ , même format , même
papier & même caractere que le premier.
Dix cartes au moins ( toutes de ma
façon ) fe trouveront à la fin de chaque volume
. En achevant le premier , je donnerai
la préface qui eft d'ufage , & j'y ajouterai
une introduction très étendue , qui
comprendra toutes les définitions qui appartiennent
à la Géographie , &c.
0:
Fer
T20
PIE
NOVEMBRE . 1757 .
La feconde partie paroîtra inceffam :ment ,
On ne languira point après les autres.
·
RÉFLEXIONS chrétiennes fur les grandes
vérités de la foi , & fur les principaux
Myſteres de Notre Seigneur. Nouvelle
édition augmentée de deux méditations
l'une fur la confeffion , l'autre fur la communion
pafcale. A Paris , chez Debure l'aîné
, quai des Auguftins , 1757. Prix 3 liv.
8 f. relié.
LA pratique univerfelle pour la réno
vation des terriers & des droits feigneuriaux
, tome cinquieme, chez Giffey, rue de
la vieille Bouclerie , à l'arbre de Jeffé .
Nous avons annoncé dans nos journaux
précédens , l'utilité des quatre premiers
volumes de cet ouvrage , qui eſt également
néceffaire aux Seigneurs ainſi qu'à
leurs Vaffaux , jufticiables & cenfitaires ,
parce qu'ils établiffent les droits des Premiers
, & les cas où ils leur font dûs , &
enfeignent aux derniers ce qu'ils doivent
& ne doivent pas , en leur fourniffant les
éclairciffemens fuffifans pour éviter ce qui
leur eft demandé , fouvent par des Fermiers
avides , en voulant faire revivre des
droits éteints par prefcription , affranchif
fement ou autrement , & ce , à l'infçu des
Seigneurs mêmes ..
DV
82 MERCURE DE FRANCE.
. Ce dernier volume raffemble parfaite
ment les inftructions qu'il eft néceffaire de
fçavoir & de pratiquer pour le gouvernement
d'une terre feigneuriale , foit pour la
régie d'icelle , en choififfant un régiffeur tel
qu'il eft enfeigné , ou foit que l'on l'afferme
à un Fermier général , & dans l'un & l'autre
cas ce qu'il convient faire pour les
améliorations de la culture des héritages ,
qui compofent la Seigneurie tant en prés
qu'en eaux , ééttaannggss , terres , vignes &
bois.
Et afin qu'un Seigneur ou fon Fermier
profite de tous les avantages de fa terre ,
l'Auteur a traité dans ce cinquieme tome
des baux à ferme , tant des baux généraux
que des particuliers & baux à loyer en tout
genre ; objet d'autant plus utile , qu'au
cun Auteur n'a jufqu'ici traité cette matiere
intéreffante pour le public , & qu'il
a diftribuée par queftions féparées , enforte
que chacune fe trouve décidée par
la jurifprudence des Arrêts les plus récens
; ce qui fera d'un très- grand fecours ,
& évitera les conteftations qui peuvent
naître à ce fujet. Le premier chapitre traite
des baux généraux , des terres feigneuriales.
Le fecond contient les obligations du
Seigneur propriétaire envers fon Fermier ;
Sa
10
CL
と
NOVEMBRE. 1757. $ 3
les hypotheques à lui acquifes fur fes biens;
fa préférence pour le paiement du prix de
fon bail & fes priviléges.
Le troifieme chapitre fait le détail des
obligations du propriétaire envers le locataire
, enſemble de fa préférence & de
fes privileges pour les loyers , & les cas
où il a droit de reprendre fa maifon pour
l'occuper lui- même .
Le quatrieme chapitre contient les engagemens
& obligations d'un Fermier &
locataire ; le détail des entreriens & ré- .
parations locatives ; à quoi chacun d'eux
eft tenu pour les maifons, bâtimens & tous
autres genres de biens , foit à la ville , foit
à la campagne ; & dans ce même chapitre
l'Auteur a traité des baux à chetel de beftiaux
, & des cas où le Fermier eft réf
ponfable de la perte d'iceux par cas fortuit
, mortalité & autrement.
Le régiffeur & le fermier trouveront
dans le chapitre V tout ce qui leur eft néceffaire
pour faire une perception exacte
des droits feigneuriaux tant annuels que
cafuels , & la maniere de tenir réguliérement
une liéve , cuilloir , ou regiftre de
recette capable de faire foi dans tous les
temps , d'affurer les droits du Seigneur , &
d'en empêcher la prefeription.
Le chapitre VI eft compofé du droit
Dvj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
fingulier qu'ont les Seigneurs en différens
cas de percevoir fur leurs vaffaux & cenfitaires
, une année du revenu des héritages.
tenus en fief ou en cenfives de leurs feigneuries
, tels que le droit de rachat , relief
, marciage , déport , & autres de différens
noms ; les terres où ces droits font
dûs , & la maniere de les percevoir.
Enfin le dernier chapitre contient une
inftruction générale fur les différens droits
généraux des feigneuries pour pouvoir les
exercer bien exactement , à laquelle eft
jointe une pareille inftruction fur les lods
& ventes dans tous les cas où ils font dûs.
& où ils ne font pas dûs , avec un état des
privilégiés qui en font exempts dans les
mouvances du Roi , ainfi que pour ce qui
concerne les échanges & permutations : letout
eft accompagné de modeles de toutes
fortes d'actes néceffaires pour tous les dif-.
férens objets que renferme ce volume ,
& qui paroît ne rien laiffer à defirer foir
aux Seigneurs, foit aux vaffaux cenfitaires ,.
jufticiables & particuliers , & même au
Public.
DICTIONNAL RE , ou Traité de la police
générale des Villes , Bourgs , Paroifles &
Seigneuries de la campagne ; par Mc Edme
de la Poix - Fré minville , Bailli du Marqui
NOVEMBRE . 1757:
Eat de la Pailliffe , chez le même Libraire.
Cet ouvrage eft d'un Auteur connu par
le Praticien univerfel des terriers & droits
feigneuriaux , dont il vient de mettre au
jour le cinquieme tome , Auteur dont on
ne peut affez faire l'éloge par les inftructions
qu'il a données aux Seigneurs & au
Public , fur les droits de chacun d'eux . Ce
Dictionnaire eft un affemblage de tout ce
qui eft néceffaire d'obferver & faire pratiquer
dans tout le Royaume pour le bon
ordre ; ouvrage concis fur chaque mot &
terme , qui en expliquant ce qui eft ordonné
ou défendu , rapporte les ordonnances ,
arrêts & réglemens qui le prefcrivent , da
maniere que les Officiers chargés de cette
partie, ayant cet ouvrage , n'auront pas befoin
de recourir à d'autres livres , ni de
faire aucunes recherches pour s'autorifer à
fe mettre en regle fur tout ce qui leur eft
dévolu . Les pieces que cet Auteur y a
rapportées , ferviront à tous les Officiers
de Police de modeles foffifans & bien épurés
pour tout ce qu'ils auront à faire , foir
dans les plaintes & remontrances ,
& prononcés
fur chaque différent objet , ce qui
ne peut être qu'infiniment utile , furtoutà
des Officiers de Police fouvent éloignés»
des grandes villes , & fans fecours de livres
& de confeils .;. enforte que cet ouvrage
86 MERCURE DE FRANCE.
qui fe trouve unique fur cette matiere , par
la précifion & la pratique qu'il enfeigne ,
eft un livre des plus intéreffans par le raffemblage
des réglemens de police fur la
religion , la juftice , la fociété & le commerce
; objets des plus intéreffans pour
l'état , dans lequel cet Auteur n'a rien obmis
pour prouver combien les Seigneurs
grands & petits , font intéreffés à faire exécuter
rigidement la police dans leurs terres
pour y maintenir le bon ordre , y faire ré- ›
gner & refpecter la religion , la paix , la
juftice ; y entretenir la fubordination , &
à faire fleurir le commerce & les arts.
SUITE du moyen d'apprendre sûrement
&facilement les Langues.
QUELQUES-UNS de ceux qui ont confeillé
la voie de la traduction , n'ont pas
été affez refervés fur le choix des livres
dont il faut fe fervir. Le latin des Anciens
eft fixe , immuable , beau. Le nôtre eft fi
peu sûr. Pourquoi lui préférer ce dernier ?
Quand on a befoin de modeles , & qu'on en
a à choisir , il eft naturel de s'attacher aux
plus parfaits. Stultiſſimum credo ad imitandum
non optima quaque exemplaria proponere.
Plin. l. 1 , ep. s ad Voconium .
Les tours latins d'Erafme , de Manuce ,
NOVEMBRE. 1757 . 87
de Cordier & d'autres Ecrivains modernes
font eftimés : cependant ce ne font jamais
que des copies.Le ftyle le plus parfait d'un
Auteur qui écrit dans une autre langue que
la fienne propre , ne fera jamais un modele
pour bien enfeigner la langue qui lui
eft étrangere ; ce ne fera toujours qu'une
copie , & les copies des copies vont toujours
en baiffant. Il en eft des langues comme
de la peinture : on n'apprend bien la
peinture qu'en s'exerçant d'après les originaux
mêmes. Quand il s'agit de mettre
des Auteurs dans les mains des jeunes
gens , non feulement il faut choifir les
meilleurs ; mais il faut encore choifir les
endroits de leurs ouvrages , fuivant l'avis
de Quintilien , liv. 1 , c. v : Non Autores
modo , fed etiam partes operis elegeris .
き
Autres abus lorfque nous exigeons
d'un enfant , d'étudier une leçon de rudiment
, ou une demi- page d'Auteur qu'il
n'entend point , ou il ne l'apprend pas ,
parce qu'il n'y a rien de fi difficile & de
fi dégoûtant que d'étudier par coeur ce
qu'on n'entend pas , ou il l'apprend de
travers ; ce qui lui fait beaucoup plus de
mal que de bien. Pour avancer par la méthode
propofée , il ne s'agit que de faire
lire comme il eft marqué dans l'avertiffement
de l'introduction. Ce n'eft qu'à force
88 MERCURE DE FRANCE .
de lectures réitérées , que les enfans retiennent
par coeur ; ils apprennent par-là
fans répugnance tout ce qu'on veut.
Quand on eft affez heureux pour infpirer
le goût du travail & de l'application
aux jeunes gens , tout eft gagné ; & pour
arriver à ce point , il y a divers moyens
entre lefquels on met avec fuccès le plaifir
à la place de la trifteffe , en leur applaniffant
le chemin , & en écartant de leur
étude tout ce qui peut les chagriner . Ce
feroit une barbarie que de les condamner
à avoir continuellement de la peine , fans
quelque récompenfe qui les foutienne dans
leur travail , & le leur rende agréable . On
peut affurer que c'eft-là le moyen le plus
efficace ; mais il faut les mettre à portée
de mériter ce falaire : demandez- leur plus
qu'ils ne peuvent fournir , ils fe découragent
.
On leur promet des récompenfes pour la
fin d'une année , il eft vrai ; mais ils ne
voient pas les chofes de fi loin . Le bien
préfent ou qui eft proche , a bien un autre
pouvoir fur eux . Ceux qui fentent leur
foibleffe défefperent & ne font plus d'effort,
& c'eft communément le plus grand nombre
: il faudroit donc faire jouer ce reffort
préférablement à tout autre. Un maître
adroit en emploie de toutes les efpeces , &
CO
to
D
fa
ta
DO
te
2
1
NOVEMBRE. 1757. So
il eft aifé d'animer fon auditoire en récompenfant
les efforts fur le champ , tantôt
par de petits éloges , tantôt
par de bonnes
notes dont le nombre étant reglé , celui
qui y parvient reçoit un témoignage
fur un petit quarré de papier , dont il fe
fait honneur auprès de fes parens ; on attache
à ce petit témoignage , des prérogatives
qui en augmentent le prix ; enfin tout
cela peut fe faire fans aucuns frais . Ung
leçon bien récitée doit faire mériter und
bonne note , un devoir bien travaillé , de
même ; une conduite fage & modefte à la
fin de chaque claffe ou d'une femaine pour
plus long délai , ne doit pas refter dans
l'obfcurité. Le maître ayant toujours le
crayon à la main & la lifte de fes auditeurs
par ordre alphabétique , prêt à diftribuer
ce bienfait, aura de la tranquillité ,
& le plaifir de voir les enfans s'animer à
le fatisfaire : ne marquer perfonne que
pour lui faire du bien , & jamais pour des
châtimens que pour des fautes graves. Sur
ce dernier article fi important , il faut lite
avec attention l'admirable morceau que
nous a laiffé un maître du premier ordre
dans le 4º. vol . de fon traité des études.
Un enfant n'a pas rempli fa petite tâche
, on l'oblige à la rapporter par écris
jufqu'à ce qu'elle foit dans l'ordre. Il a
go MERCURE DE FRANCE.
forgé des mots par pareffe , on en rit un
moment, & cette punition fuffit. D'ailleurs
il étoit facile d'éviter cet inconvénient
en les lui enfeignant à haute & intelligible
voix. Quand il fçait tous les mots de fa
compofition , il la travaille avec plaifir. Il
ne faut pas qu'une claffe foit regardée
comme un lieu de fupplice : Ludus eft , non
fupplicii locus. Quoi qu'il en foit , tout maî
tre peut fuppléer à tout ce que nous pourrions
dire fur une telle mariere.
Cette introduction plus courte qu'aucuns
rudimens qui ayent jamais paru , précédée
des premieres notions de la grammaire
françoife , renferme ce qu'il y a de
plus effentiel , pour commencer l'étude de
la langue latine par la voie de la traduc
tion . Elle peut être apprife en peu de tems
fi l'on en fait un exercice fuivi . Un jeune
maître qui n'a pas encore tout l'acquit
qu'on doit fouhaiter pour être utile à des
enfans , fe formera lui- même de jour ent
jour à leur avantage & au fien par cette
méthode. Il n'y a point de charlatanerie :
tout le monde entend , fans aucun effort ,
ce que nous difons . » Se familiarifer avec
les bons Auteurs , à force de les tradui-
>> re , & commencer furtout par la profe ,
qu'il faut cultiver conftamment avant
que d'entamer la poéfie , quelle qu'elle
33
0
F
PE
f
NOVEMBRE. 1757. SI
»foit voilà tout le myftere.
Nous ne prétendons pas pour cela blâmer
ceux qui font affujettis à une pratique
que l'ufage autorife. Il nous en a coûté
pour furmonter nos préjugés , mais quoiqu'on
foit entraîné par le torrent ,
peut , en examinant de près , effayer du
moins de fe mettre en liberté pour un plus
grand bien.
on
La méthode dont il s'agit , n'eft pas
encore une fois une méthode nouvelle ;
ainfi nous ne propofons rien qui ne ſoit
connu , nous préfentons feulement quelques
nouveaux moyens d'en multiplier les
expériences. Ce qu'il y a de certain , fans
fixer le terme des progrès ( car qui peut
fixer ce qui dépend du temps où l'on commence
, & des difpofitions naturelles ? )
c'eft qu'entre un grand nombre d'enfans
différens d'âge , les uns en dix-huit mois
ont été en état d'entrer dans les hautes humanités
, dans les plus célebres colléges ,
& de s'y diftinguer aux compofitions publiques
& particulieres ; les autres en deux
ans ou deux ans & demi , ont franchi toutes
les baffes claffes jufqu'en réthorique , d'où ils
fe font tirés avec honneur , & en fuivant la
même route pour la langue grecque , ils s'y
font trouvés plus avancés que ceux qui
avoient fait jufques -là le tour des claffes,
92 MERCURE DE FRANCE:
Quand les exercices journaliers ne roulent
que fur les bons Auteurs , il faut ab
folument imiter leur langage , & c'eſt un
moyen infaillible de l'entendre & de le
fçavoir. Il n'y a ici ni pleurs , ni fangiots ,
parce que tout ſujet en eft écarté .
Quoi qu'il en foit , les fuccès dont nous
parlons , arrivés dans une infinité d'endroits
, ne permettent plus de douter de
l'efficacité de cette méthode , & l'on feroit
encore bien d'autre chemin dans la
durée du temps des études ordinaires , fi
l'on s'en tenoit à ce feul exercice dès les baf
fes claffes , où les compofitions prématu
rées de françois en latin emportent un
temps infini en pure perte.
Un moyen encore plus court d'apprendre
une langue , feroit de fréquenter ceux
qui la parlent naturellement . Les Romains
alloient à Athenes pour fe perfectionner
dans la langue grecque , après avoir commencé
à l'étudier par la traduction des
bons Ecrivains grecs . On apprend bientôt
l'italien à Rome & le françois à Paris ;
mais on ne parle plus les langues mortes ,
ou bien on les parle mal. Il ne nous refte
donc que les livres avec lefquels nous puiffions
avoir commerce : préférons toujours
les anciens aux modernes , & nous apprendrons
sûrement leurs langues . Nous
évi
le
La
1
E
ta
2
S
cl
NOVEMBRE . 1757.
éviterons aux enfans ce jargon des fervantes
d'hôtelleries dans certains cantons d'Allemagne.
Ce n'eft cependant pas à dire qu'on
puiffe apprendre par la voie propoſée ,
non plus que par aucune autre , la langue
latine en fix mois , en un an , comme quel
ques écrivains fans expérience l'ont avancé.
Il ne faut pas s'imaginer que des raiſonnemens
ou de vaines fpéculations tiendront
lieu de pratique. La pratique eft le
feul moyen de réuffit en fait de langue :
tant qu'on ne fera marcher que des regles ,
avant que de traduire , le chemin fera toujours
long ; on n'arrivera pas , ou l'on
n'arrivera de longtemps : longum iter eft
per præcepta , breve & efficax per exempla.
Sen. Ep. VI Lucilio.
Comme l'étude des langues eft un méchaniſme
, car c'eft ainfi qu'il faut entendre
la méchanique des langues , qu'on
nous permette une comparaifon prife dans
les arts & métiers. Un menuifier ne commence
pas par enfeigner la définition d'une
moulure à fon apprentif : il lui montre
une moulure , il exécute devant lui , & lui
met de fuite le bois & le rabot entre les
mains : l'apprentif d'abord s'y prend mal ,
puis mieux , puis enfin il n'y manque rien,
Telle eft la progreffion de la nature,
94 MERCURE DE FRANCE.
On peut avoir beaucoup de mérite
fans fçavoir le latin ; mais comme la connoiffance
de cette langue fait aujourd'hui
une différence entre ceux qui ont eu cette
portion d'éducation , & ceux qui ne l'ont
pas eue , iill nn''eenn ccooûûttee pas plus de s'y prendre
bien , que de s'y prendre mal pour
l'acquérir.
Les Militaires , dit un grand homme
» dans un mémoire qu'il a compofé pour le
réglement des études humaines , les Jurifconfultes
, les Eccléfiaftiques 33 les
» Médecins , les Financiers , les Commer-
» çans & bien d'autres n'ont pas beſoin de
» faire des thèmes , des vers , ou des am-
ور
plifications. L'ufage de ces chofes eft renfermé
dans les Colléges , & ne s'étend
" guere hors delà. La plupart de ceux qui
» étudient , en font incapables : à peine en
» trouve - t- on dans cent deux ou trois qui
» réuffiffent. Les autres s'y rompent la tête
5≫0 inutilement , au lieu que les uns pour
30
remplir leur état convenablement , &
» les autres pour leur plaifir , ou pour s'occuper
utilement , ont befoin de fçavoir
»,le latin , & que c'eft la chofe dont ils font
tous le plus généralement capables . »
Pour y arriver , la traduction eft de tou
tes les routes la plus courte & la plus sûre :
on l'a dit & redit cent fois, on l'a démontré,
€2 LS
de
a
de
de
NOVEMBRE. 1757.
95.
on l'a toujours éprouvé avec fuccès . Cicéron,
Pline le jeune & Quintilien , nous apprennent
qu'au défaut de voyager dans la
Grece , pour en fçavoir la langue , on s'occupoit
uniquement à la traduire en latin ,
& à lire continuellement les bons livres ,
par le moyen defquels non - feulement on
l'apprenoit sûrement , mais dans lefquels
encore on fe formoit le goût. Vos, exemplaria
graca nocturnâ verfate manu , verfate
diurna , dit Horace , & ce confeil eft au- .
jourd'hui auffi bon pour la langue latine
que pour la langue grecque.
On ne s'avife pas de dicter des thèmes
pour enfeigner l'hébreu , le fyriaque , ni
même les langues vivantes ; dès qu'on a
quelques idées de la marche des noms ,
des pronoms , des verbes , on fe met à les
traduire. Par quelle fatalité ce joug eft- il
refervé pour la langue latine feule ? Les
larmes , les dégoûts des enfans font autant
de réclamations contre cet ufage , qui les .
oblige de compofer en une langue qu'ils
ne fçavent pas .
Encore deux petites obfervations : la
premiere fur l'art d'enfeigner à traduire.Il y
a , ce femble , quelque inconvénient à faire
faire la conftruction du latin aux enfans :
c'eft fuppofer qu'ils fçavent la fignification
des mots , & qu'ils ont une pleine
6 MERCURE DE FRANCE.
connoiffance de la grammaire , fans quoi
il leur eft impoffible de faire cette prétendue
conftruction . On demande donc
encore plus qu'ils ne peuvent.
Une phrafe latine d'un Auteur ancien ,
encore une fois , eft un petit monument
d'antiquité. Si vous décompofez ce petit
monument pour le faire entendre , au lieu
de le conftruire , vous le détruiſez : ainſi
ce que nous appellons conftruction , eft
réellement une destruction ; car comme
il n'eft pas indifférent de dire en profe
françoife , une fanté bonne , pour une bonne
fanté , de niêine on ne difoit pas indifféremment
en profe latine à Rome : va
letudo integra , pour integra valetudo . Nous
ne difons pas indifféreniment , de vos nou
velles avec impatience j'attends , pour j'atrends
de vos nouvelles avec impatience : auffi
ne difoit- on pas indifféremment à Rome ,
expecto vehementer tuas litteras , pour tuas
litteras vehementer expecto . Cic. &c.
Un jeune François bien affuré de la fignification
des mots , rétablira fans fecours
ces phrafes dans le genre de fa langue ,
& dira fans hésiter : une bonne fanié : j'atrends
de vos nouvelles avec impatience , &
celui qui fera familiarifé avec les Auteurs
de la belle latinité dira de même , fuivant
le génie de la langue latine , au ton de
laquelle
1
Ε
J
NOVEMBRE . 1757 .
laquelle fon oreille fera montée , integra
valetudo : tuas litteras vehementer expecto.
La langue latine eft faite : on doit donc
commencer par l'entendre & l'apprendre
telle qu'elle eft ; on n'y arrivera pas en la
bouleverfant. Ce n'eft pas à dire qu'il ne
faille pas accoutumer les enfans à connoître
le nominatif d'une phrafe , le verbe ,
le régime , & ce qui tient à ces trois termes
principaux , mais fans les déranger
de leur place , parce que tel eft le génie
de la langue . On n'écrira , ni on ne parlera
jamais bien latin , qu'autant qu'on
imitera les bons Ecrivains des beaux fiècles.
Pour cela il faut , pour ainfi dire , s'identifier
avec eux à force de les lire , de les
relire & de les feuilleter. Avancer qu'on
écrit & qu'on peut parler en leur langue
auffi bien & même mieux qu'eux , eft une
propofition infoutenable ; mais laiffons-là
cette question qui nous eft étrangere , il
s'agit ici du moyen le plus propre pour
apprendre la langue latine , ou par les regles
ou par la voie de la traduction .
Par la premiere voie , outre la fauffeté
de ces règles dont nous avons apporté
quelques preuves , auxquelles nous nous
fommes bornés pour éviter une lecture
trop ennuyeufe , nous avons compté dans
la fyntaxe du rudiment deux cens de ces
E
98 MERCURE DE FRANCE.
regles , & quatre cens dans la méthode ;
ce qui en fait fix cens non comprifes les
exceptions qui montent à prefque autant.
Eft- ce tenir à la raifon , que de demander
à des enfans l'étude d'une logique auffi
compliquée ? Par la feconde voie , c'eſtà
dire par la traduction , il n'y a qu'une
douzaine de maximes par le moyen defquelles
on rend compte de la ftructure
grammaticale de toute la langue latine ,
comme l'ont démontré Sanctius dans fa
minerve & Scioppius dans fon mercure.
Qu'on juge après cela quel eft le chemin
le plus court.
La derniere obfervation qui nous refte
à faire en conféquence de ce que nous
avons éprouvé , c'eft de fe garder ſurtout
d'employer les interlinéaires. L'expérience
en a montré l'abus . Les enfans jettant les
yeux fur la traduction toute faite , ne tienment
plus compte de rien , & d'ailleurs
le texte étant difloqué , comme il l'eft dans
ces fortes de livres , il n'y a plus moyen
de former le goût , ni de procurer le ſentiment
qu'on doit avoir de l'harmonie de
la langue qu'on veut enſeigner.
Quoi qu'il en foit , il paroît conſtant
par ce qu'on vient de voir , qu'on peut apprendre
les langues mortes par la voie de
la traduction , plus facilement , plus agréa
blement & en moitié moins de temps qu'on
NOVEMBRE . 1757. ୨୭
n'en met à les apprendre par la voie de
la compofition . Les maîtres des hautes humanités
, au lieu de paffer le temps à corriger
des follécifies , enfeigneroient nonfeulement
l'éloquence avec plus de fuccès ,
mais encore tant d'autres chofes utiles , fi
on ne leur envoyoit que des jeunes gens
qui entendiffent bien les langues grecque
& latine ; ce qui eft très - poffible en les
commençant dès les premiers pas par la
voie de la traduction.
Cette introduction & les autres ouvrages
qui la précédent & qui la fuivent , ont
un tel rapport les uns avec les autres , qu'ils
forment un cours d'étude complet depuis
l'ABC jufqu'aux humanités , dont on peut
faire fucceffivement l'expérience , en commençant,
pour enfeigner à lire, par une boîte
compofée de quatre jeux élémentaires de cartes
à jouer, imprimées, & de l'expofition de la
méthode & de la maniere de s'en fervir , qui
fe vend à Paris 6 liv . chez M. Chompré ,
des Carmes .
Le Bureau d'Imprimerie de la groffeur &
de la forme d'un volume in -folio , relié en
parchemin verd , fous le titre de Bibliotheque
des Enfans , contenant auffi l'expofition
de la méthode & les jeux élémentaires cideffus
, fe vend 24 liv . chez le même.
Quant à ce qui concerne les études
E ij
FOO MERCURE DE FRANCE.
latines , on trouve chez Guerin & Dela
tour , Libraires Imprimeurs à Paris , rue
Saint Jacques , à S. Thomas d'Aquin , le
moyen d'apprendre sûrement & facilement
les Langues. Brochure in - 12 , qui fe vend
12 fols . Enfuite l'Introduction à la Langue
Latine par la voie de la traduction , qui a
donné lieu à ce qu'on vient de lire , reliée
en parchemin , 18. fols.
Chez les mêmes , le Recueil des extraits
des Auteurs Latins , in- 12 en fix parties ,
fous le titre de Selela Latini fermonis exemplaria
, &c. Chaque partie féparément reliée
en parchemin , 1 liv. 10fols . La Traduction
Françoife de chaque partie de
ces modeles de latinité , auffi féparément
en brochure , liv. 16 fols.
*
Le Vocabulaire univerfel , Latin- François,
contenant tous les mots de la latinité des différens
fiecles , & c. in- 8 ° . relié en veau ,
1 liv , 10 fols.
< Chez Defaint & Saillant , Libraires , rue
S. Jean de Beauvais , le Dictionnaire abrégé
de la Bible , petit volume in - 12 ; & le Dictionnaire
abrégé de la Fable pour l'intelligence
des Poëtes , & pour la connoiffance des rableaux
& desftaincs , &c. auffi petit volume
-12. Chaque vol. féparément 2 1. 10fols.
Toute cette collection eft affez connue
pour engager les Maîtres à joindre la prati
e à la théorie.
F
t
S
E
f
0
NOVEMBRE. 1757. 101
MEMOIRES pour fervir à l'hiftoire unierfelle
de l'Europe , depuis 1600 jufqu'en
1716 , avec des réflexions & remarques
critiques ; par le P. d'Avrigny, de la Com-.
pagnie de Jefus : nouvelle édition , cinq
volumes. A Paris , chez Guerin , & Delatour
, rue S. Jacques , 1757.
Dans cette nouvelle édition , outre plufieurs
additions confidérables , l'on a fuppléé
à quelques omiffions qui étoient
échappées à l'auteur , & l'on a corrigé fon
texte lorfqu'il s'eft trouvé défectueux ; car
quoiqu'il foit ordinairement très- exact , il
s'eft trompé quelquefois , ainfi que l'a remarqué
l'auteur de la nouvelle hiftoire de
Louis XIII , imprimée en 1756. On a profité
de fes remarques pour corriger quel
ques fautes qu'il a eu occafion de relever
dans fes Mémoires.
f
Les tomes X , XI & XII de l'Hiftoire
du Dioceſe de Paris , contenant les paroiffes
du Doyenné de Montlhery , avec un
détail circonftancié de leur territoire , &
le dénombrement de toutes celles qui y font
comprifes enfemble ; quelques remarques
fur le temporel defdits lieux; par M. l'Abbé
le Beuf, de l'Académie des Infcriptions &
Belles- Lettres , fe debitent actuellement ,
à Paris, chez Pranlı pere , quay de Gêvres.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE PUBLIQUE
Del'Académie des Belles Lettres de Marfeille
, tenue dans la grande falle de l'Hôtel
de Ville , le 25 Août , jour de Saint
Louis 1757-
L'AC ' ACADÉMIE des Belles - Lettres de Marfeille
a tenu fon Affemblée Publique dans
la grande falle de l'Hôtel de Ville , le 25
Août , jour de S. Louis 1757 , à laquelle
a préfidé :
M le Duc de Villars , fon protecteur
Pair de France , Grand d'Efpagne , Gouverneur
de Provence , Brigadier des Armées
du Roi , l'un des quarante de l'Académie
Françoife..
Il a ouvert la féance par un difcours
abrégé , qui a amené celui de M. le Directeur.
M. de Porrade , Directeur , a prononcé
un difcours fur l'hiftoire de Marſeille ,
fur les inconvéniens à éviter , & les
moyens à prendre pour la compofer avec
fuccès.
On a lu l'Ode couronnée , .dont le fujer
eft la conquête de l'Ifle Minorque , &
l'Auteur , M. Barthe fils , de Marfeille ,
étudiant en droit en l'univerfité de Paris ,
NOVEMBRE. 1757. 103
qui avoit déja remporté le prix de poéfie
en l'année 1755 +
M. Barthe , Pere de l'Auteur , s'eft préfenté
à l'Académie , a prononcé un remerciment
, & a reçu le prix , pour fon fils , de
M. le Duc de Villars.
M. Raimond , Docteur & Médecin
agrégé au College de la faculté de cette
Ville , & l'un des Membres de l'Académie
, a lu une differtation fur les effets que
la différence des climats , produit fur le
tempérament , & en particulier fur ceux
qu'y produit celui de Marfeille.
La Séance a été terminée par la lecture
d'un difcours en vers , fur la générosité ,
compofé par un des Affociés de l'Académie.
L'Académie a donné pour fujet d'éloquence
de l'année prochaine 1758 : PESprit
dejuftice affure la gloire & la durée des
Empires.
Le prix qu'elle décerne , eft une médaille
d'or de la valeur de 300 liv . portant
d'un côté le Bufte de M. le Maréchal
Duc de Villars , fondateur & premier prorecteur
de l'Académie , & furle revers ces
mots environnés d'une couronne de laurier
: Premium Academie Maffilienfis.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages ; mais une fentence tirée
E iy
104 MERCURE DE FRANCE.
de l'écriture fainte , des Peres de l'Eglife ,
ou des Auteurs profanes : ils marqueront à
M. le Secretaire une adreffe à laquelle il
enverra fon récépiffé .
On les prie de prendre les mesures néceffaires
pour n'être point connus avant la
décifion de l'Académie , de ne point ûgner
les lettres qu'ils pourront écrire à M.
le Secretaire , de ne point lui préſenter
eux- mêmes leurs ouvrages , en feignant de
n'en être point les Auteurs , ni fe faire
connoître à eux ou à quelqu'autre Académicien
, & on les avertit que s'ils font
connus par leur faute , leurs ouvrages
feront exclus du concours , auffi bien
que tous ceux en faveur defquels on aura
follicité , & tous ceux qui contiendront
quelque chofe d'indécent , de fatyrique ,
de contraire à la Religion ou au gouvernement.
L'Académie en priant les Auteurs de ne
pas fe faire connoître , doit auffi les avertir
de fe précautionner contre le zele indif
cret , qui , en follicitant pour de bons ouvrages
, les expofe à être exclus du concours.
C'eſt trahir un ami que de le nommer
dans cette occafion , & il fuffira qu'un
Auteur , avant la décifion de l'Académie ,
foit connu dans le Public , par la dévife
qu'il aura prife , pour qu'on fuive à fon
NOVEMBRE . 1757. ·105
égard avec rigueur , la loi qu'on s'eft impofée.
On en ufera de même envers les Auteurs
plagiaires lorfqu'ils feront decouverts
; & à moins que l'ouvrage ne foit
abfolument mauvais , l'Académie le fera
imprimer en défignant les endroits qui auront
été pillés. Elle s'eft contentée jufqu'à
préfent d'exclure ces ouvrages du concours
, & elle feroit obligée à regret de
les traiter à l'avenir avec moins d'indulgence.
On adreffera les ouvrages à M. de Chalamont-
de la Vifclede, Secretaire perpétuel
de l'Académie des Belles- Lettres de Marfeille
, rue de l'Evêché. On affranchira les
paquets à la pofte , fans quoi ils ne feront
point retirés. Ils ne feront reçus que jufqu'au
premier Mai inclufivement,
L'Académie n'exige qu'une feule copie
des ouvrages qu'on lui envoie ; mais elle
la fouhaite en caracteres bien lisibles , &
point trop menus' , & avertit les Auteurs
qu'ils perdent beaucoup , quand l'efprit
eft obligé de fe partager entre l'attention
qu'exige une lecture pénible , & l'impreffion
que doit faire fur lui ce qu'il lit.
S'ils fouhaitent que leur nom foit imprimé
à la tête de leurs ouvrages , ils doivent
l'envoyer, avec leurs titres , à une per-
Ev
106 MERCURE DE FRANCE
fonne domiciliée à Marfeille , qui les
remettra à M. le Secretaire , dès qu'on apprendra
que le prix eft adjugé.
L'Auteur qui aura remporté le prix ,
viendra,s'il eft à Marſeille, le recevoir dans
la falle de l'Académie , le 25 Août , fère de
Saint-Louis , jour de la féance publique ,
dans laquelle il eft adjugé ; & s'il eft abfent
, il enverra à une perfonne domiciliée
en cette Ville , le récépiffé de M. le Secretaire
, moyennant lequel le prix fera
livré à cette perfonne.
&&
NOVEMBRE . 1757. 107
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
PHYSIQUE.
LETTRE de M. l'Abbé Jacquin , de
l'Académie des Sciences , Belles- Lettres &
Arts de Rouen ; à M. le Comte de B ***
fur les pétrifications d'Albert , & fur la
carriere de Veaux fous Corbie . ·
?
MONSIEUR ,
ONSIEUR , je croyois avoir épuifé ,
pour ainfi dire , la fameufe carriere d'Al-
, dans les deux Lettres que j'ai eu
l'honneur de vous écrire en 1755 ( 1 ). Je
n'avois même , dans le voyage que je fis
il y a quelque temps dans cette petite
ville , d'autres motifs que d'y choifir quelques
morceaux de pétrifications pour mes
correfpondans : mais quelque perçant que
foit l'oeil d'un curieux attentif , ce n'eft
que par degrés qu'il pénetre les productions
(1 ) Mercure de France , premier volume de
Juin , & fecond volume de Décembre.
Evi
408 MERCURE DE FRANCE.
de la nature. Le moindre objet examiné
de nouveau , ajoute toujours à ces premieres
connoiffances ; les découvertes naiffent
les unes des autres . Quelques fimples que
foient les opérations de la nature , l'enveloppe
dont fon Auteur les a couverts, ne ſe
leve , pour ainfi dire , que par feuillets &
par couches. L'ouvrage d'un inftant pour
le Créateur apprête fouvent des années
d'étude & de travaux à ceux qui , non contens
d'en donner une defcription exacte ,
en veulent encore fonder la caufe & découvrir
l'origine. La patience fera toujours
la vertu du naturalifte : fans elle fes recherches
ne feront que fuperficielles , fes
découvertes incertaines & fes fyftêmes hazardés
avec elle il examinera avec un
nouveau plaifir les objets qui avoient déja
attiré fon attention ; il y retrouvera de
nouvelles faces , il y appercevra des nuances
qui lui avoient échappé . Alors affez
philofophe pour préférer les intérêts de la
vérité à la défenfe de fes propres erreurs ,
il fe fera gloire d'avouer qu'il s'eft trompé
, & il réformera fes premieres opinions.
C'est avec cet efprit philofophique que
je fuis defcendu pour la troifieme fois dans
la carriere d'Albert : toujours prêt à chanyer
le premier fyltême que je vous ai déja
G
C
C
C
C
C
2
F
NOVEMBRE. 1757 . 109
communiqué fur l'origine & fur la caufe
des pétrifications qui y attirent les curieux
de toute part , j'ai tout examiné avec une
nouvelle exactitude : deux découvertes ont
été le fruit , & la récompenfe de mes foins
& de mes recherches . L'accueil favorable
que vous avez fait aux premieres , vous
donne , Monfieur , trop de droit fur cellesci
, pour ne pas vous les offrir : vous jugerez
facilement du nouveau degré de lumiere
qu'elles donnent à mes premieres
differtations.
10. Depuis mon dernier voyage d'Albert
, le propriétaire de la carriere y a fait
creufer vers le milieu une petite piece.
d'eau . Partons de cette nouvelle opération
, pour examiner les différens objets
qu'elle nous préfente. Premiérement cette
piece d'eau a environ fix pieds de profondeur
, & l'eau y eft à peu près à deux pieds
au deffous du rez- de- chauffée de cet endroit
de la carriere . Par- là , il eft facile de
voir que l'eau s'y trouve au même niveau
que dans le puits du fieur Décalogne , &
que , par une conféquence naturelle , cette
carriere a environ 35 pieds de profondeur,
comme je l'ai prouvé ailleurs .
Secondement , l'eau y eft très - belle &
très - limpide les poiffons s'y dégorgent
parfaitement , mais fans y prendre d'ac-
D
110 MERCURE DE FRANCE,
croiffement. Le fieur Décalogne y a même
confervé pendant plus d'un mois des écreviffes
renfermées dans un panier ; cependant
cette eau eft chargée d'une infinité de
corpufcules pierreux. Deux expériences
m'en ont affuré ; la premiere , c'eft l'ébullition
qui donne autour d'un vaſe verniffé
, une couche de pierre affez confidérable
. J'ai tiré la feconde du panier d'ofier ,
dans lequel le propriétaire avoit mis les
écreviffes dont nous venons de parler.
Quoique ce panier ne foit refté dans cette
eau qu'environ un mois , il fe trouve couvert
& incrufté dans toute fa furface d'une
petite pellicule pierreufe adhérente aux
pores de l'ofier.
Troifiémement , cette eau contient auffi
plufieurs parties d'un fel terreftre , qui fe
manifefte au goût , & qui fe découvre par
fa décompofition .
En quatrieme lieu , en examinant dans
la tranchée qu'il a fallu ouvrir pour for
mer cette piece d'eau , les différentes couches
de terres , j'ai trouvé un lit de tourbe
d'une condenfité particuliere , & beaucoup
meilleure que celle qu'on tire plus
près de la furface de la terre . Cette tourbe
eft cependant de la même nature que celle
qui croît ( comme je le dirai dans une
Differtation particuliere ) dans les marais
To
Co
de
Ce
P
1ed
f
ce
Cu
F2
P
6
NOVEMBRE . 1757. FIT
qui avoifinent la plupart des rivieres.
Toute la différence qui caractériſe celle- ci
confifte dans fa maturité & dans fa condenfité.
Cette derniere qualité n'eft même
que l'effet de fa fituation : placée à plus
de 36 pieds de profondeur , la charge fupérieure
des pierres & des terres l'a affaiffée
, & lui a donné cette dureté qui fera
toujours pour la tourbe un degré de perfection
.
Mais quelle preuve pour mon fyftême
fur l'origine des pétrifications d'Albert que
ce lit de tourbe ! qui peut nier à préfent
que le marais ne régnât autrefois fous la
maifon du fieur Décalogne ! qui n'apperçoit
parconféquent que la carriere eft l'ouvrage
d'un remuement confidérable de terre , &
qu'elle date du temps où l'on ajetté une
partie de la colline fur cet endroit du marais
, afin de bâtir le fort & la ville d'Albert
? Ce n'eft que dans les vallées les plus
baffes , ou , pour mieux dire , dans les ma
rais feuls qu'on trouve la tourbe ; jamais
il n'y en eut fous les montagnes , & à plus
forte raifon dans les carrieres ordinaires . Il
y en a cependant dans celle du fieur Décalogne
: parconféquent fous cette carriere
exiftoit autrefois une continuation du marais
, qui s'étendoit jufqu'au bord de la
colline. La carriere du fieur Décalogne:
112 MERCURE DE FRANCE .
n'est donc , ou que l'ancien lit de la riviere
, ou qu'un foffé creufé dans le marais
, qui a été comblé depuis par le tranfport
des terres. Les rofeaux & les autres
herbes pétrifiées qui s'y trouvent , ne font
que les mêmes rofeaux qui couvroient , ou
du moins qui bordoient cette riviere on
ce foffé. C'est ce qu'on peut facilement
remarquer par leur fituation , & par la brifure
que ces rofeaux ont foufferte dans l'affaiffement
des terres. Les eaux chargées de
corpufcules pierreux qu'elles détachoient
des terres blanches nouvellement remuées ,
en parcourant tout cet efpace , fe font dépofés
dans les pores de ces herbes ; ce qui
les a ainfi métamorphofés en pierres.
Mon opinion acquerra encore de nouveaux
degrés de folidité & de clarté , fi ,
après l'examen de la carriere de pétrification
du fieur Décalogne , on paſſe dans les
foffés de la ville . On y découvrira , furtout
derriere la maifon de M. Bertrand ,
des rofeaux & d'autres herbes pétrifiées ,
d'une auffi belle confervation que les pétrifications
du fieur Décalogne . D'où il eft
aifé d'inférer que partout où il y a eu dans
l'ancien marais des rofeaux , foit dans l'ancien
lit de la riviere , foit dans quelque
foffé particulier , partout ils fe font pétrifiés
par le même jeu de la nature. Cette
déc de
cea
CO
pe:
JKIEJ JERSA
fai
13
S
NOVEMBRE. 1757. 113
découverte ne fera pas au refte inutile à
ceux qui voudront fe procurer , fans beaucoup
de dépenfe , des morceaux de ces
pétrifications , fans paffer par la monopole
du fieur Décalogne . Il eft donc conſtant à
préfent , Monfieur , par les nouvelles lumieres
que nous fournit la découverte de
la tourbe fous les pétrifications d'Albert ,
que cet effet fingulier n'a d'autre caufe
que le remuement des terres , que les premiers
Seigneurs d'Albert ont été obligés de
faire environ en ( 1 ) 1100 , pour voir la
colline , y élever le fort , & y conftruire
la ville.
2º. La feconde découverte n'eft pas
moins intéreſſante que la premiere : j'ofe
même avouer qu'elle peut devenir pour les
curieux une fource de plaifirs qu'il n'eft , il
eft vrai , donné de goûter qu'à ceux qui ,
véritablement touchés des merveilles de la
nature , éprouvent une volupté pure &
innocente , toutes les fois qu'elle veut
bien fe communiquer à eux. A l'entrée de
la carriere , vers l'endroit où le fieur De-
( 1 ) Albert eft au moins du douzieme fiecle ,
puifqu'en 1115 , elle étoit déja en état de fouffric
un fiege , & qu'elle fut prife par Baudouin , Comte
de Flandre , fur Enguérand d'Ancre , qui en étoit
Seigneur , & qui l'avoit fans doute fait bâtir &
fortifier.
114 MERCURE DE FRANCE.
par
Ter
pet
calogne a tiré de la pierre , j'ai entendu un
bruit fourd & régulier. Ayant porté mon
attention du côté d'où venoit le bruit ,j'ai de
apperçu des gouttes d'eau qui , filtrant à
travers toute l'épaiffeur de la carriere ,
coulerent de la partie fupérieure du rocher.
Cette eau eft limpide. Je la foupçonne cependant
d'être la caufe des pétrifications.d
C'eft- elle , fans doute qui , après s'être
chargée pendant tout l'efpace qu'elle eft
obligée de parcourir , d'une infinité de
particules pierreufes , les a dépofées dans
les
corps qui fe font trouvés propres à les
recevoir , tels que les rofeaux , l'argen- de
tine , & c.
Ceux qui font defcendus dans les fouterreins
fameux de l'obfervatoire de Paris,
ont dû remarquer que c'est par une fembla
ble opération , c'est -à -dire par le véhicule
de ces eaux , chargées de corpufcules pierreux
, que le roc dans lequel ces fouterreins
font pratiqués , recroît infenfiblement
par la partie fupérieure , de telle
forte que les routes fe boucheroient , fi de
temps en temps on n'avoit pas le foin d'enlever
ces nouvelles croûtes pierreufes qui
s'y forment par enhaut.
Le peu de temps que je féjournai à Albert
, ne me permit pas d'amaffer aſſez de
ces gouttes d'eau , dont je viens de vous
de
fo
P
NOVEMBRE. 1757. 115
, pour en faire l'analyfe. On en tireroit
certainement une abondance confiparler
,
dérable de particules pierreufes.
Voilà fans doute , Monfieur , le myſtere
découvert voilà la caufe des différentes
pétrifications qui fe trouvent dans la carriere
du fieur Decalogne , & aux environs
d'Albert. J'ai confeillé au propriétaite d'enterrer
fous l'égoût de ces eaux , des morceaux
de bois , des rofeaux & des noyaux
de fruits , &c. Je ferois bien trompé fi
l'on n'appercevoit pas dans un certain efpace
de temps , quelque commencement
de pétrifications fur ces différens corps.
Peut- être feroit- il mieux de placer fous ces
écoulentens un baffin , dans lequel on
mettroit les matieres qu'on voudroit faire
pétrifier en aidant ainfi la nature , combien
ne varieroit- on pas fes productions ?
:
Ces deux obfervations ne font pas au
refte , Monfieur , le feul fruit de mon
ouvrage d'Albert. En revenant de cette
petite ville, une nouvelledécouverte fixa encore
mon attention : fi les digreffions font
auffi permiſes aux Naturaliftes qu'aux autres
Ecrivains , vous ne ferez pas fâché
qu'elle trouve ici fa place : l'ecart me paroît
même très- pardonnable , puifqu'il s'agit
encore ici de carriere .
Paſſant , en revenant d'Albert , quel116
MERCURE DE FRANCE.
ne
res
POL
ques jours dans une des plus aimables maifons
de la province , la curiofité me conduifit
dans une carriere fituée environ à
quelque portées de fufil du château. Cette
terre , qui s'appelle Veaux fous Corbie ,
appartient à Madame de Villevielle . Enfeveli
fous les grottes immenfes de cette card
riere , je ne perdois une partie de la lumiere
du jour , que pour prêter plus d'at
tention à la voix de la nature . L'obſcurité
fera toujours en tout la compagne du myſtere
& du merveilleux. Parlons fans figare
: rien ne me fit plus de plaifir , que de
découvrir dans cette carriere plufieurs cailloux
, dont le dedans renferme de belles
cryftallifations , & dont les dehors font
couverts de ftalactite. Ce n'étoit au refle
que le prélude du fpectacle enchanteur qui
m'étoit réfervé. Avançant toujours avet
une nouvelle avidité , j'apperçus dans la
pierre de petites grottes admirablement
travaillées. Mammelonnées en dedans ,
elles laiffent un intervalle , dans lequel
fe trouve une forte de ftalactite cryftalline,
Cette ftalactite n'en remplit pas exactenient
toute la capacité. Elle en eft même ordinai
rement totalement détachée : rien n'eft fi
furprenant que cette ftalactite. Elle ref
femble affez à un maffepain qui feroit à
jour de tout côté. Il y en a de différentes
NOVEMBRE. 1757. 117
groffeur : j'en ai d'auffi groffes qu'une noix ;
: rien de fi curieux , Monfieur , que cette
efpece de maffepain cryſtaliſé. Quel régal
pour un naturaliſte !
La carriere de Veaux renferme encore
plufieurs congellations & ftalagmites
d'une grande beauté , mais plus ordinaires
& plus connues des curieux . Je n'y ai
point trouvé de coquillages. Cependant il
eft probable qu'il y en a . En faifant ramaffer
des cailloux cryftallifés qui fe trouvent
en affez grande abondance dans la riviere
près du Moulin , on m'a rapporté un
ourfin beaucoup endommagé par le roulement
des eaux. Le dedans de l'ourfin eft
rempli d'une matiere de cailloux ; fon
épaiffeur eft changée en une matiere reluifante
, & femblable au talc , mais un peu
plus dure. Cer ourfin , ainfi que les cailloux
cryftallifés qui roulent dans cette partie
de la riviere , viennent de la carriere :
par conféquent cette carriere renferme
auffi des coquillages , mais en petite quantité.
Si l'agréable étoit le feul motif de mes
voyages philofophiques , je m'en ferois tenu
à ces découvertes : mais le defir d'êtré
atile , furtour à ma patrie , m'a fait pouf
fer plus loinmes recherches. Après un examen
férieux de la carriere de Veaux , j'y
IS MERCURE DE FRANCE.
CI
ai trouvé deux efpeces de pierres d'un
grain parfait. La premiere qui eft plus unie
& plus fuivie , eft moins dure : fa compofition
analogue dans toutes les parties , la
rend plus propre pour les ornemens extérieurs
des bâtimens, & même pour la ſculp
ture. Quoiqu'elle foit moins dure que
l'autre efpece , elle n'en refifte pas moins
à la pluie & aux autres injures de l'air .
La feconde efpece eft plus dure , moins
fuivie dans fes parties , & fe trouve remplie
de filamens & de noeuds , qui tiennent
de la dureté du marbre. Cette inégalité
la rend plus propre à recevoir le mortier , d
& à fe l'incorporer. Elle eft bonne furtout
pour les pavages des galeries découvertes , ri
& pour tout ouvrage expofé à la pluie ba
& à un grand frottement. On peut voirces
deux fortes de pierres employées dans le
nouveau bâtiment de la célebre Abbaye de
Corbie. La feule vue de te fuperbe édifice
vaut une démonſtration .
Convaincu des qualités de ces deux fortes
de pierres, j'ai été furpris que les habitans
d'Amiens n'ayent pas encore effayé
d'en faire ufage. Quelle richeffe pour cette
Ville , fi , au lieu de tirer à grands frais ,
c'est- à - dire par terre , des pierres de Conti,
elle les faifoit venir de Veaux ! Le village
de Conti eft à fix lieues d'Amiens : jugez
こ
f
C
C
NOVEMBRE . 1757 rry
par - là des frais de voiture. Veaux eft bien
à cinq lieues de cette Ville ; mais la Somme
paffant tout au plus à une demi- lieue
de la carriere , il feroit d'autant plus facile
d'en tranfporter les pierres par eau , que la
riviere defcend delà à Amiens . Quelle différence
par conféquent pour le prix ! S'il
eft étonnant que ce calcul n'ait pas encore
été fait , combien le feroit- il davantage
que les Architectes & les perfonnes qui
font bâtir , fe refufaffent à une réflexion
auffi utile !
Vous voyez , Monfieur , que la Picardie
manque plutôt d'obfervateurs que de
curiofités naturelles. Avides de tout ce qui
vient de loin , nous dédaignons de nous
baiffer , pour chercher fous nos pas des
merveilles qu'on préféreroit ailleurs . Ceux
même qui feroient le plus en état de faire
des recherches , en font quelquefois détournés
par une fauffe honte. A combien
de mauvaiſes plaifanteries un Naturaliſte
fetrouve t'il expofé , furtout en province ,
lorfqu'il revient chargé d'oftévroles , de
coquillages , de tourbes & de cailloux !
Combien peu d'ames affez fortes pour méprifer
les idées étroites d'un ignorant vulgaire
? Combien même › par rapport à
l'hiſtoire naturelle , ce vulgaire ne s'étendil
pas loin ?
120 MERCURE DE FRANCE.
Je voudrois que mes occupations puffent
me permettre de parcourir toutes les parties
de ma province avec les mêmes yeux.
Un catalogue raifonné de nos curiofités,
deviendroit fans doute auffi intéreffant
pour les Naturaliftes , qu'utile pour mes
compatriotes. J'ai l'honneur d'être , &c.
A Amiens , ce 18 Mai 1757 .
MEDECINE.
Ont
for
--
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie &
royale des Sciences , du 18 Mai 1755 .
MESSIEURS Baron & la Sone ayant été
nommés pour examiner une Lettre de M.
Rohault , Médecin à Amiens , contenant
des obfervations & expériences qu'il a fai
tes fur l'antimoine , ont dit dans le rapport
qu'ils en ont fait à l'Académie.
APUZILEAMBE-98
Cro
tio
gu
Nous ne pouvons nous difpenfer , afin
de rendre à M. Rohault toute la juftice
qui lui eft dûe , de faire obferver que fa
falo
Lettre contient une véritable découverte , t
que nous avons eu foin de vérifier avec
toute la fatisfaction poffible. Il s'agit de
la réduction des fleurs de régale d'antimoine
, fur laquelle quantité d'Auteurs
ont
NOVEMBRE. 1757: 121
ont gardé un profond filence , ou dont
plufieurs autres n'ont parlé que pour avancer
qu'elle étoit impoffible ; mais nous
formes convaincus par expérience non
feulement de la poffibilité de cette réducrion
, mais encore de la facilité extrême
avec laquelle elle l'opere. M. Rohault
femble dans fa Lettre encore établir une
différence entre les fleurs de régale ordinaires
& celles qui font fublimées par
fa
méthode , & c'eſt à cette différence qu'il
veut attribuer l'irréductibilité des prononcés
; mais nous avons reconnu que les unes
& les autres fe réduifent avec la même facilité
à l'aide d'un peu de matiere charbonneufe
, & d'une petite portion d'alkali
fixe , pour fervir de fondant.... Nous
croyons qu'il feroit à propos de faire mention
dans l'hiftoire de l'Académie de la
réduction qu'il eft parvenue à faire des
fleurs de régale d'antimoine , réduction
qu'on avoit regardée jufqu'alors comme
impraticable. Signé , la Sone & Baron .
Je certifie l'extrait ci - deffus conforme à
fon original , & au jugement de l'Académie.
A Paris , ce 11 Mai 1742.
Grand Jean de Fouchy , Secretaire perpétuel
de l'Académie royale des Sciences.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
la
ch
CHIRURGIE.
LETTRE à M. Bagieu, Ecuyer, Mem
bre de l'Académie Royale de Chirurgie ,
Chirurgien-Major de la Compagnie
des Gendarmes de la Garde du Rei , an
fujet du fixieme Mémoire de fon livre ( 1 ) ,
concernant l'Examen du chapitre feptieme
des recherches critiques fur l'étar
préfent de la Chirurgie , de M. Sharp ;
(2) par M. Boucher , Médecin du Roi
à la Gouvernance du Souverain Bailliage
de Lille en Flandre , penfionné par l
Magiftrat de cette Ville , pour les leçons
& demonftrations publiques d'Anatomic &
de Chirurgie , affocié à l'Académie Royale
de Chirurgie , & Correſpondant de l'Académie
Royale des Sciences.
21
d
Le
ef
MONSIEUR ,
ONSIEUR , j'ai lu avec beaucoup de
dplaifir
votre Examen de plufieurs parties de
(1 ) Examen de plufieurs parties de la Chirurgie,
d'après les faits qui peuvent y avoir rapport.
(2) C'est là traduction d'un livre de M. Sharp,
membre de la Société royale de Londres , &c. par
M. Jault , Docteur en Médecine , & Profeffeur au
College royal.
S
NOVEMBRE. 1757. 123
la Chirurgie , qui me paroît renfermer des
chofes utiles & intéreffantes ; & j'ai été
flatté du ton de politeffe , dont vous avez
affaifonné la critique que vous avez faite
d'un endroit de mes Mémoires inférés
dans le fecond tome du Recueil de l'Académie
Royale de Chirurgie ( 1 ) . Je tâcherai
d'y répondré d'une maniere , qui ne
Vous faffe pas juger que j'étois peu digne
des égards que vous avez eus pour moi.
Le bien public & la perfection de la Chirurgie
ont été l'unique but que vous vous
êtes propofé dans cette critique : le même
efprit animera auffi ma réponſe. C'eft dans
cet efprit que j'ai fait les recherches qui
me devoient décider définitivement fur
la queftion qui partage nos fentimens. Elles
portent l'empreinte de cette bonne foi ,
que vous voulez bien reconnoître en moi
= (2).
Dans la gangrene , foit de caufe interne,
foit de caufe externe , vaut-il mieux attendre
, pour en venir à l'amputation du
membre gangréné , que la maladie foit
décidemment bornée , comme le veut M.
Sharp ( 3 ) , que de faire cette opération
(1) P. 287461 .
( 2 ) P. 761 , de l'Examen , & c.
(3) Traité des opérations de Chirurgie , ¿e.
chap. 27 de l'amputation , P. 374 , & Recherches
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
lorfque la gangrene menace encore de s'étendre
? Voilà le point de la difcuffion.
:
Permettez d'abord , Monfieur , que je
vous rappelle une partie de nos entretiens
fur cette matiere , au voyage dont vous
faites mention ( 1 ) . J'eus l'honneur de vous
dire alors que je mettois une grande différence
entre l'une & l'autre efpece de
gangrene que fi je parlois très-pofitivement
fur la néceffité de différer l'amputation
dans la gangrene de caufe interne , il
n'en étoit pas de même de la gangrene
de caufe externe , par la raifon qu'il me
paroiffoit bien décidé que la premiere efpece
ne s'étend point par contagion , comme
on le croit affez communément de la
feconde efpece . Je vous fis obferver à cette
occafion , qu'il s'en falloit bien que je me
fuffe énoncé fur cette derniere efpece de
gangrene auffi affirmativement & auffi généralement
que fur l'autre , dans le Mémoire
où il eft queftion de cet objet ( 2 ).
critiques fur l'état préfent de la Chirurgie , chap.72
P. 324.
(1 ) P. 761 de l'Examen , & c.
(2) Voici comme je me fuis exprimé au ſujet
de la mortification qui s'empare d'une plaie d'armes
à feu. Il nous femble auffi qu'un état de mertification
non bornée doit être un ſujet de retardement,
furtout lorsqu'il y a une tumefaction phlogisti
que au deffus de la partie gangrenée , qui s'étend an
d
Ca
T
av
ti
b
2=
le
f
F
NOVEMBRE. 1757 . 125
Examinons cependant de quel poids eft
votre critique fur l'opinion du retardement
de l'amputation dans la gangrene qui
s'empare d'une plaie d'arme à feu , relativement
à l'obſervation que j'ai fait venit
à l'appui de ce fyftême. Il y eft queftion
d'une amputation de la cuiffe , faite à un
jeune homme , à l'occafion de la mortification
qui s'étoit emparée d'une jambe
écrasée par un éclat de bombe. L'opération
avoit été faite promptement , dans la
vue d'arrêter le progrès de la mortification
le fujet mourut deux jours après
avec la gangrene au moignon ( 1 ).
:
:
Je n'ai point prétendu que la gangrene
établie dans le moignon , ait dû être le produit
feul ou l'effet exclufif de l'amputation
mais j'ai cru que la difpofition à la
gangrene ayant lieu dans une certaine
étendue du membre , & très- vraisemblablement
dans toute fon étendue , par
ftupeur ou par l'effet de l'ébranlement viola
delà de l'endroit où doit fe faire la fection des
chairs , &c. ( p. 475 du fecond tome des Mémoires
de l'Académie royale de Chirurgie ) . Je dis ailleurs
: Il eft abfolument néceffaire dans les gangrenes
de caufe interne & critique , d'attendre qu'elles
foient bornées , &c . ( Ibidem , p . 477. note a. )
(1 ) Tome fecond des Mémoires de l'Académie
royale de Chirurgie, p. 476 & 477. Examen , &c,
P. 756.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
de
dir
fas
te
lent , communiqué par le coup ; j'ai cru ,
dis-je , que l'amputation faite dans le
temps que l'état de ftupeur fubfiftoit encore
, ne pouvoit que contribuer beaucoup
à développer le germe de gangrene que la
ftupeur renferme , ou entretient de votre
aveu même (1 ) . En effet , s'il eft vrai que
la nature , dans l'état ordinaire des chofes
, trouve deux difficultés prefque infur
montables par le fuccès des amputations en
général ; la premiere , de la part de l'établiffement
d'un nouveau méchanifme de
circulation qui doit avoir lieu dans le
moignon ; la feconde , du côté de la fupputation
à y obtenir ( 2 ) , quelle apparence
d'efpérer l'accompliffement de ces deux
objets dans le cas où les chairs font dans
un état de foibleffe & de détérioration ,
telles que nous devons ici le fuppofer : ou
la maffe du fang eft dans l'appauvriffement ,
comme elle l'eft toujours dans des gangrenes
confidérables , ou toute l'économie
animale paroît finguliérement affectée par
l'abattement du fujet , par les angoiffes , c
par la concentration & l'inégalité du pouls ,
& c.
Que peut-on perdre en temporifant dans
( 1 ) Examen , &c. p . 757.
(2 ) Examen , &c. p. 383 & 384.
tra
V
fer
VO
A
C
NOVEMBRE. 1757 . 127
de telles circonftances ? La gangrene , me
dira-t'on , gagnera par contagion . Mais en
fuppofant cette crainte auffi fondée qu'on
le croit communément , peut- elle contrebalancer
les grands inconvéniens de l'amputation
faite dans ces circonftances , ajou
tés aux inconvéniens naturels de l'amputation
en général ? Je le demande avec
confiance aux maîtres de l'art. A- t'on plus
à efpérer de l'amputation faite dans le
temps que la nature n'offre que des fignes
d'abattement & d'inertie , qu'après avoir
travaillé à relever la nature de cet état ?
Vous même , Monfieur , êtes- vous bien
réellement à cet égard d'un fentiment différent
de M. Sharp & du mien , lorfque
vous m'adreffez ces paroles ? M. Faure ,
dont il (moi) n'approuve pas la méthode ( 1 ) ,
pourroit lui dire : J'aurois fufpendu l'amputation
à ce bleffe ; j'aurois attendu pour juger
les fuites de la commotion ; à quoi j'ajoute :
Non pour luifaire cette opération fixfemaines
après , felon la nouvelle méthode de ce
Chirurgien , mais , ou pour laiffer mourir le
bleffe en paix , ou pour l'amputer après avoir
donné le temps à la nature de fe reconnoître =
( 1 ) Voyez mon fecond Mémoire dans le Recueil
de l'Académie royale de Chirurgie , tome 2 ,
P. 461 , &ſuivantes.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ou enfin pour lâcher de le guérir fans en venir
à cette extrêmité ( 1 ).
Il ne falloit donc pas , felon vous-même
, Monfieur , amputer le fujet dont il eft
queftion , avant que la nature ne fe fût
révivifiée ; c'est - à- dire , avant qu'on n'eût
des fignes indicatifs , que l'économie animale
fe trouvoit dans une pofition propre
à feconder les vues du Chirurgien dans
l'opération : fuppofé que cette attente ne
dût pas être pouffée précisément aufli loin
que le fouhaite en général, M. Sharp' , il
falloit du moins que la nature fe trouvât
dans un état équivalent , pour eſpérer
quelque chofe de l'amputation. Au refte
ne croyez point que je veuille , à quelque
prix que ce foit , tirer avantage de votre
texte en faveur de ce que j'ai pu avancer.
Tout homme qui écrit fur des matieres
qui intéreffent autant l'humanité que celleci
, ne doit que chercher la vérité , & s'il
vient à
reconnoître qu'il a pris un peu trop
légérement un parti , il ne doit pas rougit
d'en faire l'aveu . C'eft en partant de ce
principe , que je vous déclare de nouveau ,
Monfieur , qu'en adhérant, fans reſtriction,
à la doctrine de M. Sharp , fur le retardement
de l'amputation dans la gangrene de
(1 ) Examen , &c. p. 757 & 75 &
F
3
f
NOVEMBRE. 1757. 129
caufe interne , je crois le fentiment de cet
auteur fufceptible de reſtriction ou de modification
, quant
, quant à la gangrene de caufe
externe .
Voyons à préfent fi c'eft à tort que j'ai
étayé la doctrine du retardement à l'égard
de la gangrene de cauſe interne , de ce qui
a été obfervé dans la gangrene épidémique
, dont j'ai parlé dans une note faifant
partie du Mémoire mentionné ci- deſſus
(1) , & que vous avez pris la peine de
rapporter en entier ( 2 ) . Il y eft dit que
cette gangrene , qui avoit attaqué furtout
les habitans des marais de notre Flandre ,
prenoit le plus fouvent par les pieds , &
gagnoit plus ou moins la jambe ; que le
membre fe trouvant fphacélé en peu de
temps , l'amputation prompte avoit paru
la feule reffource indiquée ; qu'elle avoit
été cependant infructueufe dans plufieurs
fujets , auxquels on s'étoit pieffé de la
faire avant que la gangrene ne fût bornée
; que d'un autre côté , la nature abandonnée
à elle -même , avoit quelquefois
féparé en entier le membre fphacélé , &
que cette féparation avoit été fuivie de la
guérifon ; que le fieur Pyaloux , Chirur
gien d'un bourg voifin de Lille & des
(1 ) Notesg & 1 , p. 3 & 4.
(2) Examen , &c . p. 758 & 759.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
lieux infectés , ayant réfléchi fur ces circonftances
, avoit pris le parti de ne plus
faire d'amputation, que la mortification ne
parût abfolument bornée par une ligne
circulaire de féparation bien profonde ;
qu'enfin il en avoit fait plufieurs dans
cette circonstance, & que toutes lui avoient
réuffi , même deux amputations de la
cuiffe.
Les réflexions de votre part , qui fuivent
immédiatement ce récit , répandent
des foupçons fur l'exactitude & la fidélité
des faits qui lui fervent de baſe. Voici vos
expreffions : Ceux qui ne donnent leur confiance
qu'à bonnes enfeignes , peuvent croire
fans peine qu'un récit de ceue importance
méritoit d'être conftaté dans les formes ; que
c'est une faute d'y avoir manqué , parce qu'ou
peut croire que M. Boucher ne parlant que
d'après d'autres , on peut lui en avoir impo
Lé (1).
M'eft- il permis de vous obferver, Monfieur
, que vous vous trouvez très - fouvent
dans le cas de ne parler qu'après le témoignage
d'autrui ; que vous n'avez point
ordinairement en pareil cas d'autre garant
de ce que vous avancez , que la bonne foi
de ceux dont vous rapportez le texte ou
(1) Examin , &c. p. 719.760.
NOVEMBRE. 1757. 131
que
les obfervations. Que les perfonnes qui
vous ont fourni ces obfervations , n'ont
peut-être point autant mérité la confiance
du public & la vôtre , que les Paré , les Delamotte
, les Queſnai , dont vous vous faites
, à juste titre , des appuis refpectables ?
Au refte je n'en fuis pas moins en général
de votre avis fur les précautions à pren-:
dre à l'égard des obfervations qui nous
font communiquées , furtout lorfque nous
voulons les faire fervir de bafe à un point'
de doctrine auffi intéreffant celui qui
fait l'objet de la préfente difcuffion . Vous
pouvez vous reffouvenir de ce que je vous
répondis , lorfqu'étant en cette ville vous
me fites part de vos doutes fur cet article :
après vous avoir promis de faire toutes
les recherches poffibles pour les éclaircir
d'une maniere non-équivoque , je vous
affurai que je n'hésiterois pas un moment
à paffer publiquement condamnation fur
moi -même , fi je venois à reconnoître que
je me fuffe trompé , ou que j'euſſe été
induit en erreur.
Malheureuſement le Sieur Pyaloux n'étoit
plus alors , & l'on n'a rien trouvé dans
fes manufcrits fur cet important objet. Je
n'avois pas eu la précaution d'exiger de
lui le détail des faits que vous paroiffez,
fouhaiter ; parce que cet objet n'étant
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
qu'indirectement relatif au texte de mon
Mémoire , ce détail m'étoit inutile , & il
eût paru déplacé dans le Mémoire. D'ailleurs
le témoignage de ceux qui avoient
été les témoins ou les dépofitaires de ces
faits , ne vous ayant point paru fuffifant ,
celui du Sieur Pyaloux lui-même n'eût
peut-être point été auprès de vous d'un
plus grand poids ( 1 ) . J'ai préſumé en conféquence
que mes recherches ne devoient
pas le borner à ce que ce Chirurgien avoid
fait & obfervé , mais qu'elles devoient
s'étendre à tout ce qui avoit été obſervé
dans les divers cantons où la maladie avoit
regné.
L'obfervation & le certificat , dont vous
faites mention , ( p . 762. ) ont été ramaffés
à la hâte pendant votre féjour en cette
ville : il s'en faut bien qu'ils aient été les
feuls fruits de ces perquifitions. L'obfervation
qui concerne un vieillard , auquel
on ne fit l'amputation que lorsqu'on vit la
gangrene décidemment bornée ( 2) , eſt
confidérée par vous , Monfieur , comme
#out- à-fait inutile à mon fentiment & à celui
(1 ) C'est ce qu'on peut inférer des expreffions
de M. Bagieu , p. 763 de l'Examen , &c.
(2 ) Il fe trouve une faute d'impreffion dans le
détail de cette obfervation , P, 763 , 1.6 , lifez am
deffus au lieu d'au deffous
NOVEMBRE . 1757. 1 } }
de M. Sharp , & même , ajoutez-vous ,
inutile à tout autre point de théorie & de
pratique ( 1 ) . Elle auroit donc un fort moindre
que les obfervations les plus communes
, qui viennent toujours à l'appui de
quelque point de théorie . Quant au certificat
, vous avez cru y obferver un anachroniſme
humiliant fur ce qui y eft énoncé
, que la lecture du traité de M. Sharp
contribua à déterminer le Sieur Pyaloux
au parti du retardement de l'amputation .
M. Vandergrachi ( 2 ) n'a pas pris garde ;
dites- vous , que ce Chirurgien ( le Sieur Pyaloux
) mort en 1751 , n'a pu lire l'excellent
Traité du Chirurgien Anglois en 1749 ni
1750 , puifqu'il n'eft imprimé qu'en 1751 .
Vous ne vous êtes apparemment pas reffouvenu
, Monfieur , de ce que je vous répondis
, lorfque vous me fîtes cette objection
de vive voix il y a trois ans' ; que M.
Vandergracht n'avoit pas entendu par
Traité de M. Sharp, celui qui a pour titre,
Recherches critiques , &c . mais bien le Traité
d'opérations de Chirurgie , où ce praticiens
avoit également établi fa doctrine du retardement
de l'amputation dans la gangre-
(1 ) Examen , & c. p. 763 .
le
(2) Chirurgien Lithotomifte , ' penfionnaire de
Lille , qui étoit en relation avec M. Pyaloux , &
qui m'a donné le certificat en queftion.
134 MERCURE DE FRANCE.
ne. Or la traduction de ce dernier Traité
a étéimprimée en 1741 ; ainfi M. Pyaloux ,
mort dix ans après , a été très- à- portée de
le connoître & d'en profiter pour le traitement
de notre gangrene épidémique.
L'explication de cette petite ambiguite
fe trouve dans un petit difcours que j'ai
adreffé , peu de temps après votre départ
de Lille , à l'Académie Royale de Chirurgie.
C'est le réſultat de mes reflexions fur
les obfervations que M. Chaſtanet vous a
fourni contre moi . Ce difcours vous a-t'il
été inconnu , Monfieur ? je dois le croire ,
puifque vous n'avez fait aucu ufage de
mes réflexions , qui font les premiers fruits
des recherches que je vous avois promifes :
je vais y fuppléer le plus brièvement qu'il
me fera poffible.
Les deux obfervations de M. Chaftanet
que vous m'oppoſez ( p . 764 & 770 ) ,
n'ont rien qui doive ébranler ma doctrine.
Quand même elles fe trouveroient contradictoirement
oppofées aux faits que j'ai
dit lui fervir d'appui , peut-on tirer de
deux faits ifolés , de quoi fapper un point
de doctrine ? Je n'ai jamais avancé ni prétendu
que toutes les amputations quelconques
, faires dans notre maladie avant que
la mortification ne fût bornée , euffent été
généralement infructueufes : j'ai dit feuNOVEMBRE
. 1757. 135
lement que l'amputation fat infructueuse
dans plufieurs fujets , auxquels on fe preffa
de la faire avant que la mortification ne fût
bornée . ( 1 ) Mais il y a plus , c'eft qu'en
refléchiffant mûrement fur les diverfes circonftances
des obfervations en queftion ,
l'on trouve qu'elles ne portent nullement
coup contre mon fentiment .
Il eſt queſtion dans la premiere , d'une
jeune fille de la campagne , à qui M. Chaftanet
maître Chirurgien en cette ville ,
ayant trouvé une partie du pied dans le
cas de la gangrene épidémique , fit de profondes
incifions, non - feulement fur la partie
attaquée de gangrene , mais auffi fur
les parties faines , voifines de celles qui
étoient affectées : il n'en retira aucun fruit,
la mortification s'étant bientôt communiquée
au cou de pied & autour de l'articulation
de la jambe avec le pied. Elle avoit
gagné la jambe & menaçoit de s'étendre
plus loin , quand M. Chaftanet dans la
vue de la borner , fe détermina à l'amputation
: il fut bien furpris , lorfqu'après
avoir lâché le tourniquet pour faire la ligature
des vaiffeaux , il n'en vit pas fortir
une goutte de fang ; l'état des chairs qui
(1 ) Voyez la note a de mon Mémoire dans le
Recueil de l'Académie royale de Chirurgie , t. 23
P- 477 , & ci - deſſus la p. s.
136 MERCURE DE FRANCE.
étoient rouges & vermeilles , & leur fenfibilité
dont il avoit eu des preuves dans
l'opération , ne fervirent qu'à ajouter à fa
furprife. En vain il fit des frictions & il
introduifit un filet dans l'ouverture defdits
vaiffeaux ; il n'en put retirer que quelques
gouttes d'un fang noir & polypeux ,
ce qui lui fit abandonner le deffein de faire
la ligature . Quoique fon panfement eût été
fort animé , tout l'appareil ayant été trempé
dans l'eau de vie , ce Chirurgien trouva
le lendemain plufieurs points de gangrene
dans le moignon ; en conféquence il
chargea fes panfemens d'effence de thérébentine
& de fomentations aromatiques
avec de l'eau de vie camphrée : ce ne fut
qu'au fixieme jour qu'il s'apperçut que les
efcarres gangreneufes commençoient à fe
détacher , & au douzieme qu'elles furent
totalement enlevées. ( 1 )
Je ne m'arrête point dans les réflexions
que j'ai à faire fur cette obfervation , à la
manoeuvre du Chirurgien , au fujet des
incifions profondes qu'il fit fur les parties
faines ; manoeuvre qui , au fentiment des
meilleurs Auteurs , eft bien plus propre à
accélérer l'extenfion d'une gangrene fèche,
(( 1 ) Examen , &c . P 764 &ſuiv.
C
C
e
NOVEMBRE . 1757. 137
qu'à contribuer à la borner : auffi M. Chaftanet
avoue- t'il qu'il n'en retira aucun
fruit je m'en tiens à ce qui eft relatif au
point contesté. Quel étoit le but de ce Chirurgien
lorfqu'il s'eft déterminé à l'amputation
? De mettre des bornes à la mortification
qui menaçoit de s'étendre ; mais
étoit-il en droit de fe flatter qu'il atteindroit
ce but ? Eh ! ne devoit-il pas s'en
ctoire plus éloigné que jamais , lorfqu'il
trouva les arteres du moignon dans l'état
défigné ? Quelque furprife que lui ait caufé
cet état , il devoit s'y attendre ; cette circonftance
ayant été obfervée nombre de
fois en pareil cas , & étant regardée par
les Auteurs comme la caufe immédiate de
la gangrene féche ( 1 ) . M. Chaſtanet avoir
effectivement fi peu atteint fon but , qu'il
trouva le lendemain de l'opération cinq à
fix points gangréneux dans le moignon :
pouvoit- il affez compter fur l'efficacité de
fes topiques , pour croire qu'ils arrêteroient
le progrès de ce renouvellement de
gangrene ? On conviendra fans peine que
cela dépendoit de l'étendue plus ou moins
confidérable de l'état paralytique des arteres
; mais comment s'affurer fi cet état
ne s'étendoit pas au delà du terme où l'ef-
( 1 ) M. Quefnay , Traité de la gangrene fecho
138 MERCURE DE FRANCE.
fet des topiques pût atteindre ? Auquel cas
le progrès de la gangrene étoit inévitable ,
& il eût fallu en conféquence recourir à
une feconde amputation , dont le fuccès
n'étoit pas plus sûr que dans la premiere ,
les circonftances étant les mêmes. Loin
donc que cette cure puiffe fervir de regle
& de modele pour des faits de cette nature
, j'ofe avancer qu'elle ne peut être confidérée
que comme une exception à la regle.
C'est ce que l'on doit naturellement
inférer , Monfieur , de vos expreffions
même , ( p. 772. ) & de l'embarras que
vous donne la nouveauté du cas pour une
explication fatisfaifante.
La feconde obfervation de M. Chaftanet
prouve t'elle réellement qu'on a eu
quelquefois à fe repentir d'avoir adhéré à
la doctrine du retardement de l'amputation
dans notre gangrene ? C'eft ce que
nous allons examiner. Obfervez d'abord
Monfieur , que le retardement propofé a
des bornes ; que quoiqu'il foit arrivé que
la nature abandonnée à elle même en partil
cas , ait quelquefois féparé en entier le membre
fphacelé ( 1 ) , nous n'avons point ,
plus que M. Pijaloux , affez compté fur
ces exemples rares , pour croire qu'on doi
(1) Voyez ci-deffus la page 6.
non
NOVEMBRE . 1757 . 139
ve laiffer tranquillement à la nature le foin
d'achever un pénible ouvrage , furtout
lorfqu'il eft queftion d'un membre confidérable
, comme du bras , de la jambe ,
&c , mais nous avons conçu l'un & l'autre
par analogie , que le fuccès de l'amputation
feroit plus sûr , fi l'on attendoit que
la mortification fut décidemment bornée par
une ligne circulaire de féparation bien profonde
( 1 ) . Vous m'avez prévenu , Monfieur
, fur les raifons qui viennent à l'appui
de cette façon de penfer : vous convenez
(p . 801 ) que c'est un avantage ( vous
auriez pu dire un très grand avantage )
de finir une amputation commencée par la
nature : la raison en paroit fimple , fi l'on fe
rappelle les deux grands inconvéniens qui fe
rencontrent dans les amputations ordinaires ,
le rétabliſſement de la circulation & l'établiffement
de la fuppuration, Ces deux inconvé
niens fe rencontrent peu dans l'amputation
déja commencée par la nature. On peut dire
qu'ils ne fubfiftent plus , ou qu'ils font réduits
prefqu'à rien dans le cas de la féparation
bien avancée , comme nous l'exigeons
avec M. Sharp : la fuppuration pour
lors eft vraiement établie & la circulation
eft arrangée. C'est donc avec raifon que
(1) Ibidem.
140 MERCURE DE FRANCE.
vous ajoutez , que l'on peut avoir en toutė
sûreté les inftrumens tout-prêts.
TO
CH
de
Après avoir fi bien fenti les avantages
de la féparation fpontanée , comment avezvous
pu être furpris que les amputations
de M. Pyaloux , faites dans ces circonftances
, lui ayent toutes réuffi? Ces exemples
fint rares , dites-vous ( ibid) : il eft vrai que
dans le cours ordinaire des chofes , les amputations
faites à l'occafion de la gangrene
féche dans les circonftances que nous requérons
, ne font pas bien communes.
Les faits propres à conftater l'utilité & les
avantages du retardement , ont toujours
été d'autant plus rares , que l'on étoit co
prefque dans la prévention générale que le
progrès de la mortification devoit être pré- tre
venu par l'extirpation de la partie fphacélée.
D'ailleurs , il y a peu d'exemples de
gangrenes épidémiques pareilles à la nôtre
; mais dans celles qui ont eu lieu , il
s'eft trouvé des Praticiens- obfervateurs, qui
ayant remarqué que la nature non violentée
, avoit des reffources auxquelles la
prévoyance de l'art ne pouvoit fuppléer ,
ont mis à profit cette découverte , en prenant
le parti d'attendre que la nature victorieufe
donnât des marques évidentes
de ſes difpofitions à ſe prêter au ſuccès de
NOVEMBRE. 1757. 141
l'opération ( 1 ) . M. Pyaloux n'eft pas le
feul qui ait fuivi ce plan dans le traitement
de notre gangrene épidémique : vous
verrez , Monfieur , dans un mémoire détaillé,
que je me propofe de donner au public
, que plufieurs Praticiens ont penfe &
agi comme ce Chirurgien .
Mais aucun d'eux n'a prétendu que le
retardement dût être pouffé auffi loin qu'il
l'a été dans la feconde obfervation de M ..
Chaftanet , ( pag. 770. ) & encore moins
que le fuccès dût toujours s'enfuivre en
dépit de la négligence de toutes les précautions
requifes ; ce qui nous fait décider
que cette obfervation ne peut être
compriſe dans le cercle de celles qui doivent
concourir à faire preuve pour ou contre
la doctrine du retardement .
Le fujet de cette obfervation étoit un
vieillard abandonné à lui - même , manquant
de tout , & à l'égard de qui les efforts
d'une nature défaillante , loin d'être
fécondés par les fecours requis , furent
au contraire traverfés par le défaut de
fement , par un très - mauvais régime &
par une négligence affreufe fur toutes chopan-
(1 ) Voyez les Mémoires de l'Académie royale
des Sciences , année 1710 ; & une Lettre de M.
Noël , Chirurgien d'Orléans , rapportée par M.
Quefnay dans fon Traité de la gangrene , p . 497 .
142 MERCURE DE FRANCE.
fes . L'Obfervateur auroit dû énoncer toutes
ces circonstances ; il fe contente de dire
en rendant compte de l'état de la partie
malade , que le cercle de la partie fupérieure
de la jambe ( où la mortification s'étoit
bornée ) fuppuroit ; qu'il n'y avoit point de
douleur au genou ni à la cuiffe. Il auroit dû
ajouter que cette fuppuration n'étoit pas
d'un bon caractere ; que les chairs de l'ulcere
étoient blafardes du moins en grande
partie ; qu'il découvrit deux trous fiftuleux
pénétrans dans le genou , &c. Il auroit
dû dire encore qu'il avoit trouvé le ſujet
émacié & dans un état d'affaiffement , ayant
la jambe dans le foyer de fa cheminée , &
tout ce qui l'entouroit ne refpirant que
la craffe & l'indigence. Ces circonstances
jointes à l'âge , laiffoient- elles quelqu'apparence
d'espoir pour le fuccès de l'opération
? D'un autre côté , n'eft il pas plus
que probable que ce fuccès eût été tel
que l'ont obtenu M. Pyaloux & d'autres
Praticiens dans des cas de même nature ,
fi le fujet eût été fecouru à propos , &
l'amputation faite dans le temps que la ligne
de féparation étoit au point que nous
le demandons ?
Cette obfervation , telle que vous la
préfentez , Monfieur , d'après M. Chaftanet
, préſente une circonftance qui dois
t:
P
La
d
01
9
C
P
L
C
d
P
NOVEMBRE . 1757. 143
encore contribuer à la faire confidérer comme
étrangere à la queftion qui nous partage.
Il y eft dit que la ligne circulaire qui
marqua les bornes de la mortification à la
partie fupérieure de la jambe , pénétra, en
moins de huit jours , juſqu'aux os , & que
toutes les chairs comprises au deffous de cette
ligne jufqu'à l'articulation du pied avec la
jambe tomberent , & laifferent les deux os de
la jambe à nu. Cette circonftance , la feule
de même nature que je fçache avoir été
obfervée dans notre gangrene épidémique
, annonce bien plutôt une gangrene
avec pourriture , qu'une gangrene féche.
C'eft d'après cette confidération & le rapport
d'un Chirurgien du lieu , ( 1 ) qui
avoit eu occafion de voir quelquefois le
fujer , que j'ai cru devoir m'informer
moi-même de ce qui en étoit .
par
J'appris de fa veuve- même (2 ) , que la
mortification avoit été précédée d'un ulcere
au bas de la jambe , au deffus de la
cheville externe , que cet homme portoit
depuis plus de deux ans , à la fuite d'une
plaie faite
par un éclat d'une groſſe gaule ,
(1 ) M. Ramette , Chirurgien à Sengheen , en
: Weppe.
(2 ) La déclaration de cette femme a été faite
pardevant un Notaire royal de la réfidence de
Lille , en préſence de deux Médecins , & de deux
Maîtres Chirurgiens.
144 MERCURE DE FRANCE.
fur laquelle il avoit gliffé en voulant l'arracher
de fon potager ; que cette plaie le
fit beaucoup fouffrir les premiers jours
qu'un Chirurgien appellé l'avoit abandonné
peu de temps après fans y avoir rien avancé
( 1 ) ; que depuis , le bleffé avoit employé
diverfes efpeces de topique , que
des gens fans aveu lui avoient confeillés ;
que l'ulcere eſt toujours resté à peu près
dans le même état pendant deux années ,
& qu'enfin au mois de feptembre 1749 ,
cet homme travaillant à ſon ordinaire s'apperçut
que la jambe noirciffoit autour de
l'ulcere ; que cette noirceur a toujours
augmenté jufqu'à ce qu'une grande partie
des chairs fe foit féparée de la jambe &
ait découvert les os ; qu'en cet état le fu
jet étoit très- maigre & très-foible , n'ayant
ni Chirurgien , ni autre perfonne que la
déclarante qui eût foin de lui ; qu'enfin le
20 décembre 1749 le fieur Chaftapet ayant d
été conduit par le Caré de la Paroiffe chez
le bleffé , il fe détermina fur le champ à
l'amputation , & que celui-ci mourut le
lendemain ( 2 ) .
( 1 ) M. Ramette m'a dit que les tendons avoient
été en partie coupés dans la chute.
(2 ) Cette circonftance ne quadre pas avec ce
qu'avance M. Chaftanet , qu'il eût des fuppurations
, & que le fujet ne mourût que le fixieme
jour de l'opération,
Vous
C
te
P
La
d
C
NOVEMBRE. 1757. 145 1
Vous voyez , Monfieur , dans ce détail
une complication qui , en admettant
même que la gangrene furvenue à l'endroit
de l'ulcere mentionné , étoit précisément
notre gangrene épidémique , rend viſiblement
l'obfervation infuffifante pour décider
le point de notre difcuffion . Vous vous
êtes abftenu avec raifon de faire ufage de
quelques autres faits , qu'on vous avoit
fourni comme venant à l'appui de votre
fentiment , mais dont vous avez fans doute
jugé autrement. Il en eft un qui , loin de
remplir ce but , lui eft diamétralement
contraire : vous me permettrez que je l'oppofe
à ceux que l'on pourroit plus légitimement
me propofer que ceux que nous venons
d'analyfer. En voici l'extrait tiré du
narré même de M. Chaftanet.
Une femme de foixante- treize ans fut
attaquée d'un froid & d'un fourmillement
douloureux ( 1 ) aux doigts de la main gauche.
M. Chuffart , Médecin au bourg de
Lannoi , ayant été appellé , trouva la peau
de cette main d'un noir livide , & la main
privée de fentiment ; le pouls étoit petit
& concentré , mais fans fievre apparente .
Ce Médecin ayant jugé qu'il étoit queſtion
d'une gangrene de caufe interne , travailla
(1 ) Symptômes , qui étoient les précurseurs de
notre gangrene.
G
1
I
1
1
1
·
.
.
1
1
£ 46 MERCURE DE FRANCE:
pour
ent
5f
tre c
Rece
à ranimer l'intérieur du corps , ainſi que
la partie malade , par les remedes & le régime
convenables , que la malade négligea
bientôt fe livrer à l'empirifme ;
mais peu de jours après elle revint à M.
Chuffart , qui s'appercevant que la gangrene
avoit gagné le poignet , & que les
doigts étoient fphacélés , opina avec le
Chirurgien du lieu , à faire des ſcarifications.
On appliqua fur les plaies des digeftifs
& des teintures animées , qui n'empêcherent
point la gangrene de s'étendre
jufqu'à la partie fupérieure de l'avant- bras;
on y fit des taillades , on employa les topiques
les plus animés , on fit tout ce qui
étoit poffible pour ranimer par des cordiaux
la malade , qui étoit trop affaiffée
pour que l'on ofât entreprendre l'amputa
tion. Cependant on apperçut quelques
jours après un commencement de fuppuration
aux taillades de l'avant - bras , & au
bout de huit jours , la mortification parut
décidemment bornée aux environs du carpe
, une fuppuration louable s'y établit , la
malade reprit des forces , & pour lors on
fépara la main dans fon articulation avec
les os du carpe. Peu à peu les chairs fe
refer
générerent , & cette femme fut parfaite
ment guérie au bout de quatre mois. .
Les bornes d'une lettre ne me permet
Ca
Rai
NOVEMBRE.
1757:
147
tent point de
rapporter
plufieurs autres
obfervations , qui viennent
évidemment
à l'appui de la doctrine du
retardement :
je les réferve pour
l'ouvrage que j'ai annoncé
ci - deffus. ( 1 )
Lafe
> nous
Au refte , je remarque avec fatisfaction
que nous ne fommes point
entiérement
oppofés dans la façon de penfer . On peut
attendre , dites -vous , ( pag. 801. ) que la
gangrene s'arrête , quand fes progrès fone
tardifs , que la mauvaise odeur ne s'en mêle
pas , que le gonflement & la tuméfaction ne
fe mettent pas de la partie... Mais d'un autre
côté , s'il eft vrai que dans toute efpece
de gangrene de cauſe interne
ignorons fi elle le fixera & où elle fe fixera ,
de quelle utilité fera certe
diftinction pour
léterminer le lieu de
l'amputation , dans
e cas où les
circonftances
s'éloigneront
lus ou moins de votre énoncé ? S'il eft
rai , comme nous en fommes perfuadés ,
que ce genre de gangrene ne s'étend qu'en
aifon de la force ou de l'intensité d'une
aufe
préexiftente , que gagnera t-on en
mportant un membre fur lequel cette
aufe n'aura produit qu'une partie de fon
ffet ? En
attendant que je revienne d'une
aniere plus étendue à cet objet , perettez
, Monfieur , que je vous renvoie
(1 ) Page 141..
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
à l'excellent traité de la gangrene féche ,
dont l'illuftre Auteur ( 1 ) paroit entiérement
de mon avis .
J'ai l'honneur d'être , &c.
BOUCHER , Médecin.
ne
de
no
le
( 1 ) M. Quefnay.
SÉANCE PUBLIQUE
Belles-Lettres
De l'Académie des Sciences , Belles Lettres
& Aris d'Amiens , du 25 Août 1757-
op
de
pa
LESSI3LU 29 8-7 LE
Pr
M. Leblanc- des Meillarts , Directeur ,
ouvrit cette féance , par un difcours fur C
l'utilité & la gloire des arts.
M. Baron Secretaire perpétuel , fit l'éloge
de M. Bruier Académicien honoraire,
& de M. le Picart Académicien réfident ,
morts pendant le cours de cette année.
M. Bifet lut un mémoire fur les avantages
qu'on pourroit tirer pour l'engrais
des terres , des matieres dont les vents &
les pluies rempliffent les vallées.
La féance fut terminée par la lecture
que M. de Bellery fit d'un mémoire fu
la caufe des tremblemens de terre.... L'Au
teur , après avoir expofé en peu de mou
les différentes opinions fur ces mouvemens
convulfifs de la nature , annonce la fienfo
f
I
f
NOVEMBRE
. 1757. 149
ne ; mais avant l'expofition de fon fentiment,
il prépare les lecteurs à l'intelligence
de fon ſyſtême ( fi l'on peut lui donner ce
nom ) , par un détail de tout ce qui peut
fervir de preuves à ce qu'il vient d'annoncer
.
pro-
La phyfique , dit M. de B. n'étant
prement que conjecturale , on ne peut trop
ramaffer de faits qui puiffent appuyer une
opinion . Ne pouvant découvrir du premier
coup d'oeil la caufe que la nature prend
tant de foin de nous cacher , on eft obligé
de marcher comme en tâtonnant , & de
parvenir aux inconnues par les connues.
C'eft la feule voie que nous laiffe la nature
pour parvenir à dévoiler fes myfteres. Ce
font donc les effets que l'on doit dabord
confidérer : on compare enfuite ces effets
à d'autres qui font les mêmes , ou à peu
près les mêmes , & dont les caufes font
connues cela conduit néceffairement à
une conféquence à pari, pour découvrir ce
qui nous eft caché .
C'eft la route qu'a fuivie l'Auteur , &
qui lui a paru la plus fimple & la plus raifonnable
: il a donc commencé par préfenter
le trifte tableau des maux caufés par
lės tremblemens de terre & les volcans.
Delà il paffe à un détail des principes chimiques
, & va puifer dans les mémoires
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
de l'Académie royale des Sciences , comme
dans une fource abondante , les matériaux
dont il a befoin pour conftruire ce
nouvel édifice . Les expériences fe joignent
aux principes & deviennent elles-mêmes
principes ; c'eft ainfi que dans les mathématiques
, une propofition démontrée par
une vérité inconteftable , devient elle- même
principe pour en démontrer d'autres.
Enfin l'Auteur propofe fon fentiment.
Il prétend que les tremblemens de terre
ne proviennent que des foufres enflammés
dans les entrailles de la terre auxquels fe
joint l'eau , c'est- à - dire que l'eau entrant
dans le volcan fe réduit en vapeurs par l'activité
des flammes : ces vapeurs jointes
la dilatation des matieres inflammables , à
la raréfaction de l'air qui y eft entré avec
le courant d'eau , font enfemble un fi violent
effort , qu'il n'eſt pas étonnant qu'une
caufe auffi puiffante produife de fi terribles
effets .
Pour rendre la choſe plus fenfible , M.
de B. fait une fuppofition : il donne une
certaine capacité à la caverne du Volcan ,
ily fuppofe une certaine quantité de matiere
enflammée , y fait entrer l'eau peadant
quatre minutes, par une ouverture de
trois pieds quarrés , à quatre cens pieds de
profondeur en terre , & il examine quel
NOVEMBRE. 1757. Ist
Teroitdans cet état l'effet de toutes les combinaiſons.
Après les calculs , l'imagination
fe trouve comme effrayée de l'énorme effort
de ces différentes caufes réunies ;il expoſe la
chofe avec tant de clarté & d'une maniere fi
frappante, qu'on pourroit la regarder comme
une démonstration , fi la phyſique en
étoit fufceptible. Il réfute en paffant l'opinion
de ceux qui prétendent que la feule
dilatation de l'air fuffit pour faire trembler
une partie du continent , telle que l'expofa
un Auteur dans les journaux de Verdun
du mois de novembre en décembre
1756. Il entre dans un petit détail qui
rend la chofe fi palpable , qu'on ne peut
fe refufer à fon idée comme la plus vraifemblable.
Il termine fon mémoire par un
confolant pronoftic pour les climats que
nous habitons , en nous faifant entrevoir
que nous n'avons rien à craindre des violentes
commotions de la terre. Il entre pour
cela dans l'examen des parties du globe
terreftre , qui doivent être fujettes à ces
funeftes révolutions . La Zone torride , felon
les principes qu'il établit , doit être la
partie du monde la plus agitée ; & chofe
affez finguliere , les mêmes principes le conduifent
à découvrir que la Zone glaciale
doit y être également fujette , & que
partie du globe contenue entre les 45 &
la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
!
60 degrés de latitude à peu près , doit y
être moins expofée que toute autre.
L'Académie avoit propofé pour fujet du
prix , les avantages les moyens de fupprimer
les Communautés d'arts & métiers. Elle
a couronné le mémoire n° . 4. ayant pour
Epigraphe , falus populi fuprema lex efto ,
dont l'Auteur eſt M. de l'IДe .
Le fecond fajet propofé étoit l'économie
des matieres combustibles . Quoiqu'il y ait eu
dans quelques- uns des ouvrages envoyés
au concours , de fort bonnes chofes , l'objet
n'en a cependant point paru exactement
rempli , & comme ce fajet eft de la plus
grande importance , l'Académie a décidé
de propofer encore pour l'année 175 8.
« L'économie des matieres combustibles
» dans l'ufage des fourneaux , des foyers
» & des poêles , fans diminuer , ni ralen-
»tir les effets du feu , furtout dans les
» fourneaux , & pour fujet du prix refervé
, les moyens de naviger dans les mers
du nord avec les mêmes avantages que
» les autres peuples voifins , & par- là d'y
» augmenter le commerce.
و د
"3
39
33
Les ouvrages ne feront reçus que juf
qu'au 1. juin exclufivement : ils feront affranchis
de port , & adreffés à M. Baron,
Secretaire perpétuel de l'Académie .
A Amiens , ce 27 Septembre 1757 .
L
F
NOVEMBRE . 1757. 153
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE de M. Touffaint, à M. Carle-
Vanloo.
MONSIEUR , je ne crains rien , ou crois
ne devoir rien craindre de la part du gouvernement
: mais comme je fais profellion
d'être un galant homme , je n'en fuis pas
moins défefpéré d'avoir fervi d'inftrument
à la publication d'une lettre dont j'apprends
que vous vous tenez pour offenfé ;
car quoique je ne l'aie point faite moimême
, comme fans doute vous en êtes
perfuadé , Monfieur , je fens bien que
vous me pouvez rendre refponfable de
quelques expreffions peu ménagées , qui y
font restées , malgré le foin que j'ai pris
d'en adoucir le ton . Comme je n'avois pas
le deffein d'offenfer , je ne ferai point
Gv
54 MERCURE DE FRANCE.
chiche de réparations. Il n'y en a pas à
quoi je ne confente , pourvu que ce ne
foit point une baſſeſſe . J'ai inféré une critique
, j'inférerai une apologie , & ce ne
fera point de ma part chanter la palinodie ;
car moi , je n'ai point de rôle là- dedans .
Remarquez , s'il vous plaît , Monfieur ,
que je n'ai pas mis un mot de réflexion
pour mon compte. Voici le fait raconté
très fincérement. Pour jetter quelque intérêt
dans mon journal, j'avois prié quelques
uns de Meffieurs vos confreres de
m'efquiffer une expofition raifonnée des
tableaux du fallon : je ne quêtai pas une
critique. Quoi qu'il en foit , chacun s'en
défendit , & ne me promit rien : mais à
quelque jour delà , lorfque je ne m'y attendois
plus , & que j'avois même ébauché
de mon crû une expofition telle qu'elle ,
il m'arriva un paquet cacheté , contenant
la lettre en queftion . Je la parcourus ; j'y
trouvai le ton d'un écrivain au fait de
Part ; les expreffions feulement me parurent
dures ; je les adoucis beaucoup : mais
enfin , comme l'éloge y étoit mêlé à la crisique
, circonstance à quoi on n'a pas affez
pris garde , je crus , Monfieur
Monfieur , votre
gloire fauvée par les hommages qu'on
vous y rendoit ; & comptant ce morceau
meilleur que le mien , parce qu'il étoit de
NOVEMBRE. 1757 . 155
main d'artiſte , je le lâchai au Public niaifement
, & fans vouloir mal à perfonne.
S'il vous plaît , Monfieur , me fournir des
occafions de vous donner fatisfaction , en
m'adreffant les contre- critiques qui pourront
être faites , je les recevrai avec em
preffement, & les inférerai dans mon journal
.
, ou fi vous négligez de le faire , j'irai
moi-même au devant. Je veux mal à l'Auteur
de la lettre de m'avoir attiré le mécontentement
d'un homme de bien , &
d'un grand artiſte , dont je me ferois fait
gloire d'être l'ami . Faites à mon égard ,
Monfieur, un effort de chriftianifme, pour
nepoint garder contre moi de reffentiment,
& comptez , malgré ce qui eft arrivé , fus
la fincérité de l'eftime & du refpect avec
lequel j'ai l'honneur d'être , &c.
TOUSSAINT,
A Paris , ce 10 Octobre 1757-
Cette Lettre marque au moins de la
bonne foi. On voit que les expreffions
partent , comme on dit , d'abondance de
coeur , & que l'efprit n'y a point de pass..
G.vj,
136 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
LUCIEN , dans le Toxaris , rapporte un
trait d'histoire , qui , en honorant l'humanité
, donne une haute idée des amis
de ce temps - là.
Eudamidas , citoyen vertueux , mais
pauvre , de la ville de Corinthe , fur le
point de mourir , dicta ainfi fes dernieres
volontés. Je legue ma mere à Arétée , pour
en avoirfoin dans fa vieilleffe . Je legue ma
fille à Charixene , pour la marier avec une
auffi grande dot qu'il pourra lui donner ; &
fi l'un ou l'autre vient à mourir , j'entends
que le legs que je lui aifait , paſſe an ſurvivant.
Le fublime de cet acte célebre faifit les
coeurs bien placés ; il y produit cette ſenfation
délicieufe , qui les affocie au mérite
de l'action ; c'eft pour eux feuls qu'èft réfervée
cette volupté pure, & le même principe
qui les porte aux plus beaux procédés,
les rend auffi fenfibles à tout ce qui les retrace
.
Ce fujet fi propre à la peinture , & ĥ
digne en même temps d'un pinceau ſçavant
, a été traité par le Pouffin d'une maniere
fublime. Ce Peintre profond dans
NOVEMBRE . 1757. 157
:
A
l'art (qui tient tout du génie ) de manier
les paffions à fon gré , paroît s'être furpaffé
dans ce tableau , dont la fimplicité raiſonnée
dans l'ordonnance , y répand une tranquillité
qui laiffe aux expreffions toute leur
valeur. On ofe dire qu'on n'en traca já
mais de plus juftes ( c'eft affez les louer ).
La fcene, comme on fe l'imagine aifément,
fe paffe dans l'intérieur d'une chambre ,
où les murs répondant à l'état du teftateur,
n'offrent pour tout ornement que fes armes .
Eudamidas eft fur fon lit , dans l'attitude
d'un homme épuiſé par la maladie. Il femble
qu'à travers les douleurs qu'il reffent ,
on y diftingue celle de quitter pour jamais
des objets qui l'attachent à la vie . Le Médecin
eft à côté de lui , de bout , la tête
inclinée ( pour marquer fon attention );
de la main droite il calcule, par les mouvepeu
mens appéfantis de fon coeur , le d'inf
tans qui lui reftent : on lit le cruel arrêt
dans fes traits. Le Notaire écrit fes dernieres
volontés , & par fon étonnement
fai: fentir le fublime qu'elles renferment.
Ce grouppe , qui dit précisément ce qu'il
faut ( qu'il est bien peu de tableaux à qui
on puiffe appliquer cette louange ! ) , fe
lie naturellement à un autre , dont les
expreffions vont droit au coeur . Il eft for
mé de la mere du mourant , & de fa fille.
158 MERCURE DE FRANCE.
La premiere affife fur le pied du lit , &
baignée de fes larmes , foutient fur fes
genoux fa fille abattue fous le poids de fa
douleur.
Que ce tableau eft touchant ! Un fils
au milieu des maux qui l'accablent , s'occupe
uniquement des foins que fa piété
fa tendrelle lui dictent , & pour celle qui
lui a donné l'être , & pour celle à qui il
l'a donné. Une tendre mere voit mourir
ce cher fils, l'unique efpoir de fa vieilleſſe,
au moment que fes infirmités ne lui laiffent
que la trifte confolation d'en attendre les
derniers devoirs. Une jeune perfonne enfin
perd celui dont elle tient la vie , l'éducation
, fon appui , l'objet de fa tendreffe ,
fon pere en un mot. Il meurt , eh dans
quel temps ! A la veille d'être ifolée fur la
Berre , où fans avoir déformais rien à cípérer
, elle a tout à craindre.
A la vue de ce beau poëme , on fentira
bien mieux que je ne puis l'exprimer, avec
quelle intelligence le Pouffin a rendu ces
différentes expreffions. La nature a guidé
fon génie, & le bon fens lui en a ſauvé les
écarts. Tout eft en place , & foutenu de
plus par la magie d'un clair obfcur , qui
approche de celui de Rembrand , tant il
piquant.
La fcene eft éclairée par une fenêtre
NOVEMBRE. 1757. 159
affez élevée , pour produire ces belles dégradations
, fi néceffaires quand on veur
fixer la lumiere dans la partie fupérieure
des objets , où le repos de la vifion exige
ordinairement qu'elle domine. L'incidene
étant parallele à la muraille du fond,
la laiffe dans une demi-teinte, qui détache
également bien , & les endroits des figures
que la lumiere frappe , & ceux qui en font
privés.
Ce beau tableau , dont la plus légere expofition
fait l'éloge , vient d'être gravé
par M. de Marcenay , après l'avoir copié
à gouaffe , pour fa propre fatisfaction. Il a
dédié cette nouvelle planche , la quinzieme
de fon oeuvre , à M. Micault d'Harve
lay , Garde du tréfor royal , qui par la
bonté de fon coeur feroit digne en pareil
cas d'être Légataire univerfel : c'eft ce
qu'expriment les deux vers fuivans , qui
lient heureufement la dédicace au fujet .
Heredes geminos fibi fcripfit , at unicus hares,
Si nunc Eudamidas vixerit , ipfe fores.
Ufer noblement des faveurs de la for
eune , c'eft prouver qu'on en étoit digne..
Cette eftampe fe trouve chez l'Auteur,
quai de Conti , la feconde porte cochere
après la rue Guénégaud, & chez M. Lutton,
commis au recouvrement du Mercure, rus
160 MERCURE DE FRANCE.
Sainte-Anne , butte Saint Roch . Le tableau
original fe voit chez M. Beauchamp , rue
des Follés Montmartre.
Le Chevalier de Beaurain , Géographe
ordinaire du Roi , ci- devant de l'éduca
tion de M. le Dauphin , annonce qu'il a
mis au jour les cartes & plans qui fuivent
, fçavoir :
C
C
cal
CO
dis
Le Royaume de Bohême en une feuille
d'Atlas , très- détaillé & divifé en quinze
cercles au lieu de douze ,comme l'ont donné
, même des Géographes Allemands qui
en cela fe font trompés , avec le Comté de
Glatz & le pays d'Egra. Cette carte faite
d'après celle en 25 feuilles, de Muller, Ingénieur
du feu Empereur Charles VI , &
plufieurs autres cartes & mémoires faits
fur les lieux. On y trouvera réparées plu
hieurs fautes & omiffions remarquables ,
commiſes , tant par les Géographes Allemands
, que par les François qui les ont
fuivis. L'Auteur l'a augmentée de plufieurs
remarques qui regardent l'hiftoire naturelle
de ce Royaume .
Le Marquifar de Moravie auffi en une
feuille , & travaillé de même d'après la
carte en 8 feuilles de Muller , avec des
remarques relatives à l'hiftoire naturelle du
pays.
(
tig
Chak
Oa
cient
les d
Scie
FRIK
NOVEMBRE. 1757. 161
Le Duché de Siléfie en deux feuilles ,
dreffé fur les vingt feuilles de l'Atlas Siléfien
, fait par ordre des Etats du Pays , en
l'année 1736 & fuivantes , ouvrage qui
ne fe vend point étant dans le dépôt du
Cabinet du Roi de Pruffe , & dont il ne
fe trouve d'exemplaires que dans quelques
cabinets particuliers . La carte qu'on annonce
, contient toutes les divifions & fubdivifions
marquées dans l'Atlas ci- deffus ,
& quantité de détails intéreſſans avec des
remarques fur l'hiftoire naturelle du Pays.
Carte générale des ifles Grenefey , Jerfey
, Aurigny & Chanfey.
>
Cartes topo hydrographiques de chacune
des ifles de Grenefey , Jerfey & Aurigny
, avec plufieurs petites ifles qui en
dépendent , appartenantes aux Anglois &
levées fur les lieux , par ordre de la Cour
Angloife . On y trouve marqués les forts ,
châteaux batteries qui défendent les
abords de ces ifles , baies , paffages ,
bancs , écueils & rochers , avec leurs noms.
On y a joint une ample defcription hiftorique
, géographique & politique de ces
ifles , faite fur manufcrits & hiftoires anciennes
& modernes ; le tout affujetti à
plufieurs obfervations combinées avec celles
de Meffieurs de l'Académie Royale des
Sciences.
162 MERCURE DE FRANCE.
Plan du camp retranché du Roi de Pologne
entre Pyrna & Conigftein , & le
blocus des troupes Pruffiennes , levés fur
les lieux.
Plan de la bataille de Haftenbeck , gagnée
le 26 juillet 1757 , par les troupes
Auxiliaires de France , jointes à celles de
l'Impératrice Reine, contre les troupes Hanovriennes.
Le 10 du mois prochain , le même Auteur
donnera une carte des côtes du Poitou
, de l'Aunis & du Brouageais , en une
feuille qui fera accompagnée d'une autre
grande carte topographique de l'ifle
d'Aix & de celle de l'ifle Madame. Le
plan très - détaillé de Rochefort , ainſi que
le plan du fort Fourras , auxquels fera
jointe une ample defcription des lieux les
plus confidérables du Gouvernement gé
néral d'Aunis. Autre grande carte de la
Rochelle & des environs , dans l'étendue
de deux lieues , en une grande feuille d'At
las. Carte du Marquifat & Electorat de
Brandebourg , avec beaucoup d'augmen
tations , qui ne fe trouvent point dans les
autres cartes de ce Pays.
L'Auteur de qui les travaux ont toujours
été favorablement accueillis du pablic
, n'a rien laiffé à défirer dans ces cartes
, tant pour la beauté de la gravure ,
P
t
to
1
P
le
ta
P
g
P
P
1
C
C
NOVEMBRE. 1757. 165
que pour l'exactitude des corrections. Si
comme certains Géographes , il ne prémature
point fes ouvrages , le défaut d'empreffement
à fatisfaire celui quelquefois
trop précipité du public , ne doit pas pour
cela lui être imputé. Il a mis en oeuvre
toute la diligence qui a dépendu de lui.
Les ouvrages que l'on défire pouffer à leur
perfection , exigent du temps . Le Chevalier
de Beaurain aime mieux s'attirer du
public , le reproche d'en avoir un peu trop
employé ,
, que celui de lui avoir mis fous
les yeux des chofes qui n'auroient rien de
conforme à la réalité. Son plan de la bataille
de Haftenbeck lui a mérité l'approbation
des perfonnes les plus diftinguées
à la Cour & dans le Militaire , &
particuliérement de celles qui ont été témoins
oculaires de l'action . Il peut ici
avancer avec pleine confiance , que ce plan
ne reffemble en aucune maniere à ceux de
la même bataille qui ont eu cours dans l'e
public avant qu'il ait paru . Il n'eft pas
donné
à tout le monde de créer, pour ainsi dire,
comme quelques Géographes , & le Chevalier
de Beaurain en particulier eft bien
éloigné d'être de ceux à qui il fuffit de
dire fiat charta , pour qu'incontinent une
carte voye le jour. Lorfque les originaux
qui ont fervi à l'Auteur lui ont paru fuf
164 MERCURE DE FRANCE:
ceptibles de quelques réformes , il les a
faites d'office , prenant toujours pour guides
des mémoires sûrs , les obfervations
aftronomiques les plus exactes & les meilleurs
itinéraires. La collection précieuſe &
confidérable qu'il poffede , tant en livres
& manufcrits rares fur la géographie &
l'hiftoire , qu'en cartes géographiques , le
met en état de produire des morceaux dignes
de la faveur du public & du fuffrage
des amateurs les plus éclairés. C'est à quoi
l'Auteur travaille de tout fon pouvoir.
MUSIQUE.
Avis aux Amateurs du chant .
IL paroît actuellement la premiere feuille
des récréations chantantes , intitulée l'Inconftance
, ariette dont la mufique eft de
la compofition de M. de Mongaultier, maître
de mufique & de violon. Le prix de
chaque feuille eft de 6 f. à l'ordinaire.
L'Auteur continuera de fournir de nouvelles
feuilles dont il fera des recueils par la
fuite auffi tôt qu'il y en aura une quantité
de gravées ; on les aura toujours en
( 1 ) Nota. Que ces feuilles font compofées de
C
P
V
20
R
N
1
fi
01
2
P
NOVEMBRE . 1757 .
165
feuilles féparées, fi l'on veut . On trouvera
cette premiere feuille & les fuivantes , à
Paris , chez l'Auteur , rue S. Honoré , visvis
l'Oratoire , chez un Parfumeur, & aux
adreſſes ordinaires de muſique.
M. Daquin Organiſte de la Chapelle du
Roi , fait graver actuellement un livre de
Noëls pour l'orgue & le clavecin , dont la
plûpart peuvent s'exécuter fur les violons,
flûtes & haubois. Il paroîtra à la Saint
Martin.
Le Sr. Bordet , maître de flûte traverfiere
, déja connu du public par deux recueilsqu'il
a donnés précédemment, & qui
ont eu le plus brillant fuccès , fait
graver
actuellement fix fonates de fa compofition ,
pour deux flûtes , violons & pardeſſus de
viole. Elles paroîtront à la Saint Martin.
petites Ariettes , fans accompagnement de Duo ;
Air , Gavotte, Romance & Vaudeville chantans."
I
16% MERCURE DE FRANCE:
4
ON
ARTS UTILES.
HORLOGERIE.
Na fait , depuis plufieurs années ,
différentes tentatives en horlogerie , pour.
Amplifier les pendules , & particuliérement
celles d'obfervation : mais le haut
prix auquel on étoit obligé de les mettre ,
a toujours affez prouvé au Public , & fait
fentir à leurs auteurs mêmes , qu'elles n'étoient
rien moins que fimples.
L'embarras de les tranfporter , l'impof
fibilité de les fixer dans leur emplacement
à une folidité convenable , la difficulté de
les mettre dans leur échappement , les
variations continuelles que leur caufent
la les boîtes de bois où on les enferme ,
néceffité de recourir aux ouvriers les plus
intelligens pour les remettre en état au
moindre dérangement
l'incommodité
d'un pendule qu'il n'eft point permis de
brifer fans féparation , & qui perd prefque
toujours la longueur fixe qui lui eft fi néceffaire
; la polition des aiguilles qui n'a
fouvent rien d'apparent , ni de commode
pour les yeux , & qu'on ne peut guere faire
རན་
C
M
L
FRAN NOVEMBRE
. 1757.
167
2193
1
RIE
113470
avancer ni rétrograder , fans leur caufer
quelque défordre ; le défaut de jufteſſe enfin
qu'on peut reprocher , à bon droit , à la
plupart de ces pendules , font autant d'inconvéniens
qui ne fe rencontrent point
dans la conftruction de celle qu'on annon
ce ici..
Sa précision & fa folidité font à toute
épreuve , & on n'a voulu en faire part au
Public qu'après des expériences réitérées
depuis environ dix années, par des Aftronomes
& autres Connoiffeurs en ce genre,
Son exécution, en offrant l'avantage d'une
machine perfectionnée principalement par
des voies très- peu difpendieufes , prouve
encore fa fimplicité , qui certainement
n'échappera point à quiconque voudra
l'examiner , & faire attention à la modicité
du prix de ces pendules , qui n'eft que
de vingt piftoles , toute-ajuftées dans leurs
caiffes de tranfport . Ce motif d'économie,
joint à leur exactitude , en a fait débiter
un affez grand nombre.
Ces pendules font renfermées dans des
boîtes de cuivre , ajustées d'une façon nouvelle
, par des vis qui les font mouvoir &
qui fervent à les fixer dans leur échappement
d'une maniere auffi fimple que folide.
On les place à cinq pieds & demi environ
de hauteur ; ce qui fuffit pour les
168 MERCURE DE FRANCE.
faire aller à peu près quinze jours. Elles
marquent les heures , les minutes & les
fecondes , & toutes leurs aiguilles font
placées concentriquement. Elles ne fonnent
point ; mais on fçait d'ailleurs qu'une
fonnerie eft inutile aux pendules d'obfer
vation. Le pendule ſe briſe en trois parties
, d'une façon nouvelle , & cela fans fe
féparer , afin de diminuer le volume de la
caiffe , & rendre par- là ces machines plus
portatives. La caiffe qui leur fert d'enve
loppe a environ dix- huit pouces de lon
gueur , fur fept à huit de largeur & dé
paiffeur.
pr
acte
On donne à ceux qui prennent de ces
pendules une petite inftruction fur la farc
çon de les conduire & de les placer , &
ces pendules fe trouvent chez leur Auteur
M. Gallonde , Horloger du Roi , rue
Quincampoix , vis-à-vis le bureau des
Marchands Merciers.
Σας
dern
Me
T
ARTICLE
cn
rec
NOVEMBRE. 1757. 169
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
Oc-
L'ACADÉMIE
'ACADÉMIE royale de Mufique continue
Hippolyte & Aricie. Le mardi 25
tobre , Mademoiſelle Sixte a chanté pour
la premiere fois dans la fête du quatrieme
acte , un air détaché d'fe , qui commence
par ces paroles , Beaux lieux , &c. Elle a eu
un plein fuccès , & donne les plus grandes
efpérances. On doit l'encourager d'autant
plus , qu'elle joint à une très belle voix
& à une figure auffi noble qu'intéreffante ,
une grande timidité . Cette timidité qui
fuit prefque toujours le vrai talent , en
dérobe d'abord une partie , & pour raffurer
Mlle Sixte , on ne peut trop redoubler les
applaudiffemens
qu'elle mérite.
L'Académie de Mufique fe prépare à
lonner inceffamment l'Opera d'A'cefte ,
ivec tout le foin & tous les ornemens
qu'un fi grand Spectacle demande.
H
170 MERCURE DE FRANCE:
NO
COMEDIE FRANÇOISE
E
TOF
qui
Blai
aut
Le mardi 11 Octobre , les Comédiens
François ont donné gratis Iphigénie enTauride
, fuivie du Mari retrouvé , à l'occa
fion de la naiffance de Monfeigneur le
Comte d'Artois. Cette Tragédie a fait un fon
grand plaifir au peuple , qui a applaudi
jufte aux plus beaux endroits. La belle
PO
fcene d'amitié du troifieme acte a été
I
fentie de cette multitude avec le même
goût & le même tranfport qu'elle l'avor
été des fpectateurs les plus diftingués &
même les plus inftruits ; ce qui prouver c
que la nature eft la même dans tous les
MS
états , & qu'elle ne differe que par quel
plus
ques nuances d'éducation qui parent
dehors , mais qui n'ajoutent rien au fonds
du fentiment. Les Acteurs avoient ét C
jufqu'ici dans l'ufage de ne donner a
peuple que des farces , perfuadés qu'elles s
étoient les feules pieces à fa portée. Voil
qui les défabufe. Nous avons été nous
mêmes , il y a
les
Enfor
sou quatre ans ,
témoinstali
d'un trait qui nous avoit détrompés
à di
fujet. La curiofité
nous ayant conduit
à
bien
Spectacle
un jour de gratis , qu'on y re
préfentoit
l'Avocat
paulin
& les Pla
NOVEMBRE. 1757.
171
deurs , nous entendîmes , en fortant , plu
fieurs Dames de la Halle fe plaindre tout
haut qu'on fe moquoit d'elles , qu'elles
n'étoient pas venues à la Comédie pour
entendre plaider , & qu'il falloit renvoyer
toutes ces chicanes au Palais.
L'Opera a fuivi à cet égard l'exemple de
la Comédie Françoife , & a donné pour
fon gratis la Tragédie d'Hippolyte & Aricie,
qui n'a pas moins réuffi aux yeux de la
populace , que celle d'Iphigénie en Tauride.
Le lundi 24 , on a donné Cénie . Le fieur
Blainville y a joué le rôle de borimont avec
beaucoup de vérité. Il a été applaudi avec
d'autant plus de raifon , qu'on doit lui te
nir compte de l'avoir ainfi rendu , après.
M. Sarrazin , l'Acteur le plus vrai & le
plus parfait dans ce genre .
COMÉDIE
ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens continuent les
Enforcelés , qu'ils ont donnés pour gratis
avec le Chinois , parodie de l'intermede
Italien , & la Noce Chinoife , ballet pantomime.
On peut dire que le peuple a été
bien fervi à tous les Théâtres.
La Petite Maifon , parodie d'Anacreon
Hij
172 MERCURE DE FRANCE,
troifieme acte de l'Opera des Surprises de
Amour , repréſentée pour la premiere fois
par les Comédiens Italiens ordinaires du
Roi , le jeudi 30 Juin 1757 , par M. de
Marcouville. Le prix eft de 24 fols avec
la mufique . Se vend à Paris , chez D
chefne , Libraire , rue S. Jacques.
Le Mauvais plaifant ou le Drôle de Corps,
Opera- comique en un acte , par M. Vadé ,
repréfenté pour la premiere fois fur le
théâtre de l'Opera - comique de la Foire S.
Laurent , le mercredi 17 Août 1757. Se
débite à Paris , chez le même Libraire . Le
prix eft de 24 fols avec la mufique.
1
NOVEMBRE . 1757.
173
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 30 Septembre.
LES nouvelles de Drefde portent que le 26
du même mois , la Princeffe épouse du Prince Electoral
de Saxe eft accouchée d'une Princeffe . Selon
les avis reçus de Poméranie , le fort de Pénamunde
a capitulé le 23. La garnifon a mieux
aimé être prifonniere de guerre , que de fe foumettre
à la condition de ne point fervir pendant
deux ans. Les Suédois ont trouvé dans le fort
vingt pieces de canon . On mande de Warfovie ,
que la diette particuliere de Szroda s'eft féparée
le 14 , fans avoir pris aucune réfolution .
Du Quartier général de l'armée Impériale à
Greibnig , le 27 Septembre 1757.
L'Armée Impériale , après avoir détaché quelques
Troupes vers Strigau , quitta le 24 du même
mois le camp de Jawer , pour venir camper
à
Nicolstadt .
Le 25 , le Prince Charles de Lorraine & le
Feld -Maréchal Comte de Daun allerent à la pointe
du jour reconnoître la fituation de l'ennemi , &
obferverent que , pour mieux s'étendre aux envi
rons de Lignitz , il ne formoit qu'une feule li
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
Son
gne qu'il avoit jetté beaucoup de monde dans
les Villages de Barfchdorff & de Koifchwitz fitués
devant fon front , & que ces Villages étoient
garnis de canons . D'après ces difpofitions ,
Alteffe Royale jugea à propos , pour s'approcher
de Lignitz , de faire marcher l'aile droite de l'ar
mée Impériale par Seyfersdorff , l'aile gauche fe !
porta à une lieue au-delà de Wohlftadt , & le
Quartier Général fut établi à Greibnig.
་f
C
le m
Comme les Pruffiens avoient beaucoup de monde
dans le Village de Koifchwitz & pouvoient
incommoder la premiere ligne de l'armée , le
Comte de Sprecher , Lieutenant- Général , fut | k
commandé avec les Grenadiers , pour en déloger
l'ennemi , & après une canonnade d'environ
une heure & demie , les Pruffiens furent obligés
d'abandonner ce pofte..
Le 22 de grand matin , le Prince Charles & le
Feld-Maréchal Comte de Daun , ayant remar
qué que
les tentes de l'Infanterie ennemie étoient
encore tendues , & que celles de la Cavalerie
étoient pliées , réfolurent de les déloger de Barf
chdorff , pofte qui étoit occupé par quatre
taillons & par quelques Efcadrons de Huffards
On fit pour cet effet travailler cinq cens hommes.
à des fafcines ; on tira de tous les Régimess
huit cens Volontaires , & tous les Grenadiers eurent
ordre de fe tenir prêts . Vers les trois heu
res après- midi , l'artillerie commença à tirer fur
Barfchdorff. Les ennemis qui étoient campés fur
des hauteurs derriere ce Village , fe mirent en
bataille , établirent quelques batteries pour les
oppofer aux nôtres , & firent fans fuccès un feu
très -vif. Un de nos obus fit fauter en l'air un
charriot de munitions de guerre , & deux Canonpiers
Pruffiens. On tira de part & d'autre juf
Ch
NOVEMBRE. 1757. 171
qu'à fix heures du foir , & les ennemis décam
perent , après avoir mis le feu à Barfchdorff. Ils
ont fait marcher leur artillerie , leurs pontons
& leurs bagages vers Merfchwitz , & ont enfuite
abandonné Lignitz , où l'on a trouvé beau→
coup de bleffés . Le Prince Charles a mis dans
Lignitz une garnifon de deux mille hommes d'Infanterie
& cent chevaux. Les Pruffiens y ant
laiffé quatre cens mille rations de foin , trente
tonneaux de farine , trente muids d'avoine , &
environ cent trente tonneaux de fel. Les Généraux
de Haddick & de Beck ont été chargés de
harceler l'ennemi dans fa retraite . Le dernier
avec un Corps de mille hommes d'Infanterie ,
deux cens Huffards & quelques pieces de canon ,
leur a pris foixante - douze charriots d'ordonnance
chargés d'avoine , quatre charriots remplis des
bagages de divers Officiers , & un charriot d'eaude-
vie. Il leur a fait auffi quelques prifonniers , &
il n'a perdu que huit hommes & cinq chevaux
tués ou bleffés.
DE STADE , le 8 Septembre.
Le Dac de Cumberland s'eft embarqué le 6
d'octobre fur une frégate Angloife , pour le rendre
à Londres . Il a été joint au Cuxhaven , ૩
Pembouchure de l'Elbe , par des vaiffeaux de
guerre Anglois , qui doivent l'efcorter.
Le fieur de Gevigland Docteur , & ancien
Profeffeur de Médecine en l'Univerfité de Paris ,
Médecin des Armées du Roi , eut ordre de fe
détacher de l'Hôpital ambulant de l'armée vers
la fin du mois d'août , pour fe rendre à Hanovre
à l'effet d'y prendre foin de plufieurs Officiers
qui refterent malades à la fuite du quartier gé
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
néral . Le zele & l'activité de ce Médecin ne k
font jamais ralentis , la méthode avec laquelle
il a adminiftré l'hypécacuana pour les dytente
ries qui régnoient alors , lui ayant toujours
parfaitement réuffi , il s'eft acquis l'eftime & la
confiance d'une grande partie des Officiers de
l'armée , autant par fon exactitude défintéreflét
que par la sûreté de la pratique.
LE
FRANCE.
De la Rochelle , le 2 Octobre .
E 20 Septembre , on apperçut dans l'aprèsdînée
, par le travers de la tour des Baleines ,
fur l'ile de Ré , une flotte angloife forte de
80 à 100 voiles , qui entra vers les fix heures
dans le Pertuis d'Antioche , & mouilla du côté
du Platin d'Ars . Cette flotte ne fit que louvoyer
pendant la journée du 21. Le 22 au foir , rat
partie vint mouiller dans la rade des Bafan,
& l'autre partie refta dans le Pertuis. Le 23
fur les huit heures du matin , huit Vaiffeaux fe
détacherent de la flotte , pour venir fur Pe
Daix . A midi , deux de ces vaiffeaux s'étan
avancés à portée du petit fort de cette ill ,
dont les ouvrages n'étoient encore que très - imparfaitement
ébauchés , commencerent à le canonner
vivement le fort y répondit pendant
trois quarts d'heure , au bout defquels il fe rendit.
Trois cens hommes du batillon des Mi
..ces de Poitiers , qui en compofoient la garni
fon , furent faits prifonniers de guerre. Le
NOVEMBRE . 1757. 177
chaloupes de la flotte furent employées les 24 ,
25 , 26 & 27 , à fonder en différens parages ;
quelques- unes s'étant approchées des côtes de
Fifle de Ré & de celle d'Oleron , en furent repouffées.
Le 30 , les Anglois , après avoir jetté
quelques bombes fur le fort Fouras & Pille
Madame , & fait fauter les fortifications de l'ifle
Daix , mirent le feu au corps des cafernes du
fort , ainfi qu'à une maifon au -delà du Village
appellée Beauséjour , qui fut brûlée avec tous
fes meubles & effets. Enfin le 1. octobre la
fotte ayant levé l'ancre fur les neuf heures du
matin , a paffé tout de faite le Pertuis d'Antio
che, & à cinq heures après - midi on l'avoit entiérement
perdue de vue. Les dommages faits par
les Anglois dans l'ifle Daix , fe réduisent à la
démolition du Donjon & d'une partie des fortifications
commencées , qui ont été endommagées
par les mines. Des vingt- quatre pieces de
canon & des huit mortiers qui étoient en batterie
, ils ont emporté deux canons , quatre
mortiers de fonte , & caffé les tourillons des autres
. L'habitant a été pillé , & les Anglois ont
brifé tout ce qu'ils n'ont point emporté. Ils
n'ont pas refpecté les lieux faints : ils ont abattu
le clocher , enlevé les cloches , mis en pieces
le tableau de l'autel , le tabernacle & une ftatue
de la Vierge. Après avoir promené dans le Village
la banniere & la croix , ils les ont brifées
& jettées à la mer.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
I
E 9 Octobre , fur les cinq heures de l'aprèsmidi
, Madame la Dauphine commença à fentir
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
des douleurs. Vers les fept heures du foir , cette
Princeffe accoucha d'un Prince , que le Roi a nom.
mé Comte d'Artois. M. l'Abbé de Bouillé , Comtede
Lyon , & premier Aumônier de Sa Majeſté ,
fit , à fept heures un quart , la cérémonie de l'ondoyement
, en préfence du Curé de la Paroiffe da
Château . Monfieur Rouillé , Miniftre d'Etat , Sur
Intendant général des Poftes , & grand Tréforier
de l'Ordre du S. Elprit , ayant apporté le Cordon
de cet Ordre , eut l'honneur de le paffer au col
du Prince . Monfeigneur le Comte d'Artois fut enfuite
remis à la Comteffe de Marfan , Gouvernante.
des Enfans de France ; & elle le porta à l'appartement
qui lui étoit deſtiné . Ce Prince y fut conduit
par le Maréchal Duc de Luxembourg , Capitaine
des Gardes du Corps.
Le Roi & la Reine , accompagnés de la Famille
Royale , ainfi que des Princes & Princeffes du
Sang , des grands Officiers de la Couronne , des.
Miniftres , des Seigneurs & Dames de la Cour
& précédés des deux Huiffiers de la Chambre quis
portoient leurs maffes , fe rendirent le lendemain
à la Chapelle. Leurs Majeftés y entendirent la
Meffe , pendant laquelle M. Colin de Blamont ,
Chevalier de l'Ordre de S. Michel , & Sur- Intendant
de la Mufique de la Chambre , fit exécuter le
Te Deum en mufique , de fa compofition . Cette
Hymne fut entonnée par M. l'Abbé Gergois, Chapelain
ordinaire de la Chapelle- Mufique.
Après la Meffe , le Roi & la Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monfeigneur le Duc de Berry , Monfeigneur le
Comte de Provence , Madame Infante Duchellede
Parme , Madame ,. & Mefdames Victoire , Sophie
& Louife , reçurent dans leurs appartemens
les révérences des Dames de la Cour , à l'occafion
NOVEMBRE. 1757 179
des couches de Madame la Dauphine , & de la
naiffance du Prince.
On tira le foir un bouquet d'artifice devant les
fenêtres du Roi.
Sa Majefté a fait partir Monfieur Pernot- du
Buat , un de fes Gentilshommes ordinaires
pour aller à Luneville donner part de la naiffance
de Monfeigneur le Comte d'Artois au Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar.
Madame la Dauphine & le jeune Prince fe por--
tent auffi bien qu'on puiffe le défirer.
9"
Sur le premier avis que Madame la Dauphine:
avoit reffenti quelques douleurs , le Corps - de-Ville
s'étoit affemblé. A huit heures & demie du foir
le fieur d'Amfreville , Chefde Brigade des Gardes.
du Corps , vint lui apprendre , de la part du Roi,.
la naiffance d'un Prince. Auffi -tôt les Prevôt des
Marchands & Echevins firent annoncer à toute la
Ville , par une falve générale de l'artillerie , & par
la cloche de l'Hôtel- de-Ville , qui a fonné jufqu'au
lendemain minuit , la nouvelle faveur qu'il
a plu à Dieu d'accorder au Roi & à la Nation. On
tira le même foir dans la place de l'Hôtel - de-Ville :
un grand nombre de fufées volantes,
Le ro , les officiers des cérémonies étant ab--
fens , le fieur Ourfin de Soligny , Maître d'hôtel
du Roi , remit au Corps - de- Ville une lettre de Sa
Majefté. Il fut fait deux falves générales de l'artil
lerie , l'une dès le matin , l'autre vers les fix heu--
res du foir , après laquelle les Prevôt des Marchands
& Echevins allumerent,avec les cérémonies
accoutumées , le bucher qui avoit été dreffé dans
la place devant l'Hôtel- de- Villé . Ce feu fut accom.-
pagné d'une grande quantité d'artifice : On fit couler
dans la place plufieurs fontaines de vin , & l'on
diftribua du pain &. des. viandes au peuple . Des.
H.vj.
180 MERCURE DE FRANCE.
orcheftres remplis de muficiens , mêlerent le foa
de leurs inftrumens aux acclamations dictées paa
Palégretle publique. La façade de l'Hôtel- de-
Ville fut illuminée par plufieurs filets de terrines ,
ainfi que l'hotel du Prevôt des Marchands , & les
mailons des Echevins & Officiers du Bureau de la
Ville.
Le Roi a accordé à M. le Marquis de la Tour-
Dupin de Paulin le régiment de Guyenne , vacant
par la mort de M. le Conte de Montmorenci-
Laval , tué à la bataille de Haftembecke .
a
Le Roi ayant admis dans fon Confeil des Dépêches
les fieurs Gilber de Voyfins & Berryer , Confeillers
d'Etat , le 16 octobre ils eurent l'honneur
de faire leurs remerciemens à Sa Majeſté.
Sa Majesté a donné le gouvernement général de
l'Orléanois , vacant par la mort de M. le Duc d'Antin
, au Comte de Rochecouart , fon Miniftre
Plénipotentiaire à la Cour de Parme.
Le 19 , M. le Duc de Duras prêta ferment entre
les mains du Roi pour la charge de premier Gentilhomme
de la Chambre , vacante par la mort du
Duc de Gefvres.
Le même jour, M. le Marquis de Gontaut prêta
ferment entre les mains de Sa Majeſté , pour la
Lieutenance générale du Languedoc , vacante par
la mort de M. le Maréchal Duc de Mirepoix.
Le Roi a difpofé en faveur du Prince de Beauveau
, de la charge de Capitaine des Gardes du
Corps , qu'avoit auffi le feu Maréchal Duc de Mirepoix
Sa Majesté a accordé au Vicomte de Noë,
Chambellan du Duc d'Orléans , & Capitaine de
vaiffeau , un brevet de Colonel à la ſuite du régiment
d'Orléans cavalerie.
M. de Lamoignon de Bafville a obteau da
A
a.
I
fo
P
ve
G
M
G:
NOVEMBRE . 1757. 181
Roi l'agrément de la charge de Préſident du Par
lement , dont le fieur Molé , premier Préfident ,
étoit revêtu.
Le Roi a nommé M. le Comte des Salles, Capitaine
de Cavalerie dans le régiment d'Harcourt ,
à la place deColoneldans lesGrenadiers de France,
vacante par la nomination de M. le Marquis de la
Tour - Dupin de Paulin au régiment de Guyenne.
Les troupes de la Maiſon du Roi , qui avoient
été détachées pour la défenſe de nos côtes , ne
font point arrivées à leur deftination , par la
prompte retraite des Anglois , & ont eu ordre de
revenir. Les Gardes Françoifes & les Gardes Suiffes
qui étoient reftées à Tours , à Saumur & à
Blois , doivent fe rendre ici fucceffivement dans
Fla fin d'octobre , & au commencement de novembre.
Les détachemens des Gardes du Corps ,
Gendarmes de la Garde , Chevaux- Légers , &
Moufquetaires de la premiere Compagnie , font
tous partis le 19 octobre , d'Orléans , d'Eftampes ,
d'Arpajon & de Chartres , où ils étoient reftés. La
feconde Compagnie des Moufquetaires , & les
Grenadiers à cheval , qui avoient reçu des contreordres
à temps , n'ont point quitté leurs quartiers.
Madame la Dauphine étant accouchée d'un
Prince le 9 d'octobre , M. le Marquis de Paulmy ,
Miniftre & Sécretaire d'Etat , expédia fur le champ.
un courier aux Députés des Etats de la Province
d'Artois
, pour leur faire fçavoir que le Roi avoit
nommé le nouveau Prince , Comte de cette Pro-,
vince. Auffitôt que cette nouvelle fut portée à
Arras , Capitale de l'Artois , toutes les cloches de
la Ville fonnerent , les habitans fermerent d'euxmêmes
leurs boutiques , & coururent en foule à
P'Eglife , pour y rendre à Dieu des actions.de.gra
182 MERCURE DE FRANCE.
ees de l'heureuſe délivrance de Madame la Dau
phine , & lui demander la conſervation d'un
Prince qui leur eft d'autant plus cher , que la
Province , depuis cinq hecles , a été privée de
Phonneur de voir fon nom porté par un Prince
de la Maiſon Royale. Ces actes de piété furent
fuivis des démonftrations de la joie la plus vive.
La nouvelle fut bientôt répandue jufqu'aux extrê
mités de l'Artois ; & tous les peuples , à l'envi de
la Capitale , s'emprefferent de faire éclater lear
reconnoiffance & leur alegreffe . Les Etats de la
province s'affemblerent extraordinairement , &
éfolurent de nommer une députation folemnelle,
formée de trois perfonnes de chaque ordre , pour
aller , conjointement avec les députés ordinaires
qui réfident cette année à la fuite de la Cour , remercier
le Roi de lafaveur fignalée que Sa Majesté
vient d'accorder à l'Artois , & pour la féliciter ,
ainfi que la Famille royale , fur cet heureux évé
nement. Cette députation s'étant rendue à Verfailles
le Dimanche 16 d'octobre , elle fut admife
à l'audience du Roi , de la Reine , de Monseigneur
le Dauphin , de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, de Monfeigneur le Duc de Berry , de Mon
feigneur le Comte de Provence , de Monfeigneur
le Comte d'Artois , de Madame Infante Ducheffe
de Parme , de Madame , & de Meſdames Victoire ,
Sophie & Louife. Les Députés furent préfentés
par M. le Marquis de Paulmy , Miniftre & Secresaire
d'Etat , ayant le département de la Province,
& conduits par M. Defgranges , Maître des Céré
monies. La députation étoit compofée de MM. les
Evêques d'Arras , de Saint - Omer , l'Abbé de
Saint-Waak & l'Abbé de Cry , Chanoine de is
Cathédrale d'Arras , pour le Clergé ; de MM. le
Marquis de Creny , le Comte d'Houchin , k
Bar
記
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Co
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La
Pa
4
#1
NOVEMBRE . 1757. 183:
Baron de Wifmes , & le Baron d'Haynin , pour la
Nobleffe ; de MM. de Canchy , Echevin de la ville
de Saint - Omer ; Cornuel & Goffes , Echevins de
la ville d'Arras , & de Gouves , Procureur du Roi
de la même ville , pour le Tiers - Etat. Elle étoit
accompagnée de M. le Premier Préfident & du .
Confeil Provincial d'Artois . M. l'Evêque de Saint-
Omer porta la parole , & exprima d'une maniere:
touchante les fentimens de joie , d'amour , de
refpect & de reconnoiffance, communs à tous les
habitans de l'Artois. Cette Province fut réunie à
la Couronne en 1199 , par Philippe Augufte. Il
Périgea en Comté , & la donna à fon fils aîné , depuis
Louis VIII . Ce Comté paffa enfuite à Robert,.
fecond fils de Louis , qui porta le nom de Comte:
d'Artois , & fut tué à la bataille de la Maffoure,
Philippe le Bel en 1297 érigea l'Artois en Comté
Pairie.
La Princeffe de Condé eft accouchée heureufe--
ment les d'Octobre d'une Princeffe.
Les mauvais fuccès que les Anglois ont éprouvés
dans les entreprifes qu'ils ont tentées , foit dans le
fein de la paix , foit depuis la déclaration de la
guerre , pour envahir le Canada , ne les ont point
rebutés . Perfonne n'ignore les préparatifs im
menfes qu'ils avoient faits pour l'attaquer cette
année tout à la fois par mer & du côté des
terres. Les forces navales , que le Roi a deſtinées
pour la défenſe de cette colonie , ont fait échouer
leur projet du côté de la mer; & les difpofitions:
qui ont été faites dans le pays , les ont mis éga
lement hors d'état de faire aucune tentative fur les
frontieres.
Dès la fin de la campagne de l'année derniere ,,
M. le Marquis de Vaudreuil, Gouverneur & Lieute
pant-Général de la Nouvelle France , s'occupa de
184 MERCURE DE FRANCE.
tous les arrangemens qu'il pouvoit y avoir à pren
dre pour le mettre en état de les repouffer de toutes
parts.
Il prit des mefures pour avoir des partis de Canadiens
& de Sauvages continuellement en cam.
pagne durant l'hyver. Les incurfions que ces détachemens
ont faites fur les ennemis leur ont ré
beaucoup de monde , & donné l'alarme à leurs
colonies, où ils ont fait beaucoup de ravages.
M. le Marquis de Vaudreuil s'eft appliqué authà
ménager les bonnes difpofitions des Nations Sauvages
, qui en général font foulevées contre l'iajuftice
des prétentions & la violence des procédés
des Anglois. Celles qui font anciennement alliées
de la France n'ont point ceffé de donner de nouvelles
preuves de leur fidélité , & ont été continuellement
en parti contre les ennemis. D'autres
Nations nombreuſes font entrées dans cette alliance
, & ont pris part à la guerre. Les Iroquois
eux-mêmes , ces Nations que les Anglois repréſen
tent à l'Europe comme leurs fujettes , animés des
mêmes motifs que les autres Sauvages , ont pris le
même parti , malgré les efforts de toute espece
que les Gouverneurs Anglois ont faits pour obtenir
d'eux qu'ils s'en tinffent à la neutralité qu'ils
avoient obfervée dans les guerres précédentes
d'entre la France & l'Angleterre.
C'eſt relativement aux avantages que M. le Marquis
de Vaudreuil s'eft vu en état de tirer des difpofitions
de toutes ces Nations , qu'il a réglé fes
opérations.
Il avoit jugé que les ennemis tourneroient leurs
principaux efforts du côté du Lac Saint- Sacrearent
& du Lac Champlain ; & il a donné une
attention particuliere à munir les Forts qui défendent
cette frontiere. Les ennemis ayant été infor
NOVEMBRE. 1757 . 185
més qu'on devoit faire pafler du Fort Saint-Fre
déric au Fort de Carillon quelques provifions fous
l'escorte d'un petit détachement , en envoyere t
un de quatre-vingts hommes d'élite , qui enleva les
premieres traînes de ce convoi & fept Soldats ;
mais le Commandant du Fort Saint- Frédéric fit
marcher un nouveau détachement qui coupa celui
des ennemis dans fon chemin , le défit entiérerement
, à l'exception de trois hommes qui fe
fauverent , & reprit les traînes dont les ennemis
s'étoient emparés , & trois Soldats qui reftoient
de ceux qui avoient été enlevés . Cette action fe
pafla au mois de Janvier. MM . de Bafferode & de
la Grandville , Capitaines aux Régimens de Languedoc
& de la Reine , y eurent la principale
part.
M. le Marquis de Vaudreuil apprit dans le même
temps que les ennemis avoient raflemblé au
Fort Georges fitué fur le Lac Saint -Sacrement ,
des approvifionnemens confidérables de toures
les efpeces , & qu'ils avoient fait conftruire fous
le canon de ce Fort un très -grand nombre de barques
, de bateaux & d'autres bâtimens , non-feulement
pour le tranfport de ces approvifionnemens
, mais encore pour s'affurer la navigation de
ce Lac. Il jugea que tous ces préparatifs étoient
deftinés pour des entreprifes que les ennemis fe
propofoient d'exécuter au printems. Pour leur en
ôter les moyens , il fit , matcher au mois de Mars
un détachement de quinze cens hommes de troupes
réglées , Canadiens & Sauvages , fous les ordres
de M. Rigaud- de Vaudreuil , Gouverneur
des Trois - Rivieres , qui réuffit fi bien dans fon
expédition , qu'il parvint à brûler tous les bâtimens
de mer , tous les magafins qui étoient rem➡
plis de toutes fortes de munitions & d'uftenfiles
186 MERCURE DE FRANCE.
pour une armée de quinze mille hommes , & généralement
tout ce que les ennemis avoient raſ◄
femblé fous le Fort , lequel refta ifolé.
M. le Marquis de Vaudreuil ne fe contenta
pas des obftacles qu'il oppofoit par- là à l'exécution
des projets des ennemis du côté du Lac Saint-Sacrement
, il fortifia de nouveau les garnifons des
poftes qui font fur cette frontiere ; & au moyen
du renfort de troupes & des autres fecours que le
Roi a fait paffer en Canada , ce Gouverneur s'eft
trouvé en état d'agir offenfivement contre les ennemis.
Du côté de la Belle Riviere , il a fait détruire
plufieurs petits Forts qu'ils y avoient établis .
Pour profiter efficacement des avantages de
Pexpédition de M. Rigaud , & de ceux de la fituation
où le trouvoit la colonie du côté de la mer ,
il a formé le projet de s'emparer du Fort Georges.
L'établiffement de ce Fort , qui n'avoit été fait
que depuis peu de temps, étoit une de ces invaſions
que les Anglois font dans l'ufage de faire en tems
de paix fur les poffeflions de leurs voisins ; & il
leur donnoit les plus grandes facilités pour atta
quer le Canada par fon centre.
M. le Marquis de Vaudreuil a chargé de cette
importante expédition M. le Marquis de Montcalm
, Maréchal de Camp. Le corps de troupes
qu'il y a deftiné , étoit compofé de fix bataillons
de troupes de terre , d'un détachement des
troupes réglées de la colonie , de plufieurs détachemens
de milices , & de plufieurs partis de
Sauvages. Toutes ces troupes ont été raſſemblées
le 20 Juillet à Carrillon , où M. de Bourlamaque
, Colonel d'Infanterie , avoit déja fait les dif
pofitions préliminaires pour la marche de l'armée.
M. le Marquis de Montcalm s'y étoit rende
Σ
&
C
C
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NOVEMBRE. 1757. 187
quelque temps auparavant. En attendant que l'armée
pût le mettre en marche , il avoit détaché
M. de Rigaud- de Vaudreuil , pour s'emparer de
la tête du portage du Lac Saint- Sacrement , avec
un corps de troupes de la colonie , de Canadiens
& de Sauvages.
M. Kigaud- de Vaudreuil s'étant établi dans ce
pofte , il envoya trois détachemens à la découverte.
Le premier , qui n'étoit que de dix hommes ,
fut attaqué fur le Lac Saint- Saciement par plufieurs
canots , dans lefquels il y avoit cent vinge
à cent trente Anglois . Quoique M. de Saint-
Ours , Lieutenant des troupes de la Colonie ,
qui le commandoit , fût bleffé à la premiere décharge
, il fe défendit avec tant de fermeté , qu'il
obligea les ennemis à fe retirer.
Le fecond , qui étoit affez confidérable , fut
commandé par M. Marin , autre Lieutenant , quis
fe fit précéder par huit Sauvages qui faifoient fon
avant-garde , lefquels fe trouverent vis - àvis quarante
Anglois. Dès le premier abord , ils firent :
leur décharge fur les ennemis , tuerent leur Com
mandant , & mirent le refte en fuite. M. Marin ,,
ayant rejoint fon avant-garde , réduifit fon détachement
à cent cinquante hommes d'élite . Il fe
porta près du Fort Edouard , éloigné de quelques.
lieues du Fort Georges , fans être découvert. Il défit
d'abord une patrouille de dix hommes , enfuite
une garde ordinaire de cinquante hommes ,
& plufieurs travailleurs. Il fe préfenta à la vue da
camp des ennemis , qui fortirent au nombre de
trois mille hommes faifant feu fur lui . Il le foutine
pendant deux heures. Ce ne fut même qu'avec
peine qu'il obligea les Sauvages qui étoient avec
ui , à fe retirer, Il tua dans certe action plus de
"
H
188 MERCURE DE FRANCE. Re
*
cent cinquante hommes , à quarante defquels les
Sauvages leverent la chevelure. Il n'en perdit pas
un feul & il n'y eut de bleffés que deux Sauvages.
Le troifieme détachement , commandé par M.
Corbiere , autre Officier de la Colonie , fe tint
embufqué pendant une journée. Au commencement
de la nuit , il apperçut fur le Lac vingt Berges
& deux Efquifs , dans lefquels il y avoit plus
de trois cens cinquante Anglois , commandés par
le Colonel Parker , cinq Capitaines , & fix autres
Officiers. Les Sauvages qui étoient avec lui firent
leur cri & leur décharge en même temps. Les
ennemis firent une foible réſiſtance. Deux feules
Berges fe fauverent , les autres furent prifes ou
coulées à fond. M. Corbier revint avec ceat
foixante-un prifonniers . Il y eut plus de cent cinquante
Anglois tués ou noyés ; & dans le détachement
François , il n'y eut qu'un Sauvage blee
affez légèrement .
M. le Marquis de Montcalm s'occupoit cependant
des difpofitions de fa marche . Il diftribua les
miliciens en plufieurs bataillons , dont il donnale
commandement à des Officiers des troupes de la
Colonie ; & des compagnies détachées de ces treapes
, il compofa un bataillon pour rouler avec
ceux des troupes de terre . H donna auffi à M. de
Villiers , Capitaine de celles de la Colonie , &
connu par plufieurs expéditions qu'il a exécutées
dans cette guerre , un corps de trois cens volontaires
Canadiens ; de maniere que l'armée le
trouva compofée de trois brigades de troupes ré-
'glées , qui étoient la brigade de la Reine , formée
des bataillons de la Reine & Languedoc , &
de celui des troupes de la Colonie ; la Brigade de
Sarre , des bataillons de la Sarre & de Guyen
d
Po
Sa
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Ca
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ג
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Ac
སྒོ་
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C'e
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9-
E
NOVEMBRE . 1757. 189
celle de Royal- Rouffillon , des bataillons de
Royal- Rouffillon & Bearn ; de fix brigades de
milices , des trois cens volontaires de Villiers , &
d'un détachement d'artillerie & de génie , compofé
de fept Officiers , & d'environ cent vingt
canonniers , bombardiers ou ouvriers . Tous ces
corps ne faifoient cependant enſemble que cinq
mille cinq cens combattans , non compris les
Sauvages qui étoient au nombre d'environ dixhuit
cens , parce que M. le Marquis de Montcalm
fut obligé de prendre dans les troupes quelques
détachemens , tant pour la garnifon du Fort de
Carillon , que pour quelques autres poftes .
Il étoit queftion de tranfporter par terre & à
bras d'hommes , depuis Carillon jufqu'au Lac
Saint-Sacrement , non feulement l'artillerie & les
munitions de guerre & de bouche de toute espece,
mais encore plus de quatre cens bateaux & canots ;
& cette opération fut fuivie avec tant de foin ,
qu'elle fut achevée la nuit du 31 Juillet au premier
Août.
Dès le 30 Juillet M. le Marquis de Montcalm
avoit fait partir M. le Chevalier de Levis , Brigadier
, à la tête d'un corps de deux mille cinq cens
hommes compofé de fix compagnies de Grenadiers
, huit piquets des volontaires de Villiers ,
d'environ mille Canadiens , & cinq cens Sauvages
, pour marcher au travers des bois , affurer
la navigation de l'armée , reconnoître & couvrir
fes débarquemens. Malgré les difficultés & les
fatigues de cette marche , cet Officier prit pofte
dès le lendemain au foir à la Baie de Ganaouské ,
qui n'eft qu'à quatre lieues du Fort Georges.
Le premier Août l'armée s'embarqua , & arriva
le 2 à trois heures du matin dans cette même
Baic. M. le Chevalier de Levis en repartit avec
190 MERCURE DE FRANCE.
fon détachement à dix heures , fe porta à une anfe
éloignée du Fort Anglois d'environ une lieue , &
fut reconnoître le Fort , la pofition des ennemis ,
& le débarquement propre à l'artillerie L'armée
arriva fur les onze heures du foir à cette même
anfe , & tout le monde reſta au bivouac .
Des prifonniers , qui furent faits pendant la
nuit des Canadiens & des Sauvages , rappor
par
terent que le nombre des ennemis pouvoit monter
à trois mille hommes , dont cinq cens étoient actuellement
dans le Fort , & le refte dans un camp
retranché qui étoit placé fur une hauteur à deux
cens toiles du Fort & à portée d'en rafraîchir continuellement
la garnifon. Ils ajouterent qu'au fignal
d'un coup de canon , toutes les troupes devoient
prendre les armes.
Sur ce rapport , qui s'accordoit avec les connoiffances
que M. le Chevalier de Levis avoit pri
fes fur la polition des ennemis , M. le Marquis de
Montcalm donna fur le champ l'ordre de marche
de l'armée , dont la difpofition fut faite pour recevoir
les ennemis , en cas qu'ils vinfſent à fa rencontre
, & pour , dans le cas où ils ne viendroient
pas , inveftir la place , & même attaquer le camp
retranché , s'il étoit jugé fufceptible d'une attaque
de vive force .
Le 3 à la pointe du jour , l'armée ſe mit en
marche.
M. le Chevalier de Levis faifoit l'avant-garde
avec fon corps , une partie des milices & tous les
Sauvages. Les bataillons & le refte des milices
marchoient enfuite en colonne , M. Rigaud-de
Vaudreuil à la droite , M. de Bourlamaque à la
gauche , & M. le Marquis de Montcalm dans le
centre. M. de Privat , Lieutenant- Colonel , avoit
été placé avec cinq cens hommes de troupes &
NOVEMBRE. 1757. 198
ane brigade de milices à la garde des bateaux &
de l'artillerie.
A midi , l'inveſtiſſement fut entierement formé
M. le Marquis de Montcalm , qui s'étoit porté à
l'avant -garde , ayant reconnu qu'il ne pouvoit at
taquer les retranchemens des ennemis , fans trop
compromettte fes forces , envoya ordre à M. de
Bourlamaque d'affeoir le camp de l'armée , la
gauche au Lac , la droite à des ravines preſque
inacceffibles , & d'y conduire fur le champ les
brigades de la Sarre & de Royal- Rouffillon . Pour
lui , avec la brigade de la Reine & une brigade de
milices , il paffa la nuit au bivouac , à portée de
foutenir le camp que M. le Chevalier de Levis occupoit
avec l'avant-garde fur le chemin du Forg
Gorges au Fort Edouard.
Comme ce pofte de l'avant -garde étoit trop
éloigné du ſiege , des bateaux & des vivres , elle
fe rapprocha le 4 au matin. M. le Marquis de
Montcalm ramena les deux brigades qu'il avoit
avec lui , prendre leur place dans le camp. L'ar
mée deſtinée à faire le fiege fe trouva alors poſtée ,
& compofée de fept bataillons de troupes , & de
deux brigades de milices. M. le Chevalier de Le
vis & M. Rigaud- de Vaudreuil , avec le refte des
milices , les volontaires de Villiers , & tous les
Sauvages , furent chargés de couvrir la droite du
camp , d'obferver les mouvemens des ennemis du
côté du chemin du Fort Edouard , & de leur don
ner à croire , par des mouvemens continuels , que
cette communication étoit encore occupée.
Dans l'après- midi du même jour 4 , on mar
qua le dépot de la tranchée. On fit le chemin de
ce dépôt au camp , les fafcines , gabions & fauciffons
néceffaires pour le travail de cette premiere
nuit ; & l'on mit en état une anfe , à laquelle le
192 MERCURE DE FRANCE.
dépôt aboutifloit , pour y pouvoir débarquer dans
la nuit l'artillerie à mesure qu'on en auroit befoin.
La nuit du 4 aus , on ouvrit la tranchée à 350
toiles du Fort d'attaque , embraffant le front du
Nord-Oueſt : cette tranchée étoit une espece de
premiere parallele. On commença auffi deux batteries
avec leur communication à la parallele.
Dans la journée dus , les travailleurs de jour
perfectionnerent les ouvrages de la nuit. Mais on
fut obligé de retirer un peu plus en arriere la gauche
du camp de l'armée , laquelle fe trouvoit trop
expofée au feu de la Place.
Le même jour , les Sauvages intercepterent
une lettre du Général Webb , écrite du Fort
Edquard en date du 4 à minuit . Il mandoit au
Commandant du Fort Georges , qu'auffitôt après
J'arrivée des milices des provinces auxquelles il
avoit envoyéordre devenir le joindre fur le champ,
il s'avanceroir pour combattre l'armée Françoife ;
que cependant , fi ces milices arrivoient trop tard
le Commandant fît enforte d'obtenir les meilleures
conditions qu'il pourroit. Cette lettre détermina
M. le Marquis de Montcalm à accélérer encore
la construction des batteries ; & le nombre
des travailleurs fut augmenté.
La nuit dus au6 , on acheva la batterie de la
gauche qui fut en état de tirer à la pointe du jour ;
elle étoit de huit pieces de canon & d'un mortier,
& elle battoit le front d'attaque & la rade des barques.
On acheva auſſi la communication de la batterie
de la droite avec la parallele , & l'on avança
confidérablement cette batterie.
La nuit du 6 au7 , on conduifit un boyau de
Iso toifes en avant fur la capitale du Baftion de
P'Ouest , & l'on acheva la batterie de la droite.
Elle étoit de huit pieces de canon , d'un mortier
&
te
fe
NOVEMBRE . 1757. 193
& de deux obufiers : elle battoit en écharpant le
front d'attaque , & à ricochet le camp retranché.
Elle fut démafquée à fept heures du matin ; &
après une double falve des deux batteries , M. le
Marquis de Montcalm jugea à propos de faire porter
au Commandant de la Place la lettre du Général
Webb , par M. de Bougainville un de fes Aides
de camp.
La nuit du 7 au 8 , les travailleurs cheminant
fur la Place , en continuant le boyau commencé
la veille , lequel fut conduit à 100 toifes du foffé,
ouvrirent auffi à l'extrêmité de ce boyau , un cro
chet pour y établir une troifieme batterie , & y
loger de la moufqueterie . Vers minuit , les enne
mis firent fortir trois cens hommes du camp retranché
. M. de Villiers tomba fur eux avec un
petit nombre de Canadiens & de Sauvages , leur
tua foixante hommes , fit deux prifonniers , &
força le refte à rentrer dans le camp.
Le travail de la nuit avoit conduit à un marais
P'environ so toifes de paffage , qu'un côteau qui
e bordoit mettoit à couvert des batteries de la
Place , à l'exception de 10 toifes de longueur ,
bendant lefquelles on étoit expoſé au feu de ces
batteries. Quoiqu'en plein jour , M. le Marquis
le Montcalm fit faire ce paffage comme celui
l'un foffé de place rempli d'eau , les fappeurs s'y
orterent avec tant de vivacité , que , malgré le
eu du canon & de la moufqueterie des ennemis ,
I fut achevé dans la matinée même , & qu'avant
a nuit une chauffée capable de fupporter l'artilleie
fe trouva pratiquée dans le marais. La moufueterie
des Canadiens & des Sauvages , qui tisient
aux embrafures du Fort , diminua beauoup
durant cette journée le feu des ennemis .
A quatre heures du foir , les Sauvages- Décou
I
194 MERCURE DE FRANCE.
vreurs rapporterent qu'un gros corps d'armée
marchoit au fecours de la place par le chemin du
Fort Edouard . M. le Chevalier de Levis s'y por
fur le champ avec la plus grande partie des Canadiens
& tous les Sauvages. M. le Marquis de
Montcalm ne tarda pas à le joindre avec la brigade
de la Reine & une brigade de milices . Il s'avançoit
en bataille prêt à recevoir l'ennemi ; les
bataillons en colone fur le grand chemin , les
Canadiens & les Sauvages fur les aîles dans les
bois , lorfqu'il apprit que la nouvelle étoit faufle.
Il fit rentrer les troupes dans leur camp . Ce mor
vement ne caufa aucun dérangement aux travar
du fiege ; & la promptitude avec laquelle il f
exécuté , fit un très -bon effet dans l'efprit des
Sauvages.
La nuit du 8 au 9 , on déboucha du marais pur
un boyau fervant de communication à la feconde
parallele qui fut ouverte fur la crête du côteau, &
fort avancée dans la nuit. C'eft de cette parallele
qu'on devoit partir pour établir les batteries de
breche , & en la prolongeant , envelopper le Fort
& couper la communication avec le retranche
ment , laquelle jufqu'alors avoit été libre. L
affiégés n'en donnerent pas le temps à huit he
res du matin ils arborerent pavillon blanc .
201
tro
le
fet
M. le Marquis de Montcalm dit au Colonel Co
Yong , envoyé par le Commandant pour trait
de la capitulation , qu'il ne pouvoit en fignera
cune fans en avoir auparavant communiqué les
ticles aux Sauvages. Deux motifs l'engageoiesti
ce ménagement pour eux : il croyoit le devoir
confiance & à la foumiffion avec lesquelles ils s
toient prêtés depuis le commencement de l'exp
dition à l'exécution des ordres qu'il leur avoit do
nés , & de toutes les propofitions qu'il leur apo
la
M
NOVEMBRE. 1757. 195
faites ; & il vouloit les mettre par -là dans l'obli
gation de ne rien faire de contraire à la capitulation
qui feroit arrêtée. Il convoqua donc fur le
champ un Confeil Général de tous les Sauvages.
Il expofa aux Chefs les conditions auxquelles les
Anglois offroient de fe rendre , & celles qu'il
étoit réfolu de leur accorder. Les Chefs s'en rapporterent
à tout ce qu'il feroit , & lui promirent
de s'y conformer , & d'empêcher que leurs jeunes
gens n'y contrevinffent directement ni indirectement.
M. le Marquis de Montcalm envoya immédia
tement après ce confeil , M. de Bougainville ,
pour rédiger la capitulation avec le Colonel Monro
, Commandant de la Place & du camp retran,
ché. Les principaux articles furent :
Que les troupes , tant de la garniſon que du
retranchement , fortiroient avec leurs bagages &
les honneurs de la guerre , & qu'elles fe retiroient
au Fort Edouard .
Que pour les garantir contre les Sauvages ,
elles feroient eſcortées par un détachement de
troupes Françoifes , & par les principaux Officiers
& interprêtes attachés aux Sauvages .
Qu'elles ne pourroient fervir de 18 mois , ni
contre le Roi , ni contre fes Alliés ;
Et que , dans l'efpace de trois mois , tous les
prifonniers François , Canadiens & Sauvages , faits
par terre dans l'Amérique feptentrionale , depuis
le commencement de la guerre par les Anglois ,
feroient conduits aux forts François de la frontiere.
Cette capitulation fut fignée à midi , & auffitôt
la garnifon fortit du fort pour joindre les troupes
du retranchement ; & M. de Bourlamaque prit
poffeffion du fort avec les troupes de la tranchée.
M. le Marquis de Montcalm envoya en même
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
temps au camp retranché , une garde que le Colo:
nel Monro lui avoit demandée , & il ordonna aux
Officiers & Interprêtes attachés aux Sauvages , dy
demeurer jufqu'au départ des Anglois , qui fe
trouvoient au nombre de 2264 hommes effectifs.
Malgré toutes ces précautions , & malgré les affu
rances que les Chefs Sauvages avoient données ,
lorfqu'il fut queftion de la capitulation , les Sauvages
firent du défordre dans le camp des Anglois.
M. le Marquis de Montcalm y accourut avec un
détachement de fes troupes. Les Sauvages avoient
déja fait un affez grand nombre de prifonniers ,&
en avoient même amené quelques-uns. Il fit rea
dre ceux qui reftoient , & M. le Marquis de Vaudreuil
a fait renvoyer les autres .
M. le Marquis de Montcalm a fait rafer le fort,
& détruire tout ce qui en dépendoit , conformé
ment aux inftructions qui lui avoient été données
par M. le Marquis de Vaudreuil. Il s'eft trouvé ,
tant dans le fort que dans le camp retranché , 23
pieces de canon , dont plufieurs de 32 livres , quatre
mortiers , un obufier , dix- fept pierriers , en
viron trente- fix milliers de poudre , beaucoup de
boulets , bombes , grenades , balles , avec tou
tes fortes de munitions & uftenfúles d'artillerie . On
y a trouvé auffi une provifion affez confidérable de
vivres , malgré le pillage que les Sauvages en ont
fait.
Les François n'ont eu que treize hommes de
tués & quarante de bleffés dans ce fiege. M. le
Febvre , Lieutenant des Grenadiers du régiment
Royal Rouflillon , eft du nombre des derniers par
un éclat de bombe : fa bleffure eft à la main. liby
point eu d'autres officiers tués ni bleſſés. Les enne .
mis y ont perdu cent huit hommes , & en ont eu
deux cens cinquante de blefiés,
Επ
le
C
tre
Aqde
B
NOVEMBRE. 1757. 197
"
Durant tout le fiége , l'armée a été prefque toute
entiere jour & nuit de fervice , foit à la tranchée ,
foit au camp , foit dans les bois , pour faire les
fafcines , gabions & fauciffons néceflaires . On a
fait avec la pioche , la hache & la fcie fix cens toifes
de tranchée aflez large pour y charroyer de
front deux pieces de canon les abattis , dont
tout le terrein étoit embarraffé, empêchant de les
faire paffer fur les revers. C'eſt à la fageffe des
difpofitions que M. le Marquis de Montcalm a
faites , & à l'activité avec laquelle il en a fuivi
l'exécution , que le fuccès de cette expédition eft
principalement dû. Il a été parfaitement fecondé
dans toutes les opérations par M. le Chevalier de
Levis , par M. Rigaud- de Vaudreuil , & par M,
de Bourlamaque. Les détails particuliers de l'artillerie
& du génie ont été très -bien remplis par M.
le Chevalier le Mercier , qui commandoit l'artillerie
, & par MM . Defaidouin & Lotbiniere ,
Ingénieur . Les Officiers & Soldats des troupes de
terre & de la colonie , ainfi que les milices & les
Officiers qui les commandoient , ont donné les
plus grandes marques de valeur & de bonne volonté
; & jamais les Sauvages n'avoient fait paroître
tant de fermeté & de conftance : ils avoient demandé
à monter à l'affaut avec les grenadiers , &
ils en attendoient le moment avec impatience.
Ce nouveau fuccès , qui a répandu une joie
générale dans la colonie de Canada , a animé
de plus en plus le zele avec lequel les habitans
s'efforcent de répondre aux mefures dont le Roi a
la bonté de s'occuper pour la défenfe de cette colonie
, & de feconder les foins que M. le Marquis
de Vaudreuil ne ceffe point de fe donner pour tout
ce qui peut y avoir rapport.
·
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
vent
trol
de
L
des
Le Roi ayant été informé que les paroiffesel
de Piriac & de Mefquer au Diocefe de Nantes
avoient été prefque entiérement ravagées le
27 juin dernier , par un orage mêlé de grêle
d'une groffeur extraordinaire , a fait toucher
aux Recteurs de ces deux paroiffes , la fomme de
fix mille livres pour être par eux employées en
achat de grains , & diftribuées fous l'inſpection
de M. le Comte de la Bourdonnaye- du Bois- Hullin
, Procureur- Général , Syndic des Etats de Bre- pe
tagne , tant pour enfemencer les terres , que pour
la nourriture des habitans dont les recoltes ont
été défolées par ce fléau . Cette nouvelle caracterife
notre Monarque plus glorieux encore par
fon humanité que par les victoires.
Co
I
M. Paffemant Ingénieur du Roi au Louvre ,
étoit déja connu pour Auteur de la fameufe
pendule couronnée d'une fphere mouvante , pla
cée en 1753 dans le cabinet du Roi à Verfailles
; fphere dont les révolutions font fi juftes , ue
qu'au jugement de l'Académie où l'on voit l'ertrait
page 183 de l'année 1749 de fes mémoires
, il n'y a pas en trois mil ans un feul degré
de différence avee les tables aftronomiques.
11 vient encore de finir pour le Roi deur
piéces uniques qu'on peut regarder comme chefd'oeuvres
, c'eft premiérement un grand miroir
de 45 pouces
de diametre qu'il a eu l'honneur
de préfenter au Roi le 13 août dernier , avec M.
de Bernieres , dans le pavillon conftruit par ordre
de Sa Majesté à la meute , pour le télescope ,
les ouvrages & les obfervations du pere Noël.
La glace de ce miroir a été courbée , par les
foins de M. de Buffon , dans un fourneau qu'i
avoit fait conftruire au Jardin Royal. M , Palle
mant l'a fait travailler au Louvre fous les yeur ,
M
174
Le
les
NOVEMBRE . 1757 . 199
& elle a été étamée d'une façon nouvelle , inventée
par M. de Bernieres , un des quatre Controlleurs
des ponts & chauflées.
Le Roi parut très - content des grands effets
de ce miroir. Si on y préfente des tableaux
même de fix pieds de grandeur , repréfentans
des vues de Paris , de Venife , des ports de
mer , des bâtimens , on croit voir de véritables
objets de grandeur naturelle : ainfi avec un fimple
deflein , on voit un bâtiment dans toute
la grandeur où il fera , & on juge de fon apparence
future. Un Peintre qui travaille à une
petite miniature , quelque petite qu'elle foit ,
peut la voir de grandeur naturelle , & peut par
conféquent fentir & corriger les moindres dé
fauts.
A
La chimie n'en tirera pas de moindres avantages.
On peut juger des grands effets de ce miroir
fur les métaux par la promptitude avec laquelle
il agit , l'argent a été fondu en trois fecondes.
M. Paffemant eut encore l'honneur de préfenter
au Roi un télescope aftéroftatique de fon invention
, dont il avoit lu un projet à l'Académie en
1746 , & qui avoit mérité fon approbation. Ce
télescope eft garni d'un midiometre : il fuit le
mouvement du ciel . Si on le met fur la lune , il
femble qu'elle foit fans mouvement ; fi on veut
voir enfuite une autre planete , il y a un ajuftement
qui le regle dans le moment pour cet aftre.
Il eft conduit par une mécanique toute nouvelle ,
fans aucun tremblement , ni agitation . Comme
les aftres paroiffent fixes , on peut obferver avec
une grande facilité : on peut placer les fils du midiometre
fur fes objets avec toute l'exactitude
poffible. Il eft propre à prendre la parallaxe de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Mars en fecondes de degrés au lieu de fecondes
de temps ainfi au lieu de deux fecondes , on
aura trente fecondes de degrés ; on obfervera facilement
la route des cometes : il fera d'une
grande utilité pour les paffages de Mercure fut
le difque du foleil, en l'année 1761 ; obſervation
qui n'a été faite qu'une feule fois , & par un
feul Obfervateur en l'année 1639.
Le Pere Noël repéta devant Sa Majefté les erpériences
d'une machine pneumatique nouvelle ,
& de plufieurs autres inftrumens qu'il avoit eu
P'honneur de lui préfenter au mois de mars dernier.
Le Roi parut fatisfait de tous ces ouvrages ,
qu'il examina pendant une heure .
Mefdames de France vinrent enfuite , & paffe
rent près de trois heures pendant lefquelles les
mêmes chofes furent répétées en leur préfence *
à leur fatisfaction .
Le corfaire le Romieu , de Saint - Malo , com
mandé par le Capitaine Morel , a conduit en ce
port le navire Anglois la Pensilvanie de 250 ton
neaux , qui alloit de Philadelphie à Londres, avec
une cargaifon de bois de Campêche , de pellete
zies , de café & d'autres marchandiſes.
Un navire Anglois de 300 tonneaux , chargé de
tabac , a été pris par le corfaire Entreprenant ,
qui l'a fait conduire å Morlaix.
Le Capitaine la Lande , commandant un corfaire
de Bordeaux , appellé le Prevêt de Paris , s'eft
rendu maître du corfaire le Hazard de Grenezey,
ayant 6 canons , 8 pierriers & 37 hommes d'équi
page , & il a repris le navire l'Aimable Jolie de
Bordeaux , & un autre bâtiment du même port ,
dont les Anglois s'étoient emparés.
Les navires Anglois le Prince d'Orange , chargé
de bois de Campeche , & le Saint - Eustache , de
NOVEMBRE . 1757. 201
Saint-Eustache , dont la cargaifon confifte en fucre
& en café , ont été pris par les corfaires la
Marquise de Salba & le d'Etigny de Bayonne , ou
ils font arrivés .
Les corfaires la Favorite & la Providence , de
Saint-Jean -de-Luz , fe font rendus maîtres , Pun
du navire Anglois la Sufanne , de Malblebard ,
chargé de 2200 quintaux de morue , l'autre d'un
Senaw , qui a pour cargaifon 334 barriques de
fardines.
Le Capitaine Papin , commandant le corfaire
la Marquise de Beringhen , de Boulogne , s'eft
emparé à la côte d'Angleterre du navire Anglois
l'Endeavour , de 100 tonneaux , deftiné pour la
Barbade , où il portoit un chargement compofé
de cire blanche , de farine , de boeuf falé & de
fromage.
Le même corfaire a pris un bateau de 25 à 39
tonneaux , chargé de caffonnade , de poudre à
canon , de chanvre & de fuif.
Le corfaire Anglois l'Epervier , armé de 10 canons
, 12 pierriers , & so hommes d'équipage , a
été pris par le Capitaine Berlamont , commandant
le corfaire l'Afie , de Dunkerque , & il a été conduit
au Havre.
On mande de Nantes , qu'il y eft arrivé un
fenaw Anglois appellé le Caton , de Vhul , armé
de 6 canons & de 4 pierriers , & chargé pour la
Jamaïque de munitions de guerre & de bouche ,
d'armes & de marchandifes feches . Ce bâtiment
a été pris par le Capitaine Poitevin , commandant
le navire la France.
1 y
202 MERCURE DE FRANCE.
I a
MARIAGE ET MORT.
La été oublié dans l'article des Mariages da
mo's de Septembre dernier de mettre les qualités
de Mademoiſelle Boucher , qui eft fille de feu M.
Boucher , Ecuyer , Tréforier général des Colonies
Françoifes de l'Amérique , & qui a épouſé le 23
Juin , M. le Vicomte de Rochechouart - Pontville.
Meffire François le Tellier , Marquis de Lou
vois , fils du Marquis de Souvré , Lieutenant- Général
des armées du Roi , Maître de la Garderobbe
, & Chevalier des Ordres de Sa Majesté , eft
mort à l'armée du Maréchal de Richelieu, le 29 du
mois dernier , âgé de dix - huit ans..
SUPPLEMENT
A L'ARTICLE CHIRURGIE.
Hôpital de M. le Maréchal- Duc de Biron.
Septieme traitement depuis fon établiſſement.
I. LE nommé Laplante , Compagnie de la Fériere
, avoit les amygdales ulcérées , une dureté confidérable
, & plufieurs excoriations . Il eft fortile
13 Août parfaitement guéri.
2. Le nommé Vandeuil , Compagnie Dutrévoux
, outre les fymptômes ordinaires , avoit
une inflammation confidérable aux amygdales , &
une ulcération à la partie poftérieure de l'afopha
NOVEMBRE. 1757. 203
ge. Il eft entré le 28 Juillet , & eft fortile 6 Septembre
parfaitement guéri.
3. Le nommé Guiot , Compagnie de Guer , outre
les fymptômes ordinaires , avoit un phimofis ,
& un gonflement aux glandes inguinales des deux
côtés. Il est entré le 9 Août , & eft forti le 13
Septembre parfaitement guéri .
4. Le nommé Belfleur , Compagnie de Guer
outre les fymptômes ordinaires , avoit une gonorrhée
, un phimofis , & un engorgement aux
glandes inguinales . Il eft entré le 4 Août , & eft
forti le 13 Septembre parfaitement guéri. De la
maladie vénérienne , ce foldat en entrant dans
P'Hôpital , avoit la poitrine extrêmement affectée
, & comme il a été jugé que cet accident
pouvoit lui être venu pour caufe du virus , après le
traitement , il lui a été ordonné de prendre le
lait , dont il fe trouve très - bien.
5. Le nommé Laîné , Compagnie d'Eaubonne ,
outre les fymptômes ordinaires , avoit un phimofis
, & étoit couvert de puftules à la tête , au vifage
& dans toute l'habitude du corps : il avoit des foibleffes
dans toutes les extrêmités , & un gonflement
à l'articulation du pied gauche. Il est entré
le 4 Août , & eft forti le 20 Septembre parfaitement
guéri.
6. Le nommé Saint- Germain , Compagnie de
Pondeux , avoit les fymptômes ordinaires en
grande quantité. Il eft entré le 11 Août , & eft forti
le 17 Septembre parfaitement guéri .
7. Le nommé Leveillé , Compagnie de Voifenon
, avoit également beaucoup de fymptômes
ordinaires. Il eft entré le 18 Août , & eft forti le
27 Septembre parfaitement guéri.
8. Le nommé fans Chagrin , Compagnie Dela
toar , étoit dans un très-mauvais état : outre les
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
fymtômes ordinaires , il avoit un engorgement
général dans toutes les glandes inguinales , des
douleurs & un accablement inexprimable. Il eft
entré le 20 Août , & eft forti le 20 Septembre parfaitement
guéri.
9. Le nommé Billy , Compagnie de la Ferriere
, outre les fymptômes ordinaires , avoit un
paraphimofis , & une ulcération conſidérable à
l'endroit de l'étranglement. 11 eft entré le 16
Août , & eft forti le 13 Septembre parfaitement
guéri .
10. Le nommé Marne , Compagnie Datréyoux
, avoit les fymptômes ordinaires. Il eft entré
le 17 Août, & eft forti le 4 Septembre parfaitement
guéri.
11. Le nommé Laverdiere , idem.
12. Le nommé Cleret , fcorbutique , qui n'eft
pas encore forti ; mais qui va de mieux en mieux.
Comme Sa Majefté a bien voulu accorder à
Phôpital de M. le Maréchal de Biron des Lettres
patentes pour l'acquifition des terreins qui font
néceffaires , M. le Maréchal Duc de Biron ,
vient d'augmenter les lits du dit hôpital , au moyen
de quoi , le nombre des Soldats qui y pafferont ,
augmentant chaque jour , & excédant l'efpace
que M. de Boiffy peut & veut bien donner dans le
Mercure de chaque mois , on fe contentera déformais
de nommer feulement les Soldars , leurs
compagnies , & quelques maladies des plus graves
, fans plus entrer dans les détails de celles qui
font ordinaires , comme par le paffé. D'ailleurs
dix traitemens confécutifs , tant au faubourg Saint
Jacques qu'à l'Hôpital , & annoncés avec la plus
grande vérité , paroiffent fuffire pour perfuader
& convaincre .
M. Keyfer n'ignorant aucun des propos que fes
P
21
to
fe
£
2
C
Σ
F
NOVEMBRE . 1757.
ennemis tiennent chaque jour , propos qui aug-
2༠ ༔
mente à fur & mefure que fes fuccès fe multi-
Plient, prie inftamment toutes les perfonnes qui au-
Font quelques doutes ou méfiances fur des faits inventés
& repandus avec malice , de vouloir bien ,
avant d'y ajouter foi , s'en faire informer , foiz
à l'hôpital , foit en lui écrivant directement , ou en
anonyme , parce qu'il les fatisfera à tous égards ,
& leur prouvera d'une façon bien authentique
toute la fauffeté de ces imputations .
Ces propos qui ont varié tant de fois , fe réduifent
aujourd'hui à dire que fon remede excite une
falivation pareille à celle des frictions. Un Soldat
qui eft à la Charité , a , dit- on , dit tout haut ,
avoir pris 30 dragées , & ſalivé 25 jours. Delà ,
MM. les Antidragiftes s'applaudiffant d'avoir fait
cette belle trouvaille , vont criailler partout , &
répandre leur triomphe imaginaire .
A cela , M. Keyfer répond. 1 ° . Que fon reme
de n'excitera jamais de falivation à aucun malade
qui voudra donner le temps néceffaire , & que
cet incident n'arrive qu'en voulant preffer le traitement
, & donner des doſes trop fortes, pour
terminer en un mois une cure qui en exigeroit
deux ; ce qui alors feroit tout fimple , puifque fon
remede n'eft autre chofe , qu'un mercure plus
fubtil , & plus épuré qu'aucun autre connu jufqu'ici.
2°. Que cette falivation telle qu'elle foit , n'ap
proche pas à cent degrés près de celles que les frictions
occafionnent , puifque jamais les malades
ne ceffent de manger , & qu'il défie qu'on lui
prouve le contraire .
Qu'enfin à l'égard du Soldat en question , chacun
fçait que l'incident de cette falivation n'eft prévenu
que par la délicateffe & la fingularité de fon
1
206 MERCURE DE FRANCE.
tempérament ; puifqu'en entrant à l'Hôpital , il
a prévenu lui- même , qu'une fois pour une feule
friction qu'on lui avoit donnée , d'un ou deux gros
au plus de mercure , il avoit falivé pendant un
mois entier , & qu'en dernier lieu , ayant eu be
foin de fe frotter d'onguent gris , pareille chofe
lui étoit arrivé. Ce Soldat exifte ; il eſt , dit- on , à
la Charité , qu'on le queftionne ? D'ailleurs la
vérité de ce raifonnement fe prouve par le peu du
remede qu'il a pris , puifque 30 dragées ne font
- pas la dixieme partie de ce qu'il en faut pour un
traitement.
Au furplus qui oferoit fe flatter de contenter
tout le monde ? & furtout , des Soldats , qui quelquefois
font impatiens de fe voir retenus , & qui
voyant les fymptômes de leur maladies difparus ,
fe croyent guéris , & crient de ce que l'on les retient
encore 8 ou 15 jours après . Heureufement
que la plus grande partie eft raifonnable , & íçait
connoître combien eft grande la différence du trastement
avec les dragées , à celui des frictions.
LETTRE de M. Naudinat, Administrateur des
dragées , antivéneriennes , à Marseille , à M.
Keyfer , en date du 25 Septembre 1757.
Les bontés & la protection particuliere dont il
a plu , Monfieur , à M. le Duc de Villars de
m'honorer , celles de MM . les Magiftrats &
Echevins de cette Ville , le zele & l'amour da
bien public , qui a animé MM . les Recteurs de
l'Hôtel - Dieu & de l'Hôpital , les bons offices
& l'impartialité de M. le Médecin de quartier , &
de M. le Chirurgien Gagnant maîtrife ; tout a
concouru ici , Monfieur , à faire mes épreuves
avec tout l'agrément & l'authenticité poffibles
Fo
ΣΟ
E
27
C
C
E
NOVEMBRE. 1757. 207
Point de brigue point de jaloufie aidé par
tout , & éclairé cependant , tous les fecours
m'ont été procurés. Les malades m'ont été donnés
: mes traitemens ont été fuivis , la vérité s'eft
montrée dans tout fon jour . Chacun a voulu voir,a
été fatisfait de mes épreuves , & c'eft avec le plus
grand empreffement qu'il m'a été donné , Monheur
, les certificats authentiques que j'ai l'honneur
de vous envoyer , avec le compte des dix
malades ci joints . Permettez moi de vous ajouter
en même temps , que plus ces temoignages font
flatteurs pour vous , pour votre remede & pour
moi , plus nous en devons rendre les hommages les
plus refpectueux aux illuftres protecteurs qui nous
honorent , & plus nous devons redoubler de
zele ; vous , pour m'aider de vos confeils , & me
fournir les moyens d'être de plus en plus utile à
l'humanité , & moi , pour en profiter , en confacrant
mes jours au fervice des pauvres & de tous
ceux qui auront befoin de mes fecours .
ETAT de dix malades traités à l'Hôtel- Dieu da
Marfeille , avec les dragées de M. Keyfer , fuivant
l'état conftaté par M. Montagnier , Medecin
de quartier , & M. Melicy , Chirurgien
dudit Hopital ygagnant maitrife.
1º. Jean Baptifte Neton , âgé de 10 ans , né
avec la maladie vénérienne , avoit un ulcere au
gofier , large d'environ un écu de trois livres ,
lequel avoit détruit une partie de la cloifon de la
luette & de la glande amygdale droite ; il avoit
plufieurs autres ulceres dans la bouche : cet enfant
a été parfaitement guéri .
2º. Jean Arge , âgé de 22 ans , outre plufieurs
fymptômes bien caractérisés , avoit des douleurs
4
208 MERCURE DE FRANCE.
nocturnes à prefque toutes les parties du corps,
& une entr'autres très- vive au bras droit , avec
un gonflement fur la partie latérale externe de l'avant
bras , qui empêchoit de faire aucune fonction
de fon bras depuis 3 mois. Vers le quinzieme
jour de fon traitement , ce malade fut attaqué de
la petite vérole , & il a été délivré de ces deux ma
ladies fans aucune incommodité.
3. Chriftophe Jourdan âgé de 20 ans , à la
fuite de graves fymptômes qui lui avoient paru il
y a7 à 8 mois , avoit des puftules feches au front,
une dureté confidérable & d'un pouce d'épaiffeur,
des douleurs de tête affreufes , & qui lui occafion.
noient des infomnies perpétuelles. Ce malade a été
parfaitement guéri .
4°. Catherine Canonge , âgée de 18 ans , ou
tre des fymptômes bien caractérités , avoit des
douleurs nocturnes aux extrêmités fupérieures
& inférieures : elle a été parfaitement guérie.
5. Marie Audibert , âgée de 22 ans , outre
des fymptômes bien caractérisés , avoit une ulcération
dans l'aîne , & une dureté confidérable à
une des glandes inguinales de la groffeur de
noix , elle avoit de plus des douleurs très-aigués à
la cuiffe droite. Elle a été parfaitement guérie.
6. Agnès Roche , âgée de 25 ans , avoit gagné
la maladie vénérienne , d'un enfant qu'elle
avoit nourri . Ses mammelles étoient à moitié rongées
par le virus , & elle y avoit deux chancres de
la largeur d'une piece de 24 fols chacun : elle avoit
de plus des douleurs fi aiguës , qu'elle ne pouvoit
dormir la nuit. Elle a été parfaitement guérie.
Les quatre malades qui fuivent , font encore
dans les remedes ; mais fur la fin de leurs traitemens
, & dans le meilleur état du monde.
7°. Honoré Mouton, âgé de 18 ans, eft atteint de
NOVEMBRE. 1757. 209
Tymptômes bien caractérisés à chaque côté des al
nes & autres. La fuppuration s'eft bien établie , &
fa guérifon eft très prochaine.
8. Marguerite Michel , âgée de 32 ans , à la
fuite d'un mal contidérable , fe trouve atteinte de
deux ulceres au gofier , un à chaque glande amygdale
, de la largeur d'une piece de 24 fols chacun.
Ces deux ulceres font prefque cicatrifes & fa guézifon
très - prochaine.
9. Marie Caftellant , âgée de 26 ans, étoit atreinte
d'une quantité de fymptômes bien caractérifés
, & entr'autres de dix à douze puftules fuppurées.
Tout eft féché, & fa guérifon très prochaine.
10°. Marie Rochet , eft auffi atteinte , d'une
quantité de fymptômes , & entr'autres de plufieurs
puftules durcies. Sa guérifon cit de même trèsprochaine.
J'aurai l'honneur de vous envoyer par le premier
Courier , la confirmation de ces quatres guérifons
, & j'ai celui d'être bien fincérement
Monfieur , votre & c. NAUDINAT
Certificat de M.le Médecin de quartier , de l'Hôtel-
Dieu de Marfeille.
En qualité de Médecin de quartier actuellement
de fervice , j'attefte que les fix premiers malades
ei - deffus , font fortis , qu'ils nous ont paru
bien guéris , & que les quatre autres font en voie
de guérifon. A Marseille , le 22 Septembre 1797-
Montagnier , Médecin .
Certificat de M. Mélicy , Chirurgiengagnant mak
trife à l'Hôtel-Dieu de Marfeille.
Je, fouffigné Chirurgien gagnant maîtriſe à l'Hô
el- Dieu de Marſeille attefte avoir vifité les mala
210 MERCURE DE FRANCE.
des denoncés dans cet état , & les avoir trouvé
tous atteints des fymptômes y mentionnés , &
qu'ayant fuivi le traitement du fieur Naudinat , je
déclare qu'il ne s'eft fervi que des dragées antivénériennes
de M. Keyfer , que les fix premiers malades
font fortis guéris , & que les quatre autres
font en voie d'une heureuſe guériſon , attendu
qu'il n'ont commencé à uſer du remede , que
quelque jours après les autres . A Marseille , le 22
Septembre 1757. Melicy.
Certificat de MM. les Directeurs de l'Hôtel - Dien
de Marſeille.
Nous , Directeurs dudit Hôtel- Dieu , certifions
le contenu des deux certificats ci- deffus , & atteftons
à tous qu'il appartiendra , que ceux qui les
ont fignés , font tels qu'ils fe qualifient . En foi de
quoi , nous avons figné le prefent , & à icelui fait
appofer le fceau des armes de cet Hôpital . Fait à
Marseille , le 22 Septembre 1757. Nouvil , Orry ,
Granier , Boiffon , Daller , Arnaud , Gouffet.
Certificat de MM. les Echevins de Marſeillle.
Nous , Echevins , Confeillers du Roi , Lieutenants
Généraux de police de cette ville de Marfeille
, certifions & atteftons à tous qu'il appartiendra
, que le fieur Naudinat , Chirurgien,
éleve de M. Keyfer pour adminiftrer les dragées
antivénériennes , s'eft préfenté à nous , & nous
a requis de lui indiquer des perfonnes pauvres de
l'un & de l'autre fexe , atteintes du mal vénérien ,
pour les traiter gratis , à quoi adhéraus , & informés
de l'efficacité de ce remede , nous lui avons
affigné les dix pauvres malades dénommés dans l'état
ci-deffus , dont fix ont été parfaitement guéris
fous nos yeux , & les quatre autres font en vois
NOVEMBRE: 1757. 211
de guériſon , conformément à ce qui nous eft
porté par les certificats des fieurs Directeurs de
Î'Hôtel- Dieu , du Médecin de quartier , & du
Chirurgien gagnant maîtrife . En foi de quoi nous
avons figné les préfentes , & à icelles ,
fait appofer
le fceau & armes de la Ville , pour fervir & valoir
ce que de raifon. Fait & donné , dans l'Hôtel
de Ville de Marfeille , le 24 Septembre 1757.
Mennicard , Ricaud , Couturier , la Force.
AVIS.
JE, fouffigné , Docteur en Médecine , ancien
Médecin , Penfionnaire de la Venerie du Roi ,
& Médecin de l'infirmerie royale de Verſailles ,
certifie qu'il m'a été remis par Monfieur le Premier
Médecin du Roi , un remede antidyfentérique
, attribué à M. Nivard , & que je m'en fuis
fervi en quelques occafions avec fuccès ; mais
principalement dans deux cas graves : le premier
à l'égard d'un homme âgé de 24 à 25 ans , qui
me vint à l'infirmerie attaqué d'une violente
dyfenterie , avec fievre aigue , & tous les fymptômes
& accidens qui caractérisent cette maladie.
Je l'ai donné en fecond lieu à une Dame Religieufe
Bénédictine de l'Abbaye royale de S. Cyr , que
je trouvai à toute extrêmité lorfque je la vis ; elle
étoit malade depuis 7 à 8 jours , je la trouvai
ayant les extrêmités froides , des vomiffemens &
un hoquet fatiguant elle fe préfentoit dix fois.
par heure au baffin avec des douleurs inexprimables
& des défaillances continuelles , & toujours
prefque inutilement. Il ne fortoit que quelques
mucofités glaireufes & fanglantes : fa maladie
étoit en outre accompagnée de perte . Elle
212 MERCURE DE FRANCE.
yomifloit tout , & d'ailleurs elle n'étoit pas ch
état de prendre un vomitif. Je lui donnai le remede
de M. Nivard, à de très -petites doles répétées
de temps en temps , & j'eus la fatisfaction de voir
peu à peu les accidens ceffer , & l'efpérance renaître
car j'avoue que je la crus perdue. Ce remede
me paroît agir , comme fondant , anodin &
diaphorétique. En foi de quoi j'ai délivré le préfent
certificat , pour fervir on befoin fera , &
pour engager le poffeffeur de ce remede à nous en
procurer , afin d'en tirer parti & le mieux connoître.
A Verfailles , ce 10 Février 1757. Le
Gagneur.
Le fieur Nivard , demeure rue Saint Louis au
Marais , au coin de la rue Saint François. On le
trouve tous les matins jufqu'à midi . S'il y a
quelqu'un en province qui veuille du remede , ila
n'auront qu'à affranchir leur lettre , on leur ea
enverra.
AUTRE .
A L'AUTEUR DU MERCURE
La veuve A veuve Fauvel continue de faire par eile-mê
me les bondages d'yvoire , dont fon mari étoit
F'auteur . Je vous prie , Monfieur , de l'annoncer
dans votre Mercure , pour défabufer le Public qui
croit ce talent anéanti . Plufieurs de mes prati
ques & de celles de mes confreres qui en portent
de fa préparation , s'en trouvent bien . Rien
n'eft plus vrai que le témoignage que je lui reads
ici , & plus fincere que la parfaite confidération
avec laquelle j'ai l'honneur d'être , & c. Enifa ,
Docteur- Régent de la Faculté de Médecine de
Paris.
NOVEMBRE.
1757. 213
AUTRE.
Le feur Sybille , Maître- ès-Arts en la Faculté
de Paris , donne avis au Public qu'il s'eft retiré à
Chaumont en Vexin depuis quelques années ; que
pendant le féjour qu'il y a fait , il a trouvé à
Pespace de plus de dix lieues de circonférence
dans les montagnes voisines , une nombreuſe
collection dans la minéralogie ( objet d'histoire
naturelle ) , & que les recherches continuelles , &
Paffortiment auffi précieux que curieux dont fon
cabinet eft compofé , ont fait l'attention & mérité
les voyages de plufieurs Sçavans Naturaliftes
tant du royaume qu'étrangers ; qu'en conféquence
de cet affortiment double & triple en répéti
tion , il l'annonce en vente ou en entier , ou par
diftribution , étant à portée de le remonter fuc
ceffivement. Les Amateurs qui voudront faire les
frais du voyage & l'honorer d'une viſite , ſeront
fatisfaits & dédommagés par l'emplette des ma¬
tieres qu'il diftribue à bon compte.
Nota. Ceux qui ne voudront point faire le voya
ge fans auparavant être inftruits par un détail exact
de ce qui compofe a collection , s'adrefferont à
Paris à M. Bomare- de Valmont , Apothicaire-
Droguifte , rue de la Verrerie , à la Role blanche.
Cette perfonne verfée dans cette partie d'hiftoire
naturelle , & dont l'étude continuelle ( rela
tive à fa profeffion ) fait fon capital des autres
fciences , donnera une idée jufte par divifion &
fubdivifion de cette collection . Il aura même par
correfpondance chez lui un affortiment à l'ordre
& compte du fieur Sybille.
214
Errata du premier volume d'Octobre.
PAGE 97 , ligne 13 & 14 , les Turnebres , &c.
les Sannarards , lifez , les Turnebes , &c. les .
Sannazars.
Page 102 , lig. 24 , à la bonheure , lifez , à la bonne
heure.
Page 109 , lig. 19 , toutes perfonnes ...feront reçus
, lifez , reçues.
Page 117 , lig. 910 , parce qu'elle a emprunté
nos termes , ceux des Eſpagnols , lifez , de ceux
des Efpagnols.
Page 157 , lig. 9 , Acamie , lifez , Académie .
Page 203 , lig. 9 & 10 , d'un village nommé Sau
dra , lifez , Saudru.
Errata du fecond Volume.
Page 58 , lig. 2 , 61 , lig. 28 , Athlante , lifez ;
Athalante.
Page 146 , lig. 16 , l'Auteur eft M. Ionard , lifez,
M. Inard.
J'ai lu ,
APPROBATION.
'Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier;
le Mercure du mois de Novembre, & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 29 Octobre 1757.
GUIROY
L
"
A
A
215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE à M. de C.…….qui m'a adreſſé une
Epître , page s
Le Projet manqué , Conte bien vraiſemblable , 7
Vers fur la naiffance de Monſeigneur le Comté
d'Artois ,
Madrigal ,
Mêlange de Littérature ,
19
20
21
Vers de M. Relongue- de la Louptiere , à une Demoifelle
qui difoit qu'elle n'aimoit pas les petits
hommes , 24
Réponse de M. d'Harnoncour aux Vers de M. la
Louptiere , inférés dans le Mercure de Mars , 25
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Le Tourtereau & le Papillon , Fable ,
Elégie en profe ,
ibid.
26
27
Le Bouquet champêtre au Roi , par Mlle Thomaffin
,
Vers à Madame Bellet jouant de la Mufette ,
L'Anon & le petit- Maître , Fable ,
33
34
35
36
39
40
Apologie de l'Amour , par une jeune Demoiſelle
de Grandville ,
Vers fur la Mort de M. le Duc de Gefvres ,
Conte allegorico - moral ,
Maximes , caracteres , & réflexions critiques , fatyriques
& morales ,
Portraits ,
44
52
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure du mois de Novembre ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
53
345
116
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES,
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux,
57
Suite du Moyen d'apprendre fûrement & facilement
les Langues ,
86
Séance publique de l'Académie des Belles - Lettres
de Marſeilles ,
102
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Phyfique. Lettre de M. l'Abbé Jacquin , à M. le
Comte de B... fur les pétrifications d'Albert &
la carriere de Veaux ,
Médecine.
Chirurgie. Lettre à M. Bagieu , &c.
107
120
122
Séance publique de l'Académie des Sciences , des
Belles - Lettres & Arts d'Amiens ,
ART. IV. BEAUX-ARTS.
148
Peinture. Lettre de M. Touffaint à M. Carle-
Vanloo , 153
Gravure. 156
Mufique.
164
Horlogerie. 166
ART. V. SPECTACLES.
Opera ,
169
Comédie Françoiſe , 170
Comédie Italienne , 171
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
173
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 177
Mariage & Mort , 202
ibid. Supplément à l'Article Chirurgie ,
Avis divers ,
La Chanson notée doit regarder la page 56.
De l'Imprimerie de Ch . Ant. Jombert.
211
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1757.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Coshin
Stores im
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix à
PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques
CAILLEAU , quai des Auguitins.
CELLOT, grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVERTISSEMENT.
Le Bureau du Mercure eſt chez M. E
an
LUTION , Avocat , & Greffier-Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis
vecouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire, à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port .
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'est- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci- deffus.
A ij
Onfupplie lesperfonnes des provinces d'en
voyerpar la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance an
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ;
Mercredi & Jeudi de chaque femaine, après
midi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Muſique à annoncer ;
d'en marquer le prix.
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Eflampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM . Feffard & Marcenay.
Au commencement de chaque mois , on
délivre au Bureau du Mercure un volume
du Choix des meilleures pieces des anciens
Mercures , précédées d'un extrait du Mercure
François , dans le format du Mercure
de France , & aux mêmes conditions,
COC DE DO
MERCURE
DE FRANCE.
DECEMBRE . 1757.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE.
EGLE , loin de brifer ma chaîne ,
Chaque inftant va ferrer mes nauds ;
Je vais au charme qui m'entraîne
Céder fans être malheureux.
Quoique d'une vaine espérance.
L'Amour n'ofe plus me flatter ;
Le prix qu'il met à ma conftance
EL affez doux pour m'arrêter.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Heureux de voir briller fa flamme
Sans qu'elle faffe mon tourment ,
Ce Dieu n'éteint point dans mon ame
Les defirs & le fentiment.
Mais fur mes défauts il m'éclaire :
Toujours trop prompt à t'alarmer ,
Frémis , dit- il , de lui déplaire :
Que tu connais peu l'art d'aimer &
On n'excufe plus à ton âge
Les tranfports des jeunes Amans
Il fied mal d'avoir leur langage
Quand on n'a plus leurs agrémen
Ridicule dans fon délire ,
Trop pefant , s'il eft férieux ;
Un Philofophe qui foupire ,
Devient aifément ennuyeux.
Un rien l'émeut ou l'embarraffe :
Il veut tout prévoir , tout parer;
Mais il ne fait rien av c grace
L'efprit ne fert qu'à Pégarer.
C'est ainsi que l'Amour lui -même
Vient de n'arracher fon bandeau ;
Mais je vois toujours ce que j'aime
A la lueur de fon flambeau .
D'une ilufion trop charmante
Je ne veux bannir que l'erreur
DECEMBRE . 1757:
Belle Eglé , tout ce qui m'enchante
Ne fortira point de mon coeur.
Cacher mon trouble & ma foibleffe ;
Si vous formez quelque lien
Vous voir , vous écouter fans ceffe ;
Vous aimer fans exiger rien ;
Quand le matin dans la prairie ,
Je vais pour vous cueillir des fleurs ;
Dans une douce vêverie ,
Si mes yeux le couvrent de pleurs ;
Avoir foin d'effacer leurs traces
Pour me trouver à ce réveil ,
Qu'Hébé , les Amours & les Graces
Parent après un doux fommeil;
Dans vos yeux
Que tout ce qu'un efprit
divin ,
Pour nous
éclairer , vous
infpire ,
Et n'y plus chercher
mon deftin ;
n'avoir l'air de lire
Bannir la douleur qui m'accable ,
Plaifanter fans en abufer ;
Ne prétendre à paroître aimable ,
Qu'autant qu'il faut pour amufer ;
Belle Eglé , tel eft le fyſtême
Que je vais fuivre dès ce jour :
Auprès de vous la raifon même
Dicte les leçons de l'Amour.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
E
TROP LONG.
Conte très - court.
Le fieut de Ratonville , dit le Bref, eut tant
d'amour pour le laconifme , qu'il abrégea
jufqu'à fon nom , & fe fit appeller Raton ,
ou Bref tout court . On peut dire qu'il
étoit né au fein de la précifion. Son pere
étoit un riche négociant toujours renfermé
dans les bornes exactes du calcul , &
fa mere qui devoit le jour & l'éducation
à un Géometre , régloit tout au compas.
Le petit Raton dès l'enfance ne parloit
& n'achevoit
que par monofyllabes ,
jamais fes phrafes . Il ne lifoit que des
abrégés , des extraits , des précis : Bref en
étoit un lui-même par fa taille. On le preffa
de prendre un état. Il n'embraffa point le
parti du commerce ni celui de la finance ,
par le dégoût fi commun que les enfans
ont pour la profeffion de leur pere , &
pour celle femble
qui y avoir le plus de
rapport . Il parcourut tous les autres états.
Il fut homme de robe un jour ; les formalités
& l'éloquence prolixe du barreau l'impatienterent.
Il fut Abbé une ſemaine ; le
verbiage de l'école l'excéda . Il fut mili
DECEMBRE . 1757 .
taire deux mois entiers. Cet état lui
parut
charmant. Il y trouva d'abord dans les
procédés & dans les propos cette aimable
précifion qu'on cherche en vain ailleurs ,
& qu'on ne rencontre que là . Il y feroit
demeuré ; mais il falloit trop attendre pour
parvenir aux premiers grades. L'ordre
vint d'ailleurs de partir pour la Weftphalie
: le trajet lui parut trop long. Bref, il
effaya de tout , & ne fut rien. Quand on a
le bonheur de naître riche , on peut vivre
inutile impunément. Raton jugea donc
l'indépendance le parti le plus commode.
Il s'y fixa : mais du caractere dont la nature
L'avoit formé , il n'y put éviter l'ennui
qu'il fuyoit , & qu'il rencontroit partout ..
H ne trouvoit le point de préciſion nulle
part Dans un cercle quelqu'un contoit- il
la nouvelle du jour ? il interrompoit l'Hif
rorien au milieu de fon récit , en fe récriant
trop long ! Dans un fouper fervoiron
l'entremets , il fe levoit brufquement
de table , en répétant toujours trop long.
A la Comédie , il n'arrivoit qu'à la petite
piece , ou qu'au cinquieme acte de las
grande ; le débit lent de la tragédie le défoloit.
A peine l'Acteur avoit- il prononcé
dix vers de fuite , que Raron fortoir du
théâtre en murmurant tout haut , trop long,
vingt fois , trop long. Al'Opera , il n'ene
Av
o MERCURE DE FRANCE.
tendoit jamais que le dernier air , & à
chaque reprife il chantoit conftamment ,
trop long! c'étoit fon refrein . Un mardı il
entra au parterre ; il eut pour la premiere
fois la patience de voir un ballet entier ;
mais comme il étoit petit & précis en tout,
il trouvoit tous les fpectateurs trop grands,.
& toutes les danfes trop longues. Dès
qu'un voifin lui mafquoit la vue d'une
Danfeufe qu'il lorgnoit , il répétoit fans.
ceffe , trop grand ! morbleu , irop grand !
Et chaque fois qu'on recommençoit le
même pas , il cricit impitoyablement trop
long ! encore un coup trop long ! Un grand
Officier de Dragons qui étoit près de lui ,
impatienté de fes exclamations , lui répliqua
en colere , trop grand ! trop long ! finilez
. Quand on a le corps fi petit & l'efprit
fi court , on doit fe taire , ou fe tenir
tapi dans fa boîte . Raton qui étoit auffi
brave que concis , lui dit tout bas : fortons.
Il par it en même temps , & fut fuivi de
l'Officier. Dans la premiere rue détournée
il mit l'épée à la main ; mais par malheur
il avoit le bras trop court pour atteindre
fon adverfaire , dont le fer proportionné
à la longueur de fa taille , le renverfa du
pemier coup. Raton en tombant s'écria :
trop long ! On le remporta chez lui . La
bieffure étoit peu dangereufe ; mais le
DECEMBRE . 1757 . II
Chirurgien eut l'art de la rendre longue ,
& de défefpérer notre petit homme qui
ne ceffoit de lui crier fon refrein . Il guérit
enfin au bout de fix femaines. Dès qu'il
fut parfairement rétabli , il lui prit fantaifie
de fe marier. Le choix étoit plus difficile
pour lui que pour un autre. Quoique
petit , il n'aimoit pas les grandes femmes.
il en vouloit une dont la taille , ainfi que
l'humeur , fût affortie à la fienne , qui parlât
peu , mais jufte , & qui fût préciſe , à
tous égards , comme lui. Pour la trouver
telle plus fûrement , après plufieurs vaines
recherches , il fit choix d'une jeune perfonne
de ſeize ans , qu'on pouvoit appeller
une vraie miniature. Faite à peindre dans
fa briéveté, & jolie, faute d'étoffe pour être
belle , elle y gagnoit , elle en étoit plus
piquante , elle en avoit plus de graces. Ses
yeux pleins d'efprit en cachoient la moitié
par modeftie , & fa bouche encore plus
réfervée ne répondoit qu'oui ou non ,
mais toujours à propos. Cela lui feyoit.
Elle étoit dans l'âge du filence , où l'on
doit écouter pour apprendre. Un fouris
fin d'ailleurs fuppléoit à fa réferve . Raton
crut avoir rencontré , comme on dit familiérement,
chauffure à fon pied ; mais il n'y
trouva pas la préciſion qu'il attendoit , ni
la conformité d'efprit dont il s'étoit flatté.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Cloé dével pa fes fentimens. Il vit avec
douleur qu'ils formoient un parfair contrafte
avec les fiens . Raton ou Bref ( on
lui donnoit les deux noms indifféremment )
examinoit tous les objets avec un microfcope
qui les lui groffiffoit , & Cloé les regardoit
au contraire à travers un verre
qui les lui rapetifoit ; de forte que l'un
voyoit tout trop long ou trop grand , &
que l'autre voyoit tout trop court ou trop
perit. Bref aimoit les petits foupers , les
Courtes fètes , les petits chiens , les petits
ferins , les petits coureurs. Cloé préféroit
les grands repas , les longs bals , les gros
perroquets , les grands lévriers , les grands
laquais. Elle avoit en ce point le goût des
femmes de fa taille. A force de paffer les
nuits , elle devint vaporeufe. Elle eut recours
à un grand jeune Médecin fait exprès
pour guérir les vapeurs des jeunes
mariées. Il s'exprimoit avec une facilité
& une abondance de termes qui faifoient
extafier la femme , & mourir le mari. Cloć
avoit une inclination marquée pour la
grande éloquence , pour les périodes nombreufes
, & Bref une averfion mortelle
pour les phrafes. L'entretien du Médecin
oratear occafionnoit toujours entr'eux un
duo contradictoire. A chaque propos da
Docteur, Raton, fe récrioit : Eh trop long,
DECEMBRE. 1757.
Monfieur , trop long de moitié. Abregez.
Non , trop court , Monfieur , difoit - elle ,
trop court des trois quarts. Plus vous alongerez
, plus j'aurai de plaifir. Le bouillant
petit homme ne put foutenir la contradic- .
tion éternelle de fa femme. Il s'en fépara
brufquement , & l'abandonna à l'éloquence
verbeufe de fon Galien qui l'eût obligé
de l'en étouffer , pour l'en délivrer. Dans.
le befoin de fe confoler ou de s'étourdir ,
il effleura la connoiffance de toutes les
filles de fpectacle. En parcourant leur cercle
féducteur , il fixa un jour fes regards:
fur une perite Danfeufe qui formoit fes
pas avec une précifion admirable , qui
parloit & qui fe conduifoit de même . La
jeune Souris avoit appris à calculer fa
danfe & fes alures dans la finance , don
elle avoit fucceffivement mis les chefs à
contribution . Mais malgré la jufteffe de
fes calculs , elle avoit des goûts & des
fantaifies fans nombre , qui la rendoient
fouvent pauvre au fein de l'opulence.
Raton la prit dans un de ces inftans fâcheux
, qui la laiffoient libre , mais indigente.
Il en devint amoureux fou , & crut
avoir trouvé un vrai bijou pour lui . Elle
crut de fon côté avoir rencontré un petit
tréfor pour elle. Leur union fut d'abord
parfaite. Tout paroiffoit conforme en eux ,
I
I
I
14 MERCURE DE FRANCE.
"
leur taille , leur caractere , leur nom même.
Souris étoit faite pour Raton , & Katon
fait pour Souris. Elle ne reflembloit point
à celles de fon talent dont toutes les faillies
font dans le brillant de leurs pas . Une
loure , un menuet , un tambourin font
leur converfation , & trois entrechats leurs
épigrammes. Souris penfoit , elle avoit de
l'efprit , elle l'aimoit , l'applaudiffoit dans
les autres ; elle avoit pris en affection un
petit Abbé qui faifoit de petits jolis vers.
Elle l'engagea à rimer un opera ; il en fit
un en cinq actes. Elle préfenta l'Auteur &
le Poëme à fon nouvel Amant , qui fit politeffe
à l'Abbé par vanité ; car il avoit la
manie des gens riches de s'ériger en petit
Mécene. Il le protégea donc ; mais en jettant
les yeux fur fon poëme , il le trouva
quatre fois trop long , & condamna l'Auteur
à le mettre en un acte. L'Abbé furpris
de l'arrêt , lui repréfenta que c'étoit un
opera férieux , qui demandoit cinq actes.
Bref lui dit que la précision n'en vouloit
qu'un. L'Auteur infifta , Raton s'obſtina.
Les petits hommes font têtus. Pour les
mettre d'accord , Souris fe rendit médiatrice
, & opina pour trois. Bref y foufcrivit
, mais à condition que chaque acte
n'auroit au plus que deux fcenes pour
amener un ballet , & que tout Fouvrage
Fi
ER
le
Es
de
Ls
DECEMBRE. 1757. If
ne contiendroit que foixante vers . Eh ! le
moyen , interrompit l'Auteur effrayé ? Le
voici , répondit Bref. En difant cela , il
prend une plume , & crac , il fait mainbaffe
inhumainement fur plus de fix cens
vers. Arrêtez , Monfieur , s'écria douloureufement
l'Abbé , les larmes aux yeux ::
arrêtez , vous me déchirez les entrailles..
Brûlez plutôt mon enfant que de le mettre
ainfi cruellement en piece. Tout ou rien.
Rien , repliqua méchamment le petic
homme en jettant le poëme au feu . L'Auteur
fit les hauts cris ; la Danfeufe rioit
comme une folle , & Raton s'applaudiffoit.
Cependant comme il étoit foncierement
bon , il eut pitié de l'Abbé , & pour
le dédommager , il lui fit une penfion de
quinze cens livres , dont chaque quartier
lui fut payé d'avance. Certe fcene fingu
liere que la piece avoit occafionnée , fut
la meilleure pour l'Auteur , qu'elle mit
prefqu'à fon aife , & qu'elle guérit de la
fureur des grands ouvrages . Il fe renferma
fagement dans le cercle étroit de fon talent
, & pour mieux faire fa cour , il ne
fit plus que des chanfons , des petits airs
détachés , des bouquets & des madrigaux..
Le protégé fe rendit par là très - agréable
au protecteur , qui redoubla fes bienfaits..
16 MERCURE DE FRANCE.
La maison de Souris & de Raton ( car ils
vivoient enſemble) devint l'aſyle de tous les
plaifies en raccourci . On y donnoit de fêtes
courtes, mais charmantes, dont elle étoit la
reine , & des petits foupers délicieux , dont
elle faifoit tout le charme . Ils étoient accompagnés
de mille petits jeux variés , que
P'aimable gaieté faifoit naître, que la bonne
plaifanterie alfaifonnoit , & dont l'efprit
étoit le premier à faire toujours les frais.
Un bon mot fuivoit une faillie , qui finiffoit
par un trait ; & ce qui flattoit le plus
le maître du logis , on y contoit l'hiftoire
du moment en trois minutes. Entin le ther
petit Raton étoit idolâtre de fa jolie petite
Souris , & croyoit avoir fait fon vrai
bonheur , le point de précifion qu'il défiroit.
Cette félicité dura trois mois , & finit
auffi rapidement qu'elle avoit com
mencé. Une affaire importante appella
Raton ailleurs. L'Amour impatient la lui
fit gâter , il le confulta plus que fes interêts
, & facrifia cent mille francs au defir
de revoir ce qu'il aimoit huit jours plutôt.
Il en fut bien payé ; en arrivant , il troava
la Souris délogée . Il ne re ftoir chez lui
que les quatre murs , avec ce biller qu'il
Trouva fur l'unique table qu'on y avoit
Jaillée. Je vous quitte pour des raifons trap
longues à dire. Bref, j'emporte tout , pourêtre
ន
F
fo
fi
d
d
2
DECEMBRE. 1757. 17
mieux dans votre fouvenir. Vous voulez de
la précifion ; en voilà.
Ah ! La feciérate , s'écria-r'il ! Mais
dois -je en être furpris ? Toutes ces Sourislà
font faires pour ronger & pour detruire
tous les lieux où elles s'établiffent . Il eut
beau s'arner de philofophie , ce coup fit
fur tous fes fens une révolution fi forte ,
que la ficvié le prit . Les remedes l'augmenterent
, l'impatience l'artifa . Le Médecin
, la garde , & qui pis eft , fa femme
dont la vifite lui caufa le tranfport , fe
donnerent tous le mot pour le réduire à l'agonie.
On vint alors l'exhorter à la mort
par un difcours très - édifiant ; mais dont la
prolixité l'acheva. Le pauvre petit Raton
rendit le dernier foupir en proférant trois
fois , trop long , trop long , trop long. Cloé
fuivit Raton de près . Il expira d'impatience
. Elle mourut de langueur. Les deux
extrêmités font mortelles. La paffion du
trop emporta la femme fans relâche au delà
du vrai point de précifion , & l'Amour
du trop peu , retint le mari toujours en
deçà . Ce point eft le point moyen , & qui
veut le faifir , doit adopter pour maxime ,
ni trop , ni trop peu.
"
1
18 MERCURE DE FRANCE,
EPITRE
AM. de Boullongne , Contrôleur Général
des Finances.
a« Cette Epître a déja paru dans l'Année
Littéraire ; mais des vers de M. Greffet ,
» & qui font l'éloge de M. de Boullongne,
ne peuvent trop être publiés. iis doivent
» être confacrés dans tous nos Journaux ,
& particuliérement
dans le Mercure de
» France , qu'on doit regarder comme
les faftes littéraires de la nation. Nous
»avons cru d'ailleurs qu'il valoit mieux
» l'enrichir d'excellens vers qu'on a lus
autre part, que de le groffir, malgré nous,
» le vers médiocres qu'on ne trouve que
dans norre recueil , & qui n'en font pas
plus neufs pour être nouveaux. » ม
MINIINSITSTRREE aimable , heureux génie¿
Que le bonheur de la patrie
Appelle aux travaux de Colbert ,
Dans cette Cour , qui de concert
Vous félicite & vous implore ,
Pourrez-vous reconnoître encore
Une voix qui vient du défert ?
Depuis l'inftant où la puiſſance
DECEMBRE . 1757.
Du plus chéri des Souverains ,
A remis dans vos fages mains
L'urne heureufe de l'abondance
Pour la fplendeur de nos deftins ,
Des importuns de toute efpece ,
Des ennuyeux de tous les rangs ,
Des gens joyeux avec trifteffe ,
Des machines à complimens ,
Vous auront excédé fans eeffe
De fadeurs , de propos charmans ;
Déployant avec gentilleffe
L'ennui dans tous les agrémens.
Vous avez effoyé fans doute
Le poids des difcours arrangés ;
Les protecteurs , les protégés ,
Tout s'eft courbé fur votre route,
Les grands entourent la faveur ;
La foule vole à l'espérance ,
Tout environne , tout encenfe
Le temple brillant du bonheur
Vous aurez vu toute la France.
Moi , qui féparé des vivans ;
Dans ma profonde folitude
Ignore le jargon des grands
Et celui de la multitude ,
Je ne viens point d'un vain encens
Surcharger votre laffitude
De gloire & d'applaudiffemens s
MERCURE DE FRANCE.
{
Je déplorerois , au contraire ,
Les travaux toujours renaiſſans ,
Et le joug où le miniftere
Vient attacher tous vos momcns ,
Si je n'aimois trop ma patrie
Pour plaindre les brillans liens
Dont elle enchaîne votre vie :
Elle parle , il faut que j'oublie
Tous vos intérêts pour les fiens.
Pardonnez ce brufque langage
Aux moeurs fianches de mon féjour ;
C'est le compliment d'un fauvage
Qui , loin de la langue du jour ,
Loin des foupleffes de l'uſage ,
Et trouvant pour vous fon hommage
Gravé dans un coeur fans détour ,
N'en veut point fçavoir davantage.
Si je mêle fi tard ma voix
A Palégreffe gér érale ,.
L'ignorance provinciale
N'excule pas les triftes droits :
Réduit pour toute nourriture
A m'inſtruire , & m'orner l'efpric
Dans la Gazette & le Mercure ,
Sur ce qui fe fait & le dit ,
Je ne fçais rien qu'ì l'aventure ;
Je parle quand il n'eſt plus temps
E: les nouvelles ont mille ang
DECEMBRE . 1757.
21
Quand l'Imprimeur me les affure.
Ce n'est que dans ces lieux brillans
Qu'enrichit la Seine féconde
Des heureux tributs de fon onde ,
Que l'on fçait tout , que l'on fçait bien;
Ailleurs on n'eft plus de ce monde ;
On fçait trop tard , on ne fçait rien.
O Province ! que ta lumiere
Languit fous des brouillards épais
Et fur les plus fimples objets
Quelle ftupidité pléniere !
Un feul trait , parmi les Journaux
De l'imbécillité profonde
De nous autres Provinciaux ,
Montre combien dans nos propos
Nous fommes au fait de ce monde ,
Et préfentant dans tout leur jour
Notre force & nos connoiffances
Sur l'ufage & fes dépendances ,
Sur les nouvelles & la Cour ,
Ce trait excufera mon zele
De vous être fi tard offert,
Grace à l'éclypfe habituelle
Dont notre mér te cft couvert.
Mon anecdote n'est pas neuve ;
Mais les Provinciaux paffés
Sont trop dgnement remplacés
Pour que le temps nuile à ma preuve ,
1
22 MERCURE DE FRANCE.
Quand Vardes revint à la Cour ,
Rappellé par la bienfaifance ,
Après un long mortel féjour
De Province & de pénitence ,
Louis quatorze avec bonté
S'informant du genre de vie
Qu'il avoit mené , du génie ,
Du ton de la fociété
Au lieu qu'il avoit habité :
Sire , excellente compagoie !
De l'efprit comme on n'en a point !
Gens charmans , inftruits de tout point ,
Et d'une reffource infinie !
Ce font des converfations
Incroyables , fort amulantes ;
Il s'y traite des questions
Très-neuves , très-intéreffantes.
Par exemple , quand je partis ,
On avoit mis fur le tapis
Un problême affez difficile ,
Et fur lequel toute la ville
Parloit fans pouvoir s'accorder.
La question étoit critique :
Il s'agiffoit de décider.
Une matiere politique ,
Et qui de Votre Majefté
Ou de Monfieur étoit l'aîné.
Sur notre Gauloiſe ineptie ,
C'est trop arrêter vos regards
DECEMBRE.
1757. 23
Tandis que la gloire , les arts,
Et le bonheur de la patrie
Vous occupent de toutes parts ;
Tandis que votre main féconde
Soutient, dans leurs brillans travaux ,
Les pavillons & les drapeaux
Du pacificateur du monde.
Puiffent mon hommage & mes vers
Vous être heureuſement offerts
Loin du bruit de la galerie ,
Loin du cahos des fupplians ,
Quand vous viendrez quelques inftans
Refpirer à la Tuilerie ( 1 ) !
C'eft dans ce féjour enchanteur ,
Palais de Flore & de Minerve ,
Que le prem er fruit de ma verve
Reçut le prix le plus flatteur ,
Des fuffrages dont je conferve
Un fouvenir cher à mon coeur ;
C'eſt dans ces beaux lieux que j'efpere
Aller quelque jour vous offrir
Le pur encens d'un ſolitaire
Avec les fruits de fon loifir ;
Et dans les différentes claffes
D'originaux valant de l'or ,
(i ) Maison decampagne de M. de Boullongne ;
près d'Auteuil,
24
MERCURE DE FRANCE,
Dont j'ai peint dans un libre effor
L'efprit , la fottife & les graces ,
Vous trouverez peut - être encor
Que , même fous un ciel barbare ,
J'ai fauvé de l'obſcurité
Un rayon de cette gaîté
Qui devient aujourd'hui fi rare ,
Quoique fi bonne à la fanté.
LE SOUPIR ,
A Madame L *** , qui m'en demandoit
l'explication.
Vous me demandez , Madame , ce que
c'eſt que le foupir. Ce feroit à qui l'éprou
ve , à l'expliquer : fa définition part da
fentiment , & le fentiment eft- il fi facile à
pénétrer ? C'eft une enigme gracieufe qu'il
s'agit de dévoiler , un tableau délicat qu'il
faut peindre , en le traçant. Je voudrois
intéreffer ; des nuances fines & impercep
tibles demandent un pinceau leger : je
le prends dans vos yeux : l'efpoir du fuccès
, ou plutôt l'envie de vous plaire , me
rend hardi . Soyez attentive .
Le foupir annonce le defir ; l'un voit
le jour à l'aide de l'autre , & fans le fecond,
le premier feroit inconnu. Quand ce défir
Le
C
P
tra
rel
ze
Pa8.- 3
de
ة م
DECEMBRE. 1757. 25'
pas
Te fait fentir , la crainte de n'avoir
fon effet , produit un mouvement fur le
coeur : étonné & en fufpens , il s'arrête :
le mouvement fixé , les fibres voisines s'en
apperçoivent , & alors il fe manifefte aut
dehors par un hélas inarticulé & feulement
familier avec le coeur.
Voilà le foupir felon la phyfique. Le
peindrai je dans le fens moral ? Il annonce
le befoin du coeur. Life foupire , l'oeillet
lui plaît , fa maman s'y oppote , fon coeur
contredit l'oppofition. Maigré les avis ,
elle defire. Quel peut être le motif qui la
fait languir Soyez tranquille , Lite foupire
, l'oeillet triomphe , tout eft dit .
L'Amant foupire auprès de fa maîtreffe ,
la Maîtreffe auprès de fon Amant . Eft- ce
un problême ? Tous deux tendent au même
but. La pudeur dit à celle ci de voiler
cette fenfation , le refpect arrête les
tranſports de celui là. Laiffez les prendre
leur effor , la pudeur a été trahie par le
foupir ; le defir s'eft alarmé à la voix du
respect . Au comble des defits , s'ils foupirent
, l'Amour en badinera.
Ces premiers traits ne vous fatisfont
pas encore : il vous faut un tableau plus fidele
, approchez & voyez .
Climene eft au comble de fes voeux , elle
doit ce foir s'immoler au gré de l'Amour.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
L'Autel lui plaît ! fûre du plaifir , elle offre
la victime , l'Amour l'immolera . Climene
fera contente : fa joie , loin de s'altérer
, applaudira en fecret à fon fupplice;
mais elle foupirera ; pourquoi ? C'est que
les chaînes qui l'uniffent à fon amant ,
quoique gracieuſes , font trop légeres pour
ne pas craindre qu'il ne lui échappe . Voilà
le foupir dans la joie.
Au faîte du plaifir , je touche à l'amertume.
Les rofes que j'ay cueillies , s'évanouiffent
; il ne reste plus que les épines.
Quelle douleur ! Si je foupire , c'eft le
Dieu du printems qui me fait fentir les attraits
de la rofe . Elle fuit , nouveau foupir.
Si l'hyver ne m'offre que fes rigueurs ,
le foupir continue. J'ai recours à l'art , c'eft
en vain . Il ne me refte dans mon chagrin
aucune reffource. Quel parti prendre ?
Soupirer : de quelque côté que l'homme fe
tourne , le foupir eft un fuplice , il le
fubira dans la joie comme dans la trifteffe ,
c'eft fon partage. Heureux celui qui dans
mille foupirs , en voit un remplir fon at
tente !
A Limoges , le 15 Août 1757 .
DECEMBRE . 1757. 27
LA PERDRIX ET SES PETITS .
Fable , adreffée par M. l'Abbé Aubert àfa
mere.
UNE Perdrix fe promenoit un jour
Avec fa petite famille :
Mere & Perdrix , la jeune volatille ,
Comme on croit bien , ne manquoit pas d'a◄
mour.
Elle inftruifoit cette troupe chérie
A fendre l'air , à parcourir les champs.
Il étoit temps que les pauvres enfans
Appriffent à chercher leur vie.
Jufqu'à préfent j'ai veillé fur vos jours.
Je vous ai donné la pâture ;
Je vous ai mis à l'abri des vautours ,
Et des humains , efpece encor plus dure.
Mais vous ne m'aurez pas toujours.
A peine a- t'elle achevé ce difcours ,
Que d'un Chaffeur elle entend le tonnerre,
Fuyez , dit-elle à fes Petits tremblans .
Le ciel encor réſerve à votre mere ,
De vous fauver aujourd'hui de ces gens.
Eux , de s'aider de la plume nouvelle ,
Pour éviter le foudre deftructeur.
Elle , d'aller au devant du Chaffeur ,
Geignant , boitant , traînant de l'afle ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
Pour détourner fa barbare fureur.
Notre homme la croyant du plomb mortel at
teinte ,
De la piller à Brifaut donne foin.
Alors la Perdrix part. L'homme admire la feinte ;
Et cependant les Petits font bien loin.
Dans l'artifice heureux que la nature fage ,
Pour fauver les enfans , infpire à cet oiſeau ,
De vos généreux foins j'ai crayonné l'image ,
Tendre mere : daignez ſourire à ce tableau .
On dit qu'Amour n'eft plus , qu'il a quitté la terre
Au coeur des Amans , des époux ,
Il en faut convenir , il ne féjourne guere.
Il habite au fein d'une mere :
Mais toutes ne font pas auffi tendres que vous.
STANCES
A MM. les Gardes du Corps du Roi , fur
la fête qu'ils ont donnée à Orléans le 16
Octobre , à l'occafion de la Naiffance de
Monfeigneur le Comte d'Artois .
QuUEL jour nouveau brille en ces lieux !
Que de plaifir il fait éclorre !
Mais l'éclat qui charme nos yeux ,
Des plus beaux jours n'eft que l'aurore .
Déja les douceurs de la paix
DECEMBRE . 1757. 29
Semblent fuccéder aux alarmes :
Déja de fi brillans apprêts
Nous en font goûter tous les charmes,
Vous , qui voliez aux champs de Mars
Avec le plus ardent courage ,
A courir de plus doux hazards
Le zele aujourd'hui vous engage.
Pour enchaîner vos libertés ,
Les Ris , les Amours & les Graces
Bientôt de cent jeunes Beautés
Vont , à l'envi , fuivre les traces.
Changez en de tendres defirs
L'ardeur que vous faifiez paroître ;
Et qu'on juge par vos plaifirs ,
Qu'un nouveau Bourbon vient de naître
Sufpendez , généreux Héros ,
Votre paffion pour la gloire :
Ces fêtes & ce doux repos
Valent bien mieux qu'une victoire.
Mêlez le myrte à vos lauriers ;
Il est fait pour orner vos têtes :
Vous ferez toujours les premiers
Dans les combats & dans les fêtes.
Par vos danfes , par vos concerts ,
A Lucine ( 1 ) rendez hommage ;
(1) Déeffe qui préſide aux accouchemens:
B iij
30 MERCURE DE FRANCE,
Qu'épris de vos jeux , l'Univers
Les applaudiffe & les partage.
Que votre zele en ce grand jour
Annonce à Louis , à la France ,
Que vous n'avez pas moins d'amour
Que de grandeur & de vaillance .
Envoi aux Dames.
Heureux , fi d'un regard flatteur ,
Vous daignez voir ce foible ouvrage !
Puis- je craindre quelque cenfeur
En obtenant votre fuffrage ?
Par M. Thomaffin, Garde du Corps du Roi.
SUITE des Réflexions fur l'efprit humain,
à l'occafion de Corneille & de Racine.
DANS le Mercure d'Avril 1755 , nous
inferâmes un fragment d'ouvrage de M.
de Marivaux , qui a pour titre , Reflexions
fur l'efprit humain , à l'occafion de Corneille
& de Racine.
Il y établit , qu'il y a deux fortes de
grands hommes en fait d'efprit.
Il y en a à qui , de leur vivant même ,
on donne le nom refpectable de Philofo
phes. Ce font ceux qui ont pénétré dans la
connoiffance de la vérité , dans les proDECEMBRE.
1757. 3 г
fondeurs des fciences , des mathématiques
, & dont les lumieres fublimes ont
avancé le progrès des fciences , & la vénération
qu'on a pour eux leur eft dûe .
Il dit que les autres font ceux à qui on
donne affez communément le titre familier ,
frivole , peut- être moqueur de beaux efprits
, pendant qu'ils vivent , & qu'on
traite enfuite de grands génies , quand ils
ne font plus , & l'Auteur du fragment
dont nous donnons la fuite , examine
pourquoi ces derniers , quoiqu'admirés à
leur tour , ne le font pourtant pas auffi
férieufement que les Philofophes . Par
quelle raifon , dit'il , l'opinion leur fait
elle moins d'honneur ? La capacité dont ils
ont befoin dans leur genre , eft elle d'un
mérite inferieur ? Est - ce qu'il eft moins
difficile de bien connoître le coeur humain,
de percer dans les profondeurs de l'ame
humaine , que dans les profondeurs de
quelque autre fcience que ce foit ?
Oui fans doute , s'imaginent les hommes
eni général. Les ouvrages des grands
hommes qu'on a d'abord appellés beaux efprits
, ne font une enigme pour perfonne.
Le fujet fur lequel ils travaillent , eft plus
ou moins à la portée de tous les hommes
de ceux même qui font les plus bornés . La
connoiffance des hommes fur laquelle ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
availlent eft affurément une fcience ; mais
une fcience fi naturelle, qu'on y avance fans
avoir befoin de maître qui vous l'enſeigne.
Il n'en eft pas de même des autres fciences
, on n'y entend rien , fi on ne les apprend
pas , & on n'y devient habile qu'avec
un aptitude d'efprit très- rate , qu'a
vec un don d'intelligence que la nature accorde
à peu d'hommes.
.
D'accord , dit l'Auteur , mais tout cela
ne prouve rien. Pourquoi faut-il des maitres
pour ces fciences ? c'eft que la fociété
qui n'exige pas que vous les entendiez ,
ne vous les enfeigne pas. Pourquoi ne fautil
point de maître pour la fcience des beaux
efprits , c'eft à dire , pour la connoiffance
des hommes ? C'est que la fociété vous
l'enfeigne inévitablement , & que vous ne
fçauriez échapper aux inftructions qu'elle
vous en donne : mais vous n'excellez dans
cette fcience , non plus que dans les autres
qu'avec un génie très- privilégié , & dont
la fublimité ne le cede à aucune fublimité
de génie poffible.
Nous avons cru devoir rappeller tout ce
que nous venons de dire , pour mettre un
peu au fait ceux qui n'ont point lu le commencement
du fragment dont voici la fuite,
Il est donc indifpenfable à tout homme
dans le monde de connoître un peu les
DECEMBRE . 1757. 33
hommes il y va toujours de fa fortune ,
toujours de fon repos , fouvent de fon
honneur , quelquefois de fa vie ; quelquefois
du repos , de l'honneur , de la fortune
& de la vie des autres.
Il lui importe de tout ce que je dis là
qu'il foit inftruit .
Mais comment fe pourroit- il qu'il ne le
fût pas , avec le befoin toujours urgent
qu'il a de l'être , avec cette extrême
& prefque inévitable commodité qu'il a
d'apprendre une fcience qui lui eft enfeignée
par autant de maîtres qu'il y a
d'hommes qui l'environnent..
Auffi en arrive-t'il qu'il ne fent ni la
continuité , nila fatigue de l'étude fecrette
qu'il en fait , auffi l'apprend-il comme à
fon infça , fans qu'il y penfe , fans que
fon expreffe réflexion s'en mêle.
Ce feroit une distraction à lui , que de
fonger qu'il étudie.
Ce n'est donc ni au caractere , ni à la
foibleffe de la fcience , ni à fon peu de
profond ur qu'il faut attribuer l'apparente
facilité qu'il trouve à l'apprendre ; mais à la
force de l'état où je le mers , mais à la maniere
unique dont il l'étudie , mais aux leçons
continuelles , inévitables & toujours
aéceffaires qu'on lui en donne , enfin à la
nature de la fociété qui , comme je l'ai dé-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
par
ja dit , en tient une école ouverte , & qui
là le difpenfe des efforts pénibles & fatiguans
dont il eft impoffible de l'exempter
dans l'étude des autres fciences , parce que
la fociété qui nous laiffe parfaitement libres
d'ignorer ou de fçavoir ces fciences ,
ne fe mêle plus de nous alors , & ne fait
plus les frais de notre instruction , dès qu'il
s'agit d'elles & de toute fcience qui n'eſt
pas dans le cas de la nôtre , & je ne fçache
que la nôtre qui y foit.
J'en excepte pourtant la langue nationale
de chaque pays qui s'infinue dans l'efprit
auffi aifément , auffi infailliblement
que notre fcience , & d'une maniere peutêtre
encore plus finguliere.
Car, qu'on me permette de le dire en paffant
, ni l'intérêt qu'un enfant a de fçavoir
fa langue , & que je ne crois pas qu'il fente
d'abord, ni la commodité qu'il a de l'apprendre
au milieu de tant d'hommes qui
la parlent , qui font fes maîtres fans y fonger
, & dont il eft le difciple fans qu'il y
penſe ; rien de tout cela , qui cependant
lui fert beaucoup , n'eft le véhicule le plus
immédiat des inftructions qu'il commence
à recevoir.
Que cet enfant retienne tous les mots
qu'il entend dire , on le comprend ; mais
que de chaque mot qui ne va jamais ſeul ,
DECEMBRE . 1757. 35.
& que nous mettons toujours avec d'autres
, il parvienne à en faifir le fens que
nous ne lui difons jamais , il entre dans
cette opération -là plus de façon qu'on ne ſe
l'imagine : c'eft prefque deviner , & non
pas apprendre , c'eft un fecret entre la nature
& lui , qui n'eft guere explicable.
Un cerveau tendre , une ame neuve ,
vuide d'idées , plus étonnée qu'elle ne le fera
jamais des fons que nous articulons , &
qui la frappent , par conféquent plus atentive
qu'on ne peut le dire à l'air & à la
maniere dont nous prononçons les mots ,
cherchant à fçavoir à quoi ils aboutiffent ,
& ce qu'ils fignifient , & le cherchant
avec une curiofité , dont l'exactitude , la
fineſſe & l'activité ne fe retrouvent plus
& ne font jamais attachées qu'aux premiers
étonnemens que l'ame éprouve ; voilà vraifemblablement
ce qui met encore un enfant
en état de s'éclairer fur les mots de fa
langue , voilà ce qui lui en revele la fignification
, dont la connoiffance , à mefure
qu'il l'acquiert , l'introduit tout de fuite
dans l'étude imperceptible de notre fcience
, ou de la connoiffance des hommes,
Mais revenons où nous en étions , fans
pourtant renoncer à la liberté de m'interrompre
quelquefois .
Je difois donc , en exceptant la langue
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
nationale , que parmi le refte des con
noiffances humaines , à remonter des plus
petites , jufqu'aux plus gran tes , on n'en
trouvera pas une qui foit dans le cas de
la fcience de nos grands génies , pas
une dont l'ignorance nous retranche
du commerce des hommes , pas une ,
je le répete encore , qui foit inévitable
& abfolument néceffaire ; deux conditions
fans lefquelles on n'apprend rien , pas même
à lire , fans une étude expreffe , & par la ma
gie defquelles il n'y a rien dont on ne puiffe
être inftruit fans qu'on s'en apperçoive.
Voilà tout le myftere du pen d'effort qu'on
croit faire en apprenant plus ou moins
notre fcience , qui n'eft la nôtre , qui n'eft
celle de tout le monde , qui ne s'infinue fi
aifément dans l'efprit , que par un por bénéfice
de la fociété , quoique l'étude
en foit plus continue , beaucoup plus
intérieure , mais fi involontaire , qu'elle
n'avertit pas. de ce qu'elle coûte ;
tandis qu'il n'eft fi difficile d'acquérir
plus ou moins les fciences des philofophes,
que parce qu'elles font l'objet d'une étude
particuliere , que la fociété ne ſecourt
point.
Voilà auffi tout le mystere de l'extrême
réfiftance qu'elles nous font ; il n'y faut
pas entendre plus de fineffe ..
1
DECEMBRE . 1757. 37
Et cependant c'eft de cette réfiftance dont
on n'obferve pas la fource ; c'eft de cette
fatigue accidentelle qu'elles exigent , que
dans le monde on infere qu'elles font bien
fupérieures à notre fcience , & qu'on va
même jufqu'à les regarder comme plus
étrangeres à l'efprit humain : autre diftinc
tion chimérique qui ne les honore point)
& dont elle n'ont pas befoin pour être vraiment
fublimes .
Ce n'eft pas plus étrangeres , c'eft plus
inufitées qu'il faut dire , & notre imagination
fe méprend de terme.
Car enfin , nous ne les avons pas crées,
il n'y en a pas une qui , à la prendre dans
fon origine , & à remonter à fes premieres
notions ne foit auffi naturelle
à l'efprit humain que notre fcience ..
>
Nous mefurons , nous calculons , nous
comparons , nous obfervons tous d'après
les objets matériels qui nous environnent
& dont nous ne pourrions pas nous démê
ler fans cela , qui fouvent expoferoient
notre exiſtence , fans ces différentes fortes
de jugemens que nous portons d'eux , que
nous avons à tout moment befoin d'en
porter , & qui font effentiellement partie
des conditions de notre état , & de cette
efpece d'affociation que nous avons avec
ces mêmes objets.
18 MERCURE DE FRANCE.
Or toutes les fciences émanent delà : en
voilà les principes jettés dans tous les efprits
Elles ne font devenues des fciences que par
le déployement de ces principes; de forte que
tout homme eft néceffairement un Philofophe
commencé , qui n'en demeureroit pas
là dans un befoin urgent , & qui , moyen,
nant fes commencemens , & par le fecours
de l'étude , auroit eu droit à toute efpece
de connoiffance, proportionnément à ſa capacité
plus ou moins bornée ; car il y a des
efprits plus forts , il y en a de plus foibles,
de plus ou moins faits pour chacune des
fciences humaines , fans en excepter la
nôtre. De toutes les routes que l'efprit humain
peut fuivre , aucune ne m'eft interdite.
Un autrey va mille fois plus loin que
moi ; mais j'y entre de droit , & la fuis
comme lui .
>
La force d'y aller loin , & en peu de
temps , appartient à peu ; mais le pouvoir
d'y entrer , & d'y avancer lentement
difficilement & à certain point,
appartient à tous & ne fçauroit , ce me
femble, n'y pas appartenir , à moins que la
nature ne manque ordinairement la formation
des créatures de notre espece ; mais
pourquoi la manqueroit - elle , pourquoi ne
feroit -elle fi fouvent en défaut que fur
nous ?
DECEMBRE. 1757. 39.
Entre-t'il plus de fortes de chofes dans
notre formation , & lui feroit- il plus difficile
de l'arranger que celle d'un oifeau ,
d'un lion , d'un poiffon , d'un arbre ,
d'une fourmi même ?
Il n'y a pas d'apparence ; car, auffi bien
que dans la formation de la créature humaine
, il entre de tout , dans tout ce qui
végete & ce qui refpire , & cependant
la formation des autres êtres n'eft preſque
jamais manquée , & fe trouve toujours
fuffifamment ce qu'elle doit- être.
Entrons dans un examen de cette formation
, dont je crois avoir befoin pour bien
établir ce que je vais dire.
>
Je commence par dire qu'il y a une formation
permanente & fixement arrêtée
pour chaque efpece d'être , & je vais developper
ce que je dis - là . Suppofons que
la nature qu'à la vérité nous ne connoiffons
pas bien , mais dont le nom nous
fert du moins de point d'appui dans nos
conceptions , & dont nous pouvons d'ailleurs
obferver le procédé invariable &
conftant ; fuppofons , dis-je , qu'elle n'ait
jamais agi que fur des préparations primordiales
& antérieures , que fur des difpofitions
générales qui attendoient fon action
; c'eſt - à - dire , fuppofons que les différens
principes qui la compofent , fe
4 MERCURE DE FRANCE.
foient, en fe développant, rangés & diftribués
, unis & feparés d'une maniere fi invariable
, qu'en conféquence , la premiere
production d'un nombre infini d'êtres une
fois faite , cette nature , fur quoi qu'elle
ait agi depuis , & qu'elle agiffe encore aujourd'hui
, ait été & foit jufqu'ici affujettie
à une repétition des mêmes êtres , &
trouve partout des modeles , ou des deftinations
établies qui la contiennent dans
un plan qu'elle ne peut franchir , qui ſe
prête pourtant à fes écarts , à ce qu'elle
produit quelquefois d'irrégulier ou d'excédant
; mais qui s'y prête comme à des accidents
fans conféquence. Quoi qu'il en
foit de toutes ces fuppofitions , nous la
voyons dans tous les temps ramener fidélement
les mêmes fortes de productions ,
Foujours retrouver dans les différens êtres
qu'elle produit , tous les points ou tous les
principes affignés , dont elle a befoin pour
reproduire de femblables êtres , & pour
perpétuer les efpeces , qui de leur côtéfond
comme invinciblement inclinés à les reftituer
, je ne dis pas toujours fi bien conditionnés
, fi complets , ou fi fort à l'abri de
tout accident dans leur développement ,
qu'ils arrivent toujours à bien , mais du
moins à les reftituer dans leur caractere fr
diftinct , qu'aucun de ces points , ou de
ou.de
P
9
d
C
P
C
f
P
&
·
DECEMBRE . 1757.
ces principes bien entiers, ne peut être em
ployé , ni mis en mouvement , qu'il n'en
arrive , fi aucun accident ne s'en mêle ,
qu'il n'en arrive invariablement une créature
ou un être d'une certaine efpece , &
non pas d'une autre , & un être qui , en
vertu de la forte d'organifation qu'il acquiert
, & de fa formation complette &
commune aux êtres de fon efpece , ne peut
manquer d'être doué , non d'une partie
feulement , mais de la généralité des attributs
attachés à la formation complette &
commune de cette même efpece . Je dis
doué de la généralité des attributs ; car
comme il feroit abfurde de penfer qu'une
caufe à qui rien ne manqueroit pour
produire plus ou moins fortement ou foiblement
, un certain nombre d'effets , ne
produifit pourtant que les deux tiers , out
que la moitié , ou que le quart du nombre
de ces effets forts ou foibles , de même il
feroit abfurde de penfer qu'une formation ,
telle que je la fuppofe pour chaque efpeco·
d'être , n'entraînât qu'une partie , ou des
propriétés , ou des attributs inféparables
d'une pareille formation ; forte d'accident
qui ne peut jamais réfulter que d'une formation
qui n'eft pas diftincte , commune
& complette.
Il n'y auroit qu'une lacune ou qu'une
42 MERCURE DE FRANCE.
tournure totalement étrangere dans quelque
partie de cette formation particuliere , je
qui pût interrompre , faire ceffer la géné- an
ralité de propriétés ou d'attributs particu- re
liere à chaque efpece , & y mettre un vui- p
de ; ce qui feroit des monftres , & les & les m
monftres font rares dans toutes les efpeces. qu
Je n'entends pas au refte que cette formation
particuliere à chaque efpece d'être
foit toujours exactement la même , & n'ait
qu'une feule maniere d'être complette &
commune ; elle devient au contraire ce
que je dis là en autant de diverſes manieres
, & avec autant de fortes d'uniformités
variées , qu'il y a d'êtres de la même efpece g
qui la reçoivent.
CO
3)
fe
Pr
to
te
Ainfi les oifeaux volent , font leur nid,
ont d'autres attributs que nous ne fçavons a
pas ; le tout en vertu de leur formation
uniforme, complette & commune entr'eux,
infailliblement fuivie dans chacun d'eux
de cette généralité d'attributs particuliere
à leur efpece .
Mais chacun d'eux jouit de fa généralité
plus ou moins bien , ou plus ou moins mal,
chacun deux vole d'une aîle plus ou moins
forte ou foible , fait fon nid dans une perfection
plus ou moins délicate , ou groffiere
, fuivant la tournure particuliere dans
laquelle la formation eft devenue com-
Re
12
to
DECEMBRE. 1757. 43
lette , uniforme & commune , & ce que
e dis ici de l'oifeau , je le dis de tous les
animaux , de tout ce qui végete & ce qui
refpire ; je le dis enfin de la créature qu'on
appelle homme , & pour qui tout va de
même à certain point , toute diftinguée
qu'elle eft des autres créatures .
Il y a pour nous une formation auffi invariablement
arrêtée , auffi diverſement
commune & complette que celle de chacun
des autres êtres ; mais qui toute diverfe
qu'elle eft , ne fortant jamais d'un certain
cercle de variété convenable & propre
à notre être , & qui par là toujours
générale , toujours uniforme , quoique
toujours différente , fe rapproche ou s'écarte
plus ou moins dans chacun de nous , de
la meilleure maniere de formation commune
& complette , de la meilleure espece
de conformité générale de figure & d'organes
intérieurs qu'on puiffe recevoir , &
produit conféquemment autant de fortes
de généralités d'attributs communs
qu'elle prend de formes différemment communes
; généralités qui , comme diverfes
amenent toutes les différences plus ou
moins confidérables , fouvent énormes qui
nous diftinguent , & comme généralités
communes , nous confervent toutes les
reffemblances qui nous rejoignent.
?
44 MERCURE DE FRANCE.
Tout homme relfemble donc à un a
tre , en ne reffemblant pourtant qu'à lui.
Il n'y a donc point d'homme qui , en Ice de
qualité de créature humaine , ne doive être
& ne foit en effet partagé à fa maniere de
tous les attributs qu'on voit dans les autres
hommes ; attributs au refte bien plus éten
dus que ceux des autres êtres , & d'un
ordre bien fupérieur , comme résultant de
l'union de deux fubftances très diftinctes ,
mais deftinées à former un enfemble.
par
Ope
Men
quet
Point d'homme donc , quelque pefant , pi
quelque foible & mal adroit que vous le
fuppofiez , qui ne foit pourtant plus os
moins propre & pliable à tous les exercices
ponibles de corps , qui n'ait fon univerſa
ou fa totalité d'attributs à cet égard
J'entends par - là qui n'ait fa part de force ,
d'agilité , d'adre ffe , & c.
Quant aux affections de l'ame humaine,
à toutes les façons de fentir , à tous les
mouvemens d'intérêt dont elle eft capable
ici bas , & qu'on peut tous enfermer fous
le nom d'amour - propre ; point d'homme
qui n'aime ſa vie , fon bien , fon plaifir ,
fa gloire , fes avantages , qui ne tende à
fon bonheur quelconque , & qui , en vertü
de ces principaux penchans que nous venons
de nommer , ne foit plus ou moins
fufceptible d'une infinité de fenfibilités
Sou
pr
P
e
DECEMBRE. 1757. 45
i en dérivent , & qui n'ait en lui de
uoi fe plaire à l'eftime & à la bienveillane
des hommes ; de quoi fe plaire à faire
me action dè bonté , d'humanité , de géérofité
, de juftice , de fidélité , de reconoiffance
; de quoi préférer d'être vrai à
re faux , s'il y voit le même avantage
affager ou durable ; car on ne ment point
ar amour du menfonge , mais par quelue
intérêt d'inftant férieux où frivole.
Mentir , c'eft fouvent vouloir étonner ou
laire ; c'eſt craindre le mépris ou le blâne
; c'eft aimer fa gloire , fon bien , quel
quefois même fa vie ; c'eft céder à quelqu'une
de ces diverfes fenfibilités que
ous avons dites , & dont l'une , en de cerains
momens , l'emporte à propos ou mal
propos fur les autres.
Point d'homme enfin dont la fornation
commune & complette de quelqu'étrange
façon qu'elle foit , n'entraîie
fortement ou foiblement en lui une
offibilité , une difpofition univerſelle
l'être remué par tous les penchans
qu'on voit dans les autres hommes , &
que j'appelle attributs , parce qu'en euxnêmes
, & tout vicieux qu'ils déviennent ,
ils n'ont rien que de bon & d'utile , rien
que de néceffaire , & que chacun d'eux
peut être très-bien placé dans ce tourbillon
46 MERCURE DE FRANCE.
002
de dépendances & de circonftances où
notre condition d'homme nous jette idbas
, & que tantôt ils font nos moyens lé- el
gitimes de confervation perfonnelle , &
fantôt les liens du commerce inévitable
que nous contractons les uns avec les
autres.
pa
de
1:
Point d'homme enfin , & voici de
quoi
il s'agit ici ; car je n'ai parlé des attributs da
du corps , & de ceux de l'ame confidérée
comme fenfible , que pour mieux montrer
la reffemblance qui fe trouve en notis à
tous égards.
Point d'homme qui n'ait fa part univerfelle
d'intelligence & de capacité , autrement
dit fon aptitude générale pour
tout ce qui peut occuper & exercer l'efprit
humain.
F
Il doit fuffire de voir une ſcience ou un c
art parmi les hommes , pour en conclure
chacun d'eux eft néceffairement né
avec la poffibilité plus ou moins courte ou
étendue d'y faire un certain progrès.
que
Voilà donc les trois fortes d'attributs t
que nous avons tous , & qu'il eft impoffible
que nous n'ayons pas avec une forma
tion commune , uniforme & complette ; & | 9
voilà ce qu'on peut appeller la fource ou
l'origine , ou , fi vous voulez , la matiere
commune de nos avantages ou de nos
DECEMBRE. 1757. 47
qualités de tout genre. Mais cette fource
Ou cette matiere , dira- t'on , dira- t'on , que devientelle
donc dans la plupart des hommes qui
paroiffent fi différens de ce qu'ils devroient
Etre en tout fens ? D'où leur viennent tant
de miferes qui deshonorent furtout leur
ame & leur efprit ? & quelle en eft la fource ?
Il n'y en a pas deux , c'eft la même , celle
dont on vient de parler , & que j'ai appellée
la matiere de nos avantages ; car d'iniquité
, de baffeffe & de petiteffe d'ame , de
ftupidité ou d'infériorité d'efprit pofitives ,
primitives , diftinctes & proprement dites
il n'y en a point : rien de pareil n'a été créé
pour nous.
Toutes les ames fe valent , il n'y en a
ni de différentes efpeces , ni d'originellement
plus fottes , plus médiocres , ou plus
corrompues les unes que
les autres par
leur nature , ou par leur création , * &
nous n'avons befoin que de nos attributs ,
que de cette matiere , ou de cette origine ,
ou de cette fource commune de nos qualités
même pour tout expliquer.
Et à commencer par ce que j'ai appellé
les attributs du corps , la formation , telle
qu'on l'a reçue , ne leur permet-elle d'agir
ni de fe répartir autant qu'il faut , ni comme
il faut ? Nous voilà foibles , pefans &
maladroits, cettemême formation ne laiffe
•
1
48 MERCURE DE FRANCE
f'elle fuffisamment percer aucune des fenfibilités
, aucun des penchans dont notre ame
eft généralement fufceptible ? ne leur donne-
t'elle ni affez de liberté, ni affez d'ellor ?
Nous voilà de nutte valeur en fait d'ame ,
& d'une telle foibleffe ou médiocrité de
caractere , foit en bien , foir en mal , que
nous ne méritons pas d'être définis .
Ou bien parmi les affections , ou les penchans
que j'ai appellés attributs , y en a-t'il
quelques- uns , & feulement un ou deux ,
comme l'amour de notre intérêt , ou de
notre plaifir , ou de notre gloire quelconque
, à qui notre forte de formation accorde
une activité exceffive & bien fupérieure
à celle qu'elle laiffe à d'autres affec
tions qui pourroient leur fervir de frein ,
& nous folliciter avec fuccès , fi elles
avoient plus de fortie en nous ? Comme
alors cela rompt l'harmonie , l'économie ,
je dirois volontiers la police intérieure
qui doit le trouver entre les penchans de
notre ame , & qui , lorfqu'elle y eft , fair
qu'ils fe corrigent , qu'ils fe temperent ,
qu'ils fe balancent , qu'ils fe fecourent , &
qu'ils font tour à tour & dans l'occaſion , le
remede du défordre que tour à tour ils
peuvent exciter en nous. Voilà notre ame
livrée à l'irruption de ces penchans , trop
dominans , trop fortans , qui difpofent
d'elle ,
F
fo
te
02
tor
tou
&
fo
Է
DECEMBRE. 1757 . 49
d'elle , & qui deviennent ou des vices , ou
des foibletles , ou des paffions , ou des vertus
vicieuſes à force d'être outrées.
Il en eft de même des attributs ou des
aptitudes de l'ame confidérée comme intelligente
, autrement dit de l'efprit.
Cette formation ne leur fait - elle pas affez
de jour ; l'impulfion de chacune de ces
aptitudes trouve t'elle trop d'obſtacle , eſtelle
trop ralentie nous voilà courts d'efprit
, & d'une intelligence très bornée.
Enfin tous ces degrés de force ou de
foibleffe , d'agilité ou de pefanteur de
corps ; tout ce qu'on peut imaginer de fortes
de mérite ou d'indignité , de hauteur
ou de petiteffe , d'orgueil ou de baffeffe ,
d'audace ou de timidité de l'ame humaine;
tous ces degrés de capacité ou d'incapacité
, d'engourdiffement , de pareffe ou de
vivacité , de jufteffe & de netteté d'efprit ;
tout ce que nous remarquons de vices
& de vertus quelconques , & tous ces mêlanges
infinis , incroyables , inexplicables ,
fouvent contradictoires de bonnes & de
mauvaiſes qualités qu'on voit en nous ;
tout vient de cette matiere ou de cette
origine que nous avons dite ; tout fe con
pole de ces différens attributs qui , quoque
très-bons & très nécellaires en euxmêmes
, comme nous l'avons déja remar
C
so MERCURE DE FRANCE.
qué , nous font pourtant plus ou moins
d'honneur ou de tort , fuivant le jeu qu'ils
ont en nous , fuivant la maniere dont ils
percent à travers notre førte de formation,
& qui non feulement fert de paffage à
l'action de chacun d'eux fur nous , mais
qui communique encore à cette action
toutes les perfections & tous les défauts
des iffues qu'elle fui offre : iffues quelquefois
heureuſes , aifées & favorables , mais
très- ſouvent embarraſſées , étroites , difficiles
, tortueufes , bizarres , & trop inéga
les entr'elles , furtout dans l'intérieur ; je
veux dire dans ces organes inviſibles , & à
nous inconnus , dont la conformité plus
ou moins hétéroclite ou réguliere , recele
ordinairement la caufe de ce qu'il ya de
fort ou de foible , de bon ou de mauvais
dans l'ame & dans l'efprit de tous les
hommes . Je dis de tous , fans en excepter
un feul ; car qui de nous eſt exempt
mêlange , & peut fe vanter d'avoir une
formation fi heureufe , qu'elle n'oppole.
encore quelque obftacle au meilleur jeu,
poffible de nos trois fortes d'attributs , &
parconféquent qu'elle n'altere , ou ne di
minue plus ou moins les trois fortes de
bénéfice que nous en pourrions tirer !
de ce
Mais auffi n'y a-t'il point d'homme å
qui fa formation , quelque bizarrement
DECEMBRE. 1757. fr
>
ommune & complette qu'elle foit , ne
iffe le droit de dire : J'ai pourtant une
etite , une infenfible portion de tout ce
u'on appelle bonne qualité. Les autres
Commes tirent plus de bénéfice que moi
de chacune de leurs trois fortes d'attributs,
urs avantages font beaucoup plus étenlus
que les miens ; mais ils n'en ont pas
un qui me foit étranger , pas un dont l'efece
me manque , & paiffe totalement me
manquer avec la formation que j'ai . Ainfi
os vices , nos défau's nos mauvaiſes
qualités de tout genre , ne marquent en
ous la privation d'aucun des attributs
umains , & ne fignifient que l'emploi
éfavantageux que notre forte de formaion
peut faire de ces attributs qui font inailliblement
en nous , qui réfultent de
otre enfemble , & dont même jamais le
énéfice ne difparoît tout entier dans
ui que ce foit de nous. Où eft en effet
homme foible , pefant & mal adroit de
orps , en qui vous ne démêlerez pas la
art de force , d'agilité & d'adreſſe que j'ai
it qu'il avoit , & dont , en l'examinant ,
ous le verrez faire en mille manieres
yurdes & fecrettes , un ufage journalier
ont il ne s'apperçoit pas lui même , &
ont très-fouvent la propre confervation
épend 2
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
o
Quant aux attributs les plus eftimables
de l'ame fenfible , & qu'on foupçonneroit te
le moins dans de certaines gens , où eft
l'homme vil , mépriſable & pervers , en qu
qui dans le cours de fa vie , & indépen- par
demment de tout artifice , vous ne fur- ce
prendrez pas des apparitions momentanées
de toutes les fortes de vertus , de fen- tion
timens , ou de mouvemens louables qu'on dre
peut avoir ? Et qui plus eft ; c'eſt qu'il n'eft trou
fouffert dans la fociété des autres hommes, qu '
dans la fociété de ceux qui lui reffemblent , Ce
& qui ne valent pas mieux que lui ; il ne dan
s'y foutient que par cette teinte , que par apri
cette portion imperceptible qu'il y met de
toutes ces fortes de mouvemens dont je
parle , qui à la vérité ne parviennent à fe oud
montrer , qui ne font en lui de ces appari- le
tions que j'appelle momentanées , qu'à la leane
faveur du filence & de l'inaction où reftent dans
quelquefois les mouvemens habituels aux tr
quels il eft fujet , qui ne font devenus emb
mauvais & fupérieurs à ceux qui les régle out
roient , que par l'excès démesuré avec le ent
quel ils percent en lui .
tous
brill
arbi
A Quoi qu'il en foit, ce pervers lui-même
ne fupporteroit pas la fociété de fes fem
blables , fans ce léger & prefqu'infenfible trois
contingent de vertus que chacun
d'eureUT
porte , & qui tout léger qu'il eft , empêcrem
DECEMBRE . 1757: 53
qu'ils ne fe défuniffent , & fait la balance
réciproque de la perverfité de leurs moeurs .
Je dis enfin qu'il n'y a point d'homme ,
quelque défaillant d'intelligence qu'il nous
paroiffe , en qui pourtant on ne découvre
cette aptitude générale d'efprit dont nous
avons parlé. Imaginez l'emploi , la fonction
où l'exercice d'efprit que vous voudrez
, & montrez- nous un homme qui ſe
trouve auffi incapable de s'en occuper ,
qu'un aveugle l'eft de voir les couleurs.
C'eſt cependant ce qui devroit arriver
dans la plupart des hommes , fans cette
aptitude générale d'efprit que nous avons
tous , & dont ils tirent , non pas de quoi
briller , mais de quoi fe foutenir dans l'art
ou dans la fcience , dans le métier ou dans
l'emploi où l'on les a mis , comme ils en
euffent tiré de quoi fe rendre fupportables
dans toute autre fonction , ou dans tout
tutre exercice d'efprit qu'on leur cût fait
embraffer , & c'eft ce dont on ne sçauroit
louter à voir comment les chofes fe pafent
dans ce monde , & vu la deftination
arbitraire & fouvent fortuite qu'on fait
l'eux .
Allons plus loin , l'homme à qui ces
rois fortes d'attributs font le moins d'honeur
ou le plus de tort , & en qui on les
emarque le moins , ne peut- il vous les
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
rendre plus reconnoiffables , ne peut - il
vous montrer qu'il les a que par cette pe
tite & prefque inappercevable portion de
bénéfice que j'ai dit qu'il en tire ? Eft-il
condamné fans retour à n'être que ce que
la bizarrerie ou la malignité de fa forma
tion veut qu'il foit ? L'expérience nous
prouve fouvent le contraire. Il faut bien
que la formation la plus ingrate & la plus
défectueufe ne foit pas irrémédiable , &
puiffe devenir meilleure ou moins mali
gne , fi nous le voulons . Il faut bien , mal
gré fa peu favorable ou fa trop dangereufe
tournure , qu'il y ait en elle une flexibilité
qui la foumette elle- même à la force de
l'éducation , aux efforts de notre volonté,
& qui la rende encore fufceptible de notre
part d'une derniere façon , & commé d'un
dernier pli qui la corrige , ou qui diminue
confidérablement fes défauts ; & ce qui
prouve qu'elle obéit à fon tour , & qu'on
peut
infenfiblement , je ne dis pas la cor
rompre ou l'altérer , ce qui n'eſt que trop
vrai , mais la difpofer à donner un jea
plus favorable à chacune des trois fortes t:
d'attributs que nous avons tous ,
tout fils de fauteur , bien ou mal fait , for
ble ou fluet , & en apparence le plus def
titué de force , d'agilité & d'adreffe , &
qui en effet , fi on ne l'avoit pas exerce
c'eft qu
D
C
DECEMBRE. 1757 35
ces attributs là comme captifs , n'euffent
jamais rapporté qu'un bénéfice prefque
inappercevable : c'eft , dis je , que ce fils de
fauteur , élevé dans le métier de fon pere ,
peut devenir & devient en effet un fauteur
lui-même , à la vérité médiocre , parce qu'il
a de grands obftacles de formation à diminuer
ou à vaincre ; mais il paffera dans le
nombre , & peut- être n'auroit- il befoin
que d'une jeuneffe extrêmement prolongée
pour pouvoir un jour fe mettre au pair des
meilleurs fauteurs : c'eft qu'un méchant
homme , un homme fans moeurs , un débauché
à toute outrance ; c'eft qu'un homme
fans honneur , en un mot un malhonnêre
homme fe réforme : on en a des exemples
, & on en aura toujours , je ne parle
pas de converfion , c'eft une autre affaire ;
mais d'un changement moral auquel il
arrive , ou par des attentions réitécées &
victorieufes fur fon propre intérêr mieux
connu , ou fur la douceur de mener une
vie dont le repos & l'innocence lui paroif
fent préférables aux fatisfactions inquietes
, brutales , périlleufes ou criminelles
qu'il avoit coutume de fe permettre , ou
fur le plaifir auffi utile que flatteur d'acquérir
l'eftime & la bienveillance des
hommes.
Enfin
pour nous arrêter à notre objet
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
principal , n'y a-t'il pas des hommes qu'on
croyoit être très - bornés & fans efprit ,
qu'on regardoit comme incapables d'une
fcie: ce , d'un art , ou d'un emploi quelconque
, & qu'on a pourtant vu le révolter
contre leur incapacité prétendue abfolue ,
qu'on a vu paff blement s'avancer , quelquefois
même devenir affez habiles ?"& à
force de temps , de defir , d'obftination &
de patience , vaincre en partie les difficultés
d'une formation rébelle , qui refuſoit de
laiffer fuffifamment percer l'action des attriburs
d'efprit qu'ils avoient befoin d'avoir
plus actifs pour réuffir , & qui étoient comme
enfouis en eux.
1
f
t
h
e
ta
&
C
Pourfuivons . Nous avons donc en nous
une vocation , une poffibilité plus ou moins
déterminée pour tout ce qu'on veut que
nous foyons , ou pour tout ce que nous
avons befoin d'être. Nous naiffons donc
commencés pour tout , & il ne tient donc
qu'à nous de partir delà pour nous avancer
plus ou moins en tout. Ainfi de ce que
d'habiles livrés à certaines études , à
gens
certains exercices d'efprit où ils excellent ,
font encore , quand il leur plaît , un peu de
progrès dans d'autres exercices d'efprit ,
dans les mathématiques , dans la géométrie
, ce n'eft pas qu'ils ayent le don parti- fo
culier d'être univerfels ; car , univerfel , se
9
รูป
รูป
DECEMBRE. 1757 .
57
qui eft- ce qui ne l'eft pas plus ou moins ,
en vertu de la formation , & de l'union de
l'ame & du corps ? Cette preuve de force
qu'on croit qu'ils donnent , & qui paroît
unique , n'eft à cet égard qu'une preuve
de leur univerfalité d'attributs , de leur
généralité d'aptitudes , & de leur reffemblance
générale avec tous les êtres de leur
efpece. Excellent - ils dans cette nouvelle
fcience à laquelle ils fe livrent il eft certain
qu'alors ce font des hommes très - rares,
à qui les attributs ou les aptitudes d'efprit
que nous avons tous font beaucoup d'honneur
, & qui en jouiffent plus heureufement
& par plus de côtés que les autres
hommes. Au furplus , quand un homme
extrêmement fupérieur dans d'autres
talens , & fort de cette fupériorité de génie
qu'il y montre , vous dit hardiment
& fans façon , comme je l'ai vu arriver
quelquefois , ( car que ne voit- on pas ) !
qu'il n'a nulle aptitude pour les mathématiques
, pour la géométrie , ou pour quelque
fcience de ce genre ; quand il parle
gaiement , du plus ou moins de difpofition
qu'il y faut , comme il parleroit d'un fens
qui lui auroit été refufé , & dont il ne fe
foucie guere ; car vraisemblablement il ne
s'explique ainsi qu'avec la vanité d'efpérer
que , vu tout l'efprit qu'il a d'ailleurs , il
Cv
5S MERCURE DE FRANCE:
n'en paroîtra que plus fingulier , fans qu'il
y perde ; je lui réponds à mon tour qu'il
ne juge pas bien de lui , qu'il n'a pas l'honneur
d'être un monftre , qu'il prend fa pareffe
pour de l'impoffibilité , que cette
lacune dont il fe vante n'eft pas en lui ,
qu'il a comme nous fon aptitude particuliere
pour chacune de ces fciences ; que
tous les jours il l'exerce , ainfi que je l'ai
déja dit ailleurs , qu'il ne tient qu'i
lui de fe furprendre , ufant de tous les
commencemens qu'il en a , mefurant
, calculant , comparant , obfervant ,
voyant les rapports prochains d'une infinité
de chofes , fuivant l'exigence de mille
cas inévitables , dont il ne le tireroit pas
fans cette aptitude qu'il nie d'avoir , fans
ce commencement qu'il faut qu'il air de
toutes les fciences : commencement où il
en demeure , & qui ne fait nul progrès
chez lui , non plus que chez la plupart de
tous les hommes qui , loin de l'employer
pour aller plus loin par l'étude , ne font
pas feulement réflexion qu'ils l'ont , & s'en
fervent fans foupçonner qu'il eft en eux.
Pour achever de prouver qu'il eft dans
tout le monde comme la poffibilité plus
ou moins forte ou foible , de connoître les
hommes à certain point , imaginons un
peuple très - nombreux chez qui par hazard
C
t
f
P
C
Π
V
C
f
DECEMBRE . 1757 . 59
les mathématiques , & furtout la géométrie,
fiffent le bien unique de la fociété : prenons
qu'on ne peut y être utile que parlà
; qu'on ne peut ni obéir , ni commander,
aux autres , ni avoir d'état ou de condition
qu'avec plus ou moins de connoiffance de
ces fortes de fciences ou de cette géométrie
; fuppofons en un mot qu'il n'y fûr
queftion que de ces fciences , & que fans
elles on y fût condamné à n'avoir de com
merce & de liaifon avec qui que ce foit
de ce peuple , à n'y être entendu de perfonne
: doute - t'on que chez ce peuple
nombreux la fociété n'enſeiguât inévitablement
& néceffairement à devenir dès le
berceau plus ou moins fort ou foible Mathématicien
, à devenir Aftronome , Géometre
, Phyficien , de même que notre
fociété , montée comme elle l'eft , nous
apprend à tous à devenir dès le berceau
plus ou moins forts ou foibles connoiffeurs
d'hommes ? Ce feroit la même
chofe.
Suppofons à préfent qu'à côté de cette
nation toute fçavante , il y eût dans une
ville ou dans un petit canton à part , un
certain nombre de gens dont la fociété
reffemblât précisément à la nôtte , & roulât
fur les objets & fur les paffions qui nous
remuent.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
La nation toute géometre , toute aftronome
, toute phyficienne , en parlant de
fes propres fçavans les plus diftingués ,
jugeroit- elle bien d'eux , fi fous prétexte
que leurs ouvrages rouleroient fur des
fciences fi faciles , qu'elles ne feroient chez
elle une énigme pour perfonne , & y⋅ leroient
plus ou moins celles de tout le
monde , elle n'accordoit à ces fçavans
qu'une forte de capacité d'efprit , bien
inférieure à celle des grands génies qu'elle
verroit dans le petit canton , & qu'elle
croiroit doués d'un don d'eſprit beaucoup
plus rare , parce qu'ils excelleroient dans
ane fcience, à fon avis, bien plus étrangere
à l'efprit humain , dans une ſcience fi fublime
, fi mystérieuse , diroit- elle , & fi
difficile , qu'on ne pourroit y rien entendre
, fans aller l'étudier péniblement fous
eux & dans leurs livres. Je demande fi co
raifonnement feroit bon : nous n'en faifons
pas un meilleur , & nous nous trompons
de même dans notre façon d'eftimer
nos plus beaux efprits. Ce qui contribue
encore à rendre notre eftime pour eux
moins férieufe qu'elle ne devroit l'être ,
c'eft le nombre infini d'Auteurs médiocre
que nous avons dans notre ſcience :
mais il n'en faut pas conclure qu'il foic
plus aifé ni moins admirable d'y exceller.
DECEMBRE. 1757. < !
Souvenons - nous donc que notre Public
en tient une école inévitable & toujours
ouverte , & qu'à la faveur de cette école ,
où tout le monde s'inftruit un peu , beaucoup
de gens , comme je le fais , peut - être
s'imaginent en fçavoir affez pour pouvoir
s'aventurer à écrire , & que plus il y aura
de ces gens là , plus il y aura auffi d'Auteurs
plats & médiocres. La nation toute
fçavante en auroit autant que nous ; &
pourquoi en feroit il de même chez elle ?
En voici la raison , qui eft fort fimple.
C'est que la variété poffible des formations
qui ne nous donnent que des aptitudes
plus ou moins médiocres pour tout exercice
d'efprit , eft immenfe. Auffi en toute
fcience , en tout art quelconque , en tout
ce qui demande de l'intelligence , ne voit
on prefque que des médiocrités de différens
degrés parmi les hommes. C'eft à
quoi en général les opérations de la nature
aboutiffent pour nous à cet égard , & autant
qu'on en peut juger : médiocrité diverfe
de bonnes & de mauvaifes qualités
eft , foit dit en paffant , notre lot le plus
ordinaire , comme celui de tous les êtres.
61 MERCURE DE FRANCE.
VERS à Olympe.
J fuis aujourd'hui condamné
A garder près d'Olympe un filence obtiné.
J'obéis à regret à l'objet qui me touche :
Mon refpect pour Olympe égale mon ardeur :
Heureux fi ce refpect qui commande à ma bou
che ,
Hélas ! pouvoit auffi commander à mon coeur.
MADRIGAL ,
Du même Auteur.
La flambeau de la nuit brille fur l'horizon ;
Et du jour qui n'eft plus nous rappelle l'image :
Iris , qui redoutoit l'ardeur de la faiſon ,
A pris ce temps pour fon voyage.
Morphée a dans ces champs répandu fes pavots :
Tout cede à la douceur du pouvoir qu'il exerce ;
Un char flexible qui nous berce ,
Nous invite encore au repos.
Mais à côté d'Iris , jugez fi je fommeille;
Comment fermer les yeux auprès de tant d'appas?
Eh ! trop heureux quand mon coeur veille ,
Si ma raiſon ne dormoit pas,
DECEMBRE. 1757
Autre du même.
L'AMOUR 'AMOUR naïf ignore l'éloquence ;
Il parle peu , fait peu de complimens ,
Et l'embarras d'un timide filence
Prouve l'ardeur de fes vrais fentimens.
Je ne dis pas que j'afpire à vous plaire :
Eft- ce pour moi qu'eft fait un fort fi doux ?
Toutefois , jeune Iris , j'ai long- temps fçu me
taire ,
Jugez d'un coeur fi réſervé pour vous.
VERS
1757
A M. le Contrôleurgénéral , 25 Août 17 57%
La Public eft content , le Monarque a parlé
E
Réuniffant tous les fuffrages ,
Vous voilà , Seigneur , inftallé
Pilote d'un vailleau fameux par fes naufrages &
Mais dans vos mains je réponds de fon fort.
Oui , conjurant tous les orages ,
Vous fçaurez le conduire au port.
J'ai pour garant de ma parole
Cette invariable bouffole ,
Ce Guide que jadis vous avez recueilli
Et de Colbert & de Sully.
M. TANEFOT.
64 MERCURE DE FRANCE!
VERS
A Madame de M.... qui m'habilloit en
femme.
Di moi , comme de Caprice ( 1 ).
Vous vous amuſez , Clarice ;
Mais vous perdez , & vos foins , & votre art.
Ne défigurez point encor plus la nature :
Reprenez, s'il vous plaît , jupe , robe , coëffure,
Ou donnez-moi ce modefte regard
Qui fait tant de plaifir , quoique plein de ſageſſe ;
Ce fourire ingénu , qui toutefois nous bleffe ,
Ce port qu'on ne voit qu'en tremblant ,
Cette démarche de Déeſſe ,
Ces bras , ce tout enfin de lui- même brillant ,
Qui triomphe fi bien d'une ame ;
Car ce n'eft qu'en vous reffemblant
Qu'il eft , ma foi , doux d'être femme.
( 1 ) Son chien.
Par l'Anonyme de Chartrait , près Melum
DECEMBRE. 1757. by
Le mot de l'Enigme du Mercure de
Novembre eft la Mort. Celui du Logogryphe
eft Eſcarpolente , dans lequel on
trouve étole ,ferpolet , fol , Calot , place , or ,
solere , lot , carte , tête , épée , ferpette , lettre
ou fecret , lacet , pater , pere , Lorette , Pa ,
capot , fceptre , rofee , pet , rot , éclat , car ,
Sa , ré , fol , la , pastel , pefte , aftre.
ENIGM E
A Madame de B ***.
Ox vante mes attraits , & j'en vaux bien la
peine ;
J'ai de l'éclat , de la fraîcheur ;
Mais je ne fuis point affez vaine
Pour m'égaler à vous : ce feroit en blancheur
Aux Cignes comparer les Merles.
Je n'ai point ces beaux yeux , ni ce divin ſouris ,
Qui préfente aux regards furpris ,
A travers le corail , un double rang de perles
Vous êtes grande , faite au tour :
Je fuis petite & rondelette.
Les graces , vos Dames d'atour ,
Préfident à votre toilette
66 MERCURE DE FRANCE.
Et quelque main mauffade affez communément
Prend foin d'arranger ma coëffure.
Vous devez tout votre agrément
A la fimple & pure nature :
Je n'oſe en dire autant de moi !
Si j'en ai , c'eſt ſouvent à l'art que je le doi:
Non , je n'ai point , belle Thémire ,
Ces graces , ces talens qu'en vous chacun admire
J'exprime des fons affez doux ;
Mais je croaffe au prix de vous.
Eft- il quelqu'un qui ne vous aime
Ingénue & naïve . avec beaucoup d'efprit :
Oui , vous êtes la douceur même,
Et très peu de chofe m'aigrit .
Ne parlant qu'à propos , vous êtes très- ſenſée ;
Et je fuis au contraire un vrai brife-raifon.
Pour la décence , hélas ! quelle comparaiſon !
Par moi fouvent elle eft bleffée :
En roug ffat j'en fais l'aveu ;
Si je réfute , c'eft bien peu :
De ma nature très - fragile ,
De mes adorateurs je fais autant d'heureux.
Les vôtres n'éprouvant que des tourmens affreux ,
Prennent pour vous fléchir une peine inutile.
Quelle folie ! y pensez- vous
D'être fi belle & fi farouche ?
Vous fentez , foit dit entrenous,
Votre Province à pleine bouche.
Au férail fi vous entriez ,
DECEMBRE. 1757. 67
Vrai morceau de Sultan , fans doute vous feriez
En dépit des jaloux , Sultane favorite :
Je n'oferois prétendre à femblable faveur ;
Car de ce lieu je fuis profcrite.
2
Comme vous , cependant rappellant mon buveur ;
Comme vous, chaque jour je fais mainte conquête
Oui , je fais , comme vous , tourner plus d'une tête,
Pour le coup vous me devinez :
Point encore : eh bien , apprenez
Qu'on célebre aujourd'hui ma fête.
AParis , le 11 Novembre.
LOGOGRYPHE..
Aux foins d'un Jardinieg , mon exiſtence ef
dûe ;
Par-là , je fuis fi clair , que je faute à la vue :
Mais il ne fuffit pas de connoître mon nom ,
Il faut avoir recours à la combinaiſon.
Neufpieds compofent ma ftructure .
Je t'offre en premier lieu , cher Lecteur , une
armure
Propre à lancer un trait , un ſubtil élément.
Des rives du Bofphore , un grand peuple habitanta
Un double mot latin : le premier fignifie
L'endroit devant lequel un Chrétien s'humilies
Le fecond , cet afyle heureux ,
Où Dieu fauva des eaux un mortel vertueux.
68 MERCURE DE FRANCE.
Une Ville en Gascogne , une autre en Auſtralieș-
Un terme fynonime au mot cérémonie.
Pourfuis , tu trouveras une interjection ,
Qui marque la furpriſe & l'admiration.
La pompeufe voiture où tout brillant de gloire ;
A Rome le vainqueur promenoit fa victoire.
Une voix lamentable , un rongeur animal ,
Avec le nom latin d'un péché capital.
Un autre animal domestique ;
Un pronom perfonnel , un ton dans la mufique
Tu vas me deviner , c'eft trop me découvrir :
Adieu donc , chez Lecteur , il'eft temps de finir.
THIERRIAT , Profeffeur des Humaniés,
à Saint Florentin .
CHANSON.
AGREABLE féjour , où mon ame charmée
Reçoit les voeux de mon Berger ,
Redoublez les tranſports de fon ame eoßammée ;
Et faites que jamais il ne puiffe changer.
It vous , charmans ruffeaux , dont l'onde claire &
pure ,
Embellit les prés d'alentour ,
S'il vient fe plaindre ici des perpes qu'il endure ,
Exprimez-lui l'excès de mon ainour.
Faute à corriger dans le Conte.
Page 10, lig. 29, on le remporta chez lui , lijez , on l'em ?
porta chez lui.
TRUS TRUDS
SITNI CONT
Air tendre,
de M Noblet.
f
tw
Agréable séjour, ou mon ame char-
乘
mée Reçoit les voeux de mon Ber =
+
= ger, ger, Redoublés les transports de son
ameenflamée Redoubles les transportsdeson
ame enflamée;Etfaitesquejamaisilne
+
puisse changer, Et faites que ja
F
mais,quejamais il ne puisse changer.
Fin.
ger. Et vous charmans Ruisseaux, dont
l'onde claire etpure Embellit lesprés dalen
=tour: S'il vient se plaindre i ci des
peines qu'il en-dure, Exprimés lui l'ex
+
- ces de mon amour: S'il vient seplaindre
-cidespeinesqu'il en - dure, Exprimés lules
=cès de mon amour. Agréable séjour,
Gravépar MelleLabassée.
ImpriméparTournelle.
DECEMBRE, 1757. 69
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. de Boiffy , fur la mort
du R. P. Dom Augustin Calmet , Abbé
de Senones.
MONSIEUR , le foin que vous prenez
de tranfmettre à la poftérité les ouvrages
& la mémoire des grands hommes de notre
fiecle , m'engage à vous apprendre la nouvelle
de la mort du R. P. Dom Auguftin
Calmer , Abbé de Senones , arrivée le
TH
d'Octobre , vers les fix heures du foir ,
après une longue & fâcheufe maladie . Ce
pieux & fçavant Abbé , étoit né à Ménil la
Horgne , proche Commerci au Diocefe
de Toul , le 26 Février 1672. Il fit
profeffion de la vie religieufe dans la Congrégation
de S. Vanne & de S. Hidulphe ,
Ordre de S. Benoît , le 23 Octobre 1689.
Après avoir rempli les premieres places dans
fa Congrégation , il en fut élu Préfident
ou Supérieur général , en 1727 , & il occupa
cette place encore en 1729 , 1732 ,
1734 & 1736. Il étoit Abbé de S. Léopold
70 MERCURE DE FRANCE .
de Nancy , lo fque l'Abbaye de Senones
fituée dans les Võges , dans la Principauté
de Salen , étant venue à vaquer par la
mort du R. P. D. Mathieu Petitdidier ,
Evêque de Macra , il en fut élu Abbé en
1728. Il a employé prefque tous les revenus
de fa menfe abbatiale , ou à foulager
les pauvres , ou à embellir ſon abbaye ,
qu'il a prefque renouvellée , par les bâtimens
qu'il y a ajoutés , les riches ornemens
qu'il a donnés à la facriftie , la nombreuſe
ibliotheque qu'il y a formée , qui la rend
ne des plus confidérables de la province ,
e fe réfervant rien pour lui- même . Attahé
aux dévoirs de fon état , il les a touours
remplis avec la plus fcrupuleufe exacitude.
Rien négaloit fon zele pour l'affifnce
à l'office divin , auquel il n'a ja
ais manqué jour & nuit , que lorfque
es affaires très preffantes , ou quelque
aladie confidérable l'en ont empêché . Son
imilité éclatoit dans tout fon extérieur,
n'a jamais affecté aucune diftinction pari
fes confieres , dont il n'étoit diftingué
e par une grande fimplicité. Il ne foufoit
même dans fa vieilleffe & dans fes
aladies , qu'avec peine d'être fervi par un
meftique de la maifon . Je ne parle pas de
5 ouvrages , l'honneur que j'ai de lui
ppartenir en qualité de neven , & de lui
DECEMBRE. 1757. 7!
fuccéder dans fon Abbaye , ne me permet
pas de faire fon éloge . Je devois à la mémoire
, qui me fera toujours précieuſe ,
de profiter de l'avantage que vous donnez
au Public , Monfieur , par votre Mercure,
de tranfmettre par ce canal à la postérité
une partie des vertus de cet illuftre défunt,
& les perfonnes équitables pardonneront
à ma reconnoiffance , & à l'amour que je
dois à un oncle auffi cher & auffi refpectable
d'employer une voie auffi légitime de
contribuer à fa gloire. J'ai l'honneur d'être
avec beaucoup d'eftime & de reſpect ,
votre très- humble &c, D. Auguftin
Fangé , Abbé de Senones.
9
Senones en Lorraine , le 27 Octobre 1757.
Nous nous fommes hâtés de rendre cette
lettre publique. Elle honore également
l'oncle & le neveu. Elle eft écrite avec
autant de modeftie que de fentiment . Cette
modeftie qu'on peut appeller ici une vertu
de familie , a retenu D. Fangé au milieu
de l'éloge . Il n'a ofé rendre publiquement
aux grands talens de D. Calmet la justice
qu'il a rendue à fes rares vertus . Nous allons
tâcher d'y fuppléerfoiblement endeux mots,
Nous croyons être fondés à dire quela bonté
des ouvrages de ce grand homme en égale
le nombre , & qu'il doit- être mis à jufte
1
72 MERCURE DE FRANCE:
titre , non feulement à la tête de nos Sca
vans les plus laborieux , mais encore au
rang de nos meilleurs écrivains . Si les commentaires
fur l'écriture fainte font recommendables
par l'étendue & par la profondeur
des recherches , les differtations dont
il les a enrichis , ne le font pas moins moins par
l'élégance du ftyle, & par cette noble fimpli
cité qu'on devroit toujours prendre pour
modele . Pour finir par un trait de louange
qui le caracterife , perfonne n'a plus ni
mieux écrit que lui , & fa mémoire doitêtre
auffi précieufe à tous les gens de lettres
dont il a fait la gloire , qu'à tous les gens
de bien dont il a été l'exemple.
DISCOURS de M. du Saulx , Commiffaire
de la Gendarmerie , prononcé en préfence
de S. M. le Roi de Pologne, dans une féance
pablique & extraordinaire , pour fa ré
ception à l'Académie royale des Sciences
& Belles Lettres de Nancy , le 30 Juin
1757.
Ce difcours fait honneur à M. du Saulx.
Sa modeſtie y brille de couleurs fimples ;
il est étonné de fe trouver parmi des hommes
couronnés , au même rang qu'eux :
ne fe connoiffant d'autre titre que fon
amour pour les lettres , il rapporte toute
fa gloite & tout fon bonheur au bienfait
particulier
3
t
B
DECEMBRE. 1757. 73
particulier d'un grand Roi , qui ne fe plaît
qu'à faire des heureux. L'éloge d'une fondation
augufte fuit naturellement : plus il
loue , plus il fent qu'il ne peut
ne peut reconnoître
que par le fentiment l'honneur qu'on
lui a fait. Cependant M. du Saulx a d'autres
moyens , & fa modeftie voudroit en
vain les diffimuler. Il a traduit Juvénal :
il ne veut regarder fa traduction jufqu'à
préfent que comme un effai ; mais il l'a
préfentée à l'Académie , & l'Académie y
a applaudi généralement. Il a donc commencé
à payer avant que de devoir : il a
de plus , de quoi s'acquitter entiérement ,
en revoyant & perfectionnant l'ouvrage
qu'il ne croit qu'ébauché . C'eft fon deffein.
39
" Je fens renaître mon ardeur , dit- il ,
» pour ranimer des traits trop languiffans
» à mon gré. C'eft dans vos écrits , Mef-
» fieurs , dans vos fçavantes conférences
que je vais me hâter de puifer cette
élégance , ce goût , cette juftefle fi né-
» ceffaires dans l'ouvrage que j'ai entre-
» pris ». Nous ne doutons point qu'il n'y
réuffiffe. fon difcours prouve qu'il eſt né
avec des talens , & qu'il fçait auffi bien
penfer que fentir.
M. d'Heguerry , Directeur de l'Académie
, a répondu à ce difcours avec beaucoup
de nobleffe. Il a faifi un trait parti-
D
Fin.
Etvous
charmans
Ruisseaux
, d
l'onde claire etpureEmbellitlesprésdalen
-tour, S'ilvient se plaindre i ci des
t
peines qu'il en - dure, Exprimésluilex
= cès de mon amour: S'il vient seplaindre
cidespeinesqu'ilen - dure,Exprimés luiles
- cès de mon amour. Agréable séjour,
Gravepar MelleLabassée.
ImpriméparTournelle.
1
N
DECEMBRE . 1757. 7 !
fuccéder dans fon Abbaye , ne me permet
pas de faire fon éloge . Je devois à fa mémoire
, qui me fera toujours précieuſe ,
de profiter de l'avantage que vous donnez
au Public , Monfieur , par votre Mercure,
de tranfmettre par ce canal à la poftérité
une partie des vertus de cet illuftre défunt,
& les perfonnes équitables pardonneront
à ma reconnoiffance , & à l'amour que je
dois à un oncle auffi cher & auffi refpectable
d'employer une voie auffi légitime de
contribuer à fa gloire. J'ai l'honneur d'être
avec beaucoup d'eftime & de reſpect ,
votre très- humble &c, D. Auguftin
Fangé , Abbé de Senones .
Senones en Lorraine , le 27 Octobre 1757.
Nousnous fommes hâtés de rendre cette
lettre publique. Elle honore également
l'oncle & le neveu . Elle eft écrite avec
autant de modeftie que de fentiment . Cette
modeftie qu'on peut appeller ici une vertų
de familie , a retenu D. Fangé au milieu
de l'éloge. Il n'a ofé rendre publiquement
aux grands talens de D. Calmet la justice
qu'il a rendue à fes rares vertus. Nous allons
tâcher d'y fuppléerfoiblement en deux mots,
Nous croyons être fondés à dire que la bonté
des ouvrages de ce grand homme en égale
le nombre & qu'il doit-être mis à jufte
74 MERCURE DE FRANCE.
culier qui fait autant d'honneur à M. du C
Saulx , que fes talens & fon adoption , &
ce trait devient encore une occaſion natu
relle de renouveller les juftes éloges tant
de fois prodigués à un corps illuftre ( 1 ) ,
à qui la France entiere doit dès longtemps
une éternelle reconnoiffance.
Après avoir rendu juftice à M. du Saulx
comme homme de lettres , il ajoute : Mais
votre goût pour les lettres , votre ardent
pour l'étude , vos fuccès dans l'art diffi
cile de faire revivre dans notre langue tou
tes les beautés des anciens ; ce ne font
pas là , Monfieur , les feuls motifs qui
nous ont engagés à vous ouvrir d'une voir
unanime les portes de ce fanctuaire des
Mufes . Attaché à ce corps illuftre de &
guerriers privilégiés , cher à la France par
la haute nobleffe de ceux qui le comman
dent , & par la valeur intrépide de ceux
qui le compofent , vous avez fçu , Monfieur
vous concilier leur eftime : voilà
ce qui vous a valu l'honorable diftinction
d'être reçu parmi nous dans une féance extraordinaire
, en préfence de notre augufte
fondateur. Il connoît , ce grand Prince ,
tout le cas qu'on doit faire d'un corps
militaires
, qui doit fon inftitution à
,
(1 ) La Gendarmerie dont M. du Saulx eft Com
miflaire.
de
DECEMBRE .
1757. 75
Charles VII , qui depuis plufieurs fiecles
eft habitué à combatre , àvaincre. C'est à
lui que le brave & prudent Catinat dut les
lauriers qu'il moiffonna à la mémorable
journée de la Marfaille . Vous vous rappellez
, Meffieurs , avec quelle diftinction il
fe montra à la bataille de Fontenoy , il y
mérita l'attention particuliere du Roi , &
fes éloges. Toutes nos Annales vantent fes
hauts faits d'armes. La grace que le Roi
vient d'attacher aux fervices de cette brillante
troupe , & que le Miniftre de la
guerre
lui a fait annoncer , redoublera fans doute
fon zele , pour en mériter de nouvelles .
LE Chrétien dirigé dans les exercices
d'une retraite fpirituelle , en deux volumes
, par le R. P. Gabriel Martel , de la
Compagnie de Jefus , nouvelle édition ,
augmentée de lectures pour chaque jour de
la retraite. A Lyon , chez J. de Ville , Libraire
, rue Merciere , au grand Hercule .
Cet ouvrage , déja connu & eftimé , eſt
différent de tant d'autres qui ont paru fur
cette matiere, en ce que l'on ne fe contente
pas d'y tracer les méditations & les autres
exercices. L'Auteur s'y eft attaché à les concevoir
de telle maniere , que tout y eft
perfonnellement appliqué à celui qui fait la
retraite . On lui fait naître, pour ainfi dire ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Les propres pensées dans l'efprit , fes fentimens
& fes mouvemens dans le coeur ,
fes paroles-même , & fes expreffions dans
la bouche. C'est lui qui médite , qui confidere
, qui s'examine , lui qui parle à Dieu,
qui l'écoute , contemple fes grandeurs ,
fes jugemens & fes loix ; lui qui fe forme
un plan de vie , un ſyſtême de conduite ,
de forte qu'on pourroit appeller cet ouvrage
, une retraite pratique & directive ,
comme le dit l'Auteur , parce qu'en effet
c'eft le chrétien dirigé dans les exercices
d'une retraite fpirituelle , qu'on y expoſe,
CODE de la police , ou Analyfe des réglemens
de police , divifé en douze titrès.
Par M. D. Conſeiller du Roi , Lieutenant
Général de police de la Ville de..... en
Champagne. A Paris , chez Prault , Im
primeur des fermes du Roi , quai de Gêvres
, au Paradis.
bi
71
ei
M
C
Cet ouvrage nous a paru auffi utile pour
le Public , que bien entendu & bien exécuté.
Il feroit à fouhaiter qu'il excitât tous
ceux qui ont déja fait des études & des
reflexions relatives à ce genre , à doubler,
le travail de l'Auteur , & à concourir à la
perfectionner fur un grand nombre de
matieres concernant la police. Nous manquons
encore , non feulement d'ouvrages
to
de
do
les
Bli
ן י
met
& 1
cier
tal
vell
Pes
Bri
DECEMBRE . 1757.
77
bien approfondis , mais même de bons
élémens. Le grand recueil commencé par
M. de la Marre , & continué par M. le
Clerc- du Brillet , n'eft pas à la portée de
tous ceux qui concourent à l'adminiftration
de la police dans la province. D'ailleurs des
douze livres qui doivent former ce traité ,
les fix derniers font encore defirés du Public.
« Dans ces circonftances , dit l'Au-
» teur , on a cru que cette analyfe pourroit
avoir fon utiliré ( & il a raifon de
» le croire ) : l'ordre général y eft le même
» que dans le traité de la police ; on a mê-
» me fouvent confervé les expreffions des
» Auteurs. Ce que l'on trouvera de plus
» dans cet abrégé , c'eft que les titres reftés
» en fouffrance , y font remplis , & que
"l'on a eu le foin , fur chaque matiere ,
d'ajouter les réglemens qui font interve-
» nus depuis.
"8
TRAITÉ des écrouelles , par M. Charmetton
, Chirurgien gradué , Profeffeur,
& Démonſtrateur d'anatomie à Lyon , ancien
Chirurgien en chef de l'Hôpital général
de la Charité de la même Ville . Nouvelle
édition , imprimée à Lyon , chez
Regnault , & fe trouve , à Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques , à la Science &
à l'Ange- Gardien ,
I
1
Diij
78 MERCURE DE FRANCE
La premiere édition de ce livre utile , a
été débitée promptement . Nous penfors
que cette nouvelle édition ne doit pas être
reçue avec moins de faveur . L'Auteur n'a
voit d'abord écrit que pour les fçavans de
fa profeffion : il a voulu depuis fe faire
entendre de tout le monde , & rendre
furtout fes idées familieres aux Chirur
giens de la campagne . Les changemens
qu'il a faits , ne touchent que la partie
pratique , car la théorique ayant été géné
ralement adoptée , il a cru devoir la laiffer
fubfifter en fon entier. Il n'a pas néan
moins altéré le fonds du traitement ; des
expériences heureufes & récentes l'ont convaincu
qu'il n'en eft pas de plus für &
de plus efficace. Cet ouvrage eft le fruit
d'une longue fuite d'obfervations , faites
dans différens Hôpitaux , & principalement
dans l'Hôpital général de la charité de
Lyon. Le nombre des fcrophuleux que
l'Auteur y a vus , les faces diverſes , ſous le ſquelles
le virus dont il eſt queſtion , fema
nifeftoit , ſes fuites , fes gradations étornantes
, & plus ou moins finiftres , ont
été le fujet de fes plus férieufes réflexions,
& ce font ces mêmes réflexions reduites en
principes , qui forment le tiffu de ce traité .
Toutes les recherches qui ne conduifent à
rien , n'ont ici aucune place : l'Auteur ne
t
D
33
D
ร
Σ
C
DECEMBRE . 1757. 79
و ر
s'eft attaché qu'à ce que fon objet a de véritablement
important.«Les citations multipliées
, dit-il , le rapport des opinions
» des Auteurs , annoncent dans nos écrits
» le mérite des autres , & non notre fça-
» voir , à moins que des combinaifons
» exactes , & une appréciation jufte , ne
» montrent un fonds réél , & qui nous ap-
» partienne ». L'on fçait que les écrouelles
font une des maladies qui affligent & humilient
le plus l'art de la chirurgie : un livre
qui eft le fruit de l'expérience la plus
continue , peut donc être regardé comme
une fource de bons principes , & de bons
remedes , & ne fçauroit-être trop promp
tement acheté par ceux qui traitent dans
les Hôpitaux , dans les Villes ou dans la
campagne , cette maladie cruelle & prefque
incurable.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , vous avez déja porté un
jugement favorable fur un petit Ouvrage
intitulé , Le Géographe manuel , forti de la
plume de M. l'Abbé Exp ... il en fort actuellement
un autre de la même plume ,
qui embraffe le même objet , mais bien
•
Div .
So MERCURE DE FRANCE .
:
plus en grand , & qui , certes , mérite ,
Monfieur , que vous recommenciez fur
nouveaux frais c'eft la Topographie de
Univers. On ne nous en donne encore
que la premiere Partie qui fournit une
idée des plus avantageufes de celles qui
doivent fuivre. L'ordre & la difpofition
qui s'annoncent dans ce nouvel Ouvrage ,
les détails neufs & intéreffans qui s'y trou
vent déja , & qui probablement en rempliront
la fuite , lui affurent , auprès du
public , & de tout amateur éclairé , `un fuccès
qui ne peut qu'être conftant . Eft - il
fujet auquel la belle méthode de M. le
Préfi lent Hénault , foit plus applicable
qu'à la Géographie ? Il n'y a que de la
gloire à fuivre de tels modeles : fuivre ,
com ne M. l'Abbé Exp ... c'eſt être inventeur.
Beaucoup d'écrivains , de Géographie
furtout , ne font qu'écrivains ; M. l'Abbé
Exp... eft voyageur , obfervateur , fçavant.
Jefuis venu , j'ai vu‚j'ai vaincu , difoit
autrefois le vainqueur des Gaules . Celui
qui nous donne aujourd'hui l'analyſe
de tous les pays du monde , peut dire : J'ai
parcouru , j'ai vu , j'inftruis. La critique la
plus févere , s'attachant au fonds de l'Ouvrage
, ne pourra que louer beaucoup l'excellence
& l'utilité du travail de fon Auteur.
J'ai l'honneur d'être , &c . Maclot.
C
t
DECEMBRE. 1757. 81
Cet éloge tiendra lieu de celui que
nous aurions fait nous- mêmes de l'Ouvrage
, & que nous ajoutons à l'extrait que
nous en avons déja donné.
HISTOIRE univerfelle facrée & profane,
compofée par ordre de Mefdames de France.
Tomes neuf & dix , par M. Hardion ,
de l'Académie Françoife , de celle des Infcriptions
, & Garde des livres du cabinet
du Roi . Chez Defprez , rue S. Jacques
1757 , deux vol . in - 12 , prix 5 liv.
Cette fuite eft dédiée à Madame Sophie.
Le neuvieme volume renferme l'hiftoire
du fixieme fiecle , & une partie du feptieme
, où font compris les Empereurs
d'Orient , depuis Anaftafe jufqu'à Léonce ;
les Rois de France , depuis Clovis jufqu'à
Thieri II Roi d'Orléans & de Bourgogne ;
le royaume des Vifigots en Efpagne & dans
le Languedoc ; l'Heptarchie d'Angleterre ,
& l'établiffement du Mahométifme. Le
dixieme volume contient le refte de l'hiftoire
du feptieme fiecle , qui offre la fuite
des Rois de France , une partie de l'histoire
d'Efpagne , & de l'Heptarchie , avec toute
Phiftoire facrée & profane du huitieme
fiecle .
Ces nouveaux volumes ne démentent
point les premiers. Nous ne pouvons que
d
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
répéter le même éloge , & propofer l'Auteur
pour modele en ce genre . Sa narration
marche toujours avec le même ordre , la
même exactitude & la même précifion.
Elle n'admet que les ornemens néceffaires ,
& prend foin d'écarter tout ce qui ne va
point à l'intérêt. Son ftyle eft noble , pur ,
concis & clair. En un mot M. Hardion
écrit avec cette élegante fimplicité qu'on
doit toujours fuivre pour plaire autant que
pour inftruire. Un feul morceau fuffira
pour juftifier cette louange , nous le prenons
au hazard dans le neuvieme volume.
C'eſt le portrait de Bélifaire.
Juftinien n'étoit pas tellement occupé
de fes Toins pour l'adminiſtration de l'intérieur
de l'empire , qu'il ne penfât à l'étendre
par des conquêtes. 11 jetta principalement
les yeux fur Bélifaire qui , dès
fa jeuneffe , avoit donné des preuves fgnalées
de fes talens fupérieurs pour l'art
militaire, & qui par fes exploits , a mérité
d'être placé au deffus ou du moins à côté
des plus grands Capitaines dont l'hiftoire
faffe mention. Il étoit grand , bien fait ,
& d'une figure prevenante , doux , affable
, généreux , libéral. Il fe fit adorer de
fes foldats , & tout attentif qu'il étoit à
leur faire obferver une exacte difcipline ,
ils lui obéiffoient moins par la crainte des
DECEMBRE. 1757 8.;
châtimens , que par refpect pour fa vertu .
Il ne fouffroit jamais que dans leurs marches
ils commiffent le moindre défordre ;
& partout fur fon paffage , au lieu de
plaintes & de murmures , il n'entendoit
que des louanges & des bénédictions . Actif
& prudent , vif & modéré , il ufoit
fuivant le befoin des affaires , de diligence
ou de lenteur ; intrépide dans les dangers,
toujours égal , toujours tranquille , &
de fens froids dans les momens les plus critiques
, fécond en reffources & en expédiens
, auffi modéré dans la profpérité
qu'il montroit de courage & de fermeté
dans les revers. Enfin ce qui met le comble
à fa gloire , au milieu des triomphes les
plus éclatans , il fçut contenir fon ambition
dans de juftes bornes , & ni les offres
les plus féduifantes , ni les plus mauvais
traitemens ne purent jamais ébranler la fidélité
qu'il devoit à ſon ſouverain .
ETRENNES militaires , tirées du dictionnaire
militaire , corrigées & augmentées
utiles à toutes les perfonnes , qui fe deftinent
àprendre le parti des armes , année
1758. A Paris , chez Giffer , rue de la
Bouclerie ; la veuve Bordelet , rue S. Jacques
; la veuve David , quai des Auguf
tins ; & chez Duchefne , rue S. Jacques
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
ALMANACH des curieux pour l'année
1758 , les Etrennes hiftoriques, ou mêlange
curieux pour 1758 , contenant plufieurs remarques
de chronologie & d'hiftoire , &c.
chez Giffey.
ALMANACH OU Calendrier d'Anjou ,
pour 1758 , augmenté d'une fuite Chronologique
de l'hiftoire des Comtes d'Anjou .
A Angers , chez A. J. Jahyer , Libraire ,
rue S. Michel , & fe vend à Paris , chez
Ganeau , rue S. Severin .
ORAISONS Choifies de Ciceron , traduction
nouvelle avec le latin à côté , fur l'édition
de Grævius , & des notes en trois
volumes in - 12 . A Paris , chez Barbon , rue
S. Jacques.
Les deux premiers volumes furent imprimés
il y a plufieurs années , le Public
parut defirer la traduction des Oraifons
pour Murena , & celles contre Verres
touchant les Statues.
Pour completter ce choix , on donne ces
trois Oraifons qui compofent le troifieme
volume , qui fe débite actuellement : on les
vend enſemble ou ſéparément.
On trouve , chez le même Libraire , la
Philofophie de Dagoumer , 6 vol. in- 12.
DECEMBRE. 1757. 8
Lyon , 1757. Nouvelle édition augmentée
d'une Phyfique particuliere , & divers autres
Traités qui ont été trouvés dans les
papiers de feu M. Dagoumer , & toute la
philofophie qui a été refondue par l'Auteur.
OEUVRES pofthumes de M. de Glatigny,
Avocat Général , contenant fes Harangues
au Palais , fes Difcours académiques , & c.,
Lyon , 1757 , in- 8 ° .
LES Origines ou l'ancien gouvernement
de la France , de l'Allemagne & de l'Italie::
ouvrage hiftorique , où l'on voit , dans
leur origine , la royauté & fes attributs ,
la Nation & fes différentes claffes , les
fiefs & le vaffelage , les dignités , la
hierarchie , les immunités Ecléfiaftiques ,
& les domaines ; la milice & la chevalerie;
la justice diſtributive ; la compétence des
tribunaux , leur forme ; les parlemens ,
les autres cours fouveraines , les états généraux
, la pairie , la légiflation & les
coutumes.
Cet ouvrage en quatre volumes de près
de quatre cens pages chacun, fe vend sliv.
broché. A Paris , chez Rollin , & Bauche ,
Libraires , quai des Auguftins .
Pour remplir fon projet dans toute fon
86 MERCURE DE FRANCE:
étendue , l'Auteur a dû embraffer toutes
les parties du gouvernement . C'est ce qu'il
a fait. Nous ne croyons pas qu'il ait rien
omis d'effentiel . Il a diftribué les matieres
, de façon que toutes les nations qui
peuvent être néceffaires pour l'intelligence
d'un chapitre , ou d'un livre , fe trouvaffent
dans les chapitres ou dans les livres
précédens .
Tour fon ouvrage eft divifé en douze livres
. Dans le premier il décrit l'origine de
la nation & de la royauté , & il s'arrête
fur les loix qui régloient la fucceffion au
trône . Dans le fecond , it confidere quels
noeuds uniffoient en un feul corps le chef
& les membres , le Roi & la Nation : quels
engagemens réfultoient de cette union ,
& quelle étoit la nature de ces engagemens.
Avant de dire comment les contractans
rempliffoient les conditions de leurs
contrats , il nous fait connoître quels
étoient ces contractans. Le premier livre
avoit fatisfait en partie à cette queftion
par les détails qu'il contient fur la fucceffon
au trône , & fur l'origine de la nation
en général . Les livres fuivans juſqu'au
fixieme inclufivement , traitent des différens
fujets qui compofoient la nation , ou
qui pouvoient en devenir partie : il y développe
l'origine de la liberté & de la proDECEMBRE.
1757 ST
priété , l'origine du vaffelage & des fiefs ;
l'origine des dignités , & leurs attributs ,
l'origine enfin de la bourgeoifie & des gouvernemens
municipaux , la nature de la
fervitude , & fes différentes efpeces . Chacun
des fix premiers livres prepare aux fix
derniers , & chacun de ceux ci , épuife les
matieres préparées dans les autres . Tout ce
qu'il avoit dit fur les différens membres de
l'état auroit été imparfait , s'il n'avoit pas
parlé des biens d'où ils tiroient leur fubfiftance
, & à raifon defquels ils étoient
obligés de fervir l'état. I laiffe peu de
chofe à défirer fur cet article. Dans le fepsieme
livre, oâ il traite des domaines du
Roi , du Clergé & des particuliers , il
explique en même temps comment les ferfs,
les colons , & les cenfiers avoient part à la
défenfe de l'état , & contribuoient au
bonheur de la fociété , par où il termine
tout ce qu'il avoit à dire fur la fervitude &
la roture. Dans le huitieme livre il reprend
les obligations réciproques du Roi &
des fujets , au point précis où le fecond li
vre avoit laiffé cette importante matiere : ib
explique quels étoient les devoirs du Roi ,
par rapport à l'adminiftration générale ;
quels étoient les devoirs & les droits des
fujets , par rapport à cette même adminiftration,
Dans le neuvieme livre il traite
88 MERCURE DE FRANCE.
des devoirs du Roi & de la Nation , par
rapport à la défenſe commune , & à cette
occafion il s'étend fur tout ce qui a rapport
à la guerre. Il paffe delà aux devoirs &
aux droits de la Nation , relativement à
l'adminiſtration intérieure , autant qu'elle
concerne la paix & le bon ordre , ou la police
en général : il examine où refidoit la
puillance coactive , & comment elle s'exerçoit
; comment on amenoit les délinquans
aux pieds de la juftice diftributive. Tel eft
le fujet du dixieme livre. Il nous apprend
dans le fuivant , quels tribunaux étoient
chargés de rendre la juftice ; quelle étoit
leur forme & leur compétence . Dans le
douzieme livre il fait quelques remarques
fur les loix , dans lefquelles les Juges devoient
puifer leurs fentences : il y décrit la
maniere dont on en faifoit de nouvelles ,
& il fait voir à qui en appartenoit le droit.
Tel eft , en général , le plan de cet ouvrage
: quant aux détails , l'Auteur ne s'eſt
refufé à aucun de ceux qui peuvent jetter
quelques lumieres fur notre jurifprudence
moderne , ou fur celle de l'empire.
Il a placé , à la fuite de chaque difcuffion ,
une réflexion qui indique la maniere dont
chaque chofe s'eft modifiée , & ce qui a
réfulté de fa modification . Lorfque le gouvernement
François ne lui fournit rien de
DECEMBRE. 1757. $9
femblable à ce qu'il trouve avoir été en
ufage fous la feconde race de nos Rois , il
dit comment & pourquoi s'eft opéré ce
changement total , & il fait alors une feconde
réflexion fur ce qui s'eft paffé à ce ſujet
, en Allemagne & en Italie.
Voilà un grand ouvrage , & certainement
un ouvrage très- utile : l'Auteur montre
pourtant beaucoup de modcftie. « Mon
ftyle eft fans ornement , dit- il : je n'ai
» travaillé qu'à éviter l'obfcurité : lorique
"
j'ai cru devoir traduire , j'ai été littéral
» à l'excès, furtout dans l'endroit de chaque
paffage qui me le faifoit citer. J'ai employé,
par une raifon femblable , des mots
qui ne font pas françois : j'ai eu peur d'al-
» térer les idées , en les préfentant fous des
expreffions qui ont un autre ufage dans
» notre langue. J'ai ufé du droit qu'ont les
» voyageurs de donner aux pays qu'ils dé-
» couvrent tel nom qu'il leur plaît . Je ne
» me fuis pas contenté de cette précaution :
» lorsque j'ai cru qu'un mot étoit décifif
» ou intéreffant , je l'ai écrit en lettres Italiques
, & j'y ai joint le mot latin dont
il est la traduction . Enfin j'ai cité mes
» Auteurs avec toute l'exactitude dont je
» fuis capable. Voilà ce que j'ai cru pouvoir
faire de mieux pour être utile à ma
patrie . Je ne me juftifierai point de la
33
ود
"
و د
"
90 MERCURE DE FRANCE.
❞
hardieffe que j'ai eue d'entreprendre un
» auffi grand ouvrage . Il eft de nature à
être utile , fût- il abfolument mauvais.
» Cette raifon a été fuffifante pour me
» faire affronter les dangers de l'impref-
"
» fion » .
Nous ofons l'affurer qu'il ne court aucun
rifque , & que fi un projet qui porte
un caractere d'utilité évident , mérite la
reconnoiffance de tout bon Citoyen , une
exécution auffi pénible , auffi recherchée,
eft fûre du fuffrage de tout bon Juge.
HISTOIRE Eccléfiaftique, avec l'Hiftoire
des Empereurs , par M. le Nain de Tillemont,
vingt- deux volumes in4° . enrichis
de citations critiques , &c . A Paris , chez
J. Rollin , Quai des Auguftins , près la rue
Git -le-Coeur , au Palmier .
Il n'eft pas néceffaire de faire ici l'éloge
de M. de Tillemont , pour rendre ſon ouvrage
recommandable. Il eſt connu de tous
les Sçavans de l'Europe , qui en ont toujours
fait beaucoup de cas , & qui s'en
font pourvus avec tant d'empreffement ,
qu'il eft impoffible d'en avoir actuellement
des exemplaires complets , ou du moins
qu'à un prix fort haut.
Le fieur Rollin , Libraire à Paris , propriétaire
de ce Livre , ayant déja vendu les
DECEMBRE . 1757 :
1
deux tiers de fon fonds , & voulant quitter
totalement le commerce , a cru devoir
auparavant faire les frais de la réimpreffion
du premier volume qui manquoit abfolument
, & par ce moyen fe mettre en état
de pouvoir encore offrir au public , & à
un prix modique , 60 corps complets de
l'Histoire Ecclefiaftique , & de l'Hiftoire des
Empereurs.
Les curieux qui voudront s'affurer de
ces exemplaires avant le premier Avril
1758 , les auront pour 117 liv. en feuilles ,
payables actuellement , ou en deux fois ;
fçavoir 72 liv. qu'ils donneront d'avance ,
en fe faifant infcrire , & 45 liv . en retirant
les 22 volumes au premier Avril :
s'il en refte quelques -uns après ce temps ,
on ne les donnera abfolument pas à moins
de 180 livres en feuilles , & il y a même
lieu de croire qu'ils vaudront davantage ,
cet Ouvrage ne devant , felon les apparences
, être jamais réimprimé , à caufe
des frais confidérables qu'il occafionneroit.
Comme il y a beaucoup de perfonnes
qui ont les premiers tomes de l'Hiftoirs
Ecclefiaftique , & qu'elles ont négligé d'acheter
les fuivans , ou ont été arrêtées par
leur cherté , le Libraire offre , pour les engager
à completter , de leur fournir les
92 MERCURE DE FRANCE.
autres volumes de cette Hiftoire Ecclefiafti
que , depuis le troifieme , à un prix railonnable.
Ceux qui ne voudroient avoir que les
fix volumes de l'Hiftoire des Empereurs ,
pourront auffi fe les procurer d'ici au premier
Mars prochain , par forme de foufcription
, & pour le prix de 36 livres en
feuilles , payables en une feule fois , ou
en deux fçavoir 21 liv. qu'on payera en
fe faifant inferire , & 15 liv. en retirant
l'Ouvrage audit premier Mars . On donnera
niême actuellement les Tomes III &
VI , féparément , à raifon de 6 liv. piece ,
en feuilles . Les exemplaires complets qui
pourront refter de cette Hiftoire , ne fe
donneront pas , après le premier Mars , au
deffous de 54 liv. en feuilles.
HISTOIRE Romaine , depuis la fondation
de Rome , avec des citations & notes
hiftoriques , géographiques & critiques ,
des gravures en taille- douce , des cartes
géographiques , & nombre de médailles
authentiques , 16 volumes in- 4°. & les
Empereurs volumes in- 4° . en tour 21
volumes , par les RR. PP. Catron & Rouillé,
de la Compagnie de Jefus. ( 1 )
(1) Le tome 21 , qui contient Caligula & Clande
, eft du P. Rothe , de la même Compagnie ,
e
01
le
q
fe
O
tit
pic
liv
en
&
pro
11
Ou
d'a
les
qui
cet
Vol
DECEMBRE . 1757. 98
Malgré la critique que l'Abbé Desfontaines
fit , dans fon temps , de l'Ouvrage
des PP. Catrou & Rouillé , dont il n'étoit
pas l'ami , on ne fçauroit difconvenir qu'il
n'ait un vrai mérite ; la preuve eft que
les Anglois fe font empreffés de le traduire
dans leur Langue , & l'ont publié
en quatre volumes in folio : ils ont été imi-
τές par les Italiens & les Hollandois qui
ont donné cette Hiftoire in-4°. & toutes
les autres Nations fe font procuré quelqu'une
de ces quatre verfions.
Ce n'est donc pas faire un mauvais préfent
au public , que de lui offrir , par forme
de foufcription , d'ici au premier Avril
1758 , 50 exemplaires complets de cet
Ouvrage , qui restent au Libraire , en petit
papier , & 20 exemplaires en grand papier.
On payera ceux en petit papier , 90
liv. en feuilles , en un feul paiement , ou
en deux : fçavoir 54 liv. préfentement ,
& 36 liv. en retirant les 21 volumes au
premier Avril. Le grand papier coûtera
110 liv. payables de même tout à la fois ,
ou en deux , dont 72 liv. fe donneront
d'avance , & 38 liv . en retirant également
les 22 volumes. Paffé le premier Avril ,
qui doit continuer les Empereurs pour completter
cet Ouvrage ; il y aura tout au plus deux ou trois
volumes encore .
94 MERCURE DE FRANCE.
les exemplaires qui pourront refter , vaudront
, en petit papier , 160 liv. & 220
liv. en grand papier.
Les perfonnes qui ont déja les 12 premiers
volumes de cet Ouvrage , pourront
fe procurer la fuite à raifon de 4 liv. 10 f.
chaque volume , en petit papier , & de
6 liv. en grand papier , jufqu'au premier
Avril.
Il reste encore 90 exemplaires de l'édition
in - 12 , en 20 volumes qui renferment
la République Romaine en entier ,
avec 106 planches en taille - douce ; le
fieur Rollin les donnera à 15S liv. en feuilles
jufqu'au mois de Mars prochain : paſſé
ce temps , on les paiera 38 livres .
INSTRUCTIONS Chrétiennes fur les
Myfteres de N. S. J. C. & fur les principales
Fêtes , où font expliquées les Epîtres
& Evangiles des Dimanches de l'année ,
par M. de Singlin ( 1 ) , fix volumes in- 12 .
Si plusieurs éditions nombreufes d'un
ouvrage en beaucoup de volumes , fuffifent
affurer fa célébrité , & prouver
fon excellence , peu de Livres doivent être
recherchés avec plus d'empreffement que
pour
( 1 ) M. Blaiſe Paſcal avoit tant d'eftime pour
M. de Singlin , qu'il le mit fous fa conduite , &
l'engagea à recevoir les écrits.
DECEMBRE . 1757. 95
celui de M. de Singlin . En effet , malgré
trois éditions in- 8°. l'une faite chez Savreux
, & les deux autres chez Pralard ,
celle en douze volumes in - 12 , que l'on
donna en 1734 , fut enlevée en très- peu
de temps , & fur les follicitations que l'on
fit au Libraire , il fe réfolut d'en faire une
nouvelle en 6 volumes auffi in- 12 , mais
d'un caractere plus petit , afin de la pouvoir
donner à meilleur compte , & de faciliter
par- là aux perfonnes charitables , les
moyens d'en gratifier les jeunes gens , ou
les pauvres familles , pour leur inftruction.
C'eſt encore dans la même vue que le fieur .
Rollin , Libraire , offre actuellement ce
qui lui refte d'exemplaires de cet excellent
Livre , qui peut fervir comme une Année
Chrétienne , às liv . l'exemplaire en feuilles
, & il donnera même le feptieme exemplaire
gratis , à ceux qui en acheteront une
demi- douzaine à la fois. Si tout ne fe
trouve pas vendu au premier Avril 1758 ,
on ne les donnera pas alors à moins de
12 liv. en feuilles.
DESPILLY , Libraire , rue S. Jacques , à
la vieille Pofte , donne avis qu'il vient
d'acheter de Prault pere , le privilege entier
des Ouvrages de M. Ballet , Prédica
teur de la Reine , ci - devant Curé de Gif ;
96 MERCURE DE FRANCE.
fçavoir , fes Panégyriques , in- 12 , 4 vol.
10 liv. fes Prônes , in- 12 , 5 vol . 12 liv.
10 fols traité de la Dévotion à la Sainte
Vierge , in 12 , 2 liv. 10 fols. Traité de
la Pénitence du Carême , in - 12 , 2 liv.
10 fols.
:
On trouve chez le même Libraire ,
Thefaurus Sacerdotum & Clericorum, in- 12 ,
2 livres.
ON prépare une nouvelle édition du
Dictionnaire portatif des Théâtres , avec des
corrections & des augmentations confidérables.
Comme l'Auteur de cet Ouvrage
voudroit le rendre le plus exact qu'il fera
poffible , il fupplie les perfonnes qui auront
fait quelques obfervations à ce fujet
, ou qui défireroient qu'on y changeât
quelques articles , de vouloir bien lui en
faire part , & d'adreffer leurs réflexions ,
le plutôt qu'il fe pourra , chez Jombert ,
Libraire , rue Dauphine.
Comme , dans quelques petits ouvrages
qui ont paru depuis trois ans , fur les Theatres
& fur les Belles- Lettres , on attribue
fouvent la même Piece à différentes perfonnes
, on fupplie les Auteurs de vouloir
bien envoyer un catalogue exact de leurs
ouvrages dramatiques , & d'y indiquer
pofitivement les Pieces qu'ils ont compofées
9
CS
00
for
271
DECEMBRE . 1757. 97.
fées feuls , & celles qu'ils ont faites en fociété
. S'ils jugent auffi à propos de donner
quelques particularités fur leur vie , on les
inférera fidélement à leur article.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
La république des lettres eſt inondée ,
Monfieur , d'une foule de critiques auxquelles
on ferait fouvent trop d'honneur
de répondre on y eft pourtant quelquefois
obligé , lorfqu'elles touchent à
certaines matieres délicates , fur lefquelles
on ne doit fouffrir ni imputation , ni foupçon.
C'est le cas où je me trouve aujour
d'hui. Voici le fait. Dans un recueil périodique
qui s'imprime à Geneve , & qui
a pour titre , Choix Littéraire , on a inféré
un écrit contre l'Encyclopédie. L'Auteur
après avoir avancé que ce Dictionnaire eſt
prefque partout une compilation ( fur quoi
je m'en rapporte aux lecteurs équitables ) ,
fe propofe de faire voir que les articles
font quelquefois contradictoires les uns
aux autres , & voici comment il le
prouve.
On dit dans l'Encyclopédie que l'anatocisme
eft un contrat ufuraire , où l'on
ftipule l'intérêt de l'intérêt uni au prin-
E
93 MERCURE DE FRANCE.
33
03
"3
cipal , & que c'eft la plus criminelle
efpece d'ufure ; & à l'article arrérages ,
» M. d'Alembert prouve géométriquement
» que l'intérêt de l'intérêt eft auffi bien dû
» & légitimement exigé que l'intérêt
même. Me voilà , Monfieur , bien
clairement accufé de favorifer expreffément
la plus criminelle espece d'ufure ; je ne
m'en ferois jamais douté. En effet , croiriez-
vous qu'à l'article arrérages , il n'y a
pas un mot de ce qu'on m'impute ? J'y
examine feulement différentes queftions
de calcul fur l'intérêt fimple & l'intérêt
compofé : ceux qui ont ouvert des livres
d'arithmétique & d'algebre , fçavent qu'on
y traite tous les jours de pareilles queftions
, fans qu'on foit accufé pour cela de
prêcher en faveur de l'ufure . On examine
ce que le débiteur doit au créancier , rela
tivement aux conventions faites entr'eux ,
& on laiffe aux Théologiens à juger ces
conventions du côté moral . Les Sçavans
qui liront l'article arrérages , & qui font
au fait de la matiere , n'y verront pas autre
chofe. Qu'il me foit permis d'exhorter le
Critique à parler de ce qu'il entend , &
l'Editeur Genevois à mettre plus de chai
dans ce qu'il imprime.
Je fuis , &c,
D'ALEMBERT.
DECEMBRE . 1757. ୨୬
Dans ce même Choix ( 1 ) on a inféré
une Defcription géographique du royaume
de la poéfie , traduite de l'anglois , qui
mérite une obfervation de notre part. Le
Traducteur de ce morceau pouvoit s'épargner
la peine de le mettre en françois.
L'Auteur original eft M. de Fontenelle , fon
françois n'avoit pas befoin d'être traduit . Il
étoit plus fimple & plus court de redonner
la piece telle qu'elle a été imprimée dans le
Mercure galant , de Janvier 1678 , p. 147 ,
& dans le Choix des anciens Mercures .
1757 , fous le titre de Defcription de l'Empire
de la Poéfie. Pour mieux convaincre
nos Lecteurs de la vérité de ce plagiat
nous allons tranfcrire ici la premiere page
de ces deux écrits . Ceux qui feront curieux
de lire tout le morceau de M. de Fontenelle
, pour le comparer avec la traduction
de l'anglois , le trouveront dans le Choix
des anciens Mercures , tome fecond , pages
41 & 42 .
Defcription de l'Empire de la Poésie , par,.
M. de Fontenelle.
Cet empire eft un grand pays très-peu
plé. Il eft divifé en haute & baffe poéfie ,
comme le font la plupart de nos Provinces.
La haute poéfie eft habitée par des des gens
(1 ) Ce Choix fe vend chez Lambert , rue de la
Comédie.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
graves , mélancoliques , refrognés , & qui
parlent un langage qui eft à l'égard des
autres provinces de la poéfie , ce qu'eft
le bas-Breton pour le refte de la France .
Tous les arbres de la haute poéfie portent
leurs têtes jufques dans les nues. Les chevaux
y valent mieux que ceux qu'on nous
amene de Barbarie , puifqu'ils vont plus
vite que les vents ; & pour peu que les
femmes y folent belles , il n'y a plus de
comparaison entr'elles & le foleil . Cette
grande ville que la carte vous repréfente
au delà des hautes montagnes que vous
voyez , c'eſt la capitale de cette province :
elle s'appelle le Poème épique . Elle eft bâtie
fur une terre fablonneufe & ingrate ,
qu'on ne fe donne prefque pas la peine de
cultiver. La ville a plufieurs journées de
chemin , & elle eft d'une étendue ennuyeufe.
On trouve toujours à la fortie
des gens qui s'entreruent , au lieu que
quand on paffe par le roman qui eft le
fauxbourg du poème épique , & qui eft
cependant plus grand que la ville , on ne
va jamais jufqu'au bout fans rencontrer
gens dans la joie , & qui fe préparent
à fe marier , & c.
des
Defcription Géographique du Royaume de
Poésie , traduite de l'Anglois .
La Capitale de la haute- Poéfie s'appelle C
DECEMBRE. 1757. 101
·
Poëme Epique . Elle eft fituée dans un terrein
fablonneux & ingrat , que peu de gens
ont effayé de cultiver ( 1 ) ... Cette région
eft habitée par une forte de perfonnages
graves , à l'air impofant , à la mine refro
gnée , dont le langage , comparé à celui
des autres Provinces , eft comme l'Efpagnol
par rapport au François. Les hommes
y font d'ordinaire , héros de profeffion
Pour les femmes , le foleil luimême
ne mérite pas d'être mis en parallele
avec la plus laide d'entr'elles les
chevaux de cette contrée courent plus vite
que le vent , & les arbres portent leurs
têtes jufques dans les nues ..... Ce qu'il
y a de défagréable dans cette ville , ce
font les querelles , les défis , les combats
& les maffacres , qu'on rencontre à chaque
pas mais la trifteffe que cette vue
infpire , fe diffipe dès qu'on a mis le pied
dans le grand fauxbourg , que l'on nomme
les Romans. Il furpaffe en étendue la
ville elle - même. Le fang y eft parfaitement
beau , & toutes les perfonnes de
l'un & de l'autre fexe font les plus accomplies
qu'on puiffe imaginer. Ils ont
tous été grands voyageurs , & font amans
( 1 ) Nous avons fupprimé de cette page tout
ce qui n'eft qu'amplification , & nous l'avons
marqué par des points.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE:
paffionnés :tout leur temps fe paffe dans
des plaifirs & des fêtes continuelles , &
ils ne permettent prefque jamais qu'un
étranger s'en retourne chez lui fans avoir
affifté à cinq ou fix mariages des plus brillans
, & c.
On voit par cette traduction que l'Auteur
Anglois n'a fait qu'amplifier l'ouvra
ge François , qu'il a d'ailleurs copié prefque
mot à mot. S'il eût été de bonne - foi ,
il eût dû intituler fa Defcription : Paraphrafe
du françois de M. de Fontenelle.
Nous nous empreffons d'annoncer le
danger des Paffions , ou les Anecdotes Syriennes
& Egyptiennes , traduction nouvelle
, en deux parties in- 12 , par l'Auteur
de l'Ecole de l'Amitié.
›
Ce nouveau Roman nous paroît auffi
moral & auffi bien écrit que le premier
fon ton même eft plus élevé ;
il est conforme aux événemens qui
font du plus grand tragique. Nous voudrions
nous étendre davantage , mais l'ouvrage
nous eft parvenu trop tard pour en
donner aujourd'hui l'extrait. Nous fommes
obligés de le remettre au mois de
Janvier. Ces anecdotes fe trouvent à Paris
, chez Rollin , Libraire , fur le quai des
Auguftins , & fe vendent 3 liv . brochées.
C
I
C
DECEMBRE . 1757. 103
AVIS aux Soufcripteurs du livre intitulé
: Nouveau Traité de Diplomatique ,
où l'on examine les fondemens de cet art ,
on établit des regles fur le difcernement des
titres , & l'on expofe hiftoriquement les
caracteres des Bulles pontificales & des diplomes
donnés en chaque fiecle : avec des
éclairciffemens fur un nombre confidérable
de points d'hiſtoire , de chronologie , de
littérature , de critique & de difcipline ;
& la réfutation des diverſes accufations intentées
contre beaucoup d'archives célebres
, & furtout contre celles des anciennes
Eglifes. Par deux Religieux Bénédictins
de la Congrégation de Saint Maur
cinq volumes in - 4° . avec un très -grand
nombre de planches & de figures en taille'
douce .
Les planches très - nombreufes du troifieme
volume de cet ouvrage n'en ont pas
feulement retardé la livraiſon ; mais elles
ont encore obligé le Libraire-Imprimeur à
faire des avances confidérables. La gravure
des planches , qui entreront dans le quatrieme
volume , eft achevée . On y traitera
la matiere des Sceaux ; objet non moins
curieux qu'intéreffant. Suivra la troifieme
partie de l'ouvrage , où l'on examinera le
ftyle , les formules , les foufcriptions ,
les dates & tous les autres caracteres in-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
trinfeques des diplomes. La compofition
eft commencée il y a fix ou fept mois . Le
Libraire compte être en état d'offrir au Public
ce nouveau travail vers la fin de l'année
1758. En conféquence il a pris la réfolution
de faire foufcrire pour le quatrieme
tome en livrant le troifieme.
Au 15 Septembre 1757 , le fieur Defprez
, Imprimeur ordinaire du Roi & du
Clergé de France , rue S. Jacques à Paris ,
a délivré le tome troisieme en feuilles , en
recevant pour le petit papier 20 liv . fçavoir
10 liv . pour la livraiſon du tome troifieme
, & 10 livres d'avance pour le tome
quatrieme .
Et pour le grand papier 32 liv. fçavoir
16 livres pour le tome troifieme, & 16 liv.
d'avance pour le tome quatrieme , dont il
fera donné une reconnoiffance. Tous les
volumes fe vendent,pour ceux qui n'ont pas
fouferit , 24 liv . le volume relié en petit
papier , & 30 liv . en grand papier.
NOUVEAUX Commentaires fur les or
donnances du mois d'Avril 1667 , du mois
d'Août 1669 , du mois d'Août 1670 , de
mois de Mars 1673 , fur l'édit des épices
du mois de Mars 1673 , & fur l'édit da
mois d'Avril 1695 , concernant la jurif
diction Eccléfiaftique : par M*** Con-
C
C:
E
DECEMBRE . 1757. 105
feiller au Préfidial d'Orléans . A Paris ,
chez le même Libraire,
Cette nouvelle édition a trois grands
avantages fur celle qui l'a précédée.
10. Par rapport au commentaire fur
l'ordonnance civile de 1667 , qui eft confidérablement
augmentée . A la fuite de la
préface qui eft à la tête , on trouvera , de
plus que dans la premiere édition, des ob .
fervations intéreffantes fur la nouvelle procédure
établie en Pruffe : obfervations qui
prouvent , que quoique puiffent en penfer
des perfonnes peu inftruites & féduites
par le préjugé , cette procédure eft moins
fimple en effet , que celle qui eft établie
pour la France par l'ordonnance de 1667 .
2 °. En général cette feconde édition a
été travaillée de nouveau par l'Auteur ,
augmentée , corrigée & perfectionnée ſur
les réflexions d'un fçavant Magiftrat ( H) .
On trouvera ent'autres dans la nouvelle
édition du commentaire fur l'ordonnance
criminelle de 1670 , plufieurs augmentations
importantes , principalement fur les
cas préfidiaux & prévôtaux , & fur la maniere
d'inftruire les procès criminels des
Eccléfiaftiques pour les cas privilégiés ; &
( 1 ) Feu M. Joly-de Fleury , Procureur général
an Parlement de Paris.
E v
10% MERCURE DE FRANCE:
l'on y a ajouté auffi à la tête du titre XIV
des regles touchant la maniere de bien interroger
un accufé , qui ne feront pas peu
utiles aux Juges & à ceux qui font chargés
de l'inftruction des procès criminels.
3 °. Enfin dans cette nouvelle édition
ces commentaires font tous accompagnés
de tables alphabétiques des matieres fort
utiles & très- étendues , qui ne fe trouvent
point dans la premiere , & par le moyen
defquelles on eft à portée de trouver dans
le moment , fur quelque matiere que ce
foit , tout ce que l'on croit avoir befoin de
confulter dans les commentaires.
A l'égard du nouveau commentaire fur
l'édit du mois d'Avril 1695 , concernant
la jurifdicton Eccléfiaftique , il n'a paru
qu'au commencement de la prefente année
1757. Il eft précédé d'une préface raifonnée,
qui mérite d'être lue , pour les principes
exacts qu'elle renferme . Ces principes
fe trouvent établis , pour la plus grandepartie,
dans les différens articles de l'édit dont
il s'agit : mais cet édit contient encore plufieurs
autres difpofitions , qui regardent
les Evêques , ainsi que les autres Eccléfialtiques
du royaume , & qui concernent leurs
droits & jurifdiction , de même que ceux
des Archidiacres , Officiaux , & c. Cett
ce
que l'on
peut
voir
par
le précis
que
DECEMBRE . 1757.
107
l'Auteur a donné de cet édit dans fa préface.
EXTRAIT d'un Mémoire fur les avantages
qu'on pourroit tirer pour l'engrais des
terres , des matieres dont les pluies & les
vents rempliffent les vallées . Ce Mémoire
a été lu à la Séance publique de l'Académie
d'Amiens , inférée dans le Mercure
précédent. Il eft de M. Biſet.
L'Auteur fait obferver d'abord que les
*terres cultivées perdent peu à peu le principe
de leur fécondité , que les fucs qu'elles
font paffer dans la fubftance de leurs
fruits conftituent effentiellement ce principe
, & que fi on tarde trop à les leur
rendre , elles ne fçauroient continuer à
fervir que très- imparfaitement nos befoins
.
Il ajoute que les terres rie font pas feulement
épuisées , par ce qu'elles dépensent
de fucs pour produire leurs fruits ; mais
qu'elles le font auffi par la perte de ceux
que les pluies & les vents ne ceffent de leur
enlever. Cette vérité dont il feroit trop
long de détailler ici les preuves , qu'il tire
de la légèreté fpécifique des parties fécondantes
de nos terres , devient fenfible em
confidérant la peine extrême qu'on a à
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
entretenir la fertilité des endroits de nos
campagnes , d'où les pluies & les vents
emportent beaucoup de matieres , & au
contraire la fécondité inépuisable & comme
néceffaire de ceux ( tels que les fonds)
où ils les tranfportent.
que
Pour réparer la fertilité des terres , on
n'employe communément d'autre moyen
celui de leur rendre les fruits qu'elles
ont produits ; on fe contente de leur rapporter
des fumiers , ou d'autres engrais
pareils , qui ne font précisément que les
débris de ces fruits , ou des animaux qui
s'en font nourris. Il eft aifé qu'on ne répare
ainſi qu'une partie du mal : on leur rend
tout au plus ce qu'il leur a coûté pour
fournir à la fubftance des plantes ; tous les
fucs féconds que les pluies & les vents leur
ont enlevés , & qu'ils leur enlevent continuellement
, font pour elles de pures
pertes.
De-là il conclut que les terres en général
doivent s'épuifer de plus en plus , puif
qu'elles perdent plus de fucs féconds qu'il
ne leur en eft rendu , & que cependant elles
ne produifent qu'à proportion de ce qu'el
les en contiennent. L'Auteur prévient une
objection qui fe préſente d'elle- même : ſi les
terres s'épuifent , les efpaces cultivés doiyent
fe refferrer de plus en plus , loin de
DECEMBRE. 1757. 109
s'étendre , comme il le paroît d'abord par
les nouveaux défrichemens qu'on fait tous
les jours ; mais il montre que ces défrichechemens
n'indiquent rien de contraire à
cet épuisement général des terres , en faifant
obferver que les efpaces qu'on défriche
font des terres qui étoient autrefois en
valeur , dont on n'a abandonné la culture
que quand elles fe font trouvées épuisées.
Celles de ces terres abandonnées ( fituées
ordinairement fur des pentes ) fur lefquelles
il ne fe forme point de gazon affez
épais pour arrêter & retenir les fucs féconds
que les pluies & les vents leur rapportent
, font celles par lefquelles fe font
fentir les progrès de cet épuifenient général
, auquel l'Auteur penfe qu'on ne ſçauroit
s'empêcher de reconnoître que nos
terres font exposées.
Mais feroit- il abfolument befoin , pourfuit-
il, d'avoir à prévenir les effets funeftes
d'un pareil épuiſement, pour chercher à tirer
parti des matieres que les pluies & les
vents enlevent aux terres cultivées ? Si ces
matieres font propres à rétablir la fécondité
des terres , elles méritent par ellesmêmes
les foins qu'on prendroit à les leur
rendre .
Rien n'eft plus ordinaire que d'entendre
nos Cultivateurs fe plaindre de la ra110
MERCURE DE FRANCE.
reté des engrais , de leur prix exceffif , &
de la difficulté qui en réfulte , de mettre en
valeur quantité de terres qu'ils fe croyent
obligés d'abandonner ou de laiffer dans
un état de maigreur qui ruine très-fouvent
l'efpérance des récoltes. Tous les fonds ,
toutes les vallées en font remplis , toute
la graiffe des terres voisines , tous les fucs
féconds que les pluies & les vents entraînent
, y font tombés , & nous y offrent
une fource de richeffes d'autant moins à
négliger , qu'il ne doit coûter que des
frais de transport pour en rétablir nos
terres.
L'Auteur raffure enfuite ceux qui pourroient
fe laiffer aller à la crainte de voir
ruiner les vallées , fi on leur enlevoit ces
matieres que les pluies & les vents leur
ont apportées , en faifant confidérer que
les dépôts qui fe forment dans ces vallées
font commencés depuis les premiers temps
du monde , qu'ils en ont rehauffé le tetrein
de 10 , 20 à 30 pieds , & qu'un demipied
, ou un pied qu'on laifferoit dans le
fonds de celles qu'on pourroit creufer ſans
trop d'inconvénient , fuffiroit pour produire
autant de fruits qu'on en retire aujourd'hui.
L'Auteur termine fon Mémoire en faifant
voir qu'on employe avec le plus grand
DECEMBRE . 1757. III
faccès pour l'engrais des terres , des matieres
entiérement femblables à celles dont
il recommande l'ufage ; telles font celles
qui proviennent du curement des rivieres.
Čes matieres font , comme celles qui font
venu remplir les vallées , le produit de ce
que les pluies & les vents ont enlevé aux
terres cultivées : ou s'il fe trouve entr'elles
quelque différence , c'eft à l'avantage de
celles qui font dépofées dans les vallées ,
puifque celles du fonds des rivieres ont
été lavées & comme dégraiffées dans l'eau
courante qui les a reçues , & que les autres
au contraire confervent encore tous les
fucs féconds qu'elles ont apportés des
plaines.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles Lettres de Montauban
, du 25 Août 1757.
L'A'Accaaddémie des Belles Lettres de Montauban
, a célébré la fête de S. Louis , felon
fon ufage ; & après avoir affifté le
matin à une Meffe fuivie de l'Exaudiat
pour le Roi , & au Panégyrique du Saint ,
prononcé par le R. P. Trebofe , religieux
de l'ordre de S. François , de la grande
Obfervance , elle a tenu , après midi , unc
112 MERCURE
DE FRANCE .
affemblée publique dans la falle de l'hôtelde-
ville.
M. de S. Hubert de Gaujac , Chevalier
de l'ordre militaire de S. Louis , Directeur
de quartier , a ouvert la féance en annonçant
au public les divers objets dont l'Académie
alloit s'occuper.
M. l'Abbé Bellet a lu enfuite l'Eloge
hiftorique de feu M. de la Mothe , Doyen
de l'Académie & de la Cour des Aydes ,
& il a tracé le vrai caractere de fes moeurs
& de fon talent.
M. de la Galaifiere , Intendant de cette
Généralité , qui avoit été élu à la place
de feu M. de la Mothe , a prononcé alors
fon Difcours de remerciement . Ce n'eft
point un fimple tiffu de louanges fines &
délicates ; c'eft de plus un ouvrage folide ,
nerveux , plein de fentiment & de chofes ,
& écrit avec beaucoup d'élégance. Le nouvel
Académicien y a démontré que les
Belles Lettres font également propres à
rendre le Magiftrat utile & aimable , en
l'éclairant & en adouciffant fes moeurs ; il
a fait obferver tout ce que l'humanité a
gagné par le progrès des fciences & des
arts . Autrefois , difoit-il , la Philofophie
fe bornoit à nous apprendre à chercher
norre bonheur en nous - mêmes ; elle nous
apprend aujourd'hui à rendre les autres
C
1
t
T
a
24
11
0
DECEMBRE. 1757. 113
heureux.... Chaque individu eft cher à
la patrie... Si nous avons une foule d'excellens
ouvrages fur les parties économiques
du Gouvernement , ce font tous des
écrits enfantés par les Belles- Lettres , &c.
M. de la Galaifiere en a caractérisé un ,
en particulier , mais il l'a fait en maître
qui , d'un feul coup de pinceau , fçait peindre
fortement & avec vérité. Du refte l'éloge
du Roi & celui du Miniftre , protecteur
de l'Académie , fe font placés na
turellement, & comme d'eux- mêmes, dans
fon Difcours ; & en parlant des membres
de la Compagnie , que l'ufage ou une attention
obligeante lui a offerts dans fa
marche , il a prouvé l'intérêt fenfible qu'il
prend déja au corps littéraire qui l'a
adopté , & fon habileté à tracer en peu de
mots des portraits reffemblans. Ces divers
tableaux réunis auroient fuffi pour compofer
un tribut académique fort ingénieux
, fi , relativement au fujet qu'il avoit
choifi , il ne s'étoit pas fait un devoir de
prêcher , pour ainfi dire , d'exemple , en
joignant lui-même , dans cette occafion ,
l'utile à l'agréable .
M. de S. Hubert , en lui répondant , a
pris ce ton libre & ailé , qui fed fi bien
à un Militaire ; mais il n'en a pas moins
obfervé toutes les regles de l'exactitude
114 MERCURE DE FRANCE.
de l'élégance & de la politeffe , qui diftin
guent un véritable Académicien . Quoiqu'il
ait prétendu être peu verfe dans l'art
de louer, il n'a pas laiffé d'en mettre beaucoup
dans les divers traits qu'il a raffemblés
, foit en parlant du Roi , foit en adreffant
la parole au nouvel Académicien.
Sans s'appefantir fur rien , fans rechercher
rien en apparence , il a faifi & embraffé
tout ce que fon fujet pouvoit lui préfenter
: il en a réfulté un enfemble délicat ,
qu'on affoibliroit en le décompofant dans
un extrait ordinaire .
Ici M. Bernoi , Secretaire perpétuel , ▲
adreffé des vers à M. de la Galaifiere , où ,
fous prétexte de lui expliquer les loix &
les ftatuts de l'Académie , il l'a peint adroitement
lui- même , en faifant femblant de
lui préfenter le tableau des obligations
d'un Académicien .
M. Carrere , fils , qui a entrepris un ouvrage
confidérable fur l'Union de l'efprit
des Lettres avec l'esprit du Gouvernement ,
a fait
part de fon plan à l'Académie. Il fe
propofe de prouver dans le plus grand détail
, que les connoiffances les plus vaftes
font néceffaires à l'homme d'Etat ; que
toutes les connoiffances font renfermées
dans les tréfors de la littérature ; que c'eft
là qu'on puife la fupériorité des lumieres ;
DECEMBRE . 1757. 119
que chez tous les peuples , la fageffe & la
fupériorité du gouvernement , ont été l'ouvrage
de l'efprit des Lettres ; que la France
, en particulier , dans l'oubli général
des Sciences , fut une nation fans ordre &
fans gouvernement ; & que l'époque de la
renaiffance des arts parmi nous , eft celle
de la grandeur & de la gloire où eft enfin
parvenue la Monarchie Françoife. L'Auteur
s'eft contenté de lire un chapitre de
fon ouvrage , qui , à en juger fur cette
premiere ébauche , deviendra auffi intéreffant
par la forme qu'il lui donne , que
par le fonds des matieres qu'il y traite.
Pour varier les lectures , M. l'Abbé Beller
a lu une Ode fur les fervices que les talens
ent rendus aux hommes , par l'invention des
arts. En voici la derniere ftrophe , où
l'Auteur , en s'adreffant au nouvel Acadé
micien , lui rappelle le fujet de fon Difcours
, & la maniere dont il l'a traité.
>
Loin d'ici ce dogme cinique ,
Où , pour dégrader les beaux Arts,
On veut qu'ils foient la fource uniqus
De nos plus coupables écarts .
La gloire de cette journée
Eft vifiblement destinée
A venger l'honneur d'Apollon :
Il fe prévaudra de l'hommage
116 MERCURE DE FRANCE.
Dont vous lui payez fon fuffrage ,
En entrant au facré vallon.
Comme l'Académie avoit encore à remplacer
feu M. de Caulet , Préfident da
Parlement de Touloufe , Académicien affocié
, M. l'Abbé Bellet a lu fon Eloge hiftorique
, où il l'a peint comme Académicien
& comme Magiftrat ; & M. le Directeur
a proclamé l'élection de M. le Chevalier
Chauvelin , Grand- croix de l'ordre
de S. Louis, Lieutenant- général des armées
du Roi , & fon Ambaffadeur à la Cour de
Turin.
Enfin M. le Secretaire perpétuel a lu le
Programme de l'Académie ; M. Largues ,
Tréforier de France à Toulouſe , couronné
plufieurs fois par l'Académie des Jeux Floraux
, a fait réclamer le prix de l'Ode qui
lui avoit été adjugé , & la féance a été
terminée par la lecture de cette Ode.
M. l'Evêque de Montauban ayant deftiné
la fomme de deux cens cinquante
livres , pour donner un prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles Lettres de cette ville , fe
trouvera avoir fait le meilleur Difcours
fur un fujet relatif à quelque paint de
morale tiré des Livres faints , l'Académie
diftribuera ce prix le 25 août prochain ,
fête de Saint Louis Roi de France.
C
P
21
Ca
DECEMBRE.
1757.
117
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1758 , Les grandes ames font capables
d'émulation ,fans être fufceptibles de jalousie ,
conformément à ces paroles de l'Ecriture
fainte : Quam ( fapientiam ) fine fictione
didici , fine invidia communico . Sap .
VII. 13.
L'Académie , en propofant une ſeconde
fois le même fajet aux Orateurs , les avertit
d'en bien prendre le fens , d'éviter le
ton de déclamateur , de ne point s'écarter
de leur plan , & d'en remplir toutes les
parties avec jufteffe & avec précision.
Les Difcours ne feront , tout au plus ,
de demi- heure , & finiront toujours
par une courte priere à Jefus-Chrift ."
que
On n'en recevra aucun qui n'ait une
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs ouvrages , mais feulement
une marque ou un paraphe , avec un paffage
de l'Ecriture fainte , ou d'un Pere de
l'Eglife , qu'on écrira auffi fur le regiſtre
du Secretaire de l'Académie.
L'Académie ayant réfervé le prix de
cette année , elle l'a deftiné à une Ode ou
à un Poëme dont le fujet fera , pour l'année
1758 , Les reffources de la France contre
fes ennemis.
118 MERCURE DE FRANCE.
Il aura ainfi deux prix à diftribuer ,
l'année 1758 , un prix d'éloquence & un
prix de poésie.
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
, dans le courant du mois de Mai
prochain, entre les mains de M. de Bernoy,
Secretaire perpétuel de l'Académie , en fa
maifon , rue Montmurat , ou , en fon abfence
, à M. l'Abbé Beller, en fa maiſon, rue
Cour- de-Toulouſe.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préſente en
perfonne , ou par Procureur , pour le receyoir
& pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secretaire trois copies bien lifibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte . Sans ces deux
conditions les ouvrages ne feront point
admis au concours.
Le Prix de Poéfie a été adjugé à l'Ode
qui a pour ſentence :
Vixêre fortes ignotique longá
Nocte carent , quia vate facro. Hor. Od . 9. L4
Le Poëme qui a pour fentence ( Carmen
amet quifquis carmine digna facit. OVID.)
a balancé les fuffrages.
DECEMBRE . 1757 . 119
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES,
PHYSIQUE,
LETTRE à l'Auteur du Mercure,
MONSIEUR ,
perfuadé que vous vous
prêtez autant que vous le pouvez à toutes
les chofes qui peuvent jetter de la lumiere
dans les ſciences , & qui peuvent tourner
à l'avantage de la fociété , j'efpere que
vous voudrez bien examiner les effets d'un
coup de tonnerre
& quelques
réflexions
que j'ai faites à ce fujet , & que vous les
inférerez dans votre Mercure , fi vous les
jugez dignes d'y occuper une place.
Le tonnerre eft tombé le 14 Juillet dans
un jardin du fauxbourg S. Marceau , fitué
un peu au- delà de la rue du Banquier , appartenant
à M. Defmet , Concierge du Jardin
des Apothicaires. Le tonnerre tomba
d'abord fur le faîte du pignon de l'orangerie
, où il fit tomber cinq ou fix pierres
& autant de tuiles ; il defcendit le long du
120 MERCURE DE FRANCE.
bord du pignon qui eft à l'oueft , & fit un
trou confidérable cinq ou fix pieds plus bas
que le précédent ; il y exerça même un tel
effort , que tous les environs du trou font
crevaffés : il fuivit toujours la même direction
, & fit une échancrure confidérable
à l'angle de l'entablement qui fe trouve
fept ou huit pieds plus bas que le trou
précédent. Ces effets qui n'ont rien que de
commun avec ceux que le tonnerre produit
ordinairement , ne mériteroient pas la peine
d'être obfervés , s'il n'en eût produit de
plus remarquables . Environ deux pieds
plus bas que l'entablement , le tonnerre
rencontra un fupport de fer qui fervoit à
foutenir un fil de fer qui commençoit à
porte du jardin , qui eft à l'ouest du pignon
, & fe terminoit à la fonnette qui fe
trouve attachée à l'eft de ce pignon . Le
tonnere arrivé à ce fupport fe divifa en
deux parties , dont une alla jufqu'à la
fonnette , & l'autre jufqu'au pied de biche
qui fervoit de poignée pour tirer la fonnette.
Le tonnerre fuivit exactement ce fil ,
qui peut avoir environ 60 ou 65 pieds de
longueur ; fçavoir, depuis ce pied de biche
jufqu'au fupport dont j'ai parlé , 45 pieds,
& depuis ce même fupport jufqu'à la fonnette
, environ 18 ou 20 pieds. La partic
du tonnerre qui alla à la porte , fuivit exacla
tement
&
c
c
de
DECEMBRE. 1757. 1218
tement le fil de fer ; ce que je jugeai par
la fufion du fer qui étoit double depuis:
le fupport jufqu'à la porte. Ce qui me parut
affez remarquable , c'eft que ces deux
fils qui étoient entortillés & cordés imparfaitement
, fe font trouvé foudés dans
les endroits où ils étoient les plus diftans
l'un de l'autre , tandis que dans les en-
- droits où ils étoient les plus approchés , la
fufion du fer étoit moins parfaire je n'y
trouvai que des petites mollécules de fer
réduites en gouttes prêtes à tomber , mais
qui ont été retenues par un prompr refroidiffement
. Le tonnerre arrivé à la porte ,
paffa au- delà en partie par le trou pratiqué
pour ce fil de la fonnette , & par un
autre petit trou déja fait , mais qui étoit
noirci d'une tache femblable à celles que.
la poudre à canon laiffe après la combuftion
. Paffé par ces deux endroits , diftans
l'un de l'autre d'un pouce & demi , il arriva
au levier de la fonnette ( ce qu'on
appelle communément le mouvement ) ,
& continua jufqu'au pied de biche , qu'il
noircit comme le trou précédent. Enfin
un demi pied plus bas que le pied de biche
, il fit une impreffion noire fur un
clou à large tête , & paffa , à deux pouces
delà , entre la porte & la muraille , pour
retourner dans le jardin , & fe précipiter
F
122 MERCURE DE FRANCE.
dans la terre ; ce que je jugeai par une
impreffion noirâtre qu'il laiffa à la porte
& à la muraille , qui n'avoit pas coutume
d'y être , & par un pied de vigne planté
contre la porte , dont les feuilles étoient
defféchées depuis cet endroit jufqu'à terre.
L'autre partie du tonnerre qui alla depuis
ce fupport jufqu'à la fonnette , ne fit
pas de fivives impreffions fur ce fil qui
étoit fimple , je remarquai feulement des
petites portioncules de fer à peine perceptibles,
qui étoient entrées en fufion ; ce que
je jugeai par la figure fphérique qu'elles
avoient adoptée : il n'y eut que la partie
du fil qui étoit attachée au tourillon de la
fonnette qui fut entiérement fondue . Le
tonnerre ne fit aucune impreffion à la fonnette
ni à la muraille , quoiqu'il l'ait
côtoyée dans une efpace d'environ vingt
pieds ; car cette partie du fil paffoit parallélement
au pignon , & n'en étoit éloignée
que de trois ou quatre pouces. Cette
partie du tonnerre ne fe borna point à la
fonnette : elle defcendit le long du bord
faillant du pignon jufqu'à terre ; ce qu'il
étoit aifé de remarquer par une vigne qui
fe levoit jufqu'à la fonnette, dont une partie
des feuilles ont été defféchées juſqu'au
pied.
Il y a lieu de croire que la plus forte
de
Pa
ga
jou
&
DECEMBRE.
1757.
123
ف
partie du tonnerre s'eft déterminée à enfiler
la partie du fil de fet, qui étoit double,
parce qu'il y avoir plus de matiere . Je n'en
juge pas , parce qu'il parcourut un plus
long efpace que la portion qui alla à la
"fonaette , mais par la grande différence
des effets ; car la fufion du fil qui étoit
double , fut bien plus parfaite que celle
du fil qui éton fimple. Il n'y a point lieu
de douter que , fi le tonnerre cut d'abord
rencontré le fil de fer , il auroiti épargné
le pignon , qu'il n'a point du tout ménagé ;
car dès qu'il eut une fois enfilé le fer de
part & d'autre , il ne produifit aucun effet
far les corps volfins , excepté quelques
feuilles de vignes & de poirier , qui fe
font trouvées dans fon paffage , & qui ont
éré
defléchées mais la feule vapeur aura
pu produire cet effer. ~-
•
En
confidérant tous ces effets un peu de
près , on doit paroître
difpofé à faire ref-'
fufciter l'ufage des
pyramides
décréditées
dès
l'inftant de leur
naiffance. Ce n'efti
pas , à la vérité , fans raifon qu'on a regardé
comme zero les effets qu'on leur
avoit affignés
gratuitement . On eft aujourd'hui
convaincu que le tonnerre eft
une
modification de la matiere
électrique ,
& que notre
atmosphere, & peut-être tout'
l'univers , font
remplis de cette
matiere."
F ij
126 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE NATURELLE!
OBSERVATIONS d'anatomie & d'hiftoire
naturelle , faites fur une espece de chien de
mer pris à Cette p✪ porté à Montpellier
1be5 Avril 1737 , préfentées à Meſſieurs
de la Société royale des Sciences de MontpelliersparM
Gayeau , Docteur en Médecine
de la même ville no h.1 :
1 Defcription des parties externes.
1. Ce poiffon eft appellé par Artedi
Squalus Cinereus ; M. Clin F'appelle Chat
de rocher : fa figure reflemble à celle du
Galens Glaucus qu'a donné Rondelet.
Il a 16 pieds de long depuis la tête juf
qu'à la queue , huit pieds de circonférence.
La peau eft de couleur gris cendrée
& un peu rude , ce qu'on apperçoit , en
portant feulement la main de la queue
vers la tête , il a huit pinces ou nageoires
, defquelles deux font placées après les
ouies , deux fur le dos , deux au ventre ,
une autre plus loin que l'anus , & une
termine la que queue.
2º. Les deux premieres appellées pec- 1
DECEMBRE. 1757. 127
torales , ont trois pieds de long , & font
placées une de chaque côté , après la derniere
ouie : elles reffemblent à des aîles
d'oifeau , & font adhérentes au corps par
un pédicule petit relativement à leur
grandeur.
3. Les ventrales font placées fous le
ventre , chacune à côte de l'anus ; elles y
forment un rebord femblable à celui des
grandes levres ; elles ont un pied de grandeur
, & font placées à trois pieds & demi
de diftance des pectorales ; leur figure eft
thomboïdale .
4°. L'efpace qui fe trouve entre ces
deux nageoires & la queue , eft occupé
par la nageoire de l'anus , qui eft impaire
; elle eft de la même figure que les
ventrales , & a un peu plus d'un demipied
de grandeur.
5 °. Sur le dos il y en a deux de la même
figure que les précédentes , & elles
n'en différent que par le bord fupérieur
& poftérieur , qui eft un peu frangé.
La premiere placée à trois pieds de diftance
du bout du mufeau , répond à l'efpace
intermédiaire des nageoires pectorales
& ventrales , & a vingt & un pouce do
grandeur.
La deuxieme placée à fept pieds de diftance
de la premiere , répond à la nageoi-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
re de l'anus , & a près d'un demi pied de
grandeur ; elles font toutes les huit cartilagineufes
, & n'ont dans leur épaiffeur
ni os , ni arête .
Na. Les nageoires ventrales & celles de
l'anus , comparées à celles du dos , fuivent
une espece de raifon renversée de
grandeur , enforte que la premiere dorfale
eft plus grande que les deux ventrales
, & la feconde dorfale eft plus petite
que celle de l'anus .
6º . La queue eft quarrée & fe termine
par une nageoire oblique , divifée en deux
parties : la fupérieure eft plus grande que
l'inférieure , & a environ deux pieds &
demi de longueur . Les quatre angles de
la queue fembloient être formés par des
apophifes des vertebres ; mais ces parties
étant difféquées , ne nous ont laiffé voir
qu'un cartilage qui fe prolongeoit dans
' les deux parties de la nageoire de la
queue .
Defcription des parties internes.
Ces poiffons manquent fouvent de
beaucoup de parties , que l'on trouve dans
les quadrupedes & dans les oifeaux ; c'eft
la raifon qui m'empêche de garder un ordre
méthodique dans la defcription interne
du chien de mer , dont il eft ici
C
DECEMBRE . 1757. 129
queftion. Je décrirai ces parties dans l'ordre
qu'elles fe font préſentées à l'ouverture
de l'animal .
:
1º. La tête commence au bout du mufeau
, & finit d'abord après la derniere
ouie elle reffemble à celle d'un cochon ;
mais elle a le muſeau plus pointa , ayant
deux pieds de long & quatre de circonférence
; à les mefurer après la derniere quie ,
revêtue de la même peau que le refte du'
corps , le mufeau eft mobile , & s'élève affez
haut pour que l'animal puiffe avaler fa
proie. Voyez page 132 , n°. 8 .
2°. Le cerveau eft fort petit , relative--
ment à la groffeur du poiffon ; il eſt de :
figure ovale , & il égale la groffeur du
poing , fitué dans la partie moyenne &
fupérieure de la tête , renfermé dans une
cavité , & enveloppé de matieres mucilagineufes
; il donne pour la moëlle alongée
deux branches groffes comme le doigt , qui
fortent du crâne & defcendent , une de
chaque côté, dans un demi canal , qui tient
la place des apophifes tranfverfes des vertebres
de l'homme , & que je décrirai plus
bas. Page 138 , no . 18 .
3. Les yeux font de là groffeur d'un
auf de poule , reconverts d'une membrane
circulaire affez épaiffe , attachée autour de
Forbite , & qui faifant fonction de pau-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
pieres , laiffe cependant la prunelle toujours
découverte ; la cornée eft fort dure ,,
épaiffe d'environ deux lignes , & diminue
d'épaiffeur en s'approchant de la circonférence
au centre, où elle devient plus molle
& plus claire. Les autres tuniques n'ont
rien de particulier.
La rétine eft blanchâtre , & de confiftance
gélatineufe ; le cryftallin eft allez
tranfparent , & égale la groffeur d'un oeuf
de moineau ; l'humeur aqueufe eft en partie
lymphatique , le corps vitré n'a rien
d'extraordinaire.
Les différens mouvemens de l'ail s'operent
par le fecours de fix mufcles , gros.
comme le petit doigt , & de la même longueur
; ils font adhérens par une extrêmité
autour du globe de l'oeil , & fe recouvrent
réciproquement ; l'autre extrêmité eft adhérente
autour d'un cartilage prefque auffi
gros : ce cartilage prend le nerf optique à
fa fortie du crâne , & l'accompagne dans
l'orbite jufqu'à fon adhérence au globe
de l'oeil ; le nerf eft de la groffeur d'une
plume à écrire ces fix mufcles , le nerf &
le cartilage forment enfemble ,un paquet
affez gros , qui eft enveloppé de matieres
glaireufes , & qui remplit exactement tout
l'orbite.
L'eil ainfi porté fur ce cartilage ( auDECEMBRE.
1757. 131
quel eft adoffé le nerf ) comme un globe
fur un pédicule , ne peut preffer le nerf
optique , ni empêcher les mouvemens des
mufcles qui , ayant leurs mouvemens libres
, peuvent l'attirer en différens fens.
Ce cartilage femble fervir d'antagoniſte
aux fix mufcles qui , dans leur action fimultanée
, éloigneroient l'oeil des paupieres.
Gefner a erré dans la defcription de
l'oeil de la lamie : il a dit qu'à la place du
nerf optique qu'on trouve dans les animaux
, il n'a trouvé qu'un cartilage affez
dur. De Pif. pag. de lamia.
4°. Les narines font deux trous capables
de recevoir une feve de marais , placés
à un demi-pied du bout du mufeau , inférieurs
& antérieurs aux yeux ; ces trous
font intérieurement revêtus d'une membrane
très fine, qui donne nombre des filets
qui , s'entrelaffant vers le milieu , laiſſent
appercevoir un plexus admirable dans le
fonds de la cavité : je n'ai pu découvrir la
communication de ces trous avec le cerveau
, quoique Valfal affure l'avoir vue..
Epift . anat. xvij , art. 41 %
5. Cette efpece de poiffon n'a point de
trou auditif , & dans les poiffons du même
genre qui en ont , on les trouve placés à la
partie inférieure & poftérieure aux yeux
comme dans le centrina ou truye de mer.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE:
6°. La gueule eft la partie la plus pro
portionnée à la grandeur de l'animal ; elle
s'ouvre en deffous , & eft à un demi- pied
de diſtance du bout du mufeau , & à près
de trois pieds & demi d'ouverture.
7°. Les mâchoires font garnies antérieurement
de deux rangées de dents ; mais
devenant plus larges , & avançant vers le
fond du gofier , elles en reçoivent jufqu'à
fept rangs ; les os des mâchoires ne font
pas proprement des os , & font cependant
plus que cartilagineux.
So. Les dents font les feuls os qui fe
trouvent dans cet animal : elles font touteségales
en groffeur & en figure , reffemblant
à des cardes à carder la laine , ayant
leur crochet tourné vers le fond de la
gueule , & font un peu mobiles , n'étant
attachées fur les mâchoires que par une
efpece de cuir noirâtre. Leur groffeur n'ex
cede pas
celle des graines de lin ; elles font
entieres , & ne font pas faites en fcie comme
celles de la lamie..
Na. Les défavantages que pourroit tirer
ce poiffon de la configuration de fes parties
, feroient bien grands fi la nature n'y
eût pourvu de plufieurs manieres. 1º . Si ce
mufeau étoit immobile , bien loin d'avaler
fa proie , il la poufferoit & l'éloigneroit.
2. Si les dents étoient fixes dans la mâDECEMBRE
. 1757. 135
choire', qu'elles fuffent plas groffes & même
qu'elles euffent leurs crochets tournés
en dehors , la proie parvenant dans la
gueule les feroit toutes relever , & ne.
pourroient pénétrer ; mais la providence a
fauvé à cet animal les inconvéniens qui
pourroient naître de la configuration de
fes parties en leur donnant des mouvemens
contraires , puifque le mufeau pouvant fe
relever , fa proie trouve un libre accès dans
la gueule ; & les dents pouvant fe fléchir à
fon approche , la laiffent paffer , ou fe relevent
pour la foutenir , comme feroient de
véritables valvules.
9. Sa langue eft fort grande , toute
cartilagineufe , liffe & polie , & femble
recouverte d'un parchemin jufqu'au fond
du gofier , où elle eft garnie de nombre
de mammellons affez gros elle a en
fon total un pied de longueur , demipied
de largeur , & un pouce d'épaiffeur
, depuis le bout jufqu'au frein ; elle
eft mobile dans fa circonférence , à fa bafe
ou racine : elle donne de chaque côté cinq
ramifications , qui font cinq pieces carti
lagineufes , comme la langue , de la longueur
& de la groffeur du bras d'un jeune
enfant ; elles vont directement au fond
du gofier , où étant parvenues , elles fe
zéfléchiffent antérieurement , & viennent
134 MERCURE DE FRANCE.
s'articuler au bord antérieur de la ma
choire fupérieure. Ces cartilages , étant
mobiles , détachés du palais à un peu de
diftance les uns des autres , revêtus de la
même peau que le corps de la langue ,
font ornés , à la face externe , de cils offeux ,
rangés les uns à côté des autres : ces cils
font des offelets , de la longueur du doigt ,
& grêles , noirs & caffans comme du verre
, rangés les uns à côté des autres , larges
à leur bafe , & adoffés par des ſurfaces
plattes ; les cartilages ainfi armés , ſe
trouvent à découvert lorsqu'on écarte les
levres des ouies..
10. Les ouies font des fentes de deux
pieds de long , qui terminent la tête ; elles
partent de la nuque , & fe portent en de☛
vant & en deffous jufques fous l'afophage,
placées au nombre de cinq de chaque côté,
à un pouce de distance les unes des autres ,
paralleles entr'elles. Les levres fupérieures
de chaque ouie font toutes ridées intérieurement
; elles font foutenues par des cartilages
coniques de la groffeur & de la lone
gueur du petit doigt , placés en grand nombre
dans leur épaiffeur , à deux pouces de
distance les uns des autres : on voit leur
extrêmité quand on écarte les levres des
Quies .
N. Les ouies répondent au fonds de la
DECEMBRE: 1757. 1356
gueule , & paroiffent fervir à évacuer l'eau
que peut avaler le poiffon ; les cils offeux
qui font attachés aux cinq cartilages ou
rameaux de la langue , font détachés de
toute leur longueur , & repréfentent des
peignes je penfe que leur ufage eft de
rejetter l'eau , & de retenir les alimens
néceffaires à la vie de l'animal ..
11° . Le coeur eft plus gros que celui d'un
bouf; il eft à peu près conique , n'ayant
qu'un feul ventricule & une feule oreillette
: on découvre à la naiffance de l'aorte.
une dilatation confidérable qui reffemble.
à un fecond petit coeur , ne perdant jamais
fa figure ni dans la diaftole , ni
dans la fiftole ; il eft logé dans une cavité
particuliere , fitué derriere l'ofophage , &
fous la nuque féparé des autres parties par
un diaphragme fort épais ; il ne differe de
celui du thon que par la figure , celle du
dernier étant tétraëdre ; il ne m'a pas été,
poffible de l'examiner plus févérement , ne
l'ayant pas eu en ma difpofition.
12. L'ofophage eft large , épais & enduit
de glaires fort épaiffes ; l'orifice qui
refulte de la connexion de l'eftomac à
l'ofophage eft fort étroit.
13 °. L'eftomac eft fort grand , étran-.
glé en fon milien , femblable à une courde
pélerin , épais , prefque ovalaire :
136 MERCURE DE FRANCE:
le pilore eft grand à pouvoir introduire
deux doigts. Le canal inteftinal eft d'une
ftructure bien curieufe , & affez difficile
à décrire ; je le divife , autant qu'il m'a
paru poffible , en deux grêles & un gros
inteftin ; le premier en partant du pilore
, fe réfléchit derriere l'eftomac fur le
corps des vertebres : fa longueur , juſques
à l'endroit où il forme un coude avec lefecond
, eft d'un pied ; le fecond fe réfléchit
fous le premier , & fe porte vers l'efromac
étant parvenu à fa convexité : il
communique avec le rectum par une petite
ouverture. Ce rectum eft trés- confidérable :
il est long d'un pied & demi , & a un
demi-pied de diametre , fort épais , liffe &
poli extérieurement , intérieurement fait
en fpirale ; mais à quelques pouces de diftance
de l'anus , il ceffe d'être fpiral , &
devient fimple canal . Il donne par côté
une valvule auffi confidérable que ta veffie
urinaire , à laquelle il communique
par un petit trou ; cette veffie eft attachée
aux vertebres par un ligament très fort
qui y eft adhérent depuis fon col jufq
fa convexité ou bafe . On trouve tout au
près une papille auffi groffe qu'une noifette
, percée en fon milieu l'anus fe
trouve placé entre deux nageoires du ventre
; fon ouvertute eft affez grande pour
recevoir le bras d'un homme.
DECEMBRE. 1757. *
137
Na. Cette valvule fe trouvant placée
entre le rectum & les vertebres , l'ufage de
ce ligament paroît être celui de foutenir
Ia veffie ou valvule , de l'empecher de
preffer par fon propre poids la maffe inteftinale
, de permettre aux excrémens un
libre paffage vers l'anus , ou même celui
de cette valvule , eft de fournir une liqueur
qui facilite l'excrétion de matieres
fécales .
14°. Les reins font plus gros que ceux
de l'homme ; les uréteres gros comme une
groffe plume à écrire : j'ai bien vu une veffie
, mais n'étant pas feul à travailler à
l'ouverture de ce poiffon , & l'ayant trouvée
detachée , fans doute par un coup
d'inftrument donné mal à propos , je n'oſe
affurer qu'elle foit la veffie urinaire.
15°. La ratte faite en fer de lance , eft
affez groffe ; une de fes extrêmités ( vers
la baze ) eft plus longue & plus grêle que
l'autre.
16 ° . Le pancréas eft un corps glanduleux
, reffemblant à une groffe grape de
raifin , terminé par un efpece de chapelet
fort long , & qui fe réflechiffoit fur le
corps du pancréas . Il eft de la groffeur du
foie humain , fa face fupérieure convexe ,
& fon inférieure applatie . Quelques - uns:
le prirent pour la ratte , d'autres le
138 MERCURE DE FRANCE.
foupçonnerent être les ovaires .
17°. Le foie elt le vifcere le plus confidérable.
Il occupe exactement toute la cavité
du ventre , depuis la tête jufqu'à l'anus.
Il eft fait de deux lobes , qui dans
feur milieu portent & recouvrent tous les
vifceres du ventre , excepté les reins ; toute
la maffe inteftinale eft portée par un ligament
confidérable , qui paffant entre deux
globes du foie , va s'attacher aux vertebres
du dos.
18°. Les vertebres font des corps cartilagineux
, de la figure des dames à jouer ,
ayant deux pouces de diametre , & autant
de hauteur, exactement ronds, leurs furfaces
fupérieures & inférieures concaves ;
étant feches , elles reffemblent à un tronc
d'arbre coupé en travers , & laiffent appercevoir
des cercles concentriques , ou
des différentes couches , tomme les traînées
des arbres. Elles font articulées entr'elles
par un ligament très-fort , qui les
fépare à un demi pouce les unes des autres
ce ligament retient une liqueur qui
facilite les mouvemens des vertebres.
Ces vertebres , quoiqu'ainfi articulées ,
céderoient facilement aux moindres efforts ,
fi elles n'étoient foutenues par deux pieces
longitudinales, une de chaque côté , à l'endroit
où font ordinairement placées les
DECEMBRE. 1757. 139
apophiles tranfverves. Ces deux corps reffemblent
à un cylindre creux , qu'on auroit
Coupé dans fa longueur, & dont on auroit
une partie , d'un côté des vertebres , &
l'autre du côté oppofé , obfervant que la
concavité regardât la convexité ou le corps
des vertebres : c'eft dans la cavité femi
circulaire qui réfulte de l'adoffement de ce
cylindre , que font placés de chaque côté
les deux filets de la moëlle alongée , &
qui , partant du cerveau , fe prolongent
jufqu'à la queue : ces deux pieces font de
toute la longueur du corps,& d'une nature
différente des vertebres ; ce qui m'empê
che de pouvoir les appeller apophifes.
Na Ces deux corps placés un de chaque
côté à la colonne vertébrale , garantiffent
les vertebres & la moëlle alongée de
tout fâcheux accident , & capables par leur
élasticité de réprimer les efforts dangereux,
ils empêchent les vertebres de s'écarrer les
unes des autres. Les nageoires du dos fontl'une
plus grande que les deux du ventre ,
& l'autre plus petite que celle de l'anus ::
ce jeu de la nature femble uniquement
ménagé pour contrebalancer leur action
afin que les parties fupérieures n'étant pas
plus fortes que les inférieures , l'animal
puiffe, en nageant , garder l'équilibre : les
pectorales femblent lui fervir de balancier
140 MERCURE DE FRANCE.
celles de la queue doivent auffi fervir à
diriger fes courfes.
Il m'a été impoffible de découvrir les
parties de la génération dans cette espece
de fqualus , mais je rapporterai ailleurs ce
que j'ai vu fur un poiffon du même genre
appellé petit chien de mer.
CHIRURGIE.
LETTRE à M. *** Chirurgien- Dé
monſtrateur , &c, par M. Cambon , Chirurgien-
Major , &c.fur les tailles faites à
l'hôtel- Dieu de Paris , le 20 Juin 1757.
MONSIEUR , les converſations que nous
avons eues , fur les différentes méthodes
de tailler , la nature des pierres , le tempérament
des malades , & plufieurs autres
chofes relatives à cette grande opération ,
me perfuadent que vous ferez charmé d'ap
prendre ce qui s'est paffé à la taille de l'Hô
tel- Dieu de Paris , à laquelle j'ai affifté le
jour de mon départ pour l'armée . Voici ce
que j'ai vu & obfervé très- attentivement.
M. Moreau, chirurgien Major de cer ho
pital, commença cet important ouvrage, les
pierreux étoient au nombre de 6, il en tailla
ན་ན DECEMBRE. 1757. 140
L
deux , & tira au premier , après d'affez
longues recherches , une pierre très- peti-'
te, & aut fecond une autre de la groffeur
d'une dragée platre. Les fecondes & les
minutes que l'on a profcrit avec raifon de
cette opération , n'auroient pas brillé à ces
deux tailles. M. Detrufy , premier gagnant
maîtriſe de cet Hôpital , aidé de la
main , & des confeils de M. Moreau , en
tailla deux autres. Il leur fira à chacun.
une pierre ; l'une étoit moyenne , & l'autre
petite. Les deux derniers furent taillés
par M. Gille , fecond gagnant maîtriſe au
même hôpital. Son premier étoit âgé de
douze à treize ans. Il faifit la pierre::
mais quelque effort qu'il fit , à plufieurs
tentatives réitérées , il ne put l'extrairè ;
ce qui engagea fans doute M. Detrufy a
venir à fon fecours. M. Gille tenoit les
branches de tenettes fortement ferrées
avec les mains , pendant que celles de M.
Detrufy étoient placées aux anneaux , ils
tiroient tous les deux de toutes leurs forces,
la tenette échappa plufieurs fois hors de la
veffie fans pierre. M. Moreau toujours at
tentifà l'état du malade , & aux manoeuvres
de l'opération , jugea auffi prudemment
qu'à propos , qu'il étoit temps de
remettre le malade dans fon lit , & de lui
laiffer le corps étranger dans la veffie .
T42 MERCURE DE FRANCE,
00
On porta le fixieme & le dernier ma
lade , qui fut taillé par la même méthodes
on chercha pendant longtemps la pierres
ne pouvant la rencontrer avec la tenetic y
on le fit remettre au lit , en difant que la
pierre fortiroit pendant la fuppuration.
Il n'eft pas douteux qu'on n'eut reconnu
une pierre à cet enfant avant de le deftinet
à l'opération , quoiqu'on n'ait pu la trouver
avec la tenettel m
· Vous ne ferez pas furpris , Monfieur ,
de ces événemens fâcheux , lorfque vous
fçaurez que l'on pratique le grand appareil
je vous avouerai que cette manoeu
vre furannée me furprit beaucoup , furtout
après avoir lu le troifieme volume des
mémoires de l'Académie de Chirurgie ;
car je m'attendois que le chef du premier
hôpital de France , Membre de cette Académie
, fe feroit rendu à l'évidence , &
auroit abandonné une méthode qui , du
propre aveu de l'Académie , eft mal imagi
née , &meurtriere parfa nature.
On lit dans ces mémoires , en parlane
des partifans du grand appareil Nous
n'adoptons point leur prévention : bien
» inftruits du fond de la méthode du grand
appareil , nous jugeons qu'il n'eft pas
prudent de fuivre une route difli dángereufe
, & qu'on ne peut fans témérité
19
39
DECEMBRE. 1757 143
"
s'expofer à une opération qui a des fui-
» tes fi fâcheufes , dont les lumieres & la
dextérité du meilleur Lithotomifte ne
pourroient pas garantir.
و ر
33 22
Après cet anatheme prononcé par l'Académie
, contre le grand appareil , & rapporté
dans fes faftes, je vous avouerai franchement
que je m'attendois à voir pratiquer
dans ce fameux hôpital , & furtout
entre les mains d'un Académicien , quelqu'une
des méthodes latérales , pour leſquelles
cette Académie s'eft décidée.
J'ai appris pendant mon féjour à Paris ,
que les Chirurgiens Majors de l'Hôpital
de la Charité Académiciens auffi ) ont
taillé encore cette année par le grand
apareil.
Vous m'avez objecté plufieurs fois , en
parlant des lithotomiftes de l'Hôtel - Dieu
qu'ils latéralifoient un peu leur grand appareil
par leur prétendu coup de maître,
Cependant l'attention fcrupuleufe que j'ai
porté à toutes leurs manoeuvres, m'a prou
vé que non feulement il n'en eft rien ,
mais encore qu'ils n'ont nullement appro
ché ,
, par ce coup de maître , de la glande
proftate. L'effort confidérable qu'ils ont
été obligés de faire chaque fois pour entrer
leur inftrument dans la veffie , m'en a entiérement
convaincu : d'ailleurs leur coupe
144 MERCURE DE FRANCE.
extérieure m'a fait juger , qu'ils ne pouvoient
atteindre le col de la veffie : ils ont
employé toutes leurs forces pour le franchir
, & dilater la proftrate avec le doigt
conduit fur le conducteur. Malgré cet effort
dangereux , M. Gilles n'a pu introduire
la tenette dans la veffie à ſon premier
malade. Comme fa tête conduifoit fes
inftrumens , il s'apperçut qu'il alloit faire
faire une fauffe route , il quitta ſa tenette,
prit fon conducteur femelle , & l'introduifit
dans la veffie à la faveur du conducteur
mâle , qui y étoit déja , & à l'aide de
ces deux inftrumens , il pouffa fa tenette
avec tant d'effort , qu'il parvint enfin dans
la veffie . Il chargea promptement la pierre
; mais fa groffeur (de laquelle on pouvoit
aifément juger par l'écartement des branches
de la tenette , & qui ne paroiffoit être
médiocre ) lui oppoſa tant de reſiſtance
, qu'il ne put la vaincre ; ce qui l'obligea
à demander fon lithotome à ceux qui
l'affiftoient , pour faire fans doute un debridement
capable d'en faciliter l'extraction.
On lui refufa , en lui difant que cela
n'étoit point néceffaire. Nonobftant ce refus
, & le défaut effentiel de dilatation ,
il chargea plufieurs fois la ' pierre : mais .
fes forces , jointes à celles de M. Detrufy,
furent épuisées , & infuffifantes , puif
qu'il
que
1
te
DECEMBRE . 1757. 145
qu'il fallut laiffer le corps étranger dans la
veffie , comme je vous l'ai dit plus haut.
Il eſt malheureux pour M. Gilles qu'on
n'ait pas voulu , malgré les inftances , lui
accorder fon lithotome. La prolongation
qu'il vouloit faire de l'incifion , lui auroit
indubitablement facilité l'extraction de la
pierre ; en même temps il eût évité les
tiraillemens & les fouffrances affreufes
qu'il occafionna , & qui conduifent prefque
toujours les malades à la mort.
Je viens d'apprendre que le malade a été
remis fur la table , & qu'on a répété la même
manoeuvre , plus de huit jours après ,
fans autre fuccès , que celui d'en emporter
un petit morceau , & qu'il eft enfin mort
quelque jours après , avec le refte de la
pierre. L'oftention de cette pierre à tous les
Chirurgiens de l'Hôtel - Dieu , qui avoient
été préfens à l'opération , auroit fans doute
fait connoître que la groffeur de fon volume
avoit eu autant de part à la difficulté de
fon extraction que le défaut d'incifion fufffante
, annexé au grand appareil : mais on
m'a affuré de très-bonne part , qu'on y
avoit manqué , quoiqu'on eût ouvert fon
cadavre. Cette omiſſion fuppofée veritable,
ne deviendroit-elle pas une preuve fans
replique de la médiocrité du volume de ce
Corps étranger.
146 MERCURE DE FRANCE.
Je crois ne vous rien avancer de trop ;
Monfieur , quand je vous dis que la pierre
reftée dans la veffie , étoit d'un volume
moyen je puis vous affurer avoir taillé
plufieurs malades avec l'excellent lithotome
caché du Frere Côfme ; & quoique
l'écartement des branches de la tenette me
fit eftimer fort fouvent des pierres plus
groffes que celle - là ne le paroiffoit , je les ai
toujours extraites avec une grande facilité.
Cette vérité ne fçauroit m'être conteſtée
parce que je n'ai jamais opéré qu'en préfence
des plus grands maîtres qui fe ſont
trouvés à portée des différens endroits où jai
taillé. Ces malades n'ont eu aucun accident
, & font tous parfaitement guéris.
Je finis ma lettre par un trait qui devroit
fervir de modele à tous les grands hommes
pour le bien de l'humanité.
M. Boullard , fameux Chirurgien à
Caën , & éleve de l'Hôtel - Dieu de Paris ,
tailloit dans la Baffe Normandie , par le
grand appareil. Malgré fes fuccès , il redoutoit
tous les défauts de cette méthode .
Il vit tailler avec le lithotome caché du
Frere Côme. La facilité de faifir les pierres
, & d'en faire l'extraction , quoique
groffes , jointe à la préciſion & à l'inva
riabilité de l'inciſion , lui firent fur le
champ abandonner le grand appareil , pour
DECEMBRE. 1757. 147
ne plus fe fervir que du lithotome caché.
On lui adreffa en 1753 , le nommé Etien-
Mariguy , 1 boureur du village d'Angerny
, âgé de 26 à 27 ans comme il n'avoit
pas fait avec cet inftrument pour lors
affez d'expériences fur le cadavre pour fe
mettre au fait du manuel , il me preffa de
le tailler en fa préfence : je lui tirai , avec
beaucoup d'aifance , une pierre affurément
plus groffe que celle qu'on n'a pu arracher
à l'Hôtel- Dieu de Paris . Dix jours après ,
en allant faire d'autres tailles dans ce canton
avec MM. Aubert & Mingot , Maîtres
en Chirurgie à Caën , nous vîmes le malade
qui fe promenoit dans fon jardin , parfaitement
guéri .
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Halberstadt.
SÉANCE
PUBLIQUE
De l'Académie royale des Sciences.
Le Samedi 12 Novembre , cette Compagnie
tint fa féance publique d'après les
vacances , M. de Séchelles , ancien Contrôleur
Général des finances y préſida .
Plufieurs mémoires y furent lus . Le premier
fur les moyens de mefurer la lumiere,
avec des applications de quelques uns de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ces moyens , par M. Bouguer. ( Nous
en donnerons l'extrait dans le Mercure
prochain ) . Le fecond mémoire fur les
variations apparentes dans l'inclinaifon
du plan de l'orbite du cinquieme fatellite
de Saturne , & fur les lin.ites des athmofpheres
, par M. le Monnier, Le troifieme
fur la comete qui a paru au mois de Septerabre
dernier , par le Pere Pingré, Le
quatrieme fur la tranfmutation des acides,
& fur leur identité fondamentale , par M.
de la Sone, Le cinquieme & dernier mémoire
contenoit des obfervations géograph.
ques & phyfiques , où l'on donne une
idée des terres auftrales , & de leur mer
glaciale , par M. Buache.
AVIS aux Soufcripteurs de l'Encyclopédie ,
1757.
Les Avertiſſemens qui fe trouvent au
commencement de plufieurs volumes de
l'Encyclopédie , ont informé le Public des
augmentations dont elle a été enrichie par
un grand nombre de Gens de Lettres .L'intérêt
qu'ils ont bien voulu prendre à une
entreprife qui fait honneur à la Nation ,
a néceffairement procuré une plus grande
étendue à l'ouvrage , en même temps qu'il
DECEMBRE. 1757: 149 .
contribué à fa perfection . C'est ce qui
nous met dans la néceffité de prévenit
MM. les Soufcripteurs , que cet ouvrage
contiendra plus de volumes que nous n'en
avonsannoncé par le projet de foufcription.
Nous le faifons avecd'autant plus de confiance
, que le public nous a paru le rece
voir avec fatisfaction . Cependant nous ne
pouvons rien ftatuer fur le nombre de's
volumes ; mais nous pouvons affurer
qu'il en reſte moins à paroître que nous
n'en avons publié.
La matière des Arts en particulier , cette
partie fi intéreffante & fi précieufe , s'eſt
tellement enrichie, qu'au lieu de 600 planches
que nous avons d'abord annoncés ,
nous en aurons mille que nous diftribuerons
en quatre volumes de 2 so planches
chacun , fans compter leur explication.
Quoique le prix du papier , de l'impreffion
, & de la gravure , foit aujourd'hui
beaucoup plus haut qu'il ne l'étoit , forf
que nous avons publié le projet de foufcription
au mois d'octobre 1750 ,nous nous
fommes cependant fait une loi de fuivre à
la rigueur les conditions qu'il contient ,
pour le cas où l'ouvrage auroit plus de volumes
que nous n'en annoncions .
Pour cet effet nous évaluons les 400
planches furnuméraires fur le pied des Goo
Giij
Jo
MERCURE DE FRANCE.
reiros , & nous répandons une partie
u prix de ces 400 planches fur les volunes
de difcou s qui fuivront le huitieme ;
omme nous avions porté une partie du
ix des 600 premieres planches fur les
air premiers volumes de difcours annon-
S.
Le prix fixé aux huit volumes de difurs
, & aux fix cens planches , faifant
dix volumes promis par le projet de
fcription , publié en Octobre 1750 ,
it de 280 liv. fçavoir , pour les huit
umes de difcours , à 18 liv. 144 liv.
r les fix cens planches 136 liv.
Les 400 planches nouvelles feront
ées au prorata des fix cens premieres ,
-à-dire 8o liv. & les nouveaux volude
difcours à 18 liv . Mais pour nous
Former à ce qui s'eſt déja fait , & afin
ivifer les paiemens en parties égales ,
continuerons de recevoir 24 liv. par
ue volume d'impreffion jufqu'à la fin
ouvrage ; & de chacun de ces paie-
, il en fera imputé fix liv. à valoir
s nouvelles planches : enforte qu'en
ant le dernier volume avec les figures,
ufcripteurs n'auront à payer que 18
our le volume d'impreffion , & le
- du prix des figures , ce qui fera
cile à régler,
de
DECEMBRI
Cet arrangement ne cha
des Soufcripteurs qui ne
qu'après le premier Juil
les foufcriptions étoient
quelsl'ouvrage revient a
fuivant l'avis publié 1
Juillet 1751 .
Les Soufcripteurs fon
venir avantfix mois aux
le
dernier coupon
fur lequel le huitieme
devoit leur être délivi
fourni une nouvelle
re
laquelle ils recevront
le
mes de difcours
& ceux
formément
aux engage
nons par le préfent avis
n'ont pas
pas fonferit , lep
conditions anciennes
en
feuille
, & au prora
gures à 86 liv.
A
l'occafion de
cett
nous
propofons
de fai
remédier à
l'inconvé
tions
égarées.
Pour
qu'il fe
pourra ,
nous
trouvent
dans ce cas
former
d'ici à
trois
nant
toutes
les
inftru
fujet ,
avec
leurs no
DECEMBRE . 1757. TSI
Cet arrangement ne change en rien le fort
des Soufcripteurs qui ne fe font préfentés
qu'après le premier Juillet 1751 , lorfque
les foufcriptions étoient fermées , & auxquels
l'ouvrage revient à 24 liv. de plus ,
fuivant l'avis publié ledit jour premier
Juillet 1751 .
Les Soufcripteurs font priés de faire parvenir
avant fix mois aux Libraires Affociés
le dernier coupon de leur foufcription ,
fur lequel le huitieme volume de difcours
devoit leur être délivré ; & il leur fera
fourni une nouvelle reconnoiffance , fur
laquelle ils recevront les nouveaux volu
més de difcours & ceux des planches , conformément
aux engagemens que nous prenons
par le préfent avis. Quant à ceux qui
n'ont pas ffoonnffeerriitt ,, le prix eft réglé par les
conditions anciennes à 25 liv. le volume
en feuille , & au prorata le volume de figures
à 86 liv.
A l'occafion de cette opération , nous
nous propofons de faire nos efforts pour
remédier à l'inconvénient des foufcriptions
égarées. Pour y parvenir , autant
qu'il fe pourra , nous prions ceux qui fe
trouvent dans ce cas de nous en faire informer
d'ici à trois mois , en nous donnant
toutes les inftructions poffibles à ce
fujet , avec leurs noms & demeures .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Et pour prévenir de pareils inconvé
niens dans ce nouvel arrangement , nous
prions MM. les Soufcripteurs de trouver
bon que nous ne leur délivrions les quirtances
nouvelles , qu'en nous faifant donner
leur nom , qui fera infcrit fur leur
quittance & fur nos regiftres , afin de les
foulager dans la recherche, s'il arrivoit en
core qu'il s'en perdît.
LES LIBRAIRES ASSOCIÉS A L'ENCYCLOPÉDIE.
A Paris , ce premier Novembre 1757.
1
f
P
DECEMBRE. 1757. 155
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
E
MUSIQUE.
PROSPECTUS.
Le goût du Public pour la mufique eft
devenu trop épuré & trop général , pour
ne pas s'empreffer de varier & de multiplier
fes amuſemens.
Le fieur de la Garde , Maître de Muftque,
en furvivance, des Enfans de France
Compofiteur de la Chambre de Sa Majeſté,
& Ordinaire de fa Mufique , qui a eu le
bonheur d'éprouver les bontés du Public
pour fes Duo & pour fes autres ouvrages ,
préfumeroit-il trop de fon zele & de fes
talens , s'il fe flattoir de mériter de nouveau
les mêmes fuffrages ? C'eft dans la
feule vue de plaire au Public qu'il' entre
prend de lui donner tous les mois , à com
mencer au mois de Janvier 1758 , un
Gyi
154 MERCURE DE FRANCE.
R.cueil de fa compofition , qu'il aura foin
de mêler de différens genres de mufique ,
comme Cantatilles avec fymphonie , Duo ,
Chanfons & Brunettes avec accompagnemens
de guitarre . Cet inftrument femble
fait pour la fociété , & pour les perſonnes
dont la voix eft douce & légere ; le
naturel qu'il exige , le fentiment qu'il exprime
, la facilité que l'on a de s'accompa
gner foi- même en font le charme : c'eft ce
qui a engagé particuliérement le fieur de la
Garde , à travailler les accompagnemens
de fes chanfons & de fes brunettes pour
guitarre. Il ne négligera rien pour que ce
Recueil foit agréable , tant du côté de la
mufique , que du côté des paroles .
la
Plufieurs perfonnes qui ne cultivent les
mufes que pour leur fimple délaffement ,
lui ont ouvert leurs porte- feuilles , charmés
de pouvoir concourir au fuccès de
fon projet : enfans de la gaieté , du plaifir &
du fentiment , leurs ouvrages font faits
pour être chantés. Le fieur de la Garde invite
donc tous ceux qui poffedent le talent
de compofer , foit à Paris , foit dans la
Province , de lui envoyer , à l'adreffe du
Mercure ci- après , leurs ouvrages ( francs
port ) . Il les recevra avec reconnoillan
ce , & nommera les Auteurs qui fouhaitede
Iont être nommés.
C
P
C
d.
D
ea
DECEMBRE. 1757. 155
La poéfie & la mufique font foeurs , &
quoiqu'elles puiffent marcher feules , leurs
charmes réunis font beaucoup plus piquans
, d'ailleurs c'eft un moyen für de
garantir , de tirer même de l'oubli quantité
de productions infpirées par les Graces &
par l'Amour , que de les recueillir pour les
offrir au Public , parées des agrémens du
chant.
Le prix de chaque Recueil fera de 3 liv
pour les perfonnes qui ne s'abonneront
point, & celles qui s'abonneront , ne paye
ront que 24 liv. d'avance pour douze Recueils
, à raifon de 40 fols piece , en s'adreffant
à M. Lutton , au Bureau du Mercure
, rue Sainte Anne , Butte Saint Roch.
On trouvera des Recueils détachés aux
adreffes ordinaires de Mufique. Le prix
pour les perfonnes de Province qui vou
droni faire venir ces Recueils par la pofte
fera de o liv. nets pour les douze affranchis
; celles qui auront d'autres voies pour
les faire venir , & qui fe chargeront des
porrs , ne payeront , comme à Paris , que
24 liv. pour douze Recueils; le tout en s'adreffint
audit fieur Lutton .
Nous croyons que l'Auteur d'Eglé & des
Dus que , tout le monde chante ,, eft-bien
en état de remplir le projet d'un Ouvrage
G
vj
156 MERCURE DE FRANCE.
périodique de Mufique , & de tenis tour
ce qu'il promettra au Public.
CEIX & Alcione , Cantatille nouvelle à
voix feule & fymphonie , dédiée à Madame
la Vicomteffe de Caftellane , compofée
par M. Legac de Turcy , Maître de Mufique
& de Clavecin. Prix 36 fols : aux
adreffes ordinaires de Mufique.
RECUEIL de pieces Françoiſes & Italiennes
, petits. Airs , Menuets , Brunettes ,
Vaudevilles , & c. avec des doubles & variations
, accommodés pour deux flûtes
traverfieres , violons , hautbois , ou pardeffus
de viole, par M. Mahaut. Prix 6 liv.
NOUVELLE méthode pour apprendre en
peu de temps la mufique & l'art de chanter,
avec un nombre de leçons dans plufieurs
genres , compofée par M. Denis . Seconde
edition revue & corrigée. Prix 7 liv .
Six. Trietti , pour flûte , violon & baffe,
compofés par Giafepe- S. Martini, Milanefe .
Prix 6 liv. Chez le Clerc , rue du Roule ,
à la Croix d'or.
SONATES à violon feul & baffe , par le
fieur Touly, premier Violon du Concert ,
DECEMBRE . 1757 197
de Moulins en Bourbonnois , élève du cé
lebre Tartini. OEuvre premier , dédié à
M. Chicoyneau , Baron de la Vallette ,
Confeiller du Roi , & l'un de fes Fermiers
Généraux. Gravé par Mademoiſelle Bertin,
avec privilege du Roi . Prix 6 liv.
On trouve ce livre chez le fieur Gavi
gniés , Maître Luthier , rae S. Thomas du
Louvre
, & aux adreffes ordinaires de
Mufique ..
SONATES à violon feul & baffe ,
par le
Leur Romain de Braffeur. OEuvre premier,
dédié à M. Gavigniés , gravé par Mademoifelle
Bertin , avec privilege du Roi..
Prix 6 liv. Chez le même , & aux adreſſes
ordinaires.
PROSPECTUS , où l'on propofe au Pu-
Blic , par voie de foufcription , un Code
de mufique - pratique , compofé de fept
Méthodes , par M. Rameau.
L'étendue de ce Profpectus & le peu
d'efpace qui nous refte , ne nous permettent
pas de l'inférer ici dans fon entier ,.
comme nous l'aurions vivement defiré ,
perfuadés que tout ce qui vient de ce
grand homme fur cette partie , doit être
précieux & confacré dans les archives des
beaux Arts : nous fommes forcés , malgré
158 MERCURE DE FRANCE.
nous , de nous borner à une fimple annon
ce , & d'avertir feulement le Public amateur
, que le Code de Mufique- pratique
compofé de fept Méthodes , formera deux
volumes in 4° , dont un imprimé en beau
caractere & fur beau papier , l'autre gravé
& imprimé fur papier pareil à celui
des Opera . Le prix des deux volumes fera ,
pour les Soufcripteurs , de 24 livres , & de
30 liv. pour ceux qui n'auront pas fouferit.
Les exemplaires feront livrés aux Soufcripteurs
à la Saint Martin 1758 .
Quoique cette entrepriſe foit de nature
à exiger beaucoup de dépenfe , on ne demande
aucune avance de la part des Soufcripteurs
; ils auront feulement la bonté
d'envoyer, ou chez l'Auteur , rue des Bons-
Enfans , près le Palais royal , ou chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , leur
foufcription , fuivant la formule ci- après ,
avec leur adreffe exactement écrite.
Je promets payer la fomme de vingtquatre
livres pour un exemplaire du Code
de Mufique pratique , par M. Rameau ,
pour lequel j'ai fouferit , & ce , en remettant
ledit exemplaire.
·
DECEMBRE. 1757. 199
PEINTURE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSTEUR , ONSIEUR , qu'il eft fatisfaifant d'aimer
les beaux arts ! Ils font la gloire &
l'ornement des Etats : mais qu'il eft heureux
en même-temps de trouver d'habiles
Artiftes verfés dans l'Hiftoire , foit facrée
, foit profane ! Studieux imitateurs
des célebres Ecrivains qui tranfmettent à
la poftérité les événemens finguliers des
différens fiecles , plus ils s'efforcent de les
copier , d'en approcher , de les furpaſſer
même , plus ils charment les yeux des Connoiffeurs
qui rendent juftice à leur capacité.
Il eft donc de leur intérêt , & on leur
eft redevable de contenter le Public naturellement
curieux , amateur , & avide du
fimple , de l'élégant , du fublime .
C'est ce qu'il voit actuellement , ce qui
le frappe , ce qu'il admire dans l'Eglife
des Auguftins réformés , établis à Paris
près la place des Victoires , Eglife fondée
par
le Roi Louis XIII , furnommé le Jufte,
fous l'invocation de Notre - Dame des Victoires.
160 MERCURE DE FRANCE.
En conféquence de fon voeu pour lโaร
prife de la Rochelle , cet augufte Monarque
en pofa lui-même la premiere pierre
avec grande célébrité le 1r Décembre
1629. Pat fes lettres patentes Sa Majesté
fe déclara Fondateur de leur Couvent ,
accorda des armes vraiment royales à leur
Congrégation & à leurs trois Provinces ,
avec permiffion d'en établir pour leurs différens
Couvens , écartelant fuivant les regles
du blazon , & en outre de magnifiques
privileges par forme d'aumônes .
Faute de fonds , parce qu'ils font pauvres
& mandians , leur Eglife refta imparfaite
jufqu'au mois de Juillet 1736, qu'elle
menaça ruine en quelques endroits . La
néceffité de la rétablir les rendit hardis. Ils
s'affemblerent donc , & conclurent , non
de la rétablir imparfaite , mais de la finir
en entier. Ce fut du confentement des Magiftrats
& de la Cour , qui leur accorda la
permiffion d'emprunter.
On mit la main à l'oeuvre : on emprunta
, le temps fut favorable. Il n'y avoir
point de guerre. Ils choifirent pour Archirecte
le célebre M. Carto. On commença
de bâtir ; leurs foins pendant quatre ans
la conduifirent à fa perfection. M. l'Evêque
de Joppé , Hyacinthe le Blanc , y pofa
une nouvelle premiere pierre avec folem
C
d
&
au
A
DECEMBRE .
1757.
161
hité.
Lorfqu'elle fut élevée telle qu'elle eft
aujourd'hui , le même Prélat la dédia fo
lemnellement le 13
Novembre 1740 .
L'Eglife ornée de bafes , de
pilaftres
d'architraves , de corniches , & d'arcs doubleaux
, étoit décorée d'une Orgue magnifique
au bas de la nef ; mais le choeur ne
répondoit point à cette
décoration . Il étoit
abſolument nu , faute de pilaftres & d'arcs
doubleaux ; défaut effentiel à la
perfection
de
l'édifice ,
d'ailleurs affez
complet &
gracieux.
Quelques années écoulées , pour y remédier
on choifit M. Carlo Wanloo ,
commençoit à avoir de la
réputation par
qui
fon titre de Peintre du Roi , & l'on réfolut,
pour le garnir , d'y mettre fept tableaux,
non de l'hiſtoire fainte , mais de l'hiftoire
eccléfiaftique .
Voici en ftyle
lapidaire la
defcription
des fept tableaux pofés dans notre choeur
& dans l'ordre où M. Carlo Wanloo les
a faits de fa propre main , fans aucun
autre aide.
D. O. M.
Perennique memória
Quas
Ab Ann. M. DCCXLV. ad. Ann , M. DCCLV.
Tabulas
162 MERCURE DE FRANCE.
A
Carlo Wanloo
Pictas
Votum Lud. XIII . Franc. Regis
&
Divi Auguftini Hipponenfis Epifcopi
Deceffum :
Tranflationem :
Confecrationem :
Cum Donatiftis Congreffum :
Prædicationes :
Baptifmum :
Quam infupèr
Marmoream ejufdem ftatuam
A
Joanne Baptiftâ Pigalle ,
Parifino ,
Sculptum ,
ann. 1794.
In decorem Templi fummi Dei vivi
Erexit , dedicavit , perficiendafque
Curavit
Amicorum munificentiâ ,
R. P. Felix à St. Domitillâ
Olim
Hujufce Parifienfis domûs Prior
F. Felix.
C
C
DECEMBRE . 1757. 163
Le premier repréfente le voeu du Roi
Louis XIII , lors de la prife de la Rochelle.
Les fix autres expofent les fix
principaux événemens de la vie de S. Auguftin
, Evêque d'Hipponne. On commença
par le ford du coeur pour fatisfaireles
yeux du Public entrant dans l'Eglife ,
fçavoir , la prife de la Rochelle , la mort
du Saint , la tranflation de fes Reliques ,
fon ordination à l'épifcopat , fes conférences
contre les hérétiques , fes predications
& fon baptême : tei eft l'ordre dans
lequel ils furent faits & pofés par M. Wanloo
lui-même.
Rien négale la compofition , le deffein ,
le pinceau de cet homme célebre. Ces fept
tableaux originaux abfolument de lui feuk
( je les lui ai vus travailler ) , font parfaitement
remplis. De quelque côté qu'on les
regarde , l'oeil eft entiérement fatisfait ,
parce qu'il n'y trouve aucun vuide.Dans les
quatre derniers il s'eft furpaffé par le brillant
du coloris , au lieu que celui des trois
premiers eft trop gris , trop brun , trop
fombre , & les figures trop coloffales . Le
Public en porte pareil jugement. M. Wanloo
lui-même avoue qu'ils l'oppriment ,
& l'accabient. A quoi l'on peut ajouter
qu'il s'eft poignardé par fon propre pinceau.
164 MERCURE DE FRANCE.
Quant à la ftatue de marbre blanc de
Genes fans aucune tache , repréſentant le
même S. Auguftin , pofée à la chapelle de
la croisée en entrant à gauche , faite par
Jean- Baptifte Pigalle , Sculpteur du Roi ,
il eft inutile de répéter ici ce qu'on en a
écrit dans le Mercure de 1754-
Il fuffit de dire , que les deux célebres
maîtres fe font furpaffés pour embellir le
temple du Seigneur , fallon continuellement
ouvert aux étrangers , & aux coerieux
qui y abondent de toutes parts pour
admirer leurs ouvrages.
La générofité , les préfens , ou plutôt
les aumônes de plufieurs particuliers , gens
aifés , pieux , chrétiens , mes amis , leur
ont donné l'être pour la gloire du Dieu vivant
, & pour la décoration de fon augufte
temple depuis 1745 jufqu'en 17ƒƒ«
Il y a deux ans , Monfieur , que je bafance
à compofer cette lettre : je ne cherche
pas ma propre gloire ; l'efpoir que
quelqu'un feroit affez charitable pour vous
en écrire , a fufpendu fa compofition &
fort envoi pour l'inférer dans votre Mercure.
Il est temps , à ce que je crois , dy
pourvoir pour l'inftruction des étrangers,
& la fatisfaction de ceux qui y ont contribué.
Si vous la jugez digne d'y trouver
place , vous obligerez infiniment celdi
DECEMBRE. 1757. 165
qui eft très - parfaitement , Monfieur
Votre , & c.
F. FELIX , de Sainte Domitille , ancien
Prieur des Auguftins réformés , de la
place des Victoires,
Paris , le 21 Août 1757.
A M. DE BOISSr.
MONSIEUR , dans une lettre
à M.
Carle
- Vanloo
, imprimée
dans
le Mercure
, M. Touffaint
s'eft expliqué
fur l'Auteur
de la critique
inférée
dans fon Journal
, d'une
maniere
indécife
, & qui femble
indiquer
qu'il croit que cette piece injurieufe
à M. Vanloo
, vient de quelqu'un
de fes confreres
(1 ) ; c'est-à-dire d'un Ar
tifte de l'Académie
. Difficilement
fe perfuadera
- t'on qu'il en ignore
affez l'Auteur
pour
tomber
dans
cette
méprife
; mais
comme
il eft certain
qu'il eft engagé
d'hon-
(1 ) Pour jetter quelque intérêt dans mon Journal
, j'avois prié quelques- uns de Meffieurs vos
Confreres de m'efquiffer une expofition raiſonnée
des tableaux du fallon : je ne quêtai pas une critique
. Quoi qu'il en foit , chacun s'en défendit , &
ne me promit rien : mais à quelques jours de-là ,
lorfque je ne m'y attendois plus.... il m'arriva
un paquet cacheté contenant la lettre en question,
Lettre de M. Touffaint à M. Carls-Vanloo
165 MERCURE DE FRANCE.
neur à le céler , tout ce que l'on a droit
d'exiger de lui , c'est qu'il ne donne point
lieu à des foupçons dont il doit connoître
la fauffeté. Il eft vrai que M. Touffaint a
fait demander à des perfonnes de l'Acadé
mie une expofition raifonnée des tableaur
du fallon ; il eft pareillement vrai qu'il ne
quetoit point une critique : mais il eft vrai
auffi ( ce qu'il ne dit pas ) qu'il a fait la
même demande à des Artiftes qui ne font
pas de l'Académie.
Egalement engagé par les loix de l'honneur
, quoique dans des circonftances différentes
, à ne point dire qui c'eft , je crois
dans cette occafion devoir dire qui ce n'e
pas , & j'affirme que cet écrit ne part en
aucune maniere d'aucun des membres de
l'Académie . Je fuis , & c.
Ce 4 Novembre 1757 .
COCHIN .
'
DECEMBRE. 1757. 167
GRAVURE.
PROJET de foufcription pour l'augmen
tation de lagravure des tableaux du cabinet
du Roi , qui n'ont pas encore été gravés,
fous les ordres de M. le Marquis dé
Marigny.
Le fieur Feffard , Graveur du Roi & de
la bibliotheque , annonce aux Soufcripteurs
de la chapelle des enfans trouvés de
Paris ,
ainfi qu'aux Amateurs & à ceux
qui ont le commencement de ces gravures
, qu'il va commencer le grand projet
qu'il médite depuis longtemps , de continuer
la collection des planches gravées du
cabinet du Roi , d'après les tableaux qui
ne l'ont pas encore été . Sa Majesté qui fe
plaît à faire fleurir les arts dans fon royaume
, lui a fait donner fes ordres pour la
retenue des premiers cinquante exemplaires.
L'Artifte animé du défir de plaire aux
yeux de fon Prince , efpere trouver des
forces qu'il ne s'eft jamais connues.
La fatisfaction que les Soufcripteurs lui
ont marqué à chaque livraifon de la gravure
de la chapelle des enfans trouvés , dont il
168 MERCURE DE FRANCE:
doit délivrer la derniere générale dans le
courant de 1758, jointe à la grace que le Roi
lui a accordée , l'encourage à fuivre ce grand
projet mais ce qui l'a déterminé , font
d'habiles éleves qu'il a formés pour l'aider,
& qui feront en état , au cas qu'il lui arrive
quelque accident , foit par maladie
ou autrement , de le continuer avec fuccés,
Cette entrepriſe demandant qu'il renonce
à tout autre engagement avec des particuliers
, & exigeant beaucoup de dépenfes
il n'a pu fe difpenfer de recourir à la voie
de la foufcription , d'autant mieux que
l'Artiste plus occupé de fon avancement
dans fon art , que de ſon intérêt , a beſoin
d'être fecondé. Il commencera cette entreprife
par fix grandes planches de 30 pouces
de hauteur , & d'une longueur proportionnée
, dont deux feront pour la Flore du
Pouffin , & la noce Flamande de Rubens ,
qui ont été expofées au Palais du Luxembourg
, & les quatre autres pour l'Apothéofe
d'Hercule , qui eft dans le premier
fallon de Verfailles , entrant par la chapelle
, grandeur à laquelle il s'eft fixé , afin
de pouvoir rendre avec plus d'exactitude
tous les détails de ce riche morceau qu'il
fuffit de nommer pour faire l'éloge de feu
M. le Moine , premier Peintre du Roi ;
DECEMBRE. 1757 . 169
ce qui fera fuivi pour la fuite de l'ouvrage
, & lorfqu'il fe trouvera des planches
plus petites , il en fera mis deux fur la
même feuille, ainfi que toute la fuite , pour
que l'on puiffe relier uniformément.
Conditions.
Il n'y aura que 500 foufcriptions , &
deux cens au deffus : les planches , après les
700 exemplaires tirés , feront déposés au
cabinet du Roi , & le prix de deux cens
au deffus des 500 Soufcriptions fera au
moins du tiers , ne lui reftant que ces deux
cens pour fon bénéfice.
Le prix de chaque Soufcription pour
les fix premieres eftampes fera de 54 liv.
en quatre paiemens , dont le premier fera
de 30 liv. ( à caufe des grandes dépenfes
quil eft obligé de faire en commençant) en
prenant la reconnoiffance de foufcription
au 14 Novembre de la prefente année
1757 , jufques & compris au 14 Mai
1758 , & trois mois par delà pour le pays
étranger : le deuxieme paiement de 8 liv.
en recevant la noce Flamande de Rubens ,
au mois de Decembre 1758. Le troiſieme
paiement de 8 liv. en recevant la Flore du
Pouffin au mois de Decembre 1759. Le
quatrieme & dernier paiement de 8 liv . en
recevant les quatre de l'Apotheofe d'Her
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cule au mois de Decembre 1760 ( 1).
On a commencé à foufcrire , comme il
eſt dit , au 14 du mois de Novembre 1757,
chez M. Bulder Marchand d'eftampes , rue
de Gêvres ; & chez M. Feffard , 'Graveur
du Roi & de fa bibliotheque , rue Saint
Thomas du Louvre , & à la bibliotheque
du Roi , rue de Richelieu , où l'on pourra
voir le progrès de l'ouvrage , les mardis
& vendredis de chaque femaine , à commencer
au mois de Février prochain.
Cela une fois établi , l'on ne fera plus
tenu de faire d'avance : l'on ne payera
qu'en recevant les eftampes , à meſure
qu'elles paroîtront , dont le prix fera proportionné
aux fix premieres , & aux dépenfes
qu'elles occafionneront , tant pour
les Soufcripteurs , que pour ceux qui n'au
ront pas
foufcrit.
Venus fur les eaux , nouvelle eftampe ;
gravée d'après le deffein original de M.
Bouchardon , Sculpteur du Roi , par
L. L. D. & terminé au burin par Auguftede
Saint Aubin 1757. Elle fe vend , chez
le fieur Feffard , dont nous venons d'indiquer
l'adreffe . Vers la fin de ce mois , le
même Graveur donnera la Fontaine de
(1 ) Si les fouferiptions rentrent promptement,
il fera fon poffible pour accélérer l'Ouvrage.
DECEMBRE. 1757. 171
Grenelle , de M. de Bouchardon , en quatre
planches.
L'Aveugle dupé , gravé par M. Cars ,
d'après le tableau de M. Greufe , expofé
cette année au fallon . Le burin n'a rien fair
perdre au pinceau . Cet habile Graveur a
l'art auffi rare qu'eftimable, de varier fi bien
fes travaux , & de faifir fi parfaitement la
maniere de chaque différent Peintre qu'il
traduit , qu'on croiroit que chacune de
fes gravures , eft l'ouvrage d'une main différente
; mais toujours d'une main de
maître. Cette jolie eftampe fe trouve chez
l'Auteur , rue Saint Jacques , vis - à- vis le
College du Pleffis.
La Devidenfe & le Deffinateur , l'une &
l'autre gravés par le fieur Flipart , d'après
M. Chardin. Ces deux nouvelles eftampes
qui méritent des éloges , fe vendent , chez
M. Cars.
NOUVELLE Eglife de Sainte Géneviève .
On vient de mettre au jour fix Eftampes
qui repréfentent les plans , élevations ,
coupes , profils , & vue perpective de la
nouvelle Eglife de Sainte Géneviève de
Paris , fuivant le dernier projet préſenté
au Roi par M. le Marquis de Marigny. Ce
Temple eft de l'invention & du deffein.de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
M. Souflot. Ces Estampes fe trouvent chez
M. Bellicard Inspecteur des Bâtimens du
Roi , au Palais du Luxembourg,
TABLEAUX généalogiques , hiftoriques
& chronologiques des maifons fouveraines
de l'Europe , & premiérement de la
maifon de France. Propofés par foufcription
.
Ces Tableaux font divifés en planches ,
d'égale hauteur & largeur , au moyen de
quoi ils peuvent fe ployer facilement , de
maniere à être portatifs , fans embarras ;
être inférés dans un grand in - 4° . ou un
petit in folio , ou être réunis enſemble pour
ne former qu'un feul tableau.
Comme beaucoup de perfonnes ne fe
livrent point affez à l'étude de l'hiftoire ,
ou par diffipation volontaire , ou parce
qu'elles en font détournées par les affaires
domestiques , l'on a lieu de croire que les
tableaux généalogiques leur procureront
l'avantage de connoître , de diftinguer ,
& par conféquent de retenir plus aifément
les degrés de générations des Princes qui
compofent les Maifons Souveraines de
l'Europe , & fingulierement celle de
France.
Malgré les foins qu'on s'eft donné pour
rendre ces tableaux corrects ? on n'ofe
DÉCEMBRE . 1757 : 173
Cependant affurer qu'il ne s'y foit gliffé
quelque fautes : ainfi l'on aura une véri
table obligation à ceux qui voudront bien.
les faire connoître ( Port franc ) par la
voie du Libraire chargé de la vente de ces
tableaux , ou par celles des Journaux , ou
autres ouvrages littéraires .
Les Ecuffons de différentes formes , les
abréviations dont on fait ufage , & quelques
obfervations nouvelles propofées dans
l'avertiffement qui paroîtra avec les premiers
tableaux Généalogiques , détermineront
fans doute les curieux à en faire
l'acquifition .
Les planches feront au nombre de onze.
Le prix de chacune fera de trente fols ,
pour les Soufcrivans , & de quarante fols ,
pour ceux qui n'auront pas foufcrit .
Il fera payé en foufcrivant fix livres d'a
vance ; fix livres lors de la livraifon des
deux premieres planches , & de l'avertiſſement
, & quatre livres dix fols lors de la
diftribution de la troifieme planche , aut
moyen de quoi les fept autres planches feront
délivrées gratis fucceffivement.
L'Auteur donnera dans le mois de Dé
cembre 1757 , avec Favertiffement , les
deux premieres planches , qui contiennent
les Princes de la premiere race ; & les autres
huit planches , qui contiendront toutes
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
les branches de la feconde & troisieme race ,
fe donneront enfuite deux à deux , de deux
mois en deux mois.
On avertira le Public lorfque les planches
des autres Maifons Souveraines paroitront
.
Les foufcriptions fe délivrent à Paris ,
chez Laurent - Charles d'Houry , feul Imprimeur-
Libraire de Monfeigneur le Duc
d'Orléans , rue de la Vieille Bouclerie.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
RIEN n'eft plus propre à contribuer aux
progrès des Peintres , que les difcours qui
fe prononcent de temps en temps dans les
affemblées de l'Académie de Peinture , fur
les principes & les fineffes de ce bel Art.
Comment un fi bel exemple n'eft - il pas
fuivi pour l'architecture ?
La peinture imite : elle a dans l'imitation
des principes certains.
La mufique qui n'imite que de loin , parle
à un organe fi jufte , qu'il en résulte
pour elle la même certitude . Il n'y a pas à
douter fur un ton jufte ou fur un ton faux.
DECEMBRE. 1757. 175
Il n'en eft pas de même de l'architec
ture.
Quelque néceffaire , quelque exercé que
foit cet art , & malgré tant de chefs - d'oeuvres
qu'il a produits , on ne lui connoît
point de modele primitif dans la nature.
Il ne doit point y entrouver.
n'étoit né
L'homme créé dans l'état d'innocence ,
habiter fous un toit. pas pour
Sa dégradation volontaire la affujetti à
Finclémence du ciel , à l'intempérie des
faifons , & la dure néceffité lui a fait inventer
l'art de bâtir . Les maux de l'homme,
origine de l'architecture.
1
Les feuls principes néceffaires de cet
art , font donc l'utilité , la folidité ; & depuis
que la molleffe a gagné l'homme , la
commodité.
Le luxe , plus impérieux que la molleffe ,
a demandé des ornemens , & a mis par- là la
bienséance en droit de les exiger. Ici non
feulement la nature , mais la néceffité nous
manque : Où chercher des principes ?
Les plus célebres Artiftes fe font efforcés
d'y fuppléer. Les uns ont fait confiſter
l'art des ornemens dans l'emploi fimple ,
mais agréable des parties effentielles . Les
autres , fans s'écarter abfolument de cette
regle , ont cherché dans la cabane du premier
homme & dans l'afyle de fa mifere ,
Hiv
77 MERCURE DE FRANCE.
le modele des plus riches palais : principe
humiliant , mais principe étendu & fécond
, d'où le génie a fçu tirer des inductions
fublimes .
Mais quelques regles primordiales qu'on
ait voulu établir , aucune n'a fubfifté fans
contradiction : combien les autres qui ne
font que des conféquences ont- elles dû en
effuyer !
Les Grecs ont inventé pluſieurs ordres
d'architecture , qu'on admire encore aujourd'hui.
Ils admiroient eux- mêmes la
fimplicité , la nobleffe , & la grandeur des
bâtimens de l'Egypte & de Babylone ; édi
fices immenfes dont nous ne parlons qu'avec
étonnement. Nous imitons encore
leurs fphinx , leurs obélifques. A cela près,
& malgré tant d'éloges , il n'eft plus quefzien
de chercher dans leurs ruines des regles
ou des modeles.
Le Tabernacle des Hébreux fut conftruit
fous la direction de Dieu même. Salomon
fit élever depuis un Temple , qui épuisa
l'admiration de tout l'univers . Les dimenfions
de ces deux merveilles , leurs propor
tions , leurs ornemens , l'ordre de leurs colonnes
( le premier objet de la grande architecture
) font confignés en détail dans
les livres faints. Toutes les hiftoires en
retentiffent. Les livres de nos Architectes
font les feuls qui n'en parlent pas.
DECEMBRE. 1757. 179
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
SPECTACLE D'ALCESTE.
«L'article qu'on va lire nous a été en-
"voyé comme il eft d'un homme inftruit
» dans cette partie , nous l'inférons ici tel
qu'il nous eft parvenu , fans rien changer
» au fonds ni même au ftyle. »
"3
L'ACADÉMIE royale de Mufique , en remettant
l'Opera d'Alceste ( 1 ) à Paris , conformément
à l'ingénieufe magnificence
avec laquelle il fut repréfenté devant le
Roi à Fontainebleau en 1754 , vient de
nous faire voir combien le théâtre lyrique
depuis fon établiffement étoit encore loin ,
je ne dis pas de la perfection , mais même
de la bienféance théâtrale , quant à ce qui
regarde l'ordre & les vraisemblances d'un
fpectacle.
( 1 ) Elle a remis cet Opera le Mardi 15 Noyembre.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE:
Ici tout eft grand , tout eft pompeux ,
& , ce que l'on ne peut trop louer , prefque
tout eft dans l'exactitude du coftume. Les
panniers mêmes des femmes , ce ridicule
& cher ornement du beau fexe de notre
fiecle , font relégués aux grandes Actrices
- & aux Danfeufes , les dernieres fans doute
qui renonceront à cette mode bizarre.
Cette charmante claffe d'êtres eft douée
de trop de graces pour qu'il n'en coûte
pas quelque chofe à la raifon.
De tous les chef- d'oeuvres que nous one
Jaiffés les Créateurs de l'Opera François ,
Alceffe eft le drame qui paroît le plus réguliérement
coupé fur les grands fpectacles
des Grecs , où ils admettoient toutes
les actions , toutes les pompes acceffoires
qui pouvoient concourir à l'énergie du
fujet , & à l'intérêt principal de la piece.
Mais foibles copistes jufqu'à préfent de
ces fuperbes fpectacles de l'antiquité , on
s'étoit contenté d'en indiquer les plus gros
traits , & , pour ainfi dire , par des chiffres
ou des lignes bizarres de convention , on
réduifoit dans une petite & miſérable
image ces fameux tableaux animés , qui
émouvoient les peuples les plus célebres
de l'antiquité , & pour lefquels nous confervons
encore tant de vénération. C'eft
de ce vil état d'ignorance & d'engourdif
DECEMBRE . 1757. 185
fement dont on a ofé fortir depuis quelques
années , pour offrir aux yeux de la
Cour de France des fpectacles dignes de
ceux auxquels ils étoient deftinés. Des
gens de Lettres , éclairés d'ailleurs fur les
Arts , fe chargerent alors de ce qui étoit
abandonné au goût aveugle des Artifans
de théâtre.
Le Souverain daigna regarder un mo
ment les talens agréables : ce moment fuffit
pour les éclairer , & pour les élever au
plus haut degré où puiffent les porter les
fecours du goût muni des connoiffances
que donne l'étude de tous les Arts .
Voilà ce que les nouveaux Directeurs
de l'Opera ont eu l'ambition d'imiter. Ils
ne pouvoient mieux commencer que par
Alcefte. Le pathétique du fujet eft foutenu
de tout ce que l'antiquité peut fournir de
fpectacles curieux ; tout l'univers s'y vient
peindre en détail ſur la ſcene.
Le premier acte préfente la mer & fes
Divinités . Thétis fouleve les flots ; par une
intérêt oppofé , Eole en perfonne réprime
les aquilons ; ils combattent , ils cédent
aux Zéphyrs. La mer & les airs fourniſſent
aux fpectateurs des ſcenes animées.
Le fecond acte va au- delà des preftiges
ordinaires du théâtre. Ce n'eft plus illufion
, c'eſt la réalité d'un fiege & des com
182 MERCURE DE FRANCE.
bats exactement conformes à l'art militaire
des anciens : non feulement les habillemens
& les armes , exécutés fcrupuleufement
d'après les monumens antiques , mais
les évolutions , les marches , la phalange
macédonienne , les différentes formes que
les anciens donnoient à leurs bataillons ,
les divers moyens d'attaque & de défenſe
des places , l'ordre & le courage de ces
guerriers dans les mêléos qu'occafionnent
les forties ; tout , en un mot , réaliſe au
fpectateur les idées que nous ont imprimées
les Hiftoriens & les Auteurs qui ont
traité de la taclique des anciens. Ce qui
doit paroître miraculeux , eft l'ordre & la
netteté du tableau dans un efpace aufli
refferré , où plus de cent quarante foldats ,
en manoeuvrant tous enfemble , loin de
fermer cet efpace aux yeux du fpectateur
, femblent le prolonger au triple de
fon étendue réelle . Ce prodige eft dû aux
foins ingénieux d'un ancien Acteur * , qui
avoit déja prouvé ſi ſouvent par lui-même
l'ufage avantageux que l'on peut faire du
plus petit efpace pour y rendre les plus
belles actions , & pour y former les tableaux
de la plus grande ordonnance .
Au troifieme acte , l'ame déja fi tendrement
émue par le péril d'Admete ,
M. de Chaffé.
DECEMBRE . 1757. 183
étonnée & ravie douloureufement par la
mort généreufe d'Alcefte , eft déchirée
par le fpectacle de fa pompe funebre.
Les plaintes exprimées fi fenfiblement
par le chant des choeurs , concourent à
pénétrer tous les fens de l'impreſſion la
plus touchante . En vain les froids amareurs
de mufique en reclameront ici les
combinaiſons travaillées : tous les amateurs
de goût , tous les partifans du vrai
en un mot , tout être fenfible verfera ,
fur le tombeau d'Aicefte , ces pleurs que
l'on pardonne fi voluptueufement à l'illufion
des fpectacles. En vain auffi l'ignorance
indifcrette comparera- t'elle l'augufte
repréſentation de cette pompe à quelque
cérémonie refpectable de nos jours. Il
faudra lui répondre , en premier lieu ,
que les comparaifons difparates font ordinairement
les épigrammes des fots ;
en fecond lieu , qu'une vue bornée dans
la petite fphere de fon âge & de fa patrie
, ne peut appercevoir les origines d'une
infinité d'ufages , dont la fimilitude
lui paroît déplacée hors des limites de
fa courte portée . Des Prêtres vêtus &
drapés dans la plus grande maniere , couronnés
de cyprès , & portant des branches
de ce même arbre , ainfi que des branches
de lauriers , dont on fçait que les
184 MERCURE DE FRANCE.
anciens tapiffoient même les portes des
perfonnes qui venoient de mourir , d'autres
tenant des buires , des caffolettes &
des urnes de parfums , forment d'une pare
une marche grave & impofante , tandis
que d'un autre côté des pleureufes drapées
à l'antique par de grands voiles noirs fur
des tuniques blanches , achevent de donner
à cette cérémonie l'afpect & le ton lugubres
qui lui conviennent. Ces deux troupes
triftes & majestueufes retracent parfaitement
aux amateurs de l'antiquité les coutumes
& les rits pompeux des anciens.
Tout funebre que foit ce fpectacle , il n'eſt
pas dénué des ornemens qui lui font propres.
Les formes & la richeffe des vafes
qui fervent aux libations que les Prêtres
font fur ce tombeau , les guirlandes de
Aeurs , les palmes que les pleureufes vont
dépofer aux pieds de la ftatue d'Alcefte ,
tout cela compofe un tableau riche , varié,
& dont les graces mêmes contribuent à le
rendre encore plus touchant.
Par une tranfition très- convenable du
tombeau d'Alcefte , on fe trouve à l'entrée
formidable des enfers ; ce qui ouvre le
fpectacle du cinquieme acte. Caron y paroît
dans fa barque : il admet les ombres
qui paient le tribut , il repouffe celles qui
par leur indigence , font condamnées à er
DECEMBRE. 1757 185
rer fur les bords de ce trifte paffage ; il eft
enfin forcé lui même de paffer Alcide avec
lequel le fpectateur eft tranfporté en un
inftant au milieu du palais de Pluton ;
nouveau fpectacle d'un genre différent de
tous les précédens . Les ombres heureuſes
d'un côté , les divinités infernales de l'au
tre , le fouverain des enfers affis avec Proferpine
fur un trône , d'où ces divinités
paroiffent dominer tout l'empire des morts;
telles font les images frappantes que cer
acte fournit au fpectateur.
L'acte fuivant termine l'opera par le triomphe
d'Alcide.Des arcs triomphaux , des por
tiques ornés de grouppes relatifs à la gloire
du héros , un concours de peuples & de
bergers , parmi lefquels la magnificence &
la galanterie fe difputent l'avantage de fixer
les regards du public ; enfin la fcene la
plus riche & la plus éclatante en tous genres
, couronne le plus beau fpectacle que
= l'on ait encore vu en France fur aucun
théâtre.
Le détail des décorations , qui , au mérite
d'être neuves dans chaque acte , joignent
celui du goût le plus exempt de critique
dans l'ordonnance & dans l'exécution ;
celui des habits , dont la plus grande partie
avoit fervi aux repréſentations de la
Cour , tous analogues aux fujets & aux
186 MERCURE DE FRANCE.
perfonnages qu'ils doivent défigner , ainfi
que la defcription des ballets , entraîneroient
dans une prolixité peut- être fatiguante
pour ceux qui ne jouiront que par
relation des beautés de cet Opera. Il ſuffira
, en prenant tout ce qui aura vu ce
fpectacle pour garant , d'affirmer que jamais
tant d'attentions , de lumieres & de
foins , ne feconderent plus heureuſement
une grande dépenfe . Cette entrepriſe étoit
réfervée aux nouveaux Administrateurs
de l'Académie de Mufique , & peut- être
ne pouvoit réuffir que par eux. il femble
que tous les arts & tous les talens fe
foient affociés pour ce magnifique Spectacle
.
L'impreffion d'un Opera fi finguliérement
repréfenté , nous a diftrait des
éloges très - légitimement dûs à ceux qui
en font l'ame ; c'est- à - dire que nous ne
nous fommes pas laiffé l'efpace néceffaire
pour placer le tribut de louanges que
chacun d'eux mérite en particulier : mais
ils doivent nous le pardonner en cette
occafion , d'autant plus que les applau
diffemens qu'ils reçoivent journellement ,
les en dédommage bien amplement.
}
F
DECEMBRE. 1757. 187
COMEDIE FRANÇOISE.
Le lundi 21 Novembre les Comédiens
François ont donné pour la premiere fois
Adelle de Ponthieu , Tragédie remiſe de M.
de la Place ; elle n'a pas moins réuffi à la
reprife que dans la nouveauté, Elle eft parfaitement
jouée ; on peut dire qu'à cet
avantage , elle joint un mérite qui ne s'ufe
point ; c'eft celui de l'intérêt & des fituations
, qui nous ont paru traitées avec
autant d'intelligence qu'elles font amenées
avec art. Nous attendons l'impreffion de
la Piece pour en faire l'extrait & l'éloge
détaillé qu'elle mérite.
COMÉDIE ITALIENNE. ·
LES Comédiens Italiens n'ont rien donné
de nouveau depuis les Enforcelés. Ils
préparent une Comédie nouvelle de M.
de Moiffi , Auteur du Provincial à Paris ,
qui a beaucoup réuffi à ce théâtre. Nous
en rendrons compte au Public dès qu'elle
paroîtra.
188 MERCURE DE FRANCE.
CONCERT SPIRITUEL
La mardi premier Novembre , fère de
tous les Saints ; l'affemblée fut nombre
fe , & le Concert très - beau . Il commença
par une fymphonie del Signor Beck , fuivie
de Requiem aternam , Melle de Giles ,
où Mademoiſelle Sixte chanta . Enfuite
M. Moria joua un Concerto de violon
Mademoiſelle le Miere chanta un perit
Motet tiré des fecondes pieces de clavecin
de M. Mondonville. Mademoiſelle Duzès
joua fur l'orgue un Concerto de M. Balbaftre,
avec l'applaudiſſement général. Mademoiſelle
Fel chanta un petit Moter pour
la Fête du jour. Le Concert finit par D
profondis , Motet à grand choeur de M.
Mondonville.
DECEMBRE . 1757 , 18.4
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 13 Octobre,
Tous les avis qu'on reçoit de la Pomeranie Citérieure
& en particulier de Stralfund , marquent
que le Feld. Maréchal Urgern de Sternberg eft arrivé
le 8 à Anclam , que les troupes Suédoifes fe
font emparées d'un magafin confidérable dans la
Marche-Uckeraine , petite province limitrophe ,
qu'elles y levent des contributions , & qu'elles fe
raffemblent du côté de Stettin pour en faire le
fége.
L'interruption des lettres de Breflau qui mang
quent ici depuis quelques jours , fait croire que
cette Ville eft bloquée , ou du moins ferrée de
très-près par les Troupes Impériales.
DE BERLIN , le 19 Octobre.
Dès qu'on eut appris que le Général Haddick
Savançoit vers la Sprée avec fon corps de Huffards
, de Croates & de Pandoures , l'allarme fe,
répandit auffitôt partout , & la plupart des habi
tans établis dans les Fauxbourgs , s'enfuirent avec
ce qu'ils purent emporter. Le 16 dans l'après- cinée
, une troupe de Huffards ennemis parut dans
les Fauxbourgs de Strablau & de Copenick. Avants
190 MERCURE DE FRANCE.
hier 17 vers le midi , le Général Haddick lui-même
, à la tête d'un corps d'environ fix mille hommes
de troupes légeres , entra dans la Ville par
la rive gauche de la Sprée . La garnifon prit d'abord
les armes ; mais l'ennemi ayant culbuté
deux bataillons , le refte prit la fuite , & fe renferma
dans la Fortereffe de Spandau , où la Reine
s'étoit retirée pendant le combat . Le Général
Haddick demanda cinq cens mille écus de
contribution : après en avoir reçu une partie , il
fe retira avec fon détachement , & emmena quatre
cens prifonniers .
DE NAUMBOURG , le 26 Octobre.
L'armée combinée , dont le quartier général eft
ici , ſe diſpoſe à pouffer vigoureufement les Pruffiens.
Le 24 , le Prince de Saxe- Hildburghasfen
envoya un Trompette au Major Général Haulfen
, Commandant pour le Roi de Pruffe à Leipfick
, avec une lettre par laquelle il le fommoit
d'évacuer cette Ville. On garda le Trompette cinq
ou fix heures , & la réponſe qu'il rapporta , fut
un refus formel de quitter Léipfick. Deux heures
après , on fit partir un autre Trompette pour rétérer
la fommation . Celui- ci fut renvoyé fur le
champ , avec la confirmation du premier refus.
Le lendemain , le Prince de Sare - Hildburghaufen
envoya fommer pour la troifieme fois le Commandant
Pruffien de lui remettre la Place , aur
offres de laiffer retirer librement fes troupes , &
cette troisieme fommation fut rejettée comme les
deux autres. On apprit de plus que ce même jour
25 au matin , le Maréchal Keith , chargé de la
défenſe de cette Ville , avoit mandé les principaux
Magiftrats , & leur avoit tenu ce difcours : « Je
DECEMBRE . 1757. 191
vous ai fait venir , Meffieurs , pour vous ap
» prendre que M. le Prince de Saxe-Hildburg-
» hauſen , m'a envoyé une fommation de lui re-
>> mettre la Ville , à quoi je ne fuis nullement dif
pofé. Il ménage en cas de refus d'en venir à des
» extrêmités : il me donnera donc l'exemple pour
» en agir de même , & ce fera à lui qu'il faudra
imputer les malheurs auxquels votre Ville fera
» expofée. Si vous voulez les prévenir , je vous
» confeille d'aller le trouver , & de l'engager à
» ménager la Ville par rapport à vous & à vos
» Bourgeois , parce qu'au premier avis que je re
» cevrai que les troupes de l'Empire & de France
» s'avancent ici pour m'attaquer , je commence-
» rai par brûler les Fauxbours , & fi cela ne fuffic
>> pas pour obliger l'ennemi à fe défifter de fon en-
» trepriſe , j'irai plus loin , & la Ville même
ne fera pas égargnée. Je ne m'y porterai qu'a
vec le plus grand regret ; mais ce fera la feule
> extrêmité qui m'aura forcé de prendre ce partia
DE LEIPSICK , le 27 Octobre.
Le Roi de Pruffe , en quittant cette Ville , y a
laiffé le Maréchal Keith avec environ cinq à fix
mille hommes. On a eu avis que ce Prince étoit
le 23 à Krachwitz , terre du Comte de Brulh
fituée fur l'Elfter . Cette terre , ainfi que tous les
lieux où a paffé larmée ennemie , a , dit- on , été
pillée , ravagée , détruite , & ces excès font attribués
principalement aux troupes du Prince
d'Anhalt- Deffau . Plufieurs lettres de la Luface
marquent , que les Pruffiens ont forcé les payfans
du plat pays de leur apporter leurs charrues , leurs
Réaux & les autres inftrumens d'Agriculture , &
qu'ils les ont tous brûlés.
192 MERCURE DE FRANCE.
Suivant la convention du 15 de ce mois , arrêtée
par le Roi de Pruffe en perfonne , les ôtages retenus
à Magdebourg , devoient être renvoyés auffitôt
que les Négocians de cette Ville auroient four.
ni des lettres de change pour la fomme de foixante-
quinze mille écus . On ne veut plus aujour
d'hui rendre ces ôrages , que toute la fomme ne
foit réellement acquittée , & l'éxécution militaire,
qui devoit ceffer , continue arbitrairement dans
les plus riches maifons . Les Négocians ont pris le
parti d'envoyer à Berlin traiter avec le Banquier
de la Cour pour acheter leur tranquillité à quelque
prix que ce foit.
Le 19 , les Pruffiens ont pris tout l'argent qui
a pu fe trouver dans les caiffes.
On a conduit ici les Magiftrats de Naumbourg,
que le Roi de Pruffe a fait enlever , pour s'affurer
le paiement des cent cinquante mille écus qu'il s
Exigés de cette Ville,
DE LISBONNE , le 1 Octobre.
Cette Ville affligée de tant de maux , fembloit
goûter enfin quelque calme ; les fecouffes de la
terre étoient moins fréquentes ; on commençoit
à refpirer, lorfqu'on a reçu le détail de l'horrible
bouleversement caufé dans quelques- unes de nos
Ifles par un nouveau tremblement de terre . Le 9
Juillet dernier à onze heures quarante-cinq minu◄
tes de la nuit , une fecouffe affreuſe , dont la durée
fut d'environ deux minutes , fut reffentie dans
la plupart des Açores. Toutes les maifons de l'lfle
d'Angra furent violemment ébranlées . L'impul
fion du tremblement qui d'abord étoit verticale ,
devint bientôt horifontale , & fuivit la direction
de l'Ouest à l'Et. Pendant ces deux minutes , ļa
SPETS
DECEMBRE. 1757.
195
ferre fut agitée d'une telle force , que fi la fecouffe
eût duré quelques inftans de plus , tous les bâtimens
s'écrouloient , étoient engloutis . Le 10 vers
les dix heures du matin , il y eut une nouvelle fecouffe
, qui reprit à4 heures après midi , avec autant
de violence que la veille ; mais dont la durée
fut plus courte. Dans l'Ile Saint - Georges , à 12
lieues d'Angra , la terre trembla le même jour &
aux mêmes heures ; mais la fecouffe fut fi furieufe,
que 1043 perfonnes furent écraſées fous les
ruines des maifons. La frayeur des habitans redoubla
le 10 au matin , à la vue de dix -huit nouvelle
Ifles qui s'éleverent à la diſtance de cent
braffes & au Nord de l'Ifle. Aux Fayans des Vimes
, la même ſecouffe renverfa tous les édifices ;
on n'y reconnoît plus ni maiſons , ni temples ,
ni rues : on ne voit que des décombres & des
monceaux de pierres. La terre en quelque endroits
s'eft détachée du fol , & a roulé dans la mer. On
voit encore des langues de terre éloignées du rivage
, & entourées d'eau , conferver leur forme
avec tout ce qu'elles contenoient. Sur une de ces
Illes flotantes , eft une maison entourée d'arbres ,
qui n'eft point du tout endommagée . Monte- Formofo
, fitué à P'Eſt - Sud- Eſt de cette Ifle , s'eft
féparé en deux parties : l'une a croulé dans la
Mer , & fe trouve éloignée de l'autre de près de
cent braffes. Depuis la pointe de l'Eft de l'ile de
Topo , jufqu'au Bourg de la Caletha , on ne voit
encore que des ruines ; aucun bâtiment n'a réfifté.
La terre s'eft même ouverte en plufieurs endroits,
& un terrein de près d'un quart de lieue d'étendue
s'eft précipité dans la Mer. Quelques montagnes
ont changé de place ; d'autres ont entièrement
difparu , en forte que la
communication entre
Quelque- unes de ces Illes , qui étoit impraticable
I
194 MERCURE DE FRANCE.
autrefois par l'à plomb ou l'efcarpement des ro
chers , eft maintenant libre ; une plaine a fuccédé
aux montagnes. Une partie du village de Norte-
Grande s'eft auffi ſéparée du refte , & a été former
une Iſle nouvelle à la diſtance de 1 so braffes . Tous
les habitans de ces Ifles , confternés , remplis de
terreur , vivent dans les bois , & l'épouvante les
fuit partout , la terre toujours agitée leur montrant
de tous côtés des tombeaux. D'énormes
maffes de pierre fe détachent continuellement des
rochers ; il s'eft ouvert de toutes parts des gouffres
profonds qui les engloutiffent , & l'on voit
prefque tous les jours des rochers entiers s'affaiffer
, ou s'anéantir. L'Ifle du Pic a foiblement fenti
ces diverfes fecouffes , fi ce n'eft dans la partie
qui répond à l'Ile Saint- Georges. Ce quartier a
beaucoup fouffert , & onze perfonnes y ont péri.
Le jour de la premiere fecoufle , la Mer étoit dans
une agitation extraordinaire : les flots entrerent
avec fureur dans l'Ile Saint - Georges , en fuivant la
direction de l'Oueſt à l'Eft ; dans l'Ile du Pic ,
leur direction fut de l'Eſt à l'Oueft , & du Sud à
l'Queſt dans l'Ifle Gracieuſe. L'ifle du Fayal n'a
éprouvé qu'une légere fecouffe , & le mouvement
de la Mer y a été prefqu'infenfible. Dans les lies
de Saint-Michel & de Sainte-Marie , on a fenti
feulement l'effet d'une fecouffe ordinaire : les
Inles des Fleurs & du Corbeau ont été ſeules entiérement
exemptes du malheur général.
On apprend par un Vaiffeau qui vient d'arriver
du Cap Verd , qu'au mois d'Avril dernier , un
Volcan de l'Ifle du Feu , qui vomiffoit fans ceffe
des flammes , s'eft fubitement affaiffé , & que le
village Dos Mofteiros a été enseveli fous les
débris du mont. Les habitans ayant été avertis de
l'événement par plufieurs fignes, fe font heureu
DECEMBRE. 1757.
195
fement fauvés. Deux Bergers feulement ont perda
la vie avec leurs troupeaux .
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 30 Octobre.
La démiffion du Duc de Cumberland qui a
quitté tous fes emplois , eft une chofe réglée. Ce
Prince a même déclaré qu'il ne reparoîtroit à la
tête des armées du Roi , que dans les cas d'invafion
ou de rébellion . Sa place de Colonel du premier
régiment des Gardes à pied , a été donnée
au Prince Edouard , qui doit être inceflamment
déclaré Duc de Gloceftre . Le Général Ligonier &
par interim le commandement en chef de toutes
les troupes.
"
Le Vaiffeau du Roi le Winchester , venant d'Antigoa
, a rapporté qu'il y avoit eu le 29 Août
dernier une forte ſecouffe de tremblement de terre
dans l'Ifle des Barbades , qui avoit caufé peu de
dommage , & quelle avoit été fuivie d'une violente
tempête , qu'on a fentie dans les Illes fous
le vent.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LAJA Cornette des Chevaux- Légers de la Garde
ordinaire du Roi , revint ici d'Arpajon le 19
d'Octobre. Comme la Compagnie , qui ne fert
que par quartiers , eft rarement raffembleé , les
Chevaux- Légers ont faifi le moment de leur réu
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
nion , pour célébrer en corps l'augufte naiſſance
de Monfeigneur le Comte d'Artois . Le Duc de
Chaulnes , leur Commandant , eft Gouverneur
de cette Province nouveau motif pour faire éclater
leur joie dans cette heureufe occafion. Ils devoient
fe féparer , après avoir porté leurs étendards
au Roi ; ils n'ont eu par conféquent que deux
fois vingt-quatre heures , pour faire leurs prépa
ratifs , ainfi que pour inviter la Cour , la Ville ,
& tous les corps de la maiſon du Roi.
Le fête commença le 21 , à dix heures du foir,
par un feu d'artifice , qui fut tiré dans l'avenue de
Sceaux , vis-à- vis de l'Hôtel des Chevaux-Légers ,
& dont l'exécution fut parfaite. Toutes les perfonnes
invitées le rendirent enfuite au bal , paré
& malqué. La façade & la cour de l'Hôtel étolent
très-bien illuminées. La falle où l'on danſoit , a
105 pieds de longueur fur 36 de large. Elle étoit
ornée richement , & avec autant d'art que de
goût : elle étoit éclairée par un grand nombre de
luftres & de girandoles. Les fonds oppofés de cette
falle , qui dans toute leur étendue , étoient gare
nis de grandes glaces , en multipliant les objets ,
formoient un fpectacle charmant. La Comteffe
de Marfan , Gouvernante des Enfans de France ,
s'étant excufée d'ouvrir le bal , la jeune Princeffe
de Soubife , fa niece , danfa le premier menuer
avec le Marquis d'Efquelbec , premier Enfeigne
de la compagnie. Le Bal dura jufqu'à huit heures
du matin. Il y eut la plus nombreuſe affemblée ,
& l'on y diftribua avec profufion toutes fortes de
rafraîchiffemens. Le bon ordre qui a régné dans
cette fête , joint à la politeffe & aux attentions
des Chevaux- Légers , n'en a pas fait le moindre
agrément.
La naifance de Monfeigneur le Comte d'Are
DECEMBRE. 1757: 197
tois exigeant des peuples , dont elle affure le
bonheur , un nouveau tribut de reconnoiffance ,
le Roi écrivit le 9 d'Octobre à M. l'Archevêque de
Paris , pour faire rendre à Dieu dans la Capitale
de folemnelles actions de graces. En conféquence,
le Dimanche 13 , le Te Deum fut chanté dans
P'Eglife Métropolitaine , & M. l'Archevêque de
Paris y officia . M. le Chancelier accompagné de
plufieurs Confeillers d'etat & Maîtres des Requê
tes , le parlement , la Chambre des Comptes , la
Cour des Aydes & le Corps de Ville , y affifterent
après y avoir été invités de la part du Roi par M.
Defgranges , Maîtres des Cérémonies .
Le même jour , M. le Prevôt des Marchands
& les Echevins firent tirer dans la place de l'Hôtel
de Ville un feu d'artifice , décoré relativement à
l'objet de l'alegreffe publique. La façade de
l'Hôtel de Ville fut enfuite illuminée par des filets
de terrines, qui régnoient le long des entablemens,
& par des luftres formés de lanternes de verre.
Des ifs portant chacun plus de cent cinquante lu
mieres , entouroient la place .
L'Hôtel du Duc de Chevreufe , nommé au Gou
vernement de Paris , fut orné d'une magnifique
décoration en architecture , éclairée avec un
goût infini. Il y eut auffi des illuminations à l'Hôtel
du Prevôt des Marchands , aux maiſons des
Echevins , & à celles des principaux Officiers du
corps de Ville.
Aux quatre coins de la place de l'Hôtel de
Ville , ainfi qu'à celle de Louis XV , étoient des
fontaines de vin , qui coulerent une partie de la
nuit. On y diftribuoit du pain & des viandes au
peuple , & on avoit placé des orqueftres dans tous
les endroits où fe faifoient ces diftributions .
La cloche de l'Hôtel de ville fonna pendan
I iij
498 MERCURE DE FRANCE.
Toute la journée en tocfin . Il y eut quatre falves
d'artillerie ; la premiere à cinq heures du matin ,
la feconde à midi , la troifieme pendant le Te
Deum , & la derniere avant le feu d'artifice.
Le 24 , le corps de Ville alla à l'Eglife paroif-
Hale de Saint Jeanen Greve , pour rendre les actions
de graces particulieres , & il affifta au Te
Deam qu'il fit chanter en mufique. Ce même
jour , l'Hôtel de Ville , P'Hôtel du Prevôt des
Marchands , les maiſons des Echevins & des principaux
Officiers du corps de Ville , furent illuminés
de nouveau .
Le Roi a difpofé du commandement en Chef
de la province de Languedoc , vacant par la mort
de M. le Maréchal Duc de Mirepoix , en faveur
de M. le Maréchal de Thomond .
Le 3 Novembre , M. le Comte de Sartirane ,
'Ambaffadeur du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il complimenta
Sa Majefté , au nom du Roi fon Maître,
fur l'heureux accouchement de Madame la Dauphine
, & fur l'heureufe naiffance de Monftigneur
le Comte d'Artois. Cet Ambafladeur fut
enfuite admis à l'audience de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , & de Madame la Dauphine.
M. Bertin , latendant de Lyon , a été nommé
Lieutenant-Général de Police , à la place de M.
Berryer.
Le Roi a nommé M. le Marquis du Mefnil ,
Lieutenant Général de fes armées , Infpecteur Général
de la Cavalerie & des Dragons , au Gouver
nement de Brouage , vacant par la mort de M. le
Maréchal Duc de Mirepoix.
Sa Majesté a auffi accordé à M. le Comte de
Montazet , Brigadier de fes armées , Mestre de
Camp réformé à la fuite du Régiment de Dragons
DECEMBRE. 1757. 199
d'Orléans , & Gouverneur du Fort de Scarpe ,
l'Expectative d'une place de Commandeur dans
P'Ordre Militaire de Saint Louis , avec la permiffion
d'en porter dès - à - préfent les honneurs.
Les 27 & 28 d'Octobre , on a reffenti au Havre
deux fecouffes de tremblemens de terre. La
premiere a duré trois minutes , & l'autre deux.
Les habitans effrayés, font fortis de leurs maiſons
pour fe retirer fur la place, Ces mêmes ſecouffes
Te font auffi fait fentir à la même heure au Pontl'Evêque
, fur la rive gauche de la Seine.
Le 6 de Novembre , M. le Chevalier Archinto
arriva ici de Parme , pour complimenter le Roi ,
de la part de l'Infant Duc de Parme , fur la naiffance
de Monfeigneur le Comte d'Artois.
Le Roi a nommé à l'Intendance de Lyon M. de
la Michodiere , Intendant d'Auvergne ; & M.
Bernard de Ballainvilliers , Maître des Requêtes ,
à celle d'Auvergne.
Sa Majefté a tenu le Sceau pour la feizieme &
dix-feptieme fois.
Le même jour , M. le Prince de Beauvau prêta
ferment entre les mains du Roi pour la charge
de Capitaine des Gardes , & Sa Majefté reçut celui
de l'Evêque de Senez.
Le Roi accorda ce même jour un brevet d'honneur
à Madame la Comteffe de Lillebonne , &
elle prit en conféquence le Tabouret chez la
Reine.
Sa Majesté a donné à M. le Comte de Talaru ,
Sous-Lieutenant des Gendarmes de Flandres ,
l'Aide-Majorité de la Gendarmerie , vacante par
la promotion du Vicomte de Sabran , à la Majo
rité de ce corps,
Les entrées de la Chambre ont été accordées
par le Roi à M. le Chevalier Archinto , Gentil-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
homme de la Chambre de l'infant Duc de Parme
Le is , M. Erizzo , Ambaſſadeur de la Répu
blique de Venife , eut une audience particuliere
du Roi,dans laquelle il complimenta Sa Majesté au
nom de la République , fur l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine , & fur la naiſſance
de Monfeigneur le Comte d'Artois . Cet Ambaffadeur
fut conduit à cette audience par M. de la
Live , introducteur des Ambafladeurs .
M. le Baron de Lichtinſtein , Miniftre Plénipotentiaire
du Duc de Saxe- Gotha , eut le même
jour une audience de Madame la Dauphine. Il y
fut conduit ainfi qu'à celles de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , de Monfeigneur le Duc de
Berry , & de Monſeigneur le Comte de Provence
, par le même Introducteur .
M. de Bompar , Chefd'Eſcadre des Armées Navales
, à fon retour de la Martinique , où il a réfidé
pendant fept ans en qualité de Gouverneur
Général des Inles du Vent , a été préfenté au Roi,
Sa Majefté lui a accordé une penfion de trois mille
livres fur le Tréfor Royal , avec le Cordon rouge
honoraire.
L'ouverture du Parlement fe fit le r2 de ce
mois avec les cérémonies ordinaires , par une
Mefle folemnelle . Elle fut célébrée par M. l'Abbé
de Sailly , Chantre de la Sainte Chapelle , & Aumônier
de Madame la Dauphine . M. Mollé ,
premier Préfident , ayant été reçu & inftallé par
M. Pelletier de Rofambo , Préfident du Parlement
, y affifta avec toutes les Chambres.
Il y a eu le 5 Novembre une action entre l'armés
commandée par M. le Prince de Soubife & celle
du Roi de Pruffe : la premiere ayant été obligée de
faire fa retraite , elle s'eft retirée à Freyburg ,
d'où elle a repaffé l'Unftrutt , & ſe raffemble der
DECEMBRE. 1757 : 201
riere cette riviere . M. le Maréchal Duc de Richelieu
, à qui M. le Prince de Soubife avoit dépêché
un Officier après l'action , s'eft mis en marche à
la tête de foixante bataillons & de foixante- quatre
efcadrons , pour fe porter fur Duderſtatt , où il
fera à portée de recevoir & de foutenir l'armée de
M. le Prince de Soubife , s'il eft néceffaire.
Nous retardons la lifte des Officiers tués ou
bleffés , pour la donner plus exacte le mois pro
chain.
Le Corfaire Anglois le Hancelot , de Jerzey ;
armé de 10 canons , & de 70 hommes d'équipage ,
a été pris par les Vaiffeaux du Roi l'Entreprenant
& le Dragon , qui l'ont fait conduire à Brest.
Les fieurs Bart , Capitaine de Brûlot , & Juin ,
Lieutenant de Frégate , commandant les Frégates
du Roi la Valeur & la Mignonne , fe font rendus
maîtres des Navires Anglois l'Induftrie , l'Eclair
la Marie-Sara & la Satisfaction. Ces quatre bâtimens
, qui alloient de Sunderland à Rotterdam ,
chacun avec un chargement de charbon de terre
étoient tous armés de quelques canons , & ils font
arrivés à Dunkerque.
Le Corfaire le Vengeur , de ce Port , ya remis
Pôtage d'une rançon de 290 guinées , moyennant
laquelle il a relâché un Navire Anglois ,
dont il s'étoit emparé .
On mande de la Rochelle , que le Navire le Titon
l'Africain , de Bordeaux , venant de Saint-
Domingue , a enlevé le Navire Anglois le Thos
mas , de Londres dont la cargaiſon eft compo
fée de 500 barrils de poudre , de so caiffes d'armes
, de toiles , de foieries , & d'autres muni
tions & marchandiſes.
Une Lettre du Capitaine Robert , comman
1 v
202 MERCURE DE FRANCE.
dant la Frégate la Comteffe de la Serre , datée de
20 Octobre dernier , marque qu'il eft arrivé à
Bergue en Norwege, & qu'il y a conduit fept prifes
Angloifes ; que fix de ces prifes font chargés
de chanvre , de lin & de fer , la feptieme , d'uce
petite partie de chanvre & de bois , & qu'il en
attendoit une huitieme qu'il a laiffée au Nord
d'Ifland , le mauvais temps l'ayant obligé de s'en
féparer. Cette derniere eft un Senaw du port de
220 tonneaux , armé de 14 canons , & de 36
hommes d'équipage , qui vient de la Virginie , fa
cargaison confifte en 380 boucauts de tabac.
BÉNÉFICES DONNÉS.
SA Majefté a donné l'Abbaye de Bonnefond ,
Ordre de Cîteaux , Diocefe de Comminges , à
M. l'Abbé Marquet - de Villefond , chargé des
affaires de Sa Majesté à Venife ; l'Abbaye de
Meymac , Ordre de S. Benoît , Diocefe de Limoges
, à M. l'Abbé de Saint - Val ; celle de Sainte
Aufonne , même Ordre , Dioceſe d'Angoulême ,
à la Dame de Durfort de Civerac , Religieufe de
Saint Emilion , Dioceſe de Bordeaux ; & le
Prieuré de Saint Pierre de Langon , Dioceſe de
la Rochelle , à M. l'Abbé Jalouts , Vicaire Général
de l'Archevêché de Cambray.
MARIAGE ET MORTS.
M58SIRE Paul- Hippolyte de Beauvillier , Duc.
de Saint-Aignan , Pair de France , Chevalier des
Ordres du Roi , Lieutenant-Général, de fes arDECEMBRE
. 1757. 203
mées , Gouverneur du Havre , ci devant Ambaffadeur
du Roi à la Cour d'Efpagne & près le
Saint Siege , époufa le 9 de Novembre Demoiſelle
Françoile-Helene - Etienne Turgot , fille de feu-
Mefire Michel Etienne Turgot , Marquis de
Soubfmons , Confeiller d'Etat ordinaire & Prevôt
des Marchans , & de Dame Magdelene-Françoife
Martineau. La célébration ſe fit dans la Chapelle
de l'Hôtel de la Dame Turgot , Douairiere.
Leurs Majeftés & la Famille Royale avoient figné
le 7 le contrat de mariage.
Meffire Emanuel-Henri-Timoléon - de Coffé- de
Briffac , né jumeau avec fon frere , Jean- Paul-Timoléon
-de Coffé , Duc de Briffac , le 12 Octobre
1698 , Abbé de l'Abbaye de Fonfroide , Ordre de
Citaux , Dioceſe de Narbonne en 1717 ; & de
celle de Saint Urbain , Ordre de Saint Benoît en
en 1732 , Grand- Vicaire de l'Archevêché de
Lyon , Aumônier du Roi , Agent général du
Clergé , nommé Evêque de Condon en 1735 ,
facré le 22 Janvier 1736 , eft mort à Paris , rue
Caffette , fauxbourg Saint Germain , le 27 Août
1757 , dans la foixantieme année de fon âge. Il fat
préfenté le 29 à Saint Sulpice , & tranfporté aux
Céleftins dans la Chapelle d'Orléans , lieu de la
fépulture de fa maiſon.
Meffire Aymeric Charles de Gontaut de Biron ,
Marquis de Saint - Blancard , Meftre de Camp de:
Cavalerie , mourut le 16 Septembre dernier dans
fa terre de Laborthe , en Gascogne , au Dioceſe
d'Aufch , âgé de foixante - dix-fept ans.
Dame Henriette - Emilie de Bautru , Comteffe
de Nogent - le- Roi , femme du Marquis de Melun,
eft morte ici le 27 Septembre, âgée de cinquanteneuf
ans.
Mellire René-Antoine Ferchaud - de Réaumur
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE
de l'Académie royale des Sciences , de la Société
royale de Londres , des Académies de Péterf
bourg , de Berlin , de Stockholm , & de l'Inftitut
de Bologne , Intendant & Commandeur de l'Ordre
Militaire de S. Louis , eft mort le 18 Octobre,
âgé de foixante-feize ans.
Demoiselle Eléonor Thenay de Saint- Christophe,
eft morte le 19 Octobre dans la Communauté de
P'Inftruction Chrétienne , âgée de quatre- vingtquatre
ans , & elle a été inhumée le 30 à S. Sulpice
, fa Paroifle.
Meffire N. de Savines , Abbé Commendataire
de l'Abbaye royale de Bofcaudon , Ordre de Saint
Benoît , Diocefe d'Embrun , eft mort dans fon
Abbaye , vers la fin du mois d'Oftobre , âgé de
cent ans accomplis.
Il eft mort à Aberdeen , en Ecoffſe , un homme
âgé de cent trente- deux ans , nommé Alexandre
Mac-Cullock , qui a joui jufqu'à la fin de ſa vie
du jugement le plus fain . Il avoit fervi en qualité
de foldat du temps de Cromwel , fous le Général
Monk.
L'abondance des matieres nous oblige
de remettre au prochain Mercure l'article
de l'Hôpital de M. le Maréchal- Duc de
Biron , ainfi que le Mémoire Généalogique
de la branche des Caumont de Picardie.
DECEMBRE. 1757% 205
LETTRE de l'Auteur du Dictionnaire béraldique
, chronologique & hiftorique, à l'Auteur
du Mercure , fur la Maifon du Chaftel.
L'OUVRAG
' OUVRAGE que j'ai donné au Public , Mon
fieur , eft trop érendu pour qu'il ne s'y trouve pas
beaucoup de fautes , & trop intéreffant pour que
je ne m'empreffe pas de les réparer. C'est pour
remplir cette vue , que je vais faire imprimer un
fupplément , qui contiendra un nombre affez confidérable
de corrections néceffaires , & de nouveaux
articles de beaucoup de familles Nobles de
différens endroits du Royaume , qui me font
parvenus par la voie du Libraire . Mais comme
Pédition demande encore quelque temps pour
être achevée , je ne dois pas attendre jufques- là à'
reconnoître publiquement entr'autres erreurs ,
celle dans laquelle je fuis tombé fur une des plus
illuftres Maifons du Royaume , que j'avois crue
éteinte fur la foi de quelques mauvais Mémoires,
Celui que j'ai l'honneur de vous envoyer eft plus
correct ; il eft prouvé fur des titres dont il feroit
aifé de prouver l'authenticité. Je vous prie de l'inférer
dans le Mercure prochain .
J'ai l'honneur d'être , &c.
· A Paris , ce 21 Novembre 1757-
LA
D....
Mémoire fur la Maison du Chaftel.
A Maifon du Chaftel eft d'ancienne Chevale
rie. L'hiftoire de Bretagne eft remplie de monumens
qui conftatent ſon ancienneté , fes fervices
militaires , & fes grandes alliances,
206 MERCURE DE FRANCE.
Bernard du Chaftel , Chevalier , fcella de fon
fceau un acte de l'an 1174. Il y eft repréſenté à
cheval , tenant l'épée haute de la main droite , &
foutenant de la gauche un écu chargé de fafces ;
le cheval caparaçonné aux mêmes armes. Il époufa
Anne de Léon de grande lignée , dont il eut Hervé
du Chaſtel , Chevalier , vivant en 1296 .
Bernard II , du nom , fire du Chaſtel , fils de
celui- ci , époufa Eléonore de Rofmadec , & en eut
Tanneguy, premier du nom , fire du Chaſtel ,
Lieutenant général des armées du Comte de
Montfort , contre CHARLES de Blois , fur lequel
il gagna la bataille de la Roche - de Rien en 1347 ,
& qui gagna encore celle de Mauron en 1352 .
Ce Tanneguyfut pere, entr'autres enfans , de Guillaume
, fire du Chaftel , qui fuit ; de Tanneguy,
Seigneur de la Roche- Dronion , chef de la branche
des Seigneurs de Melle , éteinte ; de Garfin
ou Garfis du Chaftel , Seigneur du Bois , appellé ,
à caufe de lui , le Bois de Garfis ( en Breton Coetangars
) Maréchal & Général d'armée du Duc d'An.
jou , mort fans alliance ; & Marguerite , femme
de Guillaume , fire de Rofmadec.
Guillaume , fire du Chaftel , de Leſlein ( & de
Coetangars , par la mort de fon frere Garfin )
rendit de grands fervices à JBAN , dit le vaillant ,
Duc de Bretagne , pour lequel il demeura prifonnier
en une rencontre , & paya 6000 écus d'or
pour fa rançon ; il mourut en 1370 , laiſſant pour
fils & héritier, Hervé , qui porta les armes pour le
Roi CHARLES V. Celui - ci fut pere de quatre fils ;
fçavoir :
1º. Guillaume du Chaftel , Chambellan du Roi
CHARLES V , & du Duc d'Orléans , qui fut l'un
des fept Champions du. Seigneur de Barbazan ,
contre fept Anglois en 1402 , gagna un combatDECEMBRE
. 1757. 207
naval contre les Anglois en 1403 ; pilla l'Ile de
Gerzé , où il fut tué l'année ſuivante , fans laiffer
de postérité .
2º. Olivier, fire du Chaſtel , &c. qui fuit .
3°. Hervé du Chaftel , tige des Seigneurs de
Coetelez , éteinte.
4°. Tanneguy , Chevalier , Confeiller & Cham
bellan du Roi , Grand Maître de fa Maifon , Prevôt
de Paris , Gouverneur & Sénéchal de Provence
, fi renommé dans l'hiftoire de France par fon
attachement à la perfonne du Dauphin depuis
Charles VII . Il mourut en Provence en 1449 ,
fans postérité.
Olivier , fire ou Seigneur du Chaftel , de Leſlein
, Chevalier Banneret , Chambellan du Duc de
Bretagne , Capitaine de Dinan & de Breft , Sénéchal
de Saintonge , donna quittance de fes gages.
comme Chevalier Banneret , le 20 Novembre.
1415 , & la fcella de fon fceau qui eft fafcé de
fix pieces d'or & de gueules . Il mourut en 1455 ,
ayant eu pour fils :
1° François , fire du Chaftel , qui continua la
poftérité.
2. Guillaume du Chaftel , Pannetier du Roi ,
& Ecuyer du Dauphin , depuis Louis XI , tué en
1441 au fiege de Pontoife en préſence du Roi
qui , pour récompenfer fa valeur & fes fervices, le
fit enterrer dans l'Eglife de Saint Denis , avec les
Rois ( Hift. de S. Denis , par Eelibien , pages 3.52.
562.)
3. Jean du Chaftel , Evêque de Carcaffonne ,
en 1457.
4°. Tanneguy du Chaſtel , Vicomte de la Belliere
, Confeiller & Chambellan du Roi CHARLES
VII, Grand Ecuyer de France , Grand Maître
'Hôtel du Duc de Bretagne , Gouverneur du
108 MERCURE DE FRANCE.
Rouffillon & de Cerdagne , Chevalier de l'Ordre
de S. Michel , lequel fut bleffé d'un coup de fauconneau
, au siege de Bouchain , en 1477, & mourut
de cette bleffure , au grand regret du Roi , qui
envoya offrir cent marcs d'argent à l'Eglife de
Notre-Dame de la Victoire , qu'il avoit voué pour
be falut de l'ame de ce Seigneur ( compte de Pierre
de Lailly ) . Il avoit marqué fon zele & ſa fidélité
au fervice du Roi CHARLES VII , en ſe tenant auprès
de lui jufqu'au dernier foupir , avoit fait faire
fes funérailles , & y avoit employé une fomme de
30 mille écus. Il ne laiffa de Jeanne de Raguenel ,
Vicomteffe de la Belliere & de Combour , fa
femme , qu'une fille nommée Jeanne , mariée à
Louis , Seigneur de Montejan.
François , fire du Chaftel , de Leſlein , de Le
zourny , &c. fut fait Chevalier Banneret ( Baron )
aux Etats de Bretagne de l'année 1495. Il eut de
Jeanne de Kerman , Olivier, fire du Chaftel , de
Leflein , de Lezourny & de Lefcoet. Celui- ci fut
pere de trois fils , Tanneguy , fire du Chaftel , qui
continua la branche aînée ; Gabriel , Seigneur de
Coetangars , dont la poftérité fera rapportée ciaprès
, & Olivier , Evêque de Saint- Brieu , mort
en 1523 .
Tanneguy , fire du Chaftel , de Poulmie , &c
époufa 1 ° . en 1492 , Louife du Pont , fille de
Pierre , Seigneur du Pont-l'Abbé , & d'Helene de
Rohan ; 20. en 1901 , Marie , Dame de Juch.
Du premier mariage vint Gillette du Chaftel ,
Dame du Pont-l'Abbé , de Roftrenen , &c. qu'elle
porta en dotte à Charles du Guellenée , Vicomte
du Fou; & du fecond , François , fire du Chaftel ,
de Lefcoet & du Jueh : celui- ci eut pour fils & héritier
Claude , Baron du Chaftel , &c. qui ne laisa
de Claude d'Acigné , Vicomteffe de la Belliere
DECEMBRE . 1757. 209
fa femme , que deux filles , nommées Anne &
Jeanne: la premiere héritiere de la Baronie du
Chaftel , épousa Guy de Rieux , Seigneur de Châteauneuf
, & l'autre , Charles Goyon , Baron de la
Mouffaye.
Branche des Seigneurs de Coetangars.
Gabriel du Chaftel , fecond fils d'Olivier , fire
du Chaftel , comme il a été dit ci - devant , eut en
partage la terre de Coetangars ; il fut pere de
Tanneguy du Chaftel , Seigneur de Coetangars ,
qui de Marie de Kerguiziau , fille & héritiere du
Seigneur de Kerguiziau , eut un fils nommé Guillaume
, qui fut auffi Seigneur de Coetangars & de
Kerivant , & époufa Léventze de Kermeno , qui
le rendit pere de Jean qui fuit :
Jean du Chaftel , Seigneur de Coetangars , de
Kerivant & de Bruillac , Chevalier de l'Ordre du
Roi , dit de S. Michel , Gentilhomme ordinaire
de fa chambre , fe qualifia chef du nom & d'armes
de la maifon du Chaftel , qualification que
fes fucceffeurs ont prife jufqu'aujourd'hui. Il
époufa 1 °. Marguerite de Cofquier , dont il n'eut
que des filles ; 2. en 1625 , Marie le Long- de
Keranroux , Dame de Mefaurun , qui le rendit
pere entr'autres de trois fils ; fçavoir 1 ° . Ignace-
François , appellé le Marquis du Chaſtel , dont la
petite-fille époufa en 1716 Hugues Humbert Huchet
, Comte de la Bedoyere ; 2 °. Marc-Antoine
du Chaftel , Seigneur de Kéranroux , mort fans
postérité ; 3 °. Tanneguy du Chaftel , Baron de
Bruillac , qui fuit :
Tannegny du Chaftel , Baron de Bruillac ,
époufa en 1659 Françoise de Kerprijan , Dame de
Parcaric , & en eut trois fils & une fille ; fçavoir
MERCURE DE FRANCE.
DE
acques-Claude du Chaftel , Baron de Braila
qui fuit ; 2 °. Tanneguy- Querian du Chaſtel ,
eur de Parcaric , mort fans poftérité ; 3 °,
-Jonathas du Chaftel , Infpecteur général
oupes du Roi en Amérique , Chevalier de
ais , Lieutenant de Roi de Marie- Galante ,
a laiffé des enfans établis en Amérique , &
le petit- fils nommé Claude Tanneguy eft
gne des Vaiffeaux du Roi ; & 4° . Mariee
du Chaftel , mariée en 1680 , àFrançois
Fer de Locrift , Seigneur de Kergariou.
ques - Claude du Chaftel , Chevalier , Sei-
Baron de Bruillac , de Parcarie , de Coal
i , & c . Maréchal des Logis de la compaolonelle
des Gentilshommes de l'Evêché de
Her , épouſa en 1691 , Marguerite de la Por
me de Guerdevollée ; de ce mariage font
plufieurs enfans , dont les trois ci deffous
és font vivans ; fçavoir , Hyacinthe-Marie du Chaftel , Chevalier ,
ar de Parcaric , Guerdevollée
, &c. chefde
d'armes , Chevalier de S. Louis ; il époufa
Françoife-Mauricette de Kergariou , Da-
Keruegant , dont deux filles.
arques-Thomas du Chaftel , Chevalier de
s , Lieutenant des Vaiffeaux du Roi.
Tanneguy du Chaftel , Aumonier du Roi ,
de l'Abbaye de Samer aux Bois.
armes , fafcé d'or & de gueules de fix
JEAN EAN Senac
fes Confeils
de Sa Majesté
Bains & For
du
Royaume
pecteur des
dans des trav
qu'il s'occupe
vé une poud
connoillant C
fa probité &
être utile au
la délibératio
Commiffion
vingt-trois F
autorifons
e
Sieur
Privat
niftrer dans t
poudre
apérit
priétés du M
le
tout conf
d'Etat du R
Septembre 11
délivré le pr
trefigné de
fceau de no
y
étant , le
fix.
Senac.
Un
grand
de
ce
remed
fieurs
étrang
confidérable
perfonnes
d
DECEMBRE. 1757. 211
AVIS.
JEAN Senac , Confeiller ordinaire du Roi en
fes Confeils d'Etat & privé , premier Médecin
de Sa Majesté , Surintendant Général des Eaux ,
Bains & Fontaines minérales & médecinales
du Royaume , &c. Le Steur Privat , ancien Infpecteur
des Mines , nous ayant repréfenté que
dans des travaux chimiques , dont nous fçavons
qu'il s'occupe depuis long- temps , il avoit trouvé
une poudre blanche qu'il tire du Mars ;
connoiffant d'ailleurs fes lumieres diftinguées ,
fa probité & fon zele pour tout ce qui peus
être utile au public ; Nous , en conféquence de
la délibération prife dans notre bureau de la
Commiffion royale de médecine affemblée le
vingt- trois Février dernier , avons autorifé &
autorifons exclufivement à tout autre , ledit
Sieur Privat , de vendre , diftribuer & adminiftrer
dans toute l'étendue du Royaume , ladite
poudre apéritive & defobftruante , qui a les propriétés
du Mars , fans en avoir les inconvéniens ;
le tout conformément aux Arrêts du Confeil
d'Etat du Roi , & nommément à celui du 10
Septembre 1754 ; en foi de quoi nous lui avons
délivré le préfent figné de notre main & contrefigné
de notre Secretaire qui y a appofé le
fccau de nos armes. Donné à Verſailles , le Roi
y étant , le 17 Mars mil fept cent cinquante
fix. Senac.
Un grand nombre de perfonnes ont déja ufé
de ce remede avec beaucoup de fuccès , & plufieurs
étrangers en ont pris pour des fommes
confidérables. Nous en fommes inftruits par des
perfonnes dont l'affertion eft une autorité.
212 MERCURE DE FRANCE:
AUTRE.
Mademoiselle Collet , continue de vendre ;
pour l'utilité du Public , une Pommade de fa
compofition, qui appaiſe ; dans l'inſtant , les grandes
douleurs des hémorroides , tant internes ,
qu'externes , fuffent - elles ulcéreufes & fiftuleufes
; foulage auffi dans l'instant ceux qui en
font attaqués , & les en guérit radicalement.
Cette Pommade eft fi connue qu'elle n'a pas
befoin d'autre recommandation.
Elle fe garde autant de temps que l'on veut , &
fe peut tranfporter par tout , pourvu qu'on ait
foin de la garantir de la chaleur & du feu. Les
moindres pots font de 3 , de 6 , de 10 , de 12 ,
de 18 & de 20 liv. & de tous les prix que l'on
fouhaitera . On donnera la façon de s'en fervir.
Des perfonnes étrangeres qui en voudront faire
ufage , auront la bonté d'affranchir les ports
de lettres .
Mademoiselle Collet , demeure à préfent , rue
des Petits Champs , vis - à- vis la petite porte S.
Honoré , dans la maifon de M. Jollivet , mare
chand Papetier , à l'enſeigne de l'Eperance.
AUTRE.
L Sieur Rochefort , Maitre Pèrruquier , dont
il a été fait mention dans le Mercure du mois
de Décembre 1756 , continue de monter les
Perruques nouées , les Bonters & les Perraques
à bourfe par le moyen des têtes artificielles ,
qu'il a inventées , enforte qu'elles prennent naturellement
d'elles - mêmes le tour du visage ,
DECEMBRE. 1757. 213
fans avoir befoin de boucles , de cordons , de
refforts , ni même de l'accommodage , pour être
affujetties à coller fi parfaitement : & les che
veux femblent y avoir pris racine . On ne répé,
tera point l'éloge de l'approbation que lui ont
fait les Officiers de fa Communauté , dans le
certificat , en bonne forme , qu'ils lui ont accor
dé : mais on donne avis aux perfonnes qui demeurent
en Province , & même hors du royaume
, qui voudront avoir des Perruques de fa
façon de lui écrire . Il leur enverra un modele
de mefure très - facile à prendre , & tel qu'il le
faut pour pouvoir y rapporter exactement fes
proportions , & avec la facilité du modele , où
tout est bien expliqué . Les perfonnes pourront
fe faire prendre la mefure de leur tête aifément
par qui bon leur femblera. Elles font priées
d'affranchir leurs lettres . Le Sieur Rocheforg
demeure , à Paris , rue de la Verrerie , près la
rue des Billettes .
>
ERRATA pour l'extrait de la feconde para
tie du Mémoire de M. de la Condamine ,
imprimé dans le volume de Septembre
dernier.
Il s'eft gliffé plufieurs fautes d'impreffion
dans ce Mémoire . Voici les plus confidé-
Erables auxquelles il n'eft pas poffible de
fuppléer.
PAGE 123 , ligne 7 , je tiens ce fait d'une perſonne
qui afouvent parié des paris , corrigez a
parié & gagné des paris.
214
Ibid. lig. 22 , coureur Anglois , corrigez , cheval
de courfe Anglois.
Page 126 , lig. 15 , plus de 500 pieds de profondeur,
corrigez , une grande profondeur.
Page 138 , ligne derniere & la premiere de la page
fuivante , Mémoire publié en mon nom , corrigez
, Mémoire publié en mon abfence.
Errata du Mercure de Novembre.
Page 22 , lig. 27 28 , non , qu'il faille parler
grec ou latin ou françois , lifez , ou latin en
françois.
Page 27 28 , lig. 22 & 23 , ces fleurs perdens ,
lifez , perdent. Les mirthet , corrigez , les mirthes.
Page 33 , lig. 7 , tu n'eft plus , lifez , tu n'es plus.
Page 35 , lig. 2 , fous vos doigt , lifez , doigts.
Page 40 , lig. 13 , entre maint autres que je tais ,
lifez , entre maints autres.
Page 70 , lig. 3 , le jeu de cartes , lifez , le jeu des
caries.
Page 87 , à la fin de l'alinea , Autores , lifez , Anttores.
>
Page 96 , lig. 6 , en montant , genre , lifez , génie.
Page 99 , lig. 8 , en montant lifez , rue des
Carmes.
Page 100 , lig. 11 , en montant , au lieu d'une livre
dix fols , lifez , 4 liv. 10fels.
Page 108 , lig. 2 , ces , lifez , fes.
Page 113 , lig. 4 , la monopole , lifez , le monopole.
Ibid. lig. 12 , voir , lifez , unir.
Page 114 , lig. 6 , coulerent , lifez , couloient.
Page 119 , g. 18 , préféteroit , lifez , puiſeroit.
Ibid. lig, 24 , d'oftevroles , lifex , d'oftéocales,
215
5
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le Mercure du mois de Décembre , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion,
A Paris , ce 29 Novembre 1757. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES IN VERS AT EN PROSE
EPITRE,
Trop long , Conte très- court ,
page s
8
Epître à M. de Boulogne , Contrôleur général des
Finances 18
Le Soupir , à Madame L *** , qui m'en demandoit
l'explication ,
La Perdrix & fes Petits , Fable ,
24
27
Stances à MM. les Gardes du Corps du Roi , fur la
fête qu'ils ont donnée à Orléans le 16 Octobre ,
à l'occafion de la Naiffance de Monfeigneur le
Comte d'Artois ,
Suite des Réflexions fur l'Efprit humain
28
30
Vers à Olympe , & Madrigaux du même Auteur
,
Vers à M. le Contrôleur général ,
62
83
Vers à Madame de M... qui m'habilloit en femme
, 64
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure du mois de Novembre,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfen ,
65
ibid.
68
216
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES:
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveant;
Lettres à l'Auteur du Mercure ,
72
796 97
Séance publique de l'Académie des Belles - Lettres
de Montauban ,
111
119
ART. III. SCIENCES ET BELLEs Lettres,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Hiftoire naturelle. Obſervations d'anatomie & d'hiltoire
naturelle , faites fur un chien de met , 116
Chirurgie. Lettre à M *** , 140
Séance publique de l'Académie des Sciences , 147
Avis aux Soulcripteurs de l'Encyclopédie ,
Mufique.
ART. IV. BEAUX- ARTS.
148
153
Peinture. Lettres à l'Auteur du Mercure, 159, 165
Gravure, 167
Archite&ure. 174
ART. V. SPECTACLES
Opera ; 179
Comédie Françoife , 187
Comédie Italienne , ibid.
Concert fpirituel . 183
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres ,
189
Nouvelles de la Cour , de Paris &c , 195
Bénéfices donnés , 203
ibid
Mariage & Morts ,
Mémoire généalogique de la maifon du Chaftel ,
Avis divers ,
La Chanson notée doit regarder la page 68.
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères