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1756, 10, vol. 1-2, 11-12
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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1756.
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife . La Fontaine.
PagisterSculp
Cochin
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saias Jacques
CAILLEAU, quai des Augustins.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
THE NEW YORK!
PUBLIC LIBRARY
335293
ASTOR, LEMOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier - Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pourfeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24
livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mera
cure, écriront à l'adreffe ci - deſſus.
A ij
OnSupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne ſeront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ;
Mercredi & Jendi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Meri
sure , les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Muſique qu'ils annoncent.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer »
d'en marquer le prix.
豆豆亞亞亞亞亞亞
OV
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1756.
ARTICLE PREMIER,
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA LOUANGE ET LA FLATTERIE,
FABLE.
Dans le chemin qui mene au pays des hom
neurs ,
Le hazard fit un jour rencontrer deux femelles
De même air , même habit , même taille , enfix
telles
Qu'on les eût prifes pour deux fours
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Par choix je penſe , & non par goût fantaſque
Seulement en un point différoit leur atour.
Pour éviter quelquefois le grand jour,
L'une portoit un voile, & l'autre avoit un mafque.
Lieu commun fur le temps , la pluie & le foleil ,
Après maint compliment & mainte révérence :
Notre couple furpris de fe voir fi pareil ,
Cheminoit méditant fur cette reffemblance .
Nos Dames vers le foir trouvent une Cité.
On les arrête à la barriere ,
Od fuivant l'ufage ordinaire ,
On s'enquiert de leur nom & de leur qualité.
Moi , je fuis la Louange , & moi , la Flatterie.
Où vous arrêtez- vous ? dans quelle hôtellerie !
Mais c'eſt , dit la derniere , où le voudra ma foeur :
Nous aurons , je préfume , aujourd'hui même
gite.
Non , reprit l'autre avec douceur ,
Pour plus d'une raiſon il faut que je vous quitte .
Sans doute vous irez loger chez la Faveur ,
Et moi , je cherche le Mérite.
IMPROMPTU à Madame B... qui
plaifantoit l'Auteur de ne l'avoir faluée
qu'après avoir joué avec fon Enfant.
TRop plein du défir de vous plaire .
A cet Enfant j'ai d'abord fait ma cour :
OCTOBRE. 1756. 7
Cette conduite finguliere
Dans votre esprit a pris un mauvais tour :
N'en fentez-vous pas le myftere ?
On doit s'adreffer à l'Amour
Pour obtenir un regard de fa mere.
VERS
A Madame d'Egmont.
BElle Comteffe , votre Epoux
Par fes hauts faits enrichit notre Hiſtoire :
Le Léopard gémit abattu fous fes coups.
Le front ceint des lauriers que donne la victoire ,
Ce Héros revole vers vous.
Son bonheur égale fa gloire.
Par Madame BOURETTE.
Ce 11 Août 1756.
RÉFLEXIONS DIVERSES.
LEs abus politiques font une hydre, dont
il ne faut couper les têtes que l'une après
l'autre .
Les foibleffes des grandes ames ont je
ne fçais quelle empreinte qui les fait préférer
aux vertus des petites.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
"
Le trône eft le tombeau du Prince for
ble , fes Miniftres l'y enterrent ; c'eft le lit
d'un Sibarite , fes Courtifans le couvrent
de roſes & de pavots : un bon Prince y eft
comme un Athlete fur l'arêne , fon activité
ne lui laiffe
pas le temps de refpirer .
Eft-on fi à plaindre dans l'infortune ,
quand on peut s'envelopper des charmes
de l'amitié & des confolations de la vertu ?
Les Rois fe donnent le nom de fteres ;
ne peut- on pas les appeller les freres ennemis
?
Les talens font dans le monde intellectuel
ce que les rayons du foleil font dans
le monde matériel : ils le vivifient.
Art de regner ! mot fimple , mais divin
que les Politiques eftropient , dont les
Hiftoriens font la chimere de leurs Livres ,
que les Sujets heureux prononcent avec
délices , que les Efclaves ignorent , & que
les bons Rois feuls définiffent par leurs
vertus.
Ceux qui ont traité de vague & de puérile
, ce mot de Céfar : Ne crains rien
tu portes Céfar & fa fortune , ne connoiffent
pas le pouvoir qu'ont les grandes
ames de remuer & d'encourager les petites.
Les hommes font partagés en deux claffes
, de ceux qui veulent régner fur les
perfonnes , & de ceux qui veulent régner
OCTOBRE. 1756. ୨
fur les efprits ; quel eft le côté du plus
grand bonheur , ou de la plus grande gloire?
Cherchez , raifonneurs , & prononcez.
Cet efprit d'analyfe , cette métaphyfique
qui regne dans les Ouvrages de goût
& de fentiment , eft une fievre lente qui
les réduira bientôt à des fquelettes.
Trois fortes d'Ouvriers font employés
à l'édifice des fciences & des lettres , les
Erudits ont pris pour eux l'échaffaudage ,
les Philofophes fe font chargés de la folidité
, de la confiftance & de la majefté ,
les beaux - efprits y jettent les graces & les
ornemens .
A quoi peut-on comparer les détracteurs
de l'efprit philofophique ? A ces peuples
qui tirent des fleches contre le foleil ; ils
femble qu'ils voudroient l'ôter à l'univers .
La fubtilité en matiere d'efprit reffemble
aux rafinemens chymiques , qui détruifent
au lieu d'extraire.
Le chagrin difpofe l'ame à l'amitié & à
la tendreffe , parce que n'ayant de reffource
que dans les confidences , le malheureux
ne peut manquer d'aimer exceffivement
ceux qui les reçoivent avec intérêt.
Je compare l'univers à un cadran ; les
nations en font les heures , la prospérité
qui les parcourt fucceffivement en eſt le
ftyle.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Je regarde les cercles où l'on tient bureau
d'efprit , comme une falle d'armes ,
où tout le monde, le fleuret à la main , n'eft
occupé que de montrer plus d'adreffe , &
de toucher l'adverfaire.
Qu'est-ce qu'un homme placé entre le
fentiment de fa grandeur & le fentiment
de fa mifere ? un fage.
L'autorité eft le théâtre où les grandes
ames viennent recevoir les applaudiffemens
des fpectateurs , les petites ne s'y
montrent que pour être fifflées.
Quelques contraftés que foient les objets
entr'eux , il y a toujours des côtés
analogues par où on peut les rapprocher ;
c'eſt un art difficile qui attire fouvent
le reproche d'homme fingulier & à fyftêmes
, parce que les efprits vulgaires laiffant
échaper les rapports fins & fecrets
qui lient les objets , font bleffés de tout
ce qui tend à les réunir.
Le commerce des grands eft un climat
femblable à celui de la vallée de Quito
au Pérou : dans le même jour vous y éprouvez
la fraîcheur du printemps , les chaleurs
orageufes de l'été , la douce utilité
de l'automne & les frimats rigoureux de
Phyver.
L'obéiffance eft un mal particulier introduit
pour lebien général : c'eſt un ſaOCTOBRE.
1756. 11
crifice que l'amour-propre fe fait à luimême
, à un prix dont il paye ce qu'il obtient
, une crife enfin par laquelle la vanité
doit paffer pour arriver à ce qu'elle brigue.
La gravité eft la contenance de la ſtupidité
ou de l'orgueil .
A quoi peut on comparer le coeur d'un
ami perfide ? au vaiffeau rempli de ferpens
dont parle Plutarque dans la vie
d'Annibal .
Les fophifmes d'une confcience délicate
font fouvent plus funeftes à la fociété que
les paffions du coeur ; ils ne le font pas
moins à la Religion : femblable au cheval
de bois que l'on regardoit comme la fauvegarde
de Troye , il fort d'une confcience
tendre des maux plus affreux que ceux qui
naîtroient de l'audace , de l'incrédulité.
Le bonheur devroit être l'attribut du:
génie ; mais par une fatalité bien déplorable
, le génie eft fouvent le poiſon du
bonheur.
La taciturnité glace tout , le babil
noye
la converfation , une légéreté brillante &
polie en fait le charme.
La bouche des méchans eft comme la
boëte de Pandore ; quand elle s'ouvre , les
noirceurs & les défordres fe répandent
dans la fociété.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE:
Quand l'ambition fermente dans une
ame , femblable à un volcan , elle la jette :
bien loin de la fphere de fon activité .
L'avenir eft une idole aux pieds de laquelle
nous fommes toujours profternés :
femblable au Janus à deux faces ; d'un
côté il infpire l'effroi , & de l'autre il excite
l'efpérance .
Les difcours d'un fot font un piege où
il fe prend lui - même , & d'où il eft exposé
à la rifée des fpectateurs.
Nous ne devons pas appeller la more
un mal , fi nous la fouhaitons dans l'excès
de nos malheurs & de nos plaifirs.
Vouloir fixer le genre & les limites de
l'efprit d'un chacun , c'eft déclarer à l'amour
-propre la guerre la plus cruelle , &
s'attirer une ligue offenfive & défenfive ,
qui renverfe tôt ou tard le tribunal & le
juge.
On dit qu'il y a un fublime dans les
moeurs qui eft au deffus de l'obfervation
ordinaire des loix ; ce fublime eft le miracle
de la Religion & le défefpoir de la
morale .
La modeftie a fon fafte comme l'orgueil
, mais un fafte adroit qui fait goûter
les délices d'une vanité fine , & recueillir
le fruit de la vertu .
La mort civile des perfonnes qui fe
OCTOBRE. 1756 : 14
1
confacrent à la vie religieufe , eft celle
des victimes , des efprits foibles ou des
prédestinés.
Les fiecles font la chaîne qui lient les
hommes enfemble ; c'eft le grouppe de
leurs vices & de leurs vertus , de leurs
connoiffances & de leurs erreurs.
Il y a une forte de gloire que le fage bri
gue autant qu'il paroît la fuir , le mépris
de la multitude.
Les grands hommes font les phénomenes
, les hommes parfaits font les êtres de
raifon de l'humanité.
Il n'eft point étonnant qu'un feul ho
me change la face de l'univers ou d'un
Etat ; l'activité des ames fortes eft un
tourbillon qui enveloppe les ames ordinaires
& les mene où il veut. Si Mahomet
, Cromwel & Thamas - Koulikan
n'euffent
pas trouvé le germe d'une révolution
, ils le portoient dans eux-mêmes.
Le tyrannicide eft une de ces Doctrines
dont l'ambition & le fanatifme forgent
les armes qui enfanglantent fouvent le
trône .
On peut comparer la prévention aux
deux tonneaux de Jupiter ; de l'un fort le
miel , de l'autre découle l'abfynthe.
La loi eft le fourneau où le puiffant
prépare les fers du foible.
MERCURE DE FRANCE.
Il y a une certaine fobriété de vertus
qui eft le vrai point de la philofophie.
Un grand génie de notre fiecle joue à
peu près le rôle de l'Empereur Valérien
qu'on fouloit aux pieds en Perfe , & à qui
on dreffoit des Autels à Rome.
La fougue du peuple eft un torrent
qu'un moment enfle & tarit ; la raifon des
Lages eft un fleuve majeftueux qui coule
d'un mouvement noble & foutenu.
Il n'y a pas plus de zele fans fanatiſme ,
que d'amour fans jaloufie.
Une confiance fans réſerve eſt un fruit
qu'on cueille rarement dans le champ de
l'amitié.
L'hiftoire eft la confeffion de tous les
fiecles.
La converfation eft le vrai patrimoine
de l'efprit.
On dit la Religion fille de la paix ; mais
c'eft une fille qui déchire bien cruellement.
le fein de fa mere , quand le fanatiſme
dirige fon bras.
Chez les Romains la morale portoit le
nom de haute fcience ; chez nous , c'eft.
l'objet le plus négligé : chez les Romains
on s'occupoit du coeur ; chez nous , on s'entête
de l'efprit.
Les Grands reffemblent aux Dieux de
Porphyre , qui ne pouvoient fe paffer des
OCTOBRE. 1756. rs
vapeurs & des exhalaifons des facrifices ,
ils ne peuvent fe paffer des fumées de la
louange.
Nous prenons fouvent pour l'aménité
du caractère , ce qui n'eft qu'un artifice
de l'efprit.
Les gens qui n'ont qu'une forte d'efprit ,
font comme les borgnes qu'on ne peut
regarder que de profil .
On dit que l'efprit de quelques-uns eft
comme une lanterne fourde qui ne fert
qu'à celui qui la porte ; celui de quelques
autres ne reffemble- t'il pas à cette multiplicité
de lumieres qui éblouiffent fans
éclairer ?
J'entre dans une vafte forêt , j'y cherche
un objet agréable , ma vue fe porte au
loin ; je ne vois que des ronces & des épines:
je cours , je cherche encore , parmi
un tas de productions arides , dans la foule
des plantes venimeufes , un éclat vif &
doux réjouit mes yeux fatigués , une
odeur délicieufe s'empare de mes fens , je
crois repofer dans le fein de Flore même ;
ainfi j'ouvre le livre immenfe de l'hiſtoire,
avant de parvenir à une action généreufe ,
intéreffante pour l'humanité , je fuis obligé
de paffer fur un monceau de crimes &
d'horreurs.
Rappellez -vous les plaifirs doux , l'ivref16
MERCURE DE FRANCE.
fe délicate , l'aménité pure que les Poëtes
ont cru goûter dans le délire fublime qui
leur a fait voir aux champs Elifées les
grands hommes de tous les temps , ces
ames privilégiées qui partagoient avec eux
la fupériorité de leurs connoiffances & de
leur raifon ; rappellez - vous ces plaifirs ,
ce font les mêmes que vous goûtez dans
la lecture des Ouvrages de ces morts célebres.
Ainfi qu'un fleuve prend divers noms &
différentes formes dans les vaftes contrées
qu'il parcourt , ainfi une vérité qui a paffé
par le tamis des préjugés & des opinions
des hommes a pris toutes les teintes difparates
qui les féparent .
Les fiecles barbares ont leur férocité &
leurs crimes , les fiecles polis leur corruption
& leurs vices.
Qui , Trajan , Titus , Marc Aurele ,
Louis XII , Henri IV , l'hiftoire de votre
vie m'a arraché des larmes d'une admiration
tendre , parce qu'elle fut l'hiftoire de
la félicité du genre humain.
C'est beaucoup d'aimer l'homme pour fa
vertu , c'est plus encore de percer le vice
pour fecourir l'homme.
Qu'est- ce qui peut attacher fur la terre ?
eft ce le paffé dont le fouvenir n'eft qu'un
regret , le préfent dont la jouiffance n'eft
OCTOBRE. 1756. 17
fouvent qu'une amertume ? l'avenir ? il
donne prefque toujours plus d'effroi que
d'efpérance.
Tous les fleuves vont à la mer , toutes
les vertus fe fondent dans la charité.
Si la raifon eft l'oeil de l'efprit , c'eft un
cil couvert d'une taie éternelle.
La liberté eft un arbre à qui il ne faut
pas laiffer de branches fuperflues ; l'élaguer
, c'est l'empêcher de dégénérer .
La région des Philofophes eft bien déferte
, comment ne le feroit- elle pas ? L'indigence
& le mépris eft la Zone affreufe
fous laquelle ils font obligés de vivre :
quel homme eft affez courageux pour donner
la préférence à un tel climat !
Quel eft le pivot de la félicité humaine ?
Sera-ce la vertu , la faveur , les richeſſes >
Interrogez chaque homme en particulier
fi vous voulez "éviter de décider .
L'âge où l'homme jouit de toute fa
raifon , où fes vertus font épurées , cet
âge ne feroit- il pas le plus beau de fa vie ,
s'il n'étoit voifin de celui où il doit finir ?
Ainfi les diverfes faifons de l'homme font,
comme les différentes faifons de la nature,
fujettes à des inconvéniens .
Si la profpérité a fes douceurs , l'adverfité
a fes vertus , tout fe compenfe.
Confiez une grande, entreprife à une
18 MERCURE DE FRANCE.
ame médiocre , qu'en réfulte-t'il ? Le plus
petit côté de l'objet abforbe , engloutit
cette ame , il ne reste plus rien
pour les
autres.
On peut dire qu'un peuple a peu changé
, quand dans le cours des fiecles des
traits répetés conftatent , pour ainfi dire ,
fon caractere. Anne Comene dit qu'un
François alla s'affeoir à côté de l'Empereur
Aléxis , fon pere , placé fur fon trône dans
une cérémonie publique : on m'a affuré
qu'en 1745 un Lieutenant d'Infanterie
Françoife s'affit à côté de l'Electeur Palatin
dans fon Palais de Manheim.
VERS
A Madame la Marquise de T....
Vous , Ous , dont les graces naturelles
Sont jointes à l'efprit orné ,
Vous n'êtes point de ces mortelles
Qui n'ont qu'un dehors façonné .
Dès qu'on vous connoît on vous aime ;
Souffrez ce mot . Du rang fuprême ,
C'eft le fort le plus fortuné.
Vous le méritez plus que d'autres ,
Soit dit en paffant & tout bas ;
Quoiqu'exacte à vos patenôtres ,
OCTOBRE. 1756. 19.
Vous n'en avez pas moins d'appas.
Je croyois la vertu précieuſe , eſtimable ,
Mais l'air un peu trop férieux.
Elle eft charmante , elle eft aimable
Sous votre habit & dans vos yeux :
Pour le rendre à tous agréable ,
Pouvoit-elle fe loger mieux ?
VERS.
AM *** › par M. Piccardet.
C'Eft chez de
tranquiles Dervis
Que repoſe mon indolence.
Ces petits vers en font les fruits :
N'y cherchez point trop d'élégance ;
Les graces de la négligence
Embelliffent tous mes écrits ,
Qui n'attendent pour récompenfe
Qu'une lecture & qu'un fouris.
Dans cet azyle folitaire
Vous demandez ce que je fais ?
Loin du beau monde & du vulgaire ,
Votre neveu végete en paix ,
Et , comme un Dieu , goûte à longs traits
Le doux plaifir de ne rien faire.
Le Dieu du goût & des talens
Conduit ici par les trois Graces ,
10 MERCURE DE FRANCE:
Préfide à mes amuſemens ;
Bacchus quelquefois fuit leurs traces.
A la fuite des agrémens
Viennent Momus & la jeuneffe.
De fleurs ils enchaînent le temps ;
Qui trop tôt avec la fageffe ,
Hélas ! va tracer fur ce front
L'air auftere de la raifon
Et les rides de la vieilleffe.
Je vois cet affreux changement ;
Et déja mon coeur en foupire.
Mais puifqu'aux ordres du Tyran ,
Sans murmurer il faut foufcrire ,
Je regrette peu mon printemps ,
Si , comme vous , à foixante ans ,
Sage , prudent & raisonnable ,
Je garde encore , comme vous ,
L'heureux don de paroître à tous
Toujours aimé , toujours aimable
Mais dans cette troupe agréable
De Dieux qui compofent ma cour }
Vous ferez étonné peut- être
De ne point rencontrer l'Amour.
Hélas ! hélas ! de ce féjour
Ai-je donc pu bannir le traître
Il est bien vrai , pendant le jour
Il fe cache & n'oſe paroître ;
C'eft un enfant , j'en fuis le maître :
Mais quand la nuit eft de retour ,
OCTOBRE. 1756. 2X
Du lit il s'empare à fon tour ,
Et pour un Dieu le fait connoître.
Le fripon ! Dans un fonge exprès
Pour me féduire & pour me plaire ,
Combien de fois de ma Bergere
N'a-t'il pas emprunté les traits a
C'eſt la voix , ce ſont ſes attraits.
Oui , je vois Colette elle- même
Qui m'appelle & me tend les bras.
Quoi ! tu me fuis dit -elle : hélas !
Pour toi mon amour eft extrême ;
Vois mes larmes , vois mes tranfports ?
Ingrat , à ces tendres efforts ,
Ne lens-tu pas combien je t'aime ?
Dites-moi , u'oppoſer alors
f
A cette illufion touchante ?
Ah! quand tout plaît , quand tout enchante ,
De la force de fon penchant
Peut-on fans ceffe fe défendre ?
Et l'amour , dans ce doux inftant ,
Ne peut- il pas tout entreprendre ?
Cependant il me laiffe en paix
Amon réveil , lorfqu'il me quitte :
Mais il emporte dans fa fuite
Mon coeur , mon ame & mes regrets.
Vous me direz qu'au milieu de tous
ces petits Dieux , vous êtes plus furpris de
Be pas rencontrer la Fortune , Divinité qui
22 MERCURE
DE FRANCE.
les mettroit à leur aife : Hélas ! j'attends
que fon caprice la conduife ici :
Souffrant avec impatience
D'être au nombre des indigens ,
Au Dieu doré de la finance
Un autre offre tout fon encens ;
Il court , il vient , il importune ,
Les femmes , les Abbés , les Grands :
Moi , j'aime le repos des gens ,
J'aime le mien ; ainfi j'attends
Sur mon fopha , que la Fortune
Vienne m'offrir quelques préfens.
En les attendant , je me laiffe aller au
temps & aux circonftances : je cultive le
peu de goût que vous me connoiffez pour
les Arts aimables . Quelle différence de cet
homme qui met de la douceur & de l'élégance
dans les moeurs , & de cet autre qui
n'a point tout cela !
Entrez & fixez vos regards
Chez cet homme en qui la nature
Verla ce feu pour
les beaux Arts.
L'agréable littérature ,
Tous les goûts & tous les talens ,
Le chant , la danſe , la peinture
Embelliffent tous les inftans.
Voyez les meubles & fa table ,
Sa bibliotheque , fes bains s
OCTOBRE. 1756. 23
Promenez vous dans fes jardins ;
Là , le commode , l'agréable
A tous vos voeux viennent s'offrir :
Tout y fourit , tout vous enchante ,
Tout s'empreffe de vous fervir ,
Et rien aux yeux ne ſe préfente
Que dans les veines l'on ne fente
Couler la vie & le plaifir.
Mais regardez cet automate
Que le goût n'a point éclairé ,
Que rien ne pique & rien ne fatte ;
Il n'eft point encor délivré
De l'enveloppe très - épaifle
Ou le néant l'a refferré .
Qu'à fes yeux le charmant Dupré
Dans les pas peigne la molleffe,
Et le plaifir & la tendreffe
Dont un Amant eft enivré ,
Ou que l'aimable Jeliote
Exprime les tourmens d'un coeur ,
Au goût du tri te ſpectateur ,
Celui -ci crie & l'autre faute ,
Aucun n'excite ſes ſoupirs ;
La matiere groffiere , ingrate ,'
Etouffe en lui tous les défirs ,
Et lui dérobe les plaifirs
D'une ame tendre & délicate.
J'en conviens. Ce goût pour l'agréable
24 MERCURE DE FRANCE.
diftrait de l'effentiel , toujours préférable ,
mais que l'on peut quelquefois perdre de
vue , lorfque l'efprit veut être amuſé &
diftrait. Si alors je cultive la poëfie , ) à
Dieu ne plaife que j'y attache du profit
ou de la gloire ! ) je m'amufe ; rien de
plus.
Ma Mufe encor jeune & riante ,
Fuit de la guerre les hazards ,
Le fifre ou le clairon de Mars ,
La fait frémir & l'épouvante.
Inftruite par la volup é ,
Sa main badine fur la lyre ,
Et n'eut jamais la vanité
De croire qu'elle pût conduire
Maurice à l'immortalité .
Au lit , à table , fur l'herbette ,
Elle célebre tour à tour
Les Nymphes , Bacchus & l'Amour.
Pour les Héros elle eft muette ,
Et le laurier de l'Hélicon
Flatte peu fon ambition .
Ma Mufe , dans fes voeux difcrete ;
N'attend pour prix de fes chanfons
Que quelques brins de violette ,
Qu'aura cueillis dans nos vallons
La main de l'aimable Colette.
L'ENJOUÉE
OCTOBRE. 1756. 25
L'EN JOUÉE ,
NOUVELLE.
LEs qualités qui caractériſent l'aimable
& galant homme brilloient dans le Comte
de Verneuil . Il joignoit à une figure noble
& intéreffante , une ame généreufe & fenfible
, un efprit cultivé & les fentimens
de la plus exacte probité. De fi folides
avantages , accompagnés d'une fortune
confidérable , ne fuffifoient pas cependant
pour le bonheur du Comte , il lui manquoit
de jouir des charmes d'un tendre engagement.
Il fe promenoit un matin dans les allées
les plus fombres des tuileries , lorsqu'il
vit venir deux Dames qui paroiffoient vou
loir fe dérober à la vue des importuns. La
plus âgée avoit un air noble & décent , qui
en auroit impofé aux plus étourdis. La
plus jeune unifloit toutes les graces , tous
les traits de la beauté à la phyfionomie la
plus touchante. Le Comte fut ému , il
reffentit à fa vue les effets de cette heureufe
fympathie, qui décide en fouveraine de nos
inclinations. Il les fuivit , & voyant qu'el
les s'affeyoient fur un banc , il fe plaça
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
1
avantageufement pour entendre leur converfation
fans en être remarqué.
Enfin nous en voilà débarraffées , dit
auffi- tôt la plus âgée : je n'ai de ma vie tant
fouffert. Mais auffi , ma fille , ne ferezvous
jamais raifonnable ? Vous verrai toujours
tourner en badinage les choſes les
plus férieufes ? Votre inconféquence me
chagrine. Croyez , Madame , répondit
l'aimable inconnue , que je n'ai pas attendu
vos fages remontrances pour me reprocher
mon étourderie ; daignez me la pardonner
, & me conferver une indulgence
dont j'ai plus befoin que jamais . Loin que
l'âge apporte en moi un changement favorable
, je fens que je deviens tous les jours
plus badine & plus folle. Mais, pourfuivitelle
en riant , qui auroit pu garder ſon férieux
en écoutant les complimens auffi
fades que finguliers dont cet étranger
nous accabloit ? Il falloit vous contraindre,
reprit la mere : vos ris immodérés lui ont
fait porter de nous un jugement défavanrageux
, & nous ont expofées à des fcenes
toujours fâcheufes . Mais il ne s'agit pas de
cela , continua-t'elle plus férieuſement :
écoutez- moi , Adélaïde . Vous connoiffez
notre fituation : une illuftre naiffance &
des fentimens épurés ne fuffifent pas pour
donner de la confidération ; il faut de la
OCTOBRE . 1756. 27
fortune , vous fçavez que nous en avons
peu . Il fe prélente pour vous plufieurs
partis avantageux : je veux que votre coeur
s'explique aujourd'hui ſur ceux que je fuis
en état de vous propofer. Vous fçavez ,
répondit Adélaïde , que vos volontés font
mes loix prononcez vous-même , je vous
abandonne volontiers le foin de mon bonheur.
Ce n'eft pas affez , reprit la mere :
je fuis flattée de votre confiance ; mais ce
n'eft que fur votre volonté que je veux
me déterminer. Je vais donc , Madame ,
vous ouvrir mon coeur , répondit - elle.
Sans avoir jamais fenti l'amour , il me
peint l'objet qui pourroit le fixer . Je voudrois
un homme vertueux & qui fçût aimer.
Les Amans qui fe font préfentés jufqu'à
préfent n'avoient pas ce caractere ;
aulli ne les ai je vus qu'avec beaucoup
d'indifférence. Ce fimple aveu fuffit , lui
dit la mere : il m'apprend mon devoir en
m'apprenant vos fentimens. Vous n'aurez
jamais à vous plaindre de ma tendreffe
dans l'époux que je vous offritai.
ges
Adélaïde voulut s'épuifer en témoignade
reconnoiffance ; la mere vou ur ſe
retirer , & elles quitterent la promenade .
Le Comte les fuivit , & les ayant vues
monter dans un équipage qui les artendoit,
il ordonna à un Domeftique de les fuivre
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
& de s'informer de leur nom . Il apprit
que c'étoient Madame & Mademoiſelle de
Mancour.
Il retourna chez lui l'efprit & le coeur
plus occupés que lorsqu'il en étoit forti.
Il admiroit non feulement les attraits de
Mademoiſelle de Mancour , mais encore
cet heureux naturel qui répandoit dans
toute fa perfonne un charme dont il étoit
impoffible de fe défendre. Son reſpect
pour fa mere , la nobleffe de fes fentimens,
la folidité de fes raifonnemens , tout en
elie l'enchantoit. Il fentit qu'il n'étoit plus
de bonheur pour lui fans fa poffeffion
mais ſi ſon rang , ſa naiſſance & ſa fortune
lui permettoient d'efpérer que fa recherche
feroit favorablement reçue de Monfeur
& de Madame de Mancour , fa délicateffe
ne put fouffrir l'idée de ne devoir
qu'à des vues d'intérêt le précieux titre
d'époux d'un objet adoré. Il voulut ne le
recevoir que des mains de l'Amour . Il réfolut
de déguiſer fon nom , & d'affecter
une médiocrité de fortune qui lui donnât
l'heureuſe certitude d'être aimé pour luimême.
Il apprit quelques jours après que Madame
& Mademoiſelle de Mancour étoient
retournées dans leurs terres . Il étoit für
de n'être pas connu d'elles . Il fortit fecre
OCTOBRE. 1756. 19
e
I
tement de Paris , fuivi d'un feul Domeftique
, & fut s'établir dans un village voiſin
du château. Il trouva bientôt l'occafion
de rendre fes devoirs à M. de Mancour ;
la liberté de la campagne la fit naître . 11
s'annonça chez lui fous le titre d'un fimple
Gentilhomme , qui venoit prendre l'air
pour achever de fe rétablir d'une indifpofition.
Il pouvoit d'autant mieux fe fervir
de ce prétexte , que depuis le jour qu'il
avoit vu Adélaïde , il n'avoit pas joui d'un
moment de repos ; ce qui lui donnoit un
air de langueur qui s'accordoit affez avec
l'état d'un convalefcent.
Le Marquis de Mancour le reçut avec
une politeffe qui lui étoit familiere. Il le
préfenta aux Dames qui lui firent l'accueil
le plus favorable. Qu'il fut ému à la vue
d'Adélaïde ! fes yeux parlerent malgré la
réfolution qu'il avoit prife de leur impo
fer filence. Adélaïde entendit leur langaelle
baiffa timidement les fiens. Le
Comte découvrit en elle mille agrémens
nouveaux qui lui étoient échappés.
Il alla familiérement chez M. de Mancour
, & bientôt il acquit le droit d'y
paffer des journées entieres par le don de
plaire à tout le monde. Il fe trouvoit fouvent
auprès de Mademoiſelle de Mancour ,
& il profitoit toujours de ce bonheur.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
Malgré la préfence de la mere , il ne perdoit
pas une occafion de s'expliquer par
les regards : il trouvoit dans ceux qu'il
fçavoit s'attirer des difpofitions flatteufes ,
mais il n'appercevoit aucun changement
dans l'humeur de Mademoiſelle de Mancour.
Elle étoit toujours également vive
& folâtre ; elle s'amufoit de tout , tout
paroifoit lui plaire : lorfqu'il l'entretenoit
de fon ardeur , fi elle l'écoutoit fans rigueur
, c'étoit avec une liberté d'efprit qui
ne s'accordoit pas avec cet extérieur de
fenfibilité qu'elle lui montroit.
Un jour qu'il étoit livré à ces réflexions,
il l'entendit chanter avec autant d'expreffion
que de graces une Ariette , où l'Auteur
célébroit les inftans que l'amour accorde
aux Amans. Eh quoi ! Mademoiſelle ,
lui dit- il doucement , peut- on vanter des
momens dont on ignore la douceur ? peuton
chérir la tendreffe lorfqu'on ne veut
pas la fentir ? Qui vous a dit , Monfieur ,
répondit Adélaïde d'un ton badin , que
j'aie renoncé à ce doux fentiment : j'en
connois le prix , je me plais à m'en entretenir
; c'eſt déja beaucoup je n'attends
plus qu'un objet digne de me l'infpirer.
Ce difcours qui auroit dû faire naître
l'efpoir dans l'ame de Moranville , y jetta
au contraire un trouble inexprimable .
OCTOBRE. 1756. 31
Ah ! je l'avois bien prévu , s'écria-t'il avec
douleur ! Non , je ne parviendrai jamais à
mériter ce coeur qui eût fait les délices de
ma vie. Cruelle , vous me le faites allez
entendre ; vous aimerez un jour , mais
ce ne fera pas moi. O Dieux ! puis - je
vivre & renoncer à l'eſpoir de vous attendrir
!
La compagnie l'empêcha d'en dire davantage.
Il retourna chez lui , & s'y abandonna
aux plus triftes réflexions . Il fut
deux jours fans retourner chez le Marquis ,
il reprit enfin le chemin da Château .
La confiance qu'il avoit infpirée à Monfeur
& à Madame de Mancour , lui avoit
mérité une affez grande liberté dans la
maifon . Il entre fans fe faire annoncer .
Adélaïde étoit feule & fi occupée à la lecture
d'un Roman , qu'elle ne l'apperçut
pas . Il refta quelque temps immobile &
enivré des nouveaux fentimens d'admiration
& d'amour que lui infpiroit la vue de
tant de charmes après l'abfence. Il fut enfuite
fe placer derriere fon fauteuil . Il
remarqua avec furprife qu'elle prêtoit une
finguliere attention à la peinture d'une
tendreffe malheureufe. Permettez - moi ,
belle Adélaïde , lui dit- il alors , de vous
demander comment il eft poffible qu'avec
une humeur auffi enjouée que la vôtre ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
vous puiffiez vous occuper d'une lecture
auffi tragique.
coup
fa
Mademoiſelle de Mancour fut interdire
, & rougit d'appercevoir fon Amant fi
près d'elle ; mais reprenant tout-à
préfence d'efprit : Ne fçavez - vous pas ,
Monfieur , lui répondit - elle en fouriant
que mon fexe eft fujet à donner dans tous
les extrêmes ? Je me garde bien de vous
confondre avec le général , reprit Moranvile
: je vous connois , charmante Adélaïde,
fous des traits qui ne font pas communs
dans votre fexe. Mais , pourfuivit- il d'un
air tendre , que penfez - vous de ces Amans
dont vous lifiez les avantures ? ne les trouvez
vous pas bien infortunés ? J'avoue
qu'ils ont beaucoup à fe plaindre des revers
du fort , repartit vivement Mademoifelle
de Mancour ; mais en revanche ,
quelles graces n'ont - ils pas à rendre à
l'Amour ! Ils aiment ils font aimés ;
en faut - il davantage pour leur faire
braver les rigueurs de la plus cruelle deftinée
? En achevant ces mots , Adélaïde
jette un regard enchanteur fur fon Amant ,
& s'éloigne promptement pour lui dérober
l'émotion de fon ame. Quel moment pour
Moranvile ! O ciel ! s'écria - t'il , puis- je
croire l'espoir qui naît dans mon coeur ?
Ce difcours ... ce regard ... Adélaïde
>
OCTOBRE . 1756. 33
feroit-il vrai .... aurois - je pu vous toucher
? feriez - vous fenfible à mon ardeur ,
Adélaïde ? Dieux , quel bonheur ! ... mais
je n'ofe encore m'en flatter. Allons la rejoindre
& achever d'éclaircir notre fort
allons fçavoir fi je fuis le plus malheureux ,
ou le plus fortuné des hommes.
Moranvile retrouva Adélaïde dans les
jardins : elle folâtroit avec un petit chien ,
& s'amufoit des tours qu'il faifoit à fes
yeux. Ce fpectacle déconcerta cet Amant
trop fufceptible. Que vois - je , dit - il ! eft- ce
la l'occupation d'un coeur vraiment épris ?
Quoi ! lorfqu'elle vient de me donner les
plus flatteufes efpérances , lorfque je crois
fon coeur d'accord avec fes yeux , je la
vois fe livrer à des plaifirs auffi frivoles.
Il s'approcha d'Adélaïde de l'air le plus
confterné. Monfieur , lut dit - elle gaiement
, venez-vous prendre part , ou plutôt
critiquer mes enfantillages ? avouez que
avez fouvent pitié de la frivolité de mon
efprit ? Mais qu'avez- vous , Moranville ,
vous paroiffez chagrin ? auriez - vous effuié
ici quelques défagrémens ? Le plus cruel
de tous , lui répondit Moranvile d'un ton
de défefpoir. Il y a long-temps , Mademoifelle
, que mes yeux & mes difcours
vous ont inftruit de mon amour ; tout
vous a dit que je vous adorois : je bornois
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
:
ma gloire à mériter un peu de retour de
votre part j'ai fait plus ; ah ! ne vous en
offenfez pas , aimable Adélaïde : le défir
que j'avois de pofféder votre coeur m'a
aveuglé au point d'efpérer d'y réuffir.
Mais , hélas ! le choix de vos amuſemens ,
le plaifir que vous y prenez ne me prouvent
que trop que je me fuis trompé.
Adélaïde étoit interdite : elle regardoit
tendrement Moranvile : fa douleur la touchoit
, mais elle n'ofoit encore lui apprendre
fon bonheur. Achevez de détruire
un refte d'efpoir que vos yeux me confervent
, reprit fon aveugle Amant ; prêtez à
mon coeur des armes pour combattre l'amour
malheureux que vous m'avez inſpiré
; dites- moi que vous ne m'aimerez jamais.
Je devrois fans doute vous le dire ,
répondit Adélaïde d'un ton de voix attendri
; mais mon coeur ... Qu'entends - je ?
quoi ! votre coeur.... Il vous aime , l'amour
a triomphé. Que votre inconſtance
ne me faffe jamais repentir de l'aveu que
je vous fais ! Ah ! je jure par vous-même ,
reprit l'amoureux Moranvile , je jure ....
Point de fermens , interrompit- elle , ils
font trop fouvent l'expreffion de la fauffeté
je ne veux que votre vertu pour
garant , & je ne vais m'occuper à préfent
qu'à infpirer les mêmes fentimens à des
OCTOBRE. 1756. 35
ils p
parens qui me font chers : leur tendreffe
pour moi me permet d'efpérer d'y parvenir
; mais , Moranvile , je ne me flatte pas
que ce foit l'ouvrage d'un moment. Laiffez
- moi ménager leur efprit ; cachonsleur
notre intelligence : foyez fûr cependant
qu'Adélaïde ne fera jamais qu'à ſon
cher Moranvile.
Que de délicateffe ! que d'amour ! Moranvile
en étoit enchanté. Il alloit fe
faire connoître à Mademoiſelle de Mancour
, & lui apprendre que la fortune
s'étoit unie au fentiment pour fa félicité ,
lorfqu'il apperçut la Marquife . Taifezvous
, Moranvile , lui dit Adélaïde ; renfermez
avec foin le fecret de votre ame.
Lorfque nous ne pourrons nous parler fans
témoin , Sophie vous apprendra que je ne
fuis occupée que de vous : fon attachement
m'eft connue , ne craignez pas de lui ouvrir
votre coeur.
La préſence de Madame de Mancour
empêcha nos Amans d'en dire davantage.
Adélaïde avoit déja repris cet air badin
& folâtre , qui rendoit impénétrables fes
plus chers fentimens. Moranvile ne pouvoit
raffafier les yeux du plaifir de la regarder
la joie dont ils étoient remplis
auroit trahi mille fois fon fecret , fi l'enjouement
d'Adélaïde n'eût pas écarté les
B vj
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
foupçons que fa mere auroit pu concevoir.
Mais fi l'arrivée de la Marquife avoit
empêché Moranvile de fe faire entiérement
connoître à Mademoiſelle de Mancour
, la réflexion acheva de le déterminer
au filence : un excès de délicateffe
lui fit défirer de jouir quelque-temps de
la tendreffe d'Adélaïde fous le déguifement
qu'il avoit emprunté ; le caractere
de cette jeune perfonne lui faifoit toujours
craindre que l'amour qu'elle lui té
moignoit n'eût pas acquis le dégré de
folidité qu'il lui défiroit. Il croyoit ne
pouvoir trop la mettre à l'épreuve. Plufieurs
entretiens qu'il eut avec elle lui procurerent
la précieufe certitude d'être aimé
mais ce qui l'inquiétoit fans ceffe ,
c'étoit cet enjouement qui ne l'abandonnoit
pas ; il ne pouvoit l'accorder avec
cette fenfibilité dont elle l'affuroit . Il ne
remarquoit aucune altération fur fon vifage
, aucun trouble dans fes yeux : lorfqu'il
s'éloignoit d'elle , fon abfence ne lui
caufoit aucune inquiétude ; fes regards ,
quoique tendres , étoient fufceptibles de
recevoir toutes les impreffions de la joie ;
une mouche , un oifeau , un rien , lui
caufoit une diſtraction quand il lui exprimoit
fon ardeur. Moranvile ne pouvoit
s'habituer à une conduite qu'il trouvoit fi
OCTOBRE . 1756. -37
oppofée aux effets de l'amour : il lui en
faifoit fouvent de tendres reproches. Je
voudrois qu'il me fût poffible de changer
mon caractere , lui répondit - elle avec
douceur. Depuis que je me fuis apperçue
du chagrin qu'il vous caufoit , j'ai fait
d'inutiles efforts pour me corriger ; c'eft
un défaut que je tiens de la nature , il s'eft
fortifié par l'âge confolez - vous cependant
, cher Moranvile , vous n'en êtes pas
moins aimé , vos droits n'en font pas
moins puiffans fur mon coeur.
De fi fortes affurances tranquillifoient
pour quelques momens Moranville ; mais
toutes fes allarmes fe renouvelloient dès
qu'il voyoit Adélaïde faire briller à fes
yeux , & fouvent en préfence de fes rivaux,
les graces naïves & folâtres dont fes charmes
tiroient un nouveau luftre. S'il ne
pouvoit douter enfin qu'il ne fût aimé ,
il jugeoit qu'il ne l'étoit pas affez , & cette
idée troubloit fon bonheur. Moranvile ne
l'avoit jamais entretenu que dans des intervalles
très- courts , & prefque toujours
gêné par la préfence de la Marquife ou
d'une nombreuſe compagnie. Il lui avoit
demandé plufieurs fois une entrevue particuliere
dans le deffein de connoître mieux
encore les difpofitions de fon ame. Adélaïde
qui craignoit fon trop de ſenſibilité ,
38 MERCURE DE FRANCE.
lui avoit long- temps réfifté : mais entraînée
par fon penchant & par le défir de
fatisfaire un Amant fi cher , déterminée
d'ailleurs les confeils de Sophie fa
par
confidente , que les bienfaits de Moranvile
avoient intéreffée pour lui , elle confentit
enfin à ce qu'il fût introduit fecrétement
dans fa chambre un matin , pendant que
le Marquis & fa femme étoient encore
livrés au fommeil . Adélaïde avoit choifi
ce temps préférablement à celui de la nuit ;
fa vertu en étoit moins allarmée . Moranvile
la trouva dans le déshabillé le plus
modefte . Quelle étoit belle fous cette fimplicité
!
Sophie ne les vit pas plutôt occupés à s'exprimer
l'amour le plus tendre, que, fuivant
les intentions de Moranvile , elle fe retira
dans une chambre voifine. Adélaïde ne
s'apperçut pas de fon abfence. Elle ne
voyoit que fon Amant , elle l'écoutoit
avec émotion , elle foupiroit. Moranvile
l'entendoit avec un redoublement de tranf
port : c'étoit la premiere fois qu'il jouiffoit
de toute fa fenfibilité. Je vous adore , lui
difoit- il , ma chere Adélaïde . Vous m'aimez
, je n'en doute plus , ce que vous
faires pour moi en eft une preuve trop
chere. Ah ! que ne pouvez-vous pénétrer
dans mon coeur , que vous y verriez de
OCTOBRE. 1756. 39
reconnoiffance & d'amour ! Mais vous ne
me répondez pas ? vous détournez vos regards....
vous évitez les miens ... Non ,
je ne les évite pas : je vous regarde , & je
vous vois toujours plus aimable .... Ah !
vous comblez mes voeux , belle Adélaïde . Et
j'y trouve mon bonheur , cher Moranvile.
Il fe jette à fes genoux , il couvre fes mains
de baifers paffionnés ... Dans ce moment
délicieux un papillon voltige autour d'elle :
Ah ! qu'il eft joli , s'écrie - t'elle avec vivacité
; qu'il eſt joli ! Pour courir après lui ,
elle quitte fon Amant ; elle eft prête à faifir
le papillon , il lui échappe . Dans la
faillie qui l'emporte , aidez - moi donc
dit-elle à Moranvile , vous reftez-là immobile.
Oui , répondit- il avec un froid
dépit ; je refte immobile d'admiration , &
je fuis pénétré de reconnoiffance . Vous
préférez un papillon à l'Amant le plus
tendre , il obtient toutes vos attentions ;
vous lui donnez les inftans de mon bonheur
, & je fuis oublié . Adieu , Mademoifelle
; je vois trop qu'il eft votre image .
Je vais fuivre fon effor , & fi je le prends ,
j'aurai l'honneur de vous l'envoyer : il eſt
feul fait pour vous occuper.
Cette brufque fortie étonna d'abord
Adélaïde. Il part fâché , j'en fuis affligée :
mais non , je ne dois pas l'être ; mon
40 MERCURE DE FRANCE.
amour en avoit trop fait tout bien confidéré
, je dois rendre grace au papillon ,
il m'arrache au danger de mon étourderie.
Moranvile rentré chez lui , fe livra à
tout fon dépit. Il jura de fe détacher
d'elle ; & pour mieux y réuffir , il forma
la réfolution de faire à fes yeux un
autre choix. Il avoit remarqué qu'une
jeune veuve qui fe rendoit fouvent chez
la Marquife , avoit pris pour lui des fentimens
affez tendres , il réfolut de les faire
fervir à fes deffeins . Il revint l'après- dîné
chez la Marquife. Adélaïde lui adreffa les
regards les plus flatteurs , & s'efforça même
de paroître moins enjouée , dans la crainte
d'irriter fa fenfibilité ; mais il étoit trop
occupé de fon nouveau projet pour faire
attention à de fi tendres ménagemens . Le
hazard voulut que la jeune veuve , fur la
quelle il avoit des vues , fe trouva du
nombre de la compagnie . Il crut ne pou
voir trop tôt punir Mademoifelle de Man
cour de fa gaieté trop étourdie. Il prodi
gua en fa préfence à fa nouvelle Maîtreffe
toutes les preuves d'un amour empreflé :
mais il s'y prit avec tant d'affectation , qu'un
changement fi fubit , & qui avoit quelque
chofe de trop bizarre , ne parut point vraifemblable.
Adélaïde connut que le dépit
feul guidoit fon Amant. Elle fut affez
OCTOBRE. 1756. 41
généreuse pour l'excufer , & allez maîtreffe
d'elle- même pour n'en témoigner aucun
chagrin .
Moranvile foutint quelques jours le
perfonnage d'infidele mais les regrets
fuccéderent bientôt à la feinte. Il reconnut
fon tort. Il vouloit & n'oſoit implorer
un pardon dont il fe jugeoit indigne.
Adélaïde s'en apperçut , elle lifoit dans
fes yeux fon répentir & fon amour : elle
en fut touchée , & lui pardonna.
Moranville confus de la tendreffe & de
la générosité d'Adélaïde , déploroit à fes
pieds fon aveuglement. Il lui juroit de
ne plus fe livrer à d'injuftes foupçons :
cependant il ne put lui dérober encore
l'inquiétude que lui caufoit la tranquillité
avec laquelle elle avoit vu fes empreffemens
auprès de fa prétendue rivale . Non
vous ne vous corrigerez jamais , lui répondit-
elle en riant .Vous venez de me jurer de
ne plus douter de mon attachement , &
cependant vous me laiffez entrevoir de
nouvelles craintes : Eh bien , Moranvile ,
ferez-vous content fi je vous dis que je
vous eftimois trop pour vous croire infidele
? que j'ai fçu diftinguer le motif qui
vous guidoit qu'enfin j'étois fùre d'occuper
toujours votre coeur ? Cette certitude
n'étoit pas l'effet d'une amour-propre con42
MERCURE DE FRANCE.
damnable , mais celui de la connoiffance
que j'avois de votre caractere. Moranvile
rougiffoit de montrer tant de bizarreries à
fa jeune Amante : il lui en demandoit
mille fois pardon ; il lui promettoit d'être
plus raifonnable , & rejettoir fes crimes
fur l'excès de fon amour. Adélaïde étoit
au comble de fa joie . Elle retrouvoit fon
Amant , & elle le retrouvoir toujours auffi
tendre. Son enjouement en augmenta.
Moranvile auroit été le plus heureux des
hommes , s'il avoir pu fe perfuader combien
il étoit aimé. Une indifpofition qui
fuivit ce raccommodement , l'obligea de
garder quelques jours la chambre. Adélaide
en fut allarmée. Cette crainte troubla
pour la premiere fois fa gaieté naturelle
, & l'obligea d'envoyer fecrétement
Sophie s'informer de l'état de fon Amant,
La Confidente courut chez lui , & fut
exacte à lui rendre compre des tendres
inquiétudes de Mademoiſelle de Mancour.
Il en fut tranfporté de joie : mais
par une fuite de cette bizarre délicateſſe
qui déja lui avoit caufé tant de peines , il
défira jouir par lui -même de la fenfibilité
d'Adélaïde. Il fupplia Sophie d'engager
fa jeune Maîtreffe à lui accorder une vifite
qui pouvoit feule le rendre à la vie.
Elle s'acquitta avec zele de cette commifOCTOBRE
. 1756. 43
fion. Adélaïde y oppofa d'abord beaucoup
de répugnance. Son coeur n'étoit que trop
difpofé à la démarche qu'on lui propofoit
; mais fa vertu lui en faifoit fentir
tous les périls , les atteintes qu'elle alloit
donner à la réputation , ce qu'elle avoit à
craindre de l'indignation de Monfieur &
de Madame de Mancour , s'ils venoient à
la découvrir . Sophie trouva des expédiens
à tout . Elle lui rappella que le Marquis &
la Marquife devoient aller dîner ce jourlà
chez un de leurs voifins ; qu'il lui feroit
facile de prétexter un mal de tête
pour fe
difpenfer de les accompagner ; qu'elles
profiteroient toutes deux de leur abfence
pour fortir , fans être apperçues , du Château
par une porte de derriere : elle ajouta
qu'elle ne pouvoit refufer cette faveur à
Moranvile , fans le jetter dans un défefpoir
qui deviendroit funefte à fes jours . C'étoit
prendre Adélaïde par fon foible : elle y
confentit.
Moranvile avoit cependant tout difpofé
pour offrir aux yeux de Mademoiſelle de
Mancour un tableau qui pût l'éclaircir
lui- même fur les doutes qu'il ne pouvoit
bannir de fon efprit . Il vouloit effayer fi
l'enjouement de cette jeune perfonne réfifteroit
au fpectacle d'un Amant aux portes
du tombeau . Il eut foin de faire fermer
44 MERCURE DE FRANCE.
les volets de fa chambre , afin que l'obfcurité
aidat à la tromper ; il compofa fon
ton de voix , fes regards , il affecta enfin
toute la foibleffe d'un mourant.
On a fouvent remarqué que la douleur
produifoit les effets les plus funeftes fur
des perfonnes dont le caractere enclin à la
joie , ne leur permet pas de fe tenir en défenfe
contre les accès d'un fentiment contraire.
Mademoifelle de Mancour fentit
un froid mortel fe gliffer dans fes veines ,
lorfqu'elle apperçut fon Amant dans le
trifte état où il paroiffoit réduit ; & lorfqu'elle
entendit fa voix foible & chancellante
, faifie d'effroi , elle fe laiffa tomber
fur un fiege qui étoit à côté de fon lit ,
fans avoir la force d'articuler le moindre
mot. Que ne vous dois- je pas , charmante.
Adélaïde lui dit Moranvile. La faveur
que vous m'accordez eft fi précieufe à mes
yeux , qu'elle fuffiroit pour me rendre à
la vie , fi le Ciel n'y eût pas apporté un
obftacle invincible. Mes jours touchent à
leurs termes je fens que je me meurs....
Adélaïde ne put foutenir ce difcours .
Elle perdit le fentiment . Moranvile effrayé
de la voir évanouie , oublia fon propre
pour ne s'occuper que de celui où il
venoit de la réduire . A force de fecours ,
Adélaïde enfin donna quelques fignes de
état
OCTOBRE . 1756. 45
313
vie , mais ce ne fut que pour paffer dans
une extrêmité encore plus dangereuſe :
une fievre ardente la faifit , le délire l'accompagne
. Moranvile reconnoît alors
mais trop tard , toute la vivacité des fentimens
de fon Amante. Il fe défefpere.
Sophie de fon côté embraffe fa jeune
Maîtreffe elle la baigne de fes larmes.
Que va - t'elle devenir ? comment apprendre
à Monfieur & à Madame de Mancour
le danger d'une fille fi chere ? comment
leur avouer qu'elle- même l'avoit conduite
à la mort Elle exprimoit fes craintes à
Moranvile. Il fut long - temps incapable
d'y faire attention ; mais la raifon l'éclairant
à travers fon défordre , il jugea qu'il
étoit indifpenfable d'inftruire le Marquis
& la Marquife de l'état d'Adélaïde & du
lieu où ils devoient la trouver. Il écrivit
ce billet à la Marquife :
• Venez , Madame , venez punir un
malheureux qui attends de vous la mort,
comme la plus grande faveur que vous
puiffiez lui accorder. Adélaïde touche
aux portes du tombeau : c'eſt moi ; oui ,
» c'eft le coupable Moranvile qui l'y précipite.
Cet aveu doit fuffire pour exciter
votre indignation : Accourez , vengez-
» vous ; je le mérite , je le défire , & mon
» coeur a déja commencé mon fupplice,
39
46 MERCURE DE FRANCE.
Le Domeſtique de Moranvile fut chargé
de porter cet écrit à la Marquile dans la
maifon où elle avoit dîné avec fon mari.
Quelle nouvelle pour cette tendre mere !
Elle tombe fans connoiffance. Le Marquis
vole à fon fecours ; il dit le fatal billet.
Ma fille , s'écria t'il avec faififfement , ma
fille fe meurt , & c'eft Moranvile qui la
tue ... elle eft chez lui .... Il couvre fon
vifage de fes mains , il cherche à pénétrer
la caufe d'un fi trifte événement. La Marquife
reprend l'uſage de fes fens . Allons ,
Monfieur , dit - elle à fon mari , courons au
fecours de ma fille . L'un & l'autre vole
chez Moranvile . Ils trouvent cet infortuné
à genoux devant le lit fur lequel repofoit
l'aimable Adélaïde . Il paroiffoit anéanti
fous le poids de fa douleur. Le Marquis
& fa femme approchent ils contemplent
en filence un fpectacle qui les accable.
Adélaïde dévorée de l'ardeur de la
fievre , ne les connoît plus ; elle eft infenfible
à leurs careffes , & ne peut être touchée
de leurs larmes : l'amour feul occupe
toutes les facultés de fon coeur . Elle nomme
fon Amant , elle lui adreffe les plus
tendres propos. Monfieur & Madame de
Mancour fe regardent avec étonnement.
Ils ont toujours ignoré la tendreffe de leur
fille pour Moranvile ; ils queftionnent ce
OCTOBRE. 1756. 47
malheureux Amant. Moranvile s'arrache
à fon accablement pour fatisfaire leur curiofité.
Il leur déclare fon véritable nom
& fa qualité ; il leur apprend en peu de
mots la naiffance de fon amour pour Adélaïde
, fes progrès & la caufe du péril où
elle étoit plongée .
La douleur du Comte de Verneuil avoit
puifée une nouvelle vivacité dans le dérail
qu'il avoit fait d'un fentiment , dont les
fuites étoient fi funeftes. Eh bien ! Monfieur
, pourfuivit - il en s'adreffant au Marquis
, me jugez vous affez coupable ? vous
refuferez -vous à la vengeance que vous
vous devez ? N'attendez pas davantage ,
continua - t'il en lui préfentant fon épée ;
frappez , la victime eft prête , elle attend
vos coups avec impatience. Mais , quoi !
vous réfiftez. Eh bien ! c'eft donc à moi
à remplir ce tritte devoir. Le Comte leve
le bras pour ſe frapper Arrêtez
Comte , s'écria la Marquife : attendez
que le Ciel ait décidé du fort de ma chere
fille. Faut il , hélas ! que vous me forciez
à vous plaindre ! Uniffez vos voeux aux
nôtres ; fi elle nous étoit rendue , vous
nous aideriez peut - être à faire fon bonheu
. Un difcours fi généreux fufpendit
les tranfports du Comte de Verneuil. On
Le s'occupa plus qu'à foulager Adélaïde.
48 MERCURE DE FRANCE.
Le Comte ne la quitta pas. Vingt fois elle
toucha au moment de perdre la vie ; mais
enfin après quinze jours pallés dans un état
fi violent , la fievre ceffe , le danger s'évanouit
, la jeuneffe & l'amour l'arrachent
des bras de la mort.
Je n'entreprends pas de peindre les
tranfports & la joie du Comte & d'Adélaïde
; je ne parlerai pas de la fatisfaction
de Monfieur & de Madame de Mancour
La Marquife , après avoir fait de touchans
reproches à fa fille fur la diffimulation
dont elle avoit ufé avec elle , lui préſenta
la main du Comte de Verneuil . On peur
juger du plaifir avec lequel Adélaïde accepta
un don fi cher. Elle pardonna faci
lement au Comte , & le déguiſement qu'il
avoit emprunté à fes yeux , & le malheureux
ftratagême dont il s'étoit fervi pour
s'affurer de fes fentimens. Non , cher
Comte , lui dit- elle , je n'ai pu trop acheter
le bonheur de vous fçavoir convaincu
de ma tendreffe.
*
Le mariage de ces deux Amans ne fut
différé qu'autant de temps qu'il en fallut
pour l'entiere guétifon d'Adélaïde. Cette
union défirée lui rendit les graces enjouées
qui avoient caufé tant d'allarmes au Comte.
Revenu de fon erreur , il en a fait depuis
fes délices. Elles ont fervi à lui faire
trouver
སོ་
OCTOBRE. 1756. 49
trouver fans ceffe de nouveaux charmes
dans la poffeffion d'une époufe dont il a
toujours été adoré.
ODE
Sur l'arrivée de M. le Cardinal de Tavannes
à Rouen.
A peine l'Aurore vermeille ¿
De fon éclat pare les Cieux ,
La Nature à l'inftant s'éveille,
Et prend un air plus gracieux :
Les campagnes font plus riantes ;
Les fleurs , par leurs couleurs brillantes
Célebrent la mere du Jour :
Saifi d'une vive allegreffe ,
Le tendre Roffignol s'empreffe
A lui témoigner fon amour.
Mais d'où cette lueur nouvelle
Vient-elle briller à mes yeux !
Jamais une Aurore fi belle ,
Ne fe montra dans ces beaux lieuz!
Rouen , féjour trop déſirable ,
Reconnois ton Paſteur aimable ,
De gloire il paroît revêtu :
Il est plus brillant que l'Aurore ,
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
Mais la pourpre qui le décore
A moins d'éclat que fa vertu .
*
D'un aftre fi doux , l'influence
Verfera la paix dans ton fein :
Tu jouiras , par la préſence ,
D'un ciel toujours pur & ferein .
O ville trois fois fortunée !
La favorable deſtinée
T'apprête le fort le plus beau.
Nos neveux liront dans l'hiſtoire ,
Qu'un Pafteur couronné de gloire ,
Fit le bonheur de fon troupeau.
>
Mais fon éclatante lumiere ,
Loin de l'enceinte de nos murs
Ne connoît point d'autre barriere
Que les climats les plus obfcurs.
L'univers le voit & l'admire ,
On s'empreffe , à l'envi , de dire :
Sous la pourpre qu'il méritoit ,
Tavannes , ce Prélat illuftre ,
Brille aujourd'hui d'un nouveau luftre ;
C'étoit le feul qui lui manquoit.
Où m'entraîne mon imprudence ?
Un Aiglon trop audacieux ,
Plein d'une vaine confiance ,
OCTOBRE. 1756 . SE
Sur le Soleil fixe les yeux :
Mais bientôt la foible paupiere
N'en peut fupporter la lumiere.
Son fort me rend plus circonfpect :
J'admire & je baiſſe la vue :
La grandeur , quand elle eft connue ,
Ne demande que mon reſpect,
TTASSE , du Séminaire de Joyeuse.
VERS
Récités dans l'Affemblée publique de l'Académie
des Sciences & Belles - Lettres de la
Ville de Lyon , par M.... à fon retour,
voyage d'Italie.
JE
du
E vous revois enfin , ô ma chere Patrie !
Lyon , Temple facré des Arts , de l'industrie.
Que mon ame eft émue en parcourant des
Ces plaines , ces côteaux heureux ,
Ces remparts , ce vaſte rivage ,
yeux
Ces fleuves , amans de ces bords ,
Qui de les embellir difputant l'avantage ,
Confondent, à l'envi,leurs flots & leurs tranſports
Epris du vain défir de voir & de connoître ,
En proie à mes voeux inconftans ,
Loin du beau Ciel qui m'a vu naître ,
J'olai porter mes pas errans.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
J'ai vu ces neiges immortelles ,
Ces rochers & ces monts , fiers débris du cahos ,
Entaffés par les Dieux , franchis par les Héros ,
Des champs Aufoniens barrieres peu fidelles.
Du haut de ces trônes des airs
Mon ame erroit fur ces belles contrées ,
De qui les Nations vainement conjurées ,
Reçurent des Arts & des fers.
Dieux ! comme je volai vers les plaines fécondes ;
Que l'Arno , que le Tibre enrichit de fes ondes.
Horace , Augufte , Ciceron ,
Et vous , Célar , Virgile & Scipion ,
Tous Vainqueurs des humains par différens pro4
diges ,
D'un pas refpectueux , j'ai cherché vos veſtiges :
Terrible Michel- Ange , ingénieux Bernin ,
Raphael enchanteur, & vous , Taffe divin ,
J'adorois vos fçavans preſtiges.
Que d'objets raviffans pour mes regards confus §
Obélifques pompeux élancés jufqu'aux nues ,
Temples , Cirques , Palais , innombrables Statues
De Héros immortels , de Dieux qui ne font plus.
Romains , tous les lauriers ont couronné vos
têtes ;
Enfans des Mufes & de Mars
Vous avez fait briller les doux rayons des Arte
Parmi les éclairs des tempêtes :
Quels biens ne vous doit pas l'univers enchanté
Et votre moindre gloire eft de l'avoir dompté
OCTOBRE . 1756. 53
Deux fois la féconde Aufonie ,
Sous Augufte & fous Léon dix ,
Vit croître dans fes champs les palmes du génie ,
Et fes nouveaux Céfars furent les Médicis.
Tout paffe , tout finit : cette feconde aurore
N'a brillé qu'un matin , & s'eft éteinte encore.
Habitans paifibles & doux ,
On accourt fur vos bords des terres étrangeres ;
Mais c'eft la gloire de vos peres
Que l'on vient admirer chez vous.
Rome n'eft plus qu'un nom , que l'ombre d'ellemême.
Elle a perdu dans ſes revers
Le fceptre des talens , comme de l'univers.
Venife , en fa foibleffe extrême ,
Trop fidelle peut-être à fes antiques Loir ,
N'a plus de Titiens , & redoute Bizance
Que fon bras foumit autrefois.
Pour l'aimable & belle Florence ,
Gémiffante autour des tombeaux ,
De longs voiles de deuil elle obfcurcit ſes chan
mes ,
Et répand d'inutiles larmes
Sur les urnes de fes Héros.
Les Mufes & les Arts ont volé vers la Seine
Tibre jaloux , vainement tu frémis.
Cede fans murmure & fans haine
Au beau fiecle des deux Louis.
Endormi fur tes vieux trophées
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Borne ta gloire au laurier des Orphées.
Mais gardons- nous d'envier humblement
Les vains fuccès de l'Italie :
Elle a chanté les ris & la folie ,
Le François feul chante le fentiment .
Art divin , fils de l'ame , & qui regne fur elle
Par tes fublimes fons , par tes tendres accens ,
Tu furpaffes autant l'ariette éternelle
Et fes frivoles agrémens ,
Que le coeur furpaffe les fens.
Nation légere & brillante ,
Pour la premiere fois & fidelle & conftante ,
Que le flambeau des Arts pour toi foit immortel.
Rome depuis long- temps ne vit que dans l'hif
toire ;
Que ton fiecle foit éternel.
Vous , Citoyens heureux , partagez cette gloire =
Imitée & vaincue en vos tiffus brillans ,
La nature jaloufe admire vos calens .
D'Athene & de Lyon , la déité fidelle ,
A de nouveaux fuccès , Minerve , vous appelle.
Sur l'aile du génie élevez vos concerts :
Embraffez tous les Arts au fein de l'abondance .
La feconde Ville de France
Doit l'être auffi de l'univers . "
Nous croyons que ces vers doivent faire
autant d'honneur à l'Auteur qu'à la France,
OCTOBRE. 1756. 55
ESSAI SUR L'ÉLOQUENCE ,
Traduit de l'Anglois de M. Hume : Eſſays
Moral and political , vol. II, Eſſay 2.
C'eſt un ſpectacle bien varié & bien intéreffant
, que le tableau des révolutions
de l'efpric humain , tel qu'il-eft tracé dans
l'Histoire. On voit avec étonnement combien
les moeurs , les coutumes & les opinions
dans une même efpece d'êtres peuvent
fubir de changemens différens dans
les différens périodes du temps. On trouve
cependant beaucoup plus d'uniformité
dans l'Hiftoire Civile , que dans l'Hiftoire
des Sciences & des Arts ; & les guerres ,
les négociations & la politique , different
moins d'un fiecle à un autre , que l'efprit ,
le goût & la Philofophie. L'intérêt & l'ambition
, la gloire & la honte , l'amitié &
la haine , la reconnoiffance & la vengeance
, voilà les premiers mobiles de toutes
les conventions politiques ; & ces fentimens
font bien moins fouples & moins
inconftans que les opinions & les idées de
l'entendement qui font variées fans ceffe
par l'éducation & l'exemple. Les Goths qui
étoient fi fort au deffous des Romains par
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
le goût & les connoiffances , les égaloient
peut-être en courage & en vertu .
Mais pour ne pas comparer enfemble
deux Nations fi prodigieufement différentes
l'une de l'autre , on peut obferver feulement
combien le dernier période des
Lettres eft , à plufieurs égards, différent de
leurs premiers âges ; car fi nous fommes
fupérieurs aux Anciens dans la Philofophie
, nous fommes toujours , malgré tous
nos raffinemens , au deffous d'eux pour
l'éloquence.
Les Anciens ne connoiffoient rien qui
exigeât autant de génie & de capacité que
l'art de parler en public ; & d'illuftres
Ecrivains ont prononcé que les talens du
grand Poëte & du grand Philofophe font
bien au deffous de ceux du grand Orateur.
La Grece & Rome n'ont produit chacune
qu'un Orateur parfait , Démofthene & Cicéron
; & les noms des autres qui fe font
diftingués dans la même carriere , font effacés
par ceux de ces deux héros de l'éloquence.
Il eft à remarquer que les critiques
Anciens ont pu à peine trouver deux
Orateurs dans un même fiecle qui euffent
un dégré égal de mérite , & qui méritaſfent
d'être placés au même rang. Calvus ,
Coelius , Curio , Hortenfius , Céfar , s'éleverent
au deffus les uns des autres : mais
OCTOBRE . 1756 . $7
le plus grand d'entr'eux étoit bien au deffous
de Cicéron. Cependant les gens de
goût ont décidé que Cicéron & Démofthene
avoient , il eft vrai , furpaffé tous
les Orateurs qui ont jamais paru , mais
qu'ils étoient encore loin l'un & l'autre de
la perfection de leur art. Cicéron déclare
lui- même , combien il eft peu fatisfait de
fes propres ouvrages , même de ceux de
Démofthenes. Ita funt avide & capaces
mea aures , dit- il , & femper aliquid immenfum
infinitumque defiderant.
Quelques obfervations fuffiront pour
nous faire fentir la grande fupériorité de
l'éloquence des Anciens fur celle des Modernes.
De toutes les Nations polies &
fçavantes , il n'y a que l'Angleterre qui ait
un gouvernement populaire , & qui admette
à la Légiflature ces nombreuſes af
femblées qu'on peut regarder comme le
véritable théâtre de l'éloquence. Cependant
de quoi l'Angleterre peut- elle fe glorifier
à cet égard ? En parcourant la fuite
des grands hommes qui ont illuftré notre
Nation , nous triomphons fur le nombre
des Philofophes & des Poëtes : mais quels
Orateurs pourrons nous citer , & quels
font les monumens de leur génie qu'ils
nous ont laiffés ? On trouve à la vérité
dans notre hiſtoire , les noms de plufieurs
Cv
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
qui ont gouverné notre Parlement , & dirigé
fes réfolutions ; mais ni les uns ni les
autres n'ont pris le foin de conferver leurs
harangues , & il paroît que l'autorité dont
ils jouiffoient , ils la devoient plutôt à
leur expérience , à leur fageffe , ou à leur
pouvoir , qu'à leurs talens pour l'éloquence.
On compte à préfent plus d'une demidouzaine
d'Orateurs dans les deux Chambres
, qui , au jugement du Public , ont à
peu près le même dégré d'éloquence , &
perfonne ne prétend donner à l'un la préférence
fur les autres ; ce qui me paroît
une preuve inconteftable qu'aucun d'eux
n'a atteint beaucoup au - delà de la médiocrité
dans fon art , & que l'efpece d'éloquence
à laquelle ils s'appliquent , ne demande
pas l'exercice des plus fublimes
facultés de l'ame , mais n'exige que des·
talens ordinaires & une médiocre application.
Il y a à Londres cent ouvriers qui
feront tous également bien une table ou
une chaife , mais y a-t'il un Poëte qui faffe
des vers avec autant de feu & d'élégance
qué M. Pope
Lorfque Démofthene avoit une harangue
à prononcer ( 1 ), les gens d'efprit accou-
(1) Ne illud quidem intelligunt , non modo ita
memoria proditum effe , fed ita neceſſe fuiſſe , cùm
Demofthenes dicturus effet , & concurfus, audiends
OCTOBRE. 1756, 59
roient en foule à Athenes de toutes les extrêmités
de la Grece , pour y affifter comme
au plus beau fpectacle du monde .
Vous voyez des gens à Londres qui fe
promenent dans la Chambre des Requêtes
, tandis que les plus grands intérêts
fe traitent dans les deux Chambres ,
& plufieurs ne fe croient pas dédommagés
de la perte d'un dîné par toute l'éloquence
de nos plus célebres Orateurs .
Lorfque le vieux Cibber doit paroître fur
la fcene , il excite plus la curiofité du Public
que notre premier Miniftre qui vient
défendre la propre cauſe au Parlement , &
détruire un orage qui s'éleve pour le déplacer
ou pour le perdre.
Ceux même qui n'ont aucune connoiffance
des précieux monumens de l'éloquence
ancienne , pourront juger par quelques
traits combien le genre & le ftyle de
cette éloquence font plus fublimes que
celle à laquelle nos Orateurs veulent même
atteindre . Combien paroîtroit abfurde ,
dans la bouche de nos froids & tranquilles
Orateurs , une apoftrophe auffi fiere que
celle que Quintilien & Longin ont tant
causâ , ex totâ graciâ fierent. At cum ifti Attici
dicunt , non modo à co onâ ( quod eft ipfum miſe➡
rabile ) fed etiam ab advocatis relinquuntur. Cic.
de claris Orator. * IS A ... A
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
admiré dans Demofthenes , lorfque juftifiant
le malheureux fuccès de la bataille de
Chéronnée , il s'écrie. Non , mes chers Con
citoyens , non , vous ne vous êtes point trompés;
j'en jure par les menaces de ces Héros qui one
combattu pourla même caufe dans les plaines
de Marathon & de Platée. Qui pourroit
foutenir aujourd'hui une figure auffi hardie
& auffi poétique que celle que Ciceron
emploie, lorfqu'après avoir décrit dans
les termes les plus pathétiques la mort d'un
Citoyen Romain qu'on avoit crucifié , il
ajoute , « ( 1 ) Si je peignois cet affreux ſpec-
» tacle , non pas à des Citoyens Romains,
» non à des amis de notre République , ni
ceux qui connoiffent le nom du Peuple
»Romain ; non pas même à des hommes ,
» mais à des animaux ; oferai - je dire encore
plus , fi dans le fond d'un défert ,
"
» j'allois faire aux rochers le récit déplora-
» ble de cette action barbare , tout muets ,
(1 ) L'original eft inimitable , dit M. Hume.
Le voici : Quod fi hac non ad cives Romanos , non
ad aliquos amicos noftra civitatis , ron ad eos qui
populi Romani nomen audiffent ; deniquefi non ad
homines , verum ad beftias , aut etiam , ut longiùs
progrediar , fi in aliquâ defertiffima folitudine , ad
faxa & adfcopulos hac conqueri & deplorare vellem
, tamen omnia muta atque inanima , tantâ &
sam indignâ rerum atrocitate commoverentur.
Cic. in versem,
OCTOBRE. 1756.
Gr
*
tout inanimés qu'ils font , ils feroient
» émus & indignés d'une telle attrocité » ?
De quel tourbillon d'éloquence cette
image étonnante doit -elle être enveloppée
, pour faire impreffion fur les efprits !
Quel art admirable ! quels talens fublimes,
ne faut- il pas pour arriver par degrés jufqu'à
cette hardieffe , cette exagération de
fentiment , pour enflammer les Auditeurs
au point de faire entrer , pour ainfi dire ,
dans leur ame cette violence de paffion
cette élévation d'idées , & pour cacher
fous un torrent d'éloquence l'artifice qui
doit produire ce grand effet !
La véhémence de l'action répondoit à
cette véhémence d'idées & d'expreffions
chez les anciens Orateurs : le frappemens
du pied contre terre ( fupplofio pedis ) , étoit
un de leurs geftes les plus ordinaires & les
plus modérés ( 1 ) .
Un femblable gefte paroîtroit aujourd'hui
trop violent pour être employé au
fénat , au barreau ou dans la chaire : il ne
(1 ) Ubi dolor , ubi ardor animi , qui etiam ex
infantium ingeniis elicere voces querelas folet ?
nulla perturbatio animi , nulla corporis , frons non
percuffa , non femur , pedis ( quod minimum eft )
nulla fup lofio. Itaque tantum abfint ut inflammares
noftros animos , fummum ifto loco vix tenebamus.
Cic. de claris Oratoribus. 2
62 MERCURE DE FRANCE.
pourroit être fupporté qu'au théâtre dans?
les mouvemens violens des grandes paf-
Lions que l'on y veut peindre.
Il eft allez difficile d'affiger la cauſe
de cette dégradation fenfible de l'éloquence
dans notre âge ; le génie des hommes
dans tous les fiecles eft fans doute égal ;
les Modernes ont cultivé avec le plus
grand fuccès les autres Arts & toutes les
autres Sciences , & une des plus fçavantes
nations de l'Univers , poffede un gouvernement
populaire , ce qui paroît le plus
propre à développer plus parfaitement le
germe des grands talens , & cependant ,
malgré tous ces avantages , nous n'avons
fait que très - peu de progrès dans l'éloquence
en comparaifon de ceux que nous
avons fait dans toutes les autres parties de
la Littérature.
Dirons- nous que nos moeurs ne comportent
pas le genre d'éloquence des Anciens
? quelles que foient les raifons dont
on fe fert pour appuyer ce fentiment , je
fuis perfuadé que l'analyse en feroit voir
bientôt le peu de juftelle & de folidité.
On peut obiecter d'abord que pendant
l'âge le plus floriffant de la Littérature
Grecque & Romaine , les loix fondamentales
éroient très- fimples & en petit nombre
, & que la décifion de la plus grande
OCTOBRE. 1756. 63
partie des cauſes étoit abandonnée à l'équité
& à la pénétration des Juges. L'étude
des Loix n'étoit pas une occupation
pénible à laquelle il fallût confommer tout
le reste du temps de fa vie , & qui devînt
par-là incompatible avec tout autre genre
d'étude & de travail. Les grands Politiques
& les grands Généraux chez les Romains
étoient tous Jurifconfultes ; & Ciceron
, pour montrer combien la Science
des Loix étoit facile , ne demande que peu
de jours pour la pofféder parfaitement ,
fans abandonner pour cela fes autres occupations.
Aujourd'hui même qu'un Plaideur
s'adreffe à l'équité de fes Juges , il fe
donne bien plus de carriere pour déployer
fon éloquence , que s'il ne puife fes raifons
que dans la Loi ftricte , les Ordonnances
& les ufages. Dans le premier cas ,
on peut faire entrer beaucoup de circonftances
favorables & de confidérations perfonnelles
; la faveur même & l'inclination
des Juges , que l'Orateur doit fe concilier
par fon art & fon éloquence , peuvent fe
déguifer fous le mafque de l'équité. Mais
nos Avocats modernes auroient- ils le loifir
d'abandonner leurs pénibles travaux pour
s'arracher à cueillir les fleurs du Parnaffe ?
& d'ailleurs comment placeroient- ils ces
fleurs au milieu des raiſonnemens fubtils
64 MERCURE DE FRANCE.
& exacts , des objections & des repliques
dont ils font obligés de faire ufage ? Le
plus grand génie pour l'éloquence , qui ,
après avoir donné un mois à l'étude des
Loix , s'aviferoit de plaider devant le
Chancelier , ne réuffiroit qu'à fe rendre
ridicule.
Je fuis prêt à convenir que la multiplicité
& l'embrouillement des Loix font un
découragement pour ceux qui voudroient
s'adonner aujourd'hui à l'éloquence ; mais
cela ne fuffit pas pour rendre raifon de la
dégradation de cet art fublime . Cet obftacle
peut bien bannir l'éloquence de la
falle de Weftminſter ; mais il lui reſtera un
théâtre affez brillant dans l'une & l'autre
Chambre du Parlement . Les Juges de l'Aréopage
, chez les Athéniens avoient défendu
formellement tous les artifices de
l'éloquence auffi ne trouvons- nous pas
dans les harangues Grecques écrites dans
la forme judiciaire , la même hardieffe &
la même élégance de ftyle que dans celle
des Romains. Mais à quel dégré les Orateurs
Athéniens n'ont-ils pas porté l'éloquence
dans les délibérations publiques
lorfque les affaires de l'Etat ont été agitées
, & que le bonheur , la liberté ou
l'honneur de la Nation ont été l'objet de
leurs difcuffions ? Ce font des difputes de
>
OCTOBRE. 1756. 65
tette nature qui élevent le génie , & préfentent
à l'éloquence un but digne d'elle ,
& ces difputes font très-fréquentes dans
notre Nation .
On pourroit dire encore que la dégradation
de l'éloquence eft l'effet d'une fu
périorité de jugement dans les Modernes ,
qui dédaignent d'employer les fubtilités
oratoires dont on peut fe fervir pour féduire
les Juges , & ne fe permettent que
des raifons folides dans la difcuffion de
leurs affaires . Si un homme eft accufé d'un
meurtre , le fait doit être prouvé par les
témoins & les informations ; la Loi détermine
enfuite le fupplice du coupable : mais
ne feroit- il pas ridicule que l'Avocat qui
pourfuit la punition du meurtre , cherchât
les couleurs les plus vives pour peindre
l'horreur & la cruauté de l'action ;
qu'il affemblât tous les parens du mort , &
les fit entrer au premier fignal pour ſe précipiter
aux pieds des Juges , & exciter leur
justice par leurs plaintes & leurs larmes.
Il feroit encore plus ridicule de faire faire
à un Peintre un Tableau qui repréſentât
l'affaffinat , pour émouvoir la pitié des
Juges par ce tragique fpectacle : ce miférable
artifice a cependant été quelquefois
employé par les anciens Orateurs . Banniffez
doncle pathétique des difcours publics ,
66 MERCURE DE FRANCE.
& vous réduifez les Orateurs à l'éloquen
ce moderne , c'eſt à- dire , à des idées juftes
, revêtues d'expreffions convenables.
Je répondrai que l'on pourroit convenir
que nos moeurs actuelles , ou notre ſupériorité
de jugement , fi l'on veut , peut
bien rendre nos Orateurs plus délicats &
plus réfervés fur les moyens d'échauffer le
coeur & d'élever l'imagination de leurs
Auditeurs ; mais je ne vois pas pourquoi
cela leur ôteroit l'efpérance d'y réuffir.
Cetre difficulté , loin de les décourager ,
doit les engager à redoubler d'art & de
chaleur.
Les anciens Orateurs paroiffent avoir
fenti auffi la néceffité de ménager la délicateffe
de leur auditoire , mais ils ont pris
une route toute différente pour l'éluder ( 1 ) .
C'est en répandant avec rapidité un torrent
de fublime & de pachérique qu'ils entraînoient
l'imagination de leurs Auditeurs
fans leur laiffer le temps d'appercevoir
l'artifice qu'on employoit pour les tromper,
ou plutôt , ils n'étoient trompés par aucun
artifice. L'Orateur , par la force de fon propre
génie & de fon éloquence , commençoit
par s'enflammer lui- même des paffions
différentes qu'il avoit à peindre , &
(1 ) Longinus , cap . 15 .
OCTOBRE . 1756. 67
il les faifoit paffer bientôt dans l'ame de
ceux qui l'écoutoient.
Quel est l'homme qui puiffe fe flatter
d'avoir le jugement plus fûr que Jules-
Céfar : nous fçavons cependant que l'éloquence
de Ciceron fubjugua l'efprit de ce
fier Conquérant , au point de le forcer ,
pour ainfi dire , à changer le parti qu'il
avoit pris , & à abfoudre un coupable qu'il
étoit bien déterminé à condamner avant
que d'avoir entendu l'Orateur .
On objecte encore que les défordres des
gouvernemens anciens , & les crimes énormes
dont on voyoit de fréquens exemples,
fourniffoient une matiere beaucoup plus.
vafte à l'éloquence que chez les Nations
modernes dont les moeurs font plus douces.
Si les Verrés & les Catilina , dit-on ,
n'euffent pas exifté , on ne connoîtroit pas
Cicéron mais il eft évident que cette raifon
ne peut pas être d'un grand poids , il
ne feroit pas difficile de trouver un Philippe
dans les temps modernes , où trouverionsnous
un Démofthene ?
Il faut donc convenir d'un défaut de
génie ou de jugement dans nos Orateurs ,
lefquels , ou ne fe font pas fentis en état
de s'élever au fublime de l'éloquence ancienne
, ou bien ont dédaigné les reffources
de l'art qu'ils auront jugé peu conve68
MERCURE DE FRANCE.
nables à l'efprit des affemblées modernes .
Cependant quelques effais heureux dans
ce genre , pourroient réveiller le génie de
la Nation , exciter l'émulation de la jeuneffe
, & accoutumeroient nos oreilles à
une élocution plus fublime & plus pathétique
que celle dont nous nous fommes
contentés jufqu'ici.
Il y a certainement des circonftances
purement accidentelles dans la naiffance
& le développement des arts dans une Nation.
Je ne fçais fi on peut expliquer d'une
maniere bien fatisfaifante , pourquoi
les anciens Romains , en recevant tous les
arts de la Grece , ne purent acquérir que
le goût & la connoiffance des beautés de
la Peinture , la Sculpture & l'Architecture
, fans pouvoir atteindre à la pratique de
ces Arts précieux ( 1 ) , tandis que les Ro-
( 1) On ne peut pas dire avec juftice que les
Romains fe contenterent d'admirer & de goûter
les Arts de la Grece , fans pouvoir les pratiquer.
De belles Statues qui nous reftent , & des Edifices
fuperbes , dont quelques- uns fubfiftent encore ;
ce Colifée , ce Panthéon , ces Thermes , ces Cirques
, ces Théâtres , cette Colonne Trajanne &
le nom de Vitruve , nous prouvent que la Sculp
ture , & furtout l'Architecture , fut cultivée à Rome
avec de grands fuccès. Mais il eft vrai que
Jes Romains dans tous les Arts agréables refterent
fort au deffous des Grecs leurs Maîtres & leurs
OCTOBRE . 1756.
69
mains Modernes excités par quelques débris
de l'antiquité , échappés à la fureur
des Goths & du temps , ont porté ces
mêmes Arts au plus haut point de perfection.
Si un homme d'un génie auffi cultivé
que Milord Bolinbroke , eût paru dans le
temps des Guerres Civiles , lorfque la
liberté commença à s'établir folidement ,
& que les affemblées du Peuple fe mêlerent
des affaires les plus importantes du
gouvernement , je ne doute pas qu'un
exemple auffi éclatant n'eût fait prendre
une face toute différente à l'éloquence Angloife
, & ne l'eût portée à la perfection
des modeles anciens. Notre Patrie fe feroit
fait honneur de fes Orateurs , comme de
fes Poëtes & de fes Philofophes , & nous
aurions nos Cicérons , comme nous avons
nos Platons & nos Virgiles.
modeles ; & M. Hume qui connoît fi bien ces
deux peuples ( V. fes Difcours politiques ) , en auroit
pu trouver la raifon dans leurs caracteres &
leurs moeurs réciproques. Il ne feroit pas plus
impoffible d'expliquer pourquoi les Anglois euxmêmes
qui marquent du goût pour les beaux
Arts , qu'ils recherchent & qu'ils protegent à
grands frais , qui ne manquent pas d'amateurs
riches , faftueux , & même éclairés , n'ont encore
pu former ni un Peintre , ni un Sculpteur , ni un
Architecte , ni un Muſicien du premier ordre,
La fuite au Mercure prochain.
70 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur les Fêtes données à Dunkerque par le
Prince de Soubife , à l'occafion dela prife
du Fort Saint - Philippe.
Quelle augufte
magnificence
Pare cet azyle enchanté ?
Ici tous les tréſors d'une heureuſe abondance
Sont ouverts par les mains de l'affabilité.
A ces traits l'on connoît Soubife :
Voyez-le aux champs de Mars , à S. Ouen , à la
Cour ,
Partout il eft lui -même ; & dans quelque féjour
Que la Fortune le conduife ,
Il en fera toujours les plaifirs & l'amour ,
A moins que ce ne foit aux bords de la Tamife,
Secondons l'ami de Louis ,
Et le zele qu'il fait paroître :
Qu'en ce jour les jeux & les ris
Naiffent de ce même falpêtre
Qui foudroya nos Ennemis :
Que cent bouches d'airain difent à l'Angleterre
Que nous ne craignons point les injuftes projets ,
Et qu'à l'envi , nous fommes prêts
A quitter les plaifirs pour lancer le tonnerre
Qu'ont allumé fes noirs forfaits
OCTOBRE, 1756. 71
Quel Aatteur avenir à mes yeux fe préfente !
Sur cette Ville gémiffante
Un Monarque chéri tourne enfin ſes regards.
Il tartache ( 1 ) , Soubiſe , à l'éclat de tes Fêtes ;
Et Dunkerque déja fiere de nos conquêtes ,
Voit dans ton cabinet renaître ſes remparts.
Le Chev . DE PIERRES de Fontenailles.
(1 ) Il travailloit alors à un Mémoire concernant
le rétabliſſement du Port & des fortifications de
Dunkerque.
VERS
A M. Floncel , Avocat au Parlement , Cenfeur
Royal , ci- devant premier Secretaire
de M. Amelot & de M. le Marquis
d'Argenfon , Miniftres des Affaires étran
geres ;fur ce qu'il a été reçu de l'Académie
des Arcades de Rome.
Mercure voyageant , s'arrêta fur ces bords
Dont Sannazar ( 1 ) traça la plus riante image.
Une Mufe dont ce rivage
Admire tous les jours les champêtres accords ,
Au Dieu vint rendre fon hommage .
Les premiers complimens faits ,
(1 ) Auteur célebre d'un Ouvrage très-eftimé ;
intitulé l'Arcadie.
72 MERCURE DE FRANCE.
Elle l'interrogea fur les nouveaux objets
Dont fe paroît le littéraire Empire.
Je veux , reprit-il , vous en dire
Un qui pour vous peut avoir des attraits.
J'ai vu la fçavante Italie
Dans Paris, chez un François ,
Avec pompe réunie.
Chez lui brille en fon rang tout eftimable Auteu
Que de richeffes enſemble !
En connoiffeur il les raffemble ,
Il en jouit en Amateur.
Ah ! que cette nouvelle a pour moi de douceur,
S'écria la Mufe ravie !
Du Parrhaſe ( 1 ) , ouvrons les fentiers
A ce docte Etranger , ami de l'Aufonie ,
Qui chérit nos travaux a droit à nos lauriers.
( 1 ) C'est ainsi que les Arcades appellent le liew
où ils tiennent leurs Aſſemblées Boſca Parrhaſio.
VERS
AM. de Voltaire , fur fon Epitre à M.
de Richelieu.
DE l'ami du grand Richelieu
J'ai lu les vers pleins d'énergie.
De la guerre l'un eſt le Dieu ,
Bautre l'eft de la Poéfic.
PROJET
OCTOBRE. 1756. 73
4
PROJET utile aux Gens de Lettres ,
aux Auteurs & même aux Libraires.
LETTRE A M. DE BOISST,
de l'Académie Françoife , &c.
Remarquez- vous , Monfieur , que malgré
le penchant de la Nation pour le frivole
, le goût des Livres fe fait jour partout
, foit l'amour naturel de la lecture .
foit le plaifir de pouvoir fur le champ fatisfaire
fa curiofité fur tout ce qui fe préfente
à l'efprit , foit enfin l'efpoir de s'inftruire
un jour , lorfque débarraffé des af
faires ou délivré des paffions de la jeuneſfe
, on voudra commencer à vivre en Philofophe
: Chacun fe munit de livres : on
entaffe volumes fur volumes ; & dans les
édifices même élevés par les mains de la
volupté & de la frivolité , on rougiroit de
ne pas fe réferver un appartement pour
une Bibliotheque.
N'allez pas croire , Monfieur , qu'en
vous préfentant ce portrait naturel de nos
Concitoyens , je veuille vous en faire la
la critique , & reléguant les hommes
parmi les Sauvages , ne leur propofer pour
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
livre que le fpectacle du ciel , de la terre
& de leurs femblables. Ces trois objets
font bien capables en eux - mêmes de tirer
l'homme hors de lui pour l'élever au Créafans
d'autres teur ; mais ils ne fuffifent pas
connoiffances acceffoires qui l'aident à
découvrir quantité d'objets qui échapperoient
à fa vue , par exemple , l'origine , le
rapport réciproque & la fin de toutes chofes
, dans l'ordre fpirituel comme dans
l'ordre matériel ; & où puifer ces connoiffances
, finon dans les livres ? L'amour des
livres eft donc très-louable en foi ; mais
cet amour mal dirigé ou porté trop loin
devient folie . Pour le rendre raifonnable
& utile , il faut du difcernement dans leur
acquifition & une méthode dans leur arrangement.
Abſtraction faite de ces gens de fortune
ou de caprice qui , dans la formation d'une
Bibliotheque , auroient plutôt beſoin de
l'inſtrument d'un arpenteur que des lumieres
d'un Libraire connoiffeur & judicieux
, on peut réduire à deux claffes tous
ceux qui s'attachent à faire une collection
de livres , ceux qui veulent compoſer &
ceux qui ne veulent s'inftruire .
que
Le premier but des uns & des autres eft
de raffembler autour d'eux des fources
pour y puifer , des lumieres pour éclaircir
OCTOBRE . 1756. 75
leurs doutes , des guides pour marcher
fûrement dans le chemin des connoiflances
humaines , des juges enfin pour rectifier
leurs erreurs , ou fe confirmer dans leurs
bons fyftêmes.
En voilà affez pour détruire en paffant
l'erreur de ces efprits vulgaires , qui au
premier coup d'oeil qu'ils jettent fur la
plus petite Bibliotheque , s'écrient : Comment
lire tout cela dans fa vie!
Le fecond but ( & qui eft flatteur pour
l'amour - propre ) eft de jouir de tous
les avantages à toute heure , fans être obligé
de ſe tranſplanter , de pouvoir paffer
d'une matiere à l'autre , fans s'expofer au
ridicule de l'inconftance ; de confulter ,
fans attendre l'heure commode ; & fi l'on
rencontre des Critiques , au moins de les
trouver fans humeur & de les entendre
fans témoins.
Ce font fans doute ces avantages qui
font défirer à tout acquéreur de livres , de
rendre fa Bibliotheque un peu univerfelle.
Ce défir eft dans le fonds naturel , & louable
; mais fi le goût ne le dirige pas , l'on
fe fera un amas de livres & l'on manquera
de Bibliotheque les tablettes plieront
fous le poids des volumes , & l'on n'aura
pas dans la tête un feul titre d'Ouvrage.
Rien n'eft donc plus néceffaire que de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
fe former un fyftême , & où le prendre ,
finon dans l'étude des Catalogues ?
Parmi plufieurs Libraires de la Capitale ,
célebres par la connoiffance des livres , il
en eft un ( 1 ) qui jouit particuliérement
de la réputation d'avoir formé un ſyſtême
bibliographique qui ne laiſſe rien à défirer.
Qu'on ouvre les Catalogues qu'il a compofés
, on a le plaifir de voir des titres feuls
fournir des connoiffances. Avec fon fyftême
, on donnera de l'ordre à des millions
de livres. Cinq grandes divifions forment
d'abord une diftinction de cinq matieres
générales , & chacune de ces cinq divifions
ont des fous - divifions qui , malgré leur
nombre , ne font qu'aider la mémoire
pour difcerner les différentes nuances, qui
au premier coup d'oeil fembleroient confondre
les efpeces.
Quand la mémoire aura bien embraffé
tout ce fystême , que l'on coure les inventaires
alors , on n'acquerra qu'avec connoiffance
, & ce que le fçavoir aura acquis ,
l'intelligence l'arrangera.
L'utilité des Catalogues en général , m'a
fait fentir depuis long- temps l'avantage
d'un Catalogue univerfel de tous les livres
qui fe trouvent chez les differens Libraires
de Paris. Quoique cette Ville ne faffe
(1) M. Martin , le perei
OCTOBRE. 1756. 77
qu'une partie de la France , l'on conviendra
fans peine que c'eft de fon fein que
fortent les meilleures productions en toutes
matieres d'Ouvrages. Chaque jour voit
enfanter au moins un volume . Je fçais
que les Journaux fe font un devoir de les
annoncer ; mais outre le grand nombre de
ces écrits périodiques que tout le monde
n'eft pas en état d'acquérir , combien d'Ouvrages
leur échappent la connoiffance
n'en vient donc que par la voie des Catalogues
particuliers des Libraires : mais
dans quel état fe préfentent - ils les titres
le plus fouvent tronqués , fans ordre de
matiere , fans noms d'Auteurs. Autre inconvénient
encore plus confidérable , l'on
retrouve dans vingt Catalogues les mêmes
Livres , foit que différens Libraires foient
intéreffés au même Ouvrage , foit que les
moins fournis de ces Marchands fe parent
des richeffes de leurs voifins , on relit fans
ceffe les mêmes titres fans être plus inftruit
& fans fçavoir à quoi fe décider :
delà naît une confufion qui feroit prefque
paffer l'envie d'acquérir des livres. Le
projet que je propofe jetteroit , ce me
femble , un jour admirable fur la Biblio,
graphie Parifienne , qui eft certainement
la plus confidérable de la France . Ce feroit
le Catalogue général de tous les Livres de
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Paris , & voici comme on pourroit s'y
prendre pour parvenir à fon exécution
parfaite.
1 °. Chaque Libraire feroit une copie
exacte du titre de tous fes Livres , en marquant
l'année , le format & le nombre de
volumes , & à côté , la part de fon intérêt
dans chacun. Il ne feroit pas mention de
tous les autres que l'on qualified'affortiment.
2º. Cette copie dépofée au Bureau des
Libraires , feroit remife à un Libraire entendu
dans la compofition des Catalogues':
on lui donneroit pour adjoint de jeunes
Libraires les plus capables.
3 ° . Quand les jeunes Libraires auroient
pris copie de tous les titres des Livres , ils
les remettroient au Libraire , chef de la
Commiffion , lequel refondroit le tout &
l'arrangeroit par ordre de matiere.
4. L'ordre du Catalogue feroit celui
qu'obferve M. Martin : mais pour ne préjudicier
à aucun Libraire , on le difpoferoit
à deux colonnes : dans l'une fe trouveroient
les titres des Livres , dans l'autre
les noms des Libraires , en obfervant de
commencer pour chaque Livre par celui
qui y auroit le plus gros intérêt , afin d'éviter
les répétitions des demeures & des
Enfeignes des Libraires , chofes pourtant
néceffaires à fçavoir : on les mettroit à la
OCTOBRE . 1756.
79
5
&
tr
Tart
fin ou au commencement du volume, avec
la lifte alphabétique de tous les Libraires
de Paris. On termineroit le tout par la
table générale des Auteurs .
5°. L'original de ce Catalogue univerfel
feroit après cela dépofé au Bureau des Libraires
, lequel feroit la dépenfe de l'impreffion
comme il auroit le profit de la
vente.
6°. Ledit Catalogue feroit vendu à prix
modique, & tiré à un petit nombre d'Exemplaires
, afin que chaque édition pût être
confommée en un an , & que chaque année
on pût en faire une nouvelle édition ,
dans laquelle on ne feroit qu'inférer en
leur place les Livres imprimés depuis la
derniere édition .
que
7°. Il feroit néanmoins permis à chaque
Libraire d'avoir fon Catalogue particulier,
mais aux conditions fuivantes : 1 ° . qu'ils
ne mettroient leurs Livres ; 2 ° . qu'ils
garderoient le même énoncé & le même
ordre où ils feroient rangés dans le Catalogue
général ; 3 ° . qu'ils diftingueroient
leurs Livres propres d'avec leurs Livres
d'affortiment ; 4 ° . qu'ils le feroient imprimer
in- quarto , & d'un format uniforme.
Je ne fçais , Monfieur , fi je me trompe ;
mais j'enviſage dans ce Catalogue général
dont je vous préfente l'idée , des avanta-
Div
So MERCURE DE FRANCE.
ges finguliers. Tous les Ouvrages fe trouvant
bien en ordre , 1 ° . on découvrira
aifément quantité de bonnes productions
que l'on méconnoît prefque. 2 ° . On verra
également quelles claffes fourniffent peu ,
& quels Ouvrages manquent totalement.
La premiere vue animera les acheteurs ,
la feconde encouragera les Auteurs & les
Libraires à remplir par des réimpreffions
les lacunes qui frapperont les yeux , ou à
remplacer par de meilleurs Ouvrages ceux
que l'ancienneté nous rend indifférens.
J'ofe dire plus encore : Que de bons Ouvrages
dont on a tari les premieres éditions
, & qu'on eft obligé de chercher de
Boutique en Boutique , reviendroient paffer
fous les preffes , & en chafferoient toutes
ces frivoles brochures qui les occupent
depuis filong-temps ! Peut- être, Monfieur,
m'allez-vous traiter d'enthouſiaſte ; mais
vous feriez bien étonné fi l'exécution de ce
projet alloit opérer une heureuſe révolution
dans la Littérature . C'est ce que le
temps nous découvrira : mais au moins ce
projet ne peut apporter aucun inconvénient
; l'expédition outre cela n'a nulle
difficulté. L'illuftre Magiftrat qui préfide à
la Librairie ne manque jamais les occafions
de faire fleurir l'empire des Lettres ,
& d'être utile aux gens qui les cultivent.
OCTOBRE. 1756. 81
L
X
3
5
Les Officiers du Corps Bibliographique de
Paris ne peuvent que fe faire honneur de
voir ce projet exécuté fous le temps de
leur Charge. La Capitale poffede heureufement
encore le célebre M. Martin , qui
ne peut qu'augmenter fa réputation en fe
prêtant à cet oeuvre , & Paris certainement
ne manque pas de jeunes Libraires fufceptibles
de gloire , & qui fe feront honneur
de travailler fous un tel Maître & pour
un tel objet.
J'ai l'honneur d'être , & c.
**
A Verfailles , ce 23 Août 1756.
ÉPITRE
A M. de L ***
DE ma E ma folitude champêtre ,
Quand viendras-tu , Damon , partager les plaiſirs
Quoi ! Paris feul en fait- il naître ?
Y renfermeras-tu fans ceffe res défits
Quitte cette Ville orgueilleufe ,
Du bruit & du fafte amoureufe :
La mode en tyran la régit.
Ici l'on peut n'avoir , fans que perfonne en glofe ,
Pour les quatre faiſons , qu'un feul & même habis
Que fé:he le foleil , lorfque l'onde l'aurofe,
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
D'un tas de fots , d'impertinens ,
Comment peux -tu fouffrir l'importune cohue ,
Et de fang froid regarder les talens ,
Le mérite , les meurs , s'éclipfer à la vue
De leurs colifichets brillan's ?
Vas-tu dans les Cafés confulter leurs Oracles ? ...
Je ne les entends plus ces Juges Souverains ,
Portant pour Sceptre une verge en leurs mains ,
Raifonner à la fois de chevaux , de fpectacles ,
De dentelles d'un nouveau point ,
Et de Maîtreffes qu'ils n'ont point.
Je t'offre , au lieu de ces cercles frivoles ,
Où chacun fous l'efprit étouffe le bon-ſens ,
L'entretien d'un ami dont les fimples paroles.
Seront autant de fentimens ;
Quelques livres choifis , & trois ou quatre femmes
,
( Le fexe ne te fait pas peur )
Qui de vos magnifiques Dames
N'imitent point l'art impofteur.
Belles fans ja'oufie , & fages fans aigreur ;
Au lieu d'un Tapis verd , une verte Prairie ,
Théâtre de nos jeux que
fuiront les regrets ;
Au lieu de vos Cabriolets ,
Une Nacelle avec goût embellie ,
Qui va furprendre au loin les Habitans muets :
Si , par hazard , dans les filets
Ma Thémire découvre un poiffon qui la flatte ,
OCTOBRE. 1756 . 83
Elle ordonne fa grace , elle eft fure , l'ingratte ,
D'obtenir tout de fon Amant !
Soudain le prifonnier que ma main débarraffe ,
Retourne au liquide élément ;
Et s'égayant fur la furface ,
Nous réjouit par fon frétillement.
Je voudrois pouvoir de la chaffe
Te procurer l'amuſement ;
Mais du Seigneur , il faudroit l'agrément :
Moi , qui répugne à prier , je m'en paffe.
Si toutefois ... non Damon eft galant ;
Il fçait qu'en des tranfes mortelles
Un fufil fait tomber prefque toutes les Belles :
Comme nous , il s'en paſſera ,
Et de nos jeux il fe contentera.
Ami , tu n'auras point d'an Aubry , d'un Landelle
(1 )
Les mets exquis , les fins repas ;
Auffi , tu ne recevras pas
D'Aftruc ou de Malouin ( 2) la vifite cruelle.
Par M. G ***
De Chartrait, près Melun, ce 27 Juin 1756.
(1 ) Fameux Traiteurs.
(2) Médecins renommés.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Le mot de l'Enigme du Mercure de LEE
Septembre est une Montre à répétition.
Celui du Logogryphe eft Pleonafme , dans
lequel on trouve Palme , paon , âne , moele
, os , falope , Eole , le royaume de Léon
S. Léon le Grand , le Mans , Léna , ame ,
mâle , poëme , fon , aſthme.
A1â€
ENIGM E.
Idé du feu l'on me produit ,
Et par le feu l'on me détruit.
Le même four voit la fleur la plus belle
Eclore & mourir :
La même nuit me voit , comme elle
Briller & périr.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE
Deux chofes que j'ai lues , Monfieur
dans votre dernier Mercure d'Août , m'ont
affez piquée pour ne pouvoir me refuſer
à l'envie de vous le dire. Peut-être la
gloire d'occuper un inſtant votre attention
OCTOBRE. 1756. & >
peuty
a-t'elle plus de part que le dépit. La premiere
eft la tromperie de Mlle de Car....
de Toulouſe , pour laquelle je me fentois
une espece de fympathie , qui étoit
être une preuve tacite qu'elle n'étoit pas
fi fille que moi , qui la fuis , Monfieur ,
je vous affure , & la ferai , je crois dans
Tous les fiecles des fiecles ; je fupprime
ainfi foit- il , qui pourroit me faire
foupçonner de ne l'être pas plus que M. le
Riche , à qui je ne pardonne point d'avoir
mafqué fon efprit des graces de mon fexe
& de m'avoir fait prendre peut- être un
grand vifage dans une perruque quarrée
pour un joli minois féminin. Comme
homme vous devez fentir mieux que moi, -
Monfieur , le piquant de la méprife , &
l'inconvénient de ne pouvoir plus même
en Province fe connoître en fille . Celle
qui les taxe , dans ce même Mercure , de
mal adreffe à rimer , ma paru vouloir donner
à fa poéfie un mérite dont elle n'avoit
pas befoin , & en ôter un à mon fexe que
je crois très-capable d'avoir . Si nous en
faifons moins d'ufage , c'eft qu'on nous
donne trop à croire que nous en avons
mille autres . Nous trouvons plus aifé de
plaire par les agrémens de la figure qu'un
pompon augmente , que par ceux de l'ef
prit qui demandent une étude qui vole
S6 MERCURE DE FRANCE.
roit les momens précieux d'une jolie femme.
Je penſe donc que la rareté des rimeufes
procede plutôt de pareffe que de
manque de talens . Ce n'eft point , Monfieur
, pour joindre la force des preuves à
mon raiſonnement que je vous envoie mes
deux Logogryphes , peut-être feroient- ils
celle du contraire ; c'eft pour faire un paſſeport
à ma Lettre. Je n'imagine pas non plus
que mon courroux foit exprimé d'une
façon à mériter le jour. J'avoue que je
ferois trop flattée qu'il valût un mot de
votre critique vous l'habillez ordinairement
d'une jufteffe & d'une légèreté de
ftyle qui peut apprendre à penfer , & qui
fait plus eftimer la louange ou fon contraire
, que ce qui en fait le fujet . Excufez
, Monfieur , la longueur d'un babil
qui peut faire demi- preuve de mon fexe ;
fi mon nom en étoit une de l'eftime que
j'ai pour les gens d'efprit comme vous ,
Monfieur , je ne le fupprimerois pas.
Nous fommes fi fenfibles aux politeffes
des femmes , quelque exagerées qu'elles
foient , que pour y répondre nous inférons
ici un de ces Logogryphes . Nous ne
fçaurions trop les encourager à parer notre
Recueil de leurs productions. Leur
profe a furtout des graces qui nous font
oublier les négligences de leur poéfie , &
OCTOBRE. 17566 8.7
nous engagent même à corriger celles qui
trop fenfiblement les regles . bleſſent
LOGO GRYPHE.
Quoique d'un naturel affez dur & ſtupide ,
Plus d'une jeune Iris fçait me toucher ſouvent.
Sans raifon je réfonne , & mon premier talent
Eft de donner le ton & de fervir de guide
Aux fujets d'une des neufs foeurs.
Que l'on m'analyſe d'ailleurs ,
J'offre l'heure la plus hardie :
Je renferme en mon ſein un utile animal ;
Ce que par fois à ſon rival
Ote un Amant par jalousie :
Une Ville de Normandie ;
Une autre de Piedmont; un endroit fombre & bas,
'Avec ce qu'on y fert , dont fouvent les appas
Balancent ceux d'Iſmene : un fameux hérétique ;
Une liqueur très - peu bachique :
Ce que fouvent la beauté rend ;
Ce qu'au mouton chaque an l'on prend :
Enfin , Lecteur , ce que Fillette
Veut être à ce qu'elle aime bien :
Ce que n'eft guere une coquette ,
Quoique ce foit pour plaire un affez für moyen
88 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON
Quels charmes près de ma Bergere
Enchaîne mes tendres foupirs !
Brûlé d'une flamme fincere ,
Mon coeur forme en vain des défirs ;
En vain je veux à ma Thémire
Peindre mes amoureux tranſports ,
Ma voix fur mes levres expire ,
Et trahit mes juftes efforts.
Prêt à lui prouver ma tendreffe ,
Mon coeur plus vivement épris ,
Tombe dans une douce ivreffe ,
Qui rend tous mes fens interdis
Amour ! ah ! c'eft affez répandre
Tes bienfaits puiflans fur mon coeur
Daigne , daigne enfin les étendre
Sur celle qui fait mon bonheur..
Air Tendre ,
de M. Bouvard ch Romain .
Majeur, 1 Couplet.
Tendrem
er
Quels charmesprès dema Bergere, En:
chaine mes tendres soupirs: Brûlé d'une
flâme sincere , Mon coeur forme en:
m
= vain des désirs,sirs;Envainje veux à mathé
-mi-re, Peindre mes Amoureuse trans
=ports ;
Ma Voix sur mes livres exc =
-pire, Et trahit mesjustes efforts.
Mineur, 2 Couplet.
Cendrem
Prest à luiprouverma tendresse, Mon
www
+.
é - pris ,
coeur plus vivement
Combe dans une douce yvresse, Qui
rend tous mes sens interdits . dits. Amour,
Ah! C'est assez répandre
Ces bienfaits puissans sur mon coeur,
Daigne, daigne enfin les étendre Sur
celle qui fait mon bonheur beur.
Octobre 1 Vol. 1756
OCTOBRE. 1756. 89
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
RECHERCH ECHERCHES fur différens points impor
tans du fyftême du monde , troifieme partie
; par M. d'Alembert , de l'Académie
Françoife , des Académies Royales des
Sciences de France , d'Angleterre & de
Pruffe , de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de Suéde , & de l'Inftitut de Bologne.
A Paris , chez David , Libraire ,
rue & vis- à- vis la grille des Mathurins ,
1756.
Le meilleur compte que nous puiffions
rendre de cet Ouvrage eft d'inférer ici la
Préface de l'Auteur.
PREFACE. Quoique dans les deux premiers
Volumes de cet Ouvrage , publiés
il y a plus de deux ans , j'aye tâché de
remplir avec tout le foin dont je fuis сара-
ble , les différens objets que je me propofois
alors , je fuis bien éloigné de croire
que je les aye épuifés. Convaincu des difficultés
& de l'étendue de la matiere , je
n'ai point diffimulé que j'efpérois aller plus
loin avec le temps & de nouvelles recher90
MERCURE DE FRANCE.
ches , & je pris alors fur cela des engagemens
, que ce nouveau Volume commence
à acquitter en partie. Il roule fur deux articles
principaux , les tables de la Lune
& la figure de la Terre , & ces deux articles
feront la divifion naturelle de cette
Préface.
Il en eft , à ce que je crois , des tables
de la Lune , & en général de toutes les tables
Aftronomiques , comme des catalogues
d'Etoiles , qu'il vaut mieux s'appliquer à
corriger que de chercher à en publier - de
nouveaux , la multitude des Catalogues &
des Tables n'étant propres qu'à fatiguer
dans l'étude de l'Aftronomie , lorfqu'il eft
' queftion de les comparer & de découvrir
la caufe de leurs différences. Ainfi fans
prétendre rien diminuer du mérite des différentes
tables de la Lune , que plufieurs
célebres Géometres ont publiées depuis
quelques années , j'ai cru qu'il feroit du
moins auffi utile de s'appliquer à perfectionner
les Tables de cette Planete dont les
Aftronomes font le plus communément
& le plus anciennement ufage , comme
avoit déja fait Flamfteed fur celles d'Horoxius
, les meilleures qu'on eût publiées
de fon temps. Les Tables de la Lune ,
dont on fe fert le plus aujourd'hui , font
celles que M. Halley a conftruites fur la
OCTOBRE . 1756. 91
Théorie de Newton , & que M. Le Monnier
a perfectionnées depuis dans fes Inftitutions
Aftronomiques , foit en augmentant
d'une minute le mouvement moyen , ſoit
en perfectionnant ou ajoutant quelques
équations . La forme de ces Tables eft familiere
aux Aftronomes qui doivent par
cette raifon s'en détacher difficilement ; de
plus elles ne demandent qu'un affez petit
nombre d'opérations ; enfin la quantité la
plus grande d'erreur qui peut en réfulter ,
eft bien conftatée par le grand nombre
d'obfervations auxquelles on les a comparées
jufqu'ici , efpece d'avantage qu'on
ne peut fe promettre que d'une comparaifon
longue & affidue. On avoit cru longtemps
que les premieres Tables dreffées fur
la théorie de Newton , ne s'écartoient des
obfervations que de deux minutes ( 1 ) ; ce
n'a été qu'après plufieurs années qu'on s'eft
apperçu que l'erreur montoit quelquefois
à cinq minutes , quoiqu'à la vérité trèsrarement,
Il me femble donc que le moyen le plus
efficace & le plus prompt de contribuer à
la perfection des Tables de la Lune , c'eſt
(1 ) Voyez Luna Theoria Newtoniana , imprimé
dans le fecond Volume de l'Ouvrage de Gregory
, intitulé Aftronomica Phyfica & Geometrica
Elementa.
91 MERCURE DE FRANCE.
de s'attacher à corriger , foit par la théorie
, foit par l'obſervation , les Tables des
Inftitutions Aftronomiques. Je dis foit par la
théorie , foit par l'obſervation : car elles
ont befoin l'une de l'autre , & doivent s'aider
mutuellement fur ce point. Les calculs
analytiques des mouvemens de la Lune
ont fans doute été portés à un affez grand
dégré de précision pour nous convaincrè
que l'attraction Newtonienne est en effet
la vraie caufe des inégalités qu'on obferve
dans le mouvement de cette Planere , ou
du moins que fi d'autres caufes fe joignent
à celle -là , leur effet eft incomparablement
moindre , & n'eft pas même jufqu'ici conftaté
par les phénomenes ; mais les calculs
analytiques n'ont pas encore été pouffés affez
loin , & ne le feront peut- être de longtemps
affez pour répondre parfaitement
aux obfervations aftronomiques. J'en ai
dit la raifon ailleurs ( 1 ) . C'eft donc en
joignant l'obfervation à la théorie qu'on
peut efpérer de perfectionner les tables
de la Lune. Voyons d'abord ce que la
théorie peut nous donner de lumieres fur
cet objet.
(1 )Voyez le Difcours préliminaire du premier
Volume de ces Recherches , page 32 , & la premiere
partie , depuis la p. 198 jufqu'à la p. 207.
Voyez auffi la fuite de cette Préface & les Chap . I
& II du Livre IV , à la tête de ce Volume.
OCTOBRE. 1756. 93
par
Elle doit , fi je ne me trompe , fe bor
ner ou du moins s'appliquer principale
ment à marquer les différences entre les
équations que fournit le calcul analytique
, & celles qui réfultent des tables
dont les Aftronomes font ufage. C'eſt ce
que j'avois déja fait dans la premiere partie
de ces Recherches des tables particulieres.
Mais ayant depuis trouvé moyen
de perfectionner ces mêmes Tables , foit
en leur donnant à certains égards quelques
degrés d'exactitude de plus , foit en rendant
leur ufage plus facile , plus abrégé &
plus commode , j'ai publié féparément
au commencement de cette année 1756 ,
mes nouvelles Tables de correction , en
yjoignant un exemple de la maniere dont
on doit s'en fervir, & en invitant les Aftro
nomes à les comparer aux obfervations ,
pour s'affurer fi les corrections que je pro-,
pofe doivent être admifes. Mes invitations
n'ont pas été tout-à - fait infructueufes ; &,
M. Pingré , Affocié libre de l'Académie,
des Sciences , m'a appris qu'ayant fait quel- ,
quefois ufage de ces corrections , il avoit ,
trouvé le lieu de la Lune à une demi-minute
près , & plus exactement que par les,
Tables ordinaires ( 1 ) . Je fens qu'une lon-
(1 ) Un autre Aftronome m'a dit qu'il trouvoit
auffi la parallaxe moyenne un peu plus grande,
96. MERCURE DE FRANCE.
Aftronomiques ; & la feconde qui eſt de
figne contraire à la premiere , eft d'une
minute dix huit fecondes plus grande que
dans les tables des Inftitutions , & de deux
minutes plus grande que dans d'autres
tables. Ainfi quand la Lune fe trouve périgée
& dans les octans , le lieu de cette
Planete , toutes chofes d'ailleurs égales ,
doit fe trouver plus avancé ou plus reculé
de près de quatre minutes par nos tables
que par celles des Inftitutions : il est vrai
que les autres équations n'étant pas abfolument
les mêmes de part & d'autre , elles
pourront fouvent influer fur cette différence
de quatre minutes , de maniere à la -
rendre moins fenfible ; mais il paroît difficile
qu'elle foit anéantie ou extrêmement
diminuée dans tous les cas : c'eft pourquoi
plufieurs obfervations de la Lune périgée
& dans les octans , décideront infailliblement
des équations que l'on doit préférer.
J'ai tout lieu de croire que la variation eft
en effet plus petite que les Aftronomes ne
l'ont établie jufqu'ici , & j'en ai dit les
raifons dans la premiere partie de cet Ouvrage
( 1 ) . Elles font principalement fondées
fur la confidération fuivante. L'équa
tion proportionnelle au finus du double
de la diftance de la Lune au Soleil , équa
: (1) Page 253.
tion
OCTOBRE . 1756 . 97
1
7
e
es
1.
7-
a.
tion que les Aftronomes ont nommée
variation , & qu'ils ont jufqu'à préfent
regardée comme abfolument indépendante
de l'équation du centre , renferme une
petite partie d'environ cinq minutes , qui
dépend de l'équation du centre & de la
variation de l'excentricité. Il eft donc trèspoffible
que quand les Aftronomes ont
fixé , d'après Tycho , la variation à trentecinq
minutes , en croyant diftinguer &
féparer abſolument cette équation de celle
du centre , l'équation du centre influa
encore jufqu'à un certain point fur celleci
; enforte que la partie de la variation ,
qui eft indépendante de l'équation du
centre , fût réellement un peu plus petite
que trente- cinq minute ; auquel cas notre
calcul s'accorderoit avec les obfervations .
La réunion que j'ai faite fous un même
point de vue , des principaux réfultats des
différentes tables , m'a naturellement conduit
à quelques réflexions fur la comparaifon
que l'on a faite de ces tables avec
les obfervations.
Quoique je fois bien éloigné de donner
l'exclufion à aucune des tables modernes ,
tout mis en balance néanmoins , les tale
bles des Inftitutions Aftronomiques font celles
dont l'accord avec les obfervations me
paroît jufqu'ici le plus conftaté , & cette
1. Vol.
10
on
E
98 MERCURE DE FRANCE.
raifon m'engage à leur donner la préférence.
Ce n'eft pas que d'autres Aftronomes
ne prétendent leurs tables plus exactes
: celui d'entr'eux qui fe flatte d'avoir
le plus approché de la vérité eſt M. Mayer,
de la Société royale de Gottingen. Mais
je n'ai point diffimulé les raifons affez
fortes que l'on peut avoir de fufpendre
encore fon jugement fur l'exactitude de
ces tables.
Peut- être en augmentant de nouveau
dans les tables des Inftitutions le mouvement
moyen de la Lune , & en appliquant
les corrections que j'ai propofées ,
on pourra parvenir à leur donner encore
plus de préciſion : j'attends fur ce point
la décifion des Aftronomes , & je me
borne à les avertir que j'ai calculé ces
corrections uniquement fur la théorie
fans les comparer à aucune obfervation
& à plus forte raifon fans chercher à les
faire quadrer avec les obfervations que je
pouvois leur comparer , efpece de petite
fupercherie qu'il eft toujours aifé de mettre
en ufage , foit en altérant le mouvement
moyen en excès ou en défaut pour
diminuer les plus grandes erreurs , foit
en altérant les équations qui paroiffe nt
produire le plus de différence entre le
lieu calculé & le lieu obfervé.
OCTOBRE. 1756. 95
3
ዩ ።
J'avouerai de plus ( car les connoiffances
que je crois avoir acquifes en cette
matiere m'ont appris à ne rien hazarder , )
que fi on remarquoit un fingulier accord
entre les obfervations & des tables uniquement
tirées de la théorie , cet accord
feroit à plufieurs égards l'effet d'un hazard
heureux , tant il paroît difficile de porter
les tables par le moyen de la théorie feule
au degré de précifion que l'aftronomie
peut exiger.
On trouvera fans doute un avantage
plus réel dans les obfervations jointes à la
théorie ; & c'est pour cette raifon que j'ai
cru devoir envifager d'une maniere particuliere
& détaillée , les fecours que les
Aftronomes peuvent fe procurer de ce
côté-là. Mais avant que de perfectionner
les tables par ce moyen , je fais voir qu'en
les laiffant même dans l'état où elles font ,
on peut les fimplifier fans les rendre moins
exactes & fans en changer la forne ; qu'on
peut s'épargner cinq opérations dans la
réduction du lieu de la Lune à l'écliptique
, & deux dans le calcul de la latitude .
Les fecours que les obfervations four-
10 niffent pour la correction des tables , font
de deux efpeces : ils peuvent fe tirer ou
immédiatement & directement des obfervations
même , en déterminant par les ob-
E ij
335003
100 MERCURE DE FRANCE.
fervations les coefficiens des équations lunaires
, ou de la période de M. Halley ,
en cherchant par le moyen de cette période
l'erreur des tables . Ces deux points méritent
quelque difcuffion .
Il femble d'abord qu'on ne puiffe qu’avec
un travail immenfe déterminer d'après
les obfervations les coefficiens des équations
lunaires , à caufe du grand nombre
d'équations algébriques qu'il faudroit réfoudre
& du grand nombre de quantités
différentes qui entreroient dans ces équations
. Mais on vient à bout d'abréger beaucoup
ce calcul , en remarquant que les
coefficiens de ces équations n'influent en
aucune maniere fur le lieu de la Lune ,
lorfque les argumens correfpondans font
nuls ; enforte fi on choifit artiftement
que
& dans les circonftances que j'indique
des pofitions de la Lune où plufieurs de
ces argumens foient nuls en même temps
tandis que d'autres ne le font pas ,
aura affez peu d'inconnues à déterminer à
la fois , & des équations affez peu compliquées
à réfoudre. Cependant comme il
arrive rarement que plufieurs de ces argumens
foient nuls à la fois , il arrive auffi
très rarement qu'on puiffe regarder les
équations qui leur répondent comme abfolument
nulles : ainfi la méthode que je
-
on
OCTOBRE . 1756. 101
propofe fembleroit demander une longue
fuite d'obfervations durant plufieurs fiecles.
Mais on peut obferver que les coefficiens
des équations font déja à peu près
connus pour la plûpart , tant par les obfervations
que par la théorie , & que l'erreur
qui peut réfulter de ces coefficiens
doit être réputée prefque nulle , lorfque
les argumens ne font pas fort éloignés
d'être nuls ; par cette remarque , on trouve
moyen de rendre la méthode beaucoup
plus praticable & même affez fimple , en
fe bornant à fuppofer très petits les argumens
qu'on avoit d'abord fuppofés nuls .
La période de M. Halley eft un fecond
moyen de perfectionner les tables en employant
les obfervations. Cette période
eft , comme l'on fçait , de 223 lunaifons ,
après lefquelles , felon M. Halley , les
inégalités de la Lune redeviennent les mêmes
; d'où il conclut que fi l'on obferve
affiduement pendant ce temps les lieux de
la Lune , l'erreur des tables qu'on en tire
doit fe trouver la même dans une feconde
période ; & qu'ainfi l'erreur des tables fera
connue ; ce qui les rendra équivalentes à
des tables parfaitement exactes. Mais il
faudroit pour l'exactitude rigoureufe de
la période de M. Halley , que chacun des
argumens dont dépendent les inégalités de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
la Lune fût le même à la fin de la période
qu'au commencement , & c'eft ce qui n'eft
pas. L'anomalie moyenne de la Lune eft
moindre de près de trois degrés ; l'anomalie
moyenne du Soleil eft plus grande de dix
degrés & demi , & les argumens qui dépendent
de ces deux - là font altérés à proportion
, fans compter des différences moins
confidérables entre les autres argumens ,
différences dont l'effet doit du moins être
fenfible après plufieurs périodes confécutives.
D'ailleurs en fuppofant la Lune
obfervée très-exactement pendant le cours
de la période , on ne peut guere avoir
de lieux obfervés que de vingt-quatre en
vingt- quatre heures ; ainfi on ne pourra
connoître que par approximation & par
une espece d'eftime l'erreur des tables dans
les lieux intermédiaires , quand même la
période de M. Halley donneroit rigoureuſe.
ment & exactement l'erreur dans les lieux
obfervés. Je propofe différens moyens de
rendre un peu plus exact l'ufage qu'on fait
de cette période en Aftronomie ; mais
quoique je la croye très utile pour découvrir
en grande partie l'erreur des tables , je
crois auffi qu'on ne peut par ce moyen feul
déterminer l'erreur rigoureufement , &
peut-être même à une ou deux minutes près.
Il est d'ailleurs néceffaire pour faire ufage
OCTOBRE. 1756. 103
7
e
X
S
e
1
1
I
S
e
t
S
e
B
1
5.
de cette méthode , d'obſerver la Lune infatigablement
& fans ſe borner à 223 lunaifons
; car l'erreur des tables variant à chaque
période , par les raifons que nous venons
de dire , l'erreur obfervée ne peut
guere s'appliquer qu'à des périodes qui fe
faivent immédiatement.
Enfin pour terminer mon nouveau travail
fur les tables de la Lune , je donne en
peu de mots & comme en paffant , une
méthode pour trouver d'une maniere abrégée
le mouvement horaire de cette Planete ,
& une autre pour dreffer des tables du lieu
vrai de la Lune , en ſe bornant à la formule
du lieu moyen que donne la théorie
& fans tirer de cette formule celle du lieu
vrai ; ce qui épargne à l'Analyfte un calcul
affez pénible fans augmenter le travail de
l'Aftronome.
Du mouvement de la Lune je paffe à celui
de la Terre ; c'eſt l'objet du livre cinquiemé
, beaucoup plus court que le precédent.
Je fais voir d'abord qu'il reſte encore
très douteux , malgré quelques obfervations
alléguées pour établir le contraire ,
que l'action de la Lune dérange fenfiblement
la Terre dans fon orbite. D'où il refulte
, comme je l'ai déja remarqué dans
la feconde partie de cet Ouvrage , que l'équation
en longitude que j'ai tirée de l'ac-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
tion de la Lune fur la terre, & que j'ai trouvée
de onze fecondes , pourroit bien être
trop grande , puifqu'il feroit difficile que
cette équation eût entiérement échappé aux
Obfervateurs . Il en eft de même, felon toute
apparence , de l'équation de treize fecondes ,
que j'ai trouvée pour la variation apparente
du Soleil en latitude , produite par l'action
de la Lune fur la terre ; mais l'erreur ,
s'il y en a , vient uniquement de l'incertitude
des deux élémens principaux d'où dépend
cette équation , fçavoir la maffe de
la Lune & la parallaxe du Soleil , & nullement
, comme on l'a prétendu dans le
Journal des Sçavans , de ce que j'ai négligé
dans le calcul des forces effentielles : c'eft
ce que je démontre de nouveau plus en détail
; mais je remarque en même- temps
que par l'inexactitude néceffaire des obfervations
, & la nature des circonftances
dans lefquelles la variation de la latitude
peut être obfervée , cette variation doit
paroître en effet beaucoup plus petite que le
calcul ne la donne. A ces recherches j'en
ajoute quelques autres fur les dérangemens
que peut produire dans le mouvement
de la terre & dans celui de la Lune ,
la figure non fphérique de ces deux Planetes
, & je démontre que ces dérangemens
doivent être abfolument infenfibles .
La fuite au prochain Mercure.
OCTOBRE . 1756. 105
Il paroît actuellement un nouveau Dic-
TIONNAIRE François Latin , à l'ufage de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , grand
in-4° . 1 vol . compofé par le R. P. le Brun ,
de la Compagnie de Jefus. L'excellent
choix qu'on a fait dans les meilleurs Autears
des expreffions latines & françoiſes ,
le rendent également utile à ceux qui étudient
, & enfeignent ou compofent . On
n'aura rien à défirer pour la correction .
L'impreffion eft faite fur de très beau papier
& caracteres neufs. On le trouve à
Paris , chez la veuve Bordelet , rue Saint
Jacques , vis -à- vis le College de Louis le
Grand , & à Rouen , chez Richard & Nicolas
l'Allemand , Imprimeur du Roi & du
College.
L'ACCOMPLISSEMENT de l'année merveilleufe
. Les Tronchines , nouvel habillement
adopté par les femmes , ont occafionné
cette petite brochure qui fe vend chez
Duchefne , rue S. Jacques. Nous n'en dirons
ici qu'un mot . Elle n'a que 36 pages
qui nous ont paru de trop . Nous penfons
que c'eft d'un badinage neuf & plein de
fel , une imitation ou plutôt une parodie
triviale & fans goût. Il en eft d'un écrit
fingalier qui réuffit beaucoup , comme
d'un tableau original qui a un grand fuccès.
É v
106 MERCURE DE FRANCE .
Il fait à la fois des envieux & des finges.
Les critiques des premiers font des fatyres
, & les copies des autres font des charges
. On l'imite ainfi qu'on le cenfure.
ODE fur le mariage de M. le Comte
de Briffac & de Mademoiſelle Molé , par
M. d'Arnaud , Confeiller de Légation de
S. M. le Roi de Pologne , & Membre des
Académies de Pruffe , de Danemarck , &c .
Cette Ode nous a paru très poétique .
Nous croyons qu'il fuffit, pour le prouver,
de la ftrophe fuivante :
•
Thémis , pour voir ta fille , écarte ton bandeau ;
Viens pofer fur l'Autel cette image chérie ,
Où des Molés ta main nous traça le tableau ,
Où l'amour de tes loix , l'amour de la patrie
Brille en eux d'un éclat toujours pur & nouveau;
Et toi , d'un glaive armé , les lauriers fur la tête ,
Vole à la pompe qui s'apprête ,
Joins l'appareil guerrier dont tes pas font fuivis :
O Mars ! Dieu des Briffacs , viens couronner leur
Fils :
O Mars ! leur Hymen eft ta Fête.
IL Trionfo della Fedelta , dramma Paflopale
, per Mufiqua di C. T. P. A.
Cette Paftorale honore à la fois deux
beaux Arts qu'elle enrichit. Mais elle fera
OCTOBRE . 1756. 107
IX
mieux louée par les vers de M. l'Abbé le
Blanc que par ma profe . Il en a parlé avec
d'autant plus de connoiffance qu'il l'a vue
repréſenter à la Cour de Drefde .
Ce triomphe éclatant de la fidélité
Doit s'appeller encor celui de l'harmonie
Des paroles , les airs égalent la beauté ;
La force à l'agrément s'y trouve réunie.
Quoi ? dans un fi haut rang tant de talens divers
?
Qui n'en feroit furpris ? l'exemple en eft unique.
Métaftafe pourroit être jaloux des vers .
Haff fe croiroit heureux d'avoir fait la Mufique.
L'Ouvrage eft imprimé à Leipfic , chez
Giov. Gottlob Emmanuel Breitkopf qui a le
premier trouvé l'invention d'imprimer la
Mufique. C'eft le premier Opera qui l'ait
été dé cette nouvelle maniere , qu'on doit
approuver d'autant plus qu'elle devient
très-avantageufe aux progrès d'un fi bel
art. On nous fait efpérer que nous aurons
bientôt les Opera de M. Haff , ce
Muficien fi célebre dans toute l'Europe ,
imprimés avec les mêmes caracteres ; &
l'on fe propoſe d'en donner en Saxe une
édition auffi belle que celle du Triomphe
de la Fidélisé.
L'impreffion de cette Paftorale a été
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
commencée au mois de Juin 1755 , &
achevée au mois de Juillet 1756.
ÉLÉMENS des Sciences & Arts Littéraires
, traduits de l'Anglois , de Benjamin
Martin, en 3 vol . in 12. fe vendent à Paris,
chez J. L. Nyon , à l'occafion ; P. Guillyn,
quai des Auguftins ; S. Pr. Hardy , rue
S. Jacques , 6 liv. les 3 vol. brochés , de
400 pages chacun. C'eft avec raifon que
le Traducteur ( M. de Puifieux ) dit que
les ouvrages de M. Benjamin Martin ont
reçu un fi grand accueil en Angleterre ,
qu'il fuffiroit de dire que celui-ci eft forti
de fa plume pour juftifier l'entrepriſe qu'il
a faite d'en donner une traduction . Ce
livre traite de tout ce qui peut concerner
l'homme du monde , l'homme de Lettres ,
le fçavant. Ce ne font point des idées
légeres , fruit d'un eeffpprriitt qquuii a des faillies
& n'examine point ; ce font encore
moins des connoiffances fuperficielles que
l'orgueil donne trop fouvent pour les réflexions
& les fruits d'une lecture profonde
; ce ne font pas non plus des préceptes
hardis que le bel efprit colore ,
qu'une imagination corrompue enfante ,
& qu'une imagination qui veut s'égater
adopte volontiers , ce font les idées ,
les penſées , les réflexions , d'un homme
OCTOBRE. 1756. 109
d'efprit , d'un fçavant , d'un honnête.
homme. Nul étalage de fçavoir , nulle
affectation d'efprit dans tout l'ouvrage.
C'est un Philofophe qui a tout vu
tout penfé , tout approfondi , & qui
veut tour apprendre aux
aux autres fans
dogmatifer & fans fe faire valoir. On doit
confeiller la lecture de ce livre à tout le
monde ; on pourroit l'intituler école univerfelle
de l'efprit , du coeur & des Arts
Littéraires. Ceux qui l'ont lu lui doivent
des louanges , ceux qui ne l'ont pas lu
doivent le lire. Parmi les réflexions & les
maximes ineftimables qui frappent en foule
dans tous les chapitres , en voici quelques
unes fur la candeur , le bon naturel
& le mauvais naturel de ces hommes qui
prennent le titre de Critiques , & qui parlà
contractent avec le Public un engagement
qui doit toujours les faire trembler.
La candeur est une des qualités que doit
poffeder un bon critique : elle eft ordinaire- .
ment compagne de l'équité & de la vérité.
Mais il ne fuffit pas de ne point trahir la
vérité , & de ne relever dans un ouvrage
que les défauts qui s'y trouvent réellement ; il
faut convenir ingénuement de ſes beautés , les
apprécier avec candeur , & les louer comme
elles le méritent . Un bon Critique doit même le
faire avec plaifir , & ne blâmer qu'à regret.
110 MERCURE DE FRANCE.
Mais que ce talent eft rare ! Le bon natu
rel eft encore une des qualités morales d'un
Critique. C'eft cette excellente vertu qui tempere
d'un air doux & gracieux toute l'âpreté
& la rudeſſe de la critique. Quoique fon but
foit de relever nos fautes , la critique douce
& modérée eft agréable & ne deplaît point .
Le bon Critique femble alors marquer qu'il a
bonne opinion de nous . Il fait que d'exiger
qu'un ouvrage foit fans défaut , c'eſt demander
une chofe qui n'ajamais été , qui n'exiſte
pas & n'exiftera jamais , &c. Un mauvais
naturel eft la plus odieufe des mauvaiſes qualités
qu'un Critique puiffe avoir. Ceux qui
entreprennent de critiquer avec cette mauvaife
difpofition font plus cruels & plus à
redouter que des affaffins & des voleurs de
grands chemins. Ils s'acharnent contre la réputation
& le mérite d'un pauvre Autcur, & le
tourmentent fans remords . Comme il n'eſt pas
poffible qu'ils ayent bonne opinion des ouvrages
des autres , on ne doit attendre d'eux ni
candeur , ni politeſſe , ni condefcendance . Ils
ne manquent jamais de rencontrer des fujets
pour exercer la malignité de leur langue & le
fiel de leur plume. Mais le but principal de
ces productions monftruenfes de la nature ,
étant de fe procurer de la fatisfaction en s'amufant
eux mêmes , & tâchant de détruire
la réputation & l'estime justement acquifes ,
OCTOBRE. -1756.
prennent le véritable chemin de fe rendre
odieux déteftables aux yeux des perfonnes
judicieuſes & réuffiffent à coupfür. Nous ne
voulons point douter que le Traducteur
n'ait rendu l'efprit de l'Auteur , mais nous
préfumons qu'on peut lui reprocher d'avoir
négligé d'en rendre quelquefois la
force & la préciſion . Des phrafes alongées,
des expreffions communes , une certaine
prolixité qui énerve le ftyle, femblent juſtifier
notre préfomption . Cette obfervation
au refte , ne porte que fur quelques endroits
de l'ouvrage. Si la négligence eft
affez fenfible pour autorifer notre Critique
, le travail eft affez eftimable pour
mériter encore plus notre éloge.
PRÉCIS d'un Livre intitulé , Eſſai fur
la Cavalerie tant ancienne que moderne,
par un Ami de l'Auteur.
Dans ce livre utile le Cavalier , le Dragon
& l'Officier apprennent beaucoup de
chofes qu'ils ne peuvent ignorer fans rifque',
& qu'ils n'apprenoient autrefois que
très-imparfaitement , ou dans une longue
fuite d'années de fervice . Il n'y aura à préfent
point d'Officier de cavalerie & de
Dragons , qui , après une étude de peu de
112 MERCURE DE FRANCE.
jours , & une habitude de quelques mois
ne foit inftruit dans le plus grand détail
de tout ce qui compofe l'armement &
l'équipement du Cavalier ou Dragon , &
l'harnachement du cheval ; & qui ne le
touve très en état de bien dreffer l'un &
l'autre & d'en tirer les meilleurs fervices.
Mais ce n'eft pas affez dans un corps de
de Cavalerie que le Cavalier fçache
bien manier fon cheval , qu'il l'ait appris à
tourner à droite ou à gauche , à fuir lest
talons , &c. que toutes les parties d'une fel--
le ou bride lui foient exactement connues ,
qu'il les place de la maniere la plus commode
& la plus avantageule , qu'il fçache,
bien charger fon cheval ; ces connoiffances
préliminaires en exigent bientôt de
plus grandes & non moins indifpenfables.
La maniere de former , ordonner , exercer
& conduire à la guerre des efcadrons ,
les
évolutions qu'ils doivent pra quet ,
l'ordre & les
précautions avec lesquelles
il faut qu'une troupe marche , campe
fourrage , attaque ou fe défende fur toute
forte de terrein , tous ces objets réunis
compofent ce qu'on pourroit nommer pro-,
prement un cours de cavalerie : étude im--
portante qu'on ne fçauroit trop recommander
, & qui me paroît avoir été beaucoup
négligée jufqu'à préfent.
OCTOBRE. 1756. 113
L'Auteur de l'Effai fur la Cavalerie en
a connu par expérience l'indifpenfable néceffité.
Après s'être inftruit avec foin de
tout ce qui concernoit fon métier , il n'a
pas dédaigné de tracer aux Officiers de Cavalerie
la route qu'ils doivent fuivre pour
connoître les différentes parties de leur
fervice ; il les a toutes raffemblées dans un
ouvrage qui nous manquoit abfolument.
La marche de l'Auteur eft uniforme &
méthodique dans tout le cours de fon ouvrage
qu'il a divifé en trente- deux chapitres.
Il commence toujours par nous mettre
fous les yeux l'ufage des Anciens , particuliérement
des Grecs & des Romains ,
par rapport aux différens objets dont il eſt
traité dans chaque Chapitre. Il paffe enfuite
à notre pratique actuelle , donne des
préceptes , prefcrit des regles , extrait nos
dernieres Ordonnances ; & fourniſſant ainfi
divers moyens de comparaifon , il nous
met à portée de juger en quoi nous égalons
ou furpaffons même nos maîtres dans l'art
de la guerre. Il appuie tout ce qu'il avance
de raifonnemens folides , du témoignage
des meilleurs Auteurs & d'exemples .
célebres. Son ftyle eft tel qu'il convient à
un Militaire plus occupé des chofes mêmes,
que de leur éclat extérieur . Quelques répétitions
, de légeres négligences , une pré114
MERCURE DE FRANCE.
vention peut- être trop marquée en faveur
de la cavalerie , font les feuls reproches
raifonnables qu'on puiffe lui faire. Le bien
de l'état m'engage même à défirer qu'un
de nos fçavans Militaires , auffi bon Citoyen
que bon Officier d'infanterie , traite
du fervice propre à ce dernier corps dans
un ouvrage particulier compofé fur le
modele de celui- ci.
L'Effai fur la Cavalerie forme un volume
in 4 ° . de près de 700 pages , il
eft imprimé fur de très - beau papier , en
beaux caracteres , & fe vend chez Jombert.
On diroit que les Auteurs Militaires fe
font accordés entr'eux pour ne confier qu'à
ce Libraire leurs différentes productions .
Une confiance fi générale eft un éloge bien
flatteur pour lui ; auffi paroît-il s'attacher
à la mériter.
La Préface s'adreffe à MM . les Gentilshommes
de l'Ecole Militaire , dont l'inftruction
eft furtout le principal but que
l'Auteur s'eft propofé : c'eft même ici le
premier ouvrage qu'on ait encore compofé
pour eux ; ce qui femble autorifer le
parallele de leur éducation avec celle des
Lacédémoniens qui fe trouve à la fin de la
Préface , morceau qui m'a paru très- bien
fait , & dans lequel l'Auteur s'exprime
toujours en vrai Citoyen . S'il admire la
OCTOBRE . 1756. 115
le
grandeur & la bonté du Roi dans ce fuperbe
monument , ainfi que la fageffe du
Miniftre qui a préfidé à fon élévation , il
le fait noblement , & fans fléttir par
fouffle de l'adulation les fleurs qu'il répand
fur un fi beau fujet. On a mis en tête une
vue de l'Ecole Royale & Militaire.
Le premier Chapitre ne paroît d'abord
destiné qu'à prouver l'utilité de la cavalerie
dans les armées.
Le fecond Chapitre nous décele l'Anonyme.
Ce chapitre eft déja connu par les
applaudiffemens qu'il a mérités de tous les
Gens de Lettres. Il forme tout entier l'article
Équitation dans le cinquieme volume
de l'Encyclopédie. L'Auteur eft le premier
Militaire qui ait travaillé pour cette admirable
collection , il a fait encore le mot
Efcadron , & les Editeurs nous promettent
plufieurs autres articles de la même main.
Il eft traité dans le troifieme Chapitre
de lafaçon tant ancienne que moderne , d'ordonner
les troupes de Cavalerie , ainfi que du
front & de la profondeur des Escadrons , &
du nombre de Cavaliers dont il paroît plus
convenable de les former. Quelques planches
fervent à faciliter l'intelligence des
différentes formes que les Grecs , plus fingu
liers en ce point que les Romains , donnoient
à leurs Efcadrons. On nous met
116 MERCURE DE FRANCE.
fous les yeux toutes les fortes de lozanges
qu'Elien a décrites , & dont un Auteur
moderne ( 1 ) lui difpute la réalité . L'ont
convient des inconvéniens qui devoient
naître d'un arrangement fi bizarre , & l'on
penfe qu'ils ne peuvent être utiles qu'en
très-peu d'occafions. Sur la maniere de
former les Efcadrons , l'Auteur est d'avis
qu'ils combattent fur trois rangs : moins
étendus par ce moyen , leur marche fera
plus égale & moins flottante , leurs mouvemens
plus prompts & plus légers , leur
choc plus violent.
Quoique ce fentiment foit encore combattu
de bons Officiers , on ne peut
par
fe
refufer à la jufteffe des raifons qui en démontrent
l'utilité .
Dans le quatrieme Chapitre il eft queftion
particuliérement de la Cavalerie des
Grecs & des avantages qu'elle leur a procurés.
Bien qu'à quelques égards ce chapitre
paroiffe rentrer dans les précédens ,
la marche en eft pourtant différente , &
l'on y voit avec plaifir comment les Grecs
difpofoient leur Cavalerie dans les batailles.
Leur ufage étoit de remplir fouvent
avec des foldats armés à la légere les intervalles
des Efcadrons ce mêlange fi fouvent
juftifié par le fuccès , eft blâmé par
( 1 ) Folard , & celui de la Tactique Françoise.
OCTOBRE . 1756 . 117
l'Auteur qui ne fait pas affez d'attention à
la différence des armes de jet des Anciens
à nos armes à feu.
On paffe dans le Chapitre fuivant à la
Cavalerie Romaine pour prouver que les
Romains faifoient grand cas de la Cavalerie
, quoique chez eux elle fût très- inférieure
à l'Infanterie .
Tout ce qu'on lit dans le fixieme Chapitre
fur la Cavalerie Françoife , n'eſt
qu'un extrait fort fuccinct d'un Traité
plus long qu'on femble nous promettre fur
cette matiere. Elle eft affez intéreffante
pour la Nation , & l'Auteur fe montre
inftruit & trop
bon Citoyen ,
, pour
que nous ne foyons pas en droit d'exiger
de lui qu'il rempliffe bientôt cet engagetrop
ment.
Ce morceau et tout hiſtorique de
même que le Chapitre feptieme où l'on
voit en abrégé tout ce qu'il nous importe
aujourd'hui de fçavoir fur les bans &
arriere- bans , efpece de fervice que vraifemblablement
nous ne verrons pas rétablir.
Après avoir défini dans le Chapitre huitieme
« la tactique , l'art de difpofer les
» différentes parties d'une armée de la
» maniere la plus convenable à leur efpece,
à la fituation des → lieux , felon les temps,
118 MERCURE DE FRANCE.
& fuivant les ennemis à qui l'on a affai-
» re , » on nous prouve que les Officiers
de Cavalerie chargés par leur état de mener
très-fouvent à la guerre des détachemens
de troupes mêlées , font auffi dans
une plus étroite obligation d'être inftruits
de la Tactique : l'Auteur propofe enfuite
les moyens qu'il croit les plus propres pour
acquérir les connoiffances qu'elle exige ,
& nous donne une idée affez étendue de
celle des Grecs & des Romains .
Le Chapitre neuvieme , de l'ordre dans
les Armées , donne lieu à l'Auteur de nous
faire remarquer de quelle importance il
eft pour un Général , & même pour le
bien de l'Etat , que les Aides de Camp
foient toujours choifis parmi les- Officiers
les plus expérimentés . On devroit , ajoutet'il
, « en créer un corps particulier ; on
» choifiroit les plus verfés dans la Tacti-
" que , & ceux qui ont acquis plus d'expérience
à la guerre , pour leur confier
» ces emplois ; & parmi eux les plus capables
pour compofer les Etats- Majors des
Armées ». La jufteffe de ces réflexions
n'a pas befoin de preuve .
"
"
Il faudroit copier en entier le Chapitre
dixieme , pour faire fentir tout
ce que l'Auteur dit d'excellent fur l'abfolue
néceffité des exercices principalement
OCTOBRE . 1756. 119
de ceux de la Cavalerie : il n'y a pas
un mot qui foit inutile
preffion qui ne ferve à établir cette grande
vérité.
pas une ex-
Le Chapitre onzieme nous apprend
l'origine des Signaux Militaires , & en
particulier des Etendards. On y établit l'obligation
d'en avoir deux par Efcadrons
afin qu'ils fervent de point fixe pour les
aligner exactement les uns avec les autres.
Il y a une planche pour en faire mieux
fentir l'étroite obligation.
Il eſt traité dans le chapitre douzieme
des armes de la Cavalerie & de leurs effets.
Le treizieme eft de pure curiofité ; il
devoit être placé après ceux qui traitent
de la Cavalerie des Anciens.
L'Auteur, après avoir dit quelques mots
dans les Chapitres 14 & 15 fur la néceffité
&la facilité de mettre bien à cheval la Cavalerie
, ainfi que fur l'affiette du Cavalier ,
& la maniere dont il doit conduire fon
cheval , matieres traitées par M. de la
Porterie , paffe dans le feizieme à la maniere
dont la Cavalerie doit marcher';; c'est
pour elle la premiere des manoeuvres ,
celle qui renferme toutes les autres &
qui en affure le fuccès .
On trouvera fur cette matiere le détail
le plus intéreflant & le plus effentiel
120 MERCURE DE FRANCE.
و ر
à tout Officier de Cavalerie ; « toutes les
différentes manieres de marcher , parti-
» culieres à ce corps » , font traitées d'après
des principes invariables & fur des
calculs évidens. Je fais un grand cas de ce
Chapitre. Il conduit effentiellement l'Auteur
à parler dans le dix - feptieme des
marches d'Armées & des précautions néceffaires
à prendre par rapport à la Cavalerie ,
foit qu'elle doive traverfer des défilés ,
foit dans les avant- gardes ou arrieres- gardes
, foit que l'on marche
pour
aller camper
ou pour aller combattre.
Toutes les mesures qu'il faut obferver
pour bien affeoir un camp ou un cantonnement
de Cavalerie , pour en déterminer
l'étendue , & pour en affurer les communications
, font l'objet du dix- huitieme
Chapitre.
On trouvera dans le dix- neuvieme , un
détail très- inftructif fur les Camps anciens
& fur les gardes ordinaires.
La maniere dont la Cavalerie doit combattre
contre de la Cavalerie ou contre de
l'Infanterie , remplit les chapitres vingt &
vingt- un les manoeuvres néceffaires y
font décrites avec foin : on y infifte furtout
fur l'obligation de fe rallier promptement
, précaution dont le Vainqueur a
quelquefois autant de befoin que le Vaincu
OCTOBRE. 1756 . 121
cu. « A la fin d'une bataille , c'eſt celui
qui a le plus de troupes ralliées , qui
remporte la victoire ».
Une fonction effentielle à la Cavalerie,
c'eft d'être détachée en petites troupes fur
les devans , fur les aîles ou fur les derrieres
de l'armée pour s'informer de ce
qui fe paffe dans le Pays , pour éclairer
les démarches de l'Ennemi , & pour tenir
le Général averti de tout ce qui fe paffe
au dehors & dont il lui importe d'être`inftruit
, on appelle cela prendre langue. La
maniere de le procurer ces différentes connoiffances
, exige de l'Officier qui en eft
chargé beaucoup de courage , d'intelligence
, de circonfpection & de fermeté ;
ce qu'il doir fçavoir & ce qu'il doit exécu
ter eft très-bien circonftancié dans le Chapitre
vingt - deux que j'ai lu avec beaucoup
de fatisfaction.
Le Chapitre vingt - troifieme traite des
fourrages au verd & au fec : on y donne
une méthode pour connoître par des calculs
d'approximation la quantité de fourrage
en herbe qu'un terrein peut contenir ,
ou de fourrage fec qui eft enfermé dans des
granges de figures & de grandeurs différentes.
Il eft certain que la précifion géométrique
n'eft point de l'effence de femblables
fupputations : c'est beaucoup de
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
pouvoir fournir aux Officiers chargés de
certe befogne , une forte de fil qui les conduife
au travers de ce labyrinthe , & leur
défigne par des à-peu près l'état des chofes.
Je confeille à tout Officier de lire
comment on doit fe comporter en cas que
le fourrage foit infulté. On preferit ici des
regles pour la défenfe de même que pour
l'attaque tout y porte l'empreinte de l'expérience
& de la capacité . Ce qui regarde
la conduite ou l'attaque d'un conyoi ,
fait la matiere des Chapitres vingt- quatre
& vingt- cinq,
Le vingt - fixieme traite du paffage des
Rivieres , fujet intéreffant auquel nous
nous attachons trop peu. La néceffité de
porter à la nage un Corps de Cavalerie &
d'Infanterie au- delà d'une Riviere pour
former une tête , & affurer l'établiffement
d'un Pont , fe fait fentir en mille occafions
à la guerre . Comment le tenter fi la
Cavalerie ne fçait pas nager ? Rien de plus
effentiel donc que de dreffer les hommes
& les chevaux à cet exercice : « & il n'eft
» rien de plus aifé que de le leur apprendre
: il ne faut aux hommes que de la
» confiance & de l'habitude , car pour
» les chevaux ils nagent naturellement &
» fort longtemps » . "
Le vingt-feptieme Chapitre nous inf
OCTOBRE. 1756. 123
truit d'abord de l'emplacement ordinaire
de la cavalerie dans les batailles ; l'Auteur
paffe enfuite au mêlange de l'Infanterie
avec la Cavalerie qu'il condamne à
tous égards , & ne paroît guere perfuadé
de l'utilité que les Anciens en ont retiré.
L'inquiétude que nos armes à feu caufent
aux chevaux , & le dérangement que le
bruit , la flamme & la fumée peuvent mettre
dans les Efcadrons , font les meilleures
raifons qu'on puiffe apporter contre ce
mêlange,
Il eft queſtion dans le Chapitre vingthuitieme
de la ligne tant pleine que vuide,
& de la ligne pleine : on préfere ici les intervalles
égaux au front de chaque Eſcadron,
& l'on ajoute qu'il eft aisé d'arriver,
fi l'on veut, à l'ennemi , formant une ligne
pleine de Cavalerie , en faisant marcher
au pas la premiere ligne , & la feconde
au trot.
Les Corps de réferve font l'objet du Chapitre
fuivant. L'Auteur propofe d'en avoir
trois : un de Cavalerie derriere le centre ,
deux autres placés dans un certain éloignement
derrière les aîles de Cavalerie , &
qui feroient compofés de bataillons difpofés
en colonne ou en coin ; ces bataillons
laiffant entr'eux de grands interval-
» les , ferviroient de point de ralliement
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
» & arrêteroient la pourfuite de la Cavale-
" rie victorieufe de l'ennemi .... » . Vous
voyez , Monfieur , que ceux qui élevent
le plus la Cavalerie , & qui penfent qu'elle
peut fe foutenir par fes propres forces
font quelquefois obligés de reconnoître
l'utilité des fervices qu'elle peut retirer de
l'Infanterie. Les Partifans outrés de celleci
, ne manqueront pas de remarquer ce
paffage.
Pour nous convaincre de l'utilité de la
Cavalerie dans les batailles , fujet du Cha-.
pitre trentieme , l'Auteur nous donne
une defcription très-détaillée & très inté
reffante de la bataille de Rocroi . Lorſque
la relation de M. De la Chapelle parut ,
elle fut regardée comme un chefd'oeuvre
en ce genre : nous croyons que
celle - ci ne paroîtra pas inférieure.
Tous les faits y font racontés avec beaucoup
d'ordre & de préciſion : nul de ceux .
qui peuvent fervir d'inſtruction , ou qui
regardent les grandes manoeuvres des deux
armées n'y eft omis : c'eft un vrai tableau.
L'Auteur vous conduit , comme par la
main , fur le champ de bataille , & vous y·
fait obferver tous les mouvemens des François
& des Efpagnols , la difpofition des
deux armées , l'avantage fucceffif des deux
aîles droites , la manoeuvre pleine de faOCTOBRE
1796. 125
geffe du grand Condé , lorfqu'abandonnant
la pourfuite de l'Ennemi , il vint par
le derrière des lignes de l'Infanterie Efpagnole
, tomber fur fa Cavalerie de la droite
qui renverfoit tout devant elle ; action
mémorable qui décida du fuccès de cette
grande journée. Le plaifir que j'ai eu en
lifant ce morceau ne m'aveugle point :
c'eft fur ce modele que toutes les relations
des grands combats devroient être faites .
Tous les fervices que l'on retire de la
Cavalerie quand il s'agit de former ou de
foutenir un fiege , font detaillés dans le
Chapitre trente- un. On y trouvera des
idées neuves à ce fujet , & quoique la
matiere foit traitée d'une façon un peu
trop générale , je ne crois pas qu'on y touve
rien de déplacé.
L'Auteur ayant fuivi la Cavalerie dans
toutes les opérations de la guerre , où l'on
ne peut s'en paffer , & ne s'étant jamais
écarté du but qu'il s'étoit propofé , d'inftruire
les Officiers deftinés à fervir dans
ce Corps , termine fon Ouvrage en propofant
modeftement les moyens qu'il croit
les plus propres à nous procurer un bonne
Cavalerie pour la guerre.
HISTOIRE OU Police du Royaume de
Gala , traduite de l'Italien en Anglois , &
F iij
125 MERCURE DE FRANCE.
de l'Anglois en François , par M. l'Abbé
de Brancas ; chez Jombert , rue Dauphine.
LETTRES pour fervir de fuite à l'Hiftoire
du Royaume de Gala , par le même Auteur
& chez le même Libraire.
La Voix du vrai Patriote Catholique ,
oppofée à celle des faux Patriotes tolérans .
Brochure de 230 pages , qui fe vend chez
Hériffant.
ESSAI de réunion des Proteftans aux.
Catholiques Romains. Brochure de 244
pages , chez le même Hériffant , rue neuve
Notre-Dame , à la Croix d'or & aux trois
Vertus ; avec Privilege du Roi. Ces deux
Ouvrages font faits par deux hommes d'un
efprit bien différent. Le premier , qui fe
dit Patriote & fe croit tel , ne peut enviſager
qu'avec terreur les idées de tolérance
en faveur des Proteftans , par lesquelles des
Ecrivains zélés fe font diftingués depuis
quelque tems. Il attaque peut-être avec trop
d'aigreur les Proteftans. On peut dire que
l'implacable Jurieu , dans le parti de l'erreur
, n'écrivoit pas avec plus de fiel : c'eft
faire tort à la vraie Religion . Ce n'eft jamais
par des farcafmes que la voix du Patriote
Catholique doit fe diftinguer parmi les
voix qui en attaquent les intérêts ou qui les
défendent.
OCTOBRE. 1756. 127
Le fecond eſt un homme de bon fens ,
qui parle avec douceur , raiſonne avec
force & décide avec modeftie. Il voudroit
la réunion des deux Religions , il eft plein
de ce qu'il dit , & il modere fon zele ; il
ne laiffe paroître que fa raifon . Il prouve
que l'Eglife Romaine a retenu tout ce qui
eft néceffaire au falut, & rejetté tout ce qui
pourroit y faire obftacle , & il conclur ,
par le propre principe des Proteftans , qu'ils
s'en font féparés fans aucun fujet légitime ,
& qu'ainfi ils ne doivent pas faire difficulté
de s'y réunir.
LETTRES de Madame de S.... à M. de
Pompone , brochure de 73 pages , qui ſe
vend chez Guillyn , Quai des Auguftins.
C'eft le coeur de Madame de Sévigné qui
s'ouvre à un ami tendre fur le fort d'un
ami malheureux . Ce font des détails trèsintéreffans
& très- fideles une peinture
vive vous repréfente l'infortuné Fouquet
dans toutes les circonftances de fa malheureufe
affaire ; c'est tout le procès mis en
action. Vous le voyez aux pieds de fes
Juges , vous entendez fes réponfes , vous
croyez apprendre ce que vous fçaviez ,
vous le croyez innocent , & vous le fuivez
dans fa prifon où vous le trouvez trop
puni . Perfonne ne peignoit comme Mada-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
me de Sévigné. Ses nouvelles Lettres font
égayées par une anecdote que peu de gens
fçavoient , & que tout le monde fera bien
aife de fçavoir. Voici comme elle s'exprime
elle - même ; il n'appartient qu'à elle de
raconter. « Il faut que je vous conte une
petite hiftoriette qui eſt très- vraie & qui
» vous divertira. Le Roi fe mêle depuis
»peu de faire des vers ; Meffieurs de Saint-
Agnan & Dangeau lui apprennent com-
» ment il faut s'y prendre. Il fit l'autre
» jour un petit Madrigal que lui -même ne
» trouva pas trop joli . Un matin il dit au
บ Maréchal de Grammont : M. le Maréchal
, lifez , je vous prie , ce petit Madrigal
, & voyez fi vous en avez jamais
vu un fi impertinent ; parce qu'on fçait
que depuis peu j'aime les vers , on m'en
apporte de toutes les façons. Le Maré-
» chai , après avoir lu , dit au Roi : Sire ,
votre Majefté juge divinement bien de
»toutes chofes ; il eft vrai que voilà le
plus for & le plus ridicule Madrigal que
j'aie jamais lu . Le Roi fe mit à rire , &
» lui dit : N'eft- il pas vrai que celui qui
» l'a fait eſt bien fat ? Sire , il n'y a pas
» moyen de lui donner un autre nom.
» Oh bien ! dit le Roi , je fuis ravi que
vous m'en ayez parlé fi bonnement , c'eft
» moi qui l'ai fait. Ah ! Sire , quelle tra-
"
"
OCTOBRE . 1756. 129
» hifon ! que votre Majefté me le rende ,
je l'ai lu brufquement. Non , M. le Ma-
» réchal : les premiers fentimens font tou-
»jours les meilleurs. Le Roi a fort ri de
" cette folie , & tout le monde trouve que
» voilà la plus cruelle petite chofe que
l'on puiffe faire à un vieux Courtifan. »
Il vient d'être imprimé un MEMOIRE à
confulter pour la Demoiſelle Frechou ,
Maîtreffe Sage-Femme ; & dans ce Mémoire
, on juftifie pleinement la Demoifelle
Frechou de l'imputation calomnieuſe
qui lui a été faite d'avoir par impéritie ou
mauvaiſe foi bleffé la femme de Jean-
François Colin , Employé au Bureau du
Tabac , décédée peu de temps après fa
prétendue guérifon, d'autant plus qu'à la
fuite de ce Mémoire fe trouve imprimé un
procès- verbal de vifite faite par les Médecins
& Chirurgiens du Châtelet du cadavre
de la femme Colin , lequel procèsverbal
conftate que la mort prefqu'auffitôt
furvenue de cette femme , n'a été que
la fuite de la longue maladie qu'elle avoit
eue , & qui l'y a néceffairement conduite.
Ce Mémoire fe vend à Paris , chez
Mufier , Quai des Auguftins à l'Olivier.
A Rouen , chez Etienne Machuel , rue
Saint- Lo , vis- à- vis la porte du Palais ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
& à Lyon , chez Duplain , rue Merciere ,
à l'Hercule .
Avis fur une nouvelle édition de l'Hif
toire de Louis XIII , par le Vaffor , in-4° .
7 volumes. A Amfterdam.
*
Cette Hiftoire , qui a occupé jufqu'ici
dix-huit volume in- 12 , va paroître en
fept volumes in quarto. L'on ajoute dans
cette édition ce qui a toujours manqué dans
toutes les autres , & qui eft cependant néceffaire
dans un ouvrage de cette étendue :
c'eſt une Table alphabétique très- ample ,
au moyen de laquelle il fera facile de trouver
dans un inftant différens traits que
fouvent l'on chercheroit inutilement fans
ce fecours .
Les perfonnes qui fouhaiteront s'affurer
des exemplaires . pourront le faire , par forme
de foufcription, pour le prix de.. 51 liv .
Sçavoir , en foufcrivant ... 30 liv.
Et en retirant l'exemplaire , le
premier Janvier 1757.
......
21 liv.
Ce Livre fe trouvera chez les principaux
Libraires de l'Europe ; & à Paris , chez
Giffart , rue S. Jacques ; Nyon, Quai des Auguftins
; Briaffon , rue S. Jacques ; David ,
que des Mathurins ; Ganean , rue S. Seve
OCTOBRE. 1756. 731
rin ; Bauche , Quai des Auguftins ; Durand,
rue du Foin ; Cavelier , rue S. Jacques ;
Guillyn , Quai des Auguftins ; Piffot , Qui
de Conti..
L'on ne pourra s'affurer des exemplaires
que jufqu'au premier Janvier 1757 ; paffé
lequel temps , ceux qui n'en auront pas
retenu les paieront , s'il en refte encore ,
70 liv.
On foufcrira chez les mêmes Libraires ,
pour le Supplément au Livre de l'Antiquité ,
expliquée & repréfentée en figures , contenant
les Dieux & le culte des Grecs ,
des Romains , des Egyptiens , des Gaulois
, les habits & les ufages de la vie. La
guerre , les Ponts , les aqueducs , la navigation
, les Places , les Tours octogones ,
& les funérailles ; par Dom Bernard de
Montfaucon , Religieux Bénédictin de la
Congrégation de Saint Maur, in fol. s vol.
imprimé fur de très beau papier.
Tout le monde connoît le mérite de cet
Ouvrage , dont on a vendu un nombre confidérable
des dix premiers volumes ; &
comme beaucoup de perfonnes n'ont pa
avoir le Supplément , qui n'avoit été tiré
qu'à un petit nombre , on s'eft déterminé à
faire ufage d'un nombre de corps des Planches
qui avoient été destinées à une édi
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
tion en langue étrangere , qui n'a pas eu
lieu.
Comme ces planches font très bien imprimées
& de bonnes épreuves , on a cru
devoir réimprimer le Difcours ; & c'eft ce
qu'on propofe par foufcription , fçavoir :
Les cinq volumes du Supplément en grand
papier en feuilles , à .
•
90 liv.
Et le papier
ordinaire
.
75 liv.
Les perfonnes
qui voudront
en retenir
des
Exemplaires
, pourront
le faire
en payant
d'abord
, pour
le grand
papier
... 45 l.
En retirant
l'Exemplaire
, au premier Janvier
,
Et pour le papier ordinaire
feuilles. •
Et en retirant l'Exemplaire. · • • •
3
45
aufli en
39 liv.
36 liv.
75
L'on ne recevra des foufcriptions que
jufqu'au premier Janvier 1757 : paffé lequel
temps , s'il refte quelques Exemplaires
, on les vendra :
Sçavoir , le grand papier.
Le papier ordinaire..
150 liv.
• 100 liv.
OCTOBRE. 1756. 133
PRIX d'Eloquence & de Poésie , propose
par l'Académie Françoise pour l'année
1757.
LE 25 du mois d'Août 1757 , fête de
S. Louis , l'Académie Françoife donnera
deux Prix , un d'Eloquence & un de Poéfie
, qui feront chacun une Médaille d'or
de la valeur de fix cens livres. Elles propofe
pour fujet du Prix d'Eloquence : Les bienféancesfont
des Loix pour le fage. Il faudra
que le Difcours ne foit que d'une demiheure
de lecture au plus. On ne recevra
aucun Difcours fans une Approbation fignée
de deux Docteurs de la Faculté de
Théologie de Paris , & y réfidans actuellement.
Le même jour , elle donnera le Prix de
Poélie , à un poëme d'environ cent vers
Alexandrins , dont le fujet fera au choix
des Auteurs. Mais en même temps elle
avertit que les Pieces connues de quelque
maniere que ce foit , feront mifes au
rebut.
Toutes perfonnes , excepté les quarante
de l'Académie , feront reçues à compoſer
pour ce Prix. Les Auteurs ne mettront
point leur nom à leurs Ouvrages , mais
ils y mettront un paraphe, avec une Senten134
MERCURE DE FRANCE.
ce ou Devife telle qu'il leur plaira. Ceux
qui prétendent aux Prix , font avertis que
les Pieces des Auteurs qui fe feront fait
connoître , foit par eux-mêmes , foit par
leurs amis , ne concourront point ; & que
Meffieurs les Académiciens ont promis de
ne point opiner fur celles dont les Auteurs
leur feront connus.
Les Auteurs feront obligés de faire remettre
leurs Ouvrages avant le premier
jour du mois de Juillet prochain à M. Brunet
, Imprimeur de l'Académie Françoife
, rue S. Jacques , & d'en affranchir le
port : autrement ils ne feront point retirés.
OCTOBRE . 1756 . 135
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
IL
HISTOIRE.
n'y a point de Lecteur affez borné
pour n'avoir pas apperçu que l'objet de
M. de Saint- Foix dans fes Effais hiftoriques ,
n'a pas été de rapporter fimplement des
anecdoctes , mais de faire connoître par
des anecdotes les anciennes moeurs , les
ufages & les coutumes de la Nation . La
troifieme partie n'eft pas encore entiérement
imprimée ; mais nous ne craignons
point d'avancer que ce que nous en avons
vu eft bien fupérieur aux deux premieres.
C'eft une façon nouvelle d'écrire l'hiftoire
; on eft fans ceffe attaché , entraîné , &
l'on n'a point de doutes fur les faits. Quelles
recherches ! quelle critique ! quelle
force de raifonnement ! quel ftyle ! L'article
de nos guerres avec les Anglois depuis
Guillaume le Conquérant , jufqu'au
regne de Charles VII , eft d'autant plus
Curieux , que l'Auteur cite fans ceffe les
136 MERCURE DE FRANCE.
Ecrivains Anglois même & les actes de
Rymer : ainfi nos ennemis n'ont rien à
répondre. Il y a des traits de la plus grande
force fous les regnes de Philippe Augufte ,
de Louis VIII , de Saint Louis & de Philippe
le Bel ; mais on ne peut pas les féparer
du reſte. Voici un morceau que
nous avons pu détacher ; c'eft au fujet des
prétentions d'Edouard 111 à la Couronne
de France : il n'y a qu'à lire tous nos Hiftoriens
, on fera étonné de leur négligence
, du peu de raifon ou des mauvaifes
raifons qu'ils apportent. Il femble qu'ils
n'entendoient pas la matiere qu'ils traitoient
; je crois que l'on va trouver que
M. de Saint- Foix eft bien clair , bien convainquant
, & qu'il ne laiffe rien à défirer
fur une queftion fi finguliere.
Le fonds du caractere d'une Nation ne
change point : tous les Hiftoriens qui ont
parlé des commencemens de notre Monarchie
, peignent le François vif, fier ,
colere , fondant avec impétuofité fur tout
ce qui lui réfifte ; généreux , conftant ,
magnanime dès qu'il a vaincu : il fait affeoir
, difent-ils , fon prifonnier à fa table
; il lui donne place dans fa tente ,
fouvent il lui rend fes armes & dort à
côté de lui d'un fommeil tranquille ; il a
défarmé le bras , il croit avoir dompté le
OCTOBRE . 1756. 137
coeur & la haine. Nous avions rendu la
Guyenne & Ponthieu aux Anglois , nous
les laiffions parmi nous , nous dormions
fur la foi des alliances & des traités : le
réveil fut terrible ; nos Rois avoient toujours
fermé les yeux fur la néceffité d'affu
rer le repos de leur peuple , ils avoient
épargné trop de fois un ennemi arrogant
& inquiet ; le ciel permit enfin qu'il
ébranlât leur trône .
* Avant de
que
les événemens
rapporter
de la guerre qu'Edouard III déclara à Philippe
de Valois , il faut examiner fi fes
prétentions à la couronne de France
étoient bien fondées .
Les femmes , chez les anciens peuples
de la Germanie , n'apportoient point de
dot à leurs maris ; elles n'héritoient point
de leurs peres , & la fucceffion de leurs
freres , s'ils mouroient fans enfans mâles ,
paffoit à l'oncle paternel ou à fes fils .
Il n'eft pas douteux que les Loix faliques
furent rédigées ( fous le regne de Pharamond
ou de Clovis ) fur les ufages & coutumes
des Germains. L'article 62 de ces
loix rappellées dans les capitulaires de
Charlemagne , porte ( 1 ) à l'égard de la
terre falique , il n'en peut venir aucune por-
(1) Lex Salicæ Caroli Magni , tis. 62 , part. 6,
138 MERCURE DE FRANCE.
tion aux filles , mais toute l'hérédité doit aller
au fexe viril. Marculphe qui écrivoit vers
l'an 660 , fait parler un pere qui dit à fa
fille , ( 1 ) nous obfervons une Loi barbare
qui ne fouffre pas que les foeurs partagent
avec leurs freres. L'objet de cette loi étoit
d'empêcher que le bien ne fortît des familles
Françoiſes , c'eſt-à- dire des familles
Nobles , des familles des Conquérans , &
ne paffât à des étrangers . On voit au même
article 62 , que les filles étoient admiſes à
partager dans les terres ( 2 ) que les Vainqueurs
n'avoient point retenues pour eux ,
& qu'ils avoient laiffées aux Gaulois.
Childebert , fils de Clovis , n'eut que
(1) Marculp. liv. 2 , fol. 12.
(2) Il y avoit deux fortes de terres héréditaires ;
ou aleuds , les faliques & non faliques : les premieres
ne pouvoient être poffédées que par les
Conquérans , & même par les mâles ; les aleuds
non faliques étoient les terres qu'on avoit laiffées
aux naturels du pays , en toute propriété & indépendantes
de toute mouvance particuliere ; les
filles y partageoient avec leurs freres . La fucceffion
d'un Gaulois ou d'un Romain pouvoit paffer
à un François qui époufoit fa fille , au lieu qu'un
Gaulois ou un Romain qui époufoit une Françoiſe
, n'avoit rien à eſpérer dans la fucceffion du
pere , des freres & des parens François de fa
femme. L'Abbé du Bos pour foutenir fon abominable
fyftême , tâche toujours de confondre los
terres faliques avec les bénéfices militaires.
OCTOBRE. 1756. 139
1
des filles ; fon frere Clotaire I lui fuccéda.
Après la mort de Charibert , qui ne laiffa
point d'enfans mâles , Berthe ( 1 ) fa fille
aînée, ne prétendit point au trône.Gontran
en défignant Childebert II , fon neveu , pour
fon fucceffeur , fe contenta de lui recommander
fa fille Clotilde ( 2 ) , & de lui faire
promettre qu'elle ne feroit point troublée
dans la jouiffance des biens qu'il lui laifferoit
par fon teftament . Tous nos Hiſtoriens
ont oublié de citer l'exemple de Judith
, fille de Charles le chauve ; ni elle
ni fon fils Baudouin , Comte de Flandres ,
ne reclamerent point la couronne , lorfque
les Grands du Royaume y appellerent Charles
le gros , fon coufin. Enfin dans toute
notre hiftoire , fous la premiere , la feconde
& la troifieme race , pendant près de neuf
cens ans jufqu'en 1316 , on ne voit aucune
Princeffe qui ait prétendu fuccéder à fon
pere.
Louis Hutin mourut le trois de Juin
1316 , & ne laiffa qu'une fille ; mais la
Reine fa veuve étoit enceinte : le Prince
dont elle accoucha le 14 de Novembre
n'ayant vécu que huit jours , Philippe le
long qui avoit été déclaré Régent à la mort
de fon frere Louis Hutin & pendant la
(1) Mariée à Ethelbert , Roi de Kent.
(2 ) Gregor. Turon , liv. 4 , ch. 20.
140 MERCURE DE FRANCE.
groffeffe de la Reine , paffa de la Régence
à la Royauté , & fut facré à Rheims le 9
de Janvier 1317. Le Duc de Bourgogne
& le Comte de la Marche protefterent contre
fon facre , difant qu'il falloit auparavent
examiner fi la fille de Louis Hutin
n'avoit pas de juftes prétentions à la Couronne
: (1 ) On peut inferer , dit Rapin de
Toiras , de la résistance de ces Princes du
Sang ( & contre leurs propres intérêts ) que
la Loi Salique ne paffoit pas alors pour inconteftable.
Un Hiftorien impartial & de
bonne foi auroit dit qu'on pouvoit inférer
de la conduite finguliere de ces Princes ,
que de petits intérêts particuliers & des
inimitiés perfonnelles les animoit contre
Philippe le long ; il auroit ajouté que ce
n'étoit pas certainement l'efprit de juftice
qui guidoit leurs démarches , puifque cinq
mois auparavant ( le 17 de Juillet 1316 ) ,
de leur confentement , de l'avis de tout le
Confeil , de celui des autres Princes du
Sang & des Barons , il avoit été arrêté &
figné que fi la Reine n'accouchoit que d'une
fille , la couronne de France iroit de
droit à Philippe le long , mais que celle
de Navarre appartiendroit à la fille de
Louis Hutin , parce que les filles ne font
point exclufes de cette Couronne.
(s) Tom. 3, pag. 169.
1
OCTOBRE . 1756. 141
Philippe le long , pour ôter tous prétextes
aux mécontens , convoqua une Aflemblée
des Grands de l'Etat . ( 1 ) Elle ſe tint
le deux de Février 1317 ; prefque tous les
Evêques du Royaume s'y trouverent ; l'U-
-niverfité y fut appellée . On décida unani-
Imement ( 2 ) que les loix & la coutume inviolablement
obfervée parmi les François ,
excluoient les filles de la Couronne . Le Comte
de la Marche & le Duc de Bourgogne
foufcrivirent à cette décifion .
"
Philippe le long n'ayant point laiffé
e d'enfans mâles , Charles le bel , fon frere ,
lai fuccéda fans nulle oppofition , & ce
fut une nouvelle confirmation de la Loi
es falique. Charles le bel ne laiffa auffi qu'ueine
fille , & la Reine fa veuve enceinte . Il
e fut donc queftion , comme à la mort de
eLouis Hutin , de nommer un Régent , &
q de choifir , felon l'ufage , celui des Princes
du Sang que la loi appelloit à la Couronne .
le Sila Reine n'accouchoit pas d'un garçon :
du Edouard III prétendit qu'il étoit ce Prince ,
&& qu'on devoit par conféquent lui déférer
la Régence. Il envoya des Ambaſſadeurs à
de Paris , qui plaiderent fa caufe à la Cour des
le Pairs & devant tout le Baronnage de France
deaffemblé . Ils n'avoient pas négligé , difent
(1) Papiremafon.
(2) Mezeray.
Ont
142 MERCURE DE FRANCE.
les Chroniques , de tâcher d'appuyer leurs
raifons par de magnifiques préfens & de
belles promeffes , faifant d'ailleurs entendre
aux Seigneurs que plus le Souverain
eſt éloigné , moins le Vaffal eft dans la
dépendance. Malgré leur éloquence , leurs
intrigues & tout l'or qu'ils répandirent , la
Régence fut adjugée à Philippe de Valois ,
comme préfomptif héritier du trône .
Edouard le plaignit amérement de cet Arrêt
dans une Affemblée du Parlement d'Angleterre
il y expofa fort au long fon prétendu
droit à la Couronne de France. Il
paroît à la façon dont s'expliquent les
Hiſtoriens Anglois, ( 1 ) que fon Parlement
même n'eut pas la complaifance de trouver
fes raifons valables. Je vais les rapporter
& les réponſes de Philippe de Valois , en
expofant l'état de la queſtion.
Philippe le Bel & Charles , Comte de
Valois , étoient fils de Philippe le Hardi .
Philippe le Bel eut trois fils & une fille
( Louis Hutin , Philippe le Long , Charles
le Bel , & Ifabelle mariée à Edouard II &
mere d'Edouard III ). Louis Hutin , Philippe
le Long & Charles le Bel ne laifferent
que des filles ; ainfi Philippe de Valois
leur coufin - germain ( fils de Charles deValois
) étoit l'héritier le plus proche en ligne
(1 ) Rapin de Toiras , t. 3 , p. 158,
A
C
"
"
PHILIPPE leHardi ,Roi deFrance .
PHILIPPE leBel ,Roi deFrance .
Jq,uEiANNE
>
PHILIPPE leLong ,Roi de
France ,mourut en1321 .
CHARLES
CHARLES ,Comte
deValois ,fon frere .
I, SABELLE
leBel ,Roi demere d'Edouard
France ,mourut III .
en1328 ,&ne MARGUElaiffa
qui que des fil-
>
les ,qui n'eurent
point depofté-
RITE
éLpoouuissa
CFdloeamnt-e
LOUIS HUTIN
Roi deFrance ,
mourut en1316 .
>
JEANNE ,qui
Pé,hpioluispape
dC. 'oEmvtreeux
,éEIpuVoduefsa
dDBeouucrgo-
RdMoeaiuvais
•
Navarre
>
CHARLES le
.gne .
PHILIPPE
Comte d'Artois ,
néennéen1323 .
dre .
a
2332 .
LOUIS le
.Mák
r.ité
PHILIPPE
de Valois ,Roi
de France .
144 MERCURE DE FRANCE.
mafculine. Il ne s'agiffoit pas , dit Rapin de
Toiras , entre Edouard III & Philippe de
Valois , de fçavoir s'il y avoit une Loi qu'on
appelloit falique qui excluoit les femmes de la
fucceffion à la Couronne. Soit que cette loi
fut réelle ou que ce ne fût qu'une chimere ,
Edouard & Philippe avoient également intérêt
à la faire valoir , puifqu'elle étoit l'unique
fondement des prétentions de l'un & de
Pautre : fans cette loi , la couronne auroit incontestablement
appartenu à Jeanne , fille de
Louis Hutin..... Philippe le Long & Charles
le Bel n'y auroient pas eu de droit , & par
confequent Isabelle leur foeur n'auroit pas pu
yprétendre ; d'ailleurs fi la Loi falique n'avoit
pas eu lieu , Edouard n'auroit eu lui- même
aucun droit à la Couronne , puifqu'il aureit
été précédé par les filles de Philippe le Long
de Charles le Bel ; il n'avoit donc garde
de contefter l'autorité de cette Loi.
Elle porte, difoit Edouard (1 ) , que le plus
prochain hoir mâle doit fuccéder. Elle exclut
les femmes à cause de la foibleſſe de leur
fexe , mais fon intention n'a pas été d'exclure
les mâles iffus des femmes. Je conviens
, ajoutoit- il , que ma mere n'a aucun
droit à la couronne en qualité de femme
(2 ), mais je foutiens qu'elle me donne le
(1) Leibnitz , cod. diplo. t . 2 , p. 66.
(2) Rob. de Avebury.
droit
OCTOBRE. 1756. 145
;
droit de proximité qui me rend habile à
fuccéder en qualité de mâle. Je fuis plus
proche des derniers morts , étant leur neveu
, que Philippe de Valois qui n'eft que
leur coutin germain : c'eft donc à moi que
la couronne appartient.
La réponſe de Philippe confiftoit à faire
voir que depuis le commencement de la
Monarchie , il y avoit plufieurs exemples
de Reines à qui l'on avoit déféré la Régence
; que ce n'étoit donc pas à cause de
la prétendue foibleffe de leur fexe , que
les
filles n'étoient point admifes à fuccéder ;
que l'intention de la loi avoit été d'empêcher
que le fceptre ne paffär à un Prince
d'une autre nation , ou même d'une autre
maifon que celle à laquelle on s'étoit foumis
, la Nobleffe Françoife n'ayant point
entendu fe dépouiller de fon droit originaire
à la couronne , ou à l'élection d'un
Roi , en cas d'extinction de la famille
régnante ; que les fils des Monarquesétrangers
& des filles de nos Rois , n'avoient
jamais été qualifiés Prince du Sang de
France , & qu'enfin une mere ne pouvoit
tranfmettre à fon fils un droit qu'elle
n'avoit pas & qu'elle ne pouvoit jamais
avoir (1).
( 1) Baldus.
1.Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE .
Je ne fuis pas étonné que Rapin de
Toiras n'ait point cité une raifon que l'on
ne manqua pas fans doute d'oppofer encore
aux chicanes d'Edouard
; mais il eft
bien fingulier que Mezeray , le Gendre , Daniel , Choifi , & autres de nos Hiſtoriens
, ne l'ayent pas rapportée . Elle
acheve de mettre dans tout fon jour l'extravagante
injuftice du Monarque
Anglois.
Lorfque Charles le Bel mourut en
1328 , les filles de Philippe
le Long ,
avoient des enfans ( 1 ) mâles. Les petitsfils
de ce Roi n'excluoient
- ils pas fon neveu
Edouard , en fuppofant
qu'on eût admis
l'interprétation
que ce neveu vouloit
donner à la Loi Salique ?
Philippe de Valois , fix mois après fon
facre , envoya fommer Edouard de venir
lui rendre hommage pour le Duché de
Guyenne & le Comté de Ponthieu .
Edouard lui écrivit ( le 14 d'Avril 1329 )
(2 ) qu'il avoit deffein depuis longtemps de
s'acquitter de ce devoir , mais que diverfes
affaires qui lui étoientfurvenues , l'en avoient
empêché. Il rendit folemnellement cet hom-
,
(1 ) Philippe né en 1323 , fils de Jeanne fille
de Philippe le Long , & d'Eudes IV, Duc de Bour
gogne.
(2 Actes de Rimer.
(3) Rapin de Toiras , t . 3 , p. 469.
OCTOBRE. 1756. 147
mage dans la ville d'Amiens le 6 Juin ( 1 ) :
il le ratifia hommage- lige par fes Lettres
Patentes du 30 Mars 1331. La même année
il revint en France , fit un nouveau
traité au fujet des affaires de Guyenne , &
parut très- fenfible au procédé de Philippe ,
qui voulut bien lui accorder une diminution
de trente mille livres Tournois fur la
fomme dont on étoit convenu dans le
traité précédent. Au commencement de
l'année 1332 ( 2 ) , il fit propo'er le mariage
de fon fils avec la fille , & celui de
fa foeur (, ) avec le fils de Philippe. Il employa
les années 1333 , 34 , 3 ) & 36 ( 4 ) ,
à dépouiller du Royaume d'Ecoffe , par
les manoeuvres les plus fourbes & les plus
noires , David Brus un enfant , & qui étoit
fon beau-frere. En 1337 , excité par Robert
d'Artois , qui s'étoit réfugié en Angleil
feignit de nouveau d'être perfuadé
(s ) qu'il avoit ea raifon de réclamer la
( 1) Ibidem , p . 472.
(2 ) Ibidem , P. 477.
(3 ) Il faut convenir ou qu'il avoit renoncé à
fes vaines idées fur la Couronne de France , ou
qu'il étoit le plus perfide & le plus méchant de
tous les hommes.
(4) Ibidem , p . 166 .
( 5) Il en étoit fi peu perfuadé, que dans fa lettre
au Pape, en date du 30 de Janvier 1740, il dit : Que
fi Philippe de Valois lui avoit fait les moindres offres ,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
couronne de France . Il fit des alliances
avec l'Empereur & plufieurs Princes d'Allemagne.
Il foudoya des troupes de tous
les pays , & lorfqu'il fe crut en état de
commencer la guerre , il écrivit au Pape
qu'après la mori de Charles le Bel fon oncle ,
la couronne de France lui étoit dévolue comme
au plus proche héritier ; qu'il en avoit été
privé par un jugement injufte & précipité
que les Ambaffadeurs qu'il avoit envoyés à
Paris , n'avoient pas été écoutés ; qu'en ôtant
à un mineur une couronne qui lui appartenoit
légitimement , les Grands du Royaume avoient
agi moins en juges qu'en fcélérats & en brigands
, & qu'il proteftoit contre tout ce qui
s'étoit fait pendant fa minorité. Qu'auroit
dit Guillaume le Bâtard , fi du fond de
fon tombeau il avoit pu entendre un de fes
defcendans traiter ainfi la Nobleffe de
France !
Il étoit de notoriété publique que les
Ambaffadeurs (1 ) d'Edouard avoient plaiil
s'en feroit contenté ; & re verâ , fi nobis oblationem
, etiam mediocrem , tunc feciffet , ad vitandum
guerrarum difcrimina & expenfarum prefluvia
, fuper ea refponfionem rationabilem feciffemus.
Extrait des actes de Rymer . Rapin Toiras ,
L. 3 , P. 496.
(1 ) Le Pape étoit fi convaincu de l'injufte prétention
d'Edouard & de toutes les fauffetés dont
fa lettre étoit remplie , qu'il lui récrivit : Jamais
OCTOBRE. 1756. 149
'dé fa caufe devant la Cour des Pairs
quand il envoya demander la Régence
après la mort de Charles le Bel : il le dit
lui- même dans l'affemblée de fon Parlement
à Northampton , à la fin de Février
1328. Les Hiftoriens Anglois prétendent
que la veuve de Charles le Bel n'ayant
accouché que d'une fille , il donna à des
Ambaffadeurs un plein pouvoir ( en date
du 16 Mai 1328 ) ( 1 ) , pour demander la
couronne en fon nom. Il ne s'étoit pas
preffé , puifqu'il y avoit un mois & demi
que la Reine ( 2 ) étoit accouchée . Ces Ambaffadeurs
, s'ils pafferent en France , n'arriverent
vraisemblablement qu'après le
facre ( 3 ) de Philippe de Valois . S'ils demanderent
à être écoutés , ils ne durent
pas l'être , puifque le jugement de la Cour
des Pairs portoit , ( comme celui qui avoit
été rendu à l'égard de Philippe le Long , )
fi la Reine n'accouche que d'une fille , dès
l'inftant Philippe fera reconnu Roi.
Philippe ayant eu communication de la
Lettre d'Edouard au Pape , répondit : Ni
Surprise n'a été égal à la nôtre en apprenant que
vous prenez le titre de Roi de France.... quittez
ce titre....
(1) Ibidem , p. 468.
(2 ) Elle acoucha le premier d'Avril .
(3) Il fut facré à Rheims le 28 de Mai .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
moi , ni le Roi d'Angleterre ne pouvions
être juges dans notre propre caufe : elle
fut plaiée à la Cour des Pairs & devant
tous les Hauts Barons affemblés. Ils déciderent
unanimement que mon droit étoit
inconteſtable : jamais Edouard, même dans
fon Parlement , n'a fait de proteftations
contre cette décifion . Il y a acquiefcé pendant
plus de neuf ans , comme tous les autres
Potentats de l'Europe . L'allégation de
fa minorité eft ridicule & frivole mais
en fuppofant qu'elle fût admiffible , fon
Parlement ( 1 ) l'avoit déclaré majeur , &
il gouvernoit par lui-même en 1331 , lorf
qu'il m'envoya fes Lettres Patentes par
lefquelles il déclaroit & faifoit ferment
qu'il étoit mon homme- lige ( 2 ) , & qu'il
me ferviroit envers & contre tous. Cet
acte a été fuivi de plufieurs autres , &
nommément d'un plein pouvoir que fes
Ambaffadeurs m'ont préfenté cette année
1337 , par lequel il les autorife à tranfiger
fur les affaires de Guyenne avec Philippe
illuftre Roi de France ,fon Seigneur.
(1 ) Rapin de Toiras , t . 3 , p . 163.
(2 ) Celui qui rendoit l'hommage-lige étoit à
genoux , tête nue , fans ceinture , fans éperons &
fans épée ; il prêtoit ferment fur l'Evangile , & ce
ferment le lioit à fon Seigneur perfonnellement ,
& à jamais.
OCTOBRE. 1756. 151
Croiroit-on qu'Edouard n'eut pas honte
de répliquer que s'il n'avoit pas fait de
proteftations publiques , il en avoit fait de
fecrettes dans fon Confeil Privé , par lefquelles
il avoit déclaré que par l'hommage
qu'il alloit rendre , il ne prétendoit pas porter
prejudice à fes droits fur la couronne de France
, ( 1 ) quand même il viendroit à le ratifier
par fes Lettres Patentes , & que ce n'étoit que
la crainte de perdre fes terres en France , qui
Pobligeoit à faire cette démarche ? Ainfi aucune
Puiffance ne peut compter fur les fermens
d'un Roi d'Angleterre & fur les traités
qu'elle figne avec lui : il aura toujours
protefté fécrettement dans fon Confeil
Privé , contre la paix qu'il fignoit , dès
qu'il croira voir quelque avantage à recommencer
la guerre.
Il feroit très- naturel de croire qu'Edouard
ayant pris la qualité de Roi de
France , quelqu'un de nos Rois a exigé
par un traité que les fucceffeurs de cet
homme inique continueroient de la prendre
, comme une note perpétuelle de fa
mauvaiſe foi , & de la honte des Anglois
chaffés du Royaume , quoique fecondés
par tant de Villes & de Provinces mécontentes
& rebelles. Voici à quelle occafion
(1 ) Ibidem , p. 159 .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
il prit ce titre dont fes fucceffeurs ont continué
de fe décorer , uniquement , difoit le
fameux Comte de Rocheſter , pour se conferver
le privilege ( 1 ) de guérir des écrouelles.
Les Flamans s'étoient de nouveau révoltés
: leur Comte s'étoit réfugié en France
: ils avoient pour chef Jacques Artevelle
, Braffeur de biere. Edouard & ce
Braffeur avoient befoin l'un de l'autre ; ils
furent bientôt amis. Mais les Flamans
refufoient de fe déclarer contre Philippe ,
parce qu'ils avoient promis avec ferment ,
le dernier Traité , de ne point porter
les armes contre le Roi de France leur Seigneur
fuzerain , & qu'ils s'étoient même
foumis à remettre deux millions de florins
à la Chambre Apoftolique , s'ils contrevenoient
à leur promeffe .
par
Artevelle leur perfuada qu'il étoit aifé
de lever le fcrupule qui les retenoit , en
engageant Edouard ( 2 ) à prendre le titre
(3 ) de Roi de France. Ils s'applaudirent
(1 ) Quelques Hiftoriens Anglois prétendent
que ce don vient de S. Edouard le Confeffeur.
( 2) Barnes.
(3 ) Quelques Hiftoriens prétendent qu'il avoit
pris ce titre dans une commiffion adreffée au Duc
de Brabant , en date du 7 d'Octobre 1337 ; mais
qu'il l'avoit auffi tôt quitté , voyant qu'aucun
Prince de l'Europe , même de fes alliés , ne vouloit
le lui donner. Il paroît par une Lettre qu'il
OCTOBRE. 1756. 153
d'avoir choisi un chef qui avoit tant d'efprit
, & propoferent cet expédient au Roi
d'Angleterre qui le trouva d'abord ridicule
: mais fon Confeil , dit Rapin de Toiras
( 1 ) , après y avoir bien réfléchi , approuva
ce moyen de faire entrer les Flamans dans
la Ligue. On voit qu'Edouard , s'il avoit
eu befoin des Juifs , auroit pris de même
le titre de Meffie . Il fit publier un Manifefte
par lequel il déclaroir à tout bon François
, que le Royaume de France lui étant
dévolu par la mort de Charles le Bel fon
oncle , felon la volonté de Dieu à laquelle il
écrivit à l'Archevêque de Cantorberi , le 21 Février
1340 , qu'il fentoit le ridicule d'avoir pris
cette qualité , & qu'il craignoit que fon Parlement
n'approuvat pas fon ufurpation : Qu'on ne
foit point furpris , dit - il , que nous ayons changé
notre fiyle ordinaire & que nous nous faffions nommer
Roi de France ; des raisons effentielles nous ont
néceffairement obligé à cette démarche ; nous vous
les expoferons , aux autres Prélats , aux Seigneurs
aux Communes dans le prochain Parlement.
Non mirantes ex hoc quod ftylum noftrum confuetum
mutavimus , & Regem Francia nos facimus
nominari : nam diverfæ fubfunt caufæ , per
quas hoc facere neceffariò nos oportet , & quas
vobis & aliis prælatis & Magnatibus , necnon
Comunitatibus ejufdem regni Angliæ ad dictum
Prlamentum pleniù exponemus , & c Rapin de
Toiras , t . 3. Extrait des actes de Rymer , p . 497.
(1 ) Pages 180º 495•
Gv.
154 MERCURE DE FRANCE.
ne vouloit pas s'oppofer , il étoit réfolu d'en
prendre l'administration , promettant fa protection
à ceux qui , à l'exemple des Flamands ,
le reconnoitroient pour leur Souverain.
Voilà l'époque de la jonction des fleurs
de lys & des léopards ; il faut remarquer
qu'Edouard fe qualifioit Roi de France ,
d'Angleterre & d'Irlande ; qu'il mettoit
les fleurs de lys au & 4 quartiers qui
font les plus honorables , & ( 1 ) que tous
fes fucceffeurs ont continué d'écarteler de
même jufqu'à Georges I , Electeur d'Hanovre.
Je ne fçais pas fice Prince , à ſon avé-›
nement au trône d'Angleterre , déclara
qu'il ne demeureroit point à Paris ; ce
qu'il y a de certain , c'eft qu'il eft le premier
qui a commencé à écarteler au i &
IV parti ; au I d'Angleterre , au II d'Ecoffe
; au II de France , au III d'Irlande.
(1) La Reine Anne continua toujours de por er
les mêmes armes jufqu'à fa mort , quoiqu'on eût .
réfolu , dit - on , de changer le grand fceau d'A
gleterre en 1706 , lors de l'union de ce Royaume
& de celui d'Ecoffe.
OCTOBRE. 1756. 355
AGRICULTURE
.
LETTRE
A Monfieur
Diderot.
Nous avons fouvent parlé , Monfieur ,
pas
de la découverte de M.Tillaye fur la nielle
des bleds . Le détail imprimé de fes premieres
expériences ne m'avoit convaincu
comme vous. J'ai été fouvent trompé fur
ces matieres ; & fans penfer que M.Tillaye
voulût abufer les autres , je croyois qu'il
pouvoit s'en impofer à lui -même . Je vous
ai dit que ces expériences fe répétoient à
Trianon , & que j'en ferois le témoin
fcrupuleux & le cenfeur. Je l'ai été avec
une attention que la défiance rendoit trèsvive.
Il faut l'avouer , j'ai vu la nature
elle-même développer peu à peu le fyftême
de M. Tillaye , & confirmer les conjectures
qu'il avoit faites. La maturité du
bled rend aujourd'hui ce réfultat tout - à-fait
fenfible. Il est démontré que la pouffiere
noire & fétide des grains niellés , cariés ,
ou comme vous voudrez les appeller , s'attache
aux autres grains & les corrompt .
Par- là fe perpétué cette pefte qui ravage
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
à
nos récoltes , & doit rendre très- mal - fain
le pain fait avec le bled qui en eft attaqué.
Il est démontré que la contagion eft ſi ſubtile
, qu'elle fe communique par les pailles
qui ont été touchées de la pouffiere noire ,
lorfqu'on les emploie comme engrais
fans être affez putréfiées : c'eft un point
ne pas oublier dans l'Encyclopédie , au
premier article où il pourra en être queftion.
Il eft enfin démontré qu'il y a des
remedes contre cette funefte maladie. M.
Tillaye en a employé plufieurs qui lui ont
complétement réuffi . C'eft un fpectacle
dont je voudrois que vous fuffiez témoin .
On voit ici une planche dont la femence
étoit du grain le mieux choifi , je l'ai vu
femer. Eh ! bien , Monfieur , cette femence
ayant été noircie de l'affreufe pouffiere ,
il en eft réfulté que toute la planche n'a
produit qu'un bled noir , infecte, & qu'on
ne peut approcher. Vous voyez tout à
côté le plus beau grain du monde , qui eft
le produit de la même femence , noircie
de même , mais enfuite leffivée avec des
préparations dont fans doute M. Tillaye
rendra compte. Ce contrafte eft répété une
vingtaine de fois , foit en bled d'hyver, foit
en bled de Mars. Si vous joignez à cela un
Mémoire dont j'ai été dépofitaire , qui a
été fais au moment de la femaille , qui
OCTOBRE. 1756. 157
contient un pronoftic hardi de ce qui doit
arriver à chaque planche , & dont aujourd'hui
l'état de chaque planche juftifie
la hardieffe , vous conviendrez que ceci
a toute l'évidence qu'on puiffe donner à
un fait. Vous connoiffez M. Tillaye , vous
êtes plus à portée que moi de le rencontrer
je vous prie , Monfieur , de vouloir
bien l'exhorter au nom de toute la terre ,
donner promptement au Public ceux de fes
procédés qui font les plus faciles & les
moins chers. On commence à femer les
bleds à la fin du mois prochain . Faites en
forte qu'il ne retarde pas fes bienfaits , que
nous en jouiffions tout à l'heure , & qu'il
jouiffe de la reconnoiffance de tous les
bons Citoyens. Je m'adreffe à vous , parce
que je fuis für que vous ne négligerez
rien pour que cela foit. Vous aimez les
hommes ; je voudrois bien qu'ils en valuffent
la peine , & qu'on pût étendre fur le
plus grand nombre l'eftime profonde que
vous méritez , & l'amitié tendre avec laquelle
j'ai l'honneur d'être , & c.
LE ROY.
A Versailles , ce 8 Août 1756.
158 MERCURE DE FRANCE.
CHIRURGIE.
DISSERTATION fur les effets de l'Or
LE 2
batın.
E 25 Janvier 1756 , je lus à l'Académie
Royale de Chirurgie un Mémoire touchant
le fuccès de l'application de la feuille
d'or fur une veine ouverte pour en arrêter
le fang. L'accueil flatteur que l'on m'y fit
touchant cette découverte , n'a fait qu'exciter
l'envie que j'avois de pourfuivre plus
loin mes recherches & d'en tenter de nouvelles
expériences. Je me croirois repréhenfible
de n'en pas faire part. Je vais
l'extrait de mon
commencer d'abord
Mémoire reçu à l'Académie.
par
De bien des faignées qui fe font foit au
pied , au bras , foit à la gorge , le fang
s'échappe par la réunion peu exacte des
deux levres , ou par quelques mouvemens
faits fans y penfer. Un malade alors eft
effrayé & peut même périr dans fon ſang ,
s'il eft feul on en a vu des exemples.
Souvent une faignée eft prife d'une légere
phlogofe , fuppure , & eft long -temps à ſe
fermer une goutte de fang , ou deux
OCTOBRE. 1756. 159
defféchées la chaleur du bras entre la
par
faignée , & la compreffe y formant un durillon
qui irrite , peuvent en être la cauſe :
avec la feuille on évite ces accidens . On
ne peut donc trop la recommander . D'ailleurs
il eft des cas où fans témérité & fans:
danger , on ne peut appliquer la bande &
la compreffe , comme dans les faignées de
jugulaire pour l'efquinancie , l'apoplexie ,
& autres maladies qui l'exigent. Le nouveau
moyen fans gêner le larinx , comme
le fait la bande circulaire , oppoſe une
digue invincible au fang , & produit , fans
inconvénient , une intime réunion . Je ne
m'arrête point ici à vouloir appuier fon
crédit & fon fuccès , en citant des faits
d'expérience , le rapport de l'Académie &
celui de MM . Morand , de Garengeot , le
Guefnery , nommés Commiffaires , fera
fuffifant. Il me refte à faire voir les effets
de mes nouvelles tentatives.
Quelle difficulté ne trouve-t'on pas tous
les jours à deffécher certains ulceres cutanés
? & quel temps ne faut- il pas pour y
parvenir ? Un fimple morceau de la feuille
appliqué l'efpace de vingt-quatre ou de
quarante huit heures , felon l'état du mal ,
les finit parfaitement . J'ai fait voir à M.
Morand un Invalide , qui avoit à la crête
du tibia un ulcere de la largeur d'une
160 MERCURE DE FRANCE.
piece de 24 fols. Les matieres emplaftiques
& les corps gras qu'on y mettoit , ne
faifoient qu'en enflammer la circonférence
, & l'agrandir : en 48 heures , par le
moyen de la feuille , l'inflammation dif
parut , & l'ulcere fut couvert de pellicules
farineufes qui tomberent d'elles- mêmes.
Je l'ai employée avec beaucoup de fuccès
fur les petits ulceres qui reftent au centre
du moignon, après l'amputation d'un membre
: ils réfiftent aux defficatifs les plus
vantés ; la partie graffe qui en fait la baſe ,
ne fait au contraire que dilacérer le tendre
tiffu de la cicatrice : ceci est d'après l'expérience.
Il est bien d'autres cas où l'uſage
de la feuille n'eft pas moins recommendable
, tels que dans les égratignures , excoriations
, contufions légeres , où les houppes
nerveufes fe trouvent à découvert , &
qui ne demandent qu'à être defléchées.
J'ai de mon côté des preuves de fon efficacité
, & chacun peut s'en convaincre .
«
BREBAN , Chirurgien Aide- Major de
l'Hôpital Militaire d'Avranches.i
Certificat de l'Académie de Chirurgie.
Ayant été nommés par l'Académie
» pour donner notre avis fur un moyen
d'arrêter fûrement & promptement le
› fang après la faignée , fans y employer
">
OCTOBRE. 1756. I
7
> ni compreffe , ni bande , mais feuleme
un fragment de feuilles d'or ou d'a
» gent battus , nous eftimons que ce moyen
» fera du goût de ceux qui fe plaignent
» ordinairement que la bande les incom-
» mode & leur fait mal . Nous portons
» avec d'autant plus d'affurance ce juge-
» ment , que nous avons d'abord vu pratiquer
plufieurs de ces faignées dans
» l'Hôtel Royal des Invalides avec le fuc-
» cès énoncé.
ود
"
» Que la feule application d'un fragment
de ces fortes de veffies pleines
d'air que l'on trouve dans les carpes , a
» arrêté le fang de façon , que les frictions
faites à l'inftant fur l'avant- bras , n'ont
» pu le faire fortir de la veine piquée.
» Enfin que l'un de nous a pareille-
» ment réuffi au bras & au pied dans l'effai
qu'il a fait de cette découverte. Fon-
» dés fur ces faits , nous croyons pouvoir
» engager l'Académie à faire ufage du
» Mémoire de M. Breban , Chirurgien
» des Invalides , & auteur de ce nouvel
» & ingénieux appareil . » Fait à Paris , le
25 Janvier 1756. Croiffant de Garengeot ,
le Guefnery , Commiffaires.
Je certifie cette Copie conforme à l'Original.
Morand, Secretaire perpétuel.
162 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Belles-Lettres de Marseille.
L'Académie tint , felon l'ufage , fa féance
publique le 25 Août , jour de Saint Louis.
M. Artaud , Directeur , en fit l'ouverture
par un Difcours où il agita cette queftion :
Lequel des fujets d'Eloquence eft plus propre
procurer un plus grand nombre d'Ouvra
ges
de concours , ou un fujet de Morale on
un purement Littéraire ? M. Artaud fe décida
en faveur de la Morale , jugement
qui peut -être ne fera point exempt de
contradictions. Il est cependant amené
avec beaucoup d'adreffe , & foutenu par
toutes les reffources du bon Orateur.
On lut enfuite le Difcours qui a rem-.
porté le prix. Cet Ouvrage eft du R. P.
Menc , Dominicain , déja couronné dans
la même Académie l'année précédente . Il
a prouvé très folidement & avec toutes
les graces du ftyle , que le bonheur eft plus
commun chez les Petits que chez les Grands.
C'étoit le fujet ptopofé.
M. Dulard , l'un des Académiciens
célebre par un grand nombre de palmes
littéraires obtenues aux Jeux Floraux ,
OCTOBRE . 1756. 163
furtout par fon Ouvrage fur la grandeur
de Dieu annoncée par les merveilles de la
nature , Ouvrage dont l'entrepriſe ſeule
eût fait honneur à fon génie , & dont le
fuccès l'a dignement payé de fon travail ,
fit la lecture d'un Poëme d'environ trois
cens vers fur la prise de Minorque , matiere
riche , précieufe à tout bon Citoyen ,
& parfaitement analogue aux circonftances.
Il fut accueilli avec d'autant plus
de fatisfaction & d'applaudiffemens
que l'eftimable Académicien a fçu joindre
le mérite de la compofition &
d'une poéfie noble & élevée , à celui que
fon Ouvrage tiroit de la conjoncture .
que
M. de Clairfontaines , Secretaire de
M. le Duc de Villars , & Affocié de l'Académie
, termina la féance par le dernier
Acte d'une Tragédie de fa façon.
Elle a pour titre les Adieux d'Hector &
d'Andromaque , l'un des plus beaux fujets
& des plus intéreffans que préfente Homere.
Il eft glorieux pour M. de Clairfontaines
d'avoir fçu faire ufage de ces
traits fublimes , de ces fentimens exprimés
avec tant de force & d'une maniere
fi pathétique , que lui fourniffoit le Prince
des Poëtes.
L'Académie a confirmé le fujer qu'elle
avoit donné il y a deux mois , pour le
164 MERCURE DE FRANCE.
prix de Poéfie de l'année prochaine 1757 .
C'est la Conquête de l'Ile de Minorque.
Ce fujet doit être traité en Ode , à l'exclufion
de tout Poeme. Le genre auquel
l'Académie aftraint les Auteurs , ouvre une
carriere bien plus libre à l'enthouſiaſme ,
dont le brillant événement , qu'on les
invite à célébrer , les animera fans doute .
Nous fouhaiterions que la plupart des
Académies de Province vouluffent bien
imiter la précifion de celle de Marſeille ,
ou réduire du moins àla moitié les Extraits
des Séances qu'ils nous envoient. La variété
que demande notre Recueil nous met dans
La néceffité de les en prier.
OCTOBRE. 1756. 165
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
Samedi 4 Septembre , l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture a tenu fa
féance publique. M. le Marquis de Marigny
, Secretaire de l'Ordre du S. Efprit ,
Directeur & Ordonnateur Général des
Bâtimens du Roi , Jardins , Arts , Académies
& Manufactures Royales , y a fait la
la diftribution des prix de Deſſein , de
Peinture & de Sculpture remportés par les
Eleves .
M. Dandré Bardon , l'un des Profeffeurs
de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , Profeffeur des Eleves protégés
par le Roi , pour l'Hiftoire , la Fable & la
Géographie , Membre de l'Académie des
Belles - Lettres de Marfeille & Directeur
perpétuel de l'Ecole académique des Arts ,
établie en cette même Ville , a lu une
166 MERCURE DE FRANCE.
Conference fur l'utilité que les jeunes Artiftes
peuvent retirer d'un cours d'hiftoire univer-
Jelle traité relativement aux Arts.
Son objet a été de rendre compte à
l'Académie de la maniere dont il traite
l'ouvrage auquel il travaille , afin de remplir
avec fuccès , pour la République des
Arts , le pofte dont le Roi lui a fait l'honneur
de le charger .
Il envifage l'hiftoire univerfelle comme
le flambeau des Arts. C'eft fous ce point
de vue , qui réunit tout l'intérêt que les
Artistes peuvent trouver dans l'hiftoire ,
qu'il fe propofe de la leur préfenter dépouillée
de tout ce qu'elle a d'inutile pour
eux , & orné de toutes les richeffes pittorefques
, de tous les principes & de toutes
les images dont elle eft fufceptible ,
relativement à leurs talens.
Il dirige fon ouvrage à la lueur des
deux grands flambeaux qui introduifent
dans le Temple des Arts , les préceptes &
les exemples : c'eſt ainſi qu'il réunit les
principes invariables & lumineux qui font
le corps de doctrine de la Peinture & de
la Sculpture , avec les exemples qui font
confignés dans les chef - d'oeuvres des
grands Maîtres.
Ce double objet forme la divifion de
cette Conférence.
OCTOBRE. 1756. 267
«Les récits hiftoriques ( dit l'Auteur en
» par ant de fon cours d'hiftoire univerfelle
» relative aux Arts ) s'y trouvent toujours
affociés avec les principes invariables
» de nos talens . Premiere obfervation .
22
» Les ouvrages des grands Maîtres qui
» ont traité une multitude de ces événe-
» mens , y rappellent à l'Artiſte les exemples
les plus précieux . Derniere obfer-
و ر
» vation . »
Il fait voir par quelques extraits de fon
cours d'hiftoire la maniere dont il le remplit.
Dans la premiere partie de fon Difcours
M. Dandré Bardon fe borne à l'expofition
de trois fujets fufceptibles des principaux
principes de la Peinture ; ordonnance pittorefque
, nobleffe des caracteres , effet
des lumieres.
Il fait l'application du premier dans une
vive & rapide defcription qu'il trace du
déluge univerfel. La déclaration de guerre
que les Romains firent aux Carthaginois
au fujet de la prife de Sagonte , lui fert à
faire ufage des principes qui concernent
la nobleffe des caracteres . Pour développer
ceux qui ont trait aux effets de lumiere ,
il a fait choix de l'apparition de l'ombre
de Samuel à Saül , opérée par les enchantemens
de la Magicienne d'Endor.
}
168 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur dévoile dans la feconde Partie
les principaux avantages que les jeunes
Artiftes trouvent dans les exemples merveilleux
d'imitation que fourniffent les
chef d'oeuvres des grands Maîtres.
Par la magnifique defcription qu'il fait
du frappement de roche du Pouffin , il
prouve l'importance de fixer , à l'exemple
des grands hommes , le plan d'un fujet
avant que de le tracer avec le crayon . Il
développe avec jufteffe les trois intérêts
principaux qui partagent l'attention du
fpectateur dans le chef - d'oeuvre de ce
grand Artifte : les tourmens de la foif,
"la fatisfaction de l'étancher , l'admiration
qu'excite le prodige, rappellent à l'idée
tout ce que ce fait offre de pathéti-
», que ,
d'intéreffant & de merveilleux .
» Ĉes trois fentimens forment , pour le
» dire ainfi , une efpece de divifion du
» difcours pittorefque du Pouffin . Eh !
quel Orateur parla jamais avec plus
d'éloquence qu'il le fait aux yeux des
"
33
"Connoiffeurs ! »>
Les juftes éloges que M. D. B. donne
au tableau de Rubens , repréfentant Thomiris
qui fait tremper dans le fang la tête
de Cyrus , lui fervent à montrer que plus
les modeles qu'un jeune Artifte fe propoſe
d'imiter , font parfaits , plus l'impreffion
qu'ils
OCTOBRE. 1756. 169
33
qu'ils font eft profonde , & plus auffi il eft
a craindre qu'ils ne fubjuguent ſes idées ,
& ne le conduifent au plagiat . Après avoir
mis dans tout leur jour les fublimes beautés
de ce chef- d'oeuvre , il offre une reffource
contre le charme féduifant de toutes
les compofitions qui , comme celle- ci ,
mettent le génie dans une efpece d'impuiffance
de rien créer. « Sortons , dit-il , de
» ce magnifique palais où Rubens établit
» le théâtre de l'action . Tranfportons- nous
» fur le champ de bataille où Thomiris a
» immolé un peuple d'ennemis à la valeur
» de fa Nation , & Cyrus leur Roi à fa
"propre vengeance . Armée d'un arc & de
» javelots , montée fur un fuperbe cour-
» fier , la Reine des Scythes porte dans fes
» yeux & fur fon front la fureur qui ,
» dans la chaleur de fon reffentiment , lui
» fait naître la penfée inhumaine que le
fang froid ne fçauroit vraiſemblable-
» ment enfanter. C'eft ainfi que cette Hé-
» roïne tranfportée d'un premier mouve-
» ment , auquel on ne réfifte guere , fait
couper la tête au cadavre du plus grand
» Roi de la Perfe , & fe raffafie elle - même
» du barbare plaifir de l'infulter après fa
» mort . " Nous fommes fâchés que la
briéveté d'un extrait ne nous permette pas
de rapporter en entier ce tableau que la
I. Vol.
"3
H
170 MERCURE DE FRANCE.
plume de M. Dandré Bardon a peint avec
les traits les plus frappans & les couleurs
les plus vives.
Il a fini les images qu'il a inférées dans
fa Conférence , par la peinture du paſſage
des Alpes , fi célebre dans l'hiſtoire d'Annibal.
C'eft à cette occafion que l'Auteur
de la Conférence rappelle qu'il y a un
nombre prefqu'infini de beaux fujets
d'hiftoire qui n'ont point été traités par
d'habiles Maîtres. Il démontre par l'expofition
de celui- là , combien il étoit fatisfaifant
pour l'Artiste &
avantageux pour
le talent , de retirer ces fujets d'une espece
d'oubli où ils languiffent fans le fecours
des Arts de Peinture & de Sculpture , dont
l'objet effentiel doit être d'expofer aux
yeux des connoiffeurs les traits héroïques
qui font comme enfevelis dans les volumes
des plus célebres Hiſtoriens.
Après avoir donné une idée de ce Difcours
, nous nous faifons un plaifir de
donner une idée du ftyle de l'Auteur. Il
débute ainfi relativement à la circonftance
de la diftribution des Prix :
Meffieurs , ce jour que vous confa-
>> crez au triomphe du génie , ce jour que
>> rendent célebre les libéralités du Roi
» confiées à notre Mécene , ce jour bril-
»lant par le concours de mille Citoyens ,
OCTOBRE. 1756. 171
"
"
zélés amis des Arts , nous rappelle ces
» Affemblées folemnelles où le mérite étoit
❞ couronné des mains de la Grece entiere.
» La palme accordée aux Vainqueurs encourageoit
leurs rivaux à s'en rendre
dignes , & l'émulation aiguillonnée par
l'efpérance enfantoit les plus heureux
fuccès. Ainfi fe formoient ces fociétés
d'hommes de génie , occupés du foin
d'enrichir la patrie de nouveaux tréfors ,
» de foutenir par des chef- d'oeuvres multipliés
la gloire de leur Nation , & de
» tranfmettre à la poſtérité les talens de
» leurs Ancêtres.
"
"
"
"2
» A ces traits , Meffieurs , on reconnoît
» aifément cette multitude d'Artiftes qui
" fe forme continuellement fur vos traces
» & fous vos yeux . C'eft une espece de
» colonie que vous deftinez à perpétuer la
république des Arts dont vous êtes l'hon
» neur , la gloire & le foutien.
"
"
وو
Chargé d'un pofte dont l'objet peut
» être de quelque utilité à vos Eleves ,
pourrois-je mieux entrer dans vos vues
qu'en vous expofant le projet d'un cours
d'hiftoire univerfelle relatif à tout ce qui
» peut intéreffer nos talens , &c » ?
و ر
93
"
Voici comment il termine fa Conférence
à l'occafion des fujets nouveaux qu'il déterre
dans l'hiftoire, « Ces fujets pitto
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
??
refques & neufs ne font point rares :
l'hiftoire nous en offre un grand nombre.
Le regne du goût , du génie & des
» talens , le regne de notre Augufte Mo-
» narque ne fervira qu'à les multiplier
toujours davantage. Nouvelles richeffes
» qui s'accumulent pour la poftérité. Nous
» la félicitons d'avance de la gloire de les
pofféder , de les décrire & de les pein-
» dre. Elle ne manquera pas d'Artiftes.
» Les grands Rois & leurs Miniftres fu-
» rent toujours les protecteurs des talens.
" Il n'ont qu'à commander qu'il fe forme
» des Peintres , des Sculpteurs , des Hif-
»toriens , & il s'en formera , La nature &
» l'art font toujours prêts à fervir leur
goût. Quelle preuve n'en donne pas
» notre Mécene , en rendant à notre admi-
» ration les chef- d'oeuvres voilés à celle de
"
nos peres , en rétabliffant ceux que le
» temps avoit dégradés , & en faifant fervir
» tous les Arts à la noble décence des Pa-
» lais de nos Rois , à l'utilité du Public
» & à la majefté des Temples du Sei-
❞ gneur !
Puiffent vos arriere petits neveux être
» encore eux-mêmes témoins oculaires des
» hauts faits de Louis XV , jouir du bon-
» heur que nous goûtons de vivre fous fes
loix , & célébrer fur vos traces les mer
99
OCTOBRE. 1756. 173
veilles de fon regne , par des ouvrages
dignes , ainfi que les vôtres , de l'im-
» mortalité !
93
Comme les Arts ne peuvent rencontrer
de protections plus utiles à leurs progrès
que celles des graces , il eft jufte que les
Arts donnent une efpece d'immortalité à
leurs Protectrices. C'eft un tribut dont la
Peinture vient de s'acquitter envers Ma
dame de Pompadour , par le portrait qu'en
a fait M. Boucher.
Cet ouvrage , fans doute , doit à fon
modele fes plus précieux avantages : mais
on ne peut , fans injuſtice , fe taire fur le
don enchanteur qu'à reçu ce Peintre , pour
voir & pour rendre tous les objets de la
nature fous leurs afpects les plus féduifans.
En effet , indépendamment de l'exacte
reffemblance , premiere condition dans
tout portrait , celui- ci , par le caractere des
yeux , par le point vrai de la phyfionomie ,
préfente une image fi vive & fi frappante
de l'ame , qu'il paroît être plutôt faifi
un moyen furnaturel que tracé par le pénible
méchanifme du pinceau. Pourquoi ne
diroit on pas , puifqu'on le fent fi bien
que l'efprit & le coeur, ont comme le corps,
des attitudes habituelles celles du corps
fixent une forte de reffemblance qui ne propar
>
Hiij
176 MERCURE DE FRANCE.
déployées. Le Léopard terraffé rend les
derniers foupirs. On lit dans les yeux du
Lion la frayeur qui l'agite. Au deffous de
ces différens Symboles , la figure allégorique
de la Force eft debout, le coude fur une
maffue & la tête appuyée fur fa main . Tout
annonce dans cette figure la plus profonde
trifteffe. Ce Monument a vingt pieds de
face fur vingt-cinq de haut. Il fera exécuté
en marbre, & il doit être placé à Strasbourg
dans l'Eglife Luthérienne de S. Thomas ,
où le Maréchal de Saxe eft inhumé . La
Poéfie noble & hardie qui brille dans l'invention
du Sculpteur , préfente un tableau
également majestueux & touchant. Voici
une infcription en vers qui nous a été envoyée
pour ce Maufolée par M. Taffe.
Paffant arrête & confidere
L'intrépide Guerrier dont le fort fut fibeau :
Mais fonge en même temps qu'il n'eft qu'un pas
à faire
Du néant de la gloire au néant du Tombeau.
GRAVURE.
Dans l'annonce que nous avons faite le
mois paffé des Estampes des quatre Arts
du Sieur Feffard , d'après les tableaux de
M. Vanloo , page 228 , il est échapé une
faute d'impreffion que nous nous emprefOCTOBRE.
1756. 177
on de corriger. Les gravures que nous annonçons
font les premiers des tableaux qui
décorem le Château de Bellevue , lifez , font
les premieres des tableaux , &c.
Comme l'on eft maintenant à portée
d'avoir un Plan exact du Fort S. Philippe
de Mahon , le fieur Lerouge , Ingénieur ,
Géographe , rue des Grands Auguftins ,
en a publié un , le 30 d'Août , avec les
attaques , détails , profils des ouvrages
attaqués , &c. Prix lavé , 48 fols ; en
blanc , 24 fols.
ARTS UTILES.
HORLOGERIE.
RÉPONSE à la Lettre d'un Anonyme
fur les Pendules à chapelets , inférée dans
le Mercure de Juillet .
Quand M. le Roy fils , de l'Académie
Royale d'Angers , a dit , Monfieur , dans
le Mercure de Mai , que fon ouvrage avoit
été imité avec fuccès , particulièrement par
M. le Mazurier , &c , il n'a pas prétendu
par-là reclamer la Pendule de vorre ami
comme de fon invention , felon vos paro-
• Hv
#78 MERCURE DE FRANCE.
les : fa lettre au contraire contenant unt
defcription exacte de fa pendule , & le
certificat de l'Académie , ôrent toute équivoque
& mettent chacun à portée de connoître
ce que les deux machines ont de
commun ou de différent.
L'expofé de M. le Roy fait voir , par
exemple , qu'il n'emploie dans fa Pendule
à augets , que la roue de rencontre
ordinaire de Granham , ou toute autré
portant l'aiguille des fecondes avec l'échappement
qu'elle exige , & que fur cette
roue unique il place le chapelet qui , avec
la trémie, forme une pendule dont le mouvement
dure à volonté. La divifion du
moteur par la trémie , réduifant néceffairement
la machine à fes plus fimples termes
, il a penfé qu'on ne pouvoit faire intervenir
ici le principe ( 1 ) de fa premiere
(1 ) Ce principe confiſte à ne reftituer le mouvement
au pendule qu'après beaucoup de vibrations
. Dans le rapport de M. le Mazurier , Mercure
de Juin 1755 , l'Académie dit qu'après la
découverte des échappemens à repos , la propriété
qu'a le pendule de conferver long- temps fon
mouvement devoit naturellement faire naître
cette idée , qui auroit conduit à retrancher plufieurs
roues , & en général à fimplifier toute la
machine cependant , pourfuit - elle , ce ne fut
que log temps après la découverte des échappemens
à repos, qu'on fit des Pendules fur ce principe
on les doit au fils de M. Julien la Roi , qui les
inventa en 1757.
OCTOBRE. 1756 . 179
pendule à une roue , & que ce feroit multiplier
très-inutilement les êtres.
Comparant cette defcription avec celle
de M. le Mazurier , on voit que ce dernier
a fuivi une route fort différente ; que fon
mouvement exige néceffairement deux
roues & deux échappemens ; un premier
pour la conduite du rochet de fecondes ,
& un deuxieme à détente , compofé de
plufieurs pieces mobiles fur des centres ,
où elles doivent toujours conferver leur
liberté , par lequel la roue chevillée reftirue
le mouvement à chaque minute . C'eſt
aux Méchaniciens à juger laquelle de ces
deux méthodes eft préférable. Tout ce que
je puis ajouter , c'eft que la reftitution du
mouvement à chaque minute , entraîne
de fi grandes difficultés d'exécution , que
M. le Roy l'abandonna dans fa pendule à
une roue & à rateau , pour y fubftituer la
reftirution ordinaire dans chaque feconde.
Rapportons ce que les Commiffaires de
l'Académie prononcerent dans cette occafion
, le 7 Mai 1755 , après que cette pendule
eur fubi , felon le voeu de l'Auteur ,
une expérience de près de deux années .
Outre que cet article trouve ici naturellement
fa place , il pourra faire fentir à quelques
perfonnes qui n'v font pas affez d'artention
, l'extrême différence qui fe trouve
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE,
entre faire de légeres mutations dans quel
ques parties d'un ouvrage déja connu , &
changer une machine jufques dans fon
principe.
ور
ود
ور
Quoique la premiere conftruction de
» M. le Roi ( ce font les termes du rap-
» port ) pût le fatisfaire quant à fa fimpli-
» cité , il fentit très- bien qu'elle étoit fujette
à quelques inconvéniens. Un Artifte
habile & éclairé , fçait mieux que
» tout autre , que l'invention la plus heu-
» reuſe perd une très grande partie de fon
» mérite , fi elle renferme de trop grandes
» difficultés dans l'exécution . Il n'en eft
» pas d'un changement total dans la conf-
» truction d'une machine comme du chan-
" gement de quelques pieces particulieres :
» dans le premier cas tout eft à faire , inven-
» ter & perfectionner , au lieu que le chan-
" gement de quelques pieces , qui laiffe
» toujours le fonds de la machine tel qu'on
» l'a trouvé , ne doit être réputé que per-
» fection , & on a obligation à ceux qui
» les font. Combien y a t'il eu de change-
» mens & d'arrangemens différens faits à
» l'ancienne conftruction des pendules ,
depuis la premiere qu'on a faite jufqu'aujourd'hui
! Auffi bien loin d'être étonné
» que M. le Roy ait trouvé des change-
» mens à faire dans la premiere conſtruc
و ر
."
ود
ور
OCTOBRE. 1756. 1S1
» tion de fa pendule , on devroit plutôt
» l'être de ce qu'elle eft arrivée fitôt au
» point de perfection où nous la voyons » > .
Pour revenir à notre fujet , je fouhairerois
, Monfieur , pouvoir noter ici la
différence qui fubfifte entre les fonneries
de Meffieurs le Mazurier & le Roy , fils ,
quoique fondées fur le même principe ( 1 );
(1) Ce principe confifte à fe fervir des vibrations
du pendule pour mettre un intervalle entre
chaque coup de marteau . Voici comme l'Académie
s'exprime à ce fujet dans le rapport de M.
le Roi cité ci - deſſus . La fonnerie de cette Pendule
ou de ces Pendules ) car elle étoit la même dans
les deux premieres ) n'eft pas moins ingénieufe que
le mouvement : elle n'eft composée de méme que
d'une roue faifant par une de fes faces la fonction
de roue de chevilles , & par l'autre celle de chaperon
ou de roue de compte , & c. Et dans le rapport
de M. le Mazurier , Mercure de Juin , fecond volume
, on lit ce qui fuit : Si par quelque moyen
Simple on pouvoit empêcher que le poids où le reffort
d'une fonnerie ne fe muffent trop rapidement , on
trouveroit par-la le moyen de fe paffer des quatre
roues du volant qu'on emploie pour cet effet ;
c'eft ce que le fils de M. Julien le Roy , déja cité ,
exécuté le premier , au moyen du régulateur du
mouvement , dans une Pendule qu'il préſenta à
l'Académie le 19 Avril 1752. Dans la defcription
que l'on en trouve dans le Mercure d'Août de la
méme année , pag. 161 , on voit qu'il n'y a dans
cette fonnerie qu'une roue unique , ſervant tout à la
fois deroue de chevilles de chaperon , dont l'action
eft ralentie & reglée par le régulateur mêmea
j
182 MERCURE DE FRANCE.
mais les bornes de cette réponſe m'en empêchent.
Je palle rapidement aux autres
articles de votre lettre.
Si vous l'euffiez montrée à M. le Mazurier
, il eft vraisemblable qu'il en eût retranché
l'endroit où vous incidentez fur
ce que les deux rapports ont été faits le
même jour. Il vous auroit dit , fans doute,
qu'il avoit été un des premiers à voir la
pendule de M. le Roy , qui fur ce ſujet
étoit entré avec lui dans le plus grand détail
, longtemps avant qu'il eût fongé à
éxécuter la fienne. Il ne vous eût pas non
plus laiffé ignorer que la date feule de
préfentation eft à confidérer , celle du rapport
dépendant de mille circonftances peu
relatives au temps où l'ouvrage paroît , &
il vous auroit fait remarquer que celle de
M. le Roy , que le rapport place au mois
d'Avril , eft antérieure de près de quatre
mois à la fienne qui eft de quelques jours
avant les vacances. Votre ami eût été d'autant
plus porté à lui rendre cette juſtice ,
que quand il eut formé le projet de fa
nouvelle pendule , il crut qu'il étoit de
l'exacte équité dont il fait profeffion , d'aller
lui en faire part , & fçavoir de lui s'il
ne lui feroit aucune peine en l'exécutant
(1 ).
( 1 ) Le défir de s'attirer l'eftime & quelque
OCTOBRE. 1756. 183
On fe perfuade auffi que M. le Mazurier
eût fupprimé de votre écrit l'endroit
où vous remarquez que M. le Roy n'eft
point inventeur des chapelets à augets dès
longtemps connus dans la Méchanique . Il
n'a , dires - vous , imaginé que leur application
aux horloges fixes : que ne vous doit- il
pas , Monfieur , pour ce trait de générofité
! car enfin , vous pouviez ajouter qu'il
n'étoit pas Auteur du petit plomb , des
vannes , des trémies , que fçai- je , du cuivre
& de l'acier.
Enfin , dites vous , M. le Roy devoit
être content de l'aveu que M. le Mazurier
avoit fait , que le nouveau principe de mouvement
qu'il avoit employé lui appartenoit.
A cela je réponds pour lui , que le petit
livret de votre ami , fuffiroit pour le juftifier
à cet égard. On y expofe les avantages
des pendules à augets , avantages que
M. le Roy avoit déja énoncés dans l'Acaconfidération
de fes Concitoyens , ayant toujours
été le premier but de M. le Roi , il n'a point
cherché à détourner M. le Mazurier de fon projet
il en a ufé de même avec M. Mauroy jeune
Horloger , qui a fait ufage du nouveau principedans
une Pendule a fecondes & à fonnerie , à
рец
près dins le même temps que M. le Mazurfer ,
& qui eft actuellement occupé à l'appliquer à une
groffe Horloge qu'il fait pour la ville de Montfort
l'Amaury.
184 MERCURE DE FRANCE.
démie le 23 Avril : mais au lieu d'y faire
mention de lui , M. le Mazurier ( fans
doute par inadvertance ) parle de la nouvelle
méthode comme d'une chofe à lui :
Suivant mon principe & ma nouvelle méthode
, dit -il , page 4 , & c .
On n'a pas été plus attentif dans l'annonce
du Mercure. Elle contient le rapport
entier des commiffaires. Mais quand
l'Auteur arrive à l'endroit incommode ,
où ces Meffieurs déclarent que cette méthode
, pour faire mouvoir des horloges par
des chapelets à augets qui fe garniffent de
plomb en paffant fous des trémies , eft dûe au
fils ainé du fieur Julien le Roy , comme s'il
craignoit que cela ne fît une impreffion
trop frappante fur le Lecteur , par une
prompte diverfion , il renvoye à la note ,
où il s'exprime ainfi : Par mon principe &
ma nouvelle méthode , & c.
Après une telle annonce , le filence de
M. le Roy eût fans doute été pris pour un
aveu tacite de ce qu'elle renfermoit ; ainfi
quoiqu'il n'ait pas moins de confidération
pour la perfonne de M. le Mazurier ,
que d'eftime pour fes talens , il n'a pu fe
difpenfer de rendre publique la lettre
qu'on a vu dans le Mercure de Mai .
J'ai l'honneur d'être , & c .
OCTOBRE . 1756. 185
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Samedi 4 Septembre , les Comédiens
François repréſenterent l'Ecole des Femmes,
que S. A. S. Madame la Ducheffe d'Orléans
honora de fa préfence : l'affemblée
étoit des plus brillantes. Le fieur Deformes
y débuta dans le rôle d'Arnolphe
qu'il remplit avec intelligence , mais un
peu froidement. Le Lundi 6 , il joua celui
d'Efope dans Efope à la Cour , & rendit
furtout les fables en Acteur qui en fent
toutes les beautés , & qui eft Auteur luimême.
Nous ne diffimulerons point que le
Spectateur Parifien lui a trouvé un accent
ou un ton étranger : mais avec l'efprit qu'il
a , il peut corriger aifément cette imperfection
, & fe mettre bientôt au ton des
Comédiens de Paris . Le Samedi 11 , on a
donné Hérode & Mariamne , Tragédie
remife , de M. de Voltaire , & l'Ecole des
Maris, Le nouvel Acteur a repréſenté
186 MERCURE DE FRANCE.
dans cette derniere piece Sganerelle avec
l'applaudiffement du Public : mais nous
croyons devoir l'avertir de prendre garde
à ne pas corriger un défaut par un autre ,
c'est-à-dire, à ne pas troquer le froid qu'on
lui a reproché, contre un peu trop de charge.
Le Lundi 13 , on a eu le plaifir de revoir
& d'applaudir Mademoiſelle Clairon dans
Electre. La Chambrée étoit nombreuſe &
digne d'elle.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Jeudi 2 Septembre , les Comédiens
Italiens donnerent la premiere repréfentation
de Plutus rival de l'Amour , petite
Comédie en un Acte, qui a été reçue favorablement.
Elle eft de Madame Hus , mere
de Mademoiſelle Hus , Comédienne Françoife.
Pour prévenir le Public en fa faveur ,
Mademoiſelle Silvia fit un compliment qui
fut très-applaudi , & qui mérite d'être retenu
par fa préciſion . Le voici en quatre
vers :
Par de longs complimens , on vient pour vous
féduire ,
Et pour mandier un fuccès ,
Je n'ai que
deux mots à vous dire :
L'Auteur eft femme , & vous êtes François.
OCTOBRE . 1756. 187
Ce Drame fut fuivi Du Forgeron , nouveau
Ballet Pantomime de la compofition
du fieur Rey, qui l'a exécuté lui- même avec
fa femme. Il eft frere de Mademoiſelle
Rey, Danfeufe de l'Opéra , & montre toute
la légèreté de la famille.
LE
OPERA COMIQUE.
E Samedi 11 du même mois , ce
Spectacle donna pour la premiere fois le
Mariage par efcalade , Petite piece en un
Acte , qui a été faite à l'occafion de
la prife de Port Mahon. Elle a le plus
brillant fuccès. Tout Paris y acourt. On
ne doit pas en être furpris. Elle eft de M.
Favart. On fçait qu'il est fait pour attirer
toujours la foule au Spectacle pour lequel
il travaille. On lui reprochera peutêtre
d'y prodiguer trop la louange aux
François mais comme elle eft mife en
action & tournée en gaieté , qu'elle eſt
d'ailleurs méritée , elle perd les trois quarts
de fa fadeur. Nous ofons dire plus , nous
croyons que les éloges qu'on donne publiquement
à nos Guerriers ,font un bien pour
la Nation. Ils entretiennent , ils augmentent
même dans nos Troupes certe ardeur
martiale qui les rend intrépides &
188 MERCURE DE FRANCE.
qui leur fait tout facrifier pour la gloire.
Ils fervent non feulement d'aiguillon à la
valeur , ils font encore fa plus douce
récompenfe ; double raifon de les applaudir
, quand ils font bien faits.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Mercredi 8 Septembre , jour de la
Nativité , le Concert commença par une
fymphonie fuivie de Dominus regnavit ,
Motet à grand choeur de M. Mondonville.
M. Dugué chanta enfuite un petit
Motet nouveau . Mademoiſelle Sixte chanta
un petit Motet nouveau de M. le Febvre.
Mademoiſelle Fel chanta Afcendit Virgo ,
Mater , petit Motet Italien. M. Balbâtre
jona fur l'orgue un Concerto de fa compofition.
Le Concert finit par Cæli enarrant
, Motet à grand choeur de M. Mondonville.
OCTOBRE. 1756. 189
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 12 Juillet.
LA pefte continue de faire beaucoup de rava
ges dans cette Capitale. Un accident des plus funeftes
a augmenté la déſolation que cauſe ce féau .
Le feu ayant pris les de ce moïs chez un Teinturier
, le progrès des flammes fut fi rapide ,
qu'en trente-fix heures douze mille maifons ont
été réduites en cendres. Plus de mille perfonnes
ont péri dans cet incendie. Le défaftre auroit été
encore plus confidérable , fi l'on ne s'étoit apperçu
qu'un grand nombre de fcélérats , fous prétexte
de travailler à arrêter Fembraſement , ne
cherchoient qu'à le faire durer. Malgré la confufion
générale , le Grand Vifir eft parvenu à découvrir
environ trois cens de ces malheureux. Ils
ont été étranglés & jettés dans la mer. On në
peut encore évaluer la perte que cette Ville
foufferte.
DU NORD.
DE STOCKHOLM , le 4 Août.
Par une Déclaration publiée depuis quelques
jours , le Roi défend à tous Propriétaires ou
190 MERCURE DE FRANCE.
Capitaines de Vaiffeaux Suédois , de charger , pour
la France ou pour la Grande- Bretagne , aucunes
armes , munitions de guerre , & autres marchandifes
prohibées.
Des Brigands avoient formé le deffein de profiter
de la conjuration pour piller plufieurs des
principales maifons de cette Ville . On a arrêté
les chefs de ce complot. Les Colonels Stiernel &
Kalling ont été cités devant la Commiffion , à
l'occafion de quelques écrits dont on les accuſe
d'être les auteurs.
Elle continue d'inftruire le procès des nommés
Helberg , Flodelius , Fifcher & Sahlfeld , qui ont
tenté d'exciter les Dalécarliens à la révolte . Le
Trabant Silverhielm , que la Commiſſion avoit
fait arrêter dès le commencement de la Diete , a
été condamné à quinze jours au pain & à l'eau
enfuite à fix ans de prifon au Château de Maelftrand.
Il eft privé à perpétuité de la faculté de
rentrer au fervice , d'avoir voix dans les Dietes ,
& de le trouver jamais dans le lieu où la Diete
fera affemblée .
DE COPENHAGUE , le 20 Août.
Des lettres de l'Ile d'Iſlande annoncent que le
mont Kotlugia dans le district de Skoptefield s'eft
abîmé , ainfi que deux Villages qui en étoient
voifins. La perte caufée par l'incendie arrivé le
22 du mois dernier à Bergen , monte à plus de fix
millions . Trois mille mailons faifant environ le
tiers de la Ville , ont été réduites en cendres.
Entre les édifices que les flammes ont détruits
on regrette furtout l'Eglife neuve & la Douane.
OCTOBRE. 1756. 191
ALLEMAGNE.
DE RATISBONNE , le 28 Août.
Au commencement du mois dernier , l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Bohême donna un
Refcrit fur les motifs qui l'ont déterminée à faire
affembler les troupes en Bohême & en Morayie.
Cette Princeffe a fait publier depuis , à l'occafion
de la réponſe du Roi de Pruffe , un fecond Referit
, dont voici la teneur : « Il paroît par les dé-
>>clarations qui ont été faites de la part de la Cour
»de Berlin , que l'on veut s'y difculper de l'im-
»putation d'avoir donné occafion aux difpofitions
qui ont été jugées indifpenfables dans les Etats
de l'Impératrice . S'il eft vrai que les troupes
>>Pruffiennes n'ont pas été confidérablement aug-
»mentées en Siléfie , il n'eft pas moins vrai qu'on
les y a fait affembler & pourvoir d'artillerie , de
>>pontons & de tous les attirails de guerre néceffaires
pour entrer en campagne , & que les mêmes
difpofitions ont été faites dans les autres
Provinces de la dépendance de S. M. Pruffienne ;
deforte que les troupes y ont été mises en état
»de pouvoir fondre , dès qu'on le leur ordonne-
»roit , fur les Pays héréditaires de l'Impératrice ,
»foit par la Silefie , foit par les Etats Electoraux
»de Saxe. L'expérience du paffé doit fervir de
»regle pour l'avenir. Ainfi il doit paroître con-
»forme à la prudence que S. M. Impériale ne fe
»foit pas repofée fur de fimples affurances & pro-
»teftations , fans prendre les précautions conve-
»nables pour fa défenfe & fa fûreté . Du reſte , il
»y a une grande différence dans la nature des dif
pofitions de part & d'autre . Les troupes de l'Im192
MERCURE DE FRANCE.
»pératrice font diftribuées dans des lieux féparés
» par une longue diftance. Il a fallu s'y prendre à
»temps pour les faire fortir de leurs quartiers , &
»l'on ne devoit point attendre que l'événement
» eút vérifié ce que les préparatifs indiquoient , ou
»donnoient à foupçonner. »
On croit devoir joindre ici le Mémoire que le
Roi de Pruffe a fait remettre le 18 de ce mois à
la Cour de Vienne , & la réponſe de l'Impératrice
Reine.
Mémoire de M. de Klinggraff, Miniftre du
Roi de Pruffe , du 18 Août 1756 .
« Le Souffigné a l'honneur d'informer Sa Ma-
»jefté l'Impératrice Reine , que le Roi fon Maître
»vient de lui donner des ordres exprès de repré-
»fenter à fadite Majefté ce qui fuit , fçavoir: Que
»Sa Majesté le Roi de Prufle étoit faché d'impor-
>>tuner encore Sa Majefté l'Impératrice Reine ;
»mais que cela étoit indifpenfable dans la fitua-
»tion préfente des affaires , dont l'importance
pexigeoit des expl cations plus claires que celles
»que Sa Majefté l'Impératrice Reine a données
»en dernier lieu à fadite Majefté Pruflienne par le
Souffigné. Que ce Prince , pour ne rien diffimu-
»ler à Sa Majefté l'Impératrice Reine , ne pouvoit
»abfolument s'empêcher de lui faire connoître ,
» qu'il étoit informé d'une maniere à ne pas en
» douter , qu'Elle a fait au commencement de
>>cette année une alliance offenfive avec la Cour
»de Ruffie contre lui , par laquelle il a été ftipulé
»que les deux Impératrices attaqueront inopiné-
>ment le fufdit Prince ; celle de Ruffie avec cent
>> vingt mille hommes , & Sa Majefté l'Impératrice
>>Reine avec une armé de quatre -vingt mille
combattans.
OCTOBRE . 1756. 193
1
» combattans. Que ce projet , qui devoit fe mettre
nen exécution dès le mois de Mai de cette année ,
» n'avoit été différé juſqu'au printemps prochain
» qu'à cauſe que les troupes de Ruffie ont manqué
de recrues , leur Flotte de matelots , & la Fin-
» lande de bleds pour les nourrir. Que comme à
» préfent il étoit revenu de toutes parts à Sa Majefté
Pruffienne , que Sa Majefté l'Impératrice
»Reine raffemble fes forces principales en Bohê-
>> me & en Moravie , que les troupes campent à
»peu de diftance des frontieres de ce Prince ,
»qu'on fait des magaſins & des amas confidéra-
» bles de munitions de guerre & de bouche , que
>> l'on tire des cordons de Huffards & de Croates
vle long des frontieres du fufdit Prince , de même
»que s'il étoit en pleine guerre avec fadite Ma-
»jefté Impériale & Royale , il fe croyoit en plein
» droit d'exiger d'Elle une déclaration formelle &
» catégorique , confiftant dans une affurance que
» Sa Majefté l'Impératrice Reine n'a eu aucune
intention d'attaquer Sa Majesté Pruffienne ni
>>cette année , ni celle qui vient.Qu'il importoit à
» ce Prince d'être éclairci s'il étoit avec Sa Majeſté
» l'Impératrice Reine en guerre ou en paix , qu'il
>>en rendoit cette Princeffe l'arbitre . Que fi les
»intentions de Sa Majefté Impériale & Royale
wétoient pures , ce feroit à préfent le moment de
»les mettre au jour ; mais que fi au contraire on
>>donnoit à Sa Majeſté Pruſſienne une réponſe iny
certaine & non concluante , Sa Majesté l'Impé-
>>ratrice Reine auroit à fe reprocher toute la fuite
>>qu'attirera cette façon tacite , & qu'Elle confir-
>> meroit par-là les projets dangereux qu'Elle auroit
»formés avec la Ruffie contre fadite Majefté Pruf-
»fienne, & qu'enfin ce Prince atteftoit le Ciel qu'il
weft innocent des malheurs qui s'enfuivroient.a
I. Vol
194 MERCURE
DE FRANCE.
Le Souffigné a ordre de demander fur ce que
deffus , une réponse prompre , catégorique & par
écrit , ainfi que Sa Majefté l'Impératrice Reine le
lui a fait promettre en dernier par fon Excellence
M. le Grand Chancelier de la Cour le Comte de
Kaunitz-kittberg .
A Viennes , le 18 Août 1756 .
Réponse au Mémoire présenté par M. de
Klinggraff, le 18 Août 1756.
a Sa Majesté le Roi de Pruffe étoit déja occupé
»depuis quelque temps de toutes les elpeces de
»préparatifs de guerre les plus confidérables & les
»plus inquiétans pour le repos public , lorſque le
26 du mois dernier , ce Prince jugea à propos de
»faire demander des éclairciffemens ǎ Sa Majefté
l'Impératrice Reine tur les difpofitions militaires
qui fe faifoient dans les Etats , & qui ne
venoient d'être réfolus que d'après tous les préparatifs
qu'avoit déja faits S. M. Pruffienne . Ce
»font des faits à la connoiflance de toute l'Europe.
»Sa Majefté l'Impératrice Reine auroit pu fe dif-
»penfer , moyennant cela , de donner des éclairciflemens
fur des objets qui n'en avoient pas
»befoin ; Elle a bien voulu le faire néanmoins ,
»& déclarer elle - même pour cet effet au fieur de
Klinggraff , dans l'audience qu'Elle lui accorda
ale 26 de Juillet : Que l'état critique des affaires
»générales lui avoit fait envisager les mesures
vqu'Elle prenoit comme néceffaires pour fa fûreté
celle de fes Alliés , & qu'elles ne tendoient
d'ailleurs au préjudice de qui que ce fut. Sa Ma-
»jefté l'Impératrice Reine eft fans doute en droit
»de porter tel jugement qu'il lui plaît fur les circonftances
du temps , & il n'appartient de même
OCTOBRE. 1756.
195
S
-it
»qu'à Elle d'évaluer fes dangers. D'ailleurs fa dé-
» claration eſt ſi claire , qu'Elle n'auroit jamais
»imaginé qu'elle pût ne point être trouvée telle .
» Accoutumée à éprouver , ainfi qu'à obferver les
mégards que fe doivent les Souverains , Elle n'a
donc pu apprendre qu'avec étonnement & avec
la plus jufte fenfibilité , le contenu du Mémoire
»préfenté par le fieur Klinggraff . le 18 du cou-
>> rant , dont Elle s'eft fait rendre compte. Ce Mé-
>>moire eft tel quant au fonds , ainfi que quant
»aux expreffions , que S Majefté l'apérà rice
»Reine ſe verroit dans la néceffité de fortir des
> bornes de la mod ration qu'elle s'eft preferite ,
»fi elle répondoit à tout ce qu'il content. Mais
»Elle veut bien encore cependant , qu'en réponfe
» on déclare ultérieurement au fieur de Klinggraff
, que les informations que l'on a données
»à Sa Majefté Pruffienne d'une Alliance offenfive
>> contre Elle , entre Sa Majeſté l'Imperatrice Reine
» & Sa Majeſté l'impératrice de Ruffie , ainſi que
toutes les circonftances & prétendues ftipula-
» tions de ladite Alliance , font abfolument fauffes
»& controuvées , & que pareil Traité contre Sa
» Majeſté Pruſſienne n'existe point & n'a jamais
mexifté. Cette déclaration mettra toute l'Europe
à p rtée de juger de quelle valeur & qualité feroient
les fâcheux événemens qu'annonce le
» Mémoire du fieur de Klinggraff , & de voir
» qu'en tous cas ils ne pourront jamais être imputés
à Sa Majesté Impératrice Reine. Et c'eft
nce que , par ordre exprès de Sa Majesté l'Impépratrice
Reine , on eft chargé de faire connoître
Dau fieur de Kiinggraff , en réponſe à fon Mé
>> moire. »
A Vienne , le 21 Août 1756.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
DE LEIPSICK , le 2 Septembre.
Quatre Régimens d'Infanterie & un Régiment
de Huffards des troupes du Roi de Pruffe entrerent
ici le 29 du mois dernier , fans qu'on eût eu
aucun avis de leur marche. La plupart des habitans
étoient alors affemblés dans les Eglifes , où
ils vaquoient avec fécurité aux exercices du culte
Divin. Depuis quinze jours , les garnifons de
cette Ville & de la Citadelle en étoient forties
pour le rendre au camp de Pirna. Le Général
Baron de Haxthauſen , Gouverneur de Leipfick ,
chargé par le Roi de prendre le commandement
de ce camp , étoit allé à Drefde recevoir les ordres
de Sa Majesté.
Auffi-tôt après l'arrivée des Pruffiens , le Prince
Ferdinand de Brunſwic qui les commandoit , prit
poffeffion des portes de la Ville , & il pofa des
Gardes à l'Hôtel de Ville , à la Tréforerie & à la
Citadelle. Les foldats des Régimens d'Infanterie
furent logés chez les Bourgeois , & les Huffards
dans les environs de la Ville . Pendant qu'on faifoit
la diftribution des logemens , on apprit que
quatre autres Régimens Pruffiens avoient fuivi la
premiere divifion de leurs troupes , & qu'ils
étoient cantonnés près d'ici en différens Villages.
Le même jour , le Prince de Brunſwic fit publier
une Ordonnance portant ce qui fuit : « Nous
>> Ferdinand , &c. Lieutenant-Général des Armées
»de Sa Majefté Pruffienne , Colonel d'un Régi-
>> ment d'Infanterie , Gouverneur des Ville & For-
»tereffe de Magdebourg , Chevalier de l'Ordre de
>>l'Aigle Noir , &c. Sçavoir faifons , que c'eſt par
» ordre de Sa Majesté Pruffienne que nous sommes
mentrés avec un corps de troupes dans l'Electorat
OCTOBRE . 1756. 197
»de Sare. Comme Sa Majeſté Pruffienne , loin de
»permettre qu'on y faffe le moindre dégât , veut
Dau contraire qu'on épargne le pays le plus qu'il
nfera poffible , & qu'on regarde & protege la
Saxe comme fes propres poffeffions , Elle a or-
»donné très-expreffément d'y faire obſerver à fes
troupes une exacte difcipline , de punir févére-
>>ment les foldats ou Officiers qui feront trouvés
Den faute à cet égard , & de remédier prompte-
>> ment aux défordres qu'ils auront commis. Or ,
»pour maintenir le bon ordre , il eft néceffaire
»que le Pays fourniffe aux troupes du Roi les
»fourrages , le pain , la viande , la biere & les
»légumes dont elles auront befoin . Ainfi il con-
>>vient de prendre des mefures fixes pour les
»livraiſons de ces provifions . En conséquence ,
»Nous mandons par la Préfente , au nom & de la
»part de Sa Majefté , à tous les Membres de la
»Nobleffe de chaque Cercle de l'Electorat , qu'ils
wayent à comparoître devant nous à Leipfick foit
wen perfonne , foit par repréfentans duement
»qualifiés , le 30 Août pour le plûtard , afin de
»délibérer fur lefdites livraifons ; Sa Majesté ayant
»nommé une Commiffion particuliere pour liqui
»der avec eux. Ceux qui manqueront de fe conformer
à la Préfente , ne devront s'en prendre
» qu'à eux-mêmes , fi on les contraint par voie
»d'exécution militaire , à fournir leur quotepart
» des fufdites livraiſons. >>
On publia le lendemain une Déclaration du
Roi de Pruffe , dans laquelle il eft dit « que les
»deffeins de la Cour de Vienne mettant ce Prince
»dans la néceffité de les prévenir , Sa Majesté
»Pruffienne fe voit forcée , malgré elle , & par une
>>fuite des circonftances , à entrer avec fon armée
dans les Etats héréditaires du Roi de Pologne
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
>>Electeur de Saxe . Que c'eft à regret qu'Elle fe
» porte à une démarche que fon amitié perfon-
»nelle pour Sa Majesté Polonoife lui auroit fait
» éviter , fi les loix de la guerre , le malheur des
»temps , & la fûreté de fes propres Etats ne la
»rendoient indifpenfable . Que les événemens de
>> l'année 1744 font encore récens à fa mémoire.
» Que pour n'être pas expofée aux mêmes incon-
»véniens , Sa Majefté Pruflienne eft obligée de ne
DConfulter que les regles de la prudence : mais
»qu'Elle déclare de la maniere la plus folemnelle
tant à Sa Majefté le Roi de Pologne qu'à l'Euprope
entiere , qu'Elle n'a aucun deffein offenfif
contre Sa Majefté Polonoife ni contre fes Etats.
Qu'Elle ne fouhaite rien avec plus d'ardeur que
de voir approcher l'heureux moment de pouvoir
remettre à ce Prince fes Etats , qui font &
feront toujours pour Elle un dépôt facré. »
L'après-midi , le Prince de Brunfwic fit prendre
poffeffion du Bureau de la Douane , de celui des
Affiles & des autres Comptoirs publics . Pendant
tout le jour les boutiques demeurerent fermées.
Le 31 on les ouvrir.
Hier à la pointe du jour , les troupes Pruffiennes
fe remirent en marche pour continuer leur
route. Elles fe font comportées avec beaucoup de
régularité , & elles n'ont rien exigé au- delà de
ce qu'on étoit convenu de leur fournir. Avec les
quatre Régimens qui ne font point entrés dans
cette Ville , elles compofoient un corps de douze
mille hommes . On vient d'être informé de l'approche
de deux autres colonnes de la même armée,
qui font de la même force que la premiere
colonne. Celle- ci s'eft portée le long de l'Elfter
fur Zeitz , qui eft le chemin par lequel on débouche
dans les Cercles de la partie Occidentale de la
Bohême.
OCTOBRE. 1756. 199
Les Magiftrats ayant demandé au Prince de
Brunfwic de quelle maniere on fe conduiroit pour
Ja Foire qui doit fe tenir ici à la Saint Michel , il
leur a confeillé d'envoyer une députation au Roi
de Pruffe. Conformément à cet avis , deux Députés
des Magiftrats partirent hier pour Berlin , avec
deux Députés du Corps des Négocians. La réponfe
qu'ils rapporteront décidera de la tenue
de la Foire.
DE BRESLAU , le
9 Août.
On apperçut le premier de ce mois à neuf
heures quarante- trois minutes du ſoir , ſous la
conftellation de la couronne feptentrionale , un
globe de feu qui avoit une longue queue. I prit
fa direction vers la grande ourfe. Lorfqu'il fut
fous cette derniere conftellation , il s'ouvrit , &
l'on en vit fortir un grand nombre de petites
étoles. Elles difparurent en tombant , & ne
refta plus de ce phénomene qu'une traînée de
lumiere , qui deux minutes après ceffa elle -même
de paroître. Pendant près de deux autres minutes ,
on entendit un bruit femblable à celui du tonnerre
, & fi violent , que les fenêtres & les portes
des maifons en étoient ébranlées . Il faut obferver
que le ciel étoit alors ferein . Un vent de fud-
Queft fouffloit avec affez de force.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 22 Juillet.
On effuya encore ici , le 10 & le 11 de ce mois
deux violentes fecouffes. Le 10 , il fortit du fein
de la terre un tourbillon de fumée , qui en s'éle-
I AV
200 MERCURE DE FRANCE.
vant s'étendit peu à peu fur tout l'horizon , &
déroba entiérement la lumiere du foleil. Tant
que l'obfcurité dura , l'air fut infecté d'une odeur
infupportable de foufre. Il y eut le 18 au matin
une nouvelle fecouffe , mais elle fur légere . Malgré
tous les foins que le Gouvernement fe donne
pour affurer la tranquillité publique , les vols &
les affaffinats continuent d'être fréquens dans
cette malheureufe Ville. Chaque jour quelquesunes
des perfonnes riches reçoivent des billets
anonymes , par lefquels on les menace de les
brûler dans leurs demeures , fi elles ne portent à
des endroits marqués les fommes qu'on leur demande.
On arrêta dernierement deux fcélérats
qui fe difpofoient à mettre le feu à des baraques
de la Ville - Baffe. Ils ont déclaré que dix - huit de
leurs complices devoient en faire autant dans
différentes rues , & qu'ils auroient profité tous du
défordre général pour piller les habitations qu'ils
auroient trouvées abandonnées.
ITALI E.
DE PADOUE , le 23 Août.'
Le 17 de ce mois , quelques minutes avant
midi , le ciel s'obfcurcit tout-à- coup , & il s'éleva
un vent fi violent , que les toits de la plupart des
maifons furent emportés. Dans la campagne , les
arbres les plus forts ont été couchés par terre.
Plufieurs voitures chargées ont été jettées dans
des ravins. Prefque tous les bateaux qui étoient
fur la Brente ont péri. Diverfes fecouffes de tremblement
de terre ont fuivi cette horrible tempête
, & ont ajouté de nouveaux défaftres à ceux
qu'on venoit d'éprouver. Une partie de la Ville a
OCTOBRE. 1756. 201
été détruite . Des édifices confidérables , entr'autres
l'Hôtel de Ville , qui faifoit l'admiration des
étrangers , ont été ruinés de fond en comble.
Un grand nombre de perſonnes ont été ensevelies
fous leurs habitations.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 31 Août.
Malgré les défenſes alléguées par le Général
Fowke , le Confeil de guerre affemblé pour le
juger , l'a déclaré coupable , & l'a fufpendu de fon
rang pendant un an. L'Amiral Byng ayant été
conduit en cette Ville par des routes détournées ,
eft actuellement à l'Hôpital de Greenwich , où il
eft gardé à vue. Le Confeil de guerre , qui inftruira
le procès de cet Amiral , fera compofé de trois
Amiraux & de dix Capitaines de Vaiffeaux de
guerre. On a fait partir de Portſmouth le Vaiffeau
l'Antelope , pour aller chercher dix- neuf
Officiers dont l'accufé reclame le témoignage.
Le 20 Août , le Lord Maire & le Corps de la
Bourgeoifte de cette Capitale préfenterent au Roi
une Adreffe , dans laquelle ils témoignerent combien
ils étoient fenfibles aux inquiétudes que les
mauvais fuccès de la Nation dans la Méditerranée
devoient faire naître dans l'efprit de Sa Majesté.
Ils ajouterent qu'ils craignoient que la perte de
Pille Minorque , dont la Grande-Bretagne retiroit
de fi grands avantages & dont la confervation
étoit importante au commerce de fes Royaumes
, n'imprimât pour toujours une tache à l'honneur
des Anglois. En même temps ils repréfenterent
la néceffité d'établir une Milice générale
dans les trois Royaumes. Ils dirent qu'ils efpé-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
roient que les auteurs des malheurs publics feroient
foigneufement recherchés & févérement
punis . Enfin ils affurerent le Roi , que fa fidelle
Ville de Londres concourroit en tout ce qui
dépendroit d'elle , pour la défenfe de Sa Majefté & 14
de la Maifon Royale. Le Roi répondit à cette
Adreffe : La perte de PIfe Minorque m'a caufé
une vive douleur. J'employerai tous mes foins au
maintien de l'honneur de la Nation , & du commerce
de mes Sujets. Les événemens de la guerre
font incertains , mais il ne fera rien obmis de ma
part pour la continuer avec vigueur , pour recouvrer
Les poffeffions de ma Couronne , & pour parvenir à
une paix folide & glorieuse. Je veillerai à ce qu'il
foit fait juftice de ceux qui auront manqué à leur
devoir envers moi & envers la Patrie. Mes ordres
font donnés pour qu'à l'avenir la fubordination
foit mieux obfervée dans mes Flottes & dans mes
Armées, je ne négligerai rien pour faire garder
le respect dû à mon Gouvernement.
On a réfolu d'ériger une Statue au Général
Blakeney dans une Place de la ville de Dublin .
Une des Infcriptions fera prife des termes dont
le Maréchal de Richelieu s'eft fervi , en parlant
de ce Général dans le ſecond article de la Capitulation
du Fort Saint - Philippe .
Les Commiffaires de l'Amirauté viennent de
déclarer de bonne priſe douze Navires enlevés
aux François avant la Déclaration de guerre .
Tout fe difpofe pour l'embarquement des troupes
deftinées à fervir dans l'expédition que projette le
Gouvernement. Elles feront renforcées de quelques
Régimens du camp de Blandfort.
Il y eut la femaine derniere une courfe de
chevaux à Barnet , près d'un château de l'Amiral
Byng. La populace s'y attroupa pour démolir ce
OCTOBRE . 1756. 203
bâtiment. Quelques perfonnes, pour faire diverfion
à cecomplot, fe prefferent de répandre le bruit que
ce Château feroit inceffamment confifqué , pour
être donné au Général Blakeney . Le peuple ajouta
foi à ces difcours , & tout fut tranquille.
1
PATS- B A S.
DE ROTTERDAM , le 26 Août .
Selon des avis reçus de Nantes , le Capitaine
Guillaume de Knaap , commandant un Navire
Hollandois , rencontra le 6 de ce mois un Armateur
Anglois qui lui demanda des provifions.
L'Armateur peu fatisfait de ce que ce Capitaine
ne vouloit lui en fournir que pour de l'argent , a
fait tirer fur lui à mitraille. Le fieur Knaap de fon
côté s'eft mis en devoir de lui répondre par une
décharge de fon artillerie ; mais l'Armateur n'a
pas jugé à propos d'engager le conibat , & il s'eft
éloigné.
ป
FRANC E..
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LEE premier Août , vingt- quatre des principaux
habitans de Chantilly ont fignalé leur zele & leur
attachement pour le Prince de Condé , en donnant
une très- belle fête à l'occafion de la naiffance du
Duc de Bourbon , & de la convalefcence de Mile
de Bourbon. La fête a commencé par un Te
Deum folemnel , chanté dans l'Eglife de la Paroiffe
, au bruit de trente- fix pieces de canon . A
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
neuf heures du foir , on tira vis-à-vis de la façade
du petit Château , où étoient le Prince & la
Princeffe de Condé , un feu d'artifice dont le deſfein
& l'exécution furent également applaudis.
Dès que le Prince eut donné le fignal , on vit pároître
trois Bateaux fur la piece d'eau , qui eft visà-
vis du petit Château . Ils venoient de trois côtés
différens , & ils fe réunirent pour attaquer un
Fort qu'on avoit conftruit fur le bord de l'eau.
Pendant près de trois quarts d'heure , il firent
pleuvoir une infinité de fufées & de bombes fur
cette efpece de Citadelle. Dans le temps qu'on
croyoit le Fort réduit en cendres , il foudroya
d'artifice les trois Bateaux ; & toute la piece
d'eau devint un étang de feu. A cette attaque fuccéderent
plufieurs caſcades , gerbes , foleils , &c.
Un bruit de trompettes & de cors de chaffe annonça
la victoire remportée par les affiégés . Le
ficur Coufinet , Sculpteur du Frince de Condé
a donné l'idée du fiege , & a conduit le feu des
Bateaux. Le refte du feu a été dirigé par les fieurs
Caftain & Maurice , Artificiers du Roi . Lorſque
l'artifice a ceffé , neuf grands Portiques , ornés
de verdure , qu'on avoit placés en perſpective du
petit Château , furent illuminés. Celui du milieu ,
plus élevé que les autres , étoit furmonté par le
Chiffre couronné du Prince & de la Princeffe de
Condé. Au pied de ces Portiques , une Salle de
verdure , de cent trente pieds en quarré , contenoit
une table de foixante couverts , préparée
pour les époufes des principaux habitans . Sur la
fin du fouper , le Prince & la Princeffe de Condé
fe rendirent dans cette Salle . Ils y furent reçus au
fon des trompettes , cors de chaffe , violons &
autres inftrumens. Le Bal fuivit le fouper. Leurs
Akteffes Séréniffimes danferent indifféremment
OCTOBRE. 1756. 205
avec ceux qui fe préfenterent. Vers les deux
heures du matin , le Prince & la Princeffe retournerent
au Château précédés d'un grand nombre
d'inftrumens , & de douze habitans , qui portoient
chacun un falot devant Leurs Alteffes Séréniffimes.
M. le Maréchal Duc de Richelieu s'eft démis
de fa charge de premier Gentilhomme de la Chambre
en faveur de M. le Duc de Fronfac , fon fils ,
& a obtenu la furvivance de cette Charge.
Le Roi a accordé à M. de Fremeur , Lieutenant
- Général des Armées de Sa Majefté , le Ġouvernement
de Monmédy , vacant par la mort du
Comte de la Claviere , auffi Lieutenant- Général.
M. le Marquis de Talaru , Brigadier d'Infante
rie , & Colonel du Régiment de fon nom , a été
nommé Gouverneur des Villes & Châteaux de
Phaltzbourg & de Saltzbourg , fur la démiffion
de M. le Marquis de Chalmazel fon pere.
Le 9 Août , le Roi fit la cérémonie de recevoir
Chevaliers de l'Ordre de Saint Louis , M. le Comte
d'Egmont , Maréchal de Camp , & M. le Comte
de Balbi , Brigadier , Colonel réformé à la fuite du
Régiment Royal Italien.
Selon les lettres de Franche-Comté, on a effuyé
vers la fin du mois de Juillet , tant à Saint- Claude
que dans les environs , une orage des plus terribles.
Le bruit & les éclats du tonnerre étoient
fi violens , qu'ils faifoient trembler les perſonnes
les plus hardies. Les animaux dans la campagne
cherchoient en mugiffant , quelque retraite affurée.
A chaque éclat , la foudre tomboit en différentes
manieres & dans plufieurs endroits. Les
eaux deſcendoient de la montagne avec tant d'abondance
& de rapidité , qu'elles entraînoîent
rout ce qu'elles rencontroient dans leur paffage.
206 MERCURE DE FRANCE.
Vergers , Maifons , Moulins , Ecluses , rien n'a
refifté . Le 6 Août , la Ville de Saint - Claude
& les campagnes voifines ont prouvé un nouveau
fléau. Un ouragan épouvantable a ruiné dans les
campagnes tout ce que l'orage précédent avoit
épargné. Dans la Ville , la plupart des toits ont
été enlevés , & prefque toutes les cheminées abattues.
Le Clocher des Religieufes de l'Annonciade
a été renversé . Trente des plus gros arbres de la
promenade publique ont été déracinés , & tous
les autres ont été dépouillés de leurs feuilles .
Monfeigneur le Dauphin fit le 11 Août , la
revue de fon Régiment de Cavalerie , dans la
Plaine de Favieres , à cinq lieues de Compiegne.
M. le Comte de Perigord , Meftre de Camp , Lieutenant
de ce Régiment , le fit efcadronner & manoeuvrer.
M. le Marquis de Paulmy , Secretaire
d'Etat au Département de la Guerre en furvivance
du Comte d'Argenfon , accompagna Monfeigneur
le Dauphin.
Le 13 , Sa Majefté fit la revue du Régiment
Royal , Cavalerie , dans la Plaine dite du Moulin
, près de la même Ville. M. le Marquis d'Equevilly,
Meftre de Camp , Lieutenant de ce Régiment
, lui fit faire différentes évolutions . Enfuite
ce Régiment fe porta au lieu nommé le puits
de Berne , où il fit , devant le Roi , l'exercice à
pied , en bufle & en bonnet. Le fils de M. le Marquis
d'Ecquevilly , âgé de dix ans , paſſa au rang
des Cavaliers. Il fit , comme eux , le maniement
des armes & les évolutions à cheval , ainfi
que
l'exercice à pied. Sa Majefté parut très - fatisfaite .
Par une Ordonnance du 15 Fevrier 1749 , le
Roi avoit établi un Aide- Major dans chacune des
quatre Brigades du Régiment des Grenadiers de
France. Sa Majefté ayant reconnu qu'un feul
OCTOBRE. 1756. 207
Officier Major par Brigade ne pouvoit fuffire aux
différens détails de la difcipline & du fervice , a
réglé que l'Etat Major de chaque Brigade feroit à
Pavenir compofé d'un Sergent Major & d'un Aide-
Major. Les emplois de Sergens Majors feront
remplis par les Aides- Majors actuels , pour en
jouir aux honneurs & prérogatives attachés aux
autres Majors de l'Infanterie . Entend Sa Majeſté ,
que M. de Lanjamet , actuellement Major dudit
Régiment , & qui ne peut en conferver le titre
ni les fonctions au moyen de la nouvelle difpofition,
ait le commandement en fecond du Corps.
Le Roi a ordonné que les Régimens d'Infanterie
Irlandoife , de Bulkeley , de Clare , de Dillon
, de Roth , de Berwick & de Lally , fuffent
portés de quatre cens foixante - cinq hommes à
cinq cens vingt - cinq.
Le 15 Août , Fête de l'Affomption de la
Sainte Vierge , la Proceffion folemnelle , qui fe
fait tous les ans à pareil jour en exécution du Voeu
de Louis XIII , ſe fit avec les cérémonies accoutu
mées. L'Abbé de Saint -Exupery , Doyen du Chapitre
de l'Eglife Métropolitaine , y officia. Le
Parlement , la Chambre des Comptes , la Cour
des Aydes , & le Corps de Ville , y affifterent.
Dans l'affemblée générale que le Corps de Ville
tint le 16 , M. de Bernage fut continué Prevôt
des Marchands. M. Lempereur , Quartinier , &
-M Tribard , Avocat , ont été élus Echevins.
Sa Majesté a accordé à M. de Martigny & à M.
le Chevalier de Mazieres , Maréchaux des Logis de
la premier Compagnie des Moufquetaires , deux
Commiffions de Meftres de Camp , & à MM. de
Pille , de Savigny & de la Foreft , les places de
Maréchaux des Logis , vacantes dans la même
Compagnie. Elle a difpofé des Brigades qu'avoient
208 MERCURE DE FRANCE.
ces trois derniers Officiers , en faveur de MM.
d'Ormençey , de Rouville & de Mondollot. MM .
d'Elevemont , de Caffaignere & Démazet , ont
été fait Sous-Brigadiers. Le Chevalier de Monneron
, & MM. de Beaumont & de Guiry ont -
obtenu la Croix de Saint Louis. Il y a eu plufieurs
penfions , gratifications , & Commiffions de Capitaines
données à divers Moufquetaires.
Le Corfaire commandé par le Capitaine Gaftin
, de Marſeille , a fait dans l'intervalle de
quinze jours deux prifes eftimées cinquante mille
écus. Un des Corfaires de M. Roux , de Corfe , en
a fait auffi une .
L'Académie Royale des Sciences, dans fon Affemblée
du 23 Juin , propofa au Roi pour remplir la
place d'Adjoint- Géometre, vacante par la promotion
de M. de Parcieux au grade d'Affocié , M. le
Chevalier de Borda , Chevau- leger de la Garde
du Roi , & M. Bezout , Cenſeur Royal & Maître
de Mathématiques. M. le Comte d'Argenfon
a écrit le 30 à l'Académie que le Roi avoit choiſi
M. de Borda.
Dans la même Affemblée du 23 , M. Necker ,
Citoyen de Geneve , fut élu Correſpondant de
l'Académie .
Le 23 Août , les Députés des Etats de Languedoc
eurent audience du Roi. Ils furent préſentés
à Sa Majesté par M. le Comte d'Eu , Gouverneur
de la Province , & par M. le Comte de Saint Florentin
, Miniftre & Sécretaire d'Etat ; & conduits
par M. de Gifeux , Maître des Cérémonies , en
furvivance de M. Defgranges. La Députation
étoit compofée , pour le Clergé , de l'Evêque de
Viviers qui porta la parole ; du Vicomte de Polignac
, pour la Nobleffe , & de Meſſieurs Valet
Député de Saint- Pons , & Montcabrier , Député
OCTOBRE . 1756. 209
de Toulouſe , pour le Tiers-Etat ; ainfi que de
M. de Montferrier , Syndic Général de la Province.
Ces Députés eurent enſuite audience de la
Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de Madame
la Dauphine , de Madame , & de Mefdames Victoire
, Sophie & Louife.
M. le Comte de Merle , Cornette de la premiere
Compagnie des Moufquetaires de la Garde,
eft défigné pour fuccéder à M. le Comte de Baſchi
en qualité d'Ambaffadeur du Roi auprès du Roi
de Portugal.
Sa Majefté a fait Brigadier de Cavalerie M. le
Comte de Perigord , Meftre de Camp- Lieutenant
du Régiment de Monfeigneur le Dauphin ;
Brigadier de Dragons , M. le Duc de Coigny ,
Meftre de Camp Général de ce Corps ; & Brigadier
d'Infanterie , M. le Chevalier de Gramont
Lieutenant-Colonel du Régiment de Vermandois.
Le Roi ayant réfolu de tenir fon Lit de Juftice,
Sa Majefté avant fon départ de Compiegne , ordonna
de faire dans le Château de Verfailles , les
préparatifs néceffaires pour cette cérémonie . La
grande Salle des Gardes fut choifie comme le lieu
qui y étoit le plus propre. M. Defgranges , Maître
des Cérémonies , après avoir reçu les ordres
du Roi , porta au Parlement le 20 Août au matin ,
une Lettre de Sa Majefté pour que le Parlement
fe rendît le lendemain à Verſailles en Corps de
Cour & en Robes rouges. Les Princes du Sang
furent avertis de la part du Roi par M. Defgranges
, qui envoya des Billets d'invitation aux Pairs ,
tant Eccléfiaftiques que Laïques ; aux Maréchaux
de France , aux Chevaliers des Ordres , aux Gouverneurs
& aux Lieutenans Généraux des Provinces.
Le 21 , le Parlement arriva fur les onze heures
à Versailles , & s'affembla dans les deux Salles
210 MERCURE DE FRANCE.
des Ambaffadeurs & du Confeil , d'où il fe rendit
à la Salle préparée pour le Lit de Juſtice . Lorfque
le Parlement eut pris fa féance en la maniere
accoutumée, il fit une Députation de quatre Préfidens
& de fix Confeillers , pour aller au - devant du
Roi. Sa Majesté en habit de cérémonie , fortit de
fon appartement , & la marche fe fit en cet ordre.
Les Tambours , Fifres , Haut- bois & Trompettes
de la Chambre. I es Lieutenans Généraux des Provinces
. Les Gouverneurs de Provinces. Les Chevaliers
des Ordres. Les Maréchaux de France . Les
Hérauts d'Armes . Les Princes du Sang . Le Maître
des Cérémonies . Deux Huiffiers de la Chambre
du Roi , portant leurs Maffes. M. le Prince de
Turenne , Grand Chambellan en furvivance de
M. le Duc de Bouillon ; & à la gauche du Prince
de Turenne le Comte de Brionne , Grand Ecuyer,
portant l'Epée de Parement du Roi . Le Marquis
de Mon mirel , Capitaine de la Compagnie des
Cent Suiffes de la Garde de Sa Majesté. Sur les
aîles près de la perfonne du Roi , les Préfidens &
Confellers Députés , & fix Gardes de la Manche
avec leurs Cortes d'armes & leurs Pertuifanes.
Derriere Sa Majefté , les quatre Capitaines des
Gardes du Corps . Le Chancelier de France fuivoit
le Roi , étant accompagné d'une partie des Confeillers
d'Etat & des Maîtres des Requêtes. Sa Majefté
fe plaça fur fon Trône. Elle avoit à la droite
Monfeigneur le Dauphin , dont le fiege (C ) étoit
placé fur le tapis de Sa Majefté . Aux hauts fieges
(D) du même côté , étoient le Duc d'Orléans , le
Prince de Condé , le Comte de Clermont , le
Prince de Conty & le Comte de la Marche
Princes du Sang. Sur le refte du banc , & fur un
banc en retour (G) , qui alloit juſqu'à la place du
dernier Prince du Sang ; les Ducs de Luynes , de
•
OCTOBRE . 1756 . 211
Briffac, de la Force , de Rohan , de Saint- Aignan ,
de Gefvres , le Maréchal Duc de Noailles , les
Ducs d'Aumont , de Bethune , de Fitzjames , d'Antin
, de Chaulnes , de Villars- Brancas de Lauraguais
, le Prince de Monaco , Duc de Valentinois
les Ducs de Biron , de la Valliere , & le Maréchal
de Belle -Ifle , Duc de Gifors , Pairs Laïcs . A la
gauche du Roy, aux bauis fieges ( H ) ; l'Evêque Duc
de Laon , l'Evêque Comte de Châlons , l'Evêque
Comte de Noyon , Pairs Eccléfiaftiques ; & les
Maréchaux de Coigny & de Balincourt , ( ces
deux Maréchaux de France étant venus avec le
Roi ) Aux pieds de Sa Majesté ( E ) ; le Prince de
Turenne , Grand Chambellan en furvivance du
Duc de Bouillon. A droite, fur un tabouret (F) , auprès
des degrés du Siege Royal , le Comte de Brionne
, Grand Ecuyer , portant au col l'Epée de Pa
rement du Roi. A gauche , fur un banc ( K ) au❤
deffous de celui des Pairs Ecclefiaftiques ; les qua
tre Capitaines des Gardes du Corps du Roi , & le
Marquis de Montmirel , Capitaine Colonel des
Cent Suiffes de la Garde. Plus bas étoit affis fur le
petit degré ( 2 ), par lequel on defcendoit dans le Parquet
, le fieur de Segur , Prevôt de Paris , tenant
un bâton blanc en fa main. Sur une chaise à bras
(L) couverte de l'extrêmité du tapis de velours violet
, femé de fleurs de lys d'or , fervant de drap de
pieds au Roi , Meflite Guillaume de Lamoignon ,
Chancelier de France , vêtu d'une robe de velours
violet , doublée de fatin cramoifi. Sur le banc (P)
répondant à celui où fiéent les Préfidens au Confeil
en la Chambre du Parlement ; Meffire René-
Charles de Maupeou , Premier Préfident ; MM .
Molé , Potier , le Peletier de Rozambo , de Maupeou
, de Lamoignon de Montrevault , d'Aligre ,
le Fevre- d'Ormeflon , & Bochart - de Saron , Sur
212 MERCURE DE FRANCE.
les trois bancs (QR ) couverts de tapisserie , formant
l'enceinte du Parquet ; les Confeillers d'Honneur,
les Préfidens des Enquêtes & des Requêtes , & les
Confeillers de la Grand'Chambre , mêlés . Dans le
Parquet , devant le Chancelier , étoient placés deux
tabourets , celui de la droite (M ) vacant par l'abfence
du Marquis de Dreux , Grand Maître des
Cérémonies , & celui de la gauche (N) occupé par
le fieur Defgranges , Maître des Cérémonies . Au
milieu du Parquet ( i ) & à genoux devant le Roi ,
deux Huiffiers de la Chambre de Sa Majesté ,
tenant leurs Maffes d'argent doré , & à quelque
diſtance ( k ) , fix Hérauts d'armes. Au côté droit ,
Sur les deux bancs ( SS ) couverts de tapis femés de
fleurs de lys ; les Confeillers d'Etat & Maîtres des
Requêtes , vêtus en robe de fatin noir , venus avec
le Chancelier. Sur une forme ( a ) à gauche , en entrant
, vis- à-vis des Préfidens ; le Comte de Saint
Florentin , le Comte d'Argenfon , M. Rouillé &
le Marquis de Paulmy , Secretaires d'Etat . Sur
trois autres bancs ( TVX ) à gauche dans le Parquet
, vis- a-vis des Confeillers d'Etat ; le Marquis
de Beringhen , le Comte de Lautrec , le Marquis
de Puyzieulx , le Comte de Vaulgrenant , le Marquis
de Saffenage , le Comte de Mailly , le Baron
de Montmorency , le Marquis de Chalmazel , le
Comte de la Vauguion , le Marquis d'Armentieres
, & le Marquis de l'Hopital , Chevaliers des
Ordres ; le Comte de Gifors , le Comte de Périgord
, le Marquis de la Tour-Dupin , & le Marquis
de la Salle , Gouverneurs de Provinces ; le
le Marquis de Montalambert , le Comte de Teffé ,
le Marquis de Beaupreau , le Comte de Valentinois
, le Comte de Choifeul , & le Marquis de
Brancas , Lieutenans Généraux de Provinces . A
côté de la forme où étoient les Sécretaires d'Etat ;
OCTOBRE. 1756. 213
le fieur Dufranc , Secretaire de la Cour , faifant
les fonctions de Greffier en Chef, & à côté de lui ,
un des trois principaux Commis pour la Grand'-
Chambre , tenant la plume ; ayant chacun devant
eux un bureau (66) couvert de velours violet . Sur
une autre forme (b) derriere ; le fieur Richard ,
Greffier en Chef Criminel , & les fieurs Yfabeau
& Héron-de Courgis , Secretaires de la Cour. Sur
une autreforme ( d ) , le Marquis de Sourches ,
Grand Prevôt de l'Hôtel . Sur un fiege (m) à l'entrée
du Parquet , le fieur Angely , premier Huiffier.
En la place (f) répondante à celle qu'ils occu
pent , toutes les Chambres aſſemblées , le fieur Joly
de Fleury, Avocat du Roi ; le fieur Joly de Fleury,
Procureur Général , & le fieur Seguier , auffi Avocat
du Roi. Sur le furplus des bancs ( gh , YZ) les
Confeillers des Enquêtes & Requêtes.
Le Roi s'étant affis & couvert , M. le Chancelier
dit , par ordre de Sa Majefté , qu'Elle commandoit
qu'on prêt féance : après quoi , le Roi ,
ayant ôté & remis fon chapeau , dit : « Meffieurs ,
» Je vous ai affemblés ici , pour vous faire fçavoir
» mes intentions & mes volontés ; mon Chance-
» lier va vous les expliquer » .
M. le Chancelier étant monté vers le Roi , &
s'étant agenouillé aux pieds de Sa Majesté pour
recevoir les ordres ; puis étant defcendu , remis
en fa place , affis & couvert , après avoir dit que
le Roi permettoit qu'on le couvrît , prononça le
Difcours fuivant .
MESSIEURS ,
« Pendant qu'une Nation , de tout temps enne-
» mie de la France , fait les derniers efforts pour
» enlever aux habitans de nos Colonies , des pof-
» feffions qui leur appartiennent par les titres les
plus légitimes ; qu'au milieu de la paix la plus
214 MERCURE DE FRANCE.
» profonde , elle ne craint point de violer les trai
tés les plus folemnels ; & que pour détruire no-
>> tre Commerce , elle emploie les voies les plus
» odieufes & les plus contraires à l'humanité , le
Roi ne peut voir qu'avec une extrême ſurpriſe
la réfiftance qu'apporte fon Parlement à la pu-
>> blication de trois de fes Déclarations , dont l'exé-
» cution doit procurer à Sa Majesté des fecours
» néceffaires pour le foutien de nos Colonies & le
> rétabliffement de notre Commerce.
>> On fçait que le Roi ne fait la guerre que
» pour l'intérêt de fes Sujets. Occupé du foin de
» les venger des hoftilités injuftes & continuelles
» qu'ils éprouvoient , il l'étoit encore plus de la
crainte d'être forcé de leur impofer des charges
» extraordinaires malheureuſement indifpenfables
» pour le foutien d'une guerre .
Après avoir oppofé longtemps la patience &
la modération aux entreprifes de fes ennemis , il
» s'eft enfin déterminé à repouffer par la voie des
>> armes leurs infultes multipliées ; & dans la né-
» ceffité d'établir des impôts , il a fait choix de
» ceux qui lui ont paru le moins onéreux . Tel eft
» le motif qui a donné lieu aux trois Déclarations
» que le Roi entend faire publier en fon Lit de
>> Juftice.
» Par la première , le Roi établit un nouveau
» Vingrieme pareil à celui qui fubfifte depuis l'an-
» née 1749 , & dont le produit eſt affecté au paie-
» ment des dettes de la derniere guerre. La per-
>> ception de ce nouveau Vingtieme ceffera trois
» mois après la publication de la Paix. Cette na-
»ture d'impofition fera moins à charge aux Peuples
que toute autre , parce qu'elle fe répartit
»fut tous les Sujets , chacun à proportion de fa
>> fortune..
OCTOBRE . 1756. 215
»
>> La feconde Déclaration ordonne la continua-
» tion pendant dix ans des Deux fols pour livre du
Dixieme , à commencer du dernier jour de l'an-
» née préfente. Le terme de cette impofition &
» de celui du premier Vingrieme , quo que fixé
>> d'une maniere certaine , n'eft pas auffi proche
» que Sa Majesté le defireroit ; mais il faut confi
>> dérer que P'un & l'autre étant deftinés à l'acquit
» des dettes de l'Etat , ils doivent fubfifter julqu'i
» ce que les dettes de l'Etat foient acquittées.
» C'eſt à tort & vainement qu'on cherche à
» jetter l'allarme dans les efprits , en faifant en-
>> tendre que l'incertitude de la durée & la lon-
»gueur de ces deux impofitions font capables dedis
>> minuer le courage des fujets du Roi , & d'altérer
» la confiance qui font la véritable force du Sou-
» verain & de l'Etat. Le témoignage que Sa Ma
» jeſté ſe rend à Elle-même de la tendre affection
» pour les peuples , lui eft un gage affuré de leur
» confiance , en même-temps que les preuves
» qu'il leur a tant de fois données de fon empref-
» fement à les foulager , ſoutiendront toujours &
>> animeront leur courage , furtout dans ce mo-
➤ment où leur honneur & leur fûreté ſont égale-
» ment intéreffés.
» Enfin , par la troifieme Déclaration , le Roi
» proroge pour un certain temps , plufieurs droits
» qui fe perçoivent dans la ville de Paris . Sa Ma-
» jefté n'a pu fe difpenfer d'ordonner cette proro-
» gation qui ne peut être regardée comme pré-
» maturée , parce qu'elle eft néceffaire pour affurer
les engagemens que les conjonctures ont
» forcé de contracter . Quelque onéreux que ces
» droits paroiffent être pour les habitans de la
» Capitale , ils en font en partie dédommagés par
l'ordre & la regle que ceux qui font chargés do
216 MERCURE DE FRANCE.
» les percevoir établiffent dans les marchés pour
faciliter le débit des denrées , & pour en pro-
фу
» curer Pabondance : on voit d'ailleurs par le tarif
» attaché à la Déclaration , l'attention qu'a eu le
» Roi de diminuer , & même de fupprimer entié-
>> rement plufieurs de ces droits fur les denrées les
» plus néceffaires à la vie.
» Le Roi veut donc , que nonobftant les repré-
» fentations réitérées de fon Parlement , fes Déclarations
foient exécutées dans toute leur éten-
» due & fans délai , afin de ne pas interrompre
ni retarder les opérations néceffaires pour
» profiter des fuccès que le Ciel vient d'accorder
» à fes armes.
» Ces heureux événemens dont le Roi n'eft
» flatté que parce qu'il les regarde comme le pré-
» fage d'une paix glorieufe , doivent redoubler
> notre zele. Pourrions-nous regretter des ſecours
» que Sa Majefté ne veut employer que pour
» notre défenfe , fans manquer à ce que nous lui
રે
» devons & à ce que nous nous devons à nous-
» mêmes ! »
Après que M. le Chancelier eut ceffé de parler,
M.le Premier Préfident & tous les Préfidens & Confeillers
mirent un genou en terre. Le Chancelier
leur dit , Le Roi ordonne que vous vous leviez. Ils
fe leverent , & demeurerent debout & découverts.
Alors M.le Premier Préfident parla, & fon Diſcours
fini , le Chancelier monta vers le Roi pour prendre
fes ordres , un genou en terre . Remis en fa
place , affis & découvert , il fit ouvrir les portes ,
& il ordonna au fieur Dufranc de lire les trois
Déclarations. Les portes furent ouvertes , & le
fieur Dufranc ayant lu les Déclarations debout &
découvert , le Chancelier dit aux Gens du Roi
qu'ils pouvoient parler. Aufli -tôt les Gens du Roi
fc
OCTOBRE. 1756. 217
fe mirent à genoux . M. le Chancelier leur dit que le
Roi ordonnoit qu'ils fe levaflent . Ils fe leverent ,'
& debout & découverts , après un Difcours prononcé
par M. Joly de Fleury , Avocat du Roi ,
portant la parole , ils requirent qu'il plût à Sa
Majefté ordonner que fur le repli des trois Déclarations
il fût mis qu'elles avoient été lues &
publiées , Sa Majeſté léante en fon lit de Juſtice ,
& régiítrées au Greffe de la Cour pour être exécu
tées felon leur forme & teneur ; & qu'à l'égard
des deux premieres , Copies collationnées en feroient
envoyées aux Bailliages & Sénéchauffées du
reffort , pour y être pareillement lues , publiées
& enrégiftrées , avec injonction à leurs Subftituts
d'y tenir la main , & d'en certifier la Cour dans le
mois.
Après quoi M. le Chancelier monta vers le Roi ,
mit un genou en terre pour recevoir les ordres ,
& alla prendre l'avis de Monfeigneur le Dauphin ,
des Princes du Sang , des Pairs Laïcs , du Grand
Ecuyer & du Grand Chambellan . Il paffa devant
le Roi , lui fit une profonde révérence , & prit
l'avis des Pairs Eccléfiaftiques , des Maréchaux de
France venus avec le Roi , & des quatre Capitaines
des Gardes du Corps de Sa Majesté . Puis il defcendit
dans le parquet pour prendre les avis du Premier
Préfident , des Préfidens du Parlement , des
Confeillers d'Etats & des Maî res des Requêtes
des Confeillers d'honneur , des Préfidens des Enquêtes
& des Requêtes , & des Confeillers du
Parlement. Il remonta vers le Roi , mit un genou
en terre , redefcendit , & étant affis & couvert , il
prononça :
« Le Roi , féant en fon Lit de Juſtice , a or-
»donné & ordonne que les Déclarations , qui
viennent d'être lues, feront enrégiftrées au Greffe
I. Vol. Κ
218 MERCURE DE FRANCE.
»>de fon Parlement , & que fur le repli d'icelles ;
nil foit mis que lecture en a été faite , & l'enré-
»giftrement ordonné ; ce requérant fon Procu-
»reur Général , pour être le contenu en icelles
>> exécuté felon leur forme & teneur ; & Copies
>>collationnées des deux Déclarations , l'une por-
>> tant établiſſement d'un fecond vingtieme , l'au-
»tre portant prorogation du droit de deux fols
>>pour livre du dizieme , envoyées aux Bailliages
& Sénéchauffées du reffort , pour y être pareik
plement lucs , publiées & régiftrées . Enjoint aux
>>Subftituts de fon Procureur Général d'y tenir la
»main , & d'en certifier la Cour au mois. >>
Enfuite M. le Chancelier dit , que pour la plus
prompte exécution de ce qui venoit d'être or
donné , le Roi vouloit que par le Secretaire de la
Cour , faifant les fonctions de Greffier en Chef
de fon Parlement , il fût mis dans l'inftant même
fur le repli des trois Déclarations qui avoient été
publiées , ce que Sa Majesté avoit ordonné qu'on
y mit. Ce qui ayant été exécuté , le Roi fe leva ,
& fortit dans le même ordre qu'il étoit entré.
Le 25 Août , le Corps de Ville alla à Versailles ,
& ayant à la tête M. le Duc de Gefvres , Gouverneur
de Paris , il eut audience du Roi. Il fut préfenté
à Sa Majesté par M. le Comte d'Argenlon ,
Miniftre & Secretaire d'Etat , & conduit par M.
Defgranges , Maître des Cérémonies . M. de Ber
nage qui a été continué Prevôt des Marchands , &
MM. Lempereur & Tribard , nouveaux Echevins ,
prêterent entre les mains du Roi le ferment de
fidélité , dont M. le Comte d'Argenſon fit la lecture
, ainfi que du fcrutin qui fut préfenté par M.
de la Live de la Briche , Avocat du Roi au Châtelet.
Après cette audience , le Corps de Ville cut
l'honneur de rendre les refpects à la Reine & àla
Famille Royale .
OCTOBRE . 1756. 219
On apprend par des Lettres de l'Ifle Royale
les circonftances fuivantes d'un combat de M.
Beauffier , qui commande l'Efcadre du Roi , partie
de Breft au mois d'Avril dernier , avec les troupes
que Sa Majesté a fait paffer en Canada. M. Beauf
fier revenant de Québec , faifoit route pour Louifbourg
, lorfque le 16 Juillet il apperçut à la diftance
d'environ trois lieues dans le Sud de ce
dernier Port , deux Vaiffeaux Anglois avec deux
Frégates , qui portoient au plus près du vent pour
le reconnoître. M. Beauffier avoit alors avec le
Vaiffeau le Héros qu'il monte , l'illuftre , commandé
par M. de Montalais , Capitaine de Vaiffeau
, & les Frégates la Lycorne & la Syrene , que
commandent MM. de la Rigaudiere & de Brougnon
, Lieutenans de Vaiffeaux. Profitant du vent
du Nord qui fouffloit , il arriva fur le champ
grand fargue fur les Anglois , qui revirerent
promptement de bord , & prirent chaffe. La
crainte de tomber trop fous le vent de Louisbourg,
où il avoit ordre de remettre des provifions deftinées
pour cette Colonie , l'empêcha de poursuivre
long-temps les Anglois , & il entra le même jour
dans ce Port. Il fe preffa d'y débarquer les effets
dont il étoit chargé , ainfi que quelques malades
de fes équipages ; & le lendemain dès cinq heures
du matin , il fe trouva fous voile , & appareilla
pour aller chercher les ennemis. Vers midi il
reconnut les deux Vaiffeaux qu'il avoit chaffés là
veille , & qui n'avoient plus qu'une Frégate avec
& eux. Il força de voiles pour les joindre , & ils firent
la même maneuvre pour l'éviter. M. de
Breugnon joignit bientôt la Frégate Angloife , &
l'attaqua fi vivement , qu'elle fe replia fous le
canon des deux Vaiffeaux , dont le feu ralentit la
pourfuite de M. de Breugnon , qui fut même
M
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
obligé de s'écarter un peu . Sa manoeuvre fervit
cependant à donner à M. Beauffier le temps d'ap
procher les deux Vaiffeaux Anglois , dont l'un
étoit de 74 & l'autre de 64 canons. Il tira d'abord
fur l'un , comptant que l'autre qui étoit fur fa
hanche alloit être attaqué par M. de Montalais.
Mais le calme qui furvint en ce moment , rendit
inutiles tous les efforts que celui - ci put faire
pour s'approcher ; enforte que M. Beauflier eut à
combattre les deux Vaiffeaux Anglois. Le combat
fut très-vif de part & d'autre jufqu'à fept heures
du foir , qu'un petit vent qui s'éleva , ayant donné
à M. de Montalais occafion de faire de la voile ,
les ennemis en profiterent pour s'éloigner. Le
Vaiffeau le Héros fe trouvant prefque défemparé ,
M. Beauffier fut hors d'état de les pourfuivre.
Il s'occupa durant la nuit à faire changer les
voiles & les manoeuvres qui avoient été coupées
dans le Vaiffeau , & il efpéroit de pouvoir rejoin.
dre les ennemis. Mais le lendemain 20 , à huit
heures du matin , il les apperçut , forçant toujours
de voiles , & à une telle dittance , que ne pou
vant pas fe flatter de les approcher , malgré le
mauvais état où ils paroiffoient être , il prit le
parti de retourner à Louifbourg , pour y réparer
entiérement le dommage que le Vaiffeau le Héros
avoit fouffert. Ce Vaiffeau a reçu dans le combat
plus de deux cens coups de canon , foit dans fes
oeuvres- mortes , foit dans fa mâture , fans compter
ceux qui ont porté au deffous de la flottaifon .
Il y a eu dix-huit hommes tués , quarante buit de
bleffés du nombre des derniers font M. de Faget
, Enfeigne de Vaiffeau , qui a une bleffure
confidérable d'un coup de canon à la cuiffe , &
M. Beauffier lui - même , d'un éclat qui a porré
fur la jambe gauche. Cet Officier eſt arrivé au
OCTOBRE. 1756. 211
les
Port Louis le 9 Septembre , avec les Vaiffeaux le
Héros qu'il commande , PIlluftre & la Frégate
la Sirenne. Il étoit parti de Louifbourg le 13
Août , & il avoit alors avec lui la Frégate la Licorne
, commandée par M. Froger de la Rigaudiere
, laquelle s'étant féparée le jour du départ
dans une brume , eft arrivée à Breft quelques jours
avant ces autres Bâtimens. Pendant leur traverfée
, M. Beauflier a fait huit différentes prifes ,
dont trois font chargées de fucre & d'autres denrées
des Iles de l'Amérique. Il a amené avec lui
quatre cens prifonniers , dans le nombre defquels.
font deux Officiers & cent foixante - un foldats
Allemands , qui étoient deftinés pour le Régiment
Royal Américain.
Les Lettres qu'on a reçues par cette occafion ,
portent que, fuivant les rapports faits par les Capitaines
de deux Goëlettes arrivées depuis peu de
Quebec à Louisbourg , M. de Villiers , Capitaine
dans les troupes du Canada , Commandant
un Détachement compofé de Soldats , Canadiens
& Sauvages , avoit attaqué fur la riviere de
Choueguen un convoi confidérable de Bateaux
Anglois , dont il avoit tué 4 à 500 hommes , fait
60 ou 80 prifonniers , & pris tous les Bateaux ,
que les Anglois avoient abandonnés pour ſe ſauver
à terre.
M. l'Evêque d'Autun fut élût le 19 Août , pour
premplir la place qui vaquoit dans l'Académie
Françoife par la mort du Cardinal de Soubize.
La joie que le fuccès de nos armes a repandu
Fa dans tous les coeurs a été d'autant plus vive , que·
Le l'Europe entiere ne croyoit pas notre marine en
& état de former des entreprifes auffi confidérables .
La Cour a témoigné ſa ſatisfaction à l'occaſion de
ala prife du Fort Saint- Philippe , par les illumina-
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
tions les plus galantes . M. le Duc de Gefvres tou
jours magnifique , après s'être uni au public par
Pillumination de fon Hôtel le jour du Te Deum
chanté à la Chapelle du Roi , & le vingt- cinq
Juillet , jour du feu de joie de la ville de Compiegne
qu'il avoit ordonné comme Gouverneur de
la Province , & après avoir fait couler à la porte
de fon Hôtel des fontaines de vin , s'eft diftingué
le 6 Août par une Fête particuliere , où la magnificence
a répondu au bon goût fi reconnu de ce
Seigneur. Il fit fuccéder à un fouper fomptueux
un Feu d'artifice Italien en plufieurs décorations.
La façade & l'intérieur de fon Hôtel & des Jardins
furent fuperbement illuminés fous divers formes
d'architecture . La Fête fut terminée par un bal
où se trouverent les Princes , les Miniftres , les
Etrangers de diftinction , & toutes les Dames de
la Cour .
Le Roi chaffa le 31 Août dans la Plaine de Grenelle
, & foupa à Mont - Rouge chez M. le Duc de
la Valliere.
Meffieurs de Reillans & de Teffieres , Exempts
des Gardes du Corps dans la Compagnie de Mirepoix
, ayant obtenu leur retraite , le Roi a difpofé
de leurs emplois en faveur de M. le Chevalier de
Flahaut & de M. le Marquis de Vexin. Sa Majefté a
nommé MM . de la Villeneuve & de la Seunniere ,
Brigadiers de la même Compagnie , à la place de
MM. de la Ripiere & de Chateauroy , qui ont
auffi obtenu leur retraite . MM . de Beaupine & de
´la Boire ont été faits fous - Brigadiers. Des Commiffions
de Capitaines de Cavalerie ont été expédiées
à plufieurs Gardes du Corps .
On a arrêté deux Anglois , accufés d'être les
incendiaires , qui ont mis le feu , il y a quelque
temps , à un magaſin de Rochefort.
OCTOBRE. 1756. 223
Des Armateurs de Marſeille y ont conduit fiz
prifes eftimées fix cens mille livres.
Un petit Bâtiment à rames de huit canons ,
forti du même Port , & commandé par le Capitaine
Gaffen , s'eft battu pendant trois heures à
la vue du Port de Livourne , contre un Corfaire
Anglois de vingt canons. On eft informé par
des Lettres de ce dernier Port , que le Corfaire a
eu dix-neuf hommes de tués , & un grand nombre
de bleffés . De fon propre aveu , il étoit prêt à fe
rendre , lorfque l'équipage du Capitaine Gaffen ,
aqui étoit mêlé d'étrangers , refufa de fe préſenter
une quatrieme fois à l'abordage. Ce Capitaine n'a
perdu qu'un homme. Depuis que le Corfaire Anglois
eft retourné à Livourne , où le mauvais état
de fon Vaiffeau l'a obligé de relâcher , on y travaille
à lui faire fon procès , fur ce qu'il a défobéï
à une Ordonnance de l'Empereur , en fortant de
-ce Port avec plus de quatre canons.
M. le Maréchal Duc de Richelieu arriva le premier
de Septembre à Paris , & le même jour il eut
P'honneur de faluer le Roi à Choify . Le , M. le
-Duc de Fronsac eut à Verſailles le même honneur.
Le Roi a nommé M. l'Abbé Comte de Bernis ,
fon Ambaffadeur à la Cour de Vienne ; & M. le
Marquis d'Aubeterre eft défigné pour réfider
avec le même caractere à la Cour de Madrid.
DESCRIPTION de la décoration du
Temple de Mars , & du Feu d'artifice que
la ville de Bordeaux a fait tirer pour célébrer
la prife du Fort S. Philippe
LE Plan du Temple de Mars repréfentoit un
quarré parfait. Sa hauteur, depuis le pavé jufqu'au
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
deffus de la corniche étoit de vingt-deux pieds ;
au deffus de la corniche ou entablement , & au
pourtour de tout l'édifice régnoit une balustrade
dorée de quatre pieds de hauteur.
Au deffus , & fur le milieu du Temple , s'élevoit
un obélifque de trente-fix pieds de hauteur , furmonté
d'un grand Globe d'artifice de cinq pieds
de diametre.
Toute la hauteur de l'édifice étoit de foixantelept
pieds ; tous les corps maffifs du Temple
étoient peints en marbre Sérancolin , & les tables .
& panneaux en marbre verd antique ; les focles du
Temple & de l'obélifque étoient en grotte.
La façade , du côté de l'Hôtel de Ville , étoit
décorée d'un avant - corps de dix- fept pieds de largeur
,fur un pied fix pouces de faillie , dans le milieu
duquel il y avoit une arcade de neuf pieds de
largeur fur dix-neuf pieds d'élévation , formée
par deux pilaftres de quatre pieds de largeur , à
cadres doiés & ornés des panneaux de relief, fur
lefquels étoient peints & rehauffés en or des trophées
d'armes entrelacées de branches de lauriers.
L'impofte , l'archivolte & les tables qui régnoient
au tour de l'archivolte étoient de relief
doré.
Au deffus de l'arcade étoit placé un grand cartouche
en relief de fix pieds fix pouces de largeur
fur neuf pieds de hauteur, y compris la couronne ,
dans lequel étoient deux écuffons accolés aux Armes
de France & de Navarre , entourées des colliers
des Ordres du Roi ; le cartouche , la couronne
& tous les ornemens étoient dorés , & les écusfons
blazonnés en couleur.
Au bas du cartouche , & joignant l'archivolte ;
fortoient deux chûtes en feftons de feuilles de
laurier , en relief doré , de neuf pieds de longueur,
OCTOBRE. 1756. 225
de l'extrêmité defquelles tomboient des guirlandes
auffi de relief , attachées par des agraites.
Dans le renfoncement de l'arcade , étoit placée
la ftatue de M. le Maréchal de Richelieu fous
les habits du Dieu Mars , l'épée à la main , &
appuyée fur des trophées d'armes mêlés de lauriers
; à côté étoit un génie portant le bâton
de Maréchal de France , & les armes de M. le
Duc de Richelieu ; ce grouppe de bronze peint en
tranfparent , étoit élevé fur un piedeſtal Corinthien
de marbre de Carrare , dans le panneau duquel
on lifoit cette infcription : Marti Gallico
civitas Burdigalenfis pofuit.
Le piedeftal portoit fur trois marches de marbre
blanc , veiné.
De chaque côté de l'avant- corps & dans les
parties fimples , étoient deux grands cadres à
bordures & ceintres dorés , ornés dans leur milieu
d'agraffes , le tout en relief doré de fix pieds
fix pouces de largeur , fur treize pieds de hauteur,
y compris un fecond focle peint en marbre de
Carrare , fur lefquels repofoient deux tableaux de
coloris en tranfparent , dont l'un représentoit
Neptune fortant du fein de la mer , appuyé fur un
rocher , tendant fes bras au Génie de la France
qui lui ôtoit des fers qu'il préfentoit à la ftatue
de M. le Maréchal de Richelieu . Dans le focle
da tranfparent qui étoit au bas du tableau ,
étoient ces mots : Neptunus Mediterraneus. Liberatori
fuo. L'Attique au deffus de ce tableau
étoit ornée & chantournée d'une bordure en relief
doré , au milieu de laquelle on voyoit en tranfparent
colorié les colonnes d'Hercule pofées fur des
rochers , entre lefquels étoient la maffue de ce:
Dieu avec la dépouille du Lion de Némée : autour:
étoient ces mots : Et plus ultrà , pour défignen
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
que
les conquêtes du Roi fur les Anglois s'éten➡
droient au delà de Gibraltar figuré par les colonnes
d'Hercule .
Le fecond tableau auffi en tranfparent à gauche
de l'avant -corps , repréfentoit la ville de Bordeaux
fous la figure d'ure femme couronnée de
tours , couverte d'une robe rouge , parfemée de
croiflans d'argent qui font partie des armes de la
Ville. Cette figure dans une attitude d'admiration
pofoit une couronne de lauriers fur l'écuffon
des armes de Monfeigneur le Maréchal de Richelien
, fupportées par deux Génies , dont l'un tenoit
des palmes , & l'autre le bâton de Maréchal
entouré de lauriers .Cet écuffon repofoit fur des tro.
phées d'armes. A côté de la ville de Bordeaux étoit
un autre Génie appuyé fur les armes de la Ville .
Dans le focle on lifoit cette infcription : Civi
tas Burdigalenfis . Gubernatori invictiffimo. Dans
l'Attique au- deffus , ornée comme la précédente
, étoit peint en tranfparent un grand foleil
rayonnant , prefque tout couvert , & traversé dans
fon milieu par d'épais nuages , avec ces mots :
Tegitur , dum fulmina pariet ; pour repréſenter la
longue modération du Roi dont les Anglois ont
fi longtemps abufé , & le fecret impénétrable
avec lequel Sa Majesté a préparé & difpofé toutes
les opérations d'une campagne dont le fuccès
étonne aujourd'ui l'Angleterre.
Tout ce qui peut rendre plus éclatante une
grande fête , fut employé dans celle- ci avec une
magnificence extraordinaire. Illumination géné
tale , feux devant les portes , grand fouper où
cert femmes furent fervies par deux cens cava-
Jicis , feu d'artifice très- long & très - heureuſement
exécuté , bal mafqué répété dans fix falles
immenfes, tout ce que l'art , lajoie & le zele peuOCTOBRE.
1756. 227
vent inventer fut mis en ufage pour exprimer
Padmiration pour M. de Richelieu , & l'amour pour
le Roi.
BÉNÉFICES DONNÉS.
SA
›
A Majefté a accordé l'Abbaye de Bellaigue ,
Ordre de Câteaux , Diocèfe de Clermont , à M.
l'Abbé de Durat ; l'Abbaye de Corbie , Ordre de
Saint Benoît , Diocèle d'Amiens , au Cardinal de
Luynes , Archevêque de Sens celle de Saint
Vincent , même Ordre , Diocèfe & Ville de
Laon , au Cardinal de Gefvres ; celle d'Herivaux
Ordre de Saint Auguftin , Diocèfe de Paris
, à M. l'Abbé Boifot , Prêtre du Diocèfe de
Befançon; celle de Bellevaux , Ordre de Prémontré
, Diocèfe de Nevers , à M. l'Abbé de Chaffois
l'Abbaye Réguliere de Notre- Dame , Ordre
de Saint Benoît , Diocèfe & Ville de Troyes ,
à la Dame de Montmorin , Religieufe dudit Ordre
; & celle de Villechaffon , même Ordre ,
transférée dans la Ville de Moret , Diocèfe de
Sens , à la Dame d'Arcy , Religieufe de la Congrégation
de Compiegne ; l'Abbaye de Saint
Medard , Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de
Soiffons , à M. l'Abbé Comte de Bernis , Confeiller
d'Etat Eccléfiaftique , & Ambaffadeur Extraordinaire
du Roi auprès de Sa Majesté Catho
lique ; l'Abbaye de Lien- Dieu en Jard , Ordre de
Prémontré , Diocèle de Luçon , à M. l'Abbé de
Chalmazel , Vicaire Général de l'Archevêché de
Sens ; celle de Mortemer , Ordre de Câteaux ,
Diocèle de Rouen , à M. l'Abbé de la Luzerne ;
& un Canonicat de la Sainte Chapelle de Paris ,
à M. l'Abbé de Perthuys , un des Chapelains de
Madame.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a accordé l'Abbaye de la Chaife-Dieu
Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de Clermont ,.
au Prince Louis - René - Edouard de Rohan , Chanoise
de Strasbourg ; le Prieuré de Moutons
Diocèle d'Avranches , Ordre de Saint Benoît
à la Dame de Pierrepont , Religieufe du même
Ordre.
NAISSANCES , MARIAGES
ET MORTS.
79 T
Nous avons annoncé dans le volume du t
Mercure du mois d'Août , le mariage de M. Guillaume
, fur la foi d'une lettre qui nous a été
écrite de Befançon le 13 Février 1756. Nous n'avons
point confervé cette lettre , n'imaginant pas
qu'elle dût nous être de quelque utilité.
Qui en effet , auroit pu fe perfuader que l'on
abuferoit de la facilité avec laquelle les différens
Auteurs du Mercure fe font toujours prêtés à inf
truire le Public des événemens qui intéreffent les
Maifons illuftres & les Familles diftinguées du
Royaume , & de notre empreffement particulier
fatisfaire nos Lecteurs fur cet article ! Qui eût
penfé que l'on trouveroit dans cette facilité un
moyen pour jetter du ridicule fur les plus konnêtes
gens ! Je veux bien croire que l'Auteur de cette
lettre n'a pas eu un plus mauvais deffein .
Quoiqu'il en foit , la modeftie de M. Guillau
me auroit dû le mettre à l'abri de la mauvaiſe
plaifanterie , & lui fauver le ridicule qu'a voulu
lui donner l'Anonyme qui nous a écrit . Quoique
la lettre fût fignée , l'Auteur n'en eft pas moins
OCTOBRE . 1756. 229
inconnu , parce qu'il s'eft fans doute fervi d'un
nom fuppofé.
Pour prévenir de pareils inconvéniens , j'avertis
que dorénavant nous ne ferons aucun ufage
dans le Mercure des Mémoires qui nous feront
adreffés , fi les lettres ne font fignées d'une perfonne
de la famille qu'ils concerneront , cachetées
du cachet de fes armes , & datées du lieu
d'où elles auront été ecrites. -
Voici la lettre que nous avons reçue de M. Guillaume
au fujet de l'article qui a été mis dans notre
recueil...
ABefançon , le 15 Août 1756.
Vous jouiffez , Monfieur , d'une trop belle
réputation , pour que j'ofe vous foupçonner d'avoir
eu quelque part au ridicule que me donne
votre Mercure du mois d'Août à l'article des mariages.
C'eft l'ouvrage, je n'en doute point , de quel
que jaloux ou mauvais plaifant. J'en ai été extrê
mement mortifié parce que l'on y compromes
M. l'Archevêque que l'on fuppofe avoir donné la
Bénédiction Nuptiale à mon fils en l'Eglife Métropolitaine
, & quantité d'autres faits également
faux.
Je mene ici une vie privée qui n'auroit pas dû
exciter une femblable dérifion . Je n'ai d'autre
qualité que celle de Confeiller Auditeur en la
Chambre & Cour des Comptes de cette Province ,
& mon fils celle d'Avocat . Vous pouvez juger delà
, Monfieur , que nous ne fommes point faits
pour être mis dans le Mercure .
Rien n'a été plus fimple que la cérémonie du
mariage de mon fils , Elle a été faite dans l'E
glife de S. Jean-Baptifte , Paroiffe de Demoiselle
130 MERCURE DE FRANCE.
Magdeleine Richer, à 8 heures du foir,fans aucune
oftentation .
Je vous crois , Monfieur , intéreffé comme
moi , à découvrir l'Auteur de cette mauvaiſe plaifanterie
: c'eft pourquoi je vous prie , s'il eft poffible
, de m'envoyer la mémoire qui vous a été
adreflé à cette occafion : vous m'obligerez infiniment.
J'ai l'honneur d'être , & c.
GUILLAUME.
Dame Marie-Thérèle de Faudoas , époufe de
Meflire George Réné de Clerel , fieur de Tocque
ville & d'Auville , Capitaine de Cavalerie au Régiment
de Chabriliant , eft accouchée à Bayeux ,
le 14 Juillet d'un fils qui a été baptifé le même
jour , & nommé Georges - Léonard- Bonaventure . Il
a eu pour parrain Meffire Bernard Bonaventure de
Clerel-de Tocqueville fon oncle, & pour marraine
Dame Elizabeth Thérele Senot- de Morfalines ,
Dame & Marquife de Caftilly, fa bifayeule.
+
Le nom de Clerel est très ancien en Normandie
, comme on le voit par les recherches de Meffieurs
de Montfaoucq de Roiffy & de Chamil-
Jard. L'hiftoire fait mention de plufieurs Seigneurs
de ce nom , qui ont fervi avec diftinction fous les
Ducs de Normandie. Cette famille porte pour
armes d'argent à la face de fable , accompagnée
de merlettes de même en chef, & de 3 tourteaux
d'azur en pointe."´
3
La maifon de Fau doas eft originaire de Guyenne
, où les premiers feigneurs de ce nom prenoient
la qualité de premiers Barons Chrétiens
de Guyenne . François de Faudoas , un des defcendans
de ces feigneurs , vint s'établir au Maine , à
Poccafion de l'ilia ce qu'il contracta le 6 Novembre
1592 , avec Renée de Brie , héritiere de fa
OCTOBRE. 1756. 231
maifon & de plufieurs terres dans le Maine . François
de Faudoas fut pere de Jean , en faveur duquel
les terres qu'il poffédoit au Maine , furent
unies & érigées en Comté fous le nom de Serillac.
Jean époufa Marguerite de Piedefer de laquelle
il eut Pierre de Faudoas , Comte de Serillac
, allié en 1679. à Marie- Charlotte de Courtarvel-
de Pezé qui fut mere d'Antoine de Faudoas ,
Comte de Serillac , lequel quitta le Maine pour
venir s'établir en Normandie à cauſe du mariage
qu'il y contracta le 25 Septembre 1709 , avec
Françoife-Hervée de Carbonel , fille & héritiere
d'Hervé , Marquis de Canify , Lieutenant de Roi
en Baffe-Normandie. De cette alliance il a eu :
1º. Marie- Charles- Antoine de Faudoas de Canify,
Comte de Serillac , Baron du Hommet ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , Lieutenant de Roi en Baffe-Normandie
& Gouverneur des Ville & Château d'Avranches ,
pere par Marie- Thérefe de Boran- de Cafiilly , de
la Dame de Clerel.
2º. Renée-Bonne- Françoife de Faudoas.
3º. N.... de Faudoas .
Meffire Pierre Augufte- Anne- Céfar le Maftin,
Comte de Nuaillé , dit le Comte de Maſtin , a
épousé en fecondes ôces , par contrat du 23 Février
1756 , Demoifelle Marie- Magdeleine le
Franc des Elarts , fille de feu Meflire Louis le
Franc-des Effarts & de Demoiſelle N... Mignot.
Le Comte de Maftin eft iffu de Gilles le Maftin,
Ecuyer , feigneur de la Roche- Jaquelin en Bas-
Poitou , vivant en 1320 , lequel avoit épousé
Marie- Anne de Beaumanoir , qui fut mere de
Pierre le Maftin qui rendit hommage en 1351 ,
pour fa feigneurie de la Roche - Jaquelin . On croit
qu'il eut pour femme Valere de Château-Briant ,
232 MERCURE DE FRANCE.
à
qui le rendit pere de Jean le Maftin qualifié Var
let , dans un acte qu'il paffa le 19 Juillet 1375. H
époufa en 1382 , Colette de Marzoles , de laquelle
il eut Gilles le Maftin , marié le 12 Mai 1399 ,
Jeanne de Beaumont- Breffuyres. De cette allian
ce vint Jean le Matin , Ecuyer , feigneur de la
Roche-Jaquelin , allié 10. à Jeanne de Jouffaulme,
dont le fils Jean mourut fans enfans mâles . 2 °. En
1466 , à Jeanne de Sanzay , fille de Jean , Vicomte
héréditaire & Parageur de Poitou , laquelle
étoit le 8 Juillet 1487 , mere & tutrice entr'autres
de René le Maftin , feigneur de la Favriere ,
qui époula Simonne de Villeneuve-Vence. Celleci
tranfigea à Thouars le 5 Décembre 1525 , comme
ayant la garde- noble de fon fils Gabriel le
Maftin , qui , de fon mariage contracté le 18 Mai
1535 avec Jeanne le Roux - de la Roche- des -Aubiers
, eut Claude le Maftin , feigneur de la Fa
vriere du Chatelier- Berle , de Champagné , &c.
Chevalier de l'Ordre du Roi , Gentilhomme de
fa Chambre , & Gentilhomme d'honneur de la
Reine Catherine de Médicis . Il époufa le 17 Décembre
1575 , Jeanne de Barbefieres , fille aînée
& principale héritiere de Sébastien , Baron de
Nuaillé , de Bourgon en Angoumois , de Ferieres
, Beauregard , Cramahé , Čourfon , la Mothe ,
&c. & de Jacquette de Parthenay , Dame d'honneur
de la Reine Catherine de Médicis. De cette
alliance , vint Charles le Maſtin , Baron de Nuaillé
, &c. marié le 12 Octobre 1609 , à Jeanne
Tuflaud de Maifontiers , de laquelle il eut Henri
le Maftin , Baron de Nuaillé , allié le 30 Novembre
1734 , Anne Chefnel d'Efcoyeux , qui fut mere
de Claude le Maftin , dit le Marquis de Nuaillé ,
mort le 13 Février 1692. Il avoit époulé le 26
Octobre 1665. Marie-Anne Tuffet. De ce mariag
ge fortirent :
OCTOBRE. 1756. 235
1º. Charles- Gemanicq le Maftin , Comte de
Nuaillé , mort Brigadier des Armées du Roi , &
Colonel d'un Régiment d'Infanterie de fon nom .
Il avoit époufé en 17 : 4 , Amé- Louife de la Rochefoucaud-
Surgeres , remariée au Marquis de
Nieul , ayant eu de fon premier mariage , Marie-
Anne-Françoife - Félicité le Maftin , veuve du 8
Juin 1748 , de François du Pouget de Nadaillac ,
Baron de S. Pardoux , qui en a laiflé cinq enfanst
2°. Philippe-Augufte le Maftin allié le 30 Novembre
1718 , à Catherine de Viaud qui l'a ren
du pere de Pierre- Augufte- Anne- Célar , dit le
Comte de Maſtin , duquel nous annoncons le fecond
mariage. Il avoit époufé en premieres noces
par Contrat du 21 Avril 1748 , Marie-Françoife
de Boulainvilliers , de laquelle il a eu Louis-Sylveftre
de Maftin , né le 17 Janvier 1752 .
La famille de le Mafin ou le Maftain ( comme
on le trouve en beaucoup d'endroits , ) prétend
être originaire d'Italie , & avoit autrefois
poffédé la principauté de Vérone , & elle porte
pour armes d'argent à fix fleurs de lys d'azur ,
abouttées , mifes en bande à la cotice de gueules ,
brochante fur le tout.
Meffire Charles de Maffo , Marquis de la Ferriere
, Baron de Chaffelay , Lifieu , du Plantin, &
autres lieux , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , Enſeigne , Aide - Major des Gardes du Corps
de Sa Majefté , Sénéchal de Lyon , & de la Province
de Lyonnois , fut mariée le 2 Mars à Dame
Marie- Magdeleine Mazade , veuve du fieur Gafpard
Grimod-de la Reiniere , un des Fermiers Généraux
de Sa Majesté.
Le 16 Mars , Meflire Barbe - Simon , Comté
de Riencourt , Capitaine de Cavalerie au Régiment
d'Archiac , époufa Demoiſelle N... Tiercelin-
de Broffe , fille unique de Meffire Etienne ,
234 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Tiercelin -de Broffe , & de Marie-Auguf
tine-Alexandrine de Crequy. La Bénédiction Nuptiale
leur a été donnée par l'Evêque d'Amiens
dans la Chapelle du Château de Beaucourt. Voyez
pour la Maifon de Riencourt , le fecond volume
du mois d'Avril de ce Journal , pag. 128 &ſuiv.
& corrigez-y ce qui fuit .
Pag. 230 ligne 7. & par Thomas , lifez, &
par Flamene. Lig. 12. avec Jeanne de Borgeau ,
fon époufe , lifez avec Jeanne d'Orgeau , fon
époufe , fille de Jacques , feigneur d'Orgeau ,
& de Jacqueline de Moy , dont deux enfans
fçavoir Antoine de Riencourt , feigneur d'Orival
, qui fuit , & Jacques , 1 quel a formé la
branche de Parfondrue , près Laon.
Pag. 231 , lig. 24. de Thomas de Riencourt ,
lif. de Flamene de Riencourt .. Lig. 26. marié à
N. Dumont , dont , & c. lif. marié par contrat du
2 Septembre 1493 , à Agathe Roubault , fille de
Joachim , Maréchal de France . De cette alliance
vint Thomas de Riencourt , feigneur de Tilloloy
, Vaux , & c . allié à Marie , fille du Seigneur
d'aucourt , dont Hugues , marié , & le refte
comme il eft.
Corrections pour l'article des Morts du
Mercure de Mai 1756 .
Pag. 258. lig. 8. Camboufie , lif. Cambolit ,
Bullac , Viafac , le Poujoula.
Idem. lig. 14. Dame de Jonnac , lif. Dame &
Baronne de Sonnac .
Idem. lig. 21. Saint- Alvaire , lif. Sainte-Alvere
.
Pag. 260. lig. 9. N... de Loftanges , dit le Vicomte
, &c. lif. N... de Loftanges , né en 1733 .
actuellement au Séminaire de S. Sulpice à Paris.
OCTOBRE. 1756. 235
Idem. lig. 11. Marie-Julie de Loftanges , ajou
tez , alliée à François - Saturnin de Gallard , Marquis
de Terraube , voyez le Mercure de Juillet ,
premier volume 1756.
Idem lig. 12. Trois autres filles , ajoutez , dont
une mariée à N. de Cugnac.
Pag. 261. lig. 2. de N... lif. de Marie-Antoi
nette Charlotte.
Idem. lig. 6. Renée , lif. Marie-Renée de Loftanges
du Poujoula.
Idem. lig. 10. Jarmons , lif. Jarmioft en Lyonnois
, & ajoutez que Louis de Loftanges , chef de
la branche de Beduer , a quatre foeurs dont une
religieufe à Liflac.
Idem. lig. 14. Felains , lif. Felzins .
Idem. lig. 19. après la Mothe , ajoutez , dont
eft né Hugues de Loftanges , feigneur de Cufac ,
qui eft marié , & a des enfans.
François-Gafton de Carbonnieres , Marquis de
la Capelle, eft mort le s Novembre 1755 , en fon
Château de la Capelle en Agenois , âgé de 63 ans .*
Il laiffe veuve fans enfans fon époule Marie- Anne
de Miran-Verdufan , à laquelle il a laiffé par fon
teftament la jouiffance de fes biens , qui pafferont
enfuite au Comte de Sabran , petit - fils de
Louiſe-Charlotte de Foix , & de Jean-Honoré ,
Comte de Sabran. Louiſe- Charlotte de Foix eft
fille de François- Gafton , Comte de Foix , mort en
1695 , & de fa troifieme femme Dorothée-Théodore
de Poudenas-de Villepinte. La feconde femme du
Comte de Foix , fut Claude du Faur-S. Jory , qui
eut pour fille Angélique- Céfarine de Foix , mere
* Cet article a déja été inféré dans le fecond volume
de Juillet 1756 , page 235 ; mais comme il
s'y eft gliffé beaucoup d'erreurs , on a pris le parti
de le répéter ici en entier.
236 MERCURE DE FRANCE.
du Marquis de la Capelle , dont nous annonçons
la mort , & d'une fille mariée au Marquis de Loffe,
pere de Louife de Loffe aujourd'hui époufe du
Comte de Valence , Brigadier des Armées du Roi ,
Colonel du Régiment de Bourbonnois , inftituée
légataire de la Baronnie de S. Jorry par Angélique-
Céfarine de Foix , fon ayeule maternelle.
Marie-Charlotte de Reffuge , veuve de Gafpard-
Hubert-Magdelon de Vintimille , des Comtes de
Marſeille du Luc , Lieutenant Général des Armées
du Roi , mourut à Paris , les Février , dans la
foixante-huitieme année de fon âge.
François de Saint- Belin , Marquis de Vaudremont
, ancien Meftre de Camp d'un Régiment de
cavalerie de fon nom , eft mort le 26 Janvier , en
fon château de Vaudremont en Champagne , âgé
de 80 ans.
Meffire Paul-Edouard Colbert , Comte de Creuilly
, Maréchal des Camps & Armées de Sa Majefté ,
mourut à Paris le 28 Février , âgé de 74 ans.
Dame Jeanne- Henriette - Françoife - Colette de
la Pierre , épouse de Meffire François - Marie le
Danois , Marquis de Cernay , Lieutenant Général
des Armées du Roi , & Commandeur de l'ordre
Royal & Militaire de S. Louis , eft morte le 2 Mars,
au Château de Raimes, près de Valenciennes, dans
la quarante-fixieme année de fon âge.
Meffire Nicolas le Camus , Commandeur des
Ordres du Roi , & ancien Premier Président de la
Cour des Aides , mourut à Paris le 3 , âgé de fois
xante-dix-huit ans.
Meffire Guillaume- François Joly de Fleury , an
cien Procureur Général du Roi au Parlement
eft mort à Paris le 25 Mars dans la quatre-vingtunieme
année de fon âge.
>
OCTOBRE . 1756. 237
M. Petit , Receveur de la Maîtrife des
Eaux & Forêts de Châteauneuf, en Timerais
, défavoue les vers à Madame de
Montgeron , qui lui font fauffement attribués
, & qui fe trouvent à la
du fecond Volume de Juillet.
page 74
Pour n'être plus trompés fur ces Pieces
hazardées , nous aurons à l'avenir la précaution
de les donner toujours anonymes :
nous fupprimerons en même temps le nom
des perfonnes à qui elles font adreffées
pour épargner à leur modeftie l'embarras
de rougir d'un éloge trivial ou mal- adroit,
AVIS.
·
LE Sieur Beaumont , Marchand fur le Pont
Notre-Dame, au Griffon d'Or , à Paris , continue
de vendre les ouvrages de M. Dernis , Chef
du Bureau des Archives de la Compagnie des
Indes , confiftant 19. En un Tableau contenant les
Parités réciproques de la livre numéraire , ou
de compte inftituée par l'Empereur Charlemagne ,
proportionnément à l'augmentation du prix du
marc d'argent , depuis fon regnejufqu'à préfent .
2º. Un Tableau fur les changes , entre la
France & les principales villes de l'Europe ;
par lequel on peut voir en tout temps , fi la
France eft créanciere ou débitrice des autres
états.
3º. Un autre Tableau contenant la réduction
en monnoie de France , des monnoies de change
des mêmes Villes,
238 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
LE Sieur Audou , Maître Vitrier , rue Saint
Victor , vis-à- vis le Séminaire de Saint Nicolas ,
proche la rue du Paon , tient Magafin de trèsbeaux
Verres blancs de Bohême , & autres , propres
aux Eftampes , Paftels , Voitures , Pendules ,
Miniatures & pour les Croifées. Il monte les Eftam.
pes en bordures de toutes couleurs ; il colle les
Cartes, Thefes fur toile , & entreprend le bâtiment.
Le fixieme volume de l'ENCYCLOPÉDIE
fe délivre aux Soufcripteurs.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur Ai le Chancelier,
le premier Mercure du mois d'Octobre , & je n'y
ai rien trouvé qui puifle en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 28 Septembre 1756. GUIROY.
ERRATA
PAge 215 , du Mercure d'Août , ligne 8 , M. dé
Fortonval , lifez , M. de Tortonval.
Page 102 , du Mercure de Septembre , lig 26.
Tout eft fur nos Vaiſſeaux ,
lifez , Tout eft fur nos bateaux.
Page 248 , lig. 34 , inférée à la partie Fugitive ;
lifex,, dans la partie Fugitive.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSES
LA Louange & la Flatterie , Fable ,
Impromptu ,
Vers à Madame d'Egmont ,
Réflexions diverfes ,
Vers à Madame la Marquife de T...
Vers à M *** , par M. Piecardet ,
L'Enjouée , Nouvelle ,
pages
{
7
ibid.
18
19
25
Ode fur l'arrivée de M. le Cardinal de Tavannes à
49 . Rouen
Vers récités dans l'Affemblée publique de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres de Lyon ,
&c. SI
55 Effai fur l'Eloquence , traduit de M. Hume ,
Vers fur les Fêtes données à Dunkerque , par le
: Prince de Soubife ,
Vers à M. Floncel ,
70
71
Vers au fujet de l'Epître de M. de Voltaire à M. de
Richelieu , 72
Projet utile aux Gens de Lettres , aux Auteurs &
même aux Libraires ,
Epître à M. de L *** ,
73
81
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure de Septembre ,
Enigme ,
84
ibid.
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Logogryphe, ibid.
Chanfon , 88
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis & Indications des livres nou
veaux , 89, &ſuiv.
240
Prix d'Eloquence & de Poéfie , propofé par l'Aca
démie Françoiſe ,
ART. III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
131
135 Hiftoire.
Agriculture. Lettre à M. Diderot , fur les bleds ,
155
Chirurgie. Differtation fur les effets de l'or battu ,
158
Séance Publique de l'Académie des Belles - Lettres
de Marſeille ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
162
Peinture.
Sculpture.
Gravure.
165
173
176
Horlogerie. Réponse à la Lettre fur les Pendules à
chapelets , inférée dans le Mercure de Juillet ,
ART. V. SPECTACLES.
177
Comédie Françoiſe .
185
Comédie Italienne. 186
Opéra comique. 187
Concert Spirituel. 188
ARTICLE VL
Nouvelles étrangeres ,
189
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 203
Bénéfices donnés , 227
Naiffances , Mariages & Morts ,
Avis divers .
La Chanfon notée doit regarder la page 88.
Le Plan du Lit de Juftice doit regarder la page 211.
´e l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
228
237
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE. 1756.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Shot ins
Ruthie Seuly
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
( CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
J
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chek M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets &lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poßte , payeroni
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront lesfrais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers , qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la poste , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , on de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de refter à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Estampes & Musique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM . Feffard & Marcenay .
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ODE IRRÉGULIERE
A LA DANSE.
Danfe légere , mais divine ;
N'allóns point parmi nous chercher ton origine.
Tu n'as pu naître au milieu des ennuis.
Un jour l'aimable Dieu que le Parnaffe adore ,
Uniffoit fa guitarre au luth de Terpsichore ,
De leur tendre concert , ô Danfe ! tu naquis.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Jadis les peuples de la terre
Dans la folitude ou la guerre ,
Vivoient de trifteffe accablés.
Tu parus à ta voix les mortels s'attrouperent , :
Se prirent la main , & s'aimerent :
C'est toi qui les a raffemblés.
Danfe , je te connois à ce divin prélude.
Depuis ce temps leur gratitude
Te fit l'arbitre de leurs jeux.
De guirlandes parant leurs têtes ,
Ils t'appellerent à leurs fêtes ,
Pour referrer leurs premiers noeuds.
Vers les beaux lieux où tu préfides
Jamais les pâles Euménides ,
De la diffenfion ne guiderent les pas ;
Et fi le féroce Lapithe
Se baigne dans le fang des Hôtes qu'il invite ,
C'eſt qu'à la fête il ne t'appella pas.
Que tes Cenfeurs jaloux , pour ternir ta mémoire ,
Fouillent les faftes de l'hiftoire ,
Tu n'enfantas point de malheurs.
Ton empire eft celui des Graces :
Les mortels qui fuivent tes traces ,
Dans leur chemin ne trouvent que des fleurs.
Nous avons vu l'ame guerriere
Trouver Pécueil de fa vertu premiere
Dans la débauche ou le repos :
OCTOBRE. 1756. 7
Toi , loin de l'énerver , en faifant fes délices ,
Par tes utiles exercices
Tu difpofes l'homme aux travaux.
De quiconque te rend hommage
Tu développes les talens ;
Et tel qui nous parut fauvage ,
Sort de tes mains plein d'agrémens.
Quel port ! quel air ! quelle grace nouvelle !
Oui , dans l'éleve tout décele
L'habile main qui le polit :
Mais à former le corps bornes-tu ta puiſſance !
Non , ta falutaire influence
Agit fur l'humeur & l'esprit.
Les Graces , les Amours te prenant pour leur mere,
Ainfi que les jeunes Zéphirs ,
Pour ſe donner à toi , quittent Flore & Cithere ,
Et fur tes pas appellent les plaifirs.
Si tu fais aimer , tu fais plaire ;
On le fçait , plus d'une Bergere
Te doit le coeur de fon Berger :
Sans toi l'inconftante Glicere
N'eût point pour Corilas fixé fon coeur léger.
Favori de Sapho , tendre éleve des Mufes ,
Vieil Anacréon , tu t'abuſes ,
Si tu crois plaire en foupirant des vers.
Veux tu gagner le fuffrage des Belles ?
Couronne-toi de myrthes verds ;
•
A iv
$ MERCURE DE FRANCE.
Et d'un pied léger , avec elles ,
Foulant l'émail des fleurs nouvelles ,
Unis tes pas à tes concerts .
Mais quelle affreuſe folitude !
Les foucis dévorans , la fombre inquiétude ,
Tiennent mon eſprit attriſté :
Je vais mourir d'ennui ? ... Non , ta douce foli
Vient chaffer ma mélancolie.
O Danſe , je renais ! tu me rends ma gaité !
Entre le délire & l'ivreffe ,
Avec Bacchus & l'enfant de Cypris ,
Qu'un autre uſe les jours de fa belle jeuneffe ,
Mere de l'enjouement , avec toi j'en jouis !
Auffi pure qu'aux premiers àges ,
Déeffe , regne parmi nous ,
Et nous verrons encor les Sages
Fléchir devant toi les genoux.
Mais le peut- il , aimable Danſe ,
Que nul de nos Chantres fameux ,
Ignorant ton pouvoir , ainfi que ta raiffance ;
Ne t'ait point adreffé ni d'hymnes , ni de voeux ?
Ils ont chanté Vénus , Bacchus & fa puiffance.
Jufte fruit de leur ignorance ,
Ils chantoient des Tyrans , croyant chanter des
Dieux.
D'Erato foible nourriffon ,
De ces Maîtres divins j'ai fçu fuir la manie
OCTOBRE. 1756 . ୭
Au deffous d'eux par le génie ,
Au deffus d'eux par la raison .
Pindare m'offrît- il fa lyre ou fa trompette ;
Ma main ne l'accepteroit pas.
Sapho me fit préfent d'une fimple mufe.te :
C'en eft affez , mon ame eft fatisfaite ;
Je chante ma Philis , la Danſe & leurs appas,
Oui , j'en fais ici la promeffe ,
Danfe , j'annoncerai fans cele
Tes agrémens aux aimables mortels.
Convaincus de ton excel'ence ,
Je les vois accourir : déja leur main t'encenfe ,
Et je danfe avec eux autour de tes Autels .
R. D. S. M.
Des environs de Rennes .
A JULIE ,
En lui renvoyant fon Parapluie.
IMPROMPTU.
Belle , je vous en remercie ,
Vous m'avez par vos foins garanti de la pluie :
Mais toujours vainement vous ferai - je ma cour ?
Vous m'avez mis à l'abri de l'orage :
Hélas ! j'aurois dû , bien plus fage ,
Me mettre à l'abri de l'Amour.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
SUITE
DE L'ESSAI SUR L'ÉLOQUENCE ,
Traduit de l'Anglois de M. Hume.
JE ne peux m'empêcher de croire , que
fi
les autres Nations fçavantes & polies de
l'Europe avoient joui , comme nous , de
l'avantage d'un gouvernement populaire ,
elles n'euffent porté l'éloquence beaucoup
plus loin que nous. Les fermons François ,
furtout ceux de Bourdaloue ( 1 ) & de Fléchier
, font beaucoup fupérieurs à tout ce
que les Anglois ont dans ce genre. Il y a
dans Fléchier des traits de la plus fublime
( 1 ) Bourdaloue eft le premier de nos Prédicateurs
, mais n'eft pas le plus éloquent. L'élévation
, la majeſté , la vigueur du raiſonnement ,
voilà fon caractere : mais pour l'éloquence pathétique
, la chaleur du fentiment , les images
fortes , c'étoit Maffillon qu'il falloit citer . Les
Sermons de Fléchier fort encore d'un ordre inférieur
ce font les Oraifons funebres qui ont fait
fa réputation ; & dans ce genre il eſt au deffous
de Boffuet pour la véritable éloquence. Ces jugemens
hazardés de M. Hume , qui connoît cependant
affez bien notre langue & notre littérature ,
prouvent combien il eft difficile d'apprécier les
Ouvrages de goût écrits dans une Langue etrangere.
OCTOBRE . 1756 .
II
poéfie : l'Oraiſon funebre de M. Turenne
en fournira plufieurs exemples.
En France , les affaires qui font portées
dans les Parlemens & les autres Tribunaux
de judicature , ne roulent que fur
des conteftations de particuliers : mais
malgré le peu de reffources que ces petits
objers laiffent au génie , on apperçoit dans
plufieurs de leurs Avocats un efprit d'éloquence,
qui avec de la culture , des encouragemens
& de grands objets à traiter ,
pourroit s'élever à tout . Les plaidoyers de
Patru font très-élégans , & ils nous laif
fent imaginer ce que cet homme , dont le
beau génie s'eft fait voir dans des difcuffions
fur le prix d'un vieux cheval , ou
dans l'hiftoire burlefque d'une querelle
entre une Abbeffe & fes Nones , auroit pu
exécuter s'il avoit eu à traiter de la liberté
publique , de la paix & de la guerre : car
il faut remarquer que cet Ecrivain élégant ,
quoiqu'eftimé par tous les gens d'efprit de
fon temps , ne fut cependant jamais chargé
des caufes les plus importantes , & qu'il
vécut & mourut dans la pauvreté. Ce fur
l'effet de cet ancien préjugé qu'un homme
de génie n'eft pas propre aux affaires , préjugé
que les fots de tous les pays ont eu
Padreffe d'érendre & de conferver Les défordres
que fit naître le Miniftere du Car-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
dinal de Mazarin , engagerent le Parle
ment de Paris à entrer dans la difcuffion
des affaires publiques , & pendant ce court
intervalle , on vit plufieurs fymptômes qui
fembloient annoncer le rétabliffement de
F'éloquence ancienne.
L'Avocat Général Talon , dans une harangue
au Parlement , invoqua à genoux
l'efprit de S. Louis , & le fupplia de jetter
un regard de compaffion fur fon peuple
malheureux & divifé , & de lui infpirer
d'en haut l'amour de la paix & de la concorde
(1 ).
Les Membres de l'Académie Françoife
ont effayé de donner des modeles d'éloquence
dans leurs difcours de réception :
mais n'ayant aucun fujet particulier à traiter
, ils fe font jettés dans les fadeurs du
panégyrique & de la flatterie , le plus mai-
(1 ) Ce trait est tiré des Mémoires du Cardinal
de Retz , qui parle de ce Difcours prononcé ſur le
champ par M. Talon : « Je n'ai jamais rien oui ,
»ni lu de plus éloquent , dit le Cardinal . Il accom
»pagna fes paroles de tout ce qui put leur donner
»de la force il invoqua les mâ es d'Henri le
» Grand ; il recommanda la France à Saint Louis
>> un genou en teire . Vous vous imaginez peut-
» être que vous auriez ri a ce fpectacle ; mais veus
Den euffiez été ému comme toute la compagnie ,
>> qui s'en émut fi fortement , que j'en vis la clameur
des Enquêtes commencer à s'affoiblir , &c.
Mém . de Retz , Liv . 3 ann. 165
OCTOBRE. 1756 . 13
gre & le plus ftérile de tous les fujets. Le
ftyle de ces difcours eft néanmoins fouvent
noble & fublime , & il s'éleveroit au plus
haut dégré , s'il étoit foutenu par un fujer
plus intéreffant & plus fécond.
Il y a dans le tempérament & le génie
Anglois des chofes défavorables au progrès
de l'éloquence , lefquelles rendent les
effais de l'art plus difficiles , & même plus
dangereux chez nous que dans aucune autre
nation . Les Anglois font diftingués
par le bon fens , qui les met toujours en
garde contre les efforts qu'on pourroit
faire pour les féduire par des Aeurs de
Rhétorique & des graces d'élocution . Ils
ont auffi une modeftie particuliere qui
leur fait regarder comme un trait d'arrogance
, d'employer dans des Affemblées
publiques , d'autres moyens que des raifons
, ou de chercher à les fubjuguer par
les paffions & l'imagination . Je dois peutêtre
ajouter que le peuple en général ne
brille ni par la délicatelle du goût , ni par
une grande fenfibilité pour les charmes
des Mufes auffi les Auteurs comiques ,
pour
les remuer , ont eu recours à l'obfcénité
, & les Poëtes tragiques aux fcenes de
fang & de carnage . Les Orateurs n'ayant
les mêmes refources , ont abandonné
tout- à-fait l'efpérance de les émouvoir , &
pas
14 MERCURE DE FRANCE.
fe font renfermés dans les bornes du raifonnement
.
Ces circonstances jointes à d'autres caufes
accidentelles , ont peut-être retardé le
développement de l'éloquence dans notre
Nation , mais ne feront pas capables d'arrêter
fes fuccès , fi elle eft jamais cultivée
; & on peut hardiment prononcer
que c'eft un champ vafte qui offriroit une
riche moiffon de lauriers à des jeunes gens -
de génie , qui verfés dans la connoiffance
de tous les Arts polis , & inftruits des affaires
publiques , paroîtroient an Parlement,
& accoutumeroient nos oreilles à une éloquence
forte & pathétique. Il fe préfente à
l'appui de ce fentiment , deux confidérations
que l'antiquité & l'hiftoire moderne
me fourniffent.
Il n'eft peur-être jamais arrivé que le
mauvais goût , foit en Poéfie , foit en éloquence
, qui a régné dans une Nation , eût
été préféré au bon après la réflexion & la
comparaifon de l'un avec l'autre . Le faux
goûr ne domine que parce qu'on ignore le
vrai beau , & que l'on manque de modeles
parfaits , qui éclairent l'efprit fur la maniere
de juger plus fûrement , & de fentir
avec plus de délicareffe les ouvrages de
génie . Dès qu'il en paroît , ils réuniffent
bientôt tous les goûts , & par un charme
OCTOBRE . 1756 .
naturel & invincible , arrachent les fuffrages
& l'admiration des gens mêmes les
plus prévenus. Les principes de tous les
fentimens , de toutes les idées , font dans
tous les hommes : lorfque vous les préfentez
avec art , ils fe développent dans l'ame,
ils l'échauffent , & y excitent cette fatisfaction
pure par laquelle vous diftinguez les
beautés du génie d'avec les beautés artificielles
du bel efprit & des caprices de
l'imagination ; & fi cette obfervation eft
vraie pour tous les Arts Libéraux , elle
doit l'être furtout pour l'éloquence , qui
ayant pour objet de faire impreffion
fur le peuple & les gens du monde ,
doit
être foumife fans réferve au jugement public
, fans avoir jamais de prétexte pour
en appeller à des juges plus délicars. L'Orateur,
qui après la comparaifon , fera iugé
par le peuple le plus grand Orateur , doit
être auffi regardé comme tel par les gens
de Lettres & les Sçavans ; & quoiqu'un
homme d'un talent médiocre puiffe être
admiré longtemps , & regardé comme un
excellent Orateur par le Public qui ne
voit en lui que les talens qui lui plaiſent ,
fans appercevoir fes défauts , cependant fi
un homme d'un vrai génie , paroiffoit , il
attireroit bientôt l'attention du public , &
16 MERCURE DE FRANCE.
on ne tarderoit pas à fentir fa fupériorité
fur fon rival.
On peut juger maintenant par cette
regle , combien l'éloquence ancienne
c'est à dire , l'éloquence fublime & paffionnée
, eft d'un genre fupérieur au genre de
l'éloquence moderne , c'est-à-dire , l'éloquence
de difcuffion & de raifonnement ;
& combien dans la bouche d'un homme de
génie la premiere doit avoir plus de force
& d'autorité fur les hommes. Nous fommes
fatisfaits de notre médiocrité , parce
que nous ne connoiffons rien de mieux :
mais les Anciens avoient l'expérience de
l'un & l'autre genre , & ils ont donné la
préférence au premier , dont ils nous ont
laiffé de fi beaux modeles. Car , fi je ne me
trompe , notre éloquence moderne eft du
même style & de même efpece que celle
que les anciens critiques appelloient éloquence
Antique , dont la tranquillité , l'élégance
& la fubtilité faifoient le caractere ,
qui inftruifoit la raifon plus qu'elle n'affectoit
les paffions , & qui ne s'élevoit jamais
au deffus du ton du raifonnement & du
difcours ordinaire . Telle étoit l'éloquence
de Lifias chez les Athéniens , & de Calvus
chez les Romains. Ils furent eftimés dans
leur temps , mais dès qu'on les mais dès qu'on les compara à
OCTOBRE, 1756. 1.7
Démofthene & à Cicéron , ils s'éclipferent
comme la lumiere d'un flambeau , expofée
á la lumiere du foleil. Démofthene & Ciceron
avoient autant d'élégance , de fubtilité
& de force de raifonnement que les
Lifias & les Calvus : mais ce qui les rend
admirables, c'eſt ce pathétique & cette élévation
de penfées qui brillent dans leurs
harangues , & qui les rendoient, pour ainſi
dire , maîtres des efprits de leurs Auditeurs.
On trouveroit à peine quelques traits
de cette efpece d'éloquence dans nos Orateurs
publics ; il y en a quelques exemples
dans nos Ecrivains , qui ont été reçus avec
de grands applaudiffemens ; ce qui doit
exciter l'émulation de notre jeuneffe , dont
les efforts pour faire revivre l'ancienne
éloquence , feroient payés d'une gloire
égale & même fupérieure . Les écrits de
Milord Bolinbroke ont une force , une
énergie & un fublime auxquels nos Orateurs
ne vifent même guere , quoiqu'il
foit évident que cette élévation de ſtyle ait
bien plus de graces dans un Orateur que
dans un Ecrivain , & qu'elle faffe une impreffion
plus prompte & plus vive , étant
fecondée par les inflexions de la voix &
la chaleur de l'action . Les mouvemens fe
communiquent par une fympathie muIS
MERCURE DE FRANCE.
tuelle entre l'Orateur & les Auditeurs , &
l'afpect d'une Affemblée nombreuſe , attentive
au difcours d'un homme , doit lui infpirer
une élévation particuliere fuffifante
pour donner de la vérité aux figures &
aux expreffions les plus fortes. Il eft vrai
qu'il y a un grand préjugé contre les difcours
préparés , & qu'il eft difficile de fauver
du ridicule un homme qui répete un
difcours , comme un écolier répete fa leçon,
fans tenir compte des obfervations qu'on
lui fait dans le cours du débat. Mais je de
manderai auffi quelle néceffité il y a de
tomber dans cette abfurdité. Un Orateur
public doit bien connoître le fonds de la
queſtion avant de la difcuter : il peut compofer
toutes les objections & les réponſes ,
de la maniere la plus propre à la forme de
fon difcours. Si des raifons imprévues fe
préfentent , il y fuppléera d'imagination ;
il n'y aura pas une différence bien apparente
entre ces morceaux compofés fur le
champ & ceux qui font étudiés. L'efprit
conferve naturellement la même force
qu'il a acquife par fon mouvement ; femblable
à un bateau , qui une fois mu par
l'effort des rames , conferve fon mouvement
pendant quelque temps , quoique la
premiere impulfion ne fubfifte plus .
Je finirai
par obferver
que quand même
OCTOBRE. 1756. 19
nos Orateurs modernes ne chercheroient
pas à donner plus d'élévation à leur ftyle ,
& à égaler les Anciens , il refte encore un
défaut effentiel dans la plupart de leurs
difcours , dont ils pourroient fe corriger
fans fortit de ce ton étudié d'argumentation
& de raiſonnement, auquel ils bornent
leur ambition. Cette grande affectation de
compofer fur le champ , leur a fait rejetter
l'ordre & la méthode qui font fi néceſſaires
aux chofes de raifonnement , & fans
lefquelles il n'eft guere poffible de produire
une entiere conviction dans l'efprit : ce
n'eft pas que je veuille recommander de
mettre dans un difcours public une forme
compaffée de divifions & de fubdivifions ,
à moins que le fujet ne les offre naturellement
; mais il eft aifé d'obferver fans cet
arrangement pédantefque , une méthode
nette & commode pour les Auditeurs qui
verront avec plaifir les raifons fortir naturellement
les unes des autres , & s'étayer
mutuellement ; méthode qui laiffera dans
l'efprit une perfuafion plus intime que ne
pourroient faire les plus fortes raifons préfentées
fans art & fans ordre.
20 MERCURE DE FRANCE.
L'ENTR E- S O L.
CE ne font pas toujours les plus vaſtes Palais
Qui rendent nos voeux fatisfaits.
Dans une enceinte plus bornée ,
On peut rencontrer mille attraits ,
Si par le goût elle eft ornée.
Sept pieds de haut , fix toifes de longueur ,
Et trois à peu près de largeur ,
Forment l'efpace de ma cage
Qui fe divife ou fe partage
En quatre pieces néanmoins ,
Et fçait fournir à mes befoins.
Mais l'induftrie , en faſcinant la vue ,
De mes réduits fçavamment difpofés ,
En a d'abord augmenté l'étendue .
Ces reflets lumineux , l'un à l'autre oppofés ,
Par qui Venife fut autrefois fi célebre ,
En multipliant les objets ,
Epuiferoient , je crois , l'Algebre ,
A calculer fes merveilleux effets .
L'Ecole Flamande & Romaine ,
De nos pinceaux françois la touche fouveraine ,
Le Brun , le Sueur , le Bourdon ,
Quelques autres du même ton ,
Décorant , à l'envi , mon petit édifice ,
OCTOBRE. 1756 . 21
S'y répetent encor par le même artifice.
Des Phidias joints aux Zeuxis ,
Le Bronze vient m'offrir les ouvrages exquis,
Mais pour ravir tout mon hommage ,
Le Moine ( 1 ) , leur rival , dans un bufte doré ;
Me préfente l'augufte image
D'un Roi par fon peuple adoré ;
Et fous un humble toit qu'à peine on voit pa
roître ,
Je contemple le Trône & fon plus digne Maître,
L'art des Cochins ( 2 ) éclaire mes lambris
Le Granit ( 3 ) & la Porcelaine
Jaloux d'en relever le prix ,
Achevent d'embellir ce gracieux domaine.
Que je me plais à l'habiter !
Les neuf Soeurs quelquefois m'y viennent vifiter!
Mon Cabinet eft pur , car les Mufes font chaſtes :
J'y raſſemble avec foin les folides écrits
De leurs illuftres favoris .
On n'y voit point des moeurs ces odieux con
traftes ,
Tous ces ouvrages ténébreux ,
Dont les principes téméraires
Répandent un nuage affreux
Sur les vérités les plus claires ;
Tous ces lyſtêmes avortés ,
(1 ) Fameux Sculpteur.
(2) M. Cochin , Graveur célebre.
(3) Marbre précieux,
22 MERCURE DE FRANCE.
Que le libertinage loue ,
Comme par la raifon dictés ,
Et que la raifon défavoue.
Enfin fi cet azyle a pour moi tant d'appas ,
Si tout m'y plaît , & rien ne m'importune ,
C'eft que pour comble de fortune ,
L'Amitié tendre y conduifit mes pas,
Dans une fociété chere ,
Elle me fit trouver à la fois la Vertu ,
Les Talens précieux , la Piété fincere ,
Cet aimable Enjouement de raiſon revêtu ;
Que toujours la Sageffe inſpire.
Tel eft , je ne puis trop le dire ,
A mon étroit manoir ce qui fixe mes voeux.
Qu'il faut peu de terrein pour rendre l'homme
heureux !
M. TANEVOT.
Cet Entre-fol nous paroît préférable au
Palais le mieux décoré.
PORTRAIT DE ZÉLIDE .
ZÉlide eft belle , de l'aveu même de fon
fexe. Il lui rend juftice , parce qu'il ne
peut la lui refufer. Ma plume n'a pas de
trait affez fort pour la peindre la nature
peut feule & d'une maniere digne d'elle ,
tracer fur le miroir ou fur l'onde l'image
:
OCTOBRE. 1756. 23
de Zélide , fon chef-d'oeuvre perfectionné
par les graces. On peut en juger par les
effets qu'elle fait fur tous les coeurs . Quand
on l'a voit , on eft furpris , on admire ; &
cette furpriſe eft toujours mêlée de fentimens
tendres , qui naiffent avec elle . On
fent , on ne peut pas bien exprimer quoi ,
mais on fent. La voir , lui donner fon
eftime & fon coeur , eft l'ouvrage du même
moment . On ne s'apperçoit d'avoir perdu
fa liberté , que lorfqu'on fe difpofe à lui
en faire le facrifice . Mais je n'ai parlé que
de la beauté de Zélide , je devois la taire ;
& pour faire un beau tableau , il me fuffifoit
de faire connoître fon efprit ou fon
coeur. Aimée de tous ceux qui la voient ,
eftimée de tous ceux qui la connoiffent ,
elle fe rend encore plus digne des hommages
des mortels par les qualités de fon
coeur.
Simple en fa parure , modefte en fon
maintien , noble en fes façons , naturelle
en tout ce qu'elle dit , en tout ce
qu'elle fait ; d'un eſprit grand & élevé ,
pliant , s'accommodant à toutes les formes
; d'une humeur complaifante , douce ,
infinuante ; d'un abord gracieux & prévenant
, d'une politeffe aifée , Zélide pourroit-
elle ne pas plaire univerfellement !
44 MERCURE DE FRANCE.
pourroit- elle réunir tant de perfections , &
en dérober la connoiffance à des yeux , à
des regards que la curiofité de la voir
a fixés fur elle , & que fon mérite y
tient attachés ! Auffi fans chercher à plaire
à perfonne , fe fait-elle aimer de tout le
monde . Tous fe rendent à fes charmes , &
tous fe font un honneur de s'y rendre. Il
femble que Vénus & Minerve ont choifi
l'ame de Zélide pour y fixer leur féjour, &
pour y faire leur réconciliation ; il femble
qu'à l'envi l'une de l'autre elles veulent
la combler de leurs dons .
Loin de s'applaudir avec hauteur & avec
fierté de tant d'avantages , Zélide dans le
'fein des graces jouiſſoit avec modeſtie de
fon empire fur les coeurs. Son fexe n'avoit
pu lui refufer d'abord fon admiration :
'hommes & femmes , tous lui devoient
également des hommages, Mais ce fexe
fier , impérieux , jaloux , ce fexe aimable
né pour plaire , ne reconnut qu'avec rele
mérite de Zélide lui gret l'aveu que
avoir arraché. Il ne vit que des yeux de
l'envie avec quelle fitisfaction les hommes
applaudiffoient aux progrès de Zélide , &
fe faifoient une gloire de les accroître
par leur défaite. La jaloufie paffe dans
leur ame avec tout fon poifon , le feu de
la
OCTOBRE. 1756. 25
la vengeance s'allume dans leur coeur , &
les charmes de Zélide ne fervent qu'à en
augmenter l'activité.
Quoi ! difent-elles , Zélide plaît & nous
ne plaifons pas ? fa beauté fait fon crime :
vengeons- nous fur elle de la nature qui
ne nous a pas fi bien partagées. La jaloufie
& la fureur , l'envie & le défeſpoir
leur dictent ce difcours.
Dès ce moment elles cherchent , elles
colorent la calomnie , elles inventent
elles fuppofent , elles forment un corps
d'accufations contre Zélide, qu'elles- mêmes
vont préfenter à Vénus. Elles l'accufent
de dédaigner & d'avoir rejetté l'efprit de
fon fexe , l'efprit de bagatelle ; elles l'accufent
d'avoir l'efprit trop folide , trop
judicieux & trop éclairé ; elles l'accufent
enfin , & c'eft l'article fur lequel elles appuient
davantage ; elles l'accufent d'être
fçavante & philofophe. Le goût pour les
fciences & pour la philofophie , leur répondit
la Déeffe , que vous reprochez à
Zélide , vous fait autant d'honneur qu'il
m'eft agréable. Depuis que les Lafayette ,
les Maintenon , les Sévigné , les Lambert ,
les Scuderi , les Deshouliere , les Luffan
les la Sabliere , les Graffigni , les du Bocage
, les du Châtelet , & une infinité
d'autres , font l'ornement de ma cour ,
II.Vel. B
26 MERCURE DE FRANCE.
leurs fuccès doivent vous apprendre que
pour plaire , les agrémens de l'efprit ne
font pas moins néceffaires que ceux de la
figure , & que les fciences ne fourniffent
pas moins que la toilette des armes pour
triompher.
4
LE POUR ET LE CONTRE DE PARIS,
Meunet de M. Exaudet.
C'E'fEftt Paris
Qui des ris
Eft l'azyle.
Veut-on gouter du plaifir ?
On a peine à choisir ,
Il s'en préfente mille.
Que Vénus ,
Que Bacchus
Ont de charmes !
Ils font aux coeurs les plus froids
Rendre cent & cent fois
Les armes.
L'art , le goût & la ſcience
Dans fon fein ont pris naiffance
Les talens
Les plus grands
Y deuriffent;
OCTOBRE. 1756. 27
Les théâtres enchanteurs ,
Suivant les connoiffeurs
Raviffent.
Dans le ton ,
La façon ,
Que de grice !
De politeffe , d'efprit !
D'enjouement , de débit !
Au parfait tout s'y paffe.
Si j'ai fait
Un portrait
Magnifique ,
Vous conviendrez , s'il vous plaît
Que le grand Paris eft
Unique.
Dans Paris
Que de cris !.
Quel tumulte !
Si vous êtes Fantaflin ,
Brufquement un faquin
Vous pouffe , vous inſulte :
Vous allez ,
Vous voulez
Fuir la crife ,
De fon fouet doublant les coups ;
Un maudit Cocher vous
Défrise.
N'y fait-on point de dépenfe ,
Le trifte endroit , quand j'y penſe
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Très- fouvent
On y vend
La juftice :
Sans un protecteur ardent ,
Il faut que le talent
Gémille .
Complimens
Eloquens
Mais fans preuve .
Combien eft- il dangereux
D'Etre trop amoureux ,
De fille , ou femme , ou veuve !
Faux amis
Qu'a vomis
L'art de feindre.
Convenez donc , s'il vous plaft ;
Que ce cher Paris eft
A craindre.
Par M. FUSILLIER , à Amiens.
VERS
J
Préfentés à M. de Fontenelle , le 14 du mois
d'Août 1756 , par M. l'Abbé Arnoux,
LOV
L'Europe
t'offre les hommages
Depuis près de quatre-vingts ans ;
Elle admire dans tes Ouvrages
Le fuccès de tous les talens ,
OCTOBRE. 1756. 29
Elle demande que ta vie
Echappe à la Parque ennemie ,
Et que rien n'en trouble le cours .
Si tes jours font comme ta gloire ,
( Hélas ! que ne peut-on le croire ! )
Grand Homme , tu vivras toujours.
RÉFLEXIONS
Sur le Bonheur & les Plaifirs d'imagination.
L'Espérance ,, toute trompeufe qu'elle eft ,
dit le judicieux la Rochefoucault , fert au
moins à nous mener à la fin de la vie par
un chemin agréable.
Mais pour qu'elle ait cet avantage , il
faut qu'elle foit raisonnable & affortie à
notre état. Si elle tient plus de la chimere.
que de la vraisemblance , elle ne doit paffer
que pour la faillie d'un cerveau creux.
Efpérer avec quelque fondement , c'eft
raifon ; efpérer contre l'efpérance même ,
c'eft folie . Le bon fens foutient l'illufion .
Quoique les efpérances nous trompent
fouvent , elles ont cependant leur utilité :
le plaifir innocent qu'elles donnent , affaifonne
& facilite nos actions , fans laiffer
ce dégoût que font ordinairement fentir
celles qui fortent de l'ordre.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
L'efpérance bien prife jette le calme
dans l'ame , la tranquillité dans l'efprit :
elle eft un baume pour le fang ; elle fert
à la fanté , & prolonge agréablement la vie
à laquelle elle attache par des charmes
fecrets.
J'entre dans un jardin , j'y vois le papillon
vol ge careffer les fleurs & fe nourrir
de leur fuc qu'il exprime , & je dis en
moi-même quelle image plus reffemblante
de mon imagination ! Elle erre , elle
voltige , elle s'égaye fur mille objets divers
& mon ame profite du butin : c'eft le miel
de l'abeille
Les plaifirs d'imagination font comme
ces belles étoffes des Indes dont on n'ofe
parer en public : on en fait des meubles
pour les appartemens .
fe
Nous ne fommes heureux que par nos
défirs. Il femble que notre empreffement
à courir après un objet quelconque lui donne
du prix. L'imagination embellit , groffit
& forme à fon gré le fujet qui la met en
jeu : ce font des roſes dont elle arrache les
épines , avant que de nous les préfenter.
La jouiffance eft la pierre de touche du
bonheur & des plaifirs ; elle en découvre
le faux ou l'alliage ; & voilà pourquoi la
poffeffion tranquille change nos défirs en
langueurs , nos plaifirs en fatiétés , & nos
OCTOBRE. 1756. 31
empreffemens en indifférence. Tous les
jours on voit des hommes mépriſer femme,
celle qu'ils avoient adorée maîtreffe .
On traite du prix d'une Charge brillante
dont l'honorifique & les prérogatives diftinguent
celui qui en eft revêtu : cette idée
flatte. Les agrémens fe préfentent en foule
à l'imagination ; on jouit d'avance des
égards & des refpects qu'elle attire , & l'on
fe hâte de conclure. L'acte eft il paffé ? les
vifites fatiguent , les audiences ennuient ,
les Cliens importunent ; la Charge devient
un poids qu'on ne peut plus porter , &
l'on cherche des acheteurs. Que ne pourrois
je pas dire des richeffes ! en jouit-on
fans crainte les poffede- t- on fans remords
!
Nos fatisfactions ne font jamais parfaites
la jouiffance du bonheur retranche
toujours quelque chofe du bonheur même .
Quand le plaifir paffe de l'imagination
à la réalité , il perd bien de fa valeur dans
le trajet , parce qu'il arrive ou trop tard ou
dans des circonftances qui empêchent d'en
goûter tout l'avantage.
Le bonheur ne répond jamais à l'idée
que nous nous en étions faire. Dieu permet
que rien ne puiffe remplir notre coeur,
afin de nous attacher à lui qui eft le bien
fuprême.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
11 manque toujours quelque chofe à ce
que nous avons en notre difpofition . Nous
reffemblons à ce Sibarite qui , couché fur
un lit femé de roſes , ne put dormir de toute
la nuit , parce qu'il s'y trouva une feuille
pliée en deux . Tel eft l'homme : il défire , il
foupire après un objet : le pofféde- t- il ? il
n'eft pas content , il fe plaint : pourquoi ?
Parce qu'il jouit . Nous fommes tous ,
certains égards , ce qu'eft l'avare dont
parle Rouffeau dans fon Ode fur la raiſon.
Pour appaiſer la foif ardente ,
La terre en tréfors abondante
Feroit germer l'or fous les pas ;
Il brûle d'un feu fans remede ,
Moins riche de ce qu'il poffede
Que pauvre de ce qu'il n'a pas.
à
Se croire heureux , c'est l'être : mais il
faut pour cela que la chimere qui nous
affecte ait toutes les apparences du vrai ,
ou du moins la poffibilité de l'existence.
Quand ces conditions manquent , l'imagination
n'eft que le délire d'un homme qui
a la fievre. L'imagination eft le creufet du
bonheur & du plaifir . Etre perfuadé avec
fondement qu'on eft heureux , eft le fonge
d'un homme éveillé : c'eft un démenti
que notre raifon donne à la fortune : c'eft
un dédommagement que nous nous proOCTOBRE.
1736. 33
:
curons contre fes caprices & fes injuftices
par une voie permife & raifonnable .
Les plaifirs d'imagination font vifs ,
parce que rien n'en émouffe la pointe &
qu'elle les offre fans mêlange ils font
purs , parce que l'ame les goûte indépendamment
des fens. La crainte ne les corrompt
pas , le dégoût ne les fuit pas ; ils
font tout plaifir.
A bien prendre les chofes , il n'y a dans
la vie ni bonheur, ni malheur réel. Alexandre
fe trouvoit à l'étroit dans le monde
entier qu'il avoit conquis , & Diogene
étoit fort à fon aife dans fon tonneau. Le
degré d'ambition fait la différence des fortunes.
Ne point fortir du cercle que nous
trace notre état , c'eft être dans le chemin
de la félicité , c'eſt en jouir.
Ne mefurons jamais notre fortune avec
celle des autres : fi nous ne fommes pas
heureux , nous n'y trouverions pas notre
compte : l'amour- propre fouffre du contrafte
.
Regardons au deffous de nous : voilà
la perfpective favorable , voilà le vrai
point de vue. Je confidere un homme de
mon état qui vit avec cinq cens livres de
rentes ; j'en ai le triple : pourquoi ne me
croirai- je pas heureux ? Ne dois- je pas regarder
comme un bonheur l'exemption du
Bv
- 34 MERCURE DE FRANCE.
mal-aife où fe trouve celui avec qui je me
compare ? Y a - t-il quelqu'un qui n'ait fon
côté favorable ? dois- je le perdre de vue
ce côté , puifqu'il m'eſt avantageux ?
Une coquette laide , mais bienfaite , fe
coëffe en devant & étale fa taille : mettons
une compenfation qui puiffe nous faire
valoir ; profitons de tous nos avantages , &
nous nous épargnerons bien des mécontentemens.
Le chemin qui mene au tombeau eft
couvert de ronces : femons y les fleurs que
nous fournit l'imagination ; ne les épargnons
pas ; foyons en prodigues , s'il le
faut. Il n'eft point à craindre que les fonds
manquent ; ils font inépuifables , & l'imagination
eft généreufe & libérale .
Regardons comme inutile tout ce que
nous n'avons pas ; comme fuffifant à notre
bonheur tout ce que nous avons. Pefons
tour au poids de la raifon ; prifons tout felon
la vérité cette eftimation eft capable
de nous faire méprifer tout ce qui nous
manque.
Moins nous poffédons , plus nous fommes
libres : nos poffeffions font nos dépendances.
L'homme ne jouit jamais plus de
lui-même que lorsqu'il jouit moins de ce
qui lui eft étranger. Nos peines , nos chagrins
viennent de ce que nous poffédons
OCTOBRE. 1756. 35
réellement ce que nous n'avons pas ne
fçauroit nous nuire : jouiffons en idée ;
c'eft la jouiffance la moins fujette à mécompte.
L'imagination eft le plus précieux don
que nous ait fait la nature : elle eſt une reſfource
infaillible pour tous nos befoins . Je
la regarde comme un vafte grenier plein de
provifions qu'on ne doit ouvrir que dans
un temps de difette.
Mettre en jeu l'imagination & lui donner
carriere , lorfque nous avons tout à
fouhait , c'eft prendre fur fon fonds , après
avoir mangé fon revenu . C'eft ufer d'un
bien qui ne nous étoit donné que comme
une reffource dans un befoin preffant.
Ufons modérément de notre imagination
, de peur que l'illufion fréquente ne
devienne habitude , & qu'elle ne ceffe de
nous toucher.
Par M. CLEMENT, Chanoine de S. Louis
du Louvre , à Paris.
CONSEIL PROPHÉTIQUE
Au Prince Louis de Rohan , par M. l'Abbé
de Lattaignant.
PRenez un effor glorieux ,
Et d'une aile hardie & forte ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Volez jufqu'au plus haut des cieux ;
La voix publique vous y porte :
Vous réuniffez tous les vieux ;
Vous ne trouverez point d'obſtacles :
Le deftin veut vous rendre heureux ,
Et pour vous fera des miracles.
Courez , laiffez tous vos rivaux
Loin de vos pas dans la carriere.
Chaque état produit fes Héros :
Le grand talent eſt l'art de plaire ;
Et vous l'avez éminemment :
Et la fortune & la nature ,
Toutes les deux également ,
Vous comblent de dons fans me fure ,
Pour plaire univerfellement.
Nature vous donna l'envie
D'obliger , de faire du bien ;
La fortune non moins amie ,
Vous en donnera le moyen :
Contentez-vous , ne craignez rien ,
Laiffez gronder l'hypocrifie ;
Avec mépris bravez fes traits :
Cette laide & baffe Harpie ,
Avec les yeux pleins de chaffie ,
Ne peut vifer que de bien près :
Elevez-vous au deffus d'elle ,
Planez - en l'air , balancez -vous :
Comme en badinant , d'un coup
Vous pourrez parer tous les coups.
d'aile
1
OCTOBRE. 1756 . 37
VERS
A Madame **
J'Ai , dites - vous , de l'amitié
Fait le portrait le plus fidele :
Iris , tout Peintre et une Appelle ,
Lorfque le coeur eft de moitié.
Ah ! d'une flamme encor plus pure ,
S'il ofoit vous parler un jour ,
Iris , qu'il peindroit bien l'amour
Puifqu'il peindroit d'après nature !
Mais , non ... à ce qu'on fent le mieux
Il a fouvent peine à fuffire ;
Et qu'auroit-il encore à dire
Que vous n'ayez lu dans mes yeux ?
SUR la Lettre de Mademoiſelle ***
M. de Baftide , par Madame du S...
EN donnant à votre esprit tous les éloges
qu'il mérite , Mademoiſelle , je ne
puis m'empêcher de combattre le fyſtême
que vous établiſſez . Je fuis femme , & j'ai
par le fecours du temps acquis quelque
38 MERCURE DE FRANCE.
expérience : elle me coûte cher , puifqu'elle
eft le prix de beaucoup d'années. Vous
vous faites un phantôme des fouffrances
d'un homme amoureux : vous n'avez donc
jamais entendu parler perfonne fincérement
fur cela ? Vous dites que rejetter avec
fierté les propofitions tacitement renfermées
dans une déclaration d'amour , annonce
un mauvais coeur : mais croyez-vous
qu'il foit alors fort prudent de le laiffer
foupçonner d'être tendre & fenfible ?
quelles armes vous donnez contre vous !
Eh ! l'on n'attend que cela. Vous ajoutez
qu'une femme qui penfe bien , plaint les
malheureux & voudroit les foulager. Ce
fentiment une fois apperçu dans une femme
l'expoferoit beaucoup. Je vous avoue
qu'en lifant votre Réponſe , j'ai cru voir
fous des termes mieux choifis le refrein
d'une certaine Chanfon : Monfieur , en vérité
, vous avez bien de la bonté. J'ai toute
ma vie oui dire que les pourparlers & les
marchés en pareilles matieres , ne ſervent
qu'à accélérer la défaite . Tout dépend du
début. Un homme adroit accepte toujours
vos propofitions ; c'eft le tout de sêtre
déclaré & d'être fouffert. Il faut fuir , fi
l'on peut , dites - vous rien de plus fûr.
Fuyez, vous aurez été trop indulgente fans
conféquence. Mais il eft mille circonftanOCTOBRE.
1756. 39
ees où l'on ne peut pas prendre ce parti .
Vous reftez expofée , le plan fur lequel
vous avez établi votre liaifon s'évanouit
infenfiblement ; l'amour s'infinue , rien
de plus inévitable . Que M. de Baſtide établiffe
fur cette matiere de dangereufes
regles de conduite ; cela eft fort naturel :
il remplit fa vocation . Si nous prenions
toujours le ton qu'il faut prendre , que
deviendroit cette moitié du monde dont
les félicités font fondées fur les foibleffes
de l'autre ! Mais qu'une perfonne de mon
fexe adopte fans fcrupule un fi pernicienx
fyftême , je ne puis m'empêcher de crier :
Arrêtez - vous done ; donnez des principes
pour éviter , & non de ceux qui embar
quent & qui perdent.
Je n'ai prétendu répondre qu'aux regles
de conduite que vous établiffez , Mademoifelle
, & prouver qu'il n'eft qu'une
façon d'éluder les fuites d'un engagement ;
c'eft de n'en pas même fouffrir les plus
foibles apparences
, d'être clairvoyante
pour connoître & pour fuir de féduifantes
& conftantes attentions ; de rompre fans
ménagement avec qui s'attache à les faire
remarquer ; que la politeffe & les marques
de fenfibilité font ici déplacées ; que celles
d'un bon coeur fe doivent appliquer à de
moins dangereux objets, & que de tellefaçon
40 MERCURE DE FRANCE.
que l'on reçoive une déclaration , une femme a
fait fon devoir en la rejettant , & doit ſe croire
très- innocente.
JE
:
REPONSE
De Monfieur de Baftide.
E veux épargner une peine à Mademoifelle
R.... Je veux me procurer un plaifir.
Madame du S. ... nous attaque tous
deux elle mérite d'être combattue , je
place mes égards à répondre. La vanité
n'eft point mon motif ; je n'ai point de vanité
, j'ai un coeur ; cela fuffit pour aimer
à avoir raifon dans les difputes de fentiment
. Madame du S.... établit des regles
aufteres ; elle croit que les coeurs ,
trop expofés à leur foibleffe , ne fçauroient
être trop retenus dans leur penchant à s'y
livrer : mais n'eft- il point à craindre que
trop de gêne ne les révolte ? Le coeur eft
naturellement revêche ; c'est pour lui furtout
, & dans le point dont il s'agit , que
le mieux eft l'ennemi du bien . Il y a des
principes fur lefquels il faut appuyer néceffairement
. Que l'on dife aux femmes :
foyez toujours fages , ne contractez jamais
la néceffité d'avoir des remords ; cela eft
très-prudent : le coeur peut entendre paifiblement
ces leçons & même en profiter.
OCTOBRE. 1756. 41
Mais dire : N'aimez point , gardez- vous de
vous expofer à devenir fenfible , vous feriez
criminelles , ne fent-on pas qu'il y a
là quelque chofe de bien dur à entendre ?
A la rigueur on doit être en garde contre
l'amour. Pourquoi cette précaution efteHe
néceffaire ? Parce que l'amour expofe
fans ceffe la vertu . Voilà le raisonnement
de l'efprit fage & tranquille. Une honnête
femme ne raifonne pas de même : elle a des
principes qui défendent fa fageffe , elle
compte fur eux en cas de befoin , & elle
eft perfuadée qu'en donnant fon coeur ,
elle ne s'expofe à rien pour l'avenir . Elle
fe trompe , elle raifonne mal , elle s'expoſe
à tout mais doit- on lui reprocher impitoyablement
fon erreur ? Il eſt bien difficile
, fi on la lui reproche , qu'elle ne fe
trouve pas trop refferrée dans fes devoirs.
Malgré la fenfibilité de fon coeur , elle s'étoit
impofé la loi d'être toujours fage , c'étoit
déja un affez grand effort ; il eft à craindre
que l'autorité d'une loi plus févere ne
change pour elle la vertu en tyrannie , &
ne lui donne enfin toure la mauvaife humeur
& toute la foibleffe de l'efclave révol
té. Mais dira Madame du S. ... ilfaut
donc laiffer aller le coeur ? Il n'eft pas trop
permis de répondre , oui ; mais il n'eft
pas trop prudent de réduire en autorité la
42 MERCURE DE FRANCE.
maxime contraire. La morale condamné
mon fystême , mais elle a une févérité
dont on doit convenir , en la refpectant.
Eft- ce à une fenime à fe charger de nous
appefantir le joug des fcrupules ? Madame
du S.... preferit ce qui doit être , Mademoifelle
R.... fouffie ce qui eft . Je fuis
du fentiment de la derniere. En écrivant
comme elle écrit , elle eût pu aifément établir
un fyftême ; mais elle n'a pas penſé à
en établir un : elle a dit des vérités qui
étoient dans le coeur & qui y feront toujours
; & en les difant avec autant de graces
, elle a mérité de plaire. Il eft naturel
d'applaudir à un efprit tendre qui protége
le fentiment , contre le préjugé févere ,
fans offenfer la vertu.
VERS
A M. de la Live de Jully , fur fa place
d'Inir ducteur des Ambaſſadeurs.
Toi , qui jaloux du noble amas ( 1 )
De nos Chefs d'oeuvre magnifiques ,
Par tes foins , tes goûts délicats ,
As fçu des Arts & de Pallas ,
(1) Il poffede une riche collection des plus beaux
Tableaux des différentes Ecoles.
OCTOBRE. 1756. 43 .
Compoſer tes Dieux domestiques ,
Pourras- tu , fans mille regrets ,
Epris d'un éclat infidele ,
Négliger les touchans attraits.
De l'art d'Edelink ( 1 ) & d'Appelle ?
Exempt de l'imbécille ennui
Et de la trifteffe importune
Où tout Midas , en ſon étui ,
Vit au gré d'une ame commune ,
Tu goutois fi bien ton état !
J'avois cru que toujours tranquille ,
A Minerve offrant un aſyle ,
Tu te bornois à ſon éclat. .
Avide de gloire & d'eftime ,
Que ne devois-tu point aux Arts ?
Enchantés de ton goût fublime ,
Chez toi voloient de toutes parts ,
L'Amateur , l'Eleve , le Maître ;
Et des morceaux dont tu jouis ,
Au gré du privilege exquis
De les payer , de les connoître ,
Tu nourriffois leurs goûts brillans !
Pleins d'une amitié délicate ,
Dans les tranfports les plus charmans ,
Ils formoient de leurs fentimens
Le noble tribut qui te flatte ,
Et du cabinet de Socrate ,
Le fanctuaire des talens.
(1 ) Graveur célebre.
44 MERCURE DE FRANCE.
Ce goût d'être utile & de plaire ,
Qui nuance ton caractere ,
Chaque jour augmentoit de prix ,
Et chaque inftant te voyoit faire
Des protégés ou des amis.
Mais quel funefte attrait t'imprime
L'inquiet démon des honneurs ,
Et malgré nos regrets , t'anime
Á borner tes deftins flatteurs ?
Ce poifon lent , dont la nobleffe
( Par orgueil , jouant le plaifir , )
Dans le néant de la molleffe
Expire en feignant de jouir ,
L'oifiveté trifte & pefante ,
Au fein de nos Dieux indolens ,
Va donc dans ta courfe brillante
T'arracher au goût des talens !
A des foins pompeux , mais pénibles ;
Préfere , en vivant avec nous ,
Des beaux arts enjoués , paifibles ,
Le culte heureux , l'éclat fi doux ;
Et fous l'Egide de Minerve ,
Où le fort ne peut te frapper ,
Connois , chéris , goûte , conferve
Des jours qu'elle a droit d'occuper.
Mais déja ton coeur qui nous quitte ,
Néglige ce fameux féjour ( 1 )
(1 ) Il a rang d'Amateur à l'Académie de
Peinture.
OCTOBRE . 1756 . 45
Od tous les Arts pleurent ta fuite .
Servir le Maître , être à ſa fuite ,
En France eft le prix du mérite ,
Et tu l'obtiens en ce beau jour.
Hé bien , écoute ton amour ;
Et plein du zele qui t'anime ,
Mandé , féduit , vole à la Cour :
Auffi-bien du feu qui t'anime ,
Mon coeur tout à coup pénétré ,
U
1 .
Sur ton deffein mieux éclairé ,
D'un facrifice magnanime
Te fait honneur & t'applaudit :
Aux lieux où fur l'aîle des fonges ,
Deſſinant de riants menſonges ,
Le fol efpoir charme & trahit ,
Je fçais trop ce qui te conduit :
Ce coeur fans ceffe inacceffible
Au délire inquiet des voeux ,
Fier d'être utile , généreux ,
Sur tous les devoirs infléxible ,
Du fort de Citoyen paisible ,
Aura fait un crime à tes yeux ,
Et plein d'amour pour la Patrie ,
Dont il s'occupe en foupirant ,
Par toi feul la croiroit trahie ,
S'il ne la fervoit à fon rang .
Ce coeur prononce : à ſa tendreſſe ,
Immolant jufqu'à tes plaiſirs ,
Tu traites tes goûts de foibleffe
46 MERCURE DE FRANCE.
Prêt à rougir de tes loifirs.
Mais non , la Déité fi chere ,
Sur toi veillant toujours en mere ,
Pallas , fçaura concilier
Les foins fi doux de l'attelier
Avec ceux de ton miniſtere ,
Et même d'un fil falutaire
T'aidant en ces lieux ennemis ,
Jufques fur les pas du myftere ,
Te promet encor des amis.
D'un Roi chéri de la victoire ,
Qui fait partager fes regards
Entre les jeux , entre la gloire ,
Comme il unit Titus à Mars ,
Elle t'affura le fuffrage ,
•
Qui couronne aux yeux des beaux Arts
L'Amateur , l'Artifte & le Sage.
Ton fort eſt partout fon ouvrage :
Juge de fes droits chaque jour ,
Sur ton coeur & fur ton hommage ;
Quand au ſein même d'une Cour ,
Cherchant les talens fur fes traces ,
Tu la verras parer les Graces ,
Et triompher chez Pompadour.
t
OCTOBRE. 1756. 47
CONVERSATION.
EMILIE. DAMON.
Damon.
Est-ce Emilie que je vois ſeule & de fi
bonne heure fous ce berceau éloigné ?
quelle rêverie affez agréable a pu l'y con
duire ?
Emilie.
Damon , ne m'interrogez point : vous
me demandez un fecret.
Damon.
Vous avez des fecrets à cacher , vous ,
Emilie ? c'eft pour exciter ma curiofité que
vous me parlez ainfi.
Emilie.
Je n'ai point de détours , vous le fçavez
affez. J'ai dû votre amitié à mon ingenuité
: elle feule m'apprendroit à méprifer la
diffimulation.
Damon.
Votre réponſe ne m'étonne point : quoi.
qu'elle me flatte , je la trouve naturelle .
Mais comment fe peut- il que , fûre de
mon fincere attachement , vous ayez des
fecrets que vous craigniez de m'apprendre ?
48 MERCURE DE FRANCE.
Ofez vous expliquer , daignez me croire
digne de votre confiance : craindriez- vous
pour votre gloire l'aveu que vous me refufez
? Ah ! Emilie , ne vous faites pas
d'injuftes fcrupules : les fentimens d'une
perfonne telle que vous ne peuvent être
que des vertus.
Emilie.
Hélas je voudrois pouvoir ne vous
rien cacher. Il me femble qu'en vous ouvrant
mon coeur , je fouffrirois moins.
Pourquoi la nature nous fait-elle imaginer
une forte de plaifir à avouer des peines
que le devoir nous défend de laiffer paroître
!
Damon.
Vous accufez la nature , & la nature
vous accufe à fon tour : mais fon reproche
eft légitime & le vôtre ne l'eft pas .
Pourquoi la croire différente du devoir ?
Dans le coeur d'une femme auffi refpectable
que vous , elle fe confond avec lui : il
approuve ce qu'elle vous infpire. En refufant
de m'ouvrir votre coeur , c'eft un
plaifir que vous perdez ; en croyant le devoir
, c'eft une injuſtice que vous faites.
Emilie.
Vous ne me perfuadez pas ; mais je hais
trop l'opiniâtreté pour ne pas empêcher
qu'il
OCTOBRE. 1756. 49
qu'il en entre dans ma réſiſtance . Je vais
donc vous parler fans détour ; je vais vous
apprendre des chofes que vous n'auriez
jamais foupçonnées . Vous me plaindrez
hélas ! qui ne me plaindroit pas !
Damon.
Emilie , qu'entends - je ? Vous êtes malheureuſe
, & vous me le laiffiez ignorer ?
Emilie.
J'ai voulu vingt fois vous parler , vingt
fois j'ai voulu vous demander des confeils
ou des confolations. Toujours embarraſfée
, toujours honteufe , je n'ai jamais pu
m'y réfoudre. Je redoutois la févérité de
vos principes ; je m'en étois écartée ...
Damon.
Emilie , vous aimez . Oui , je lis dans
vos yeux le fecret de vorte ame. Raffurezvous
fur cette févérité que vous avez redoutée
; elle finit avec votre indifférence :
puifque vous aimez , l'amour n'eft plus
à mes yeux qu'une vertu .
Emilie.
. Non , l'amour n'eft qu'une foibleffe .
Innocent peut- être dans fon principe , mais
condamnable dans fes effers , il féduit l'ef
prit dont il emploie tout l'arr à l'égarement
du coeur. Ses plaifirs s'envolent avec l'in-
II. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
Ítant qui les voit naître ; il fait fentir des
peines qu'on eût toujours ignorées. Heureux
qui n'aime pas ! C'est pour nous éparguer
des malheurs , qu'une loi légitime
nous défend d'aimer.
Damon,
Vous fçavez que mon coeur toujours infenfible
n'a jamais voulu connoître l'amour ;
mais c'étoit fans le condamner que je le
fuyois mon caractere feul me le rendoit
redoutable ; je ne l'ai jamais cru dangereux
que par l'inconftance des femmes que l'on
pouvoit aimer.
Emilie.
Moins prudente que vous , je me le repréfentois
fous un afpect encore plus favorable.
Je m'imaginois qu'il prenoit le caractere
de l'objet aimé , & que lorfque cet
objet avoit des vertus , il en avoit auffi. Je
croyois , par exemple , que lorfqu'on étoit
fûre de la tendreffe d'un Amant , on étoit
à l'abri de la tyrannie des foupçons ; que
le défir de plaire à ce qu'on aimoit donnoit
celui d'acquérir des vertus , nous attachoit
à nos devoirs , nous portoit à l'amour des
talens , & nous en faifoit aimer l'exercice.
Que ne croyois -je point ? combien ne lui .
prêtois- je pas de charmes ? Helas ! je ne
puis plus à préfent juger de ce qu'il eft que
le contraire de mes idées.
par
OCTOBRE. 1756.
Sr
Damon.
Vous vous exagérez fes défauts : un fentiment
auffi naturel ne peut point être par
lui - même un malheur pour nous. Je fuis
perfuadé qu'un préjugé d'éducation trop
févere....
Emilie.
Il me fera facile de détruire votre prévention
. Avant que ce Dieu trompeur eût
féduit ma raifon , je chériffois ma mere,
j'aimois mes amies , je me plaifois à la
Ville , je me plaifois à la Campagne , je
fentois une douce fympathie entre mes
petits chiens & moi , j'étois toujours la
premiere à danfer , & je croyois toujours
qu'on n'avoit remarqué que moi ; les jeux
innocens fuffifoient à mon bonheur.
Damon.
Vous n'éprouvez donc plus la même
choſe ?
Emilie.
Helas ! il s'en faut bien ; mes idées
& mes goûts font entiérement changés.
Ma mere n'eft plus ma confidente , à peine
diftinguai- je encore quelque amitié pour
elle : mes amies ne forment plus qu'une
foule qui m'importune ; tout me pefe &
m'ennuie. Lindor eft tout l'univers po
moi je m'y crois feule quand je në to
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
vois pas quoique fûre de fa rendreffe je
crois toujours alors ne la pas pofféder toute
entiere. Quand je le vois , & que par fes
fermens il fait paffer dans mon ame la
douce confiance , je fuis moins inquiette ,
plus fenfible , & fouvent moins heureuſe ;
je crains toujours de n'avoir pas affez de
charmes , je me vois des défauts , je m'allarme
, & bientôt j'éprouve qu'il est bien
difficile de ne pas perdre la confiance d'être
aimée , quand on perd la perfuafion d'ètre
aimable. Vous voyez que depuis que
j'aime , de quelque façon que j'enviſage
la fituation de mon coeur , elle juftifie trop
l'opinion que j'ai prife de l'amour . N'avoir
plus de tranquilles plaifirs , dépendre de
fes idées , d'un caprice , d'un moment ;
prendre à chaque inftant un dégoût plusfort
de tout , n'exifter que dans un feul
objet , & cet objet le voir fouvent injuſte ,
& craindre toujours de ne pouvoir le rendre
auffi fenfible qu'on voudroit ; encore
une fois , quelle trifte fituation ! & comment,
quand j'y refléchis, quand je m'examine
, quand je raifonne , pouvoir m'empêcher
de dire que l'amour eft un dange-,
reux enchanteur , ennemi du repos & du
bonheur d'une femme ?
Damon.
Je conviendrai avec vous qu'un pareil
OCTOBRE. 1756. 53
état doit caufer de l'agitation & de la trif
teffe ; mais c'est une réflexion que vous ne
devez pas faire le plus grand malheur
que vous ayez à craindre à préfent , c'eſt
de refléchir .
:
Emilie.
Que vous me ménagez peu ! que pourroit
me dire de plus Lindor ? Quoi ! je
fuis agitée , tourmentée , & les maux que
me caufe ma foibleffe ne font pas encore
auffi redoutables pour moi que le feroient
les confeils de ma raifon ! Eft- ce Damon
qui prononce cet arrêt cruel ? eft- ce vous
qui me confeillez de juftifier mes humilians
regrets par la honte d'une paflion
volontaire ? Je ne vous conçois pas.
Damon.
Vous me concevrez lorfque je me ferai
expliqué. Chere Emilie , je connois peu
l'amour par moi-même , vous le fçavez ;
mais je le connois par fes effets extraordires
: c'eft l'expérience de tous les temps &
de tous les hommes que je confulte , &
voilà déformais le flambeau qui doit vous
éclairer. Dans le premier moment de votre
paffion , vous pouviez encore , fans danger
, refléchir & combattre ; mais aujour
d'hui , il eft trop tard : vous feriez malheureuſe
à jamais ; vous avez contre vous
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'à vous - même. Imaginez - vous que
l'amour prend notre caractere ; la folidité
eft la bafe du vôtre , elle eft déja devenue
le fondement de votre paffion : comment
l'attaquer avec fuccès ? comment détruire
une fympathie déja toute développée, toute
établie , & qui a , pour ainfi dire , paſſé
dans votre fang ? Croyez- moi , ne le tentez
point ; ne croyez pas même devoir le
renter. Il eft des circonftances où notre
raifon même eft obligée de refpecter nos
fentimens , parce qu'elle n'eft jamais en
droit de nous condamner à des tourmens
dont elle ne peut plus retirer aucun avantage.
Qu
ODE
Sur le Mariage de M. F....
Uels aimables tranfports ! quelle vive alégreffe
M'enflamment tout-à-coup d'une divine ardeur !
Soucis , ne chaffez point une fi douce ivreffe :
Plaifirs , gouvernez feuls mon coeur.
De mon enchantement quelle eft la fource heureufe
?
Quel favorable Dieu vient agiter mes fens ?
OCTOBRE. 1756.
Ah ! de ton digne fils , mere voluptaeufe ,
Je -reconnois les traits puiffans.
瑟
Cet enfant , dont les loix reglent les plus grands
hommes ,
Sur un trône de fleurs dicte fes volontés :
Pourquoi lui réfifter ? c'eft par lui que nous fommes
,
Et pour lui les mortels font nés.
瑟
Quel défordre fubit a troublé ma pensée ?
A qui vais-je adreffer mon encens & mes voeux !
Mufe , arrête , & diftingue une ardeur infenſée
D'un fentiment délicieux.
Ah ! rougiffons de rendre un facrilege hommage
Au méprifable Dieu qu'on adore à Paphos :
Qui fuit fes étendards gémit dans l'efclavage ,
Il eft Partifan de fes maux .
Qu'efpere ce prophane ? il veut toute fa vie
Aimer , changer , jouir , garder la liberté.
Criminel , inconftant , fi l'Hymen ne te lie,
N'attends point de félicité.
L'Amour à qui les Dieux donnerent la naiffance ,
Eft-il ce foible enfant que careffe Vénus
C iv
56 MERCURE DE FRANCE.
C'est celui dont le front refpire l'innocence ,
C'eſt celui qu'on ne connoît plus.
On le voit quelquefois paroître fur la terre ;
Sa demeure ordinaire eft l'empire des cieux :
Son frere illég time eft le Roi de Cythere ;
C'est lui qui nous rend malheureux.
::
O ! qui peut te chanter , ami , dont la tendreffe
Du flambeau de Minerve a tiré tous fes feux ?
Vois voltiger des ris la troupe enchantereffe
Qui précede l'amour heureux.
Tu choifis une Epoufe , & ton ame eftſon ame ,
Vos deux coeurs vont s'unir par un lien facré :
Victimes , approchez une céleste flamme
S'allume au bucher préparé.
La pudeur vous amene au lieu du Sacrifice ,
Un penchant invincible arrache vos ſoupirs ;
A vos nobles fermens Jupiter eft propice ,
Contentez vos juftes défirs.
Déja tu reconduis ta conquête nouvelle ;
Elle verfe des pleurs en te tendant les bras ,
Et te dit : Cher époux , fois moi toujours fidele ,
Je t'aimerai jufqu'au trépas.
OCTOBRE . 1756.
57
Un nuage de foufre enfante le tonnerre :
Parjure tes autels font bientôt abattus
Et l'amour épuré s'élance fur la terre
Suivi d'un effain de vertus.
"
Vous écartez vos pas des routes criminelles ,
Vous vivez en amans , époux ; quel heureux fort !
Le Ciel s'ouvre , je vois vos ames immortelles
Se réunir après la mort.
Ad... d'Arp....
VERS
Adreffés aux Rimeurs François.
EH! Meffieurs les Rimeurs , pourquoi rendre
aux Anglois
Ce tiffu trop groffier d'injures rimaillées
Dont leurs Chanfons froidement travaillées ,
Ofent attaquer les François ?
Ces fiers Ennemis de la France
Peuvent-ils donc nous infulter ?
Non ; laiffez à Louis le foin de la vengeance :
C'eft les honorer trop que de les imiter.
CY
18 MERCURE DE FRANCE.
L'AMANT TIMIDE ,
LA
Anecdote galante.
A fameufe Ninon étoit auffi incapable
de coquetterie que de fidélité . Toutes fes
réflexions étoient faites : dès que le coeur
avoit parlé , elle ne voyoit point de raiſon
de fe, défendre : accoutumée à l'inconftance
, elle ne craignoit point un inconftant :
Philofophe par un fyftême approfondi ,
quoique faux , elle ne redoutoit point les
remords. Il étoit donc naturel que le fenment
décidât , & que décidée par lui , elle
ne fît point acheter des plaifirs qu'elle
vouloit donner.
Elle ne montra jamais mieux fon caractere
que dans une aventure qui exerça
toute fa fenfibilité , & dont on a ignoré
les détails préliminaires.
Tout le monde fçait qu'elle aima Pécour
, célebre Danfeur de ce temps - là , à
qui quelques femmes de qualité avoient
fait une réputation , mais à qui elles n'avoient
pas donné ce caractere d'efprit entreprenant
& audacieux qui fixe la bonne
fortune en entraînant néceffairement les
femmes , & allure tous les fuccès en difOCTOBRE
. 1756. 39
penfant de tous les foins . Pécour n'étoit
encore que connu : il ignoroit qu'il pût
être célebre. Ses aventures n'avoient pour
lui que leur réalité propre. Il étoit fatté
de plaire à des femmes de la Cour , mais
fans penfer que des conquêtes fi brillantes
font un droit à toutes les autres . Il étoit
modefte malgré l'éclat de fes triomphes ;
& fe croyant trop honoré d'avoir des
-Maîtreffes illuftres , il avoit encore la pufillanimité
de l'esclave , & les fcrupules de
l'Amant.
Tel étoit Pécour lorfque Ninon s'éprit
de lui . Ce n'étoit point fon éclat naillant
qui la difpofoit à l'aimer. Ninon ne voyoit
rien de célebre qui ne fûr au deffous d'elle ;
elle honoroit par un regard le vainqueur
de toutes les femmes . Ce qui la féduifoit
dans Pécour , étoit le talent , les graces ,
l'air de fanté , la jeuneffe , & ce je ne fçais
quoi qui fait les premieres impreffions , &
prête un fi grand charme aux qualités les
plus réelles.
Ninon développa Pécour d'un coup
d'oeil ; elle vit qu'il l'aimeroit tendrement
mais qu'il avoit encore cette timidité qui
retarde la plénitude du plaifir . Quoiqu'elle
eût beaucoup d'amour , elle en fut flattée :
toutes les louanges l'ennuyoient , & Frécour
l'eût ennuiée lui-même , s'il eût cher-
.C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
ché à mériter fes premiers regards par ces
moyens ufés. Par la timidité il la louoit
bien mieux : c'étoit tout à la fois l'aveu
d'un fentiment profond , d'une admiration
extrême , & d'une défiance qui lui offroit
le plaifir nouveau de faire connoître tous
les plaifirs à un homme qui avoit eu vingt
Maîtreffes , & de faire tous les dons ', après
avoir eu elle- même vingt Amans.
Eile voulut s'amufer d'un fpectacle touchant.
Plus flattée d'être aimée , que de
jouir d'un Amant , elle conçut tout le plaifir
de faire naître par degrés une paffion
extrême , & elle voulut faifir un bonheur
qui s'offre fi rarement depuis que les hommes
font devenus fi fûrs de plaire.
Depuis quelques jours , elle voyoit dans
Pécour une affiduité , un empreffement
fingulier. Sa joie ne fut pas fecrette ; elle
en montra affez pour qu'il n'eût plus que
cette incertitude qui accompagne l'amour
naillant. Pécour s'y trompa , & elle s'en
apperçut. Il avoit tant d'admiration pour
une femme que toute la terre célébroit ,
qu'il ne put fe flatter d'avoir plu . Dans fa
prévention il ne vit que des piéges fous
ces dehors careffans . Il craignit que s'étant
apperçue de fes fentimens , & les trouvant
téméraires dans un homme fi au deffous de
tous les Amans qu'elle refufoit tous les
OCTOBRE. 1756. 61
jours , elle ne voulût le donner en fpectacle
, & le mettre dans fa cour à la place de
ces bouffons que toutes les jolies femmes
ont à leur fuite , pour remplir l'intervalle
des plaifirs & le vuide des Amans.
Sa prévention le rendit fi timide , qu'il
n'ofoit pas
même la regarder. Il ne faifoit
ou ne difoit plus rien qui ne fût prefque
une bétife. Ninon voulant le raffurer ,
l'embarraffoit encore. Jamais des marques
d'amour n'avoient mieux compromis la pudeur.
Il fouhaitoit d'obtenir un tête à tête ,
mais il n'ofoit le demander. Il avoit balbutié
l'aveu de fes fentimens , & elle y
avoit répondu de façon à le plonger dans
la plus cruelle incertitude. Etoit- il aimé ?
étoit-il mocqué ? Rien n'étoit pour lui
moins décidé ; ce qu'elle lui avoit dit appartenoit
également à la coquetterie & à
l'amour. C'étoit de ces réponfes naïves &
prefque étourdies , qu'une femme fait
lorfqu'elle eft entraînée par la violence de
fes fentimens , ou lorsqu'elle veut donner
des efpérances qui puiffent devenir des
ridicules & des fujets de plaifanterie .
Il étoit dans cet état , ne pouvant ni
dourer , ni croire , & n'ofant rien demander.
Ninon prevint fes défirs . Elle lui fit
dire qu'elle avoit à lui parler, & lui donna
62 MERCURE DE FRANCE.
Pheure de fa toilette pour fe rendre chez
elle.
Il ne penfa que c'étoit un rendez - vous ,
que lorfqu'érant arrivé dans fon cabinet
dans ce lieu de myftere & de volupté , toujours
fi peuplé dans les heures oifives , il
s'y vit feul,vis- àvis d'une femme qu'il adoroit
, & à qui il avoit appris l'excès de fon
amour.
La toilette étoit prefque finie lorfqu'il
arriva. Les chofes tendrement équivoques
par lefquelles Ninon débuta , le jetterent
dans un fi grand trouble , qu'il previt
tout l'embarras où il fe trouveroit
lorfqu'elle auroit renvoyé fes femmes . Il
fouhaita prefque de pouvoir fe retirer.
Le bonheur qui fembloit lui être annoncé
, paffoit fi fort fes efpérances , qu'il ne
pouvoit le croire poffible. Ninon paroiffoit
offrir lorfqu'il n'ofoit pas même
efpérer. C'en étoit trop pour qu'il ne s'envifageât
pas comme l'objet d'un perfifflage
concerté. Ses plus aimables qualités & fes
plus brillantes fortunes s'offroient vainėment
à fon efprit pour le raffurer , il voyoit
dans Ninon une divinité fuprême.
Lorfque les femmes fe furent retirées
Ninon qui fuivoit fes mouvemens , lui
dit : Je vous ai prié de me voir ce matin ,
vous allez m'en demander laraifon Non ,
OCTOBRE. ` 1756 .
répondit -il , avec beaucoup d'émotion ;
j'attendrai que vous me l'appreniez , Si
vous l'avez devinée , cela n'eft pas généreux
, reprit-elle ; c'eft abufer de l'avantage
de votre fituation . Ma fituation , repartit-
il , eft telle que je ne puis rien déviner
, ni rien croire ; de grace , épargnez
un homme qui ne peut s'aveugler. J'ai
pris pour vous des fentimens , j'ai ofé vous
les apprendre, tout cela a pu vous paroître
téméraire , mais j'ai eu depuis une conduite
qui a dû me faire trouver grace devant
vous. Je vois que vous avez formé
Je deffein de vous moquer de moi , je
fçais que je ne mérite pas de vous plaire ,
mais me traiteriez-vous plus mal fi je m'en
étois Aatté? Vous êtes bien injufte , reprit
Ninon ; vous me dites des chofes dont je
devrois m'offenfer : je ferois fondée à vous
demander quel caractere vous me fuppofez.
Sans doute , répondit- il , fi cet extérieur
de bonté étoit fincere , rien ne feroit
plus impertinent que mes réponſes ; mais
il ne l'eft point , il ne peut l'être , & la
judicieufe Ninon doit me pardonner une
incrédulité... Mais pourquoi ne vouloir
pas croire que vous m'avez touchée ?
Quand je fais tout pour vous l'apprendre ,
quand je m'expofe au rifque de vous
paroître étourdie , fe peut-il que toute ma
64 MERCURE DE FRANCE .
récompenfe foit d'éprouver une injure ?
Eh , ce font ces mêmes bontés , trop grandes
, trop peu croyables , qui me rendent
fi incrédule , fi trifte , fi chagrin , répondit
il. Je doute d'un bonheur que je ne
mérite pas ; j'en prends toutes les marques
pour des plaifanteries. Toute vive
que puiffe être la tendreffe d'un homme
ordinaire , elle eft payée par un regard ;
des bontés trop marquées doivent lui être
fufpeces. Mais il faut bien que j'aie des
bontés , puifque vous n'avez point de
confiance , reprit - elle avec une impatience
affectée. Sans cela vous feriez dix ans à
m'entendre & vingt à me croire , cela
feroit une jolie paffion . Je vous vois amoureux
, mon coeur eft le prix de votre amour,
il faut bien que je vous le dife , puiſque
vous ne le devinez pas , & que je vous le
prouve , puifque vous en voulez douter..
Elle avoit dit ceci d'un ton un peu comique
; Pécour ne put plus fe contraindre.
C'eft trop me maltraiter , lui dit- il .
De grace , Mademoiſelle , ayez plus d'humanité
, & ne vous faites pas plus injufte
que vous n'êtes. Un coeur fincere mérite
du moins des égards. En vous donnant le
mien je ne me fuis point aveuglé ; je n'ai
rien efpéré de ma paffion extrême , j'ai
cédé à ma deftinée : elle étoit affez cruelle,
OCTOBRE. 1756. 65
puifque j'aime fans efpérance : pourquoi
y mettre le comble ? pourquoi me punir
d'un malheur ?
Il alloit fortir en difant ces mots . Le
mouvement qu'il fit marquoit le plus
grand défefpoir ; Ninon le regarda fes
yeux étoient mouillés de larmes ; il étoit
pâle & prêt à fe trouver mal ; l'amour en
altérant fes traits , lui prêta toutes les
beautés. Ninon s'enivra du bonheur d'être
adorée . Elle ne voulut pas le laiffer
fortir. Pour l'arrêter , elle n'eut befoin
que d'un regard , l'amour y avoit mis toute
fon expreffion. Ecoutez- moi , lui ditelle
, en lui prenant la main : je vous
aime ; en douterez vous toujours ? Non ,
répondit-il , en tombant à fes genoux , je
n'en douterai plus. Quand je refulois de
le croire , vous ne me le difiez pas de
même ce n'eft pas le mot qui perfuade ,
c'eft le ton. Je fuis le plus heureux des
hommes. Puiffe ma tendreffe vous prouver
tout mon bonheur !
66 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Madame la Comteffe de B... en lui dédiant
JE
une Cantarille.
E n'euffe jamais entrepris
De vous dédier cet Ouvrage ;
En m'accordant cet avantage
Votre nom déformais en fera tout le prix.
Le Dieu du goût par mille traits brillans ,
A côté de l'Amour est fixé fur vos traces >
Il ne manquoit plus aux talens
Que de le voir protégés par les graces.
GUIDI .
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur, il y a mon Frere qu'eft Guernadié
dans l' Régiment Royal - Italien , lequel
j ' peux vous dire fans vanité qu'a d'
l'efprit , quoiqu'y feit mon Frere . Y m'a
envoyé du Por-Maon la Chanfon qu'eft
d' l'aute côté , qu'il a fait fur la priſe de
Fort S. Ph'lipe : com ' je n' me connais pas
aux vers & aux penfés qu'il y a d'dans ,
j'vous prie , Monfieux , d' la lire ; & fi au
OCTOBRE. 1756. 67
cas j' la trouve dans vôte Mercure du mois
prochain , j' d' vinerai qu'el eft bonne ;
car y faut qu ' vous fachiez qu' je l' lis
quand je l' vois chez mes Pratiques en ville .
Avec ça j'ai trouvé une fois deux Enimes
fu la toilette d'une Dame de mes pratiques
, qui étoient là pour faire des papillottes
, dont j'ai d' viné l' mot ; car j ' m'aplique
queuque fois à ça . J ' voudrais favoir
fi ell peuvent paffé ; c'est que j' vous enverrais
d'autes chofes qu' la perfone qui
les a fait les a condané à la frifé : comm'
je fuis fûr & certain qu' c'eft-elle qui les a
fait elle- même, j' pourai bien , felon qu ' ca
tournera , vous nomer l' nom comment el
s'apelle. J'ai l'honeur d'ete , &c.
LA CROIX , Garfon Peruquié.
CHANSON
Su' la prife du Fort S. Ph'lipe , par un
Guernadié du Régiment Royal - Italien.
Su ' l'Air . Stila qu'a pincé Bergot- fom
Non On y n' peut pas refter d'Anglois.
Là où qu' paraiffent les Français ¿
Car comm' dit ben Monfieu' Vulgaire ,
Où l' foleil luit la lun' n'a qu' faire.
bis.
bis
68 MERCURE DE FRANCE.
Pardié les v' la ben étonnez ! bis.
Pour les vaincre n' fomm' nous pas nez ? bis .
D'efcalader le Fort Saint Ph'lipe :
T'nez , c'eft comm ' d'allumer ma pipe.
Y a-t-il moyen d'n'ete pas tout coeur ,
bis.
bis. Avec Rich'lieu qu'eſt tout' valeur ?
Maugredié , c'eft un éleftrique ,
De rang en rang ça s' communique.
Pour c' qu'eft à l'égard de Maill❜bois ,
C'est lui qu ' ça fait un fin matois ;
Y fait , mordié , l' méquié d' la guerre ,
Auffi ben qu' Turenn' pouvait faire .
bis.
bis.
Qu'ayons z'calé l'Amiral Binck ,
Pour ça , farpedić je l' crois ben ;
C'est un pot d' fer contre un pot d' terre ,
D'un coup ça vous l' met en pouffiere.
*
L'Guernadié qu'a fait fte Chanſon ,
Eft d' ceux qu'ont pris un fauciffon ;
bis.
bis.
bis.
bis.
Sti qu'alloit faire fauter la mine
Comm' je l'y avons fabré la mine.
Ç' qu'est d' vrai j'ont eu quat' louis pour ça ,
Que fu l'champ on nous finança ;
bis.
bis.
OCTOBRE . 1756. 69
D' Louis j'aimons d'avoir l'image ;
Mais y n'eft tel qu' fon prop' vifage.
A not' bon Roy qu'eft très- Chretien ,
L' carnage fait un' pein ' de chien ;
C'est qu' tous les ſujets qu' nous fommes ,
Y fait qu' des foldats font des hommes.
*
Nous ont bu l ' rogomme un p'tit brin ,
bis.
bis.
bis.
C'eft vrai qu' nous fomm' un peu dans l' train ; bis.
Un élog' dit de ſte maniere ,
N'eft , ventredié , que plus fincere.
Par Vad' bon Coeur.
Le mot de l'Enigme du premier Volume
E
du Mercure d'Octobre eft Chandelle. Celui
du Logogryphe eft Clavecin , dans lequel.
on trouve une , âne , vie , Caën , Nice,
cave , vin , Calvin , ean , vaine , laine ,
unie , naïve.
›
70 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
L'Aimable
'Aimable & fçavante Uranie
Avec plaifir me manie :
Je fers également
A l'Artifte , au Sçavant :
J'ai deux jambes mobiles ,
En cela très-utiles :
L'une me fert de pivot :
Si tu me tiens tu n'es pas fot.
LOGOGRYP HE.
MEre Ere d'enfans errans qui bravent mon amour,
Je ne vis que pour eux. Qu'ils me coûtent de
larmes !
Loin d'en être touchés , elles leur fervent d'armes
Pour s'éloigner de moi fans nul retour.
Mais pour faire valoir un avantage unique ,
Qui fert à balancer ce mépris prétendu :
J'oſe avancer qu'aux maux d'un Etat politique ;
Aux vices , aux abus , au corps humain étique ,
On ne remédira qu'après m'avoir connu.
A préfent de mon nom l'anagramme facile
Vous offre un exercice , où jadis plus d'un Grand
Procuroit à fon corps un plaifir fatiguanti
OCTOBRE. 1756. 71
Une machine aux Arts utiles ,
Néceffaire en tous lieux ; un farouche animal ;
Du corps une partie où l'on craint un rival ;
Une Iſle , une proche parente ;
Ce qu'on met au Café fans être trop friand.
Mais finiffons , il faut être prudente :
Un fecret risque trop quand fille parle tant:
CHANSON
Tirée du Mariage par Efcalade joué à l'Opéra
Comique.
Air. La Marche du Roi de Pruffe.
Sitôt qu'not Général
Nous fait donner l'fignal ,
En même temps poftés
De tous côtés ,
J'grimpons l'affaut ,
Tôt , tôt , tôt.;
J'courons au feu
Comme au jeu :
Monti , Beauveau , Maillebois ;
Pour mettre l'sAnglois aux abois ;
Tous les trois
Donnoient à nos Grivois
L'ordre & l'exemple à la fois.
Là , d'Egmont
Fait l'Demon ,
72 MERCURE DE FRANCE.
Met tout à fac ,
Et leurs effais
Sont des fuccès :
Ils vont aux coups
Comme nous ;
Mais j' nen fons point jaloux :
On fçait que l' Gendre & l'Fils d'un Héros
Sont faits pour de pareils travaux.
Malgré l' canon
Ratata pon ,
La flâme & l'fer
Et tout l'enfer ,
Sur les remparts
De toutes parts ,
J'enfonçons nos Etendards :
Dans c' bacchanal
Eft l' Marêchal :
De s' côté là
Le voilà ;
De c' côté ci
Le voici :
A droite , à gauche , au milieu ,
En tout lieu
Eft Richelieu :
Morbieu !
Eft- ce un Diable ou bien an Dieu ?
ARTICLE
OCTOBRE . 1756. 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE
De la Préface des Recherches fur differens
points importans du fyftême du monde ,
troifieme partie ; par M. d'Alembert.
JE viens préfentement au fecond objet de
mon Ouvrage. Il paroîtra peut-être furprenant
qu'après tout ce qui a été fait depuis
vingt ans en France , & principalement
dans l'Académie , fur la figure de
la Terre , après les théories fubtiles &
profondes qu'on en a données , après les
fçavantes opérations entrepriſes pour la
connoître , j'aie cru pouvoir encore m'en
occuper. Les Sçavans & les Philofophes "
mêmes font prefque fatigués de lire & d'écrire
fur ce fujet. N'ai je point à craindre
de les intéreffer très- foiblement en y revenant
de nouveau , furtout fi mon but principal
eft de montrer qu'après tant de travaux
immenfes, honorables pour ceux qui
les ont entrepris , & propres en apparence à
épuifer la matiere , elle eft aujourd'hui
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
plus embrouillée que jamais ? Heureufe
ment l'efpece de Lecteurs à qui cet Ouvrage
eft deftiné , s'intéreffe fincérement à
tout ce qui contribue réellement au progrès
des Sciences , même en paroiffant le fufpendre
; c'eft auffi uniquement à cette efpece
de Lecteurs que je vais parler . Je
commence par quelques réflexions générales
.
Le génie des Philofophes , en cela peu
différent de celui des autres hommes , les
porte à ne chercher d'abord ni uniformité
ni loi dans les phénomenes qu'ils obfervent.
Commencent - ils à y foupçonner
quelque marche réguliere , ils imaginent
auffi -tôt la plus parfaite & la plus fimple ;
bien- tôt une obfervation plus fuivie les détrompe
& fouvent même les ramene précipitamment
à leur premier avis ; enfin une
étude longue , affidue , dégagée de prévention
& de fyftême , les remet dans les
limites du vrai , & leur apprend que pour
l'ordinaire la loi des phénomenes n'eft ni
affez peu compofée pour être apperçue tour
d'un coup, ni auffi irréguliere qu'on pour
roit le penfer ; que chaque effet venant
prefque toujours du concours de plufieurs
caufes , la maniere d'agir de chacune eſt
fimple , mais que le réfultat de leur action
réunie eft compliqué , quoique régulier ,
OCTOBRE. 1756. 75
& que tout le réduit à décompofer ce réfultat
pour en démêler les différentes parties.
Parmi une infinité d'exemples qu'on.
pourroit apporter de ce que nous avançons
ici , les orbites des Planetes en fourniſſent
un bien frappant. A peine a-t-on foupçonné
que les Planetes fe mouvoient circulairement
, qu'on leur a fait décrire des cer- :
cles parfaits & d'un mouvement uniforme ;
d'abord autour de la Terre , puis autour
du Soleil comme centres. L'obfervation
ayant montré bientôt après que les Plane- .
tes étoient tantôt plus , tantôt moins éloignées
du Soleil , on a déplacé cet Aftre du
centre des orbites ; mais fans rien changer
ni à la figure circulaire , ni à l'uniformité
de mouvement qu'on avoit fuppofées : on
s'eft apperçu enfuite que les orbites n'étoient
ni circulaires , ni décrites uniformément
, & on leur a donné la figure
elliptique , la plus fimple des ovales que
nous connoiffions ; enfin on a vu que
cette figure ne répondoit pas encore à tout ;
que plufieurs des Planetes
entr'autres
Saturne , Jupiter , la Terre même , &
furtout la Lune , ne s'y affujettiffoient pas
exactement dans leurs cours : on a tâché
de découvrir la loi de leurs inégalités , &
c'eft le grand objet qui occupe aujourd'hui
les Sçavans.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
"
Il en a été à peu près de même de la figure
de la Terre à peine a - t- on reconnu
qu'elle étoit ronde, qu'on l'a fuppofée fphérique.
Voici par quels degrés on s'eft défabufé
de cette opinion . Les obfervations du
pendule fous l'équateur apprirent dans le
dernier fiecle que la pefanteur y étoit
moindre qu'aux poles ; & il femble , pour
le dire en paffant , qu'on auroit pu s'en
douter fans avoir befoin du fecours de l'expérience
( 1 ) , puifque les corps à l'équateur
étant plus éloignés de l'axe de la Terre
, la force centrifuge produite par rotation
y eft plus grande , & par conféquent
ôte davantage à la pefanteur. C'eft ainfi que
par une espece de fatalité attachée à l'avancement
des connoiffances humaines , certains
faits qui ne font que des connoiffances
très- fimples & immédiates de principes
connus , demeurent néanmoins fouvent
ignorés avant que l'obfervation les découvre.
Quoi qu'il en foit , on conclut de
la dimunition obfervée de la pefanteur à
(1 ) L'Hiftoire Célefte , publiée par M. le Monnier
en 1741 , nous apprend que l'Académie
l'avoit déja foupçonné avant l'expérience de M.
Richer ; mais ce n'avoit pas été d'abord par un
raifonnement à priori , c'étoit feulement d'après
quelques expériences faites en divers lieux de
l'Europe.
OCTOBRE. 1756 . 77
l'équateur, que laTerre devoit être applatie,
c'eſt à - dire plus élevée à l'équateur qu'aux
poles. Mais cette conféquence fuppofoit
que la Terre eût été primitivement fluide ,
& qu'en fe durciffant elle eût confervé ſa
premiere figure. Or cette hypotheſe n'étant
pas démontrée , la conféquence qu'on
en tiroit avoit befoin , pour être mife hors
d'atteinte , d'être vérifiée par l'obfervation :
on n'en trouva point de plus directe que
celle de la meture des degrés , qui devoient
aller en diminuant du pole vers l'équateur
, fi la Terre étoit un fphéroïde applati
. La meſure des degrés dans l'étendue
de la France contredit d'abord cette conclufion
. Elle donnoit les degrés plus petits
à mesure qu'on approchoit du pole : mais
comme la différence entre les degrés voifins
étoit affez peu confidérable pour pouvoir
être attribuée aux obfervations , on réfolut,
pour éviter cette fource d'erreurs, de
mefurer les degrés les plus éloignés qu'il
feroit poffible , l'un fous l'équateur , l'autre
en Laponie. Ce dernier degré s'eft
trouvé en effet plus grand que le degré
moyen de France , & celui - ci plus grand
que le degré fous l'équateur . Ainfi la Terre
eft redevenue applatie comme la théorie
l'avoit d'abord fait juger. Il falloit de plus,
- par cette théorie , que le méridien fût une
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
ellipfe dont les axes différaffent de } :
dans cette fuppofition les trois degrés du
Sud , de France & du Nord, devoient avoir
une certaine proportion , dont en effet ils
ne s'éloignoient pas beaucoup. ( Je parle ici
du degré de France , mefuré d'abord par
M. Picard , déterminé par lui à 57060
toiſes , & fixé enfuite à 57183 par les obfervations
aftronomiques que MM. les´
Académiciens du Nord ont faites , pour
corriger l'amplitude de l'arc de M. Picard .)
De plus la différence des axes fuppofée
de , demandoit que les longueurs du
pendule à ces trois latitudes euffent un certain
rapport , & ce rapport s'éloignoit affez
de celui que la théorie donnoit . Ainfi
d'un côté l'obfervation des degrés étoit alfez
favorable à la théorie , de l'autre celle
du pendule y paroiffoit affez contraire.
On prétendit d'ailleurs que M. Picard s'étoit
trompé non feulement fur l'amplitude
de fon arc , mais encore fur la meſure de
la bafe qui lui avoit donné le degré de
France ; & en conféquence on crut devoir
raccourcir de 109 toifes le degré qu'on venoit
de fixer à 57183 : on le mit à 57074 ;
nouvel échec pour la théorie qui alors
fembloit démentie par la mefure même
des degrés. On avoit mefuré à peu près
vers le même temps un degré de longitude
OCTOBRE. 1756. 79
à 43 ° , 32 minutes de latitude : ce degré
qui s'accordoit affez bien avec la figure de
la Terre réſultante des trois premiers degrés
, ne s'accordoit plus avec le nouveau
degré de France , non plus que les deux
degrés du Pérou & de Laponic . On chercha
cependant à faire quadrer de fon
mieux ces quatre degrés les uns avec les autres
, en donnant au méridien une forme
qui s'y ajuftât : mais ce méridien n'avoit
plus la figure elliptique , la feule que la
théorie lui eût fait trouver jufqu'alors.
A peine cette premiere difficulté fut- elle
vaincue , ou plutôt palliée , qu'il s'en préfenta
de nouvelles . Le degré mefuré au
Cap de Bonne- Efpérance par 33 ° , 18 minutes
de latitude auftrale , fe trouva de
57037 toiles , c'est - à-dire prefque égal
au nouveau dégré de France , & par conféquent
beaucoup plus grand qu'il n'auroit
dû être par rapport à ce degré. Cette mefure
étant fuppofée jufte , il s'enfuivoit
que les deux hémifpheres de la Terre n'étoient
pas femblables : mais du moins on
pouvoit encore fe flatter que tous les méridiens
étoient les mêmes , quoique compofés
de parties inégales des deux côtés de
l'équateur . Cette hypothefe n'avoit point
encore été ébranlée : elle vient de l'être
par la longueur du degré mefuré en Italie ,
Div
So MERCURE DE FRANCE.
fous un autre méridien que celui de France.
Cette longueur differe de 70 toiſes de
ce qu'elle auroit dû être , fi le méridien
d'Italie étoit femblable au nôtre . De plus ,
ce degré ne s'accorde nullement avec l'hypothefe
elliptique , même en fuppofant
les méridiens femblables. Il ne manque
plus rien , comme l'on voit , pour rendre
la queftion de la figure de la Terre auffi
obcure que le Pyrrhonifme peut le défirer .
Les doutes qu'on pouvoit fe former für
la figure elliptique des méridiens m'avoient
déja frappé dans le temps que je publiai
les deux premieres Parties de ces Recherches
; & ce fut en conféquence que je donnai
, ou plutôt que j'indiquai à la fin de
la feconde de ces deux Parties , une méthode
générale pour trouver la figure de la
Terre par la mefure des degrés , fans s'appuyer
fur aucune théorie ; j'y joignis
une méthode pour déterminer par la théorie
cette même figure , en ne regardant plus
le méridien comme une ellipfe ; méthode
que les Géometres fembloient défirer depuis
long- temps. J'étois alors très- porté à
penfer que les méridiens de la Terre étoient
femblables , & je crois encore que cette hypotheſe
ne doit pas être proferite fans des
raifons démonftratives. Cependant pour
ne rien me diffimuler à moi - même , il m'a
OCTOBRE. 1756.
paru qu'il étoit à propos d'examiner en
toute rigueur les fuppofitions fur lefquelles
la meſure du degré eft fondée : ces fuppofitions
font en premier lieu que le plan
du méridien , celui dans lequel le Soleil
fe trouve à midi , paffe par l'axe même de
la Terre , & par conféquent par fon centre
; en fecond lieu , que la ligne du zénith
eft perpendiculaire à la furface de la
Terre , ou , ce qui revient au même , à
l'horizon du lieu où l'on obferve , c'eſt -àdire
au plan qui toucheroit la furface de la
Terre en ce lieu . Or je trouve par des raifons
dont je renvoie le détail à mon Ouvrage
, qu'il eft prefque impoffible de s'affurer
démonftrativement par l'obfervation
actuelle de la vérité de la feconde fuppofition
, & qu'il l'eft encore bien davantage
de conftater celle de la premiere. Cependant
il faut avouer que ces deux fuppofitions
étant affez naturelles, la feule difficulté
de s'en affurer rigoureufement , n'eſt
point une raifon pour les rejetter , fi d'ailleurs
les obfervations n'y font pas fenfiblement
contraires. La queftion fe réduit donc
à fçavoir fi la meſure du degré faite récemment
en Italie , eft une preuve fuffifante de
la diffimilitude des méridiens . Cette diffimilitude
une fois avouée , la Terre ne
feroit plus un folide de révolution , &
D▾
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
non feulement il demeureroit très- incertain
fi la ligne du zénith paffe par l'axe de
la Terre , & fi elle eft perpendiculaire à
l'horizon ; mais le contraire feroit même
beaucoup plus probable : la ligne à plomb
ne feroit plus perpendiculaire à la furface
de la Terre , ni dans le plan du méridien &
de l'axe terreftre ; la détermination de la figure
de la Terre deviendroit fujette à trop
d'erreurs , & par conféquent impoffible.
Cette queftion mérite donc un férieux examen.
Enviſageons- la d'abord par le côté
Phyfique.
Si la Terre avoit été primitivement fluide
& homogene , la gravitation mutuelle
de fes parties , combinée avec la rotation
autour de l'axe , lui eût certainement donné
la forme d'un fphéroïde applati , dont
tous les méridiens euffent été femblables.
Si la Terre eût été originairement formée
de fluides de différentes denfités , ces fluides
cherchant à fe mettre en équilibre entr'eux
, fe feroient auffi difpofés tous de
la même maniere dans chacun des plans
qui auroient paffé par l'axe de rotation du
fphéroïde , & par conféquent les méridiens
euffent encore été femblables. Mais
eft-il bien prouvé , dira-t- on , que la Terere
ait été originairement fluide ? Et quand
elle l'eût été , quand elle eût pris la figure
OCTOBRE. 1756. 83
parque
cette hypothefe demandoit , eft il
bien certain qu'elle l'eût confervée ? Pour
nepoint diffimuler ni diminuer la force de
cette objection , appuyons- la avant que
d'en apprécier la valeur , par la réflexion
fuivante. La fluidité du fphéroïde demande
une certaine régularité dans la difpofition
de fes parties ; régularité que nous
n'obfervons pas dans la Terre que nous
habitons. La furface du fphéroïde fluide
devroit être homogene : celle de la Terre
eft compofée de parties fluides & de
ties folides , différentes par leurs denfités.
Les bouleverſemens évidens que la furface
de notre Globe a effuyés , & qui ne font
cachés qu'à ceux qui ne veulent pas les
voir , le changement des Terres en Mers &
des Mers en Terres , l'affaiffement du Globe
en certains lieux , fon exhauffement dans
d'autres , tout cela n'a - t- il pas dû altérer
confidérablement
la figure primitive ? Or
cette figure primitive étant altérée , & la
plus grande partie de la Terre étant folide,
qui nous affurera qu'elle ait confervé aucune
régularité dans la figure ni dans la
diftribution de fes parties ? 11 feroit d'autant
plus difficile de le croire , que cette
diftribution ſemble, pour ainfi dire , faite au
hazard dans la partie que nous pouvons
connoître de l'intérieur & de la furface de
Dvj
86 MERCURE DE FRANCE.
mune : n'eft - il donc pas naturel de fuppofer
qu'elle fait à peu près le même effet
qu'une mariere fluide ; que la Terre eſt à
peu près dans le même état que fi fa furface
étoit partout fluide & homogene ;
qu'ainfi la direction de la pefanteur eft fenfiblement
perpendiculaire à cette furface
& dans le plan de l'axe de la Terre , & que
par conféquent tous les méridiens font
femblables , finon à la rigueur , au moins
fenfiblement Les inégalités de la furface
de la Terre , les montagnes qui la couvrent
font moins confidérables par rapport
au diametre du Globle , que ne le feroient
des inégalités d'un dixieme de ligne répandues
çà & là fur la furface d'un Globe
de deux pieds de diametre. D'ailleurs le
peu d'attraction que les montagnes exercent
par rapport à leur maffe , femble prouver
que cette maffe eft très- petite par rap
port à leur volume ; une montagne hémifphérique
d'une lieue de hauteur devroit
écarter le pendule de la fituation verticale
de plus d'une minute , & à peine les hautes
montagnes du Pérou produifent- elles
une variation de 7 fecondes. Les montagnes
femblent donc avoir en général trèspeu
de matiere propre par rapport au refte
du Globe ; conjecture appuyée par d'autres
obfervations , qui nous ont découvert
OCTOBRE. 1756. 87
d'immenfes cavités dans plufieurs de ces
montagnes. Ces inégalités qui nous paroiffent
fi confidérables & qui le font fi peu ,
ont été produites par les bouleverfemens
que la Terre a foufferts , & dont vrai
femblablement l'effet. ne s'eft pas étendu
fort au- delà de fa furface & de fes pre-
-mieres couches.
Ainfi de toutes les raifons qu'on peut
avoir pour croire les méridiens diffeniblables
, la feule qui foit de quelque poids
eft la différence du degré mefuré en Italie ,
& du degré mefuré en France à une latitude
pareille & fous un autre méridien : mais
cette différence qui n'eft que de 70 toifes ,
c'eft-à-dire d'environ 35 pour chacun des
deux degrés , eft- elle affez confidérable
pour ne pas être attribuée aux erreurs des
obfervations , quelque exactes qu'on les
fuppofe Deux fecondes d'erreur dans la
feule mefure de l'arc célefte donnent 32
toifes d'erreur fur le dégré ; & quel Obfervateur
peut répondre de deux fecondes ,?
Ceux qui font tout- à la fois les plus exacts
& les plus finceres oferoient- ils même répondre
de 60 toifes fur la mefure du degré
, puifque 60 toifes ne fuppofent pas
une erreur de 4 fecondes dans la mesure de
l'arc céleste , & aucune dans les opérations
geographiques ?
SS MERCURE DE FRANCE.
Rien ne nous oblige donc à croire encore
que les méridiens foient diffemblables.
Il faudroit , pour autorifer pleinement cette
opinion , avoir mefuré deux ou plu
fieurs degrés à la même latitude dans des
lieux très- éloignés , & y avoir trouvé trop
-de différence pour l'imputer aux Obfervateurs.
Je dis dans des lieux très - éloignés ;
car quand le méridien d'Italie & celui de
France feroient réellement différens , comme
ces méridiens ne font pas fort diftans
l'un de l'autre , on pourroit toujours rejetter
fur les erreurs de l'obfervation la
différence qu'on trouveroit entre les degrés
correfpondans de France & d'Italie à
la même latitude. Il faudroit de plus obferver
le pendule à la même latitude ,
fous des méridiens très- différens & trèséloignés
: on verroit par- là fi les longueurs
obfervées différeroient affez pour en pouvoir
conclure l'inégalité de pefanteur à la
même latitude fous des méridiens différens ,
& par conféquent , ce qui en feroit une
fuite prefque néceffaire , la diffimilitude
de ces méridiens.
Au refte , en attendant que l'obfervation
directe du pendule , ou la meſure immédiate
des degrés nous donne à cet égard
les connoiffances qui nous manquent , l'analogie
, quelquefois fi utile en Phyfique,
OCTOBRE. 1756. 89
pourroit nous éclairer jufqu'à un certain
point fur l'objet dont il s'agit , en y employant
les obfervations de la figure de Jupiter.
L'applatiffement de cette Planete
obfervé dès 1666 , par M. Picard , avoit
déja fait foupçonner celui de la Terre ,
long- temps avant que l'on s'en fût invinciblement
affuré , par la comparaifon des
degrés du Nord & de France. Des obfervations
réitérées de cette même Planete nous
apprendroient aisément fi fon équateur eft
circulaire pour cela il fuffiroit d'obferver
l'applatiffement de Jupiter dans différens
temps. Comme fon axe eft à peu
près perpendiculaire à fon orbite , & par
conféquent à l'écliptique qui ne forme
qu'un angle d'environ un degré avec l'orbite
de Jupiter , il eft évident que fi l'équateur
de Jupiter eft un cercle , le méridien
de cette Planete , perpendiculaire
au rayon vifuel tiré de la Terre , doit toujours
être le même , & qu'ainfi Jupiter
doit paroître toujours également applati ,
dans quelque temps qu'on l'obferve. Ce
feroit le contraire fi les méridiens de Jupiter
étoient diffemblables. Je fçais que
cette obfervation ne fera pas démonftrative
par rapport à la fimilitude ou diffimilitude
des méridiens de la Terre ; mais
enfin fi les méridiens de Jupiter fe trou90
MERCURE DE FRANCE.
voient femblables , comme j'ai lieu de le
foupçonner par les queftions que j'ai faites
là- deffus à un très-habile Aftronome ,
on feroit , ce me femble , affez bien fondé à
croire , au défaut de preuves plus rigoureufes
, que la Terre auroit auffi fes méridiens
femblables. Car les obfervations
nous prouvent que la furface de Jupiter
eft fujette à des altérations fans comparaifon
plus confidérables & plus fréquentes
que celle de la Terre. Or fi ces altérations
n'influoient en rien fur la figure de l'équateur
de Jupiter , pourquoi la figure de l'équateur
de la Terre feroit-elle altérée par
des mouvemens beaucoup moindres ?
Mais en fuppofant même que tous les
méridiens font à peu près femblables , il
refte encore à examiner fi ces méridiens
ont la figure d'une ellipfe. Jufqu'ici la
Théorie n'a point donné formellement
l'exclufion aux autres figures. Elle s'eft
bornée à montrer que la figure elliptique
de la Terre s'accordoit avec les loix de
l'hydroftatique ( 1 ) . J'ai trouvé de plus ,
& je le démontre dans cet Ouvrage , qu'il
y a une infinité d'autres figures qui s'ac
cordent avec ces loix , furtout fi on ne
(1 ) Voyez l'Ouvrage que M. Clairaut a publié
fur ce fujet en 1742 , & qui a pour titre Théorie
de la figure de la Terre,
OCTOBRE. 1756. ༡ ་
fuppofe pas la Terre entiérement homogene
; propofition qui me paroît importante
& digne de quelque attention de la part
des Géometres , tant par
tant par elle-même que
par la méthode que j'ai imaginée pour la
démontrer. J'avois déja donné ailleurs
quelque extenfion à la théorie , même
dans l'hypothefe elliptique , en faifant
voir qu'il n'eft pas toujours néceffaire ( 1 ) ,
comme on l'avoit cru jufqu'ici , que les
furfaces des différentes couches fuffent de
niveau , & j'avois préfenté en conféquence
l'équation des différentes couches de la
Terre , fous une forme plus générale qu'on
ne l'avoit fait avant moi . Mais cette équation
généralisée n'eft plus elle - même
qu'un corollaire très -fimple de la théorie
que je donne aujourd'hui , & dont l'hypothefe
elliptique eft un cas particulier &
très limité.
J'ai fuppofé de plus , en regardant, s'il eſt
néceffaire , la Terre comme folide , que
les méridiens du fphéroïde ne fuflent
femblables ni par leur figure ni par la denfité
de leurs parties ; que tous les points
de la Terre différaffent en denfité , non
pas à la vérité fuivant une loi quelconque ,
(1 ) Effai d'une nouvelle Théorie de la résistance
des fluides , dans l'Appendice , depuis l'art. 196
jufqu'à la fin.
92 MERCURE DE FRANCE.
mais fuivant une loi prefque auffi générale
qu'on peut le défirer ; j'ai cherché dans
cette hypotheſe l'action qu'un pareil folide
exerçoit fur fes parties ; problême difficile
& important , dont la folution pourroit
nous être fort utile , fi en effet la Terre fe
trouvoit avoir des irrégularités conſidérables
dans fa figure.
Enfin , en fuppofant que le méridien
ne foit pas elliptique , je donne une méthode
auffi fimple qu'il eft poffible pour
trouver d'une maniere approchée fa figure
par la meſure de tant de degrés de latitude
& de longitude qu'on jugera à propos.
Cette méthode peut être d'autant plus néceffaire
à pratiquer , que ni la théorie , ni
les mesures actuelles ne nous forcent à don .
ner à la Terre la figure d'un fphéroïde elliptique.
Les mefures femblent même nous
en éloigner : car les 5 degrés du Nord , du $
Pérou , de France , d'Italie & du Cap ne
s'accordent point avec cette figure ; &
les expériences du pendule dans cette même
hypothefe , menent à un réſultat différent
de celui que préfente la meſure des
degrés . Ces dernieres expériences s'accordent
affez bien à donner à la Terre la figure
elliptique , mais elles la font plus applatie
que de 230. D'un autre côté , ce dernier
applatiffement s'accorde affez avec les cinq
OCTOBRE. 1756. 93
degrés fuivans , celui du Nord , celui du
Pérou , celui du Cap , le degré de France
fuppofé de 57183 toifes , & le degré de
longitude mefuré à 43 °, 22 minutes : mais
le degré de France fuppofé de 57074 toiſes
, comme on le veut aujourd'hui , &
le degré d'Italie dérangent tout ( 1 ) .
. M. le Monnier , dans le deffein de lever
une partie de ces doutes , a demandé &
obtenu de l'Académie qu'on vérifiât de
nouveau la baſe de M. Picard , pour profcrire
ou pour
rétablir le degré de France ,
(1) En fuppofant le premier degré de latitude
de 56753 toiles , tel que les obfervations l'ont
donné , & celui du Pérou de 57438 toifes , ou
plus exactement de 57422 , en retranchant 16 toifes
à cauſe d'une feconde négligée dans la réfraction
; on trouve que le rapport des axes dans l'hypothefe
elliptique eft de 214 à 215 ; ce qui differe
très-peu du rapport de 229 à 230 : de plus , on
trouve alors que le degré du Cap eft de 56993
toifes , moindre de 44 toifes feulement que lai
degré obfervé ; que celui de France à 49 , 22 minures
, eft de 57212 toifes plus grand de 29 toifes
feulement que le degré de 57183 , mais plus grand
de près de 140 toifes que le degré évalué en dernier
lieu à 57074 ; enfin que le degré d'Italie eft
$7131 , plus grand de 152 toifes que le degré obfervé
56979. En faifant de très-légeres corrections
aux quatre premiers degrés , on retomberoit
exactement dans le rapport de 229 à 230 ; mais
il feroit impoffible d'y faire quadrer les deux derniers
degrés.
94" MERCURE DE FRANCE.
fixé par les Académiciens du Nord à 57183
toifes. Si ce degré eft rétabli , ce feroit
aux Aftronomes à décider jufqu'à quel
point l'hypothefe elliptique feroit ébranlée
par la mefure du degré d'Italie , le feul
qui s'éloigneroit alors de cette hypothefe
(1 ) . Il faudroit examiner de plus jufqu'à
quel point les obfervations du pendule s'écarteroient
de ce même applatiffement , &
même de l'applatiffement fuppofé à 230
Si le degré de M. Picard eft proferit , il
faudra en ce cas difcuter foigneufement
les erreurs qu'on peut commettre dans les
obfervations tant du pendule que des degrés
; & fi ces erreurs devoient être fuppofées
trop grandes pour accommoder l'hypothefe
elliptique aux obfervations , on feroit
forcé d'abandonner cette hypothefe ,
& de faire ufage des nouvelles vues que je
propofe dans cet Ouvrage , pour déterminar
par la théorie & par les obfervations
la figure de la Terre.
L'obfervation de l'applatiffement de Jupiter
pourroit encore nous être utile ici
(1 ) Ne feroit-il pas permis de penfer que dans
un pays auffi plein de montagnes que l'Italie , l'attraction
de ces montagnes peut altérer la direction
du fil à plomb , & par conféquent caufer quelques
erreurs dans la détermination de l'arc céleste , &
dans celle du degré qui en eſt une ſuite ? C'eſt
une conjecture que nous hazardons.
OCTOBRE 1756. 95
jufqu'à un certain point. Il eft aifé de trouver
par la théorie , quel doit être le rapport
de fes axes en regardant cette Planete
comme homogene . Si ce rapport étoit ſenfiblement
égal au rapport obfervé , on
pourroit en conclure avec affez de vraifemblance
que la Terre feroit auffi dans le
même cas , & que fon applatiffement feroit
, le même que dans le cas de l'ho
mogenéité, Mais fi le rapport obfervé des
axes de Jupiter eft différent de celui que
la théorie nous donne , alors on en pourra
conclure par la même raiſon que la Terre
n'eft pas homogene , & peut-être même
qu'elle n'a pas la figure elliptique . Cette
derniere conclufion pourroit encore être
confirmée ou infirmée par l'obfervation de
la figure de Jupiter : car il feroit aifé de
déterminer fi le méridien de cette Planete
eft une ellipfe ou non . Pour cela il ſuffiroit
de mefurer la parallele à l'équateur de
Jupiter , qui en feroit éloigné de 60 degrés
. Si ce parallele fe trouvoit fenfiblement
égal ou inégal à la moitié de l'équateur
, le méridien de Jupiter feroit elliptique
ou ne le feroit pas.
Tel eft l'état où fe trouve pour le préfent
l'importante queftion de la figure de
la Terre. On voit combien fa folution demande
encore d'obfervations & de recher96
MERCURE DE FRANCE.
ches. Aidé du travail de mes prédéceffeurs ,
j'ai taché de préparer les matériaux de ce
qui reste à faire , & d'en faciliter les
moyens. Quel parti prendre jufqu'à ce que
le temps nous apporte de nouvelles lumieres
? Sçavoir attendre & douter.
POEME AU ROI , fur la prife de Port-
Mahon , par Teifferenc de Lodève , Garde
du Corps de Sa Majeſté . A Paris , 1756 ,
fans nom de Libraire.
Ce Poëme de feize pages eft divifé en
trois chants . Le premier peint la tranquillité
de la France , les hoftilités des Anglois
dans la paix , & leur obftination malgré
la modération du Roi . Le fecond offre
le projet du fiege de Minorque , l'expédition
& la reddition de la Ville de Mahon
fans aucune réfiftance ; & le troifieme décrit
le fiege , l'attaque générale & la prife
du Fort S. Philippe.
L'Auteur montre une heureuſe facilité.
Sa poéfie eft naturelle douce & nombreuſe :
mais nous lui confeillons d'être en garde
contre fon trop d'aifance . C'eft un don
qui devient quelquefois un défaut . On
commence par être facile , & l'on finit par
être foible. Nous prions M. T. de nous
pardonner cet avertiffement qui part d'une
bonne intention . Il fait de trop bons vers
pour
OCTOBRE . 1756. 97
pour lui en paffer de médiocres. Ceux que
nous allons citer ferviront à prouver fon
talent plus qu'à juftifier notre critique ,
& le
convaincront de notre impartialité.
Nous avons choifi un morceau de chaque
chant ; le Poëte débute ainfi dans le
premier.
Louis régnoit en paix. L'éclat de la victoire
Pouvoit-il le tenter au faîte de la gloire ?
La foudre de Bellone éteinte dans les mains ,
Il n'étoit occupé qu'au bonheur des humains.
On voyoit , par fes foins fleurir les arts utiles ,
L'abondance régner dans nos champs , dans nos
villes ,
Que dis -je ? c'étoit peu d'enrichir les fujets ,
ſes
Sa main fur l'étranger répandoit fes bienfaits.
Ainfi l'aftre du jour brille dans fa carriere ,
Et va dans le lointain répandre fa lumiere.
Le commerce étoit libre , & tous nos ports ou
verts
Recevoient les vaiffeaux de cent peuples divers.
Sans crainte , fans combats les enfans de Neptune
De l'aurore au couchant , pourſuivoient la fortune
,
Loin de s'entrechoquer dans leurs paifibles
cours....
Mais , ô Dieux ! quel nuage a troublé ces beaux
jours ?
Quel peuple ambitieux , de fang toujours avide
II. Vol.
E98
MERCURE DE FRANCE.
A tramé dans fon fein un complot homicide ?
Arrête , fier Anglois , follement enivré ,
Et refpecte le Lys fous l'Olivier facré.
Voici comme l'Auteur peint le Confeil
du Roi dans le fecond chant :
Loin du trouble & du bruit dans un lieu folitaire
Qu'entourent le refpect , la crainte , le myftere ,
On voit un temple augufte aux fages confacré ,
Où les foibles mortels n'ont jamais pénétré.
Un Dicu grave & terrible en tout temps y préfide :
Il y tient la balance , & l'épée & l'égide.
Tout tremble & fe profterne auffitôt qu'il paroît :
11 y décide feul : s'il parle , tout fe taît.
Là fe meut de l'Etat le reffort politique ;
Là fur ce grand objet chacun s'ouvre & s'ezplique
;
Là nos braves Céfars méditent les exploits ,
Et nos fages Minos interpretent les loix.
D'Argenfon enflammé par l'ardeur de fon zele ,
Développe avec art ce deffein important.
Chacun avec tranfport & le voit & l'entend.
La fageffe applaudit , la jaloufie expire ,
La France eſt dans la joie , & Minorque ſoupire.
Nous finirons cet extrait par ces vers
qui terminent le troifieme chant & l'ouvrage
.
Tu m'entends , Richelieu : ſous l'épaiffe fumée
OCTOBRE. 1756.
99
Ta foudre s'affoupit encor toute allumée ;
Et Blakenei , frappé de tes nobles exploits,
Tremble , foupire , accourt , te demande des loix.
Tout s'émeut à l'inftant dans la nature entiere :
Londres fous le cyprès , baiſſe ſa tête altiere.
Paris levant fon front couronné de lauriers ,
Sur fon char de triomphe éleve nos guerriers ;
Et l'Europe , grand Roi , qu'enflamme la victoire ;
Témoin de ta clémence , applaudit à ta gloire ,
Admire le vainqueur dans l'ami du repos ,
Et le fage toujours à côté du Héros.
Nous croyons qu'enflamme n'eft point là
l'expreffion propre. Notre victoire fixe
l'attention de l'Europe, mais ne l'enflamme
pas , elle l'intéreffe feulement. Dans l'ami
du repos, c'eſt pour rimer à Héros , l'ami
de la paix feroit plus jufte . Le repos eft un
état pareffeux où l'on fe borne tout au
plus à méditer ; au lieu que la paix eft
active & s'occupe des travaux qui peuvent
l'affermir & la rendre floriffante. Le premier
caractériſe un Philofophe , & l'autre
un Roi. Nous n'aurions pas relevé ces
fautes légeres dans un ouvrage qui nous
eût fans beautés. Mais celui- ci vaut
paru
la peine d'être foigné . Nous l'avons fait
par eftime pour l'Auteur , & pour l'engager
à joindre la correction à la facilité.
RURIS DELICIA . Feu M. Bertrand , de
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Nantes , Avocat & Académicien d'Angers,
connu comme Poëte & comme homme de
goût , avoit un fi grand amour pour la
campagne , que ne pouvant en aller goûter
les douceurs auffi fouvent qu'il l'auroit
fouhaité , il avoit raffemblé tout ce
que les Anciens & les Modernes ont écrit,
où répandu dans leurs ouvrages fur les
charmes de la vie champêtre. C'eſt cette
collection que l'on donne aujourd'hui fous
le titre féduifant de Ruris Delicia. Elle eft
imprimée , & on la trouve rue S. Jacques ,
chez Jofeph Barbou, qui fe diftingue tous les
jours par l'amour & l'efprit de fon art. Les
caracteres & le papier font autant de plaifir
aux yeux , que les penfées & les objets
qu'ils retracent peuvent en faire à l'efprit
& à l'imagination . C'eft en tout un livre
très- agréable à lire , & que nous confeillons
d'acheter à ceux furtout qui portent
à la campagne les idées & les moeurs des
champs.
VERS fur la conquête de Minorque ,
fuivis d'une lettre fur la Sémiramis de
M. de Voltaire par M. Gazon Dourxigni.
L'ART DE PLAIRE. Poëme en trois
chants , dédié aux Dames , & autres Poefies
intéreДantes , qui fe trouvent chez DiOCTOBRE.
1756. 101
chefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goûr.
L'Art de plaire ! Poéfies intéreffantes !
voilà des titres bien féducteurs : mais
nous croyons qu'ils annoncent trop , &
qu'il eft difficile de remplir des promeffes
auffi brillantes . Ovide furtout eft un
dangereux modele en fait d'agrément , &
l'on rifque d'être écolier quand on veut
donner des leçons d'après un fi grand
maître.
>
GÉOGRAPHIE MODERNE , précédée d'un
petit Traité de la Sphere & du Globe ;
ornée de traits d'Hiftoire naturelle & politique
, & terminée par une Géographie
facrée , & une Géographie eccléfiaftique ,
où l'on trouve tous les Archevêchés &
Evêchés de l'Eglife Catholique , & les
principaux des Eglifes Schifmatiques
avec une table des longitudes & latitudes
des principales villes du monde , & une autre
du nom des lieux contenus dans cette
Géographie , par M. l'Abbé Nicole-de la
Croix. Nouvelle Edition revue , corrigée,
& confidérablement augmentée ; 2 vol. in-
12. qui fe vendent 6 liv. reliés en veau ,
chez Jean-Thomas Heriffant , Libraire , rue
S. Jacques , à S. Paul & à S. Hilaire. La
Géographie facrée , impriméé féparément
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
in- 12 , fe vend 12 f. pour ceux qui ont
les premieres éditions. Ce livre eft déja
connu. Le nombre d'éditions qu'il a enés
nous difpenfe de dire que les corrections
& augmentations qu'on vient d'y faire ,
doivent encore engager à l'acheter.
MÉMOIRES fur la nature fenfible & irritable
des parties du corps animal , par
M. Alb. de Haller , Préfident de la Société
Royale de Gottingue , Membre de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , Londres
, Berlin , &c. Tom. I ; contenant une
feconde édition corrigée , de la Differtation
fur l'Irritabilité , fuivie de l'expofé
fynthétique des faits , tiré d'un grand nombre
d'expériences faites par l'Auteur ; imprimés
à Lausanne , chez Marc Mic. Boufquet
, & fe vend à Paris , chez Durand ,
rue du Foin , & chez Guillyn , quai des
Auguftins. L'eftime des Sçavans pour M.
de Haller , ne permet guere de douter que
ce dernier ouvrage n'en mérite beaucoup .
Nommer l'Auteur eft l'annonce la plus
favorable que nous puiffions faire de fon
livre.
ÉPITRE à fon excellence M. l'Abbé ,
Comte de Bernis , Confeiller d'Etat , Ambaffadeur
auprès de Leurs Majeftés ImpéOCTOBRE.
1756. 103
riales , fur la conduite reſpective de la Franse
de l'Angleterre , par M. Marmontel ,
ce &
chez Claude Hériffant , rue Neuve Notre-
Dame.
Nous avons trouvé cette Epitre forte de
raifon autant que de poésie. L'Auteur y
expofe fidelement les motifs & les excès
d'un peuple injuſte , qui a révolté juſqu'aux
Nations fauvages. Les vers qui
renferment l'éloge de M. l'Abbé de Bernis
, ne difent que l'exacte vérité. Ils
expriment heureufement ce que tout le
monde penfe. La Poésie ne regne jamais
avec tant d'avantage que quand elle brille
fans fiction . M. Marmontel , pour mieux
faire fentir le mérite & le prix de la politique
eftimable de M. l'Abbé de Bernis
trace en maître un tableau dans lequel
ceux qui le connoiffent le retrouvent aifément.
Après avoir peint avec énergie les
fureurs que l'ambition fe permet fous le
manteau de la Politique , il dit :
Mais s'il eft une intrigue obfcure & tortueufe
Il eft une fageffe & noble & vertueule.
Fille de la Juſtice & mere de la Paix ,
Son trône eft entouré des heureux qu'elle a
faits.
Elle ſe montre aux Rois , telle qu'aux jours d'ALtrée.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Sur la terre encor pure , elle fit fon entrée :
Ses traits d'un faux éclat ne font point revêtus.
Elle eft nue & fans art , comme il fied aux vertus.
Qu'auroit-elle à cacher ? ſa bonté généreuſe
Ne defire plus rien quand la terre eft heureuſe , &c.
Voici un morceau où l'ambitieuſe manoeuvre
de l'Anglois , vis- à- vis de la Hollande
, nous a paru peinte avec des couleurs
auffi fortes que vraies.
Le Portugal heureux & l'Efpagne opulente ,
Promenoient fur les mers leur fortune indolente ,
Sans defirs , fans beſoins , & fans activité :
Du fruit de leurs travaux Londre avoit hérité.
De fes fers échappé le Batave intrépide ,
Avoit pris dans la paix un effor plus rapide :
Du luxe de l'Europe agile meffager ,
Son regne fut brillant , mais il fut paffager.
L'ambitieux Anglois ne veut point de partage :
Ce rival à fes yeux eft fait pour l'esclavage .
Il l'attaque , il le preffe , il veut le mettre aux fers.
Il eſt vaincu lui-même , il eſt chaffé des mers.
Il fatte le vainqueur , l'appaife , le défarme ,
Le Batave en les mains fe livre fans allarme ,
D'un Roi qui l'a vangé ( 1 ) , fe détache pour lui ;
L'Anglois au poids de l'or lui vend un foible
appui ;
(1) Louis IV,
OCTOBRE. 1756.
105
Et fous le nom d'ami s'en faifant un eſclave ,
L'abaiffe , l'affoiblit , le dépouille & le brave.
Nous allons terminer ce précis par l'apoftrophe
fuivante aux François. L'Auteur
y exprime en vers d'une façon auffi
neuve que poétique , des détails qu'il eſt
difficile de bien rendre même en profe ,
& qu'il a l'art d'ennoblir .
Induſtrieux François , remplis tes deſtinées ,
Les Mers pour recevoir tes pouppes fortunées ,
Embraffent tes Etats , te préfentent leur fein :
Lear rivage à tes pieds s'arrondit en baffin.
Tes fleuves nourriciers , la Loire vagabonde ,
La rapide Charante , & la vafte Gironde ,
La Seine aux flots d'argent , le Rhône impétueux,
Attendent des deux Mers les tributs fomptueux.
Le Pin cherche ta voile , & des monts ſe détache ;
Le Chêne pour voguer , vient s'offrir fous ta
hache :
Le fer né fous tes pas , dans tes forges coulé ,
Prêt à vomir la foudre , en cylindre eft moulé.
Une écorce légere , au défaut de la foie ,
Se replie en cordage , en voile fe déploie :
Le Sapin te prodigue un bitume onctueux ;
Rien ne manque à tes arts , tout feconde tes
voeux.
L'Aurore & le Couchant appellént tés pilotes :
Ils partent ; & bientôt le retour de tes flottes
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Etale les tributs de Smirne & de Tunquin ,
Les fruits de l'Amérique , & l'or de l'Africain.
Les baumes , les parfums de la fertile Afie ,
Et du grain de Mocha , l'odorante Ambrofe ;"
Et l'azur ( 1 ) d'une plante', & (2 ) le miel d'un
roſeau ,
Et du ver Indien ( 3 ) le précieux réſeau ;
Fit ce riche duvet (4) qu'une main délicate
File fous les palmiers de Golconde & Surate;
Dans tes Ports enrichis , attirent tes rivaux,
Pour toi nouveaux tréfors , pour eux beſoins nouveaux
.
( 1 ) L'Indigo.
(2) Le Sucre.
(3 ) Le Ver- àfoie.
(4) Le Coton..
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURI.
Monfieur , en propofant au Public des
difficultés à réfoudre , vous paroiffez contracter
l'obligation de lui faire part des
réponſes qui y feront fournies ; ce qui
m'engage à vous adreffer quelques réflexions
fur la Lettre inférée dans votre Mercure
d'Août , concernant un fait d'affuzance
maritime.
L'Auteur y fuppofe que Jean de MarOCTOBRE.
1756. 107
feille fe foit fait affurer par Pierre de
Rouen une fomme de 1000 liv . fur les
facultés de fon Vaiffeau venant de l'Amérique
à Marſeille , à 4 pour 100 de prime,
& 30 pour 100 d'augmentation en cas de
guerre ou hoftilités avec les Anglois ; que
les hoftilités ayent eu lieu , & que le Navire
foit arrivé à bon port à Cadix , mais
qu'au lieu de lui laiffer continuer fa route
jufqu'à Marseille avec toutes fes facultés ,
qu'on fuppofe du prix de 3000 liv. Jean ,
Affuré , veuille en faire décharger à Cadix,
à concurrence des deux tiers , de façon
qu'il ne reste fur le Vaiffeau que pour
1000 liv. de facultés.
Sur cela l'on demande pour qui feront
les rifques de Cadix à Marſeille : regarderont
- ils en entier Pierre , comme
ayant affuré 1000 liv. qui lui font toujours
repréſentées par la fomme de facultés
reftée fur le Vaiffeau ? Devront ils fe divifer
entre lui & l'Affuré , à proportion des
facultés déchargées à Cadix , en telle forte
que Jean fupporte les deux tiers des mêmes
rifques ?:
La folution de cette difficulté me paroît
dépendre d'un examen bien fimple , c'eft
de fçavoir quelle obligation avoit été contractée
par Pierre de Rouen , & quels rifques
il avoit affumés fur lui .
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
Il ne paroît pas douteux , aux termes de
la Police , dont les conventions fe trouvent
expliquées ci deffus , que Pierre ne
fe foit affujetti à une portion des risques
de toutes les facultés chargées fur le Vaiffeau
; qu'il n'ait entendu que fon capital
de 1000 liv . répondroit du total des facultés
, proportionnellement à leur valeur ; de
maniere que fi toutes les facultés étoient
péries dans le trajet de l'Amérique à Cadix
ou à Marſeille , il n'eût dû payer à Jean
l'entiere fomme affurée ; mais que fi au
contraire , il n'en étoit péri qu'une partie ,
il n'auroit été tenu envers Jean qu'à un
dédommagement proportionné.
C'est ce qu'un exemple va rendre fenfible
: Suppofons que Jean fe fût fait afſurer
par différentes perfonnes 3000 liv. au lieu
de 1000 liv. fur les facultés de fon Vaiffeau
, & qu'il en eût péri en route à concurrence
de 1000 liv. ou que pareille
quantité eût fouffert avarie , chacun des
Affureurs feroit venu à contribution au
fol la livre des fommes qu'il auroit affurées
pour former le dédommagement de
l'Affuré dans ce régalement prévu par
différens articles de l'Ordonnance du mois
d'Août 1681 , au titre des affurances , Pierre
, Affureur de 1000 liv. n'auroit fuppor
té que le tiers de la perte , & le refte feroit
OCTOBRE. 1756. 109
retombé fur les autres Affureurs ; fans quoi ,
& fuppofé que Jean eût pu prétendre contre
Pierre la totalité du dédommagement ,
il auroit été fondé fans doute à excercer
contre chacun des autres la même répétition
, pour les fommes par eux affurées ;
au moyen de quoi fon indemnité auroit
triplé exactement la valeur de fa perte ; ce
qui eft trop abfurde pour pouvoir être
fuppofé.
Si Jean n'a pas jugé à propos de faire
affurer au-delà des 1000 liv. affurées par
Pierre , la condition de celui- ci n'en peut
pas être aggravée : il eft véritablement
dans les mêmes termes que fi les facultés
euffent été affurées 3000 liv . leur jufte valeur
; mais au lieu que dans cette préfuppofition
, il auroit partagé les rifques par
tiers avec fes Co-affureurs , c'eft avec le
Propriétaire , avec Jean qu'il les partage ,
comme étant en ce cas à la place de fes
Affureurs.
Suivant ces principes qui ne fçauroient
être défavoués , dès qu'on aura la premiere
notion des engagemens contractés par ane
Police d'afurance , fi dans le trajet de
J'Amérique à Cadix , il eût péri pour 2000
liv . de facultés , Jean , Affure & Propriétaire
, auroit fupporté , comme on l'a expliqué
plus haut , les deux tiers de la
110 MERCURE DE FRANCE.
perte de ces 2000 liv . & Pierre l'autre
tiers , par un effet de cette contribution
ou de ce régalement de pertes qu'il doit y
avoir entre tous ceux qui courent les hazards
d'un même événement.
Mais après certe premiere perte ou avarie
, il feroit toujours refté dans le Vaiffeau
pour 1000 liv. de facultés dont les
rifques auroient dû néceffairement courir
pour le compte de quelqu'un . Prétendrat'on
que ç'auroit été uniquement pour le
compte de Pierre ? L'évidence nous dit au
contraire que les rifques fe feroient continués
fur ce réfidu de facultés , comme ils
avoient commencé par rapport au total ;
que Pierre , Affureur , en auroit couru le
riers des rifques & Jean les deux autres ;
que fi ce réfidu de facultés étoit arrivé à
bon port , Pierre auroit fauvé le tiers des
1000 liv. par lui avanturées ; & qu'au
contraire fi ce réfidu fût péri , Pierre auroir
fini de perdre fon capital dont les deux
tiers étoient déja abforbés par les 2000 liv.
d'avaries.
Ces exemples développent fi fenfiblement
ce qui doit s'opérer en cas que les
2000 liv. de facultés , au lieu d'avoir péri
dans le trajet , foient déchargés à bon
port à Cadix , qu'il eft comme fuperftu de
l'expliquer. Les tifques cefferont dès ce
OCTOBRE. 1756. I'IY
moment pour tous ceux qui y étoient expofés
, à concurrence de 2000 liv , mais fe
continueront également fur le réfidu de
1000 liv. pour tous ceux qui en étoient
garands. Et comme c'étoit autant Jean de
Marſeille , que Pierre de Rouen , qui couroient
les hazards de ces 1000 liv. celuici
pour un tiers , & Jean pour les deux
autres , ils y demeureront foumis jufqu'à
Marſeille dans la même proportion.
La raifon de cela , eft que les 1000 liv.
affurées par Pierre , ou qu'il s'étoit obligé
de livrer en cas de perte , n'étoient
pas
affectés à telle ou telle partie des facultés
du Vaiffeau , mais répandues fur le total ;
que chaque portion des facultés étoit également
garantie par chaque portion des
1000 liv ; qu'afin que les iooo liv. fuffent
dues , il falloit néceffairement que toutes
les facultés périffent ; & qu'ainfi autant
qu'il a été fauvé , ou qu'il eft arrivé à bon
port de parties de facultés , autant a t'il
été mis à couvert pour l'Affureur de parties
proportionnelles de fon capital.
Mais les rifques de Pierre ne devoient ,
dit -on , ceffer qu'à Marſeille ; cela eft vrai :
auffi dépend-t'il toujours de Jean , en laiffant
le total des facultés dans le Vaiffeau
de prolonger tous les rifques de Pierre
jufqu'à Marseille. Mais fi Jean renonce à
112 MERCURE DE FRANCE:
ce droit , en faifant décharger à Cadix
pour 2000 liv . de facultés , il faut néceffairement
que Pierre acquiere à Cadix
pour ces 2000 liv. la même libération
qu'il avoit acquife à Marſeille .
Il en fera de ces 2000 liv. par rapport
à l'Affureur , ce qu'il en ' auroit été du
total des facultés , fi , comme l'a prévu
l'Auteur de la Lettre , Jean eût fait décharger
à Cadix ce total de facultés : il reconnoît
qu'en ce cas , Pierre étoit le maître
de refufer la réduction que lui propoſoit
Jean fur l'augmentation de prime , & de
la prétendre en entier ; c'eft à quoi l'autorifoient
les regles ordinaires des conventions
& le texte exprès de l'ordonnance
déja citée ( tit. des Affurances , Art . 36. )
Cet Auteur ne fera donc fans doute aucune
difficulté de reconnoître que Pierre peut
former la même prétention par rapport
aux 2000 liv. déchargées , en exigeant
les deux tiers de la prime convenue , & fe
foumettant uniquement au tiers des rifques
des 1000 liv . reftantes.
Il me paroît inutile après cela , Monfieur
, de répondre plus particuliérement
aux raifons relevées en faveur de Jean ,
qui ne font que de véritables fophifmes . La
feule qui foit digne de quelqu'attention ,
eft celle où l'on fuppofe que Jean fe foit
OCTOBRE. 1756. 113
fait affurer 2000 liv. d'Amérique à Cadix
feulement , & que les 2000 liv. de facultés
y étant déchargées , il ait payé la prime
à l'Affureur de Cadix : fur quoi il eſt
effentiel d'examiner fi les termes de la Police
peuvent conduire à croire que Pierre
eût entendu reftreindre fon affurance au
tiers des facultés , comme s'il avoit été
convenu, par exemple , dans la police; que
le tiers de facultés feroit le feul qui feroit
conduit à Marſeille , auquel cas il paroîtroit
naturel de l'affujettir à tous les rifques
de ce tiers depuis Cadix à Marſeille.
Mais fi les termes de la Police n'induifent
rien de femblable , qu'il paroiffe au
contraire comme dans ce cas- ci , que toutes
les facultés dans le principe , devoient
être tranfportées à Marſeille , alors il eft
clair qu'en ne fe faifant affurer que jufques-
là les 2000 liv. dont on a parlé , Jean
entendoit y reprendre lui-même tous les
rifques dont il s'étoit délivré jufques-là ,
fur fes Affureurs de Cadix ; de forte que
s'il y fait décharger les deux tiers des facultés
, c'eft autant pour l'avantage de
Pierre , que pour le fien propre , puifque
par la ceffation des affurances de Cadix ,
ils deviennent tous deux enfemble fujets
aux mêmes hazards que fi elles n'euffent
jamais été faites ; ce qui a dû auffi les lui
"
114 MERCURE DE FRANCE.
faire obtenir à meilleur compte , les rifques
en étant moins longs ( 1).
J'ai l'honneur d'être , & c.
A. L. J. Avocat.
A Bordeaux , ce 17 Août ,
1756.
(1) On peut voir encore à ce sujet l'Ordonnance
de la Marine , art. 27 , 36 & 64 du titre des Affurances.
AUTRE LETTRE.
Voici , Monfieur , une méthode beaucoup
plus fimple que celle qu'un Anonyme
a donnée dans le Mercure d'Août , page
118 , pour réfoudre une queſtion de
commerce , inférée dans celui de Juin , page
90 ; j'efpere qu'elle deviendra fenfible à
tout le monde : je me fervirai tout uniment
de la regle du cent.
Exemple
1204 liv. 16 f. 4. d. 1
83 pour cent .
3612
9632
Pour 10 f.
4 1 liv. 10 f.
Pour s 20 Is
Pour I 4 3
•
Pour 4 d.
Pour
Recouvrement , 1ooooo liv.
7
1
4
OCTOBRE. 1756. 113
Je paffe maintenant à la queftion de
l'argent de groffe propofée par M. Duval.
Il n'y a point de faute d'impreffion dans
l'Article 18 du Titres de l'Ordonnance
de la Marine : l'efprit de cette Loi eft en
effet , que le Donneur à la groffe foit préféré
aux Affureurs fur les effets fauvés du
naufrage ; & cela s'eft toujours pratiqué
de même.
Il y a plus , c'eft que quand même il
n'y auroit point d'affurance fur un effet
chargé , c'eft à dire que fur un capital de
6000 liv. le Chargeur eût partagé ſes rifques
en prenant feulement 3000 liv. d'argent
de groffe , le Prêteur feroit toujours
préféré au Propriétaire de la Marchandiſe ,
en cas de naufrage , fur les effets fauvés ;
c'est l'efprit de l'Art. 17 du même Titre.
De fçavoir préfentement fi cette loi eft
conforme aux regles de l'équité , c'eſt ce
que je n'entreprendrai point de décider :
mais je crois qu'en l'abrogeant , le remede
feroit pire que le mal par la ceffation d'un
nombre d'armemens qui ne fe font que par
le fecours de l'argent de groffe.
Je n'ignore pas que le Donneur à la
groffe ne foit en quelque forte Affocié
avec le Chargeur , par la mife de fon argent
qui a fervi à payer partie des marchandifes
chargées.
116 MERCURE DE FRANCE.
Je fçais auffi qu'il a la faculté de faire
affurer la fomme qu'il a fourni , & qu'il
ne court pas plus de rifque à tous égards
que le Chargeur. Néanmoins le Légiflateur
n'entend point qu'ils marchent de pas
égal en cas de naufrage , tout au contraire,
il veut que fur le produit des effets fauvés
l'argent de groffe foit défalqué par préférence.
Or, dès que la loi eft fi févere pour le
Chargeur qui a le même intérêt dans les
marchandifes que le Donneur à la groffe ,
à plus forte raifon , comment voudroient
les Affureurs participer par égale portion
aux effets fauvés , tandis qu'ils n'ont rien
fourni
pour le chargement.
Enfin quelque répugnance que M. Duval
paroiffe avoir d'adopter cette loi , il
doit croire du moins qu'elle eft néceffaire ,
puifque jufqu'à préfent il ne nous eft pas
connu que pas une Chambre de commerce
ait fait aucunes repréfentations à cet
égard cette feule raifon devroit fuffire
pour lever fes fcrupules ; car s'il paffoit
plus avant , & qu'il me demandât quel eft
le motif qui a décidé le Législateur à favorifer
le Donneur à la groffe , je ne pourrois
lui répondre autre chofe , fi ce n'eft
que je crois de bonne foi , que c'eſt dans
la vue de faire fortir l'argent pour facili
OCTOBRE. 1756. 117
ter les armemens , & par ce moyen les
multiplier , & rendre le commerce plus
brillant & plus général ; je fouhaite que
mes raifons puiffent fatisfaire M. Duval.
J'ai l'honneur d'être , &c.
BROUET ,
Prépofe fur la place de Bordeaux pour les
réglemens des avaries de mer.
J'aurai l'honneur de vous envoyer le
mois prochain la folution de l'Affurance
propofée dans le Mercure d'Août , page
123. M. Brouet nous a tenu parole , &
fa folution eft la même que celle de l'Avocat
de Bordeaux , que nous venons de donner.
L'Auteur fuivant eft d'un autre avis ,
& voici fur quoi il fe fonde.
La difficulté qu'on forme à Jean de
Marfeille eft une pure chicane , & fi l'efprit
d'équité , qui doit régner dans tous
les contrats , guidoit Pierre , Affureur de
Rouen , les propofitions que lui fait Jean
étant également juftes & raifonnables , elles
doivent être acceptées.
Si par la police il étoit ftipulé que les
1000 liv. d'affurances font fur une partie
des marchandifes eftimées 3000 liv . dans
ce.cas il ne feroit pas loifible à Jean de
décharger à Cadix les deux tiers defdites
marchandiſes , parce qu'une partie def118
MERCURE DE FRANCE.
dites marchandiſes n'eft pas moins l'objet
de l'Affureur que l'autre , & qu'en cas de
naufrage ou d'avarie , il y a plus de reffource
pour lui fur les facultés de 3000 l.
que fur 1000 liv. Mais dans l'efpece de la
queftion , dès que l'Affurance n'eft pas
faite fur un objet déterminé , & qu'elle
eft purement & fimplement pour une fomme
de ooo liv. pourvu qu'il demeure
conftant que les effets que Jean laiffera
dans le Navire pour achever le voyage
jufqu'à Marseille , montent à cette fomme
, il a la faculté de retirer à Cadix l'excédent,
à quelque fomme qu'il monte . Car
Gles facultés de Jean montoient à 10000
liv. feroit-il jufte qu'il fût contraint de
courir les risques d'un capital auffi confidérable
, parce que l'Affureur , fous prétexte
qu'il eft intéreffé d'un dixieme , në
voudroit pas confentir à la décharge des
neuf autres dixiemes ? Cela répugne au
bon fens & à la raiſon.
,
Problême.
Un Particulier a donné à la groffe avanture
1000 liv. à raifon de 17 pour cent ,
pour le profit maritime ; avec ftipulation
que fi le voyage dure plus d'un an , le
profit maritime continuera à proportion
jufqu'au retour du navire , non ſeulement
OCTOBRE. 1756. 119
fur le capital , mais encore fur le profit.
Le navire n'a fait fon retour qu'au bout de
fept ans. Quelle fomme ce Particulier doitil
payer pour le capital & les profits des
profits ?
Je fçais qu'en faifant autant de regles de
trois qu'il y a d'années , on trouveroit aifément
la fomme demandée , mais je demande
une opération plus fimple & plus
facile , s'il y en a.
J'ai l'honneur d'être , &c.
S. D. L. A.
LES Freres Labottiere , Libraires à Bor
deaux , Place du Palais , & Nyon , Libraire
à Paris , Quai des Auguftins ',
débitent un Ouvrage nouveau , qui a
pour titre : La Religion Naturelle & la
Religion révélée , établies fur les Principes
de la vraie Philofophie , & fur la Divi
mité des Ecritures ; ou Differtations Phi
lofophiques , Théologiques & Critiques contre
les incrédules , 4 vol . in- 12 , par M.
Mateville.
On doit regarder cet Ouvrage comme
un fupplément néceffaire à tant de bons
Livres compofés , dans ces derniers temps ,
contre les Ennemis de la Religion : la plûpart
de fes Apologiftes n'ont rien dit touchant
l'infpiration des Livres faints , & les
120 MERCURE DE FRANCE.
autres n'en ont parlé que très-fuccinctement.
Cette omiffion a de quoi furprendre
, puifqu'on peut croire à la Miffion de
Moïfe & à celle de Jefus-Chrift , fans reconnoître
la Divinité des Ecritures , & par
conféquent fans adopter les Dogmes du
Chiftianifme. Tel eft le fyftême de la plûpart
des Sociniens , qui ne différe en
rien d'effentiel de ce que penfent beaucoup
de Déïftes.
L'Auteur fe propofe de remplir ce vuide
; & pour ne rien laiffer qui puiffe être
une matiere de conteftation , il établit
dans les premieres Differtations , la Diftinction
du Bien & du Mal-moral , la Liberté
, & l'Immatérialité de l'Ame , la
Poflibilité de la Création , la Certitude
des Caufes- Finales. Voilà les fondemens
de la Religion Naturelle , qui fert d'appui
à la Religion Révélée , comme celle - ci
fupplée à l'infuffifance de l'autre. C'est ce
que l'Auteur développe dans la fixieme
Differtation.
La Religion Révélée fuppofe l'authenticité
des Monumens Eccléfiaftiques ? Elle
fuppofe encore que les Miracles font des
preuves inconteftables de la Révélation .
Les Differtations fuivantes roulent fur ces
objets importans. L'Auteur montre enfuite
que les premiers Chrétiens ont cru la
divinité
OCTOBRE. 1756. 12 I
divinité des Ecritures , & qu'ils tenoient
cette croyance de Jefus - Chrift & des Apôtres
.
Mais parce que l'incrédulité ſe plaint
qu'on ne lui oppofe que des témoins fufpects
de partialité ou de fanatiſme , on
fait voir que le témoignage des Auteurs
Payens ne pouvoit naturellement être plus
favorable qu'il l'eft à la caufe des Chré
tiens , & que c'eſt un excès d'injuftice d'accufer
nos Martyrs de fanatifme . On montre
encore que l'état des Juifs errants depuis
dix - fept fiecles , parle hautement en
faveur de la divinité des Ecritures & du
Chriftianifme .
Pour mettre le comble à toutes ces preuves
, l'Auteur démontre dans les Differtations
fuivantes , l'impoffibilité de la fuppofition
des Livres des Juifs , & l'antériorité
de leurs Prophéties aux événemens
qu'elles annoncent ; ce qui ne laiffe aucun
doute fur leur divinité. Il réfute enfin ce
que Spinofa , & d'autres ennemis des Livres
Saints ont débité contre ce Dogme.
On ne peut guere rien dire de nouveau
fur les preuves de la vérité du Chriftianif
me , & celles de la divinité des Ecritures
leur font intimement liées. On ne trouvera
cependant pas , en voyant les preuves que
l'Auteur a remaniées , qu'il doive être re-
F
II. Vol.
124 MERCURE DE FRANCE.
& les motifs des Potentats dans leurs projets
& leurs entreprifes , dans leurs guerres
, leurs Traités & leurs Alliances ; les
refforts qu'ils ont mis en ufage pour les
faire réuffir , les fuccès qu'ils ont eus ,
les obftacles qu'ils ont rencontrés , les fecrets
les plus intimes de leurs Cabinets ,
les anecdotes de leur Cour les plus intéreffantes
, le noud effentiel de toutes ces
chofes , leurs points les plus impercepti
bles , tout y eft mis au grand jour , tout
y eft développé.
L'Auteur , ajoute - il , ne donne point fes
rêveries & fes froides conjectures pour
des vérités , dans des réflexions puériles &
fans jugement : c'eft d'après les Miniftres ,
les Favoris , les Princes eux -mêmes , qu'il
nous inftruit.
Outre tous ces avantages , fon récit eft
conftaté dans une foule d'endroits , par les
pieces originales , telles que les Edits ,
les Arrêts , les Déclarations , les Manifeftes
, & c.
Quant à fa narration , elle n'eft jamais
retardée , par les defcriptions qu'il fait
des Marches , des Campemens & des Batailles
, ces defcriptions font toujours vives
, toujours rapides. Il ne réuffit pas
moins bien dans fes portraits , qui font l'expofition
la plus naturelle des difcours , des
C
2
น
OCTOBRE. 1756. 125
actions & des fentimens de ceux dont il
parle , qu'il fuit dans leur vie privée , &
dont il épie jufques aux geftes , aux fignes
& aux regards.
Cet Ouvrage , fera délivré non feulement
in- 12 , mais auffi in- 4°. Il y aura trente
fix volumes du premier format , & fix
du fecond. "
Il en paroîtra un in - 12 , de deux en
deux mois , c'eft-à-dire , fix par an. Le
premier fera remis aux Soufcripteurs , au
commencement de Décembre . La foufcription
ne fera ouverte que jufqu'au premier
Janvier pour Paris , jufqu'au premier Février
pour les Provinces , & jufqu'au premier
Mars pour les Pays étrangers. On
donnera 12. en foufcrivant pour les fix
Volumes. Ceux qui n'auront pas foufcrit ,
payeront 2 livres 10 fols par Volume. On
fouferira à Paris , chez Didot , Quai des
Auguftins , qui délivrera les Exemplaires
dans les temps marqués. On foufcrira auffi
chez tous les Libraires de l'Europe ,
L'ART d'imprimer les Tableaux , traité
d'après les écrits , les opérations & les inftructions
de J. C. Le Blon. A Paris , chez
Le Mercier , rue S. Jacques ; Nyon , quai
des Auguftins , & Lambert , rue de la Comédie
Françoife , 1756.
Fiij
726 MERCURE DE FRANCE.
La préface de l'Editeur nous apprend
que Charles-Chriftophe Le Blon , natif
de Francfort , Peintre , Eleve de Carlo
Marate , apporta il y a dix -huit ans cet
art en France ; qu'il en eft l'inventeur ;
que s'il a formé quelques Eleves , ils lui
font inférieurs : mais que fa pratique
eft confervée & peut être perfectionnée.
L'Ouvrage commence par un petit Traité
du Coloris , compofé par Le Blon , & traª
duit en François . On le donne tel qu'il à
été déja imprimé . Ce Traité eft fuivi des
Opérations néceffaires pour graver & imprimer
des Eftampes , à l'imitation de la Peinture.
Cette partie du livre nous a parú
très - bien faite. Nous croyons qu'on en
eft redevable à un Amateur éclairé qui
joint à l'exacte connoiffance de l'art le
louable defir de l'étendre , & qui n'épargne
rien pour y parvenir. Dans un court
avant- propos , il fait voir que cet art eft
un art nouveau contre l'opinion de ceux
qui lui difputent cet avantage . Pour le
prouver d'une maniere auffi fimple que
convaincante , il expofe fuccinctement la
gravure dans fes différens âges & dans fes
différens genres. Après les avoir parcourus
, l'Auteur conclut que les effets de la
gravure en maniere noire , combinés avec
les effets des trois planches de bois , du
OCTOBRE. 1756. 127
même deffein , dont parle Félibien , ont
fait naître les premieres idées de Le Blon.
Si perfonne avant lui , ajoute- il , n'a tenté
d'allier ces deux genres de gravure , doiton
lui refufer la qualité d'inventeur ? Il
eft donc certain qu'en empruntant de différens
côtés , Le Blon a réuni tout ce qu'on
peut defirer dans une Eftampe. Il avoit
dit plus haut que la gravure en couleurs
foutient la comparaifon du tableau , qu'elle
approche de la nature même , & que fi
l'ouvrage a été conduit avec toutes les
fineffes dont l'art eft fufceptible , il faut
un examen bien réfléchi pour prononcer
que ce n'eft pas l'ouvrage du pinceau.
Nous finirons ce précis en difant d'après
l'Auteur qu'on ne doit pas regarder comme
un foible avantage de trouver dans des
livres d'Anatomie , de Botanique , d'Hiftoire
naturelle , des Estampes fans nombre
, qui en apportant les contours , donnent
auffi les couleurs .
On avertit que fi quelque Artifte defire
travailler à la gravure en couleurs , on
peut lui donner autant de facilité pour
graver , imprimer & débiter , que fi le
privilege étoit accordé en fon nom ; il
faut s'adreffer à M. Viguier , Poffeffeur
de la moitié du privilege , rue de Bailleul
, derriere le Grand - Confeil , au Comte
de Provence. Fiv
128 MERCURE DE FRANCE:
MEMOIRES des deux dernieres Campagnes
de Monfieur de Turenne en Allemagne,
& de ce qui s'eft paffé depuis fa mort
fous le commandement du Comte de Lorge.
Nouvelle édition revue & corrigée :
un volume in- 12 , format ordinaire , bien
exécuté. Prix 2 livres 10 fols. A Paris ,
chez Jombert , rue Dauphine..
LETTRE
De M. Raulin , Docteur en Médecine , à
M. Vandermonde , Docteur Régent de la
Faculté de Médecine de Paris , Auteur
du Journal de Médecine. .
Vous
Ous avez donné , Monfieur , dans
votre Journal du mois d'Avril dernier ,
page 116 , un extrait de la Theſe que M. Danié
avoit foutenue aux Ecoles de Médecine
, le 29 Janvier de cette année , fur
l'ufage extérieur du Camphre avec le Mercure
pour guérir de la V... Il femble que
vous attribuez à ce Medecin la gloire de
cette découverte. Ne trouvez pas mauvais
que je réclame un remede qui m'appartient
à jufte titre ; puifque longtemps
avant que M. Danié le connût , je m'en
étois fervi heureufement dans ma patrie ,
pour étouffer , prefque dans fa naiffance ,
OCTOBRE. 1756 . 129
une maladie contagieufe & des plus redoutées
. Dès que je fus affuré par des guérifons
réitérées de fon efficacité dans les
maladies vénériennes , j'en donnai la compofition.
Je fuivis en cela le penchant qui
m'a toujours décidé pour le bien du public
. Peut- on avoir des motifs pour fe réferver
des connoiffances qui le regardent ?
La maladie qui s'étoit déclarée dans ma
patrie ( ) étoit celle qu'en Amérique ou
nomme le Pian. Elle eft cruelle de fa nature
, elle l'eft encore plus par fes progrès
rapides. Elle attaqua d'abord les nourrices
, & enfuite leurs nourriffons. On
fe fert ordinairement de Mercure pour
guérir le Pian mais craignant la violence
de ce Minéral pour de tendres
enfans , je m'appliquai à le purifier le plus
exactement qu'il ne fut poffible : je l'adoucis
enfuite en l'alliant avec le Camphre
, & je trouvai le moyen d'en faire
une pommade fpécifique dont j'obtins le
fuccès le plus heureux ; tous mes malades
guérirent radicalement & fans danger .
Hoffman & d'autres Médecins avoient
déja donné intérieurement le Mercure
avec le Camphre ; mais on n'en avoit pas
ajouté avant moi à la pommade mercu-
(1 ) Dans le mois de Juin 1752.
F v
130 MERCURE DE FRANCE .
rielle , & on ne l'avoit pas encore allié
avec le Mercure crud. J'écrivis exactement
mes obſervations fur ce remede ; je
les envoyai à Paris ( 1 ) pour les publier
avec plufieurs autres fur les différentes efpeces
de Phtifie , & principalement fur la
Pulmonie , fur l'abus du Lait , & c. Le Cenfeur
Royal y donna fon approbation le 2
de Juillet 1753 , & le livre fut imprimé
au commencement de l'année 1754. Les
Connoiffeurs s'applaudirent de cette découverte.
Plufieurs Medecins , un nombre
de Chirurgiens en profiterent : ils en profitent
encore à l'avantage du Public . On
en a fouvent fait l'éloge à S. Cofme , &
particuliérement M. Louis dans un ouvrage
( 2 ) fur différentes préparations de
Mercure que l'on tient fecretes. C'eft un
moyen affuré pour leur faire quelque mérite
.
J'avois promis dans mon ouvrage une
fuite d'obfervations fur ce remede ; je
m'acquittai de ma promeffe dans le mois
de Mai de l'année derniere . Je donnai
ces obfervations en forme de lettre (3 )
(1 ) Vers le mois d'Octobre 1752 .
(2) Imprimé à Luxembourg en 1754 , & fe
vend à Paris , chez Lambert , proche la Comédie
Françoife.
(3) Imprimée chez Delaguette , rue S. Jacques.
C
C
OCTOBRE. 1756. 131
adreffée à M. le Doyen de la Faculté de
Médecine.
Voilà , Monfieur , quels font mes titres .
Ils ont plus de quatre ans de date fur la
thefe de M. Danié , en comptant du jour
de la naiffance de la maladie . Ce Medecin
cite lui-même dans fa theſe , ma' differtation
fur le Camphre ( 1 ) , qui ne contient
autre chofe que l'alliage que j'en fais
avec le Mercure pour la cure des maladies
vénériennes , & les autres particularités de
cette découverte .
Je fais mortifié , Monfieur , que les
recueils de mes obfervations vous foient
échappés ; vous m'euffiez rendu la justice
qu'on doit attendre de votre candeur &
de votre impartialité . Mes vues fur ce remede
feront toujours remplies , puifqu'il
eſt bon : je n'en ai jamais attendu d'autre
avantage que celui qu'il procure à la fociété.
Il auroit fait plus de bruit fi j'euffe été
plus mystérieux ; mais j'aurois manqué à
mon état , au public & à mon caractere.
Cette compofition eft difficile ; elle exige
beaucoup de connoiffances , d'attention &
d'exactitude , fans quoi elle ne fçauroit
avoir toujours un fuccès égal. Je l'ai rectifiée
depuis mes dernieres obfervations.
(1) Imprimée en 1754.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
J'offre de communiquer à tous ceux qui
font en état de la faire & de s'en fervir ,
les corrections & les additions que j'y ai
faites elles font de conféquence . Je les
donnerai dans la feconde édition du livre
où le remede eft inféré.
J'ai l'honneur d'être , & c .
A Paris , le 8 Mai , 1756.
PROGRAMME
De l'Académie des Belles- Lettres de Montauban.
M. l'Evêque de Montauban ayant deftiné
la fomme de deux cens cinquante livres
, pour donner un Prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Acadé
mie des Belles - Lettres de cette Ville ,
aura fait le meilleur Difcours fur un fujet
relatif à quelque point de morale tiré des
Livres Saints , l'Académie diftribuera ce
Prix le 26 Août prochain , Fête de Saint
Louis , Roi de France.
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1757 , Les Grandes Ames font capa
bles d'émulation , fans être fufceptibles de ja -
loufie , conformément à ces paroles de l'écriture
fainte : Quam ( fapientiam ) fine
C
OCTOBRE . 1756 . 133
fictione didici , & fine invidia communico.
Sap. vii , 13 .
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propofé , d'éviter le ton de décla
mateur , de ne point s'écarter de leur plan,
& d'en remplir toutes les parties avec jufteffe
& avec préciſion .
Les Difcours ne feront , tout au plus ,
de demi-heure , & finiront toujours
que
par une courte priere à Jefus - Chriſt ,
On n'en recevra aucun qui n'ait une approbation
fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais feulement
une marque ou un paraphe, avec un paffage
de l'Ecriture fainte , ou d'un Pere de l'Eglife
, qu'on écrira auffi fur le regiftre du Secretaire
de l'Académie.
L'Académie a encore réfervé le prix de
1755 , & elle l'a deftiné de nouveau à une
Ode ou à un Poëme dont le fajet fera pour
l'année 1757 , L'Accord des Armes & des
Lettres chez les François.
Il y aura ainfi deux prix à diftribuer en
l'année 1757 , un Prix d'Eloquence & un
Prix de Poéfie.
L'Académie , en propofant une feconde
fois le même fujet aux Poëtes , invite
134 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui lui ont envoyé des Ouvrages , à
les retoucher avec foin , pour leur donner
le degré de perfection qui leur manque
par rapport à la propriété des termes ,
à la netteté de conftruction , & à l'exactitude
des rimes.
Les Auteurs feront remettre leurs Ou
vrages , dans le cours du mois de Mai prochain
, entre les mains de M. de Bernoy ,
Secretaire perpétuel de l'Académie , rue
Montmurat , ou , en fon abfence , à M.
l'Abbé Bellet , rue Cour- de -Toulouſe .
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préfente en
perfonne , ou par procureur , pour le recevoir
& pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secretaire trois copies bien lifibles de leurs
Ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte. Sans ces deux
conditions les Ouvrages ne feront point
admis au concours.
Le Prix de cette année a été adjugé au
Difcours qui a pour fentence : Soyez plutôt
Maçon , fi c'est votre talent. Defpr.
OCTOBRE. -1756. 135
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
PHYSIQUE.
Le Triomphe de l'Ether , par Olivier de
Villeneuve , Docteur en Médecine de
Montpellier.
Il n'eft
L n'eft prefque plus permis de faire mention
de l'électricité dans fes ouvrages.
C'eft , dit-on , une matiere ufée , & même
épuisée par M. l'Abbé Nollet , & par tous
les Sçavans de ce fiecle. Il eft bien plus honorable
de lui fubftituer l'Ether qui eft généralement
goûté , & qui eft proclamé par
tout le monde. Ce nom eft fi joli , fi court,
il plaît aux Philofophes , il eft plus doux à
prononcer , & moins équivoque que le feu
élémentaire ou l'électricité. Il eft plus confacré
dans les écrits des Sçavans , & par
conféquent moins fujet aux modes , aux
viciffitudes des temps. Il n'y a perfonne
qui n'accorde que c'eft l'Ether qui pénetre
rout , qui unit , qui défunit , qui anime ,
qui détruit , en un mot qui opere tout , &
136 MERCURE DE FRANCE.
que fans lui l'Univers ne feroit qu'une
maffe informe fans diftinction de parties. Il
ne s'agit donc plus que de fçavoir comment
ce principe agit , comment il entretient
l'Univers dans l'état où nous le voyons.
Qu'il me foit permis , avant que d'aller
plus avant , de rappeller ici ce que je dis
aux pages une & deux de mon Analyſe
imprimée. Je prévois ne pouvoir la rendre
publique qu'en détail , vu que fon impreffion
eft devenue étrangere par les foins
d'un de mes amis.
J'y dis que je penfe que le chaos que
Dieu tira du néant , n'étoit qu'un air éthéré
informe , & que pour arranger les portions
de cet air dans l'ordre où elles paroiffent
, il a fuffi que le fouverain Législateur
de toutes les créatures , pour les marquer
à leur coin , & pour les affujettir à une
durée patfagere , établit une diftribution
inégale de l'Ether , ce raréfiant univerfel.
On y lit que cette alternative de fupériorité
& d'infériorité , bornée par les efpaces
& par les temps, à laquelle cet air éthéré
fe trouve foumis par cette loi , défigne
bien la créature , & ne permet à aucun
homme fenfé de confondre un tel être avec
l'immenfe , l'éternel , l'immuable.
J'y expofe que cet air éthéré réduit à cet
état où nous le voyons , préfente à nos
OCTOBRE. 1756. 137
organes des rapports plus ou moins inégaux
, foit quant à la durée , foit quant
aux efpaces parcourus ; qu'une inégalité
alternative regne entre toutes les parties
qui compofent cet Univers , & que fans
qu'il foit toujours permis à nos fens de
l'approfondir , la raifon feule peut l'entrevoir
, fondée fur l'uniformité de la nature .
J'y ajoute que les maffes , les mouvemens
, les vîteffes réunis , font des objets
dont nos fens deviennent fufceptibles , &
que dès qu'ils font divifés ou difperfés ,
nos organes n'ont plus le même droit de
communiquer avec eux , ni d'en faire
leur rapport
à l'ame qui doit préfider à
leurs impreffions .
Ce feul extrait de mon Analyfe fuffit ,
ce me femble , pour qu'on reconnoiffe les
maffes , les mouvemens , les vîteffes auffi
anciens que le monde , auffi invariables
que la matiere elle-même , auffi durables
que le temps qui en eft la meſure , comme
ils le mefurent à leur tour.
Les lieux & les temps différens , où ces
maffes fe préfentent , où ces mouvemens
& ces vîteffes fe déclarent , ne font point
capables de leur donner un air de nouveauté.
L'on a publié , & l'on publiera toujours
des mouvemens des cieux & des planetes
annuels & diurnes , des mouvemens
138 MERCURE DE FRANCE.
organiques , fenfitifs & mufculaires. Toutes
ces dénominations ne prouveront jamais
que la matiere fe trouve pourvue dans un
temps d'un mouvement qu'elle n'ait point
eu dès fon commencement .
Le moteur de toutes chofes les a mus
après les avoir créés , & il ne meut plus
qu'autant qu'il conferve ce premier moavement
donné. Il a créé la matiere , & l'a
divifée par le mouvement dans ces porrions
qui ont été , qui font & qui feront
telles pendant la durée des fiecles. Il ne
paroît pas qu'il ait rien créé de plus , ni
qu'il ait donné de nouvelles parties à la
matiere. Il la conferve feulement , & il en
conferve les parties dans les différens rapports
fucceffifs , qu'on y a toujours obfervés
. De chercher un nouveau mouvement ,
c'eft vouloir renverfer la loi que Dieu a
établie au moment de la création 'pour la
durée des temps. Quelle est donc cette loi
invariable ? C'eft fans doute la diſtribution
inégale de l'Ether . S'il eft inégalement diftribué
, il doit jouir d'une fupériorité alternative
, laquelle ne confiftera que dans
fa feule furabondance .
Qu'on ne dife plus que l'Ether opere
tout , fi fa feule préfence accrue & augmentée
eft infuffifante pour produire les
effets ordinaires &
extraordinaires que
OCTOBRE. 1756. · 139
Dieu a foumis à nos recherches . Mais ,
ajoutera-t'on,qui eft-ce qui détermine cette
mafle éthérée à être plus grande dans un
lieu que dans un autre ?
La grande raiſon eft fon inégale diftri
bution , qu'on n'eft nullement en droit
de me contefter. L'Ether donc à chaque
inftant eft fupérieur dans un lieu & inférieur
dans l'autre , & cela fucceffivement.
Celui qui eft inférieur , peut oppofer , &
oppoſe effectivement la réfiftance , quoiqu'elle
foit vincible , à celui qui furabonde
à fon préjudice : il forcera même ſouvent
celui- ci de fe dévoyer en fa faveur ,
& par conféquent il l'affoiblira & le difperfera
, furtout fi la réfiftance qu'il oppofe
n'eft guere plus confidérable que celle
qui répond à fa premiere direction.
Il faut m'arrêter ici pour répondre à
ceux qui me demanderont en quoi confifte,
& d'où vient cette premiere direction de
l'Ether furabondant ? C'eft ici le noeud
Gordien fi je le réfous , je ne laifferai
plus rien à défirer.
Je fuppofe , & la diftribution de l'Ether
étant inégale , je crois pouvoir ſuppofer
une maffe éthérée plus abondante
que les collatérales . Celles - ci font raréfiées
par toute l'abondance dont elles jouiffent.
Leurs raréfactions réunies ou conti140
MERCURE DE FRANCE .
nues , oppoſent une réfiftance fuffifante
pour preffer & contenir l'Ether qui furabonde
, & pour le contraindre de s'étendre
& de s'alonger vers le lieu le plus
foible , & furtout vers celui qui répond à
la pointe du cône éthéré , qu'il eft forcé
d'affecter & de former par toutes les réfiftances
collatérales . La force de la pointe
de ce cône doit répondre à la force de fa
bafe , du centre de laquelle la maffè éthérée
a commencé à s'étendre & à s'alonger
pour tourner toute fa force contre un feul
point , moins capable de lui réſiſter invinciblement
. Un ballon pouffé & repouffé
par deux joueurs , la poudre refferrée dans
un canon & mife en feu , la riviere qui
paffe fous un pont , & mille autres exemples
femblables font des preuves auffi convaincantes
que viſibles du cône éthéré que
je fuppofe.
Cet Ether ainfi furabondant & devenu
victorieux de ce point , trouve enfin des
bornes à fa furabondance & à fa victoire ,
& alors ce cône éthéré fe trouvera ou détruit
ou renverfé. D'ailleurs cette furabondance
, à force de fe difperfer dans les
lieux où elle exerce fa fupériorité , fe
trouvant affoiblie jufqu'à être , ou de niveau
, ou inférieure à celle qui fe rencontre
au terme qu'elle a atteint , fe trouve
OCTOBRE . 1756. 141
contrainte , ou de mêler fa force avec celle
qu'elle a rencontrée , fi elle eft de niveau
avec elle , ou de ceder & de refluer autant
que ſon infériorité l'exigera..
Concluons donc que fi c'eft l'Ether qui
pénetre tout , que fi c'eft lui qui unit , qui
défunit , qui anime , qui détruit tout , il
n'a nullement befoin d'une caufe ultérieure
créée. Il fuffit qu'il y ait une loi invariable
à laquelle il foit tenu de fe conformer
, & c'est ce qu'il fait conftamment
lorfqu'il jouit de fa furabondance alter
native , foit visiblement dans le flux & le
reflux de la mer , dans toutes les circulations
, dans la diastole & la fyftole , dans
les vents contraires qui fe fuccédent , &c.
foit invifiblement dans l'air calme , dont
les parties s'entrepouffent & repouffent ,
fans que nous nous en appercevions , &
généralement dans tous les corps , tant ſo,
fo
lides que liquides , dont l'ébranlement continuel
n'eft nullement fenfible.
il
Que ,par exemple , à l'inftant A l'Ether
furabonde fenfiblement dans un lieu , quel
que grande qu'y foit fa furabondance ,
y rencontre fouvent , pour ne pas dire toujours
, des abondances inférieures , lef
quelles , quelque invincibles qu'elles
foient , jouillant des droits de leur réfiftance
, défuniffent ou difperfent tellement .
144 MERCURE DE FRANCE.
fition & pour participer à mon tout , dont
il peut devenir une partie : Serois - je fondé
à avancer qu'il n'y a aucune différence
de tems entre ce qui a influé dans mon
corps pour en former & dreffer toute l'économie,
& ce qui en fort ou qui en efflue
après avoir entretenu les opérations vitales
de ma machine ? Me feroit - il permis
de confondre ces trois moyens avec ce
quatrieme que la réfiftance de mon corps ,
on la réfiftance des parties qui le compofent
, contraint de rebrouffer chemin , de
reculer , de fe refléchir , de refluer , de céder
à l'impétuofité des effluences , & de fe
mêler avec elles pour faire ,, par une médiation
organique , un fidele rapport de
mon corps à l'ame de celui qui m'envifage
, & qui me reconnoît à mes traits ?
Non , fans doute. Ces termes ne fçauroient
être ni trop bien diftingués , ni trop peu
confondus . Ils ne font point nouveaux :
ils ont été ufités dans tous les tems , & l'on
n'a point voulu s'en fervir uniquement
pour régler les déterminations d'un mouvement
inaltérable , mais feulement pour
expliquer le commerce mutuel & réciproque
de corps à corps.
Le grand agent , le raréfiant univerfel ,
fi juftement appellé Ether , n'a qu'une
maniere d'agir qui confifte à raréfier
proportionnellement
LA
OCTOBRE. 1756. 145
proportionnellement à fon abondance.
Ou cette raréfaction prédomine de haut
en bas , & l'on y trouve la pefanteur des
corps , ou elle fe déclare plus puiffamment
de bas en haut , & elle annonce la légèreté,
ou enfin elle exerce fon empire dans un
fens qui tient plus ou moins le milieu entre
la légèreté & la pefanteur , & alors fa
force fe manifefte dans une ligne plus ou
moins moyenne , plus ou moins horizontale
, fuivant qu'elle participe plus ou
moins de la légèreté ou de la pefanteur .
Quoique tous les effets de la nature ,
fans en excepter un feal , concourent à démontrer
l'explication générale que j'en
donne , je choifis par préférence un canon
que l'on tire. Il nous explique le jeu de
l'Ether d'une maniere bien convaincante.
La poudre eft telle qu'elle fe prête aifément
à la furabondance de l'Ether , jufqu'à paffer
à l'exploſion : fa raréfaction extrême
exerce, autant qu'elle peut, fon empire dans
tous les fens fur toute la maſſe du canon :
elle le raréfie , elle l'échauffe , elle en dilate
le calibre , elle le fait reculer , elle en
défunit les parties autant que fa force le
lui permet ; mais l'Ether qui entretient
l'union des parties du canon , par une raréfaction
déclarée de haut en bas , & de
leur circonférence à leur centre , oppoſe la
II.Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
raréfaction gravitante qu'il produit à celle
de la poudre , & celle- ci eft obligée de
céder & de s'étendre par la bouche du canon
, parce qu'elle y trouve beaucoup
moins de réfiftance ; après quoi & pendant
fa fupériorité fur les réfiftances vincibles
qu'elle rencontre dans l'air , elle enleve le
boulet qui n'y réfifte pas tant que le canon,
& elle communique à l'air d'abord la lumiere
, & enfuite le bruit.
Ce boulet emporté ne feroit-il pas une
fidele image du mouvement propre & périodique
des planetes ? Penfe -t'on qu'il
faut deux agens différens pour deux effets
auffi femblables dans le fonds ? Qu'une boule
avance en roulant doucement , ou qu'elle
foit tout- à - coup enlevée , on reconnoît
feulement plus ou moins de force employée
pour ces deux progreffions ; mais
on ne penfe nullement à imaginer deux
caufes de nature différente . Il n'y a donc
point plufieurs cauſes pour déterminer tel
ou tel mouvement , il n'y en a qu'une qui
eft la préſence de l'Ether , plus ou moins
abondante toutes fes variétés , fi l'on en
peut fuppofer , fe prennent des lieux &
des temps où fa furabondance fe déclare
avec plus ou moins d'efficacité. Toutes les
combinaiſons qu'on en peut faire , & aufquelles
on doit fpécialement s'appliquer ,
:
3
C
OCTOBRE. 1756. 147
fe rapportent à fon alternative de fupériorité
& d'infériorité , inféparable de la diftribution
inégale qu'en a faite fon fouve- :
rain Législateur. Le détail de fes opérations :
fe réduit à une action qui n'a jamais crû
& qui ne croîtra jamais.
C'eft ici une belle occafion de développer
ma penſée , & d'expofer avec autant de netteté
que de précifion , comment l'Ether
unit & défunit les parties d'un corps , comment
il appefantit & allege ce corps , comment
il l'anime & le détruit , comment il
en procure & fufpend la progreffion , comment
enfin il opere toutes les merveilles
dont nous fommes les témoins. On fe fait
un myftere de toutes ces qualités , de toutes
ces opérations corporelles , & je ne
vois rien de plus aifé à comprendre , pourvu
qu'on ne s'écarte jamais de la fimplicité
& de l'uniformité de la nature.
Pour procéder avec méthode , je fuppofe
une boule d'un certain volume , d'un poids
donné, & d'une matiere alternativement fufceptible
de toutes les impreffions de l'Ether.
Si l'Ether raréfie les parties de cette boule
de leur circonférence à leur centre , avec
une certaine égalité modérée & proportionnée
à la nature que nous lui attribuons
, il eft aifé de comprendre une
union plus ou moins grande , dont les dif
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
férens degrés nous découvrent ceux des
différentes folidités. Ces parties , ainfi
réunies & raffemblées de la circonférence
au centre , rendent la boule qu'elles compofent
, parfaitement d'accord avec tous
les corps qui jouiffent d'une réunion à peuprès
égale : fi elle effuie quelque inégalité
naturelle pour l'affujettir à cet accord fans
aucun préjudice remarquable à l'union de
fes parties , c'eft de la part de l'Ether qui
lui eft fupérieur ; & cette prééminence fe
déclarera vifiblement de haut en bas , dès
que cette boule fera abandonnée à un air
libre. La pointe du cône éthéré fupérieure ,
doit faifir plus puiffamment le point le plus
élevé de l'hémifphere fupérieur de cette
boule. Il le vaincra , il l'enfoncera , il le
rapprochera , & fucceffivement les points
voifins , d'un centre qui leur eft conimun .
Ici il formera une nouvelle baſe où fa force
fe raffemblera pour vaincre plus facilement
les parties antérieures de cette boule : cette
influence nouvelle deviendra victorieufe
de leur centre , & s'étendant delà vers
le point de l'hémisphere inférieur qui
répond au centre de cette nouvelle bafe ,
il dégénérera en une effluence également
victorieuſe de l'air qui environne l'hémifphere
inférieur. Cette détermination de
haut en bas , qui conftitue toute la pefanOCTOBRE.
1756. 149
teur , ne paroîtra ceffer que lorfque cette
boule fera plus efficacement foutenue par
les corps qui jouiffent d'une union , ou
d'une pefanteur à peu près égale à la fienne.
Si l'on convient que l'Ether eft toujours
inégalement diftribué , fi l'on convient
enfuite qu'il furabonde également vers
deux points oppofés de la boule en queftion
, l'on conviendra de même que cette
furabondance ne fçauroit fe déclarer qu'en
partageant la boule en deux hémifpheres.
Si cet Ether furabonde vers deux ou plufieurs
points d'un des hémiſpheres , & fi
la progreffion peut avoir lieu , celle ci fera
autant compofée que l'eft la furabondance
qu'on fuppofe.
En un mot , fi cette boule refte plongée
dans une abondance d'Ether ordinaire ,
dont les effluences puiffent , fans trouble ,
fans confufion , fans obftacle , dégénérer
en des influences proportionnées , les parties
de cette boule conferveront entr'elles
tous les rapports , dont on fait dépendre
telle ou telle nature corporelle ; fi au contraire
, cette boule fe trouve extraordinairement
affaillie, pénétrée de toutes parts , fi
elle eft plongée dans une abondance d'Ether
infolite , les furabondances alternatives
de cet Ether ne brilleront que par
défunion fucceffive des parties de cette boula
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
le , que par leur liquéfaction ou diffolution
allégeante, laquelle ceffera peu- à- peu,
à proportion qu'on l'expofera à un air
libre , plus fufceptible de la raréfaction
liquéfiante ou diffolvante , que ne l'eſt la
boule elle-même.
Dans toutes les opérations des corps , en
quelque fens qu'elles éclatent, on doit avoir
égard à la fucceffion des temps, & des eſpaces
. L'action , de quelque corps que ce puiffe
être, fe trouve tantôt raffemblée , & réunie,
tantôt difperfée & multipliée , tantôt victorieufe
, tantôt vaincue , & toujours elle
répond aux parties du temps & de l'efpace
dont nous nous fervons pour la meſurer &
Teftimer. Si , par exemple , elle parcourt
un certain efpace au premier inftant , &fi
elle reprend la même route dans l'inſtant
fuivant , on l'appellera action & réaction ,
eu egard à l'efpace , & premiere & feconde
action, cu égard au temps. Si après avoir été
réunie au premier inftant, elle fe trouve difperfée
au fecond , elle préfentera un repos
prétendu dans celui - ci , & dans celui - là l'on
criera au mouvement nouveau ! l'on s'empreffera
même de mefurer la maffe & la
vîteffe , pour en faire une jufte eſtimation.
Voilà où conduifent la prévention & le
préjugé contre le mouvement perpétuel ;
voilà où conduit le temoignage des fens
OCTOBRE. 1756. ISI
lorfque la raifon en fait fon unique regle
pour les découvertes & pour fes connoiffances.
Le goût de ce fiecle paroit être ,
que , pour raiſonner d'un Art , il faille
pofféder cet Art. Pour moi j'avouerai ingé-
-nuement que je n'ai nulle adreffe pour
pour devenir
Horloger ; j'avouerai même , fi l'on
veut , que pour être univerfel , il faut
pofféder tous les arts , du moins éminemment.
Si j'étois plus jeune , & fi je pouvois
m'en faire un magafin à l'appui de l'Encyclopédie
, je tâcherois de me remplir de
toutes fes connoiffances : mais mon âge ne
me permet pas d'y penfer , & ne m'infpire
point affez d'humilité pour avouer mon
ignorance fur la valeur d'un reffort ou fur
celle de fon jeu. L'Ether en difpofe autant
que de la premiere action qui les a mis en
exercices. Les parties d'une montre, qui ont
été rapprochées ou éloignées de leur centre
par la premiere action , s'en éloignent ,
ou y retournent par la feconde , de même
que le canon , qui a été dilaté par la poudre
, revient à fon premier état.
Je défigne le premier mouvement , qui
enflamme , pour ainfi parler , le canon ,
par une raréfaction centrifuge ; & le fecond
, qui le retablit dans fa premiere
forme , par une raréfaction centripete. Je
permets de ne point adopter ces expreffions,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE
pourvu qu'on m'en fourniffe d'autres qui
expliquent plus clairement le jeu de l'Ether
, & qui répondent plus exactement à
la fimplicité , & à l'uniformité quela nature
affecte dans toutes fes productions.
Il eft , ce me femble , bien facile d'atteindre
à la Phyfique corpufculaire par
le fecours de ces deux raréfactions , dont
l'alternative fe préfente tous les jours à nos
yeux , pour nous convaincre de la néceffité
de les admettre . Tantôt l'Ether contient ,
réunit , & preffe les parties d'un corps les
unes contre les autres, & les rapproche par
conféquent d'un centre qui leur eft commun
, tantôt il les défunit , les degage
de la preffion qu'elles fouffroient auparavant
, & les éloigne conféquemment du
centre auquel elles paroiffoient afſſujetties.
De quelque maniere que cette alternative
s'exerce , foit que nous confidérions
la raréfaction centrale comme la premiere
, foit que nous ne l'eftimions que la
feconde , cela ne change rien à la puiffance
de l'Ether cela ne peut nullement nous
autorifer à lui refufer la prérogative de
caufe premiere créée , au delà de laquelle ,
ni les microſcopes , ni les feux chymiques
ne nous mettront en état de rien découvrir.
Toute la Phyfique donc , quelque étendue
qu'on veuille lui donner fur la terre &
OCTOBRE. 1756. 153
dans les cieux , fe réduira à faire une jufte
application de ce principe , de ce raréfiant
univerfel , à toutes les opérations qui en
dépendent.
MEDECINE .
LETTRE adreffée à M. Sauvage fur
fon Systême au sujet de l'origine de la puiffance
du coeur; par le fieur Peffault- de la
Tour , Docteur - Médecin de la Faculté
de Montpellier.
Monfieur , après avoir lu votre réponſe à
MM.les Journalistes de la Bibliotheque raifonnée,
fur votre fyftême de l'origine de la
puiffance du coeur , inférée dans le Journal
de Médecine du mois d'Août dernier , je
pris la liberté de vous propofer dans le
temps quelques doutes à ce fujet, & de les
adreffer à M. Vandermonde , Auteur de
ce Journal : mais m'ayant répondu qu'il
s'étoit fait une loi de n'inférer dorénavant
dans fes recueils que des faits d'obfervation
, fans y admettre les pieces de pure
théorie , j'ai choifi la voie du Mercure ,
pour vous prier , Monfieur , de vouloir
bien me permettre de douter dans cette
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
circonftance , & de vous demander quelques
éclairciffemens à ce fujet . Ayant l'honneur
d'appartenir à la faculté de Montpellier
, & ayant eu celui d'y foutenir entr'autres
ma thefe de Bachelier , le ;3 Décembre
1736 , fous votre direction , j'ai
d'autant plus lieu d'efpérer que vous ne
dédaignerez pas votre ouvrage , & que
vous voudrez bien continuer d'inftruire
celui qui fe fera toujours gloire d'être
votre écolier. J'avoue que je n'ai pu pénétrer
votre differtation avec une fagacité
relative à l'érudition qu'elle renferme , &
que je me croirois trop heureux fi vous
vouliez defcendre jufqu'à moi pour me
délivrer de mes incertitudes & recevoir
avec bonté les différens doutes qui me déconcertent
fur l'origine du mouvement du
coeur & des autres parties du corps , tant
humain que purement animat ; mouvement
que j'étois fi fort éloigné d'attribuer
à l'ame, que je regardois au contraire celleci
, ( en temps qu'humaine ) comme lui
étant fubordonnée en quelque façon : voici
comme je raiſonnois .
Dieu en créant toutes chofes , a créé le
mouvement qui , comme la matiere fans
laquelle il ne peut fubfifter , eft fufceptible
de toutes modifications & proportions.
11 eft plus fort , plus prompt , plus lent
OCTOBRE . 1756. 155
plus étendu , plus égal & plus conftant
dans certains corps que dans d'autres ; il
dépend en un mot des difpofitions actuelles
de chaque mobile en particulier. Cet
agent général fe communique aux êtres
matériels fuivant leur nature . Aux uns il
devient fi néceffaire que fans lui , ils cefferoient
d'être ce qu'il a plu au Créateur
qu'ils fuffent ; aux autres il devient accidentel
feulement , parce qu'il n'eft point
inféparable de leur maniere d'exifter. De
ce principe , je concluois que l'homme &
la brutte étoient mus par la même cauſe ,
& que l'ame dans l'homme ne fuppofoit
pas plus le mouvement que le mouvement
fuppofe l'ame dans la bête. De plus fi
l'ame étoit la motrice des corps vivans , il
faudroit pareillement l'admettre dans les
bruttes avec toutes les facultés que nous ,
lui connoiffons , & qui lui font uniquement
attribuées , telles que la volonté , la
faculté d'agir ou de ne point agir , enfin
la liberté. Après cela , quelle différence
mettroit- on entr'elles & nous ? Ne feroitce
pas faire injure à Dieu que de borner
fa puiffance au point de ne pouvoir imprimer
le mouvement aux corps de ces animaux
, fans leur donner une ame qui en
foit le principe , pour être enfu te dans la
néceffité de l'anéantir ce qui entraîne-
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
roit après foi les conféquences les plus dangereufes.
En effet , je vois tous les jours
certains hommes réduire leurs femblables
à l'admiration de leurs ouvrages fans les
comprendre ; ouvrages qui ne font le plus
fouvent que le fruit de la plus fimple invention
, & je ne pourrai me perfuader
que celui qui a tiré tout du néant , n'a pu
créer les bêtes purement matérielles ? Ce
feroit fans doute manquer au Créateur , à
la Religion & à foi- même , que de penfer
ainfi.
Toujours en butte aux féductions de
l'efprit borné par les fens , je retombois
auffi - tôt dans les illufions que je prétendois
combattre , & l'impoffibilité où j'étois
de comprendre comment la matiere douée
uniquement du mouvement , pouvoit opé
rer des chofes fi merveilleufes , me jettoit
dans les perplexités les plus grandes . Tantôt
je recourois à l'inftinct ; mais ce mot
me paroiffoit auffi peu fatisfaifant
que celui
du hazard : tantôt je m'imaginois qu'il
pouvoit y avoir une fubftance qui tenoit
le milieu entre l'efprit & la matiere , &
tout de fuite je m'appercevois que je tomboisdans
le ridicule de ceux qui aiment
mieux déraifonner que de convenir de
bonne foi de leur infuffifance .
Je confidérois donc l'ame comme une
OCTOBRE. 1756. 157
fubftance fimple , inaltérable , ou , pour
mieux dire , indeftructible , n'étant point
matière incapable par conféquent de produire
par elle- même aucun mouvement
qui , de quelque efpece qu'il foit , ne peut
s'opérer que par le contact ou le choc mutuel
des corps , & je n'attribuois à cet
être raisonnable , penfant , capable d'amour
& de haine , dont les defirs font
fans bornes , que la liberté feulement de
régler fes affections par un confentement
toujours libre pour lebien ou pour le mal,
fur les différentes impreffions qui lui
étoient tranfmifes par les fens qui font entiérement
foumis aux loix de la méchanique
& du mouvement ; liberté cependant
dont elle ne jouit en tant qu'humaine
, qu'autant que l'organiſation n'eſt pas
dérangée effentiellement.
On m'objectoit fouvent que l'ame devoit
être du moins la caufe efficiente des
mouvemens que l'on appelle volontaires :
mais je niois cette propofition , tant par les
raifons ci-deffus , que par celles qui fuivent
, & je foutenois qu'il étoit plus juſte
de penfer que l'Auteur de toutes chofes
ayant fait des loix dans fa fageffe , il n'étoit
pas fenfé que cet Etre immuable changeât
les propriétés des chofes au gré de
fes créatures ; que l'efprit fait uniquement
158 MERCURE DE FRANCE .
pour penfer , pour connoître , pour aimer,
&c , n'étoit point fait pour remuer des
corps , ni pour en être mu ; que fi les
mouvemens prétendus volontaires accompagnoient
le plus fouvent la bonne ou
mauvaife intention de l'ame , il ne falloit
pas conclure pour cela qu'ils fuffent le
produit de fon action , avec d'autant plus
de raifon que ces mêmes mouvemens ne
s'exécutent pas toujours de fon confentement
, ni au gré de fes defirs , puifqu'ils
s'exécutent toujours conformément à l'impreffion
& l'état actuel de la partie foumife
aux loix de la méchanique. S'il en
étoit autrement , les hommes dont les
parties feroient bien organifées , devroient
au premier coup d'effai faire des
chefs- d'oeuvres dans les Arts méchaniques
au moment qu'ils en concevroient les
regles . Nous voyons cependant le contraire
tous les jours dans ceux qui raifonnent
le mieux & exécutent fort mal. Pourquoi
donc , difois- je , fi l'ame eft la motrice
des doigts , ne leur fait- elle pas exécuter
fur le violon , dès la premiere fois , une piece
de Mufique avec une précifion relative à
la connoiffance qu'elle a de cet Art , & c.
C'eft ainfi , Monfieur , que je penfois
avant d'avoir lu votre fçavante Differta
tion. Mais vous traitez cette matiere avec
OCTOBRE . 1756. 159
tant de fublimité & de profondeur , juſqu'à
donner même les définitions les plus probables
à certaines chofes qui n'en avoient
point eu jufqu'à vous , que fans être entiérement
convaincu , ou , pour mieux dire ,
inftruit , je ne puis m'empêcher de refpecter
& d'admirer les raifons que vous
donnez à Meffieurs les Journaliſtes de la
Bibliotheque raifonnée , fur les objections
qu'ils vous font à ce fujer ; objections dont
je ne puis me difpenfer de faire un précis
pour paffer enfuite aux réponfes que vous
y faites , afin de vous propofer les légeres
réflexions qui donnent lieu à quelques
doutes auxquels je tiens encore à cet égard .
La principale objection eft que fi l'ame
étoit véritablement le principe effentiel
des mouvemens de fon corps , elle devroit
connoître le nombre des mufcles & des
vaiffeaux , la quantité du fluide qui y circule
, les degrés de force & d'accélération
qui conviennent , enfin tout ce qui eſt néceffaire
pour effectuer telle ou telle action .
Or , eft- il qu'elle ignore toutes ces chofes,
que le tout au contraire fe met en jeu à
fon infçu , & très - fouvent même contre fa
volonté donc l'ame n'influe pas comme
cauſe néceffaire fur les mouvemens de fon
corps.
Vous répondez à cela , Monſieur , qu'il
160 MERCURE DE FRANCE.
en eft de l'ame à l'égard de tous ces détails
, comme d'un Peintre qui dirige fon
pinceau avec tant de jufteffe , qui contracte
avec tant de préciſion les muſcles
thénar , antithénar qui conduifent ce même
pinceau , & trace avec plus d'exactitude
qu'un compas le contour d'une joue ,
nuance fes couleurs avec plus d'art & plus
d'éclat que n'eût fait Newton , & qui, indépendamment
de l'attention que femble
exiger de tels ouvrages , chante & raifonne
de toute autre chofe : il en eft ainfi
de la plupart des gens à talent.
L'on fe rendroit volontiers à ces raifons
de convenance , qui paroiffent auſſi
frappantes que naturelles , fi les Arts n'étoient
le produit de l'étude & de l'exercice.
Par exemple , que je queftionne ce
Peintre ou autre Artifte fur ce qu'il fait &
fur les regles de fon Art , il n'eft pas douteux
qu'il me répondra fuivant l'étendue
des connoiffances qu'il aura à cet égard , &
non au-delà : mais que je le queftionne fur
les particularités des mouvemens de fon
corps , fur la jufte fituation de chacune de
fes parties , fur leur nombre , leur ufage ,
& c, je fuis bien fûr qu'il reftera court. Ce
n'eft donc qu'à l'étude , à l'exercice , aux
connoiffances qu'il a de fon état , & à la
liberté relative qu'il a de pouvoir l'exercer ,
OCTOBRE. 1756. 161
que l'on doit attribuer le fuccès de fon Ouvrage
, qui pour lors ne l'affujettit pas à la
même application que dans les commencemens.
Il n'en eft pas ainfi de l'ame vis- àvis
des mouvemens en queftion , puifqu'ils
s'exercent encore une fois la plupart du
temps à fon infçu , contre fa volonté , &
fans qu'elle puiffe en donner aucune raifon.
Fondé fur le grand principe que les
effets font proportionnés à leur caufe, vous
refufez abfolument de reconnoître dans les
animaux pour caufe du mouvement augmenté
en conféquence de l'inflammation
& de la fievre , l'irritation que Bellini appelle
ftimulus , l'aiguillon . Pour cet effet ,
vous produifez un calcul dans lequel vous
pefez d'un côté la force du coeur , & de l'auire
la vîtelle qui doit refter au fluide nerveux
à une diſtance fi grande du coeur , &
la maffe fi prodigieufement inférieure de
ce fluide à celle du fang des arteres : par
ce calcul vous prétendez qu'il n'y a point
de méchanique qui puitle retrouver dans le
fluide nerveux une force égale à celle que
le coeur emploie à pouffer le fang dans le
corps d'un animal vivant . Par conféquent ,
felon vous , l'ame agit de façon à fuppléer
au défaut de la méchanique. Quelque fçavant
que foit ce raifonnement , & quelque
relatif qu'il foit au principe qui en fait la
1262 MERCURE DE FRANCE.
裟
-baſe , vous me permettrez , Monfieur , de
vous repréfenter qu'il fe peut faire que , féduit
par l'étendue de vos connoiffances ,
ce même principe ne foit pas tel que vous
le fuppofez dans le corps des animaux , chez
qui tous les mouvemens s'exécutent conformément
aux loix générales , quoique
le modus ait échappé jufqu'à préfent aux
recherches les plus exactes : il n'eſt pas
même croyable que cela foit autrement ;
& quoiqu'il s'y opere certains effets dont
on ne connoît pas la caufe au jufte , l'on
ne doit pas pour cela fuppofer qu'elles
-leur foient difproportionnées. Les réponfes
que MM. les Journaliſtes ont faites à
cette objection , en citant les effets furprenans
de la roue électrique , la grande explofion
qui fuit du mêlange de l'huile de
girofle à celle de térébenthine , & c , me
fourniffent occafion de propofer des exemples
qui ont plus de rapport au fujet , tels
que font les effets de la paralyfie avec la
caufe qui la produit , ceux qui réfultent de
la piquure d'un tendon , ceux qui fuivent
l'introduction d'un virus quelconque dans
la maffe des liqueurs , comme l'inoculation
de la petite-vérole , le venin de la
vipere , celui de la rage , & tant d'autres
*qui paroiffent furpaffer d'une maniere incompréhenfible
les caufes qui les produiOCTOBRE.
1756. 163
fent,fans cependant qu'il puiffe y avoir aucune
difproportion , puifqu'ils font purement
méchaniques . De plus , il eft démontré
que certaines conditions jointes aux différentes
cauſes , contribuent aux effets plus
ou moins grands. Je m'explique , & je dis
qu'un gros de poudre à canon comprimée ,
opérera un effet beaucoup plus confidérable
qu'une once qui ne le fera pas ; qu'une
feule corde d'inftrument bien tendue
raifonnera plus elle feule qu'une douzaine
d'autres qui feront relâchées , quoiqu'elles
foient froiffées & agitées par la même caufe
égale en tout de même le fluide nerveux
, quoique bien inférieur en maſſe à la
quantité du fang des arteres, & en vîteſſe à
la force du coeur , produira néanmoinsles
effets les plus furprenans , fi la tenfion
d'où dépend l'irritabilité des fibres
nerveuses, eft portée à un certain point par
quelque caufe que ce foit , ainfi qu'on l'éprouve
dans les convulfions hystériques ,
&c.
Sans répéter les expériences qui ont
été faites fur le coeur de la grenouille , fur
le chien & autres animaux , & fans rappeller
les objections que vous vous faites à
vous-même , permettez-moi , Monfieur , de
revenir à votre fentiment au fujet des arteres,
qui, felon vous , ne doivent pas fe ref164
MERCURE DE FRANCE.
ferrer à proportion qu'elles fe dilatent , &
que leur fyftole ne devroit , fuivant les
feules loix du reffort , que fe rapetiffer ,
quand les vaiffeaux ont été beaucoup diftendus
par le fang , à moins qu'une caufe
étrangere , par laquelle vous entendez
l'ame , ne leur ordonne de fe rétrecir ,
voulant dire par-là que la fyftole des arteres
ne doit point être égale à leur dyaſtole ,
par la raifon que les corps à reffort de
quelqu'efpece qu'ils foient , ne rendent
jamais le même degré de mouvement ,
lorfqu'ils fe rétabliffent , que celui qu'ils
ont reçu. Par exemple , le verre qui eft le
corps le plus élastique , perd la fixieme
partie du mouvement qui lui a été communiqué
, & l'yvoire qui eft auffi un
corps fort élaftique , en perd la treizieme
partie. Donc l'élafticité des fibres du coeur
n'eft pas fuffifante à l'entretien de fon mouvement
; & comme le mouvement du
pouls dans toutes les fievres eft plus fréquent
& plus grand que l'état actuel des
forces mufculaires ne femble le permettre ,
il faut donc , felon vous , de toute néceffité
, conclure que l'ame y fupplée , & que
tous les mouvemens fébrites ne font autre
chofe que les efforts qu'elle fait pour furmonter
ce qui la révolte . C'eft ainfi , Monfieur
, que vous vous expliquez dans la
Ca
野
OCTOBRE . 1756 . 165
Theſe que vous compofâtes fur la fievre ,
& que vous fîtes foutenir à Montpellier
au mois de Juin 1738.
Il eft vrai que , toujours conduit par la
jufteffe de votre génie , vous tirez les con
féquences les plus conformes aux différens
principes que vous établiſſez : mais ne
peut il pas fe faire encore une fois que
les chofes ne foient pas telles que vous
les fuppofez ? & tant que la caufe & les
conditions font les mêmes , l'effet ne doitil
pas s'enfuivre ? La montre , par exemple
, qui n'eft que l'ouvrage de l'homme ,
n'eft-elle pas affujettie aux loix du reffort ,
& indépendamment ne continue - t- elle pas
fes battemens tant & fi long- temps que le
reffort eft tendu , s'il ne font fufpendus
par quelqu'accident ? & fi cette fimple
machine a befoin d'être montée dans certains
temps , les animaux de leur côté
n'ont-ils pas befoin pareillement de renouveller
leurs forces & leurs mouvemens ,
par les alimens & autres moyens qui contribuent
à leur confervation ?
A l'égard du mouvement du pouls qui
dans toutes les fievres eft plus grand &
plus fréquent que l'état actuel des forces
mufculaires ne femble le permettre , j'avouerai
ingénuement que j'ai peine à me
rendre à cette propofition dans tous fes
166 MERCURE DE FRANCE.
que
la
chefs , lorfque je confidere furtout
grandeur du pouls & fa fréquence , font
en tout temps proportionnées à celle du
coeur qui eft un muſcle. Si dans le cas de
la fievre , la force & l'agitation du coeur
& des arteres furpaffent celles des autres
muſcles , ne pourroit- on pas dire que c'eſt
par la puiffance du ftimulus, dont la répartition
eft pour lors inégale , & agit avec
beaucoup plus de violence fur les nerfs du
coeur que fur les autres mufcles , vis - à - vis
defquels il diminue à proportion par les
raifons que j'ai alléguées ci - deſſus ?
Enfin , Monfieur , ne pourroit- on pas
conclure de tout ceci que le mouvement
eft le propre unique de la matiere , puifqu'il
ne confifte que dans la tranfpofition
des corps ? tranfpofition qui eft effentielle
aux uns & accidentelle aux autres , que
l'on pourroit confidérer comme un des attributs
de leur création , & dont l'ame
n'eft pas plus le principe qu'elle eft le
principe d'elle - même. Car fi cette fubftance
fpirituelle avoit la propriété de :
changer de place le plus petit atome , elle
pourroit pareillement remuer toutes les
maffes fans diftinction , parce que n'étant
pas d'une nature à être foumife aux loix
de quelque méchanique que ce foit, elle ne
fe feroit pour lors affujettie à aucune pro-
1
OCTOBRE 1756. 167
portion de la matiere , & fur cela fon
voir égaleroit fes defirs .
pou
Permettez- moi donc , Monfieur , jufqu'à
ce que vous ayez bien voulu me remettre
dans une voie plus fûre , de recourir au
principe de tout principe , qui eft Dieu .
In ipfa enim vivimus , movemur &fumus.
S. Paul.
J'ai l'honneur d'être , & c.
PEFFAULT- DE LA TOUR.
A Beaufort en Anjou , le 1 Juillet 1756.
CHIRURGIE.
OBSERVATION d'une tumeur enkiftée
au lobe droit du poumon.
LE Corps humain eft la machine animale
, fans contredit , la plus digne de
notre admiration . La nature merveilleufe
dans l'ordre & l'harmonie qu'elle garde
en fes productions , fe diftingue dans celleci
: mais quelque perfection & régularité
qu'elle ait donné aux différens refforts
qui la font agir , elle ne l'a pas néanmoins
mife hors d'atteintes à mille accidens qui
peuvent la troubler dans fes fonctions. Un
affez grand nombre ne nous eft déja que
trop connu tous les jours il en naît de
168 MERCURE DE FRANCE.
nouveaux. En voici un affez rare digne de
notre attention.
Il s'agit d'une tumeur finguliere enkiſtée
au lobe droit du poumon , inhérente à
fon bord poftérieur par un pédicule affez
flottant , groffe comme la tête d'un lievre,
imitant fa figure irréguliere dans fa furface
, formant un tout compofé d'une infinité
de petites lames , les unes fphériques
, les autres angulaires , racornies , &
plus que cartilagineufes , entaffées par couches
fur d'autres plus denfes , plus compactes
& moins friables. Vers le centre de
la tumeur on découvroit un noyau toutà
- fait offifié , de la groffeur d'un oeuf de
pigeon : chacun de ces petits calculs difperfés
dans toute fon étendue , étoit renfermé
avec art dans une capfule formée
par les replis du tiffu interlobulaire dont
parle M. Helvetius , & leurs interftices s'en
trouvoient tapiffées de même que les anfractuofités
du cerveau , le font de la lame
interne de la pie-mere. J'en tirai une
liqueur lymphatique , concrete & polypeufe
, occupant les fillons de cette efpece
de labyrinthe , qui par l'ébullition devint
dure comme de la corne ; d'où on peut
préfumer que l'humeur bronchique épaiffie
& defféchée, abeaucoup eu de part à la
formation de la tumeur. Mais il me paroît
bien
OCTOBRE. 1756. 169
bien difficile d'expliquer le quomodo , d'en
raifonner pathologiquement , d'affurer fi
c'eſt par la ftafe de cette liqueur devenue
immuable dans les filtres de fes glandes, ou
par fon amas dans les cellules bronchiques,
affez confidérable pour étendre le follicule
de chaque lobule du poumon , fi
c'eft enfin par fon épanchement dans celles
du tiffu interlobulaire . S'il eft permis ici
de hazarder quelques conjectures , je crois
qu'il feroit plus - plaufible de dire que du
fuc verfé par les émiffaires des glandes
bronchiques dans les cellules qui forment
chaque lobule , la partie la plus tenue
étant réforbée par les embouchures veineufes
qui s'y abouchent , la plus groffiere
a dû y être retenue , s'y accumuler infenfiblement
par fa paffion continuelle des
canaux aériens fur les glandes , dans l'inf
piration de forcer les parois de certains
lobules pour former la maffe dont il s'agit,
& le frottement fucceffif du poumon où
Pinflammation peut- être avoit précédée ',
l'action de ce foyer fur le fluide lymphatique
difpofé à s'endurcir par la chaleur ,
ont dû le laiffer à fec en le rendant plâtreux
, auſtere & offeux ; qualités qui font
le caracterede la tumeur. Mais je ne puis ,
fans trop m'avancer , affeoir un jugement
pathognomon ique fur une maladie fi criti-
II. Vol. H
170
MERCURE DE FRANCE.
que. Je laiffe aux grands Maîtres de l'art
l'explication d'un phénomene qui , quoique
rare , n'eft pas unique , comme le
prouve l'obfervation de Lamotte ( 1 ) qui
dit avoir trouvé dans le cadavre d'une
femme morte d'hydropifie , des tumeurs
dures comme du bois. Paré ( 2 ) , fait mention
d'un corps skirreux , rempli de cartilage
& d'os , qui avoit fon fiege dans la
matrice d'une femme dont le ventre depuis
longtemps étoit dur & diftendu . On
rapporte ( 3 ) que l'on trouva dans le cadavre
d'un matelot affligé d'un aſthme violent
& d'une toux infupportable , le péricarde
très-épais & dur comme le cartilage.
Cette derniere obſervation a affez d'analogie
avec celle qui fait le fujet de ce Mémoire.
L'homme qui portoit cette tumeur
dont j'ai parlé , étoit âgé de 70 ans , étant
affecté depuis longtemps d'une Orthopnoë ;
& d'une refpiration fort gênée. M. Morand
, ce fidele obfervateur dont je me flatte
d'être l'éleve , fit avec moi l'examen de
cette tumeur. Nous trouvâmes fon pout
mon prefque oblitéré & réduit à un trèspetit
volume. BREBAN , Maître-ès - Arts ,
Chirurgien , Aide-Major de l'Hôpital Militaire
d'Avranches...
( 1 ) Traité complet de Chirurgie, vol. 2, p. 160.
(2 ) Liv. 24 , chap. 41 , p. 16.
(3 ) Phifico-Medica , & c. vol . 2 , Obf. 20, p . 48.
OCTOBRE. 1756. 171
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
JEE ne fçais fi vous connoiffez , Monfieur ,
une brochure qui paroît depuis peu , &
que le hazard a mis dans mes mains ; elle
a pour titre , Sentiment d'un Harmoniphile
fur differens ouvrages de Mufique ( 1 ) . L'Auteur
dans le dixieme Paragraphe , au commencement
de la feconde Partie , propoſe
une nouvelle maniere de chiffrer la Baffecontinue
pour l'accompagnement du Clavecin
, & il l'attribue à M. de Morambert.
Je n'envie point à ce dernier la gloire &
la fatisfaction qu'il pourroit fe promettre :
mais il doit au moins m'être permis d'ob-
(1) Les deux parties de cet Ouvrage fe trouvent
à Paris , chez Jombert, Lambert & Duchesne,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ferver que la méthode dont il s'agit , ne
differe pas effentiellement de celle que je
foumis , il y a environ dix- huit mois , à
l'examen du P. Laugier , pour lors Jéfuite.
Je dirai plus. Le P. Dumas , de la Compagnie
de Jefus , fe chargea d'en faire , le
12 Septembre 1755 , une expofition abrégée
dans une féance de la Société des
Arts , établie dans la Ville de Lyon ; je ne
peux , & je ne dois , Monfieur , en apporter
f'autres preuves que le témoignage de
cet .Académicien , & l'atteftation du Secretaire
de cette Académie . J'ai l'honneur
de vous les envoyer ( 1 ) .
Si de pareils titres me donnoient quel
ques droits à la découverte publiée par
Harmoniphyle , je ne reclamerois néanmoins
que ce que je croirois m'appattenir
légitimement , & je laifferois à l'Amateur
profond & éclairé , ou , quoi qu'il en
fait , à M. de Morambert , ce que je ne
pourrois prétendre fans faire un larcin à
l'un ou à l'autre. Je ne prendrois , par
exemple , aucune part à l'harmonie des
trois dernieres mefures qui , dans l'Ariette
N° 4, précedent immédiatement la repriſe.
6 67
S 4 * *
On y trouve , La , fi- , mi . Et la Baffe
( 1) Nous avons ces deux pieces , que le peu de
place qui nous refte ne nous permet pas d'inférer
OCTOBRE . 1756. 173
fondamentale y eft exprimée ainfi
le fecours des nouveaux fignes ,
par
7
7 X X
FX E B E
( La , fi— , mi. ) . FaX dominante , défi-
7
gné par F , defcend donc ici d'une
feconde fur mi Tonique , exprimé par E.
Or , je cherche vainement ce que devient
la diffonance de cette dominante , c'eftà-
dire , mi , feptieme de Fa X. Il me
femble que ce mi devroit être fauvé fur
Ré , en defcendant diatoniquement , &
je ne l'entrevois nullement , ce Ré fi néceffaire
, dans l'accord parfait de la Tonique
mi , qui fe préfente à la fuite de la
dominante en queſtion .
Je renoncerois encore à une femblable
erreur que j'imagine appercevoir dans les
nouveaux fignes employés dans les trois
dernieres mefures du même Air.
6 6 7
S 4 X
Vous y verrez Re , mi , mi , la , chif-
7
BA
7
*
E A
frés de cette maniere , Re , mi , mi , la.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
*6
5
L'accord La dans le premier cas , & l'ac-
6
S
cord Re dans celui - ci , ne font cependant
point renversés : ils font évidemment
fondamentaux l'un & l'autre , &
forment deux accords directs de foudominante.
Je les appelle , d'après M. Rameau
, accords de fixte ajoutée , & je les
défigne par un 6 joint à la lettre qui en
exprime la note fondamentale ( 1 ) . J'aurois
(1) Perfonne n'ignore que les notes de la
Baffe-fondamentale portent toujours la tierce & la
quinte : ainfi les lettres fuppofent toujours ces
intervalles , & les chiffres expriment celui qu'on
y ajoute de plus. Au refte , lorfque dans la Baffecontinue
une note eft fondamentale , pourquoi la
charger inutilement d'une lettre ? J'y chiffre feudement
, felon le befoin , un 7 ou un 6 , lorsqu'elle
n'eft pas tonique . Je n'emploie enfin les lettres
que fur les notes qui ne font point fondamentales.
Je me fers cependant de ces lettres & des
chiffres dont elles font fufceptibles dans les filences
qu'obſerve la Baffe , comme foupirs , demipaufes
, &c. ou même lorfque cette Baffe a plufieurs
mefures à compter. Parmi les différens
avantages que préfentent ces fignes , & que je ne
détaillerai point ici , celui d'indiquer toujours
P'harmonie , lors même que la Baffe- continue
feroit totalement retranchée de l'accompagne
OCTOBRE . 1756. 175
6 6 7 7
donc écrit A & D , & non FX & B, qui ,
felon ma méthode , ne doivent être ufités
que pour les dominantes. S'il importoit
d'ailleurs de m'expliquer plus clairement
que je n'ai peut-être fait , & de me rendre
plus intelligible à ceux qui n'ont faifi mon
idée qu'imparfaitement , je déclarerois ici
que dans ma maniere de chiffrer j'emploie
la lettre feule pour les Toniques ; j'y ajoute
un 7 pour les dominantes & un 6 pour les
foudominantes : en un mot , je n'entends
exprimer que l'harmonie fondamentale , &
je ne vois pas plus de raifon de chiffrer
des dérivés d'une foudominante , ou même
l'accord de Quarte en tant qu'accord , ainfi
que fait M. de Morambert , qu'il y en auroit
de chiffrer ceux de Triton ou de neuvieme
ou tout autre dont la note grave
n'eft point fondamentale.
Enfin , Monfieur , pour ne me point expofer
au reproche d'ofer entreprendre fur
le privilege dont jouit l'Harmoniphile ,
relativement à la nonpréparation de certaines
diffonnances , je n'adopterai point
le paffage que l'on remarque dans la premiere
des trois dernieres mefures de l'Ament
, conformément à l'idée que M. Rameau en
a donné en 1732 , n'eſt pas le moins effentiel.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
6
4
6 3
riette dont il s'agit . Le voici. fa , ut , &c.
11 eft chiffré par les nouveaux fignes ,
7
D F 7.
fa , ut. Or le figne F fur ut préfente inconteftablement
une fimple dominante qui
fuccede à l'accord de Ré Tonique , défigné
par D fur fa . Je prends donc la liberté de
demander fi cette fucceffion n'a pas été
profcrite de tout temps , & fi un Auteur
qui décide avec une forte d'empire fur differens
ouvrages de Mufique peut ignorer ,
ou permettre que l'on ignore , que conformement
aux loix de l'harmonie , on
n'eft libre de paffer d'une Tonique à une
fimple dominante , qu'autant que la diffonance
de celle- ci a été préparée , c'eſtà-
dire , qu'elle a été entendue comme cónfonance
dans l'accord de cette Tonique .
Je pourrois encore ajouter que le Compofiteur
de l'Ariette n'a pas ici , fuivant
les apparences , chiffré fa Baffe avec connoiffance
de cauſe. Le Chant qui y répond
fembloit en effet preferire l'harmonie dont
il émane ( ) .
(1 ) Le re du chant eft une noire pointée , Put &
lefs font des doubles- croches ; & dans la Baffe le
OCTOBRE. 1756. 177
Re , ut , fi , mi , &c .
Chant 6 & 6
Fa- ut, &c.
Baffe
6
D D A
II eft clair que fa de la Baffe eft tiré
d'abord de l'harmonie de Ré Tonique , enfuite
du même Ré , rendu foudominante ,
6
ce que j'exprime par D , & cette foudominante
aboutit , felon les regles connues ,
à l'harmonie de A , je veux dire de La
Tonique .
Quoi qu'il en foit , Monfieur , de ces
différentes obfervations auxquelles je me
borne , j'ai l'honneur de vous fupplier de
les rendre publiques en inférant ma lettre
dans votre ouvrage périodique. M. de
Morambert & l'Harmoniphile même , ne
peuvent raifonnablement s'en plaindre ,
puifqu'en prouvant la conformité de nos
idées dans l'invention des nouveaux
fignes , & en relevant les fautes qui leur
font échappées , mon intention n'eft pas
de leur nuire.
J'ai l'honneur d'être , &c.
ROUSSIER.
Lyon , ce 22 Août 1736 .
fa eft une blanche , fufceptible par conféquent de
deux accords confécutifs.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
M. Ciampalani , ordinaire de la Mufique
du Roi , vient de faire graver une
Cantatille intitulée , Les Fontaines de
Merlin. Elle eft accompagnée de fix Ariettes.
Les Connoiffeurs donnent de grands
éloges à la mufique. On la trouvera aux
adreffes ordinaires . Les vers de la Cantatille
font de M. Hornot ; il eft auffi l'Auteur
d'une de ces Ariettes que nous allons
mettre ici :
ARIETTE.
ÆGlé , laiffez-vous
enflammer :
La faifon des plaifirs n'eft qu'une ombre légere.
La beauté n'a qu'un temps : profitez-en , Bergere.
Aux voeux de votre Amant il eft temps de céder ( 1 ).
Voyez ces fleurs nouvellement écloſes :
Leur regne , hélas ! n'eft qu'un regne d'un jour.
Hâtez- vous de cueillir ces rofes ,
Qu'a fait éclorre ici le fouffle de l'Amour.
C'eſt d'Adonis la dépouille fanglante ;
Vénus par les baifers la fait épanouir :
Ce matin elle eft éclatante ,
Ce foir vous n'en pourrez jouir .
(1) Enflammer & céder , font deux rimes à peine
Supportables dans un Vaudeville.
OCTOBRE . 1756. 179
PEINTURE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Onfieur , l'établiffement d'une École
publique & gratuite de Deffein , de Peinture
, de Sculpture , de Géométrie , d'Architecture
, de Perſpective , de Méchanique
& d'Anatomie , fous le nom d'Académie
des Arts , a paru fi néceffaire , & d'une
fi grande utilité dans uneVille maritime &
commerçante telle que Marfeille , que Sa
Majefté a daigné l'autorifer , en permettant
, par un Arrêt de fon Confeil , à la
Communauté de cette Ville de donner
tous les ans une fomme de mille écus pour
fon entretien.
Les progrès de cette Académie naiffante
ne sçauroient être ni plus rapides , ni plus
marqués. De jeunes Eleves de tous états
s'empreffent d'y venir prendre les connoiffances
que des Profeffeurs éclairés leur
donnent avec autant de zele que de défintéreffement.
Les talens s'y développent ,
rémulation les provoque & la culture les
Hvj
1S0 MERCURE DE FRANCE.
perfectionne. La gloire des Maîtres , l'avancement
des Difciples & l'avantage de
la fociété , font les fruits de cet établiffement.
L'Académie des Arts a tenu une Affemblée
publique le Dimanche vingt- neuf du
mois d'Août dernier , dans la falle de l'Hôtel
de Ville , en préfence de Meffieurs les
Echevins , qui méritent d'en être regardés
comme les fondateurs , & de plufieurs perfonnes
que l'amour des beaux Arts , ou la
curiofité y avoient attirées .
M. Verdiguier , Directeur , ouvrit la
Séance par un Difcours judicieux fur l'utilité
des Arts , qui font l'objet de l'Académie.
M. Kapeller , Profeffeur de Deffein &
de Géométrie , lut enfuite un petit Ouvrage
bien raifonné fur les Elémens de géométrie-
pratique , & fur la maniere dont il
fe propofoit d'en donner des leçons.
M. Dageville , Profeffeur d'Architecture
& de Perſpective , donna dans une Dilfertation
hiftorique écrite avec feu , une idée
abrégée de cet Att , de fon origine , de fes
progrès , & du point de perfection où les
grands Artiftes des derniers ficcles l'ont
porté.
La Séance fut terminée par la diftribution
des trois Prix aux Eleyes , dont deux
OCTOBRE. 1756. 18
étoient deſtinés au Deffein , & l'autre à la
Sculpture. Le premier fut remporté par le
Sieur Laurens , le fecond par le Sieur Bonnieu
, & le troifieme fut adjugé au Sieur
Carriol. Ils les reçurent des mains de Meffieurs
les Echevins.
Le même jour , il y eut une Expofition
publique des Ouvrages que les Profeffeurs ,
les Académiciens & les Agrégés ont fait
dans l'année. Ces Ouvrages ont été expofés
pendant huit jours dans la falle queM.Charron
, Commiffaire général de la Marine
qui protege les Arts & qui les aime , a
accordé fur les ordres du Roi ,à l'Académie,
dans l'Arfenal. Le concours des Connoiffeurs
& l'empreffement du Public ont été
trop Aatteurs pour ces Artiftes , & ne ferviront
pas peu à les rendre toujours plus attentifs
à profiter des obfervations des uns ,
& à mériter les éloges de l'autre.
Permettez , Monfieur , que je joigne ici
le précis le plus fimple de cette Expofition :
ce feroit aller plus loin qu'il ne faut , fi je
follicitois pour ma Lettre une place dans le
Mercure. L'avancement des Arts a des
droits trop légitimes fur tous les fuffrages ,
pour douter que vous ne publiez avec plaifir
tout ce qui peut fervir à les confirmer.
J'ai l'honneur d'être , &c .
A Marseille , le 20 Septembre 1756.
M ***
182 MERCURE DE FRANCE.
EXPOSITION des Ouvrages des Profeffeurs
, des Académiciens & des Agrégés
de l'Académie des Arts de la Ville de Marfeille
, faite dans la falle du Modele , le
29 Août 1756.
Un morceau en relief repréfentant la
Prife du Fort Saint - Philippe , fous une
allégorie ingénieufement compofée ; par
M. Verdiguier , Directeur.
Deux Tableaux de Payfages ; par M.
Cofte , Profeffeur.
Deux Tableaux de Payfages ; par M. Richaume
, Profeffeur.
Un Portrait en miniature ; par M. Moulinneuf,
Profeffeur.
Deux Tableaux de l'hiftoire de Jephté ,
& une Affomption de la Sainte Vierge ;
par M. Zirio , Profeffeur .
Plufieurs Têtes de caractere , peintes
d'après nature ; par M. Beaufort , Profeffeur.
Un grand Tableau repréfentant le Port
de Marſeille , & l'Embarquement des munitions
de guerre & de bouche , que l'on a
fait pour l'expédition de l'Ifle Minorque ,
par les ordres & en préſence de M. le Maréchal
de Richelieu ; par M. Kapeller ,
Profeffeur.
OCTOBRE. 1756. 183
Plufieurs Portraits ; par M. Revelly ,
Profeffeur.
Plan & élévation d'un projet de Place
publique dans le Champ Major de la Ville
de Marſeille ; par M. Dageville , Profeffeur.
Quelques Portraits , & un Tableau
allégorique repréſentant l'Apologie de la
Peinture ; par M. Panon , ancien Acadé
micien.
Plufieurs Tableaux de nature morte ;
par M. Palaffe , Académicien .
Plufieurs Portraits ; par M. Staub , Académicien.
Plufieurs Tableaux de Marine , entr'autres
un Naufrage que l'Académie a accepté
pour morceau de réception ; par M. Henry,
Agrégé.
Quelques Portraits , & un Tableau repréſentant
le Frappement du rocher par
Moffe dans le défert ; par M. Arnaud ,
Agrégé.
Deux Tableaux de Payfages ; par M.
Defpeches , Agrégé.
184 MERCURE DE FRANCE
SCULPTURE.
RÉPONSE ( 1 )
D'un Eleve de l'Académie Royale de Peinture
& de Sculpture , à l'Auteur de la
petite Brochure ayant pour titre ,
Obfervations fur le projet du Maufolée du
Maréchal Comte de Saxe.
Monfieur , j'ai lu avec quelque forte
d'amufement , la critique que vous avez
faite du Modele du Maufolée du Maréchal
de Saxe. Quoiqu'elle foit accompagnée de
tous les égards & les ménagemens que
ceux qui chériffent les Arts , doivent
avoir pour les perfonnes qui y excellent à
un degré auffi éminent que le célebre Sculpteur
chargé de cette entreprife , néanmoins
je vous avouerai que j'ai été un peu
choqué ( le terme n'eſt pas trop fort ) de
la maniere dont vous traitez les Artiftes
(1 ) Cette Réponse nous a paru une apologie
aufli fage que jufte d'un modele plein de génie.
Nous l'inférons ici comme une marque publique
de notre eftime pour le célebre Artiſte dont les
Quvrages font tant d'honneur à la Sculpture.
OCTOBRE . 1756. 184
en général. Réduits , felon vous , à l'étude
de la fimple méchanique de leur Art ,
vous n'hésitez pas à leur interdire toutes
les facultés de l'efprit ; en cela moins généreux
que les Poëtes , qui veulent bien ,
dans la partie du génie , fe les affocier.
Vous fouhaitez même , pour leur épargner
la peine de penfer , qu'on charge quelqu'autre
de cet office pour eux. Cette idée
eft une injure gratuite au Corps des Artiftes
, & peu méritée de leur part. Ces
grandes & belles productions de génie ,
tant en Peinture qu'en Sculpture , forties
des différentes Ecoles , feroient - elles encore
aujourd'hui l'admiration de l'Univers
, fi leurs Auteurs n'avoient pas fçu
penfer ? Au refte , pour nous renfermer
dans notre objet , il me paroît que le
Maufolée de M. le Maréchal de Saxe devoit
moins , qu'aucun autre ouvrage ,
vous faire naître un pareil fentiment fur
nos Artiftes ; & après avoir pris une feconde
lecture de vos Obfervations , je me fuis
confirmé dans l'opinion que , fi vous l'avez
critiqué , c'est que vous n'avez pas
tout-à- fait compris le fujet de ce grand
Ouvrage. Mais pour mettre en état de décider
qui a mieux faifi ce fujet ou de vous ,
ou de moi , je crois ne pouvoir mieux faire
que de l'expofer , tel qu'il m'a paru au
186
MERCURE DE
FRANCE.
premier coup d'oeil, & tel que je l'ai enten
du expliquer à tout le monde. On doit
fçavoir gré à M. Pigalle de l'avoir expofe
au jugement du Public , avant que de l'ar
rêter
entiérement , & d'y donner la der
niere main.
Defcription du Manſolée .
Le
Maréchal eft au pied d'une pyrami
de ,
fymbole de
l'immortalité , ayant d'un
côté , en figne de fes
Victoires , les drapeaux
de la France élevés , de l'autre côté
ceux des
Ennemis brifés. Les Nations
vaincues fe
trouvent dans cet endroit caractérisées
par
l'Aigle
épouvanté ,
Léopard terraffé , & le Lion
prenant la
le
fuite. Mais , au
moment que le
Maréchal
eſt au comble de fa gloire , la Mort , un
fable à la main , lui ouvre un
farcophage ,
& lui montre un linceuil prêt à le recevoir.
Le
Maréchal , fans paroître étonné , defcend
au féjour
ténébreux avec
intrépidité.
La France , frappée d'une pareille
cataſtrophe
, fait des efforts
impuiffans , pour ,
d'une main , écarter la Mort , & de l'autre
retenir le
Maréchal. A
l'oppofite de la
Mort , on voit la Force & le
Courage
reunis fous
l'emblême d'un
Hercule ( 1 ) ,
(1 ) On ne doit pas
s'étonner de voir dans une
Eglife
Luthérienne une figure
d'Hercule prife emRA
OCTOBRE. 1756. 187
e qui paroît accablé de la perte d'un fi grand
de Homme. Derriere la France , le Génie de
ara Guerre défolé , éteint fon flambeau . Entein
au bas du farcophage font les armes
alu Maréchal, grouppées avec des branches
le Cyprès , au devant d'un focle fur lequel
fe paffe toute l'action .
و د
M. Pigalle , par des caracteres indéfi
nis , a marqué la place que doit occuper
Infcription qu'il veut , à l'exemple des
Grecs , placer fur la pyramide. Il feroit à
fouhaiter que , comme cette partie n'eſt
point du reffort de l'Artifte , quelques
" Gens de Lettres , échauffés par la gran-
» deur du ſujet , lui envoyaſſent une Epitaphe
convenable à cette place , & mê-
» me que cette Epitaphe fut en françois ,
»pour être plus à la portée de tout le
≫ monde . «r
D'après cet expofé , il n'y a perfonne
qui ne fente que le Maréchal n'ayant point
été tué à la tête des Armées , l'Auteur a
dû le repréfenter jouiffant du fruit de fes
Victoires ; & loin de nous le dépeindre
dans fon lit , attendant fon dernier inf
tant , tel que vous l'auriez fouhaité , il a
blêmatiquement , puifque nous voyons tous les
jours dans nos Eglifès des Graces , des Minerves
des Mars , & quelquefois des Hercules. Il y en a
un notamment dans le fameux Maufolée du Maréchal
de Montmorency , à Moulins.
188 MERCURE DE FRANCE.
éludé , fans choquer les vraisemblances §
cette idée triviale . Au contraire , en nous
le traçant grand jufqu'au dernier moment,
il nous a fait voir , par le tour figuré qu'il
a pris , que la mort n'a rien eu d'effrayant
pour lui. Enfin il a été plus délicat , que
vous ne l'en aviez foupçonné , fur les
vraisemblances. On trouve en général un
défaut d'unité dans tous les Monumens où
l'on repréfente les Héros fur leurs tombeaux
fermés ; ce qui les fuppofe deux
fois dans le même lieu : mais M. Pigalle ,
en repréſentant le farcophage ouvert , a
évité cette duplicité de perfonne ; & par
cette idée neuve , il a enchéri , ſi j'oſe le
dire , fur le Bernin , qui , dans les Maufolées
des Papes , a cherché , autant qu'il
a pu , à parer ce défaut. Il eſt vrai qu'il a
pris la licence de nous repréfenter ce Guerrier
en cuiraffe. Tout autre que lui auroit
peut- être été plus loin , en le repréfentant
habillé à la Romaine. Mais puifque l'armure
qu'il a adoptée fait bien , ne doiton
pas lui avoir un furcroît d'obligations
d'avoir furmonté les difficultés , en s'affu
jettiffant exactement à notre coutume.
Je crois qu'en voilà affez fur la figure
du Maréchal; je paffe aux autres objets où
votre critique paroît plus férieufe.
La France , dites- vous , auroit dû être
OCTOBRE. 1756. 189
dans un lieu plus décent , affife fur un Trône,
eu fur un Trophée . Je réponds qu'il n'eft
point queſtion ici de nous repréfenter la
France fur un Trône : ce feroit bon fi , la
balance à la main , elle rendoit la juftice ,
telle que Rubens nous l'a dépeinte, ou fi elle
recevoit les hommages des Nations vaincues.
Elle auroit encore été plus déplacée
fur un Trophée : ce Maufolée n'etant
point un monument qui ait pour principal
but d'être élevé en l'honneur de la
Nation ; la gloire de la France n'eſt ici
qu'accidentelle à celle du Héros , qui a fi
bien fçu rendre fes armes victorieufes . Il
a donc fuffi d'affeoir la France au pied de
la Pyramide , fymbole de l'immortalité ?
Je ne fçais , Monfieur , comment vous
avez pu trouver ce lieu indécent . A l'égard
de fon attitude , vous décidez qu'elle devoit
être debout : l'action le veut , ditesvous.
Je fuis bien éloigné de penfer de
même ; & je trouve que non feulement
l'action exige le contraire , mais encore
que la figure gagne beaucoup à être repréfentée
afflife : & voici comme je raifonne,
D'abord , rien ne répugne en foi à repréfenter
la France affife : mais d'ailleurs
toute la compofition , & l'effet du tout
enfemble de la machine , perdroient beau
coup , fi on la repréfentoit autrement,
190 MERCURE DE FRANCE.
Affife , elle laiffe dominer le Maréchal ,
qui , étant la figure principale , doit fe
préfenter auffi- tôt à la vue ; premier principe
de compofition , dont on ne doit jamais
s'écarter. Si la France eût été debout
au contraire , non feulement elle eût fait
beaucoup perdre à la figure du Maréchal ,
mais elle eût perdu elle- même fon action ,
qui alors eût été manquée ; fa main n’auroit
jamais pu s'approcher affez de la
Mort , & exprimer le mouvement convenable
pour l'écarter. L'Artifte s'eft donc
contenté de rendre cette figure piquante
par la vivacité de fon action , par l'expreffion
pleine de majefté & de tendreſſe
dont elle eft remplie : en même tems
il s'en eft fervi habilement pour lier &
établir la relation des figures du fecond
Plan avec celles du premier , & par-là
réunir , fans choquer les bienséances ni
l'exacte vraisemblance , la partie du génie
avec les principes de l'Art. Voilà , Monfieur
, comme nous autres petits Eleves
raifonnons , quoique vous en interdifiez
la faculté , même à nos Maîtres.
La figure emblématique de l'Hercule a
trop captivé les fuffrages du Public , pour
effuyer de vous une critique rigoureuſe.
Sans même en blâmer l'expreffion , vous
demandez fi on n'auroit pas pu le repré
OCTOBRE, 1756. ' 198
fenter une main fur le vifage , rien ne
pouvant exprimer affez vivement la trifteffe
, & tout ce qui environne le Maréchal
devant être dans un état violent. Si
vous euffiez vu les premieres efquiffes du
Maufolée , qui dans le temps ont été montrées
à tous ceux qui en ont paru curieux ,
vous vous feriez apperçu que cette idée
n'étoit point échappée au Sculpteur. Mais,
des perfonnes éclairées , & dont le fentiment
a toujours paffé pour la regle du bon
goût , lui ayant confeillé de ne pas redouter
de le repréfenter à vifage découvert ,
il a tenté ce dernier parti qui a été fuivi,
du fuccès. Il y a plus , je crois qu'il a trèsbien
fait ; car cer expédient que vous lui
donnez , n'eft n'eft pas fi neuf que vous le penfez.
C'est même , fi vous voulez me permettre
de vous le dire , la tournure ordinaire
, dont nous autres Eleves nous nous
fervons dans prefque tous les tableaux ou
bas reliefs , dans lefquels nous avons quelques
fujets triftes à traiter. En effet , cela
eft plus court , & en même tems cela dit
beaucoup . Je vous ajouterai même que
quelquefois nous jettons un voile ou un
pan de manteau fur quelques -unes de nos
têtes , à l'exemple de Timante dans fon fa
crifice d'Iphigénie , qui ne fçachant plus
comment rendre la douleur du pere , après
pan
192 MERCURE DE FRANCE.
avoir épuifé les refforts de fon Art pour
exprimer celle des affiftans , s'en tira par
cet ingénieux expédient. Mais le malheur ,
c'eft que nos Profeffeurs nous difent qu'il
y a quelquefois beaucoup d'efprit à n'en
point tant avoir. Et ce n'eft pas là l'uſage
qu'ils veulent que nous faffions des leçons
du Maître d' Hiftoire que nous avons , graces
aux bontés du Prince & du Mécène qui
veut bien ne point perdre de vue notre éducation.
Préfentement je me trouve un peu plus
embarraffé qu'on ne penfe . Eleve de l'Académie
, & fait plutôt pour copier & étudier
d'après nos grands Maîtres , que pour
les critiquer, je ne fçais comment m'expliquer
fur ce petit Enfant qui éteint fon flambeau
derriere la France , que toutes les
femmes prétendent être un Amour , & que
tout le monde fe réunit à ne pas trouver
affez caractérisé pour un Génie. Je fens
bien que l'Auteur ayant repréſenté la Mort
par un fquelette , nous ayant donné un
homme nerveux dans fon Hercule , un
homme majeftueux dans fon Maréchal
une belle femme dans fa France , a voulu ,
en repréfentant cet Enfant , réunir fous un
feul point de vue les différens âges , &
pour me fervir des termes de l'Art , nous
faire parcourir d'un ſeul coup d'oeil toutes
les
J
OCTOBRE. 1756. 193
les différentes Naiures. Mais cela ne l'excufe
pas du côté de l'allégorie . Je conviens
donc avec vous qu'il lui manque quelque
chofe , & qu'une flamme fur la tête , une
couronne de laurier & quelques attributs
de guerre contribueroient mieux à le caractériſer.
Mais je ne puis confentir
comme vous le dites , qu'on en faffe le
Génie du Maréchal ; parce qu'on ne doit
jamais employer les Génies qu'en l'abfence
du fujet principal & pour y fuppléer.
Je voudrois donc que ce fût le Génie
de la Guerre ; je crois que bien loin
de diminuer la penfée qui fait le fujer
de fon Maufolée , cela ne feroit que l'accroître
.
que Enfin , quand vous devriez me dire
je raifonne comme un Eleve , je ne vous
paffe pas de n'avoir pu démêler le fens
fymbolique du grouppe des animaux . Bien
loin de penfer avec vous , que le Lion a
culbuté , en fuyant , le Léopard ( ce qui ne
peut tomber fous les fens ) je me fuis figuré
voir dans l'action de chacun de ces animaux
un portrait en raccourci de la conduite
que nos ennemis ont tenue dans la
derniere guerre; & quoique le Léopard paroiffe
terraffe für le champ de bataille , je
n'ai jamais regardé cette figure que comme
une repréſentation fidelle de ce qui s'eſt
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
paffé , & non comme quelque chofe qui
puiffe donner atteinte au courage de ceux
qui nous ont difputé fi longtemps la victoire.
Je fçais bien que cela vous donne
occafion de nous débiter beaucoup de morale
; mais moi qui n'ai pas étudié la morale
, je n'ai rien à vous dire , finon que
bien loin de refroidir notre imagination
par toutes ces réflexions que nous vous
abandonnons comme fuperflues , nous nous
livrons à l'étude de l'Hiftoire & du Coftume
, afin de réunir , autant qu'il eft en nous,
la connoiffance des Arts & Belles-Lettres ,
pour en faire un fage emploi dans nos compofitions
& nos allégories .
A ce travail particulier nous joignons
l'étude de l'Antique & de nos grands Maîtres.
Ce n'eft pas que , quand nous fom- >
mes entre nous , quelquefois nous ne nous
mêlions de critiquer ces derniers. Si nous
ne l'avons pas fait dans cette occafion à l'égard
de M. Pigalle ( nous pouvons l'affurer
, fans que fa modeftie en foit bleffée )
c'eft que nous avons entendu dire, qu'il
étoit dans la réfolution de faire à fa figure
d'Enfant les changemens que le Public défireroit
; d'éviter les lignes droites qui e
rencontrent dans les pattes de ces animaux ;
d'applatir la tête de la peau de Lion qu'Hercule
a fur fon bras ; de fairequelques autres
OCTOBRE. 1756. 195
petites recherches , foit dans les pieds de
fes figures , foit dans d'autres parties , lorfqu'il
fera fur le marbre ; enfin d'élever un
peu plus la tête du Maréchal ; de déterminer
, ou fur la France ou fur la Mort , fon
regard qui paroît indécis , & de s'affujettir
à ſon égard à une exacte reffemblance ,
quoique tout le monde fçache que les
Sculpteurs , ne vifant dans leurs modeles
qu'à établir les grandes formes , réfervent
ces détails pour l'inftant où ils mettent
la derniere main à leurs ouvrages . Mais
je m'apperçois que j'en dis plus que je ne
yeux.
per
Je finis donc en rapportant vos propres
termes fur la figure de la Mort. L'Artifte
dites- vous , a fagement imaginé d'envelopla
Mort d'une draperie ; elle en contrafte
mieux avec la ftatue de l'Hercule qui eft nu :
il nous cache adroitement une figure composée
de petites parties qui ne feroient pas affez
d'effet : le peu qui en paroît ne nous inspire
que plus d'horreur , & le connoiffeur découvre
aifement fous les plis fçavans de cette draperie
, tous les détails du fquelette.
Je conviens qu'on ne pouvoit guere
mieux juger que vous l'avez fait fur cette
figure. Mais , avouez le fincérement , eftce
bien vous qui avez fait cet article , &
ne l'avez-vous pas inféré dans vos obfer-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
vations tel que quelques connoiffeurs éclai
rés ont pu vous le donner ? Je vous dirai
nettement que , lorfque nous l'avons lu
entre nous jeunes Eleves , nous avons tous
décidé qu'en le comparant avec le reite de
vos obfervations , cela ne partoit pas de
la même main , & que dans cette occafion
vous auriez peut -être fait ce qui arrive à
la plupart de ceux qui font les critiques
du Sallon , c'est- à- dire , de recueillir indif
féremment des fentimens de toutes parts ,
fans trop s'embarraffer s'ils impliquent
contradiction , & d'en faire une brochure.
Quoi qu'il en foit , les grandes beautés
de l'ouvrage de M. Pigalle nous font envifager
avec regret , que nous ne le voyons
fe former fous nos yeux , que pour nous
être enlevé après fa perfection , & porté fur
nos frontieres ; de la même maniere que
nous avons déja vu partir , il y a quelques
années , pour Berlin , fa belle figure du
Mercure comme fi c'étoit un fort attaché
aux meilleurs morceaux de ce grand Artiſte
d'être en quelque forte expatriés. Mais
nous espérons du moins que quelqu'un de
nos plus habiles Graveurs cherchera à nous
dédommager de cette perte , & à immorta
lifer fon burin , en nous traçant avec fidélité
des copies de cet admirable Mauſolée.
J'ai l'honneur d'être , &c.
OCTOBRE. 1756. a
197
GRAVURE...
Nous annonçons trois belles Eſtampes
du Sieur Daullé , fi diftingué dans fon Art.
La premiere qui eft déja connue , eft gravée
d'après M. Coypel , & repréfente l'Amour
nu , ayant les aîles étendues , avec
fon arc & fon carquois . On voit à fon air
& à fon gefte , qu'il médite quelque malice.
L'habile Artifte a fait paffer dans
fa gravure toute l'expreffion du Tableau
original. Les deux autres Eftampes ne méritent
pas moins d'éloge. Elles viennent
de paroître. L'une eft intitulée , la Mufe
Clio , & l'autre , la Mufe Erato . Toutes
deux font d'après M. Boucher , & fe trouvent
, ainfi que la premiere , chez l'Auteur,
rue du Plâtre Saint Jacques , attenant le
College de Cornouaille.
Le Sieur Chenu vient de mettre au jour
une nouvelle Eftampe , qui a pour titre
le Chien intereffe . Deux payfans y font danfer
cet animal pour un morceau de pain
qu'ils lui préfentent. Elle eft d'après Cal du
Jardin L'efprit & le caractere de l'original
y font très - bien rendus .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
LETTRE an fujet des nouveaux travaux
de Saint Germain l'Auxerrois.
Vous m'aviez demandé , Monfieur , s'il
étoit vrai qu'on travaillât férieufement à
une nouvelle décoration pour le Choeur
de S. Germain l'Auxerrois , votre Paroiſſe
natale ; s'il y a eu , comme on vous l'a dit ,
plufieurs Projets , de qui ils font , auquel
de ces Projets on s'eft arrêté , & fi on les a
tous foumis indiftinctement au Tribunal
de l'Académie , comme cela fe doit pratiquer
en pareil cas , & comme on vous a
affuré qu'on l'avoit fait.
J'ai fait fur cela toutes les perquifitions
néceffaires ; je me fuis informé de tout ,
j'ai écouté le Public , j'ai cherché à me
rencontrer avec plufieurs des Membres de
la Fabrique , j'ai converfé avec les Amateurs
, j'ai même vu des Académiciens ; je
fais par conféquent actuellement en état
de vous rendre fur le tout le compte le
plus exact & le plus vrai .
OCTOBRE. 1756. 199
On a eu trois Modeles en relief, un de
feu M. Balin , Orfevre ; un de M. Michel-
Ange Slodtz , qui tient un fi beau rang
parmi nos Artiftes du premier ordre , &
un autre de M. Bacary.
Il y a eu auffi différens Deffeins , un
de M. Meffonier , Deffinateur du cabinet
du Roi ; un de M. Caqué , auteur du beau
Portail des Peres de l'Oratoire , & un
de M. Babuty Defgodetz , petit- fils de
l'ancien Profeffeur de l'Académie d'Architecture.
On m'a même dir que M. Blondel ,
Académicien, a été arrêté dans fa compofition
, & au milien d'une très- belle courfe
par la prompte décifion de la Fabrique.
Au furplus , on s'eft conduit dans cette
opération avec tout le difcernement poffible.
On s'eft fixé au Projet de M. Bacary ,
comme enfant de la Paroiffe & baptifé fur
fes fonds. Il est bien naturel d'être porté
pour fes enfans. La faveur qu'on a donc
cru lui devoir accorder , a été d'écarter
tous les autres Concurrens , pour ne parler
que de lui , & préfenter fon Projet , le
feul & l'unique , à l'Académie.
Ainfi vous avez été mal informé quand
on vous a rapporté que différens Projets
avoient été foumis au jugement de l'Académie
, & que l'excellence de celui de
M. Bacary l'avoit emporté fur les autres
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
compofitions. Il n'en eft rien du tout. Il
ne s'eft agi que de lui , parce qu'on ne
vouloit que lui. Ce bruit qui ne laiffe pas
de fe répandre auffi à Paris comme chez
vous, eft totalement faux , & ne vient que
de gens mal inftruits , ou conduits par des
vues qu'il eft inutile d'approfondir. Je puis
vous en certifier la faufferé. La Fabrique
n'avoit de dépofé entre fes mains que le
Projet de M. Bacary , tous les autres ayant
été montrés & retirés à l'inftant même par
leurs Auteurs , & ne leur ayant été redemandés
en aucune façon pour être exhibés
à l'Académie . C'eft une vérité conftante
que chaque Académicien , chaque Auteur
eft en état d'attefter.
J'ai l'honneur d'être , &c.
OCTOBRE. 1756. 201
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Jeudi 30 Septembre , & le Samedi z
de ce mois , les Comédiens François ont
repréſenté le Medecin par occafion , Comé
die remife , en cinq Actes , en vers , de /
notre compofition . Cette piece a paru
pour la premiere fois en 1745 Elle a été
reçue du Public , à cette reprife , avec
beaucoup de bonté. Elle doit un accueil fi
favorable moins àfon mérite , qu'au jeu fupérieur
des Acteurs qui lui ont prêté leurs
graces. Nous devons publiquement les en
remercier. Comme le grand nombre eſt
parti pour aller jouer à la Cour , ils n'ont
pu la donner que teux fois. Il y a apparence
qu'ils la reprendront à leur retour de
Fontainebleau Nous en parlerons alors plus
au long .
Le Dimanche , un Acteur nouveau a
joué le Comte de Tufiere dans le Glorieux ,
& leLundi 4, Alcefte dans leMisantrope.Le
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
premier rôle eft un rôle de repréſentation.
Le débutant ne peche pas heureuſement
par la figure. Il eft grand & bienfait : mais
l'autre demande le jeu & toute l'expérience
d'un Comédien confommé. Le Public a
paru fui fçavoir gré des efforts qu'il a faits
pour le remplir , & lui a accordé toute la
faveur qu'on doit à un Acteur qui fe montre
pour la premiere fois fur le Théâtre de
Paris dans les deux rôles , peut- être les
plus difficiles du haut comique.
Le Samedi 9 , le Sieur de Rofembert a
repréſenté Mithridate dans la Tragédie qui
porte ce titre. Son début a été des plus
brillans : il a été applaudi avec juftice par
une affemblée très nombreufe . Il poffede
trois grands avantages que peu d'Acteurs
réuniffent. Il a la figure noble , le ton vrai
& l'action naturelle. Il eft vrai que certe
action a été retenue le premier jour par la
tinidité ; mais nous fommes perfuadés
qu'il lui donnera plus d'effor & de chaleur ,
& qu'il la développera avec fuccès , quand
il fera plus raffuré , & qu'il ofera fe livrer.
Il le doit avec d'autant plus de confiance
qu'il n'a rien contre lui , & qu'il a beaucoup
en fa faveur.
OCTOBRE . 1756. 203
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Jeudi 30 Septembre , les Comédiens
Italiens ont donné la double Inconftance ,
fuivie de la Servante Maîtreffe , dans laquelle
une Actrice nouvelle a joué le rôle
de Zerbine. Le Public l'a très-applaudie.
Le Lundi 4 de ce mois , elle a repréſenté
Angélique dans la Mere Confidente ; &
Colette dans la Fête d'Amour . Elle a
rendu ce dernier rôle fupérieurement
à tous les autres . On peut dire , fans
la flatter , qu'elle annonce du talent. Elle
joint à une figure théâtrale , du feu , de
l'intelligence & même de la fineffe . Voilà
pourquoi nous la croirions plus propre 2
jouer la coquetterie ou la gaieté. Elle a l'air
trop inftruit pour rendre avec vérité les
rôles ingénus qu'elle femble adopter par
préférence.
OPERA COMIQUE.
CE ſpectacle a fait ſa clôture le Mer
credi 6 , par le Diable à quatre , & le Mar
riage par efcalade , avec le Compliment..
Ces deux pieces réunies formoient un Spec
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
tacle d'autant plus amufant, qu'il étoit toujours
gai quoique varié , & qu'il ne laiffoit
aucun vuide. Le Mariage par efcalade eft
imprimé , & fe vend chez la veuve Delormel
& fils , rue du Foin , & chez Prault fils ,
Quai de Conti. Le prix eft de fols avec
les Airs notés.
24
Les Amans trompés qui ont été repréfentés
fur le même Théâtre , fe vendent à
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques :
prix 30 fols avec la Mufique. Cette piece
eft de MM . Anfeaume & Marcouville.
Nous annoncerons en même temps ici
les Amours Grenadiers , ou la Gageure Angloife
, qu'on trouve chez le même Libraire .
Cette petite Piece en un Acte , fur la prife
de Port- Mahon , méritoit d'être jouée fur
un meilleur théâtre (1 ) , & nous ne doutons
pas que l'Opéra Comique ne l'eûr acceptée
, fans le Mariage par efcalade , fait
par plus d'un titre pour avoir la préférence.
M. Quetant eft l'Auteur de ce Drame.
Le prix eft de eft de 24 fols avec la Mufique.
(1 Elle a été repréfentée fur le Théâtre des
Danfeurs de Corde .
OCTOBRE. 1756. 205
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 19 Septembre.
E2 , LE 2, le Sieur de Klinggraff remit au Miniftere
un nouveau Mémoire , portant en fubftance :
Que cette Princeffe n'avoit point répondu à la demande
qui fai oit le principal article du Mémoire
pré'enté par lui le 18 du mois dernier ; fçavoir ,
que S. M. Impériale & Royale , donnât une déclaration
formelle , quelle n'avoit aucune intention
d'attaquer S. M. Pruffienne , ni cette année
ni l'année prochaine : que le Roi de Pruffe avoit
entrevu , dans le filence de l'Impératrice Reine
fur cette demande , les difpofitions peu favorables
où elle étoit à ſon égard ; que cependant ce Prince
, pour faire voir combien il défiroit la confervation
de la tranquillité générale , réitéroit encore
une fois les inftances , pour obtenir les affurances
qu'il avoit demandées ; que l'Impératrice
Reine n'auroit pas plutôt donné ces affurances ,
que Sa Majefté Pruffienne feroit retirer les troupes.
La réponſe de l'Impératrice Reine à ce Mémoire
a été : « Qu'a peine il lui a été préſenté ,
» qu'Elle a reçu la nouvelle de l'entrée des trou-
»> pes Pruffiennes en Saxe , & du Manifefte pu-
» blié à cette occafion par le Roi de Pruffe ; qu'a
206 MERCURE DE FRANCE.
1
» près une aggreſſion auffi marquée , il n'eft plus
» queftion d'autre réponse que de celle que S. M.
» Impériale & Royale fe propofe de faire au Ma-
» nifefte de Sa Majefté Pruffienne ; que la der-
» niere , qui a été remife au Sieur de Klinggraff ,
» contient toutes les explications , qui peuvent
» être compatibles avec la dignité de S. M. Impé-
» riale & Royale ; que la propofition de conver-
» tir en treve une paix fondée ſur des Traités fo-
» lemnels , n'eft fufceptible d'aucune reponſe » .
Le Sieur de Klinggraff partit hier , fans prendre
congé. Leurs Majeftés Impériales ont mandé au
Comte de la Puebla , leur Miniftre en Pruffe , de
quitter Berlin de la même maniere.
On vient d'apprendre que le 13 de ce mois le
Roi de Pruffe a commencé les actes d'hoftilisé
dans le Royaume de Boheme. Huit Eſcadrons de
fes troupes ont attaqué les Gardes avancées de
·P'armée de l'Impératrice Reine ; mais ils ont été
repouffés trois fois. On leur a tué quatorze hommes
, & l'on a fait prifonnier un Huffard. Les
Autrichiens n'ont eu que deux foldats bleffés. Sept
Compagnies du Régiment de Portugal font attendues
ici , pour remplacer un pareil nombre de
Compagnies du Régiment de l'Archiduc Pierre ,
qui ont pris la route de Boheme. L'Impératrice
Reine a envoyé ordre dans les Cercles antérieurs
de ce Royaume d'enrôler tous les jeunes gens en
état de fervir , & de faire paffer dans les Cercles
voifins de l'Autriche & de la Moravie les enfans
depuis l'âge de huit ans jufqu'à feize , afin de les
fouftraire à la néceffité d'entrer au ſervice de Sa
Majesté Pruffienne . Près de huit cens familles ,
dans la crainte d'être exposées aux horreurs de la
guerre , font forties de la Siléfie Autrichienne , &
fe font réfugiées tant ici que dans les environs,
OCTOBRE. 1756. 207
On a muni de trois cens pieces de canon la Place
d'Olmutz , dont le commandement a été donné
au Baron de Marshall.
Toutes les troupes qui font en quartiers dans
les Provinces Héréditaires depuis la mer Adriati→
que jufqu'au Danube , fe tiennent prêtes à marcher.
On a envoyé des ordres à la Régence du
Tirol de faire les difpofitions néceffaires pour le
paffage d'une partie des Bataillons , que l'Impératrice
Reine retire de fes Etats d'Italie . De pareils
ordres ont été envoyés à la Régence du Trentin.
DE DRESDE , le 23 Septembre.
Les circonftances préfentes ont déterminé le
Roi à quitter cette Ville ; & Sa Majeſté , accompagnée
des Princes Xavier & Charles , s'eft
rendue au camp de Pirna. La Reine eft reftée ici
avec le Prince Royal les jeunes Princes &
Princeffes. Le Roi de Pruffe les a fait affurer
que les égards refpectueux qui leur étoient dûs ,
feroient religieufement obfervés. Par ordre de ce
Prince , on a fermé les Tribunaux , & le fcellé a
été mis à tous les Bureaux de la Chancellerie . Sa
Majefté Pruffienne arriva ici le 10. Elle n'y a pas
fait un long séjour , & Elle est allée rejoindre fes
troupes , dont le quartier général eft actuellement
à Zedlitz. A Pexception de quelques Couriers
qui apportent à la Reine des nouvelles de la fanté
du Roi , aucune perfonne venant du camp de Pirna
n'a permiffion d'entrer dans cette Ville La Gar
nifon , que le Roi de Proffe y a laiffée , eft
compofée de deux mille hommes , & eft commandée
par le Baron de Willich . II eft défendu
à tout foldat Pruffien foit dans cette Capitale ,
foit dans tout autre endroit de l'Electorat , d'éxi¬
208 MERCURE DE FRANCE.
ger pour fa fubfiftance plus de deux livres de pain ,
d'une demi-livie de viande , & de deux pots de
bier . Aujourd'hui foixante Bâtimens ont paílé
fur l'Elbe , chargés de provifions pour l'armée
Pruffienne. La quantité de celles qu'on a tirées des
différentes partes de la Saxe , afin de fatistaire aux
livr.ifons néceffaires pour cette armée , a tellement
épuifé le pays , que les grains font montés
au quadruple du prix ordinaire.
Par ordre du Roi de Pruffe , le Baron de Willich
a fait enlever l'artillerie , les armes , les drapeax
& les étendards qui étoient dans l'Arſenal
de cette Ville , & on les tranfporte à Magdebourg
pour y demeurer en dépôt jufqu'à la conclufion
d'un accommodement. Le même Commandant
ayant pris une notice exacte de tous les Officiers
Saxons qui fe trouvoient ici , leur a fignifié : « Qu'ils
Détoient prifonniers de guerre ; qu'on leur laiffoir
cependant leurs épées , mais qu'ils devoient
s'engager formellement à ne point fervir contre
»Sa Majefté Pruffienne.
Le 14 de ce mois , la Reine fit prier les Miniftres
étrangers de fe rendre au Château , où Elle
leur tint ce difcours : « Meffieurs , les circonftan-
»ces préfentes me forcent de vous déclarer que
»Sa Majesté Pruffienne , avant d'entrer en Saxe ,fit
» donner au Roi mon époux , les affurances les plus
fortes d'une amitié inaltérable . Sur des affuran-
» ces pareilles & auffi pèu équivoques , le Roi mon
wépoux ne balança point à accorder aux trou-
»pes Pruffiennes un paffage fimple & exempt de
préjudice auffi - tôt que Sa Majesté le Roi de
»Pruffe l'eût demandé à notre Miniftre à Berlin.
»Nous n'avons pas même eu la moindre défiance ,
wen voy int ces troupes étrangeres entrer fur no-
»tre territoire. Mais au lieu d'une exacte diſcipline
OCTOBRE. 1756. 209
»& d'un paiement régulier que nous attendions
»d'elle , nous avons vu avec douleur que le Prince
»de Brunſwic , non content d'avoir fait mettre le
»fcellé fur toutes les caiffes de nos revenus à
Leipfick , a convoqué nos Etats pour leur donner
des ordres abfolument contraires à nos inten-
»tions. Le Roi mon époux , envoya le Général .
Meager à S. M. Pruflienne , pour lui repréſenter
qu'on ne pouvoit combiner ces fortes d'actes
d'hoftilité avec les déclarations précédentes , &
que d'ailleurs le Roi n'avoit d'autres vues que
»d'obferver, la plus exacte neutralité dans cette
guerre. La réponse que le Général Meager reçut
par écrit , ne fut qu'un extrait de la Déclaration
publiée de la part du Roi de Pruffe , pour jufti
fier les motifs de fon entrée dans ce pays. Après
Dune réponse auffi vague & auffi peu catégorique ,
Dle Roi mon époux , toujours animé d'un vrai
ndefir d'entretenir la paix en Allemagne & le
repos dans les Etats , pria le Lord Stormont &
Dle Sieur de Malzahn d'aller au camp. Pruffien •
»pour fçavoir les intentions du Roi de Pruffe &
ce qu'il exigeoit. Mais loin de rien propofer &
»de rien entendre , le Roi de Pruffe répliqua au
»Lord Stormont : Tout ce que vous me proposez
one me convient point , & de ma part je n'ai au
cune propofition à faire. Après le retour du I ord ,
»le Roi fe rendit à Pirna. J'y voulus envoyer un
Page chargé d'une Lettre ; mais on l'arrêta , &
» même on m'a refufé d'y pouvoir envoyer un
»Gentilhomme qui ne feroit chargé d'aucune lettre.
Enfin quoiqu'hier le Général Lentulus m'ait
waffuré de la part de S. M. Pruffienne , que la
»garnifon qu'on avoit mife en cette Capitale y
étoit pour ma sûreté , & même à mes ordres ,
non eft venu néanmoins à l'extrêmité de me
210 MERCURE DE FRANCE:
demander aujourd'hui les clefs du cabinet des
>>Archives. N'ayant pu réfifter à la force dont on
»me menaçoit , je les ai remiſes à l'Officier qui
»avoit la commiffion de les recevoir. Pour fur-
>> croit de chagrin , mes Miniftres de Conférence
» m'ont communiqué dans ce moment l'infinua
»tion qui leur a été faite par le Général Keith ,
»que le Roi de Pruffe fe propofoit de fubftituer
>> en lear place des Confeillers Pruffiens , pour
Davoir foin de l'adminiſtration de cet Electorat.
>> Telle eft , Meffieurs, la triſte ſituation où nous
nous trouvons. Nous espérons que vous en ferez
un fidele rapport à vos Cours refpectives , &
»nous fommes perfuadés qu'Elles n'approuveront
»pas le tort qui nous arrive , & qu'au contraire
»Elles jugeront qu'il eft de leurs intérêts d'épouſer
>> les nôtres. »
La Reine en remettant les clefs des Archives à
l'Officier Pruffien , qui avoit été chargé de les demander
, lui avoit dit : « Malgré le rang où la
nature m'a placée , je partage avec la derniere
»des fujettes le malheureux fort tombé fur la Saxe.
>>Séparée du Roi mon époux , & d'une partie de
»ma famille , j'effuie avec le refte de mes enfans
»le défagrément d'un état plein d'angoiffe & d'in-
» quiétude , & je me vois expofée avec cette partie
»de ma famille , qui eft auprès de moi , à manquer
» bientôt des chofes néceffaires , par la privation
des moyens propres à me les procurer. » Le Roi
de Pruffe informé des plaintes de cette Princeffe ,
lui a fait réitérer qu'il avoit donné les ordres les
plus précis pour lui faire garder le refpect qui lui
étoit dû ; que fi ces ordres étoient mal fuivis ,
Elle eût à l'en faire avertir , & qu'il puniroit févérement
les contrevenans ; qu'Elle ni la Famille
Royale & Electorale ne manqueroient jamais des
OCTOBRE. 1756. 211
chofes néceſſaires ; que la dignité de leur rang &
de leur état ne feroit jamais confondue avec les
circonftances qui regardoient le Public ; qu'ainfi
il prioit Sa Majefté de vouloir bien fe tranquillifer
, & de ne point outrer les idées qu'Elle fe formoit
de l'état des choſes. En même temps S. M.
Pruffienne a recommandé aux Officiers des Détachemens
poftés entre fon camp & cette Ville ,
de laiffer paffer librement tout ce qui étoit pour
le fervice de la Reine , des Princes & des Princeffes.
Il paffe tous les jours ici des Régimens , tant
d'Infanterie que de Cavalerie , qui vont joindre
l'armée du Roi de Pruffe. Tous les avis confirment
que ce Prince dirige fa marche fur Leitmaritz.
Depuis avant - hier les Bourgeois de cette
Capitale font difpenfés de fournir le pain aux foldats
Pruffiens , qui y font en garniſon ; mais on
continue de fournir à ces Soldats la viande & la
biere.
On publia à Torgaw le 13 , une Ordonnance ,
dont voici la teneur : « Sa Majefté le Roi de Pruf-
»fe , par des motifs fondés fur la néceffité des
conjonctures, a pris la réfolution d'établir à Tor-
»gaw un Directoire de Guerre pour la perception
»de tous les revenus , tant de la Chambre des Fi-
» nances , que de l'Ectorat de Saxe , fous quelque
nom que ce puiffe être. En conféquence , tous
les Receveurs des Accifes générales & autres
» droits , de même que les Fermiers Officiers , &
généralement tous les Suppots des Douanes &
» Péages , fans exception , font avertis d'apporter
& de délivrer fidélement audit Directoire de
» Guerre les deniers qu'ils fe trouveront avoir en
»caiffe ; & ce fous peine de double reftitution &
de caflation , ou même de prifon , fuivant l'exi
212 MERCURE DE FRANCE.
» gence du cas. Ce qu'ils devront faire à l'avenir
»tous les mois , fans y manquer : leur étant dé-
» fendu très-expreflément de remettre aucun de
ces deniers à qui que ce foit , finon au ſeul Di-
»rectoire fufdit. »
DE LEIPSICK , le 22 Septembre.
Divers Détachemens des troupes Pruffiennes
ont occupé dans cet Electorat les Villes de Merfbourg
, d'Eifleben , de Naumbourg , de Weffeinfels
, de Zeitz & de Torgaw . La Colonne ,
à la tête de laquelle eft le Roi de Pruffe , a pris
fa marche le long de l'Elbe . Elle campa le 6 à
Rothen Schoneberg , la droite appuyée fur Tan
nenberg , & la gauche fur Wundfchritz . Le jour
précédent , la Colonne du Prince Ferdinand de
Brunfwic avoit campé près de Freyberg , & celle
du Prince de Bevern à Fifchbach , de l'autre côté
de l'Elbe. Depuis le Roi de Pruffe s'eſt avanté
à Torgaw , où il a établi fon quartier genéral .
Le Comte de Stormont , Envoyé du Roi de la Grande-
Bretagne auprès de Roi , s'eft rendu auprès de
S. M. Pruthienne avec deux Miniftres de Sa Majefté.
Les Pruffiens ont vuidé les Arfenaux des
principales Villes où ils ont paffé ; & ils en ont
fait voiturer l'artillerie à To gaw.
On publia le 15 une Déclaration , dont voici la
teneur. « Sa Majesté le Roi de Pruffe ayant pris -
>>fous fa garde & protection les Etats Electoraux
» de la Maifon de Saxe ; ont fait fçavoir , de la
» part de S. M. , à tous & un chacun , que fon
»intention eft , que perfonne , à l'occafion des
> troubles actuels ne foit inquiété dans fa pro-
»feſſion , mais qu'au contraire chacun puiffe y
vaquer tranquillement , & comme à l'ordinai
OCTOBRE. 1756. 213
»re. S. M. défire auffi , que les Foires de Léipfick
& de Naumbourg , & les autres Marchés
>> publics , fe tiennent fuivant l'ufage établi ; que
tous les acheteurs ou vendeurs , qui voudront
ns'y rendre , puiffent les fréquenter librement ,
D& qu'il ne leur foit apporté à cet égard aucun
»obftacle ni empêchement . A ces caufes , S. M. fait
>> affurer tous Commerçans , Négocians , & Fa-
>> bricans , tant de cet Electorat que des pays
»étrangers , qui font dans l'habitude de fréquenwter
leidites Foires & lefdits Marchés publics , &
>> qui voudront y venir aux temps accoutumé
nqu'ils y jouiront d'une entiere liberté & fûreté
»pour leurs perfonnes & pour leurs effets ; que
S. M. les prend fous fa pro.ection & fauvegarde
>>Royale, & qu'il leur fera accordé en confequen-
» ce les faufconduits néceffaires » . Le Commiffaire
, qui eft ici de la part du Roi de Pruffe , a annoncé
aux habitans , qu'ils pouvoient payer leurs
taxes aux Receveurs ordinaires.
Sur les nouvelles affurances que le Roi a fait
donner à ce Prince par le Comte de Salmour ,
que Sa Majesté avoit toujours été dans la réfolution
de ne prendre aucune part aux différends
furvenus entre les Cours de Vienne & de Berlin ;
S. M. Pruffienne a répondu : « Qu'Elle ne fou-
»haitoit rien de plus Elle-même , que de trouver
»le Roi dans ces fentimens ; que la neutralité ,
aque le Roi défiroit d'obferver , étoit précifé-
>> ment ce qu'Elle requéroit de lui ; mais que pour
>> rendre cette neutralité plus fûre , & la mettre à
»l'abri de variation , il convenoit que le Roi fé-
»parât fon armée , & qu'il renvoyat dans leurs
»quartiers les troupes qu'il avoit affemblées à
»Pirna ; que fi le Roi vouloit donner par une
»femblable démarche la preuve de fes difpofitions
214 MERCURE DE FRANCE.
pacifiques , S. M. Pruflienne fe feroit dès lors un
»plaifir de montrer , par une égale condescendanace
, combien Elle étoit portée de ſon côté à
donner des marques réelles de ſon amitié au
>>Roi , & à fe concerter avec Sa Majeſté ſur les
arrangemens que les conjonctures peuvent requérir
» . Le Roi n'eft point dans la réfolution
d'accepter la propofition du Roi de Pruffe , & Sa
Majefté a déclaré , « Qu'Elle attendroit dans fon
camp la décifion des évenemens ; que fi les
Pruffiens entreprenoient de l'y forcer ,Elle foutiendroit
leurs efforts ».
Divers mouvemens du Roi de Pruffe donnant
lieu de croire qu'il a deffein de refferrer de tous
côtés le camp de Pirna , le Feld-Maréchal Comte
de Browne a décampé de Kollin le 9 de ce mois ,
pour fe porter en avant , & pour tâcher de conferver
la communication avec les troupes Saxonnes.
Le Corps que ce Général a détaché fous les
ordres du Comte de Wied , s'eft faifi des paffages
entre Trebnitz & Catharinenberg: On a reçu
avis que les Pruffiens établiffent des batteries pour
attaquer les Saxons dans leur camp.
Selon les nouvelles qu'on a du camp de Pirna ,
le Roi a fait diftribuer aux différens Corps de fes
troupes la Déclaration fuivante. « Dès le com-
»mencement de l'invafion des troupes Pruffien-
»nes dans cet Electorat , Sa Majefté a mis tout
wen oeuvre , pour tâcher de faire un accommode-
>ment avec le Roi de Pruffe. Ce Prince ayant
mexigé des conditions inouies , Sa Majefté non-
>>feulement les a rejettées , mais a fait fçavoir à
»S. M. Pruffienne , qu'Elle aimoit mieux tout perdre
que de s'y foumettre. Ainfi Sa Majesté atptend
de la bravoure & de la fermeté de fes fidelles
troupes , qu'elles fe montreront diſpoſées à
OCTOBRE. 1756. 215
foutenir jufqu'à la derniere goutte de leur fang ,
»la réfolution qu'a prife Sa Majefté. Elle les ex-
>> horte à tout facrifier pour la défenfe de leur
>>Roi, & pour la confervation de leur
»ne ur» .
propre
hon-
Le Roi de Pruffe eſpérant de réduire l'armée
du Roi par la famine , a laiffé vingt mille hom
ines pour tenir le camp de Sa Majefté bloqué . La
femaine derniere , les Pruffiens firent fauter les
fortifications de Wittemberg, Ils fortifient actuellement
laVille de Torgaw , où leur Directoire de
Guerre eft établi . Ce Directoire a fommé les différens
Cercles, de l'Electorat , de livrer , d'ici à
trois ſemaines au plus tard , onze cens boeufs ,
deux mille cinq cens moutons , deux cens mille
mefures d'avoine , cent cinquante mille quintaux
de foin & vingt mille bottes de paille. Cette fourniture
eft évaluée à fix cens vingt - cinq mille
écus .
DE BERLIN , le 21 Septembre.
Les troupes d'Infanterie du Roi confiftent en
cent quarante bataillons. La Cavalerie eft compofée
d'un Efcadron de Gardes du Corps , de foixante
Efcadrons de Gendarmes , Carabiniers &
Cuiraffiers , de foixante-dix Efcadrons de Dragons
, de quatre-vingt Efcadrons de Huffards , &
de deux Efcadrons de Chaffeurs à cheval. Deux
Corps d'armée font affemblés dans la Haute &
dans la Baffe Siléfie , & ont occupé les défilés ,
par lesquels on peut paffer du Royaume de Bo
heme dans cette Province. Il y a auffi quelques
troupes campées dans les environs de Glatz. A
juger par ces difpofitions , il paroît que le Roi fe
propofe non feulement de couvrir la Siléfie , mais
216 MERCURE DE FRANCE.
`auffi de faire entrer de ce côté une feconde armée
en Boheme.
Dans l'expofé des motifs qui ont déterminé le
Roi à prendre les armes , Sa Majefté le plaint particuliérement
de ce que l'Impératrice Reine de
Hongrie & de Boheme , a augmenté jufqu'à foixante
pour cent , les droits fur les marchandifes
des Etats de Pruffe. Voici un des endroits les plus
remarquables de cet expofé. a Il eft certain que
>>le Roi commence les hoftilités : mais comme ce
>>terme a fouvent été confondu avec celui d'aggreffion
, l'on fe croit obligé de diftinguer le fens
de ces deux mots . Par aggreffion , l'on doit en-
»tendre tout acte , qui eft diamétralement oppofé
à l'efprit d'un Traité de Paix. Une Ligue of
fenfive ; des ennemis qu'on fufcite , & qu'on
pouffe à faire la guerre à une Puiffance ; le deffein
d'envahir les Etats d'autrui ; une irruption
>>foudaine ; toutes ces chofes différentes font au-
»tant d'aggreffions , quoique la derniere feule fe
trouve dans le cas des hoftilités . Quiconque cher-
>>che à fe défendre contre ces aggreffions , ou à en
»prévenir les fuites , peut commencer les hoftiliwtés
, mais il n'eft pas l'aggreffeur » ...... Cet Ecrit
finit ainfi : « S. M. déclare , que les Libertés du
»Corps Germanique ne feront ensevelies qu'en
>> un même tombeau avec la Pruffe. Elle prend le
Ciel à témoin , qu'ayant vainement employé les
moyens les plus convenables pour préferver fes
»propres Etats & toute l'Allemagne , des fléaux de
Dla guerre dont ils étoient ménacés , Elle eft for
cée de prendre les armes , pour diffiper une
»confpiration tramée contre fes poffeffions & fes
>> Etats .... Le Roi ne s'écarte de fa modération
»ordinaire , que parce que cette vertu ceffe d'én
pêtre une , lorfqu'il s'agit de défendre fon honneur
OCTOBRE . 1756. 217
neur , fon indépendance , fa Patrie & fa Cou-
>>ronne » . Le Comte de la Puebla , Miniftre de
Leurs Majeftés Impériales , partit le 16 , fans
prendre congé.
La petite ville de Biefenthal , fituée à quatre
lieues d'ici , a été totalement réduite en cendres.
Différentes perfonnes ont péri dans les flammes ,
entr'autres , plufieurs enfans qui avoient été renfermés
dans les maifons , pendant que leurs parens
étoient fortis pour vaquer à leurs affaires.
Le feu a pris auffi au Château de Guffou , apparte
nant au Comte de Podewils , Premier Miniftre
d'Etat ; & le dommage cauté par cet incendie ,
monte à près de vingt mille écus.
DE HAMBOURG , le 25 Septembre.
Plufieurs lettres marquent que tandis que le Roi
de Pruffe eft entré en Boheme avec quarante mille
hommes , le Feld . Maréchal Schwerin y a débouché
avec trente- cinq mille hommes, par le Comté
de Glatz. Si l'on en croit les mêmes lettres , le
fieur Calkoen , Envoyé Extraordinaire des Etats
Généraux des Provinces-Unies auprès du Roi de
Pologne Electeur de Saxe , s'eft joint au Comte
de Stormont , pour tâcher de ménager , entre
8. M. Pruffienne & S. M. Polonoiſe , un accord
qui pût procurer aux deux Parties une fûreté convenable.
Il y a eu le 21 ,à ce qu'on affure , quelques
nouveaux articles propofés de part & d'autre.
Le fieur de Soltikoff , Envoyé Extraordinaire
de l'Impératrice de Ruffie auprès des Cercles de
la Baffe Saxe , a notifié aux Magiftrats de cette
Ville , ainsi qu'aux Miniftres Etrangers qui y réfi
dent , Que cette Princeffe , vu les mouvemens des
troupes du Roi de Prufſe , ſe trouve dans la nécef-
II. Vol. K.
218 MERCURE DE FRANCE.
fitédefaire marcher une armée aufecours de fes Al
liés contre S. M. Pruffienne . Le bruit court , que
cette armée fera de cent vingt mille hommes, Oa
ajoute que S. M. Imp. de Ruffie a ordonné d'équipper
une Flotte , pour fervir au tranfport des
troupes qu'Elle jugera à propos de faire embar
quer.
DE RATISBONNE , le 24 Septembre .
Auffitôt que l'Empereur a été informé de l'entrée
des troupes Pruffiennes dans l'Electorat de
Saxe , S. M. Imp. a adreffé un Décret au Roi de
Pruffe , pour le fommer de faire retirer les troupes
, faute de quoi il feroit procédé contre S. M.
Pruffienne en la maniere prefcrite par les Loix de
l'Empire. Un autre Décret ordonne à tous les
Vaffaux des Princes & Etats d'Allemagne , qui
font employés dans les troupes du Roi de Pruffe,
de quitter inceffamment le fervice de ce Prince.
Par un troifieme Décret , l'Empereur défend à
tous Princes , Etats ou Membres du Corps Germa
nique , de fouffrir qu'il foit fait chez eux aucunes
levées de Soldats pour S. M. Pruſſienne , &
de lui prêter aucune affiftance dans les circonftances
actuelles , le tout à peine d'encourir les
condamnations ftatuées par les Conſtitutions de
l'Empire.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 14 Août.
11 y eut le 3 de ce mois à Obédos & dans les
environs un violent tremblement de terre . Dans
quelques montagnes voisinages de ce Bourg , il
OCTOBRE. 1756. 219
s'eft fait diverfes ouvertures , d'où il fort de l'eau
en abondance. On commencera le mois de Janvier
prochain , à rebâtir cette Capitale , & l'on y
employera vingt mille Ouvriers. Les maiſons
n'auront que deux étages. La largeur des princi
pales rues fera de dix toifes.
DE MADRID , le 21 Septembre.
On apprend du Paraguay , que les troupes du
Roi , jointes à celles de Portugal , ont défait un
corps de Rebelles . Ces derniers ont perdu quatorze
cens hommes , & on leur a enlevé huit canons
& autant de Drapeaux. Du côté des Européens
, il n'y a eu que cinq Soldats tués & quarante-
trois bleffés .
On a reçu avis de Malaga , qu'un Armateur
de Marſeille avoit repris quatre Navires François
que la Frégate l'Espérance , de l'Efcadre de l'Ami
fal Hawke , conduiſoit à Gibraltar.
ITALI E.
DE MESSINES , le 24 Août.
Les chaleurs exceffives qu'on a effuyées ici depuis
le 15 du mois de Juin , ont produit des maladies
dont les fymptômes & les fuites ont caufé
d'abord beaucoup d'effroi. Toutes les perfonnes
qui en étoient attaquées , tomboient au bout de
quelques heures dans une violente phrénéfie . Leur
tête s'enfloit extraordinairement ; elles perdoient
l'ufage de leurs organes , & bientôt une fievre violente
les emportoit. On a trouvé le moyen de
prévenir ces funeftes effets , en baignant la tête
du malade dans de l'eau froide.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
DE ROME , le 11 Septembre.
En fouillant la terre dans un jardin du Comte
perucchi , on a découvert une Úrne qui , felon
Pinfcription gravée deffus , content les cendres
du Maitre de la Garde-robe de P'Empereur Auguf
te. On a trouvé auffi fous terre , dans l'endroit où
le Duc de Zagarola fe propofe de faire conftruire
un nouveau Palais , une petite Chapelle dont les
peintures font bien confervées.
Le Pape a difpofé de la charge de Secretaire
d'Etat , & de celle de Vice -Chancelier en faveur
du Cardinal Aubri Archinto , Gouverneur de
Rome. Sa Sainteté a accordé au Cardinal Jérôme
Colonne , qui étoit Vice -Chancelier , celle de
Camerlingue du Saint Siege, à laquelle eft attaché
le titre de Président de la Chambre Apoftolique.
La place de Préfet de la Congrégation de Prapaganda
Fide a été donnée au Cardinal Jofeph
Spinelli , & le Cardinal Fortuné Tamburini a été
déclaré Protecteur de la Congrégation du Mont
Caffin . Les Cardinaux Jean - Jacques Millo & Clément
Hargenvilliers ont été mis au nombre des
Commiffaires de la Congrégation établie pour les
affaires du Comtat Vénaiffin. Le fieur Corneille
Caprara , frere du Marquis de Monti , Maréchal
des Camps & Armées de Sa Majeſté Très Chrétienne
, a été nommé Gouverneur de Rome , & il
eft remplacé dans la Chambre de la Rote par le
fieur Alexandre Ratta . Le Saint Pere a conféré à
un fils du Marquis Cavalieri un Canonicat de
Saint Pierre du Vatican , dont l'Evêque de Col
tanza s'eft démis .
OCTOBRE. 1756. 227
DE LIVOURNE , le 13 Septembre.
Un Navire , arrivé de l'Ile du Goze , a rapporté
que les Algériens ayant mis le fiege devant
Tunis , le Bey, pour ne pas tomber entre leurs
mains , s'elt fauvé avec les tréfors & trente- deux
Eſclaves , & qu'il s'eft retiré à Malte .
GRANDE BREETTAAGGNNE.
DE LONDRES , le 14 Septembre.
La garde qui veille fur la perfonne de l'Amiral
Byng , vient d'être doublée , & l'on a grillé les
fenêtres de la chambre où il eft logé dans l'Hôpital
de Greenwich. Il paroît qu'il fera jugé par
le Parlement , & non par un Confeil de guerre.
On a fait la vifite du Vaiffeau de guerre Hollandois
, & des vingt-cinq Navires de la même Nation
, qui furent amenés le 17 du mois dernier
aux Dunes. Comme on n'y a trouvé aucune marchandiſe
de contrebande , on leur a notifié qu'ils
pouvoient continuer leur navigation. Le bois de
coaftruction , qu'ils avoient à bord , a été retenu
pour le compte de Sa Majefté , & payé argent
Comptant. Trois bataillons des Gardes , & huir
Régimens d'Infanterie , ont ordre de fe tenir prêts
à s'embarquer.
Selon les nouvelles de la Méditerranée , l'Amiral
Hawke a quitté les parages de l'Ile Minorque
, & a fait voile vers l'Eft . L'efcadre de cet
Amiral , ainfi que celle de l'Amital Boscawen
font réduites à un très - fâcheux état par le fcorbut
& par d'autres maladies. Le Gouvernement vient
d'envoyer ordre à Portsmouth , à Plymouth , à
3
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Chatham & à Wolwich , que tous les Vaiſſeaux de
guerre , qui s'y trouvent , fe préparent à fe mettre
en mer , pour aller renforcer l'une & l'autre
Efcadre. On prétend que l'Amiral Knowls doit
relever inceffamment l'Amiral Boscawen.
Divers Négocians de cette Ville font en peine
pour les Navires qu'ils attendent de la Mer Baltique.
Leur inquiétude eft d'autant mieux fondée ,
que les Armateurs François croiſent actuellement
en grand nombre fur les côtes d'Angleterre. Depuis
quelques jours , ces Armateurs ont pris plufieurs
Bâtimens dont les uns ont été conduits en
France , & les autres ont été rançonnés. Comme
le nombre des Corfaires ennemis augmente de
jour en jour , on a ordonné à quelques Vaiffeaux
de guerre , de leur donner la chaffe. On fe propofe
d'accorder à nos Armateurs les mêmes gratifications
, qui font promifes aux Capitaines &
aux Equipages des Vaiffeaux & des Frégates de
Sa Majefté , pour les prifes faites fur les François.
PATS- BAS.
D'AMSTERDAM , le 16 Septembre.
On mande d'Elfeneur , que divers Maîtres de
Navires arrivés dans le Sund , fe plaignent ex rêmement
des mauvais traitemens qu'ils ont efluyés
de la part des Armateurs Anglois . Les mêmes
nouvelles ajoutent que plufieurs de ces Corfaires
arborent pavillon d'Alger pour caufer plus de
frayeur. Un d'eux a rançonné le Patron Frédéric
Carstens pour la fomme de vingt- deux livres fterlings.
Le Capitaine Hendriks , montant le Navire
le Rotterdamfe Welvaren , a déclaré que
deux facs d'argent qu'il avoit à bord , lui avoient
OCTOBRE . 1756. 223
été enlevés avec fa montre & les hardes par
an Pirate de cette Nation . A la hauteur de
Tervere , le Navire du Capitaine Pierre Sybrand
a été canonné par un Vaiffeau de la
même Nation , & a eu les agrêts conſidérablement
endommagés. Une lettre du Patron Corneille
Bandt porte ce qui fuit . « Le 2 du courant ,
» nous remîmes à la voile de Quillebeuf. Un cal-
» me nous arrêta le 5 , & nous fûmes abordés
> par la Chaloupe d'un Armateur Anglois , dans
» laquelle il y avoit huit hommes. Ils examinerent
nos papiers. Enfuite ils enfoncerent nos
» Ecoutilles ; ils en jetterent les panneaux fur le
» tillac , & ils ouvrirent plufieurs ballots , en les
>> coupant. Parmi nos marchandiſes étoit une
» caiffe de cifeaux , dont ils prirent la moitié , en
» difant , Voilà qui eft fort bon , pour couper les
» oreilles aux Hollandois. Ils battirent trois de nos
» Matelots. Je m'attendois à avoir mon tour ,
» mais j'en fus quitte pour les menaces. Après
» avoir mis tout notre Bâtiment au pillage , &
» m'avoit ôté même les boucles d'argent que j'a-
>> vois à mes fouliers , ils me dirent qu'ils me rendroient
tout , fi je voulois leur donner onze
>> guinées & demie . Comme je les affurai que je
» n'avois pas cette fomme , ils me fouillerent moi
& mon Pilote , & ne nous laifferent que deux
» pieces de deux fols . Non contens de ce qu'ils
avoient pris , ils s'approprierent encore un baril
» d'eau-de- vie , & ils fe retirerent , en nous fou-
» haitant un bon voyage » .
DE BRUXELLES , le 25 Septembre.
Deax Bataillons de chacun des Régimens , qui
font en garnifon dans les Places des Païs -Bas , ont
K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
ordre de fe tenir prêts à marcher. Le 18 de ce
mois , le Général Luchefi fe rendit à Mariemont ,
& il y prêta ferment entre les mains du Prince
Charles de Lorraine , en qualité de Gouverneur
de Bruxelles. Ce Général étant revenu ici le lendemain
au matin , reçut les complimens des Magiftrats.
Il dina chez le Comte de Gobenzel , & il
partit enfuite pour la Boheme , où il doit commander
la Cavalerie de l'armée de l'Impératrice
Reine. Le Duc d'Aremberg fe difpofe à y aller
joindre le Régiment dont il eft Colonel.
FRANC E..
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
MAdame Louife vint à Paris le 20 Septembre;
& fe rendit à la Maifon des Dames de l'Enfant Jefus.
Cette Princefle y donna le Voile noir à la
Demoifelle de Chabrillant , & le Voile blanc
aux Demoiselles de la Noue & de la Riviere. M.
l'Abbé de Sailly , un des Aumôniers de Madame
la Dauphine , prononça le Sermon .
On mande de Dunkerque , que le Capitaine
Guilbert Sutton , commandant le Corfaire le
Lion , de ce Port , y a conduit le Navire Anglois
la Catherine , de la Nouvelle Yorch , de 140 tonneaux,
chargé de bois pour teinture , de cuirs , & c.
Le Corfaire la Fourmi , de Boulogne , comman
lé par le Capitaine Jean- Louis Jean , a pris &
conduit à Calais le Navire le Robert & Thomas , de
150 tonneaux , dont la cargaifon eft composée de
beurre & de charbon de terre.
Le Navire François l'Harmonie , de Bayonne ,
OCTOBRE. 1756. 225
de 250 tonneaux , chargé de fucre de café , de
Cacao & de coton , qui avoit été pris par un
Vaiffeau de guerre Anglois , a été repris & conduit
au Havre par le Corfaire le Prince de Soubife , de
Dunkerque : Capitaine , Jacques Canon .
Les Bâtimens Anglois l'Edouard & Marie , de
110 tonneaux , chargé de bois de construction ,
& le Louis , de 130 , dont le chargement confite
en fucre , fers , planches , &c. ont été pris par
les Corfaires l'Infernal & la Favorite , du Havre ,
& ont été conduits à Dieppe.
Le Corfaire le Port -Mabon , de Saint - Malo ,
s'eft rendu maître des Navires Anglois la Penelope,
de 250 tonneaux , armé de feize canons , le Famé
de Londres , de 170 ; le Succès & la Providence
, de 150 chacun Ces Batimens , chargés de
diverfes marchandiſes ont été conduits dans differens
Ports de Bretagne.
L'Efpérance , autre Corfaire de Saint - Malo , a
pris les Navires Anglois le Duc de Toscane , de
150 tonneaux , chargé de raifins , & l'Eliza.
beth , de 120 , chargé de fucre & de café.
On apprend de Bayonne , que les Navires le
Salé , de Londres , de 350 tonneaux , chargé de
fel , & le Dauphin , de Poole , de 140 , ayant
un chargement de vivres deftinés pour la Nouvelle
Angleterre , ont été pris par les Corfaires
l'Amiral & l'Espérance de ce port , où ces Corfaires
les ont fait conduire.
Il est arrivé à Saint-Jean de Luz un Bâtiment
Anglois , appellé le Poftillon , de Jerzey , chargé
de mille quintaux de morue , qui a été pris par le
Corfaire le Saint- Jean- Baptifte de ce Port.
Le 23 Septembre , le Prince Conſtantin de Rohan
, Premier Aumônier du Roi , fut élu unanimement
Evêque de Strasbourg par les Chanoines
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
de la Cathédrale , qui avoient eu la permiffion du
Roi , de s'affembler pour procéder à cette Election
.
Le 27 , Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monfeigneur le Duc de Berry & Monfeigneur le
Comte de Provence , accompagnés de Madame la
Comteffe de Marfan , Gouvernante des Enfans de
France , revinrent du Château de Meudon.
Sa Majefté a accordé une place de Commandeur
dans l'Ordre de Saint Louis , au Marquis de
Monteynard , Maréchal de Camp , & Infpecteur
Général de l'Infanterie.
On vient de former en Saintonge , pour la garde
des côtes de cette Province , un Corps de quatre
Efcadrons de Dragons , qui feront à la folde du
Roi , tous les ans , pendantle temps de la campagne.
Sa Majefté a donné le commandement de
cette troupe , auquel eft attaché le grade de
Meftre de Camp de Dragons , à M. le Marquis de
Culant- Ciré , ci -devant Capitaine de Cavalerie
dans le Régiment Royal Pologne. La même troupe
a M. de Châteaubardon pour Lieutenant - Colonel.
M. de Fontaine en eft Aide -Major Général ,
avec commiffion de Capitaine de Dragons.
Selon les nouvelles de Mahon , M. le Comte
de Lannion , Gouverneur de l'Ile Minorque , y
a célebré avec beaucoup d'éclat la Fête de Saint
Louis , dont le Roi porte le nom. Le Te Deum
fut chanté au bruit de toute l'artillerie & de la
moufqueterie de la Garnifon rangée en bataille
fur la Place . On tira le foir un très - beau feu d'artifice.
La nuit toute la Ville fut illuminée .
L'Hôtel de M. le Comte de Lannion & l'Hôtel de
Ville , le furent avec une grande magnificence.
On mande de Toulon que M. de Carné-
Marcein , Capitaine de Vaiffeau , commandant la
OCTOBRE. 1756. 227
"
Frégate du Roi la Pleyade , a conduit en ce Port ,
où il eft arrivé le 18 , une Goelette venant de
Londres , armée en courfe avec quatorze canons
& fur laquelle il s'eft trouvé foixante - quinze
hommes. Il s'étoit emparé quelques jours auparavant
de la Pinque Angloife , appellée l'Afrique ,
chargée de bled.
M. de Cour , Enfeigne de Vaiffeau , commandant
la Corvette du Roi la Levrette , eft rentré à
Breſt le 21 , avec le Corfaire le Dauphin , de Jerzey
, dont il s'est rendu maître .
Le Brigantin Anglois le Dauphin , chargé de
thé , de cordages , de fil de carret , & d'autres
marchandifes deftinées pour S. Jean d'Antigues ,
a été pris dans la rade de Dunkerque , & conduit
en ce Port.
Le Corfaire l'Infernal , du Havre , dont eft Ca.
pitaine Louis de Ferne , a remis à Boulogne quarante-
deux Anglois , faits prifonniers fur un Senaw
armé de dix canons , qu'il a pris à l'abordage. Il
s'étoit rendu maître d'un autre Bâtiment ennemi
qu'il a rançonné pour huit cens foixante - dix livres
fterlings.
Il eſt arrivé à Morlaix un Brigantin Anglois ,
pris par le Corfaire la Dauphine , de Boulogne ,
& dont le chargement confifte en charbon de
terre , & en deux cens bouteilles d'eau- forte.
Les Octobre , le Roi accompagné de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine arriva
à Fontaineblau de Choify , où Sa Majeſté s'étoit
rendue le 3 de ce mois.
Leg , M. le Duc de Fronfac prêta ferment
entre les mains du Roi , pour la Charge de Premier
Gentilhomme de la Chambre de Sa Majefté
K vj
228 MERCURE DE FRANCE
BÉNÉFICES DONNÉS.
LE Roi a donné l'Abbaye de Simorre , Ordre
de Saint Benoît , Diocèfe d'Auch , à M. l'Abbé de
Noë , Vicaire Général de l'Archevêché d'Alby ;
l'Abbaye Réguliere & Elective de Loos , Ordre
de Câteaux , Diocèle de Tournay , à Dom Breton
, Religieux de cette Abbaye ; celle de Saint
Corentin , Ordre de Saint Benoît , Diocèse de
Chartres , à la Dame de Boiffe , Religieufe de
Pantemont ; & le Prieuré Conventuel & Electif
de Bouteville , Ordre de Saint Augustin , Diocèfe
de Saintes , à M. l'Abbé de Lancofme , Tréforier
de la Sainte Chapelle de Bourges.
NAISSANCES, MARIAGES
ET MORTS.
DAme Ame de Rivié , l'une des Dames nommées
pour accompagner Madame , épouſe du Marquis
de Gouy-d'Arey , Brigadier d'Infanterie , & Colonel-
Lieutenant du Régiment dela Reine , eft accouchée
d'un fils qui a été tenu fur les fonts le 17
Juillet , dans la Chapelle du Château de Compiegne
, par Monfeigneur le Dauphin & Madame ,
& nommée François . L'Abbé de Sainte- Aldegonde
, Aumônier du Roi , fuppléa les cérémonies du
Baptême à cet enfant.
Marie-Jeanne Olimpe de Bonnevie , époufe de
Marie- rançois - Henri de Franquetot , Comte de
Coigny , Meftre de Camp- Général de Dragons ,
OCTOBRE. 1756. 229
& Gouverneur du Château de Choifi , eft accou
chée le 2 Septembre , d'un fils qui a été baptifé le
même jour à S. Euftache , & a eu pour parrain le
Maréchal Duc de Coigny, fon bifayeul paternel
& pour marraine la Préfidente de Naffigny fa
bifayeule maternelle.
Le ... 1756 , N. Trudaine de Montigni , Maître
des Requêtes & Intendant des Finances , en ſurvivance
de Daniel- Charles- Trudaine fon pere , depuis
le mois d'Août 1754 , époula N. Gagne de
Perigni , fille d'Antoine-Jean Gagne de Perigni
Maître des Requêtes. Leur contrat avoit été figné
-par Leurs Majeftés le 21 Mars.
Charles-Louis-Jofeph- Alexandre de Canonville,
Marquis de Raffetot , Meftre de Camp de Cavalerie
, Sous- Lieutenant de la Compagnie des Chevaux-
légers de Monfeigneur le Dauphin , fils de
Louis- Auguftin , Marquis de Canonville , & de
Conftance-Geneviève- Catherine- Louife de Par
dieu-d'Avremenil , époufa le 18 Mai , Dame Ma
rie Magdeleine- Louife de Barberie- de S. Contest,
veuve de Louis - Henri - Felix du Pleffis- Chatillon
Marquis du Pleflis - Châtillon , de S. Gelais & de
Nonant , Comte de Château- Meillien , & fille de
feu Mefire François - Dominique de Barberie
Marquis de S. Conteft , Miniftre & Secretaire
d'Etat , ayant le Département des Affaires Etran-
-geres , & de Jeanne-Monique des Vieux. La Bénédiction
Nuptiale leur fut donnée par l'Evêque
de Metz. Leur contrat de mariage avoit été
figné le 16 du même mois par Leurs Majeftés.
& la Famille Royale.
9
La maifon de Canonville eft comptée à jufte
titre parmi les plus diftinguées de la Province de
Normandie , où elle eft connue depuis l'an 1066'
qu'un Seigneur de ce nom accompagna Guillau
230 MERCURE DE FRANCE .
me le Conquérant. Duchêne , Hift . de Normandie,
pag. 1116 , Chron . de Brompton , pag. 964 du Recueil
des Hiftoriens Anglois. Raoul , feigneur de
Canonville , Manneville & Veneſville , un de fes
defcendans , vivant en 1157 , eft le quinzieme
ayeul du Marquis de Raffetot duquel nous annonçons
le mariage.
Richard de Canonville eft nommé avec les plus
grands feigneurs de Normandie , dans deux chartes
de Henri II , Roi d'Angleterre & Duc de Normandie
, l'une qui accorde des privileges aux
Habitans de Rouen , donnée vers l'an 1175 , &
l'autre accordée environ le même temps à l'Abbaye
de Jumieges.
Cette maifon qui eft alliée à celles de Blainville
, Fefcamps , Villequier , Cailletot , Gueures ,
Rouvroi-S.-Simon , Hautemer-Fervaques , Choifeul,
Gramont , Perthuis , Pardieu , &c. poffede
la terre de Raffetot depuis l'an 1355 qu'elle lui
eft venue par le mariage de Pierre III , feigneur de
Canonville , avec Laurence de Cailletot , Dame
de Raffetor.
Canonville de Raffetot porte pour armes , de
gueules , à 3 molettes d'éperon d'or , 2 & 1.
-
Meffire Louis - Gabriel des Acres , Comte de
Laigle , Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
veuf de Dame Françoife Gillette Loquet - de
Grandville , époufa le 19 Mai , Demoiſelle Anne-
Salomé Jofephine de Waës , fille de feu Meffire
Jean Guillaume- Anne Baron de Waes , & de
Dame Catherine de Limingue.
Demoiselle Catherine- Virginie Cailhou -Desgnac
eft décédé le 28 Février , âgée de 66 ans , &
a été inhumée à S. Sulpice . Elle étoit fille de Meffire
Charles Cailhou- Défignac , premier Ecuyer
de fon Alteffe Séréniffime Henri de Bourbon ,
OCTOBRE . 1756. 231
Duc de Verneuil , mort le 8 Mars 1736 ( 1 ) , âgé
de 94 ans , & de Dame Jeanne Gallois -de Vaudricourt
, morte le 6 Janvier de la même année 1736,
( 2 ) âgée de 88 ans , fceur de feu M. de Vaudricourt
, mort Chef d'Eſcadre .
La demoiſelle dont nous annonçons la mort
eft la derniere de fa famille , une des plus anciennes
du Poitou , alliée aux Maifons de Coué , de
Chaftaigner , de Mauléon , &c. & par elles à celle
de Voyer d'Argenfon . Elle avoit une foeur aînée
qui eft morte le 8 Novembre 1738 , ( 3 ) du mariage
de laquelle avec N. de Launay , il refte
1º. Meffire Charles- Pierre de Launay , Prêtre ,
Prieur Commendataire du Prieuré Royal d'Argenteuil.
2 °. Meffire Ambroife Henri de
Launay , appellé le Chevalier de Vaudricourt
Chevalier de Saint - Louis , qui a fervi dans la
Marine. 3 ° . Meflire Jofeph - François de Launay
, Capitaine de Grenadiers dans le Régiment
de Champagne , auffi Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis . 4° . Demoiſelle
Henriette-Virginie de Launay , fille.
·
"
Dame Marie- Marguerite Chaillon , épouse de
Mefire André-Jean Lalouette-de Vernicourt, Maréchal
des Camps & Armées du Roi , mourut le
12 Mars , à Paris .
Dame Etiennette-Louife d'Hallencourt , veuve
de Melfire Etienne , Comte de Graffe , eft morte
en cette ville le 13 , âgée de 65 ans .
Meffire Henri-François- de- Paule le Fevre-d'Ormeffon
, Confeiller d'Etat ordinaire & au Confeil
Royal , Intendant des Finances , eft mort le 20
(1 ) Voyez le Mercure de Mars 1736 .
(2) Voyez le Mercure de Janvier 1736.
(3) Voyez le Mercure de Novembre 1738.
232 MERCURE DE FRANCE:
Mars , en cette Ville , dans la foixante-feizieme
année de fon âge.
Dame Barbe-Magdeleine Maynon , veuve de
Meffire Nicolas- Etienne Roujaukt , Maître des Requêtes
Honoraire , & Confeiller au Confeil du
dedans du Royaume & de commerce, eft morte le
même jour , âgée de 88 ans .
Meffire Pierre de Malezieu , Lieutenant -Général
des Armées du Roi , & Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , mourut la
nuit du 21 au 22.
Meffire Etienne Croufet , Abbé de l'Abbaye de
Pleine-Selve , Ordre de Prémontré , Dioceſe de
Bordeaux , & Docteur en Théologie de la Faculté
de Paris , eft mort le 26 Mars , âgé de 88 ans , & a
été inhumé le lendemain en l'Eglife de l'Abbaye
de S. Victor.
Louis-François de Boufchet , d'abord Chevalier
de Malte , dit le Chevalier , puis le Comte de
Sourches , feigneur de la Ronce , & c. Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , & de celui de s.
Lazare , eft mort en cette ville , le 29 Mars 1756,
dans la quatre- vingt- cinquieme année de fon âge ,
étant né le 9 Juillet 1671. Il étoit troisieme fils
de Louis- François de Boufchet , Marquis de Sourches
, Confeiller d'Etat , Prevôt de l'Hôtel du Roi,
& Grand Prevôt de France , Gouverneur des Provinces
& Comtés du Maine , de Laval & du Perche
, & de Marie- Géneviève de Chambes , Comteffe
de Montforeau.
Le Comte de Sourches avoit fervi avec diſtinetion
dans les guerres d'Italie , enfuite dans celles
d'Espagne , & avoit été fucceffivement Moufquetaire
du Roi dans la premiere Compagnie en 1690 ;
Enfeigne au Régiment des Gardes Françoifes en
OCTOBRE. 1756. 233
1691 ; Colonel d'un Régiment d'Infanterie de fon
nom en 1695 , lequel étant réformé en 1701 ,
obtint fa réforme à la fuite de la garniſon d'Amiens.
Le 3 Mars de la même année , le Roi le
nomma Colonel à la faite du Régiment de Sourches
, dont le Comte de Montforeau fon frere
aîné , étoit Colonel. Il fut fait Brigadier des Armées
du Roi le 26 Octobre 1704 , & Colonel du
Régiment ci- devant Sourches , le 5 Septembre
1706 , après la mort du Marquis de Vaudreuil.
En 1715 , le Grand- Maî re de Malte , lui accorda
la permiffion de porter la Croix de l'Ordre , quoique
marié : il la quitta cette même année pour
celles des Ordres de S. Louis & de S. Lazare ; fut
fait Maréchal de Camp le 8 Mars 1718 , & Lieu
tenant Général le 20 Février 1734. Il avoit époufé
le 23 Octobre 1715 , Hilaire- Urfule de Thier
fault ; de ce mariage eft né Louis-Hilaire de Boufchet
, dit le Comte de Sourches , ci- devant Capitaine
de Dragons au Régiment de Languedoc ,
Chevalier de l'Ordre Militaire de S. Louis , marié
le 18 Janvier 1747 , à Louiſe- Françoife le Vayer,
Voyez pour cette Maiſon , l'Hift. des Grands Officiers
de la Couronne , vol. 9 , pag. 197 ; le qua
trieme & fixieme vol. des Tablettes Généalogiques
, pag. 116 & 10 ; les Mercures de France de
Juin 1746 ; le deuxieme vol. de Décembre 1747 ;
Juin 1748 le deuxieme vol. de 1750 ; Février &
Octobre 1753.
Marie-Emmanuelle d'Alegre , fille de feu Yves
d'Alegre , Marquis d'Alegre , Baron de Tourze ,
Maréchal de France , &c. & époufe de Jean- Baprifte-
François Defmaretz , Marquis de Maillebois,
Maréchal de France , Capitaine- Général des Armées
de Sa Majesté Catholique , Grand d'Espagne ,
Chevalier des Ordres du Roi , & Maître de la Gar234
MERCURE DE FRANCE.
de- Robe de Sa Majefté , eft morte le premier Avril,
à Versailles , dans la foixante- fixieme année de
fon âge , & a été inhumée le 6 , dans l'ancienne
Eglife de la Paroiffe du Château de Verſailles . Elle
étoit une des Dames nommées pour accompagner
Madame.
Dame Marie - Hélene - Elizabeth - Hyacinthe
de Narbonne-Pelet , épouse de Meffire Pons - Frédéric
de Pierre , feigneur des Ports en Languedoc
, Comte de Bernis , eft morte le 10 Avril.
Elle avoit été mariée le 16 Octobre dernier. Voyez
le mois de Novembre 1755 de ce Journal , page
235.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , il arrive tous les jours aux gens
de Robe & de Finance , & à des Particuliers
même , d'avoir befoin dans des opérations , des
EPOQUES des Dixiemes , Cinquantieme , Vingtiemes
des deux fols pour livre en fus du dernier
Dixieme. La difficulté eft de trouver ſous ſa main
dans l'inftant qu'on en a befoin , les différens
Edits , Arrêts & Déclarations qui les ont établis
& fupprimés. Ceux qui n'en ont pas fouvent befoin
, donnent avec peine quatre livres ou cent
fols , pour fe procurer ces pièces chez les Libraires
qui en ont fait la collection , & qui ne les donnent
pas à bon marché : l'épreuve que j'en ai faite
m'a donné l'idée de dreffer le petit tableau que je
vous envoie ; & comme la Société peut y trouver
de l'utilité , j'ai cru qu'il pourroit tenir une
place dans le Mercure .
J'ai l'honneur d'être , & c.
DELAGRAVE , Commiſſaire au Châtelet.
OCTOBRE. 237 1756.
Ecullons des Armes des Gentilshommes de la Province
: mais comme çe Nobiliaire n'eſt pas encore
complet , qu'il manque beaucoup d'Armoiries
que d'ailleurs il eft à propos de les vérifier ; il
prie Meffieurs les Gentilshommes de cette Province
, d'envoyer leurs noms de famille , avec les
noms de leurs Terres , leurs Armes , & la copie
de leur Arrêt de Nobleffe , pour les inférer dans
cet Ouvrage.
Ces Meffieurs , font auffi priés d'affranchir le
port des Lettres adreffées audit Sieur de la Tour.
Il demeure à Paris , rue des Canettes , Faux
bourg Saint Germain , chez un Tapiffier.
Ledit Sieur de la Tour , Maître de Mathéma
tiques , enfeigne les Fortifications , l'Architec
tonographie & le Blafon.
AUTRE.
LE Sieur Mufard , Marchand Parfumeur de Pa- ".
ris , donne avis au Public qu'il vend une Pâte
pour les engelures & les crevaffes : ladite Pâte
lave les mains auffi proprement que la pâte d'amandes
ordinaires. Les bons effets de ladite Pâte
lui ont procuré une permiffion de M. le premier
Médecin .
Ladice Pâte ſe vend 3 liv . le paquet , 1 liv. 1p f.
le demi , & 15 fols le petit paquet ; étant liquide
& au miel 6 liv. le pot , 3 liv. le demi pot , &
1 liv. 10 fols le petit pot. Son adreffe eft rue des
Anglois , près la Place Maubert ; & pour la commodité
du Public , on en trouvera rue S. Victor
chez le Sieur Guérin , Parfumeur , vis -à-vis le
Séminaire Saint Nicolas .
238
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond Mercure du mois d'Octobre , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 13 Octobre 1756.
GUIROY.
ERRATA
Pour le premier Volume de ce mois.
PAge 9. lignes 16 & 17 , ils femble , lifez , il
femble.
Pag. 33. lig. 21 & 22 , avouez que avez , liſ. avouez
que vous avez.
Pag. 35. lig. 20 & 21 , fon attachement m'eft
connue , lif. m'eſt connu .
Pag. 45. lig. 22 , qui attends , lif. qui attend .
Pag. 45. lig. 2 , puifée , lif. puifé.
Pag. 72. lig. 2.
Dont fe paroît le Littéraire Empire.
lif. Dont fe paroit , & c.
Pag. 136. lig. 24 , généreux , conftant , lifez;
confiant.
Pag. 149. lig. 25 , jamais furpriſe ne fut égal ,
lif. égale.
Pag. 176. lig. 17 , par M. Taffe , lif. par M. Vaffe.
Pag. 187. lig. 12 , tout Paris y acourt , lif. tout
Paris y accourt , ou plutôt y court.
Pag, 211. lig. 6 , après de la Valliere , ajoutez de
Fleuri.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE. *
ODE DE irréguliere à lá Danfe ,
Impromptu ,
Suite de l'Effai fur l'Eloquence ,
L'Entrefol ,
Portrait de Zélide ,
Le Pour & le Contre de Paris ,
Vers préfentés à M. de Fontenelle ,
page s
10
20
22
26
28
Réflexions fur le Bonheur & les Plaifirs d'imagination
,
29
Confeil prophétique au Prince Louis de Rohan , 35
Vers à Mademoiſelle *** *** , 37
Sur la Lettre de Mademoiſelle ***, à M. de Baſtide
,
Réponse de M. de Baftide ,
Vers à M. de la Live- de Jully ,
Converſation ,
Ode fur le Mariage de M. F....
ibid.
40
42
47
54
57
58
66
Vers adreflés aux Rimeurs François ,
L'Amante Timide , Anecdote galante ,
Vers à Madame la Comteffe de B....
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Chanfon fur la
prife du Fort Saint- Philippe , 67
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Mercure d'Octobre ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanſon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES,
69
70
71
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
,
73
240
Programme de l'Académie de Montauban ,
ART. HI. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
132
Physique. Le Triomphe de l'Ether ,
Médecine. Lettre à M. Sauvage ,
135
153
lobe droit du poumon ,
Chirurgie. Obfervation d'une tumeur enkiſtée au
ART. IV. BEAUX - ARTS.
167
Mufique. A l'Auteur du Mercure , 171
Peinture. Lettre à l'Auteur du Mercure , 179
Sculpture. Réponſe d'un Eleve , &c. 184
Gravure. 197
Architecture.
198
ART. V. SPECTACLES. CTACLE
Comédie Françoiſe. 201
Comédie Italienne. 203
Opéra comique. ibid.
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 205
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 234
Bénéfices donnés , 228
Naiffances , Mariages & Morts , ibid.
Avis divers . 236
La Chanson notée doit regarder la page 71 .
De l'Imprimerie de Ch, Ant. Jombert.
C
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE. 1756.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cestrin
Shusim
1718.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
T
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port ? les paquets & lettres, pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poßte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la poſte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
ooooo
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A Madame de G *** , qui partoit pour la
Campagne ; par M. le C. de S. G. M.
ALLEZ donc cueillir des fleurettes ,
De celles - là qui tapiffent les champs :
Allez dans ces douces retraites ,
Où les oifeaux , par leurs accords touchans ,
Célebrent , à l'envi , leurs tendres amourettes .
A j
6 MERCURE DE FRANCE.
Enfoncez-vous dans l'ombre de ces bois
Confidens des peines fecrettes
De plus d'un Amant aux abois ,
Et des plaifirs que leurs flammes difcrettes
Leur ont enfin mérité tant de fois .
Regardez ces deux Tourterelles
Qui rocoulent ſur cet ormeau :
Voyez plier ce facile rameau
Sous le battement de leurs aîles.
Mais voyez donc ce couple heureux ,
( Comme il s'aime & comme il ſe baiſe ! )
Se bequeter , fe mourir d'aife ,
Et renaître plus amoureux !
Quittez ces bois , venez dans les prairies ,
Venez fur leurs routes fleuries
Confulter le miroir des eaux .
Si nous étions tous deux l'un près de l'autre,
O Dieux ! comme entre deux roſeaux ,
Mon ombre alors carefferoit la vôtre.
Jettez les yeux fur ces Côteaux
Brodés de ferpolet de thym , de marjolaine
Que brouttent de tendres agneaux ;
Abaiffez - les fur cette plaine
Od bondiffent de gras troupeaux ,
Que ces Bergers & ces Bergeres
Gardent en foufflant leurs pipeaux.
Voyez-vous ces danfes légeres
Un peu plus loin dans ces hameaux ?
Entendez-vous ces Haut- bois , ces Mufettes ,
NOVEMBRE. 1756. 7
Ces petits airs toujours nouveaux ,
Et ces ruftiques Chanſonnettes ?
C'est le plaifir des champs qui chaffe les travaux.
Epris de ce féjour champêtre ,
Que vous embelliffez encor ,
Mon génie emporté par un magique effor ,
Me conduit avec vous , tantôt ſous un vieux hêtze ;
Tantôt au pied d'un beau vallon ,
Où je crois voir nos moutons paître :
Là devenu Berger , comme Apollon ,
Au lieu d'encens , j'offre à ma Belle
Tous les matins les fleurs de la ſaiſon :
Pour Hymne , je lui dis une tendre Chanfon
Qui toucheroit la plus rebelle.
Ici ma main lui dreffe un trône de gazon ;
Là je me mets à genoux devant elle ;
Puis je foupire en l'adorant ,
Puis je me plains , & je foupire encore :
Puis éperdu d'amour , moi même m'ignorant ,
Je faifis une main que ma bouche dévore ,
Je l'embrafe de mille feux.
Mais eft- ce à vous que s'adreffent mes voeux ?
Hélas ! pourriez-vous vous en plaindre ?
Vous n'avez rien à redouter :
Ah ! qu'il me foit au moins permis de feindre
Un doux plaifir que je ne puis goûter.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
LES
RIENS ,
CONTE.
ON plaît folidement par les riens . Ils
trompent doucement un coeur qui auroit
été allarmé , effarouché par la paffion déclarée
; ils épargnent ces premieres rigueurs,
fouvent rebutantes , que l'ufage a confacrées
, & qu'on ne peut épargner , fans indécence
, à l'Amant le plus aimé , s'il s'eft
expliqué par une déclaration en forme . Ils
difpenfent de ces détails , de ces foins affidus
, qui d'abord ne coûtent rien , & qui
bientôt coûtent beaucoup. Ils fervent à
cacher adroitement la paflion : c'est une
grande avance auprès des femmes qui ont
trop de vertu ; c'eft un grand point auprès
de celles qui veulent conferver leur liberté
, en donnant leur coeur ; c'eſt un fecret
infaillible auprès de celles qui ne peuvent
fouffrir l'idée d'un engagement éternel.
Les riens féduifent les unes , raffurent les
autres , enchaînent les dernieres .
Moncade avoit compris leur utilité
agréable . Il ne voulut point employer d'autre
moyen auprès de Bélife dont il étoit
devenu amoureux , Bélife étoit bien capable
NOVEMBRE . 1756. 9
de prendre de l'amour , mais elle ne vouloit
pas même en entendre prononcer le
nom . Elle avoit pris tous les travers de
fon âge, & elle les pouffoit à l'excès , comme
tous les ridicules que l'on emprunte
de la mode.
Moncade avoit l'efprit très agréable , &
jouiffoit d'une parfaite fanté . Avec ces
deux avantages l'art des riens eft très - facile.
On eft gai , complaifant , on faifit tout , on
a un agrément de toutes les heures , on eft
l'homme de tout le monde.
Il voyoit Bélife tous les jours. Il s'étoit
d'abord attaché à étudier fes goûts : il faut
cette étude pour affervir véritablement
une femme ; fans elle le plus grand mérite
& la plus belle figure n'affurent jamais une
conquête . Bélife aimoit les inftrumens ,
Moncade les poffédoit tous. Elle avoit une
jolie voix , & elle préféroit les Duo. Moncade
à qui la nature n'avoit rien refufé ,
en compofoit lui même,& les chantoit avec
elle. Il avoit pour tout un goût fi délicat ,
qu'il pouvoit réformer les maîtres. Bélife
que la coquetterie rendoit difficile fur fes
propres talens , le confultoit fur tous , &
ne croyoit fçavoir que ce qu'il avoit perfectionné
en elle. Il parloit avec tant de
douceur , jugeoit avec tant de modeftie ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
qu'il fembloit qu'il n'y eût que lui qui
méritât de perfuader .
Il étoit aimable pour tout le monde ,
mais il n'étoit fi complaifant que pour Bélife
. Elle aimoit les petits jeux , parce qu'ils
fourniffent des plaifirs à l'amour- propre ,
& des armes à la coquetterie. Moncade
les déteftoit par cette raifon , le lui difoit ,
& en inventoit tous les jours de nouveaux.
Elle avoit une Négreffe qu'elle aimoit
beaucoup , & dont elle fe fervoit uniquement
la taille la plus fine , les yeux les
plus vifs , & le fervice le plus agréable
l'avoient fubjuguée. Elle aimoit qu'on flattât
fon idole. Un foir qu'on avoit danfé
familiérement , Moncade , pour lui plaire ,
s'avifa de faire danfer la Négreffe : il exhalta
fes graces ( elle en avoit ) . Bélife
charmée , l'auroit volontiers embraffé. Il
demanda une plume , & fit fur le champ
ces vers :
A BABET.
Ton corps eft noir , tu n'es donc pas jolie ?
Point du tout ; tu me plais , tu plais à tous les
yeux ,
Par un air fin , par un ton de folie ,
Qui porteroient les plaifirs & les jeux
Dans l'ame refroidie
De l'Inca le moins amoureux.
N'est-ce pas être affez jolie ?
1
NOVEMBRE. 1756.
Il n'aimoit point à répondre aux lettres
qu'il recevoit toutes les femmes fe plaignoient
de fa pareffe . Bélife lui écrivit un
jour pour lui demander quelque chofe.
Le billet finiffoit ainfi : Je fais que vous
n'aimez point à répondre , je me contenter ai
d'un oui. Il lui fit cette réponſe :
«Je n'aime point à répondre à tout le
» monde , j'en conviens ; mais tout le
» monde n'a pas , comme vous , un efprit
» qui en donne, & auquel on aime à parler.
Depuis que j'ai lu votre Epître charman-
» te , je ferois capable d'écrire fans effort
» dix lettres : je réponds avec tant de plai-
» fir ce oui que vous ambitionnez , que
» c'est moi qui ai à remercier. »
"3
و د
33
Il étoit flatteur pour Bélife de pouvoir
montrer un billet de Moncade , quand toutes
les femmes fe plaignoient de fa pareffe .
Depuis qu'il s'étoit apperçu qu'elle en
faifoit vanité , il lui écrivoir tous les jours.
Il avoit un cabriolet brillant , & un cheval
très -bien dreffé. Bélife faifoit volontiers
des parties de campagne dans cet équipage
, pour avoir le plaifir de le conduire
elle - même. Moncade inventoit chaque
jour des goûts de ruban pour embellir encore
fon cheval , & la main qui le condui
foit . Elle étoit veuve , & depuis fon veuvage
elle occupoit un appartement dans
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
un Couvent qu'on alloit rebâtir . Moncade
ayant imaginé de lui faire voir une trèsjolie
maifon de campagne qui étoit dans
fon voifinage , lui écrivit ce billet.
Près du tombeau que ton mauvais génie
Erige en noble appartement ,
Près du manoir , près du Couvent ,
Où l'on perd , loin de la faillie ,
Loin des graces , du fentiment ,
L'avantage d'être jolie ;
Près du Caucafe enfin étroit & chancelant ,
Où malgré ta philofophie
Et ton efprit plein d'enjouement ,
Je te plains de paffer la vie ,
Il eſt un jardin enchanté ,
Où Flore éprife de Zéphire ,
Et jouiffant de fa fidélité ,
Perd dans les plaifirs qu'il infpire
Le fouvenir de fa légéreté.
Ces beaux lieux méritent l'hommage
De tout efprit fait pour jouir !
J'offre de t'y conduire , & pour ce court voyage ;
Mon char est prêt , j'y joindrai le plaifir.
裴
Elle trouva ces vers charmans ils lui
tournerent la tête ; elle les montra à tout
le monde. Pour fe brouiller invinciblement
avec elle , il n'auroit fallu que les
critiquer. Elle accepta la partie , & elle y
NOVEMBRE. .1756 . 13
fut moins aimable & moins folie qu'à fon
ordinaire . La maifon qu'on venoit voir
étoit de celles qui fixent un moment , par
leurs beautés , l'efprit le plus volage . Bélife
n'y vit rien , n'y critiqua rien les
bofquets , les berceaux , objets éternellement
agréables aux femmes , ne purent lui
arracher un regard ; elle vit tout des yeux
de la machine , l'ame étoit toute entiere
aux vers qu'elle avoit reçus.
Moncade l'examinoit & fçavoit fe taire
quoiqu'il fût fûr de fon triomphe ; rien ne
lui échappoit qui pût trahir fon coeur ; il
ambitionnoit moins le plaifir d'un aveu
que la certitude d'un engagement. Bélife
féduite par fes propres mouvemens , auroit
pu
fe rendre à une déclaration preffante
, mais la féduction n'eft pas l'amour.
Il falloit au bonheur de Moncade ,
des fentimens folides , un attachement
confenti : le moment n'en pouvoit pas être
encore venu , il falloit le faire naître fans
le précipiter.
Ils n'étoient point allé feuls dans cette
maifon. En marchant dans les jardins , ils
fe trouverent à côté l'un de l'autre. Depuis
une heure elle avoit paru s'ennuyer , il
parut en ce moment qu'elle étoit plus fatisfaite.
Moncade profita habilement de
la circonftance. Je m'apperçois que vous
14 MERCURE DE FRANCE.
vous ennuyez , lui dit - il : je n'ai imaginé
cette partie que pour vous , il n'y a qu'à
remonter en carroffe. Bélife le regarda tendrement.
Un moment plutôt , réponditelle
, ce reproche eût été fondé ; à préfent
il ne l'eft plus. J'en fuis ravi , reprit il.
Il étoit trifte pour moi de vous voir vous
ennuyer , & de ne pouvoir me livrer ,
par cette raifon , au plaifir d'être avec vous.
C'eft votre faute , pourfuivit- elle ; il faut
que je l'avoue , c'est vous qui êtes cauſe
de cet ennui que vous croyez incompréhenfible.
Vous me rendez difficile fur tout
ce que je vois , c'eft -à -dire infenfible à
tout ce qui m'amufoit ; vous avez un goût
délicieux qui fe répand fur tout ce que
vous faites , & cela me gâte. Il eft poffible
que ce que je fais doive paroître
agréable , répondit- il modeftement : mais ,
Madame , ce ne font que des riens : Eh ,
Monfieur , des riens ? Y a-t'il un plus
grand mérite , un attrait plus flatteur !
Interrogez toutes les femmes , vous verrez
combien vous êtes aimable. Il me fuffit
de ce que vous m'en apprenez vousmême
, lui dit- il tendrement ; j'aime aſſez
à vous croire pour n'interroger que vous.
Ils fe dirent alors de ces chofes que l'on
fe dit tous les jours fans s'aimer , fans vouloir
plaire , & dont toute la fignification
NOVEMBRE . 1756. 15
eft dans le ton dont elles font dites. Ce
ton qui doit les faire valoir, étoit dans Bélife
fans qu'elle y fît attention ; il rendoit
fidélement tout fon goût. Moncade difoit
plus difcrétement ce qu'il fentoit , & ce
qu'il auroit voulu dire au prix de fa vie.
Il vouloit que Belife s'égarât par fes feules
idées , le mot d'amour pouvoit encore la
rèndre à elle -même , & il craignoit de le
prononcer.
Au détour d'une allée il fe fépara d'elle
volontairement , & il alla fe placer auprès
d'Araminthe , jeune femme très- tendre &
très - propre à inquiéter Bélife . C'étoit fon
deffein de l'inquiéter , il ne pouvoit pas
imaginer un moyen plus certain. Il vit
clairement à de certains regards , qu'il y
avoit réuffi. Ce n'étoit pas de ces regards
lancés qui n'expriment que de la coquetterie
dans une femme qui n'a pas encore
le droit d'être jaloufe , c'étoit de ceux
qu'on laiffe tomber doucement fur l'objet
qui les détermine , qu'on voudroit retenir
par modeftie , ou parce qu'on fent tout
ce qu'ils fignifient , tout ce qu'ils promettent
, & qu'on abandonne , malgré foi , au
foin la main de l'amour qui les conduit ..
Bélife , émue & troublée , fe furprit
avec étonnement dans cet état. Elle s'interrogea;
elle vit qu'elle aimoit, & ne vou
16 MERCURE DE FRANCE..
lut pas le voir : il falloit qu'elle fût bien
coquette . Elle détourna les yeux de dellus
Moncade , mais fa réfolution fut inutile ;
fes yeux indociles revinrent mille fois fur
l'objet redouté qu'ils vouloient fuir . Elle
voulut remplacer par le dépit ce qu'elle
perdoit par la foibleffe ; elle s'exagéra
& les peines d'un engagement , & les
plaifirs de la coquetterie ; fes idées furent
fi vives que l'illufion fuivit la velonté
de s'abufer. Elle crut n'aimer pas ,
ou du moins n'aimer plus : mais l'amour
ne fouffre un inftant , une pareille erreur
que pour mieux affurer fon triomphe.
Il permit qu'elle formât le projet de
hair Moncade . Elle fe perfuada qu'elle le
haifoit . Ses yeux jufqu'alors fi tendres ,
fi empreffés à le chercher , fi incapables de
fe contraindre lorfqu'ils le rencontroient ,
n'exprimerent plus que fa réfolution .
Moncade qui ne l'avoit pas perdu de vue ,
n'eut pas la peine de deviner : il jouit d'un
bonheur nouveau , & il rit de voir tant
d'amour dans une femme qui vouloit le
haïr .
Il quitta Araminte pour réjoindre Bélife.
En l'abordant , il chantoit un air &
des paroles charmantes. Bélife en avoit
affez entendu pour fouhaiter de les entendre
mieux. Elle pria Moncade de les répé
NOVEMBRE. 1756 . 17
ter : il obéit avec empreffement. Rien n'eſt
plus joli , dit- elle , lorfqu'il eut fini : je
veux que vous m'appreniez cette chanfon ,
je ne me coucherois pas pour l'apprendre.
Il n'y a qu'à commencer à préfent , répondit-
il : mais vous n'êtes peut- être pas trop
difpofée à chanter. Vous me pardonnerez ,
dit- elle , en oubliant de bonne foi fa haine ;
je n'ai jamais plus de plaifir que lorfque
vous chantez. Il reprit la chanfon , & à
chaque couplet , elle l'interrompoit pour
exalter la voix , le goût , les paroles & la
mufique. Vous louez trop , lui dit - il malicieufement
, une médiocrité , un rien ;
vous ne fçavez à qui vous prodiguez des
louanges fi flatteufes . Si je vous nommeis
l'Auteur , vous feriez bien étonnée de
votre prévention pour l'ouvrage. L'inf
tinct de l'amour éclaira Bélife fur tout le
fens de ce difcours. Elle comprit qu'il
étoit lui - même cet Auteur pour qui il
vouloit lui fuppofer des difpofitions fi défavorables
: Et pour le flatter , pour le
raffurer , pour le vanger de fa premiere
injuftice , vous pouvez vous difpenfer de
le nommer , lui dit - elle , je le reconnois à
fon goût & à fa modeftie.
Ils furent interrompus. Moncade en fut
charmé , Bélife en fut fâchée . Il ne vouloit
pas encore s'expliquer , & elle auroit
18 MERCURE DE FRANCE.
voulu qu'il s'expliquât. Elle ne fe diffimuloit
plus qu'elle l'aimoit ; & encore incertaine
fi elle confentiroit à l'aimer , elle
fouhaitoit qu'il lui donnât des raiſons d'y
confentir. Il n'en pouvoit pas être une
plus décifive qu'un aveu . Moncade fe le
difoir à lui même , mais il redoutoit encore
le retour de la coquetterie.
L'événement juftifia fa défiance. De retour
à la ville , Bélife , en retrouvant fes
amans , reprit fon caractere. Moncade
comprit qu'il lutteroit mal contre dix
agréables que douze heures d'abfence
avoient rendus nouveaux . Il fut trois jours
fans la voir il les employa à fe faire un
extérieur qui le fit paroître totalement
indifférent ; afin que , lorfqu'il la reverroit
, ce changement feul pût lui tenir
lieu de reproches par fon effet. Au bout
du fecond jour elle s'apperçut que Moncade
lui manquoit . Ses talens & fon efprit
auxquels elle étoit accoutumée , réduifoient
à leur jufte valeur les phrafes
monotones de fes infipides perroquets.
Ils ne pouvoient l'amufer qu'enfemble ,
chacun d'eux l'ennuyoit féparément. Il n'y
avoit que Moncade qui fçût dire ces riens
confacrés qui tiennent lieu d'amour ; lui
feul fçavoit plaire : il paroiffoit fans prétention
, & il en étoit plus aimable . Elle
NOVEMBRE . 1756 . 19
lui écrivit , & fon billet , qu'elle n'avoit
voulu rendre que galant , renfermoit des
reproches. Il y répondit avec politeffe &
avec indifférence . Bélife avoit compté qu'il
viendroit à l'inftant même chez elle , elle
l'en prioit dans fa lettre ; il n'y vint point ,
il ne laiffa pas même efpérer qu'il y viendroit
; elle en fut piquée. Le coup porta
dans le coeur. Il marquoit dans fa réponſe,
qu'il étoit engagé chez Araminte , & que
la partie étoit formée pour tout le jour.
En relifant , elle éprouva un trouble , une
agitation qui ne peuvent fe concevoir. La
mauvaiſe humeur s'empara de fon efprit ,
Ja jalousie , de fon coeur. Dans ce premier
accès , elle défendit fa porte. Ses réflexions
contribuerent encore à l'agiter . Elle
ne pouvoit plus s'empêcher d'aimer , &
Pingrat qui l'y contraignoit , étoit peutêtre
déja amoureux d'une autre : mais cet
ingrat étoit innocent. Il avoit eu du penchant
pour elle : il l'auroit aimée de bonne
foi , & elle l'avoit forcé par fa conduite
à chercher à plaire ailleurs. Elle fe
tourmentoit , fe condamnoit , s'imputoit
toute fa douleur.
Dans le fort de fon tourment , on vint
lui préfenter , de la part de Brillancour ,
un préfent magnifique & très-rare. Elle
daigna à peine jetter les yeux deffus , &
20 MERCURE DE FRANCE.
oublia même de faire récompenfer le laquais
qui venoit de l'apporter. Un moment
après on lui apporta , de la part de
Moncade , un petit Angola blanc , orné
de rubans couleur de rofe . Elle fit un cri
de joie en le voyant , le prit fur fes genoux
avec tranfport , lui fit des careffes à
l'étouffer , & ordonna qu'on donnât un
louis au porteur. Le petit chat lui tint
lieu de Moncade jufqu'au moment de fon
fommeil : elle le coucha avec elle , ne
fouffrit pas qu'on parlât d'autre choſe que
de fes charmes. Si Moncade étoit venu
dans ces inftans de délire , il auroit été
traité comme on traitoit fon préfent .
Il y vint le lendemain. Il jugea par les
carelles qu'on faifoit au petit animal
lorfqu'il arriva , de toutes celles que l'amour
lui réfervoit . Il jugea aufli facilement
de tous les fentimens qu'on avoit
pour lui , en voyant l'air abattu qui les
décéloit. Il y avoit du monde chez Bélife ,
elle, fut obligée de fe contraindre : mais
elle eſpéra bien s'en dédommager dans le
premier moment qu'elle pourroit faifir.
Elle craignoit d'autant plus de fe trahir
, qu'elle ne s'étoit jamais refufé une
étourderie ; l'amour , en s'emparant d'une
coquette , commence par la rendre
décente. Cet efpoir dont je parle , lui
NOVEMBRE . 1756 . 21
fut bientôt ravi : il fut du moins trèsbalancé
par l'air dégagé de Moncade . Cet
air que tous les hommes prennent lorfqu'ils
ont des deffeins , trompent toujours
les femmes lorfqu'elles ont des fentimens.
Bélife y fut trompée . Elle étoit jaloufe
d'Araminte , elle crut fon triomphe certain
. Moncade auffi tranquille devant elle
que s'il n'avoit été queftion de rien entr'eux
, ne pouvoit l'être après trois jours
d'abfence , que par l'effet d'un fentiment
nouveau . Il est vrai qu'il n'avoit jamais
dit qu'il aimât , mais il fçavoit bien que
fans le dire il l'avoit fait entendre un air
d'indifférence étoit donc une preuve de
changement . Pour furcroît de douleur ,
elle avoit imaginé , pour retenir Moncade
toute la foirée , de former une perite académie
galante , qui commenceroit après le
fouper , & dont l'objet étoit que chacun
racontât fon hiftoire. Moncade refufa de
refter il prétexta des engagemens. Bélife
qui étoit avec lui dans l'embrafure d'une
fenêtre , lorfqu'elle lui propofa , eut beau
l'en preffer & le tourmenter , il refuſa toujours.
Vous craignez apparemment que
votre hiftoire ne donne trop mauvaiſe opinion
de votre coeur , lui dit - elle avec dépit,
c'cft pour cela que vous refufez de la raconter
? Non, Madame , répondit- il, car je vous
22 MERCURE DE FRANCE.
promets de vous l'écrire. Ce fera quelque
chofe de beau , reprit- elle ; je crois que l'amour
y jouera un plaifant rôle. Vous en jugerez,
Madame , pourfuivit- il férieufement;
je n'ai promis que d'écrire, vous me permet
trez de me taire. Ce qu'il y a de fûr , continua-
t'il , c'est que vous n'y trouverez
rien qui foit aufli injufte que l'opinion
que vous avez prife fi légérement de moi .
A ces mots , il lui fit une révérence
très-profonde , & la laiffa auffi étourdie
de fon départ , qu'impatiente de lire fon
hiſtoire .
Je paffe fur les idées qui l'occuperent
jufqu'au lendemain . Moncade fut exact à
tenir la parole. Il paffa la nuit à écrire ce
qui fuit.
Bélife me croit un coeur infenfible ou
perfide ; c'eft ce qu'elle a voulu me dire :
il faut la détromper ; il faut lui faire connoître
ce coeur qu'elle n'a pas connu . Ses
foupçons m'affligent ; Bélife devroit être
fûre que je ne les mérite pas : fi je les mé.
ritois , j'en ferois moins affligé. Mon hiftoire
fe borne à une feule aventure : le
refte de ma vie s'eft paffé à prendre des
goûts , & à infpirer des fantaiſies ; c'eſt la
vie de tous les hommes qui ont eu quelque
reputation d'agrémens : ainfi je n'en
dirai rien , pour ne pas répéter ce qu'on a
NOVEMBRE. 1756 . 23
lu cent fois ailleurs. Dans mes caprices j'ai
été auffi conftant qu'on puiffe l'être , &
dans mes ruptures auffi honnête homme
qu'on l'ait jamais été . Les femmes que j'ai
eues n'ont jamais pu fe plaindre de moi ,
& j'aurois quelque chofe à attendre de
leur reconnoiffance , fi les coeurs qui ne fe
donnent point , pouvoient être reconnoiffans.
Paffons à l'unique aventure qui mérite
d'être écrite , & que je veuille me
rappeller . Après avoir beaucoup couru ,
beaucoup changé & un peu réfléchi , je
voulus aimer & devenir homme . J'aimois
déja lorfque j'en pris la réfolution . J'avois
été frappé d'un premier regard qui
m'avoit métamorphofé ; ainfi je dus ma
raifon à l'amour . Mais ce premier moment
qui m'avoit annoncé le bonheur , difparut
promptement & fans retour. Delphife ( je
la nommerai ainfi ) étoit née pour aimer,
& c'étoient ces restes de fenfibilité
que
yeux exprimoient dans leurs premiers regards.
Subjuguée par l'exemple , croyant
qu'il étoit honteux de donner fon coeur, elle
étoit devenue coquette , & le jeu lui avoit fi
bien plu , que ce qui n'avoit d'abord été que
mode , étoit devenu paffion . Je vis tout d'un
coup ma deftinée ; mais je voulus eſpérer.
Je mis tout en ufage pour rendre à Delphife
le même fervice qu'elle m'avoit renfes
24 MERCURE DE FRANCE.
du. J'eus tout le fuccès que je pouvois attendre
, c'eſt -à - dire , que je lui plus , &
qu'elle m'aima un moment . Elle fe furprit
dans fa foibleffe qu'elle voulut enviſager
comme un malheur , elle eut du dépit , du
chagrin , elle ne fit plus que des réflexions
triftes : elle rougit d'aimer , elle calcula
les pertes qu'elle alloit faire en m'aimant ,
& l'amant le plus tendre & à fes yeux
le plus aimable , fut facrifié à dix automates
qui n'étoient pas même affez ridicules
pour mériter de l'amufer. Nos fentimens
n'avoient fourni que des fcenes
muettes nous nous les étions fait connoître
fans nous les apprendre. Lorfque je
fus convaincu de fa réfolution invincible ,
je me fis la violence de rompre une chaîne
que je ne pouvois plus fupporter ; &
comme je ne lui avois jamais dit que je
l'aimcis , je ne lui dis pas que je ne l'aimois
plus. Elle s'apperçut aifément de
mon abſence , je l'avois toujours amuſée ,
& les perfonnages auxquels je l'abandonnois
, en triomphant , n'étoient pas faits
pour me remplacer. Elle me regretta , &
voulut me rappeller : mais je me fouvenois
trop de ce que j'avois fouffert , je fçavois
trop ce que j'aurois encore à fouffrir pour
me rendre même à une nouvelle foibleffe.
Je réfiftai conftamment , & ne m'en fuis
jamais
NOVEMBRE . 1756. 25
jamais repenti , quoique je l'aye toujours
regrettée .
Voilà , Madame , mon hiftoire dont
vous étiez hier fi curieufe. Si cette envie
dure encore , vous la lirez avec quelque
attention , & c'est tout ce que je fouhaite.
Je vous l'aurois préfentée moi - même , fi
je n'avois pas des engagemens qui ne me
laiffent pas difpofer d'un moment. Je vais
partir dans une heure pour la campagne ,
où je refterai huit jours fans revenir.
Bélife ne put lire fans beaucoup d'émotion
& d'amour ces détails & ces fentimens.
Mais ce fut bien pis , lorfque parvenue
à la fin , elle lut qu'il partoit pour
huit jours. Sans faire d'autres réflexions
elle envoya fucceffivement deux laquais
chez lui avec un billet qui étoit un ordre
en forme de venir à l'inftant même la
trouver.
Il y vint , il comprit qu'il n'y avoit pas
un moment à perdre. Elle rougit en le
voyant arriver ; quelle preuve plus certaine
de fa défaite ! Une coquette qui rougit
n'a plus befoin de s'expliquer ; fon trouble
annonce autant de conftance que de
tendreffe. Je quitte tout pour vous , lui
dit- il , du ton le plus tendre : quel en fera
le prix ? Ah ! Moncade , ne m'interrogez
pas , répondit- elle , en rougiffant encore :
B
25 MERCURE DE FRANCE.
fe ménagez un coeur qui ne vouloit pas
donner , & qui ne peut plus fe défendre .
Ah ! reprit-il , en tombant à fes genoux ,
puis- je vous ménager , puis -je me refufer
à tout mon bonheur ! Bélife , Bélife , prononcez
cet aveu délicieux : il eft déjà fur
vos levres , faites - le paffer dans mon coeur ...
Elle foupira , elle s'attendrit ; elle ne rougit
plus , & ce mot qu'elle craignoit de prononcer
, fut répété mille fois , avec autant
de plaifir que d'amour.
Il n'eft pas néceffaire de dire qu'ils s'aimerent
longtemps. Ces fortes d'engagemens
ne peuvent être que folides. Moncade
employa à le faire durer , les mêmes
moyens dont il s'étoit fervi pour le faire
naître. Il venoit d'éprouver que les riens
féduisent une femme , il voulut éprouver
combien ils peuvent l'attacher . Il fut convaincu
que de tous les talens , de tous les
moyens , de tous les mérites , ils étoient
le plus agréable pour l'ufage , & le plus
für , pour l'effet.
NOVEMBRE. 1756. 27
VERS
A une jeune Penfionnaire.
Vous êtes belle , & le Ciel en votre ame
A répandu ſes tréſors précieux ;
Vous avez tout , hors l'efprit d'une femme
J'entends l'efprit qui brille dans leurs yeux ,
Forme leur coeur , leur donne mille idées ,
Et leur imprime un air intéreffant ,
Inftruit , rufé , fenfible , pénétrant ,
Long-temps avant qu'elles foient décidées ,
C'eft- à- dire , preſqu'en naiffant.
Sans cet efprit , la beauté folitaire
Manque d'éclat , & n'eft plus un bonheur.
Il ne fe donne point ; mais un Ami fincere ,
Par fes leçons , peut porter dans le coeur
Des fentimens dont l'ardeur falutaire
En tienne lieu ; car ce qui touche , éclaire.
Heureux emploi ! ſoin preſqu'auffi flatteur
Que le plaifir charmant de plaire !
Cet honneur m'appartient : oui , j'oſe me flatter
Que le coeur le plus rai , que l'ami le plus tendre ,
Sur les rivaux doit l'emporter :
On peut bien me le difputer ,
Mais on ne doit pas y prétendre.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
"
Tous mes difcours rouleront aujourd'hui
Sur-l'Amour , fur fes loix , dont je dois vous inf
truire ;
Je fçais que vous avez fur lui
Des principes qu'il faut détruire.
Il eft aifé de l'accufer ,
Il l'eft bien plus de le défendre .
L'or imité peut nous furprendre ,
Le diamant ne peut le déguiſer.
Vous naiffez , vous vivez encore
Sous les loix du fot préjugé :
Vous connoîtrez ce Dieu que l'on adore
Et que vous avez outragé.
Une mere , une Duegne, une Abbeffe Iroquoife,
Vous font jufqu'à préfent des fermons à la toife :
Vous écoutez modeftement ,
Et malgré l'ennui que vous caufe
Leur infipide document ,
Vous ne concevez pas comment
On pourroit vous dire autre choſe ,
Et parler auffi fagement ?
Mais l'Amour va bientôt paroître :
Vous verrez un Dieu tout charmant ,
Et vous ne concevrez que difficilement
Qu'avec un coeur qu'il a fait naître ,
Pour le chérir & pour lui donner l'être ,
On l'ait connu fi lentement .
Il eft bon , avant qu'il paroiffe ,
Que vous fçachiez comment il vient
NOVEMBRE. 1756. 20
Comment il plaît , comment il bleffe ;
Ce qu'on lui doit , ce qu'il devient.
Je peindrai mal , je le confeffe ;
Car l'Amour échappe au pinceau.
C'eft un air fi touchant , c'eft une façon d'être ,
Ce font des traits fi fins , c'eft un tout fi nouveau ,
Que pour le faire reconnoître ,
Il faut le groffir au tableau.
Malgré mon embarras je tiendrai ma promeffe :
La difficulté n'y fait rien ,
Quand l'objet intéreffe .
Ecoutez , mais écoutez bien :
Ce tableau , ce difcours , ce fublime entretien
Vaut mieux qu'un fermon de l'Abbeffe.
Ce Dieu charmant qu'adore l'univers
A toutes les beautés. Il change de viſage
Suivant les temps & les objets divers ;
Il prend les traits , l'humeur & le langage ,
De quiconque l'ignore , ou brave fon ardeur ,
Et de quiconque encor né pour lui rendre hommage
,
S'en fait un portrait enchanteur .
Il a tout , il est tout , il penfe avec le fage ,
Il rit avec les foux , il eft tendre , volage ,
Difcret , entreprenant , trifte , étourdi , rêveur ,
Sans art plein de détour , timide , beau parleur.
Quel est fon but , & qu'en a t'on à craindre ?
Pourquoi tromper ? pourquoi ces afpects infinis
Bisj
30 MERCURE DE FRANCE.
Ne le condamnez pas , c'eft lui qui doit fe plain
dre ;
Il est entouré d'ennemis :
L'art eft un droit qu'il voit avec mépris ;
Mais il eft obligé de feindre ,
Et de fe déguifer fous d'odieux replis.
Le monde eft plein d'efprits mélancoliques ,
D'efprits jaloux, d'efprits vains & critiques ,
Dont la fureur eft de dire du mal
De tout ce qui n'a pas leur air fec & moral
Ce monde-là regne par la triſteſſe ;
Il eft donc ennemi du Dieu de la tendreffe >
Car la tendreffe rend joyeux.
Auffi dans fa fureur le pourfuivant fans ceffe ,
Il en fait un portrait affreux :
En le peignant criminel , odieux ,
Il épouvante la fageffe ;
L'aveugle & facile jeuneffe ,
Qu'on abuſe aiſément , pour qui rien n'eft do
teux ,
Le croit , en le fuyant , encor plus dangereux
Que ne l'a peint la criminelle adreffe
D'un monde faux , jaloux & factieux .
Mais l'Amour méprife une injure ,
Dont le jufte reffentiment
Priveroit toute la nature
De fes plaifirs , d'une volupté pure ,
Et de fon plus bel ornement.
NOVEMBRE . 1756. 31
Pour exercer la bienfaisance ,
Contraint de fe cacher & d'éblouir les yeux ,
Il prend les traits , l'efprit , la contenance
De l'objet qu'on aime le mieux .
D'abord ce n'eft qu'avec prudence
Qu'il agit & fe fait valoir ;
Il faut s'y connoître pour voir
Les effets de fon exiſtence
Dans l'objet trop heureux qu'anime fon pouvoir.
Ce n'eft qu'une fimple nuance
Qu'une légere différence
Qu'on peut à peine appercevoir.
Mais infenfiblement fûr de fon avantage ,
Sûr d'avoir plu , d'avoir touché ,
11 fe montre & ſe dédommage
De s'être fi long- temps caché.
C'eft-là que commence la vie ,
C'eft- là que le parfait bonheur
Entrant dans notre ame ravie ,
Y devient la fource infinie
D'une inépuifable douceur.
Jufqu'alors la nature entiere
N'avoit été qu'une maffe groffiere :
Rien n'exiftoit , tout paroiffoit commun :
L'onde étoit fans murmure ,
Les gazons fans émail , les rofes fans parfum ,
Les vergers , fans verdure ,
Les hommes fans efprit , fans talens , fans figure ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Les livres fans attraits , les bijoux fans valeur ,
L'univers étoit fans parure ;
L'Amour en un inftant y répand tous les feux :
Quel changement dans la nature !
Rien n'existera plus qui ne charme les yeux,
Ou qui n'enchante les oreilles ;
Tous les momens feront heureux ,
Tous les objets feront délicieux :
L'Amour enfante les merveilles ,
Sans lui l'univers eft affreux.
Ainfi donc ce Dieu favorable ,
Si digne de nos voeux , fi propre à les remplir ,
Eft né pour tout charmer & pour tout embellir.
Il entre dans nos coeurs fous une forme aimable ;
C'est un moyen victorieux ,
Et même un titre inconteftable ;
Car quand on plaît on eft bientôt heureur.
A peine il eft vainqueur , que tranſportant les
cieux
Sur la terre autrefois ſauvage ,
Il communique à tous les lieux
Şes charmes , fon pouvoir , fes bienfaits précieux :
Tous les objets femblent nous rendre hommage ;
Des Amans deviennent des Dieux.
Jugez d'après cette peinture
Si l'on peut réfifter au torrent de douceurs
Qui naît d'une tendreffe pure ?
Non , tout doit fe livrer à d'aimables ardeurs ;
NOVEMBRE. 1756. 33
C'eſt le bonheur de la nature ,
C'est le devoir de tous les coeurs.
Ainfi vous aimerez, quoi que vous puiffiez dire ;
Vous aimerez demain , peut- être dès ce jour ;
Je connois votre coeur , & j'ofe lui prédire
Qu'il n'eft pas fait pour ignorer l'Amour,
Vous avez fon portrait , vous connoiſſez ſes charmes
:
Vous y reviendrez malgré vous ;
Et l'attrait féduifant d'un fpectacle fi doux ,
Vous forcera de lui rendre les armes.
Or maintenant , fi vous voulez fçavoir
Comment ce Dieu rufé va faire ,
Quelle forme il prendra , quel ton , quel caractere
,
Pour mieux établir fon pouvoir ,
Je crois qu'en me nommant , je ne hazarde guere
Voici fur quoi fe fonde mon efpoir.
Quand je vous vois , je deviens raisonnable ;
J'ai du plaiſir , je ſuis vif , amuſant ;
Et par un rapport admirable ,
Vous devenez en un moment
Beaucoup plus belle & beaucoup plus aimable,
Quoique d'un âge différent ,
Nous nous trouvons à côté l'un de l'autre
Placés tout naturellement.
Mon plaifir eft toujours le vôtre ,
Et qui plus eft ,
mon ton , mon fentiment
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Votre efprit n'a rien du Couvent .
Et le mien n'a plus rien du monde :
Quand nous nous féparons , c'eft toujours lente
ment ,
Et toujours de peur qu'on ne gronde
De nous quitter trop tard , de nous voir trop fogè
vent.
Je fens alors de la mélancolie ,
Du vuide , de l'ennui , da refroidiffement
Pour l'Opéra , le Bal , la Comédie ;
Et j'éprouve ce changement
Sans y penfer , fans nul étonnement .
Quand je reviens , je fens renaître ,
Mon humeur , mon goût , tout mon être :
Vous rougiffez en me voyant ,
Vous baiffez les yeux , & pourtant
Il m'eft très-aifé de connoître
Que vous vous amufiez dans votre appartement
Du defir de me voir paroître .
En raffemblant exactement
Ces effets d'un rapport extrême ,
Je conclus très-conféquemment
Que je vous aime tendrement ,
Et que bientôt vous m'aimerez vous- même .
NOVEMBRE. 1756. 35
NE
PORTRAIT
De Madame la ***
E cherchez plus Venus à Cythere ,
elle eft aujourd'hui dans nos murs . Peu
fatisfaite du culte immodefte qu'on lui rendoit
à Amathonte & à Paphos , elle s'eft
promenée par toute notre Europe ; & s'il
n'étoit pas impie de dire que Venus peut
s'embellir , je dirois du moins quelle a
pris de nouvelles graces chez les Nations
qu'elle a embellies par fa préfence . Je la
vois tous les jours , & j'admire le mêlange
ingénieux qu'elle a fcu faire de tous les
mérites des peuples heureux qui l'ont poffédée
. Comme elle s'eft fixée en France ,
elle y a trouvé tous les goûts perfectionnés
: elle les a pris , & les a perfectionnés
encore ; mais elle a rejetté nos défauts ,
notre légèreté & nos contrariérés .
Nous faifons cette injure aux femmes ,
d'admirer les beautés de la figure avant
d'examiner les beautés de l'ame : il faut fe
conformer à l'ufage. Notre divinité a la
plus belle & la plus riche taille qui puiffe
annoncer une immortelle , & il ne lui
manque qu'un cafque & un bouclier pour
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
paroître Pallas , & une couronne pour
préfenter Junon ; mais on aime mieux
encore l'adorer fous les traits de Vénus.
Elle unit la jeuneſſe à la majeſté , les
traits d'un enfant à la bonne mine de l'âge
mûr. Ses yeux font doux , & portent l'amour
dans tous les coeurs : fa bouche furtout
, fa belle bouche eft le théâtre de toutes
les graces qui fe fuccedent & fe varient :
fes dents font des perles parfaites ; c'est le
rire , le fourire , la joie , la vérité , la confiance
& l'amitié parfaitement repréfentés
:l'amour s'y mêle quelquefois , & alors
il faut tomber à fes genoux en l'adorant ,
fans concevoir qu'on puiffe être auffi belle.
Oui , fa bouche & fes yeux font l'image
de fon ame ; elle regne fur nos coeurs , elle
excite toutes les paffions qui font le doux
lien de la fociété & le bonheur de la vie.
Voulez-vous peindre la fanté & la force
fans rudeffe , les Peintres & les Statuaires
Ja prendroient pour modele. Les Maîtres
de danfe , & tous ceux qui montrent les
exercices du corps , y recevroient des leçons
d'elle. Si elle ne poffede pas tous les
jeux auffi bien que ceux qui en font leur
Occupation , c'eft qu'elle eft perfuadée
avec raifon , que fouvent les plus grandes
graces fe développent dans les chofes qu'on
fçait imparfaitement.
NOVEMBRE. 1756. 37
Les deux principaux points de fon caractere
font la douceur & l'amour de la
liberté. Le premier a quelquefois pris fur
le fecond , mais celui- ci s'eft relevé promp
tement , dès que la féduction d'une aimable
complaifance a paru mener trop loin.
Qu'est ce en effet que l'ufage de notre
exiſtence fans celui de notre liberté , ou
fans l'opinion qu'on refte libre ? Nos peines
, nos déplaifirs viennent rarement de
la nature , c'eft la contrainte qui altere nos
inclinations , nos defirs & nos mouvemens
en les contrariant , elle leur donne
une violence fouvent funefte . Sans l'in-
Auence exceffive de nos entours , nos paffions
ne feroient que des penchans , & nos
defirs des deffeins délibérés . Saififfant le
bien & le mal par un même fentiment &
dans le même inftant , nous préférerions
toujours le bien au mal , parce que la nature
eft droite & bienfaifante.
La douceur détermine toujours notre
divinité au parti du bien ; c'eft pour y
perfévérer qu'elle veut refter libre . La douceur
eft le premier de fes charmes ; elle eft
bonne & bienfaifante comme la nature
elle-même ; elle n'a comme Aftrée de defirs
que pour le bonheur de la terre.
Son efprit eft plus cultivé par la fréquentation
des mortels que par l'étude &
38 MERCURE DE FRANCE.
la théorie. Ce n'eft pas une mufe ftudieufe
& appliquée aux méditations philofophiques
, ( les Déeffes font au deffus des Mufes
) ; elle fera ce qu'elle voudra, & quand
elle voudra , parce qu'elle a un efprit qui
n'a befoin que d'entrevoir pour apprendre,
& de penfer pour pouvoir inftruire. Dans
fes voyages , elle a pris l'agrément de toutes
les langues,& les mêlant naïvement enfemble
, fes irrégularités même font de
nouvelles découvertes pour nos oreilles
charmées .
Elle a fort méprifé le Dieu des richeſſes :
elle n'a accepté de fes dons , que ce qu'il
en faut avoir pour éviter de paroître moins
aimable qu'on ne l'eft. Elle ne quitteroit
point nos campagnes pour en aller chercher
de plus abondantes : les feuls mouvemens
de fon coeur , & la voix de la vertu ,
pourroient la déterminer à de nouveaux
voyages : la fidélité la fixe ; & fans dédaigner
les amours dont elle eft la mere , elle
facrifie encore plus à l'inviolable amitié ,
qu'à fes propres enfans qu'elle connoît
pour très-frivoles & très- volages.
NOVEMBRE . 1756. 39
ORIGINE DU JEU DU VOLANT.
Un jour Vénus & les trois Graces ,
De jeux communs fe trouvant laffes,
Tinrent confeil où préfida
Méchanceté. Cette coquine-là ,
De la beauté compagne inféparable ,
Leur fuggéra le jeu le plus damnable ,
Dont à Cythere on fe pût avifer ,
Et dont Vénus , cette dame fi bonne ,
Qui de fes jours ne maltraita perfonne ,
Auroit dû fe fcandalifer.
Amas de coeurs étoit fur la toilette :
Méchanceté , d'un air malin ,
Vous en prend un , le tourne , le feuillette .
Le jette en l'air , le reçoit dans fa main ,
Le jette encor , le reprend , le rejette ,
Puis finement du côté d'Aglaia ,
Le fait voler : la charmante foubrette ,
En badinant , le renvoya
Vers notre fauffe maladroite :
A fon jeu la méchante ainfi l'affocia,
Bientôt Euphrofine & Thalie
Furent mifes de la partie ;
Venus rioit , c'étoit plus qu'approuver ?
Auffi bientôt le coeur l'alla trouver.
1
1
40 MERCURE DE FRANCE.
Le
pauvre coeur chaffé vers la Déeffe ,
A ce qu'on dit , redoubla de vîteffe :
Il étoit prêt à tomber fur fon fein ,
Il s'y précipitoit ; mais quel eft fon deſtin !
D'un coup de main on le rechaffe ,
De l'une à l'autre on le tracaffe ,
De Venus à Méchanceté .
Le coeur trop longtemps balotté ;
A la fin déploya fes aîles :
Ses afles , oui : car tous les coeurs en ont.
Coupez leur net , Beautés mortelles ,
Ou bien ils vous échapperont.
Le coeur déploya donc fes aîles ,
Et murmurant , prit congé de nos belles.
Vénus rougit de ce départ fi prompt ,
Mais de courroux elle en prend un ſecond
Que pareillement elle afflige ,
Et qu'à fuir de même elle oblige.
Un troifieme fuccede ; il étoit un peu dur :
On vous le lança contre un mur ;
La main s'échauffe : à grands coups de pantouffle
On vous pelotte le marouffle.
On crie , on rit , on redouble d'ardeur ,
Enfin le jeu devient fureur :
Sur tous les coeurs on fait main -baſſe.
L'un eft niché , cet autre eft renverſé ;
L'un tombe , un autre fe ramaffe :
Bref, tout fuit , tout eft diſperſé,
C
NOVEMBRE. 1756.. 41
Le jeu plut fort à l'Immortelle ,
Pelotter coeur est toujours de fon goût ,
Et quand par fois il en manque à la belle ,
Coquetterie en va chercher partout.
Combien les Sçavans doivent avoir peu
d'amour- propre.
ON a reproché dans tous les ſiecles aux
Sçavans un amour- propre fans bornes &
une prévention aveugle ; des cris publics
fe font élevés contr'eux . On les a accufés
d'avoir ufé avec tyrannie des prééminences
de leur efprit , de la fupériorité de
leurs talens , & de l'étendue de leurs connoiffances
; plaintes inutiles , quoique toujours
repétées , dictées quelquefois par
l'équité , mais plus fouvent par l'envie
qui ne peut voir , fans être émue , le
triomphe de fes rivaux , ou par l'orgueilleufe
ignorance fans ceffe occupée à combattre
le mérite qu'elle redoute , & qu'elle
ne peut égaler ! Un aveuglement extrême
fur fes talens produit les maux les plus
funeftes. 11 retarde les progrès , il ternit
les fuccès les plus brillans . Il femble qu'un
génie vafte devroit éviter les différens
écueils qui l'environnent , franchir d'un
pas hardi le précipice qu'il voit , & écarter
42 MERCURE DE FRANCE.
avec force cette ivreffe qui l'entraîne ,
auffi prompte à l'éblouir qu'empreffée à le
fubjuguer ; & n'est - il pas plus aifé à l'homme
éclairé qu'aux efprits foibles de repouf
fer les traits dangereux que l'amour propre
ne ceffe de lui lancer ? Oui , les connoiffances
donnent des fecours puiſſans ,
& plus elles fe multiplient , plus l'on s'apperçoit
de celles qui manquent ; & cet
empire dont on jouit fur une multitude
ignorante , triomphe peu flatteur pour la
raifon , fçauroit - il dédommager de la
fupériorité qu'ont fur nous ceux qui ont
excellé dans leur art , & dont les découvertes
& les ouvrages font autant de prodiges
& de merveilles ?
Engagé dans la carriere des fciences &
des lettres , que de foins , que de travaux
pour établir une réputation brillante , &
qu'elle eft fragile cette réputation ! La
défaite d'un Général efface ſouvent l'hiftoire
de fes triomphes. Animé du defir de
la gloire , la noble ardeur qu'elle inſpire
fait fuivre avec empreffement les routes
qu'elle trace. On travaille fans ceffe ; des
veilles conftantes , des études pénibles ,
des recherches fatiguantes n'ont rien qui
déconcertent. On veut diffiper les voiles
fombres qui enveloppent la raifon , vaincre
les préjugés que l'ignorance fait naître
NOVEMBRE. 1756. 43
& que la foibleffe entretient ; mais on ne
confulte fouvent ni fes forces , ni fes talens.
On s'efforce de marcher à pas de
géant dans des fentiers efcarpés , l'ambition
de parvenir à l'immortalité fait tout
entreprendre. On fe flatte de pouvoir réunir
l'univerfalité des connoiffances ; projet
enfanté par l'amour-propre , & que la raifon
& l'expérience s'empreffent de détruire.
On manie la lyre , on chauffe le cothurne
, on prend l'aſtrolabe , on embouche
la trompette , on s'attache à tous les
genres , & l'on abandonne fouvent ceux
dont la perfection promettoit des fuccès.
Mais l'homme a des talens particuliers ;
heureux de les connoître & de les employer
à propos ! Cette fureur d'écrire furtout
produit une foule d'efquiffes ; mais
les ouvrages font rares , ces productions
immortelles que le génie crée , que le
travail exécuté & que la réflexion perfectionne.
Qu'on préfente le tableau de l'homme à
l'homme même , qu'il le fixe fans prévention
, il y appercevra fa foibleffe & les
obftacles qui s'opposent aux fuccès : la
jeuneffe paffe comme un fonge. Toujours
affiégé par les paffions , à peine peut- il
conferver à cet âge heureux un moment
de liberté pour les combattre. La raiſon
44 MERCURE DE FRANCE.
parle envain , peut- elle fe faire entendre
dans ces momens de délire & d'agitation
qui fe reproduisent à chaque inftant ? Le
temps fuit avec une fatale vîteffe , & fouvent
l'ivreffe ne finit que lorfque la caducité
commence temps fterile , où les refforts
de l'efprit ufés , la force du génie
affoiblie, l'imagination prefque éteinte ceffent
d'avoir de la promptitude pour créer ,
& de la facilité pour exécuter & pour perfectionner.
Que de peines pour trouver
la vérité à travers les nuages qui s'empreffent
de nous la dérober , pour écarter les
contradictions & éclaircir les doutes qu'elles
font naître ! L'étendue de ce travail
étonne & déconcerte ; il exige de la fermeté
& de la conftance , & , pour ainfi
dire , le facrifice de foi - même. Il faut
quitter le féjour des rofes pour habiter
des vallons déferts , ces lieux fombres qui
ne traînent après eux que la trifteffe & les
ennuis ; fe priver de jouir des charmes
d'une fociété qui plaît , & dont la diverfité
affure l'amufement. Voilà une foule d'obftacles
réunis bien propres à étouffer l'ar
deur la plus vive pour le travail. Celui
qu'exige le culte des fciences rebure , on
ne triomphe pas fans efforts des dégoûts
qui en font inféparables : c'est un pays
immenfe , on a beau avancer , on voit
A
NOVEMBRE. 1756. 45
toujours devant foi , & ( 1 ) ce que l'on sçais
eft peu de chofe en comparaison de ce qu'on
ne fçait pas. Quoi de plus propre à vaincre
l'amour propre que cette comparaifon ?
car c'eft en vain que les preftiges de la
variété nous pretent des fecours pour nous
diffimuler notre infuffifance. La réflexion
leve bientôt le voile que l'orgueil avoit
placé.
L'amour- propre doit avoir un fonde-'
ment , & fur quoi la plupart des Sçavans
peuvent- ils en appuyer les excés ? fur quelques
connoiffances acquifes, & qu'on perd
fi aifément , des découvertes , fruit d'un
heureux hazard , des récompenfes , des
diftinctions qu'on leur accorde , fouvent
l'ouvrage de la brigue ou de la cabale , &
auffi peu durables qu'elles , ou dûes à la générofité
d'un Mecêne qui paie les louanges
par fes bienfaits. Voilà des raifons qui
excitent l'amour- propre , mais bien foibles
pour les juftifier ; & comme le remarque
un célebre Académicien ( 2 ) : Si les hommes,
avant que de tirer vanité d'une chofe , vouloient
bien s'assurer qu'elle leur appartient ;
il n'y auroit guere de vanité dans le monde.
En effet , qu'on confidere ce qui refte à
parcourir , qu'on jette les yeux fur l'anti
(1) Fontenelle.
(2) Le même,
46 MERCURE DE FRANCE.
quité , qu'on examine l'étendue des arts
la perfection qu'ils exigent ; qu'on compare
les talens & les connoiffances , on
ne verra que fa propre infuffifance , &
l'on dira avec un Ancien : Ce que je fçais ,
c'est que je ne sçais rien .
La préfomption eft le partage de la
médiocrité : ainfi on ne doit pas être furpris
de voir ces faux coriphées des Mules ,
ces demi-fçavans , prétendre à la gloire de
pofféder tout , vouloir tout affervir à leurs
Tyftêmes enfantés par l'ignorance ou par
le caprice , accueillis par la jeuneffe & par
la frivolité , & couronnés par la mode ou
par la cabale , mais toujours défavoués par
la raifon & par le goût. Ces petits-maîtres
de la littérature feront parler aux Héros
un langage puérile & maniéré , coloré par
un faux brillant qui éblouit du premier
coup d'oeil ; en un mot , il les peindront à
leur image. On ne verra dans leurs ouvrages
que des mots vuides , des tournures recherchées,
qui veulent en vain fuppléer aux
penfées , & non ces traits nobles & fublimes,
enfans du génie, que le goût place , & à qui
l'efprit donne ce feu , cette force , ces
agrémens qui le caractériſent ; traits , disje
, qui enchantent & qui raviffent l'ame ,
& à qui feuls il eft réfervé d'exprimer le
fublime de l'éloquence , & de peindre les
charmes du fentiment.
NOVEMBRE . 1756. 47
Le génie a des bornes vaftes ; fon domaine
eft l'univers. Auffi capable d'apprécier
les merveilles qu'il lui préfente , que
d'en créer des nouvelles , les opérations
tiennent du prodige. Les monumens qu'il
erige publient fon étendue. Mais fi la poffeffion
d'un bien auffi rare que précieux
met le comble à l'amour-propre , qu'on
confidere que cette lumiere qui frappe s'éteint
quelquefois au moment où l'on alloit
jouir de toute fa clarté , & que le
commencement de fa courſe en eft quelquefois
le terme , ou qu'elle fe trouve retardée
, ou par des obftacles qui l'arrê
tent , ou par des nuages qu'elle ne peut
diffiper. L'Artifte qui invente , laiffe prefque
toujours à ceux qui le fuivent le foin
d'étendre & de polir ; & les découvertes ,
ainfi que les ouvrages qui illuftrent le
monde fçavant , ne doivent - ils pas leur
perfection à plufieurs fecles comme à plufieurs
hommes ?
Les fuccès dans les fciences font les
fruits des talens & le prix de la conſtance .
Celui qui veut y parvenir ne doit pas fe
laiffer rebuter par les obftacles : il doit
franchir les difficultés , être attentif au
choix de fes guides , & écouter furtout les
confeils folides ; car il eft aifé de s'égarer
dans cette carriere : elle est environnée
4S MERCURE DE FRANCE.
d'écueil. Son caractere doit être la douceur
; la modération doit préfider à fes demarches
, & la modeftie à fes triomphes ,
& non un orgueil fans bornes , & une fierté
fauvage ; partage infortuné d'une foule
d'Ariftarques nourris dans la difpute , dont
une folitude affectée & quelquefois oifeufe
, rend les moeurs farouches & l'humeur
contredifante. Que d'Auteurs enivrés de
leur prétendus fuccès , ont fait un trifte
naufrage ! Enorgueillis de quelques louanges
accordées à des ouvrages fans goût &
fans génie , ils ont cru mériter de régner fur
le Pinde , & fe font emparé avec audace
d'une place réfervée au mérite & au talent.
Des chûtes éclatantes ont fait toute
leur célébrité : voilà l'ouvrage de l'amourpropre.
Que de beaux- efprits cette funefte
paffion ne compte - t'elle pas pour victimes ,
& qui fe font rendus malheureux par l'art
même qui devoit les illuftrer , & qui n'a
fervi qu'à les avilir ? La vanité leur a tracé
des routes que l'ambition leur a fait parcourir
avec précipitation . Guidés quelquefois
par le défefpoir que faifoit naître une
défaite honteufe , on les a vus courir à la
vengeance , fe livrer à la fureur d'écrire ,
créer des fyftêmes abfurdes , attaquer la
vertu , décrier le mérite , en un mot faire
rougir l'humanité par les étranges productions
NOVEMBRE. 1756. 49
tions de leur efprit ; mais en vain veulentils
rendre les Mufes complices de leurs
emportemens & de leur impofture , elles
gémiffent de leurs excès. Les Lycambes
triomphent toujours des traits des Archiloques.
L'amour de la gloire forme le Héros ,
une noble ambition a donné au monde
une foule de Sçavans qui en font l'ornement
; les foins généreux qu'elle les a engagés
de prendre , a produit ces immortelles
productions , monumens éternels du
génie & du fçavoir. C'eft par une conftance
à toute épreuve qu'ils ont vaincu les
difficultés de l'art : les trames de l'envie
n'ont fervi qu'à rendre leur triomphe plus
éclatant : ils ont dompté l'amour- propre,
& n'en ont confervé que la mefure néceffaire
à leurs talens. Ne nous y méprenons
pas , l'amour - propre eft utile : mais fes
bornes doivent être étroites . Sans lui que
d'hommes n'euffent jamais publié cette
foule d'ouvrages , monumens immortels
du génie , du goût & du fçavoir : mais
l'on doit être attentif à réfifter à fes
traits deftructeurs , & furtout aux louanges
qui les font germer . On ne doit les regarder
,, pour le plus fouvent , que comme le
fruit de la flatterie & non de la vérité , &
fe perfuader , s'il fe peut , que l'indulgence
C
so MERCURE DE FRANCE .
ajoute à celles qu'on mérite. Voilà des
moyens puiffans pour triompher de ce
tyran redoutable , fi jaloux d'étendre fon
empire , qui fubjugue les foibles , qui féduit
quelquefois les fages , qui captive le
coeur , qui éblouit l'efprit par fa fatale illufion
, enfin qui plonge dans l'ivreſſe la
plus funefte aux progrès des talens. Rien
de plus utile pour éviter les écueils que
l'amour- propre ne ceffe de creufer , que
les exemples touchans qu'offrent ces hommes
célebres , auffi illuftres dans les fciences
par leurs fuccès multipliés , que chers
au monde par leurs vertus . Les Parménides
regardoient comme infenfés ceux qui
croyoient être véritablement fçavans. Le
Sage Socrate ( 1 ) s'écrioit hautement qu'il
ne fçavoit rien. Les Phérécides , les Empédocles
, les Zénons ont avoué l'incertitude
de leurs connoiffances , & le peu d'étendue
de leur fçavoir . Je parlerai , diſoit
l'Orateur de Rome ( 2 ) , de maniere que je
n'aſſure rien pofitivement ; mais me défiant
de moi-même , je douterai de tout & je chercherai
d'appercevoir la vérité. Quels modeles
plus dignes d'admiration , & quels
fecours plus puiffans pour étouffer l'amour-
& écarter les illufions , que propre pour
(1 ) Huet , de imbec. mentis humanæ.
( 2) Cicero.
NOVEMBRE . 1756. St
les leçons de ces Maîtres de l'éloquence &
de ces Oracles de la fageffe !
C'eft en employant les armes de la raifon
qu'on peut vaincre cet ennemi dangereux
que l'orgueil fait naître & dont la
foibleffe augmente la puiflance : le prix
de fes triomphes eft bien précieux. On
en recueille à chaque inftant de la vie les
heureux fruits ; c'eft la tranquillité du
coeur , les progrès de l'efprit , la perfection
des talens , une réputation brillante , l'amour
du monde , les fuffrages de la poſtérité
, en un mot le bonheur de la vie.
L'univers s'empreffe d'élever des trophées
au grand homme ; mais il ne l'eft vraiment
que quand il joint les vertus aux talens .
J'Ai
É GLOGUE
Par Madame ·
'Ai goûté de l'Amour la fuprême douceur ,
Difoit Amarillis à l'Amant le plus tendre ;
Suis-moi dans ce verger , viens lire dans mon coeur
Ce qu'à peine je puis comprendre ;
Viens , cher Mirtil , à mon bonheur
Il manque encor de te l'apprendre .
Le calme ennemi des travaux ,
Attendoit le tribut que lui doit la nature ;
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
La nuit promettoit d'être obfcure ,
Rien ne nuifoit à mon repos ,
Lorſqu'hier près d'ici , fur un lit de verdure ,
Dans les bras du fommeil j'oubliai tes rivaux.
Sur l'aile d'un fonge agréable ,
Tranſportée avec toi dans un féjour charmant ,
En dépit du fort qui m'accable ,
L'erreur fufpendoit mon tourment.
Un nouvel univers pour nous fembloit éclorre ;
L'air par les Zéphirs agité ,
Répandoit le parfum des richeffes de Flore ;
De la mystérieuse Aurore ,
Le jour empruntoit la clarté ;
Sous unCiel pur , dans cet azyle aimable ,
Nous refpirions le fentiment ;
Enfin à m'être favorable ,
Tout confpiroit également.
Souftraite au courroux de ma mere ,
Libre des préjugés tyrans de nos defirs ,
Pour la premiere fois , dans le fein des plaifirs ;
Sans crainte , fans témoins , & fûre de te plaire ;
Je répondois à tes foupirs.
De tous mes fens émus par ta préſence ,
Un trouble heureux s'étoit rendu vainqueur
Dans un voluptueux filence ,
Au charme de fentir j'abandonnois mon coeur ;
Puis fortant tout à coup de cet état tranquille ,
Pour un baifer reçu je t'en prodiguois mille ,
Tu jouiffois de ma félicité ;
L
NOVEMBRE . 1756. 53
L'Amour qui dans mes bras t'avoit précipité ,
T'en arrachoit pour t'y jetter encore :
L'écho par nos voix excité
Difoit fans ceffe , je t'adore ...
-C'étoit là l'unique ferment
Qui nous attachât l'un à l'autre ;
L'eftime jointe au fentiment ,
N'en vouloit point recevoir d'autre.
Du même feu nos deux coeurs animés ,
Dans le fein de la confiance
Refpectoient trop des noeuds par le penchant formés
,
Pour ofer prévoir l'inconftance.
Heureux par notre intelligence ,
Nous nous aimions fans art & fans remords ;
I a vérité de nos tranſports
Autorifoit leur violence ,
Pour gage de ma foi , mes regards enflammés
Te communiquoient mon ivreffe ...
Des plaifirs auffi purs doivent être exprimés
Par la feule délicateffe.
Hélas ! de tous les biens dont mon ame a joui ,
Cher Mirtil , mon amour eft le feul qui me refte ;
D'un fonge bienfaifant, par un reveil funefte ,
Le charme s'eft évanoui .
Dieux ! pourquoi de mes fens m'avoir rendu l'u
fage ?
J'ai repris avec eux ma raiſon & mes fers ;
De mon eſpoir trahi tel eft l'affreux partage ;
>
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Les uns m'enlevent l'avantage
De prolonger les douceurs que je perds ,
Et l'autre m'en offie l'image.
Eloignez de mes yeux vos perfides attraits ,
Souvenir dont en vain je me fens poffédée ;
D'un bonheur qui me fuit , la féduiſante idée
Comble l'horreur de mes regrets .
VERS
A Mademoiselle N... en lui préfentant
Coutean .
EN fuivant l'ufage vulgaire ,
Un Couteau ne s'offre guere
Entre les meilleurs amis ;
Il rompt , dit-on , les noeuds les plus unis .
Ce n'eft pas là l'ufage auquel je le deſtine ,
Notre amitié nous offre trop d'appas.
Des roſes feulement qui croiffent fous nos pas ,
Qu'il ait foin de couper jufqu'à la moindre épine.
Me.
NOVEMBRE . 1756 . SS
LETTRE de Mademoiselle de ....
l'Auteur du Mercure.
Comment oferai - je , Monfieur , vous
confier le projet dont j'ai la honte d'être
occupée depuis quelque temps ? Moi , me
faire imprimer ! moi , devenir Auteur ,
fans aucune connoiffance pour parvenir
.convenablement à cette diftinction ! J'avois
fait , je l'avoue , quelques vers dans
mes premiers beaux jours ; mais je fuis
née vaine je me méfiois de certains fades
adulateurs de ma Province, qui me comparoient
à Madame de la Suze , & je ne fçais
pourquoi ; car ce n'étoit point le genre de
l'Elegie que j'avois adopté : je trouvois même
déteſtables ces épithetes triftement répétées
; elles me donnoient des vapeurs.
C'étoit bien un autre modele que je m'étois
propofé. La charmante Deshoulieres ,
cette Poëte Philofophe qui met plus d'ame
& de raifon dans une de fes Idyles que les
Séneques dans tous leurs gros volumes :
voilà ce que j'admirois, voilà ce qui faifoit
mon ambition poétique . Mon illufion - fut
courte : j'avois adreffé une Epitre au célebre
Journaliste... Je ne gardois point l'incogni
to, j'exigois de la fincérité. Voici fa réponſe.
Civ
3 MERCURE DE FRANCE.
«Mon refpect , Mademoiſelle , vous
» fervira mieux que ma complaifance.
» J'attends pour vous faire, imprimer une
"piece moins chargée d'efprit . Renoncez ,
» croyez - moi , à toutes ces étincelles.
» Nous recevons bien des effais marqués
» au coin de la pefanteur : le vôtre eft dans
» un goût trop oppofé. »
ور
Je me réfignai tout doucement à cet
avis charitable : je me mis à méditer profondément
fur le fimple. Je ne lifois plus
que Marot , le Chevalier de Cailly , ma
chere Deshoulieres , & l'Abbé de Chaulieu
tentatives inutiles ! Je voulois être
fimple , je n'étois que plate. Je me le tins
pour dit : tout ce que j'avois fait fut jetté
au feu.
Le Démon des vers totalement abjuré ,
celui de l'impreffion ne me poffédoit pas
moins. Enchantée des Lettres de Madame
de Sévigné , & frappée des faccès de Madame
de Grafigni , je me donnai les airs
de faire quelque Lettres adreffées à des
Sçavans , ou à ces oififs importans qu'on
nomme gens du grand monde. Inftruite
de la prudente coutume de plufieurs Auteurs
diftingués , j'oubliai mon Manufcrit
quelque mois dans mon Secretaire ; &
moins en garde contre mon amour- propre ,
après cette épreuve je retouche certains
NOVEMBRE . 1756. 57
endroits de mes Lettres ; enfin je n'hésite
plus , j'envoye chercher le principal Libraire
de la Ville que j'habite . Ce font des gens
fort gâtés ces Meffieurs- là . Voilà qui eſt
beau , ceci eft bon , me difoit- il de temps
en temps d'un air capable. Devineriezvous
, Monfieur , quel fut le réfultar de fa
politeffe ? C'est dommage , ajouta - t'il , que
Mademoiſelle ne foit point encore connue
dans la République des Lettres. Les Journaux
de .... de .... ne vous ont point
encore annoncée. On ne vous a point attribué
, que je fçache , aucune piece Fugi
tive. Cependant il me vient un expédient
pour imprimer vos Lettres . Je les mettrai
fous le nom d'un de mes amis qui voudra
bien fe prêter à cet arrangement. Il eſt
des Académies de .... de .... de ....
Ah! de grace ; ceffez , Monfieur , le Bibliopole
! A- t-on la figure humaine avec
tous ces titres-là ? Et je ferme brufquement
la porte de mon cabinet.
Vous rappellez-vous , Monfieur , cette
mauvaiſe plaifanterie ?
Marion pleure , Marion crie ,
Marion veut qu'on la marie.
Vous le voyez , je me livre à la Parodie
: elle eft facile à faire. Il faut pourtant
C v
58 MERCURE DE FRANCE.
que j'apprenne mon nom , car Marion ne
l'eft point. C'eft Jeanne Jaqueline .
N'eft- ce point un crime Littéraire , ou
un ridicule de s'appeller ainfi Ah ! Monfieur
ma crainte devroit être frivole ,
j'en conviens : mais ſi vous me refuſez une
place dans votre Mercure de Novembre ,
je croirai que mon foupçon n'étoit pas mal
fondé.
A Vauréas , les Septembre 1756 .
CHANSON
Sur l'Air : Je lui file , file , file , & c.
Pour Madame la Marquife d'A ** * .
Depuis que l'on voit des Belles ,
On n'en voit point comme vous :
Vous effacez jufqu'à celles
Que nous nous difputions tous.
On diroit que fur ſes aîles
L'Amour apporte des cieux
Les graces toujours nouvelles
Qu'il fait briller dans vos yeux.
L'inconftance dans fa courfe
Avoit féduit tous les coeurs ;
NOVEMBRE. 1756. 59
Mais vous nous montrez la fource
Des plaifirs & des faveurs.
Vous rendez à la nature
Ses droits perdus pour jamais ,
Et vous vengez fon injure
En lui rendant fes attraits.
Le refpect de la tendreffe
Etoit perdu fans retour ;
Le caprice & la foibleffe
Prenoient le nom de l'Amour ;
Dans un accès de folie
On parloit de fentiment ,
Mais après la fantaisie
Op fe quittoit brufquement.
Les foupirs des coeurs fideles
Se cachoient dans les Chanfons ,
Et même dans les ruelles
Ils n'étoient que de vains fons ;
Près d'un objet raisonnable
L'ennui plaçoit le fommeil ,
Le dégoût impitoyable
Suivoit toujours le réveil :
*
Maintenant que mille flammes
Sont le prix de vos attraits ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE
L'Amour renaît dans les ames ,
Ses charmes font vos bienfaits :
Tous les coeurs veulent paroître
Dignes de vous enflammer ,
Et ce defir fait renaître
Les plaifirs & l'art d'aimer.
Pour moi , je ne puis vous dire
Ce que je fens dans mon coeur :
Plus je vous vois , plus j'admire
Votre mérite enchanteur ;
A peine je puis comprendre
Ce que je deviens par vous ;
Un tranſport ne peut fe rendre ,
Et je les éprouve tous.
REMERCIEMENT
A M. le Maréchal Duc de Richelieu.
DEs
Es Mortels diftingués , qui chez moi font
venus >
Le Vainqueur de Minorque efface la vifite ;
Quel éclat répandu fur mon peu de mérite ,
J'ai reçu le Dieu Mars , & ne fuis point Vénus
Par Mme BOURETTE, du Cafe Allemand.
Ce 28 Septembre 1756.
NOVEMBRE. 1756. 61
L'ESPRIT ET LA SCIENCE ,
Allégorie Angloife tirée du RAMBLER.
L'Eſprit & la Science , étoient enfans
d'Apollon , mais de deux différentes meres.
Le premier tenoit le jour de la gaie Euphrofine
, l'autre de la férieufe Sophie. Le
frere & la four reffembloient à leurs meres.
A la toilette de Vénus , l'Esprit fe mocquoit
de la Science , & contrefaifoit fon extérieur
grave & pefant. La Science entretenoit
Mine. ve des bévues & de l'ignorance de
1'Efprit. Avec l'âge , leurs querelles s'augmenterent.
Le frere triomphoit au commencement
d'une difpute , fa foeur le
confondoit à la fin . Elle s'attiroit de l'eftime
, & même de la vénération ; on ſe
fentoit du goût & de l'inclination pour
lui. Impétueux & rapide , il donnoit tout
à la nouveauté ; lente & embarraffée ,
elle diftinguoit éternellement , & n'accordoit
fon fuffrage qu'à l'Antiquité , à l'Autorité
& à la Raifon . L'un divertiffoit toujours
, l'autre convainquoit le plus fouvent.
Tous deux fe rendoient ridicules
en fortant de leur caractere. On méprifoit
les raifonnemens de l'Esprit ; on ne
62 MERCURE DE FRANCE.
-
rioit point du badinage de la Science ; enfin
les conteftations s'échaufferent : l'Animofité
s'en mêla , il fe forma des partis
dans le célefte Palais , & pour y rétablir
l'harmonie , Jupiter en chaffa les deux
rivaux. Ils porterent leurs goûts & leurs
querelles chez les Mortels. Les Jeunes
Gens furent pour l'Efprit , les Vieillards
pour la Science. Des Théâtres furent conf
truits par l'un , des Colleges bâtis par l'autre.
En entrant dans le monde , il falloit
faire un choix , & renoncer aux faveurs
de l'une des Divinités pour avoir part à
celles de l'autre. Les Puiffances rivales fe
réuniffoient cependant contre de communs
ennemis. Il y avoit en effet une claſſe de
Mortels qui , dévoués à Plutus , méprifoient
également & l'Eſprit & la Science ,
& qui peu à peu leur enlevoient leurs conquêtes.
Las de ces fréquentes défertions ,
le Couple célefte demanda , & obtint du
Maître des Dieux , la permiffion de revoir
fa patrie. Mais le retour fut difficile. L'Ef
prit fe hâta , étendit les aîles , plana dans
les nues , s'y perdit , & eut beaucoup de
peine à regagner la terre. La Science ne
couroit pas ce rifque , elle fçavoit le chemin
; mais faute de vigueur elle ne pouvoit
s'élever , & retrouvoit , en tombant ,
fon Antagoniſte auffi avancé qu'elle . Après
NOVEMBRE. 1756. 63
bien des efforts inutiles , la Néceffité les
fit confentir à s'aider réciproquement.
L'Esprit foutint la Science , & la prit pour
fon guide. Cette union eut des fuites heureufes.
Le frere initia la foeur au commerce
des Graces ; elle l'engagea au fervice
des Vertus . Le mariage acheva de les unir,
& donna naiffance aux Sciences & aux
Arts.
LE SENTIMENT ,
EP ITR E.
Par M. Vaffe , Auteur de l'Epitaphe du
Maréchal de Saxe, inférée dans le premier
Mercure d'Octobre dernier , & mife par
une faute d'impreffion fous le nom de
M. Taffe.
TEndre ami de l'humanité ,
Digne fcrutateur de mon ame ;
Voyez-y l'objet qui m'enflâme ,
Et confidérez à côté
Un protecteur dont la bonté
De mes jours enrichit la trame ,
En y répandant la gaîté.
Ennemi de l'hypocrifie
Je ne cache point à vos yeux,
64 MERCURE DE FRANCE.
Que de mes jours une partie ,
D'une Sylvanire eſt remplie.
Je m'offre tel que m'ont formé les Dieux.
Eh ! pourquoi de notre exiſtence
Nier le privilege heureux ,
Le bonheur de fentir ? J'en connois l'importance :
Cette divine ardeur , fource des tendres voeux ,
Eft un befoin que la fage nature
A mis dans le coeur des mortels.
Quand elle eft delicate & pure ,
Elle fçait des vertus décorer les autels .
Je ne puis exprimer l'effet de cette flamme.
En vain je voudrois l'effayer :
En la rendant plus douce , elle éleve notre ame ;
Loin de nuire au devoir , elle fçait l'égayer.
Tendre amitié , douce reconnoiffance ,
Vous ne venez qu'après l'amour ,
Et ma véridique éloquence
Ne vous place qu'à votre tour .
J'aimai dès ma treizieme année ;
Et je ne connus les bienfaits ,
Que lorfque de ma deſtinée
J'avois déja fenti les plus rigoureux traits :
Mais les mortels équitables & fages ,
Avec plaifir vous rendent leurs hommages.
S'ils payent un peu tard les droits qui vous font
dûs ,
Vous fçavez que les arrérages
Ne peuvent en être perdas.
NOVEMBRE . 1756. ૩૬
Econome , fans avarice ,
Convive , fuyant les excès ,
Et voluptueux , fans caprice ,
Dans ma meilleure caufe évitant les procès ,
Jamais je ne trouvai de penchant invincible ,
Que comme ami fidele ou comme tendte amant
Mon bonheur en eft plus fenfible ,
Je ne le dois qu'au fentiment.
Le mot
E mot de l'Enigme du fecond Volume
du Mercure d'Octobre et Compas. Celui
du Logogryphe eft Source , dans lequel
on trouve courfe , roue , ours , coeur , Corfe ,
foeur & fucre.
ENIGM E.
Oui j'ai , mon cher Lecteur , un corps ainfi
qu'une ame ,
Et femblable à l'Amour , fans avoir fes attraits ,
Je fuis toujours l'auteur d'une plus vive flamme :
Mais par un fort bizarre & cruel à l'excès ,
Dans un fens différent , qui change ma puiffance,
Jefais naître à la fois la haine & la vengeance.
Par M. C... à Alençon , le 4 Octobre
1756.
66 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPHE.
A l'Auteur du Chipolata
Salut , honneur , & cætera :
Vous m'avez échauffé la bile.
Votre ragoût n'eft pas connu ;
Car (1 ) Soeur Louiſe très- habile ,
N'en a pas fait , n'en a pas vu.
Ah ! que je ferai fatisfaite ,
Si par un mot vieux ou nouveau ,
Je puis du fond de ma retraite ,
Aller troubler votre cerveau.
Dix-neuf pieds , cher Lecteur , forment mon exiftence
:
En me décompofant , tu peux avec aifance
Voir un fleuve fameux par fes débordemens ;
Ce qu'on tâche au trictrac de conferver longtemps
;
Celui qui croit à l'Evangile ;
Le Héros que chanta Virgile ;
Un célebre comique , un fruit délicieux ;
Ce que l'homme redoute en out temps en tous
lieux :
Un Général Romain , conquérant de l'Espagne;
Deux Empires d'Afie , une fainte montagne ;
(1 ) Chefde Cuifine du Couvent.
D
NOVEMBRE. 1756. €67
Un outil emmanché , néceffaire aux fapeurs ;
! Ce qu'engendre un procès entre des chicanears ;
Une Ville en Touraine , une belle fourrure ;
Le plus précieux don que faffe la nature ;
Un monftre fabuleux , un oiſeau babillard ;
Celle qui verfe aux Dieux le précieux Nectar ;
Un fils de Jupiter , un des Héros d'Homere ;
Du célefte féjour la prompte Meffagere ;
Un Juge des Enfers , un terme de Blazon ;
Le Roi des animaux , un excellent poiffon ;
Les deux noms que procure un fécond Hymenée ;
Ce qu'il faut douze fois pour former une année
Un mortel fur le trône , un faint Légiflateur ;
Du Paradis perdu l'incomparable Auteur ;
Le Sage conducteur du jeune fils d'Uliffe ,
Et l'imprudent époux de la tendre Euridice .
Par Mlle DE SAURET , cadette , Penfionnaire
aux Dames de Sainte Foy. En Agenois.
1
ENIGM E.
;
ADmire un peu , Lecteur , mon étrange ſtructure
:
Sans jambes , j'ai mon corps ; j'ai des poignets ,
fans mains ;
J'ai même un col fans tête, & je fers aux humains :
Devine maintenant qu'elle est donc ma sature .
Par M. C.
78 MERCURE DE FRANCE:
LOGO GRTPH E.
JE füis , ami Lecteur , un hideux phénomene
Redoutable fléau dans la nature humaine.
;
Je renferme en mon ſein l'arbre du Mont Liban,
Qui fe perd dans les airs , un fleuve du Braban
Le nom fi révéré des Maîtres de la terre ;
Ce qui fait aux mortels affronter le tonnerre ,
Ce qui dans le befoin fert de retranchement
Un ornement d'Eglife , un antique bftrument ;
Le mari de Procris , un monftre de la fable ;
L'objet qui pour un fils doit eae reſpectable ;
Ce que cherche un Marin ; un Tile du Levant ;
Ce qui porte un pendu quand on le jette au vent.
Quoique mille autres mots forment mon exiſtence,
C'eft affez éprouver , Lecteur , ta patience :
Je n'en dirai plus qu'un ; fi tu veux de mes maux
Connoître les effets , cherche-moi dans Bordeaux.
Par M.l'Abbé de M.Vic. Gén. de M. l'Ev . de B.
CHANSON
ENN vain j'ai voulu m'en défendre
,
L'Amour
est mon vainqueur :
Aimable Iris , pouvois- je vous entendre ,
Et conferver mon coeur !
Air Tendre .
4
En vainj'ay voulu m'en défendre , düze
mour est mon vainqueur -queur,Aimable I
7 6
ris pouvoisje vous entendre , Et conser =
m
ver mon coeur, Aimable Iris,pouvois -je
86
vous en
6
tendre Et conserver mon coeur, Aimable Izcoeur
6 x4 6
Novembre 1756.
1:
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
.
ASTOR . LENOX AND
ATILDEN FOUNDATIONS
0
G
F
C
NOVEMBRE . 1756. 69
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES:
MÉMOIRES
ÉMOIRES pour fervir à l'Hiftoire
d'Espagne , fous le regne de Philippe V ;
par M. le Marquis de Saint- Philippe , traduit
de l'Efpagnol. A Amsterdam , & ſe
vend à Paris , chez Debure l'aîné , & Tillard
, Quai des Auguftins. Prix relié 12 l .
Cet Ouvrage roule fur une matiere trèsconnue
, mais qui ne peut ceffer de nous
paroître intéreffante par la grandeur des
objets , par les événemens variés & inouis ,
par l'époque d'une révolution importante,
qui a changé la face de l'Europe , & qui
doit être à jamais confacrée dans les faftes
des deux plus puiffantes Monarchies de
cette partie du monde. Les troubles qui
défolerent l'Eſpagne dans la guerre pour
la fucceffion à la Couronne de Charles II ,
porterent ce grand Royaume fur le penchant
de fa ruine , & lui firent des plaies
qui faigneroient encore aujourd'hui , fans
les fages principes qui conduifent actuellement
le Miniftere Efpagnol . On rapporte
ces troubles à des caufes qui ont de tout
70 MERCURE DE FRANCE.
temps
fait les révolutions des Etats , les
intrigues des Grands & les préjugés du
peuple.
Le Marquis de Saint- Philippe eft illuftre
dans la République des Lettres : il a
donné une Hiftoire de la Monarchie des
Hébreux , que les Sçavans ont louée , & il
mérite véritablement par ces nouveaux
Mémoires le nom fi prodigué d'Hiftorien .
Il fe trompe cependant quelquefois , en
nous repréfentant la Cour de France divifée
par des intrigues , dont l'objet étoit
d'obtenir de Louis XIV qu'il fît la paix ,
en facrifiant le Roi d'Efpagne au malheur
des temps . Il nous fait voir qu'il ignoroit
de quel génie Louis XIV gouvernoit fa
famille , la Cour & fon Etat. Le Traducteur
ne perd pas l'occafion de faire connoître
la fituation intérieure , de l'Espagne.
Nous devons , dit - il , à l'eftime que
» nous faifons de la Nation Efpagnole , de
»ne pas laiffer la plupart de nos Lecteurs
» dans l'idée qu'ils s'en font formée . On t
» n'écoute que trop les préventions les
» moins excufables , lorfqu'on veut juger
» de fes voifins. Mais fi l'on vient à les
» juger avec impartialité , les préjugés
» s'évanouiffent pour faire place à ce que
» lears vertus nous arrachent d'eftime &
» de louanges. » Le regne du feu Roi :
NOVEMBRE. 1756. 71
rear
Catholique eft une de ces époques fingulieres
, dont l'Hiftoire doit conferver le
fouvenir avec quelque étendue dans les
détails : mais fi les faits publics auxquels
tout l'univers s'intéreffe font dignes d'être
stranfmis à la poftérité , ce qui fe paffoit
dans l'intérieur de la Cour & dans le fanctuaire
du Gouvernement , mérite auffi
quelque attention ; c'est ce que l'Auteur
n'a pas perdu de vue.
Il eft prefque toujours fidele & bien
inftruit. Quelques préjugés percent par
intervalles , mais c'eft en des chofes qui
ne font pas la partie effentielle de fon Livre.
Il a tant de fois bien vu , qu'on doit
oublier qu'il s'eft trompé quelquefois. Le
Traducteur mérite de partager les louanges
dûes à l'Auteur. Nous n'avons guere
de traduction mieux faites & mieux écrites
que la fienne. Le mérite fi eſtimable
de fçavoir élaguer , rapprocher , éclaircir ,
fimplifier , eft joint partout au mérite fi
rare d'écrire convenablement , qui eft le
bien écrire , & de parler des petites chofes
comme des grandes fans affectation d'eſprit
& fans négligence de ftyle.
TRAITÉ des caufes & fymptomes de la
pierre , & des principaux remedes en ufage
pour guérir cette maladie , traduit de l'Anglois.
72 MERCURE DE FRANCE.
Si un fyftême de guérifon établi fur
des preuves auffi folides que le font des
fuccès univerfels , l'approbation de Commiffaires
célebres nommés par acte de Parlement
( 1 ) , les éloges unanimes des guéris,
& une récompenfe de cent vingt mille
livres , accordée folemnellement par le
Corps d'une Nation , le plus fage & le
plus éclairé ; fi , dis- je , un fyftême auffibien
appuyé doit infpirer la confiance , on
peut regarder le Livre qu'on donne aujourd'hui
comme un préfent fait à la nature
humaine. Il contient les principes raiſonnés
du fyftême , les preuves de fon efficacité
, la lifte des perfonnes nombreuſes qui
doivent à leur confiance la vie & la fin de
leurs tourmens. Sans le Livre le ſyſtême
n'auroit point toute fa valeur ; il y a des
malades qui ne fe rendent aux faits qu'autant
qu'ils font confirmés par le raifonnement
: il y a des Médecins jaloux ou ennemis
des nouveautés qui attaquent impitoyablement
tout ce qui en a le caractere ,
fle vrai n'eft pas démontré en même
temps aux yeux & à l'efprit. Un Livre qui
répand cette authenticité précieuſe fur une
invention falutaire , eft donc un bienfait
inestimable. L'Auteur du fyftême eft la
célebre Mademoiſelle Stephens ; l'Auteur
(1 ) Le Parlement d'Angleterre.
du
NOVEMBRE . 1756. 73
du Livre eft M. Defcherny, fon beau frere ,
Médecin à Londres . On , en trouve des .
Exemplaires à Paris , chez Durand , tue
du Foin ; à Lyon , chez A. Delaroche , tue ,
Merciere ; à Rouen , chez Befogne ; à Bordeaux
, chez les Freres Laboitiere ; à Marfeille
, chez Boyer , fur le Port ; à Toulouſe ,
ch.z Biroffe Dans toutes les Villes de France
on pourra s'adretler aux Libraires , &
dans les endroits où il n'y aura point de:
Libraires , aux Directeurs des Poftes.
LETTRES de Madame du Montier à la
Marquife de *** fa fille , avec les Réponfes.
A aris chez Duchesne , rue S. Jacques
, au Temple du Goût. Ces Lettres
avoient déja paru dans un Recueil d'hiftorietres
, intitulé Lectures ferienfes & amufantes.
Elles y étoient déplacées & comme
perdues on doir fçavoir gré au Libraire
de leur avoir donné une nouvelle vie . Ce
font des Lettres précieufes à l'humanité &
à la Religion . On y trouve d'ailleurs l'agrément
, la variété & l'intérêt . C'eft une
mere formée fur le modele de Madame de
Sévigné , pour le fentiment . Son ftyle ne
fait pas le même plaifir , mais fes confeils
font le même bien . C'eft une tendrefle
vive , une raifon aimable , une vertu é lai
rée. On voudroit avoir une amie auffi rai-
D
74 MERCURE DE FRANCE.
fonnable , auffi fincere , auffi bonne , &
une mere auffi tendre. La fille offre un
exemple touchant d'amour , de confiance
& de docilité. C'eft entr'elles une façon
d'aimer , de voir , de prononcer qui vous
affocie à leurs vertus & à leurs fentimens
Vous penfez comme elles , vous voudriez
les voir & les entendre. Elles ont l'une &
l'autre ce naturel de l'efprit qui fait les
impreffions . Leurs réflexions font courtes ,
toujours placées , toujours ingénieufes.
L'efprit ne brille point dans leurs Lettres ,
mais il s'y fait fentir : il ne répand point
de l'éclat fur le bon fens , il l'affaifonne
feulement , lui prere des graces & lui affure
fon effet. Ce Livre eft encore rehauffé
par l'agrément des récits , l'intérêt des
aventures : c'eft une action continuelle
tout en eft rapporté à la gloire de la Religion.
L'amour y paroît quelquefois , mais
pour y montrer fes vertus . Il fournit l'exemple
de la plus parfaite raiſon par fes combats
& par fes effets . C'eft un Ouvrage intéreffant
, agréable , édifiant , & qu'on peut
regarder comme un modele , malgré quelques
défauts de ftyle & de langage qui s'y
laiffent appercevoir .
LE CONCILIAteur , on la Nobleffe
Militaire & Commerçante , en réponſe
NOVEMBRE . 1756. 75
aux objections faites par l'Auteur de la
Nobleffe Miliaire ; par M. l'Abbé de ****
Se trouve à Paris , chez Duchesne , rue
S. Jacques , au Temple du Goût. Brochure
de 156 pages.
HISTOIRES édifiantes , pour fervir de
lecture aux jeunes Perfonnes de l'un & de
l'autre fexe . Nouvelle édition , augmen
tée de plufieurs Hiftoires & de quelques
Extraits des plus célebres Poëtes François ,
fur les matieres qui ont rapport à la piété. ›
A Paris , chez Duchesne , rue S. Jacques ,
au Temple du Goût. Cette nouvelle édi
tion eft faite à la follicitation des Dames de
S. Cyr. Il paroît affez inutile après cela ,
de s'étendre fur la bonté du Livre. Le feul
nom de l'Auteur ( 1 ) fuffit d'ailleurs pour
en donner une idée avantageufe. Auffi dès
qu'il parut , tout le monde s'empreffa de
le lire & d'en procurer la lecture. Les
Communautés Religieufes , furtout , let
regarderent comme un des Ouvrages qui :
réuniffent les avantages de l'inftruction!
& l'agrément du ftyle. Le Libraire doit fe
flatter qu'on ne lui fera pas un moindre
accueil aujourd'hui.
(1 ) M. Duché , de l'Académie Royale des Inf
criptions , connu par beaucoup d'autres Ouvrages
, furtout par trois Pieces de Théâtre tirées de
ÏEcriture-fainte , Abfalon , Jonathas & Débora .
Dij
76. MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE de l'Auteur des Lettres à
un Am'ricain , à la Lettre ( 1 ) de M.`
Abbe de Condillac.
EN répondant , Monfieur , à la lettre
que vous m'avez fait Fhonneur de m'écrire
par la voie du Mercure , je comptois vous
annoncer l'Analyfe des fenfations . J'efpérois
que ce traité feroit bientôt en état
d'être publié : mais de juftes confidérations
m'obligeant à le laiffer repofer encore quelque
temps dans mon porte- feuille , j'ai
craint que ce délai ne fortifiât les impreffions
que vous avez prifes en parcourant
mes lettres à un Américain , & n'accréditât
dans le public des foupçons fur ma
bonne foi. Or je dois , ce me ſemble , plus
encore aux vérités que j'ai défendues, qu'à
mon intérêt propre , le foin d'écarter ces
impreffions & ces foupçons : c'est ce qui
me détermine à répondre à vos plaintes
plutôt que je ne me l'étois propofé.
Vous aimez , vous cherchez la vérité ,
Monfieur : je l'aime & je la cherche auffi.
Nous fommes donc rivaux ; mais nous le .
fommes dans la pourfuite d'un bien que
( 1 ) Mercure de France , Avril 1756 , I. vol.
pag. 84.
NOVEMBRE. 1756. 77
:
chacun de nous peut pofféder tout entier ;
qu'il doit par conféquent rechercher non
feulement fans jaloufie , mais de plus avec
P'intention généreufe de le communiquer
tout entier à fon rival , dès qu'il en aura
fait la conquête ainfi rien n'eft plus noble
que le genre de notre combat. Qu'un ef-
-prit de pique ne nous engage donc point
dans des difputes ftériles fur les procédés
qui nous détourneroient des recherches
importantes qui nous occupent , & ne feroient
qu'amufer le public à nos dépens.
J'eftime en vous , Monfieur , un adverfaire
dont le génie , les connoiffances , la
droirure & l'amour pour la vérité , méritent
toute forte d'égards . Mais vous vous
êtes trop hâté de m'écrire , & vous l'avez
fait dans cet accès de dépit très pardonna
ble , qu'excite toujours dans un auteur lè
chagrin d'être réfuté. Il n'eft guere poffible
de pefer les raifons d'une réfuration à la
première lecture. Il eft bon dans ces occafions
de prendre du temps pour laiffer les
premiers mouvemens fe calmer , afin dé
juger de fang- froid entre fon adverfaire &
foi même ; & c'eft la conduite que j'ai cru
devoir tenir avec vous , Monfieur , à l'occafion
de votre lettre.
Quand vos ouvrages ont paru , je les ai
recherchés dans le deffein de m'inftruire.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Nalle paffion ne m'a troublé dans ma lecture.
Je vous ai étudié comme j'ai étudié,
dans ma jeuneſſe , les plus grands maîtres
avec refpect , mais avec liberté . J'ai furpris
ces hommes célebres dans plufieurs écarts ,
en tenant toujours le fil même qu'ils m'avoient
fourni pour marcher fûrement dans
le Dédale de la philofophie. Je n'ai pas cru
me rendre coupable d'ingratitude , en découvrant
leurs fautes. M'étoit- il donc défendu
d'ufer de la même franchiſe avec
yous ?
Yous me donnez , Monfieur , des avis
très importans fur la maniere d'examiner
Jes ouvrages qu'on entreprend de critiquer,
& je vous en fuis fenfiblement obligé.
Mais je n'imagine pas ce qui peut vous
avoir fait foupçonner que j'avois befoin
qu'ils me fuffent remis fous les yeux ; car
ma confcience ne me reproche pas d'en
avoir négligé aucun dans l'étude que j'ai
faite de vos ouvrages
.
Vous paroiffez autorifer les leçons que
vous me donnez fur ce qu'en citant une de
yos notes , les guillemets uniffent à votre
phrafe un morque j'y avois joint pour plus
ample éclairciffement : ce n'eft qu'une faute
d'impreffion. Ainfi vous donnez un fup,
plément à mon errata : je vous en dois des
remerciemens. Vous auriez pu relever trois
NOVEMBRE. 1756. 79
autres fautes de la même efpece dans le
peu de lignes que vous tranfcrivez de mon
livre , qui brouillent également vos idées
& les miennes. Un point interrogant de
trop : vous avez eu la bonté de corriger
cette faute & deux C majufcules , qui femblent
commencer des phrafes , tandis que
c'eft toujours la même. Vous avez encore
corrigé la premiere de ces deux fautes :
mais ne nous arrêtons pas , Monfieur , à
ces minuties. Je confeffe tout fimplement
que le mot ailleurs devoit être hors des
guillemets , comme n'appartenant point à
votre note : mais il eſt temps d'examiner
la façon dont vous relevez cette faute.
Vous vous exprimez ainfi .
"
"
( 1 ) Vous tranfcrivez ainfi une de
» mes notes , ( neuvieme párt. pag. 26 ) .
S'il n'y a point d'étendue, dira-t'on peut-
» être , il n'y a point de corps. Je ne dis pas
qu'il n'y a point d'étendue ; je dis feule-
» ment que nous ne l'appercevons que dans
» nos fenfations, n'y eût- il point d'étendue
ailleurs, que dans nos fenfations: c'est appa-
» remment ce qu'il veut dire. Voyez vos ré-
» Alexions. Si vous citez exactement, il eſt
» évident que je fuppofe de l'étendue aux
»fenfations & à l'ame : je prends acte de
[ (1) Merc. Avril , 2 val. p. 85.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
» cet aveu. Mais , Monfieur, les lignes que
» vous avez omifes , & le mot ailleurs que
» vous avez ajouté & interprété , changent
» entiérement ma penfée .: " >>
Reftituons d'abord les mots que j'ai
omis. Après avoir dit que nous n'appercevons
l'étendue
que dans nosfenfations , (pelez bien
la valeur de ces termes , ) ils font en italique
, afin de vous y rendre attentif , vous
ajoutez D'où il s'enfuit que nous ne
"
voyons point les corps en eux - mêmes.
" Peut-être font ils étendus , & niême fa-
" voureux , fonores , colorés , odoriférans;
» peut- être ne font ils rien de tout cela.
Je ne foutiens ni l'un , ni l'autre , & j'at-
» tends qu'on ait prouvé qu'ils font ce
qu'ils nous paroiffent , ou qu'ils font toute
autre chofe. N'y eût il point d'étendue :
vce ne feroit donc pas une raison pour nitr
l'existence des corps. »
Je vous conjure , Monfieur , de m'apprendre
comment ces lignes que j'ai omifes,
prouvent que vous ne donnez pas
l'étendue aux fenfations & à l'ame : car en
vérité je ne le vois pas , & c'est parce que
je n'ai pas même entrevu en quoi ces paroles
modifioient ce que vous veniez de dire,
que je les ai fupprimées , comme inutiles.
Si le mot ailleurs , qu'on a joint mal à
NOVEMBRE . 1756. 81
propos
à votre texte , ne fait
que développer
votre penfée , deux chofes font dé
montrées : Premiérement , que je n'ai eu
aucune mauvaife intention en vous interprétant
comme j'ai fait : Secondement, que
vous fuppofez de l'étendue aux fenfations
& à l'ame ; & ce ſecond point fera évident
par l'aveu que vous faites , & dont j'ai
pris acte dans le moment .
Or il est très- facile de vous prouver que
j'ai très- bien pris votre penfée. Que les
corps foient étendus ou non , n'eft-il pas
vrai que nous appercevons l'étendue , &
que felon vous , nous ne l'appercevons que
dans nos fenfations ? Donc , quand vous
fuppofez qu'il n'y a point d'étendue, vous
l'excluez des corps , & non pas de nos
fenfations. J'ai donc eu grande raifon de
rendre ainfi votre fuppofition : N'y eût il
point d'étendue ailleurs que dans nos fenfations
, ce ne feroit pas une raison pour nier
Pexistence des corps. "Tout ce qu'on pour
>> roit & devroit raiſonnablement inférer ,
» c'eft que les corps font des êtres qui oc-
» cafionnent en nous des fenfations , &
» qui ont des propriétés fur lefquelles nous
ود
ne fçautions rien affurer. » ( 1 ) Lorfqu'on
nous demande s'ils font étendus , fa
voureux , fonores , odoriférans , comme
(1 ) Même Merc. Avril , 2 vol.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
yous le difiez tout -à- l'heure , pourquoi
ajouter ailleurs ? De peur qu'on ne penfât
que vous excluez toute étendue , même
celle que nous n'appercevons que dans nos
fenfations ; ce qui eût totalement défiguré
votre penſée.
و ر
( 1 ) « En vérité , » ajoutez-vous après
deux petits reproches fur toute autre chofe,
& auxquels je répondrai deux mots dans la
fuite , a la forme que vous faites prendre
à mes principes , les déguiſe tout -à -fait,
» & il n'eft point de lecteur intelligent
qui ne puiffe s'appercevoir que ce n'eſt
pas moi que vous combattez. » Je fuis
fort capable de me tromper : mais en vérité
je n'ai eu d'autre intention que celle
de bien rendre votre opinion , & de la
bien réfuter. J'en appelle à ce même public
que vous croyez fi favorable à votre
doctrine , & je le prie , pour éviter des
redites toujours ennuyeufes , de lire ma
trentieme lettre à un Américain , & de la
comparer avec votre traité des fenfations ,
ou feulement avec l'extrait que vous en
donnez , Monfieur , à la fin de votre traité
des animaux .
Vous fondez ce que vous me reprochez
fur ces mots que je vous fais adreffer par
un Matérialiſte, « Vous prétendez que je
(1 ) Merc. Avril, 2, vol, p. 86,
NOVEMBRE. 1756. 83
ود
vois les trois dimenfions. » J'ai encore
tort ici. Il falloit dire : « Vous prétendez
» que je ne vois les trois dimenfions que
(1 ) dans les façons d'être de mon ame ,
» dans les modes par lefquels elle fe fent
» exifter : elles y font donc au moins , fi
» elles ne font nulle part ailleurs. »
"3
"
K
>
Vous répondez qu'à la précifion que
>> vous tâchez de donner à vos principes ,
» je fubftitue un vague très- favorable` aux
conféquences que j'en veux tirer. Si je
» dis , continuez - vous , que nos fenfations
» nous donnent une idée de l'étendue , »
vous tomberiez dans le vague , fi vous
vous étiez exprimé de la forte. Vous aviez
dit , avec bien plus dé précifion , que nous
n'appercevons l'étendue que dans nos fenfa
tions : « c'eft uniquement lorfque les rap-
» portant au dehors, nous les prenons pour
les qualités des objets . Mais j'ai prouvé
» bien des fois qu'elles ne donnent point
» cette idée , lorfque nous les confidérons
» comme des manieres d'être de notre
" ame. » ( 2 ) J'ai dit tout cela , Monfieur ,
dans ma trentieme lettre à un Américain,
& je l'ai dit d'après vous. Donnez- vous la
peine de relire le compte que j'y rends de
(1) Ibid. p. 87.
(2) Lettre à Améric. part. 9 , p. 18.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
vorre précision; vous aurez en même temps
le plaifir de vous relire vous même,
Voilà plufieurs fenfations coexiftan-
» tes , & c'eſt déja une condition préala
» ble au phén mene de l'ét.ndue : mais ce
» n'eft pas allez pour le produire. » Ne reconnoillez
vous pas là les fenfations deftituées
d'étendue ? (1 ) L'idée de l'étendue
fuppofe non feulement que plufieurs
" chofes coexiftent ; elle fuppofe encore
» qu'elles fe lient , fe terminent mutuellement
, & fe circonfcrivent Or c'eft une
<» propriété que n'ont point les fenfations
" auxquelles nous bornons cet homme.
ม
و د
و د
"
Elles fe préfentent au contraire à lui ,
» comme ifolées. » Ne voilà-t- il pas encore
vos fenfations dénuées d'étendue , bien
difertement reconnues ? « Mais fi nous lui
» accordons le fentiment de folidité , auffi
» tôt les manieres d'être de l'ame réfiftent
» les unes aux autres : elles s'excluent , fe
» terminent mutuellement , & cet homme
»fent en elles les différentes parties de fon
» corps. » J'en concluds , & qui n'en tirera
pas la même conféquence , que les fenfations
grouppées, comme vous aimez à vous
exprimer , Monfieur , par le fens du tact ,
acquierent tout ce qui leur manquoit pour
avoir les trois dimenfions de l'étendue. Il
(1 ) Traité des Anim. p. 212 ,
NOVEMBRE . 1756. 85
leur manquoit de fe réfifter les unes aux
autres , de s'exclure , de fe terminer mutuellement
, non au dehors de l'ame , puifqu'elles
n'y font pas , & qu'elles ne peuvent
fe réfifter , s'exclure , fe terminer
qu'où elles font . La fenfation de folidité
eit auffi dans l'ame , & c'eſt elle qui fait
que les autres fe terminent , s'excluent , fe
réfiftent les unes aux autres . Vous voulez
qu'alors l'ame fe détache de fes fenfations ,
qu'elle les confidere comme étant an
dehors : mais elles ne font pas moins en
elle , & revêtues des trois dimenfions , de
quelque maniere qu'elle les confidere. Ce
n'eft pas parce qu'elle les voit au dehors
d'elle , qu'elles font érendues ; c'eft parce
que la fenfation de folidité les a grouppées
où elles font , c'est - à - dire , dans l'ame . Au
refte j'ai fidélement exprimé cette tranflation
des fenfations grouppées.
» ainfi , je tranfcrivois votre conclufion , que
» forcés par le fentiment de folidité à rapporter
nos fenfations au dehors , nous
produifons le phénomene de l'eſpace &
» des corps. " J'appelle cette idée vague "
& je juftifierai pleinement cette épithete
dans mon analyfe des fenfations . En attendant
, je vous demanderai , Monfieur , fi
vous le trouvez bon , ce que c'est que ce
dehors auquel l'ame rapporte les fenfations
C'eft
86 MERCURE DE FRANCE.
و د
grouppées , ce phénomene de l'ame en un
mot que vous appellez l'efpace & les corps,
en quel lieu les place - t'elle ? Mais quelquelque
réponse que vous daigniez me
faire , je n'en foutiendrai pas moins que
le Matérialiste a droit de vous dire qu'il
voit les trois dimenfions dans les façons
d'être de fon ame , par lefquelles elle fe
fent exifter, qu'elles y font donc au moins,
fi elles ne font nulle part ailleurs. ( 1 )
« Vous direz , tant qu'il vous plaira , qu'un
» être étendu n'eft pas un corps . Peu nous
importe , lui ai-je encorefait dire ; pour
» vous accorder quelque chofe , nous di-
» rons feulement que notre ame eſt un être
qui fe fent exifter fous les trois dimen-
»fions, & non fans les dimenfions, comme
l'Imprimeur a mis : car voilà encore
une faute qu'on pourroit m'imputer. Enfin
ce Matérialiſte iroit encore plus loin . Je
fçais bien , vous diroit-il , que vous reconnoiffez
dans votre ftatue des fenfations,
avant qu'elle ait eu aucune idée de l'étendue
; que vous prétendez même que nous
en avons eu auffi de telles dans notre enfance
, dont il ne nous refte pas le moindre
fouvenir , & qui font purement des
modes de notre ame ; qu'enfin vous foutenez
qu'actuellement tous les fens, à l'excep
23
(1 ) Trentieme Lettre à un Améric. 9. partie
NOVEMBRE . 1756. 87
tion du toucher , « n'ont par eux - mêmes
» que la propriété de modifier l'ame.
Mais 1 °. nous ne raifonnons point fur des
phénomenes dont nous n'avons aucune
idée ; nous ne comptons que fur ceux que
nous fommes à portée de connoître. ( 1 )
Outre que vous convenez qu'on a de la
peine à démêler ce qui appartient à chaque
fens , comme à la fenfation des couleurs
fans étendue , & c. & que vous pourriez
vous vanter d'être le feul qui fçachiez faire
de telles précisions , il eft très-vrai que ,
felon vous , les couleurs font grouppées
par la fenfation de folidité , & forment
l'étendue ; & par conféquent vous devez
convenir avec nous que l'étendue eft une
façon d'être de notre ame. Certainement ,
en raifonnant ainfi , ce Matérialiſte ne
concluroit que d'après vos principes ,
Monfieur.
39
" Il ne tiendroit qu'à vous de prouver
» que tous nos Philofophes font des Matérialiftes.
» (2 ) En parlant ainfi , vous
voudriez faire entendre , Monfieur , que
j'ai eu le deffein de vous ranger dans cette
déteftable fecte. Rien n'eft plus opposé à
la façon dont je penfe fur votre compte ;
vous donnez au contraire , à mon avis ,
(1) Traité des Anim . p. 218.
(2) Merc. Avril , 2 part, p. 87..
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
dans le pur fpiritualifme . Si l'objet de la
lettre que vous m'avez écrite , étoit de
prouver que vous n'êtes point Matérialiste ,
vous avez perdu votre temps comme j'aurois
perdu le mien , fi j'euffe tenté de vous
rendre fufpect de ce côte- là . Mais votre
pur fpiritualifme donne encore , contre
votre intention , un grand avantage aux
Matérialiſtes. Ils mettront à l'écart toute
votre doctrine fur ces fenfitions , que vous
détachez de toute idée des corps , comme
une opinion qui n'eft qu'à vous feul ; &
je crois qu'ils y feront très-autorifés. Ils
prendront enfuite pour un axiome votre
propofition , que nous n'appercevons l'éten
due que
dans nos fenfations . Ils en concluront
que dans le fait ils voient les trois
dimenfions dans les manieres d'être de leur
ame. Comme vous , Monfieur , ils prétendent
n'avoir aucune idée de la fubftance
matérielle : mais au moins penfent- ils que
les trois dimenfions font des manieres d'être
, qui ne conviennent qu'à la feule matiere
: Vous avez beau protefter que vous
en doutez , & qu'il n'eft pas für que l'étendue
convienne aux corps ; vous iriez même
plus loin , comme l'Evêque de Sloane , &
vous prérendriez que les trois dimenfions
étant des manieres d'être fpirituelles , ne
peuvent être les modes de la fubftance maNOVEMBRE
. 1756. 89
térielle , ils interpelleroient toute la terre
pour fçavoir s'il ne fuffit pas de prouver
qu'une fubftance exifte fous les trois dimenfions
, pour démontrer qu'elle eft matérielle
, & toute la terre leur applaudiroit.
Vous leur prouveriez néanmoins que
vous n'êtes pas Matérialiſte, & eux de leur
côré fe croiroient autorifés dans leur doctrine
par celle que vous leur donnez fur
-les fenfations. Voilà , Monfieur , ce dont
vous deviez vous défendre , & non pas
vous fatiguer à prouver que vous n'êtes
pas Matérialiſte ; ce dont il n'a jamais été
queftion entre nous. Vous auriez bien
d'autres démêlés avec nos Spinofiftes couverts
, s'ils ofoient fe montrer : mais comme
ils font tout autrement précautionnés
que les Matérialiſtes , qu'ils vont au même
but que ceux ci › par un genre de philofophie
plus déliée , ils gardent le filence , &
laiffent vos opinions s'accréditer, pour s'en
prévaloir dans le temps . Ils eftiment , ils
préconisent le célebre Barklai , qui a pouffé
plus loin que vous votre doctrine , & jufqu'où
elle doit aller. Si jamais ils ofent fe
dévoiler , vous ferez étonné des conféquences
qu'ils tireront de vos principes
combinés. Croyez-vous encore que je vous
accufe de Spinofilme , vous , Monfieur ,
qui avez réfuté le Fondateur de cette fecte
90 MERCURE DE FRANCE.
funefte : certainement vous me feriez in
jure. Non , Monfieur , vous n'êtes ni Spinofifte
, ni Matérialifte je le protefte
hautement. Mais je vois , ce que vous
n'avez pas même entrevu , quel parti les
uns & les autres peuvent tirer de vos différentes
opinions , en les combinant à leur
maniere , & ce que je dis ici n'eft pas
une accufation que j'intente contre vous ,
c'eft un avis que je crois néceffaire au pu
blic & à vous-même , Monfieur.
La fuite au prochain Mercure.
LE CONSERVATEUR ( 1 ) , ou Collection
de Morceaux rares & d'Ouvrages anciens ,
élagués , traduits & refaits en tout ou en
partie , qui fe trouve à Paris , chez Lambert
, Libraire , rue de la Comédie Françoiſe
, au Parnaffe.
Il eſt un nombre infini de Livres qui
font ignorés , & qui ne méritent point de
(1) Ce Profpectus mérite par fa nouveauté d'être
mis ici & confervé dans fon entier. Nous croyons
que le Confervateur auroit pu ajouter à ce titre
celui de Correcteur de mauvais Livres , ou de Re
fondeur d'Ouvrages manqués . S'il remplit exactement
fa tâche , elle fera longue autant que pénible
, on n'en verra pas fi-tot la fin ; & le Public
doit tenir compté aux Auteurs d'un travail qui
demande plus d'efforts & de veilles que celui de
créer , ou de produire de foi-même.
NOVEMBRE . 1756 . 91
Têtre. Il en eft d'autres qu'on ne lit déja
plus guere , & qui tomberont bientôt
dans l'oubli , par l'éloignement que donnent
pour leur lecture l'ancienneté du ſtyle
dans lequel ils font écrits , le peu d'ordre
qui y regne , ou leur prolixité. Il eft enfin
un nombre infini de Livres qui font morts
en naiffant , dans lefquels il fe trouve des
chofes faites pour être confervées .
Faire connoître ceux de ces Ouvrages
qui font ignorés , préferver ceux qui
font connus de l'oubli qui les menace ,
empêcher enfin que l'on n'ait fait des
efforts inutiles pour inftruire ou pour
amufer : voilà l'objet que nous nous propofons.
On voit par cette expofition qu'il ne s'agit
point ici des Ouvrages qui paroiſſent
mais de ceux qui ont déja paru . Ce n'eft
donc point un nouveau Journal que nous
offrons fous un titre différent , puifque
notre objet eft totalement diſtinct de celui
des Ouvrages faits rendre compte
ce qui paroît journellement.
pour
de
La connoiffance que nous donnerons
des Ecrits peu connus , ne confiftera point
dans une fimple notice , qui ne feroit
qu'indiquer le titre & la nature de l'Ouvrage
, la date du temps dans lequel il
a paru , & le nom de fon Auteur. Ćela fe
52 MERCURE DE FRANCE.
trouve dans les Bibliographes , & nous ne
nous fommes point propoté de les redonner
fous une nouvelle forme . Le but de
notre travail eft de préfenter , les chofes
mêmes que ces Ouvrages contiennent .
Pour fentir l'utilité qui réfalte de l'exécution
d'un pareil deffein , il ne faut que
confidérer que la plupart de ces Livres font
rares , que l'acquifition en eft difficile &
difpendieufe , & qu'il eft prefque impoffible
de s'en procurer la lecture dans les
lieux où il ne fe trouve point de Bibliothe
ques publiques. It eft d'ailleurs à remarquer
qu'il y a beaucoup de ces Ouvrages
écrits dans des Langues , que ceux qui voudroient
les lire , n'entendent point .
Si la rareté des Livres & le peu de familiarité
avec la Langue dans laquelle ils
font écrits , en rendent la lecture moins
générale , l'ancienneté du ftyle opere i
peu près la même chofe en préfentant un
langage qu'on n'entend plus , mêlé à un
langage qu'on en end encore . Amiot eft
connu de tout le monde , & peu de gens
lifent Amiot. Il y a peut- être à le lite
une espece de danger dont on ne fe doute
point , & qui devient d'autant plus grand ,
que l'on eft plus touché de la force & de la
naïveté de cet Ecrivain,; c'eft de fe familiarifer
, fans s'en appercevoir , avec l'em
Cr
qu
NOVEMBRE . 1756. 93.
5,
pe
ploi d'expreffions & de tours de phrafe
qui ne font plus en ufage . Ce que nous
difons d'Amiot , on peut le dire de beaucoup
d'autres. Il s'en faut bien que nous
ayons intention de rabaiffer ces Ecrivains ,
& nous regrettons peut -être que notre Landes
gue ne foit pas auffi propre , qu'elle l'étoit
alors à faire paffer chez elle des beautés
Létrangerés par la facilité qu'elle avoit à fe
prêter à toute forte de conftructions ; mais
nous n'en croyons pas moins utile de préfenter
les chófes comme elles veulent être
préfentées aujourd'hui pour être lues.
Pour ne laifler aucun doute fur notre
maniere de penfer à cet égard , nous nous,
ferons un plaifir de conferver certains
tours & certaines expreffions , quand nous
croirons pouvoir le faire fans nous expofer
a jetter de l'obfcurité , à ôrer l'agrément &
à dégoûter par - là de la lecture .
S
Quant aux morceaux tirés d'Ouvrages
peu recommandables en général , la recherche
nous en paroît d'autant plus utile ,
que la mauvaiſe réputation de ces Ouvrages,
ou l'ent.ai qu'ils feroient éprouver dès
les premieres pages , ne permettroit jamais
d'y chercher les chofes que nous en confervons.
Comme c'eft ici une affaire de goût ,
nous penfons pouvoir demander quelque
indulgence pour le nôtre..
94 MERCURE
DE FRANCE.
N
Nous ferons , quand il nous paroîtra
néceffaire , le précis fuccinct de ce qui précédé
le morceau confervé. Cette conduite
qui nous femble indiſpenſable , le paroîtra
de même à tous ceux qui voudront réfléchir
un inftant à ce que perdroit d'intérêt
la plus belle ſcene de Racine ou de Corneille
, lue fans connoiffance de ce qui la
précede.
Il nous reste à parler des Livres qui font
prêts à tomber dans l'oubli , quoique le
ftyle en foit pur , & que le nombre des
bonnes chofes qu'ils contiennent , furpaffe
celui des mauvaiſes. Les deux caufes principales
de leur difcrédit font le manque
d'ordre & la prolixité.
Lorfque rien n'eft à fa place , l'efprit
fatigué de ne point trouver ce qu'il attend,
ou de ne le trouver que quand il ne l'attendoit
plus , fe degoûte , & le Livre ne
fe lit point. Quelques renverfemens faits à
propos le feroient lire , & l'on ne feroit
point privé du profit qu'on en peut retirer.
,
La prolixité ne nuit pas moins à la durée
d'un Ouvrage . Il feroit à fouhaiter ,
dit M. de Voltaire , que quelqu'un fe
chargeât d'abréger les meilleurs Livres . Se
trompe-t-il ? C'eft à ceux qui ont le courage
de lire en entier Balfac , la Mothe le
Vayer , & tant d'autres , à juger ; qu'ils
NOVEMBRE. 1756. 25
prononcent. S'ils fe fouviennent des excellentes
chofes qu'on y trouve , & encore
plus de la patience dont il faut s'armer
pour les y chercher à travers un fatras de
penfées languiffantes & inutiles , à coup
für ils ne peuvent que defirer qu'on élague
ces Auteurs , & que fçavoir gré à ceux
qui fe chargeront de ce travail.
Comme nous n'ôterons que ce qui fera
fuperflu , nous nous flattons que les liaifons
feront naturelles.
A cette abréviation qui n'eft que de
ſtyle , nous en joindrons une autre qu'on '
peut appeller de chofes , de laquelle quantité
d'Ouvrages ont befoin . Il n'en eft que
trop en effet où ce qui fait l'objet principal ,
eft noyé dans ce qui n'eft qu'acceffoire , au
point qu'il faut effuyer l'ennui de cent pages
pour en trouver deux qui inftruifent
de ce que l'on veut fçavoir. Nous dégagerons
ce qui est néceffaire de ce qui ne l'eft
point , & nous tâcherons de rendre fuportable
, en la reduifant à fes juftes bornes ,
une lecture dont la longueur auroit rebuté .
L'on ne doit point s'attendre à retrouver
mot à mot les chofes telles qu'elles font
dans les Auteurs d'où elles auront été tirées
. La vue dans laquelle nous travaillons,
nous permet , nous impofe même la loi de
rajeunir le langage , d'abréger , de refferrer
96 MERCURE DE FRANCE.
& de faire des tranfpofitions , lorfqu'elles
nous paroîtront propres à mettre de l'ordre,
& à faire un corps lié de ce qui n'auroit of
fert autrement que des matériaux épars çà
& là. Cette obfervation eft peut--être inutile
; auffi ne la faifons- nous que pour faifir
l'occafion d'avertir que nous nous interdirons
jufqu'à la moindre de ces chofes ,
lorfqu'elles ne pourroient avoir lieu , fans
que la nature d'un fait ou d'une opinion
en fût altérée .
*
A plus forte raifon , dans le cas où il
s'agira de Manufcrits hiftoriques , fecours
qu'on nous fait efpérer , ne nous permettrons-
nous jamais le moindre changement
, & aurons-nous foin qu'il y ait la
plus exacte conformité entre l'Original &.
la Copie.
ment.
que
S'il arrivoit que pour en faciliter l'intelligence
, on s'en permit une efpece de Verfion
, on auroit l'attention d'y joindre le
texte , à moins que l'on ne fûr für
l'interprétation
donnée y répondît exactede
même des Manufcrits
Il n'en fera pas
dont l'objet n'aura rien d'hiftorique ni de
dogmatique . On agira à l'égard de ceuxci
, conformément
au but qu'on fe propofe
, qui eft d'inviter à la lecture en y faifant
trouver de l'agrément ; & on leur
prêtera
NOVEMBRE . 1756. 97
prêtera , s'il eft poffible , la clarté , le
nombre & les graces du ſtyle .
Comme il pourra , malgré la plus grande
attention , nous échapper des inadvertences
, & qu'il s'en faut bien que
nous prétendions être à l'abri de toute
méprife , nous nous ferons un devoir de
nous rectifier dès que l'erreur fera reconnue
, foit que nous en ayons fait la découverte
par nous- mêmes , foit que nous en
foyons redevables aux avis que nous aurions
reçus.
Si quelques Perfonnes defiroient qu'on
rendît compte d'Ouvrages qui leur paroîtroient
mériter d'être confervés , elles font
priées de les indiquer. Non feulement
nous en ferons ufage , mais nous reconnoîtrons
tenir d'elles l'indication , à moins
qu'elles ne vouluffent point être nommées.
L'Ouvrage annoncé paroîtra le premier
de chaque mois , à commencer au premier
de Novembre prochain , & chaque
Volume fera compofé de dix feuilles
faifant deux cens quarante pages.
Le prix de la Soufcription pour ces douze
Volumes eft de 21 livres. Chaque Volume
fe vendra 40 fols à ceux qui n'auront
pas foufcrit. Le port par la Pofte eft de G
fols le Volume.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
an LETTRE à Madame de M ***
fujet des Pierres Milliaires que M. P ***
a fait mettre fur la grande route du
Chemin royal de Languedoc.
MAdame Adame
, vous fçavez
que les grands
chemins de l'Empire Romain étoient divifés
par des colonnes ou des pierres milliaires
, qui faifoient connoître exactement
toutes les diftances , non feulement d'un lieu
à un autre , mais de chaque lieu jufqu'au
centre de la Ville de Rome , & cela par une
mefure commune & fixe de mille pas géométriques
( t ) . Il n'en eft pas de même de la
mefure dont on fe fert en France , pour
marquer les diftances & divifer les chemins.
La lieue eft une mefure variable &
incertaine , tantôt plus grande , tantôt plus
petite ce qui eft compté pour une lieue
dans certains pays , vaudroit deux lieues
dans un autre. Il femble en général que
plus on s'éloigne de Paris ou de la Capitale,
plus la longue de la lieue augmente ;
mais ces augmentations ne fuivent aucune
(1 ) Le pas géométrique étoit compofé de
cinq pieds ; mais le pied antique Romain n'étoit
pas fi grand que notre pied de Roi . Il ne conte
noit que onze pouces & environ de pouce ,
NOVEMBRE . 1756. 92
regle , aucune proportion. Il y a des lieues
aux environs de Paris qui n'ont pas deux
mille toifes de longueur ; & il y en a dans
les Provinces éloignées , comme en Dauphiné
, en Languedoc , qui ont plus de
quatre mille toifes . Les Géographes ne
font pas d'accord fur la longueur de la
lieue commune de France ; les uns la font
de 2400 toiſes , d'autres de 2500 , d'autres
de 2500 .
La lieue marine de vingt au degré feroit
une meſure fixe & certaine , fi elle étoit
fuivie par tous les Marins , & adoptée
fur terre par les Géographes & par le Public
: cette lieue marine eft d'environ 285 2
toifes. Je dis environ ; car il faut fçavoir
fi on prend le degré moyen du Méridien
, ou le degré de l'Equateur , ou le degré
du Méridien pris à une telle latitude
de la France . On prend communément
pour une lieue , la longueur de chemin
parcourué dans une heure de temps au
pas d'un homme qui marche bien , ou au
pas ordinaire du cheval ; ce qu'il y a de
certain , & que j'ai obfervé plufieurs fois
c'eft qu'un homme qui marche bien & un
cheval qui va le pas ordinaire , font toujours
à peu près trois mille toifes de chemin
par heure. C'eft peut- être fur ce principe
qu'on eft convenu en Languedoc de
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
fixer la longueur de la lieue à trois mille
toifes. Depuis que les pierres milliaires ,
dont j'ai l'honneur de vous parler , font
plantées , j'ai obfervé plufieurs fois à ma
montre qu'au pas ordinaire du cheval , il
faut vingt minutes pour parcourir ou faire
le chemin d'un milliaire à l'autre , & par
conféquent une heure pour parcourir trois
pierres milliaires ou trois mille toifes , qui
font la lieue de Languedoc.
Voici à préfent , Madame , les dimenfions
que M. P *** a donné à ces
pierres milliaires . Elles font en forme de
prifmes quadrangulaires , ayant pour baſe
un quarré d'un pied & demi de chaque
côté elles ont en tout fept pieds de longueur
, plantées en terre verticalement
dans un maffif de maçonnerie à trois
pieds de profondeur ; enforte que la partie
hors de terre , en forme de pilier , a quatre
pieds de hauteur , taillée proprement
les arêtes abattues ou à pans coupés.
La façon dont elles font numérotées ,
a paru faire plaifir aux Voyageurs . On voit
fur la face tournée du côté d'où l'on vient
le chemin ou le nombre des milles & lieues
qu'on a faits , & fur la face tournée du côté
où l'on va , le chemin ou le nombre
des milles & lieues qui restent à faire pour
arriver à l'endroit où l'on va. Pour cet
NOVEMBRE. 1756. for
effet la pierre milliaire plantée fur le bord
du chemin , préfente un de fes angles our
arêtes au chemin ; ainfi une des faces fe
préfente du côté d'où l'on vient , & l'autre
face du côté où l'on va. Il y a , par exemple,
25 mille toiſes de Nifmes à Montpellier.
La premiere pierre milliaire plantée à Nifmes
, proche la porte de la Couronne , eſt
numérotée fur la face , du côté de Montpellier
, de 25 M , qui fignifie milles , &
OM, fur la face du côté de Nifmes. La
feconde pierre milliaire, qui eft la premiere
que l'on trouve en partant de Nifmes
pour aller à Montpellier , eft numérotée
fur la face du côté de Nifmes de 1 M , &
fur la face du côté de Montpellier de 24 M
ou 8 lieues. De même la dixieme milliaire
eft marquée de 10 Mdu côté de Nifines, &
15 M ou 5 lieues du coté de Montpellier
enforte que la fomme des milles des deux
faces fait toujours 25 milles , diſtance entiere
de Niſmes à Montpellier : ainfi chaque
pierre milliaire marque, 1 ° . le chemin
qu'on a fait , 2 ° . celui qui refte à faire ,
3°. la distance entière du chemin de la
journée. Il en eft de même des autres
journées de chemin , comme celle du S.
Efprit à Nifmes , qui eft grande , étant de
32 mille toifes. Celle de Montpellier à
Pézenas eft de 27 mille..
E iij
102 MERCURE DE FRANCE,
Vous ne fçauriez croire , Madame , com,
bien ces pierres milliaires amufent & foulagent
les Voyageurs . On peut , par exemple,
envoyant le nombre des milles qui restent à
faire, fçavoir à raifon de zo ou 21 minutes
par mille , l'heure à laquelle on arrivera.
Mais leur utilité ne fe borne pas aux
feuls plaifirs des Voyageurs ; elles fervent
pour indiquer les chemins de traverfe qui
conduifent à un Village , un Château ,
une Ferme , &c. pour indiquer encore les
parties des chemins à faire réparer. Elles
peuvent fervir très utilement pour lever
la Carte topographique du pays où paffe le
grand chemin
chaque pierre milliaire
pouvant fervir de point de ftation pour.vifer
, & prendre la pofition des objets principaux
de la Campagne .
?
J'ai l'honneur d'être , &c.
RECHERCHES fur le pouls par rapport
aux crifes. A Paris , chez Debure l'aîné ,
Saint Paul , 1756.
Le Difcours préliminaire de l'Ouvrage
que nous annonçons contient l'hiftoire des
principaux fyftêmes propofés juſqu'ici fur
le pouls. L'Auteur , Médecin célebre à
Paris , en dit affez fur cette matiere pour
qu'il ne foit pas plaufible d'avancer que
fon fyftème n'eft point neuf.
NOVEMBRE. 1756. 103
On peut regarder ce fyftême fur le pouls
comme celui de Tournefort fur les plantes.
Quoiqu'on trouve dans les Auteurs
antérieurs à Tournefort quelques morceaux
de la méthode de ce grand Botanifte
, il n'en a pas moins été regardé
comme l'inventeur .
L'Auteur des recherches rend à Solano,
Médecin Eſpagnol , qui vivoit à Antequerra
au commencement de ce fiecle
ce qui lui eft dû , comme ayant fait le premier
des obfervations fingulieres fur le
pouls ; mais il fait fentir en même temps
le grand nombre de différences qu'il y a
entre fon ſyſtème & celui de Solano : enfin
notre Auteur fait voir clairement que le
plan qu'il propoſe ne peut être confondu
ni avec celui des Chinois , ni avec celui
de Galien , ni avec celui des Modernes :
c'eſt ce dont chacun pourra fe convaincre
par l'extrait que nous allons faire de cet
ouvrage qui eft divifé en trente- cinq cha
pitres.
Rien n'eft plus vague , felon notre Auteur
, que les dénominations les plus reçues
des différentes efpeces du pouls . Les
pouls miures , fourmillans , caprizans , admis
par Galien , ont été , à bon droit, tournés
en ridicule par les Modernes ; mais les
dénominations de pouls grand , petit , mol ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
dur , &c. adoptées par ces derniers , në
font ni plus préciſes , ni plus utiles que
celles qu'ils ont rejettées . L'égalité & l'inegalité
des pulfations , l'égalité & l'inégalité
des diftances qu'elles laiffent entr'elles ,
font les deux points defquels il faut partir
pour en bien caractériſer les différentes
efpeces. Le pouls eft dans les maladies
critique ou non critique ; ce dernier n'eſt
prefque point examiné dans cet ouvrage ;
le premier fe diviſe d'abord en inférieur &
fupérieur ; le pouls fupérieur critique eft celui
qui annonce les excrétions du nez , de
la gorge , & en général de toutes les parties
de la tête & de la poitrine : ces différens
pouls font le nazal , le guttural & le
pectoral : le pouls inférieur critique eft celui
qui annonce les évacuations qui fe font
par les organes fitués au deffous du diaphragme
; il y en a un pour le vomiſſement,
nommé ftomachal, un pour les excrétions
du ventre, nommé inteftinal, un pour
le foie , nommé hépatique , un pour la matrice
, un pour les hémorrhoïdes , un autre
pour les urines ; chacune de ces efpeces a
des caracteres particuliers ; enfin il y a
une espece de pouls propre à la fueur : il
faut voir ces caracteres dans l'ouvrage.
Ces pouls critiques font fimples , compofes
ou compliques ; fimples , lorfque la
NOVEMBRE . 1756. 105
crife de la maladie fe fait par un organe
feul ; compofes lorfque la crife fe fait par
deux ou plufieurs organes & compliqués ,
lorfque les pouls critiques fe trouvent combinés
avec le pouls non critique.
L'hiftoire des pouls fimples eft fuivie de
celle des compofes ; celle des pouls compli→
qués vient enfuite : l'Auteur n'avance rien
fur toutes ces efpeces de pouls qui ne ſoit
appuyé par des obfervations de pratique
qu'il rapporte ; & ce qu'il y a de plus favorable
pour lui , & de plus concluant
pour fa méthode , c'eſt que parmi fes obfervations
, il y en a plufieurs qui ont été
faites en public , & qui fe font déja répandues
dans Paris. Les obfervations ;
20 , 48 , 49 , &c. ont été faites par l'Auteur
devant des perfonnes de la premiere
confidération .
On ne s'eft point borné dans cet ouvrage
à donner des obfervations nouvelles
& fort utiles fur le pouls ; il y a bien des
traits qui font fentir la profonde méditation
de l'Auteur fur le peu de fondement
de plufieurs opinions reçues .
Jamais la circulation du fang n'avoit
été réduite à fi peu de chofe : non feulement
elle eft regardée ici comme une découverte
peu utile , & qui a été même nuifible
, mais encore il eft prouvé qu'elle n'a
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
pas lieu dans plus des deux tiers du volu
me, du corps pla corps. !
L'Auteur ne parle , qu'en paffant , de
Tinoculation de la potite vécole. Rien ne
lui paroît plus difficile , ni plus ridicule
que la prétention des pattifans des préparations
pour cette opération.On ne fçait pas,
dit- il , ce qu'il faut faire en préparani &
Pour préparer , & dans ce cas cette reffource
de l'inoculation tombe d'elle-même.
Il y a plusieurs endroits dans cet ou
vrage deſtinés à faire ſentir l'infidélité des
remedes ordinaires fondans , apéritifs , relâchans
, & autres. Ces remèdes , dit notre
Auteur , ne tiennent pas ce qu'ils promettent
ils trompent , furtout les com
mençans . Il regarde comme pernicieux
l'ufage où l'on eft d'éviter les fuppurations
dans les maladies internes.
- La fenfibilité des parties organiques ,
leur activité , celle des organes en particulier
, & l'effort que les parties du corps
ne ceffent de faire les unes fur les autres ,
font les principaux fondemens de la théorie
de l'Auteur des recherches : tout ce qui
a été donné depuis peu de temps fur l'igritabilité
, n'eft felon lui , rien moins que
des découvertes.
L'Article de l'action des remedes fur
les mouvemens du pouls eft des plus cuNOVEMBRE.
1756. 107
rienx de tout l'ouvrage on y voit un
Médecin expérimenté qui fronde fans ménagement
les pratiques qu'il nomme nationales
: il veut que la Médecine foit une
& univerfelle ; il paroît méprifer la plûpart
des remedes chimiques ; la claffe des
remedes la plus étendue , eft felon lui ,
celle des remedes indifférens , c'est- à- dire ,
de ceux qu'il faudroit bannir , & qui ne
font faits que pour abufer de la crédulité
des malades. La faignée eft comme tous
les autres remedes expofée à fa critique ;
il combat les partifans outrés de ce remede
, ainſi que ceux qui la bannillent ;
enfin notre Auteur paroît très partifan de
la Médecine naturelle , celle qui fait le
moins de remedes qu'il eft poffible : il
attend prefque tout de la nature , furtout
lorfque le pouls eft critique & fimple:
il ne dit pas ce qu'il penfe qu'il faut faire
lorfque le pouls eft non critique jufqu'à un
certain point ; nous dirions , s'il étoit poffible
de le deviner , que dans ces cas- là ,
il- n'a pas grande confiance aux remedes ;
cependant il faut attendre qu'il s'explique
fur cet article.
DE obligationibus & a&tionibus Tractatus
folemnis , auctore M. P. Tancrede , Comite
ab Hauteville , in facultatibus Furium ac
E vj
108 MERCURE DE FRANCE:
SS. Theologia Doctore - Regente , &c. . Ce
Livre eft imprimé à Utrecht , & fe trouve
à Paris , chez Briaffon , rue S. Jacques.
GRAMMAIRE générale raiſonnée , contenant
les fondemens de l'art de parler ,
expliqués d'une maniere claire & naturelle
; les raifons de ce qui eft commun à
toutes les langues , & des principales différences
qui s'y rencontrent , & plufieurs
remarques nouvelles fur la Langue Françoife.
Nouvelle édition , à Paris , chez
Prault fils , l'aîné , quai de Conti , 1756.
Dans cette nouvelle édition , on a joint
aux excellentes remarques de M. Duclos ,
Secretaire perpétuel de l'Académie Françoife
, un fupplément de M. l'Abbé Fromant
, Principal du College de Vernon.
LETTRE de H. G. G... Ecuyer , un des
Gentilshommes de la Chambre du jeune
Chevalier de Saint - Georges , & la feule
perfonne de la Cour , qui l'ait accompa
gné d'Avignon dans fon voyage en Allemagne
& autres lieux ; contenant plufieurs
aventures arrivées à ce Prince pendant
fon voyage fecret , à un ami particulier
, traduite de l'Anglois par M. l'Abbé
*** . Victrix Fortuna Sapientia , Juvenal.
A Londres , & fe trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques.
1
NOVEMBRE. 1756. 109
pas ,
MÉMOIRE inftructif pour connoître les
bonnes montagnes , les bien ouvrir , &
pour aller directement aux troncs ou arbres
d'or ou d'argent , avec leurs filons ,
où il y aura au-dellous le corps de la mine,
& pour faire finir de mûrir à fon dernier
degré de cuiffon , fi elle ne l'étoit la
partie mercuriale minérale qu'il y aura
dans toutes les mines , & pour purifier
avec de grands profits la fufdite minérale
foit en or ou en argent , & c ; par Meffire
François Perraud- La Branche , Confeiller
du Roi , & Membre de l'Univerfité de
Paris . L'Auteur prétend que fi on fait
finir de mûrir les mines brutes de cuivre ,
fer & autres , on en aura plus d'une once
d'or par chaque quintal , & qu'en les fabriquant
, il y a moyen d'en tirer de
l'or avec bénéfice , &c . On peut , dit - il ,
mettre dans chaque vafe fecret , trois ou
quatre mille quintaux de matieres à la
fois. Voyez article 23 , & autres.
Ceux qui lui écriront , affranchiront
leurs lettres. Son Bureau général eſt établi
dans la ville de Chambery , fauxbourg de
Montmeillant , maifon du fieur Antoine
Thorin , Tréforier des trois mines fuf
dites , en Savoie. Les Auteurs qui
nous adreffent leurs Mémoires , devroient
nous apprendre le nom du Libraire chez
110 MERCURE DE FRANCE
qui on peut les trouver , faute de quoi
notre annonce demeure imparfaite &
fouvent inutile . M. Perraud- La Branche
eſt tombé dans cet oubli , & nous ne
pouvons indiquer où fe diftribue fon Mémoire
, n'en étant pas inftruits.
L'HISTOIRE de la Ville de la Rochelle
& du Pays d'Aunis , compofée d'après les
Auteurs & les titres originaux , & enrichie
de divers plans , par M. Arcere , de
l'Oratoire , de l'Académie Royale de cette
Ville , Tome I. A la Rochelle , chez Def
bordes , Imprimeur des Fermes générales
du Roi , vis- à-vis la Fontaine des petits
Bancs ; & fe vend à Paris , chez Durand ,
rue S. Jacques , 1756.
Si la fuite répond au volume que nous
annonçons , nous ne doutons point que
cet ouvrage n'ait toutes les qualités qui
conſtituent une bonne hiftoire. Il unira
l'ordre aux recherches, l'exactitude à l'intérêt
, & l'élégance à la vérité. Nous allons
accompagner cette indication d'une piece
de vers que l'Auteur nous a priés d'y
joindre , & qui prouve que fon talent ne
fe borne pas à la profe.
NOVEMBRE. 1756 . 111
VERS
A M. le Comte d'Argenſon , Miniftre &
Secretaire d'Etat de la Guerre , en lui
préfentant l'Hiftoire de la Rochelle.
MiniIfntifrtre du Dieu de la Guerre ,
Toi , qui munis fes Boulevards ,
Qui fais Bottes fes Etendards ,
Et par qui fes Enfans allument un tonnérte
Destructeur des Cités & l'effroi de la Terre;
Protecteur éclairé des Arts & des Talens ,
Toi , qui fais revivre Mécene ,
Et fur les rives de la Seine ,
Des Cygnes du Parnaffe animos les accens :
Je devois un hommage à l'Ami des Sçavans.
J'oſe de mon loifir te préſenter l'Ouvrage :…
Puiffe-t-il recevoir ſon prix de ton fuffrage :
Les Déeffes de l'Hélicon
En ta faveur feront parler l'Hiftoire : 9
Elles te placeront au Temple de Mémoire ,
Et leur reconnoiffance y gravera ton nomes em C
De Clio la voix éclatante
Chantera, ces, vaſtes projets ,
Qu'un fublime génie enfante ,
Qu'il couronne par les fuccès.
D'intrépides Guerriers ( 1 ) que fuivoit la Victoire ,
(1) La Nobleffe acquife par le service militaire.
112 MERCURE DE FRANCE.
Dans les Champs de Bellone affrontoient les ha
zards :
Il moiffonnoient en vain tous les lauriers de Mars,
L'état de Plébéien fembloit ternir leur gloire :
Deja par tes foins généreux ,
D'une main libérale un grand Roi leur diſpenſe
Des honneurs inmortels, dignes de leur vaillance,
Et qui vont couronner le front de leurs neveux .
De nos fiers Combattans tu changes la Tactiques
J'admire des foldats la marche ( 1 ) fymmétrique ;
Au fon de la Trompette ils volent aux combats ;
Je vois deux mille pieds , & ne vois qu'un feul pas,
Un Bataillon eft un Prothée ;
Il prend , quitte , reprend une forme empruntée ;
Il fe rompt , fe dérange , & ne fe confond pas
De la rapidité qui lui prête des aîles ,
Il tire des forces nouvelles :
'Auffi prompt que la foudre , il porte le trépas ;
Et dars fes mouvemens , fouple & toujours agile
Sans effort il oppofe à de brufques affauts
Une maffe ferme , immobile ,
Tel qu'un rocher battu des flots.
Dans un Palais fuperbe , une fameufe Ecole ( 2)
Forme de la Nobleffe, & l'efprit & les moeurs.
Là de jeunes Guerriers , loin du plaifir frivole
Afpirent aux plus grands honneurs.
(1) Nouvelles évolutions Militaires.
(2 ) La nouvelle Ecole Militaire pour les jeunes
Gentilshommes
NOVEMBRE . 1756.
On dévoile à leurs yeux les manoeuvres brillantes
Des Turennes & des Villars :
Vauban leur parle encor , & fes leçons fçavantes
Apprennent à défendre , à forcer des remparts.
Vois naître pour ta gloire , ô trop heureuſe France ?
Un effain de Héros divers :
Du fage d'Argenfon l'habile prévoyance ,
Te rend ainfi les Héros que tu perds.
Avis de Meffieurs les Freres Cramer
Libraires à Geneve. Nous avertiffons , au
nom de M. de Voltaire & au nôtre , que
la prétendue Hiftoire Universelle , annoncée
à Paris en trois volumes , n'eft point
fon ouvrage. Il l'a défavouée dans tous
les Journaux , & il la défavoue encore.
Ce n'est qu'un Recueil informe & défectueux
de quelques chapitres détachés.
La lettre que M. de Voltaire nous fit
Phonneur de nous écrire il y a quelques
mois , & que nous fîmes imprimer à la
tête du premier volume du Recueil de fes
OEuvres , a dû fuffire au Public , pour le
perfuader que ce n'eft qu'à nous qu'il
confie fes véritables Ouvrages , & que ce
n'eſt que dans notre collection qu'on les
trouve .
Nous affurons en particulier , & de la
maniere la plus pofitive , que ce n'eft qu'a
nous feuls que M. de Voltaire a bien vou14
MERCURE DE FRANCE.
lu donner & donne encore tous les jours ,
fon Manufcrit intitulé , Effai fur l'Hiftoire
Générale , & fur les Maurs & l'Esprit des
Nations , depuis Charlemagne jufqu'à nos
jours ; c'est à dire , jufqu'à la Conquête de
l'Ile Minorque.
Par conféquent nous fommes auffi les
feuls qui ayons les additions au Siecle de
Louis XIV, ouvrage augmenté aujourd'hui
d'un grand tiers .
.
Les Annales de l'Empire n'ont pas été
inférées jufqu'à préfent dans notre collection
; on les y inferera avec les corrections
néceffaires. Nous avons cru que vu la prodigieufe
quantité d'éditions qui fe font
faites de cet ouvrage , c'étoit celui de tous
qui étoit le moins preffé .
Nous avertiffons de plus , que l'Hiftoire
de la derniere Guerre , que l'on annonce encore
à Paris fous le nom de M. de Voltaire ,
n'eft pas plus fon ouvrage que ce fquelette
d'Hiftoire Univerfelle en trois volumes. Le
morceau qu'il a véritablement compofé fur
les Campagnes de Louis XV, fe trouvera inféré
à fa place dans l'Effai fur l'Hiftoire
générale , de même que le fiecle de Louis
XIV augmenté.
Cet Effai fur l'Hiftoire Générale , contiendra
fept volumes in- 8 ° , de même
format & de même capacité que ceux
NOVEMBRE. 1756.
que nous avons déja publiés ( 1 ) . Il y
en a déja fix imprimés. M. de Voltaire
travaille autant que fa fanté le lui permet.
Nous ne perdons point de temps , & nous
nous flattons de publier dans le courant
de Décembre prochain , cet Ouvrage curieux
& inftructif , vraiment digne de fon
objet , de fon illuftre Auteur , & de l'empreffement
du Public éclairé.
(1) Ils fe trouvent à Paris , chez Jombert , ou
Pon aura auffi les volumes fuivans.
LETTRE de M. Ferrand , Maître- ès-
Arts de la Faculté de Paris , & Chirurgien
à l'Hôtel- Royal des Invalides , à l'Auteur
du Mercure ; au fujet des Obfervations
critiques de M. Rabiquean , Avocat ( 1 ) ,
fur la Lettre adreſſée à M. Vacher , &
inférée dans le Mercure de Juin 1756.
Ui Qui l'auroit cru , Monfieur , qu'une
lettre que l'amitié avoit dictée , &, que l'amour
des Sciences avoit publiée ; qu'une
Fettre qui ne renferme qu'un fimple expofé
d'un fait très-fimple par lui- même , &
des conjectures auffi modeftes que peu
zardées ; qu'une pareille lettre , dis -je ,
ha-
( 1 ) Elles fe trouvent chez Jombert & Lambert.
116 MERCURE DE FRANCE.
qui contient à peine deux pages d'impref
fion , eût pu mériter une critique de tren
te pages ? J'y réponds moins pour venger
l'honneur de mon écrit , que pour fourenir
l'approbation qu'un maître de l'Art a
bien voulu lui donner.
M. Rabiqueau veut que dans la diffection
du cadavre (2 ) qui fait le fujet de ma
lettre , nous n'ayons pas pouffé affez loin
pos recherches. La raifon qu'il en donne ,
c'eft que l'échimofe obfervée à la paupiere
de l'oeil droit , étoit un indice certain des
ravages de la matiere du feu , matiere tant
recherchée par les Phyficiens , & qu'ils ont
l'ingratitude de ne pas reconnoître même
après la découverte qu'il en a faite. Il penfe
que cette matiere pourroit avoir pénétré
jufqu'aux extrêmités inférieures , & qu'il
étoit du devoir de l'Obfervateur de fuivre
jufqu'au bout la route qu'elle auroit pu
prendre. Je ne m'arrêterai point à répondre
à M. Rabiqueau , que les recherches
ont été continuées auffi loin qu'elles devoient
l'être , fans trouver nulle part aucune
autre altération . Malheureufement pour
nous , nous avons bien l'adreffe d'appercevoir
les vaiffeaux capillaires du corps
humain , celle de démêler, à l'aide de dif-
(1 ) M. Guérin a affifté à l'ouverture , M. Moi
rand étant pour lors abfent.
- NOVEMBRE. 1756. ་ ་ ཏ
pommes ,
férens inftrumens , les fubdivifions indéfinies
des fibrilles qui entrent dans fa
compofition ; mais nous n'avons point
celle de découvrir la trace invifible d'une
matiere encore plus inviſible . Que M. Rabiqueau
, cet heureux confident de la nature
, feroit de plaifir aux Anatomiſtes ,
s'il leur apprenoit l'ingénieux moyen qu'il
a inventé pour découvrir ainfi les chofes
imperceptibles ! Il a cherché de l'efprit
partout ; les la falade lui fourniffent
l'efprit d'air ; les cieux , les aftres ,
l'efprit de feu ; & quel efprit ne répand- t'il
pas dans fes écrits ! Guidé par ce double
efprit , M. Rabiqueau trouve que mes con.
jectures font fauffes , précisément parce
qu'elles n'ont pas l'air d'efprit qu'il fe plaît
à trouver dans les chofes les plus communes.
Je fuis au défefpoir d'avoir juſqu'à
préfent ignoré fon fyftême. Peut- être plus
féduit par la nouveauté de l'hypothefe ,
que convaincu la force des raifonnemens
, l'aurois - je préféré aux conjectures
fçavantes & modeftes de M. l'Abbé
Noller , aux expériences folides de Mufchembroeck
, & aux admirables découvertes
de Boerhaave ; car ce font les idées
de ces illuftres Phyficiens que j'ai eu le
malheur de préférer à la théorie toute fpirituelle
de M. Rabiqueau. Eh ! quel autre
par
118 MERCURE DE FRANCE.
1
crime pourrois-je me reprocher ? Je n'ai
fait mention dans mes conjectures , ni de
l'efprit d'air , ni de l'efprit de feu. Ces
grands mots ne préfentant rien de lumi
neux à l'efprit , je leur ai préféré des idées
vraisemblables , & à la portée de tout le
monde.
Je me flatte , Monfieur , que faifant
profeffion d'aimer les Sciences & d'exciter
l'émulation , vous excuferez un jeune homme
qui , fe montrant pour la premiere fois
aux yeux du monde fçavant , met tout en
oeuvre pour diffiper jufqu'aux moindres
apparences qui pourroient indifpofer le
Public contre fes foibles effais , & retarder
un fuffrage qu'il feroit jaloux de mériter.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Barbou débite , gratis , un Avis raiſonné
au fujet de la Collection des Auteurs Latins
qu'il continue , pour rendre compte
au Public Littéraire de cette collection , &
intéreffer les Sçavans à lui communiquer
leurs lumieres. Il leur réitere ici cette
priere à l'occafion de Plante qu'il mettra
fous preffe à la fin de l'année.
L'on trouve auffi chez lui une feconde
édition des Fables moralifées , par M. de
la Cour- d'Amonville.
Le même Libraire mettra en vente le
Quinte-Curce à la fin de l'année .
NOVEMBRE. 1756. 119
SÉANCE PUBLIQUE.
L'Académie des Sciences , Belles- Lettres
& Arts d'Amiens , célebra le 25 Août la
Fête de Saint Louis fon Patron , dont le
Panégyrique fut prononcé par le R. P. de
Corfy , Jefuite .
M. d'Efmery , Directeur, ouvrit la Séan
ce Publique par un Mémoire fur les avantages
de l'inoculation de la petite vérole
dans les enfans au deffous de quatorze ans.
Les autres Ouvrages , qui remplirent la
Séance , furent une Differtation phyfique
du R. P. Robbe, Feuillant , fur les pétrifications
d'Albert ; une Differtation littéraire
de M. Collignon , fur l'utilité d'écrire en
françois des Sciences & des Arts ; les éloges
de Dom Vaiffette , & de M. de la Fautriere,
Académiciens honoraires , par M. Baron ,
Secretaire perpétuel de l'Académie.
M. Clicquon de Rheims, couronné l'année
précédente , remporta encore le Prix
mérité , par un Mémoire hiſtorique & raifonné
fur l'état du commerce en France ,
depuis Hugues Capet , jufqu'à François I.
Pour fujet des deux Prix qu'elle diftribuera
le 25 Août 1757 , l'Académie propofe
, l'Economie des matieres combustibles
T20 MERCURE DE FRANCE.
dans les fourneaux , les foyers & les poeles ;
fans diminuer ni ralentir les effets du feu
furtout dans les fourneaux.
Au défaut de Mémoire qui traitent ce
fujet dans toute fon étendue , le Prix fera
donné à celui qui en traitera bien une partie.
Quelsfont les obftacles qu'apportent au travail
& aux progrès de l'industrie les Communautés
ou Corps de métiers ? Quels font
les avantages qui reviendroient à l'état de
leur fuppreffion ? Quelle feroit la meilleure
méthode d'y procéder ? Si les fecours que ces
Corps ont fournis au Royaume en differens
temps lui ont été utiles on nuisibles ?
Les Ouvrages feront reçus jufqu'au premier
Juin exclufivement , & adreffés ,
francs de port , à M. Baron, Secretaire perpétuel
de l'Académie,
ARTICLE
NOVEMBRE. 1756 . 121
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GEOMETRIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE .
J'Ai lu , Monfieur , dans votre Mercure
du mois d'Août une méthode fûre & facile
que donne M. J. G. Marffon , pour trouver
la quadrature de toutes les paraboles.
Je ne puis que donner beaucoup de louanges
à la fimplicité & à la clarté de cette
méthode ; cependant M. Marffon me permettra
de lui dire qu'il n'en eft point l'Inventeur.
A la vérité elle n'eft point dans
le cinquieme Livre des Sections coniques
du Marquis de l'Hôpital ; mais il n'a qu'à
jetter les yeux dans le Traité des Sections
coniques de M. de la Chapelle , imprimé
en 1750 , il l'y trouvera mot à mot , page
58.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LOMBART.
Ce 4 Octobre 1756.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
FINANCE.
Nous avons annoncé dans le premier
volume du mois d'Octobre , que l'on délivroit
aux Soufcripteurs de l'Encyclopédie
le fixieme Volume de ce grand Ouvrage :.
il renferme comme les autres beaucoup
d'articles intéreffans. Les uns portent fur
des objets agréables , les autres fur des objets
utiles. Nous avons cru devoir choisir
parmi ces derniers le mot Finance ( 1 ) , parce
que l'efprit philofophique , qui s'eft in-
( 1 ) Cet article , ainfi que celui de Financier ,
que nous mettrons en Décembre , eft de M. Peffelier
; qui prouve que les Belles - Lettres qu'il a
cultivées , loin d'être incompatibles avec les Finances
qu'il profeffe , leur deviennent néceffaires ,
& fervent à les perfectionner L'Ouvrage auquel
il travaille , & qu'on peut appeller l'Encyclopédie
de la Finance , y doit porter un nouveau jour , en
développer les principes , en démontrer l'excellence
ainfi que l'utilité. On verra qu'elle n'eft
point bornée à un calcul méchanique , à une fimple
routine d'ufage ; qu'elle eft au contraire une
vraie fcience qui tient & qui s'étend à tout , qui rend
raifon de tout , & qui , bien dirigée, fait tout circuler
& profpérer dans un Etat. Les Finances gagneront
à être mieux connues. La confidération qu'on leur
doit en augmentera . Voilà leurs meilleures Lettres
d'eanobliffement : peuvent- elles trop les paier !
NOVEMBRE . 1756. 123
troduit dans nos Ecrits modernes , s'exerce
principalement fur cette matiere , & qu'il
n'en eft guere en effet qui mérite plus
d'attention.
FINANCES . Qui ne juge des Finances
que par l'argent , n'en voit que le réſultat ,
n'en apperçoit pas le principe. Il faut, pour
en avoir une idée jufte , fe la former plus
noble & plus étendue. On trouvera dans
les Finances mieux connues , mieux développées
, plus approfon lies , le principe , le
moyen & l'objet des opérations les plus intéreffantes
du gouvernement , le principe
qui les occafionne , l'objet qui les fait entreprendre
, le moyen qui les affure.
Pour fe prefcrire à foi - même , dans une
matiere auffi vafte , des points d'appui ,
invariables & fûrs , ne pourroit - on pas envifager
les Finances dans le principe qui
les produit , dans les richeffes qu'elles renferment
, dans les reſſources qu'elles procurent
, dans l'adminiſtration qu'elles exigent
?
Point de richefes fans principe ; point de
refources fans richeſſes ; point d'adminiftration
, fi l'on n'a rien à gouverner. Tout fe
lie , tout fe touche , tout fe tient . Les hommes
& les chofes fe représentent circulairement
dans toutes les parties , & rien n'eft
indifférent , puifque dans les Finances ,
F ij.
12.4 MERCURE DE FRANCE.
comme dans l'électricité , le moindre mouvement
fe communique , avec rapidité ,
depuis celui dont la main approche le plus
du globe , jufqu'à celui qui en eft le plus
éloigné.
Les Finances confidérées dans leur prin
cipe , font produites par les hommes : mot
cher & refpectable à tous ceux qui fentent
& qui penfent , mot qui fait profiter de
leurs talens , & ménager leurs travaux ;
mot précieux , qui rappelle ou qui devroit
rappeller fans ceffe à l'efprit , ainfi qu'au
fentiment , cette belle maxime de Térence ,
que l'on ne fçauroit trop profondément
graver dans fa mémoire & dans fon coeur :
Homofum; nihil humani à me alienum put
Je fuis homme ; rien de ce qui touche l'hu
manité ne fçauroit m'être étranger. Voilà
le code du genre humain ; voilà le plus
doux lien de la fociété ; voilà le germe des
vues les plus grandes , & des meilleures :
vues , idées que le vrai fage n'a jamais ft
parées.
Les hommes ne doivent, ne peuvent dont
jamais être oubliés : on ne fait rien que
pour eux , & c'est par eux que tout fe fai
Le premier de ces deux points mérite to
l'attention du gouvernement ; le fecond ris
toute fa reconnoiffance & toute fon affec
tion. A chaque inftant , dans chaque ope
NOVEMBRE. 1756. 125
fation les hommes fe repréfentent fous différentes
formes , & fous diverfes dénominations
mais le principe n'échappe point
au philofophe qui gouverne ; il le faifit au
milieu de toutes les modifications qui le
déguifent aux yeux du vulgaire. Que
F'homme foit poffeffeur ou cultivateur , fabricant
ou commerçant , qu'il foit confommateur
oifif , ou que fon activité fourniffe à la
confommation , qu'il gouverne ou qu'il
foit gouverné, c'est un homme : ce mot feul
donne l'idée de tous les befoins & de tous
les moyens d'y fatisfaire .
Les Finances font donc originairement
produites par les hommes, que l'on fuppofe
en nombre fuffifant pour l'état qui les renferme
, & fuffisamment bien employés relativement
aux différens talens qu'ils poffe .
dent : double avantage que tous les écrits
modernes , faits fur cette matiere , nous
rappellent & nous recommandent ; avantages
que l'on ne fçauroit trop foigneufement
conferver quand on les poffede
ni trop tôt fe procurer quand ils manquent.
Néceffité d'encourager la population pour
avoir un grand nombre d'hommes ; néceffité
pour les employer utilement , de favorifer
les différentes profeffions , proportionnément
à leurs différens degrés de néceffité,
d'utilité , de commodité.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
L'Agriculture fe place d'elle - même au
premier rang , puifqu'en nourriffant les
hommes , elle peut feule les mettre en état
d'avoir tout le refte. Sans l'Agriculture ,
point de matieres premieres pour les autres
profeffions.
" C'eft elle par que l'on fait valoir 1 °. les
terres de toute elpece , quels qu'en foient
l'ufage & les prodi ctions ; 2 ° . les fruits ,
les grains , les bois , les plantes , & tous les
autres végétaux qui couvrent la furface de
la terre ; 3 ° . les animaux de tout genre &
de toute efpece , qui rampent fur la terre ,
& qui volent dans les airs , qui fervent à
la fertilifer , & qu'elle nourrit à fon tour ;
4° . les métaux , les fels , les pierres & les
autres minéraux que la terre cache dans
fon fein , & dont nous la forçons à nous
faire part ; 5. les poiffons , & généralement
tout ce que renferment les eaux dont
la terre eft coupée ou environnée .
Voilà l'origine de ces matieres premieres ,
fi variées , fi multipliées , que l'Agriculture
fournit à l'industrie qui les emploie. Il n'en
eft aucune que l'on ne trouve dans les airs ,
fur la terre ou dans les eaux. Voilà le fondement
du commerce , dans lequel on ne
peut jamais faire entrer que les productions
de l'agriculture & de l'induftrie , confidérées
enfemble ou féparément , & le comNOVEMBRE
. 1756. 127
merce ne peut que les faire circuler au dedans
, où les porter à l'étranger.
Le commerce intérieur n'en eft point un ,
proprement dit , du moins pour le corps
de la nation : c'eft une fimple circulation .
L'état & le gouvernement ne connoiffent
de commerce véritable , que celui par lequel
on fe procure le néceffaire , & l'on fe
débarraffe dufuperflu, relativement à l'univerfalité
des citoyens .
que
Mais cette exportation , mais cette impor
1ation ont des loix différentes fuivant
leurs différens objets . Le commerce qui fe
fait au dehors , n'eft pas toujours le même.
S'il intéreffe les colonies , les réglemens ont
pour objet la dépendance raifonnable , où
l'on doit retenir cette portion de la nation;
s'il regarde l'étranger , on ne s'occupe plus
des intérêts du royaume , & de ceux
des colonies , qui forment une espece de
corps intermédiaire entre le royaume &
l'étranger. C'eft ainfi que le commerce
bien adminiftré , vivifie tout , foutient
tout s'il eft extérieur , & que la balance
foit favorable ; s'il eft intérieur , & que la
circulation n'ait point d'entraves , il doit
néceffairement procurer l'abondance univerfelle
& durable de la nation .
Confidérées comme richeffes , les Finances
peuvent confifter en richeffes naturelles
?
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ou acquifes , en richeffes réelles ou d'opinion.
Parmi les richeffes naturelles on doit
compter le génie des habitans , développé
par la néceffité , augmenté par l'émulation ,
porté plus loin encore par le luxe & par
T'oftentation ;
Les propriétés , l'excellence & la fécondité
du fol qui , bien connu , bien cultivé ,
procure d'abondantes récoltes de toutes les
chofes qui peuvent être néceſſaires , utiles ,
agréables à la vie ;
L'heureuſe température du climat , qui
attire , qui multiplie , qui conferve , qui
fortifie ceux qui l'habitent ;
Les avantages de la fituation , par les
remparts que la nature a fournis contre les
ennemis , & par la facilité de la communication
avec les autres nations ;
Jufques- là nous devons tout à la nature,
& rien à l'art : mais lui feul peut ajouter
aux richeffes naturelles un nouveau degré
d'agrément & d'utilité .
Les richeffes acquifes , que l'on doit à
l'induftrie corporelle ou intellectuelle , confiftent
:
Dans les métiers , les fabriques , les manu
factures , les fciences & les arts , perfectionnés
par des inventions nouvelles , telles que
celles du célebre Paucanfon , & raifonna
NOVEMBRE . 1756 . 129
blement multipliés par les encouragemens :
on dit raifonnablement , parce que les graces
& les faveurs que l'on accorde , doivent
être proportionnées au degré d'utilité de
ce qui en eft l'objet :
Dans les lumieres acquifes fur ce qui
concerne l'Agriculture en général , & chacune
de fes branches en particulier , les engrais
, les baras , la confervation des grains ,
la plantation des bois , leur confervation ,
leur amélioration , leur adminiftration , leur
exploitation , la pêche des étangs , des rivieres
& des mers , & généralement dans tout
ce qui nous donne le talent de mettre à
profit les dons de la nature , de les recueilÎir
& de les multiplier. Un gouvernement
auffi fage que le nôtre , envifagera donc
toujours comme de vraies richelfes , &
comme des acquifitions d'un grand prix ,
les excellens ouvrages que nous ont donné
fur ces différentes matieres MM. de Buffon
& d'Aubenton , M. Duhamel du Monceau
, l'Auteur de la Police des grains , &
les autres Ecrivains eftimables , dont la
plume s'eft exercée fur des fujets fi intéreffans
pour la nation.
On accordera la même eftime aux connoiffances
, aux vues , aux opérations raffemblées
dans le royaume pour la popula
tion des citoyens , pour leur confervation ,
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
pour l'amélioration poffible & relative de
toutes les conditions.
On doit encore enviſager , comme richelles
acquifes , les progrès de la navigation
intérieure , par l'établiffement des c4-
l'extérieure , par l'augmentation du
commerce maritime , celui de terre accru ,
facilité, rendu plus fûr la conftruction,
le rétablitlement , l'entretien & la perfection
des ponts , chauffees & grands chemins.
par
La matiere eft par elle-même d'une fi
grande étendue , qu'il faut , malgré foi ,
paffer rapidement fur les objets , & réfifter
au defir que l'on auroit de s'arrêter fur
les plus intéreffans. Contentons- nous de
Les préfenter au lecteur intelligent , & laiffons-
lui le foin de les approfondir.
Les richeffes de l'état , que l'on a d'abord
envifagées comme naturelles , enfuite comme
acquifes , peuvent l'être auffi comme
richelles réelles ou d'opinion.
Les réelles ne font autre chofe que les
fonds ou biens immeubles , les revenus &
les effets mobiliers.
Les immeubles ( on ne parle ici que des
réels , & non de ceux qui le font par fiction
de droit ) , les immeubles font les terres labourables
, les prés , les vignes , les maisons
& autres édifices , les bois & les eaux , & géNOVEMBRE.
1756. 131
néralement tous les autres fonds , de quelque
nature qu'ils foient , qui compofent
le domaine foncier du fouverain , & celui
des particuliers :
Du fouverain , comme feigneur & propriétaire
particulier de certains fonds qui
n'ont point encore été incorporés au domaine
du Roi :
Comme Roi , & poffédant à ce titre feulement
les héritages & les biens qui forment
le domaine foncier de la couronne :
Des particuliers , comme citoyens , dont
les domaines font la bafe des richeffes réelles
de l'état , de deux manieres : par les
productions de toute efpece , qu'ils font
entrer dans le commerce & dans la circulation
; par les impofitions , auxquelles ces mêmes
productions mettent les particuliers en
état de fatisfaire.
Confidérées comme revenas , les richesses
réelles font fixes ou cafuelles , & dans l'un &
l'autre cas appartiennent, comme les fonds ,
au fouverain ou aux particuliers.
Appartiennent- elles aux particuliers ? ce
font les fruits , les produits , les revenus des
fonds qu'ils poffedent ; ce font auffi les
droits feigneuriaux , utiles ou honorifiques ,
qui y font attachés .
Si ces revenus appartiennent au fouver
rain , ils font à lui , à titre de feigneur
1
Fvi
132 MERCURE DE FRANCE.
particulier , ou bien à caufe de fa couronne:
diftinction effentielle , & qu'il ne faut pas
perdre de vue , fi l'on veut avoir la folution
de bien des difficultés. Le Roi poffede
les uns par lui-même , abſtraction faite de
la fouveraineté. A titre de fouverain , if
compte parmi fes revenus 1 ° . le produit du
domaine foncier & des droits domanianx ;
2º. les impofitions qu'il met , comme Roi ,
fur ce que les autres poffedent : revenu
toujours à charge à la bonté du Monarque,
qu'il n'augmente jamais qu'à regret , &
toujours en obfervant que l'établiſſement
des impofitions fe faffe relativement aux
facultés de la nation , mefurées fur ce dont
elle eft déja chargée, & fur ce qu'elle peut
fupporter encore ; la répartition avec une
proportion qui détruife les taxes arbitraires,
& qui ne charge chaque citoyen que de ce
qu'il peut naturellement , & doit équitablement
fupporter ; le recouvrement où la perception
, avec autant d'exactunde que de
modération & d'humanité.
Paffons de fuite , & fans rien détailler,
aux richelles réelles , confidérées dans les
effets mobiliers , tels que l'or & l'argent , les
pierreries , les marchandises de toute efpece,
& les meubles meublans , que ls qu'ils
foient.
Obfervons feulement comme autant de
NOVEMBRE . 1756. 133
circonftances qui n'échappent point à ceux
qui font chargés de cette grande partie de
l'administration :
Que l'or & l'argent, qui font tour-à- tour
marchandifes & fignes représentatifs de
tout ce qui peut être échangé , ne peuvent
provenir que des mines pour ceux qui en
ont , que du commerce pour ceux qui n'ont
point de mines :
Que l'or & l'argent , ainfi que les pierre
ries , peuvent être confidérés comme matie
res premieres , ou comme ouvrages fabriqués
comme matieres , lorfque , par rapport
aux pierreries , elles font encore brutes,
& qu'à l'égard des métaux , ils font encore
en lingots , en barres , &c : comme ouvra
ges , lorfque les pierres précienfes fo . 111 .
fes en oeuvre ; & qu'à l'égard des métaux ,
ils font employés en monnoies , en vaiffelles,
en bijoux , en étoffes , &c .
Que les marchandifes & les meubles peuvent
être l'objet d'une circulation intérieu-
& re , ou d'un commerce avec l'étranger ;
qu'à cet égard , & furtout dans le dernier
cas , il eft in portant d'examiner fi la matiere
premiere , & la main - d'oeuvre à la
fois , ou l'une des deux feulement , proviennent
de la nation .
LesFinances confidérées, comme on vient
de le voir, dans les richeffes & les poffeffions
134 MERCURE
DE FRANCE
.
réelles & fenfibles , frappent tout le monde,
& par cette raifon obuennent fans peine
le degré d'attention qu'elles méritent. En
voici d'une espece li métaphysique
, que
plufieurs feroient tentés de ne point les regarder
comme richelles , fi des titres palpa.
bles ne les rendoient réelles pour ceux qui
conçoivent le moins les effets que ces titres
produifent dans le commerce & dans la
circulation.
Les richeffes d'opinion , qui multiplient
fi prodigieufement les réelles , font fondées
fur le crédit , c'eſt - à - dire , fur l'idée que
l'on s'eft formée de l'exactitude & de la felvabitité.
Mais ce crédit peut être celui de la nation
, qui fe manifefte dans les banques &
dans la circulaiton des effets publics , accrédités
par une bonne adminiftration
, ou
celui des particuliers confidérés féparément
ou comme réunis.
Séparément
ils leur devenir
par peuvent
bonne conduite , & leurs grandes vues , les
banquiers
de l'état & du monde entier. On
fera fans peine , à Paris , l'application
de cet article.
Confidérés enfemble ils peuvent être
réunis en corps , comme le Clergé , les Pays
d'Etats , & c. en Compagnies de commerce ,
comme la Compagnie des Indes, les ChamNOVEMBRE.
1756. 135
que bres d'affurances , &c. d'affaires , telles
les fermes générales , les recettes générales ,
les munitionnaires généraux , &c. dont le
crédit perfonnel augmente le crédit général
de la nation .
Mais les avantages des richeſſes naturelles
ou acquifes , réelles ou d'opinion , ne fe
bornent pas au moment préfent ; ils s'étendent
jufques dans l'avenir , en préparant
les refources qui forment le troifieme afpect
, fous lequel les Finances doivent être
envifagées.
Trois fortes de reffources fe préfentent
naturellement pour fatisfaire aux befoins
que les revenus ordinaires ne rempliffent
pas : l'aliénation , l'emprunt , l'impofition .
Les deux premieres font en la difpofition
des fujets , comme du jouverain. La derniere
n'appartient qu'au fouverain . Tout le
monde peut aliener ce qu'il a , emprunter ce
qui lui manque. Le fouverain feul peut impofer
fur ce que les autres ont . Parcourons
ces trois fortes de reffources avec la même
rapidité que les autres objets .
à de
Les alienations fe font à perpétuité de ce
qui peut être aliéné fans retour ;
ce qui eft inalienable de fa nature .
Lemps
On aliene les fonds ou les revenus : les
fonds , de deux manieres à l'égard du fouverain
; en engageant ceux qui ne font
136 MERCURE DE FRANCE.
point encore fortis de fes mains ; en mettant
en revente ceux qui n'avoient été vendus
qu'à faculté de rachat, les revenus provenans
de l'établiffement de nouveaux
droits , ou de la perception des droits an
ciennement établis .
Quant aux emprunts, qui fuppofent toujours
la certitude , ou tout au moins le
defir d'une prochaine libération , ils peuvent
fe faire directement ou indirectement.
Directs , ils confiftent dans les créations
de rentes , qui peuvent être perpétuelles ou
viageres , qui font à leur tour viageres
proprement dites , ou tontines , affignées les
unes & les autres fur les fonds ou fur les
revenus,
diverts ils font déguifés fous diverfes
formes, fous différem dénominations , &
tels font l'ufage du crédit public ou parti-.
culier , les loteries plus ou moins compliquées
, les créations d'offices , avec attribution
de gages , ou les nouvelles Finances
que l'on exige des offices déja créés , avee
augmentation de gages proportionnée.
Mais des trois objets de reſſources qui
font entre les mains du
gouvernement
l'impofition eft fans contredit celle que l'on
emploie toujours le plus à regret. Les impofitions
peuvent être, comme les emprunts,
directes ou indirectes.On peut établir de nouNOVEMBRE.
1756. 137
veaux impôts ; on peut augmenter les impofitions
anciennement établies : mais dans
tous les cas , dans tous les temps , chez toutes
les nations , les impofitions ne pourront
jamais porter que fur les chofes , fur les
hommes & fur leurs actions , qui comprendront
toutes les conventions , toutes les efpeces
de mutations , & toutes les fortes
d'actes émanés d'une jurifdiction libre ou
forcée. Voyez pour le détail le mot impofition
, dont vous prendrez par avance l'idée
générale , la plus fûre , fi vous la concevez
d'après la divifion du droit, de rebus , deperfonis
& de actionibus.
Il en eft au furplus des reffources, comme
du crédit. Un ufage raiſonnable les multiplie
: mais l'abus que l'on en fait les dé
truit. Il ne faut ni les méconnoître , ni
s'en prévaloir. Il faut les rechercher comme
fi l'on ne pouvoit pas s'en paffer , &
les économiser avec le même foin que s'il
étoit déformais impoffible de fe les procurer
; & c'eſt à cette fage économie que conduifent
les vrais principes de l'adminiftration
: quatrieme maniere d'envifager les
Finances , & que l'on a placée la derniere,
parce qu'elle embraffe toutes les autres parties
, & qu'elle les gouverne toures.
L'adminiftration peut être publique &
générale , ou perfonnelle & particuliere.
138 MERCURE DE FRANCE.
L'adminiſtration générale ſe ſubdiviſe en
politique & economique . La politique embraſſe
l'univerfalité des hommes & des chofes :
Des hommes , pour les apprécier ce qu'ils
valent , relativement à leur mérite perfonnel
, à leur condition , à leur profeffion , &
pour tirer parti , pour le bien commun , de
leurs talens, de leurs vertus , de leurs défauts
même.
Des choles , afin de les bien connoître ,
chacune en particulier , & toutes enfemble,
pour juger des rapports qui fe trouvent
entre lles , & les rendre toutes utiles à
l'univerfalité.
L'adminiftration générale , économique ;"
a pour objet :
Par rapport aux principes des Finances ,
d'en conferver les fources , de les rendre ,
s'il fe peut , plus abondantes , & d'y puifer
fans les tarir , ni les deffécher.
Par rapport aux richeffes , de conferver
& d'améliorer les fonds , de maintenir les
droits , de percevoir les revenus , de faire
enforte que dans la recette rien ne fe perde
de ce qui doit entrer dans le tréfor du fouverain
, que dans la dépense choque choſe
fuive la deftination qui lui eft affectée , que
le tout , s'il eft poffible , n'excede pas le
revenu , & que la comptabilité foit en regle
& bien conftatée.
1
NOVEMBRE . 1756. 139
Cette même adminiftration politique &
générale a pour objet , par rapport aux reffources
, de bien connoître celles dont on
peut faire ufage , relativement aux facultés
de l'état , au caractere de la nation , à la
nature du gouvernement ; de fçavoir juſqu'à
quel point l'on peut compter fur chacune
en particulier , fur toutes enfemble , &
furtout de les appliquer aux objets les plus
intéreffans.
Confidérée comme perfonnelle & particu
liere, l'adminiftration eft peut être d'autant
plus importante , qu'il arrive fouvent que
plus on fe trouve , par fa place , éloigné
des grands objets , plus on s'écarte des grandes
vues , & plus les fautes font dangereufes
, relativement au gouvernement : mais
il feroit plus qu'inutile de prévenir ici , fur
cette forte d'administration , ce que l'on en
dira ci-après , à l'occafion du mot Finan
cier , qui rentre néceffairement dans celui-
ci.
On voit par tout ce que l'on vient de
lire fur les Finances , que la diftribution la
plus fimple & la plus naturelle , que que la progreffion
des idées les plus communes & les
plus générales , conduifent à la véritable définition
d'un mot fi intéreffant pour la fociété;
que dans cet article toutes les parties
rentrent refpectivement les unes dans les
140 MERCURE DE FRANCE.
autres; qu'il n'en eft point d'indépendantes
& que leur réunion feule peut opérer , confolider
& perpétuer la fûreté de l'état , le
bonheur des peuples , & la gloire du ſouverain
; & c'eft à quoi l'on doit arriver , en
partant du mot Finances , comme on doit,
en rétrogradant , remonter à ce mot , fans
que dans l'une ni l'autre de ces opérations,
rien puiffe interrompre la chaîne des idées,
& l'ordre du raifonnement.
CHIRURGIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , les obligations fingulieres
que nous avons à M. de la Martiniere ,
premier Chirurgien du Roi , des moyens
qu'il emploie avec tant de fuccès pour rétablir
la Chirurgie dans l'état honorifique
& diftingué qui lui convient , nous engagent
à rendre notre reconnoiffance
publi
que. Nous ne pouvons mieux nous acquitter
de ce devoir , qu'en vous priant de
vouloir bien inférer dans votre Mercure ,
le Réglement dont nous avons l'honneur
de vous envoyer une copie , avec la Lettre
circulaire qui l'accompagnoit. Le Public
NOVEMBRE. 1756. 141
jugera du degré de notre gratitude , par
l'importance des avantages qu'il nous procure
. Vous nous obligerez fenfiblement de
vouloir bien entrer dans nos vues à cer
égard .
Nous avons l'honneur d'être avec la
plus parfaite conſidération , Monfieur >
Votre , &c. Les Chirurgiens de la Province
de Normandie.
A Rouen , ce 12 Octobre 1756 .
LETTRES PATENTES.
LOUIS , par la grace de Dieu , Roi de
France & de Navarre : à nos amés & féaux
Confeillers les Gens tenans nos Cours de
Parlement & des Aydes à Paris , Salut.
Sur ce qui nous a été repréfenté par notre
cher & bien amé le Sieur de la Martiniere,
notre premier Chirurgien ; que les progrès
que la Chirurgie a faits depuis plufieurs années
, font dûs aux prérogatives & diſtinctions
que nous avons accordées depuis le
commencement de notre regne à ceux qui
fe font adonnés à cet Art : qu'en confirmant
par notre Déclaration du 24
Février 1730 , l'Edit du mois de Février
1692 , nous avons autorifé les Statuts &
Réglemens faits pour les Chirurgiens de
142 MERCURE DE FRANCE.
nos différentes Provinces ; que,
fuivant ces
Statuts , ceux qui exerceront purement &
fimplement la Chirurgie , font réputés
exercer un Art libéral , & doivent jouir
de tous les privileges attachés aux Arts libéraux
; que par notre Déclaration du 24
Avril 1743 , Nous avons donné des marques
fignalées de notre protection aux
Chirurgiens de notre bonne Ville de Paris ;
que notre Déclaration a rendu à cet Art le
luftre & la confidération qui lui font propres
, & qui cependant étoient prefque
entierement effacés par l'aviliffement dans
lequel il étoit tombé ; qu'elle a ranimé le
zele & l'application des Chirurgiens de notre
bonne Ville de Paris ; les Ecoles en
font devenues plus célebres , les Eleves qui
y ont été formés , ont répandu dans nos
Provinces l'efprit d'émulation qu'ils y
avoient puifé : les Chirurgiens des autres
Villes de notre Royaume ont bientôt été
animés du même efprit on a vu s'établir
des Ecoles publiques à Montpellier , Toulon
, Bordeaux , Rouen , & tous ceux
qui ont embraffé cette profeffion , contribuer
à la gloire de leur Art par leur application
à former les fujets qui s'y deftinent
, & par leurs travaux multipliés
pour étendre leurs connoiffances & perfectionner
leurs recherches ; que dans la vue
NOVEMBRE . 1756 . 143
de leur en marquer notre fatisfaction ,
Nous avons , par différens Arrêts de notre
Confeil , revêtus de nos Lettres Patentes ,
déclaré les Chirurgiens de plufieurs Villes
dans lesquelles ils exerçoient purement &
fimplement la Chirurgie , Notables Bourgeois
des Villes de leur réfidence
avons ordonné qu'ils jouiroient des prérogatives
attachées à cette qualité , qu'il
nous fupplioit de vouloir bien expliquer
pareillement nos intentions en faveur de
ceux qui s'adonnent entiérement & fans
aucune reſtriction à cet Art dans les autres
Villes de notre Royaume , & de confirmer
en même temps les autres prérogatives
& exemptions qu'il nous a déja plu
d'accorder à ceux qui exercent cet Art &
qui s'y deftinent ; & defirant exciter encore
plus , s'il eft poffible , le zele & l'émulation
de ceux qui s'adonnent à un Art fi
néceffaire pour la confervation de nos Sujets
, perfuadé que les nouvelles marques
de notre protection les encourageront
a redoubler leurs efforts pour ne négliger
aucune des connoiffances qu'exige la profeffion
qu'ils ont embraffée ; à quoi Nous y
avons pourvu par l'Arrêt de cejourd hui ,
rendu en notre Confeil d'Etat , Nous y
étant , pour l'exécution duquel Nous
avons ordonné que toutes Lettres néceffai144
MERCURE DE FRANCE.
res feront expédiées. A ces caufes , de l'a
vis de notre Confeil , qui a vu ledit Arrêt ,
dont l'extrait eft ci -attaché fous le contrefcel
de notre Chancellerie , & conformément
à icelui ; Nous avons ordonné , &
par ces préfentes fignées de notre main ,
ordonnons que les Maîtres en l'Art &
Science de Chirurgie des Villes & lieux
où ils exerceront purement & fimplement
la Chirurgie fans aucun mêlange de profeffion
méchanique , & fans faire aucun
commerce ou trafic , foit par eux ou par
leurs femmes , feront réputés exercer un
Art libéral & fcientifique , & jouiront en
cette qualité des honneurs , diftinctions
& privileges dont jouiffent ceux qui
exercent les Arts libéraux : Voulons &
entendons que lefdits Chirurgiens foient
compris dans le nombre des Notables
Bourgeois des Villes & lieux de leur réfidence
, & qu'ils puiffent à ce titre être revêtus
des Offices Municipaux defdites Villes
, dans le même rang que les Notables
Bourgeois ; défendons de les comprendre
dans les rôles d'Arts & Métiers , ni de les
affujettir à la taxe de l'induftrie ; & feront
lefdits Chirurgiens exempts de la collecte
de la taille , de Guet & Garde , de
Corvées , & de toutes autres Charges de
Ville & publiques , dont font exempts ,
fuivant
<
NOVEMBRE . 1756. 145
7
fuivant les ufages & Réglemens obfervés
dans chaque Province , les autres Notables
Bourgeois & habitans des Villes & heux
où ils auront leur établiffement : permettons
auxdits Chirurgiens d'avoir un ou
plufieurs Eleves , foit pour être aidés dans
leurs fonctions , foit pour les inftruire
des principes de la Chirurgie ; lefquels
Eleves au nombre de deux , feront exempts
de tirer à la Milice ; le tout à la charge ,
tant par lefdits Maîtres que par leurs Eleves
, d'exercer purement & fimplement la
Chirurgie : dérogeons à tous ufages , Coutumes
& Réglemens contraires à notredit
Arrêt & à ces préfentes. Si vous mandons
que ces préfentes vous ayez à faire régiftrer
( mêine en temps de vacations ) , & le
contenu en icelles , enfemble ledit Arrêt ,
exécuter felon leur forme & teneur : car
tel eft notre plaifir . Donné à Compiegne
le dixieme jour d'Août , l'an de grace mil
fept cens cinquante- fix , & de notre regne
quarante-unieme. Signé Louis : Et
plus bas , par le Roi , M. P. de Voyer
d'Argenfon. Et fcellé du grand ſceau de
cire jaune.
le
G
146 MERCURE
DE FRANCE.
OBSERVATION
de Chirurgie trèsimportante
, au fujet des ravages produits
par la Pierre dans la veffie , adreffée à
l'Auteur du Mercure .
Pierre-Jofeph Averlan , âgé de cinq ans ,
fils de Michel Averlan , Maître Savetier ,
rue des Foffés- neufs , à Lille , fut attaqué
de la pierre vers le commencement de Septembre
1755 .
:
pouchez
M.
Les premiers fymptomes qui manifeſterent
cette maladie furent de fréquentes
envies d'uriner , & une difficulté de
voir le faire les douleurs augmentant de
jour en jour & devenant plus vives , les
parens prirent le parti de le porter
Vandergrath
, Lithotomifte
de cette Ville.
Ce Chirurgien le fonda , ne reconnut d'abord
qu'un gravier affez gros , qu'il crut
pouvoir faire fondre par des remèdes qu'il
confeilla à ces pauvres gens ; mais dans le
temps qu'il tenoit le Catheter dans la veffie
, il introduifit fon doigt dans le rectum ;
alors le malade fit des cris horribles , &
qui ne cefferent que lorsqu'on l'en cût
débarraffé.
Je ne fçais fi cette introduction forcée ,
ou le remede ordonné pour fondre le préNOVEMBRE
. 1756. 147
tendu gravier , firent un effet oppofé à
l'intention de l'Opérateur ; mais dès cet
inftant le malade éprouva une incontinence
d'urine, & les felles qui avoient toujours
paffés fans faire fentir la moindre douleur
, furent à l'avenir accompagnées d'un
tenefme infupportable. Quoi qu'il en foit ,
le remede fut opiniâtrément continué
pendant fix mois , & l'état du malade.
ne fit qu'empirer : & dans le dernier , il
étoit continuellement fur le baffin : là il
faifoit avec douleur des efforts infructueux
pour aller à la felle.
Mais c'étoit bien pis , lorfque ces efforts
étoient fuivis de quelques petites portions
d'excrément : alors il fe joignoit à la
douleur, & aux cris ordinaires des convalfions
qui faifoient tout craindre pour la
vie de cet enfant .
Le trifte état où il étoit réduit , engales
parens à chercher les moyens de
gea les
l'en délivrer ; M. Vandergrath ayant
perdu leur confiance , ils s'adrefferent à
moi .
Je le vis , pour la premiere fois , le 25
Juillet 1756 il étoit alors fur le baffin ,
& je fus témoin d'une partie de fes ſouffrances.
Je le fondai , & lui trouvai une
pierre affez groffe . J'indiquai l'opération
pour le lendemain à cinq heures du matin,
Gij
14S MERCURE DE FRANCE.
Après l'avoir mis dans la fituation horizontale
, je l'opérai au feptieme degré d'écartement
; je tirai avec facilité & prompti- |
tude une pierre affez groffe , très- folide ,
& du poids de deux dragmes & demie.
A peine l'opération fut-elle achevée
que le malade s'endormit ; fes urines coulerent
d'abord par la plaie : le lendemain ,
il eut deux felles ; dans la feconde , il s'y
trouva un grand ver : le foir du lendemain
de l'opération , les urines pafferent en totalité
par les voies naturelles ; & depuis ce
temps , il n'en paffa plus une feule goutte
par la plaie , qui a été parfaitement
cicatrifée
le neuvieme jour.
La promptitude de cette cure fait mieux
l'éloge du Lithotome caché , que les difcours
les plus recherchés . Ceux qui me firent
l'honneur d'affifter à cette opération
font M. Plancque , Chirurgien-Major des
Hôpitaux Militaires ; MM . Robert , Prevoft
, Vinchant l'aîné , Vinchant le jeune ,
Vanftiwort & Varocquier , tous Maîtres
en Chirurgie , à Lille.
CHASTANET, Chirurgien , Aide - Major
des Hôpitaux Militaires , à Lille.
Ce 6 Août 1756.
NOVEMBRE. 1756. 149
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Belles - Lettres de la
Rochelle , du S Mai 1956.
Monfieur le Président de Lavaux- Martin
, Directeur de l'Académie , ouvrit la
Séance par un difcours vif & ferré fur
l'agrément & l'utilité des Sciences & des
Arts. L'étendue de fa matiere ne pouvant
être épuisée , il ne promit qu'un coup
d'oeil rapide ; mais il le donna en homme
de goût , qui faifit avec fineffe le trait propre
& caractéristique. Avant que d'entrer
dans le détail , il préfenta ce qu'il y a de
plus apparent dans l'utilité des Sciences &
des Arts , confiderés fous un point de vue
général. En Citoyen zélé , il fit voir que
les Empires avoient été d'autant plus floriffantes
que les Lettres y étoient mieux
cultivées. En Philofophe Chrétien , il leur
attribua pour prérogative effentielle &
primitive , celle d'éclairer l'efprit & de
former les moeurs ; & par des exemples
frappans de l'hiftoire ancienne & moderne
, il renverfa ce paradoxe qu'on a trop
férieuſement réfuté , & qui , pour l'honneur
des Lettres , n'auroit jamais dû être
propofé. Il détruifit enfuite l'opinion de
Giij
150 MERCURE DE FRANCE:
ceux qui prétendent que le fommet des
Arts & des Sciences eft la feule place honorable
qu'on puiffe tenir ; il encouragea
tout le monde à entrer dans la carriere par
l'utilité & l'agrément qu'on eft für d'y
trouver , à quelque point que l'on parvienne
, pourvu toutefois que l'on fçache
éprouver les forces , reconnoître fes talens ,
fuivre la nature fans la forcer , « comme
» un vaiſſeau battu de la tempête qui évite
» heureuſement le naufrage , franchit les
» écueils & s'éleve au deffus des rochers ,
ور
ود
"
lorfqu'il obéit aux vents & qu'il amene
» à propos. » Il fit plus , il perfuada qu'il
n'étoit prefque perfonne qui ne pût s'y
promettre quelque forte de fuccès .
L'homme a en lui -même les femences de
» toutes les vérités & les principes de tou-
»tes les fciences ; ce font des germes qui
» n'attendent que la culture , qui ſe développeront
fürement à proportion qu'on
» les nourrira , &produiront des arbres ſi-
» non chargés de fruits , du moins ornés
» de fleurs. »
">
"
La Logique ou l'art de penfer , comme
l'introduction néceffaire à toutes les autres
fciences , attira fes premiers regards . C'eſt
elle , dit M. de Lavaux , qui dirige les
opérations de notre efprit , qui par l'appli
cation de fes regles , débrouille le cahos de
NOVEMBRE. 1756 . 151
nos idées , les range dans un ordre fucceffif
& méthodique , en fait remarquer la
liaifon , en découvre les rapports , nous
prémunit contre les inductions fauffes ou
précipitées , affure nos jugemens , & mettant
dans nos difcours l'ordre & la méthode
, répand fur toute la fociété fon agrément
& fon utilité .
Les recherches profondes de la métaphyfique
préfentent d'abord un afpect affez
peu riant ; mais il faudroit n'être jamais
rentré en foi- même pour les croire tout- àfait
incapables d'agrémens . Le filence de
l'ame , le calme des paffions , la pourſuite
de la vérité , ont fait goûter aux fages contemplatifs
des plaifirs d'autant plus épurés
& plus folides , que l'efprit eft au deffus
des fens : rien n'égale d'ailleurs l'utilité de
cette fcience , puifqu'elle nous conduit
d'abſtractions en abſtractions jufqu'à la
connoiffance de l'Etre par excellence , de
la Divinité , & que nous faifant enfuite
defcendre aux objets créés , elle nous montre
les effences des chofes , le temps , le
lieu , le mouvement , l'efpace , & nous
découvre , autant qu'il eft permis à des
créatures bornées , la nature de ce fouffle
qui nous anime , de ce rayon de la Divinité
, de notre ame dont elle nous affure l'incorruptibilité.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
•
Si les objets de la Phyfique ne femblent
pas fi fublimes , il nous conduifent cependant
avec moins d'effort & plus d'agrémens
aux mêmes conclufions. Le tableau de la
nature que cette ſcience étale à nos yeux ,
nous infinue par une douce perfuafion .
L'existence d'un premier moteur , autant
que les raifonnemens abftraits de la métaphyfique
, nous en démontrent la néceffité
avec force & conviction .
Pour mieux faire goûter les agrémens &
l'utilité de cette fcience , M. de Lavaux
la perfonnifia ; & la plaçant fucceffivement
dans fes différens regnes , il montra
comment elle enchante nos regards par
le fpectacle varié & toujours fenaiffant
d'une riante campagne ; comment elle
pourvoit à notre fubfiftance par la culture
de la terre ; à notre défenfe & à tous nos
befoins , en tirant de fon fein tous les
minéraux pour les convertir en métaux
précieux , & les façonner enfuite en tant
de minieres différentes ; à notre vie même
pour la foutenir ou la prolonger par les
fucs des fimples , & les extraits des mixtes
qu'elle nous prépare ; comment furtout
elle a guéri la plus funefte des maladies de
notre ame , la fuperftition . En foumettant
les éclipfes au calcul , en pofant les loix
fuivant lefquelles les Aftres doivent fournir
NOVEMBRE. 1756 . 155
leur carriere périodique & néceffaire , elle.
nous a fait voir que nous y attachions ridiculement
notre fort ; que ces globes qui
embelliffent la voûte éthérée , n'étoient
point faits pour nous infpirer de la peur ,
quelque phafe qu'ils puffent éprouver ;
mais pour nous éclairer , nous échauffer ,
nous plaire , nous inftruire & régler nos
pas fur le globe que nous habitons .
"3
"
"
Les Romains , dit M. de Lavaux , ja-
» loux d'étendre leur domination , arment
» une puiffante flotte : les bords de la Mé-
» diterranée ne fuffifent pas à leurs projets
ambitieux ; les riches contrées, que voit
» l'Océan , excitent leur cupidité . Prêts à
» defcendre fur une côte , où ils n'avoient
jamais mis le pied , ils voient la mer fe
» retirer , & laiffer leurs vaiffeaux à fec fur
» le rivage ; la fuperftition , fille de l'ignorance
, leur préfente cet événement com-
» me la punition de quelque Divinité.
Nous au contraire nous voyons la mer
» deux fois chaque jour venir baigner nos
» rives de fes flots , & autant de fois fe re-
» pliant fur elle - même , fe retirer au fond
» des abyfmes . Loin d'en être furpris , ce
fpectacle, nous charme fans ceffe ; & fi
»nous ne pouvons affurer & déterminer
» poſitivement la caufe de ce mouvement ,
nous marquons bien certainement l'heur
"
"
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
», & la minute où les flots doivent avancer
» & reculer.
M. de Lavaux parcourut avec la même
précifion l'agrément & l'utilité que nous
retirons de l'éloquence & de la poésie , de
l'étude des langues , de quelques arts libéraux
& méchaniques , mais furtout de la
fcience de l'hiftoire , néceffairement accompagnée
de la chronologie & de la géographie
, fans lefquelles il eft impoffible
d'en profiter.
Il faut connoître , dit- il , les bornes &
le licu des empires , la fituation des villes ,
l'étendue des contrées & des colonies , les
années des Anciens , le commencement , la
durée & la fin des plus célebres époques ,
fans quoi l'hiftoire , par la multiplicité des
faits qu'elle entafferoit dans la mémoire ,
ne formeroit qu'un cahos , d'où il ne fortiroit
aucun trait de lumiere ni d'inftruction
.
M. de Lavaux ne diffimula pas qu'on peut
abufer de tous les arts & de toutes les fciences
: il déplora furtout, par rapport à l'éloquence
& à la poésie , l'abus que quelques
Auteurs trop fameux ne ceffoient de
faire de leurs talens : mais il les mit fur le
compte de l'erreur , de l'illufion , de la corruption
& de la dépravation des moeurs ,
dont l'éloquence & la poéfie ne fçauroient
NOVEMBRE . 1756. 155
être refponfables . Le jour le plus ferein ,
dit- il , n'est jamais fans quelque nuage :
mais le foleil ne perd pas pour cela fa
clarté , & nous n'en reffentons pas moins
la bénigne influence de fes rayons .
M. Hüe , Directeur des ponts & chauf
fées , dans les provinces d'Aunis & Saintonge,
lut enfuite des obfervations fur une
voie ancienne , romaine , qui traverſoit le
pays des Santones ou Saintongeois.
De tous les peuples , dit- il , qui ont
figuré fur le théâtre du monde , il n'en eft
point de plus célebre que les Romains . Le
caractere de certe nation , à jamais illuftre,
étoit la vraie empreinte de la grandeur. A
Rome tout étoit grand : vaftes projets ,
fublimes idées dans l'efprit , fentimens nobles
& héroïques dans le coeur , magnanimité
dans les procédés , loix dictées par la
raifon dans l'ordre judiciaire , oùvrages
d'art , pompeux , & moins brillans que
majestueux dans la décoration extérieure .
Entre les monumens qui nous reftent de ce
dernier genre de magnificence , les grands
chemins tiennent un rang diftingué . Les
édifices renfermés dans l'enceinte de quelques
villes , n'étoient pas tous également
fupertes. On voyoit des aqueducs plus
furprenans par la dépenfe , que par leur
forme ; des ponts plus finguliers par les
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
maffes énormes , qui entroient dans leur
conftruction , qu'admirables par la hardieffe
de leur trait . Ces ouvrages d'ailleurs
multipliés dans la capitale , deviennent
moins communs à mesure qu'on s'en éloigne.
Les Voies Romaines repréfentoient
encore mieux toute la majefté d'une fociété
d'hommes, que l'immortel Chantre d'Enée
appelle un peuple Roi .
Ces Voies étendues fur la furface de
l'univers , avoient une forte d'immensité.
Elles traverfoient l'Europe , l'Afie & l'Afrique.
Depuis les colonnes d'Hercule , jufqu'à
l'Euphrate , & jufqu'à la partie la plus
méridionale de l'Egypte , des routes folides
& prefqu'inébranlables , s'alongeoient
au milieu de diverfes contrées , formoient
la communication des trois parties du
monde connu , & fembloient diminuer les
diſtances , & réunir les lieux les plus éloignés.
La Monarchie Françoife , comparable à
tant d'égards à l'Empire Romain , peut ſe
vanter d'avoir , avec cet Empire , un nouveau
trait de reffemblance, par la beauté du
grand nombre de routes. L'état doit ce
précieux avantage au génie éclairé , & aux
vues fuivies & détaillées d'un homme qui
confacre fes foins à l'un des principaux objets
de l'utilité publique . C'eft par ces heuNOVEMBRE
. 1756. 157
reux foins que nos routes imparfaitement
commencées , & dont la lenteur de l'exécution
laffoit l'attente du voyageur , s'ouvrent
de toutes parts , s'achevent & fe perfectionnent
. Nos chemins méritent enfin
ce nom, & ceffent d'être des abyfmes . Tracés
fur des lignes droites , fuivant des pentes
prefque toujours infenfibles , affis fur
un fond folide par la nature du terrein, ou
que l'art a rendu tel , arrangés par des
mains induſtrieufes , & bordés d'arbres ,
on les prendroit pour des riantes allées.
On voyage , & l'on croit fe promener. Des
poids énormes , moins rébelles au mouvement
, commencent à rouler avec quelque
facilité. L'importance des affaires exigentelles
de la célérité , on ne va pas , on vole
fur une furface plane & unie. Les ordres
du fouverain font portées au loin plus rapidement.
Les troupes marchent ; ces troupes
qui fe traînoient autrefois avec tant
d'efforts , tant de lenteur , fur un fol inégal
, raboteux & détrempé , où chaque pas
pouvoit devenir une chute.
Ce fut principalement pour les gens de
guerre que les Romains conftruifirent ces
routes fameufes , connues fous le nom de
voies militaires , dont il reste encore des
veftiges dans nos Gaules. On trouve, dans
l'itinéraire d'Antonin , la notice d'un che
158 MERCURE DE FRANCE.
min de Bordeaux à Autun , à Burdigala
Auguftodunum . Les lieux les plus remarquables
y font défignés par leur diſtance 1
refpective , & fi j'ofe le dire , avec leur
toife : car les mefures y font exactement
marquées.
le
La partie de ce chemin , qui traverſoit
pays des Saintongeois , a fixé mon attention
au milieu des courfes que je fuis
obligé de faire par état ,, pour conduire &
perfectionner la grande route de Paris à
Bordeaux , enclavée dans la généralité de
la Rochelle. L'objet de mes obſervations
eft donc de retrouver la ligne décrite par
cette ancienne voie , d'en fuivre les traces,
& de la faire reparoître toute effacée qu'elle
eft par le ravage des temps.
Adrien de Valois , dans fa notice des
Gaules , ouvrage rempli de fçavantes recherches
, & qu'une main habile devroit
retoucher pour y faire entrer les additions
& corrections néceffaires , Adrien de Valois
détermine les lieux par où paffoir la
voie militaire , en coupant le pays des Saintongeois
. Si l'on en croit cet Auteur , Blavutum
eft Blaye , Tamnum , Tatmont fur
Gironde , Novioregum , Royan , Mediolanum
Santonum , Saintes , Annedonacum ,
Annay. L'affertion de ce fçavant eſt une
pure conjecture , mêlée de vrai & de faux.
NOVEMBRE. 1756.
159
Je vais tâcher de donner un air de vérité
à ce qui n'eft étayé d'aucune preuve , & de
relever en même temps une erreur qui s'eſt
gliffée dans la notice deValois. Quelquefois
un homme de cabinet , courant après la
fcience , laifle échapper la vérité .
Quand on connoît le local de la Saintonge
, on a peine à comprendre pourquoi
les Romains , au lieu de conduire leur chemin
de Blaye à Saintes , par la voie la plus
courte , fe font avifés de prendre un grand
détour. Ils ont fuivi les bords de la Garonne
jufqu'à Royan , point auquel leur route fe
replie fur un angle aigu de foixante- cinq
degrés , lorfqu'ils auroient pu la diriger
fuivant la projection d'une ligne droite.
Dans l'intervalle qui fépare Blaye & Saintes
, par cette derniere ligne , on ne trouve
ni marais impraticables , ni montagnes efcarpées
, ni vallées dont le comblement eût
exigé des remblais confidérables , ni rivieres
qui méritent quelque attention. La feule
difficulté à vaincre , étoit vraisemblablement
une vafte forêt ; difficulté bientôt
vaincue , quand on le veut , par un grand
nombre de bras armés de coignées . Ces
raifons m'ont frappé d'abord , & j'ai cru
que cette route que Valois fait tenir aux
Romains , n'étoit qu'une docte chimere
d'Auteur , que l'infpection des lieux , &
160 MERCURE DE FRANCE.
les connoiffances du pays , n'avoient point
guidé dans fes recherches..
Cependant tout décidé que j'étois , il
s'élevoit dans mon efprit des doutes , &
même des raifons de douter. Pour écarter
ce nuage importun, il a fallu avoir recours
à la regle & au compas : les mefures antiques
, me fuis- je dit à moi- même , font
connues. D'ailleurs les pierres milliaires ,
qui fubfiftent encore en certains endroits
de l'Italie , & même de la France , conftatent
la précision & la jufteffe des opérations
des anciens Voyers Romains . Elles étoient
toutes établies fur une même échelle ; regle
qu'il feroit à fouhaiter que tous nos
Géographes vouluffent adopter dans la réduction
de leurs cartes. Comparons leurs
mefures avec les nôtres , & réduifons - les
toutes deux à une mefure commune. S'il
´en réfulte une identité de diſtance entre
les lieux défignés par l'itinéraire , & ces
mêmes lieux indiqués fur nos cartes , cette
identité nous montrera à découvert la trace
de la voie militaire que nous cherchons .
La meſure commune, que je ferai fervir
de baſe à mon calcul , eft notre toife , qui
comprend fix pieds de Roi. C'eft fur cette
mefure que j'évaluerai le mille Romain ,
compofé de mille pas , le pas de cinq pieds
Romains , plus petit que le nôtre de treize
NOVEMBRE . 1756. 161
lignes & demie , ou d'un dixieme, quelque
chofe de plus. Il y avoit ainfi dans le mille
Romain sooo pieds Romains , ou 4534
pieds 8 pouces 8 lignes de Roi , qui donnent
755 toiſes 4 pieds 8 pouces 8
lignes pour le mille , que l'on réduira à
755 toifes 3 pieds , à caufe de la variété
des fentimens des Auteurs qui nous ont
donné la valeur du pied Romain.
La lieue Gauloife valoit un mille & demi :
c'eft Jornandès qui nous l'apprend. Leuca
Gallica mille & quingentorum paffuum quantitate
metitur. Ces 1500 pas donnent 1133
toiſes 1 pied 6 pouces . C'eft cette derniere
mefure ou lieue Gauloife qui eft employée
dans l'Itinéraire d'Antonin fous le nom de
mille ; les Romains s'étant conformés pour
les chemins des Gaules à la maniere de
compter des naturels du Pays , à laquelle
ils ont feulement confervé le mot latin
mille. Qui locus exordium eft Galliarium ,
dit Amien Marcellin , en parlant de la
ville de Lyon ; exindè non millenis paffibus ,
fed leucis itinera metiuntur ; ce qui le trouve
confirmé par la table de Peutinger. Lugdunum
capui Galliarum ufque hic leucas ;
d'où Bergier , dans fon Hiftoire des grands
chemins de l'Empire , conclut que la mefure
des chemins par milliaires , n'étoit
162 MERCURE DE FRANCE.
obfervée que jufqu'à Lyon , en paffant par
la Provence. La lieue Gauloife de 1133
toifes 1 pied 6 pouces , va donc être comparée
avec la lieue Françoife de 3000 toifes
, mefure qui approche le plus de la lieue
de ce Pays , & prife fur l'échelle de la Carte
manufcrite de feu M. Maffe , Ingénieur
ordinaire du Roi , & très - habile Géographe
, ou d'après les Plans détaillés des
routes actuelles de la France , levés par
ordre du Miniftre pour fervir à la Carte
générale des chemins de France.
De Blavutum , Blaye , à Novioregum ,
Royan , l'Itinéraire compte 28000 pas ou
28 lieues Gauloifes , c'eft- à- dire , 31731
toifes J'ai trouvé fur la Carte de Maffe
32400 toifes , en mefurant fuivant des
lignes droites , ou dix lieues quatre cinquiemes
. La différence entre ces deux
nombres qui eft 669 roiſes , eft fi peu
confidérable qu'on doit la regarder comme
zero . Il est certain que les angles &
détours que forme une route qui n'eſt
point alignée , doivent au moins produire
cet excédent . D'ailleurs dans des
opérations d'arpentage faites par différen
tes mains , il n'eft pas poffible qu'il n'y ait
quelques variations , furtout fi l'on mefure
de grandes diſtances. Il n'eft donné
NOVEMBRE . 1756. 163
qu'à Meffieurs de l'Académie des Sciences,
de toifer une longueur de 7406 toifes s
pieds avec affez d'exactitude , pour qu'à la
vérification il ne fe trouve que 4 pouces
de différence : preuve bien complette de
précifion.
De Novioregum , Royan , à Mediolanum
Santonum , Saintes , 15 milles ou
lieues Gauloifes , c'eft à- dire , 16998 toifes
4 pieds 6 pouces , & fuivant M. Maffe,
17400 toifes ou 5 lieues ; ce qui fait
une différence de 40 toifes 1 pied 6 pouces
, qui fe trouve à peu près dans la
même proportion que celle ci deffus.
De Mediolanum , Saintes , à Aunedonacum
, que l'on croit être Aunay , 160
milles ou lieues Gauloifes ; 18132 toifes ;
fuivant les Cartes des routes , 18697 toifes
ou 6 lieues un quart , un peu moins ;
ce qui donne une différence de 565 toiſes,
toujours très-approchante de la proportion
de la premiere. On croit en général ,
pouvoir compter pour rien des excédens -fi
légers. La route de Saintes à Aunay , laquelle
paffe par Brifemberg , Ecoyeux &
Varaize , eft encore regardée par les Habitans
du pays , comme un chemin des
Romains ; auffi ai - je reconnu en le fuivant
, quelques reftes de chauffées , qui
164 MERCURE DE FRANCE.
m'ont paru tenir de la conſtruction ancienne
. On peut encore ajouter à ces raifons
la reffemblance du terme ancien
Aunedonacum , avec le terme françois actuel
, Aunay .
Du calcul que je viens de faire , il réfulte
que les lieues Gauloifes combinées
avec nos lieues Françoiſes , & réduites à
la meſure commune de notre toife , donnent
les mêmes diftances ou à peu près ,
d'où naiffent quatre conféquences.
*
La premiere , Que l'eftimation du mille
Romain à 755 toifes 3 pieds , ainfi que
de la lieue Gauloife à 1133 toiſes 1 pied
6 pouces , ou 1500 pas Romains , eft ici
prouvée par le Local.
La feconde . Que les opérations des
Voyers Romains , & même des Gaulois ,
ont été exactes , puifqu'elles fe rappor
tent aux nôtres .
La troifieme. Que Blaye , Royan
Saintes & Aunay font les mêmes lieux
défignés dans l'Itinéraire , fous le nom
de Blavutum , Novioregum , Mediolanum
Santonum , Aunedonacum , les diſtances
refpectives des lieux anciens & des lieux
modernes étant les mêmes.
La quatrieme enfin , Que la voie militaire
qui partoit de Blaye , paffoit par
NOVEMBRE . 1756. 165
Royan pour aller à Saintes , puifqu'en
fuivant fur la Carte de Maffe , le contour
& l'angle que forme ce chemin à
Royan , il fe trouve la même quantité de
toifes que les lieues Gauloifes donnent de
Blavutum à Novioregum , & de Novioregum
à Mediolanum . C'est ce qu'il falloit
prouver , & ce qu'Adrien de Valois n'a
fait que conjecturer en tombant dans une
méprife
Il prétend que Tamnum entre Blavutum
& Novioregum , eft Talmont : prétention
fans doute occafionnée par l'analogie
des mots , mais démentie par les
mefures. En effet , fi je réduis en toifes la
distance établie par l'Itinéraire entre Bla
vutum & Tamnum , je trouve 16 mille
pas , ou 18132 toifes : mais entre Blaye &
Talmont la diftance eft de 27300 toifes ,
l'excédent qui fe trouve ici d'une moitié
en fus , eft par conféquent trop fort pour
retrouver Tamnum dans le Talmont de nos
jours. On peut fuppofer avec quelque vraifemblance
, que ce lieu eft détruit , &
que fa pofition étoit à 3000 toifes en-deça
de Mortagne entre ce bourg & Cofnac, aux
environs de S. Difant du Gua , près d'un
village qui porte le nom de S. Tiers du
Taillon , lequel paſſe pour ancien , & poụ,
voit être voifin de Tamnum.
165 MERCURE DE FRANCE.
On me demandera peut- être les raifons
qui ont pu déterminer les Romains à
laiffer la ligne droite de Blaye à Saintes.
Je les ignore : mais s'il eft permis de
remplacer par le vraiſemblable le vrai qui
n'eft pas connu , j'entrevois dans le procédé
de ce peuple des motifs affez probables.
Par l'état de cette route fi différente de la
plupart de celles qu'ont ouvert les Romains
je foupçonnerois que ces derniers ont plutôt
fuivi la route pratiquée par les anciens
Gaulois qu'ils ne l'ont tracée eux- mêmes ;
qu'ils fe font contentés de la redreſſer dans
différentes parties plus mauvaifes , & d'y
faire des longueurs de chauffée dont on
retrouve encore quelques veftiges , enfin ,
qu'en élongeant les bords de la Gironde , les
Soldats trouvoient des Bourgs & des villes ;
car un pays voifin d'une grande riviere ou
de la mer , eft ordinairement peuplé. Ces
villes & ces bourgs procuroient aux troupes
des manfions , c'eſt- à- dire , des gîtes
& des logemens , tandis que les équipages
defcendoient ou montoient fuivant les
marées fur des batteaux.
Pour aller de Blayes à Saintes par la
ligne droite , il falloit ouvrir une nouvelle
route fur un terrein peu habité , &
dans lequel les Géographes anciens ne
NOVEMBRE . 1756. 167
ge ,
marquent ni bourg , ni lieu allez grand
pour fervir de logement aux gens de guerre.
Les établiſſemens qui fe trouvent aujourd'hui
dans cette partie de la Sainton-
Mirambeau , Plaffac , Pons ,
tels que
Lajard , font poftérieurs aux temps dont
nous parlons. Il étoit donc naturel que les
Romains priffent la route la plus longue
mais la plus commode ; d'ailleurs cette
route étoit bien plus aifée à former : elle
exiftoit déja , le pays étant habité ; il n'étoit
queftion que de l'affermir , & les matériaux
s'offroient à la main du travailleur.
Il y avoit plus de difficulté à vaincre en
décrivant la ligne droite des forêts à
abattre entre Blaye & Mirambeau , & entre
Plaffac & Saintés ; des pentes à adoucir
aux abords du Petit- Niort , de Mirambeau
, de Lajard ; des terres fortes à traverfer
entre Mirambeau & Saintes ; des
chauffées à établir fur ces terres , dont
quelques-unes font fondantes & argilleufes
; des pierres à voiturer au loin , &
toujours difficiles à trouver dans un pays
inconnu , où celles de bonne qualité font
fort rares telles font vraisemblablement
les raifons qui déciderent les Romains en
faveur de la voie Militaire le long de la
Garonne , c'eſt - à - dire de Blaye juſqu'à
Royan.
168 MERCURE DE FRANCE.
Cette partie de route depuis Bordeaux
jufqu'à Aunay une fois établie , nous conduira
naturellement à la connoiffance de
la fuite de la route Romaine entiere , indiquée
par l'Itinéraire depuis Burdigala ,
Bordeaux , jufqu'à Auguftodunum , Autun,
en paffant par Limonum que l'on eftime
être Poitiers , & Avaricum , Bourges .
La fuite au prochain Mercure,
ARTICLE
NOVEMBRE. 1756. 169
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQU E.
CÉlime , Ballet en un Acte , repréſenté
par l'Académie Royale de Mufique , le
28 Septembre 1756 ; dédié à M. le Comte
d'Argenfon , Miniftre & Secretaire d'Etat,
par M. le Chevalier d'Herbain , Auteur de
la Mufique.
Nous croyons qu'elle mérite l'eftime
des connoiffeurs , & qu'elle doit furtout
leur plaire , quand elle eft embellie
les fons & par l'art de Mlle Fel .
GRAVURE.
par
Madame l'Epicié vient de graver un
grand morceau d'après un tableau de M.
Carlo Vanloo , du Cabinet de M. de la
Live.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le fujet est une Affemblée de famille
pour un Contrat de Mariage . Le Peintre
y a diftribué fes lumieres dans le goût de
Reimbran , dont il a auffi imité le ton de
couleur : on voit par cet ouvrage que les
Artiſtes du premier ordre ne different pas
fi effentiellement entr'eux dans leur façon
d'opérer , qu'ils ne fe rapprochent à cet
égard quand ils le veulent , d'une maniere
à tromper les Connoiffeurs.
Cette Eftampe gravée de bon goût
rend fort bien les beautés du Deffein , &
la vigueur du Coloris du Tableau , & fait
en partie l'éloge de feu M. l'Epicié qui a
fçu nous laiffer un fecond lui - même en faifant
ainfi revivre fes talens après lui .
Cette Estampe qui eft exécutée de la
grandeur du Tableau , a pour titre : Contrat
de Mariage , & fe vend à Paris , chez
la veuve l'Epicié , au Louvre , & chez L.
Surugue , Graveur du Roi , rue des Noyers,
vis à - vis les murs de S. Yves.
Nous annonçons une nouvelle Eftampe
du fieur Fellard , intitulée les Bergers à la
Fontaine. Il l'a gravée d'après M. Boucher.
On ne peut trop le louer de s'attacher à
rendre la maniere de chaque Maître qu'il
copie ; on s'apperçoit tous les jours de
fes nouveaux progrès . Cette Eftampe fe
NOVEMBRE . 1756. 171
vend chez lui , rue S. Thomas du Louvre ,
ai fiqu'au Bureau du Mercure , rue fainte
Anne. Prix , 2 liv. 10 f.
PAPILLON , Graveur en bois , donne
avis que le Recueil de cette gravure , dit
des Papillons , où font les OEuvres de fes
ancêtres & les fiennes , qu'il a données au
Cabinet des Estampes à la Bibliotheque
du Roi en 1752 , comme on l'a pu voir
dans la foixante- fixieme feuille Périodique
des Annonces , Affiches , &c. de la
même année , est maintenant arrangé dans
un ordre plus intelligent qu'il n'étoit ;
qu'il eft augmenté de quatre à cinq cens
morceaux , dont quelqu'uns uniques , qui
n'y étoient pas , & le fera de jour en jour,
ayant foin d'y aller mettre tous les morceaux
qu'il peut faire. Le tout eft diftribué
dans trois volumes in folio maximo ,
toutes les pieces numérotées & relatives à
fon Traité de la Gravure en bois , & au
Mémoire de cet Art , qui paroîtra dans
l'Encyclopédie . Il y a même un Catalogue
qui en donne une courte & préciſe
explication.
Hij
174 MERCURE
DE FRANCE
Co
An
fe
d'op
égard
à tron
Cer
rend f
la vigue
en parti
fçu nous
fant ain
Cette
grandeur
trat de M
la veuve
Surugue,
vis à- vis le
Nous an
du fieur Fe
Fontaine,
de lever les Plans , & les autres
inces dans cette Partie qui peuv
me l'arifan au raifonnement
Cars de Théorie
Dnches , depuis m
cinq, on conti
Cours de Théorie
Een trois parties, o
erine capacité, fer
garde la décora
vacances , c
re mois , celle
ibution. On y
deimantere de conce
men , & de la né
emble la diftribur
decoration des de
tra de la difpofition
elemolition des
fallant des re
fans for les plus impen
oment cette Capitale
Après ces préfinit
manier
NOVEMBRE. 1756. 173 77
& des différentes parties qui les
ffent. Enfin l'on traitera dans ce
e la décoration intérieure , & l'on
ce fujet des développemnens & des
Pcapables de ramener le plus grand
is de nos Artiftes au bon goût de
Sture,au lieu qu'ils femblent avoir
ifqu'à préfent l'abus aux précepaodigalité
à la difcrétion , &une
Rae on déréglée à l'efprit de conve
ans lequel les productions les plus
e des d'ailleurs , ne peuvent plaire
jeme and iffeurs.
E.
edi
ané
ans
Do orde nes jours , depuis cinq heures
enté
fqu'à fept , on donnera des
fera
orce Mathématique qui auront pour
été
éorie de cette fcience , & dans iron.
am limon enfeignera l'Alg bre , la favoles
Sections Coniques & les
S
bizzen Impe
Tu
années, trois mois avant les
donnera un Cours de Perf E.
Coméfage
des Ariftes qui auront
Lecons
précédentes uneno
Archinecture & de Mah
ifferens
geme
e repréédie
en
iffement.
du Faux
faire des
partial Pa
Lv
172 MERCURE
DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE
.
LES Cours publics de Théorie & de Pratique
fur l'Architecture , qui ont été interrompus
par les vacances, feront r'ouverts
le 14 Novembre 1756 ,
1756 , dans l'Ecole des
Arts , rue de la Harpe , par M. Blondel ,
Architecte du Roi , Directeur & Profeffeur
de cette Ecole .
Cours de Pratique.
Tous les Dimanches , depuis huit heures
du matin jufqu'à huit du foir , &
toutes les Fêtes ( à l'exception des folemnelles
) , depuis deux heures après - midi
jufqu'à fept , on continuera jufqu'au premier
Septembre 1757 , les exercices du
Deffein , utiles à tous les genres d'Ouvriers
du Bâtiment , & aux perfonnes qui
fe deſtinent aux Arts du goût.
Le , Novembre depuis trois heures juſqu'à
cinq , on infcrira ceux qui fe préfenterone
pour cet Exercice, mais au nombre de quatre
vingts feulement, à caufe des autres Leçons
Publiques qui fe donnent les mêmes
jours dans cette Ecole. On aura foin de
conferver les anciennes places à ceux qui
NOVEMBRE . 1756. 173
auront fait voir des progrès & de l'affiduité
dans les Cours précédens : on les
invite feulement d'avoir l'attention de fe
faire infcrire le 3 Novembre jour indiqué.
Tous les Dimanches matin , depuis neuf
heures jufqu'à onze , on continuera auffi
les leçons de Pratique qui ont pour objet
l'Art de profiler ; la connoiffance des Ordres
, & l'application de ceux - ci dans la
décoration extérieure & intérieure . L'on
y parlera de la proportion , de la forme &
de la richeffe des Soubaffemens , des Attiques
, des Portes , des Croifées , des Niches
, des Frontons , des Balustrades &
de la Partie du goût , qui affigne le choix
de la convenance & de la répartition des
ornemens dans l'Architecture . Enfuite , on
y traitera des différens gentes de conftruction
, tels que la Maçonnerie , la Charpenterie
, la Menuiferie , la Serrurerie , la
Couverture , le Pavé & les autres Parties
qui peuvent conduire à la connoiffance
pratique de l'Art de bâtir.
Les mêmes jours , depuis onze heures
du matin jufqu'à une heure après- midi ,
on continuera les Leçons de Géométrie
pratique , où l'on enfeignera le Calcul
Numérique relatif au Toifé du Bâtiment ,
les développemens des folides applicables
à la coupe des Pierres & des Bois , l'Art
-à
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
de lever les Plans , & les autres connoiffances
dans cette Partie qui peuvent conduire
l'Artifan au raifonnement de fa
profeffion .
Cours de Théorie.
Tous les Dimanches , depuis trois heures
après midi jufqu'à cinq , on continuera pour
les Artiftes unCours de Théorie furl'Architecture
, divifé en trois parties , où les Praticiens
d'une certaine capacité, feront admis .
La Partie qui regarde la décoration , ayant
fini la veille des vacances , on commencera
le 14 de ce mois , celle qui a pour
objet la diftribution . On y traitera d'abord
de la maniere de concevoir le proiet
d'un bâtiment , & de la néceffité de concilier
enſemble la diftribution des dedans
avec la décoration des dehors. Enfuite
on traitera de la difpofition , de la fituation
& de l'expofition des Bâtimens , relatives
à la fùreré , à l'utilité & à la magnificence
, en faisant des remarques intéreſfantes
fur les plus importans édifices qui
ornent cette Capitale & fes environs.
Après ces préliminaires , on traitera , d'une
maniere ftable & conftante , l'Art de dif-
- tribuer felon la convenance de chaque
Bâtiment , les Appartemens de parade , de
fociété & de commodité. L'on y parlera
auffi de la diftribution des Jardins de
pro-
K
NOVEMBRE . 1756. 175
preté , & des différentes parties qui les
embelliffent. Enfin l'on traitera dans ce
Cours de la décoration intérieure , & l'on
offrira à ce fujet des développemens & des
modeles capables de ramener le plus grand
nombre de nos Artiftes au bon goût de
l'Architecture, au lieu qu'ils femblent avoir
préféré jusqu'à préfent l'abus aux préceptes
, la prodigalité à la difcrétion , & une
imagination déréglée à l'efprit de conve
nance , fans lequel les productions les plus
ingénieufes d'ailleurs , ne peuvent plaire
aux connoiffeurs.
Les mêmes jours , depuis cinq heures
du foir jufqu'à fept , on donnera des
Leçons de Mathématique qui auront pour
objet la Théorie de cette fcience , & dans
lefquelles on enfeignera l'Alg bre , la
Géométrie , les Sections Coniques & les
Méchaniques.
Toutes les années , trois mois avant les
vacances , on donnera un Cours de Perf
pective à l'ufage des Arriftes qui auront
puifé dans les Leçons précédentes une notion
fuffifanre d'Architecture & de Mathématique
, relative à leurs différens genres
de talens.
Toutes les perfonnes qui fe préfente
ront pour les Leçons de Pratique , de neuf
& de onze heures du matin , ainfi que ceux
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
qui fe propofent de fuivre celles de trois
& de cinq heures après midi , feront admifes
fans fe faire infcrire , & l'on aura
l'attention , une heure avant & après chaque
Leçon , de leur offrir la communication
des Auteurs qui feront les plus utiles
à leurs befoins.
On annoncera au mois de Janvier prochain
, le jour qu'on ouvrira le quatrieme
& le dernier Cours Elémentaire fur l'Architecture
, deſtiné pour les Amateurs &
les Hommes en place. On n'en parle ici
que pour éviter le reproche qui nous a été
fait , qu'on avoit négligé dans les Cours
précédens , d'en avoir publié l'ouverture
quelque temps d'avance . On prépare pour
ce Cours Elémentaire , des développemens
& des modeles de différens genres qui ,
par leurs aſpects & les differtations qui
feront offertes , aideront à faire faifir avec
plus de clarté , les connoiffances de cet
Art , fi néceffaires à tous les hommes bien
nés , pour lesquels ces Cours en particulier
ont été ouverts les Jeudis & Samedis,
pendant l'espace de fix mois de chaque
année.
Les perfonnes qui fe propofent de fuivre
ce Cours , font priées d'envoyer fe
faire infcrire ; ce qu'ils pourront tous les
Lundis , jufqu'au trois de Janvier.
NOVEMBRE . 1756 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE Mercredi 20 Octobre & le Samedi
23 , les Comédiens François ont donné
Brutus , Tragédie de M. de Voltaire , dans
laquelle l'Acteur nouveau a repréfenté
Brutus. Son troifieme rôle de début fera
celui de Palamede dans Electre , qui a été
retardée par l'indifpofition de Mlle Clairon .
Il reçoit toujours du Public l'accueil favorable
que nous croyons qu'il mérite.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 11 du même mois , les Comédiens
Italiens ont donné la premiere repréfentation
de l'Imagination , Comédie en
un Acte en profe , avec un Divertiffement .
Elle eft de M. Duvaure , Auteur du Faux
Sçavant , qui l'a retirée pour y faire des
corrections. Le Spectateur impartial la
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
trouvée bien écrite , & plufieurs détails
ont été applaudis avec juftice. Si l'Auteur
la fait imprimer , nous croyons qu'elle ne
peut que gagner à la lecture.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , j'oſe me flatter que vous ne
vous refuferez pas à faire fçavoir au public
que le 24 Août le College de Vernon
fur Seine , a donné la repréſentation d'Athalie,
devant un grand nombre de perfonnes
diftinguées.
Pour éviter les inconvéniens qu'entraîne
après foi le traveftiffement des jeunes gens
en femmes , on s'eft conformé à l'ufage de
l'Univerfité de Paris. On a donné Athalie
fous le nom de Joas , reconnu Roi de Juda;
on a fubftitué à Aihalie Achibal , que l'on
fùppofe frere de cette Reine homicide , &
ufurpateur du thrône de Juda ; on a remplacé
auffi le perfonnage de Jofaber par
celui de Jahiel , oncle maternel du Roi lé .
gitime . La mort du Tyran termine la piece,
dont le fonds & l'intérêt ne font altérés en
aucune maniere .
A la fuite de la Tragédie on a donné le
Voluptueux dérompé , petite Comédie tra
NOVEMBRE. 1756.
179
duite du Latin , du feu P. Porée , avee
danfes & ballets . Le théâtre étoit orné de
très-belles décorations .
Les jeunes Acteurs ont fatisfait l'affemblée
en rendant leurs rôles avec l'expreffion
convenable : ils en doivent témoigner leur
reconnoiffance
à M. Fromant , récemment
nommé au Principalat par M. le Maréchal
de Belle-Ifle , place que fon mérite
feul a follicité. Il commence déja à fignaler
fon zele , ayant pris la peine fatiguante
d'exercer les jeunes gens , & bientôt il juf
tifiera le choix que ce Seigneur a fait de fa
perfonne par l'exécution de fon projet fur
l'inftruction de la jeuneffe , en faisant aller
de pair la Langue Latine & la Langue
Françoife , & mariant , pour ainfi dire ,
l'une avec l'autre. M. Fromant vient de fe
faire connoître au public par des Réflexion's
fur les fondemens de l'art de parler , &fur
la grammaire générale & raisonnée de P. R.
dont Prault fils , Libraire , quai de Conti ,
a donné une nouvelle édition . Il fuffit de
dire , à la louange du nouveau Principal ,
qu'il eft en relation avec M. Duclos , de
Académie Françoife , & qu'il étoit lié
très -étroitement avec M. du Marfaix.
Je fuis , Monfieur , & c.
AVernon, ce 25 doût , 1756.
DL vj
180 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. de Boiffy , fur la Déclamation
notée.
N'êtes vous point furpris , Monfieur ;
que dans un fiecle où l'efprit s'eft attaché
à des recherches de tout genre , perfonne
n'ait encore penfé à faire revivre l'ufage
de la déclamation notée , ou du moins à
l'exécuter . On fçait, & les Auteurs furtout,
que la déclamation eft aux pieces de théâtre
ce que le coloris eft dans la peinture :
mais il est peu de Rubens dramatiques. La
déclamation notée feroit donc néceffaire
& elle auroit des avantages qui paroîtroient
d'un grand prix à ceux qui ont du goût. Je
les réduis à trois.
Le premier , de conferver à la poſtérité
la maniere des grands Acteurs : j'entends
celle dont ils ont penfé , celle dont ils ont
rendu les beautés qui nous affectent le plus.
Le fecond, de mettre les Auteurs mêmes
en état de fentir le genre d'expreffion que
la déclamation peut ajouter à la leur, & les
fecours qu'ils en peuvent tirer ; de leur ouvrir
de nouvelles idées , & les moyens de
faire paffer dans l'ame d'un Acteur tout
leur génie & toute leur verve , à l'imitation
des Auteurs Grecs & Romains , qui
notcient eux- mêmes la déclamation , afin
NOVEMBRE. 1756. 181
que l'Acteur faififfe mieux l'efprit de leurs
grands tableaux : car dans le feu de la compofition
, dans ce moment précieux où
l'ame s'attache à un objet , & s'agite pour
le peindre , les premieres images qu'elle
produit ont plus de force & de vérité
& c'eft dans ce moment feul que le vrai
ton des paffions fe préfente à elle.
Le troifieme enfin , pour former les jeunes
Acteurs, & les foulager du travail fou
vent infructueux , d'effayer beaucoup de
tons , pour trouver celui qui eft propre à
chaque image. Cette pénible recherche ,
dont ils n'ont aucune regle , où ils n'ont
aucun guide , arrête leurs progrès , met de
la gêne & du froid dans leur action , &
les conduit au découragement ou à une
monotonie faftidieufe. Au contraire , avec
le fecours de la déclamation notée , ils apprendroient
à éviter les contre- fens , &
ils pourroient corriger la froideur de l'imi
tation par les graces de leur naturel &
le feu de leur propre génie , de même que
les Acteurs en mufique ajoutent à la beauté
du chant l'expreffion qu'ils tirent de leur
propre fonds. Quel eft l'homme de goût ,
l'Auteur même d'une piece de mufique ,
exécutée par un J... Ch... un Be... une F...
qui ne fente pas ce que chacun de ces
grands Muficiens y met du fien , puifqu'ils
donnent fouvent du tour & de l'ame aux
182 MERCURE DE FRANCE.
chofes les plus communes ? Le plus infipide
vaudeville , lorfqu'il eft chanté par Mlle
Favart, ne prend- il pas les graces les plus
piquantes ?
Par le fecours de la déclamation notée ,
on auroit au moins dans les provinces qui
ne font pas à portée des grands modeles ,
des Acteurs fupportables , puifqu'ils rendroient
plus ou moins mal les tons excellens
des bons Comédiens de Paris.
Cette entrepriſe feroit digne du grand
Rameau , qui deviendroit parmi nous créa
teur de ce genre de mufique , & qui mériteroit
de notre théâtre une reconnoiffance
éternelle. Aidé par nos grands Acteurs , il
joindroit aux moyens de faire connoître
les tons , d'autres fignes pour exprimer les
attitudes & l'action des bras & des mains.
Après avoir établi quelques regles générales
fur cette déclamation muette , les défauts
des Acteurs de Province font de
n'avoir pas affez d'arrondiffement dans les
bras , de mettre trop de roideur dans leurs
mouvemens , d'avoir les doigts trop alongés
, peu de flexibilité dans les mains &
de l'embarras dans tout leur maintien.
Combien n'a - t'on pas à regretter d'avoir
perdu le feu d'une Champmeflé , les gra
ces & la nobleffe de Baron , l'art admirable
d'une le Couvreur , le fel & l'enjouement
de la Torilliere & de Poiffon ? Acteurs qui
NOVEMBRE . 1756. 183
ne devoient rien à l'imitation , mais que
la nature & la réflexion avoient formés !
Ne fera- t'il pas encore plus à regretter de
perdre la maniere des excellens Acteurs de
nos jours ? Ils revivroient par le fecours
de la Déclamation notée qui tranfmettroit
à la postérité la force ou les graces de leur
expreffion, ainfi que le goût de notre fiecle ?
Ce feroit fur de femblables modeles
comparés dans leur différente maniere de
peindre les paffions par les tons qu'ils y
emploient , que l'on fixeroit les véritables
fons ; & des notes , celles de la mufique
même rendroient ces fons à nos yeux . Les
rondes , les blanches , les croches fimples &
doubles , ferviroient à ralentir ou à précipiter
les fyllabes felon les images . Les foupirs
employés dans la mufique défigneroient
auffi les filences qui font un grand
effet dans la déclamation lorſqu'ils font
bien ménagés , mais qu'on néglige trop.
Lorfque cet Art feroit plus connu , chaque
Acteur du nombre de ceux qui excellent
pourroit donner au Public la Déclamation
notée d'une Piece entiere : il en résulteroit
autant d'utilité & de plaifir que de la compofition
de plufieurs Muficiens qui s'exercent
fur le même fujet : on compareroit ce
qu'ils ont penfé fur la maniere de rendre
Les plus beaux traits de nos Pieces drama184
MERCURE DE FRANCE.
tiques ; & fi les autres Nations vouloient
nous imiter en ce point , on en tireroit l'urilité
non feulement de connoître leur maniere
de fentir & d'exprimer par les fons ,
mais encore celle de parler leur langue
avec les inflexions qui lui font propres ; ce
qui a toujours échappé à ceux qui étudient
les Langues.
Mais l'art de la Déclamation notée ne
feroit pas bornée au Théâtre feul. Il ferviroit
à la Chaire , au Barreau , & à tous ceux
qui font obligés de parler en public. Combien
d'Orateurs dans tous ces genres , n'en
auroient- ils befoin
pas pour donner plus
de décence , de nobleſſe & de graces , ou
plus de force & de majefté à leurs difcours !
& fi leur objet principal eft de perfuader
ou de toucher , peuvent- il efpérer d'y atteindre
, par des tons qui détournent du
fens de leurs penfées , en énervent la force
, en éteignent le feu , & fouvent aviliffent
les images qu'ils veulent offrir ?
La matiere de cette Lettre feroit le fujer
d'une Differtation affez longue , où pourtant
l'on ne trouveroit rien de trop ; mais
il fuffit de mettre les efprits d'une Nation
comme la nôtre fur les traces d'un objet.
J'ai l'honneur d'être , &c.
PAUL STUC , Muficien , Serpent de la
Cathédrale de la Rochelle.
j
NOVEMBRE . 1756. 185
ARTICLE VI
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE PETERSBOURG , le 17 Septembre.
Sur la nouvelle des hoftilités commiſes par le
Roi de Pruffe dans la Saxe , & de l'invaſion dont
ce Prince menace la Boheme , l'Impératrice a ordonné
d'affembler dans la Livonie un Corps con→
fidérable de troupes , deftiné à fecourir l'impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme , & le Roi
de Pologne Electeur de Saxe. Le Feld -Maréchal
Apraxin aura le commandement de cette armée.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 25 Septembre.
On a fait pendant trois jours dans toutes les
Eglifes , des prieres publiques pour la profpérité
des Amesde l'Impératrice keine. Cette Princeffe
a ordonné que les Chambres de fes Finances fourniffent
sing kieutzers par jour pour chacun des
garçons , depuis l'age de huit ans jufqu'à feize ,
qui doivent être transférés de Boheme en Autriche.
Ceux depuis feize ans jufqu'à quarante- cinq ,
formeront un Corps de Milices. Ils auront fept
kreutzers de paie par jour , & on leur donnera
186 MERCURE DE FRANCE.
un uniforme. Lorfque la tranquillité ſera rendue
à l'Allemagne , on les renverra chez eux .
DE PRESBOURG , le 26 Septembre.
En attendant les réfolutions que les Etats de
Hongrie prendront pour fournir à l'Impératrice
Reine les fecours néceffaires dans la conjoncture
préfente , plufieurs Seigneurs ont fait éclater d'avance
le zele dont ils font animés. La Maiſon
d'Efterhafi a donné l'exemple , & elle a offert la
premiere de lever à fes dépens un Régiment.
Quelques autres des Maifons les plus confidérables
de ce Royaume ont fait la même offre . Elles
ont été imitées par divers Evêques & riches Bénéficiers.
Du Quartier Général du Prince Picolemini à
Spalena-Lhotka , le 29 Septembre 1756 .
Le Baron de Buccow , Lieutenant - Feld- Maréchal
, qui étoit en avant pour obferver les monvemens
du Feld- Maréchal de Schwerin , ayant
appris que ce Général s'avançoit en forces , fe
replia fur Slavietin , enfuite à Oberb'eff , & le
21 il fe pofta derriere le pont de Schmirlitz. Le
22 il détacha le Baron Lufinski , Colonel Commandant
du Régiment de Feftetitz , avec quatre
cens Dragons des Régimens de Bathiani & de
Collowrath , & cent cinquante Huffards pour inquiéter
les ennemis. A la pointe du jour , le
Baron Lufinsky découvrit quelques E'cadrons
Pruffiens. Il les fit attaquer par fes Huffards. Les
Dragons de Bathiani & de Collowrath , fans attendre
l'ordre , donnerent de leur côté avec fureur.
Les Escadrons ennemis furent culbutés . Leur
perte monte à trois cens hommes , & on leur a
NOVEMBRE . 1756. 187
fait plufieurs prifonniers . Du côté des Autrichiens,
il eft reſté cent vingt Dragons ou Huffards fur le
champ de bataille. Aujourd'hui les troupes du
-Feld - Maréchal de Schwerin ont fait un grand
fourrage. Le Régiment de Bethléem entra hier
dans notre camp.
DE RATISBONNE , le 7 Octobre.
Voici l'Extrait du Refcrit que l'Empereur a addreffé
au Roi de Pruffe. « Nous François , par la
» grace de Dieu , Empereur des Romains , &c.
» Non feulement il eft notoire à tout l'Empire ,
mais il nous a été repréſenté par S. M. le Roi
» de Pologne Electeur de Saxe , que V. M. Electeur
» de Brandebourg étoit tombée hoftilement , par
» deux endroits , fur les Etats Electoraux de Saxe
avec une armée d'environ foixante mille hom-
» mes ; qu'Elle s'étoit emparée de la plus grande
partie de ces Etats ; que dès que vos troupes y
» furent entrées , elles commencerent par exiger
> du pays une quantité de livraiſons , qui alloit
beaucoup au-delà de fes facultés ; qu'on enleva
» aux Sujets leur bétail , leurs chevaux & leurs Va-
>>lets : qu'on s'empara de Léipfick , ainfi que des
> autres Villes ; qu'on faifit & dépouilla toutes les
caifles; qu'il fut défendu , fous peine de la vie ,
» à tous les Caifliers , Confeillers de Ville ,
» Marchands & autres Sujets , de rien payer dé-
»formais à l'Electeur de Saxe , & qu'ils eurent
>>ordre de remettre à Votre Majefté toutes les rentes
, accifes , tailles , & autres impôts du pays.
» que V. M. a fait prifonniers tous les Militaires
ɔɔde l'Electorat , qui font tombés en votre puif-
» fance ; & que même , contre le droit des gens ,
won a retenu plufieurs jours , comme tel , le
ISS MERCURE DE FRANCE.
» Général Méager que l'Electeur fon Maître avoi
envoyé vers vous avec des lettres : enfin que de
»telles hoftilités ont obligé le Roi de Pologne :
Electeur de Saxe , d'abandonner ſa réfidence ce
»Drefde , & d'aller chercher avec les troupes un
»azyle , qui pût affurer fa liberté d'Etat de l'Emmpire.
De plus, la Déclaration que V. M. a fait
»publier à Berlin , ne nous a pas permis d'igno-
»rer, que fes grands préparatifs de guerre étoient
deftinés contre les Etats Royaux & Electoraнx
» de Boheme , & qu'Elle alloit envahir encore
» d'autres Provinces de l'Empire . V. M. doit
>> reconnoître d'Elle - même que des vexations
>>auffi inouis contre l'Electorat de Saxe , les vio-
»lences & les pillages de vos troupes , leurs mena-
Dces de ravager tout par le fer & par le feu , la
» marche annoncée contre d'autres Etars , font
directement oppofées aux Loix de l'Empire. Ces
»entrepriſes bleffant notre autorité Impériale & la
»dignité de l'Empire , & renverfant toute la Confwtitution
du Corps Germanique , Nous nous
voyons indifpenfablement obligés , en vertu de
»notre Office Impérial , de remplir ce qu'exigent
» de nous l'adminiſtration de l'autorité qui nous
»a été confiée ; les Libertés de l'Allemagne ; la
> fûreté commune de tous les Etats de l'Empire ;
>>la tranquillité publique ; & les fermens folem-
»nels que nous avons faits d'obferver notre Ca-
»pitulation Impériale. A ces Cauſes , & par la
»plénitude de notre Pouvoir , nous commandons
très-férieufement à Votre Majefté , de faire ceffer
>> incontinent toutes violences contraires au repos
»public , & de renoncer à toute invaſion dans l'E-
>>lectorat de Saxe & dans d'autres pays de l'Allemagne.
Nous vous enjoignons de retirer vos
troupes fans aucun délai , & de ceffer des armeNOVEMBRE
. 1756. 189
X
mens dangereux pour la fûreté générale de l'Em-
» pire ; de réparer tous les dommages commis
» de reftituer ce qui a été pris ; & de nous infor-
» mer de l'exactitude avec laquelle vous aurez exécuté
ces ordres. Donné à Vienne , le 13 Septem
» bre 17:56. ”
Le Décret envoyé à la Diete par l'Empereur ,
n'eft pas conçu dans des termes moins forts . Il finit
ainfi . « Comme il ne faut rien négliger pour
>> arrêter le cours du défordre , & que le preflant
» danger où le trouve l'Electeur de Saxe , exige
>> une très prompte affiftance , on rappelle tous les
Habitans ou Naturels de l'Empire , qui font em,
» ployés au fervice & à la préfente expédition du
» Roi de Pruffe Electeur de Brandebourg. On re-
» commande auffi à tous les Cercles de l'Empire
de fecourir promptement la Paitie fouffrante
»comme il eft de leur devoir , & de ne pas per-
»mettre que dans leurs Diftricts il foit fait aucunes
levées pour l'Aggreffeur. S. M. Impériale ne
doute pas que ces Cercles ne voient d'eux mê-
» mes le péril qui menace chaque Etat en parti-
> culier & tout l'Empire en général. Certainement
»ils prévoient les maux qui réfulteroient d'un
bouleverſement total du Corps Germanique . Ils
»conçoivent qu'après la ruine des principaux
Etats , il ne refteroit aux autres que d'éprouver
»le même fort ; & que , l'occaſion le préfentant
Oppreffeur ne manqueroit pas de leur ravir
leurs Poffeffions , leurs Droits , leurs Libertés ,
& ( ce que les Membres de l'Empire ont de plus
»précieux ) , leur indépendance de leurs Co -Etats.
Ainfi S. M Impériale eft perfuadée que , fur des
>conſidérations fi importantes , ils fecoureront
de tout leur pouvoir l'Etat qui a été le premier
Denvahi, afin de prévenir le malheur de l'être eux190
MERCURE DE FRANCE.
» mêmes dans la fuite . Cependant comme d'un côré
les arrangemens concernant ce lecours exi-
» gent une nouvelle Ordonnance de l'Empire , &
» que de l'autre il est néceffaire de prendre des mefures
pour mettre déformais l'Allemagne en fû-
» reté , S. M. Imp. n'a pas voulu différer d'expo-
»fer , ainfi qu'Elle fait par la Préfente , aux Elec-
>> teurs , Princes & Etats , le danger éminent dont
>>l'Empire eft menacé , & ce qu'Elle a fair pour
mécarter l'orage. Elle leur déclare en même temps,
qu'elle défire d'eux qu'ils fe réuniffent inceffa
ment pour contribuer aux fecours qui doivent
Dêtre fournis , & qu'ils faffent part de leur délibé-
>> ration à S. M. Imp. , afin qu'on prenne de con-
» cert une réfolution ferme & Patriotique . Signé à
Vienne , le 14 Septembre 1756. »
la
Dans une nouvelle Déclaration qui paroît de
part du Roi de Pruffe , il eft dit : Que l'état de
profpérité , où la Maifon Electorale de Brandebourg
fe trouve depuis le commencement de ce
fiecle , & le zele de cette Maifon pour le maintien
des droits de l'Empire, & pour l'intérêt de la cauſe
Proteftante , ont excité contre S. M. Pruffienne
les vues de la Cour de Vienne , & ont animé cette
Cour à former des entreprifes pour l'affoiblir ;
que la Cour de Drefde n'a pu diffimuler non plus
fa façon de penfer à cet égard , & les fentimens
de haine qu'elle portoit à S. M. Pruffienne ; que
ces difpofitions des deux Cours ont produit entre
elles un concert de mefures qui tendoient à l'écrafer
, Elle & fa Maiſon Electorale , ou du moins
à la mettre dans un état de médiocrité , qui la
réduisit au rang des Electeurs les moins puiffans
de l'Empire ; qu'on s'étoit proposé de parvenir à
ce but , en commençant par la dépouiller des
acquifitions dont la divine Providence a couronné
NOVEMBRE . 1756 . 191
fon zele pour la gloire & les véritables intérêts
du Corps Germanique . Le Baron de Plotho , Miaiftre
du Roi de Pruffe à la Diete , en remettant
cette Déclaration aux autres Miniftres qui compofent
cette affemblée , a ajouté : « Que comme
on avoit mis le Roi fon Maître dans la néceffité
de ne plus ufer de ménagemens fur les découvertes
qu'il a faites au fujet des intentions des
> Cours de Vienne & de Drefde , S. M. Pruf-
>fienne ne tarderoit pas à mettre au jour les
preuves qu'Elle avoit en main du projet médité
par ces deux Cours pour la fubverfion de la
Maifon Electorale de Brandebourg , & pour
lui faire fubir le joug qui menaçoit en même
temps le reste de l'Empire. »
DE DRESDE , le 4 Octobre.
On reçut avant-hier la nouvelle de la bataille
qui s'eft donnée le premier de ce mois dans la
plaine de Welmina , entre l'armée Autrichienne
commandée par le Feld - Maréchal de Browne , &
celle à la tête de laquelle eft le Roi de Pruffe.
Les troupes de part & d'autre ont combattu avec
une valeur extraordinaire , & l'action a été des
plus fanglantes. Diverfes lettres font monter la
perte des Pruffiens au double de celle des Autri➡
chiens. Les premiers ont commandé quatre cens
charriots , & enlevé de tous côtés des chevaux
pour conduire ici leurs bleffés . Entre les Officiers
de marque qui ont été tués dans l'armée du Roi
de Pruffe , on compte les Généraux de Kleift &
de Forcade , & les ieurs de Luderitz , d'Oertz , de
Driefen & de Quadt , Majors Généraux. La nuit
qui a fuivi l'action , chacune des deux armées a
couché fur le terrein qu'elle occupoit avant le
192 MERCURE DE FRANCE.
combat. Le lendemain , les Pruffiens font revenus
àleur camp près d'Auffig. Le Roi de Prufle s'attribuant
, ainfi que les Autrichiens , l'avantage de
la bataille , fit chanter avant- hier le Te Deum
dans ce camp , au bruit d'une triple falve d'artillerie
& de moufqueterie. Ce Prince fe rendit le
même jour à Gros- Sedlitz , où eft le principal
quartier des troupes qui bloquent le camp de
Pirna. Sa Majefté Prullienne a ordonné de lever
vingt-deux mille hommes de recrues dans cet
Electorat , & tout le pays fe trouve dans un tel
épuifement , que plufieurs Payfans prennent volontairement
le parti du fervice . L'armée Saxonne
a reçu de Boheme par l'Elbe un convoi de vivres.
Le fieur de Groffe , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Impératrice de Ruffie , communiqua le 23 du
mois dernier aux Miniftres Etrangers qui font en
cette Ville , une Déclaration datée du 4 , & portant
en ſubſtance : « Que comme S. M. Impériale
»de Ruffie dans les préparatifs qu'Elle avoit or
»donné de faire au printemps dernier , n'avoit eu
»pour but que de fe mettre en état de remplir fes
Dengagemens avec les Alliés , fuppofé que quel-
» qu'un d'eux fût attaqué , ces préparatifs de terre
& de mer avoient été fufpendus , auffi- tôt qu'on
avoit pu ſe flatter , que ce cas n'exifteroit pas de
»quelques temps , afin que tout l'Univers pût
Dêtre convaincu que S. M. Imp . Cz. étoit auffi
néloignée de mettre l'Europe en allarme fans une
»néceffité extrême , qu'Elle étoit difpofée à fe-
» courir fes Alliés , lorſqu'ils étoient menacés d'at
taque . Que loin de reconnoître les fentimens de
wcette Princeffe à cet égard , le Roi de Pruffe ,
quoiqu'il fût demeuré tranquille pendant les
»préparatifs de la Ruffie , & même quelque temps
après qu'on les eût ceffés , avoit commencé à
»faire
NOVEMBRE . 1756. 193
faire tout d'un coup de fi puiffans armemens ,
qu'ils avoient donné lieu d'appréhender que le
feu d'une guerre n'éclatât inceffamment . Que
» cependant , pour ne pas multiplier les craintes ,
» & ne pas fournir à S. M. Pr. un prétexte appa-
>> rent de troubler la tranquillité publique, la Ruffie
s'étoit abftenue de faire aucun nouveau mouve-
» ment , dans l'efperance que le Roi de Pruffe ,
imitant cet exemple , ne voudroit pas être auteur
» de la renaiffance des troubles . Mais que ce Prin-
>> ce ayant continué d'armer de toutes les forces ,
» fans le moindre relâche , & fans en alléguer
d'autre raiſon que l'idée qu'il s'étoit formée
» d'avoir une attaque à craindre , il avoit parlà
» donné fuffisamment à connoître qu'il ne cher-
>> choit qu'un prétexte pour troubler le repos de
» l'Europe. Qu'il eft conftant en effet , que lorfque
le Roi de Pruffe a preffé fes armemens avec
» le plus d'ardeur , ceux de la Ruſſie avoient ceffé
» depuis longtems , & que ceux de l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme n'ont commencé,
que lorfque les mouvemens fucceffifs
>>des Pruffiens & l'augmentation de leurs forces
» ont donné lieu de craindre pour la Boheme
»& pour la Moravie , d'autant plus qu'on n'igno-
»roit pas le mécontentement que le Roi de Pruffe
» avoit conçu de la conclufion du Traité de Ver
failles , quoique ce Prince , en concluant celui
qu'il a fait avec la Grande-Bretagne , n'eût
guere paru fe metre en peine de ce qu'on pour-
»roit en penfer à la Cour de Vienne. Qu'il eft
» donc évident , comme il le paroît à S. M. Imp.
» Cz. , que le Roi de Pruffe doit être confidéré
>>comme le premier auteur des troubles qui vone
»éclorre , quoiqu'il ait affecté de publier qu'il
n'avoit pris toutes ces mesures que pour fe
IS
194 MERCURE DE FRANCE.
»défendre contre fes ennemis , lefquels n'ont
»exifté que dans la fuppofition qu'il en a faite .
Que c'eft néanmoins fur cette fuppofition qu'il
» s'eft cru en droit de faire demander à l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme une
explication , de même que fur les préparatifs
»de cette Princeffe , en ajoutant à cette demande
que fi la réponſe n'étoit pas à fon gré , il protef-
»toit devant Dieu qu'il ne feroit pas refponfable
des fuites qui en réfulteroient. Qu'attendu tou
»tes ces circonftances , l'Impératrice de Ruffie ne
peut cacher plus long - temps les véritables fentimens
dont Elle eft remplie à cet égard , ni
s'empêcher de déclarer , que comme Elle ne
»peut regarder d'un oeil indifférent toute invafion
» qui feroit faite dans les Etats de fes Alliés , par-
»ticuliérement dans les Etats de l'Impératrice
»Reine de Hongrie , & dans les Etats Electoraux
» de Saxe , Elle fournira un prompt & puiſſant
fecours à la Puiffance injuftement attaquée , &
qu'Elle ne fe croira nullement reſponſable des
»fuites que la conduite préfente & menaçante du
Roi de Pruffe entraînera après elle. »>
D
DE BERLIN , le 6 Octobre.
Le 3 de ce mois au matin , le fieur d'Oppen ,
Aide de Camp du Roi , arriva de Boheme , précédé
de quatorze Poftillons fonnant du Cor . Cet Officier
a remis aux deux Reines des lettres , par
lefquelles Sa Majefté informe ces Princeffes des
principaux détails de la bataille du premier de
ce mois. Le Prince François de Brunfwic vient
d'être fait Major Général .
Cette Cour a fait affurer les Puiffances , dont
les Sujets ont des fonds dans la Steur , qu'ils
NOVEMBRE. 1756. 195
recevront le paiement de leurs arrérages aux
termes de l'échéance , fans qu'il foit rien changé
aux arrangemens pris à cet égard . Sa Majefté
a fait donner en particulier les plus fortes affurances
fur cet article aux Etats Generaux des Provinces-
Unies.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 12 Octobre.
Nous avons appris , par un Paquebot que le
Général London a expédié de la Nouvelle Yorck ,
la fàcheufe nouvelle , que les François , ayant affiégé
dans le mois d'Août le Fort d'Ofwego , s'en
font rendus maîtres , après quelques jours d'une vigoureuſe
réſiſtance. Ce Fort eft fitué fur le Lac Ontario.
La Nation n'en poffede point d'autre dans
ces cantons. Ses établiſſemens vont fe trouver déformais
fort éloignés des Lacs ; & cette perte eft
regardée avec railon comme une des plus intéreſ
fantes qu'elle pût faire , tant pour fon commerce,
que relativement aux entrepriſes projettées contre
les François. L'Amiral Norris , avec les quatre
Vaiffeaux de guerre dont il a le commandement
eft arrivé à Plymouth.
Le Knès Gallitzin , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Impératrice de Ruffie , a déclaré , dit- on , au
Miniftere , que cette Princeffe ne pouvoit fe dif
penfer de fournir à l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Boheme les fecours ftipulés par les Traités
, qui fubfiftent entre les deux Puiances . On
prétend que le Parlement accordera pour l'année
prochaine un Subfide de onze millions fterlings.
Le Gouvernement a commencé de prendre à l'Echiquier
un emprunt de cinq cens mille livres
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fterlings , à raifon de trois & demi pour cent
d'intérêt,
Si l'on en croit le bruit public , Sa Majefté
a fait payer par le Tréfor de fon Electorat de
Hanovre un million de livres fterlings au Roi
de Pruffe , afin de mettre ce Prince en état de
fuivre le plan concerté entre les deux Puiffances
pour parvenir à l'exécution de leurs vues reſpectives
. Les fommes que cette Cour & celle de Berlin
avoient à répéter l'une fur l'autre , font entièrement
liquidées . On affure que fi les Etats de
Roi en Allemagne font attaqués , Sa Majefté
fera d'abord la réquifition formelle du Corps de
cinquante cinq mille hommes , que l'Impératrice
de Ruffic s'eft engagée par le Traité de l'année
derniere , de faire paffer à la folde de la Grande-
Bretagne.
PAYS- BAS.
DE LA HAYE , le 8 Octobre.
Le fieur de Kauderbach , Miniftre Réſident da
Roi de Pologne Electeur de Saxe auprès des
Etats Généraux , leur a préfenté le 30 du mos
dernier le Mémoire fuivant .
« L'Invafion de l'Electorat de Saxe par les trou
»pes Pruffiennes eft un de ces attentats contre les
Loix refpectables des Nations , qui réclame de
»lui-même les fecours de toutes les Puiffances in
téreflées à conferver leur liberté & leur indépen-
>> dance.
» Le Roi , mon augufte Maître , a vu fes Etats
Héréditaires envahis dans le fein de la paix la
plus profonde , quoique S. M. ait évité avec
foin toutes les démarches qui auroient pa don
L
NOVEMBRE
. 1756.
197 . »ner la moindre ombre d'inquiétude
à fes voifins." » Dès les premieres
lueurs de méfintelligence >>entre les Cours de Vienne & de Berlin , S. M. a enjoint expreffément
à fes Miniftres d'annoncer
a toutes les Cours de L'Europe , qu'Elle étoit
d'ob-"
»refolue , dans les conjectures
préfentes , d'oc
»Terver la plus exacte neutralité. 251
297708
» Le fimple expofe des faits fuffira , pour dé- montrer à Vos Hautes Puiffances
, à quels ex- »ces on s'eft porté contre les Etats Héréditaires
du Roi , & de quelle importance
il eft pour tou- tes les Puiflances
d'arrêter un torrent , qui peut » les entraîner
elles- mêmes dans fa courfe . » Sa Majefté , fur le compte que je lui ai rendu »des premieres
impreffions
qu'a faites dans l'Etat »de V. H, P. l'entrée hoftile du Roi de Pruffe dans »fon Electorat , a reconny avec fenfibilité les fen- ntimens de l'ancienne
& conftante
amitié , qui
»lie le Roi avec votre République
. » Vous repréfenter
, Hauts & Puiffans
Seiun
Etat libre , tranquille
& neutre , en- »gneurs , yahi par un ennemi qui fe couvre des dehors de »l'amitié
, qui fans alléguer
le moindre
grief & la moindre
prétention
, mais fondé uniquement »fur la convenance
, s'empare
à main armée da toutes les Villes , & même de la Capitale
, dé- mande
les Places fortes comme Wittemberg
,
>>en fortifie d'autres comme Torgau , ce n'eft que »crayonner
foiblement
l'oppreffion
fous laquelle »gémiffent
les fideles Sujets de Sa Majefte, Les »Bourgeois
défarmés
, les Magiftrats
enlevés pour » fervir de garans des contributions
injuftes & enor- mes en vivres & en fourrages
, les caifles faifies » les revenus
de l'Electorat
confifqués
, les Arfe-
»naux de Drefde, de Léipfick, de Weiffenfels
& de »Zeitz , forcés, l'artillerie
& les armes pillées &
tij
198 MERCURE DE FRANCE.
tranfportées à Magdebourg , tous ces procédés
n'étoient qu'un préliminaire des traitemens
inouis qu'alloit effuyer une Reine , que les vertus
devoient rendre refpectable à fes ennemis
»mêmes. C'eſt d'entre les bras facrés de certe
Augufte Princeffe , qu'ont été enlevées avec
»menace & violence les Archives de l'Etat
malgré la fécurité fous laquelle S. M. croyoit
pouvoir vivre à l'abri des Loix divines & humaines
, & malgré les affurances réitérées qui lui
»avoient été données de la part du Roi de Pruffe ,
»que non feulement fa perfonne & fa réfidence
feroient en fûreté , mais même que la Garniſon
Pruffienne feroit fous fes ordres.
Cette Augufte & tendre Mère de fes fideles
» Sujets , reftés à Dreſde par un facrifice qu'Elle
»faifoit au bonheur des Saxons , comptoit du ſein
»du tumulte régir en fécurité les Etats de fon Augufte
Epoux ; que des foins également impor
tans avoient fait voler à la tête de fon armée ,
pour défendre fon honneur outragé , & rendre
au zele & à l'amour de fes peuples , ce qu'ils
Davoient lieu d'attendre de la valeur & de la fermeté
d'un Prince fi magnanime. Cette Princeffe
❤a vu ôter toute activité au Conſeil Privé , & fubftituer
au légitime Gouvernement un Directoire
arbitraire , qui ne connoît d'autre droit que fa
propre volonté.
Tels font , Hauts & Puiffans Seigneurs , les
premiers exploits d'un Prince , qui annonce
qu'il n'entreprend la guerre uniquement que
pour la défenfe de la liberté du Corps Germanique
, & pour la protection de la Religion Proteftante
, à laquelle il porte un coup d'autant
plus funefte , qu'il commence par écraſer ce même
Etat à qui cette Religion doit ſon établife,
10
1
1
။
NOVEMBRE. 1756: 199
>>ment & la confervation de fes droits les plus précieux
, en même temps qu'il enfreint toutes les
Loix refpectables , qui font l'union du Corps
Germanique , fous prétexte d'une défenfe , dontl'Empire
n'a befoin que contre lui -même.
Un Traité folemnel de Neutralité , offert par
»Sa Majefté , toutes les fûretés compatibles avec fa
>>fouveraineté , n'ont pu arrêter les projets formés
d'envahir & d'écrafer la Saxe. Le Roi , retiré
» dans ſon camp , n'a dû conſulter que fon honneur
& le zele de fes Sujets , pour rejetter , comme
elles le méritoient , les propofitions énor-
>>mes & inouies qu'on lui a faites , d'abandonner"
»durant cette guerre au Roi de Pruffe l'adminiftra-
»tion de ſes États & le commandement de fon ar
» mée.
» La cauſe de la Saxe eft commune à toutes les
Puiffances , puifque fon fort leur annonce celui '
» qu'elles doivent s'attendre d'éprouver , dès que
le Droit de Gens & la foi des Traités ne font plus
wun frein refpecté .
» Vos Hautes Puiffances verront , par la Copie
ci- jointe de la Déclaration que le Roi a fait publier
dans fon camp , que le Roi de Prufſe , en
» proteftant de n'être entré que comme ami en
» Saxe , n'exige pas moins que l'entier facrifice de
cet Electorat que fes prétentions énormes ont
wobligé Sa Majefté de déclarer à ce Prince
squ'Elle eft réfolue de défendre la jufte caufe jufqu'à
la derniere goutte de fon fang , plutôt que
d'accepter des conditions auffi odieufes & auffi
injurieufes à fa gloire.
» Dans la feconde annexe , V. H. P. remarqueront
que le Roi de Pruffe , dans l'expofé de:
fes motifs , qu'il a fait publier fous les yeux d'un '
Prince dont il fe dit ami , ne daigne pas feule--
Iiy
200 MERCURE DE FRANCE.
»ment alléguer de prétexte , pour colorer l'ufur-
»pation du territoire & des revenus de Sa Majeſté .
» Dans ces circonstances , le Roi attend de tou-
»tes les Puiffances , à qui l'honneur eft en recom-
»mandation , & en particulier de V. H. Puiffances
qui ont été de tout temps fi jaloufes de leur
liberté & de leur indépendance , qu'Eiles
»prêteront à Sa Majefté , par l'emploi de leurs
»bons offices & par d'autres moyens plus effica
ces , les fecours que tout Etat doit pour fon pro-
» pre intérêt à un autre Etat opprimé injuftement ,
quand même il ne feroit lié par aucun Traité. »
D'AMSTERDAM , le 11 Octobre.
On effuya le 7 de ce mois fur ces côtes une
affreufe tempête. Elle a caufé un grand nom
bre de naufrages. Quelques Vaiffeaux , entre
Jefquels on compte un Vaiffeau de guerre de
la République , & un Vaiffeau de la Compagnie
des Indes Orientales , ont péri au Texel. Quantité
d'autres ont été jettés fur le fable , ou pouffes
en pleine mer; & l'on n'a aucune nouvelle de
plufieurs de ces derniers.
DE BRUXELLES , le 16.Octobre.
Depuis l'arrivée du Courier , par lequel on a
reça la nouvelle de la bataille donnée en Boheme
le premier de ce mois , on a appris qu'un Détachement
confidérable de Pruffiens ayant paffé
l'Elbe pour enlever des fourrages fur la droite de
cette riviere , il a été attaqué au retour par un
corps de Croates ; que les ennemis ont eu près
de cinq cens hommes tués en cette occafion ; que
les Croates leur ont enlevé foixante - quatorze
NOVEMBRE . 1756. 201
mille rations de fourrage , & que le pont fur lequel
les Pruffiens avoient paffé la riviere , a été
brûlé.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE Roi de Pologne Electeur de Saxe , ayant défigné
l'Evêque Duc de Laon , pour remplir fa nomination
au Chapeau de Cardinal , le Roi y a
donné fon confentement . Ce Prélat eut l'honneur
d'en remercier Sa Majeſté , ainfi que de la grace
qu'Elle vient de lui faire , en lui accordant les
entrées de fa Chambre .
Le Roi a accordé à M. le Marquis de Cruffol - de
Salles , Lieutenant - Général , le Gouvernement
de l'Ile d'Oleron , vacant par la mort de M. de
Cadeville.
L'Impératrice Reine de Hongrie & de Boheme
ayant demandé au Roi , à l'occafion de l'entrée
de l'armée du Roi de Prufle en Boheme , le
Tecours de troupes ftipulé par le Traité de Verfailles
du premier M ai dernier ; Sa Majesté a
donné ordre de raffembler à cet effet les Régimens
ci- après , qui doivent former un Corps de vingtquatre
mille hommes aux ordres du Prince de
Soubife : fçavoir , les Régimens d'Infanterie de
Champagne, Belfunce , Lyonnois, Dauphin , Vaubecourt
, Alface , Bentheim , Jenner , la March ,
Courten , Royal Suédois , Royal Baviere , Lowendalh
& Lochmann , faifant enſemble vingt- fix Bataillons
; & les Régimens de Cavalerie du Commiflaire
Général , Royal Cuiraffiers , Royal Rouf-
I v
202 MERCURE DE FRANCE:
fillon , Royal Allemand , trois Brigades de Ca
rabiniers , Royal Pologne , Bourgogne , Berry ,
Orléans , Lufignan , Marcieu , Talleyrand , la
Rochefoucault , Lameth , Bellefonds , Henrichemont
, Moutiers , Wirtemberg , Harcourt &
Naffaw , faifant enfemble quarante- quatre Efcadrons
, avec un Détachement du Corps Royal de
l'Artillerie & du Génie.
Sa Majesté a nommé en même temps , pour
fervir avec ces troupes , MM . le Chevalier de Nicolay
. le Duc de Broglie , le Comte de Lorges
& le Comte de Mailly , Lieutenant Généraux ; le
Marquis de Crillon , le Marquis de Poyanne ,
le Marquis de Barbançon , le Marquis de Berville,
le Marquis de Cuftine , le Marquis de Rougé , le
Marquis Deffalles , le Marquis de Saint - Chamans,
le Prince de Beauvau & le Prince Camille , Maréchaux
de Camp ; le Comte de Revel , Maréchal
général des Logis ; le Marquis de Lugeac , Major
général de l'infanterie , & le Marquis de Caulin
court, Maréchal Général des Logis de la Cavalerie.
M. le Comte de Starhemberg , Miniftre Plénipotentiaire
de Leurs Majeftés Impériales auprès
du Roi , reçut le 13 , par un courier extraordinaire
qui lui a été dépêché de ſa Cour , une Copie
de la Relation , par laquelle le Maréchal
Comte de Browne a rendu compte à l'Empereur
de l'action qui s'eft paffée en Boheme le premier
Octobre , entre les troupes Impériales & celles du
Roi de Pruffe . Cette Relation , qui eft datée du
2 , du camp de Budin , porte en fubftance , que la
nuit du 30 Septembre au premier Octobre le Roi
de Pruffe s'avança vers le Maréchal de Browne
avec une armée de quarante mille combattans au
moins : Que cette armée déboucha à la pointe du
jour par la Gorge de Welmina , en fe déployant
NOVEMBRE. 1756. 203
pafur
les hauteurs , à droite , à gauche , & dans le
fond de Lowofis.Que la bataille commença à fept:
heures. Que le feu a été fort vif des deux côtés ,
& la canonnade des Pruffiens telle , que tout le
monde convient n'en avoir jamais entendu de
reille. Que malgré cela les troupes Autrichiennes
ont fait des prodiges de valeur , en foutenant la
violence extrême de ce feu d'artillerie avec la plus
grande fermeté , & en repouffant à diverſes reprifes
les attaques de l'ennemi . Que les Pruffiens
ayant commencé à jetter des boulets rouges dans
le Village de Lowofis , le feu y a pris ; & que cet
accident a obligé l'Iufanterie Autrichienne , qui fe
trouvoit entre le feu du Village & celui de l'attaque
, d'abandonner la hauteur droite du Village
pour le former dehors dans la plaine , après quoi
le feu fe ralentit & finit enfin à trois heures aprèsmidi
. Que la Cavalerie Autrichienne a chaffé celle :
de l'ennemi à deux reprifes , de forte que celle- ci
n'a plus ofé reparoître , & a été forcée de fe retirer :
derriere l'Infanterie. Que parmi les Officiers de
rang de l'armée Autrichienne , il n'y a eu de tués
que le Général Radicati ; que le Général Prince
de Lobkowits a été bieffé & fait prifonnier ; que'
le Général Danois Rantzau a été bleffé , ainfi que
MM. Caroli , Hager , Adjudant Général , de
Browne , fils du Maréchal , de Bievre , Gowrai
& Lafcy ; que le Colonel Sanyvani eft mort de fesbleffures
. Qu'on croit , fuivant le calcul le plus
jafte qu'on ait pu faire , que le nombre des morts
& blellés Autrichiens ne monte guere qu'à environ
deux mille hommes , & que la perte des Pruf
fiens eft beaucoup plus confidérable , outre qu'il y
a eu quelques centaines de ceux - ci & plufieurs de
leurs Officiers , qui ont été faits prifonniers. Que
les Autrichiens n'ont perdu ni canons , ni dra--
Į vj ,
204 MERCURE DE FRANCE.
peaux, & qu'on foupçonne feulement qu'il manque
un Etendard dans le Régiment de Cordoua ,
qui eft celui de tous qui a le plus fouffert . Que le
Maréchal de Browne eft resté toute la nuit fur le
champ de bataille ; mais que comme les charriots
des vivres & des fourages s'étoient retirés , & qu'il
y a difette d'eau dans la Plaine où il étoit , il étoit
retourné le z au matin , dans fon ancien camp de
Budin , derriere l'Egra , afin de ne manquer de
rien pour la fubfiftance de fon armée. Que le Roi
de Prufle avoit pris fon camp derriere le champde
bataille , & que le 2 au matin au départ de l'armée
Autrichienne , il ne s'étoit pas encore mis
en poffeffion de Lowofis. Les Déserteurs & les
Prifonniers rapportent unanimement que les
Pruffiens ont perdu trois Généraux , dont pourtant
ils ne fçavent pas les noms. Le Maréchal de
Browne affure que cette action , quoique extrêmement
vive & fanglante , ne change abfolu
ment rien au ſyſtême des affaires & de les opé-
Iarions.
On mande de Dunkerque , que le Capitaine
Canon , commandant le Corfaire le Prince de
Soubife , de ce Port , y a fait conduire un Navire
Anglois de 250 tonneaux , dont il s'eft emparé ,
& qui revenoit de la Barbade avec un chargement
de fucre , de coton , de taffia & d'autres marchandifes.
L'Hirondelle , autre Corfaire de Dunkerque ,
qui avoit auffi pris deux Bâtimens Anglois , les a
rançonnés , l'un pour deux cens , l'autre pour
trois cens livres sterlings .
Le Corfaire l'Infernal , du Havre , dont eft
Capitaine Louis de Ferne , a relâché , moyennant
une rançon de dix-fept mille livres , un Navire
Anglois dont il s'étoit rendu maître.
NOVEMBRE.
1756. 205
Le Capitaine Deveaux , qui monte le Corfaire
PEfpérance , de Saint - Malo , a conduit au Havre
le Navire Anglois le Prince Rupert , de 140 .
tonneaux , armé de 12 canons , & Chargé de
cire fine , de cuivre , de gomme arabique & d'amandes.
Les Corfaires l'Amiral' & la Levrette ,
de
Bayonne , le font rendus maîtres , l'un des Navires
Anglois la Joanne , de Bofton , de 150 tonneaux
, chargé de fucre , de coton & de bois de
Campêche, & le Horley , de Londres , de 330
tonneaux , venant de la Virginie avec un charge.
ment de tabac ; l'autre , du Brigantin appellé le
Dauphin , de Newport en Amérique , dont la
cargaifon eft compofée de bois de Campêche ,
& du Bateau l'Helene , de Marblehead , chargé
de morue verte .
On a été informé par des lettres écrites de
Marſeille , que le Navire Anglois le Molly, de
140 tonneaun mint de 4
plomb , de plufieurs balles de draps & caiffes de
quincaillerie , a été pris & conduit en ce Port par
le Corfaire l'Heureufe Therefe , dont eft Capitaine
Pierre Pelouquin .
Le Vaiffeau de guerre Anglois le Warwick , de
64 canons , dont le Chevalier d'Aubigny s'étoit
emparé fur les côtes des Iles du Vent , a été armé
à la Martinique , & joint au Vaiffeau le Prudent
& aux Frégates l'Atalante , & le Zephyr ,
qui étoient fous le commandement de cet Offeier.
Cette Efcadre , après avoir croifé plufieurs
mois dans les parages de ces Ifles , où elle a fait
plufieurs prifes , eft partie de la Martinique le 12
Août , avec un convoi de 22 Navires Marchands
Les vents contraires l'ont obligée de relâcher le
premier Octobre au Port de la Corogne en Espa
206 MERCURE DE FRANCE.
gne. Elle en eft partie le 10 , & elle eft arrivéele
14 dans Rade de l'Ile d'Aix , à l'exception de la
Frégate le Zephyr , que le Chevalier d'Aubigny a
renvoyée à la Martinique, quelques jours après fondépart
de cette Ifle , pour y conduire - trois prifes
que cette Frégate avoit faites , & dont une étoit
un Corfaire ennemi , lequel venoit de s'emparer
d'un des Navires Marchands , qui s'étoit écarté du
convoi. Le Chevalier d'Aubigny a fait auffi deux
prifes dans fa traverſée de la Martinique en France
, & a amené les Officiers & une partie de l'équipage
Anglois du Vaiffeau le Warwick.
Le Corfaire l'Amiral , Capitaine Jean Samfon ;
s'eft emparé du Navire Anglois le Friendship , de
Londres , armé de 6 canons , allant à la Virgi
nie avec un chargement de marchandifes féches ,.
& a conduit cette prife à Bayonne.
Le Senaw Anglois le Landovery , de 130 ton
neaux , armé de 10 canons , & dont la cargaifon
chandelle & autres Loliere
marchandifes deftinées pour la
Jamaïque , a été
pris par le Corfaire le Comte de Maurepas , de
Bordeaux , qui l'a fait conduire à Fécamp.
Le 17 d'Octobre , le Roi fit la cérémonie de
recevoir Chevalier de l'Ordre de Saint Louis le
Prince de Rohan-Kochefort , Brigadier , Colonel
d'un Régiment d'Infanterie de fon nom , & M. de
Château- Thierry , Capitaine dars ce Régiment.
Le Roi a choifi M. le Comte d'Eftrées , Chevalier
de fes Ordres , & Lieutenant Général de
fes Armées , pour aller exécuter , en qualité de
fon Miniftre
Plénipotentiaire , une commiffion
particuliere auprès de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme.
Les Auguftins Réformés de la
Congrégation de
France , dans le Chapitre qu'ils ont tenu à Paris
NOVEMBRE. 1756. 207-
fe 18 de ce mois , ont élu le Pere Gervais pour
leur Supérieur Général ,
Le 21 les Actions de la Compagnie des Indesétoient
à quinze cens livres : les Billets de la Se
conde Loterie Royal , à fept cens foixante cinq ",
ceux de la troifieme Loterie , à fix cens quatrevingt.
Ceux de la premiere Loterie n'avoient
point de prix fixe.
BÉNÉFICE DONNÉ.
>
LE Roi a donné l'Abbaye Réguliere de Sainte
Auftreberte de Montreuil- fur- mer Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe d'Amiens , vacante par la
mort de la Dame de la Motte d'Orléans , à la Da
me Anne- Renée- Jeanne d'Egrigny , Religieufe :
de cette Abbaye.
A Caen , ce 17 septembre , 1756.
Monfieur , le filence que les nouvelles publiques
gardent fur un événement qui a fixé , qui a ›
mérité l'attention de tous les Militaires que le Camp du Havre raffembloit fous les ordres de
Monfieur le Duc d'Harcourt , me détermine à vous
le détailler.
J'entends parler d'une Fête que Monfieur le Duc de Montmorenci
a donnée à ce Général , &
à Madame la Comteffe de Lillebonne fa belle-fille ;
Fête digne à la fois , & de qui la donnoit , & de
qui l'a reçue.
M. de Montmorenci l'a imaginée , l'a dirigée
lui-même l'objet fait l'éloge de fon difcerne
ment , l'exécution fait celui de fon goût.
20S MERCURE DE FRANCE.
Donner des preuves d'attachement à M. le Duo
d'Harcourt , c'eft acquitter près de lui les dettes.
de la Nation ; Poffeffeur du droit héréditaire d'ètre
aimé, ce Général s'eft acquis celui de fe faire
adorer.
Cambiner , faire exécuter foi- même en vingtquatre
heures , la fête la plus brillante , lui donner
l'air le plus galant fous l'appareil le plus militaire
, c'eft un chef-d'oeuvre de goût qui n'appartient
qu'à M. de Montmorency. Paffons au
détail.
Lorfque le Général & les Dames arriverent à
la Brigade de Touraine , on y trouva en bataille
devant les faiſceaux , deux cens hommes de ce
Régiment , troupe connue depuis long - temps
fous le nom de Pruffiens de M. de Montmorency ,
qui lui-même l'a inftruite à faire avec grace &
précifion le maniement des armes & les évolutions
ordinaires au refte de l'Infanterie. Il l'a fit
manoeuvrer & tout le monde convint qu'on ne
pouvoit , ni mieux commandet , nt mieux obéir.
L'arrivée des Dames aux tentes du jeune Duc ,
fut annoncée par toute l'artillerie des Forts & des
Lignes.
Il avoit fait élever devant la premiere un Fort ,
dont le front préfentoit un ouvrage à couronne ,
flanqué de deux baftions , avec des places d'armes
retranchées dans le chemin couvert. Du flanc
droit partoient des lignes défendues par des redans
& redoutes , le tout paliffadé & garni d'une
artillerie dont le volume étoit proportionné à la
capacité des ouvrages. Ces lignes entouroient
plufieurs autres tentes également grandes & magnifiques.
L'intervalle des tentes & lignes étoit
occupé par un parterre en gazon découpé , dont
les compartimens étoient pleins des chiffres de
NOVEMBRE . 1756. 209
Montmorency , Harcourt & la Feuillade. Les Ar
moiries des trois Maifons paroiffoient fur les
remparts en cartouches tranfparens . Tous les ouvrages
, les compartimens & chiffres , ou ornemens
du parterre , étoient deffinés par un nombre
infini de lampions.
L'effet de cette illumination dans une nuit
tranquille & obfcure , a furpris même les plus
difficiles en ce genre.
Avant de commencer le jeu , M. de Montmorency
préfenta à Madame de Lillebonne une piece
de vers fous le titre d'ordre : M. Defluile ' , Capitaine
au Régiment de Touraine , en eft l'Auteur,
& je les ai joints à nra Lettre.
Après le jeu , on paffa dans les tentes voisines
où étoient dreffées plufieurs tables fur lesquelles
l'abondance & la délicateffe des mets fe difputoient
l'avantage. Tous les Chefs des Corps
avoient été invités particuliérement à ce fouper,
où furent priés tous les Officiers que ela curiofité
avoient amenés à ce fpectacle. Pendant le repas
une fymphonie de haut-bois , baffons & corps - dechaffe
fe fit entendre : les fantés furent bues au
bruit de toute l'artillerie.
Lorfqu'on eat quitté la table , on tira un feu
d'artifice qui fut allumé par Madame de Lillebonne
. Le bal fut ouvert enfuite par elle & M. de
Montmorency, & fut terminé à fix heures du matin
, par le retour de cette Dame à Harfleur. Il
convenoit que le départ des graces mît fin à leur
fête.
J'ai l'honneur d'être , &c .
LA NEUFVILLE.
210 MERCURE DE FRANCE.
Que
L'ORDRE.
Ue tout Normand foit un aigle en chi→
canne ,
Que du Barreau fon nom foit le foutien ;
Vingt fois par an, qu'un juge le condamne ;
Tout eft dans l'ordre , & je n'en dirai rien :
Mais que je trouve aux lieux qui l'ont vu naïtre','
Riche modefte , & peuple façonné ,
M.... décent , & charitable P....
C'eft contre l'Ordre , & j'en fuis étonné
Que de fes yeux , la gentille Cauchoiſe ,
En tapinois veuille éprouver l'effet ;
Que la friponne à nos coeurs cherche noife ;
Tout eft dans l'Ordre , & j'en fuis fatisfait :
Mais que le fien au fein de la victoire ,
Soit fans pitié pour quelqu'un des vaincus ,
Que fes defirs fe bornent à fa gloire ,
C'eft contre l'Ordre , & j'en fuis tout confus.
܀
Que de ces champs confacrés à Bellonne ,
Mars ait fait fuir & Pomone & Cérès ;
Que le falpêtre à chaque inftant y tonne ,.
Tout eft dans l'ordre , ou du moins fait exprès
NOVEMBRE. 1756.
217
Mais qu'on y trouve un (1 ) Intendant aima
ble ,
A plaire à tous conftamment appliqué ,
Dans fon travail , vif , prompt , infatigable ,
C'eft contre l'Ordre , & j'en fuis très -piqué.
Qu'une ( 2 ) Comteffe en qui les Dieux propices
Ont réunis mille dons précieux ,
Soit de la Cour l'ornement , les délices ,
Tout eft dans l'Ordre , & ne peut être mieux's
Mais qu'un mari feul ait droit de lui plaire ,
. Que pour lui-même elle ait des agrémens ,.
Qu'on croie en eux voir deux tendres amans ,
C'eſt contre l'Ordre , & je ne puis m'en taire,
Qu'un (3 ) Général ait chez lui grande chere ,
: Force vins vieux , Bourgogne velouté ,
Valets nombreux & ne ſçachant rien faire ,
Tout eft dans l'Ordre , & j'en fuis enchanté :
Mais que marchant fur les pas de Turenne ,.
Il foit actif , zélé , laborieux ,
Poli fans fard , & modefte fans gêne ,
C'eſt contre l'Ordre , & j'en fuis furieux.
(1) M. de Brou , Intendant de Rouen ..
(2 ) Madame la Comteffe de Lillebonnes.
(3 ) M. le Duc d'Harcourt.
212 MERCURE DE FRANCE .
Dans les plaifirs qu'un nombreux militaire
Mêle par fois quelques petits excès ,
Que trop fouvent on ait peine à lui plaire ,
Tout eft dans l'Ordre ; on fçait qu'il eft Fraqçois
: -
Mais lorsqu'il offre un pur & tendre hommage
au ( 1 ) Chef chéri dont nous fuivons les loix ,
De fa raiſon il fait un digne ufage ,
Et contre l'ordre , en écoute la voix.
(1 ) M. le Duc d'Harcourt.
›
LETTRE à Madame de *** ſur une
Fête donnée à Breft.
JE vous l'avois bien dit , Madame , avant de
partir de Paris , que vous feriez bientôt furieuſe
de n'avoir pas été de notre voyage , & je gage que
vous allez l'être. Me voilà arrivée à Brest. Vous
croyez peut- être que je vais vous parler de la mer,
& des préparatifs formidables que l'on fait dans
ce port contre les Anglois ? J'ai vraiment bien
d'autres merveilles à vous conter . Je fors d'un palais
des Fées , d'une maison de campagne fur l'eau :
j'y ai vu des jardins , des bois . Oh ! je voudrois
tout vous dire à la fois , ou plutôt je voudrois y
être encore. Laiffez -moi du moins vous donner
une idée des charmes d'une fête que les Graces
feules devroient décrire , & qu'un Général feul
de mer peut donner. M. le Marquis de Conflans
qui commande l'eſcadre qui eft en rade , vient
de donner cette fête en l'honneur de celle de
NOVEMBRE. 1756. 213
Roi. C'eft de fon vaiffeau que je fors : voilà le
château enchanté. Il y avoit invité toutes les
- femmes de cette ville , avec plufieurs étrangeres
voyageuses comme moi. Nous y fûmes toutes
avec lui dans une petite flotte de canots le plus
galamment équipés , & aufli leftes que nos cabriolets.
En vérité , ce font des magiciens que ces Meffieurs
les Marins : j'imaginois devoir entrer en
arrivant à bord du Soleil royal , dans une citadelle
de bois , hériffée de quatre - vingts canons , &
- c'eft fur le gazon d'abord que j'ai marché. Pai
levé les yeux pour appercevoir une girouette , j'étois
fous un lambri de feuillages émaillés de
fleurs ; enfin dans une allée de myrthes & de lauriers.
Le paffavant ( je vous prie de croire que
je fuis déja un peu marine ; & que j'en fçais les
termes ; je vous les expliquerai à mon retour ) ,
le paffavant donc étoit métamorphofé en cette
belle allée qui régnoit tout autour du vaiffeau ; &
- en faifoit une promenade délicieufe : les vents
ne fouffloient ce jour- là que pour répandre l'efprit
des fleurs dont tout le vaiffeau étoit paré.
L'intervalle qui fépare les deux paffavants , étoit
rempli par un plancher très- uni , & formoit un
fallon fpacieux. Ce fut dans ce fallon que j'entrai
enfuite trois de fes côtés étoient ornés de co-
-lonnes d'ifs dans l'ordre Ionique , entrelaffés de
gairlandes de fleurs ; leurs chapiteaux foutenoient
une galerie auffi militaire qu'elle étoit agréable
aux yeux par tous les trophées de Neptune &
de Mars , dont on l'avoit décorée : le fond du
fallon étoit terminé par un baldaquin de verdure
; on y voyoit le portrait du Roi peint de
grandeur naturelle , & appuyé fur une pouppe de
vaiffeau, Près de lui la Renommée lui préfentoit
214 MERCURE DE FRANCE.
d'une main des lauriers , fe foutenant de l'autre
fur l'épaule du Miniftre de la marine , indiqué par
La caffette des Sceaux : tout l'enſemble de ce tableau
repréfentoit très bien l'emblême de la
gloire que notre augufte Monarque vient d'acquérir
fur la mer.
-
Le Général enchanté des éloges que tout le
monde donnoit à cette maniere ingénieuſe de célébrer
les victoires du Roi & les fuccès de fa
marine triomphante même en renaiffant , nous
conduifit delà dans une autre falle auffi vafte ,
mais décorée différemment ; c'est le gaillard d'arriere
où nous étions ( je vous déroute furieufement
, Madame , par tous ces noms- là , mais
je vous l'ai promis , je vous les apprendrai tous ) :
elle étoit tendue de blanc , vous auriez dit d'une
mouffeline ; ce font leurs pavillons de fignaux.
Le grand mât du vaiffeau qui eft au milieu ,
& qui féparoit ces deux falles , étoit revêtu de
myrthes touffus , dans lefquels on avoit pratiqué
avec art une niche en verdure fleurie , où étoit
placé le bufte du Roi fur un piédeſtal élégamment
orné. Nous appellâmes ces deux falles , l'une
de Mars , & l'autre de l'Amour. Ce fut là qu'on
fervit un repas avec autant de magnificence que
de goût ; une table immenfe étoit couverte des
cryftaux les plus joliment imaginés du monde.
Je fçais bien , pour moi , que j'étois devant le
fiege de Mahon , & tout auprès d'une efcadre
Françoife , dont nos vaiffeaux défignés par de petits
pavillons de taffetas blanc , faifoient prefque
fortir à force de voiles , une troupe de pavillons
rouges qui s'enfuyoient devant eux.
Une bonne fymphonie , que l'on n'appercevoir
point , anima tout le dîner ; fur le foir on chanta
folemnellement un Te Deum en musique. Il fut
NOVEMBRE. 1756. 215
Tuivi d'une falve de moufqueterie & de canons, que
tirerent tous les vaiffeaux de la rade : mais de façon
à nous donner l'image d'un combat naval
fpectacle auffi gracieux à poudre feulement , qu'il
doit être terrible à boulets . Je l'ai donc vu auffi ,
Madame, & avec la même gaieté que je fus enfuite
au bal . Le foleil ne fe coucha point , ou celui
où nous étions prit fa place : mille bougies allumées
parmi les feuillages , furent les feux que jetta
le foleil royal & jamais illumination plus brillante
n'avoit éclairé un bal plus galant, ni mieux ordonné.
Les favoris d'Amphitrite vont fans doute dans
leurs voyages de temps en temps à Paphos ou à
Idalie . Ils ne font point du tout Loups de mer , &
j'apperçus dans nos allées de myrthes une foule de
jeunes marins , qui me fembloient conter leurs
peines , & s'y prendre comme à Paris : croyez
qu'ils fçavent galamment chanter leur Roi & leurs
maîtreffes. Lifez plutôt cette chanſon , ou chantez-
là : car je vous l'envoie notée . C'est une production
marine d'un des Officiers du vaiſſeau , &
une efquiffe de la fête , & de ma rélation aufli.
Mais je vais la finir pour ne pas achever de vous
défefpérer de n'être pas venue.
Le bal ne fut interrompu que par un ambigu
fervi avec une profufion & une délicateffe qui ne
laiffoient rien à défirer . Nous y fûmes d'une folie......
Les Dames de Breft furtout étoient d'une
gaieté charmante , & bien faites pour en infpirer,
bien dignes auffi de la fête que nous célébrions.
Elles n'aiment pas le Roi , elles en font amoureufes.
Nous y aurions paffé la nuit , fi les inftrumens
ne nous euffent rappellé dans la falle du bal, qui recommença
avec encore plus de vivacité & de plaifir
qu'auparavant. Je n'en fuis fortie qu'au jour . J'ai
fini par danſer la Mahon , & je ſuis revenye vîte
216 MERCURE DE FRANCE.
vous écrire au ſon des violons qui , j'imagine ,
frappent encore mes oreilles . Adieu , Madame. Je
pars au premier jour pour revenir vous voir. Que
je vais vous parler marine ! Ce fera le fruit de mes
voyages : mais vous qui les aimez fi peu , ne faites
pas de même au moins d'une voyageufe que vous
fçavez vous être attachée bien fincérement , toute
charmante & toute jolie que vous êtes.
$7
MARIAGES ET MORTS.
MEffire Louis- Georges de Johanne de la Carre,
Marquis de Saumeri , Gouverneur & grand Bailli
de Blois , & Gouverneur en ſurvivance du Château
Royal de Chambord , époufa le 2 Juin Demoiselle
Henriette -Françoife de Menou , fille de Meffire
Louis-Jofeph , Comte de Menou , Baron de Pontchâteau
, Maréchal des Camps & Armées du
Roi , & de feue Dame Marie - Louiſe de Charitte.
La bénédiction nuptiale leur a été donné dans
l'Eglife paroiffiale de Saint Sulpice par l'Abbé
de Menou. Leur contrat de mariage avoit été
figné le 16 Mai précédent par leurs Majeftés &
la Famille Royale.
François , Comte de Montaynard , épousa le
21 Juin , dans la Chapelle du Château de Bellevue
, Henriette - Lucie-Magdeleine de Bafchi ,
troisieme fille de Francois , des Comtes de Bafchi ,
Comte de Bafchi- Saint -Efteve , Chevalier des Ordres
du Roi , Confeiller d'Etat d'épée , Ambaſſadeur
de Sa Majefté à la Cour de Portugal , & de
Dame Charlotte- Victoire Le Normant. L'Evêque
de Digne leur donna la bénédiction nuptiale.
Leur contrat de mariage avoit été figné le 15
dx
NOVEMBRE. 1756. 217
du même mois par Leurs Majeftés & par la Famille
Royale.
- La Maifon de Montaynard, qui eft une des plus
anciennes & des plus illuftres du Royaume, eft trop
connue pour qu'il foit befoin d'en donner un détail
fort étendu. Il fuffit de dire que cette Maifon
ale rare avantage de prouver fa filiation depuis
Rodolphe , l'un des plus grands Seigneurs du Gréfivaudan
, qui vivoit vers l'an 969 , jufqu'à nos
jours. Ce Rodolphe fut pere d'Ainard , qui fonda
vers l'an 1027, dans la terre de Domene un Prieuré
qui fubfifte encore aujourd'hui. Sa postérité prit
le nom d'Ainard jufqu'à Pierre , fon ſeptieme defcendant
, qui le premier prit le nom de Montagnard
, d'une de les terres près Grenoble , de laquelle
il fit hommage au Dauphin Guigue l'an
1329. Sa postérité a confervé le nom de Montaynard.
Il eut pour fils Raimond , qui fut ayeul de
Raimond III , Lieutenant Général de la Province
de Dauphiné en 1445 , pere d'Hector de Montaynard
, Gouverneur du Comté d'Afti pour le Roi
Louis XII, qui fut affaffiné en 1501. Il avoit époufé
Marguerite , fille de Boniface , Marquis de
Montferrat , de laquelle il eut Louis de Montaynard
, bifayeul de Marie de Montaynard , qui devint
Seigneur de Montfrin par la donation que lui
en fit en 1598, fa coufine Marguerite d'Arpajon.
Marie de Montaynard eut pour petit fils Hector
de Montaynard , Marquis de Montfrin , mort
Maréchal de Camp le 7 Janvier 1687. Il avoit
époufé Chriftine- Marguerite de la Gorée , dont naquit
François de Montaynard , Marquis de Montfrin
, décède le 12 Juillet 1728 , laiffant de fa femme
Louiſe Lottet-de Cauviffon , Jofeph de Montaynard
, Marquis de Montfrin , Comte de Souternon
, Grand Sénéchal de Niſmes & de Beau-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
caire , né le 14 Février 1703 , marié le 9 Juin
1732 , à Diane - Henriette de Baſchi- d' . ubais .
morte le 18 Mars 1755. fille de Charles des Comtes
de Bafchi , Marquis d'Aubais , Baron du Cayla,
& de Diane de Rofel, Dame de Cors & de Beaumont.
De ce mariage font fortis :
1º. François , Marquis de Montaynard , né le
28 Août 1735 , qui donne lieu à cet article.
2º. Françoife-Marie de Montaynard , née le 29
Avril 1734
3°. Marie-Henriette de Montaynard , née le
14 Juin 1750.
Meffire Erneft- Louis , Comte de Mortaigne ;
Lieutenant-général des armées du Roi , & Commandant
dans les trois Evêches , fut marié le s
Août à Demoiſelle Françoife- Félicité de Montmorillon
, ci- devant Chanoineffe du chapitre de
Sainte-Marie de Metz . La bénédiction nuptiale
leur fut donnée dans la chapelle du château de
Begny , par l'Abbé de Montmorillon , Comte de
Lyon.
Marie-Sophie de Courcillon , veuve de Hercules-
Meriadec de Rohan , Duc de Rohan- Rohan , Pair
de France , Prince de Soubife & de Maubuiffon ,
Marquis d'Annonay , Comte de la Voute & de
Tournon , Lieutenant Général des Armées du
Roi , ci- devant Capitaine- Lieutenant des Gendarmes
de la Garde de Sa Majeſté , & Gouverneur des
Provinces de Champagne & de Brie , mourut à
Paris le 4 Avril , âgée de 43 ans. La Princeffe
Douairiere de Rohan étoit fille unique de Philippe-
Egon de Courcillon , Marquis de Dangeau ,
Baron de Lucé , &c , Gouverneur de Touraine ,
&c , & de Françoile de Pompadour, Dame du Duché
de la Vallette. Elle avoit époufé en premieres
noces le 20 Janvier 1717 , Charles-François d'AlNOVEMBRE.
1756. 219
bert d'Ailly , Duc de Picquigni , mort le 14 Juin
1731. De ce mariage il n'y a point d'enfans . Elle
s'étoit remariée au Prince de Rohan le 2 Septembre
1732 , & en étoit restée veuve fans enfans le
26 Janvier 1749.
Frere Jacques -François de Chambrai , Grand-
Croix de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem , Commandeur
des Commanderies de Sainte Vaubourg
dans le Grand Prieuré de France , de Virecourt
dans celui de Champagne , & de la Commanderie
Magiftrale de Metz au même Grand Prieuré , ci
devant Lieutenant Général & Commandant des
vaiffeaux de la Religion , eft mort à Malte le 8
Avril . Le Bailli de Chambrai a été un des plus
grands hommes de mer de ce fiecle. Il a pris
fur les ennemis de la Religion la Sultane neuve
commandée par le Contre - Amiral , & portant
pavillon du Grand Seigneur , la Patrone de Tripoli
, & neuf autres Bâtimens. Après s'être figna
lé par fes exploits , il a fait conftruire à fes frais
dans l'Ile du Goze une Fortereffe qui porte le nom
de Cité neuve de Chambrai. Cet ouvrage impor
tant qui met les Gozetins à l'abri des infultes des
Barbarefques , eft prefque achevé . Le Grand Maî
tre de Malte a réſolu de fubvenir aux dépenfes des
travaux qui restent encore à faire pour conduire
cet ouvrage à fa perfection , & en confidération
des fervices du Bailli de Chambrai , il a accordé
au Marquis de Chambrai , petit neven de
cet homme illuftre , la permiffion de porter la
Croix de l'Ordre.
La Maiſon de Chambrai eft une branche de
celle de la Ferté- Fresnel , qui eft connue dès le
onzieme fiecle . Richard II du nom , Baron de la
Ferté- Fresnel , qui vivoit dans le douzieme , épou
fa Emmeline , fille de Richard II du nom , Baron
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
de l'Aigle , & en eut pour fecond fils, Simon de la
Ferté Frefnel, qui eut en partage la terre de Chambrai-
fur Yton , en Normandie , Baillage d'Evreux,
de laquelle il prit le nom qu'il tranſmit à fa poftérité.
De lui defcendit Jean de Chambrai , Chambellan
du Roi Charles le Bel , lequel fut pere de
Roger de Chambrai & ayeul de François , Bailli &
Capitaine d'Evreux en 1379 , mort en 1399. Ce
dernier eut pour fils Roger de Chambrai II du
nom , marié à Catherine , Dame de Ménille & de
Thévrai , qui le rendit pere de Jean III , lequel fit
rentrer par échange dans fa maifon la terre de
Chambrai, qui avoit été portée dans une autre par
une fille héritiere d'une branche aînée. Le Roi
Chales VII, en confidération de fa fidélité à fon
fervice , & de celle de fes prédéceffeurs, le rétablit
en 1450 , avec fes freres Simon & Gui dans les
biens de leur famille , qui avoient été confifqués
en 1430 , par Henri VI , Roi d'Angleterre. Jean
de Chambrai mourut en 1460 , ayant eu pour enfans
de fa femme Gillette Chollet, Dame d'Urbois,
Guerville, Bretoncelles , la Roche - Turpin en Vendômois,
& c , Jean IV du nom qui fuit, & Jacques
de Chambrai. Ce dernier fut Chevalier de l'Ordre
du Roi , fon Chambellan , Grand Bailli &
Gouverneur d'Evreux , & l'un des députés pour la
ratification de la paix à Eſtaple en 1499. & décéda
le 4 Mars 1504.
Jean IV du nom , Chevalier , Seigneur de
Chambrai , Châtelain de Ponfcei , Baron de la Roche-
Turpin , &c , époufa Françoife de Tillai ,
Baronne d'Auffay au pays de Caux , & Dame d'Afpiftres
& de S. Remi - des-Landes , dont naquit
entr'autres Nicolas , Seigneur de Chambrai , Baron
d'Auffay , & c , allié les Janvier 1530 , à
Bonaventure de Prunelé. Leur fils Gabriel , SeiNOVEMBRE
. 1756. 221
gneur de Chambrai , député de la Nobleffe du
Bailliage d'Evreux aux EtatsGénéraux du Royaume,
tenus à Blois en 1976, futfait par Henri III , Chevalier
de fon Ordre & Gentilhomme de fa Cham
bre , le 17 Mai 1587 , & en 1590 Capitaine de
cinquante hommes d'armes par Henri IV. Sa fe
conde femme Jeanne d'Angenne , qui fut Dame du
Palais de la Reine , le fit pere de Tannegui , Baron de
Chambrai , mort Maréchal de Camp en 1645.
Celui- ci avoit eu de fon fecond mariage , fait en
1636, avec Helene Baignart , Nicolas II du nom ,
Baron de Chambrai , Capitaine ès Armées navales
, qui époufa le 10 Septembre 1669 , Anne
le Doux de Melleville. Il en lailla , entr'autres enfans
, François-Nicolas & Jacques - François de
Chambrai , dont nous annonçons la mort.
*
Son Frere aîné François Nicolas , Baron de
Chambrai , Colonel d'Infanterie en 1702 , fut allié
le 1 Avril 1704 , avec Marie - Louife de Folloville
de Manancourt , de laquelle il a eu :
I. Louis , Marquis de Chambrai & de Conflans,
né le 16 Juin 1713 , `marié 1 ° . le 6 Avril 1734 , à
Françoife de Bonnigalle , morte le 17: Mai 1737 :
20. en 1741 , à Anne-Catherine d'Aubenton-de
Malicorne , décédée au mois de Juillet 1743 : 3 °.
le 9 Juillet 1747 , à Jacqueline - Anne- Magdeleine
de Bernard, Dame & Patrone de la Befliere , Francheville-
le- Moncel, Rofnay , &c . Ses enfans font
du premier lit :
i. Louis- François de Chambrai , né le 23. Mai
1737.
Du fecond lit :
2. François- Nicolas de Chambrai , né en Juin
1742.
Du troisieme lit :
3. Bernard , né le 19 Mai 1752.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
4. Helene-Marthe- Cécile , née le 3 Novem
bre 1749.
5. Louife-Françoise-Charlotte , née le 22 Noyembre
1750.
II. Marie-Anne de Chambrai , mariée en 1725 ,
à Charles-Gabriel du Four, Ecuyer , Seigneur de
S. Léger , fon coufin germain.
III . Clémence-Renée de Chambrai , née le 6
Août 1706 , Prieure Royale de Bellefond à Rouen.
IV. Marthe -Gabrielle de Chambrai , née le 6
Mars 1709 , Abbeffe de l'Abbaye Royale d'Almanefches
, dioceſe de Seez ; c'eít la troifieme Abbeffe
de fon nom en cette Abbaye.
V. Marie-Henriette de Chambrai , née le 1
Mars 1711. Religieufe à l'Abbaye Royale de S.
Sauveur à Evreux.
Dame Claude Canablin , époufe de N.....
Comte de Salvert – Montrognon , eft morte le 9
Avril dans la quarante- huitieme année de fon âge.
Dom Jofeph Vaiffette , Religieux Bénédictin ,
célebre par fon Hiftoire de Languedoc , & par une
Géographie univerfelle qu'il venoit de donner
au public , mourut le 10 à l'Abbaye de S. Germain
des Prez .
Dom Jean-Bernard Senfarie du même Ordre,
& Prédicateur ordinaire du Roi , eft mort le même
jour dans la même Abbaye.
Dame Elizabeth - Olive de Saint- Georges-de-
Verac , veuve de Meffire Benjamin- Louis Fratsier
, Marquis de la Meffeliere , mourut à Paris le
23 Avril âgé de 87 ans.
Frere Thomas de Villeneuve -Trans , Chevalier
profès de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem , Commandeur
de la Commanderie de Montfrin en
Languedoc , & Meftre de camp réformé de Dragons
, mourut à Paris le 30 Avril , âgé de 74 ans.
NOVEMBRE . 1756. 223
Le Chevalier de Villeneuve étoit fils de Pierre-
Jean de Villeneuve , Marquis de Trans , lequel
avoit épousé en 1665 , Marie- Françoile de Bitand,
& étoit iffu de Raimond de Villeneuve , Général
des troupes d'Aragon , qui vint en Provence avec
le Comte de Barcelone , vers l'an 1114 , & s'y établit
ayant eu la terre de Gandelet , appellée depuis
Villeneuve . Ce Raimond fut pere de Geraud
de Villeneuve , Gouverneur de Tarafcon , auquel
Alphonfe Comte de Provence fit don l'an 1201
de la Baronie de Trans. Geraud fut pere de Romée
de Villeneuve , fi connu dans l'Hiftoire de
Provence , & de Geraud II . de Villeneuve , defquels
la poftérité ſubſiſte .
Romée de Villeneuve , Connétable de Provence ,
reçut en 1230 , la Seigneurie de Vence de Raimond-
Bérenger , Comte de Provence , dont il
étoit Miniftre , & qui le nomma Régent de fes
états , & un des Tuteurs de fa fille Béatrix , qui
par fes négociations fut mariée avec Clales I ,
Comte d'Anjou . Ce Seigneur qui mourut en 1250,
fut le onzieme ayeul de Claude de Villeneuve
créé Marquis de Vence ; celui - ci fut pere d'Alexandre
& de Jean- Baptifte de Villeneuve .
Alexandre de Villeneuve , Marquis de Vence ,
eft l'ayeul d'Alexandre -Gafpard de Villeneuve ,
Marquis de Vence , qui de fon mariage fait en
Juin 1723 , avec Magdeleine-Sophie de Simiane ,
a pour enfans :
1º. Jean - Alexandre-Romée, Vicomte de Vence,
Colonel en fecond du régiment Royal Corfe , par
brevet du premier Février 1749 , né le 7 Novembre
1727 , marié à Angélique- Louiſe de la Rochefoucaud-
de Surgeres , dont 10. Jules- Alexandre-
Romée de Villeneuve , né le 21 Mars 1755. 2º.
Alexandrine - Charlotte- Adélaïde , née le 14 Jan-
K iy
vier 1793.
224 MERCURE DE FRANCE.
2º. Pauline de Villeneuve , mariée en 1741 à
Jofeph-Ours de Villeneuve , Marquis de Floyofc.
Jean Baptifte de Villeneuve , Comte de Vence,
frere d'Alexandre , Marquis de Vence , mourut en
1724 capitaine de vaiffeau . Il avoit été allié en
1700 , à Françoife de Graffe , morte le 10 Septem
bre 1748 , de laquelle il eut : 1 ° . Claude - Alexandre
, Comte de Vence , né en Novembre 1701 ,
Colonel du régiment Royal Corfe en 1739 , Brigadier
des armées du Roi le premier Mai 1745 ,
Maréchal de camp le 10 Mai 1748 : 2 ° . Jacques
de Villeneuve, dit le Chevalier de Vence , Lieute
nant de vaiffeau en 1744 : 3º . Claudine de Villeneuve
, née le 13 Juillet 1701 , veuve d'Antoine-
Jofeph d'Arcy , Comte de la Varenne.
Geraud de Villeneuve , deuxieme du nom , frere
du fameux Romée , fat Baron de Trans , des Arcs,
&c. Son petit- fils Geraud , troifieme du nom ,
époufa , 1º. Aigline d'Uzès : 2º . Philippe Dame
d'Efclapons & de Tourette , iffue des Princes de
Callian. Il eut du premier mariage : Arnaud II
de Villeneuve qui fuit , & Hugues - Raimond de
Villeneuve , Baron de Tourette , dont il fera parlé
après fon frere.
Arnaud de Villeneuve , deuxieme du nom , fut
bifayeul d'Arnaud quatrieme du nom . Chambellan
de la Reine Jeanne , & Gouverneur d'Avignon,
dit le Grand , tant à caufe de fes grar des qualités
qu'à caufe des grands biens qu'il poffeda , ayant
été Seigneur , en tout ou en partie , de quatrevingt-
deux terres nobles , foit en Provence , foit
au royaume de Naples . Il eut de fon mariage avec
Philippe de Caftellane de Salernes , trois enfans ,
fçavoir : 1 ° . Giraud , dont la poftérité s'eft éteinte
en 1672 ; de lui , defcendoit Louis de Villeneuve,
Comte d'Aveline , Ambaffadeur de Louis XII , à
1
NOVEMBRE . 1756. 225
Rome , en faveur duquel la Baronie de Trans fur
érigée en Marquifat Pan 1505. 2º . Hélion , duquel
la postérité n'a pas duré. 3°. Antoine , qui
fut Baron de Flayofc. Alexandre- François de
Villeneuve , Baron de Flayofc , un des defcendans
de ce dernier , eft ayeul de Joſeph- Ours de Villeneuve
, Marquis de Flayofc , marié en 1741 , à
Pauline de Villeneuve , foeur du Vicomte de Vence
, Colonel en fecond du régiment Royal - Corfe.
Leurs enfans font :
1º. Alexandre- Gaſpard - Balthaſar de Villeneu
ve , né en 1745 .
2º. Claude -Alexandre - Romée de Villeneuve ,
né en 1746 .
3°. Martin de Villeneuve , né en Décembre
1750.
4°. Sophie de Villeneuve .
Le Marquis de Flayofc a pour foeur Julie de
Villeneuve , qui a épousé le 31 Mai 1746 , Julės-
François de Fauris , Seigneur de Saint - Vincent ,
Préfident du Parlement de Provence.
Hugues- Raimond de Villeneuve , fils du fecond
lit de Geraud , troifieme du nom , Baron de Trans ,
fat Baron de Tourette , & époufa Béatrix de Savoye
, de laquelle il eut Raimond de Villeneuve ,
marié avec Alix des Baux , des Princes d'Orange ,
laquelle fut mere de Pons -Albert , mort avant
l'an 1321 celui- ci eut d'Andalafie de Mujols ,
Bertrand de Villeneuve , allié , vers l'an 1331 , à
Sancie de Signe , des Vicomtes de Marſeille , dont
vint Jean mort en 1361 , ayant été marié à Dracone
Ricavi. Leur fecond fils , Pons de Villeneuve
, Seigneur de Barjemont , époufa en 1380 , Catherine
Dame de Vauclaufe , mere de Jean de
Villeneuve , auteur de la branche de Villeneuve-
Barjemont , & d'Antoine de Villeneuve , Baron
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
de Tourette en 1445 , lequel époufa en 1455 , Pau
line du Puget , de laquelle il eut Honoré de Villeneuve
, qui tefta en 1502. Celui - ci fut pere par
Blanche Grimaldi- de Monaco , de Jean de Villeneuve
, Baron de Tourette , Chevalier de P'Ordre
du Roi , Capitaine de cinquante hommes d'armes,
allié eenn 1922 , à Marguerite de Foix- Meille , dont
naquit Jean II de Villeneuve , Chevalier de l'Ordre
du Roi Gouverneur de Frejus , mort en 1586.
Il avoit épousé en 1562 Perette d'Oraiſon , qui
le fit père de Jean de Villeneuve , troifieme du
nom , lequel fut nommé àl'Ordre du Saint- Elprit,
& mourut en 1631 , laiffant de Baptiftine de la
Lande , Gafpard de Villeneuve , Comte de Tourette,
mort le 29 Novembre 1649. Celui- ci époufa
Marguerite de Graffe , de laquelle il eut Pierre
de Villeneuve , allié en 1665 à Marie-Françoife
de Bitaud , qui fut mere de Pierre-Jean de Villeneuve
qui fuit , & de Thomas de Villeneuve dont
nous annonçons la mort.
Pierre-Jean de Villeneuve , Marquis de Trans,
mourut le 17 Février 1730 , laillant de Marie-
Thérefe de Barthelemi Sainte- Croix , qu'il avoit
épousée en 1711 , Louis de Villeneuve , Marquis
de Trans , Comte de Tourette , Enſeigne de galeres
en 1733 , mort le 13 Juin 1753. Il avoit
époufé le 29 Octobre 1738 , Louiſe- Catherine
Pernot - du-Buat , morte le 11 Mars 1751. Ils ont
eu de leur mariage :
1º. Louis -Henri de Villeneuve , né le 18 Octo
bre 1739:
2º. Thomas- Alexandre - Balthafar de Villeneu
ve , né le 18 Mars 1742 .
3 °. Rofaline- Victoire-Martial de Villeneuve,
né le 18 Mai 1744.
4. Alexandre-Marie de Villeneuve , né le s
Février 1748.
NOVEMBRE. 1756. 227
Pauline- Nicole de Villeneuve , née le 18
Octobre 1745 .
Dame Félice -Marie de Roque de Garceival ,
épouse de Meffire Philibert- Louis , Comte de Saint.
Jal- de Laftic , Brigadier de cavalerie , & Meftre
de camp d'un régiment de fon nom , mourut en
- Rouergue le 20 Avril , âgée de 27 ans .
Le Marquis de Ceberet , Lieutenant général des
armées du Roi , Grand Croix de l'Ordre royal &
militaire de Saint Louis , Gouverneur des ville
fort & château d'Aire , & Commandant en chef
dans la province d'Artois , eft mort , le 25 Avril , à
Aire , dans la quatre - vingt- quatrieme année de fon
âge. La Marquife de Ceberet , la mere , qui vit encore
, a eu au mois de Juillet dernier 100 ans
accomplis, & elle ne fe reffent d'aucune infirmité.
Le Roi a donné fon gouvernement au Sieur de
Cremille , Lieutenant général des armées de Sa
Majefté , Commandeur de l'Ordre royal & militaire
de Saint Louis , & Infpecteur général des
troupes du Roi,
Meffire Charles- Louis de Rogres de Lufignan ,
Marquis de Champignelles , eft mort le 27 Avril
dans une de ſes terres , âgé de 81 ans. Il avoit été
premier Maître - d'hôtel de Monfeigneur le Duc
de Berry.
eft
Meffire Louis - Jacques - François de Vocance ,
Evêque de Senez , & Abbé de l'Abbaye de Simorre
, Ordre de faint Benoît , dioceſe d'Auch ,
mort à Riez , au commencement du mois de Mai ,
dans la foixante & quinzieme année de fon âge.
Claude de Chamborant , Comte de la Claviere ,
Lieutenant général des armées du Roi , Gonverneur
du Pont d'Arlos & de Mont- Medi, & premier
Gentilhomme de la chambre du Comte de la Marche
, Prince du fang , de la perfonne duquel il
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
avoit été Gouverneur , mourut à Paris le 18 Mai ,
âgé de 65 ans. Il a fervi avec beaucoup de réputatation
, & il s'eft diftingué à la tête des brigades de
Limofin & de Bretagne , ainfi qu'à la défenſe d'Egra,
en Boheme .
Le Comte de la Claviere avoit époufé , le 18 Juin
1728 , Marie-Anne Moret- de Bournonville, de laquelle
il a eu :
1º. André- Claude de Chamborant , né le 23 Février
1732 , Capitaine de cavalerie .
2º. Marie-Anne- Therefe de Chamborant , née
le 14 Septembre 1734.
La maison de Chamborant tient un rang diſtingué
dans la nobleffe de France , tant par l'ancienneté
de fon origine , que par fes alliances & fes
emplois honorables , foit à la cour , ſoit dans les
armées. Elle tire fon origine de la terre de Chamborant
, premier Fief & Baronie du Vicomté de
Bridiers en Poitou . L'Abbaye de Bénévent , diocefe
de Limoges , compte parmi fes bienfaiteurs
les Seigneurs de Chamborant , qui fe trouvent qualifiés
Chevaliers , dès le onzieme fiecle . Gosfrid
de Chamborant eft nommé avec les Chevaliers ,
qui fignerent une charte en faveur de l'églife de
Limoges , fous l'épiſcopat de l'Evêque Ithier , vers
l'an 1060.
Cette Maifon s'eſt partagée en deux branches
principales celle de Droux , & celle de la Claviere
, deux terres , la premiere en Limofin , l'autre
dans la haute Marche , que Marguerite de Forges
porta en dot, vers l'an 1330 , à Pierre de Chamborant
, Chevalier , Seigneur de Chamborant
frere de Guillaume de Chamborant , Ecuyer du
corps du Roi , Baron d'Afnebec & de Rannes en
Normandie , qu'il vendit en 1383. Du mariage
de Pierre de Chamborant , & de Marguerite de
NOVEMBRE. 1756. 229
Forges , vint Foucaud , Seigneur de Chamborant ,
de Droux & de la Claviere , qui fut pere par Jaquette
de Clays-de Gui , Seigneur de Chamborant
, & de Jacques de Chamborant , qui de Marguerite
Chauvet- de Sampnac , eut pour fecond fils
Gui de Chamborant , Seigneur de Droux & de la
Claviere , allié avec Françoife de Salagnac , dont
les deux fils Pierre & Gafpard ont formé les deux
branches de Droux & de la Claviere.
L'aîné eut de Philippe de Loube , pour ſecond
fils , Pierre Chamborant , fecond du nom , Baron
de Neuvi-Saint- Sépulchre, Lieutenant Général de
la province de Berri , Gouverneur de la groffe tour
de Bourges , Chevalier de l'Ordre du Roi , Chambellan
& Colonel des Gardes étrangeres du Duc
d'Anjou. Il épouſa Anne de la Foreft, qui fut Gouvernante
des Dames de France , foeurs du Roi
Louis XIII , & eut pour enfans Marguerite de
Chamborant , fille d'honneur de la Reine Marie
de Médicis , & Louis de Chamborant , Baron de
Neuvi - Saint - Sépulchre , mort à Madrid le 19
Avril 1615 , en odeur de fainteté. Son oncle Jean
de Chamborant , Chevalier de l'Ordre du Roi ,
Seigneur de Droux , fut pere , par fa feconde femme
Catherine de Châteauvieux , de Gafpard de
Chamborant , dont l'arriere - petite fille Marie-
Anne de Chamborant, Dame de Droux, a épousé,
en 1728 , Jean de Chamborant, Seigneur de Villevert
, fon parent.
Gafpard de Chamborant , Seigneur de la Claviere
, fecond fils de Gui & de Françoife de Salagnac
, devint Seigneur d'Azai - le - Feron en Touraine
, par fon mariage avec Louife de Reilhac , des
Vicomtes de Brigueuil , qui fut mere de Jean de
Chamborant , Seigneur de la Claviere , Chevalier
de l'Ordre du Roi, marié en 1571 , à Anne Razès.
230 MERCURE DE FRANCE.
Leur fils Pierre de Chamborant , Seigneur de la
Claviere , qui époufa Diane de Gentils , fut Lieutenant
de la compagnie des cent Gentilhommes ordinaires
de la Maifon du Roi , appellés les cent
Gentilshommes à bec de Corbin , charge dans laquelle
lui fuccéda , en 1660 , fon fils Etienne de
Chamborant , Seigneur de la Claviere , d'Aiguzon,
de Lavye & de Puilaurent , Confeiller d'Etat d'épée
, qui avoit été fait en 1647 Maréchal de
Camp, en gardant par une diftinction particuliere
fes deux régimens, l'un de cavalerie , & l'autre d'infanterie
, & en 1650 Gouverneur de Philisbourg ,
ayant commandé la cavalerie légere fous M. le
Prince. Il avoit époufé en 1639 , Marie Phelipes,
de laquelle il eut Pierre de Chamborant , Seigneur
de la Claviere , de Puilaurent , &c. mort en 1714 ,
ayant été allié à Marie- Anne le Fort-de Villemandor
, fille de Georges le Fort , Baron de Cernoi ,
& Seigneur de Villemander. Il laiffa pour enfans.
1º. Alexandre- Etienne de Chamborant , appellé
le Marquis de Puilaurent , né le 26 Novembre
1685 , Lieutenant de vaiffeau en 1728 , & Chevalier
de l'Ordre royal & militaire de faint Louis.
2º. Claude de Chamborant, Comte de la Claviere
, qui donne lieu à cet article.
3°. Henri de Chamborant , reçu Chevalier de
Malte de minorité en 1704.
4°. Marie-Anne de Chamborant,mariée le 14 Novembre
1721 , à André Hébert, Seigneur , Baron de
Chateldon , alors Introducteur des Ambaffadeurs.
Pierre-Emmanuel - Jofeph-Timoleon de Coffé-
Briffac , Marquis de Briffac , fils de Jean- Paul
Timoleon de Coffé, Duc de Briffac, Pair & grand
Pannetier de France, Chevalier des Ordres du Roi,
& Lieutenant général des armées de Sa Majesté ,
NOVEMBRE . 1756. 23
mourut à Paris le 27 Mai , âgé de 14 ans . Marie-
Jofephe Durey de Sauroy, une des Dames nommées
pour accompagner Madame , épouse du Duc de
Briffac , & mere du Marquis de Briffac , eft morte
le 18 Juin fuivant , dans la quarantieme année de
fon âge.
Meffire N.... Comte de Crefnay , Vice- Amiral
de France , dans les mers du Ponent , & Grand-
Croix de l'Ordre de faint Louis , eft mort le 31
Mai , au château de la Riviere , près Fontainebleau ,
âgé de 65 ans. Il étoit entré dans la marine en
1705, & s'étoit diftingué dans les différens grades
de ce fervice .
Agnès Miotte de Ravane , époufe de Charles-
Anne-Sigifmond de Montmorenci - Luxembourg ,
Duc d'Olonne, Maréchal des camps & armées du
Roi , mourut à Paris le 1 Jain , âgée de 31 ans.
Elle avoit épousé le Duc d'Olonne le 2 Juin 1753,
étant veuve de Matthieu - Roch de la Rochefoucauld,
Marquis de Bayers.
Dame Magdeleine- Elizabeth de Rieux de Far
gis , veuve de Meffire Pierre-Eléonor de la Ville ,
Marquis de Ferolles , Gouverneur des Ifle & terre
ferme de Cayenne en Amérique , eft morte à Paris
le 2 Juin , dans la foixante & dix-huitieme année
de fon âge.
Jean-Louis Mocénigo, Noble Vénitien , Chevalier
de l'Ordre de l'Etole d'or , l'un des fix Sages
grands , d'abord Ambaffadeur de la République
de Venise à la Cour d'Eſpagne en 1747 , à celle
de France en 1751 , & nommé en 1754 pour
PAmbaffade de Rome , eft mort à Paris le 12 Juin
dans fa quarante-fixieme année.
De fon mariage contracté en 1737, avec Blanche
Morofini , fille de Louis , Noble Vénitien , &
l'un des Membres du Sénat , il laiffe pour enfans ,
232 MERCURE DE FRANCE.
1º. Jean- Louis Mocénigo , né en 1738. 2 ° . Jean-
Louis , né en 1744. 3 °. Marie Mocénigo , née en
1739. 4º . Hélene Mocénigo , née en 1743.
Meffire Henri -Charles Arnauld de Pomponne ,
Abbé de Saint-Médard de Soiffons , Ordre de
Saint Benoît , Doyen du Confeil d'Etat , Commandeur-
Chancelier , Garde des Sceaux & Sur-
Intendant des Finances des Ordres du Roi , &
honoraire de l'Académie Royale des Belles - Lettres
, eft mort à Paris le 26 Juin , âgé de 87 ans
moins 14 jours.
Armand de Rohan-Soubife , Cardinal Prêtre ,
Evêque- Prince de Strasbourg , Abbé de l'Abbaye
de la Chaife-Dieu , Ordre de S. Benoit , Dioceſe
de Clermont , Grand Aumonier de France, Commandeur
des Ordres du Roi , & l'un des Quarante
de l'Académie Françoiſe , mourut à Saverne le
28 Juin , âgé de 38 ans , 6 mois & 27 jours. Le
Pape l'avoit créé Cardinal à la nomination du Chevalier
de S. Georges , dans la promotion faite en
1747, pour les Couronnes. Il étoit fils de Jules-
François de Rohan- Rohan , Prince de Soubife ,
mort le 6 Mai 1724. & d'Anne- Julie- Adélaïde de
Melun , décédée le 18 Mai de la même année
1724.
Meffire Charles Beaupoil de Saint Aulaire ;
Abbé de l'Abbaye de Mortemer, Ordre de Citeaux,
Dioceſe de Rouen , & de celle de S. Jean de Falaife
, Ordre de Prémontré , Diocefe de Seez , &
Aumonier ordinaire de la Reine , eft mort le 29 ,
âgé de près de 87. ans .
Agnès- Marie de la Rochefoucauld de Lafcaris
d'Urfé , veuve de Meffire Paul-Edouard Colbert ,
Comte de Creuilly , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , décédé le 28 Février de cette année,
eft morte à Paris le 1 Juillet , dans la vingt- cinNOVEMBRE.
1756 . 233
quieme année de fon âge. Elle avoit épousé le
Comte de Creuilly le 4 Avril 1754.
François - Maximilien de Tenczin - Offolinski ,
Duc d'Offolinski , Prince du Saint Empire , Chevalier
des Ordres du Roi & de l'Ordre de l'Aigle
blanc , Grand Maître de la Maiſon du Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar ; & Gouvelneur
des Château & Ville de Lunéville , mourut
au Château de la Malgrange près de Nanci , le 1
Juillet , âgé de 80. ans .
En 1725 il fut Maréchal de la Diete générale
de Pologne ; il a été enfuite Grand- Tréforier de la
Couronne. Il fuivit le Roi Staniflas en France ,
dans l'année 1736 , & le Roi cette même année lui
accorda un brevet de Duc. Sa Majefté , l'année
fuivante , le nomma Chevalier de fes Ordres ..
Il étoit fils de Maximilien , Comte de Tenczin-
Offolinski , Grand Veneur du Palatinat de Podlachie
, & de Théodore , Comteffe de Kraffouska.
Il avoit été marié en premieres nôces à N... fille
de N... Comte de Méviézinski , Palatin de Vo-
Ihinie en Pologne ; & en fecondes nôces à Catherine
Jablonowska , fille de Jean né Prince Jablonowski
, Grand Enfeigne de la Couronne de Pologne
, Palatin de Volhinie & de la petite Ruffie ,
& foeur du Prince Jablonowski , Chevalier des
Ordres du Roi , & de la Princeffe de Talmont.
Il a eu de fa premiere femme :
1º. Jofeph , dit le Comte de Tenczin - Offolinf
ki , Starofte de Sandomir , qui eft marié en Pologne.
2 Thomas , dit auffi Comte de Tenczin - Offolinski
, ci- devant Chevalier d'honneur de la Reine
de Pologne , Ducheffe de Lorraine & de Bar.
3°. Anne de Tenczin - Offolinski , alliée à Jofaphat
, Comte de Zamewski , Grand Sous - Pannetier
du Royaume de Pologne.
234 MERCURE DE FRANCE.
4° . Thérefe de Tenczin- Offolinski.
Dame Conftance de Harville , veuve de Meffire
Nicolas-Simon Arnauld, Marquis de Pomponne ,
Brigadier des armées du Roi , & ancien Lieutenant
Général au Gouvernement de l'Ile de France , eft
morte en cette Ville le 4 Juillet , âgée de 84 ans.
Dame Michele- Gabriele Dugué- de Bagnols ,
veave de Meffire Jacques Tannegui le Veneur,
Comte de Tillieres, eft morte à Paris le 22 Juillet,
âgée de 83 ans.
Charles- Armand de Gontaut , Duc de Biron ,
Pair & premier Maréchal de France , Chevalier
des Ordres du Roi , & ci - devant Gouverneur des
Ville & Citadelle de Landau , mourut en cette
Ville le 23 Juillet , âgé de 93 ans moins quelques
Jours.
Au mois de Juin 1598 , la Baronie de Biron avoit
été érigée en Duché- Pairie pour Charles de Gontaut-
de Biron , Maréchal & Amiral de France ,
Maréchal Général des Camps & Armées du Roi ,
Gouverneur & Lieutenant- Général du Duché de
Bourgogne & du pays de Breffe , & Chevalier des
Ordres du Roi. Ce Seigneur étant mort en 1602 ,
& n'ayant point laiffé de postérité, le Duché- Pairie
de Biron fut éteint . Le Roi a de nouveau érigé à
perpétuité pour le Maréchal de Biron qui vient de
mourir , la Baronie de Biron en Duche-Pairie par
Lettres du Mois de Février 1723. Le 22 du même
mois ce nouveau Duc , arriere petit neveu du
premier Duc de Biron , prit féance au Parlement ,
Sa Majesté y tenant fon lit de juftice , pour la déclaration
de fa Majorité.
Par la mort du Maréchal Duc de Biron , le Maréchal
Duc de Noailles devient premier Maréchal
de France.
NOVEMBRE. 1796. 235
AVIS.
LE Sieur Viale , Chirurgien expert , reçu à S.
Côme pour les Hernies ou defcentes de Boyaux
vend une Eau de fimples , qui guérit radicalement
toutes fortes de defcentes fans opérations &
en très- peu de tems tant pour femmes que
pour hommes , & même pour Hernies Ombilicales...
C'eſt un remede qui a été expérimenté dans toute
la Bretagne , ainfi qu'il eft conftaté par plufieurs
Certificats qui lui ont été expédiés , & notamment
par un arrêt du Parlement de Rennes & un Certificat
de la faculté d'Angers .
Depuis fept mois que le fieur Viale eft à Paris , ..
il a guéri plufieurs perfonnes diftinguées , dont
il a les Certificats . Il en a un de M. Petit , Medecin
de Monfeigneur le Duc d'Orléans , un de M.
Hoftie , Medecin de la Faculté de Paris , &c.
Ceux qui pourront être tranquilles dans leurs
chambres n'auront pas beſoin de tenir un ban
dage.
Le prix de la bouteille de cette Eau eft de
48 livres , & une feule fuffit pour la maladie la
plus invétérée. On s'en fert en trempant un morceau
de linge fin dans cette Liqueur , pour
en baffiner la partie affligée matin & foir.
Il demeure à Paris , rue du Sépulchre , dans la
maifon de M. de Bréaud , vis-à- vis le corps-de-
Garde , au fecond en entrant par l'efcalier à droite.
On le trouvera le matin , depuis 10 heures jufqu'à
midi , & l'après-midi , depuis 2 heures jufqu'à
fept.
236 MERCURE DE FRANCE.
LE
AUTR E.
E Public eft averti que le fieur Nivard vend
& débite , par permiffion de M. le premier Médecin
du Roy , & de la commiffion Royale de
Médecine , un remede fpécifique pour les diffenteries
, & pour le flux de fang.
Ce remede qui eft fous la forme d'un extrait ;
fe délaye dans une taffe d'eau tiede , & il eft
rare qu'il foit néceffaire d'en donner plus d'une
où deux prifes .
Il demeure rue S. Louis au Marais , au coin
de celle de S. François chez M. le Febvre , à
Paris.
On le trouve tout le matin jufqu'à midi.
AUTRE.
Le grand ufage du Café , l'incommodité &
l'embarras où font quantité de perfonnes pour le
mettre au point qu'il le faut pour s'en fervir dans
toute fa bonté , ont déterminé le fieur Berthod
à le rendre plus commode , & le mettre au point
de n'avoir befoin que d'une Cafetiere , de l'eau ou
du lait , pour avoir du Café en moins d'un quart
d'heure.
Ce Café eft en tablettes comme le Chocolat.
Chaque tablette porte trois fortes taffes ; & ceux
qui ne le prennent pas fi fort , en pourront faire
quatre à l'eau , & au lait cinq , & même fix tafles.
L'invention dudit Café eft d'autant plus commode
, qu'elle eft moins embarraffante , furtout
pour Meffieurs les Officiers & les Voyageurs ,
NOVEMBRE. 1756. 237
qui n'ont befoin de porter avec eux que la fimple.
tablette , fans fucre ni moulin. Il est encore d'une
grande utilité pour les perfonnes âgées , qui ont
coutume de prendre leur Café deux fois le jour.
Ce Café fe fait entiérement comme le Café en
poudre.
Le prix de la tablette Moka pur , 12 fols :
moitié Moka & Martinique , 10 fols : Martinique
fimple , 8 fols.
debite fes Tablettes dans S. J. de Latran , chez
le fieur le Riche , Bourfier , fous la grande porte.
AUTRE.
François, Maître Limonadier à Paris , rue Sainte-
Anne , Butte S. Roch , à la Croix de Chevalier ,
vis-à - vis la rue Clogeorgeot ; tient grande Fabrique
de Chocolat de fanté de vanilles de toutes
fortes de façons , Piftaches & Diablotins , & à
jufte prix.
AUTRE.
Elixir Stomachique du Sieur Camus , Marchand
Epicier-Droguifte , rue S. Denis , vis -à- vis la rue
Guerin - Boileau , au figne de la Croix du Fer à
Cheval , à Paris. Cet Elixir fortifie l'eftomac ;
facilite la digeftion , recrée les efprits animaux &
chaffe les vents ; il foulage auffi les perfonnes attaquées
de Toux pituiteufe & d'Afthme humide ; il
eft un préfervatif contre le mauvais air. C'eſt un
très-bon cordial d'un goût fort agréable. Les perfonnes
en fanté peuvent auffi en faire ufage avec
fuccès. On donnera la maniere de s'en fervir
238 MERCURE DE FRANCE.
avec les bouteilles fcellées du cachet, & l'étiquette
fignée de l'Auteur . Pour la facilité du Public , il y
a des bouteilles de 4 liv. & de 8 liv.
APPROBATION.
J'Ai la , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Novembre , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion
A Paris , ce 28 Octobre 1756.
GUIROY.
ERRATA
pour le fecond Volume d'Octobre.
PAge 26 , ligne 7 , meunet de M. Exaudet ;
lifez , menuet.
Pag. 61 , lig. 10 & 11 , jamais des marques
d'amour n'avoient mieux compromis la pudeur
, lif n'avoient moins compromis la pudeur
Pag. 72 , lig. premiere ,
lif.
Met tout à fac.
Fronfac
Met tout à fac.
Pag. 104, lig. derniere ( 1 ) Louis IV , lif
Lois XIV.
Pag, 135 , lig. 5 , Docteur en Médecine de Montpellier
, lif. de la Faculté de Montpellier
Pag. 239 , lig, 22 , l'amante timide , lif. l'amant
timide,
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
EPITRE à Madame de G *** , qui partoit pour
la campagne , par M, le C. de S. G. M. pages
Les Riens , Conte ,
Vers à une jeune Penfionnaire >
Portrait de Madame la *** , ***,
Origine du jeu de Volant ,
8
27
35
39
Combien les Sçavans doivent avoir peu d'amour
propre ,
Egloge par Madame ...
41
Vers à Mademoiſelle N.... en lui préſentant un
coûteau , 54
Lettre de Mademoiſelle de ... à l'Auteur du Mercure
, 55
Chanfon pour Madame la Marquife d'A *** , 58
Remerciement à M. le Maréchal-Duc de Riche
lieu , par Madame Bourette ,
L'Efprit & la Science , allégorie Angloiſe tirée du
Rambler,
Le Sentiment , Epître ,
60
61
63
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
fecond Mercure d'Octobre ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanſon ,
65
ibid.
68
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES,
Extraits , Précis ou Indications de livres nou
veaux ,
69
76
Réponse de l'Auteur des Lettres à un Américain ,
à la Lettre de M. l'Abbé de Condillac ,
Lettre à Madame de M *** au fujet des Pierres
240
Milliaires que M. S*** a fait placer fur la route
dų Languedoc ,
Séance publique de l'Académie d'Amiens ,
93
119
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géométrie. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Finances.
121
123
140
Chirurgie. Lettres Patentes accordées aux Chirurgiens
de Province ,
Obfervation de chirurgie très- importante au
fujet des ravages produit par la pierre dans
la veffie ,
Séance Publique de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de la Rochelle ,.
146
149
ART. IV. BEAUX - ARTS.
Mufique.
169
Gravure. ibid.
Architecture. 172
ART. V. SPECTACLE
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
177
ibid.
178
ARTICLE VI.
Lettre à M. de Boiffy , fur la Déclamation notée ,
Nouvelles étrangeres ,
180
185
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
201
Bénéfice donné , 207
Mariages & Morts ,
216
Avis divers. 235
La Chanfon notée doit regarder la page 68.
De l'Imprimerie de Ch . Ant . Jombert.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1756.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Fiersa w
www.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
16
AVERTISSEMENT
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eſt à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY ,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant ,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Merécriront
à l'adreffe ci - deffus . cure ,
Aij
Onfupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le patement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercurè
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM . Feffard & Marcenay.
1
MERCURE
DE FRANCE.
DECEMBRE . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
TRADUCTION LIBRE
D'une Élégie de Tibulle , qui commence
par ces vers :
Qui mihi te , Cerinthe , dies dedit , kic mihi fančtus
Atque inter feftos femper habendus erit.
DÉLIE A CERINTHE.
PARTOUT ,
ARTOUT
, quelque
foin
qui
me preffe
,
Je veux
par
des
chants
d'alégreffe
A
8 MERCURE DE FRANCE.
Sous tes yeux & durant l'abſence ,
Tes fentimens & tes difcours.
CHAUVEL , Avocat.
De Draguignan , le 15 Juillet 1756.
VERS
Sur la Conquête de Minorque.
Aigle, dans la géométrie ,
L'Anglois fe tue à concevoir
Comment Minorque , Iſle chérie ,
Vient d'échapper à fon pouvoir.
Car , dit-il , Part & la nature ,
Quand ils protegent des remparts ,
Doivent les préferver d'injure ,
Et rendre nuls tous les hazards :
Frivole motif d'affurance
Contre le vengeur de la France ,
Richelieu , notre fûr appui !
L'art & la nature avec lui
Furent toujours d'intelligence.
Par le même.
DECEMBRE. 1756. 9
PORTRAIT
Plus vrai que vraiſemblable.
ZIrphée n'aime ni les chiens , ni les
chats , ni les perroquets ; elle ne condamne
cependant point le goût qu'on a pour ces
efpeces. Elle fçait que tout eft bien , &
convient de toute l'utilité dont les bêtes
font à fon fexe : que faire fans elles toute
la journée ? & puis que dire lorfqu'il vient
quelqu'un , fi on n'avoit pas la reffource
de Babiche ou de Gredin ? Ils font fi aimables
, ils ont tant d'efprit.
Elle n'a nulle peur des fouris , des ef
prits , des petits coups de tonnerre , ni des
voitures bien attelées ; la pompeufe marche
de la plus groffe araignée ne l'effraye
pas plus que le vol d'un ferin , l'efpece
humaine ne lui en impofe pas davantage ?
elle voit du même il l'intervalle néceffaire
qui fépare les conditions , & les rapports
de mifere qui r'approchent & confondent
les individus. Nul obiet ne peut
lui faire illufion : elle connoît tous les
avantages attachés à la beauté , & ne la
payeroit pas de la moindre des qualités de
fon coeur. Elle eft fi perfuadée que tout
ce qui eft honnête eft encore charmant ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle n'a jamais eu le moindre dépit
contre les femmes plus jolies qu'elle ; elle
les laiffe froidement voler après le plaiſir ,
courir après l'éclat : elle fçait qu'elles n'arriveront
qu'à la honte , au ridicule ou au
épentir.
Elle eft jeune & dans une fortune aifée :
elle n'a jamais eu d'autre fantaifie que
celle de donner .
Si elle fourit quelquefois à l'efpérance
d'être un jour fort riche , ce n'eft ni pour
nourrir des chevaux & des valets inutiles
à la commodité , ni pour mériter l'éloge
& l'hommage des gourmans. Zirphée verfera
des bienfaits fur l'indigence , & fe
bornera à être utile à la vertu. Elle eft
contente de fon état : elle en remplit tous
les devoirs ; elle en feroit même fon bonheur
, s'il ne l'affujettiffoit un peu trop à
une foule d'importuns de toute efpece , à
qui elle craint encore plus de trop plaire
que de manquer.
Rien n'échappe à fa pénétration ; mais
elle la voile fous un maintien fi honnête
& fi modefte , qu'il n'y a point de femme
qui ne croye fermement avoir plus d'efprit
qu'elle. Elle écoute toujours tout ce qu'on
lui dit , & elle n'entend jamais que ce
qu'on penfe. Elle est toujours égale , toujours
vraie & toujours raiſonnable , &
DECEMBRE. 1756. II
cette uniformité eft mille fois plus piquante
que le caprice , la folie & la fingularité
des autres. Elle a reçu des bienfaits :
ils font préfens à fon fouvenir , & ne font
point un fardeau pour fon coeur.
Les fervices , les procédés , le droit de
la voir & de l'entendre font la récompenfe
de ceux qui la devinent & qui s'attachent
à elle : la douleur de la refpecter eft le
partage de fes envieux.
LES ADIEUX
d'un Berger à fa Bergere.
Séjour brayant qu'habite ma Bergere ;
On la vertu n'eft pas ce qu'on révere ,
N'attends de moi ni larmes , ni regrets ;
Je les réfervé à de plus doux objets.
Tout dans tes murs confacre le caprice ,
Tout eft au pied de l'idole du vice. -
En parvenant au fommer des honneurs ,
Tel qui plaintif dans le fein des grandeurs ,
Gémit des coups de l'inquiete envie ,
Efit pu jouir d'une paifible vie ,
Si moins frappé d'un chimérique éclar ,
Il eût borné ſon coeur & ſon état.
Eft-il quelqu'un de tous tant que nous fommes,
Qui fans rougir envisage les hommes ?
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Quel fourbe adroit colorant leurs excès ,
Auroit le front de les louer jamais ?
Si le coeur dicte un légitime hommage ,
C'est un tribut qu'il n'adreffe qu'au Sage ,
Qui pénétré de trouble & de pudeur ,
En foupirant , fe livre à la douleur
De voir , de fuir fon aveugle patrie ,
Afes faux goûts follement affervie ;
Libre & fauvé du naufrage des moeurs ,
Au fond des bois cherchant des jours meilleurs.
Pour moi du moins , je ceffe d'être à plaindre,
Puifque je quitte un féjour tant à craindre.
Tout plein d'Eglé dans le fein de la paix ,
En méditant les vertus , fes attraits ,
Je goûterai monfort & ma retraite ,
Que je verrois mon ame fatisfaite !
Si je pouvois , féjour contagieux ,
Te dérober trois êtres vertueux ,
Qui dans leur coeur te rendent bien juſtice ,
Et te fuiroient fans faire un facrifice.
Laiffe mon goût du moins dicter fon choix ;
Peu de mortels mériteront ma voix :
Je ne veux point de cet Ami vulgaire ,
Qui n'a pour moi qu'un zele mercenaire ,
Qui calculant un fervice important ,
Sur le retour ou futur , ou préfent ,
A l'amitié fenfible en apparence ,
Pour m'oublier n'attend que mon abſence ;
Mais cet Ami prévenant mes befoins ,
DECEMBRE . 1756. 13
De demander qui m'évite les foins ,
Qui partageant ma joie ou mes allarmes ,
Avec moi rit ou m'accorde des larmes ;
Ce la F.... amufant , doux , fincere ,
Dont le coeur pur n'en veut qu'au caractere ,
Et jugeant l'homme aux fentimens , aux moeurs,
Aime à choifir jufqu'à fes protecteurs ;
Qui délicat & tendrement avare
De fes chagrins , en fecret les répare ,
Tant que fon ame en peut porter le faix ,
Et d'un Ami ne point troubler la paix.
Suis-je rêveur il fçait à ma tendreffe
Donner lui- même un moment de foibleffe ,
Ou des avis tempérant la chaleur ,
Me dit le vrai fans fafte & fans aigreur.
Suis- je coupable ( au moins en apparence )
Rien ne l'allarme , il fent mon innocence.
La confiance eft l'aliment du coeur :
Des vrais Amis , voilà le point d'honneur ;
S'en écarter en amitié , c'eft crime ,
C'eſt ne montrer qu'une volage eſtime,
Je n'admets point dans ma ſociété ,
Tout vain frondeur de cette amenité ,
Qui décélant un heureux caractere ,
A plus de droit que tout autre à me plaire ;
Je crains , je fuis l'éternel louangeur ,
De mes difcours tout dur épilogueur ,
Dans les récits le conteur infidele ,
Des moeurs d'autrui le porteur de libelle,
14 MERCURE DE FRANCE.
Qui me prêtant fa noire intention ,
Verfe le fiel fur la moindre action :
Mais parlez -moi du plaifir de me rendre ,
Où l'on me voit arriver fans m'attendre ,
Pour n'y trouver que les ris , que les jeux ,
Dans le propos , dans l'acueil , dans les yeux ;
Là je folâtre , & je parle à mon aife ,
Prenant fans choix le fauteuil ou la chaife :
Là je puis être avec tous mes défauts ,
Sans redouter de trop cruels affauts :
Si l'on m'y dit tout haut ce que l'on penſe ,
La vérité s'unir à l'indulgence ;
Auffi le coeur s'y trouve fi content ,
Que l'heure y paffe & fuit en un inſtant.
Pour prévenir le plus léger nuage ,
Tout prend le ton du riant badinage ;
Mon coeur fe fent avec de vrais amis ,
Et trouve là tout ce qu'il s'eft promis :
Voilà chez vous , innocente Bergere ,
Ce qui me plaît de votre caractere ;
Votre efprit droit , par fon égalité ,
Sur votre front met la férénité ,
Qui fuit le riche & nos prétendus Sages ,
Puifqu'on la lit fur fi peu de vifages.
Qui pourroit voir fans admiration ,
( Pour votre ſexe exemple d'union !)
Ce noeud du coeur dont Life & vous unies,
Goûtez en paix les douceurs infinies ,
Jeunes beautés , fi rarement d'accord ,
DECEMBRE . 1756.
15
$
On fympathife ici fans nul effort !
Pourquoi partout ne vit -on pas de même ?
A l'expliquer , facile eft le problême ;
On ne voit pas que tout corps féminin
Soit animé d'un efprit maſculin ;
Quand c'eft un don qu'on doit à la nature
Prefque toujours il tient lieu de culture ;
C'est réunir fes plus rares faveurs ,
Que de fçavoir regner fur tous les coeurs :
Quoi ! vous quitter ... ô devoir inflexible ! ...
A mon départ fi l'on étoit fenfible ;
En partageant d'un Ami la douleur
On adoucit le plus cruel malheur.
Bois , prés , fontaine , aimable folitude ,
Triftes témoins de mon inquiétude ,
N'efpérez plus amufer mes defirs ,
Ni me charmer par de nouveaux plaiſirs !
En eft-il donc , quand loin de ſa Bergere ,
On ne voit plus qu'une image fi chere !
Quand s'égarant ( le coeur plein de regrets ) ,
On s'en nourrit dans l'horreur des forêts.
Il eſt pourtant , bois fombre & folitaire ,
Un feul moyen d'ofer encor me plaire.
Ne m'infpirez que de lugubres vers ,
Pour mes chansons que les plus triftes airs ;
Que vos Zéphirs volent peindre ma peine
A mon Eglé pour toi , claire fontaine ,
Que je groffis du torrent de mes pleurs ,
En attendant , feche ainfi que tes fleurs !
16 MERCURE DE FRANCE,
རྗ
Charmans Vergers , refufez tout ombrage ,
Doux Roffignols, ceffez votre ramage ,
Jufqu'au moment qu'Eglé doit dans ces lieux ,
D'un feul fouris ramener tous les jeux.
A fes vertus fous ce charmant feuillage ,
Vous me verrez rendre un fidele hommage ,
Puiffe mon coeur en garder le tableau ,
Pour me créer un deftin tout nouveau ,
Et chaque jour que le Ciel me réſerve ,
. Dans mon Eglé confacrer ma Minervė !
PENSÉES ( 1 )
SUR LA CONVERSATION.
ON
N ne fçauroit être trop inftruit , ni
parconféquent trop lire & trop refléchir
fur ce qui eft d'une pratique journaliere.
La lecture & les réflexions , jointes à l'ufage
, forment l'inftruction complette. C'eſt
ce qui m'engage à publier ces Penfees fur
la Converſation , à laquelle , malgré les
affaires , l'étude , la lecture & le jeu , il
n'y a perfonne qui ne donne chaque jour
un temps affez confidérable. N'euffent elles
rien d'abfolument nouveau pour le fonds ,
comme cela eft vraisemblable après tant
d'écrits fur la Converfation , elles rappelle-
(1 ) Ces Penfées font de l'Auteur de la Lettre fur
les Mémoires de Me, de Staal , imprimée dans le
fecond Mercure de Décembre 1755 .
DECEMBRE. 1756. 17
ront du moins des vérités qu'on ne peut
avoir trop préfentes.
I. Si je me laiffois aller aux défirs que
la vanité m'infpire quelquefois , de tous
les talens c'eft celui de la converfation
que je défirerois le plus , pourvu que j'y
joigniffe les qualités néceffaires pour en
bien ufer ; car ce talent a , comme tous les
autres , fes inconvéniens & fes dangers , &
mon principal objet dans cet écrit , eft
de les faire connoître , avec les moyens de
les éviter.
Il n'y a rien de mieux fenti que le talent
de la converfation , & même que la fupériorité
d'un autre fur foi à cet égard.
Dorante a fur Damis le double avantage ,
& de mieux parler & de mieux écrire
lui. Damis ne fent que le premier.
que
II. Avec beaucoup d'efprit , & même
avec beaucoup de fortes d'efprit & de talens
, on n'a pas toujours l'efprit & le talent
de la converfation .
Si jamais ouvrages ont annoncé ce talent
dans leur Auteur , ce font ceux de la
Fontaine ; il ne l'avoit pourtant pas. Il n'y
a donc point à conclure des ouvrages à la
converfation , & moins encore des ouvrages
en vers que des ouvrages en profe.
Ce talent fait bien des jaloux , furtout
parmi ceux qui avec de l'efprit , ne l'ont
18 MERCURE DE FRANCE.
pourtant pas. Ils font piqués que des gens
à qui ils croyent beaucoup moins d'efprit
qu'à eux-mêmes , & qui fouvent en ont
beaucoup moins en effet , paffent cependant
fur leur converſation pour en avoir
beaucoup plus.
III. On a dit de M. N , mauvais Auteur,
que c'étoit pourtant un homme de beaucoup
d'efprit : c'eft qu'il en montroit effectivement
beaucoup dans la converſation.
M. de *** , bon Auteur , n'y en
montroit point , il montroit même tout le
contraire ; ce qui fit dire à quelqu'un :
Qu'il avoit mis dans fes ouvrages plus d'efprit
qu'il n'en avoit , & qu'ils valoient mieux
que lui. Il y a du vrai dans ce badinage. Il
prouve dduu mmooiinnss que c'eft furtout par la
converfation qu'on juge fi un Auteur vivant
, & qu'on connoît , a beaucoup d'efprit
, ou s'il en a peu.
On juge des ouvrages par la perfonne
autant que de la perfonne par les ouvrages,
& il faudroit que ceux- ci fuffent bien excellens
pour fe foutenir contre l'idée abfolument
contraire que l'Auteur donneroit
de fon efprit dans la converſation .
J'ai oui- dire que du vivant de la Fontaine
cette extrême fimplicité , qui alloit
quelquefois jufqu'à une apparence de bêtife
, nuifoit à fes ouvrages auprès de ceux
DECEMBRE. 1756. 19
qui le connoiffoient perfonnellement , auprès
de Defpréaux & de Racine mêmes ; &
que fi à force de méprifer l'homme & d'en
plaifanter , ils n'en étoient pas venus jufqu'à
méprifer l'Auteur , du moins , ils ne
lui rendoient pas toute la juftice qui lui
étoit dûe (1 ).
Ce feroit donc fageffe à plufieurs bons
Auteurs de fe répandre peu dans le monde ;
ce feroit un avantage pour eux de n'être
connus que par leurs ouvrages . Ils en feroient
perfonnellement plus eftimés , &
leurs ouvrages auffi . Ilsvont dans le monde
pour y jouir de leur réputation , & ils l'y
perdent.
Il en eft de quelques Auteurs comme
de quelques filles de l'Opéra ; ceux - là
auroient autant d'intérêt à n'être connus
que par leurs ouvrages , que celles - ci à
n'être vues que fur le théâtre.
Quelques filles de théâtre ont de grands
talens fans beauté , quelques Auteurs en
ont aufli fans efprit.
IV. Par le talent de la converfation
j'entends non feulement le don de plaire
& d'amufer , mais encore celui de perfuader
, de toucher , de tourner à fon gré les
(1 ) On fçait que Despréaux n'a point parlé de
la Fontaine dans fon Art poétique. Voyez le
Boleana.
20 MERCURE DE FRANCE.
coeurs & les efprits , & de les amener où
l'on veut. Cette éloquence de converfation
eft peut-être de tous les talens le plus
flatteur & le plus utile .
Cependant ce qu'on appelle un beau parleur
, n'eſt pas toujours un homme éloquent
, encore moins un homme d'efprit ,
ni même un bel - efprit ; car ce que dit
l'homme d'efprit eft ingénieufement penfé
, & ce que dit le bel - efprit eft du moins
ingénieufement exprimé mais fouvent
dans ce que dit le beau parleur, il n'y a rien
d'ingénieux ni pour la penſée , ni pour
Pexpreffion , & fon talent n'eft qu'une
grande facilité .
Elle eft l'effet de la netteté & de la vivacité
réunies ; mais on peut avoir ces
deux qualités fans beaucoup d'efprit.
De cette facilité vient l'abondance , &
le bean parleur eft ordinairement grand
parleur. Ce défaut lui nuit & lui fert. On
dit qu'il parle bien , mais qu'il parle trop.
S'il ne parloit pas trop , on n'auroit jamais
dit qu'il parle bien.
Celui qui parle bien , peut parler davantage
, comme celui qui eft riche peut
faire plus de dépenfe. Cependant comme
celui- ci ne doit point faire étalage de fes
richeffes , celui-là n'en doit pas faire non
plus de fon efprit , & il y a pour l'un
F
N
Pi
DECEMBRE . 1756.
21 .
comme pour l'autre un luxe de vanité ,
toujours odieux & fouvent ridicule.
V. Une des qualités les plus agréables
dans la
converfation , c'eft la gaieté. Rien
n'embellit plus ce qu'on dit .
D'ailleurs ,
elle fe
communique , & que pourroit-on
donner de meilleur ?
Quand on eft gai , on eft mieux difpofé
& à dire de bonnes chofes , & à goûter celles
que difent les autres . On eft auffi moins
fufceptible de dégoût pour les choſes trop
médiocres , trop communes , mauvaifes
même. La gaieté ajoute d'une part à l'efprit
, & de l'autre à
l'indulgence.
Telle perfonne plaît infiniment dans la
converfation , & paffe en
conféquence
pour avoir beaucoup d'efprit , qui au fond
n'a que de la vivacité , de la politeffe &
de la gaieté.
On croit de l'efprit & de la gaieté à
N *** , quoiqu'il n'en ait point . Une
imagination folle lui tient lieu de l'un &
de l'autre.
L'enjouement vaut peut - être encore
mieux que la gaieté , du moins dans la
bonne compagnie. Etant moins vif , il eft
plus prudent & plus fage. D'ailleurs , il eſt
ordinairement plus fpirituel que la gaieté ,
du moins plus fin & plus délicat.
La gaieté vaut mieux pour foi , l'enjoue
ment pour les autres.
24 MERCURE DE FRANCE.
aimé dans une fociété , n'eft pas celui qui
y paffe pour avoir le plus d'efprit. Il eſt
probable auffi que ce n'eft pas celui qui y
paffe pour en avoir le moins , mais cela
n'eft pas fifûr.
Un fot fera plutôt admis dans une fociété
de gens d'efprit , qu'un homme d'efprit
dans une fociété de fots.
Un homme médiocre et bien propre à
réuffir dans le monde ; un homme d'efprit
qui fçauroit bien cacher fon efprit & fupporter
les fots , y feroit plus propre encore.
Le fuprême efprit , c'eſt d'ufer de fon
efprit en le cachant. Alors on eft à la fois
habile & fin .
La fineſſe fans l'habileté échoue ſouvent,
quelquefois auffi l'habileté faute d'une
certaine fineffe.
Lorfqu'on a tant d'efprit , & d'efprit vif
& brillant , on eft bien fufpect de n'avoir
pas autant de jugement. On en eft convaincu
lorfqu'on court après l'efprit.
VII . Il eſt également de notre intérêt
& de la politeffe de fupprimer une partie
de notre efprit avec ceux qui en ont beaucoup
moins que nous.
Je difois un jour à M. P. qu'il ne tenoit
qu'à lui qu'on ne lui trouvât encore plus
d'efprit dans la converfation qu'il n'y en
montre. Eh ! comment cela ? me demandat'il.
DECEMBRE . 1756.
25
t’il. En en montrant moins , lui répondis- je.
Ce que je difois à M. P. je le dis à tous
fes pareils. Montrez moins d'efprit , on
vous en trouvera plus , foit parce qu'excitant
moins la jaloufie des autres , ils feront
mieux difpofés pour vous , foit foit parce qu'étant
plus à leur portée vous en ferez plus
goûté. Or dès lors vous en ferez plus eftimé.
En cette matiere le plaifir eft la meſure
de l'eftime.
Il faut tâcher de n'être jugé que par des
juges , qui foient à la fois & favorables &
compétens.
D'ailleurs , l'efprit trop prodigué n'eſt
plus fenti . Ne voulût-on que briller , une
converfation fimple & unie , mais relevée
de temps en temps par quelques traits choifis
& placés à propos , y feroit plus propre
qu'un tiffu d'épigrammes. Parler peu &
bien , fait plus d'effet que de parler beaucoup
& bien. On paroît davantage avec
moins de dépenſe.
La plupart des yeux font foibles , & dèslors
moins flattés , qu'éblouis & fatigués
d'un trop grand éclat .
C'est donc la faute des autres , dira un
efprit brillant , & non pas la mienne , fi je
les fatigue ? Soit , lui répondrai - je ; mais
ils n'en font pas moins fatigués. D'ailleurs,
ils ne connoiffent pas leur foibleffe , &
B
26 MERCURE DE FRANCE.
quand même ils la connoîtroient , fi vous
ne la ménagez pas en vous y proportionnant
, elle les rendra injuftes à votre égard ,
& ils mettront de votre côté le tort de leur
déplaire.
Enfin l'efprit feul ne plaît pas longtemps.
Ceux qui l'aiment le plus l'éprouvent
, & je leur en ai feuvent entendu
faire l'aveu (1).
Et qu'on ne dife pas que ce n'eft point
l'efprit qui déplaît , mais l'envie & l'affectation
d'en montrer . L'efprit , je le répete,
déplaira toujours dès qu'il fera prodigué ,
& l'excès feul y eft un vice , un défagrément
, par cela feul que tout excès produit
fatiété & fatigue.
Pour la douceur & l'aifance de la converfation
, il faut une forte d'équilibre entre
les efprits , comme il en faut une pour
la circulation du fang entre l'air intérieur
& l'air extérieur.
VIII. La maxime qu'il ne faut pas dire
tout ce qu'on penfe , eft auffi vraie des
chofes trop ingénieufes ou trop fçavantes
pour être bien fenties , ou bien entendues
par ceux devant qui on parle , que de celles
(1 ) On fçait les vers du Marquis de S. Aulaire,
rapportés par M. l'Abbé Trublet , tome 3 , P. 92
de fes Effais , & c.
Jefuis las de l'esprit , &c.
DECEMBRE . 1756 .
27
que la prudence & la politeffe défendent
de dire.
Mais
indépendamment de la vanité qui
porte à fe montrer dans tout fon jour &
avec tous fes avantages , il en coûte à un
homme d'efprit de fe rabaiffer , comme à
un homme vrai de diffimuler. Pour un
honnête homme , homme d'efprit , le plaifir
parfait de la converfation confifteroit à
ne fe trouver que dans des fociétés compofées
de perfonnes également fûres & intelligentes.
Point de plaifir vif dans une compagnie,
fans une liberté entiere , & commune à
tous , d'y parler comme on penſe , d'y dire
même tout ce qu'on penfe , & en un mot ,
d'y être parfaitement fincere. Le défaut de
cette liberté diminue beaucoup le double
plaifir de parler & d'entendre. Je fouffre
de la
contrainte des autres autant que de
la mienne , à caufe de ce qu'elle me fait
perdre.
Cette contrainte eft le poifon des converfations
générales, & la principale cauſe
de l'ennui des cercles les mieux compofés.
Les matieres les plus intéreffantes en font
bannies , ou , faute de confiance réciproque,
n'y font traitées que d'une maniere
vague & fuperficielle , fouvent même
faulle & menteufe .
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
efface tous les autres , & s'il n'y a plus
d'oreilles que pour lui dès qu'il entre dans
une compagnie. Il ne fait point d'effort ; il
n'a pas même de deffein . La fupériorité
d'un autre fur nous ne nous choque pas
tant à proportion qu'elle eft plus ou moins
grande , qu'à proportion qu'elle eft , pour
ainfi dire , plus ou moins volontaire , plus
ou moins connue & aimée du fupérieur.
Quand Pafcal a dit ; Difeur de bons mets,
mauvais caractere , il a voulu parler de
ceux qui cherchent à dire des bons mots ,
& non pas de ceux qui en difent fans le
vouloir , quelquefois même fans s'en appercevoir
, parce que ces bons mots & ces
traits ingénieux ne leur coûtent rien , &
qu'ils n'apportent à ce qu'ils difent dans
la converſation que cette forte d'attention
qu'exigent lataifon & la bienféance , &
non celle que donnent , l'orgueil & la
vanité.
XI. C'eft dans la converfation un défaut
bien groffier , & pourtant bien commun ,
de répéter ce qu'on a dit de bon , quand
les autres ne le relevent pas , & qu'en
doute s'ils l'ont fenti . Outre que par- là on
leur fait une efpece d'infulte , il y a une
vanité bien ridicule & bien de la petiteffe
à ne vouloir pas perdre un bon mot , un
trait heureux. C'eft de plus une marque de
DECEMBRE. 1756. 31
pauvreté. Quand on eft riche , on eft indifférent
aux petites pertes. Mais comme
il y a des riches très- avares , il y a auffi des
gens de beaucoup d'efprit très - vains.
XII. Quel fupplice pour un homme
d'efprit , furtout s'il n'eft pas exempt de
vanité , d'entendre rapporter par un fot
devant des gens d'efprit , & parconféquent
gâter & défigurer , ce qu'il aura dit d'ingénieux
dans une autre occafion ! Le dépit
prend , & malgré la bonne intention du
rapporteur , on s'écrieroit volontiers : Ah !
le bourreau ! (1 )
Il y a des gens dont la converſation
eft toujours
compofée
, en grande
partie
, de
ce qu'ils
croient
avoir
dit de mieux
ailleurs
dans leurs
dernieres
converfations
. Ils ne veulent
pas qu'on
ignore
dans aucune
des maifons
qu'ils
fréquentent
, ce
qu'ils
ont dit dans une autre. Auffi
les
fçait-on par coeur dans chacune
de ces mai- fons . Au lieu de la vanité
qui fait qu'on
fe
répete
, & même
qu'on
fe raconte
, il vau- droit mieux
avoir
une fierté qui dédaignât ces répétitions
& ces récits , fierté
fondée
fur la confiance
qu'on
n'aura
pas moins
(1 ) On fçait la faillie de Defpréaux à Racine
fur M. de Toureil : Ah ! le bourreau ! il donnera
de l'efprit à Démofthenes.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE:
d'efprit aujourd'hui qu'on en avoit hier
& avant- hier.
Il faut oublier ce qu'on a dit d'ingénieux
dans la converſation , & pour cela n'y plus
penfer. C'est une vanité ridicule de tenir
regiftre des bonnes chofes qu'on a dites.
Elle rend odieux & ennuyeux.
XIII. Si l'on eft vain , il faudroit du
moins l'être avec quelqu'art & quelqu'adreffe
, & pour cet effet montrer tellement
fon efprit , qu'on en fit croire plus qu'on
n'en montre & même plus qu'on n'en a.
On nous fçait bon gré d'un efprit qu'on
nous devine plutôt que nous ne le montrons.
On nous croit modeftes , & on fe
croit pénétrant.
XIV. Il eft impoffible que la politeffe
regne dans une converfation où chacun
ne fonge qu'à montrer de l'efprit . De- là ,
en partie , le peu de politeffe de la plûpart
des beaux efprits de profeffion. D'ailleurs ,
la vanité eft déja par elle- même une impo
liteffe .
Mais , me difoit un jour un de ces Meffieurs
, un de ces beaux parleurs : On veut
qu'un homme d'efprit en ait toujours . Je lui
répondis : On excufera plutôt un homme
d'efprit d'en manquer quelquefois , qu'on ne
lui pardonnera de vouloir toujours en avoir.
XV. Une fée bienfaifante doua un enDECEMBRE
. 1756 . 3.3.
fant de beaucoup d'efprit Une fée malfaifante
y ajouta une extrême envie d'en
montrer.
La fuite au prochain Mercure.
DÉCLARATION D'.NDIFFÉRENCE ,
A Mesdames ***.
-
NE croyez pas que je vous aime ;
Eglé , Doris , couple charmant ,
Je ferois mon bonheur fuprême
De vous adorer conftamment ,
Surtout de vous plaire de même ;
Mais , pour troubler notre repos ,
Quand de la Reine de Paphos
Vous partagez le diademe ,
Mon coeur embarraſſé du choix ,
Se ' eroit peut-être un fyftême
De partager auffi vos loix :
Or vous voyez que ce partage
Offenferoit tout à la fois
L'amour & fon plus bel ouvrage ;
Que mon coeur , pour être conftant ,
Seroit forcé d'être volage
A l'une ou Pautre affurément ;
Qu'ainfi je dois ( mais quel dommage ! )
yous admirer uniquement.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
Oui , belle Eglé ! je vous admire ,
Je me plais à rendre à vos yeux
Ce culte que , dans leur empire ,
Les mortels ne doivent qu'aux Dieux :
De leur fort le plus glorieux
Vous rendez la Terre rivale ;
Cypris fait l'ornement des Cieux ;
En vous qui ne croit en ces lieux
Pofféder au moins fon égale
Les jeux , les plaifirs & les ris ,
Le brillant cortege des graces
Habitent votre cour , Doris ,
Et s'embelliffent fur vos traces :
On fçait que chez vous la raiſon ,
Pour le bonheur de votre vie ,
Ne paroît jamais de faifon ,
Que fous les traits de la folie
A nos yeux encor embellie
Par tout l'efprit du meilleur ton
Mais malgré la douceur extrême
Qu'Amour promet en vous aimant
Eglé , Doris , couple charmant ,
Ne croyez pas que je vous aime.
ENVO I.
Depuis long-temps mon coeur , foit en vers ;
foit en profe ,
Etoit enfammé du defir
DECEMBRE. 1756. 35
De vous déclarer quelque chofe ,
Et fçut taire un aveu fujet au répentir ;
Il vous auroit fait une offenfe
En ofant vous parler d'amour :
Aufli prend- t'il un autre tour
Pour mériter votre indulgence
Vous n'en devez pas moins encor à mon efprit :
Comment fçauroit - il ce qu'il dit ,
Lorfque c'eft à vous qu'il écrit ,
Et qu'il parle d'indifférence ?
BOUQUET
Adreffe au Roi par Mademoiselle Thomaffin ,
d'Arc en Barois , à l'occafion de la Fête de
Sa Majesté , & pour le remercier d'une
grace obtenue par fa famille.
Nymphes de l'Hypocrene , à mon hautbois
champêtre
Prêtez en ce grand jour vos accords immortels :
Couronnez-moi des fleurs que votre onde fait
croître ;
J'ofe offrir à Louis des voeux & des Autels.
Le fort comme les miens ( 1 ) ne m'ayant pas fait
naître ,
(1) Cette Demoifelle a cing freres au fervice ,
dont trois font Gardes du Corps du Roi
B vj
36 MERCURE DE FRANCE:
Pour le fuivre aux dangers qu'on lui vit affronter !
Mon zele en doit- il moin's éclater pour mon
Maître ?
Ne pouvant le fervir , j'oſerai le chanter.
Mufes , amours , plaifirs , au Temple de la Gloire
Accourez rendre hommage au plus aimé des Rois :
Chers Enfans du repos, vous régnez par ſes loix !
Non moins grand en ces lieux qu'aux champs de
la victoire ,
Quoi qu'ait fait fa valeur pour embellir l'hiftoire ,
Ses paisibles vertus valent bien fes exploits.
VERS
AMonfieur de Crébillon.
Oui , l'homme de génie eft un Dieu fur la terre;
Objet du culte des mortels ,
Il a , comme lui , des Autels :
Il tient , comme lui , le tonnerre.
Tu jouis de ce fort flatteur
Pour ta gloire & notre bonheur.
De la vertu perfécutée
Tu défends l'honneur & les droits
Tu nous en fais_ aimer les loix ,
Et tu fais qu'elle eft refpectée.
Sous tes traits le crime frémit :
Victime de fon artifice ,
DECEMBRE. 1756. 57
L'opprobre devient fon fupplice ;
Par l'horreur fon regne finit.
Tel eft le fruit de tes Ouvrages ,
Des Mufes glorieux Enfans ,
Dignes du goût de tous les âges ,
Dignes d'un éternel encens.
L'Abbé ARNOUX.
POEME EN PROSE ,
Sur mon départ des Ifes d'Hyères.
ISLES
SLES d'Hyères , Ifles aimables que la nature
a pris foin d'embellir ; jardins délicieux
où fe renouvelle à chaque inftant
tout ce qui eft urile & agréable à l'homme ;
beaux climats que la Mer environne & qui
recevez d'elle des vapeurs douces & bienfaifantes
; quel regret n'ai - je pas de vous
quitter ! A peine je me fuis promené fur
votre rive fortunée , qu'un fort cruel me
force àm'en féparer. Que des mortels plus
heureux habitent vos hameaux & vos rians
bocages ! Que dans ce paifible féjour , tantôr
couronnés de lierre & de pampre , tantôt
couchés mollement fur un lit de rofes ,.
ils ne s'éveillent qu'au fon des inftrumens !
C'eft pour eux , non pour moi , qu'on a
compofé les chanfons bachiques , je ne
40 MERCURE DE FRANCE.
beauté les Ifles Hefpérides. Envain .... !
mais que vois je ? Quels vaftes abyfmes entre
vous & moi ! Les voiles enflées m'ont
déja porté loin de votre agréable rive ; la
Mer femble fe joindre au Ciel & le Ciel
à la Mer ; mes pleurs forment un nuage
épais qui vous dérobe à mes regards timides
; vos plaines , vos côteaux , votre rivage
, tout a difparu .
Où êtes-vous , Ifles fi cheres à mon
fouvenir ? Placées au milieu des eaux ,
vous méritiez de leur commander en fouveraines
aujourd'hui , auroient elles entr'ouvert
leur gouffre profond , toutes prêtes
à vous engloutir ? Neptune furieux &
jaloux auroit- il , en forçant la Mer à franchir
fes bornes , augmenté fon empire ?
Encore une fois , où êtes- vous ? qu'êtesvous
devenues ? ... Hélas ! toujours favorifées
du Ciel , vous êtes la richeffe de
vos joyeux Habitans : toujours belles ,
toujours aimables , vous fubfiftez pour
leur bonheur & non pour le mien. Soyez
à jamais l'ornement précieux du plus floriffant
des Etats : ne craignez point les infaltes
d'Albion , cette ufurpatrice du vain
titre de Reine des Mers ; malgré le nombre
& la hardieffe de fes efforts , elle voit
tomber l'orgueil & la puiffance de Mahon.
Graces aux nobles travaux d'un vain
DECEMBRE . 1756. 41
queur redoutable , la plus petite ( 1 ) des
Baléares eft maintenant votre amie & foumife
à nos loix. Fronfac , digne fils d'un
fig.and Héros , & u Héros lui -même ,
vient annoncer à la France des fuccès fi
glorieux pour elle ; invitez- le à fe repoter
un moment dans vos bois facrés ; mêlez
quelques- uns de vos lauriers parmi ceux
dont la victoire a couronné fa tête , &
parmi les palmes immortelles dont il doit
couvrir le trône de notre augufte Monarque.
Que ne fuis-je témoin de la joie fincere
qui regne dans vos hameaux ! Un pareil
triomphe y attire mille jeux innocens &
des fêtes continuelles. Bientôt , au fon
d'une flûte champêtre , Tircis & Coridon
forment des danfes bizarres ; Daphnis l'emporte
fur eux par fes mouvemens réglés &
par fa démarche légere , & l'on admire
les graces naïves de Chloë fa fidelle amante
. D'autres Bergers animés d'un zele plus
noble & plus ardent , publient la clémence
& la juſtice de Louis , la gloire de ſon
( 1 ) On comptoit anciennement trois Illes
Baléares , que l'on nomme aujourd'hui Yvice ,
Majorque & Minorque : c'eft à caufe de cela qu'on
donnoit trois têtes à Gérion leur Roi : Hercule le
vainquit. Voyez une note de M. Dupré de S. Maur
fur un paffage de Milton , où il parle des Enfans
de Gerion ; Par. perdu , liv. 11.
42 MERCURE DE FRANCE.
nom & la force de fes armes ; tous enfin
pénétrés d'une reconnoiffance vive & d'une
vénération profonde , vantent fon
amour pour fon peuple , cette grande vertu
dont il fe plaît à nourrir fon coeur &
qui convient fi bien aux Rois .
Non , la France n'a point appris par les
voix de la Renommée les actions heroïques
de fes intrépides Guerriers ; & vous ,
Sturium , Phonicé , Phila ( 1 ) , vous retentiflez
déja d'un de leurs noms fameux ,
d'un nom fêté dans Paris , révéré dans Gencs
, & déformais fi formidable aux Citoyens
de Londres . Par un privilege rare
& Alatreur , vous recueillez le premier
fuit d'une des plus grandes conquêtes de
Richelieu . Jamais vous n'avez paru plus
brillantes qu'en ce jour où chacun fe livre
à des divertiffemens publics. Semblables à
trois foeurs toutes trois d'une égale beauté ,
vous étalez à l'envi plus d'agrémens & plus
de charmes. On court de l'une à l'autre
animer les fêtes par fa préfence , & l'oeil
(1) Les Ifles d'Hyères font appellées Stoechades
dans les Dictionnaires de Moreri & de Trévoux ;
mais je prouve dans une Diflertation fur un paffage
de Pline , que le nom de Stoe- hades ne convient
point à ces Illes , & que fous les noms de
Sturium , de Phænicé & de Phila , Pline a défigné
trois Ifles d'Hyères , & les trois plus confidérables ;
fçavoir , Porquerolles , Portecros , & l'Ifle du Levant
ou du Titan. Voyez Pline , liv. 3 ; liv. 3 , ch. s .
DECEMBRE. 1756. 43
fatisfait ne fe laffe point de vous admirer.
Moi feul je vous abandonne , quand on
vient de toutes parts dans vos habitations
cachées , augmenter fon bonheur &
célébrer le vôtre . Dans ces concerts &
parmi les chants d'alegreffe , que ne m'eſtil
permis d'élever ma voix & de faire éclater
mes tranfports ! Quel deftin barbare
m'enleve à ce que j'aime & me prive
de tous ces plaifirs ! Pourquoi les Dieux
fourds & cruels me refufent - ils l'entrée de
vos humbles retraites ! Qu'il me feroit
doux de voir les Amours volages badiner
fous les toits ruftiques de vos riantes métairies
Lieux charmans , falloit-il vous
quitter fi- tôt ! Malheureux de vous avoir
connus ! Puis - je efpérer de trouver une
terre qui puiffe vous être comparée ? C'en
eft donc fait ; je ne vous verrai plus.
Tandis que je me confume ainfi en regrets
inutiles , nous achevons notre courfe
: nous laiffons loin de nous S. Tropez , &
après avoir évité la rencontre des Lions (4 ) ,
nous arrivons à bon port aux Ifles de Lérins.
( 1 ) C'eſt le nom de deux rochers placés dans le
Golfe de S. Tropez , anciennement appellé le Golfe
des Lions. Voyez les Bollanduftes dans lesAz
Sand. April. tome 1 , p. 171 , note r , & le Dict.
de Trévoux , verbo Lion.
COCQUARD , petit -fils , Avocat au Parlement
de Dijon .
44 MERCURE DE FRANCE.
ESSAI SUR L'AM E.
CEt Agent qui me meut , qui penſe & vit en
moi ;
Qui , maître impérieux , m'affervit à ſa loi ;
Que je fens pénétrer tous les plis de mon être ,
Que l'ail ne voit jamais , que je cherche à connoltre
,
Qui dans un cercle étroit , quoiqu'il ſoit limité ,
De l'espace à l'inſtant franchit l'immenſité ;
Cet Agent qu'est-ce donc ? & quelle eſt ſa nature :
Du temps qui paffe & fuit fuivra-t'il la mefure ?
Où chef- d'oeuvre étonnant d'un Artiſte immortel ,
Comme lui fera- t'il immuable , éternel ?
C'est mon Ame ! fort bien : mais cette affertion
même
N'explique point encor le fecret du problême.
Mon Ame eft- elle un corps , ou bien eft- ce un
efprit ?
C'eſt le point important dont je veux être inſtruit.
Mais ... l'Ame eft ... oui , l'Ame eſt une flamme
fubtile ,
Un efprit tout de feu , vif , pénétrant , agile ,
Qui fans trait , fans rapport à ce limon groffier,
A ce mêlange brute où le célefte Ouvrier
Prit le germe fécond de la nature humaine ,
DECEMBRE. 1756. 45
Va de l'éternité fe lier à la chaîne ,
Lorsqu'à fon gré la mort , ce terrible fléau ,
Précipitant le corps dans la nuit du tombeau ,
Le détruit fans pitié , l'abforbe & le dévore .
Ainfi telle qu'un Sylphe , ou quelque météore ;
L'Ame ne fera point un de ces corps maffifs ,
Senfible à tous les yeux jufqu'aux moins attentifs ,
Mais ce que la matiere a de plus volatile ;
Car il est évident qu'une flamme ſubtile ,
Qu'un efprit tout de feu n'offre à l'entendement
Qu'une image à faifir matériellement .
Mais à quelque dégré que pût être portée
La volatilité de la matiere ignée ,
Qui feroit de mon Ame & la baſe & le fond ,
En feroit-elle moins matérielle au fond ?
Pourroit-elle en ce cas , vil amas de pouffiere ,
Pourroit-elle des temps dépaffer la barriere ?
Rien n'échappe ici - bas aux décrets du Deftin.
Tout change : tout s'altere , & tout périt enfin ,
Ah ! fi mon Ame étoit dans la catégorie ,
De tant d'êtres divers qui n'auront qu'une vie ,
A l'univers entier je donnerois la loi
Queje ne verrois rien de moins heureux que moi ;
Car fi de mon efprit je maintiens l'équilibre ,
Sans me faire illufion , je fens que je ſuis libre ,
Que je fuis en état de pouvoir mériter ;
C'eft aufli pour cela que foigneux d'éviter
Des amours & des jeux la troupe dangereufe ;
46 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis de la vertu la carriere épineuſe ,
Et que prenant fur moi , je commande au defir ;
t
En dépit du penchant qui me porte au plaifir.
Tant d'efforts n'iroient donc qu'à l'attente ſuivie
D'un bonheur mesuré fur le cours de ma vie ?
Eh ! mettant à profit l'inftant où nous vivons ,
Livrons- nous au plaifir , car demain nous mourrons....
Si la fageffe n'a que cette récompenfe ,
Le libertin n'eft pas auffi fou que l'on penſe ;
Et qui ne feroit pas aux ftériles vertus
Les reproches amers que leur faifoit Brutus !
De la faine raiſon le flambeau qui m'éclaire ,
M'encourage & m'inftruit d'un tout autre falaire,
Qui paffant mon attente , & durable en ſon cours,
Séra ma récompenſe à la fin de mes jours ,
Et le bienfait d'un Etre immortel & fuprême :
Je dois donc en ce cas me furvivre à moi-même ,
Et fous l'extérieur de mon humanité ,
Porter le germe heureux de l'immortalité.
En effet , lorfque Dieu fit l'homme à fon image,
Il exigea de lui des voeux & fon hommage ;
Qu'il célébrât fon nom , fa gloire & fes bienfaits....
Et ce jufte tribut doit durer à jamais ,
Autrement Dieu feroit , refpectant fon effence ;
Borné dans fon objet , comme dans fa puiflance;
Mais afin de lui rendre un tribut éternel ,
DECEMBRE. 1756. 47
Il faut qu'aſſurément l'homme ſoit immortel.
Ce n'eft point par le corps dont l'argile eft la
trame ,
Qu'on voit naître & mourir. Il faut donc que fon
ame ,
Etre que rien n'égale en fon activité ,
Ait l'empreinte & le fceau de l'immortalité ;
Et puifque Dieu voulut en être le modele ,
Qu'elle foit , comme lui , fimple , immatérielle,
DUCASSE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , il m'eft tombé depuis peu
entre les mains une Lettre du Préſident
Bouhier , adreffée à M. Soyrot , Contrôleur
Général des Finances à Châtillon-fur-
Seine . M. Bouhier , après avoir parlé d'affaires
particulieres ajoute : " Voici un
» Madrigal de votre ami la Monnoye , fait
depuis peu à l'occafion d'une Dame de
» la Borde , qu'il a vue autrefois ici jeune
» & belle , & qu'il a retrouvée encore fraî-
» che à Paris , quoiqu'âgée de foixante-
», trois ans , & c ... Je ne crois pas que ce
Madrigal de M. de la Monnoye ait été
imprimé dans le Recueil de fes Ouvrages :
tous les vers de cet excellent Poëte appare
ور
48 MERCURE
DE FRANCE .
tiennent au Public , je lui reftitue ceux-ci ,
& j'efpere qu'il ne me fçaura point mauvais
gré de la reftitution.
J'ai l'honneur d'être , & c .
DE VARENNE.
J
MADRIGAL
.
'Etois dans mon été , vous dans votre prin
temps ,
Philis , quand le hazard vous offrit à ma vue s
Vous me vîtes brûler des feux les plus ardens ,
Sans que votre ame en fût émue.
Le fort qui m'amene en ces lieux ,
Une feconde fois vous offrant à mes yeux ,
Le retour du péril m'étonne ,
Et mon coeur femble m'avertir ,
Que des appas de votre automne ,
A peine mon hyver pourra le garantir.
VERS
A Monfieur
*** .
ANonyme Rimeur , dont la veine facile ;
De Chanfons autrefois fourniffoit notre Ville (1 ),
(1) Châtillon -fur-Seine,
Του
DECEMBRE. 1756. 49.
Ton efprit délicat par l'amour cultivé ,
A célébrer l'Amour femble être réfervé :
Puifqu'à tes vers ce Dieu daigna ſourire ,
Chante encor fes plaifirs fur ton luth gracieux.
Mais je te preffe en vain : peut-être aimes- tu mieux.
Les éprouver que les décrire .
Eh bien , fi l'honneur de rimer
N'eft rien pour toi fans la douceur d'aimer
Entre les Mufes & les Graces
Tu peux partager ton loifir ;
Tu trouveras , en marchant fur leurs traces ;
La gloire d'un côté , de l'autre le plaifir .
Heureux qui fçait dans une double ivreffe ;
Aujourd'hui dans Paphos , demain fur l'Hélicon ,
Unir avec délicateffe
Les myrches de Vénus aux lauriers d'Apollon !
DE VARENNE.
LE PINSON ET LA FAUVETTE ,
FABLE.
Une aimable & jeune Fauvette Ne
Avoit un Pinfon pour Amant ,
Qui la chériffoit ardemme.t :
La Belle étoit un peu coquette ,
Et vertueufe cependant.
Chaque jour le Pinfon lui peignoit de fon ame
C
jo MERCURE DE FRANCE.
La tendre & vive émotion.
Mais le plaifir de parler de fa famme
Ne faifoit pas toujours fon occupation'; *
Sa délicate & prudente tendreffe ,
Formoit de la jeune Maîtreffe
L'efprit , la raifon & le coeur.
La Fauvette docile autant que féduifante ,
Bientôt par les leçons du tendre Précepteur ,
Parut encor bien plus charmante :
Tout en elle enchantoit ; c'étoit un vrai Bijou.
Mais plaignez du Pinfon la trifte deſtinée :
Ce Bijou fi joli , devint la même année
"
Le prix , hélas ! des tréfors d'un Hibou.
Voici le fens , qui n'eſt pas équivoque ,
De cette Fable du Pinfon :
On a rendu tout - charmant , tout-mignon ,
Un Oifeau qu'on cherit juſqu'à la paſſion ,
Un Chat furvient qui vous le croque.
Cette Fable eft de M. de Beuvri, Auteur
de la Romance ou Chanfon de ce mois,
DECEMBRE . 1756. SI
TOUT OU RIEN ,
Anecdote moderne.
Dans l'âge où il eft fi doux d'être veuve
, Lucile ne laiffoit pas de penſer à un
nouvel engagement . Deux rivaux fe dif
putoient fon choix . L'un modefte & fimple
, n'aimoit qu'elle ; l'autre artificieux
& vain , étoit furtout amoureux de luimême.
Le premier avoit la confiance de
Lucile ; le fecond avoit fon amour. Lucile
étoit injufte , allez - vous dire : point
du tout. Les gens fimples fe négligent ; il
leur femble que pour plaire , il fuffit d'aimer
de bonne foi & de perfuader que l'on
aime. Mais il eft peu de naturels qui
n'ayent befoin d'un peu de parure . Un
homme fans artifice , au milieu du monde
, eſt comme au ſpectacle une femme
fans rouge.
Erafte , avec fa franchiſe , avoit dit à
Lucile : Je vous aime , & dès lors il l'avoit
aimée comme il avoit refpiré : fon
amour étoit fa vie . Floricourt s'étoit fait
defirer par cette galanterie légere , qui a
l'air de ne prétendre à rien . Parmi les foins
qu'il rendoit à Lucile , il choififfoit non
Cij
52. MERCURE DE FRANCE.
les plus paffionnés , mais les plus féduifans.
Rien d'affecté , rien de férieux : on
le trouvoit d'autant plus aimable , qu'il
fembloit l'être fans intérêt.
On plaignoit Erafte : on ne connoiffoit
pas un plus honnête homme ; c'étoit dommage
qu'on ne pût l'aimer . On craignoit
Floricourt : c'étoit un homme dangereux ,
qui feroit peut-être le malheur d'une femme
, mais le moyen de s'en défendre. Cependant
on ne vouloit pas tromper Eraſte.
Il fallut lui tout avouer.
Je vous estime , Erafte , lui dit Lucile ,
& je fens que vous méritez mieux . Mais
le coeur a fes caprices ; le mien fe refufe à
ma raifon. J'entends , Madame : votre
raiſon vous parle pour moi , & votre
coeur pour un autre.... Je vous l'avoue , &
ce n'eſt pas fans regret je ferois blamable
fi j'étois libre ; mais le penchant ne fe comman
depas.. A la bonne heure, Madame : je
vous aimerai tout feul : j'en aurai bien
plus de gloire ... Et voilà précisément ce que
je ne veux point ..... Je ne le veux pas non
plus ; mais tout cela eft inutile. Et qu'allez-
vous devenir ? Ce qu'il plaira à l'amour
& à la nature. Vous me défolez , Erafte ,
avec cet abandon de vous-même . Il faut
bien que je m'abandonne quand je ne puis
me retenir. Que je fuis malheureuſe de
DECEMBRE . 1756. 53
de vous avoir connu ! En effet , je vous
confeille de vous plaindre : c'eft un furieux
malheur que d'être aimée ! Oui , c'en
eſt un d'avoir à fe reprocher celui d'un
homme qu'on eftime. Vous , Madame !
vous n'avez rien à vous reprocher . Un
honnête homme peut fe plaindre d'une Coquette
qui le joue ; ou plutôt elle eft indigne
de les plaintes & de fes regrets. Mais
vous, quels font vos torts ? Avez - vous employé
la féduction pour m'attirer , la
complaifance pour me retenir ? vous ai - je
confultée pour vous aimer ? Qui vous
oblige à me trouver aimable ? fuivez votre
penchant , je fuivrai le mien . N'ayez
pas peur que je vous tourmente ... Non ,
mais vous vous tourmenterez vous - même ;
car enfin vous allez me voir .... Quoi !
feriez - vous affez cruelle pour m'interdire
votre vue ? Je n'ai garde affurément , mais
je veux vous voir tranquille , & comme
mon meilleur ami . Ami , foit : le nom n'y
fait rien . Ce n'eft pas affez du nom , je veux
vous ramener en effet à ce fentiment fi
pur , fi tendre & fi folide , à cette amitié
que je fens pour vous . Hé ! Madame , je
ne vous empêche pas de m'aimer comme
vous voulez. De grace , permettez que
je vous aime comme je puis , & autant
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
que je puis. Je ne demande que la liberté
d'être malheureux à mon aife.
L'obftination d'Erafte affligeoit Lucile ;
mais après tout , elle avoit fait ce qu'elle
avoit dû tant pis pour lui s'il l'aimoit encore
. Elle fe livra donc fans trouble & fans
reproche à fon inclination pour Floricourt.
Tout ce que la galanterie la plus raffinée a
d'artifice & d'enchantement , fut mis en
ufage pour la captiver. Floricourt y parvint
fans peine. Il avoit fçu plaire , il
croyoit aimer ; il étoit heureux , s'il avoit
fçu erre. Mais l'amour- propre eft le fléau
de l'amour. C'étoit peu pour Floricourt
d'être aimé plus que toutes chofes ; il vouloit
être aimé uniquement , fans réſerve
& fans partage. Il eft vrai qu'il donnoit
l'exemple : il s'étoit détaché pour Lucile
d'une Prude qu'il avoit ruinée & d'une
Coquette qui le ruinoit ; il avoit rompu
avec cinq ou fix jeunes gens des plus vains
& des plus fots qu'on eût encore vus dans
le monde. Il ne foupoit guere que chez
Lucile , où l'on foupoit délicieufement , &
il avoit la bonté de penfer à elle au milieu
d'un cercle de femmes , dont aucune ne
l'égaloit ni en graces , ni en beauté. Des
procédés fi rares , fans parler d'un mérite
plus rare encore , exigeoient de Lucile le
dévouement le plus abfolu .
DECEMBRE. 1756. 55
Cependant comme il n'avoit pas affez
d'amour pour manquer d'adreffe , il n'eut
garde de faire fentir d'abord fes, prétentions.
Jamais homme avant la conquête
n'avoit été plus complaifant , plus docile ,
moins exigeant que Floricourt ; mais dès
qu'il fe vit maître du coeur , il en devint le
tyran. Difficile , impérieux , jaloux , il vouloit
occuper feul toutes les facultés de l'ame
de Lucile. Il ne pouvoit lui fouffrir une idée
qui n'étoit pas la fienne , encore moins
un fentiment qui ne venoit pas de lui . Un
goût décidé , une liaifon fuivie étoit fûre
de lui déplaire ; mais il falloit le deviner.
Il fe faifoit demander vingt fois le fujet
de fa rêverie ou de fon humeur , & ce
n'étoit que par complaifance qu'il avoueit
enfin que telle chofe lui avoit déplu , que
telle perfonne l'ennuyoit. Enfin dès qu'il
eût bien éprouvé que fes volontés, étoient
des loix , il les annonça fans détour : on s'y
foumit fans réfiftance. C'étoit peu d'exiger
de Lucile le facrifice des plaifirs qui fe
préfentoient naturellement , il les faifoit
naître le plus fouvent pour fe les voir immoler.
Il parloit avec éloge d'un fpectacle
ou d'une fête , il y invitoit Lucile ; on arrangeoit
la partie avec les femmes qu'il
avoit nommées , l'heure arrivoit , on étoit
paré , les chevaux étoient mis ; il chan-
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
geoit de deffein , & l'on étoit obligée de
prétexter un mal de tête . Il préfentoit à
Lucile une amie qu'il annonçoit comme
une femme adorable : on la trouvoit telle ,
on fe lioit . Huit jours après , il avouoit
qu'il s'étoit trompé ; elle étoit précieuſe ,
.mauffade ou étourdie , il falloit s'en détacher.
Lucile fut bientôt réduite à de légeres
connoiffances , qu'elle voyoit encore trop
fouvent . Elle ne s'appercevoit pas que fa
complaifance s'étoit changée en fervitude :
on croit fuivre fes volontés en fuivant les
volontés de ce qu'on aime. Il lui fembloit
que Floricourt ne faifoit que la prévenir.
Elle lui facrifioit tout fans fe douter qu'el
le lui fit des facrifices : mais l'amour - propre
de Floricourt n'en étoit pas raffafié.
La fociété de la ville , toute frivole &
paffagere qu'elle étoit , lui parut encore
trop intéreffante. Il fit l'éloge de la folitude
; il repéta cent fois qu'on ne s'aimoit
bien que dans les champs , loin de la diffipation
& du tumulte ; & qu'il ne feroit
heureux que dans une retraite inacceffible
aux importuns & aux jaloux . Lucile avoit
une campagne telle qu'il le defiroit. Elle
étor réfolue à s'y retirer avec lui ; mais le
pouvoit - elle avec décence ? Il lui fit entendre
qu'il fuffifoit de rompre le tête à
DECEMBRE. 1756. 57
tête par tel un ami tel qu'Erafte , & une amie
du caractere d'Artenice . Après tout , fi la
critique s'en mêloit , leur hymen prêt à ſe
conclure , alloit bientôt lui impofer filence.
On partit , Erafte fut du voyage , & ce
fut encore un raffinement de l'amour -propre
de Floricourt. Il fçavoir qu'Erafte étoit
fon rival , & fon rival malheureux : c'étoit
le témoin le plus flatteur qu'il pût avoir
de fon triomphe , auffi l'avoir il bien ménagé
. Ses attentions pour lui avoient un
air de compaffion & de fupé iorité dont
Erafte s'impatientoit quelquefois ; mais l'amitié
tendre & délicate de Lucile le dédom.
mageoit de ces humiliations , & la crainte
de lui déplaire les lui faifoir diffinuter.
Cependant fûr comme il l'étoit qu'ils alloient
à la campagne pour s'aimer en liberté,
comment put- il fe refoudre à les fuivie ?
C'est la réflexion que Lucile fit comme
nous : elle eûr voulu l'en empêcher ; mais
la partie étoit arrangée , il n'étoit plus temps
de la rompre. Du refte , Artenice étoit
jeune & belle. La folitude , l'occafion , la
liberté , l'exemple , la jaloufie & le dépit ,
pouvoient engager Erafte à tourner vers
elle des voeux que Lucile ne pouvoit plus
écouter. Lucile étoit affez modelte pour
penfer qu'on pouvoir lui être infidele &
affez juite pour le defier ; mais c'étoit
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
peu connoître le coeur & le caractero
d'Erafte.
Artenice étoit une de ces femmes que
tout amuſe & que rien n'attache , qui
s'offenfent d'un long refpect , qui s'ennuient
d'un amour conftant , & qui comptent
affez fur la probité des hommes pour
s'y livrer fans réſerve & les quitter fans
ménagement. On lui avoit dit : Nous allons
paffer quelque temps à la campagne, Eraſte
y vient , voulez - vous en être ? Elle avoit
répondu avec un fourire : Volontiers , cela
fera plaifant , & la partie s'étoit liée. Ce
fut pour Erafte un tourment de plus . Artenice
avoir entendu faire à Lucile l'éloge
de fon ami , comme de l'homme du monde
le plus fage , le plus honnête & le plus réfervé.
Cela eft charmant , difoit Artenice
en elle- même ; voilà un homme que l'on
peut prendre & renvoyer fans précaution
& fans éclat. Heureux ou malheureux ,
cela ne dit mot : on n'eft à fon aife qu'avec
ces gens- là. Un Erafte eft une trouvaille.
On juge bien d'après ces réflexions qu'Erafte
fut agacé.
Floricourt étoit auprès de Lucile d'ane
affiduité défolante pour un rival malheureux
. Lucile avoit beau fe contraindre ,
fes regards , fa voix , fon filence même la
trahiffoit. Erafte étoit au fupplice ; mais il
DECEMBRE. 1756. ·39
renfermoit fa douleur. Artenice en femme
habile , s'éloignoit à propos & engageoit
Erafte à la fuivre. Qu'ils font heureux ,
lui dit-elle un jour en fe promenant avec
lui ! Tout occupé l'un de l'autre , ils fe
fuffifent mutuellement , ils ne vivent que
pour eux-mêmes. C'eft un grand bien que
d'aimer , qu'en dites - vous ? Oui , Madame
, répondit Erafte les yeux baiffés ;
c'eft un grand bien quand on eft deux.
Mais vraiment l'on eft toujours deux ; je
ne vois pas que l'on foit feul au monde.
Je veux dire , Madame , deux coeurs également
fenfibles , faits pour s'aimer égale
ment. Egalement, cela eft bien rigoureux :
pour moi , il me femble que l'on doit être
moins difficile , & fe contenter de l'a peu
près. Hé quoi ! j'ai plus de fenfibilité dans
le caractere que celui qui s'attache à moi
faut-il que je l'en puniſſe ? Chacun donne ce
qu'il a , & l'on n'a rien à reprocher à celui
qui met dans la fociété la dofe de fentiment
qu'il a reçue de la nature. J'admire comme
les coeurs les plus froids font toujours les
plus délicats. Vous , par exemple , vous
feriez homme à prétendre que l'on fe paffionnât
pour vous. Moi , Madame ! je ne
prétends à rien. Vous avez tort , ce n'eft
pas là ce que je veux dire. Vous avez
dequoi féduire une femme affurément :
Cvj
•
60 MERCURE DE FRANCE.
je ne ferois même pas étonnée qu'on fe
prit pour vous de belle pallion . Cela
peut être , Madame : en fait de folie
je ne doute de rien ; mais fi on faifoit
celle de m'aimer , on feroit , je crois ,
fort à plaindre. Eft ce un avis , Monfieur
, que vous avez la bonté de me don
ner ? A vous , Madame ! je me flatte que
vous ne me croyez ni affez fot , ni affez
fat pour vous donner de tels avis . Fort
bien , vous parlez en général , & vous
m'exceptez par politeffe . L'exception même
eft inutile , Madame ; vous n'êtes pour
rien dans tout ceci . Mais pardonnez -moi ,
Monfieur ; c'est moi qui vous dis que
vous avez de quoi plaire , qu'on peut trèsbien
vous aimer à la folie , & c'est à moi
que vous répondez qu'on feroit fort à
plaindre i l'on vous aimoit. Rien n'eft
plus perfonnel , ce me femble. Hé bien !
vous voilà embarratfé. J'avoue que la plaifanterie
m'en.bartaffe . Je ne fçais point y
répondre , & il n'est pas généreux de m'attaquer
avec des armes que je n'ai point.
Et fi je parlois férien fement , Erafte ; fi rien
au monde n'étoit plus facere ? Je quinte
la partie , Madame : la fitnation où je me
trouve ne me permet pas de vous amuſer
plus long- temps . Ah ! na foi , il en tient
tout de bon, dit- elle en le fuivant des yeux.
DECEMBRE. 1756. 61
Le ton léger , l'air riant que j'ai pris l'ont
piqué ; c'est un homme à fentiment . I. faut
lui parler fon langage. A demain , dans
ce bolquet : encore un tour de promenade ,
& ma victoire eft dé , idée.
La promenade d'Erafte avec Artenice
avoit patu longue à Lucile. Erafte en revint
tout rêveur , & Artenice triomphante . Hé
bin ? dit tout bas Lucile à fon amie , que
penfez vous d'Erafte ? Mais j'en fuis aflez
contente , il ne m'a point ennuyé , & c'eft
beaucoup ; il a des chofes excellentes , &
l'on peut en faire un homme aimable,
Je lui trouve feulement le ton un peu
romanefque. Il veut du fentiment ! Défaut
d'ufage , prégugé de Province dont il eſt
facile de le corriger. Il veut , du fentiment ,
. dit Lucile en elle- même ! ils en font aux
conditions! C'eft aller loin dans une entrevue.
Il me femble qu'Erafte prend fon
partie de bonne grace. Eft ce à moi de
l'en blâmer ? Non ; mais il a eu tort de
vouloir me perfuader qu'il étoit fi fort
à plaindre. Il auroit pu épargner à ma délicateffe
les reproches douloureux qu'il
fçavoit bien que je me faifois. C'eft la
manie des Amans d'exagérer toujours
leurs peines ; enfin le voilà confolé , & me
voilà bien foulagée .
Lucile , dans cette idée , fe contraignit
61 MERCURE DE FRANCE.
un peu moins avec Floricourt , & Eraſte
par conféquent fut plus trifte que de coutume.
Lucile & Artenice attribuerent fa
triftelfe à la même caufe. Une paffion
naiffante produit toujours cet effet- là . Le
lendemain , Artenice ne manqua point
de ménager un tête à tête à Lucile & à
Floricourt , en amenant avec elle Erafte.
Vous êtes fâché , lui dit-elle , je veux
me réconcilier avec vous . Je vois , Erafte ,
que vous n'êtes pas un de ces hommes
avec qui l'amour doit fe traiter en plaiſanterie
vous regardez un engagement comme
la chofe du monde la plus férieuſe ; je
vous en eftime davantage. Moi , point du
tout Madame ; je fuis très - perfuadé
qu'un amour férieux eft la plus haute extravagance
, & qu'il n'eft un plaifir qu'autant
qu'il eft un jeu. Accordez- vous donc
avec vous-même. Hier au foir vous vouliez
une égale fenfibilité , une inclination
mutuelle. Je voulois la chofe impoffible ,
ou du moins la chofe du monde la plus
rare , & je tiens qu'à moins de cet accord fi
difficile, & auquel il faut renoncer , le plus
fage & le plus für parti eft de faire un jeu de
l'amour, fans y attacher un prix & une importance
chimériques. Ma foi , mon cher
Erafte, vous parlez d'or.En effet, pourquoi fe
tourmenter vainement à s'aimer plus qu'on
,
南
C
N
DECEMBRE. 1756. 63
ne peut ? On fe convient , on s'arrange :
on s'ennuie & l'on fe quitte. Hé bien ?
l'on a eu du plaifir , c'eft un temps bien
employé , & plût au Ciel pouvoir ainfi
s'amufer toute la vie ! Voilà , difoit Erafte
en lui - même , une humeur bien accommodante
! Je vois , pourfuivit - elle , ce
qu'on appelle des paffions férieufes : rien
de plus trifte , rien de plus fombre. L'inquiétude
, la jaloufie affiégent deux malheureux
.Ils prétendent fe fuffire,& il s'ennuient
à la mort. Ah ! Madame , que dites - vous ?
rien ne leur manque s'il s'aiment bien . Cette
union eft le charme de la vie , les délices
de l'ame , la plénitude du bonheur . Ma
foi , Monfieur , vous êtes fou avec vos
difparates éternelles. Que voulez - vous
donc , je vous prie ? Ce qui ne fe trouve
point , Madame , & ce qu'on ne verra
peut-être jamais. Voilà une belle expectative
, & en attendant , votre coeur fera défoeuvré.
Hélas ! plût au Ciel qu'il pût l'être !
Il ne l'est donc pas Erafte ? Non , fans
doute , Madame , & vous plaindriez fon
état fi vous pouviez le concevoir . Je le
conçois, Erafte ; je fais plus , je le partage .
Non , vous ne le concevez pas. A ces mots,
il s'éloigna en levant les yeux au Ciel avec
un profond foupir . Voilà donc , dit Artenice
, ce qu'on appelle un homme fage &
64 MERCURE DE FRANCE.
·
réſerve ! Il l'eit i fort qu'il en eft bête;
Heureufement , je ne me fuis point compromife.
Peur être aurois - je dù lui
parler plus clairement : il faut aider les
gens timides. Mais il s'en va fur une exclamation
, fans donner le temps de lui
demander ce qui l'afflige. Nous verrons ,
il s'expliquera peur être.
Floricourt voulut pendant le fouper
s'amufer aux dépens d'Erafte. Hé bien ?
dit-il à Artenice , où en êtes vous ? on n'a
rien le caché pour les amis , & nous vous en
donnons l'exemple. Bon , dit Artenice avec
dépit , fç vons - nous profiter des exemples
qu'on nous donne ? fçavons - nous
même ce que nous voulons ? Si on parle
d'un amour férieux , Monfieur le traite
de badinage ; fi l'on fe prête au badinage ,
Monfieur revient au férieux. Il vous est
facile , Madame , dit Erafte , de me donner
un ridicule. Hé ! Monfieur , ce n'est pas
mon delfein ; mais nous fommes avec nos
amis , expliquons nous fans aucun myftere.
Nous n'avons pas le temps de nous obferver
& de nous deviner l'un l'autre . Je vous
plais , vous me l'avez fait entendre : Je ne
vous diffimule point que vous me convenez
affez. Nous ne fommes pas ici pour être
fpectateurs inuriles ; l'honnêteté même exige
que nous foyons occupés : finiffons &
DECEMBRE. 1756 . 65
entendons- nous. Comment voulez - vous
m'aimer ? comment voulez - vous que je
vous aime ? Moi ! Madame , s'écria Erafte ;
je ne veux point que vous m'aimiez. Quoi !
= Monfieur , vous m'avez donc trompée ?
- Point du tout , Madame ; j'attefte le Ciel
que je ne vous ai pas dit un mot qui reffemble
à de l'amour. Oh ! pour le coup ,
dit- elle en fe levant de table , voilà une
effronterie qui me paffe . Floricourt voulut
la retenir . Non , Monfieur , je ne puis
foutenir la vue d'un homme qui ofe nier
les triftes & fades déclarations dont il m'a
excédée , & que j'ai eu la bonté de fouffrir,
prévenue par les éloges qu'on m'avoit faits
de ce mauffade perfonnage.
Artenice eft partie furieufe , dit Lucile
à Erafte en le revoyant le lendemain :
Que s'eft il donc paffé entre vous ? Des
propos en l'air , Madame , dont le réſultat
de ma part a été , que rien n'étoit plus à
craindre qu'un amour férieux , que rien
n'étoit plus méprifable qu'un amour frivole.
Artenice m'a vu foupirer ; elle a pris
mes foupirs pour elle . Je l'ai détrompée, &
voilà tout. Vous l'avez détrompée, mais un
peu trop brufquement.Quoi ! Madame , elle
ofe vous dire que nous en fommes au point
de nous aimer , & vous voulez que je me
modere ? Qu'auriez- vous penfé de mon
66 MERCURE DE FRANCE.
aveu ou de mon filence ? Que vous étiez
raifonnable , & que vous preniez le bon
parti. Artenice eft encore jeune & belle ,
& votre liaiſon n'eût-elle été qu'un amu
fement .... Je ne fuis point d'humeur de
m'amufer , Madame , & je vous prie de
m'épargner des confeils dont je ne profiterai
jamais. Cependant vous voilà feul
avec nous , & vous fentez vous- même que
vous jouerez ici un bien étonnant perfonnage
. Je jouerai , Madame , le perfonnage
d'un ami : rien n'eft plus honnête , ce me
femble. Mais Erafte , comment pouvezvous
y tenir ? C'eſt mon affaire , Madame ,
ne vous inquiétez pas de moi. Il faut bien
que je m'en inquiete ; car enfin je connois
votre fituation , elle eft affreufe . Cela
peut être ; mais il ne dépend ni de vous
ni de moi de la rendre meilleure : croyezmoi
, n'en parlons plus. N'en parlons plus ,
c'eft bientôt dit ; mais vous fouffrez , &
j'en fuis la caufe. Hé ! non , Madame ;
non , je vous l'ai dit cent fois ; vous n'avez
rien à vous reprocher : au nom de Dieu
foyez tranquille . Je le ferois fi vous pou
viez l'être. Hé bien , je le ferai quelque
jour. Il faut l'être dès à préfent. Dès- àpréfent
, foit ; nous voilà bons amis , &
rien de plus. Non , Erafte , vous m'aimez
toujours , & je vous rends malheureux.
DECEMBRE . 1756 . 67
Ho ! pour le coup , vous êtes cruelle.
Quand vous vous obftinerez à fçavoir ce
qui fe paffe dans mon ame , je n'en aurai
pas une peine de moins , & vous en aurez
un chagrin de plus : de grace oubliez que
je vous aime. Hé comment l'oublier ? je
le vois à chaque inftant. Vous voulez.donc
que je m'éloigne ? Mais notre fituation
l'exige. Fort bien : chaffez moi , cela fera
# plutôt fait. Moi , vous chaffer , vous mon
ami ! c'eft pour vous que je fuis en peine .
Oh bien ! pour moi , je vous déclare que
je ne puis vivre fans vous . Vous le croyez ;
mais l'abfence ?.. L'abfence ! le beau reiede
pour un amour comme le mien ! N'en
doutez pas, mon cher Erafte ; il eft des
femmes plus aimables & moins injuftes
que moi. J'en fuis fort aife ; mais je n'en
veux pas. Tenez , ce mon cher Eraft:, que
vous venez de prononcer , me touche plus
que tout ce qu'elles pourroient me dire .
Vous en trouverez qui vous diront la
même chofe , & bien plus tendrement que
moi. Cela m'eft égal : je ne veux l'entendre
que de vous. Il vous le femble dans
ce moment . Je fuis en ce moment ce que
je ferai toute ma vie : je me connois , je
connois les femmes . N'ayez pas peur qu'au
cune d'elles me rende heureux ni malheureux.
Je les préviens , & je les refufe tou68
MERCURE DE FRANCE.
tes. Je veux croire que vous ne vous attacherez
pas d'abord ; mais vous vous diffiperez.
Et avec quoi ? Rien ne m'amuſe : ici
du moins je n'ai pas le temps de m'ennuyer.
Je vous vois ou je vais vous voir ,
vous me pariez avec bonté , je fuis für
que vous ne m'oubliez pas ; & fi j'étois
loin de vous , j'ai une imagination qui
feroit mon fapplice. Et que pourront - elle
vous peindre de plus cruel que ce que
vous voyez ? Je ne vois rien , Aladame ;
je ne veux rien voir : épargnez moi vos
confidences. J'admire en vérité votre modération
: j'ai un grand mérire à ê're moderé
; & que voulez vous ? que je vous
batte ? Non , mais on fe plaint. Et de
quoi ? Je ne fças ; mais je ne puis concilier
tant d'amour & tant de raifon Ma
foi, Madame, chacun aime à fa maniere ; la
mienne n'eft pas d'extravaguer . S'il falloit
des injures pour vous plaire , j'en dirois
tout comme un autre mais je doute que
cel réufsît . Je n'y perds rien , Erafte ; & dans
le fond du coeur... Non , je vous jure que
mon coeur vous refpecte autant que ma
bouche. Je ne me fuis pas fotpris un moment
de colere contre vous. Cependant
Vous vous confumez , je le vois bien. La
mélancolie vous gagne . Je ne fuis pas gai :
Vous mangez à peine. On vit à moins. Je
DECEMBRE . 1756 . 69
fuis fûre que vous ne dormez point . Pardonnez-
moi , je dors un peu , & c'est là
mon meilleur temps ; car je vous vois dans
le fommeil telle à peu près que je vous fouhaite.
Erafte ?... Lucile ?... Vous m'offenfez?
Oh ! parbleu , Madame , c'en eft trop que
de vouloir m'ôter mes fonges. Dans la
réalité vous êtes telle que bon vous femble,
permettez du moins qu'en idée vous foyez
telle qu'il me plaît. Ne vous fâchez point.
& parlons raifon. Ces mêmes fonges , que
je ne dois point ffççaavvooiirr , entretiennent
votre paffion. Tant mieux , Madame , tant
mieux , je ferois bien fâché d'en guérir .
Et pourquoi vous obftiner à m'aimer fans
efpérance Sans efpérance ! je n'en fuis
pas là fi vos fentimens étoient juftes , ils
feroient durables . Mais.... Ne vous fattez
point , Erafte ; j'aime , & c'eft pour toute
ma vie. Je ne me flatte point , Lucile ; c'eft
vous qui vous calomniez . Votre amour
eft un accès qui n'aura que fon période.
Il n'est pas honnête de médire de fon rival :
je me tais ; mais je m'en rapporte à la
bonté de votre efprit , à la délicateffe de
votre coeur. Ils font aveugles l'un & l'autre.
C'eft avouer qu'ils ne le font pas il faut
avoir vu ou entrevoir encore pour reconnoître
qu'on voit mal . Hé bien ! je l'avoue ,
il me fouvient d'avoir trouvé des défauts
:
70 MERCURE DE FRANCE.
à Floricourt ; mais je ne lui en connois
plus. La connoiffance vous reviendra ,
Madame , & je m'en repofe fur lui . Et fi
j'époufe Floricourt , comme en effet tout
s'y difpofe. En ce cas je n'aurai plus rien
à efpérer ni à craindre , & mon parti eft
déja pris . Et quel eft-il ? De ceffer de vous
aimer. C'eft-à-dire de ceffer de vivre ?
Cruel ami , pouvez - vous me l'annoncer ?
Lucile s'attendriffoit à cette idée , quand
Floricourt vint les trouver. Erafte les laiffa
bientôt feuls fuivant fon ufage. Notre
ami , ma chere Lucile , dit Floricourt , eft
un mortel fort ennuyeux , qu'en dites- vous!
C'eſt un honnête homme, répondit Lucile ,
dont je refpecte les vertus. Ma foi , avec
fes vertus , il feroit bien d'aller rêver ailleurs
; il faut de la gaieté , de la fociété à
la campagne . Peut -être a t'il quelque fujet
d'être trifte & folitaire. Je le crois , & je
le devine. Vous rougiffez ! Lucile , je ſerai
diſcret , & votre embarras m'impoſe filence.
Et quel feroit mon embarras , Monfieur
? vous croyez qu'Erafte m'aime , &
vous avez raifon de le croire. Je le plains ,
je le confeille , je lui parle comme fon
amie ; il n'y a pas là de quoi rougir. Un tel
aveu , belle Lucile , vous rend encore plus
eftimable mais convenez qu'il vient un
tard. Je n'ai pas cru , Monfieur , devoir peu
DECEMBRE . 1756. 71
vous dire un fecret qui n'étoit pas le
mien , & je vous l'aurois caché toute ma
vie , fi vous ne l'aviez pas furpris. Il y a
dans ces fortes de confidences une oftentation
& une cruauté qui ne font point
dans mon caractere. Il faut fçavoir refpecrer
du moins les malheureux qu'on a faits.
Voilà de l'héroïfme , s'écria Floricourt du
ton du dépit & de l'ironie ! Et cet ami
que vous traitez fi bien , fçait- il à quel
point nous en fommes ? Oui , Monfieur
je lui ai tout dit. Et il a la bonté de demeurer
encore ici ! Je le difpofois à s'en
aller. Ah ! je n'ai plus rien à dire : j'aurois
été furpris fi votre délicateffe n'avoit pas
prévenu la mienne. Vous avez fenti l'indécence
de fouffrir auprès de vous un
homme qui vous aime , au moment où
vous allez vous déclarer pour fon rival : il
y auroit même de l'inhumanité à le rendre
témoin du facrifice que vous m'en faites.
Et à quant fon départ ? Je ne fçais ; je n'ai
pas eu le courage de le lui preferire , &
il n'a pas la force de s'y déterminer.
Vous plainfantez , Lucile : & qui lui
pofera donc de nous délivrer de fa pré
fence? il ne feroit pas honnête
moi. Ce fera moi ,
Monfieur , n'en ayez
que ce fût
point d'inquiétude. Et quelle inquiétude ,
Madame me feriez - vous l'honneur de
pra
72 MERCURE DE FRANCE.
me croire jaloux ? Je vous déclare que je
ne le fuis point : ma délicateffe n'a que
vous pour objet , & pour peu qu'il vous
en coûte... Il m'en coûtera , n'en doutez
point , d'ôter à un ami refpectable la feule
confolation qui lui refte ; mais je fçais me
faire violence. Violence , Madame ! cela
eft bien fort. Je ne veux point de violence
; ce feroit le moyen de me rendre
odieux , & je vais preffer moi-même cet
ami refpectable de ne pas vous abandonner.
Pourfuivez , Monfieur ; la plaifanterie
eft fort a fa place , & je mérite en effet
que vous me parlież fur ce ton . Je fuis au
défefpoir de vous avoir déplu , Madame ,
lui dit Floricourt en voyant les yeux mouil .
lés de larmes . Pardonnez moi mon impru
dence : je ne fçavois pas tout l'utérêt que
vous preniez à mon rival. A ces mots , il
la laiffa pénétrée de douleur..
Erafte de retour la trouva dans cette fituation
: Qu'eft ce donc , Madame ? lui dit il
en l'abordant, les pleurs inondent votre vifage
? Vous voyez , Monfieur , la plus malheureuſe
de toutes les femmes : je fens que
ma foibleffe me perd , & je ne puis m'en
guérir. Un homme à qui j'ai tour facrifié ,
doute encore de mes fentimens . Il me méprife,
il me foupçonné. J'entends , Madame,
il eft jaloux ; il faut le tranquillifer.Il y va de
1
votre
DECEMBRE . 1756. 73
votre repos , & il n'eft rien que je ne facrifie
à un intérêt qui m'eft fi cher. Adieu ;
puiffiez - vous être heureufe ! j'en ferai
moins malheureux. Les larmes de Lucile
redoublerent à ces mots. Je vous ai exhorté
à me fuir , lui dit- elle ; je vous y exhortois
en amie & pour vous-même. L'effort que
je faifois fur mon ame n'avoit rien d'humiliant
; mais vous éloigner pour complaire
à un homme injufte , pour lui ôter
un foupçon que je n'aurois jamais dû
craindre ; être obligée de juftifier l'amour
par le facrifice de l'amitié , c'eft une chofe
honteufe & accablante . Jamais rien ne m'a
tant coûré.. Il le faut , Madame , fi vous
aimez Floricourt.. Oui , mon cher Erafte ,
plaignez-moi : je l'aime , & j'ai beau me
le reprocher. Erafte n'en entendit pas davantage
: il partit .
Floricourt mit tout en ufage pour appaifer
Lucile ; il étoit d'une douceur , d'une
complaifance fans égale , quand on avoit
fait fa volonté. Erafte fut prefqu'oublié ;
& que n'oublie- t'on pas pour ce qu'on
aime , quand on a le bonheur de fe croire
aimé ! Un feul amuſement , hélas ! bien innocent
reftoit encore à Lucile dans leur
folitude . Elle avoit élevé un ferin , qui
par un inftinct merveilleux répondoit à fes
careffes. Il connoiffoit fa voix , il voloit
D
74 MERCURE DE FRANCE.
au devant d'elle ; il ne chantoit qu'en la
voyant , il ne mangeoit que fur fa main ,
il ne bavoit que de fa bouche ; elle lui
donnoit la liberté , il n'en jouitfoit qu'un
moment ; & fi-tôt qu'elle l'appelloit , il
fendoit l'air avec vîteffe. Dès qu'il étoit
fur fon fein , le fentiment fembloit agirer
fes aîles & précipiter les battemens de fon
gofier mélodieux. Croiroit - on que l'orgueilleux
loricourt fut offenfé de l'attention
que donnoit Lucile à la ſenſibilité &
au badinage de ce petit animal ? Je veux
fçavoir , dit il en lui même , fi l'amour
qu'elle a pour moi eft au deffus de ces foibleffes
I feroit plaifant qu'elle fût plus
attachée à fon ferin qu'à fon Amant. Cela
eft poffible ; j'en ferai l'épreuve , & pas
plus tard que ce foir. Où eft donc le petit
oifeau , lui dit- il en l'abordant avec un
fourire ? Il jouit du ciel & de la liberté , il
voltige dans ces jardins.. Et ne craignezyous
pas qu'à la fin il ne s'y accoutume ,
& qu'il ne revienne plus ? . Je le lui pardonnerai
, s'il fe trouve plus heureux .. Ah !
de grace , voyons s'il vous eft fidele . Voulez-
vous bien le rappeller ? Lucile fit le
fignal accoutumé , & l'oifeau vola ſur ſa
main. Il eſt charmant , dit Floricourt ; mais
il vous eft trop cher , j'en fuis jaloux , &
je veux tout on rien de la perfonne que
C
(
DECEMBRE . 1756. 75
j'aime. A ces mots , il voulut prendre l'oifeau
chéri pour l'étouffer ; elle jetta un cri ,
le ferin s'envola. Lucile épouvantée , pâlit
& perdit connoiffance. On accourut , on
la rappella à la vie . Dès qu'elle ouvrit les
yeux , elle vit à fes pieds , non l'homme
qu'elle aimoit le plus , mais de tous les
mortels le plus odieux pour elle . Allez ,
Monfieur , lui dit elle avec horreur : ce
dernier trait vient de m'éclairer fur votre
affreux caractere ; j'y vois autant de baffelfe
que de cruauté. Sortez de chez moi
pour n'y rentrer jamais... Vous êtes trop
heureux que je me refpecte encore plus
que je ne vous méprife : vous recevriez
de mes valets le congé que vous méritez.
O mon cher & digne Erafte ! à qui vous
aurois-je facrifié ? Floricourt fortit , frémiffant
de honte & de rage : l'oifeau revint
careffer fa belle Maîtreffe ; & il n'eft
pas befoin de dire qu'Erafte fe vit rappellé.
REMERCIEMENT
A l'Académie des Arcades de Rome , par
M. Tanevot.
Sentiment
Entiment précieux , inépuifable ardeur ,
Vive reconnoiffance , hommage, encens du coeur
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
Près les fçavans Bergers , ( 1 ) honneur de la houlette
,
Au défaut des talens fervez-moi d'interpretes
Mais qu'exprimerez -vous dans vos plus vifs traníports
,
Qui puiffe remplacer les fublimes accords ,
Les fons harmonieux , la douce mélodie
Dont retentit toujours la divine Arcadie ?
Ses mules toutefois out daigné m'adopter ;
Comblé de leurs faveurs dois-je me méconnoître
Peu digne de leur choix , il faut le reſpecter.
Souvent on eft heureux fans mériter de l'être....
Où fuis-je ! quels objets s'offrent à mes regards ?
Eft-ce ici le féjour de Flore & de Zéphyre ?
De ces bofquets ( 2 ) facrés franchiffons les remparts
;
Je ne puis réfifter au charme qui m'attire .
Ma timidité fait à l'afpect de ces lieux .
Craint-on , lorsque l'on eft infpiré par les Dieux ?
Apollon dans leurs mains a dépofé ſa lyre.
Pénétrés de fes feux , faifis d'un beau délire ,
Au milieu des parfums , fous un ombrage frais ,
(1) L'Arcadie Romaine qui renferme à préfent
tous les Gens de Lettres d'Italie , & quelques
Etrangers , pour éviter tous égards de rang & de
prééminence , s'eft , pour ainsi dire , masquée
fous le titre de Pafteurs de l'ancienne Arcadie , &
fes Affociés s'appellent ainsi .
(2 ) Les Arcades ont coutume de s'affembler dans
quelques Bois ou Prairies.
DECEMBRE . 1756. 77
形
Ils célebrent les arts & fondent leurs progrès .
Palès a fur leur front pofé fon diadême ,
Des moeurs du premier âge ingénieux emblême.
Minerve fur un trône environné de fleurs ,
Leur dicta des Décrets avoués des neuf Soeurs.
Secondez à jamais le zele qui m'enflamme ,
Pure inftitution , gravez -vous dans mon ame ;
La fageffe par vous fait entendre la voix ,
L'égal té modeſte ( 1 ) eft le fruit de vos loix ,
Le germe des talens & la route du Pinde ,
Bien plus cher à mes yeux , que les trésors de
l'Inde.
Vos rapides fuccès furpaffant votre eſpoir ,
Vous volates partout fur l'aile du (çavoir.
Dans l'Aufonie à peine éclata votre aurore ,
Que mille aftres ( 2 ) brillans s'emprefferent d'éclore
,
Et que des cieux nouveaux , pour en être éclairés ,
Etendirent fur eux leurs voiles azurés .
Je te falue , & terre , à qui leur influence
A des dons de l'efprit prodigué l'abondance !
(1 ) Le Gouvernement de cette Académie eft démocratique.
(2 ) Cette Affemblée de Gens d'Eſprit , par le
concours des autres Académies d'Italie , & de per
fonnes de Lettres de tous états , qui s'emprefferent
d'y être admifes , parvint en moins de 20 ans au
nombre d'environ 1300 aſſociés.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Cette augufte Cité , fille de Romulus ,
La maîtrelle des Arts comme celle du monde ,
Eprouvant des grandeurs le flux & le reflux .
Vit changer fon éclat en une nuit profonde .
Augufte n'étoit plus. Virgile , Cicéron
Demeuroient dans l'oubli , comme Horace &
Varron.
Les fureurs d'Attila , fes exploits trop célebres ,
Répandirent encor de plus fombres ténebres .
Cette éclipfe dura jufques aux Médicis.
Sur un trône plus faint un grand Pontife ( 1 ) aſſis ,
Ainfi qu'eux , rappella les Mufes fugitives :
Le Tibre les revit habiter fur les rives.
Mais pour leur affurer un azyle éternel ,
Il falloit qu'un Lycée eût enfin reçu l'être.
L'Aufo ie enfanta le Parrhafe ( 2 ) immortel ,
- Et toute entiere alors Rome fe'vit renaître .
Quoique fouvent en butte aux plus triſtes revers ,
Rome , c'est ton deftin d'éclairer l'univers.
Entre Paris & toi mon ame fe partage ,
Les Mufes m'ont acquis un nouvel héritage .
Quel don plus précieux qu'il a pour moi d'appas
!
Dieux ! avec quelle ardeur j'y porterois mes pas ,
Si , contraire à mes voeux , le devoir qui m'enchaîne
,
(1 ) Léon X.
(2 ) C'est ainsi que les Arcades appellent le lieu
où ils tiennent leurs affemblées ; Il Bofco Parrhafio.
10.
0
0.
C
C
S
DECEMBRE. 1756. 79
Ne m'eût forgé des fers fur les bords de la Seine !'
Nymphe , fi jufqu'ici je t'engageai ma foi ,
Excufe des foupirs qui ne font pas pour toi .
Ha ! je voudrois du moins , entre les deux tropi
ques ,
M'envoler quelque temps aux plaines Italiques ,
Et que vous confacrant tour à tour mon deftin ,
Je puffe contempler le célebre Aventin ( 1 ) .
O Mont majeftueux ! théâtre de la gloire ,
Où le fage Agrippa , fon apologue en main ,
Réunit le Sénat & le Peuple Romain ,
Tu feras à jamais préfent à ma mémoire !
Ces lauriers dont jadis ton fommet fut couvert ,
Préfageoient l'heureux temps où le Dieu du Génie
,
Son augufte front ceint d'un rameau toujours
verd ,
Revoit y raffembler fa chere colonie.
Soit que l'aftre du jour, en parcourant les cieux ,
Excite les mortels aux foins laborieux ,
Soit que l'auftere nuit dans les bras du filence ,
Sur eux de les pavots exerce la puiffance ,
Toujours un zele ardent , d'inviolables voeux
Echaufferont mon coeur pour tes hôtes fameux ;
(1) L'Académie s'eft affemblée fuccceffivement
en divers Jardins ou Lieux champêtres ; mais le
Prince Cervefti a donné à cette illuftre Société un
endroit ftable , dans un lieu agréable du Mont
Aventin.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Et répandant fur moi l'éclat qui t'environne ,
Tu feras mon bonheur , ma joie & ma Couronne.
LEE
mot de la premiere Enigme du Mercure
de Novembre eft le Soufflet. Celui du
premier Logogryphe eft Incompréhenfibilité,
dans lequel on trouve Nil , plein , Chrétien
, Enée , Moliere , melon , mort , Scipion ,
Chine ; Perfe , Sion , pioche , inimitié , Chinon
, hermine , blé , chimere , pie , Hébće ,
Perfee , Hector , Iris , Minos , finople ,
lion , fole , pere , mere , mois , Roi , Moïſe ,
Milton , Mentor , Orphée. Celui de la feconde
Enigme eft Chemife , & celui du ſecond
Logogryphe eft Hydrocéphale , dans
lequel on trouve cedre , dyle , Roi , or, haie ,
chape , lyre , Céphale , hydre , pere , rade ,
Chypre & corde.
ENIGME
A Madame le B....
J'habite 'habite avec nombre de fours
Une maifon très - précieuſe
Aceux qui font fes poffeffeurs :
Ainfi qu'une Religieufe ,
Je n'en fors jamais qu'à ma mort;
DECEMBRE . 1756. SI
S'il eft dans ce Couvent un Frere ,
C'est l'effet malheureux du fort ,
Et tout franc , on ne l'aime guere ;
Il ne peut que nous faire tort.
Ce qui me flatte , c'eft qu'en France,
Où regna toujours l'inconftance
Plus que chez le fage Etranger ,
La mode n'ait pas pu changer
L'eftime rare & finguliere
Qu'en tous les temps on eut de moi.
Hélas ! je n'en fuis pas plus fiere :
Car il arrive d'ordinaire
Que je me plais moins chez un Roi ,
Que chez le Paysan robufte ,
Et que la Coquette m'ajuste ,
Pour me fixer bon gré , malgré ,
Tandis que chez la Payſanne ,
Qui ne m'en fçait preſqu'aucun gré ,
Je fuis , en dépit de Madame ,
Belle , faine . C'en eft affez :
Suis-je prife ? Non , relifez.
Par M. HOCH ... D'ET...
LOGO GRYPH E.
JAdis , affrontant les hazards ,
J'étois dans les combats au deffus des Céfars.
Mon afpect ébranloit le plus ferme courage ,
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
Et la mort devant moi voloit de toutes parts.
Mais bientôt laffe de carnage ,
J'abandonnai Mars pour l'Amour;
Mon fort moins éclatant me charma davantage ,
Et je devins l'ornement de fa cour.
Philis à fes appas me trouva néceſſaire :
A fes gouts différens il fallut me plier ;
Il me fallut fouffrir . En pareil cas , que faire ?
Il en coûte toujours , lecteur , à qui veut plaire ;
C'est un point qu'on ne peut nier.
Enfin j'ai plu . Philis un peu coquette ,
Ne trouve pas fans moi fa parure complette :
Je lui rends l'air plus libre , plus piquant ,
Et toujours elle m'accommode
Au gré de fon Amant.
Bref par ce trait , lecteur , juge de mon talent ,
J'ai mille ans tout au moins , & fuis encor de
mode.
Mais il faut t'ôter d'embarras :
Décompofe mon être, & tu me connoîtras ;
Divife , compaffe , mefure ,
J'offrirai d'abord à tes yeux
Ce qui fouvent embellit la nature ;
Le feul bien que de fes ayeux
Reçoit par fois un Gentilhomme ;
Ce qui du Souverain de Rome
Couvre le front majestueux.
N'en est - ce point affez ? cherche ; je t'offre
encore
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YORK
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Vous dont l'Ame a reçue l'at
:teinte, Des traits du Dieu le
plus charmant Ecoutez l'his :
-toire succinte Du sort malheu
reux d'un A mant
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MALVAUX.
Imprimé par Tournelle . Decembre 1756.
DECEMBRE. 1756 . $ 3
Ce qui charme en Philis , ce qui fait qu'on l'a
dore ,
Et mieux que tous les vains apprêts ,
Donne du luftre à fes attraits ;
Une Déeffe à nous perdre obftinée ;
Ce que cache avec foin coquette furannée ;
Une faifon , un élément
Senfible aux feux d'un tendre Amant ;
Ce que réserve Amour à l'infenfible Iole .
Mais c'en eft trop , fur ma parole.
Je me tais , tu dois me fçavoir:
Ami lecteur , jufqu'au revoir.
ROMANCE
.
Vous , dont l'ame a reçu l'atteinte
Des traits du Dieu le plus charmant ,
Ecoutez Phiftoire fuccinte
Du fort malheureux d'un Amant,
D'une Nymphe fenfible & belle ,
Le beau Ziton devint épris.
Il obtint des Dieux qu'avec elle
Il s'uniroit , mais à ce prix e
Le premier de ce couple aimable
Que l'Amour rendroit inconftant
Par un deſtin inévitable ,
Deviendroit aveugle à l'inftant .
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
Ziton crut ſa flamme éternelle ;
( Les Amans fe reffemblent tous )
Mais on eft près d'être infidele
Lorfque l'on eft près d'être époux.
Bientôt d'une ardeur imprévue
Ziton brûla pour fon malheur ;
L'infortuné perdit la vue ,
Mais fans fe plaindre de fon coeur.
Si toute tendreffe inconftante
Eprouvoit le fort de Ziton ,
Plus d'un époux , plus d'une Amante
Marcheroient , hélas ! à tâton .
Les paroles font de M. de Beuvry , & la
mufique eft de M. Malvaux.
Nous ne pouvons inférer l'Epître en
vers datée de Mahon que dans le
prochain
Mercure l'ayant reçu huit jours trop
tard.
>
C
&
DECEMBRE. 1756.
!
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAIS SSAIS HISTORIQUES , de M. de Saint-
Foix , troifieme partie . A Londres , & le
trouvent à Paris , chez Duchefne , rue S.
Jacques 1756.
Cette nouvelle Partie que nous avons
déja annoncée avant qu'elle parût ( 1 ) ,
mérite les plus grands éloges & le plus
brillant fuccès. Nous ne fçaurions trop répéter
que M. de Saint-Foix réunit tout ce
qui caractériſe un bon Hiftorien , l'exactitude
, les recherches , l'amour de la vérité ,
le courage de la dire avec force , & l'art
de l'expofer aux yeux fans bleffer les égards
que notre délicateſſe demande . Il joint à
l'autorité des Auteurs originaux qu'il cite ,
le choix des preuves pour la mettre dans
tout fon jour, autant qu'il eft poffible. Maist
un mérite qui lui eft particulier , & que
nous croyons devoir fervir de modele , eft
de faire connoître par les faits , les moeurs
& coutumes d'une Nation ou d'un Pays ,
(1 ) Dans le premier volume d'Octobre , à l'Article
des Sciences , Hiftoire , page 137.
86 MERCURE DE FRANCE.
d'en marquer chaque révolution , & d'en
fixer les différentes époques. Pour marcher
plus fûrement lui - même dans le fentier
du vrai , il porte le flambeau de la faine
critique fur les erreurs , & fur les fautes
que la négligence ou la partialité ont fair
commettre à nos Hiftoriens .
Ce troifieme volume contient les moeurs,
ufages & coutumes , fous la feconde & la
troifieme Race , jufqu'au regne de Louis
XI. Il comprend en même temps les guerres
entre la France & l'Angleterre . Ce dernier
morceau , qui tient plus de la moitié
du livre , eft un morceau précieux & fait
de main de maître , écrit avec cette élégante
précifion qui ne prend rien fur la
clarté , & cette chaleur continue qui augmente
l'intérêt. Il doit faire defirer avec
impatience la quatrieme partie que l'Auteur
promet , & faire craindre également
la fin de l'Ouvrage qu'il annonce , ou plutôt
il doit faire fouhaiter que M. de Saint-
Foix veuille bien nous donner une Hiftoire
de France complette , compofée dans
le même goût. Ce fera l'Ouvrage d'un
vrai Patriote , & le plus beau préfent qu'il
puiffe faire à la Nation.
Nous n'avons lu nulle part la bataille
de Créci décrite avec des détails fi précis
& fi vrais. Nous ne pouvons nous refufer
DECEMBRE . 1756. 87
le plaifir d'en citer un trait particulier qui
va terminer ce court extrait , & prouver
que l'Auteur réfléchit avec autant de vérité,
qu'il raconte. Les Hiftoriens Anglois difent
( 1 ) , que fi leur armée avoit eu du pire ,
tout auroit été perdu fans reſſource , parce
que Philippe avoit résolu de la faire paſſer
fars mifericorde au fil de l'épée . Barnes ( 2 ) ›
ajoutent- ils , profite judicieusement de cette
circonstance pour juſtifier la conduite d'Edouard
, qui fe tint à l'écart pendant toute
l'action. « Plaçons - nous dans ces temps - là :
» confidérons que les Rois s'envoyoient
» des cartels , qu'Edouard en avoit envoyé
à Philippe , & que fon propos or-
» dinaire étoit qu'il ne fouhaitoit rien tant
" que de le combattre feul à feul , on de le
» combattre dans la mêlée. Peut- être nous
» trouverons que Philippe chargeant à la
» tête de fes troupes , bleffé , & ayant eu
deux chevaux tués fous lui , avoir auffi
» bonne grace , même dans fon malheur ,
» que le Monarque Anglois fur le haut
» d'une colline , éloigné du danger , fe repofant
du fuccès de fes armes fur la fur-
» prife que nous cauferoit fon canon ( 3 ) ,
33
"
"
"3
(1 Rapin de Toiras , tome 3 , p . 489 .
(2 ) Un des Panégyriftes d'Edouard .
(3 ) Ces foudres dont les Anglois , dit Rapin de
Toiras , fe fervoient pour la premiere fois , &
8S, MERCURE DE FRANCE,
» & n'arrivant fur le champ de bataille
que pour recevoir les complimens fur la
» victoire.
TRAGÉDIES OPERA , de l'Abbé Metaftafio
, par M..... tomes 8 , 9 , 10 , 11 ° &
dernier. A Vienne , & fe trouve à Paris ,
chez Lambert , rue de la Comédie Françoiſe
1756.
Cette traduction nous a paru écrite
avec autant d'élégance que de préciſion .
M. R... eft fidele à l'original , fans être
fervile. En avertiffant dans fa Préface
qu'il ne s'en eft point écarté , il donne une
raifon très-fenfée de fa réſerve . J'ai , ditil
, été tenté de fupprimer des perfonnages
qui ont paru & paroîtront encore à bien
des François, déplacés , fubalternes & capables
de refroidir l'action , mais je n'ai ofe
le faire ce n'auroit plus été un Auteur
Etranger. Quand on copie le tableau d'un
grand Maître , il faut être de la derniere
exactitude : fe trouvât-il un défaut groffier
dans l'original , on doit le laiffer fubfifter
dans la copie ; autrement elle ne préfente
dont l'afage étoit inconnu en France , firent une
fi grande exécution parmi les troupes Françoiles ,
& leur infpirerent tant de frayeur , qu'on attribue
en partie le fuccès de cette journée à la furpriſe
qu'elles cauferent.
DECEMBRE. 1756. 89
qu'imparfaitement aux Curieux , l'Artifte
dont ils veulent connoître la maniere. Il
feroit heureux pour la France que les Ouvrages
étrangers qu'on y traduit tous les
jours fuffent rendus avec la même fidélité
& le même goût , ils feroient plus reconnoiffables.
Le grand art eft de leur donner
l'habit françois , fans déguifer leur traits
& mafquer leur phyfionomie .
IDÉE de la Poéfie Angloife , ou Traduction
des meilleurs Poëtes Anglois , qui
n'ont point encore paru dans notre Langue
; avec un jugement fur leurs Ouvrages
, & une comparaifon de leur Poéfie
avec celles des Auteurs anciens & modernes
, & un grand nombre d'anecdotes &
de notes critiques , tome 7 & 8 : par M.
l'Abbé Yart , de l'Académie royale des
Belles - Lettres , Sciences & Arts de Rouen .
A Paris , chez Briaſſon , rue S. Jacques , à
la Science , 1756 .
Le feptieme volume contient plufieurs
Contes & quelques morceaux fur la Poéfie
des Anglois . Il eft précedé d'un difcours
fur les Contes. Le huitieme comprend les
Operas ( 1 ) de Rofamonde , du Jugement
(1 ) Nous croyons que le mot Opera n'a point
de pluriel , & qu'il faut écrire Opera fans s.
90 MERCURE DE FRANCE.
de Pâris , de Comus de Semelé , des
Gueux ( 1 ) & de Polly , avec un diſcours
préliminaire fur l'Opera.
*
On doit fçavoir gré à M. l'Abbé Yart
d'un travail fi louable : nous en pourrons
parler une autre fois plus au long.
ESSAI fur la Perſpective Pratique par
le moyen du calcul , par Cl. Roy , Graveur
en taille douce fur tous métaux . A P4-
ris , chez Jombert , rue Dauphine , 1756 .
Il fe trouve auffi chez l'Auteur , fur le
quai des Orfevres , au charriot d'or . Prix
i liv. 4 fols.
On doit tenir compre à M. Roy d'avoir
réduir en petit volume , les loix de prati
que de la perfpective , qui étoient éparfes
dans des livres qui ne font pas à la portée
de tous les Artiftes . Pour rendre cette
fcience encore plus familiere , il l'a réduite
à un calcul fimple d'arithmérique. Certe
derniere méthode lui paroît même préférable
à celle des lignes , qui jufqu'à préfent
avoit été généralement fuivie. Nous ne
fçaurions mieux faire que de rapporter ici
(1) Nous penfons qu'il eût été mieux de traduire
l'Opera du Gueux , comme M. Patu , par la
raifon que dans le prologue , cet Opera eft fuppofé
l'ouvrage d'un Gueux qui le préfente à un Comé
dien.
DECEMBRE . 1756. 9.1
fes propres termes à ce fujet , p. 16 , art. 9 .
La maniere de chercher les plans perfpectifs
, & l'apparence de la grandeur des
objets par la fection des lignes , ou par le
moyen des échelles , ne pouvant être confidérées
comme univerfelles , on ne doit efpérer
une telle méthode que par le moyen des
nombres. Il est vrai que les opérations du
calcul prennent plus de temps que celles des
lignes , mais on en eft bien dédommagé par
l'agrément de trouver toujours la vérité , &
de n'être jamais borné par aucuns obftacles
tant que les grandeurs des objets permettent
de les repréfenter fur le tableau .
D'ailleurs on a auffi l'avantage de trouver
dans une infinité de cas , les apparences des
diftances poftérieures & des élévations
quelconques , fans qu'il foit néceffaire de
les avoir fur les plans. J'ofe même dire
que quand les objets n'exiftent pas fur le
terrein , la perfpective peut être parfaite ,
parce qu'alors les diftances poftérieures ,
ainfi que les dimenfions des plans , celles
des élévations , & les diftances horizontales
dépendantes abfolument de l'Artifte ,
peuvent lui être connues exactement en toifes
, pieds & pouces , &c ; ce qui ne ſe
peut lorfque les objets exiftent fur le terrein
car les plans peuvent être fautifs ,
ou l'on peut faire des erreurs foi-même en
92 MERCURE DE FRANCE .
mefurant avec l'échelle . Au reste , à cau
fe des élévations , il faut abfolument connoître
le niveau du terrein . Cela eft trèsimportant,
& augmente les peines ; au lieu
que dans le premier cas , le tout dépend
de l'Artiste , & n'en procure aucunes .
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur
une affaire concernant la fucceffion du
Maréchal Général Comte de Saxe.
Monfieur , le monument que Monfieur
Pigale , cet Artifte célebre , vient
de confacrer à la mémoire du Maréchal
Comte de Saxe , a fixé avec juftice
l'attention du Public , & a mérité le fuffrage
des conno fleurs.
Touché , comme tout François , de ce
qui a trait à la mémoire de ce grand Général
, je vous entretiendrai d'un autre trophée
erigé à fa gloire dans le Sanctuaire
même de la juftice. Ce n'eft point un éloge
donné par un protégé à fon Mécêne , ou
par un entoufiafte à un Héros de caprice .
Chez Themis on loue peu , on ne loue
qu'à la rigueur ; & comme on y juge les
hommes avec le fang froid de l'équité
on les y loue de même . Des faits préfentés
dans un ordre naturel qui est toujours celui
de la caufe , y font feuls les Panégyriques.
DECEMBRE . 1756. 93
Tel eft celui qu'un jeune Avocat nous
donna , il y a quelques jours , du Maréchal
de Saxe , dans une caufe qui avoit
pour objet la fucceffion de ce Seigneur.
Chargé de la défendre contre le Receveur
Général des Domaines de Blois , il avoit
à réfuter deux moyens dont celui- ci étayoit
fes prétentions : le premier , que par le
défaut d'enregistrement au Parlement des
lettres de naturalité du Maréchal de Saxe ,
fon teftament étoit de nul effet ; & le fecond
, que dans le cas où les lettres de
naturalité fortiroient leur effet , c'étoit à
lui à payer les créanciers & à faire délivrance
des legs par faute d'héritiers . ( 1 )
Que devient alors la fucceffion du
» Maréchal de Saxe ainfi partagée entre
» les droits du Domaine , & ceux des léga-
» taires fruftrés déja d'une partie de leurs
efpérances ! que devient le travail im-
» menfe du confeil établi pour liquider
» cette fucceffion ! & combien d'opération
nouvelles n'entraîne pas à fa fuite
» cette nouvelle demande ! »
(1) Depuis la plaidoierie la caufe s'eft réduite
à ce feul point de fait , parce que les lettres de
na uralité fe font trouvées vérifiées au Parlement,
Par Arrêt de la quatrieme Chambre des Enquêtes,
du 6 Septembre , le Receveur du Domaine a été
déclaré non- recevable.
94 MERCURE DE FRANCE.
Je ne me propofe point de vous développer
ou même d'analyfer toutes les réponfes
folides qu'oppofa l'Avocat aux moyens'
da
Receveur des Domaines ; elles me parurent
puifées dans les bonnes fources ,
maniées avec jufteffe & avec précifion.
Je ne m'attache qu'à ce qui concerne la
perfonne du Maréchal de Saxe , dont l'Orateur
a eu lieu plus d'une fois de rappeller
les fervices. Deux endroits furtout
m'ont frappé.
Celui du détail de la fucceffion de ce
Seigneur eft ramené à la gloire , précifément
par ce qui pouvoit l'affoiblir aux
yeux d'un Public mal informé.
ود
" Si la fucceffion du Maréchal de Saxe ,
», dit l'Orateur , répondoit à fon rang & à
» fes fervices , je pourrois MM. avec con-
» fiance vous en faire le détail . Dans ces
»richeffes vous ne verriez que fes victoi-
» res , nos avantages & les pertes de nos
» ennemis. Mais l'état de fes biens nous
préfente un tableau différent qui n'en
» devient que plus glorieux à fa mémoire.
"Nous y voyons les bienfaits du Prince retourner
à leur fource , le Royaume enrichi
» des dépouilles de l'ennemi par un grand
» Général qui fe plaît à verfer dans le fein
de la France les contributions faites fur
>> les vaincus.
و د
83
و د
#
DECEMBRE. 1756.
95
و ر
ود Voici comme le Maréchal de Saxe
» s'en explique lui - même dans fon Codicile
» du premier Janvier 1748. Je prie Sa
" Majefté d'accorder à mon neveu le Comie
» de Frize , mon Régiment de Cavalerie lége
» re , & mon halitation de Chambord . avec
» La Capitainerie dudit Chambord , à la charge
" condition qu'il entretiendra le Haras
»que jai établi pour fervir de remonte audit
Régiment. J'efpere que par cet arrangement
" je conferverai au Roi un Régiment qui n'au-
" ra point (on pareil , & un Haras unique ,
33
ود
33
n'ayant rien épargné pour remplir cet objet
» pour procurer à la France une espece
» de Chevaux , fupérieure en vueffe à ceux
qu'on y éleve à préfent ; chofe dont l'on
» manque pour la Cavalerie légere , & que
» l'on ne fauroit fe procurer en temps de
33
99
33
guerre.
C'eft , pourfuit l'Avocat , par des
dépenfes auffi honorables que les effets
,, de cette fucceffion fe font trouvés réduits
„ à un million , fomme inférieure , & aux
», demandes des créanciers , & aux efpéran-
» ces des légataires. C'eft par cette forte de
prodigalité pour le bien public que le
,, Maréchal de Saxe fe trouve hors d'état
après la mort de remplir toutes fes difpofitions
à l'égard de quelques particuliers.
و د
93
96 MERCURE DE FRANCE .
Cet homme , dont la mort n'a borné ni
les fervices ni le zele pour les intérêts de
la France , a droit fans doute à quelque
retour. Il est trop hors de la fphere commune
pour être confondu dans la foule
des Aubains vulgaires.
« Auffi , reprend l'Avocat ( & ce mor-
» ceau a eu l'approbation des connoiffeurs) ,
»auffi dans le cas où le Maréchal de Saxe
» n'auroit point eu de lettres de natura-
»lité , fon Teftament devoit recevoir une
» pleine & entiere exécution.
"
" Si les Fabert , les d'Asfeld , les
» Duguétroüin monterent au faîte des hon-
» neurs par l'importance de leurs fervices ,
quoique les grandes dignités foient plus
» ordinairement la récompenfe d'une fa-
» mille déja illuftre , les droits de Cité
» feroient- ils les feuls privileges tellement
» attachés à notre nailfance , qu'ils ne puif
»fent fe multiplier & s'accroître à proportion
de l'utilité & de l'étendue de nos
» talens ? non fans - doute. Le pays que nos
»inventions ont enrichi , que nos lumieres
» ont éclairé , l'Etat que notre bras a fer-
» vi , que nos travaux ont fait refpe&ter ;
>>voilà notre Patrie.
ود
ود
ور
» La Jurifprudence & l'Hiftoire nous en
"fourniffent mille exemples.
» Le berceau d'Homere devoit être immortel
Σ
Σ
f
བྷ །
DECEMBRE . 1756. 97
» mortel comme fes poéfies ; fept villes de
» la grece ambitionnent l'avantage de lui
» avoir donné le jour.
و ر
و ر
ور
و د »ArchiasaimoitlesLettres;illes
» cultivoit avec fuccès. On lui difpute le
» droit de Cité , Cicéron prend fa défenſe.
» Les talens du Poëte triompherent dans
» Rome par ceux de l'Orateur , & le peu-
»ple applaudit à un jugement qui , en
» accordant à cet étranger les privileges
de Citoyen , affuroit des fçavans à la
» République , pour éternifer la gloire de
» fes Héros.
33
"
ور
» Mais pourquoi chercher dans les fie-
» cles paffés des preuves d'un fentiment
» que notre amour & notre reconnoiffance
» pour les grands hommes nous ont infpiré
» dans tous les temps ? La France digne de
» fervir de modele à l'univers en tout
»genre , loin de méconnoître ces génies
» heureux donnés au monde pour en être la
» lumiere , ou nés pour affermir la puiffance
des fouverains , confervera tou-
»jours fur eux les droits dont ils ne fe-
» roient pas même les maîtres de la dépouiller.
"
و د
23
»L'Auteur de la République des Let-
» tres , plus utile fans doute aux Sciences ,
s'il étoit moins dangereux pour les
» moeurs , Baile avoit quitté la France fa
"
E
98 MERCURE DE FRANCE.
1
و ر
38
patrie , pour ſe réfugier en Hollande .
Après fa mort le Parlement de Toulouſe ,
» en déclarant fon Teftament valable en
» France , malgré la rigueur des loix , dit
expreffément , qu'un tel homme ne peut
» être regardé comme un étranger.
و ر
» Seroit- il plus étranger à vos yeux ,
cet homme qui facrifia les efpérances que
» lui donnoit la patrie, pour s'attacher à la
» nôtre , & dont la France s'eft approprié
» les fervices & la gloire?
לכ
ور
و د
و و
»N'étoit-ce point un devoir pour le
» Receveur des Domaines de rendre avec
»nous l'hommage que tout Citoyen doit
un homme qui fit triompher la France
» des forces réunies de l'Allemagne , de
la Hollande , & de l'Angleterre cette
>> Puiffance ennemie que la fageffe du Roi ,
» la valeur de nos troupes & l'activité de
leur Chef , ont déja fait repentir de
» l'infulte faite au Pavillon François , mais
» dont les deffeins ambitieux feroient peut-
» être encore couverts du voile de l'obfcu-
» rité , fi elle avoit eu à redouter le bras
dont elle a tant de fois fenti tout le
»poids & toute la force ?
ور
ود
ود
ور
و ر
» Maurice de Saxe étoit- il étranger ,
» lorfque dans les champs de Fontenoy
»97 il foudroyoit cette colonne terrible?
» Etoit- il étranger , lorfque vainqueur
23
4
R
DECEMBRE . 1756 .
99
» à Lawfeldt , il forçoit l'épée à la main
», les retranchemens ennenus ?
» Etoit- il Etranger à Courtray , dans
» cette campagne admirée de tous les con-
> noiffeurs comme un chef d'oeuvre de l'art,
» & dont je ne crois pas , MM . pouvoir
» mieux faire l'éloge en un mot qu'en
» vous difant que je l'ai entendu lui même
» fe permettre de l'admirer "
"
و ر
و د
Toujours vainqueur , toujours heureux
, il ne fut pas même dans le cas
» de fe fignaler par une retraite. Craint
-" & refpecté des Etrangers , honóré &
aimé de toute la France , comment at'on
pu former le projet de lui enlever
» le titre de Citoyen , que fes talens nous
faifoient regretter de ne lui avoir point
vu porter au moment de fa naiffance ,
» & que les fervices qu'il rendit de tout
» temps à l'Etat lui affuroient avant mê-
» me qu'il l'eût demandé ?
"
و د
دم
Si votre zele pour le bien public ,
plus cher à vos yeux que vos propres
intérêts , & que nous vous avons vu préférer
à votre tranquillité perfonnelle ; fi
» ce zele vous attache par de nouveaux
» liens à l'état auquel vous devenez tous
es jours plus précieux ; fi la fageffe
des loix & la réputation des armes furent
dans tous les temps le germe de la
gran
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
» deur des Etats & la fource du bonheur
» des peuples , quelle a dû être votre
ود
ور
furprife lorfqu'on vous a dit que les let-
»tres de naturalité du Maréchal de Saxe
» ne furent point préfentées à la Cour
»pour y être enrégiftrées dans la crainte
qu'elles n'y paruffent trop étendues ?
و د
- >>
»Auriez-vous pu refufer d'admettre au
»nombre des Citoyens un Héros qu'un ciel
étranger vit naître , mais qu'un coeur
» françois rendit nôtre ; un homme à qui
» le Roi confia l'exécution de fes grands
» & fages deffeins , la conduite des entreprifes
les plus graves & les plus délicates ,
» en un mot le commandement de fes
» Armées , c'est- à - dire le falut & la gloire
de la nation ?
">
ور
33
Supérieur à fa gloire même par fa
haute naiffance , par l'étendue de fon
génie , par fes trophées fans nombre ,
& plus encore par la jufte confiance &
la tendre amitié dont le Souverain l'ho-
» noroit , le Maréchal de Saxe devoit- il
» trouver des contradicteurs dans le temple
» de la Juftice ? Je me fatte qu'il n'en
» aura pas dans le coeur des Magiftrats
» toujours prêts à faire les premiers pas
pour contribuer à la fatisfaction du
» Souverain , & à la dignité de ſa Cou-
ود
» ronne.
Arc
P
fear
DECEMBRE. 1756. 101
ور
» Ce n'eft point éluder la loi , ce n'eſt
» pas même en folliciter une difpenfe que
» de vous propoſer comme je le fais , MM .
» pour motif, le bien public , la gloire
» de la Nation , la grandeur du Souverain ;
» c'eſt en reclamer l'efprit au Tribunal de
» fes plus zélés & de fes plus fideles inter-
» pretes. "
Après cette efquiffe du Plaidoyer , j'obferverai
avec vous , Monfieur , qu'un
Avocat qui n'atteint pas fon cinquieme
luftre , pour parler avec autant de netteté
, de goût & de force , prend avec
le Public de grands engagemens. Il les
remplira , en continuant à s'éloigner de
ce faux bel efprit , de cette éloquence
puérile , qui énervent notre littérature
moderne , & qu'il feroit dangereux de
fubftituer à l'éloquence mâle & nerveufe
des Patru , des Cochin & des Dagueffeau
.
W
J'ai l'honneur d'être , &c.
**
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
SUITE de la Réponse de l'Auteur des
Lettres à un Américain , à la Lettre de
M.Abbé de Condillac.
Uant à la contrariété de fentimens entre
vous & M. de B **, fur la fubftance qui
fert de fujet aux fenfations , je crois trèsférieufement
qu'elle prouve très- bien que
vous n'avez pu tirer des livres de cet Auteur
l'idée de votre Traité des Senfations.
Il dit bien comme vous , Monfieur ,
que
les idées viennent des modes accidentels
à l'ame ; c'est-à- dire , puifqu'il faut
vous définir ce terme , des façons d'être
fans lefquelles elle pourroit exifter , &
qui ne conftituent pas fon effence . Mais
les fenfations font , felon lui , des jeux mé
chaniques du cerveau , des manieres d'être
de l'origine de nos nerfs ; & c'eft en con.
fidérant ces manieres d'être étrangeres ,
que l'ame forme des idées . Vous , Monfieur
, vous donnez , comme de raiſon ,
les fenfations à l'ame , & vous prétendez
en dé fuire toutes les idées. Voilà l'oppofition
que j'ai fait fentir , & j'ofe avancer que
par ce moyen , je prouve , peut- être plus
fortement que vous n'avez fait , que vous
ne pouvez être foupçonné d'avoir pris l'i-
VOL
E
Ja
de
ね
DECEMBRE. 1756.. 103
Idée de votre Traité des Senfations dans
l'Hiftoire naturelle.
"
Mais en foutenant un fyftême contraire
à celui d'un Auteur , en réfutant même
cet Auteur , on peut , fans s'en appercevoir
, s'approprier quelques - unes de fes
idées. J'ai pensé , par exemple , que vous
aviez tiré la maniere dont vous voulez
que nous formions l'idée de l'étendue
d'un mot de M. de B*** . Cette maniere
eft la piece principale de votre fyftême :
« il ne reconnoît ce qui appartient à fon
» corps qu'autant que ce que fa main tou-
» che , rend fentiment pour fentiment . »
J'applaudis ,, « c'est vous qui parlez , Mon-
» fieur , avec vous à cette expreffion ( 1 ) ,
» & je conviens que j'ai dit la même chofe
» en d'autres termes. » Mais faire voir à
quels fignes nous reconnoiffons les parties
= de notre corps , « c'eft au moins fe rencon-
» trer en ce point : eft - ce expliquer com-
» ment nous formons l'idée de l'étendue ? »
Non pas précisément . Mais en étendant
un peu cette idée au - delà de l'ufage qu'en
fait M. de B *** , on y arrive. « Eft- ce fe
rencontrer fur ce qui fait le point effen-
,, tiel du Traité des Senfations ? » C'eft fe
rencontrer dans un point qui mene très-
(1) Merc. Avril , feconde Part, p. 83.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
aifément à l'effentiel du Traité des Senfations
, & qu'on ne peut manquer fans manquer
la connoiffance des corps. Car , fuivant
toutes les apparences , nous devons
connoître notre corps avant tous les autres
, & juger d'eux en les comparant à la
maffe de matiere à laquelle nous fommes
unis. Et c'eft tout ce que j'ai voulu dire.
Un mot fuffit pour terminer notre conteftation
fur cet article. Vous n'avez rien
puifé dans l'Hiftoire naturelle. Je vous
crois , Monfieur , fur votre parole.
Je n'ai pas non plus prétendu que votre
expreffion des deux moi dans l'homme , le
moi d'habitude & le moi de réflexion rentrât
dans le fens de l'homme double de
M. de B *** . La feule expreffion a paru
pouvoir m'autorifer à l'appeller une foible
imitation ( je vous demande la juſtice de
pefer l'épithete ) , de celle de l'Auteur auquel
vous n'aimez pas à reffembler . J'irai
plus loin dans l'analyfe des fenfations.
Sans avoir égard à votre expreffion du
double moi , je vous prouverai que vous
multipliez bien autrement le moi dans chaque
homme en particulier.
Quand M. de B *** veut expliquer
comment le finge nous imite , il dit ( 1 )
que c'eft parce qu'il eft extérieurement à
( 1 ) Hift . Nat. tom. 8 , P. 124.
E
DECEMBRE . 1756. 105
peu près conformé comme nous . Et vous ,
Monfieur , vous nous dites que le perroquet
n'entend pas notre langage d'action ,
parce que fa conformation extérieure ne
reffemble point à la nôtre : il m'a paru que
vous & lui employiez la même raifon
pour appuyer deux opinions différentes .
Ce n'eft donc pas pour avoir lu quelque
part dans l'Hiftoire Naturelle le mot de
conformation , que j'ai dit en badinant :
voilà une des raifons de M. de B *** . »
J'ai appellé finguliere la maniere dont
vous amenez , Monfieur , votre doctrine
fur le langage des animaux , & vous m'accufez
de jetter du ridicule fur cette tranfition.
Confondriez- vous le fingulier avec
le ridicule ? « 1 ° . Vous ne copiez pas , me
» dites - vous , exactement mon texte . »
Cela eft vrai. Votre phrafe commence par
puifque j'ai mis fi. Je fuis encore pris en
faute fur les guillemets que je ne devois
pas employer , puifque je ne prenois que
le précis de votre texte. Je vous en dois
des excufes , Monfieur , foit que ces fautes
fuffent dans mon manufcrit , foit qu'elles
appartiennent à l'Imprimeur. Voici donc
votre texte rétabli ; j'y fupplée ce que j'avois
retranché , & je caractérise ce que
j'appelle une tranfition finguliere par des
lettres italiques
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
(1 ) Puifque les individus qui font or
» ganifés de la même maniere éprouvent
» les mêmes befoins , les fatisfont par des
"
D moyens femblables , & fe trouvent dans
» les mêmes circonstances , c'est une confe
» quence qu'ils faſſent les mêmes etudes . &
qu'ils ayent en commun le mêmefonds d'idées.
Ils peuvent donc avoir un langage , & tout
»prouve en effet qu'ils en ont un . »
"
2°. Il vous paroît fort étonnant que je
tire du milieu d'un chapitre une phrafe
que je donne pour tranfition au chapitre
même. Vous reviendrez de cet étonnement
, quand je vous aurai dit que cette
phrafe m'a paru , & non fans fondement ,
préfenter en raccourci les quatre pages &
demie que vous avez employées pour
nous préparer à reconnoître que dans le
fait les animaux ont un langage ; fi c'eft
une méprife de ma part , je vous affure que
je ne l'apperçois pas.
Quelle attention quel ménagement ,
quelle bonne foi n'avez-vous pas dû ap
percevoir , Monfieur , lorfque j'ai rends
compte de l'origine que vous donniez i
la Morale D'abord vous la mettiez cette
origine dans les conventions des hom
mes . J'en ai tiré la conclufion immédiate.
(1) Traité des Anim. p . 93.
DECEMBRE , 1756 , 107
Ainfi point de loi naturelle . Tout eft
» de convention dans l'ordre moral , com-
» me dans celui du langage. ,, Mais vous
modifiez , ou plutôt vous rétractez votre
affertion , en difant , que Dieu eſt le
principe d'où la Morale émane , & qu'elle
étoit en lui avant qu'il creât l'homme ;
j'ai retiré ma conféquence , & je me fuis
réduit à vous demander où l'homme voit
ces modeles éternels d'une conduite raifonable.
En Dieu où ils font ? Vous vous
moqueriez de ma réponſe. Dans nos
fenfations , comme devroit répondre un
difciple de Locke , je ne pourrois m'empêcher
de rire de cette folution . Où
voyons nous donc les loix de la fociété
entre les hommes & Dieu , entre les
hommes & les hommes , fi elles ne font
pas de pure convention ? N'amois-je pas
pu vous demander de plus où 100 ftatues
telles que celle dont l'éducation vous
a fourni deux volumes ( cette centaine
de ftatues ne vous eût pas plus coûté
à créer qu'une feule ) auroient puifé
des Loix de Morale , après avoir rempli le
cours d'étude que vous avez imaginé ?
Quelle eft la branche de ces études qui
conduit à la connoiffance de ces Loix
éternelles fur lefquelles Dieu vent que
T'homme fe regle ? Le trait eût été pré-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
maturé de ma part. Auffi n'ai - je pas dit
un mot qui pût mettre le Lecteur fur les
voies d'obferver que dans tout votre
Traité des Senfations , non feulement la
Morale n'entre pour rien dans l'inftitution
de votre curieufe ftatue , mais même
qu'on n'y voit que les femences du
Polythéifme le plus affreux . Vous me réduifez
, Monfieur , à la néceffité de
publier
des délicateffes de procédés & d'égards
que j'aurois voulu ne faire entrevoir
qu'à vous feul . Au refte , c'eft autant
aux difciples de Locke qu'à vous , Monfieur
, à nous montrer que les Loix de
la Morale font des fenfations transformées.
Je vous ai fait voir comment ces Loix
étoient écrites dans nos coeurs . Je ne fçais
ce qui vous a fait oublier de citer la
Lettre ( 1 ) où je parle de l'origine que
vous donnez aux Loix de la Morale. Je
prends cette omiffion pour un pur oubli
de votre part , & je la répare en faveur
du Lecteur qui fera peut - être bien aiſe
de voir l'oppofition de votre doctrine
& de la mienne .
L'analogie vous a conduit , dites- vous ,
Monfieur , à reconnoître une ame dans
les bêtes. C'est vous-même qui avez di-
( 1 ) Lettre à un Amér. xxxiv. Il y a xxxiij par
erreur dans l'édition ,
I
E
C
(
DECEMBRE. 1756. 109
rigé l'analogie à ce terme : car dans le
vrai tous les traits de reffemblance entre
nous & les animaux , nous conduifent
à juger que ceux - ci ne font pas de
pures machines foumifes aux feules Loix
de la communication des mouvemens ,
& nous obligent à penfer que leurs corps
font remués , comme les nôtres , dans
tout ce qui paroît de leur part fpontané
ou libre , fur des caufes occafionelles
par le Créateur. Voilà l'analogie à
la fin de laquelle fe trouve ce problême
: Les occafions fur lesquelles le Créateur
donne aux animaux des mouvemens
Spontanés ou libres en apparence , des mouvemens
en un mot , hors du pur méchanif
me , font- elles prifes immédiatement des fignes
materiels du cerveau , telles que ceux
auxquels répondent en nous l'imagination ,
le defir , la penfee , la fenfation ; ou bien
ne peuvent elles être prifes immédiatement
ces occafions que de telle imagination , de
selle penfee , de tel defir , indiqués par les
mêmesfignes matériels du cerveau ? Voilà ,
Monfieur , où conduit l'analogie à un
problême que vous n'avez pas même
connu : comment auriez vous pu refoudre
la queftion du principe moteur des
animaux C'eft à cet unique terme que
conduifent tous les phénomenes que nous
110 MERCURE DE FRANCE .
préfentent les procédés des animaux . J'ai
confenti à ce qu'on regardât ce problême
comme infoluble , tant la question
m'eft indifférente. Je confens même de
tout mon coeur qu'on s'en tienne à l'obf
curité du préjugé de l'ame des bêtes.
Mais vous l'outrez ce préjugé , en vous
efforçant de le dépouiller de fes ténébres.
Vous en facrifiez la partie qui nous intereffe
le plus , je veux dire la différence
effentielle de la nature des animaux &
de la nôtre. A la vérité votre refpe &
pour la Religion vous fait dire que nos
ames différent effentiellement de celles
que vous fuppofez aux animaux. Mais
quand vous raifonnez en Philofophe
Vous ne prouvez cette différence effentielle
ni à priori , ni à pofteriori ; quoique
vous me fouteniez dans votre lettre que
vous l'avez démontré , << en remontant
des effets à la caufe , en cherchant les
principes dans il falloit dire par » les
» conféquences. Cette différence confifte
felon vous , Monfieur , en ce que nos
ames font fufceptibles des idées de loix
& de devoirs , immortelles en conféquence
, & que les ames dans les bêtes n'ont
rien de tout cela , quelles font créées pour
être anéanties. J'ai prouvé dans mes letsres
34 & 35 à un Américain , que vos
29
33
33
BICS
"
1
t
F
DECEMBRE. 1756. 113
principes même détruifent cette différence.
J'y renvoie le Lecteur ; c'eft le
feul moyen de terminer ce point de
fait fur lequel nous fommes divifés.
Je me borne aujourd'hui à vous prier ,
Monfieur, de m'indiquer les procédés des
animaux defquels vous remontez , comme
des effets à la caufe , à une ame fpirituelle
, privée, effentiellement de toutes
notions de loix & d'ordre , & créée pour
être par fa nature anéantie au moment
de la deftruction de la machine . Et fi
vous voulez , Monfieur , fentir encore
plus vivement l'impuiffance où vous réduit
votre fiftême de mettre une différence
effentielle entre l'homme & la
bête , relifez votre Traité des Senſations ,
& jugez vous-même fi l'ame de votre
ftatue , au fortir de l'éducation que vous
lui avez donnée , ne figureroit pas tout
auffi bien dans le cerveau d'un finge que
dans celui d'un homme .
Vous me donnez vous - même gain de
caufe fur cet article dans la lettre que
vous m'écrivez « Tout ce dont je conviens
(1 ), vous reconnoiffez vos paroles »,
» eft qu'il ne paroît pas y avoir de
» rapport effentiel entre la nature des ef-
» prits & ces befoins , ces moyens de
( 1) Merc. Avril ,fecond vol. p . 92.
112 MERCURE DE FRANCE.
multiplier les idées » en quoi confifte
felon vous , Monfieur , la diftinction de
la raifon de l'homme & de l'inftin &t de
la bête. Mais il y a au moins des
rapports de convenance . » C'est donc
par des rapports de convenance que vous
prétendez démontrer qu'il y a une différence
effentielle entre l'ame de l'homme
& celle de la bête . Appréciez vousmême
ce nouveau genre de démonftration.
Ce n'eft pas fans raiſon , & en-
» core moins contre toute raifon que Dieu
» unit deux fubftances. ( 1 ) Il confulte
fans doute la nature de l'une & de
"9
29
l'autre . Il ne bornera pas dans le corps
» d'une bête une ame qui par ſon ef-
» fence feroit capable de toutes nos fa-
"
"3
cultés au développement defquels no-
» tre corps peut donner occafion , & il
» ne donnera pas à un homme une ame ,
» dont l'effence ne renfermeroit pas le
germe de toutes nos facultés au développement
defquelles notre corps
» peut donner occafion . " Non , fans
doute : il eft de telles ames incapables par
leur nature de penfer , de refléchir , &
de fe déterminer comme nous . Mais c'est
précifement ce que vous aviez à prou
ver ; que les ames des bêtes font de cette
(1 ) Merc. Avril , fecond vol. p. 9
L
E
ป
DECEMBRE . 1756. II3
و ر
efpece. « ( 1 ) Ainfi puifque les corps dif-
» férent effentiellement , je fuis en droit
» de conclure que les ames différent par
» leur nature , » Encore de la logique
bien nouvelle. Le corps du ver de l'abeille
differe autant de celui de l'abeille
même , qu'une carpe differe d'un chien ,
qu'un finge differe d'un homme quant à lorganifation
de la machine . Il faudroit donc
conclure , en vertu de votre logique , que
l'ame du ver de l'abeille differe effentiellement
de l'abeille même. D'ailleurs tout
ce qui ne differe que par le méchanif
me , differe- t'il effentiellement : la même
matiere individuelle dont un chien eft
formé , ne feroit- elle pas le corps Jun
homme ? Toutes les chofes qui ne different
que par des modes peuvent elles
être regardées par un Philofophe comme
effentiellement différentes ?
Vous ne voulez pas , Monfieur , que
j'oppofe à votre fyftême , les ames des
fols & des imbécilles unies à des machines
tellement organifées qu'elles n'occafionnent
que le déraifonnement , parce
que moi-même je fuis convenu que c'eft
un défordre qu'on ne peut rapporter à
l'inftitution du Créateur. Mais vous onbliez
que les partifans de la Métempfy-
(1) Ibid..
114 MERCURE DE FRANCE.
cofe , ( la feule opinion fupportable que
la raifon humaine abandonnée à elle - même
, & obftinée à reconnoître des ames
dans les bêtes ait pu produire ) prétendent
auffi que
c'est par un défordre que les
ames humaines paffent dans des corps
qui ne furent point organifés pour le développement
de leurs facultés . Et fi vous
leur oppofiez votre prétendue démonftration
, qu'en penferoient - ils ?
Je loue , Monfieur , la condeſcendance
du Journaliste de Trévoux , & j'en aurois
ufé comme lui , fi comme lui j'euffe
été obligé par état de rendre un compte
fuccinct de votre livre , & fans aucun
engagement pour le réfuter : j'en avois
contracté un pour difcuter votre doctrine
, qui n'est qu'une refonte de celle de
Locke , & je voulois attaquer le fyl
tême de cet Anglois protégé & défendu
par l'homme que je fçavois le plus
capable de le faire valoir , parce que ce
fyltême renverfe tous les fondemens de
la raifon , & que j'ai formé le deffein
de lui faire perdre le crédit qu'il a en
France , comme il l'a déja perdu en Angleterre.
Or le ruiner entre vos mains
c'eft lui enlever toute efpérance de fe relever
jamais . Vous le foutenez par des
intentions louables , & que j'ai louées :
DECEMBRE . 1756. 115
"
33
avez
mais les louanges que je vous ai données
ne tombent pas fur le fuccès de
vos bonnes intentions. «< ( 4) Vous laiffez
fubfifter , dites- vous , en parlant de
moi , les principes de ce Philofophe
qui n'a pas toujours été conféquent » :
c'est vraiment un reproche auquel je ne
me ferois pas attendu Si vous
daigné lire les élémens de Métaphyfique
tirés de l'expérience , vous y aurez pu voir
que je ne le ménage pas beaucoup ; &
quelques traits que j'ai lancés contre lui
dans ce que j'ai pris la liberté d'écrire
contre vous , Monfieur , furtout au fujet
des idées morales , font plus faciles
à diflimuler , qu'à repouffer.
J'ai très-bien étudié tout ce que vous
avez fait , Monfieur , & fi toutes les négligences
qui me font échappées , & que
vous ne voulez pas vous donner la peine
de relever , font du même genre que
celles que vous me reprochez , le Public
conviendra que ma réputation n'a rien
à craindre de ce côté-là , & que vous
auriez tout auffi bien fait de le laiffer
juger. Ce n'eft point par des conféquences
que j'ai attaqué votre fyftême fur
les animaux je vous ai fuivi dans le
plus grand détail , & je vous fuivrai de
( 1) Merc. Avril , p. 941
116 MERCURE DE FRANCE.
même , en traitant l'Analyfe des Senfations.
Ce n'est que par incident que j'ai fait
entrevoir les conféquences que les ennemis
de la raifon & de la Religion pourroient
tirer de votre doctrine . Et avec
quels égards ai - je traité cet article qui
doit vous intéreffer davantage ? Je vous
affure , Monfieur , que je trouve affez
d'ennemis réels de la Religion , pour n'être
pas obligé de lui oppofer des phantômes
afin de les combattre. Plût à Dieu
que j'en fuffe réduit là ! Vous êtes bien
éloigné de penfer comme eux j'en fuis
intimement perfuadé. Mais précautionnezvous
contre leurs applaudiffemens plus
encore que contre mes critiques ; l'un eft
plus dangereux que l'autre. Quand je réfute
je tâche de le faire de maniere à
efpérer que je ne m'attirerai pas de réplique.
J'ai réuffi jufqu'à préfent & j'en
uferai de même à votre égard , toujours
également en garde contre tout ce qui
pourroit tant foit peu bleffer la juftice
qui feroit dûe à l'Ouvrage & à l'Auteur.
Vous proteftez à la fin de votre Lettre
que vous vous prefferez de défavouer votre
fyftême , fi je vous en démontre le
faux. J'en ai pourtant affez dit pour répandre
dans votre efprit des doutes bien
' fondés , & vous n'en paroiffez pas moins
DECEMBRE . 1756. 117
tenir fortement à vos opinions. N'importe
: je compte fur votre parole , parce
que je vous crois l'ame affez grande pour
vous juger capable de donner un de ces
exemples fi rares dans l'Empire Littéraire,
& fi dignes d'un Philofophe chrétien .
Je fuis , Monfieur , & c.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
JEE vous prie , Monfieur , de vouloir
bien communiquer ces obfervations à l'Auteur
du Confervateur , qui a paru défirer
qu'on lui fit part de ce qui pourroit contribuer
à étendre fes vues fur l'objet qu'il fe
propofe je connois votre zele & votre attention
à placer dans votre Mercure , tout
ce qui peut être utile & agréable aux Gens
de Lettres.
Il paroît que le projet de l'Auteur de
T'Ouvrage périodique, intitulé le Confervateur
, eft de faire connoître plufieurs Ouvrages
qui font ignorés , & de préferver
ceux qui font connus , de l'oubli qui les ménace
, par l'éloignement que donne pour
leur lecture l'anciennété du ftyle , le peu
d'ordre qui y regne , ou leur prolixité. A
l'égard des premiers , fi le choix eft bien
fait , comme on doit le préfumer , ce fera
118 MERCURE DE FRANCE .
un grand fervice qu'il rendra aux Amateurs
des Sciences , qui fouvent ne font pas
à portée de les trouver , ou en état de fe
les procurer
.
Quant aux feconds , l'Auteur donne
pour exemple Amiot , & fans doute qu'il
entend parler de fa traduction des uvres
de Plutarque ; mais je ne pente pas
qu'on doive le placer au nombre des livres
rares , ou de ceux qu'on ne lit point :
il eft entre les mains de tout le monde ; fon
ftyle , quoique veilli , eft plein de grace &
d'énergie , & il feroit peut être à craindre
qu'on ne l'énervât en le rajeuniffant.
que
Il en eft de même de Montagne : quoifouvent
il marche à bâtons rompus ,
fans beaucoup d'ordre , fe laiffant emporter
par fon imagination féconde , qui le
fait paffer rapidement d'un fujet à un autre
, tout ce qu'il dit eft fi fort de chofes ,
fes expreffions rendent fi bien fa penſée ,
que les plus petits changemens feroient
dangereux à hazarder .
A l'égard de Balfac & de Lamothe-le-
Vayer , le public fçaura gré à l'Abrévia
teur de n'en extraire que la fleur.
Comme l'Auteur du Confervateur pa
roît difpofé à recevoir des avis , & qu'il
en demande , on prend encore la liberté
de lui repréfenter que pour placer dans
C
1
DECEMBRE. 1756. I
fon Ouvrage tout ce qu'offre le titre dé
Confervateur , il devroit également y raffembler
les pieces fugitives qui ont paru
fucceffivement , tant en France , que chez
l'Etranger , Profes ou Vers , Françoises ou
Latines, qui ne contiennent qu'une ou deux
feuilles détachées plus ou moins , & qui
faute d'avoir été confervées , font devenues
extrêmement rares , & ne fe trouvent
que dans les cabinets des curieux , qui ont
eu foin d'en faire des collections , qui fe
vendent très-cher dans les inventaires.
C'est une idée qu'il paroît que Saleingre
avoit eue, & dont il a donné un échantillon
dans un des premiers volumes , de fes
Mémoires de Littérature , où il a fait imprimer
l'Epitre latine de Paffavans à Pierre
Lifet , fa Complainte fur le trépas de fon nez ,
un Catalogue de toutes les Républiques ,
imprimé en Hollande , un Poëme ou Centon
, fur la vie des Moines , compofé des
Vers de Virgile , par Lelius Capilupus , &c .
Ouvrage très rare & excellent en fon genre .
Si l'Auteur du Confervateur veut fe donner
quelques foins pour ramaffer ces pieces
Fugitives , & les placer dans fon Ouvrage
, il en acquerra un nouveau luftre ,
& le débit en augmentera fûrement ; on
peut même dire que ce travail ne fera pas
fi pénible & fi difficile, que celui d'extraire
120 MERCURE DE FRANCE.
•
des anciens livres & inconnus. La variété
ajoute un prix aux Ouvrages Périodiques .
C'est l'unique defir que l'on a pour le
fuccès de ce nouvel Ouvrage , qui a engagé
un Amateur des Lettres à indiquer un
nouveau moyen qui ne fçauroit nuire à
ceux que l'Auteur s'eft propofé.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le Chev. D....
A Lyon , ce 28 Octobre 1756.
LES REVERIES , ou Mémoires fur l'Art
de la Guerre , de Maurice Comte de Saxe ,
Duc de Courlande & de Sémigalle , Maréchal
Général des Armées de S. M.T.C , & c ;
par M. de Bonneville , Capitaine- Ingénieur
de Campagne de Sa Majeſté le Roi
de Pruffe. Imprimé à la Haye , in - fol.
230 pages , très-beau papier & très - beaux
caracteres , avec de très - bonnes planches.
Se trouve à Paris , chez Duchefne. Prix
33 liv. Broché. ( 1 )
M. le Maréchal de Saxe difoit que toutes
les actions des hommes étoient des
rêves ; c'eſt apparemment ce qui lui a fait
donner le titre de rêveries à fes Mémoires
fur l'Art de la Guerre . Il feroit heureux
(1 ) On en a fait auffi une jolie édition en 2 vol.
in- 12 , dont on pourra trouver quelques Exemplaires
chez Jombert , pour s liv. brochés.
que
&
1
DECEMBRE. 1756. 121
que tous les Maîtres , dans quelque Art
que ce foit , fiffent de pareils rêves ; ils
ferviroient à faire naître de nouvelles
idées , & les Arts feroient bientôt portés à
la perfection. Celui de la guerre devenu
fi intéreffant depuis que les guerres font
devenues fi communes , eft ici pris dans
fon principe , & examiné dans fes moyens
tels qu'ils font encore. Son Livre eft divifé
en vingt Chapitres , & dans tous ces Chapitres
on trouve de quoi former un Art
militaire , qui feroit d'autant meilleur
d'autant plus facile , qu'il ne s'éloigneroit
pas infiniment de celui qui exifte & auquel
on eft borné. On en verroit mieux
l'excellence par l'effet qu'on ne la concevroit
par le
raifonnement. Tout ce qu'il
y a de véritablement bon dans ces Mémoires
eft très - fenfible ; il eft vrai que la
réputation d'un grand homme donne encore
plus de poids à la folidité de ſes maximes
; mais il n'en eft pas moins vrai que
cette folidité fubfifte , & que la prévention
ne peut fervir ici qu'à la faire appercevoir
plutôt. Prefque tout le fyftême de M. le
Maréchal eft appuyé fur fon expérience ,
& fon expérience étoit extraordinaire comme
fon talent , parce qu'il avoit toujours
examiné , toujours recherché , toujours
approfondi , toujours voulu fçavoir plus
F
122 MERCURE DE FRANCE.
qu'il ne fçavoit. Pour apprécier l'ouvrage ,
il faut le lire ; c'eft un tout , & un tout
doit être lu en entier. Pour y exciter encore
, nous allons tranfcrire ici quelquesunes
des réflexions qui nous ont le plus
frappés. Chapitre premier. De la maniere
de lever les troupes . Les levées qui fe font
par fupercherie font odieuses. On met de
Fargent dans la poche d'un homme , & on
lui dit qu'il eft Soldat. Celles qui fe fent
par force le font encore plus ; c'est une défolation
publique... Article troifieme ( pour
prouver qu'il faut donner du biſcuit au
Soldat au lieu de pain ) . Les Pourvoyeurs
des vivres font accroire tant qu'ils peuvent
que le pain vaut mieux pour le Soldat ;
mais cela eft faux , & ce n'est que pour avoir
occafion de friponner qu'ils cherchent à l
perfuader : ils ne cuifent leur pain qu'à moitie
, & mêlent toutes fortes de chofes malfai
nes , qui avec la quantité d'eau qu'il contiem ,
augmente le poids & le volume du double…...
Enfin l'on ne fçauroit croire les voleries qui
fe commettent , les maladies qui refultent du
mauvais pain.... Article quatrieme. De
la paie. Un jeune homme de naiffance regarde
comme un mépris que la Cour fait
ini , fi elle ne lui confie pas un Régiment F
l'âge de dix buit on vingt ans. Cela on
tonte émulation au refte des Officiers &
P
C
C
DECEMBRE . 1756. 123
toute la pauvre Nobleffe , qui eft prefque dans
la certitude de ne pouvoir jamais avoir de
Régiment , & par confequent les poftes les
plus confidérables .... Chapitre deuxieme.
De la Légion. Je ne fuis point pour les Grenadiers
; c'eft ordinairement l'élite de nos
troupes , & fi la guerre eft vive , cela les
énerve de telle maniere que l'on ne fçait plus
où prendre de bas - Officiers , qui font cependant
lame de l'Infanterie. Je fubftitue à
ces Grenadiers les vétérans qui doivent avoir
une plus haute paie que les autres foldats ....
( Même Article ) . Un corps fait cauſe commune
de fa réputation ; il fera toujours ému
du defir d'égaler ou de furpaffer celle d'un
autre . Les actions d'un corps qui a un nom
ftable s'oublient bien moins que celles de ceux
qui portent le nom de leurs Officiers, parce que
ces noms changent , & que les actions s'onblient
avec eux.... Chapitre feptieme. De
l'Artillerie & du Charroir. M. de Turenne
a toujours eu la fupériorité avec des armées
infiniment inferieures en nombre à celles des
ennemis , parce qu'il ſe remuoit plus aiſement,
& qu'il fçavoit prendre fes difpofitions de
maniere à ne pas être attaqué & en fe tenant
toujours près de l'ennemi. ( Même Article
pour prouver qu'il faut fe fervir de boeufs
préférablement aux chevaux pour le charroir
d'une armée ) . Un homme & huit boeufs
Fij
124 MERCURE DE FRANCE:
conduiront plus que ne feront quatre hommes
avec douze ou quinze chevaux. D'ailleurs ,
ils ne confumeront pas le fourrage qu'ils ame
nent au camp , comme les chevaux , parce
qu'on les envoie à la pâture pendant le temps
que les valets coupent & chargent , & tout
cela fe fait fans peine & fans embarras. Si
un banf s'eftropie , on le tue , on le mange &
on en prend un autre au dépôt. Toutes ces
raifons font que je leur donne la préférence
fur les chevaux pour le charroir : ils doivent
être marquéspour que chacun reconnoiſſe les
fiens dans les pâtures. Chapitre huitieme.
De la Difcipline militaire . Bien des Généraux
croient avoir tout fait , lorsqu'ils ont
ordonné & ordonnent beaucoup , parce qu'ils
trouvent beaucoup d'abus. C'est un principe
faux , en s'y prenant de cette maniere , ils
ne remettront jamais la difcipline dans les
armées , où elle s'eft perdue ou affoiblie . I
faut faire peu d'ordonnances , mais les faire
exécuter avec grande attention , & punir
fans diftinction de rang ni de naiſſance ; ne
point avoir de confidération : fans cela
vous vous ferez hair. L'on peut être exact
& correct , & fe faire aimer en fe faisant
craindre mais il faut accompagner la fevérité
d'une grande douceur ; il ne faut pas
qu'elle ait l'air de la fauffeté , mais de la
bonté.Ce Chapitre renferme de fages leçons.
DECEMBRE . 1756. 125
Chapitre douzieme du fecond livre . Des
qualités que doit avoir un Général d'Armée.
Je me forme une idée du Général
d'Armée qui n'eft point chimérique ; j'ai vu
de tels hommes. La premiere de toutes les qua.
lités eft la valeur fans laquelle je fais peu
de cas des autres , parce qu'elles deviennent
inutiles. La feconde eft l'efprit , il doit être
courageux & fertile en expédiens. La troifieme
eft la fante.... Pour tout voir , il faut
qu'un Général d'Armée ne foit occupé de
rien un jour d'affaire. L'examen des lieux
& celui de fon arrangement pour ses troupes
doit être prompt comme le vol d'un aigle. Sa
difpofuion doit être courte & fimple ; comme
qui diroit , la premiere ligne attaquera , la
feconde foutiendra, un tel corps attaquera &
tel foutiendra.... Je ne fuis point pour les
batailles , furtout au commencement d'une
guerre , & je fuis perfuadé qu'un habile
Général pourroit la faire toute fa vie fans
s'y voir obligé rien ne réduit tant l'ennemi
que cette méthode , & n'avance plus les affai
res . Il faut donner de fréquens combats . &
fondre , pour ainfi dire , l'ennemi petit à
petit , après quoi il est obligé de fe cacher.
( M. le Maréchal ne prétend pas
dire pour
cela que lorfque l'on trouve l'occafion d'écrafer
l'ennemi , on ne l'attaque & l'on ne
profite des fauffes démarches qu'il peut
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
faire ) . Tout ce Chapitre nous a paru admirable
& digne de ce grand homme. I
s'y eft peint lui-même.
DISCOURS fur l'origine de l'inégalité
parmi les hommes , pour fervir de réponfe
au Difcours que M. Rouffeau , Citoyen de
Geneve , a publié fur le même fujer ; par
M. Jean de Caftillon , Profeſſeur en Philofophie
& Mathématique à Utrecht , &
Membre des Académies royales de Londres
, Berlin & Gottingue , &c. imprimé
à Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût. Prix 3 liv. 12 fols , broché .
Il nous a paru que la raifon & la fageffe
fe faifoient fentir dans ce Livre eſtimable.
Les hommes y font examinés dans
leur origine , & portés immédiatement
après les premiers momens de leur enfance
dans la fphere des vices & des vertus ,
c'eft- à - dire fur le théâtre naturel de leurs
actions. Le mal & le bien qu'ils font &
qu'ils peuvent faire , y eſt pefé par la main
équitable de la philofophie , & la conclufion
eft qu'ils méritent plus d'eftime que
de mépris . Le fyftême de l'Auteur eft que
de tout temps l'homme fut , & annonça ce
qu'il devoit être. Il agit , penſa , diſtingua
& inventa. Selon lui , les premiers
DECEMBRE. 1756. 127
Arts touchent aux premiers hommes. Les
premiers befoins firent naître les premieres
idées. Ce raifonnement eſt tout fimple ; en
l'étendant , en paffant de l'examen du
principe à l'examen de l'effet , on voit éclorre
la fociété mais cette fociété formée at'elle
été un bien en elle -même pour les
hommes fi enclins à abufer du bien & du
mieux ? Oui , fans doute : le mal qu'elle a
fait naître ne doit être reproché qu'à
l'homme lui -même ; c'eft lui qui a corrompu
par fes inclinations vicieufes la
fource des avantages qu'elle renfermoit
dans fon fein : mais cet abus du bien &
du mieux n'a détruit que des parties d'un
tout inestimable & inépuifable. Celles que
la nature , la raiſon & la juſtice ont fauvées
du naufrage , fe perfectionnent tous les
jours, & fe feront fentir à jamais. « Où ſont,
» dit-il , ces Brigans qui infeftoient toute
» la terre , & qui exerçoient le courage
» des Hercules & des Théfés ? Où font
» ces Pyrates ( 1 ) qui rendoient la mer plus
dangereufe par leurs armes qu'elle ne
par fes tempêtes Les malheureux
qui éprouvent la fureur des vents & des
" ondes , trouvent des mains fecourables
"fur ces bords , où ils ne rencontroient
» que des mains avides de rapine & de
(1) Ils revivent encore de nos jours , dira M. R.
و ر
» l'eft "
"
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
و د
ود
» carnage. On parcourt tout le globe plus
fûrement qu'autrefois une Province. Les
» meres juſtement glorieufes de leur fé-
» condité , ne craignent plus que les ordres
» d'un époux dénaturé , les privent de leur
»fruit. Au lieu d'enfans expofés aux bêtes
féroces , & de vieillards livrés à leur
» mifere & à leur caducité , on voit par-
» tout des azyles où l'enfance abandonnée
» & la vieilleſſe indigente trouvent des
»peres tendres & éclairés , & des fils
riches & bienfaifans ; des maiſons to
jours prêtes à recevoir les Citoyens languiffans
, pour les rendre à la patrie
» fains & robuftes. Aux marais & aux
glaçons ont fuccédé des Villes magnifi
" ques & peuplées. L'abondance a pris la
place de la ftérilité , qui régnoit fur pref
» que toute la terre. Les hommes menent
» une vie douce & heureufe par les foins
» d'un petit nombre de conducteurs. Il ne
» s'éleve plus de Tyrans dans les Républi
"ques. On ne voit plus fur le trône les
» Nérons & les Caligulas , & bientôt
» l'homme & la fociété feront ce qu'ils
ور
ور
ور
20
و د
ود
peuvent & ce qu'ils doivent être . La
» bonne foi réglera le commerce : l'utilité
» publique dirigera les Arts & les Sciences :
» le Guerrier préférera le falut de fa patrie
» à fa gloire : le Magiftrat , la République
0
C
E
DECEMBRE . 1756 . 129
"
»
"3
"
"
» à fes intérêts ; le peuple , l'utilité com-
» mune à fes avantages . Je vois le mérite
feul faire & maintenir la Nobleffe . Qui-
» conque dégénere , déroge , & ne déroge
» que parce qu'il dégénere. La grandeur
» la plus élevée , la fcience la plus fubli-
» me , les talens les plus rares , eftiment la
» vertu même en guenille , parce que tous
» font vertueux , & ils le font parce qu'ils
refpectent tous la Religion , non pas
» ce fantôme pointilleux qui s'allarme pour
» un Dogme de pure fpéculation , qui per-
» fécute pour un mot mal interprété , mais
» cette fille des Cieux , qui ne refpire que
» le bonheur des hommes & l'avantage
de la fociété , & qui ne reconnoît pour
» fes Miniftres que ceux qui éclairent les
» hommes par leur doctrine , qui les corrigent
par leur exemple , qui mettent
» leur honneur dans la vertu , leur richeffe
dans la modération , leur ambition dans
l'humilité , & c. Nous rendriens un
compte plus exact de cet Ouvrage , fans les
limites étroites où nous fommes obligés
de nous renfermer. Peut -être y trouverat'on
les hommes vus avec autant d'indulgence
, & traités avec autant de faveur
qu'ils ont paru jugés avec févérité dans
celui de M. Rouffeau . Quoi qu'il en foit ,
nous nous bornons à dire que tout le Livre
33
و و
"
ود ע
F'v
130 MERCURE DE FRANCE .
APA
de M. Caftillon porte fur ce « que l'homme
fans fociété eft un être de raifon , qu'on
» peut examiner uniquement pour découvrir
ce que l'homme fe doit à lui -même ;
qu'un de fes premiers devoirs eft de fon-
» der la fociété ; qu'elle exige l'inégalité
» de Souverain & de fujets , de grands &
» de petits diftingués par l'autorité &
ور
"
ود
par la puiffance
; qu'elle
admet
l'inégalité » de nobles
& d'ignobles
; qu'elle
donne » néceſſairement
naiſſance
à l'inégalité
de » riches
& de pauvres
; que le mérite
doit » régler le choix des perfonnes
qu'on
éleve » à la puiffance
, qu'on diftingue
par la
و د
33
»
Nobleffe , qu'on affocie au Gouverne-
» ment ; que toutes ces inégalités autorifées
par le droit naturel , fans qu'il y en
ait une feule autorifée par le feul droit
pofitif, font juftes en elles-mêmes & injuftes
dans leur abus ; que le genre hu-
» main eft auffi heureux que le permet fon
» état préfent , quoique fon bonheur puiffe
» croître à l'infini. »
33
و ر
ود
TRAITÉ des Courbes algébriques, 1 vol .
in 2 , avec figures. Prix 3 liv. relié. A
Paris chez Jombert , rue Dauphine , à
l'Image Notre - Dame , 1756 .
ALMANACH récréatif pour l'année 1757.
V
DECEMBRE . 1756. 131
A Paris , chez Cuiffard , quai de Gêvres ,
vis - à-vis l'Ange Gardien .
RÉFLEXIONS en vers fur l'Héroïfme .
A Berlin , 1756 ; & fe trouvent à Paris ,
chez le même Libraire.
A l'AUTEUR de la Lettre du fecond Volume
du Mercure d'Octobre 1756 , page 114.
Vous annoncez , Monfieur , votreOpération
comme très fimple , & elle l'eft effectivement
, & ne peut l'être davantage
en vous fervant des parties aliquotes : que
direz vous de celle - ci qui eft la même
la vôtre ?
83
iz 1284 liv . 16 fol . 4 d. 83
que
3614 9 10 8
96385
6 8
4 4 pour la fraction.
R: 1000l00
Celle- ci emploie beaucoup moins de
chiffres , & fait voir que les parties aliquotes
ne font pas le plus grand abrégé.
Je fuis , Monfieur , &c.
LABASSÉE , Graveur de Muſique.
Ce 11 Novembre 17.56.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
PREMIERE SÉANCE PUBLIQUE
De la Société Littéraire de Châlons -fur
Marne.
LA Société Littéraire de Châlons- fur-
Marne tint fa premiere Séance Publique
à l'Hôtel de Ville , le 4 Juin dernier.
M. l'Evêque & M. de Barberie - de Saint-
Conteſt- de la Chataigneraie , Intendant de
Champagne , Préfident honoraire de cette
Société , y affifterent avec Meffieurs les
Officiers municipaux en corps.
M. Fradet , Secretaire de l'Intendance
de Champagne , Directeur en exercice ,
ouvrit la Séance par un Difcours dans
lequel , après avoir donné au zele de M.
Dupré d'Aulnay , Chevalier de l'Ordre de
Chrift , fondateur de la Société , les louan
ges qui lui font juftement dûes , il fit
les éloges de Monfeigneur le Comte de
Clermont Prince du Sang , protecteur de
la Société ; de M. l'Evêque & de M. l'Intendant
. Delà paffant aux objets dont les
Académies devroient principalement s'oc
cuper , M. F. établit que tout corps litté
raire , s'il veut fe foutenir & fe rendre
utile , doit néceffairement commencer par
fe faire un plan d'étude , & le fuivre.
DECEMBRE. 1756. 133
expofa fuccinctement celui que la Société
s'eft formée. Il annonça qu'elle fe propofoit
de faire des recherches fur l'hiftoire
naturelle , eccléfiaftique , civile , politique
& littéraire de la Champagne , & fit voir
que cette province offre , dans ces différens
genres , des fujets auffi grands , auffi
curieux & auffi intéreffans qu'aucune autre
partie du Royaume..... M. de Relongue
-de la Louptiere , affocié externe , lut enfuite
une piece mêlée de profe & de vers ,
fur le fujet de l'affemblée.
Après la lecture de ces deux difcours
- M. l'Abbé Suicer Licentié- ès-Loix
Secretaire perpétuel , rendit compte au Pablic
de l'établiffement & des progrès de
la Société , & lut les extraits des Ouvrages
préfentés dans les Séances particulieres ,
au nombre de plus de 40. Sur l'hiſtoire ,
la morale la phyfique , &c.
Cette lecture finie , le Secretaire annonça
l'expofition de la grande eſtampe
du Parnaffe François & de 33 médaillons
en bronze doré , des Poëtes & Muficiens
les plus célebres des regnes de Louis le
Grand , & de Louis le bien- aimé , envoyés
par M. Titon du Tillet , affocié
externe.
Cette annonce fut fuivie de la lecture
d'une Ode , intitulée : le Parnaffe Fran134
MERCURE DE FRANCE .
çois exécuté en bronze , que M. Meunier ,
Avocat en Parlement , adreffa à l'Auteur
de ce monument.
M. Culoteau de Velie , Avocat du Roi
au préfidial de Châlons , lut un mémoire
pour fervir à l'hiftoire de cette Ville.
M. l'Abbé Suicer communiqua enfuite
à l'affemblée le projet d'une bibliotheque
Champenoife.
M. l'Abbé Beſchefer , Chanoine de l'Eglife
Collégiale de Notre-Dame en Vaux
lut une differtation fur l'époque de la miffion
de S. Memmie , Apôtre & premier
Evêque de Châlons. M. Meunier lut une
Ode fur la beauté , adreffée aux dames.
M. Navier , Docteur en médecine ,
affocié correfpondant de l'Académie Royale
des Sciences de Paris , lut un mémoire
contenant des recherches économiques
fur les moyens d'augmenter la production
des grains , & de fertilifer les terres arides
de la province de Champagne.
M. Varnier , Avocat en Parlement , lut
un difcours fur l'utilité & les avantages des
bonnes études .
La Séance fut terminée par la lecture
d'une piece de Poéfie de M. de la Louptiere
, intitulée Amitiés Poétiques à la chevre
dont j'ai pris le lait.
G
t
DECEMBRE. 1756. 135
EXTRAITde la Séance publique du mois
d'Août , de l'Académie des Sciences &
Belles- Lettres de Dijon , & Prix propofes
par la même Académie.
Monfieur l'Abbé Derepas , Académicien
honoraire , ouvrir la féance par un
difcours fur les Caufes des Faux Jugemens
, qui auroit fait juger très avantageufement
des talens & du mérite de
l'Auteur , s'ils n'euffent été déja connus
par plufieurs Ouvrages marqués au fceau
de la jufteffe , de l'aménité , de la netreté
& de la préciſion.
M. Fournier Docteur en Médecine ,
Membre de l'Académie , lut enfuite un
Mémoire fur l'Inoculation , dans lequel
il établit que cette méthode n'eft poing
également avantageufe dans les différens
climats. Les avantages de l'Inoculation
ne peuvent être appréciés que fur le
danger de la petite vérole naturelle ,
comparé avec celui auquel on eft expofé
par l'Inoculation . Ainfi s'il étoit
un climat ) une contrée , où le danger
fût à peu près égal de part & d'autre ,
nul doute que cette méthode n'y fût
que de très-peu d'utilité. Telle a paru la
136 MERCURE DE FRANCE.
Bourgogne à M. F. qui depuis 20 ans
qu'il y exerce la Médecine avec diftinction
, n'y a pas même va périr un malade
, fur so attaqués de la petite Vérole.
L'Inoculation pratiquée fur des fujets
pris au hafard , à Paris ou à Londres
ne pouvoit guere avoir un fuccès
plus heureux .
>
Quoique cet expofé fondé fur une
expérience de 20 années , paroiffe peu favorable
à l'Inoculation , M. F. eft bien
éloigné de la profcrire dans cette province.
Il penfe au contraire qu'on doit
l'admettre .
10. Parce que plufieurs habitans de
cette province peuvent changer de cli
mat , & être par-là privés des avantages
qui y font attachés , puifqu'ils ne pervent
dépendre que de fon heureuſe -
tuation , de la bienfaifance des alimens ,
& de la falubrité de l'air qu'on y refpire.
20. Parce qu'il peut furvenir une épidémie
dont la malignité prévale fur l
bénignité du climat . M. F. penfe que quelle
que foit cette malignité , elle n'immoleroit
qu'un petit nombre de fujets , fi
l'on prenoit lors de ces épidémies , les
précautions que l'on prend pour difpo
fer à l'Inoculation .
3. Parce qu'en procurant de bonne
Σ
23
DECEMBRE. 1756. 137
heure la petite Vérole , on met le malade
à l'abri des inquiétudes fur le fuccés
, & de la crainte d'être marqué , qui
dans les fujets plus avancés en âge , augmente
toujours le danger de la maladie.
Si M. Fournier n'avoit à combattre que des
préjugés , il eft certain qu'ils ne tiendroient
point contre les raifons qu'il leur
oppofe : mais , comme il le dit lui- même ,
» c'eft plutôt ici une affaire de coeur ,
qui étouffera toujours la plus vive lu-
» miere . On eft & on fera toujours plus
frappé d'un mat préfent quoique lé-
" ger , mais qu'on fe procure volontai-
» rement , que d'un autre plus confidé-
» rable , dont l'existence n'eft vue que
dans le lointain & à la difpofi-
33
29
"3
93
و د
و ر
» tion du hafard ... L'incertitude , l'éloignement
, l'efpérance répandent des
» ombres favorables fur nos maux à ve
» nir > & nous voile une partie des
amertumes qui en font inféparables...
La tendreffe paternelle fera toujours
» dans les pays où on fent autant que
l'on penfe , un obftacle à l'introduc-
» tion de cette méthode .
>>
» La Circaffie a été conduite à l'I-
» noculation par l'avidité du gain , l'a-
" mour de la nouveauté a déterminé
» l'Angleterre , les Genevois ont été en13S
MERCURE DE FRANCE .
29 traînés par
des
preuves de fait , il eft
» à craindre que la Bourgogne ne ſe
» décide que par le coeur & les fentimens.
وو
M. l'Abbé Richard , Secretaire perpétuel
de l'Académie pour les Belles-
Lettres , communiqua enfuite des obfervations
fur quelques phénomenes de la
foudre , dont il donna une explication
très ingénieufe , & en même temps trèsvrai
-femblable .
M. Mavet, Chirurgien- Major de l'Hôpital
, & Membre de l'Académie , termina
la féance par la lecture d'un Mémoire
fur la néceffité d'enlever de bonne heure
les boutons chancreux du vifage.
La dénomination de noli me tangere ,
appliquée aux excroiffances chancreufes
du vifage , en a tellement impofé fur
leur nature , qu'on a toujours craint de
les attaquer. Perfuadé que le virus chan .
creux avoit fa fource dans le fang , oa
a cru inutile de s'attacher à en détruire
les effets , puifqu'il feroit toujours en
état de les renouveller. M. M. s'éleve
contre cette opinion . On fçait, dit - il , que
la plupart des tumeurs chancreufes n'ont
été dans leur principe qu'un fimple engorgement
glanduleux , prefque toujours
determiné par des caufes extérieures &
accidentelles , dont le plus fouvent toute
COD
FOL
ve
DECEMBRE. 1756. 139
l'action s'eft bornée à la partie bleffée .
Les effets de ces caufes étant ordinairement
les mêmes , & fur les corps les plus
fains , & fur les plus cacochimes , on en
doit inférer qu'ils ne dépendent point
d'une difpofition particuliere dans la
malle totale des humeurs , ou d'un vice
préexiftant dans le fang , mais fimplement
dans la nature de l'organe affecté , &
de l'efpece de fluide qui y eft arrêté.
•
Tout concourt à établir , difons mieux ,
tout confirme que c'est la matiere même
contenue dans la tumeur , & jettée en
fonte par l'action des caufes capables
d'exciter & d'animer le jeu des vaiffeaux
voifins , qui détermine les accidens qui
accompagnent un cancer ulcéré ou prêt
à s'ulcérer : ainfi c'eft gratuitement qu'on
fuppofe un vice intérieur , un virus chancreux
, qui ne peut exifter dans le ſang ,
qu'au moyen d'un repompement de la
fanie infecte de l'ulcere par les vaiffeaux
abforbans. En effet l'expérience
nous a appris qu'il ne faut fouvent qu'un
foible coup fur la partie affectée , pour
mettre en action le venin , qui étoit commeaffoupi
. Une caufe auffi légere feroit- elle
capable de le développer , s'il étoit mêlé
avec toute la maffe ? Pourquoi d'ailleurs
affecteroit- il fi conftamment la partie ma140
MERCURE DE FRANCE.
lade , dans laquelle, vu l'embarras qui s'y
trouve , il devroit avoir plus de peine à
pénétrer. Difons donc avec M. M. dont
nous fouhaiterions pouvoir partout emprunter
les termes , que ce virus ne doit
être foupçonné que forfque l'ulcération
eft ancienne & d'une certaine étendue ,
puifque le repompement eft toujours en
raifon compofé des temps , & du nombre
des vaiffeaux abforbans ouverts. Il
eft d'ailleurs vraisemblable qu'il faut une
quantité déterminée de fanie pour infecter
la maffe des humeurs , & que le moument
continuel dont elle eft agitée , en
peut amortir ou détruire les funeftes effets.
Ainfi , quand il fera queftion d'un
cancer récent , dont la furface fera peu
étendue , & la fanie peu abondante , tels
que font les boutons chancreux du vifage
, qui n'ont pas été trop long- temps
negligés , on peut avec confiance tenter
l'opération , qui eft d'ailleurs le feul
moyen d'arracher les malades au funefte
fort dont ils font menacés. M. M. termine
fon mémoire par des obfervations
qui confirment fa théorie , && par des
remarques fur le manuel de l'opération ,
qui prouvent qu'il eft également verfé
dans les différentes parties de fon Art.
L'Académie qui avoit propofé pour
re
C
Pa
C1
DECEMBRE. 1756. 141
fujet du Prix de 1756 , de déterminer les
caufes de la graiffe du vin , & donner les
moyens de l'en préferver ou de le rétablir ,
n'ayant pas eu lieu d'être fatisfaite des
mémoires qui lui ont été adreffés , a cru
devoir en renvoyer la diftribution à l'année
1759. Elle invite les Auteurs à profiter
de ce temps pour faire de nouvelles
recherches fur les caufes particulieres
de cette altération , fur leurs manieres
d'agir , & fur les changemens qu'elles
opérent dans la mixtion du vin . Elle defire
furtout qu'ils s'attachent à concilier
& à faire quadrer les caufes reconnues
avec les moyens propofés pour en prévenir
ou en détruire les effets.
L'Académie a déja fait annoncer pour
fujet de morale pour l'année 1757 le
problême fuivant : Eftil plus utile d'étudier
les hommes que les livres ? Celui de
Médecine pour l'année 1758 eft conçu en
ces termes : Quelles font les regles générales
qu'on doit fuivre dans le traitement des
maladies épidémiques commençantes ? &
quels font les moyens d'en découvrir le
caractere particulier ? L'Académie fouhaite
que les Auteurs s'attachent principalement
à indiquer d'une maniere précife
les regles générales qu'on doit fuivre
dans le traitement des maladies épi142
MERCURE DE FRANCE.
démiques , dont la nature n'eft pas encore
connue , & qu'ils raffemblent &
expofent les moyens que l'Art fournit ,
pour en découvrir le caractere & le génie
particulier ; découverte d'autant plus
utile , qu'elle eft l'unique flambeau qui
puiffe éclairer fur les indications qu'elles
préfentent , & guider dans le choix
des moyens les plus propres à les remplir.
Ces Prix confiftans en une médaille
d'or de la valeur de 300 liv. feront adjugés
à ceux qui auront le mieux rempli
les vues de l'Académie . Il fera
Îibre aux Auteurs d'écrire en François
ou en Latin , obfervant que leurs Ouvrages
foient très lifibles , & qu'ils n'excedent
pas une heure de lecture. Les
Mémoires francs de port , feront adreffés
à M. Petit , rue du vieux Marché , à Dijon
, qui n'en recevra aucun paffé le
premier Avril des années pour lefquelles
les prix font indiqués. Les Auteurs
mettront au bas de leurs Mémoires une
Sentence ou Devife : ils y joindront un
papier cacheté , au dos duquel fera la
même devife , & fous le cachet leurs
noms , leurs qualités & leurs demeures ,
pour y avoir recours dans le cas feulement
où les Ouvrages obtiendront le
prix.
"
DECEMBRE. 1756. 143
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GÉOGRAPHIE.
LETTRE du Révérend Pere Dom Auguftin
Calmet , Abbé de Senones , fur la
terre de Geffen & fur le Royaume de Tanis
en Egypte.
JE
op-
E defirois depuis long- temps que quelqu'habile
homme traitât la matiere du paffage
de la Mer- Rouge avec l'exactitude
que demande l'importance de ce célebre
événement , qui jufqu'ici a produit tant
de différens fyftêmes & d'opinions fi
pofées les unes aux autres ; les uns croyant,
felon la Lettre du récit de Moyfe , que les
Hébreux traverferent la Mer -Rouge d'un
bord à l'autre , ayant les eaux miraculeufement
fufpendues à leur droite & à leur
gauche , les autres prétendant qu'ils ne firent
qu'un demi-cercle en paffant d'un bord
à l'autre du même côté , & profiterent ha144
MERCURE DE FRANCE.
bilement du reflux de la mer , pendant
qu'elle laiffoit les deux côtés à l'extrêmité
de fon lit defféchés , & que les Egyptiens
fe livrant inconfidérément dans le même
lit de la mer , y furent engloutis par le
flux des eaux qui retomberent fur leur
armée .
J'ai lu avec beaucoup de fatisfaction un
petit Ouvrage intitulé , Effai phyfique fur
l'heure des marées dans la Mer - Rouge , comparée
à l'heure du paffage des Hébreux ( 1 ) .
L'Auteur n'y a point mis fon nom ; mais
j'ai appris depuis qu'il fe nomme M.
l'Abbé Hardy, du College Mazarin , à Paris.
Je lui dois la juftice de reconnoître qu'il
a très-bien rempli fon projet , & a mis
cette matiere dans un plus grand jour
qu'elle ne l'ait été jufqu'aujourd'hui.
Il avoit été précédé par le Révérend Pere
Sichard , Jefuite , Miffionnaire en Egypte,
qui ayant été exprès fur les lieux , avoit
déja tracé avec exactitude la route que les
Hébreux avoient fuivie dans leur marche
au fortir de l'Egypte .
Permettez -moi , Monfieur , de vous dire
, qu'il manque encore quelque chofe au
travail de ces deux fçavans Obfervateurs :
c'eft de fixer plus exactement la pofition
(1 ) On le trouve chez Jombert & Lambert.
de
DECEMBRE. 1756. 145
de la terre de Geffen , que les Ifraélites
habiterent dans l'Egypte , & le Royaume
de Tanis où demeuroit le Roi Pharaon ,
& la route que les Hébreux & les Egyp- !
tiens fuivirent jufqu'à la Mer- Rouge.
Il eft certain que Jacob & fa famille
arrivés en Egypte , habiterent dans la terre
de Geffen , qui leur fut donnée par le Roi
Pharaon. Il paroît par l'Ecriture que le
nom de Pharaon fe donnoit à tous les Rois
d'Egypte , & que ce n'eft pas un nom propre
, mais un terme appellatif comme qui
diroit le Roi.
le
Geffen , ou Geffem , ou Gozen , en hé
breu fignifie pluie , & la terre de Geffen
pays de pluie , parce que dans la haute
Egypte au deffus du Delta , il pleut trèsrarement
; au lieu que dans la baffe-Egypte
aux environs de Damiette & de Pelufe ,
où nous plaçons la terre de Geffen , il pleut
affez fouvent.
La terre de Geffen étoit donc dans la
baffe- Egypte , à l'Orient du bras le plus
oriental du Nil , dans le canton que l'on
nomme Arabique, au deffous d'Héliopolis ,
nommé On en hébreu . Dans ce canton
ous connoiffons les villes de Damiette &
le Pelufe , qui étoient compriſes dans le
Royaume de Tanis on y voyoit auffi
Rameffe , Sethros & Pithom , ou Bubafte , &
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Abarit. Nous parlerons de chacun de ces
lieux en particulier.
La terre de Geffen confine avec la Paleftine
( 1 ) , & en eft féparée par un terrein
défert & inhabité , d'environ huit ou dix
lieues d'étendue de l'orient au couchant.
Il est à préfent prefque inhabité , quoiqu'autrefois
, felon l'Ecriture ( 2 ) , il ait été
habité au moins en partie , & il l'étoit
encore apparemment du temps que David
étoit perfécuté par Saül , & demeuroit auprès
du Roi de Geth.
Jacob & fes enfans avoient leur demeure
à Hébron ( 3 ) dans la Paleſtine ,
lorfque Jofeph les manda pour venir en
Egypte , & leur promit de leur faire donner
par le Roi la terre de Geffen . Lorfqu'ils
furent fur les frontieres , & que Pharaon
eut appris leur arrivée ſur ſes terres ,
il leur fit dire qu'ils pouvoient venir en
affurance , & qu'il leur donneroit la moëlle
de la terre (4) & Jofeph informé qu'ils
étoient arrivés dans le pays , fit mettre fes
chevaux à fon charriot , & fe hâta de venir
en diligence embraffer fon pere. Tout
cela marque que la demeure du Roi & de
(1) V. Genef. xlv, 10. xlvj , 28. xlvij , 1 , 4 , 6, 27.
( 2) 2. Reg. viij , 9 & 10.
( 3) Gen. xxxv , 2 , & xxxvij , 15.
(4) Gen. xlv , 17 & 18. xlvj , 28.
DECEMBRE . 1756. 147
Jofeph étoit affez éloignée de la terre de
3 Geffen. En effet , ce pays que nous plaçons
dans la baffe- Egypte , étoit à l'orient
du bras le plus oriental du Nil , & avoit le
Lac Sirbon & la ville de Rhinocorure au
levant , & Tanis à l'occident.
Les deux Ecrivains qui nous ont fi bien
marqué la fituation & la largeur de la
Mer- Rouge , & les circonftances de la'
fortie des Hébreux de l'Egypte ; fuppofent'
qu'ils fortirent du vieux Caire , où Pharaon
faifoit , à leur avis , fa demeure ordinaire
, comme dans la Capitale de fes
Etats. Mais le vieux Caire , qui eft voiſin'
de l'ancienne Babylone d'Egypte , étoit
trop éloigné de la ville de Tanis , où il eft.
indubitable que Moyfe fit tant de mi-'
racles aux yeux de Pharaón & de fes ferviteurs.
Il eft vrai que Jofephe l'Hiftorien ( 1 )
dit que les Juifs s'affemblerent à Letopolis '
ou Latopolis , pour fortir de l'Egypte ; que
ce lieu étoit alors défert , mais que dans la
faite on y batit Babylone d'Egypte : il croyoit
donc que les Hébreux avoient leur demeure
dans la haute Egypte , puifque Babylone
eft au deffus , & au nord- est du
vieux Caire ; ce qui eft fort différent de
(1) Jofephe , antiq. I. z , ch. 15.
1
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
tout ce que nous avons dit jufqu'ici , &
que nous dirons encore ci- après..
Le Patriarche Jofeph , pour ménager à
Jacob fon pere, & à fes freres les Hébreux ,
fils de ce Patriarche , une demeure en
Egypte propre à leur profeffion ( 1 ) , les
avertit de dire à Pharaon qu'ils étoient
Pafteurs de Brebis , parce que les Egyptiensont
en horreur les Pafteurs de ces fortes
d'animaux par conféquent il ne convenoit
pas de leur affigner des demeures
parmi celles des Egyptiens , & voifines les
unes des autres ; c'auroit été une occafion
continuelle de difputes & de querelles.
Il leur fit donc donner un canton éloigné
de la Capitale du Royaume de Tanis ,
où Pharaon tenoit fa cour. Il leur affigna
la terre de Geffen , comme plus propre à
nourrir des brebis : car Strabon ( 2 ) & les
Voyageurs remarquent que les environs
de Tanis font remplis de lacs , d'étangs &
de marais contigus les uns aux autres . Or
un tel terrein n'étoit nullement propre
nourrir des troupeaux de brebis , qui demandent
un pâturage plus fec & moins
gras.
Il n'étoit
pas non plus permis aux Egyp-
(1) Gen. xlvj , 34:
(2) Strab. 1. 18, P. SS2.
S
g
er
ra
DECEMBRE . 1756. 149
tiens de manger avec les Hébreux ( 1 ) ,
ils les regardoient comme impurs.
Hérodote ( 1 ) remarque qu'ils avoient la
même répugnance de manger avec les
Grecs ; ils ne vouloient ni leur donner le
baifer , hi fe fervir de leurs couteaux , ni
ufer de leur pots ni de leurs vaiffelles , ni
manger d'une viande qui auroit été coupée
par le couteau d'un Grec. Telle étoit la
fuperftition de cet ancien peuple envers les
Etrangers.
:
que
ܝ
les
Il paroît néanmoins par le récit de
Moyfe en un autre endroit
Hébreux s'étoient familiarifés avec les
Egyptiens , & qu'ils s'étoient approchés
de Tanis ; encore que les Hébreux , ' qui
étoient venus en Egypte avec Jacob ,
fe fuffent infenfiblement mêlés avec les
Egyptiens cependant ils conferverent
toujours leur Religion , la Circòncifion ,
leur Langage , leurs Lettres , leur maniere
d'écrire , en forte que Moyfe au Mont
Sinaï écrivit la Loi de Dieu , qu'il donna
aux Hébreux en , caracteres & en langue
Hébraïque , & non en caracteres ni
en langue Egyptienne , quoiqu'il n'ignorât
ni l'une ni l'autre , ayant vécu plufieurs
années dans ce Pays , & ayant été
(1) Gen. xliij , 31-32 .
( 2) Hérod. 1. 2 , C. 41 .
G iij
150 MERCURE DE FRANCE..
inftruit de toute la fageffe des Egyptiens ,
comme fils adoptif de la Princeffe fille
du Roi de Tanis ; & qu'il parlât fans
interprete à ce Prince , même après fon
retour du pays. de Madian , où il avoit
demeuré affez long- tenis . On fçait d'ailleurs
à n'en pouvoir douter , que le langage
& le caractere dont fe fervoient les
Egyptiens , étoient fort différens de ceux
des Hébreux & des Phéniciens. Car lorfque
les Ifraelites furent fur leur départ
de l'Egypte pour aller facrifier à leur
Dieu dans le défert , Moyfe leur dit : ( 1 )
Que les hommes d'entre vous demandem
à leurs amis , & les femmes à leurs voifines
, des vafes d'or & d'argent pour porter
avec vous dans cette cérémonie; & Dieu
leur donna grace aux yeux des Egyp
tiens , qui leur prêterent volontiers ce qu'ils
avoient de plus précieux : en forte qu'en
fortant ils emporterent les richeſſes des Egyp
tiens , & fe payerent par leurs mains des
travaux qu'ils leur avoientfait faire. Lorfque
la fille de Pharaon découvrit le jeune
Moïfe fur le bord du Nil , elle y
étoit allée ou pour fe baigner , ou pour
laver du linge ; comme dans Homere
(2 ) la Princeffe Nauficaë , fille du Roi
(1 ) Exod. xj , 2. xij , 35.
(2) Hom. Odyff. 2 , v. 60.
F
་
DECEMBRE . 1756. 151
-13
Alcinous la ville de Tanis , où demeuroit
Pharaon , étoit donc près de ce
fleuve , & les Hébreux demeuroient alors
pêle-mêle avec les Egyptiens , aux environs
de Tanis , ou peut- être dans cette
ville même.
Du temps de Tite , Tanis n'étoit qu'une
petite ville , (1 ) mais du temps du Prophete
Ifaïe , ( 2 ) elle paffoit pour une
des principales villes de l'Egypte : Ifaïe
en parle comme d'une ville célebre par
la profeffion des Sciences que faifoient
Efes habitans. Il fe moque de la prétendue
prudence de fes Princes : Stulti Principes
Taneos . Er Moïfe dans les Nombres ,
( 3 ) dit que la ville d'Hébron , qui paffoit
pour une des plus anciennes de Chanaan
, n'étoit que de 7 ans plus vicille que
Tanis.
-
Jofephe l'Hiftorien (4) décrivant la
marche de Tite , fils de l'Empereur Vefpafien
, venant d'Alexandrie en Judée ,
dit qu'il s'embarqua à Alexandrie & vint
par mer jufqu'à la ville Thmuis , &
qu'après être defcendu à terre , il vint
coucher à une petite ville nommée Thanis ,
(1)Jofephe, de Bello , Jud. 1. 4 , c. 18 .
( 2 ) Ifaïe xix , 11-13 . XXX , 4 .
(3 ) Numer. xiij , 23.
(4 ) Jofeph. de Bell. Jud . 1. 4 , C. 18.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
delà il arriva à Héracléopolis, & le troisieme
jour à Pélufe , trois jours après au mont
Cafius , le lendemain à Oftracine , puis
à Rinocorure , delà à Raphia , qui eft la
premiere ville de la Syrie , enfuite à Gaza.
Tanis étoit donc au couchant du bras
le plus oriental du Nil , à 5 ou 6 lieues
de la ville d'Héracléopolis , à 10 ou 12
lieues de Pelufe ; car les troupes Romaines
faifoient ordinairement sou
lieues par jour.
›
Le Roi de Tanis étoit maître du pays
de Geffen Tanis étoit capitale du Nome
Tanitique dans la baffe Egypte : l'Itinéraire
d'Antonin marque Tanis à 22
milles pas d'Héracléopolis , à pareille
diſtance de Thmuis c'est- à- dire à fix
ou fept lieues de ces deux villes : à
Tanis commençoit l'embouchure Taniti
que du bras du Nil , & le Nome Tanitique
connu dans Strabon , page 332 & dans
la notice de l'Empire , la troisieme de la
premiere auguftale Tanitique- Tanis. On cite
une médaille avec l'infcription TANIATA ,
la onzieme année d'Adrien : elle est encore
connue aujourd'hui fous le nom de Thiné
dans la baffe Egypte. Voyez Fourmont Defcription
des Plaines d'Héliopolis , page 81 .
Cette embouchure eft à préfent appellée
l'embouchure de Tennis ou Tenne
DECEMBRE. 1756. 153
xe ( 1 ) . Scherifal- Edriſi en fait mention , &
dit qu'elle eft placée fur un lac du même
nom , qui a 30 milles de largeur d'Orient
en Occident , & qui communique à un
autre lac , qui s'étend jufqu'auprès de
Damiette . Nous avons vu que Strabon
parle de ces lacs , & le Pere Sicard
en fait auffi mention , & leur donne
foixante mille de longueur. Ils commencent
au château de Thinée & s'étendent
jufqu'à Damiette , étant joints en
cet endroit au bras du Nil par un canal
de 1500 pas. L'eau en eft faumatre.
Ils font très - poiffonneux , & contiennent
plufieurs Ifles , entre lefquelles eft
celle de Tanis.
Il y a eu un ancien fiege Epifcopal àª
Tanis , qui a toujours fubfifté fous les
Mahometans.
Les Arabes fonderent même l'année
de leur conquête de l'Egypte , une feconde
ville de Tanis , dans une autre
ifle de ce lac , où il y avoit quelques an
ciennes ruines. Cette nouvelle ville de
Tanis eft devenue dans la fuite affez
confidérable , pour avoir une Chronique
particuliere fous le nom de Tarich Ten
nis. Le lac dans lequel elle eft fruée
( 1 ) V. le Diction . Geograph. de la Martiniere ,
art. Damiette & Pélufe.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
n'eft féparé de la mer , que par une langue
de fable de 3 milles de largeur.
A 25 milles de la bouche de Tanis ,
fe trouve la ville , puis le lac de Pharamida
ou Pharamiſa , ou Pharma , fituée
fur la côte de. la mer méditerranée :
cette côte n'eft éloignée de la mer rouge
que de 70 milles & n'en eft féparée que
par une grande plaine unie & très- peu
élevée au deffus du niveau des deux mers.
Pharamida, ou Pharamifa pourroit bien
être Rameffé , dont nous avons parlé ,
& dont nous parlerons même ci-après ;
car le Pa ou Pha , n'eft qu'un article
dans la langue Egyptienne. Au - delà
de Pharamide on trouve plufieurs lacs
qui ne font pas marqués dans les Cartes
ordinaires , quoique les anciens Portufiens
donnent connoiffance de leur pofition
, leur figure & leur dimenfion . Le plus
oriental de ces golfes eft nommé Rixa ,
qui pourroit bien être celui fur lequel la
ville de Rhinocoryre étoit fituée.
On aflure (1 ) qu'anciennement l'Egypte
étoit partagée en plufieurs Dynafties , on
plufieurs petits Royaumes , ayant chacun
leur Roi ; ce qui fait croire que les lif
tes que l'on produit des anciens Rois
(1) V. Marsham, Canon Cronol. Egypt. 25-26.
PCO
fo
C
u
d
d
9
9
DECEMBRE. 1756. 155
d'Egypte ne font pas fucceffives , mais
collatérales , & que ces Princes ne fe
fuccédoient pas les uns aux autres , mais
qu'ils régnoient en différens endroits , les
uns dans une Dynaftie , les autres dans
une autre.
La fuite au prochain Mercure.
GEOMETRIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
J'ai lu , Monfieur , dans votre Mercure
de ce mois , une Lettre que M. Lombart
vous a écrite à l'occafion de mon Théorême
inféré dans le Mercure du mois d'Août
dernier. J'avois toujours cru qu'un Géometre
étoit en état de diftinguer unThéorême
d'une Méthode. M. Lombart confond
P'un avec l'autre. Vous fçavez , Monfieur ,
que j'ai demandé fi mon Théorême étoit
contenu dans les Sections coniques du Marquis
de l'Hôpital ; & M. Lombart perdant
de vue ce que je demandois , a cherché
dans cet Ouvrage fi la Méthode à laquelle
mon Théorême appartient y étoit
contenue ; mais comme il le déclare , it
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
n'a trouvé cette Méthode, que dans le Trai
té des Sections coniques de M. de la Chapelle.
Il feroit long & hors de mon fujet d'examiner
fi M. Lombart a raifon même fur
ce point. Je vous prie feulement , Monfieur
, d'obferver qu'il femble avoir évité
dans fa Lettre juſqu'au mot Théorême ,
puifque ce terme ne s'y lit pas une feule
fois. Auffi mon Théorême ne fe trouve-til
nulle part dans l'Ouvrage , auquel M.
Lombart me renvoie : c'eft une vérité conftante
& reconnue par M. de la Chapelle
lui-même. J'eus l'honneur de lui communiquer
mon Théorême plus de huit mois
avant que de vous l'adreffer ; & il m'avoua
avec la candeur que tout le monde
lui connoît , qu'il n'avoit pas foupçonné
que les Courbes en général euffent la propriété
exprimée dans l'énoncé de ce Théorême.
J'attends toujours , Monfieur , quelque
nouvel avis de la part du Public.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MARSSON.
A Paris , le 3 Novembre 1756.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , comme je ne néglige guere
de lire le Mercure de France , j'avois vu
(
V
S
S
ta
DECEMBRE . 1756. 157
dans celui du mois d'Août l'Écrit de M.
J. G. Marffon , par lequel il invitoit les
Géometres à lui annoncer fi une propofi
tion qu'il y nomme fon Théorême fe trouvoit
dans le cinquieme livre du Traité des
Sections coniques du Marquis de l'Hôpital .
Sans être Géometre , je m'adonne quelquefois
à cette belle fcience , dont Platon
difoit que l'Eternel s'occupoit dans tous
les temps. Mais quoique parfaitement convaincu
que cette propofition eft contenue
dans l'Ouvrage cité , & même très - clairement
, pour quiconque l'a un peu étudiée
avec l'attention qu'il mérite , je n'en dis
mot dans ce temps là , ne voulant pas que
ce fût moi qui euffe: ôté à M. M. cette
idée fi chérie d'une découverte en Mathé
matiques.
Cependant je vois que cette petite méprife
eft accueillie : l'Auteur de la Lettre inferée
dans le dernier Mercure , accorde tout
gratuitement à M. M, que fon Théorê→
me ne fe trouve point dans le cinquieme
livre du Traité du Marquis de l'Hôpital ;
mais il le cherche dans le Traité des Sections
coniques de M. l'Abbé de la Chapellle
.
En vérité , Monfieur , je ne puis réfifter
à l'envie de vous avouer mon étonnement.
Comment eft-il poffible que des
158 MERCURE DE FRANCE.
Géometres lifent l'inestimable Ouvrage du
Marquis de l'Hôpital avec tant de diftraction
car je ne fçaurois préfumer que ce
foit défaut de fagacité , rien n'étant plus
aifé que d'y voir la propofition dont il
s'agit.
J'ofe donc vous prier , Monfieur , de
permettre que cette Lettre trouve fa place
dans votre prochain Mercure , qui étant
déja fi riche en différens morceaux de fittérature
& de bel - efprit , raffemblés avec la
délicateffe de goût que les Gens de Lettres
vous connoiffent > ne peut encore
manquer de réunir tous les fuffrages
lorfque les Amateurs des fciences exactes
y trouvent de temps en temps des matieres
relatives à l'objet de leurs recherches.
J'ai l'honneur d'être , &c. D.
A Paris, le 9 Novembre 1756.
La propofition dont il s'agit eft celle- ci :
"Dans une courbe ( quelconque ) ANO,
»le rectangle élémentaire MQ qui lui eft
» infcrit , eft à fon rectangle correfpon-
» dant ML inferit ( au complément ) ,
» comme la foutangente PT eft à l'abfciffe
correfpondante AP ».
Cette propofition , pour le dire en paffant
, fe démontre d'une maniere bien fimple
; car :
DECEMBRE . 1756.
159
L
SN
F
k M R
T A PQ
Le parallel. MG ( = MQ * ) : parallel.
ML:: MF ( PT ) : MK ( =
AP ). Ce qu'il falloit démontrer. ❤
Voici maintenant le raifonnement du
Marquis de l'Hôpital ( 1 ) .
m
m « MF ou PT = AP, ou MK ( 2 ) . »
" Donc auffi le parallel. FMSG , ou
» fon égal PM R Q = — KMS L » .
Or je dis que cette conféquence n'eft
recevable , en un mot que cet enthymeme
n'eft concluant que parce qu'il eft équivalent
au raifonnement que voici , dont il
renferme tacitement la mineure , mais que
tout Lecteur eft obligé néceffairement , &
ne peut manquer de fuppléer , s'il veur
entendre le raifonnement de l'Auteur.
*
Eucl. 43 , I.
( 1 ) Sect . Coniq. liv. 5 , art . 238 , aux trois dern.
fign. de la pag. 158 , édit. de 1720.
( 2 ) L'Auteur cite ici l'art. 237 , qui apprend
que 2 AP eft égale à la foutange PT.
160 MERCURE DE FRANCE.
— « MF ou PT= AP, ou MK » .
Or le parallel. FMSG , ou fon égal
PMRQeft au parallel. K MSL , comme
FM ou PT, eft à K M ou AP : Donc le
parallel. FMSG, ou fon égal PMR Q , eft
au parallel. KMS L, comme
KM, ou comme m eſt à 1.
MK eft à
« Donc auffi » ( en mettant cette analogie
en équation ) « le parallel. FMSG,
ou font égal PMRQ = KMSL » .
Maintenant fi M. M. veut bien relire
cette Mineure , en ne répétant , pour abréger
, que les mots écrits en italiques , il
trouvera que
Le parallelogramme PMRQ eft au parallel.
KMSL , comme PT eft à A P.
Ce qui eft précisément le Théorême dont
il s'agit
.
Mais fi M. M. eft curieux de voir quelque
part la même propofition énoncée expreffément
& mot à mot , qu'il fe donne
la peine de confulter un Livre Hollandois
imprimé à Amfterdam en 1706 , intitulé :
Analyfe , ou Refolution algébrique , de Problêmes
mathématiques , par Abraham de
Graaf, &c. Il y trouvera à la page 321 la
pofition fuivante qui revient à l'article
cité du Traité du Marquis de l'Hôpital :
*
*
1
"
DECEMBRE. 1756. 161
j'en ai changé ici les lettres pour ne pas
multiplier inutilement les figures.
93
30
" Si on a un trapeze AQNL , & qu'un
point Ms'y meuve en commençant en A
» & finiffant vers N: ( ayant fait MP
parallele à QN , & MK à PA , NL ou
" QA= b , LA ou NQ = c , AP = x ;
» MP = y ) , en forte qu'on ait toujours
» x' : y' : : b' : c' ; l'efpace ANQA fera à
» ANLA comme às , ou comme l'expo-
» fant de la ligne PM à celui de la ligne
» AP. Pour démontrer ceci , dit l'Auteur ,
» foit pris dans la courbe AMN ( elle eft
courbe , parce que les
proportionnelles
» x' , y' , b' , c' ont des expofans inégaux ) ,
un autre point N infiniment proche de
" M, & par N & M foit menée une
» droite jufqu'à PA prolongée , comme
NMT ; tirez GT parallele à MP , &
NGA PT, & prolongez MK en F , &
» en R , jufqu'à ce qu'elle rencontre QN
parallele à PM en R :
و د
""
Puifque la portion courbe MN eft
infiniment petite , NTeft tangente en
Nou M.
» Et à cauſe que l'analogie précédente
donne c' x' = b'y' , on trouvera la fou÷
tangente PT =
tx
» Donc puiſque PF, ou MF eft =
162 MERCURE DE FRANCE.
€
1x
& AP = x , on aura le petit tra-
» peze GM ou MQ au petit trapeze L M
(ou le quadrilatere PMNQ an quadri-
» latere LKMN , comme
» tàs. »
tx
-
) ou comme
Ce qui contient expreffement le Théorêtx.
--
-me en queſtion , , étant la fontange PT,
S
comme le dit nommément l'Auteur , & x
l'abfciffe AP correspondante.
FINANCE S.
FINANCIER.
INANCIER. Homme qui manie les Finances
; c'eſt-à-dire les deniers du Roi , qui
eft dans les Fermes , dans les affaires de
Sa Majefté : quæftorius , ararii collector .
C'eft à ce peu de mots que les meilleurs
Dictionnaires le bornent fur cet article . Le
Peuple , ( on doit entendre par ce mot le
vulgaire de toute condition ) , ajoute à
cette définition l'idée d'un homme enrichi ,
& n'y voit guere autre choſe. Le Philofophe
, ( c'est-à- dire l'homme fans prévention
) , peut y voir non feulement la poffibilité
, mais encore la réalité d'un Cid
F
C
P
en
CU
A
re
fo
fe
fe
DECEMBRE. 1756. * 163
toyen utile à la Patrie , quand il joint à
l'intelligence , aux reffources , à la capacité
qu'exigent les travaux d'un Financier
fconfideré dans le grand ) , la probité indifpenfable
dans toutes les profeffions , &
le defintereffement plus particuliérement néceffaire
à celles qui font lucratives par ellesmêmes.
Voici , par rapport à la définition du
Financier , les différens afpects fous lefquels
peut être envifagée cette profeffion
les Chevaliers Romains ne dédai- que
gnoient pas d'éxercer .
Un Financier veut être confidéré ,
1 °. Comme participant à l'adminiftration
des Finances , d'une maniere plus ou
( moins directe , plus ou moins prochaine ,
plus ou moins déciſive :
2º. Comme faifant pour fon compte ,
en qualité de Fermier , ou d'Alienataire ,
ou pour le compte du Roi , en qualité de
Régiffeur , le recouvrement des impofitions :
Comme chargé d'entreprise de guerre
, ou de paix :
4°. Comme dépofitaire des fonds qui
forment le Tréfor du Souverain , ou la caiffe
des particuliers qui font comptables envers
l'Etat,
Si l'on examine philofophiquement ces différentes
fubdivifions d'une profeffion de164
MERCURE DE FRANCE.
venue fort importante , & très- conſidérable
dans l'Etat , on demeurera convaincu
qu'il n'en eft aucune qui n'exige , pour
être dignement remptie , le concours des
grandes qualités de l'efprit & du coeur ;
les lumieres de l'homme d'Etat , les intentions
du bon Citoyen , & la plus fcrupuleuse exactitude
de l'honnête - homme vraiment tel :
car ce titre refpectable , eft quelquefois
légérement prodigué ,
On verra qu'il eft indifpenfable
1°. Que le régiffeur régiffe , perçoive
adminiftre comme pour lui- même :
2°. Que le Fermier ou l'Alienataire évitent
également la négligence qui compromer
le droit , & la rigueur qui le rend odieux :
3°. Que l'Entrepreneur exécute fes traités
avec une exactitude qui mérite c'elle
des paiemens :
4°. Que les Tréforiers & les autres
charges ou emplois à maniement , donnent
fans ceffe des preuves d'une probité qui
réponde de tout , & d'une intelligence qui
ne prive de rien.
pr
5°. Que tous enfin étant , par leurs
places , garans & refponfables envers l'Etat ce
de tout ce qui fe fait en leur nom , ou
pour le Gouvernement , ne doivent em- f
ployer , ( en fous ordre ) dans le recou
vrement , & dans les autres opérations ,
DECEMBRE . 1756. 165
Clont il font chargés , que des CURE
gens hupains
, folvables , intelligens , & d'une
robité bien conftatée ..
C'est ainsi que tous les Financiers
, chaun
dans leur genre , & dans l'ordre des
roportions
de lumieres , de fonctions , de
cultés , qui leur eft propre & particuer
, peuvent
être eftimés , confidérés
Ahéris de la Nation , écoutés , confultés ,
ivis par le Gouvernement
.
Ce portrait du Financier , bleffera peutre
une partie des idées fecues ; mais
ont- elles été en connoiffance de cauſes ?
Poivent- elles être admifes fans restriction ?
quant elles feroient juftifiées par quelshes
exemples , doivent- ils tirer à conquence
pour l'univerfalité ?
On répondra vraisemblablement qu'il
oit injufte & déraisonnable de les apquer
indiftinctement à tous les Finanrs.
Que penfer de cette application intincte
& générale dans un Auteur accréé
par fon mérite & par fa réputation ?
'ouvre l'Esprit des Loix ( 1 ) , ce livre qui
r tant d'honneur aux lettres , à la raifon ,
humanité , & je trouve dans cet Ouvra
célebre cette efpece d'anathême lancé
tre les Financiers , que l'on affecte de
afondre tous dans les injurieufes déno-
(1) Liv . XIII , ch. 20.
166 MERCURE DE FRANCE.
minations de Traitans & de Publicains.
r
<< Il y a un lot pour chaque profeffion :
»le lot de ceux qui levent les tributs eft
»les richeſſes , & les récompenfes de ces richeffes
font les richeffes mêmes. La gloi-
»re & l'honneur font pour cette Noblesse ,
»qui ne connoît , qui ne voit , qui ne ſent
»de vrai bien que l'honneur & la gloire.
»Le respect & la confidération font pour
»ces Miniftres & ces Magiftrats qui ,
»ne trouvant que le travail après le tra-
» vail , veillent nuit & jour pour le bon-
» neur de l'Empire ».
tec
U
сод
Con
Mais comment un Philofophe , un Lé
giflateur , un Sage a- t'il pu fuppofer dans
Te Royaume une profeffion qui voulûr ,
qui ne gagnât , qui ne méritât que de b
l'argent , & qui fût exclue par état de toute
autre forte de récompenfe..
On fçait tout ce que méritent de la Patrie
la Nobleffe qui donne fon fang pour
la défendre , le Miniftere , qui la gouver
ne , la Magiftrature qui la juge ; mais ne
connoît-on enfin qu'une efpece de gloire &
d'honneur , qu'une forte de refpect & de
confidération ? & n'en eft-il point que la
finance puiffe afpirer à mériter ?
far
Les récompenfes doivent être proportion- de
nées aux fervices , la gloire aux facrifices
le respect aux vertus.
DECEMBRE. 1756. 167
07
Un Financier ne fera fans doute ni
récompenfé , ni refpecté , ni confidéré
comme un Turenne , un Colbert , un Séguier
; .... les fervices qu'il rend , les facrifices
qu'il fait , les vertus qu'il montre ,
ne font ni de la même nature , ni du
même prix. Mais peut-on , mais doit- on
décemment , équitablement , taifonnablement
en conclure qu'il n'ont aucune
forte de valeur & de réalité : & lorfqu'un
homme de finance , tel que l'on vient de
le peindre , & que l'on conçoit qu'il doit
être , vient juſtifier l'idée que l'on en donne
, fa capacité ne rend- elle pas à l'état des
fervices effentiels fon définiéréffement ne
fait-il pas des facrifices , & la vertu net
donne- t'elle pas des exemples à fuivre à
ceux mêmes qui veulent le dégrader ?
Il eft certain , & l'on doit en convenir
( en ami de la vérité ) , il eft certain
que l'on a vu dans cette profeffion des
gens dont l'efprit , dont les moeurs
dont la conduite ont mérité qu'on répandît
fur eux , à pleines mains , le fel
du farcafme & de la plaifanterie , &
( ce qui devoit les toucher encore plus )
l'amertume des reproches les mieux fondés
.
9
Mais ce corps eft-il le feul qui préfente
des membres à retrancher ? Et refufera168
MERCURE DE FRANCE.
t'on à la Nobleſſe , au miniftere , à la magiftrature
, les éloges , les récompenſes &
Les diftinctions qu'ils méritent , parce que
l'on a vu quelquefois en défaut dans le
Militaire , le courage , dans le miniftere les
grandes vues , dans la magiftrature le fçavoir
& l'intégrité.
On réclameroit avec raifon contre cette
injuſtice : la finance n'a-t - elle pas autant à
fe plaindre de l'Eſprit des Loix ; & ne doit-
elle pas le faire avec d'autant plus de force
, que l'Auteur ayant plus de mérise &
de célébrité , eft auffi plus dangereux pour
les opinions qu'il veut accréditer . Le moindre
reproche que l'on puiffe faire en certe
occafion à cet Ecrivain , dont la mémoire
fera toujours chere à la Nation , c'eſt
d'avoir donné pour affertion générale , une
obfervation perfonnelle & particuliere à
quelques Financiers , & qui n'empêche
pas que le plus grand nombre ne défire ,
ne cherche , ne mérite , n'obtienne la
forte de recompenfe & de gloire , de refpect
& de confidération qui lui eft
pre.
prothes
Ta
P
CE
SÉANCE
DECEMBRE. 1756. 169
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Belles- Lettres.
120 LE 12 de Novembre , cette Compagnie
tint fa Séance publique d'après la S.Martin.
On annonça d'abord le Prix remporté par
le Pere Olivier , de l'Oratoire . Ce Prix
que M. le Comte de Caylus a fondé devoit
être donné l'année derniere , & avoit
été remis à la Saint Martin de celle- ci .
M. le Beau , Secretaire perpétuel de l'Académie
, lut l'Eloge de M. l'Abbé de
Pomponne. Cette lecture fut fuivie de
celle de trois Mémoires ; le premier , de
M. de Burigny, fur les Cicéroniens ; le fecond
, de M. Dupuy , fur l'Edipe de Sophocle
; le troifieme , de l'Abbé Batteux ,
fur la Philofophie ancienne.
Cette Académie pour le fujet du Prix
fondé par M. le Président de Noinville
propofe d'examiner quel étoit en France l'état
de la Marine & du Commerce maritime
fous les deux premieres Races ?
H
170 MERCURE DE FRANCE .
SÉANCE publique de l'Académie royale
des Sciences.
LE 13 , l'Académie des Sciences tint fon
Affemblée publique d'après les vacances.
M. de Fouchy , Secretaire perpétuel de
cette Compagnie , fit la lecture de l'Eloge
de l'ancien Evêque de Mirepoix , & de
celui de M. de Caffini . M. l'Abbé Nollet
lut enfuite des Recherches fur les moyens
de fuppléer à l'ufage de la glace , dans les
temps & dans les lieux où elle manque.
La Séance fut terminée par un Mémoire
de M. Hellot , fur l'utilité dont feroit
pour le Royaume l'exploitation des mines.
L'Auteur prouve cette utilité par plufieurs
exemples.
SUITE DE LA SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Belles-Lettres de la
Rochelle , dus Mai 1756.
LEs obfervations de M. Hüe furent fuivies
d'un Mémoire que lut M. Meynardde
la Garde , Directeur de la Monnoie ,
fur la préparation des Minéraux , & leur
fufion
G
De
fes
de
pa
ן י ג
Ci
DECEMBRE. 1756. 171
Quelle que puiffe être , dit M. de la
Garde , l'abondance & la richeffe des mines
d'or & d'argent , ces matieres précieufes
ne fortent jamais pures des entrailles
de la terre ; un alliage plus ou moins dominant
s'incorpore & s'unit prefque toujours
à leur effence. Ce feroit peu fi nous
n'avions à combattre que le cuivre , le
plomb & le fer qui les affiégent ; nos opérations
feroient auffi faciles que fructueufes
: mais ce ne font pas là les feuls corps
étrangers qui dénaturent ces fortes de fubftance
: combien n'en eft-il pas de plus
dangereux encore , dont le corrofif abforbe
dans les mines la matiere principale ,
tandis que dans la fonte elle eft entraînée
par l'activité de ces volatils , s'échappe des
mains des Artiſtes , trompe & anéantit
le plus fouvent toutes nos efpérances !
Ne feroit- ce point là une de ces caufes
principales qui ont fait négliger , & peutêtre
abandonner les mines d'or que nous
avons en France ? doit- on rejetter la faute
fur le dégoût national ou fur un injufte
préjugé ? De quelque côté que vienne
l'erreur , il fuffiroit , pour en démontrer
l'abfurdité , d'ouvrir tous les Auteurs anciens
& modernes qui ont traité ce fujet ;
nous verrions avec Pline , Agricola , &
plufieurs autres, quil n'eft point de contrée
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
plus riche que la nôtre ; que les mines d'or
& d'argent y font abondantes , & que les
Pyrénées feuls , dont les veftiges des fourneaux
établis par les Romains fubfiftoient
encore le fiecle dernier , fourniffoient tous
les ans à ces Maîtres du monde vingt mille
livres pefant d'or.
Pourquoi ces mines exploitées avec tant
de fuccès font elles aujourd'hui défertes
& abandonnées ? la fource en eft- elle épuifée
& dans un fi vafte terrein eſt- il à
croire qu'avec des recherches exactes , on
ne feroit pas de nouvelles découvertes ?
Mais ce n'eft pas feulement dans les Pyrénées
que la France nous offre des tréfors ;
toute fon étendue recele une infinité de
mines dont plufieurs rivieres qui roulent
avec leurs fables des pailletes d'or , ne
nous préfentent encore que de précieux
échantillons . Si ces minces objets font cependant
capables d'exciter dans les habitans
des bords du Rhône , du Rhin , de
l'Ariege , de la Garonne , de la Ceze ,
du Gordon , des defirs d'ambition & de
fortune , avec quelle affurance ne devroiton
pas percer & fouiller les montagnes
où ces rivieres prennent leur fource.
Mais il ne fuffit pas qu'une mine foit
abondante pour être avantageufe. à ceux
qui la font exploiter ; le défaut d'expéDECEMBRE.
1756. 173
rience dans les Mineurs , ou les mauvais
procédés des Fondeurs , font plus que
capables d'expofer à des pertes confidérables
; pertes que l'impéritie des Ouvriers
ne manque pas de rejetter fur la pauvreté
de la mine.
Effayons de tracer une méthode fürè
pour la fonte des minéraux , méthode
qui en dégageant les matieres précieufes
de ce qui leur eft hétérogêne , obvie à
tous les inconvéniens .
Les volatils qui ruinent les métaux &
qui rendent les minéraux intraitables ,
font le foufre , l'antimoine , l'arfenic &
le vitriol. On peut réduire à trois tous
les cas où ces corps étrangers font inhérents.
à la matiere principale.
Dans le premier , elle regorge de ces
différentes fubftances .
Dans le fecond , elle ne tient que peu des
unes & beaucoup des autres .
- Dans le dernier enfin , elle n'eft chargée
qu'en très - petite quantité d'un ou deux
de ces mixtes .
L'uftulation , qui n'eft qu'une espece de
calcination , eft la feule voie par laquelle on
puiffe écarter ces productions hétérogênes.
Quoique l'art nous préfente une infinité
de méthodes , l'air libre ou les fourneaux
font fuffifans.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
L'uftulation à l'air libre doit avoir
lieu lorfque les minéraux tiennent beaucoup
des volatils dont nous venons de
parler , & principalement s'ils fe trouvent
chargés de parties vitrioliques.
Pour la pratiquer avec fuccès , on entaffe
les minéraux en pyramide trenquée ;
le feu s'allume par la bafe , & s'y perpétue
- enfuite de lui-même auffi long- temps
que dure l'expulfion ; il ne s'éteint qu'après
avoir entiérement diffipé , ou peu
s'en faut , le foufre qui eft le plus inhérent.
Lorfque les minéraux n'ont pas befoin
d'un feu de fi longue durée , on fe contente
de les réduire en poudre , & de les uftuler
dans des fourneaux de reverberes , par
la feule projection de la flamme d'un
feu fait de bois qui n'ait rien de vitriolique.
Telles font les préparations néceffaires
pour une bonne fufion ; tout ce qui s'en
écarte ne doit être regardé que comme un
raffinement déplacé , & même un défaut
effentiel.
Les minéraux qui ont paffé par l'une ou
l'autre de ces opérations ne font pas pour
cela entiérement dégagés du vice radical
qui les domine ; ils confervent encore
trois qualités qui les rendent ou fufibles ,
DECEMBRE . 1756. 175
ou réfractaires , ou en partie fufibles &
réfractaires.
Ce font ces qualités , ou plutôt ces défauts
qui dans la fufion indiquent la route
que l'on doit tenir.
La mine fufible n'a befoin d'aucune
addition ; mais fi elle l'étoit tгrоoрp , il feroit
effentiel de la corriger en y incorporant
des récrémens rudes & réfractaires
dont la proportion pût lui procurer le degré
convenable .
La mine réfractaire ou qui ne fond
d'elle - même , demande des récrémens
fufibles qui la rendent traitable.
pas
La mine en partie fufible , & en partie
réfractaire , peut fe corriger avec des récrémens
durs, fi elle tient trop du fufible , &
des récrémens fufibles , fi la partie réfractaire
y domine trop.
Une mine qui tiendroit également
de l'une & de l'autre , ( s'il eft poffible
de la trouver à ce degré ) feroit par fa
nature fuffifamment compenfée , de façon
qu'il ne faudroit rien ajouter à la fufion .
Les récrémens ne font autre chofe que
les fcories d'un mineral dont l'effence eft
la même que celui fur lequel on veut
opérer : fa qualité fait celle des récrément
; ils font , comme lui , fufibles ou réfractaires
.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
A l'égard de l'extraction du métal hors
de fa mine , on n'en retireroit point dans
la fonte tout celui qu'elle tient , fi on
vouloit épargner le charbon & ménager
la durée des fourneaux. Cette économie
mal entendue tourne toujours à la perte
de ceux qui la mettent en ufage , & ce
n'eft qu'en prodiguant cette matiere
qu'on peut parvenir à une parfaite fécrétion
.
Quelqu'expérience que puiffe avois un
Artifte , ce moment de la fuſion eſt toujours
épineux , puifqu'il confifte à juger
fûrement de l'état du métal , & à laiffer
couler à propos & repofer les matieres
fondues. Sans ce degré de connoiffance ,
joint à une attention qu'on doit pouffer
jufqu'au fcrupule , les minéraux fe confument
en volatils , ou bien leur produit
métallique fe perd dans la maffe des
récrémens .
Ils font fujets à ce premier inconvénient ,
quand la matiere fondue refte en bain trop
long- temps , ou que par un défaut de
conftruction dans la pente des fourneaux
elle n'a pas un cours aifé.
Les récrémens retiennent & abforbent
le produit minéral , lorfque l'on preſſe
l'opération & que l'on ne donne pas
aux parties métalliques tout le temps nécef-
E
P
S
C
DECEMBRE. 1756. 177
faire pour fe dégager par leurs poids des
fcories avec lefquelles la nature les avoit
confondues.
Malgré cess précautions , l'on ne doit
pas fe flatter d'avoir paré à tous les inconvéniens
: il en eft un autre fi commun
dans la fonte des minéraux & même des
métaux , qu'on ne fçauroit apporter affez
de foins pour s'en garantir ; c'est l'éva
poration.
Plufieurs caufes contribuent à fon effet.
Si le défaut d'humecter le minéral avec
l'eau ordinaire , ou de le bien ftratifier
avec le charbon , eft une des principales
caufes de la diffipation , le remede en eft
facile ; mais il n'en eft pas ainfi de celle
qui provient du défaut d'uftulation : il
eft des minéraux qu'on ne juge pas dévoir
y être expofés , comme il en eft d'autres
qui ne s'y dégagent point entiérement de
leurs volatils . Il faut dans ces cas avoir
recours aux abforbans : les récrémens de
mine de fer , & même les piristes qui ont
le fer pour bafe , fervent à ceux qui font
encore imbus de foufres & le plomb
Du fes fcories font néceffaires pour diffiper
Parfenic des autres.
Quoique ce procédé foit le plus für
pour empêcher la diffipation des minéraux
des métaux , on ne peut pas dire qu'il
Hv
478 MERCURE DE FRANCE.
les mette à couvert de toute évaporation.
Quelque pratique qu'on puiffe employer ,
il n'eft point de fourneaux où elle ne
foit au moins infenfible & l'on ne peut
remédier à cette perte qu'en donnant aux
cheminées une forme capable d'en retenir
les fumofités .
On ne sçauroit pour cet effet donner
à la hotte trop d'étendue ni de volume ;
& au lieu d'en élever les tuyaux fur
une ligne perpendiculaire ou diagonale ,
il eft effentiel de les faire ferpenter , &
de placer dans toute l'étendue des especes
de gradins qui en fuivent exactement les
conduits tortueux : par cette conftruction
les fumées font arrêtées dans leur route ;
elles dépofent & s'accumulent dans ces fortes
de niches , & avec les fuies qu'elles
contiennent elles y abandonnent les
matieres précieufes dont elles font imprégnées
.
,
Nous pouvons citer ( comme l'exemple
le plus intéreffant pour prouver la
fupériorité de ces fortes de cheminées ) ,
l'expérience que nous en avons faite dans
la Monnoie de Florence , où les fuies d'un
tuyau conftruit fur ce modele ont produit
en les paffant au Mercure, vingt-une livres
d'argent fin , poids de Rome.
A ce dernier moyen d'arrêter ainfi l'é-
9
20
C
DECEMBRE. 1756.
179
vaporation , & de tirer du minéral tout
le parti poffible , l'on doit encore ajouter
que ce modele de cheminée dont la conftruction
eft facile , n'eft point fujer aux
défauts qu'on a droit de reprocher aux
autres ; qu'il préferve des malignes influences
des minéraux, & qu'il obvie enfin
aux accidens qui n'abregent que trop la
vie des Fondeurs.
Après la fonte de minéraux & la féerétion
du métal hors de fa mine , ce feroit ici
le lieu de rapporter comment l'on procede
au départ ; mais cette matiere demande
une trop longue difcuffion , & doit faire
le fujet d'un mémoire particulier.
Monfieur Arcere de l'Oratoire , qui vient
de donner au Public le premier volume
de l'Hiftoire de la Rochelle , termina la
Séance par la lecture d'une Relation fur
la defcente des Anglois dans l'Ile de Rhé
en 1628. Comme ce morceau eft fort
long , & que d'ailleurs il doit être placé
dans la feconde partie de fon hiftoire ,
on le paffe fous filence.
M. Arcere ajouta une traduction Françoife
de quelques Vers Latins faits à la
gloire d'un Soldat , que M. de Toiras
chargea de dépêches pour Sa Majefté , lequel
fut affez hardi pour traverfer ( 1 ) à la
( 1 ) Ce Nageur parcourut fur les eaux une
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
nage le bras de mer qui fépare l'Ile de
Ré d'avec le continent. La voici :
Siecles futurs , vous ne le croirez pas !
Un Eleve de Mars , fur ces humides plaines
Qu'agitent des Autans les bruyantes haleines ,
Triton audacieux , a déployé fes bras.
Toiras l'ordonne , il nage affrontant le trépas ;
D'Albion & des flots il brave la Furie :
Phebé guide fa courſe , il touche enfin nos bords ,
Et montre à l'univers , par de nobles efforts ,
Ce que peut fur un coeur l'amour de la patrie.
La Séance publique de l'Académie de
Rouen ne pourra paroître qu'en Janvier :
fon extrême longueur a caufé ce retard.
Nous prions de nouveau les Sociétés litté
raires de Province de réduire leurs extraits
à plus de précision .
efpace de 5000 toifes , depuis la Citadelle jufqu'au
Fort la Prée , & de ce Fort jufqu'à la répentie,
c'eft-à- dire plus de trois lieues communes de
France.
DECEMBRE . 1756. 181
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
TRois Ariettes dans le goût de celles
d'Italie , intitulées l'Inconftance , la Légéreté
& la Vaine Promeffe , gravées avec les
parties féparées pour un deffus , deux violons
& baffe , avec le Parfait Amour , Duo
Italien à voix égales , auquel on a joint la
traduction Françoife , & qui peut fe chanrer
dans les deux Langues fans rien charger
à la mufique & fans accompagnemens ,
gravé de même que les Ariettes . Le tout
par M. le Chevalier d'Herbain.
Six Sonates de clavecin avec une flute ;
ou violon d'accompagnement en dialogue,
du même Auteur. Le tout fe trouve aux
adreffes ordinaires pour la Mufique.
La Prife de Port Mahon , vingt- deuxieme
Concerto comique pour les violons ,
182 MERCURE DE FRANCE.
Alûtes , hautbois , pardeffus de violes avec
la baffe. Prix 1 liv. 4 fols. Dans un grand
Concert , pour bien rendre ce Concerto ,
il faut y joindre des trompettes , timbales
& tambours. L'Auteur M. Corret , ſe fera
un plaifir de donner les parties de trompettes
& timbales. Son adreffe eft rue
Montorgueil , à la Croix d'argent , près la
Comédie Italienne . Il vient de mettre auffi
au jour un Livre de Concerto pour le clavecin
, avec accompagnement de violons
& de baffe. Le prix eft de 12 liv.
Nouvelles pieces de Clavecin , compo
fées par M. Noblet , Ordinaire de l'Académie
royale de Mufique , lefquelles paroîtront
à la fin du mois de Décembre ,
aux adreſſes ordinaires . Prix 9 liv ,
PEINTURE.
VERS de Madame du Bocage à M. Pierre,
fur fon Plafond de la Chapelle de la Vierge
à Saint Roch.
Toi , qui fais voir les Cieux ouverts ,
Four charmer notre ame furpriſe ,
Des Anges tu peins les concerts :
P
DECEMBRE . 1756 . 183
Pierre , le Dieu de l'univers
Permit donc pour ton entrepriſe ,
(Comme à l'Apôtre ( 1 ) de l'Eglife ) ,
Que de fon Palais dans les airs
La clef dans tes mains fût remiſe.
Ces vers nous paroiffent dignes de M.
Pierre. Son nouveau chef- d'oeuvre ne pou
voit être mieux célebré. M. de Marigny
qui apprécie auffi -bien les Arts qu'il les
dirige , lui a donné le premier fon fuffrage.
Leur Protectrice éclairée , Madame de
Pompadour s'eft empreffée de l'applaudir,
Tout Paris l'a admiré après elle :
l'heureuſe imitatrice de Milton l'a chanté.
Rien ne manque à la gloire de ce grand
Maître.
(1 ) Saint Pierre.
SCULPTURE.
SUITE des Mémoires d'une Société de
Gens de Leures , publiés en l'année 2355 .
LE Mémoire fuivant eft de Monfieur
Guefwell , & traite de la Sculpture des
anciens François. Il entre en ma
tiere par la defcription des principaux
184 MERCURE DE FRANCE.
monumens publics , dont il tire des inductions
pour parvenir à connoître les
divers habillemens que portoient autrefois
nos Rois , & qu'on croit avoir été
fidélement repréſentés dans ces Sculptures.
La Statue Equeftre de bronze érigée
à la mémoire de Louis XIII , eft le premier
objet de fon examen. Ce Roi eft
vêtu d'une maniere finguliere. Il eft coeffé
d'un mufle d'animal furmonté d'un dragon.
Ses cheveux font bouclés naturellement.
Son habit eft un corfelet de buffle
à l'antique , avec des lambrequins aux
bras & aux cuiffes. Pardeffus eft une
efpece d'écharpe qui pend devant &
derrière : elle fait un fort bon effet en
fculpture , quoiqu'on ne conçoive pas bien
qu'elle puiffe tenir long-temps dans cette
pofition . Les cuiffes & les jambes font
nues. It eft difficile de deviner dans quelles
occafions nos Rois portorent ce vêtement
qui eft militaire fans être de défenfe
, c'étoit apparemment pour les re-
Vues en temps de paix. Celui- ci eft à
cheval , fans felle , fans étriers , fur un
fimple tapis , & n'a pour éperons qu'une
pointe de fer. Cette figure eft bien &
le cheval eft très-beau & ingénieuſement
tourné , le piedestal eft de bon goût &
fans figures.
DECEMBRE . 1756. 185
M. Guefwell paffe enfuite à la defcription
d'un monument d'Architecture &
de Sculpture qui eft à l'entrée du pont
qu'on nommoit anciennement Pont au
Change . Ce bâtiment apporte quelque obftacle
à la beauté du coup d'oeil que préfente
la riviere qui , en traverfant tout
ce fauxbourg auffi bien que la Ville ,
la rend fi agréable qu'on n'en connoît
point qui lui foit comparable pour la
quantité de maifons en bel afpect : mais
quelque inconvénient que produife ici
ce monument , on a dû le refpecter .
M. Guefwel réfute plufieurs Auteurs qui
ont dit que ce pont & quelques autres
de cette ancienne Ville , ont été couverts
de maifons , & que la faillie de ce bâtiment
fur le pont n'avoit alors rien dé
déplacé , puifqu'il faifoit face à une rue
qui étoit décorée de bâtimens de part
& d'autre. Il fait voir combien cette
opinion eft abfurde, & que jamais on
n'a manqué d'intelligence au point de
mettre empêchement à une perfpective
étendue qui fait la plus grande beauté
de ce quartier . On voit à ce monument
la figure de Louis XIII en pied , celle
de la Reine fon époufe , & fur un piedeftal
le jeune Prince leur fils & leur fucceffeur.
Les deux Rois font vêtus ainfi
186 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft encore d'ufage dans les jours
de cérémonie. Ce qu'on y remarque de
fingulier c'eft qu'avec ce vêtement qui
femble n'avoir dû fervir que dans les
cérémonies de la ville , à cauſe de fa
pefanteur , Louis XIII a néanmoins des
bottines on en peut conclure qu'alors
nos Rois montoient fouvent à cheval
dans cet ajuftement , & qu'ils le portoient
plus fréquemment qu'à préfent.
Mais ce qui paroît abfolument incompréhenfible
, c'eft de voir ce Roi les jambes
nues dans la ftatue où il eft repréfenté
à cheval , & botté dans celle qui
le préfente en pied. La Reine eft coeffée
d'une maniere bifarre, mais qui cependant
paroît avoir été l'ufage des dames de ces
temps , & par cette raifon eft un objet
de la plus grande curiofité pour les Antiquaires.
Au deffous on voit un bas relieffort
bien traité quant à l'art , mais trèsfingulier
quant à ce qu'il repréfente, &
au peu d'analogie qu'il a avec le monument.
On y voit des figures d'efclaves
vêtues comme les barbares fubjugués par
les Romains : elles font liées fur des trophées
d'armes & d'enfeignes romaines ,
mêlées avec des armes de toutes fortes
de Nations anciennes ; ce qui eft d'autant
plus étonnant , que long-temps avant
1
1
S
C
C
DECEMBRE . 1756. 187
ce regne , les armes à feu avoient aboli
l'ufage de ces armes antiques , & que
les enfeignes de Rome chrétienne n'avoient
plus de conformité avec ces aigles
des légions . Auroit-on voulu indiquer
à la poftérité que ce Roi avoit
vaincu toutes les nations modernes qui
occupoient les mêmes pays , & feroientelles
défignées ici fymboliquement ? Mais
l'hiftoire ne nous apprend point qu'il
ait eu d'autres guerres que contre fes
propres fujets. Il eft plus vraisemblable de
croire que ce bas relief étoit plus ancien
que le monument , & qu'il remonte peutêtre
jufqu'au temps où les Romains étoient
les maîtres de Paris ; que ne voulant pas
détruire ce reſte antique, & jugeant cette
pofition convenable , on auroit pris le
parti de s'élever au deffus , fans confidérer
le peu de rapport qu'aureient ces
deux objets. Ce qui confirme encore ce
fentiment , c'est que l'arcade qui eft au
deffous a trop d'ouverture & les piédroits
en font trop foibles pour porter
cet édifice . Si on l'eût conftruit exprès
le bon goût de l'Architecture du haut
ne permet pas de croire qu'on eût fait
une pareille faute. Si l'on oppofe la durée
étonnante de ce bas relief qui dateroit
de l'antiquité la plus reculée , M.
Guefwell repond qu'il eft poffible qu'on
?
188 MERCURE DE FRANCE.
·
l'ait renouvellé d'après les fragmens de
l'ancien lorfqu'il a paru fe détruire.
l'un
La ftatue équestre de Henri IV ,
des plus grands & des meilleurs Rois
qui aient jamais gouverné la France , n'excite
pas moins la curiofité des Amateurs
de l'Antiquité. On l'y voit cuiraſſé &
armé de pied en cap à la maniere des
Preux. M. Gue well loue beaucoup le Sculptear
d'avoir caractérisé ce grand Guerrier
par fes propres armes. Il eſt à cheval ,
fur une felle fort élevée & avec des étriers ,
ufage qui a ceffé après lui , fi l'on en juge
par les ftatues des Rois fes Succeffeurs ,
qui tous n'ont qu'un tapis fans étriers ;
ce qui rend même difficile à concevoir
comment ils pouvoient monter à cheval.
Cette figure eft très - belle & d'autant
plus curieufe , qu'on y reconnoît avec
exactitude le coftume de ces tems , conformément
à ce qu'en difent les Hiftoriens.
I eft à remarquer qu'on voit au
tour du piedestal quatre petites figures
de bronze qui n'ont aucun rapport avec
la Statue Équeftre , fi ce n'eſt en ce
qu'elles repréfentent des efclaves . Mais
ils font nus & ne peuvent défigner aucune
nation à moins que ce ne fût les
Africains avec qui l'on fçait que ce Monarque
n'a rien eu à démêler. Ces figures
font afliffes fur des armes Grecques
2
G
J
C
A
DECEMBRE . 1756. 189
& Romaines , qui n'ont aucune relation
avec celles dont le Roi eft orné. M.
Guefwell réferve fes réflexions fur ce fujet
à l'article où il traite particuliérement
des piedeftaux qu'on voit à ces ftatues.
Il paffe à l'examen de la ftatue du Roi
Louis XIV érigée , dans la place qu'on croit
avoir porté autrefois le nom de place
des Villoires . Ce Roi eft en pied , vêtu
comme le font encore les Chevaliers du
St. Efprit. Il foule aux pieds une affez
laide bête à plufieurs têtes qui étoit apparemment
le fymbole ou les armoiries
de quelque nation voifine qu'il avoit
vaincue. Il eft couronné de laurier par
une femme qu'on croit être la Victoire.
Certe Statue paroît avoir été dorée . On
trouve pareillement au piedeſtal des figures
enchaînées, dont les unes font nues
& les autres vêtues comme les nations
vaincues par Trajan , & elles ont les mêmes
armes. Les bas reliefs ont plus de
rapport avec la figure : cependant on y
voit quelque mêlange de figures, vêtues
d'une maniere bifarre & qu'on croit
être une mode de ces temps , avec des
figures habillées à l'antique.
A peu de diftance , dans ce même quartier
, on trouve dans une autre place une
Statue Equeftre du même Roi , mais tout190
MERCURE DE FRANCE.
à-fait vêtue à la Romaine , à la réſerve
de la tête qui eft coeffée d'une multitude
de cheveux hériffés & bouclés d'une
maniere fi extraordinaire qu'on n'en imagine
pas la poffibilité . Le piedeftal
n'a point de figures poftiches comme les
autres.
R
d
&
R
fa
X
de
Fi
mo
de
Venons aux réflexions générales que
préfente Monfieur Guefwell. En confidérant
le peu de rapport que les ornemens
& figures des piedeftaux ont avec
l'hiftoire de nos Rois , il en conclut qu'ils
n'ont point été faits pour cet ufage : ils
doivent être beaucoup plus anciens , &
vraisemblablement ce font des reftes de
Rome antique dont on s'eft paré , fans
raifonner fur la maniere de les placer.
La difproportion qui fe trouve entre ces
figures qui les ornent , & les ftatues des
Rois , fert encore à le confirmer. Il s'ap
puie de plus des réflexions qu'il fait fur
la proportion du piedestal de Louis XIII ,
& fur les infcriptions qu'on y voit. Il
paroît trop petit pour la figure coloffale
du Roi , & les éloges qu'on y lit du célebre
Miniftre d'alors joints à ceux da
Roi , donnent lieu de croire qu'il a été
fait pour un grouppe pedeftre où ils
étoient repréfentés tous deux . Quelques me
Auteurs ont avancé un fentiment que M.
tio
s'e
M.
fied
&
dan
aim
que
lear
te
DECEMBRE. 1756 .
191
Guefwell répugne à adopter , parce qu'il
lui paroît avilir la gloire de ces fiecles ,
quoiqu'il ne puiffe nier qu'il eft rempli
de
vraisemblance : c'eft que non feulement
les piedeftaux font des Antiques
Romains , mais même quelques - unes
des figures de Rois qui font deffus. On
dit que les anciens François les ayant
E trouvé belles , en avoient ôté les têtes
& y avoient fubftitué celles de leurs
Rois. Ce qui fembleroit le prouver invinciblement
, c'eft le contrafte ridicule que
fait la coeffure de la ftatue équeftre de Louis
XIVavecfon
habillement.Cependant comment
croire que dans un temps où il y avoit
de fi grands Sculpteurs , on fe foit fervi
de figures toute-faites pour ériger des
monumens deftinés à immortalifer la grandeur
des Rois & la gloire de la Nation
? Il femble qu'il eft plus agréable de
s'en tenir à l'explication qu'en a donné
M. Choofeill. Il dit que dans le feizieme
frecle le bon goût de l'ancienne Rome
& de la Grece étoit dominant en France
dans tous les arts ; que nos Rois ayant
aimé la fimplicité de ces vêtemens antiques
, & voulant en infpirer le goût à
leurs fujets , s'habilloient affez frequemment
de cette maniere lorfque la faifon
le permettoit ; que les Sculpteurs trou192
MERCURE DE FRANCE .
vant plus de facilité à traiter ces draperies
, faifirent cet ufage qui n'a eu lieu
que fous trois regnes. Cette décifion paroît
la plus certaine ; car il n'eft pas poffible
de fuppofer que ce foit une licence
des Sculpteurs qui doivent également
tranfmettre à la postérité , avec les portraits
des Rois , leurs vêteniens & les ufages
de leur temps.
Après avoir traité de ces monumens
importans , M. Guefwell parle affez en détail
des fculptures des Eglifes & de celles
des jardins. Il remarque , fans prétendre
en affigner les caufes , que la France
de temps immémorial a été fertile en excellens
Sculpteurs , & il lui paroît difficile
de ne pas penfer que cela tient au
caractere naturel de la nation & aux qualités
du climat : car on a vu des contrées
où les Arts ont été floriffans , donner
d'excellens Peintres fans pouvoir produire
de Sculpteurs.
Entre quantité d'ouvrages du dix- feptieme
fiecle dignes d'admiration , il cite
avec beaucoup d'éloges une defcente de
croix qui eft dans l'Eglife de Notre - Dame.
A l'occafion des diverfes Sculptures
qui ornent ces Eglifes anciennes , la difproportion
qui regne entre les figures
qui y font placées lui paroît fort finguliere.
DECEMBRE . 1756. 193
liere. On trouve dans la même Eglife des
figures de grandeur naturelle , d'autres
plus grandes & d'autres qui à peine ont
trois pieds de proportion : il femble que
ce foit un affemblage de morceaux ôtés
de leur deſtination & réunis en ce lieu
par hafard. Que des bas reliefs foient
exécutés dans toutes fortes de grandeurs ,
il n'y a rien de répréhenfible ; parce
qu'un bas relief n'eft qu'un deffein rehauſfé
de faillies , au défaut de couleur pour
repréſenter des ombres : ainfi il n'a point
de prétention à faire aucune illufion ;
au lieu que la fculpture de ronde boffe
ne néglige rien de ce qui peut repréfenter
exactement la nature à l'exception
de fes couleurs. Eft- il croyable que la
regle raisonnable que nous obfervons
dans nos temples pour l'unité de proportion
ne fût pas encore établie dans des
fiecles qui ont donné tant d'Artiftes illuftres
? A-t'on pu ne pas appercevoir que
la proportion des figures qui font au
bas d'un bâtiment , étant une fois donnée
relativement à l'édifice & à la
grandeur
des colonnes , elle doit être la regle
inviolable de toutes celles qui y feront
placées ce font en quelque façon
les habitans de cet édifice , qui ne changent
point de grandeur , à quelque étage
I
194 MERCURE DE FRANCE.
A
20
T
qu'ils foient montés. D'ailleurs quel
effet pouvoit- on attendre de figures plus
petites que le naturel dans un grand
lieu Il y a plus on voit affez fréquemment
dans les décorations extérieures
d'architecture , que les figures font d'autant
plus groffes qu'elles font plus éle- &
vées , quoique rien ne foit plus ridicule
que l'idée de fortifier davantage les figu- d
res au haut d'un édifice où l'architecture
devient plus délicate . Cependant on voit
fi conftamment cette erreur dans les Anciens
édifices , qu'on a peine à croire que
ce n'ait pas été une regle qu'on fe foit
cru obligé d'obferver . Eft-il concevable
qu'on eût pofé pour principe que , tandis
que l'Architecte s'efforce à donner de
l'élévation à fon bâtiment , & même à
chercher les moyens de lui en faire paroître
plus qu'il n'en a , le fculpteur y
dût mettre obftacle en fortifiant fes figures
pour les faire paroître plus proches
de l'oeil qu'elles ne le font ? Voilà de ces
inconféquences qu'on rencontre dans la
recherche de l'antiquité , & que M. Guef
well fe contente d'énoncer fans prétendre
les expliquer.
Je crois devoir renvoyer le Lecteur au
mémoire original , pour fuivre notre Auteur
dans les explications qu'il donne de
21
Jf
2
2
(
DECEMBRE. 1756. 195
quantité de morceaux de ce genre , auffi
bien que dans l'éloge raifonné qu'il fait
du Milon & de l'Andromede , des deux
Vénus , dont l'une eft connue fous le nom
de Vénus à la coquille , & de plufieurs
autres ftatues qu'on voit dans le jardin
du palais du Roi. Il rend pareillement
compte de l'Atalante , des deux célebres
chevaux & de quelques autres morceaux
du jardin dit de Marly. Dans celui des
Tuileries , il note
particuliérement avec
éloge une figure de berger & quelques
grouppes . Quant à la fculpture du dixhuitieme
fiecle , il cite quantité de morceaux
excellens , entr'autres un Amour
qui fe fait un arc de la maffue d'Hercule.
M. Guefwell rapporte fur la foi d'un
ancien manufcrit , que dans ce fiecle il
fe repandit un goût dangereux pour la
fculpture. On voulut ôter aux figures
l'air de ftatues on les hafarda dans les
attitudes les moins naturelles , on porta
le délire jufqu'à faire voler les draperies
avec autant de hardieffe que le pourroit
faire la peinture la plus licentieuſe . On
évitoit de groupper les membres , quoique
ce foit une des plus ingénieufes beautés
de la fculpture ; il fembloit que l'on crût
que l'art confiftoit à mettre tout en l'air ,
& à travailler le marbre avec une témé-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
rité qui eft caufe que celles de ces
ftatues qui font parvenues jufqu'à nous
font toutes mutilées. Au commencement
les Sculpteurs du fiecle precédent qui vivoient
encore , s'oppoferent à cette mode
de toutes leurs forces : après eux il ne
reftoit que quelques Eleves de ces hommes
illuftres qui refiftoient au torrent ;
mais leur réputation n'étant pas encore
affez bien établie pour y oppofer une
digue fuffifante , ils auroient été entraînés.
Un feul Sculpteur profita de la célébrité
qu'il acquéroit , pour maintenir
le bon goût. Il eut le courage de méprifer
les critiques & les railleries des
gens amoureux de la nouveauté : on traita
la fageffe de fon goût , de froideur , &
la fimplicité de fa maniere , de pauvreté.
Fondé fur des principes certains , il s'affermit
contre la vogue , & fut bientôt
fuivi de tous ceux qui avoient bien étudié
les Anciens. Ainfi la France dut à ce grand
Sculpteur la gloire où elle s'eft toujours
maintenue par l'excellence des Arts , qui
eft telle que toutes les Nations du monde
viennent les étudier dans fon fein , & en
tirent leurs meilleurs Artiftes. Au refte
ces détails , & quantité d'autres que nous
fupprimons , font très- curieux à lire dans
l'original , & nous prenons le parti d'y
Ienvoyer le Lecteur.
DECEMBRE. 1756. 197
GRAVURE.
Nous annonçons les Graces au bain ,
d'après leur Peintre : c'eft nommer l'aimable
M. Boucher. Cette Eftampe charmante
a été gravée fous fes yeux par le Sieur Ryland.
Ce jeune Artiſte a mis fi bien à profit
les leçons d'un fi grand Maître , qu'il a
mérité fon fuffrage . Le premier mérite
d'un Graveur eft de faifir la maniere du
Peintre qu'il copie : c'eft ce que le Sieur
Ryland a fait . Que ne doit on pas attendre
d'un talent qui brille avec tant d'éclat
dès fon aurore ? ( il n'a que vingt ans )
Son burin a déja la correction & tout le
preftige du pinceau qu'il imite. Cette Ef
tampe que tous les Connoiffeurs doivent
s'empreffer d'acheter , fe trouve chez M.
Boucher , au vieux Louvre , & chez Buldé ,
Marchand d'Estampes , rue de Gêvres , du
côté du Pont Notre- Dame , à l'enfeigne
du grand coeur.
M. l'Abbé de la Grive vient de mettre
au jour le Plan de la Place de Louis XV ,
dans lequel il a marqué les emplacemens
& les noms des propriétaires qui en font
voifins.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Il débite auffi en une petite feuille portative
un extrait de la grande Carte de
Boheme de Muller , en 25 feuilles , fi recherchée
dans la derniere guerre . Il en a
fait imprimer fur peau en faveur de ceux
qui voudront la mettre en poche.
a
Le Sr Moitte , Graveur , vient de mettre
au jour une Eftampe qquuii a pour titre
Partie de Plaifirs , qu'il a gravée d'après le
tableau de N. Lancret , compofition des
plus agréables & des plus riantes que ce
Maître ait produites ; elle eft dédiée à M. de
la Live , Introducteur des Ambaſſadeurs ,
& Honoraire de l'Académie royale de Peinture
& Sculpture. Le Tableau fe voit dans
fa belle collection des Peintres & Sculp
teurs François. L'Eftampe fe vend à Paris ,
chez l'Auteur rue Saint Victor , la premiere
porte cochere , à gauche , en entrant par la
Place Maubert.
Il vend auffi quatre morceaux qu'il a
gravés depuis peu d'après David Teniers ,
Lçavoir:
La Crédule Laitiere.
Les Compagnons Menuifiers.
Le Marchand de ratafiat .
Le Marchand de mort aux rats.
DECEMBRE . 1756. 199
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
Le Samedi 13 Novembre & le Lundi 15 ,
le Sieur de Rofambert a joué le rôle de
Burrhus dans Britannicus . Il y a été applaudi.
On s'apperçoit qu'il fait du progrès
; mais ce progrès feroit plus grand , fi
le Débutant étoit plus raffuré. La timidité
dans un Acteur eft le fléau du talent : elle
déguife la voix , contraint l'action , étouffe
la chaleur , & produit la monotonie. Le
Dimanche 14 , le même Acteur repréſenta
Durval dans le Préjugé à la mode . Comme
il le rendit avec plus d'affurance , il eut
l'approbation générale. L'habit à la Françoife
lui eft très- favorable. Il y eft plus à
fon aife , & fa figure qui eft des plus nobles
, y paroît dans tout fon avantage.
Le Mercredi 17 , on a donné Bajazet ,
demandé par S. A. S. M. le Duc d'Orléans.
Mlle Clairon y a joué Roxane d'une maniere
à tranfporter tous les fpectateurs.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
Elle rend ce rôle comme Racine l'a fait.
Le Samedi 20 , on a repréſenté Berenise
, qui eft le triomphe de Mlle Gauffin
dans le férieux . Elle y a reçu du Public
tous les applaudiffemens qu'elle mérite ,
ainfi que M. de la Noue dans le rôle de
Titus. Le concert étoit parfait entr'eux ,
& la piece a produit le plus grand effet.
Le fentiment y eft fupérieurement écrit .
Les Comédiens François vont reprendre
inceffamment la Coquette corrigée , de M.
de la Noue , en attendant la Fille d'Ariftide
, Comédie nouvelle en cinq actes en
profe , de Madame de Grafigni. Nommer
l'Auteur de Cénie , c'eſt annoncer le fuccès
de la piece. Que n'en doit- on pas attendre ?
Comme la repriſe du Médecin par occafion
eft retardée , nous allons placer ici les
vers fur Mahon que nous y avons ajoutés ,
& que plufieurs de nos Lecteurs nous ont
priés d'inférer dans cet article .
De nos Voifins vaincus parlons avec décence ;
C'eſt flétrir nos lauriers qu'imiter leurs excès.
Vantons plutôt leur réfiftance ,
Pour mieux apprécier la valeur des François .
Que Louis foit notre modele :
Quand on le force à nous vanger ,
L'équité feule eft fon guide fidele.
1 fçait vaincre ou punir , mais jamais outrager.
0
L
L
DECEMBRE . 1756.- 201
Qu'en plein Théâtre on nous déchire à Londre,
Rions des traits de leur fureur ,
Er du foin d'y répondre ,
Repofons-nous fur leur Vainqueur.
Oppofons la fageffe à cette infulte vaine :
Leur gloire eft la licence , & l'oubli des égards ;
La nôtre eft d'épargner l'ennemi fur la fcene ,
Et de le battre au champ de Mars.
COMÉDIE ITALIENNE.
Le Samedi 13 de Novembre , le Lundi
15 & le Mercredi 17 , les Comédiens Italiens
ont donné Baftien & Baftienne avec
la Servante maîtreffe . Mlle Victoire a joué
Baftienne dans la premiere piece , & Zerbine
dans la feconde. Elle a rempli le premier
de ces deux rôles avec l'applaudiffement
du parterre ; mais elle a réuni tous
les fuffrages dans la Servante maîtreffe ,
où elle s'eft furpaffée. On peut dire
qu'elle a pleinement juftifié l'éloge que
nous lui avions donné dans le Mercure de
Septembre. La fineffe & l'agrément de fon
jeu , égale prefque la légèreté & les graces
de fon chant. Elle a furtout rendu les
deux premieres Ariettes du fecond acte ,
avec un goût & une précifion qui ont enchanté
tous les Connoiffeurs. Cefuccès doit
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
la flatter d'autant plus , qu'elle joue Zerbine
après une Actrice juftement adorée ,
& qu'elle a l'art d'y réuffir fans la copier.
On doit feulement l'avertir de parler plus
haut , & de marquer plus fon action . C'est
tout ce qu'on peut lui fouhaiter , & que
l'ufage du théâtre lui donnera .
Le Mercredi 17 , les mêmes Comédiens
ont joué pour la premiere fois le Charlatan,
piece nouvelle en deux actes , mêlée d'Ariettes,
& parodiée de l'intermede des Bouffons
, intitulé le Tracolo. Le premier acte
a plu ; le fecond a paru moins vif.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Lundi premier Novembre , jour de la
Touffaint , le Concert commença par une
fymphonie de M. Guillemain , fuivie d'Omnes
gentes , Motet à grand choeur de M.
Cordeler. Enfuite Mlle Sixte chanta Ufquequò
, petit Motet de Mouret. M. Piffer
joua un Concerto de violon de fa
compo-
Gtion. Mademoiſelle Fel chanta un petit
Motet italien. M. Balbaftre joua fur l'orgue
un Concerto de fa compofition . Le Concert
finit par De profondis , Motet à grand
choeur de M. Mondonville , & fut aufli
agréable par l'exécution que par la variété
des morceaux..
DECEMBRE . 1756. 203
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 17 Octobre.
DEpuis quelques jours , la Cour a publié fa
Réponse à l'Expofé des Motifs du Roi de Pruffe.
Cette piece commence ainfi. « L'Electorat de Saxe
ayant été inondé de troupes Prufliennes , & ayant
»été arraché à fon légitime Poffeffeur ; le droit
»des gens y ayant été violé ; tous les égards
»dûs à une keine ayant été foulés aux pieds ;
»un deftin affreux menaçant encore le Roi de
>>Pologne ; l'efprit de domination & d'agrandif
»fement , qui guide le Roi de Prufle , l'a porté
»à attaquer enfuite le Royaume de Boheme , & à
»y ouvrir de nouveau le théâtre de fes hoftilités .
»Les circonftances & les fuites de cette double
infraction de la paix , de la part de la Cour de
>>Berlin , étant tout à fait extraordinaires , le public
impartial n'a pu que fouhaiter avec une impa
>>tience extrême de voir paroître les motifs fonda-
>> mentaux d'un procédé auffi étrange , & a cru de
»voir s'attendre à voir révéler les myfteres les plus
profonds de cabinets . Jamais attente n'a été
plus mal remplie . Le manifefte de la Pruffe n'a
été remplie que d'expreffions qui fe contredi-
»foient palpablement les unes les autres , & l'om
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
n'y a étalé que des motifs qui , malgré toute
» l'étude de l'invention , n'ont pu être revêtus da
moindre air de vraisemblance . Le Roi de Fruffe ,
»dans l'impoffibilité de trouver matiere à motiver
pune Déclaration de Guerre , eft tombé ſur l'idée
stare & finguliere , qu'il pourroit , fon invafion
men Saxe déja faite , déterrer dans les papiers
fecrets , qu'il a fait enlever à Drefde du Cabinet
du Roi de Pologne , des preuves qui pourroient
confirmer ce qu'il avançoit d'un Traité offenfif
entre l'Impératrice Reine & l'Impératrice de
»Ruffie , & démentir ainfi les aſſurances données
par l'Impératrice Reine , que cette imputation
»étoit fauffe & controuvée. La Cour de Vienne ,
obfervant fcrupuleufement les loix de la vérité ,
n'avoit rien à appréhender de toutes ces recher-
»ches. Elle a elle - même les indices les plus
»démonftratifs , que , fi l'on pouvoit expofer auf
»yeux du public ce que renferme le Cabinet de
>>Potſdam , on y découvriroit avec un étonne-
»ment indicible des projets tendans à corrompre
»de fideles ferviteurs , liés à leurs maîtres par la
>>foi du ferment ; à opprimer des Co- Etats confidérables
de l'Empire ; à réchauffer des pré-
»tention illégales fur des Provinces entieres , &
» à ourdir des rébellions affreuſes dans de puiffans
>>Royaumes.»>
Voici plufieurs autres principaux traits de la
Réponse de la Cour. « On a déja vu dans le Ref
»crits de S. M. Imp. & Royale à fes Miniftres
>> dans les Cours Etrangeres , comment le Roi de
>> Pruffe s'eft émancipé à prendre itérativement
» Impératrice Reine à partie fur fes difpofitions
»défenfives........ Dans fon Manifefte , il avane
>>ce également des chofes peu fondées. Il foutient
qu'à peine le Traité de Drefde avoit été conclu ,
Σ
E
2
B
D
Da
DECEMBRE. 1756. 20
>>la Cour de Vienne s'étoit étudié à l'éluder &
»à l'infirmer. Cependant on n'allegue à notre
>> charge que ce feul grief , fçavoir que fept ans
» après la conclufion du Traité , c'est - à-dire en
» 1753 , Pimpôt fur les marchandifes fabriquées
dans la Silefie Pruffienne a été augmenté. Il
» eft étonnant que de la part de la Pruffe on
»faffe quelque reproche fur cet article , com-
>>me fi S. M. Pr. n'avoit pas été la premiere à
»augmenter les droits de douane , & comme fi
Delle n'avoit pas commis diverſes autres contra
»ventions , tant contre ce Traité que contre celui
» de Breflau ; & cela au point que fi S. M. Imp.
»& Royale n'étoit pas en poffeffion de facrifier
»fes plus juftes motifs de reffentiment à fon amour
»pour la paix , Elle auroit été en droit depuis
long- temps , furtout après les repréſentations
Dinutiles qu'Elle avoit faites , de recourir , pour
»fe venger, aux armes dont Elle ne fe fert au-
»jourd'hui que pour fon unique défenſe......
>> Dans le niême Manifefte , on releve encore
»d'autres plaintes contre la Cour de Vienne. Elle
»a conçu , dit- on , des projets d'une extrême
»conféquence ; Elle a des vues dangereufes , &
» du côté de la Pruffe on s'étudie à les dévelop
per.... Mais la Maiſon Archiducale d'Autriche
»ne balance pas à foutenir , que dans toutes les
» Annales de fa Monarchie on ne trouvera pas
»le moindre veftige d'entrepriſes de fa part , ten
»dantes à renverfer les premieres loix de l'Em-
»pire ; à opprimer fes membres ; à s'emparer
de leurs Etats par droits de convenance ; à perfé
cuter par les oppreffions les plus inouies route
»une Famille Royale fous les affurances d'une
pamitié fimulée ; à boulverfer le repos de l'Alle-
»magne ;... à vouloir impoſer à tous le Corps
206 MERCURE DE FRANCE.
»Germanique des loix arbitraires , aux dépens de
»fes Conftitutions ......
Au fujet du Traité que l'Impératrice Reine a
conclu en 1746 avec l'Impératrice de Ruffie ,
la Cour fait les obfervations fuivantes . « Pour
s'affurer de plus en plus contre une quatrieme
winfraction de la paix de la part de la Pruffe ,
>> on conclut entre les deux Cours Impériales ,
Davant le Traité d'Aix - la- Chapelle , un Traité
» d'Amitié & de Défenſe , ne tendant au préjudice
» d'aucune Puiflance . La Cour de Vienne n'a
»pas eu befoin d'exciter la fenfibilité de celle
» de Ruffie fur les procédés méprifans de la Pruffe ,
>>attendu que S. M. Pruf. fe contient ſi peu vis-àvis
de fes voisins , qu'ils comprennent facilement
» qu'il n'y a pas d'autre moyen de le fouftraire
aux défagrémens que la Pruffe caufe continuelle-
» ment , qu'en rompant toute communication avec
elle...... Le public n'aura pas encore oublié ,
>>comment le Comte de Beftuchef, Grand Char-
>> celier de Ruffie , ne balança pas en 1750 d'expo-
>>fer aux yeux de l'Europe , d'une maniere convain-
»cante, les procédés extraordinaires des Pruffiens......
C'eft une nouvelle illufion de la
»part du Roi de Pruffe , de vouloir , par des
vues faciles à deviner , faire paffer nos innocens
Dengagemens défenfifs pour un Traité offenfif
>>contre la Porte. » La Cour ajoute : « Le Roi
»de Pruffe fait affez connoître à la Couronne
>>de France , fans ménagement & par fon infrac-
>tion de paix , que l'Union du Roi T. C. avee
»l'impératrice Reine l'a animé à faire exifter
d'autant plus vite par fon aggreffion ennemie
le Cafus Foederis. Tout ce que S. M. Pruf
permet de mettre à la charge de la Cour
de Vienne & d'autres Cours fur le pied de
>> fe
DECEMBRE. 1756. 207
T
conſpiration , eft une imputation déplacée , qui
»n'a jamais lieu de Souverain à Souverain , &
>>qui ne peut s'appliquer qu'à des Sujets rébelles.
» Ces confpirations doivent être mifes au rang
»des projets de ceux qui dans leur plan d'a-
»grandiffement ne font aucune diftinction des
>>moyens d'affouvir leur ambition. S. M. l'Impéra-
» trice Reine déclare pareillement fauffe & controuvée
l'imputation , qu'elle ait voulu porter
» la Cour d'Angleterre à entrer dans des projets
»qui puffent troubler le repos général . On en
>appelle au propre témoignage de ladite Cour ,
»& l'on ne fera jamais aucune difficulté de ren-
» dre publique la négociation dont il s'eft agi
avec S. M. Brit.... Le Roi de Pruffe accufe la
>>Cour de Vienne , d'avoir voulu puifer dans les
» troubles de l'Amérique les moyens d'allumer
Dune guerre générale . La Cour Britannique peut
»rendre elle - même juftice fur ce point à la vérité,
& dire combien l'Impératrice Reine s'eft
» efforcée d'étouffer ces divifions dès leur naiffan-
» ce. En général tout ce que la Cour de Pruffe
»avance , relativement à celles de France & de
» la Grande - Bretagne , aboutit à infinuer que la
»premiere n'a point affez réfléchi far la nature
»des chofes & fur fes propres intérêts , & que
»la feconde n'a pas approfondi les vues du Minif-
»tere de Vienne , & a manqué de pénétration
» à cet égard , ( expreffions qui ne touchent pas peu
>> l'honneur de ces deux Cours ) . Au refte le Roi
»de Pruffe auroit pu fe paffer de parler de recon-
»noiffance , lui qui a oublié fur cet article
»tout ce qu'il doit à la Maiſon Archiducale d'Autriche
, à qui il eft redevable de fa Dignité
>>Royale ....>>
Selon la lifte que le Feld-Maréchal de Browne
208 MERCURE DE FRANCE.
E
a envoyé de la perte faite par les Autrichiens
dans la bataille du premier de ce mois , il y a
eu dix- neuf Officiers tués & cent cinq de bleffés ;
quatre cens vingt Soldats tués , dix-fept cens vingtneuf
bleffés; & fept cens onze qui ont difparu.
On ne compte que quatre cens foixante -quinze
chevaux tués ou bleffés.
On mande de Conftantinople , que fur la nouvelle
de l'invafion des troupes Pruffiennes en Boheme
, le Grand Vifir a voulu fçavoir du Sr de Schwachenheim
, Miniftres de Leurs Majeftés Impériales
à la Porte , toutes les circonstances de cer
événement. Selon les mêmes lettres , le Grand
Seigneur a fait affurerie fieur de Schwachenheim ,
que fa Hauteffe continueroit d'obſerver religieufement
le Traité conclu par le Sultan fon prédéceffeur
avec la Cour de Vienne , & que fi l'Impératrice
Reine , pour foutenir la guerre contre
le Roi de Pruffe , avoit befoin d'employer les
Troupes qu'Elle avoit en Hongrie , Elle pouvoit
avec confiance les faire marcher , fans craindre
que Sa Hauteffe profitât de leur éloignement ,
pour enfreindre la paix qui fubfifte entre les deux
Puiffances.
Du Quartier Général du Prince Picolomini à
Spalena-Lhotka , le 20 Octobre 1756.
Un Corps de troupes paffa l'Elbe les , fous
les ordres du Général Comte de Trautmansdorff ,
pour empêcher le Feld - Maréchal de Schwerin
d'étendre fi loin fes fourrages . On fit avancer le
7 dans la même vue un Détachement de Cavalerie .
Par- là , le général ennemie eft refferré de plus
en plus , tant fur la droite que fur fa gauche,
& l'on efpere de le gêner confidérablement fur
Particle des fubfiftances. La premiere Colonne des
L
H
R
&
D
T
1
DECEMBRE. 1756. 209
Efclavons entra le 2 de ce mois dans notre camp.
Le Colonel Simbfchon , qui la commande , infor
ma le Prince Picolomini , qu'un Détachement de
Huffards de l'Impératrice Reine avoit enlevé une
des caiffes militaires des Pruffiens , & qu'elle avoit
été conduite à Troppau.
On apprit le 13 de ce mois , que le Comte
Rodolphe de Palfi avoit pénétré jufqu'à Lévin ,
& qu'il avoit tiré des contributions de plufieurs
Diſtricts du Comté de Glatz. Le Capitaine Roskovanny
du Régiment de Spleni a fait une courfe
jufqu'à Franckenftein en Siléfie . Il est revenu
avec beaucoup de butin , & fans avoir perdu un
feul homme. Un Détachement commandé par
le Baron de Gerfdorff , Lieutenant - Colonel du
Régiment de Birckenfeld , en vint aux mains le
16 au matin avec un Détachement Pruffien . Los
ennemis ont été mis en fuite. On leur a tué
un Capitaine de Cavalerie , deux Lieutenans , &
cinquante hommes , & on leur a fait quinze
prifonniers. La veille de cette rencontre , le même
Détachement Pruffien étant dans un bois , il s'éleva
un vent fi furieux , que les chevaux épouvantés
prirent le mors aux dents , & quarantecinq
s'échapperent . La plupart font tombés entre
les mains de nos Huffards.
DE RATISBONNE , le 14 Octobre .
Par une Proteftation que le Roi de Pruffe a
adreffée à la Diette contre le Decret Commifforial
du Confeil Aulique de l'Empire , ce Prince
déclare Que n'ayant fait , en entrant dans l'Electorat
de Saxe & dans le Royaume de Boheme
, que ce qu'il étoit autorifé de faire en
vertu de toutes les Loix , pour repouffer le dan-
:
210 MERCURE DE FRANCE .
ger dont il étoit menacé , il ſe réſerve de pourfuivre
la fatisfaction , qu'il prétend lui être dûe
par rapport à la maniere , dont le Confeil Aulique
s'eft cru en droit d'agir à fon égard. Sa
Majefté Pruffienne dit être en état de prouver ,
que fi le paffage pour l'armée Pruffienne par
P'Electorat de Saxe avoit été accepté fur le pied
que la Cour de Drefde propofoit , à peine
cette armée auroit - elle pénétré dans les Etats
de l'Impératrice Reine , que les Saxons en liberté
d'agir , auroient fait une irruption dans les
Etats de la Maifon de Brandebourg , afin de
s'emparer des dépouilles que les circonftances
lui auroient permis de s'approprier . Elle renouvelle
les affurances données dans fa premiere
Déclaration , que , malgré les fujets qu'Elle
croit avoir de fe plaindre , elle remettra toutes
chofes dans l'Electorat de Saxe fur l'ancien pied ,
dès que l'animofité fera place aux voies de conciliation
, auxquelles Elle fera toujours prête
de donner les mains , lorfqu'on aura lieu d'efpérer
le rétabliffement de la paix fur des fondemens
folides & conftans . Pour combattre les
argumens du Confeil Aulique , & pour montrer
que les hoftilités d'un Etat de l'Empire
contre quelques - uns de fes Co - Etats ne font
point un cas extraordinaire , le Roi de Pruffe
allegue plufieurs exemples antérieurs. Il cite entre
autres la guerre de l'Impératrice Reine contre
le feu Empereur Charles VII , & l'invaſion
des troupes de cette Princeffe dans l'Electorat
de Baviere & dans d'autres Etats de l'Empire ,
avec lefquels Elle étoit en défunion , Ce Prince
ajoute que la conduite tenue dans ces conjonc
tures par l'Impératrice Reine , ne fut point
alors confidérée du même oeil , dont la Cour
29
le
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n
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C
DECEMBRE. 1756. 211
de Vienne voudroit aujourd'hui faire enviſager
les démarches de la Cour de Berlin.
DE HAMBOURG , le 22 Octobre.
Le Feld -Maréchal Comte de Browne , dans
le deffein de dégager l'armée Saxonne , s'étoit
avancé le 12 avec un Corps de troupes jufqu'à
Mitteldorff , à peu de diftance de Schandau. Les
Saxons devoient paffer l'Elbe la nuit du 11 au
12 mais quelque dommage arrivé au pont
que S. M. Polonoife avoit fait jetter près de
Konigstein , les en empêcha. La nuit fuivante , le
dominage étant réparé , ils pafferent la riviere.
Un grand bruit de canon & de moufqueterie ,
qu'on entendit le 13 au matin , & qui paroiffoit
venir du côté de Schandau , fit foupçonner
que le Feld- Maréchal de Browne avoit attaqué
le Corps de Pruffiens , qui fe trouvoit
dans ce pofte. La Garnifon que le koi de
Pruffe a mife dans Drefde , en parut même
fort inquiete. Deux jours s'écoulerent , fans
qu'on eût aucunes nouvelles pofitives de l'armée
Saxonne . Il fe répandoit feulement un bruit
vague qu'elle avoit fait la jonction avec les
Autrichiens. A la fin la vérité le développa.
Le délai , qui avoit fufpendu le départ des Saxons ,
avoit donné le temps aux Pruffiens de fe renforcer
à Schandau , & de faire des abattis d'arbres
dans les défilés . Le Feld- Maréchal de Browne
ne voyant aucun figne de la part des premiers ,
& craignant d'être enveloppé , avoit été dans
la néceffité de quitter Mitteldorff le 13. Pendant
la nuit du 13 au 14 , il étoit tombé une
grande abondance de pluie. Les chemins creux ,
par lefquels l'armée Saxonne devoit paffer près de
212 MERCURE DE FRANCE.
Lilienſtein , étoient entiérement inondés , & ce
contretemps retarda beaucoup la marche des
troupes & le tranſport de l'artillerie . Les Pruffiens
avoient pris poffeffion du camp de Pirna . Ils
attaquerent l'arriere- garde , qui fit une très- belie
défenfe , & qui ne perdit que très - peu de monde
& une vingtaine de charriots . A la pluie fuccéda
un brouillard épais. Lorfque les troupes
Saxonnes voulurent entrer le matin dans les
gorges du défilé qui conduifoit vers Ulletfdorff ,
où elles devoient fe joindre aux Autrichiens ,
elles trouverent ces gorges bouchées , & les Pruf-
Giens Maîtres de toutes les hauteurs. La diftance
à laquelle étoient les Autrichiens , la direction
du vent , un grand ouragan qui s'éleva la nuit ,
& qui continua le lendemain , furent caufe que
les Autrichiens ne purent entendre les coups
de canon , qui devoient leur fervir de fignaux
pour attaquer les Pruffiens. Ainfi la journée du
14 fe paffa fans coup ferir. Les Autrichiens ,
qui avoient attendu l'armée Saxonne deux fois
vingt- quatre heures , & qui n'avoient avec eux
ni tentes , ni provifions fuffifantes de vivres &
de fourrages , furent enfin contraints d'aller rejoindre
le gros de leur armée. Ils avoient fait
trois marches forcées , & il falloit en faire autant
pour exécuter leur retraite , & pour éviter
d'être coupés par le Corps de troupes Pruffiennes
pofté entre Auffig & Lowolis. Le 15 ,
les Saxons tenterent de gagner les fommets
des montagnes , ou de percer à travers les forêts
; mais ils rencontrerent partout des obftacles
infurmontables. Entourés de tous côtés par
les Pruffiens , dénués de fecours & de fubfif-
Lances , privés de toutes reffources , ils étoient
arrêtés entre les rochers inacceffibles , qui bor-
S
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le
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P
DECEMBRE , 1756. 213
dent les deux feuls débouchés praticables que
les Pruffiens avoient occupés . Les Saxons ont
paffé trois jours dans cette affreuſe pofition ,
expofés à toutes les injures de la faifon , fans
pain & fans fourrage. Alors le Roi de Pologne
& les Princes Xavier & Charles , obligés de pourvoir
à la fûreté de leurs perfonnes , le font
retirés à Konigstein . En tâchant de fauver leur
liberté , ils ont couru plus d'une fois rifque de
perdre la vie. L'unique defir des Saxons , dans
la fituation déplorable à laquelle ils étoient réduits
, étoit de périr les armes à la main . Ils
n'ont pas même eu cette confolation , & il ne
leur eft refté que la cruelle extrêmité de compofer
avec les Pruffiens. Par la Capitulation ,
les Généraux ont ftipulé pour S. M. Polonoiſe
& pour les Princes fes fils la liberté de fe retirer
où bon leur fembleroit. Les troupes fe
font rendues prifonnieres de guerre . Pendant
deux jours qu'on a employés à convenir des
articles de la Capitulation , toutes les troupes
Saxonnes depuis le Feld- Maréchal jufqu'au
Tambour , déclarerent conftamment qu'elles fe
feroient plutôt hacher en pieces , que de prendre
parti dans l'armée du Roi de Pruffe. Mais
la plupart des foldats n'ont eu enfuite que cette
reffource . A l'égard des Officiers , il a été réglé
qu'ils ne feroient point forcés de prendre
fervice. La Reine de Pologne Electrice de Saxe
étant allée de Drefde joindre le Roi fon époux ,
Leurs Majeftés Polonoifes font parties le 19
pour Warfovie avec les Princes Xavier & Charles
, & avec le Comte de Bruhl . Les Miniftres
Etrangers ont été invités de la part du Roi de
Pologne , de l'y fuivre. S. M. Polonoife n'a
point voulufe mêler de la Capitulation fignée par
1
214 MERCURE DE FRANCE.
fes Généraux. Le Roi de Pruffe occupe à Struppen
le même logement , qu'y occupoit le Roi
de Pologne Il y a de fréquentes allées & venues
de cet endroit à Ko. igſtein , qui par la
capitulation eft tefté aux Saxons , mais dont les
Pruffiens défireroient d'être mis en poffeffion ,
ainfi que de Pirna , & de toutes les Places
des Etats Héréditaires de Saxe , dont S. M.
Pruffienne fe réſerve l'adminiſtration , jufqu'à
ce qu'une paix folide faffe rentrer les chofes
dans leur premier état .
DE LEIPSICK , le 24 Octobre.
Depuis la premiere Relation qu'on a reçue
du malheur des troupes Saxonnes , on a été informé
des particularités fuivantes . Lorsque ces troupes
eurent perdu toute efpérance de forcer les
paffages , le Feld - Maréchal Comte Rutowski
écrivit au Roi , pour lui donner part d'une fi
trifte nouvelle . Sa Majefté fit cette réponfe . « J'ap-
>>prends avec une extrême douleur la déplorable
»fituation , où , par un enchaînement de difgraces
»difficiles à exprimer , vous êtes réduits , vous ,
» mes Généraux & toute mon armée . Il faut fe
>>foumettre à la Divine Providence . Dieu connoit
>>ma droiture. Voilà ma reflource & ma confola-
>>tion. On veut , comme vous me le faites enten-
»dre par le Baron de Dygera , me forcer de
»foufcrire à des conditions que l'on a rendues
»plus dures à mesure que les circonftances font
»devenues plus fâcheufes. Ne me connoît - on
»plus Je fuis toujours Souverain & toujours
»libre. Heureux ou malheureux , je vivrai avec
>>honneur , & je mourrai de même. Je vous aban.
>>donne , Monfieur , le fort de mon armée. Que
t
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C
C
C
DECEMBRE. 1756. 215
>>votre Confeil de guerre décide lui - même , fi
>>vous devez vous rendre prifonnier , ou s'il vous
>>faut mourir par le fer ou par la difette. Que
l'humanité dicte , s'il eft poffible , vos réfolutions
. Quelles qu'elles puiffent être , elle ne me
>> regardent plus , & je vous déclare que je ne
>> vous tiendrai refponfable que d'une feule chofe ,
fçavoir de porter les armes contre moi & contre
» mes amis. >>
Sur la lettre du Roi le Confeil de guerre s'affembla
, & le réfultat des délibérations fut :
Qu'on tenteroit inutilement de vaincre les obftacles
qui empêchoient l'armée de pénétrer plus
avant ; que quand même on parviendroit à les
furmonter , ce feroit fans fruit , dès qu'on n'étoit
pas à portée de joindre une autre armée qui pût
non feulement aider à repouffer les efforts de
l'ennemi , mais encore fournir aux Saxons toutes
les chofes dont ils manquoient ; qu'ils avoient
été obligés de laiffer la moitié de leur artillerie
& de leurs charriots de munitions à bord de l'Elbe ;
qu'on avoit eu avis que le Feld- Maréchal Comte
de Browne avoit rétrogradé à Lychtenhain ; que
vraifemblablement il étoit retourné encore plus
en arriere , puifqu'il n'avoit point entendu les
coups de canon qu'on avoit tirés pour fignaux ;
que de plus la Cavalerie , vu la foiblefle des
chevaux , ne pouvoit entreprendre de combattre
contre la Cavalerie ennemie ; que dans un tel
concours d'événemens finiftres , il n'y avoit point
d'autre parti à prendre que de capituler , & qu'on
fe foumettoit là- deffus au jugement de tous les
gens de guerre; que toutes les troupes étoient
prêtes à verfer leur fang , fi le Roi l'ordonnoit ;
mais que ce feroit les facrifier gratuitement , &
que leur destruction ne pourroit qu'expofer à de
216 MERCURE DE FRANCE.
juftes reproches d'ignorance & de témérité un
corps d'Officiers Généraux qui croyoient avoir
fervi jufques là avec honneur & avec diſtinction.
Il a été réglé par la Capitulation , que le Roi
demeureroit en poffeffion de Konigstein , & que
les Pruffiens n'inquiéteroient en aucune maniere
la garnifon Saxonne , qui a été laiffée par Sa Majefté
dans cette Fortereffe. On attend avec impatience
la nouvelle de l'arrivée du Roi à Warfovic.
DE DRESDE , le 4 Novembre.
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Par un Mémoire intitulé , Exposé des motifs
de la Capitulation fignée le 15 Octobre 1756 ,
entre l'armée du Roi de Pologne Electeur de
Saxe , & Sa Majesté Pruffienne , on voit le plan ad
des opérations que le Confeil du Roi avoit concertées
avec le Feld- Maréchal de Browne . Une
colonne des troupes Saxonnes devoit marcher
vers Proffen , laiffant la montagne de Lilienf
tein à fa gauche . Une autre Colonne devoit
foutenir fix Bataillons de Grenadiers , deſtinés
à attaquer les abattis du bois de Lilienftein,
Elle auroit enfuite continué fa marche , laif
fant cette montagne à fa droite ; & les fix Ba
taillons de Grenadiers fe feroient portés fur le
Village de Walterdorff. Après l'avoir emporté
ils devoient s'y défendre contre l'ennemi , jufquà
ce que l'armée für engagée dans les défilés.
Ils avoient ordre , lorfqu'elle y feroit entrée
, de faire l'arriere-garde. On étoit convenu
avec le Feld- Maréchal de Browne , que les
Saxons le trouveroient à la tête d'un Corps de
douze mille hommes fur les hauteurs de Ratmanfdorff
& de Schandau. Enfuite ils fe feroient
xéunis avec lui au gros de l'armée Autrichienne
campće
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DECEMBRE. 1756. 217
5
campée à Budin. L'exécution de ce projet avoit
été fixée à la nuit du 11 au 12 du mois dernier ,
pour le plus tard. On fe flattoit avec raifon , que
la conftance & le zele des troupes leur feroient
fupporter patiemment la difette de vivres à laquelle
elles feroient réduites pendant un intervalle
fi confidérable. Les rations de pain furent diminuées
, & l'on mit les chevaux à la pâture . Bien
loin d'être rebutés par ces épreuves , les foldats
n'afpiroient qu'au moment de s'ouvrir généreufement
un paffage à travers l'armée Pruſſienne
qui les tenoit bloqués dans leur camp . Le Feld-
Maréchal de Browne inftruit de ce qu'ils avoient
à fouffrir , voulut avancer de quelques jours le
terme de leur délivrance. Il fe porta du camp de
Budin à Lowofitz , afin de donner de l'inquiétude
au Roi de Pruffe du côté de Brix & de Bylin ,
tandis que les Saxons par de fauffes attaques fur
Hennerfdorff & fur Marckerfbach , feindroient de
vouloir fe dégager par feur gauche . Ce mouvement
engagea le premier Octobre le combat de
Lowofitz ou de Welmina entre l'avant- garde des
Autrichiens & l'armée Pruffienne. Le furlendemain
de cette action , le Feld- Maréchal de Browne
fit affurer le Roi que cette action n'avoit rien
dérangé au projet concerté , & qu'il auroit toujours
lieu la nuit du 11 au 12.
Le même Mémoire détaille enfuite tous les
obftacles qui fe font oppofés à la réuffite de ce
projet. « Divers contretemps , dit - on dans cet
Décrit , empêcherent que le pont ne fût établi
auffi-tôt que l'on s'en étoit flatté , & il ne fut
»pas poffible de décamper avant la nuit du 12 au
13. Cette nuit , la plus cruelle qu'on ait jamais
»paffée , l'armée défila fur le pont par une pluie
» affreufe , qui acheva de mettre fur les dents les
K
218 MERCURE DE FRANCE.
»chevaux déja excédés de faim & de fatigue . Le
feul débouché par lequel l'armée pouvoit par-
»venir à la hauteur d'Ebenheit s'étant trouvé
>>engorgé par
le canon que les chevaux n'avoient
»plus la force de traîner , non feulement les
>> Grenadiers & le refte de l'Infanterie , mais même
>>la Cavalerie entreprirent de gravir fucceffive-
»ment contre une montagne preſque inacceffible.
>> Les troupes ne purent arriver fur la hauteur
» d'Ebenheit que vers les quatre heures après-
»midi. Elles s'y formerent fur plufieurs lignes ,
autant que le terrein refferré pouvoit le per-
>>mettre. Le vent prodigieux qu'il faifoit fut cauſe
>>que le Feld-Maréchal de Browne ne put entendre
la violente canonnade & la moufqueterie
>> continuelle dont notre arriere-garde avoit été
»accompagnée depuis dix heures du matin , &
»par cette raifon il n'exécuta point l'attaque qu'il
» s'étoit propofé de faire. Alors nos Généraux
»perfuadés qu'il étoit hors de portée de les fe-
>>courir , ne crurent pas devoir prendre fur eux
>>de facrifier les troupes dans une attaque que
toute la bravoure imaginable ne pouvoit rendre
»utile , dès qu'elle ne fe feroit point en même
>>temps par les Autrichiens & par les Saxons.
»Dans une pofition fi critique , il fut réſolu que
»l'armée demeureroit fous les armes & en état
»de combattre , jufqu'à ce qu'on fçût pofitive-
»ment fi le Feld-Maréchal de Browne avoit pu
wfe porter & fe maintenir fur les hauteurs de
Schandau. Toute la journée du 14 fe paffa dans
>> l'inquiétude & dans le trouble. Malgré les fati-
» gues d'une marche également longue & péni-
»ble , malgré la difette abfolue que le foldat
» éprouvoit depuis quarante-huit heures , le cou-
Drage des troupes n'étoit point ralenti . Elles
13
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DECEMBRE . 1756. 219
»attendoient avec impatience l'inftant de fe fa-
» crifier fous les yeux d'un Maître qui avoit voulu
»les commander en perfonne , & à qui l'on ne
perfuada qu'avec beaucoup de peine de fe ren-
» fermer dans la Fortereffe de Konigstein , lorfque
» la multiplicité des obftacles nous eût ôté toute
»efpérance de pouvoir nous dégager. »
>>
Ĉe Mémoire finit par ces mots remarquables :
« Le témoignage que l'armée Saxonne fe doit à
» elle- même de fon courage & de fa fidélité , l'o-
» blige d'expofer aux yeux de toute la terre les
>>motifs invincibles qui l'ont déterminée à une
»démarche auffi accablante que celle à laquelle
» elle a été contrainte. Il n'y a aucun Officier ni
»foldat qui ne fcellât de tout fon ſang la vérité
» des faits contenus dans cet expofé. C'eſt à l'uni-
>vers à prononcer fur ce que l'armée Saxonne a
»fait , & fur ce qu'elle a dû faire . »
Les Régimens Saxons qui ont été forcés de fe'
rendre au Roi de Pruffe , n'ont pas été incorporés
dans les troupes de ce Prince. On leur a donné
des Officiers Pruffiens pour les commander , les
Officiers Saxons ayant conftamment refufé de
fervir contre leur Roi & leur Patrie. Deux de ces
Régimens avoient été conduits à Léipfick , pour
être mis en quartiers dans les environs. Ils ont
pris les armes contre les Officiers Pruffiens qui
ont voulu s'opposer à leur deffein , & ils en ont
tué deux. Les autres Officiers fe font retirés' , &
ccs deux Régimens ayant pris la route du Royaume
de Boheme , font arrivés à Prague.
Cent cinquante foldats des mêmes troupes
s'étant réunis après avoir quitté l'armée Pruffien-¨
ne , ont été atteints dans leur marche par trois
cens Cavaliers qu'on avoit envoyés après eux. Ils
fe font mis en état de défenfe , & ils ont forcé les
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
trois cens Cavaliers Pruffiens de rendre les armes ,
& de les fuivre en Boheme où ils font auffi arrivés.
Ces actions de courage de la part des troupes
Saxonnes , prouvent bien qu'elles ne fe font rendues
qu'y étant forcées par leur pofition. Tous
les foldats qui peuvent s'échapper volent au fervice
des Alliés de leur Monarque.
DE MALTE , le 6 Septembre.
Les Galeres de Malte ayant été appellées à Tunis
par la Régence , le Bailli de Fleury , Général
de ces Galeres , fut informé le premier de
ce mois , que les Algériens avoient fait des progrès
confidérables ; & il donna les ordres néceffaires
pour le tenir prêt à attaquer de nuit dix de leurs
Corfaires , qui étoient à la Goulette . Le lendemain
, quatre des principaux Miniftres du Bey ,
que le Bailli de Fleury avoit promis de fauver ,
& qu'il a fauvés en effet , lui apprirent à ſept
heures & demie du matin la défaite totale du parti
de ce Bey , & l'évasion de toute fa Famille . A
cette nouvelle le Général , fans attendre la nuit ,
fit fignal d'envoyer à la Capitane toutes les Chaloupes
, Felouques & Canots de l'Efcadre armés
, & leur or lonna , à mesure qu'ils arriverent ,
d'aller s'emparer des Bâtimens Algériens . Les
Galeres ferperent en même temps , & s'approcherent
, en dépendant , jufqu'à la demi - portée
du canon de la Fortereffe de la Goulette , pour
foutenir la petite Flotille , & pour remorquer en
cas de befoin les prifes qu'elle allait faire. Jamais
attaque ne fut pouffée avec plus de vivacité ,
d'intelligence & de bravoure. A peine les Chevaliers
eurent- ils abordé ces Corfaires , qu'ils s'en
lendirent maîtres. Malgré le feu continuel de
DECEMBRE. 1756. 221
cinq canons de 24 , de la petite Goulette , placés
à fleur d'eau & toute l'artillerie de la grande
Goulette , confiftant en quatre vingts pieces de
48 , de 35 , & de 24 , qui ne ceffoient de tirer
fur les prifes & fur l'Efcadre , tout s'exécuta
avec tant d'ordre & de promptitude , que couper
les cables , fe faifir des Turcs , faire voile , &
arborer le Pavillon de Malte , ne parut qu'une
feule action. Sur les neuf heures & un quart ,
tous les Bâtimens étant hors de la portée du
canon , le Bailli de Fleury fit fignal de ralliement
, & alla mouiller fous le Cap Cartage ,
où on les mit en état de naviguer pour partic
pendant la nuit ; ce qui fut exécuté .
FRANC E.
RELATION de ce qui s'eft paffé cette
année en Canada , avec le journal hiſtorique
du fiege des Forts de Choueguen ou
Ofwego, commencé le 11 Août 1756, co
fini le 14 par la prise de ces Forts.
LE
Es nouveaux préparatifs que les Anglois ont
faits pour envahir nos poffeffions en Amérique ,
malgré le mauvais fuccès de leurs entreprifes de
P'année derniere , ont été auffi publics en Europe
que dans le nouveau monde. On s'y étoit attendu
& dans les premiers jours d'Avril dernier , le Roi
fit partir , pour le Canada , un renfort de troupes
commandé par le Marquis de Montcalm ,
Maréchal de Camp.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
En attendant l'arrivée de ce fecours , & dès la
fin de la campagne derniere , le Marquis de Vaudreuil
, Gouverneur & Lieutenant Général de la
Nouvelle France , avoit pris de juftes meſures
pour la défenſe de nos frontieres. Ses arrangemens
avoient eu même pour objet de faire harceler
les Anglois dans leurs propres Colonies. Il a
tenu des détachemens en campagne durant tout
l'hyver. Les Sauvages ont tué beaucoup de monde ,
on a enlevé une quantité confiderable de beftiaux :
ily a eu un grand nombre de maifons & de magafins
brulés ; les campagnes ont été abandonnées
dans plufieurs endroits des frontieres des Colonies
Angloifes. Ces mouvemens divers ont efficacement
fervi , non feulement à augmenter le mécontentement
qu'avoit caufé parmi elles l'injuftice
des projets de leurs Gouverneurs , mais encore à
faire naître des embarras & des difficultés qui ont
empêché l'exécution de ces projets dans le printemps.
Le Marquis de Vaudreuil ne s'en eft pas tenu
là . Tandis que nos Partis fe fuccedoient fans
relâche fur les frontieres des Anglois , expofées à
leurs courſes , & défoloient furtout la Pensilvanie
, la Virginie & le Mariland , un Corps de nos
troupes , qu'il avoit placé fur la riviere S. Jean ,
y recueilloit les reftes épars des Acadiens chalés
de leurs habitations par les Anglois , & dont une
partie erroit alors dans les bois. La défenſe du
Fort du Quêne & de l'Ohio , ou de la belle Riviere
, étoit confiée à un corps de Canadiens & de
Sauvages commandés par le Sieur Dumas. Un
autre detachement d'environ 500 hommes , obfervoit
l'ennemi du côté du Fort Lydius . Le bataillon
du Régiment de la Reine & celui du Régiment
de Languedoc , campoient devant le Fort
2
N
༡༩.R
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DECEMBRE. 1756 . 223
de Carrillon , vers le Lac du Saint- Sacrement. Le
bataillon de Bearn étoit deſtiné pour le Fort de
Niagara , & celui de Guyenne pour le Fort Frontenac
, afin de défendre ces deux poftes importans
dont les ennemis paroiffoient méditer. l'attaque
pendant le cours de la campagne prête à s'ouvrir.
Dès le commencement de l'hyver , le Marquis
de Vaudreuil avoit été informé que , pour l'exécution
de ce projet , les Anglois faifoient raffembler
des troupes avec des provifions confidérables
dans les Forts de Choueguen près du Lac
Ontario ; & c'eft en conféquence de cet avis
qu'au mois de Mars dernier le fieur de Léry attaqua
par fes ordres un Fort où étoit le principal
entrepôt de ces approvifionnemens . Ce Fort
fut enlevé d'affaut & détruit avec tous les bâtimens
qui en dependoient ; & toutes les munitions
qui s'y trouvoient en grande quantité ,
furent enlevées , brûlées , ou jettées dans la Riviere.
Dans la vue de profiter de ce premier
fuccès , le Gouverneur- Général fit un autre détachement
de 700 hommes , Canadiens & Sauvages
, fous les ordres du fieur de Villiers , Capitaine
de la Colonie , pour refferrer les ennemis
de ce côté-là , obferver leurs mouvemens , &
intercepter les tranfports qu'ils pourroient faire
fur la riviere de Choueguen.
Ainfi tout étoit difpofé par le Marquis de Vaudreuil
pour une défenfive vigoureuſe dans les différentes
parties du Canada , fur les lacs Champlain
& du St. Sacrement , vers la Belle - Riviere , &
furtout du côté du lac Ontario , où la défenſe
de nos Forts & même l'attaque des poftes Anglois
avoient été fon objet principal dans la diftribution
des forces de la Colonie.
Tout le monde fçait que l'établiffement des
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Anglois fur le lac Ontario eft une invafion qu'ils
ont faite en pleine paix. Il n'étoit queftion d'abord
de leur part que d'une fimple Maiſon de
commerce. C'eft fous ce feul point de vue qu'ils
en firent la propofition en 1728 , aux Sauvages
Iroquois , qui ne les auroient pas vus tranquillement
fe fortifier tout d'un coup dans le voifinage
de leurs Habitations . On fentit cependant
dès - lors en Canada quel étoit leur véritable objet
dans cet Etabliffèment , qui devoit les mettre
à portée non feulement d'envahir le commerce
des Lacs que les François n'avoient jamais
partagé avec aucune Nation Européenne , mais
encore de couper , par le centre même de la
Colonie de Canada , la communication des poftes
qui en dépendent. Les Gouverneurs François
fe contenterent cependant de réclamer contre
cette ufurpation. Le Roi en fit porter dans
le temps des plaintes à la Cour Britanique , où
elles ont été conſtamment renouvellées dans toutes
les occafions . Mais les Anglois , fans ſe mettre
en peine de la juftice de ces plaintes , &
abufant toujours de l'efprit de paix qui a réglé
dans tous les temps la conduite de la France ,
ie font fortifiés peu à peu à Choueguen , de
maniere qu'ils y avoient établi trois Forts ,
fçavoir :
1º. Le Fort Ontario placé à la droite de la
Riviere , au milieu d'un plateau fort élevé. Il
confiftoit en un quatré de trente toifes de côté ,
dont les faces brifées par le milieu étoient flanquées
par un rédan placé à l'endroit de la brifure.
Il étoit fait de pieux de dix - huit pouces
de diametre applanis fur deux faces , parfaitement
bien joints l'un à l'autre , & fortans de terre de
de huit à neuf pieds . Le follé qui entouroit le
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DECEMBRE . 1756. 225
Fort avoit dix-huit pieds de largeur fur huit de
profondeur. Les terres qu'on en avoit tirées
avoient été rejettées en glacis fur la contrefcarpe
& en talud fort roide fur la berme. On
avoit pratiqué des creneaux & des embrafures
dans les pieux à fleur de terre rejettée fur la
berme , & un échafaudage de charpente régnoit
tout autour , afin de tirer pardeffus . Il y avoit
huit canons & quatre mortiers à doubles grenades,
2 °. Le vieux Fort de Choueguen , fitué fur
la rive gauche de la Riviere , confiftant en une
Maifon à machicoulis & crénelée au rez de chauf
fée & au premier étage , dont les murs avoient
trois pieds d'épaiffeur & étoient entourés
à trois toiles de diftance d'une autre muraille
de quatre pieds d'épaiffeur fur dix de hauteur
, crénelée & flanquée par deux groffes tours
quarrées. Il y avoit de plus un retranchement
qui entouroit , du côté de la campagne , le
Fort où les Ennemis avoient placés dix- huit
pieces de canon & quinze mortiers & obufiers .
3°. Le Fort Georges , fitué à 300 toifes endelà
de celui de Choueguen fur une hauteur qui
le dominoit. Il étoit de pieux & aſſez mal retranché
en terre fur deux faces .
C'eft principalement au moyen des avantages
que cet Etabliffement donnoit aux Anglois ,
qu'ils s'étoient flattés d'envahir le Canada . Leur
deffein étoit d'abord , ainfi qu'on l'a dit , de
s'emparer du Fort de Niagara & de celui de Frontenac
. Maîtres de ces deux poftes , ils auroient coupé
abfolument la communication , non feulement
des Pays d'en haut , mais encore de la Louifiane
: ils auroient fait tomber une des principales
branches du commerce de Canada ; &
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
en enlevant à cette Colonie une partie de fes
Sauvages alliés , ils fe feroient trouvés à portée
de l'attaquer de toutes parts dans tous les Etabliflemens.
Telles étoient les vues , du moins apparentes
, des Anglois , & les difpofitions faites de notre
part , lorfque les troupes Françoiſes commandées
par le Marquis de Montcalm arriverent au
mois de Mai.
Dès que le Marquis de Vaudreuil eut reça
ce renfort , il envoya fur le lac du St. Sacrement
le bataillon de Royal Rouffillon qui en
faifoit partie. Le Bataillon de la Sarre fut envoyé
à Frontenac avec les deux Ingénieurs François
nouvellement débarqués , aux ordres du fieur
de Bourlamaque Colonel d'Infanterie , pour former
devant cette Place un Camp retranché. Le
Chevalier de Levis , Brigadier , fut deftiné à commander
fur le lac du St. Sacrement ; & le Marquis
de Montcalm devoit fe porter aux lieux
que les ennemis paroîtroient menacer le plus.
Vers le mois de Juin , il parut clairement
par le rapport des Sauvages envoyés à la découverte
, par les dépofitions de plufieurs prifonniers
, & par les préparatifs immenfes faits à
Albany & au Fort Lydius , que les Anglois
avoient des projets d'offenfive du côté de la
Pointe ou du lac du St. Sacrement. Ces nouvelles
confirmerent les Commandans François dans
le deffein d'une diverfion fur le lac Ontario ,
qui devenoit néceffaite pour attirer de ce côtélà
une partie des forces ennemies. Le Marquis
de Montcalm propofa de s'en charger , & même
de tenter , s'il étoit poffible , une entreprife
fur les Etabliffemens Anglois : entrepriſe
deja projettée depuis quelque temps par le Gou
་
་
DECEMBRE. 1756. 227
verneur- Général , qui n'avoit jamais perdu de
vue le fiege des Forts de Choueguen , dont il
connoiffoit toute l'importance. Ce Siege fut réfolu
par le Marquis de Vaudreuil , au cas que
l'état de la Place , & la lenteur des ennemis
permiffent de le former dans cette campagne ,
dont la faifon commençoit à s'avancer. Mais
une pareille expédition exigeoit de grands préparatifs
; les diftances étoient confidérables ; &
les tranfports ne pouvoient s'exécuter qu'avec
des peines & des longueurs infinies , à travers un
pays qui n'a d'autres chemins que des rivieres
remplies de fauts & de rapides , & des lacs où
la violence des vagues rend quelquefois la navigation
prefqu'impoffible . On ne pouvoit donc
fe flatter de réufhir dans ce projet qu'autant qu'il
ne feroit pas pénétré par les ennemis ; & qu'on
ne leur donneroit pas le temps de faire paffer
à Choueguen les nouveaux fecours qu'ils deftineroient
eux-mêmes pour l'attaque des deux
Forts François,
En conféquence le Marquis de Vaudreuil priv
toutes les mesures qui pouvoient accélérer nos
difpofitions & en cacher l'objet . Le fieur Bigot
Intendant du Canada vint à Montreal , & fe char--
gea d'amaffer des munitions de guerre & debouche
, d'en diligenter les convois & de les entretenir
fans interruption. Le fieur Rigaud de
Vaudreuil , Gouverneur des trois Rivieres , fut envoyé
avec un renfort de Canadiens & de Sauvages
, pour prendre le commandement du Camp
du fieur de Villiers . En même temps le fieur de
Bourlamaque reçut ordre de commencer à Frontenac
les préparatifs qu'on jugea néceffaires. Le
fieur de Combles Ingénieur , fut chargé d'aller
avec un détachement reconnoître Choi eguen. E
K. vj
228 MERCURE DE FRANCE.
tandis que tout fe difpofoit ainfi pour cette attaque
, dans la vue de donner le change aux
ennemis , le Marquis de Montcalm partit le 27
de Juin pour le Fort de Carrillon avec le Chevalier
de Levis. Les pofitions à prendre au fujet
de la défenfive dans cette partie , les fortifications
alors commencées à Carrillon , & les
mouvemens des Anglois à Albany , paroiffoient
en effet des raifons fuffifantes pour autorifer la
préfence du Marquis de Montcalm fur le lac
du St. Sacrement , comme dans le pofte où devoient
fe paffer les opérations les plus intéres-
Santes. Ce Général n'y étant resté que le temps
néceffaire pour préparer l'effentiel , & s'attirer
l'attention des Anglois , remit la défenſe de cette
Frontiere au Chevalier de Levis , en lui laiffant
un Corps de trois mille hommes , & reprit le
quinze de Juillet la route de Montreal , où il arriva
le dix -neuf du même mois. Il y reçut fes
dernieres inftructions pour l'entrepriſe contre
les Forts de Choueguen , à laquelle le Marquis
de Vaudreuil fe trouvoit engagé de plus en plus
par la nouvelle toute récente d'un fuccès qui
fembloit en faciliter l'exécution . C'eft celle de
l'échec que les ennemis avoient reçu dans les
premiers jours de Juillet fur le lac Ontario , où
le fieur de Villiers venoit de détruire un convoi
d'environ deux cens bâtimens , & de tuer
u de prendre prifonniers plus de cinq cens
hommes.
Le Marquis de Montcalm repartit de Montreal
le 21 de Juillet , & arriva le ving neuf
à Frontenac , où il trouva tout raffemblé , à
l'exception du détachement commandé par le fieur
Rigaud de Vaudreuil. Ce Corps s'étoit deja
porté fur la Riviere de Choueguen à la Baie
a
t
I
DECEMBRE. 1756. 229
de Niaouré , où le Marquis de Vaudreuil avoit
marqué le rendez -vous général des troupes deftinées
pour l'expédition .
Ces troupes formoient un Corps de trois
mille hommes , y compris le détachement du
fieur de Rigaud , qui devoit fervir d'avant- garde.
Elles étoient compofées des Bataillons de la Sarre
, Guyenne , & Bearn , ne faifant enfemble
que treize cens hommes , & d'environ dix- fept
cens foldats de la Colonie , Miliciens & Sauvages .
Le Marquis de Montcalm n'a pas perdu de
temps pour le mettre en état de partir du Fort
Frontenac. Aprés avoir fait dans cette Place les
préparatifs inféparables d'une opération nouvelle
en ce Pays , & qui préfentoit des difficultés
inconnues en Europe ; après avoir en même
temps pourvu aux difpofitions néceffaires
pour affurer la retraite , en cas que des forces
fupérieures la rendiffent inévitable , il a donné
ordre à deux barques armées fur le Lac Ontario
, l'une de douze , & l'autre de feize canons ,
de fe mettre en croifiere dans les parages de
Chouëguen. Il a établi une chaîne de découvreurs
, Canadiens & Sauvages , fur le chemin
de cette Place à la Ville d'Albanie , pour y intercepter
les Couriers ; & dès le 4 Août il s'eft
embarqué à Frontenac avec la premiere divifion
de fes Troupes , compofée du Bataillon de
la Sarre & de celui de Guyenne , avec 4 pieces
de canon , & eft arrivé le 6 à la Baie de
Niaouré , où la feconde divifion compofée du
Bataillon de Béarn , de Miliciens , & des Bateaux
chargés de l'Artillerie & des vivres , s'eft rendue
le huit.
Le même jour , le Marquis de Montcalm fit
partir l'avant-garde , commandée par le Sieur de
230 MERCURE DE FRANCE.
Rigaud , pour s'avancer à trois lieues de Chouëguen
dans une Anfe nommée l'Anfe- aux -Cabannes.
La premiere divifion y étant arrivée le 10 à
deux heures du matin , Pavant - garde fe porta
quatre heures après par terre & au travers des
bois , à une autre Anfe fituée à une demi- lieue
de Choueguen , pour y favorifer le débarquement
de l'artillerie & des troupes. La premiere divifion
fe rendit à minuit dans cette même Anfe. Le
Marquis de Montcalm parvint à faire établir
auffi -tôt une batterie fur le Lac Ontario , & les
troupes pafferent la nuit au bivouac à la tête des
bateaux.
Le 11 , à la pointe du jour , les Canadiens &
les Sauvages s'avancerent à un quart de lieue do
Fort Ontario , fitué , comme on l'a dit , fur la rive
droite de la Riviere de Chouëguen , & en formoient
l'inveftiffement. Le Sieur de Combles ,
Ingénieur , qui avoit été envoyé à trois heures du
matin pour déterminer cet inveſtiſſement & le
front de l'attaque , fut tué , en revenant de fa découverte
, par un de nos Sauvages qui l'avoit efcorté
, & qui dans l'obcurité le prit malheureuſement
pour un Anglois . Le Sieur Defandrouins ,
autre Ingénieur , qui par-là reftoit ſeul , traça â
travers des bois , en partie marécageux , un chemin
reconnu la veille , pour y conduire de l'Artillerie
; & ce chemin commencé le rr au matin ,
fut pouffé avec tant de vivacité, qu'il fe trouva perfectionné
le lendemain. On avoit en même temps
établi le Camp, la droite appuyée au Lac Ontario
, couverte par la batterie établie la veille , &
qui mettoit les Bateaux hors d'infulte ; & la gauche
à un marais impraticable.
La marche des François , que la précaution de
que de nuit, & d'entrer pour faire halte dans
n'aller
DECEMBRE . 1756. 13 .
les rivieres qui les couvroient , avoit jufqu'alors
dérobée aux Ennemis , leur fut annoncée le même
jour par les Sauvages , qui allerent fufiller juf
qu'au pied du Fort . Trois barques armées fortirent
à midi de la Riviere de Choueguen , vinrent
croifer devant le Camp, firent quelques décharges
de leur Artillerie ; mais le feu de notre batterie
les força de s'éloigner
Le 12 , à la pointe du jour, le Bataillon de Béarn
arriva avec les Bateaux de l'Artillerie & des vivres.
La décharge de ces Bateaux fut faite fur le champ,
en préfence des Barques Angloifes qui croifoient
devant le Camp : la batterie de la greve fut augmentée
le parc de l'Artillerie , & le dépôt des
vivres furent établis ; & le Sieur Pouchot , Capitaine
au Régiment de Béarn , reçut ordre de
faire fonction d'Ingénieur pendant le fiege. La
difpofition fut faite pour l'ouverture de la tranchée
le foir même le Marquis de Montcalm en
donna la direction au Sieur de Bourlamaque
Colonel d'Infanterie , & commanda fix piquets
de travailleurs de cinquante hommes chacun
pour cette nuit , avec deux compagnies de Grenadiers
& trois piquets pour les foutenir .
Avec toute la diligence poffible , on ne put
commencer qu'à minuit le travail de cette tranchée
, qui étoit plutôt une parallele d'environ ico
toifes de front , ouverte à 90 toifes du foffé du
Fort , dans un terrein embarraffé d'abattis & de
troncs d'arbres.Cette parallele achevée à cinq heures
du matin , fut perfectionnée par les travailleurs
du jour , qui y firent les chemins de communication
, & commencerent l'établiſſement des batteries
. Le feu des ennemis qui depuis la pointe du
jour avoit été très-vif , ceffa vers les fix heures
dufoir; & l'on s'apperçut que la Garniſon avoid
232 MERCURE DE FRANCE.
évacué le Fort Ontario , & paflé de l'autre côté
de la riviere dans celui de Choueguen. Elle abandonna
, en fe retirant , 8 pieces de canon & 4
mortiers.
Le Fort ayant auffitôt été occupé par les Grenadiers
de tranchée , des travailleurs furent commandés
pour continuer la communication de la
parallele au bord de la Riviere , où , dès l'entrée
de la nuit , on commença une grande batterie
placée de façon à pouvoir, non feulement battre
le Fort Choueguen & le chemin de ce Fort au Fort
Georges , mais encore prendre à revers le retranchement
qui entouroit le premier de ces Forts.
Vingt pieces de canon furent chariées à bras
d'hommes pendant la nuit ; & ce travail employa
toutes les troupes , à l'exception des piquets &
Gardes du camp.
Le 14 , à la pointe du jour , le Marquis de Montcalm
ordonna au Sieur de Rigaud de paffer à gué
de l'autre côté de la Riviere avec les Canadiens &
les Sauvages , de fe porter dans les bois , & d'inquiéter
la communication au Fort Georges où les
Ennemis paroiffoient faire de grandes difpofitions.
Le Sieur de Rigaud exécuta cet ordre fur le champ.
Quoiqu'il y ait beaucoup d'eau dans cette Riviere,
& que le courant en foit très- rapide , il s'y jetta ,
la traverfa avec les Canadiens & les Sauvages , les
uns à la nage , d'autres dans l'eau jufqu'à la ceinture
ou jufqu'au cou , & fe rendit à fa deftination
, fans que le feu de l'Ennemi fût capable d'arrêter
un feul Canadien , ni Sauvage.
A neuf heures , les Affiégeans eurent neuf pieces
de canon en état de tirer ; & quoique jufqu'alors
le feu des Affiégés eût été fupérieur , ils arborerent
à dix heures le Drapeau blanc . Le Sieur de
Rigaud renvoya au Marquis de Montcalm deux
DECEMBRE . 1756. 23.3
Officiers que le Commandant du Fort lui avoit
adreffés pour demander à capituler. Le Marquis
de Montcalm envoya le Sr de Bougainville , l'un
de fes Aides de Camp , pour fervir d'ôtage , &
propofer les articles de la capitulation , qui furent
que la Garnifon fe rendroit prifonniere de guerre,
& que les troupes Françoifes prendroient fur le
champ poffeffion des Forts . On a déja dit qu'elles
avoient occupé la veille celui d'Ontario . Čes articles
ayant été acceptés par le Commandant Anglois
, le Sieur de la Pauze , Aide-Major au Régiment
de Guyenne , faifant fonction de Major Général
, fut chargé par le Marquis de Montcalm de
les aller rédiger ; & le Sieur de Bourlamaque
nommé Commandant des Forts Georges & Chouëguen
, en prit poffeffion avec deux compagnies de
Grenadiers & les piquets de la tranchée. Il fut
chargé de la démolition de tous les Forts , & du
déblaiement de l'Artillerie , & des munitions de
guerre & de bouche qui s'y trouverent .
La célérité de nos ouvrages dans un terrein que
les Ennemis avoient jugé impraticable , l'établiſ
fement de nos batteries fait fi rapidement , l'idée
que ces travaux ont donnée du nombre des troupes
Françoifes , la mort du Colonel Mercer , Commandant
de Chouëguen , tué à huit heures du marin
, & plus que tout encore , la manoeuvre hardie
du Sieur de Rigaud , & li crainte des Canadiens
& des Sauvages qui faifoient déja feu fur le
Fort , ont fans doute déterminé les Aſſiégés à ne
pas faire une plus longue défenfe .
Ils ont perdu cent cinquante-deux hommes , y
compris quelques Soldats tués par les Sauvages en
voulant fe fauver dans les bois . Le nombre des prifonniers
a été de plus de feize cens , dont quatrevingts
Officiers. On a pris auffi ſept Bâtimens de
234 MERCURE DE FRANCE.
guerre , dont un de dix- huit canons , un de quatorze
, un de dix , un de huit , & les trois autres
armés de pierriers , outre deux cens bâtimens de
tranfport ; & les Officiers & Equipages de ces bâtimens
ont été compris dans la capitulation de la
Garnifon , qui étoit compofée de deux Régimens
de troupes réglées , de Shirley & de Pepperel , &
du Régiment de Milice de Shuyler. L'Artillerie
qu'on a prife , confifte en cent cinquante-cinq pieces
de canon , quatorze mortiers , cinq obuliers
& quarante-fept pierriers , qu'on a enlevés avec
une grande quantité de boulets , bombes , balles
& poudre , & un amas confidérable de vivres.
Le Marquis de Montcalm n'a perdu que trois
hommes , fçavoir un Canadien , un Soldat & un
Canonnier , outre la perte du Sieur de Combles ,
& il n'y a eu dans les différens corps de troupes ,
qui étoient fous fes ordres , qu'environ vingt
bleffés , qui tous le font fort légèrement. Le Sieur
de Bourlamaque & les Sieurs de Palmarol , Capitaine
de Grenadiers , & Duparquet , Capitaine au
Régiment de la Sarre , font de ce nombre.
P
P
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C
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n
&
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P
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Le 21 du même mois d'Août , toutes les démolitions
étant achevées , le tranfport des prifonniers
, de l'artillerie & des vivres fait , le Marquis
de Montcalm fe rembarqua avec les troupes , &
fe rendit fur trois divifions à la Baie de Niaouré ,
d'où les différens Corps fe font portés aux deftinations
refpectives que leur avoit indiquées le Marquis
de Vaudreuil , qui a fait dépofer dans les
Eglifes de Québec &des trois Rivieres , avec les ]
cérémonies ordinaires , les quatre Drapeaux des
Régimens de troupes réglées de Shirley & Pepperel
, & celui du Régiment de Milices de Shuyler.
Le fuccès de cette expédition a répandu une
joie générale dans la Colonie , où l'on en connoît
C DECEMBRE. 1756. 235
plus qu'ailleurs tous les avantages . Elle fe trouve
par la délivrée des juftes inquiétudes que lui donnoit
l'établiffement de Choueguen. Elle voit la
communication avec le pays d'enhaut & avec
toutes les Nations Sauvages fes alliées , à l'abri
des troubles auxquels elle étoit expofee . Elle ne
craint plus d'être attaquée de ce côté - là , du
moins avec la fupériorité que donnoit aux Anglois
l'établiſſement qu'on vient de leur enlever ,
& qui les mettoit en état de dominer fur les Lacs ,
où ils avoient déja formé une Marine. Elle eft en
état déformais de réunir fes forces pour la défenſe
de fes frontieres , & elle a la fatisfaction de devoir
cet heureux changement dans fa fituation , aux
fecours puiffans que le Roi a eu la bonté de lui
envoyer.
Elle a fait éclater les fentimens les plus touchans
de refpect & de reconnoiffance pour ces
nouvelles marques de la protection de Sa Majefté ,
& elle feconde avec tout le zele qu'on peut attendre
du peuple le plus fidele & le plus attaché à fon
Prince , les foins infatigables que fe donnent
pour fa défenfe le Marquis de Vaudreuil , ainfi
que le Marquis de Montcalm , & les autres Officiers
qui en font chargés fous les ordres de ce
Gouverneur.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE 21 Octobre , Madame la Dauphine ſe
fentit incommodée , & fe mit au lit. Elle fit le
lendemain une fauffe couche. On compte que
cette Princeffe étoit groffe d'environ deux mois .
Le Marquis de la Galiffonniere , Lieutenant-
Général des Armées Navales , qui avoit été obli
236 MERCURE DE FRANCE .
gé , par le mauvais état de fa fanté , de ſe démettre
du commandement de l'Efcadre de Toulon , eft
mort à Nemours , en fe rendant à Fontainebleau.
Le Roi lui avoit accordé 8000 livres de penſion, &
l'avoit nommé Grand - Croix Honoraire de l'Ordre
de S. Louis . En confidération du fervice impor
tant qu'il avoit rendu à l'Etat pendant la derniere
campagne , Sa Majesté a accordé le même jour à
fa veuve 6000 livres de penfion.
Sa Majesté a fait Lieutenant- Général des Armées
Navales M. de Maffiac , qui a pris le conmandement
de l'Efcadre deToulon , après le dépat
du Marquis de la Galiffonniere . Sa Majesté 4
nommé auffi M. Daché Capitaine de Vailleau
du Département de Breft , & M. de Villarrel
Commandant la Compagnie des Gardes de la Marine
de Toulon , Chefs d'Efcadre de fes Armées
Navales. M. Perrier de Salvert , Chef d'Eſcadr
des Armées Navales , a obtenu une place a
Commandeur de l'Ordre de Saint Louis , avec
une penfion de 3000 livres fur cet Ordre ; &
le Cordon Rouge , dont il étoit décoré , a cé
accordé à M. de Folligny , Chef d'Eſcadre d
Département de Breft . Le Roi a accordé en même
temps 3000 livres de penfion fur le Tréfor Ross
au Comte Maulévrier , Lieutenant - Général de
Armées Navales. Sa Majefté a agréé cinquante
Lieutenans de Vaiffeaux des différens Départe
mens du Royaume , pour être reçus Chevaliers de
Saint Louis.
Le Roi a difpofé du Gouvernement de Nea
Brifack , vacant par la mort de M. le Marquis
Clermont-Gallerande , en faveur du Lord O
Brien , Vicomte de Clare , Comte de Thomas ,
Chevalier des Ordres de Sa Majefté , Lieutenan
Général de fes Armées, & Inſpecteur Général d'ifanterie.
1
9
e
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ce
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ré
DECEMBRE. 1756. 237
Le commandement du Pays d'aunis & de Saintonge
, qui vaquoit par la même mort , a été
donné à M. le Marquis de Senecterre , Chevalier
des Ordres du Roi , Lieutenant - Général des
Armées de Sa Majefté , & ci- devant fon Ambaffadeur
auprès du Roi de Sardaigne.
On a effuyé à Toulon pendant vingt jours
un temps affreux , & il y a eu un orage qui
a duré quatre fois vingt- quatre heures ; le 23
Octobre , à fept heures & demie du foir , le
tonnerre tomba en huit endroits différens , & il
fut fuivi d'une grêle , dont les grains étoient d'une
groffeur extraordinaire.
Un Bâtiment , arrivé de la côte de Barbarie
i Marſeille, a rapporté que les Algériens s'étoient
emparés de Tunis par la trahifon d'un Officier
le la Garnifon , qui leur a livré une des portes
le la Ville . Leur premier foin a été de fe faifir
lu nouveau Bey & de fon fils . On affure que
e fils a été maffacré en préfence du pere , &
que le pere a été mis à la torture , les Algériens
fpérant de lui faire déclarer , dans les tourmens ,
e lieu où il avoit caché fes trésors .
Le Capitaine Deffaux qui commande le Corfaire
a Favorite , du Havre , a rançonné pour fept
ens cinquante livres fterlings trois Bâtimens Anglois
, dont il s'étoit rendu maître.
Le Corfaire la Cigale , de Saint -Malo , comnandé
par le Capitaine Soyer , a conduit à Morlaix
in Navire Anglois de 80 tonneaux , chargé de
:ent cinquante bouchauts de tabac de la Virinie.
Il s'eft auffi emparé du Navire Anglois
e Bon Ami , de Dublin , de 80 tonneaux , dont
e chargement eft compofé de goudron , de thé
rébentine & de merrain .
Il eft arrivé à la Rochelle un Batiment Anglois ,
238 MERCURE DE FRANCE.
de 150 tonneaux , chargé de morue féche & d'huile
de poiffon , qui a été pris par le Corfaire le Comte
d'Hérouville , de Bordeaux , dont eft Capitaine
le fieur Belouan, qui s'eft emparé auffi du Corfaire
Anglois le Royale Georges , de Garnefey , de
16 canons , 16 pierriers , & cent fix hommes
d'équipage.
AVIS.
BEchique fouverain ou Syrop pectoral , approuvé
par Brevet du 24 Août 1750 , pour les
maladies de poitrine , comme rhume , toux invétérée
, oppreffion , foibleffe de poitrine , & afthme
humide. Ce Béchique ayant la propriété de fondre
& d'atténuer les humeurs engorgées dans le poulmon
, d'adoucir l'acrimonie de la lymphe en tant
que balfamique , & de rétablir les forces abattues
en rappellant peu à peu l'appétit & le fommeil
, comme parfait reftaurant , produit des effets
fi rapides dans les maladies énoncées , que
la bouteille taxée à fix livres , fcellée & étiquetée
à l'ordinaire , eft fuffifante pour en éprouver toute
l'efficacité avec fuccès .
Il ne fe débite que chez la Dame veuve Mouton ,
Marchande Apothicaire de Paris , rue Saint Denis ,
à côté de la rue Thevenot , vis-à- vis le Roi François
.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le Mercure du mois de Décembre , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion.
A Paris , ce 28 Novembre 1756.
GUIROY.
T
T
Ve
Po
Le
Pe
D
B
V
P
E
L
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
TRADUCTION libre d'une Elégie de Tibulle ,
page s
Vers fur la Conquête de Minorque ,
Portrait plus vrai que vraisemblable ,
Les Adieux d'un Berger à fa Bergere ,
Penfées fur la Converſation ,
Déclaration d'indifférence à Mefdames *** ,
Bouquet au Roi ,
Vers à M. de Crébillon ,
Poëme en profe fur les Illes d'Hyères ,
Effai fur l'Ame ,
II
17
33
35
36
37
44
47
48
49
SI
Lettre à l'Auteur du Mercure , avec un Madrigal
de M. de la Monnoye ,
Vers à M. ***
Le Pinfon & la Fauvette , Fable ,
Tout ou rien , Anecdote moderne ,
Remerciement à l'Académie des Arcades de Rome
, par M. Tannevot , 75
Explication des Enigmes & des Logogryphes du
Mercure de Novembre ,
Enigme & Logogryphe ,
Romance ,
80
81
83
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
,
85
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur une affaire concernant
la fucceffion du Maréchal de Saxe , 92
Suite de la Réponſe de l'Auteur des Lettres à un
Américain , à la Lettre de M. l'Abbé de Condillac
, 102
240
Premiere Séance de la Société de Châlons , 132
Extrait de la Séance de l'Académie de Dijon , 135
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géographie. Lettre de Dom Calmet , fur la terte
de Geffen & fur le Royaume de Tanis en Egyp
te ,
143
Géométrie . Lettre de M. Marffon , & Réponſe à fon
Théorême ,
Finances. Financier.
155
162
169
Séance Publique de l'Académie Royale des Belles-
Lettres & de l'Académie des Sciences ,
Suite de la Séance de l'Académie de la Rochelle ,
ART. IV. BEAUX - ART S.
170
181
Mufique.
Peinture. Vers de Me, du Bocage à M. Pierre , 182
Sculpture. Suite des Mémoires d'une Société de
Gens de Lettres , publiés en l'année 2355 , 183
Gravure.
ART. V. SPECTACLES.
197
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
Concert Spirituel ,
Nouvelles étrangeres ,
ARTICLE VI.
199
201
202
203
France. Relation de ce qui s'eft paſſé au Canada
, & c.
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
La Chanson notée doit regarder la page 83 .
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert .
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1756.
PREMIER VOLUME.
Diverfité, c'eft ma devife . La Fontaine.
PagisterSculp
Cochin
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saias Jacques
CAILLEAU, quai des Augustins.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
THE NEW YORK!
PUBLIC LIBRARY
335293
ASTOR, LEMOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier - Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pourfeize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24
livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mera
cure, écriront à l'adreffe ci - deſſus.
A ij
OnSupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne ſeront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de rester à fon Bureau les Mardi ;
Mercredi & Jendi de chaque femaine, aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Meri
sure , les autres Journaux , ainsi que les Livres
, Estampes & Muſique qu'ils annoncent.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer »
d'en marquer le prix.
豆豆亞亞亞亞亞亞
OV
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1756.
ARTICLE PREMIER,
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA LOUANGE ET LA FLATTERIE,
FABLE.
Dans le chemin qui mene au pays des hom
neurs ,
Le hazard fit un jour rencontrer deux femelles
De même air , même habit , même taille , enfix
telles
Qu'on les eût prifes pour deux fours
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Par choix je penſe , & non par goût fantaſque
Seulement en un point différoit leur atour.
Pour éviter quelquefois le grand jour,
L'une portoit un voile, & l'autre avoit un mafque.
Lieu commun fur le temps , la pluie & le foleil ,
Après maint compliment & mainte révérence :
Notre couple furpris de fe voir fi pareil ,
Cheminoit méditant fur cette reffemblance .
Nos Dames vers le foir trouvent une Cité.
On les arrête à la barriere ,
Od fuivant l'ufage ordinaire ,
On s'enquiert de leur nom & de leur qualité.
Moi , je fuis la Louange , & moi , la Flatterie.
Où vous arrêtez- vous ? dans quelle hôtellerie !
Mais c'eſt , dit la derniere , où le voudra ma foeur :
Nous aurons , je préfume , aujourd'hui même
gite.
Non , reprit l'autre avec douceur ,
Pour plus d'une raiſon il faut que je vous quitte .
Sans doute vous irez loger chez la Faveur ,
Et moi , je cherche le Mérite.
IMPROMPTU à Madame B... qui
plaifantoit l'Auteur de ne l'avoir faluée
qu'après avoir joué avec fon Enfant.
TRop plein du défir de vous plaire .
A cet Enfant j'ai d'abord fait ma cour :
OCTOBRE. 1756. 7
Cette conduite finguliere
Dans votre esprit a pris un mauvais tour :
N'en fentez-vous pas le myftere ?
On doit s'adreffer à l'Amour
Pour obtenir un regard de fa mere.
VERS
A Madame d'Egmont.
BElle Comteffe , votre Epoux
Par fes hauts faits enrichit notre Hiſtoire :
Le Léopard gémit abattu fous fes coups.
Le front ceint des lauriers que donne la victoire ,
Ce Héros revole vers vous.
Son bonheur égale fa gloire.
Par Madame BOURETTE.
Ce 11 Août 1756.
RÉFLEXIONS DIVERSES.
LEs abus politiques font une hydre, dont
il ne faut couper les têtes que l'une après
l'autre .
Les foibleffes des grandes ames ont je
ne fçais quelle empreinte qui les fait préférer
aux vertus des petites.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
"
Le trône eft le tombeau du Prince for
ble , fes Miniftres l'y enterrent ; c'eft le lit
d'un Sibarite , fes Courtifans le couvrent
de roſes & de pavots : un bon Prince y eft
comme un Athlete fur l'arêne , fon activité
ne lui laiffe
pas le temps de refpirer .
Eft-on fi à plaindre dans l'infortune ,
quand on peut s'envelopper des charmes
de l'amitié & des confolations de la vertu ?
Les Rois fe donnent le nom de fteres ;
ne peut- on pas les appeller les freres ennemis
?
Les talens font dans le monde intellectuel
ce que les rayons du foleil font dans
le monde matériel : ils le vivifient.
Art de regner ! mot fimple , mais divin
que les Politiques eftropient , dont les
Hiftoriens font la chimere de leurs Livres ,
que les Sujets heureux prononcent avec
délices , que les Efclaves ignorent , & que
les bons Rois feuls définiffent par leurs
vertus.
Ceux qui ont traité de vague & de puérile
, ce mot de Céfar : Ne crains rien
tu portes Céfar & fa fortune , ne connoiffent
pas le pouvoir qu'ont les grandes
ames de remuer & d'encourager les petites.
Les hommes font partagés en deux claffes
, de ceux qui veulent régner fur les
perfonnes , & de ceux qui veulent régner
OCTOBRE. 1756. ୨
fur les efprits ; quel eft le côté du plus
grand bonheur , ou de la plus grande gloire?
Cherchez , raifonneurs , & prononcez.
Cet efprit d'analyfe , cette métaphyfique
qui regne dans les Ouvrages de goût
& de fentiment , eft une fievre lente qui
les réduira bientôt à des fquelettes.
Trois fortes d'Ouvriers font employés
à l'édifice des fciences & des lettres , les
Erudits ont pris pour eux l'échaffaudage ,
les Philofophes fe font chargés de la folidité
, de la confiftance & de la majefté ,
les beaux - efprits y jettent les graces & les
ornemens .
A quoi peut-on comparer les détracteurs
de l'efprit philofophique ? A ces peuples
qui tirent des fleches contre le foleil ; ils
femble qu'ils voudroient l'ôter à l'univers .
La fubtilité en matiere d'efprit reffemble
aux rafinemens chymiques , qui détruifent
au lieu d'extraire.
Le chagrin difpofe l'ame à l'amitié & à
la tendreffe , parce que n'ayant de reffource
que dans les confidences , le malheureux
ne peut manquer d'aimer exceffivement
ceux qui les reçoivent avec intérêt.
Je compare l'univers à un cadran ; les
nations en font les heures , la prospérité
qui les parcourt fucceffivement en eſt le
ftyle.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Je regarde les cercles où l'on tient bureau
d'efprit , comme une falle d'armes ,
où tout le monde, le fleuret à la main , n'eft
occupé que de montrer plus d'adreffe , &
de toucher l'adverfaire.
Qu'est-ce qu'un homme placé entre le
fentiment de fa grandeur & le fentiment
de fa mifere ? un fage.
L'autorité eft le théâtre où les grandes
ames viennent recevoir les applaudiffemens
des fpectateurs , les petites ne s'y
montrent que pour être fifflées.
Quelques contraftés que foient les objets
entr'eux , il y a toujours des côtés
analogues par où on peut les rapprocher ;
c'eſt un art difficile qui attire fouvent
le reproche d'homme fingulier & à fyftêmes
, parce que les efprits vulgaires laiffant
échaper les rapports fins & fecrets
qui lient les objets , font bleffés de tout
ce qui tend à les réunir.
Le commerce des grands eft un climat
femblable à celui de la vallée de Quito
au Pérou : dans le même jour vous y éprouvez
la fraîcheur du printemps , les chaleurs
orageufes de l'été , la douce utilité
de l'automne & les frimats rigoureux de
Phyver.
L'obéiffance eft un mal particulier introduit
pour lebien général : c'eſt un ſaOCTOBRE.
1756. 11
crifice que l'amour-propre fe fait à luimême
, à un prix dont il paye ce qu'il obtient
, une crife enfin par laquelle la vanité
doit paffer pour arriver à ce qu'elle brigue.
La gravité eft la contenance de la ſtupidité
ou de l'orgueil .
A quoi peut on comparer le coeur d'un
ami perfide ? au vaiffeau rempli de ferpens
dont parle Plutarque dans la vie
d'Annibal .
Les fophifmes d'une confcience délicate
font fouvent plus funeftes à la fociété que
les paffions du coeur ; ils ne le font pas
moins à la Religion : femblable au cheval
de bois que l'on regardoit comme la fauvegarde
de Troye , il fort d'une confcience
tendre des maux plus affreux que ceux qui
naîtroient de l'audace , de l'incrédulité.
Le bonheur devroit être l'attribut du:
génie ; mais par une fatalité bien déplorable
, le génie eft fouvent le poiſon du
bonheur.
La taciturnité glace tout , le babil
noye
la converfation , une légéreté brillante &
polie en fait le charme.
La bouche des méchans eft comme la
boëte de Pandore ; quand elle s'ouvre , les
noirceurs & les défordres fe répandent
dans la fociété.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE:
Quand l'ambition fermente dans une
ame , femblable à un volcan , elle la jette :
bien loin de la fphere de fon activité .
L'avenir eft une idole aux pieds de laquelle
nous fommes toujours profternés :
femblable au Janus à deux faces ; d'un
côté il infpire l'effroi , & de l'autre il excite
l'efpérance .
Les difcours d'un fot font un piege où
il fe prend lui - même , & d'où il eft exposé
à la rifée des fpectateurs.
Nous ne devons pas appeller la more
un mal , fi nous la fouhaitons dans l'excès
de nos malheurs & de nos plaifirs.
Vouloir fixer le genre & les limites de
l'efprit d'un chacun , c'eft déclarer à l'amour
-propre la guerre la plus cruelle , &
s'attirer une ligue offenfive & défenfive ,
qui renverfe tôt ou tard le tribunal & le
juge.
On dit qu'il y a un fublime dans les
moeurs qui eft au deffus de l'obfervation
ordinaire des loix ; ce fublime eft le miracle
de la Religion & le défefpoir de la
morale .
La modeftie a fon fafte comme l'orgueil
, mais un fafte adroit qui fait goûter
les délices d'une vanité fine , & recueillir
le fruit de la vertu .
La mort civile des perfonnes qui fe
OCTOBRE. 1756 : 14
1
confacrent à la vie religieufe , eft celle
des victimes , des efprits foibles ou des
prédestinés.
Les fiecles font la chaîne qui lient les
hommes enfemble ; c'eft le grouppe de
leurs vices & de leurs vertus , de leurs
connoiffances & de leurs erreurs.
Il y a une forte de gloire que le fage bri
gue autant qu'il paroît la fuir , le mépris
de la multitude.
Les grands hommes font les phénomenes
, les hommes parfaits font les êtres de
raifon de l'humanité.
Il n'eft point étonnant qu'un feul ho
me change la face de l'univers ou d'un
Etat ; l'activité des ames fortes eft un
tourbillon qui enveloppe les ames ordinaires
& les mene où il veut. Si Mahomet
, Cromwel & Thamas - Koulikan
n'euffent
pas trouvé le germe d'une révolution
, ils le portoient dans eux-mêmes.
Le tyrannicide eft une de ces Doctrines
dont l'ambition & le fanatifme forgent
les armes qui enfanglantent fouvent le
trône .
On peut comparer la prévention aux
deux tonneaux de Jupiter ; de l'un fort le
miel , de l'autre découle l'abfynthe.
La loi eft le fourneau où le puiffant
prépare les fers du foible.
MERCURE DE FRANCE.
Il y a une certaine fobriété de vertus
qui eft le vrai point de la philofophie.
Un grand génie de notre fiecle joue à
peu près le rôle de l'Empereur Valérien
qu'on fouloit aux pieds en Perfe , & à qui
on dreffoit des Autels à Rome.
La fougue du peuple eft un torrent
qu'un moment enfle & tarit ; la raifon des
Lages eft un fleuve majeftueux qui coule
d'un mouvement noble & foutenu.
Il n'y a pas plus de zele fans fanatiſme ,
que d'amour fans jaloufie.
Une confiance fans réſerve eſt un fruit
qu'on cueille rarement dans le champ de
l'amitié.
L'hiftoire eft la confeffion de tous les
fiecles.
La converfation eft le vrai patrimoine
de l'efprit.
On dit la Religion fille de la paix ; mais
c'eft une fille qui déchire bien cruellement.
le fein de fa mere , quand le fanatiſme
dirige fon bras.
Chez les Romains la morale portoit le
nom de haute fcience ; chez nous , c'eft.
l'objet le plus négligé : chez les Romains
on s'occupoit du coeur ; chez nous , on s'entête
de l'efprit.
Les Grands reffemblent aux Dieux de
Porphyre , qui ne pouvoient fe paffer des
OCTOBRE. 1756. rs
vapeurs & des exhalaifons des facrifices ,
ils ne peuvent fe paffer des fumées de la
louange.
Nous prenons fouvent pour l'aménité
du caractère , ce qui n'eft qu'un artifice
de l'efprit.
Les gens qui n'ont qu'une forte d'efprit ,
font comme les borgnes qu'on ne peut
regarder que de profil .
On dit que l'efprit de quelques-uns eft
comme une lanterne fourde qui ne fert
qu'à celui qui la porte ; celui de quelques
autres ne reffemble- t'il pas à cette multiplicité
de lumieres qui éblouiffent fans
éclairer ?
J'entre dans une vafte forêt , j'y cherche
un objet agréable , ma vue fe porte au
loin ; je ne vois que des ronces & des épines:
je cours , je cherche encore , parmi
un tas de productions arides , dans la foule
des plantes venimeufes , un éclat vif &
doux réjouit mes yeux fatigués , une
odeur délicieufe s'empare de mes fens , je
crois repofer dans le fein de Flore même ;
ainfi j'ouvre le livre immenfe de l'hiſtoire,
avant de parvenir à une action généreufe ,
intéreffante pour l'humanité , je fuis obligé
de paffer fur un monceau de crimes &
d'horreurs.
Rappellez -vous les plaifirs doux , l'ivref16
MERCURE DE FRANCE.
fe délicate , l'aménité pure que les Poëtes
ont cru goûter dans le délire fublime qui
leur a fait voir aux champs Elifées les
grands hommes de tous les temps , ces
ames privilégiées qui partagoient avec eux
la fupériorité de leurs connoiffances & de
leur raifon ; rappellez - vous ces plaifirs ,
ce font les mêmes que vous goûtez dans
la lecture des Ouvrages de ces morts célebres.
Ainfi qu'un fleuve prend divers noms &
différentes formes dans les vaftes contrées
qu'il parcourt , ainfi une vérité qui a paffé
par le tamis des préjugés & des opinions
des hommes a pris toutes les teintes difparates
qui les féparent .
Les fiecles barbares ont leur férocité &
leurs crimes , les fiecles polis leur corruption
& leurs vices.
Qui , Trajan , Titus , Marc Aurele ,
Louis XII , Henri IV , l'hiftoire de votre
vie m'a arraché des larmes d'une admiration
tendre , parce qu'elle fut l'hiftoire de
la félicité du genre humain.
C'est beaucoup d'aimer l'homme pour fa
vertu , c'est plus encore de percer le vice
pour fecourir l'homme.
Qu'est- ce qui peut attacher fur la terre ?
eft ce le paffé dont le fouvenir n'eft qu'un
regret , le préfent dont la jouiffance n'eft
OCTOBRE. 1756. 17
fouvent qu'une amertume ? l'avenir ? il
donne prefque toujours plus d'effroi que
d'efpérance.
Tous les fleuves vont à la mer , toutes
les vertus fe fondent dans la charité.
Si la raifon eft l'oeil de l'efprit , c'eft un
cil couvert d'une taie éternelle.
La liberté eft un arbre à qui il ne faut
pas laiffer de branches fuperflues ; l'élaguer
, c'est l'empêcher de dégénérer .
La région des Philofophes eft bien déferte
, comment ne le feroit- elle pas ? L'indigence
& le mépris eft la Zone affreufe
fous laquelle ils font obligés de vivre :
quel homme eft affez courageux pour donner
la préférence à un tel climat !
Quel eft le pivot de la félicité humaine ?
Sera-ce la vertu , la faveur , les richeſſes >
Interrogez chaque homme en particulier
fi vous voulez "éviter de décider .
L'âge où l'homme jouit de toute fa
raifon , où fes vertus font épurées , cet
âge ne feroit- il pas le plus beau de fa vie ,
s'il n'étoit voifin de celui où il doit finir ?
Ainfi les diverfes faifons de l'homme font,
comme les différentes faifons de la nature,
fujettes à des inconvéniens .
Si la profpérité a fes douceurs , l'adverfité
a fes vertus , tout fe compenfe.
Confiez une grande, entreprife à une
18 MERCURE DE FRANCE.
ame médiocre , qu'en réfulte-t'il ? Le plus
petit côté de l'objet abforbe , engloutit
cette ame , il ne reste plus rien
pour les
autres.
On peut dire qu'un peuple a peu changé
, quand dans le cours des fiecles des
traits répetés conftatent , pour ainfi dire ,
fon caractere. Anne Comene dit qu'un
François alla s'affeoir à côté de l'Empereur
Aléxis , fon pere , placé fur fon trône dans
une cérémonie publique : on m'a affuré
qu'en 1745 un Lieutenant d'Infanterie
Françoife s'affit à côté de l'Electeur Palatin
dans fon Palais de Manheim.
VERS
A Madame la Marquise de T....
Vous , Ous , dont les graces naturelles
Sont jointes à l'efprit orné ,
Vous n'êtes point de ces mortelles
Qui n'ont qu'un dehors façonné .
Dès qu'on vous connoît on vous aime ;
Souffrez ce mot . Du rang fuprême ,
C'eft le fort le plus fortuné.
Vous le méritez plus que d'autres ,
Soit dit en paffant & tout bas ;
Quoiqu'exacte à vos patenôtres ,
OCTOBRE. 1756. 19.
Vous n'en avez pas moins d'appas.
Je croyois la vertu précieuſe , eſtimable ,
Mais l'air un peu trop férieux.
Elle eft charmante , elle eft aimable
Sous votre habit & dans vos yeux :
Pour le rendre à tous agréable ,
Pouvoit-elle fe loger mieux ?
VERS.
AM *** › par M. Piccardet.
C'Eft chez de
tranquiles Dervis
Que repoſe mon indolence.
Ces petits vers en font les fruits :
N'y cherchez point trop d'élégance ;
Les graces de la négligence
Embelliffent tous mes écrits ,
Qui n'attendent pour récompenfe
Qu'une lecture & qu'un fouris.
Dans cet azyle folitaire
Vous demandez ce que je fais ?
Loin du beau monde & du vulgaire ,
Votre neveu végete en paix ,
Et , comme un Dieu , goûte à longs traits
Le doux plaifir de ne rien faire.
Le Dieu du goût & des talens
Conduit ici par les trois Graces ,
10 MERCURE DE FRANCE:
Préfide à mes amuſemens ;
Bacchus quelquefois fuit leurs traces.
A la fuite des agrémens
Viennent Momus & la jeuneffe.
De fleurs ils enchaînent le temps ;
Qui trop tôt avec la fageffe ,
Hélas ! va tracer fur ce front
L'air auftere de la raifon
Et les rides de la vieilleffe.
Je vois cet affreux changement ;
Et déja mon coeur en foupire.
Mais puifqu'aux ordres du Tyran ,
Sans murmurer il faut foufcrire ,
Je regrette peu mon printemps ,
Si , comme vous , à foixante ans ,
Sage , prudent & raisonnable ,
Je garde encore , comme vous ,
L'heureux don de paroître à tous
Toujours aimé , toujours aimable
Mais dans cette troupe agréable
De Dieux qui compofent ma cour }
Vous ferez étonné peut- être
De ne point rencontrer l'Amour.
Hélas ! hélas ! de ce féjour
Ai-je donc pu bannir le traître
Il est bien vrai , pendant le jour
Il fe cache & n'oſe paroître ;
C'eft un enfant , j'en fuis le maître :
Mais quand la nuit eft de retour ,
OCTOBRE. 1756. 2X
Du lit il s'empare à fon tour ,
Et pour un Dieu le fait connoître.
Le fripon ! Dans un fonge exprès
Pour me féduire & pour me plaire ,
Combien de fois de ma Bergere
N'a-t'il pas emprunté les traits a
C'eſt la voix , ce ſont ſes attraits.
Oui , je vois Colette elle- même
Qui m'appelle & me tend les bras.
Quoi ! tu me fuis dit -elle : hélas !
Pour toi mon amour eft extrême ;
Vois mes larmes , vois mes tranfports ?
Ingrat , à ces tendres efforts ,
Ne lens-tu pas combien je t'aime ?
Dites-moi , u'oppoſer alors
f
A cette illufion touchante ?
Ah! quand tout plaît , quand tout enchante ,
De la force de fon penchant
Peut-on fans ceffe fe défendre ?
Et l'amour , dans ce doux inftant ,
Ne peut- il pas tout entreprendre ?
Cependant il me laiffe en paix
Amon réveil , lorfqu'il me quitte :
Mais il emporte dans fa fuite
Mon coeur , mon ame & mes regrets.
Vous me direz qu'au milieu de tous
ces petits Dieux , vous êtes plus furpris de
Be pas rencontrer la Fortune , Divinité qui
22 MERCURE
DE FRANCE.
les mettroit à leur aife : Hélas ! j'attends
que fon caprice la conduife ici :
Souffrant avec impatience
D'être au nombre des indigens ,
Au Dieu doré de la finance
Un autre offre tout fon encens ;
Il court , il vient , il importune ,
Les femmes , les Abbés , les Grands :
Moi , j'aime le repos des gens ,
J'aime le mien ; ainfi j'attends
Sur mon fopha , que la Fortune
Vienne m'offrir quelques préfens.
En les attendant , je me laiffe aller au
temps & aux circonftances : je cultive le
peu de goût que vous me connoiffez pour
les Arts aimables . Quelle différence de cet
homme qui met de la douceur & de l'élégance
dans les moeurs , & de cet autre qui
n'a point tout cela !
Entrez & fixez vos regards
Chez cet homme en qui la nature
Verla ce feu pour
les beaux Arts.
L'agréable littérature ,
Tous les goûts & tous les talens ,
Le chant , la danſe , la peinture
Embelliffent tous les inftans.
Voyez les meubles & fa table ,
Sa bibliotheque , fes bains s
OCTOBRE. 1756. 23
Promenez vous dans fes jardins ;
Là , le commode , l'agréable
A tous vos voeux viennent s'offrir :
Tout y fourit , tout vous enchante ,
Tout s'empreffe de vous fervir ,
Et rien aux yeux ne ſe préfente
Que dans les veines l'on ne fente
Couler la vie & le plaifir.
Mais regardez cet automate
Que le goût n'a point éclairé ,
Que rien ne pique & rien ne fatte ;
Il n'eft point encor délivré
De l'enveloppe très - épaifle
Ou le néant l'a refferré .
Qu'à fes yeux le charmant Dupré
Dans les pas peigne la molleffe,
Et le plaifir & la tendreffe
Dont un Amant eft enivré ,
Ou que l'aimable Jeliote
Exprime les tourmens d'un coeur ,
Au goût du tri te ſpectateur ,
Celui -ci crie & l'autre faute ,
Aucun n'excite ſes ſoupirs ;
La matiere groffiere , ingrate ,'
Etouffe en lui tous les défirs ,
Et lui dérobe les plaifirs
D'une ame tendre & délicate.
J'en conviens. Ce goût pour l'agréable
24 MERCURE DE FRANCE.
diftrait de l'effentiel , toujours préférable ,
mais que l'on peut quelquefois perdre de
vue , lorfque l'efprit veut être amuſé &
diftrait. Si alors je cultive la poëfie , ) à
Dieu ne plaife que j'y attache du profit
ou de la gloire ! ) je m'amufe ; rien de
plus.
Ma Mufe encor jeune & riante ,
Fuit de la guerre les hazards ,
Le fifre ou le clairon de Mars ,
La fait frémir & l'épouvante.
Inftruite par la volup é ,
Sa main badine fur la lyre ,
Et n'eut jamais la vanité
De croire qu'elle pût conduire
Maurice à l'immortalité .
Au lit , à table , fur l'herbette ,
Elle célebre tour à tour
Les Nymphes , Bacchus & l'Amour.
Pour les Héros elle eft muette ,
Et le laurier de l'Hélicon
Flatte peu fon ambition .
Ma Mufe , dans fes voeux difcrete ;
N'attend pour prix de fes chanfons
Que quelques brins de violette ,
Qu'aura cueillis dans nos vallons
La main de l'aimable Colette.
L'ENJOUÉE
OCTOBRE. 1756. 25
L'EN JOUÉE ,
NOUVELLE.
LEs qualités qui caractériſent l'aimable
& galant homme brilloient dans le Comte
de Verneuil . Il joignoit à une figure noble
& intéreffante , une ame généreufe & fenfible
, un efprit cultivé & les fentimens
de la plus exacte probité. De fi folides
avantages , accompagnés d'une fortune
confidérable , ne fuffifoient pas cependant
pour le bonheur du Comte , il lui manquoit
de jouir des charmes d'un tendre engagement.
Il fe promenoit un matin dans les allées
les plus fombres des tuileries , lorsqu'il
vit venir deux Dames qui paroiffoient vou
loir fe dérober à la vue des importuns. La
plus âgée avoit un air noble & décent , qui
en auroit impofé aux plus étourdis. La
plus jeune unifloit toutes les graces , tous
les traits de la beauté à la phyfionomie la
plus touchante. Le Comte fut ému , il
reffentit à fa vue les effets de cette heureufe
fympathie, qui décide en fouveraine de nos
inclinations. Il les fuivit , & voyant qu'el
les s'affeyoient fur un banc , il fe plaça
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
1
avantageufement pour entendre leur converfation
fans en être remarqué.
Enfin nous en voilà débarraffées , dit
auffi- tôt la plus âgée : je n'ai de ma vie tant
fouffert. Mais auffi , ma fille , ne ferezvous
jamais raifonnable ? Vous verrai toujours
tourner en badinage les choſes les
plus férieufes ? Votre inconféquence me
chagrine. Croyez , Madame , répondit
l'aimable inconnue , que je n'ai pas attendu
vos fages remontrances pour me reprocher
mon étourderie ; daignez me la pardonner
, & me conferver une indulgence
dont j'ai plus befoin que jamais . Loin que
l'âge apporte en moi un changement favorable
, je fens que je deviens tous les jours
plus badine & plus folle. Mais, pourfuivitelle
en riant , qui auroit pu garder ſon férieux
en écoutant les complimens auffi
fades que finguliers dont cet étranger
nous accabloit ? Il falloit vous contraindre,
reprit la mere : vos ris immodérés lui ont
fait porter de nous un jugement défavanrageux
, & nous ont expofées à des fcenes
toujours fâcheufes . Mais il ne s'agit pas de
cela , continua-t'elle plus férieuſement :
écoutez- moi , Adélaïde . Vous connoiffez
notre fituation : une illuftre naiffance &
des fentimens épurés ne fuffifent pas pour
donner de la confidération ; il faut de la
OCTOBRE . 1756. 27
fortune , vous fçavez que nous en avons
peu . Il fe prélente pour vous plufieurs
partis avantageux : je veux que votre coeur
s'explique aujourd'hui ſur ceux que je fuis
en état de vous propofer. Vous fçavez ,
répondit Adélaïde , que vos volontés font
mes loix prononcez vous-même , je vous
abandonne volontiers le foin de mon bonheur.
Ce n'eft pas affez , reprit la mere :
je fuis flattée de votre confiance ; mais ce
n'eft que fur votre volonté que je veux
me déterminer. Je vais donc , Madame ,
vous ouvrir mon coeur , répondit - elle.
Sans avoir jamais fenti l'amour , il me
peint l'objet qui pourroit le fixer . Je voudrois
un homme vertueux & qui fçût aimer.
Les Amans qui fe font préfentés jufqu'à
préfent n'avoient pas ce caractere ;
aulli ne les ai je vus qu'avec beaucoup
d'indifférence. Ce fimple aveu fuffit , lui
dit la mere : il m'apprend mon devoir en
m'apprenant vos fentimens. Vous n'aurez
jamais à vous plaindre de ma tendreffe
dans l'époux que je vous offritai.
ges
Adélaïde voulut s'épuifer en témoignade
reconnoiffance ; la mere vou ur ſe
retirer , & elles quitterent la promenade .
Le Comte les fuivit , & les ayant vues
monter dans un équipage qui les artendoit,
il ordonna à un Domeftique de les fuivre
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
& de s'informer de leur nom . Il apprit
que c'étoient Madame & Mademoiſelle de
Mancour.
Il retourna chez lui l'efprit & le coeur
plus occupés que lorsqu'il en étoit forti.
Il admiroit non feulement les attraits de
Mademoiſelle de Mancour , mais encore
cet heureux naturel qui répandoit dans
toute fa perfonne un charme dont il étoit
impoffible de fe défendre. Son reſpect
pour fa mere , la nobleffe de fes fentimens,
la folidité de fes raifonnemens , tout en
elie l'enchantoit. Il fentit qu'il n'étoit plus
de bonheur pour lui fans fa poffeffion
mais ſi ſon rang , ſa naiſſance & ſa fortune
lui permettoient d'efpérer que fa recherche
feroit favorablement reçue de Monfeur
& de Madame de Mancour , fa délicateffe
ne put fouffrir l'idée de ne devoir
qu'à des vues d'intérêt le précieux titre
d'époux d'un objet adoré. Il voulut ne le
recevoir que des mains de l'Amour . Il réfolut
de déguiſer fon nom , & d'affecter
une médiocrité de fortune qui lui donnât
l'heureuſe certitude d'être aimé pour luimême.
Il apprit quelques jours après que Madame
& Mademoiſelle de Mancour étoient
retournées dans leurs terres . Il étoit für
de n'être pas connu d'elles . Il fortit fecre
OCTOBRE. 1756. 19
e
I
tement de Paris , fuivi d'un feul Domeftique
, & fut s'établir dans un village voiſin
du château. Il trouva bientôt l'occafion
de rendre fes devoirs à M. de Mancour ;
la liberté de la campagne la fit naître . 11
s'annonça chez lui fous le titre d'un fimple
Gentilhomme , qui venoit prendre l'air
pour achever de fe rétablir d'une indifpofition.
Il pouvoit d'autant mieux fe fervir
de ce prétexte , que depuis le jour qu'il
avoit vu Adélaïde , il n'avoit pas joui d'un
moment de repos ; ce qui lui donnoit un
air de langueur qui s'accordoit affez avec
l'état d'un convalefcent.
Le Marquis de Mancour le reçut avec
une politeffe qui lui étoit familiere. Il le
préfenta aux Dames qui lui firent l'accueil
le plus favorable. Qu'il fut ému à la vue
d'Adélaïde ! fes yeux parlerent malgré la
réfolution qu'il avoit prife de leur impo
fer filence. Adélaïde entendit leur langaelle
baiffa timidement les fiens. Le
Comte découvrit en elle mille agrémens
nouveaux qui lui étoient échappés.
Il alla familiérement chez M. de Mancour
, & bientôt il acquit le droit d'y
paffer des journées entieres par le don de
plaire à tout le monde. Il fe trouvoit fouvent
auprès de Mademoiſelle de Mancour ,
& il profitoit toujours de ce bonheur.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
Malgré la préfence de la mere , il ne perdoit
pas une occafion de s'expliquer par
les regards : il trouvoit dans ceux qu'il
fçavoit s'attirer des difpofitions flatteufes ,
mais il n'appercevoit aucun changement
dans l'humeur de Mademoiſelle de Mancour.
Elle étoit toujours également vive
& folâtre ; elle s'amufoit de tout , tout
paroifoit lui plaire : lorfqu'il l'entretenoit
de fon ardeur , fi elle l'écoutoit fans rigueur
, c'étoit avec une liberté d'efprit qui
ne s'accordoit pas avec cet extérieur de
fenfibilité qu'elle lui montroit.
Un jour qu'il étoit livré à ces réflexions,
il l'entendit chanter avec autant d'expreffion
que de graces une Ariette , où l'Auteur
célébroit les inftans que l'amour accorde
aux Amans. Eh quoi ! Mademoiſelle ,
lui dit- il doucement , peut- on vanter des
momens dont on ignore la douceur ? peuton
chérir la tendreffe lorfqu'on ne veut
pas la fentir ? Qui vous a dit , Monfieur ,
répondit Adélaïde d'un ton badin , que
j'aie renoncé à ce doux fentiment : j'en
connois le prix , je me plais à m'en entretenir
; c'eſt déja beaucoup je n'attends
plus qu'un objet digne de me l'infpirer.
Ce difcours qui auroit dû faire naître
l'efpoir dans l'ame de Moranville , y jetta
au contraire un trouble inexprimable .
OCTOBRE. 1756. 31
Ah ! je l'avois bien prévu , s'écria-t'il avec
douleur ! Non , je ne parviendrai jamais à
mériter ce coeur qui eût fait les délices de
ma vie. Cruelle , vous me le faites allez
entendre ; vous aimerez un jour , mais
ce ne fera pas moi. O Dieux ! puis - je
vivre & renoncer à l'eſpoir de vous attendrir
!
La compagnie l'empêcha d'en dire davantage.
Il retourna chez lui , & s'y abandonna
aux plus triftes réflexions . Il fut
deux jours fans retourner chez le Marquis ,
il reprit enfin le chemin da Château .
La confiance qu'il avoit infpirée à Monfeur
& à Madame de Mancour , lui avoit
mérité une affez grande liberté dans la
maifon . Il entre fans fe faire annoncer .
Adélaïde étoit feule & fi occupée à la lecture
d'un Roman , qu'elle ne l'apperçut
pas . Il refta quelque temps immobile &
enivré des nouveaux fentimens d'admiration
& d'amour que lui infpiroit la vue de
tant de charmes après l'abfence. Il fut enfuite
fe placer derriere fon fauteuil . Il
remarqua avec furprife qu'elle prêtoit une
finguliere attention à la peinture d'une
tendreffe malheureufe. Permettez - moi ,
belle Adélaïde , lui dit- il alors , de vous
demander comment il eft poffible qu'avec
une humeur auffi enjouée que la vôtre ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
vous puiffiez vous occuper d'une lecture
auffi tragique.
coup
fa
Mademoiſelle de Mancour fut interdire
, & rougit d'appercevoir fon Amant fi
près d'elle ; mais reprenant tout-à
préfence d'efprit : Ne fçavez - vous pas ,
Monfieur , lui répondit - elle en fouriant
que mon fexe eft fujet à donner dans tous
les extrêmes ? Je me garde bien de vous
confondre avec le général , reprit Moranvile
: je vous connois , charmante Adélaïde,
fous des traits qui ne font pas communs
dans votre fexe. Mais , pourfuivit- il d'un
air tendre , que penfez - vous de ces Amans
dont vous lifiez les avantures ? ne les trouvez
vous pas bien infortunés ? J'avoue
qu'ils ont beaucoup à fe plaindre des revers
du fort , repartit vivement Mademoifelle
de Mancour ; mais en revanche ,
quelles graces n'ont - ils pas à rendre à
l'Amour ! Ils aiment ils font aimés ;
en faut - il davantage pour leur faire
braver les rigueurs de la plus cruelle deftinée
? En achevant ces mots , Adélaïde
jette un regard enchanteur fur fon Amant ,
& s'éloigne promptement pour lui dérober
l'émotion de fon ame. Quel moment pour
Moranvile ! O ciel ! s'écria - t'il , puis- je
croire l'espoir qui naît dans mon coeur ?
Ce difcours ... ce regard ... Adélaïde
>
OCTOBRE . 1756. 33
feroit-il vrai .... aurois - je pu vous toucher
? feriez - vous fenfible à mon ardeur ,
Adélaïde ? Dieux , quel bonheur ! ... mais
je n'ofe encore m'en flatter. Allons la rejoindre
& achever d'éclaircir notre fort
allons fçavoir fi je fuis le plus malheureux ,
ou le plus fortuné des hommes.
Moranvile retrouva Adélaïde dans les
jardins : elle folâtroit avec un petit chien ,
& s'amufoit des tours qu'il faifoit à fes
yeux. Ce fpectacle déconcerta cet Amant
trop fufceptible. Que vois - je , dit - il ! eft- ce
la l'occupation d'un coeur vraiment épris ?
Quoi ! lorfqu'elle vient de me donner les
plus flatteufes efpérances , lorfque je crois
fon coeur d'accord avec fes yeux , je la
vois fe livrer à des plaifirs auffi frivoles.
Il s'approcha d'Adélaïde de l'air le plus
confterné. Monfieur , lut dit - elle gaiement
, venez-vous prendre part , ou plutôt
critiquer mes enfantillages ? avouez que
avez fouvent pitié de la frivolité de mon
efprit ? Mais qu'avez- vous , Moranville ,
vous paroiffez chagrin ? auriez - vous effuié
ici quelques défagrémens ? Le plus cruel
de tous , lui répondit Moranvile d'un ton
de défefpoir. Il y a long-temps , Mademoifelle
, que mes yeux & mes difcours
vous ont inftruit de mon amour ; tout
vous a dit que je vous adorois : je bornois
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
:
ma gloire à mériter un peu de retour de
votre part j'ai fait plus ; ah ! ne vous en
offenfez pas , aimable Adélaïde : le défir
que j'avois de pofféder votre coeur m'a
aveuglé au point d'efpérer d'y réuffir.
Mais , hélas ! le choix de vos amuſemens ,
le plaifir que vous y prenez ne me prouvent
que trop que je me fuis trompé.
Adélaïde étoit interdite : elle regardoit
tendrement Moranvile : fa douleur la touchoit
, mais elle n'ofoit encore lui apprendre
fon bonheur. Achevez de détruire
un refte d'efpoir que vos yeux me confervent
, reprit fon aveugle Amant ; prêtez à
mon coeur des armes pour combattre l'amour
malheureux que vous m'avez inſpiré
; dites- moi que vous ne m'aimerez jamais.
Je devrois fans doute vous le dire ,
répondit Adélaïde d'un ton de voix attendri
; mais mon coeur ... Qu'entends - je ?
quoi ! votre coeur.... Il vous aime , l'amour
a triomphé. Que votre inconſtance
ne me faffe jamais repentir de l'aveu que
je vous fais ! Ah ! je jure par vous-même ,
reprit l'amoureux Moranvile , je jure ....
Point de fermens , interrompit- elle , ils
font trop fouvent l'expreffion de la fauffeté
je ne veux que votre vertu pour
garant , & je ne vais m'occuper à préfent
qu'à infpirer les mêmes fentimens à des
OCTOBRE. 1756. 35
ils p
parens qui me font chers : leur tendreffe
pour moi me permet d'efpérer d'y parvenir
; mais , Moranvile , je ne me flatte pas
que ce foit l'ouvrage d'un moment. Laiffez
- moi ménager leur efprit ; cachonsleur
notre intelligence : foyez fûr cependant
qu'Adélaïde ne fera jamais qu'à ſon
cher Moranvile.
Que de délicateffe ! que d'amour ! Moranvile
en étoit enchanté. Il alloit fe
faire connoître à Mademoiſelle de Mancour
, & lui apprendre que la fortune
s'étoit unie au fentiment pour fa félicité ,
lorfqu'il apperçut la Marquife . Taifezvous
, Moranvile , lui dit Adélaïde ; renfermez
avec foin le fecret de votre ame.
Lorfque nous ne pourrons nous parler fans
témoin , Sophie vous apprendra que je ne
fuis occupée que de vous : fon attachement
m'eft connue , ne craignez pas de lui ouvrir
votre coeur.
La préſence de Madame de Mancour
empêcha nos Amans d'en dire davantage.
Adélaïde avoit déja repris cet air badin
& folâtre , qui rendoit impénétrables fes
plus chers fentimens. Moranvile ne pouvoit
raffafier les yeux du plaifir de la regarder
la joie dont ils étoient remplis
auroit trahi mille fois fon fecret , fi l'enjouement
d'Adélaïde n'eût pas écarté les
B vj
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
foupçons que fa mere auroit pu concevoir.
Mais fi l'arrivée de la Marquife avoit
empêché Moranvile de fe faire entiérement
connoître à Mademoiſelle de Mancour
, la réflexion acheva de le déterminer
au filence : un excès de délicateffe
lui fit défirer de jouir quelque-temps de
la tendreffe d'Adélaïde fous le déguifement
qu'il avoit emprunté ; le caractere
de cette jeune perfonne lui faifoit toujours
craindre que l'amour qu'elle lui té
moignoit n'eût pas acquis le dégré de
folidité qu'il lui défiroit. Il croyoit ne
pouvoir trop la mettre à l'épreuve. Plufieurs
entretiens qu'il eut avec elle lui procurerent
la précieufe certitude d'être aimé
mais ce qui l'inquiétoit fans ceffe ,
c'étoit cet enjouement qui ne l'abandonnoit
pas ; il ne pouvoit l'accorder avec
cette fenfibilité dont elle l'affuroit . Il ne
remarquoit aucune altération fur fon vifage
, aucun trouble dans fes yeux : lorfqu'il
s'éloignoit d'elle , fon abfence ne lui
caufoit aucune inquiétude ; fes regards ,
quoique tendres , étoient fufceptibles de
recevoir toutes les impreffions de la joie ;
une mouche , un oifeau , un rien , lui
caufoit une diſtraction quand il lui exprimoit
fon ardeur. Moranvile ne pouvoit
s'habituer à une conduite qu'il trouvoit fi
OCTOBRE . 1756. -37
oppofée aux effets de l'amour : il lui en
faifoit fouvent de tendres reproches. Je
voudrois qu'il me fût poffible de changer
mon caractere , lui répondit - elle avec
douceur. Depuis que je me fuis apperçue
du chagrin qu'il vous caufoit , j'ai fait
d'inutiles efforts pour me corriger ; c'eft
un défaut que je tiens de la nature , il s'eft
fortifié par l'âge confolez - vous cependant
, cher Moranvile , vous n'en êtes pas
moins aimé , vos droits n'en font pas
moins puiffans fur mon coeur.
De fi fortes affurances tranquillifoient
pour quelques momens Moranville ; mais
toutes fes allarmes fe renouvelloient dès
qu'il voyoit Adélaïde faire briller à fes
yeux , & fouvent en préfence de fes rivaux,
les graces naïves & folâtres dont fes charmes
tiroient un nouveau luftre. S'il ne
pouvoit douter enfin qu'il ne fût aimé ,
il jugeoit qu'il ne l'étoit pas affez , & cette
idée troubloit fon bonheur. Moranvile ne
l'avoit jamais entretenu que dans des intervalles
très- courts , & prefque toujours
gêné par la préfence de la Marquife ou
d'une nombreuſe compagnie. Il lui avoit
demandé plufieurs fois une entrevue particuliere
dans le deffein de connoître mieux
encore les difpofitions de fon ame. Adélaïde
qui craignoit fon trop de ſenſibilité ,
38 MERCURE DE FRANCE.
lui avoit long- temps réfifté : mais entraînée
par fon penchant & par le défir de
fatisfaire un Amant fi cher , déterminée
d'ailleurs les confeils de Sophie fa
par
confidente , que les bienfaits de Moranvile
avoient intéreffée pour lui , elle confentit
enfin à ce qu'il fût introduit fecrétement
dans fa chambre un matin , pendant que
le Marquis & fa femme étoient encore
livrés au fommeil . Adélaïde avoit choifi
ce temps préférablement à celui de la nuit ;
fa vertu en étoit moins allarmée . Moranvile
la trouva dans le déshabillé le plus
modefte . Quelle étoit belle fous cette fimplicité
!
Sophie ne les vit pas plutôt occupés à s'exprimer
l'amour le plus tendre, que, fuivant
les intentions de Moranvile , elle fe retira
dans une chambre voifine. Adélaïde ne
s'apperçut pas de fon abfence. Elle ne
voyoit que fon Amant , elle l'écoutoit
avec émotion , elle foupiroit. Moranvile
l'entendoit avec un redoublement de tranf
port : c'étoit la premiere fois qu'il jouiffoit
de toute fa fenfibilité. Je vous adore , lui
difoit- il , ma chere Adélaïde . Vous m'aimez
, je n'en doute plus , ce que vous
faires pour moi en eft une preuve trop
chere. Ah ! que ne pouvez-vous pénétrer
dans mon coeur , que vous y verriez de
OCTOBRE. 1756. 39
reconnoiffance & d'amour ! Mais vous ne
me répondez pas ? vous détournez vos regards....
vous évitez les miens ... Non ,
je ne les évite pas : je vous regarde , & je
vous vois toujours plus aimable .... Ah !
vous comblez mes voeux , belle Adélaïde . Et
j'y trouve mon bonheur , cher Moranvile.
Il fe jette à fes genoux , il couvre fes mains
de baifers paffionnés ... Dans ce moment
délicieux un papillon voltige autour d'elle :
Ah ! qu'il eft joli , s'écrie - t'elle avec vivacité
; qu'il eſt joli ! Pour courir après lui ,
elle quitte fon Amant ; elle eft prête à faifir
le papillon , il lui échappe . Dans la
faillie qui l'emporte , aidez - moi donc
dit-elle à Moranvile , vous reftez-là immobile.
Oui , répondit- il avec un froid
dépit ; je refte immobile d'admiration , &
je fuis pénétré de reconnoiffance . Vous
préférez un papillon à l'Amant le plus
tendre , il obtient toutes vos attentions ;
vous lui donnez les inftans de mon bonheur
, & je fuis oublié . Adieu , Mademoifelle
; je vois trop qu'il eft votre image .
Je vais fuivre fon effor , & fi je le prends ,
j'aurai l'honneur de vous l'envoyer : il eſt
feul fait pour vous occuper.
Cette brufque fortie étonna d'abord
Adélaïde. Il part fâché , j'en fuis affligée :
mais non , je ne dois pas l'être ; mon
40 MERCURE DE FRANCE.
amour en avoit trop fait tout bien confidéré
, je dois rendre grace au papillon ,
il m'arrache au danger de mon étourderie.
Moranvile rentré chez lui , fe livra à
tout fon dépit. Il jura de fe détacher
d'elle ; & pour mieux y réuffir , il forma
la réfolution de faire à fes yeux un
autre choix. Il avoit remarqué qu'une
jeune veuve qui fe rendoit fouvent chez
la Marquife , avoit pris pour lui des fentimens
affez tendres , il réfolut de les faire
fervir à fes deffeins . Il revint l'après- dîné
chez la Marquife. Adélaïde lui adreffa les
regards les plus flatteurs , & s'efforça même
de paroître moins enjouée , dans la crainte
d'irriter fa fenfibilité ; mais il étoit trop
occupé de fon nouveau projet pour faire
attention à de fi tendres ménagemens . Le
hazard voulut que la jeune veuve , fur la
quelle il avoit des vues , fe trouva du
nombre de la compagnie . Il crut ne pou
voir trop tôt punir Mademoifelle de Man
cour de fa gaieté trop étourdie. Il prodi
gua en fa préfence à fa nouvelle Maîtreffe
toutes les preuves d'un amour empreflé :
mais il s'y prit avec tant d'affectation , qu'un
changement fi fubit , & qui avoit quelque
chofe de trop bizarre , ne parut point vraifemblable.
Adélaïde connut que le dépit
feul guidoit fon Amant. Elle fut affez
OCTOBRE. 1756. 41
généreuse pour l'excufer , & allez maîtreffe
d'elle- même pour n'en témoigner aucun
chagrin .
Moranvile foutint quelques jours le
perfonnage d'infidele mais les regrets
fuccéderent bientôt à la feinte. Il reconnut
fon tort. Il vouloit & n'oſoit implorer
un pardon dont il fe jugeoit indigne.
Adélaïde s'en apperçut , elle lifoit dans
fes yeux fon répentir & fon amour : elle
en fut touchée , & lui pardonna.
Moranville confus de la tendreffe & de
la générosité d'Adélaïde , déploroit à fes
pieds fon aveuglement. Il lui juroit de
ne plus fe livrer à d'injuftes foupçons :
cependant il ne put lui dérober encore
l'inquiétude que lui caufoit la tranquillité
avec laquelle elle avoit vu fes empreffemens
auprès de fa prétendue rivale . Non
vous ne vous corrigerez jamais , lui répondit-
elle en riant .Vous venez de me jurer de
ne plus douter de mon attachement , &
cependant vous me laiffez entrevoir de
nouvelles craintes : Eh bien , Moranvile ,
ferez-vous content fi je vous dis que je
vous eftimois trop pour vous croire infidele
? que j'ai fçu diftinguer le motif qui
vous guidoit qu'enfin j'étois fùre d'occuper
toujours votre coeur ? Cette certitude
n'étoit pas l'effet d'une amour-propre con42
MERCURE DE FRANCE.
damnable , mais celui de la connoiffance
que j'avois de votre caractere. Moranvile
rougiffoit de montrer tant de bizarreries à
fa jeune Amante : il lui en demandoit
mille fois pardon ; il lui promettoit d'être
plus raifonnable , & rejettoir fes crimes
fur l'excès de fon amour. Adélaïde étoit
au comble de fa joie . Elle retrouvoit fon
Amant , & elle le retrouvoir toujours auffi
tendre. Son enjouement en augmenta.
Moranvile auroit été le plus heureux des
hommes , s'il avoir pu fe perfuader combien
il étoit aimé. Une indifpofition qui
fuivit ce raccommodement , l'obligea de
garder quelques jours la chambre. Adélaide
en fut allarmée. Cette crainte troubla
pour la premiere fois fa gaieté naturelle
, & l'obligea d'envoyer fecrétement
Sophie s'informer de l'état de fon Amant,
La Confidente courut chez lui , & fut
exacte à lui rendre compre des tendres
inquiétudes de Mademoiſelle de Mancour.
Il en fut tranfporté de joie : mais
par une fuite de cette bizarre délicateſſe
qui déja lui avoit caufé tant de peines , il
défira jouir par lui -même de la fenfibilité
d'Adélaïde. Il fupplia Sophie d'engager
fa jeune Maîtreffe à lui accorder une vifite
qui pouvoit feule le rendre à la vie.
Elle s'acquitta avec zele de cette commifOCTOBRE
. 1756. 43
fion. Adélaïde y oppofa d'abord beaucoup
de répugnance. Son coeur n'étoit que trop
difpofé à la démarche qu'on lui propofoit
; mais fa vertu lui en faifoit fentir
tous les périls , les atteintes qu'elle alloit
donner à la réputation , ce qu'elle avoit à
craindre de l'indignation de Monfieur &
de Madame de Mancour , s'ils venoient à
la découvrir . Sophie trouva des expédiens
à tout . Elle lui rappella que le Marquis &
la Marquife devoient aller dîner ce jourlà
chez un de leurs voifins ; qu'il lui feroit
facile de prétexter un mal de tête
pour fe
difpenfer de les accompagner ; qu'elles
profiteroient toutes deux de leur abfence
pour fortir , fans être apperçues , du Château
par une porte de derriere : elle ajouta
qu'elle ne pouvoit refufer cette faveur à
Moranvile , fans le jetter dans un défefpoir
qui deviendroit funefte à fes jours . C'étoit
prendre Adélaïde par fon foible : elle y
confentit.
Moranvile avoit cependant tout difpofé
pour offrir aux yeux de Mademoiſelle de
Mancour un tableau qui pût l'éclaircir
lui- même fur les doutes qu'il ne pouvoit
bannir de fon efprit . Il vouloit effayer fi
l'enjouement de cette jeune perfonne réfifteroit
au fpectacle d'un Amant aux portes
du tombeau . Il eut foin de faire fermer
44 MERCURE DE FRANCE.
les volets de fa chambre , afin que l'obfcurité
aidat à la tromper ; il compofa fon
ton de voix , fes regards , il affecta enfin
toute la foibleffe d'un mourant.
On a fouvent remarqué que la douleur
produifoit les effets les plus funeftes fur
des perfonnes dont le caractere enclin à la
joie , ne leur permet pas de fe tenir en défenfe
contre les accès d'un fentiment contraire.
Mademoifelle de Mancour fentit
un froid mortel fe gliffer dans fes veines ,
lorfqu'elle apperçut fon Amant dans le
trifte état où il paroiffoit réduit ; & lorfqu'elle
entendit fa voix foible & chancellante
, faifie d'effroi , elle fe laiffa tomber
fur un fiege qui étoit à côté de fon lit ,
fans avoir la force d'articuler le moindre
mot. Que ne vous dois- je pas , charmante.
Adélaïde lui dit Moranvile. La faveur
que vous m'accordez eft fi précieufe à mes
yeux , qu'elle fuffiroit pour me rendre à
la vie , fi le Ciel n'y eût pas apporté un
obftacle invincible. Mes jours touchent à
leurs termes je fens que je me meurs....
Adélaïde ne put foutenir ce difcours .
Elle perdit le fentiment . Moranvile effrayé
de la voir évanouie , oublia fon propre
pour ne s'occuper que de celui où il
venoit de la réduire . A force de fecours ,
Adélaïde enfin donna quelques fignes de
état
OCTOBRE . 1756. 45
313
vie , mais ce ne fut que pour paffer dans
une extrêmité encore plus dangereuſe :
une fievre ardente la faifit , le délire l'accompagne
. Moranvile reconnoît alors
mais trop tard , toute la vivacité des fentimens
de fon Amante. Il fe défefpere.
Sophie de fon côté embraffe fa jeune
Maîtreffe elle la baigne de fes larmes.
Que va - t'elle devenir ? comment apprendre
à Monfieur & à Madame de Mancour
le danger d'une fille fi chere ? comment
leur avouer qu'elle- même l'avoit conduite
à la mort Elle exprimoit fes craintes à
Moranvile. Il fut long - temps incapable
d'y faire attention ; mais la raifon l'éclairant
à travers fon défordre , il jugea qu'il
étoit indifpenfable d'inftruire le Marquis
& la Marquife de l'état d'Adélaïde & du
lieu où ils devoient la trouver. Il écrivit
ce billet à la Marquife :
• Venez , Madame , venez punir un
malheureux qui attends de vous la mort,
comme la plus grande faveur que vous
puiffiez lui accorder. Adélaïde touche
aux portes du tombeau : c'eſt moi ; oui ,
» c'eft le coupable Moranvile qui l'y précipite.
Cet aveu doit fuffire pour exciter
votre indignation : Accourez , vengez-
» vous ; je le mérite , je le défire , & mon
» coeur a déja commencé mon fupplice,
39
46 MERCURE DE FRANCE.
Le Domeſtique de Moranvile fut chargé
de porter cet écrit à la Marquile dans la
maifon où elle avoit dîné avec fon mari.
Quelle nouvelle pour cette tendre mere !
Elle tombe fans connoiffance. Le Marquis
vole à fon fecours ; il dit le fatal billet.
Ma fille , s'écria t'il avec faififfement , ma
fille fe meurt , & c'eft Moranvile qui la
tue ... elle eft chez lui .... Il couvre fon
vifage de fes mains , il cherche à pénétrer
la caufe d'un fi trifte événement. La Marquife
reprend l'uſage de fes fens . Allons ,
Monfieur , dit - elle à fon mari , courons au
fecours de ma fille . L'un & l'autre vole
chez Moranvile . Ils trouvent cet infortuné
à genoux devant le lit fur lequel repofoit
l'aimable Adélaïde . Il paroiffoit anéanti
fous le poids de fa douleur. Le Marquis
& fa femme approchent ils contemplent
en filence un fpectacle qui les accable.
Adélaïde dévorée de l'ardeur de la
fievre , ne les connoît plus ; elle eft infenfible
à leurs careffes , & ne peut être touchée
de leurs larmes : l'amour feul occupe
toutes les facultés de fon coeur . Elle nomme
fon Amant , elle lui adreffe les plus
tendres propos. Monfieur & Madame de
Mancour fe regardent avec étonnement.
Ils ont toujours ignoré la tendreffe de leur
fille pour Moranvile ; ils queftionnent ce
OCTOBRE. 1756. 47
malheureux Amant. Moranvile s'arrache
à fon accablement pour fatisfaire leur curiofité.
Il leur déclare fon véritable nom
& fa qualité ; il leur apprend en peu de
mots la naiffance de fon amour pour Adélaïde
, fes progrès & la caufe du péril où
elle étoit plongée .
La douleur du Comte de Verneuil avoit
puifée une nouvelle vivacité dans le dérail
qu'il avoit fait d'un fentiment , dont les
fuites étoient fi funeftes. Eh bien ! Monfieur
, pourfuivit - il en s'adreffant au Marquis
, me jugez vous affez coupable ? vous
refuferez -vous à la vengeance que vous
vous devez ? N'attendez pas davantage ,
continua - t'il en lui préfentant fon épée ;
frappez , la victime eft prête , elle attend
vos coups avec impatience. Mais , quoi !
vous réfiftez. Eh bien ! c'eft donc à moi
à remplir ce tritte devoir. Le Comte leve
le bras pour ſe frapper Arrêtez
Comte , s'écria la Marquife : attendez
que le Ciel ait décidé du fort de ma chere
fille. Faut il , hélas ! que vous me forciez
à vous plaindre ! Uniffez vos voeux aux
nôtres ; fi elle nous étoit rendue , vous
nous aideriez peut - être à faire fon bonheu
. Un difcours fi généreux fufpendit
les tranfports du Comte de Verneuil. On
Le s'occupa plus qu'à foulager Adélaïde.
48 MERCURE DE FRANCE.
Le Comte ne la quitta pas. Vingt fois elle
toucha au moment de perdre la vie ; mais
enfin après quinze jours pallés dans un état
fi violent , la fievre ceffe , le danger s'évanouit
, la jeuneffe & l'amour l'arrachent
des bras de la mort.
Je n'entreprends pas de peindre les
tranfports & la joie du Comte & d'Adélaïde
; je ne parlerai pas de la fatisfaction
de Monfieur & de Madame de Mancour
La Marquife , après avoir fait de touchans
reproches à fa fille fur la diffimulation
dont elle avoit ufé avec elle , lui préſenta
la main du Comte de Verneuil . On peur
juger du plaifir avec lequel Adélaïde accepta
un don fi cher. Elle pardonna faci
lement au Comte , & le déguiſement qu'il
avoit emprunté à fes yeux , & le malheureux
ftratagême dont il s'étoit fervi pour
s'affurer de fes fentimens. Non , cher
Comte , lui dit- elle , je n'ai pu trop acheter
le bonheur de vous fçavoir convaincu
de ma tendreffe.
*
Le mariage de ces deux Amans ne fut
différé qu'autant de temps qu'il en fallut
pour l'entiere guétifon d'Adélaïde. Cette
union défirée lui rendit les graces enjouées
qui avoient caufé tant d'allarmes au Comte.
Revenu de fon erreur , il en a fait depuis
fes délices. Elles ont fervi à lui faire
trouver
སོ་
OCTOBRE. 1756. 49
trouver fans ceffe de nouveaux charmes
dans la poffeffion d'une époufe dont il a
toujours été adoré.
ODE
Sur l'arrivée de M. le Cardinal de Tavannes
à Rouen.
A peine l'Aurore vermeille ¿
De fon éclat pare les Cieux ,
La Nature à l'inftant s'éveille,
Et prend un air plus gracieux :
Les campagnes font plus riantes ;
Les fleurs , par leurs couleurs brillantes
Célebrent la mere du Jour :
Saifi d'une vive allegreffe ,
Le tendre Roffignol s'empreffe
A lui témoigner fon amour.
Mais d'où cette lueur nouvelle
Vient-elle briller à mes yeux !
Jamais une Aurore fi belle ,
Ne fe montra dans ces beaux lieuz!
Rouen , féjour trop déſirable ,
Reconnois ton Paſteur aimable ,
De gloire il paroît revêtu :
Il est plus brillant que l'Aurore ,
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
Mais la pourpre qui le décore
A moins d'éclat que fa vertu .
*
D'un aftre fi doux , l'influence
Verfera la paix dans ton fein :
Tu jouiras , par la préſence ,
D'un ciel toujours pur & ferein .
O ville trois fois fortunée !
La favorable deſtinée
T'apprête le fort le plus beau.
Nos neveux liront dans l'hiſtoire ,
Qu'un Pafteur couronné de gloire ,
Fit le bonheur de fon troupeau.
>
Mais fon éclatante lumiere ,
Loin de l'enceinte de nos murs
Ne connoît point d'autre barriere
Que les climats les plus obfcurs.
L'univers le voit & l'admire ,
On s'empreffe , à l'envi , de dire :
Sous la pourpre qu'il méritoit ,
Tavannes , ce Prélat illuftre ,
Brille aujourd'hui d'un nouveau luftre ;
C'étoit le feul qui lui manquoit.
Où m'entraîne mon imprudence ?
Un Aiglon trop audacieux ,
Plein d'une vaine confiance ,
OCTOBRE. 1756 . SE
Sur le Soleil fixe les yeux :
Mais bientôt la foible paupiere
N'en peut fupporter la lumiere.
Son fort me rend plus circonfpect :
J'admire & je baiſſe la vue :
La grandeur , quand elle eft connue ,
Ne demande que mon reſpect,
TTASSE , du Séminaire de Joyeuse.
VERS
Récités dans l'Affemblée publique de l'Académie
des Sciences & Belles - Lettres de la
Ville de Lyon , par M.... à fon retour,
voyage d'Italie.
JE
du
E vous revois enfin , ô ma chere Patrie !
Lyon , Temple facré des Arts , de l'industrie.
Que mon ame eft émue en parcourant des
Ces plaines , ces côteaux heureux ,
Ces remparts , ce vaſte rivage ,
yeux
Ces fleuves , amans de ces bords ,
Qui de les embellir difputant l'avantage ,
Confondent, à l'envi,leurs flots & leurs tranſports
Epris du vain défir de voir & de connoître ,
En proie à mes voeux inconftans ,
Loin du beau Ciel qui m'a vu naître ,
J'olai porter mes pas errans.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
J'ai vu ces neiges immortelles ,
Ces rochers & ces monts , fiers débris du cahos ,
Entaffés par les Dieux , franchis par les Héros ,
Des champs Aufoniens barrieres peu fidelles.
Du haut de ces trônes des airs
Mon ame erroit fur ces belles contrées ,
De qui les Nations vainement conjurées ,
Reçurent des Arts & des fers.
Dieux ! comme je volai vers les plaines fécondes ;
Que l'Arno , que le Tibre enrichit de fes ondes.
Horace , Augufte , Ciceron ,
Et vous , Célar , Virgile & Scipion ,
Tous Vainqueurs des humains par différens pro4
diges ,
D'un pas refpectueux , j'ai cherché vos veſtiges :
Terrible Michel- Ange , ingénieux Bernin ,
Raphael enchanteur, & vous , Taffe divin ,
J'adorois vos fçavans preſtiges.
Que d'objets raviffans pour mes regards confus §
Obélifques pompeux élancés jufqu'aux nues ,
Temples , Cirques , Palais , innombrables Statues
De Héros immortels , de Dieux qui ne font plus.
Romains , tous les lauriers ont couronné vos
têtes ;
Enfans des Mufes & de Mars
Vous avez fait briller les doux rayons des Arte
Parmi les éclairs des tempêtes :
Quels biens ne vous doit pas l'univers enchanté
Et votre moindre gloire eft de l'avoir dompté
OCTOBRE . 1756. 53
Deux fois la féconde Aufonie ,
Sous Augufte & fous Léon dix ,
Vit croître dans fes champs les palmes du génie ,
Et fes nouveaux Céfars furent les Médicis.
Tout paffe , tout finit : cette feconde aurore
N'a brillé qu'un matin , & s'eft éteinte encore.
Habitans paifibles & doux ,
On accourt fur vos bords des terres étrangeres ;
Mais c'eft la gloire de vos peres
Que l'on vient admirer chez vous.
Rome n'eft plus qu'un nom , que l'ombre d'ellemême.
Elle a perdu dans ſes revers
Le fceptre des talens , comme de l'univers.
Venife , en fa foibleffe extrême ,
Trop fidelle peut-être à fes antiques Loir ,
N'a plus de Titiens , & redoute Bizance
Que fon bras foumit autrefois.
Pour l'aimable & belle Florence ,
Gémiffante autour des tombeaux ,
De longs voiles de deuil elle obfcurcit ſes chan
mes ,
Et répand d'inutiles larmes
Sur les urnes de fes Héros.
Les Mufes & les Arts ont volé vers la Seine
Tibre jaloux , vainement tu frémis.
Cede fans murmure & fans haine
Au beau fiecle des deux Louis.
Endormi fur tes vieux trophées
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Borne ta gloire au laurier des Orphées.
Mais gardons- nous d'envier humblement
Les vains fuccès de l'Italie :
Elle a chanté les ris & la folie ,
Le François feul chante le fentiment .
Art divin , fils de l'ame , & qui regne fur elle
Par tes fublimes fons , par tes tendres accens ,
Tu furpaffes autant l'ariette éternelle
Et fes frivoles agrémens ,
Que le coeur furpaffe les fens.
Nation légere & brillante ,
Pour la premiere fois & fidelle & conftante ,
Que le flambeau des Arts pour toi foit immortel.
Rome depuis long- temps ne vit que dans l'hif
toire ;
Que ton fiecle foit éternel.
Vous , Citoyens heureux , partagez cette gloire =
Imitée & vaincue en vos tiffus brillans ,
La nature jaloufe admire vos calens .
D'Athene & de Lyon , la déité fidelle ,
A de nouveaux fuccès , Minerve , vous appelle.
Sur l'aile du génie élevez vos concerts :
Embraffez tous les Arts au fein de l'abondance .
La feconde Ville de France
Doit l'être auffi de l'univers . "
Nous croyons que ces vers doivent faire
autant d'honneur à l'Auteur qu'à la France,
OCTOBRE. 1756. 55
ESSAI SUR L'ÉLOQUENCE ,
Traduit de l'Anglois de M. Hume : Eſſays
Moral and political , vol. II, Eſſay 2.
C'eſt un ſpectacle bien varié & bien intéreffant
, que le tableau des révolutions
de l'efpric humain , tel qu'il-eft tracé dans
l'Histoire. On voit avec étonnement combien
les moeurs , les coutumes & les opinions
dans une même efpece d'êtres peuvent
fubir de changemens différens dans
les différens périodes du temps. On trouve
cependant beaucoup plus d'uniformité
dans l'Hiftoire Civile , que dans l'Hiftoire
des Sciences & des Arts ; & les guerres ,
les négociations & la politique , different
moins d'un fiecle à un autre , que l'efprit ,
le goût & la Philofophie. L'intérêt & l'ambition
, la gloire & la honte , l'amitié &
la haine , la reconnoiffance & la vengeance
, voilà les premiers mobiles de toutes
les conventions politiques ; & ces fentimens
font bien moins fouples & moins
inconftans que les opinions & les idées de
l'entendement qui font variées fans ceffe
par l'éducation & l'exemple. Les Goths qui
étoient fi fort au deffous des Romains par
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
le goût & les connoiffances , les égaloient
peut-être en courage & en vertu .
Mais pour ne pas comparer enfemble
deux Nations fi prodigieufement différentes
l'une de l'autre , on peut obferver feulement
combien le dernier période des
Lettres eft , à plufieurs égards, différent de
leurs premiers âges ; car fi nous fommes
fupérieurs aux Anciens dans la Philofophie
, nous fommes toujours , malgré tous
nos raffinemens , au deffous d'eux pour
l'éloquence.
Les Anciens ne connoiffoient rien qui
exigeât autant de génie & de capacité que
l'art de parler en public ; & d'illuftres
Ecrivains ont prononcé que les talens du
grand Poëte & du grand Philofophe font
bien au deffous de ceux du grand Orateur.
La Grece & Rome n'ont produit chacune
qu'un Orateur parfait , Démofthene & Cicéron
; & les noms des autres qui fe font
diftingués dans la même carriere , font effacés
par ceux de ces deux héros de l'éloquence.
Il eft à remarquer que les critiques
Anciens ont pu à peine trouver deux
Orateurs dans un même fiecle qui euffent
un dégré égal de mérite , & qui méritaſfent
d'être placés au même rang. Calvus ,
Coelius , Curio , Hortenfius , Céfar , s'éleverent
au deffus les uns des autres : mais
OCTOBRE . 1756 . $7
le plus grand d'entr'eux étoit bien au deffous
de Cicéron. Cependant les gens de
goût ont décidé que Cicéron & Démofthene
avoient , il eft vrai , furpaffé tous
les Orateurs qui ont jamais paru , mais
qu'ils étoient encore loin l'un & l'autre de
la perfection de leur art. Cicéron déclare
lui- même , combien il eft peu fatisfait de
fes propres ouvrages , même de ceux de
Démofthenes. Ita funt avide & capaces
mea aures , dit- il , & femper aliquid immenfum
infinitumque defiderant.
Quelques obfervations fuffiront pour
nous faire fentir la grande fupériorité de
l'éloquence des Anciens fur celle des Modernes.
De toutes les Nations polies &
fçavantes , il n'y a que l'Angleterre qui ait
un gouvernement populaire , & qui admette
à la Légiflature ces nombreuſes af
femblées qu'on peut regarder comme le
véritable théâtre de l'éloquence. Cependant
de quoi l'Angleterre peut- elle fe glorifier
à cet égard ? En parcourant la fuite
des grands hommes qui ont illuftré notre
Nation , nous triomphons fur le nombre
des Philofophes & des Poëtes : mais quels
Orateurs pourrons nous citer , & quels
font les monumens de leur génie qu'ils
nous ont laiffés ? On trouve à la vérité
dans notre hiſtoire , les noms de plufieurs
Cv
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
qui ont gouverné notre Parlement , & dirigé
fes réfolutions ; mais ni les uns ni les
autres n'ont pris le foin de conferver leurs
harangues , & il paroît que l'autorité dont
ils jouiffoient , ils la devoient plutôt à
leur expérience , à leur fageffe , ou à leur
pouvoir , qu'à leurs talens pour l'éloquence.
On compte à préfent plus d'une demidouzaine
d'Orateurs dans les deux Chambres
, qui , au jugement du Public , ont à
peu près le même dégré d'éloquence , &
perfonne ne prétend donner à l'un la préférence
fur les autres ; ce qui me paroît
une preuve inconteftable qu'aucun d'eux
n'a atteint beaucoup au - delà de la médiocrité
dans fon art , & que l'efpece d'éloquence
à laquelle ils s'appliquent , ne demande
pas l'exercice des plus fublimes
facultés de l'ame , mais n'exige que des·
talens ordinaires & une médiocre application.
Il y a à Londres cent ouvriers qui
feront tous également bien une table ou
une chaife , mais y a-t'il un Poëte qui faffe
des vers avec autant de feu & d'élégance
qué M. Pope
Lorfque Démofthene avoit une harangue
à prononcer ( 1 ), les gens d'efprit accou-
(1) Ne illud quidem intelligunt , non modo ita
memoria proditum effe , fed ita neceſſe fuiſſe , cùm
Demofthenes dicturus effet , & concurfus, audiends
OCTOBRE. 1756, 59
roient en foule à Athenes de toutes les extrêmités
de la Grece , pour y affifter comme
au plus beau fpectacle du monde .
Vous voyez des gens à Londres qui fe
promenent dans la Chambre des Requêtes
, tandis que les plus grands intérêts
fe traitent dans les deux Chambres ,
& plufieurs ne fe croient pas dédommagés
de la perte d'un dîné par toute l'éloquence
de nos plus célebres Orateurs .
Lorfque le vieux Cibber doit paroître fur
la fcene , il excite plus la curiofité du Public
que notre premier Miniftre qui vient
défendre la propre cauſe au Parlement , &
détruire un orage qui s'éleve pour le déplacer
ou pour le perdre.
Ceux même qui n'ont aucune connoiffance
des précieux monumens de l'éloquence
ancienne , pourront juger par quelques
traits combien le genre & le ftyle de
cette éloquence font plus fublimes que
celle à laquelle nos Orateurs veulent même
atteindre . Combien paroîtroit abfurde ,
dans la bouche de nos froids & tranquilles
Orateurs , une apoftrophe auffi fiere que
celle que Quintilien & Longin ont tant
causâ , ex totâ graciâ fierent. At cum ifti Attici
dicunt , non modo à co onâ ( quod eft ipfum miſe➡
rabile ) fed etiam ab advocatis relinquuntur. Cic.
de claris Orator. * IS A ... A
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
admiré dans Demofthenes , lorfque juftifiant
le malheureux fuccès de la bataille de
Chéronnée , il s'écrie. Non , mes chers Con
citoyens , non , vous ne vous êtes point trompés;
j'en jure par les menaces de ces Héros qui one
combattu pourla même caufe dans les plaines
de Marathon & de Platée. Qui pourroit
foutenir aujourd'hui une figure auffi hardie
& auffi poétique que celle que Ciceron
emploie, lorfqu'après avoir décrit dans
les termes les plus pathétiques la mort d'un
Citoyen Romain qu'on avoit crucifié , il
ajoute , « ( 1 ) Si je peignois cet affreux ſpec-
» tacle , non pas à des Citoyens Romains,
» non à des amis de notre République , ni
ceux qui connoiffent le nom du Peuple
»Romain ; non pas même à des hommes ,
» mais à des animaux ; oferai - je dire encore
plus , fi dans le fond d'un défert ,
"
» j'allois faire aux rochers le récit déplora-
» ble de cette action barbare , tout muets ,
(1 ) L'original eft inimitable , dit M. Hume.
Le voici : Quod fi hac non ad cives Romanos , non
ad aliquos amicos noftra civitatis , ron ad eos qui
populi Romani nomen audiffent ; deniquefi non ad
homines , verum ad beftias , aut etiam , ut longiùs
progrediar , fi in aliquâ defertiffima folitudine , ad
faxa & adfcopulos hac conqueri & deplorare vellem
, tamen omnia muta atque inanima , tantâ &
sam indignâ rerum atrocitate commoverentur.
Cic. in versem,
OCTOBRE. 1756.
Gr
*
tout inanimés qu'ils font , ils feroient
» émus & indignés d'une telle attrocité » ?
De quel tourbillon d'éloquence cette
image étonnante doit -elle être enveloppée
, pour faire impreffion fur les efprits !
Quel art admirable ! quels talens fublimes,
ne faut- il pas pour arriver par degrés jufqu'à
cette hardieffe , cette exagération de
fentiment , pour enflammer les Auditeurs
au point de faire entrer , pour ainfi dire ,
dans leur ame cette violence de paffion
cette élévation d'idées , & pour cacher
fous un torrent d'éloquence l'artifice qui
doit produire ce grand effet !
La véhémence de l'action répondoit à
cette véhémence d'idées & d'expreffions
chez les anciens Orateurs : le frappemens
du pied contre terre ( fupplofio pedis ) , étoit
un de leurs geftes les plus ordinaires & les
plus modérés ( 1 ) .
Un femblable gefte paroîtroit aujourd'hui
trop violent pour être employé au
fénat , au barreau ou dans la chaire : il ne
(1 ) Ubi dolor , ubi ardor animi , qui etiam ex
infantium ingeniis elicere voces querelas folet ?
nulla perturbatio animi , nulla corporis , frons non
percuffa , non femur , pedis ( quod minimum eft )
nulla fup lofio. Itaque tantum abfint ut inflammares
noftros animos , fummum ifto loco vix tenebamus.
Cic. de claris Oratoribus. 2
62 MERCURE DE FRANCE.
pourroit être fupporté qu'au théâtre dans?
les mouvemens violens des grandes paf-
Lions que l'on y veut peindre.
Il eft allez difficile d'affiger la cauſe
de cette dégradation fenfible de l'éloquence
dans notre âge ; le génie des hommes
dans tous les fiecles eft fans doute égal ;
les Modernes ont cultivé avec le plus
grand fuccès les autres Arts & toutes les
autres Sciences , & une des plus fçavantes
nations de l'Univers , poffede un gouvernement
populaire , ce qui paroît le plus
propre à développer plus parfaitement le
germe des grands talens , & cependant ,
malgré tous ces avantages , nous n'avons
fait que très - peu de progrès dans l'éloquence
en comparaifon de ceux que nous
avons fait dans toutes les autres parties de
la Littérature.
Dirons- nous que nos moeurs ne comportent
pas le genre d'éloquence des Anciens
? quelles que foient les raifons dont
on fe fert pour appuyer ce fentiment , je
fuis perfuadé que l'analyse en feroit voir
bientôt le peu de juftelle & de folidité.
On peut obiecter d'abord que pendant
l'âge le plus floriffant de la Littérature
Grecque & Romaine , les loix fondamentales
éroient très- fimples & en petit nombre
, & que la décifion de la plus grande
OCTOBRE. 1756. 63
partie des cauſes étoit abandonnée à l'équité
& à la pénétration des Juges. L'étude
des Loix n'étoit pas une occupation
pénible à laquelle il fallût confommer tout
le reste du temps de fa vie , & qui devînt
par-là incompatible avec tout autre genre
d'étude & de travail. Les grands Politiques
& les grands Généraux chez les Romains
étoient tous Jurifconfultes ; & Ciceron
, pour montrer combien la Science
des Loix étoit facile , ne demande que peu
de jours pour la pofféder parfaitement ,
fans abandonner pour cela fes autres occupations.
Aujourd'hui même qu'un Plaideur
s'adreffe à l'équité de fes Juges , il fe
donne bien plus de carriere pour déployer
fon éloquence , que s'il ne puife fes raifons
que dans la Loi ftricte , les Ordonnances
& les ufages. Dans le premier cas ,
on peut faire entrer beaucoup de circonftances
favorables & de confidérations perfonnelles
; la faveur même & l'inclination
des Juges , que l'Orateur doit fe concilier
par fon art & fon éloquence , peuvent fe
déguifer fous le mafque de l'équité. Mais
nos Avocats modernes auroient- ils le loifir
d'abandonner leurs pénibles travaux pour
s'arracher à cueillir les fleurs du Parnaffe ?
& d'ailleurs comment placeroient- ils ces
fleurs au milieu des raiſonnemens fubtils
64 MERCURE DE FRANCE.
& exacts , des objections & des repliques
dont ils font obligés de faire ufage ? Le
plus grand génie pour l'éloquence , qui ,
après avoir donné un mois à l'étude des
Loix , s'aviferoit de plaider devant le
Chancelier , ne réuffiroit qu'à fe rendre
ridicule.
Je fuis prêt à convenir que la multiplicité
& l'embrouillement des Loix font un
découragement pour ceux qui voudroient
s'adonner aujourd'hui à l'éloquence ; mais
cela ne fuffit pas pour rendre raifon de la
dégradation de cet art fublime . Cet obftacle
peut bien bannir l'éloquence de la
falle de Weftminſter ; mais il lui reſtera un
théâtre affez brillant dans l'une & l'autre
Chambre du Parlement . Les Juges de l'Aréopage
, chez les Athéniens avoient défendu
formellement tous les artifices de
l'éloquence auffi ne trouvons- nous pas
dans les harangues Grecques écrites dans
la forme judiciaire , la même hardieffe &
la même élégance de ftyle que dans celle
des Romains. Mais à quel dégré les Orateurs
Athéniens n'ont-ils pas porté l'éloquence
dans les délibérations publiques
lorfque les affaires de l'Etat ont été agitées
, & que le bonheur , la liberté ou
l'honneur de la Nation ont été l'objet de
leurs difcuffions ? Ce font des difputes de
>
OCTOBRE. 1756. 65
tette nature qui élevent le génie , & préfentent
à l'éloquence un but digne d'elle ,
& ces difputes font très-fréquentes dans
notre Nation .
On pourroit dire encore que la dégradation
de l'éloquence eft l'effet d'une fu
périorité de jugement dans les Modernes ,
qui dédaignent d'employer les fubtilités
oratoires dont on peut fe fervir pour féduire
les Juges , & ne fe permettent que
des raifons folides dans la difcuffion de
leurs affaires . Si un homme eft accufé d'un
meurtre , le fait doit être prouvé par les
témoins & les informations ; la Loi détermine
enfuite le fupplice du coupable : mais
ne feroit- il pas ridicule que l'Avocat qui
pourfuit la punition du meurtre , cherchât
les couleurs les plus vives pour peindre
l'horreur & la cruauté de l'action ;
qu'il affemblât tous les parens du mort , &
les fit entrer au premier fignal pour ſe précipiter
aux pieds des Juges , & exciter leur
justice par leurs plaintes & leurs larmes.
Il feroit encore plus ridicule de faire faire
à un Peintre un Tableau qui repréſentât
l'affaffinat , pour émouvoir la pitié des
Juges par ce tragique fpectacle : ce miférable
artifice a cependant été quelquefois
employé par les anciens Orateurs . Banniffez
doncle pathétique des difcours publics ,
66 MERCURE DE FRANCE.
& vous réduifez les Orateurs à l'éloquen
ce moderne , c'eſt à- dire , à des idées juftes
, revêtues d'expreffions convenables.
Je répondrai que l'on pourroit convenir
que nos moeurs actuelles , ou notre ſupériorité
de jugement , fi l'on veut , peut
bien rendre nos Orateurs plus délicats &
plus réfervés fur les moyens d'échauffer le
coeur & d'élever l'imagination de leurs
Auditeurs ; mais je ne vois pas pourquoi
cela leur ôteroit l'efpérance d'y réuffir.
Cetre difficulté , loin de les décourager ,
doit les engager à redoubler d'art & de
chaleur.
Les anciens Orateurs paroiffent avoir
fenti auffi la néceffité de ménager la délicateffe
de leur auditoire , mais ils ont pris
une route toute différente pour l'éluder ( 1 ) .
C'est en répandant avec rapidité un torrent
de fublime & de pachérique qu'ils entraînoient
l'imagination de leurs Auditeurs
fans leur laiffer le temps d'appercevoir
l'artifice qu'on employoit pour les tromper,
ou plutôt , ils n'étoient trompés par aucun
artifice. L'Orateur , par la force de fon propre
génie & de fon éloquence , commençoit
par s'enflammer lui- même des paffions
différentes qu'il avoit à peindre , &
(1 ) Longinus , cap . 15 .
OCTOBRE . 1756. 67
il les faifoit paffer bientôt dans l'ame de
ceux qui l'écoutoient.
Quel est l'homme qui puiffe fe flatter
d'avoir le jugement plus fûr que Jules-
Céfar : nous fçavons cependant que l'éloquence
de Ciceron fubjugua l'efprit de ce
fier Conquérant , au point de le forcer ,
pour ainfi dire , à changer le parti qu'il
avoit pris , & à abfoudre un coupable qu'il
étoit bien déterminé à condamner avant
que d'avoir entendu l'Orateur .
On objecte encore que les défordres des
gouvernemens anciens , & les crimes énormes
dont on voyoit de fréquens exemples,
fourniffoient une matiere beaucoup plus.
vafte à l'éloquence que chez les Nations
modernes dont les moeurs font plus douces.
Si les Verrés & les Catilina , dit-on ,
n'euffent pas exifté , on ne connoîtroit pas
Cicéron mais il eft évident que cette raifon
ne peut pas être d'un grand poids , il
ne feroit pas difficile de trouver un Philippe
dans les temps modernes , où trouverionsnous
un Démofthene ?
Il faut donc convenir d'un défaut de
génie ou de jugement dans nos Orateurs ,
lefquels , ou ne fe font pas fentis en état
de s'élever au fublime de l'éloquence ancienne
, ou bien ont dédaigné les reffources
de l'art qu'ils auront jugé peu conve68
MERCURE DE FRANCE.
nables à l'efprit des affemblées modernes .
Cependant quelques effais heureux dans
ce genre , pourroient réveiller le génie de
la Nation , exciter l'émulation de la jeuneffe
, & accoutumeroient nos oreilles à
une élocution plus fublime & plus pathétique
que celle dont nous nous fommes
contentés jufqu'ici.
Il y a certainement des circonftances
purement accidentelles dans la naiffance
& le développement des arts dans une Nation.
Je ne fçais fi on peut expliquer d'une
maniere bien fatisfaifante , pourquoi
les anciens Romains , en recevant tous les
arts de la Grece , ne purent acquérir que
le goût & la connoiffance des beautés de
la Peinture , la Sculpture & l'Architecture
, fans pouvoir atteindre à la pratique de
ces Arts précieux ( 1 ) , tandis que les Ro-
( 1) On ne peut pas dire avec juftice que les
Romains fe contenterent d'admirer & de goûter
les Arts de la Grece , fans pouvoir les pratiquer.
De belles Statues qui nous reftent , & des Edifices
fuperbes , dont quelques- uns fubfiftent encore ;
ce Colifée , ce Panthéon , ces Thermes , ces Cirques
, ces Théâtres , cette Colonne Trajanne &
le nom de Vitruve , nous prouvent que la Sculp
ture , & furtout l'Architecture , fut cultivée à Rome
avec de grands fuccès. Mais il eft vrai que
Jes Romains dans tous les Arts agréables refterent
fort au deffous des Grecs leurs Maîtres & leurs
OCTOBRE . 1756.
69
mains Modernes excités par quelques débris
de l'antiquité , échappés à la fureur
des Goths & du temps , ont porté ces
mêmes Arts au plus haut point de perfection.
Si un homme d'un génie auffi cultivé
que Milord Bolinbroke , eût paru dans le
temps des Guerres Civiles , lorfque la
liberté commença à s'établir folidement ,
& que les affemblées du Peuple fe mêlerent
des affaires les plus importantes du
gouvernement , je ne doute pas qu'un
exemple auffi éclatant n'eût fait prendre
une face toute différente à l'éloquence Angloife
, & ne l'eût portée à la perfection
des modeles anciens. Notre Patrie fe feroit
fait honneur de fes Orateurs , comme de
fes Poëtes & de fes Philofophes , & nous
aurions nos Cicérons , comme nous avons
nos Platons & nos Virgiles.
modeles ; & M. Hume qui connoît fi bien ces
deux peuples ( V. fes Difcours politiques ) , en auroit
pu trouver la raifon dans leurs caracteres &
leurs moeurs réciproques. Il ne feroit pas plus
impoffible d'expliquer pourquoi les Anglois euxmêmes
qui marquent du goût pour les beaux
Arts , qu'ils recherchent & qu'ils protegent à
grands frais , qui ne manquent pas d'amateurs
riches , faftueux , & même éclairés , n'ont encore
pu former ni un Peintre , ni un Sculpteur , ni un
Architecte , ni un Muſicien du premier ordre,
La fuite au Mercure prochain.
70 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Sur les Fêtes données à Dunkerque par le
Prince de Soubife , à l'occafion dela prife
du Fort Saint - Philippe.
Quelle augufte
magnificence
Pare cet azyle enchanté ?
Ici tous les tréſors d'une heureuſe abondance
Sont ouverts par les mains de l'affabilité.
A ces traits l'on connoît Soubife :
Voyez-le aux champs de Mars , à S. Ouen , à la
Cour ,
Partout il eft lui -même ; & dans quelque féjour
Que la Fortune le conduife ,
Il en fera toujours les plaifirs & l'amour ,
A moins que ce ne foit aux bords de la Tamife,
Secondons l'ami de Louis ,
Et le zele qu'il fait paroître :
Qu'en ce jour les jeux & les ris
Naiffent de ce même falpêtre
Qui foudroya nos Ennemis :
Que cent bouches d'airain difent à l'Angleterre
Que nous ne craignons point les injuftes projets ,
Et qu'à l'envi , nous fommes prêts
A quitter les plaifirs pour lancer le tonnerre
Qu'ont allumé fes noirs forfaits
OCTOBRE, 1756. 71
Quel Aatteur avenir à mes yeux fe préfente !
Sur cette Ville gémiffante
Un Monarque chéri tourne enfin ſes regards.
Il tartache ( 1 ) , Soubiſe , à l'éclat de tes Fêtes ;
Et Dunkerque déja fiere de nos conquêtes ,
Voit dans ton cabinet renaître ſes remparts.
Le Chev . DE PIERRES de Fontenailles.
(1 ) Il travailloit alors à un Mémoire concernant
le rétabliſſement du Port & des fortifications de
Dunkerque.
VERS
A M. Floncel , Avocat au Parlement , Cenfeur
Royal , ci- devant premier Secretaire
de M. Amelot & de M. le Marquis
d'Argenfon , Miniftres des Affaires étran
geres ;fur ce qu'il a été reçu de l'Académie
des Arcades de Rome.
Mercure voyageant , s'arrêta fur ces bords
Dont Sannazar ( 1 ) traça la plus riante image.
Une Mufe dont ce rivage
Admire tous les jours les champêtres accords ,
Au Dieu vint rendre fon hommage .
Les premiers complimens faits ,
(1 ) Auteur célebre d'un Ouvrage très-eftimé ;
intitulé l'Arcadie.
72 MERCURE DE FRANCE.
Elle l'interrogea fur les nouveaux objets
Dont fe paroît le littéraire Empire.
Je veux , reprit-il , vous en dire
Un qui pour vous peut avoir des attraits.
J'ai vu la fçavante Italie
Dans Paris, chez un François ,
Avec pompe réunie.
Chez lui brille en fon rang tout eftimable Auteu
Que de richeffes enſemble !
En connoiffeur il les raffemble ,
Il en jouit en Amateur.
Ah ! que cette nouvelle a pour moi de douceur,
S'écria la Mufe ravie !
Du Parrhaſe ( 1 ) , ouvrons les fentiers
A ce docte Etranger , ami de l'Aufonie ,
Qui chérit nos travaux a droit à nos lauriers.
( 1 ) C'est ainsi que les Arcades appellent le liew
où ils tiennent leurs Aſſemblées Boſca Parrhaſio.
VERS
AM. de Voltaire , fur fon Epitre à M.
de Richelieu.
DE l'ami du grand Richelieu
J'ai lu les vers pleins d'énergie.
De la guerre l'un eſt le Dieu ,
Bautre l'eft de la Poéfic.
PROJET
OCTOBRE. 1756. 73
4
PROJET utile aux Gens de Lettres ,
aux Auteurs & même aux Libraires.
LETTRE A M. DE BOISST,
de l'Académie Françoife , &c.
Remarquez- vous , Monfieur , que malgré
le penchant de la Nation pour le frivole
, le goût des Livres fe fait jour partout
, foit l'amour naturel de la lecture .
foit le plaifir de pouvoir fur le champ fatisfaire
fa curiofité fur tout ce qui fe préfente
à l'efprit , foit enfin l'efpoir de s'inftruire
un jour , lorfque débarraffé des af
faires ou délivré des paffions de la jeuneſfe
, on voudra commencer à vivre en Philofophe
: Chacun fe munit de livres : on
entaffe volumes fur volumes ; & dans les
édifices même élevés par les mains de la
volupté & de la frivolité , on rougiroit de
ne pas fe réferver un appartement pour
une Bibliotheque.
N'allez pas croire , Monfieur , qu'en
vous préfentant ce portrait naturel de nos
Concitoyens , je veuille vous en faire la
la critique , & reléguant les hommes
parmi les Sauvages , ne leur propofer pour
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
livre que le fpectacle du ciel , de la terre
& de leurs femblables. Ces trois objets
font bien capables en eux - mêmes de tirer
l'homme hors de lui pour l'élever au Créafans
d'autres teur ; mais ils ne fuffifent pas
connoiffances acceffoires qui l'aident à
découvrir quantité d'objets qui échapperoient
à fa vue , par exemple , l'origine , le
rapport réciproque & la fin de toutes chofes
, dans l'ordre fpirituel comme dans
l'ordre matériel ; & où puifer ces connoiffances
, finon dans les livres ? L'amour des
livres eft donc très-louable en foi ; mais
cet amour mal dirigé ou porté trop loin
devient folie . Pour le rendre raifonnable
& utile , il faut du difcernement dans leur
acquifition & une méthode dans leur arrangement.
Abſtraction faite de ces gens de fortune
ou de caprice qui , dans la formation d'une
Bibliotheque , auroient plutôt beſoin de
l'inſtrument d'un arpenteur que des lumieres
d'un Libraire connoiffeur & judicieux
, on peut réduire à deux claffes tous
ceux qui s'attachent à faire une collection
de livres , ceux qui veulent compoſer &
ceux qui ne veulent s'inftruire .
que
Le premier but des uns & des autres eft
de raffembler autour d'eux des fources
pour y puifer , des lumieres pour éclaircir
OCTOBRE . 1756. 75
leurs doutes , des guides pour marcher
fûrement dans le chemin des connoiflances
humaines , des juges enfin pour rectifier
leurs erreurs , ou fe confirmer dans leurs
bons fyftêmes.
En voilà affez pour détruire en paffant
l'erreur de ces efprits vulgaires , qui au
premier coup d'oeil qu'ils jettent fur la
plus petite Bibliotheque , s'écrient : Comment
lire tout cela dans fa vie!
Le fecond but ( & qui eft flatteur pour
l'amour - propre ) eft de jouir de tous
les avantages à toute heure , fans être obligé
de ſe tranſplanter , de pouvoir paffer
d'une matiere à l'autre , fans s'expofer au
ridicule de l'inconftance ; de confulter ,
fans attendre l'heure commode ; & fi l'on
rencontre des Critiques , au moins de les
trouver fans humeur & de les entendre
fans témoins.
Ce font fans doute ces avantages qui
font défirer à tout acquéreur de livres , de
rendre fa Bibliotheque un peu univerfelle.
Ce défir eft dans le fonds naturel , & louable
; mais fi le goût ne le dirige pas , l'on
fe fera un amas de livres & l'on manquera
de Bibliotheque les tablettes plieront
fous le poids des volumes , & l'on n'aura
pas dans la tête un feul titre d'Ouvrage.
Rien n'eft donc plus néceffaire que de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
fe former un fyftême , & où le prendre ,
finon dans l'étude des Catalogues ?
Parmi plufieurs Libraires de la Capitale ,
célebres par la connoiffance des livres , il
en eft un ( 1 ) qui jouit particuliérement
de la réputation d'avoir formé un ſyſtême
bibliographique qui ne laiſſe rien à défirer.
Qu'on ouvre les Catalogues qu'il a compofés
, on a le plaifir de voir des titres feuls
fournir des connoiffances. Avec fon fyftême
, on donnera de l'ordre à des millions
de livres. Cinq grandes divifions forment
d'abord une diftinction de cinq matieres
générales , & chacune de ces cinq divifions
ont des fous - divifions qui , malgré leur
nombre , ne font qu'aider la mémoire
pour difcerner les différentes nuances, qui
au premier coup d'oeil fembleroient confondre
les efpeces.
Quand la mémoire aura bien embraffé
tout ce fystême , que l'on coure les inventaires
alors , on n'acquerra qu'avec connoiffance
, & ce que le fçavoir aura acquis ,
l'intelligence l'arrangera.
L'utilité des Catalogues en général , m'a
fait fentir depuis long- temps l'avantage
d'un Catalogue univerfel de tous les livres
qui fe trouvent chez les differens Libraires
de Paris. Quoique cette Ville ne faffe
(1) M. Martin , le perei
OCTOBRE. 1756. 77
qu'une partie de la France , l'on conviendra
fans peine que c'eft de fon fein que
fortent les meilleures productions en toutes
matieres d'Ouvrages. Chaque jour voit
enfanter au moins un volume . Je fçais
que les Journaux fe font un devoir de les
annoncer ; mais outre le grand nombre de
ces écrits périodiques que tout le monde
n'eft pas en état d'acquérir , combien d'Ouvrages
leur échappent la connoiffance
n'en vient donc que par la voie des Catalogues
particuliers des Libraires : mais
dans quel état fe préfentent - ils les titres
le plus fouvent tronqués , fans ordre de
matiere , fans noms d'Auteurs. Autre inconvénient
encore plus confidérable , l'on
retrouve dans vingt Catalogues les mêmes
Livres , foit que différens Libraires foient
intéreffés au même Ouvrage , foit que les
moins fournis de ces Marchands fe parent
des richeffes de leurs voifins , on relit fans
ceffe les mêmes titres fans être plus inftruit
& fans fçavoir à quoi fe décider :
delà naît une confufion qui feroit prefque
paffer l'envie d'acquérir des livres. Le
projet que je propofe jetteroit , ce me
femble , un jour admirable fur la Biblio,
graphie Parifienne , qui eft certainement
la plus confidérable de la France . Ce feroit
le Catalogue général de tous les Livres de
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Paris , & voici comme on pourroit s'y
prendre pour parvenir à fon exécution
parfaite.
1 °. Chaque Libraire feroit une copie
exacte du titre de tous fes Livres , en marquant
l'année , le format & le nombre de
volumes , & à côté , la part de fon intérêt
dans chacun. Il ne feroit pas mention de
tous les autres que l'on qualified'affortiment.
2º. Cette copie dépofée au Bureau des
Libraires , feroit remife à un Libraire entendu
dans la compofition des Catalogues':
on lui donneroit pour adjoint de jeunes
Libraires les plus capables.
3 ° . Quand les jeunes Libraires auroient
pris copie de tous les titres des Livres , ils
les remettroient au Libraire , chef de la
Commiffion , lequel refondroit le tout &
l'arrangeroit par ordre de matiere.
4. L'ordre du Catalogue feroit celui
qu'obferve M. Martin : mais pour ne préjudicier
à aucun Libraire , on le difpoferoit
à deux colonnes : dans l'une fe trouveroient
les titres des Livres , dans l'autre
les noms des Libraires , en obfervant de
commencer pour chaque Livre par celui
qui y auroit le plus gros intérêt , afin d'éviter
les répétitions des demeures & des
Enfeignes des Libraires , chofes pourtant
néceffaires à fçavoir : on les mettroit à la
OCTOBRE . 1756.
79
5
&
tr
Tart
fin ou au commencement du volume, avec
la lifte alphabétique de tous les Libraires
de Paris. On termineroit le tout par la
table générale des Auteurs .
5°. L'original de ce Catalogue univerfel
feroit après cela dépofé au Bureau des Libraires
, lequel feroit la dépenfe de l'impreffion
comme il auroit le profit de la
vente.
6°. Ledit Catalogue feroit vendu à prix
modique, & tiré à un petit nombre d'Exemplaires
, afin que chaque édition pût être
confommée en un an , & que chaque année
on pût en faire une nouvelle édition ,
dans laquelle on ne feroit qu'inférer en
leur place les Livres imprimés depuis la
derniere édition .
que
7°. Il feroit néanmoins permis à chaque
Libraire d'avoir fon Catalogue particulier,
mais aux conditions fuivantes : 1 ° . qu'ils
ne mettroient leurs Livres ; 2 ° . qu'ils
garderoient le même énoncé & le même
ordre où ils feroient rangés dans le Catalogue
général ; 3 ° . qu'ils diftingueroient
leurs Livres propres d'avec leurs Livres
d'affortiment ; 4 ° . qu'ils le feroient imprimer
in- quarto , & d'un format uniforme.
Je ne fçais , Monfieur , fi je me trompe ;
mais j'enviſage dans ce Catalogue général
dont je vous préfente l'idée , des avanta-
Div
So MERCURE DE FRANCE.
ges finguliers. Tous les Ouvrages fe trouvant
bien en ordre , 1 ° . on découvrira
aifément quantité de bonnes productions
que l'on méconnoît prefque. 2 ° . On verra
également quelles claffes fourniffent peu ,
& quels Ouvrages manquent totalement.
La premiere vue animera les acheteurs ,
la feconde encouragera les Auteurs & les
Libraires à remplir par des réimpreffions
les lacunes qui frapperont les yeux , ou à
remplacer par de meilleurs Ouvrages ceux
que l'ancienneté nous rend indifférens.
J'ofe dire plus encore : Que de bons Ouvrages
dont on a tari les premieres éditions
, & qu'on eft obligé de chercher de
Boutique en Boutique , reviendroient paffer
fous les preffes , & en chafferoient toutes
ces frivoles brochures qui les occupent
depuis filong-temps ! Peut- être, Monfieur,
m'allez-vous traiter d'enthouſiaſte ; mais
vous feriez bien étonné fi l'exécution de ce
projet alloit opérer une heureuſe révolution
dans la Littérature . C'est ce que le
temps nous découvrira : mais au moins ce
projet ne peut apporter aucun inconvénient
; l'expédition outre cela n'a nulle
difficulté. L'illuftre Magiftrat qui préfide à
la Librairie ne manque jamais les occafions
de faire fleurir l'empire des Lettres ,
& d'être utile aux gens qui les cultivent.
OCTOBRE. 1756. 81
L
X
3
5
Les Officiers du Corps Bibliographique de
Paris ne peuvent que fe faire honneur de
voir ce projet exécuté fous le temps de
leur Charge. La Capitale poffede heureufement
encore le célebre M. Martin , qui
ne peut qu'augmenter fa réputation en fe
prêtant à cet oeuvre , & Paris certainement
ne manque pas de jeunes Libraires fufceptibles
de gloire , & qui fe feront honneur
de travailler fous un tel Maître & pour
un tel objet.
J'ai l'honneur d'être , & c.
**
A Verfailles , ce 23 Août 1756.
ÉPITRE
A M. de L ***
DE ma E ma folitude champêtre ,
Quand viendras-tu , Damon , partager les plaiſirs
Quoi ! Paris feul en fait- il naître ?
Y renfermeras-tu fans ceffe res défits
Quitte cette Ville orgueilleufe ,
Du bruit & du fafte amoureufe :
La mode en tyran la régit.
Ici l'on peut n'avoir , fans que perfonne en glofe ,
Pour les quatre faiſons , qu'un feul & même habis
Que fé:he le foleil , lorfque l'onde l'aurofe,
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
D'un tas de fots , d'impertinens ,
Comment peux -tu fouffrir l'importune cohue ,
Et de fang froid regarder les talens ,
Le mérite , les meurs , s'éclipfer à la vue
De leurs colifichets brillan's ?
Vas-tu dans les Cafés confulter leurs Oracles ? ...
Je ne les entends plus ces Juges Souverains ,
Portant pour Sceptre une verge en leurs mains ,
Raifonner à la fois de chevaux , de fpectacles ,
De dentelles d'un nouveau point ,
Et de Maîtreffes qu'ils n'ont point.
Je t'offre , au lieu de ces cercles frivoles ,
Où chacun fous l'efprit étouffe le bon-ſens ,
L'entretien d'un ami dont les fimples paroles.
Seront autant de fentimens ;
Quelques livres choifis , & trois ou quatre femmes
,
( Le fexe ne te fait pas peur )
Qui de vos magnifiques Dames
N'imitent point l'art impofteur.
Belles fans ja'oufie , & fages fans aigreur ;
Au lieu d'un Tapis verd , une verte Prairie ,
Théâtre de nos jeux que
fuiront les regrets ;
Au lieu de vos Cabriolets ,
Une Nacelle avec goût embellie ,
Qui va furprendre au loin les Habitans muets :
Si , par hazard , dans les filets
Ma Thémire découvre un poiffon qui la flatte ,
OCTOBRE. 1756 . 83
Elle ordonne fa grace , elle eft fure , l'ingratte ,
D'obtenir tout de fon Amant !
Soudain le prifonnier que ma main débarraffe ,
Retourne au liquide élément ;
Et s'égayant fur la furface ,
Nous réjouit par fon frétillement.
Je voudrois pouvoir de la chaffe
Te procurer l'amuſement ;
Mais du Seigneur , il faudroit l'agrément :
Moi , qui répugne à prier , je m'en paffe.
Si toutefois ... non Damon eft galant ;
Il fçait qu'en des tranfes mortelles
Un fufil fait tomber prefque toutes les Belles :
Comme nous , il s'en paſſera ,
Et de nos jeux il fe contentera.
Ami , tu n'auras point d'an Aubry , d'un Landelle
(1 )
Les mets exquis , les fins repas ;
Auffi , tu ne recevras pas
D'Aftruc ou de Malouin ( 2) la vifite cruelle.
Par M. G ***
De Chartrait, près Melun, ce 27 Juin 1756.
(1 ) Fameux Traiteurs.
(2) Médecins renommés.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Le mot de l'Enigme du Mercure de LEE
Septembre est une Montre à répétition.
Celui du Logogryphe eft Pleonafme , dans
lequel on trouve Palme , paon , âne , moele
, os , falope , Eole , le royaume de Léon
S. Léon le Grand , le Mans , Léna , ame ,
mâle , poëme , fon , aſthme.
A1â€
ENIGM E.
Idé du feu l'on me produit ,
Et par le feu l'on me détruit.
Le même four voit la fleur la plus belle
Eclore & mourir :
La même nuit me voit , comme elle
Briller & périr.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE
Deux chofes que j'ai lues , Monfieur
dans votre dernier Mercure d'Août , m'ont
affez piquée pour ne pouvoir me refuſer
à l'envie de vous le dire. Peut-être la
gloire d'occuper un inſtant votre attention
OCTOBRE. 1756. & >
peuty
a-t'elle plus de part que le dépit. La premiere
eft la tromperie de Mlle de Car....
de Toulouſe , pour laquelle je me fentois
une espece de fympathie , qui étoit
être une preuve tacite qu'elle n'étoit pas
fi fille que moi , qui la fuis , Monfieur ,
je vous affure , & la ferai , je crois dans
Tous les fiecles des fiecles ; je fupprime
ainfi foit- il , qui pourroit me faire
foupçonner de ne l'être pas plus que M. le
Riche , à qui je ne pardonne point d'avoir
mafqué fon efprit des graces de mon fexe
& de m'avoir fait prendre peut- être un
grand vifage dans une perruque quarrée
pour un joli minois féminin. Comme
homme vous devez fentir mieux que moi, -
Monfieur , le piquant de la méprife , &
l'inconvénient de ne pouvoir plus même
en Province fe connoître en fille . Celle
qui les taxe , dans ce même Mercure , de
mal adreffe à rimer , ma paru vouloir donner
à fa poéfie un mérite dont elle n'avoit
pas befoin , & en ôter un à mon fexe que
je crois très-capable d'avoir . Si nous en
faifons moins d'ufage , c'eft qu'on nous
donne trop à croire que nous en avons
mille autres . Nous trouvons plus aifé de
plaire par les agrémens de la figure qu'un
pompon augmente , que par ceux de l'ef
prit qui demandent une étude qui vole
S6 MERCURE DE FRANCE.
roit les momens précieux d'une jolie femme.
Je penſe donc que la rareté des rimeufes
procede plutôt de pareffe que de
manque de talens . Ce n'eft point , Monfieur
, pour joindre la force des preuves à
mon raiſonnement que je vous envoie mes
deux Logogryphes , peut-être feroient- ils
celle du contraire ; c'eft pour faire un paſſeport
à ma Lettre. Je n'imagine pas non plus
que mon courroux foit exprimé d'une
façon à mériter le jour. J'avoue que je
ferois trop flattée qu'il valût un mot de
votre critique vous l'habillez ordinairement
d'une jufteffe & d'une légèreté de
ftyle qui peut apprendre à penfer , & qui
fait plus eftimer la louange ou fon contraire
, que ce qui en fait le fujet . Excufez
, Monfieur , la longueur d'un babil
qui peut faire demi- preuve de mon fexe ;
fi mon nom en étoit une de l'eftime que
j'ai pour les gens d'efprit comme vous ,
Monfieur , je ne le fupprimerois pas.
Nous fommes fi fenfibles aux politeffes
des femmes , quelque exagerées qu'elles
foient , que pour y répondre nous inférons
ici un de ces Logogryphes . Nous ne
fçaurions trop les encourager à parer notre
Recueil de leurs productions. Leur
profe a furtout des graces qui nous font
oublier les négligences de leur poéfie , &
OCTOBRE. 17566 8.7
nous engagent même à corriger celles qui
trop fenfiblement les regles . bleſſent
LOGO GRYPHE.
Quoique d'un naturel affez dur & ſtupide ,
Plus d'une jeune Iris fçait me toucher ſouvent.
Sans raifon je réfonne , & mon premier talent
Eft de donner le ton & de fervir de guide
Aux fujets d'une des neufs foeurs.
Que l'on m'analyſe d'ailleurs ,
J'offre l'heure la plus hardie :
Je renferme en mon ſein un utile animal ;
Ce que par fois à ſon rival
Ote un Amant par jalousie :
Une Ville de Normandie ;
Une autre de Piedmont; un endroit fombre & bas,
'Avec ce qu'on y fert , dont fouvent les appas
Balancent ceux d'Iſmene : un fameux hérétique ;
Une liqueur très - peu bachique :
Ce que fouvent la beauté rend ;
Ce qu'au mouton chaque an l'on prend :
Enfin , Lecteur , ce que Fillette
Veut être à ce qu'elle aime bien :
Ce que n'eft guere une coquette ,
Quoique ce foit pour plaire un affez für moyen
88 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON
Quels charmes près de ma Bergere
Enchaîne mes tendres foupirs !
Brûlé d'une flamme fincere ,
Mon coeur forme en vain des défirs ;
En vain je veux à ma Thémire
Peindre mes amoureux tranſports ,
Ma voix fur mes levres expire ,
Et trahit mes juftes efforts.
Prêt à lui prouver ma tendreffe ,
Mon coeur plus vivement épris ,
Tombe dans une douce ivreffe ,
Qui rend tous mes fens interdis
Amour ! ah ! c'eft affez répandre
Tes bienfaits puiflans fur mon coeur
Daigne , daigne enfin les étendre
Sur celle qui fait mon bonheur..
Air Tendre ,
de M. Bouvard ch Romain .
Majeur, 1 Couplet.
Tendrem
er
Quels charmesprès dema Bergere, En:
chaine mes tendres soupirs: Brûlé d'une
flâme sincere , Mon coeur forme en:
m
= vain des désirs,sirs;Envainje veux à mathé
-mi-re, Peindre mes Amoureuse trans
=ports ;
Ma Voix sur mes livres exc =
-pire, Et trahit mesjustes efforts.
Mineur, 2 Couplet.
Cendrem
Prest à luiprouverma tendresse, Mon
www
+.
é - pris ,
coeur plus vivement
Combe dans une douce yvresse, Qui
rend tous mes sens interdits . dits. Amour,
Ah! C'est assez répandre
Ces bienfaits puissans sur mon coeur,
Daigne, daigne enfin les étendre Sur
celle qui fait mon bonheur beur.
Octobre 1 Vol. 1756
OCTOBRE. 1756. 89
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
RECHERCH ECHERCHES fur différens points impor
tans du fyftême du monde , troifieme partie
; par M. d'Alembert , de l'Académie
Françoife , des Académies Royales des
Sciences de France , d'Angleterre & de
Pruffe , de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de Suéde , & de l'Inftitut de Bologne.
A Paris , chez David , Libraire ,
rue & vis- à- vis la grille des Mathurins ,
1756.
Le meilleur compte que nous puiffions
rendre de cet Ouvrage eft d'inférer ici la
Préface de l'Auteur.
PREFACE. Quoique dans les deux premiers
Volumes de cet Ouvrage , publiés
il y a plus de deux ans , j'aye tâché de
remplir avec tout le foin dont je fuis сара-
ble , les différens objets que je me propofois
alors , je fuis bien éloigné de croire
que je les aye épuifés. Convaincu des difficultés
& de l'étendue de la matiere , je
n'ai point diffimulé que j'efpérois aller plus
loin avec le temps & de nouvelles recher90
MERCURE DE FRANCE.
ches , & je pris alors fur cela des engagemens
, que ce nouveau Volume commence
à acquitter en partie. Il roule fur deux articles
principaux , les tables de la Lune
& la figure de la Terre , & ces deux articles
feront la divifion naturelle de cette
Préface.
Il en eft , à ce que je crois , des tables
de la Lune , & en général de toutes les tables
Aftronomiques , comme des catalogues
d'Etoiles , qu'il vaut mieux s'appliquer à
corriger que de chercher à en publier - de
nouveaux , la multitude des Catalogues &
des Tables n'étant propres qu'à fatiguer
dans l'étude de l'Aftronomie , lorfqu'il eft
' queftion de les comparer & de découvrir
la caufe de leurs différences. Ainfi fans
prétendre rien diminuer du mérite des différentes
tables de la Lune , que plufieurs
célebres Géometres ont publiées depuis
quelques années , j'ai cru qu'il feroit du
moins auffi utile de s'appliquer à perfectionner
les Tables de cette Planete dont les
Aftronomes font le plus communément
& le plus anciennement ufage , comme
avoit déja fait Flamfteed fur celles d'Horoxius
, les meilleures qu'on eût publiées
de fon temps. Les Tables de la Lune ,
dont on fe fert le plus aujourd'hui , font
celles que M. Halley a conftruites fur la
OCTOBRE . 1756. 91
Théorie de Newton , & que M. Le Monnier
a perfectionnées depuis dans fes Inftitutions
Aftronomiques , foit en augmentant
d'une minute le mouvement moyen , ſoit
en perfectionnant ou ajoutant quelques
équations . La forme de ces Tables eft familiere
aux Aftronomes qui doivent par
cette raifon s'en détacher difficilement ; de
plus elles ne demandent qu'un affez petit
nombre d'opérations ; enfin la quantité la
plus grande d'erreur qui peut en réfulter ,
eft bien conftatée par le grand nombre
d'obfervations auxquelles on les a comparées
jufqu'ici , efpece d'avantage qu'on
ne peut fe promettre que d'une comparaifon
longue & affidue. On avoit cru longtemps
que les premieres Tables dreffées fur
la théorie de Newton , ne s'écartoient des
obfervations que de deux minutes ( 1 ) ; ce
n'a été qu'après plufieurs années qu'on s'eft
apperçu que l'erreur montoit quelquefois
à cinq minutes , quoiqu'à la vérité trèsrarement,
Il me femble donc que le moyen le plus
efficace & le plus prompt de contribuer à
la perfection des Tables de la Lune , c'eſt
(1 ) Voyez Luna Theoria Newtoniana , imprimé
dans le fecond Volume de l'Ouvrage de Gregory
, intitulé Aftronomica Phyfica & Geometrica
Elementa.
91 MERCURE DE FRANCE.
de s'attacher à corriger , foit par la théorie
, foit par l'obſervation , les Tables des
Inftitutions Aftronomiques. Je dis foit par la
théorie , foit par l'obſervation : car elles
ont befoin l'une de l'autre , & doivent s'aider
mutuellement fur ce point. Les calculs
analytiques des mouvemens de la Lune
ont fans doute été portés à un affez grand
dégré de précision pour nous convaincrè
que l'attraction Newtonienne est en effet
la vraie caufe des inégalités qu'on obferve
dans le mouvement de cette Planere , ou
du moins que fi d'autres caufes fe joignent
à celle -là , leur effet eft incomparablement
moindre , & n'eft pas même jufqu'ici conftaté
par les phénomenes ; mais les calculs
analytiques n'ont pas encore été pouffés affez
loin , & ne le feront peut- être de longtemps
affez pour répondre parfaitement
aux obfervations aftronomiques. J'en ai
dit la raifon ailleurs ( 1 ) . C'eft donc en
joignant l'obfervation à la théorie qu'on
peut efpérer de perfectionner les tables
de la Lune. Voyons d'abord ce que la
théorie peut nous donner de lumieres fur
cet objet.
(1 )Voyez le Difcours préliminaire du premier
Volume de ces Recherches , page 32 , & la premiere
partie , depuis la p. 198 jufqu'à la p. 207.
Voyez auffi la fuite de cette Préface & les Chap . I
& II du Livre IV , à la tête de ce Volume.
OCTOBRE. 1756. 93
par
Elle doit , fi je ne me trompe , fe bor
ner ou du moins s'appliquer principale
ment à marquer les différences entre les
équations que fournit le calcul analytique
, & celles qui réfultent des tables
dont les Aftronomes font ufage. C'eſt ce
que j'avois déja fait dans la premiere partie
de ces Recherches des tables particulieres.
Mais ayant depuis trouvé moyen
de perfectionner ces mêmes Tables , foit
en leur donnant à certains égards quelques
degrés d'exactitude de plus , foit en rendant
leur ufage plus facile , plus abrégé &
plus commode , j'ai publié féparément
au commencement de cette année 1756 ,
mes nouvelles Tables de correction , en
yjoignant un exemple de la maniere dont
on doit s'en fervir, & en invitant les Aftro
nomes à les comparer aux obfervations ,
pour s'affurer fi les corrections que je pro-,
pofe doivent être admifes. Mes invitations
n'ont pas été tout-à - fait infructueufes ; &,
M. Pingré , Affocié libre de l'Académie,
des Sciences , m'a appris qu'ayant fait quel- ,
quefois ufage de ces corrections , il avoit ,
trouvé le lieu de la Lune à une demi-minute
près , & plus exactement que par les,
Tables ordinaires ( 1 ) . Je fens qu'une lon-
(1 ) Un autre Aftronome m'a dit qu'il trouvoit
auffi la parallaxe moyenne un peu plus grande,
96. MERCURE DE FRANCE.
Aftronomiques ; & la feconde qui eſt de
figne contraire à la premiere , eft d'une
minute dix huit fecondes plus grande que
dans les tables des Inftitutions , & de deux
minutes plus grande que dans d'autres
tables. Ainfi quand la Lune fe trouve périgée
& dans les octans , le lieu de cette
Planete , toutes chofes d'ailleurs égales ,
doit fe trouver plus avancé ou plus reculé
de près de quatre minutes par nos tables
que par celles des Inftitutions : il est vrai
que les autres équations n'étant pas abfolument
les mêmes de part & d'autre , elles
pourront fouvent influer fur cette différence
de quatre minutes , de maniere à la -
rendre moins fenfible ; mais il paroît difficile
qu'elle foit anéantie ou extrêmement
diminuée dans tous les cas : c'eft pourquoi
plufieurs obfervations de la Lune périgée
& dans les octans , décideront infailliblement
des équations que l'on doit préférer.
J'ai tout lieu de croire que la variation eft
en effet plus petite que les Aftronomes ne
l'ont établie jufqu'ici , & j'en ai dit les
raifons dans la premiere partie de cet Ouvrage
( 1 ) . Elles font principalement fondées
fur la confidération fuivante. L'équa
tion proportionnelle au finus du double
de la diftance de la Lune au Soleil , équa
: (1) Page 253.
tion
OCTOBRE . 1756 . 97
1
7
e
es
1.
7-
a.
tion que les Aftronomes ont nommée
variation , & qu'ils ont jufqu'à préfent
regardée comme abfolument indépendante
de l'équation du centre , renferme une
petite partie d'environ cinq minutes , qui
dépend de l'équation du centre & de la
variation de l'excentricité. Il eft donc trèspoffible
que quand les Aftronomes ont
fixé , d'après Tycho , la variation à trentecinq
minutes , en croyant diftinguer &
féparer abſolument cette équation de celle
du centre , l'équation du centre influa
encore jufqu'à un certain point fur celleci
; enforte que la partie de la variation ,
qui eft indépendante de l'équation du
centre , fût réellement un peu plus petite
que trente- cinq minute ; auquel cas notre
calcul s'accorderoit avec les obfervations .
La réunion que j'ai faite fous un même
point de vue , des principaux réfultats des
différentes tables , m'a naturellement conduit
à quelques réflexions fur la comparaifon
que l'on a faite de ces tables avec
les obfervations.
Quoique je fois bien éloigné de donner
l'exclufion à aucune des tables modernes ,
tout mis en balance néanmoins , les tale
bles des Inftitutions Aftronomiques font celles
dont l'accord avec les obfervations me
paroît jufqu'ici le plus conftaté , & cette
1. Vol.
10
on
E
98 MERCURE DE FRANCE.
raifon m'engage à leur donner la préférence.
Ce n'eft pas que d'autres Aftronomes
ne prétendent leurs tables plus exactes
: celui d'entr'eux qui fe flatte d'avoir
le plus approché de la vérité eſt M. Mayer,
de la Société royale de Gottingen. Mais
je n'ai point diffimulé les raifons affez
fortes que l'on peut avoir de fufpendre
encore fon jugement fur l'exactitude de
ces tables.
Peut- être en augmentant de nouveau
dans les tables des Inftitutions le mouvement
moyen de la Lune , & en appliquant
les corrections que j'ai propofées ,
on pourra parvenir à leur donner encore
plus de préciſion : j'attends fur ce point
la décifion des Aftronomes , & je me
borne à les avertir que j'ai calculé ces
corrections uniquement fur la théorie
fans les comparer à aucune obfervation
& à plus forte raifon fans chercher à les
faire quadrer avec les obfervations que je
pouvois leur comparer , efpece de petite
fupercherie qu'il eft toujours aifé de mettre
en ufage , foit en altérant le mouvement
moyen en excès ou en défaut pour
diminuer les plus grandes erreurs , foit
en altérant les équations qui paroiffe nt
produire le plus de différence entre le
lieu calculé & le lieu obfervé.
OCTOBRE. 1756. 95
3
ዩ ።
J'avouerai de plus ( car les connoiffances
que je crois avoir acquifes en cette
matiere m'ont appris à ne rien hazarder , )
que fi on remarquoit un fingulier accord
entre les obfervations & des tables uniquement
tirées de la théorie , cet accord
feroit à plufieurs égards l'effet d'un hazard
heureux , tant il paroît difficile de porter
les tables par le moyen de la théorie feule
au degré de précifion que l'aftronomie
peut exiger.
On trouvera fans doute un avantage
plus réel dans les obfervations jointes à la
théorie ; & c'est pour cette raifon que j'ai
cru devoir envifager d'une maniere particuliere
& détaillée , les fecours que les
Aftronomes peuvent fe procurer de ce
côté-là. Mais avant que de perfectionner
les tables par ce moyen , je fais voir qu'en
les laiffant même dans l'état où elles font ,
on peut les fimplifier fans les rendre moins
exactes & fans en changer la forne ; qu'on
peut s'épargner cinq opérations dans la
réduction du lieu de la Lune à l'écliptique
, & deux dans le calcul de la latitude .
Les fecours que les obfervations four-
10 niffent pour la correction des tables , font
de deux efpeces : ils peuvent fe tirer ou
immédiatement & directement des obfervations
même , en déterminant par les ob-
E ij
335003
100 MERCURE DE FRANCE.
fervations les coefficiens des équations lunaires
, ou de la période de M. Halley ,
en cherchant par le moyen de cette période
l'erreur des tables . Ces deux points méritent
quelque difcuffion .
Il femble d'abord qu'on ne puiffe qu’avec
un travail immenfe déterminer d'après
les obfervations les coefficiens des équations
lunaires , à caufe du grand nombre
d'équations algébriques qu'il faudroit réfoudre
& du grand nombre de quantités
différentes qui entreroient dans ces équations
. Mais on vient à bout d'abréger beaucoup
ce calcul , en remarquant que les
coefficiens de ces équations n'influent en
aucune maniere fur le lieu de la Lune ,
lorfque les argumens correfpondans font
nuls ; enforte fi on choifit artiftement
que
& dans les circonftances que j'indique
des pofitions de la Lune où plufieurs de
ces argumens foient nuls en même temps
tandis que d'autres ne le font pas ,
aura affez peu d'inconnues à déterminer à
la fois , & des équations affez peu compliquées
à réfoudre. Cependant comme il
arrive rarement que plufieurs de ces argumens
foient nuls à la fois , il arrive auffi
très rarement qu'on puiffe regarder les
équations qui leur répondent comme abfolument
nulles : ainfi la méthode que je
-
on
OCTOBRE . 1756. 101
propofe fembleroit demander une longue
fuite d'obfervations durant plufieurs fiecles.
Mais on peut obferver que les coefficiens
des équations font déja à peu près
connus pour la plûpart , tant par les obfervations
que par la théorie , & que l'erreur
qui peut réfulter de ces coefficiens
doit être réputée prefque nulle , lorfque
les argumens ne font pas fort éloignés
d'être nuls ; par cette remarque , on trouve
moyen de rendre la méthode beaucoup
plus praticable & même affez fimple , en
fe bornant à fuppofer très petits les argumens
qu'on avoit d'abord fuppofés nuls .
La période de M. Halley eft un fecond
moyen de perfectionner les tables en employant
les obfervations. Cette période
eft , comme l'on fçait , de 223 lunaifons ,
après lefquelles , felon M. Halley , les
inégalités de la Lune redeviennent les mêmes
; d'où il conclut que fi l'on obferve
affiduement pendant ce temps les lieux de
la Lune , l'erreur des tables qu'on en tire
doit fe trouver la même dans une feconde
période ; & qu'ainfi l'erreur des tables fera
connue ; ce qui les rendra équivalentes à
des tables parfaitement exactes. Mais il
faudroit pour l'exactitude rigoureufe de
la période de M. Halley , que chacun des
argumens dont dépendent les inégalités de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
la Lune fût le même à la fin de la période
qu'au commencement , & c'eft ce qui n'eft
pas. L'anomalie moyenne de la Lune eft
moindre de près de trois degrés ; l'anomalie
moyenne du Soleil eft plus grande de dix
degrés & demi , & les argumens qui dépendent
de ces deux - là font altérés à proportion
, fans compter des différences moins
confidérables entre les autres argumens ,
différences dont l'effet doit du moins être
fenfible après plufieurs périodes confécutives.
D'ailleurs en fuppofant la Lune
obfervée très-exactement pendant le cours
de la période , on ne peut guere avoir
de lieux obfervés que de vingt-quatre en
vingt- quatre heures ; ainfi on ne pourra
connoître que par approximation & par
une espece d'eftime l'erreur des tables dans
les lieux intermédiaires , quand même la
période de M. Halley donneroit rigoureuſe.
ment & exactement l'erreur dans les lieux
obfervés. Je propofe différens moyens de
rendre un peu plus exact l'ufage qu'on fait
de cette période en Aftronomie ; mais
quoique je la croye très utile pour découvrir
en grande partie l'erreur des tables , je
crois auffi qu'on ne peut par ce moyen feul
déterminer l'erreur rigoureufement , &
peut-être même à une ou deux minutes près.
Il est d'ailleurs néceffaire pour faire ufage
OCTOBRE. 1756. 103
7
e
X
S
e
1
1
I
S
e
t
S
e
B
1
5.
de cette méthode , d'obſerver la Lune infatigablement
& fans ſe borner à 223 lunaifons
; car l'erreur des tables variant à chaque
période , par les raifons que nous venons
de dire , l'erreur obfervée ne peut
guere s'appliquer qu'à des périodes qui fe
faivent immédiatement.
Enfin pour terminer mon nouveau travail
fur les tables de la Lune , je donne en
peu de mots & comme en paffant , une
méthode pour trouver d'une maniere abrégée
le mouvement horaire de cette Planete ,
& une autre pour dreffer des tables du lieu
vrai de la Lune , en ſe bornant à la formule
du lieu moyen que donne la théorie
& fans tirer de cette formule celle du lieu
vrai ; ce qui épargne à l'Analyfte un calcul
affez pénible fans augmenter le travail de
l'Aftronome.
Du mouvement de la Lune je paffe à celui
de la Terre ; c'eſt l'objet du livre cinquiemé
, beaucoup plus court que le precédent.
Je fais voir d'abord qu'il reſte encore
très douteux , malgré quelques obfervations
alléguées pour établir le contraire ,
que l'action de la Lune dérange fenfiblement
la Terre dans fon orbite. D'où il refulte
, comme je l'ai déja remarqué dans
la feconde partie de cet Ouvrage , que l'équation
en longitude que j'ai tirée de l'ac-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
tion de la Lune fur la terre, & que j'ai trouvée
de onze fecondes , pourroit bien être
trop grande , puifqu'il feroit difficile que
cette équation eût entiérement échappé aux
Obfervateurs . Il en eft de même, felon toute
apparence , de l'équation de treize fecondes ,
que j'ai trouvée pour la variation apparente
du Soleil en latitude , produite par l'action
de la Lune fur la terre ; mais l'erreur ,
s'il y en a , vient uniquement de l'incertitude
des deux élémens principaux d'où dépend
cette équation , fçavoir la maffe de
la Lune & la parallaxe du Soleil , & nullement
, comme on l'a prétendu dans le
Journal des Sçavans , de ce que j'ai négligé
dans le calcul des forces effentielles : c'eft
ce que je démontre de nouveau plus en détail
; mais je remarque en même- temps
que par l'inexactitude néceffaire des obfervations
, & la nature des circonftances
dans lefquelles la variation de la latitude
peut être obfervée , cette variation doit
paroître en effet beaucoup plus petite que le
calcul ne la donne. A ces recherches j'en
ajoute quelques autres fur les dérangemens
que peut produire dans le mouvement
de la terre & dans celui de la Lune ,
la figure non fphérique de ces deux Planetes
, & je démontre que ces dérangemens
doivent être abfolument infenfibles .
La fuite au prochain Mercure.
OCTOBRE . 1756. 105
Il paroît actuellement un nouveau Dic-
TIONNAIRE François Latin , à l'ufage de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , grand
in-4° . 1 vol . compofé par le R. P. le Brun ,
de la Compagnie de Jefus. L'excellent
choix qu'on a fait dans les meilleurs Autears
des expreffions latines & françoiſes ,
le rendent également utile à ceux qui étudient
, & enfeignent ou compofent . On
n'aura rien à défirer pour la correction .
L'impreffion eft faite fur de très beau papier
& caracteres neufs. On le trouve à
Paris , chez la veuve Bordelet , rue Saint
Jacques , vis -à- vis le College de Louis le
Grand , & à Rouen , chez Richard & Nicolas
l'Allemand , Imprimeur du Roi & du
College.
L'ACCOMPLISSEMENT de l'année merveilleufe
. Les Tronchines , nouvel habillement
adopté par les femmes , ont occafionné
cette petite brochure qui fe vend chez
Duchefne , rue S. Jacques. Nous n'en dirons
ici qu'un mot . Elle n'a que 36 pages
qui nous ont paru de trop . Nous penfons
que c'eft d'un badinage neuf & plein de
fel , une imitation ou plutôt une parodie
triviale & fans goût. Il en eft d'un écrit
fingalier qui réuffit beaucoup , comme
d'un tableau original qui a un grand fuccès.
É v
106 MERCURE DE FRANCE .
Il fait à la fois des envieux & des finges.
Les critiques des premiers font des fatyres
, & les copies des autres font des charges
. On l'imite ainfi qu'on le cenfure.
ODE fur le mariage de M. le Comte
de Briffac & de Mademoiſelle Molé , par
M. d'Arnaud , Confeiller de Légation de
S. M. le Roi de Pologne , & Membre des
Académies de Pruffe , de Danemarck , &c .
Cette Ode nous a paru très poétique .
Nous croyons qu'il fuffit, pour le prouver,
de la ftrophe fuivante :
•
Thémis , pour voir ta fille , écarte ton bandeau ;
Viens pofer fur l'Autel cette image chérie ,
Où des Molés ta main nous traça le tableau ,
Où l'amour de tes loix , l'amour de la patrie
Brille en eux d'un éclat toujours pur & nouveau;
Et toi , d'un glaive armé , les lauriers fur la tête ,
Vole à la pompe qui s'apprête ,
Joins l'appareil guerrier dont tes pas font fuivis :
O Mars ! Dieu des Briffacs , viens couronner leur
Fils :
O Mars ! leur Hymen eft ta Fête.
IL Trionfo della Fedelta , dramma Paflopale
, per Mufiqua di C. T. P. A.
Cette Paftorale honore à la fois deux
beaux Arts qu'elle enrichit. Mais elle fera
OCTOBRE . 1756. 107
IX
mieux louée par les vers de M. l'Abbé le
Blanc que par ma profe . Il en a parlé avec
d'autant plus de connoiffance qu'il l'a vue
repréſenter à la Cour de Drefde .
Ce triomphe éclatant de la fidélité
Doit s'appeller encor celui de l'harmonie
Des paroles , les airs égalent la beauté ;
La force à l'agrément s'y trouve réunie.
Quoi ? dans un fi haut rang tant de talens divers
?
Qui n'en feroit furpris ? l'exemple en eft unique.
Métaftafe pourroit être jaloux des vers .
Haff fe croiroit heureux d'avoir fait la Mufique.
L'Ouvrage eft imprimé à Leipfic , chez
Giov. Gottlob Emmanuel Breitkopf qui a le
premier trouvé l'invention d'imprimer la
Mufique. C'eft le premier Opera qui l'ait
été dé cette nouvelle maniere , qu'on doit
approuver d'autant plus qu'elle devient
très-avantageufe aux progrès d'un fi bel
art. On nous fait efpérer que nous aurons
bientôt les Opera de M. Haff , ce
Muficien fi célebre dans toute l'Europe ,
imprimés avec les mêmes caracteres ; &
l'on fe propoſe d'en donner en Saxe une
édition auffi belle que celle du Triomphe
de la Fidélisé.
L'impreffion de cette Paftorale a été
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
commencée au mois de Juin 1755 , &
achevée au mois de Juillet 1756.
ÉLÉMENS des Sciences & Arts Littéraires
, traduits de l'Anglois , de Benjamin
Martin, en 3 vol . in 12. fe vendent à Paris,
chez J. L. Nyon , à l'occafion ; P. Guillyn,
quai des Auguftins ; S. Pr. Hardy , rue
S. Jacques , 6 liv. les 3 vol. brochés , de
400 pages chacun. C'eft avec raifon que
le Traducteur ( M. de Puifieux ) dit que
les ouvrages de M. Benjamin Martin ont
reçu un fi grand accueil en Angleterre ,
qu'il fuffiroit de dire que celui-ci eft forti
de fa plume pour juftifier l'entrepriſe qu'il
a faite d'en donner une traduction . Ce
livre traite de tout ce qui peut concerner
l'homme du monde , l'homme de Lettres ,
le fçavant. Ce ne font point des idées
légeres , fruit d'un eeffpprriitt qquuii a des faillies
& n'examine point ; ce font encore
moins des connoiffances fuperficielles que
l'orgueil donne trop fouvent pour les réflexions
& les fruits d'une lecture profonde
; ce ne font pas non plus des préceptes
hardis que le bel efprit colore ,
qu'une imagination corrompue enfante ,
& qu'une imagination qui veut s'égater
adopte volontiers , ce font les idées ,
les penſées , les réflexions , d'un homme
OCTOBRE. 1756. 109
d'efprit , d'un fçavant , d'un honnête.
homme. Nul étalage de fçavoir , nulle
affectation d'efprit dans tout l'ouvrage.
C'est un Philofophe qui a tout vu
tout penfé , tout approfondi , & qui
veut tour apprendre aux
aux autres fans
dogmatifer & fans fe faire valoir. On doit
confeiller la lecture de ce livre à tout le
monde ; on pourroit l'intituler école univerfelle
de l'efprit , du coeur & des Arts
Littéraires. Ceux qui l'ont lu lui doivent
des louanges , ceux qui ne l'ont pas lu
doivent le lire. Parmi les réflexions & les
maximes ineftimables qui frappent en foule
dans tous les chapitres , en voici quelques
unes fur la candeur , le bon naturel
& le mauvais naturel de ces hommes qui
prennent le titre de Critiques , & qui parlà
contractent avec le Public un engagement
qui doit toujours les faire trembler.
La candeur est une des qualités que doit
poffeder un bon critique : elle eft ordinaire- .
ment compagne de l'équité & de la vérité.
Mais il ne fuffit pas de ne point trahir la
vérité , & de ne relever dans un ouvrage
que les défauts qui s'y trouvent réellement ; il
faut convenir ingénuement de ſes beautés , les
apprécier avec candeur , & les louer comme
elles le méritent . Un bon Critique doit même le
faire avec plaifir , & ne blâmer qu'à regret.
110 MERCURE DE FRANCE.
Mais que ce talent eft rare ! Le bon natu
rel eft encore une des qualités morales d'un
Critique. C'eft cette excellente vertu qui tempere
d'un air doux & gracieux toute l'âpreté
& la rudeſſe de la critique. Quoique fon but
foit de relever nos fautes , la critique douce
& modérée eft agréable & ne deplaît point .
Le bon Critique femble alors marquer qu'il a
bonne opinion de nous . Il fait que d'exiger
qu'un ouvrage foit fans défaut , c'eſt demander
une chofe qui n'ajamais été , qui n'exiſte
pas & n'exiftera jamais , &c. Un mauvais
naturel eft la plus odieufe des mauvaiſes qualités
qu'un Critique puiffe avoir. Ceux qui
entreprennent de critiquer avec cette mauvaife
difpofition font plus cruels & plus à
redouter que des affaffins & des voleurs de
grands chemins. Ils s'acharnent contre la réputation
& le mérite d'un pauvre Autcur, & le
tourmentent fans remords . Comme il n'eſt pas
poffible qu'ils ayent bonne opinion des ouvrages
des autres , on ne doit attendre d'eux ni
candeur , ni politeſſe , ni condefcendance . Ils
ne manquent jamais de rencontrer des fujets
pour exercer la malignité de leur langue & le
fiel de leur plume. Mais le but principal de
ces productions monftruenfes de la nature ,
étant de fe procurer de la fatisfaction en s'amufant
eux mêmes , & tâchant de détruire
la réputation & l'estime justement acquifes ,
OCTOBRE. -1756.
prennent le véritable chemin de fe rendre
odieux déteftables aux yeux des perfonnes
judicieuſes & réuffiffent à coupfür. Nous ne
voulons point douter que le Traducteur
n'ait rendu l'efprit de l'Auteur , mais nous
préfumons qu'on peut lui reprocher d'avoir
négligé d'en rendre quelquefois la
force & la préciſion . Des phrafes alongées,
des expreffions communes , une certaine
prolixité qui énerve le ftyle, femblent juſtifier
notre préfomption . Cette obfervation
au refte , ne porte que fur quelques endroits
de l'ouvrage. Si la négligence eft
affez fenfible pour autorifer notre Critique
, le travail eft affez eftimable pour
mériter encore plus notre éloge.
PRÉCIS d'un Livre intitulé , Eſſai fur
la Cavalerie tant ancienne que moderne,
par un Ami de l'Auteur.
Dans ce livre utile le Cavalier , le Dragon
& l'Officier apprennent beaucoup de
chofes qu'ils ne peuvent ignorer fans rifque',
& qu'ils n'apprenoient autrefois que
très-imparfaitement , ou dans une longue
fuite d'années de fervice . Il n'y aura à préfent
point d'Officier de cavalerie & de
Dragons , qui , après une étude de peu de
112 MERCURE DE FRANCE.
jours , & une habitude de quelques mois
ne foit inftruit dans le plus grand détail
de tout ce qui compofe l'armement &
l'équipement du Cavalier ou Dragon , &
l'harnachement du cheval ; & qui ne le
touve très en état de bien dreffer l'un &
l'autre & d'en tirer les meilleurs fervices.
Mais ce n'eft pas affez dans un corps de
de Cavalerie que le Cavalier fçache
bien manier fon cheval , qu'il l'ait appris à
tourner à droite ou à gauche , à fuir lest
talons , &c. que toutes les parties d'une fel--
le ou bride lui foient exactement connues ,
qu'il les place de la maniere la plus commode
& la plus avantageule , qu'il fçache,
bien charger fon cheval ; ces connoiffances
préliminaires en exigent bientôt de
plus grandes & non moins indifpenfables.
La maniere de former , ordonner , exercer
& conduire à la guerre des efcadrons ,
les
évolutions qu'ils doivent pra quet ,
l'ordre & les
précautions avec lesquelles
il faut qu'une troupe marche , campe
fourrage , attaque ou fe défende fur toute
forte de terrein , tous ces objets réunis
compofent ce qu'on pourroit nommer pro-,
prement un cours de cavalerie : étude im--
portante qu'on ne fçauroit trop recommander
, & qui me paroît avoir été beaucoup
négligée jufqu'à préfent.
OCTOBRE. 1756. 113
L'Auteur de l'Effai fur la Cavalerie en
a connu par expérience l'indifpenfable néceffité.
Après s'être inftruit avec foin de
tout ce qui concernoit fon métier , il n'a
pas dédaigné de tracer aux Officiers de Cavalerie
la route qu'ils doivent fuivre pour
connoître les différentes parties de leur
fervice ; il les a toutes raffemblées dans un
ouvrage qui nous manquoit abfolument.
La marche de l'Auteur eft uniforme &
méthodique dans tout le cours de fon ouvrage
qu'il a divifé en trente- deux chapitres.
Il commence toujours par nous mettre
fous les yeux l'ufage des Anciens , particuliérement
des Grecs & des Romains ,
par rapport aux différens objets dont il eſt
traité dans chaque Chapitre. Il paffe enfuite
à notre pratique actuelle , donne des
préceptes , prefcrit des regles , extrait nos
dernieres Ordonnances ; & fourniſſant ainfi
divers moyens de comparaifon , il nous
met à portée de juger en quoi nous égalons
ou furpaffons même nos maîtres dans l'art
de la guerre. Il appuie tout ce qu'il avance
de raifonnemens folides , du témoignage
des meilleurs Auteurs & d'exemples .
célebres. Son ftyle eft tel qu'il convient à
un Militaire plus occupé des chofes mêmes,
que de leur éclat extérieur . Quelques répétitions
, de légeres négligences , une pré114
MERCURE DE FRANCE.
vention peut- être trop marquée en faveur
de la cavalerie , font les feuls reproches
raifonnables qu'on puiffe lui faire. Le bien
de l'état m'engage même à défirer qu'un
de nos fçavans Militaires , auffi bon Citoyen
que bon Officier d'infanterie , traite
du fervice propre à ce dernier corps dans
un ouvrage particulier compofé fur le
modele de celui- ci.
L'Effai fur la Cavalerie forme un volume
in 4 ° . de près de 700 pages , il
eft imprimé fur de très - beau papier , en
beaux caracteres , & fe vend chez Jombert.
On diroit que les Auteurs Militaires fe
font accordés entr'eux pour ne confier qu'à
ce Libraire leurs différentes productions .
Une confiance fi générale eft un éloge bien
flatteur pour lui ; auffi paroît-il s'attacher
à la mériter.
La Préface s'adreffe à MM . les Gentilshommes
de l'Ecole Militaire , dont l'inftruction
eft furtout le principal but que
l'Auteur s'eft propofé : c'eft même ici le
premier ouvrage qu'on ait encore compofé
pour eux ; ce qui femble autorifer le
parallele de leur éducation avec celle des
Lacédémoniens qui fe trouve à la fin de la
Préface , morceau qui m'a paru très- bien
fait , & dans lequel l'Auteur s'exprime
toujours en vrai Citoyen . S'il admire la
OCTOBRE . 1756. 115
le
grandeur & la bonté du Roi dans ce fuperbe
monument , ainfi que la fageffe du
Miniftre qui a préfidé à fon élévation , il
le fait noblement , & fans fléttir par
fouffle de l'adulation les fleurs qu'il répand
fur un fi beau fujet. On a mis en tête une
vue de l'Ecole Royale & Militaire.
Le premier Chapitre ne paroît d'abord
destiné qu'à prouver l'utilité de la cavalerie
dans les armées.
Le fecond Chapitre nous décele l'Anonyme.
Ce chapitre eft déja connu par les
applaudiffemens qu'il a mérités de tous les
Gens de Lettres. Il forme tout entier l'article
Équitation dans le cinquieme volume
de l'Encyclopédie. L'Auteur eft le premier
Militaire qui ait travaillé pour cette admirable
collection , il a fait encore le mot
Efcadron , & les Editeurs nous promettent
plufieurs autres articles de la même main.
Il eft traité dans le troifieme Chapitre
de lafaçon tant ancienne que moderne , d'ordonner
les troupes de Cavalerie , ainfi que du
front & de la profondeur des Escadrons , &
du nombre de Cavaliers dont il paroît plus
convenable de les former. Quelques planches
fervent à faciliter l'intelligence des
différentes formes que les Grecs , plus fingu
liers en ce point que les Romains , donnoient
à leurs Efcadrons. On nous met
116 MERCURE DE FRANCE.
fous les yeux toutes les fortes de lozanges
qu'Elien a décrites , & dont un Auteur
moderne ( 1 ) lui difpute la réalité . L'ont
convient des inconvéniens qui devoient
naître d'un arrangement fi bizarre , & l'on
penfe qu'ils ne peuvent être utiles qu'en
très-peu d'occafions. Sur la maniere de
former les Efcadrons , l'Auteur est d'avis
qu'ils combattent fur trois rangs : moins
étendus par ce moyen , leur marche fera
plus égale & moins flottante , leurs mouvemens
plus prompts & plus légers , leur
choc plus violent.
Quoique ce fentiment foit encore combattu
de bons Officiers , on ne peut
par
fe
refufer à la jufteffe des raifons qui en démontrent
l'utilité .
Dans le quatrieme Chapitre il eft queftion
particuliérement de la Cavalerie des
Grecs & des avantages qu'elle leur a procurés.
Bien qu'à quelques égards ce chapitre
paroiffe rentrer dans les précédens ,
la marche en eft pourtant différente , &
l'on y voit avec plaifir comment les Grecs
difpofoient leur Cavalerie dans les batailles.
Leur ufage étoit de remplir fouvent
avec des foldats armés à la légere les intervalles
des Efcadrons ce mêlange fi fouvent
juftifié par le fuccès , eft blâmé par
( 1 ) Folard , & celui de la Tactique Françoise.
OCTOBRE . 1756 . 117
l'Auteur qui ne fait pas affez d'attention à
la différence des armes de jet des Anciens
à nos armes à feu.
On paffe dans le Chapitre fuivant à la
Cavalerie Romaine pour prouver que les
Romains faifoient grand cas de la Cavalerie
, quoique chez eux elle fût très- inférieure
à l'Infanterie .
Tout ce qu'on lit dans le fixieme Chapitre
fur la Cavalerie Françoife , n'eſt
qu'un extrait fort fuccinct d'un Traité
plus long qu'on femble nous promettre fur
cette matiere. Elle eft affez intéreffante
pour la Nation , & l'Auteur fe montre
inftruit & trop
bon Citoyen ,
, pour
que nous ne foyons pas en droit d'exiger
de lui qu'il rempliffe bientôt cet engagetrop
ment.
Ce morceau et tout hiſtorique de
même que le Chapitre feptieme où l'on
voit en abrégé tout ce qu'il nous importe
aujourd'hui de fçavoir fur les bans &
arriere- bans , efpece de fervice que vraifemblablement
nous ne verrons pas rétablir.
Après avoir défini dans le Chapitre huitieme
« la tactique , l'art de difpofer les
» différentes parties d'une armée de la
» maniere la plus convenable à leur efpece,
à la fituation des → lieux , felon les temps,
118 MERCURE DE FRANCE.
& fuivant les ennemis à qui l'on a affai-
» re , » on nous prouve que les Officiers
de Cavalerie chargés par leur état de mener
très-fouvent à la guerre des détachemens
de troupes mêlées , font auffi dans
une plus étroite obligation d'être inftruits
de la Tactique : l'Auteur propofe enfuite
les moyens qu'il croit les plus propres pour
acquérir les connoiffances qu'elle exige ,
& nous donne une idée affez étendue de
celle des Grecs & des Romains .
Le Chapitre neuvieme , de l'ordre dans
les Armées , donne lieu à l'Auteur de nous
faire remarquer de quelle importance il
eft pour un Général , & même pour le
bien de l'Etat , que les Aides de Camp
foient toujours choifis parmi les- Officiers
les plus expérimentés . On devroit , ajoutet'il
, « en créer un corps particulier ; on
» choifiroit les plus verfés dans la Tacti-
" que , & ceux qui ont acquis plus d'expérience
à la guerre , pour leur confier
» ces emplois ; & parmi eux les plus capables
pour compofer les Etats- Majors des
Armées ». La jufteffe de ces réflexions
n'a pas befoin de preuve .
"
"
Il faudroit copier en entier le Chapitre
dixieme , pour faire fentir tout
ce que l'Auteur dit d'excellent fur l'abfolue
néceffité des exercices principalement
OCTOBRE . 1756. 119
de ceux de la Cavalerie : il n'y a pas
un mot qui foit inutile
preffion qui ne ferve à établir cette grande
vérité.
pas une ex-
Le Chapitre onzieme nous apprend
l'origine des Signaux Militaires , & en
particulier des Etendards. On y établit l'obligation
d'en avoir deux par Efcadrons
afin qu'ils fervent de point fixe pour les
aligner exactement les uns avec les autres.
Il y a une planche pour en faire mieux
fentir l'étroite obligation.
Il eſt traité dans le chapitre douzieme
des armes de la Cavalerie & de leurs effets.
Le treizieme eft de pure curiofité ; il
devoit être placé après ceux qui traitent
de la Cavalerie des Anciens.
L'Auteur, après avoir dit quelques mots
dans les Chapitres 14 & 15 fur la néceffité
&la facilité de mettre bien à cheval la Cavalerie
, ainfi que fur l'affiette du Cavalier ,
& la maniere dont il doit conduire fon
cheval , matieres traitées par M. de la
Porterie , paffe dans le feizieme à la maniere
dont la Cavalerie doit marcher';; c'est
pour elle la premiere des manoeuvres ,
celle qui renferme toutes les autres &
qui en affure le fuccès .
On trouvera fur cette matiere le détail
le plus intéreflant & le plus effentiel
120 MERCURE DE FRANCE.
و ر
à tout Officier de Cavalerie ; « toutes les
différentes manieres de marcher , parti-
» culieres à ce corps » , font traitées d'après
des principes invariables & fur des
calculs évidens. Je fais un grand cas de ce
Chapitre. Il conduit effentiellement l'Auteur
à parler dans le dix - feptieme des
marches d'Armées & des précautions néceffaires
à prendre par rapport à la Cavalerie ,
foit qu'elle doive traverfer des défilés ,
foit dans les avant- gardes ou arrieres- gardes
, foit que l'on marche
pour
aller camper
ou pour aller combattre.
Toutes les mesures qu'il faut obferver
pour bien affeoir un camp ou un cantonnement
de Cavalerie , pour en déterminer
l'étendue , & pour en affurer les communications
, font l'objet du dix- huitieme
Chapitre.
On trouvera dans le dix- neuvieme , un
détail très- inftructif fur les Camps anciens
& fur les gardes ordinaires.
La maniere dont la Cavalerie doit combattre
contre de la Cavalerie ou contre de
l'Infanterie , remplit les chapitres vingt &
vingt- un les manoeuvres néceffaires y
font décrites avec foin : on y infifte furtout
fur l'obligation de fe rallier promptement
, précaution dont le Vainqueur a
quelquefois autant de befoin que le Vaincu
OCTOBRE. 1756 . 121
cu. « A la fin d'une bataille , c'eſt celui
qui a le plus de troupes ralliées , qui
remporte la victoire ».
Une fonction effentielle à la Cavalerie,
c'eft d'être détachée en petites troupes fur
les devans , fur les aîles ou fur les derrieres
de l'armée pour s'informer de ce
qui fe paffe dans le Pays , pour éclairer
les démarches de l'Ennemi , & pour tenir
le Général averti de tout ce qui fe paffe
au dehors & dont il lui importe d'être`inftruit
, on appelle cela prendre langue. La
maniere de le procurer ces différentes connoiffances
, exige de l'Officier qui en eft
chargé beaucoup de courage , d'intelligence
, de circonfpection & de fermeté ;
ce qu'il doir fçavoir & ce qu'il doit exécu
ter eft très-bien circonftancié dans le Chapitre
vingt - deux que j'ai lu avec beaucoup
de fatisfaction.
Le Chapitre vingt - troifieme traite des
fourrages au verd & au fec : on y donne
une méthode pour connoître par des calculs
d'approximation la quantité de fourrage
en herbe qu'un terrein peut contenir ,
ou de fourrage fec qui eft enfermé dans des
granges de figures & de grandeurs différentes.
Il eft certain que la précifion géométrique
n'eft point de l'effence de femblables
fupputations : c'est beaucoup de
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
pouvoir fournir aux Officiers chargés de
certe befogne , une forte de fil qui les conduife
au travers de ce labyrinthe , & leur
défigne par des à-peu près l'état des chofes.
Je confeille à tout Officier de lire
comment on doit fe comporter en cas que
le fourrage foit infulté. On preferit ici des
regles pour la défenfe de même que pour
l'attaque tout y porte l'empreinte de l'expérience
& de la capacité . Ce qui regarde
la conduite ou l'attaque d'un conyoi ,
fait la matiere des Chapitres vingt- quatre
& vingt- cinq,
Le vingt - fixieme traite du paffage des
Rivieres , fujet intéreffant auquel nous
nous attachons trop peu. La néceffité de
porter à la nage un Corps de Cavalerie &
d'Infanterie au- delà d'une Riviere pour
former une tête , & affurer l'établiffement
d'un Pont , fe fait fentir en mille occafions
à la guerre . Comment le tenter fi la
Cavalerie ne fçait pas nager ? Rien de plus
effentiel donc que de dreffer les hommes
& les chevaux à cet exercice : « & il n'eft
» rien de plus aifé que de le leur apprendre
: il ne faut aux hommes que de la
» confiance & de l'habitude , car pour
» les chevaux ils nagent naturellement &
» fort longtemps » . "
Le vingt-feptieme Chapitre nous inf
OCTOBRE. 1756. 123
truit d'abord de l'emplacement ordinaire
de la cavalerie dans les batailles ; l'Auteur
paffe enfuite au mêlange de l'Infanterie
avec la Cavalerie qu'il condamne à
tous égards , & ne paroît guere perfuadé
de l'utilité que les Anciens en ont retiré.
L'inquiétude que nos armes à feu caufent
aux chevaux , & le dérangement que le
bruit , la flamme & la fumée peuvent mettre
dans les Efcadrons , font les meilleures
raifons qu'on puiffe apporter contre ce
mêlange,
Il eft queſtion dans le Chapitre vingthuitieme
de la ligne tant pleine que vuide,
& de la ligne pleine : on préfere ici les intervalles
égaux au front de chaque Eſcadron,
& l'on ajoute qu'il eft aisé d'arriver,
fi l'on veut, à l'ennemi , formant une ligne
pleine de Cavalerie , en faisant marcher
au pas la premiere ligne , & la feconde
au trot.
Les Corps de réferve font l'objet du Chapitre
fuivant. L'Auteur propofe d'en avoir
trois : un de Cavalerie derriere le centre ,
deux autres placés dans un certain éloignement
derrière les aîles de Cavalerie , &
qui feroient compofés de bataillons difpofés
en colonne ou en coin ; ces bataillons
laiffant entr'eux de grands interval-
» les , ferviroient de point de ralliement
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
» & arrêteroient la pourfuite de la Cavale-
" rie victorieufe de l'ennemi .... » . Vous
voyez , Monfieur , que ceux qui élevent
le plus la Cavalerie , & qui penfent qu'elle
peut fe foutenir par fes propres forces
font quelquefois obligés de reconnoître
l'utilité des fervices qu'elle peut retirer de
l'Infanterie. Les Partifans outrés de celleci
, ne manqueront pas de remarquer ce
paffage.
Pour nous convaincre de l'utilité de la
Cavalerie dans les batailles , fujet du Cha-.
pitre trentieme , l'Auteur nous donne
une defcription très-détaillée & très inté
reffante de la bataille de Rocroi . Lorſque
la relation de M. De la Chapelle parut ,
elle fut regardée comme un chefd'oeuvre
en ce genre : nous croyons que
celle - ci ne paroîtra pas inférieure.
Tous les faits y font racontés avec beaucoup
d'ordre & de préciſion : nul de ceux .
qui peuvent fervir d'inſtruction , ou qui
regardent les grandes manoeuvres des deux
armées n'y eft omis : c'eft un vrai tableau.
L'Auteur vous conduit , comme par la
main , fur le champ de bataille , & vous y·
fait obferver tous les mouvemens des François
& des Efpagnols , la difpofition des
deux armées , l'avantage fucceffif des deux
aîles droites , la manoeuvre pleine de faOCTOBRE
1796. 125
geffe du grand Condé , lorfqu'abandonnant
la pourfuite de l'Ennemi , il vint par
le derrière des lignes de l'Infanterie Efpagnole
, tomber fur fa Cavalerie de la droite
qui renverfoit tout devant elle ; action
mémorable qui décida du fuccès de cette
grande journée. Le plaifir que j'ai eu en
lifant ce morceau ne m'aveugle point :
c'eft fur ce modele que toutes les relations
des grands combats devroient être faites .
Tous les fervices que l'on retire de la
Cavalerie quand il s'agit de former ou de
foutenir un fiege , font detaillés dans le
Chapitre trente- un. On y trouvera des
idées neuves à ce fujet , & quoique la
matiere foit traitée d'une façon un peu
trop générale , je ne crois pas qu'on y touve
rien de déplacé.
L'Auteur ayant fuivi la Cavalerie dans
toutes les opérations de la guerre , où l'on
ne peut s'en paffer , & ne s'étant jamais
écarté du but qu'il s'étoit propofé , d'inftruire
les Officiers deftinés à fervir dans
ce Corps , termine fon Ouvrage en propofant
modeftement les moyens qu'il croit
les plus propres à nous procurer un bonne
Cavalerie pour la guerre.
HISTOIRE OU Police du Royaume de
Gala , traduite de l'Italien en Anglois , &
F iij
125 MERCURE DE FRANCE.
de l'Anglois en François , par M. l'Abbé
de Brancas ; chez Jombert , rue Dauphine.
LETTRES pour fervir de fuite à l'Hiftoire
du Royaume de Gala , par le même Auteur
& chez le même Libraire.
La Voix du vrai Patriote Catholique ,
oppofée à celle des faux Patriotes tolérans .
Brochure de 230 pages , qui fe vend chez
Hériffant.
ESSAI de réunion des Proteftans aux.
Catholiques Romains. Brochure de 244
pages , chez le même Hériffant , rue neuve
Notre-Dame , à la Croix d'or & aux trois
Vertus ; avec Privilege du Roi. Ces deux
Ouvrages font faits par deux hommes d'un
efprit bien différent. Le premier , qui fe
dit Patriote & fe croit tel , ne peut enviſager
qu'avec terreur les idées de tolérance
en faveur des Proteftans , par lesquelles des
Ecrivains zélés fe font diftingués depuis
quelque tems. Il attaque peut-être avec trop
d'aigreur les Proteftans. On peut dire que
l'implacable Jurieu , dans le parti de l'erreur
, n'écrivoit pas avec plus de fiel : c'eft
faire tort à la vraie Religion . Ce n'eft jamais
par des farcafmes que la voix du Patriote
Catholique doit fe diftinguer parmi les
voix qui en attaquent les intérêts ou qui les
défendent.
OCTOBRE. 1756. 127
Le fecond eſt un homme de bon fens ,
qui parle avec douceur , raiſonne avec
force & décide avec modeftie. Il voudroit
la réunion des deux Religions , il eft plein
de ce qu'il dit , & il modere fon zele ; il
ne laiffe paroître que fa raifon . Il prouve
que l'Eglife Romaine a retenu tout ce qui
eft néceffaire au falut, & rejetté tout ce qui
pourroit y faire obftacle , & il conclur ,
par le propre principe des Proteftans , qu'ils
s'en font féparés fans aucun fujet légitime ,
& qu'ainfi ils ne doivent pas faire difficulté
de s'y réunir.
LETTRES de Madame de S.... à M. de
Pompone , brochure de 73 pages , qui ſe
vend chez Guillyn , Quai des Auguftins.
C'eft le coeur de Madame de Sévigné qui
s'ouvre à un ami tendre fur le fort d'un
ami malheureux . Ce font des détails trèsintéreffans
& très- fideles une peinture
vive vous repréfente l'infortuné Fouquet
dans toutes les circonftances de fa malheureufe
affaire ; c'est tout le procès mis en
action. Vous le voyez aux pieds de fes
Juges , vous entendez fes réponfes , vous
croyez apprendre ce que vous fçaviez ,
vous le croyez innocent , & vous le fuivez
dans fa prifon où vous le trouvez trop
puni . Perfonne ne peignoit comme Mada-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
me de Sévigné. Ses nouvelles Lettres font
égayées par une anecdote que peu de gens
fçavoient , & que tout le monde fera bien
aife de fçavoir. Voici comme elle s'exprime
elle - même ; il n'appartient qu'à elle de
raconter. « Il faut que je vous conte une
petite hiftoriette qui eſt très- vraie & qui
» vous divertira. Le Roi fe mêle depuis
»peu de faire des vers ; Meffieurs de Saint-
Agnan & Dangeau lui apprennent com-
» ment il faut s'y prendre. Il fit l'autre
» jour un petit Madrigal que lui -même ne
» trouva pas trop joli . Un matin il dit au
บ Maréchal de Grammont : M. le Maréchal
, lifez , je vous prie , ce petit Madrigal
, & voyez fi vous en avez jamais
vu un fi impertinent ; parce qu'on fçait
que depuis peu j'aime les vers , on m'en
apporte de toutes les façons. Le Maré-
» chai , après avoir lu , dit au Roi : Sire ,
votre Majefté juge divinement bien de
»toutes chofes ; il eft vrai que voilà le
plus for & le plus ridicule Madrigal que
j'aie jamais lu . Le Roi fe mit à rire , &
» lui dit : N'eft- il pas vrai que celui qui
» l'a fait eſt bien fat ? Sire , il n'y a pas
» moyen de lui donner un autre nom.
» Oh bien ! dit le Roi , je fuis ravi que
vous m'en ayez parlé fi bonnement , c'eft
» moi qui l'ai fait. Ah ! Sire , quelle tra-
"
"
OCTOBRE . 1756. 129
» hifon ! que votre Majefté me le rende ,
je l'ai lu brufquement. Non , M. le Ma-
» réchal : les premiers fentimens font tou-
»jours les meilleurs. Le Roi a fort ri de
" cette folie , & tout le monde trouve que
» voilà la plus cruelle petite chofe que
l'on puiffe faire à un vieux Courtifan. »
Il vient d'être imprimé un MEMOIRE à
confulter pour la Demoiſelle Frechou ,
Maîtreffe Sage-Femme ; & dans ce Mémoire
, on juftifie pleinement la Demoifelle
Frechou de l'imputation calomnieuſe
qui lui a été faite d'avoir par impéritie ou
mauvaiſe foi bleffé la femme de Jean-
François Colin , Employé au Bureau du
Tabac , décédée peu de temps après fa
prétendue guérifon, d'autant plus qu'à la
fuite de ce Mémoire fe trouve imprimé un
procès- verbal de vifite faite par les Médecins
& Chirurgiens du Châtelet du cadavre
de la femme Colin , lequel procèsverbal
conftate que la mort prefqu'auffitôt
furvenue de cette femme , n'a été que
la fuite de la longue maladie qu'elle avoit
eue , & qui l'y a néceffairement conduite.
Ce Mémoire fe vend à Paris , chez
Mufier , Quai des Auguftins à l'Olivier.
A Rouen , chez Etienne Machuel , rue
Saint- Lo , vis- à- vis la porte du Palais ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
& à Lyon , chez Duplain , rue Merciere ,
à l'Hercule .
Avis fur une nouvelle édition de l'Hif
toire de Louis XIII , par le Vaffor , in-4° .
7 volumes. A Amfterdam.
*
Cette Hiftoire , qui a occupé jufqu'ici
dix-huit volume in- 12 , va paroître en
fept volumes in quarto. L'on ajoute dans
cette édition ce qui a toujours manqué dans
toutes les autres , & qui eft cependant néceffaire
dans un ouvrage de cette étendue :
c'eſt une Table alphabétique très- ample ,
au moyen de laquelle il fera facile de trouver
dans un inftant différens traits que
fouvent l'on chercheroit inutilement fans
ce fecours .
Les perfonnes qui fouhaiteront s'affurer
des exemplaires . pourront le faire , par forme
de foufcription, pour le prix de.. 51 liv .
Sçavoir , en foufcrivant ... 30 liv.
Et en retirant l'exemplaire , le
premier Janvier 1757.
......
21 liv.
Ce Livre fe trouvera chez les principaux
Libraires de l'Europe ; & à Paris , chez
Giffart , rue S. Jacques ; Nyon, Quai des Auguftins
; Briaffon , rue S. Jacques ; David ,
que des Mathurins ; Ganean , rue S. Seve
OCTOBRE. 1756. 731
rin ; Bauche , Quai des Auguftins ; Durand,
rue du Foin ; Cavelier , rue S. Jacques ;
Guillyn , Quai des Auguftins ; Piffot , Qui
de Conti..
L'on ne pourra s'affurer des exemplaires
que jufqu'au premier Janvier 1757 ; paffé
lequel temps , ceux qui n'en auront pas
retenu les paieront , s'il en refte encore ,
70 liv.
On foufcrira chez les mêmes Libraires ,
pour le Supplément au Livre de l'Antiquité ,
expliquée & repréfentée en figures , contenant
les Dieux & le culte des Grecs ,
des Romains , des Egyptiens , des Gaulois
, les habits & les ufages de la vie. La
guerre , les Ponts , les aqueducs , la navigation
, les Places , les Tours octogones ,
& les funérailles ; par Dom Bernard de
Montfaucon , Religieux Bénédictin de la
Congrégation de Saint Maur, in fol. s vol.
imprimé fur de très beau papier.
Tout le monde connoît le mérite de cet
Ouvrage , dont on a vendu un nombre confidérable
des dix premiers volumes ; &
comme beaucoup de perfonnes n'ont pa
avoir le Supplément , qui n'avoit été tiré
qu'à un petit nombre , on s'eft déterminé à
faire ufage d'un nombre de corps des Planches
qui avoient été destinées à une édi
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
tion en langue étrangere , qui n'a pas eu
lieu.
Comme ces planches font très bien imprimées
& de bonnes épreuves , on a cru
devoir réimprimer le Difcours ; & c'eft ce
qu'on propofe par foufcription , fçavoir :
Les cinq volumes du Supplément en grand
papier en feuilles , à .
•
90 liv.
Et le papier
ordinaire
.
75 liv.
Les perfonnes
qui voudront
en retenir
des
Exemplaires
, pourront
le faire
en payant
d'abord
, pour
le grand
papier
... 45 l.
En retirant
l'Exemplaire
, au premier Janvier
,
Et pour le papier ordinaire
feuilles. •
Et en retirant l'Exemplaire. · • • •
3
45
aufli en
39 liv.
36 liv.
75
L'on ne recevra des foufcriptions que
jufqu'au premier Janvier 1757 : paffé lequel
temps , s'il refte quelques Exemplaires
, on les vendra :
Sçavoir , le grand papier.
Le papier ordinaire..
150 liv.
• 100 liv.
OCTOBRE. 1756. 133
PRIX d'Eloquence & de Poésie , propose
par l'Académie Françoise pour l'année
1757.
LE 25 du mois d'Août 1757 , fête de
S. Louis , l'Académie Françoife donnera
deux Prix , un d'Eloquence & un de Poéfie
, qui feront chacun une Médaille d'or
de la valeur de fix cens livres. Elles propofe
pour fujet du Prix d'Eloquence : Les bienféancesfont
des Loix pour le fage. Il faudra
que le Difcours ne foit que d'une demiheure
de lecture au plus. On ne recevra
aucun Difcours fans une Approbation fignée
de deux Docteurs de la Faculté de
Théologie de Paris , & y réfidans actuellement.
Le même jour , elle donnera le Prix de
Poélie , à un poëme d'environ cent vers
Alexandrins , dont le fujet fera au choix
des Auteurs. Mais en même temps elle
avertit que les Pieces connues de quelque
maniere que ce foit , feront mifes au
rebut.
Toutes perfonnes , excepté les quarante
de l'Académie , feront reçues à compoſer
pour ce Prix. Les Auteurs ne mettront
point leur nom à leurs Ouvrages , mais
ils y mettront un paraphe, avec une Senten134
MERCURE DE FRANCE.
ce ou Devife telle qu'il leur plaira. Ceux
qui prétendent aux Prix , font avertis que
les Pieces des Auteurs qui fe feront fait
connoître , foit par eux-mêmes , foit par
leurs amis , ne concourront point ; & que
Meffieurs les Académiciens ont promis de
ne point opiner fur celles dont les Auteurs
leur feront connus.
Les Auteurs feront obligés de faire remettre
leurs Ouvrages avant le premier
jour du mois de Juillet prochain à M. Brunet
, Imprimeur de l'Académie Françoife
, rue S. Jacques , & d'en affranchir le
port : autrement ils ne feront point retirés.
OCTOBRE . 1756 . 135
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
IL
HISTOIRE.
n'y a point de Lecteur affez borné
pour n'avoir pas apperçu que l'objet de
M. de Saint- Foix dans fes Effais hiftoriques ,
n'a pas été de rapporter fimplement des
anecdoctes , mais de faire connoître par
des anecdotes les anciennes moeurs , les
ufages & les coutumes de la Nation . La
troifieme partie n'eft pas encore entiérement
imprimée ; mais nous ne craignons
point d'avancer que ce que nous en avons
vu eft bien fupérieur aux deux premieres.
C'eft une façon nouvelle d'écrire l'hiftoire
; on eft fans ceffe attaché , entraîné , &
l'on n'a point de doutes fur les faits. Quelles
recherches ! quelle critique ! quelle
force de raifonnement ! quel ftyle ! L'article
de nos guerres avec les Anglois depuis
Guillaume le Conquérant , jufqu'au
regne de Charles VII , eft d'autant plus
Curieux , que l'Auteur cite fans ceffe les
136 MERCURE DE FRANCE.
Ecrivains Anglois même & les actes de
Rymer : ainfi nos ennemis n'ont rien à
répondre. Il y a des traits de la plus grande
force fous les regnes de Philippe Augufte ,
de Louis VIII , de Saint Louis & de Philippe
le Bel ; mais on ne peut pas les féparer
du reſte. Voici un morceau que
nous avons pu détacher ; c'eft au fujet des
prétentions d'Edouard 111 à la Couronne
de France : il n'y a qu'à lire tous nos Hiftoriens
, on fera étonné de leur négligence
, du peu de raifon ou des mauvaifes
raifons qu'ils apportent. Il femble qu'ils
n'entendoient pas la matiere qu'ils traitoient
; je crois que l'on va trouver que
M. de Saint- Foix eft bien clair , bien convainquant
, & qu'il ne laiffe rien à défirer
fur une queftion fi finguliere.
Le fonds du caractere d'une Nation ne
change point : tous les Hiftoriens qui ont
parlé des commencemens de notre Monarchie
, peignent le François vif, fier ,
colere , fondant avec impétuofité fur tout
ce qui lui réfifte ; généreux , conftant ,
magnanime dès qu'il a vaincu : il fait affeoir
, difent-ils , fon prifonnier à fa table
; il lui donne place dans fa tente ,
fouvent il lui rend fes armes & dort à
côté de lui d'un fommeil tranquille ; il a
défarmé le bras , il croit avoir dompté le
OCTOBRE . 1756. 137
coeur & la haine. Nous avions rendu la
Guyenne & Ponthieu aux Anglois , nous
les laiffions parmi nous , nous dormions
fur la foi des alliances & des traités : le
réveil fut terrible ; nos Rois avoient toujours
fermé les yeux fur la néceffité d'affu
rer le repos de leur peuple , ils avoient
épargné trop de fois un ennemi arrogant
& inquiet ; le ciel permit enfin qu'il
ébranlât leur trône .
* Avant de
que
les événemens
rapporter
de la guerre qu'Edouard III déclara à Philippe
de Valois , il faut examiner fi fes
prétentions à la couronne de France
étoient bien fondées .
Les femmes , chez les anciens peuples
de la Germanie , n'apportoient point de
dot à leurs maris ; elles n'héritoient point
de leurs peres , & la fucceffion de leurs
freres , s'ils mouroient fans enfans mâles ,
paffoit à l'oncle paternel ou à fes fils .
Il n'eft pas douteux que les Loix faliques
furent rédigées ( fous le regne de Pharamond
ou de Clovis ) fur les ufages & coutumes
des Germains. L'article 62 de ces
loix rappellées dans les capitulaires de
Charlemagne , porte ( 1 ) à l'égard de la
terre falique , il n'en peut venir aucune por-
(1) Lex Salicæ Caroli Magni , tis. 62 , part. 6,
138 MERCURE DE FRANCE.
tion aux filles , mais toute l'hérédité doit aller
au fexe viril. Marculphe qui écrivoit vers
l'an 660 , fait parler un pere qui dit à fa
fille , ( 1 ) nous obfervons une Loi barbare
qui ne fouffre pas que les foeurs partagent
avec leurs freres. L'objet de cette loi étoit
d'empêcher que le bien ne fortît des familles
Françoiſes , c'eſt-à- dire des familles
Nobles , des familles des Conquérans , &
ne paffât à des étrangers . On voit au même
article 62 , que les filles étoient admiſes à
partager dans les terres ( 2 ) que les Vainqueurs
n'avoient point retenues pour eux ,
& qu'ils avoient laiffées aux Gaulois.
Childebert , fils de Clovis , n'eut que
(1) Marculp. liv. 2 , fol. 12.
(2) Il y avoit deux fortes de terres héréditaires ;
ou aleuds , les faliques & non faliques : les premieres
ne pouvoient être poffédées que par les
Conquérans , & même par les mâles ; les aleuds
non faliques étoient les terres qu'on avoit laiffées
aux naturels du pays , en toute propriété & indépendantes
de toute mouvance particuliere ; les
filles y partageoient avec leurs freres . La fucceffion
d'un Gaulois ou d'un Romain pouvoit paffer
à un François qui époufoit fa fille , au lieu qu'un
Gaulois ou un Romain qui époufoit une Françoiſe
, n'avoit rien à eſpérer dans la fucceffion du
pere , des freres & des parens François de fa
femme. L'Abbé du Bos pour foutenir fon abominable
fyftême , tâche toujours de confondre los
terres faliques avec les bénéfices militaires.
OCTOBRE. 1756. 139
1
des filles ; fon frere Clotaire I lui fuccéda.
Après la mort de Charibert , qui ne laiffa
point d'enfans mâles , Berthe ( 1 ) fa fille
aînée, ne prétendit point au trône.Gontran
en défignant Childebert II , fon neveu , pour
fon fucceffeur , fe contenta de lui recommander
fa fille Clotilde ( 2 ) , & de lui faire
promettre qu'elle ne feroit point troublée
dans la jouiffance des biens qu'il lui laifferoit
par fon teftament . Tous nos Hiſtoriens
ont oublié de citer l'exemple de Judith
, fille de Charles le chauve ; ni elle
ni fon fils Baudouin , Comte de Flandres ,
ne reclamerent point la couronne , lorfque
les Grands du Royaume y appellerent Charles
le gros , fon coufin. Enfin dans toute
notre hiftoire , fous la premiere , la feconde
& la troifieme race , pendant près de neuf
cens ans jufqu'en 1316 , on ne voit aucune
Princeffe qui ait prétendu fuccéder à fon
pere.
Louis Hutin mourut le trois de Juin
1316 , & ne laiffa qu'une fille ; mais la
Reine fa veuve étoit enceinte : le Prince
dont elle accoucha le 14 de Novembre
n'ayant vécu que huit jours , Philippe le
long qui avoit été déclaré Régent à la mort
de fon frere Louis Hutin & pendant la
(1) Mariée à Ethelbert , Roi de Kent.
(2 ) Gregor. Turon , liv. 4 , ch. 20.
140 MERCURE DE FRANCE.
groffeffe de la Reine , paffa de la Régence
à la Royauté , & fut facré à Rheims le 9
de Janvier 1317. Le Duc de Bourgogne
& le Comte de la Marche protefterent contre
fon facre , difant qu'il falloit auparavent
examiner fi la fille de Louis Hutin
n'avoit pas de juftes prétentions à la Couronne
: (1 ) On peut inferer , dit Rapin de
Toiras , de la résistance de ces Princes du
Sang ( & contre leurs propres intérêts ) que
la Loi Salique ne paffoit pas alors pour inconteftable.
Un Hiftorien impartial & de
bonne foi auroit dit qu'on pouvoit inférer
de la conduite finguliere de ces Princes ,
que de petits intérêts particuliers & des
inimitiés perfonnelles les animoit contre
Philippe le long ; il auroit ajouté que ce
n'étoit pas certainement l'efprit de juftice
qui guidoit leurs démarches , puifque cinq
mois auparavant ( le 17 de Juillet 1316 ) ,
de leur confentement , de l'avis de tout le
Confeil , de celui des autres Princes du
Sang & des Barons , il avoit été arrêté &
figné que fi la Reine n'accouchoit que d'une
fille , la couronne de France iroit de
droit à Philippe le long , mais que celle
de Navarre appartiendroit à la fille de
Louis Hutin , parce que les filles ne font
point exclufes de cette Couronne.
(s) Tom. 3, pag. 169.
1
OCTOBRE . 1756. 141
Philippe le long , pour ôter tous prétextes
aux mécontens , convoqua une Aflemblée
des Grands de l'Etat . ( 1 ) Elle ſe tint
le deux de Février 1317 ; prefque tous les
Evêques du Royaume s'y trouverent ; l'U-
-niverfité y fut appellée . On décida unani-
Imement ( 2 ) que les loix & la coutume inviolablement
obfervée parmi les François ,
excluoient les filles de la Couronne . Le Comte
de la Marche & le Duc de Bourgogne
foufcrivirent à cette décifion .
"
Philippe le long n'ayant point laiffé
e d'enfans mâles , Charles le bel , fon frere ,
lai fuccéda fans nulle oppofition , & ce
fut une nouvelle confirmation de la Loi
es falique. Charles le bel ne laiffa auffi qu'ueine
fille , & la Reine fa veuve enceinte . Il
e fut donc queftion , comme à la mort de
eLouis Hutin , de nommer un Régent , &
q de choifir , felon l'ufage , celui des Princes
du Sang que la loi appelloit à la Couronne .
le Sila Reine n'accouchoit pas d'un garçon :
du Edouard III prétendit qu'il étoit ce Prince ,
&& qu'on devoit par conféquent lui déférer
la Régence. Il envoya des Ambaſſadeurs à
de Paris , qui plaiderent fa caufe à la Cour des
le Pairs & devant tout le Baronnage de France
deaffemblé . Ils n'avoient pas négligé , difent
(1) Papiremafon.
(2) Mezeray.
Ont
142 MERCURE DE FRANCE.
les Chroniques , de tâcher d'appuyer leurs
raifons par de magnifiques préfens & de
belles promeffes , faifant d'ailleurs entendre
aux Seigneurs que plus le Souverain
eſt éloigné , moins le Vaffal eft dans la
dépendance. Malgré leur éloquence , leurs
intrigues & tout l'or qu'ils répandirent , la
Régence fut adjugée à Philippe de Valois ,
comme préfomptif héritier du trône .
Edouard le plaignit amérement de cet Arrêt
dans une Affemblée du Parlement d'Angleterre
il y expofa fort au long fon prétendu
droit à la Couronne de France. Il
paroît à la façon dont s'expliquent les
Hiſtoriens Anglois, ( 1 ) que fon Parlement
même n'eut pas la complaifance de trouver
fes raifons valables. Je vais les rapporter
& les réponſes de Philippe de Valois , en
expofant l'état de la queſtion.
Philippe le Bel & Charles , Comte de
Valois , étoient fils de Philippe le Hardi .
Philippe le Bel eut trois fils & une fille
( Louis Hutin , Philippe le Long , Charles
le Bel , & Ifabelle mariée à Edouard II &
mere d'Edouard III ). Louis Hutin , Philippe
le Long & Charles le Bel ne laifferent
que des filles ; ainfi Philippe de Valois
leur coufin - germain ( fils de Charles deValois
) étoit l'héritier le plus proche en ligne
(1 ) Rapin de Toiras , t. 3 , p. 158,
A
C
"
"
PHILIPPE leHardi ,Roi deFrance .
PHILIPPE leBel ,Roi deFrance .
Jq,uEiANNE
>
PHILIPPE leLong ,Roi de
France ,mourut en1321 .
CHARLES
CHARLES ,Comte
deValois ,fon frere .
I, SABELLE
leBel ,Roi demere d'Edouard
France ,mourut III .
en1328 ,&ne MARGUElaiffa
qui que des fil-
>
les ,qui n'eurent
point depofté-
RITE
éLpoouuissa
CFdloeamnt-e
LOUIS HUTIN
Roi deFrance ,
mourut en1316 .
>
JEANNE ,qui
Pé,hpioluispape
dC. 'oEmvtreeux
,éEIpuVoduefsa
dDBeouucrgo-
RdMoeaiuvais
•
Navarre
>
CHARLES le
.gne .
PHILIPPE
Comte d'Artois ,
néennéen1323 .
dre .
a
2332 .
LOUIS le
.Mák
r.ité
PHILIPPE
de Valois ,Roi
de France .
144 MERCURE DE FRANCE.
mafculine. Il ne s'agiffoit pas , dit Rapin de
Toiras , entre Edouard III & Philippe de
Valois , de fçavoir s'il y avoit une Loi qu'on
appelloit falique qui excluoit les femmes de la
fucceffion à la Couronne. Soit que cette loi
fut réelle ou que ce ne fût qu'une chimere ,
Edouard & Philippe avoient également intérêt
à la faire valoir , puifqu'elle étoit l'unique
fondement des prétentions de l'un & de
Pautre : fans cette loi , la couronne auroit incontestablement
appartenu à Jeanne , fille de
Louis Hutin..... Philippe le Long & Charles
le Bel n'y auroient pas eu de droit , & par
confequent Isabelle leur foeur n'auroit pas pu
yprétendre ; d'ailleurs fi la Loi falique n'avoit
pas eu lieu , Edouard n'auroit eu lui- même
aucun droit à la Couronne , puifqu'il aureit
été précédé par les filles de Philippe le Long
de Charles le Bel ; il n'avoit donc garde
de contefter l'autorité de cette Loi.
Elle porte, difoit Edouard (1 ) , que le plus
prochain hoir mâle doit fuccéder. Elle exclut
les femmes à cause de la foibleſſe de leur
fexe , mais fon intention n'a pas été d'exclure
les mâles iffus des femmes. Je conviens
, ajoutoit- il , que ma mere n'a aucun
droit à la couronne en qualité de femme
(2 ), mais je foutiens qu'elle me donne le
(1) Leibnitz , cod. diplo. t . 2 , p. 66.
(2) Rob. de Avebury.
droit
OCTOBRE. 1756. 145
;
droit de proximité qui me rend habile à
fuccéder en qualité de mâle. Je fuis plus
proche des derniers morts , étant leur neveu
, que Philippe de Valois qui n'eft que
leur coutin germain : c'eft donc à moi que
la couronne appartient.
La réponſe de Philippe confiftoit à faire
voir que depuis le commencement de la
Monarchie , il y avoit plufieurs exemples
de Reines à qui l'on avoit déféré la Régence
; que ce n'étoit donc pas à cause de
la prétendue foibleffe de leur fexe , que
les
filles n'étoient point admifes à fuccéder ;
que l'intention de la loi avoit été d'empêcher
que le fceptre ne paffär à un Prince
d'une autre nation , ou même d'une autre
maifon que celle à laquelle on s'étoit foumis
, la Nobleffe Françoife n'ayant point
entendu fe dépouiller de fon droit originaire
à la couronne , ou à l'élection d'un
Roi , en cas d'extinction de la famille
régnante ; que les fils des Monarquesétrangers
& des filles de nos Rois , n'avoient
jamais été qualifiés Prince du Sang de
France , & qu'enfin une mere ne pouvoit
tranfmettre à fon fils un droit qu'elle
n'avoit pas & qu'elle ne pouvoit jamais
avoir (1).
( 1) Baldus.
1.Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE .
Je ne fuis pas étonné que Rapin de
Toiras n'ait point cité une raifon que l'on
ne manqua pas fans doute d'oppofer encore
aux chicanes d'Edouard
; mais il eft
bien fingulier que Mezeray , le Gendre , Daniel , Choifi , & autres de nos Hiſtoriens
, ne l'ayent pas rapportée . Elle
acheve de mettre dans tout fon jour l'extravagante
injuftice du Monarque
Anglois.
Lorfque Charles le Bel mourut en
1328 , les filles de Philippe
le Long ,
avoient des enfans ( 1 ) mâles. Les petitsfils
de ce Roi n'excluoient
- ils pas fon neveu
Edouard , en fuppofant
qu'on eût admis
l'interprétation
que ce neveu vouloit
donner à la Loi Salique ?
Philippe de Valois , fix mois après fon
facre , envoya fommer Edouard de venir
lui rendre hommage pour le Duché de
Guyenne & le Comté de Ponthieu .
Edouard lui écrivit ( le 14 d'Avril 1329 )
(2 ) qu'il avoit deffein depuis longtemps de
s'acquitter de ce devoir , mais que diverfes
affaires qui lui étoientfurvenues , l'en avoient
empêché. Il rendit folemnellement cet hom-
,
(1 ) Philippe né en 1323 , fils de Jeanne fille
de Philippe le Long , & d'Eudes IV, Duc de Bour
gogne.
(2 Actes de Rimer.
(3) Rapin de Toiras , t . 3 , p. 469.
OCTOBRE. 1756. 147
mage dans la ville d'Amiens le 6 Juin ( 1 ) :
il le ratifia hommage- lige par fes Lettres
Patentes du 30 Mars 1331. La même année
il revint en France , fit un nouveau
traité au fujet des affaires de Guyenne , &
parut très- fenfible au procédé de Philippe ,
qui voulut bien lui accorder une diminution
de trente mille livres Tournois fur la
fomme dont on étoit convenu dans le
traité précédent. Au commencement de
l'année 1332 ( 2 ) , il fit propo'er le mariage
de fon fils avec la fille , & celui de
fa foeur (, ) avec le fils de Philippe. Il employa
les années 1333 , 34 , 3 ) & 36 ( 4 ) ,
à dépouiller du Royaume d'Ecoffe , par
les manoeuvres les plus fourbes & les plus
noires , David Brus un enfant , & qui étoit
fon beau-frere. En 1337 , excité par Robert
d'Artois , qui s'étoit réfugié en Angleil
feignit de nouveau d'être perfuadé
(s ) qu'il avoit ea raifon de réclamer la
( 1) Ibidem , p . 472.
(2 ) Ibidem , P. 477.
(3 ) Il faut convenir ou qu'il avoit renoncé à
fes vaines idées fur la Couronne de France , ou
qu'il étoit le plus perfide & le plus méchant de
tous les hommes.
(4) Ibidem , p . 166 .
( 5) Il en étoit fi peu perfuadé, que dans fa lettre
au Pape, en date du 30 de Janvier 1740, il dit : Que
fi Philippe de Valois lui avoit fait les moindres offres ,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
couronne de France . Il fit des alliances
avec l'Empereur & plufieurs Princes d'Allemagne.
Il foudoya des troupes de tous
les pays , & lorfqu'il fe crut en état de
commencer la guerre , il écrivit au Pape
qu'après la mori de Charles le Bel fon oncle ,
la couronne de France lui étoit dévolue comme
au plus proche héritier ; qu'il en avoit été
privé par un jugement injufte & précipité
que les Ambaffadeurs qu'il avoit envoyés à
Paris , n'avoient pas été écoutés ; qu'en ôtant
à un mineur une couronne qui lui appartenoit
légitimement , les Grands du Royaume avoient
agi moins en juges qu'en fcélérats & en brigands
, & qu'il proteftoit contre tout ce qui
s'étoit fait pendant fa minorité. Qu'auroit
dit Guillaume le Bâtard , fi du fond de
fon tombeau il avoit pu entendre un de fes
defcendans traiter ainfi la Nobleffe de
France !
Il étoit de notoriété publique que les
Ambaffadeurs (1 ) d'Edouard avoient plaiil
s'en feroit contenté ; & re verâ , fi nobis oblationem
, etiam mediocrem , tunc feciffet , ad vitandum
guerrarum difcrimina & expenfarum prefluvia
, fuper ea refponfionem rationabilem feciffemus.
Extrait des actes de Rymer . Rapin Toiras ,
L. 3 , P. 496.
(1 ) Le Pape étoit fi convaincu de l'injufte prétention
d'Edouard & de toutes les fauffetés dont
fa lettre étoit remplie , qu'il lui récrivit : Jamais
OCTOBRE. 1756. 149
'dé fa caufe devant la Cour des Pairs
quand il envoya demander la Régence
après la mort de Charles le Bel : il le dit
lui- même dans l'affemblée de fon Parlement
à Northampton , à la fin de Février
1328. Les Hiftoriens Anglois prétendent
que la veuve de Charles le Bel n'ayant
accouché que d'une fille , il donna à des
Ambaffadeurs un plein pouvoir ( en date
du 16 Mai 1328 ) ( 1 ) , pour demander la
couronne en fon nom. Il ne s'étoit pas
preffé , puifqu'il y avoit un mois & demi
que la Reine ( 2 ) étoit accouchée . Ces Ambaffadeurs
, s'ils pafferent en France , n'arriverent
vraisemblablement qu'après le
facre ( 3 ) de Philippe de Valois . S'ils demanderent
à être écoutés , ils ne durent
pas l'être , puifque le jugement de la Cour
des Pairs portoit , ( comme celui qui avoit
été rendu à l'égard de Philippe le Long , )
fi la Reine n'accouche que d'une fille , dès
l'inftant Philippe fera reconnu Roi.
Philippe ayant eu communication de la
Lettre d'Edouard au Pape , répondit : Ni
Surprise n'a été égal à la nôtre en apprenant que
vous prenez le titre de Roi de France.... quittez
ce titre....
(1) Ibidem , p. 468.
(2 ) Elle acoucha le premier d'Avril .
(3) Il fut facré à Rheims le 28 de Mai .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
moi , ni le Roi d'Angleterre ne pouvions
être juges dans notre propre caufe : elle
fut plaiée à la Cour des Pairs & devant
tous les Hauts Barons affemblés. Ils déciderent
unanimement que mon droit étoit
inconteſtable : jamais Edouard, même dans
fon Parlement , n'a fait de proteftations
contre cette décifion . Il y a acquiefcé pendant
plus de neuf ans , comme tous les autres
Potentats de l'Europe . L'allégation de
fa minorité eft ridicule & frivole mais
en fuppofant qu'elle fût admiffible , fon
Parlement ( 1 ) l'avoit déclaré majeur , &
il gouvernoit par lui-même en 1331 , lorf
qu'il m'envoya fes Lettres Patentes par
lefquelles il déclaroit & faifoit ferment
qu'il étoit mon homme- lige ( 2 ) , & qu'il
me ferviroit envers & contre tous. Cet
acte a été fuivi de plufieurs autres , &
nommément d'un plein pouvoir que fes
Ambaffadeurs m'ont préfenté cette année
1337 , par lequel il les autorife à tranfiger
fur les affaires de Guyenne avec Philippe
illuftre Roi de France ,fon Seigneur.
(1 ) Rapin de Toiras , t . 3 , p . 163.
(2 ) Celui qui rendoit l'hommage-lige étoit à
genoux , tête nue , fans ceinture , fans éperons &
fans épée ; il prêtoit ferment fur l'Evangile , & ce
ferment le lioit à fon Seigneur perfonnellement ,
& à jamais.
OCTOBRE. 1756. 151
Croiroit-on qu'Edouard n'eut pas honte
de répliquer que s'il n'avoit pas fait de
proteftations publiques , il en avoit fait de
fecrettes dans fon Confeil Privé , par lefquelles
il avoit déclaré que par l'hommage
qu'il alloit rendre , il ne prétendoit pas porter
prejudice à fes droits fur la couronne de France
, ( 1 ) quand même il viendroit à le ratifier
par fes Lettres Patentes , & que ce n'étoit que
la crainte de perdre fes terres en France , qui
Pobligeoit à faire cette démarche ? Ainfi aucune
Puiffance ne peut compter fur les fermens
d'un Roi d'Angleterre & fur les traités
qu'elle figne avec lui : il aura toujours
protefté fécrettement dans fon Confeil
Privé , contre la paix qu'il fignoit , dès
qu'il croira voir quelque avantage à recommencer
la guerre.
Il feroit très- naturel de croire qu'Edouard
ayant pris la qualité de Roi de
France , quelqu'un de nos Rois a exigé
par un traité que les fucceffeurs de cet
homme inique continueroient de la prendre
, comme une note perpétuelle de fa
mauvaiſe foi , & de la honte des Anglois
chaffés du Royaume , quoique fecondés
par tant de Villes & de Provinces mécontentes
& rebelles. Voici à quelle occafion
(1 ) Ibidem , p. 159 .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
il prit ce titre dont fes fucceffeurs ont continué
de fe décorer , uniquement , difoit le
fameux Comte de Rocheſter , pour se conferver
le privilege ( 1 ) de guérir des écrouelles.
Les Flamans s'étoient de nouveau révoltés
: leur Comte s'étoit réfugié en France
: ils avoient pour chef Jacques Artevelle
, Braffeur de biere. Edouard & ce
Braffeur avoient befoin l'un de l'autre ; ils
furent bientôt amis. Mais les Flamans
refufoient de fe déclarer contre Philippe ,
parce qu'ils avoient promis avec ferment ,
le dernier Traité , de ne point porter
les armes contre le Roi de France leur Seigneur
fuzerain , & qu'ils s'étoient même
foumis à remettre deux millions de florins
à la Chambre Apoftolique , s'ils contrevenoient
à leur promeffe .
par
Artevelle leur perfuada qu'il étoit aifé
de lever le fcrupule qui les retenoit , en
engageant Edouard ( 2 ) à prendre le titre
(3 ) de Roi de France. Ils s'applaudirent
(1 ) Quelques Hiftoriens Anglois prétendent
que ce don vient de S. Edouard le Confeffeur.
( 2) Barnes.
(3 ) Quelques Hiftoriens prétendent qu'il avoit
pris ce titre dans une commiffion adreffée au Duc
de Brabant , en date du 7 d'Octobre 1337 ; mais
qu'il l'avoit auffi tôt quitté , voyant qu'aucun
Prince de l'Europe , même de fes alliés , ne vouloit
le lui donner. Il paroît par une Lettre qu'il
OCTOBRE. 1756. 153
d'avoir choisi un chef qui avoit tant d'efprit
, & propoferent cet expédient au Roi
d'Angleterre qui le trouva d'abord ridicule
: mais fon Confeil , dit Rapin de Toiras
( 1 ) , après y avoir bien réfléchi , approuva
ce moyen de faire entrer les Flamans dans
la Ligue. On voit qu'Edouard , s'il avoit
eu befoin des Juifs , auroit pris de même
le titre de Meffie . Il fit publier un Manifefte
par lequel il déclaroir à tout bon François
, que le Royaume de France lui étant
dévolu par la mort de Charles le Bel fon
oncle , felon la volonté de Dieu à laquelle il
écrivit à l'Archevêque de Cantorberi , le 21 Février
1340 , qu'il fentoit le ridicule d'avoir pris
cette qualité , & qu'il craignoit que fon Parlement
n'approuvat pas fon ufurpation : Qu'on ne
foit point furpris , dit - il , que nous ayons changé
notre fiyle ordinaire & que nous nous faffions nommer
Roi de France ; des raisons effentielles nous ont
néceffairement obligé à cette démarche ; nous vous
les expoferons , aux autres Prélats , aux Seigneurs
aux Communes dans le prochain Parlement.
Non mirantes ex hoc quod ftylum noftrum confuetum
mutavimus , & Regem Francia nos facimus
nominari : nam diverfæ fubfunt caufæ , per
quas hoc facere neceffariò nos oportet , & quas
vobis & aliis prælatis & Magnatibus , necnon
Comunitatibus ejufdem regni Angliæ ad dictum
Prlamentum pleniù exponemus , & c Rapin de
Toiras , t . 3. Extrait des actes de Rymer , p . 497.
(1 ) Pages 180º 495•
Gv.
154 MERCURE DE FRANCE.
ne vouloit pas s'oppofer , il étoit réfolu d'en
prendre l'administration , promettant fa protection
à ceux qui , à l'exemple des Flamands ,
le reconnoitroient pour leur Souverain.
Voilà l'époque de la jonction des fleurs
de lys & des léopards ; il faut remarquer
qu'Edouard fe qualifioit Roi de France ,
d'Angleterre & d'Irlande ; qu'il mettoit
les fleurs de lys au & 4 quartiers qui
font les plus honorables , & ( 1 ) que tous
fes fucceffeurs ont continué d'écarteler de
même jufqu'à Georges I , Electeur d'Hanovre.
Je ne fçais pas fice Prince , à ſon avé-›
nement au trône d'Angleterre , déclara
qu'il ne demeureroit point à Paris ; ce
qu'il y a de certain , c'eft qu'il eft le premier
qui a commencé à écarteler au i &
IV parti ; au I d'Angleterre , au II d'Ecoffe
; au II de France , au III d'Irlande.
(1) La Reine Anne continua toujours de por er
les mêmes armes jufqu'à fa mort , quoiqu'on eût .
réfolu , dit - on , de changer le grand fceau d'A
gleterre en 1706 , lors de l'union de ce Royaume
& de celui d'Ecoffe.
OCTOBRE. 1756. 355
AGRICULTURE
.
LETTRE
A Monfieur
Diderot.
Nous avons fouvent parlé , Monfieur ,
pas
de la découverte de M.Tillaye fur la nielle
des bleds . Le détail imprimé de fes premieres
expériences ne m'avoit convaincu
comme vous. J'ai été fouvent trompé fur
ces matieres ; & fans penfer que M.Tillaye
voulût abufer les autres , je croyois qu'il
pouvoit s'en impofer à lui -même . Je vous
ai dit que ces expériences fe répétoient à
Trianon , & que j'en ferois le témoin
fcrupuleux & le cenfeur. Je l'ai été avec
une attention que la défiance rendoit trèsvive.
Il faut l'avouer , j'ai vu la nature
elle-même développer peu à peu le fyftême
de M. Tillaye , & confirmer les conjectures
qu'il avoit faites. La maturité du
bled rend aujourd'hui ce réfultat tout - à-fait
fenfible. Il est démontré que la pouffiere
noire & fétide des grains niellés , cariés ,
ou comme vous voudrez les appeller , s'attache
aux autres grains & les corrompt .
Par- là fe perpétué cette pefte qui ravage
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
à
nos récoltes , & doit rendre très- mal - fain
le pain fait avec le bled qui en eft attaqué.
Il est démontré que la contagion eft ſi ſubtile
, qu'elle fe communique par les pailles
qui ont été touchées de la pouffiere noire ,
lorfqu'on les emploie comme engrais
fans être affez putréfiées : c'eft un point
ne pas oublier dans l'Encyclopédie , au
premier article où il pourra en être queftion.
Il eft enfin démontré qu'il y a des
remedes contre cette funefte maladie. M.
Tillaye en a employé plufieurs qui lui ont
complétement réuffi . C'eft un fpectacle
dont je voudrois que vous fuffiez témoin .
On voit ici une planche dont la femence
étoit du grain le mieux choifi , je l'ai vu
femer. Eh ! bien , Monfieur , cette femence
ayant été noircie de l'affreufe pouffiere ,
il en eft réfulté que toute la planche n'a
produit qu'un bled noir , infecte, & qu'on
ne peut approcher. Vous voyez tout à
côté le plus beau grain du monde , qui eft
le produit de la même femence , noircie
de même , mais enfuite leffivée avec des
préparations dont fans doute M. Tillaye
rendra compte. Ce contrafte eft répété une
vingtaine de fois , foit en bled d'hyver, foit
en bled de Mars. Si vous joignez à cela un
Mémoire dont j'ai été dépofitaire , qui a
été fais au moment de la femaille , qui
OCTOBRE. 1756. 157
contient un pronoftic hardi de ce qui doit
arriver à chaque planche , & dont aujourd'hui
l'état de chaque planche juftifie
la hardieffe , vous conviendrez que ceci
a toute l'évidence qu'on puiffe donner à
un fait. Vous connoiffez M. Tillaye , vous
êtes plus à portée que moi de le rencontrer
je vous prie , Monfieur , de vouloir
bien l'exhorter au nom de toute la terre ,
donner promptement au Public ceux de fes
procédés qui font les plus faciles & les
moins chers. On commence à femer les
bleds à la fin du mois prochain . Faites en
forte qu'il ne retarde pas fes bienfaits , que
nous en jouiffions tout à l'heure , & qu'il
jouiffe de la reconnoiffance de tous les
bons Citoyens. Je m'adreffe à vous , parce
que je fuis für que vous ne négligerez
rien pour que cela foit. Vous aimez les
hommes ; je voudrois bien qu'ils en valuffent
la peine , & qu'on pût étendre fur le
plus grand nombre l'eftime profonde que
vous méritez , & l'amitié tendre avec laquelle
j'ai l'honneur d'être , & c.
LE ROY.
A Versailles , ce 8 Août 1756.
158 MERCURE DE FRANCE.
CHIRURGIE.
DISSERTATION fur les effets de l'Or
LE 2
batın.
E 25 Janvier 1756 , je lus à l'Académie
Royale de Chirurgie un Mémoire touchant
le fuccès de l'application de la feuille
d'or fur une veine ouverte pour en arrêter
le fang. L'accueil flatteur que l'on m'y fit
touchant cette découverte , n'a fait qu'exciter
l'envie que j'avois de pourfuivre plus
loin mes recherches & d'en tenter de nouvelles
expériences. Je me croirois repréhenfible
de n'en pas faire part. Je vais
l'extrait de mon
commencer d'abord
Mémoire reçu à l'Académie.
par
De bien des faignées qui fe font foit au
pied , au bras , foit à la gorge , le fang
s'échappe par la réunion peu exacte des
deux levres , ou par quelques mouvemens
faits fans y penfer. Un malade alors eft
effrayé & peut même périr dans fon ſang ,
s'il eft feul on en a vu des exemples.
Souvent une faignée eft prife d'une légere
phlogofe , fuppure , & eft long -temps à ſe
fermer une goutte de fang , ou deux
OCTOBRE. 1756. 159
defféchées la chaleur du bras entre la
par
faignée , & la compreffe y formant un durillon
qui irrite , peuvent en être la cauſe :
avec la feuille on évite ces accidens . On
ne peut donc trop la recommander . D'ailleurs
il eft des cas où fans témérité & fans:
danger , on ne peut appliquer la bande &
la compreffe , comme dans les faignées de
jugulaire pour l'efquinancie , l'apoplexie ,
& autres maladies qui l'exigent. Le nouveau
moyen fans gêner le larinx , comme
le fait la bande circulaire , oppoſe une
digue invincible au fang , & produit , fans
inconvénient , une intime réunion . Je ne
m'arrête point ici à vouloir appuier fon
crédit & fon fuccès , en citant des faits
d'expérience , le rapport de l'Académie &
celui de MM . Morand , de Garengeot , le
Guefnery , nommés Commiffaires , fera
fuffifant. Il me refte à faire voir les effets
de mes nouvelles tentatives.
Quelle difficulté ne trouve-t'on pas tous
les jours à deffécher certains ulceres cutanés
? & quel temps ne faut- il pas pour y
parvenir ? Un fimple morceau de la feuille
appliqué l'efpace de vingt-quatre ou de
quarante huit heures , felon l'état du mal ,
les finit parfaitement . J'ai fait voir à M.
Morand un Invalide , qui avoit à la crête
du tibia un ulcere de la largeur d'une
160 MERCURE DE FRANCE.
piece de 24 fols. Les matieres emplaftiques
& les corps gras qu'on y mettoit , ne
faifoient qu'en enflammer la circonférence
, & l'agrandir : en 48 heures , par le
moyen de la feuille , l'inflammation dif
parut , & l'ulcere fut couvert de pellicules
farineufes qui tomberent d'elles- mêmes.
Je l'ai employée avec beaucoup de fuccès
fur les petits ulceres qui reftent au centre
du moignon, après l'amputation d'un membre
: ils réfiftent aux defficatifs les plus
vantés ; la partie graffe qui en fait la baſe ,
ne fait au contraire que dilacérer le tendre
tiffu de la cicatrice : ceci est d'après l'expérience.
Il est bien d'autres cas où l'uſage
de la feuille n'eft pas moins recommendable
, tels que dans les égratignures , excoriations
, contufions légeres , où les houppes
nerveufes fe trouvent à découvert , &
qui ne demandent qu'à être defléchées.
J'ai de mon côté des preuves de fon efficacité
, & chacun peut s'en convaincre .
«
BREBAN , Chirurgien Aide- Major de
l'Hôpital Militaire d'Avranches.i
Certificat de l'Académie de Chirurgie.
Ayant été nommés par l'Académie
» pour donner notre avis fur un moyen
d'arrêter fûrement & promptement le
› fang après la faignée , fans y employer
">
OCTOBRE. 1756. I
7
> ni compreffe , ni bande , mais feuleme
un fragment de feuilles d'or ou d'a
» gent battus , nous eftimons que ce moyen
» fera du goût de ceux qui fe plaignent
» ordinairement que la bande les incom-
» mode & leur fait mal . Nous portons
» avec d'autant plus d'affurance ce juge-
» ment , que nous avons d'abord vu pratiquer
plufieurs de ces faignées dans
» l'Hôtel Royal des Invalides avec le fuc-
» cès énoncé.
ود
"
» Que la feule application d'un fragment
de ces fortes de veffies pleines
d'air que l'on trouve dans les carpes , a
» arrêté le fang de façon , que les frictions
faites à l'inftant fur l'avant- bras , n'ont
» pu le faire fortir de la veine piquée.
» Enfin que l'un de nous a pareille-
» ment réuffi au bras & au pied dans l'effai
qu'il a fait de cette découverte. Fon-
» dés fur ces faits , nous croyons pouvoir
» engager l'Académie à faire ufage du
» Mémoire de M. Breban , Chirurgien
» des Invalides , & auteur de ce nouvel
» & ingénieux appareil . » Fait à Paris , le
25 Janvier 1756. Croiffant de Garengeot ,
le Guefnery , Commiffaires.
Je certifie cette Copie conforme à l'Original.
Morand, Secretaire perpétuel.
162 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Belles-Lettres de Marseille.
L'Académie tint , felon l'ufage , fa féance
publique le 25 Août , jour de Saint Louis.
M. Artaud , Directeur , en fit l'ouverture
par un Difcours où il agita cette queftion :
Lequel des fujets d'Eloquence eft plus propre
procurer un plus grand nombre d'Ouvra
ges
de concours , ou un fujet de Morale on
un purement Littéraire ? M. Artaud fe décida
en faveur de la Morale , jugement
qui peut -être ne fera point exempt de
contradictions. Il est cependant amené
avec beaucoup d'adreffe , & foutenu par
toutes les reffources du bon Orateur.
On lut enfuite le Difcours qui a rem-.
porté le prix. Cet Ouvrage eft du R. P.
Menc , Dominicain , déja couronné dans
la même Académie l'année précédente . Il
a prouvé très folidement & avec toutes
les graces du ftyle , que le bonheur eft plus
commun chez les Petits que chez les Grands.
C'étoit le fujet ptopofé.
M. Dulard , l'un des Académiciens
célebre par un grand nombre de palmes
littéraires obtenues aux Jeux Floraux ,
OCTOBRE . 1756. 163
furtout par fon Ouvrage fur la grandeur
de Dieu annoncée par les merveilles de la
nature , Ouvrage dont l'entrepriſe ſeule
eût fait honneur à fon génie , & dont le
fuccès l'a dignement payé de fon travail ,
fit la lecture d'un Poëme d'environ trois
cens vers fur la prise de Minorque , matiere
riche , précieufe à tout bon Citoyen ,
& parfaitement analogue aux circonftances.
Il fut accueilli avec d'autant plus
de fatisfaction & d'applaudiffemens
que l'eftimable Académicien a fçu joindre
le mérite de la compofition &
d'une poéfie noble & élevée , à celui que
fon Ouvrage tiroit de la conjoncture .
que
M. de Clairfontaines , Secretaire de
M. le Duc de Villars , & Affocié de l'Académie
, termina la féance par le dernier
Acte d'une Tragédie de fa façon.
Elle a pour titre les Adieux d'Hector &
d'Andromaque , l'un des plus beaux fujets
& des plus intéreffans que préfente Homere.
Il eft glorieux pour M. de Clairfontaines
d'avoir fçu faire ufage de ces
traits fublimes , de ces fentimens exprimés
avec tant de force & d'une maniere
fi pathétique , que lui fourniffoit le Prince
des Poëtes.
L'Académie a confirmé le fujer qu'elle
avoit donné il y a deux mois , pour le
164 MERCURE DE FRANCE.
prix de Poéfie de l'année prochaine 1757 .
C'est la Conquête de l'Ile de Minorque.
Ce fujet doit être traité en Ode , à l'exclufion
de tout Poeme. Le genre auquel
l'Académie aftraint les Auteurs , ouvre une
carriere bien plus libre à l'enthouſiaſme ,
dont le brillant événement , qu'on les
invite à célébrer , les animera fans doute .
Nous fouhaiterions que la plupart des
Académies de Province vouluffent bien
imiter la précifion de celle de Marſeille ,
ou réduire du moins àla moitié les Extraits
des Séances qu'ils nous envoient. La variété
que demande notre Recueil nous met dans
La néceffité de les en prier.
OCTOBRE. 1756. 165
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
Samedi 4 Septembre , l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture a tenu fa
féance publique. M. le Marquis de Marigny
, Secretaire de l'Ordre du S. Efprit ,
Directeur & Ordonnateur Général des
Bâtimens du Roi , Jardins , Arts , Académies
& Manufactures Royales , y a fait la
la diftribution des prix de Deſſein , de
Peinture & de Sculpture remportés par les
Eleves .
M. Dandré Bardon , l'un des Profeffeurs
de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , Profeffeur des Eleves protégés
par le Roi , pour l'Hiftoire , la Fable & la
Géographie , Membre de l'Académie des
Belles - Lettres de Marfeille & Directeur
perpétuel de l'Ecole académique des Arts ,
établie en cette même Ville , a lu une
166 MERCURE DE FRANCE.
Conference fur l'utilité que les jeunes Artiftes
peuvent retirer d'un cours d'hiftoire univer-
Jelle traité relativement aux Arts.
Son objet a été de rendre compte à
l'Académie de la maniere dont il traite
l'ouvrage auquel il travaille , afin de remplir
avec fuccès , pour la République des
Arts , le pofte dont le Roi lui a fait l'honneur
de le charger .
Il envifage l'hiftoire univerfelle comme
le flambeau des Arts. C'eft fous ce point
de vue , qui réunit tout l'intérêt que les
Artistes peuvent trouver dans l'hiftoire ,
qu'il fe propofe de la leur préfenter dépouillée
de tout ce qu'elle a d'inutile pour
eux , & orné de toutes les richeffes pittorefques
, de tous les principes & de toutes
les images dont elle eft fufceptible ,
relativement à leurs talens.
Il dirige fon ouvrage à la lueur des
deux grands flambeaux qui introduifent
dans le Temple des Arts , les préceptes &
les exemples : c'eſt ainſi qu'il réunit les
principes invariables & lumineux qui font
le corps de doctrine de la Peinture & de
la Sculpture , avec les exemples qui font
confignés dans les chef - d'oeuvres des
grands Maîtres.
Ce double objet forme la divifion de
cette Conférence.
OCTOBRE. 1756. 267
«Les récits hiftoriques ( dit l'Auteur en
» par ant de fon cours d'hiftoire univerfelle
» relative aux Arts ) s'y trouvent toujours
affociés avec les principes invariables
» de nos talens . Premiere obfervation .
22
» Les ouvrages des grands Maîtres qui
» ont traité une multitude de ces événe-
» mens , y rappellent à l'Artiſte les exemples
les plus précieux . Derniere obfer-
و ر
» vation . »
Il fait voir par quelques extraits de fon
cours d'hiftoire la maniere dont il le remplit.
Dans la premiere partie de fon Difcours
M. Dandré Bardon fe borne à l'expofition
de trois fujets fufceptibles des principaux
principes de la Peinture ; ordonnance pittorefque
, nobleffe des caracteres , effet
des lumieres.
Il fait l'application du premier dans une
vive & rapide defcription qu'il trace du
déluge univerfel. La déclaration de guerre
que les Romains firent aux Carthaginois
au fujet de la prife de Sagonte , lui fert à
faire ufage des principes qui concernent
la nobleffe des caracteres . Pour développer
ceux qui ont trait aux effets de lumiere ,
il a fait choix de l'apparition de l'ombre
de Samuel à Saül , opérée par les enchantemens
de la Magicienne d'Endor.
}
168 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur dévoile dans la feconde Partie
les principaux avantages que les jeunes
Artiftes trouvent dans les exemples merveilleux
d'imitation que fourniffent les
chef d'oeuvres des grands Maîtres.
Par la magnifique defcription qu'il fait
du frappement de roche du Pouffin , il
prouve l'importance de fixer , à l'exemple
des grands hommes , le plan d'un fujet
avant que de le tracer avec le crayon . Il
développe avec jufteffe les trois intérêts
principaux qui partagent l'attention du
fpectateur dans le chef - d'oeuvre de ce
grand Artifte : les tourmens de la foif,
"la fatisfaction de l'étancher , l'admiration
qu'excite le prodige, rappellent à l'idée
tout ce que ce fait offre de pathéti-
», que ,
d'intéreffant & de merveilleux .
» Ĉes trois fentimens forment , pour le
» dire ainfi , une efpece de divifion du
» difcours pittorefque du Pouffin . Eh !
quel Orateur parla jamais avec plus
d'éloquence qu'il le fait aux yeux des
"
33
"Connoiffeurs ! »>
Les juftes éloges que M. D. B. donne
au tableau de Rubens , repréfentant Thomiris
qui fait tremper dans le fang la tête
de Cyrus , lui fervent à montrer que plus
les modeles qu'un jeune Artifte fe propoſe
d'imiter , font parfaits , plus l'impreffion
qu'ils
OCTOBRE. 1756. 169
33
qu'ils font eft profonde , & plus auffi il eft
a craindre qu'ils ne fubjuguent ſes idées ,
& ne le conduifent au plagiat . Après avoir
mis dans tout leur jour les fublimes beautés
de ce chef- d'oeuvre , il offre une reffource
contre le charme féduifant de toutes
les compofitions qui , comme celle- ci ,
mettent le génie dans une efpece d'impuiffance
de rien créer. « Sortons , dit-il , de
» ce magnifique palais où Rubens établit
» le théâtre de l'action . Tranfportons- nous
» fur le champ de bataille où Thomiris a
» immolé un peuple d'ennemis à la valeur
» de fa Nation , & Cyrus leur Roi à fa
"propre vengeance . Armée d'un arc & de
» javelots , montée fur un fuperbe cour-
» fier , la Reine des Scythes porte dans fes
» yeux & fur fon front la fureur qui ,
» dans la chaleur de fon reffentiment , lui
» fait naître la penfée inhumaine que le
fang froid ne fçauroit vraiſemblable-
» ment enfanter. C'eft ainfi que cette Hé-
» roïne tranfportée d'un premier mouve-
» ment , auquel on ne réfifte guere , fait
couper la tête au cadavre du plus grand
» Roi de la Perfe , & fe raffafie elle - même
» du barbare plaifir de l'infulter après fa
» mort . " Nous fommes fâchés que la
briéveté d'un extrait ne nous permette pas
de rapporter en entier ce tableau que la
I. Vol.
"3
H
170 MERCURE DE FRANCE.
plume de M. Dandré Bardon a peint avec
les traits les plus frappans & les couleurs
les plus vives.
Il a fini les images qu'il a inférées dans
fa Conférence , par la peinture du paſſage
des Alpes , fi célebre dans l'hiſtoire d'Annibal.
C'eft à cette occafion que l'Auteur
de la Conférence rappelle qu'il y a un
nombre prefqu'infini de beaux fujets
d'hiftoire qui n'ont point été traités par
d'habiles Maîtres. Il démontre par l'expofition
de celui- là , combien il étoit fatisfaifant
pour l'Artiste &
avantageux pour
le talent , de retirer ces fujets d'une espece
d'oubli où ils languiffent fans le fecours
des Arts de Peinture & de Sculpture , dont
l'objet effentiel doit être d'expofer aux
yeux des connoiffeurs les traits héroïques
qui font comme enfevelis dans les volumes
des plus célebres Hiſtoriens.
Après avoir donné une idée de ce Difcours
, nous nous faifons un plaifir de
donner une idée du ftyle de l'Auteur. Il
débute ainfi relativement à la circonftance
de la diftribution des Prix :
Meffieurs , ce jour que vous confa-
>> crez au triomphe du génie , ce jour que
>> rendent célebre les libéralités du Roi
» confiées à notre Mécene , ce jour bril-
»lant par le concours de mille Citoyens ,
OCTOBRE. 1756. 171
"
"
zélés amis des Arts , nous rappelle ces
» Affemblées folemnelles où le mérite étoit
❞ couronné des mains de la Grece entiere.
» La palme accordée aux Vainqueurs encourageoit
leurs rivaux à s'en rendre
dignes , & l'émulation aiguillonnée par
l'efpérance enfantoit les plus heureux
fuccès. Ainfi fe formoient ces fociétés
d'hommes de génie , occupés du foin
d'enrichir la patrie de nouveaux tréfors ,
» de foutenir par des chef- d'oeuvres multipliés
la gloire de leur Nation , & de
» tranfmettre à la poſtérité les talens de
» leurs Ancêtres.
"
"
"
"2
» A ces traits , Meffieurs , on reconnoît
» aifément cette multitude d'Artiftes qui
" fe forme continuellement fur vos traces
» & fous vos yeux . C'eft une espece de
» colonie que vous deftinez à perpétuer la
république des Arts dont vous êtes l'hon
» neur , la gloire & le foutien.
"
"
وو
Chargé d'un pofte dont l'objet peut
» être de quelque utilité à vos Eleves ,
pourrois-je mieux entrer dans vos vues
qu'en vous expofant le projet d'un cours
d'hiftoire univerfelle relatif à tout ce qui
» peut intéreffer nos talens , &c » ?
و ر
93
"
Voici comment il termine fa Conférence
à l'occafion des fujets nouveaux qu'il déterre
dans l'hiftoire, « Ces fujets pitto
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
??
refques & neufs ne font point rares :
l'hiftoire nous en offre un grand nombre.
Le regne du goût , du génie & des
» talens , le regne de notre Augufte Mo-
» narque ne fervira qu'à les multiplier
toujours davantage. Nouvelles richeffes
» qui s'accumulent pour la poftérité. Nous
» la félicitons d'avance de la gloire de les
pofféder , de les décrire & de les pein-
» dre. Elle ne manquera pas d'Artiftes.
» Les grands Rois & leurs Miniftres fu-
» rent toujours les protecteurs des talens.
" Il n'ont qu'à commander qu'il fe forme
» des Peintres , des Sculpteurs , des Hif-
»toriens , & il s'en formera , La nature &
» l'art font toujours prêts à fervir leur
goût. Quelle preuve n'en donne pas
» notre Mécene , en rendant à notre admi-
» ration les chef- d'oeuvres voilés à celle de
"
nos peres , en rétabliffant ceux que le
» temps avoit dégradés , & en faifant fervir
» tous les Arts à la noble décence des Pa-
» lais de nos Rois , à l'utilité du Public
» & à la majefté des Temples du Sei-
❞ gneur !
Puiffent vos arriere petits neveux être
» encore eux-mêmes témoins oculaires des
» hauts faits de Louis XV , jouir du bon-
» heur que nous goûtons de vivre fous fes
loix , & célébrer fur vos traces les mer
99
OCTOBRE. 1756. 173
veilles de fon regne , par des ouvrages
dignes , ainfi que les vôtres , de l'im-
» mortalité !
93
Comme les Arts ne peuvent rencontrer
de protections plus utiles à leurs progrès
que celles des graces , il eft jufte que les
Arts donnent une efpece d'immortalité à
leurs Protectrices. C'eft un tribut dont la
Peinture vient de s'acquitter envers Ma
dame de Pompadour , par le portrait qu'en
a fait M. Boucher.
Cet ouvrage , fans doute , doit à fon
modele fes plus précieux avantages : mais
on ne peut , fans injuſtice , fe taire fur le
don enchanteur qu'à reçu ce Peintre , pour
voir & pour rendre tous les objets de la
nature fous leurs afpects les plus féduifans.
En effet , indépendamment de l'exacte
reffemblance , premiere condition dans
tout portrait , celui- ci , par le caractere des
yeux , par le point vrai de la phyfionomie ,
préfente une image fi vive & fi frappante
de l'ame , qu'il paroît être plutôt faifi
un moyen furnaturel que tracé par le pénible
méchanifme du pinceau. Pourquoi ne
diroit on pas , puifqu'on le fent fi bien
que l'efprit & le coeur, ont comme le corps,
des attitudes habituelles celles du corps
fixent une forte de reffemblance qui ne propar
>
Hiij
176 MERCURE DE FRANCE.
déployées. Le Léopard terraffé rend les
derniers foupirs. On lit dans les yeux du
Lion la frayeur qui l'agite. Au deffous de
ces différens Symboles , la figure allégorique
de la Force eft debout, le coude fur une
maffue & la tête appuyée fur fa main . Tout
annonce dans cette figure la plus profonde
trifteffe. Ce Monument a vingt pieds de
face fur vingt-cinq de haut. Il fera exécuté
en marbre, & il doit être placé à Strasbourg
dans l'Eglife Luthérienne de S. Thomas ,
où le Maréchal de Saxe eft inhumé . La
Poéfie noble & hardie qui brille dans l'invention
du Sculpteur , préfente un tableau
également majestueux & touchant. Voici
une infcription en vers qui nous a été envoyée
pour ce Maufolée par M. Taffe.
Paffant arrête & confidere
L'intrépide Guerrier dont le fort fut fibeau :
Mais fonge en même temps qu'il n'eft qu'un pas
à faire
Du néant de la gloire au néant du Tombeau.
GRAVURE.
Dans l'annonce que nous avons faite le
mois paffé des Estampes des quatre Arts
du Sieur Feffard , d'après les tableaux de
M. Vanloo , page 228 , il est échapé une
faute d'impreffion que nous nous emprefOCTOBRE.
1756. 177
on de corriger. Les gravures que nous annonçons
font les premiers des tableaux qui
décorem le Château de Bellevue , lifez , font
les premieres des tableaux , &c.
Comme l'on eft maintenant à portée
d'avoir un Plan exact du Fort S. Philippe
de Mahon , le fieur Lerouge , Ingénieur ,
Géographe , rue des Grands Auguftins ,
en a publié un , le 30 d'Août , avec les
attaques , détails , profils des ouvrages
attaqués , &c. Prix lavé , 48 fols ; en
blanc , 24 fols.
ARTS UTILES.
HORLOGERIE.
RÉPONSE à la Lettre d'un Anonyme
fur les Pendules à chapelets , inférée dans
le Mercure de Juillet .
Quand M. le Roy fils , de l'Académie
Royale d'Angers , a dit , Monfieur , dans
le Mercure de Mai , que fon ouvrage avoit
été imité avec fuccès , particulièrement par
M. le Mazurier , &c , il n'a pas prétendu
par-là reclamer la Pendule de vorre ami
comme de fon invention , felon vos paro-
• Hv
#78 MERCURE DE FRANCE.
les : fa lettre au contraire contenant unt
defcription exacte de fa pendule , & le
certificat de l'Académie , ôrent toute équivoque
& mettent chacun à portée de connoître
ce que les deux machines ont de
commun ou de différent.
L'expofé de M. le Roy fait voir , par
exemple , qu'il n'emploie dans fa Pendule
à augets , que la roue de rencontre
ordinaire de Granham , ou toute autré
portant l'aiguille des fecondes avec l'échappement
qu'elle exige , & que fur cette
roue unique il place le chapelet qui , avec
la trémie, forme une pendule dont le mouvement
dure à volonté. La divifion du
moteur par la trémie , réduifant néceffairement
la machine à fes plus fimples termes
, il a penfé qu'on ne pouvoit faire intervenir
ici le principe ( 1 ) de fa premiere
(1 ) Ce principe confiſte à ne reftituer le mouvement
au pendule qu'après beaucoup de vibrations
. Dans le rapport de M. le Mazurier , Mercure
de Juin 1755 , l'Académie dit qu'après la
découverte des échappemens à repos , la propriété
qu'a le pendule de conferver long- temps fon
mouvement devoit naturellement faire naître
cette idée , qui auroit conduit à retrancher plufieurs
roues , & en général à fimplifier toute la
machine cependant , pourfuit - elle , ce ne fut
que log temps après la découverte des échappemens
à repos, qu'on fit des Pendules fur ce principe
on les doit au fils de M. Julien la Roi , qui les
inventa en 1757.
OCTOBRE. 1756 . 179
pendule à une roue , & que ce feroit multiplier
très-inutilement les êtres.
Comparant cette defcription avec celle
de M. le Mazurier , on voit que ce dernier
a fuivi une route fort différente ; que fon
mouvement exige néceffairement deux
roues & deux échappemens ; un premier
pour la conduite du rochet de fecondes ,
& un deuxieme à détente , compofé de
plufieurs pieces mobiles fur des centres ,
où elles doivent toujours conferver leur
liberté , par lequel la roue chevillée reftirue
le mouvement à chaque minute . C'eſt
aux Méchaniciens à juger laquelle de ces
deux méthodes eft préférable. Tout ce que
je puis ajouter , c'eft que la reftitution du
mouvement à chaque minute , entraîne
de fi grandes difficultés d'exécution , que
M. le Roy l'abandonna dans fa pendule à
une roue & à rateau , pour y fubftituer la
reftirution ordinaire dans chaque feconde.
Rapportons ce que les Commiffaires de
l'Académie prononcerent dans cette occafion
, le 7 Mai 1755 , après que cette pendule
eur fubi , felon le voeu de l'Auteur ,
une expérience de près de deux années .
Outre que cet article trouve ici naturellement
fa place , il pourra faire fentir à quelques
perfonnes qui n'v font pas affez d'artention
, l'extrême différence qui fe trouve
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE,
entre faire de légeres mutations dans quel
ques parties d'un ouvrage déja connu , &
changer une machine jufques dans fon
principe.
ور
ود
ور
Quoique la premiere conftruction de
» M. le Roi ( ce font les termes du rap-
» port ) pût le fatisfaire quant à fa fimpli-
» cité , il fentit très- bien qu'elle étoit fujette
à quelques inconvéniens. Un Artifte
habile & éclairé , fçait mieux que
» tout autre , que l'invention la plus heu-
» reuſe perd une très grande partie de fon
» mérite , fi elle renferme de trop grandes
» difficultés dans l'exécution . Il n'en eft
» pas d'un changement total dans la conf-
» truction d'une machine comme du chan-
" gement de quelques pieces particulieres :
» dans le premier cas tout eft à faire , inven-
» ter & perfectionner , au lieu que le chan-
" gement de quelques pieces , qui laiffe
» toujours le fonds de la machine tel qu'on
» l'a trouvé , ne doit être réputé que per-
» fection , & on a obligation à ceux qui
» les font. Combien y a t'il eu de change-
» mens & d'arrangemens différens faits à
» l'ancienne conftruction des pendules ,
depuis la premiere qu'on a faite jufqu'aujourd'hui
! Auffi bien loin d'être étonné
» que M. le Roy ait trouvé des change-
» mens à faire dans la premiere conſtruc
و ر
."
ود
ور
OCTOBRE. 1756. 1S1
» tion de fa pendule , on devroit plutôt
» l'être de ce qu'elle eft arrivée fitôt au
» point de perfection où nous la voyons » > .
Pour revenir à notre fujet , je fouhairerois
, Monfieur , pouvoir noter ici la
différence qui fubfifte entre les fonneries
de Meffieurs le Mazurier & le Roy , fils ,
quoique fondées fur le même principe ( 1 );
(1) Ce principe confifte à fe fervir des vibrations
du pendule pour mettre un intervalle entre
chaque coup de marteau . Voici comme l'Académie
s'exprime à ce fujet dans le rapport de M.
le Roi cité ci - deſſus . La fonnerie de cette Pendule
ou de ces Pendules ) car elle étoit la même dans
les deux premieres ) n'eft pas moins ingénieufe que
le mouvement : elle n'eft composée de méme que
d'une roue faifant par une de fes faces la fonction
de roue de chevilles , & par l'autre celle de chaperon
ou de roue de compte , & c. Et dans le rapport
de M. le Mazurier , Mercure de Juin , fecond volume
, on lit ce qui fuit : Si par quelque moyen
Simple on pouvoit empêcher que le poids où le reffort
d'une fonnerie ne fe muffent trop rapidement , on
trouveroit par-la le moyen de fe paffer des quatre
roues du volant qu'on emploie pour cet effet ;
c'eft ce que le fils de M. Julien le Roy , déja cité ,
exécuté le premier , au moyen du régulateur du
mouvement , dans une Pendule qu'il préſenta à
l'Académie le 19 Avril 1752. Dans la defcription
que l'on en trouve dans le Mercure d'Août de la
méme année , pag. 161 , on voit qu'il n'y a dans
cette fonnerie qu'une roue unique , ſervant tout à la
fois deroue de chevilles de chaperon , dont l'action
eft ralentie & reglée par le régulateur mêmea
j
182 MERCURE DE FRANCE.
mais les bornes de cette réponſe m'en empêchent.
Je palle rapidement aux autres
articles de votre lettre.
Si vous l'euffiez montrée à M. le Mazurier
, il eft vraisemblable qu'il en eût retranché
l'endroit où vous incidentez fur
ce que les deux rapports ont été faits le
même jour. Il vous auroit dit , fans doute,
qu'il avoit été un des premiers à voir la
pendule de M. le Roy , qui fur ce ſujet
étoit entré avec lui dans le plus grand détail
, longtemps avant qu'il eût fongé à
éxécuter la fienne. Il ne vous eût pas non
plus laiffé ignorer que la date feule de
préfentation eft à confidérer , celle du rapport
dépendant de mille circonftances peu
relatives au temps où l'ouvrage paroît , &
il vous auroit fait remarquer que celle de
M. le Roy , que le rapport place au mois
d'Avril , eft antérieure de près de quatre
mois à la fienne qui eft de quelques jours
avant les vacances. Votre ami eût été d'autant
plus porté à lui rendre cette juſtice ,
que quand il eut formé le projet de fa
nouvelle pendule , il crut qu'il étoit de
l'exacte équité dont il fait profeffion , d'aller
lui en faire part , & fçavoir de lui s'il
ne lui feroit aucune peine en l'exécutant
(1 ).
( 1 ) Le défir de s'attirer l'eftime & quelque
OCTOBRE. 1756. 183
On fe perfuade auffi que M. le Mazurier
eût fupprimé de votre écrit l'endroit
où vous remarquez que M. le Roy n'eft
point inventeur des chapelets à augets dès
longtemps connus dans la Méchanique . Il
n'a , dires - vous , imaginé que leur application
aux horloges fixes : que ne vous doit- il
pas , Monfieur , pour ce trait de générofité
! car enfin , vous pouviez ajouter qu'il
n'étoit pas Auteur du petit plomb , des
vannes , des trémies , que fçai- je , du cuivre
& de l'acier.
Enfin , dites vous , M. le Roy devoit
être content de l'aveu que M. le Mazurier
avoit fait , que le nouveau principe de mouvement
qu'il avoit employé lui appartenoit.
A cela je réponds pour lui , que le petit
livret de votre ami , fuffiroit pour le juftifier
à cet égard. On y expofe les avantages
des pendules à augets , avantages que
M. le Roy avoit déja énoncés dans l'Acaconfidération
de fes Concitoyens , ayant toujours
été le premier but de M. le Roi , il n'a point
cherché à détourner M. le Mazurier de fon projet
il en a ufé de même avec M. Mauroy jeune
Horloger , qui a fait ufage du nouveau principedans
une Pendule a fecondes & à fonnerie , à
рец
près dins le même temps que M. le Mazurfer ,
& qui eft actuellement occupé à l'appliquer à une
groffe Horloge qu'il fait pour la ville de Montfort
l'Amaury.
184 MERCURE DE FRANCE.
démie le 23 Avril : mais au lieu d'y faire
mention de lui , M. le Mazurier ( fans
doute par inadvertance ) parle de la nouvelle
méthode comme d'une chofe à lui :
Suivant mon principe & ma nouvelle méthode
, dit -il , page 4 , & c .
On n'a pas été plus attentif dans l'annonce
du Mercure. Elle contient le rapport
entier des commiffaires. Mais quand
l'Auteur arrive à l'endroit incommode ,
où ces Meffieurs déclarent que cette méthode
, pour faire mouvoir des horloges par
des chapelets à augets qui fe garniffent de
plomb en paffant fous des trémies , eft dûe au
fils ainé du fieur Julien le Roy , comme s'il
craignoit que cela ne fît une impreffion
trop frappante fur le Lecteur , par une
prompte diverfion , il renvoye à la note ,
où il s'exprime ainfi : Par mon principe &
ma nouvelle méthode , & c.
Après une telle annonce , le filence de
M. le Roy eût fans doute été pris pour un
aveu tacite de ce qu'elle renfermoit ; ainfi
quoiqu'il n'ait pas moins de confidération
pour la perfonne de M. le Mazurier ,
que d'eftime pour fes talens , il n'a pu fe
difpenfer de rendre publique la lettre
qu'on a vu dans le Mercure de Mai .
J'ai l'honneur d'être , & c .
OCTOBRE . 1756. 185
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Samedi 4 Septembre , les Comédiens
François repréſenterent l'Ecole des Femmes,
que S. A. S. Madame la Ducheffe d'Orléans
honora de fa préfence : l'affemblée
étoit des plus brillantes. Le fieur Deformes
y débuta dans le rôle d'Arnolphe
qu'il remplit avec intelligence , mais un
peu froidement. Le Lundi 6 , il joua celui
d'Efope dans Efope à la Cour , & rendit
furtout les fables en Acteur qui en fent
toutes les beautés , & qui eft Auteur luimême.
Nous ne diffimulerons point que le
Spectateur Parifien lui a trouvé un accent
ou un ton étranger : mais avec l'efprit qu'il
a , il peut corriger aifément cette imperfection
, & fe mettre bientôt au ton des
Comédiens de Paris . Le Samedi 11 , on a
donné Hérode & Mariamne , Tragédie
remife , de M. de Voltaire , & l'Ecole des
Maris, Le nouvel Acteur a repréſenté
186 MERCURE DE FRANCE.
dans cette derniere piece Sganerelle avec
l'applaudiffement du Public : mais nous
croyons devoir l'avertir de prendre garde
à ne pas corriger un défaut par un autre ,
c'est-à-dire, à ne pas troquer le froid qu'on
lui a reproché, contre un peu trop de charge.
Le Lundi 13 , on a eu le plaifir de revoir
& d'applaudir Mademoiſelle Clairon dans
Electre. La Chambrée étoit nombreuſe &
digne d'elle.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Jeudi 2 Septembre , les Comédiens
Italiens donnerent la premiere repréfentation
de Plutus rival de l'Amour , petite
Comédie en un Acte, qui a été reçue favorablement.
Elle eft de Madame Hus , mere
de Mademoiſelle Hus , Comédienne Françoife.
Pour prévenir le Public en fa faveur ,
Mademoiſelle Silvia fit un compliment qui
fut très-applaudi , & qui mérite d'être retenu
par fa préciſion . Le voici en quatre
vers :
Par de longs complimens , on vient pour vous
féduire ,
Et pour mandier un fuccès ,
Je n'ai que
deux mots à vous dire :
L'Auteur eft femme , & vous êtes François.
OCTOBRE . 1756. 187
Ce Drame fut fuivi Du Forgeron , nouveau
Ballet Pantomime de la compofition
du fieur Rey, qui l'a exécuté lui- même avec
fa femme. Il eft frere de Mademoiſelle
Rey, Danfeufe de l'Opéra , & montre toute
la légèreté de la famille.
LE
OPERA COMIQUE.
E Samedi 11 du même mois , ce
Spectacle donna pour la premiere fois le
Mariage par efcalade , Petite piece en un
Acte , qui a été faite à l'occafion de
la prife de Port Mahon. Elle a le plus
brillant fuccès. Tout Paris y acourt. On
ne doit pas en être furpris. Elle eft de M.
Favart. On fçait qu'il est fait pour attirer
toujours la foule au Spectacle pour lequel
il travaille. On lui reprochera peutêtre
d'y prodiguer trop la louange aux
François mais comme elle eft mife en
action & tournée en gaieté , qu'elle eſt
d'ailleurs méritée , elle perd les trois quarts
de fa fadeur. Nous ofons dire plus , nous
croyons que les éloges qu'on donne publiquement
à nos Guerriers ,font un bien pour
la Nation. Ils entretiennent , ils augmentent
même dans nos Troupes certe ardeur
martiale qui les rend intrépides &
188 MERCURE DE FRANCE.
qui leur fait tout facrifier pour la gloire.
Ils fervent non feulement d'aiguillon à la
valeur , ils font encore fa plus douce
récompenfe ; double raifon de les applaudir
, quand ils font bien faits.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Mercredi 8 Septembre , jour de la
Nativité , le Concert commença par une
fymphonie fuivie de Dominus regnavit ,
Motet à grand choeur de M. Mondonville.
M. Dugué chanta enfuite un petit
Motet nouveau . Mademoiſelle Sixte chanta
un petit Motet nouveau de M. le Febvre.
Mademoiſelle Fel chanta Afcendit Virgo ,
Mater , petit Motet Italien. M. Balbâtre
jona fur l'orgue un Concerto de fa compofition.
Le Concert finit par Cæli enarrant
, Motet à grand choeur de M. Mondonville.
OCTOBRE. 1756. 189
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 12 Juillet.
LA pefte continue de faire beaucoup de rava
ges dans cette Capitale. Un accident des plus funeftes
a augmenté la déſolation que cauſe ce féau .
Le feu ayant pris les de ce moïs chez un Teinturier
, le progrès des flammes fut fi rapide ,
qu'en trente-fix heures douze mille maifons ont
été réduites en cendres. Plus de mille perfonnes
ont péri dans cet incendie. Le défaftre auroit été
encore plus confidérable , fi l'on ne s'étoit apperçu
qu'un grand nombre de fcélérats , fous prétexte
de travailler à arrêter Fembraſement , ne
cherchoient qu'à le faire durer. Malgré la confufion
générale , le Grand Vifir eft parvenu à découvrir
environ trois cens de ces malheureux. Ils
ont été étranglés & jettés dans la mer. On në
peut encore évaluer la perte que cette Ville
foufferte.
DU NORD.
DE STOCKHOLM , le 4 Août.
Par une Déclaration publiée depuis quelques
jours , le Roi défend à tous Propriétaires ou
190 MERCURE DE FRANCE.
Capitaines de Vaiffeaux Suédois , de charger , pour
la France ou pour la Grande- Bretagne , aucunes
armes , munitions de guerre , & autres marchandifes
prohibées.
Des Brigands avoient formé le deffein de profiter
de la conjuration pour piller plufieurs des
principales maifons de cette Ville . On a arrêté
les chefs de ce complot. Les Colonels Stiernel &
Kalling ont été cités devant la Commiffion , à
l'occafion de quelques écrits dont on les accuſe
d'être les auteurs.
Elle continue d'inftruire le procès des nommés
Helberg , Flodelius , Fifcher & Sahlfeld , qui ont
tenté d'exciter les Dalécarliens à la révolte . Le
Trabant Silverhielm , que la Commiſſion avoit
fait arrêter dès le commencement de la Diete , a
été condamné à quinze jours au pain & à l'eau
enfuite à fix ans de prifon au Château de Maelftrand.
Il eft privé à perpétuité de la faculté de
rentrer au fervice , d'avoir voix dans les Dietes ,
& de le trouver jamais dans le lieu où la Diete
fera affemblée .
DE COPENHAGUE , le 20 Août.
Des lettres de l'Ile d'Iſlande annoncent que le
mont Kotlugia dans le district de Skoptefield s'eft
abîmé , ainfi que deux Villages qui en étoient
voifins. La perte caufée par l'incendie arrivé le
22 du mois dernier à Bergen , monte à plus de fix
millions . Trois mille mailons faifant environ le
tiers de la Ville , ont été réduites en cendres.
Entre les édifices que les flammes ont détruits
on regrette furtout l'Eglife neuve & la Douane.
OCTOBRE. 1756. 191
ALLEMAGNE.
DE RATISBONNE , le 28 Août.
Au commencement du mois dernier , l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Bohême donna un
Refcrit fur les motifs qui l'ont déterminée à faire
affembler les troupes en Bohême & en Morayie.
Cette Princeffe a fait publier depuis , à l'occafion
de la réponſe du Roi de Pruffe , un fecond Referit
, dont voici la teneur : « Il paroît par les dé-
>>clarations qui ont été faites de la part de la Cour
»de Berlin , que l'on veut s'y difculper de l'im-
»putation d'avoir donné occafion aux difpofitions
qui ont été jugées indifpenfables dans les Etats
de l'Impératrice . S'il eft vrai que les troupes
>>Pruffiennes n'ont pas été confidérablement aug-
»mentées en Siléfie , il n'eft pas moins vrai qu'on
les y a fait affembler & pourvoir d'artillerie , de
>>pontons & de tous les attirails de guerre néceffaires
pour entrer en campagne , & que les mêmes
difpofitions ont été faites dans les autres
Provinces de la dépendance de S. M. Pruffienne ;
deforte que les troupes y ont été mises en état
»de pouvoir fondre , dès qu'on le leur ordonne-
»roit , fur les Pays héréditaires de l'Impératrice ,
»foit par la Silefie , foit par les Etats Electoraux
»de Saxe. L'expérience du paffé doit fervir de
»regle pour l'avenir. Ainfi il doit paroître con-
»forme à la prudence que S. M. Impériale ne fe
»foit pas repofée fur de fimples affurances & pro-
»teftations , fans prendre les précautions conve-
»nables pour fa défenfe & fa fûreté . Du reſte , il
»y a une grande différence dans la nature des dif
pofitions de part & d'autre . Les troupes de l'Im192
MERCURE DE FRANCE.
»pératrice font diftribuées dans des lieux féparés
» par une longue diftance. Il a fallu s'y prendre à
»temps pour les faire fortir de leurs quartiers , &
»l'on ne devoit point attendre que l'événement
» eút vérifié ce que les préparatifs indiquoient , ou
»donnoient à foupçonner. »
On croit devoir joindre ici le Mémoire que le
Roi de Pruffe a fait remettre le 18 de ce mois à
la Cour de Vienne , & la réponſe de l'Impératrice
Reine.
Mémoire de M. de Klinggraff, Miniftre du
Roi de Pruffe , du 18 Août 1756 .
« Le Souffigné a l'honneur d'informer Sa Ma-
»jefté l'Impératrice Reine , que le Roi fon Maître
»vient de lui donner des ordres exprès de repré-
»fenter à fadite Majefté ce qui fuit , fçavoir: Que
»Sa Majesté le Roi de Prufle étoit faché d'impor-
>>tuner encore Sa Majefté l'Impératrice Reine ;
»mais que cela étoit indifpenfable dans la fitua-
»tion préfente des affaires , dont l'importance
pexigeoit des expl cations plus claires que celles
»que Sa Majefté l'Impératrice Reine a données
»en dernier lieu à fadite Majefté Pruflienne par le
Souffigné. Que ce Prince , pour ne rien diffimu-
»ler à Sa Majefté l'Impératrice Reine , ne pouvoit
»abfolument s'empêcher de lui faire connoître ,
» qu'il étoit informé d'une maniere à ne pas en
» douter , qu'Elle a fait au commencement de
>>cette année une alliance offenfive avec la Cour
»de Ruffie contre lui , par laquelle il a été ftipulé
»que les deux Impératrices attaqueront inopiné-
>ment le fufdit Prince ; celle de Ruffie avec cent
>> vingt mille hommes , & Sa Majefté l'Impératrice
>>Reine avec une armé de quatre -vingt mille
combattans.
OCTOBRE . 1756. 193
1
» combattans. Que ce projet , qui devoit fe mettre
nen exécution dès le mois de Mai de cette année ,
» n'avoit été différé juſqu'au printemps prochain
» qu'à cauſe que les troupes de Ruffie ont manqué
de recrues , leur Flotte de matelots , & la Fin-
» lande de bleds pour les nourrir. Que comme à
» préfent il étoit revenu de toutes parts à Sa Majefté
Pruffienne , que Sa Majefté l'Impératrice
»Reine raffemble fes forces principales en Bohê-
>> me & en Moravie , que les troupes campent à
»peu de diftance des frontieres de ce Prince ,
»qu'on fait des magaſins & des amas confidéra-
» bles de munitions de guerre & de bouche , que
>> l'on tire des cordons de Huffards & de Croates
vle long des frontieres du fufdit Prince , de même
»que s'il étoit en pleine guerre avec fadite Ma-
»jefté Impériale & Royale , il fe croyoit en plein
» droit d'exiger d'Elle une déclaration formelle &
» catégorique , confiftant dans une affurance que
» Sa Majefté l'Impératrice Reine n'a eu aucune
intention d'attaquer Sa Majesté Pruffienne ni
>>cette année , ni celle qui vient.Qu'il importoit à
» ce Prince d'être éclairci s'il étoit avec Sa Majeſté
» l'Impératrice Reine en guerre ou en paix , qu'il
>>en rendoit cette Princeffe l'arbitre . Que fi les
»intentions de Sa Majefté Impériale & Royale
wétoient pures , ce feroit à préfent le moment de
»les mettre au jour ; mais que fi au contraire on
>>donnoit à Sa Majeſté Pruſſienne une réponſe iny
certaine & non concluante , Sa Majesté l'Impé-
>>ratrice Reine auroit à fe reprocher toute la fuite
>>qu'attirera cette façon tacite , & qu'Elle confir-
>> meroit par-là les projets dangereux qu'Elle auroit
»formés avec la Ruffie contre fadite Majefté Pruf-
»fienne, & qu'enfin ce Prince atteftoit le Ciel qu'il
weft innocent des malheurs qui s'enfuivroient.a
I. Vol
194 MERCURE
DE FRANCE.
Le Souffigné a ordre de demander fur ce que
deffus , une réponse prompre , catégorique & par
écrit , ainfi que Sa Majefté l'Impératrice Reine le
lui a fait promettre en dernier par fon Excellence
M. le Grand Chancelier de la Cour le Comte de
Kaunitz-kittberg .
A Viennes , le 18 Août 1756 .
Réponse au Mémoire présenté par M. de
Klinggraff, le 18 Août 1756.
a Sa Majesté le Roi de Pruffe étoit déja occupé
»depuis quelque temps de toutes les elpeces de
»préparatifs de guerre les plus confidérables & les
»plus inquiétans pour le repos public , lorſque le
26 du mois dernier , ce Prince jugea à propos de
»faire demander des éclairciffemens ǎ Sa Majefté
l'Impératrice Reine tur les difpofitions militaires
qui fe faifoient dans les Etats , & qui ne
venoient d'être réfolus que d'après tous les préparatifs
qu'avoit déja faits S. M. Pruffienne . Ce
»font des faits à la connoiflance de toute l'Europe.
»Sa Majefté l'Impératrice Reine auroit pu fe dif-
»penfer , moyennant cela , de donner des éclairciflemens
fur des objets qui n'en avoient pas
»befoin ; Elle a bien voulu le faire néanmoins ,
»& déclarer elle - même pour cet effet au fieur de
Klinggraff , dans l'audience qu'Elle lui accorda
ale 26 de Juillet : Que l'état critique des affaires
»générales lui avoit fait envisager les mesures
vqu'Elle prenoit comme néceffaires pour fa fûreté
celle de fes Alliés , & qu'elles ne tendoient
d'ailleurs au préjudice de qui que ce fut. Sa Ma-
»jefté l'Impératrice Reine eft fans doute en droit
»de porter tel jugement qu'il lui plaît fur les circonftances
du temps , & il n'appartient de même
OCTOBRE. 1756.
195
S
-it
»qu'à Elle d'évaluer fes dangers. D'ailleurs fa dé-
» claration eſt ſi claire , qu'Elle n'auroit jamais
»imaginé qu'elle pût ne point être trouvée telle .
» Accoutumée à éprouver , ainfi qu'à obferver les
mégards que fe doivent les Souverains , Elle n'a
donc pu apprendre qu'avec étonnement & avec
la plus jufte fenfibilité , le contenu du Mémoire
»préfenté par le fieur Klinggraff . le 18 du cou-
>> rant , dont Elle s'eft fait rendre compte. Ce Mé-
>>moire eft tel quant au fonds , ainfi que quant
»aux expreffions , que S Majefté l'apérà rice
»Reine ſe verroit dans la néceffité de fortir des
> bornes de la mod ration qu'elle s'eft preferite ,
»fi elle répondoit à tout ce qu'il content. Mais
»Elle veut bien encore cependant , qu'en réponfe
» on déclare ultérieurement au fieur de Klinggraff
, que les informations que l'on a données
»à Sa Majefté Pruffienne d'une Alliance offenfive
>> contre Elle , entre Sa Majeſté l'Imperatrice Reine
» & Sa Majeſté l'impératrice de Ruffie , ainſi que
toutes les circonftances & prétendues ftipula-
» tions de ladite Alliance , font abfolument fauffes
»& controuvées , & que pareil Traité contre Sa
» Majeſté Pruſſienne n'existe point & n'a jamais
mexifté. Cette déclaration mettra toute l'Europe
à p rtée de juger de quelle valeur & qualité feroient
les fâcheux événemens qu'annonce le
» Mémoire du fieur de Klinggraff , & de voir
» qu'en tous cas ils ne pourront jamais être imputés
à Sa Majesté Impératrice Reine. Et c'eft
nce que , par ordre exprès de Sa Majesté l'Impépratrice
Reine , on eft chargé de faire connoître
Dau fieur de Kiinggraff , en réponſe à fon Mé
>> moire. »
A Vienne , le 21 Août 1756.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
DE LEIPSICK , le 2 Septembre.
Quatre Régimens d'Infanterie & un Régiment
de Huffards des troupes du Roi de Pruffe entrerent
ici le 29 du mois dernier , fans qu'on eût eu
aucun avis de leur marche. La plupart des habitans
étoient alors affemblés dans les Eglifes , où
ils vaquoient avec fécurité aux exercices du culte
Divin. Depuis quinze jours , les garnifons de
cette Ville & de la Citadelle en étoient forties
pour le rendre au camp de Pirna. Le Général
Baron de Haxthauſen , Gouverneur de Leipfick ,
chargé par le Roi de prendre le commandement
de ce camp , étoit allé à Drefde recevoir les ordres
de Sa Majesté.
Auffi-tôt après l'arrivée des Pruffiens , le Prince
Ferdinand de Brunſwic qui les commandoit , prit
poffeffion des portes de la Ville , & il pofa des
Gardes à l'Hôtel de Ville , à la Tréforerie & à la
Citadelle. Les foldats des Régimens d'Infanterie
furent logés chez les Bourgeois , & les Huffards
dans les environs de la Ville . Pendant qu'on faifoit
la diftribution des logemens , on apprit que
quatre autres Régimens Pruffiens avoient fuivi la
premiere divifion de leurs troupes , & qu'ils
étoient cantonnés près d'ici en différens Villages.
Le même jour , le Prince de Brunſwic fit publier
une Ordonnance portant ce qui fuit : « Nous
>> Ferdinand , &c. Lieutenant-Général des Armées
»de Sa Majefté Pruffienne , Colonel d'un Régi-
>> ment d'Infanterie , Gouverneur des Ville & For-
»tereffe de Magdebourg , Chevalier de l'Ordre de
>>l'Aigle Noir , &c. Sçavoir faifons , que c'eſt par
» ordre de Sa Majesté Pruffienne que nous sommes
mentrés avec un corps de troupes dans l'Electorat
OCTOBRE . 1756. 197
»de Sare. Comme Sa Majeſté Pruffienne , loin de
»permettre qu'on y faffe le moindre dégât , veut
Dau contraire qu'on épargne le pays le plus qu'il
nfera poffible , & qu'on regarde & protege la
Saxe comme fes propres poffeffions , Elle a or-
»donné très-expreffément d'y faire obſerver à fes
troupes une exacte difcipline , de punir févére-
>>ment les foldats ou Officiers qui feront trouvés
Den faute à cet égard , & de remédier prompte-
>> ment aux défordres qu'ils auront commis. Or ,
»pour maintenir le bon ordre , il eft néceffaire
»que le Pays fourniffe aux troupes du Roi les
»fourrages , le pain , la viande , la biere & les
»légumes dont elles auront befoin . Ainfi il con-
>>vient de prendre des mefures fixes pour les
»livraiſons de ces provifions . En conséquence ,
»Nous mandons par la Préfente , au nom & de la
»part de Sa Majefté , à tous les Membres de la
»Nobleffe de chaque Cercle de l'Electorat , qu'ils
wayent à comparoître devant nous à Leipfick foit
wen perfonne , foit par repréfentans duement
»qualifiés , le 30 Août pour le plûtard , afin de
»délibérer fur lefdites livraifons ; Sa Majesté ayant
»nommé une Commiffion particuliere pour liqui
»der avec eux. Ceux qui manqueront de fe conformer
à la Préfente , ne devront s'en prendre
» qu'à eux-mêmes , fi on les contraint par voie
»d'exécution militaire , à fournir leur quotepart
» des fufdites livraiſons. >>
On publia le lendemain une Déclaration du
Roi de Pruffe , dans laquelle il eft dit « que les
»deffeins de la Cour de Vienne mettant ce Prince
»dans la néceffité de les prévenir , Sa Majesté
»Pruffienne fe voit forcée , malgré elle , & par une
>>fuite des circonftances , à entrer avec fon armée
dans les Etats héréditaires du Roi de Pologne
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
>>Electeur de Saxe . Que c'eft à regret qu'Elle fe
» porte à une démarche que fon amitié perfon-
»nelle pour Sa Majesté Polonoife lui auroit fait
» éviter , fi les loix de la guerre , le malheur des
»temps , & la fûreté de fes propres Etats ne la
»rendoient indifpenfable . Que les événemens de
>> l'année 1744 font encore récens à fa mémoire.
» Que pour n'être pas expofée aux mêmes incon-
»véniens , Sa Majefté Pruflienne eft obligée de ne
DConfulter que les regles de la prudence : mais
»qu'Elle déclare de la maniere la plus folemnelle
tant à Sa Majefté le Roi de Pologne qu'à l'Euprope
entiere , qu'Elle n'a aucun deffein offenfif
contre Sa Majefté Polonoife ni contre fes Etats.
Qu'Elle ne fouhaite rien avec plus d'ardeur que
de voir approcher l'heureux moment de pouvoir
remettre à ce Prince fes Etats , qui font &
feront toujours pour Elle un dépôt facré. »
L'après-midi , le Prince de Brunfwic fit prendre
poffeffion du Bureau de la Douane , de celui des
Affiles & des autres Comptoirs publics . Pendant
tout le jour les boutiques demeurerent fermées.
Le 31 on les ouvrir.
Hier à la pointe du jour , les troupes Pruffiennes
fe remirent en marche pour continuer leur
route. Elles fe font comportées avec beaucoup de
régularité , & elles n'ont rien exigé au- delà de
ce qu'on étoit convenu de leur fournir. Avec les
quatre Régimens qui ne font point entrés dans
cette Ville , elles compofoient un corps de douze
mille hommes . On vient d'être informé de l'approche
de deux autres colonnes de la même armée,
qui font de la même force que la premiere
colonne. Celle- ci s'eft portée le long de l'Elfter
fur Zeitz , qui eft le chemin par lequel on débouche
dans les Cercles de la partie Occidentale de la
Bohême.
OCTOBRE. 1756. 199
Les Magiftrats ayant demandé au Prince de
Brunfwic de quelle maniere on fe conduiroit pour
Ja Foire qui doit fe tenir ici à la Saint Michel , il
leur a confeillé d'envoyer une députation au Roi
de Pruffe. Conformément à cet avis , deux Députés
des Magiftrats partirent hier pour Berlin , avec
deux Députés du Corps des Négocians. La réponfe
qu'ils rapporteront décidera de la tenue
de la Foire.
DE BRESLAU , le
9 Août.
On apperçut le premier de ce mois à neuf
heures quarante- trois minutes du ſoir , ſous la
conftellation de la couronne feptentrionale , un
globe de feu qui avoit une longue queue. I prit
fa direction vers la grande ourfe. Lorfqu'il fut
fous cette derniere conftellation , il s'ouvrit , &
l'on en vit fortir un grand nombre de petites
étoles. Elles difparurent en tombant , & ne
refta plus de ce phénomene qu'une traînée de
lumiere , qui deux minutes après ceffa elle -même
de paroître. Pendant près de deux autres minutes ,
on entendit un bruit femblable à celui du tonnerre
, & fi violent , que les fenêtres & les portes
des maifons en étoient ébranlées . Il faut obferver
que le ciel étoit alors ferein . Un vent de fud-
Queft fouffloit avec affez de force.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 22 Juillet.
On effuya encore ici , le 10 & le 11 de ce mois
deux violentes fecouffes. Le 10 , il fortit du fein
de la terre un tourbillon de fumée , qui en s'éle-
I AV
200 MERCURE DE FRANCE.
vant s'étendit peu à peu fur tout l'horizon , &
déroba entiérement la lumiere du foleil. Tant
que l'obfcurité dura , l'air fut infecté d'une odeur
infupportable de foufre. Il y eut le 18 au matin
une nouvelle fecouffe , mais elle fur légere . Malgré
tous les foins que le Gouvernement fe donne
pour affurer la tranquillité publique , les vols &
les affaffinats continuent d'être fréquens dans
cette malheureufe Ville. Chaque jour quelquesunes
des perfonnes riches reçoivent des billets
anonymes , par lefquels on les menace de les
brûler dans leurs demeures , fi elles ne portent à
des endroits marqués les fommes qu'on leur demande.
On arrêta dernierement deux fcélérats
qui fe difpofoient à mettre le feu à des baraques
de la Ville - Baffe. Ils ont déclaré que dix - huit de
leurs complices devoient en faire autant dans
différentes rues , & qu'ils auroient profité tous du
défordre général pour piller les habitations qu'ils
auroient trouvées abandonnées.
ITALI E.
DE PADOUE , le 23 Août.'
Le 17 de ce mois , quelques minutes avant
midi , le ciel s'obfcurcit tout-à- coup , & il s'éleva
un vent fi violent , que les toits de la plupart des
maifons furent emportés. Dans la campagne , les
arbres les plus forts ont été couchés par terre.
Plufieurs voitures chargées ont été jettées dans
des ravins. Prefque tous les bateaux qui étoient
fur la Brente ont péri. Diverfes fecouffes de tremblement
de terre ont fuivi cette horrible tempête
, & ont ajouté de nouveaux défaftres à ceux
qu'on venoit d'éprouver. Une partie de la Ville a
OCTOBRE. 1756. 201
été détruite . Des édifices confidérables , entr'autres
l'Hôtel de Ville , qui faifoit l'admiration des
étrangers , ont été ruinés de fond en comble.
Un grand nombre de perſonnes ont été ensevelies
fous leurs habitations.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 31 Août.
Malgré les défenſes alléguées par le Général
Fowke , le Confeil de guerre affemblé pour le
juger , l'a déclaré coupable , & l'a fufpendu de fon
rang pendant un an. L'Amiral Byng ayant été
conduit en cette Ville par des routes détournées ,
eft actuellement à l'Hôpital de Greenwich , où il
eft gardé à vue. Le Confeil de guerre , qui inftruira
le procès de cet Amiral , fera compofé de trois
Amiraux & de dix Capitaines de Vaiffeaux de
guerre. On a fait partir de Portſmouth le Vaiffeau
l'Antelope , pour aller chercher dix- neuf
Officiers dont l'accufé reclame le témoignage.
Le 20 Août , le Lord Maire & le Corps de la
Bourgeoifte de cette Capitale préfenterent au Roi
une Adreffe , dans laquelle ils témoignerent combien
ils étoient fenfibles aux inquiétudes que les
mauvais fuccès de la Nation dans la Méditerranée
devoient faire naître dans l'efprit de Sa Majesté.
Ils ajouterent qu'ils craignoient que la perte de
Pille Minorque , dont la Grande-Bretagne retiroit
de fi grands avantages & dont la confervation
étoit importante au commerce de fes Royaumes
, n'imprimât pour toujours une tache à l'honneur
des Anglois. En même temps ils repréfenterent
la néceffité d'établir une Milice générale
dans les trois Royaumes. Ils dirent qu'ils efpé-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
roient que les auteurs des malheurs publics feroient
foigneufement recherchés & févérement
punis . Enfin ils affurerent le Roi , que fa fidelle
Ville de Londres concourroit en tout ce qui
dépendroit d'elle , pour la défenfe de Sa Majefté & 14
de la Maifon Royale. Le Roi répondit à cette
Adreffe : La perte de PIfe Minorque m'a caufé
une vive douleur. J'employerai tous mes foins au
maintien de l'honneur de la Nation , & du commerce
de mes Sujets. Les événemens de la guerre
font incertains , mais il ne fera rien obmis de ma
part pour la continuer avec vigueur , pour recouvrer
Les poffeffions de ma Couronne , & pour parvenir à
une paix folide & glorieuse. Je veillerai à ce qu'il
foit fait juftice de ceux qui auront manqué à leur
devoir envers moi & envers la Patrie. Mes ordres
font donnés pour qu'à l'avenir la fubordination
foit mieux obfervée dans mes Flottes & dans mes
Armées, je ne négligerai rien pour faire garder
le respect dû à mon Gouvernement.
On a réfolu d'ériger une Statue au Général
Blakeney dans une Place de la ville de Dublin .
Une des Infcriptions fera prife des termes dont
le Maréchal de Richelieu s'eft fervi , en parlant
de ce Général dans le ſecond article de la Capitulation
du Fort Saint - Philippe .
Les Commiffaires de l'Amirauté viennent de
déclarer de bonne priſe douze Navires enlevés
aux François avant la Déclaration de guerre .
Tout fe difpofe pour l'embarquement des troupes
deftinées à fervir dans l'expédition que projette le
Gouvernement. Elles feront renforcées de quelques
Régimens du camp de Blandfort.
Il y eut la femaine derniere une courfe de
chevaux à Barnet , près d'un château de l'Amiral
Byng. La populace s'y attroupa pour démolir ce
OCTOBRE . 1756. 203
bâtiment. Quelques perfonnes, pour faire diverfion
à cecomplot, fe prefferent de répandre le bruit que
ce Château feroit inceffamment confifqué , pour
être donné au Général Blakeney . Le peuple ajouta
foi à ces difcours , & tout fut tranquille.
1
PATS- B A S.
DE ROTTERDAM , le 26 Août .
Selon des avis reçus de Nantes , le Capitaine
Guillaume de Knaap , commandant un Navire
Hollandois , rencontra le 6 de ce mois un Armateur
Anglois qui lui demanda des provifions.
L'Armateur peu fatisfait de ce que ce Capitaine
ne vouloit lui en fournir que pour de l'argent , a
fait tirer fur lui à mitraille. Le fieur Knaap de fon
côté s'eft mis en devoir de lui répondre par une
décharge de fon artillerie ; mais l'Armateur n'a
pas jugé à propos d'engager le conibat , & il s'eft
éloigné.
ป
FRANC E..
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LEE premier Août , vingt- quatre des principaux
habitans de Chantilly ont fignalé leur zele & leur
attachement pour le Prince de Condé , en donnant
une très- belle fête à l'occafion de la naiffance du
Duc de Bourbon , & de la convalefcence de Mile
de Bourbon. La fête a commencé par un Te
Deum folemnel , chanté dans l'Eglife de la Paroiffe
, au bruit de trente- fix pieces de canon . A
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
neuf heures du foir , on tira vis-à-vis de la façade
du petit Château , où étoient le Prince & la
Princeffe de Condé , un feu d'artifice dont le deſfein
& l'exécution furent également applaudis.
Dès que le Prince eut donné le fignal , on vit pároître
trois Bateaux fur la piece d'eau , qui eft visà-
vis du petit Château . Ils venoient de trois côtés
différens , & ils fe réunirent pour attaquer un
Fort qu'on avoit conftruit fur le bord de l'eau.
Pendant près de trois quarts d'heure , il firent
pleuvoir une infinité de fufées & de bombes fur
cette efpece de Citadelle. Dans le temps qu'on
croyoit le Fort réduit en cendres , il foudroya
d'artifice les trois Bateaux ; & toute la piece
d'eau devint un étang de feu. A cette attaque fuccéderent
plufieurs caſcades , gerbes , foleils , &c.
Un bruit de trompettes & de cors de chaffe annonça
la victoire remportée par les affiégés . Le
ficur Coufinet , Sculpteur du Frince de Condé
a donné l'idée du fiege , & a conduit le feu des
Bateaux. Le refte du feu a été dirigé par les fieurs
Caftain & Maurice , Artificiers du Roi . Lorſque
l'artifice a ceffé , neuf grands Portiques , ornés
de verdure , qu'on avoit placés en perſpective du
petit Château , furent illuminés. Celui du milieu ,
plus élevé que les autres , étoit furmonté par le
Chiffre couronné du Prince & de la Princeffe de
Condé. Au pied de ces Portiques , une Salle de
verdure , de cent trente pieds en quarré , contenoit
une table de foixante couverts , préparée
pour les époufes des principaux habitans . Sur la
fin du fouper , le Prince & la Princeffe de Condé
fe rendirent dans cette Salle . Ils y furent reçus au
fon des trompettes , cors de chaffe , violons &
autres inftrumens. Le Bal fuivit le fouper. Leurs
Akteffes Séréniffimes danferent indifféremment
OCTOBRE. 1756. 205
avec ceux qui fe préfenterent. Vers les deux
heures du matin , le Prince & la Princeffe retournerent
au Château précédés d'un grand nombre
d'inftrumens , & de douze habitans , qui portoient
chacun un falot devant Leurs Alteffes Séréniffimes.
M. le Maréchal Duc de Richelieu s'eft démis
de fa charge de premier Gentilhomme de la Chambre
en faveur de M. le Duc de Fronfac , fon fils ,
& a obtenu la furvivance de cette Charge.
Le Roi a accordé à M. de Fremeur , Lieutenant
- Général des Armées de Sa Majefté , le Ġouvernement
de Monmédy , vacant par la mort du
Comte de la Claviere , auffi Lieutenant- Général.
M. le Marquis de Talaru , Brigadier d'Infante
rie , & Colonel du Régiment de fon nom , a été
nommé Gouverneur des Villes & Châteaux de
Phaltzbourg & de Saltzbourg , fur la démiffion
de M. le Marquis de Chalmazel fon pere.
Le 9 Août , le Roi fit la cérémonie de recevoir
Chevaliers de l'Ordre de Saint Louis , M. le Comte
d'Egmont , Maréchal de Camp , & M. le Comte
de Balbi , Brigadier , Colonel réformé à la fuite du
Régiment Royal Italien.
Selon les lettres de Franche-Comté, on a effuyé
vers la fin du mois de Juillet , tant à Saint- Claude
que dans les environs , une orage des plus terribles.
Le bruit & les éclats du tonnerre étoient
fi violens , qu'ils faifoient trembler les perſonnes
les plus hardies. Les animaux dans la campagne
cherchoient en mugiffant , quelque retraite affurée.
A chaque éclat , la foudre tomboit en différentes
manieres & dans plufieurs endroits. Les
eaux deſcendoient de la montagne avec tant d'abondance
& de rapidité , qu'elles entraînoîent
rout ce qu'elles rencontroient dans leur paffage.
206 MERCURE DE FRANCE.
Vergers , Maifons , Moulins , Ecluses , rien n'a
refifté . Le 6 Août , la Ville de Saint - Claude
& les campagnes voifines ont prouvé un nouveau
fléau. Un ouragan épouvantable a ruiné dans les
campagnes tout ce que l'orage précédent avoit
épargné. Dans la Ville , la plupart des toits ont
été enlevés , & prefque toutes les cheminées abattues.
Le Clocher des Religieufes de l'Annonciade
a été renversé . Trente des plus gros arbres de la
promenade publique ont été déracinés , & tous
les autres ont été dépouillés de leurs feuilles .
Monfeigneur le Dauphin fit le 11 Août , la
revue de fon Régiment de Cavalerie , dans la
Plaine de Favieres , à cinq lieues de Compiegne.
M. le Comte de Perigord , Meftre de Camp , Lieutenant
de ce Régiment , le fit efcadronner & manoeuvrer.
M. le Marquis de Paulmy , Secretaire
d'Etat au Département de la Guerre en furvivance
du Comte d'Argenfon , accompagna Monfeigneur
le Dauphin.
Le 13 , Sa Majefté fit la revue du Régiment
Royal , Cavalerie , dans la Plaine dite du Moulin
, près de la même Ville. M. le Marquis d'Equevilly,
Meftre de Camp , Lieutenant de ce Régiment
, lui fit faire différentes évolutions . Enfuite
ce Régiment fe porta au lieu nommé le puits
de Berne , où il fit , devant le Roi , l'exercice à
pied , en bufle & en bonnet. Le fils de M. le Marquis
d'Ecquevilly , âgé de dix ans , paſſa au rang
des Cavaliers. Il fit , comme eux , le maniement
des armes & les évolutions à cheval , ainfi
que
l'exercice à pied. Sa Majefté parut très - fatisfaite .
Par une Ordonnance du 15 Fevrier 1749 , le
Roi avoit établi un Aide- Major dans chacune des
quatre Brigades du Régiment des Grenadiers de
France. Sa Majefté ayant reconnu qu'un feul
OCTOBRE. 1756. 207
Officier Major par Brigade ne pouvoit fuffire aux
différens détails de la difcipline & du fervice , a
réglé que l'Etat Major de chaque Brigade feroit à
Pavenir compofé d'un Sergent Major & d'un Aide-
Major. Les emplois de Sergens Majors feront
remplis par les Aides- Majors actuels , pour en
jouir aux honneurs & prérogatives attachés aux
autres Majors de l'Infanterie . Entend Sa Majeſté ,
que M. de Lanjamet , actuellement Major dudit
Régiment , & qui ne peut en conferver le titre
ni les fonctions au moyen de la nouvelle difpofition,
ait le commandement en fecond du Corps.
Le Roi a ordonné que les Régimens d'Infanterie
Irlandoife , de Bulkeley , de Clare , de Dillon
, de Roth , de Berwick & de Lally , fuffent
portés de quatre cens foixante - cinq hommes à
cinq cens vingt - cinq.
Le 15 Août , Fête de l'Affomption de la
Sainte Vierge , la Proceffion folemnelle , qui fe
fait tous les ans à pareil jour en exécution du Voeu
de Louis XIII , ſe fit avec les cérémonies accoutu
mées. L'Abbé de Saint -Exupery , Doyen du Chapitre
de l'Eglife Métropolitaine , y officia. Le
Parlement , la Chambre des Comptes , la Cour
des Aydes , & le Corps de Ville , y affifterent.
Dans l'affemblée générale que le Corps de Ville
tint le 16 , M. de Bernage fut continué Prevôt
des Marchands. M. Lempereur , Quartinier , &
-M Tribard , Avocat , ont été élus Echevins.
Sa Majesté a accordé à M. de Martigny & à M.
le Chevalier de Mazieres , Maréchaux des Logis de
la premier Compagnie des Moufquetaires , deux
Commiffions de Meftres de Camp , & à MM. de
Pille , de Savigny & de la Foreft , les places de
Maréchaux des Logis , vacantes dans la même
Compagnie. Elle a difpofé des Brigades qu'avoient
208 MERCURE DE FRANCE.
ces trois derniers Officiers , en faveur de MM.
d'Ormençey , de Rouville & de Mondollot. MM .
d'Elevemont , de Caffaignere & Démazet , ont
été fait Sous-Brigadiers. Le Chevalier de Monneron
, & MM. de Beaumont & de Guiry ont -
obtenu la Croix de Saint Louis. Il y a eu plufieurs
penfions , gratifications , & Commiffions de Capitaines
données à divers Moufquetaires.
Le Corfaire commandé par le Capitaine Gaftin
, de Marſeille , a fait dans l'intervalle de
quinze jours deux prifes eftimées cinquante mille
écus. Un des Corfaires de M. Roux , de Corfe , en
a fait auffi une .
L'Académie Royale des Sciences, dans fon Affemblée
du 23 Juin , propofa au Roi pour remplir la
place d'Adjoint- Géometre, vacante par la promotion
de M. de Parcieux au grade d'Affocié , M. le
Chevalier de Borda , Chevau- leger de la Garde
du Roi , & M. Bezout , Cenſeur Royal & Maître
de Mathématiques. M. le Comte d'Argenfon
a écrit le 30 à l'Académie que le Roi avoit choiſi
M. de Borda.
Dans la même Affemblée du 23 , M. Necker ,
Citoyen de Geneve , fut élu Correſpondant de
l'Académie .
Le 23 Août , les Députés des Etats de Languedoc
eurent audience du Roi. Ils furent préſentés
à Sa Majesté par M. le Comte d'Eu , Gouverneur
de la Province , & par M. le Comte de Saint Florentin
, Miniftre & Sécretaire d'Etat ; & conduits
par M. de Gifeux , Maître des Cérémonies , en
furvivance de M. Defgranges. La Députation
étoit compofée , pour le Clergé , de l'Evêque de
Viviers qui porta la parole ; du Vicomte de Polignac
, pour la Nobleffe , & de Meſſieurs Valet
Député de Saint- Pons , & Montcabrier , Député
OCTOBRE . 1756. 209
de Toulouſe , pour le Tiers-Etat ; ainfi que de
M. de Montferrier , Syndic Général de la Province.
Ces Députés eurent enſuite audience de la
Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de Madame
la Dauphine , de Madame , & de Mefdames Victoire
, Sophie & Louife.
M. le Comte de Merle , Cornette de la premiere
Compagnie des Moufquetaires de la Garde,
eft défigné pour fuccéder à M. le Comte de Baſchi
en qualité d'Ambaffadeur du Roi auprès du Roi
de Portugal.
Sa Majefté a fait Brigadier de Cavalerie M. le
Comte de Perigord , Meftre de Camp- Lieutenant
du Régiment de Monfeigneur le Dauphin ;
Brigadier de Dragons , M. le Duc de Coigny ,
Meftre de Camp Général de ce Corps ; & Brigadier
d'Infanterie , M. le Chevalier de Gramont
Lieutenant-Colonel du Régiment de Vermandois.
Le Roi ayant réfolu de tenir fon Lit de Juftice,
Sa Majefté avant fon départ de Compiegne , ordonna
de faire dans le Château de Verfailles , les
préparatifs néceffaires pour cette cérémonie . La
grande Salle des Gardes fut choifie comme le lieu
qui y étoit le plus propre. M. Defgranges , Maître
des Cérémonies , après avoir reçu les ordres
du Roi , porta au Parlement le 20 Août au matin ,
une Lettre de Sa Majefté pour que le Parlement
fe rendît le lendemain à Verſailles en Corps de
Cour & en Robes rouges. Les Princes du Sang
furent avertis de la part du Roi par M. Defgranges
, qui envoya des Billets d'invitation aux Pairs ,
tant Eccléfiaftiques que Laïques ; aux Maréchaux
de France , aux Chevaliers des Ordres , aux Gouverneurs
& aux Lieutenans Généraux des Provinces.
Le 21 , le Parlement arriva fur les onze heures
à Versailles , & s'affembla dans les deux Salles
210 MERCURE DE FRANCE.
des Ambaffadeurs & du Confeil , d'où il fe rendit
à la Salle préparée pour le Lit de Juſtice . Lorfque
le Parlement eut pris fa féance en la maniere
accoutumée, il fit une Députation de quatre Préfidens
& de fix Confeillers , pour aller au - devant du
Roi. Sa Majesté en habit de cérémonie , fortit de
fon appartement , & la marche fe fit en cet ordre.
Les Tambours , Fifres , Haut- bois & Trompettes
de la Chambre. I es Lieutenans Généraux des Provinces
. Les Gouverneurs de Provinces. Les Chevaliers
des Ordres. Les Maréchaux de France . Les
Hérauts d'Armes . Les Princes du Sang . Le Maître
des Cérémonies . Deux Huiffiers de la Chambre
du Roi , portant leurs Maffes. M. le Prince de
Turenne , Grand Chambellan en furvivance de
M. le Duc de Bouillon ; & à la gauche du Prince
de Turenne le Comte de Brionne , Grand Ecuyer,
portant l'Epée de Parement du Roi . Le Marquis
de Mon mirel , Capitaine de la Compagnie des
Cent Suiffes de la Garde de Sa Majesté. Sur les
aîles près de la perfonne du Roi , les Préfidens &
Confellers Députés , & fix Gardes de la Manche
avec leurs Cortes d'armes & leurs Pertuifanes.
Derriere Sa Majefté , les quatre Capitaines des
Gardes du Corps . Le Chancelier de France fuivoit
le Roi , étant accompagné d'une partie des Confeillers
d'Etat & des Maîtres des Requêtes. Sa Majefté
fe plaça fur fon Trône. Elle avoit à la droite
Monfeigneur le Dauphin , dont le fiege (C ) étoit
placé fur le tapis de Sa Majefté . Aux hauts fieges
(D) du même côté , étoient le Duc d'Orléans , le
Prince de Condé , le Comte de Clermont , le
Prince de Conty & le Comte de la Marche
Princes du Sang. Sur le refte du banc , & fur un
banc en retour (G) , qui alloit juſqu'à la place du
dernier Prince du Sang ; les Ducs de Luynes , de
•
OCTOBRE . 1756 . 211
Briffac, de la Force , de Rohan , de Saint- Aignan ,
de Gefvres , le Maréchal Duc de Noailles , les
Ducs d'Aumont , de Bethune , de Fitzjames , d'Antin
, de Chaulnes , de Villars- Brancas de Lauraguais
, le Prince de Monaco , Duc de Valentinois
les Ducs de Biron , de la Valliere , & le Maréchal
de Belle -Ifle , Duc de Gifors , Pairs Laïcs . A la
gauche du Roy, aux bauis fieges ( H ) ; l'Evêque Duc
de Laon , l'Evêque Comte de Châlons , l'Evêque
Comte de Noyon , Pairs Eccléfiaftiques ; & les
Maréchaux de Coigny & de Balincourt , ( ces
deux Maréchaux de France étant venus avec le
Roi ) Aux pieds de Sa Majesté ( E ) ; le Prince de
Turenne , Grand Chambellan en furvivance du
Duc de Bouillon. A droite, fur un tabouret (F) , auprès
des degrés du Siege Royal , le Comte de Brionne
, Grand Ecuyer , portant au col l'Epée de Pa
rement du Roi. A gauche , fur un banc ( K ) au❤
deffous de celui des Pairs Ecclefiaftiques ; les qua
tre Capitaines des Gardes du Corps du Roi , & le
Marquis de Montmirel , Capitaine Colonel des
Cent Suiffes de la Garde. Plus bas étoit affis fur le
petit degré ( 2 ), par lequel on defcendoit dans le Parquet
, le fieur de Segur , Prevôt de Paris , tenant
un bâton blanc en fa main. Sur une chaise à bras
(L) couverte de l'extrêmité du tapis de velours violet
, femé de fleurs de lys d'or , fervant de drap de
pieds au Roi , Meflite Guillaume de Lamoignon ,
Chancelier de France , vêtu d'une robe de velours
violet , doublée de fatin cramoifi. Sur le banc (P)
répondant à celui où fiéent les Préfidens au Confeil
en la Chambre du Parlement ; Meffire René-
Charles de Maupeou , Premier Préfident ; MM .
Molé , Potier , le Peletier de Rozambo , de Maupeou
, de Lamoignon de Montrevault , d'Aligre ,
le Fevre- d'Ormeflon , & Bochart - de Saron , Sur
212 MERCURE DE FRANCE.
les trois bancs (QR ) couverts de tapisserie , formant
l'enceinte du Parquet ; les Confeillers d'Honneur,
les Préfidens des Enquêtes & des Requêtes , & les
Confeillers de la Grand'Chambre , mêlés . Dans le
Parquet , devant le Chancelier , étoient placés deux
tabourets , celui de la droite (M ) vacant par l'abfence
du Marquis de Dreux , Grand Maître des
Cérémonies , & celui de la gauche (N) occupé par
le fieur Defgranges , Maître des Cérémonies . Au
milieu du Parquet ( i ) & à genoux devant le Roi ,
deux Huiffiers de la Chambre de Sa Majesté ,
tenant leurs Maffes d'argent doré , & à quelque
diſtance ( k ) , fix Hérauts d'armes. Au côté droit ,
Sur les deux bancs ( SS ) couverts de tapis femés de
fleurs de lys ; les Confeillers d'Etat & Maîtres des
Requêtes , vêtus en robe de fatin noir , venus avec
le Chancelier. Sur une forme ( a ) à gauche , en entrant
, vis- à-vis des Préfidens ; le Comte de Saint
Florentin , le Comte d'Argenfon , M. Rouillé &
le Marquis de Paulmy , Secretaires d'Etat . Sur
trois autres bancs ( TVX ) à gauche dans le Parquet
, vis- a-vis des Confeillers d'Etat ; le Marquis
de Beringhen , le Comte de Lautrec , le Marquis
de Puyzieulx , le Comte de Vaulgrenant , le Marquis
de Saffenage , le Comte de Mailly , le Baron
de Montmorency , le Marquis de Chalmazel , le
Comte de la Vauguion , le Marquis d'Armentieres
, & le Marquis de l'Hopital , Chevaliers des
Ordres ; le Comte de Gifors , le Comte de Périgord
, le Marquis de la Tour-Dupin , & le Marquis
de la Salle , Gouverneurs de Provinces ; le
le Marquis de Montalambert , le Comte de Teffé ,
le Marquis de Beaupreau , le Comte de Valentinois
, le Comte de Choifeul , & le Marquis de
Brancas , Lieutenans Généraux de Provinces . A
côté de la forme où étoient les Sécretaires d'Etat ;
OCTOBRE. 1756. 213
le fieur Dufranc , Secretaire de la Cour , faifant
les fonctions de Greffier en Chef, & à côté de lui ,
un des trois principaux Commis pour la Grand'-
Chambre , tenant la plume ; ayant chacun devant
eux un bureau (66) couvert de velours violet . Sur
une autre forme (b) derriere ; le fieur Richard ,
Greffier en Chef Criminel , & les fieurs Yfabeau
& Héron-de Courgis , Secretaires de la Cour. Sur
une autreforme ( d ) , le Marquis de Sourches ,
Grand Prevôt de l'Hôtel . Sur un fiege (m) à l'entrée
du Parquet , le fieur Angely , premier Huiffier.
En la place (f) répondante à celle qu'ils occu
pent , toutes les Chambres aſſemblées , le fieur Joly
de Fleury, Avocat du Roi ; le fieur Joly de Fleury,
Procureur Général , & le fieur Seguier , auffi Avocat
du Roi. Sur le furplus des bancs ( gh , YZ) les
Confeillers des Enquêtes & Requêtes.
Le Roi s'étant affis & couvert , M. le Chancelier
dit , par ordre de Sa Majefté , qu'Elle commandoit
qu'on prêt féance : après quoi , le Roi ,
ayant ôté & remis fon chapeau , dit : « Meffieurs ,
» Je vous ai affemblés ici , pour vous faire fçavoir
» mes intentions & mes volontés ; mon Chance-
» lier va vous les expliquer » .
M. le Chancelier étant monté vers le Roi , &
s'étant agenouillé aux pieds de Sa Majesté pour
recevoir les ordres ; puis étant defcendu , remis
en fa place , affis & couvert , après avoir dit que
le Roi permettoit qu'on le couvrît , prononça le
Difcours fuivant .
MESSIEURS ,
« Pendant qu'une Nation , de tout temps enne-
» mie de la France , fait les derniers efforts pour
» enlever aux habitans de nos Colonies , des pof-
» feffions qui leur appartiennent par les titres les
plus légitimes ; qu'au milieu de la paix la plus
214 MERCURE DE FRANCE.
» profonde , elle ne craint point de violer les trai
tés les plus folemnels ; & que pour détruire no-
>> tre Commerce , elle emploie les voies les plus
» odieufes & les plus contraires à l'humanité , le
Roi ne peut voir qu'avec une extrême ſurpriſe
la réfiftance qu'apporte fon Parlement à la pu-
>> blication de trois de fes Déclarations , dont l'exé-
» cution doit procurer à Sa Majesté des fecours
» néceffaires pour le foutien de nos Colonies & le
> rétabliffement de notre Commerce.
>> On fçait que le Roi ne fait la guerre que
» pour l'intérêt de fes Sujets. Occupé du foin de
» les venger des hoftilités injuftes & continuelles
» qu'ils éprouvoient , il l'étoit encore plus de la
crainte d'être forcé de leur impofer des charges
» extraordinaires malheureuſement indifpenfables
» pour le foutien d'une guerre .
Après avoir oppofé longtemps la patience &
la modération aux entreprifes de fes ennemis , il
» s'eft enfin déterminé à repouffer par la voie des
>> armes leurs infultes multipliées ; & dans la né-
» ceffité d'établir des impôts , il a fait choix de
» ceux qui lui ont paru le moins onéreux . Tel eft
» le motif qui a donné lieu aux trois Déclarations
» que le Roi entend faire publier en fon Lit de
>> Juftice.
» Par la première , le Roi établit un nouveau
» Vingrieme pareil à celui qui fubfifte depuis l'an-
» née 1749 , & dont le produit eſt affecté au paie-
» ment des dettes de la derniere guerre. La per-
>> ception de ce nouveau Vingtieme ceffera trois
» mois après la publication de la Paix. Cette na-
»ture d'impofition fera moins à charge aux Peuples
que toute autre , parce qu'elle fe répartit
»fut tous les Sujets , chacun à proportion de fa
>> fortune..
OCTOBRE . 1756. 215
»
>> La feconde Déclaration ordonne la continua-
» tion pendant dix ans des Deux fols pour livre du
Dixieme , à commencer du dernier jour de l'an-
» née préfente. Le terme de cette impofition &
» de celui du premier Vingrieme , quo que fixé
>> d'une maniere certaine , n'eft pas auffi proche
» que Sa Majesté le defireroit ; mais il faut confi
>> dérer que P'un & l'autre étant deftinés à l'acquit
» des dettes de l'Etat , ils doivent fubfifter julqu'i
» ce que les dettes de l'Etat foient acquittées.
» C'eſt à tort & vainement qu'on cherche à
» jetter l'allarme dans les efprits , en faifant en-
>> tendre que l'incertitude de la durée & la lon-
»gueur de ces deux impofitions font capables dedis
>> minuer le courage des fujets du Roi , & d'altérer
» la confiance qui font la véritable force du Sou-
» verain & de l'Etat. Le témoignage que Sa Ma
» jeſté ſe rend à Elle-même de la tendre affection
» pour les peuples , lui eft un gage affuré de leur
» confiance , en même-temps que les preuves
» qu'il leur a tant de fois données de fon empref-
» fement à les foulager , ſoutiendront toujours &
>> animeront leur courage , furtout dans ce mo-
➤ment où leur honneur & leur fûreté ſont égale-
» ment intéreffés.
» Enfin , par la troifieme Déclaration , le Roi
» proroge pour un certain temps , plufieurs droits
» qui fe perçoivent dans la ville de Paris . Sa Ma-
» jefté n'a pu fe difpenfer d'ordonner cette proro-
» gation qui ne peut être regardée comme pré-
» maturée , parce qu'elle eft néceffaire pour affurer
les engagemens que les conjonctures ont
» forcé de contracter . Quelque onéreux que ces
» droits paroiffent être pour les habitans de la
» Capitale , ils en font en partie dédommagés par
l'ordre & la regle que ceux qui font chargés do
216 MERCURE DE FRANCE.
» les percevoir établiffent dans les marchés pour
faciliter le débit des denrées , & pour en pro-
фу
» curer Pabondance : on voit d'ailleurs par le tarif
» attaché à la Déclaration , l'attention qu'a eu le
» Roi de diminuer , & même de fupprimer entié-
>> rement plufieurs de ces droits fur les denrées les
» plus néceffaires à la vie.
» Le Roi veut donc , que nonobftant les repré-
» fentations réitérées de fon Parlement , fes Déclarations
foient exécutées dans toute leur éten-
» due & fans délai , afin de ne pas interrompre
ni retarder les opérations néceffaires pour
» profiter des fuccès que le Ciel vient d'accorder
» à fes armes.
» Ces heureux événemens dont le Roi n'eft
» flatté que parce qu'il les regarde comme le pré-
» fage d'une paix glorieufe , doivent redoubler
> notre zele. Pourrions-nous regretter des ſecours
» que Sa Majefté ne veut employer que pour
» notre défenfe , fans manquer à ce que nous lui
રે
» devons & à ce que nous nous devons à nous-
» mêmes ! »
Après que M. le Chancelier eut ceffé de parler,
M.le Premier Préfident & tous les Préfidens & Confeillers
mirent un genou en terre. Le Chancelier
leur dit , Le Roi ordonne que vous vous leviez. Ils
fe leverent , & demeurerent debout & découverts.
Alors M.le Premier Préfident parla, & fon Diſcours
fini , le Chancelier monta vers le Roi pour prendre
fes ordres , un genou en terre . Remis en fa
place , affis & découvert , il fit ouvrir les portes ,
& il ordonna au fieur Dufranc de lire les trois
Déclarations. Les portes furent ouvertes , & le
fieur Dufranc ayant lu les Déclarations debout &
découvert , le Chancelier dit aux Gens du Roi
qu'ils pouvoient parler. Aufli -tôt les Gens du Roi
fc
OCTOBRE. 1756. 217
fe mirent à genoux . M. le Chancelier leur dit que le
Roi ordonnoit qu'ils fe levaflent . Ils fe leverent ,'
& debout & découverts , après un Difcours prononcé
par M. Joly de Fleury , Avocat du Roi ,
portant la parole , ils requirent qu'il plût à Sa
Majefté ordonner que fur le repli des trois Déclarations
il fût mis qu'elles avoient été lues &
publiées , Sa Majeſté léante en fon lit de Juſtice ,
& régiítrées au Greffe de la Cour pour être exécu
tées felon leur forme & teneur ; & qu'à l'égard
des deux premieres , Copies collationnées en feroient
envoyées aux Bailliages & Sénéchauffées du
reffort , pour y être pareillement lues , publiées
& enrégiftrées , avec injonction à leurs Subftituts
d'y tenir la main , & d'en certifier la Cour dans le
mois.
Après quoi M. le Chancelier monta vers le Roi ,
mit un genou en terre pour recevoir les ordres ,
& alla prendre l'avis de Monfeigneur le Dauphin ,
des Princes du Sang , des Pairs Laïcs , du Grand
Ecuyer & du Grand Chambellan . Il paffa devant
le Roi , lui fit une profonde révérence , & prit
l'avis des Pairs Eccléfiaftiques , des Maréchaux de
France venus avec le Roi , & des quatre Capitaines
des Gardes du Corps de Sa Majesté . Puis il defcendit
dans le parquet pour prendre les avis du Premier
Préfident , des Préfidens du Parlement , des
Confeillers d'Etats & des Maî res des Requêtes
des Confeillers d'honneur , des Préfidens des Enquêtes
& des Requêtes , & des Confeillers du
Parlement. Il remonta vers le Roi , mit un genou
en terre , redefcendit , & étant affis & couvert , il
prononça :
« Le Roi , féant en fon Lit de Juſtice , a or-
»donné & ordonne que les Déclarations , qui
viennent d'être lues, feront enrégiftrées au Greffe
I. Vol. Κ
218 MERCURE DE FRANCE.
»>de fon Parlement , & que fur le repli d'icelles ;
nil foit mis que lecture en a été faite , & l'enré-
»giftrement ordonné ; ce requérant fon Procu-
»reur Général , pour être le contenu en icelles
>> exécuté felon leur forme & teneur ; & Copies
>>collationnées des deux Déclarations , l'une por-
>> tant établiſſement d'un fecond vingtieme , l'au-
»tre portant prorogation du droit de deux fols
>>pour livre du dizieme , envoyées aux Bailliages
& Sénéchauffées du reffort , pour y être pareik
plement lucs , publiées & régiftrées . Enjoint aux
>>Subftituts de fon Procureur Général d'y tenir la
»main , & d'en certifier la Cour au mois. >>
Enfuite M. le Chancelier dit , que pour la plus
prompte exécution de ce qui venoit d'être or
donné , le Roi vouloit que par le Secretaire de la
Cour , faifant les fonctions de Greffier en Chef
de fon Parlement , il fût mis dans l'inftant même
fur le repli des trois Déclarations qui avoient été
publiées , ce que Sa Majesté avoit ordonné qu'on
y mit. Ce qui ayant été exécuté , le Roi fe leva ,
& fortit dans le même ordre qu'il étoit entré.
Le 25 Août , le Corps de Ville alla à Versailles ,
& ayant à la tête M. le Duc de Gefvres , Gouverneur
de Paris , il eut audience du Roi. Il fut préfenté
à Sa Majesté par M. le Comte d'Argenlon ,
Miniftre & Secretaire d'Etat , & conduit par M.
Defgranges , Maître des Cérémonies . M. de Ber
nage qui a été continué Prevôt des Marchands , &
MM. Lempereur & Tribard , nouveaux Echevins ,
prêterent entre les mains du Roi le ferment de
fidélité , dont M. le Comte d'Argenſon fit la lecture
, ainfi que du fcrutin qui fut préfenté par M.
de la Live de la Briche , Avocat du Roi au Châtelet.
Après cette audience , le Corps de Ville cut
l'honneur de rendre les refpects à la Reine & àla
Famille Royale .
OCTOBRE . 1756. 219
On apprend par des Lettres de l'Ifle Royale
les circonftances fuivantes d'un combat de M.
Beauffier , qui commande l'Efcadre du Roi , partie
de Breft au mois d'Avril dernier , avec les troupes
que Sa Majesté a fait paffer en Canada. M. Beauf
fier revenant de Québec , faifoit route pour Louifbourg
, lorfque le 16 Juillet il apperçut à la diftance
d'environ trois lieues dans le Sud de ce
dernier Port , deux Vaiffeaux Anglois avec deux
Frégates , qui portoient au plus près du vent pour
le reconnoître. M. Beauffier avoit alors avec le
Vaiffeau le Héros qu'il monte , l'illuftre , commandé
par M. de Montalais , Capitaine de Vaiffeau
, & les Frégates la Lycorne & la Syrene , que
commandent MM. de la Rigaudiere & de Brougnon
, Lieutenans de Vaiffeaux. Profitant du vent
du Nord qui fouffloit , il arriva fur le champ
grand fargue fur les Anglois , qui revirerent
promptement de bord , & prirent chaffe. La
crainte de tomber trop fous le vent de Louisbourg,
où il avoit ordre de remettre des provifions deftinées
pour cette Colonie , l'empêcha de poursuivre
long-temps les Anglois , & il entra le même jour
dans ce Port. Il fe preffa d'y débarquer les effets
dont il étoit chargé , ainfi que quelques malades
de fes équipages ; & le lendemain dès cinq heures
du matin , il fe trouva fous voile , & appareilla
pour aller chercher les ennemis. Vers midi il
reconnut les deux Vaiffeaux qu'il avoit chaffés là
veille , & qui n'avoient plus qu'une Frégate avec
& eux. Il força de voiles pour les joindre , & ils firent
la même maneuvre pour l'éviter. M. de
Breugnon joignit bientôt la Frégate Angloife , &
l'attaqua fi vivement , qu'elle fe replia fous le
canon des deux Vaiffeaux , dont le feu ralentit la
pourfuite de M. de Breugnon , qui fut même
M
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
obligé de s'écarter un peu . Sa manoeuvre fervit
cependant à donner à M. Beauffier le temps d'ap
procher les deux Vaiffeaux Anglois , dont l'un
étoit de 74 & l'autre de 64 canons. Il tira d'abord
fur l'un , comptant que l'autre qui étoit fur fa
hanche alloit être attaqué par M. de Montalais.
Mais le calme qui furvint en ce moment , rendit
inutiles tous les efforts que celui - ci put faire
pour s'approcher ; enforte que M. Beauflier eut à
combattre les deux Vaiffeaux Anglois. Le combat
fut très-vif de part & d'autre jufqu'à fept heures
du foir , qu'un petit vent qui s'éleva , ayant donné
à M. de Montalais occafion de faire de la voile ,
les ennemis en profiterent pour s'éloigner. Le
Vaiffeau le Héros fe trouvant prefque défemparé ,
M. Beauffier fut hors d'état de les pourfuivre.
Il s'occupa durant la nuit à faire changer les
voiles & les manoeuvres qui avoient été coupées
dans le Vaiffeau , & il efpéroit de pouvoir rejoin.
dre les ennemis. Mais le lendemain 20 , à huit
heures du matin , il les apperçut , forçant toujours
de voiles , & à une telle dittance , que ne pou
vant pas fe flatter de les approcher , malgré le
mauvais état où ils paroiffoient être , il prit le
parti de retourner à Louifbourg , pour y réparer
entiérement le dommage que le Vaiffeau le Héros
avoit fouffert. Ce Vaiffeau a reçu dans le combat
plus de deux cens coups de canon , foit dans fes
oeuvres- mortes , foit dans fa mâture , fans compter
ceux qui ont porté au deffous de la flottaifon .
Il y a eu dix-huit hommes tués , quarante buit de
bleffés du nombre des derniers font M. de Faget
, Enfeigne de Vaiffeau , qui a une bleffure
confidérable d'un coup de canon à la cuiffe , &
M. Beauffier lui - même , d'un éclat qui a porré
fur la jambe gauche. Cet Officier eſt arrivé au
OCTOBRE. 1756. 211
les
Port Louis le 9 Septembre , avec les Vaiffeaux le
Héros qu'il commande , PIlluftre & la Frégate
la Sirenne. Il étoit parti de Louifbourg le 13
Août , & il avoit alors avec lui la Frégate la Licorne
, commandée par M. Froger de la Rigaudiere
, laquelle s'étant féparée le jour du départ
dans une brume , eft arrivée à Breft quelques jours
avant ces autres Bâtimens. Pendant leur traverfée
, M. Beauflier a fait huit différentes prifes ,
dont trois font chargées de fucre & d'autres denrées
des Iles de l'Amérique. Il a amené avec lui
quatre cens prifonniers , dans le nombre defquels.
font deux Officiers & cent foixante - un foldats
Allemands , qui étoient deftinés pour le Régiment
Royal Américain.
Les Lettres qu'on a reçues par cette occafion ,
portent que, fuivant les rapports faits par les Capitaines
de deux Goëlettes arrivées depuis peu de
Quebec à Louisbourg , M. de Villiers , Capitaine
dans les troupes du Canada , Commandant
un Détachement compofé de Soldats , Canadiens
& Sauvages , avoit attaqué fur la riviere de
Choueguen un convoi confidérable de Bateaux
Anglois , dont il avoit tué 4 à 500 hommes , fait
60 ou 80 prifonniers , & pris tous les Bateaux ,
que les Anglois avoient abandonnés pour ſe ſauver
à terre.
M. l'Evêque d'Autun fut élût le 19 Août , pour
premplir la place qui vaquoit dans l'Académie
Françoife par la mort du Cardinal de Soubize.
La joie que le fuccès de nos armes a repandu
Fa dans tous les coeurs a été d'autant plus vive , que·
Le l'Europe entiere ne croyoit pas notre marine en
& état de former des entreprifes auffi confidérables .
La Cour a témoigné ſa ſatisfaction à l'occaſion de
ala prife du Fort Saint- Philippe , par les illumina-
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
tions les plus galantes . M. le Duc de Gefvres tou
jours magnifique , après s'être uni au public par
Pillumination de fon Hôtel le jour du Te Deum
chanté à la Chapelle du Roi , & le vingt- cinq
Juillet , jour du feu de joie de la ville de Compiegne
qu'il avoit ordonné comme Gouverneur de
la Province , & après avoir fait couler à la porte
de fon Hôtel des fontaines de vin , s'eft diftingué
le 6 Août par une Fête particuliere , où la magnificence
a répondu au bon goût fi reconnu de ce
Seigneur. Il fit fuccéder à un fouper fomptueux
un Feu d'artifice Italien en plufieurs décorations.
La façade & l'intérieur de fon Hôtel & des Jardins
furent fuperbement illuminés fous divers formes
d'architecture . La Fête fut terminée par un bal
où se trouverent les Princes , les Miniftres , les
Etrangers de diftinction , & toutes les Dames de
la Cour .
Le Roi chaffa le 31 Août dans la Plaine de Grenelle
, & foupa à Mont - Rouge chez M. le Duc de
la Valliere.
Meffieurs de Reillans & de Teffieres , Exempts
des Gardes du Corps dans la Compagnie de Mirepoix
, ayant obtenu leur retraite , le Roi a difpofé
de leurs emplois en faveur de M. le Chevalier de
Flahaut & de M. le Marquis de Vexin. Sa Majefté a
nommé MM . de la Villeneuve & de la Seunniere ,
Brigadiers de la même Compagnie , à la place de
MM. de la Ripiere & de Chateauroy , qui ont
auffi obtenu leur retraite . MM . de Beaupine & de
´la Boire ont été faits fous - Brigadiers. Des Commiffions
de Capitaines de Cavalerie ont été expédiées
à plufieurs Gardes du Corps .
On a arrêté deux Anglois , accufés d'être les
incendiaires , qui ont mis le feu , il y a quelque
temps , à un magaſin de Rochefort.
OCTOBRE. 1756. 223
Des Armateurs de Marſeille y ont conduit fiz
prifes eftimées fix cens mille livres.
Un petit Bâtiment à rames de huit canons ,
forti du même Port , & commandé par le Capitaine
Gaffen , s'eft battu pendant trois heures à
la vue du Port de Livourne , contre un Corfaire
Anglois de vingt canons. On eft informé par
des Lettres de ce dernier Port , que le Corfaire a
eu dix-neuf hommes de tués , & un grand nombre
de bleffés . De fon propre aveu , il étoit prêt à fe
rendre , lorfque l'équipage du Capitaine Gaffen ,
aqui étoit mêlé d'étrangers , refufa de fe préſenter
une quatrieme fois à l'abordage. Ce Capitaine n'a
perdu qu'un homme. Depuis que le Corfaire Anglois
eft retourné à Livourne , où le mauvais état
de fon Vaiffeau l'a obligé de relâcher , on y travaille
à lui faire fon procès , fur ce qu'il a défobéï
à une Ordonnance de l'Empereur , en fortant de
-ce Port avec plus de quatre canons.
M. le Maréchal Duc de Richelieu arriva le premier
de Septembre à Paris , & le même jour il eut
P'honneur de faluer le Roi à Choify . Le , M. le
-Duc de Fronsac eut à Verſailles le même honneur.
Le Roi a nommé M. l'Abbé Comte de Bernis ,
fon Ambaffadeur à la Cour de Vienne ; & M. le
Marquis d'Aubeterre eft défigné pour réfider
avec le même caractere à la Cour de Madrid.
DESCRIPTION de la décoration du
Temple de Mars , & du Feu d'artifice que
la ville de Bordeaux a fait tirer pour célébrer
la prife du Fort S. Philippe
LE Plan du Temple de Mars repréfentoit un
quarré parfait. Sa hauteur, depuis le pavé jufqu'au
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
deffus de la corniche étoit de vingt-deux pieds ;
au deffus de la corniche ou entablement , & au
pourtour de tout l'édifice régnoit une balustrade
dorée de quatre pieds de hauteur.
Au deffus , & fur le milieu du Temple , s'élevoit
un obélifque de trente-fix pieds de hauteur , furmonté
d'un grand Globe d'artifice de cinq pieds
de diametre.
Toute la hauteur de l'édifice étoit de foixantelept
pieds ; tous les corps maffifs du Temple
étoient peints en marbre Sérancolin , & les tables .
& panneaux en marbre verd antique ; les focles du
Temple & de l'obélifque étoient en grotte.
La façade , du côté de l'Hôtel de Ville , étoit
décorée d'un avant - corps de dix- fept pieds de largeur
,fur un pied fix pouces de faillie , dans le milieu
duquel il y avoit une arcade de neuf pieds de
largeur fur dix-neuf pieds d'élévation , formée
par deux pilaftres de quatre pieds de largeur , à
cadres doiés & ornés des panneaux de relief, fur
lefquels étoient peints & rehauffés en or des trophées
d'armes entrelacées de branches de lauriers.
L'impofte , l'archivolte & les tables qui régnoient
au tour de l'archivolte étoient de relief
doré.
Au deffus de l'arcade étoit placé un grand cartouche
en relief de fix pieds fix pouces de largeur
fur neuf pieds de hauteur, y compris la couronne ,
dans lequel étoient deux écuffons accolés aux Armes
de France & de Navarre , entourées des colliers
des Ordres du Roi ; le cartouche , la couronne
& tous les ornemens étoient dorés , & les écusfons
blazonnés en couleur.
Au bas du cartouche , & joignant l'archivolte ;
fortoient deux chûtes en feftons de feuilles de
laurier , en relief doré , de neuf pieds de longueur,
OCTOBRE. 1756. 225
de l'extrêmité defquelles tomboient des guirlandes
auffi de relief , attachées par des agraites.
Dans le renfoncement de l'arcade , étoit placée
la ftatue de M. le Maréchal de Richelieu fous
les habits du Dieu Mars , l'épée à la main , &
appuyée fur des trophées d'armes mêlés de lauriers
; à côté étoit un génie portant le bâton
de Maréchal de France , & les armes de M. le
Duc de Richelieu ; ce grouppe de bronze peint en
tranfparent , étoit élevé fur un piedeſtal Corinthien
de marbre de Carrare , dans le panneau duquel
on lifoit cette infcription : Marti Gallico
civitas Burdigalenfis pofuit.
Le piedeftal portoit fur trois marches de marbre
blanc , veiné.
De chaque côté de l'avant- corps & dans les
parties fimples , étoient deux grands cadres à
bordures & ceintres dorés , ornés dans leur milieu
d'agraffes , le tout en relief doré de fix pieds
fix pouces de largeur , fur treize pieds de hauteur,
y compris un fecond focle peint en marbre de
Carrare , fur lefquels repofoient deux tableaux de
coloris en tranfparent , dont l'un représentoit
Neptune fortant du fein de la mer , appuyé fur un
rocher , tendant fes bras au Génie de la France
qui lui ôtoit des fers qu'il préfentoit à la ftatue
de M. le Maréchal de Richelieu . Dans le focle
da tranfparent qui étoit au bas du tableau ,
étoient ces mots : Neptunus Mediterraneus. Liberatori
fuo. L'Attique au deffus de ce tableau
étoit ornée & chantournée d'une bordure en relief
doré , au milieu de laquelle on voyoit en tranfparent
colorié les colonnes d'Hercule pofées fur des
rochers , entre lefquels étoient la maffue de ce:
Dieu avec la dépouille du Lion de Némée : autour:
étoient ces mots : Et plus ultrà , pour défignen
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
que
les conquêtes du Roi fur les Anglois s'éten➡
droient au delà de Gibraltar figuré par les colonnes
d'Hercule .
Le fecond tableau auffi en tranfparent à gauche
de l'avant -corps , repréfentoit la ville de Bordeaux
fous la figure d'ure femme couronnée de
tours , couverte d'une robe rouge , parfemée de
croiflans d'argent qui font partie des armes de la
Ville. Cette figure dans une attitude d'admiration
pofoit une couronne de lauriers fur l'écuffon
des armes de Monfeigneur le Maréchal de Richelien
, fupportées par deux Génies , dont l'un tenoit
des palmes , & l'autre le bâton de Maréchal
entouré de lauriers .Cet écuffon repofoit fur des tro.
phées d'armes. A côté de la ville de Bordeaux étoit
un autre Génie appuyé fur les armes de la Ville .
Dans le focle on lifoit cette infcription : Civi
tas Burdigalenfis . Gubernatori invictiffimo. Dans
l'Attique au- deffus , ornée comme la précédente
, étoit peint en tranfparent un grand foleil
rayonnant , prefque tout couvert , & traversé dans
fon milieu par d'épais nuages , avec ces mots :
Tegitur , dum fulmina pariet ; pour repréſenter la
longue modération du Roi dont les Anglois ont
fi longtemps abufé , & le fecret impénétrable
avec lequel Sa Majesté a préparé & difpofé toutes
les opérations d'une campagne dont le fuccès
étonne aujourd'ui l'Angleterre.
Tout ce qui peut rendre plus éclatante une
grande fête , fut employé dans celle- ci avec une
magnificence extraordinaire. Illumination géné
tale , feux devant les portes , grand fouper où
cert femmes furent fervies par deux cens cava-
Jicis , feu d'artifice très- long & très - heureuſement
exécuté , bal mafqué répété dans fix falles
immenfes, tout ce que l'art , lajoie & le zele peuOCTOBRE.
1756. 227
vent inventer fut mis en ufage pour exprimer
Padmiration pour M. de Richelieu , & l'amour pour
le Roi.
BÉNÉFICES DONNÉS.
SA
›
A Majefté a accordé l'Abbaye de Bellaigue ,
Ordre de Câteaux , Diocèfe de Clermont , à M.
l'Abbé de Durat ; l'Abbaye de Corbie , Ordre de
Saint Benoît , Diocèle d'Amiens , au Cardinal de
Luynes , Archevêque de Sens celle de Saint
Vincent , même Ordre , Diocèfe & Ville de
Laon , au Cardinal de Gefvres ; celle d'Herivaux
Ordre de Saint Auguftin , Diocèfe de Paris
, à M. l'Abbé Boifot , Prêtre du Diocèfe de
Befançon; celle de Bellevaux , Ordre de Prémontré
, Diocèfe de Nevers , à M. l'Abbé de Chaffois
l'Abbaye Réguliere de Notre- Dame , Ordre
de Saint Benoît , Diocèfe & Ville de Troyes ,
à la Dame de Montmorin , Religieufe dudit Ordre
; & celle de Villechaffon , même Ordre ,
transférée dans la Ville de Moret , Diocèfe de
Sens , à la Dame d'Arcy , Religieufe de la Congrégation
de Compiegne ; l'Abbaye de Saint
Medard , Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de
Soiffons , à M. l'Abbé Comte de Bernis , Confeiller
d'Etat Eccléfiaftique , & Ambaffadeur Extraordinaire
du Roi auprès de Sa Majesté Catho
lique ; l'Abbaye de Lien- Dieu en Jard , Ordre de
Prémontré , Diocèle de Luçon , à M. l'Abbé de
Chalmazel , Vicaire Général de l'Archevêché de
Sens ; celle de Mortemer , Ordre de Câteaux ,
Diocèle de Rouen , à M. l'Abbé de la Luzerne ;
& un Canonicat de la Sainte Chapelle de Paris ,
à M. l'Abbé de Perthuys , un des Chapelains de
Madame.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a accordé l'Abbaye de la Chaife-Dieu
Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de Clermont ,.
au Prince Louis - René - Edouard de Rohan , Chanoise
de Strasbourg ; le Prieuré de Moutons
Diocèle d'Avranches , Ordre de Saint Benoît
à la Dame de Pierrepont , Religieufe du même
Ordre.
NAISSANCES , MARIAGES
ET MORTS.
79 T
Nous avons annoncé dans le volume du t
Mercure du mois d'Août , le mariage de M. Guillaume
, fur la foi d'une lettre qui nous a été
écrite de Befançon le 13 Février 1756. Nous n'avons
point confervé cette lettre , n'imaginant pas
qu'elle dût nous être de quelque utilité.
Qui en effet , auroit pu fe perfuader que l'on
abuferoit de la facilité avec laquelle les différens
Auteurs du Mercure fe font toujours prêtés à inf
truire le Public des événemens qui intéreffent les
Maifons illuftres & les Familles diftinguées du
Royaume , & de notre empreffement particulier
fatisfaire nos Lecteurs fur cet article ! Qui eût
penfé que l'on trouveroit dans cette facilité un
moyen pour jetter du ridicule fur les plus konnêtes
gens ! Je veux bien croire que l'Auteur de cette
lettre n'a pas eu un plus mauvais deffein .
Quoiqu'il en foit , la modeftie de M. Guillau
me auroit dû le mettre à l'abri de la mauvaiſe
plaifanterie , & lui fauver le ridicule qu'a voulu
lui donner l'Anonyme qui nous a écrit . Quoique
la lettre fût fignée , l'Auteur n'en eft pas moins
OCTOBRE . 1756. 229
inconnu , parce qu'il s'eft fans doute fervi d'un
nom fuppofé.
Pour prévenir de pareils inconvéniens , j'avertis
que dorénavant nous ne ferons aucun ufage
dans le Mercure des Mémoires qui nous feront
adreffés , fi les lettres ne font fignées d'une perfonne
de la famille qu'ils concerneront , cachetées
du cachet de fes armes , & datées du lieu
d'où elles auront été ecrites. -
Voici la lettre que nous avons reçue de M. Guillaume
au fujet de l'article qui a été mis dans notre
recueil...
ABefançon , le 15 Août 1756.
Vous jouiffez , Monfieur , d'une trop belle
réputation , pour que j'ofe vous foupçonner d'avoir
eu quelque part au ridicule que me donne
votre Mercure du mois d'Août à l'article des mariages.
C'eft l'ouvrage, je n'en doute point , de quel
que jaloux ou mauvais plaifant. J'en ai été extrê
mement mortifié parce que l'on y compromes
M. l'Archevêque que l'on fuppofe avoir donné la
Bénédiction Nuptiale à mon fils en l'Eglife Métropolitaine
, & quantité d'autres faits également
faux.
Je mene ici une vie privée qui n'auroit pas dû
exciter une femblable dérifion . Je n'ai d'autre
qualité que celle de Confeiller Auditeur en la
Chambre & Cour des Comptes de cette Province ,
& mon fils celle d'Avocat . Vous pouvez juger delà
, Monfieur , que nous ne fommes point faits
pour être mis dans le Mercure .
Rien n'a été plus fimple que la cérémonie du
mariage de mon fils , Elle a été faite dans l'E
glife de S. Jean-Baptifte , Paroiffe de Demoiselle
130 MERCURE DE FRANCE.
Magdeleine Richer, à 8 heures du foir,fans aucune
oftentation .
Je vous crois , Monfieur , intéreffé comme
moi , à découvrir l'Auteur de cette mauvaiſe plaifanterie
: c'eft pourquoi je vous prie , s'il eft poffible
, de m'envoyer la mémoire qui vous a été
adreflé à cette occafion : vous m'obligerez infiniment.
J'ai l'honneur d'être , & c.
GUILLAUME.
Dame Marie-Thérèle de Faudoas , époufe de
Meflire George Réné de Clerel , fieur de Tocque
ville & d'Auville , Capitaine de Cavalerie au Régiment
de Chabriliant , eft accouchée à Bayeux ,
le 14 Juillet d'un fils qui a été baptifé le même
jour , & nommé Georges - Léonard- Bonaventure . Il
a eu pour parrain Meffire Bernard Bonaventure de
Clerel-de Tocqueville fon oncle, & pour marraine
Dame Elizabeth Thérele Senot- de Morfalines ,
Dame & Marquife de Caftilly, fa bifayeule.
+
Le nom de Clerel est très ancien en Normandie
, comme on le voit par les recherches de Meffieurs
de Montfaoucq de Roiffy & de Chamil-
Jard. L'hiftoire fait mention de plufieurs Seigneurs
de ce nom , qui ont fervi avec diftinction fous les
Ducs de Normandie. Cette famille porte pour
armes d'argent à la face de fable , accompagnée
de merlettes de même en chef, & de 3 tourteaux
d'azur en pointe."´
3
La maifon de Fau doas eft originaire de Guyenne
, où les premiers feigneurs de ce nom prenoient
la qualité de premiers Barons Chrétiens
de Guyenne . François de Faudoas , un des defcendans
de ces feigneurs , vint s'établir au Maine , à
Poccafion de l'ilia ce qu'il contracta le 6 Novembre
1592 , avec Renée de Brie , héritiere de fa
OCTOBRE. 1756. 231
maifon & de plufieurs terres dans le Maine . François
de Faudoas fut pere de Jean , en faveur duquel
les terres qu'il poffédoit au Maine , furent
unies & érigées en Comté fous le nom de Serillac.
Jean époufa Marguerite de Piedefer de laquelle
il eut Pierre de Faudoas , Comte de Serillac
, allié en 1679. à Marie- Charlotte de Courtarvel-
de Pezé qui fut mere d'Antoine de Faudoas ,
Comte de Serillac , lequel quitta le Maine pour
venir s'établir en Normandie à cauſe du mariage
qu'il y contracta le 25 Septembre 1709 , avec
Françoife-Hervée de Carbonel , fille & héritiere
d'Hervé , Marquis de Canify , Lieutenant de Roi
en Baffe-Normandie. De cette alliance il a eu :
1º. Marie- Charles- Antoine de Faudoas de Canify,
Comte de Serillac , Baron du Hommet ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , Lieutenant de Roi en Baffe-Normandie
& Gouverneur des Ville & Château d'Avranches ,
pere par Marie- Thérefe de Boran- de Cafiilly , de
la Dame de Clerel.
2º. Renée-Bonne- Françoife de Faudoas.
3º. N.... de Faudoas .
Meffire Pierre Augufte- Anne- Céfar le Maftin,
Comte de Nuaillé , dit le Comte de Maſtin , a
épousé en fecondes ôces , par contrat du 23 Février
1756 , Demoifelle Marie- Magdeleine le
Franc des Elarts , fille de feu Meflire Louis le
Franc-des Effarts & de Demoiſelle N... Mignot.
Le Comte de Maftin eft iffu de Gilles le Maftin,
Ecuyer , feigneur de la Roche- Jaquelin en Bas-
Poitou , vivant en 1320 , lequel avoit épousé
Marie- Anne de Beaumanoir , qui fut mere de
Pierre le Maftin qui rendit hommage en 1351 ,
pour fa feigneurie de la Roche - Jaquelin . On croit
qu'il eut pour femme Valere de Château-Briant ,
232 MERCURE DE FRANCE.
à
qui le rendit pere de Jean le Maftin qualifié Var
let , dans un acte qu'il paffa le 19 Juillet 1375. H
époufa en 1382 , Colette de Marzoles , de laquelle
il eut Gilles le Maftin , marié le 12 Mai 1399 ,
Jeanne de Beaumont- Breffuyres. De cette allian
ce vint Jean le Matin , Ecuyer , feigneur de la
Roche-Jaquelin , allié 10. à Jeanne de Jouffaulme,
dont le fils Jean mourut fans enfans mâles . 2 °. En
1466 , à Jeanne de Sanzay , fille de Jean , Vicomte
héréditaire & Parageur de Poitou , laquelle
étoit le 8 Juillet 1487 , mere & tutrice entr'autres
de René le Maftin , feigneur de la Favriere ,
qui époula Simonne de Villeneuve-Vence. Celleci
tranfigea à Thouars le 5 Décembre 1525 , comme
ayant la garde- noble de fon fils Gabriel le
Maftin , qui , de fon mariage contracté le 18 Mai
1535 avec Jeanne le Roux - de la Roche- des -Aubiers
, eut Claude le Maftin , feigneur de la Fa
vriere du Chatelier- Berle , de Champagné , &c.
Chevalier de l'Ordre du Roi , Gentilhomme de
fa Chambre , & Gentilhomme d'honneur de la
Reine Catherine de Médicis . Il époufa le 17 Décembre
1575 , Jeanne de Barbefieres , fille aînée
& principale héritiere de Sébastien , Baron de
Nuaillé , de Bourgon en Angoumois , de Ferieres
, Beauregard , Cramahé , Čourfon , la Mothe ,
&c. & de Jacquette de Parthenay , Dame d'honneur
de la Reine Catherine de Médicis. De cette
alliance , vint Charles le Maſtin , Baron de Nuaillé
, &c. marié le 12 Octobre 1609 , à Jeanne
Tuflaud de Maifontiers , de laquelle il eut Henri
le Maftin , Baron de Nuaillé , allié le 30 Novembre
1734 , Anne Chefnel d'Efcoyeux , qui fut mere
de Claude le Maftin , dit le Marquis de Nuaillé ,
mort le 13 Février 1692. Il avoit époulé le 26
Octobre 1665. Marie-Anne Tuffet. De ce mariag
ge fortirent :
OCTOBRE. 1756. 235
1º. Charles- Gemanicq le Maftin , Comte de
Nuaillé , mort Brigadier des Armées du Roi , &
Colonel d'un Régiment d'Infanterie de fon nom .
Il avoit époufé en 17 : 4 , Amé- Louife de la Rochefoucaud-
Surgeres , remariée au Marquis de
Nieul , ayant eu de fon premier mariage , Marie-
Anne-Françoife - Félicité le Maftin , veuve du 8
Juin 1748 , de François du Pouget de Nadaillac ,
Baron de S. Pardoux , qui en a laiflé cinq enfanst
2°. Philippe-Augufte le Maftin allié le 30 Novembre
1718 , à Catherine de Viaud qui l'a ren
du pere de Pierre- Augufte- Anne- Célar , dit le
Comte de Maſtin , duquel nous annoncons le fecond
mariage. Il avoit époufé en premieres noces
par Contrat du 21 Avril 1748 , Marie-Françoife
de Boulainvilliers , de laquelle il a eu Louis-Sylveftre
de Maftin , né le 17 Janvier 1752 .
La famille de le Mafin ou le Maftain ( comme
on le trouve en beaucoup d'endroits , ) prétend
être originaire d'Italie , & avoit autrefois
poffédé la principauté de Vérone , & elle porte
pour armes d'argent à fix fleurs de lys d'azur ,
abouttées , mifes en bande à la cotice de gueules ,
brochante fur le tout.
Meffire Charles de Maffo , Marquis de la Ferriere
, Baron de Chaffelay , Lifieu , du Plantin, &
autres lieux , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , Enſeigne , Aide - Major des Gardes du Corps
de Sa Majefté , Sénéchal de Lyon , & de la Province
de Lyonnois , fut mariée le 2 Mars à Dame
Marie- Magdeleine Mazade , veuve du fieur Gafpard
Grimod-de la Reiniere , un des Fermiers Généraux
de Sa Majesté.
Le 16 Mars , Meflire Barbe - Simon , Comté
de Riencourt , Capitaine de Cavalerie au Régiment
d'Archiac , époufa Demoiſelle N... Tiercelin-
de Broffe , fille unique de Meffire Etienne ,
234 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Tiercelin -de Broffe , & de Marie-Auguf
tine-Alexandrine de Crequy. La Bénédiction Nuptiale
leur a été donnée par l'Evêque d'Amiens
dans la Chapelle du Château de Beaucourt. Voyez
pour la Maifon de Riencourt , le fecond volume
du mois d'Avril de ce Journal , pag. 128 &ſuiv.
& corrigez-y ce qui fuit .
Pag. 230 ligne 7. & par Thomas , lifez, &
par Flamene. Lig. 12. avec Jeanne de Borgeau ,
fon époufe , lifez avec Jeanne d'Orgeau , fon
époufe , fille de Jacques , feigneur d'Orgeau ,
& de Jacqueline de Moy , dont deux enfans
fçavoir Antoine de Riencourt , feigneur d'Orival
, qui fuit , & Jacques , 1 quel a formé la
branche de Parfondrue , près Laon.
Pag. 231 , lig. 24. de Thomas de Riencourt ,
lif. de Flamene de Riencourt .. Lig. 26. marié à
N. Dumont , dont , & c. lif. marié par contrat du
2 Septembre 1493 , à Agathe Roubault , fille de
Joachim , Maréchal de France . De cette alliance
vint Thomas de Riencourt , feigneur de Tilloloy
, Vaux , & c . allié à Marie , fille du Seigneur
d'aucourt , dont Hugues , marié , & le refte
comme il eft.
Corrections pour l'article des Morts du
Mercure de Mai 1756 .
Pag. 258. lig. 8. Camboufie , lif. Cambolit ,
Bullac , Viafac , le Poujoula.
Idem. lig. 14. Dame de Jonnac , lif. Dame &
Baronne de Sonnac .
Idem. lig. 21. Saint- Alvaire , lif. Sainte-Alvere
.
Pag. 260. lig. 9. N... de Loftanges , dit le Vicomte
, &c. lif. N... de Loftanges , né en 1733 .
actuellement au Séminaire de S. Sulpice à Paris.
OCTOBRE. 1756. 235
Idem. lig. 11. Marie-Julie de Loftanges , ajou
tez , alliée à François - Saturnin de Gallard , Marquis
de Terraube , voyez le Mercure de Juillet ,
premier volume 1756.
Idem lig. 12. Trois autres filles , ajoutez , dont
une mariée à N. de Cugnac.
Pag. 261. lig. 2. de N... lif. de Marie-Antoi
nette Charlotte.
Idem. lig. 6. Renée , lif. Marie-Renée de Loftanges
du Poujoula.
Idem. lig. 10. Jarmons , lif. Jarmioft en Lyonnois
, & ajoutez que Louis de Loftanges , chef de
la branche de Beduer , a quatre foeurs dont une
religieufe à Liflac.
Idem. lig. 14. Felains , lif. Felzins .
Idem. lig. 19. après la Mothe , ajoutez , dont
eft né Hugues de Loftanges , feigneur de Cufac ,
qui eft marié , & a des enfans.
François-Gafton de Carbonnieres , Marquis de
la Capelle, eft mort le s Novembre 1755 , en fon
Château de la Capelle en Agenois , âgé de 63 ans .*
Il laiffe veuve fans enfans fon époule Marie- Anne
de Miran-Verdufan , à laquelle il a laiffé par fon
teftament la jouiffance de fes biens , qui pafferont
enfuite au Comte de Sabran , petit - fils de
Louiſe-Charlotte de Foix , & de Jean-Honoré ,
Comte de Sabran. Louiſe- Charlotte de Foix eft
fille de François- Gafton , Comte de Foix , mort en
1695 , & de fa troifieme femme Dorothée-Théodore
de Poudenas-de Villepinte. La feconde femme du
Comte de Foix , fut Claude du Faur-S. Jory , qui
eut pour fille Angélique- Céfarine de Foix , mere
* Cet article a déja été inféré dans le fecond volume
de Juillet 1756 , page 235 ; mais comme il
s'y eft gliffé beaucoup d'erreurs , on a pris le parti
de le répéter ici en entier.
236 MERCURE DE FRANCE.
du Marquis de la Capelle , dont nous annonçons
la mort , & d'une fille mariée au Marquis de Loffe,
pere de Louife de Loffe aujourd'hui époufe du
Comte de Valence , Brigadier des Armées du Roi ,
Colonel du Régiment de Bourbonnois , inftituée
légataire de la Baronnie de S. Jorry par Angélique-
Céfarine de Foix , fon ayeule maternelle.
Marie-Charlotte de Reffuge , veuve de Gafpard-
Hubert-Magdelon de Vintimille , des Comtes de
Marſeille du Luc , Lieutenant Général des Armées
du Roi , mourut à Paris , les Février , dans la
foixante-huitieme année de fon âge.
François de Saint- Belin , Marquis de Vaudremont
, ancien Meftre de Camp d'un Régiment de
cavalerie de fon nom , eft mort le 26 Janvier , en
fon château de Vaudremont en Champagne , âgé
de 80 ans.
Meffire Paul-Edouard Colbert , Comte de Creuilly
, Maréchal des Camps & Armées de Sa Majefté ,
mourut à Paris le 28 Février , âgé de 74 ans.
Dame Jeanne- Henriette - Françoife - Colette de
la Pierre , épouse de Meffire François - Marie le
Danois , Marquis de Cernay , Lieutenant Général
des Armées du Roi , & Commandeur de l'ordre
Royal & Militaire de S. Louis , eft morte le 2 Mars,
au Château de Raimes, près de Valenciennes, dans
la quarante-fixieme année de fon âge.
Meffire Nicolas le Camus , Commandeur des
Ordres du Roi , & ancien Premier Président de la
Cour des Aides , mourut à Paris le 3 , âgé de fois
xante-dix-huit ans.
Meffire Guillaume- François Joly de Fleury , an
cien Procureur Général du Roi au Parlement
eft mort à Paris le 25 Mars dans la quatre-vingtunieme
année de fon âge.
>
OCTOBRE . 1756. 237
M. Petit , Receveur de la Maîtrife des
Eaux & Forêts de Châteauneuf, en Timerais
, défavoue les vers à Madame de
Montgeron , qui lui font fauffement attribués
, & qui fe trouvent à la
du fecond Volume de Juillet.
page 74
Pour n'être plus trompés fur ces Pieces
hazardées , nous aurons à l'avenir la précaution
de les donner toujours anonymes :
nous fupprimerons en même temps le nom
des perfonnes à qui elles font adreffées
pour épargner à leur modeftie l'embarras
de rougir d'un éloge trivial ou mal- adroit,
AVIS.
·
LE Sieur Beaumont , Marchand fur le Pont
Notre-Dame, au Griffon d'Or , à Paris , continue
de vendre les ouvrages de M. Dernis , Chef
du Bureau des Archives de la Compagnie des
Indes , confiftant 19. En un Tableau contenant les
Parités réciproques de la livre numéraire , ou
de compte inftituée par l'Empereur Charlemagne ,
proportionnément à l'augmentation du prix du
marc d'argent , depuis fon regnejufqu'à préfent .
2º. Un Tableau fur les changes , entre la
France & les principales villes de l'Europe ;
par lequel on peut voir en tout temps , fi la
France eft créanciere ou débitrice des autres
états.
3º. Un autre Tableau contenant la réduction
en monnoie de France , des monnoies de change
des mêmes Villes,
238 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
LE Sieur Audou , Maître Vitrier , rue Saint
Victor , vis-à- vis le Séminaire de Saint Nicolas ,
proche la rue du Paon , tient Magafin de trèsbeaux
Verres blancs de Bohême , & autres , propres
aux Eftampes , Paftels , Voitures , Pendules ,
Miniatures & pour les Croifées. Il monte les Eftam.
pes en bordures de toutes couleurs ; il colle les
Cartes, Thefes fur toile , & entreprend le bâtiment.
Le fixieme volume de l'ENCYCLOPÉDIE
fe délivre aux Soufcripteurs.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur Ai le Chancelier,
le premier Mercure du mois d'Octobre , & je n'y
ai rien trouvé qui puifle en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 28 Septembre 1756. GUIROY.
ERRATA
PAge 215 , du Mercure d'Août , ligne 8 , M. dé
Fortonval , lifez , M. de Tortonval.
Page 102 , du Mercure de Septembre , lig 26.
Tout eft fur nos Vaiſſeaux ,
lifez , Tout eft fur nos bateaux.
Page 248 , lig. 34 , inférée à la partie Fugitive ;
lifex,, dans la partie Fugitive.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSES
LA Louange & la Flatterie , Fable ,
Impromptu ,
Vers à Madame d'Egmont ,
Réflexions diverfes ,
Vers à Madame la Marquife de T...
Vers à M *** , par M. Piecardet ,
L'Enjouée , Nouvelle ,
pages
{
7
ibid.
18
19
25
Ode fur l'arrivée de M. le Cardinal de Tavannes à
49 . Rouen
Vers récités dans l'Affemblée publique de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres de Lyon ,
&c. SI
55 Effai fur l'Eloquence , traduit de M. Hume ,
Vers fur les Fêtes données à Dunkerque , par le
: Prince de Soubife ,
Vers à M. Floncel ,
70
71
Vers au fujet de l'Epître de M. de Voltaire à M. de
Richelieu , 72
Projet utile aux Gens de Lettres , aux Auteurs &
même aux Libraires ,
Epître à M. de L *** ,
73
81
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
Mercure de Septembre ,
Enigme ,
84
ibid.
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Logogryphe, ibid.
Chanfon , 88
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis & Indications des livres nou
veaux , 89, &ſuiv.
240
Prix d'Eloquence & de Poéfie , propofé par l'Aca
démie Françoiſe ,
ART. III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
131
135 Hiftoire.
Agriculture. Lettre à M. Diderot , fur les bleds ,
155
Chirurgie. Differtation fur les effets de l'or battu ,
158
Séance Publique de l'Académie des Belles - Lettres
de Marſeille ,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
162
Peinture.
Sculpture.
Gravure.
165
173
176
Horlogerie. Réponse à la Lettre fur les Pendules à
chapelets , inférée dans le Mercure de Juillet ,
ART. V. SPECTACLES.
177
Comédie Françoiſe .
185
Comédie Italienne. 186
Opéra comique. 187
Concert Spirituel. 188
ARTICLE VL
Nouvelles étrangeres ,
189
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 203
Bénéfices donnés , 227
Naiffances , Mariages & Morts ,
Avis divers .
La Chanfon notée doit regarder la page 88.
Le Plan du Lit de Juftice doit regarder la page 211.
´e l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert.
228
237
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE. 1756.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Shot ins
Ruthie Seuly
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
( CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
J
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chek M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets &lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poßte , payeroni
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront lesfrais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt-àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces on des pays
étrangers , qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la poste , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , on de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteroni au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obſervera
de refter à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Estampes & Musique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM . Feffard & Marcenay .
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ODE IRRÉGULIERE
A LA DANSE.
Danfe légere , mais divine ;
N'allóns point parmi nous chercher ton origine.
Tu n'as pu naître au milieu des ennuis.
Un jour l'aimable Dieu que le Parnaffe adore ,
Uniffoit fa guitarre au luth de Terpsichore ,
De leur tendre concert , ô Danfe ! tu naquis.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Jadis les peuples de la terre
Dans la folitude ou la guerre ,
Vivoient de trifteffe accablés.
Tu parus à ta voix les mortels s'attrouperent , :
Se prirent la main , & s'aimerent :
C'est toi qui les a raffemblés.
Danfe , je te connois à ce divin prélude.
Depuis ce temps leur gratitude
Te fit l'arbitre de leurs jeux.
De guirlandes parant leurs têtes ,
Ils t'appellerent à leurs fêtes ,
Pour referrer leurs premiers noeuds.
Vers les beaux lieux où tu préfides
Jamais les pâles Euménides ,
De la diffenfion ne guiderent les pas ;
Et fi le féroce Lapithe
Se baigne dans le fang des Hôtes qu'il invite ,
C'eſt qu'à la fête il ne t'appella pas.
Que tes Cenfeurs jaloux , pour ternir ta mémoire ,
Fouillent les faftes de l'hiftoire ,
Tu n'enfantas point de malheurs.
Ton empire eft celui des Graces :
Les mortels qui fuivent tes traces ,
Dans leur chemin ne trouvent que des fleurs.
Nous avons vu l'ame guerriere
Trouver Pécueil de fa vertu premiere
Dans la débauche ou le repos :
OCTOBRE. 1756. 7
Toi , loin de l'énerver , en faifant fes délices ,
Par tes utiles exercices
Tu difpofes l'homme aux travaux.
De quiconque te rend hommage
Tu développes les talens ;
Et tel qui nous parut fauvage ,
Sort de tes mains plein d'agrémens.
Quel port ! quel air ! quelle grace nouvelle !
Oui , dans l'éleve tout décele
L'habile main qui le polit :
Mais à former le corps bornes-tu ta puiſſance !
Non , ta falutaire influence
Agit fur l'humeur & l'esprit.
Les Graces , les Amours te prenant pour leur mere,
Ainfi que les jeunes Zéphirs ,
Pour ſe donner à toi , quittent Flore & Cithere ,
Et fur tes pas appellent les plaifirs.
Si tu fais aimer , tu fais plaire ;
On le fçait , plus d'une Bergere
Te doit le coeur de fon Berger :
Sans toi l'inconftante Glicere
N'eût point pour Corilas fixé fon coeur léger.
Favori de Sapho , tendre éleve des Mufes ,
Vieil Anacréon , tu t'abuſes ,
Si tu crois plaire en foupirant des vers.
Veux tu gagner le fuffrage des Belles ?
Couronne-toi de myrthes verds ;
•
A iv
$ MERCURE DE FRANCE.
Et d'un pied léger , avec elles ,
Foulant l'émail des fleurs nouvelles ,
Unis tes pas à tes concerts .
Mais quelle affreuſe folitude !
Les foucis dévorans , la fombre inquiétude ,
Tiennent mon eſprit attriſté :
Je vais mourir d'ennui ? ... Non , ta douce foli
Vient chaffer ma mélancolie.
O Danſe , je renais ! tu me rends ma gaité !
Entre le délire & l'ivreffe ,
Avec Bacchus & l'enfant de Cypris ,
Qu'un autre uſe les jours de fa belle jeuneffe ,
Mere de l'enjouement , avec toi j'en jouis !
Auffi pure qu'aux premiers àges ,
Déeffe , regne parmi nous ,
Et nous verrons encor les Sages
Fléchir devant toi les genoux.
Mais le peut- il , aimable Danſe ,
Que nul de nos Chantres fameux ,
Ignorant ton pouvoir , ainfi que ta raiffance ;
Ne t'ait point adreffé ni d'hymnes , ni de voeux ?
Ils ont chanté Vénus , Bacchus & fa puiffance.
Jufte fruit de leur ignorance ,
Ils chantoient des Tyrans , croyant chanter des
Dieux.
D'Erato foible nourriffon ,
De ces Maîtres divins j'ai fçu fuir la manie
OCTOBRE. 1756 . ୭
Au deffous d'eux par le génie ,
Au deffus d'eux par la raison .
Pindare m'offrît- il fa lyre ou fa trompette ;
Ma main ne l'accepteroit pas.
Sapho me fit préfent d'une fimple mufe.te :
C'en eft affez , mon ame eft fatisfaite ;
Je chante ma Philis , la Danſe & leurs appas,
Oui , j'en fais ici la promeffe ,
Danfe , j'annoncerai fans cele
Tes agrémens aux aimables mortels.
Convaincus de ton excel'ence ,
Je les vois accourir : déja leur main t'encenfe ,
Et je danfe avec eux autour de tes Autels .
R. D. S. M.
Des environs de Rennes .
A JULIE ,
En lui renvoyant fon Parapluie.
IMPROMPTU.
Belle , je vous en remercie ,
Vous m'avez par vos foins garanti de la pluie :
Mais toujours vainement vous ferai - je ma cour ?
Vous m'avez mis à l'abri de l'orage :
Hélas ! j'aurois dû , bien plus fage ,
Me mettre à l'abri de l'Amour.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
SUITE
DE L'ESSAI SUR L'ÉLOQUENCE ,
Traduit de l'Anglois de M. Hume.
JE ne peux m'empêcher de croire , que
fi
les autres Nations fçavantes & polies de
l'Europe avoient joui , comme nous , de
l'avantage d'un gouvernement populaire ,
elles n'euffent porté l'éloquence beaucoup
plus loin que nous. Les fermons François ,
furtout ceux de Bourdaloue ( 1 ) & de Fléchier
, font beaucoup fupérieurs à tout ce
que les Anglois ont dans ce genre. Il y a
dans Fléchier des traits de la plus fublime
( 1 ) Bourdaloue eft le premier de nos Prédicateurs
, mais n'eft pas le plus éloquent. L'élévation
, la majeſté , la vigueur du raiſonnement ,
voilà fon caractere : mais pour l'éloquence pathétique
, la chaleur du fentiment , les images
fortes , c'étoit Maffillon qu'il falloit citer . Les
Sermons de Fléchier fort encore d'un ordre inférieur
ce font les Oraifons funebres qui ont fait
fa réputation ; & dans ce genre il eſt au deffous
de Boffuet pour la véritable éloquence. Ces jugemens
hazardés de M. Hume , qui connoît cependant
affez bien notre langue & notre littérature ,
prouvent combien il eft difficile d'apprécier les
Ouvrages de goût écrits dans une Langue etrangere.
OCTOBRE . 1756 .
II
poéfie : l'Oraiſon funebre de M. Turenne
en fournira plufieurs exemples.
En France , les affaires qui font portées
dans les Parlemens & les autres Tribunaux
de judicature , ne roulent que fur
des conteftations de particuliers : mais
malgré le peu de reffources que ces petits
objers laiffent au génie , on apperçoit dans
plufieurs de leurs Avocats un efprit d'éloquence,
qui avec de la culture , des encouragemens
& de grands objets à traiter ,
pourroit s'élever à tout . Les plaidoyers de
Patru font très-élégans , & ils nous laif
fent imaginer ce que cet homme , dont le
beau génie s'eft fait voir dans des difcuffions
fur le prix d'un vieux cheval , ou
dans l'hiftoire burlefque d'une querelle
entre une Abbeffe & fes Nones , auroit pu
exécuter s'il avoit eu à traiter de la liberté
publique , de la paix & de la guerre : car
il faut remarquer que cet Ecrivain élégant ,
quoiqu'eftimé par tous les gens d'efprit de
fon temps , ne fut cependant jamais chargé
des caufes les plus importantes , & qu'il
vécut & mourut dans la pauvreté. Ce fur
l'effet de cet ancien préjugé qu'un homme
de génie n'eft pas propre aux affaires , préjugé
que les fots de tous les pays ont eu
Padreffe d'érendre & de conferver Les défordres
que fit naître le Miniftere du Car-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
dinal de Mazarin , engagerent le Parle
ment de Paris à entrer dans la difcuffion
des affaires publiques , & pendant ce court
intervalle , on vit plufieurs fymptômes qui
fembloient annoncer le rétabliffement de
F'éloquence ancienne.
L'Avocat Général Talon , dans une harangue
au Parlement , invoqua à genoux
l'efprit de S. Louis , & le fupplia de jetter
un regard de compaffion fur fon peuple
malheureux & divifé , & de lui infpirer
d'en haut l'amour de la paix & de la concorde
(1 ).
Les Membres de l'Académie Françoife
ont effayé de donner des modeles d'éloquence
dans leurs difcours de réception :
mais n'ayant aucun fujet particulier à traiter
, ils fe font jettés dans les fadeurs du
panégyrique & de la flatterie , le plus mai-
(1 ) Ce trait est tiré des Mémoires du Cardinal
de Retz , qui parle de ce Difcours prononcé ſur le
champ par M. Talon : « Je n'ai jamais rien oui ,
»ni lu de plus éloquent , dit le Cardinal . Il accom
»pagna fes paroles de tout ce qui put leur donner
»de la force il invoqua les mâ es d'Henri le
» Grand ; il recommanda la France à Saint Louis
>> un genou en teire . Vous vous imaginez peut-
» être que vous auriez ri a ce fpectacle ; mais veus
Den euffiez été ému comme toute la compagnie ,
>> qui s'en émut fi fortement , que j'en vis la clameur
des Enquêtes commencer à s'affoiblir , &c.
Mém . de Retz , Liv . 3 ann. 165
OCTOBRE. 1756 . 13
gre & le plus ftérile de tous les fujets. Le
ftyle de ces difcours eft néanmoins fouvent
noble & fublime , & il s'éleveroit au plus
haut dégré , s'il étoit foutenu par un fujer
plus intéreffant & plus fécond.
Il y a dans le tempérament & le génie
Anglois des chofes défavorables au progrès
de l'éloquence , lefquelles rendent les
effais de l'art plus difficiles , & même plus
dangereux chez nous que dans aucune autre
nation . Les Anglois font diftingués
par le bon fens , qui les met toujours en
garde contre les efforts qu'on pourroit
faire pour les féduire par des Aeurs de
Rhétorique & des graces d'élocution . Ils
ont auffi une modeftie particuliere qui
leur fait regarder comme un trait d'arrogance
, d'employer dans des Affemblées
publiques , d'autres moyens que des raifons
, ou de chercher à les fubjuguer par
les paffions & l'imagination . Je dois peutêtre
ajouter que le peuple en général ne
brille ni par la délicatelle du goût , ni par
une grande fenfibilité pour les charmes
des Mufes auffi les Auteurs comiques ,
pour
les remuer , ont eu recours à l'obfcénité
, & les Poëtes tragiques aux fcenes de
fang & de carnage . Les Orateurs n'ayant
les mêmes refources , ont abandonné
tout- à-fait l'efpérance de les émouvoir , &
pas
14 MERCURE DE FRANCE.
fe font renfermés dans les bornes du raifonnement
.
Ces circonstances jointes à d'autres caufes
accidentelles , ont peut-être retardé le
développement de l'éloquence dans notre
Nation , mais ne feront pas capables d'arrêter
fes fuccès , fi elle eft jamais cultivée
; & on peut hardiment prononcer
que c'eft un champ vafte qui offriroit une
riche moiffon de lauriers à des jeunes gens -
de génie , qui verfés dans la connoiffance
de tous les Arts polis , & inftruits des affaires
publiques , paroîtroient an Parlement,
& accoutumeroient nos oreilles à une éloquence
forte & pathétique. Il fe préfente à
l'appui de ce fentiment , deux confidérations
que l'antiquité & l'hiftoire moderne
me fourniffent.
Il n'eft peur-être jamais arrivé que le
mauvais goût , foit en Poéfie , foit en éloquence
, qui a régné dans une Nation , eût
été préféré au bon après la réflexion & la
comparaifon de l'un avec l'autre . Le faux
goûr ne domine que parce qu'on ignore le
vrai beau , & que l'on manque de modeles
parfaits , qui éclairent l'efprit fur la maniere
de juger plus fûrement , & de fentir
avec plus de délicareffe les ouvrages de
génie . Dès qu'il en paroît , ils réuniffent
bientôt tous les goûts , & par un charme
OCTOBRE . 1756 .
naturel & invincible , arrachent les fuffrages
& l'admiration des gens mêmes les
plus prévenus. Les principes de tous les
fentimens , de toutes les idées , font dans
tous les hommes : lorfque vous les préfentez
avec art , ils fe développent dans l'ame,
ils l'échauffent , & y excitent cette fatisfaction
pure par laquelle vous diftinguez les
beautés du génie d'avec les beautés artificielles
du bel efprit & des caprices de
l'imagination ; & fi cette obfervation eft
vraie pour tous les Arts Libéraux , elle
doit l'être furtout pour l'éloquence , qui
ayant pour objet de faire impreffion
fur le peuple & les gens du monde ,
doit
être foumife fans réferve au jugement public
, fans avoir jamais de prétexte pour
en appeller à des juges plus délicars. L'Orateur,
qui après la comparaifon , fera iugé
par le peuple le plus grand Orateur , doit
être auffi regardé comme tel par les gens
de Lettres & les Sçavans ; & quoiqu'un
homme d'un talent médiocre puiffe être
admiré longtemps , & regardé comme un
excellent Orateur par le Public qui ne
voit en lui que les talens qui lui plaiſent ,
fans appercevoir fes défauts , cependant fi
un homme d'un vrai génie , paroiffoit , il
attireroit bientôt l'attention du public , &
16 MERCURE DE FRANCE.
on ne tarderoit pas à fentir fa fupériorité
fur fon rival.
On peut juger maintenant par cette
regle , combien l'éloquence ancienne
c'est à dire , l'éloquence fublime & paffionnée
, eft d'un genre fupérieur au genre de
l'éloquence moderne , c'est-à-dire , l'éloquence
de difcuffion & de raifonnement ;
& combien dans la bouche d'un homme de
génie la premiere doit avoir plus de force
& d'autorité fur les hommes. Nous fommes
fatisfaits de notre médiocrité , parce
que nous ne connoiffons rien de mieux :
mais les Anciens avoient l'expérience de
l'un & l'autre genre , & ils ont donné la
préférence au premier , dont ils nous ont
laiffé de fi beaux modeles. Car , fi je ne me
trompe , notre éloquence moderne eft du
même style & de même efpece que celle
que les anciens critiques appelloient éloquence
Antique , dont la tranquillité , l'élégance
& la fubtilité faifoient le caractere ,
qui inftruifoit la raifon plus qu'elle n'affectoit
les paffions , & qui ne s'élevoit jamais
au deffus du ton du raifonnement & du
difcours ordinaire . Telle étoit l'éloquence
de Lifias chez les Athéniens , & de Calvus
chez les Romains. Ils furent eftimés dans
leur temps , mais dès qu'on les mais dès qu'on les compara à
OCTOBRE, 1756. 1.7
Démofthene & à Cicéron , ils s'éclipferent
comme la lumiere d'un flambeau , expofée
á la lumiere du foleil. Démofthene & Ciceron
avoient autant d'élégance , de fubtilité
& de force de raifonnement que les
Lifias & les Calvus : mais ce qui les rend
admirables, c'eſt ce pathétique & cette élévation
de penfées qui brillent dans leurs
harangues , & qui les rendoient, pour ainſi
dire , maîtres des efprits de leurs Auditeurs.
On trouveroit à peine quelques traits
de cette efpece d'éloquence dans nos Orateurs
publics ; il y en a quelques exemples
dans nos Ecrivains , qui ont été reçus avec
de grands applaudiffemens ; ce qui doit
exciter l'émulation de notre jeuneffe , dont
les efforts pour faire revivre l'ancienne
éloquence , feroient payés d'une gloire
égale & même fupérieure . Les écrits de
Milord Bolinbroke ont une force , une
énergie & un fublime auxquels nos Orateurs
ne vifent même guere , quoiqu'il
foit évident que cette élévation de ſtyle ait
bien plus de graces dans un Orateur que
dans un Ecrivain , & qu'elle faffe une impreffion
plus prompte & plus vive , étant
fecondée par les inflexions de la voix &
la chaleur de l'action . Les mouvemens fe
communiquent par une fympathie muIS
MERCURE DE FRANCE.
tuelle entre l'Orateur & les Auditeurs , &
l'afpect d'une Affemblée nombreuſe , attentive
au difcours d'un homme , doit lui infpirer
une élévation particuliere fuffifante
pour donner de la vérité aux figures &
aux expreffions les plus fortes. Il eft vrai
qu'il y a un grand préjugé contre les difcours
préparés , & qu'il eft difficile de fauver
du ridicule un homme qui répete un
difcours , comme un écolier répete fa leçon,
fans tenir compte des obfervations qu'on
lui fait dans le cours du débat. Mais je de
manderai auffi quelle néceffité il y a de
tomber dans cette abfurdité. Un Orateur
public doit bien connoître le fonds de la
queſtion avant de la difcuter : il peut compofer
toutes les objections & les réponſes ,
de la maniere la plus propre à la forme de
fon difcours. Si des raifons imprévues fe
préfentent , il y fuppléera d'imagination ;
il n'y aura pas une différence bien apparente
entre ces morceaux compofés fur le
champ & ceux qui font étudiés. L'efprit
conferve naturellement la même force
qu'il a acquife par fon mouvement ; femblable
à un bateau , qui une fois mu par
l'effort des rames , conferve fon mouvement
pendant quelque temps , quoique la
premiere impulfion ne fubfifte plus .
Je finirai
par obferver
que quand même
OCTOBRE. 1756. 19
nos Orateurs modernes ne chercheroient
pas à donner plus d'élévation à leur ftyle ,
& à égaler les Anciens , il refte encore un
défaut effentiel dans la plupart de leurs
difcours , dont ils pourroient fe corriger
fans fortit de ce ton étudié d'argumentation
& de raiſonnement, auquel ils bornent
leur ambition. Cette grande affectation de
compofer fur le champ , leur a fait rejetter
l'ordre & la méthode qui font fi néceſſaires
aux chofes de raifonnement , & fans
lefquelles il n'eft guere poffible de produire
une entiere conviction dans l'efprit : ce
n'eft pas que je veuille recommander de
mettre dans un difcours public une forme
compaffée de divifions & de fubdivifions ,
à moins que le fujet ne les offre naturellement
; mais il eft aifé d'obferver fans cet
arrangement pédantefque , une méthode
nette & commode pour les Auditeurs qui
verront avec plaifir les raifons fortir naturellement
les unes des autres , & s'étayer
mutuellement ; méthode qui laiffera dans
l'efprit une perfuafion plus intime que ne
pourroient faire les plus fortes raifons préfentées
fans art & fans ordre.
20 MERCURE DE FRANCE.
L'ENTR E- S O L.
CE ne font pas toujours les plus vaſtes Palais
Qui rendent nos voeux fatisfaits.
Dans une enceinte plus bornée ,
On peut rencontrer mille attraits ,
Si par le goût elle eft ornée.
Sept pieds de haut , fix toifes de longueur ,
Et trois à peu près de largeur ,
Forment l'efpace de ma cage
Qui fe divife ou fe partage
En quatre pieces néanmoins ,
Et fçait fournir à mes befoins.
Mais l'induftrie , en faſcinant la vue ,
De mes réduits fçavamment difpofés ,
En a d'abord augmenté l'étendue .
Ces reflets lumineux , l'un à l'autre oppofés ,
Par qui Venife fut autrefois fi célebre ,
En multipliant les objets ,
Epuiferoient , je crois , l'Algebre ,
A calculer fes merveilleux effets .
L'Ecole Flamande & Romaine ,
De nos pinceaux françois la touche fouveraine ,
Le Brun , le Sueur , le Bourdon ,
Quelques autres du même ton ,
Décorant , à l'envi , mon petit édifice ,
OCTOBRE. 1756 . 21
S'y répetent encor par le même artifice.
Des Phidias joints aux Zeuxis ,
Le Bronze vient m'offrir les ouvrages exquis,
Mais pour ravir tout mon hommage ,
Le Moine ( 1 ) , leur rival , dans un bufte doré ;
Me préfente l'augufte image
D'un Roi par fon peuple adoré ;
Et fous un humble toit qu'à peine on voit pa
roître ,
Je contemple le Trône & fon plus digne Maître,
L'art des Cochins ( 2 ) éclaire mes lambris
Le Granit ( 3 ) & la Porcelaine
Jaloux d'en relever le prix ,
Achevent d'embellir ce gracieux domaine.
Que je me plais à l'habiter !
Les neuf Soeurs quelquefois m'y viennent vifiter!
Mon Cabinet eft pur , car les Mufes font chaſtes :
J'y raſſemble avec foin les folides écrits
De leurs illuftres favoris .
On n'y voit point des moeurs ces odieux con
traftes ,
Tous ces ouvrages ténébreux ,
Dont les principes téméraires
Répandent un nuage affreux
Sur les vérités les plus claires ;
Tous ces lyſtêmes avortés ,
(1 ) Fameux Sculpteur.
(2) M. Cochin , Graveur célebre.
(3) Marbre précieux,
22 MERCURE DE FRANCE.
Que le libertinage loue ,
Comme par la raifon dictés ,
Et que la raifon défavoue.
Enfin fi cet azyle a pour moi tant d'appas ,
Si tout m'y plaît , & rien ne m'importune ,
C'eft que pour comble de fortune ,
L'Amitié tendre y conduifit mes pas,
Dans une fociété chere ,
Elle me fit trouver à la fois la Vertu ,
Les Talens précieux , la Piété fincere ,
Cet aimable Enjouement de raiſon revêtu ;
Que toujours la Sageffe inſpire.
Tel eft , je ne puis trop le dire ,
A mon étroit manoir ce qui fixe mes voeux.
Qu'il faut peu de terrein pour rendre l'homme
heureux !
M. TANEVOT.
Cet Entre-fol nous paroît préférable au
Palais le mieux décoré.
PORTRAIT DE ZÉLIDE .
ZÉlide eft belle , de l'aveu même de fon
fexe. Il lui rend juftice , parce qu'il ne
peut la lui refufer. Ma plume n'a pas de
trait affez fort pour la peindre la nature
peut feule & d'une maniere digne d'elle ,
tracer fur le miroir ou fur l'onde l'image
:
OCTOBRE. 1756. 23
de Zélide , fon chef-d'oeuvre perfectionné
par les graces. On peut en juger par les
effets qu'elle fait fur tous les coeurs . Quand
on l'a voit , on eft furpris , on admire ; &
cette furpriſe eft toujours mêlée de fentimens
tendres , qui naiffent avec elle . On
fent , on ne peut pas bien exprimer quoi ,
mais on fent. La voir , lui donner fon
eftime & fon coeur , eft l'ouvrage du même
moment . On ne s'apperçoit d'avoir perdu
fa liberté , que lorfqu'on fe difpofe à lui
en faire le facrifice . Mais je n'ai parlé que
de la beauté de Zélide , je devois la taire ;
& pour faire un beau tableau , il me fuffifoit
de faire connoître fon efprit ou fon
coeur. Aimée de tous ceux qui la voient ,
eftimée de tous ceux qui la connoiffent ,
elle fe rend encore plus digne des hommages
des mortels par les qualités de fon
coeur.
Simple en fa parure , modefte en fon
maintien , noble en fes façons , naturelle
en tout ce qu'elle dit , en tout ce
qu'elle fait ; d'un eſprit grand & élevé ,
pliant , s'accommodant à toutes les formes
; d'une humeur complaifante , douce ,
infinuante ; d'un abord gracieux & prévenant
, d'une politeffe aifée , Zélide pourroit-
elle ne pas plaire univerfellement !
44 MERCURE DE FRANCE.
pourroit- elle réunir tant de perfections , &
en dérober la connoiffance à des yeux , à
des regards que la curiofité de la voir
a fixés fur elle , & que fon mérite y
tient attachés ! Auffi fans chercher à plaire
à perfonne , fe fait-elle aimer de tout le
monde . Tous fe rendent à fes charmes , &
tous fe font un honneur de s'y rendre. Il
femble que Vénus & Minerve ont choifi
l'ame de Zélide pour y fixer leur féjour, &
pour y faire leur réconciliation ; il femble
qu'à l'envi l'une de l'autre elles veulent
la combler de leurs dons .
Loin de s'applaudir avec hauteur & avec
fierté de tant d'avantages , Zélide dans le
'fein des graces jouiſſoit avec modeſtie de
fon empire fur les coeurs. Son fexe n'avoit
pu lui refufer d'abord fon admiration :
'hommes & femmes , tous lui devoient
également des hommages, Mais ce fexe
fier , impérieux , jaloux , ce fexe aimable
né pour plaire , ne reconnut qu'avec rele
mérite de Zélide lui gret l'aveu que
avoir arraché. Il ne vit que des yeux de
l'envie avec quelle fitisfaction les hommes
applaudiffoient aux progrès de Zélide , &
fe faifoient une gloire de les accroître
par leur défaite. La jaloufie paffe dans
leur ame avec tout fon poifon , le feu de
la
OCTOBRE. 1756. 25
la vengeance s'allume dans leur coeur , &
les charmes de Zélide ne fervent qu'à en
augmenter l'activité.
Quoi ! difent-elles , Zélide plaît & nous
ne plaifons pas ? fa beauté fait fon crime :
vengeons- nous fur elle de la nature qui
ne nous a pas fi bien partagées. La jaloufie
& la fureur , l'envie & le défeſpoir
leur dictent ce difcours.
Dès ce moment elles cherchent , elles
colorent la calomnie , elles inventent
elles fuppofent , elles forment un corps
d'accufations contre Zélide, qu'elles- mêmes
vont préfenter à Vénus. Elles l'accufent
de dédaigner & d'avoir rejetté l'efprit de
fon fexe , l'efprit de bagatelle ; elles l'accufent
d'avoir l'efprit trop folide , trop
judicieux & trop éclairé ; elles l'accufent
enfin , & c'eft l'article fur lequel elles appuient
davantage ; elles l'accufent d'être
fçavante & philofophe. Le goût pour les
fciences & pour la philofophie , leur répondit
la Déeffe , que vous reprochez à
Zélide , vous fait autant d'honneur qu'il
m'eft agréable. Depuis que les Lafayette ,
les Maintenon , les Sévigné , les Lambert ,
les Scuderi , les Deshouliere , les Luffan
les la Sabliere , les Graffigni , les du Bocage
, les du Châtelet , & une infinité
d'autres , font l'ornement de ma cour ,
II.Vel. B
26 MERCURE DE FRANCE.
leurs fuccès doivent vous apprendre que
pour plaire , les agrémens de l'efprit ne
font pas moins néceffaires que ceux de la
figure , & que les fciences ne fourniffent
pas moins que la toilette des armes pour
triompher.
4
LE POUR ET LE CONTRE DE PARIS,
Meunet de M. Exaudet.
C'E'fEftt Paris
Qui des ris
Eft l'azyle.
Veut-on gouter du plaifir ?
On a peine à choisir ,
Il s'en préfente mille.
Que Vénus ,
Que Bacchus
Ont de charmes !
Ils font aux coeurs les plus froids
Rendre cent & cent fois
Les armes.
L'art , le goût & la ſcience
Dans fon fein ont pris naiffance
Les talens
Les plus grands
Y deuriffent;
OCTOBRE. 1756. 27
Les théâtres enchanteurs ,
Suivant les connoiffeurs
Raviffent.
Dans le ton ,
La façon ,
Que de grice !
De politeffe , d'efprit !
D'enjouement , de débit !
Au parfait tout s'y paffe.
Si j'ai fait
Un portrait
Magnifique ,
Vous conviendrez , s'il vous plaît
Que le grand Paris eft
Unique.
Dans Paris
Que de cris !.
Quel tumulte !
Si vous êtes Fantaflin ,
Brufquement un faquin
Vous pouffe , vous inſulte :
Vous allez ,
Vous voulez
Fuir la crife ,
De fon fouet doublant les coups ;
Un maudit Cocher vous
Défrise.
N'y fait-on point de dépenfe ,
Le trifte endroit , quand j'y penſe
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Très- fouvent
On y vend
La juftice :
Sans un protecteur ardent ,
Il faut que le talent
Gémille .
Complimens
Eloquens
Mais fans preuve .
Combien eft- il dangereux
D'Etre trop amoureux ,
De fille , ou femme , ou veuve !
Faux amis
Qu'a vomis
L'art de feindre.
Convenez donc , s'il vous plaft ;
Que ce cher Paris eft
A craindre.
Par M. FUSILLIER , à Amiens.
VERS
J
Préfentés à M. de Fontenelle , le 14 du mois
d'Août 1756 , par M. l'Abbé Arnoux,
LOV
L'Europe
t'offre les hommages
Depuis près de quatre-vingts ans ;
Elle admire dans tes Ouvrages
Le fuccès de tous les talens ,
OCTOBRE. 1756. 29
Elle demande que ta vie
Echappe à la Parque ennemie ,
Et que rien n'en trouble le cours .
Si tes jours font comme ta gloire ,
( Hélas ! que ne peut-on le croire ! )
Grand Homme , tu vivras toujours.
RÉFLEXIONS
Sur le Bonheur & les Plaifirs d'imagination.
L'Espérance ,, toute trompeufe qu'elle eft ,
dit le judicieux la Rochefoucault , fert au
moins à nous mener à la fin de la vie par
un chemin agréable.
Mais pour qu'elle ait cet avantage , il
faut qu'elle foit raisonnable & affortie à
notre état. Si elle tient plus de la chimere.
que de la vraisemblance , elle ne doit paffer
que pour la faillie d'un cerveau creux.
Efpérer avec quelque fondement , c'eft
raifon ; efpérer contre l'efpérance même ,
c'eft folie . Le bon fens foutient l'illufion .
Quoique les efpérances nous trompent
fouvent , elles ont cependant leur utilité :
le plaifir innocent qu'elles donnent , affaifonne
& facilite nos actions , fans laiffer
ce dégoût que font ordinairement fentir
celles qui fortent de l'ordre.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
L'efpérance bien prife jette le calme
dans l'ame , la tranquillité dans l'efprit :
elle eft un baume pour le fang ; elle fert
à la fanté , & prolonge agréablement la vie
à laquelle elle attache par des charmes
fecrets.
J'entre dans un jardin , j'y vois le papillon
vol ge careffer les fleurs & fe nourrir
de leur fuc qu'il exprime , & je dis en
moi-même quelle image plus reffemblante
de mon imagination ! Elle erre , elle
voltige , elle s'égaye fur mille objets divers
& mon ame profite du butin : c'eft le miel
de l'abeille
Les plaifirs d'imagination font comme
ces belles étoffes des Indes dont on n'ofe
parer en public : on en fait des meubles
pour les appartemens .
fe
Nous ne fommes heureux que par nos
défirs. Il femble que notre empreffement
à courir après un objet quelconque lui donne
du prix. L'imagination embellit , groffit
& forme à fon gré le fujet qui la met en
jeu : ce font des roſes dont elle arrache les
épines , avant que de nous les préfenter.
La jouiffance eft la pierre de touche du
bonheur & des plaifirs ; elle en découvre
le faux ou l'alliage ; & voilà pourquoi la
poffeffion tranquille change nos défirs en
langueurs , nos plaifirs en fatiétés , & nos
OCTOBRE. 1756. 31
empreffemens en indifférence. Tous les
jours on voit des hommes mépriſer femme,
celle qu'ils avoient adorée maîtreffe .
On traite du prix d'une Charge brillante
dont l'honorifique & les prérogatives diftinguent
celui qui en eft revêtu : cette idée
flatte. Les agrémens fe préfentent en foule
à l'imagination ; on jouit d'avance des
égards & des refpects qu'elle attire , & l'on
fe hâte de conclure. L'acte eft il paffé ? les
vifites fatiguent , les audiences ennuient ,
les Cliens importunent ; la Charge devient
un poids qu'on ne peut plus porter , &
l'on cherche des acheteurs. Que ne pourrois
je pas dire des richeffes ! en jouit-on
fans crainte les poffede- t- on fans remords
!
Nos fatisfactions ne font jamais parfaites
la jouiffance du bonheur retranche
toujours quelque chofe du bonheur même .
Quand le plaifir paffe de l'imagination
à la réalité , il perd bien de fa valeur dans
le trajet , parce qu'il arrive ou trop tard ou
dans des circonftances qui empêchent d'en
goûter tout l'avantage.
Le bonheur ne répond jamais à l'idée
que nous nous en étions faire. Dieu permet
que rien ne puiffe remplir notre coeur,
afin de nous attacher à lui qui eft le bien
fuprême.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
11 manque toujours quelque chofe à ce
que nous avons en notre difpofition . Nous
reffemblons à ce Sibarite qui , couché fur
un lit femé de roſes , ne put dormir de toute
la nuit , parce qu'il s'y trouva une feuille
pliée en deux . Tel eft l'homme : il défire , il
foupire après un objet : le pofféde- t- il ? il
n'eft pas content , il fe plaint : pourquoi ?
Parce qu'il jouit . Nous fommes tous ,
certains égards , ce qu'eft l'avare dont
parle Rouffeau dans fon Ode fur la raiſon.
Pour appaiſer la foif ardente ,
La terre en tréfors abondante
Feroit germer l'or fous les pas ;
Il brûle d'un feu fans remede ,
Moins riche de ce qu'il poffede
Que pauvre de ce qu'il n'a pas.
à
Se croire heureux , c'est l'être : mais il
faut pour cela que la chimere qui nous
affecte ait toutes les apparences du vrai ,
ou du moins la poffibilité de l'existence.
Quand ces conditions manquent , l'imagination
n'eft que le délire d'un homme qui
a la fievre. L'imagination eft le creufet du
bonheur & du plaifir . Etre perfuadé avec
fondement qu'on eft heureux , eft le fonge
d'un homme éveillé : c'eft un démenti
que notre raifon donne à la fortune : c'eft
un dédommagement que nous nous proOCTOBRE.
1736. 33
:
curons contre fes caprices & fes injuftices
par une voie permife & raifonnable .
Les plaifirs d'imagination font vifs ,
parce que rien n'en émouffe la pointe &
qu'elle les offre fans mêlange ils font
purs , parce que l'ame les goûte indépendamment
des fens. La crainte ne les corrompt
pas , le dégoût ne les fuit pas ; ils
font tout plaifir.
A bien prendre les chofes , il n'y a dans
la vie ni bonheur, ni malheur réel. Alexandre
fe trouvoit à l'étroit dans le monde
entier qu'il avoit conquis , & Diogene
étoit fort à fon aife dans fon tonneau. Le
degré d'ambition fait la différence des fortunes.
Ne point fortir du cercle que nous
trace notre état , c'eft être dans le chemin
de la félicité , c'eſt en jouir.
Ne mefurons jamais notre fortune avec
celle des autres : fi nous ne fommes pas
heureux , nous n'y trouverions pas notre
compte : l'amour- propre fouffre du contrafte
.
Regardons au deffous de nous : voilà
la perfpective favorable , voilà le vrai
point de vue. Je confidere un homme de
mon état qui vit avec cinq cens livres de
rentes ; j'en ai le triple : pourquoi ne me
croirai- je pas heureux ? Ne dois- je pas regarder
comme un bonheur l'exemption du
Bv
- 34 MERCURE DE FRANCE.
mal-aife où fe trouve celui avec qui je me
compare ? Y a - t-il quelqu'un qui n'ait fon
côté favorable ? dois- je le perdre de vue
ce côté , puifqu'il m'eſt avantageux ?
Une coquette laide , mais bienfaite , fe
coëffe en devant & étale fa taille : mettons
une compenfation qui puiffe nous faire
valoir ; profitons de tous nos avantages , &
nous nous épargnerons bien des mécontentemens.
Le chemin qui mene au tombeau eft
couvert de ronces : femons y les fleurs que
nous fournit l'imagination ; ne les épargnons
pas ; foyons en prodigues , s'il le
faut. Il n'eft point à craindre que les fonds
manquent ; ils font inépuifables , & l'imagination
eft généreufe & libérale .
Regardons comme inutile tout ce que
nous n'avons pas ; comme fuffifant à notre
bonheur tout ce que nous avons. Pefons
tour au poids de la raifon ; prifons tout felon
la vérité cette eftimation eft capable
de nous faire méprifer tout ce qui nous
manque.
Moins nous poffédons , plus nous fommes
libres : nos poffeffions font nos dépendances.
L'homme ne jouit jamais plus de
lui-même que lorsqu'il jouit moins de ce
qui lui eft étranger. Nos peines , nos chagrins
viennent de ce que nous poffédons
OCTOBRE. 1756. 35
réellement ce que nous n'avons pas ne
fçauroit nous nuire : jouiffons en idée ;
c'eft la jouiffance la moins fujette à mécompte.
L'imagination eft le plus précieux don
que nous ait fait la nature : elle eſt une reſfource
infaillible pour tous nos befoins . Je
la regarde comme un vafte grenier plein de
provifions qu'on ne doit ouvrir que dans
un temps de difette.
Mettre en jeu l'imagination & lui donner
carriere , lorfque nous avons tout à
fouhait , c'eft prendre fur fon fonds , après
avoir mangé fon revenu . C'eft ufer d'un
bien qui ne nous étoit donné que comme
une reffource dans un befoin preffant.
Ufons modérément de notre imagination
, de peur que l'illufion fréquente ne
devienne habitude , & qu'elle ne ceffe de
nous toucher.
Par M. CLEMENT, Chanoine de S. Louis
du Louvre , à Paris.
CONSEIL PROPHÉTIQUE
Au Prince Louis de Rohan , par M. l'Abbé
de Lattaignant.
PRenez un effor glorieux ,
Et d'une aile hardie & forte ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Volez jufqu'au plus haut des cieux ;
La voix publique vous y porte :
Vous réuniffez tous les vieux ;
Vous ne trouverez point d'obſtacles :
Le deftin veut vous rendre heureux ,
Et pour vous fera des miracles.
Courez , laiffez tous vos rivaux
Loin de vos pas dans la carriere.
Chaque état produit fes Héros :
Le grand talent eſt l'art de plaire ;
Et vous l'avez éminemment :
Et la fortune & la nature ,
Toutes les deux également ,
Vous comblent de dons fans me fure ,
Pour plaire univerfellement.
Nature vous donna l'envie
D'obliger , de faire du bien ;
La fortune non moins amie ,
Vous en donnera le moyen :
Contentez-vous , ne craignez rien ,
Laiffez gronder l'hypocrifie ;
Avec mépris bravez fes traits :
Cette laide & baffe Harpie ,
Avec les yeux pleins de chaffie ,
Ne peut vifer que de bien près :
Elevez-vous au deffus d'elle ,
Planez - en l'air , balancez -vous :
Comme en badinant , d'un coup
Vous pourrez parer tous les coups.
d'aile
1
OCTOBRE. 1756 . 37
VERS
A Madame **
J'Ai , dites - vous , de l'amitié
Fait le portrait le plus fidele :
Iris , tout Peintre et une Appelle ,
Lorfque le coeur eft de moitié.
Ah ! d'une flamme encor plus pure ,
S'il ofoit vous parler un jour ,
Iris , qu'il peindroit bien l'amour
Puifqu'il peindroit d'après nature !
Mais , non ... à ce qu'on fent le mieux
Il a fouvent peine à fuffire ;
Et qu'auroit-il encore à dire
Que vous n'ayez lu dans mes yeux ?
SUR la Lettre de Mademoiſelle ***
M. de Baftide , par Madame du S...
EN donnant à votre esprit tous les éloges
qu'il mérite , Mademoiſelle , je ne
puis m'empêcher de combattre le fyſtême
que vous établiſſez . Je fuis femme , & j'ai
par le fecours du temps acquis quelque
38 MERCURE DE FRANCE.
expérience : elle me coûte cher , puifqu'elle
eft le prix de beaucoup d'années. Vous
vous faites un phantôme des fouffrances
d'un homme amoureux : vous n'avez donc
jamais entendu parler perfonne fincérement
fur cela ? Vous dites que rejetter avec
fierté les propofitions tacitement renfermées
dans une déclaration d'amour , annonce
un mauvais coeur : mais croyez-vous
qu'il foit alors fort prudent de le laiffer
foupçonner d'être tendre & fenfible ?
quelles armes vous donnez contre vous !
Eh ! l'on n'attend que cela. Vous ajoutez
qu'une femme qui penfe bien , plaint les
malheureux & voudroit les foulager. Ce
fentiment une fois apperçu dans une femme
l'expoferoit beaucoup. Je vous avoue
qu'en lifant votre Réponſe , j'ai cru voir
fous des termes mieux choifis le refrein
d'une certaine Chanfon : Monfieur , en vérité
, vous avez bien de la bonté. J'ai toute
ma vie oui dire que les pourparlers & les
marchés en pareilles matieres , ne ſervent
qu'à accélérer la défaite . Tout dépend du
début. Un homme adroit accepte toujours
vos propofitions ; c'eft le tout de sêtre
déclaré & d'être fouffert. Il faut fuir , fi
l'on peut , dites - vous rien de plus fûr.
Fuyez, vous aurez été trop indulgente fans
conféquence. Mais il eft mille circonftanOCTOBRE.
1756. 39
ees où l'on ne peut pas prendre ce parti .
Vous reftez expofée , le plan fur lequel
vous avez établi votre liaifon s'évanouit
infenfiblement ; l'amour s'infinue , rien
de plus inévitable . Que M. de Baſtide établiffe
fur cette matiere de dangereufes
regles de conduite ; cela eft fort naturel :
il remplit fa vocation . Si nous prenions
toujours le ton qu'il faut prendre , que
deviendroit cette moitié du monde dont
les félicités font fondées fur les foibleffes
de l'autre ! Mais qu'une perfonne de mon
fexe adopte fans fcrupule un fi pernicienx
fyftême , je ne puis m'empêcher de crier :
Arrêtez - vous done ; donnez des principes
pour éviter , & non de ceux qui embar
quent & qui perdent.
Je n'ai prétendu répondre qu'aux regles
de conduite que vous établiffez , Mademoifelle
, & prouver qu'il n'eft qu'une
façon d'éluder les fuites d'un engagement ;
c'eft de n'en pas même fouffrir les plus
foibles apparences
, d'être clairvoyante
pour connoître & pour fuir de féduifantes
& conftantes attentions ; de rompre fans
ménagement avec qui s'attache à les faire
remarquer ; que la politeffe & les marques
de fenfibilité font ici déplacées ; que celles
d'un bon coeur fe doivent appliquer à de
moins dangereux objets, & que de tellefaçon
40 MERCURE DE FRANCE.
que l'on reçoive une déclaration , une femme a
fait fon devoir en la rejettant , & doit ſe croire
très- innocente.
JE
:
REPONSE
De Monfieur de Baftide.
E veux épargner une peine à Mademoifelle
R.... Je veux me procurer un plaifir.
Madame du S. ... nous attaque tous
deux elle mérite d'être combattue , je
place mes égards à répondre. La vanité
n'eft point mon motif ; je n'ai point de vanité
, j'ai un coeur ; cela fuffit pour aimer
à avoir raifon dans les difputes de fentiment
. Madame du S.... établit des regles
aufteres ; elle croit que les coeurs ,
trop expofés à leur foibleffe , ne fçauroient
être trop retenus dans leur penchant à s'y
livrer : mais n'eft- il point à craindre que
trop de gêne ne les révolte ? Le coeur eft
naturellement revêche ; c'est pour lui furtout
, & dans le point dont il s'agit , que
le mieux eft l'ennemi du bien . Il y a des
principes fur lefquels il faut appuyer néceffairement
. Que l'on dife aux femmes :
foyez toujours fages , ne contractez jamais
la néceffité d'avoir des remords ; cela eft
très-prudent : le coeur peut entendre paifiblement
ces leçons & même en profiter.
OCTOBRE. 1756. 41
Mais dire : N'aimez point , gardez- vous de
vous expofer à devenir fenfible , vous feriez
criminelles , ne fent-on pas qu'il y a
là quelque chofe de bien dur à entendre ?
A la rigueur on doit être en garde contre
l'amour. Pourquoi cette précaution efteHe
néceffaire ? Parce que l'amour expofe
fans ceffe la vertu . Voilà le raisonnement
de l'efprit fage & tranquille. Une honnête
femme ne raifonne pas de même : elle a des
principes qui défendent fa fageffe , elle
compte fur eux en cas de befoin , & elle
eft perfuadée qu'en donnant fon coeur ,
elle ne s'expofe à rien pour l'avenir . Elle
fe trompe , elle raifonne mal , elle s'expoſe
à tout mais doit- on lui reprocher impitoyablement
fon erreur ? Il eſt bien difficile
, fi on la lui reproche , qu'elle ne fe
trouve pas trop refferrée dans fes devoirs.
Malgré la fenfibilité de fon coeur , elle s'étoit
impofé la loi d'être toujours fage , c'étoit
déja un affez grand effort ; il eft à craindre
que l'autorité d'une loi plus févere ne
change pour elle la vertu en tyrannie , &
ne lui donne enfin toure la mauvaife humeur
& toute la foibleffe de l'efclave révol
té. Mais dira Madame du S. ... ilfaut
donc laiffer aller le coeur ? Il n'eft pas trop
permis de répondre , oui ; mais il n'eft
pas trop prudent de réduire en autorité la
42 MERCURE DE FRANCE.
maxime contraire. La morale condamné
mon fystême , mais elle a une févérité
dont on doit convenir , en la refpectant.
Eft- ce à une fenime à fe charger de nous
appefantir le joug des fcrupules ? Madame
du S.... preferit ce qui doit être , Mademoifelle
R.... fouffie ce qui eft . Je fuis
du fentiment de la derniere. En écrivant
comme elle écrit , elle eût pu aifément établir
un fyftême ; mais elle n'a pas penſé à
en établir un : elle a dit des vérités qui
étoient dans le coeur & qui y feront toujours
; & en les difant avec autant de graces
, elle a mérité de plaire. Il eft naturel
d'applaudir à un efprit tendre qui protége
le fentiment , contre le préjugé févere ,
fans offenfer la vertu.
VERS
A M. de la Live de Jully , fur fa place
d'Inir ducteur des Ambaſſadeurs.
Toi , qui jaloux du noble amas ( 1 )
De nos Chefs d'oeuvre magnifiques ,
Par tes foins , tes goûts délicats ,
As fçu des Arts & de Pallas ,
(1) Il poffede une riche collection des plus beaux
Tableaux des différentes Ecoles.
OCTOBRE. 1756. 43 .
Compoſer tes Dieux domestiques ,
Pourras- tu , fans mille regrets ,
Epris d'un éclat infidele ,
Négliger les touchans attraits.
De l'art d'Edelink ( 1 ) & d'Appelle ?
Exempt de l'imbécille ennui
Et de la trifteffe importune
Où tout Midas , en ſon étui ,
Vit au gré d'une ame commune ,
Tu goutois fi bien ton état !
J'avois cru que toujours tranquille ,
A Minerve offrant un aſyle ,
Tu te bornois à ſon éclat. .
Avide de gloire & d'eftime ,
Que ne devois-tu point aux Arts ?
Enchantés de ton goût fublime ,
Chez toi voloient de toutes parts ,
L'Amateur , l'Eleve , le Maître ;
Et des morceaux dont tu jouis ,
Au gré du privilege exquis
De les payer , de les connoître ,
Tu nourriffois leurs goûts brillans !
Pleins d'une amitié délicate ,
Dans les tranfports les plus charmans ,
Ils formoient de leurs fentimens
Le noble tribut qui te flatte ,
Et du cabinet de Socrate ,
Le fanctuaire des talens.
(1 ) Graveur célebre.
44 MERCURE DE FRANCE.
Ce goût d'être utile & de plaire ,
Qui nuance ton caractere ,
Chaque jour augmentoit de prix ,
Et chaque inftant te voyoit faire
Des protégés ou des amis.
Mais quel funefte attrait t'imprime
L'inquiet démon des honneurs ,
Et malgré nos regrets , t'anime
Á borner tes deftins flatteurs ?
Ce poifon lent , dont la nobleffe
( Par orgueil , jouant le plaifir , )
Dans le néant de la molleffe
Expire en feignant de jouir ,
L'oifiveté trifte & pefante ,
Au fein de nos Dieux indolens ,
Va donc dans ta courfe brillante
T'arracher au goût des talens !
A des foins pompeux , mais pénibles ;
Préfere , en vivant avec nous ,
Des beaux arts enjoués , paifibles ,
Le culte heureux , l'éclat fi doux ;
Et fous l'Egide de Minerve ,
Où le fort ne peut te frapper ,
Connois , chéris , goûte , conferve
Des jours qu'elle a droit d'occuper.
Mais déja ton coeur qui nous quitte ,
Néglige ce fameux féjour ( 1 )
(1 ) Il a rang d'Amateur à l'Académie de
Peinture.
OCTOBRE . 1756 . 45
Od tous les Arts pleurent ta fuite .
Servir le Maître , être à ſa fuite ,
En France eft le prix du mérite ,
Et tu l'obtiens en ce beau jour.
Hé bien , écoute ton amour ;
Et plein du zele qui t'anime ,
Mandé , féduit , vole à la Cour :
Auffi-bien du feu qui t'anime ,
Mon coeur tout à coup pénétré ,
U
1 .
Sur ton deffein mieux éclairé ,
D'un facrifice magnanime
Te fait honneur & t'applaudit :
Aux lieux où fur l'aîle des fonges ,
Deſſinant de riants menſonges ,
Le fol efpoir charme & trahit ,
Je fçais trop ce qui te conduit :
Ce coeur fans ceffe inacceffible
Au délire inquiet des voeux ,
Fier d'être utile , généreux ,
Sur tous les devoirs infléxible ,
Du fort de Citoyen paisible ,
Aura fait un crime à tes yeux ,
Et plein d'amour pour la Patrie ,
Dont il s'occupe en foupirant ,
Par toi feul la croiroit trahie ,
S'il ne la fervoit à fon rang .
Ce coeur prononce : à ſa tendreſſe ,
Immolant jufqu'à tes plaiſirs ,
Tu traites tes goûts de foibleffe
46 MERCURE DE FRANCE.
Prêt à rougir de tes loifirs.
Mais non , la Déité fi chere ,
Sur toi veillant toujours en mere ,
Pallas , fçaura concilier
Les foins fi doux de l'attelier
Avec ceux de ton miniſtere ,
Et même d'un fil falutaire
T'aidant en ces lieux ennemis ,
Jufques fur les pas du myftere ,
Te promet encor des amis.
D'un Roi chéri de la victoire ,
Qui fait partager fes regards
Entre les jeux , entre la gloire ,
Comme il unit Titus à Mars ,
Elle t'affura le fuffrage ,
•
Qui couronne aux yeux des beaux Arts
L'Amateur , l'Artifte & le Sage.
Ton fort eſt partout fon ouvrage :
Juge de fes droits chaque jour ,
Sur ton coeur & fur ton hommage ;
Quand au ſein même d'une Cour ,
Cherchant les talens fur fes traces ,
Tu la verras parer les Graces ,
Et triompher chez Pompadour.
t
OCTOBRE. 1756. 47
CONVERSATION.
EMILIE. DAMON.
Damon.
Est-ce Emilie que je vois ſeule & de fi
bonne heure fous ce berceau éloigné ?
quelle rêverie affez agréable a pu l'y con
duire ?
Emilie.
Damon , ne m'interrogez point : vous
me demandez un fecret.
Damon.
Vous avez des fecrets à cacher , vous ,
Emilie ? c'eft pour exciter ma curiofité que
vous me parlez ainfi.
Emilie.
Je n'ai point de détours , vous le fçavez
affez. J'ai dû votre amitié à mon ingenuité
: elle feule m'apprendroit à méprifer la
diffimulation.
Damon.
Votre réponſe ne m'étonne point : quoi.
qu'elle me flatte , je la trouve naturelle .
Mais comment fe peut- il que , fûre de
mon fincere attachement , vous ayez des
fecrets que vous craigniez de m'apprendre ?
48 MERCURE DE FRANCE.
Ofez vous expliquer , daignez me croire
digne de votre confiance : craindriez- vous
pour votre gloire l'aveu que vous me refufez
? Ah ! Emilie , ne vous faites pas
d'injuftes fcrupules : les fentimens d'une
perfonne telle que vous ne peuvent être
que des vertus.
Emilie.
Hélas je voudrois pouvoir ne vous
rien cacher. Il me femble qu'en vous ouvrant
mon coeur , je fouffrirois moins.
Pourquoi la nature nous fait-elle imaginer
une forte de plaifir à avouer des peines
que le devoir nous défend de laiffer paroître
!
Damon.
Vous accufez la nature , & la nature
vous accufe à fon tour : mais fon reproche
eft légitime & le vôtre ne l'eft pas .
Pourquoi la croire différente du devoir ?
Dans le coeur d'une femme auffi refpectable
que vous , elle fe confond avec lui : il
approuve ce qu'elle vous infpire. En refufant
de m'ouvrir votre coeur , c'eft un
plaifir que vous perdez ; en croyant le devoir
, c'eft une injuſtice que vous faites.
Emilie.
Vous ne me perfuadez pas ; mais je hais
trop l'opiniâtreté pour ne pas empêcher
qu'il
OCTOBRE. 1756. 49
qu'il en entre dans ma réſiſtance . Je vais
donc vous parler fans détour ; je vais vous
apprendre des chofes que vous n'auriez
jamais foupçonnées . Vous me plaindrez
hélas ! qui ne me plaindroit pas !
Damon.
Emilie , qu'entends - je ? Vous êtes malheureuſe
, & vous me le laiffiez ignorer ?
Emilie.
J'ai voulu vingt fois vous parler , vingt
fois j'ai voulu vous demander des confeils
ou des confolations. Toujours embarraſfée
, toujours honteufe , je n'ai jamais pu
m'y réfoudre. Je redoutois la févérité de
vos principes ; je m'en étois écartée ...
Damon.
Emilie , vous aimez . Oui , je lis dans
vos yeux le fecret de vorte ame. Raffurezvous
fur cette févérité que vous avez redoutée
; elle finit avec votre indifférence :
puifque vous aimez , l'amour n'eft plus
à mes yeux qu'une vertu .
Emilie.
. Non , l'amour n'eft qu'une foibleffe .
Innocent peut- être dans fon principe , mais
condamnable dans fes effers , il féduit l'ef
prit dont il emploie tout l'arr à l'égarement
du coeur. Ses plaifirs s'envolent avec l'in-
II. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
Ítant qui les voit naître ; il fait fentir des
peines qu'on eût toujours ignorées. Heureux
qui n'aime pas ! C'est pour nous éparguer
des malheurs , qu'une loi légitime
nous défend d'aimer.
Damon,
Vous fçavez que mon coeur toujours infenfible
n'a jamais voulu connoître l'amour ;
mais c'étoit fans le condamner que je le
fuyois mon caractere feul me le rendoit
redoutable ; je ne l'ai jamais cru dangereux
que par l'inconftance des femmes que l'on
pouvoit aimer.
Emilie.
Moins prudente que vous , je me le repréfentois
fous un afpect encore plus favorable.
Je m'imaginois qu'il prenoit le caractere
de l'objet aimé , & que lorfque cet
objet avoit des vertus , il en avoit auffi. Je
croyois , par exemple , que lorfqu'on étoit
fûre de la tendreffe d'un Amant , on étoit
à l'abri de la tyrannie des foupçons ; que
le défir de plaire à ce qu'on aimoit donnoit
celui d'acquérir des vertus , nous attachoit
à nos devoirs , nous portoit à l'amour des
talens , & nous en faifoit aimer l'exercice.
Que ne croyois -je point ? combien ne lui .
prêtois- je pas de charmes ? Helas ! je ne
puis plus à préfent juger de ce qu'il eft que
le contraire de mes idées.
par
OCTOBRE. 1756.
Sr
Damon.
Vous vous exagérez fes défauts : un fentiment
auffi naturel ne peut point être par
lui - même un malheur pour nous. Je fuis
perfuadé qu'un préjugé d'éducation trop
févere....
Emilie.
Il me fera facile de détruire votre prévention
. Avant que ce Dieu trompeur eût
féduit ma raifon , je chériffois ma mere,
j'aimois mes amies , je me plaifois à la
Ville , je me plaifois à la Campagne , je
fentois une douce fympathie entre mes
petits chiens & moi , j'étois toujours la
premiere à danfer , & je croyois toujours
qu'on n'avoit remarqué que moi ; les jeux
innocens fuffifoient à mon bonheur.
Damon.
Vous n'éprouvez donc plus la même
choſe ?
Emilie.
Helas ! il s'en faut bien ; mes idées
& mes goûts font entiérement changés.
Ma mere n'eft plus ma confidente , à peine
diftinguai- je encore quelque amitié pour
elle : mes amies ne forment plus qu'une
foule qui m'importune ; tout me pefe &
m'ennuie. Lindor eft tout l'univers po
moi je m'y crois feule quand je në to
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
vois pas quoique fûre de fa rendreffe je
crois toujours alors ne la pas pofféder toute
entiere. Quand je le vois , & que par fes
fermens il fait paffer dans mon ame la
douce confiance , je fuis moins inquiette ,
plus fenfible , & fouvent moins heureuſe ;
je crains toujours de n'avoir pas affez de
charmes , je me vois des défauts , je m'allarme
, & bientôt j'éprouve qu'il est bien
difficile de ne pas perdre la confiance d'être
aimée , quand on perd la perfuafion d'ètre
aimable. Vous voyez que depuis que
j'aime , de quelque façon que j'enviſage
la fituation de mon coeur , elle juftifie trop
l'opinion que j'ai prife de l'amour . N'avoir
plus de tranquilles plaifirs , dépendre de
fes idées , d'un caprice , d'un moment ;
prendre à chaque inftant un dégoût plusfort
de tout , n'exifter que dans un feul
objet , & cet objet le voir fouvent injuſte ,
& craindre toujours de ne pouvoir le rendre
auffi fenfible qu'on voudroit ; encore
une fois , quelle trifte fituation ! & comment,
quand j'y refléchis, quand je m'examine
, quand je raifonne , pouvoir m'empêcher
de dire que l'amour eft un dange-,
reux enchanteur , ennemi du repos & du
bonheur d'une femme ?
Damon.
Je conviendrai avec vous qu'un pareil
OCTOBRE. 1756. 53
état doit caufer de l'agitation & de la trif
teffe ; mais c'est une réflexion que vous ne
devez pas faire le plus grand malheur
que vous ayez à craindre à préfent , c'eſt
de refléchir .
:
Emilie.
Que vous me ménagez peu ! que pourroit
me dire de plus Lindor ? Quoi ! je
fuis agitée , tourmentée , & les maux que
me caufe ma foibleffe ne font pas encore
auffi redoutables pour moi que le feroient
les confeils de ma raifon ! Eft- ce Damon
qui prononce cet arrêt cruel ? eft- ce vous
qui me confeillez de juftifier mes humilians
regrets par la honte d'une paflion
volontaire ? Je ne vous conçois pas.
Damon.
Vous me concevrez lorfque je me ferai
expliqué. Chere Emilie , je connois peu
l'amour par moi-même , vous le fçavez ;
mais je le connois par fes effets extraordires
: c'eft l'expérience de tous les temps &
de tous les hommes que je confulte , &
voilà déformais le flambeau qui doit vous
éclairer. Dans le premier moment de votre
paffion , vous pouviez encore , fans danger
, refléchir & combattre ; mais aujour
d'hui , il eft trop tard : vous feriez malheureuſe
à jamais ; vous avez contre vous
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'à vous - même. Imaginez - vous que
l'amour prend notre caractere ; la folidité
eft la bafe du vôtre , elle eft déja devenue
le fondement de votre paffion : comment
l'attaquer avec fuccès ? comment détruire
une fympathie déja toute développée, toute
établie , & qui a , pour ainfi dire , paſſé
dans votre fang ? Croyez- moi , ne le tentez
point ; ne croyez pas même devoir le
renter. Il eft des circonftances où notre
raifon même eft obligée de refpecter nos
fentimens , parce qu'elle n'eft jamais en
droit de nous condamner à des tourmens
dont elle ne peut plus retirer aucun avantage.
Qu
ODE
Sur le Mariage de M. F....
Uels aimables tranfports ! quelle vive alégreffe
M'enflamment tout-à-coup d'une divine ardeur !
Soucis , ne chaffez point une fi douce ivreffe :
Plaifirs , gouvernez feuls mon coeur.
De mon enchantement quelle eft la fource heureufe
?
Quel favorable Dieu vient agiter mes fens ?
OCTOBRE. 1756.
Ah ! de ton digne fils , mere voluptaeufe ,
Je -reconnois les traits puiffans.
瑟
Cet enfant , dont les loix reglent les plus grands
hommes ,
Sur un trône de fleurs dicte fes volontés :
Pourquoi lui réfifter ? c'eft par lui que nous fommes
,
Et pour lui les mortels font nés.
瑟
Quel défordre fubit a troublé ma pensée ?
A qui vais-je adreffer mon encens & mes voeux !
Mufe , arrête , & diftingue une ardeur infenſée
D'un fentiment délicieux.
Ah ! rougiffons de rendre un facrilege hommage
Au méprifable Dieu qu'on adore à Paphos :
Qui fuit fes étendards gémit dans l'efclavage ,
Il eft Partifan de fes maux .
Qu'efpere ce prophane ? il veut toute fa vie
Aimer , changer , jouir , garder la liberté.
Criminel , inconftant , fi l'Hymen ne te lie,
N'attends point de félicité.
L'Amour à qui les Dieux donnerent la naiffance ,
Eft-il ce foible enfant que careffe Vénus
C iv
56 MERCURE DE FRANCE.
C'est celui dont le front refpire l'innocence ,
C'eſt celui qu'on ne connoît plus.
On le voit quelquefois paroître fur la terre ;
Sa demeure ordinaire eft l'empire des cieux :
Son frere illég time eft le Roi de Cythere ;
C'est lui qui nous rend malheureux.
::
O ! qui peut te chanter , ami , dont la tendreffe
Du flambeau de Minerve a tiré tous fes feux ?
Vois voltiger des ris la troupe enchantereffe
Qui précede l'amour heureux.
Tu choifis une Epoufe , & ton ame eftſon ame ,
Vos deux coeurs vont s'unir par un lien facré :
Victimes , approchez une céleste flamme
S'allume au bucher préparé.
La pudeur vous amene au lieu du Sacrifice ,
Un penchant invincible arrache vos ſoupirs ;
A vos nobles fermens Jupiter eft propice ,
Contentez vos juftes défirs.
Déja tu reconduis ta conquête nouvelle ;
Elle verfe des pleurs en te tendant les bras ,
Et te dit : Cher époux , fois moi toujours fidele ,
Je t'aimerai jufqu'au trépas.
OCTOBRE . 1756.
57
Un nuage de foufre enfante le tonnerre :
Parjure tes autels font bientôt abattus
Et l'amour épuré s'élance fur la terre
Suivi d'un effain de vertus.
"
Vous écartez vos pas des routes criminelles ,
Vous vivez en amans , époux ; quel heureux fort !
Le Ciel s'ouvre , je vois vos ames immortelles
Se réunir après la mort.
Ad... d'Arp....
VERS
Adreffés aux Rimeurs François.
EH! Meffieurs les Rimeurs , pourquoi rendre
aux Anglois
Ce tiffu trop groffier d'injures rimaillées
Dont leurs Chanfons froidement travaillées ,
Ofent attaquer les François ?
Ces fiers Ennemis de la France
Peuvent-ils donc nous infulter ?
Non ; laiffez à Louis le foin de la vengeance :
C'eft les honorer trop que de les imiter.
CY
18 MERCURE DE FRANCE.
L'AMANT TIMIDE ,
LA
Anecdote galante.
A fameufe Ninon étoit auffi incapable
de coquetterie que de fidélité . Toutes fes
réflexions étoient faites : dès que le coeur
avoit parlé , elle ne voyoit point de raiſon
de fe, défendre : accoutumée à l'inconftance
, elle ne craignoit point un inconftant :
Philofophe par un fyftême approfondi ,
quoique faux , elle ne redoutoit point les
remords. Il étoit donc naturel que le fenment
décidât , & que décidée par lui , elle
ne fît point acheter des plaifirs qu'elle
vouloit donner.
Elle ne montra jamais mieux fon caractere
que dans une aventure qui exerça
toute fa fenfibilité , & dont on a ignoré
les détails préliminaires.
Tout le monde fçait qu'elle aima Pécour
, célebre Danfeur de ce temps - là , à
qui quelques femmes de qualité avoient
fait une réputation , mais à qui elles n'avoient
pas donné ce caractere d'efprit entreprenant
& audacieux qui fixe la bonne
fortune en entraînant néceffairement les
femmes , & allure tous les fuccès en difOCTOBRE
. 1756. 39
penfant de tous les foins . Pécour n'étoit
encore que connu : il ignoroit qu'il pût
être célebre. Ses aventures n'avoient pour
lui que leur réalité propre. Il étoit fatté
de plaire à des femmes de la Cour , mais
fans penfer que des conquêtes fi brillantes
font un droit à toutes les autres . Il étoit
modefte malgré l'éclat de fes triomphes ;
& fe croyant trop honoré d'avoir des
-Maîtreffes illuftres , il avoit encore la pufillanimité
de l'esclave , & les fcrupules de
l'Amant.
Tel étoit Pécour lorfque Ninon s'éprit
de lui . Ce n'étoit point fon éclat naillant
qui la difpofoit à l'aimer. Ninon ne voyoit
rien de célebre qui ne fûr au deffous d'elle ;
elle honoroit par un regard le vainqueur
de toutes les femmes . Ce qui la féduifoit
dans Pécour , étoit le talent , les graces ,
l'air de fanté , la jeuneffe , & ce je ne fçais
quoi qui fait les premieres impreffions , &
prête un fi grand charme aux qualités les
plus réelles.
Ninon développa Pécour d'un coup
d'oeil ; elle vit qu'il l'aimeroit tendrement
mais qu'il avoit encore cette timidité qui
retarde la plénitude du plaifir . Quoiqu'elle
eût beaucoup d'amour , elle en fut flattée :
toutes les louanges l'ennuyoient , & Frécour
l'eût ennuiée lui-même , s'il eût cher-
.C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
ché à mériter fes premiers regards par ces
moyens ufés. Par la timidité il la louoit
bien mieux : c'étoit tout à la fois l'aveu
d'un fentiment profond , d'une admiration
extrême , & d'une défiance qui lui offroit
le plaifir nouveau de faire connoître tous
les plaifirs à un homme qui avoit eu vingt
Maîtreffes , & de faire tous les dons ', après
avoir eu elle- même vingt Amans.
Eile voulut s'amufer d'un fpectacle touchant.
Plus flattée d'être aimée , que de
jouir d'un Amant , elle conçut tout le plaifir
de faire naître par degrés une paffion
extrême , & elle voulut faifir un bonheur
qui s'offre fi rarement depuis que les hommes
font devenus fi fûrs de plaire.
Depuis quelques jours , elle voyoit dans
Pécour une affiduité , un empreffement
fingulier. Sa joie ne fut pas fecrette ; elle
en montra affez pour qu'il n'eût plus que
cette incertitude qui accompagne l'amour
naillant. Pécour s'y trompa , & elle s'en
apperçut. Il avoit tant d'admiration pour
une femme que toute la terre célébroit ,
qu'il ne put fe flatter d'avoir plu . Dans fa
prévention il ne vit que des piéges fous
ces dehors careffans . Il craignit que s'étant
apperçue de fes fentimens , & les trouvant
téméraires dans un homme fi au deffous de
tous les Amans qu'elle refufoit tous les
OCTOBRE. 1756. 61
jours , elle ne voulût le donner en fpectacle
, & le mettre dans fa cour à la place de
ces bouffons que toutes les jolies femmes
ont à leur fuite , pour remplir l'intervalle
des plaifirs & le vuide des Amans.
Sa prévention le rendit fi timide , qu'il
n'ofoit pas
même la regarder. Il ne faifoit
ou ne difoit plus rien qui ne fût prefque
une bétife. Ninon voulant le raffurer ,
l'embarraffoit encore. Jamais des marques
d'amour n'avoient mieux compromis la pudeur.
Il fouhaitoit d'obtenir un tête à tête ,
mais il n'ofoit le demander. Il avoit balbutié
l'aveu de fes fentimens , & elle y
avoit répondu de façon à le plonger dans
la plus cruelle incertitude. Etoit- il aimé ?
étoit-il mocqué ? Rien n'étoit pour lui
moins décidé ; ce qu'elle lui avoit dit appartenoit
également à la coquetterie & à
l'amour. C'étoit de ces réponfes naïves &
prefque étourdies , qu'une femme fait
lorfqu'elle eft entraînée par la violence de
fes fentimens , ou lorsqu'elle veut donner
des efpérances qui puiffent devenir des
ridicules & des fujets de plaifanterie .
Il étoit dans cet état , ne pouvant ni
dourer , ni croire , & n'ofant rien demander.
Ninon prevint fes défirs . Elle lui fit
dire qu'elle avoit à lui parler, & lui donna
62 MERCURE DE FRANCE.
Pheure de fa toilette pour fe rendre chez
elle.
Il ne penfa que c'étoit un rendez - vous ,
que lorfqu'érant arrivé dans fon cabinet
dans ce lieu de myftere & de volupté , toujours
fi peuplé dans les heures oifives , il
s'y vit feul,vis- àvis d'une femme qu'il adoroit
, & à qui il avoit appris l'excès de fon
amour.
La toilette étoit prefque finie lorfqu'il
arriva. Les chofes tendrement équivoques
par lefquelles Ninon débuta , le jetterent
dans un fi grand trouble , qu'il previt
tout l'embarras où il fe trouveroit
lorfqu'elle auroit renvoyé fes femmes . Il
fouhaita prefque de pouvoir fe retirer.
Le bonheur qui fembloit lui être annoncé
, paffoit fi fort fes efpérances , qu'il ne
pouvoit le croire poffible. Ninon paroiffoit
offrir lorfqu'il n'ofoit pas même
efpérer. C'en étoit trop pour qu'il ne s'envifageât
pas comme l'objet d'un perfifflage
concerté. Ses plus aimables qualités & fes
plus brillantes fortunes s'offroient vainėment
à fon efprit pour le raffurer , il voyoit
dans Ninon une divinité fuprême.
Lorfque les femmes fe furent retirées
Ninon qui fuivoit fes mouvemens , lui
dit : Je vous ai prié de me voir ce matin ,
vous allez m'en demander laraifon Non ,
OCTOBRE. ` 1756 .
répondit -il , avec beaucoup d'émotion ;
j'attendrai que vous me l'appreniez , Si
vous l'avez devinée , cela n'eft pas généreux
, reprit-elle ; c'eft abufer de l'avantage
de votre fituation . Ma fituation , repartit-
il , eft telle que je ne puis rien déviner
, ni rien croire ; de grace , épargnez
un homme qui ne peut s'aveugler. J'ai
pris pour vous des fentimens , j'ai ofé vous
les apprendre, tout cela a pu vous paroître
téméraire , mais j'ai eu depuis une conduite
qui a dû me faire trouver grace devant
vous. Je vois que vous avez formé
Je deffein de vous moquer de moi , je
fçais que je ne mérite pas de vous plaire ,
mais me traiteriez-vous plus mal fi je m'en
étois Aatté? Vous êtes bien injufte , reprit
Ninon ; vous me dites des chofes dont je
devrois m'offenfer : je ferois fondée à vous
demander quel caractere vous me fuppofez.
Sans doute , répondit- il , fi cet extérieur
de bonté étoit fincere , rien ne feroit
plus impertinent que mes réponſes ; mais
il ne l'eft point , il ne peut l'être , & la
judicieufe Ninon doit me pardonner une
incrédulité... Mais pourquoi ne vouloir
pas croire que vous m'avez touchée ?
Quand je fais tout pour vous l'apprendre ,
quand je m'expofe au rifque de vous
paroître étourdie , fe peut-il que toute ma
64 MERCURE DE FRANCE .
récompenfe foit d'éprouver une injure ?
Eh , ce font ces mêmes bontés , trop grandes
, trop peu croyables , qui me rendent
fi incrédule , fi trifte , fi chagrin , répondit
il. Je doute d'un bonheur que je ne
mérite pas ; j'en prends toutes les marques
pour des plaifanteries. Toute vive
que puiffe être la tendreffe d'un homme
ordinaire , elle eft payée par un regard ;
des bontés trop marquées doivent lui être
fufpeces. Mais il faut bien que j'aie des
bontés , puifque vous n'avez point de
confiance , reprit - elle avec une impatience
affectée. Sans cela vous feriez dix ans à
m'entendre & vingt à me croire , cela
feroit une jolie paffion . Je vous vois amoureux
, mon coeur eft le prix de votre amour,
il faut bien que je vous le dife , puiſque
vous ne le devinez pas , & que je vous le
prouve , puifque vous en voulez douter..
Elle avoit dit ceci d'un ton un peu comique
; Pécour ne put plus fe contraindre.
C'eft trop me maltraiter , lui dit- il .
De grace , Mademoiſelle , ayez plus d'humanité
, & ne vous faites pas plus injufte
que vous n'êtes. Un coeur fincere mérite
du moins des égards. En vous donnant le
mien je ne me fuis point aveuglé ; je n'ai
rien efpéré de ma paffion extrême , j'ai
cédé à ma deftinée : elle étoit affez cruelle,
OCTOBRE. 1756. 65
puifque j'aime fans efpérance : pourquoi
y mettre le comble ? pourquoi me punir
d'un malheur ?
Il alloit fortir en difant ces mots . Le
mouvement qu'il fit marquoit le plus
grand défefpoir ; Ninon le regarda fes
yeux étoient mouillés de larmes ; il étoit
pâle & prêt à fe trouver mal ; l'amour en
altérant fes traits , lui prêta toutes les
beautés. Ninon s'enivra du bonheur d'être
adorée . Elle ne voulut pas le laiffer
fortir. Pour l'arrêter , elle n'eut befoin
que d'un regard , l'amour y avoit mis toute
fon expreffion. Ecoutez- moi , lui ditelle
, en lui prenant la main : je vous
aime ; en douterez vous toujours ? Non ,
répondit-il , en tombant à fes genoux , je
n'en douterai plus. Quand je refulois de
le croire , vous ne me le difiez pas de
même ce n'eft pas le mot qui perfuade ,
c'eft le ton. Je fuis le plus heureux des
hommes. Puiffe ma tendreffe vous prouver
tout mon bonheur !
66 MERCURE DE FRANCE.
VERS
A Madame la Comteffe de B... en lui dédiant
JE
une Cantarille.
E n'euffe jamais entrepris
De vous dédier cet Ouvrage ;
En m'accordant cet avantage
Votre nom déformais en fera tout le prix.
Le Dieu du goût par mille traits brillans ,
A côté de l'Amour est fixé fur vos traces >
Il ne manquoit plus aux talens
Que de le voir protégés par les graces.
GUIDI .
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur, il y a mon Frere qu'eft Guernadié
dans l' Régiment Royal - Italien , lequel
j ' peux vous dire fans vanité qu'a d'
l'efprit , quoiqu'y feit mon Frere . Y m'a
envoyé du Por-Maon la Chanfon qu'eft
d' l'aute côté , qu'il a fait fur la priſe de
Fort S. Ph'lipe : com ' je n' me connais pas
aux vers & aux penfés qu'il y a d'dans ,
j'vous prie , Monfieux , d' la lire ; & fi au
OCTOBRE. 1756. 67
cas j' la trouve dans vôte Mercure du mois
prochain , j' d' vinerai qu'el eft bonne ;
car y faut qu ' vous fachiez qu' je l' lis
quand je l' vois chez mes Pratiques en ville .
Avec ça j'ai trouvé une fois deux Enimes
fu la toilette d'une Dame de mes pratiques
, qui étoient là pour faire des papillottes
, dont j'ai d' viné l' mot ; car j ' m'aplique
queuque fois à ça . J ' voudrais favoir
fi ell peuvent paffé ; c'est que j' vous enverrais
d'autes chofes qu' la perfone qui
les a fait les a condané à la frifé : comm'
je fuis fûr & certain qu' c'eft-elle qui les a
fait elle- même, j' pourai bien , felon qu ' ca
tournera , vous nomer l' nom comment el
s'apelle. J'ai l'honeur d'ete , &c.
LA CROIX , Garfon Peruquié.
CHANSON
Su' la prife du Fort S. Ph'lipe , par un
Guernadié du Régiment Royal - Italien.
Su ' l'Air . Stila qu'a pincé Bergot- fom
Non On y n' peut pas refter d'Anglois.
Là où qu' paraiffent les Français ¿
Car comm' dit ben Monfieu' Vulgaire ,
Où l' foleil luit la lun' n'a qu' faire.
bis.
bis
68 MERCURE DE FRANCE.
Pardié les v' la ben étonnez ! bis.
Pour les vaincre n' fomm' nous pas nez ? bis .
D'efcalader le Fort Saint Ph'lipe :
T'nez , c'eft comm ' d'allumer ma pipe.
Y a-t-il moyen d'n'ete pas tout coeur ,
bis.
bis. Avec Rich'lieu qu'eſt tout' valeur ?
Maugredié , c'eft un éleftrique ,
De rang en rang ça s' communique.
Pour c' qu'eft à l'égard de Maill❜bois ,
C'est lui qu ' ça fait un fin matois ;
Y fait , mordié , l' méquié d' la guerre ,
Auffi ben qu' Turenn' pouvait faire .
bis.
bis.
Qu'ayons z'calé l'Amiral Binck ,
Pour ça , farpedić je l' crois ben ;
C'est un pot d' fer contre un pot d' terre ,
D'un coup ça vous l' met en pouffiere.
*
L'Guernadié qu'a fait fte Chanſon ,
Eft d' ceux qu'ont pris un fauciffon ;
bis.
bis.
bis.
bis.
Sti qu'alloit faire fauter la mine
Comm' je l'y avons fabré la mine.
Ç' qu'est d' vrai j'ont eu quat' louis pour ça ,
Que fu l'champ on nous finança ;
bis.
bis.
OCTOBRE . 1756. 69
D' Louis j'aimons d'avoir l'image ;
Mais y n'eft tel qu' fon prop' vifage.
A not' bon Roy qu'eft très- Chretien ,
L' carnage fait un' pein ' de chien ;
C'est qu' tous les ſujets qu' nous fommes ,
Y fait qu' des foldats font des hommes.
*
Nous ont bu l ' rogomme un p'tit brin ,
bis.
bis.
bis.
C'eft vrai qu' nous fomm' un peu dans l' train ; bis.
Un élog' dit de ſte maniere ,
N'eft , ventredié , que plus fincere.
Par Vad' bon Coeur.
Le mot de l'Enigme du premier Volume
E
du Mercure d'Octobre eft Chandelle. Celui
du Logogryphe eft Clavecin , dans lequel.
on trouve une , âne , vie , Caën , Nice,
cave , vin , Calvin , ean , vaine , laine ,
unie , naïve.
›
70 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
L'Aimable
'Aimable & fçavante Uranie
Avec plaifir me manie :
Je fers également
A l'Artifte , au Sçavant :
J'ai deux jambes mobiles ,
En cela très-utiles :
L'une me fert de pivot :
Si tu me tiens tu n'es pas fot.
LOGOGRYP HE.
MEre Ere d'enfans errans qui bravent mon amour,
Je ne vis que pour eux. Qu'ils me coûtent de
larmes !
Loin d'en être touchés , elles leur fervent d'armes
Pour s'éloigner de moi fans nul retour.
Mais pour faire valoir un avantage unique ,
Qui fert à balancer ce mépris prétendu :
J'oſe avancer qu'aux maux d'un Etat politique ;
Aux vices , aux abus , au corps humain étique ,
On ne remédira qu'après m'avoir connu.
A préfent de mon nom l'anagramme facile
Vous offre un exercice , où jadis plus d'un Grand
Procuroit à fon corps un plaifir fatiguanti
OCTOBRE. 1756. 71
Une machine aux Arts utiles ,
Néceffaire en tous lieux ; un farouche animal ;
Du corps une partie où l'on craint un rival ;
Une Iſle , une proche parente ;
Ce qu'on met au Café fans être trop friand.
Mais finiffons , il faut être prudente :
Un fecret risque trop quand fille parle tant:
CHANSON
Tirée du Mariage par Efcalade joué à l'Opéra
Comique.
Air. La Marche du Roi de Pruffe.
Sitôt qu'not Général
Nous fait donner l'fignal ,
En même temps poftés
De tous côtés ,
J'grimpons l'affaut ,
Tôt , tôt , tôt.;
J'courons au feu
Comme au jeu :
Monti , Beauveau , Maillebois ;
Pour mettre l'sAnglois aux abois ;
Tous les trois
Donnoient à nos Grivois
L'ordre & l'exemple à la fois.
Là , d'Egmont
Fait l'Demon ,
72 MERCURE DE FRANCE.
Met tout à fac ,
Et leurs effais
Sont des fuccès :
Ils vont aux coups
Comme nous ;
Mais j' nen fons point jaloux :
On fçait que l' Gendre & l'Fils d'un Héros
Sont faits pour de pareils travaux.
Malgré l' canon
Ratata pon ,
La flâme & l'fer
Et tout l'enfer ,
Sur les remparts
De toutes parts ,
J'enfonçons nos Etendards :
Dans c' bacchanal
Eft l' Marêchal :
De s' côté là
Le voilà ;
De c' côté ci
Le voici :
A droite , à gauche , au milieu ,
En tout lieu
Eft Richelieu :
Morbieu !
Eft- ce un Diable ou bien an Dieu ?
ARTICLE
OCTOBRE . 1756. 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE
De la Préface des Recherches fur differens
points importans du fyftême du monde ,
troifieme partie ; par M. d'Alembert.
JE viens préfentement au fecond objet de
mon Ouvrage. Il paroîtra peut-être furprenant
qu'après tout ce qui a été fait depuis
vingt ans en France , & principalement
dans l'Académie , fur la figure de
la Terre , après les théories fubtiles &
profondes qu'on en a données , après les
fçavantes opérations entrepriſes pour la
connoître , j'aie cru pouvoir encore m'en
occuper. Les Sçavans & les Philofophes "
mêmes font prefque fatigués de lire & d'écrire
fur ce fujet. N'ai je point à craindre
de les intéreffer très- foiblement en y revenant
de nouveau , furtout fi mon but principal
eft de montrer qu'après tant de travaux
immenfes, honorables pour ceux qui
les ont entrepris , & propres en apparence à
épuifer la matiere , elle eft aujourd'hui
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
plus embrouillée que jamais ? Heureufe
ment l'efpece de Lecteurs à qui cet Ouvrage
eft deftiné , s'intéreffe fincérement à
tout ce qui contribue réellement au progrès
des Sciences , même en paroiffant le fufpendre
; c'eft auffi uniquement à cette efpece
de Lecteurs que je vais parler . Je
commence par quelques réflexions générales
.
Le génie des Philofophes , en cela peu
différent de celui des autres hommes , les
porte à ne chercher d'abord ni uniformité
ni loi dans les phénomenes qu'ils obfervent.
Commencent - ils à y foupçonner
quelque marche réguliere , ils imaginent
auffi -tôt la plus parfaite & la plus fimple ;
bien- tôt une obfervation plus fuivie les détrompe
& fouvent même les ramene précipitamment
à leur premier avis ; enfin une
étude longue , affidue , dégagée de prévention
& de fyftême , les remet dans les
limites du vrai , & leur apprend que pour
l'ordinaire la loi des phénomenes n'eft ni
affez peu compofée pour être apperçue tour
d'un coup, ni auffi irréguliere qu'on pour
roit le penfer ; que chaque effet venant
prefque toujours du concours de plufieurs
caufes , la maniere d'agir de chacune eſt
fimple , mais que le réfultat de leur action
réunie eft compliqué , quoique régulier ,
OCTOBRE. 1756. 75
& que tout le réduit à décompofer ce réfultat
pour en démêler les différentes parties.
Parmi une infinité d'exemples qu'on.
pourroit apporter de ce que nous avançons
ici , les orbites des Planetes en fourniſſent
un bien frappant. A peine a-t-on foupçonné
que les Planetes fe mouvoient circulairement
, qu'on leur a fait décrire des cer- :
cles parfaits & d'un mouvement uniforme ;
d'abord autour de la Terre , puis autour
du Soleil comme centres. L'obfervation
ayant montré bientôt après que les Plane- .
tes étoient tantôt plus , tantôt moins éloignées
du Soleil , on a déplacé cet Aftre du
centre des orbites ; mais fans rien changer
ni à la figure circulaire , ni à l'uniformité
de mouvement qu'on avoit fuppofées : on
s'eft apperçu enfuite que les orbites n'étoient
ni circulaires , ni décrites uniformément
, & on leur a donné la figure
elliptique , la plus fimple des ovales que
nous connoiffions ; enfin on a vu que
cette figure ne répondoit pas encore à tout ;
que plufieurs des Planetes
entr'autres
Saturne , Jupiter , la Terre même , &
furtout la Lune , ne s'y affujettiffoient pas
exactement dans leurs cours : on a tâché
de découvrir la loi de leurs inégalités , &
c'eft le grand objet qui occupe aujourd'hui
les Sçavans.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
"
Il en a été à peu près de même de la figure
de la Terre à peine a - t- on reconnu
qu'elle étoit ronde, qu'on l'a fuppofée fphérique.
Voici par quels degrés on s'eft défabufé
de cette opinion . Les obfervations du
pendule fous l'équateur apprirent dans le
dernier fiecle que la pefanteur y étoit
moindre qu'aux poles ; & il femble , pour
le dire en paffant , qu'on auroit pu s'en
douter fans avoir befoin du fecours de l'expérience
( 1 ) , puifque les corps à l'équateur
étant plus éloignés de l'axe de la Terre
, la force centrifuge produite par rotation
y eft plus grande , & par conféquent
ôte davantage à la pefanteur. C'eft ainfi que
par une espece de fatalité attachée à l'avancement
des connoiffances humaines , certains
faits qui ne font que des connoiffances
très- fimples & immédiates de principes
connus , demeurent néanmoins fouvent
ignorés avant que l'obfervation les découvre.
Quoi qu'il en foit , on conclut de
la dimunition obfervée de la pefanteur à
(1 ) L'Hiftoire Célefte , publiée par M. le Monnier
en 1741 , nous apprend que l'Académie
l'avoit déja foupçonné avant l'expérience de M.
Richer ; mais ce n'avoit pas été d'abord par un
raifonnement à priori , c'étoit feulement d'après
quelques expériences faites en divers lieux de
l'Europe.
OCTOBRE. 1756 . 77
l'équateur, que laTerre devoit être applatie,
c'eſt à - dire plus élevée à l'équateur qu'aux
poles. Mais cette conféquence fuppofoit
que la Terre eût été primitivement fluide ,
& qu'en fe durciffant elle eût confervé ſa
premiere figure. Or cette hypotheſe n'étant
pas démontrée , la conféquence qu'on
en tiroit avoit befoin , pour être mife hors
d'atteinte , d'être vérifiée par l'obfervation :
on n'en trouva point de plus directe que
celle de la meture des degrés , qui devoient
aller en diminuant du pole vers l'équateur
, fi la Terre étoit un fphéroïde applati
. La meſure des degrés dans l'étendue
de la France contredit d'abord cette conclufion
. Elle donnoit les degrés plus petits
à mesure qu'on approchoit du pole : mais
comme la différence entre les degrés voifins
étoit affez peu confidérable pour pouvoir
être attribuée aux obfervations , on réfolut,
pour éviter cette fource d'erreurs, de
mefurer les degrés les plus éloignés qu'il
feroit poffible , l'un fous l'équateur , l'autre
en Laponie. Ce dernier degré s'eft
trouvé en effet plus grand que le degré
moyen de France , & celui - ci plus grand
que le degré fous l'équateur . Ainfi la Terre
eft redevenue applatie comme la théorie
l'avoit d'abord fait juger. Il falloit de plus,
- par cette théorie , que le méridien fût une
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
ellipfe dont les axes différaffent de } :
dans cette fuppofition les trois degrés du
Sud , de France & du Nord, devoient avoir
une certaine proportion , dont en effet ils
ne s'éloignoient pas beaucoup. ( Je parle ici
du degré de France , mefuré d'abord par
M. Picard , déterminé par lui à 57060
toiſes , & fixé enfuite à 57183 par les obfervations
aftronomiques que MM. les´
Académiciens du Nord ont faites , pour
corriger l'amplitude de l'arc de M. Picard .)
De plus la différence des axes fuppofée
de , demandoit que les longueurs du
pendule à ces trois latitudes euffent un certain
rapport , & ce rapport s'éloignoit affez
de celui que la théorie donnoit . Ainfi
d'un côté l'obfervation des degrés étoit alfez
favorable à la théorie , de l'autre celle
du pendule y paroiffoit affez contraire.
On prétendit d'ailleurs que M. Picard s'étoit
trompé non feulement fur l'amplitude
de fon arc , mais encore fur la meſure de
la bafe qui lui avoit donné le degré de
France ; & en conféquence on crut devoir
raccourcir de 109 toifes le degré qu'on venoit
de fixer à 57183 : on le mit à 57074 ;
nouvel échec pour la théorie qui alors
fembloit démentie par la mefure même
des degrés. On avoit mefuré à peu près
vers le même temps un degré de longitude
OCTOBRE. 1756. 79
à 43 ° , 32 minutes de latitude : ce degré
qui s'accordoit affez bien avec la figure de
la Terre réſultante des trois premiers degrés
, ne s'accordoit plus avec le nouveau
degré de France , non plus que les deux
degrés du Pérou & de Laponic . On chercha
cependant à faire quadrer de fon
mieux ces quatre degrés les uns avec les autres
, en donnant au méridien une forme
qui s'y ajuftât : mais ce méridien n'avoit
plus la figure elliptique , la feule que la
théorie lui eût fait trouver jufqu'alors.
A peine cette premiere difficulté fut- elle
vaincue , ou plutôt palliée , qu'il s'en préfenta
de nouvelles . Le degré mefuré au
Cap de Bonne- Efpérance par 33 ° , 18 minutes
de latitude auftrale , fe trouva de
57037 toiles , c'est - à-dire prefque égal
au nouveau dégré de France , & par conféquent
beaucoup plus grand qu'il n'auroit
dû être par rapport à ce degré. Cette mefure
étant fuppofée jufte , il s'enfuivoit
que les deux hémifpheres de la Terre n'étoient
pas femblables : mais du moins on
pouvoit encore fe flatter que tous les méridiens
étoient les mêmes , quoique compofés
de parties inégales des deux côtés de
l'équateur . Cette hypothefe n'avoit point
encore été ébranlée : elle vient de l'être
par la longueur du degré mefuré en Italie ,
Div
So MERCURE DE FRANCE.
fous un autre méridien que celui de France.
Cette longueur differe de 70 toiſes de
ce qu'elle auroit dû être , fi le méridien
d'Italie étoit femblable au nôtre . De plus ,
ce degré ne s'accorde nullement avec l'hypothefe
elliptique , même en fuppofant
les méridiens femblables. Il ne manque
plus rien , comme l'on voit , pour rendre
la queftion de la figure de la Terre auffi
obcure que le Pyrrhonifme peut le défirer .
Les doutes qu'on pouvoit fe former für
la figure elliptique des méridiens m'avoient
déja frappé dans le temps que je publiai
les deux premieres Parties de ces Recherches
; & ce fut en conféquence que je donnai
, ou plutôt que j'indiquai à la fin de
la feconde de ces deux Parties , une méthode
générale pour trouver la figure de la
Terre par la mefure des degrés , fans s'appuyer
fur aucune théorie ; j'y joignis
une méthode pour déterminer par la théorie
cette même figure , en ne regardant plus
le méridien comme une ellipfe ; méthode
que les Géometres fembloient défirer depuis
long- temps. J'étois alors très- porté à
penfer que les méridiens de la Terre étoient
femblables , & je crois encore que cette hypotheſe
ne doit pas être proferite fans des
raifons démonftratives. Cependant pour
ne rien me diffimuler à moi - même , il m'a
OCTOBRE. 1756.
paru qu'il étoit à propos d'examiner en
toute rigueur les fuppofitions fur lefquelles
la meſure du degré eft fondée : ces fuppofitions
font en premier lieu que le plan
du méridien , celui dans lequel le Soleil
fe trouve à midi , paffe par l'axe même de
la Terre , & par conféquent par fon centre
; en fecond lieu , que la ligne du zénith
eft perpendiculaire à la furface de la
Terre , ou , ce qui revient au même , à
l'horizon du lieu où l'on obferve , c'eſt -àdire
au plan qui toucheroit la furface de la
Terre en ce lieu . Or je trouve par des raifons
dont je renvoie le détail à mon Ouvrage
, qu'il eft prefque impoffible de s'affurer
démonftrativement par l'obfervation
actuelle de la vérité de la feconde fuppofition
, & qu'il l'eft encore bien davantage
de conftater celle de la premiere. Cependant
il faut avouer que ces deux fuppofitions
étant affez naturelles, la feule difficulté
de s'en affurer rigoureufement , n'eſt
point une raifon pour les rejetter , fi d'ailleurs
les obfervations n'y font pas fenfiblement
contraires. La queftion fe réduit donc
à fçavoir fi la meſure du degré faite récemment
en Italie , eft une preuve fuffifante de
la diffimilitude des méridiens . Cette diffimilitude
une fois avouée , la Terre ne
feroit plus un folide de révolution , &
D▾
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
non feulement il demeureroit très- incertain
fi la ligne du zénith paffe par l'axe de
la Terre , & fi elle eft perpendiculaire à
l'horizon ; mais le contraire feroit même
beaucoup plus probable : la ligne à plomb
ne feroit plus perpendiculaire à la furface
de la Terre , ni dans le plan du méridien &
de l'axe terreftre ; la détermination de la figure
de la Terre deviendroit fujette à trop
d'erreurs , & par conféquent impoffible.
Cette queftion mérite donc un férieux examen.
Enviſageons- la d'abord par le côté
Phyfique.
Si la Terre avoit été primitivement fluide
& homogene , la gravitation mutuelle
de fes parties , combinée avec la rotation
autour de l'axe , lui eût certainement donné
la forme d'un fphéroïde applati , dont
tous les méridiens euffent été femblables.
Si la Terre eût été originairement formée
de fluides de différentes denfités , ces fluides
cherchant à fe mettre en équilibre entr'eux
, fe feroient auffi difpofés tous de
la même maniere dans chacun des plans
qui auroient paffé par l'axe de rotation du
fphéroïde , & par conféquent les méridiens
euffent encore été femblables. Mais
eft-il bien prouvé , dira-t- on , que la Terere
ait été originairement fluide ? Et quand
elle l'eût été , quand elle eût pris la figure
OCTOBRE. 1756. 83
parque
cette hypothefe demandoit , eft il
bien certain qu'elle l'eût confervée ? Pour
nepoint diffimuler ni diminuer la force de
cette objection , appuyons- la avant que
d'en apprécier la valeur , par la réflexion
fuivante. La fluidité du fphéroïde demande
une certaine régularité dans la difpofition
de fes parties ; régularité que nous
n'obfervons pas dans la Terre que nous
habitons. La furface du fphéroïde fluide
devroit être homogene : celle de la Terre
eft compofée de parties fluides & de
ties folides , différentes par leurs denfités.
Les bouleverſemens évidens que la furface
de notre Globe a effuyés , & qui ne font
cachés qu'à ceux qui ne veulent pas les
voir , le changement des Terres en Mers &
des Mers en Terres , l'affaiffement du Globe
en certains lieux , fon exhauffement dans
d'autres , tout cela n'a - t- il pas dû altérer
confidérablement
la figure primitive ? Or
cette figure primitive étant altérée , & la
plus grande partie de la Terre étant folide,
qui nous affurera qu'elle ait confervé aucune
régularité dans la figure ni dans la
diftribution de fes parties ? 11 feroit d'autant
plus difficile de le croire , que cette
diftribution ſemble, pour ainfi dire , faite au
hazard dans la partie que nous pouvons
connoître de l'intérieur & de la furface de
Dvj
86 MERCURE DE FRANCE.
mune : n'eft - il donc pas naturel de fuppofer
qu'elle fait à peu près le même effet
qu'une mariere fluide ; que la Terre eſt à
peu près dans le même état que fi fa furface
étoit partout fluide & homogene ;
qu'ainfi la direction de la pefanteur eft fenfiblement
perpendiculaire à cette furface
& dans le plan de l'axe de la Terre , & que
par conféquent tous les méridiens font
femblables , finon à la rigueur , au moins
fenfiblement Les inégalités de la furface
de la Terre , les montagnes qui la couvrent
font moins confidérables par rapport
au diametre du Globle , que ne le feroient
des inégalités d'un dixieme de ligne répandues
çà & là fur la furface d'un Globe
de deux pieds de diametre. D'ailleurs le
peu d'attraction que les montagnes exercent
par rapport à leur maffe , femble prouver
que cette maffe eft très- petite par rap
port à leur volume ; une montagne hémifphérique
d'une lieue de hauteur devroit
écarter le pendule de la fituation verticale
de plus d'une minute , & à peine les hautes
montagnes du Pérou produifent- elles
une variation de 7 fecondes. Les montagnes
femblent donc avoir en général trèspeu
de matiere propre par rapport au refte
du Globe ; conjecture appuyée par d'autres
obfervations , qui nous ont découvert
OCTOBRE. 1756. 87
d'immenfes cavités dans plufieurs de ces
montagnes. Ces inégalités qui nous paroiffent
fi confidérables & qui le font fi peu ,
ont été produites par les bouleverfemens
que la Terre a foufferts , & dont vrai
femblablement l'effet. ne s'eft pas étendu
fort au- delà de fa furface & de fes pre-
-mieres couches.
Ainfi de toutes les raifons qu'on peut
avoir pour croire les méridiens diffeniblables
, la feule qui foit de quelque poids
eft la différence du degré mefuré en Italie ,
& du degré mefuré en France à une latitude
pareille & fous un autre méridien : mais
cette différence qui n'eft que de 70 toifes ,
c'eft-à-dire d'environ 35 pour chacun des
deux degrés , eft- elle affez confidérable
pour ne pas être attribuée aux erreurs des
obfervations , quelque exactes qu'on les
fuppofe Deux fecondes d'erreur dans la
feule mefure de l'arc célefte donnent 32
toifes d'erreur fur le dégré ; & quel Obfervateur
peut répondre de deux fecondes ,?
Ceux qui font tout- à la fois les plus exacts
& les plus finceres oferoient- ils même répondre
de 60 toifes fur la mefure du degré
, puifque 60 toifes ne fuppofent pas
une erreur de 4 fecondes dans la mesure de
l'arc céleste , & aucune dans les opérations
geographiques ?
SS MERCURE DE FRANCE.
Rien ne nous oblige donc à croire encore
que les méridiens foient diffemblables.
Il faudroit , pour autorifer pleinement cette
opinion , avoir mefuré deux ou plu
fieurs degrés à la même latitude dans des
lieux très- éloignés , & y avoir trouvé trop
-de différence pour l'imputer aux Obfervateurs.
Je dis dans des lieux très - éloignés ;
car quand le méridien d'Italie & celui de
France feroient réellement différens , comme
ces méridiens ne font pas fort diftans
l'un de l'autre , on pourroit toujours rejetter
fur les erreurs de l'obfervation la
différence qu'on trouveroit entre les degrés
correfpondans de France & d'Italie à
la même latitude. Il faudroit de plus obferver
le pendule à la même latitude ,
fous des méridiens très- différens & trèséloignés
: on verroit par- là fi les longueurs
obfervées différeroient affez pour en pouvoir
conclure l'inégalité de pefanteur à la
même latitude fous des méridiens différens ,
& par conféquent , ce qui en feroit une
fuite prefque néceffaire , la diffimilitude
de ces méridiens.
Au refte , en attendant que l'obfervation
directe du pendule , ou la meſure immédiate
des degrés nous donne à cet égard
les connoiffances qui nous manquent , l'analogie
, quelquefois fi utile en Phyfique,
OCTOBRE. 1756. 89
pourroit nous éclairer jufqu'à un certain
point fur l'objet dont il s'agit , en y employant
les obfervations de la figure de Jupiter.
L'applatiffement de cette Planete
obfervé dès 1666 , par M. Picard , avoit
déja fait foupçonner celui de la Terre ,
long- temps avant que l'on s'en fût invinciblement
affuré , par la comparaifon des
degrés du Nord & de France. Des obfervations
réitérées de cette même Planete nous
apprendroient aisément fi fon équateur eft
circulaire pour cela il fuffiroit d'obferver
l'applatiffement de Jupiter dans différens
temps. Comme fon axe eft à peu
près perpendiculaire à fon orbite , & par
conféquent à l'écliptique qui ne forme
qu'un angle d'environ un degré avec l'orbite
de Jupiter , il eft évident que fi l'équateur
de Jupiter eft un cercle , le méridien
de cette Planete , perpendiculaire
au rayon vifuel tiré de la Terre , doit toujours
être le même , & qu'ainfi Jupiter
doit paroître toujours également applati ,
dans quelque temps qu'on l'obferve. Ce
feroit le contraire fi les méridiens de Jupiter
étoient diffemblables. Je fçais que
cette obfervation ne fera pas démonftrative
par rapport à la fimilitude ou diffimilitude
des méridiens de la Terre ; mais
enfin fi les méridiens de Jupiter fe trou90
MERCURE DE FRANCE.
voient femblables , comme j'ai lieu de le
foupçonner par les queftions que j'ai faites
là- deffus à un très-habile Aftronome ,
on feroit , ce me femble , affez bien fondé à
croire , au défaut de preuves plus rigoureufes
, que la Terre auroit auffi fes méridiens
femblables. Car les obfervations
nous prouvent que la furface de Jupiter
eft fujette à des altérations fans comparaifon
plus confidérables & plus fréquentes
que celle de la Terre. Or fi ces altérations
n'influoient en rien fur la figure de l'équateur
de Jupiter , pourquoi la figure de l'équateur
de la Terre feroit-elle altérée par
des mouvemens beaucoup moindres ?
Mais en fuppofant même que tous les
méridiens font à peu près femblables , il
refte encore à examiner fi ces méridiens
ont la figure d'une ellipfe. Jufqu'ici la
Théorie n'a point donné formellement
l'exclufion aux autres figures. Elle s'eft
bornée à montrer que la figure elliptique
de la Terre s'accordoit avec les loix de
l'hydroftatique ( 1 ) . J'ai trouvé de plus ,
& je le démontre dans cet Ouvrage , qu'il
y a une infinité d'autres figures qui s'ac
cordent avec ces loix , furtout fi on ne
(1 ) Voyez l'Ouvrage que M. Clairaut a publié
fur ce fujet en 1742 , & qui a pour titre Théorie
de la figure de la Terre,
OCTOBRE. 1756. ༡ ་
fuppofe pas la Terre entiérement homogene
; propofition qui me paroît importante
& digne de quelque attention de la part
des Géometres , tant par
tant par elle-même que
par la méthode que j'ai imaginée pour la
démontrer. J'avois déja donné ailleurs
quelque extenfion à la théorie , même
dans l'hypothefe elliptique , en faifant
voir qu'il n'eft pas toujours néceffaire ( 1 ) ,
comme on l'avoit cru jufqu'ici , que les
furfaces des différentes couches fuffent de
niveau , & j'avois préfenté en conféquence
l'équation des différentes couches de la
Terre , fous une forme plus générale qu'on
ne l'avoit fait avant moi . Mais cette équation
généralisée n'eft plus elle - même
qu'un corollaire très -fimple de la théorie
que je donne aujourd'hui , & dont l'hypothefe
elliptique eft un cas particulier &
très limité.
J'ai fuppofé de plus , en regardant, s'il eſt
néceffaire , la Terre comme folide , que
les méridiens du fphéroïde ne fuflent
femblables ni par leur figure ni par la denfité
de leurs parties ; que tous les points
de la Terre différaffent en denfité , non
pas à la vérité fuivant une loi quelconque ,
(1 ) Effai d'une nouvelle Théorie de la résistance
des fluides , dans l'Appendice , depuis l'art. 196
jufqu'à la fin.
92 MERCURE DE FRANCE.
mais fuivant une loi prefque auffi générale
qu'on peut le défirer ; j'ai cherché dans
cette hypotheſe l'action qu'un pareil folide
exerçoit fur fes parties ; problême difficile
& important , dont la folution pourroit
nous être fort utile , fi en effet la Terre fe
trouvoit avoir des irrégularités conſidérables
dans fa figure.
Enfin , en fuppofant que le méridien
ne foit pas elliptique , je donne une méthode
auffi fimple qu'il eft poffible pour
trouver d'une maniere approchée fa figure
par la meſure de tant de degrés de latitude
& de longitude qu'on jugera à propos.
Cette méthode peut être d'autant plus néceffaire
à pratiquer , que ni la théorie , ni
les mesures actuelles ne nous forcent à don .
ner à la Terre la figure d'un fphéroïde elliptique.
Les mefures femblent même nous
en éloigner : car les 5 degrés du Nord , du $
Pérou , de France , d'Italie & du Cap ne
s'accordent point avec cette figure ; &
les expériences du pendule dans cette même
hypothefe , menent à un réſultat différent
de celui que préfente la meſure des
degrés . Ces dernieres expériences s'accordent
affez bien à donner à la Terre la figure
elliptique , mais elles la font plus applatie
que de 230. D'un autre côté , ce dernier
applatiffement s'accorde affez avec les cinq
OCTOBRE. 1756. 93
degrés fuivans , celui du Nord , celui du
Pérou , celui du Cap , le degré de France
fuppofé de 57183 toifes , & le degré de
longitude mefuré à 43 °, 22 minutes : mais
le degré de France fuppofé de 57074 toiſes
, comme on le veut aujourd'hui , &
le degré d'Italie dérangent tout ( 1 ) .
. M. le Monnier , dans le deffein de lever
une partie de ces doutes , a demandé &
obtenu de l'Académie qu'on vérifiât de
nouveau la baſe de M. Picard , pour profcrire
ou pour
rétablir le degré de France ,
(1) En fuppofant le premier degré de latitude
de 56753 toiles , tel que les obfervations l'ont
donné , & celui du Pérou de 57438 toifes , ou
plus exactement de 57422 , en retranchant 16 toifes
à cauſe d'une feconde négligée dans la réfraction
; on trouve que le rapport des axes dans l'hypothefe
elliptique eft de 214 à 215 ; ce qui differe
très-peu du rapport de 229 à 230 : de plus , on
trouve alors que le degré du Cap eft de 56993
toifes , moindre de 44 toifes feulement que lai
degré obfervé ; que celui de France à 49 , 22 minures
, eft de 57212 toifes plus grand de 29 toifes
feulement que le degré de 57183 , mais plus grand
de près de 140 toifes que le degré évalué en dernier
lieu à 57074 ; enfin que le degré d'Italie eft
$7131 , plus grand de 152 toifes que le degré obfervé
56979. En faifant de très-légeres corrections
aux quatre premiers degrés , on retomberoit
exactement dans le rapport de 229 à 230 ; mais
il feroit impoffible d'y faire quadrer les deux derniers
degrés.
94" MERCURE DE FRANCE.
fixé par les Académiciens du Nord à 57183
toifes. Si ce degré eft rétabli , ce feroit
aux Aftronomes à décider jufqu'à quel
point l'hypothefe elliptique feroit ébranlée
par la mefure du degré d'Italie , le feul
qui s'éloigneroit alors de cette hypothefe
(1 ) . Il faudroit examiner de plus jufqu'à
quel point les obfervations du pendule s'écarteroient
de ce même applatiffement , &
même de l'applatiffement fuppofé à 230
Si le degré de M. Picard eft proferit , il
faudra en ce cas difcuter foigneufement
les erreurs qu'on peut commettre dans les
obfervations tant du pendule que des degrés
; & fi ces erreurs devoient être fuppofées
trop grandes pour accommoder l'hypothefe
elliptique aux obfervations , on feroit
forcé d'abandonner cette hypothefe ,
& de faire ufage des nouvelles vues que je
propofe dans cet Ouvrage , pour déterminar
par la théorie & par les obfervations
la figure de la Terre.
L'obfervation de l'applatiffement de Jupiter
pourroit encore nous être utile ici
(1 ) Ne feroit-il pas permis de penfer que dans
un pays auffi plein de montagnes que l'Italie , l'attraction
de ces montagnes peut altérer la direction
du fil à plomb , & par conféquent caufer quelques
erreurs dans la détermination de l'arc céleste , &
dans celle du degré qui en eſt une ſuite ? C'eſt
une conjecture que nous hazardons.
OCTOBRE 1756. 95
jufqu'à un certain point. Il eft aifé de trouver
par la théorie , quel doit être le rapport
de fes axes en regardant cette Planete
comme homogene . Si ce rapport étoit ſenfiblement
égal au rapport obfervé , on
pourroit en conclure avec affez de vraifemblance
que la Terre feroit auffi dans le
même cas , & que fon applatiffement feroit
, le même que dans le cas de l'ho
mogenéité, Mais fi le rapport obfervé des
axes de Jupiter eft différent de celui que
la théorie nous donne , alors on en pourra
conclure par la même raiſon que la Terre
n'eft pas homogene , & peut-être même
qu'elle n'a pas la figure elliptique . Cette
derniere conclufion pourroit encore être
confirmée ou infirmée par l'obfervation de
la figure de Jupiter : car il feroit aifé de
déterminer fi le méridien de cette Planete
eft une ellipfe ou non . Pour cela il ſuffiroit
de mefurer la parallele à l'équateur de
Jupiter , qui en feroit éloigné de 60 degrés
. Si ce parallele fe trouvoit fenfiblement
égal ou inégal à la moitié de l'équateur
, le méridien de Jupiter feroit elliptique
ou ne le feroit pas.
Tel eft l'état où fe trouve pour le préfent
l'importante queftion de la figure de
la Terre. On voit combien fa folution demande
encore d'obfervations & de recher96
MERCURE DE FRANCE.
ches. Aidé du travail de mes prédéceffeurs ,
j'ai taché de préparer les matériaux de ce
qui reste à faire , & d'en faciliter les
moyens. Quel parti prendre jufqu'à ce que
le temps nous apporte de nouvelles lumieres
? Sçavoir attendre & douter.
POEME AU ROI , fur la prife de Port-
Mahon , par Teifferenc de Lodève , Garde
du Corps de Sa Majeſté . A Paris , 1756 ,
fans nom de Libraire.
Ce Poëme de feize pages eft divifé en
trois chants . Le premier peint la tranquillité
de la France , les hoftilités des Anglois
dans la paix , & leur obftination malgré
la modération du Roi . Le fecond offre
le projet du fiege de Minorque , l'expédition
& la reddition de la Ville de Mahon
fans aucune réfiftance ; & le troifieme décrit
le fiege , l'attaque générale & la prife
du Fort S. Philippe.
L'Auteur montre une heureuſe facilité.
Sa poéfie eft naturelle douce & nombreuſe :
mais nous lui confeillons d'être en garde
contre fon trop d'aifance . C'eft un don
qui devient quelquefois un défaut . On
commence par être facile , & l'on finit par
être foible. Nous prions M. T. de nous
pardonner cet avertiffement qui part d'une
bonne intention . Il fait de trop bons vers
pour
OCTOBRE . 1756. 97
pour lui en paffer de médiocres. Ceux que
nous allons citer ferviront à prouver fon
talent plus qu'à juftifier notre critique ,
& le
convaincront de notre impartialité.
Nous avons choifi un morceau de chaque
chant ; le Poëte débute ainfi dans le
premier.
Louis régnoit en paix. L'éclat de la victoire
Pouvoit-il le tenter au faîte de la gloire ?
La foudre de Bellone éteinte dans les mains ,
Il n'étoit occupé qu'au bonheur des humains.
On voyoit , par fes foins fleurir les arts utiles ,
L'abondance régner dans nos champs , dans nos
villes ,
Que dis -je ? c'étoit peu d'enrichir les fujets ,
ſes
Sa main fur l'étranger répandoit fes bienfaits.
Ainfi l'aftre du jour brille dans fa carriere ,
Et va dans le lointain répandre fa lumiere.
Le commerce étoit libre , & tous nos ports ou
verts
Recevoient les vaiffeaux de cent peuples divers.
Sans crainte , fans combats les enfans de Neptune
De l'aurore au couchant , pourſuivoient la fortune
,
Loin de s'entrechoquer dans leurs paifibles
cours....
Mais , ô Dieux ! quel nuage a troublé ces beaux
jours ?
Quel peuple ambitieux , de fang toujours avide
II. Vol.
E98
MERCURE DE FRANCE.
A tramé dans fon fein un complot homicide ?
Arrête , fier Anglois , follement enivré ,
Et refpecte le Lys fous l'Olivier facré.
Voici comme l'Auteur peint le Confeil
du Roi dans le fecond chant :
Loin du trouble & du bruit dans un lieu folitaire
Qu'entourent le refpect , la crainte , le myftere ,
On voit un temple augufte aux fages confacré ,
Où les foibles mortels n'ont jamais pénétré.
Un Dicu grave & terrible en tout temps y préfide :
Il y tient la balance , & l'épée & l'égide.
Tout tremble & fe profterne auffitôt qu'il paroît :
11 y décide feul : s'il parle , tout fe taît.
Là fe meut de l'Etat le reffort politique ;
Là fur ce grand objet chacun s'ouvre & s'ezplique
;
Là nos braves Céfars méditent les exploits ,
Et nos fages Minos interpretent les loix.
D'Argenfon enflammé par l'ardeur de fon zele ,
Développe avec art ce deffein important.
Chacun avec tranfport & le voit & l'entend.
La fageffe applaudit , la jaloufie expire ,
La France eſt dans la joie , & Minorque ſoupire.
Nous finirons cet extrait par ces vers
qui terminent le troifieme chant & l'ouvrage
.
Tu m'entends , Richelieu : ſous l'épaiffe fumée
OCTOBRE. 1756.
99
Ta foudre s'affoupit encor toute allumée ;
Et Blakenei , frappé de tes nobles exploits,
Tremble , foupire , accourt , te demande des loix.
Tout s'émeut à l'inftant dans la nature entiere :
Londres fous le cyprès , baiſſe ſa tête altiere.
Paris levant fon front couronné de lauriers ,
Sur fon char de triomphe éleve nos guerriers ;
Et l'Europe , grand Roi , qu'enflamme la victoire ;
Témoin de ta clémence , applaudit à ta gloire ,
Admire le vainqueur dans l'ami du repos ,
Et le fage toujours à côté du Héros.
Nous croyons qu'enflamme n'eft point là
l'expreffion propre. Notre victoire fixe
l'attention de l'Europe, mais ne l'enflamme
pas , elle l'intéreffe feulement. Dans l'ami
du repos, c'eſt pour rimer à Héros , l'ami
de la paix feroit plus jufte . Le repos eft un
état pareffeux où l'on fe borne tout au
plus à méditer ; au lieu que la paix eft
active & s'occupe des travaux qui peuvent
l'affermir & la rendre floriffante. Le premier
caractériſe un Philofophe , & l'autre
un Roi. Nous n'aurions pas relevé ces
fautes légeres dans un ouvrage qui nous
eût fans beautés. Mais celui- ci vaut
paru
la peine d'être foigné . Nous l'avons fait
par eftime pour l'Auteur , & pour l'engager
à joindre la correction à la facilité.
RURIS DELICIA . Feu M. Bertrand , de
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Nantes , Avocat & Académicien d'Angers,
connu comme Poëte & comme homme de
goût , avoit un fi grand amour pour la
campagne , que ne pouvant en aller goûter
les douceurs auffi fouvent qu'il l'auroit
fouhaité , il avoit raffemblé tout ce
que les Anciens & les Modernes ont écrit,
où répandu dans leurs ouvrages fur les
charmes de la vie champêtre. C'eſt cette
collection que l'on donne aujourd'hui fous
le titre féduifant de Ruris Delicia. Elle eft
imprimée , & on la trouve rue S. Jacques ,
chez Jofeph Barbou, qui fe diftingue tous les
jours par l'amour & l'efprit de fon art. Les
caracteres & le papier font autant de plaifir
aux yeux , que les penfées & les objets
qu'ils retracent peuvent en faire à l'efprit
& à l'imagination . C'eft en tout un livre
très- agréable à lire , & que nous confeillons
d'acheter à ceux furtout qui portent
à la campagne les idées & les moeurs des
champs.
VERS fur la conquête de Minorque ,
fuivis d'une lettre fur la Sémiramis de
M. de Voltaire par M. Gazon Dourxigni.
L'ART DE PLAIRE. Poëme en trois
chants , dédié aux Dames , & autres Poefies
intéreДantes , qui fe trouvent chez DiOCTOBRE.
1756. 101
chefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goûr.
L'Art de plaire ! Poéfies intéreffantes !
voilà des titres bien féducteurs : mais
nous croyons qu'ils annoncent trop , &
qu'il eft difficile de remplir des promeffes
auffi brillantes . Ovide furtout eft un
dangereux modele en fait d'agrément , &
l'on rifque d'être écolier quand on veut
donner des leçons d'après un fi grand
maître.
>
GÉOGRAPHIE MODERNE , précédée d'un
petit Traité de la Sphere & du Globe ;
ornée de traits d'Hiftoire naturelle & politique
, & terminée par une Géographie
facrée , & une Géographie eccléfiaftique ,
où l'on trouve tous les Archevêchés &
Evêchés de l'Eglife Catholique , & les
principaux des Eglifes Schifmatiques
avec une table des longitudes & latitudes
des principales villes du monde , & une autre
du nom des lieux contenus dans cette
Géographie , par M. l'Abbé Nicole-de la
Croix. Nouvelle Edition revue , corrigée,
& confidérablement augmentée ; 2 vol. in-
12. qui fe vendent 6 liv. reliés en veau ,
chez Jean-Thomas Heriffant , Libraire , rue
S. Jacques , à S. Paul & à S. Hilaire. La
Géographie facrée , impriméé féparément
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
in- 12 , fe vend 12 f. pour ceux qui ont
les premieres éditions. Ce livre eft déja
connu. Le nombre d'éditions qu'il a enés
nous difpenfe de dire que les corrections
& augmentations qu'on vient d'y faire ,
doivent encore engager à l'acheter.
MÉMOIRES fur la nature fenfible & irritable
des parties du corps animal , par
M. Alb. de Haller , Préfident de la Société
Royale de Gottingue , Membre de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , Londres
, Berlin , &c. Tom. I ; contenant une
feconde édition corrigée , de la Differtation
fur l'Irritabilité , fuivie de l'expofé
fynthétique des faits , tiré d'un grand nombre
d'expériences faites par l'Auteur ; imprimés
à Lausanne , chez Marc Mic. Boufquet
, & fe vend à Paris , chez Durand ,
rue du Foin , & chez Guillyn , quai des
Auguftins. L'eftime des Sçavans pour M.
de Haller , ne permet guere de douter que
ce dernier ouvrage n'en mérite beaucoup .
Nommer l'Auteur eft l'annonce la plus
favorable que nous puiffions faire de fon
livre.
ÉPITRE à fon excellence M. l'Abbé ,
Comte de Bernis , Confeiller d'Etat , Ambaffadeur
auprès de Leurs Majeftés ImpéOCTOBRE.
1756. 103
riales , fur la conduite reſpective de la Franse
de l'Angleterre , par M. Marmontel ,
ce &
chez Claude Hériffant , rue Neuve Notre-
Dame.
Nous avons trouvé cette Epitre forte de
raifon autant que de poésie. L'Auteur y
expofe fidelement les motifs & les excès
d'un peuple injuſte , qui a révolté juſqu'aux
Nations fauvages. Les vers qui
renferment l'éloge de M. l'Abbé de Bernis
, ne difent que l'exacte vérité. Ils
expriment heureufement ce que tout le
monde penfe. La Poésie ne regne jamais
avec tant d'avantage que quand elle brille
fans fiction . M. Marmontel , pour mieux
faire fentir le mérite & le prix de la politique
eftimable de M. l'Abbé de Bernis
trace en maître un tableau dans lequel
ceux qui le connoiffent le retrouvent aifément.
Après avoir peint avec énergie les
fureurs que l'ambition fe permet fous le
manteau de la Politique , il dit :
Mais s'il eft une intrigue obfcure & tortueufe
Il eft une fageffe & noble & vertueule.
Fille de la Juſtice & mere de la Paix ,
Son trône eft entouré des heureux qu'elle a
faits.
Elle ſe montre aux Rois , telle qu'aux jours d'ALtrée.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Sur la terre encor pure , elle fit fon entrée :
Ses traits d'un faux éclat ne font point revêtus.
Elle eft nue & fans art , comme il fied aux vertus.
Qu'auroit-elle à cacher ? ſa bonté généreuſe
Ne defire plus rien quand la terre eft heureuſe , &c.
Voici un morceau où l'ambitieuſe manoeuvre
de l'Anglois , vis- à- vis de la Hollande
, nous a paru peinte avec des couleurs
auffi fortes que vraies.
Le Portugal heureux & l'Efpagne opulente ,
Promenoient fur les mers leur fortune indolente ,
Sans defirs , fans beſoins , & fans activité :
Du fruit de leurs travaux Londre avoit hérité.
De fes fers échappé le Batave intrépide ,
Avoit pris dans la paix un effor plus rapide :
Du luxe de l'Europe agile meffager ,
Son regne fut brillant , mais il fut paffager.
L'ambitieux Anglois ne veut point de partage :
Ce rival à fes yeux eft fait pour l'esclavage .
Il l'attaque , il le preffe , il veut le mettre aux fers.
Il eſt vaincu lui-même , il eſt chaffé des mers.
Il fatte le vainqueur , l'appaife , le défarme ,
Le Batave en les mains fe livre fans allarme ,
D'un Roi qui l'a vangé ( 1 ) , fe détache pour lui ;
L'Anglois au poids de l'or lui vend un foible
appui ;
(1) Louis IV,
OCTOBRE. 1756.
105
Et fous le nom d'ami s'en faifant un eſclave ,
L'abaiffe , l'affoiblit , le dépouille & le brave.
Nous allons terminer ce précis par l'apoftrophe
fuivante aux François. L'Auteur
y exprime en vers d'une façon auffi
neuve que poétique , des détails qu'il eſt
difficile de bien rendre même en profe ,
& qu'il a l'art d'ennoblir .
Induſtrieux François , remplis tes deſtinées ,
Les Mers pour recevoir tes pouppes fortunées ,
Embraffent tes Etats , te préfentent leur fein :
Lear rivage à tes pieds s'arrondit en baffin.
Tes fleuves nourriciers , la Loire vagabonde ,
La rapide Charante , & la vafte Gironde ,
La Seine aux flots d'argent , le Rhône impétueux,
Attendent des deux Mers les tributs fomptueux.
Le Pin cherche ta voile , & des monts ſe détache ;
Le Chêne pour voguer , vient s'offrir fous ta
hache :
Le fer né fous tes pas , dans tes forges coulé ,
Prêt à vomir la foudre , en cylindre eft moulé.
Une écorce légere , au défaut de la foie ,
Se replie en cordage , en voile fe déploie :
Le Sapin te prodigue un bitume onctueux ;
Rien ne manque à tes arts , tout feconde tes
voeux.
L'Aurore & le Couchant appellént tés pilotes :
Ils partent ; & bientôt le retour de tes flottes
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Etale les tributs de Smirne & de Tunquin ,
Les fruits de l'Amérique , & l'or de l'Africain.
Les baumes , les parfums de la fertile Afie ,
Et du grain de Mocha , l'odorante Ambrofe ;"
Et l'azur ( 1 ) d'une plante', & (2 ) le miel d'un
roſeau ,
Et du ver Indien ( 3 ) le précieux réſeau ;
Fit ce riche duvet (4) qu'une main délicate
File fous les palmiers de Golconde & Surate;
Dans tes Ports enrichis , attirent tes rivaux,
Pour toi nouveaux tréfors , pour eux beſoins nouveaux
.
( 1 ) L'Indigo.
(2) Le Sucre.
(3 ) Le Ver- àfoie.
(4) Le Coton..
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURI.
Monfieur , en propofant au Public des
difficultés à réfoudre , vous paroiffez contracter
l'obligation de lui faire part des
réponſes qui y feront fournies ; ce qui
m'engage à vous adreffer quelques réflexions
fur la Lettre inférée dans votre Mercure
d'Août , concernant un fait d'affuzance
maritime.
L'Auteur y fuppofe que Jean de MarOCTOBRE.
1756. 107
feille fe foit fait affurer par Pierre de
Rouen une fomme de 1000 liv . fur les
facultés de fon Vaiffeau venant de l'Amérique
à Marſeille , à 4 pour 100 de prime,
& 30 pour 100 d'augmentation en cas de
guerre ou hoftilités avec les Anglois ; que
les hoftilités ayent eu lieu , & que le Navire
foit arrivé à bon port à Cadix , mais
qu'au lieu de lui laiffer continuer fa route
jufqu'à Marseille avec toutes fes facultés ,
qu'on fuppofe du prix de 3000 liv. Jean ,
Affuré , veuille en faire décharger à Cadix,
à concurrence des deux tiers , de façon
qu'il ne reste fur le Vaiffeau que pour
1000 liv. de facultés.
Sur cela l'on demande pour qui feront
les rifques de Cadix à Marſeille : regarderont
- ils en entier Pierre , comme
ayant affuré 1000 liv. qui lui font toujours
repréſentées par la fomme de facultés
reftée fur le Vaiffeau ? Devront ils fe divifer
entre lui & l'Affuré , à proportion des
facultés déchargées à Cadix , en telle forte
que Jean fupporte les deux tiers des mêmes
rifques ?:
La folution de cette difficulté me paroît
dépendre d'un examen bien fimple , c'eft
de fçavoir quelle obligation avoit été contractée
par Pierre de Rouen , & quels rifques
il avoit affumés fur lui .
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
Il ne paroît pas douteux , aux termes de
la Police , dont les conventions fe trouvent
expliquées ci deffus , que Pierre ne
fe foit affujetti à une portion des risques
de toutes les facultés chargées fur le Vaiffeau
; qu'il n'ait entendu que fon capital
de 1000 liv . répondroit du total des facultés
, proportionnellement à leur valeur ; de
maniere que fi toutes les facultés étoient
péries dans le trajet de l'Amérique à Cadix
ou à Marſeille , il n'eût dû payer à Jean
l'entiere fomme affurée ; mais que fi au
contraire , il n'en étoit péri qu'une partie ,
il n'auroit été tenu envers Jean qu'à un
dédommagement proportionné.
C'est ce qu'un exemple va rendre fenfible
: Suppofons que Jean fe fût fait afſurer
par différentes perfonnes 3000 liv. au lieu
de 1000 liv. fur les facultés de fon Vaiffeau
, & qu'il en eût péri en route à concurrence
de 1000 liv. ou que pareille
quantité eût fouffert avarie , chacun des
Affureurs feroit venu à contribution au
fol la livre des fommes qu'il auroit affurées
pour former le dédommagement de
l'Affuré dans ce régalement prévu par
différens articles de l'Ordonnance du mois
d'Août 1681 , au titre des affurances , Pierre
, Affureur de 1000 liv. n'auroit fuppor
té que le tiers de la perte , & le refte feroit
OCTOBRE. 1756. 109
retombé fur les autres Affureurs ; fans quoi ,
& fuppofé que Jean eût pu prétendre contre
Pierre la totalité du dédommagement ,
il auroit été fondé fans doute à excercer
contre chacun des autres la même répétition
, pour les fommes par eux affurées ;
au moyen de quoi fon indemnité auroit
triplé exactement la valeur de fa perte ; ce
qui eft trop abfurde pour pouvoir être
fuppofé.
Si Jean n'a pas jugé à propos de faire
affurer au-delà des 1000 liv. affurées par
Pierre , la condition de celui- ci n'en peut
pas être aggravée : il eft véritablement
dans les mêmes termes que fi les facultés
euffent été affurées 3000 liv . leur jufte valeur
; mais au lieu que dans cette préfuppofition
, il auroit partagé les rifques par
tiers avec fes Co-affureurs , c'eft avec le
Propriétaire , avec Jean qu'il les partage ,
comme étant en ce cas à la place de fes
Affureurs.
Suivant ces principes qui ne fçauroient
être défavoués , dès qu'on aura la premiere
notion des engagemens contractés par ane
Police d'afurance , fi dans le trajet de
J'Amérique à Cadix , il eût péri pour 2000
liv . de facultés , Jean , Affure & Propriétaire
, auroit fupporté , comme on l'a expliqué
plus haut , les deux tiers de la
110 MERCURE DE FRANCE.
perte de ces 2000 liv . & Pierre l'autre
tiers , par un effet de cette contribution
ou de ce régalement de pertes qu'il doit y
avoir entre tous ceux qui courent les hazards
d'un même événement.
Mais après certe premiere perte ou avarie
, il feroit toujours refté dans le Vaiffeau
pour 1000 liv. de facultés dont les
rifques auroient dû néceffairement courir
pour le compte de quelqu'un . Prétendrat'on
que ç'auroit été uniquement pour le
compte de Pierre ? L'évidence nous dit au
contraire que les rifques fe feroient continués
fur ce réfidu de facultés , comme ils
avoient commencé par rapport au total ;
que Pierre , Affureur , en auroit couru le
riers des rifques & Jean les deux autres ;
que fi ce réfidu de facultés étoit arrivé à
bon port , Pierre auroit fauvé le tiers des
1000 liv. par lui avanturées ; & qu'au
contraire fi ce réfidu fût péri , Pierre auroir
fini de perdre fon capital dont les deux
tiers étoient déja abforbés par les 2000 liv.
d'avaries.
Ces exemples développent fi fenfiblement
ce qui doit s'opérer en cas que les
2000 liv. de facultés , au lieu d'avoir péri
dans le trajet , foient déchargés à bon
port à Cadix , qu'il eft comme fuperftu de
l'expliquer. Les tifques cefferont dès ce
OCTOBRE. 1756. I'IY
moment pour tous ceux qui y étoient expofés
, à concurrence de 2000 liv , mais fe
continueront également fur le réfidu de
1000 liv. pour tous ceux qui en étoient
garands. Et comme c'étoit autant Jean de
Marſeille , que Pierre de Rouen , qui couroient
les hazards de ces 1000 liv. celuici
pour un tiers , & Jean pour les deux
autres , ils y demeureront foumis jufqu'à
Marſeille dans la même proportion.
La raifon de cela , eft que les 1000 liv.
affurées par Pierre , ou qu'il s'étoit obligé
de livrer en cas de perte , n'étoient
pas
affectés à telle ou telle partie des facultés
du Vaiffeau , mais répandues fur le total ;
que chaque portion des facultés étoit également
garantie par chaque portion des
1000 liv ; qu'afin que les iooo liv. fuffent
dues , il falloit néceffairement que toutes
les facultés périffent ; & qu'ainfi autant
qu'il a été fauvé , ou qu'il eft arrivé à bon
port de parties de facultés , autant a t'il
été mis à couvert pour l'Affureur de parties
proportionnelles de fon capital.
Mais les rifques de Pierre ne devoient ,
dit -on , ceffer qu'à Marſeille ; cela eft vrai :
auffi dépend-t'il toujours de Jean , en laiffant
le total des facultés dans le Vaiffeau
de prolonger tous les rifques de Pierre
jufqu'à Marseille. Mais fi Jean renonce à
112 MERCURE DE FRANCE:
ce droit , en faifant décharger à Cadix
pour 2000 liv . de facultés , il faut néceffairement
que Pierre acquiere à Cadix
pour ces 2000 liv. la même libération
qu'il avoit acquife à Marſeille .
Il en fera de ces 2000 liv. par rapport
à l'Affureur , ce qu'il en ' auroit été du
total des facultés , fi , comme l'a prévu
l'Auteur de la Lettre , Jean eût fait décharger
à Cadix ce total de facultés : il reconnoît
qu'en ce cas , Pierre étoit le maître
de refufer la réduction que lui propoſoit
Jean fur l'augmentation de prime , & de
la prétendre en entier ; c'eft à quoi l'autorifoient
les regles ordinaires des conventions
& le texte exprès de l'ordonnance
déja citée ( tit. des Affurances , Art . 36. )
Cet Auteur ne fera donc fans doute aucune
difficulté de reconnoître que Pierre peut
former la même prétention par rapport
aux 2000 liv. déchargées , en exigeant
les deux tiers de la prime convenue , & fe
foumettant uniquement au tiers des rifques
des 1000 liv . reftantes.
Il me paroît inutile après cela , Monfieur
, de répondre plus particuliérement
aux raifons relevées en faveur de Jean ,
qui ne font que de véritables fophifmes . La
feule qui foit digne de quelqu'attention ,
eft celle où l'on fuppofe que Jean fe foit
OCTOBRE. 1756. 113
fait affurer 2000 liv. d'Amérique à Cadix
feulement , & que les 2000 liv. de facultés
y étant déchargées , il ait payé la prime
à l'Affureur de Cadix : fur quoi il eſt
effentiel d'examiner fi les termes de la Police
peuvent conduire à croire que Pierre
eût entendu reftreindre fon affurance au
tiers des facultés , comme s'il avoit été
convenu, par exemple , dans la police; que
le tiers de facultés feroit le feul qui feroit
conduit à Marſeille , auquel cas il paroîtroit
naturel de l'affujettir à tous les rifques
de ce tiers depuis Cadix à Marſeille.
Mais fi les termes de la Police n'induifent
rien de femblable , qu'il paroiffe au
contraire comme dans ce cas- ci , que toutes
les facultés dans le principe , devoient
être tranfportées à Marſeille , alors il eft
clair qu'en ne fe faifant affurer que jufques-
là les 2000 liv. dont on a parlé , Jean
entendoit y reprendre lui-même tous les
rifques dont il s'étoit délivré jufques-là ,
fur fes Affureurs de Cadix ; de forte que
s'il y fait décharger les deux tiers des facultés
, c'eft autant pour l'avantage de
Pierre , que pour le fien propre , puifque
par la ceffation des affurances de Cadix ,
ils deviennent tous deux enfemble fujets
aux mêmes hazards que fi elles n'euffent
jamais été faites ; ce qui a dû auffi les lui
"
114 MERCURE DE FRANCE.
faire obtenir à meilleur compte , les rifques
en étant moins longs ( 1).
J'ai l'honneur d'être , & c.
A. L. J. Avocat.
A Bordeaux , ce 17 Août ,
1756.
(1) On peut voir encore à ce sujet l'Ordonnance
de la Marine , art. 27 , 36 & 64 du titre des Affurances.
AUTRE LETTRE.
Voici , Monfieur , une méthode beaucoup
plus fimple que celle qu'un Anonyme
a donnée dans le Mercure d'Août , page
118 , pour réfoudre une queſtion de
commerce , inférée dans celui de Juin , page
90 ; j'efpere qu'elle deviendra fenfible à
tout le monde : je me fervirai tout uniment
de la regle du cent.
Exemple
1204 liv. 16 f. 4. d. 1
83 pour cent .
3612
9632
Pour 10 f.
4 1 liv. 10 f.
Pour s 20 Is
Pour I 4 3
•
Pour 4 d.
Pour
Recouvrement , 1ooooo liv.
7
1
4
OCTOBRE. 1756. 113
Je paffe maintenant à la queftion de
l'argent de groffe propofée par M. Duval.
Il n'y a point de faute d'impreffion dans
l'Article 18 du Titres de l'Ordonnance
de la Marine : l'efprit de cette Loi eft en
effet , que le Donneur à la groffe foit préféré
aux Affureurs fur les effets fauvés du
naufrage ; & cela s'eft toujours pratiqué
de même.
Il y a plus , c'eft que quand même il
n'y auroit point d'affurance fur un effet
chargé , c'eft à dire que fur un capital de
6000 liv. le Chargeur eût partagé ſes rifques
en prenant feulement 3000 liv. d'argent
de groffe , le Prêteur feroit toujours
préféré au Propriétaire de la Marchandiſe ,
en cas de naufrage , fur les effets fauvés ;
c'est l'efprit de l'Art. 17 du même Titre.
De fçavoir préfentement fi cette loi eft
conforme aux regles de l'équité , c'eſt ce
que je n'entreprendrai point de décider :
mais je crois qu'en l'abrogeant , le remede
feroit pire que le mal par la ceffation d'un
nombre d'armemens qui ne fe font que par
le fecours de l'argent de groffe.
Je n'ignore pas que le Donneur à la
groffe ne foit en quelque forte Affocié
avec le Chargeur , par la mife de fon argent
qui a fervi à payer partie des marchandifes
chargées.
116 MERCURE DE FRANCE.
Je fçais auffi qu'il a la faculté de faire
affurer la fomme qu'il a fourni , & qu'il
ne court pas plus de rifque à tous égards
que le Chargeur. Néanmoins le Légiflateur
n'entend point qu'ils marchent de pas
égal en cas de naufrage , tout au contraire,
il veut que fur le produit des effets fauvés
l'argent de groffe foit défalqué par préférence.
Or, dès que la loi eft fi févere pour le
Chargeur qui a le même intérêt dans les
marchandifes que le Donneur à la groffe ,
à plus forte raifon , comment voudroient
les Affureurs participer par égale portion
aux effets fauvés , tandis qu'ils n'ont rien
fourni
pour le chargement.
Enfin quelque répugnance que M. Duval
paroiffe avoir d'adopter cette loi , il
doit croire du moins qu'elle eft néceffaire ,
puifque jufqu'à préfent il ne nous eft pas
connu que pas une Chambre de commerce
ait fait aucunes repréfentations à cet
égard cette feule raifon devroit fuffire
pour lever fes fcrupules ; car s'il paffoit
plus avant , & qu'il me demandât quel eft
le motif qui a décidé le Législateur à favorifer
le Donneur à la groffe , je ne pourrois
lui répondre autre chofe , fi ce n'eft
que je crois de bonne foi , que c'eſt dans
la vue de faire fortir l'argent pour facili
OCTOBRE. 1756. 117
ter les armemens , & par ce moyen les
multiplier , & rendre le commerce plus
brillant & plus général ; je fouhaite que
mes raifons puiffent fatisfaire M. Duval.
J'ai l'honneur d'être , &c.
BROUET ,
Prépofe fur la place de Bordeaux pour les
réglemens des avaries de mer.
J'aurai l'honneur de vous envoyer le
mois prochain la folution de l'Affurance
propofée dans le Mercure d'Août , page
123. M. Brouet nous a tenu parole , &
fa folution eft la même que celle de l'Avocat
de Bordeaux , que nous venons de donner.
L'Auteur fuivant eft d'un autre avis ,
& voici fur quoi il fe fonde.
La difficulté qu'on forme à Jean de
Marfeille eft une pure chicane , & fi l'efprit
d'équité , qui doit régner dans tous
les contrats , guidoit Pierre , Affureur de
Rouen , les propofitions que lui fait Jean
étant également juftes & raifonnables , elles
doivent être acceptées.
Si par la police il étoit ftipulé que les
1000 liv. d'affurances font fur une partie
des marchandifes eftimées 3000 liv . dans
ce.cas il ne feroit pas loifible à Jean de
décharger à Cadix les deux tiers defdites
marchandiſes , parce qu'une partie def118
MERCURE DE FRANCE.
dites marchandiſes n'eft pas moins l'objet
de l'Affureur que l'autre , & qu'en cas de
naufrage ou d'avarie , il y a plus de reffource
pour lui fur les facultés de 3000 l.
que fur 1000 liv. Mais dans l'efpece de la
queftion , dès que l'Affurance n'eft pas
faite fur un objet déterminé , & qu'elle
eft purement & fimplement pour une fomme
de ooo liv. pourvu qu'il demeure
conftant que les effets que Jean laiffera
dans le Navire pour achever le voyage
jufqu'à Marseille , montent à cette fomme
, il a la faculté de retirer à Cadix l'excédent,
à quelque fomme qu'il monte . Car
Gles facultés de Jean montoient à 10000
liv. feroit-il jufte qu'il fût contraint de
courir les risques d'un capital auffi confidérable
, parce que l'Affureur , fous prétexte
qu'il eft intéreffé d'un dixieme , në
voudroit pas confentir à la décharge des
neuf autres dixiemes ? Cela répugne au
bon fens & à la raiſon.
,
Problême.
Un Particulier a donné à la groffe avanture
1000 liv. à raifon de 17 pour cent ,
pour le profit maritime ; avec ftipulation
que fi le voyage dure plus d'un an , le
profit maritime continuera à proportion
jufqu'au retour du navire , non ſeulement
OCTOBRE. 1756. 119
fur le capital , mais encore fur le profit.
Le navire n'a fait fon retour qu'au bout de
fept ans. Quelle fomme ce Particulier doitil
payer pour le capital & les profits des
profits ?
Je fçais qu'en faifant autant de regles de
trois qu'il y a d'années , on trouveroit aifément
la fomme demandée , mais je demande
une opération plus fimple & plus
facile , s'il y en a.
J'ai l'honneur d'être , &c.
S. D. L. A.
LES Freres Labottiere , Libraires à Bor
deaux , Place du Palais , & Nyon , Libraire
à Paris , Quai des Auguftins ',
débitent un Ouvrage nouveau , qui a
pour titre : La Religion Naturelle & la
Religion révélée , établies fur les Principes
de la vraie Philofophie , & fur la Divi
mité des Ecritures ; ou Differtations Phi
lofophiques , Théologiques & Critiques contre
les incrédules , 4 vol . in- 12 , par M.
Mateville.
On doit regarder cet Ouvrage comme
un fupplément néceffaire à tant de bons
Livres compofés , dans ces derniers temps ,
contre les Ennemis de la Religion : la plûpart
de fes Apologiftes n'ont rien dit touchant
l'infpiration des Livres faints , & les
120 MERCURE DE FRANCE.
autres n'en ont parlé que très-fuccinctement.
Cette omiffion a de quoi furprendre
, puifqu'on peut croire à la Miffion de
Moïfe & à celle de Jefus-Chrift , fans reconnoître
la Divinité des Ecritures , & par
conféquent fans adopter les Dogmes du
Chiftianifme. Tel eft le fyftême de la plûpart
des Sociniens , qui ne différe en
rien d'effentiel de ce que penfent beaucoup
de Déïftes.
L'Auteur fe propofe de remplir ce vuide
; & pour ne rien laiffer qui puiffe être
une matiere de conteftation , il établit
dans les premieres Differtations , la Diftinction
du Bien & du Mal-moral , la Liberté
, & l'Immatérialité de l'Ame , la
Poflibilité de la Création , la Certitude
des Caufes- Finales. Voilà les fondemens
de la Religion Naturelle , qui fert d'appui
à la Religion Révélée , comme celle - ci
fupplée à l'infuffifance de l'autre. C'est ce
que l'Auteur développe dans la fixieme
Differtation.
La Religion Révélée fuppofe l'authenticité
des Monumens Eccléfiaftiques ? Elle
fuppofe encore que les Miracles font des
preuves inconteftables de la Révélation .
Les Differtations fuivantes roulent fur ces
objets importans. L'Auteur montre enfuite
que les premiers Chrétiens ont cru la
divinité
OCTOBRE. 1756. 12 I
divinité des Ecritures , & qu'ils tenoient
cette croyance de Jefus - Chrift & des Apôtres
.
Mais parce que l'incrédulité ſe plaint
qu'on ne lui oppofe que des témoins fufpects
de partialité ou de fanatiſme , on
fait voir que le témoignage des Auteurs
Payens ne pouvoit naturellement être plus
favorable qu'il l'eft à la caufe des Chré
tiens , & que c'eſt un excès d'injuftice d'accufer
nos Martyrs de fanatifme . On montre
encore que l'état des Juifs errants depuis
dix - fept fiecles , parle hautement en
faveur de la divinité des Ecritures & du
Chriftianifme .
Pour mettre le comble à toutes ces preuves
, l'Auteur démontre dans les Differtations
fuivantes , l'impoffibilité de la fuppofition
des Livres des Juifs , & l'antériorité
de leurs Prophéties aux événemens
qu'elles annoncent ; ce qui ne laiffe aucun
doute fur leur divinité. Il réfute enfin ce
que Spinofa , & d'autres ennemis des Livres
Saints ont débité contre ce Dogme.
On ne peut guere rien dire de nouveau
fur les preuves de la vérité du Chriftianif
me , & celles de la divinité des Ecritures
leur font intimement liées. On ne trouvera
cependant pas , en voyant les preuves que
l'Auteur a remaniées , qu'il doive être re-
F
II. Vol.
124 MERCURE DE FRANCE.
& les motifs des Potentats dans leurs projets
& leurs entreprifes , dans leurs guerres
, leurs Traités & leurs Alliances ; les
refforts qu'ils ont mis en ufage pour les
faire réuffir , les fuccès qu'ils ont eus ,
les obftacles qu'ils ont rencontrés , les fecrets
les plus intimes de leurs Cabinets ,
les anecdotes de leur Cour les plus intéreffantes
, le noud effentiel de toutes ces
chofes , leurs points les plus impercepti
bles , tout y eft mis au grand jour , tout
y eft développé.
L'Auteur , ajoute - il , ne donne point fes
rêveries & fes froides conjectures pour
des vérités , dans des réflexions puériles &
fans jugement : c'eft d'après les Miniftres ,
les Favoris , les Princes eux -mêmes , qu'il
nous inftruit.
Outre tous ces avantages , fon récit eft
conftaté dans une foule d'endroits , par les
pieces originales , telles que les Edits ,
les Arrêts , les Déclarations , les Manifeftes
, & c.
Quant à fa narration , elle n'eft jamais
retardée , par les defcriptions qu'il fait
des Marches , des Campemens & des Batailles
, ces defcriptions font toujours vives
, toujours rapides. Il ne réuffit pas
moins bien dans fes portraits , qui font l'expofition
la plus naturelle des difcours , des
C
2
น
OCTOBRE. 1756. 125
actions & des fentimens de ceux dont il
parle , qu'il fuit dans leur vie privée , &
dont il épie jufques aux geftes , aux fignes
& aux regards.
Cet Ouvrage , fera délivré non feulement
in- 12 , mais auffi in- 4°. Il y aura trente
fix volumes du premier format , & fix
du fecond. "
Il en paroîtra un in - 12 , de deux en
deux mois , c'eft-à-dire , fix par an. Le
premier fera remis aux Soufcripteurs , au
commencement de Décembre . La foufcription
ne fera ouverte que jufqu'au premier
Janvier pour Paris , jufqu'au premier Février
pour les Provinces , & jufqu'au premier
Mars pour les Pays étrangers. On
donnera 12. en foufcrivant pour les fix
Volumes. Ceux qui n'auront pas foufcrit ,
payeront 2 livres 10 fols par Volume. On
fouferira à Paris , chez Didot , Quai des
Auguftins , qui délivrera les Exemplaires
dans les temps marqués. On foufcrira auffi
chez tous les Libraires de l'Europe ,
L'ART d'imprimer les Tableaux , traité
d'après les écrits , les opérations & les inftructions
de J. C. Le Blon. A Paris , chez
Le Mercier , rue S. Jacques ; Nyon , quai
des Auguftins , & Lambert , rue de la Comédie
Françoife , 1756.
Fiij
726 MERCURE DE FRANCE.
La préface de l'Editeur nous apprend
que Charles-Chriftophe Le Blon , natif
de Francfort , Peintre , Eleve de Carlo
Marate , apporta il y a dix -huit ans cet
art en France ; qu'il en eft l'inventeur ;
que s'il a formé quelques Eleves , ils lui
font inférieurs : mais que fa pratique
eft confervée & peut être perfectionnée.
L'Ouvrage commence par un petit Traité
du Coloris , compofé par Le Blon , & traª
duit en François . On le donne tel qu'il à
été déja imprimé . Ce Traité eft fuivi des
Opérations néceffaires pour graver & imprimer
des Eftampes , à l'imitation de la Peinture.
Cette partie du livre nous a parú
très - bien faite. Nous croyons qu'on en
eft redevable à un Amateur éclairé qui
joint à l'exacte connoiffance de l'art le
louable defir de l'étendre , & qui n'épargne
rien pour y parvenir. Dans un court
avant- propos , il fait voir que cet art eft
un art nouveau contre l'opinion de ceux
qui lui difputent cet avantage . Pour le
prouver d'une maniere auffi fimple que
convaincante , il expofe fuccinctement la
gravure dans fes différens âges & dans fes
différens genres. Après les avoir parcourus
, l'Auteur conclut que les effets de la
gravure en maniere noire , combinés avec
les effets des trois planches de bois , du
OCTOBRE. 1756. 127
même deffein , dont parle Félibien , ont
fait naître les premieres idées de Le Blon.
Si perfonne avant lui , ajoute- il , n'a tenté
d'allier ces deux genres de gravure , doiton
lui refufer la qualité d'inventeur ? Il
eft donc certain qu'en empruntant de différens
côtés , Le Blon a réuni tout ce qu'on
peut defirer dans une Eftampe. Il avoit
dit plus haut que la gravure en couleurs
foutient la comparaifon du tableau , qu'elle
approche de la nature même , & que fi
l'ouvrage a été conduit avec toutes les
fineffes dont l'art eft fufceptible , il faut
un examen bien réfléchi pour prononcer
que ce n'eft pas l'ouvrage du pinceau.
Nous finirons ce précis en difant d'après
l'Auteur qu'on ne doit pas regarder comme
un foible avantage de trouver dans des
livres d'Anatomie , de Botanique , d'Hiftoire
naturelle , des Estampes fans nombre
, qui en apportant les contours , donnent
auffi les couleurs .
On avertit que fi quelque Artifte defire
travailler à la gravure en couleurs , on
peut lui donner autant de facilité pour
graver , imprimer & débiter , que fi le
privilege étoit accordé en fon nom ; il
faut s'adreffer à M. Viguier , Poffeffeur
de la moitié du privilege , rue de Bailleul
, derriere le Grand - Confeil , au Comte
de Provence. Fiv
128 MERCURE DE FRANCE:
MEMOIRES des deux dernieres Campagnes
de Monfieur de Turenne en Allemagne,
& de ce qui s'eft paffé depuis fa mort
fous le commandement du Comte de Lorge.
Nouvelle édition revue & corrigée :
un volume in- 12 , format ordinaire , bien
exécuté. Prix 2 livres 10 fols. A Paris ,
chez Jombert , rue Dauphine..
LETTRE
De M. Raulin , Docteur en Médecine , à
M. Vandermonde , Docteur Régent de la
Faculté de Médecine de Paris , Auteur
du Journal de Médecine. .
Vous
Ous avez donné , Monfieur , dans
votre Journal du mois d'Avril dernier ,
page 116 , un extrait de la Theſe que M. Danié
avoit foutenue aux Ecoles de Médecine
, le 29 Janvier de cette année , fur
l'ufage extérieur du Camphre avec le Mercure
pour guérir de la V... Il femble que
vous attribuez à ce Medecin la gloire de
cette découverte. Ne trouvez pas mauvais
que je réclame un remede qui m'appartient
à jufte titre ; puifque longtemps
avant que M. Danié le connût , je m'en
étois fervi heureufement dans ma patrie ,
pour étouffer , prefque dans fa naiffance ,
OCTOBRE. 1756 . 129
une maladie contagieufe & des plus redoutées
. Dès que je fus affuré par des guérifons
réitérées de fon efficacité dans les
maladies vénériennes , j'en donnai la compofition.
Je fuivis en cela le penchant qui
m'a toujours décidé pour le bien du public
. Peut- on avoir des motifs pour fe réferver
des connoiffances qui le regardent ?
La maladie qui s'étoit déclarée dans ma
patrie ( ) étoit celle qu'en Amérique ou
nomme le Pian. Elle eft cruelle de fa nature
, elle l'eft encore plus par fes progrès
rapides. Elle attaqua d'abord les nourrices
, & enfuite leurs nourriffons. On
fe fert ordinairement de Mercure pour
guérir le Pian mais craignant la violence
de ce Minéral pour de tendres
enfans , je m'appliquai à le purifier le plus
exactement qu'il ne fut poffible : je l'adoucis
enfuite en l'alliant avec le Camphre
, & je trouvai le moyen d'en faire
une pommade fpécifique dont j'obtins le
fuccès le plus heureux ; tous mes malades
guérirent radicalement & fans danger .
Hoffman & d'autres Médecins avoient
déja donné intérieurement le Mercure
avec le Camphre ; mais on n'en avoit pas
ajouté avant moi à la pommade mercu-
(1 ) Dans le mois de Juin 1752.
F v
130 MERCURE DE FRANCE .
rielle , & on ne l'avoit pas encore allié
avec le Mercure crud. J'écrivis exactement
mes obſervations fur ce remede ; je
les envoyai à Paris ( 1 ) pour les publier
avec plufieurs autres fur les différentes efpeces
de Phtifie , & principalement fur la
Pulmonie , fur l'abus du Lait , & c. Le Cenfeur
Royal y donna fon approbation le 2
de Juillet 1753 , & le livre fut imprimé
au commencement de l'année 1754. Les
Connoiffeurs s'applaudirent de cette découverte.
Plufieurs Medecins , un nombre
de Chirurgiens en profiterent : ils en profitent
encore à l'avantage du Public . On
en a fouvent fait l'éloge à S. Cofme , &
particuliérement M. Louis dans un ouvrage
( 2 ) fur différentes préparations de
Mercure que l'on tient fecretes. C'eft un
moyen affuré pour leur faire quelque mérite
.
J'avois promis dans mon ouvrage une
fuite d'obfervations fur ce remede ; je
m'acquittai de ma promeffe dans le mois
de Mai de l'année derniere . Je donnai
ces obfervations en forme de lettre (3 )
(1 ) Vers le mois d'Octobre 1752 .
(2) Imprimé à Luxembourg en 1754 , & fe
vend à Paris , chez Lambert , proche la Comédie
Françoife.
(3) Imprimée chez Delaguette , rue S. Jacques.
C
C
OCTOBRE. 1756. 131
adreffée à M. le Doyen de la Faculté de
Médecine.
Voilà , Monfieur , quels font mes titres .
Ils ont plus de quatre ans de date fur la
thefe de M. Danié , en comptant du jour
de la naiffance de la maladie . Ce Medecin
cite lui-même dans fa theſe , ma' differtation
fur le Camphre ( 1 ) , qui ne contient
autre chofe que l'alliage que j'en fais
avec le Mercure pour la cure des maladies
vénériennes , & les autres particularités de
cette découverte .
Je fais mortifié , Monfieur , que les
recueils de mes obfervations vous foient
échappés ; vous m'euffiez rendu la justice
qu'on doit attendre de votre candeur &
de votre impartialité . Mes vues fur ce remede
feront toujours remplies , puifqu'il
eſt bon : je n'en ai jamais attendu d'autre
avantage que celui qu'il procure à la fociété.
Il auroit fait plus de bruit fi j'euffe été
plus mystérieux ; mais j'aurois manqué à
mon état , au public & à mon caractere.
Cette compofition eft difficile ; elle exige
beaucoup de connoiffances , d'attention &
d'exactitude , fans quoi elle ne fçauroit
avoir toujours un fuccès égal. Je l'ai rectifiée
depuis mes dernieres obfervations.
(1) Imprimée en 1754.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
J'offre de communiquer à tous ceux qui
font en état de la faire & de s'en fervir ,
les corrections & les additions que j'y ai
faites elles font de conféquence . Je les
donnerai dans la feconde édition du livre
où le remede eft inféré.
J'ai l'honneur d'être , & c .
A Paris , le 8 Mai , 1756.
PROGRAMME
De l'Académie des Belles- Lettres de Montauban.
M. l'Evêque de Montauban ayant deftiné
la fomme de deux cens cinquante livres
, pour donner un Prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Acadé
mie des Belles - Lettres de cette Ville ,
aura fait le meilleur Difcours fur un fujet
relatif à quelque point de morale tiré des
Livres Saints , l'Académie diftribuera ce
Prix le 26 Août prochain , Fête de Saint
Louis , Roi de France.
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1757 , Les Grandes Ames font capa
bles d'émulation , fans être fufceptibles de ja -
loufie , conformément à ces paroles de l'écriture
fainte : Quam ( fapientiam ) fine
C
OCTOBRE . 1756 . 133
fictione didici , & fine invidia communico.
Sap. vii , 13 .
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propofé , d'éviter le ton de décla
mateur , de ne point s'écarter de leur plan,
& d'en remplir toutes les parties avec jufteffe
& avec préciſion .
Les Difcours ne feront , tout au plus ,
de demi-heure , & finiront toujours
que
par une courte priere à Jefus - Chriſt ,
On n'en recevra aucun qui n'ait une approbation
fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais feulement
une marque ou un paraphe, avec un paffage
de l'Ecriture fainte , ou d'un Pere de l'Eglife
, qu'on écrira auffi fur le regiftre du Secretaire
de l'Académie.
L'Académie a encore réfervé le prix de
1755 , & elle l'a deftiné de nouveau à une
Ode ou à un Poëme dont le fajet fera pour
l'année 1757 , L'Accord des Armes & des
Lettres chez les François.
Il y aura ainfi deux prix à diftribuer en
l'année 1757 , un Prix d'Eloquence & un
Prix de Poéfie.
L'Académie , en propofant une feconde
fois le même fujet aux Poëtes , invite
134 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui lui ont envoyé des Ouvrages , à
les retoucher avec foin , pour leur donner
le degré de perfection qui leur manque
par rapport à la propriété des termes ,
à la netteté de conftruction , & à l'exactitude
des rimes.
Les Auteurs feront remettre leurs Ou
vrages , dans le cours du mois de Mai prochain
, entre les mains de M. de Bernoy ,
Secretaire perpétuel de l'Académie , rue
Montmurat , ou , en fon abfence , à M.
l'Abbé Bellet , rue Cour- de -Toulouſe .
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préfente en
perfonne , ou par procureur , pour le recevoir
& pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secretaire trois copies bien lifibles de leurs
Ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte. Sans ces deux
conditions les Ouvrages ne feront point
admis au concours.
Le Prix de cette année a été adjugé au
Difcours qui a pour fentence : Soyez plutôt
Maçon , fi c'est votre talent. Defpr.
OCTOBRE. -1756. 135
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
PHYSIQUE.
Le Triomphe de l'Ether , par Olivier de
Villeneuve , Docteur en Médecine de
Montpellier.
Il n'eft
L n'eft prefque plus permis de faire mention
de l'électricité dans fes ouvrages.
C'eft , dit-on , une matiere ufée , & même
épuisée par M. l'Abbé Nollet , & par tous
les Sçavans de ce fiecle. Il eft bien plus honorable
de lui fubftituer l'Ether qui eft généralement
goûté , & qui eft proclamé par
tout le monde. Ce nom eft fi joli , fi court,
il plaît aux Philofophes , il eft plus doux à
prononcer , & moins équivoque que le feu
élémentaire ou l'électricité. Il eft plus confacré
dans les écrits des Sçavans , & par
conféquent moins fujet aux modes , aux
viciffitudes des temps. Il n'y a perfonne
qui n'accorde que c'eft l'Ether qui pénetre
rout , qui unit , qui défunit , qui anime ,
qui détruit , en un mot qui opere tout , &
136 MERCURE DE FRANCE.
que fans lui l'Univers ne feroit qu'une
maffe informe fans diftinction de parties. Il
ne s'agit donc plus que de fçavoir comment
ce principe agit , comment il entretient
l'Univers dans l'état où nous le voyons.
Qu'il me foit permis , avant que d'aller
plus avant , de rappeller ici ce que je dis
aux pages une & deux de mon Analyſe
imprimée. Je prévois ne pouvoir la rendre
publique qu'en détail , vu que fon impreffion
eft devenue étrangere par les foins
d'un de mes amis.
J'y dis que je penfe que le chaos que
Dieu tira du néant , n'étoit qu'un air éthéré
informe , & que pour arranger les portions
de cet air dans l'ordre où elles paroiffent
, il a fuffi que le fouverain Législateur
de toutes les créatures , pour les marquer
à leur coin , & pour les affujettir à une
durée patfagere , établit une diftribution
inégale de l'Ether , ce raréfiant univerfel.
On y lit que cette alternative de fupériorité
& d'infériorité , bornée par les efpaces
& par les temps, à laquelle cet air éthéré
fe trouve foumis par cette loi , défigne
bien la créature , & ne permet à aucun
homme fenfé de confondre un tel être avec
l'immenfe , l'éternel , l'immuable.
J'y expofe que cet air éthéré réduit à cet
état où nous le voyons , préfente à nos
OCTOBRE. 1756. 137
organes des rapports plus ou moins inégaux
, foit quant à la durée , foit quant
aux efpaces parcourus ; qu'une inégalité
alternative regne entre toutes les parties
qui compofent cet Univers , & que fans
qu'il foit toujours permis à nos fens de
l'approfondir , la raifon feule peut l'entrevoir
, fondée fur l'uniformité de la nature .
J'y ajoute que les maffes , les mouvemens
, les vîteffes réunis , font des objets
dont nos fens deviennent fufceptibles , &
que dès qu'ils font divifés ou difperfés ,
nos organes n'ont plus le même droit de
communiquer avec eux , ni d'en faire
leur rapport
à l'ame qui doit préfider à
leurs impreffions .
Ce feul extrait de mon Analyfe fuffit ,
ce me femble , pour qu'on reconnoiffe les
maffes , les mouvemens , les vîteffes auffi
anciens que le monde , auffi invariables
que la matiere elle-même , auffi durables
que le temps qui en eft la meſure , comme
ils le mefurent à leur tour.
Les lieux & les temps différens , où ces
maffes fe préfentent , où ces mouvemens
& ces vîteffes fe déclarent , ne font point
capables de leur donner un air de nouveauté.
L'on a publié , & l'on publiera toujours
des mouvemens des cieux & des planetes
annuels & diurnes , des mouvemens
138 MERCURE DE FRANCE.
organiques , fenfitifs & mufculaires. Toutes
ces dénominations ne prouveront jamais
que la matiere fe trouve pourvue dans un
temps d'un mouvement qu'elle n'ait point
eu dès fon commencement .
Le moteur de toutes chofes les a mus
après les avoir créés , & il ne meut plus
qu'autant qu'il conferve ce premier moavement
donné. Il a créé la matiere , & l'a
divifée par le mouvement dans ces porrions
qui ont été , qui font & qui feront
telles pendant la durée des fiecles. Il ne
paroît pas qu'il ait rien créé de plus , ni
qu'il ait donné de nouvelles parties à la
matiere. Il la conferve feulement , & il en
conferve les parties dans les différens rapports
fucceffifs , qu'on y a toujours obfervés
. De chercher un nouveau mouvement ,
c'eft vouloir renverfer la loi que Dieu a
établie au moment de la création 'pour la
durée des temps. Quelle est donc cette loi
invariable ? C'eft fans doute la diſtribution
inégale de l'Ether . S'il eft inégalement diftribué
, il doit jouir d'une fupériorité alternative
, laquelle ne confiftera que dans
fa feule furabondance .
Qu'on ne dife plus que l'Ether opere
tout , fi fa feule préfence accrue & augmentée
eft infuffifante pour produire les
effets ordinaires &
extraordinaires que
OCTOBRE. 1756. · 139
Dieu a foumis à nos recherches . Mais ,
ajoutera-t'on,qui eft-ce qui détermine cette
mafle éthérée à être plus grande dans un
lieu que dans un autre ?
La grande raiſon eft fon inégale diftri
bution , qu'on n'eft nullement en droit
de me contefter. L'Ether donc à chaque
inftant eft fupérieur dans un lieu & inférieur
dans l'autre , & cela fucceffivement.
Celui qui eft inférieur , peut oppofer , &
oppoſe effectivement la réfiftance , quoiqu'elle
foit vincible , à celui qui furabonde
à fon préjudice : il forcera même ſouvent
celui- ci de fe dévoyer en fa faveur ,
& par conféquent il l'affoiblira & le difperfera
, furtout fi la réfiftance qu'il oppofe
n'eft guere plus confidérable que celle
qui répond à fa premiere direction.
Il faut m'arrêter ici pour répondre à
ceux qui me demanderont en quoi confifte,
& d'où vient cette premiere direction de
l'Ether furabondant ? C'eft ici le noeud
Gordien fi je le réfous , je ne laifferai
plus rien à défirer.
Je fuppofe , & la diftribution de l'Ether
étant inégale , je crois pouvoir ſuppofer
une maffe éthérée plus abondante
que les collatérales . Celles - ci font raréfiées
par toute l'abondance dont elles jouiffent.
Leurs raréfactions réunies ou conti140
MERCURE DE FRANCE .
nues , oppoſent une réfiftance fuffifante
pour preffer & contenir l'Ether qui furabonde
, & pour le contraindre de s'étendre
& de s'alonger vers le lieu le plus
foible , & furtout vers celui qui répond à
la pointe du cône éthéré , qu'il eft forcé
d'affecter & de former par toutes les réfiftances
collatérales . La force de la pointe
de ce cône doit répondre à la force de fa
bafe , du centre de laquelle la maffè éthérée
a commencé à s'étendre & à s'alonger
pour tourner toute fa force contre un feul
point , moins capable de lui réſiſter invinciblement
. Un ballon pouffé & repouffé
par deux joueurs , la poudre refferrée dans
un canon & mife en feu , la riviere qui
paffe fous un pont , & mille autres exemples
femblables font des preuves auffi convaincantes
que viſibles du cône éthéré que
je fuppofe.
Cet Ether ainfi furabondant & devenu
victorieux de ce point , trouve enfin des
bornes à fa furabondance & à fa victoire ,
& alors ce cône éthéré fe trouvera ou détruit
ou renverfé. D'ailleurs cette furabondance
, à force de fe difperfer dans les
lieux où elle exerce fa fupériorité , fe
trouvant affoiblie jufqu'à être , ou de niveau
, ou inférieure à celle qui fe rencontre
au terme qu'elle a atteint , fe trouve
OCTOBRE . 1756. 141
contrainte , ou de mêler fa force avec celle
qu'elle a rencontrée , fi elle eft de niveau
avec elle , ou de ceder & de refluer autant
que ſon infériorité l'exigera..
Concluons donc que fi c'eft l'Ether qui
pénetre tout , que fi c'eft lui qui unit , qui
défunit , qui anime , qui détruit tout , il
n'a nullement befoin d'une caufe ultérieure
créée. Il fuffit qu'il y ait une loi invariable
à laquelle il foit tenu de fe conformer
, & c'est ce qu'il fait conftamment
lorfqu'il jouit de fa furabondance alter
native , foit visiblement dans le flux & le
reflux de la mer , dans toutes les circulations
, dans la diastole & la fyftole , dans
les vents contraires qui fe fuccédent , &c.
foit invifiblement dans l'air calme , dont
les parties s'entrepouffent & repouffent ,
fans que nous nous en appercevions , &
généralement dans tous les corps , tant ſo,
fo
lides que liquides , dont l'ébranlement continuel
n'eft nullement fenfible.
il
Que ,par exemple , à l'inftant A l'Ether
furabonde fenfiblement dans un lieu , quel
que grande qu'y foit fa furabondance ,
y rencontre fouvent , pour ne pas dire toujours
, des abondances inférieures , lef
quelles , quelque invincibles qu'elles
foient , jouillant des droits de leur réfiftance
, défuniffent ou difperfent tellement .
144 MERCURE DE FRANCE.
fition & pour participer à mon tout , dont
il peut devenir une partie : Serois - je fondé
à avancer qu'il n'y a aucune différence
de tems entre ce qui a influé dans mon
corps pour en former & dreffer toute l'économie,
& ce qui en fort ou qui en efflue
après avoir entretenu les opérations vitales
de ma machine ? Me feroit - il permis
de confondre ces trois moyens avec ce
quatrieme que la réfiftance de mon corps ,
on la réfiftance des parties qui le compofent
, contraint de rebrouffer chemin , de
reculer , de fe refléchir , de refluer , de céder
à l'impétuofité des effluences , & de fe
mêler avec elles pour faire ,, par une médiation
organique , un fidele rapport de
mon corps à l'ame de celui qui m'envifage
, & qui me reconnoît à mes traits ?
Non , fans doute. Ces termes ne fçauroient
être ni trop bien diftingués , ni trop peu
confondus . Ils ne font point nouveaux :
ils ont été ufités dans tous les tems , & l'on
n'a point voulu s'en fervir uniquement
pour régler les déterminations d'un mouvement
inaltérable , mais feulement pour
expliquer le commerce mutuel & réciproque
de corps à corps.
Le grand agent , le raréfiant univerfel ,
fi juftement appellé Ether , n'a qu'une
maniere d'agir qui confifte à raréfier
proportionnellement
LA
OCTOBRE. 1756. 145
proportionnellement à fon abondance.
Ou cette raréfaction prédomine de haut
en bas , & l'on y trouve la pefanteur des
corps , ou elle fe déclare plus puiffamment
de bas en haut , & elle annonce la légèreté,
ou enfin elle exerce fon empire dans un
fens qui tient plus ou moins le milieu entre
la légèreté & la pefanteur , & alors fa
force fe manifefte dans une ligne plus ou
moins moyenne , plus ou moins horizontale
, fuivant qu'elle participe plus ou
moins de la légèreté ou de la pefanteur .
Quoique tous les effets de la nature ,
fans en excepter un feal , concourent à démontrer
l'explication générale que j'en
donne , je choifis par préférence un canon
que l'on tire. Il nous explique le jeu de
l'Ether d'une maniere bien convaincante.
La poudre eft telle qu'elle fe prête aifément
à la furabondance de l'Ether , jufqu'à paffer
à l'exploſion : fa raréfaction extrême
exerce, autant qu'elle peut, fon empire dans
tous les fens fur toute la maſſe du canon :
elle le raréfie , elle l'échauffe , elle en dilate
le calibre , elle le fait reculer , elle en
défunit les parties autant que fa force le
lui permet ; mais l'Ether qui entretient
l'union des parties du canon , par une raréfaction
déclarée de haut en bas , & de
leur circonférence à leur centre , oppoſe la
II.Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
raréfaction gravitante qu'il produit à celle
de la poudre , & celle- ci eft obligée de
céder & de s'étendre par la bouche du canon
, parce qu'elle y trouve beaucoup
moins de réfiftance ; après quoi & pendant
fa fupériorité fur les réfiftances vincibles
qu'elle rencontre dans l'air , elle enleve le
boulet qui n'y réfifte pas tant que le canon,
& elle communique à l'air d'abord la lumiere
, & enfuite le bruit.
Ce boulet emporté ne feroit-il pas une
fidele image du mouvement propre & périodique
des planetes ? Penfe -t'on qu'il
faut deux agens différens pour deux effets
auffi femblables dans le fonds ? Qu'une boule
avance en roulant doucement , ou qu'elle
foit tout- à - coup enlevée , on reconnoît
feulement plus ou moins de force employée
pour ces deux progreffions ; mais
on ne penfe nullement à imaginer deux
caufes de nature différente . Il n'y a donc
point plufieurs cauſes pour déterminer tel
ou tel mouvement , il n'y en a qu'une qui
eft la préſence de l'Ether , plus ou moins
abondante toutes fes variétés , fi l'on en
peut fuppofer , fe prennent des lieux &
des temps où fa furabondance fe déclare
avec plus ou moins d'efficacité. Toutes les
combinaiſons qu'on en peut faire , & aufquelles
on doit fpécialement s'appliquer ,
:
3
C
OCTOBRE. 1756. 147
fe rapportent à fon alternative de fupériorité
& d'infériorité , inféparable de la diftribution
inégale qu'en a faite fon fouve- :
rain Législateur. Le détail de fes opérations :
fe réduit à une action qui n'a jamais crû
& qui ne croîtra jamais.
C'eft ici une belle occafion de développer
ma penſée , & d'expofer avec autant de netteté
que de précifion , comment l'Ether
unit & défunit les parties d'un corps , comment
il appefantit & allege ce corps , comment
il l'anime & le détruit , comment il
en procure & fufpend la progreffion , comment
enfin il opere toutes les merveilles
dont nous fommes les témoins. On fe fait
un myftere de toutes ces qualités , de toutes
ces opérations corporelles , & je ne
vois rien de plus aifé à comprendre , pourvu
qu'on ne s'écarte jamais de la fimplicité
& de l'uniformité de la nature.
Pour procéder avec méthode , je fuppofe
une boule d'un certain volume , d'un poids
donné, & d'une matiere alternativement fufceptible
de toutes les impreffions de l'Ether.
Si l'Ether raréfie les parties de cette boule
de leur circonférence à leur centre , avec
une certaine égalité modérée & proportionnée
à la nature que nous lui attribuons
, il eft aifé de comprendre une
union plus ou moins grande , dont les dif
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
férens degrés nous découvrent ceux des
différentes folidités. Ces parties , ainfi
réunies & raffemblées de la circonférence
au centre , rendent la boule qu'elles compofent
, parfaitement d'accord avec tous
les corps qui jouiffent d'une réunion à peuprès
égale : fi elle effuie quelque inégalité
naturelle pour l'affujettir à cet accord fans
aucun préjudice remarquable à l'union de
fes parties , c'eft de la part de l'Ether qui
lui eft fupérieur ; & cette prééminence fe
déclarera vifiblement de haut en bas , dès
que cette boule fera abandonnée à un air
libre. La pointe du cône éthéré fupérieure ,
doit faifir plus puiffamment le point le plus
élevé de l'hémifphere fupérieur de cette
boule. Il le vaincra , il l'enfoncera , il le
rapprochera , & fucceffivement les points
voifins , d'un centre qui leur eft conimun .
Ici il formera une nouvelle baſe où fa force
fe raffemblera pour vaincre plus facilement
les parties antérieures de cette boule : cette
influence nouvelle deviendra victorieufe
de leur centre , & s'étendant delà vers
le point de l'hémisphere inférieur qui
répond au centre de cette nouvelle bafe ,
il dégénérera en une effluence également
victorieuſe de l'air qui environne l'hémifphere
inférieur. Cette détermination de
haut en bas , qui conftitue toute la pefanOCTOBRE.
1756. 149
teur , ne paroîtra ceffer que lorfque cette
boule fera plus efficacement foutenue par
les corps qui jouiffent d'une union , ou
d'une pefanteur à peu près égale à la fienne.
Si l'on convient que l'Ether eft toujours
inégalement diftribué , fi l'on convient
enfuite qu'il furabonde également vers
deux points oppofés de la boule en queftion
, l'on conviendra de même que cette
furabondance ne fçauroit fe déclarer qu'en
partageant la boule en deux hémifpheres.
Si cet Ether furabonde vers deux ou plufieurs
points d'un des hémiſpheres , & fi
la progreffion peut avoir lieu , celle ci fera
autant compofée que l'eft la furabondance
qu'on fuppofe.
En un mot , fi cette boule refte plongée
dans une abondance d'Ether ordinaire ,
dont les effluences puiffent , fans trouble ,
fans confufion , fans obftacle , dégénérer
en des influences proportionnées , les parties
de cette boule conferveront entr'elles
tous les rapports , dont on fait dépendre
telle ou telle nature corporelle ; fi au contraire
, cette boule fe trouve extraordinairement
affaillie, pénétrée de toutes parts , fi
elle eft plongée dans une abondance d'Ether
infolite , les furabondances alternatives
de cet Ether ne brilleront que par
défunion fucceffive des parties de cette boula
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
le , que par leur liquéfaction ou diffolution
allégeante, laquelle ceffera peu- à- peu,
à proportion qu'on l'expofera à un air
libre , plus fufceptible de la raréfaction
liquéfiante ou diffolvante , que ne l'eſt la
boule elle-même.
Dans toutes les opérations des corps , en
quelque fens qu'elles éclatent, on doit avoir
égard à la fucceffion des temps, & des eſpaces
. L'action , de quelque corps que ce puiffe
être, fe trouve tantôt raffemblée , & réunie,
tantôt difperfée & multipliée , tantôt victorieufe
, tantôt vaincue , & toujours elle
répond aux parties du temps & de l'efpace
dont nous nous fervons pour la meſurer &
Teftimer. Si , par exemple , elle parcourt
un certain efpace au premier inftant , &fi
elle reprend la même route dans l'inſtant
fuivant , on l'appellera action & réaction ,
eu egard à l'efpace , & premiere & feconde
action, cu égard au temps. Si après avoir été
réunie au premier inftant, elle fe trouve difperfée
au fecond , elle préfentera un repos
prétendu dans celui - ci , & dans celui - là l'on
criera au mouvement nouveau ! l'on s'empreffera
même de mefurer la maffe & la
vîteffe , pour en faire une jufte eſtimation.
Voilà où conduifent la prévention & le
préjugé contre le mouvement perpétuel ;
voilà où conduit le temoignage des fens
OCTOBRE. 1756. ISI
lorfque la raifon en fait fon unique regle
pour les découvertes & pour fes connoiffances.
Le goût de ce fiecle paroit être ,
que , pour raiſonner d'un Art , il faille
pofféder cet Art. Pour moi j'avouerai ingé-
-nuement que je n'ai nulle adreffe pour
pour devenir
Horloger ; j'avouerai même , fi l'on
veut , que pour être univerfel , il faut
pofféder tous les arts , du moins éminemment.
Si j'étois plus jeune , & fi je pouvois
m'en faire un magafin à l'appui de l'Encyclopédie
, je tâcherois de me remplir de
toutes fes connoiffances : mais mon âge ne
me permet pas d'y penfer , & ne m'infpire
point affez d'humilité pour avouer mon
ignorance fur la valeur d'un reffort ou fur
celle de fon jeu. L'Ether en difpofe autant
que de la premiere action qui les a mis en
exercices. Les parties d'une montre, qui ont
été rapprochées ou éloignées de leur centre
par la premiere action , s'en éloignent ,
ou y retournent par la feconde , de même
que le canon , qui a été dilaté par la poudre
, revient à fon premier état.
Je défigne le premier mouvement , qui
enflamme , pour ainfi parler , le canon ,
par une raréfaction centrifuge ; & le fecond
, qui le retablit dans fa premiere
forme , par une raréfaction centripete. Je
permets de ne point adopter ces expreffions,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE
pourvu qu'on m'en fourniffe d'autres qui
expliquent plus clairement le jeu de l'Ether
, & qui répondent plus exactement à
la fimplicité , & à l'uniformité quela nature
affecte dans toutes fes productions.
Il eft , ce me femble , bien facile d'atteindre
à la Phyfique corpufculaire par
le fecours de ces deux raréfactions , dont
l'alternative fe préfente tous les jours à nos
yeux , pour nous convaincre de la néceffité
de les admettre . Tantôt l'Ether contient ,
réunit , & preffe les parties d'un corps les
unes contre les autres, & les rapproche par
conféquent d'un centre qui leur eft commun
, tantôt il les défunit , les degage
de la preffion qu'elles fouffroient auparavant
, & les éloigne conféquemment du
centre auquel elles paroiffoient afſſujetties.
De quelque maniere que cette alternative
s'exerce , foit que nous confidérions
la raréfaction centrale comme la premiere
, foit que nous ne l'eftimions que la
feconde , cela ne change rien à la puiffance
de l'Ether cela ne peut nullement nous
autorifer à lui refufer la prérogative de
caufe premiere créée , au delà de laquelle ,
ni les microſcopes , ni les feux chymiques
ne nous mettront en état de rien découvrir.
Toute la Phyfique donc , quelque étendue
qu'on veuille lui donner fur la terre &
OCTOBRE. 1756. 153
dans les cieux , fe réduira à faire une jufte
application de ce principe , de ce raréfiant
univerfel , à toutes les opérations qui en
dépendent.
MEDECINE .
LETTRE adreffée à M. Sauvage fur
fon Systême au sujet de l'origine de la puiffance
du coeur; par le fieur Peffault- de la
Tour , Docteur - Médecin de la Faculté
de Montpellier.
Monfieur , après avoir lu votre réponſe à
MM.les Journalistes de la Bibliotheque raifonnée,
fur votre fyftême de l'origine de la
puiffance du coeur , inférée dans le Journal
de Médecine du mois d'Août dernier , je
pris la liberté de vous propofer dans le
temps quelques doutes à ce fujet, & de les
adreffer à M. Vandermonde , Auteur de
ce Journal : mais m'ayant répondu qu'il
s'étoit fait une loi de n'inférer dorénavant
dans fes recueils que des faits d'obfervation
, fans y admettre les pieces de pure
théorie , j'ai choifi la voie du Mercure ,
pour vous prier , Monfieur , de vouloir
bien me permettre de douter dans cette
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
circonftance , & de vous demander quelques
éclairciffemens à ce fujet . Ayant l'honneur
d'appartenir à la faculté de Montpellier
, & ayant eu celui d'y foutenir entr'autres
ma thefe de Bachelier , le ;3 Décembre
1736 , fous votre direction , j'ai
d'autant plus lieu d'efpérer que vous ne
dédaignerez pas votre ouvrage , & que
vous voudrez bien continuer d'inftruire
celui qui fe fera toujours gloire d'être
votre écolier. J'avoue que je n'ai pu pénétrer
votre differtation avec une fagacité
relative à l'érudition qu'elle renferme , &
que je me croirois trop heureux fi vous
vouliez defcendre jufqu'à moi pour me
délivrer de mes incertitudes & recevoir
avec bonté les différens doutes qui me déconcertent
fur l'origine du mouvement du
coeur & des autres parties du corps , tant
humain que purement animat ; mouvement
que j'étois fi fort éloigné d'attribuer
à l'ame, que je regardois au contraire celleci
, ( en temps qu'humaine ) comme lui
étant fubordonnée en quelque façon : voici
comme je raiſonnois .
Dieu en créant toutes chofes , a créé le
mouvement qui , comme la matiere fans
laquelle il ne peut fubfifter , eft fufceptible
de toutes modifications & proportions.
11 eft plus fort , plus prompt , plus lent
OCTOBRE . 1756. 155
plus étendu , plus égal & plus conftant
dans certains corps que dans d'autres ; il
dépend en un mot des difpofitions actuelles
de chaque mobile en particulier. Cet
agent général fe communique aux êtres
matériels fuivant leur nature . Aux uns il
devient fi néceffaire que fans lui , ils cefferoient
d'être ce qu'il a plu au Créateur
qu'ils fuffent ; aux autres il devient accidentel
feulement , parce qu'il n'eft point
inféparable de leur maniere d'exifter. De
ce principe , je concluois que l'homme &
la brutte étoient mus par la même cauſe ,
& que l'ame dans l'homme ne fuppofoit
pas plus le mouvement que le mouvement
fuppofe l'ame dans la bête. De plus fi
l'ame étoit la motrice des corps vivans , il
faudroit pareillement l'admettre dans les
bruttes avec toutes les facultés que nous ,
lui connoiffons , & qui lui font uniquement
attribuées , telles que la volonté , la
faculté d'agir ou de ne point agir , enfin
la liberté. Après cela , quelle différence
mettroit- on entr'elles & nous ? Ne feroitce
pas faire injure à Dieu que de borner
fa puiffance au point de ne pouvoir imprimer
le mouvement aux corps de ces animaux
, fans leur donner une ame qui en
foit le principe , pour être enfu te dans la
néceffité de l'anéantir ce qui entraîne-
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
roit après foi les conféquences les plus dangereufes.
En effet , je vois tous les jours
certains hommes réduire leurs femblables
à l'admiration de leurs ouvrages fans les
comprendre ; ouvrages qui ne font le plus
fouvent que le fruit de la plus fimple invention
, & je ne pourrai me perfuader
que celui qui a tiré tout du néant , n'a pu
créer les bêtes purement matérielles ? Ce
feroit fans doute manquer au Créateur , à
la Religion & à foi- même , que de penfer
ainfi.
Toujours en butte aux féductions de
l'efprit borné par les fens , je retombois
auffi - tôt dans les illufions que je prétendois
combattre , & l'impoffibilité où j'étois
de comprendre comment la matiere douée
uniquement du mouvement , pouvoit opé
rer des chofes fi merveilleufes , me jettoit
dans les perplexités les plus grandes . Tantôt
je recourois à l'inftinct ; mais ce mot
me paroiffoit auffi peu fatisfaifant
que celui
du hazard : tantôt je m'imaginois qu'il
pouvoit y avoir une fubftance qui tenoit
le milieu entre l'efprit & la matiere , &
tout de fuite je m'appercevois que je tomboisdans
le ridicule de ceux qui aiment
mieux déraifonner que de convenir de
bonne foi de leur infuffifance .
Je confidérois donc l'ame comme une
OCTOBRE. 1756. 157
fubftance fimple , inaltérable , ou , pour
mieux dire , indeftructible , n'étant point
matière incapable par conféquent de produire
par elle- même aucun mouvement
qui , de quelque efpece qu'il foit , ne peut
s'opérer que par le contact ou le choc mutuel
des corps , & je n'attribuois à cet
être raisonnable , penfant , capable d'amour
& de haine , dont les defirs font
fans bornes , que la liberté feulement de
régler fes affections par un confentement
toujours libre pour lebien ou pour le mal,
fur les différentes impreffions qui lui
étoient tranfmifes par les fens qui font entiérement
foumis aux loix de la méchanique
& du mouvement ; liberté cependant
dont elle ne jouit en tant qu'humaine
, qu'autant que l'organiſation n'eſt pas
dérangée effentiellement.
On m'objectoit fouvent que l'ame devoit
être du moins la caufe efficiente des
mouvemens que l'on appelle volontaires :
mais je niois cette propofition , tant par les
raifons ci-deffus , que par celles qui fuivent
, & je foutenois qu'il étoit plus juſte
de penfer que l'Auteur de toutes chofes
ayant fait des loix dans fa fageffe , il n'étoit
pas fenfé que cet Etre immuable changeât
les propriétés des chofes au gré de
fes créatures ; que l'efprit fait uniquement
158 MERCURE DE FRANCE .
pour penfer , pour connoître , pour aimer,
&c , n'étoit point fait pour remuer des
corps , ni pour en être mu ; que fi les
mouvemens prétendus volontaires accompagnoient
le plus fouvent la bonne ou
mauvaife intention de l'ame , il ne falloit
pas conclure pour cela qu'ils fuffent le
produit de fon action , avec d'autant plus
de raifon que ces mêmes mouvemens ne
s'exécutent pas toujours de fon confentement
, ni au gré de fes defirs , puifqu'ils
s'exécutent toujours conformément à l'impreffion
& l'état actuel de la partie foumife
aux loix de la méchanique. S'il en
étoit autrement , les hommes dont les
parties feroient bien organifées , devroient
au premier coup d'effai faire des
chefs- d'oeuvres dans les Arts méchaniques
au moment qu'ils en concevroient les
regles . Nous voyons cependant le contraire
tous les jours dans ceux qui raifonnent
le mieux & exécutent fort mal. Pourquoi
donc , difois- je , fi l'ame eft la motrice
des doigts , ne leur fait- elle pas exécuter
fur le violon , dès la premiere fois , une piece
de Mufique avec une précifion relative à
la connoiffance qu'elle a de cet Art , & c.
C'eft ainfi , Monfieur , que je penfois
avant d'avoir lu votre fçavante Differta
tion. Mais vous traitez cette matiere avec
OCTOBRE . 1756. 159
tant de fublimité & de profondeur , juſqu'à
donner même les définitions les plus probables
à certaines chofes qui n'en avoient
point eu jufqu'à vous , que fans être entiérement
convaincu , ou , pour mieux dire ,
inftruit , je ne puis m'empêcher de refpecter
& d'admirer les raifons que vous
donnez à Meffieurs les Journaliſtes de la
Bibliotheque raifonnée , fur les objections
qu'ils vous font à ce fujer ; objections dont
je ne puis me difpenfer de faire un précis
pour paffer enfuite aux réponfes que vous
y faites , afin de vous propofer les légeres
réflexions qui donnent lieu à quelques
doutes auxquels je tiens encore à cet égard .
La principale objection eft que fi l'ame
étoit véritablement le principe effentiel
des mouvemens de fon corps , elle devroit
connoître le nombre des mufcles & des
vaiffeaux , la quantité du fluide qui y circule
, les degrés de force & d'accélération
qui conviennent , enfin tout ce qui eſt néceffaire
pour effectuer telle ou telle action .
Or , eft- il qu'elle ignore toutes ces chofes,
que le tout au contraire fe met en jeu à
fon infçu , & très - fouvent même contre fa
volonté donc l'ame n'influe pas comme
cauſe néceffaire fur les mouvemens de fon
corps.
Vous répondez à cela , Monſieur , qu'il
160 MERCURE DE FRANCE.
en eft de l'ame à l'égard de tous ces détails
, comme d'un Peintre qui dirige fon
pinceau avec tant de jufteffe , qui contracte
avec tant de préciſion les muſcles
thénar , antithénar qui conduifent ce même
pinceau , & trace avec plus d'exactitude
qu'un compas le contour d'une joue ,
nuance fes couleurs avec plus d'art & plus
d'éclat que n'eût fait Newton , & qui, indépendamment
de l'attention que femble
exiger de tels ouvrages , chante & raifonne
de toute autre chofe : il en eft ainfi
de la plupart des gens à talent.
L'on fe rendroit volontiers à ces raifons
de convenance , qui paroiffent auſſi
frappantes que naturelles , fi les Arts n'étoient
le produit de l'étude & de l'exercice.
Par exemple , que je queftionne ce
Peintre ou autre Artifte fur ce qu'il fait &
fur les regles de fon Art , il n'eft pas douteux
qu'il me répondra fuivant l'étendue
des connoiffances qu'il aura à cet égard , &
non au-delà : mais que je le queftionne fur
les particularités des mouvemens de fon
corps , fur la jufte fituation de chacune de
fes parties , fur leur nombre , leur ufage ,
& c, je fuis bien fûr qu'il reftera court. Ce
n'eft donc qu'à l'étude , à l'exercice , aux
connoiffances qu'il a de fon état , & à la
liberté relative qu'il a de pouvoir l'exercer ,
OCTOBRE. 1756. 161
que l'on doit attribuer le fuccès de fon Ouvrage
, qui pour lors ne l'affujettit pas à la
même application que dans les commencemens.
Il n'en eft pas ainfi de l'ame vis- àvis
des mouvemens en queftion , puifqu'ils
s'exercent encore une fois la plupart du
temps à fon infçu , contre fa volonté , &
fans qu'elle puiffe en donner aucune raifon.
Fondé fur le grand principe que les
effets font proportionnés à leur caufe, vous
refufez abfolument de reconnoître dans les
animaux pour caufe du mouvement augmenté
en conféquence de l'inflammation
& de la fievre , l'irritation que Bellini appelle
ftimulus , l'aiguillon . Pour cet effet ,
vous produifez un calcul dans lequel vous
pefez d'un côté la force du coeur , & de l'auire
la vîtelle qui doit refter au fluide nerveux
à une diſtance fi grande du coeur , &
la maffe fi prodigieufement inférieure de
ce fluide à celle du fang des arteres : par
ce calcul vous prétendez qu'il n'y a point
de méchanique qui puitle retrouver dans le
fluide nerveux une force égale à celle que
le coeur emploie à pouffer le fang dans le
corps d'un animal vivant . Par conféquent ,
felon vous , l'ame agit de façon à fuppléer
au défaut de la méchanique. Quelque fçavant
que foit ce raifonnement , & quelque
relatif qu'il foit au principe qui en fait la
1262 MERCURE DE FRANCE.
裟
-baſe , vous me permettrez , Monfieur , de
vous repréfenter qu'il fe peut faire que , féduit
par l'étendue de vos connoiffances ,
ce même principe ne foit pas tel que vous
le fuppofez dans le corps des animaux , chez
qui tous les mouvemens s'exécutent conformément
aux loix générales , quoique
le modus ait échappé jufqu'à préfent aux
recherches les plus exactes : il n'eſt pas
même croyable que cela foit autrement ;
& quoiqu'il s'y opere certains effets dont
on ne connoît pas la caufe au jufte , l'on
ne doit pas pour cela fuppofer qu'elles
-leur foient difproportionnées. Les réponfes
que MM. les Journaliſtes ont faites à
cette objection , en citant les effets furprenans
de la roue électrique , la grande explofion
qui fuit du mêlange de l'huile de
girofle à celle de térébenthine , & c , me
fourniffent occafion de propofer des exemples
qui ont plus de rapport au fujet , tels
que font les effets de la paralyfie avec la
caufe qui la produit , ceux qui réfultent de
la piquure d'un tendon , ceux qui fuivent
l'introduction d'un virus quelconque dans
la maffe des liqueurs , comme l'inoculation
de la petite-vérole , le venin de la
vipere , celui de la rage , & tant d'autres
*qui paroiffent furpaffer d'une maniere incompréhenfible
les caufes qui les produiOCTOBRE.
1756. 163
fent,fans cependant qu'il puiffe y avoir aucune
difproportion , puifqu'ils font purement
méchaniques . De plus , il eft démontré
que certaines conditions jointes aux différentes
cauſes , contribuent aux effets plus
ou moins grands. Je m'explique , & je dis
qu'un gros de poudre à canon comprimée ,
opérera un effet beaucoup plus confidérable
qu'une once qui ne le fera pas ; qu'une
feule corde d'inftrument bien tendue
raifonnera plus elle feule qu'une douzaine
d'autres qui feront relâchées , quoiqu'elles
foient froiffées & agitées par la même caufe
égale en tout de même le fluide nerveux
, quoique bien inférieur en maſſe à la
quantité du fang des arteres, & en vîteſſe à
la force du coeur , produira néanmoinsles
effets les plus furprenans , fi la tenfion
d'où dépend l'irritabilité des fibres
nerveuses, eft portée à un certain point par
quelque caufe que ce foit , ainfi qu'on l'éprouve
dans les convulfions hystériques ,
&c.
Sans répéter les expériences qui ont
été faites fur le coeur de la grenouille , fur
le chien & autres animaux , & fans rappeller
les objections que vous vous faites à
vous-même , permettez-moi , Monfieur , de
revenir à votre fentiment au fujet des arteres,
qui, felon vous , ne doivent pas fe ref164
MERCURE DE FRANCE.
ferrer à proportion qu'elles fe dilatent , &
que leur fyftole ne devroit , fuivant les
feules loix du reffort , que fe rapetiffer ,
quand les vaiffeaux ont été beaucoup diftendus
par le fang , à moins qu'une caufe
étrangere , par laquelle vous entendez
l'ame , ne leur ordonne de fe rétrecir ,
voulant dire par-là que la fyftole des arteres
ne doit point être égale à leur dyaſtole ,
par la raifon que les corps à reffort de
quelqu'efpece qu'ils foient , ne rendent
jamais le même degré de mouvement ,
lorfqu'ils fe rétabliffent , que celui qu'ils
ont reçu. Par exemple , le verre qui eft le
corps le plus élastique , perd la fixieme
partie du mouvement qui lui a été communiqué
, & l'yvoire qui eft auffi un
corps fort élaftique , en perd la treizieme
partie. Donc l'élafticité des fibres du coeur
n'eft pas fuffifante à l'entretien de fon mouvement
; & comme le mouvement du
pouls dans toutes les fievres eft plus fréquent
& plus grand que l'état actuel des
forces mufculaires ne femble le permettre ,
il faut donc , felon vous , de toute néceffité
, conclure que l'ame y fupplée , & que
tous les mouvemens fébrites ne font autre
chofe que les efforts qu'elle fait pour furmonter
ce qui la révolte . C'eft ainfi , Monfieur
, que vous vous expliquez dans la
Ca
野
OCTOBRE . 1756 . 165
Theſe que vous compofâtes fur la fievre ,
& que vous fîtes foutenir à Montpellier
au mois de Juin 1738.
Il eft vrai que , toujours conduit par la
jufteffe de votre génie , vous tirez les con
féquences les plus conformes aux différens
principes que vous établiſſez : mais ne
peut il pas fe faire encore une fois que
les chofes ne foient pas telles que vous
les fuppofez ? & tant que la caufe & les
conditions font les mêmes , l'effet ne doitil
pas s'enfuivre ? La montre , par exemple
, qui n'eft que l'ouvrage de l'homme ,
n'eft-elle pas affujettie aux loix du reffort ,
& indépendamment ne continue - t- elle pas
fes battemens tant & fi long- temps que le
reffort eft tendu , s'il ne font fufpendus
par quelqu'accident ? & fi cette fimple
machine a befoin d'être montée dans certains
temps , les animaux de leur côté
n'ont-ils pas befoin pareillement de renouveller
leurs forces & leurs mouvemens ,
par les alimens & autres moyens qui contribuent
à leur confervation ?
A l'égard du mouvement du pouls qui
dans toutes les fievres eft plus grand &
plus fréquent que l'état actuel des forces
mufculaires ne femble le permettre , j'avouerai
ingénuement que j'ai peine à me
rendre à cette propofition dans tous fes
166 MERCURE DE FRANCE.
que
la
chefs , lorfque je confidere furtout
grandeur du pouls & fa fréquence , font
en tout temps proportionnées à celle du
coeur qui eft un muſcle. Si dans le cas de
la fievre , la force & l'agitation du coeur
& des arteres furpaffent celles des autres
muſcles , ne pourroit- on pas dire que c'eſt
par la puiffance du ftimulus, dont la répartition
eft pour lors inégale , & agit avec
beaucoup plus de violence fur les nerfs du
coeur que fur les autres mufcles , vis - à - vis
defquels il diminue à proportion par les
raifons que j'ai alléguées ci - deſſus ?
Enfin , Monfieur , ne pourroit- on pas
conclure de tout ceci que le mouvement
eft le propre unique de la matiere , puifqu'il
ne confifte que dans la tranfpofition
des corps ? tranfpofition qui eft effentielle
aux uns & accidentelle aux autres , que
l'on pourroit confidérer comme un des attributs
de leur création , & dont l'ame
n'eft pas plus le principe qu'elle eft le
principe d'elle - même. Car fi cette fubftance
fpirituelle avoit la propriété de :
changer de place le plus petit atome , elle
pourroit pareillement remuer toutes les
maffes fans diftinction , parce que n'étant
pas d'une nature à être foumife aux loix
de quelque méchanique que ce foit, elle ne
fe feroit pour lors affujettie à aucune pro-
1
OCTOBRE 1756. 167
portion de la matiere , & fur cela fon
voir égaleroit fes defirs .
pou
Permettez- moi donc , Monfieur , jufqu'à
ce que vous ayez bien voulu me remettre
dans une voie plus fûre , de recourir au
principe de tout principe , qui eft Dieu .
In ipfa enim vivimus , movemur &fumus.
S. Paul.
J'ai l'honneur d'être , & c.
PEFFAULT- DE LA TOUR.
A Beaufort en Anjou , le 1 Juillet 1756.
CHIRURGIE.
OBSERVATION d'une tumeur enkiftée
au lobe droit du poumon.
LE Corps humain eft la machine animale
, fans contredit , la plus digne de
notre admiration . La nature merveilleufe
dans l'ordre & l'harmonie qu'elle garde
en fes productions , fe diftingue dans celleci
: mais quelque perfection & régularité
qu'elle ait donné aux différens refforts
qui la font agir , elle ne l'a pas néanmoins
mife hors d'atteintes à mille accidens qui
peuvent la troubler dans fes fonctions. Un
affez grand nombre ne nous eft déja que
trop connu tous les jours il en naît de
168 MERCURE DE FRANCE.
nouveaux. En voici un affez rare digne de
notre attention.
Il s'agit d'une tumeur finguliere enkiſtée
au lobe droit du poumon , inhérente à
fon bord poftérieur par un pédicule affez
flottant , groffe comme la tête d'un lievre,
imitant fa figure irréguliere dans fa furface
, formant un tout compofé d'une infinité
de petites lames , les unes fphériques
, les autres angulaires , racornies , &
plus que cartilagineufes , entaffées par couches
fur d'autres plus denfes , plus compactes
& moins friables. Vers le centre de
la tumeur on découvroit un noyau toutà
- fait offifié , de la groffeur d'un oeuf de
pigeon : chacun de ces petits calculs difperfés
dans toute fon étendue , étoit renfermé
avec art dans une capfule formée
par les replis du tiffu interlobulaire dont
parle M. Helvetius , & leurs interftices s'en
trouvoient tapiffées de même que les anfractuofités
du cerveau , le font de la lame
interne de la pie-mere. J'en tirai une
liqueur lymphatique , concrete & polypeufe
, occupant les fillons de cette efpece
de labyrinthe , qui par l'ébullition devint
dure comme de la corne ; d'où on peut
préfumer que l'humeur bronchique épaiffie
& defféchée, abeaucoup eu de part à la
formation de la tumeur. Mais il me paroît
bien
OCTOBRE. 1756. 169
bien difficile d'expliquer le quomodo , d'en
raifonner pathologiquement , d'affurer fi
c'eſt par la ftafe de cette liqueur devenue
immuable dans les filtres de fes glandes, ou
par fon amas dans les cellules bronchiques,
affez confidérable pour étendre le follicule
de chaque lobule du poumon , fi
c'eft enfin par fon épanchement dans celles
du tiffu interlobulaire . S'il eft permis ici
de hazarder quelques conjectures , je crois
qu'il feroit plus - plaufible de dire que du
fuc verfé par les émiffaires des glandes
bronchiques dans les cellules qui forment
chaque lobule , la partie la plus tenue
étant réforbée par les embouchures veineufes
qui s'y abouchent , la plus groffiere
a dû y être retenue , s'y accumuler infenfiblement
par fa paffion continuelle des
canaux aériens fur les glandes , dans l'inf
piration de forcer les parois de certains
lobules pour former la maffe dont il s'agit,
& le frottement fucceffif du poumon où
Pinflammation peut- être avoit précédée ',
l'action de ce foyer fur le fluide lymphatique
difpofé à s'endurcir par la chaleur ,
ont dû le laiffer à fec en le rendant plâtreux
, auſtere & offeux ; qualités qui font
le caracterede la tumeur. Mais je ne puis ,
fans trop m'avancer , affeoir un jugement
pathognomon ique fur une maladie fi criti-
II. Vol. H
170
MERCURE DE FRANCE.
que. Je laiffe aux grands Maîtres de l'art
l'explication d'un phénomene qui , quoique
rare , n'eft pas unique , comme le
prouve l'obfervation de Lamotte ( 1 ) qui
dit avoir trouvé dans le cadavre d'une
femme morte d'hydropifie , des tumeurs
dures comme du bois. Paré ( 2 ) , fait mention
d'un corps skirreux , rempli de cartilage
& d'os , qui avoit fon fiege dans la
matrice d'une femme dont le ventre depuis
longtemps étoit dur & diftendu . On
rapporte ( 3 ) que l'on trouva dans le cadavre
d'un matelot affligé d'un aſthme violent
& d'une toux infupportable , le péricarde
très-épais & dur comme le cartilage.
Cette derniere obſervation a affez d'analogie
avec celle qui fait le fujet de ce Mémoire.
L'homme qui portoit cette tumeur
dont j'ai parlé , étoit âgé de 70 ans , étant
affecté depuis longtemps d'une Orthopnoë ;
& d'une refpiration fort gênée. M. Morand
, ce fidele obfervateur dont je me flatte
d'être l'éleve , fit avec moi l'examen de
cette tumeur. Nous trouvâmes fon pout
mon prefque oblitéré & réduit à un trèspetit
volume. BREBAN , Maître-ès - Arts ,
Chirurgien , Aide-Major de l'Hôpital Militaire
d'Avranches...
( 1 ) Traité complet de Chirurgie, vol. 2, p. 160.
(2 ) Liv. 24 , chap. 41 , p. 16.
(3 ) Phifico-Medica , & c. vol . 2 , Obf. 20, p . 48.
OCTOBRE. 1756. 171
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
JEE ne fçais fi vous connoiffez , Monfieur ,
une brochure qui paroît depuis peu , &
que le hazard a mis dans mes mains ; elle
a pour titre , Sentiment d'un Harmoniphile
fur differens ouvrages de Mufique ( 1 ) . L'Auteur
dans le dixieme Paragraphe , au commencement
de la feconde Partie , propoſe
une nouvelle maniere de chiffrer la Baffecontinue
pour l'accompagnement du Clavecin
, & il l'attribue à M. de Morambert.
Je n'envie point à ce dernier la gloire &
la fatisfaction qu'il pourroit fe promettre :
mais il doit au moins m'être permis d'ob-
(1) Les deux parties de cet Ouvrage fe trouvent
à Paris , chez Jombert, Lambert & Duchesne,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ferver que la méthode dont il s'agit , ne
differe pas effentiellement de celle que je
foumis , il y a environ dix- huit mois , à
l'examen du P. Laugier , pour lors Jéfuite.
Je dirai plus. Le P. Dumas , de la Compagnie
de Jefus , fe chargea d'en faire , le
12 Septembre 1755 , une expofition abrégée
dans une féance de la Société des
Arts , établie dans la Ville de Lyon ; je ne
peux , & je ne dois , Monfieur , en apporter
f'autres preuves que le témoignage de
cet .Académicien , & l'atteftation du Secretaire
de cette Académie . J'ai l'honneur
de vous les envoyer ( 1 ) .
Si de pareils titres me donnoient quel
ques droits à la découverte publiée par
Harmoniphyle , je ne reclamerois néanmoins
que ce que je croirois m'appattenir
légitimement , & je laifferois à l'Amateur
profond & éclairé , ou , quoi qu'il en
fait , à M. de Morambert , ce que je ne
pourrois prétendre fans faire un larcin à
l'un ou à l'autre. Je ne prendrois , par
exemple , aucune part à l'harmonie des
trois dernieres mefures qui , dans l'Ariette
N° 4, précedent immédiatement la repriſe.
6 67
S 4 * *
On y trouve , La , fi- , mi . Et la Baffe
( 1) Nous avons ces deux pieces , que le peu de
place qui nous refte ne nous permet pas d'inférer
OCTOBRE . 1756. 173
fondamentale y eft exprimée ainfi
le fecours des nouveaux fignes ,
par
7
7 X X
FX E B E
( La , fi— , mi. ) . FaX dominante , défi-
7
gné par F , defcend donc ici d'une
feconde fur mi Tonique , exprimé par E.
Or , je cherche vainement ce que devient
la diffonance de cette dominante , c'eftà-
dire , mi , feptieme de Fa X. Il me
femble que ce mi devroit être fauvé fur
Ré , en defcendant diatoniquement , &
je ne l'entrevois nullement , ce Ré fi néceffaire
, dans l'accord parfait de la Tonique
mi , qui fe préfente à la fuite de la
dominante en queſtion .
Je renoncerois encore à une femblable
erreur que j'imagine appercevoir dans les
nouveaux fignes employés dans les trois
dernieres mefures du même Air.
6 6 7
S 4 X
Vous y verrez Re , mi , mi , la , chif-
7
BA
7
*
E A
frés de cette maniere , Re , mi , mi , la.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
*6
5
L'accord La dans le premier cas , & l'ac-
6
S
cord Re dans celui - ci , ne font cependant
point renversés : ils font évidemment
fondamentaux l'un & l'autre , &
forment deux accords directs de foudominante.
Je les appelle , d'après M. Rameau
, accords de fixte ajoutée , & je les
défigne par un 6 joint à la lettre qui en
exprime la note fondamentale ( 1 ) . J'aurois
(1) Perfonne n'ignore que les notes de la
Baffe-fondamentale portent toujours la tierce & la
quinte : ainfi les lettres fuppofent toujours ces
intervalles , & les chiffres expriment celui qu'on
y ajoute de plus. Au refte , lorfque dans la Baffecontinue
une note eft fondamentale , pourquoi la
charger inutilement d'une lettre ? J'y chiffre feudement
, felon le befoin , un 7 ou un 6 , lorsqu'elle
n'eft pas tonique . Je n'emploie enfin les lettres
que fur les notes qui ne font point fondamentales.
Je me fers cependant de ces lettres & des
chiffres dont elles font fufceptibles dans les filences
qu'obſerve la Baffe , comme foupirs , demipaufes
, &c. ou même lorfque cette Baffe a plufieurs
mefures à compter. Parmi les différens
avantages que préfentent ces fignes , & que je ne
détaillerai point ici , celui d'indiquer toujours
P'harmonie , lors même que la Baffe- continue
feroit totalement retranchée de l'accompagne
OCTOBRE . 1756. 175
6 6 7 7
donc écrit A & D , & non FX & B, qui ,
felon ma méthode , ne doivent être ufités
que pour les dominantes. S'il importoit
d'ailleurs de m'expliquer plus clairement
que je n'ai peut-être fait , & de me rendre
plus intelligible à ceux qui n'ont faifi mon
idée qu'imparfaitement , je déclarerois ici
que dans ma maniere de chiffrer j'emploie
la lettre feule pour les Toniques ; j'y ajoute
un 7 pour les dominantes & un 6 pour les
foudominantes : en un mot , je n'entends
exprimer que l'harmonie fondamentale , &
je ne vois pas plus de raifon de chiffrer
des dérivés d'une foudominante , ou même
l'accord de Quarte en tant qu'accord , ainfi
que fait M. de Morambert , qu'il y en auroit
de chiffrer ceux de Triton ou de neuvieme
ou tout autre dont la note grave
n'eft point fondamentale.
Enfin , Monfieur , pour ne me point expofer
au reproche d'ofer entreprendre fur
le privilege dont jouit l'Harmoniphile ,
relativement à la nonpréparation de certaines
diffonnances , je n'adopterai point
le paffage que l'on remarque dans la premiere
des trois dernieres mefures de l'Ament
, conformément à l'idée que M. Rameau en
a donné en 1732 , n'eſt pas le moins effentiel.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
6
4
6 3
riette dont il s'agit . Le voici. fa , ut , &c.
11 eft chiffré par les nouveaux fignes ,
7
D F 7.
fa , ut. Or le figne F fur ut préfente inconteftablement
une fimple dominante qui
fuccede à l'accord de Ré Tonique , défigné
par D fur fa . Je prends donc la liberté de
demander fi cette fucceffion n'a pas été
profcrite de tout temps , & fi un Auteur
qui décide avec une forte d'empire fur differens
ouvrages de Mufique peut ignorer ,
ou permettre que l'on ignore , que conformement
aux loix de l'harmonie , on
n'eft libre de paffer d'une Tonique à une
fimple dominante , qu'autant que la diffonance
de celle- ci a été préparée , c'eſtà-
dire , qu'elle a été entendue comme cónfonance
dans l'accord de cette Tonique .
Je pourrois encore ajouter que le Compofiteur
de l'Ariette n'a pas ici , fuivant
les apparences , chiffré fa Baffe avec connoiffance
de cauſe. Le Chant qui y répond
fembloit en effet preferire l'harmonie dont
il émane ( ) .
(1 ) Le re du chant eft une noire pointée , Put &
lefs font des doubles- croches ; & dans la Baffe le
OCTOBRE. 1756. 177
Re , ut , fi , mi , &c .
Chant 6 & 6
Fa- ut, &c.
Baffe
6
D D A
II eft clair que fa de la Baffe eft tiré
d'abord de l'harmonie de Ré Tonique , enfuite
du même Ré , rendu foudominante ,
6
ce que j'exprime par D , & cette foudominante
aboutit , felon les regles connues ,
à l'harmonie de A , je veux dire de La
Tonique .
Quoi qu'il en foit , Monfieur , de ces
différentes obfervations auxquelles je me
borne , j'ai l'honneur de vous fupplier de
les rendre publiques en inférant ma lettre
dans votre ouvrage périodique. M. de
Morambert & l'Harmoniphile même , ne
peuvent raifonnablement s'en plaindre ,
puifqu'en prouvant la conformité de nos
idées dans l'invention des nouveaux
fignes , & en relevant les fautes qui leur
font échappées , mon intention n'eft pas
de leur nuire.
J'ai l'honneur d'être , &c.
ROUSSIER.
Lyon , ce 22 Août 1736 .
fa eft une blanche , fufceptible par conféquent de
deux accords confécutifs.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
M. Ciampalani , ordinaire de la Mufique
du Roi , vient de faire graver une
Cantatille intitulée , Les Fontaines de
Merlin. Elle eft accompagnée de fix Ariettes.
Les Connoiffeurs donnent de grands
éloges à la mufique. On la trouvera aux
adreffes ordinaires . Les vers de la Cantatille
font de M. Hornot ; il eft auffi l'Auteur
d'une de ces Ariettes que nous allons
mettre ici :
ARIETTE.
ÆGlé , laiffez-vous
enflammer :
La faifon des plaifirs n'eft qu'une ombre légere.
La beauté n'a qu'un temps : profitez-en , Bergere.
Aux voeux de votre Amant il eft temps de céder ( 1 ).
Voyez ces fleurs nouvellement écloſes :
Leur regne , hélas ! n'eft qu'un regne d'un jour.
Hâtez- vous de cueillir ces rofes ,
Qu'a fait éclorre ici le fouffle de l'Amour.
C'eſt d'Adonis la dépouille fanglante ;
Vénus par les baifers la fait épanouir :
Ce matin elle eft éclatante ,
Ce foir vous n'en pourrez jouir .
(1) Enflammer & céder , font deux rimes à peine
Supportables dans un Vaudeville.
OCTOBRE . 1756. 179
PEINTURE.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Onfieur , l'établiffement d'une École
publique & gratuite de Deffein , de Peinture
, de Sculpture , de Géométrie , d'Architecture
, de Perſpective , de Méchanique
& d'Anatomie , fous le nom d'Académie
des Arts , a paru fi néceffaire , & d'une
fi grande utilité dans uneVille maritime &
commerçante telle que Marfeille , que Sa
Majefté a daigné l'autorifer , en permettant
, par un Arrêt de fon Confeil , à la
Communauté de cette Ville de donner
tous les ans une fomme de mille écus pour
fon entretien.
Les progrès de cette Académie naiffante
ne sçauroient être ni plus rapides , ni plus
marqués. De jeunes Eleves de tous états
s'empreffent d'y venir prendre les connoiffances
que des Profeffeurs éclairés leur
donnent avec autant de zele que de défintéreffement.
Les talens s'y développent ,
rémulation les provoque & la culture les
Hvj
1S0 MERCURE DE FRANCE.
perfectionne. La gloire des Maîtres , l'avancement
des Difciples & l'avantage de
la fociété , font les fruits de cet établiffement.
L'Académie des Arts a tenu une Affemblée
publique le Dimanche vingt- neuf du
mois d'Août dernier , dans la falle de l'Hôtel
de Ville , en préfence de Meffieurs les
Echevins , qui méritent d'en être regardés
comme les fondateurs , & de plufieurs perfonnes
que l'amour des beaux Arts , ou la
curiofité y avoient attirées .
M. Verdiguier , Directeur , ouvrit la
Séance par un Difcours judicieux fur l'utilité
des Arts , qui font l'objet de l'Académie.
M. Kapeller , Profeffeur de Deffein &
de Géométrie , lut enfuite un petit Ouvrage
bien raifonné fur les Elémens de géométrie-
pratique , & fur la maniere dont il
fe propofoit d'en donner des leçons.
M. Dageville , Profeffeur d'Architecture
& de Perſpective , donna dans une Dilfertation
hiftorique écrite avec feu , une idée
abrégée de cet Att , de fon origine , de fes
progrès , & du point de perfection où les
grands Artiftes des derniers ficcles l'ont
porté.
La Séance fut terminée par la diftribution
des trois Prix aux Eleyes , dont deux
OCTOBRE. 1756. 18
étoient deſtinés au Deffein , & l'autre à la
Sculpture. Le premier fut remporté par le
Sieur Laurens , le fecond par le Sieur Bonnieu
, & le troifieme fut adjugé au Sieur
Carriol. Ils les reçurent des mains de Meffieurs
les Echevins.
Le même jour , il y eut une Expofition
publique des Ouvrages que les Profeffeurs ,
les Académiciens & les Agrégés ont fait
dans l'année. Ces Ouvrages ont été expofés
pendant huit jours dans la falle queM.Charron
, Commiffaire général de la Marine
qui protege les Arts & qui les aime , a
accordé fur les ordres du Roi ,à l'Académie,
dans l'Arfenal. Le concours des Connoiffeurs
& l'empreffement du Public ont été
trop Aatteurs pour ces Artiftes , & ne ferviront
pas peu à les rendre toujours plus attentifs
à profiter des obfervations des uns ,
& à mériter les éloges de l'autre.
Permettez , Monfieur , que je joigne ici
le précis le plus fimple de cette Expofition :
ce feroit aller plus loin qu'il ne faut , fi je
follicitois pour ma Lettre une place dans le
Mercure. L'avancement des Arts a des
droits trop légitimes fur tous les fuffrages ,
pour douter que vous ne publiez avec plaifir
tout ce qui peut fervir à les confirmer.
J'ai l'honneur d'être , &c .
A Marseille , le 20 Septembre 1756.
M ***
182 MERCURE DE FRANCE.
EXPOSITION des Ouvrages des Profeffeurs
, des Académiciens & des Agrégés
de l'Académie des Arts de la Ville de Marfeille
, faite dans la falle du Modele , le
29 Août 1756.
Un morceau en relief repréfentant la
Prife du Fort Saint - Philippe , fous une
allégorie ingénieufement compofée ; par
M. Verdiguier , Directeur.
Deux Tableaux de Payfages ; par M.
Cofte , Profeffeur.
Deux Tableaux de Payfages ; par M. Richaume
, Profeffeur.
Un Portrait en miniature ; par M. Moulinneuf,
Profeffeur.
Deux Tableaux de l'hiftoire de Jephté ,
& une Affomption de la Sainte Vierge ;
par M. Zirio , Profeffeur .
Plufieurs Têtes de caractere , peintes
d'après nature ; par M. Beaufort , Profeffeur.
Un grand Tableau repréfentant le Port
de Marſeille , & l'Embarquement des munitions
de guerre & de bouche , que l'on a
fait pour l'expédition de l'Ifle Minorque ,
par les ordres & en préſence de M. le Maréchal
de Richelieu ; par M. Kapeller ,
Profeffeur.
OCTOBRE. 1756. 183
Plufieurs Portraits ; par M. Revelly ,
Profeffeur.
Plan & élévation d'un projet de Place
publique dans le Champ Major de la Ville
de Marſeille ; par M. Dageville , Profeffeur.
Quelques Portraits , & un Tableau
allégorique repréſentant l'Apologie de la
Peinture ; par M. Panon , ancien Acadé
micien.
Plufieurs Tableaux de nature morte ;
par M. Palaffe , Académicien .
Plufieurs Portraits ; par M. Staub , Académicien.
Plufieurs Tableaux de Marine , entr'autres
un Naufrage que l'Académie a accepté
pour morceau de réception ; par M. Henry,
Agrégé.
Quelques Portraits , & un Tableau repréſentant
le Frappement du rocher par
Moffe dans le défert ; par M. Arnaud ,
Agrégé.
Deux Tableaux de Payfages ; par M.
Defpeches , Agrégé.
184 MERCURE DE FRANCE
SCULPTURE.
RÉPONSE ( 1 )
D'un Eleve de l'Académie Royale de Peinture
& de Sculpture , à l'Auteur de la
petite Brochure ayant pour titre ,
Obfervations fur le projet du Maufolée du
Maréchal Comte de Saxe.
Monfieur , j'ai lu avec quelque forte
d'amufement , la critique que vous avez
faite du Modele du Maufolée du Maréchal
de Saxe. Quoiqu'elle foit accompagnée de
tous les égards & les ménagemens que
ceux qui chériffent les Arts , doivent
avoir pour les perfonnes qui y excellent à
un degré auffi éminent que le célebre Sculpteur
chargé de cette entreprife , néanmoins
je vous avouerai que j'ai été un peu
choqué ( le terme n'eſt pas trop fort ) de
la maniere dont vous traitez les Artiftes
(1 ) Cette Réponse nous a paru une apologie
aufli fage que jufte d'un modele plein de génie.
Nous l'inférons ici comme une marque publique
de notre eftime pour le célebre Artiſte dont les
Quvrages font tant d'honneur à la Sculpture.
OCTOBRE . 1756. 184
en général. Réduits , felon vous , à l'étude
de la fimple méchanique de leur Art ,
vous n'hésitez pas à leur interdire toutes
les facultés de l'efprit ; en cela moins généreux
que les Poëtes , qui veulent bien ,
dans la partie du génie , fe les affocier.
Vous fouhaitez même , pour leur épargner
la peine de penfer , qu'on charge quelqu'autre
de cet office pour eux. Cette idée
eft une injure gratuite au Corps des Artiftes
, & peu méritée de leur part. Ces
grandes & belles productions de génie ,
tant en Peinture qu'en Sculpture , forties
des différentes Ecoles , feroient - elles encore
aujourd'hui l'admiration de l'Univers
, fi leurs Auteurs n'avoient pas fçu
penfer ? Au refte , pour nous renfermer
dans notre objet , il me paroît que le
Maufolée de M. le Maréchal de Saxe devoit
moins , qu'aucun autre ouvrage ,
vous faire naître un pareil fentiment fur
nos Artiftes ; & après avoir pris une feconde
lecture de vos Obfervations , je me fuis
confirmé dans l'opinion que , fi vous l'avez
critiqué , c'est que vous n'avez pas
tout-à- fait compris le fujet de ce grand
Ouvrage. Mais pour mettre en état de décider
qui a mieux faifi ce fujet ou de vous ,
ou de moi , je crois ne pouvoir mieux faire
que de l'expofer , tel qu'il m'a paru au
186
MERCURE DE
FRANCE.
premier coup d'oeil, & tel que je l'ai enten
du expliquer à tout le monde. On doit
fçavoir gré à M. Pigalle de l'avoir expofe
au jugement du Public , avant que de l'ar
rêter
entiérement , & d'y donner la der
niere main.
Defcription du Manſolée .
Le
Maréchal eft au pied d'une pyrami
de ,
fymbole de
l'immortalité , ayant d'un
côté , en figne de fes
Victoires , les drapeaux
de la France élevés , de l'autre côté
ceux des
Ennemis brifés. Les Nations
vaincues fe
trouvent dans cet endroit caractérisées
par
l'Aigle
épouvanté ,
Léopard terraffé , & le Lion
prenant la
le
fuite. Mais , au
moment que le
Maréchal
eſt au comble de fa gloire , la Mort , un
fable à la main , lui ouvre un
farcophage ,
& lui montre un linceuil prêt à le recevoir.
Le
Maréchal , fans paroître étonné , defcend
au féjour
ténébreux avec
intrépidité.
La France , frappée d'une pareille
cataſtrophe
, fait des efforts
impuiffans , pour ,
d'une main , écarter la Mort , & de l'autre
retenir le
Maréchal. A
l'oppofite de la
Mort , on voit la Force & le
Courage
reunis fous
l'emblême d'un
Hercule ( 1 ) ,
(1 ) On ne doit pas
s'étonner de voir dans une
Eglife
Luthérienne une figure
d'Hercule prife emRA
OCTOBRE. 1756. 187
e qui paroît accablé de la perte d'un fi grand
de Homme. Derriere la France , le Génie de
ara Guerre défolé , éteint fon flambeau . Entein
au bas du farcophage font les armes
alu Maréchal, grouppées avec des branches
le Cyprès , au devant d'un focle fur lequel
fe paffe toute l'action .
و د
M. Pigalle , par des caracteres indéfi
nis , a marqué la place que doit occuper
Infcription qu'il veut , à l'exemple des
Grecs , placer fur la pyramide. Il feroit à
fouhaiter que , comme cette partie n'eſt
point du reffort de l'Artifte , quelques
" Gens de Lettres , échauffés par la gran-
» deur du ſujet , lui envoyaſſent une Epitaphe
convenable à cette place , & mê-
» me que cette Epitaphe fut en françois ,
»pour être plus à la portée de tout le
≫ monde . «r
D'après cet expofé , il n'y a perfonne
qui ne fente que le Maréchal n'ayant point
été tué à la tête des Armées , l'Auteur a
dû le repréfenter jouiffant du fruit de fes
Victoires ; & loin de nous le dépeindre
dans fon lit , attendant fon dernier inf
tant , tel que vous l'auriez fouhaité , il a
blêmatiquement , puifque nous voyons tous les
jours dans nos Eglifès des Graces , des Minerves
des Mars , & quelquefois des Hercules. Il y en a
un notamment dans le fameux Maufolée du Maréchal
de Montmorency , à Moulins.
188 MERCURE DE FRANCE.
éludé , fans choquer les vraisemblances §
cette idée triviale . Au contraire , en nous
le traçant grand jufqu'au dernier moment,
il nous a fait voir , par le tour figuré qu'il
a pris , que la mort n'a rien eu d'effrayant
pour lui. Enfin il a été plus délicat , que
vous ne l'en aviez foupçonné , fur les
vraisemblances. On trouve en général un
défaut d'unité dans tous les Monumens où
l'on repréfente les Héros fur leurs tombeaux
fermés ; ce qui les fuppofe deux
fois dans le même lieu : mais M. Pigalle ,
en repréſentant le farcophage ouvert , a
évité cette duplicité de perfonne ; & par
cette idée neuve , il a enchéri , ſi j'oſe le
dire , fur le Bernin , qui , dans les Maufolées
des Papes , a cherché , autant qu'il
a pu , à parer ce défaut. Il eſt vrai qu'il a
pris la licence de nous repréfenter ce Guerrier
en cuiraffe. Tout autre que lui auroit
peut- être été plus loin , en le repréfentant
habillé à la Romaine. Mais puifque l'armure
qu'il a adoptée fait bien , ne doiton
pas lui avoir un furcroît d'obligations
d'avoir furmonté les difficultés , en s'affu
jettiffant exactement à notre coutume.
Je crois qu'en voilà affez fur la figure
du Maréchal; je paffe aux autres objets où
votre critique paroît plus férieufe.
La France , dites- vous , auroit dû être
OCTOBRE. 1756. 189
dans un lieu plus décent , affife fur un Trône,
eu fur un Trophée . Je réponds qu'il n'eft
point queſtion ici de nous repréfenter la
France fur un Trône : ce feroit bon fi , la
balance à la main , elle rendoit la juftice ,
telle que Rubens nous l'a dépeinte, ou fi elle
recevoit les hommages des Nations vaincues.
Elle auroit encore été plus déplacée
fur un Trophée : ce Maufolée n'etant
point un monument qui ait pour principal
but d'être élevé en l'honneur de la
Nation ; la gloire de la France n'eſt ici
qu'accidentelle à celle du Héros , qui a fi
bien fçu rendre fes armes victorieufes . Il
a donc fuffi d'affeoir la France au pied de
la Pyramide , fymbole de l'immortalité ?
Je ne fçais , Monfieur , comment vous
avez pu trouver ce lieu indécent . A l'égard
de fon attitude , vous décidez qu'elle devoit
être debout : l'action le veut , ditesvous.
Je fuis bien éloigné de penfer de
même ; & je trouve que non feulement
l'action exige le contraire , mais encore
que la figure gagne beaucoup à être repréfentée
afflife : & voici comme je raifonne,
D'abord , rien ne répugne en foi à repréfenter
la France affife : mais d'ailleurs
toute la compofition , & l'effet du tout
enfemble de la machine , perdroient beau
coup , fi on la repréfentoit autrement,
190 MERCURE DE FRANCE.
Affife , elle laiffe dominer le Maréchal ,
qui , étant la figure principale , doit fe
préfenter auffi- tôt à la vue ; premier principe
de compofition , dont on ne doit jamais
s'écarter. Si la France eût été debout
au contraire , non feulement elle eût fait
beaucoup perdre à la figure du Maréchal ,
mais elle eût perdu elle- même fon action ,
qui alors eût été manquée ; fa main n’auroit
jamais pu s'approcher affez de la
Mort , & exprimer le mouvement convenable
pour l'écarter. L'Artifte s'eft donc
contenté de rendre cette figure piquante
par la vivacité de fon action , par l'expreffion
pleine de majefté & de tendreſſe
dont elle eft remplie : en même tems
il s'en eft fervi habilement pour lier &
établir la relation des figures du fecond
Plan avec celles du premier , & par-là
réunir , fans choquer les bienséances ni
l'exacte vraisemblance , la partie du génie
avec les principes de l'Art. Voilà , Monfieur
, comme nous autres petits Eleves
raifonnons , quoique vous en interdifiez
la faculté , même à nos Maîtres.
La figure emblématique de l'Hercule a
trop captivé les fuffrages du Public , pour
effuyer de vous une critique rigoureuſe.
Sans même en blâmer l'expreffion , vous
demandez fi on n'auroit pas pu le repré
OCTOBRE, 1756. ' 198
fenter une main fur le vifage , rien ne
pouvant exprimer affez vivement la trifteffe
, & tout ce qui environne le Maréchal
devant être dans un état violent. Si
vous euffiez vu les premieres efquiffes du
Maufolée , qui dans le temps ont été montrées
à tous ceux qui en ont paru curieux ,
vous vous feriez apperçu que cette idée
n'étoit point échappée au Sculpteur. Mais,
des perfonnes éclairées , & dont le fentiment
a toujours paffé pour la regle du bon
goût , lui ayant confeillé de ne pas redouter
de le repréfenter à vifage découvert ,
il a tenté ce dernier parti qui a été fuivi,
du fuccès. Il y a plus , je crois qu'il a trèsbien
fait ; car cer expédient que vous lui
donnez , n'eft n'eft pas fi neuf que vous le penfez.
C'est même , fi vous voulez me permettre
de vous le dire , la tournure ordinaire
, dont nous autres Eleves nous nous
fervons dans prefque tous les tableaux ou
bas reliefs , dans lefquels nous avons quelques
fujets triftes à traiter. En effet , cela
eft plus court , & en même tems cela dit
beaucoup . Je vous ajouterai même que
quelquefois nous jettons un voile ou un
pan de manteau fur quelques -unes de nos
têtes , à l'exemple de Timante dans fon fa
crifice d'Iphigénie , qui ne fçachant plus
comment rendre la douleur du pere , après
pan
192 MERCURE DE FRANCE.
avoir épuifé les refforts de fon Art pour
exprimer celle des affiftans , s'en tira par
cet ingénieux expédient. Mais le malheur ,
c'eft que nos Profeffeurs nous difent qu'il
y a quelquefois beaucoup d'efprit à n'en
point tant avoir. Et ce n'eft pas là l'uſage
qu'ils veulent que nous faffions des leçons
du Maître d' Hiftoire que nous avons , graces
aux bontés du Prince & du Mécène qui
veut bien ne point perdre de vue notre éducation.
Préfentement je me trouve un peu plus
embarraffé qu'on ne penfe . Eleve de l'Académie
, & fait plutôt pour copier & étudier
d'après nos grands Maîtres , que pour
les critiquer, je ne fçais comment m'expliquer
fur ce petit Enfant qui éteint fon flambeau
derriere la France , que toutes les
femmes prétendent être un Amour , & que
tout le monde fe réunit à ne pas trouver
affez caractérisé pour un Génie. Je fens
bien que l'Auteur ayant repréſenté la Mort
par un fquelette , nous ayant donné un
homme nerveux dans fon Hercule , un
homme majeftueux dans fon Maréchal
une belle femme dans fa France , a voulu ,
en repréfentant cet Enfant , réunir fous un
feul point de vue les différens âges , &
pour me fervir des termes de l'Art , nous
faire parcourir d'un ſeul coup d'oeil toutes
les
J
OCTOBRE. 1756. 193
les différentes Naiures. Mais cela ne l'excufe
pas du côté de l'allégorie . Je conviens
donc avec vous qu'il lui manque quelque
chofe , & qu'une flamme fur la tête , une
couronne de laurier & quelques attributs
de guerre contribueroient mieux à le caractériſer.
Mais je ne puis confentir
comme vous le dites , qu'on en faffe le
Génie du Maréchal ; parce qu'on ne doit
jamais employer les Génies qu'en l'abfence
du fujet principal & pour y fuppléer.
Je voudrois donc que ce fût le Génie
de la Guerre ; je crois que bien loin
de diminuer la penfée qui fait le fujer
de fon Maufolée , cela ne feroit que l'accroître
.
que Enfin , quand vous devriez me dire
je raifonne comme un Eleve , je ne vous
paffe pas de n'avoir pu démêler le fens
fymbolique du grouppe des animaux . Bien
loin de penfer avec vous , que le Lion a
culbuté , en fuyant , le Léopard ( ce qui ne
peut tomber fous les fens ) je me fuis figuré
voir dans l'action de chacun de ces animaux
un portrait en raccourci de la conduite
que nos ennemis ont tenue dans la
derniere guerre; & quoique le Léopard paroiffe
terraffe für le champ de bataille , je
n'ai jamais regardé cette figure que comme
une repréſentation fidelle de ce qui s'eſt
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
paffé , & non comme quelque chofe qui
puiffe donner atteinte au courage de ceux
qui nous ont difputé fi longtemps la victoire.
Je fçais bien que cela vous donne
occafion de nous débiter beaucoup de morale
; mais moi qui n'ai pas étudié la morale
, je n'ai rien à vous dire , finon que
bien loin de refroidir notre imagination
par toutes ces réflexions que nous vous
abandonnons comme fuperflues , nous nous
livrons à l'étude de l'Hiftoire & du Coftume
, afin de réunir , autant qu'il eft en nous,
la connoiffance des Arts & Belles-Lettres ,
pour en faire un fage emploi dans nos compofitions
& nos allégories .
A ce travail particulier nous joignons
l'étude de l'Antique & de nos grands Maîtres.
Ce n'eft pas que , quand nous fom- >
mes entre nous , quelquefois nous ne nous
mêlions de critiquer ces derniers. Si nous
ne l'avons pas fait dans cette occafion à l'égard
de M. Pigalle ( nous pouvons l'affurer
, fans que fa modeftie en foit bleffée )
c'eft que nous avons entendu dire, qu'il
étoit dans la réfolution de faire à fa figure
d'Enfant les changemens que le Public défireroit
; d'éviter les lignes droites qui e
rencontrent dans les pattes de ces animaux ;
d'applatir la tête de la peau de Lion qu'Hercule
a fur fon bras ; de fairequelques autres
OCTOBRE. 1756. 195
petites recherches , foit dans les pieds de
fes figures , foit dans d'autres parties , lorfqu'il
fera fur le marbre ; enfin d'élever un
peu plus la tête du Maréchal ; de déterminer
, ou fur la France ou fur la Mort , fon
regard qui paroît indécis , & de s'affujettir
à ſon égard à une exacte reffemblance ,
quoique tout le monde fçache que les
Sculpteurs , ne vifant dans leurs modeles
qu'à établir les grandes formes , réfervent
ces détails pour l'inftant où ils mettent
la derniere main à leurs ouvrages . Mais
je m'apperçois que j'en dis plus que je ne
yeux.
per
Je finis donc en rapportant vos propres
termes fur la figure de la Mort. L'Artifte
dites- vous , a fagement imaginé d'envelopla
Mort d'une draperie ; elle en contrafte
mieux avec la ftatue de l'Hercule qui eft nu :
il nous cache adroitement une figure composée
de petites parties qui ne feroient pas affez
d'effet : le peu qui en paroît ne nous inspire
que plus d'horreur , & le connoiffeur découvre
aifement fous les plis fçavans de cette draperie
, tous les détails du fquelette.
Je conviens qu'on ne pouvoit guere
mieux juger que vous l'avez fait fur cette
figure. Mais , avouez le fincérement , eftce
bien vous qui avez fait cet article , &
ne l'avez-vous pas inféré dans vos obfer-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
vations tel que quelques connoiffeurs éclai
rés ont pu vous le donner ? Je vous dirai
nettement que , lorfque nous l'avons lu
entre nous jeunes Eleves , nous avons tous
décidé qu'en le comparant avec le reite de
vos obfervations , cela ne partoit pas de
la même main , & que dans cette occafion
vous auriez peut -être fait ce qui arrive à
la plupart de ceux qui font les critiques
du Sallon , c'est- à- dire , de recueillir indif
féremment des fentimens de toutes parts ,
fans trop s'embarraffer s'ils impliquent
contradiction , & d'en faire une brochure.
Quoi qu'il en foit , les grandes beautés
de l'ouvrage de M. Pigalle nous font envifager
avec regret , que nous ne le voyons
fe former fous nos yeux , que pour nous
être enlevé après fa perfection , & porté fur
nos frontieres ; de la même maniere que
nous avons déja vu partir , il y a quelques
années , pour Berlin , fa belle figure du
Mercure comme fi c'étoit un fort attaché
aux meilleurs morceaux de ce grand Artiſte
d'être en quelque forte expatriés. Mais
nous espérons du moins que quelqu'un de
nos plus habiles Graveurs cherchera à nous
dédommager de cette perte , & à immorta
lifer fon burin , en nous traçant avec fidélité
des copies de cet admirable Mauſolée.
J'ai l'honneur d'être , &c.
OCTOBRE. 1756. a
197
GRAVURE...
Nous annonçons trois belles Eſtampes
du Sieur Daullé , fi diftingué dans fon Art.
La premiere qui eft déja connue , eft gravée
d'après M. Coypel , & repréfente l'Amour
nu , ayant les aîles étendues , avec
fon arc & fon carquois . On voit à fon air
& à fon gefte , qu'il médite quelque malice.
L'habile Artifte a fait paffer dans
fa gravure toute l'expreffion du Tableau
original. Les deux autres Eftampes ne méritent
pas moins d'éloge. Elles viennent
de paroître. L'une eft intitulée , la Mufe
Clio , & l'autre , la Mufe Erato . Toutes
deux font d'après M. Boucher , & fe trouvent
, ainfi que la premiere , chez l'Auteur,
rue du Plâtre Saint Jacques , attenant le
College de Cornouaille.
Le Sieur Chenu vient de mettre au jour
une nouvelle Eftampe , qui a pour titre
le Chien intereffe . Deux payfans y font danfer
cet animal pour un morceau de pain
qu'ils lui préfentent. Elle eft d'après Cal du
Jardin L'efprit & le caractere de l'original
y font très - bien rendus .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
LETTRE an fujet des nouveaux travaux
de Saint Germain l'Auxerrois.
Vous m'aviez demandé , Monfieur , s'il
étoit vrai qu'on travaillât férieufement à
une nouvelle décoration pour le Choeur
de S. Germain l'Auxerrois , votre Paroiſſe
natale ; s'il y a eu , comme on vous l'a dit ,
plufieurs Projets , de qui ils font , auquel
de ces Projets on s'eft arrêté , & fi on les a
tous foumis indiftinctement au Tribunal
de l'Académie , comme cela fe doit pratiquer
en pareil cas , & comme on vous a
affuré qu'on l'avoit fait.
J'ai fait fur cela toutes les perquifitions
néceffaires ; je me fuis informé de tout ,
j'ai écouté le Public , j'ai cherché à me
rencontrer avec plufieurs des Membres de
la Fabrique , j'ai converfé avec les Amateurs
, j'ai même vu des Académiciens ; je
fais par conféquent actuellement en état
de vous rendre fur le tout le compte le
plus exact & le plus vrai .
OCTOBRE. 1756. 199
On a eu trois Modeles en relief, un de
feu M. Balin , Orfevre ; un de M. Michel-
Ange Slodtz , qui tient un fi beau rang
parmi nos Artiftes du premier ordre , &
un autre de M. Bacary.
Il y a eu auffi différens Deffeins , un
de M. Meffonier , Deffinateur du cabinet
du Roi ; un de M. Caqué , auteur du beau
Portail des Peres de l'Oratoire , & un
de M. Babuty Defgodetz , petit- fils de
l'ancien Profeffeur de l'Académie d'Architecture.
On m'a même dir que M. Blondel ,
Académicien, a été arrêté dans fa compofition
, & au milien d'une très- belle courfe
par la prompte décifion de la Fabrique.
Au furplus , on s'eft conduit dans cette
opération avec tout le difcernement poffible.
On s'eft fixé au Projet de M. Bacary ,
comme enfant de la Paroiffe & baptifé fur
fes fonds. Il est bien naturel d'être porté
pour fes enfans. La faveur qu'on a donc
cru lui devoir accorder , a été d'écarter
tous les autres Concurrens , pour ne parler
que de lui , & préfenter fon Projet , le
feul & l'unique , à l'Académie.
Ainfi vous avez été mal informé quand
on vous a rapporté que différens Projets
avoient été foumis au jugement de l'Académie
, & que l'excellence de celui de
M. Bacary l'avoit emporté fur les autres
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
compofitions. Il n'en eft rien du tout. Il
ne s'eft agi que de lui , parce qu'on ne
vouloit que lui. Ce bruit qui ne laiffe pas
de fe répandre auffi à Paris comme chez
vous, eft totalement faux , & ne vient que
de gens mal inftruits , ou conduits par des
vues qu'il eft inutile d'approfondir. Je puis
vous en certifier la faufferé. La Fabrique
n'avoit de dépofé entre fes mains que le
Projet de M. Bacary , tous les autres ayant
été montrés & retirés à l'inftant même par
leurs Auteurs , & ne leur ayant été redemandés
en aucune façon pour être exhibés
à l'Académie . C'eft une vérité conftante
que chaque Académicien , chaque Auteur
eft en état d'attefter.
J'ai l'honneur d'être , &c.
OCTOBRE. 1756. 201
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Jeudi 30 Septembre , & le Samedi z
de ce mois , les Comédiens François ont
repréſenté le Medecin par occafion , Comé
die remife , en cinq Actes , en vers , de /
notre compofition . Cette piece a paru
pour la premiere fois en 1745 Elle a été
reçue du Public , à cette reprife , avec
beaucoup de bonté. Elle doit un accueil fi
favorable moins àfon mérite , qu'au jeu fupérieur
des Acteurs qui lui ont prêté leurs
graces. Nous devons publiquement les en
remercier. Comme le grand nombre eſt
parti pour aller jouer à la Cour , ils n'ont
pu la donner que teux fois. Il y a apparence
qu'ils la reprendront à leur retour de
Fontainebleau Nous en parlerons alors plus
au long .
Le Dimanche , un Acteur nouveau a
joué le Comte de Tufiere dans le Glorieux ,
& leLundi 4, Alcefte dans leMisantrope.Le
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
premier rôle eft un rôle de repréſentation.
Le débutant ne peche pas heureuſement
par la figure. Il eft grand & bienfait : mais
l'autre demande le jeu & toute l'expérience
d'un Comédien confommé. Le Public a
paru fui fçavoir gré des efforts qu'il a faits
pour le remplir , & lui a accordé toute la
faveur qu'on doit à un Acteur qui fe montre
pour la premiere fois fur le Théâtre de
Paris dans les deux rôles , peut- être les
plus difficiles du haut comique.
Le Samedi 9 , le Sieur de Rofembert a
repréſenté Mithridate dans la Tragédie qui
porte ce titre. Son début a été des plus
brillans : il a été applaudi avec juftice par
une affemblée très nombreufe . Il poffede
trois grands avantages que peu d'Acteurs
réuniffent. Il a la figure noble , le ton vrai
& l'action naturelle. Il eft vrai que certe
action a été retenue le premier jour par la
tinidité ; mais nous fommes perfuadés
qu'il lui donnera plus d'effor & de chaleur ,
& qu'il la développera avec fuccès , quand
il fera plus raffuré , & qu'il ofera fe livrer.
Il le doit avec d'autant plus de confiance
qu'il n'a rien contre lui , & qu'il a beaucoup
en fa faveur.
OCTOBRE . 1756. 203
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Jeudi 30 Septembre , les Comédiens
Italiens ont donné la double Inconftance ,
fuivie de la Servante Maîtreffe , dans laquelle
une Actrice nouvelle a joué le rôle
de Zerbine. Le Public l'a très-applaudie.
Le Lundi 4 de ce mois , elle a repréſenté
Angélique dans la Mere Confidente ; &
Colette dans la Fête d'Amour . Elle a
rendu ce dernier rôle fupérieurement
à tous les autres . On peut dire , fans
la flatter , qu'elle annonce du talent. Elle
joint à une figure théâtrale , du feu , de
l'intelligence & même de la fineffe . Voilà
pourquoi nous la croirions plus propre 2
jouer la coquetterie ou la gaieté. Elle a l'air
trop inftruit pour rendre avec vérité les
rôles ingénus qu'elle femble adopter par
préférence.
OPERA COMIQUE.
CE ſpectacle a fait ſa clôture le Mer
credi 6 , par le Diable à quatre , & le Mar
riage par efcalade , avec le Compliment..
Ces deux pieces réunies formoient un Spec
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
tacle d'autant plus amufant, qu'il étoit toujours
gai quoique varié , & qu'il ne laiffoit
aucun vuide. Le Mariage par efcalade eft
imprimé , & fe vend chez la veuve Delormel
& fils , rue du Foin , & chez Prault fils ,
Quai de Conti. Le prix eft de fols avec
les Airs notés.
24
Les Amans trompés qui ont été repréfentés
fur le même Théâtre , fe vendent à
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques :
prix 30 fols avec la Mufique. Cette piece
eft de MM . Anfeaume & Marcouville.
Nous annoncerons en même temps ici
les Amours Grenadiers , ou la Gageure Angloife
, qu'on trouve chez le même Libraire .
Cette petite Piece en un Acte , fur la prife
de Port- Mahon , méritoit d'être jouée fur
un meilleur théâtre (1 ) , & nous ne doutons
pas que l'Opéra Comique ne l'eûr acceptée
, fans le Mariage par efcalade , fait
par plus d'un titre pour avoir la préférence.
M. Quetant eft l'Auteur de ce Drame.
Le prix eft de eft de 24 fols avec la Mufique.
(1 Elle a été repréfentée fur le Théâtre des
Danfeurs de Corde .
OCTOBRE. 1756. 205
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 19 Septembre.
E2 , LE 2, le Sieur de Klinggraff remit au Miniftere
un nouveau Mémoire , portant en fubftance :
Que cette Princeffe n'avoit point répondu à la demande
qui fai oit le principal article du Mémoire
pré'enté par lui le 18 du mois dernier ; fçavoir ,
que S. M. Impériale & Royale , donnât une déclaration
formelle , quelle n'avoit aucune intention
d'attaquer S. M. Pruffienne , ni cette année
ni l'année prochaine : que le Roi de Pruffe avoit
entrevu , dans le filence de l'Impératrice Reine
fur cette demande , les difpofitions peu favorables
où elle étoit à ſon égard ; que cependant ce Prince
, pour faire voir combien il défiroit la confervation
de la tranquillité générale , réitéroit encore
une fois les inftances , pour obtenir les affurances
qu'il avoit demandées ; que l'Impératrice
Reine n'auroit pas plutôt donné ces affurances ,
que Sa Majefté Pruffienne feroit retirer les troupes.
La réponſe de l'Impératrice Reine à ce Mémoire
a été : « Qu'a peine il lui a été préſenté ,
» qu'Elle a reçu la nouvelle de l'entrée des trou-
»> pes Pruffiennes en Saxe , & du Manifefte pu-
» blié à cette occafion par le Roi de Pruffe ; qu'a
206 MERCURE DE FRANCE.
1
» près une aggreſſion auffi marquée , il n'eft plus
» queftion d'autre réponse que de celle que S. M.
» Impériale & Royale fe propofe de faire au Ma-
» nifefte de Sa Majefté Pruffienne ; que la der-
» niere , qui a été remife au Sieur de Klinggraff ,
» contient toutes les explications , qui peuvent
» être compatibles avec la dignité de S. M. Impé-
» riale & Royale ; que la propofition de conver-
» tir en treve une paix fondée ſur des Traités fo-
» lemnels , n'eft fufceptible d'aucune reponſe » .
Le Sieur de Klinggraff partit hier , fans prendre
congé. Leurs Majeftés Impériales ont mandé au
Comte de la Puebla , leur Miniftre en Pruffe , de
quitter Berlin de la même maniere.
On vient d'apprendre que le 13 de ce mois le
Roi de Pruffe a commencé les actes d'hoftilisé
dans le Royaume de Boheme. Huit Eſcadrons de
fes troupes ont attaqué les Gardes avancées de
·P'armée de l'Impératrice Reine ; mais ils ont été
repouffés trois fois. On leur a tué quatorze hommes
, & l'on a fait prifonnier un Huffard. Les
Autrichiens n'ont eu que deux foldats bleffés. Sept
Compagnies du Régiment de Portugal font attendues
ici , pour remplacer un pareil nombre de
Compagnies du Régiment de l'Archiduc Pierre ,
qui ont pris la route de Boheme. L'Impératrice
Reine a envoyé ordre dans les Cercles antérieurs
de ce Royaume d'enrôler tous les jeunes gens en
état de fervir , & de faire paffer dans les Cercles
voifins de l'Autriche & de la Moravie les enfans
depuis l'âge de huit ans jufqu'à feize , afin de les
fouftraire à la néceffité d'entrer au ſervice de Sa
Majesté Pruffienne . Près de huit cens familles ,
dans la crainte d'être exposées aux horreurs de la
guerre , font forties de la Siléfie Autrichienne , &
fe font réfugiées tant ici que dans les environs,
OCTOBRE. 1756. 207
On a muni de trois cens pieces de canon la Place
d'Olmutz , dont le commandement a été donné
au Baron de Marshall.
Toutes les troupes qui font en quartiers dans
les Provinces Héréditaires depuis la mer Adriati→
que jufqu'au Danube , fe tiennent prêtes à marcher.
On a envoyé des ordres à la Régence du
Tirol de faire les difpofitions néceffaires pour le
paffage d'une partie des Bataillons , que l'Impératrice
Reine retire de fes Etats d'Italie . De pareils
ordres ont été envoyés à la Régence du Trentin.
DE DRESDE , le 23 Septembre.
Les circonftances préfentes ont déterminé le
Roi à quitter cette Ville ; & Sa Majeſté , accompagnée
des Princes Xavier & Charles , s'eft
rendue au camp de Pirna. La Reine eft reftée ici
avec le Prince Royal les jeunes Princes &
Princeffes. Le Roi de Pruffe les a fait affurer
que les égards refpectueux qui leur étoient dûs ,
feroient religieufement obfervés. Par ordre de ce
Prince , on a fermé les Tribunaux , & le fcellé a
été mis à tous les Bureaux de la Chancellerie . Sa
Majefté Pruffienne arriva ici le 10. Elle n'y a pas
fait un long séjour , & Elle est allée rejoindre fes
troupes , dont le quartier général eft actuellement
à Zedlitz. A Pexception de quelques Couriers
qui apportent à la Reine des nouvelles de la fanté
du Roi , aucune perfonne venant du camp de Pirna
n'a permiffion d'entrer dans cette Ville La Gar
nifon , que le Roi de Proffe y a laiffée , eft
compofée de deux mille hommes , & eft commandée
par le Baron de Willich . II eft défendu
à tout foldat Pruffien foit dans cette Capitale ,
foit dans tout autre endroit de l'Electorat , d'éxi¬
208 MERCURE DE FRANCE.
ger pour fa fubfiftance plus de deux livres de pain ,
d'une demi-livie de viande , & de deux pots de
bier . Aujourd'hui foixante Bâtimens ont paílé
fur l'Elbe , chargés de provifions pour l'armée
Pruffienne. La quantité de celles qu'on a tirées des
différentes partes de la Saxe , afin de fatistaire aux
livr.ifons néceffaires pour cette armée , a tellement
épuifé le pays , que les grains font montés
au quadruple du prix ordinaire.
Par ordre du Roi de Pruffe , le Baron de Willich
a fait enlever l'artillerie , les armes , les drapeax
& les étendards qui étoient dans l'Arſenal
de cette Ville , & on les tranfporte à Magdebourg
pour y demeurer en dépôt jufqu'à la conclufion
d'un accommodement. Le même Commandant
ayant pris une notice exacte de tous les Officiers
Saxons qui fe trouvoient ici , leur a fignifié : « Qu'ils
Détoient prifonniers de guerre ; qu'on leur laiffoir
cependant leurs épées , mais qu'ils devoient
s'engager formellement à ne point fervir contre
»Sa Majefté Pruffienne.
Le 14 de ce mois , la Reine fit prier les Miniftres
étrangers de fe rendre au Château , où Elle
leur tint ce difcours : « Meffieurs , les circonftan-
»ces préfentes me forcent de vous déclarer que
»Sa Majesté Pruffienne , avant d'entrer en Saxe ,fit
» donner au Roi mon époux , les affurances les plus
fortes d'une amitié inaltérable . Sur des affuran-
» ces pareilles & auffi pèu équivoques , le Roi mon
wépoux ne balança point à accorder aux trou-
»pes Pruffiennes un paffage fimple & exempt de
préjudice auffi - tôt que Sa Majesté le Roi de
»Pruffe l'eût demandé à notre Miniftre à Berlin.
»Nous n'avons pas même eu la moindre défiance ,
wen voy int ces troupes étrangeres entrer fur no-
»tre territoire. Mais au lieu d'une exacte diſcipline
OCTOBRE. 1756. 209
»& d'un paiement régulier que nous attendions
»d'elle , nous avons vu avec douleur que le Prince
»de Brunſwic , non content d'avoir fait mettre le
»fcellé fur toutes les caiffes de nos revenus à
Leipfick , a convoqué nos Etats pour leur donner
des ordres abfolument contraires à nos inten-
»tions. Le Roi mon époux , envoya le Général .
Meager à S. M. Pruflienne , pour lui repréſenter
qu'on ne pouvoit combiner ces fortes d'actes
d'hoftilité avec les déclarations précédentes , &
que d'ailleurs le Roi n'avoit d'autres vues que
»d'obferver, la plus exacte neutralité dans cette
guerre. La réponse que le Général Meager reçut
par écrit , ne fut qu'un extrait de la Déclaration
publiée de la part du Roi de Pruffe , pour jufti
fier les motifs de fon entrée dans ce pays. Après
Dune réponse auffi vague & auffi peu catégorique ,
Dle Roi mon époux , toujours animé d'un vrai
ndefir d'entretenir la paix en Allemagne & le
repos dans les Etats , pria le Lord Stormont &
Dle Sieur de Malzahn d'aller au camp. Pruffien •
»pour fçavoir les intentions du Roi de Pruffe &
ce qu'il exigeoit. Mais loin de rien propofer &
»de rien entendre , le Roi de Pruffe répliqua au
»Lord Stormont : Tout ce que vous me proposez
one me convient point , & de ma part je n'ai au
cune propofition à faire. Après le retour du I ord ,
»le Roi fe rendit à Pirna. J'y voulus envoyer un
Page chargé d'une Lettre ; mais on l'arrêta , &
» même on m'a refufé d'y pouvoir envoyer un
»Gentilhomme qui ne feroit chargé d'aucune lettre.
Enfin quoiqu'hier le Général Lentulus m'ait
waffuré de la part de S. M. Pruffienne , que la
»garnifon qu'on avoit mife en cette Capitale y
étoit pour ma sûreté , & même à mes ordres ,
non eft venu néanmoins à l'extrêmité de me
210 MERCURE DE FRANCE:
demander aujourd'hui les clefs du cabinet des
>>Archives. N'ayant pu réfifter à la force dont on
»me menaçoit , je les ai remiſes à l'Officier qui
»avoit la commiffion de les recevoir. Pour fur-
>> croit de chagrin , mes Miniftres de Conférence
» m'ont communiqué dans ce moment l'infinua
»tion qui leur a été faite par le Général Keith ,
»que le Roi de Pruffe fe propofoit de fubftituer
>> en lear place des Confeillers Pruffiens , pour
Davoir foin de l'adminiſtration de cet Electorat.
>> Telle eft , Meffieurs, la triſte ſituation où nous
nous trouvons. Nous espérons que vous en ferez
un fidele rapport à vos Cours refpectives , &
»nous fommes perfuadés qu'Elles n'approuveront
»pas le tort qui nous arrive , & qu'au contraire
»Elles jugeront qu'il eft de leurs intérêts d'épouſer
>> les nôtres. »
La Reine en remettant les clefs des Archives à
l'Officier Pruffien , qui avoit été chargé de les demander
, lui avoit dit : « Malgré le rang où la
nature m'a placée , je partage avec la derniere
»des fujettes le malheureux fort tombé fur la Saxe.
>>Séparée du Roi mon époux , & d'une partie de
»ma famille , j'effuie avec le refte de mes enfans
»le défagrément d'un état plein d'angoiffe & d'in-
» quiétude , & je me vois expofée avec cette partie
»de ma famille , qui eft auprès de moi , à manquer
» bientôt des chofes néceffaires , par la privation
des moyens propres à me les procurer. » Le Roi
de Pruffe informé des plaintes de cette Princeffe ,
lui a fait réitérer qu'il avoit donné les ordres les
plus précis pour lui faire garder le refpect qui lui
étoit dû ; que fi ces ordres étoient mal fuivis ,
Elle eût à l'en faire avertir , & qu'il puniroit févérement
les contrevenans ; qu'Elle ni la Famille
Royale & Electorale ne manqueroient jamais des
OCTOBRE. 1756. 211
chofes néceſſaires ; que la dignité de leur rang &
de leur état ne feroit jamais confondue avec les
circonftances qui regardoient le Public ; qu'ainfi
il prioit Sa Majefté de vouloir bien fe tranquillifer
, & de ne point outrer les idées qu'Elle fe formoit
de l'état des choſes. En même temps S. M.
Pruffienne a recommandé aux Officiers des Détachemens
poftés entre fon camp & cette Ville ,
de laiffer paffer librement tout ce qui étoit pour
le fervice de la Reine , des Princes & des Princeffes.
Il paffe tous les jours ici des Régimens , tant
d'Infanterie que de Cavalerie , qui vont joindre
l'armée du Roi de Pruffe. Tous les avis confirment
que ce Prince dirige fa marche fur Leitmaritz.
Depuis avant - hier les Bourgeois de cette
Capitale font difpenfés de fournir le pain aux foldats
Pruffiens , qui y font en garniſon ; mais on
continue de fournir à ces Soldats la viande & la
biere.
On publia à Torgaw le 13 , une Ordonnance ,
dont voici la teneur : « Sa Majefté le Roi de Pruf-
»fe , par des motifs fondés fur la néceffité des
conjonctures, a pris la réfolution d'établir à Tor-
»gaw un Directoire de Guerre pour la perception
»de tous les revenus , tant de la Chambre des Fi-
» nances , que de l'Ectorat de Saxe , fous quelque
nom que ce puiffe être. En conféquence , tous
les Receveurs des Accifes générales & autres
» droits , de même que les Fermiers Officiers , &
généralement tous les Suppots des Douanes &
» Péages , fans exception , font avertis d'apporter
& de délivrer fidélement audit Directoire de
» Guerre les deniers qu'ils fe trouveront avoir en
»caiffe ; & ce fous peine de double reftitution &
de caflation , ou même de prifon , fuivant l'exi
212 MERCURE DE FRANCE.
» gence du cas. Ce qu'ils devront faire à l'avenir
»tous les mois , fans y manquer : leur étant dé-
» fendu très-expreflément de remettre aucun de
ces deniers à qui que ce foit , finon au ſeul Di-
»rectoire fufdit. »
DE LEIPSICK , le 22 Septembre.
Divers Détachemens des troupes Pruffiennes
ont occupé dans cet Electorat les Villes de Merfbourg
, d'Eifleben , de Naumbourg , de Weffeinfels
, de Zeitz & de Torgaw . La Colonne ,
à la tête de laquelle eft le Roi de Pruffe , a pris
fa marche le long de l'Elbe . Elle campa le 6 à
Rothen Schoneberg , la droite appuyée fur Tan
nenberg , & la gauche fur Wundfchritz . Le jour
précédent , la Colonne du Prince Ferdinand de
Brunfwic avoit campé près de Freyberg , & celle
du Prince de Bevern à Fifchbach , de l'autre côté
de l'Elbe. Depuis le Roi de Pruffe s'eſt avanté
à Torgaw , où il a établi fon quartier genéral .
Le Comte de Stormont , Envoyé du Roi de la Grande-
Bretagne auprès de Roi , s'eft rendu auprès de
S. M. Pruthienne avec deux Miniftres de Sa Majefté.
Les Pruffiens ont vuidé les Arfenaux des
principales Villes où ils ont paffé ; & ils en ont
fait voiturer l'artillerie à To gaw.
On publia le 15 une Déclaration , dont voici la
teneur. « Sa Majesté le Roi de Pruffe ayant pris -
>>fous fa garde & protection les Etats Electoraux
» de la Maifon de Saxe ; ont fait fçavoir , de la
» part de S. M. , à tous & un chacun , que fon
»intention eft , que perfonne , à l'occafion des
> troubles actuels ne foit inquiété dans fa pro-
»feſſion , mais qu'au contraire chacun puiffe y
vaquer tranquillement , & comme à l'ordinai
OCTOBRE. 1756. 213
»re. S. M. défire auffi , que les Foires de Léipfick
& de Naumbourg , & les autres Marchés
>> publics , fe tiennent fuivant l'ufage établi ; que
tous les acheteurs ou vendeurs , qui voudront
ns'y rendre , puiffent les fréquenter librement ,
D& qu'il ne leur foit apporté à cet égard aucun
»obftacle ni empêchement . A ces caufes , S. M. fait
>> affurer tous Commerçans , Négocians , & Fa-
>> bricans , tant de cet Electorat que des pays
»étrangers , qui font dans l'habitude de fréquenwter
leidites Foires & lefdits Marchés publics , &
>> qui voudront y venir aux temps accoutumé
nqu'ils y jouiront d'une entiere liberté & fûreté
»pour leurs perfonnes & pour leurs effets ; que
S. M. les prend fous fa pro.ection & fauvegarde
>>Royale, & qu'il leur fera accordé en confequen-
» ce les faufconduits néceffaires » . Le Commiffaire
, qui eft ici de la part du Roi de Pruffe , a annoncé
aux habitans , qu'ils pouvoient payer leurs
taxes aux Receveurs ordinaires.
Sur les nouvelles affurances que le Roi a fait
donner à ce Prince par le Comte de Salmour ,
que Sa Majesté avoit toujours été dans la réfolution
de ne prendre aucune part aux différends
furvenus entre les Cours de Vienne & de Berlin ;
S. M. Pruffienne a répondu : « Qu'Elle ne fou-
»haitoit rien de plus Elle-même , que de trouver
»le Roi dans ces fentimens ; que la neutralité ,
aque le Roi défiroit d'obferver , étoit précifé-
>> ment ce qu'Elle requéroit de lui ; mais que pour
>> rendre cette neutralité plus fûre , & la mettre à
»l'abri de variation , il convenoit que le Roi fé-
»parât fon armée , & qu'il renvoyat dans leurs
»quartiers les troupes qu'il avoit affemblées à
»Pirna ; que fi le Roi vouloit donner par une
»femblable démarche la preuve de fes difpofitions
214 MERCURE DE FRANCE.
pacifiques , S. M. Pruflienne fe feroit dès lors un
»plaifir de montrer , par une égale condescendanace
, combien Elle étoit portée de ſon côté à
donner des marques réelles de ſon amitié au
>>Roi , & à fe concerter avec Sa Majeſté ſur les
arrangemens que les conjonctures peuvent requérir
» . Le Roi n'eft point dans la réfolution
d'accepter la propofition du Roi de Pruffe , & Sa
Majefté a déclaré , « Qu'Elle attendroit dans fon
camp la décifion des évenemens ; que fi les
Pruffiens entreprenoient de l'y forcer ,Elle foutiendroit
leurs efforts ».
Divers mouvemens du Roi de Pruffe donnant
lieu de croire qu'il a deffein de refferrer de tous
côtés le camp de Pirna , le Feld-Maréchal Comte
de Browne a décampé de Kollin le 9 de ce mois ,
pour fe porter en avant , & pour tâcher de conferver
la communication avec les troupes Saxonnes.
Le Corps que ce Général a détaché fous les
ordres du Comte de Wied , s'eft faifi des paffages
entre Trebnitz & Catharinenberg: On a reçu
avis que les Pruffiens établiffent des batteries pour
attaquer les Saxons dans leur camp.
Selon les nouvelles qu'on a du camp de Pirna ,
le Roi a fait diftribuer aux différens Corps de fes
troupes la Déclaration fuivante. « Dès le com-
»mencement de l'invafion des troupes Pruffien-
»nes dans cet Electorat , Sa Majefté a mis tout
wen oeuvre , pour tâcher de faire un accommode-
>ment avec le Roi de Pruffe. Ce Prince ayant
mexigé des conditions inouies , Sa Majefté non-
>>feulement les a rejettées , mais a fait fçavoir à
»S. M. Pruffienne , qu'Elle aimoit mieux tout perdre
que de s'y foumettre. Ainfi Sa Majesté atptend
de la bravoure & de la fermeté de fes fidelles
troupes , qu'elles fe montreront diſpoſées à
OCTOBRE. 1756. 215
foutenir jufqu'à la derniere goutte de leur fang ,
»la réfolution qu'a prife Sa Majefté. Elle les ex-
>> horte à tout facrifier pour la défenfe de leur
>>Roi, & pour la confervation de leur
»ne ur» .
propre
hon-
Le Roi de Pruffe eſpérant de réduire l'armée
du Roi par la famine , a laiffé vingt mille hom
ines pour tenir le camp de Sa Majefté bloqué . La
femaine derniere , les Pruffiens firent fauter les
fortifications de Wittemberg, Ils fortifient actuellement
laVille de Torgaw , où leur Directoire de
Guerre eft établi . Ce Directoire a fommé les différens
Cercles, de l'Electorat , de livrer , d'ici à
trois ſemaines au plus tard , onze cens boeufs ,
deux mille cinq cens moutons , deux cens mille
mefures d'avoine , cent cinquante mille quintaux
de foin & vingt mille bottes de paille. Cette fourniture
eft évaluée à fix cens vingt - cinq mille
écus .
DE BERLIN , le 21 Septembre.
Les troupes d'Infanterie du Roi confiftent en
cent quarante bataillons. La Cavalerie eft compofée
d'un Efcadron de Gardes du Corps , de foixante
Efcadrons de Gendarmes , Carabiniers &
Cuiraffiers , de foixante-dix Efcadrons de Dragons
, de quatre-vingt Efcadrons de Huffards , &
de deux Efcadrons de Chaffeurs à cheval. Deux
Corps d'armée font affemblés dans la Haute &
dans la Baffe Siléfie , & ont occupé les défilés ,
par lesquels on peut paffer du Royaume de Bo
heme dans cette Province. Il y a auffi quelques
troupes campées dans les environs de Glatz. A
juger par ces difpofitions , il paroît que le Roi fe
propofe non feulement de couvrir la Siléfie , mais
216 MERCURE DE FRANCE.
`auffi de faire entrer de ce côté une feconde armée
en Boheme.
Dans l'expofé des motifs qui ont déterminé le
Roi à prendre les armes , Sa Majefté le plaint particuliérement
de ce que l'Impératrice Reine de
Hongrie & de Boheme , a augmenté jufqu'à foixante
pour cent , les droits fur les marchandifes
des Etats de Pruffe. Voici un des endroits les plus
remarquables de cet expofé. a Il eft certain que
>>le Roi commence les hoftilités : mais comme ce
>>terme a fouvent été confondu avec celui d'aggreffion
, l'on fe croit obligé de diftinguer le fens
de ces deux mots . Par aggreffion , l'on doit en-
»tendre tout acte , qui eft diamétralement oppofé
à l'efprit d'un Traité de Paix. Une Ligue of
fenfive ; des ennemis qu'on fufcite , & qu'on
pouffe à faire la guerre à une Puiffance ; le deffein
d'envahir les Etats d'autrui ; une irruption
>>foudaine ; toutes ces chofes différentes font au-
»tant d'aggreffions , quoique la derniere feule fe
trouve dans le cas des hoftilités . Quiconque cher-
>>che à fe défendre contre ces aggreffions , ou à en
»prévenir les fuites , peut commencer les hoftiliwtés
, mais il n'eft pas l'aggreffeur » ...... Cet Ecrit
finit ainfi : « S. M. déclare , que les Libertés du
»Corps Germanique ne feront ensevelies qu'en
>> un même tombeau avec la Pruffe. Elle prend le
Ciel à témoin , qu'ayant vainement employé les
moyens les plus convenables pour préferver fes
»propres Etats & toute l'Allemagne , des fléaux de
Dla guerre dont ils étoient ménacés , Elle eft for
cée de prendre les armes , pour diffiper une
»confpiration tramée contre fes poffeffions & fes
>> Etats .... Le Roi ne s'écarte de fa modération
»ordinaire , que parce que cette vertu ceffe d'én
pêtre une , lorfqu'il s'agit de défendre fon honneur
OCTOBRE . 1756. 217
neur , fon indépendance , fa Patrie & fa Cou-
>>ronne » . Le Comte de la Puebla , Miniftre de
Leurs Majeftés Impériales , partit le 16 , fans
prendre congé.
La petite ville de Biefenthal , fituée à quatre
lieues d'ici , a été totalement réduite en cendres.
Différentes perfonnes ont péri dans les flammes ,
entr'autres , plufieurs enfans qui avoient été renfermés
dans les maifons , pendant que leurs parens
étoient fortis pour vaquer à leurs affaires.
Le feu a pris auffi au Château de Guffou , apparte
nant au Comte de Podewils , Premier Miniftre
d'Etat ; & le dommage cauté par cet incendie ,
monte à près de vingt mille écus.
DE HAMBOURG , le 25 Septembre.
Plufieurs lettres marquent que tandis que le Roi
de Pruffe eft entré en Boheme avec quarante mille
hommes , le Feld . Maréchal Schwerin y a débouché
avec trente- cinq mille hommes, par le Comté
de Glatz. Si l'on en croit les mêmes lettres , le
fieur Calkoen , Envoyé Extraordinaire des Etats
Généraux des Provinces-Unies auprès du Roi de
Pologne Electeur de Saxe , s'eft joint au Comte
de Stormont , pour tâcher de ménager , entre
8. M. Pruffienne & S. M. Polonoiſe , un accord
qui pût procurer aux deux Parties une fûreté convenable.
Il y a eu le 21 ,à ce qu'on affure , quelques
nouveaux articles propofés de part & d'autre.
Le fieur de Soltikoff , Envoyé Extraordinaire
de l'Impératrice de Ruffie auprès des Cercles de
la Baffe Saxe , a notifié aux Magiftrats de cette
Ville , ainsi qu'aux Miniftres Etrangers qui y réfi
dent , Que cette Princeffe , vu les mouvemens des
troupes du Roi de Prufſe , ſe trouve dans la nécef-
II. Vol. K.
218 MERCURE DE FRANCE.
fitédefaire marcher une armée aufecours de fes Al
liés contre S. M. Pruffienne . Le bruit court , que
cette armée fera de cent vingt mille hommes, Oa
ajoute que S. M. Imp. de Ruffie a ordonné d'équipper
une Flotte , pour fervir au tranfport des
troupes qu'Elle jugera à propos de faire embar
quer.
DE RATISBONNE , le 24 Septembre .
Auffitôt que l'Empereur a été informé de l'entrée
des troupes Pruffiennes dans l'Electorat de
Saxe , S. M. Imp. a adreffé un Décret au Roi de
Pruffe , pour le fommer de faire retirer les troupes
, faute de quoi il feroit procédé contre S. M.
Pruffienne en la maniere prefcrite par les Loix de
l'Empire. Un autre Décret ordonne à tous les
Vaffaux des Princes & Etats d'Allemagne , qui
font employés dans les troupes du Roi de Pruffe,
de quitter inceffamment le fervice de ce Prince.
Par un troifieme Décret , l'Empereur défend à
tous Princes , Etats ou Membres du Corps Germa
nique , de fouffrir qu'il foit fait chez eux aucunes
levées de Soldats pour S. M. Pruſſienne , &
de lui prêter aucune affiftance dans les circonftances
actuelles , le tout à peine d'encourir les
condamnations ftatuées par les Conſtitutions de
l'Empire.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 14 Août.
11 y eut le 3 de ce mois à Obédos & dans les
environs un violent tremblement de terre . Dans
quelques montagnes voisinages de ce Bourg , il
OCTOBRE. 1756. 219
s'eft fait diverfes ouvertures , d'où il fort de l'eau
en abondance. On commencera le mois de Janvier
prochain , à rebâtir cette Capitale , & l'on y
employera vingt mille Ouvriers. Les maiſons
n'auront que deux étages. La largeur des princi
pales rues fera de dix toifes.
DE MADRID , le 21 Septembre.
On apprend du Paraguay , que les troupes du
Roi , jointes à celles de Portugal , ont défait un
corps de Rebelles . Ces derniers ont perdu quatorze
cens hommes , & on leur a enlevé huit canons
& autant de Drapeaux. Du côté des Européens
, il n'y a eu que cinq Soldats tués & quarante-
trois bleffés .
On a reçu avis de Malaga , qu'un Armateur
de Marſeille avoit repris quatre Navires François
que la Frégate l'Espérance , de l'Efcadre de l'Ami
fal Hawke , conduiſoit à Gibraltar.
ITALI E.
DE MESSINES , le 24 Août.
Les chaleurs exceffives qu'on a effuyées ici depuis
le 15 du mois de Juin , ont produit des maladies
dont les fymptômes & les fuites ont caufé
d'abord beaucoup d'effroi. Toutes les perfonnes
qui en étoient attaquées , tomboient au bout de
quelques heures dans une violente phrénéfie . Leur
tête s'enfloit extraordinairement ; elles perdoient
l'ufage de leurs organes , & bientôt une fievre violente
les emportoit. On a trouvé le moyen de
prévenir ces funeftes effets , en baignant la tête
du malade dans de l'eau froide.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
DE ROME , le 11 Septembre.
En fouillant la terre dans un jardin du Comte
perucchi , on a découvert une Úrne qui , felon
Pinfcription gravée deffus , content les cendres
du Maitre de la Garde-robe de P'Empereur Auguf
te. On a trouvé auffi fous terre , dans l'endroit où
le Duc de Zagarola fe propofe de faire conftruire
un nouveau Palais , une petite Chapelle dont les
peintures font bien confervées.
Le Pape a difpofé de la charge de Secretaire
d'Etat , & de celle de Vice -Chancelier en faveur
du Cardinal Aubri Archinto , Gouverneur de
Rome. Sa Sainteté a accordé au Cardinal Jérôme
Colonne , qui étoit Vice -Chancelier , celle de
Camerlingue du Saint Siege, à laquelle eft attaché
le titre de Président de la Chambre Apoftolique.
La place de Préfet de la Congrégation de Prapaganda
Fide a été donnée au Cardinal Jofeph
Spinelli , & le Cardinal Fortuné Tamburini a été
déclaré Protecteur de la Congrégation du Mont
Caffin . Les Cardinaux Jean - Jacques Millo & Clément
Hargenvilliers ont été mis au nombre des
Commiffaires de la Congrégation établie pour les
affaires du Comtat Vénaiffin. Le fieur Corneille
Caprara , frere du Marquis de Monti , Maréchal
des Camps & Armées de Sa Majeſté Très Chrétienne
, a été nommé Gouverneur de Rome , & il
eft remplacé dans la Chambre de la Rote par le
fieur Alexandre Ratta . Le Saint Pere a conféré à
un fils du Marquis Cavalieri un Canonicat de
Saint Pierre du Vatican , dont l'Evêque de Col
tanza s'eft démis .
OCTOBRE. 1756. 227
DE LIVOURNE , le 13 Septembre.
Un Navire , arrivé de l'Ile du Goze , a rapporté
que les Algériens ayant mis le fiege devant
Tunis , le Bey, pour ne pas tomber entre leurs
mains , s'elt fauvé avec les tréfors & trente- deux
Eſclaves , & qu'il s'eft retiré à Malte .
GRANDE BREETTAAGGNNE.
DE LONDRES , le 14 Septembre.
La garde qui veille fur la perfonne de l'Amiral
Byng , vient d'être doublée , & l'on a grillé les
fenêtres de la chambre où il eft logé dans l'Hôpital
de Greenwich. Il paroît qu'il fera jugé par
le Parlement , & non par un Confeil de guerre.
On a fait la vifite du Vaiffeau de guerre Hollandois
, & des vingt-cinq Navires de la même Nation
, qui furent amenés le 17 du mois dernier
aux Dunes. Comme on n'y a trouvé aucune marchandiſe
de contrebande , on leur a notifié qu'ils
pouvoient continuer leur navigation. Le bois de
coaftruction , qu'ils avoient à bord , a été retenu
pour le compte de Sa Majefté , & payé argent
Comptant. Trois bataillons des Gardes , & huir
Régimens d'Infanterie , ont ordre de fe tenir prêts
à s'embarquer.
Selon les nouvelles de la Méditerranée , l'Amiral
Hawke a quitté les parages de l'Ile Minorque
, & a fait voile vers l'Eft . L'efcadre de cet
Amiral , ainfi que celle de l'Amital Boscawen
font réduites à un très - fâcheux état par le fcorbut
& par d'autres maladies. Le Gouvernement vient
d'envoyer ordre à Portsmouth , à Plymouth , à
3
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
Chatham & à Wolwich , que tous les Vaiſſeaux de
guerre , qui s'y trouvent , fe préparent à fe mettre
en mer , pour aller renforcer l'une & l'autre
Efcadre. On prétend que l'Amiral Knowls doit
relever inceffamment l'Amiral Boscawen.
Divers Négocians de cette Ville font en peine
pour les Navires qu'ils attendent de la Mer Baltique.
Leur inquiétude eft d'autant mieux fondée ,
que les Armateurs François croiſent actuellement
en grand nombre fur les côtes d'Angleterre. Depuis
quelques jours , ces Armateurs ont pris plufieurs
Bâtimens dont les uns ont été conduits en
France , & les autres ont été rançonnés. Comme
le nombre des Corfaires ennemis augmente de
jour en jour , on a ordonné à quelques Vaiffeaux
de guerre , de leur donner la chaffe. On fe propofe
d'accorder à nos Armateurs les mêmes gratifications
, qui font promifes aux Capitaines &
aux Equipages des Vaiffeaux & des Frégates de
Sa Majefté , pour les prifes faites fur les François.
PATS- BAS.
D'AMSTERDAM , le 16 Septembre.
On mande d'Elfeneur , que divers Maîtres de
Navires arrivés dans le Sund , fe plaignent ex rêmement
des mauvais traitemens qu'ils ont efluyés
de la part des Armateurs Anglois . Les mêmes
nouvelles ajoutent que plufieurs de ces Corfaires
arborent pavillon d'Alger pour caufer plus de
frayeur. Un d'eux a rançonné le Patron Frédéric
Carstens pour la fomme de vingt- deux livres fterlings.
Le Capitaine Hendriks , montant le Navire
le Rotterdamfe Welvaren , a déclaré que
deux facs d'argent qu'il avoit à bord , lui avoient
OCTOBRE . 1756. 223
été enlevés avec fa montre & les hardes par
an Pirate de cette Nation . A la hauteur de
Tervere , le Navire du Capitaine Pierre Sybrand
a été canonné par un Vaiffeau de la
même Nation , & a eu les agrêts conſidérablement
endommagés. Une lettre du Patron Corneille
Bandt porte ce qui fuit . « Le 2 du courant ,
» nous remîmes à la voile de Quillebeuf. Un cal-
» me nous arrêta le 5 , & nous fûmes abordés
> par la Chaloupe d'un Armateur Anglois , dans
» laquelle il y avoit huit hommes. Ils examinerent
nos papiers. Enfuite ils enfoncerent nos
» Ecoutilles ; ils en jetterent les panneaux fur le
» tillac , & ils ouvrirent plufieurs ballots , en les
>> coupant. Parmi nos marchandiſes étoit une
» caiffe de cifeaux , dont ils prirent la moitié , en
» difant , Voilà qui eft fort bon , pour couper les
» oreilles aux Hollandois. Ils battirent trois de nos
» Matelots. Je m'attendois à avoir mon tour ,
» mais j'en fus quitte pour les menaces. Après
» avoir mis tout notre Bâtiment au pillage , &
» m'avoit ôté même les boucles d'argent que j'a-
>> vois à mes fouliers , ils me dirent qu'ils me rendroient
tout , fi je voulois leur donner onze
>> guinées & demie . Comme je les affurai que je
» n'avois pas cette fomme , ils me fouillerent moi
& mon Pilote , & ne nous laifferent que deux
» pieces de deux fols . Non contens de ce qu'ils
avoient pris , ils s'approprierent encore un baril
» d'eau-de- vie , & ils fe retirerent , en nous fou-
» haitant un bon voyage » .
DE BRUXELLES , le 25 Septembre.
Deax Bataillons de chacun des Régimens , qui
font en garnifon dans les Places des Païs -Bas , ont
K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
ordre de fe tenir prêts à marcher. Le 18 de ce
mois , le Général Luchefi fe rendit à Mariemont ,
& il y prêta ferment entre les mains du Prince
Charles de Lorraine , en qualité de Gouverneur
de Bruxelles. Ce Général étant revenu ici le lendemain
au matin , reçut les complimens des Magiftrats.
Il dina chez le Comte de Gobenzel , & il
partit enfuite pour la Boheme , où il doit commander
la Cavalerie de l'armée de l'Impératrice
Reine. Le Duc d'Aremberg fe difpofe à y aller
joindre le Régiment dont il eft Colonel.
FRANC E..
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
MAdame Louife vint à Paris le 20 Septembre;
& fe rendit à la Maifon des Dames de l'Enfant Jefus.
Cette Princefle y donna le Voile noir à la
Demoifelle de Chabrillant , & le Voile blanc
aux Demoiselles de la Noue & de la Riviere. M.
l'Abbé de Sailly , un des Aumôniers de Madame
la Dauphine , prononça le Sermon .
On mande de Dunkerque , que le Capitaine
Guilbert Sutton , commandant le Corfaire le
Lion , de ce Port , y a conduit le Navire Anglois
la Catherine , de la Nouvelle Yorch , de 140 tonneaux,
chargé de bois pour teinture , de cuirs , & c.
Le Corfaire la Fourmi , de Boulogne , comman
lé par le Capitaine Jean- Louis Jean , a pris &
conduit à Calais le Navire le Robert & Thomas , de
150 tonneaux , dont la cargaifon eft composée de
beurre & de charbon de terre.
Le Navire François l'Harmonie , de Bayonne ,
OCTOBRE. 1756. 225
de 250 tonneaux , chargé de fucre de café , de
Cacao & de coton , qui avoit été pris par un
Vaiffeau de guerre Anglois , a été repris & conduit
au Havre par le Corfaire le Prince de Soubife , de
Dunkerque : Capitaine , Jacques Canon .
Les Bâtimens Anglois l'Edouard & Marie , de
110 tonneaux , chargé de bois de construction ,
& le Louis , de 130 , dont le chargement confite
en fucre , fers , planches , &c. ont été pris par
les Corfaires l'Infernal & la Favorite , du Havre ,
& ont été conduits à Dieppe.
Le Corfaire le Port -Mabon , de Saint - Malo ,
s'eft rendu maître des Navires Anglois la Penelope,
de 250 tonneaux , armé de feize canons , le Famé
de Londres , de 170 ; le Succès & la Providence
, de 150 chacun Ces Batimens , chargés de
diverfes marchandiſes ont été conduits dans differens
Ports de Bretagne.
L'Efpérance , autre Corfaire de Saint - Malo , a
pris les Navires Anglois le Duc de Toscane , de
150 tonneaux , chargé de raifins , & l'Eliza.
beth , de 120 , chargé de fucre & de café.
On apprend de Bayonne , que les Navires le
Salé , de Londres , de 350 tonneaux , chargé de
fel , & le Dauphin , de Poole , de 140 , ayant
un chargement de vivres deftinés pour la Nouvelle
Angleterre , ont été pris par les Corfaires
l'Amiral & l'Espérance de ce port , où ces Corfaires
les ont fait conduire.
Il est arrivé à Saint-Jean de Luz un Bâtiment
Anglois , appellé le Poftillon , de Jerzey , chargé
de mille quintaux de morue , qui a été pris par le
Corfaire le Saint- Jean- Baptifte de ce Port.
Le 23 Septembre , le Prince Conſtantin de Rohan
, Premier Aumônier du Roi , fut élu unanimement
Evêque de Strasbourg par les Chanoines
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
de la Cathédrale , qui avoient eu la permiffion du
Roi , de s'affembler pour procéder à cette Election
.
Le 27 , Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monfeigneur le Duc de Berry & Monfeigneur le
Comte de Provence , accompagnés de Madame la
Comteffe de Marfan , Gouvernante des Enfans de
France , revinrent du Château de Meudon.
Sa Majefté a accordé une place de Commandeur
dans l'Ordre de Saint Louis , au Marquis de
Monteynard , Maréchal de Camp , & Infpecteur
Général de l'Infanterie.
On vient de former en Saintonge , pour la garde
des côtes de cette Province , un Corps de quatre
Efcadrons de Dragons , qui feront à la folde du
Roi , tous les ans , pendantle temps de la campagne.
Sa Majefté a donné le commandement de
cette troupe , auquel eft attaché le grade de
Meftre de Camp de Dragons , à M. le Marquis de
Culant- Ciré , ci -devant Capitaine de Cavalerie
dans le Régiment Royal Pologne. La même troupe
a M. de Châteaubardon pour Lieutenant - Colonel.
M. de Fontaine en eft Aide -Major Général ,
avec commiffion de Capitaine de Dragons.
Selon les nouvelles de Mahon , M. le Comte
de Lannion , Gouverneur de l'Ile Minorque , y
a célebré avec beaucoup d'éclat la Fête de Saint
Louis , dont le Roi porte le nom. Le Te Deum
fut chanté au bruit de toute l'artillerie & de la
moufqueterie de la Garnifon rangée en bataille
fur la Place . On tira le foir un très - beau feu d'artifice.
La nuit toute la Ville fut illuminée .
L'Hôtel de M. le Comte de Lannion & l'Hôtel de
Ville , le furent avec une grande magnificence.
On mande de Toulon que M. de Carné-
Marcein , Capitaine de Vaiffeau , commandant la
OCTOBRE. 1756. 227
"
Frégate du Roi la Pleyade , a conduit en ce Port ,
où il eft arrivé le 18 , une Goelette venant de
Londres , armée en courfe avec quatorze canons
& fur laquelle il s'eft trouvé foixante - quinze
hommes. Il s'étoit emparé quelques jours auparavant
de la Pinque Angloife , appellée l'Afrique ,
chargée de bled.
M. de Cour , Enfeigne de Vaiffeau , commandant
la Corvette du Roi la Levrette , eft rentré à
Breſt le 21 , avec le Corfaire le Dauphin , de Jerzey
, dont il s'est rendu maître .
Le Brigantin Anglois le Dauphin , chargé de
thé , de cordages , de fil de carret , & d'autres
marchandifes deftinées pour S. Jean d'Antigues ,
a été pris dans la rade de Dunkerque , & conduit
en ce Port.
Le Corfaire l'Infernal , du Havre , dont eft Ca.
pitaine Louis de Ferne , a remis à Boulogne quarante-
deux Anglois , faits prifonniers fur un Senaw
armé de dix canons , qu'il a pris à l'abordage. Il
s'étoit rendu maître d'un autre Bâtiment ennemi
qu'il a rançonné pour huit cens foixante - dix livres
fterlings.
Il eſt arrivé à Morlaix un Brigantin Anglois ,
pris par le Corfaire la Dauphine , de Boulogne ,
& dont le chargement confifte en charbon de
terre , & en deux cens bouteilles d'eau- forte.
Les Octobre , le Roi accompagné de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine arriva
à Fontaineblau de Choify , où Sa Majeſté s'étoit
rendue le 3 de ce mois.
Leg , M. le Duc de Fronfac prêta ferment
entre les mains du Roi , pour la Charge de Premier
Gentilhomme de la Chambre de Sa Majefté
K vj
228 MERCURE DE FRANCE
BÉNÉFICES DONNÉS.
LE Roi a donné l'Abbaye de Simorre , Ordre
de Saint Benoît , Diocèfe d'Auch , à M. l'Abbé de
Noë , Vicaire Général de l'Archevêché d'Alby ;
l'Abbaye Réguliere & Elective de Loos , Ordre
de Câteaux , Diocèle de Tournay , à Dom Breton
, Religieux de cette Abbaye ; celle de Saint
Corentin , Ordre de Saint Benoît , Diocèse de
Chartres , à la Dame de Boiffe , Religieufe de
Pantemont ; & le Prieuré Conventuel & Electif
de Bouteville , Ordre de Saint Augustin , Diocèfe
de Saintes , à M. l'Abbé de Lancofme , Tréforier
de la Sainte Chapelle de Bourges.
NAISSANCES, MARIAGES
ET MORTS.
DAme Ame de Rivié , l'une des Dames nommées
pour accompagner Madame , épouſe du Marquis
de Gouy-d'Arey , Brigadier d'Infanterie , & Colonel-
Lieutenant du Régiment dela Reine , eft accouchée
d'un fils qui a été tenu fur les fonts le 17
Juillet , dans la Chapelle du Château de Compiegne
, par Monfeigneur le Dauphin & Madame ,
& nommée François . L'Abbé de Sainte- Aldegonde
, Aumônier du Roi , fuppléa les cérémonies du
Baptême à cet enfant.
Marie-Jeanne Olimpe de Bonnevie , époufe de
Marie- rançois - Henri de Franquetot , Comte de
Coigny , Meftre de Camp- Général de Dragons ,
OCTOBRE. 1756. 229
& Gouverneur du Château de Choifi , eft accou
chée le 2 Septembre , d'un fils qui a été baptifé le
même jour à S. Euftache , & a eu pour parrain le
Maréchal Duc de Coigny, fon bifayeul paternel
& pour marraine la Préfidente de Naffigny fa
bifayeule maternelle.
Le ... 1756 , N. Trudaine de Montigni , Maître
des Requêtes & Intendant des Finances , en ſurvivance
de Daniel- Charles- Trudaine fon pere , depuis
le mois d'Août 1754 , époula N. Gagne de
Perigni , fille d'Antoine-Jean Gagne de Perigni
Maître des Requêtes. Leur contrat avoit été figné
-par Leurs Majeftés le 21 Mars.
Charles-Louis-Jofeph- Alexandre de Canonville,
Marquis de Raffetot , Meftre de Camp de Cavalerie
, Sous- Lieutenant de la Compagnie des Chevaux-
légers de Monfeigneur le Dauphin , fils de
Louis- Auguftin , Marquis de Canonville , & de
Conftance-Geneviève- Catherine- Louife de Par
dieu-d'Avremenil , époufa le 18 Mai , Dame Ma
rie Magdeleine- Louife de Barberie- de S. Contest,
veuve de Louis - Henri - Felix du Pleffis- Chatillon
Marquis du Pleflis - Châtillon , de S. Gelais & de
Nonant , Comte de Château- Meillien , & fille de
feu Mefire François - Dominique de Barberie
Marquis de S. Conteft , Miniftre & Secretaire
d'Etat , ayant le Département des Affaires Etran-
-geres , & de Jeanne-Monique des Vieux. La Bénédiction
Nuptiale leur fut donnée par l'Evêque
de Metz. Leur contrat de mariage avoit été
figné le 16 du même mois par Leurs Majeftés.
& la Famille Royale.
9
La maifon de Canonville eft comptée à jufte
titre parmi les plus diftinguées de la Province de
Normandie , où elle eft connue depuis l'an 1066'
qu'un Seigneur de ce nom accompagna Guillau
230 MERCURE DE FRANCE .
me le Conquérant. Duchêne , Hift . de Normandie,
pag. 1116 , Chron . de Brompton , pag. 964 du Recueil
des Hiftoriens Anglois. Raoul , feigneur de
Canonville , Manneville & Veneſville , un de fes
defcendans , vivant en 1157 , eft le quinzieme
ayeul du Marquis de Raffetot duquel nous annonçons
le mariage.
Richard de Canonville eft nommé avec les plus
grands feigneurs de Normandie , dans deux chartes
de Henri II , Roi d'Angleterre & Duc de Normandie
, l'une qui accorde des privileges aux
Habitans de Rouen , donnée vers l'an 1175 , &
l'autre accordée environ le même temps à l'Abbaye
de Jumieges.
Cette maifon qui eft alliée à celles de Blainville
, Fefcamps , Villequier , Cailletot , Gueures ,
Rouvroi-S.-Simon , Hautemer-Fervaques , Choifeul,
Gramont , Perthuis , Pardieu , &c. poffede
la terre de Raffetot depuis l'an 1355 qu'elle lui
eft venue par le mariage de Pierre III , feigneur de
Canonville , avec Laurence de Cailletot , Dame
de Raffetor.
Canonville de Raffetot porte pour armes , de
gueules , à 3 molettes d'éperon d'or , 2 & 1.
-
Meffire Louis - Gabriel des Acres , Comte de
Laigle , Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
veuf de Dame Françoife Gillette Loquet - de
Grandville , époufa le 19 Mai , Demoiſelle Anne-
Salomé Jofephine de Waës , fille de feu Meffire
Jean Guillaume- Anne Baron de Waes , & de
Dame Catherine de Limingue.
Demoiselle Catherine- Virginie Cailhou -Desgnac
eft décédé le 28 Février , âgée de 66 ans , &
a été inhumée à S. Sulpice . Elle étoit fille de Meffire
Charles Cailhou- Défignac , premier Ecuyer
de fon Alteffe Séréniffime Henri de Bourbon ,
OCTOBRE . 1756. 231
Duc de Verneuil , mort le 8 Mars 1736 ( 1 ) , âgé
de 94 ans , & de Dame Jeanne Gallois -de Vaudricourt
, morte le 6 Janvier de la même année 1736,
( 2 ) âgée de 88 ans , fceur de feu M. de Vaudricourt
, mort Chef d'Eſcadre .
La demoiſelle dont nous annonçons la mort
eft la derniere de fa famille , une des plus anciennes
du Poitou , alliée aux Maifons de Coué , de
Chaftaigner , de Mauléon , &c. & par elles à celle
de Voyer d'Argenfon . Elle avoit une foeur aînée
qui eft morte le 8 Novembre 1738 , ( 3 ) du mariage
de laquelle avec N. de Launay , il refte
1º. Meffire Charles- Pierre de Launay , Prêtre ,
Prieur Commendataire du Prieuré Royal d'Argenteuil.
2 °. Meffire Ambroife Henri de
Launay , appellé le Chevalier de Vaudricourt
Chevalier de Saint - Louis , qui a fervi dans la
Marine. 3 ° . Meflire Jofeph - François de Launay
, Capitaine de Grenadiers dans le Régiment
de Champagne , auffi Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis . 4° . Demoiſelle
Henriette-Virginie de Launay , fille.
·
"
Dame Marie- Marguerite Chaillon , épouse de
Mefire André-Jean Lalouette-de Vernicourt, Maréchal
des Camps & Armées du Roi , mourut le
12 Mars , à Paris .
Dame Etiennette-Louife d'Hallencourt , veuve
de Melfire Etienne , Comte de Graffe , eft morte
en cette ville le 13 , âgée de 65 ans .
Meffire Henri-François- de- Paule le Fevre-d'Ormeffon
, Confeiller d'Etat ordinaire & au Confeil
Royal , Intendant des Finances , eft mort le 20
(1 ) Voyez le Mercure de Mars 1736 .
(2) Voyez le Mercure de Janvier 1736.
(3) Voyez le Mercure de Novembre 1738.
232 MERCURE DE FRANCE:
Mars , en cette Ville , dans la foixante-feizieme
année de fon âge.
Dame Barbe-Magdeleine Maynon , veuve de
Meffire Nicolas- Etienne Roujaukt , Maître des Requêtes
Honoraire , & Confeiller au Confeil du
dedans du Royaume & de commerce, eft morte le
même jour , âgée de 88 ans .
Meffire Pierre de Malezieu , Lieutenant -Général
des Armées du Roi , & Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , mourut la
nuit du 21 au 22.
Meffire Etienne Croufet , Abbé de l'Abbaye de
Pleine-Selve , Ordre de Prémontré , Dioceſe de
Bordeaux , & Docteur en Théologie de la Faculté
de Paris , eft mort le 26 Mars , âgé de 88 ans , & a
été inhumé le lendemain en l'Eglife de l'Abbaye
de S. Victor.
Louis-François de Boufchet , d'abord Chevalier
de Malte , dit le Chevalier , puis le Comte de
Sourches , feigneur de la Ronce , & c. Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , & de celui de s.
Lazare , eft mort en cette ville , le 29 Mars 1756,
dans la quatre- vingt- cinquieme année de fon âge ,
étant né le 9 Juillet 1671. Il étoit troisieme fils
de Louis- François de Boufchet , Marquis de Sourches
, Confeiller d'Etat , Prevôt de l'Hôtel du Roi,
& Grand Prevôt de France , Gouverneur des Provinces
& Comtés du Maine , de Laval & du Perche
, & de Marie- Géneviève de Chambes , Comteffe
de Montforeau.
Le Comte de Sourches avoit fervi avec diſtinetion
dans les guerres d'Italie , enfuite dans celles
d'Espagne , & avoit été fucceffivement Moufquetaire
du Roi dans la premiere Compagnie en 1690 ;
Enfeigne au Régiment des Gardes Françoifes en
OCTOBRE. 1756. 233
1691 ; Colonel d'un Régiment d'Infanterie de fon
nom en 1695 , lequel étant réformé en 1701 ,
obtint fa réforme à la fuite de la garniſon d'Amiens.
Le 3 Mars de la même année , le Roi le
nomma Colonel à la faite du Régiment de Sourches
, dont le Comte de Montforeau fon frere
aîné , étoit Colonel. Il fut fait Brigadier des Armées
du Roi le 26 Octobre 1704 , & Colonel du
Régiment ci- devant Sourches , le 5 Septembre
1706 , après la mort du Marquis de Vaudreuil.
En 1715 , le Grand- Maî re de Malte , lui accorda
la permiffion de porter la Croix de l'Ordre , quoique
marié : il la quitta cette même année pour
celles des Ordres de S. Louis & de S. Lazare ; fut
fait Maréchal de Camp le 8 Mars 1718 , & Lieu
tenant Général le 20 Février 1734. Il avoit époufé
le 23 Octobre 1715 , Hilaire- Urfule de Thier
fault ; de ce mariage eft né Louis-Hilaire de Boufchet
, dit le Comte de Sourches , ci- devant Capitaine
de Dragons au Régiment de Languedoc ,
Chevalier de l'Ordre Militaire de S. Louis , marié
le 18 Janvier 1747 , à Louiſe- Françoife le Vayer,
Voyez pour cette Maiſon , l'Hift. des Grands Officiers
de la Couronne , vol. 9 , pag. 197 ; le qua
trieme & fixieme vol. des Tablettes Généalogiques
, pag. 116 & 10 ; les Mercures de France de
Juin 1746 ; le deuxieme vol. de Décembre 1747 ;
Juin 1748 le deuxieme vol. de 1750 ; Février &
Octobre 1753.
Marie-Emmanuelle d'Alegre , fille de feu Yves
d'Alegre , Marquis d'Alegre , Baron de Tourze ,
Maréchal de France , &c. & époufe de Jean- Baprifte-
François Defmaretz , Marquis de Maillebois,
Maréchal de France , Capitaine- Général des Armées
de Sa Majesté Catholique , Grand d'Espagne ,
Chevalier des Ordres du Roi , & Maître de la Gar234
MERCURE DE FRANCE.
de- Robe de Sa Majefté , eft morte le premier Avril,
à Versailles , dans la foixante- fixieme année de
fon âge , & a été inhumée le 6 , dans l'ancienne
Eglife de la Paroiffe du Château de Verſailles . Elle
étoit une des Dames nommées pour accompagner
Madame.
Dame Marie - Hélene - Elizabeth - Hyacinthe
de Narbonne-Pelet , épouse de Meffire Pons - Frédéric
de Pierre , feigneur des Ports en Languedoc
, Comte de Bernis , eft morte le 10 Avril.
Elle avoit été mariée le 16 Octobre dernier. Voyez
le mois de Novembre 1755 de ce Journal , page
235.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , il arrive tous les jours aux gens
de Robe & de Finance , & à des Particuliers
même , d'avoir befoin dans des opérations , des
EPOQUES des Dixiemes , Cinquantieme , Vingtiemes
des deux fols pour livre en fus du dernier
Dixieme. La difficulté eft de trouver ſous ſa main
dans l'inftant qu'on en a befoin , les différens
Edits , Arrêts & Déclarations qui les ont établis
& fupprimés. Ceux qui n'en ont pas fouvent befoin
, donnent avec peine quatre livres ou cent
fols , pour fe procurer ces pièces chez les Libraires
qui en ont fait la collection , & qui ne les donnent
pas à bon marché : l'épreuve que j'en ai faite
m'a donné l'idée de dreffer le petit tableau que je
vous envoie ; & comme la Société peut y trouver
de l'utilité , j'ai cru qu'il pourroit tenir une
place dans le Mercure .
J'ai l'honneur d'être , & c.
DELAGRAVE , Commiſſaire au Châtelet.
OCTOBRE. 237 1756.
Ecullons des Armes des Gentilshommes de la Province
: mais comme çe Nobiliaire n'eſt pas encore
complet , qu'il manque beaucoup d'Armoiries
que d'ailleurs il eft à propos de les vérifier ; il
prie Meffieurs les Gentilshommes de cette Province
, d'envoyer leurs noms de famille , avec les
noms de leurs Terres , leurs Armes , & la copie
de leur Arrêt de Nobleffe , pour les inférer dans
cet Ouvrage.
Ces Meffieurs , font auffi priés d'affranchir le
port des Lettres adreffées audit Sieur de la Tour.
Il demeure à Paris , rue des Canettes , Faux
bourg Saint Germain , chez un Tapiffier.
Ledit Sieur de la Tour , Maître de Mathéma
tiques , enfeigne les Fortifications , l'Architec
tonographie & le Blafon.
AUTRE.
LE Sieur Mufard , Marchand Parfumeur de Pa- ".
ris , donne avis au Public qu'il vend une Pâte
pour les engelures & les crevaffes : ladite Pâte
lave les mains auffi proprement que la pâte d'amandes
ordinaires. Les bons effets de ladite Pâte
lui ont procuré une permiffion de M. le premier
Médecin .
Ladice Pâte ſe vend 3 liv . le paquet , 1 liv. 1p f.
le demi , & 15 fols le petit paquet ; étant liquide
& au miel 6 liv. le pot , 3 liv. le demi pot , &
1 liv. 10 fols le petit pot. Son adreffe eft rue des
Anglois , près la Place Maubert ; & pour la commodité
du Public , on en trouvera rue S. Victor
chez le Sieur Guérin , Parfumeur , vis -à-vis le
Séminaire Saint Nicolas .
238
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond Mercure du mois d'Octobre , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 13 Octobre 1756.
GUIROY.
ERRATA
Pour le premier Volume de ce mois.
PAge 9. lignes 16 & 17 , ils femble , lifez , il
femble.
Pag. 33. lig. 21 & 22 , avouez que avez , liſ. avouez
que vous avez.
Pag. 35. lig. 20 & 21 , fon attachement m'eft
connue , lif. m'eſt connu .
Pag. 45. lig. 22 , qui attends , lif. qui attend .
Pag. 45. lig. 2 , puifée , lif. puifé.
Pag. 72. lig. 2.
Dont fe paroît le Littéraire Empire.
lif. Dont fe paroit , & c.
Pag. 136. lig. 24 , généreux , conftant , lifez;
confiant.
Pag. 149. lig. 25 , jamais furpriſe ne fut égal ,
lif. égale.
Pag. 176. lig. 17 , par M. Taffe , lif. par M. Vaffe.
Pag. 187. lig. 12 , tout Paris y acourt , lif. tout
Paris y accourt , ou plutôt y court.
Pag, 211. lig. 6 , après de la Valliere , ajoutez de
Fleuri.
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE. *
ODE DE irréguliere à lá Danfe ,
Impromptu ,
Suite de l'Effai fur l'Eloquence ,
L'Entrefol ,
Portrait de Zélide ,
Le Pour & le Contre de Paris ,
Vers préfentés à M. de Fontenelle ,
page s
10
20
22
26
28
Réflexions fur le Bonheur & les Plaifirs d'imagination
,
29
Confeil prophétique au Prince Louis de Rohan , 35
Vers à Mademoiſelle *** *** , 37
Sur la Lettre de Mademoiſelle ***, à M. de Baſtide
,
Réponse de M. de Baftide ,
Vers à M. de la Live- de Jully ,
Converſation ,
Ode fur le Mariage de M. F....
ibid.
40
42
47
54
57
58
66
Vers adreflés aux Rimeurs François ,
L'Amante Timide , Anecdote galante ,
Vers à Madame la Comteffe de B....
Lettre à l'Auteur du Mercure , & Chanfon fur la
prife du Fort Saint- Philippe , 67
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
premier Mercure d'Octobre ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanſon ,
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES,
69
70
71
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
,
73
240
Programme de l'Académie de Montauban ,
ART. HI. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
132
Physique. Le Triomphe de l'Ether ,
Médecine. Lettre à M. Sauvage ,
135
153
lobe droit du poumon ,
Chirurgie. Obfervation d'une tumeur enkiſtée au
ART. IV. BEAUX - ARTS.
167
Mufique. A l'Auteur du Mercure , 171
Peinture. Lettre à l'Auteur du Mercure , 179
Sculpture. Réponſe d'un Eleve , &c. 184
Gravure. 197
Architecture.
198
ART. V. SPECTACLES. CTACLE
Comédie Françoiſe. 201
Comédie Italienne. 203
Opéra comique. ibid.
ARTICLE VI
Nouvelles étrangeres , 205
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 234
Bénéfices donnés , 228
Naiffances , Mariages & Morts , ibid.
Avis divers . 236
La Chanson notée doit regarder la page 71 .
De l'Imprimerie de Ch, Ant. Jombert.
C
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE. 1756.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cestrin
Shusim
1718.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
T
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port ? les paquets & lettres, pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour feize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la poßte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour lefaire
venir , ou qui prendront les frais du port fur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Mercure
, écriront à l'adreſſe ci - deſſus .
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la poſte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le paiement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
resteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut se procurer par la voie du Mercure
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Eftampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM. Feffard & Marcenay.
ooooo
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE
A Madame de G *** , qui partoit pour la
Campagne ; par M. le C. de S. G. M.
ALLEZ donc cueillir des fleurettes ,
De celles - là qui tapiffent les champs :
Allez dans ces douces retraites ,
Où les oifeaux , par leurs accords touchans ,
Célebrent , à l'envi , leurs tendres amourettes .
A j
6 MERCURE DE FRANCE.
Enfoncez-vous dans l'ombre de ces bois
Confidens des peines fecrettes
De plus d'un Amant aux abois ,
Et des plaifirs que leurs flammes difcrettes
Leur ont enfin mérité tant de fois .
Regardez ces deux Tourterelles
Qui rocoulent ſur cet ormeau :
Voyez plier ce facile rameau
Sous le battement de leurs aîles.
Mais voyez donc ce couple heureux ,
( Comme il s'aime & comme il ſe baiſe ! )
Se bequeter , fe mourir d'aife ,
Et renaître plus amoureux !
Quittez ces bois , venez dans les prairies ,
Venez fur leurs routes fleuries
Confulter le miroir des eaux .
Si nous étions tous deux l'un près de l'autre,
O Dieux ! comme entre deux roſeaux ,
Mon ombre alors carefferoit la vôtre.
Jettez les yeux fur ces Côteaux
Brodés de ferpolet de thym , de marjolaine
Que brouttent de tendres agneaux ;
Abaiffez - les fur cette plaine
Od bondiffent de gras troupeaux ,
Que ces Bergers & ces Bergeres
Gardent en foufflant leurs pipeaux.
Voyez-vous ces danfes légeres
Un peu plus loin dans ces hameaux ?
Entendez-vous ces Haut- bois , ces Mufettes ,
NOVEMBRE. 1756. 7
Ces petits airs toujours nouveaux ,
Et ces ruftiques Chanſonnettes ?
C'est le plaifir des champs qui chaffe les travaux.
Epris de ce féjour champêtre ,
Que vous embelliffez encor ,
Mon génie emporté par un magique effor ,
Me conduit avec vous , tantôt ſous un vieux hêtze ;
Tantôt au pied d'un beau vallon ,
Où je crois voir nos moutons paître :
Là devenu Berger , comme Apollon ,
Au lieu d'encens , j'offre à ma Belle
Tous les matins les fleurs de la ſaiſon :
Pour Hymne , je lui dis une tendre Chanfon
Qui toucheroit la plus rebelle.
Ici ma main lui dreffe un trône de gazon ;
Là je me mets à genoux devant elle ;
Puis je foupire en l'adorant ,
Puis je me plains , & je foupire encore :
Puis éperdu d'amour , moi même m'ignorant ,
Je faifis une main que ma bouche dévore ,
Je l'embrafe de mille feux.
Mais eft- ce à vous que s'adreffent mes voeux ?
Hélas ! pourriez-vous vous en plaindre ?
Vous n'avez rien à redouter :
Ah ! qu'il me foit au moins permis de feindre
Un doux plaifir que je ne puis goûter.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
LES
RIENS ,
CONTE.
ON plaît folidement par les riens . Ils
trompent doucement un coeur qui auroit
été allarmé , effarouché par la paffion déclarée
; ils épargnent ces premieres rigueurs,
fouvent rebutantes , que l'ufage a confacrées
, & qu'on ne peut épargner , fans indécence
, à l'Amant le plus aimé , s'il s'eft
expliqué par une déclaration en forme . Ils
difpenfent de ces détails , de ces foins affidus
, qui d'abord ne coûtent rien , & qui
bientôt coûtent beaucoup. Ils fervent à
cacher adroitement la paflion : c'est une
grande avance auprès des femmes qui ont
trop de vertu ; c'eft un grand point auprès
de celles qui veulent conferver leur liberté
, en donnant leur coeur ; c'eſt un fecret
infaillible auprès de celles qui ne peuvent
fouffrir l'idée d'un engagement éternel.
Les riens féduifent les unes , raffurent les
autres , enchaînent les dernieres .
Moncade avoit compris leur utilité
agréable . Il ne voulut point employer d'autre
moyen auprès de Bélife dont il étoit
devenu amoureux , Bélife étoit bien capable
NOVEMBRE . 1756. 9
de prendre de l'amour , mais elle ne vouloit
pas même en entendre prononcer le
nom . Elle avoit pris tous les travers de
fon âge, & elle les pouffoit à l'excès , comme
tous les ridicules que l'on emprunte
de la mode.
Moncade avoit l'efprit très agréable , &
jouiffoit d'une parfaite fanté . Avec ces
deux avantages l'art des riens eft très - facile.
On eft gai , complaifant , on faifit tout , on
a un agrément de toutes les heures , on eft
l'homme de tout le monde.
Il voyoit Bélife tous les jours. Il s'étoit
d'abord attaché à étudier fes goûts : il faut
cette étude pour affervir véritablement
une femme ; fans elle le plus grand mérite
& la plus belle figure n'affurent jamais une
conquête . Bélife aimoit les inftrumens ,
Moncade les poffédoit tous. Elle avoit une
jolie voix , & elle préféroit les Duo. Moncade
à qui la nature n'avoit rien refufé ,
en compofoit lui même,& les chantoit avec
elle. Il avoit pour tout un goût fi délicat ,
qu'il pouvoit réformer les maîtres. Bélife
que la coquetterie rendoit difficile fur fes
propres talens , le confultoit fur tous , &
ne croyoit fçavoir que ce qu'il avoit perfectionné
en elle. Il parloit avec tant de
douceur , jugeoit avec tant de modeftie ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
qu'il fembloit qu'il n'y eût que lui qui
méritât de perfuader .
Il étoit aimable pour tout le monde ,
mais il n'étoit fi complaifant que pour Bélife
. Elle aimoit les petits jeux , parce qu'ils
fourniffent des plaifirs à l'amour- propre ,
& des armes à la coquetterie. Moncade
les déteftoit par cette raifon , le lui difoit ,
& en inventoit tous les jours de nouveaux.
Elle avoit une Négreffe qu'elle aimoit
beaucoup , & dont elle fe fervoit uniquement
la taille la plus fine , les yeux les
plus vifs , & le fervice le plus agréable
l'avoient fubjuguée. Elle aimoit qu'on flattât
fon idole. Un foir qu'on avoit danfé
familiérement , Moncade , pour lui plaire ,
s'avifa de faire danfer la Négreffe : il exhalta
fes graces ( elle en avoit ) . Bélife
charmée , l'auroit volontiers embraffé. Il
demanda une plume , & fit fur le champ
ces vers :
A BABET.
Ton corps eft noir , tu n'es donc pas jolie ?
Point du tout ; tu me plais , tu plais à tous les
yeux ,
Par un air fin , par un ton de folie ,
Qui porteroient les plaifirs & les jeux
Dans l'ame refroidie
De l'Inca le moins amoureux.
N'est-ce pas être affez jolie ?
1
NOVEMBRE. 1756.
Il n'aimoit point à répondre aux lettres
qu'il recevoit toutes les femmes fe plaignoient
de fa pareffe . Bélife lui écrivit un
jour pour lui demander quelque chofe.
Le billet finiffoit ainfi : Je fais que vous
n'aimez point à répondre , je me contenter ai
d'un oui. Il lui fit cette réponſe :
«Je n'aime point à répondre à tout le
» monde , j'en conviens ; mais tout le
» monde n'a pas , comme vous , un efprit
» qui en donne, & auquel on aime à parler.
Depuis que j'ai lu votre Epître charman-
» te , je ferois capable d'écrire fans effort
» dix lettres : je réponds avec tant de plai-
» fir ce oui que vous ambitionnez , que
» c'est moi qui ai à remercier. »
"3
و د
33
Il étoit flatteur pour Bélife de pouvoir
montrer un billet de Moncade , quand toutes
les femmes fe plaignoient de fa pareffe .
Depuis qu'il s'étoit apperçu qu'elle en
faifoit vanité , il lui écrivoir tous les jours.
Il avoit un cabriolet brillant , & un cheval
très -bien dreffé. Bélife faifoit volontiers
des parties de campagne dans cet équipage
, pour avoir le plaifir de le conduire
elle - même. Moncade inventoit chaque
jour des goûts de ruban pour embellir encore
fon cheval , & la main qui le condui
foit . Elle étoit veuve , & depuis fon veuvage
elle occupoit un appartement dans
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
un Couvent qu'on alloit rebâtir . Moncade
ayant imaginé de lui faire voir une trèsjolie
maifon de campagne qui étoit dans
fon voifinage , lui écrivit ce billet.
Près du tombeau que ton mauvais génie
Erige en noble appartement ,
Près du manoir , près du Couvent ,
Où l'on perd , loin de la faillie ,
Loin des graces , du fentiment ,
L'avantage d'être jolie ;
Près du Caucafe enfin étroit & chancelant ,
Où malgré ta philofophie
Et ton efprit plein d'enjouement ,
Je te plains de paffer la vie ,
Il eſt un jardin enchanté ,
Où Flore éprife de Zéphire ,
Et jouiffant de fa fidélité ,
Perd dans les plaifirs qu'il infpire
Le fouvenir de fa légéreté.
Ces beaux lieux méritent l'hommage
De tout efprit fait pour jouir !
J'offre de t'y conduire , & pour ce court voyage ;
Mon char est prêt , j'y joindrai le plaifir.
裴
Elle trouva ces vers charmans ils lui
tournerent la tête ; elle les montra à tout
le monde. Pour fe brouiller invinciblement
avec elle , il n'auroit fallu que les
critiquer. Elle accepta la partie , & elle y
NOVEMBRE. .1756 . 13
fut moins aimable & moins folie qu'à fon
ordinaire . La maifon qu'on venoit voir
étoit de celles qui fixent un moment , par
leurs beautés , l'efprit le plus volage . Bélife
n'y vit rien , n'y critiqua rien les
bofquets , les berceaux , objets éternellement
agréables aux femmes , ne purent lui
arracher un regard ; elle vit tout des yeux
de la machine , l'ame étoit toute entiere
aux vers qu'elle avoit reçus.
Moncade l'examinoit & fçavoit fe taire
quoiqu'il fût fûr de fon triomphe ; rien ne
lui échappoit qui pût trahir fon coeur ; il
ambitionnoit moins le plaifir d'un aveu
que la certitude d'un engagement. Bélife
féduite par fes propres mouvemens , auroit
pu
fe rendre à une déclaration preffante
, mais la féduction n'eft pas l'amour.
Il falloit au bonheur de Moncade ,
des fentimens folides , un attachement
confenti : le moment n'en pouvoit pas être
encore venu , il falloit le faire naître fans
le précipiter.
Ils n'étoient point allé feuls dans cette
maifon. En marchant dans les jardins , ils
fe trouverent à côté l'un de l'autre. Depuis
une heure elle avoit paru s'ennuyer , il
parut en ce moment qu'elle étoit plus fatisfaite.
Moncade profita habilement de
la circonftance. Je m'apperçois que vous
14 MERCURE DE FRANCE.
vous ennuyez , lui dit - il : je n'ai imaginé
cette partie que pour vous , il n'y a qu'à
remonter en carroffe. Bélife le regarda tendrement.
Un moment plutôt , réponditelle
, ce reproche eût été fondé ; à préfent
il ne l'eft plus. J'en fuis ravi , reprit il.
Il étoit trifte pour moi de vous voir vous
ennuyer , & de ne pouvoir me livrer ,
par cette raifon , au plaifir d'être avec vous.
C'eft votre faute , pourfuivit- elle ; il faut
que je l'avoue , c'est vous qui êtes cauſe
de cet ennui que vous croyez incompréhenfible.
Vous me rendez difficile fur tout
ce que je vois , c'eft -à -dire infenfible à
tout ce qui m'amufoit ; vous avez un goût
délicieux qui fe répand fur tout ce que
vous faites , & cela me gâte. Il eft poffible
que ce que je fais doive paroître
agréable , répondit- il modeftement : mais ,
Madame , ce ne font que des riens : Eh ,
Monfieur , des riens ? Y a-t'il un plus
grand mérite , un attrait plus flatteur !
Interrogez toutes les femmes , vous verrez
combien vous êtes aimable. Il me fuffit
de ce que vous m'en apprenez vousmême
, lui dit- il tendrement ; j'aime aſſez
à vous croire pour n'interroger que vous.
Ils fe dirent alors de ces chofes que l'on
fe dit tous les jours fans s'aimer , fans vouloir
plaire , & dont toute la fignification
NOVEMBRE . 1756. 15
eft dans le ton dont elles font dites. Ce
ton qui doit les faire valoir, étoit dans Bélife
fans qu'elle y fît attention ; il rendoit
fidélement tout fon goût. Moncade difoit
plus difcrétement ce qu'il fentoit , & ce
qu'il auroit voulu dire au prix de fa vie.
Il vouloit que Belife s'égarât par fes feules
idées , le mot d'amour pouvoit encore la
rèndre à elle -même , & il craignoit de le
prononcer.
Au détour d'une allée il fe fépara d'elle
volontairement , & il alla fe placer auprès
d'Araminthe , jeune femme très- tendre &
très - propre à inquiéter Bélife . C'étoit fon
deffein de l'inquiéter , il ne pouvoit pas
imaginer un moyen plus certain. Il vit
clairement à de certains regards , qu'il y
avoit réuffi. Ce n'étoit pas de ces regards
lancés qui n'expriment que de la coquetterie
dans une femme qui n'a pas encore
le droit d'être jaloufe , c'étoit de ceux
qu'on laiffe tomber doucement fur l'objet
qui les détermine , qu'on voudroit retenir
par modeftie , ou parce qu'on fent tout
ce qu'ils fignifient , tout ce qu'ils promettent
, & qu'on abandonne , malgré foi , au
foin la main de l'amour qui les conduit ..
Bélife , émue & troublée , fe furprit
avec étonnement dans cet état. Elle s'interrogea;
elle vit qu'elle aimoit, & ne vou
16 MERCURE DE FRANCE..
lut pas le voir : il falloit qu'elle fût bien
coquette . Elle détourna les yeux de dellus
Moncade , mais fa réfolution fut inutile ;
fes yeux indociles revinrent mille fois fur
l'objet redouté qu'ils vouloient fuir . Elle
voulut remplacer par le dépit ce qu'elle
perdoit par la foibleffe ; elle s'exagéra
& les peines d'un engagement , & les
plaifirs de la coquetterie ; fes idées furent
fi vives que l'illufion fuivit la velonté
de s'abufer. Elle crut n'aimer pas ,
ou du moins n'aimer plus : mais l'amour
ne fouffre un inftant , une pareille erreur
que pour mieux affurer fon triomphe.
Il permit qu'elle formât le projet de
hair Moncade . Elle fe perfuada qu'elle le
haifoit . Ses yeux jufqu'alors fi tendres ,
fi empreffés à le chercher , fi incapables de
fe contraindre lorfqu'ils le rencontroient ,
n'exprimerent plus que fa réfolution .
Moncade qui ne l'avoit pas perdu de vue ,
n'eut pas la peine de deviner : il jouit d'un
bonheur nouveau , & il rit de voir tant
d'amour dans une femme qui vouloit le
haïr .
Il quitta Araminte pour réjoindre Bélife.
En l'abordant , il chantoit un air &
des paroles charmantes. Bélife en avoit
affez entendu pour fouhaiter de les entendre
mieux. Elle pria Moncade de les répé
NOVEMBRE. 1756 . 17
ter : il obéit avec empreffement. Rien n'eſt
plus joli , dit- elle , lorfqu'il eut fini : je
veux que vous m'appreniez cette chanfon ,
je ne me coucherois pas pour l'apprendre.
Il n'y a qu'à commencer à préfent , répondit-
il : mais vous n'êtes peut- être pas trop
difpofée à chanter. Vous me pardonnerez ,
dit- elle , en oubliant de bonne foi fa haine ;
je n'ai jamais plus de plaifir que lorfque
vous chantez. Il reprit la chanfon , & à
chaque couplet , elle l'interrompoit pour
exalter la voix , le goût , les paroles & la
mufique. Vous louez trop , lui dit - il malicieufement
, une médiocrité , un rien ;
vous ne fçavez à qui vous prodiguez des
louanges fi flatteufes . Si je vous nommeis
l'Auteur , vous feriez bien étonnée de
votre prévention pour l'ouvrage. L'inf
tinct de l'amour éclaira Bélife fur tout le
fens de ce difcours. Elle comprit qu'il
étoit lui - même cet Auteur pour qui il
vouloit lui fuppofer des difpofitions fi défavorables
: Et pour le flatter , pour le
raffurer , pour le vanger de fa premiere
injuftice , vous pouvez vous difpenfer de
le nommer , lui dit - elle , je le reconnois à
fon goût & à fa modeftie.
Ils furent interrompus. Moncade en fut
charmé , Bélife en fut fâchée . Il ne vouloit
pas encore s'expliquer , & elle auroit
18 MERCURE DE FRANCE.
voulu qu'il s'expliquât. Elle ne fe diffimuloit
plus qu'elle l'aimoit ; & encore incertaine
fi elle confentiroit à l'aimer , elle
fouhaitoit qu'il lui donnât des raiſons d'y
confentir. Il n'en pouvoit pas être une
plus décifive qu'un aveu . Moncade fe le
difoir à lui même , mais il redoutoit encore
le retour de la coquetterie.
L'événement juftifia fa défiance. De retour
à la ville , Bélife , en retrouvant fes
amans , reprit fon caractere. Moncade
comprit qu'il lutteroit mal contre dix
agréables que douze heures d'abfence
avoient rendus nouveaux . Il fut trois jours
fans la voir il les employa à fe faire un
extérieur qui le fit paroître totalement
indifférent ; afin que , lorfqu'il la reverroit
, ce changement feul pût lui tenir
lieu de reproches par fon effet. Au bout
du fecond jour elle s'apperçut que Moncade
lui manquoit . Ses talens & fon efprit
auxquels elle étoit accoutumée , réduifoient
à leur jufte valeur les phrafes
monotones de fes infipides perroquets.
Ils ne pouvoient l'amufer qu'enfemble ,
chacun d'eux l'ennuyoit féparément. Il n'y
avoit que Moncade qui fçût dire ces riens
confacrés qui tiennent lieu d'amour ; lui
feul fçavoit plaire : il paroiffoit fans prétention
, & il en étoit plus aimable . Elle
NOVEMBRE . 1756 . 19
lui écrivit , & fon billet , qu'elle n'avoit
voulu rendre que galant , renfermoit des
reproches. Il y répondit avec politeffe &
avec indifférence . Bélife avoit compté qu'il
viendroit à l'inftant même chez elle , elle
l'en prioit dans fa lettre ; il n'y vint point ,
il ne laiffa pas même efpérer qu'il y viendroit
; elle en fut piquée. Le coup porta
dans le coeur. Il marquoit dans fa réponſe,
qu'il étoit engagé chez Araminte , & que
la partie étoit formée pour tout le jour.
En relifant , elle éprouva un trouble , une
agitation qui ne peuvent fe concevoir. La
mauvaiſe humeur s'empara de fon efprit ,
Ja jalousie , de fon coeur. Dans ce premier
accès , elle défendit fa porte. Ses réflexions
contribuerent encore à l'agiter . Elle
ne pouvoit plus s'empêcher d'aimer , &
Pingrat qui l'y contraignoit , étoit peutêtre
déja amoureux d'une autre : mais cet
ingrat étoit innocent. Il avoit eu du penchant
pour elle : il l'auroit aimée de bonne
foi , & elle l'avoit forcé par fa conduite
à chercher à plaire ailleurs. Elle fe
tourmentoit , fe condamnoit , s'imputoit
toute fa douleur.
Dans le fort de fon tourment , on vint
lui préfenter , de la part de Brillancour ,
un préfent magnifique & très-rare. Elle
daigna à peine jetter les yeux deffus , &
20 MERCURE DE FRANCE.
oublia même de faire récompenfer le laquais
qui venoit de l'apporter. Un moment
après on lui apporta , de la part de
Moncade , un petit Angola blanc , orné
de rubans couleur de rofe . Elle fit un cri
de joie en le voyant , le prit fur fes genoux
avec tranfport , lui fit des careffes à
l'étouffer , & ordonna qu'on donnât un
louis au porteur. Le petit chat lui tint
lieu de Moncade jufqu'au moment de fon
fommeil : elle le coucha avec elle , ne
fouffrit pas qu'on parlât d'autre choſe que
de fes charmes. Si Moncade étoit venu
dans ces inftans de délire , il auroit été
traité comme on traitoit fon préfent .
Il y vint le lendemain. Il jugea par les
carelles qu'on faifoit au petit animal
lorfqu'il arriva , de toutes celles que l'amour
lui réfervoit . Il jugea aufli facilement
de tous les fentimens qu'on avoit
pour lui , en voyant l'air abattu qui les
décéloit. Il y avoit du monde chez Bélife ,
elle, fut obligée de fe contraindre : mais
elle eſpéra bien s'en dédommager dans le
premier moment qu'elle pourroit faifir.
Elle craignoit d'autant plus de fe trahir
, qu'elle ne s'étoit jamais refufé une
étourderie ; l'amour , en s'emparant d'une
coquette , commence par la rendre
décente. Cet efpoir dont je parle , lui
NOVEMBRE . 1756 . 21
fut bientôt ravi : il fut du moins trèsbalancé
par l'air dégagé de Moncade . Cet
air que tous les hommes prennent lorfqu'ils
ont des deffeins , trompent toujours
les femmes lorfqu'elles ont des fentimens.
Bélife y fut trompée . Elle étoit jaloufe
d'Araminte , elle crut fon triomphe certain
. Moncade auffi tranquille devant elle
que s'il n'avoit été queftion de rien entr'eux
, ne pouvoit l'être après trois jours
d'abfence , que par l'effet d'un fentiment
nouveau . Il est vrai qu'il n'avoit jamais
dit qu'il aimât , mais il fçavoit bien que
fans le dire il l'avoit fait entendre un air
d'indifférence étoit donc une preuve de
changement . Pour furcroît de douleur ,
elle avoit imaginé , pour retenir Moncade
toute la foirée , de former une perite académie
galante , qui commenceroit après le
fouper , & dont l'objet étoit que chacun
racontât fon hiftoire. Moncade refufa de
refter il prétexta des engagemens. Bélife
qui étoit avec lui dans l'embrafure d'une
fenêtre , lorfqu'elle lui propofa , eut beau
l'en preffer & le tourmenter , il refuſa toujours.
Vous craignez apparemment que
votre hiftoire ne donne trop mauvaiſe opinion
de votre coeur , lui dit - elle avec dépit,
c'cft pour cela que vous refufez de la raconter
? Non, Madame , répondit- il, car je vous
22 MERCURE DE FRANCE.
promets de vous l'écrire. Ce fera quelque
chofe de beau , reprit- elle ; je crois que l'amour
y jouera un plaifant rôle. Vous en jugerez,
Madame , pourfuivit- il férieufement;
je n'ai promis que d'écrire, vous me permet
trez de me taire. Ce qu'il y a de fûr , continua-
t'il , c'est que vous n'y trouverez
rien qui foit aufli injufte que l'opinion
que vous avez prife fi légérement de moi .
A ces mots , il lui fit une révérence
très-profonde , & la laiffa auffi étourdie
de fon départ , qu'impatiente de lire fon
hiſtoire .
Je paffe fur les idées qui l'occuperent
jufqu'au lendemain . Moncade fut exact à
tenir la parole. Il paffa la nuit à écrire ce
qui fuit.
Bélife me croit un coeur infenfible ou
perfide ; c'eft ce qu'elle a voulu me dire :
il faut la détromper ; il faut lui faire connoître
ce coeur qu'elle n'a pas connu . Ses
foupçons m'affligent ; Bélife devroit être
fûre que je ne les mérite pas : fi je les mé.
ritois , j'en ferois moins affligé. Mon hiftoire
fe borne à une feule aventure : le
refte de ma vie s'eft paffé à prendre des
goûts , & à infpirer des fantaiſies ; c'eſt la
vie de tous les hommes qui ont eu quelque
reputation d'agrémens : ainfi je n'en
dirai rien , pour ne pas répéter ce qu'on a
NOVEMBRE. 1756 . 23
lu cent fois ailleurs. Dans mes caprices j'ai
été auffi conftant qu'on puiffe l'être , &
dans mes ruptures auffi honnête homme
qu'on l'ait jamais été . Les femmes que j'ai
eues n'ont jamais pu fe plaindre de moi ,
& j'aurois quelque chofe à attendre de
leur reconnoiffance , fi les coeurs qui ne fe
donnent point , pouvoient être reconnoiffans.
Paffons à l'unique aventure qui mérite
d'être écrite , & que je veuille me
rappeller . Après avoir beaucoup couru ,
beaucoup changé & un peu réfléchi , je
voulus aimer & devenir homme . J'aimois
déja lorfque j'en pris la réfolution . J'avois
été frappé d'un premier regard qui
m'avoit métamorphofé ; ainfi je dus ma
raifon à l'amour . Mais ce premier moment
qui m'avoit annoncé le bonheur , difparut
promptement & fans retour. Delphife ( je
la nommerai ainfi ) étoit née pour aimer,
& c'étoient ces restes de fenfibilité
que
yeux exprimoient dans leurs premiers regards.
Subjuguée par l'exemple , croyant
qu'il étoit honteux de donner fon coeur, elle
étoit devenue coquette , & le jeu lui avoit fi
bien plu , que ce qui n'avoit d'abord été que
mode , étoit devenu paffion . Je vis tout d'un
coup ma deftinée ; mais je voulus eſpérer.
Je mis tout en ufage pour rendre à Delphife
le même fervice qu'elle m'avoit renfes
24 MERCURE DE FRANCE.
du. J'eus tout le fuccès que je pouvois attendre
, c'eſt -à - dire , que je lui plus , &
qu'elle m'aima un moment . Elle fe furprit
dans fa foibleffe qu'elle voulut enviſager
comme un malheur , elle eut du dépit , du
chagrin , elle ne fit plus que des réflexions
triftes : elle rougit d'aimer , elle calcula
les pertes qu'elle alloit faire en m'aimant ,
& l'amant le plus tendre & à fes yeux
le plus aimable , fut facrifié à dix automates
qui n'étoient pas même affez ridicules
pour mériter de l'amufer. Nos fentimens
n'avoient fourni que des fcenes
muettes nous nous les étions fait connoître
fans nous les apprendre. Lorfque je
fus convaincu de fa réfolution invincible ,
je me fis la violence de rompre une chaîne
que je ne pouvois plus fupporter ; &
comme je ne lui avois jamais dit que je
l'aimcis , je ne lui dis pas que je ne l'aimois
plus. Elle s'apperçut aifément de
mon abſence , je l'avois toujours amuſée ,
& les perfonnages auxquels je l'abandonnois
, en triomphant , n'étoient pas faits
pour me remplacer. Elle me regretta , &
voulut me rappeller : mais je me fouvenois
trop de ce que j'avois fouffert , je fçavois
trop ce que j'aurois encore à fouffrir pour
me rendre même à une nouvelle foibleffe.
Je réfiftai conftamment , & ne m'en fuis
jamais
NOVEMBRE . 1756. 25
jamais repenti , quoique je l'aye toujours
regrettée .
Voilà , Madame , mon hiftoire dont
vous étiez hier fi curieufe. Si cette envie
dure encore , vous la lirez avec quelque
attention , & c'est tout ce que je fouhaite.
Je vous l'aurois préfentée moi - même , fi
je n'avois pas des engagemens qui ne me
laiffent pas difpofer d'un moment. Je vais
partir dans une heure pour la campagne ,
où je refterai huit jours fans revenir.
Bélife ne put lire fans beaucoup d'émotion
& d'amour ces détails & ces fentimens.
Mais ce fut bien pis , lorfque parvenue
à la fin , elle lut qu'il partoit pour
huit jours. Sans faire d'autres réflexions
elle envoya fucceffivement deux laquais
chez lui avec un billet qui étoit un ordre
en forme de venir à l'inftant même la
trouver.
Il y vint , il comprit qu'il n'y avoit pas
un moment à perdre. Elle rougit en le
voyant arriver ; quelle preuve plus certaine
de fa défaite ! Une coquette qui rougit
n'a plus befoin de s'expliquer ; fon trouble
annonce autant de conftance que de
tendreffe. Je quitte tout pour vous , lui
dit- il , du ton le plus tendre : quel en fera
le prix ? Ah ! Moncade , ne m'interrogez
pas , répondit- elle , en rougiffant encore :
B
25 MERCURE DE FRANCE.
fe ménagez un coeur qui ne vouloit pas
donner , & qui ne peut plus fe défendre .
Ah ! reprit-il , en tombant à fes genoux ,
puis- je vous ménager , puis -je me refufer
à tout mon bonheur ! Bélife , Bélife , prononcez
cet aveu délicieux : il eft déjà fur
vos levres , faites - le paffer dans mon coeur ...
Elle foupira , elle s'attendrit ; elle ne rougit
plus , & ce mot qu'elle craignoit de prononcer
, fut répété mille fois , avec autant
de plaifir que d'amour.
Il n'eft pas néceffaire de dire qu'ils s'aimerent
longtemps. Ces fortes d'engagemens
ne peuvent être que folides. Moncade
employa à le faire durer , les mêmes
moyens dont il s'étoit fervi pour le faire
naître. Il venoit d'éprouver que les riens
féduisent une femme , il voulut éprouver
combien ils peuvent l'attacher . Il fut convaincu
que de tous les talens , de tous les
moyens , de tous les mérites , ils étoient
le plus agréable pour l'ufage , & le plus
für , pour l'effet.
NOVEMBRE. 1756. 27
VERS
A une jeune Penfionnaire.
Vous êtes belle , & le Ciel en votre ame
A répandu ſes tréſors précieux ;
Vous avez tout , hors l'efprit d'une femme
J'entends l'efprit qui brille dans leurs yeux ,
Forme leur coeur , leur donne mille idées ,
Et leur imprime un air intéreffant ,
Inftruit , rufé , fenfible , pénétrant ,
Long-temps avant qu'elles foient décidées ,
C'eft- à- dire , preſqu'en naiffant.
Sans cet efprit , la beauté folitaire
Manque d'éclat , & n'eft plus un bonheur.
Il ne fe donne point ; mais un Ami fincere ,
Par fes leçons , peut porter dans le coeur
Des fentimens dont l'ardeur falutaire
En tienne lieu ; car ce qui touche , éclaire.
Heureux emploi ! ſoin preſqu'auffi flatteur
Que le plaifir charmant de plaire !
Cet honneur m'appartient : oui , j'oſe me flatter
Que le coeur le plus rai , que l'ami le plus tendre ,
Sur les rivaux doit l'emporter :
On peut bien me le difputer ,
Mais on ne doit pas y prétendre.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
"
Tous mes difcours rouleront aujourd'hui
Sur-l'Amour , fur fes loix , dont je dois vous inf
truire ;
Je fçais que vous avez fur lui
Des principes qu'il faut détruire.
Il eft aifé de l'accufer ,
Il l'eft bien plus de le défendre .
L'or imité peut nous furprendre ,
Le diamant ne peut le déguiſer.
Vous naiffez , vous vivez encore
Sous les loix du fot préjugé :
Vous connoîtrez ce Dieu que l'on adore
Et que vous avez outragé.
Une mere , une Duegne, une Abbeffe Iroquoife,
Vous font jufqu'à préfent des fermons à la toife :
Vous écoutez modeftement ,
Et malgré l'ennui que vous caufe
Leur infipide document ,
Vous ne concevez pas comment
On pourroit vous dire autre choſe ,
Et parler auffi fagement ?
Mais l'Amour va bientôt paroître :
Vous verrez un Dieu tout charmant ,
Et vous ne concevrez que difficilement
Qu'avec un coeur qu'il a fait naître ,
Pour le chérir & pour lui donner l'être ,
On l'ait connu fi lentement .
Il eft bon , avant qu'il paroiffe ,
Que vous fçachiez comment il vient
NOVEMBRE. 1756. 20
Comment il plaît , comment il bleffe ;
Ce qu'on lui doit , ce qu'il devient.
Je peindrai mal , je le confeffe ;
Car l'Amour échappe au pinceau.
C'eft un air fi touchant , c'eft une façon d'être ,
Ce font des traits fi fins , c'eft un tout fi nouveau ,
Que pour le faire reconnoître ,
Il faut le groffir au tableau.
Malgré mon embarras je tiendrai ma promeffe :
La difficulté n'y fait rien ,
Quand l'objet intéreffe .
Ecoutez , mais écoutez bien :
Ce tableau , ce difcours , ce fublime entretien
Vaut mieux qu'un fermon de l'Abbeffe.
Ce Dieu charmant qu'adore l'univers
A toutes les beautés. Il change de viſage
Suivant les temps & les objets divers ;
Il prend les traits , l'humeur & le langage ,
De quiconque l'ignore , ou brave fon ardeur ,
Et de quiconque encor né pour lui rendre hommage
,
S'en fait un portrait enchanteur .
Il a tout , il est tout , il penfe avec le fage ,
Il rit avec les foux , il eft tendre , volage ,
Difcret , entreprenant , trifte , étourdi , rêveur ,
Sans art plein de détour , timide , beau parleur.
Quel est fon but , & qu'en a t'on à craindre ?
Pourquoi tromper ? pourquoi ces afpects infinis
Bisj
30 MERCURE DE FRANCE.
Ne le condamnez pas , c'eft lui qui doit fe plain
dre ;
Il est entouré d'ennemis :
L'art eft un droit qu'il voit avec mépris ;
Mais il eft obligé de feindre ,
Et de fe déguifer fous d'odieux replis.
Le monde eft plein d'efprits mélancoliques ,
D'efprits jaloux, d'efprits vains & critiques ,
Dont la fureur eft de dire du mal
De tout ce qui n'a pas leur air fec & moral
Ce monde-là regne par la triſteſſe ;
Il eft donc ennemi du Dieu de la tendreffe >
Car la tendreffe rend joyeux.
Auffi dans fa fureur le pourfuivant fans ceffe ,
Il en fait un portrait affreux :
En le peignant criminel , odieux ,
Il épouvante la fageffe ;
L'aveugle & facile jeuneffe ,
Qu'on abuſe aiſément , pour qui rien n'eft do
teux ,
Le croit , en le fuyant , encor plus dangereux
Que ne l'a peint la criminelle adreffe
D'un monde faux , jaloux & factieux .
Mais l'Amour méprife une injure ,
Dont le jufte reffentiment
Priveroit toute la nature
De fes plaifirs , d'une volupté pure ,
Et de fon plus bel ornement.
NOVEMBRE . 1756. 31
Pour exercer la bienfaisance ,
Contraint de fe cacher & d'éblouir les yeux ,
Il prend les traits , l'efprit , la contenance
De l'objet qu'on aime le mieux .
D'abord ce n'eft qu'avec prudence
Qu'il agit & fe fait valoir ;
Il faut s'y connoître pour voir
Les effets de fon exiſtence
Dans l'objet trop heureux qu'anime fon pouvoir.
Ce n'eft qu'une fimple nuance
Qu'une légere différence
Qu'on peut à peine appercevoir.
Mais infenfiblement fûr de fon avantage ,
Sûr d'avoir plu , d'avoir touché ,
11 fe montre & ſe dédommage
De s'être fi long- temps caché.
C'eft-là que commence la vie ,
C'eft- là que le parfait bonheur
Entrant dans notre ame ravie ,
Y devient la fource infinie
D'une inépuifable douceur.
Jufqu'alors la nature entiere
N'avoit été qu'une maffe groffiere :
Rien n'exiftoit , tout paroiffoit commun :
L'onde étoit fans murmure ,
Les gazons fans émail , les rofes fans parfum ,
Les vergers , fans verdure ,
Les hommes fans efprit , fans talens , fans figure ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Les livres fans attraits , les bijoux fans valeur ,
L'univers étoit fans parure ;
L'Amour en un inftant y répand tous les feux :
Quel changement dans la nature !
Rien n'existera plus qui ne charme les yeux,
Ou qui n'enchante les oreilles ;
Tous les momens feront heureux ,
Tous les objets feront délicieux :
L'Amour enfante les merveilles ,
Sans lui l'univers eft affreux.
Ainfi donc ce Dieu favorable ,
Si digne de nos voeux , fi propre à les remplir ,
Eft né pour tout charmer & pour tout embellir.
Il entre dans nos coeurs fous une forme aimable ;
C'est un moyen victorieux ,
Et même un titre inconteftable ;
Car quand on plaît on eft bientôt heureur.
A peine il eft vainqueur , que tranſportant les
cieux
Sur la terre autrefois ſauvage ,
Il communique à tous les lieux
Şes charmes , fon pouvoir , fes bienfaits précieux :
Tous les objets femblent nous rendre hommage ;
Des Amans deviennent des Dieux.
Jugez d'après cette peinture
Si l'on peut réfifter au torrent de douceurs
Qui naît d'une tendreffe pure ?
Non , tout doit fe livrer à d'aimables ardeurs ;
NOVEMBRE. 1756. 33
C'eſt le bonheur de la nature ,
C'est le devoir de tous les coeurs.
Ainfi vous aimerez, quoi que vous puiffiez dire ;
Vous aimerez demain , peut- être dès ce jour ;
Je connois votre coeur , & j'ofe lui prédire
Qu'il n'eft pas fait pour ignorer l'Amour,
Vous avez fon portrait , vous connoiſſez ſes charmes
:
Vous y reviendrez malgré vous ;
Et l'attrait féduifant d'un fpectacle fi doux ,
Vous forcera de lui rendre les armes.
Or maintenant , fi vous voulez fçavoir
Comment ce Dieu rufé va faire ,
Quelle forme il prendra , quel ton , quel caractere
,
Pour mieux établir fon pouvoir ,
Je crois qu'en me nommant , je ne hazarde guere
Voici fur quoi fe fonde mon efpoir.
Quand je vous vois , je deviens raisonnable ;
J'ai du plaiſir , je ſuis vif , amuſant ;
Et par un rapport admirable ,
Vous devenez en un moment
Beaucoup plus belle & beaucoup plus aimable,
Quoique d'un âge différent ,
Nous nous trouvons à côté l'un de l'autre
Placés tout naturellement.
Mon plaifir eft toujours le vôtre ,
Et qui plus eft ,
mon ton , mon fentiment
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Votre efprit n'a rien du Couvent .
Et le mien n'a plus rien du monde :
Quand nous nous féparons , c'eft toujours lente
ment ,
Et toujours de peur qu'on ne gronde
De nous quitter trop tard , de nous voir trop fogè
vent.
Je fens alors de la mélancolie ,
Du vuide , de l'ennui , da refroidiffement
Pour l'Opéra , le Bal , la Comédie ;
Et j'éprouve ce changement
Sans y penfer , fans nul étonnement .
Quand je reviens , je fens renaître ,
Mon humeur , mon goût , tout mon être :
Vous rougiffez en me voyant ,
Vous baiffez les yeux , & pourtant
Il m'eft très-aifé de connoître
Que vous vous amufiez dans votre appartement
Du defir de me voir paroître .
En raffemblant exactement
Ces effets d'un rapport extrême ,
Je conclus très-conféquemment
Que je vous aime tendrement ,
Et que bientôt vous m'aimerez vous- même .
NOVEMBRE. 1756. 35
NE
PORTRAIT
De Madame la ***
E cherchez plus Venus à Cythere ,
elle eft aujourd'hui dans nos murs . Peu
fatisfaite du culte immodefte qu'on lui rendoit
à Amathonte & à Paphos , elle s'eft
promenée par toute notre Europe ; & s'il
n'étoit pas impie de dire que Venus peut
s'embellir , je dirois du moins quelle a
pris de nouvelles graces chez les Nations
qu'elle a embellies par fa préfence . Je la
vois tous les jours , & j'admire le mêlange
ingénieux qu'elle a fcu faire de tous les
mérites des peuples heureux qui l'ont poffédée
. Comme elle s'eft fixée en France ,
elle y a trouvé tous les goûts perfectionnés
: elle les a pris , & les a perfectionnés
encore ; mais elle a rejetté nos défauts ,
notre légèreté & nos contrariérés .
Nous faifons cette injure aux femmes ,
d'admirer les beautés de la figure avant
d'examiner les beautés de l'ame : il faut fe
conformer à l'ufage. Notre divinité a la
plus belle & la plus riche taille qui puiffe
annoncer une immortelle , & il ne lui
manque qu'un cafque & un bouclier pour
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
paroître Pallas , & une couronne pour
préfenter Junon ; mais on aime mieux
encore l'adorer fous les traits de Vénus.
Elle unit la jeuneſſe à la majeſté , les
traits d'un enfant à la bonne mine de l'âge
mûr. Ses yeux font doux , & portent l'amour
dans tous les coeurs : fa bouche furtout
, fa belle bouche eft le théâtre de toutes
les graces qui fe fuccedent & fe varient :
fes dents font des perles parfaites ; c'est le
rire , le fourire , la joie , la vérité , la confiance
& l'amitié parfaitement repréfentés
:l'amour s'y mêle quelquefois , & alors
il faut tomber à fes genoux en l'adorant ,
fans concevoir qu'on puiffe être auffi belle.
Oui , fa bouche & fes yeux font l'image
de fon ame ; elle regne fur nos coeurs , elle
excite toutes les paffions qui font le doux
lien de la fociété & le bonheur de la vie.
Voulez-vous peindre la fanté & la force
fans rudeffe , les Peintres & les Statuaires
Ja prendroient pour modele. Les Maîtres
de danfe , & tous ceux qui montrent les
exercices du corps , y recevroient des leçons
d'elle. Si elle ne poffede pas tous les
jeux auffi bien que ceux qui en font leur
Occupation , c'eft qu'elle eft perfuadée
avec raifon , que fouvent les plus grandes
graces fe développent dans les chofes qu'on
fçait imparfaitement.
NOVEMBRE. 1756. 37
Les deux principaux points de fon caractere
font la douceur & l'amour de la
liberté. Le premier a quelquefois pris fur
le fecond , mais celui- ci s'eft relevé promp
tement , dès que la féduction d'une aimable
complaifance a paru mener trop loin.
Qu'est ce en effet que l'ufage de notre
exiſtence fans celui de notre liberté , ou
fans l'opinion qu'on refte libre ? Nos peines
, nos déplaifirs viennent rarement de
la nature , c'eft la contrainte qui altere nos
inclinations , nos defirs & nos mouvemens
en les contrariant , elle leur donne
une violence fouvent funefte . Sans l'in-
Auence exceffive de nos entours , nos paffions
ne feroient que des penchans , & nos
defirs des deffeins délibérés . Saififfant le
bien & le mal par un même fentiment &
dans le même inftant , nous préférerions
toujours le bien au mal , parce que la nature
eft droite & bienfaifante.
La douceur détermine toujours notre
divinité au parti du bien ; c'eft pour y
perfévérer qu'elle veut refter libre . La douceur
eft le premier de fes charmes ; elle eft
bonne & bienfaifante comme la nature
elle-même ; elle n'a comme Aftrée de defirs
que pour le bonheur de la terre.
Son efprit eft plus cultivé par la fréquentation
des mortels que par l'étude &
38 MERCURE DE FRANCE.
la théorie. Ce n'eft pas une mufe ftudieufe
& appliquée aux méditations philofophiques
, ( les Déeffes font au deffus des Mufes
) ; elle fera ce qu'elle voudra, & quand
elle voudra , parce qu'elle a un efprit qui
n'a befoin que d'entrevoir pour apprendre,
& de penfer pour pouvoir inftruire. Dans
fes voyages , elle a pris l'agrément de toutes
les langues,& les mêlant naïvement enfemble
, fes irrégularités même font de
nouvelles découvertes pour nos oreilles
charmées .
Elle a fort méprifé le Dieu des richeſſes :
elle n'a accepté de fes dons , que ce qu'il
en faut avoir pour éviter de paroître moins
aimable qu'on ne l'eft. Elle ne quitteroit
point nos campagnes pour en aller chercher
de plus abondantes : les feuls mouvemens
de fon coeur , & la voix de la vertu ,
pourroient la déterminer à de nouveaux
voyages : la fidélité la fixe ; & fans dédaigner
les amours dont elle eft la mere , elle
facrifie encore plus à l'inviolable amitié ,
qu'à fes propres enfans qu'elle connoît
pour très-frivoles & très- volages.
NOVEMBRE . 1756. 39
ORIGINE DU JEU DU VOLANT.
Un jour Vénus & les trois Graces ,
De jeux communs fe trouvant laffes,
Tinrent confeil où préfida
Méchanceté. Cette coquine-là ,
De la beauté compagne inféparable ,
Leur fuggéra le jeu le plus damnable ,
Dont à Cythere on fe pût avifer ,
Et dont Vénus , cette dame fi bonne ,
Qui de fes jours ne maltraita perfonne ,
Auroit dû fe fcandalifer.
Amas de coeurs étoit fur la toilette :
Méchanceté , d'un air malin ,
Vous en prend un , le tourne , le feuillette .
Le jette en l'air , le reçoit dans fa main ,
Le jette encor , le reprend , le rejette ,
Puis finement du côté d'Aglaia ,
Le fait voler : la charmante foubrette ,
En badinant , le renvoya
Vers notre fauffe maladroite :
A fon jeu la méchante ainfi l'affocia,
Bientôt Euphrofine & Thalie
Furent mifes de la partie ;
Venus rioit , c'étoit plus qu'approuver ?
Auffi bientôt le coeur l'alla trouver.
1
1
40 MERCURE DE FRANCE.
Le
pauvre coeur chaffé vers la Déeffe ,
A ce qu'on dit , redoubla de vîteffe :
Il étoit prêt à tomber fur fon fein ,
Il s'y précipitoit ; mais quel eft fon deſtin !
D'un coup de main on le rechaffe ,
De l'une à l'autre on le tracaffe ,
De Venus à Méchanceté .
Le coeur trop longtemps balotté ;
A la fin déploya fes aîles :
Ses afles , oui : car tous les coeurs en ont.
Coupez leur net , Beautés mortelles ,
Ou bien ils vous échapperont.
Le coeur déploya donc fes aîles ,
Et murmurant , prit congé de nos belles.
Vénus rougit de ce départ fi prompt ,
Mais de courroux elle en prend un ſecond
Que pareillement elle afflige ,
Et qu'à fuir de même elle oblige.
Un troifieme fuccede ; il étoit un peu dur :
On vous le lança contre un mur ;
La main s'échauffe : à grands coups de pantouffle
On vous pelotte le marouffle.
On crie , on rit , on redouble d'ardeur ,
Enfin le jeu devient fureur :
Sur tous les coeurs on fait main -baſſe.
L'un eft niché , cet autre eft renverſé ;
L'un tombe , un autre fe ramaffe :
Bref, tout fuit , tout eft diſperſé,
C
NOVEMBRE. 1756.. 41
Le jeu plut fort à l'Immortelle ,
Pelotter coeur est toujours de fon goût ,
Et quand par fois il en manque à la belle ,
Coquetterie en va chercher partout.
Combien les Sçavans doivent avoir peu
d'amour- propre.
ON a reproché dans tous les ſiecles aux
Sçavans un amour- propre fans bornes &
une prévention aveugle ; des cris publics
fe font élevés contr'eux . On les a accufés
d'avoir ufé avec tyrannie des prééminences
de leur efprit , de la fupériorité de
leurs talens , & de l'étendue de leurs connoiffances
; plaintes inutiles , quoique toujours
repétées , dictées quelquefois par
l'équité , mais plus fouvent par l'envie
qui ne peut voir , fans être émue , le
triomphe de fes rivaux , ou par l'orgueilleufe
ignorance fans ceffe occupée à combattre
le mérite qu'elle redoute , & qu'elle
ne peut égaler ! Un aveuglement extrême
fur fes talens produit les maux les plus
funeftes. 11 retarde les progrès , il ternit
les fuccès les plus brillans . Il femble qu'un
génie vafte devroit éviter les différens
écueils qui l'environnent , franchir d'un
pas hardi le précipice qu'il voit , & écarter
42 MERCURE DE FRANCE.
avec force cette ivreffe qui l'entraîne ,
auffi prompte à l'éblouir qu'empreffée à le
fubjuguer ; & n'est - il pas plus aifé à l'homme
éclairé qu'aux efprits foibles de repouf
fer les traits dangereux que l'amour propre
ne ceffe de lui lancer ? Oui , les connoiffances
donnent des fecours puiſſans ,
& plus elles fe multiplient , plus l'on s'apperçoit
de celles qui manquent ; & cet
empire dont on jouit fur une multitude
ignorante , triomphe peu flatteur pour la
raifon , fçauroit - il dédommager de la
fupériorité qu'ont fur nous ceux qui ont
excellé dans leur art , & dont les découvertes
& les ouvrages font autant de prodiges
& de merveilles ?
Engagé dans la carriere des fciences &
des lettres , que de foins , que de travaux
pour établir une réputation brillante , &
qu'elle eft fragile cette réputation ! La
défaite d'un Général efface ſouvent l'hiftoire
de fes triomphes. Animé du defir de
la gloire , la noble ardeur qu'elle inſpire
fait fuivre avec empreffement les routes
qu'elle trace. On travaille fans ceffe ; des
veilles conftantes , des études pénibles ,
des recherches fatiguantes n'ont rien qui
déconcertent. On veut diffiper les voiles
fombres qui enveloppent la raifon , vaincre
les préjugés que l'ignorance fait naître
NOVEMBRE. 1756. 43
& que la foibleffe entretient ; mais on ne
confulte fouvent ni fes forces , ni fes talens.
On s'efforce de marcher à pas de
géant dans des fentiers efcarpés , l'ambition
de parvenir à l'immortalité fait tout
entreprendre. On fe flatte de pouvoir réunir
l'univerfalité des connoiffances ; projet
enfanté par l'amour-propre , & que la raifon
& l'expérience s'empreffent de détruire.
On manie la lyre , on chauffe le cothurne
, on prend l'aſtrolabe , on embouche
la trompette , on s'attache à tous les
genres , & l'on abandonne fouvent ceux
dont la perfection promettoit des fuccès.
Mais l'homme a des talens particuliers ;
heureux de les connoître & de les employer
à propos ! Cette fureur d'écrire furtout
produit une foule d'efquiffes ; mais
les ouvrages font rares , ces productions
immortelles que le génie crée , que le
travail exécuté & que la réflexion perfectionne.
Qu'on préfente le tableau de l'homme à
l'homme même , qu'il le fixe fans prévention
, il y appercevra fa foibleffe & les
obftacles qui s'opposent aux fuccès : la
jeuneffe paffe comme un fonge. Toujours
affiégé par les paffions , à peine peut- il
conferver à cet âge heureux un moment
de liberté pour les combattre. La raiſon
44 MERCURE DE FRANCE.
parle envain , peut- elle fe faire entendre
dans ces momens de délire & d'agitation
qui fe reproduisent à chaque inftant ? Le
temps fuit avec une fatale vîteffe , & fouvent
l'ivreffe ne finit que lorfque la caducité
commence temps fterile , où les refforts
de l'efprit ufés , la force du génie
affoiblie, l'imagination prefque éteinte ceffent
d'avoir de la promptitude pour créer ,
& de la facilité pour exécuter & pour perfectionner.
Que de peines pour trouver
la vérité à travers les nuages qui s'empreffent
de nous la dérober , pour écarter les
contradictions & éclaircir les doutes qu'elles
font naître ! L'étendue de ce travail
étonne & déconcerte ; il exige de la fermeté
& de la conftance , & , pour ainfi
dire , le facrifice de foi - même. Il faut
quitter le féjour des rofes pour habiter
des vallons déferts , ces lieux fombres qui
ne traînent après eux que la trifteffe & les
ennuis ; fe priver de jouir des charmes
d'une fociété qui plaît , & dont la diverfité
affure l'amufement. Voilà une foule d'obftacles
réunis bien propres à étouffer l'ar
deur la plus vive pour le travail. Celui
qu'exige le culte des fciences rebure , on
ne triomphe pas fans efforts des dégoûts
qui en font inféparables : c'est un pays
immenfe , on a beau avancer , on voit
A
NOVEMBRE. 1756. 45
toujours devant foi , & ( 1 ) ce que l'on sçais
eft peu de chofe en comparaison de ce qu'on
ne fçait pas. Quoi de plus propre à vaincre
l'amour propre que cette comparaifon ?
car c'eft en vain que les preftiges de la
variété nous pretent des fecours pour nous
diffimuler notre infuffifance. La réflexion
leve bientôt le voile que l'orgueil avoit
placé.
L'amour- propre doit avoir un fonde-'
ment , & fur quoi la plupart des Sçavans
peuvent- ils en appuyer les excés ? fur quelques
connoiffances acquifes, & qu'on perd
fi aifément , des découvertes , fruit d'un
heureux hazard , des récompenfes , des
diftinctions qu'on leur accorde , fouvent
l'ouvrage de la brigue ou de la cabale , &
auffi peu durables qu'elles , ou dûes à la générofité
d'un Mecêne qui paie les louanges
par fes bienfaits. Voilà des raifons qui
excitent l'amour- propre , mais bien foibles
pour les juftifier ; & comme le remarque
un célebre Académicien ( 2 ) : Si les hommes,
avant que de tirer vanité d'une chofe , vouloient
bien s'assurer qu'elle leur appartient ;
il n'y auroit guere de vanité dans le monde.
En effet , qu'on confidere ce qui refte à
parcourir , qu'on jette les yeux fur l'anti
(1) Fontenelle.
(2) Le même,
46 MERCURE DE FRANCE.
quité , qu'on examine l'étendue des arts
la perfection qu'ils exigent ; qu'on compare
les talens & les connoiffances , on
ne verra que fa propre infuffifance , &
l'on dira avec un Ancien : Ce que je fçais ,
c'est que je ne sçais rien .
La préfomption eft le partage de la
médiocrité : ainfi on ne doit pas être furpris
de voir ces faux coriphées des Mules ,
ces demi-fçavans , prétendre à la gloire de
pofféder tout , vouloir tout affervir à leurs
Tyftêmes enfantés par l'ignorance ou par
le caprice , accueillis par la jeuneffe & par
la frivolité , & couronnés par la mode ou
par la cabale , mais toujours défavoués par
la raifon & par le goût. Ces petits-maîtres
de la littérature feront parler aux Héros
un langage puérile & maniéré , coloré par
un faux brillant qui éblouit du premier
coup d'oeil ; en un mot , il les peindront à
leur image. On ne verra dans leurs ouvrages
que des mots vuides , des tournures recherchées,
qui veulent en vain fuppléer aux
penfées , & non ces traits nobles & fublimes,
enfans du génie, que le goût place , & à qui
l'efprit donne ce feu , cette force , ces
agrémens qui le caractériſent ; traits , disje
, qui enchantent & qui raviffent l'ame ,
& à qui feuls il eft réfervé d'exprimer le
fublime de l'éloquence , & de peindre les
charmes du fentiment.
NOVEMBRE . 1756. 47
Le génie a des bornes vaftes ; fon domaine
eft l'univers. Auffi capable d'apprécier
les merveilles qu'il lui préfente , que
d'en créer des nouvelles , les opérations
tiennent du prodige. Les monumens qu'il
erige publient fon étendue. Mais fi la poffeffion
d'un bien auffi rare que précieux
met le comble à l'amour-propre , qu'on
confidere que cette lumiere qui frappe s'éteint
quelquefois au moment où l'on alloit
jouir de toute fa clarté , & que le
commencement de fa courſe en eft quelquefois
le terme , ou qu'elle fe trouve retardée
, ou par des obftacles qui l'arrê
tent , ou par des nuages qu'elle ne peut
diffiper. L'Artifte qui invente , laiffe prefque
toujours à ceux qui le fuivent le foin
d'étendre & de polir ; & les découvertes ,
ainfi que les ouvrages qui illuftrent le
monde fçavant , ne doivent - ils pas leur
perfection à plufieurs fecles comme à plufieurs
hommes ?
Les fuccès dans les fciences font les
fruits des talens & le prix de la conſtance .
Celui qui veut y parvenir ne doit pas fe
laiffer rebuter par les obftacles : il doit
franchir les difficultés , être attentif au
choix de fes guides , & écouter furtout les
confeils folides ; car il eft aifé de s'égarer
dans cette carriere : elle est environnée
4S MERCURE DE FRANCE.
d'écueil. Son caractere doit être la douceur
; la modération doit préfider à fes demarches
, & la modeftie à fes triomphes ,
& non un orgueil fans bornes , & une fierté
fauvage ; partage infortuné d'une foule
d'Ariftarques nourris dans la difpute , dont
une folitude affectée & quelquefois oifeufe
, rend les moeurs farouches & l'humeur
contredifante. Que d'Auteurs enivrés de
leur prétendus fuccès , ont fait un trifte
naufrage ! Enorgueillis de quelques louanges
accordées à des ouvrages fans goût &
fans génie , ils ont cru mériter de régner fur
le Pinde , & fe font emparé avec audace
d'une place réfervée au mérite & au talent.
Des chûtes éclatantes ont fait toute
leur célébrité : voilà l'ouvrage de l'amourpropre.
Que de beaux- efprits cette funefte
paffion ne compte - t'elle pas pour victimes ,
& qui fe font rendus malheureux par l'art
même qui devoit les illuftrer , & qui n'a
fervi qu'à les avilir ? La vanité leur a tracé
des routes que l'ambition leur a fait parcourir
avec précipitation . Guidés quelquefois
par le défefpoir que faifoit naître une
défaite honteufe , on les a vus courir à la
vengeance , fe livrer à la fureur d'écrire ,
créer des fyftêmes abfurdes , attaquer la
vertu , décrier le mérite , en un mot faire
rougir l'humanité par les étranges productions
NOVEMBRE. 1756. 49
tions de leur efprit ; mais en vain veulentils
rendre les Mufes complices de leurs
emportemens & de leur impofture , elles
gémiffent de leurs excès. Les Lycambes
triomphent toujours des traits des Archiloques.
L'amour de la gloire forme le Héros ,
une noble ambition a donné au monde
une foule de Sçavans qui en font l'ornement
; les foins généreux qu'elle les a engagés
de prendre , a produit ces immortelles
productions , monumens éternels du
génie & du fçavoir. C'eft par une conftance
à toute épreuve qu'ils ont vaincu les
difficultés de l'art : les trames de l'envie
n'ont fervi qu'à rendre leur triomphe plus
éclatant : ils ont dompté l'amour- propre,
& n'en ont confervé que la mefure néceffaire
à leurs talens. Ne nous y méprenons
pas , l'amour - propre eft utile : mais fes
bornes doivent être étroites . Sans lui que
d'hommes n'euffent jamais publié cette
foule d'ouvrages , monumens immortels
du génie , du goût & du fçavoir : mais
l'on doit être attentif à réfifter à fes
traits deftructeurs , & furtout aux louanges
qui les font germer . On ne doit les regarder
,, pour le plus fouvent , que comme le
fruit de la flatterie & non de la vérité , &
fe perfuader , s'il fe peut , que l'indulgence
C
so MERCURE DE FRANCE .
ajoute à celles qu'on mérite. Voilà des
moyens puiffans pour triompher de ce
tyran redoutable , fi jaloux d'étendre fon
empire , qui fubjugue les foibles , qui féduit
quelquefois les fages , qui captive le
coeur , qui éblouit l'efprit par fa fatale illufion
, enfin qui plonge dans l'ivreſſe la
plus funefte aux progrès des talens. Rien
de plus utile pour éviter les écueils que
l'amour- propre ne ceffe de creufer , que
les exemples touchans qu'offrent ces hommes
célebres , auffi illuftres dans les fciences
par leurs fuccès multipliés , que chers
au monde par leurs vertus . Les Parménides
regardoient comme infenfés ceux qui
croyoient être véritablement fçavans. Le
Sage Socrate ( 1 ) s'écrioit hautement qu'il
ne fçavoit rien. Les Phérécides , les Empédocles
, les Zénons ont avoué l'incertitude
de leurs connoiffances , & le peu d'étendue
de leur fçavoir . Je parlerai , diſoit
l'Orateur de Rome ( 2 ) , de maniere que je
n'aſſure rien pofitivement ; mais me défiant
de moi-même , je douterai de tout & je chercherai
d'appercevoir la vérité. Quels modeles
plus dignes d'admiration , & quels
fecours plus puiffans pour étouffer l'amour-
& écarter les illufions , que propre pour
(1 ) Huet , de imbec. mentis humanæ.
( 2) Cicero.
NOVEMBRE . 1756. St
les leçons de ces Maîtres de l'éloquence &
de ces Oracles de la fageffe !
C'eft en employant les armes de la raifon
qu'on peut vaincre cet ennemi dangereux
que l'orgueil fait naître & dont la
foibleffe augmente la puiflance : le prix
de fes triomphes eft bien précieux. On
en recueille à chaque inftant de la vie les
heureux fruits ; c'eft la tranquillité du
coeur , les progrès de l'efprit , la perfection
des talens , une réputation brillante , l'amour
du monde , les fuffrages de la poſtérité
, en un mot le bonheur de la vie.
L'univers s'empreffe d'élever des trophées
au grand homme ; mais il ne l'eft vraiment
que quand il joint les vertus aux talens .
J'Ai
É GLOGUE
Par Madame ·
'Ai goûté de l'Amour la fuprême douceur ,
Difoit Amarillis à l'Amant le plus tendre ;
Suis-moi dans ce verger , viens lire dans mon coeur
Ce qu'à peine je puis comprendre ;
Viens , cher Mirtil , à mon bonheur
Il manque encor de te l'apprendre .
Le calme ennemi des travaux ,
Attendoit le tribut que lui doit la nature ;
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
La nuit promettoit d'être obfcure ,
Rien ne nuifoit à mon repos ,
Lorſqu'hier près d'ici , fur un lit de verdure ,
Dans les bras du fommeil j'oubliai tes rivaux.
Sur l'aile d'un fonge agréable ,
Tranſportée avec toi dans un féjour charmant ,
En dépit du fort qui m'accable ,
L'erreur fufpendoit mon tourment.
Un nouvel univers pour nous fembloit éclorre ;
L'air par les Zéphirs agité ,
Répandoit le parfum des richeffes de Flore ;
De la mystérieuse Aurore ,
Le jour empruntoit la clarté ;
Sous unCiel pur , dans cet azyle aimable ,
Nous refpirions le fentiment ;
Enfin à m'être favorable ,
Tout confpiroit également.
Souftraite au courroux de ma mere ,
Libre des préjugés tyrans de nos defirs ,
Pour la premiere fois , dans le fein des plaifirs ;
Sans crainte , fans témoins , & fûre de te plaire ;
Je répondois à tes foupirs.
De tous mes fens émus par ta préſence ,
Un trouble heureux s'étoit rendu vainqueur
Dans un voluptueux filence ,
Au charme de fentir j'abandonnois mon coeur ;
Puis fortant tout à coup de cet état tranquille ,
Pour un baifer reçu je t'en prodiguois mille ,
Tu jouiffois de ma félicité ;
L
NOVEMBRE . 1756. 53
L'Amour qui dans mes bras t'avoit précipité ,
T'en arrachoit pour t'y jetter encore :
L'écho par nos voix excité
Difoit fans ceffe , je t'adore ...
-C'étoit là l'unique ferment
Qui nous attachât l'un à l'autre ;
L'eftime jointe au fentiment ,
N'en vouloit point recevoir d'autre.
Du même feu nos deux coeurs animés ,
Dans le fein de la confiance
Refpectoient trop des noeuds par le penchant formés
,
Pour ofer prévoir l'inconftance.
Heureux par notre intelligence ,
Nous nous aimions fans art & fans remords ;
I a vérité de nos tranſports
Autorifoit leur violence ,
Pour gage de ma foi , mes regards enflammés
Te communiquoient mon ivreffe ...
Des plaifirs auffi purs doivent être exprimés
Par la feule délicateffe.
Hélas ! de tous les biens dont mon ame a joui ,
Cher Mirtil , mon amour eft le feul qui me refte ;
D'un fonge bienfaifant, par un reveil funefte ,
Le charme s'eft évanoui .
Dieux ! pourquoi de mes fens m'avoir rendu l'u
fage ?
J'ai repris avec eux ma raiſon & mes fers ;
De mon eſpoir trahi tel eft l'affreux partage ;
>
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Les uns m'enlevent l'avantage
De prolonger les douceurs que je perds ,
Et l'autre m'en offie l'image.
Eloignez de mes yeux vos perfides attraits ,
Souvenir dont en vain je me fens poffédée ;
D'un bonheur qui me fuit , la féduiſante idée
Comble l'horreur de mes regrets .
VERS
A Mademoiselle N... en lui préfentant
Coutean .
EN fuivant l'ufage vulgaire ,
Un Couteau ne s'offre guere
Entre les meilleurs amis ;
Il rompt , dit-on , les noeuds les plus unis .
Ce n'eft pas là l'ufage auquel je le deſtine ,
Notre amitié nous offre trop d'appas.
Des roſes feulement qui croiffent fous nos pas ,
Qu'il ait foin de couper jufqu'à la moindre épine.
Me.
NOVEMBRE . 1756 . SS
LETTRE de Mademoiselle de ....
l'Auteur du Mercure.
Comment oferai - je , Monfieur , vous
confier le projet dont j'ai la honte d'être
occupée depuis quelque temps ? Moi , me
faire imprimer ! moi , devenir Auteur ,
fans aucune connoiffance pour parvenir
.convenablement à cette diftinction ! J'avois
fait , je l'avoue , quelques vers dans
mes premiers beaux jours ; mais je fuis
née vaine je me méfiois de certains fades
adulateurs de ma Province, qui me comparoient
à Madame de la Suze , & je ne fçais
pourquoi ; car ce n'étoit point le genre de
l'Elegie que j'avois adopté : je trouvois même
déteſtables ces épithetes triftement répétées
; elles me donnoient des vapeurs.
C'étoit bien un autre modele que je m'étois
propofé. La charmante Deshoulieres ,
cette Poëte Philofophe qui met plus d'ame
& de raifon dans une de fes Idyles que les
Séneques dans tous leurs gros volumes :
voilà ce que j'admirois, voilà ce qui faifoit
mon ambition poétique . Mon illufion - fut
courte : j'avois adreffé une Epitre au célebre
Journaliste... Je ne gardois point l'incogni
to, j'exigois de la fincérité. Voici fa réponſe.
Civ
3 MERCURE DE FRANCE.
«Mon refpect , Mademoiſelle , vous
» fervira mieux que ma complaifance.
» J'attends pour vous faire, imprimer une
"piece moins chargée d'efprit . Renoncez ,
» croyez - moi , à toutes ces étincelles.
» Nous recevons bien des effais marqués
» au coin de la pefanteur : le vôtre eft dans
» un goût trop oppofé. »
ور
Je me réfignai tout doucement à cet
avis charitable : je me mis à méditer profondément
fur le fimple. Je ne lifois plus
que Marot , le Chevalier de Cailly , ma
chere Deshoulieres , & l'Abbé de Chaulieu
tentatives inutiles ! Je voulois être
fimple , je n'étois que plate. Je me le tins
pour dit : tout ce que j'avois fait fut jetté
au feu.
Le Démon des vers totalement abjuré ,
celui de l'impreffion ne me poffédoit pas
moins. Enchantée des Lettres de Madame
de Sévigné , & frappée des faccès de Madame
de Grafigni , je me donnai les airs
de faire quelque Lettres adreffées à des
Sçavans , ou à ces oififs importans qu'on
nomme gens du grand monde. Inftruite
de la prudente coutume de plufieurs Auteurs
diftingués , j'oubliai mon Manufcrit
quelque mois dans mon Secretaire ; &
moins en garde contre mon amour- propre ,
après cette épreuve je retouche certains
NOVEMBRE . 1756. 57
endroits de mes Lettres ; enfin je n'hésite
plus , j'envoye chercher le principal Libraire
de la Ville que j'habite . Ce font des gens
fort gâtés ces Meffieurs- là . Voilà qui eſt
beau , ceci eft bon , me difoit- il de temps
en temps d'un air capable. Devineriezvous
, Monfieur , quel fut le réfultar de fa
politeffe ? C'est dommage , ajouta - t'il , que
Mademoiſelle ne foit point encore connue
dans la République des Lettres. Les Journaux
de .... de .... ne vous ont point
encore annoncée. On ne vous a point attribué
, que je fçache , aucune piece Fugi
tive. Cependant il me vient un expédient
pour imprimer vos Lettres . Je les mettrai
fous le nom d'un de mes amis qui voudra
bien fe prêter à cet arrangement. Il eſt
des Académies de .... de .... de ....
Ah! de grace ; ceffez , Monfieur , le Bibliopole
! A- t-on la figure humaine avec
tous ces titres-là ? Et je ferme brufquement
la porte de mon cabinet.
Vous rappellez-vous , Monfieur , cette
mauvaiſe plaifanterie ?
Marion pleure , Marion crie ,
Marion veut qu'on la marie.
Vous le voyez , je me livre à la Parodie
: elle eft facile à faire. Il faut pourtant
C v
58 MERCURE DE FRANCE.
que j'apprenne mon nom , car Marion ne
l'eft point. C'eft Jeanne Jaqueline .
N'eft- ce point un crime Littéraire , ou
un ridicule de s'appeller ainfi Ah ! Monfieur
ma crainte devroit être frivole ,
j'en conviens : mais ſi vous me refuſez une
place dans votre Mercure de Novembre ,
je croirai que mon foupçon n'étoit pas mal
fondé.
A Vauréas , les Septembre 1756 .
CHANSON
Sur l'Air : Je lui file , file , file , & c.
Pour Madame la Marquife d'A ** * .
Depuis que l'on voit des Belles ,
On n'en voit point comme vous :
Vous effacez jufqu'à celles
Que nous nous difputions tous.
On diroit que fur ſes aîles
L'Amour apporte des cieux
Les graces toujours nouvelles
Qu'il fait briller dans vos yeux.
L'inconftance dans fa courfe
Avoit féduit tous les coeurs ;
NOVEMBRE. 1756. 59
Mais vous nous montrez la fource
Des plaifirs & des faveurs.
Vous rendez à la nature
Ses droits perdus pour jamais ,
Et vous vengez fon injure
En lui rendant fes attraits.
Le refpect de la tendreffe
Etoit perdu fans retour ;
Le caprice & la foibleffe
Prenoient le nom de l'Amour ;
Dans un accès de folie
On parloit de fentiment ,
Mais après la fantaisie
Op fe quittoit brufquement.
Les foupirs des coeurs fideles
Se cachoient dans les Chanfons ,
Et même dans les ruelles
Ils n'étoient que de vains fons ;
Près d'un objet raisonnable
L'ennui plaçoit le fommeil ,
Le dégoût impitoyable
Suivoit toujours le réveil :
*
Maintenant que mille flammes
Sont le prix de vos attraits ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE
L'Amour renaît dans les ames ,
Ses charmes font vos bienfaits :
Tous les coeurs veulent paroître
Dignes de vous enflammer ,
Et ce defir fait renaître
Les plaifirs & l'art d'aimer.
Pour moi , je ne puis vous dire
Ce que je fens dans mon coeur :
Plus je vous vois , plus j'admire
Votre mérite enchanteur ;
A peine je puis comprendre
Ce que je deviens par vous ;
Un tranſport ne peut fe rendre ,
Et je les éprouve tous.
REMERCIEMENT
A M. le Maréchal Duc de Richelieu.
DEs
Es Mortels diftingués , qui chez moi font
venus >
Le Vainqueur de Minorque efface la vifite ;
Quel éclat répandu fur mon peu de mérite ,
J'ai reçu le Dieu Mars , & ne fuis point Vénus
Par Mme BOURETTE, du Cafe Allemand.
Ce 28 Septembre 1756.
NOVEMBRE. 1756. 61
L'ESPRIT ET LA SCIENCE ,
Allégorie Angloife tirée du RAMBLER.
L'Eſprit & la Science , étoient enfans
d'Apollon , mais de deux différentes meres.
Le premier tenoit le jour de la gaie Euphrofine
, l'autre de la férieufe Sophie. Le
frere & la four reffembloient à leurs meres.
A la toilette de Vénus , l'Esprit fe mocquoit
de la Science , & contrefaifoit fon extérieur
grave & pefant. La Science entretenoit
Mine. ve des bévues & de l'ignorance de
1'Efprit. Avec l'âge , leurs querelles s'augmenterent.
Le frere triomphoit au commencement
d'une difpute , fa foeur le
confondoit à la fin . Elle s'attiroit de l'eftime
, & même de la vénération ; on ſe
fentoit du goût & de l'inclination pour
lui. Impétueux & rapide , il donnoit tout
à la nouveauté ; lente & embarraffée ,
elle diftinguoit éternellement , & n'accordoit
fon fuffrage qu'à l'Antiquité , à l'Autorité
& à la Raifon . L'un divertiffoit toujours
, l'autre convainquoit le plus fouvent.
Tous deux fe rendoient ridicules
en fortant de leur caractere. On méprifoit
les raifonnemens de l'Esprit ; on ne
62 MERCURE DE FRANCE.
-
rioit point du badinage de la Science ; enfin
les conteftations s'échaufferent : l'Animofité
s'en mêla , il fe forma des partis
dans le célefte Palais , & pour y rétablir
l'harmonie , Jupiter en chaffa les deux
rivaux. Ils porterent leurs goûts & leurs
querelles chez les Mortels. Les Jeunes
Gens furent pour l'Efprit , les Vieillards
pour la Science. Des Théâtres furent conf
truits par l'un , des Colleges bâtis par l'autre.
En entrant dans le monde , il falloit
faire un choix , & renoncer aux faveurs
de l'une des Divinités pour avoir part à
celles de l'autre. Les Puiffances rivales fe
réuniffoient cependant contre de communs
ennemis. Il y avoit en effet une claſſe de
Mortels qui , dévoués à Plutus , méprifoient
également & l'Eſprit & la Science ,
& qui peu à peu leur enlevoient leurs conquêtes.
Las de ces fréquentes défertions ,
le Couple célefte demanda , & obtint du
Maître des Dieux , la permiffion de revoir
fa patrie. Mais le retour fut difficile. L'Ef
prit fe hâta , étendit les aîles , plana dans
les nues , s'y perdit , & eut beaucoup de
peine à regagner la terre. La Science ne
couroit pas ce rifque , elle fçavoit le chemin
; mais faute de vigueur elle ne pouvoit
s'élever , & retrouvoit , en tombant ,
fon Antagoniſte auffi avancé qu'elle . Après
NOVEMBRE. 1756. 63
bien des efforts inutiles , la Néceffité les
fit confentir à s'aider réciproquement.
L'Esprit foutint la Science , & la prit pour
fon guide. Cette union eut des fuites heureufes.
Le frere initia la foeur au commerce
des Graces ; elle l'engagea au fervice
des Vertus . Le mariage acheva de les unir,
& donna naiffance aux Sciences & aux
Arts.
LE SENTIMENT ,
EP ITR E.
Par M. Vaffe , Auteur de l'Epitaphe du
Maréchal de Saxe, inférée dans le premier
Mercure d'Octobre dernier , & mife par
une faute d'impreffion fous le nom de
M. Taffe.
TEndre ami de l'humanité ,
Digne fcrutateur de mon ame ;
Voyez-y l'objet qui m'enflâme ,
Et confidérez à côté
Un protecteur dont la bonté
De mes jours enrichit la trame ,
En y répandant la gaîté.
Ennemi de l'hypocrifie
Je ne cache point à vos yeux,
64 MERCURE DE FRANCE.
Que de mes jours une partie ,
D'une Sylvanire eſt remplie.
Je m'offre tel que m'ont formé les Dieux.
Eh ! pourquoi de notre exiſtence
Nier le privilege heureux ,
Le bonheur de fentir ? J'en connois l'importance :
Cette divine ardeur , fource des tendres voeux ,
Eft un befoin que la fage nature
A mis dans le coeur des mortels.
Quand elle eft delicate & pure ,
Elle fçait des vertus décorer les autels .
Je ne puis exprimer l'effet de cette flamme.
En vain je voudrois l'effayer :
En la rendant plus douce , elle éleve notre ame ;
Loin de nuire au devoir , elle fçait l'égayer.
Tendre amitié , douce reconnoiffance ,
Vous ne venez qu'après l'amour ,
Et ma véridique éloquence
Ne vous place qu'à votre tour .
J'aimai dès ma treizieme année ;
Et je ne connus les bienfaits ,
Que lorfque de ma deſtinée
J'avois déja fenti les plus rigoureux traits :
Mais les mortels équitables & fages ,
Avec plaifir vous rendent leurs hommages.
S'ils payent un peu tard les droits qui vous font
dûs ,
Vous fçavez que les arrérages
Ne peuvent en être perdas.
NOVEMBRE . 1756. ૩૬
Econome , fans avarice ,
Convive , fuyant les excès ,
Et voluptueux , fans caprice ,
Dans ma meilleure caufe évitant les procès ,
Jamais je ne trouvai de penchant invincible ,
Que comme ami fidele ou comme tendte amant
Mon bonheur en eft plus fenfible ,
Je ne le dois qu'au fentiment.
Le mot
E mot de l'Enigme du fecond Volume
du Mercure d'Octobre et Compas. Celui
du Logogryphe eft Source , dans lequel
on trouve courfe , roue , ours , coeur , Corfe ,
foeur & fucre.
ENIGM E.
Oui j'ai , mon cher Lecteur , un corps ainfi
qu'une ame ,
Et femblable à l'Amour , fans avoir fes attraits ,
Je fuis toujours l'auteur d'une plus vive flamme :
Mais par un fort bizarre & cruel à l'excès ,
Dans un fens différent , qui change ma puiffance,
Jefais naître à la fois la haine & la vengeance.
Par M. C... à Alençon , le 4 Octobre
1756.
66 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPHE.
A l'Auteur du Chipolata
Salut , honneur , & cætera :
Vous m'avez échauffé la bile.
Votre ragoût n'eft pas connu ;
Car (1 ) Soeur Louiſe très- habile ,
N'en a pas fait , n'en a pas vu.
Ah ! que je ferai fatisfaite ,
Si par un mot vieux ou nouveau ,
Je puis du fond de ma retraite ,
Aller troubler votre cerveau.
Dix-neuf pieds , cher Lecteur , forment mon exiftence
:
En me décompofant , tu peux avec aifance
Voir un fleuve fameux par fes débordemens ;
Ce qu'on tâche au trictrac de conferver longtemps
;
Celui qui croit à l'Evangile ;
Le Héros que chanta Virgile ;
Un célebre comique , un fruit délicieux ;
Ce que l'homme redoute en out temps en tous
lieux :
Un Général Romain , conquérant de l'Espagne;
Deux Empires d'Afie , une fainte montagne ;
(1 ) Chefde Cuifine du Couvent.
D
NOVEMBRE. 1756. €67
Un outil emmanché , néceffaire aux fapeurs ;
! Ce qu'engendre un procès entre des chicanears ;
Une Ville en Touraine , une belle fourrure ;
Le plus précieux don que faffe la nature ;
Un monftre fabuleux , un oiſeau babillard ;
Celle qui verfe aux Dieux le précieux Nectar ;
Un fils de Jupiter , un des Héros d'Homere ;
Du célefte féjour la prompte Meffagere ;
Un Juge des Enfers , un terme de Blazon ;
Le Roi des animaux , un excellent poiffon ;
Les deux noms que procure un fécond Hymenée ;
Ce qu'il faut douze fois pour former une année
Un mortel fur le trône , un faint Légiflateur ;
Du Paradis perdu l'incomparable Auteur ;
Le Sage conducteur du jeune fils d'Uliffe ,
Et l'imprudent époux de la tendre Euridice .
Par Mlle DE SAURET , cadette , Penfionnaire
aux Dames de Sainte Foy. En Agenois.
1
ENIGM E.
;
ADmire un peu , Lecteur , mon étrange ſtructure
:
Sans jambes , j'ai mon corps ; j'ai des poignets ,
fans mains ;
J'ai même un col fans tête, & je fers aux humains :
Devine maintenant qu'elle est donc ma sature .
Par M. C.
78 MERCURE DE FRANCE:
LOGO GRTPH E.
JE füis , ami Lecteur , un hideux phénomene
Redoutable fléau dans la nature humaine.
;
Je renferme en mon ſein l'arbre du Mont Liban,
Qui fe perd dans les airs , un fleuve du Braban
Le nom fi révéré des Maîtres de la terre ;
Ce qui fait aux mortels affronter le tonnerre ,
Ce qui dans le befoin fert de retranchement
Un ornement d'Eglife , un antique bftrument ;
Le mari de Procris , un monftre de la fable ;
L'objet qui pour un fils doit eae reſpectable ;
Ce que cherche un Marin ; un Tile du Levant ;
Ce qui porte un pendu quand on le jette au vent.
Quoique mille autres mots forment mon exiſtence,
C'eft affez éprouver , Lecteur , ta patience :
Je n'en dirai plus qu'un ; fi tu veux de mes maux
Connoître les effets , cherche-moi dans Bordeaux.
Par M.l'Abbé de M.Vic. Gén. de M. l'Ev . de B.
CHANSON
ENN vain j'ai voulu m'en défendre
,
L'Amour
est mon vainqueur :
Aimable Iris , pouvois- je vous entendre ,
Et conferver mon coeur !
Air Tendre .
4
En vainj'ay voulu m'en défendre , düze
mour est mon vainqueur -queur,Aimable I
7 6
ris pouvoisje vous entendre , Et conser =
m
ver mon coeur, Aimable Iris,pouvois -je
86
vous en
6
tendre Et conserver mon coeur, Aimable Izcoeur
6 x4 6
Novembre 1756.
1:
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
.
ASTOR . LENOX AND
ATILDEN FOUNDATIONS
0
G
F
C
NOVEMBRE . 1756. 69
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES:
MÉMOIRES
ÉMOIRES pour fervir à l'Hiftoire
d'Espagne , fous le regne de Philippe V ;
par M. le Marquis de Saint- Philippe , traduit
de l'Efpagnol. A Amsterdam , & ſe
vend à Paris , chez Debure l'aîné , & Tillard
, Quai des Auguftins. Prix relié 12 l .
Cet Ouvrage roule fur une matiere trèsconnue
, mais qui ne peut ceffer de nous
paroître intéreffante par la grandeur des
objets , par les événemens variés & inouis ,
par l'époque d'une révolution importante,
qui a changé la face de l'Europe , & qui
doit être à jamais confacrée dans les faftes
des deux plus puiffantes Monarchies de
cette partie du monde. Les troubles qui
défolerent l'Eſpagne dans la guerre pour
la fucceffion à la Couronne de Charles II ,
porterent ce grand Royaume fur le penchant
de fa ruine , & lui firent des plaies
qui faigneroient encore aujourd'hui , fans
les fages principes qui conduifent actuellement
le Miniftere Efpagnol . On rapporte
ces troubles à des caufes qui ont de tout
70 MERCURE DE FRANCE.
temps
fait les révolutions des Etats , les
intrigues des Grands & les préjugés du
peuple.
Le Marquis de Saint- Philippe eft illuftre
dans la République des Lettres : il a
donné une Hiftoire de la Monarchie des
Hébreux , que les Sçavans ont louée , & il
mérite véritablement par ces nouveaux
Mémoires le nom fi prodigué d'Hiftorien .
Il fe trompe cependant quelquefois , en
nous repréfentant la Cour de France divifée
par des intrigues , dont l'objet étoit
d'obtenir de Louis XIV qu'il fît la paix ,
en facrifiant le Roi d'Efpagne au malheur
des temps . Il nous fait voir qu'il ignoroit
de quel génie Louis XIV gouvernoit fa
famille , la Cour & fon Etat. Le Traducteur
ne perd pas l'occafion de faire connoître
la fituation intérieure , de l'Espagne.
Nous devons , dit - il , à l'eftime que
» nous faifons de la Nation Efpagnole , de
»ne pas laiffer la plupart de nos Lecteurs
» dans l'idée qu'ils s'en font formée . On t
» n'écoute que trop les préventions les
» moins excufables , lorfqu'on veut juger
» de fes voifins. Mais fi l'on vient à les
» juger avec impartialité , les préjugés
» s'évanouiffent pour faire place à ce que
» lears vertus nous arrachent d'eftime &
» de louanges. » Le regne du feu Roi :
NOVEMBRE. 1756. 71
rear
Catholique eft une de ces époques fingulieres
, dont l'Hiftoire doit conferver le
fouvenir avec quelque étendue dans les
détails : mais fi les faits publics auxquels
tout l'univers s'intéreffe font dignes d'être
stranfmis à la poftérité , ce qui fe paffoit
dans l'intérieur de la Cour & dans le fanctuaire
du Gouvernement , mérite auffi
quelque attention ; c'est ce que l'Auteur
n'a pas perdu de vue.
Il eft prefque toujours fidele & bien
inftruit. Quelques préjugés percent par
intervalles , mais c'eft en des chofes qui
ne font pas la partie effentielle de fon Livre.
Il a tant de fois bien vu , qu'on doit
oublier qu'il s'eft trompé quelquefois. Le
Traducteur mérite de partager les louanges
dûes à l'Auteur. Nous n'avons guere
de traduction mieux faites & mieux écrites
que la fienne. Le mérite fi eſtimable
de fçavoir élaguer , rapprocher , éclaircir ,
fimplifier , eft joint partout au mérite fi
rare d'écrire convenablement , qui eft le
bien écrire , & de parler des petites chofes
comme des grandes fans affectation d'eſprit
& fans négligence de ftyle.
TRAITÉ des caufes & fymptomes de la
pierre , & des principaux remedes en ufage
pour guérir cette maladie , traduit de l'Anglois.
72 MERCURE DE FRANCE.
Si un fyftême de guérifon établi fur
des preuves auffi folides que le font des
fuccès univerfels , l'approbation de Commiffaires
célebres nommés par acte de Parlement
( 1 ) , les éloges unanimes des guéris,
& une récompenfe de cent vingt mille
livres , accordée folemnellement par le
Corps d'une Nation , le plus fage & le
plus éclairé ; fi , dis- je , un fyftême auffibien
appuyé doit infpirer la confiance , on
peut regarder le Livre qu'on donne aujourd'hui
comme un préfent fait à la nature
humaine. Il contient les principes raiſonnés
du fyftême , les preuves de fon efficacité
, la lifte des perfonnes nombreuſes qui
doivent à leur confiance la vie & la fin de
leurs tourmens. Sans le Livre le ſyſtême
n'auroit point toute fa valeur ; il y a des
malades qui ne fe rendent aux faits qu'autant
qu'ils font confirmés par le raifonnement
: il y a des Médecins jaloux ou ennemis
des nouveautés qui attaquent impitoyablement
tout ce qui en a le caractere ,
fle vrai n'eft pas démontré en même
temps aux yeux & à l'efprit. Un Livre qui
répand cette authenticité précieuſe fur une
invention falutaire , eft donc un bienfait
inestimable. L'Auteur du fyftême eft la
célebre Mademoiſelle Stephens ; l'Auteur
(1 ) Le Parlement d'Angleterre.
du
NOVEMBRE . 1756. 73
du Livre eft M. Defcherny, fon beau frere ,
Médecin à Londres . On , en trouve des .
Exemplaires à Paris , chez Durand , tue
du Foin ; à Lyon , chez A. Delaroche , tue ,
Merciere ; à Rouen , chez Befogne ; à Bordeaux
, chez les Freres Laboitiere ; à Marfeille
, chez Boyer , fur le Port ; à Toulouſe ,
ch.z Biroffe Dans toutes les Villes de France
on pourra s'adretler aux Libraires , &
dans les endroits où il n'y aura point de:
Libraires , aux Directeurs des Poftes.
LETTRES de Madame du Montier à la
Marquife de *** fa fille , avec les Réponfes.
A aris chez Duchesne , rue S. Jacques
, au Temple du Goût. Ces Lettres
avoient déja paru dans un Recueil d'hiftorietres
, intitulé Lectures ferienfes & amufantes.
Elles y étoient déplacées & comme
perdues on doir fçavoir gré au Libraire
de leur avoir donné une nouvelle vie . Ce
font des Lettres précieufes à l'humanité &
à la Religion . On y trouve d'ailleurs l'agrément
, la variété & l'intérêt . C'eft une
mere formée fur le modele de Madame de
Sévigné , pour le fentiment . Son ftyle ne
fait pas le même plaifir , mais fes confeils
font le même bien . C'eft une tendrefle
vive , une raifon aimable , une vertu é lai
rée. On voudroit avoir une amie auffi rai-
D
74 MERCURE DE FRANCE.
fonnable , auffi fincere , auffi bonne , &
une mere auffi tendre. La fille offre un
exemple touchant d'amour , de confiance
& de docilité. C'eft entr'elles une façon
d'aimer , de voir , de prononcer qui vous
affocie à leurs vertus & à leurs fentimens
Vous penfez comme elles , vous voudriez
les voir & les entendre. Elles ont l'une &
l'autre ce naturel de l'efprit qui fait les
impreffions . Leurs réflexions font courtes ,
toujours placées , toujours ingénieufes.
L'efprit ne brille point dans leurs Lettres ,
mais il s'y fait fentir : il ne répand point
de l'éclat fur le bon fens , il l'affaifonne
feulement , lui prere des graces & lui affure
fon effet. Ce Livre eft encore rehauffé
par l'agrément des récits , l'intérêt des
aventures : c'eft une action continuelle
tout en eft rapporté à la gloire de la Religion.
L'amour y paroît quelquefois , mais
pour y montrer fes vertus . Il fournit l'exemple
de la plus parfaite raiſon par fes combats
& par fes effets . C'eft un Ouvrage intéreffant
, agréable , édifiant , & qu'on peut
regarder comme un modele , malgré quelques
défauts de ftyle & de langage qui s'y
laiffent appercevoir .
LE CONCILIAteur , on la Nobleffe
Militaire & Commerçante , en réponſe
NOVEMBRE . 1756. 75
aux objections faites par l'Auteur de la
Nobleffe Miliaire ; par M. l'Abbé de ****
Se trouve à Paris , chez Duchesne , rue
S. Jacques , au Temple du Goût. Brochure
de 156 pages.
HISTOIRES édifiantes , pour fervir de
lecture aux jeunes Perfonnes de l'un & de
l'autre fexe . Nouvelle édition , augmen
tée de plufieurs Hiftoires & de quelques
Extraits des plus célebres Poëtes François ,
fur les matieres qui ont rapport à la piété. ›
A Paris , chez Duchesne , rue S. Jacques ,
au Temple du Goût. Cette nouvelle édi
tion eft faite à la follicitation des Dames de
S. Cyr. Il paroît affez inutile après cela ,
de s'étendre fur la bonté du Livre. Le feul
nom de l'Auteur ( 1 ) fuffit d'ailleurs pour
en donner une idée avantageufe. Auffi dès
qu'il parut , tout le monde s'empreffa de
le lire & d'en procurer la lecture. Les
Communautés Religieufes , furtout , let
regarderent comme un des Ouvrages qui :
réuniffent les avantages de l'inftruction!
& l'agrément du ftyle. Le Libraire doit fe
flatter qu'on ne lui fera pas un moindre
accueil aujourd'hui.
(1 ) M. Duché , de l'Académie Royale des Inf
criptions , connu par beaucoup d'autres Ouvrages
, furtout par trois Pieces de Théâtre tirées de
ÏEcriture-fainte , Abfalon , Jonathas & Débora .
Dij
76. MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE de l'Auteur des Lettres à
un Am'ricain , à la Lettre ( 1 ) de M.`
Abbe de Condillac.
EN répondant , Monfieur , à la lettre
que vous m'avez fait Fhonneur de m'écrire
par la voie du Mercure , je comptois vous
annoncer l'Analyfe des fenfations . J'efpérois
que ce traité feroit bientôt en état
d'être publié : mais de juftes confidérations
m'obligeant à le laiffer repofer encore quelque
temps dans mon porte- feuille , j'ai
craint que ce délai ne fortifiât les impreffions
que vous avez prifes en parcourant
mes lettres à un Américain , & n'accréditât
dans le public des foupçons fur ma
bonne foi. Or je dois , ce me ſemble , plus
encore aux vérités que j'ai défendues, qu'à
mon intérêt propre , le foin d'écarter ces
impreffions & ces foupçons : c'est ce qui
me détermine à répondre à vos plaintes
plutôt que je ne me l'étois propofé.
Vous aimez , vous cherchez la vérité ,
Monfieur : je l'aime & je la cherche auffi.
Nous fommes donc rivaux ; mais nous le .
fommes dans la pourfuite d'un bien que
( 1 ) Mercure de France , Avril 1756 , I. vol.
pag. 84.
NOVEMBRE. 1756. 77
:
chacun de nous peut pofféder tout entier ;
qu'il doit par conféquent rechercher non
feulement fans jaloufie , mais de plus avec
P'intention généreufe de le communiquer
tout entier à fon rival , dès qu'il en aura
fait la conquête ainfi rien n'eft plus noble
que le genre de notre combat. Qu'un ef-
-prit de pique ne nous engage donc point
dans des difputes ftériles fur les procédés
qui nous détourneroient des recherches
importantes qui nous occupent , & ne feroient
qu'amufer le public à nos dépens.
J'eftime en vous , Monfieur , un adverfaire
dont le génie , les connoiffances , la
droirure & l'amour pour la vérité , méritent
toute forte d'égards . Mais vous vous
êtes trop hâté de m'écrire , & vous l'avez
fait dans cet accès de dépit très pardonna
ble , qu'excite toujours dans un auteur lè
chagrin d'être réfuté. Il n'eft guere poffible
de pefer les raifons d'une réfuration à la
première lecture. Il eft bon dans ces occafions
de prendre du temps pour laiffer les
premiers mouvemens fe calmer , afin dé
juger de fang- froid entre fon adverfaire &
foi même ; & c'eft la conduite que j'ai cru
devoir tenir avec vous , Monfieur , à l'occafion
de votre lettre.
Quand vos ouvrages ont paru , je les ai
recherchés dans le deffein de m'inftruire.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Nalle paffion ne m'a troublé dans ma lecture.
Je vous ai étudié comme j'ai étudié,
dans ma jeuneſſe , les plus grands maîtres
avec refpect , mais avec liberté . J'ai furpris
ces hommes célebres dans plufieurs écarts ,
en tenant toujours le fil même qu'ils m'avoient
fourni pour marcher fûrement dans
le Dédale de la philofophie. Je n'ai pas cru
me rendre coupable d'ingratitude , en découvrant
leurs fautes. M'étoit- il donc défendu
d'ufer de la même franchiſe avec
yous ?
Yous me donnez , Monfieur , des avis
très importans fur la maniere d'examiner
Jes ouvrages qu'on entreprend de critiquer,
& je vous en fuis fenfiblement obligé.
Mais je n'imagine pas ce qui peut vous
avoir fait foupçonner que j'avois befoin
qu'ils me fuffent remis fous les yeux ; car
ma confcience ne me reproche pas d'en
avoir négligé aucun dans l'étude que j'ai
faite de vos ouvrages
.
Vous paroiffez autorifer les leçons que
vous me donnez fur ce qu'en citant une de
yos notes , les guillemets uniffent à votre
phrafe un morque j'y avois joint pour plus
ample éclairciffement : ce n'eft qu'une faute
d'impreffion. Ainfi vous donnez un fup,
plément à mon errata : je vous en dois des
remerciemens. Vous auriez pu relever trois
NOVEMBRE. 1756. 79
autres fautes de la même efpece dans le
peu de lignes que vous tranfcrivez de mon
livre , qui brouillent également vos idées
& les miennes. Un point interrogant de
trop : vous avez eu la bonté de corriger
cette faute & deux C majufcules , qui femblent
commencer des phrafes , tandis que
c'eft toujours la même. Vous avez encore
corrigé la premiere de ces deux fautes :
mais ne nous arrêtons pas , Monfieur , à
ces minuties. Je confeffe tout fimplement
que le mot ailleurs devoit être hors des
guillemets , comme n'appartenant point à
votre note : mais il eſt temps d'examiner
la façon dont vous relevez cette faute.
Vous vous exprimez ainfi .
"
"
( 1 ) Vous tranfcrivez ainfi une de
» mes notes , ( neuvieme párt. pag. 26 ) .
S'il n'y a point d'étendue, dira-t'on peut-
» être , il n'y a point de corps. Je ne dis pas
qu'il n'y a point d'étendue ; je dis feule-
» ment que nous ne l'appercevons que dans
» nos fenfations, n'y eût- il point d'étendue
ailleurs, que dans nos fenfations: c'est appa-
» remment ce qu'il veut dire. Voyez vos ré-
» Alexions. Si vous citez exactement, il eſt
» évident que je fuppofe de l'étendue aux
»fenfations & à l'ame : je prends acte de
[ (1) Merc. Avril , 2 val. p. 85.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
» cet aveu. Mais , Monfieur, les lignes que
» vous avez omifes , & le mot ailleurs que
» vous avez ajouté & interprété , changent
» entiérement ma penfée .: " >>
Reftituons d'abord les mots que j'ai
omis. Après avoir dit que nous n'appercevons
l'étendue
que dans nosfenfations , (pelez bien
la valeur de ces termes , ) ils font en italique
, afin de vous y rendre attentif , vous
ajoutez D'où il s'enfuit que nous ne
"
voyons point les corps en eux - mêmes.
" Peut-être font ils étendus , & niême fa-
" voureux , fonores , colorés , odoriférans;
» peut- être ne font ils rien de tout cela.
Je ne foutiens ni l'un , ni l'autre , & j'at-
» tends qu'on ait prouvé qu'ils font ce
qu'ils nous paroiffent , ou qu'ils font toute
autre chofe. N'y eût il point d'étendue :
vce ne feroit donc pas une raison pour nitr
l'existence des corps. »
Je vous conjure , Monfieur , de m'apprendre
comment ces lignes que j'ai omifes,
prouvent que vous ne donnez pas
l'étendue aux fenfations & à l'ame : car en
vérité je ne le vois pas , & c'est parce que
je n'ai pas même entrevu en quoi ces paroles
modifioient ce que vous veniez de dire,
que je les ai fupprimées , comme inutiles.
Si le mot ailleurs , qu'on a joint mal à
NOVEMBRE . 1756. 81
propos
à votre texte , ne fait
que développer
votre penfée , deux chofes font dé
montrées : Premiérement , que je n'ai eu
aucune mauvaife intention en vous interprétant
comme j'ai fait : Secondement, que
vous fuppofez de l'étendue aux fenfations
& à l'ame ; & ce ſecond point fera évident
par l'aveu que vous faites , & dont j'ai
pris acte dans le moment .
Or il est très- facile de vous prouver que
j'ai très- bien pris votre penfée. Que les
corps foient étendus ou non , n'eft-il pas
vrai que nous appercevons l'étendue , &
que felon vous , nous ne l'appercevons que
dans nos fenfations ? Donc , quand vous
fuppofez qu'il n'y a point d'étendue, vous
l'excluez des corps , & non pas de nos
fenfations. J'ai donc eu grande raifon de
rendre ainfi votre fuppofition : N'y eût il
point d'étendue ailleurs que dans nos fenfations
, ce ne feroit pas une raison pour nier
Pexistence des corps. "Tout ce qu'on pour
>> roit & devroit raiſonnablement inférer ,
» c'eft que les corps font des êtres qui oc-
» cafionnent en nous des fenfations , &
» qui ont des propriétés fur lefquelles nous
ود
ne fçautions rien affurer. » ( 1 ) Lorfqu'on
nous demande s'ils font étendus , fa
voureux , fonores , odoriférans , comme
(1 ) Même Merc. Avril , 2 vol.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
yous le difiez tout -à- l'heure , pourquoi
ajouter ailleurs ? De peur qu'on ne penfât
que vous excluez toute étendue , même
celle que nous n'appercevons que dans nos
fenfations ; ce qui eût totalement défiguré
votre penſée.
و ر
( 1 ) « En vérité , » ajoutez-vous après
deux petits reproches fur toute autre chofe,
& auxquels je répondrai deux mots dans la
fuite , a la forme que vous faites prendre
à mes principes , les déguiſe tout -à -fait,
» & il n'eft point de lecteur intelligent
qui ne puiffe s'appercevoir que ce n'eſt
pas moi que vous combattez. » Je fuis
fort capable de me tromper : mais en vérité
je n'ai eu d'autre intention que celle
de bien rendre votre opinion , & de la
bien réfuter. J'en appelle à ce même public
que vous croyez fi favorable à votre
doctrine , & je le prie , pour éviter des
redites toujours ennuyeufes , de lire ma
trentieme lettre à un Américain , & de la
comparer avec votre traité des fenfations ,
ou feulement avec l'extrait que vous en
donnez , Monfieur , à la fin de votre traité
des animaux .
Vous fondez ce que vous me reprochez
fur ces mots que je vous fais adreffer par
un Matérialiſte, « Vous prétendez que je
(1 ) Merc. Avril, 2, vol, p. 86,
NOVEMBRE. 1756. 83
ود
vois les trois dimenfions. » J'ai encore
tort ici. Il falloit dire : « Vous prétendez
» que je ne vois les trois dimenfions que
(1 ) dans les façons d'être de mon ame ,
» dans les modes par lefquels elle fe fent
» exifter : elles y font donc au moins , fi
» elles ne font nulle part ailleurs. »
"3
"
K
>
Vous répondez qu'à la précifion que
>> vous tâchez de donner à vos principes ,
» je fubftitue un vague très- favorable` aux
conféquences que j'en veux tirer. Si je
» dis , continuez - vous , que nos fenfations
» nous donnent une idée de l'étendue , »
vous tomberiez dans le vague , fi vous
vous étiez exprimé de la forte. Vous aviez
dit , avec bien plus dé précifion , que nous
n'appercevons l'étendue que dans nos fenfa
tions : « c'eft uniquement lorfque les rap-
» portant au dehors, nous les prenons pour
les qualités des objets . Mais j'ai prouvé
» bien des fois qu'elles ne donnent point
» cette idée , lorfque nous les confidérons
» comme des manieres d'être de notre
" ame. » ( 2 ) J'ai dit tout cela , Monfieur ,
dans ma trentieme lettre à un Américain,
& je l'ai dit d'après vous. Donnez- vous la
peine de relire le compte que j'y rends de
(1) Ibid. p. 87.
(2) Lettre à Améric. part. 9 , p. 18.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
vorre précision; vous aurez en même temps
le plaifir de vous relire vous même,
Voilà plufieurs fenfations coexiftan-
» tes , & c'eſt déja une condition préala
» ble au phén mene de l'ét.ndue : mais ce
» n'eft pas allez pour le produire. » Ne reconnoillez
vous pas là les fenfations deftituées
d'étendue ? (1 ) L'idée de l'étendue
fuppofe non feulement que plufieurs
" chofes coexiftent ; elle fuppofe encore
» qu'elles fe lient , fe terminent mutuellement
, & fe circonfcrivent Or c'eft une
<» propriété que n'ont point les fenfations
" auxquelles nous bornons cet homme.
ม
و د
و د
"
Elles fe préfentent au contraire à lui ,
» comme ifolées. » Ne voilà-t- il pas encore
vos fenfations dénuées d'étendue , bien
difertement reconnues ? « Mais fi nous lui
» accordons le fentiment de folidité , auffi
» tôt les manieres d'être de l'ame réfiftent
» les unes aux autres : elles s'excluent , fe
» terminent mutuellement , & cet homme
»fent en elles les différentes parties de fon
» corps. » J'en concluds , & qui n'en tirera
pas la même conféquence , que les fenfations
grouppées, comme vous aimez à vous
exprimer , Monfieur , par le fens du tact ,
acquierent tout ce qui leur manquoit pour
avoir les trois dimenfions de l'étendue. Il
(1 ) Traité des Anim. p. 212 ,
NOVEMBRE . 1756. 85
leur manquoit de fe réfifter les unes aux
autres , de s'exclure , de fe terminer mutuellement
, non au dehors de l'ame , puifqu'elles
n'y font pas , & qu'elles ne peuvent
fe réfifter , s'exclure , fe terminer
qu'où elles font . La fenfation de folidité
eit auffi dans l'ame , & c'eſt elle qui fait
que les autres fe terminent , s'excluent , fe
réfiftent les unes aux autres . Vous voulez
qu'alors l'ame fe détache de fes fenfations ,
qu'elle les confidere comme étant an
dehors : mais elles ne font pas moins en
elle , & revêtues des trois dimenfions , de
quelque maniere qu'elle les confidere. Ce
n'eft pas parce qu'elle les voit au dehors
d'elle , qu'elles font érendues ; c'eft parce
que la fenfation de folidité les a grouppées
où elles font , c'est - à - dire , dans l'ame . Au
refte j'ai fidélement exprimé cette tranflation
des fenfations grouppées.
» ainfi , je tranfcrivois votre conclufion , que
» forcés par le fentiment de folidité à rapporter
nos fenfations au dehors , nous
produifons le phénomene de l'eſpace &
» des corps. " J'appelle cette idée vague "
& je juftifierai pleinement cette épithete
dans mon analyfe des fenfations . En attendant
, je vous demanderai , Monfieur , fi
vous le trouvez bon , ce que c'est que ce
dehors auquel l'ame rapporte les fenfations
C'eft
86 MERCURE DE FRANCE.
و د
grouppées , ce phénomene de l'ame en un
mot que vous appellez l'efpace & les corps,
en quel lieu les place - t'elle ? Mais quelquelque
réponse que vous daigniez me
faire , je n'en foutiendrai pas moins que
le Matérialiste a droit de vous dire qu'il
voit les trois dimenfions dans les façons
d'être de fon ame , par lefquelles elle fe
fent exifter, qu'elles y font donc au moins,
fi elles ne font nulle part ailleurs. ( 1 )
« Vous direz , tant qu'il vous plaira , qu'un
» être étendu n'eft pas un corps . Peu nous
importe , lui ai-je encorefait dire ; pour
» vous accorder quelque chofe , nous di-
» rons feulement que notre ame eſt un être
qui fe fent exifter fous les trois dimen-
»fions, & non fans les dimenfions, comme
l'Imprimeur a mis : car voilà encore
une faute qu'on pourroit m'imputer. Enfin
ce Matérialiſte iroit encore plus loin . Je
fçais bien , vous diroit-il , que vous reconnoiffez
dans votre ftatue des fenfations,
avant qu'elle ait eu aucune idée de l'étendue
; que vous prétendez même que nous
en avons eu auffi de telles dans notre enfance
, dont il ne nous refte pas le moindre
fouvenir , & qui font purement des
modes de notre ame ; qu'enfin vous foutenez
qu'actuellement tous les fens, à l'excep
23
(1 ) Trentieme Lettre à un Améric. 9. partie
NOVEMBRE . 1756. 87
tion du toucher , « n'ont par eux - mêmes
» que la propriété de modifier l'ame.
Mais 1 °. nous ne raifonnons point fur des
phénomenes dont nous n'avons aucune
idée ; nous ne comptons que fur ceux que
nous fommes à portée de connoître. ( 1 )
Outre que vous convenez qu'on a de la
peine à démêler ce qui appartient à chaque
fens , comme à la fenfation des couleurs
fans étendue , & c. & que vous pourriez
vous vanter d'être le feul qui fçachiez faire
de telles précisions , il eft très-vrai que ,
felon vous , les couleurs font grouppées
par la fenfation de folidité , & forment
l'étendue ; & par conféquent vous devez
convenir avec nous que l'étendue eft une
façon d'être de notre ame. Certainement ,
en raifonnant ainfi , ce Matérialiſte ne
concluroit que d'après vos principes ,
Monfieur.
39
" Il ne tiendroit qu'à vous de prouver
» que tous nos Philofophes font des Matérialiftes.
» (2 ) En parlant ainfi , vous
voudriez faire entendre , Monfieur , que
j'ai eu le deffein de vous ranger dans cette
déteftable fecte. Rien n'eft plus opposé à
la façon dont je penfe fur votre compte ;
vous donnez au contraire , à mon avis ,
(1) Traité des Anim . p. 218.
(2) Merc. Avril , 2 part, p. 87..
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
dans le pur fpiritualifme . Si l'objet de la
lettre que vous m'avez écrite , étoit de
prouver que vous n'êtes point Matérialiste ,
vous avez perdu votre temps comme j'aurois
perdu le mien , fi j'euffe tenté de vous
rendre fufpect de ce côte- là . Mais votre
pur fpiritualifme donne encore , contre
votre intention , un grand avantage aux
Matérialiſtes. Ils mettront à l'écart toute
votre doctrine fur ces fenfitions , que vous
détachez de toute idée des corps , comme
une opinion qui n'eft qu'à vous feul ; &
je crois qu'ils y feront très-autorifés. Ils
prendront enfuite pour un axiome votre
propofition , que nous n'appercevons l'éten
due que
dans nos fenfations . Ils en concluront
que dans le fait ils voient les trois
dimenfions dans les manieres d'être de leur
ame. Comme vous , Monfieur , ils prétendent
n'avoir aucune idée de la fubftance
matérielle : mais au moins penfent- ils que
les trois dimenfions font des manieres d'être
, qui ne conviennent qu'à la feule matiere
: Vous avez beau protefter que vous
en doutez , & qu'il n'eft pas für que l'étendue
convienne aux corps ; vous iriez même
plus loin , comme l'Evêque de Sloane , &
vous prérendriez que les trois dimenfions
étant des manieres d'être fpirituelles , ne
peuvent être les modes de la fubftance maNOVEMBRE
. 1756. 89
térielle , ils interpelleroient toute la terre
pour fçavoir s'il ne fuffit pas de prouver
qu'une fubftance exifte fous les trois dimenfions
, pour démontrer qu'elle eft matérielle
, & toute la terre leur applaudiroit.
Vous leur prouveriez néanmoins que
vous n'êtes pas Matérialiſte, & eux de leur
côré fe croiroient autorifés dans leur doctrine
par celle que vous leur donnez fur
-les fenfations. Voilà , Monfieur , ce dont
vous deviez vous défendre , & non pas
vous fatiguer à prouver que vous n'êtes
pas Matérialiſte ; ce dont il n'a jamais été
queftion entre nous. Vous auriez bien
d'autres démêlés avec nos Spinofiftes couverts
, s'ils ofoient fe montrer : mais comme
ils font tout autrement précautionnés
que les Matérialiſtes , qu'ils vont au même
but que ceux ci › par un genre de philofophie
plus déliée , ils gardent le filence , &
laiffent vos opinions s'accréditer, pour s'en
prévaloir dans le temps . Ils eftiment , ils
préconisent le célebre Barklai , qui a pouffé
plus loin que vous votre doctrine , & jufqu'où
elle doit aller. Si jamais ils ofent fe
dévoiler , vous ferez étonné des conféquences
qu'ils tireront de vos principes
combinés. Croyez-vous encore que je vous
accufe de Spinofilme , vous , Monfieur ,
qui avez réfuté le Fondateur de cette fecte
90 MERCURE DE FRANCE.
funefte : certainement vous me feriez in
jure. Non , Monfieur , vous n'êtes ni Spinofifte
, ni Matérialifte je le protefte
hautement. Mais je vois , ce que vous
n'avez pas même entrevu , quel parti les
uns & les autres peuvent tirer de vos différentes
opinions , en les combinant à leur
maniere , & ce que je dis ici n'eft pas
une accufation que j'intente contre vous ,
c'eft un avis que je crois néceffaire au pu
blic & à vous-même , Monfieur.
La fuite au prochain Mercure.
LE CONSERVATEUR ( 1 ) , ou Collection
de Morceaux rares & d'Ouvrages anciens ,
élagués , traduits & refaits en tout ou en
partie , qui fe trouve à Paris , chez Lambert
, Libraire , rue de la Comédie Françoiſe
, au Parnaffe.
Il eſt un nombre infini de Livres qui
font ignorés , & qui ne méritent point de
(1) Ce Profpectus mérite par fa nouveauté d'être
mis ici & confervé dans fon entier. Nous croyons
que le Confervateur auroit pu ajouter à ce titre
celui de Correcteur de mauvais Livres , ou de Re
fondeur d'Ouvrages manqués . S'il remplit exactement
fa tâche , elle fera longue autant que pénible
, on n'en verra pas fi-tot la fin ; & le Public
doit tenir compté aux Auteurs d'un travail qui
demande plus d'efforts & de veilles que celui de
créer , ou de produire de foi-même.
NOVEMBRE . 1756 . 91
Têtre. Il en eft d'autres qu'on ne lit déja
plus guere , & qui tomberont bientôt
dans l'oubli , par l'éloignement que donnent
pour leur lecture l'ancienneté du ſtyle
dans lequel ils font écrits , le peu d'ordre
qui y regne , ou leur prolixité. Il eft enfin
un nombre infini de Livres qui font morts
en naiffant , dans lefquels il fe trouve des
chofes faites pour être confervées .
Faire connoître ceux de ces Ouvrages
qui font ignorés , préferver ceux qui
font connus de l'oubli qui les menace ,
empêcher enfin que l'on n'ait fait des
efforts inutiles pour inftruire ou pour
amufer : voilà l'objet que nous nous propofons.
On voit par cette expofition qu'il ne s'agit
point ici des Ouvrages qui paroiſſent
mais de ceux qui ont déja paru . Ce n'eft
donc point un nouveau Journal que nous
offrons fous un titre différent , puifque
notre objet eft totalement diſtinct de celui
des Ouvrages faits rendre compte
ce qui paroît journellement.
pour
de
La connoiffance que nous donnerons
des Ecrits peu connus , ne confiftera point
dans une fimple notice , qui ne feroit
qu'indiquer le titre & la nature de l'Ouvrage
, la date du temps dans lequel il
a paru , & le nom de fon Auteur. Ćela fe
52 MERCURE DE FRANCE.
trouve dans les Bibliographes , & nous ne
nous fommes point propoté de les redonner
fous une nouvelle forme . Le but de
notre travail eft de préfenter , les chofes
mêmes que ces Ouvrages contiennent .
Pour fentir l'utilité qui réfalte de l'exécution
d'un pareil deffein , il ne faut que
confidérer que la plupart de ces Livres font
rares , que l'acquifition en eft difficile &
difpendieufe , & qu'il eft prefque impoffible
de s'en procurer la lecture dans les
lieux où il ne fe trouve point de Bibliothe
ques publiques. It eft d'ailleurs à remarquer
qu'il y a beaucoup de ces Ouvrages
écrits dans des Langues , que ceux qui voudroient
les lire , n'entendent point .
Si la rareté des Livres & le peu de familiarité
avec la Langue dans laquelle ils
font écrits , en rendent la lecture moins
générale , l'ancienneté du ftyle opere i
peu près la même chofe en préfentant un
langage qu'on n'entend plus , mêlé à un
langage qu'on en end encore . Amiot eft
connu de tout le monde , & peu de gens
lifent Amiot. Il y a peut- être à le lite
une espece de danger dont on ne fe doute
point , & qui devient d'autant plus grand ,
que l'on eft plus touché de la force & de la
naïveté de cet Ecrivain,; c'eft de fe familiarifer
, fans s'en appercevoir , avec l'em
Cr
qu
NOVEMBRE . 1756. 93.
5,
pe
ploi d'expreffions & de tours de phrafe
qui ne font plus en ufage . Ce que nous
difons d'Amiot , on peut le dire de beaucoup
d'autres. Il s'en faut bien que nous
ayons intention de rabaiffer ces Ecrivains ,
& nous regrettons peut -être que notre Landes
gue ne foit pas auffi propre , qu'elle l'étoit
alors à faire paffer chez elle des beautés
Létrangerés par la facilité qu'elle avoit à fe
prêter à toute forte de conftructions ; mais
nous n'en croyons pas moins utile de préfenter
les chófes comme elles veulent être
préfentées aujourd'hui pour être lues.
Pour ne laifler aucun doute fur notre
maniere de penfer à cet égard , nous nous,
ferons un plaifir de conferver certains
tours & certaines expreffions , quand nous
croirons pouvoir le faire fans nous expofer
a jetter de l'obfcurité , à ôrer l'agrément &
à dégoûter par - là de la lecture .
S
Quant aux morceaux tirés d'Ouvrages
peu recommandables en général , la recherche
nous en paroît d'autant plus utile ,
que la mauvaiſe réputation de ces Ouvrages,
ou l'ent.ai qu'ils feroient éprouver dès
les premieres pages , ne permettroit jamais
d'y chercher les chofes que nous en confervons.
Comme c'eft ici une affaire de goût ,
nous penfons pouvoir demander quelque
indulgence pour le nôtre..
94 MERCURE
DE FRANCE.
N
Nous ferons , quand il nous paroîtra
néceffaire , le précis fuccinct de ce qui précédé
le morceau confervé. Cette conduite
qui nous femble indiſpenſable , le paroîtra
de même à tous ceux qui voudront réfléchir
un inftant à ce que perdroit d'intérêt
la plus belle ſcene de Racine ou de Corneille
, lue fans connoiffance de ce qui la
précede.
Il nous reste à parler des Livres qui font
prêts à tomber dans l'oubli , quoique le
ftyle en foit pur , & que le nombre des
bonnes chofes qu'ils contiennent , furpaffe
celui des mauvaiſes. Les deux caufes principales
de leur difcrédit font le manque
d'ordre & la prolixité.
Lorfque rien n'eft à fa place , l'efprit
fatigué de ne point trouver ce qu'il attend,
ou de ne le trouver que quand il ne l'attendoit
plus , fe degoûte , & le Livre ne
fe lit point. Quelques renverfemens faits à
propos le feroient lire , & l'on ne feroit
point privé du profit qu'on en peut retirer.
,
La prolixité ne nuit pas moins à la durée
d'un Ouvrage . Il feroit à fouhaiter ,
dit M. de Voltaire , que quelqu'un fe
chargeât d'abréger les meilleurs Livres . Se
trompe-t-il ? C'eft à ceux qui ont le courage
de lire en entier Balfac , la Mothe le
Vayer , & tant d'autres , à juger ; qu'ils
NOVEMBRE. 1756. 25
prononcent. S'ils fe fouviennent des excellentes
chofes qu'on y trouve , & encore
plus de la patience dont il faut s'armer
pour les y chercher à travers un fatras de
penfées languiffantes & inutiles , à coup
für ils ne peuvent que defirer qu'on élague
ces Auteurs , & que fçavoir gré à ceux
qui fe chargeront de ce travail.
Comme nous n'ôterons que ce qui fera
fuperflu , nous nous flattons que les liaifons
feront naturelles.
A cette abréviation qui n'eft que de
ſtyle , nous en joindrons une autre qu'on '
peut appeller de chofes , de laquelle quantité
d'Ouvrages ont befoin . Il n'en eft que
trop en effet où ce qui fait l'objet principal ,
eft noyé dans ce qui n'eft qu'acceffoire , au
point qu'il faut effuyer l'ennui de cent pages
pour en trouver deux qui inftruifent
de ce que l'on veut fçavoir. Nous dégagerons
ce qui est néceffaire de ce qui ne l'eft
point , & nous tâcherons de rendre fuportable
, en la reduifant à fes juftes bornes ,
une lecture dont la longueur auroit rebuté .
L'on ne doit point s'attendre à retrouver
mot à mot les chofes telles qu'elles font
dans les Auteurs d'où elles auront été tirées
. La vue dans laquelle nous travaillons,
nous permet , nous impofe même la loi de
rajeunir le langage , d'abréger , de refferrer
96 MERCURE DE FRANCE.
& de faire des tranfpofitions , lorfqu'elles
nous paroîtront propres à mettre de l'ordre,
& à faire un corps lié de ce qui n'auroit of
fert autrement que des matériaux épars çà
& là. Cette obfervation eft peut--être inutile
; auffi ne la faifons- nous que pour faifir
l'occafion d'avertir que nous nous interdirons
jufqu'à la moindre de ces chofes ,
lorfqu'elles ne pourroient avoir lieu , fans
que la nature d'un fait ou d'une opinion
en fût altérée .
*
A plus forte raifon , dans le cas où il
s'agira de Manufcrits hiftoriques , fecours
qu'on nous fait efpérer , ne nous permettrons-
nous jamais le moindre changement
, & aurons-nous foin qu'il y ait la
plus exacte conformité entre l'Original &.
la Copie.
ment.
que
S'il arrivoit que pour en faciliter l'intelligence
, on s'en permit une efpece de Verfion
, on auroit l'attention d'y joindre le
texte , à moins que l'on ne fûr für
l'interprétation
donnée y répondît exactede
même des Manufcrits
Il n'en fera pas
dont l'objet n'aura rien d'hiftorique ni de
dogmatique . On agira à l'égard de ceuxci
, conformément
au but qu'on fe propofe
, qui eft d'inviter à la lecture en y faifant
trouver de l'agrément ; & on leur
prêtera
NOVEMBRE . 1756. 97
prêtera , s'il eft poffible , la clarté , le
nombre & les graces du ſtyle .
Comme il pourra , malgré la plus grande
attention , nous échapper des inadvertences
, & qu'il s'en faut bien que
nous prétendions être à l'abri de toute
méprife , nous nous ferons un devoir de
nous rectifier dès que l'erreur fera reconnue
, foit que nous en ayons fait la découverte
par nous- mêmes , foit que nous en
foyons redevables aux avis que nous aurions
reçus.
Si quelques Perfonnes defiroient qu'on
rendît compte d'Ouvrages qui leur paroîtroient
mériter d'être confervés , elles font
priées de les indiquer. Non feulement
nous en ferons ufage , mais nous reconnoîtrons
tenir d'elles l'indication , à moins
qu'elles ne vouluffent point être nommées.
L'Ouvrage annoncé paroîtra le premier
de chaque mois , à commencer au premier
de Novembre prochain , & chaque
Volume fera compofé de dix feuilles
faifant deux cens quarante pages.
Le prix de la Soufcription pour ces douze
Volumes eft de 21 livres. Chaque Volume
fe vendra 40 fols à ceux qui n'auront
pas foufcrit. Le port par la Pofte eft de G
fols le Volume.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
an LETTRE à Madame de M ***
fujet des Pierres Milliaires que M. P ***
a fait mettre fur la grande route du
Chemin royal de Languedoc.
MAdame Adame
, vous fçavez
que les grands
chemins de l'Empire Romain étoient divifés
par des colonnes ou des pierres milliaires
, qui faifoient connoître exactement
toutes les diftances , non feulement d'un lieu
à un autre , mais de chaque lieu jufqu'au
centre de la Ville de Rome , & cela par une
mefure commune & fixe de mille pas géométriques
( t ) . Il n'en eft pas de même de la
mefure dont on fe fert en France , pour
marquer les diftances & divifer les chemins.
La lieue eft une mefure variable &
incertaine , tantôt plus grande , tantôt plus
petite ce qui eft compté pour une lieue
dans certains pays , vaudroit deux lieues
dans un autre. Il femble en général que
plus on s'éloigne de Paris ou de la Capitale,
plus la longue de la lieue augmente ;
mais ces augmentations ne fuivent aucune
(1 ) Le pas géométrique étoit compofé de
cinq pieds ; mais le pied antique Romain n'étoit
pas fi grand que notre pied de Roi . Il ne conte
noit que onze pouces & environ de pouce ,
NOVEMBRE . 1756. 92
regle , aucune proportion. Il y a des lieues
aux environs de Paris qui n'ont pas deux
mille toifes de longueur ; & il y en a dans
les Provinces éloignées , comme en Dauphiné
, en Languedoc , qui ont plus de
quatre mille toifes . Les Géographes ne
font pas d'accord fur la longueur de la
lieue commune de France ; les uns la font
de 2400 toiſes , d'autres de 2500 , d'autres
de 2500 .
La lieue marine de vingt au degré feroit
une meſure fixe & certaine , fi elle étoit
fuivie par tous les Marins , & adoptée
fur terre par les Géographes & par le Public
: cette lieue marine eft d'environ 285 2
toifes. Je dis environ ; car il faut fçavoir
fi on prend le degré moyen du Méridien
, ou le degré de l'Equateur , ou le degré
du Méridien pris à une telle latitude
de la France . On prend communément
pour une lieue , la longueur de chemin
parcourué dans une heure de temps au
pas d'un homme qui marche bien , ou au
pas ordinaire du cheval ; ce qu'il y a de
certain , & que j'ai obfervé plufieurs fois
c'eft qu'un homme qui marche bien & un
cheval qui va le pas ordinaire , font toujours
à peu près trois mille toifes de chemin
par heure. C'eft peut- être fur ce principe
qu'on eft convenu en Languedoc de
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
fixer la longueur de la lieue à trois mille
toifes. Depuis que les pierres milliaires ,
dont j'ai l'honneur de vous parler , font
plantées , j'ai obfervé plufieurs fois à ma
montre qu'au pas ordinaire du cheval , il
faut vingt minutes pour parcourir ou faire
le chemin d'un milliaire à l'autre , & par
conféquent une heure pour parcourir trois
pierres milliaires ou trois mille toifes , qui
font la lieue de Languedoc.
Voici à préfent , Madame , les dimenfions
que M. P *** a donné à ces
pierres milliaires . Elles font en forme de
prifmes quadrangulaires , ayant pour baſe
un quarré d'un pied & demi de chaque
côté elles ont en tout fept pieds de longueur
, plantées en terre verticalement
dans un maffif de maçonnerie à trois
pieds de profondeur ; enforte que la partie
hors de terre , en forme de pilier , a quatre
pieds de hauteur , taillée proprement
les arêtes abattues ou à pans coupés.
La façon dont elles font numérotées ,
a paru faire plaifir aux Voyageurs . On voit
fur la face tournée du côté d'où l'on vient
le chemin ou le nombre des milles & lieues
qu'on a faits , & fur la face tournée du côté
où l'on va , le chemin ou le nombre
des milles & lieues qui restent à faire pour
arriver à l'endroit où l'on va. Pour cet
NOVEMBRE. 1756. for
effet la pierre milliaire plantée fur le bord
du chemin , préfente un de fes angles our
arêtes au chemin ; ainfi une des faces fe
préfente du côté d'où l'on vient , & l'autre
face du côté où l'on va. Il y a , par exemple,
25 mille toiſes de Nifmes à Montpellier.
La premiere pierre milliaire plantée à Nifmes
, proche la porte de la Couronne , eſt
numérotée fur la face , du côté de Montpellier
, de 25 M , qui fignifie milles , &
OM, fur la face du côté de Nifmes. La
feconde pierre milliaire, qui eft la premiere
que l'on trouve en partant de Nifmes
pour aller à Montpellier , eft numérotée
fur la face du côté de Nifmes de 1 M , &
fur la face du côté de Montpellier de 24 M
ou 8 lieues. De même la dixieme milliaire
eft marquée de 10 Mdu côté de Nifines, &
15 M ou 5 lieues du coté de Montpellier
enforte que la fomme des milles des deux
faces fait toujours 25 milles , diſtance entiere
de Niſmes à Montpellier : ainfi chaque
pierre milliaire marque, 1 ° . le chemin
qu'on a fait , 2 ° . celui qui refte à faire ,
3°. la distance entière du chemin de la
journée. Il en eft de même des autres
journées de chemin , comme celle du S.
Efprit à Nifmes , qui eft grande , étant de
32 mille toifes. Celle de Montpellier à
Pézenas eft de 27 mille..
E iij
102 MERCURE DE FRANCE,
Vous ne fçauriez croire , Madame , com,
bien ces pierres milliaires amufent & foulagent
les Voyageurs . On peut , par exemple,
envoyant le nombre des milles qui restent à
faire, fçavoir à raifon de zo ou 21 minutes
par mille , l'heure à laquelle on arrivera.
Mais leur utilité ne fe borne pas aux
feuls plaifirs des Voyageurs ; elles fervent
pour indiquer les chemins de traverfe qui
conduifent à un Village , un Château ,
une Ferme , &c. pour indiquer encore les
parties des chemins à faire réparer. Elles
peuvent fervir très utilement pour lever
la Carte topographique du pays où paffe le
grand chemin
chaque pierre milliaire
pouvant fervir de point de ftation pour.vifer
, & prendre la pofition des objets principaux
de la Campagne .
?
J'ai l'honneur d'être , &c.
RECHERCHES fur le pouls par rapport
aux crifes. A Paris , chez Debure l'aîné ,
Saint Paul , 1756.
Le Difcours préliminaire de l'Ouvrage
que nous annonçons contient l'hiftoire des
principaux fyftêmes propofés juſqu'ici fur
le pouls. L'Auteur , Médecin célebre à
Paris , en dit affez fur cette matiere pour
qu'il ne foit pas plaufible d'avancer que
fon fyftème n'eft point neuf.
NOVEMBRE. 1756. 103
On peut regarder ce fyftême fur le pouls
comme celui de Tournefort fur les plantes.
Quoiqu'on trouve dans les Auteurs
antérieurs à Tournefort quelques morceaux
de la méthode de ce grand Botanifte
, il n'en a pas moins été regardé
comme l'inventeur .
L'Auteur des recherches rend à Solano,
Médecin Eſpagnol , qui vivoit à Antequerra
au commencement de ce fiecle
ce qui lui eft dû , comme ayant fait le premier
des obfervations fingulieres fur le
pouls ; mais il fait fentir en même temps
le grand nombre de différences qu'il y a
entre fon ſyſtème & celui de Solano : enfin
notre Auteur fait voir clairement que le
plan qu'il propoſe ne peut être confondu
ni avec celui des Chinois , ni avec celui
de Galien , ni avec celui des Modernes :
c'eſt ce dont chacun pourra fe convaincre
par l'extrait que nous allons faire de cet
ouvrage qui eft divifé en trente- cinq cha
pitres.
Rien n'eft plus vague , felon notre Auteur
, que les dénominations les plus reçues
des différentes efpeces du pouls . Les
pouls miures , fourmillans , caprizans , admis
par Galien , ont été , à bon droit, tournés
en ridicule par les Modernes ; mais les
dénominations de pouls grand , petit , mol ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
dur , &c. adoptées par ces derniers , në
font ni plus préciſes , ni plus utiles que
celles qu'ils ont rejettées . L'égalité & l'inegalité
des pulfations , l'égalité & l'inégalité
des diftances qu'elles laiffent entr'elles ,
font les deux points defquels il faut partir
pour en bien caractériſer les différentes
efpeces. Le pouls eft dans les maladies
critique ou non critique ; ce dernier n'eſt
prefque point examiné dans cet ouvrage ;
le premier fe diviſe d'abord en inférieur &
fupérieur ; le pouls fupérieur critique eft celui
qui annonce les excrétions du nez , de
la gorge , & en général de toutes les parties
de la tête & de la poitrine : ces différens
pouls font le nazal , le guttural & le
pectoral : le pouls inférieur critique eft celui
qui annonce les évacuations qui fe font
par les organes fitués au deffous du diaphragme
; il y en a un pour le vomiſſement,
nommé ftomachal, un pour les excrétions
du ventre, nommé inteftinal, un pour
le foie , nommé hépatique , un pour la matrice
, un pour les hémorrhoïdes , un autre
pour les urines ; chacune de ces efpeces a
des caracteres particuliers ; enfin il y a
une espece de pouls propre à la fueur : il
faut voir ces caracteres dans l'ouvrage.
Ces pouls critiques font fimples , compofes
ou compliques ; fimples , lorfque la
NOVEMBRE . 1756. 105
crife de la maladie fe fait par un organe
feul ; compofes lorfque la crife fe fait par
deux ou plufieurs organes & compliqués ,
lorfque les pouls critiques fe trouvent combinés
avec le pouls non critique.
L'hiftoire des pouls fimples eft fuivie de
celle des compofes ; celle des pouls compli→
qués vient enfuite : l'Auteur n'avance rien
fur toutes ces efpeces de pouls qui ne ſoit
appuyé par des obfervations de pratique
qu'il rapporte ; & ce qu'il y a de plus favorable
pour lui , & de plus concluant
pour fa méthode , c'eſt que parmi fes obfervations
, il y en a plufieurs qui ont été
faites en public , & qui fe font déja répandues
dans Paris. Les obfervations ;
20 , 48 , 49 , &c. ont été faites par l'Auteur
devant des perfonnes de la premiere
confidération .
On ne s'eft point borné dans cet ouvrage
à donner des obfervations nouvelles
& fort utiles fur le pouls ; il y a bien des
traits qui font fentir la profonde méditation
de l'Auteur fur le peu de fondement
de plufieurs opinions reçues .
Jamais la circulation du fang n'avoit
été réduite à fi peu de chofe : non feulement
elle eft regardée ici comme une découverte
peu utile , & qui a été même nuifible
, mais encore il eft prouvé qu'elle n'a
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
pas lieu dans plus des deux tiers du volu
me, du corps pla corps. !
L'Auteur ne parle , qu'en paffant , de
Tinoculation de la potite vécole. Rien ne
lui paroît plus difficile , ni plus ridicule
que la prétention des pattifans des préparations
pour cette opération.On ne fçait pas,
dit- il , ce qu'il faut faire en préparani &
Pour préparer , & dans ce cas cette reffource
de l'inoculation tombe d'elle-même.
Il y a plusieurs endroits dans cet ou
vrage deſtinés à faire ſentir l'infidélité des
remedes ordinaires fondans , apéritifs , relâchans
, & autres. Ces remèdes , dit notre
Auteur , ne tiennent pas ce qu'ils promettent
ils trompent , furtout les com
mençans . Il regarde comme pernicieux
l'ufage où l'on eft d'éviter les fuppurations
dans les maladies internes.
- La fenfibilité des parties organiques ,
leur activité , celle des organes en particulier
, & l'effort que les parties du corps
ne ceffent de faire les unes fur les autres ,
font les principaux fondemens de la théorie
de l'Auteur des recherches : tout ce qui
a été donné depuis peu de temps fur l'igritabilité
, n'eft felon lui , rien moins que
des découvertes.
L'Article de l'action des remedes fur
les mouvemens du pouls eft des plus cuNOVEMBRE.
1756. 107
rienx de tout l'ouvrage on y voit un
Médecin expérimenté qui fronde fans ménagement
les pratiques qu'il nomme nationales
: il veut que la Médecine foit une
& univerfelle ; il paroît méprifer la plûpart
des remedes chimiques ; la claffe des
remedes la plus étendue , eft felon lui ,
celle des remedes indifférens , c'est- à- dire ,
de ceux qu'il faudroit bannir , & qui ne
font faits que pour abufer de la crédulité
des malades. La faignée eft comme tous
les autres remedes expofée à fa critique ;
il combat les partifans outrés de ce remede
, ainſi que ceux qui la bannillent ;
enfin notre Auteur paroît très partifan de
la Médecine naturelle , celle qui fait le
moins de remedes qu'il eft poffible : il
attend prefque tout de la nature , furtout
lorfque le pouls eft critique & fimple:
il ne dit pas ce qu'il penfe qu'il faut faire
lorfque le pouls eft non critique jufqu'à un
certain point ; nous dirions , s'il étoit poffible
de le deviner , que dans ces cas- là ,
il- n'a pas grande confiance aux remedes ;
cependant il faut attendre qu'il s'explique
fur cet article.
DE obligationibus & a&tionibus Tractatus
folemnis , auctore M. P. Tancrede , Comite
ab Hauteville , in facultatibus Furium ac
E vj
108 MERCURE DE FRANCE:
SS. Theologia Doctore - Regente , &c. . Ce
Livre eft imprimé à Utrecht , & fe trouve
à Paris , chez Briaffon , rue S. Jacques.
GRAMMAIRE générale raiſonnée , contenant
les fondemens de l'art de parler ,
expliqués d'une maniere claire & naturelle
; les raifons de ce qui eft commun à
toutes les langues , & des principales différences
qui s'y rencontrent , & plufieurs
remarques nouvelles fur la Langue Françoife.
Nouvelle édition , à Paris , chez
Prault fils , l'aîné , quai de Conti , 1756.
Dans cette nouvelle édition , on a joint
aux excellentes remarques de M. Duclos ,
Secretaire perpétuel de l'Académie Françoife
, un fupplément de M. l'Abbé Fromant
, Principal du College de Vernon.
LETTRE de H. G. G... Ecuyer , un des
Gentilshommes de la Chambre du jeune
Chevalier de Saint - Georges , & la feule
perfonne de la Cour , qui l'ait accompa
gné d'Avignon dans fon voyage en Allemagne
& autres lieux ; contenant plufieurs
aventures arrivées à ce Prince pendant
fon voyage fecret , à un ami particulier
, traduite de l'Anglois par M. l'Abbé
*** . Victrix Fortuna Sapientia , Juvenal.
A Londres , & fe trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques.
1
NOVEMBRE. 1756. 109
pas ,
MÉMOIRE inftructif pour connoître les
bonnes montagnes , les bien ouvrir , &
pour aller directement aux troncs ou arbres
d'or ou d'argent , avec leurs filons ,
où il y aura au-dellous le corps de la mine,
& pour faire finir de mûrir à fon dernier
degré de cuiffon , fi elle ne l'étoit la
partie mercuriale minérale qu'il y aura
dans toutes les mines , & pour purifier
avec de grands profits la fufdite minérale
foit en or ou en argent , & c ; par Meffire
François Perraud- La Branche , Confeiller
du Roi , & Membre de l'Univerfité de
Paris . L'Auteur prétend que fi on fait
finir de mûrir les mines brutes de cuivre ,
fer & autres , on en aura plus d'une once
d'or par chaque quintal , & qu'en les fabriquant
, il y a moyen d'en tirer de
l'or avec bénéfice , &c . On peut , dit - il ,
mettre dans chaque vafe fecret , trois ou
quatre mille quintaux de matieres à la
fois. Voyez article 23 , & autres.
Ceux qui lui écriront , affranchiront
leurs lettres. Son Bureau général eſt établi
dans la ville de Chambery , fauxbourg de
Montmeillant , maifon du fieur Antoine
Thorin , Tréforier des trois mines fuf
dites , en Savoie. Les Auteurs qui
nous adreffent leurs Mémoires , devroient
nous apprendre le nom du Libraire chez
110 MERCURE DE FRANCE
qui on peut les trouver , faute de quoi
notre annonce demeure imparfaite &
fouvent inutile . M. Perraud- La Branche
eſt tombé dans cet oubli , & nous ne
pouvons indiquer où fe diftribue fon Mémoire
, n'en étant pas inftruits.
L'HISTOIRE de la Ville de la Rochelle
& du Pays d'Aunis , compofée d'après les
Auteurs & les titres originaux , & enrichie
de divers plans , par M. Arcere , de
l'Oratoire , de l'Académie Royale de cette
Ville , Tome I. A la Rochelle , chez Def
bordes , Imprimeur des Fermes générales
du Roi , vis- à-vis la Fontaine des petits
Bancs ; & fe vend à Paris , chez Durand ,
rue S. Jacques , 1756.
Si la fuite répond au volume que nous
annonçons , nous ne doutons point que
cet ouvrage n'ait toutes les qualités qui
conſtituent une bonne hiftoire. Il unira
l'ordre aux recherches, l'exactitude à l'intérêt
, & l'élégance à la vérité. Nous allons
accompagner cette indication d'une piece
de vers que l'Auteur nous a priés d'y
joindre , & qui prouve que fon talent ne
fe borne pas à la profe.
NOVEMBRE. 1756 . 111
VERS
A M. le Comte d'Argenſon , Miniftre &
Secretaire d'Etat de la Guerre , en lui
préfentant l'Hiftoire de la Rochelle.
MiniIfntifrtre du Dieu de la Guerre ,
Toi , qui munis fes Boulevards ,
Qui fais Bottes fes Etendards ,
Et par qui fes Enfans allument un tonnérte
Destructeur des Cités & l'effroi de la Terre;
Protecteur éclairé des Arts & des Talens ,
Toi , qui fais revivre Mécene ,
Et fur les rives de la Seine ,
Des Cygnes du Parnaffe animos les accens :
Je devois un hommage à l'Ami des Sçavans.
J'oſe de mon loifir te préſenter l'Ouvrage :…
Puiffe-t-il recevoir ſon prix de ton fuffrage :
Les Déeffes de l'Hélicon
En ta faveur feront parler l'Hiftoire : 9
Elles te placeront au Temple de Mémoire ,
Et leur reconnoiffance y gravera ton nomes em C
De Clio la voix éclatante
Chantera, ces, vaſtes projets ,
Qu'un fublime génie enfante ,
Qu'il couronne par les fuccès.
D'intrépides Guerriers ( 1 ) que fuivoit la Victoire ,
(1) La Nobleffe acquife par le service militaire.
112 MERCURE DE FRANCE.
Dans les Champs de Bellone affrontoient les ha
zards :
Il moiffonnoient en vain tous les lauriers de Mars,
L'état de Plébéien fembloit ternir leur gloire :
Deja par tes foins généreux ,
D'une main libérale un grand Roi leur diſpenſe
Des honneurs inmortels, dignes de leur vaillance,
Et qui vont couronner le front de leurs neveux .
De nos fiers Combattans tu changes la Tactiques
J'admire des foldats la marche ( 1 ) fymmétrique ;
Au fon de la Trompette ils volent aux combats ;
Je vois deux mille pieds , & ne vois qu'un feul pas,
Un Bataillon eft un Prothée ;
Il prend , quitte , reprend une forme empruntée ;
Il fe rompt , fe dérange , & ne fe confond pas
De la rapidité qui lui prête des aîles ,
Il tire des forces nouvelles :
'Auffi prompt que la foudre , il porte le trépas ;
Et dars fes mouvemens , fouple & toujours agile
Sans effort il oppofe à de brufques affauts
Une maffe ferme , immobile ,
Tel qu'un rocher battu des flots.
Dans un Palais fuperbe , une fameufe Ecole ( 2)
Forme de la Nobleffe, & l'efprit & les moeurs.
Là de jeunes Guerriers , loin du plaifir frivole
Afpirent aux plus grands honneurs.
(1) Nouvelles évolutions Militaires.
(2 ) La nouvelle Ecole Militaire pour les jeunes
Gentilshommes
NOVEMBRE . 1756.
On dévoile à leurs yeux les manoeuvres brillantes
Des Turennes & des Villars :
Vauban leur parle encor , & fes leçons fçavantes
Apprennent à défendre , à forcer des remparts.
Vois naître pour ta gloire , ô trop heureuſe France ?
Un effain de Héros divers :
Du fage d'Argenfon l'habile prévoyance ,
Te rend ainfi les Héros que tu perds.
Avis de Meffieurs les Freres Cramer
Libraires à Geneve. Nous avertiffons , au
nom de M. de Voltaire & au nôtre , que
la prétendue Hiftoire Universelle , annoncée
à Paris en trois volumes , n'eft point
fon ouvrage. Il l'a défavouée dans tous
les Journaux , & il la défavoue encore.
Ce n'est qu'un Recueil informe & défectueux
de quelques chapitres détachés.
La lettre que M. de Voltaire nous fit
Phonneur de nous écrire il y a quelques
mois , & que nous fîmes imprimer à la
tête du premier volume du Recueil de fes
OEuvres , a dû fuffire au Public , pour le
perfuader que ce n'eft qu'à nous qu'il
confie fes véritables Ouvrages , & que ce
n'eſt que dans notre collection qu'on les
trouve .
Nous affurons en particulier , & de la
maniere la plus pofitive , que ce n'eft qu'a
nous feuls que M. de Voltaire a bien vou14
MERCURE DE FRANCE.
lu donner & donne encore tous les jours ,
fon Manufcrit intitulé , Effai fur l'Hiftoire
Générale , & fur les Maurs & l'Esprit des
Nations , depuis Charlemagne jufqu'à nos
jours ; c'est à dire , jufqu'à la Conquête de
l'Ile Minorque.
Par conféquent nous fommes auffi les
feuls qui ayons les additions au Siecle de
Louis XIV, ouvrage augmenté aujourd'hui
d'un grand tiers .
.
Les Annales de l'Empire n'ont pas été
inférées jufqu'à préfent dans notre collection
; on les y inferera avec les corrections
néceffaires. Nous avons cru que vu la prodigieufe
quantité d'éditions qui fe font
faites de cet ouvrage , c'étoit celui de tous
qui étoit le moins preffé .
Nous avertiffons de plus , que l'Hiftoire
de la derniere Guerre , que l'on annonce encore
à Paris fous le nom de M. de Voltaire ,
n'eft pas plus fon ouvrage que ce fquelette
d'Hiftoire Univerfelle en trois volumes. Le
morceau qu'il a véritablement compofé fur
les Campagnes de Louis XV, fe trouvera inféré
à fa place dans l'Effai fur l'Hiftoire
générale , de même que le fiecle de Louis
XIV augmenté.
Cet Effai fur l'Hiftoire Générale , contiendra
fept volumes in- 8 ° , de même
format & de même capacité que ceux
NOVEMBRE. 1756.
que nous avons déja publiés ( 1 ) . Il y
en a déja fix imprimés. M. de Voltaire
travaille autant que fa fanté le lui permet.
Nous ne perdons point de temps , & nous
nous flattons de publier dans le courant
de Décembre prochain , cet Ouvrage curieux
& inftructif , vraiment digne de fon
objet , de fon illuftre Auteur , & de l'empreffement
du Public éclairé.
(1) Ils fe trouvent à Paris , chez Jombert , ou
Pon aura auffi les volumes fuivans.
LETTRE de M. Ferrand , Maître- ès-
Arts de la Faculté de Paris , & Chirurgien
à l'Hôtel- Royal des Invalides , à l'Auteur
du Mercure ; au fujet des Obfervations
critiques de M. Rabiquean , Avocat ( 1 ) ,
fur la Lettre adreſſée à M. Vacher , &
inférée dans le Mercure de Juin 1756.
Ui Qui l'auroit cru , Monfieur , qu'une
lettre que l'amitié avoit dictée , &, que l'amour
des Sciences avoit publiée ; qu'une
Fettre qui ne renferme qu'un fimple expofé
d'un fait très-fimple par lui- même , &
des conjectures auffi modeftes que peu
zardées ; qu'une pareille lettre , dis -je ,
ha-
( 1 ) Elles fe trouvent chez Jombert & Lambert.
116 MERCURE DE FRANCE.
qui contient à peine deux pages d'impref
fion , eût pu mériter une critique de tren
te pages ? J'y réponds moins pour venger
l'honneur de mon écrit , que pour fourenir
l'approbation qu'un maître de l'Art a
bien voulu lui donner.
M. Rabiqueau veut que dans la diffection
du cadavre (2 ) qui fait le fujet de ma
lettre , nous n'ayons pas pouffé affez loin
pos recherches. La raifon qu'il en donne ,
c'eft que l'échimofe obfervée à la paupiere
de l'oeil droit , étoit un indice certain des
ravages de la matiere du feu , matiere tant
recherchée par les Phyficiens , & qu'ils ont
l'ingratitude de ne pas reconnoître même
après la découverte qu'il en a faite. Il penfe
que cette matiere pourroit avoir pénétré
jufqu'aux extrêmités inférieures , & qu'il
étoit du devoir de l'Obfervateur de fuivre
jufqu'au bout la route qu'elle auroit pu
prendre. Je ne m'arrêterai point à répondre
à M. Rabiqueau , que les recherches
ont été continuées auffi loin qu'elles devoient
l'être , fans trouver nulle part aucune
autre altération . Malheureufement pour
nous , nous avons bien l'adreffe d'appercevoir
les vaiffeaux capillaires du corps
humain , celle de démêler, à l'aide de dif-
(1 ) M. Guérin a affifté à l'ouverture , M. Moi
rand étant pour lors abfent.
- NOVEMBRE. 1756. ་ ་ ཏ
pommes ,
férens inftrumens , les fubdivifions indéfinies
des fibrilles qui entrent dans fa
compofition ; mais nous n'avons point
celle de découvrir la trace invifible d'une
matiere encore plus inviſible . Que M. Rabiqueau
, cet heureux confident de la nature
, feroit de plaifir aux Anatomiſtes ,
s'il leur apprenoit l'ingénieux moyen qu'il
a inventé pour découvrir ainfi les chofes
imperceptibles ! Il a cherché de l'efprit
partout ; les la falade lui fourniffent
l'efprit d'air ; les cieux , les aftres ,
l'efprit de feu ; & quel efprit ne répand- t'il
pas dans fes écrits ! Guidé par ce double
efprit , M. Rabiqueau trouve que mes con.
jectures font fauffes , précisément parce
qu'elles n'ont pas l'air d'efprit qu'il fe plaît
à trouver dans les chofes les plus communes.
Je fuis au défefpoir d'avoir juſqu'à
préfent ignoré fon fyftême. Peut- être plus
féduit par la nouveauté de l'hypothefe ,
que convaincu la force des raifonnemens
, l'aurois - je préféré aux conjectures
fçavantes & modeftes de M. l'Abbé
Noller , aux expériences folides de Mufchembroeck
, & aux admirables découvertes
de Boerhaave ; car ce font les idées
de ces illuftres Phyficiens que j'ai eu le
malheur de préférer à la théorie toute fpirituelle
de M. Rabiqueau. Eh ! quel autre
par
118 MERCURE DE FRANCE.
1
crime pourrois-je me reprocher ? Je n'ai
fait mention dans mes conjectures , ni de
l'efprit d'air , ni de l'efprit de feu. Ces
grands mots ne préfentant rien de lumi
neux à l'efprit , je leur ai préféré des idées
vraisemblables , & à la portée de tout le
monde.
Je me flatte , Monfieur , que faifant
profeffion d'aimer les Sciences & d'exciter
l'émulation , vous excuferez un jeune homme
qui , fe montrant pour la premiere fois
aux yeux du monde fçavant , met tout en
oeuvre pour diffiper jufqu'aux moindres
apparences qui pourroient indifpofer le
Public contre fes foibles effais , & retarder
un fuffrage qu'il feroit jaloux de mériter.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Barbou débite , gratis , un Avis raiſonné
au fujet de la Collection des Auteurs Latins
qu'il continue , pour rendre compte
au Public Littéraire de cette collection , &
intéreffer les Sçavans à lui communiquer
leurs lumieres. Il leur réitere ici cette
priere à l'occafion de Plante qu'il mettra
fous preffe à la fin de l'année.
L'on trouve auffi chez lui une feconde
édition des Fables moralifées , par M. de
la Cour- d'Amonville.
Le même Libraire mettra en vente le
Quinte-Curce à la fin de l'année .
NOVEMBRE. 1756. 119
SÉANCE PUBLIQUE.
L'Académie des Sciences , Belles- Lettres
& Arts d'Amiens , célebra le 25 Août la
Fête de Saint Louis fon Patron , dont le
Panégyrique fut prononcé par le R. P. de
Corfy , Jefuite .
M. d'Efmery , Directeur, ouvrit la Séan
ce Publique par un Mémoire fur les avantages
de l'inoculation de la petite vérole
dans les enfans au deffous de quatorze ans.
Les autres Ouvrages , qui remplirent la
Séance , furent une Differtation phyfique
du R. P. Robbe, Feuillant , fur les pétrifications
d'Albert ; une Differtation littéraire
de M. Collignon , fur l'utilité d'écrire en
françois des Sciences & des Arts ; les éloges
de Dom Vaiffette , & de M. de la Fautriere,
Académiciens honoraires , par M. Baron ,
Secretaire perpétuel de l'Académie.
M. Clicquon de Rheims, couronné l'année
précédente , remporta encore le Prix
mérité , par un Mémoire hiſtorique & raifonné
fur l'état du commerce en France ,
depuis Hugues Capet , jufqu'à François I.
Pour fujet des deux Prix qu'elle diftribuera
le 25 Août 1757 , l'Académie propofe
, l'Economie des matieres combustibles
T20 MERCURE DE FRANCE.
dans les fourneaux , les foyers & les poeles ;
fans diminuer ni ralentir les effets du feu
furtout dans les fourneaux.
Au défaut de Mémoire qui traitent ce
fujet dans toute fon étendue , le Prix fera
donné à celui qui en traitera bien une partie.
Quelsfont les obftacles qu'apportent au travail
& aux progrès de l'industrie les Communautés
ou Corps de métiers ? Quels font
les avantages qui reviendroient à l'état de
leur fuppreffion ? Quelle feroit la meilleure
méthode d'y procéder ? Si les fecours que ces
Corps ont fournis au Royaume en differens
temps lui ont été utiles on nuisibles ?
Les Ouvrages feront reçus jufqu'au premier
Juin exclufivement , & adreffés ,
francs de port , à M. Baron, Secretaire perpétuel
de l'Académie,
ARTICLE
NOVEMBRE. 1756 . 121
ARTICLE I I I.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GEOMETRIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE .
J'Ai lu , Monfieur , dans votre Mercure
du mois d'Août une méthode fûre & facile
que donne M. J. G. Marffon , pour trouver
la quadrature de toutes les paraboles.
Je ne puis que donner beaucoup de louanges
à la fimplicité & à la clarté de cette
méthode ; cependant M. Marffon me permettra
de lui dire qu'il n'en eft point l'Inventeur.
A la vérité elle n'eft point dans
le cinquieme Livre des Sections coniques
du Marquis de l'Hôpital ; mais il n'a qu'à
jetter les yeux dans le Traité des Sections
coniques de M. de la Chapelle , imprimé
en 1750 , il l'y trouvera mot à mot , page
58.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LOMBART.
Ce 4 Octobre 1756.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
FINANCE.
Nous avons annoncé dans le premier
volume du mois d'Octobre , que l'on délivroit
aux Soufcripteurs de l'Encyclopédie
le fixieme Volume de ce grand Ouvrage :.
il renferme comme les autres beaucoup
d'articles intéreffans. Les uns portent fur
des objets agréables , les autres fur des objets
utiles. Nous avons cru devoir choisir
parmi ces derniers le mot Finance ( 1 ) , parce
que l'efprit philofophique , qui s'eft in-
( 1 ) Cet article , ainfi que celui de Financier ,
que nous mettrons en Décembre , eft de M. Peffelier
; qui prouve que les Belles - Lettres qu'il a
cultivées , loin d'être incompatibles avec les Finances
qu'il profeffe , leur deviennent néceffaires ,
& fervent à les perfectionner L'Ouvrage auquel
il travaille , & qu'on peut appeller l'Encyclopédie
de la Finance , y doit porter un nouveau jour , en
développer les principes , en démontrer l'excellence
ainfi que l'utilité. On verra qu'elle n'eft
point bornée à un calcul méchanique , à une fimple
routine d'ufage ; qu'elle eft au contraire une
vraie fcience qui tient & qui s'étend à tout , qui rend
raifon de tout , & qui , bien dirigée, fait tout circuler
& profpérer dans un Etat. Les Finances gagneront
à être mieux connues. La confidération qu'on leur
doit en augmentera . Voilà leurs meilleures Lettres
d'eanobliffement : peuvent- elles trop les paier !
NOVEMBRE . 1756. 123
troduit dans nos Ecrits modernes , s'exerce
principalement fur cette matiere , & qu'il
n'en eft guere en effet qui mérite plus
d'attention.
FINANCES . Qui ne juge des Finances
que par l'argent , n'en voit que le réſultat ,
n'en apperçoit pas le principe. Il faut, pour
en avoir une idée jufte , fe la former plus
noble & plus étendue. On trouvera dans
les Finances mieux connues , mieux développées
, plus approfon lies , le principe , le
moyen & l'objet des opérations les plus intéreffantes
du gouvernement , le principe
qui les occafionne , l'objet qui les fait entreprendre
, le moyen qui les affure.
Pour fe prefcrire à foi - même , dans une
matiere auffi vafte , des points d'appui ,
invariables & fûrs , ne pourroit - on pas envifager
les Finances dans le principe qui
les produit , dans les richeffes qu'elles renferment
, dans les reſſources qu'elles procurent
, dans l'adminiſtration qu'elles exigent
?
Point de richefes fans principe ; point de
refources fans richeſſes ; point d'adminiftration
, fi l'on n'a rien à gouverner. Tout fe
lie , tout fe touche , tout fe tient . Les hommes
& les chofes fe représentent circulairement
dans toutes les parties , & rien n'eft
indifférent , puifque dans les Finances ,
F ij.
12.4 MERCURE DE FRANCE.
comme dans l'électricité , le moindre mouvement
fe communique , avec rapidité ,
depuis celui dont la main approche le plus
du globe , jufqu'à celui qui en eft le plus
éloigné.
Les Finances confidérées dans leur prin
cipe , font produites par les hommes : mot
cher & refpectable à tous ceux qui fentent
& qui penfent , mot qui fait profiter de
leurs talens , & ménager leurs travaux ;
mot précieux , qui rappelle ou qui devroit
rappeller fans ceffe à l'efprit , ainfi qu'au
fentiment , cette belle maxime de Térence ,
que l'on ne fçauroit trop profondément
graver dans fa mémoire & dans fon coeur :
Homofum; nihil humani à me alienum put
Je fuis homme ; rien de ce qui touche l'hu
manité ne fçauroit m'être étranger. Voilà
le code du genre humain ; voilà le plus
doux lien de la fociété ; voilà le germe des
vues les plus grandes , & des meilleures :
vues , idées que le vrai fage n'a jamais ft
parées.
Les hommes ne doivent, ne peuvent dont
jamais être oubliés : on ne fait rien que
pour eux , & c'est par eux que tout fe fai
Le premier de ces deux points mérite to
l'attention du gouvernement ; le fecond ris
toute fa reconnoiffance & toute fon affec
tion. A chaque inftant , dans chaque ope
NOVEMBRE. 1756. 125
fation les hommes fe repréfentent fous différentes
formes , & fous diverfes dénominations
mais le principe n'échappe point
au philofophe qui gouverne ; il le faifit au
milieu de toutes les modifications qui le
déguifent aux yeux du vulgaire. Que
F'homme foit poffeffeur ou cultivateur , fabricant
ou commerçant , qu'il foit confommateur
oifif , ou que fon activité fourniffe à la
confommation , qu'il gouverne ou qu'il
foit gouverné, c'est un homme : ce mot feul
donne l'idée de tous les befoins & de tous
les moyens d'y fatisfaire .
Les Finances font donc originairement
produites par les hommes, que l'on fuppofe
en nombre fuffifant pour l'état qui les renferme
, & fuffisamment bien employés relativement
aux différens talens qu'ils poffe .
dent : double avantage que tous les écrits
modernes , faits fur cette matiere , nous
rappellent & nous recommandent ; avantages
que l'on ne fçauroit trop foigneufement
conferver quand on les poffede
ni trop tôt fe procurer quand ils manquent.
Néceffité d'encourager la population pour
avoir un grand nombre d'hommes ; néceffité
pour les employer utilement , de favorifer
les différentes profeffions , proportionnément
à leurs différens degrés de néceffité,
d'utilité , de commodité.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
L'Agriculture fe place d'elle - même au
premier rang , puifqu'en nourriffant les
hommes , elle peut feule les mettre en état
d'avoir tout le refte. Sans l'Agriculture ,
point de matieres premieres pour les autres
profeffions.
" C'eft elle par que l'on fait valoir 1 °. les
terres de toute elpece , quels qu'en foient
l'ufage & les prodi ctions ; 2 ° . les fruits ,
les grains , les bois , les plantes , & tous les
autres végétaux qui couvrent la furface de
la terre ; 3 ° . les animaux de tout genre &
de toute efpece , qui rampent fur la terre ,
& qui volent dans les airs , qui fervent à
la fertilifer , & qu'elle nourrit à fon tour ;
4° . les métaux , les fels , les pierres & les
autres minéraux que la terre cache dans
fon fein , & dont nous la forçons à nous
faire part ; 5. les poiffons , & généralement
tout ce que renferment les eaux dont
la terre eft coupée ou environnée .
Voilà l'origine de ces matieres premieres ,
fi variées , fi multipliées , que l'Agriculture
fournit à l'industrie qui les emploie. Il n'en
eft aucune que l'on ne trouve dans les airs ,
fur la terre ou dans les eaux. Voilà le fondement
du commerce , dans lequel on ne
peut jamais faire entrer que les productions
de l'agriculture & de l'induftrie , confidérées
enfemble ou féparément , & le comNOVEMBRE
. 1756. 127
merce ne peut que les faire circuler au dedans
, où les porter à l'étranger.
Le commerce intérieur n'en eft point un ,
proprement dit , du moins pour le corps
de la nation : c'eft une fimple circulation .
L'état & le gouvernement ne connoiffent
de commerce véritable , que celui par lequel
on fe procure le néceffaire , & l'on fe
débarraffe dufuperflu, relativement à l'univerfalité
des citoyens .
que
Mais cette exportation , mais cette impor
1ation ont des loix différentes fuivant
leurs différens objets . Le commerce qui fe
fait au dehors , n'eft pas toujours le même.
S'il intéreffe les colonies , les réglemens ont
pour objet la dépendance raifonnable , où
l'on doit retenir cette portion de la nation;
s'il regarde l'étranger , on ne s'occupe plus
des intérêts du royaume , & de ceux
des colonies , qui forment une espece de
corps intermédiaire entre le royaume &
l'étranger. C'eft ainfi que le commerce
bien adminiftré , vivifie tout , foutient
tout s'il eft extérieur , & que la balance
foit favorable ; s'il eft intérieur , & que la
circulation n'ait point d'entraves , il doit
néceffairement procurer l'abondance univerfelle
& durable de la nation .
Confidérées comme richeffes , les Finances
peuvent confifter en richeffes naturelles
?
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ou acquifes , en richeffes réelles ou d'opinion.
Parmi les richeffes naturelles on doit
compter le génie des habitans , développé
par la néceffité , augmenté par l'émulation ,
porté plus loin encore par le luxe & par
T'oftentation ;
Les propriétés , l'excellence & la fécondité
du fol qui , bien connu , bien cultivé ,
procure d'abondantes récoltes de toutes les
chofes qui peuvent être néceſſaires , utiles ,
agréables à la vie ;
L'heureuſe température du climat , qui
attire , qui multiplie , qui conferve , qui
fortifie ceux qui l'habitent ;
Les avantages de la fituation , par les
remparts que la nature a fournis contre les
ennemis , & par la facilité de la communication
avec les autres nations ;
Jufques- là nous devons tout à la nature,
& rien à l'art : mais lui feul peut ajouter
aux richeffes naturelles un nouveau degré
d'agrément & d'utilité .
Les richeffes acquifes , que l'on doit à
l'induftrie corporelle ou intellectuelle , confiftent
:
Dans les métiers , les fabriques , les manu
factures , les fciences & les arts , perfectionnés
par des inventions nouvelles , telles que
celles du célebre Paucanfon , & raifonna
NOVEMBRE . 1756 . 129
blement multipliés par les encouragemens :
on dit raifonnablement , parce que les graces
& les faveurs que l'on accorde , doivent
être proportionnées au degré d'utilité de
ce qui en eft l'objet :
Dans les lumieres acquifes fur ce qui
concerne l'Agriculture en général , & chacune
de fes branches en particulier , les engrais
, les baras , la confervation des grains ,
la plantation des bois , leur confervation ,
leur amélioration , leur adminiftration , leur
exploitation , la pêche des étangs , des rivieres
& des mers , & généralement dans tout
ce qui nous donne le talent de mettre à
profit les dons de la nature , de les recueilÎir
& de les multiplier. Un gouvernement
auffi fage que le nôtre , envifagera donc
toujours comme de vraies richelfes , &
comme des acquifitions d'un grand prix ,
les excellens ouvrages que nous ont donné
fur ces différentes matieres MM. de Buffon
& d'Aubenton , M. Duhamel du Monceau
, l'Auteur de la Police des grains , &
les autres Ecrivains eftimables , dont la
plume s'eft exercée fur des fujets fi intéreffans
pour la nation.
On accordera la même eftime aux connoiffances
, aux vues , aux opérations raffemblées
dans le royaume pour la popula
tion des citoyens , pour leur confervation ,
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
pour l'amélioration poffible & relative de
toutes les conditions.
On doit encore enviſager , comme richelles
acquifes , les progrès de la navigation
intérieure , par l'établiffement des c4-
l'extérieure , par l'augmentation du
commerce maritime , celui de terre accru ,
facilité, rendu plus fûr la conftruction,
le rétablitlement , l'entretien & la perfection
des ponts , chauffees & grands chemins.
par
La matiere eft par elle-même d'une fi
grande étendue , qu'il faut , malgré foi ,
paffer rapidement fur les objets , & réfifter
au defir que l'on auroit de s'arrêter fur
les plus intéreffans. Contentons- nous de
Les préfenter au lecteur intelligent , & laiffons-
lui le foin de les approfondir.
Les richeffes de l'état , que l'on a d'abord
envifagées comme naturelles , enfuite comme
acquifes , peuvent l'être auffi comme
richelles réelles ou d'opinion.
Les réelles ne font autre chofe que les
fonds ou biens immeubles , les revenus &
les effets mobiliers.
Les immeubles ( on ne parle ici que des
réels , & non de ceux qui le font par fiction
de droit ) , les immeubles font les terres labourables
, les prés , les vignes , les maisons
& autres édifices , les bois & les eaux , & géNOVEMBRE.
1756. 131
néralement tous les autres fonds , de quelque
nature qu'ils foient , qui compofent
le domaine foncier du fouverain , & celui
des particuliers :
Du fouverain , comme feigneur & propriétaire
particulier de certains fonds qui
n'ont point encore été incorporés au domaine
du Roi :
Comme Roi , & poffédant à ce titre feulement
les héritages & les biens qui forment
le domaine foncier de la couronne :
Des particuliers , comme citoyens , dont
les domaines font la bafe des richeffes réelles
de l'état , de deux manieres : par les
productions de toute efpece , qu'ils font
entrer dans le commerce & dans la circulation
; par les impofitions , auxquelles ces mêmes
productions mettent les particuliers en
état de fatisfaire.
Confidérées comme revenas , les richesses
réelles font fixes ou cafuelles , & dans l'un &
l'autre cas appartiennent, comme les fonds ,
au fouverain ou aux particuliers.
Appartiennent- elles aux particuliers ? ce
font les fruits , les produits , les revenus des
fonds qu'ils poffedent ; ce font auffi les
droits feigneuriaux , utiles ou honorifiques ,
qui y font attachés .
Si ces revenus appartiennent au fouver
rain , ils font à lui , à titre de feigneur
1
Fvi
132 MERCURE DE FRANCE.
particulier , ou bien à caufe de fa couronne:
diftinction effentielle , & qu'il ne faut pas
perdre de vue , fi l'on veut avoir la folution
de bien des difficultés. Le Roi poffede
les uns par lui-même , abſtraction faite de
la fouveraineté. A titre de fouverain , if
compte parmi fes revenus 1 ° . le produit du
domaine foncier & des droits domanianx ;
2º. les impofitions qu'il met , comme Roi ,
fur ce que les autres poffedent : revenu
toujours à charge à la bonté du Monarque,
qu'il n'augmente jamais qu'à regret , &
toujours en obfervant que l'établiſſement
des impofitions fe faffe relativement aux
facultés de la nation , mefurées fur ce dont
elle eft déja chargée, & fur ce qu'elle peut
fupporter encore ; la répartition avec une
proportion qui détruife les taxes arbitraires,
& qui ne charge chaque citoyen que de ce
qu'il peut naturellement , & doit équitablement
fupporter ; le recouvrement où la perception
, avec autant d'exactunde que de
modération & d'humanité.
Paffons de fuite , & fans rien détailler,
aux richelles réelles , confidérées dans les
effets mobiliers , tels que l'or & l'argent , les
pierreries , les marchandises de toute efpece,
& les meubles meublans , que ls qu'ils
foient.
Obfervons feulement comme autant de
NOVEMBRE . 1756. 133
circonftances qui n'échappent point à ceux
qui font chargés de cette grande partie de
l'administration :
Que l'or & l'argent, qui font tour-à- tour
marchandifes & fignes représentatifs de
tout ce qui peut être échangé , ne peuvent
provenir que des mines pour ceux qui en
ont , que du commerce pour ceux qui n'ont
point de mines :
Que l'or & l'argent , ainfi que les pierre
ries , peuvent être confidérés comme matie
res premieres , ou comme ouvrages fabriqués
comme matieres , lorfque , par rapport
aux pierreries , elles font encore brutes,
& qu'à l'égard des métaux , ils font encore
en lingots , en barres , &c : comme ouvra
ges , lorfque les pierres précienfes fo . 111 .
fes en oeuvre ; & qu'à l'égard des métaux ,
ils font employés en monnoies , en vaiffelles,
en bijoux , en étoffes , &c .
Que les marchandifes & les meubles peuvent
être l'objet d'une circulation intérieu-
& re , ou d'un commerce avec l'étranger ;
qu'à cet égard , & furtout dans le dernier
cas , il eft in portant d'examiner fi la matiere
premiere , & la main - d'oeuvre à la
fois , ou l'une des deux feulement , proviennent
de la nation .
LesFinances confidérées, comme on vient
de le voir, dans les richeffes & les poffeffions
134 MERCURE
DE FRANCE
.
réelles & fenfibles , frappent tout le monde,
& par cette raifon obuennent fans peine
le degré d'attention qu'elles méritent. En
voici d'une espece li métaphysique
, que
plufieurs feroient tentés de ne point les regarder
comme richelles , fi des titres palpa.
bles ne les rendoient réelles pour ceux qui
conçoivent le moins les effets que ces titres
produifent dans le commerce & dans la
circulation.
Les richeffes d'opinion , qui multiplient
fi prodigieufement les réelles , font fondées
fur le crédit , c'eſt - à - dire , fur l'idée que
l'on s'eft formée de l'exactitude & de la felvabitité.
Mais ce crédit peut être celui de la nation
, qui fe manifefte dans les banques &
dans la circulaiton des effets publics , accrédités
par une bonne adminiftration
, ou
celui des particuliers confidérés féparément
ou comme réunis.
Séparément
ils leur devenir
par peuvent
bonne conduite , & leurs grandes vues , les
banquiers
de l'état & du monde entier. On
fera fans peine , à Paris , l'application
de cet article.
Confidérés enfemble ils peuvent être
réunis en corps , comme le Clergé , les Pays
d'Etats , & c. en Compagnies de commerce ,
comme la Compagnie des Indes, les ChamNOVEMBRE.
1756. 135
que bres d'affurances , &c. d'affaires , telles
les fermes générales , les recettes générales ,
les munitionnaires généraux , &c. dont le
crédit perfonnel augmente le crédit général
de la nation .
Mais les avantages des richeſſes naturelles
ou acquifes , réelles ou d'opinion , ne fe
bornent pas au moment préfent ; ils s'étendent
jufques dans l'avenir , en préparant
les refources qui forment le troifieme afpect
, fous lequel les Finances doivent être
envifagées.
Trois fortes de reffources fe préfentent
naturellement pour fatisfaire aux befoins
que les revenus ordinaires ne rempliffent
pas : l'aliénation , l'emprunt , l'impofition .
Les deux premieres font en la difpofition
des fujets , comme du jouverain. La derniere
n'appartient qu'au fouverain . Tout le
monde peut aliener ce qu'il a , emprunter ce
qui lui manque. Le fouverain feul peut impofer
fur ce que les autres ont . Parcourons
ces trois fortes de reffources avec la même
rapidité que les autres objets .
à de
Les alienations fe font à perpétuité de ce
qui peut être aliéné fans retour ;
ce qui eft inalienable de fa nature .
Lemps
On aliene les fonds ou les revenus : les
fonds , de deux manieres à l'égard du fouverain
; en engageant ceux qui ne font
136 MERCURE DE FRANCE.
point encore fortis de fes mains ; en mettant
en revente ceux qui n'avoient été vendus
qu'à faculté de rachat, les revenus provenans
de l'établiffement de nouveaux
droits , ou de la perception des droits an
ciennement établis .
Quant aux emprunts, qui fuppofent toujours
la certitude , ou tout au moins le
defir d'une prochaine libération , ils peuvent
fe faire directement ou indirectement.
Directs , ils confiftent dans les créations
de rentes , qui peuvent être perpétuelles ou
viageres , qui font à leur tour viageres
proprement dites , ou tontines , affignées les
unes & les autres fur les fonds ou fur les
revenus,
diverts ils font déguifés fous diverfes
formes, fous différem dénominations , &
tels font l'ufage du crédit public ou parti-.
culier , les loteries plus ou moins compliquées
, les créations d'offices , avec attribution
de gages , ou les nouvelles Finances
que l'on exige des offices déja créés , avee
augmentation de gages proportionnée.
Mais des trois objets de reſſources qui
font entre les mains du
gouvernement
l'impofition eft fans contredit celle que l'on
emploie toujours le plus à regret. Les impofitions
peuvent être, comme les emprunts,
directes ou indirectes.On peut établir de nouNOVEMBRE.
1756. 137
veaux impôts ; on peut augmenter les impofitions
anciennement établies : mais dans
tous les cas , dans tous les temps , chez toutes
les nations , les impofitions ne pourront
jamais porter que fur les chofes , fur les
hommes & fur leurs actions , qui comprendront
toutes les conventions , toutes les efpeces
de mutations , & toutes les fortes
d'actes émanés d'une jurifdiction libre ou
forcée. Voyez pour le détail le mot impofition
, dont vous prendrez par avance l'idée
générale , la plus fûre , fi vous la concevez
d'après la divifion du droit, de rebus , deperfonis
& de actionibus.
Il en eft au furplus des reffources, comme
du crédit. Un ufage raiſonnable les multiplie
: mais l'abus que l'on en fait les dé
truit. Il ne faut ni les méconnoître , ni
s'en prévaloir. Il faut les rechercher comme
fi l'on ne pouvoit pas s'en paffer , &
les économiser avec le même foin que s'il
étoit déformais impoffible de fe les procurer
; & c'eſt à cette fage économie que conduifent
les vrais principes de l'adminiftration
: quatrieme maniere d'envifager les
Finances , & que l'on a placée la derniere,
parce qu'elle embraffe toutes les autres parties
, & qu'elle les gouverne toures.
L'adminiftration peut être publique &
générale , ou perfonnelle & particuliere.
138 MERCURE DE FRANCE.
L'adminiſtration générale ſe ſubdiviſe en
politique & economique . La politique embraſſe
l'univerfalité des hommes & des chofes :
Des hommes , pour les apprécier ce qu'ils
valent , relativement à leur mérite perfonnel
, à leur condition , à leur profeffion , &
pour tirer parti , pour le bien commun , de
leurs talens, de leurs vertus , de leurs défauts
même.
Des choles , afin de les bien connoître ,
chacune en particulier , & toutes enfemble,
pour juger des rapports qui fe trouvent
entre lles , & les rendre toutes utiles à
l'univerfalité.
L'adminiftration générale , économique ;"
a pour objet :
Par rapport aux principes des Finances ,
d'en conferver les fources , de les rendre ,
s'il fe peut , plus abondantes , & d'y puifer
fans les tarir , ni les deffécher.
Par rapport aux richeffes , de conferver
& d'améliorer les fonds , de maintenir les
droits , de percevoir les revenus , de faire
enforte que dans la recette rien ne fe perde
de ce qui doit entrer dans le tréfor du fouverain
, que dans la dépense choque choſe
fuive la deftination qui lui eft affectée , que
le tout , s'il eft poffible , n'excede pas le
revenu , & que la comptabilité foit en regle
& bien conftatée.
1
NOVEMBRE . 1756. 139
Cette même adminiftration politique &
générale a pour objet , par rapport aux reffources
, de bien connoître celles dont on
peut faire ufage , relativement aux facultés
de l'état , au caractere de la nation , à la
nature du gouvernement ; de fçavoir juſqu'à
quel point l'on peut compter fur chacune
en particulier , fur toutes enfemble , &
furtout de les appliquer aux objets les plus
intéreffans.
Confidérée comme perfonnelle & particu
liere, l'adminiftration eft peut être d'autant
plus importante , qu'il arrive fouvent que
plus on fe trouve , par fa place , éloigné
des grands objets , plus on s'écarte des grandes
vues , & plus les fautes font dangereufes
, relativement au gouvernement : mais
il feroit plus qu'inutile de prévenir ici , fur
cette forte d'administration , ce que l'on en
dira ci-après , à l'occafion du mot Finan
cier , qui rentre néceffairement dans celui-
ci.
On voit par tout ce que l'on vient de
lire fur les Finances , que la diftribution la
plus fimple & la plus naturelle , que que la progreffion
des idées les plus communes & les
plus générales , conduifent à la véritable définition
d'un mot fi intéreffant pour la fociété;
que dans cet article toutes les parties
rentrent refpectivement les unes dans les
140 MERCURE DE FRANCE.
autres; qu'il n'en eft point d'indépendantes
& que leur réunion feule peut opérer , confolider
& perpétuer la fûreté de l'état , le
bonheur des peuples , & la gloire du ſouverain
; & c'eft à quoi l'on doit arriver , en
partant du mot Finances , comme on doit,
en rétrogradant , remonter à ce mot , fans
que dans l'une ni l'autre de ces opérations,
rien puiffe interrompre la chaîne des idées,
& l'ordre du raifonnement.
CHIRURGIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , les obligations fingulieres
que nous avons à M. de la Martiniere ,
premier Chirurgien du Roi , des moyens
qu'il emploie avec tant de fuccès pour rétablir
la Chirurgie dans l'état honorifique
& diftingué qui lui convient , nous engagent
à rendre notre reconnoiffance
publi
que. Nous ne pouvons mieux nous acquitter
de ce devoir , qu'en vous priant de
vouloir bien inférer dans votre Mercure ,
le Réglement dont nous avons l'honneur
de vous envoyer une copie , avec la Lettre
circulaire qui l'accompagnoit. Le Public
NOVEMBRE. 1756. 141
jugera du degré de notre gratitude , par
l'importance des avantages qu'il nous procure
. Vous nous obligerez fenfiblement de
vouloir bien entrer dans nos vues à cer
égard .
Nous avons l'honneur d'être avec la
plus parfaite conſidération , Monfieur >
Votre , &c. Les Chirurgiens de la Province
de Normandie.
A Rouen , ce 12 Octobre 1756 .
LETTRES PATENTES.
LOUIS , par la grace de Dieu , Roi de
France & de Navarre : à nos amés & féaux
Confeillers les Gens tenans nos Cours de
Parlement & des Aydes à Paris , Salut.
Sur ce qui nous a été repréfenté par notre
cher & bien amé le Sieur de la Martiniere,
notre premier Chirurgien ; que les progrès
que la Chirurgie a faits depuis plufieurs années
, font dûs aux prérogatives & diſtinctions
que nous avons accordées depuis le
commencement de notre regne à ceux qui
fe font adonnés à cet Art : qu'en confirmant
par notre Déclaration du 24
Février 1730 , l'Edit du mois de Février
1692 , nous avons autorifé les Statuts &
Réglemens faits pour les Chirurgiens de
142 MERCURE DE FRANCE.
nos différentes Provinces ; que,
fuivant ces
Statuts , ceux qui exerceront purement &
fimplement la Chirurgie , font réputés
exercer un Art libéral , & doivent jouir
de tous les privileges attachés aux Arts libéraux
; que par notre Déclaration du 24
Avril 1743 , Nous avons donné des marques
fignalées de notre protection aux
Chirurgiens de notre bonne Ville de Paris ;
que notre Déclaration a rendu à cet Art le
luftre & la confidération qui lui font propres
, & qui cependant étoient prefque
entierement effacés par l'aviliffement dans
lequel il étoit tombé ; qu'elle a ranimé le
zele & l'application des Chirurgiens de notre
bonne Ville de Paris ; les Ecoles en
font devenues plus célebres , les Eleves qui
y ont été formés , ont répandu dans nos
Provinces l'efprit d'émulation qu'ils y
avoient puifé : les Chirurgiens des autres
Villes de notre Royaume ont bientôt été
animés du même efprit on a vu s'établir
des Ecoles publiques à Montpellier , Toulon
, Bordeaux , Rouen , & tous ceux
qui ont embraffé cette profeffion , contribuer
à la gloire de leur Art par leur application
à former les fujets qui s'y deftinent
, & par leurs travaux multipliés
pour étendre leurs connoiffances & perfectionner
leurs recherches ; que dans la vue
NOVEMBRE . 1756 . 143
de leur en marquer notre fatisfaction ,
Nous avons , par différens Arrêts de notre
Confeil , revêtus de nos Lettres Patentes ,
déclaré les Chirurgiens de plufieurs Villes
dans lesquelles ils exerçoient purement &
fimplement la Chirurgie , Notables Bourgeois
des Villes de leur réfidence
avons ordonné qu'ils jouiroient des prérogatives
attachées à cette qualité , qu'il
nous fupplioit de vouloir bien expliquer
pareillement nos intentions en faveur de
ceux qui s'adonnent entiérement & fans
aucune reſtriction à cet Art dans les autres
Villes de notre Royaume , & de confirmer
en même temps les autres prérogatives
& exemptions qu'il nous a déja plu
d'accorder à ceux qui exercent cet Art &
qui s'y deftinent ; & defirant exciter encore
plus , s'il eft poffible , le zele & l'émulation
de ceux qui s'adonnent à un Art fi
néceffaire pour la confervation de nos Sujets
, perfuadé que les nouvelles marques
de notre protection les encourageront
a redoubler leurs efforts pour ne négliger
aucune des connoiffances qu'exige la profeffion
qu'ils ont embraffée ; à quoi Nous y
avons pourvu par l'Arrêt de cejourd hui ,
rendu en notre Confeil d'Etat , Nous y
étant , pour l'exécution duquel Nous
avons ordonné que toutes Lettres néceffai144
MERCURE DE FRANCE.
res feront expédiées. A ces caufes , de l'a
vis de notre Confeil , qui a vu ledit Arrêt ,
dont l'extrait eft ci -attaché fous le contrefcel
de notre Chancellerie , & conformément
à icelui ; Nous avons ordonné , &
par ces préfentes fignées de notre main ,
ordonnons que les Maîtres en l'Art &
Science de Chirurgie des Villes & lieux
où ils exerceront purement & fimplement
la Chirurgie fans aucun mêlange de profeffion
méchanique , & fans faire aucun
commerce ou trafic , foit par eux ou par
leurs femmes , feront réputés exercer un
Art libéral & fcientifique , & jouiront en
cette qualité des honneurs , diftinctions
& privileges dont jouiffent ceux qui
exercent les Arts libéraux : Voulons &
entendons que lefdits Chirurgiens foient
compris dans le nombre des Notables
Bourgeois des Villes & lieux de leur réfidence
, & qu'ils puiffent à ce titre être revêtus
des Offices Municipaux defdites Villes
, dans le même rang que les Notables
Bourgeois ; défendons de les comprendre
dans les rôles d'Arts & Métiers , ni de les
affujettir à la taxe de l'induftrie ; & feront
lefdits Chirurgiens exempts de la collecte
de la taille , de Guet & Garde , de
Corvées , & de toutes autres Charges de
Ville & publiques , dont font exempts ,
fuivant
<
NOVEMBRE . 1756. 145
7
fuivant les ufages & Réglemens obfervés
dans chaque Province , les autres Notables
Bourgeois & habitans des Villes & heux
où ils auront leur établiffement : permettons
auxdits Chirurgiens d'avoir un ou
plufieurs Eleves , foit pour être aidés dans
leurs fonctions , foit pour les inftruire
des principes de la Chirurgie ; lefquels
Eleves au nombre de deux , feront exempts
de tirer à la Milice ; le tout à la charge ,
tant par lefdits Maîtres que par leurs Eleves
, d'exercer purement & fimplement la
Chirurgie : dérogeons à tous ufages , Coutumes
& Réglemens contraires à notredit
Arrêt & à ces préfentes. Si vous mandons
que ces préfentes vous ayez à faire régiftrer
( mêine en temps de vacations ) , & le
contenu en icelles , enfemble ledit Arrêt ,
exécuter felon leur forme & teneur : car
tel eft notre plaifir . Donné à Compiegne
le dixieme jour d'Août , l'an de grace mil
fept cens cinquante- fix , & de notre regne
quarante-unieme. Signé Louis : Et
plus bas , par le Roi , M. P. de Voyer
d'Argenfon. Et fcellé du grand ſceau de
cire jaune.
le
G
146 MERCURE
DE FRANCE.
OBSERVATION
de Chirurgie trèsimportante
, au fujet des ravages produits
par la Pierre dans la veffie , adreffée à
l'Auteur du Mercure .
Pierre-Jofeph Averlan , âgé de cinq ans ,
fils de Michel Averlan , Maître Savetier ,
rue des Foffés- neufs , à Lille , fut attaqué
de la pierre vers le commencement de Septembre
1755 .
:
pouchez
M.
Les premiers fymptomes qui manifeſterent
cette maladie furent de fréquentes
envies d'uriner , & une difficulté de
voir le faire les douleurs augmentant de
jour en jour & devenant plus vives , les
parens prirent le parti de le porter
Vandergrath
, Lithotomifte
de cette Ville.
Ce Chirurgien le fonda , ne reconnut d'abord
qu'un gravier affez gros , qu'il crut
pouvoir faire fondre par des remèdes qu'il
confeilla à ces pauvres gens ; mais dans le
temps qu'il tenoit le Catheter dans la veffie
, il introduifit fon doigt dans le rectum ;
alors le malade fit des cris horribles , &
qui ne cefferent que lorsqu'on l'en cût
débarraffé.
Je ne fçais fi cette introduction forcée ,
ou le remede ordonné pour fondre le préNOVEMBRE
. 1756. 147
tendu gravier , firent un effet oppofé à
l'intention de l'Opérateur ; mais dès cet
inftant le malade éprouva une incontinence
d'urine, & les felles qui avoient toujours
paffés fans faire fentir la moindre douleur
, furent à l'avenir accompagnées d'un
tenefme infupportable. Quoi qu'il en foit ,
le remede fut opiniâtrément continué
pendant fix mois , & l'état du malade.
ne fit qu'empirer : & dans le dernier , il
étoit continuellement fur le baffin : là il
faifoit avec douleur des efforts infructueux
pour aller à la felle.
Mais c'étoit bien pis , lorfque ces efforts
étoient fuivis de quelques petites portions
d'excrément : alors il fe joignoit à la
douleur, & aux cris ordinaires des convalfions
qui faifoient tout craindre pour la
vie de cet enfant .
Le trifte état où il étoit réduit , engales
parens à chercher les moyens de
gea les
l'en délivrer ; M. Vandergrath ayant
perdu leur confiance , ils s'adrefferent à
moi .
Je le vis , pour la premiere fois , le 25
Juillet 1756 il étoit alors fur le baffin ,
& je fus témoin d'une partie de fes ſouffrances.
Je le fondai , & lui trouvai une
pierre affez groffe . J'indiquai l'opération
pour le lendemain à cinq heures du matin,
Gij
14S MERCURE DE FRANCE.
Après l'avoir mis dans la fituation horizontale
, je l'opérai au feptieme degré d'écartement
; je tirai avec facilité & prompti- |
tude une pierre affez groffe , très- folide ,
& du poids de deux dragmes & demie.
A peine l'opération fut-elle achevée
que le malade s'endormit ; fes urines coulerent
d'abord par la plaie : le lendemain ,
il eut deux felles ; dans la feconde , il s'y
trouva un grand ver : le foir du lendemain
de l'opération , les urines pafferent en totalité
par les voies naturelles ; & depuis ce
temps , il n'en paffa plus une feule goutte
par la plaie , qui a été parfaitement
cicatrifée
le neuvieme jour.
La promptitude de cette cure fait mieux
l'éloge du Lithotome caché , que les difcours
les plus recherchés . Ceux qui me firent
l'honneur d'affifter à cette opération
font M. Plancque , Chirurgien-Major des
Hôpitaux Militaires ; MM . Robert , Prevoft
, Vinchant l'aîné , Vinchant le jeune ,
Vanftiwort & Varocquier , tous Maîtres
en Chirurgie , à Lille.
CHASTANET, Chirurgien , Aide - Major
des Hôpitaux Militaires , à Lille.
Ce 6 Août 1756.
NOVEMBRE. 1756. 149
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Belles - Lettres de la
Rochelle , du S Mai 1956.
Monfieur le Président de Lavaux- Martin
, Directeur de l'Académie , ouvrit la
Séance par un difcours vif & ferré fur
l'agrément & l'utilité des Sciences & des
Arts. L'étendue de fa matiere ne pouvant
être épuisée , il ne promit qu'un coup
d'oeil rapide ; mais il le donna en homme
de goût , qui faifit avec fineffe le trait propre
& caractéristique. Avant que d'entrer
dans le détail , il préfenta ce qu'il y a de
plus apparent dans l'utilité des Sciences &
des Arts , confiderés fous un point de vue
général. En Citoyen zélé , il fit voir que
les Empires avoient été d'autant plus floriffantes
que les Lettres y étoient mieux
cultivées. En Philofophe Chrétien , il leur
attribua pour prérogative effentielle &
primitive , celle d'éclairer l'efprit & de
former les moeurs ; & par des exemples
frappans de l'hiftoire ancienne & moderne
, il renverfa ce paradoxe qu'on a trop
férieuſement réfuté , & qui , pour l'honneur
des Lettres , n'auroit jamais dû être
propofé. Il détruifit enfuite l'opinion de
Giij
150 MERCURE DE FRANCE:
ceux qui prétendent que le fommet des
Arts & des Sciences eft la feule place honorable
qu'on puiffe tenir ; il encouragea
tout le monde à entrer dans la carriere par
l'utilité & l'agrément qu'on eft für d'y
trouver , à quelque point que l'on parvienne
, pourvu toutefois que l'on fçache
éprouver les forces , reconnoître fes talens ,
fuivre la nature fans la forcer , « comme
» un vaiſſeau battu de la tempête qui évite
» heureuſement le naufrage , franchit les
» écueils & s'éleve au deffus des rochers ,
ور
ود
"
lorfqu'il obéit aux vents & qu'il amene
» à propos. » Il fit plus , il perfuada qu'il
n'étoit prefque perfonne qui ne pût s'y
promettre quelque forte de fuccès .
L'homme a en lui -même les femences de
» toutes les vérités & les principes de tou-
»tes les fciences ; ce font des germes qui
» n'attendent que la culture , qui ſe développeront
fürement à proportion qu'on
» les nourrira , &produiront des arbres ſi-
» non chargés de fruits , du moins ornés
» de fleurs. »
">
"
La Logique ou l'art de penfer , comme
l'introduction néceffaire à toutes les autres
fciences , attira fes premiers regards . C'eſt
elle , dit M. de Lavaux , qui dirige les
opérations de notre efprit , qui par l'appli
cation de fes regles , débrouille le cahos de
NOVEMBRE. 1756 . 151
nos idées , les range dans un ordre fucceffif
& méthodique , en fait remarquer la
liaifon , en découvre les rapports , nous
prémunit contre les inductions fauffes ou
précipitées , affure nos jugemens , & mettant
dans nos difcours l'ordre & la méthode
, répand fur toute la fociété fon agrément
& fon utilité .
Les recherches profondes de la métaphyfique
préfentent d'abord un afpect affez
peu riant ; mais il faudroit n'être jamais
rentré en foi- même pour les croire tout- àfait
incapables d'agrémens . Le filence de
l'ame , le calme des paffions , la pourſuite
de la vérité , ont fait goûter aux fages contemplatifs
des plaifirs d'autant plus épurés
& plus folides , que l'efprit eft au deffus
des fens : rien n'égale d'ailleurs l'utilité de
cette fcience , puifqu'elle nous conduit
d'abſtractions en abſtractions jufqu'à la
connoiffance de l'Etre par excellence , de
la Divinité , & que nous faifant enfuite
defcendre aux objets créés , elle nous montre
les effences des chofes , le temps , le
lieu , le mouvement , l'efpace , & nous
découvre , autant qu'il eft permis à des
créatures bornées , la nature de ce fouffle
qui nous anime , de ce rayon de la Divinité
, de notre ame dont elle nous affure l'incorruptibilité.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
•
Si les objets de la Phyfique ne femblent
pas fi fublimes , il nous conduifent cependant
avec moins d'effort & plus d'agrémens
aux mêmes conclufions. Le tableau de la
nature que cette ſcience étale à nos yeux ,
nous infinue par une douce perfuafion .
L'existence d'un premier moteur , autant
que les raifonnemens abftraits de la métaphyfique
, nous en démontrent la néceffité
avec force & conviction .
Pour mieux faire goûter les agrémens &
l'utilité de cette fcience , M. de Lavaux
la perfonnifia ; & la plaçant fucceffivement
dans fes différens regnes , il montra
comment elle enchante nos regards par
le fpectacle varié & toujours fenaiffant
d'une riante campagne ; comment elle
pourvoit à notre fubfiftance par la culture
de la terre ; à notre défenfe & à tous nos
befoins , en tirant de fon fein tous les
minéraux pour les convertir en métaux
précieux , & les façonner enfuite en tant
de minieres différentes ; à notre vie même
pour la foutenir ou la prolonger par les
fucs des fimples , & les extraits des mixtes
qu'elle nous prépare ; comment furtout
elle a guéri la plus funefte des maladies de
notre ame , la fuperftition . En foumettant
les éclipfes au calcul , en pofant les loix
fuivant lefquelles les Aftres doivent fournir
NOVEMBRE. 1756 . 155
leur carriere périodique & néceffaire , elle.
nous a fait voir que nous y attachions ridiculement
notre fort ; que ces globes qui
embelliffent la voûte éthérée , n'étoient
point faits pour nous infpirer de la peur ,
quelque phafe qu'ils puffent éprouver ;
mais pour nous éclairer , nous échauffer ,
nous plaire , nous inftruire & régler nos
pas fur le globe que nous habitons .
"3
"
"
Les Romains , dit M. de Lavaux , ja-
» loux d'étendre leur domination , arment
» une puiffante flotte : les bords de la Mé-
» diterranée ne fuffifent pas à leurs projets
ambitieux ; les riches contrées, que voit
» l'Océan , excitent leur cupidité . Prêts à
» defcendre fur une côte , où ils n'avoient
jamais mis le pied , ils voient la mer fe
» retirer , & laiffer leurs vaiffeaux à fec fur
» le rivage ; la fuperftition , fille de l'ignorance
, leur préfente cet événement com-
» me la punition de quelque Divinité.
Nous au contraire nous voyons la mer
» deux fois chaque jour venir baigner nos
» rives de fes flots , & autant de fois fe re-
» pliant fur elle - même , fe retirer au fond
» des abyfmes . Loin d'en être furpris , ce
fpectacle, nous charme fans ceffe ; & fi
»nous ne pouvons affurer & déterminer
» poſitivement la caufe de ce mouvement ,
nous marquons bien certainement l'heur
"
"
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
», & la minute où les flots doivent avancer
» & reculer.
M. de Lavaux parcourut avec la même
précifion l'agrément & l'utilité que nous
retirons de l'éloquence & de la poésie , de
l'étude des langues , de quelques arts libéraux
& méchaniques , mais furtout de la
fcience de l'hiftoire , néceffairement accompagnée
de la chronologie & de la géographie
, fans lefquelles il eft impoffible
d'en profiter.
Il faut connoître , dit- il , les bornes &
le licu des empires , la fituation des villes ,
l'étendue des contrées & des colonies , les
années des Anciens , le commencement , la
durée & la fin des plus célebres époques ,
fans quoi l'hiftoire , par la multiplicité des
faits qu'elle entafferoit dans la mémoire ,
ne formeroit qu'un cahos , d'où il ne fortiroit
aucun trait de lumiere ni d'inftruction
.
M. de Lavaux ne diffimula pas qu'on peut
abufer de tous les arts & de toutes les fciences
: il déplora furtout, par rapport à l'éloquence
& à la poésie , l'abus que quelques
Auteurs trop fameux ne ceffoient de
faire de leurs talens : mais il les mit fur le
compte de l'erreur , de l'illufion , de la corruption
& de la dépravation des moeurs ,
dont l'éloquence & la poéfie ne fçauroient
NOVEMBRE . 1756. 155
être refponfables . Le jour le plus ferein ,
dit- il , n'est jamais fans quelque nuage :
mais le foleil ne perd pas pour cela fa
clarté , & nous n'en reffentons pas moins
la bénigne influence de fes rayons .
M. Hüe , Directeur des ponts & chauf
fées , dans les provinces d'Aunis & Saintonge,
lut enfuite des obfervations fur une
voie ancienne , romaine , qui traverſoit le
pays des Santones ou Saintongeois.
De tous les peuples , dit- il , qui ont
figuré fur le théâtre du monde , il n'en eft
point de plus célebre que les Romains . Le
caractere de certe nation , à jamais illuftre,
étoit la vraie empreinte de la grandeur. A
Rome tout étoit grand : vaftes projets ,
fublimes idées dans l'efprit , fentimens nobles
& héroïques dans le coeur , magnanimité
dans les procédés , loix dictées par la
raifon dans l'ordre judiciaire , oùvrages
d'art , pompeux , & moins brillans que
majestueux dans la décoration extérieure .
Entre les monumens qui nous reftent de ce
dernier genre de magnificence , les grands
chemins tiennent un rang diftingué . Les
édifices renfermés dans l'enceinte de quelques
villes , n'étoient pas tous également
fupertes. On voyoit des aqueducs plus
furprenans par la dépenfe , que par leur
forme ; des ponts plus finguliers par les
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
maffes énormes , qui entroient dans leur
conftruction , qu'admirables par la hardieffe
de leur trait . Ces ouvrages d'ailleurs
multipliés dans la capitale , deviennent
moins communs à mesure qu'on s'en éloigne.
Les Voies Romaines repréfentoient
encore mieux toute la majefté d'une fociété
d'hommes, que l'immortel Chantre d'Enée
appelle un peuple Roi .
Ces Voies étendues fur la furface de
l'univers , avoient une forte d'immensité.
Elles traverfoient l'Europe , l'Afie & l'Afrique.
Depuis les colonnes d'Hercule , jufqu'à
l'Euphrate , & jufqu'à la partie la plus
méridionale de l'Egypte , des routes folides
& prefqu'inébranlables , s'alongeoient
au milieu de diverfes contrées , formoient
la communication des trois parties du
monde connu , & fembloient diminuer les
diſtances , & réunir les lieux les plus éloignés.
La Monarchie Françoife , comparable à
tant d'égards à l'Empire Romain , peut ſe
vanter d'avoir , avec cet Empire , un nouveau
trait de reffemblance, par la beauté du
grand nombre de routes. L'état doit ce
précieux avantage au génie éclairé , & aux
vues fuivies & détaillées d'un homme qui
confacre fes foins à l'un des principaux objets
de l'utilité publique . C'eft par ces heuNOVEMBRE
. 1756. 157
reux foins que nos routes imparfaitement
commencées , & dont la lenteur de l'exécution
laffoit l'attente du voyageur , s'ouvrent
de toutes parts , s'achevent & fe perfectionnent
. Nos chemins méritent enfin
ce nom, & ceffent d'être des abyfmes . Tracés
fur des lignes droites , fuivant des pentes
prefque toujours infenfibles , affis fur
un fond folide par la nature du terrein, ou
que l'art a rendu tel , arrangés par des
mains induſtrieufes , & bordés d'arbres ,
on les prendroit pour des riantes allées.
On voyage , & l'on croit fe promener. Des
poids énormes , moins rébelles au mouvement
, commencent à rouler avec quelque
facilité. L'importance des affaires exigentelles
de la célérité , on ne va pas , on vole
fur une furface plane & unie. Les ordres
du fouverain font portées au loin plus rapidement.
Les troupes marchent ; ces troupes
qui fe traînoient autrefois avec tant
d'efforts , tant de lenteur , fur un fol inégal
, raboteux & détrempé , où chaque pas
pouvoit devenir une chute.
Ce fut principalement pour les gens de
guerre que les Romains conftruifirent ces
routes fameufes , connues fous le nom de
voies militaires , dont il reste encore des
veftiges dans nos Gaules. On trouve, dans
l'itinéraire d'Antonin , la notice d'un che
158 MERCURE DE FRANCE.
min de Bordeaux à Autun , à Burdigala
Auguftodunum . Les lieux les plus remarquables
y font défignés par leur diſtance 1
refpective , & fi j'ofe le dire , avec leur
toife : car les mefures y font exactement
marquées.
le
La partie de ce chemin , qui traverſoit
pays des Saintongeois , a fixé mon attention
au milieu des courfes que je fuis
obligé de faire par état ,, pour conduire &
perfectionner la grande route de Paris à
Bordeaux , enclavée dans la généralité de
la Rochelle. L'objet de mes obſervations
eft donc de retrouver la ligne décrite par
cette ancienne voie , d'en fuivre les traces,
& de la faire reparoître toute effacée qu'elle
eft par le ravage des temps.
Adrien de Valois , dans fa notice des
Gaules , ouvrage rempli de fçavantes recherches
, & qu'une main habile devroit
retoucher pour y faire entrer les additions
& corrections néceffaires , Adrien de Valois
détermine les lieux par où paffoir la
voie militaire , en coupant le pays des Saintongeois
. Si l'on en croit cet Auteur , Blavutum
eft Blaye , Tamnum , Tatmont fur
Gironde , Novioregum , Royan , Mediolanum
Santonum , Saintes , Annedonacum ,
Annay. L'affertion de ce fçavant eſt une
pure conjecture , mêlée de vrai & de faux.
NOVEMBRE. 1756.
159
Je vais tâcher de donner un air de vérité
à ce qui n'eft étayé d'aucune preuve , & de
relever en même temps une erreur qui s'eſt
gliffée dans la notice deValois. Quelquefois
un homme de cabinet , courant après la
fcience , laifle échapper la vérité .
Quand on connoît le local de la Saintonge
, on a peine à comprendre pourquoi
les Romains , au lieu de conduire leur chemin
de Blaye à Saintes , par la voie la plus
courte , fe font avifés de prendre un grand
détour. Ils ont fuivi les bords de la Garonne
jufqu'à Royan , point auquel leur route fe
replie fur un angle aigu de foixante- cinq
degrés , lorfqu'ils auroient pu la diriger
fuivant la projection d'une ligne droite.
Dans l'intervalle qui fépare Blaye & Saintes
, par cette derniere ligne , on ne trouve
ni marais impraticables , ni montagnes efcarpées
, ni vallées dont le comblement eût
exigé des remblais confidérables , ni rivieres
qui méritent quelque attention. La feule
difficulté à vaincre , étoit vraisemblablement
une vafte forêt ; difficulté bientôt
vaincue , quand on le veut , par un grand
nombre de bras armés de coignées . Ces
raifons m'ont frappé d'abord , & j'ai cru
que cette route que Valois fait tenir aux
Romains , n'étoit qu'une docte chimere
d'Auteur , que l'infpection des lieux , &
160 MERCURE DE FRANCE.
les connoiffances du pays , n'avoient point
guidé dans fes recherches..
Cependant tout décidé que j'étois , il
s'élevoit dans mon efprit des doutes , &
même des raifons de douter. Pour écarter
ce nuage importun, il a fallu avoir recours
à la regle & au compas : les mefures antiques
, me fuis- je dit à moi- même , font
connues. D'ailleurs les pierres milliaires ,
qui fubfiftent encore en certains endroits
de l'Italie , & même de la France , conftatent
la précision & la jufteffe des opérations
des anciens Voyers Romains . Elles étoient
toutes établies fur une même échelle ; regle
qu'il feroit à fouhaiter que tous nos
Géographes vouluffent adopter dans la réduction
de leurs cartes. Comparons leurs
mefures avec les nôtres , & réduifons - les
toutes deux à une mefure commune. S'il
´en réfulte une identité de diſtance entre
les lieux défignés par l'itinéraire , & ces
mêmes lieux indiqués fur nos cartes , cette
identité nous montrera à découvert la trace
de la voie militaire que nous cherchons .
La meſure commune, que je ferai fervir
de baſe à mon calcul , eft notre toife , qui
comprend fix pieds de Roi. C'eft fur cette
mefure que j'évaluerai le mille Romain ,
compofé de mille pas , le pas de cinq pieds
Romains , plus petit que le nôtre de treize
NOVEMBRE . 1756. 161
lignes & demie , ou d'un dixieme, quelque
chofe de plus. Il y avoit ainfi dans le mille
Romain sooo pieds Romains , ou 4534
pieds 8 pouces 8 lignes de Roi , qui donnent
755 toiſes 4 pieds 8 pouces 8
lignes pour le mille , que l'on réduira à
755 toifes 3 pieds , à caufe de la variété
des fentimens des Auteurs qui nous ont
donné la valeur du pied Romain.
La lieue Gauloife valoit un mille & demi :
c'eft Jornandès qui nous l'apprend. Leuca
Gallica mille & quingentorum paffuum quantitate
metitur. Ces 1500 pas donnent 1133
toiſes 1 pied 6 pouces . C'eft cette derniere
mefure ou lieue Gauloife qui eft employée
dans l'Itinéraire d'Antonin fous le nom de
mille ; les Romains s'étant conformés pour
les chemins des Gaules à la maniere de
compter des naturels du Pays , à laquelle
ils ont feulement confervé le mot latin
mille. Qui locus exordium eft Galliarium ,
dit Amien Marcellin , en parlant de la
ville de Lyon ; exindè non millenis paffibus ,
fed leucis itinera metiuntur ; ce qui le trouve
confirmé par la table de Peutinger. Lugdunum
capui Galliarum ufque hic leucas ;
d'où Bergier , dans fon Hiftoire des grands
chemins de l'Empire , conclut que la mefure
des chemins par milliaires , n'étoit
162 MERCURE DE FRANCE.
obfervée que jufqu'à Lyon , en paffant par
la Provence. La lieue Gauloife de 1133
toifes 1 pied 6 pouces , va donc être comparée
avec la lieue Françoife de 3000 toifes
, mefure qui approche le plus de la lieue
de ce Pays , & prife fur l'échelle de la Carte
manufcrite de feu M. Maffe , Ingénieur
ordinaire du Roi , & très - habile Géographe
, ou d'après les Plans détaillés des
routes actuelles de la France , levés par
ordre du Miniftre pour fervir à la Carte
générale des chemins de France.
De Blavutum , Blaye , à Novioregum ,
Royan , l'Itinéraire compte 28000 pas ou
28 lieues Gauloifes , c'eft- à- dire , 31731
toifes J'ai trouvé fur la Carte de Maffe
32400 toifes , en mefurant fuivant des
lignes droites , ou dix lieues quatre cinquiemes
. La différence entre ces deux
nombres qui eft 669 roiſes , eft fi peu
confidérable qu'on doit la regarder comme
zero . Il est certain que les angles &
détours que forme une route qui n'eſt
point alignée , doivent au moins produire
cet excédent . D'ailleurs dans des
opérations d'arpentage faites par différen
tes mains , il n'eft pas poffible qu'il n'y ait
quelques variations , furtout fi l'on mefure
de grandes diſtances. Il n'eft donné
NOVEMBRE . 1756. 163
qu'à Meffieurs de l'Académie des Sciences,
de toifer une longueur de 7406 toifes s
pieds avec affez d'exactitude , pour qu'à la
vérification il ne fe trouve que 4 pouces
de différence : preuve bien complette de
précifion.
De Novioregum , Royan , à Mediolanum
Santonum , Saintes , 15 milles ou
lieues Gauloifes , c'eft à- dire , 16998 toifes
4 pieds 6 pouces , & fuivant M. Maffe,
17400 toifes ou 5 lieues ; ce qui fait
une différence de 40 toifes 1 pied 6 pouces
, qui fe trouve à peu près dans la
même proportion que celle ci deffus.
De Mediolanum , Saintes , à Aunedonacum
, que l'on croit être Aunay , 160
milles ou lieues Gauloifes ; 18132 toifes ;
fuivant les Cartes des routes , 18697 toifes
ou 6 lieues un quart , un peu moins ;
ce qui donne une différence de 565 toiſes,
toujours très-approchante de la proportion
de la premiere. On croit en général ,
pouvoir compter pour rien des excédens -fi
légers. La route de Saintes à Aunay , laquelle
paffe par Brifemberg , Ecoyeux &
Varaize , eft encore regardée par les Habitans
du pays , comme un chemin des
Romains ; auffi ai - je reconnu en le fuivant
, quelques reftes de chauffées , qui
164 MERCURE DE FRANCE.
m'ont paru tenir de la conſtruction ancienne
. On peut encore ajouter à ces raifons
la reffemblance du terme ancien
Aunedonacum , avec le terme françois actuel
, Aunay .
Du calcul que je viens de faire , il réfulte
que les lieues Gauloifes combinées
avec nos lieues Françoiſes , & réduites à
la meſure commune de notre toife , donnent
les mêmes diftances ou à peu près ,
d'où naiffent quatre conféquences.
*
La premiere , Que l'eftimation du mille
Romain à 755 toifes 3 pieds , ainfi que
de la lieue Gauloife à 1133 toiſes 1 pied
6 pouces , ou 1500 pas Romains , eft ici
prouvée par le Local.
La feconde . Que les opérations des
Voyers Romains , & même des Gaulois ,
ont été exactes , puifqu'elles fe rappor
tent aux nôtres .
La troifieme. Que Blaye , Royan
Saintes & Aunay font les mêmes lieux
défignés dans l'Itinéraire , fous le nom
de Blavutum , Novioregum , Mediolanum
Santonum , Aunedonacum , les diſtances
refpectives des lieux anciens & des lieux
modernes étant les mêmes.
La quatrieme enfin , Que la voie militaire
qui partoit de Blaye , paffoit par
NOVEMBRE . 1756. 165
Royan pour aller à Saintes , puifqu'en
fuivant fur la Carte de Maffe , le contour
& l'angle que forme ce chemin à
Royan , il fe trouve la même quantité de
toifes que les lieues Gauloifes donnent de
Blavutum à Novioregum , & de Novioregum
à Mediolanum . C'est ce qu'il falloit
prouver , & ce qu'Adrien de Valois n'a
fait que conjecturer en tombant dans une
méprife
Il prétend que Tamnum entre Blavutum
& Novioregum , eft Talmont : prétention
fans doute occafionnée par l'analogie
des mots , mais démentie par les
mefures. En effet , fi je réduis en toifes la
distance établie par l'Itinéraire entre Bla
vutum & Tamnum , je trouve 16 mille
pas , ou 18132 toifes : mais entre Blaye &
Talmont la diftance eft de 27300 toifes ,
l'excédent qui fe trouve ici d'une moitié
en fus , eft par conféquent trop fort pour
retrouver Tamnum dans le Talmont de nos
jours. On peut fuppofer avec quelque vraifemblance
, que ce lieu eft détruit , &
que fa pofition étoit à 3000 toifes en-deça
de Mortagne entre ce bourg & Cofnac, aux
environs de S. Difant du Gua , près d'un
village qui porte le nom de S. Tiers du
Taillon , lequel paſſe pour ancien , & poụ,
voit être voifin de Tamnum.
165 MERCURE DE FRANCE.
On me demandera peut- être les raifons
qui ont pu déterminer les Romains à
laiffer la ligne droite de Blaye à Saintes.
Je les ignore : mais s'il eft permis de
remplacer par le vraiſemblable le vrai qui
n'eft pas connu , j'entrevois dans le procédé
de ce peuple des motifs affez probables.
Par l'état de cette route fi différente de la
plupart de celles qu'ont ouvert les Romains
je foupçonnerois que ces derniers ont plutôt
fuivi la route pratiquée par les anciens
Gaulois qu'ils ne l'ont tracée eux- mêmes ;
qu'ils fe font contentés de la redreſſer dans
différentes parties plus mauvaifes , & d'y
faire des longueurs de chauffée dont on
retrouve encore quelques veftiges , enfin ,
qu'en élongeant les bords de la Gironde , les
Soldats trouvoient des Bourgs & des villes ;
car un pays voifin d'une grande riviere ou
de la mer , eft ordinairement peuplé. Ces
villes & ces bourgs procuroient aux troupes
des manfions , c'eſt- à- dire , des gîtes
& des logemens , tandis que les équipages
defcendoient ou montoient fuivant les
marées fur des batteaux.
Pour aller de Blayes à Saintes par la
ligne droite , il falloit ouvrir une nouvelle
route fur un terrein peu habité , &
dans lequel les Géographes anciens ne
NOVEMBRE . 1756. 167
ge ,
marquent ni bourg , ni lieu allez grand
pour fervir de logement aux gens de guerre.
Les établiſſemens qui fe trouvent aujourd'hui
dans cette partie de la Sainton-
Mirambeau , Plaffac , Pons ,
tels que
Lajard , font poftérieurs aux temps dont
nous parlons. Il étoit donc naturel que les
Romains priffent la route la plus longue
mais la plus commode ; d'ailleurs cette
route étoit bien plus aifée à former : elle
exiftoit déja , le pays étant habité ; il n'étoit
queftion que de l'affermir , & les matériaux
s'offroient à la main du travailleur.
Il y avoit plus de difficulté à vaincre en
décrivant la ligne droite des forêts à
abattre entre Blaye & Mirambeau , & entre
Plaffac & Saintés ; des pentes à adoucir
aux abords du Petit- Niort , de Mirambeau
, de Lajard ; des terres fortes à traverfer
entre Mirambeau & Saintes ; des
chauffées à établir fur ces terres , dont
quelques-unes font fondantes & argilleufes
; des pierres à voiturer au loin , &
toujours difficiles à trouver dans un pays
inconnu , où celles de bonne qualité font
fort rares telles font vraisemblablement
les raifons qui déciderent les Romains en
faveur de la voie Militaire le long de la
Garonne , c'eſt - à - dire de Blaye juſqu'à
Royan.
168 MERCURE DE FRANCE.
Cette partie de route depuis Bordeaux
jufqu'à Aunay une fois établie , nous conduira
naturellement à la connoiffance de
la fuite de la route Romaine entiere , indiquée
par l'Itinéraire depuis Burdigala ,
Bordeaux , jufqu'à Auguftodunum , Autun,
en paffant par Limonum que l'on eftime
être Poitiers , & Avaricum , Bourges .
La fuite au prochain Mercure,
ARTICLE
NOVEMBRE. 1756. 169
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQU E.
CÉlime , Ballet en un Acte , repréſenté
par l'Académie Royale de Mufique , le
28 Septembre 1756 ; dédié à M. le Comte
d'Argenfon , Miniftre & Secretaire d'Etat,
par M. le Chevalier d'Herbain , Auteur de
la Mufique.
Nous croyons qu'elle mérite l'eftime
des connoiffeurs , & qu'elle doit furtout
leur plaire , quand elle eft embellie
les fons & par l'art de Mlle Fel .
GRAVURE.
par
Madame l'Epicié vient de graver un
grand morceau d'après un tableau de M.
Carlo Vanloo , du Cabinet de M. de la
Live.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le fujet est une Affemblée de famille
pour un Contrat de Mariage . Le Peintre
y a diftribué fes lumieres dans le goût de
Reimbran , dont il a auffi imité le ton de
couleur : on voit par cet ouvrage que les
Artiſtes du premier ordre ne different pas
fi effentiellement entr'eux dans leur façon
d'opérer , qu'ils ne fe rapprochent à cet
égard quand ils le veulent , d'une maniere
à tromper les Connoiffeurs.
Cette Eftampe gravée de bon goût
rend fort bien les beautés du Deffein , &
la vigueur du Coloris du Tableau , & fait
en partie l'éloge de feu M. l'Epicié qui a
fçu nous laiffer un fecond lui - même en faifant
ainfi revivre fes talens après lui .
Cette Estampe qui eft exécutée de la
grandeur du Tableau , a pour titre : Contrat
de Mariage , & fe vend à Paris , chez
la veuve l'Epicié , au Louvre , & chez L.
Surugue , Graveur du Roi , rue des Noyers,
vis à - vis les murs de S. Yves.
Nous annonçons une nouvelle Eftampe
du fieur Fellard , intitulée les Bergers à la
Fontaine. Il l'a gravée d'après M. Boucher.
On ne peut trop le louer de s'attacher à
rendre la maniere de chaque Maître qu'il
copie ; on s'apperçoit tous les jours de
fes nouveaux progrès . Cette Eftampe fe
NOVEMBRE . 1756. 171
vend chez lui , rue S. Thomas du Louvre ,
ai fiqu'au Bureau du Mercure , rue fainte
Anne. Prix , 2 liv. 10 f.
PAPILLON , Graveur en bois , donne
avis que le Recueil de cette gravure , dit
des Papillons , où font les OEuvres de fes
ancêtres & les fiennes , qu'il a données au
Cabinet des Estampes à la Bibliotheque
du Roi en 1752 , comme on l'a pu voir
dans la foixante- fixieme feuille Périodique
des Annonces , Affiches , &c. de la
même année , est maintenant arrangé dans
un ordre plus intelligent qu'il n'étoit ;
qu'il eft augmenté de quatre à cinq cens
morceaux , dont quelqu'uns uniques , qui
n'y étoient pas , & le fera de jour en jour,
ayant foin d'y aller mettre tous les morceaux
qu'il peut faire. Le tout eft diftribué
dans trois volumes in folio maximo ,
toutes les pieces numérotées & relatives à
fon Traité de la Gravure en bois , & au
Mémoire de cet Art , qui paroîtra dans
l'Encyclopédie . Il y a même un Catalogue
qui en donne une courte & préciſe
explication.
Hij
174 MERCURE
DE FRANCE
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NOVEMBRE. 1756. 173 77
& des différentes parties qui les
ffent. Enfin l'on traitera dans ce
e la décoration intérieure , & l'on
ce fujet des développemnens & des
Pcapables de ramener le plus grand
is de nos Artiftes au bon goût de
Sture,au lieu qu'ils femblent avoir
ifqu'à préfent l'abus aux précepaodigalité
à la difcrétion , &une
Rae on déréglée à l'efprit de conve
ans lequel les productions les plus
e des d'ailleurs , ne peuvent plaire
jeme and iffeurs.
E.
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172 MERCURE
DE FRANCE.
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE
.
LES Cours publics de Théorie & de Pratique
fur l'Architecture , qui ont été interrompus
par les vacances, feront r'ouverts
le 14 Novembre 1756 ,
1756 , dans l'Ecole des
Arts , rue de la Harpe , par M. Blondel ,
Architecte du Roi , Directeur & Profeffeur
de cette Ecole .
Cours de Pratique.
Tous les Dimanches , depuis huit heures
du matin jufqu'à huit du foir , &
toutes les Fêtes ( à l'exception des folemnelles
) , depuis deux heures après - midi
jufqu'à fept , on continuera jufqu'au premier
Septembre 1757 , les exercices du
Deffein , utiles à tous les genres d'Ouvriers
du Bâtiment , & aux perfonnes qui
fe deſtinent aux Arts du goût.
Le , Novembre depuis trois heures juſqu'à
cinq , on infcrira ceux qui fe préfenterone
pour cet Exercice, mais au nombre de quatre
vingts feulement, à caufe des autres Leçons
Publiques qui fe donnent les mêmes
jours dans cette Ecole. On aura foin de
conferver les anciennes places à ceux qui
NOVEMBRE . 1756. 173
auront fait voir des progrès & de l'affiduité
dans les Cours précédens : on les
invite feulement d'avoir l'attention de fe
faire infcrire le 3 Novembre jour indiqué.
Tous les Dimanches matin , depuis neuf
heures jufqu'à onze , on continuera auffi
les leçons de Pratique qui ont pour objet
l'Art de profiler ; la connoiffance des Ordres
, & l'application de ceux - ci dans la
décoration extérieure & intérieure . L'on
y parlera de la proportion , de la forme &
de la richeffe des Soubaffemens , des Attiques
, des Portes , des Croifées , des Niches
, des Frontons , des Balustrades &
de la Partie du goût , qui affigne le choix
de la convenance & de la répartition des
ornemens dans l'Architecture . Enfuite , on
y traitera des différens gentes de conftruction
, tels que la Maçonnerie , la Charpenterie
, la Menuiferie , la Serrurerie , la
Couverture , le Pavé & les autres Parties
qui peuvent conduire à la connoiffance
pratique de l'Art de bâtir.
Les mêmes jours , depuis onze heures
du matin jufqu'à une heure après- midi ,
on continuera les Leçons de Géométrie
pratique , où l'on enfeignera le Calcul
Numérique relatif au Toifé du Bâtiment ,
les développemens des folides applicables
à la coupe des Pierres & des Bois , l'Art
-à
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
de lever les Plans , & les autres connoiffances
dans cette Partie qui peuvent conduire
l'Artifan au raifonnement de fa
profeffion .
Cours de Théorie.
Tous les Dimanches , depuis trois heures
après midi jufqu'à cinq , on continuera pour
les Artiftes unCours de Théorie furl'Architecture
, divifé en trois parties , où les Praticiens
d'une certaine capacité, feront admis .
La Partie qui regarde la décoration , ayant
fini la veille des vacances , on commencera
le 14 de ce mois , celle qui a pour
objet la diftribution . On y traitera d'abord
de la maniere de concevoir le proiet
d'un bâtiment , & de la néceffité de concilier
enſemble la diftribution des dedans
avec la décoration des dehors. Enfuite
on traitera de la difpofition , de la fituation
& de l'expofition des Bâtimens , relatives
à la fùreré , à l'utilité & à la magnificence
, en faisant des remarques intéreſfantes
fur les plus importans édifices qui
ornent cette Capitale & fes environs.
Après ces préliminaires , on traitera , d'une
maniere ftable & conftante , l'Art de dif-
- tribuer felon la convenance de chaque
Bâtiment , les Appartemens de parade , de
fociété & de commodité. L'on y parlera
auffi de la diftribution des Jardins de
pro-
K
NOVEMBRE . 1756. 175
preté , & des différentes parties qui les
embelliffent. Enfin l'on traitera dans ce
Cours de la décoration intérieure , & l'on
offrira à ce fujet des développemens & des
modeles capables de ramener le plus grand
nombre de nos Artiftes au bon goût de
l'Architecture, au lieu qu'ils femblent avoir
préféré jusqu'à préfent l'abus aux préceptes
, la prodigalité à la difcrétion , & une
imagination déréglée à l'efprit de conve
nance , fans lequel les productions les plus
ingénieufes d'ailleurs , ne peuvent plaire
aux connoiffeurs.
Les mêmes jours , depuis cinq heures
du foir jufqu'à fept , on donnera des
Leçons de Mathématique qui auront pour
objet la Théorie de cette fcience , & dans
lefquelles on enfeignera l'Alg bre , la
Géométrie , les Sections Coniques & les
Méchaniques.
Toutes les années , trois mois avant les
vacances , on donnera un Cours de Perf
pective à l'ufage des Arriftes qui auront
puifé dans les Leçons précédentes une notion
fuffifanre d'Architecture & de Mathématique
, relative à leurs différens genres
de talens.
Toutes les perfonnes qui fe préfente
ront pour les Leçons de Pratique , de neuf
& de onze heures du matin , ainfi que ceux
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
qui fe propofent de fuivre celles de trois
& de cinq heures après midi , feront admifes
fans fe faire infcrire , & l'on aura
l'attention , une heure avant & après chaque
Leçon , de leur offrir la communication
des Auteurs qui feront les plus utiles
à leurs befoins.
On annoncera au mois de Janvier prochain
, le jour qu'on ouvrira le quatrieme
& le dernier Cours Elémentaire fur l'Architecture
, deſtiné pour les Amateurs &
les Hommes en place. On n'en parle ici
que pour éviter le reproche qui nous a été
fait , qu'on avoit négligé dans les Cours
précédens , d'en avoir publié l'ouverture
quelque temps d'avance . On prépare pour
ce Cours Elémentaire , des développemens
& des modeles de différens genres qui ,
par leurs aſpects & les differtations qui
feront offertes , aideront à faire faifir avec
plus de clarté , les connoiffances de cet
Art , fi néceffaires à tous les hommes bien
nés , pour lesquels ces Cours en particulier
ont été ouverts les Jeudis & Samedis,
pendant l'espace de fix mois de chaque
année.
Les perfonnes qui fe propofent de fuivre
ce Cours , font priées d'envoyer fe
faire infcrire ; ce qu'ils pourront tous les
Lundis , jufqu'au trois de Janvier.
NOVEMBRE . 1756 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE Mercredi 20 Octobre & le Samedi
23 , les Comédiens François ont donné
Brutus , Tragédie de M. de Voltaire , dans
laquelle l'Acteur nouveau a repréfenté
Brutus. Son troifieme rôle de début fera
celui de Palamede dans Electre , qui a été
retardée par l'indifpofition de Mlle Clairon .
Il reçoit toujours du Public l'accueil favorable
que nous croyons qu'il mérite.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 11 du même mois , les Comédiens
Italiens ont donné la premiere repréfentation
de l'Imagination , Comédie en
un Acte en profe , avec un Divertiffement .
Elle eft de M. Duvaure , Auteur du Faux
Sçavant , qui l'a retirée pour y faire des
corrections. Le Spectateur impartial la
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
trouvée bien écrite , & plufieurs détails
ont été applaudis avec juftice. Si l'Auteur
la fait imprimer , nous croyons qu'elle ne
peut que gagner à la lecture.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , j'oſe me flatter que vous ne
vous refuferez pas à faire fçavoir au public
que le 24 Août le College de Vernon
fur Seine , a donné la repréſentation d'Athalie,
devant un grand nombre de perfonnes
diftinguées.
Pour éviter les inconvéniens qu'entraîne
après foi le traveftiffement des jeunes gens
en femmes , on s'eft conformé à l'ufage de
l'Univerfité de Paris. On a donné Athalie
fous le nom de Joas , reconnu Roi de Juda;
on a fubftitué à Aihalie Achibal , que l'on
fùppofe frere de cette Reine homicide , &
ufurpateur du thrône de Juda ; on a remplacé
auffi le perfonnage de Jofaber par
celui de Jahiel , oncle maternel du Roi lé .
gitime . La mort du Tyran termine la piece,
dont le fonds & l'intérêt ne font altérés en
aucune maniere .
A la fuite de la Tragédie on a donné le
Voluptueux dérompé , petite Comédie tra
NOVEMBRE. 1756.
179
duite du Latin , du feu P. Porée , avee
danfes & ballets . Le théâtre étoit orné de
très-belles décorations .
Les jeunes Acteurs ont fatisfait l'affemblée
en rendant leurs rôles avec l'expreffion
convenable : ils en doivent témoigner leur
reconnoiffance
à M. Fromant , récemment
nommé au Principalat par M. le Maréchal
de Belle-Ifle , place que fon mérite
feul a follicité. Il commence déja à fignaler
fon zele , ayant pris la peine fatiguante
d'exercer les jeunes gens , & bientôt il juf
tifiera le choix que ce Seigneur a fait de fa
perfonne par l'exécution de fon projet fur
l'inftruction de la jeuneffe , en faisant aller
de pair la Langue Latine & la Langue
Françoife , & mariant , pour ainfi dire ,
l'une avec l'autre. M. Fromant vient de fe
faire connoître au public par des Réflexion's
fur les fondemens de l'art de parler , &fur
la grammaire générale & raisonnée de P. R.
dont Prault fils , Libraire , quai de Conti ,
a donné une nouvelle édition . Il fuffit de
dire , à la louange du nouveau Principal ,
qu'il eft en relation avec M. Duclos , de
Académie Françoife , & qu'il étoit lié
très -étroitement avec M. du Marfaix.
Je fuis , Monfieur , & c.
AVernon, ce 25 doût , 1756.
DL vj
180 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. de Boiffy , fur la Déclamation
notée.
N'êtes vous point furpris , Monfieur ;
que dans un fiecle où l'efprit s'eft attaché
à des recherches de tout genre , perfonne
n'ait encore penfé à faire revivre l'ufage
de la déclamation notée , ou du moins à
l'exécuter . On fçait, & les Auteurs furtout,
que la déclamation eft aux pieces de théâtre
ce que le coloris eft dans la peinture :
mais il est peu de Rubens dramatiques. La
déclamation notée feroit donc néceffaire
& elle auroit des avantages qui paroîtroient
d'un grand prix à ceux qui ont du goût. Je
les réduis à trois.
Le premier , de conferver à la poſtérité
la maniere des grands Acteurs : j'entends
celle dont ils ont penfé , celle dont ils ont
rendu les beautés qui nous affectent le plus.
Le fecond, de mettre les Auteurs mêmes
en état de fentir le genre d'expreffion que
la déclamation peut ajouter à la leur, & les
fecours qu'ils en peuvent tirer ; de leur ouvrir
de nouvelles idées , & les moyens de
faire paffer dans l'ame d'un Acteur tout
leur génie & toute leur verve , à l'imitation
des Auteurs Grecs & Romains , qui
notcient eux- mêmes la déclamation , afin
NOVEMBRE. 1756. 181
que l'Acteur faififfe mieux l'efprit de leurs
grands tableaux : car dans le feu de la compofition
, dans ce moment précieux où
l'ame s'attache à un objet , & s'agite pour
le peindre , les premieres images qu'elle
produit ont plus de force & de vérité
& c'eft dans ce moment feul que le vrai
ton des paffions fe préfente à elle.
Le troifieme enfin , pour former les jeunes
Acteurs, & les foulager du travail fou
vent infructueux , d'effayer beaucoup de
tons , pour trouver celui qui eft propre à
chaque image. Cette pénible recherche ,
dont ils n'ont aucune regle , où ils n'ont
aucun guide , arrête leurs progrès , met de
la gêne & du froid dans leur action , &
les conduit au découragement ou à une
monotonie faftidieufe. Au contraire , avec
le fecours de la déclamation notée , ils apprendroient
à éviter les contre- fens , &
ils pourroient corriger la froideur de l'imi
tation par les graces de leur naturel &
le feu de leur propre génie , de même que
les Acteurs en mufique ajoutent à la beauté
du chant l'expreffion qu'ils tirent de leur
propre fonds. Quel eft l'homme de goût ,
l'Auteur même d'une piece de mufique ,
exécutée par un J... Ch... un Be... une F...
qui ne fente pas ce que chacun de ces
grands Muficiens y met du fien , puifqu'ils
donnent fouvent du tour & de l'ame aux
182 MERCURE DE FRANCE.
chofes les plus communes ? Le plus infipide
vaudeville , lorfqu'il eft chanté par Mlle
Favart, ne prend- il pas les graces les plus
piquantes ?
Par le fecours de la déclamation notée ,
on auroit au moins dans les provinces qui
ne font pas à portée des grands modeles ,
des Acteurs fupportables , puifqu'ils rendroient
plus ou moins mal les tons excellens
des bons Comédiens de Paris.
Cette entrepriſe feroit digne du grand
Rameau , qui deviendroit parmi nous créa
teur de ce genre de mufique , & qui mériteroit
de notre théâtre une reconnoiffance
éternelle. Aidé par nos grands Acteurs , il
joindroit aux moyens de faire connoître
les tons , d'autres fignes pour exprimer les
attitudes & l'action des bras & des mains.
Après avoir établi quelques regles générales
fur cette déclamation muette , les défauts
des Acteurs de Province font de
n'avoir pas affez d'arrondiffement dans les
bras , de mettre trop de roideur dans leurs
mouvemens , d'avoir les doigts trop alongés
, peu de flexibilité dans les mains &
de l'embarras dans tout leur maintien.
Combien n'a - t'on pas à regretter d'avoir
perdu le feu d'une Champmeflé , les gra
ces & la nobleffe de Baron , l'art admirable
d'une le Couvreur , le fel & l'enjouement
de la Torilliere & de Poiffon ? Acteurs qui
NOVEMBRE . 1756. 183
ne devoient rien à l'imitation , mais que
la nature & la réflexion avoient formés !
Ne fera- t'il pas encore plus à regretter de
perdre la maniere des excellens Acteurs de
nos jours ? Ils revivroient par le fecours
de la Déclamation notée qui tranfmettroit
à la postérité la force ou les graces de leur
expreffion, ainfi que le goût de notre fiecle ?
Ce feroit fur de femblables modeles
comparés dans leur différente maniere de
peindre les paffions par les tons qu'ils y
emploient , que l'on fixeroit les véritables
fons ; & des notes , celles de la mufique
même rendroient ces fons à nos yeux . Les
rondes , les blanches , les croches fimples &
doubles , ferviroient à ralentir ou à précipiter
les fyllabes felon les images . Les foupirs
employés dans la mufique défigneroient
auffi les filences qui font un grand
effet dans la déclamation lorſqu'ils font
bien ménagés , mais qu'on néglige trop.
Lorfque cet Art feroit plus connu , chaque
Acteur du nombre de ceux qui excellent
pourroit donner au Public la Déclamation
notée d'une Piece entiere : il en résulteroit
autant d'utilité & de plaifir que de la compofition
de plufieurs Muficiens qui s'exercent
fur le même fujet : on compareroit ce
qu'ils ont penfé fur la maniere de rendre
Les plus beaux traits de nos Pieces drama184
MERCURE DE FRANCE.
tiques ; & fi les autres Nations vouloient
nous imiter en ce point , on en tireroit l'urilité
non feulement de connoître leur maniere
de fentir & d'exprimer par les fons ,
mais encore celle de parler leur langue
avec les inflexions qui lui font propres ; ce
qui a toujours échappé à ceux qui étudient
les Langues.
Mais l'art de la Déclamation notée ne
feroit pas bornée au Théâtre feul. Il ferviroit
à la Chaire , au Barreau , & à tous ceux
qui font obligés de parler en public. Combien
d'Orateurs dans tous ces genres , n'en
auroient- ils befoin
pas pour donner plus
de décence , de nobleſſe & de graces , ou
plus de force & de majefté à leurs difcours !
& fi leur objet principal eft de perfuader
ou de toucher , peuvent- il efpérer d'y atteindre
, par des tons qui détournent du
fens de leurs penfées , en énervent la force
, en éteignent le feu , & fouvent aviliffent
les images qu'ils veulent offrir ?
La matiere de cette Lettre feroit le fujer
d'une Differtation affez longue , où pourtant
l'on ne trouveroit rien de trop ; mais
il fuffit de mettre les efprits d'une Nation
comme la nôtre fur les traces d'un objet.
J'ai l'honneur d'être , &c.
PAUL STUC , Muficien , Serpent de la
Cathédrale de la Rochelle.
j
NOVEMBRE . 1756. 185
ARTICLE VI
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE PETERSBOURG , le 17 Septembre.
Sur la nouvelle des hoftilités commiſes par le
Roi de Pruffe dans la Saxe , & de l'invaſion dont
ce Prince menace la Boheme , l'Impératrice a ordonné
d'affembler dans la Livonie un Corps con→
fidérable de troupes , deftiné à fecourir l'impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme , & le Roi
de Pologne Electeur de Saxe. Le Feld -Maréchal
Apraxin aura le commandement de cette armée.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 25 Septembre.
On a fait pendant trois jours dans toutes les
Eglifes , des prieres publiques pour la profpérité
des Amesde l'Impératrice keine. Cette Princeffe
a ordonné que les Chambres de fes Finances fourniffent
sing kieutzers par jour pour chacun des
garçons , depuis l'age de huit ans jufqu'à feize ,
qui doivent être transférés de Boheme en Autriche.
Ceux depuis feize ans jufqu'à quarante- cinq ,
formeront un Corps de Milices. Ils auront fept
kreutzers de paie par jour , & on leur donnera
186 MERCURE DE FRANCE.
un uniforme. Lorfque la tranquillité ſera rendue
à l'Allemagne , on les renverra chez eux .
DE PRESBOURG , le 26 Septembre.
En attendant les réfolutions que les Etats de
Hongrie prendront pour fournir à l'Impératrice
Reine les fecours néceffaires dans la conjoncture
préfente , plufieurs Seigneurs ont fait éclater d'avance
le zele dont ils font animés. La Maiſon
d'Efterhafi a donné l'exemple , & elle a offert la
premiere de lever à fes dépens un Régiment.
Quelques autres des Maifons les plus confidérables
de ce Royaume ont fait la même offre . Elles
ont été imitées par divers Evêques & riches Bénéficiers.
Du Quartier Général du Prince Picolemini à
Spalena-Lhotka , le 29 Septembre 1756 .
Le Baron de Buccow , Lieutenant - Feld- Maréchal
, qui étoit en avant pour obferver les monvemens
du Feld- Maréchal de Schwerin , ayant
appris que ce Général s'avançoit en forces , fe
replia fur Slavietin , enfuite à Oberb'eff , & le
21 il fe pofta derriere le pont de Schmirlitz. Le
22 il détacha le Baron Lufinski , Colonel Commandant
du Régiment de Feftetitz , avec quatre
cens Dragons des Régimens de Bathiani & de
Collowrath , & cent cinquante Huffards pour inquiéter
les ennemis. A la pointe du jour , le
Baron Lufinsky découvrit quelques E'cadrons
Pruffiens. Il les fit attaquer par fes Huffards. Les
Dragons de Bathiani & de Collowrath , fans attendre
l'ordre , donnerent de leur côté avec fureur.
Les Escadrons ennemis furent culbutés . Leur
perte monte à trois cens hommes , & on leur a
NOVEMBRE . 1756. 187
fait plufieurs prifonniers . Du côté des Autrichiens,
il eft reſté cent vingt Dragons ou Huffards fur le
champ de bataille. Aujourd'hui les troupes du
-Feld - Maréchal de Schwerin ont fait un grand
fourrage. Le Régiment de Bethléem entra hier
dans notre camp.
DE RATISBONNE , le 7 Octobre.
Voici l'Extrait du Refcrit que l'Empereur a addreffé
au Roi de Pruffe. « Nous François , par la
» grace de Dieu , Empereur des Romains , &c.
» Non feulement il eft notoire à tout l'Empire ,
mais il nous a été repréſenté par S. M. le Roi
» de Pologne Electeur de Saxe , que V. M. Electeur
» de Brandebourg étoit tombée hoftilement , par
» deux endroits , fur les Etats Electoraux de Saxe
avec une armée d'environ foixante mille hom-
» mes ; qu'Elle s'étoit emparée de la plus grande
partie de ces Etats ; que dès que vos troupes y
» furent entrées , elles commencerent par exiger
> du pays une quantité de livraiſons , qui alloit
beaucoup au-delà de fes facultés ; qu'on enleva
» aux Sujets leur bétail , leurs chevaux & leurs Va-
>>lets : qu'on s'empara de Léipfick , ainfi que des
> autres Villes ; qu'on faifit & dépouilla toutes les
caifles; qu'il fut défendu , fous peine de la vie ,
» à tous les Caifliers , Confeillers de Ville ,
» Marchands & autres Sujets , de rien payer dé-
»formais à l'Electeur de Saxe , & qu'ils eurent
>>ordre de remettre à Votre Majefté toutes les rentes
, accifes , tailles , & autres impôts du pays.
» que V. M. a fait prifonniers tous les Militaires
ɔɔde l'Electorat , qui font tombés en votre puif-
» fance ; & que même , contre le droit des gens ,
won a retenu plufieurs jours , comme tel , le
ISS MERCURE DE FRANCE.
» Général Méager que l'Electeur fon Maître avoi
envoyé vers vous avec des lettres : enfin que de
»telles hoftilités ont obligé le Roi de Pologne :
Electeur de Saxe , d'abandonner ſa réfidence ce
»Drefde , & d'aller chercher avec les troupes un
»azyle , qui pût affurer fa liberté d'Etat de l'Emmpire.
De plus, la Déclaration que V. M. a fait
»publier à Berlin , ne nous a pas permis d'igno-
»rer, que fes grands préparatifs de guerre étoient
deftinés contre les Etats Royaux & Electoraнx
» de Boheme , & qu'Elle alloit envahir encore
» d'autres Provinces de l'Empire . V. M. doit
>> reconnoître d'Elle - même que des vexations
>>auffi inouis contre l'Electorat de Saxe , les vio-
»lences & les pillages de vos troupes , leurs mena-
Dces de ravager tout par le fer & par le feu , la
» marche annoncée contre d'autres Etars , font
directement oppofées aux Loix de l'Empire. Ces
»entrepriſes bleffant notre autorité Impériale & la
»dignité de l'Empire , & renverfant toute la Confwtitution
du Corps Germanique , Nous nous
voyons indifpenfablement obligés , en vertu de
»notre Office Impérial , de remplir ce qu'exigent
» de nous l'adminiſtration de l'autorité qui nous
»a été confiée ; les Libertés de l'Allemagne ; la
> fûreté commune de tous les Etats de l'Empire ;
>>la tranquillité publique ; & les fermens folem-
»nels que nous avons faits d'obferver notre Ca-
»pitulation Impériale. A ces Cauſes , & par la
»plénitude de notre Pouvoir , nous commandons
très-férieufement à Votre Majefté , de faire ceffer
>> incontinent toutes violences contraires au repos
»public , & de renoncer à toute invaſion dans l'E-
>>lectorat de Saxe & dans d'autres pays de l'Allemagne.
Nous vous enjoignons de retirer vos
troupes fans aucun délai , & de ceffer des armeNOVEMBRE
. 1756. 189
X
mens dangereux pour la fûreté générale de l'Em-
» pire ; de réparer tous les dommages commis
» de reftituer ce qui a été pris ; & de nous infor-
» mer de l'exactitude avec laquelle vous aurez exécuté
ces ordres. Donné à Vienne , le 13 Septem
» bre 17:56. ”
Le Décret envoyé à la Diete par l'Empereur ,
n'eft pas conçu dans des termes moins forts . Il finit
ainfi . « Comme il ne faut rien négliger pour
>> arrêter le cours du défordre , & que le preflant
» danger où le trouve l'Electeur de Saxe , exige
>> une très prompte affiftance , on rappelle tous les
Habitans ou Naturels de l'Empire , qui font em,
» ployés au fervice & à la préfente expédition du
» Roi de Pruffe Electeur de Brandebourg. On re-
» commande auffi à tous les Cercles de l'Empire
de fecourir promptement la Paitie fouffrante
»comme il eft de leur devoir , & de ne pas per-
»mettre que dans leurs Diftricts il foit fait aucunes
levées pour l'Aggreffeur. S. M. Impériale ne
doute pas que ces Cercles ne voient d'eux mê-
» mes le péril qui menace chaque Etat en parti-
> culier & tout l'Empire en général. Certainement
»ils prévoient les maux qui réfulteroient d'un
bouleverſement total du Corps Germanique . Ils
»conçoivent qu'après la ruine des principaux
Etats , il ne refteroit aux autres que d'éprouver
»le même fort ; & que , l'occaſion le préfentant
Oppreffeur ne manqueroit pas de leur ravir
leurs Poffeffions , leurs Droits , leurs Libertés ,
& ( ce que les Membres de l'Empire ont de plus
»précieux ) , leur indépendance de leurs Co -Etats.
Ainfi S. M Impériale eft perfuadée que , fur des
>conſidérations fi importantes , ils fecoureront
de tout leur pouvoir l'Etat qui a été le premier
Denvahi, afin de prévenir le malheur de l'être eux190
MERCURE DE FRANCE.
» mêmes dans la fuite . Cependant comme d'un côré
les arrangemens concernant ce lecours exi-
» gent une nouvelle Ordonnance de l'Empire , &
» que de l'autre il est néceffaire de prendre des mefures
pour mettre déformais l'Allemagne en fû-
» reté , S. M. Imp. n'a pas voulu différer d'expo-
»fer , ainfi qu'Elle fait par la Préfente , aux Elec-
>> teurs , Princes & Etats , le danger éminent dont
>>l'Empire eft menacé , & ce qu'Elle a fair pour
mécarter l'orage. Elle leur déclare en même temps,
qu'elle défire d'eux qu'ils fe réuniffent inceffa
ment pour contribuer aux fecours qui doivent
Dêtre fournis , & qu'ils faffent part de leur délibé-
>> ration à S. M. Imp. , afin qu'on prenne de con-
» cert une réfolution ferme & Patriotique . Signé à
Vienne , le 14 Septembre 1756. »
la
Dans une nouvelle Déclaration qui paroît de
part du Roi de Pruffe , il eft dit : Que l'état de
profpérité , où la Maifon Electorale de Brandebourg
fe trouve depuis le commencement de ce
fiecle , & le zele de cette Maifon pour le maintien
des droits de l'Empire, & pour l'intérêt de la cauſe
Proteftante , ont excité contre S. M. Pruffienne
les vues de la Cour de Vienne , & ont animé cette
Cour à former des entreprifes pour l'affoiblir ;
que la Cour de Drefde n'a pu diffimuler non plus
fa façon de penfer à cet égard , & les fentimens
de haine qu'elle portoit à S. M. Pruffienne ; que
ces difpofitions des deux Cours ont produit entre
elles un concert de mefures qui tendoient à l'écrafer
, Elle & fa Maiſon Electorale , ou du moins
à la mettre dans un état de médiocrité , qui la
réduisit au rang des Electeurs les moins puiffans
de l'Empire ; qu'on s'étoit proposé de parvenir à
ce but , en commençant par la dépouiller des
acquifitions dont la divine Providence a couronné
NOVEMBRE . 1756 . 191
fon zele pour la gloire & les véritables intérêts
du Corps Germanique . Le Baron de Plotho , Miaiftre
du Roi de Pruffe à la Diete , en remettant
cette Déclaration aux autres Miniftres qui compofent
cette affemblée , a ajouté : « Que comme
on avoit mis le Roi fon Maître dans la néceffité
de ne plus ufer de ménagemens fur les découvertes
qu'il a faites au fujet des intentions des
> Cours de Vienne & de Drefde , S. M. Pruf-
>fienne ne tarderoit pas à mettre au jour les
preuves qu'Elle avoit en main du projet médité
par ces deux Cours pour la fubverfion de la
Maifon Electorale de Brandebourg , & pour
lui faire fubir le joug qui menaçoit en même
temps le reste de l'Empire. »
DE DRESDE , le 4 Octobre.
On reçut avant-hier la nouvelle de la bataille
qui s'eft donnée le premier de ce mois dans la
plaine de Welmina , entre l'armée Autrichienne
commandée par le Feld - Maréchal de Browne , &
celle à la tête de laquelle eft le Roi de Pruffe.
Les troupes de part & d'autre ont combattu avec
une valeur extraordinaire , & l'action a été des
plus fanglantes. Diverfes lettres font monter la
perte des Pruffiens au double de celle des Autri➡
chiens. Les premiers ont commandé quatre cens
charriots , & enlevé de tous côtés des chevaux
pour conduire ici leurs bleffés . Entre les Officiers
de marque qui ont été tués dans l'armée du Roi
de Pruffe , on compte les Généraux de Kleift &
de Forcade , & les ieurs de Luderitz , d'Oertz , de
Driefen & de Quadt , Majors Généraux. La nuit
qui a fuivi l'action , chacune des deux armées a
couché fur le terrein qu'elle occupoit avant le
192 MERCURE DE FRANCE.
combat. Le lendemain , les Pruffiens font revenus
àleur camp près d'Auffig. Le Roi de Prufle s'attribuant
, ainfi que les Autrichiens , l'avantage de
la bataille , fit chanter avant- hier le Te Deum
dans ce camp , au bruit d'une triple falve d'artillerie
& de moufqueterie. Ce Prince fe rendit le
même jour à Gros- Sedlitz , où eft le principal
quartier des troupes qui bloquent le camp de
Pirna. Sa Majefté Prullienne a ordonné de lever
vingt-deux mille hommes de recrues dans cet
Electorat , & tout le pays fe trouve dans un tel
épuifement , que plufieurs Payfans prennent volontairement
le parti du fervice . L'armée Saxonne
a reçu de Boheme par l'Elbe un convoi de vivres.
Le fieur de Groffe , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Impératrice de Ruffie , communiqua le 23 du
mois dernier aux Miniftres Etrangers qui font en
cette Ville , une Déclaration datée du 4 , & portant
en ſubſtance : « Que comme S. M. Impériale
»de Ruffie dans les préparatifs qu'Elle avoit or
»donné de faire au printemps dernier , n'avoit eu
»pour but que de fe mettre en état de remplir fes
Dengagemens avec les Alliés , fuppofé que quel-
» qu'un d'eux fût attaqué , ces préparatifs de terre
& de mer avoient été fufpendus , auffi- tôt qu'on
avoit pu ſe flatter , que ce cas n'exifteroit pas de
»quelques temps , afin que tout l'Univers pût
Dêtre convaincu que S. M. Imp . Cz. étoit auffi
néloignée de mettre l'Europe en allarme fans une
»néceffité extrême , qu'Elle étoit difpofée à fe-
» courir fes Alliés , lorſqu'ils étoient menacés d'at
taque . Que loin de reconnoître les fentimens de
wcette Princeffe à cet égard , le Roi de Pruffe ,
quoiqu'il fût demeuré tranquille pendant les
»préparatifs de la Ruffie , & même quelque temps
après qu'on les eût ceffés , avoit commencé à
»faire
NOVEMBRE . 1756. 193
faire tout d'un coup de fi puiffans armemens ,
qu'ils avoient donné lieu d'appréhender que le
feu d'une guerre n'éclatât inceffamment . Que
» cependant , pour ne pas multiplier les craintes ,
» & ne pas fournir à S. M. Pr. un prétexte appa-
>> rent de troubler la tranquillité publique, la Ruffie
s'étoit abftenue de faire aucun nouveau mouve-
» ment , dans l'efperance que le Roi de Pruffe ,
imitant cet exemple , ne voudroit pas être auteur
» de la renaiffance des troubles . Mais que ce Prin-
>> ce ayant continué d'armer de toutes les forces ,
» fans le moindre relâche , & fans en alléguer
d'autre raiſon que l'idée qu'il s'étoit formée
» d'avoir une attaque à craindre , il avoit parlà
» donné fuffisamment à connoître qu'il ne cher-
>> choit qu'un prétexte pour troubler le repos de
» l'Europe. Qu'il eft conftant en effet , que lorfque
le Roi de Pruffe a preffé fes armemens avec
» le plus d'ardeur , ceux de la Ruſſie avoient ceffé
» depuis longtems , & que ceux de l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme n'ont commencé,
que lorfque les mouvemens fucceffifs
>>des Pruffiens & l'augmentation de leurs forces
» ont donné lieu de craindre pour la Boheme
»& pour la Moravie , d'autant plus qu'on n'igno-
»roit pas le mécontentement que le Roi de Pruffe
» avoit conçu de la conclufion du Traité de Ver
failles , quoique ce Prince , en concluant celui
qu'il a fait avec la Grande-Bretagne , n'eût
guere paru fe metre en peine de ce qu'on pour-
»roit en penfer à la Cour de Vienne. Qu'il eft
» donc évident , comme il le paroît à S. M. Imp.
» Cz. , que le Roi de Pruffe doit être confidéré
>>comme le premier auteur des troubles qui vone
»éclorre , quoiqu'il ait affecté de publier qu'il
n'avoit pris toutes ces mesures que pour fe
IS
194 MERCURE DE FRANCE.
»défendre contre fes ennemis , lefquels n'ont
»exifté que dans la fuppofition qu'il en a faite .
Que c'eft néanmoins fur cette fuppofition qu'il
» s'eft cru en droit de faire demander à l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme une
explication , de même que fur les préparatifs
»de cette Princeffe , en ajoutant à cette demande
que fi la réponſe n'étoit pas à fon gré , il protef-
»toit devant Dieu qu'il ne feroit pas refponfable
des fuites qui en réfulteroient. Qu'attendu tou
»tes ces circonftances , l'Impératrice de Ruffie ne
peut cacher plus long - temps les véritables fentimens
dont Elle eft remplie à cet égard , ni
s'empêcher de déclarer , que comme Elle ne
»peut regarder d'un oeil indifférent toute invafion
» qui feroit faite dans les Etats de fes Alliés , par-
»ticuliérement dans les Etats de l'Impératrice
»Reine de Hongrie , & dans les Etats Electoraux
» de Saxe , Elle fournira un prompt & puiſſant
fecours à la Puiffance injuftement attaquée , &
qu'Elle ne fe croira nullement reſponſable des
»fuites que la conduite préfente & menaçante du
Roi de Pruffe entraînera après elle. »>
D
DE BERLIN , le 6 Octobre.
Le 3 de ce mois au matin , le fieur d'Oppen ,
Aide de Camp du Roi , arriva de Boheme , précédé
de quatorze Poftillons fonnant du Cor . Cet Officier
a remis aux deux Reines des lettres , par
lefquelles Sa Majefté informe ces Princeffes des
principaux détails de la bataille du premier de
ce mois. Le Prince François de Brunfwic vient
d'être fait Major Général .
Cette Cour a fait affurer les Puiffances , dont
les Sujets ont des fonds dans la Steur , qu'ils
NOVEMBRE. 1756. 195
recevront le paiement de leurs arrérages aux
termes de l'échéance , fans qu'il foit rien changé
aux arrangemens pris à cet égard . Sa Majefté
a fait donner en particulier les plus fortes affurances
fur cet article aux Etats Generaux des Provinces-
Unies.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 12 Octobre.
Nous avons appris , par un Paquebot que le
Général London a expédié de la Nouvelle Yorck ,
la fàcheufe nouvelle , que les François , ayant affiégé
dans le mois d'Août le Fort d'Ofwego , s'en
font rendus maîtres , après quelques jours d'une vigoureuſe
réſiſtance. Ce Fort eft fitué fur le Lac Ontario.
La Nation n'en poffede point d'autre dans
ces cantons. Ses établiſſemens vont fe trouver déformais
fort éloignés des Lacs ; & cette perte eft
regardée avec railon comme une des plus intéreſ
fantes qu'elle pût faire , tant pour fon commerce,
que relativement aux entrepriſes projettées contre
les François. L'Amiral Norris , avec les quatre
Vaiffeaux de guerre dont il a le commandement
eft arrivé à Plymouth.
Le Knès Gallitzin , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Impératrice de Ruffie , a déclaré , dit- on , au
Miniftere , que cette Princeffe ne pouvoit fe dif
penfer de fournir à l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Boheme les fecours ftipulés par les Traités
, qui fubfiftent entre les deux Puiances . On
prétend que le Parlement accordera pour l'année
prochaine un Subfide de onze millions fterlings.
Le Gouvernement a commencé de prendre à l'Echiquier
un emprunt de cinq cens mille livres
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fterlings , à raifon de trois & demi pour cent
d'intérêt,
Si l'on en croit le bruit public , Sa Majefté
a fait payer par le Tréfor de fon Electorat de
Hanovre un million de livres fterlings au Roi
de Pruffe , afin de mettre ce Prince en état de
fuivre le plan concerté entre les deux Puiffances
pour parvenir à l'exécution de leurs vues reſpectives
. Les fommes que cette Cour & celle de Berlin
avoient à répéter l'une fur l'autre , font entièrement
liquidées . On affure que fi les Etats de
Roi en Allemagne font attaqués , Sa Majefté
fera d'abord la réquifition formelle du Corps de
cinquante cinq mille hommes , que l'Impératrice
de Ruffic s'eft engagée par le Traité de l'année
derniere , de faire paffer à la folde de la Grande-
Bretagne.
PAYS- BAS.
DE LA HAYE , le 8 Octobre.
Le fieur de Kauderbach , Miniftre Réſident da
Roi de Pologne Electeur de Saxe auprès des
Etats Généraux , leur a préfenté le 30 du mos
dernier le Mémoire fuivant .
« L'Invafion de l'Electorat de Saxe par les trou
»pes Pruffiennes eft un de ces attentats contre les
Loix refpectables des Nations , qui réclame de
»lui-même les fecours de toutes les Puiffances in
téreflées à conferver leur liberté & leur indépen-
>> dance.
» Le Roi , mon augufte Maître , a vu fes Etats
Héréditaires envahis dans le fein de la paix la
plus profonde , quoique S. M. ait évité avec
foin toutes les démarches qui auroient pa don
L
NOVEMBRE
. 1756.
197 . »ner la moindre ombre d'inquiétude
à fes voifins." » Dès les premieres
lueurs de méfintelligence >>entre les Cours de Vienne & de Berlin , S. M. a enjoint expreffément
à fes Miniftres d'annoncer
a toutes les Cours de L'Europe , qu'Elle étoit
d'ob-"
»refolue , dans les conjectures
préfentes , d'oc
»Terver la plus exacte neutralité. 251
297708
» Le fimple expofe des faits fuffira , pour dé- montrer à Vos Hautes Puiffances
, à quels ex- »ces on s'eft porté contre les Etats Héréditaires
du Roi , & de quelle importance
il eft pour tou- tes les Puiflances
d'arrêter un torrent , qui peut » les entraîner
elles- mêmes dans fa courfe . » Sa Majefté , fur le compte que je lui ai rendu »des premieres
impreffions
qu'a faites dans l'Etat »de V. H, P. l'entrée hoftile du Roi de Pruffe dans »fon Electorat , a reconny avec fenfibilité les fen- ntimens de l'ancienne
& conftante
amitié , qui
»lie le Roi avec votre République
. » Vous repréfenter
, Hauts & Puiffans
Seiun
Etat libre , tranquille
& neutre , en- »gneurs , yahi par un ennemi qui fe couvre des dehors de »l'amitié
, qui fans alléguer
le moindre
grief & la moindre
prétention
, mais fondé uniquement »fur la convenance
, s'empare
à main armée da toutes les Villes , & même de la Capitale
, dé- mande
les Places fortes comme Wittemberg
,
>>en fortifie d'autres comme Torgau , ce n'eft que »crayonner
foiblement
l'oppreffion
fous laquelle »gémiffent
les fideles Sujets de Sa Majefte, Les »Bourgeois
défarmés
, les Magiftrats
enlevés pour » fervir de garans des contributions
injuftes & enor- mes en vivres & en fourrages
, les caifles faifies » les revenus
de l'Electorat
confifqués
, les Arfe-
»naux de Drefde, de Léipfick, de Weiffenfels
& de »Zeitz , forcés, l'artillerie
& les armes pillées &
tij
198 MERCURE DE FRANCE.
tranfportées à Magdebourg , tous ces procédés
n'étoient qu'un préliminaire des traitemens
inouis qu'alloit effuyer une Reine , que les vertus
devoient rendre refpectable à fes ennemis
»mêmes. C'eſt d'entre les bras facrés de certe
Augufte Princeffe , qu'ont été enlevées avec
»menace & violence les Archives de l'Etat
malgré la fécurité fous laquelle S. M. croyoit
pouvoir vivre à l'abri des Loix divines & humaines
, & malgré les affurances réitérées qui lui
»avoient été données de la part du Roi de Pruffe ,
»que non feulement fa perfonne & fa réfidence
feroient en fûreté , mais même que la Garniſon
Pruffienne feroit fous fes ordres.
Cette Augufte & tendre Mère de fes fideles
» Sujets , reftés à Dreſde par un facrifice qu'Elle
»faifoit au bonheur des Saxons , comptoit du ſein
»du tumulte régir en fécurité les Etats de fon Augufte
Epoux ; que des foins également impor
tans avoient fait voler à la tête de fon armée ,
pour défendre fon honneur outragé , & rendre
au zele & à l'amour de fes peuples , ce qu'ils
Davoient lieu d'attendre de la valeur & de la fermeté
d'un Prince fi magnanime. Cette Princeffe
❤a vu ôter toute activité au Conſeil Privé , & fubftituer
au légitime Gouvernement un Directoire
arbitraire , qui ne connoît d'autre droit que fa
propre volonté.
Tels font , Hauts & Puiffans Seigneurs , les
premiers exploits d'un Prince , qui annonce
qu'il n'entreprend la guerre uniquement que
pour la défenfe de la liberté du Corps Germanique
, & pour la protection de la Religion Proteftante
, à laquelle il porte un coup d'autant
plus funefte , qu'il commence par écraſer ce même
Etat à qui cette Religion doit ſon établife,
10
1
1
။
NOVEMBRE. 1756: 199
>>ment & la confervation de fes droits les plus précieux
, en même temps qu'il enfreint toutes les
Loix refpectables , qui font l'union du Corps
Germanique , fous prétexte d'une défenfe , dontl'Empire
n'a befoin que contre lui -même.
Un Traité folemnel de Neutralité , offert par
»Sa Majefté , toutes les fûretés compatibles avec fa
>>fouveraineté , n'ont pu arrêter les projets formés
d'envahir & d'écrafer la Saxe. Le Roi , retiré
» dans ſon camp , n'a dû conſulter que fon honneur
& le zele de fes Sujets , pour rejetter , comme
elles le méritoient , les propofitions énor-
>>mes & inouies qu'on lui a faites , d'abandonner"
»durant cette guerre au Roi de Pruffe l'adminiftra-
»tion de ſes États & le commandement de fon ar
» mée.
» La cauſe de la Saxe eft commune à toutes les
Puiffances , puifque fon fort leur annonce celui '
» qu'elles doivent s'attendre d'éprouver , dès que
le Droit de Gens & la foi des Traités ne font plus
wun frein refpecté .
» Vos Hautes Puiffances verront , par la Copie
ci- jointe de la Déclaration que le Roi a fait publier
dans fon camp , que le Roi de Prufſe , en
» proteftant de n'être entré que comme ami en
» Saxe , n'exige pas moins que l'entier facrifice de
cet Electorat que fes prétentions énormes ont
wobligé Sa Majefté de déclarer à ce Prince
squ'Elle eft réfolue de défendre la jufte caufe jufqu'à
la derniere goutte de fon fang , plutôt que
d'accepter des conditions auffi odieufes & auffi
injurieufes à fa gloire.
» Dans la feconde annexe , V. H. P. remarqueront
que le Roi de Pruffe , dans l'expofé de:
fes motifs , qu'il a fait publier fous les yeux d'un '
Prince dont il fe dit ami , ne daigne pas feule--
Iiy
200 MERCURE DE FRANCE.
»ment alléguer de prétexte , pour colorer l'ufur-
»pation du territoire & des revenus de Sa Majeſté .
» Dans ces circonstances , le Roi attend de tou-
»tes les Puiffances , à qui l'honneur eft en recom-
»mandation , & en particulier de V. H. Puiffances
qui ont été de tout temps fi jaloufes de leur
liberté & de leur indépendance , qu'Eiles
»prêteront à Sa Majefté , par l'emploi de leurs
»bons offices & par d'autres moyens plus effica
ces , les fecours que tout Etat doit pour fon pro-
» pre intérêt à un autre Etat opprimé injuftement ,
quand même il ne feroit lié par aucun Traité. »
D'AMSTERDAM , le 11 Octobre.
On effuya le 7 de ce mois fur ces côtes une
affreufe tempête. Elle a caufé un grand nom
bre de naufrages. Quelques Vaiffeaux , entre
Jefquels on compte un Vaiffeau de guerre de
la République , & un Vaiffeau de la Compagnie
des Indes Orientales , ont péri au Texel. Quantité
d'autres ont été jettés fur le fable , ou pouffes
en pleine mer; & l'on n'a aucune nouvelle de
plufieurs de ces derniers.
DE BRUXELLES , le 16.Octobre.
Depuis l'arrivée du Courier , par lequel on a
reça la nouvelle de la bataille donnée en Boheme
le premier de ce mois , on a appris qu'un Détachement
confidérable de Pruffiens ayant paffé
l'Elbe pour enlever des fourrages fur la droite de
cette riviere , il a été attaqué au retour par un
corps de Croates ; que les ennemis ont eu près
de cinq cens hommes tués en cette occafion ; que
les Croates leur ont enlevé foixante - quatorze
NOVEMBRE . 1756. 201
mille rations de fourrage , & que le pont fur lequel
les Pruffiens avoient paffé la riviere , a été
brûlé.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE Roi de Pologne Electeur de Saxe , ayant défigné
l'Evêque Duc de Laon , pour remplir fa nomination
au Chapeau de Cardinal , le Roi y a
donné fon confentement . Ce Prélat eut l'honneur
d'en remercier Sa Majeſté , ainfi que de la grace
qu'Elle vient de lui faire , en lui accordant les
entrées de fa Chambre .
Le Roi a accordé à M. le Marquis de Cruffol - de
Salles , Lieutenant - Général , le Gouvernement
de l'Ile d'Oleron , vacant par la mort de M. de
Cadeville.
L'Impératrice Reine de Hongrie & de Boheme
ayant demandé au Roi , à l'occafion de l'entrée
de l'armée du Roi de Prufle en Boheme , le
Tecours de troupes ftipulé par le Traité de Verfailles
du premier M ai dernier ; Sa Majesté a
donné ordre de raffembler à cet effet les Régimens
ci- après , qui doivent former un Corps de vingtquatre
mille hommes aux ordres du Prince de
Soubife : fçavoir , les Régimens d'Infanterie de
Champagne, Belfunce , Lyonnois, Dauphin , Vaubecourt
, Alface , Bentheim , Jenner , la March ,
Courten , Royal Suédois , Royal Baviere , Lowendalh
& Lochmann , faifant enſemble vingt- fix Bataillons
; & les Régimens de Cavalerie du Commiflaire
Général , Royal Cuiraffiers , Royal Rouf-
I v
202 MERCURE DE FRANCE:
fillon , Royal Allemand , trois Brigades de Ca
rabiniers , Royal Pologne , Bourgogne , Berry ,
Orléans , Lufignan , Marcieu , Talleyrand , la
Rochefoucault , Lameth , Bellefonds , Henrichemont
, Moutiers , Wirtemberg , Harcourt &
Naffaw , faifant enfemble quarante- quatre Efcadrons
, avec un Détachement du Corps Royal de
l'Artillerie & du Génie.
Sa Majesté a nommé en même temps , pour
fervir avec ces troupes , MM . le Chevalier de Nicolay
. le Duc de Broglie , le Comte de Lorges
& le Comte de Mailly , Lieutenant Généraux ; le
Marquis de Crillon , le Marquis de Poyanne ,
le Marquis de Barbançon , le Marquis de Berville,
le Marquis de Cuftine , le Marquis de Rougé , le
Marquis Deffalles , le Marquis de Saint - Chamans,
le Prince de Beauvau & le Prince Camille , Maréchaux
de Camp ; le Comte de Revel , Maréchal
général des Logis ; le Marquis de Lugeac , Major
général de l'infanterie , & le Marquis de Caulin
court, Maréchal Général des Logis de la Cavalerie.
M. le Comte de Starhemberg , Miniftre Plénipotentiaire
de Leurs Majeftés Impériales auprès
du Roi , reçut le 13 , par un courier extraordinaire
qui lui a été dépêché de ſa Cour , une Copie
de la Relation , par laquelle le Maréchal
Comte de Browne a rendu compte à l'Empereur
de l'action qui s'eft paffée en Boheme le premier
Octobre , entre les troupes Impériales & celles du
Roi de Pruffe . Cette Relation , qui eft datée du
2 , du camp de Budin , porte en fubftance , que la
nuit du 30 Septembre au premier Octobre le Roi
de Pruffe s'avança vers le Maréchal de Browne
avec une armée de quarante mille combattans au
moins : Que cette armée déboucha à la pointe du
jour par la Gorge de Welmina , en fe déployant
NOVEMBRE. 1756. 203
pafur
les hauteurs , à droite , à gauche , & dans le
fond de Lowofis.Que la bataille commença à fept:
heures. Que le feu a été fort vif des deux côtés ,
& la canonnade des Pruffiens telle , que tout le
monde convient n'en avoir jamais entendu de
reille. Que malgré cela les troupes Autrichiennes
ont fait des prodiges de valeur , en foutenant la
violence extrême de ce feu d'artillerie avec la plus
grande fermeté , & en repouffant à diverſes reprifes
les attaques de l'ennemi . Que les Pruffiens
ayant commencé à jetter des boulets rouges dans
le Village de Lowofis , le feu y a pris ; & que cet
accident a obligé l'Iufanterie Autrichienne , qui fe
trouvoit entre le feu du Village & celui de l'attaque
, d'abandonner la hauteur droite du Village
pour le former dehors dans la plaine , après quoi
le feu fe ralentit & finit enfin à trois heures aprèsmidi
. Que la Cavalerie Autrichienne a chaffé celle :
de l'ennemi à deux reprifes , de forte que celle- ci
n'a plus ofé reparoître , & a été forcée de fe retirer :
derriere l'Infanterie. Que parmi les Officiers de
rang de l'armée Autrichienne , il n'y a eu de tués
que le Général Radicati ; que le Général Prince
de Lobkowits a été bieffé & fait prifonnier ; que'
le Général Danois Rantzau a été bleffé , ainfi que
MM. Caroli , Hager , Adjudant Général , de
Browne , fils du Maréchal , de Bievre , Gowrai
& Lafcy ; que le Colonel Sanyvani eft mort de fesbleffures
. Qu'on croit , fuivant le calcul le plus
jafte qu'on ait pu faire , que le nombre des morts
& blellés Autrichiens ne monte guere qu'à environ
deux mille hommes , & que la perte des Pruf
fiens eft beaucoup plus confidérable , outre qu'il y
a eu quelques centaines de ceux - ci & plufieurs de
leurs Officiers , qui ont été faits prifonniers. Que
les Autrichiens n'ont perdu ni canons , ni dra--
Į vj ,
204 MERCURE DE FRANCE.
peaux, & qu'on foupçonne feulement qu'il manque
un Etendard dans le Régiment de Cordoua ,
qui eft celui de tous qui a le plus fouffert . Que le
Maréchal de Browne eft resté toute la nuit fur le
champ de bataille ; mais que comme les charriots
des vivres & des fourages s'étoient retirés , & qu'il
y a difette d'eau dans la Plaine où il étoit , il étoit
retourné le z au matin , dans fon ancien camp de
Budin , derriere l'Egra , afin de ne manquer de
rien pour la fubfiftance de fon armée. Que le Roi
de Prufle avoit pris fon camp derriere le champde
bataille , & que le 2 au matin au départ de l'armée
Autrichienne , il ne s'étoit pas encore mis
en poffeffion de Lowofis. Les Déserteurs & les
Prifonniers rapportent unanimement que les
Pruffiens ont perdu trois Généraux , dont pourtant
ils ne fçavent pas les noms. Le Maréchal de
Browne affure que cette action , quoique extrêmement
vive & fanglante , ne change abfolu
ment rien au ſyſtême des affaires & de les opé-
Iarions.
On mande de Dunkerque , que le Capitaine
Canon , commandant le Corfaire le Prince de
Soubife , de ce Port , y a fait conduire un Navire
Anglois de 250 tonneaux , dont il s'eft emparé ,
& qui revenoit de la Barbade avec un chargement
de fucre , de coton , de taffia & d'autres marchandifes.
L'Hirondelle , autre Corfaire de Dunkerque ,
qui avoit auffi pris deux Bâtimens Anglois , les a
rançonnés , l'un pour deux cens , l'autre pour
trois cens livres sterlings .
Le Corfaire l'Infernal , du Havre , dont eft
Capitaine Louis de Ferne , a relâché , moyennant
une rançon de dix-fept mille livres , un Navire
Anglois dont il s'étoit rendu maître.
NOVEMBRE.
1756. 205
Le Capitaine Deveaux , qui monte le Corfaire
PEfpérance , de Saint - Malo , a conduit au Havre
le Navire Anglois le Prince Rupert , de 140 .
tonneaux , armé de 12 canons , & Chargé de
cire fine , de cuivre , de gomme arabique & d'amandes.
Les Corfaires l'Amiral' & la Levrette ,
de
Bayonne , le font rendus maîtres , l'un des Navires
Anglois la Joanne , de Bofton , de 150 tonneaux
, chargé de fucre , de coton & de bois de
Campêche, & le Horley , de Londres , de 330
tonneaux , venant de la Virginie avec un charge.
ment de tabac ; l'autre , du Brigantin appellé le
Dauphin , de Newport en Amérique , dont la
cargaifon eft compofée de bois de Campêche ,
& du Bateau l'Helene , de Marblehead , chargé
de morue verte .
On a été informé par des lettres écrites de
Marſeille , que le Navire Anglois le Molly, de
140 tonneaun mint de 4
plomb , de plufieurs balles de draps & caiffes de
quincaillerie , a été pris & conduit en ce Port par
le Corfaire l'Heureufe Therefe , dont eft Capitaine
Pierre Pelouquin .
Le Vaiffeau de guerre Anglois le Warwick , de
64 canons , dont le Chevalier d'Aubigny s'étoit
emparé fur les côtes des Iles du Vent , a été armé
à la Martinique , & joint au Vaiffeau le Prudent
& aux Frégates l'Atalante , & le Zephyr ,
qui étoient fous le commandement de cet Offeier.
Cette Efcadre , après avoir croifé plufieurs
mois dans les parages de ces Ifles , où elle a fait
plufieurs prifes , eft partie de la Martinique le 12
Août , avec un convoi de 22 Navires Marchands
Les vents contraires l'ont obligée de relâcher le
premier Octobre au Port de la Corogne en Espa
206 MERCURE DE FRANCE.
gne. Elle en eft partie le 10 , & elle eft arrivéele
14 dans Rade de l'Ile d'Aix , à l'exception de la
Frégate le Zephyr , que le Chevalier d'Aubigny a
renvoyée à la Martinique, quelques jours après fondépart
de cette Ifle , pour y conduire - trois prifes
que cette Frégate avoit faites , & dont une étoit
un Corfaire ennemi , lequel venoit de s'emparer
d'un des Navires Marchands , qui s'étoit écarté du
convoi. Le Chevalier d'Aubigny a fait auffi deux
prifes dans fa traverſée de la Martinique en France
, & a amené les Officiers & une partie de l'équipage
Anglois du Vaiffeau le Warwick.
Le Corfaire l'Amiral , Capitaine Jean Samfon ;
s'eft emparé du Navire Anglois le Friendship , de
Londres , armé de 6 canons , allant à la Virgi
nie avec un chargement de marchandifes féches ,.
& a conduit cette prife à Bayonne.
Le Senaw Anglois le Landovery , de 130 ton
neaux , armé de 10 canons , & dont la cargaifon
chandelle & autres Loliere
marchandifes deftinées pour la
Jamaïque , a été
pris par le Corfaire le Comte de Maurepas , de
Bordeaux , qui l'a fait conduire à Fécamp.
Le 17 d'Octobre , le Roi fit la cérémonie de
recevoir Chevalier de l'Ordre de Saint Louis le
Prince de Rohan-Kochefort , Brigadier , Colonel
d'un Régiment d'Infanterie de fon nom , & M. de
Château- Thierry , Capitaine dars ce Régiment.
Le Roi a choifi M. le Comte d'Eftrées , Chevalier
de fes Ordres , & Lieutenant Général de
fes Armées , pour aller exécuter , en qualité de
fon Miniftre
Plénipotentiaire , une commiffion
particuliere auprès de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Boheme.
Les Auguftins Réformés de la
Congrégation de
France , dans le Chapitre qu'ils ont tenu à Paris
NOVEMBRE. 1756. 207-
fe 18 de ce mois , ont élu le Pere Gervais pour
leur Supérieur Général ,
Le 21 les Actions de la Compagnie des Indesétoient
à quinze cens livres : les Billets de la Se
conde Loterie Royal , à fept cens foixante cinq ",
ceux de la troifieme Loterie , à fix cens quatrevingt.
Ceux de la premiere Loterie n'avoient
point de prix fixe.
BÉNÉFICE DONNÉ.
>
LE Roi a donné l'Abbaye Réguliere de Sainte
Auftreberte de Montreuil- fur- mer Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe d'Amiens , vacante par la
mort de la Dame de la Motte d'Orléans , à la Da
me Anne- Renée- Jeanne d'Egrigny , Religieufe :
de cette Abbaye.
A Caen , ce 17 septembre , 1756.
Monfieur , le filence que les nouvelles publiques
gardent fur un événement qui a fixé , qui a ›
mérité l'attention de tous les Militaires que le Camp du Havre raffembloit fous les ordres de
Monfieur le Duc d'Harcourt , me détermine à vous
le détailler.
J'entends parler d'une Fête que Monfieur le Duc de Montmorenci
a donnée à ce Général , &
à Madame la Comteffe de Lillebonne fa belle-fille ;
Fête digne à la fois , & de qui la donnoit , & de
qui l'a reçue.
M. de Montmorenci l'a imaginée , l'a dirigée
lui-même l'objet fait l'éloge de fon difcerne
ment , l'exécution fait celui de fon goût.
20S MERCURE DE FRANCE.
Donner des preuves d'attachement à M. le Duo
d'Harcourt , c'eft acquitter près de lui les dettes.
de la Nation ; Poffeffeur du droit héréditaire d'ètre
aimé, ce Général s'eft acquis celui de fe faire
adorer.
Cambiner , faire exécuter foi- même en vingtquatre
heures , la fête la plus brillante , lui donner
l'air le plus galant fous l'appareil le plus militaire
, c'eft un chef-d'oeuvre de goût qui n'appartient
qu'à M. de Montmorency. Paffons au
détail.
Lorfque le Général & les Dames arriverent à
la Brigade de Touraine , on y trouva en bataille
devant les faiſceaux , deux cens hommes de ce
Régiment , troupe connue depuis long - temps
fous le nom de Pruffiens de M. de Montmorency ,
qui lui-même l'a inftruite à faire avec grace &
précifion le maniement des armes & les évolutions
ordinaires au refte de l'Infanterie. Il l'a fit
manoeuvrer & tout le monde convint qu'on ne
pouvoit , ni mieux commandet , nt mieux obéir.
L'arrivée des Dames aux tentes du jeune Duc ,
fut annoncée par toute l'artillerie des Forts & des
Lignes.
Il avoit fait élever devant la premiere un Fort ,
dont le front préfentoit un ouvrage à couronne ,
flanqué de deux baftions , avec des places d'armes
retranchées dans le chemin couvert. Du flanc
droit partoient des lignes défendues par des redans
& redoutes , le tout paliffadé & garni d'une
artillerie dont le volume étoit proportionné à la
capacité des ouvrages. Ces lignes entouroient
plufieurs autres tentes également grandes & magnifiques.
L'intervalle des tentes & lignes étoit
occupé par un parterre en gazon découpé , dont
les compartimens étoient pleins des chiffres de
NOVEMBRE . 1756. 209
Montmorency , Harcourt & la Feuillade. Les Ar
moiries des trois Maifons paroiffoient fur les
remparts en cartouches tranfparens . Tous les ouvrages
, les compartimens & chiffres , ou ornemens
du parterre , étoient deffinés par un nombre
infini de lampions.
L'effet de cette illumination dans une nuit
tranquille & obfcure , a furpris même les plus
difficiles en ce genre.
Avant de commencer le jeu , M. de Montmorency
préfenta à Madame de Lillebonne une piece
de vers fous le titre d'ordre : M. Defluile ' , Capitaine
au Régiment de Touraine , en eft l'Auteur,
& je les ai joints à nra Lettre.
Après le jeu , on paffa dans les tentes voisines
où étoient dreffées plufieurs tables fur lesquelles
l'abondance & la délicateffe des mets fe difputoient
l'avantage. Tous les Chefs des Corps
avoient été invités particuliérement à ce fouper,
où furent priés tous les Officiers que ela curiofité
avoient amenés à ce fpectacle. Pendant le repas
une fymphonie de haut-bois , baffons & corps - dechaffe
fe fit entendre : les fantés furent bues au
bruit de toute l'artillerie.
Lorfqu'on eat quitté la table , on tira un feu
d'artifice qui fut allumé par Madame de Lillebonne
. Le bal fut ouvert enfuite par elle & M. de
Montmorency, & fut terminé à fix heures du matin
, par le retour de cette Dame à Harfleur. Il
convenoit que le départ des graces mît fin à leur
fête.
J'ai l'honneur d'être , &c .
LA NEUFVILLE.
210 MERCURE DE FRANCE.
Que
L'ORDRE.
Ue tout Normand foit un aigle en chi→
canne ,
Que du Barreau fon nom foit le foutien ;
Vingt fois par an, qu'un juge le condamne ;
Tout eft dans l'ordre , & je n'en dirai rien :
Mais que je trouve aux lieux qui l'ont vu naïtre','
Riche modefte , & peuple façonné ,
M.... décent , & charitable P....
C'eft contre l'Ordre , & j'en fuis étonné
Que de fes yeux , la gentille Cauchoiſe ,
En tapinois veuille éprouver l'effet ;
Que la friponne à nos coeurs cherche noife ;
Tout eft dans l'Ordre , & j'en fuis fatisfait :
Mais que le fien au fein de la victoire ,
Soit fans pitié pour quelqu'un des vaincus ,
Que fes defirs fe bornent à fa gloire ,
C'eft contre l'Ordre , & j'en fuis tout confus.
܀
Que de ces champs confacrés à Bellonne ,
Mars ait fait fuir & Pomone & Cérès ;
Que le falpêtre à chaque inftant y tonne ,.
Tout eft dans l'ordre , ou du moins fait exprès
NOVEMBRE. 1756.
217
Mais qu'on y trouve un (1 ) Intendant aima
ble ,
A plaire à tous conftamment appliqué ,
Dans fon travail , vif , prompt , infatigable ,
C'eft contre l'Ordre , & j'en fuis très -piqué.
Qu'une ( 2 ) Comteffe en qui les Dieux propices
Ont réunis mille dons précieux ,
Soit de la Cour l'ornement , les délices ,
Tout eft dans l'Ordre , & ne peut être mieux's
Mais qu'un mari feul ait droit de lui plaire ,
. Que pour lui-même elle ait des agrémens ,.
Qu'on croie en eux voir deux tendres amans ,
C'eſt contre l'Ordre , & je ne puis m'en taire,
Qu'un (3 ) Général ait chez lui grande chere ,
: Force vins vieux , Bourgogne velouté ,
Valets nombreux & ne ſçachant rien faire ,
Tout eft dans l'Ordre , & j'en fuis enchanté :
Mais que marchant fur les pas de Turenne ,.
Il foit actif , zélé , laborieux ,
Poli fans fard , & modefte fans gêne ,
C'eſt contre l'Ordre , & j'en fuis furieux.
(1) M. de Brou , Intendant de Rouen ..
(2 ) Madame la Comteffe de Lillebonnes.
(3 ) M. le Duc d'Harcourt.
212 MERCURE DE FRANCE .
Dans les plaifirs qu'un nombreux militaire
Mêle par fois quelques petits excès ,
Que trop fouvent on ait peine à lui plaire ,
Tout eft dans l'Ordre ; on fçait qu'il eft Fraqçois
: -
Mais lorsqu'il offre un pur & tendre hommage
au ( 1 ) Chef chéri dont nous fuivons les loix ,
De fa raiſon il fait un digne ufage ,
Et contre l'ordre , en écoute la voix.
(1 ) M. le Duc d'Harcourt.
›
LETTRE à Madame de *** ſur une
Fête donnée à Breft.
JE vous l'avois bien dit , Madame , avant de
partir de Paris , que vous feriez bientôt furieuſe
de n'avoir pas été de notre voyage , & je gage que
vous allez l'être. Me voilà arrivée à Brest. Vous
croyez peut- être que je vais vous parler de la mer,
& des préparatifs formidables que l'on fait dans
ce port contre les Anglois ? J'ai vraiment bien
d'autres merveilles à vous conter . Je fors d'un palais
des Fées , d'une maison de campagne fur l'eau :
j'y ai vu des jardins , des bois . Oh ! je voudrois
tout vous dire à la fois , ou plutôt je voudrois y
être encore. Laiffez -moi du moins vous donner
une idée des charmes d'une fête que les Graces
feules devroient décrire , & qu'un Général feul
de mer peut donner. M. le Marquis de Conflans
qui commande l'eſcadre qui eft en rade , vient
de donner cette fête en l'honneur de celle de
NOVEMBRE. 1756. 213
Roi. C'eft de fon vaiffeau que je fors : voilà le
château enchanté. Il y avoit invité toutes les
- femmes de cette ville , avec plufieurs étrangeres
voyageuses comme moi. Nous y fûmes toutes
avec lui dans une petite flotte de canots le plus
galamment équipés , & aufli leftes que nos cabriolets.
En vérité , ce font des magiciens que ces Meffieurs
les Marins : j'imaginois devoir entrer en
arrivant à bord du Soleil royal , dans une citadelle
de bois , hériffée de quatre - vingts canons , &
- c'eft fur le gazon d'abord que j'ai marché. Pai
levé les yeux pour appercevoir une girouette , j'étois
fous un lambri de feuillages émaillés de
fleurs ; enfin dans une allée de myrthes & de lauriers.
Le paffavant ( je vous prie de croire que
je fuis déja un peu marine ; & que j'en fçais les
termes ; je vous les expliquerai à mon retour ) ,
le paffavant donc étoit métamorphofé en cette
belle allée qui régnoit tout autour du vaiffeau ; &
- en faifoit une promenade délicieufe : les vents
ne fouffloient ce jour- là que pour répandre l'efprit
des fleurs dont tout le vaiffeau étoit paré.
L'intervalle qui fépare les deux paffavants , étoit
rempli par un plancher très- uni , & formoit un
fallon fpacieux. Ce fut dans ce fallon que j'entrai
enfuite trois de fes côtés étoient ornés de co-
-lonnes d'ifs dans l'ordre Ionique , entrelaffés de
gairlandes de fleurs ; leurs chapiteaux foutenoient
une galerie auffi militaire qu'elle étoit agréable
aux yeux par tous les trophées de Neptune &
de Mars , dont on l'avoit décorée : le fond du
fallon étoit terminé par un baldaquin de verdure
; on y voyoit le portrait du Roi peint de
grandeur naturelle , & appuyé fur une pouppe de
vaiffeau, Près de lui la Renommée lui préfentoit
214 MERCURE DE FRANCE.
d'une main des lauriers , fe foutenant de l'autre
fur l'épaule du Miniftre de la marine , indiqué par
La caffette des Sceaux : tout l'enſemble de ce tableau
repréfentoit très bien l'emblême de la
gloire que notre augufte Monarque vient d'acquérir
fur la mer.
-
Le Général enchanté des éloges que tout le
monde donnoit à cette maniere ingénieuſe de célébrer
les victoires du Roi & les fuccès de fa
marine triomphante même en renaiffant , nous
conduifit delà dans une autre falle auffi vafte ,
mais décorée différemment ; c'est le gaillard d'arriere
où nous étions ( je vous déroute furieufement
, Madame , par tous ces noms- là , mais
je vous l'ai promis , je vous les apprendrai tous ) :
elle étoit tendue de blanc , vous auriez dit d'une
mouffeline ; ce font leurs pavillons de fignaux.
Le grand mât du vaiffeau qui eft au milieu ,
& qui féparoit ces deux falles , étoit revêtu de
myrthes touffus , dans lefquels on avoit pratiqué
avec art une niche en verdure fleurie , où étoit
placé le bufte du Roi fur un piédeſtal élégamment
orné. Nous appellâmes ces deux falles , l'une
de Mars , & l'autre de l'Amour. Ce fut là qu'on
fervit un repas avec autant de magnificence que
de goût ; une table immenfe étoit couverte des
cryftaux les plus joliment imaginés du monde.
Je fçais bien , pour moi , que j'étois devant le
fiege de Mahon , & tout auprès d'une efcadre
Françoife , dont nos vaiffeaux défignés par de petits
pavillons de taffetas blanc , faifoient prefque
fortir à force de voiles , une troupe de pavillons
rouges qui s'enfuyoient devant eux.
Une bonne fymphonie , que l'on n'appercevoir
point , anima tout le dîner ; fur le foir on chanta
folemnellement un Te Deum en musique. Il fut
NOVEMBRE. 1756. 215
Tuivi d'une falve de moufqueterie & de canons, que
tirerent tous les vaiffeaux de la rade : mais de façon
à nous donner l'image d'un combat naval
fpectacle auffi gracieux à poudre feulement , qu'il
doit être terrible à boulets . Je l'ai donc vu auffi ,
Madame, & avec la même gaieté que je fus enfuite
au bal . Le foleil ne fe coucha point , ou celui
où nous étions prit fa place : mille bougies allumées
parmi les feuillages , furent les feux que jetta
le foleil royal & jamais illumination plus brillante
n'avoit éclairé un bal plus galant, ni mieux ordonné.
Les favoris d'Amphitrite vont fans doute dans
leurs voyages de temps en temps à Paphos ou à
Idalie . Ils ne font point du tout Loups de mer , &
j'apperçus dans nos allées de myrthes une foule de
jeunes marins , qui me fembloient conter leurs
peines , & s'y prendre comme à Paris : croyez
qu'ils fçavent galamment chanter leur Roi & leurs
maîtreffes. Lifez plutôt cette chanſon , ou chantez-
là : car je vous l'envoie notée . C'est une production
marine d'un des Officiers du vaiſſeau , &
une efquiffe de la fête , & de ma rélation aufli.
Mais je vais la finir pour ne pas achever de vous
défefpérer de n'être pas venue.
Le bal ne fut interrompu que par un ambigu
fervi avec une profufion & une délicateffe qui ne
laiffoient rien à défirer . Nous y fûmes d'une folie......
Les Dames de Breft furtout étoient d'une
gaieté charmante , & bien faites pour en infpirer,
bien dignes auffi de la fête que nous célébrions.
Elles n'aiment pas le Roi , elles en font amoureufes.
Nous y aurions paffé la nuit , fi les inftrumens
ne nous euffent rappellé dans la falle du bal, qui recommença
avec encore plus de vivacité & de plaifir
qu'auparavant. Je n'en fuis fortie qu'au jour . J'ai
fini par danſer la Mahon , & je ſuis revenye vîte
216 MERCURE DE FRANCE.
vous écrire au ſon des violons qui , j'imagine ,
frappent encore mes oreilles . Adieu , Madame. Je
pars au premier jour pour revenir vous voir. Que
je vais vous parler marine ! Ce fera le fruit de mes
voyages : mais vous qui les aimez fi peu , ne faites
pas de même au moins d'une voyageufe que vous
fçavez vous être attachée bien fincérement , toute
charmante & toute jolie que vous êtes.
$7
MARIAGES ET MORTS.
MEffire Louis- Georges de Johanne de la Carre,
Marquis de Saumeri , Gouverneur & grand Bailli
de Blois , & Gouverneur en ſurvivance du Château
Royal de Chambord , époufa le 2 Juin Demoiselle
Henriette -Françoife de Menou , fille de Meffire
Louis-Jofeph , Comte de Menou , Baron de Pontchâteau
, Maréchal des Camps & Armées du
Roi , & de feue Dame Marie - Louiſe de Charitte.
La bénédiction nuptiale leur a été donné dans
l'Eglife paroiffiale de Saint Sulpice par l'Abbé
de Menou. Leur contrat de mariage avoit été
figné le 16 Mai précédent par leurs Majeftés &
la Famille Royale.
François , Comte de Montaynard , épousa le
21 Juin , dans la Chapelle du Château de Bellevue
, Henriette - Lucie-Magdeleine de Bafchi ,
troisieme fille de Francois , des Comtes de Bafchi ,
Comte de Bafchi- Saint -Efteve , Chevalier des Ordres
du Roi , Confeiller d'Etat d'épée , Ambaſſadeur
de Sa Majefté à la Cour de Portugal , & de
Dame Charlotte- Victoire Le Normant. L'Evêque
de Digne leur donna la bénédiction nuptiale.
Leur contrat de mariage avoit été figné le 15
dx
NOVEMBRE. 1756. 217
du même mois par Leurs Majeftés & par la Famille
Royale.
- La Maifon de Montaynard, qui eft une des plus
anciennes & des plus illuftres du Royaume, eft trop
connue pour qu'il foit befoin d'en donner un détail
fort étendu. Il fuffit de dire que cette Maifon
ale rare avantage de prouver fa filiation depuis
Rodolphe , l'un des plus grands Seigneurs du Gréfivaudan
, qui vivoit vers l'an 969 , jufqu'à nos
jours. Ce Rodolphe fut pere d'Ainard , qui fonda
vers l'an 1027, dans la terre de Domene un Prieuré
qui fubfifte encore aujourd'hui. Sa postérité prit
le nom d'Ainard jufqu'à Pierre , fon ſeptieme defcendant
, qui le premier prit le nom de Montagnard
, d'une de les terres près Grenoble , de laquelle
il fit hommage au Dauphin Guigue l'an
1329. Sa postérité a confervé le nom de Montaynard.
Il eut pour fils Raimond , qui fut ayeul de
Raimond III , Lieutenant Général de la Province
de Dauphiné en 1445 , pere d'Hector de Montaynard
, Gouverneur du Comté d'Afti pour le Roi
Louis XII, qui fut affaffiné en 1501. Il avoit époufé
Marguerite , fille de Boniface , Marquis de
Montferrat , de laquelle il eut Louis de Montaynard
, bifayeul de Marie de Montaynard , qui devint
Seigneur de Montfrin par la donation que lui
en fit en 1598, fa coufine Marguerite d'Arpajon.
Marie de Montaynard eut pour petit fils Hector
de Montaynard , Marquis de Montfrin , mort
Maréchal de Camp le 7 Janvier 1687. Il avoit
époufé Chriftine- Marguerite de la Gorée , dont naquit
François de Montaynard , Marquis de Montfrin
, décède le 12 Juillet 1728 , laiffant de fa femme
Louiſe Lottet-de Cauviffon , Jofeph de Montaynard
, Marquis de Montfrin , Comte de Souternon
, Grand Sénéchal de Niſmes & de Beau-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
caire , né le 14 Février 1703 , marié le 9 Juin
1732 , à Diane - Henriette de Baſchi- d' . ubais .
morte le 18 Mars 1755. fille de Charles des Comtes
de Bafchi , Marquis d'Aubais , Baron du Cayla,
& de Diane de Rofel, Dame de Cors & de Beaumont.
De ce mariage font fortis :
1º. François , Marquis de Montaynard , né le
28 Août 1735 , qui donne lieu à cet article.
2º. Françoife-Marie de Montaynard , née le 29
Avril 1734
3°. Marie-Henriette de Montaynard , née le
14 Juin 1750.
Meffire Erneft- Louis , Comte de Mortaigne ;
Lieutenant-général des armées du Roi , & Commandant
dans les trois Evêches , fut marié le s
Août à Demoiſelle Françoife- Félicité de Montmorillon
, ci- devant Chanoineffe du chapitre de
Sainte-Marie de Metz . La bénédiction nuptiale
leur fut donnée dans la chapelle du château de
Begny , par l'Abbé de Montmorillon , Comte de
Lyon.
Marie-Sophie de Courcillon , veuve de Hercules-
Meriadec de Rohan , Duc de Rohan- Rohan , Pair
de France , Prince de Soubife & de Maubuiffon ,
Marquis d'Annonay , Comte de la Voute & de
Tournon , Lieutenant Général des Armées du
Roi , ci- devant Capitaine- Lieutenant des Gendarmes
de la Garde de Sa Majeſté , & Gouverneur des
Provinces de Champagne & de Brie , mourut à
Paris le 4 Avril , âgée de 43 ans. La Princeffe
Douairiere de Rohan étoit fille unique de Philippe-
Egon de Courcillon , Marquis de Dangeau ,
Baron de Lucé , &c , Gouverneur de Touraine ,
&c , & de Françoile de Pompadour, Dame du Duché
de la Vallette. Elle avoit époufé en premieres
noces le 20 Janvier 1717 , Charles-François d'AlNOVEMBRE.
1756. 219
bert d'Ailly , Duc de Picquigni , mort le 14 Juin
1731. De ce mariage il n'y a point d'enfans . Elle
s'étoit remariée au Prince de Rohan le 2 Septembre
1732 , & en étoit restée veuve fans enfans le
26 Janvier 1749.
Frere Jacques -François de Chambrai , Grand-
Croix de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem , Commandeur
des Commanderies de Sainte Vaubourg
dans le Grand Prieuré de France , de Virecourt
dans celui de Champagne , & de la Commanderie
Magiftrale de Metz au même Grand Prieuré , ci
devant Lieutenant Général & Commandant des
vaiffeaux de la Religion , eft mort à Malte le 8
Avril . Le Bailli de Chambrai a été un des plus
grands hommes de mer de ce fiecle. Il a pris
fur les ennemis de la Religion la Sultane neuve
commandée par le Contre - Amiral , & portant
pavillon du Grand Seigneur , la Patrone de Tripoli
, & neuf autres Bâtimens. Après s'être figna
lé par fes exploits , il a fait conftruire à fes frais
dans l'Ile du Goze une Fortereffe qui porte le nom
de Cité neuve de Chambrai. Cet ouvrage impor
tant qui met les Gozetins à l'abri des infultes des
Barbarefques , eft prefque achevé . Le Grand Maî
tre de Malte a réſolu de fubvenir aux dépenfes des
travaux qui restent encore à faire pour conduire
cet ouvrage à fa perfection , & en confidération
des fervices du Bailli de Chambrai , il a accordé
au Marquis de Chambrai , petit neven de
cet homme illuftre , la permiffion de porter la
Croix de l'Ordre.
La Maiſon de Chambrai eft une branche de
celle de la Ferté- Fresnel , qui eft connue dès le
onzieme fiecle . Richard II du nom , Baron de la
Ferté- Fresnel , qui vivoit dans le douzieme , épou
fa Emmeline , fille de Richard II du nom , Baron
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
de l'Aigle , & en eut pour fecond fils, Simon de la
Ferté Frefnel, qui eut en partage la terre de Chambrai-
fur Yton , en Normandie , Baillage d'Evreux,
de laquelle il prit le nom qu'il tranſmit à fa poftérité.
De lui defcendit Jean de Chambrai , Chambellan
du Roi Charles le Bel , lequel fut pere de
Roger de Chambrai & ayeul de François , Bailli &
Capitaine d'Evreux en 1379 , mort en 1399. Ce
dernier eut pour fils Roger de Chambrai II du
nom , marié à Catherine , Dame de Ménille & de
Thévrai , qui le rendit pere de Jean III , lequel fit
rentrer par échange dans fa maifon la terre de
Chambrai, qui avoit été portée dans une autre par
une fille héritiere d'une branche aînée. Le Roi
Chales VII, en confidération de fa fidélité à fon
fervice , & de celle de fes prédéceffeurs, le rétablit
en 1450 , avec fes freres Simon & Gui dans les
biens de leur famille , qui avoient été confifqués
en 1430 , par Henri VI , Roi d'Angleterre. Jean
de Chambrai mourut en 1460 , ayant eu pour enfans
de fa femme Gillette Chollet, Dame d'Urbois,
Guerville, Bretoncelles , la Roche - Turpin en Vendômois,
& c , Jean IV du nom qui fuit, & Jacques
de Chambrai. Ce dernier fut Chevalier de l'Ordre
du Roi , fon Chambellan , Grand Bailli &
Gouverneur d'Evreux , & l'un des députés pour la
ratification de la paix à Eſtaple en 1499. & décéda
le 4 Mars 1504.
Jean IV du nom , Chevalier , Seigneur de
Chambrai , Châtelain de Ponfcei , Baron de la Roche-
Turpin , &c , époufa Françoife de Tillai ,
Baronne d'Auffay au pays de Caux , & Dame d'Afpiftres
& de S. Remi - des-Landes , dont naquit
entr'autres Nicolas , Seigneur de Chambrai , Baron
d'Auffay , & c , allié les Janvier 1530 , à
Bonaventure de Prunelé. Leur fils Gabriel , SeiNOVEMBRE
. 1756. 221
gneur de Chambrai , député de la Nobleffe du
Bailliage d'Evreux aux EtatsGénéraux du Royaume,
tenus à Blois en 1976, futfait par Henri III , Chevalier
de fon Ordre & Gentilhomme de fa Cham
bre , le 17 Mai 1587 , & en 1590 Capitaine de
cinquante hommes d'armes par Henri IV. Sa fe
conde femme Jeanne d'Angenne , qui fut Dame du
Palais de la Reine , le fit pere de Tannegui , Baron de
Chambrai , mort Maréchal de Camp en 1645.
Celui- ci avoit eu de fon fecond mariage , fait en
1636, avec Helene Baignart , Nicolas II du nom ,
Baron de Chambrai , Capitaine ès Armées navales
, qui époufa le 10 Septembre 1669 , Anne
le Doux de Melleville. Il en lailla , entr'autres enfans
, François-Nicolas & Jacques - François de
Chambrai , dont nous annonçons la mort.
*
Son Frere aîné François Nicolas , Baron de
Chambrai , Colonel d'Infanterie en 1702 , fut allié
le 1 Avril 1704 , avec Marie - Louife de Folloville
de Manancourt , de laquelle il a eu :
I. Louis , Marquis de Chambrai & de Conflans,
né le 16 Juin 1713 , `marié 1 ° . le 6 Avril 1734 , à
Françoife de Bonnigalle , morte le 17: Mai 1737 :
20. en 1741 , à Anne-Catherine d'Aubenton-de
Malicorne , décédée au mois de Juillet 1743 : 3 °.
le 9 Juillet 1747 , à Jacqueline - Anne- Magdeleine
de Bernard, Dame & Patrone de la Befliere , Francheville-
le- Moncel, Rofnay , &c . Ses enfans font
du premier lit :
i. Louis- François de Chambrai , né le 23. Mai
1737.
Du fecond lit :
2. François- Nicolas de Chambrai , né en Juin
1742.
Du troisieme lit :
3. Bernard , né le 19 Mai 1752.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
4. Helene-Marthe- Cécile , née le 3 Novem
bre 1749.
5. Louife-Françoise-Charlotte , née le 22 Noyembre
1750.
II. Marie-Anne de Chambrai , mariée en 1725 ,
à Charles-Gabriel du Four, Ecuyer , Seigneur de
S. Léger , fon coufin germain.
III . Clémence-Renée de Chambrai , née le 6
Août 1706 , Prieure Royale de Bellefond à Rouen.
IV. Marthe -Gabrielle de Chambrai , née le 6
Mars 1709 , Abbeffe de l'Abbaye Royale d'Almanefches
, dioceſe de Seez ; c'eít la troifieme Abbeffe
de fon nom en cette Abbaye.
V. Marie-Henriette de Chambrai , née le 1
Mars 1711. Religieufe à l'Abbaye Royale de S.
Sauveur à Evreux.
Dame Claude Canablin , époufe de N.....
Comte de Salvert – Montrognon , eft morte le 9
Avril dans la quarante- huitieme année de fon âge.
Dom Jofeph Vaiffette , Religieux Bénédictin ,
célebre par fon Hiftoire de Languedoc , & par une
Géographie univerfelle qu'il venoit de donner
au public , mourut le 10 à l'Abbaye de S. Germain
des Prez .
Dom Jean-Bernard Senfarie du même Ordre,
& Prédicateur ordinaire du Roi , eft mort le même
jour dans la même Abbaye.
Dame Elizabeth - Olive de Saint- Georges-de-
Verac , veuve de Meffire Benjamin- Louis Fratsier
, Marquis de la Meffeliere , mourut à Paris le
23 Avril âgé de 87 ans.
Frere Thomas de Villeneuve -Trans , Chevalier
profès de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem , Commandeur
de la Commanderie de Montfrin en
Languedoc , & Meftre de camp réformé de Dragons
, mourut à Paris le 30 Avril , âgé de 74 ans.
NOVEMBRE . 1756. 223
Le Chevalier de Villeneuve étoit fils de Pierre-
Jean de Villeneuve , Marquis de Trans , lequel
avoit épousé en 1665 , Marie- Françoile de Bitand,
& étoit iffu de Raimond de Villeneuve , Général
des troupes d'Aragon , qui vint en Provence avec
le Comte de Barcelone , vers l'an 1114 , & s'y établit
ayant eu la terre de Gandelet , appellée depuis
Villeneuve . Ce Raimond fut pere de Geraud
de Villeneuve , Gouverneur de Tarafcon , auquel
Alphonfe Comte de Provence fit don l'an 1201
de la Baronie de Trans. Geraud fut pere de Romée
de Villeneuve , fi connu dans l'Hiftoire de
Provence , & de Geraud II . de Villeneuve , defquels
la poftérité ſubſiſte .
Romée de Villeneuve , Connétable de Provence ,
reçut en 1230 , la Seigneurie de Vence de Raimond-
Bérenger , Comte de Provence , dont il
étoit Miniftre , & qui le nomma Régent de fes
états , & un des Tuteurs de fa fille Béatrix , qui
par fes négociations fut mariée avec Clales I ,
Comte d'Anjou . Ce Seigneur qui mourut en 1250,
fut le onzieme ayeul de Claude de Villeneuve
créé Marquis de Vence ; celui - ci fut pere d'Alexandre
& de Jean- Baptifte de Villeneuve .
Alexandre de Villeneuve , Marquis de Vence ,
eft l'ayeul d'Alexandre -Gafpard de Villeneuve ,
Marquis de Vence , qui de fon mariage fait en
Juin 1723 , avec Magdeleine-Sophie de Simiane ,
a pour enfans :
1º. Jean - Alexandre-Romée, Vicomte de Vence,
Colonel en fecond du régiment Royal Corfe , par
brevet du premier Février 1749 , né le 7 Novembre
1727 , marié à Angélique- Louiſe de la Rochefoucaud-
de Surgeres , dont 10. Jules- Alexandre-
Romée de Villeneuve , né le 21 Mars 1755. 2º.
Alexandrine - Charlotte- Adélaïde , née le 14 Jan-
K iy
vier 1793.
224 MERCURE DE FRANCE.
2º. Pauline de Villeneuve , mariée en 1741 à
Jofeph-Ours de Villeneuve , Marquis de Floyofc.
Jean Baptifte de Villeneuve , Comte de Vence,
frere d'Alexandre , Marquis de Vence , mourut en
1724 capitaine de vaiffeau . Il avoit été allié en
1700 , à Françoife de Graffe , morte le 10 Septem
bre 1748 , de laquelle il eut : 1 ° . Claude - Alexandre
, Comte de Vence , né en Novembre 1701 ,
Colonel du régiment Royal Corfe en 1739 , Brigadier
des armées du Roi le premier Mai 1745 ,
Maréchal de camp le 10 Mai 1748 : 2 ° . Jacques
de Villeneuve, dit le Chevalier de Vence , Lieute
nant de vaiffeau en 1744 : 3º . Claudine de Villeneuve
, née le 13 Juillet 1701 , veuve d'Antoine-
Jofeph d'Arcy , Comte de la Varenne.
Geraud de Villeneuve , deuxieme du nom , frere
du fameux Romée , fat Baron de Trans , des Arcs,
&c. Son petit- fils Geraud , troifieme du nom ,
époufa , 1º. Aigline d'Uzès : 2º . Philippe Dame
d'Efclapons & de Tourette , iffue des Princes de
Callian. Il eut du premier mariage : Arnaud II
de Villeneuve qui fuit , & Hugues - Raimond de
Villeneuve , Baron de Tourette , dont il fera parlé
après fon frere.
Arnaud de Villeneuve , deuxieme du nom , fut
bifayeul d'Arnaud quatrieme du nom . Chambellan
de la Reine Jeanne , & Gouverneur d'Avignon,
dit le Grand , tant à caufe de fes grar des qualités
qu'à caufe des grands biens qu'il poffeda , ayant
été Seigneur , en tout ou en partie , de quatrevingt-
deux terres nobles , foit en Provence , foit
au royaume de Naples . Il eut de fon mariage avec
Philippe de Caftellane de Salernes , trois enfans ,
fçavoir : 1 ° . Giraud , dont la poftérité s'eft éteinte
en 1672 ; de lui , defcendoit Louis de Villeneuve,
Comte d'Aveline , Ambaffadeur de Louis XII , à
1
NOVEMBRE . 1756. 225
Rome , en faveur duquel la Baronie de Trans fur
érigée en Marquifat Pan 1505. 2º . Hélion , duquel
la postérité n'a pas duré. 3°. Antoine , qui
fut Baron de Flayofc. Alexandre- François de
Villeneuve , Baron de Flayofc , un des defcendans
de ce dernier , eft ayeul de Joſeph- Ours de Villeneuve
, Marquis de Flayofc , marié en 1741 , à
Pauline de Villeneuve , foeur du Vicomte de Vence
, Colonel en fecond du régiment Royal - Corfe.
Leurs enfans font :
1º. Alexandre- Gaſpard - Balthaſar de Villeneu
ve , né en 1745 .
2º. Claude -Alexandre - Romée de Villeneuve ,
né en 1746 .
3°. Martin de Villeneuve , né en Décembre
1750.
4°. Sophie de Villeneuve .
Le Marquis de Flayofc a pour foeur Julie de
Villeneuve , qui a épousé le 31 Mai 1746 , Julės-
François de Fauris , Seigneur de Saint - Vincent ,
Préfident du Parlement de Provence.
Hugues- Raimond de Villeneuve , fils du fecond
lit de Geraud , troifieme du nom , Baron de Trans ,
fat Baron de Tourette , & époufa Béatrix de Savoye
, de laquelle il eut Raimond de Villeneuve ,
marié avec Alix des Baux , des Princes d'Orange ,
laquelle fut mere de Pons -Albert , mort avant
l'an 1321 celui- ci eut d'Andalafie de Mujols ,
Bertrand de Villeneuve , allié , vers l'an 1331 , à
Sancie de Signe , des Vicomtes de Marſeille , dont
vint Jean mort en 1361 , ayant été marié à Dracone
Ricavi. Leur fecond fils , Pons de Villeneuve
, Seigneur de Barjemont , époufa en 1380 , Catherine
Dame de Vauclaufe , mere de Jean de
Villeneuve , auteur de la branche de Villeneuve-
Barjemont , & d'Antoine de Villeneuve , Baron
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
de Tourette en 1445 , lequel époufa en 1455 , Pau
line du Puget , de laquelle il eut Honoré de Villeneuve
, qui tefta en 1502. Celui - ci fut pere par
Blanche Grimaldi- de Monaco , de Jean de Villeneuve
, Baron de Tourette , Chevalier de P'Ordre
du Roi , Capitaine de cinquante hommes d'armes,
allié eenn 1922 , à Marguerite de Foix- Meille , dont
naquit Jean II de Villeneuve , Chevalier de l'Ordre
du Roi Gouverneur de Frejus , mort en 1586.
Il avoit épousé en 1562 Perette d'Oraiſon , qui
le fit père de Jean de Villeneuve , troifieme du
nom , lequel fut nommé àl'Ordre du Saint- Elprit,
& mourut en 1631 , laiffant de Baptiftine de la
Lande , Gafpard de Villeneuve , Comte de Tourette,
mort le 29 Novembre 1649. Celui- ci époufa
Marguerite de Graffe , de laquelle il eut Pierre
de Villeneuve , allié en 1665 à Marie-Françoife
de Bitaud , qui fut mere de Pierre-Jean de Villeneuve
qui fuit , & de Thomas de Villeneuve dont
nous annonçons la mort.
Pierre-Jean de Villeneuve , Marquis de Trans,
mourut le 17 Février 1730 , laillant de Marie-
Thérefe de Barthelemi Sainte- Croix , qu'il avoit
épousée en 1711 , Louis de Villeneuve , Marquis
de Trans , Comte de Tourette , Enſeigne de galeres
en 1733 , mort le 13 Juin 1753. Il avoit
époufé le 29 Octobre 1738 , Louiſe- Catherine
Pernot - du-Buat , morte le 11 Mars 1751. Ils ont
eu de leur mariage :
1º. Louis -Henri de Villeneuve , né le 18 Octo
bre 1739:
2º. Thomas- Alexandre - Balthafar de Villeneu
ve , né le 18 Mars 1742 .
3 °. Rofaline- Victoire-Martial de Villeneuve,
né le 18 Mai 1744.
4. Alexandre-Marie de Villeneuve , né le s
Février 1748.
NOVEMBRE. 1756. 227
Pauline- Nicole de Villeneuve , née le 18
Octobre 1745 .
Dame Félice -Marie de Roque de Garceival ,
épouse de Meffire Philibert- Louis , Comte de Saint.
Jal- de Laftic , Brigadier de cavalerie , & Meftre
de camp d'un régiment de fon nom , mourut en
- Rouergue le 20 Avril , âgée de 27 ans .
Le Marquis de Ceberet , Lieutenant général des
armées du Roi , Grand Croix de l'Ordre royal &
militaire de Saint Louis , Gouverneur des ville
fort & château d'Aire , & Commandant en chef
dans la province d'Artois , eft mort , le 25 Avril , à
Aire , dans la quatre - vingt- quatrieme année de fon
âge. La Marquife de Ceberet , la mere , qui vit encore
, a eu au mois de Juillet dernier 100 ans
accomplis, & elle ne fe reffent d'aucune infirmité.
Le Roi a donné fon gouvernement au Sieur de
Cremille , Lieutenant général des armées de Sa
Majefté , Commandeur de l'Ordre royal & militaire
de Saint Louis , & Infpecteur général des
troupes du Roi,
Meffire Charles- Louis de Rogres de Lufignan ,
Marquis de Champignelles , eft mort le 27 Avril
dans une de ſes terres , âgé de 81 ans. Il avoit été
premier Maître - d'hôtel de Monfeigneur le Duc
de Berry.
eft
Meffire Louis - Jacques - François de Vocance ,
Evêque de Senez , & Abbé de l'Abbaye de Simorre
, Ordre de faint Benoît , dioceſe d'Auch ,
mort à Riez , au commencement du mois de Mai ,
dans la foixante & quinzieme année de fon âge.
Claude de Chamborant , Comte de la Claviere ,
Lieutenant général des armées du Roi , Gonverneur
du Pont d'Arlos & de Mont- Medi, & premier
Gentilhomme de la chambre du Comte de la Marche
, Prince du fang , de la perfonne duquel il
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
avoit été Gouverneur , mourut à Paris le 18 Mai ,
âgé de 65 ans. Il a fervi avec beaucoup de réputatation
, & il s'eft diftingué à la tête des brigades de
Limofin & de Bretagne , ainfi qu'à la défenſe d'Egra,
en Boheme .
Le Comte de la Claviere avoit époufé , le 18 Juin
1728 , Marie-Anne Moret- de Bournonville, de laquelle
il a eu :
1º. André- Claude de Chamborant , né le 23 Février
1732 , Capitaine de cavalerie .
2º. Marie-Anne- Therefe de Chamborant , née
le 14 Septembre 1734.
La maison de Chamborant tient un rang diſtingué
dans la nobleffe de France , tant par l'ancienneté
de fon origine , que par fes alliances & fes
emplois honorables , foit à la cour , ſoit dans les
armées. Elle tire fon origine de la terre de Chamborant
, premier Fief & Baronie du Vicomté de
Bridiers en Poitou . L'Abbaye de Bénévent , diocefe
de Limoges , compte parmi fes bienfaiteurs
les Seigneurs de Chamborant , qui fe trouvent qualifiés
Chevaliers , dès le onzieme fiecle . Gosfrid
de Chamborant eft nommé avec les Chevaliers ,
qui fignerent une charte en faveur de l'églife de
Limoges , fous l'épiſcopat de l'Evêque Ithier , vers
l'an 1060.
Cette Maifon s'eſt partagée en deux branches
principales celle de Droux , & celle de la Claviere
, deux terres , la premiere en Limofin , l'autre
dans la haute Marche , que Marguerite de Forges
porta en dot, vers l'an 1330 , à Pierre de Chamborant
, Chevalier , Seigneur de Chamborant
frere de Guillaume de Chamborant , Ecuyer du
corps du Roi , Baron d'Afnebec & de Rannes en
Normandie , qu'il vendit en 1383. Du mariage
de Pierre de Chamborant , & de Marguerite de
NOVEMBRE. 1756. 229
Forges , vint Foucaud , Seigneur de Chamborant ,
de Droux & de la Claviere , qui fut pere par Jaquette
de Clays-de Gui , Seigneur de Chamborant
, & de Jacques de Chamborant , qui de Marguerite
Chauvet- de Sampnac , eut pour fecond fils
Gui de Chamborant , Seigneur de Droux & de la
Claviere , allié avec Françoife de Salagnac , dont
les deux fils Pierre & Gafpard ont formé les deux
branches de Droux & de la Claviere.
L'aîné eut de Philippe de Loube , pour ſecond
fils , Pierre Chamborant , fecond du nom , Baron
de Neuvi-Saint- Sépulchre, Lieutenant Général de
la province de Berri , Gouverneur de la groffe tour
de Bourges , Chevalier de l'Ordre du Roi , Chambellan
& Colonel des Gardes étrangeres du Duc
d'Anjou. Il épouſa Anne de la Foreft, qui fut Gouvernante
des Dames de France , foeurs du Roi
Louis XIII , & eut pour enfans Marguerite de
Chamborant , fille d'honneur de la Reine Marie
de Médicis , & Louis de Chamborant , Baron de
Neuvi - Saint - Sépulchre , mort à Madrid le 19
Avril 1615 , en odeur de fainteté. Son oncle Jean
de Chamborant , Chevalier de l'Ordre du Roi ,
Seigneur de Droux , fut pere , par fa feconde femme
Catherine de Châteauvieux , de Gafpard de
Chamborant , dont l'arriere - petite fille Marie-
Anne de Chamborant, Dame de Droux, a épousé,
en 1728 , Jean de Chamborant, Seigneur de Villevert
, fon parent.
Gafpard de Chamborant , Seigneur de la Claviere
, fecond fils de Gui & de Françoife de Salagnac
, devint Seigneur d'Azai - le - Feron en Touraine
, par fon mariage avec Louife de Reilhac , des
Vicomtes de Brigueuil , qui fut mere de Jean de
Chamborant , Seigneur de la Claviere , Chevalier
de l'Ordre du Roi, marié en 1571 , à Anne Razès.
230 MERCURE DE FRANCE.
Leur fils Pierre de Chamborant , Seigneur de la
Claviere , qui époufa Diane de Gentils , fut Lieutenant
de la compagnie des cent Gentilhommes ordinaires
de la Maifon du Roi , appellés les cent
Gentilshommes à bec de Corbin , charge dans laquelle
lui fuccéda , en 1660 , fon fils Etienne de
Chamborant , Seigneur de la Claviere , d'Aiguzon,
de Lavye & de Puilaurent , Confeiller d'Etat d'épée
, qui avoit été fait en 1647 Maréchal de
Camp, en gardant par une diftinction particuliere
fes deux régimens, l'un de cavalerie , & l'autre d'infanterie
, & en 1650 Gouverneur de Philisbourg ,
ayant commandé la cavalerie légere fous M. le
Prince. Il avoit époufé en 1639 , Marie Phelipes,
de laquelle il eut Pierre de Chamborant , Seigneur
de la Claviere , de Puilaurent , &c. mort en 1714 ,
ayant été allié à Marie- Anne le Fort-de Villemandor
, fille de Georges le Fort , Baron de Cernoi ,
& Seigneur de Villemander. Il laiffa pour enfans.
1º. Alexandre- Etienne de Chamborant , appellé
le Marquis de Puilaurent , né le 26 Novembre
1685 , Lieutenant de vaiffeau en 1728 , & Chevalier
de l'Ordre royal & militaire de faint Louis.
2º. Claude de Chamborant, Comte de la Claviere
, qui donne lieu à cet article.
3°. Henri de Chamborant , reçu Chevalier de
Malte de minorité en 1704.
4°. Marie-Anne de Chamborant,mariée le 14 Novembre
1721 , à André Hébert, Seigneur , Baron de
Chateldon , alors Introducteur des Ambaffadeurs.
Pierre-Emmanuel - Jofeph-Timoleon de Coffé-
Briffac , Marquis de Briffac , fils de Jean- Paul
Timoleon de Coffé, Duc de Briffac, Pair & grand
Pannetier de France, Chevalier des Ordres du Roi,
& Lieutenant général des armées de Sa Majesté ,
NOVEMBRE . 1756. 23
mourut à Paris le 27 Mai , âgé de 14 ans . Marie-
Jofephe Durey de Sauroy, une des Dames nommées
pour accompagner Madame , épouse du Duc de
Briffac , & mere du Marquis de Briffac , eft morte
le 18 Juin fuivant , dans la quarantieme année de
fon âge.
Meffire N.... Comte de Crefnay , Vice- Amiral
de France , dans les mers du Ponent , & Grand-
Croix de l'Ordre de faint Louis , eft mort le 31
Mai , au château de la Riviere , près Fontainebleau ,
âgé de 65 ans. Il étoit entré dans la marine en
1705, & s'étoit diftingué dans les différens grades
de ce fervice .
Agnès Miotte de Ravane , époufe de Charles-
Anne-Sigifmond de Montmorenci - Luxembourg ,
Duc d'Olonne, Maréchal des camps & armées du
Roi , mourut à Paris le 1 Jain , âgée de 31 ans.
Elle avoit épousé le Duc d'Olonne le 2 Juin 1753,
étant veuve de Matthieu - Roch de la Rochefoucauld,
Marquis de Bayers.
Dame Magdeleine- Elizabeth de Rieux de Far
gis , veuve de Meffire Pierre-Eléonor de la Ville ,
Marquis de Ferolles , Gouverneur des Ifle & terre
ferme de Cayenne en Amérique , eft morte à Paris
le 2 Juin , dans la foixante & dix-huitieme année
de fon âge.
Jean-Louis Mocénigo, Noble Vénitien , Chevalier
de l'Ordre de l'Etole d'or , l'un des fix Sages
grands , d'abord Ambaffadeur de la République
de Venise à la Cour d'Eſpagne en 1747 , à celle
de France en 1751 , & nommé en 1754 pour
PAmbaffade de Rome , eft mort à Paris le 12 Juin
dans fa quarante-fixieme année.
De fon mariage contracté en 1737, avec Blanche
Morofini , fille de Louis , Noble Vénitien , &
l'un des Membres du Sénat , il laiffe pour enfans ,
232 MERCURE DE FRANCE.
1º. Jean- Louis Mocénigo , né en 1738. 2 ° . Jean-
Louis , né en 1744. 3 °. Marie Mocénigo , née en
1739. 4º . Hélene Mocénigo , née en 1743.
Meffire Henri -Charles Arnauld de Pomponne ,
Abbé de Saint-Médard de Soiffons , Ordre de
Saint Benoît , Doyen du Confeil d'Etat , Commandeur-
Chancelier , Garde des Sceaux & Sur-
Intendant des Finances des Ordres du Roi , &
honoraire de l'Académie Royale des Belles - Lettres
, eft mort à Paris le 26 Juin , âgé de 87 ans
moins 14 jours.
Armand de Rohan-Soubife , Cardinal Prêtre ,
Evêque- Prince de Strasbourg , Abbé de l'Abbaye
de la Chaife-Dieu , Ordre de S. Benoit , Dioceſe
de Clermont , Grand Aumonier de France, Commandeur
des Ordres du Roi , & l'un des Quarante
de l'Académie Françoiſe , mourut à Saverne le
28 Juin , âgé de 38 ans , 6 mois & 27 jours. Le
Pape l'avoit créé Cardinal à la nomination du Chevalier
de S. Georges , dans la promotion faite en
1747, pour les Couronnes. Il étoit fils de Jules-
François de Rohan- Rohan , Prince de Soubife ,
mort le 6 Mai 1724. & d'Anne- Julie- Adélaïde de
Melun , décédée le 18 Mai de la même année
1724.
Meffire Charles Beaupoil de Saint Aulaire ;
Abbé de l'Abbaye de Mortemer, Ordre de Citeaux,
Dioceſe de Rouen , & de celle de S. Jean de Falaife
, Ordre de Prémontré , Diocefe de Seez , &
Aumonier ordinaire de la Reine , eft mort le 29 ,
âgé de près de 87. ans .
Agnès- Marie de la Rochefoucauld de Lafcaris
d'Urfé , veuve de Meffire Paul-Edouard Colbert ,
Comte de Creuilly , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , décédé le 28 Février de cette année,
eft morte à Paris le 1 Juillet , dans la vingt- cinNOVEMBRE.
1756 . 233
quieme année de fon âge. Elle avoit épousé le
Comte de Creuilly le 4 Avril 1754.
François - Maximilien de Tenczin - Offolinski ,
Duc d'Offolinski , Prince du Saint Empire , Chevalier
des Ordres du Roi & de l'Ordre de l'Aigle
blanc , Grand Maître de la Maiſon du Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar ; & Gouvelneur
des Château & Ville de Lunéville , mourut
au Château de la Malgrange près de Nanci , le 1
Juillet , âgé de 80. ans .
En 1725 il fut Maréchal de la Diete générale
de Pologne ; il a été enfuite Grand- Tréforier de la
Couronne. Il fuivit le Roi Staniflas en France ,
dans l'année 1736 , & le Roi cette même année lui
accorda un brevet de Duc. Sa Majefté , l'année
fuivante , le nomma Chevalier de fes Ordres ..
Il étoit fils de Maximilien , Comte de Tenczin-
Offolinski , Grand Veneur du Palatinat de Podlachie
, & de Théodore , Comteffe de Kraffouska.
Il avoit été marié en premieres nôces à N... fille
de N... Comte de Méviézinski , Palatin de Vo-
Ihinie en Pologne ; & en fecondes nôces à Catherine
Jablonowska , fille de Jean né Prince Jablonowski
, Grand Enfeigne de la Couronne de Pologne
, Palatin de Volhinie & de la petite Ruffie ,
& foeur du Prince Jablonowski , Chevalier des
Ordres du Roi , & de la Princeffe de Talmont.
Il a eu de fa premiere femme :
1º. Jofeph , dit le Comte de Tenczin - Offolinf
ki , Starofte de Sandomir , qui eft marié en Pologne.
2 Thomas , dit auffi Comte de Tenczin - Offolinski
, ci- devant Chevalier d'honneur de la Reine
de Pologne , Ducheffe de Lorraine & de Bar.
3°. Anne de Tenczin - Offolinski , alliée à Jofaphat
, Comte de Zamewski , Grand Sous - Pannetier
du Royaume de Pologne.
234 MERCURE DE FRANCE.
4° . Thérefe de Tenczin- Offolinski.
Dame Conftance de Harville , veuve de Meffire
Nicolas-Simon Arnauld, Marquis de Pomponne ,
Brigadier des armées du Roi , & ancien Lieutenant
Général au Gouvernement de l'Ile de France , eft
morte en cette Ville le 4 Juillet , âgée de 84 ans.
Dame Michele- Gabriele Dugué- de Bagnols ,
veave de Meffire Jacques Tannegui le Veneur,
Comte de Tillieres, eft morte à Paris le 22 Juillet,
âgée de 83 ans.
Charles- Armand de Gontaut , Duc de Biron ,
Pair & premier Maréchal de France , Chevalier
des Ordres du Roi , & ci - devant Gouverneur des
Ville & Citadelle de Landau , mourut en cette
Ville le 23 Juillet , âgé de 93 ans moins quelques
Jours.
Au mois de Juin 1598 , la Baronie de Biron avoit
été érigée en Duché- Pairie pour Charles de Gontaut-
de Biron , Maréchal & Amiral de France ,
Maréchal Général des Camps & Armées du Roi ,
Gouverneur & Lieutenant- Général du Duché de
Bourgogne & du pays de Breffe , & Chevalier des
Ordres du Roi. Ce Seigneur étant mort en 1602 ,
& n'ayant point laiffé de postérité, le Duché- Pairie
de Biron fut éteint . Le Roi a de nouveau érigé à
perpétuité pour le Maréchal de Biron qui vient de
mourir , la Baronie de Biron en Duche-Pairie par
Lettres du Mois de Février 1723. Le 22 du même
mois ce nouveau Duc , arriere petit neveu du
premier Duc de Biron , prit féance au Parlement ,
Sa Majesté y tenant fon lit de juftice , pour la déclaration
de fa Majorité.
Par la mort du Maréchal Duc de Biron , le Maréchal
Duc de Noailles devient premier Maréchal
de France.
NOVEMBRE. 1796. 235
AVIS.
LE Sieur Viale , Chirurgien expert , reçu à S.
Côme pour les Hernies ou defcentes de Boyaux
vend une Eau de fimples , qui guérit radicalement
toutes fortes de defcentes fans opérations &
en très- peu de tems tant pour femmes que
pour hommes , & même pour Hernies Ombilicales...
C'eſt un remede qui a été expérimenté dans toute
la Bretagne , ainfi qu'il eft conftaté par plufieurs
Certificats qui lui ont été expédiés , & notamment
par un arrêt du Parlement de Rennes & un Certificat
de la faculté d'Angers .
Depuis fept mois que le fieur Viale eft à Paris , ..
il a guéri plufieurs perfonnes diftinguées , dont
il a les Certificats . Il en a un de M. Petit , Medecin
de Monfeigneur le Duc d'Orléans , un de M.
Hoftie , Medecin de la Faculté de Paris , &c.
Ceux qui pourront être tranquilles dans leurs
chambres n'auront pas beſoin de tenir un ban
dage.
Le prix de la bouteille de cette Eau eft de
48 livres , & une feule fuffit pour la maladie la
plus invétérée. On s'en fert en trempant un morceau
de linge fin dans cette Liqueur , pour
en baffiner la partie affligée matin & foir.
Il demeure à Paris , rue du Sépulchre , dans la
maifon de M. de Bréaud , vis-à- vis le corps-de-
Garde , au fecond en entrant par l'efcalier à droite.
On le trouvera le matin , depuis 10 heures jufqu'à
midi , & l'après-midi , depuis 2 heures jufqu'à
fept.
236 MERCURE DE FRANCE.
LE
AUTR E.
E Public eft averti que le fieur Nivard vend
& débite , par permiffion de M. le premier Médecin
du Roy , & de la commiffion Royale de
Médecine , un remede fpécifique pour les diffenteries
, & pour le flux de fang.
Ce remede qui eft fous la forme d'un extrait ;
fe délaye dans une taffe d'eau tiede , & il eft
rare qu'il foit néceffaire d'en donner plus d'une
où deux prifes .
Il demeure rue S. Louis au Marais , au coin
de celle de S. François chez M. le Febvre , à
Paris.
On le trouve tout le matin jufqu'à midi.
AUTRE.
Le grand ufage du Café , l'incommodité &
l'embarras où font quantité de perfonnes pour le
mettre au point qu'il le faut pour s'en fervir dans
toute fa bonté , ont déterminé le fieur Berthod
à le rendre plus commode , & le mettre au point
de n'avoir befoin que d'une Cafetiere , de l'eau ou
du lait , pour avoir du Café en moins d'un quart
d'heure.
Ce Café eft en tablettes comme le Chocolat.
Chaque tablette porte trois fortes taffes ; & ceux
qui ne le prennent pas fi fort , en pourront faire
quatre à l'eau , & au lait cinq , & même fix tafles.
L'invention dudit Café eft d'autant plus commode
, qu'elle eft moins embarraffante , furtout
pour Meffieurs les Officiers & les Voyageurs ,
NOVEMBRE. 1756. 237
qui n'ont befoin de porter avec eux que la fimple.
tablette , fans fucre ni moulin. Il est encore d'une
grande utilité pour les perfonnes âgées , qui ont
coutume de prendre leur Café deux fois le jour.
Ce Café fe fait entiérement comme le Café en
poudre.
Le prix de la tablette Moka pur , 12 fols :
moitié Moka & Martinique , 10 fols : Martinique
fimple , 8 fols.
debite fes Tablettes dans S. J. de Latran , chez
le fieur le Riche , Bourfier , fous la grande porte.
AUTRE.
François, Maître Limonadier à Paris , rue Sainte-
Anne , Butte S. Roch , à la Croix de Chevalier ,
vis-à - vis la rue Clogeorgeot ; tient grande Fabrique
de Chocolat de fanté de vanilles de toutes
fortes de façons , Piftaches & Diablotins , & à
jufte prix.
AUTRE.
Elixir Stomachique du Sieur Camus , Marchand
Epicier-Droguifte , rue S. Denis , vis -à- vis la rue
Guerin - Boileau , au figne de la Croix du Fer à
Cheval , à Paris. Cet Elixir fortifie l'eftomac ;
facilite la digeftion , recrée les efprits animaux &
chaffe les vents ; il foulage auffi les perfonnes attaquées
de Toux pituiteufe & d'Afthme humide ; il
eft un préfervatif contre le mauvais air. C'eſt un
très-bon cordial d'un goût fort agréable. Les perfonnes
en fanté peuvent auffi en faire ufage avec
fuccès. On donnera la maniere de s'en fervir
238 MERCURE DE FRANCE.
avec les bouteilles fcellées du cachet, & l'étiquette
fignée de l'Auteur . Pour la facilité du Public , il y
a des bouteilles de 4 liv. & de 8 liv.
APPROBATION.
J'Ai la , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Novembre , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion
A Paris , ce 28 Octobre 1756.
GUIROY.
ERRATA
pour le fecond Volume d'Octobre.
PAge 26 , ligne 7 , meunet de M. Exaudet ;
lifez , menuet.
Pag. 61 , lig. 10 & 11 , jamais des marques
d'amour n'avoient mieux compromis la pudeur
, lif n'avoient moins compromis la pudeur
Pag. 72 , lig. premiere ,
lif.
Met tout à fac.
Fronfac
Met tout à fac.
Pag. 104, lig. derniere ( 1 ) Louis IV , lif
Lois XIV.
Pag, 135 , lig. 5 , Docteur en Médecine de Montpellier
, lif. de la Faculté de Montpellier
Pag. 239 , lig, 22 , l'amante timide , lif. l'amant
timide,
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
EPITRE à Madame de G *** , qui partoit pour
la campagne , par M, le C. de S. G. M. pages
Les Riens , Conte ,
Vers à une jeune Penfionnaire >
Portrait de Madame la *** , ***,
Origine du jeu de Volant ,
8
27
35
39
Combien les Sçavans doivent avoir peu d'amour
propre ,
Egloge par Madame ...
41
Vers à Mademoiſelle N.... en lui préſentant un
coûteau , 54
Lettre de Mademoiſelle de ... à l'Auteur du Mercure
, 55
Chanfon pour Madame la Marquife d'A *** , 58
Remerciement à M. le Maréchal-Duc de Riche
lieu , par Madame Bourette ,
L'Efprit & la Science , allégorie Angloiſe tirée du
Rambler,
Le Sentiment , Epître ,
60
61
63
Explication de l'Enigme & du Logogryphe du
fecond Mercure d'Octobre ,
Enigmes & Logogryphes ,
Chanſon ,
65
ibid.
68
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES,
Extraits , Précis ou Indications de livres nou
veaux ,
69
76
Réponse de l'Auteur des Lettres à un Américain ,
à la Lettre de M. l'Abbé de Condillac ,
Lettre à Madame de M *** au fujet des Pierres
240
Milliaires que M. S*** a fait placer fur la route
dų Languedoc ,
Séance publique de l'Académie d'Amiens ,
93
119
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géométrie. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Finances.
121
123
140
Chirurgie. Lettres Patentes accordées aux Chirurgiens
de Province ,
Obfervation de chirurgie très- importante au
fujet des ravages produit par la pierre dans
la veffie ,
Séance Publique de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de la Rochelle ,.
146
149
ART. IV. BEAUX - ARTS.
Mufique.
169
Gravure. ibid.
Architecture. 172
ART. V. SPECTACLE
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
177
ibid.
178
ARTICLE VI.
Lettre à M. de Boiffy , fur la Déclamation notée ,
Nouvelles étrangeres ,
180
185
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
201
Bénéfice donné , 207
Mariages & Morts ,
216
Avis divers. 235
La Chanfon notée doit regarder la page 68.
De l'Imprimerie de Ch . Ant . Jombert.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1756.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Fiersa w
www.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais .
Chez PISSOT , quai de Conty.
DUCHESNE , rue Saint Jacques
CAILLEAU , quai des Auguftins.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
16
AVERTISSEMENT
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eſt à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. DE BOISSY ,
Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant ,
que 24 livres pour ſeize volumes , à raison
de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 36 livres d'avance en s'abonnant
, & elles les recevront francs de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront , comme à Paris ,
qu'à raison de 30 fols par volume , c'eſt- àdire
24 livres d'avance , en s'abonnant pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers, qui voudront faire venir le Merécriront
à l'adreffe ci - deffus . cure ,
Aij
Onfupplie les perfonnes des provinces d'envoyer
par la pofte , en payant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres,
afin que le patement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis ,
refteront au rebut.
Il y aura toujours quelqu'un en état de
répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi ,
Mercredi & Jeudi de chaque femaine , aprèsmidi.
On prie les perfonnes qui envoient des Livres
, Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du Mercurè
, les autres Journaux , ainfi que les Livres
, Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
On trouvera au Bureau du Mercure les
Gravures de MM . Feffard & Marcenay.
1
MERCURE
DE FRANCE.
DECEMBRE . 1756 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
TRADUCTION LIBRE
D'une Élégie de Tibulle , qui commence
par ces vers :
Qui mihi te , Cerinthe , dies dedit , kic mihi fančtus
Atque inter feftos femper habendus erit.
DÉLIE A CERINTHE.
PARTOUT ,
ARTOUT
, quelque
foin
qui
me preffe
,
Je veux
par
des
chants
d'alégreffe
A
8 MERCURE DE FRANCE.
Sous tes yeux & durant l'abſence ,
Tes fentimens & tes difcours.
CHAUVEL , Avocat.
De Draguignan , le 15 Juillet 1756.
VERS
Sur la Conquête de Minorque.
Aigle, dans la géométrie ,
L'Anglois fe tue à concevoir
Comment Minorque , Iſle chérie ,
Vient d'échapper à fon pouvoir.
Car , dit-il , Part & la nature ,
Quand ils protegent des remparts ,
Doivent les préferver d'injure ,
Et rendre nuls tous les hazards :
Frivole motif d'affurance
Contre le vengeur de la France ,
Richelieu , notre fûr appui !
L'art & la nature avec lui
Furent toujours d'intelligence.
Par le même.
DECEMBRE. 1756. 9
PORTRAIT
Plus vrai que vraiſemblable.
ZIrphée n'aime ni les chiens , ni les
chats , ni les perroquets ; elle ne condamne
cependant point le goût qu'on a pour ces
efpeces. Elle fçait que tout eft bien , &
convient de toute l'utilité dont les bêtes
font à fon fexe : que faire fans elles toute
la journée ? & puis que dire lorfqu'il vient
quelqu'un , fi on n'avoit pas la reffource
de Babiche ou de Gredin ? Ils font fi aimables
, ils ont tant d'efprit.
Elle n'a nulle peur des fouris , des ef
prits , des petits coups de tonnerre , ni des
voitures bien attelées ; la pompeufe marche
de la plus groffe araignée ne l'effraye
pas plus que le vol d'un ferin , l'efpece
humaine ne lui en impofe pas davantage ?
elle voit du même il l'intervalle néceffaire
qui fépare les conditions , & les rapports
de mifere qui r'approchent & confondent
les individus. Nul obiet ne peut
lui faire illufion : elle connoît tous les
avantages attachés à la beauté , & ne la
payeroit pas de la moindre des qualités de
fon coeur. Elle eft fi perfuadée que tout
ce qui eft honnête eft encore charmant ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle n'a jamais eu le moindre dépit
contre les femmes plus jolies qu'elle ; elle
les laiffe froidement voler après le plaiſir ,
courir après l'éclat : elle fçait qu'elles n'arriveront
qu'à la honte , au ridicule ou au
épentir.
Elle eft jeune & dans une fortune aifée :
elle n'a jamais eu d'autre fantaifie que
celle de donner .
Si elle fourit quelquefois à l'efpérance
d'être un jour fort riche , ce n'eft ni pour
nourrir des chevaux & des valets inutiles
à la commodité , ni pour mériter l'éloge
& l'hommage des gourmans. Zirphée verfera
des bienfaits fur l'indigence , & fe
bornera à être utile à la vertu. Elle eft
contente de fon état : elle en remplit tous
les devoirs ; elle en feroit même fon bonheur
, s'il ne l'affujettiffoit un peu trop à
une foule d'importuns de toute efpece , à
qui elle craint encore plus de trop plaire
que de manquer.
Rien n'échappe à fa pénétration ; mais
elle la voile fous un maintien fi honnête
& fi modefte , qu'il n'y a point de femme
qui ne croye fermement avoir plus d'efprit
qu'elle. Elle écoute toujours tout ce qu'on
lui dit , & elle n'entend jamais que ce
qu'on penfe. Elle est toujours égale , toujours
vraie & toujours raiſonnable , &
DECEMBRE. 1756. II
cette uniformité eft mille fois plus piquante
que le caprice , la folie & la fingularité
des autres. Elle a reçu des bienfaits :
ils font préfens à fon fouvenir , & ne font
point un fardeau pour fon coeur.
Les fervices , les procédés , le droit de
la voir & de l'entendre font la récompenfe
de ceux qui la devinent & qui s'attachent
à elle : la douleur de la refpecter eft le
partage de fes envieux.
LES ADIEUX
d'un Berger à fa Bergere.
Séjour brayant qu'habite ma Bergere ;
On la vertu n'eft pas ce qu'on révere ,
N'attends de moi ni larmes , ni regrets ;
Je les réfervé à de plus doux objets.
Tout dans tes murs confacre le caprice ,
Tout eft au pied de l'idole du vice. -
En parvenant au fommer des honneurs ,
Tel qui plaintif dans le fein des grandeurs ,
Gémit des coups de l'inquiete envie ,
Efit pu jouir d'une paifible vie ,
Si moins frappé d'un chimérique éclar ,
Il eût borné ſon coeur & ſon état.
Eft-il quelqu'un de tous tant que nous fommes,
Qui fans rougir envisage les hommes ?
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Quel fourbe adroit colorant leurs excès ,
Auroit le front de les louer jamais ?
Si le coeur dicte un légitime hommage ,
C'est un tribut qu'il n'adreffe qu'au Sage ,
Qui pénétré de trouble & de pudeur ,
En foupirant , fe livre à la douleur
De voir , de fuir fon aveugle patrie ,
Afes faux goûts follement affervie ;
Libre & fauvé du naufrage des moeurs ,
Au fond des bois cherchant des jours meilleurs.
Pour moi du moins , je ceffe d'être à plaindre,
Puifque je quitte un féjour tant à craindre.
Tout plein d'Eglé dans le fein de la paix ,
En méditant les vertus , fes attraits ,
Je goûterai monfort & ma retraite ,
Que je verrois mon ame fatisfaite !
Si je pouvois , féjour contagieux ,
Te dérober trois êtres vertueux ,
Qui dans leur coeur te rendent bien juſtice ,
Et te fuiroient fans faire un facrifice.
Laiffe mon goût du moins dicter fon choix ;
Peu de mortels mériteront ma voix :
Je ne veux point de cet Ami vulgaire ,
Qui n'a pour moi qu'un zele mercenaire ,
Qui calculant un fervice important ,
Sur le retour ou futur , ou préfent ,
A l'amitié fenfible en apparence ,
Pour m'oublier n'attend que mon abſence ;
Mais cet Ami prévenant mes befoins ,
DECEMBRE . 1756. 13
De demander qui m'évite les foins ,
Qui partageant ma joie ou mes allarmes ,
Avec moi rit ou m'accorde des larmes ;
Ce la F.... amufant , doux , fincere ,
Dont le coeur pur n'en veut qu'au caractere ,
Et jugeant l'homme aux fentimens , aux moeurs,
Aime à choifir jufqu'à fes protecteurs ;
Qui délicat & tendrement avare
De fes chagrins , en fecret les répare ,
Tant que fon ame en peut porter le faix ,
Et d'un Ami ne point troubler la paix.
Suis-je rêveur il fçait à ma tendreffe
Donner lui- même un moment de foibleffe ,
Ou des avis tempérant la chaleur ,
Me dit le vrai fans fafte & fans aigreur.
Suis- je coupable ( au moins en apparence )
Rien ne l'allarme , il fent mon innocence.
La confiance eft l'aliment du coeur :
Des vrais Amis , voilà le point d'honneur ;
S'en écarter en amitié , c'eft crime ,
C'eſt ne montrer qu'une volage eſtime,
Je n'admets point dans ma ſociété ,
Tout vain frondeur de cette amenité ,
Qui décélant un heureux caractere ,
A plus de droit que tout autre à me plaire ;
Je crains , je fuis l'éternel louangeur ,
De mes difcours tout dur épilogueur ,
Dans les récits le conteur infidele ,
Des moeurs d'autrui le porteur de libelle,
14 MERCURE DE FRANCE.
Qui me prêtant fa noire intention ,
Verfe le fiel fur la moindre action :
Mais parlez -moi du plaifir de me rendre ,
Où l'on me voit arriver fans m'attendre ,
Pour n'y trouver que les ris , que les jeux ,
Dans le propos , dans l'acueil , dans les yeux ;
Là je folâtre , & je parle à mon aife ,
Prenant fans choix le fauteuil ou la chaife :
Là je puis être avec tous mes défauts ,
Sans redouter de trop cruels affauts :
Si l'on m'y dit tout haut ce que l'on penſe ,
La vérité s'unir à l'indulgence ;
Auffi le coeur s'y trouve fi content ,
Que l'heure y paffe & fuit en un inſtant.
Pour prévenir le plus léger nuage ,
Tout prend le ton du riant badinage ;
Mon coeur fe fent avec de vrais amis ,
Et trouve là tout ce qu'il s'eft promis :
Voilà chez vous , innocente Bergere ,
Ce qui me plaît de votre caractere ;
Votre efprit droit , par fon égalité ,
Sur votre front met la férénité ,
Qui fuit le riche & nos prétendus Sages ,
Puifqu'on la lit fur fi peu de vifages.
Qui pourroit voir fans admiration ,
( Pour votre ſexe exemple d'union !)
Ce noeud du coeur dont Life & vous unies,
Goûtez en paix les douceurs infinies ,
Jeunes beautés , fi rarement d'accord ,
DECEMBRE . 1756.
15
$
On fympathife ici fans nul effort !
Pourquoi partout ne vit -on pas de même ?
A l'expliquer , facile eft le problême ;
On ne voit pas que tout corps féminin
Soit animé d'un efprit maſculin ;
Quand c'eft un don qu'on doit à la nature
Prefque toujours il tient lieu de culture ;
C'est réunir fes plus rares faveurs ,
Que de fçavoir regner fur tous les coeurs :
Quoi ! vous quitter ... ô devoir inflexible ! ...
A mon départ fi l'on étoit fenfible ;
En partageant d'un Ami la douleur
On adoucit le plus cruel malheur.
Bois , prés , fontaine , aimable folitude ,
Triftes témoins de mon inquiétude ,
N'efpérez plus amufer mes defirs ,
Ni me charmer par de nouveaux plaiſirs !
En eft-il donc , quand loin de ſa Bergere ,
On ne voit plus qu'une image fi chere !
Quand s'égarant ( le coeur plein de regrets ) ,
On s'en nourrit dans l'horreur des forêts.
Il eſt pourtant , bois fombre & folitaire ,
Un feul moyen d'ofer encor me plaire.
Ne m'infpirez que de lugubres vers ,
Pour mes chansons que les plus triftes airs ;
Que vos Zéphirs volent peindre ma peine
A mon Eglé pour toi , claire fontaine ,
Que je groffis du torrent de mes pleurs ,
En attendant , feche ainfi que tes fleurs !
16 MERCURE DE FRANCE,
རྗ
Charmans Vergers , refufez tout ombrage ,
Doux Roffignols, ceffez votre ramage ,
Jufqu'au moment qu'Eglé doit dans ces lieux ,
D'un feul fouris ramener tous les jeux.
A fes vertus fous ce charmant feuillage ,
Vous me verrez rendre un fidele hommage ,
Puiffe mon coeur en garder le tableau ,
Pour me créer un deftin tout nouveau ,
Et chaque jour que le Ciel me réſerve ,
. Dans mon Eglé confacrer ma Minervė !
PENSÉES ( 1 )
SUR LA CONVERSATION.
ON
N ne fçauroit être trop inftruit , ni
parconféquent trop lire & trop refléchir
fur ce qui eft d'une pratique journaliere.
La lecture & les réflexions , jointes à l'ufage
, forment l'inftruction complette. C'eſt
ce qui m'engage à publier ces Penfees fur
la Converſation , à laquelle , malgré les
affaires , l'étude , la lecture & le jeu , il
n'y a perfonne qui ne donne chaque jour
un temps affez confidérable. N'euffent elles
rien d'abfolument nouveau pour le fonds ,
comme cela eft vraisemblable après tant
d'écrits fur la Converfation , elles rappelle-
(1 ) Ces Penfées font de l'Auteur de la Lettre fur
les Mémoires de Me, de Staal , imprimée dans le
fecond Mercure de Décembre 1755 .
DECEMBRE. 1756. 17
ront du moins des vérités qu'on ne peut
avoir trop préfentes.
I. Si je me laiffois aller aux défirs que
la vanité m'infpire quelquefois , de tous
les talens c'eft celui de la converfation
que je défirerois le plus , pourvu que j'y
joigniffe les qualités néceffaires pour en
bien ufer ; car ce talent a , comme tous les
autres , fes inconvéniens & fes dangers , &
mon principal objet dans cet écrit , eft
de les faire connoître , avec les moyens de
les éviter.
Il n'y a rien de mieux fenti que le talent
de la converfation , & même que la fupériorité
d'un autre fur foi à cet égard.
Dorante a fur Damis le double avantage ,
& de mieux parler & de mieux écrire
lui. Damis ne fent que le premier.
que
II. Avec beaucoup d'efprit , & même
avec beaucoup de fortes d'efprit & de talens
, on n'a pas toujours l'efprit & le talent
de la converfation .
Si jamais ouvrages ont annoncé ce talent
dans leur Auteur , ce font ceux de la
Fontaine ; il ne l'avoit pourtant pas. Il n'y
a donc point à conclure des ouvrages à la
converfation , & moins encore des ouvrages
en vers que des ouvrages en profe.
Ce talent fait bien des jaloux , furtout
parmi ceux qui avec de l'efprit , ne l'ont
18 MERCURE DE FRANCE.
pourtant pas. Ils font piqués que des gens
à qui ils croyent beaucoup moins d'efprit
qu'à eux-mêmes , & qui fouvent en ont
beaucoup moins en effet , paffent cependant
fur leur converſation pour en avoir
beaucoup plus.
III. On a dit de M. N , mauvais Auteur,
que c'étoit pourtant un homme de beaucoup
d'efprit : c'eft qu'il en montroit effectivement
beaucoup dans la converſation.
M. de *** , bon Auteur , n'y en
montroit point , il montroit même tout le
contraire ; ce qui fit dire à quelqu'un :
Qu'il avoit mis dans fes ouvrages plus d'efprit
qu'il n'en avoit , & qu'ils valoient mieux
que lui. Il y a du vrai dans ce badinage. Il
prouve dduu mmooiinnss que c'eft furtout par la
converfation qu'on juge fi un Auteur vivant
, & qu'on connoît , a beaucoup d'efprit
, ou s'il en a peu.
On juge des ouvrages par la perfonne
autant que de la perfonne par les ouvrages,
& il faudroit que ceux- ci fuffent bien excellens
pour fe foutenir contre l'idée abfolument
contraire que l'Auteur donneroit
de fon efprit dans la converſation .
J'ai oui- dire que du vivant de la Fontaine
cette extrême fimplicité , qui alloit
quelquefois jufqu'à une apparence de bêtife
, nuifoit à fes ouvrages auprès de ceux
DECEMBRE. 1756. 19
qui le connoiffoient perfonnellement , auprès
de Defpréaux & de Racine mêmes ; &
que fi à force de méprifer l'homme & d'en
plaifanter , ils n'en étoient pas venus jufqu'à
méprifer l'Auteur , du moins , ils ne
lui rendoient pas toute la juftice qui lui
étoit dûe (1 ).
Ce feroit donc fageffe à plufieurs bons
Auteurs de fe répandre peu dans le monde ;
ce feroit un avantage pour eux de n'être
connus que par leurs ouvrages . Ils en feroient
perfonnellement plus eftimés , &
leurs ouvrages auffi . Ilsvont dans le monde
pour y jouir de leur réputation , & ils l'y
perdent.
Il en eft de quelques Auteurs comme
de quelques filles de l'Opéra ; ceux - là
auroient autant d'intérêt à n'être connus
que par leurs ouvrages , que celles - ci à
n'être vues que fur le théâtre.
Quelques filles de théâtre ont de grands
talens fans beauté , quelques Auteurs en
ont aufli fans efprit.
IV. Par le talent de la converfation
j'entends non feulement le don de plaire
& d'amufer , mais encore celui de perfuader
, de toucher , de tourner à fon gré les
(1 ) On fçait que Despréaux n'a point parlé de
la Fontaine dans fon Art poétique. Voyez le
Boleana.
20 MERCURE DE FRANCE.
coeurs & les efprits , & de les amener où
l'on veut. Cette éloquence de converfation
eft peut-être de tous les talens le plus
flatteur & le plus utile .
Cependant ce qu'on appelle un beau parleur
, n'eſt pas toujours un homme éloquent
, encore moins un homme d'efprit ,
ni même un bel - efprit ; car ce que dit
l'homme d'efprit eft ingénieufement penfé
, & ce que dit le bel - efprit eft du moins
ingénieufement exprimé mais fouvent
dans ce que dit le beau parleur, il n'y a rien
d'ingénieux ni pour la penſée , ni pour
Pexpreffion , & fon talent n'eft qu'une
grande facilité .
Elle eft l'effet de la netteté & de la vivacité
réunies ; mais on peut avoir ces
deux qualités fans beaucoup d'efprit.
De cette facilité vient l'abondance , &
le bean parleur eft ordinairement grand
parleur. Ce défaut lui nuit & lui fert. On
dit qu'il parle bien , mais qu'il parle trop.
S'il ne parloit pas trop , on n'auroit jamais
dit qu'il parle bien.
Celui qui parle bien , peut parler davantage
, comme celui qui eft riche peut
faire plus de dépenfe. Cependant comme
celui- ci ne doit point faire étalage de fes
richeffes , celui-là n'en doit pas faire non
plus de fon efprit , & il y a pour l'un
F
N
Pi
DECEMBRE . 1756.
21 .
comme pour l'autre un luxe de vanité ,
toujours odieux & fouvent ridicule.
V. Une des qualités les plus agréables
dans la
converfation , c'eft la gaieté. Rien
n'embellit plus ce qu'on dit .
D'ailleurs ,
elle fe
communique , & que pourroit-on
donner de meilleur ?
Quand on eft gai , on eft mieux difpofé
& à dire de bonnes chofes , & à goûter celles
que difent les autres . On eft auffi moins
fufceptible de dégoût pour les choſes trop
médiocres , trop communes , mauvaifes
même. La gaieté ajoute d'une part à l'efprit
, & de l'autre à
l'indulgence.
Telle perfonne plaît infiniment dans la
converfation , & paffe en
conféquence
pour avoir beaucoup d'efprit , qui au fond
n'a que de la vivacité , de la politeffe &
de la gaieté.
On croit de l'efprit & de la gaieté à
N *** , quoiqu'il n'en ait point . Une
imagination folle lui tient lieu de l'un &
de l'autre.
L'enjouement vaut peut - être encore
mieux que la gaieté , du moins dans la
bonne compagnie. Etant moins vif , il eft
plus prudent & plus fage. D'ailleurs , il eſt
ordinairement plus fpirituel que la gaieté ,
du moins plus fin & plus délicat.
La gaieté vaut mieux pour foi , l'enjoue
ment pour les autres.
24 MERCURE DE FRANCE.
aimé dans une fociété , n'eft pas celui qui
y paffe pour avoir le plus d'efprit. Il eſt
probable auffi que ce n'eft pas celui qui y
paffe pour en avoir le moins , mais cela
n'eft pas fifûr.
Un fot fera plutôt admis dans une fociété
de gens d'efprit , qu'un homme d'efprit
dans une fociété de fots.
Un homme médiocre et bien propre à
réuffir dans le monde ; un homme d'efprit
qui fçauroit bien cacher fon efprit & fupporter
les fots , y feroit plus propre encore.
Le fuprême efprit , c'eſt d'ufer de fon
efprit en le cachant. Alors on eft à la fois
habile & fin .
La fineſſe fans l'habileté échoue ſouvent,
quelquefois auffi l'habileté faute d'une
certaine fineffe.
Lorfqu'on a tant d'efprit , & d'efprit vif
& brillant , on eft bien fufpect de n'avoir
pas autant de jugement. On en eft convaincu
lorfqu'on court après l'efprit.
VII . Il eſt également de notre intérêt
& de la politeffe de fupprimer une partie
de notre efprit avec ceux qui en ont beaucoup
moins que nous.
Je difois un jour à M. P. qu'il ne tenoit
qu'à lui qu'on ne lui trouvât encore plus
d'efprit dans la converfation qu'il n'y en
montre. Eh ! comment cela ? me demandat'il.
DECEMBRE . 1756.
25
t’il. En en montrant moins , lui répondis- je.
Ce que je difois à M. P. je le dis à tous
fes pareils. Montrez moins d'efprit , on
vous en trouvera plus , foit parce qu'excitant
moins la jaloufie des autres , ils feront
mieux difpofés pour vous , foit foit parce qu'étant
plus à leur portée vous en ferez plus
goûté. Or dès lors vous en ferez plus eftimé.
En cette matiere le plaifir eft la meſure
de l'eftime.
Il faut tâcher de n'être jugé que par des
juges , qui foient à la fois & favorables &
compétens.
D'ailleurs , l'efprit trop prodigué n'eſt
plus fenti . Ne voulût-on que briller , une
converfation fimple & unie , mais relevée
de temps en temps par quelques traits choifis
& placés à propos , y feroit plus propre
qu'un tiffu d'épigrammes. Parler peu &
bien , fait plus d'effet que de parler beaucoup
& bien. On paroît davantage avec
moins de dépenſe.
La plupart des yeux font foibles , & dèslors
moins flattés , qu'éblouis & fatigués
d'un trop grand éclat .
C'est donc la faute des autres , dira un
efprit brillant , & non pas la mienne , fi je
les fatigue ? Soit , lui répondrai - je ; mais
ils n'en font pas moins fatigués. D'ailleurs,
ils ne connoiffent pas leur foibleffe , &
B
26 MERCURE DE FRANCE.
quand même ils la connoîtroient , fi vous
ne la ménagez pas en vous y proportionnant
, elle les rendra injuftes à votre égard ,
& ils mettront de votre côté le tort de leur
déplaire.
Enfin l'efprit feul ne plaît pas longtemps.
Ceux qui l'aiment le plus l'éprouvent
, & je leur en ai feuvent entendu
faire l'aveu (1).
Et qu'on ne dife pas que ce n'eft point
l'efprit qui déplaît , mais l'envie & l'affectation
d'en montrer . L'efprit , je le répete,
déplaira toujours dès qu'il fera prodigué ,
& l'excès feul y eft un vice , un défagrément
, par cela feul que tout excès produit
fatiété & fatigue.
Pour la douceur & l'aifance de la converfation
, il faut une forte d'équilibre entre
les efprits , comme il en faut une pour
la circulation du fang entre l'air intérieur
& l'air extérieur.
VIII. La maxime qu'il ne faut pas dire
tout ce qu'on penfe , eft auffi vraie des
chofes trop ingénieufes ou trop fçavantes
pour être bien fenties , ou bien entendues
par ceux devant qui on parle , que de celles
(1 ) On fçait les vers du Marquis de S. Aulaire,
rapportés par M. l'Abbé Trublet , tome 3 , P. 92
de fes Effais , & c.
Jefuis las de l'esprit , &c.
DECEMBRE . 1756 .
27
que la prudence & la politeffe défendent
de dire.
Mais
indépendamment de la vanité qui
porte à fe montrer dans tout fon jour &
avec tous fes avantages , il en coûte à un
homme d'efprit de fe rabaiffer , comme à
un homme vrai de diffimuler. Pour un
honnête homme , homme d'efprit , le plaifir
parfait de la converfation confifteroit à
ne fe trouver que dans des fociétés compofées
de perfonnes également fûres & intelligentes.
Point de plaifir vif dans une compagnie,
fans une liberté entiere , & commune à
tous , d'y parler comme on penſe , d'y dire
même tout ce qu'on penfe , & en un mot ,
d'y être parfaitement fincere. Le défaut de
cette liberté diminue beaucoup le double
plaifir de parler & d'entendre. Je fouffre
de la
contrainte des autres autant que de
la mienne , à caufe de ce qu'elle me fait
perdre.
Cette contrainte eft le poifon des converfations
générales, & la principale cauſe
de l'ennui des cercles les mieux compofés.
Les matieres les plus intéreffantes en font
bannies , ou , faute de confiance réciproque,
n'y font traitées que d'une maniere
vague & fuperficielle , fouvent même
faulle & menteufe .
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
efface tous les autres , & s'il n'y a plus
d'oreilles que pour lui dès qu'il entre dans
une compagnie. Il ne fait point d'effort ; il
n'a pas même de deffein . La fupériorité
d'un autre fur nous ne nous choque pas
tant à proportion qu'elle eft plus ou moins
grande , qu'à proportion qu'elle eft , pour
ainfi dire , plus ou moins volontaire , plus
ou moins connue & aimée du fupérieur.
Quand Pafcal a dit ; Difeur de bons mets,
mauvais caractere , il a voulu parler de
ceux qui cherchent à dire des bons mots ,
& non pas de ceux qui en difent fans le
vouloir , quelquefois même fans s'en appercevoir
, parce que ces bons mots & ces
traits ingénieux ne leur coûtent rien , &
qu'ils n'apportent à ce qu'ils difent dans
la converſation que cette forte d'attention
qu'exigent lataifon & la bienféance , &
non celle que donnent , l'orgueil & la
vanité.
XI. C'eft dans la converfation un défaut
bien groffier , & pourtant bien commun ,
de répéter ce qu'on a dit de bon , quand
les autres ne le relevent pas , & qu'en
doute s'ils l'ont fenti . Outre que par- là on
leur fait une efpece d'infulte , il y a une
vanité bien ridicule & bien de la petiteffe
à ne vouloir pas perdre un bon mot , un
trait heureux. C'eft de plus une marque de
DECEMBRE. 1756. 31
pauvreté. Quand on eft riche , on eft indifférent
aux petites pertes. Mais comme
il y a des riches très- avares , il y a auffi des
gens de beaucoup d'efprit très - vains.
XII. Quel fupplice pour un homme
d'efprit , furtout s'il n'eft pas exempt de
vanité , d'entendre rapporter par un fot
devant des gens d'efprit , & parconféquent
gâter & défigurer , ce qu'il aura dit d'ingénieux
dans une autre occafion ! Le dépit
prend , & malgré la bonne intention du
rapporteur , on s'écrieroit volontiers : Ah !
le bourreau ! (1 )
Il y a des gens dont la converſation
eft toujours
compofée
, en grande
partie
, de
ce qu'ils
croient
avoir
dit de mieux
ailleurs
dans leurs
dernieres
converfations
. Ils ne veulent
pas qu'on
ignore
dans aucune
des maifons
qu'ils
fréquentent
, ce
qu'ils
ont dit dans une autre. Auffi
les
fçait-on par coeur dans chacune
de ces mai- fons . Au lieu de la vanité
qui fait qu'on
fe
répete
, & même
qu'on
fe raconte
, il vau- droit mieux
avoir
une fierté qui dédaignât ces répétitions
& ces récits , fierté
fondée
fur la confiance
qu'on
n'aura
pas moins
(1 ) On fçait la faillie de Defpréaux à Racine
fur M. de Toureil : Ah ! le bourreau ! il donnera
de l'efprit à Démofthenes.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE:
d'efprit aujourd'hui qu'on en avoit hier
& avant- hier.
Il faut oublier ce qu'on a dit d'ingénieux
dans la converſation , & pour cela n'y plus
penfer. C'est une vanité ridicule de tenir
regiftre des bonnes chofes qu'on a dites.
Elle rend odieux & ennuyeux.
XIII. Si l'on eft vain , il faudroit du
moins l'être avec quelqu'art & quelqu'adreffe
, & pour cet effet montrer tellement
fon efprit , qu'on en fit croire plus qu'on
n'en montre & même plus qu'on n'en a.
On nous fçait bon gré d'un efprit qu'on
nous devine plutôt que nous ne le montrons.
On nous croit modeftes , & on fe
croit pénétrant.
XIV. Il eft impoffible que la politeffe
regne dans une converfation où chacun
ne fonge qu'à montrer de l'efprit . De- là ,
en partie , le peu de politeffe de la plûpart
des beaux efprits de profeffion. D'ailleurs ,
la vanité eft déja par elle- même une impo
liteffe .
Mais , me difoit un jour un de ces Meffieurs
, un de ces beaux parleurs : On veut
qu'un homme d'efprit en ait toujours . Je lui
répondis : On excufera plutôt un homme
d'efprit d'en manquer quelquefois , qu'on ne
lui pardonnera de vouloir toujours en avoir.
XV. Une fée bienfaifante doua un enDECEMBRE
. 1756 . 3.3.
fant de beaucoup d'efprit Une fée malfaifante
y ajouta une extrême envie d'en
montrer.
La fuite au prochain Mercure.
DÉCLARATION D'.NDIFFÉRENCE ,
A Mesdames ***.
-
NE croyez pas que je vous aime ;
Eglé , Doris , couple charmant ,
Je ferois mon bonheur fuprême
De vous adorer conftamment ,
Surtout de vous plaire de même ;
Mais , pour troubler notre repos ,
Quand de la Reine de Paphos
Vous partagez le diademe ,
Mon coeur embarraſſé du choix ,
Se ' eroit peut-être un fyftême
De partager auffi vos loix :
Or vous voyez que ce partage
Offenferoit tout à la fois
L'amour & fon plus bel ouvrage ;
Que mon coeur , pour être conftant ,
Seroit forcé d'être volage
A l'une ou Pautre affurément ;
Qu'ainfi je dois ( mais quel dommage ! )
yous admirer uniquement.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
Oui , belle Eglé ! je vous admire ,
Je me plais à rendre à vos yeux
Ce culte que , dans leur empire ,
Les mortels ne doivent qu'aux Dieux :
De leur fort le plus glorieux
Vous rendez la Terre rivale ;
Cypris fait l'ornement des Cieux ;
En vous qui ne croit en ces lieux
Pofféder au moins fon égale
Les jeux , les plaifirs & les ris ,
Le brillant cortege des graces
Habitent votre cour , Doris ,
Et s'embelliffent fur vos traces :
On fçait que chez vous la raiſon ,
Pour le bonheur de votre vie ,
Ne paroît jamais de faifon ,
Que fous les traits de la folie
A nos yeux encor embellie
Par tout l'efprit du meilleur ton
Mais malgré la douceur extrême
Qu'Amour promet en vous aimant
Eglé , Doris , couple charmant ,
Ne croyez pas que je vous aime.
ENVO I.
Depuis long-temps mon coeur , foit en vers ;
foit en profe ,
Etoit enfammé du defir
DECEMBRE. 1756. 35
De vous déclarer quelque chofe ,
Et fçut taire un aveu fujet au répentir ;
Il vous auroit fait une offenfe
En ofant vous parler d'amour :
Aufli prend- t'il un autre tour
Pour mériter votre indulgence
Vous n'en devez pas moins encor à mon efprit :
Comment fçauroit - il ce qu'il dit ,
Lorfque c'eft à vous qu'il écrit ,
Et qu'il parle d'indifférence ?
BOUQUET
Adreffe au Roi par Mademoiselle Thomaffin ,
d'Arc en Barois , à l'occafion de la Fête de
Sa Majesté , & pour le remercier d'une
grace obtenue par fa famille.
Nymphes de l'Hypocrene , à mon hautbois
champêtre
Prêtez en ce grand jour vos accords immortels :
Couronnez-moi des fleurs que votre onde fait
croître ;
J'ofe offrir à Louis des voeux & des Autels.
Le fort comme les miens ( 1 ) ne m'ayant pas fait
naître ,
(1) Cette Demoifelle a cing freres au fervice ,
dont trois font Gardes du Corps du Roi
B vj
36 MERCURE DE FRANCE:
Pour le fuivre aux dangers qu'on lui vit affronter !
Mon zele en doit- il moin's éclater pour mon
Maître ?
Ne pouvant le fervir , j'oſerai le chanter.
Mufes , amours , plaifirs , au Temple de la Gloire
Accourez rendre hommage au plus aimé des Rois :
Chers Enfans du repos, vous régnez par ſes loix !
Non moins grand en ces lieux qu'aux champs de
la victoire ,
Quoi qu'ait fait fa valeur pour embellir l'hiftoire ,
Ses paisibles vertus valent bien fes exploits.
VERS
AMonfieur de Crébillon.
Oui , l'homme de génie eft un Dieu fur la terre;
Objet du culte des mortels ,
Il a , comme lui , des Autels :
Il tient , comme lui , le tonnerre.
Tu jouis de ce fort flatteur
Pour ta gloire & notre bonheur.
De la vertu perfécutée
Tu défends l'honneur & les droits
Tu nous en fais_ aimer les loix ,
Et tu fais qu'elle eft refpectée.
Sous tes traits le crime frémit :
Victime de fon artifice ,
DECEMBRE. 1756. 57
L'opprobre devient fon fupplice ;
Par l'horreur fon regne finit.
Tel eft le fruit de tes Ouvrages ,
Des Mufes glorieux Enfans ,
Dignes du goût de tous les âges ,
Dignes d'un éternel encens.
L'Abbé ARNOUX.
POEME EN PROSE ,
Sur mon départ des Ifes d'Hyères.
ISLES
SLES d'Hyères , Ifles aimables que la nature
a pris foin d'embellir ; jardins délicieux
où fe renouvelle à chaque inftant
tout ce qui eft urile & agréable à l'homme ;
beaux climats que la Mer environne & qui
recevez d'elle des vapeurs douces & bienfaifantes
; quel regret n'ai - je pas de vous
quitter ! A peine je me fuis promené fur
votre rive fortunée , qu'un fort cruel me
force àm'en féparer. Que des mortels plus
heureux habitent vos hameaux & vos rians
bocages ! Que dans ce paifible féjour , tantôr
couronnés de lierre & de pampre , tantôt
couchés mollement fur un lit de rofes ,.
ils ne s'éveillent qu'au fon des inftrumens !
C'eft pour eux , non pour moi , qu'on a
compofé les chanfons bachiques , je ne
40 MERCURE DE FRANCE.
beauté les Ifles Hefpérides. Envain .... !
mais que vois je ? Quels vaftes abyfmes entre
vous & moi ! Les voiles enflées m'ont
déja porté loin de votre agréable rive ; la
Mer femble fe joindre au Ciel & le Ciel
à la Mer ; mes pleurs forment un nuage
épais qui vous dérobe à mes regards timides
; vos plaines , vos côteaux , votre rivage
, tout a difparu .
Où êtes-vous , Ifles fi cheres à mon
fouvenir ? Placées au milieu des eaux ,
vous méritiez de leur commander en fouveraines
aujourd'hui , auroient elles entr'ouvert
leur gouffre profond , toutes prêtes
à vous engloutir ? Neptune furieux &
jaloux auroit- il , en forçant la Mer à franchir
fes bornes , augmenté fon empire ?
Encore une fois , où êtes- vous ? qu'êtesvous
devenues ? ... Hélas ! toujours favorifées
du Ciel , vous êtes la richeffe de
vos joyeux Habitans : toujours belles ,
toujours aimables , vous fubfiftez pour
leur bonheur & non pour le mien. Soyez
à jamais l'ornement précieux du plus floriffant
des Etats : ne craignez point les infaltes
d'Albion , cette ufurpatrice du vain
titre de Reine des Mers ; malgré le nombre
& la hardieffe de fes efforts , elle voit
tomber l'orgueil & la puiffance de Mahon.
Graces aux nobles travaux d'un vain
DECEMBRE . 1756. 41
queur redoutable , la plus petite ( 1 ) des
Baléares eft maintenant votre amie & foumife
à nos loix. Fronfac , digne fils d'un
fig.and Héros , & u Héros lui -même ,
vient annoncer à la France des fuccès fi
glorieux pour elle ; invitez- le à fe repoter
un moment dans vos bois facrés ; mêlez
quelques- uns de vos lauriers parmi ceux
dont la victoire a couronné fa tête , &
parmi les palmes immortelles dont il doit
couvrir le trône de notre augufte Monarque.
Que ne fuis-je témoin de la joie fincere
qui regne dans vos hameaux ! Un pareil
triomphe y attire mille jeux innocens &
des fêtes continuelles. Bientôt , au fon
d'une flûte champêtre , Tircis & Coridon
forment des danfes bizarres ; Daphnis l'emporte
fur eux par fes mouvemens réglés &
par fa démarche légere , & l'on admire
les graces naïves de Chloë fa fidelle amante
. D'autres Bergers animés d'un zele plus
noble & plus ardent , publient la clémence
& la juſtice de Louis , la gloire de ſon
( 1 ) On comptoit anciennement trois Illes
Baléares , que l'on nomme aujourd'hui Yvice ,
Majorque & Minorque : c'eft à caufe de cela qu'on
donnoit trois têtes à Gérion leur Roi : Hercule le
vainquit. Voyez une note de M. Dupré de S. Maur
fur un paffage de Milton , où il parle des Enfans
de Gerion ; Par. perdu , liv. 11.
42 MERCURE DE FRANCE.
nom & la force de fes armes ; tous enfin
pénétrés d'une reconnoiffance vive & d'une
vénération profonde , vantent fon
amour pour fon peuple , cette grande vertu
dont il fe plaît à nourrir fon coeur &
qui convient fi bien aux Rois .
Non , la France n'a point appris par les
voix de la Renommée les actions heroïques
de fes intrépides Guerriers ; & vous ,
Sturium , Phonicé , Phila ( 1 ) , vous retentiflez
déja d'un de leurs noms fameux ,
d'un nom fêté dans Paris , révéré dans Gencs
, & déformais fi formidable aux Citoyens
de Londres . Par un privilege rare
& Alatreur , vous recueillez le premier
fuit d'une des plus grandes conquêtes de
Richelieu . Jamais vous n'avez paru plus
brillantes qu'en ce jour où chacun fe livre
à des divertiffemens publics. Semblables à
trois foeurs toutes trois d'une égale beauté ,
vous étalez à l'envi plus d'agrémens & plus
de charmes. On court de l'une à l'autre
animer les fêtes par fa préfence , & l'oeil
(1) Les Ifles d'Hyères font appellées Stoechades
dans les Dictionnaires de Moreri & de Trévoux ;
mais je prouve dans une Diflertation fur un paffage
de Pline , que le nom de Stoe- hades ne convient
point à ces Illes , & que fous les noms de
Sturium , de Phænicé & de Phila , Pline a défigné
trois Ifles d'Hyères , & les trois plus confidérables ;
fçavoir , Porquerolles , Portecros , & l'Ifle du Levant
ou du Titan. Voyez Pline , liv. 3 ; liv. 3 , ch. s .
DECEMBRE. 1756. 43
fatisfait ne fe laffe point de vous admirer.
Moi feul je vous abandonne , quand on
vient de toutes parts dans vos habitations
cachées , augmenter fon bonheur &
célébrer le vôtre . Dans ces concerts &
parmi les chants d'alegreffe , que ne m'eſtil
permis d'élever ma voix & de faire éclater
mes tranfports ! Quel deftin barbare
m'enleve à ce que j'aime & me prive
de tous ces plaifirs ! Pourquoi les Dieux
fourds & cruels me refufent - ils l'entrée de
vos humbles retraites ! Qu'il me feroit
doux de voir les Amours volages badiner
fous les toits ruftiques de vos riantes métairies
Lieux charmans , falloit-il vous
quitter fi- tôt ! Malheureux de vous avoir
connus ! Puis - je efpérer de trouver une
terre qui puiffe vous être comparée ? C'en
eft donc fait ; je ne vous verrai plus.
Tandis que je me confume ainfi en regrets
inutiles , nous achevons notre courfe
: nous laiffons loin de nous S. Tropez , &
après avoir évité la rencontre des Lions (4 ) ,
nous arrivons à bon port aux Ifles de Lérins.
( 1 ) C'eſt le nom de deux rochers placés dans le
Golfe de S. Tropez , anciennement appellé le Golfe
des Lions. Voyez les Bollanduftes dans lesAz
Sand. April. tome 1 , p. 171 , note r , & le Dict.
de Trévoux , verbo Lion.
COCQUARD , petit -fils , Avocat au Parlement
de Dijon .
44 MERCURE DE FRANCE.
ESSAI SUR L'AM E.
CEt Agent qui me meut , qui penſe & vit en
moi ;
Qui , maître impérieux , m'affervit à ſa loi ;
Que je fens pénétrer tous les plis de mon être ,
Que l'ail ne voit jamais , que je cherche à connoltre
,
Qui dans un cercle étroit , quoiqu'il ſoit limité ,
De l'espace à l'inſtant franchit l'immenſité ;
Cet Agent qu'est-ce donc ? & quelle eſt ſa nature :
Du temps qui paffe & fuit fuivra-t'il la mefure ?
Où chef- d'oeuvre étonnant d'un Artiſte immortel ,
Comme lui fera- t'il immuable , éternel ?
C'est mon Ame ! fort bien : mais cette affertion
même
N'explique point encor le fecret du problême.
Mon Ame eft- elle un corps , ou bien eft- ce un
efprit ?
C'eſt le point important dont je veux être inſtruit.
Mais ... l'Ame eft ... oui , l'Ame eſt une flamme
fubtile ,
Un efprit tout de feu , vif , pénétrant , agile ,
Qui fans trait , fans rapport à ce limon groffier,
A ce mêlange brute où le célefte Ouvrier
Prit le germe fécond de la nature humaine ,
DECEMBRE. 1756. 45
Va de l'éternité fe lier à la chaîne ,
Lorsqu'à fon gré la mort , ce terrible fléau ,
Précipitant le corps dans la nuit du tombeau ,
Le détruit fans pitié , l'abforbe & le dévore .
Ainfi telle qu'un Sylphe , ou quelque météore ;
L'Ame ne fera point un de ces corps maffifs ,
Senfible à tous les yeux jufqu'aux moins attentifs ,
Mais ce que la matiere a de plus volatile ;
Car il est évident qu'une flamme ſubtile ,
Qu'un efprit tout de feu n'offre à l'entendement
Qu'une image à faifir matériellement .
Mais à quelque dégré que pût être portée
La volatilité de la matiere ignée ,
Qui feroit de mon Ame & la baſe & le fond ,
En feroit-elle moins matérielle au fond ?
Pourroit-elle en ce cas , vil amas de pouffiere ,
Pourroit-elle des temps dépaffer la barriere ?
Rien n'échappe ici - bas aux décrets du Deftin.
Tout change : tout s'altere , & tout périt enfin ,
Ah ! fi mon Ame étoit dans la catégorie ,
De tant d'êtres divers qui n'auront qu'une vie ,
A l'univers entier je donnerois la loi
Queje ne verrois rien de moins heureux que moi ;
Car fi de mon efprit je maintiens l'équilibre ,
Sans me faire illufion , je fens que je ſuis libre ,
Que je fuis en état de pouvoir mériter ;
C'eft aufli pour cela que foigneux d'éviter
Des amours & des jeux la troupe dangereufe ;
46 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis de la vertu la carriere épineuſe ,
Et que prenant fur moi , je commande au defir ;
t
En dépit du penchant qui me porte au plaifir.
Tant d'efforts n'iroient donc qu'à l'attente ſuivie
D'un bonheur mesuré fur le cours de ma vie ?
Eh ! mettant à profit l'inftant où nous vivons ,
Livrons- nous au plaifir , car demain nous mourrons....
Si la fageffe n'a que cette récompenfe ,
Le libertin n'eft pas auffi fou que l'on penſe ;
Et qui ne feroit pas aux ftériles vertus
Les reproches amers que leur faifoit Brutus !
De la faine raiſon le flambeau qui m'éclaire ,
M'encourage & m'inftruit d'un tout autre falaire,
Qui paffant mon attente , & durable en ſon cours,
Séra ma récompenſe à la fin de mes jours ,
Et le bienfait d'un Etre immortel & fuprême :
Je dois donc en ce cas me furvivre à moi-même ,
Et fous l'extérieur de mon humanité ,
Porter le germe heureux de l'immortalité.
En effet , lorfque Dieu fit l'homme à fon image,
Il exigea de lui des voeux & fon hommage ;
Qu'il célébrât fon nom , fa gloire & fes bienfaits....
Et ce jufte tribut doit durer à jamais ,
Autrement Dieu feroit , refpectant fon effence ;
Borné dans fon objet , comme dans fa puiflance;
Mais afin de lui rendre un tribut éternel ,
DECEMBRE. 1756. 47
Il faut qu'aſſurément l'homme ſoit immortel.
Ce n'eft point par le corps dont l'argile eft la
trame ,
Qu'on voit naître & mourir. Il faut donc que fon
ame ,
Etre que rien n'égale en fon activité ,
Ait l'empreinte & le fceau de l'immortalité ;
Et puifque Dieu voulut en être le modele ,
Qu'elle foit , comme lui , fimple , immatérielle,
DUCASSE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , il m'eft tombé depuis peu
entre les mains une Lettre du Préſident
Bouhier , adreffée à M. Soyrot , Contrôleur
Général des Finances à Châtillon-fur-
Seine . M. Bouhier , après avoir parlé d'affaires
particulieres ajoute : " Voici un
» Madrigal de votre ami la Monnoye , fait
depuis peu à l'occafion d'une Dame de
» la Borde , qu'il a vue autrefois ici jeune
» & belle , & qu'il a retrouvée encore fraî-
» che à Paris , quoiqu'âgée de foixante-
», trois ans , & c ... Je ne crois pas que ce
Madrigal de M. de la Monnoye ait été
imprimé dans le Recueil de fes Ouvrages :
tous les vers de cet excellent Poëte appare
ور
48 MERCURE
DE FRANCE .
tiennent au Public , je lui reftitue ceux-ci ,
& j'efpere qu'il ne me fçaura point mauvais
gré de la reftitution.
J'ai l'honneur d'être , & c .
DE VARENNE.
J
MADRIGAL
.
'Etois dans mon été , vous dans votre prin
temps ,
Philis , quand le hazard vous offrit à ma vue s
Vous me vîtes brûler des feux les plus ardens ,
Sans que votre ame en fût émue.
Le fort qui m'amene en ces lieux ,
Une feconde fois vous offrant à mes yeux ,
Le retour du péril m'étonne ,
Et mon coeur femble m'avertir ,
Que des appas de votre automne ,
A peine mon hyver pourra le garantir.
VERS
A Monfieur
*** .
ANonyme Rimeur , dont la veine facile ;
De Chanfons autrefois fourniffoit notre Ville (1 ),
(1) Châtillon -fur-Seine,
Του
DECEMBRE. 1756. 49.
Ton efprit délicat par l'amour cultivé ,
A célébrer l'Amour femble être réfervé :
Puifqu'à tes vers ce Dieu daigna ſourire ,
Chante encor fes plaifirs fur ton luth gracieux.
Mais je te preffe en vain : peut-être aimes- tu mieux.
Les éprouver que les décrire .
Eh bien , fi l'honneur de rimer
N'eft rien pour toi fans la douceur d'aimer
Entre les Mufes & les Graces
Tu peux partager ton loifir ;
Tu trouveras , en marchant fur leurs traces ;
La gloire d'un côté , de l'autre le plaifir .
Heureux qui fçait dans une double ivreffe ;
Aujourd'hui dans Paphos , demain fur l'Hélicon ,
Unir avec délicateffe
Les myrches de Vénus aux lauriers d'Apollon !
DE VARENNE.
LE PINSON ET LA FAUVETTE ,
FABLE.
Une aimable & jeune Fauvette Ne
Avoit un Pinfon pour Amant ,
Qui la chériffoit ardemme.t :
La Belle étoit un peu coquette ,
Et vertueufe cependant.
Chaque jour le Pinfon lui peignoit de fon ame
C
jo MERCURE DE FRANCE.
La tendre & vive émotion.
Mais le plaifir de parler de fa famme
Ne faifoit pas toujours fon occupation'; *
Sa délicate & prudente tendreffe ,
Formoit de la jeune Maîtreffe
L'efprit , la raifon & le coeur.
La Fauvette docile autant que féduifante ,
Bientôt par les leçons du tendre Précepteur ,
Parut encor bien plus charmante :
Tout en elle enchantoit ; c'étoit un vrai Bijou.
Mais plaignez du Pinfon la trifte deſtinée :
Ce Bijou fi joli , devint la même année
"
Le prix , hélas ! des tréfors d'un Hibou.
Voici le fens , qui n'eſt pas équivoque ,
De cette Fable du Pinfon :
On a rendu tout - charmant , tout-mignon ,
Un Oifeau qu'on cherit juſqu'à la paſſion ,
Un Chat furvient qui vous le croque.
Cette Fable eft de M. de Beuvri, Auteur
de la Romance ou Chanfon de ce mois,
DECEMBRE . 1756. SI
TOUT OU RIEN ,
Anecdote moderne.
Dans l'âge où il eft fi doux d'être veuve
, Lucile ne laiffoit pas de penſer à un
nouvel engagement . Deux rivaux fe dif
putoient fon choix . L'un modefte & fimple
, n'aimoit qu'elle ; l'autre artificieux
& vain , étoit furtout amoureux de luimême.
Le premier avoit la confiance de
Lucile ; le fecond avoit fon amour. Lucile
étoit injufte , allez - vous dire : point
du tout. Les gens fimples fe négligent ; il
leur femble que pour plaire , il fuffit d'aimer
de bonne foi & de perfuader que l'on
aime. Mais il eft peu de naturels qui
n'ayent befoin d'un peu de parure . Un
homme fans artifice , au milieu du monde
, eſt comme au ſpectacle une femme
fans rouge.
Erafte , avec fa franchiſe , avoit dit à
Lucile : Je vous aime , & dès lors il l'avoit
aimée comme il avoit refpiré : fon
amour étoit fa vie . Floricourt s'étoit fait
defirer par cette galanterie légere , qui a
l'air de ne prétendre à rien . Parmi les foins
qu'il rendoit à Lucile , il choififfoit non
Cij
52. MERCURE DE FRANCE.
les plus paffionnés , mais les plus féduifans.
Rien d'affecté , rien de férieux : on
le trouvoit d'autant plus aimable , qu'il
fembloit l'être fans intérêt.
On plaignoit Erafte : on ne connoiffoit
pas un plus honnête homme ; c'étoit dommage
qu'on ne pût l'aimer . On craignoit
Floricourt : c'étoit un homme dangereux ,
qui feroit peut-être le malheur d'une femme
, mais le moyen de s'en défendre. Cependant
on ne vouloit pas tromper Eraſte.
Il fallut lui tout avouer.
Je vous estime , Erafte , lui dit Lucile ,
& je fens que vous méritez mieux . Mais
le coeur a fes caprices ; le mien fe refufe à
ma raifon. J'entends , Madame : votre
raiſon vous parle pour moi , & votre
coeur pour un autre.... Je vous l'avoue , &
ce n'eſt pas fans regret je ferois blamable
fi j'étois libre ; mais le penchant ne fe comman
depas.. A la bonne heure, Madame : je
vous aimerai tout feul : j'en aurai bien
plus de gloire ... Et voilà précisément ce que
je ne veux point ..... Je ne le veux pas non
plus ; mais tout cela eft inutile. Et qu'allez-
vous devenir ? Ce qu'il plaira à l'amour
& à la nature. Vous me défolez , Erafte ,
avec cet abandon de vous-même . Il faut
bien que je m'abandonne quand je ne puis
me retenir. Que je fuis malheureuſe de
DECEMBRE . 1756. 53
de vous avoir connu ! En effet , je vous
confeille de vous plaindre : c'eft un furieux
malheur que d'être aimée ! Oui , c'en
eſt un d'avoir à fe reprocher celui d'un
homme qu'on eftime. Vous , Madame !
vous n'avez rien à vous reprocher . Un
honnête homme peut fe plaindre d'une Coquette
qui le joue ; ou plutôt elle eft indigne
de les plaintes & de fes regrets. Mais
vous, quels font vos torts ? Avez - vous employé
la féduction pour m'attirer , la
complaifance pour me retenir ? vous ai - je
confultée pour vous aimer ? Qui vous
oblige à me trouver aimable ? fuivez votre
penchant , je fuivrai le mien . N'ayez
pas peur que je vous tourmente ... Non ,
mais vous vous tourmenterez vous - même ;
car enfin vous allez me voir .... Quoi !
feriez - vous affez cruelle pour m'interdire
votre vue ? Je n'ai garde affurément , mais
je veux vous voir tranquille , & comme
mon meilleur ami . Ami , foit : le nom n'y
fait rien . Ce n'eft pas affez du nom , je veux
vous ramener en effet à ce fentiment fi
pur , fi tendre & fi folide , à cette amitié
que je fens pour vous . Hé ! Madame , je
ne vous empêche pas de m'aimer comme
vous voulez. De grace , permettez que
je vous aime comme je puis , & autant
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
que je puis. Je ne demande que la liberté
d'être malheureux à mon aife.
L'obftination d'Erafte affligeoit Lucile ;
mais après tout , elle avoit fait ce qu'elle
avoit dû tant pis pour lui s'il l'aimoit encore
. Elle fe livra donc fans trouble & fans
reproche à fon inclination pour Floricourt.
Tout ce que la galanterie la plus raffinée a
d'artifice & d'enchantement , fut mis en
ufage pour la captiver. Floricourt y parvint
fans peine. Il avoit fçu plaire , il
croyoit aimer ; il étoit heureux , s'il avoit
fçu erre. Mais l'amour- propre eft le fléau
de l'amour. C'étoit peu pour Floricourt
d'être aimé plus que toutes chofes ; il vouloit
être aimé uniquement , fans réſerve
& fans partage. Il eft vrai qu'il donnoit
l'exemple : il s'étoit détaché pour Lucile
d'une Prude qu'il avoit ruinée & d'une
Coquette qui le ruinoit ; il avoit rompu
avec cinq ou fix jeunes gens des plus vains
& des plus fots qu'on eût encore vus dans
le monde. Il ne foupoit guere que chez
Lucile , où l'on foupoit délicieufement , &
il avoit la bonté de penfer à elle au milieu
d'un cercle de femmes , dont aucune ne
l'égaloit ni en graces , ni en beauté. Des
procédés fi rares , fans parler d'un mérite
plus rare encore , exigeoient de Lucile le
dévouement le plus abfolu .
DECEMBRE. 1756. 55
Cependant comme il n'avoit pas affez
d'amour pour manquer d'adreffe , il n'eut
garde de faire fentir d'abord fes, prétentions.
Jamais homme avant la conquête
n'avoit été plus complaifant , plus docile ,
moins exigeant que Floricourt ; mais dès
qu'il fe vit maître du coeur , il en devint le
tyran. Difficile , impérieux , jaloux , il vouloit
occuper feul toutes les facultés de l'ame
de Lucile. Il ne pouvoit lui fouffrir une idée
qui n'étoit pas la fienne , encore moins
un fentiment qui ne venoit pas de lui . Un
goût décidé , une liaifon fuivie étoit fûre
de lui déplaire ; mais il falloit le deviner.
Il fe faifoit demander vingt fois le fujet
de fa rêverie ou de fon humeur , & ce
n'étoit que par complaifance qu'il avoueit
enfin que telle chofe lui avoit déplu , que
telle perfonne l'ennuyoit. Enfin dès qu'il
eût bien éprouvé que fes volontés, étoient
des loix , il les annonça fans détour : on s'y
foumit fans réfiftance. C'étoit peu d'exiger
de Lucile le facrifice des plaifirs qui fe
préfentoient naturellement , il les faifoit
naître le plus fouvent pour fe les voir immoler.
Il parloit avec éloge d'un fpectacle
ou d'une fête , il y invitoit Lucile ; on arrangeoit
la partie avec les femmes qu'il
avoit nommées , l'heure arrivoit , on étoit
paré , les chevaux étoient mis ; il chan-
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
geoit de deffein , & l'on étoit obligée de
prétexter un mal de tête . Il préfentoit à
Lucile une amie qu'il annonçoit comme
une femme adorable : on la trouvoit telle ,
on fe lioit . Huit jours après , il avouoit
qu'il s'étoit trompé ; elle étoit précieuſe ,
.mauffade ou étourdie , il falloit s'en détacher.
Lucile fut bientôt réduite à de légeres
connoiffances , qu'elle voyoit encore trop
fouvent . Elle ne s'appercevoit pas que fa
complaifance s'étoit changée en fervitude :
on croit fuivre fes volontés en fuivant les
volontés de ce qu'on aime. Il lui fembloit
que Floricourt ne faifoit que la prévenir.
Elle lui facrifioit tout fans fe douter qu'el
le lui fit des facrifices : mais l'amour - propre
de Floricourt n'en étoit pas raffafié.
La fociété de la ville , toute frivole &
paffagere qu'elle étoit , lui parut encore
trop intéreffante. Il fit l'éloge de la folitude
; il repéta cent fois qu'on ne s'aimoit
bien que dans les champs , loin de la diffipation
& du tumulte ; & qu'il ne feroit
heureux que dans une retraite inacceffible
aux importuns & aux jaloux . Lucile avoit
une campagne telle qu'il le defiroit. Elle
étor réfolue à s'y retirer avec lui ; mais le
pouvoit - elle avec décence ? Il lui fit entendre
qu'il fuffifoit de rompre le tête à
DECEMBRE. 1756. 57
tête par tel un ami tel qu'Erafte , & une amie
du caractere d'Artenice . Après tout , fi la
critique s'en mêloit , leur hymen prêt à ſe
conclure , alloit bientôt lui impofer filence.
On partit , Erafte fut du voyage , & ce
fut encore un raffinement de l'amour -propre
de Floricourt. Il fçavoir qu'Erafte étoit
fon rival , & fon rival malheureux : c'étoit
le témoin le plus flatteur qu'il pût avoir
de fon triomphe , auffi l'avoir il bien ménagé
. Ses attentions pour lui avoient un
air de compaffion & de fupé iorité dont
Erafte s'impatientoit quelquefois ; mais l'amitié
tendre & délicate de Lucile le dédom.
mageoit de ces humiliations , & la crainte
de lui déplaire les lui faifoir diffinuter.
Cependant fûr comme il l'étoit qu'ils alloient
à la campagne pour s'aimer en liberté,
comment put- il fe refoudre à les fuivie ?
C'est la réflexion que Lucile fit comme
nous : elle eûr voulu l'en empêcher ; mais
la partie étoit arrangée , il n'étoit plus temps
de la rompre. Du refte , Artenice étoit
jeune & belle. La folitude , l'occafion , la
liberté , l'exemple , la jaloufie & le dépit ,
pouvoient engager Erafte à tourner vers
elle des voeux que Lucile ne pouvoit plus
écouter. Lucile étoit affez modelte pour
penfer qu'on pouvoir lui être infidele &
affez juite pour le defier ; mais c'étoit
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
peu connoître le coeur & le caractero
d'Erafte.
Artenice étoit une de ces femmes que
tout amuſe & que rien n'attache , qui
s'offenfent d'un long refpect , qui s'ennuient
d'un amour conftant , & qui comptent
affez fur la probité des hommes pour
s'y livrer fans réſerve & les quitter fans
ménagement. On lui avoit dit : Nous allons
paffer quelque temps à la campagne, Eraſte
y vient , voulez - vous en être ? Elle avoit
répondu avec un fourire : Volontiers , cela
fera plaifant , & la partie s'étoit liée. Ce
fut pour Erafte un tourment de plus . Artenice
avoir entendu faire à Lucile l'éloge
de fon ami , comme de l'homme du monde
le plus fage , le plus honnête & le plus réfervé.
Cela eft charmant , difoit Artenice
en elle- même ; voilà un homme que l'on
peut prendre & renvoyer fans précaution
& fans éclat. Heureux ou malheureux ,
cela ne dit mot : on n'eft à fon aife qu'avec
ces gens- là. Un Erafte eft une trouvaille.
On juge bien d'après ces réflexions qu'Erafte
fut agacé.
Floricourt étoit auprès de Lucile d'ane
affiduité défolante pour un rival malheureux
. Lucile avoit beau fe contraindre ,
fes regards , fa voix , fon filence même la
trahiffoit. Erafte étoit au fupplice ; mais il
DECEMBRE. 1756. ·39
renfermoit fa douleur. Artenice en femme
habile , s'éloignoit à propos & engageoit
Erafte à la fuivre. Qu'ils font heureux ,
lui dit-elle un jour en fe promenant avec
lui ! Tout occupé l'un de l'autre , ils fe
fuffifent mutuellement , ils ne vivent que
pour eux-mêmes. C'eft un grand bien que
d'aimer , qu'en dites - vous ? Oui , Madame
, répondit Erafte les yeux baiffés ;
c'eft un grand bien quand on eft deux.
Mais vraiment l'on eft toujours deux ; je
ne vois pas que l'on foit feul au monde.
Je veux dire , Madame , deux coeurs également
fenfibles , faits pour s'aimer égale
ment. Egalement, cela eft bien rigoureux :
pour moi , il me femble que l'on doit être
moins difficile , & fe contenter de l'a peu
près. Hé quoi ! j'ai plus de fenfibilité dans
le caractere que celui qui s'attache à moi
faut-il que je l'en puniſſe ? Chacun donne ce
qu'il a , & l'on n'a rien à reprocher à celui
qui met dans la fociété la dofe de fentiment
qu'il a reçue de la nature. J'admire comme
les coeurs les plus froids font toujours les
plus délicats. Vous , par exemple , vous
feriez homme à prétendre que l'on fe paffionnât
pour vous. Moi , Madame ! je ne
prétends à rien. Vous avez tort , ce n'eft
pas là ce que je veux dire. Vous avez
dequoi féduire une femme affurément :
Cvj
•
60 MERCURE DE FRANCE.
je ne ferois même pas étonnée qu'on fe
prit pour vous de belle pallion . Cela
peut être , Madame : en fait de folie
je ne doute de rien ; mais fi on faifoit
celle de m'aimer , on feroit , je crois ,
fort à plaindre. Eft ce un avis , Monfieur
, que vous avez la bonté de me don
ner ? A vous , Madame ! je me flatte que
vous ne me croyez ni affez fot , ni affez
fat pour vous donner de tels avis . Fort
bien , vous parlez en général , & vous
m'exceptez par politeffe . L'exception même
eft inutile , Madame ; vous n'êtes pour
rien dans tout ceci . Mais pardonnez -moi ,
Monfieur ; c'est moi qui vous dis que
vous avez de quoi plaire , qu'on peut trèsbien
vous aimer à la folie , & c'est à moi
que vous répondez qu'on feroit fort à
plaindre i l'on vous aimoit. Rien n'eft
plus perfonnel , ce me femble. Hé bien !
vous voilà embarratfé. J'avoue que la plaifanterie
m'en.bartaffe . Je ne fçais point y
répondre , & il n'est pas généreux de m'attaquer
avec des armes que je n'ai point.
Et fi je parlois férien fement , Erafte ; fi rien
au monde n'étoit plus facere ? Je quinte
la partie , Madame : la fitnation où je me
trouve ne me permet pas de vous amuſer
plus long- temps . Ah ! na foi , il en tient
tout de bon, dit- elle en le fuivant des yeux.
DECEMBRE. 1756. 61
Le ton léger , l'air riant que j'ai pris l'ont
piqué ; c'est un homme à fentiment . I. faut
lui parler fon langage. A demain , dans
ce bolquet : encore un tour de promenade ,
& ma victoire eft dé , idée.
La promenade d'Erafte avec Artenice
avoit patu longue à Lucile. Erafte en revint
tout rêveur , & Artenice triomphante . Hé
bin ? dit tout bas Lucile à fon amie , que
penfez vous d'Erafte ? Mais j'en fuis aflez
contente , il ne m'a point ennuyé , & c'eft
beaucoup ; il a des chofes excellentes , &
l'on peut en faire un homme aimable,
Je lui trouve feulement le ton un peu
romanefque. Il veut du fentiment ! Défaut
d'ufage , prégugé de Province dont il eſt
facile de le corriger. Il veut , du fentiment ,
. dit Lucile en elle- même ! ils en font aux
conditions! C'eft aller loin dans une entrevue.
Il me femble qu'Erafte prend fon
partie de bonne grace. Eft ce à moi de
l'en blâmer ? Non ; mais il a eu tort de
vouloir me perfuader qu'il étoit fi fort
à plaindre. Il auroit pu épargner à ma délicateffe
les reproches douloureux qu'il
fçavoit bien que je me faifois. C'eft la
manie des Amans d'exagérer toujours
leurs peines ; enfin le voilà confolé , & me
voilà bien foulagée .
Lucile , dans cette idée , fe contraignit
61 MERCURE DE FRANCE.
un peu moins avec Floricourt , & Eraſte
par conféquent fut plus trifte que de coutume.
Lucile & Artenice attribuerent fa
triftelfe à la même caufe. Une paffion
naiffante produit toujours cet effet- là . Le
lendemain , Artenice ne manqua point
de ménager un tête à tête à Lucile & à
Floricourt , en amenant avec elle Erafte.
Vous êtes fâché , lui dit-elle , je veux
me réconcilier avec vous . Je vois , Erafte ,
que vous n'êtes pas un de ces hommes
avec qui l'amour doit fe traiter en plaiſanterie
vous regardez un engagement comme
la chofe du monde la plus férieuſe ; je
vous en eftime davantage. Moi , point du
tout Madame ; je fuis très - perfuadé
qu'un amour férieux eft la plus haute extravagance
, & qu'il n'eft un plaifir qu'autant
qu'il eft un jeu. Accordez- vous donc
avec vous-même. Hier au foir vous vouliez
une égale fenfibilité , une inclination
mutuelle. Je voulois la chofe impoffible ,
ou du moins la chofe du monde la plus
rare , & je tiens qu'à moins de cet accord fi
difficile, & auquel il faut renoncer , le plus
fage & le plus für parti eft de faire un jeu de
l'amour, fans y attacher un prix & une importance
chimériques. Ma foi , mon cher
Erafte, vous parlez d'or.En effet, pourquoi fe
tourmenter vainement à s'aimer plus qu'on
,
南
C
N
DECEMBRE. 1756. 63
ne peut ? On fe convient , on s'arrange :
on s'ennuie & l'on fe quitte. Hé bien ?
l'on a eu du plaifir , c'eft un temps bien
employé , & plût au Ciel pouvoir ainfi
s'amufer toute la vie ! Voilà , difoit Erafte
en lui - même , une humeur bien accommodante
! Je vois , pourfuivit - elle , ce
qu'on appelle des paffions férieufes : rien
de plus trifte , rien de plus fombre. L'inquiétude
, la jaloufie affiégent deux malheureux
.Ils prétendent fe fuffire,& il s'ennuient
à la mort. Ah ! Madame , que dites - vous ?
rien ne leur manque s'il s'aiment bien . Cette
union eft le charme de la vie , les délices
de l'ame , la plénitude du bonheur . Ma
foi , Monfieur , vous êtes fou avec vos
difparates éternelles. Que voulez - vous
donc , je vous prie ? Ce qui ne fe trouve
point , Madame , & ce qu'on ne verra
peut-être jamais. Voilà une belle expectative
, & en attendant , votre coeur fera défoeuvré.
Hélas ! plût au Ciel qu'il pût l'être !
Il ne l'est donc pas Erafte ? Non , fans
doute , Madame , & vous plaindriez fon
état fi vous pouviez le concevoir . Je le
conçois, Erafte ; je fais plus , je le partage .
Non , vous ne le concevez pas. A ces mots,
il s'éloigna en levant les yeux au Ciel avec
un profond foupir . Voilà donc , dit Artenice
, ce qu'on appelle un homme fage &
64 MERCURE DE FRANCE.
·
réſerve ! Il l'eit i fort qu'il en eft bête;
Heureufement , je ne me fuis point compromife.
Peur être aurois - je dù lui
parler plus clairement : il faut aider les
gens timides. Mais il s'en va fur une exclamation
, fans donner le temps de lui
demander ce qui l'afflige. Nous verrons ,
il s'expliquera peur être.
Floricourt voulut pendant le fouper
s'amufer aux dépens d'Erafte. Hé bien ?
dit-il à Artenice , où en êtes vous ? on n'a
rien le caché pour les amis , & nous vous en
donnons l'exemple. Bon , dit Artenice avec
dépit , fç vons - nous profiter des exemples
qu'on nous donne ? fçavons - nous
même ce que nous voulons ? Si on parle
d'un amour férieux , Monfieur le traite
de badinage ; fi l'on fe prête au badinage ,
Monfieur revient au férieux. Il vous est
facile , Madame , dit Erafte , de me donner
un ridicule. Hé ! Monfieur , ce n'est pas
mon delfein ; mais nous fommes avec nos
amis , expliquons nous fans aucun myftere.
Nous n'avons pas le temps de nous obferver
& de nous deviner l'un l'autre . Je vous
plais , vous me l'avez fait entendre : Je ne
vous diffimule point que vous me convenez
affez. Nous ne fommes pas ici pour être
fpectateurs inuriles ; l'honnêteté même exige
que nous foyons occupés : finiffons &
DECEMBRE. 1756 . 65
entendons- nous. Comment voulez - vous
m'aimer ? comment voulez - vous que je
vous aime ? Moi ! Madame , s'écria Erafte ;
je ne veux point que vous m'aimiez. Quoi !
= Monfieur , vous m'avez donc trompée ?
- Point du tout , Madame ; j'attefte le Ciel
que je ne vous ai pas dit un mot qui reffemble
à de l'amour. Oh ! pour le coup ,
dit- elle en fe levant de table , voilà une
effronterie qui me paffe . Floricourt voulut
la retenir . Non , Monfieur , je ne puis
foutenir la vue d'un homme qui ofe nier
les triftes & fades déclarations dont il m'a
excédée , & que j'ai eu la bonté de fouffrir,
prévenue par les éloges qu'on m'avoit faits
de ce mauffade perfonnage.
Artenice eft partie furieufe , dit Lucile
à Erafte en le revoyant le lendemain :
Que s'eft il donc paffé entre vous ? Des
propos en l'air , Madame , dont le réſultat
de ma part a été , que rien n'étoit plus à
craindre qu'un amour férieux , que rien
n'étoit plus méprifable qu'un amour frivole.
Artenice m'a vu foupirer ; elle a pris
mes foupirs pour elle . Je l'ai détrompée, &
voilà tout. Vous l'avez détrompée, mais un
peu trop brufquement.Quoi ! Madame , elle
ofe vous dire que nous en fommes au point
de nous aimer , & vous voulez que je me
modere ? Qu'auriez- vous penfé de mon
66 MERCURE DE FRANCE.
aveu ou de mon filence ? Que vous étiez
raifonnable , & que vous preniez le bon
parti. Artenice eft encore jeune & belle ,
& votre liaiſon n'eût-elle été qu'un amu
fement .... Je ne fuis point d'humeur de
m'amufer , Madame , & je vous prie de
m'épargner des confeils dont je ne profiterai
jamais. Cependant vous voilà feul
avec nous , & vous fentez vous- même que
vous jouerez ici un bien étonnant perfonnage
. Je jouerai , Madame , le perfonnage
d'un ami : rien n'eft plus honnête , ce me
femble. Mais Erafte , comment pouvezvous
y tenir ? C'eſt mon affaire , Madame ,
ne vous inquiétez pas de moi. Il faut bien
que je m'en inquiete ; car enfin je connois
votre fituation , elle eft affreufe . Cela
peut être ; mais il ne dépend ni de vous
ni de moi de la rendre meilleure : croyezmoi
, n'en parlons plus. N'en parlons plus ,
c'eft bientôt dit ; mais vous fouffrez , &
j'en fuis la caufe. Hé ! non , Madame ;
non , je vous l'ai dit cent fois ; vous n'avez
rien à vous reprocher : au nom de Dieu
foyez tranquille . Je le ferois fi vous pou
viez l'être. Hé bien , je le ferai quelque
jour. Il faut l'être dès à préfent. Dès- àpréfent
, foit ; nous voilà bons amis , &
rien de plus. Non , Erafte , vous m'aimez
toujours , & je vous rends malheureux.
DECEMBRE . 1756 . 67
Ho ! pour le coup , vous êtes cruelle.
Quand vous vous obftinerez à fçavoir ce
qui fe paffe dans mon ame , je n'en aurai
pas une peine de moins , & vous en aurez
un chagrin de plus : de grace oubliez que
je vous aime. Hé comment l'oublier ? je
le vois à chaque inftant. Vous voulez.donc
que je m'éloigne ? Mais notre fituation
l'exige. Fort bien : chaffez moi , cela fera
# plutôt fait. Moi , vous chaffer , vous mon
ami ! c'eft pour vous que je fuis en peine .
Oh bien ! pour moi , je vous déclare que
je ne puis vivre fans vous . Vous le croyez ;
mais l'abfence ?.. L'abfence ! le beau reiede
pour un amour comme le mien ! N'en
doutez pas, mon cher Erafte ; il eft des
femmes plus aimables & moins injuftes
que moi. J'en fuis fort aife ; mais je n'en
veux pas. Tenez , ce mon cher Eraft:, que
vous venez de prononcer , me touche plus
que tout ce qu'elles pourroient me dire .
Vous en trouverez qui vous diront la
même chofe , & bien plus tendrement que
moi. Cela m'eft égal : je ne veux l'entendre
que de vous. Il vous le femble dans
ce moment . Je fuis en ce moment ce que
je ferai toute ma vie : je me connois , je
connois les femmes . N'ayez pas peur qu'au
cune d'elles me rende heureux ni malheureux.
Je les préviens , & je les refufe tou68
MERCURE DE FRANCE.
tes. Je veux croire que vous ne vous attacherez
pas d'abord ; mais vous vous diffiperez.
Et avec quoi ? Rien ne m'amuſe : ici
du moins je n'ai pas le temps de m'ennuyer.
Je vous vois ou je vais vous voir ,
vous me pariez avec bonté , je fuis für
que vous ne m'oubliez pas ; & fi j'étois
loin de vous , j'ai une imagination qui
feroit mon fapplice. Et que pourront - elle
vous peindre de plus cruel que ce que
vous voyez ? Je ne vois rien , Aladame ;
je ne veux rien voir : épargnez moi vos
confidences. J'admire en vérité votre modération
: j'ai un grand mérire à ê're moderé
; & que voulez vous ? que je vous
batte ? Non , mais on fe plaint. Et de
quoi ? Je ne fças ; mais je ne puis concilier
tant d'amour & tant de raifon Ma
foi, Madame, chacun aime à fa maniere ; la
mienne n'eft pas d'extravaguer . S'il falloit
des injures pour vous plaire , j'en dirois
tout comme un autre mais je doute que
cel réufsît . Je n'y perds rien , Erafte ; & dans
le fond du coeur... Non , je vous jure que
mon coeur vous refpecte autant que ma
bouche. Je ne me fuis pas fotpris un moment
de colere contre vous. Cependant
Vous vous confumez , je le vois bien. La
mélancolie vous gagne . Je ne fuis pas gai :
Vous mangez à peine. On vit à moins. Je
DECEMBRE . 1756 . 69
fuis fûre que vous ne dormez point . Pardonnez-
moi , je dors un peu , & c'est là
mon meilleur temps ; car je vous vois dans
le fommeil telle à peu près que je vous fouhaite.
Erafte ?... Lucile ?... Vous m'offenfez?
Oh ! parbleu , Madame , c'en eft trop que
de vouloir m'ôter mes fonges. Dans la
réalité vous êtes telle que bon vous femble,
permettez du moins qu'en idée vous foyez
telle qu'il me plaît. Ne vous fâchez point.
& parlons raifon. Ces mêmes fonges , que
je ne dois point ffççaavvooiirr , entretiennent
votre paffion. Tant mieux , Madame , tant
mieux , je ferois bien fâché d'en guérir .
Et pourquoi vous obftiner à m'aimer fans
efpérance Sans efpérance ! je n'en fuis
pas là fi vos fentimens étoient juftes , ils
feroient durables . Mais.... Ne vous fattez
point , Erafte ; j'aime , & c'eft pour toute
ma vie. Je ne me flatte point , Lucile ; c'eft
vous qui vous calomniez . Votre amour
eft un accès qui n'aura que fon période.
Il n'est pas honnête de médire de fon rival :
je me tais ; mais je m'en rapporte à la
bonté de votre efprit , à la délicateffe de
votre coeur. Ils font aveugles l'un & l'autre.
C'eft avouer qu'ils ne le font pas il faut
avoir vu ou entrevoir encore pour reconnoître
qu'on voit mal . Hé bien ! je l'avoue ,
il me fouvient d'avoir trouvé des défauts
:
70 MERCURE DE FRANCE.
à Floricourt ; mais je ne lui en connois
plus. La connoiffance vous reviendra ,
Madame , & je m'en repofe fur lui . Et fi
j'époufe Floricourt , comme en effet tout
s'y difpofe. En ce cas je n'aurai plus rien
à efpérer ni à craindre , & mon parti eft
déja pris . Et quel eft-il ? De ceffer de vous
aimer. C'eft-à-dire de ceffer de vivre ?
Cruel ami , pouvez - vous me l'annoncer ?
Lucile s'attendriffoit à cette idée , quand
Floricourt vint les trouver. Erafte les laiffa
bientôt feuls fuivant fon ufage. Notre
ami , ma chere Lucile , dit Floricourt , eft
un mortel fort ennuyeux , qu'en dites- vous!
C'eſt un honnête homme, répondit Lucile ,
dont je refpecte les vertus. Ma foi , avec
fes vertus , il feroit bien d'aller rêver ailleurs
; il faut de la gaieté , de la fociété à
la campagne . Peut -être a t'il quelque fujet
d'être trifte & folitaire. Je le crois , & je
le devine. Vous rougiffez ! Lucile , je ſerai
diſcret , & votre embarras m'impoſe filence.
Et quel feroit mon embarras , Monfieur
? vous croyez qu'Erafte m'aime , &
vous avez raifon de le croire. Je le plains ,
je le confeille , je lui parle comme fon
amie ; il n'y a pas là de quoi rougir. Un tel
aveu , belle Lucile , vous rend encore plus
eftimable mais convenez qu'il vient un
tard. Je n'ai pas cru , Monfieur , devoir peu
DECEMBRE . 1756. 71
vous dire un fecret qui n'étoit pas le
mien , & je vous l'aurois caché toute ma
vie , fi vous ne l'aviez pas furpris. Il y a
dans ces fortes de confidences une oftentation
& une cruauté qui ne font point
dans mon caractere. Il faut fçavoir refpecrer
du moins les malheureux qu'on a faits.
Voilà de l'héroïfme , s'écria Floricourt du
ton du dépit & de l'ironie ! Et cet ami
que vous traitez fi bien , fçait- il à quel
point nous en fommes ? Oui , Monfieur
je lui ai tout dit. Et il a la bonté de demeurer
encore ici ! Je le difpofois à s'en
aller. Ah ! je n'ai plus rien à dire : j'aurois
été furpris fi votre délicateffe n'avoit pas
prévenu la mienne. Vous avez fenti l'indécence
de fouffrir auprès de vous un
homme qui vous aime , au moment où
vous allez vous déclarer pour fon rival : il
y auroit même de l'inhumanité à le rendre
témoin du facrifice que vous m'en faites.
Et à quant fon départ ? Je ne fçais ; je n'ai
pas eu le courage de le lui preferire , &
il n'a pas la force de s'y déterminer.
Vous plainfantez , Lucile : & qui lui
pofera donc de nous délivrer de fa pré
fence? il ne feroit pas honnête
moi. Ce fera moi ,
Monfieur , n'en ayez
que ce fût
point d'inquiétude. Et quelle inquiétude ,
Madame me feriez - vous l'honneur de
pra
72 MERCURE DE FRANCE.
me croire jaloux ? Je vous déclare que je
ne le fuis point : ma délicateffe n'a que
vous pour objet , & pour peu qu'il vous
en coûte... Il m'en coûtera , n'en doutez
point , d'ôter à un ami refpectable la feule
confolation qui lui refte ; mais je fçais me
faire violence. Violence , Madame ! cela
eft bien fort. Je ne veux point de violence
; ce feroit le moyen de me rendre
odieux , & je vais preffer moi-même cet
ami refpectable de ne pas vous abandonner.
Pourfuivez , Monfieur ; la plaifanterie
eft fort a fa place , & je mérite en effet
que vous me parlież fur ce ton . Je fuis au
défefpoir de vous avoir déplu , Madame ,
lui dit Floricourt en voyant les yeux mouil .
lés de larmes . Pardonnez moi mon impru
dence : je ne fçavois pas tout l'utérêt que
vous preniez à mon rival. A ces mots , il
la laiffa pénétrée de douleur..
Erafte de retour la trouva dans cette fituation
: Qu'eft ce donc , Madame ? lui dit il
en l'abordant, les pleurs inondent votre vifage
? Vous voyez , Monfieur , la plus malheureuſe
de toutes les femmes : je fens que
ma foibleffe me perd , & je ne puis m'en
guérir. Un homme à qui j'ai tour facrifié ,
doute encore de mes fentimens . Il me méprife,
il me foupçonné. J'entends , Madame,
il eft jaloux ; il faut le tranquillifer.Il y va de
1
votre
DECEMBRE . 1756. 73
votre repos , & il n'eft rien que je ne facrifie
à un intérêt qui m'eft fi cher. Adieu ;
puiffiez - vous être heureufe ! j'en ferai
moins malheureux. Les larmes de Lucile
redoublerent à ces mots. Je vous ai exhorté
à me fuir , lui dit- elle ; je vous y exhortois
en amie & pour vous-même. L'effort que
je faifois fur mon ame n'avoit rien d'humiliant
; mais vous éloigner pour complaire
à un homme injufte , pour lui ôter
un foupçon que je n'aurois jamais dû
craindre ; être obligée de juftifier l'amour
par le facrifice de l'amitié , c'eft une chofe
honteufe & accablante . Jamais rien ne m'a
tant coûré.. Il le faut , Madame , fi vous
aimez Floricourt.. Oui , mon cher Erafte ,
plaignez-moi : je l'aime , & j'ai beau me
le reprocher. Erafte n'en entendit pas davantage
: il partit .
Floricourt mit tout en ufage pour appaifer
Lucile ; il étoit d'une douceur , d'une
complaifance fans égale , quand on avoit
fait fa volonté. Erafte fut prefqu'oublié ;
& que n'oublie- t'on pas pour ce qu'on
aime , quand on a le bonheur de fe croire
aimé ! Un feul amuſement , hélas ! bien innocent
reftoit encore à Lucile dans leur
folitude . Elle avoit élevé un ferin , qui
par un inftinct merveilleux répondoit à fes
careffes. Il connoiffoit fa voix , il voloit
D
74 MERCURE DE FRANCE.
au devant d'elle ; il ne chantoit qu'en la
voyant , il ne mangeoit que fur fa main ,
il ne bavoit que de fa bouche ; elle lui
donnoit la liberté , il n'en jouitfoit qu'un
moment ; & fi-tôt qu'elle l'appelloit , il
fendoit l'air avec vîteffe. Dès qu'il étoit
fur fon fein , le fentiment fembloit agirer
fes aîles & précipiter les battemens de fon
gofier mélodieux. Croiroit - on que l'orgueilleux
loricourt fut offenfé de l'attention
que donnoit Lucile à la ſenſibilité &
au badinage de ce petit animal ? Je veux
fçavoir , dit il en lui même , fi l'amour
qu'elle a pour moi eft au deffus de ces foibleffes
I feroit plaifant qu'elle fût plus
attachée à fon ferin qu'à fon Amant. Cela
eft poffible ; j'en ferai l'épreuve , & pas
plus tard que ce foir. Où eft donc le petit
oifeau , lui dit- il en l'abordant avec un
fourire ? Il jouit du ciel & de la liberté , il
voltige dans ces jardins.. Et ne craignezyous
pas qu'à la fin il ne s'y accoutume ,
& qu'il ne revienne plus ? . Je le lui pardonnerai
, s'il fe trouve plus heureux .. Ah !
de grace , voyons s'il vous eft fidele . Voulez-
vous bien le rappeller ? Lucile fit le
fignal accoutumé , & l'oifeau vola ſur ſa
main. Il eſt charmant , dit Floricourt ; mais
il vous eft trop cher , j'en fuis jaloux , &
je veux tout on rien de la perfonne que
C
(
DECEMBRE . 1756. 75
j'aime. A ces mots , il voulut prendre l'oifeau
chéri pour l'étouffer ; elle jetta un cri ,
le ferin s'envola. Lucile épouvantée , pâlit
& perdit connoiffance. On accourut , on
la rappella à la vie . Dès qu'elle ouvrit les
yeux , elle vit à fes pieds , non l'homme
qu'elle aimoit le plus , mais de tous les
mortels le plus odieux pour elle . Allez ,
Monfieur , lui dit elle avec horreur : ce
dernier trait vient de m'éclairer fur votre
affreux caractere ; j'y vois autant de baffelfe
que de cruauté. Sortez de chez moi
pour n'y rentrer jamais... Vous êtes trop
heureux que je me refpecte encore plus
que je ne vous méprife : vous recevriez
de mes valets le congé que vous méritez.
O mon cher & digne Erafte ! à qui vous
aurois-je facrifié ? Floricourt fortit , frémiffant
de honte & de rage : l'oifeau revint
careffer fa belle Maîtreffe ; & il n'eft
pas befoin de dire qu'Erafte fe vit rappellé.
REMERCIEMENT
A l'Académie des Arcades de Rome , par
M. Tanevot.
Sentiment
Entiment précieux , inépuifable ardeur ,
Vive reconnoiffance , hommage, encens du coeur
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
Près les fçavans Bergers , ( 1 ) honneur de la houlette
,
Au défaut des talens fervez-moi d'interpretes
Mais qu'exprimerez -vous dans vos plus vifs traníports
,
Qui puiffe remplacer les fublimes accords ,
Les fons harmonieux , la douce mélodie
Dont retentit toujours la divine Arcadie ?
Ses mules toutefois out daigné m'adopter ;
Comblé de leurs faveurs dois-je me méconnoître
Peu digne de leur choix , il faut le reſpecter.
Souvent on eft heureux fans mériter de l'être....
Où fuis-je ! quels objets s'offrent à mes regards ?
Eft-ce ici le féjour de Flore & de Zéphyre ?
De ces bofquets ( 2 ) facrés franchiffons les remparts
;
Je ne puis réfifter au charme qui m'attire .
Ma timidité fait à l'afpect de ces lieux .
Craint-on , lorsque l'on eft infpiré par les Dieux ?
Apollon dans leurs mains a dépofé ſa lyre.
Pénétrés de fes feux , faifis d'un beau délire ,
Au milieu des parfums , fous un ombrage frais ,
(1) L'Arcadie Romaine qui renferme à préfent
tous les Gens de Lettres d'Italie , & quelques
Etrangers , pour éviter tous égards de rang & de
prééminence , s'eft , pour ainsi dire , masquée
fous le titre de Pafteurs de l'ancienne Arcadie , &
fes Affociés s'appellent ainsi .
(2 ) Les Arcades ont coutume de s'affembler dans
quelques Bois ou Prairies.
DECEMBRE . 1756. 77
形
Ils célebrent les arts & fondent leurs progrès .
Palès a fur leur front pofé fon diadême ,
Des moeurs du premier âge ingénieux emblême.
Minerve fur un trône environné de fleurs ,
Leur dicta des Décrets avoués des neuf Soeurs.
Secondez à jamais le zele qui m'enflamme ,
Pure inftitution , gravez -vous dans mon ame ;
La fageffe par vous fait entendre la voix ,
L'égal té modeſte ( 1 ) eft le fruit de vos loix ,
Le germe des talens & la route du Pinde ,
Bien plus cher à mes yeux , que les trésors de
l'Inde.
Vos rapides fuccès furpaffant votre eſpoir ,
Vous volates partout fur l'aile du (çavoir.
Dans l'Aufonie à peine éclata votre aurore ,
Que mille aftres ( 2 ) brillans s'emprefferent d'éclore
,
Et que des cieux nouveaux , pour en être éclairés ,
Etendirent fur eux leurs voiles azurés .
Je te falue , & terre , à qui leur influence
A des dons de l'efprit prodigué l'abondance !
(1 ) Le Gouvernement de cette Académie eft démocratique.
(2 ) Cette Affemblée de Gens d'Eſprit , par le
concours des autres Académies d'Italie , & de per
fonnes de Lettres de tous états , qui s'emprefferent
d'y être admifes , parvint en moins de 20 ans au
nombre d'environ 1300 aſſociés.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Cette augufte Cité , fille de Romulus ,
La maîtrelle des Arts comme celle du monde ,
Eprouvant des grandeurs le flux & le reflux .
Vit changer fon éclat en une nuit profonde .
Augufte n'étoit plus. Virgile , Cicéron
Demeuroient dans l'oubli , comme Horace &
Varron.
Les fureurs d'Attila , fes exploits trop célebres ,
Répandirent encor de plus fombres ténebres .
Cette éclipfe dura jufques aux Médicis.
Sur un trône plus faint un grand Pontife ( 1 ) aſſis ,
Ainfi qu'eux , rappella les Mufes fugitives :
Le Tibre les revit habiter fur les rives.
Mais pour leur affurer un azyle éternel ,
Il falloit qu'un Lycée eût enfin reçu l'être.
L'Aufo ie enfanta le Parrhafe ( 2 ) immortel ,
- Et toute entiere alors Rome fe'vit renaître .
Quoique fouvent en butte aux plus triſtes revers ,
Rome , c'est ton deftin d'éclairer l'univers.
Entre Paris & toi mon ame fe partage ,
Les Mufes m'ont acquis un nouvel héritage .
Quel don plus précieux qu'il a pour moi d'appas
!
Dieux ! avec quelle ardeur j'y porterois mes pas ,
Si , contraire à mes voeux , le devoir qui m'enchaîne
,
(1 ) Léon X.
(2 ) C'est ainsi que les Arcades appellent le lieu
où ils tiennent leurs affemblées ; Il Bofco Parrhafio.
10.
0
0.
C
C
S
DECEMBRE. 1756. 79
Ne m'eût forgé des fers fur les bords de la Seine !'
Nymphe , fi jufqu'ici je t'engageai ma foi ,
Excufe des foupirs qui ne font pas pour toi .
Ha ! je voudrois du moins , entre les deux tropi
ques ,
M'envoler quelque temps aux plaines Italiques ,
Et que vous confacrant tour à tour mon deftin ,
Je puffe contempler le célebre Aventin ( 1 ) .
O Mont majeftueux ! théâtre de la gloire ,
Où le fage Agrippa , fon apologue en main ,
Réunit le Sénat & le Peuple Romain ,
Tu feras à jamais préfent à ma mémoire !
Ces lauriers dont jadis ton fommet fut couvert ,
Préfageoient l'heureux temps où le Dieu du Génie
,
Son augufte front ceint d'un rameau toujours
verd ,
Revoit y raffembler fa chere colonie.
Soit que l'aftre du jour, en parcourant les cieux ,
Excite les mortels aux foins laborieux ,
Soit que l'auftere nuit dans les bras du filence ,
Sur eux de les pavots exerce la puiffance ,
Toujours un zele ardent , d'inviolables voeux
Echaufferont mon coeur pour tes hôtes fameux ;
(1) L'Académie s'eft affemblée fuccceffivement
en divers Jardins ou Lieux champêtres ; mais le
Prince Cervefti a donné à cette illuftre Société un
endroit ftable , dans un lieu agréable du Mont
Aventin.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Et répandant fur moi l'éclat qui t'environne ,
Tu feras mon bonheur , ma joie & ma Couronne.
LEE
mot de la premiere Enigme du Mercure
de Novembre eft le Soufflet. Celui du
premier Logogryphe eft Incompréhenfibilité,
dans lequel on trouve Nil , plein , Chrétien
, Enée , Moliere , melon , mort , Scipion ,
Chine ; Perfe , Sion , pioche , inimitié , Chinon
, hermine , blé , chimere , pie , Hébće ,
Perfee , Hector , Iris , Minos , finople ,
lion , fole , pere , mere , mois , Roi , Moïſe ,
Milton , Mentor , Orphée. Celui de la feconde
Enigme eft Chemife , & celui du ſecond
Logogryphe eft Hydrocéphale , dans
lequel on trouve cedre , dyle , Roi , or, haie ,
chape , lyre , Céphale , hydre , pere , rade ,
Chypre & corde.
ENIGME
A Madame le B....
J'habite 'habite avec nombre de fours
Une maifon très - précieuſe
Aceux qui font fes poffeffeurs :
Ainfi qu'une Religieufe ,
Je n'en fors jamais qu'à ma mort;
DECEMBRE . 1756. SI
S'il eft dans ce Couvent un Frere ,
C'est l'effet malheureux du fort ,
Et tout franc , on ne l'aime guere ;
Il ne peut que nous faire tort.
Ce qui me flatte , c'eft qu'en France,
Où regna toujours l'inconftance
Plus que chez le fage Etranger ,
La mode n'ait pas pu changer
L'eftime rare & finguliere
Qu'en tous les temps on eut de moi.
Hélas ! je n'en fuis pas plus fiere :
Car il arrive d'ordinaire
Que je me plais moins chez un Roi ,
Que chez le Paysan robufte ,
Et que la Coquette m'ajuste ,
Pour me fixer bon gré , malgré ,
Tandis que chez la Payſanne ,
Qui ne m'en fçait preſqu'aucun gré ,
Je fuis , en dépit de Madame ,
Belle , faine . C'en eft affez :
Suis-je prife ? Non , relifez.
Par M. HOCH ... D'ET...
LOGO GRYPH E.
JAdis , affrontant les hazards ,
J'étois dans les combats au deffus des Céfars.
Mon afpect ébranloit le plus ferme courage ,
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
Et la mort devant moi voloit de toutes parts.
Mais bientôt laffe de carnage ,
J'abandonnai Mars pour l'Amour;
Mon fort moins éclatant me charma davantage ,
Et je devins l'ornement de fa cour.
Philis à fes appas me trouva néceſſaire :
A fes gouts différens il fallut me plier ;
Il me fallut fouffrir . En pareil cas , que faire ?
Il en coûte toujours , lecteur , à qui veut plaire ;
C'est un point qu'on ne peut nier.
Enfin j'ai plu . Philis un peu coquette ,
Ne trouve pas fans moi fa parure complette :
Je lui rends l'air plus libre , plus piquant ,
Et toujours elle m'accommode
Au gré de fon Amant.
Bref par ce trait , lecteur , juge de mon talent ,
J'ai mille ans tout au moins , & fuis encor de
mode.
Mais il faut t'ôter d'embarras :
Décompofe mon être, & tu me connoîtras ;
Divife , compaffe , mefure ,
J'offrirai d'abord à tes yeux
Ce qui fouvent embellit la nature ;
Le feul bien que de fes ayeux
Reçoit par fois un Gentilhomme ;
Ce qui du Souverain de Rome
Couvre le front majestueux.
N'en est - ce point affez ? cherche ; je t'offre
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Vous dont l'Ame a reçue l'at
:teinte, Des traits du Dieu le
plus charmant Ecoutez l'his :
-toire succinte Du sort malheu
reux d'un A mant
.
MALVAUX.
Imprimé par Tournelle . Decembre 1756.
DECEMBRE. 1756 . $ 3
Ce qui charme en Philis , ce qui fait qu'on l'a
dore ,
Et mieux que tous les vains apprêts ,
Donne du luftre à fes attraits ;
Une Déeffe à nous perdre obftinée ;
Ce que cache avec foin coquette furannée ;
Une faifon , un élément
Senfible aux feux d'un tendre Amant ;
Ce que réserve Amour à l'infenfible Iole .
Mais c'en eft trop , fur ma parole.
Je me tais , tu dois me fçavoir:
Ami lecteur , jufqu'au revoir.
ROMANCE
.
Vous , dont l'ame a reçu l'atteinte
Des traits du Dieu le plus charmant ,
Ecoutez Phiftoire fuccinte
Du fort malheureux d'un Amant,
D'une Nymphe fenfible & belle ,
Le beau Ziton devint épris.
Il obtint des Dieux qu'avec elle
Il s'uniroit , mais à ce prix e
Le premier de ce couple aimable
Que l'Amour rendroit inconftant
Par un deſtin inévitable ,
Deviendroit aveugle à l'inftant .
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
Ziton crut ſa flamme éternelle ;
( Les Amans fe reffemblent tous )
Mais on eft près d'être infidele
Lorfque l'on eft près d'être époux.
Bientôt d'une ardeur imprévue
Ziton brûla pour fon malheur ;
L'infortuné perdit la vue ,
Mais fans fe plaindre de fon coeur.
Si toute tendreffe inconftante
Eprouvoit le fort de Ziton ,
Plus d'un époux , plus d'une Amante
Marcheroient , hélas ! à tâton .
Les paroles font de M. de Beuvry , & la
mufique eft de M. Malvaux.
Nous ne pouvons inférer l'Epître en
vers datée de Mahon que dans le
prochain
Mercure l'ayant reçu huit jours trop
tard.
>
C
&
DECEMBRE. 1756.
!
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAIS SSAIS HISTORIQUES , de M. de Saint-
Foix , troifieme partie . A Londres , & le
trouvent à Paris , chez Duchefne , rue S.
Jacques 1756.
Cette nouvelle Partie que nous avons
déja annoncée avant qu'elle parût ( 1 ) ,
mérite les plus grands éloges & le plus
brillant fuccès. Nous ne fçaurions trop répéter
que M. de Saint-Foix réunit tout ce
qui caractériſe un bon Hiftorien , l'exactitude
, les recherches , l'amour de la vérité ,
le courage de la dire avec force , & l'art
de l'expofer aux yeux fans bleffer les égards
que notre délicateſſe demande . Il joint à
l'autorité des Auteurs originaux qu'il cite ,
le choix des preuves pour la mettre dans
tout fon jour, autant qu'il eft poffible. Maist
un mérite qui lui eft particulier , & que
nous croyons devoir fervir de modele , eft
de faire connoître par les faits , les moeurs
& coutumes d'une Nation ou d'un Pays ,
(1 ) Dans le premier volume d'Octobre , à l'Article
des Sciences , Hiftoire , page 137.
86 MERCURE DE FRANCE.
d'en marquer chaque révolution , & d'en
fixer les différentes époques. Pour marcher
plus fûrement lui - même dans le fentier
du vrai , il porte le flambeau de la faine
critique fur les erreurs , & fur les fautes
que la négligence ou la partialité ont fair
commettre à nos Hiftoriens .
Ce troifieme volume contient les moeurs,
ufages & coutumes , fous la feconde & la
troifieme Race , jufqu'au regne de Louis
XI. Il comprend en même temps les guerres
entre la France & l'Angleterre . Ce dernier
morceau , qui tient plus de la moitié
du livre , eft un morceau précieux & fait
de main de maître , écrit avec cette élégante
précifion qui ne prend rien fur la
clarté , & cette chaleur continue qui augmente
l'intérêt. Il doit faire defirer avec
impatience la quatrieme partie que l'Auteur
promet , & faire craindre également
la fin de l'Ouvrage qu'il annonce , ou plutôt
il doit faire fouhaiter que M. de Saint-
Foix veuille bien nous donner une Hiftoire
de France complette , compofée dans
le même goût. Ce fera l'Ouvrage d'un
vrai Patriote , & le plus beau préfent qu'il
puiffe faire à la Nation.
Nous n'avons lu nulle part la bataille
de Créci décrite avec des détails fi précis
& fi vrais. Nous ne pouvons nous refufer
DECEMBRE . 1756. 87
le plaifir d'en citer un trait particulier qui
va terminer ce court extrait , & prouver
que l'Auteur réfléchit avec autant de vérité,
qu'il raconte. Les Hiftoriens Anglois difent
( 1 ) , que fi leur armée avoit eu du pire ,
tout auroit été perdu fans reſſource , parce
que Philippe avoit résolu de la faire paſſer
fars mifericorde au fil de l'épée . Barnes ( 2 ) ›
ajoutent- ils , profite judicieusement de cette
circonstance pour juſtifier la conduite d'Edouard
, qui fe tint à l'écart pendant toute
l'action. « Plaçons - nous dans ces temps - là :
» confidérons que les Rois s'envoyoient
» des cartels , qu'Edouard en avoit envoyé
à Philippe , & que fon propos or-
» dinaire étoit qu'il ne fouhaitoit rien tant
" que de le combattre feul à feul , on de le
» combattre dans la mêlée. Peut- être nous
» trouverons que Philippe chargeant à la
» tête de fes troupes , bleffé , & ayant eu
deux chevaux tués fous lui , avoir auffi
» bonne grace , même dans fon malheur ,
» que le Monarque Anglois fur le haut
» d'une colline , éloigné du danger , fe repofant
du fuccès de fes armes fur la fur-
» prife que nous cauferoit fon canon ( 3 ) ,
33
"
"
"3
(1 Rapin de Toiras , tome 3 , p . 489 .
(2 ) Un des Panégyriftes d'Edouard .
(3 ) Ces foudres dont les Anglois , dit Rapin de
Toiras , fe fervoient pour la premiere fois , &
8S, MERCURE DE FRANCE,
» & n'arrivant fur le champ de bataille
que pour recevoir les complimens fur la
» victoire.
TRAGÉDIES OPERA , de l'Abbé Metaftafio
, par M..... tomes 8 , 9 , 10 , 11 ° &
dernier. A Vienne , & fe trouve à Paris ,
chez Lambert , rue de la Comédie Françoiſe
1756.
Cette traduction nous a paru écrite
avec autant d'élégance que de préciſion .
M. R... eft fidele à l'original , fans être
fervile. En avertiffant dans fa Préface
qu'il ne s'en eft point écarté , il donne une
raifon très-fenfée de fa réſerve . J'ai , ditil
, été tenté de fupprimer des perfonnages
qui ont paru & paroîtront encore à bien
des François, déplacés , fubalternes & capables
de refroidir l'action , mais je n'ai ofe
le faire ce n'auroit plus été un Auteur
Etranger. Quand on copie le tableau d'un
grand Maître , il faut être de la derniere
exactitude : fe trouvât-il un défaut groffier
dans l'original , on doit le laiffer fubfifter
dans la copie ; autrement elle ne préfente
dont l'afage étoit inconnu en France , firent une
fi grande exécution parmi les troupes Françoiles ,
& leur infpirerent tant de frayeur , qu'on attribue
en partie le fuccès de cette journée à la furpriſe
qu'elles cauferent.
DECEMBRE. 1756. 89
qu'imparfaitement aux Curieux , l'Artifte
dont ils veulent connoître la maniere. Il
feroit heureux pour la France que les Ouvrages
étrangers qu'on y traduit tous les
jours fuffent rendus avec la même fidélité
& le même goût , ils feroient plus reconnoiffables.
Le grand art eft de leur donner
l'habit françois , fans déguifer leur traits
& mafquer leur phyfionomie .
IDÉE de la Poéfie Angloife , ou Traduction
des meilleurs Poëtes Anglois , qui
n'ont point encore paru dans notre Langue
; avec un jugement fur leurs Ouvrages
, & une comparaifon de leur Poéfie
avec celles des Auteurs anciens & modernes
, & un grand nombre d'anecdotes &
de notes critiques , tome 7 & 8 : par M.
l'Abbé Yart , de l'Académie royale des
Belles - Lettres , Sciences & Arts de Rouen .
A Paris , chez Briaſſon , rue S. Jacques , à
la Science , 1756 .
Le feptieme volume contient plufieurs
Contes & quelques morceaux fur la Poéfie
des Anglois . Il eft précedé d'un difcours
fur les Contes. Le huitieme comprend les
Operas ( 1 ) de Rofamonde , du Jugement
(1 ) Nous croyons que le mot Opera n'a point
de pluriel , & qu'il faut écrire Opera fans s.
90 MERCURE DE FRANCE.
de Pâris , de Comus de Semelé , des
Gueux ( 1 ) & de Polly , avec un diſcours
préliminaire fur l'Opera.
*
On doit fçavoir gré à M. l'Abbé Yart
d'un travail fi louable : nous en pourrons
parler une autre fois plus au long.
ESSAI fur la Perſpective Pratique par
le moyen du calcul , par Cl. Roy , Graveur
en taille douce fur tous métaux . A P4-
ris , chez Jombert , rue Dauphine , 1756 .
Il fe trouve auffi chez l'Auteur , fur le
quai des Orfevres , au charriot d'or . Prix
i liv. 4 fols.
On doit tenir compre à M. Roy d'avoir
réduir en petit volume , les loix de prati
que de la perfpective , qui étoient éparfes
dans des livres qui ne font pas à la portée
de tous les Artiftes . Pour rendre cette
fcience encore plus familiere , il l'a réduite
à un calcul fimple d'arithmérique. Certe
derniere méthode lui paroît même préférable
à celle des lignes , qui jufqu'à préfent
avoit été généralement fuivie. Nous ne
fçaurions mieux faire que de rapporter ici
(1) Nous penfons qu'il eût été mieux de traduire
l'Opera du Gueux , comme M. Patu , par la
raifon que dans le prologue , cet Opera eft fuppofé
l'ouvrage d'un Gueux qui le préfente à un Comé
dien.
DECEMBRE . 1756. 9.1
fes propres termes à ce fujet , p. 16 , art. 9 .
La maniere de chercher les plans perfpectifs
, & l'apparence de la grandeur des
objets par la fection des lignes , ou par le
moyen des échelles , ne pouvant être confidérées
comme univerfelles , on ne doit efpérer
une telle méthode que par le moyen des
nombres. Il est vrai que les opérations du
calcul prennent plus de temps que celles des
lignes , mais on en eft bien dédommagé par
l'agrément de trouver toujours la vérité , &
de n'être jamais borné par aucuns obftacles
tant que les grandeurs des objets permettent
de les repréfenter fur le tableau .
D'ailleurs on a auffi l'avantage de trouver
dans une infinité de cas , les apparences des
diftances poftérieures & des élévations
quelconques , fans qu'il foit néceffaire de
les avoir fur les plans. J'ofe même dire
que quand les objets n'exiftent pas fur le
terrein , la perfpective peut être parfaite ,
parce qu'alors les diftances poftérieures ,
ainfi que les dimenfions des plans , celles
des élévations , & les diftances horizontales
dépendantes abfolument de l'Artifte ,
peuvent lui être connues exactement en toifes
, pieds & pouces , &c ; ce qui ne ſe
peut lorfque les objets exiftent fur le terrein
car les plans peuvent être fautifs ,
ou l'on peut faire des erreurs foi-même en
92 MERCURE DE FRANCE .
mefurant avec l'échelle . Au reste , à cau
fe des élévations , il faut abfolument connoître
le niveau du terrein . Cela eft trèsimportant,
& augmente les peines ; au lieu
que dans le premier cas , le tout dépend
de l'Artiste , & n'en procure aucunes .
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur
une affaire concernant la fucceffion du
Maréchal Général Comte de Saxe.
Monfieur , le monument que Monfieur
Pigale , cet Artifte célebre , vient
de confacrer à la mémoire du Maréchal
Comte de Saxe , a fixé avec juftice
l'attention du Public , & a mérité le fuffrage
des conno fleurs.
Touché , comme tout François , de ce
qui a trait à la mémoire de ce grand Général
, je vous entretiendrai d'un autre trophée
erigé à fa gloire dans le Sanctuaire
même de la juftice. Ce n'eft point un éloge
donné par un protégé à fon Mécêne , ou
par un entoufiafte à un Héros de caprice .
Chez Themis on loue peu , on ne loue
qu'à la rigueur ; & comme on y juge les
hommes avec le fang froid de l'équité
on les y loue de même . Des faits préfentés
dans un ordre naturel qui est toujours celui
de la caufe , y font feuls les Panégyriques.
DECEMBRE . 1756. 93
Tel eft celui qu'un jeune Avocat nous
donna , il y a quelques jours , du Maréchal
de Saxe , dans une caufe qui avoit
pour objet la fucceffion de ce Seigneur.
Chargé de la défendre contre le Receveur
Général des Domaines de Blois , il avoit
à réfuter deux moyens dont celui- ci étayoit
fes prétentions : le premier , que par le
défaut d'enregistrement au Parlement des
lettres de naturalité du Maréchal de Saxe ,
fon teftament étoit de nul effet ; & le fecond
, que dans le cas où les lettres de
naturalité fortiroient leur effet , c'étoit à
lui à payer les créanciers & à faire délivrance
des legs par faute d'héritiers . ( 1 )
Que devient alors la fucceffion du
» Maréchal de Saxe ainfi partagée entre
» les droits du Domaine , & ceux des léga-
» taires fruftrés déja d'une partie de leurs
efpérances ! que devient le travail im-
» menfe du confeil établi pour liquider
» cette fucceffion ! & combien d'opération
nouvelles n'entraîne pas à fa fuite
» cette nouvelle demande ! »
(1) Depuis la plaidoierie la caufe s'eft réduite
à ce feul point de fait , parce que les lettres de
na uralité fe font trouvées vérifiées au Parlement,
Par Arrêt de la quatrieme Chambre des Enquêtes,
du 6 Septembre , le Receveur du Domaine a été
déclaré non- recevable.
94 MERCURE DE FRANCE.
Je ne me propofe point de vous développer
ou même d'analyfer toutes les réponfes
folides qu'oppofa l'Avocat aux moyens'
da
Receveur des Domaines ; elles me parurent
puifées dans les bonnes fources ,
maniées avec jufteffe & avec précifion.
Je ne m'attache qu'à ce qui concerne la
perfonne du Maréchal de Saxe , dont l'Orateur
a eu lieu plus d'une fois de rappeller
les fervices. Deux endroits furtout
m'ont frappé.
Celui du détail de la fucceffion de ce
Seigneur eft ramené à la gloire , précifément
par ce qui pouvoit l'affoiblir aux
yeux d'un Public mal informé.
ود
" Si la fucceffion du Maréchal de Saxe ,
», dit l'Orateur , répondoit à fon rang & à
» fes fervices , je pourrois MM. avec con-
» fiance vous en faire le détail . Dans ces
»richeffes vous ne verriez que fes victoi-
» res , nos avantages & les pertes de nos
» ennemis. Mais l'état de fes biens nous
préfente un tableau différent qui n'en
» devient que plus glorieux à fa mémoire.
"Nous y voyons les bienfaits du Prince retourner
à leur fource , le Royaume enrichi
» des dépouilles de l'ennemi par un grand
» Général qui fe plaît à verfer dans le fein
de la France les contributions faites fur
>> les vaincus.
و د
83
و د
#
DECEMBRE. 1756.
95
و ر
ود Voici comme le Maréchal de Saxe
» s'en explique lui - même dans fon Codicile
» du premier Janvier 1748. Je prie Sa
" Majefté d'accorder à mon neveu le Comie
» de Frize , mon Régiment de Cavalerie lége
» re , & mon halitation de Chambord . avec
» La Capitainerie dudit Chambord , à la charge
" condition qu'il entretiendra le Haras
»que jai établi pour fervir de remonte audit
Régiment. J'efpere que par cet arrangement
" je conferverai au Roi un Régiment qui n'au-
" ra point (on pareil , & un Haras unique ,
33
ود
33
n'ayant rien épargné pour remplir cet objet
» pour procurer à la France une espece
» de Chevaux , fupérieure en vueffe à ceux
qu'on y éleve à préfent ; chofe dont l'on
» manque pour la Cavalerie légere , & que
» l'on ne fauroit fe procurer en temps de
33
99
33
guerre.
C'eft , pourfuit l'Avocat , par des
dépenfes auffi honorables que les effets
,, de cette fucceffion fe font trouvés réduits
„ à un million , fomme inférieure , & aux
», demandes des créanciers , & aux efpéran-
» ces des légataires. C'eft par cette forte de
prodigalité pour le bien public que le
,, Maréchal de Saxe fe trouve hors d'état
après la mort de remplir toutes fes difpofitions
à l'égard de quelques particuliers.
و د
93
96 MERCURE DE FRANCE .
Cet homme , dont la mort n'a borné ni
les fervices ni le zele pour les intérêts de
la France , a droit fans doute à quelque
retour. Il est trop hors de la fphere commune
pour être confondu dans la foule
des Aubains vulgaires.
« Auffi , reprend l'Avocat ( & ce mor-
» ceau a eu l'approbation des connoiffeurs) ,
»auffi dans le cas où le Maréchal de Saxe
» n'auroit point eu de lettres de natura-
»lité , fon Teftament devoit recevoir une
» pleine & entiere exécution.
"
" Si les Fabert , les d'Asfeld , les
» Duguétroüin monterent au faîte des hon-
» neurs par l'importance de leurs fervices ,
quoique les grandes dignités foient plus
» ordinairement la récompenfe d'une fa-
» mille déja illuftre , les droits de Cité
» feroient- ils les feuls privileges tellement
» attachés à notre nailfance , qu'ils ne puif
»fent fe multiplier & s'accroître à proportion
de l'utilité & de l'étendue de nos
» talens ? non fans - doute. Le pays que nos
»inventions ont enrichi , que nos lumieres
» ont éclairé , l'Etat que notre bras a fer-
» vi , que nos travaux ont fait refpe&ter ;
>>voilà notre Patrie.
ود
ود
ور
» La Jurifprudence & l'Hiftoire nous en
"fourniffent mille exemples.
» Le berceau d'Homere devoit être immortel
Σ
Σ
f
བྷ །
DECEMBRE . 1756. 97
» mortel comme fes poéfies ; fept villes de
» la grece ambitionnent l'avantage de lui
» avoir donné le jour.
و ر
و ر
ور
و د »ArchiasaimoitlesLettres;illes
» cultivoit avec fuccès. On lui difpute le
» droit de Cité , Cicéron prend fa défenſe.
» Les talens du Poëte triompherent dans
» Rome par ceux de l'Orateur , & le peu-
»ple applaudit à un jugement qui , en
» accordant à cet étranger les privileges
de Citoyen , affuroit des fçavans à la
» République , pour éternifer la gloire de
» fes Héros.
33
"
ور
» Mais pourquoi chercher dans les fie-
» cles paffés des preuves d'un fentiment
» que notre amour & notre reconnoiffance
» pour les grands hommes nous ont infpiré
» dans tous les temps ? La France digne de
» fervir de modele à l'univers en tout
»genre , loin de méconnoître ces génies
» heureux donnés au monde pour en être la
» lumiere , ou nés pour affermir la puiffance
des fouverains , confervera tou-
»jours fur eux les droits dont ils ne fe-
» roient pas même les maîtres de la dépouiller.
"
و د
23
»L'Auteur de la République des Let-
» tres , plus utile fans doute aux Sciences ,
s'il étoit moins dangereux pour les
» moeurs , Baile avoit quitté la France fa
"
E
98 MERCURE DE FRANCE.
1
و ر
38
patrie , pour ſe réfugier en Hollande .
Après fa mort le Parlement de Toulouſe ,
» en déclarant fon Teftament valable en
» France , malgré la rigueur des loix , dit
expreffément , qu'un tel homme ne peut
» être regardé comme un étranger.
و ر
» Seroit- il plus étranger à vos yeux ,
cet homme qui facrifia les efpérances que
» lui donnoit la patrie, pour s'attacher à la
» nôtre , & dont la France s'eft approprié
» les fervices & la gloire?
לכ
ور
و د
و و
»N'étoit-ce point un devoir pour le
» Receveur des Domaines de rendre avec
»nous l'hommage que tout Citoyen doit
un homme qui fit triompher la France
» des forces réunies de l'Allemagne , de
la Hollande , & de l'Angleterre cette
>> Puiffance ennemie que la fageffe du Roi ,
» la valeur de nos troupes & l'activité de
leur Chef , ont déja fait repentir de
» l'infulte faite au Pavillon François , mais
» dont les deffeins ambitieux feroient peut-
» être encore couverts du voile de l'obfcu-
» rité , fi elle avoit eu à redouter le bras
dont elle a tant de fois fenti tout le
»poids & toute la force ?
ور
ود
ود
ور
و ر
» Maurice de Saxe étoit- il étranger ,
» lorfque dans les champs de Fontenoy
»97 il foudroyoit cette colonne terrible?
» Etoit- il étranger , lorfque vainqueur
23
4
R
DECEMBRE . 1756 .
99
» à Lawfeldt , il forçoit l'épée à la main
», les retranchemens ennenus ?
» Etoit- il Etranger à Courtray , dans
» cette campagne admirée de tous les con-
> noiffeurs comme un chef d'oeuvre de l'art,
» & dont je ne crois pas , MM . pouvoir
» mieux faire l'éloge en un mot qu'en
» vous difant que je l'ai entendu lui même
» fe permettre de l'admirer "
"
و ر
و د
Toujours vainqueur , toujours heureux
, il ne fut pas même dans le cas
» de fe fignaler par une retraite. Craint
-" & refpecté des Etrangers , honóré &
aimé de toute la France , comment at'on
pu former le projet de lui enlever
» le titre de Citoyen , que fes talens nous
faifoient regretter de ne lui avoir point
vu porter au moment de fa naiffance ,
» & que les fervices qu'il rendit de tout
» temps à l'Etat lui affuroient avant mê-
» me qu'il l'eût demandé ?
"
و د
دم
Si votre zele pour le bien public ,
plus cher à vos yeux que vos propres
intérêts , & que nous vous avons vu préférer
à votre tranquillité perfonnelle ; fi
» ce zele vous attache par de nouveaux
» liens à l'état auquel vous devenez tous
es jours plus précieux ; fi la fageffe
des loix & la réputation des armes furent
dans tous les temps le germe de la
gran
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
» deur des Etats & la fource du bonheur
» des peuples , quelle a dû être votre
ود
ور
furprife lorfqu'on vous a dit que les let-
»tres de naturalité du Maréchal de Saxe
» ne furent point préfentées à la Cour
»pour y être enrégiftrées dans la crainte
qu'elles n'y paruffent trop étendues ?
و د
- >>
»Auriez-vous pu refufer d'admettre au
»nombre des Citoyens un Héros qu'un ciel
étranger vit naître , mais qu'un coeur
» françois rendit nôtre ; un homme à qui
» le Roi confia l'exécution de fes grands
» & fages deffeins , la conduite des entreprifes
les plus graves & les plus délicates ,
» en un mot le commandement de fes
» Armées , c'est- à - dire le falut & la gloire
de la nation ?
">
ور
33
Supérieur à fa gloire même par fa
haute naiffance , par l'étendue de fon
génie , par fes trophées fans nombre ,
& plus encore par la jufte confiance &
la tendre amitié dont le Souverain l'ho-
» noroit , le Maréchal de Saxe devoit- il
» trouver des contradicteurs dans le temple
» de la Juftice ? Je me fatte qu'il n'en
» aura pas dans le coeur des Magiftrats
» toujours prêts à faire les premiers pas
pour contribuer à la fatisfaction du
» Souverain , & à la dignité de ſa Cou-
ود
» ronne.
Arc
P
fear
DECEMBRE. 1756. 101
ور
» Ce n'eft point éluder la loi , ce n'eſt
» pas même en folliciter une difpenfe que
» de vous propoſer comme je le fais , MM .
» pour motif, le bien public , la gloire
» de la Nation , la grandeur du Souverain ;
» c'eſt en reclamer l'efprit au Tribunal de
» fes plus zélés & de fes plus fideles inter-
» pretes. "
Après cette efquiffe du Plaidoyer , j'obferverai
avec vous , Monfieur , qu'un
Avocat qui n'atteint pas fon cinquieme
luftre , pour parler avec autant de netteté
, de goût & de force , prend avec
le Public de grands engagemens. Il les
remplira , en continuant à s'éloigner de
ce faux bel efprit , de cette éloquence
puérile , qui énervent notre littérature
moderne , & qu'il feroit dangereux de
fubftituer à l'éloquence mâle & nerveufe
des Patru , des Cochin & des Dagueffeau
.
W
J'ai l'honneur d'être , &c.
**
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
SUITE de la Réponse de l'Auteur des
Lettres à un Américain , à la Lettre de
M.Abbé de Condillac.
Uant à la contrariété de fentimens entre
vous & M. de B **, fur la fubftance qui
fert de fujet aux fenfations , je crois trèsférieufement
qu'elle prouve très- bien que
vous n'avez pu tirer des livres de cet Auteur
l'idée de votre Traité des Senfations.
Il dit bien comme vous , Monfieur ,
que
les idées viennent des modes accidentels
à l'ame ; c'est-à- dire , puifqu'il faut
vous définir ce terme , des façons d'être
fans lefquelles elle pourroit exifter , &
qui ne conftituent pas fon effence . Mais
les fenfations font , felon lui , des jeux mé
chaniques du cerveau , des manieres d'être
de l'origine de nos nerfs ; & c'eft en con.
fidérant ces manieres d'être étrangeres ,
que l'ame forme des idées . Vous , Monfieur
, vous donnez , comme de raiſon ,
les fenfations à l'ame , & vous prétendez
en dé fuire toutes les idées. Voilà l'oppofition
que j'ai fait fentir , & j'ofe avancer que
par ce moyen , je prouve , peut- être plus
fortement que vous n'avez fait , que vous
ne pouvez être foupçonné d'avoir pris l'i-
VOL
E
Ja
de
ね
DECEMBRE. 1756.. 103
Idée de votre Traité des Senfations dans
l'Hiftoire naturelle.
"
Mais en foutenant un fyftême contraire
à celui d'un Auteur , en réfutant même
cet Auteur , on peut , fans s'en appercevoir
, s'approprier quelques - unes de fes
idées. J'ai pensé , par exemple , que vous
aviez tiré la maniere dont vous voulez
que nous formions l'idée de l'étendue
d'un mot de M. de B*** . Cette maniere
eft la piece principale de votre fyftême :
« il ne reconnoît ce qui appartient à fon
» corps qu'autant que ce que fa main tou-
» che , rend fentiment pour fentiment . »
J'applaudis ,, « c'est vous qui parlez , Mon-
» fieur , avec vous à cette expreffion ( 1 ) ,
» & je conviens que j'ai dit la même chofe
» en d'autres termes. » Mais faire voir à
quels fignes nous reconnoiffons les parties
= de notre corps , « c'eft au moins fe rencon-
» trer en ce point : eft - ce expliquer com-
» ment nous formons l'idée de l'étendue ? »
Non pas précisément . Mais en étendant
un peu cette idée au - delà de l'ufage qu'en
fait M. de B *** , on y arrive. « Eft- ce fe
rencontrer fur ce qui fait le point effen-
,, tiel du Traité des Senfations ? » C'eft fe
rencontrer dans un point qui mene très-
(1) Merc. Avril , feconde Part, p. 83.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
aifément à l'effentiel du Traité des Senfations
, & qu'on ne peut manquer fans manquer
la connoiffance des corps. Car , fuivant
toutes les apparences , nous devons
connoître notre corps avant tous les autres
, & juger d'eux en les comparant à la
maffe de matiere à laquelle nous fommes
unis. Et c'eft tout ce que j'ai voulu dire.
Un mot fuffit pour terminer notre conteftation
fur cet article. Vous n'avez rien
puifé dans l'Hiftoire naturelle. Je vous
crois , Monfieur , fur votre parole.
Je n'ai pas non plus prétendu que votre
expreffion des deux moi dans l'homme , le
moi d'habitude & le moi de réflexion rentrât
dans le fens de l'homme double de
M. de B *** . La feule expreffion a paru
pouvoir m'autorifer à l'appeller une foible
imitation ( je vous demande la juſtice de
pefer l'épithete ) , de celle de l'Auteur auquel
vous n'aimez pas à reffembler . J'irai
plus loin dans l'analyfe des fenfations.
Sans avoir égard à votre expreffion du
double moi , je vous prouverai que vous
multipliez bien autrement le moi dans chaque
homme en particulier.
Quand M. de B *** veut expliquer
comment le finge nous imite , il dit ( 1 )
que c'eft parce qu'il eft extérieurement à
( 1 ) Hift . Nat. tom. 8 , P. 124.
E
DECEMBRE . 1756. 105
peu près conformé comme nous . Et vous ,
Monfieur , vous nous dites que le perroquet
n'entend pas notre langage d'action ,
parce que fa conformation extérieure ne
reffemble point à la nôtre : il m'a paru que
vous & lui employiez la même raifon
pour appuyer deux opinions différentes .
Ce n'eft donc pas pour avoir lu quelque
part dans l'Hiftoire Naturelle le mot de
conformation , que j'ai dit en badinant :
voilà une des raifons de M. de B *** . »
J'ai appellé finguliere la maniere dont
vous amenez , Monfieur , votre doctrine
fur le langage des animaux , & vous m'accufez
de jetter du ridicule fur cette tranfition.
Confondriez- vous le fingulier avec
le ridicule ? « 1 ° . Vous ne copiez pas , me
» dites - vous , exactement mon texte . »
Cela eft vrai. Votre phrafe commence par
puifque j'ai mis fi. Je fuis encore pris en
faute fur les guillemets que je ne devois
pas employer , puifque je ne prenois que
le précis de votre texte. Je vous en dois
des excufes , Monfieur , foit que ces fautes
fuffent dans mon manufcrit , foit qu'elles
appartiennent à l'Imprimeur. Voici donc
votre texte rétabli ; j'y fupplée ce que j'avois
retranché , & je caractérise ce que
j'appelle une tranfition finguliere par des
lettres italiques
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
(1 ) Puifque les individus qui font or
» ganifés de la même maniere éprouvent
» les mêmes befoins , les fatisfont par des
"
D moyens femblables , & fe trouvent dans
» les mêmes circonstances , c'est une confe
» quence qu'ils faſſent les mêmes etudes . &
qu'ils ayent en commun le mêmefonds d'idées.
Ils peuvent donc avoir un langage , & tout
»prouve en effet qu'ils en ont un . »
"
2°. Il vous paroît fort étonnant que je
tire du milieu d'un chapitre une phrafe
que je donne pour tranfition au chapitre
même. Vous reviendrez de cet étonnement
, quand je vous aurai dit que cette
phrafe m'a paru , & non fans fondement ,
préfenter en raccourci les quatre pages &
demie que vous avez employées pour
nous préparer à reconnoître que dans le
fait les animaux ont un langage ; fi c'eft
une méprife de ma part , je vous affure que
je ne l'apperçois pas.
Quelle attention quel ménagement ,
quelle bonne foi n'avez-vous pas dû ap
percevoir , Monfieur , lorfque j'ai rends
compte de l'origine que vous donniez i
la Morale D'abord vous la mettiez cette
origine dans les conventions des hom
mes . J'en ai tiré la conclufion immédiate.
(1) Traité des Anim. p . 93.
DECEMBRE , 1756 , 107
Ainfi point de loi naturelle . Tout eft
» de convention dans l'ordre moral , com-
» me dans celui du langage. ,, Mais vous
modifiez , ou plutôt vous rétractez votre
affertion , en difant , que Dieu eſt le
principe d'où la Morale émane , & qu'elle
étoit en lui avant qu'il creât l'homme ;
j'ai retiré ma conféquence , & je me fuis
réduit à vous demander où l'homme voit
ces modeles éternels d'une conduite raifonable.
En Dieu où ils font ? Vous vous
moqueriez de ma réponſe. Dans nos
fenfations , comme devroit répondre un
difciple de Locke , je ne pourrois m'empêcher
de rire de cette folution . Où
voyons nous donc les loix de la fociété
entre les hommes & Dieu , entre les
hommes & les hommes , fi elles ne font
pas de pure convention ? N'amois-je pas
pu vous demander de plus où 100 ftatues
telles que celle dont l'éducation vous
a fourni deux volumes ( cette centaine
de ftatues ne vous eût pas plus coûté
à créer qu'une feule ) auroient puifé
des Loix de Morale , après avoir rempli le
cours d'étude que vous avez imaginé ?
Quelle eft la branche de ces études qui
conduit à la connoiffance de ces Loix
éternelles fur lefquelles Dieu vent que
T'homme fe regle ? Le trait eût été pré-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
maturé de ma part. Auffi n'ai - je pas dit
un mot qui pût mettre le Lecteur fur les
voies d'obferver que dans tout votre
Traité des Senfations , non feulement la
Morale n'entre pour rien dans l'inftitution
de votre curieufe ftatue , mais même
qu'on n'y voit que les femences du
Polythéifme le plus affreux . Vous me réduifez
, Monfieur , à la néceffité de
publier
des délicateffes de procédés & d'égards
que j'aurois voulu ne faire entrevoir
qu'à vous feul . Au refte , c'eft autant
aux difciples de Locke qu'à vous , Monfieur
, à nous montrer que les Loix de
la Morale font des fenfations transformées.
Je vous ai fait voir comment ces Loix
étoient écrites dans nos coeurs . Je ne fçais
ce qui vous a fait oublier de citer la
Lettre ( 1 ) où je parle de l'origine que
vous donnez aux Loix de la Morale. Je
prends cette omiffion pour un pur oubli
de votre part , & je la répare en faveur
du Lecteur qui fera peut - être bien aiſe
de voir l'oppofition de votre doctrine
& de la mienne .
L'analogie vous a conduit , dites- vous ,
Monfieur , à reconnoître une ame dans
les bêtes. C'est vous-même qui avez di-
( 1 ) Lettre à un Amér. xxxiv. Il y a xxxiij par
erreur dans l'édition ,
I
E
C
(
DECEMBRE. 1756. 109
rigé l'analogie à ce terme : car dans le
vrai tous les traits de reffemblance entre
nous & les animaux , nous conduifent
à juger que ceux - ci ne font pas de
pures machines foumifes aux feules Loix
de la communication des mouvemens ,
& nous obligent à penfer que leurs corps
font remués , comme les nôtres , dans
tout ce qui paroît de leur part fpontané
ou libre , fur des caufes occafionelles
par le Créateur. Voilà l'analogie à
la fin de laquelle fe trouve ce problême
: Les occafions fur lesquelles le Créateur
donne aux animaux des mouvemens
Spontanés ou libres en apparence , des mouvemens
en un mot , hors du pur méchanif
me , font- elles prifes immédiatement des fignes
materiels du cerveau , telles que ceux
auxquels répondent en nous l'imagination ,
le defir , la penfee , la fenfation ; ou bien
ne peuvent elles être prifes immédiatement
ces occafions que de telle imagination , de
selle penfee , de tel defir , indiqués par les
mêmesfignes matériels du cerveau ? Voilà ,
Monfieur , où conduit l'analogie à un
problême que vous n'avez pas même
connu : comment auriez vous pu refoudre
la queftion du principe moteur des
animaux C'eft à cet unique terme que
conduifent tous les phénomenes que nous
110 MERCURE DE FRANCE .
préfentent les procédés des animaux . J'ai
confenti à ce qu'on regardât ce problême
comme infoluble , tant la question
m'eft indifférente. Je confens même de
tout mon coeur qu'on s'en tienne à l'obf
curité du préjugé de l'ame des bêtes.
Mais vous l'outrez ce préjugé , en vous
efforçant de le dépouiller de fes ténébres.
Vous en facrifiez la partie qui nous intereffe
le plus , je veux dire la différence
effentielle de la nature des animaux &
de la nôtre. A la vérité votre refpe &
pour la Religion vous fait dire que nos
ames différent effentiellement de celles
que vous fuppofez aux animaux. Mais
quand vous raifonnez en Philofophe
Vous ne prouvez cette différence effentielle
ni à priori , ni à pofteriori ; quoique
vous me fouteniez dans votre lettre que
vous l'avez démontré , << en remontant
des effets à la caufe , en cherchant les
principes dans il falloit dire par » les
» conféquences. Cette différence confifte
felon vous , Monfieur , en ce que nos
ames font fufceptibles des idées de loix
& de devoirs , immortelles en conféquence
, & que les ames dans les bêtes n'ont
rien de tout cela , quelles font créées pour
être anéanties. J'ai prouvé dans mes letsres
34 & 35 à un Américain , que vos
29
33
33
BICS
"
1
t
F
DECEMBRE. 1756. 113
principes même détruifent cette différence.
J'y renvoie le Lecteur ; c'eft le
feul moyen de terminer ce point de
fait fur lequel nous fommes divifés.
Je me borne aujourd'hui à vous prier ,
Monfieur, de m'indiquer les procédés des
animaux defquels vous remontez , comme
des effets à la caufe , à une ame fpirituelle
, privée, effentiellement de toutes
notions de loix & d'ordre , & créée pour
être par fa nature anéantie au moment
de la deftruction de la machine . Et fi
vous voulez , Monfieur , fentir encore
plus vivement l'impuiffance où vous réduit
votre fiftême de mettre une différence
effentielle entre l'homme & la
bête , relifez votre Traité des Senſations ,
& jugez vous-même fi l'ame de votre
ftatue , au fortir de l'éducation que vous
lui avez donnée , ne figureroit pas tout
auffi bien dans le cerveau d'un finge que
dans celui d'un homme .
Vous me donnez vous - même gain de
caufe fur cet article dans la lettre que
vous m'écrivez « Tout ce dont je conviens
(1 ), vous reconnoiffez vos paroles »,
» eft qu'il ne paroît pas y avoir de
» rapport effentiel entre la nature des ef-
» prits & ces befoins , ces moyens de
( 1) Merc. Avril ,fecond vol. p . 92.
112 MERCURE DE FRANCE.
multiplier les idées » en quoi confifte
felon vous , Monfieur , la diftinction de
la raifon de l'homme & de l'inftin &t de
la bête. Mais il y a au moins des
rapports de convenance . » C'est donc
par des rapports de convenance que vous
prétendez démontrer qu'il y a une différence
effentielle entre l'ame de l'homme
& celle de la bête . Appréciez vousmême
ce nouveau genre de démonftration.
Ce n'eft pas fans raiſon , & en-
» core moins contre toute raifon que Dieu
» unit deux fubftances. ( 1 ) Il confulte
fans doute la nature de l'une & de
"9
29
l'autre . Il ne bornera pas dans le corps
» d'une bête une ame qui par ſon ef-
» fence feroit capable de toutes nos fa-
"
"3
cultés au développement defquels no-
» tre corps peut donner occafion , & il
» ne donnera pas à un homme une ame ,
» dont l'effence ne renfermeroit pas le
germe de toutes nos facultés au développement
defquelles notre corps
» peut donner occafion . " Non , fans
doute : il eft de telles ames incapables par
leur nature de penfer , de refléchir , &
de fe déterminer comme nous . Mais c'est
précifement ce que vous aviez à prou
ver ; que les ames des bêtes font de cette
(1 ) Merc. Avril , fecond vol. p. 9
L
E
ป
DECEMBRE . 1756. II3
و ر
efpece. « ( 1 ) Ainfi puifque les corps dif-
» férent effentiellement , je fuis en droit
» de conclure que les ames différent par
» leur nature , » Encore de la logique
bien nouvelle. Le corps du ver de l'abeille
differe autant de celui de l'abeille
même , qu'une carpe differe d'un chien ,
qu'un finge differe d'un homme quant à lorganifation
de la machine . Il faudroit donc
conclure , en vertu de votre logique , que
l'ame du ver de l'abeille differe effentiellement
de l'abeille même. D'ailleurs tout
ce qui ne differe que par le méchanif
me , differe- t'il effentiellement : la même
matiere individuelle dont un chien eft
formé , ne feroit- elle pas le corps Jun
homme ? Toutes les chofes qui ne different
que par des modes peuvent elles
être regardées par un Philofophe comme
effentiellement différentes ?
Vous ne voulez pas , Monfieur , que
j'oppofe à votre fyftême , les ames des
fols & des imbécilles unies à des machines
tellement organifées qu'elles n'occafionnent
que le déraifonnement , parce
que moi-même je fuis convenu que c'eft
un défordre qu'on ne peut rapporter à
l'inftitution du Créateur. Mais vous onbliez
que les partifans de la Métempfy-
(1) Ibid..
114 MERCURE DE FRANCE.
cofe , ( la feule opinion fupportable que
la raifon humaine abandonnée à elle - même
, & obftinée à reconnoître des ames
dans les bêtes ait pu produire ) prétendent
auffi que
c'est par un défordre que les
ames humaines paffent dans des corps
qui ne furent point organifés pour le développement
de leurs facultés . Et fi vous
leur oppofiez votre prétendue démonftration
, qu'en penferoient - ils ?
Je loue , Monfieur , la condeſcendance
du Journaliste de Trévoux , & j'en aurois
ufé comme lui , fi comme lui j'euffe
été obligé par état de rendre un compte
fuccinct de votre livre , & fans aucun
engagement pour le réfuter : j'en avois
contracté un pour difcuter votre doctrine
, qui n'est qu'une refonte de celle de
Locke , & je voulois attaquer le fyl
tême de cet Anglois protégé & défendu
par l'homme que je fçavois le plus
capable de le faire valoir , parce que ce
fyltême renverfe tous les fondemens de
la raifon , & que j'ai formé le deffein
de lui faire perdre le crédit qu'il a en
France , comme il l'a déja perdu en Angleterre.
Or le ruiner entre vos mains
c'eft lui enlever toute efpérance de fe relever
jamais . Vous le foutenez par des
intentions louables , & que j'ai louées :
DECEMBRE . 1756. 115
"
33
avez
mais les louanges que je vous ai données
ne tombent pas fur le fuccès de
vos bonnes intentions. «< ( 4) Vous laiffez
fubfifter , dites- vous , en parlant de
moi , les principes de ce Philofophe
qui n'a pas toujours été conféquent » :
c'est vraiment un reproche auquel je ne
me ferois pas attendu Si vous
daigné lire les élémens de Métaphyfique
tirés de l'expérience , vous y aurez pu voir
que je ne le ménage pas beaucoup ; &
quelques traits que j'ai lancés contre lui
dans ce que j'ai pris la liberté d'écrire
contre vous , Monfieur , furtout au fujet
des idées morales , font plus faciles
à diflimuler , qu'à repouffer.
J'ai très-bien étudié tout ce que vous
avez fait , Monfieur , & fi toutes les négligences
qui me font échappées , & que
vous ne voulez pas vous donner la peine
de relever , font du même genre que
celles que vous me reprochez , le Public
conviendra que ma réputation n'a rien
à craindre de ce côté-là , & que vous
auriez tout auffi bien fait de le laiffer
juger. Ce n'eft point par des conféquences
que j'ai attaqué votre fyftême fur
les animaux je vous ai fuivi dans le
plus grand détail , & je vous fuivrai de
( 1) Merc. Avril , p. 941
116 MERCURE DE FRANCE.
même , en traitant l'Analyfe des Senfations.
Ce n'est que par incident que j'ai fait
entrevoir les conféquences que les ennemis
de la raifon & de la Religion pourroient
tirer de votre doctrine . Et avec
quels égards ai - je traité cet article qui
doit vous intéreffer davantage ? Je vous
affure , Monfieur , que je trouve affez
d'ennemis réels de la Religion , pour n'être
pas obligé de lui oppofer des phantômes
afin de les combattre. Plût à Dieu
que j'en fuffe réduit là ! Vous êtes bien
éloigné de penfer comme eux j'en fuis
intimement perfuadé. Mais précautionnezvous
contre leurs applaudiffemens plus
encore que contre mes critiques ; l'un eft
plus dangereux que l'autre. Quand je réfute
je tâche de le faire de maniere à
efpérer que je ne m'attirerai pas de réplique.
J'ai réuffi jufqu'à préfent & j'en
uferai de même à votre égard , toujours
également en garde contre tout ce qui
pourroit tant foit peu bleffer la juftice
qui feroit dûe à l'Ouvrage & à l'Auteur.
Vous proteftez à la fin de votre Lettre
que vous vous prefferez de défavouer votre
fyftême , fi je vous en démontre le
faux. J'en ai pourtant affez dit pour répandre
dans votre efprit des doutes bien
' fondés , & vous n'en paroiffez pas moins
DECEMBRE . 1756. 117
tenir fortement à vos opinions. N'importe
: je compte fur votre parole , parce
que je vous crois l'ame affez grande pour
vous juger capable de donner un de ces
exemples fi rares dans l'Empire Littéraire,
& fi dignes d'un Philofophe chrétien .
Je fuis , Monfieur , & c.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
JEE vous prie , Monfieur , de vouloir
bien communiquer ces obfervations à l'Auteur
du Confervateur , qui a paru défirer
qu'on lui fit part de ce qui pourroit contribuer
à étendre fes vues fur l'objet qu'il fe
propofe je connois votre zele & votre attention
à placer dans votre Mercure , tout
ce qui peut être utile & agréable aux Gens
de Lettres.
Il paroît que le projet de l'Auteur de
T'Ouvrage périodique, intitulé le Confervateur
, eft de faire connoître plufieurs Ouvrages
qui font ignorés , & de préferver
ceux qui font connus , de l'oubli qui les ménace
, par l'éloignement que donne pour
leur lecture l'anciennété du ftyle , le peu
d'ordre qui y regne , ou leur prolixité. A
l'égard des premiers , fi le choix eft bien
fait , comme on doit le préfumer , ce fera
118 MERCURE DE FRANCE .
un grand fervice qu'il rendra aux Amateurs
des Sciences , qui fouvent ne font pas
à portée de les trouver , ou en état de fe
les procurer
.
Quant aux feconds , l'Auteur donne
pour exemple Amiot , & fans doute qu'il
entend parler de fa traduction des uvres
de Plutarque ; mais je ne pente pas
qu'on doive le placer au nombre des livres
rares , ou de ceux qu'on ne lit point :
il eft entre les mains de tout le monde ; fon
ftyle , quoique veilli , eft plein de grace &
d'énergie , & il feroit peut être à craindre
qu'on ne l'énervât en le rajeuniffant.
que
Il en eft de même de Montagne : quoifouvent
il marche à bâtons rompus ,
fans beaucoup d'ordre , fe laiffant emporter
par fon imagination féconde , qui le
fait paffer rapidement d'un fujet à un autre
, tout ce qu'il dit eft fi fort de chofes ,
fes expreffions rendent fi bien fa penſée ,
que les plus petits changemens feroient
dangereux à hazarder .
A l'égard de Balfac & de Lamothe-le-
Vayer , le public fçaura gré à l'Abrévia
teur de n'en extraire que la fleur.
Comme l'Auteur du Confervateur pa
roît difpofé à recevoir des avis , & qu'il
en demande , on prend encore la liberté
de lui repréfenter que pour placer dans
C
1
DECEMBRE. 1756. I
fon Ouvrage tout ce qu'offre le titre dé
Confervateur , il devroit également y raffembler
les pieces fugitives qui ont paru
fucceffivement , tant en France , que chez
l'Etranger , Profes ou Vers , Françoises ou
Latines, qui ne contiennent qu'une ou deux
feuilles détachées plus ou moins , & qui
faute d'avoir été confervées , font devenues
extrêmement rares , & ne fe trouvent
que dans les cabinets des curieux , qui ont
eu foin d'en faire des collections , qui fe
vendent très-cher dans les inventaires.
C'est une idée qu'il paroît que Saleingre
avoit eue, & dont il a donné un échantillon
dans un des premiers volumes , de fes
Mémoires de Littérature , où il a fait imprimer
l'Epitre latine de Paffavans à Pierre
Lifet , fa Complainte fur le trépas de fon nez ,
un Catalogue de toutes les Républiques ,
imprimé en Hollande , un Poëme ou Centon
, fur la vie des Moines , compofé des
Vers de Virgile , par Lelius Capilupus , &c .
Ouvrage très rare & excellent en fon genre .
Si l'Auteur du Confervateur veut fe donner
quelques foins pour ramaffer ces pieces
Fugitives , & les placer dans fon Ouvrage
, il en acquerra un nouveau luftre ,
& le débit en augmentera fûrement ; on
peut même dire que ce travail ne fera pas
fi pénible & fi difficile, que celui d'extraire
120 MERCURE DE FRANCE.
•
des anciens livres & inconnus. La variété
ajoute un prix aux Ouvrages Périodiques .
C'est l'unique defir que l'on a pour le
fuccès de ce nouvel Ouvrage , qui a engagé
un Amateur des Lettres à indiquer un
nouveau moyen qui ne fçauroit nuire à
ceux que l'Auteur s'eft propofé.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le Chev. D....
A Lyon , ce 28 Octobre 1756.
LES REVERIES , ou Mémoires fur l'Art
de la Guerre , de Maurice Comte de Saxe ,
Duc de Courlande & de Sémigalle , Maréchal
Général des Armées de S. M.T.C , & c ;
par M. de Bonneville , Capitaine- Ingénieur
de Campagne de Sa Majeſté le Roi
de Pruffe. Imprimé à la Haye , in - fol.
230 pages , très-beau papier & très - beaux
caracteres , avec de très - bonnes planches.
Se trouve à Paris , chez Duchefne. Prix
33 liv. Broché. ( 1 )
M. le Maréchal de Saxe difoit que toutes
les actions des hommes étoient des
rêves ; c'eſt apparemment ce qui lui a fait
donner le titre de rêveries à fes Mémoires
fur l'Art de la Guerre . Il feroit heureux
(1 ) On en a fait auffi une jolie édition en 2 vol.
in- 12 , dont on pourra trouver quelques Exemplaires
chez Jombert , pour s liv. brochés.
que
&
1
DECEMBRE. 1756. 121
que tous les Maîtres , dans quelque Art
que ce foit , fiffent de pareils rêves ; ils
ferviroient à faire naître de nouvelles
idées , & les Arts feroient bientôt portés à
la perfection. Celui de la guerre devenu
fi intéreffant depuis que les guerres font
devenues fi communes , eft ici pris dans
fon principe , & examiné dans fes moyens
tels qu'ils font encore. Son Livre eft divifé
en vingt Chapitres , & dans tous ces Chapitres
on trouve de quoi former un Art
militaire , qui feroit d'autant meilleur
d'autant plus facile , qu'il ne s'éloigneroit
pas infiniment de celui qui exifte & auquel
on eft borné. On en verroit mieux
l'excellence par l'effet qu'on ne la concevroit
par le
raifonnement. Tout ce qu'il
y a de véritablement bon dans ces Mémoires
eft très - fenfible ; il eft vrai que la
réputation d'un grand homme donne encore
plus de poids à la folidité de ſes maximes
; mais il n'en eft pas moins vrai que
cette folidité fubfifte , & que la prévention
ne peut fervir ici qu'à la faire appercevoir
plutôt. Prefque tout le fyftême de M. le
Maréchal eft appuyé fur fon expérience ,
& fon expérience étoit extraordinaire comme
fon talent , parce qu'il avoit toujours
examiné , toujours recherché , toujours
approfondi , toujours voulu fçavoir plus
F
122 MERCURE DE FRANCE.
qu'il ne fçavoit. Pour apprécier l'ouvrage ,
il faut le lire ; c'eft un tout , & un tout
doit être lu en entier. Pour y exciter encore
, nous allons tranfcrire ici quelquesunes
des réflexions qui nous ont le plus
frappés. Chapitre premier. De la maniere
de lever les troupes . Les levées qui fe font
par fupercherie font odieuses. On met de
Fargent dans la poche d'un homme , & on
lui dit qu'il eft Soldat. Celles qui fe fent
par force le font encore plus ; c'est une défolation
publique... Article troifieme ( pour
prouver qu'il faut donner du biſcuit au
Soldat au lieu de pain ) . Les Pourvoyeurs
des vivres font accroire tant qu'ils peuvent
que le pain vaut mieux pour le Soldat ;
mais cela eft faux , & ce n'est que pour avoir
occafion de friponner qu'ils cherchent à l
perfuader : ils ne cuifent leur pain qu'à moitie
, & mêlent toutes fortes de chofes malfai
nes , qui avec la quantité d'eau qu'il contiem ,
augmente le poids & le volume du double…...
Enfin l'on ne fçauroit croire les voleries qui
fe commettent , les maladies qui refultent du
mauvais pain.... Article quatrieme. De
la paie. Un jeune homme de naiffance regarde
comme un mépris que la Cour fait
ini , fi elle ne lui confie pas un Régiment F
l'âge de dix buit on vingt ans. Cela on
tonte émulation au refte des Officiers &
P
C
C
DECEMBRE . 1756. 123
toute la pauvre Nobleffe , qui eft prefque dans
la certitude de ne pouvoir jamais avoir de
Régiment , & par confequent les poftes les
plus confidérables .... Chapitre deuxieme.
De la Légion. Je ne fuis point pour les Grenadiers
; c'eft ordinairement l'élite de nos
troupes , & fi la guerre eft vive , cela les
énerve de telle maniere que l'on ne fçait plus
où prendre de bas - Officiers , qui font cependant
lame de l'Infanterie. Je fubftitue à
ces Grenadiers les vétérans qui doivent avoir
une plus haute paie que les autres foldats ....
( Même Article ) . Un corps fait cauſe commune
de fa réputation ; il fera toujours ému
du defir d'égaler ou de furpaffer celle d'un
autre . Les actions d'un corps qui a un nom
ftable s'oublient bien moins que celles de ceux
qui portent le nom de leurs Officiers, parce que
ces noms changent , & que les actions s'onblient
avec eux.... Chapitre feptieme. De
l'Artillerie & du Charroir. M. de Turenne
a toujours eu la fupériorité avec des armées
infiniment inferieures en nombre à celles des
ennemis , parce qu'il ſe remuoit plus aiſement,
& qu'il fçavoit prendre fes difpofitions de
maniere à ne pas être attaqué & en fe tenant
toujours près de l'ennemi. ( Même Article
pour prouver qu'il faut fe fervir de boeufs
préférablement aux chevaux pour le charroir
d'une armée ) . Un homme & huit boeufs
Fij
124 MERCURE DE FRANCE:
conduiront plus que ne feront quatre hommes
avec douze ou quinze chevaux. D'ailleurs ,
ils ne confumeront pas le fourrage qu'ils ame
nent au camp , comme les chevaux , parce
qu'on les envoie à la pâture pendant le temps
que les valets coupent & chargent , & tout
cela fe fait fans peine & fans embarras. Si
un banf s'eftropie , on le tue , on le mange &
on en prend un autre au dépôt. Toutes ces
raifons font que je leur donne la préférence
fur les chevaux pour le charroir : ils doivent
être marquéspour que chacun reconnoiſſe les
fiens dans les pâtures. Chapitre huitieme.
De la Difcipline militaire . Bien des Généraux
croient avoir tout fait , lorsqu'ils ont
ordonné & ordonnent beaucoup , parce qu'ils
trouvent beaucoup d'abus. C'est un principe
faux , en s'y prenant de cette maniere , ils
ne remettront jamais la difcipline dans les
armées , où elle s'eft perdue ou affoiblie . I
faut faire peu d'ordonnances , mais les faire
exécuter avec grande attention , & punir
fans diftinction de rang ni de naiſſance ; ne
point avoir de confidération : fans cela
vous vous ferez hair. L'on peut être exact
& correct , & fe faire aimer en fe faisant
craindre mais il faut accompagner la fevérité
d'une grande douceur ; il ne faut pas
qu'elle ait l'air de la fauffeté , mais de la
bonté.Ce Chapitre renferme de fages leçons.
DECEMBRE . 1756. 125
Chapitre douzieme du fecond livre . Des
qualités que doit avoir un Général d'Armée.
Je me forme une idée du Général
d'Armée qui n'eft point chimérique ; j'ai vu
de tels hommes. La premiere de toutes les qua.
lités eft la valeur fans laquelle je fais peu
de cas des autres , parce qu'elles deviennent
inutiles. La feconde eft l'efprit , il doit être
courageux & fertile en expédiens. La troifieme
eft la fante.... Pour tout voir , il faut
qu'un Général d'Armée ne foit occupé de
rien un jour d'affaire. L'examen des lieux
& celui de fon arrangement pour ses troupes
doit être prompt comme le vol d'un aigle. Sa
difpofuion doit être courte & fimple ; comme
qui diroit , la premiere ligne attaquera , la
feconde foutiendra, un tel corps attaquera &
tel foutiendra.... Je ne fuis point pour les
batailles , furtout au commencement d'une
guerre , & je fuis perfuadé qu'un habile
Général pourroit la faire toute fa vie fans
s'y voir obligé rien ne réduit tant l'ennemi
que cette méthode , & n'avance plus les affai
res . Il faut donner de fréquens combats . &
fondre , pour ainfi dire , l'ennemi petit à
petit , après quoi il est obligé de fe cacher.
( M. le Maréchal ne prétend pas
dire pour
cela que lorfque l'on trouve l'occafion d'écrafer
l'ennemi , on ne l'attaque & l'on ne
profite des fauffes démarches qu'il peut
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
faire ) . Tout ce Chapitre nous a paru admirable
& digne de ce grand homme. I
s'y eft peint lui-même.
DISCOURS fur l'origine de l'inégalité
parmi les hommes , pour fervir de réponfe
au Difcours que M. Rouffeau , Citoyen de
Geneve , a publié fur le même fujer ; par
M. Jean de Caftillon , Profeſſeur en Philofophie
& Mathématique à Utrecht , &
Membre des Académies royales de Londres
, Berlin & Gottingue , &c. imprimé
à Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût. Prix 3 liv. 12 fols , broché .
Il nous a paru que la raifon & la fageffe
fe faifoient fentir dans ce Livre eſtimable.
Les hommes y font examinés dans
leur origine , & portés immédiatement
après les premiers momens de leur enfance
dans la fphere des vices & des vertus ,
c'eft- à - dire fur le théâtre naturel de leurs
actions. Le mal & le bien qu'ils font &
qu'ils peuvent faire , y eſt pefé par la main
équitable de la philofophie , & la conclufion
eft qu'ils méritent plus d'eftime que
de mépris . Le fyftême de l'Auteur eft que
de tout temps l'homme fut , & annonça ce
qu'il devoit être. Il agit , penſa , diſtingua
& inventa. Selon lui , les premiers
DECEMBRE. 1756. 127
Arts touchent aux premiers hommes. Les
premiers befoins firent naître les premieres
idées. Ce raifonnement eſt tout fimple ; en
l'étendant , en paffant de l'examen du
principe à l'examen de l'effet , on voit éclorre
la fociété mais cette fociété formée at'elle
été un bien en elle -même pour les
hommes fi enclins à abufer du bien & du
mieux ? Oui , fans doute : le mal qu'elle a
fait naître ne doit être reproché qu'à
l'homme lui -même ; c'eft lui qui a corrompu
par fes inclinations vicieufes la
fource des avantages qu'elle renfermoit
dans fon fein : mais cet abus du bien &
du mieux n'a détruit que des parties d'un
tout inestimable & inépuifable. Celles que
la nature , la raiſon & la juſtice ont fauvées
du naufrage , fe perfectionnent tous les
jours, & fe feront fentir à jamais. « Où ſont,
» dit-il , ces Brigans qui infeftoient toute
» la terre , & qui exerçoient le courage
» des Hercules & des Théfés ? Où font
» ces Pyrates ( 1 ) qui rendoient la mer plus
dangereufe par leurs armes qu'elle ne
par fes tempêtes Les malheureux
qui éprouvent la fureur des vents & des
" ondes , trouvent des mains fecourables
"fur ces bords , où ils ne rencontroient
» que des mains avides de rapine & de
(1) Ils revivent encore de nos jours , dira M. R.
و ر
» l'eft "
"
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
و د
ود
» carnage. On parcourt tout le globe plus
fûrement qu'autrefois une Province. Les
» meres juſtement glorieufes de leur fé-
» condité , ne craignent plus que les ordres
» d'un époux dénaturé , les privent de leur
»fruit. Au lieu d'enfans expofés aux bêtes
féroces , & de vieillards livrés à leur
» mifere & à leur caducité , on voit par-
» tout des azyles où l'enfance abandonnée
» & la vieilleſſe indigente trouvent des
»peres tendres & éclairés , & des fils
riches & bienfaifans ; des maiſons to
jours prêtes à recevoir les Citoyens languiffans
, pour les rendre à la patrie
» fains & robuftes. Aux marais & aux
glaçons ont fuccédé des Villes magnifi
" ques & peuplées. L'abondance a pris la
place de la ftérilité , qui régnoit fur pref
» que toute la terre. Les hommes menent
» une vie douce & heureufe par les foins
» d'un petit nombre de conducteurs. Il ne
» s'éleve plus de Tyrans dans les Républi
"ques. On ne voit plus fur le trône les
» Nérons & les Caligulas , & bientôt
» l'homme & la fociété feront ce qu'ils
ور
ور
ور
20
و د
ود
peuvent & ce qu'ils doivent être . La
» bonne foi réglera le commerce : l'utilité
» publique dirigera les Arts & les Sciences :
» le Guerrier préférera le falut de fa patrie
» à fa gloire : le Magiftrat , la République
0
C
E
DECEMBRE . 1756 . 129
"
»
"3
"
"
» à fes intérêts ; le peuple , l'utilité com-
» mune à fes avantages . Je vois le mérite
feul faire & maintenir la Nobleffe . Qui-
» conque dégénere , déroge , & ne déroge
» que parce qu'il dégénere. La grandeur
» la plus élevée , la fcience la plus fubli-
» me , les talens les plus rares , eftiment la
» vertu même en guenille , parce que tous
» font vertueux , & ils le font parce qu'ils
refpectent tous la Religion , non pas
» ce fantôme pointilleux qui s'allarme pour
» un Dogme de pure fpéculation , qui per-
» fécute pour un mot mal interprété , mais
» cette fille des Cieux , qui ne refpire que
» le bonheur des hommes & l'avantage
de la fociété , & qui ne reconnoît pour
» fes Miniftres que ceux qui éclairent les
» hommes par leur doctrine , qui les corrigent
par leur exemple , qui mettent
» leur honneur dans la vertu , leur richeffe
dans la modération , leur ambition dans
l'humilité , & c. Nous rendriens un
compte plus exact de cet Ouvrage , fans les
limites étroites où nous fommes obligés
de nous renfermer. Peut -être y trouverat'on
les hommes vus avec autant d'indulgence
, & traités avec autant de faveur
qu'ils ont paru jugés avec févérité dans
celui de M. Rouffeau . Quoi qu'il en foit ,
nous nous bornons à dire que tout le Livre
33
و و
"
ود ע
F'v
130 MERCURE DE FRANCE .
APA
de M. Caftillon porte fur ce « que l'homme
fans fociété eft un être de raifon , qu'on
» peut examiner uniquement pour découvrir
ce que l'homme fe doit à lui -même ;
qu'un de fes premiers devoirs eft de fon-
» der la fociété ; qu'elle exige l'inégalité
» de Souverain & de fujets , de grands &
» de petits diftingués par l'autorité &
ور
"
ود
par la puiffance
; qu'elle
admet
l'inégalité » de nobles
& d'ignobles
; qu'elle
donne » néceſſairement
naiſſance
à l'inégalité
de » riches
& de pauvres
; que le mérite
doit » régler le choix des perfonnes
qu'on
éleve » à la puiffance
, qu'on diftingue
par la
و د
33
»
Nobleffe , qu'on affocie au Gouverne-
» ment ; que toutes ces inégalités autorifées
par le droit naturel , fans qu'il y en
ait une feule autorifée par le feul droit
pofitif, font juftes en elles-mêmes & injuftes
dans leur abus ; que le genre hu-
» main eft auffi heureux que le permet fon
» état préfent , quoique fon bonheur puiffe
» croître à l'infini. »
33
و ر
ود
TRAITÉ des Courbes algébriques, 1 vol .
in 2 , avec figures. Prix 3 liv. relié. A
Paris chez Jombert , rue Dauphine , à
l'Image Notre - Dame , 1756 .
ALMANACH récréatif pour l'année 1757.
V
DECEMBRE . 1756. 131
A Paris , chez Cuiffard , quai de Gêvres ,
vis - à-vis l'Ange Gardien .
RÉFLEXIONS en vers fur l'Héroïfme .
A Berlin , 1756 ; & fe trouvent à Paris ,
chez le même Libraire.
A l'AUTEUR de la Lettre du fecond Volume
du Mercure d'Octobre 1756 , page 114.
Vous annoncez , Monfieur , votreOpération
comme très fimple , & elle l'eft effectivement
, & ne peut l'être davantage
en vous fervant des parties aliquotes : que
direz vous de celle - ci qui eft la même
la vôtre ?
83
iz 1284 liv . 16 fol . 4 d. 83
que
3614 9 10 8
96385
6 8
4 4 pour la fraction.
R: 1000l00
Celle- ci emploie beaucoup moins de
chiffres , & fait voir que les parties aliquotes
ne font pas le plus grand abrégé.
Je fuis , Monfieur , &c.
LABASSÉE , Graveur de Muſique.
Ce 11 Novembre 17.56.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
PREMIERE SÉANCE PUBLIQUE
De la Société Littéraire de Châlons -fur
Marne.
LA Société Littéraire de Châlons- fur-
Marne tint fa premiere Séance Publique
à l'Hôtel de Ville , le 4 Juin dernier.
M. l'Evêque & M. de Barberie - de Saint-
Conteſt- de la Chataigneraie , Intendant de
Champagne , Préfident honoraire de cette
Société , y affifterent avec Meffieurs les
Officiers municipaux en corps.
M. Fradet , Secretaire de l'Intendance
de Champagne , Directeur en exercice ,
ouvrit la Séance par un Difcours dans
lequel , après avoir donné au zele de M.
Dupré d'Aulnay , Chevalier de l'Ordre de
Chrift , fondateur de la Société , les louan
ges qui lui font juftement dûes , il fit
les éloges de Monfeigneur le Comte de
Clermont Prince du Sang , protecteur de
la Société ; de M. l'Evêque & de M. l'Intendant
. Delà paffant aux objets dont les
Académies devroient principalement s'oc
cuper , M. F. établit que tout corps litté
raire , s'il veut fe foutenir & fe rendre
utile , doit néceffairement commencer par
fe faire un plan d'étude , & le fuivre.
DECEMBRE. 1756. 133
expofa fuccinctement celui que la Société
s'eft formée. Il annonça qu'elle fe propofoit
de faire des recherches fur l'hiftoire
naturelle , eccléfiaftique , civile , politique
& littéraire de la Champagne , & fit voir
que cette province offre , dans ces différens
genres , des fujets auffi grands , auffi
curieux & auffi intéreffans qu'aucune autre
partie du Royaume..... M. de Relongue
-de la Louptiere , affocié externe , lut enfuite
une piece mêlée de profe & de vers ,
fur le fujet de l'affemblée.
Après la lecture de ces deux difcours
- M. l'Abbé Suicer Licentié- ès-Loix
Secretaire perpétuel , rendit compte au Pablic
de l'établiffement & des progrès de
la Société , & lut les extraits des Ouvrages
préfentés dans les Séances particulieres ,
au nombre de plus de 40. Sur l'hiſtoire ,
la morale la phyfique , &c.
Cette lecture finie , le Secretaire annonça
l'expofition de la grande eſtampe
du Parnaffe François & de 33 médaillons
en bronze doré , des Poëtes & Muficiens
les plus célebres des regnes de Louis le
Grand , & de Louis le bien- aimé , envoyés
par M. Titon du Tillet , affocié
externe.
Cette annonce fut fuivie de la lecture
d'une Ode , intitulée : le Parnaffe Fran134
MERCURE DE FRANCE .
çois exécuté en bronze , que M. Meunier ,
Avocat en Parlement , adreffa à l'Auteur
de ce monument.
M. Culoteau de Velie , Avocat du Roi
au préfidial de Châlons , lut un mémoire
pour fervir à l'hiftoire de cette Ville.
M. l'Abbé Suicer communiqua enfuite
à l'affemblée le projet d'une bibliotheque
Champenoife.
M. l'Abbé Beſchefer , Chanoine de l'Eglife
Collégiale de Notre-Dame en Vaux
lut une differtation fur l'époque de la miffion
de S. Memmie , Apôtre & premier
Evêque de Châlons. M. Meunier lut une
Ode fur la beauté , adreffée aux dames.
M. Navier , Docteur en médecine ,
affocié correfpondant de l'Académie Royale
des Sciences de Paris , lut un mémoire
contenant des recherches économiques
fur les moyens d'augmenter la production
des grains , & de fertilifer les terres arides
de la province de Champagne.
M. Varnier , Avocat en Parlement , lut
un difcours fur l'utilité & les avantages des
bonnes études .
La Séance fut terminée par la lecture
d'une piece de Poéfie de M. de la Louptiere
, intitulée Amitiés Poétiques à la chevre
dont j'ai pris le lait.
G
t
DECEMBRE. 1756. 135
EXTRAITde la Séance publique du mois
d'Août , de l'Académie des Sciences &
Belles- Lettres de Dijon , & Prix propofes
par la même Académie.
Monfieur l'Abbé Derepas , Académicien
honoraire , ouvrir la féance par un
difcours fur les Caufes des Faux Jugemens
, qui auroit fait juger très avantageufement
des talens & du mérite de
l'Auteur , s'ils n'euffent été déja connus
par plufieurs Ouvrages marqués au fceau
de la jufteffe , de l'aménité , de la netreté
& de la préciſion.
M. Fournier Docteur en Médecine ,
Membre de l'Académie , lut enfuite un
Mémoire fur l'Inoculation , dans lequel
il établit que cette méthode n'eft poing
également avantageufe dans les différens
climats. Les avantages de l'Inoculation
ne peuvent être appréciés que fur le
danger de la petite vérole naturelle ,
comparé avec celui auquel on eft expofé
par l'Inoculation . Ainfi s'il étoit
un climat ) une contrée , où le danger
fût à peu près égal de part & d'autre ,
nul doute que cette méthode n'y fût
que de très-peu d'utilité. Telle a paru la
136 MERCURE DE FRANCE.
Bourgogne à M. F. qui depuis 20 ans
qu'il y exerce la Médecine avec diftinction
, n'y a pas même va périr un malade
, fur so attaqués de la petite Vérole.
L'Inoculation pratiquée fur des fujets
pris au hafard , à Paris ou à Londres
ne pouvoit guere avoir un fuccès
plus heureux .
>
Quoique cet expofé fondé fur une
expérience de 20 années , paroiffe peu favorable
à l'Inoculation , M. F. eft bien
éloigné de la profcrire dans cette province.
Il penfe au contraire qu'on doit
l'admettre .
10. Parce que plufieurs habitans de
cette province peuvent changer de cli
mat , & être par-là privés des avantages
qui y font attachés , puifqu'ils ne pervent
dépendre que de fon heureuſe -
tuation , de la bienfaifance des alimens ,
& de la falubrité de l'air qu'on y refpire.
20. Parce qu'il peut furvenir une épidémie
dont la malignité prévale fur l
bénignité du climat . M. F. penfe que quelle
que foit cette malignité , elle n'immoleroit
qu'un petit nombre de fujets , fi
l'on prenoit lors de ces épidémies , les
précautions que l'on prend pour difpo
fer à l'Inoculation .
3. Parce qu'en procurant de bonne
Σ
23
DECEMBRE. 1756. 137
heure la petite Vérole , on met le malade
à l'abri des inquiétudes fur le fuccés
, & de la crainte d'être marqué , qui
dans les fujets plus avancés en âge , augmente
toujours le danger de la maladie.
Si M. Fournier n'avoit à combattre que des
préjugés , il eft certain qu'ils ne tiendroient
point contre les raifons qu'il leur
oppofe : mais , comme il le dit lui- même ,
» c'eft plutôt ici une affaire de coeur ,
qui étouffera toujours la plus vive lu-
» miere . On eft & on fera toujours plus
frappé d'un mat préfent quoique lé-
" ger , mais qu'on fe procure volontai-
» rement , que d'un autre plus confidé-
» rable , dont l'existence n'eft vue que
dans le lointain & à la difpofi-
33
29
"3
93
و د
و ر
» tion du hafard ... L'incertitude , l'éloignement
, l'efpérance répandent des
» ombres favorables fur nos maux à ve
» nir > & nous voile une partie des
amertumes qui en font inféparables...
La tendreffe paternelle fera toujours
» dans les pays où on fent autant que
l'on penfe , un obftacle à l'introduc-
» tion de cette méthode .
>>
» La Circaffie a été conduite à l'I-
» noculation par l'avidité du gain , l'a-
" mour de la nouveauté a déterminé
» l'Angleterre , les Genevois ont été en13S
MERCURE DE FRANCE .
29 traînés par
des
preuves de fait , il eft
» à craindre que la Bourgogne ne ſe
» décide que par le coeur & les fentimens.
وو
M. l'Abbé Richard , Secretaire perpétuel
de l'Académie pour les Belles-
Lettres , communiqua enfuite des obfervations
fur quelques phénomenes de la
foudre , dont il donna une explication
très ingénieufe , & en même temps trèsvrai
-femblable .
M. Mavet, Chirurgien- Major de l'Hôpital
, & Membre de l'Académie , termina
la féance par la lecture d'un Mémoire
fur la néceffité d'enlever de bonne heure
les boutons chancreux du vifage.
La dénomination de noli me tangere ,
appliquée aux excroiffances chancreufes
du vifage , en a tellement impofé fur
leur nature , qu'on a toujours craint de
les attaquer. Perfuadé que le virus chan .
creux avoit fa fource dans le fang , oa
a cru inutile de s'attacher à en détruire
les effets , puifqu'il feroit toujours en
état de les renouveller. M. M. s'éleve
contre cette opinion . On fçait, dit - il , que
la plupart des tumeurs chancreufes n'ont
été dans leur principe qu'un fimple engorgement
glanduleux , prefque toujours
determiné par des caufes extérieures &
accidentelles , dont le plus fouvent toute
COD
FOL
ve
DECEMBRE. 1756. 139
l'action s'eft bornée à la partie bleffée .
Les effets de ces caufes étant ordinairement
les mêmes , & fur les corps les plus
fains , & fur les plus cacochimes , on en
doit inférer qu'ils ne dépendent point
d'une difpofition particuliere dans la
malle totale des humeurs , ou d'un vice
préexiftant dans le fang , mais fimplement
dans la nature de l'organe affecté , &
de l'efpece de fluide qui y eft arrêté.
•
Tout concourt à établir , difons mieux ,
tout confirme que c'est la matiere même
contenue dans la tumeur , & jettée en
fonte par l'action des caufes capables
d'exciter & d'animer le jeu des vaiffeaux
voifins , qui détermine les accidens qui
accompagnent un cancer ulcéré ou prêt
à s'ulcérer : ainfi c'eft gratuitement qu'on
fuppofe un vice intérieur , un virus chancreux
, qui ne peut exifter dans le ſang ,
qu'au moyen d'un repompement de la
fanie infecte de l'ulcere par les vaiffeaux
abforbans. En effet l'expérience
nous a appris qu'il ne faut fouvent qu'un
foible coup fur la partie affectée , pour
mettre en action le venin , qui étoit commeaffoupi
. Une caufe auffi légere feroit- elle
capable de le développer , s'il étoit mêlé
avec toute la maffe ? Pourquoi d'ailleurs
affecteroit- il fi conftamment la partie ma140
MERCURE DE FRANCE.
lade , dans laquelle, vu l'embarras qui s'y
trouve , il devroit avoir plus de peine à
pénétrer. Difons donc avec M. M. dont
nous fouhaiterions pouvoir partout emprunter
les termes , que ce virus ne doit
être foupçonné que forfque l'ulcération
eft ancienne & d'une certaine étendue ,
puifque le repompement eft toujours en
raifon compofé des temps , & du nombre
des vaiffeaux abforbans ouverts. Il
eft d'ailleurs vraisemblable qu'il faut une
quantité déterminée de fanie pour infecter
la maffe des humeurs , & que le moument
continuel dont elle eft agitée , en
peut amortir ou détruire les funeftes effets.
Ainfi , quand il fera queftion d'un
cancer récent , dont la furface fera peu
étendue , & la fanie peu abondante , tels
que font les boutons chancreux du vifage
, qui n'ont pas été trop long- temps
negligés , on peut avec confiance tenter
l'opération , qui eft d'ailleurs le feul
moyen d'arracher les malades au funefte
fort dont ils font menacés. M. M. termine
fon mémoire par des obfervations
qui confirment fa théorie , && par des
remarques fur le manuel de l'opération ,
qui prouvent qu'il eft également verfé
dans les différentes parties de fon Art.
L'Académie qui avoit propofé pour
re
C
Pa
C1
DECEMBRE. 1756. 141
fujet du Prix de 1756 , de déterminer les
caufes de la graiffe du vin , & donner les
moyens de l'en préferver ou de le rétablir ,
n'ayant pas eu lieu d'être fatisfaite des
mémoires qui lui ont été adreffés , a cru
devoir en renvoyer la diftribution à l'année
1759. Elle invite les Auteurs à profiter
de ce temps pour faire de nouvelles
recherches fur les caufes particulieres
de cette altération , fur leurs manieres
d'agir , & fur les changemens qu'elles
opérent dans la mixtion du vin . Elle defire
furtout qu'ils s'attachent à concilier
& à faire quadrer les caufes reconnues
avec les moyens propofés pour en prévenir
ou en détruire les effets.
L'Académie a déja fait annoncer pour
fujet de morale pour l'année 1757 le
problême fuivant : Eftil plus utile d'étudier
les hommes que les livres ? Celui de
Médecine pour l'année 1758 eft conçu en
ces termes : Quelles font les regles générales
qu'on doit fuivre dans le traitement des
maladies épidémiques commençantes ? &
quels font les moyens d'en découvrir le
caractere particulier ? L'Académie fouhaite
que les Auteurs s'attachent principalement
à indiquer d'une maniere précife
les regles générales qu'on doit fuivre
dans le traitement des maladies épi142
MERCURE DE FRANCE.
démiques , dont la nature n'eft pas encore
connue , & qu'ils raffemblent &
expofent les moyens que l'Art fournit ,
pour en découvrir le caractere & le génie
particulier ; découverte d'autant plus
utile , qu'elle eft l'unique flambeau qui
puiffe éclairer fur les indications qu'elles
préfentent , & guider dans le choix
des moyens les plus propres à les remplir.
Ces Prix confiftans en une médaille
d'or de la valeur de 300 liv. feront adjugés
à ceux qui auront le mieux rempli
les vues de l'Académie . Il fera
Îibre aux Auteurs d'écrire en François
ou en Latin , obfervant que leurs Ouvrages
foient très lifibles , & qu'ils n'excedent
pas une heure de lecture. Les
Mémoires francs de port , feront adreffés
à M. Petit , rue du vieux Marché , à Dijon
, qui n'en recevra aucun paffé le
premier Avril des années pour lefquelles
les prix font indiqués. Les Auteurs
mettront au bas de leurs Mémoires une
Sentence ou Devife : ils y joindront un
papier cacheté , au dos duquel fera la
même devife , & fous le cachet leurs
noms , leurs qualités & leurs demeures ,
pour y avoir recours dans le cas feulement
où les Ouvrages obtiendront le
prix.
"
DECEMBRE. 1756. 143
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
GÉOGRAPHIE.
LETTRE du Révérend Pere Dom Auguftin
Calmet , Abbé de Senones , fur la
terre de Geffen & fur le Royaume de Tanis
en Egypte.
JE
op-
E defirois depuis long- temps que quelqu'habile
homme traitât la matiere du paffage
de la Mer- Rouge avec l'exactitude
que demande l'importance de ce célebre
événement , qui jufqu'ici a produit tant
de différens fyftêmes & d'opinions fi
pofées les unes aux autres ; les uns croyant,
felon la Lettre du récit de Moyfe , que les
Hébreux traverferent la Mer -Rouge d'un
bord à l'autre , ayant les eaux miraculeufement
fufpendues à leur droite & à leur
gauche , les autres prétendant qu'ils ne firent
qu'un demi-cercle en paffant d'un bord
à l'autre du même côté , & profiterent ha144
MERCURE DE FRANCE.
bilement du reflux de la mer , pendant
qu'elle laiffoit les deux côtés à l'extrêmité
de fon lit defféchés , & que les Egyptiens
fe livrant inconfidérément dans le même
lit de la mer , y furent engloutis par le
flux des eaux qui retomberent fur leur
armée .
J'ai lu avec beaucoup de fatisfaction un
petit Ouvrage intitulé , Effai phyfique fur
l'heure des marées dans la Mer - Rouge , comparée
à l'heure du paffage des Hébreux ( 1 ) .
L'Auteur n'y a point mis fon nom ; mais
j'ai appris depuis qu'il fe nomme M.
l'Abbé Hardy, du College Mazarin , à Paris.
Je lui dois la juftice de reconnoître qu'il
a très-bien rempli fon projet , & a mis
cette matiere dans un plus grand jour
qu'elle ne l'ait été jufqu'aujourd'hui.
Il avoit été précédé par le Révérend Pere
Sichard , Jefuite , Miffionnaire en Egypte,
qui ayant été exprès fur les lieux , avoit
déja tracé avec exactitude la route que les
Hébreux avoient fuivie dans leur marche
au fortir de l'Egypte .
Permettez -moi , Monfieur , de vous dire
, qu'il manque encore quelque chofe au
travail de ces deux fçavans Obfervateurs :
c'eft de fixer plus exactement la pofition
(1 ) On le trouve chez Jombert & Lambert.
de
DECEMBRE. 1756. 145
de la terre de Geffen , que les Ifraélites
habiterent dans l'Egypte , & le Royaume
de Tanis où demeuroit le Roi Pharaon ,
& la route que les Hébreux & les Egyp- !
tiens fuivirent jufqu'à la Mer- Rouge.
Il eft certain que Jacob & fa famille
arrivés en Egypte , habiterent dans la terre
de Geffen , qui leur fut donnée par le Roi
Pharaon. Il paroît par l'Ecriture que le
nom de Pharaon fe donnoit à tous les Rois
d'Egypte , & que ce n'eft pas un nom propre
, mais un terme appellatif comme qui
diroit le Roi.
le
Geffen , ou Geffem , ou Gozen , en hé
breu fignifie pluie , & la terre de Geffen
pays de pluie , parce que dans la haute
Egypte au deffus du Delta , il pleut trèsrarement
; au lieu que dans la baffe-Egypte
aux environs de Damiette & de Pelufe ,
où nous plaçons la terre de Geffen , il pleut
affez fouvent.
La terre de Geffen étoit donc dans la
baffe- Egypte , à l'Orient du bras le plus
oriental du Nil , dans le canton que l'on
nomme Arabique, au deffous d'Héliopolis ,
nommé On en hébreu . Dans ce canton
ous connoiffons les villes de Damiette &
le Pelufe , qui étoient compriſes dans le
Royaume de Tanis on y voyoit auffi
Rameffe , Sethros & Pithom , ou Bubafte , &
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Abarit. Nous parlerons de chacun de ces
lieux en particulier.
La terre de Geffen confine avec la Paleftine
( 1 ) , & en eft féparée par un terrein
défert & inhabité , d'environ huit ou dix
lieues d'étendue de l'orient au couchant.
Il est à préfent prefque inhabité , quoiqu'autrefois
, felon l'Ecriture ( 2 ) , il ait été
habité au moins en partie , & il l'étoit
encore apparemment du temps que David
étoit perfécuté par Saül , & demeuroit auprès
du Roi de Geth.
Jacob & fes enfans avoient leur demeure
à Hébron ( 3 ) dans la Paleſtine ,
lorfque Jofeph les manda pour venir en
Egypte , & leur promit de leur faire donner
par le Roi la terre de Geffen . Lorfqu'ils
furent fur les frontieres , & que Pharaon
eut appris leur arrivée ſur ſes terres ,
il leur fit dire qu'ils pouvoient venir en
affurance , & qu'il leur donneroit la moëlle
de la terre (4) & Jofeph informé qu'ils
étoient arrivés dans le pays , fit mettre fes
chevaux à fon charriot , & fe hâta de venir
en diligence embraffer fon pere. Tout
cela marque que la demeure du Roi & de
(1) V. Genef. xlv, 10. xlvj , 28. xlvij , 1 , 4 , 6, 27.
( 2) 2. Reg. viij , 9 & 10.
( 3) Gen. xxxv , 2 , & xxxvij , 15.
(4) Gen. xlv , 17 & 18. xlvj , 28.
DECEMBRE . 1756. 147
Jofeph étoit affez éloignée de la terre de
3 Geffen. En effet , ce pays que nous plaçons
dans la baffe- Egypte , étoit à l'orient
du bras le plus oriental du Nil , & avoit le
Lac Sirbon & la ville de Rhinocorure au
levant , & Tanis à l'occident.
Les deux Ecrivains qui nous ont fi bien
marqué la fituation & la largeur de la
Mer- Rouge , & les circonftances de la'
fortie des Hébreux de l'Egypte ; fuppofent'
qu'ils fortirent du vieux Caire , où Pharaon
faifoit , à leur avis , fa demeure ordinaire
, comme dans la Capitale de fes
Etats. Mais le vieux Caire , qui eft voiſin'
de l'ancienne Babylone d'Egypte , étoit
trop éloigné de la ville de Tanis , où il eft.
indubitable que Moyfe fit tant de mi-'
racles aux yeux de Pharaón & de fes ferviteurs.
Il eft vrai que Jofephe l'Hiftorien ( 1 )
dit que les Juifs s'affemblerent à Letopolis '
ou Latopolis , pour fortir de l'Egypte ; que
ce lieu étoit alors défert , mais que dans la
faite on y batit Babylone d'Egypte : il croyoit
donc que les Hébreux avoient leur demeure
dans la haute Egypte , puifque Babylone
eft au deffus , & au nord- est du
vieux Caire ; ce qui eft fort différent de
(1) Jofephe , antiq. I. z , ch. 15.
1
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
tout ce que nous avons dit jufqu'ici , &
que nous dirons encore ci- après..
Le Patriarche Jofeph , pour ménager à
Jacob fon pere, & à fes freres les Hébreux ,
fils de ce Patriarche , une demeure en
Egypte propre à leur profeffion ( 1 ) , les
avertit de dire à Pharaon qu'ils étoient
Pafteurs de Brebis , parce que les Egyptiensont
en horreur les Pafteurs de ces fortes
d'animaux par conféquent il ne convenoit
pas de leur affigner des demeures
parmi celles des Egyptiens , & voifines les
unes des autres ; c'auroit été une occafion
continuelle de difputes & de querelles.
Il leur fit donc donner un canton éloigné
de la Capitale du Royaume de Tanis ,
où Pharaon tenoit fa cour. Il leur affigna
la terre de Geffen , comme plus propre à
nourrir des brebis : car Strabon ( 2 ) & les
Voyageurs remarquent que les environs
de Tanis font remplis de lacs , d'étangs &
de marais contigus les uns aux autres . Or
un tel terrein n'étoit nullement propre
nourrir des troupeaux de brebis , qui demandent
un pâturage plus fec & moins
gras.
Il n'étoit
pas non plus permis aux Egyp-
(1) Gen. xlvj , 34:
(2) Strab. 1. 18, P. SS2.
S
g
er
ra
DECEMBRE . 1756. 149
tiens de manger avec les Hébreux ( 1 ) ,
ils les regardoient comme impurs.
Hérodote ( 1 ) remarque qu'ils avoient la
même répugnance de manger avec les
Grecs ; ils ne vouloient ni leur donner le
baifer , hi fe fervir de leurs couteaux , ni
ufer de leur pots ni de leurs vaiffelles , ni
manger d'une viande qui auroit été coupée
par le couteau d'un Grec. Telle étoit la
fuperftition de cet ancien peuple envers les
Etrangers.
:
que
ܝ
les
Il paroît néanmoins par le récit de
Moyfe en un autre endroit
Hébreux s'étoient familiarifés avec les
Egyptiens , & qu'ils s'étoient approchés
de Tanis ; encore que les Hébreux , ' qui
étoient venus en Egypte avec Jacob ,
fe fuffent infenfiblement mêlés avec les
Egyptiens cependant ils conferverent
toujours leur Religion , la Circòncifion ,
leur Langage , leurs Lettres , leur maniere
d'écrire , en forte que Moyfe au Mont
Sinaï écrivit la Loi de Dieu , qu'il donna
aux Hébreux en , caracteres & en langue
Hébraïque , & non en caracteres ni
en langue Egyptienne , quoiqu'il n'ignorât
ni l'une ni l'autre , ayant vécu plufieurs
années dans ce Pays , & ayant été
(1) Gen. xliij , 31-32 .
( 2) Hérod. 1. 2 , C. 41 .
G iij
150 MERCURE DE FRANCE..
inftruit de toute la fageffe des Egyptiens ,
comme fils adoptif de la Princeffe fille
du Roi de Tanis ; & qu'il parlât fans
interprete à ce Prince , même après fon
retour du pays. de Madian , où il avoit
demeuré affez long- tenis . On fçait d'ailleurs
à n'en pouvoir douter , que le langage
& le caractere dont fe fervoient les
Egyptiens , étoient fort différens de ceux
des Hébreux & des Phéniciens. Car lorfque
les Ifraelites furent fur leur départ
de l'Egypte pour aller facrifier à leur
Dieu dans le défert , Moyfe leur dit : ( 1 )
Que les hommes d'entre vous demandem
à leurs amis , & les femmes à leurs voifines
, des vafes d'or & d'argent pour porter
avec vous dans cette cérémonie; & Dieu
leur donna grace aux yeux des Egyp
tiens , qui leur prêterent volontiers ce qu'ils
avoient de plus précieux : en forte qu'en
fortant ils emporterent les richeſſes des Egyp
tiens , & fe payerent par leurs mains des
travaux qu'ils leur avoientfait faire. Lorfque
la fille de Pharaon découvrit le jeune
Moïfe fur le bord du Nil , elle y
étoit allée ou pour fe baigner , ou pour
laver du linge ; comme dans Homere
(2 ) la Princeffe Nauficaë , fille du Roi
(1 ) Exod. xj , 2. xij , 35.
(2) Hom. Odyff. 2 , v. 60.
F
་
DECEMBRE . 1756. 151
-13
Alcinous la ville de Tanis , où demeuroit
Pharaon , étoit donc près de ce
fleuve , & les Hébreux demeuroient alors
pêle-mêle avec les Egyptiens , aux environs
de Tanis , ou peut- être dans cette
ville même.
Du temps de Tite , Tanis n'étoit qu'une
petite ville , (1 ) mais du temps du Prophete
Ifaïe , ( 2 ) elle paffoit pour une
des principales villes de l'Egypte : Ifaïe
en parle comme d'une ville célebre par
la profeffion des Sciences que faifoient
Efes habitans. Il fe moque de la prétendue
prudence de fes Princes : Stulti Principes
Taneos . Er Moïfe dans les Nombres ,
( 3 ) dit que la ville d'Hébron , qui paffoit
pour une des plus anciennes de Chanaan
, n'étoit que de 7 ans plus vicille que
Tanis.
-
Jofephe l'Hiftorien (4) décrivant la
marche de Tite , fils de l'Empereur Vefpafien
, venant d'Alexandrie en Judée ,
dit qu'il s'embarqua à Alexandrie & vint
par mer jufqu'à la ville Thmuis , &
qu'après être defcendu à terre , il vint
coucher à une petite ville nommée Thanis ,
(1)Jofephe, de Bello , Jud. 1. 4 , c. 18 .
( 2 ) Ifaïe xix , 11-13 . XXX , 4 .
(3 ) Numer. xiij , 23.
(4 ) Jofeph. de Bell. Jud . 1. 4 , C. 18.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
delà il arriva à Héracléopolis, & le troisieme
jour à Pélufe , trois jours après au mont
Cafius , le lendemain à Oftracine , puis
à Rinocorure , delà à Raphia , qui eft la
premiere ville de la Syrie , enfuite à Gaza.
Tanis étoit donc au couchant du bras
le plus oriental du Nil , à 5 ou 6 lieues
de la ville d'Héracléopolis , à 10 ou 12
lieues de Pelufe ; car les troupes Romaines
faifoient ordinairement sou
lieues par jour.
›
Le Roi de Tanis étoit maître du pays
de Geffen Tanis étoit capitale du Nome
Tanitique dans la baffe Egypte : l'Itinéraire
d'Antonin marque Tanis à 22
milles pas d'Héracléopolis , à pareille
diſtance de Thmuis c'est- à- dire à fix
ou fept lieues de ces deux villes : à
Tanis commençoit l'embouchure Taniti
que du bras du Nil , & le Nome Tanitique
connu dans Strabon , page 332 & dans
la notice de l'Empire , la troisieme de la
premiere auguftale Tanitique- Tanis. On cite
une médaille avec l'infcription TANIATA ,
la onzieme année d'Adrien : elle est encore
connue aujourd'hui fous le nom de Thiné
dans la baffe Egypte. Voyez Fourmont Defcription
des Plaines d'Héliopolis , page 81 .
Cette embouchure eft à préfent appellée
l'embouchure de Tennis ou Tenne
DECEMBRE. 1756. 153
xe ( 1 ) . Scherifal- Edriſi en fait mention , &
dit qu'elle eft placée fur un lac du même
nom , qui a 30 milles de largeur d'Orient
en Occident , & qui communique à un
autre lac , qui s'étend jufqu'auprès de
Damiette . Nous avons vu que Strabon
parle de ces lacs , & le Pere Sicard
en fait auffi mention , & leur donne
foixante mille de longueur. Ils commencent
au château de Thinée & s'étendent
jufqu'à Damiette , étant joints en
cet endroit au bras du Nil par un canal
de 1500 pas. L'eau en eft faumatre.
Ils font très - poiffonneux , & contiennent
plufieurs Ifles , entre lefquelles eft
celle de Tanis.
Il y a eu un ancien fiege Epifcopal àª
Tanis , qui a toujours fubfifté fous les
Mahometans.
Les Arabes fonderent même l'année
de leur conquête de l'Egypte , une feconde
ville de Tanis , dans une autre
ifle de ce lac , où il y avoit quelques an
ciennes ruines. Cette nouvelle ville de
Tanis eft devenue dans la fuite affez
confidérable , pour avoir une Chronique
particuliere fous le nom de Tarich Ten
nis. Le lac dans lequel elle eft fruée
( 1 ) V. le Diction . Geograph. de la Martiniere ,
art. Damiette & Pélufe.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
n'eft féparé de la mer , que par une langue
de fable de 3 milles de largeur.
A 25 milles de la bouche de Tanis ,
fe trouve la ville , puis le lac de Pharamida
ou Pharamiſa , ou Pharma , fituée
fur la côte de. la mer méditerranée :
cette côte n'eft éloignée de la mer rouge
que de 70 milles & n'en eft féparée que
par une grande plaine unie & très- peu
élevée au deffus du niveau des deux mers.
Pharamida, ou Pharamifa pourroit bien
être Rameffé , dont nous avons parlé ,
& dont nous parlerons même ci-après ;
car le Pa ou Pha , n'eft qu'un article
dans la langue Egyptienne. Au - delà
de Pharamide on trouve plufieurs lacs
qui ne font pas marqués dans les Cartes
ordinaires , quoique les anciens Portufiens
donnent connoiffance de leur pofition
, leur figure & leur dimenfion . Le plus
oriental de ces golfes eft nommé Rixa ,
qui pourroit bien être celui fur lequel la
ville de Rhinocoryre étoit fituée.
On aflure (1 ) qu'anciennement l'Egypte
étoit partagée en plufieurs Dynafties , on
plufieurs petits Royaumes , ayant chacun
leur Roi ; ce qui fait croire que les lif
tes que l'on produit des anciens Rois
(1) V. Marsham, Canon Cronol. Egypt. 25-26.
PCO
fo
C
u
d
d
9
9
DECEMBRE. 1756. 155
d'Egypte ne font pas fucceffives , mais
collatérales , & que ces Princes ne fe
fuccédoient pas les uns aux autres , mais
qu'ils régnoient en différens endroits , les
uns dans une Dynaftie , les autres dans
une autre.
La fuite au prochain Mercure.
GEOMETRIE.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
J'ai lu , Monfieur , dans votre Mercure
de ce mois , une Lettre que M. Lombart
vous a écrite à l'occafion de mon Théorême
inféré dans le Mercure du mois d'Août
dernier. J'avois toujours cru qu'un Géometre
étoit en état de diftinguer unThéorême
d'une Méthode. M. Lombart confond
P'un avec l'autre. Vous fçavez , Monfieur ,
que j'ai demandé fi mon Théorême étoit
contenu dans les Sections coniques du Marquis
de l'Hôpital ; & M. Lombart perdant
de vue ce que je demandois , a cherché
dans cet Ouvrage fi la Méthode à laquelle
mon Théorême appartient y étoit
contenue ; mais comme il le déclare , it
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
n'a trouvé cette Méthode, que dans le Trai
té des Sections coniques de M. de la Chapelle.
Il feroit long & hors de mon fujet d'examiner
fi M. Lombart a raifon même fur
ce point. Je vous prie feulement , Monfieur
, d'obferver qu'il femble avoir évité
dans fa Lettre juſqu'au mot Théorême ,
puifque ce terme ne s'y lit pas une feule
fois. Auffi mon Théorême ne fe trouve-til
nulle part dans l'Ouvrage , auquel M.
Lombart me renvoie : c'eft une vérité conftante
& reconnue par M. de la Chapelle
lui-même. J'eus l'honneur de lui communiquer
mon Théorême plus de huit mois
avant que de vous l'adreffer ; & il m'avoua
avec la candeur que tout le monde
lui connoît , qu'il n'avoit pas foupçonné
que les Courbes en général euffent la propriété
exprimée dans l'énoncé de ce Théorême.
J'attends toujours , Monfieur , quelque
nouvel avis de la part du Public.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MARSSON.
A Paris , le 3 Novembre 1756.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monfieur , comme je ne néglige guere
de lire le Mercure de France , j'avois vu
(
V
S
S
ta
DECEMBRE . 1756. 157
dans celui du mois d'Août l'Écrit de M.
J. G. Marffon , par lequel il invitoit les
Géometres à lui annoncer fi une propofi
tion qu'il y nomme fon Théorême fe trouvoit
dans le cinquieme livre du Traité des
Sections coniques du Marquis de l'Hôpital .
Sans être Géometre , je m'adonne quelquefois
à cette belle fcience , dont Platon
difoit que l'Eternel s'occupoit dans tous
les temps. Mais quoique parfaitement convaincu
que cette propofition eft contenue
dans l'Ouvrage cité , & même très - clairement
, pour quiconque l'a un peu étudiée
avec l'attention qu'il mérite , je n'en dis
mot dans ce temps là , ne voulant pas que
ce fût moi qui euffe: ôté à M. M. cette
idée fi chérie d'une découverte en Mathé
matiques.
Cependant je vois que cette petite méprife
eft accueillie : l'Auteur de la Lettre inferée
dans le dernier Mercure , accorde tout
gratuitement à M. M, que fon Théorê→
me ne fe trouve point dans le cinquieme
livre du Traité du Marquis de l'Hôpital ;
mais il le cherche dans le Traité des Sections
coniques de M. l'Abbé de la Chapellle
.
En vérité , Monfieur , je ne puis réfifter
à l'envie de vous avouer mon étonnement.
Comment eft-il poffible que des
158 MERCURE DE FRANCE.
Géometres lifent l'inestimable Ouvrage du
Marquis de l'Hôpital avec tant de diftraction
car je ne fçaurois préfumer que ce
foit défaut de fagacité , rien n'étant plus
aifé que d'y voir la propofition dont il
s'agit.
J'ofe donc vous prier , Monfieur , de
permettre que cette Lettre trouve fa place
dans votre prochain Mercure , qui étant
déja fi riche en différens morceaux de fittérature
& de bel - efprit , raffemblés avec la
délicateffe de goût que les Gens de Lettres
vous connoiffent > ne peut encore
manquer de réunir tous les fuffrages
lorfque les Amateurs des fciences exactes
y trouvent de temps en temps des matieres
relatives à l'objet de leurs recherches.
J'ai l'honneur d'être , &c. D.
A Paris, le 9 Novembre 1756.
La propofition dont il s'agit eft celle- ci :
"Dans une courbe ( quelconque ) ANO,
»le rectangle élémentaire MQ qui lui eft
» infcrit , eft à fon rectangle correfpon-
» dant ML inferit ( au complément ) ,
» comme la foutangente PT eft à l'abfciffe
correfpondante AP ».
Cette propofition , pour le dire en paffant
, fe démontre d'une maniere bien fimple
; car :
DECEMBRE . 1756.
159
L
SN
F
k M R
T A PQ
Le parallel. MG ( = MQ * ) : parallel.
ML:: MF ( PT ) : MK ( =
AP ). Ce qu'il falloit démontrer. ❤
Voici maintenant le raifonnement du
Marquis de l'Hôpital ( 1 ) .
m
m « MF ou PT = AP, ou MK ( 2 ) . »
" Donc auffi le parallel. FMSG , ou
» fon égal PM R Q = — KMS L » .
Or je dis que cette conféquence n'eft
recevable , en un mot que cet enthymeme
n'eft concluant que parce qu'il eft équivalent
au raifonnement que voici , dont il
renferme tacitement la mineure , mais que
tout Lecteur eft obligé néceffairement , &
ne peut manquer de fuppléer , s'il veur
entendre le raifonnement de l'Auteur.
*
Eucl. 43 , I.
( 1 ) Sect . Coniq. liv. 5 , art . 238 , aux trois dern.
fign. de la pag. 158 , édit. de 1720.
( 2 ) L'Auteur cite ici l'art. 237 , qui apprend
que 2 AP eft égale à la foutange PT.
160 MERCURE DE FRANCE.
— « MF ou PT= AP, ou MK » .
Or le parallel. FMSG , ou fon égal
PMRQeft au parallel. K MSL , comme
FM ou PT, eft à K M ou AP : Donc le
parallel. FMSG, ou fon égal PMR Q , eft
au parallel. KMS L, comme
KM, ou comme m eſt à 1.
MK eft à
« Donc auffi » ( en mettant cette analogie
en équation ) « le parallel. FMSG,
ou font égal PMRQ = KMSL » .
Maintenant fi M. M. veut bien relire
cette Mineure , en ne répétant , pour abréger
, que les mots écrits en italiques , il
trouvera que
Le parallelogramme PMRQ eft au parallel.
KMSL , comme PT eft à A P.
Ce qui eft précisément le Théorême dont
il s'agit
.
Mais fi M. M. eft curieux de voir quelque
part la même propofition énoncée expreffément
& mot à mot , qu'il fe donne
la peine de confulter un Livre Hollandois
imprimé à Amfterdam en 1706 , intitulé :
Analyfe , ou Refolution algébrique , de Problêmes
mathématiques , par Abraham de
Graaf, &c. Il y trouvera à la page 321 la
pofition fuivante qui revient à l'article
cité du Traité du Marquis de l'Hôpital :
*
*
1
"
DECEMBRE. 1756. 161
j'en ai changé ici les lettres pour ne pas
multiplier inutilement les figures.
93
30
" Si on a un trapeze AQNL , & qu'un
point Ms'y meuve en commençant en A
» & finiffant vers N: ( ayant fait MP
parallele à QN , & MK à PA , NL ou
" QA= b , LA ou NQ = c , AP = x ;
» MP = y ) , en forte qu'on ait toujours
» x' : y' : : b' : c' ; l'efpace ANQA fera à
» ANLA comme às , ou comme l'expo-
» fant de la ligne PM à celui de la ligne
» AP. Pour démontrer ceci , dit l'Auteur ,
» foit pris dans la courbe AMN ( elle eft
courbe , parce que les
proportionnelles
» x' , y' , b' , c' ont des expofans inégaux ) ,
un autre point N infiniment proche de
" M, & par N & M foit menée une
» droite jufqu'à PA prolongée , comme
NMT ; tirez GT parallele à MP , &
NGA PT, & prolongez MK en F , &
» en R , jufqu'à ce qu'elle rencontre QN
parallele à PM en R :
و د
""
Puifque la portion courbe MN eft
infiniment petite , NTeft tangente en
Nou M.
» Et à cauſe que l'analogie précédente
donne c' x' = b'y' , on trouvera la fou÷
tangente PT =
tx
» Donc puiſque PF, ou MF eft =
162 MERCURE DE FRANCE.
€
1x
& AP = x , on aura le petit tra-
» peze GM ou MQ au petit trapeze L M
(ou le quadrilatere PMNQ an quadri-
» latere LKMN , comme
» tàs. »
tx
-
) ou comme
Ce qui contient expreffement le Théorêtx.
--
-me en queſtion , , étant la fontange PT,
S
comme le dit nommément l'Auteur , & x
l'abfciffe AP correspondante.
FINANCE S.
FINANCIER.
INANCIER. Homme qui manie les Finances
; c'eſt-à-dire les deniers du Roi , qui
eft dans les Fermes , dans les affaires de
Sa Majefté : quæftorius , ararii collector .
C'eft à ce peu de mots que les meilleurs
Dictionnaires le bornent fur cet article . Le
Peuple , ( on doit entendre par ce mot le
vulgaire de toute condition ) , ajoute à
cette définition l'idée d'un homme enrichi ,
& n'y voit guere autre choſe. Le Philofophe
, ( c'est-à- dire l'homme fans prévention
) , peut y voir non feulement la poffibilité
, mais encore la réalité d'un Cid
F
C
P
en
CU
A
re
fo
fe
fe
DECEMBRE. 1756. * 163
toyen utile à la Patrie , quand il joint à
l'intelligence , aux reffources , à la capacité
qu'exigent les travaux d'un Financier
fconfideré dans le grand ) , la probité indifpenfable
dans toutes les profeffions , &
le defintereffement plus particuliérement néceffaire
à celles qui font lucratives par ellesmêmes.
Voici , par rapport à la définition du
Financier , les différens afpects fous lefquels
peut être envifagée cette profeffion
les Chevaliers Romains ne dédai- que
gnoient pas d'éxercer .
Un Financier veut être confidéré ,
1 °. Comme participant à l'adminiftration
des Finances , d'une maniere plus ou
( moins directe , plus ou moins prochaine ,
plus ou moins déciſive :
2º. Comme faifant pour fon compte ,
en qualité de Fermier , ou d'Alienataire ,
ou pour le compte du Roi , en qualité de
Régiffeur , le recouvrement des impofitions :
Comme chargé d'entreprise de guerre
, ou de paix :
4°. Comme dépofitaire des fonds qui
forment le Tréfor du Souverain , ou la caiffe
des particuliers qui font comptables envers
l'Etat,
Si l'on examine philofophiquement ces différentes
fubdivifions d'une profeffion de164
MERCURE DE FRANCE.
venue fort importante , & très- conſidérable
dans l'Etat , on demeurera convaincu
qu'il n'en eft aucune qui n'exige , pour
être dignement remptie , le concours des
grandes qualités de l'efprit & du coeur ;
les lumieres de l'homme d'Etat , les intentions
du bon Citoyen , & la plus fcrupuleuse exactitude
de l'honnête - homme vraiment tel :
car ce titre refpectable , eft quelquefois
légérement prodigué ,
On verra qu'il eft indifpenfable
1°. Que le régiffeur régiffe , perçoive
adminiftre comme pour lui- même :
2°. Que le Fermier ou l'Alienataire évitent
également la négligence qui compromer
le droit , & la rigueur qui le rend odieux :
3°. Que l'Entrepreneur exécute fes traités
avec une exactitude qui mérite c'elle
des paiemens :
4°. Que les Tréforiers & les autres
charges ou emplois à maniement , donnent
fans ceffe des preuves d'une probité qui
réponde de tout , & d'une intelligence qui
ne prive de rien.
pr
5°. Que tous enfin étant , par leurs
places , garans & refponfables envers l'Etat ce
de tout ce qui fe fait en leur nom , ou
pour le Gouvernement , ne doivent em- f
ployer , ( en fous ordre ) dans le recou
vrement , & dans les autres opérations ,
DECEMBRE . 1756. 165
Clont il font chargés , que des CURE
gens hupains
, folvables , intelligens , & d'une
robité bien conftatée ..
C'est ainsi que tous les Financiers
, chaun
dans leur genre , & dans l'ordre des
roportions
de lumieres , de fonctions , de
cultés , qui leur eft propre & particuer
, peuvent
être eftimés , confidérés
Ahéris de la Nation , écoutés , confultés ,
ivis par le Gouvernement
.
Ce portrait du Financier , bleffera peutre
une partie des idées fecues ; mais
ont- elles été en connoiffance de cauſes ?
Poivent- elles être admifes fans restriction ?
quant elles feroient juftifiées par quelshes
exemples , doivent- ils tirer à conquence
pour l'univerfalité ?
On répondra vraisemblablement qu'il
oit injufte & déraisonnable de les apquer
indiftinctement à tous les Finanrs.
Que penfer de cette application intincte
& générale dans un Auteur accréé
par fon mérite & par fa réputation ?
'ouvre l'Esprit des Loix ( 1 ) , ce livre qui
r tant d'honneur aux lettres , à la raifon ,
humanité , & je trouve dans cet Ouvra
célebre cette efpece d'anathême lancé
tre les Financiers , que l'on affecte de
afondre tous dans les injurieufes déno-
(1) Liv . XIII , ch. 20.
166 MERCURE DE FRANCE.
minations de Traitans & de Publicains.
r
<< Il y a un lot pour chaque profeffion :
»le lot de ceux qui levent les tributs eft
»les richeſſes , & les récompenfes de ces richeffes
font les richeffes mêmes. La gloi-
»re & l'honneur font pour cette Noblesse ,
»qui ne connoît , qui ne voit , qui ne ſent
»de vrai bien que l'honneur & la gloire.
»Le respect & la confidération font pour
»ces Miniftres & ces Magiftrats qui ,
»ne trouvant que le travail après le tra-
» vail , veillent nuit & jour pour le bon-
» neur de l'Empire ».
tec
U
сод
Con
Mais comment un Philofophe , un Lé
giflateur , un Sage a- t'il pu fuppofer dans
Te Royaume une profeffion qui voulûr ,
qui ne gagnât , qui ne méritât que de b
l'argent , & qui fût exclue par état de toute
autre forte de récompenfe..
On fçait tout ce que méritent de la Patrie
la Nobleffe qui donne fon fang pour
la défendre , le Miniftere , qui la gouver
ne , la Magiftrature qui la juge ; mais ne
connoît-on enfin qu'une efpece de gloire &
d'honneur , qu'une forte de refpect & de
confidération ? & n'en eft-il point que la
finance puiffe afpirer à mériter ?
far
Les récompenfes doivent être proportion- de
nées aux fervices , la gloire aux facrifices
le respect aux vertus.
DECEMBRE. 1756. 167
07
Un Financier ne fera fans doute ni
récompenfé , ni refpecté , ni confidéré
comme un Turenne , un Colbert , un Séguier
; .... les fervices qu'il rend , les facrifices
qu'il fait , les vertus qu'il montre ,
ne font ni de la même nature , ni du
même prix. Mais peut-on , mais doit- on
décemment , équitablement , taifonnablement
en conclure qu'il n'ont aucune
forte de valeur & de réalité : & lorfqu'un
homme de finance , tel que l'on vient de
le peindre , & que l'on conçoit qu'il doit
être , vient juſtifier l'idée que l'on en donne
, fa capacité ne rend- elle pas à l'état des
fervices effentiels fon définiéréffement ne
fait-il pas des facrifices , & la vertu net
donne- t'elle pas des exemples à fuivre à
ceux mêmes qui veulent le dégrader ?
Il eft certain , & l'on doit en convenir
( en ami de la vérité ) , il eft certain
que l'on a vu dans cette profeffion des
gens dont l'efprit , dont les moeurs
dont la conduite ont mérité qu'on répandît
fur eux , à pleines mains , le fel
du farcafme & de la plaifanterie , &
( ce qui devoit les toucher encore plus )
l'amertume des reproches les mieux fondés
.
9
Mais ce corps eft-il le feul qui préfente
des membres à retrancher ? Et refufera168
MERCURE DE FRANCE.
t'on à la Nobleſſe , au miniftere , à la magiftrature
, les éloges , les récompenſes &
Les diftinctions qu'ils méritent , parce que
l'on a vu quelquefois en défaut dans le
Militaire , le courage , dans le miniftere les
grandes vues , dans la magiftrature le fçavoir
& l'intégrité.
On réclameroit avec raifon contre cette
injuſtice : la finance n'a-t - elle pas autant à
fe plaindre de l'Eſprit des Loix ; & ne doit-
elle pas le faire avec d'autant plus de force
, que l'Auteur ayant plus de mérise &
de célébrité , eft auffi plus dangereux pour
les opinions qu'il veut accréditer . Le moindre
reproche que l'on puiffe faire en certe
occafion à cet Ecrivain , dont la mémoire
fera toujours chere à la Nation , c'eſt
d'avoir donné pour affertion générale , une
obfervation perfonnelle & particuliere à
quelques Financiers , & qui n'empêche
pas que le plus grand nombre ne défire ,
ne cherche , ne mérite , n'obtienne la
forte de recompenfe & de gloire , de refpect
& de confidération qui lui eft
pre.
prothes
Ta
P
CE
SÉANCE
DECEMBRE. 1756. 169
SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Belles- Lettres.
120 LE 12 de Novembre , cette Compagnie
tint fa Séance publique d'après la S.Martin.
On annonça d'abord le Prix remporté par
le Pere Olivier , de l'Oratoire . Ce Prix
que M. le Comte de Caylus a fondé devoit
être donné l'année derniere , & avoit
été remis à la Saint Martin de celle- ci .
M. le Beau , Secretaire perpétuel de l'Académie
, lut l'Eloge de M. l'Abbé de
Pomponne. Cette lecture fut fuivie de
celle de trois Mémoires ; le premier , de
M. de Burigny, fur les Cicéroniens ; le fecond
, de M. Dupuy , fur l'Edipe de Sophocle
; le troifieme , de l'Abbé Batteux ,
fur la Philofophie ancienne.
Cette Académie pour le fujet du Prix
fondé par M. le Président de Noinville
propofe d'examiner quel étoit en France l'état
de la Marine & du Commerce maritime
fous les deux premieres Races ?
H
170 MERCURE DE FRANCE .
SÉANCE publique de l'Académie royale
des Sciences.
LE 13 , l'Académie des Sciences tint fon
Affemblée publique d'après les vacances.
M. de Fouchy , Secretaire perpétuel de
cette Compagnie , fit la lecture de l'Eloge
de l'ancien Evêque de Mirepoix , & de
celui de M. de Caffini . M. l'Abbé Nollet
lut enfuite des Recherches fur les moyens
de fuppléer à l'ufage de la glace , dans les
temps & dans les lieux où elle manque.
La Séance fut terminée par un Mémoire
de M. Hellot , fur l'utilité dont feroit
pour le Royaume l'exploitation des mines.
L'Auteur prouve cette utilité par plufieurs
exemples.
SUITE DE LA SÉANCE PUBLIQUE
De l'Académie royale des Belles-Lettres de la
Rochelle , dus Mai 1756.
LEs obfervations de M. Hüe furent fuivies
d'un Mémoire que lut M. Meynardde
la Garde , Directeur de la Monnoie ,
fur la préparation des Minéraux , & leur
fufion
G
De
fes
de
pa
ן י ג
Ci
DECEMBRE. 1756. 171
Quelle que puiffe être , dit M. de la
Garde , l'abondance & la richeffe des mines
d'or & d'argent , ces matieres précieufes
ne fortent jamais pures des entrailles
de la terre ; un alliage plus ou moins dominant
s'incorpore & s'unit prefque toujours
à leur effence. Ce feroit peu fi nous
n'avions à combattre que le cuivre , le
plomb & le fer qui les affiégent ; nos opérations
feroient auffi faciles que fructueufes
: mais ce ne font pas là les feuls corps
étrangers qui dénaturent ces fortes de fubftance
: combien n'en eft-il pas de plus
dangereux encore , dont le corrofif abforbe
dans les mines la matiere principale ,
tandis que dans la fonte elle eft entraînée
par l'activité de ces volatils , s'échappe des
mains des Artiſtes , trompe & anéantit
le plus fouvent toutes nos efpérances !
Ne feroit- ce point là une de ces caufes
principales qui ont fait négliger , & peutêtre
abandonner les mines d'or que nous
avons en France ? doit- on rejetter la faute
fur le dégoût national ou fur un injufte
préjugé ? De quelque côté que vienne
l'erreur , il fuffiroit , pour en démontrer
l'abfurdité , d'ouvrir tous les Auteurs anciens
& modernes qui ont traité ce fujet ;
nous verrions avec Pline , Agricola , &
plufieurs autres, quil n'eft point de contrée
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
plus riche que la nôtre ; que les mines d'or
& d'argent y font abondantes , & que les
Pyrénées feuls , dont les veftiges des fourneaux
établis par les Romains fubfiftoient
encore le fiecle dernier , fourniffoient tous
les ans à ces Maîtres du monde vingt mille
livres pefant d'or.
Pourquoi ces mines exploitées avec tant
de fuccès font elles aujourd'hui défertes
& abandonnées ? la fource en eft- elle épuifée
& dans un fi vafte terrein eſt- il à
croire qu'avec des recherches exactes , on
ne feroit pas de nouvelles découvertes ?
Mais ce n'eft pas feulement dans les Pyrénées
que la France nous offre des tréfors ;
toute fon étendue recele une infinité de
mines dont plufieurs rivieres qui roulent
avec leurs fables des pailletes d'or , ne
nous préfentent encore que de précieux
échantillons . Si ces minces objets font cependant
capables d'exciter dans les habitans
des bords du Rhône , du Rhin , de
l'Ariege , de la Garonne , de la Ceze ,
du Gordon , des defirs d'ambition & de
fortune , avec quelle affurance ne devroiton
pas percer & fouiller les montagnes
où ces rivieres prennent leur fource.
Mais il ne fuffit pas qu'une mine foit
abondante pour être avantageufe. à ceux
qui la font exploiter ; le défaut d'expéDECEMBRE.
1756. 173
rience dans les Mineurs , ou les mauvais
procédés des Fondeurs , font plus que
capables d'expofer à des pertes confidérables
; pertes que l'impéritie des Ouvriers
ne manque pas de rejetter fur la pauvreté
de la mine.
Effayons de tracer une méthode fürè
pour la fonte des minéraux , méthode
qui en dégageant les matieres précieufes
de ce qui leur eft hétérogêne , obvie à
tous les inconvéniens .
Les volatils qui ruinent les métaux &
qui rendent les minéraux intraitables ,
font le foufre , l'antimoine , l'arfenic &
le vitriol. On peut réduire à trois tous
les cas où ces corps étrangers font inhérents.
à la matiere principale.
Dans le premier , elle regorge de ces
différentes fubftances .
Dans le fecond , elle ne tient que peu des
unes & beaucoup des autres .
- Dans le dernier enfin , elle n'eft chargée
qu'en très - petite quantité d'un ou deux
de ces mixtes .
L'uftulation , qui n'eft qu'une espece de
calcination , eft la feule voie par laquelle on
puiffe écarter ces productions hétérogênes.
Quoique l'art nous préfente une infinité
de méthodes , l'air libre ou les fourneaux
font fuffifans.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
L'uftulation à l'air libre doit avoir
lieu lorfque les minéraux tiennent beaucoup
des volatils dont nous venons de
parler , & principalement s'ils fe trouvent
chargés de parties vitrioliques.
Pour la pratiquer avec fuccès , on entaffe
les minéraux en pyramide trenquée ;
le feu s'allume par la bafe , & s'y perpétue
- enfuite de lui-même auffi long- temps
que dure l'expulfion ; il ne s'éteint qu'après
avoir entiérement diffipé , ou peu
s'en faut , le foufre qui eft le plus inhérent.
Lorfque les minéraux n'ont pas befoin
d'un feu de fi longue durée , on fe contente
de les réduire en poudre , & de les uftuler
dans des fourneaux de reverberes , par
la feule projection de la flamme d'un
feu fait de bois qui n'ait rien de vitriolique.
Telles font les préparations néceffaires
pour une bonne fufion ; tout ce qui s'en
écarte ne doit être regardé que comme un
raffinement déplacé , & même un défaut
effentiel.
Les minéraux qui ont paffé par l'une ou
l'autre de ces opérations ne font pas pour
cela entiérement dégagés du vice radical
qui les domine ; ils confervent encore
trois qualités qui les rendent ou fufibles ,
DECEMBRE . 1756. 175
ou réfractaires , ou en partie fufibles &
réfractaires.
Ce font ces qualités , ou plutôt ces défauts
qui dans la fufion indiquent la route
que l'on doit tenir.
La mine fufible n'a befoin d'aucune
addition ; mais fi elle l'étoit tгrоoрp , il feroit
effentiel de la corriger en y incorporant
des récrémens rudes & réfractaires
dont la proportion pût lui procurer le degré
convenable .
La mine réfractaire ou qui ne fond
d'elle - même , demande des récrémens
fufibles qui la rendent traitable.
pas
La mine en partie fufible , & en partie
réfractaire , peut fe corriger avec des récrémens
durs, fi elle tient trop du fufible , &
des récrémens fufibles , fi la partie réfractaire
y domine trop.
Une mine qui tiendroit également
de l'une & de l'autre , ( s'il eft poffible
de la trouver à ce degré ) feroit par fa
nature fuffifamment compenfée , de façon
qu'il ne faudroit rien ajouter à la fufion .
Les récrémens ne font autre chofe que
les fcories d'un mineral dont l'effence eft
la même que celui fur lequel on veut
opérer : fa qualité fait celle des récrément
; ils font , comme lui , fufibles ou réfractaires
.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
A l'égard de l'extraction du métal hors
de fa mine , on n'en retireroit point dans
la fonte tout celui qu'elle tient , fi on
vouloit épargner le charbon & ménager
la durée des fourneaux. Cette économie
mal entendue tourne toujours à la perte
de ceux qui la mettent en ufage , & ce
n'eft qu'en prodiguant cette matiere
qu'on peut parvenir à une parfaite fécrétion
.
Quelqu'expérience que puiffe avois un
Artifte , ce moment de la fuſion eſt toujours
épineux , puifqu'il confifte à juger
fûrement de l'état du métal , & à laiffer
couler à propos & repofer les matieres
fondues. Sans ce degré de connoiffance ,
joint à une attention qu'on doit pouffer
jufqu'au fcrupule , les minéraux fe confument
en volatils , ou bien leur produit
métallique fe perd dans la maffe des
récrémens .
Ils font fujets à ce premier inconvénient ,
quand la matiere fondue refte en bain trop
long- temps , ou que par un défaut de
conftruction dans la pente des fourneaux
elle n'a pas un cours aifé.
Les récrémens retiennent & abforbent
le produit minéral , lorfque l'on preſſe
l'opération & que l'on ne donne pas
aux parties métalliques tout le temps nécef-
E
P
S
C
DECEMBRE. 1756. 177
faire pour fe dégager par leurs poids des
fcories avec lefquelles la nature les avoit
confondues.
Malgré cess précautions , l'on ne doit
pas fe flatter d'avoir paré à tous les inconvéniens
: il en eft un autre fi commun
dans la fonte des minéraux & même des
métaux , qu'on ne fçauroit apporter affez
de foins pour s'en garantir ; c'est l'éva
poration.
Plufieurs caufes contribuent à fon effet.
Si le défaut d'humecter le minéral avec
l'eau ordinaire , ou de le bien ftratifier
avec le charbon , eft une des principales
caufes de la diffipation , le remede en eft
facile ; mais il n'en eft pas ainfi de celle
qui provient du défaut d'uftulation : il
eft des minéraux qu'on ne juge pas dévoir
y être expofés , comme il en eft d'autres
qui ne s'y dégagent point entiérement de
leurs volatils . Il faut dans ces cas avoir
recours aux abforbans : les récrémens de
mine de fer , & même les piristes qui ont
le fer pour bafe , fervent à ceux qui font
encore imbus de foufres & le plomb
Du fes fcories font néceffaires pour diffiper
Parfenic des autres.
Quoique ce procédé foit le plus für
pour empêcher la diffipation des minéraux
des métaux , on ne peut pas dire qu'il
Hv
478 MERCURE DE FRANCE.
les mette à couvert de toute évaporation.
Quelque pratique qu'on puiffe employer ,
il n'eft point de fourneaux où elle ne
foit au moins infenfible & l'on ne peut
remédier à cette perte qu'en donnant aux
cheminées une forme capable d'en retenir
les fumofités .
On ne sçauroit pour cet effet donner
à la hotte trop d'étendue ni de volume ;
& au lieu d'en élever les tuyaux fur
une ligne perpendiculaire ou diagonale ,
il eft effentiel de les faire ferpenter , &
de placer dans toute l'étendue des especes
de gradins qui en fuivent exactement les
conduits tortueux : par cette conftruction
les fumées font arrêtées dans leur route ;
elles dépofent & s'accumulent dans ces fortes
de niches , & avec les fuies qu'elles
contiennent elles y abandonnent les
matieres précieufes dont elles font imprégnées
.
,
Nous pouvons citer ( comme l'exemple
le plus intéreffant pour prouver la
fupériorité de ces fortes de cheminées ) ,
l'expérience que nous en avons faite dans
la Monnoie de Florence , où les fuies d'un
tuyau conftruit fur ce modele ont produit
en les paffant au Mercure, vingt-une livres
d'argent fin , poids de Rome.
A ce dernier moyen d'arrêter ainfi l'é-
9
20
C
DECEMBRE. 1756.
179
vaporation , & de tirer du minéral tout
le parti poffible , l'on doit encore ajouter
que ce modele de cheminée dont la conftruction
eft facile , n'eft point fujer aux
défauts qu'on a droit de reprocher aux
autres ; qu'il préferve des malignes influences
des minéraux, & qu'il obvie enfin
aux accidens qui n'abregent que trop la
vie des Fondeurs.
Après la fonte de minéraux & la féerétion
du métal hors de fa mine , ce feroit ici
le lieu de rapporter comment l'on procede
au départ ; mais cette matiere demande
une trop longue difcuffion , & doit faire
le fujet d'un mémoire particulier.
Monfieur Arcere de l'Oratoire , qui vient
de donner au Public le premier volume
de l'Hiftoire de la Rochelle , termina la
Séance par la lecture d'une Relation fur
la defcente des Anglois dans l'Ile de Rhé
en 1628. Comme ce morceau eft fort
long , & que d'ailleurs il doit être placé
dans la feconde partie de fon hiftoire ,
on le paffe fous filence.
M. Arcere ajouta une traduction Françoife
de quelques Vers Latins faits à la
gloire d'un Soldat , que M. de Toiras
chargea de dépêches pour Sa Majefté , lequel
fut affez hardi pour traverfer ( 1 ) à la
( 1 ) Ce Nageur parcourut fur les eaux une
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
nage le bras de mer qui fépare l'Ile de
Ré d'avec le continent. La voici :
Siecles futurs , vous ne le croirez pas !
Un Eleve de Mars , fur ces humides plaines
Qu'agitent des Autans les bruyantes haleines ,
Triton audacieux , a déployé fes bras.
Toiras l'ordonne , il nage affrontant le trépas ;
D'Albion & des flots il brave la Furie :
Phebé guide fa courſe , il touche enfin nos bords ,
Et montre à l'univers , par de nobles efforts ,
Ce que peut fur un coeur l'amour de la patrie.
La Séance publique de l'Académie de
Rouen ne pourra paroître qu'en Janvier :
fon extrême longueur a caufé ce retard.
Nous prions de nouveau les Sociétés litté
raires de Province de réduire leurs extraits
à plus de précision .
efpace de 5000 toifes , depuis la Citadelle jufqu'au
Fort la Prée , & de ce Fort jufqu'à la répentie,
c'eft-à- dire plus de trois lieues communes de
France.
DECEMBRE . 1756. 181
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
TRois Ariettes dans le goût de celles
d'Italie , intitulées l'Inconftance , la Légéreté
& la Vaine Promeffe , gravées avec les
parties féparées pour un deffus , deux violons
& baffe , avec le Parfait Amour , Duo
Italien à voix égales , auquel on a joint la
traduction Françoife , & qui peut fe chanrer
dans les deux Langues fans rien charger
à la mufique & fans accompagnemens ,
gravé de même que les Ariettes . Le tout
par M. le Chevalier d'Herbain.
Six Sonates de clavecin avec une flute ;
ou violon d'accompagnement en dialogue,
du même Auteur. Le tout fe trouve aux
adreffes ordinaires pour la Mufique.
La Prife de Port Mahon , vingt- deuxieme
Concerto comique pour les violons ,
182 MERCURE DE FRANCE.
Alûtes , hautbois , pardeffus de violes avec
la baffe. Prix 1 liv. 4 fols. Dans un grand
Concert , pour bien rendre ce Concerto ,
il faut y joindre des trompettes , timbales
& tambours. L'Auteur M. Corret , ſe fera
un plaifir de donner les parties de trompettes
& timbales. Son adreffe eft rue
Montorgueil , à la Croix d'argent , près la
Comédie Italienne . Il vient de mettre auffi
au jour un Livre de Concerto pour le clavecin
, avec accompagnement de violons
& de baffe. Le prix eft de 12 liv.
Nouvelles pieces de Clavecin , compo
fées par M. Noblet , Ordinaire de l'Académie
royale de Mufique , lefquelles paroîtront
à la fin du mois de Décembre ,
aux adreſſes ordinaires . Prix 9 liv ,
PEINTURE.
VERS de Madame du Bocage à M. Pierre,
fur fon Plafond de la Chapelle de la Vierge
à Saint Roch.
Toi , qui fais voir les Cieux ouverts ,
Four charmer notre ame furpriſe ,
Des Anges tu peins les concerts :
P
DECEMBRE . 1756 . 183
Pierre , le Dieu de l'univers
Permit donc pour ton entrepriſe ,
(Comme à l'Apôtre ( 1 ) de l'Eglife ) ,
Que de fon Palais dans les airs
La clef dans tes mains fût remiſe.
Ces vers nous paroiffent dignes de M.
Pierre. Son nouveau chef- d'oeuvre ne pou
voit être mieux célebré. M. de Marigny
qui apprécie auffi -bien les Arts qu'il les
dirige , lui a donné le premier fon fuffrage.
Leur Protectrice éclairée , Madame de
Pompadour s'eft empreffée de l'applaudir,
Tout Paris l'a admiré après elle :
l'heureuſe imitatrice de Milton l'a chanté.
Rien ne manque à la gloire de ce grand
Maître.
(1 ) Saint Pierre.
SCULPTURE.
SUITE des Mémoires d'une Société de
Gens de Leures , publiés en l'année 2355 .
LE Mémoire fuivant eft de Monfieur
Guefwell , & traite de la Sculpture des
anciens François. Il entre en ma
tiere par la defcription des principaux
184 MERCURE DE FRANCE.
monumens publics , dont il tire des inductions
pour parvenir à connoître les
divers habillemens que portoient autrefois
nos Rois , & qu'on croit avoir été
fidélement repréſentés dans ces Sculptures.
La Statue Equeftre de bronze érigée
à la mémoire de Louis XIII , eft le premier
objet de fon examen. Ce Roi eft
vêtu d'une maniere finguliere. Il eft coeffé
d'un mufle d'animal furmonté d'un dragon.
Ses cheveux font bouclés naturellement.
Son habit eft un corfelet de buffle
à l'antique , avec des lambrequins aux
bras & aux cuiffes. Pardeffus eft une
efpece d'écharpe qui pend devant &
derrière : elle fait un fort bon effet en
fculpture , quoiqu'on ne conçoive pas bien
qu'elle puiffe tenir long-temps dans cette
pofition . Les cuiffes & les jambes font
nues. It eft difficile de deviner dans quelles
occafions nos Rois portorent ce vêtement
qui eft militaire fans être de défenfe
, c'étoit apparemment pour les re-
Vues en temps de paix. Celui- ci eft à
cheval , fans felle , fans étriers , fur un
fimple tapis , & n'a pour éperons qu'une
pointe de fer. Cette figure eft bien &
le cheval eft très-beau & ingénieuſement
tourné , le piedestal eft de bon goût &
fans figures.
DECEMBRE . 1756. 185
M. Guefwell paffe enfuite à la defcription
d'un monument d'Architecture &
de Sculpture qui eft à l'entrée du pont
qu'on nommoit anciennement Pont au
Change . Ce bâtiment apporte quelque obftacle
à la beauté du coup d'oeil que préfente
la riviere qui , en traverfant tout
ce fauxbourg auffi bien que la Ville ,
la rend fi agréable qu'on n'en connoît
point qui lui foit comparable pour la
quantité de maifons en bel afpect : mais
quelque inconvénient que produife ici
ce monument , on a dû le refpecter .
M. Guefwel réfute plufieurs Auteurs qui
ont dit que ce pont & quelques autres
de cette ancienne Ville , ont été couverts
de maifons , & que la faillie de ce bâtiment
fur le pont n'avoit alors rien dé
déplacé , puifqu'il faifoit face à une rue
qui étoit décorée de bâtimens de part
& d'autre. Il fait voir combien cette
opinion eft abfurde, & que jamais on
n'a manqué d'intelligence au point de
mettre empêchement à une perfpective
étendue qui fait la plus grande beauté
de ce quartier . On voit à ce monument
la figure de Louis XIII en pied , celle
de la Reine fon époufe , & fur un piedeftal
le jeune Prince leur fils & leur fucceffeur.
Les deux Rois font vêtus ainfi
186 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft encore d'ufage dans les jours
de cérémonie. Ce qu'on y remarque de
fingulier c'eft qu'avec ce vêtement qui
femble n'avoir dû fervir que dans les
cérémonies de la ville , à cauſe de fa
pefanteur , Louis XIII a néanmoins des
bottines on en peut conclure qu'alors
nos Rois montoient fouvent à cheval
dans cet ajuftement , & qu'ils le portoient
plus fréquemment qu'à préfent.
Mais ce qui paroît abfolument incompréhenfible
, c'eft de voir ce Roi les jambes
nues dans la ftatue où il eft repréfenté
à cheval , & botté dans celle qui
le préfente en pied. La Reine eft coeffée
d'une maniere bifarre, mais qui cependant
paroît avoir été l'ufage des dames de ces
temps , & par cette raifon eft un objet
de la plus grande curiofité pour les Antiquaires.
Au deffous on voit un bas relieffort
bien traité quant à l'art , mais trèsfingulier
quant à ce qu'il repréfente, &
au peu d'analogie qu'il a avec le monument.
On y voit des figures d'efclaves
vêtues comme les barbares fubjugués par
les Romains : elles font liées fur des trophées
d'armes & d'enfeignes romaines ,
mêlées avec des armes de toutes fortes
de Nations anciennes ; ce qui eft d'autant
plus étonnant , que long-temps avant
1
1
S
C
C
DECEMBRE . 1756. 187
ce regne , les armes à feu avoient aboli
l'ufage de ces armes antiques , & que
les enfeignes de Rome chrétienne n'avoient
plus de conformité avec ces aigles
des légions . Auroit-on voulu indiquer
à la poftérité que ce Roi avoit
vaincu toutes les nations modernes qui
occupoient les mêmes pays , & feroientelles
défignées ici fymboliquement ? Mais
l'hiftoire ne nous apprend point qu'il
ait eu d'autres guerres que contre fes
propres fujets. Il eft plus vraisemblable de
croire que ce bas relief étoit plus ancien
que le monument , & qu'il remonte peutêtre
jufqu'au temps où les Romains étoient
les maîtres de Paris ; que ne voulant pas
détruire ce reſte antique, & jugeant cette
pofition convenable , on auroit pris le
parti de s'élever au deffus , fans confidérer
le peu de rapport qu'aureient ces
deux objets. Ce qui confirme encore ce
fentiment , c'est que l'arcade qui eft au
deffous a trop d'ouverture & les piédroits
en font trop foibles pour porter
cet édifice . Si on l'eût conftruit exprès
le bon goût de l'Architecture du haut
ne permet pas de croire qu'on eût fait
une pareille faute. Si l'on oppofe la durée
étonnante de ce bas relief qui dateroit
de l'antiquité la plus reculée , M.
Guefwell repond qu'il eft poffible qu'on
?
188 MERCURE DE FRANCE.
·
l'ait renouvellé d'après les fragmens de
l'ancien lorfqu'il a paru fe détruire.
l'un
La ftatue équestre de Henri IV ,
des plus grands & des meilleurs Rois
qui aient jamais gouverné la France , n'excite
pas moins la curiofité des Amateurs
de l'Antiquité. On l'y voit cuiraſſé &
armé de pied en cap à la maniere des
Preux. M. Gue well loue beaucoup le Sculptear
d'avoir caractérisé ce grand Guerrier
par fes propres armes. Il eſt à cheval ,
fur une felle fort élevée & avec des étriers ,
ufage qui a ceffé après lui , fi l'on en juge
par les ftatues des Rois fes Succeffeurs ,
qui tous n'ont qu'un tapis fans étriers ;
ce qui rend même difficile à concevoir
comment ils pouvoient monter à cheval.
Cette figure eft très - belle & d'autant
plus curieufe , qu'on y reconnoît avec
exactitude le coftume de ces tems , conformément
à ce qu'en difent les Hiftoriens.
I eft à remarquer qu'on voit au
tour du piedestal quatre petites figures
de bronze qui n'ont aucun rapport avec
la Statue Équeftre , fi ce n'eſt en ce
qu'elles repréfentent des efclaves . Mais
ils font nus & ne peuvent défigner aucune
nation à moins que ce ne fût les
Africains avec qui l'on fçait que ce Monarque
n'a rien eu à démêler. Ces figures
font afliffes fur des armes Grecques
2
G
J
C
A
DECEMBRE . 1756. 189
& Romaines , qui n'ont aucune relation
avec celles dont le Roi eft orné. M.
Guefwell réferve fes réflexions fur ce fujet
à l'article où il traite particuliérement
des piedeftaux qu'on voit à ces ftatues.
Il paffe à l'examen de la ftatue du Roi
Louis XIV érigée , dans la place qu'on croit
avoir porté autrefois le nom de place
des Villoires . Ce Roi eft en pied , vêtu
comme le font encore les Chevaliers du
St. Efprit. Il foule aux pieds une affez
laide bête à plufieurs têtes qui étoit apparemment
le fymbole ou les armoiries
de quelque nation voifine qu'il avoit
vaincue. Il eft couronné de laurier par
une femme qu'on croit être la Victoire.
Certe Statue paroît avoir été dorée . On
trouve pareillement au piedeſtal des figures
enchaînées, dont les unes font nues
& les autres vêtues comme les nations
vaincues par Trajan , & elles ont les mêmes
armes. Les bas reliefs ont plus de
rapport avec la figure : cependant on y
voit quelque mêlange de figures, vêtues
d'une maniere bifarre & qu'on croit
être une mode de ces temps , avec des
figures habillées à l'antique.
A peu de diftance , dans ce même quartier
, on trouve dans une autre place une
Statue Equeftre du même Roi , mais tout190
MERCURE DE FRANCE.
à-fait vêtue à la Romaine , à la réſerve
de la tête qui eft coeffée d'une multitude
de cheveux hériffés & bouclés d'une
maniere fi extraordinaire qu'on n'en imagine
pas la poffibilité . Le piedeftal
n'a point de figures poftiches comme les
autres.
R
d
&
R
fa
X
de
Fi
mo
de
Venons aux réflexions générales que
préfente Monfieur Guefwell. En confidérant
le peu de rapport que les ornemens
& figures des piedeftaux ont avec
l'hiftoire de nos Rois , il en conclut qu'ils
n'ont point été faits pour cet ufage : ils
doivent être beaucoup plus anciens , &
vraisemblablement ce font des reftes de
Rome antique dont on s'eft paré , fans
raifonner fur la maniere de les placer.
La difproportion qui fe trouve entre ces
figures qui les ornent , & les ftatues des
Rois , fert encore à le confirmer. Il s'ap
puie de plus des réflexions qu'il fait fur
la proportion du piedestal de Louis XIII ,
& fur les infcriptions qu'on y voit. Il
paroît trop petit pour la figure coloffale
du Roi , & les éloges qu'on y lit du célebre
Miniftre d'alors joints à ceux da
Roi , donnent lieu de croire qu'il a été
fait pour un grouppe pedeftre où ils
étoient repréfentés tous deux . Quelques me
Auteurs ont avancé un fentiment que M.
tio
s'e
M.
fied
&
dan
aim
que
lear
te
DECEMBRE. 1756 .
191
Guefwell répugne à adopter , parce qu'il
lui paroît avilir la gloire de ces fiecles ,
quoiqu'il ne puiffe nier qu'il eft rempli
de
vraisemblance : c'eft que non feulement
les piedeftaux font des Antiques
Romains , mais même quelques - unes
des figures de Rois qui font deffus. On
dit que les anciens François les ayant
E trouvé belles , en avoient ôté les têtes
& y avoient fubftitué celles de leurs
Rois. Ce qui fembleroit le prouver invinciblement
, c'eft le contrafte ridicule que
fait la coeffure de la ftatue équeftre de Louis
XIVavecfon
habillement.Cependant comment
croire que dans un temps où il y avoit
de fi grands Sculpteurs , on fe foit fervi
de figures toute-faites pour ériger des
monumens deftinés à immortalifer la grandeur
des Rois & la gloire de la Nation
? Il femble qu'il eft plus agréable de
s'en tenir à l'explication qu'en a donné
M. Choofeill. Il dit que dans le feizieme
frecle le bon goût de l'ancienne Rome
& de la Grece étoit dominant en France
dans tous les arts ; que nos Rois ayant
aimé la fimplicité de ces vêtemens antiques
, & voulant en infpirer le goût à
leurs fujets , s'habilloient affez frequemment
de cette maniere lorfque la faifon
le permettoit ; que les Sculpteurs trou192
MERCURE DE FRANCE .
vant plus de facilité à traiter ces draperies
, faifirent cet ufage qui n'a eu lieu
que fous trois regnes. Cette décifion paroît
la plus certaine ; car il n'eft pas poffible
de fuppofer que ce foit une licence
des Sculpteurs qui doivent également
tranfmettre à la postérité , avec les portraits
des Rois , leurs vêteniens & les ufages
de leur temps.
Après avoir traité de ces monumens
importans , M. Guefwell parle affez en détail
des fculptures des Eglifes & de celles
des jardins. Il remarque , fans prétendre
en affigner les caufes , que la France
de temps immémorial a été fertile en excellens
Sculpteurs , & il lui paroît difficile
de ne pas penfer que cela tient au
caractere naturel de la nation & aux qualités
du climat : car on a vu des contrées
où les Arts ont été floriffans , donner
d'excellens Peintres fans pouvoir produire
de Sculpteurs.
Entre quantité d'ouvrages du dix- feptieme
fiecle dignes d'admiration , il cite
avec beaucoup d'éloges une defcente de
croix qui eft dans l'Eglife de Notre - Dame.
A l'occafion des diverfes Sculptures
qui ornent ces Eglifes anciennes , la difproportion
qui regne entre les figures
qui y font placées lui paroît fort finguliere.
DECEMBRE . 1756. 193
liere. On trouve dans la même Eglife des
figures de grandeur naturelle , d'autres
plus grandes & d'autres qui à peine ont
trois pieds de proportion : il femble que
ce foit un affemblage de morceaux ôtés
de leur deſtination & réunis en ce lieu
par hafard. Que des bas reliefs foient
exécutés dans toutes fortes de grandeurs ,
il n'y a rien de répréhenfible ; parce
qu'un bas relief n'eft qu'un deffein rehauſfé
de faillies , au défaut de couleur pour
repréſenter des ombres : ainfi il n'a point
de prétention à faire aucune illufion ;
au lieu que la fculpture de ronde boffe
ne néglige rien de ce qui peut repréfenter
exactement la nature à l'exception
de fes couleurs. Eft- il croyable que la
regle raisonnable que nous obfervons
dans nos temples pour l'unité de proportion
ne fût pas encore établie dans des
fiecles qui ont donné tant d'Artiftes illuftres
? A-t'on pu ne pas appercevoir que
la proportion des figures qui font au
bas d'un bâtiment , étant une fois donnée
relativement à l'édifice & à la
grandeur
des colonnes , elle doit être la regle
inviolable de toutes celles qui y feront
placées ce font en quelque façon
les habitans de cet édifice , qui ne changent
point de grandeur , à quelque étage
I
194 MERCURE DE FRANCE.
A
20
T
qu'ils foient montés. D'ailleurs quel
effet pouvoit- on attendre de figures plus
petites que le naturel dans un grand
lieu Il y a plus on voit affez fréquemment
dans les décorations extérieures
d'architecture , que les figures font d'autant
plus groffes qu'elles font plus éle- &
vées , quoique rien ne foit plus ridicule
que l'idée de fortifier davantage les figu- d
res au haut d'un édifice où l'architecture
devient plus délicate . Cependant on voit
fi conftamment cette erreur dans les Anciens
édifices , qu'on a peine à croire que
ce n'ait pas été une regle qu'on fe foit
cru obligé d'obferver . Eft-il concevable
qu'on eût pofé pour principe que , tandis
que l'Architecte s'efforce à donner de
l'élévation à fon bâtiment , & même à
chercher les moyens de lui en faire paroître
plus qu'il n'en a , le fculpteur y
dût mettre obftacle en fortifiant fes figures
pour les faire paroître plus proches
de l'oeil qu'elles ne le font ? Voilà de ces
inconféquences qu'on rencontre dans la
recherche de l'antiquité , & que M. Guef
well fe contente d'énoncer fans prétendre
les expliquer.
Je crois devoir renvoyer le Lecteur au
mémoire original , pour fuivre notre Auteur
dans les explications qu'il donne de
21
Jf
2
2
(
DECEMBRE. 1756. 195
quantité de morceaux de ce genre , auffi
bien que dans l'éloge raifonné qu'il fait
du Milon & de l'Andromede , des deux
Vénus , dont l'une eft connue fous le nom
de Vénus à la coquille , & de plufieurs
autres ftatues qu'on voit dans le jardin
du palais du Roi. Il rend pareillement
compte de l'Atalante , des deux célebres
chevaux & de quelques autres morceaux
du jardin dit de Marly. Dans celui des
Tuileries , il note
particuliérement avec
éloge une figure de berger & quelques
grouppes . Quant à la fculpture du dixhuitieme
fiecle , il cite quantité de morceaux
excellens , entr'autres un Amour
qui fe fait un arc de la maffue d'Hercule.
M. Guefwell rapporte fur la foi d'un
ancien manufcrit , que dans ce fiecle il
fe repandit un goût dangereux pour la
fculpture. On voulut ôter aux figures
l'air de ftatues on les hafarda dans les
attitudes les moins naturelles , on porta
le délire jufqu'à faire voler les draperies
avec autant de hardieffe que le pourroit
faire la peinture la plus licentieuſe . On
évitoit de groupper les membres , quoique
ce foit une des plus ingénieufes beautés
de la fculpture ; il fembloit que l'on crût
que l'art confiftoit à mettre tout en l'air ,
& à travailler le marbre avec une témé-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
rité qui eft caufe que celles de ces
ftatues qui font parvenues jufqu'à nous
font toutes mutilées. Au commencement
les Sculpteurs du fiecle precédent qui vivoient
encore , s'oppoferent à cette mode
de toutes leurs forces : après eux il ne
reftoit que quelques Eleves de ces hommes
illuftres qui refiftoient au torrent ;
mais leur réputation n'étant pas encore
affez bien établie pour y oppofer une
digue fuffifante , ils auroient été entraînés.
Un feul Sculpteur profita de la célébrité
qu'il acquéroit , pour maintenir
le bon goût. Il eut le courage de méprifer
les critiques & les railleries des
gens amoureux de la nouveauté : on traita
la fageffe de fon goût , de froideur , &
la fimplicité de fa maniere , de pauvreté.
Fondé fur des principes certains , il s'affermit
contre la vogue , & fut bientôt
fuivi de tous ceux qui avoient bien étudié
les Anciens. Ainfi la France dut à ce grand
Sculpteur la gloire où elle s'eft toujours
maintenue par l'excellence des Arts , qui
eft telle que toutes les Nations du monde
viennent les étudier dans fon fein , & en
tirent leurs meilleurs Artiftes. Au refte
ces détails , & quantité d'autres que nous
fupprimons , font très- curieux à lire dans
l'original , & nous prenons le parti d'y
Ienvoyer le Lecteur.
DECEMBRE. 1756. 197
GRAVURE.
Nous annonçons les Graces au bain ,
d'après leur Peintre : c'eft nommer l'aimable
M. Boucher. Cette Eftampe charmante
a été gravée fous fes yeux par le Sieur Ryland.
Ce jeune Artiſte a mis fi bien à profit
les leçons d'un fi grand Maître , qu'il a
mérité fon fuffrage . Le premier mérite
d'un Graveur eft de faifir la maniere du
Peintre qu'il copie : c'eft ce que le Sieur
Ryland a fait . Que ne doit on pas attendre
d'un talent qui brille avec tant d'éclat
dès fon aurore ? ( il n'a que vingt ans )
Son burin a déja la correction & tout le
preftige du pinceau qu'il imite. Cette Ef
tampe que tous les Connoiffeurs doivent
s'empreffer d'acheter , fe trouve chez M.
Boucher , au vieux Louvre , & chez Buldé ,
Marchand d'Estampes , rue de Gêvres , du
côté du Pont Notre- Dame , à l'enfeigne
du grand coeur.
M. l'Abbé de la Grive vient de mettre
au jour le Plan de la Place de Louis XV ,
dans lequel il a marqué les emplacemens
& les noms des propriétaires qui en font
voifins.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Il débite auffi en une petite feuille portative
un extrait de la grande Carte de
Boheme de Muller , en 25 feuilles , fi recherchée
dans la derniere guerre . Il en a
fait imprimer fur peau en faveur de ceux
qui voudront la mettre en poche.
a
Le Sr Moitte , Graveur , vient de mettre
au jour une Eftampe qquuii a pour titre
Partie de Plaifirs , qu'il a gravée d'après le
tableau de N. Lancret , compofition des
plus agréables & des plus riantes que ce
Maître ait produites ; elle eft dédiée à M. de
la Live , Introducteur des Ambaſſadeurs ,
& Honoraire de l'Académie royale de Peinture
& Sculpture. Le Tableau fe voit dans
fa belle collection des Peintres & Sculp
teurs François. L'Eftampe fe vend à Paris ,
chez l'Auteur rue Saint Victor , la premiere
porte cochere , à gauche , en entrant par la
Place Maubert.
Il vend auffi quatre morceaux qu'il a
gravés depuis peu d'après David Teniers ,
Lçavoir:
La Crédule Laitiere.
Les Compagnons Menuifiers.
Le Marchand de ratafiat .
Le Marchand de mort aux rats.
DECEMBRE . 1756. 199
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
Le Samedi 13 Novembre & le Lundi 15 ,
le Sieur de Rofambert a joué le rôle de
Burrhus dans Britannicus . Il y a été applaudi.
On s'apperçoit qu'il fait du progrès
; mais ce progrès feroit plus grand , fi
le Débutant étoit plus raffuré. La timidité
dans un Acteur eft le fléau du talent : elle
déguife la voix , contraint l'action , étouffe
la chaleur , & produit la monotonie. Le
Dimanche 14 , le même Acteur repréſenta
Durval dans le Préjugé à la mode . Comme
il le rendit avec plus d'affurance , il eut
l'approbation générale. L'habit à la Françoife
lui eft très- favorable. Il y eft plus à
fon aife , & fa figure qui eft des plus nobles
, y paroît dans tout fon avantage.
Le Mercredi 17 , on a donné Bajazet ,
demandé par S. A. S. M. le Duc d'Orléans.
Mlle Clairon y a joué Roxane d'une maniere
à tranfporter tous les fpectateurs.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
Elle rend ce rôle comme Racine l'a fait.
Le Samedi 20 , on a repréſenté Berenise
, qui eft le triomphe de Mlle Gauffin
dans le férieux . Elle y a reçu du Public
tous les applaudiffemens qu'elle mérite ,
ainfi que M. de la Noue dans le rôle de
Titus. Le concert étoit parfait entr'eux ,
& la piece a produit le plus grand effet.
Le fentiment y eft fupérieurement écrit .
Les Comédiens François vont reprendre
inceffamment la Coquette corrigée , de M.
de la Noue , en attendant la Fille d'Ariftide
, Comédie nouvelle en cinq actes en
profe , de Madame de Grafigni. Nommer
l'Auteur de Cénie , c'eſt annoncer le fuccès
de la piece. Que n'en doit- on pas attendre ?
Comme la repriſe du Médecin par occafion
eft retardée , nous allons placer ici les
vers fur Mahon que nous y avons ajoutés ,
& que plufieurs de nos Lecteurs nous ont
priés d'inférer dans cet article .
De nos Voifins vaincus parlons avec décence ;
C'eſt flétrir nos lauriers qu'imiter leurs excès.
Vantons plutôt leur réfiftance ,
Pour mieux apprécier la valeur des François .
Que Louis foit notre modele :
Quand on le force à nous vanger ,
L'équité feule eft fon guide fidele.
1 fçait vaincre ou punir , mais jamais outrager.
0
L
L
DECEMBRE . 1756.- 201
Qu'en plein Théâtre on nous déchire à Londre,
Rions des traits de leur fureur ,
Er du foin d'y répondre ,
Repofons-nous fur leur Vainqueur.
Oppofons la fageffe à cette infulte vaine :
Leur gloire eft la licence , & l'oubli des égards ;
La nôtre eft d'épargner l'ennemi fur la fcene ,
Et de le battre au champ de Mars.
COMÉDIE ITALIENNE.
Le Samedi 13 de Novembre , le Lundi
15 & le Mercredi 17 , les Comédiens Italiens
ont donné Baftien & Baftienne avec
la Servante maîtreffe . Mlle Victoire a joué
Baftienne dans la premiere piece , & Zerbine
dans la feconde. Elle a rempli le premier
de ces deux rôles avec l'applaudiffement
du parterre ; mais elle a réuni tous
les fuffrages dans la Servante maîtreffe ,
où elle s'eft furpaffée. On peut dire
qu'elle a pleinement juftifié l'éloge que
nous lui avions donné dans le Mercure de
Septembre. La fineffe & l'agrément de fon
jeu , égale prefque la légèreté & les graces
de fon chant. Elle a furtout rendu les
deux premieres Ariettes du fecond acte ,
avec un goût & une précifion qui ont enchanté
tous les Connoiffeurs. Cefuccès doit
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
la flatter d'autant plus , qu'elle joue Zerbine
après une Actrice juftement adorée ,
& qu'elle a l'art d'y réuffir fans la copier.
On doit feulement l'avertir de parler plus
haut , & de marquer plus fon action . C'est
tout ce qu'on peut lui fouhaiter , & que
l'ufage du théâtre lui donnera .
Le Mercredi 17 , les mêmes Comédiens
ont joué pour la premiere fois le Charlatan,
piece nouvelle en deux actes , mêlée d'Ariettes,
& parodiée de l'intermede des Bouffons
, intitulé le Tracolo. Le premier acte
a plu ; le fecond a paru moins vif.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Lundi premier Novembre , jour de la
Touffaint , le Concert commença par une
fymphonie de M. Guillemain , fuivie d'Omnes
gentes , Motet à grand choeur de M.
Cordeler. Enfuite Mlle Sixte chanta Ufquequò
, petit Motet de Mouret. M. Piffer
joua un Concerto de violon de fa
compo-
Gtion. Mademoiſelle Fel chanta un petit
Motet italien. M. Balbaftre joua fur l'orgue
un Concerto de fa compofition . Le Concert
finit par De profondis , Motet à grand
choeur de M. Mondonville , & fut aufli
agréable par l'exécution que par la variété
des morceaux..
DECEMBRE . 1756. 203
ARTICLE VI.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 17 Octobre.
DEpuis quelques jours , la Cour a publié fa
Réponse à l'Expofé des Motifs du Roi de Pruffe.
Cette piece commence ainfi. « L'Electorat de Saxe
ayant été inondé de troupes Prufliennes , & ayant
»été arraché à fon légitime Poffeffeur ; le droit
»des gens y ayant été violé ; tous les égards
»dûs à une keine ayant été foulés aux pieds ;
»un deftin affreux menaçant encore le Roi de
>>Pologne ; l'efprit de domination & d'agrandif
»fement , qui guide le Roi de Prufle , l'a porté
»à attaquer enfuite le Royaume de Boheme , & à
»y ouvrir de nouveau le théâtre de fes hoftilités .
»Les circonftances & les fuites de cette double
infraction de la paix , de la part de la Cour de
>>Berlin , étant tout à fait extraordinaires , le public
impartial n'a pu que fouhaiter avec une impa
>>tience extrême de voir paroître les motifs fonda-
>> mentaux d'un procédé auffi étrange , & a cru de
»voir s'attendre à voir révéler les myfteres les plus
profonds de cabinets . Jamais attente n'a été
plus mal remplie . Le manifefte de la Pruffe n'a
été remplie que d'expreffions qui fe contredi-
»foient palpablement les unes les autres , & l'om
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
n'y a étalé que des motifs qui , malgré toute
» l'étude de l'invention , n'ont pu être revêtus da
moindre air de vraisemblance . Le Roi de Fruffe ,
»dans l'impoffibilité de trouver matiere à motiver
pune Déclaration de Guerre , eft tombé ſur l'idée
stare & finguliere , qu'il pourroit , fon invafion
men Saxe déja faite , déterrer dans les papiers
fecrets , qu'il a fait enlever à Drefde du Cabinet
du Roi de Pologne , des preuves qui pourroient
confirmer ce qu'il avançoit d'un Traité offenfif
entre l'Impératrice Reine & l'Impératrice de
»Ruffie , & démentir ainfi les aſſurances données
par l'Impératrice Reine , que cette imputation
»étoit fauffe & controuvée. La Cour de Vienne ,
obfervant fcrupuleufement les loix de la vérité ,
n'avoit rien à appréhender de toutes ces recher-
»ches. Elle a elle - même les indices les plus
»démonftratifs , que , fi l'on pouvoit expofer auf
»yeux du public ce que renferme le Cabinet de
>>Potſdam , on y découvriroit avec un étonne-
»ment indicible des projets tendans à corrompre
»de fideles ferviteurs , liés à leurs maîtres par la
>>foi du ferment ; à opprimer des Co- Etats confidérables
de l'Empire ; à réchauffer des pré-
»tention illégales fur des Provinces entieres , &
» à ourdir des rébellions affreuſes dans de puiffans
>>Royaumes.»>
Voici plufieurs autres principaux traits de la
Réponse de la Cour. « On a déja vu dans le Ref
»crits de S. M. Imp. & Royale à fes Miniftres
>> dans les Cours Etrangeres , comment le Roi de
>> Pruffe s'eft émancipé à prendre itérativement
» Impératrice Reine à partie fur fes difpofitions
»défenfives........ Dans fon Manifefte , il avane
>>ce également des chofes peu fondées. Il foutient
qu'à peine le Traité de Drefde avoit été conclu ,
Σ
E
2
B
D
Da
DECEMBRE. 1756. 20
>>la Cour de Vienne s'étoit étudié à l'éluder &
»à l'infirmer. Cependant on n'allegue à notre
>> charge que ce feul grief , fçavoir que fept ans
» après la conclufion du Traité , c'est - à-dire en
» 1753 , Pimpôt fur les marchandifes fabriquées
dans la Silefie Pruffienne a été augmenté. Il
» eft étonnant que de la part de la Pruffe on
»faffe quelque reproche fur cet article , com-
>>me fi S. M. Pr. n'avoit pas été la premiere à
»augmenter les droits de douane , & comme fi
Delle n'avoit pas commis diverſes autres contra
»ventions , tant contre ce Traité que contre celui
» de Breflau ; & cela au point que fi S. M. Imp.
»& Royale n'étoit pas en poffeffion de facrifier
»fes plus juftes motifs de reffentiment à fon amour
»pour la paix , Elle auroit été en droit depuis
long- temps , furtout après les repréſentations
Dinutiles qu'Elle avoit faites , de recourir , pour
»fe venger, aux armes dont Elle ne fe fert au-
»jourd'hui que pour fon unique défenſe......
>> Dans le niême Manifefte , on releve encore
»d'autres plaintes contre la Cour de Vienne. Elle
»a conçu , dit- on , des projets d'une extrême
»conféquence ; Elle a des vues dangereufes , &
» du côté de la Pruffe on s'étudie à les dévelop
per.... Mais la Maiſon Archiducale d'Autriche
»ne balance pas à foutenir , que dans toutes les
» Annales de fa Monarchie on ne trouvera pas
»le moindre veftige d'entrepriſes de fa part , ten
»dantes à renverfer les premieres loix de l'Em-
»pire ; à opprimer fes membres ; à s'emparer
de leurs Etats par droits de convenance ; à perfé
cuter par les oppreffions les plus inouies route
»une Famille Royale fous les affurances d'une
pamitié fimulée ; à boulverfer le repos de l'Alle-
»magne ;... à vouloir impoſer à tous le Corps
206 MERCURE DE FRANCE.
»Germanique des loix arbitraires , aux dépens de
»fes Conftitutions ......
Au fujet du Traité que l'Impératrice Reine a
conclu en 1746 avec l'Impératrice de Ruffie ,
la Cour fait les obfervations fuivantes . « Pour
s'affurer de plus en plus contre une quatrieme
winfraction de la paix de la part de la Pruffe ,
>> on conclut entre les deux Cours Impériales ,
Davant le Traité d'Aix - la- Chapelle , un Traité
» d'Amitié & de Défenſe , ne tendant au préjudice
» d'aucune Puiflance . La Cour de Vienne n'a
»pas eu befoin d'exciter la fenfibilité de celle
» de Ruffie fur les procédés méprifans de la Pruffe ,
>>attendu que S. M. Pruf. fe contient ſi peu vis-àvis
de fes voisins , qu'ils comprennent facilement
» qu'il n'y a pas d'autre moyen de le fouftraire
aux défagrémens que la Pruffe caufe continuelle-
» ment , qu'en rompant toute communication avec
elle...... Le public n'aura pas encore oublié ,
>>comment le Comte de Beftuchef, Grand Char-
>> celier de Ruffie , ne balança pas en 1750 d'expo-
>>fer aux yeux de l'Europe , d'une maniere convain-
»cante, les procédés extraordinaires des Pruffiens......
C'eft une nouvelle illufion de la
»part du Roi de Pruffe , de vouloir , par des
vues faciles à deviner , faire paffer nos innocens
Dengagemens défenfifs pour un Traité offenfif
>>contre la Porte. » La Cour ajoute : « Le Roi
»de Pruffe fait affez connoître à la Couronne
>>de France , fans ménagement & par fon infrac-
>tion de paix , que l'Union du Roi T. C. avee
»l'impératrice Reine l'a animé à faire exifter
d'autant plus vite par fon aggreffion ennemie
le Cafus Foederis. Tout ce que S. M. Pruf
permet de mettre à la charge de la Cour
de Vienne & d'autres Cours fur le pied de
>> fe
DECEMBRE. 1756. 207
T
conſpiration , eft une imputation déplacée , qui
»n'a jamais lieu de Souverain à Souverain , &
>>qui ne peut s'appliquer qu'à des Sujets rébelles.
» Ces confpirations doivent être mifes au rang
»des projets de ceux qui dans leur plan d'a-
»grandiffement ne font aucune diftinction des
>>moyens d'affouvir leur ambition. S. M. l'Impéra-
» trice Reine déclare pareillement fauffe & controuvée
l'imputation , qu'elle ait voulu porter
» la Cour d'Angleterre à entrer dans des projets
»qui puffent troubler le repos général . On en
>appelle au propre témoignage de ladite Cour ,
»& l'on ne fera jamais aucune difficulté de ren-
» dre publique la négociation dont il s'eft agi
avec S. M. Brit.... Le Roi de Pruffe accufe la
>>Cour de Vienne , d'avoir voulu puifer dans les
» troubles de l'Amérique les moyens d'allumer
Dune guerre générale . La Cour Britannique peut
»rendre elle - même juftice fur ce point à la vérité,
& dire combien l'Impératrice Reine s'eft
» efforcée d'étouffer ces divifions dès leur naiffan-
» ce. En général tout ce que la Cour de Pruffe
»avance , relativement à celles de France & de
» la Grande - Bretagne , aboutit à infinuer que la
»premiere n'a point affez réfléchi far la nature
»des chofes & fur fes propres intérêts , & que
»la feconde n'a pas approfondi les vues du Minif-
»tere de Vienne , & a manqué de pénétration
» à cet égard , ( expreffions qui ne touchent pas peu
>> l'honneur de ces deux Cours ) . Au refte le Roi
»de Pruffe auroit pu fe paffer de parler de recon-
»noiffance , lui qui a oublié fur cet article
»tout ce qu'il doit à la Maiſon Archiducale d'Autriche
, à qui il eft redevable de fa Dignité
>>Royale ....>>
Selon la lifte que le Feld-Maréchal de Browne
208 MERCURE DE FRANCE.
E
a envoyé de la perte faite par les Autrichiens
dans la bataille du premier de ce mois , il y a
eu dix- neuf Officiers tués & cent cinq de bleffés ;
quatre cens vingt Soldats tués , dix-fept cens vingtneuf
bleffés; & fept cens onze qui ont difparu.
On ne compte que quatre cens foixante -quinze
chevaux tués ou bleffés.
On mande de Conftantinople , que fur la nouvelle
de l'invafion des troupes Pruffiennes en Boheme
, le Grand Vifir a voulu fçavoir du Sr de Schwachenheim
, Miniftres de Leurs Majeftés Impériales
à la Porte , toutes les circonstances de cer
événement. Selon les mêmes lettres , le Grand
Seigneur a fait affurerie fieur de Schwachenheim ,
que fa Hauteffe continueroit d'obſerver religieufement
le Traité conclu par le Sultan fon prédéceffeur
avec la Cour de Vienne , & que fi l'Impératrice
Reine , pour foutenir la guerre contre
le Roi de Pruffe , avoit befoin d'employer les
Troupes qu'Elle avoit en Hongrie , Elle pouvoit
avec confiance les faire marcher , fans craindre
que Sa Hauteffe profitât de leur éloignement ,
pour enfreindre la paix qui fubfifte entre les deux
Puiffances.
Du Quartier Général du Prince Picolomini à
Spalena-Lhotka , le 20 Octobre 1756.
Un Corps de troupes paffa l'Elbe les , fous
les ordres du Général Comte de Trautmansdorff ,
pour empêcher le Feld - Maréchal de Schwerin
d'étendre fi loin fes fourrages . On fit avancer le
7 dans la même vue un Détachement de Cavalerie .
Par- là , le général ennemie eft refferré de plus
en plus , tant fur la droite que fur fa gauche,
& l'on efpere de le gêner confidérablement fur
Particle des fubfiftances. La premiere Colonne des
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1
DECEMBRE. 1756. 209
Efclavons entra le 2 de ce mois dans notre camp.
Le Colonel Simbfchon , qui la commande , infor
ma le Prince Picolomini , qu'un Détachement de
Huffards de l'Impératrice Reine avoit enlevé une
des caiffes militaires des Pruffiens , & qu'elle avoit
été conduite à Troppau.
On apprit le 13 de ce mois , que le Comte
Rodolphe de Palfi avoit pénétré jufqu'à Lévin ,
& qu'il avoit tiré des contributions de plufieurs
Diſtricts du Comté de Glatz. Le Capitaine Roskovanny
du Régiment de Spleni a fait une courfe
jufqu'à Franckenftein en Siléfie . Il est revenu
avec beaucoup de butin , & fans avoir perdu un
feul homme. Un Détachement commandé par
le Baron de Gerfdorff , Lieutenant - Colonel du
Régiment de Birckenfeld , en vint aux mains le
16 au matin avec un Détachement Pruffien . Los
ennemis ont été mis en fuite. On leur a tué
un Capitaine de Cavalerie , deux Lieutenans , &
cinquante hommes , & on leur a fait quinze
prifonniers. La veille de cette rencontre , le même
Détachement Pruffien étant dans un bois , il s'éleva
un vent fi furieux , que les chevaux épouvantés
prirent le mors aux dents , & quarantecinq
s'échapperent . La plupart font tombés entre
les mains de nos Huffards.
DE RATISBONNE , le 14 Octobre .
Par une Proteftation que le Roi de Pruffe a
adreffée à la Diette contre le Decret Commifforial
du Confeil Aulique de l'Empire , ce Prince
déclare Que n'ayant fait , en entrant dans l'Electorat
de Saxe & dans le Royaume de Boheme
, que ce qu'il étoit autorifé de faire en
vertu de toutes les Loix , pour repouffer le dan-
:
210 MERCURE DE FRANCE .
ger dont il étoit menacé , il ſe réſerve de pourfuivre
la fatisfaction , qu'il prétend lui être dûe
par rapport à la maniere , dont le Confeil Aulique
s'eft cru en droit d'agir à fon égard. Sa
Majefté Pruffienne dit être en état de prouver ,
que fi le paffage pour l'armée Pruffienne par
P'Electorat de Saxe avoit été accepté fur le pied
que la Cour de Drefde propofoit , à peine
cette armée auroit - elle pénétré dans les Etats
de l'Impératrice Reine , que les Saxons en liberté
d'agir , auroient fait une irruption dans les
Etats de la Maifon de Brandebourg , afin de
s'emparer des dépouilles que les circonftances
lui auroient permis de s'approprier . Elle renouvelle
les affurances données dans fa premiere
Déclaration , que , malgré les fujets qu'Elle
croit avoir de fe plaindre , elle remettra toutes
chofes dans l'Electorat de Saxe fur l'ancien pied ,
dès que l'animofité fera place aux voies de conciliation
, auxquelles Elle fera toujours prête
de donner les mains , lorfqu'on aura lieu d'efpérer
le rétabliffement de la paix fur des fondemens
folides & conftans . Pour combattre les
argumens du Confeil Aulique , & pour montrer
que les hoftilités d'un Etat de l'Empire
contre quelques - uns de fes Co - Etats ne font
point un cas extraordinaire , le Roi de Pruffe
allegue plufieurs exemples antérieurs. Il cite entre
autres la guerre de l'Impératrice Reine contre
le feu Empereur Charles VII , & l'invaſion
des troupes de cette Princeffe dans l'Electorat
de Baviere & dans d'autres Etats de l'Empire ,
avec lefquels Elle étoit en défunion , Ce Prince
ajoute que la conduite tenue dans ces conjonc
tures par l'Impératrice Reine , ne fut point
alors confidérée du même oeil , dont la Cour
29
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DECEMBRE. 1756. 211
de Vienne voudroit aujourd'hui faire enviſager
les démarches de la Cour de Berlin.
DE HAMBOURG , le 22 Octobre.
Le Feld -Maréchal Comte de Browne , dans
le deffein de dégager l'armée Saxonne , s'étoit
avancé le 12 avec un Corps de troupes jufqu'à
Mitteldorff , à peu de diftance de Schandau. Les
Saxons devoient paffer l'Elbe la nuit du 11 au
12 mais quelque dommage arrivé au pont
que S. M. Polonoife avoit fait jetter près de
Konigstein , les en empêcha. La nuit fuivante , le
dominage étant réparé , ils pafferent la riviere.
Un grand bruit de canon & de moufqueterie ,
qu'on entendit le 13 au matin , & qui paroiffoit
venir du côté de Schandau , fit foupçonner
que le Feld- Maréchal de Browne avoit attaqué
le Corps de Pruffiens , qui fe trouvoit
dans ce pofte. La Garnifon que le koi de
Pruffe a mife dans Drefde , en parut même
fort inquiete. Deux jours s'écoulerent , fans
qu'on eût aucunes nouvelles pofitives de l'armée
Saxonne . Il fe répandoit feulement un bruit
vague qu'elle avoit fait la jonction avec les
Autrichiens. A la fin la vérité le développa.
Le délai , qui avoit fufpendu le départ des Saxons ,
avoit donné le temps aux Pruffiens de fe renforcer
à Schandau , & de faire des abattis d'arbres
dans les défilés . Le Feld- Maréchal de Browne
ne voyant aucun figne de la part des premiers ,
& craignant d'être enveloppé , avoit été dans
la néceffité de quitter Mitteldorff le 13. Pendant
la nuit du 13 au 14 , il étoit tombé une
grande abondance de pluie. Les chemins creux ,
par lefquels l'armée Saxonne devoit paffer près de
212 MERCURE DE FRANCE.
Lilienſtein , étoient entiérement inondés , & ce
contretemps retarda beaucoup la marche des
troupes & le tranſport de l'artillerie . Les Pruffiens
avoient pris poffeffion du camp de Pirna . Ils
attaquerent l'arriere- garde , qui fit une très- belie
défenfe , & qui ne perdit que très - peu de monde
& une vingtaine de charriots . A la pluie fuccéda
un brouillard épais. Lorfque les troupes
Saxonnes voulurent entrer le matin dans les
gorges du défilé qui conduifoit vers Ulletfdorff ,
où elles devoient fe joindre aux Autrichiens ,
elles trouverent ces gorges bouchées , & les Pruf-
Giens Maîtres de toutes les hauteurs. La diftance
à laquelle étoient les Autrichiens , la direction
du vent , un grand ouragan qui s'éleva la nuit ,
& qui continua le lendemain , furent caufe que
les Autrichiens ne purent entendre les coups
de canon , qui devoient leur fervir de fignaux
pour attaquer les Pruffiens. Ainfi la journée du
14 fe paffa fans coup ferir. Les Autrichiens ,
qui avoient attendu l'armée Saxonne deux fois
vingt- quatre heures , & qui n'avoient avec eux
ni tentes , ni provifions fuffifantes de vivres &
de fourrages , furent enfin contraints d'aller rejoindre
le gros de leur armée. Ils avoient fait
trois marches forcées , & il falloit en faire autant
pour exécuter leur retraite , & pour éviter
d'être coupés par le Corps de troupes Pruffiennes
pofté entre Auffig & Lowolis. Le 15 ,
les Saxons tenterent de gagner les fommets
des montagnes , ou de percer à travers les forêts
; mais ils rencontrerent partout des obftacles
infurmontables. Entourés de tous côtés par
les Pruffiens , dénués de fecours & de fubfif-
Lances , privés de toutes reffources , ils étoient
arrêtés entre les rochers inacceffibles , qui bor-
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DECEMBRE , 1756. 213
dent les deux feuls débouchés praticables que
les Pruffiens avoient occupés . Les Saxons ont
paffé trois jours dans cette affreuſe pofition ,
expofés à toutes les injures de la faifon , fans
pain & fans fourrage. Alors le Roi de Pologne
& les Princes Xavier & Charles , obligés de pourvoir
à la fûreté de leurs perfonnes , le font
retirés à Konigstein . En tâchant de fauver leur
liberté , ils ont couru plus d'une fois rifque de
perdre la vie. L'unique defir des Saxons , dans
la fituation déplorable à laquelle ils étoient réduits
, étoit de périr les armes à la main . Ils
n'ont pas même eu cette confolation , & il ne
leur eft refté que la cruelle extrêmité de compofer
avec les Pruffiens. Par la Capitulation ,
les Généraux ont ftipulé pour S. M. Polonoiſe
& pour les Princes fes fils la liberté de fe retirer
où bon leur fembleroit. Les troupes fe
font rendues prifonnieres de guerre . Pendant
deux jours qu'on a employés à convenir des
articles de la Capitulation , toutes les troupes
Saxonnes depuis le Feld- Maréchal jufqu'au
Tambour , déclarerent conftamment qu'elles fe
feroient plutôt hacher en pieces , que de prendre
parti dans l'armée du Roi de Pruffe. Mais
la plupart des foldats n'ont eu enfuite que cette
reffource . A l'égard des Officiers , il a été réglé
qu'ils ne feroient point forcés de prendre
fervice. La Reine de Pologne Electrice de Saxe
étant allée de Drefde joindre le Roi fon époux ,
Leurs Majeftés Polonoifes font parties le 19
pour Warfovie avec les Princes Xavier & Charles
, & avec le Comte de Bruhl . Les Miniftres
Etrangers ont été invités de la part du Roi de
Pologne , de l'y fuivre. S. M. Polonoife n'a
point voulufe mêler de la Capitulation fignée par
1
214 MERCURE DE FRANCE.
fes Généraux. Le Roi de Pruffe occupe à Struppen
le même logement , qu'y occupoit le Roi
de Pologne Il y a de fréquentes allées & venues
de cet endroit à Ko. igſtein , qui par la
capitulation eft tefté aux Saxons , mais dont les
Pruffiens défireroient d'être mis en poffeffion ,
ainfi que de Pirna , & de toutes les Places
des Etats Héréditaires de Saxe , dont S. M.
Pruffienne fe réſerve l'adminiſtration , jufqu'à
ce qu'une paix folide faffe rentrer les chofes
dans leur premier état .
DE LEIPSICK , le 24 Octobre.
Depuis la premiere Relation qu'on a reçue
du malheur des troupes Saxonnes , on a été informé
des particularités fuivantes . Lorsque ces troupes
eurent perdu toute efpérance de forcer les
paffages , le Feld - Maréchal Comte Rutowski
écrivit au Roi , pour lui donner part d'une fi
trifte nouvelle . Sa Majefté fit cette réponfe . « J'ap-
>>prends avec une extrême douleur la déplorable
»fituation , où , par un enchaînement de difgraces
»difficiles à exprimer , vous êtes réduits , vous ,
» mes Généraux & toute mon armée . Il faut fe
>>foumettre à la Divine Providence . Dieu connoit
>>ma droiture. Voilà ma reflource & ma confola-
>>tion. On veut , comme vous me le faites enten-
»dre par le Baron de Dygera , me forcer de
»foufcrire à des conditions que l'on a rendues
»plus dures à mesure que les circonftances font
»devenues plus fâcheufes. Ne me connoît - on
»plus Je fuis toujours Souverain & toujours
»libre. Heureux ou malheureux , je vivrai avec
>>honneur , & je mourrai de même. Je vous aban.
>>donne , Monfieur , le fort de mon armée. Que
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DECEMBRE. 1756. 215
>>votre Confeil de guerre décide lui - même , fi
>>vous devez vous rendre prifonnier , ou s'il vous
>>faut mourir par le fer ou par la difette. Que
l'humanité dicte , s'il eft poffible , vos réfolutions
. Quelles qu'elles puiffent être , elle ne me
>> regardent plus , & je vous déclare que je ne
>> vous tiendrai refponfable que d'une feule chofe ,
fçavoir de porter les armes contre moi & contre
» mes amis. >>
Sur la lettre du Roi le Confeil de guerre s'affembla
, & le réfultat des délibérations fut :
Qu'on tenteroit inutilement de vaincre les obftacles
qui empêchoient l'armée de pénétrer plus
avant ; que quand même on parviendroit à les
furmonter , ce feroit fans fruit , dès qu'on n'étoit
pas à portée de joindre une autre armée qui pût
non feulement aider à repouffer les efforts de
l'ennemi , mais encore fournir aux Saxons toutes
les chofes dont ils manquoient ; qu'ils avoient
été obligés de laiffer la moitié de leur artillerie
& de leurs charriots de munitions à bord de l'Elbe ;
qu'on avoit eu avis que le Feld- Maréchal Comte
de Browne avoit rétrogradé à Lychtenhain ; que
vraifemblablement il étoit retourné encore plus
en arriere , puifqu'il n'avoit point entendu les
coups de canon qu'on avoit tirés pour fignaux ;
que de plus la Cavalerie , vu la foiblefle des
chevaux , ne pouvoit entreprendre de combattre
contre la Cavalerie ennemie ; que dans un tel
concours d'événemens finiftres , il n'y avoit point
d'autre parti à prendre que de capituler , & qu'on
fe foumettoit là- deffus au jugement de tous les
gens de guerre; que toutes les troupes étoient
prêtes à verfer leur fang , fi le Roi l'ordonnoit ;
mais que ce feroit les facrifier gratuitement , &
que leur destruction ne pourroit qu'expofer à de
216 MERCURE DE FRANCE.
juftes reproches d'ignorance & de témérité un
corps d'Officiers Généraux qui croyoient avoir
fervi jufques là avec honneur & avec diſtinction.
Il a été réglé par la Capitulation , que le Roi
demeureroit en poffeffion de Konigstein , & que
les Pruffiens n'inquiéteroient en aucune maniere
la garnifon Saxonne , qui a été laiffée par Sa Majefté
dans cette Fortereffe. On attend avec impatience
la nouvelle de l'arrivée du Roi à Warfovic.
DE DRESDE , le 4 Novembre.
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Par un Mémoire intitulé , Exposé des motifs
de la Capitulation fignée le 15 Octobre 1756 ,
entre l'armée du Roi de Pologne Electeur de
Saxe , & Sa Majesté Pruffienne , on voit le plan ad
des opérations que le Confeil du Roi avoit concertées
avec le Feld- Maréchal de Browne . Une
colonne des troupes Saxonnes devoit marcher
vers Proffen , laiffant la montagne de Lilienf
tein à fa gauche . Une autre Colonne devoit
foutenir fix Bataillons de Grenadiers , deſtinés
à attaquer les abattis du bois de Lilienftein,
Elle auroit enfuite continué fa marche , laif
fant cette montagne à fa droite ; & les fix Ba
taillons de Grenadiers fe feroient portés fur le
Village de Walterdorff. Après l'avoir emporté
ils devoient s'y défendre contre l'ennemi , jufquà
ce que l'armée für engagée dans les défilés.
Ils avoient ordre , lorfqu'elle y feroit entrée
, de faire l'arriere-garde. On étoit convenu
avec le Feld- Maréchal de Browne , que les
Saxons le trouveroient à la tête d'un Corps de
douze mille hommes fur les hauteurs de Ratmanfdorff
& de Schandau. Enfuite ils fe feroient
xéunis avec lui au gros de l'armée Autrichienne
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DECEMBRE. 1756. 217
5
campée à Budin. L'exécution de ce projet avoit
été fixée à la nuit du 11 au 12 du mois dernier ,
pour le plus tard. On fe flattoit avec raifon , que
la conftance & le zele des troupes leur feroient
fupporter patiemment la difette de vivres à laquelle
elles feroient réduites pendant un intervalle
fi confidérable. Les rations de pain furent diminuées
, & l'on mit les chevaux à la pâture . Bien
loin d'être rebutés par ces épreuves , les foldats
n'afpiroient qu'au moment de s'ouvrir généreufement
un paffage à travers l'armée Pruſſienne
qui les tenoit bloqués dans leur camp . Le Feld-
Maréchal de Browne inftruit de ce qu'ils avoient
à fouffrir , voulut avancer de quelques jours le
terme de leur délivrance. Il fe porta du camp de
Budin à Lowofitz , afin de donner de l'inquiétude
au Roi de Pruffe du côté de Brix & de Bylin ,
tandis que les Saxons par de fauffes attaques fur
Hennerfdorff & fur Marckerfbach , feindroient de
vouloir fe dégager par feur gauche . Ce mouvement
engagea le premier Octobre le combat de
Lowofitz ou de Welmina entre l'avant- garde des
Autrichiens & l'armée Pruffienne. Le furlendemain
de cette action , le Feld- Maréchal de Browne
fit affurer le Roi que cette action n'avoit rien
dérangé au projet concerté , & qu'il auroit toujours
lieu la nuit du 11 au 12.
Le même Mémoire détaille enfuite tous les
obftacles qui fe font oppofés à la réuffite de ce
projet. « Divers contretemps , dit - on dans cet
Décrit , empêcherent que le pont ne fût établi
auffi-tôt que l'on s'en étoit flatté , & il ne fut
»pas poffible de décamper avant la nuit du 12 au
13. Cette nuit , la plus cruelle qu'on ait jamais
»paffée , l'armée défila fur le pont par une pluie
» affreufe , qui acheva de mettre fur les dents les
K
218 MERCURE DE FRANCE.
»chevaux déja excédés de faim & de fatigue . Le
feul débouché par lequel l'armée pouvoit par-
»venir à la hauteur d'Ebenheit s'étant trouvé
>>engorgé par
le canon que les chevaux n'avoient
»plus la force de traîner , non feulement les
>> Grenadiers & le refte de l'Infanterie , mais même
>>la Cavalerie entreprirent de gravir fucceffive-
»ment contre une montagne preſque inacceffible.
>> Les troupes ne purent arriver fur la hauteur
» d'Ebenheit que vers les quatre heures après-
»midi. Elles s'y formerent fur plufieurs lignes ,
autant que le terrein refferré pouvoit le per-
>>mettre. Le vent prodigieux qu'il faifoit fut cauſe
>>que le Feld-Maréchal de Browne ne put entendre
la violente canonnade & la moufqueterie
>> continuelle dont notre arriere-garde avoit été
»accompagnée depuis dix heures du matin , &
»par cette raifon il n'exécuta point l'attaque qu'il
» s'étoit propofé de faire. Alors nos Généraux
»perfuadés qu'il étoit hors de portée de les fe-
>>courir , ne crurent pas devoir prendre fur eux
>>de facrifier les troupes dans une attaque que
toute la bravoure imaginable ne pouvoit rendre
»utile , dès qu'elle ne fe feroit point en même
>>temps par les Autrichiens & par les Saxons.
»Dans une pofition fi critique , il fut réſolu que
»l'armée demeureroit fous les armes & en état
»de combattre , jufqu'à ce qu'on fçût pofitive-
»ment fi le Feld-Maréchal de Browne avoit pu
wfe porter & fe maintenir fur les hauteurs de
Schandau. Toute la journée du 14 fe paffa dans
>> l'inquiétude & dans le trouble. Malgré les fati-
» gues d'une marche également longue & péni-
»ble , malgré la difette abfolue que le foldat
» éprouvoit depuis quarante-huit heures , le cou-
Drage des troupes n'étoit point ralenti . Elles
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DECEMBRE . 1756. 219
»attendoient avec impatience l'inftant de fe fa-
» crifier fous les yeux d'un Maître qui avoit voulu
»les commander en perfonne , & à qui l'on ne
perfuada qu'avec beaucoup de peine de fe ren-
» fermer dans la Fortereffe de Konigstein , lorfque
» la multiplicité des obftacles nous eût ôté toute
»efpérance de pouvoir nous dégager. »
>>
Ĉe Mémoire finit par ces mots remarquables :
« Le témoignage que l'armée Saxonne fe doit à
» elle- même de fon courage & de fa fidélité , l'o-
» blige d'expofer aux yeux de toute la terre les
>>motifs invincibles qui l'ont déterminée à une
»démarche auffi accablante que celle à laquelle
» elle a été contrainte. Il n'y a aucun Officier ni
»foldat qui ne fcellât de tout fon ſang la vérité
» des faits contenus dans cet expofé. C'eſt à l'uni-
>vers à prononcer fur ce que l'armée Saxonne a
»fait , & fur ce qu'elle a dû faire . »
Les Régimens Saxons qui ont été forcés de fe'
rendre au Roi de Pruffe , n'ont pas été incorporés
dans les troupes de ce Prince. On leur a donné
des Officiers Pruffiens pour les commander , les
Officiers Saxons ayant conftamment refufé de
fervir contre leur Roi & leur Patrie. Deux de ces
Régimens avoient été conduits à Léipfick , pour
être mis en quartiers dans les environs. Ils ont
pris les armes contre les Officiers Pruffiens qui
ont voulu s'opposer à leur deffein , & ils en ont
tué deux. Les autres Officiers fe font retirés' , &
ccs deux Régimens ayant pris la route du Royaume
de Boheme , font arrivés à Prague.
Cent cinquante foldats des mêmes troupes
s'étant réunis après avoir quitté l'armée Pruffien-¨
ne , ont été atteints dans leur marche par trois
cens Cavaliers qu'on avoit envoyés après eux. Ils
fe font mis en état de défenfe , & ils ont forcé les
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
trois cens Cavaliers Pruffiens de rendre les armes ,
& de les fuivre en Boheme où ils font auffi arrivés.
Ces actions de courage de la part des troupes
Saxonnes , prouvent bien qu'elles ne fe font rendues
qu'y étant forcées par leur pofition. Tous
les foldats qui peuvent s'échapper volent au fervice
des Alliés de leur Monarque.
DE MALTE , le 6 Septembre.
Les Galeres de Malte ayant été appellées à Tunis
par la Régence , le Bailli de Fleury , Général
de ces Galeres , fut informé le premier de
ce mois , que les Algériens avoient fait des progrès
confidérables ; & il donna les ordres néceffaires
pour le tenir prêt à attaquer de nuit dix de leurs
Corfaires , qui étoient à la Goulette . Le lendemain
, quatre des principaux Miniftres du Bey ,
que le Bailli de Fleury avoit promis de fauver ,
& qu'il a fauvés en effet , lui apprirent à ſept
heures & demie du matin la défaite totale du parti
de ce Bey , & l'évasion de toute fa Famille . A
cette nouvelle le Général , fans attendre la nuit ,
fit fignal d'envoyer à la Capitane toutes les Chaloupes
, Felouques & Canots de l'Efcadre armés
, & leur or lonna , à mesure qu'ils arriverent ,
d'aller s'emparer des Bâtimens Algériens . Les
Galeres ferperent en même temps , & s'approcherent
, en dépendant , jufqu'à la demi - portée
du canon de la Fortereffe de la Goulette , pour
foutenir la petite Flotille , & pour remorquer en
cas de befoin les prifes qu'elle allait faire. Jamais
attaque ne fut pouffée avec plus de vivacité ,
d'intelligence & de bravoure. A peine les Chevaliers
eurent- ils abordé ces Corfaires , qu'ils s'en
lendirent maîtres. Malgré le feu continuel de
DECEMBRE. 1756. 221
cinq canons de 24 , de la petite Goulette , placés
à fleur d'eau & toute l'artillerie de la grande
Goulette , confiftant en quatre vingts pieces de
48 , de 35 , & de 24 , qui ne ceffoient de tirer
fur les prifes & fur l'Efcadre , tout s'exécuta
avec tant d'ordre & de promptitude , que couper
les cables , fe faifir des Turcs , faire voile , &
arborer le Pavillon de Malte , ne parut qu'une
feule action. Sur les neuf heures & un quart ,
tous les Bâtimens étant hors de la portée du
canon , le Bailli de Fleury fit fignal de ralliement
, & alla mouiller fous le Cap Cartage ,
où on les mit en état de naviguer pour partic
pendant la nuit ; ce qui fut exécuté .
FRANC E.
RELATION de ce qui s'eft paffé cette
année en Canada , avec le journal hiſtorique
du fiege des Forts de Choueguen ou
Ofwego, commencé le 11 Août 1756, co
fini le 14 par la prise de ces Forts.
LE
Es nouveaux préparatifs que les Anglois ont
faits pour envahir nos poffeffions en Amérique ,
malgré le mauvais fuccès de leurs entreprifes de
P'année derniere , ont été auffi publics en Europe
que dans le nouveau monde. On s'y étoit attendu
& dans les premiers jours d'Avril dernier , le Roi
fit partir , pour le Canada , un renfort de troupes
commandé par le Marquis de Montcalm ,
Maréchal de Camp.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
En attendant l'arrivée de ce fecours , & dès la
fin de la campagne derniere , le Marquis de Vaudreuil
, Gouverneur & Lieutenant Général de la
Nouvelle France , avoit pris de juftes meſures
pour la défenſe de nos frontieres. Ses arrangemens
avoient eu même pour objet de faire harceler
les Anglois dans leurs propres Colonies. Il a
tenu des détachemens en campagne durant tout
l'hyver. Les Sauvages ont tué beaucoup de monde ,
on a enlevé une quantité confiderable de beftiaux :
ily a eu un grand nombre de maifons & de magafins
brulés ; les campagnes ont été abandonnées
dans plufieurs endroits des frontieres des Colonies
Angloifes. Ces mouvemens divers ont efficacement
fervi , non feulement à augmenter le mécontentement
qu'avoit caufé parmi elles l'injuftice
des projets de leurs Gouverneurs , mais encore à
faire naître des embarras & des difficultés qui ont
empêché l'exécution de ces projets dans le printemps.
Le Marquis de Vaudreuil ne s'en eft pas tenu
là . Tandis que nos Partis fe fuccedoient fans
relâche fur les frontieres des Anglois , expofées à
leurs courſes , & défoloient furtout la Pensilvanie
, la Virginie & le Mariland , un Corps de nos
troupes , qu'il avoit placé fur la riviere S. Jean ,
y recueilloit les reftes épars des Acadiens chalés
de leurs habitations par les Anglois , & dont une
partie erroit alors dans les bois. La défenſe du
Fort du Quêne & de l'Ohio , ou de la belle Riviere
, étoit confiée à un corps de Canadiens & de
Sauvages commandés par le Sieur Dumas. Un
autre detachement d'environ 500 hommes , obfervoit
l'ennemi du côté du Fort Lydius . Le bataillon
du Régiment de la Reine & celui du Régiment
de Languedoc , campoient devant le Fort
2
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DECEMBRE. 1756 . 223
de Carrillon , vers le Lac du Saint- Sacrement. Le
bataillon de Bearn étoit deſtiné pour le Fort de
Niagara , & celui de Guyenne pour le Fort Frontenac
, afin de défendre ces deux poftes importans
dont les ennemis paroiffoient méditer. l'attaque
pendant le cours de la campagne prête à s'ouvrir.
Dès le commencement de l'hyver , le Marquis
de Vaudreuil avoit été informé que , pour l'exécution
de ce projet , les Anglois faifoient raffembler
des troupes avec des provifions confidérables
dans les Forts de Choueguen près du Lac
Ontario ; & c'eft en conféquence de cet avis
qu'au mois de Mars dernier le fieur de Léry attaqua
par fes ordres un Fort où étoit le principal
entrepôt de ces approvifionnemens . Ce Fort
fut enlevé d'affaut & détruit avec tous les bâtimens
qui en dependoient ; & toutes les munitions
qui s'y trouvoient en grande quantité ,
furent enlevées , brûlées , ou jettées dans la Riviere.
Dans la vue de profiter de ce premier
fuccès , le Gouverneur- Général fit un autre détachement
de 700 hommes , Canadiens & Sauvages
, fous les ordres du fieur de Villiers , Capitaine
de la Colonie , pour refferrer les ennemis
de ce côté-là , obferver leurs mouvemens , &
intercepter les tranfports qu'ils pourroient faire
fur la riviere de Choueguen.
Ainfi tout étoit difpofé par le Marquis de Vaudreuil
pour une défenfive vigoureuſe dans les différentes
parties du Canada , fur les lacs Champlain
& du St. Sacrement , vers la Belle - Riviere , &
furtout du côté du lac Ontario , où la défenſe
de nos Forts & même l'attaque des poftes Anglois
avoient été fon objet principal dans la diftribution
des forces de la Colonie.
Tout le monde fçait que l'établiffement des
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Anglois fur le lac Ontario eft une invafion qu'ils
ont faite en pleine paix. Il n'étoit queftion d'abord
de leur part que d'une fimple Maiſon de
commerce. C'eft fous ce feul point de vue qu'ils
en firent la propofition en 1728 , aux Sauvages
Iroquois , qui ne les auroient pas vus tranquillement
fe fortifier tout d'un coup dans le voifinage
de leurs Habitations . On fentit cependant
dès - lors en Canada quel étoit leur véritable objet
dans cet Etabliffèment , qui devoit les mettre
à portée non feulement d'envahir le commerce
des Lacs que les François n'avoient jamais
partagé avec aucune Nation Européenne , mais
encore de couper , par le centre même de la
Colonie de Canada , la communication des poftes
qui en dépendent. Les Gouverneurs François
fe contenterent cependant de réclamer contre
cette ufurpation. Le Roi en fit porter dans
le temps des plaintes à la Cour Britanique , où
elles ont été conſtamment renouvellées dans toutes
les occafions . Mais les Anglois , fans ſe mettre
en peine de la juftice de ces plaintes , &
abufant toujours de l'efprit de paix qui a réglé
dans tous les temps la conduite de la France ,
ie font fortifiés peu à peu à Choueguen , de
maniere qu'ils y avoient établi trois Forts ,
fçavoir :
1º. Le Fort Ontario placé à la droite de la
Riviere , au milieu d'un plateau fort élevé. Il
confiftoit en un quatré de trente toifes de côté ,
dont les faces brifées par le milieu étoient flanquées
par un rédan placé à l'endroit de la brifure.
Il étoit fait de pieux de dix - huit pouces
de diametre applanis fur deux faces , parfaitement
bien joints l'un à l'autre , & fortans de terre de
de huit à neuf pieds . Le follé qui entouroit le
1
1
1
1
DECEMBRE . 1756. 225
Fort avoit dix-huit pieds de largeur fur huit de
profondeur. Les terres qu'on en avoit tirées
avoient été rejettées en glacis fur la contrefcarpe
& en talud fort roide fur la berme. On
avoit pratiqué des creneaux & des embrafures
dans les pieux à fleur de terre rejettée fur la
berme , & un échafaudage de charpente régnoit
tout autour , afin de tirer pardeffus . Il y avoit
huit canons & quatre mortiers à doubles grenades,
2 °. Le vieux Fort de Choueguen , fitué fur
la rive gauche de la Riviere , confiftant en une
Maifon à machicoulis & crénelée au rez de chauf
fée & au premier étage , dont les murs avoient
trois pieds d'épaiffeur & étoient entourés
à trois toiles de diftance d'une autre muraille
de quatre pieds d'épaiffeur fur dix de hauteur
, crénelée & flanquée par deux groffes tours
quarrées. Il y avoit de plus un retranchement
qui entouroit , du côté de la campagne , le
Fort où les Ennemis avoient placés dix- huit
pieces de canon & quinze mortiers & obufiers .
3°. Le Fort Georges , fitué à 300 toifes endelà
de celui de Choueguen fur une hauteur qui
le dominoit. Il étoit de pieux & aſſez mal retranché
en terre fur deux faces .
C'eft principalement au moyen des avantages
que cet Etabliffement donnoit aux Anglois ,
qu'ils s'étoient flattés d'envahir le Canada . Leur
deffein étoit d'abord , ainfi qu'on l'a dit , de
s'emparer du Fort de Niagara & de celui de Frontenac
. Maîtres de ces deux poftes , ils auroient coupé
abfolument la communication , non feulement
des Pays d'en haut , mais encore de la Louifiane
: ils auroient fait tomber une des principales
branches du commerce de Canada ; &
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
en enlevant à cette Colonie une partie de fes
Sauvages alliés , ils fe feroient trouvés à portée
de l'attaquer de toutes parts dans tous les Etabliflemens.
Telles étoient les vues , du moins apparentes
, des Anglois , & les difpofitions faites de notre
part , lorfque les troupes Françoiſes commandées
par le Marquis de Montcalm arriverent au
mois de Mai.
Dès que le Marquis de Vaudreuil eut reça
ce renfort , il envoya fur le lac du St. Sacrement
le bataillon de Royal Rouffillon qui en
faifoit partie. Le Bataillon de la Sarre fut envoyé
à Frontenac avec les deux Ingénieurs François
nouvellement débarqués , aux ordres du fieur
de Bourlamaque Colonel d'Infanterie , pour former
devant cette Place un Camp retranché. Le
Chevalier de Levis , Brigadier , fut deftiné à commander
fur le lac du St. Sacrement ; & le Marquis
de Montcalm devoit fe porter aux lieux
que les ennemis paroîtroient menacer le plus.
Vers le mois de Juin , il parut clairement
par le rapport des Sauvages envoyés à la découverte
, par les dépofitions de plufieurs prifonniers
, & par les préparatifs immenfes faits à
Albany & au Fort Lydius , que les Anglois
avoient des projets d'offenfive du côté de la
Pointe ou du lac du St. Sacrement. Ces nouvelles
confirmerent les Commandans François dans
le deffein d'une diverfion fur le lac Ontario ,
qui devenoit néceffaite pour attirer de ce côtélà
une partie des forces ennemies. Le Marquis
de Montcalm propofa de s'en charger , & même
de tenter , s'il étoit poffible , une entreprife
fur les Etabliffemens Anglois : entrepriſe
deja projettée depuis quelque temps par le Gou
་
་
DECEMBRE. 1756. 227
verneur- Général , qui n'avoit jamais perdu de
vue le fiege des Forts de Choueguen , dont il
connoiffoit toute l'importance. Ce Siege fut réfolu
par le Marquis de Vaudreuil , au cas que
l'état de la Place , & la lenteur des ennemis
permiffent de le former dans cette campagne ,
dont la faifon commençoit à s'avancer. Mais
une pareille expédition exigeoit de grands préparatifs
; les diftances étoient confidérables ; &
les tranfports ne pouvoient s'exécuter qu'avec
des peines & des longueurs infinies , à travers un
pays qui n'a d'autres chemins que des rivieres
remplies de fauts & de rapides , & des lacs où
la violence des vagues rend quelquefois la navigation
prefqu'impoffible . On ne pouvoit donc
fe flatter de réufhir dans ce projet qu'autant qu'il
ne feroit pas pénétré par les ennemis ; & qu'on
ne leur donneroit pas le temps de faire paffer
à Choueguen les nouveaux fecours qu'ils deftineroient
eux-mêmes pour l'attaque des deux
Forts François,
En conféquence le Marquis de Vaudreuil priv
toutes les mesures qui pouvoient accélérer nos
difpofitions & en cacher l'objet . Le fieur Bigot
Intendant du Canada vint à Montreal , & fe char--
gea d'amaffer des munitions de guerre & debouche
, d'en diligenter les convois & de les entretenir
fans interruption. Le fieur Rigaud de
Vaudreuil , Gouverneur des trois Rivieres , fut envoyé
avec un renfort de Canadiens & de Sauvages
, pour prendre le commandement du Camp
du fieur de Villiers . En même temps le fieur de
Bourlamaque reçut ordre de commencer à Frontenac
les préparatifs qu'on jugea néceffaires. Le
fieur de Combles Ingénieur , fut chargé d'aller
avec un détachement reconnoître Choi eguen. E
K. vj
228 MERCURE DE FRANCE.
tandis que tout fe difpofoit ainfi pour cette attaque
, dans la vue de donner le change aux
ennemis , le Marquis de Montcalm partit le 27
de Juin pour le Fort de Carrillon avec le Chevalier
de Levis. Les pofitions à prendre au fujet
de la défenfive dans cette partie , les fortifications
alors commencées à Carrillon , & les
mouvemens des Anglois à Albany , paroiffoient
en effet des raifons fuffifantes pour autorifer la
préfence du Marquis de Montcalm fur le lac
du St. Sacrement , comme dans le pofte où devoient
fe paffer les opérations les plus intéres-
Santes. Ce Général n'y étant resté que le temps
néceffaire pour préparer l'effentiel , & s'attirer
l'attention des Anglois , remit la défenſe de cette
Frontiere au Chevalier de Levis , en lui laiffant
un Corps de trois mille hommes , & reprit le
quinze de Juillet la route de Montreal , où il arriva
le dix -neuf du même mois. Il y reçut fes
dernieres inftructions pour l'entrepriſe contre
les Forts de Choueguen , à laquelle le Marquis
de Vaudreuil fe trouvoit engagé de plus en plus
par la nouvelle toute récente d'un fuccès qui
fembloit en faciliter l'exécution . C'eft celle de
l'échec que les ennemis avoient reçu dans les
premiers jours de Juillet fur le lac Ontario , où
le fieur de Villiers venoit de détruire un convoi
d'environ deux cens bâtimens , & de tuer
u de prendre prifonniers plus de cinq cens
hommes.
Le Marquis de Montcalm repartit de Montreal
le 21 de Juillet , & arriva le ving neuf
à Frontenac , où il trouva tout raffemblé , à
l'exception du détachement commandé par le fieur
Rigaud de Vaudreuil. Ce Corps s'étoit deja
porté fur la Riviere de Choueguen à la Baie
a
t
I
DECEMBRE. 1756. 229
de Niaouré , où le Marquis de Vaudreuil avoit
marqué le rendez -vous général des troupes deftinées
pour l'expédition .
Ces troupes formoient un Corps de trois
mille hommes , y compris le détachement du
fieur de Rigaud , qui devoit fervir d'avant- garde.
Elles étoient compofées des Bataillons de la Sarre
, Guyenne , & Bearn , ne faifant enfemble
que treize cens hommes , & d'environ dix- fept
cens foldats de la Colonie , Miliciens & Sauvages .
Le Marquis de Montcalm n'a pas perdu de
temps pour le mettre en état de partir du Fort
Frontenac. Aprés avoir fait dans cette Place les
préparatifs inféparables d'une opération nouvelle
en ce Pays , & qui préfentoit des difficultés
inconnues en Europe ; après avoir en même
temps pourvu aux difpofitions néceffaires
pour affurer la retraite , en cas que des forces
fupérieures la rendiffent inévitable , il a donné
ordre à deux barques armées fur le Lac Ontario
, l'une de douze , & l'autre de feize canons ,
de fe mettre en croifiere dans les parages de
Chouëguen. Il a établi une chaîne de découvreurs
, Canadiens & Sauvages , fur le chemin
de cette Place à la Ville d'Albanie , pour y intercepter
les Couriers ; & dès le 4 Août il s'eft
embarqué à Frontenac avec la premiere divifion
de fes Troupes , compofée du Bataillon de
la Sarre & de celui de Guyenne , avec 4 pieces
de canon , & eft arrivé le 6 à la Baie de
Niaouré , où la feconde divifion compofée du
Bataillon de Béarn , de Miliciens , & des Bateaux
chargés de l'Artillerie & des vivres , s'eft rendue
le huit.
Le même jour , le Marquis de Montcalm fit
partir l'avant-garde , commandée par le Sieur de
230 MERCURE DE FRANCE.
Rigaud , pour s'avancer à trois lieues de Chouëguen
dans une Anfe nommée l'Anfe- aux -Cabannes.
La premiere divifion y étant arrivée le 10 à
deux heures du matin , Pavant - garde fe porta
quatre heures après par terre & au travers des
bois , à une autre Anfe fituée à une demi- lieue
de Choueguen , pour y favorifer le débarquement
de l'artillerie & des troupes. La premiere divifion
fe rendit à minuit dans cette même Anfe. Le
Marquis de Montcalm parvint à faire établir
auffi -tôt une batterie fur le Lac Ontario , & les
troupes pafferent la nuit au bivouac à la tête des
bateaux.
Le 11 , à la pointe du jour , les Canadiens &
les Sauvages s'avancerent à un quart de lieue do
Fort Ontario , fitué , comme on l'a dit , fur la rive
droite de la Riviere de Chouëguen , & en formoient
l'inveftiffement. Le Sieur de Combles ,
Ingénieur , qui avoit été envoyé à trois heures du
matin pour déterminer cet inveſtiſſement & le
front de l'attaque , fut tué , en revenant de fa découverte
, par un de nos Sauvages qui l'avoit efcorté
, & qui dans l'obcurité le prit malheureuſement
pour un Anglois . Le Sieur Defandrouins ,
autre Ingénieur , qui par-là reftoit ſeul , traça â
travers des bois , en partie marécageux , un chemin
reconnu la veille , pour y conduire de l'Artillerie
; & ce chemin commencé le rr au matin ,
fut pouffé avec tant de vivacité, qu'il fe trouva perfectionné
le lendemain. On avoit en même temps
établi le Camp, la droite appuyée au Lac Ontario
, couverte par la batterie établie la veille , &
qui mettoit les Bateaux hors d'infulte ; & la gauche
à un marais impraticable.
La marche des François , que la précaution de
que de nuit, & d'entrer pour faire halte dans
n'aller
DECEMBRE . 1756. 13 .
les rivieres qui les couvroient , avoit jufqu'alors
dérobée aux Ennemis , leur fut annoncée le même
jour par les Sauvages , qui allerent fufiller juf
qu'au pied du Fort . Trois barques armées fortirent
à midi de la Riviere de Choueguen , vinrent
croifer devant le Camp, firent quelques décharges
de leur Artillerie ; mais le feu de notre batterie
les força de s'éloigner
Le 12 , à la pointe du jour, le Bataillon de Béarn
arriva avec les Bateaux de l'Artillerie & des vivres.
La décharge de ces Bateaux fut faite fur le champ,
en préfence des Barques Angloifes qui croifoient
devant le Camp : la batterie de la greve fut augmentée
le parc de l'Artillerie , & le dépôt des
vivres furent établis ; & le Sieur Pouchot , Capitaine
au Régiment de Béarn , reçut ordre de
faire fonction d'Ingénieur pendant le fiege. La
difpofition fut faite pour l'ouverture de la tranchée
le foir même le Marquis de Montcalm en
donna la direction au Sieur de Bourlamaque
Colonel d'Infanterie , & commanda fix piquets
de travailleurs de cinquante hommes chacun
pour cette nuit , avec deux compagnies de Grenadiers
& trois piquets pour les foutenir .
Avec toute la diligence poffible , on ne put
commencer qu'à minuit le travail de cette tranchée
, qui étoit plutôt une parallele d'environ ico
toifes de front , ouverte à 90 toifes du foffé du
Fort , dans un terrein embarraffé d'abattis & de
troncs d'arbres.Cette parallele achevée à cinq heures
du matin , fut perfectionnée par les travailleurs
du jour , qui y firent les chemins de communication
, & commencerent l'établiſſement des batteries
. Le feu des ennemis qui depuis la pointe du
jour avoit été très-vif , ceffa vers les fix heures
dufoir; & l'on s'apperçut que la Garniſon avoid
232 MERCURE DE FRANCE.
évacué le Fort Ontario , & paflé de l'autre côté
de la riviere dans celui de Choueguen. Elle abandonna
, en fe retirant , 8 pieces de canon & 4
mortiers.
Le Fort ayant auffitôt été occupé par les Grenadiers
de tranchée , des travailleurs furent commandés
pour continuer la communication de la
parallele au bord de la Riviere , où , dès l'entrée
de la nuit , on commença une grande batterie
placée de façon à pouvoir, non feulement battre
le Fort Choueguen & le chemin de ce Fort au Fort
Georges , mais encore prendre à revers le retranchement
qui entouroit le premier de ces Forts.
Vingt pieces de canon furent chariées à bras
d'hommes pendant la nuit ; & ce travail employa
toutes les troupes , à l'exception des piquets &
Gardes du camp.
Le 14 , à la pointe du jour , le Marquis de Montcalm
ordonna au Sieur de Rigaud de paffer à gué
de l'autre côté de la Riviere avec les Canadiens &
les Sauvages , de fe porter dans les bois , & d'inquiéter
la communication au Fort Georges où les
Ennemis paroiffoient faire de grandes difpofitions.
Le Sieur de Rigaud exécuta cet ordre fur le champ.
Quoiqu'il y ait beaucoup d'eau dans cette Riviere,
& que le courant en foit très- rapide , il s'y jetta ,
la traverfa avec les Canadiens & les Sauvages , les
uns à la nage , d'autres dans l'eau jufqu'à la ceinture
ou jufqu'au cou , & fe rendit à fa deftination
, fans que le feu de l'Ennemi fût capable d'arrêter
un feul Canadien , ni Sauvage.
A neuf heures , les Affiégeans eurent neuf pieces
de canon en état de tirer ; & quoique jufqu'alors
le feu des Affiégés eût été fupérieur , ils arborerent
à dix heures le Drapeau blanc . Le Sieur de
Rigaud renvoya au Marquis de Montcalm deux
DECEMBRE . 1756. 23.3
Officiers que le Commandant du Fort lui avoit
adreffés pour demander à capituler. Le Marquis
de Montcalm envoya le Sr de Bougainville , l'un
de fes Aides de Camp , pour fervir d'ôtage , &
propofer les articles de la capitulation , qui furent
que la Garnifon fe rendroit prifonniere de guerre,
& que les troupes Françoifes prendroient fur le
champ poffeffion des Forts . On a déja dit qu'elles
avoient occupé la veille celui d'Ontario . Čes articles
ayant été acceptés par le Commandant Anglois
, le Sieur de la Pauze , Aide-Major au Régiment
de Guyenne , faifant fonction de Major Général
, fut chargé par le Marquis de Montcalm de
les aller rédiger ; & le Sieur de Bourlamaque
nommé Commandant des Forts Georges & Chouëguen
, en prit poffeffion avec deux compagnies de
Grenadiers & les piquets de la tranchée. Il fut
chargé de la démolition de tous les Forts , & du
déblaiement de l'Artillerie , & des munitions de
guerre & de bouche qui s'y trouverent .
La célérité de nos ouvrages dans un terrein que
les Ennemis avoient jugé impraticable , l'établiſ
fement de nos batteries fait fi rapidement , l'idée
que ces travaux ont donnée du nombre des troupes
Françoifes , la mort du Colonel Mercer , Commandant
de Chouëguen , tué à huit heures du marin
, & plus que tout encore , la manoeuvre hardie
du Sieur de Rigaud , & li crainte des Canadiens
& des Sauvages qui faifoient déja feu fur le
Fort , ont fans doute déterminé les Aſſiégés à ne
pas faire une plus longue défenfe .
Ils ont perdu cent cinquante-deux hommes , y
compris quelques Soldats tués par les Sauvages en
voulant fe fauver dans les bois . Le nombre des prifonniers
a été de plus de feize cens , dont quatrevingts
Officiers. On a pris auffi ſept Bâtimens de
234 MERCURE DE FRANCE.
guerre , dont un de dix- huit canons , un de quatorze
, un de dix , un de huit , & les trois autres
armés de pierriers , outre deux cens bâtimens de
tranfport ; & les Officiers & Equipages de ces bâtimens
ont été compris dans la capitulation de la
Garnifon , qui étoit compofée de deux Régimens
de troupes réglées , de Shirley & de Pepperel , &
du Régiment de Milice de Shuyler. L'Artillerie
qu'on a prife , confifte en cent cinquante-cinq pieces
de canon , quatorze mortiers , cinq obuliers
& quarante-fept pierriers , qu'on a enlevés avec
une grande quantité de boulets , bombes , balles
& poudre , & un amas confidérable de vivres.
Le Marquis de Montcalm n'a perdu que trois
hommes , fçavoir un Canadien , un Soldat & un
Canonnier , outre la perte du Sieur de Combles ,
& il n'y a eu dans les différens corps de troupes ,
qui étoient fous fes ordres , qu'environ vingt
bleffés , qui tous le font fort légèrement. Le Sieur
de Bourlamaque & les Sieurs de Palmarol , Capitaine
de Grenadiers , & Duparquet , Capitaine au
Régiment de la Sarre , font de ce nombre.
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Le 21 du même mois d'Août , toutes les démolitions
étant achevées , le tranfport des prifonniers
, de l'artillerie & des vivres fait , le Marquis
de Montcalm fe rembarqua avec les troupes , &
fe rendit fur trois divifions à la Baie de Niaouré ,
d'où les différens Corps fe font portés aux deftinations
refpectives que leur avoit indiquées le Marquis
de Vaudreuil , qui a fait dépofer dans les
Eglifes de Québec &des trois Rivieres , avec les ]
cérémonies ordinaires , les quatre Drapeaux des
Régimens de troupes réglées de Shirley & Pepperel
, & celui du Régiment de Milices de Shuyler.
Le fuccès de cette expédition a répandu une
joie générale dans la Colonie , où l'on en connoît
C DECEMBRE. 1756. 235
plus qu'ailleurs tous les avantages . Elle fe trouve
par la délivrée des juftes inquiétudes que lui donnoit
l'établiffement de Choueguen. Elle voit la
communication avec le pays d'enhaut & avec
toutes les Nations Sauvages fes alliées , à l'abri
des troubles auxquels elle étoit expofee . Elle ne
craint plus d'être attaquée de ce côté - là , du
moins avec la fupériorité que donnoit aux Anglois
l'établiſſement qu'on vient de leur enlever ,
& qui les mettoit en état de dominer fur les Lacs ,
où ils avoient déja formé une Marine. Elle eft en
état déformais de réunir fes forces pour la défenſe
de fes frontieres , & elle a la fatisfaction de devoir
cet heureux changement dans fa fituation , aux
fecours puiffans que le Roi a eu la bonté de lui
envoyer.
Elle a fait éclater les fentimens les plus touchans
de refpect & de reconnoiffance pour ces
nouvelles marques de la protection de Sa Majefté ,
& elle feconde avec tout le zele qu'on peut attendre
du peuple le plus fidele & le plus attaché à fon
Prince , les foins infatigables que fe donnent
pour fa défenfe le Marquis de Vaudreuil , ainfi
que le Marquis de Montcalm , & les autres Officiers
qui en font chargés fous les ordres de ce
Gouverneur.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE 21 Octobre , Madame la Dauphine ſe
fentit incommodée , & fe mit au lit. Elle fit le
lendemain une fauffe couche. On compte que
cette Princeffe étoit groffe d'environ deux mois .
Le Marquis de la Galiffonniere , Lieutenant-
Général des Armées Navales , qui avoit été obli
236 MERCURE DE FRANCE .
gé , par le mauvais état de fa fanté , de ſe démettre
du commandement de l'Efcadre de Toulon , eft
mort à Nemours , en fe rendant à Fontainebleau.
Le Roi lui avoit accordé 8000 livres de penſion, &
l'avoit nommé Grand - Croix Honoraire de l'Ordre
de S. Louis . En confidération du fervice impor
tant qu'il avoit rendu à l'Etat pendant la derniere
campagne , Sa Majesté a accordé le même jour à
fa veuve 6000 livres de penfion.
Sa Majesté a fait Lieutenant- Général des Armées
Navales M. de Maffiac , qui a pris le conmandement
de l'Efcadre deToulon , après le dépat
du Marquis de la Galiffonniere . Sa Majesté 4
nommé auffi M. Daché Capitaine de Vailleau
du Département de Breft , & M. de Villarrel
Commandant la Compagnie des Gardes de la Marine
de Toulon , Chefs d'Efcadre de fes Armées
Navales. M. Perrier de Salvert , Chef d'Eſcadr
des Armées Navales , a obtenu une place a
Commandeur de l'Ordre de Saint Louis , avec
une penfion de 3000 livres fur cet Ordre ; &
le Cordon Rouge , dont il étoit décoré , a cé
accordé à M. de Folligny , Chef d'Eſcadre d
Département de Breft . Le Roi a accordé en même
temps 3000 livres de penfion fur le Tréfor Ross
au Comte Maulévrier , Lieutenant - Général de
Armées Navales. Sa Majefté a agréé cinquante
Lieutenans de Vaiffeaux des différens Départe
mens du Royaume , pour être reçus Chevaliers de
Saint Louis.
Le Roi a difpofé du Gouvernement de Nea
Brifack , vacant par la mort de M. le Marquis
Clermont-Gallerande , en faveur du Lord O
Brien , Vicomte de Clare , Comte de Thomas ,
Chevalier des Ordres de Sa Majefté , Lieutenan
Général de fes Armées, & Inſpecteur Général d'ifanterie.
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DECEMBRE. 1756. 237
Le commandement du Pays d'aunis & de Saintonge
, qui vaquoit par la même mort , a été
donné à M. le Marquis de Senecterre , Chevalier
des Ordres du Roi , Lieutenant - Général des
Armées de Sa Majefté , & ci- devant fon Ambaffadeur
auprès du Roi de Sardaigne.
On a effuyé à Toulon pendant vingt jours
un temps affreux , & il y a eu un orage qui
a duré quatre fois vingt- quatre heures ; le 23
Octobre , à fept heures & demie du foir , le
tonnerre tomba en huit endroits différens , & il
fut fuivi d'une grêle , dont les grains étoient d'une
groffeur extraordinaire.
Un Bâtiment , arrivé de la côte de Barbarie
i Marſeille, a rapporté que les Algériens s'étoient
emparés de Tunis par la trahifon d'un Officier
le la Garnifon , qui leur a livré une des portes
le la Ville . Leur premier foin a été de fe faifir
lu nouveau Bey & de fon fils . On affure que
e fils a été maffacré en préfence du pere , &
que le pere a été mis à la torture , les Algériens
fpérant de lui faire déclarer , dans les tourmens ,
e lieu où il avoit caché fes trésors .
Le Capitaine Deffaux qui commande le Corfaire
a Favorite , du Havre , a rançonné pour fept
ens cinquante livres fterlings trois Bâtimens Anglois
, dont il s'étoit rendu maître.
Le Corfaire la Cigale , de Saint -Malo , comnandé
par le Capitaine Soyer , a conduit à Morlaix
in Navire Anglois de 80 tonneaux , chargé de
:ent cinquante bouchauts de tabac de la Virinie.
Il s'eft auffi emparé du Navire Anglois
e Bon Ami , de Dublin , de 80 tonneaux , dont
e chargement eft compofé de goudron , de thé
rébentine & de merrain .
Il eft arrivé à la Rochelle un Batiment Anglois ,
238 MERCURE DE FRANCE.
de 150 tonneaux , chargé de morue féche & d'huile
de poiffon , qui a été pris par le Corfaire le Comte
d'Hérouville , de Bordeaux , dont eft Capitaine
le fieur Belouan, qui s'eft emparé auffi du Corfaire
Anglois le Royale Georges , de Garnefey , de
16 canons , 16 pierriers , & cent fix hommes
d'équipage.
AVIS.
BEchique fouverain ou Syrop pectoral , approuvé
par Brevet du 24 Août 1750 , pour les
maladies de poitrine , comme rhume , toux invétérée
, oppreffion , foibleffe de poitrine , & afthme
humide. Ce Béchique ayant la propriété de fondre
& d'atténuer les humeurs engorgées dans le poulmon
, d'adoucir l'acrimonie de la lymphe en tant
que balfamique , & de rétablir les forces abattues
en rappellant peu à peu l'appétit & le fommeil
, comme parfait reftaurant , produit des effets
fi rapides dans les maladies énoncées , que
la bouteille taxée à fix livres , fcellée & étiquetée
à l'ordinaire , eft fuffifante pour en éprouver toute
l'efficacité avec fuccès .
Il ne fe débite que chez la Dame veuve Mouton ,
Marchande Apothicaire de Paris , rue Saint Denis ,
à côté de la rue Thevenot , vis-à- vis le Roi François
.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le Mercure du mois de Décembre , & je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion.
A Paris , ce 28 Novembre 1756.
GUIROY.
T
T
Ve
Po
Le
Pe
D
B
V
P
E
L
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
TRADUCTION libre d'une Elégie de Tibulle ,
page s
Vers fur la Conquête de Minorque ,
Portrait plus vrai que vraisemblable ,
Les Adieux d'un Berger à fa Bergere ,
Penfées fur la Converſation ,
Déclaration d'indifférence à Mefdames *** ,
Bouquet au Roi ,
Vers à M. de Crébillon ,
Poëme en profe fur les Illes d'Hyères ,
Effai fur l'Ame ,
II
17
33
35
36
37
44
47
48
49
SI
Lettre à l'Auteur du Mercure , avec un Madrigal
de M. de la Monnoye ,
Vers à M. ***
Le Pinfon & la Fauvette , Fable ,
Tout ou rien , Anecdote moderne ,
Remerciement à l'Académie des Arcades de Rome
, par M. Tannevot , 75
Explication des Enigmes & des Logogryphes du
Mercure de Novembre ,
Enigme & Logogryphe ,
Romance ,
80
81
83
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications de livres nouveaux
,
85
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur une affaire concernant
la fucceffion du Maréchal de Saxe , 92
Suite de la Réponſe de l'Auteur des Lettres à un
Américain , à la Lettre de M. l'Abbé de Condillac
, 102
240
Premiere Séance de la Société de Châlons , 132
Extrait de la Séance de l'Académie de Dijon , 135
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
Géographie. Lettre de Dom Calmet , fur la terte
de Geffen & fur le Royaume de Tanis en Egyp
te ,
143
Géométrie . Lettre de M. Marffon , & Réponſe à fon
Théorême ,
Finances. Financier.
155
162
169
Séance Publique de l'Académie Royale des Belles-
Lettres & de l'Académie des Sciences ,
Suite de la Séance de l'Académie de la Rochelle ,
ART. IV. BEAUX - ART S.
170
181
Mufique.
Peinture. Vers de Me, du Bocage à M. Pierre , 182
Sculpture. Suite des Mémoires d'une Société de
Gens de Lettres , publiés en l'année 2355 , 183
Gravure.
ART. V. SPECTACLES.
197
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
Concert Spirituel ,
Nouvelles étrangeres ,
ARTICLE VI.
199
201
202
203
France. Relation de ce qui s'eft paſſé au Canada
, & c.
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
La Chanson notée doit regarder la page 83 .
De l'Imprimerie de Ch. Ant. Jombert .
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